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ENCYCLOPÉDIE
DES
SCIENCES RELIGIEUSES
PARIS. — TYP. TOLMER ET ISIDOR JOSEPIT.
43. rue du Four Saint-Germain.
ENCYCLOPÉDIE
DES
SCIENCES RELIGIEUSES
PUBLIÉE SOUS LA DIRECTION
DE
P. LICÏÏTENBERGER
DOYEN DE LA FACULTÉ DE THEOLOGIE PROTESTANTE DE PARIS
TOME II
^wuo^
baader-censu|Êeb;
PARIS
LIBRAIRIE SANDOZ ET FISCHBACHER
33, RUE DE SEINE, 33
1877
SCILNCCS
U «*■ O
STUDIES
5/
ENCYCLOPÉDIE
Di:s
SCIENCES RELIGIEUSES
B
BAADER (François), le philosophe le plus éminent qui dans ce siècle
se soit élevé du sein de l'Allemagne catholique. Né à Munich en 1765,
lils d'un médecin distingué et d'une mère pieuse, il s'efforça toute sa
vie d'unir la religion et les sciences naturelles. Après avoir étudié la
médecine, puis la minéralogie, il fit un séjour en Angleterre (1792-
1796) pendant lequel il reconnut l'erreur du déisme de Rousseau et du
subjectivisme de Kant. Saint-Martin et Bœhme devinrent ses guides
dans la spéculation ; plus tard il y joignit l'étude de Paracelse, de saint
Thomas d'Aquin et des docteurs du moyen âge. En 1797, il revint à
Munich, où il exerça, jusqu'en 1820, les fonctions de conseiller des
mines, puis de président de cette administration. Il se sentit attiré vers
Jacobi, à cause du rôle fondamental que celui-ci attribuait à la foi dans
notre vie spirituelle ; mais il s'en sépara, parce que Jacobi s'en tenait
au sentiment religieux d'une manière générale et vague et statuait un
antagonisme entre la science et la foi que Baader repoussa toujours,
adoptant la maxime de saint Thomas : Nemo crédit contra rationem,
quia veritas veritati contradicere nonpotest. De même, il fut d'abord en
relation intime avec Schelling, qu'il eut le bonheur d'amener du
spinozisme et du système de l'identité au théisme, au christianisme
historique; mais il le combattit, quand il vit que Schelling persévérait
à confondre la théogonie avec la cosmogonie. En 1826, il fut nommé
professeur de philosophie et de théologie spéculative à l'université de
Munich, récemment fondée; ce fut une occasion pour lui de systéma-
tiser un peu davantage les idées qu'il avait jusqu'alors présentées dans
des écrits de circonstance, d'un style concis et imagé, qu'il était par-
fois difficile de comprendre ; du reste, ses disciples reconnaissent qu'il
n'eut pas le don d'exposer sa doctrine avec lucidité etdans son enchaî-
nement logique. De même qu'il combattait le rationalisme en philo-
sophie, il se crut appelé à combattre aussi l'esprit révolutionnaire en
politique et le parlementarisme ; mais, conservateur loyal, il demanda
aux puissances du Nord de rendre la Pologne à elle-même. 11 se
montra dédaigneux pour Luther et pour le protestantisme; mais il
s'éleva contre les usurpations de la hiérarchie romaine, enseigna que
ii. 1
BAADER
îa papauté n'est pas une institution essentielle du catholicisme et
protesta contre les indulgences, contre la communion sous une seule
espèce et d'autres abus. Dans les dernières années de sa vie, il admirait
TEglise grecque, au sein de laquelle l'autorité est exercée par des
collèges ou conseils. Il mourut en 1841. — Baader fut un théosophe;
à ses yeux, le royaume de la grâce et le royaume de la nature ne sont
pas seulement parallèles, mais intimement unis ; chaque réalité de
l'ordre physique est le symbole ou plutôt le phénomène d'une réalité
spirituelle ; la philosophie première, fondamentale, c'est la théologie.
Notre science repose, non sur le fameux: Cogito,ergo sum, mais sur un
principe plus complet : Cogitor, ergo cogito et sum. L'homme a dans sa
conscience un témoignage que Dieu se rend à lui-môme ; témoignage
confirmé par celui de la nature et de l'histoire ; mais nous possédons,
en vertu d'une divine nécessité, un savoir immédiat (non une croyance
seulement) de Dieu; notre esprit, soit qu'il se pense lui-même ou qu'il
pense Dieu et le monde, est associé à la pensée divine; comme celle-ci,
il engendre, ou du moins, ce qu'elle a construit, il le reconstruit
(nach construirf), à la condition toutefois de penser avec elle, en elle;
et dans notre état de déchéance, c'est avec le secours du Logos, en
nous attachant à lui par une méditation qui soit en môme temps une
prière, que nous rentrons dans la lumière, dans la sagesse divine; la
logique est au fond la science du Logos. Dieu est le Dieu vivant, à la
fois Etre et Devenir, unité d'une multiplicité, actus purissimus et sub-
stantiel perfecta. Or la vie est une victoire incessamment remportée sur
un conflit intérieur (principe de contradiction), et cela par un mouve-
ment perpétuel, progressus et m/msws, dans lequel le vivant s'engendre
lui-même. Le principe divin se déploie en deux éléments impersonnels:
l'idée ou sagesse (Prov. VIII, 22) ou esprit, et la nature, force produc-
trice, natura naturans, qui, si elle demeurait séparée de la pensée,
deviendrait desiderium sut, mouvement désordonné, trouble, ténèbres ;
mais par leur pénétration réciproque, la divinité se constitue dans sa
richesse intinie, corporéité spirituelle ou idéalité substantielle, mani-
festation lumineuse et sereine d'un fond insondable et fécond. Le pre-
mier ternaire ou triplicité (principe, idée, nature) implique donc un
quatrième terme, la conciliation du deuxième et du troisième en une
union supérieure, quadruplicité dont on peut dire : « Quand on est à
trois, on est à quatre, c'est-à-dire à un. » Dans cette activité ésotérique
et logique de la vie divine, nous n'avons encore que l'individualité
absolue, un totum;\& personnalité se réalise dans une seconde activité,
exotérique et réelle, en un second ternaire, la Trinité, que certains
philosophes, Platon entre autres, ont entrevue, mais dont la formule
a été donnée par l'Eglise, et notamment par saint Thomas. Adversaire
énergique du panthéisme et du fatalisme, Baader enseigne que la
création fut un acte libre ; les deux éléments primordiaux, idée et
nature, constituent l'essence intime de l'univers ; le lien qui relie les
êtres créés, c'est l'amour (affinité, attraction, quand il s'agit de l'ordre
physique) ; le dynamisme, non le mécanisme ou atomisme, est l'expli-
cation légitime des phénomènes. Entre le monde des esprits ou anges
KAÀDER — BABOLEIN :;
et la nature, fut placé un intermédiaire, l'homme, image • ^ieu par
excellence, androgyne comme lui. Par suite de la chute dos anges
l'homme a reçu la mission de réparer le trouble apporté dans la
création ; mais il cède à la tentation. Pour empêcher l'homme et avec
lui la création entière de se précipiter dans l'abîme, Dieu matérialise
la nature, qui jusqu'alors n'était pas matérielle; il l'enferme dans les
limites de l'espace et du temps, et dorénavant l'intelligence égarée est
obligée de reconnaître Jes lois de cette nature nouvelle, aussi impé-
rieuse qu'elle avait été d'abord soumise à l'homme dans sa pureté
première. Le premier chapitre de la Genèse raconte cette reconstitu-
tion, où l'homme est appelé à une deuxième œuvre de réparation :
cultiver la terre (paradis, univers) pour la ramener à sa condition
initiale. Mais une nouvelle chute (Gen. II) augmente la détérioration ;
la création entière soupire après une délivrance (Rom. VIII). Dieu in-
tervient par l'incarnation de son Fils, incarnation graduelle, qui, de-
puis la sortie d'Eden, se poursuit jusqu'au jour où elle se condense
en Marie, et qui, depuis la Rédemption, recommence sous une forme
nouvelle dans tous ceux qui reçoivent et conçoivent en eux le Christ.
Ainsi se prépare la réintégration finale des créatures dans leur harmo-
nie première. Toutes les sciences naturelles, tous les trésors de l'art
et de l'imagination, la mythologie, le somnambulisme et la m
viennent tour à tour fournir des symboles, des explications ou des
prophéties à ce drame immense, qui inspire tantôt le plus séri i
intérêt et tantôt des réserves fort graves. — Les disciples de Baader,
MM. Fr. Hoffmann, Jul. Hamberger, Ant. Lutterbeck, baron (TOsten
Sacken, E. A. de Schaden et Chr. Schlûter ont publié ses œuvres com-
plètes, avec introductions et commentaires qui en facilitent l'étude,
15 vol., 1851-1860. Hoffmann, Vorhalle der spekul. Lehre Baaders, 1830;
Acht philos. Abhandlungen ùber B., 1857; Erdmann, EntwickeL der
deutsch. Spekalation seit Kant, t. II, p. 583. a. Matter.
BAAL, divinité phénicienne. Voyez Phénicie.
BAALBEK. Voyez Balbek.
BAASA (Baechâ, Baasà, Bahasça), originaire de la tribu d'Issachar,
fils d'Ahias, usurpa le trône d'Israël après avoir fait mourir Nadab,
lils de Jéroboam, son roi, et toute la race de ce prince (1 Rois XV,
-21 >s.). 11 résidait à Tersa, alors la capitale des dix tribus, et lit La
guerre au roi de Juda,Asa, qui le vainquit avec le secours des Syriens,
alliés (1 Rois XV, 18 ss. ; 2 Chron. XVI, 1 ss.). Baasa pratiqua
l'idolâtrie et fit tuer le prophète Jéhu qui lajui avait reproché". I
:a pendant vingt-quatre ans, de 954 à 930 avant Jésus-'
(1 Rois XV, 33).
BABEL (Tour de). Voyez Babylone et Architecture religieuse.
BABOLEIN (Saint) [Babolenus], fut établi, sous le règne de Clovis II,
premier abbé du couvent de Fosmtus, plus tard Saint-Maur-les-F-
près Paris. On croit qu'il avait été tiré de l'abbaye de Luxeuil. I
mourut vers 071. Ses actes, rédigés vers 1080, sont remplis de I
et d"aiiachronismes (Bouquet, III; Mabillon, AA. SS. Ben., 8XC II;
Bull. -20 /'/>. V). Voy. Lebeuf, Dioc. de Paris, V, p. 07.
4 BABYLAS — BABYLONE
BABYLAS (Saint), évoque d'Antioche, mourut en prison vers 250,
d'après Eusèbe (VI, 29). Ghrysostôme au contraire raconte son mar-
tyre dans un livre plein de déclamations (II, 536, Monfaucon), et le
place sous l'empereur Philippe. Les actes de saint Babylas (AA. SS.
24 Jan . II) le font mourir en 284, sous Numérien. « Il faut avouer, dit
ïillemont (vol. III), que l'histoire de ce saint évêque est embarrassée
de plusieurs difficultés qui sont insurmontables à notre faiblesse. »
BABYLONE. Le nom de Babylone est rattaché, dans la Bible, aux
plus antiques souvenirs de l'humanité post-diluvienne. C'est là que les
restes peuples, issus de Noé, s'assemblèrent avec l'intention de bâtir
une tour, signe de ralliement pour ne pas être dispersés. Mais, selon
la légende biblique, le Seigneur descendit, frappa les peuples assem-
blés de confusion, et les dispersa dans tous les [pays. C'est pour cela
que la place dans le pays de Sennaar, où cette confusion (Tjyyysiç)
eut lieu, fut nommée Babel, du mot Balai, qui veut dire « confondre »
(Gen. XI, i-9). Babel, ainsi au premier plan dans l'époque primordiale
de [l'humanité, disparaît de la scène biblique, pour ne plus paraître
qu'au temps d'Ezéchias (vers 712), et à partir de là, Babel joue un
rôle prépondérant dans toute l'histoire judaïque, soit comme puissance
politique de premier ordre ou comme puissance vaincue, soit comme
exemple de grandeur et de déchéance dans la bouche des prophètes.
Le nom de Babel vit jusque dansl'épître de saint Pierre (I, 5, 12) et dans
l'Apocalypse (XVIII, 1), et c'est surtout ce rôle biblique de Babel qui lui
a valu sa grande popularité parmi toutes les cités de l'antiquité. — Le nom
de Babel, en grec BaSuXwv, se dit, dans la langue assyrienne, Babilon.
La tradition juive et chrétienne a été connue dans l'antiquité païenne.
L'historien chaldéen Bérose, qui vivait du temps de Ptolémée Philadel-
phe, et qui écrivit en grec trois livres d'histoire babylonienne, l'avait
consignée dans ses écrits, et les fragments d'Abydène, d'Alexandre
Polyhistor, d'Eupolème, attestent suffisamment que les Grecs connais-
saient cette légende de la confusion des langues. L'évêque de Césarée,
Eusèbe, se servit de ces témoignages classiques pour prouver, dans sa
Préparation évangélique, l'authenticité des récits de la Bible. Les nou-
velles découvertes, dues en partie à M. Smith, effectuées dans le do-
maine de l'assyriologie, ont fait connaître les récits babyloniens eux-
mêmes. Nous reviendrons sur ce point. Le nom de Babylone comporte
dans les textes originaux deux dérivations distinctes. Selon le mythe ba-
bylonien, Babylone avait été fondée par Bel, et exista lors de l'époque du
premier roi Alorus, qui fut môme un Babylonien, 432,000 ans avant le
déluge. La langue sumérienne ou langue des inventeurs de l'écriture cu-
néiforme nomme la ville Ka-dingirra, «porte des dieux. » Plus tard, les
Sémites traduisirent ce mot en Bab-ilu, porte du dieu, et probablement
la porte de El, c'est-à-dire de la planète Saturne. L'étymologie que nous
venons de citer se retrouve dans la manière même d'écrire ordinaire-
ment le nom de Babylone, en cunéiformes. Cette dérivation a prévalu et
a formé le nom grec, ainsi que le nom perse de Babirus, et le Babilu
des Mèdes, dans les inscriptions médiques des Achéménides. Mais il
serait erroné de croire que l'étymologie biblique n'ait pas été connue
BABYLONE
à Babylone, et qu'elle soit le résultat d'un calembour hébraïque. Au
contraire, la dérivation du mot hébreu balai, est toute assyrienne,
et le mot babil veut dire « confusion » en assyrien et non pas en hé-
breu, où la formation ne serait pas babil comme là, mais bilbul. D'autre
part, il existe d'autres manières de désigner Babylone symbolique-
ment ou par des idéogrammes. Ces manières d'écrire ont trait au sens,
et non pas à la prononciation. L'une d'elles nomme Babylone « la ville
des hordes survivantes » (Din-tir-ki), et cette manière graphique se
trouve avant tout dans les textes de Béhistun, là où l'original perse
donne Babirus. Dans ce même texte, et surtout dans les documents
commerciaux du temps des Perses, Babylone est rendu par les deux
lettres b-ki qui signifiaient « ville du langage ». Un autre idéogramme,
assez obscur au point de vue du sens, peut se traduire par « ville de
la main du ciel », ou « ville du jugement d'Anou » (su-an-na-ki). Tous
ces textes prouvent que le nom sémitique de Babel était interprété de
différentes manières, dont l'une se trouve consignée dans la Genèse.
I. Histoire. Le nom de Babylone, comme nous l'avons dit, se perd
dans la nuit des époques mythiques. Babylone était la patrie du pre-
mier roi, Alorus, qui fut suivi par dix autres rois, très-mythiques, et
qui régnèrent pendant 432,000 ans, ou 120 sares, époques de 3,600 ans
chacune. Voici les noms de ces rois :
Alorus 10 sares ou 30,000 ans
10,800
46,800
43,200
64,800
36,000
64,800
36,000
28,800
64,800
-IIU1 LIS ....
Alaparus . . .
IU SU.J
3
Amelon . . .
. 13
Ammenon . .
. 12
Amelagarus . .
. 18
Daonus . . .
. 10
Enedorachus .
. 18
Amempsinus .
10
Otiartes . . .
8
Xisuthrus . .
. 18
Total. . . 120 sares ou 432,000 ans
Les quatre derniers règnes furent illustrés par l'apparition de plu-
sieurs dieux puissants, nommés (Jaunes, Odacon, Annedotus, qui
pendant la nuit se retiraient dans la mer Erythrée, pour enseigner
pendant le jour aux humains les éléments des sciences. Jusqu'ici, à
ce que nous sachions, les noms des deux derniers rois, le père et le
fils, nous sont seuls connus par les textes. Le père (écrit en caractères
idéogrammes Ubara-an-tu-tu), signifie « loi du dieu générateur »
[flpsu) : sa prononciation n'est pas encore connue. Le fils, exprimé
par un idéogramme-épithète, Uf-zi, c'est-à-dire « éternellement
vivant », se nommé Adrahasts; les deux éléments retournés en Hàsisu-
adra ont formé le grec Xisuthrus. Ce dernier est le Noé babylonien, le
héros de la légende du déluge. Le récit, connu depuis longtemps par
les fragments de Bérose, a été restitué par les textes assyriens qui
traitent de ce cataclysme; la légende est conservée dans une sorte
d'épopée, écrite sur douze tablettes, ei donl le récitdu déluge forme la
6 BABYLONE
onzième. Le héros delà légende se fait raconter par Adrahasis l'histoire
de cette grande catastrophe : le héros lui-même est un être mythique
divin, le dieu Istubur, dont le vrai nom est encore une énigme. Les
signes qui composent ce nom signifient peut-être « le Dieu à la grosse
lèvre inférieure », et il paraît être un génie du feu. (Pour le récit du
déluge, voy. Déluge.) Le cataclysme eut lieu , selon les listes de Bé-
rose, aujourd'hui vérifiées avec une certitude mathématique, en
41,697 avant Jésus-Christ. Selon les fragments du même historien,
86 rois se succédèrent pendant 39,180 ans; cette période mythique se
décompose en douze époques dites sothiaques de 1,460 ans, et
de 12 époques lunaires de 1,805 ans (22,325 lunaisons) ; en effet,
12 époques à 1,460 = 17,520 ans
12 époques à 1,805 = 21,660
39,180 ans
Les premiers rois postdiluviens de Bérose s'appellent Evechoos et Cho-
raasfiélus; ils régnèrent ensemble 5,100 ans; ils n'ont pas encore été
assimilés à des rois cités dans les textes cunéiformes. Les autres monar-
ques, dont la durée de règne est évaluée à 9 sares (à 3,600 ans) 2 nères
à 600 ans) et 8 sosses (à 60 ans), donnent un ensemble de 34,080 ans.
Si fabuleuse que soit cette période, il est parfaitement certain que, vers
la fin de cette époque, il régna des monarques historiques dont on pos-
sède des textes. Le seul événement certain qui également appartient à la
dernière période, où la nuit devient déjà l'aube du jour, est'transmis
parla Genèse, et se rapporte à la domination d'un peuple issu de Chus,
et portant le nom de Nimrod. Ce peuple, dont le nom ne désigne pas
plus une individualité que les 73 autres noms de la table des nations,
fut un peuple conquérant et chasseur, et établit, dans des époques très-
éloignées, sa domination sur « Babel, Erech (Orchoê), Accad et Cha-
Ianné,aupays du Sennaar. » Ce nom de Nimrod, qui ne paraît plus que
dans le prophète Miellée (et là comme' nom purement géographique
opposé à r Assyrie), était le nom d'un peuple qui habitait le bassin du
Las Euphrate et l'Elyniaïdc. Voilà tout ce qu'on sait de Nimrod; une
légende apocryphe a rempli de fables son existence dans la bouche des
juifs et des musulmans. Dans ces derniers temps, on a voulu prêter à
Nimrod, contrairement à la grammaire, l'édification des cités assy-
riennes, Ninive, Resen et Calach, que le texte hébreu ainsi que toutes
les traductions attribuent à Assur, c'est-à-dire à la personnification de
l'Assyrie. Le nombre des rois donné dans les listes bérosiennes, trans-
mises par la traduction arménienne d'Eusèbe, peut n'être pas toujours
exact, mais le nombre d'années est vérifié, ainsi qu'il est évident, par
des notes marginales apposées. Une dynastie médique, de 8 rois, com-
mençant avec Zoroastre, régna depuis 2517 à 2283, pendant 224 ans, à
Babylone. Elle était évidemment aryenne, et fut supplantée par une
autre dynastie, nommée aussi médique, cette foissusienne, et se servant
d'une langue étroitement liée à la branche vraiment médique. Cette dy-
nastie, inaugurée par la prise de Babylone \>dx Kudur-Nankhundi, 1,635
ans avant la prise de Suse par Assurbanhabal, dura pendant 234 ans^
BABYLONE 7
Elle comprend un nombre plus ou moins grand de princes élami-
tes, qui se servirent des deux langues sumérienne et assyrienne dans
leurs décrets. L'un d'eux semble être le fameux Hammurabi,fils d'Um-
mubanit. Les listes de Bérose donnent encore une dynastie de 49 rois
clialdéens pendant 458 ans; 9 princes arabes leur succédèrent durant
ï\o ans. Alors l'Assyrie conquit la Babylonie, Sémiramis régna sur
toute la Mésopotamie (pendant 42 ans, selon tous les auteurs), puis une
dynastie assyrienne nommée le grand empire d'Assyrie pendant 526 ans.
Une dynastie chaldéenne succéda à Babylone, comme à Ninive, et c'est
là que s'arrête la liste actuelle de Bérose, qu'on peut aujourd'hui
restituer ainsi, à cause d'une période donnée contenue dans les textes
de Sargon, et qui constate qu'une des époques lunaires (de 185 ans)
finissait en 712 avant Jésus-Christ. Ce chiffre est dans une merveilleuse
coïncidence avec la date de 139 de l'ère chrétienne, donnée par Cen-
sorin : ces calculs, qui n'admettent pas la variation d'une seule année,
ont été expliqués ailleurs.
10 rois antédiluviens
86 rois clialdéens pe
pendant
ndant 39.
. 180 ans
432,000 ans.
41697 —
2517
8 rois mèdes
»
234
»
2517 —
2285
11 rois élamites
»
224
))
2283 —
2059
49 rois clialdéens
»
458
»
2059 —
1601
9 rois arabes
»
245
»
1601 —
1356
Sémiramis
»
42
»
1356 —
1314
45 rois assyriens
»
526
»
1314 —
788
8 rois babyloniens
»
79
»
788 —
709
Sargon etles Sargonides »
6 rois babyloniens »
Dynastie perse »
Alexandre »
84
87
208
7
))
»
»
Mil
625
538
330
323
D'après Diodore, en parfaite conformité avec les autres données, il
s'était écoulé plus de 473,000 ans depuis les temps les plus anciens
jusqu'à Alexandre. Le nombre exact de cette chronologie fabuleuse est
de 473,367 ans. Cette liste ne se rapporte qu'à l'histoire de Babylone
seule, et non pas à l'Assyrie. Les textes nous ont laissé une très-grande
quantité de noms royaux, qui sont, avec très-peu d'exceptions, diffi-
ciles à classer dans un ordre chronologique ; nous disons difficiles,
pour ne pas dire impossibles. Un roi très-ancien et son fils, dont les
noms sont inconnus et résistent encore à la lecture (Orcham, Urukh,
Urbagas, etc., pour le père; Dangi, Sulgi, Edilkin pour le fils), ont
régné à Ur, d'où sortit Abraham, et y ont élevé de nombreux édifices.
Mais ces monarques appartiennent-ils à la fin de la période mythique
(avant 2517), ou au commencement de l'empire chaldéen? C'est ce
qu'il est impossible, à l'heure qu'il est, de dire. Les données sures ne
se rapportent qu'à la prise de Babylone par Kudurnankhundi, à l'âge
d'un roi assyrien Ismidagon, peut-être pas même roi de Babylone, et
puis à Hammurabi, qui, à cause d'un chiffre millésime illisible, ne peut
être mis qu'en 1200 ou en 2200; mais 1200 étant improbable, < 'es!
8 BABYLONE
2200 qu'il faut le placer, il nous semble inutile de donner toute la
nomenclature de ces monarques antiques dont on ignore Tordre et la
succession; nous ne connaissons d'ailleurs d'eux presque aucune action,
si ce n'est l'édification de temples, à Ur, Orclioé, Larsa, Larrak (La-
rancha), Sippara, Nipur, Agadè (la ville du feu éternel). Quelques-uns
portent des noms élamites, tels que Sagaraktiyas, le constructeur du
temple de Sippara, Purnapuriyas, et son fils Kurigalzu. Une filiation peut
être établie entre Simtisi-Silhak, son fils Kudur-Mabug, qui s'établit en
Phénicie, et son petit-fils, Eriaku, l'Arioch (homonyme ou identique)
de la Genèse XIV, 1. Nous ne savons rien sur la dynastie dite arabe,
suivie par Sémiramis qui paraît être la vraie Sémiramis historique, et
celle dont parle Hérodote (I, 184). Rien non plus n'est connu d'elle; il
se peut qu'une union avec un prince assyrien rendit les Ninivites
maîtres de Babylone (1314). Cette domination de 526 ans selon Bérose,
de 520 selon Hérodote, inaugura le grand empire d'Assyrie qui dura
jusqu'à la défection des Mèdes et la prise de Ninive par les Babyloniens.
Cette dynastie, composée d'une ou de plusieurs races assyriennes, ne
se put pas toujours maintenir dans la possession de la ville sacrée des
Chaldéens ; nous connaissons diverses révoltes, dont l'une fomentée par
Merodach-idin-akhe, réussit même à prendre- Ninive, dans une guerre
heureuse contre Téglathphalasar (1100). Souvent des rois indépendants
pouvaient occuper le trône malgré la volonté des rois d'Assyrie, et
souvent avec leur permission expresse; mais en général Ninive eut le
dessus jusqu'au règne d'Assurnirar (788), où une nouvelle dynastie
remplaça les Assyriens, menacés même par des révoltes dans leur
propre pays. Voici, du reste, les noms des rois connus, qui furent éga-
lement monarques ou suzerains incontestés de Babylone :
Bennirar III 959 — 936
Téglath-Sandan ," 936—930
Assurnasirhabal 930 — 905
Salmanassar III 905 — 870
Samas-Ben 870 — 857
Bennirar IV 857 — 828
Salmanassar IV 828 — 818
Assuredil-el 818 — 800
Assurnirar 800—792
Prise de Ninive 788
Le roi fainéant Assurnirar, d'où proviennent les fables sur le Sarda-
napale lâche et amolli, marque la lin de cette prépondérance de
Ninive. Babylone se constitua sous des rois indigènes, et pendant
437 ans, Ninive fut réunie à la Chaldée jusqu'au règne de Téglath-
phalasar II (745). Jusqu'à cette époque, avaient régné en Mésopotamie
Belesis {Balasi) et Phul (Pûlu), qui le premier de tous se montre dans
la Bible comme ennemi menaçant de Ménachem Ir, roi d'Israël. Phul,
satisfait par les présents du roi juif, ne pénètre pas dans ses pays, et
retourne en Assyrie. Immédiatement après Phul, nous avons un
guide dans la liste du canon de Ptolémée, puisé d'après les documents
BABYLONE 9
originaux consultés à Alexandrie par des astronomes plus anciens,
surtout par Hipparque. Le canon commence avec l'ère de Nabonassar
(26 février 747), mais chaque quatre ans la date recule d'un jour.
puisque les années sont de 365 jours seulement. Voici la dynastie
indépendante maîtresse de l'Assyrie jusqu'en 747 :
Belesis depuis 788
Phul vers 770
Nabonassar (Nabo-nasir) . . . 747 — 733
Nadius (Nadir) 733 — 731
Kinzirus et Porus 731 — 726
Elulœus (Ululaï) 726 — 72J
Merodachbaladan 721 — 709
Cette période de 79 ans fut signalée en 745 par la sécession de
l'Assyrie sous Téglathphalasar, qui rétablit l'indépendance de Ninive,
sans réussir à détruire celle de Babylone. Le roi assyrien lit des tenta-
tives infructueuses à cet effet. Les exploits des rois sont inconnus, sauf
ceux de Merodachbaladan, que ses adversaires mêmes ont illustré. Ce
prince fut un monarque doué d'un grand sens politique, il noua des
relations surtout avecJes ennemis des Assyriens, par exemple avec le
Juif Ezéchias. Attaqué par Sargon, il perdit Babylone en 709, mais il se
retira en combattant dans la basse Chaldée, où il continua la lutte iné-
gale, pendant assez longtemps. Et même après la victoire du puissant
Sargon et son entrée à Babylone (printemps 709), il ne resta pas inactif
en inaugurant les luttes patriotiques contre Ninive, perpétuées
presque jusqu'à la chute de Ninive. Mais pendant quatre-vingt-quatre
ans, l'Assyrie resta maîtresse,' malgré quelques interrègnes passagers et
quelques princes éphémères. Voici, d'après Bérose, les canons de
Ptolémée et les textes assyriens, la liste des princes pendant la période
des Sargonides :
Sargon 709 — 704
Interrègne d'Hagisès j 7Q4 _ 7Q2
Merodachbaladan ( ' '
Bélibus, institué par Sennachérib . . 702 — 699
Asurnadin, fils de Sennachérib . . . 699 — 693
[rigebél 693 — -
Mesesi-Màrduk 692 — 688
Interrègne, pendant lequel s'empara
du pouvoir Suzub, fils de Gatul . . 688 — 680
Assarhaddon, roi d'Assyrie .... 680 — 667
Samul-mukin (Saosduchin - Sam -
taughes), fils d' Assarhaddon . . . 667 — 647
Issurbanhaba] (Sardanapale V), roi
d'Assyrie, frère du précédent. . . (\M — 625
Rhegebelus ou [rigibelus. et Mesisimordacus (Mesesi-Marduk) de Ptolé-
mée nous sont inconnus; mais nous avons, par les textes de Senna-
chérib, des données précises sur l'anarchie qui leur succéda. Déjà.
10 BABYLONE
en 688, les Babyloniens, aidés par les Elamites, avaient porté au
pouvoir Suzub, fils de Gatul ; mais Sennachérib l'avait fait prisonnier
et l'avait amené à Ninive. Suzub s'échappe (685), et secondé par
Umman-Ménan, le roi d'Elam, il s'empare du trône, et il est de
nouveau battu. Il revient une troisième fois (683), mais alors Senna-
chérib saccage Babylone, et y institue ses satrapes. L'anarchie finit
avec l'avènement d'Assarhaddon, après l'assassinat de Sennachérib
par ses propres fils. Assarhaddon se conduisit en roi de Babylone, et
laissa, à son abdication (667), Ninive à son fils aîné Assurbanhabal
(Sardanapale V), Babylone à son fils cadet Samulmukin, Sammughes
de Bérose. Mais le roi de Babylone s'allia contre son frère avec les
Elamites, il fut vaincu, et finit sa vie dans un incendie allumé par ses
propres sujets (647). C'est alors qu'Assurbanhabal(leChiniladaldePto-
iémée) réunit pour la dernière fois Ninive et Babylone sous son sceptre,
jusqu'à l'avènement du Babylonien indépendant Nabopollasar (625).
Cet événement, sur lequel nous ne possédons aucun texte original,
commence l'époque de la splendeur de Babylone. La dynastie, issue
du pays, dure pendant 87 ans et se compose des rois suivants :
Nabopollasar. .- 625 — 605
Nabucliodonosor . .' 605 — 561
Evilmérodach. ........ 561 — 559
Nériglissor {Nirgal-sar-usur). . . . 559 — 555
Labosordachus (nom mutilé), 9 mois . — 555
Nabonid (Nabu-Nahid, fils de Nabu-
Balatsu-Jqôi, Labynetus d'Hérodote). 555 — 538
Prise de Babylone par Cyrus. ... — 538
Sous le règne de Nabopollasar, la puissance de Ninive décroît ; après
la mort d'Assurbanhabal, ses successeurs Assur-edilili et Assur-
ZikïY-Iskun (l'Assaracus des Grecs, et peut-être le Konosconcoborus
estropié), finirent par céder à la puissance unie des Babyloniens et du
Mède Cyaxarès. Après la chute de Ninive (606), l'Egyptien Néchao
voulut empêcher l'agrandissement de la domination inquiétante de la
Chaldée; mais Nabucliodonosor, devenu roi, le défitàCarchemis(604).
Le roi vainqueur se tourna vers la Judée, et après avoir imposé et
détrôné Joachim, Jéchonia et Sédécia, il attaqua Jérusalem, prit la ville
et brûla le temple de Salomon (août 587). Nabucliodonosor passa, dans
l'antiquité, pour l'un des plus grands conquérants. D'après une
donnée, il aurait même subjugué la Libye et l'Espagne; en tout cas, il
imposa sa volonté en Asie. Malheureusement, nous ne possédons que
des textes historiques concernant la ville des Chaldéens ; les documents
très-détaillés ne parlent que des édifices qu'il fit élever dans sa capitale
et dans les autres villes de son empire. Il fît de Babylone la plus grande
cité du monde, et les Jardins, suspendus, les murs de Babylone qu'il
acheva, étaient classés par les Grecs dans les sept merveilles de l'uni-
vers. Le livre de Daniel parle de sa folie passagère, qui a pu être réelle,
et pendant cette aberration, se place peut-être le règne de Bel-Zikir-
Iskun, roi de Babylone, que l'on ne peut placer ailleurs. Il laissa le
BABYLONE 11
trône à son fils E vil mérodach, dont le seul fait connu est d'avoir donné
la liberté au roi Jéchonia, prisonnier depuis 27 ans. Nériglissor, son
livre, fils de ce Bel-Zikir-Iskun, l'assassina; mais nous ne pouvons,
non plus, signaler aucun fait de son règne, sinon que, mort après
quatre ans de règne, son fils ne sut se maintenir que pendant neuf
mois, pour faire place à un homme noble, mais non issu de sang
royal, Nabonid. Ce roi signala son règne par de grandes constructions,
telles que les quais de TEuphrate et la restauration des temples dans
toute la Chaldée. Cyrus, après avoir dominé les Lydiens et les
Ioniens, n'avait trouvé debout qu'Elam et Babylone; il devait les
soumettre toutes les deux. Mais la puissance chaldéenne était trop
bien établie pour la détruire d'un coup. Nabonid avait institué son
fils aîné Belsazzar (Balthasar), en assyrien Bel-sar-usur, sur quel-
ques parties de son royaume ; il en parle lui-même dans ses textes.
Les Perses, avant de prendre Babylone, firent détruire le siège de la
royauté de Balthasar par un certain Darius, dit le Mède, connu seule-
ment par Daniel. Nulle part, il n'a été dit que ce satrape (voir Da-
niel IX, 1) a tué Balthasar dans Babylone même; il semble même cer-
tain, d'après les textes perses, que Balthasar n'existait plus lors de la
chute de Nabonid. Ce roi fut renvoyé en Caramanie, où il finit ses
jours, après la prise de Babylone par Cyrus (538). Les Perses respec-
nt les usages et les lois de la ville conquise et ne prirent jamais que
le titre de rois du pays ou de rois de Babylone, jamais celui de rois de
l'erse. Néanmoins, dix-sept ans déjà après la prise de la ville, elle se
oha contre Darius Ier, qui venait d'arriver au trône. Nidintabel (c'est
le roi perse qui le raconte dans le document célèbre de Béhistun), qui
prétendait être Nabuchodonosor (second), fils de Nabonid, attendit les
Perses au Tigre et à l'Euphrate, et Darius ne réussit à approcher de Ba-
bylone qu'après deuxbatailles livrées à six jours de distance (déc.521).
il ressort des dates du texte perse que la donnée d'Hérodote relative
aux vingt mois de siège est exacte ; ce n'est qu'en 519 que le roi perse
put punir les Babyloniens de leur révolte. Mais bientôt après un autre
faux Nabuchodonosor surgit dans la personne d'un Arménien, Arakha
(516), et fut bientôt vaincu par les armées perses. Depuis ce temps,
Babylone resta sous la domination perse ; quelques rois même en
Tirent leur demeure; Darius II y mourut en 40i. Tous les rois, néan-
moins, n'avaient pas été animés d'un pareil respect pour la grande
ville ; Xerxès, à son retour de Grèce, pilla la ville et détruisit quelques
temples : le luxe et la splendeur de la ville n'étaient pas anéantis, et
Alexandre put encore les trouver dans tout leur développement. Le grand
.Macédonien avait l'intention de faire de Babylone la capitale de son vaste
empire, elle ne devint que son sépulcre (juin 323). Séleucus Nicator
obtint Babylone à L'assemblée de Triparadisus, mais il ne put en chasser
Antigonus et son fils Démétrius Poliorcètes qu'en 312. et c'est de
cette prise de Babylone que date l'ère des Séleucides (octobre 312 . Le
vainqueur lui encore lacausede sa ruine; il bâtit à quelque distance d«
li Séleucû . sur leTigre, et Babylone fut démolie pour servir de carrière
à briques aux villes adjacentes. Les Par thés arrachèrent, en 13:), Baby-
12 BABYLONE
lone aux Séleucides ; ils la gardèrent malgré les tentatives de Trajan
(114), de Lucius Verus (164) et de Septime Sévère (199) ; Julien (363;,
fut impuissant à l'enlever aux Sassanides. Les victoires du khalife
Omar à Kadesia et à Nehavend sur Jesdasgard III, soumirent Babylone
à Tlslam ; les khalifes fondèrent, non loin de Babylone, leur capitale
Bagdad (762) ; mais elle resta habitée jusque vers le milieu du onzième
siècle. Après bien des péripéties, les Turcs, sous Mourad IV, l'arrachè-
rent (1648) à la Perse, et depuis ce temps Babylone fait partie de la
province d'Iraq, dont le chef-lieu est Bagdad. — Langue et écriture.
Sur l'écriture voyez : Ecriture cunéiforme. Diverses langues furent par-
lées à Babylone : d'abord le sumérien ou la langue antique des Ghal-
déens, puis Yaccadien ou Yassyrien, idiome sémitique qui devint la
langue dominante. Simultanément s'introduisit, aux époques plus mo-
dernes, Yaraméen, qui était déjà en usage du temps des Perses, quoi-
que les plus récents documents assyriens descendent jusqu'à l'empire
romain. — Sciences et arts. La science principale des Babyloniens fut,
pendant des siècles, la connaissance des astres, unie à celle de prophétiser
l'avenir. En dehors des nombreuses données qui nous sont parvenues
par le canal de l'antiquité classique, nous possédons de nombreux
fragments de textes astrologiques, oniromantiques et d'autres de 3a
même classe. Leur science était enseignée dans diverses écoles, telles
que celles de Babylone, de Borsippa, d'Orchoéet de Sippara. Leurs sa-
vants s'occupèrent de mathématiques, etStrabon nomme Cidena, Nabu-
rianus et Sudinus. Ils ont inventé la division du cercle en 360 degrés
et la sous-division sexagésimale. Hérodote leur attribue le gnomon et
les douze heures de la journée. Ils ont institué la plus ancienne coutume
du monde, la semaine de sept jours et les noms des jours de la semaine.
Ils savaient que 6,585 1/3 jours équivalent à 223 mois synodiques,
242 mois draconitiques et 239 mois anomalistiques. Cette période, qui
fait revenir pendant à peu près mille ans les éclipses dans le même
ordre, portait même le nom de saros ou période chaldéenne. La triple
saros de 19,756 jours leur est attribuée par Geminus; elle équivaut à
669 mois synodiques et 717 mois anomalistiques, comme période des
périgées de la lune; on les nommait évolutions exéligmes. Simplicius
mentionne, d'après Porphyrius, ses observations remontant à 31,000
avant Alexandre (il faut probablement lire 41,000 ans, l'époque du
déluge selon eux). H existe encore des tables lunaires; puis, en mathé-
matiques, des tables des carrés et des cubes de 1 à 60. Leurs idées
philosophiques sont peu connues ; ils admettaient l'éternité de la ma-
tière et la création du monde du néant ou de l'abîme vide (apsu),
l'apason de Damascius. Leur longue civilisation est attestée par le fait
qu'ils connaissaient une longue période de 1,805 ans, 22,325 mois sy-
nodiques, qui fait revenir les éclipses, et qu'ils ne pouvaient pas avoir
trouvée par le calcul, mais dont la connaissance ne pouvait se baser
que sur la comparaison des éclipses périodiquement réitérées. En fait
de sciences politiques, ils avaient une idée assez précise sur l'Etat, l'au-
torité, les sujets, les castes, et des notions très-détaillées de droit civil,
ainsi que le prouvent bien des textes. Leur médecine était toute empi-
BABYLONE 13
rique, mêlée de pratiques superstitieuses. Parmi les textes cunéiformes
se trouvent des exorcismes contre une grande quantité de maladies.
Hérodote raconte qu'on portait les malades sur la rue, et que tous les
passants donnaient leur avis. Vart des Babyloniens était très-rappro-
ché de l'art assyrien. L'architecture remplaçait les pierres dures de
Xinive par la brique cuite, avec une habileté extraordinaire ils reliaient
ces briques par du bitume, fortifié par le mélange de roseaux. Ils utili-
saient beaucoup de matières précieuses, de l'or, de l'argent, du verre,
de Tivoire et des essences de bois précieux. Ils excellaient surtout dans
les représentations sur briques vernissées, qui avaient des couleurs
d'une grande richesse, surtout pour le jaune et le bleu; le rouge ne
paraît pas autant dans les débris de Babylone. Mais surtout ils culti-
vaient la pierre fine, qu'ils savaient travailler avec un grand art. D'in-
nombrables cachets en forme de cylindres démontrent l'étendue de
cette fabrication artistique. Ils fondaient beaucoup d'objets en métaux,
et Hérodote parle de leurs casques en cuivre faits d'une manière bar-
bare difficile à raconter. Leurs toiles étaient célèbres ; une grande
fabrique existait à Borsippa ; ils en avaient môme une espèce très-dure
pour en faire des cuirasses. Les tapis de Babylone étaient connus dans
tout l'Occident, et pendant plusieurs siècles Babylone faisait l'intermé-
diaire commercial entre l'Europe d'une part et l'Inde et la Perse de
l'autre. — Mythologie (voir Chaldée).
lî. Topographie. Babylone était originairement astreinte à des limites
relativement très-étroites, en comparaison avec l'étendue énorme
que la ville sacrée des Ghaldéens occupait dans les derniers temps de
son existence. Du temps de la domination du peuple, Nimrod, la ville,
faisait partie de la tétrapole Babel, Erech (ass. Uruk, Orchoé), Accad
et Chalanné (Nipur) ; mais même plus tard nous trouvons à côté d'elle,
comme capitale de la Chaldée, Ur (Mugheïr d'aujourd'hui), Larsa
(Senkerch), Larrah (Larancha des Grecs) et les deux Sippara (hébreu
Sepharaîm, au duel), c'est-à-dire la \ille du Soleil (Héliopolis) et la
ville de la Lune. Déjà, dans les textes de Hammurabi (peut-être vingt-
deuxième siècle), de Purnapuryas (même époque) et d'autres, nous ren-
controns le titre de « roi de Babylone » à côté de celui de « roi des
quatre régions », qui sont Accad (sud), Fiant (est), Hubur (nord) et
Aharru (ouest). Pendant longtemps Babylone était restreinte à la partie
qui plus tard s'appelait V Acropole, la Cité royale. Cette cité rappelle
les étroites limites des anciennes Cités de Paris et de Londres ; elle ne
renfermait que 530 hectares, et comprenait quelques-uns des principaux
monuments sacrés. Lu roi, Ben-haOal-idin, dont l'époque est inconnue,
fonda le mur qui existe encore. C'est dans ces étroites limites que
Babel vit naître sa suprématie, que Mérodachbaladan la défendit. Le
premier roi qui semble avoir étendu les limites de la capitale fut un
assyrien Assarhaddon,qui fonda les deux grandes enceintes continuées
par Nabopollasar et achevées plus tard par Nabuchodonosor. C'est de
ht Babylone de Nabnchodonosor (pie nous parlons; elle comprenait
plusieurs villes, Babylone, Borsippe et Cutha, autrefois indépendantes
I une de l'autre, et rendues plus tard à leur isolement primitif par la
14 BABYLONE
destruction, ordonnée par Darius, d'un mur extérieur qui les renfer-
mait toutes. — 1. -Mars de Babylone. Nabuchodonosor, ainsi que
Josèphe, Abydène l'attestent, confirmés par les inscriptions, entoura la
ville d'un simple système d'enceinte, comprenant six circonvallations.
Deux murs concentriques entouraient toute l'étendue ; trois autres
entouraient la Cité royale, Babel par excellence ; le dernier entourait
Borsippa, la Tour des Langues. Le mur extérieur le plus puissant de
tous, s'appelait Imgur-Bel (Bel bénit) ; il avait en tout 490 stades de
longueur, y compris les détours occasionnés par les portes; en ligne
droite, d'un angle à l'autre, il mesurait 4 fois 120 stades (4 fois 22k. 680
== 90 k. 720). Le carré régulier formé par cette enceinte couvrait donc
une superficie de 513 kilomètres, plus grande que le département de
la Seine, et sept fois plus grande que l'enceinte fortifiée de Paris.
D'après la topographie actuelle, elle s'étend au nord le long du canal
musulman, nommé Nil, est bornée au nord-est par la ruine de VOheynir
(Cutta), descend de là vers le sud-sud-ouest, sur un espace de 23 kilomètres
englobe par son côté sud toute la ville de Borsippa, et est bordée dans
son parcours occidental par les marais de Hadiych, en passant par
les ruines de Tell-Harkeh et de Tell-Ghazaïeh. L'Euphrate partageait cette
surface en diagonale, en deux parties presque triangulaires. L'étendue
n'est pas exagérée, car Aristote (Polit., III, 8) cite Babylone comme
formant plutôt un pays qu'une ville ; les rues ne formaient pas, selon
lui, l'idée d'une ville, car alors on n'aurait eu qu'à entourer le Pélopo-
nèse d'une enceinte. Cette immense circonvallation avait une hauteur
de 90 coudées (47 mètres 25) sur 50 coudées (26 mètres 25) de largeur,
et quelques tours s'élevaient à 200 coudées (105 mètres). Cent portes
donnaient accès à la ville, et pour y parvenir, il fallait franchir un
fossé extérieur et intérieur. Ce double fossé a contribué à effacer pres-
que toute trace de ce mur ; dépouillée de son revêtement de briques, la
terre du noyau lavée par les inondations retombait dans les fossés dont
elle avait été extraite. Darius commença à le démolir. En deçà de ce
mur extérieur, nommé par Hérodote une cuirasse (ôwpvjÇ), courait le
mur intérieur (salhû en assyrien, en opposition au dur qui désigne le
mur extérieur). Son nom était Nivit-Bel, « demeure de Bel. » Ce grand
mur avait 360 stades (68kilom.)de pourtour; il était encore d'une force
considérable et renfermait une superficie de 290 kilom. carrés. 11 com-
prenait toute la Babylone proprement dite, mais il laissait en dehors et
Cutha et Borsippa. Les compagnons d'Alexandre ne virent plus que Nivit-
Bel, le mur de 360 stades de pourtour, et ainsi s'explique à merveille
la divergence entre eux et Hérodote, qui a encore dû voir les traces de
l'ancien lmgur-Bel. Cette vaste superficie était en grande partie occu-
pée par des champs cultivés qui garantissaient ce carré imprenable des
dangers de la famine. En effet, 160 kilom., la moitié sud-est du carré in-
térieur, est absolument dénuée de traces de ruines étendues. Nous pas-
sons maintenant aux différents groupes d'habitations. — 2. La ville
babylonienne, xo asti), située des deux côtés de l'Euphrate. La surface
centrale de la ville s'étendait en diagonale de 10 kilomètres au moins.
Aujourd'hui s'élève dans la partie nord, en étendue assez restreinte,
BABYLONE 15
La ville de Hillah, fondée au onzième siècle par Seif-ud Dauleth. Les
rues de cette urbs étaient coupées à angle droit et étaient bordées de
maisons de trois à quatre étages ; les unes allaient parallèlement à l'Eu-
phrate, les autres y aboutissaient et y donnaient accès par des ruelles
fermées par des portes en bronze. Par toute la ville, un quai bâti par
Nabomd encaissa le fleuve, et probablement ce quai s'étendit-il au delà
des limites de la cité des Babyloniens jusqu'au point où Cyrus entra dans
la ville, au nord-ouest delà circonvallation. Un système de canaux sou-
terrains mettait la ville à l'abri d'une inondation ; ces canaux pouvaient
être fermés par des portes. Hérodote nous dit que si les Babyloniens,
surpris par Cyrus, avaient fermé ces sortes d'écluses, ils auraient pu
prendre les Perses comme dans un filet. Selon Hérodote, la reine Nito-
rris, à laquelle l'historien semble attribuer les constructions de Nabu-
ehodonosor, construisit un pont en piles de pierre, reliées par du fer et
du plomb. Les poutres qui formaient le tablier du pont étaient enlevées
le soir, pour que ce passage ne devint pas le théâtre de brigandages
nocturnes. L'emplacement de ce pont, qui était au milieu de la ville,
doit coïncider avec la ville actuelle de Hillah, où, en effet, a dû se
trouver la porte centrale si fréquentée de Babylone. Cette cité des Ba-
byloniens s'était formée, comme c'est le cas presque partout ailleurs,
par la destination exclusivement politique qu'on donnait à l'emplace-
ment primitif. La cité royale ne renfermant plus que des temples et des
palais, la population bourgeoise se trouvait jetée au midi de celle-ci.
Néanmoins, un grand nombre d'édifices et de temples s'élèvent dans
lie proprement dite. Les temples de Mérodach, le dieu spécial de
Babylone, de Bel, de Sin, de Nebo se voyaient très-probablement où
des mosquées musulmanes remplacent, dans la ville de Hillah, les
églises primitivement chrétiennes. Le temple du Soleil, sur la rive
droite, se perpétue aujourd'hui dans le nom impie de « Mosquée du
Soleil », et l'emplacement du temple de Mylitta, ou de la Vénus cé-
leste, se trouve sûrement à 20 minutes au nord des portes de Hillah.
Le temple de Mérodach était probablement là où aujourd'hui s'élève
le grand Minareth. C'est de lui que parle Arrien. On a confondu les
différents documents que citent les auteurs classiques, en les identi-
fiant mal à propos, et de manière à ne plus comprendre aucune des-
cription antique. Tous les auteurs parlent de la grande variété de mo-
numents ; les textes cunéiformes leur donnent raison ; et il a fallu
l'étude des ruines pour se convaincre très-aisément que des données
:ansmises par Hérodote, Diodore, Strabon, Arrien, Josèphe, Quinte-
i •(', Philostrate et autres se rapportent à des monuments tout (lif-
ts. — 3. Cité royale. A. Murs. La vieille ville s'étendait, en grande
partie, sur la rive droite de l'Euphrate : une partie minime était sur
la rive arabe, vis-à-vis de la portion méridionale. Le plus grand côté
était bordé par l'Euphrate, la grande partie ressemblait à un triai
Ses deux portions étaient entourées ensemble par un mur très-fort de
60 stades (11 kilomètres) de longueur, et renfermant 530 hectares
• dece mur existent encore dans presque toute leur longueur:
Parthes le restaurèrent, en faisant de tout cet enclos un parc <ie
16 BABYLONE
chasse. A la pointe nord de ce mur se trouvait la Pyramide ou le tom-
beau de Bélus. En deçà de cette circonvallation, sur une longueur de
40 stades (7 kilomètres), une seconde était construite, plus haute que
la première Gtésias, dans Diodore, estime sa hauteur à 50 brasses, et
dit qu'elle était ornée de représentations. Le troisième mur était plus
remarquable encore, et il était embelli par des représentations en bri-
ques émaillées, dont l'expédition française a recueilli de nombreux
fragments. Ge mur interne n'avait que 20 stades (près de 4 kilomètres
de pourtour). B. La Pyramide. A la pointe nord de la circonvallation
se trouve la Pyramide, le monument sacré de Babylone par excellence.
L'imposante ruine qui en existe aujourd'hui, résume dans le nom de
Babil le souvenir môme de Babylone, comme c'est à elle que se rat-
tache aussi le plus antique souvenir de la cité. L'aspect désolé qu'offre
la plaine fait mieux ressortir encore la grandeur écrasante de cette
masse énorme de décombres, haute encore de 40 mètres et longue de
180, sur chacun des quatre [côtés. La ruine Babil, située du môme
côté que le grand Palais et les Jardins suspendus, ne saurait être la tour
à étages d'Hérodote, sise sur la rive droite ; mais c'est bien la Pyra-
mide, le tombeau de Bélus, dont parlent surtout Strabon et Amen.
C'était le E-saggata ou Haram, le sanctuaire de Babylone, la demeure
du dieu Mérodach reposant. Xerxèsla détruisit; Alexandre, qui voulut
la restaurer, employa dix mille ouvriers, pendant deux mois, à en
déblayer les décombres. Mais la mort du conquérant interrompit, dit
Strabon, pour toujours le rétablissement de la Pyramide. Ctésias, et
d'après lui Elien, parlent également de la profanation par Xerxès du
tombeau de Bélus. Diodore mentionne ce monument, en en attribuant
la construction à Sémiramis. Les descriptions de Nabuchodonosor et
de Nériglissor nous donnent des détails circonstanciés sur l'ornemen-
tation de cet édifice. Diodore entre dans les détails sur les trésors qui y
étaient renfermés jadis, avant que les Perses ne l'eussent pillé et dé-
truit, et dit qu'il était d'une hauteur démesurée et employé à observer
les astres, justement à cause de sa grande élévation. G. Le grand Palais,
situé au sud de Babil, à 2 kilomètres de distance, longeant l'Euphrate.
La ruine informe du A'asr (aussi nommée Mudjelibeh) représente les
restes du palais de Nabuchodonosor élevé par lui en quinze jours, selon
Josèphe et les inscriptions ; 13 hectares forment la surface de cet
édifice magnifique. Le centre en formait le palais principal de ce
groupe. Hérodote et Diodore parlent du palais; c'est là qu'expira
Alexandre ; pris du mal dans le petit palais de la rive droite, il fut
transporté ensuite aux Jardins suspendus, et finalement ici, où il
mourut. A un kilomètre au midi, sur le fleuve, se trouvaient les
fameux Jardins suspendus, aujourd'hui nommés le Tell- Amran-ibn- Ali.
Les Jardins suspendus, qu'on appellerait plus justement jardins aériens,
étaient composés de terrasses superposées dans les voûtes desquelles
on pouvait circuler. Le tout était planté d'arbres et donnait à la con-
struction l'air d'une montagne artificielle. Des turbines y montaient
l'eau. Nabuchodonosor les construisit pour donner à son épouse,
originaire de Médie, l'image d'une montagne artificielle. La ruine
BABYLONE 17
des Jardins suspendus l'orme aujourd'hui un trapèze de 5*00 et de
300 mètres de longueur, et a une surface de 15 hectares. K. Entre le
A \sr et V Amran-iôn- Lisse trouvent une foule de collines, qui formaient
les communs royaux, et probablement aujourd'hui les bains dont parle
Àrrien. F. D'autres temples couvraient encore la rive gauche de la
cité ; il y avait aussi le grand parc. 8. Sur la partie de la rive droite se
trouvait le vieux palais, ou le petit palais dont parle Diodore. C'est là
qu'habitait Alexandre et qu'il tomba malade. Le palais avait été res-
tauré par Nériglissor; l'enceinte de la rive droite pouvait renfermer
60 hectares. — i. Ville du Nord-Est ou Cutha, se trouve à 14 kilomètres
au nord-est de Hillah. C'est là que le monticule de l'Oheynir marque
l'emplacement du sanctuaire de Nergal, ou de la planète de Mars. Cu-
tha, située au coin nord-est, était sans doute unie à l'Euphrate par un
canal ; une construction particulière porte les noms de Tell-Bender,
l'emporium. D'autres collines témoignent de l'ancienne magnificence de
l'endroit. — 5. Ville du. Sud-Ouest ou Borsippa, ville de la tour de Babel.
C'est à Borsif et non à Babel, dit le Talmud Babylonien, qu'eut lieu la
confusion des langues; il prétend même que Borsif est pour Bulsif, de
Balai « confondre », et Saphah « lèvre ». Une inscription trouvée par
l'expédition française a prouvé l'exactitude d'une opinion émise depuis
longtemps, que le Birs-Nimroud recelait les restes de l'antique Borsippa.
L'assemblage très-étendu des ruines de Borsippa se trouve à 12 kilo-
mètres de Hillah, vers sud-sud-ouest, 26 kilomètres de l'Ohyonie; les
ruines les plus gigantesques sont le Birs-Nimroud et VIbrakim-el-Hahl,
où. selon les Arabes, Abraham, le premier musulman, fut jeté par
Xiinrod dans la fournaise ardente. Le Birs-Nimroud est la ruine de la
Tour à étages d'Hérodote. Le monument, surtout édifié par Nabuchodo-
nosor, s'éleva là où la légende plaçait la dispersion des langues. Les huit
tours superposées que mentionne le père de l'histoire se composent
d'un soubassement et de sept tours étagées. Chaque étage était consacré
à une planète, et colorié de la couleur attribuée à cet astre. Dans le
soubassement, se trouve le temple de Sin, le dieu de la lune. Il y eut
les dispositions suivantes, et le classement ne peut avoir eu lieu que
selon l'ordre des jours de la semaine :
Planète Couleur Larg. Haut, (en pieds).
1er étage. Soubassement 600 75
2 Saturne. Noir. 180 75
3e — Vénus. Blanc. 156 75
V ' — Jupiter. Orange. 132 75
— Mercure. Bleu. 108 75
r>' — Mars. Ecarlate. 84 75
— Lune. Argent. ()0 75
8» — Soleil. Or. 3G 75
Du montait par des rampes extérieures ménagées dans le corps
même des tours ainsi superposées. Dans la dernière tour se trouvait le
sanctuaire «lu dieu Nébo, l'inspecteur des légions célestes. C'esl là pr<
bablement qu'une femme désignée par le dieu devait seul»' passer la
ii. 2
18 BABYLONE — BACH
nuit. Le père de l'histoire avait surtout été frappé par l'existence des
deux grands centres d'habitations et de merveilles architectoniques,
situées sur les deux rives opposées de l'Euphrate (Hér. I, 68). L'un
était la cité royale comprenant la pyramide, dont Hérodote ne parle
pas, puisqu'elle était détruite, l'autre, Borsippa avec la Tour existant
encore de son temps (etç s;jA tcjtï» ïv. cv), comme il le dit expressé-
ment. Hérodote décrit d'une plume de maître la Tour à étages, et le
sanctuaire qui se trouvait en bas. Ces deux parties de la ville se recon-
naissent aux textes des rois, surtout de Nabuchodonosor qui lit
imprimer sur toutes les briques la légende suivante : « Nabuchodo1
nosor, roi de Babylone, restaurateur de la pyramide et de la Tour, iils
aîné de Nabopollasar, roi de Babylone, moi ! » Le sanctuaire de Bor-
sippa , le E-Zoida, « la maison de la droite »' peut-être la maison éternelle,
contenait aussi le temple des sept sphères. Strabon ne parle pas de la
Toux à étages, comme étant située à Babylone, mais comme Nabucho-
donosor lui-môme, il la place à Borsippa, en mentionnant un sanctuaire
consacré à Apollon et à Arténus, c'est-à-dire au soleil et à la lune. Il
y avait à Borsippa encore les temples de Ben, le dieu des orages, et le
triple sanctuaire de la grande déesse, le temple de la Vie, le temple de
l'Ame et le temple de V Ame vivante, puis un autre consacré à Ninip,
l'Hercule babylonien. Borsippa était fortifiée; Sargon avait agrandi ses
circonvallations avant que Nabuchodonosor ne la renfermât dans le
grand carré babylonien. Démétrius défendit contre Séleucus les deux
forts, la cité royale et Borsippa. Aujourd'hui la tour de Babel est
encore représentée par la ruine de Birs-Nimroud, dont l'aspect puis-
sant a frappé tous les voyageurs. Un pan de mur énorme s'élève encore
à 11 mètres de hauteur sur la colline qui est vue à huit lieues d'étendue.
Rien n'égale le spectacle qu'offre la ruine, quand, cachée par les
brouillards du matin, elle surgit soudain par la disparition de ce
rideau de nuages déchiré. La légende de la Tour de Babel est babylo-
nienne; elle se retrouvera un jour parmi les restes de la littérature
chaldéenne ; un fragment la mentionne peut-être, mais cela est encore
douteux. La légende elle-même s'est perpétuée dans l'écriture su-
mérienne : Borsippa est désignée par un idéogramme qui l'intitule
la ville de la Tour ruinée, et le souvenir atteste, par lui seul, la persis-
tance de l'antique tradition transmise par la Genèse. J. Oppeilt.
BACCHIDES, général des troupes de Démétrius Soter, roi de Syrie,
dont il avait toute la confiance. Il était en même temps gouverneur de
la Mésopotamie (sv tw luépaw tcu 7uoTa[i.ou, c'est-à-dire au-delà de l'Eu-
phrate, IMach.YII, 8). Bacchides, appuyé sur le parti syrien de Jérusalem,
livra plusieurs batailles à Judas Machabée et à Jonathan, qui s'étaient
mis à la tête du parti des patriotes ; il occupa même pendant quelque
temps la capitale qu'il avait fait fortifier. Mais ayant été battu à son
tour, il dut conclure la paix et reconnaître le pouvoir des Machabées,
sous l'autorité des princes syriens (1 Mach. VII, 10 ss., 28 ss.; IX, 18,
.50, 60 ss.).
BACH (Jean-Sébastien). La famille des Bach a été la famille la plus
féconde eu musiciens que l'on connaisse. Le don musical, héréditaire
1 BACH 10
par nature, ne s'esi jamais maintenu d'une manière aussi persistante
et aussi caractérisée de père en fils. Pendant plus de deux cents ans,
du seizième au dix-huitième siècle, cette famille îfa cessé de produire
des artistes hors ligne. Son ancêtre Veit Bach, boulanger à Presbourg
et chassé de sa ville natale comme protestant, se retira dans le duché
de Saxe-Gotha. Dans ses loisirs il ne faisait que chanter en s'accompa-
gnant de la guitare. Il transmit ce goût à ses deux lils dont les descen-
dants inondèrent la Saxe et la Thuringe de musique et d'enfants
musiciens. Un fait intéressant est que l'entente patriarcale qui unis-
sait cette famille subsista pendant près de deux siècles, et que la
musique fut son lien constant. Très-nombreux et dispersés, les Bach
convinrent de se réunir une fois par an à jour fixe. Cet usage se per-
pétua jusque vers le milieu du dix-huitième siècle, et plusieurs fois Ton
vit jusqu'à cent vingt personnes du nom de Bach réunies au même
endroit. Leurs divertissements consistaient en exercices de musique:
Ils débutaient par un hymme religieux chanté en chœur et prenaient
ensuite pour thèmes des chansons populaires à quatre, cinq et six
parties. Cette famille est la plus remarquable incarnation de la musique
protestante proprement dite. Elle représente assez bien le peuple
improvisant, musiquant et chantant de son propre élan. — Son mem-
bre le plus distingué devait cependant dépasser de beaucoup cette
sphère, et devint le plus grand des compositeurs religieux de l'Alle-
:. Jean-Sébastien Bach naquit le 21 mars 1685, à Eisenach, où
son père Jean-Ambroise était musicien de cour et de ville {Hof-und
Siadtmu&iker). Orphelin à dix ans et sans ressources, il dut se réfugier
auprès de son frère aine, Jean-Christophe Bach, organiste à îOrdruff, qui
lui donna les premières leçons de clavecin. Bientôt l'élève surpassa le
maitre. Dévoré du désir de posséder certaines partitions que son frère
lui refusait obstinément, et ne pouvant se les procurer autrement, il
se mit à les copier de nuit au clair de lune; car il n'avait même point
de chandelle à sa disposition. Ce travail dura six mois et affaiblit telle-
ment sa vue, qu'il en resta myope pour la vie. A la mort de son frère
en 1701, il devint d'abord choriste d'église, puis violoniste à la cour
de Weimar, puis organiste à l'église d'Arnstedt. Dès lors il fut reconnu
: ne le premier organiste de l'Allemagne; nombre de villes et de
princes se le disputaient. Après avoir été successivement maître de
erts du duc de Weimar (1717), maitre de chapelle du prince
Léopold d'Anhalt-Koethen (1721), il fut enfin nommé directeur de mu-
sique à L'école de Saint-Thomas, à Leipzig (1733), et garda cette place
i'à sa mort. En 1730, il reçut le titre honorifique de compositeur
du roi de Pologne. A cette époque son deuxième fils Charles-Philippe-
Emmanuel entra au service de Frédéric II de Prusse, qui voulut voir le
\ Bach et le lit venir ù Potsdam pour essayer ses pianos
ii- lesquels il lit merveille. Ce fut son dernier voyage. Dans
tières années de sa vie, il perdit la vue; l'opération qu'il subit
ne lit qu'aggraver son état et hâter sa fin. Il mourut le 30 juillet 1750,
» l'âge de 66 ans. Marié deus l'ois, il eut sept enfants de sa première
.i,' et tr i/.e de la second", dont dix lils tous plus ou moins niiisi-
20 BACH
ciens. — La vie de Sébastien Bach n'ofïre aucun incident remarquable.
Son caractère fut celui d'un bon pasteur de campagne et n'eut rien de
la fière indépendance, de l'originalité capricieuse d'un Mozart ou d'un
Beethoven. Ses biographes sont unanimes à louer ses qualités d'époux,
de père, d'ami, son naturel bienveillant, égal et facile, ses habitudes
hospitalières. Peu soucieux des richesses et dédaignant les succès
populaires, il n'estimait que les éloges des connaisseurs et préférait à
tout les douceurs d'une vie retirée et laborieuse. Sa modestie était si
grande qu'il faisait peu de cas de son génie et n'attribuait ses succès
qu'à son travail. A quelqu'un qui lui demandait comment il avait
acquis son talent prodigieux, il répondit naïvement : « En travaillant
beaucoup ; tous ceux qui voudront travailler de la même manière y
parviendront comme moi. » Bach jouit de son vivant d'une grande
renommée, mais son génie ne fut vraiment apprécié qu'après sa mort.
Ses œuvres les plus originales, celles pour piano et celles pour clavecin,
ne furent imprimées et connues que longtemps après sa mort. Il les
composait pour un petit cercle d'amis, et une fois jouées, les entassait
dans une armoire. On dut les y repêcher quarante ans après sa mort,
et ce fut toute une découverte. L'attention publique fut d'abord mise
en éveil par Mozart. Celui-ci passait à Leipzig sur la fin de sa vie.
Doles, directeur de musique à l'école Saint-Thomas, lui fit entendre un
motet de Bach, qui produisit une vive impression sur l'auteur de
Don Juan. 11 s'écria : « Dieu merci, voilà du nouveau ; ici j'apprends
quelque chose. » Cette anecdote lit le tour de l'Allemagne, et à partir
de ce jour on se mit à déterrer et à publier les œuvres inédites du
maître. Une société se forma en 1850 pour la publication de ses
œuvres complètes, et aujourd'hui encore Bach a ses adorateurs, ses
fanatiques, son école, ses fêtes et sa petite église qui, pour être en
dehors du mouvement musical actuel, n'en est pas moins fervente.
Bach a été tout d'abord le premier organiste du monde et l'inventeur
du style fugué qu'il a poussé jusqu'à son dernier degré de perfection
et même jusqu'au formalisme abstrait. Les caractères distinctifs de son
style sont une originalité foncière, une élévation soutenue, une teinte
mélancolique mêlée de bizarrerie. Les thèmes ingrats et baroques lui
plaisent; il a l'air de s'en amuser et de les manier pour le plaisir de la
difficulté vaincue. Bach marque dans l'histoire de la musique alle-
mande la lin de la période hiératique et y occupe une place semblable
à celle de Giotto dans l'histoire de la peinture italienne. Sa musique
est essentiellement de la musique sacrée et de la musique d'église.
S'il a clos une période, il a préparé aussi la période nouvelle; car, en
élaborant le monde de l'harmonie jusque dans ses dernières profon-
deurs, il a fourni à ses successeurs des ressources infinies pour l'or-
chestre comme pour les voix. Beethoven, qui lui ressemble si peu, en fit
son bréviaire, et conserva pour lui un véritable culte jusqu'à la fin de sa
vie. Le nombre de ses œuvres: motets, cantates, fugues, préludes, etc.,
est prodigieux. L'expression la plus complète et la plus haute de son
génie se trouve dans son oratorio : La Passion selon saint Matthieu. Elle
est écrite à deux cho?urs et à deux orchestres, avec récitatifs, airs,
BACH— BACOX 21
chœurs et chorals harmonisés. Los idées hardies, les combinaisons
compliquées, les effets inattendus s'y succèdent, sans que tous ces
motifs répartis sur de grandes masses vocales et instrumentales nu isenl
à L'unité de l'œuvre. Bach se montre à nous dans son chef-d'œuvre
comme le représentant le plus élevé et le plus parfait de la musique
protestante confessionnelle. Cette musique est à celle de Palestrina ce
que la religion de Luther est à la métaphysique et au mysticisme
transcendant d'un saint Augustin. Cet oratorio de la Passion nous
représente le genre d'édification propre à la communauté croyante.
renfermée dans son dogme, mais dégagée dans une certaine mesure
par le sentiment. Enoncer ce fait, c'est dire quelle fut l'excellence de
Bach, et c'est aussi marquer sa limite. Nous trouvons ici l'âme
humaine qui, dans le cercle de la foi de Luther et dans une chaste
contrainte, s'élève aux plus hauts mystères de la religion et se répand
en émisions intimes devant la grandeur du Crucifié. Ce n'est pas,
comme dans Beethoven, l'homme libre qui, à travers tous les combats,
tous les doutes et toutes les angoisses de la [vie, arrive à l'affirmation
d'une foi qui est au-dessus de toutes les confessions, de tous les
temps et de tous les climats. Mais dans son genre et sur son domaine
Bach est un maître inimitable. , E- Schueé.
BACON (Roger) [1214-1294], surnommé doclor mirabilis, est l'un des
savants les plus originaux qu'ait produits le moyen âge. Né à Ilchester,
dans le comté de Sommerset, il lit ses études à Oxford et à Paris, subit
l'influence de Robert Grosshead, évêque de 'Lincoln, esprit vraiment
éclairé et libéral, qui le détermina à entrer dans l'ordre des franciscains
dont il attendait de grandes choses (1240). Fixé à Oxford, où il continua
à étudier et à enseigner, il ne tarda pas à scandaliser par ses libres
opinions les moines, ses collègues, dont il censurait d'ailleurs avec une
courageuse franchise les mœurs dissolues. Roger Bacon passa en prison
la majeure partie de sa vie, et ce ne fut que sous le pontificat de Clé-
ment IV qu'il jouit de quelque liberté. C'est à ce pape, ami des lumiè-
res, qu'il dédia son Opus ma/us (1265), dont il a présenté successivement
deux ivi 1 uctions dans son Opus minus et dans son Opus tertium. Une édition
incomplète du premier a été donnée en 1733 à Londres par Sam. Jebb;
ce n'est que de nos jours, et grâce aux découvertes faites par Y. Cousin,
qu'une édition complète en a été donnée par J.-S. Brewer, Iiogeri
Bacon opéra quœdam kactenus inedita, Londres, 1859. On ne connaissait
pendant longtemps de Bacon que son Epistola de secretis operibus artis
et nalurx et de nullitate magiœ, éditée par J. Dee, à Paris, en loi2, et
lile eu français, en 1557, par Girard de Tournus, sous le titre:
De r admirable pouvoir de l'art et de la nature, ainsi qu'un Spéculum
alchemicum, également traduit en français. Usser, dans son Historia
dogmaticade script uris, éd. Wharton, Lond., 1()(.)0, a inséré des fragments
d'un ouvrage de Bacon, /Je laude Scripturx sacras. Un grand nombre
d'ouvrages manuscrits sur la grammaire, les mathématiques, la physi-
que, la géographie, la chimie, la logique, la philologie, etc., se trou-
vent a la bibliothèque de ^université d'Oxford. — L'importance de
p Bacon est dan- l'opposition énergique qu'il lit à la méthode
22 BACON
scolastique dont il dénonça avec courage le formalisme et les subti-
lités. Il ébranla sans hésiter les autorités insuffisantes sur lesquelles, en
matière scientifique, on ne cessait de s'appuyer, à savoir Aristote, dont
il déclara un jour avoir envie de brûler tous les ouvrages pour ouvrir
une carrière nouvelle à la curiosité de F esprit humain, comme les Pères
de l'Eglise, dont il combattait l'infaillibilité en montrant qu'ils s'étaient
maintes fois corrigés et divisés, et dont il dit : Quod si vixissent v.sque
nunc, multa plura correxissent et mutassent {Op. magn., p. 17). A ces
autorités caduques, dont l'unique force consiste dans la prescription
que leur a donnée l'habitude, Bacon oppose d'abord la rigueur des
démonstrations que présentent les mathématiques, qu'il proclame la
première des sciences parce que la quantité est la première catégorie
après la substance et que nous ne reconnaissons les choses spirituelles
et éternelles que par les choses corporelles et temporelles. Mais si la
méthode d'induction propre aux mathématiques séduit l'esprit de
Bacon, il ne tarde pas à donner la préférence à l'expérience qui en est
le complément indispensable et le critère même de la vérité. La preuve
abstraite, en effet, ne suffit pas ; seule, la vue de la réalité peut calmer
la raison. L'expérience est la maîtresse de toutes les sciences spécula-
tives : Sine experientja nihil suffi çienter sciri potest. Argumentum con-
cluait, sed non certificat neque removet dubitationem, ut quiescat animus
m intuitu veritatis, nisieam inventât via experientiœ. Hœcsola scientiarum
domina spéculât w arum (0/?.??20^.,p.465).En matière religieuse, Bacon
ajoute à la démonstration mathématique et à la méthode expérimentale
un nouveau complément : il l'appelle la foi, qui est une expérience aussi,
mais des choses invisibles. Pour posséder la vérité divine, il faut s'éle-
ver d'un degré : Oportet primo credulitatem fieri, donec secundo sequitur
experientia, ut tertio ratio comitetur. Notre auteur a admirablement
entrevu le caractère propre de la théologie et le but pratique qu'elle
doit poursuivre, lorsque, la plaçant au-dessus de la spéculation pure, il
disait que Yintellectus practicus était plus noble quel' intellectus specula-
tivus (/. c., p. 47). Bacon assignait le rang le plus éminent à la Bible
dont il disait : Tota sapientia est ibi principaliter contenta et fontaliter
(p. 421); le droit canonique et la philosophie, qui n'en sont que le
développement, doivent toujours y être ramenés. Les laïques sont
exhortés à lire la Bible dans le texte original, à cause des fautes nom-
breuses dont fourmillent les versions. — Bacon a porté son esprit
curieux et investigateur dans les domaines les plus divers, et un grand
nombre d'inventions et de découvertes modernes ont été, sinon faites,
du moins entrevues par lui. Citons seulement son projet de réforme
du calendrier, ses observations sur la réfraction de la lumière, son
explication de l'arc-en-ciel, sa description de la chambre noire, des
verres grossissants, du télescope, de la pompe à air, de la poudre à
canon, des véhicules par eau et par terre au moyen de la vapeur; il
recommandait des études philologiques sérieuses aux jeunes gens
placés sous sa direction, et démontrait aux missionnaires l'utilité des
connaissances géographiques et ethnographiques ; mais , fortement
engagé dans* les illusions superstitieuses de son temps, il avait une
BACOX 23
prédilection particulière pour l'alchimie et l'astrologie : il espérait
trouver le secret de faire de l'or au moyen de la pierre philosophale
et dé( huait qu'il était indispensable de consulter les étoiles avant de
s'engager dans une entreprise. Aussi ce grand esprit, si jaloux d'affran-
chir ses contemporains de la servitude de la routine, fut-il accusé par
eux de sorcellerie. — Voyez : Ritter, Gesch. der christl. Philosophie,
IV. i . 'i7;> ss.; }\{\\iu\cY,Airchengesch., V, p. 565 ss.; Protest. Monats-
blœtier, 1866, H. 2; Charles, H. Bacon, sa vie, ses ouvrages, ses doclri-
Bord., 1802. F. Lichtenbeeger.
BACON (François), né à Londres en 1501, montra de bonne heure-
une merveilleuse aptitude pour toutes les sciences. Sous le règne d'Eli-
ot h, il ne put, malgré ses talents oratoires, sa renommée de juris-
consulte et sa complaisance servile, obtenir un poste qui satisfit sorv
ambition. Il se concilia la faveur de Jacques Ior et fut nommé successi-
vement garde des sceaux, lord grand-chancelier, baron de Verulam,
vicomte de Saint- Alban ; mais des actes de vénalité dont il dut se
iv<-< .maître coupable, l'obligèrent de se démettre de ses charges-
81), et jusqu'à sa mort (1626) il se consacra plus librement aux
travaux scientifiques qu'il reconnaissait comme sa vraie vocation.
>a jeunesse, il avait conçu le plan d'une réforme des sciences;
il exposa ses pensées dans un ouvrage intitulé Instauratio magna
■ m, 1620, qui était formé pour la plus grande partie de
deux traités publiés auparavant, le De dignitate et augmentis scientia-
. I Novum organum. Bacon partage le sentiment de Telesius, de
is, de Campanella sur la méthode scolastique et sur les sciences
qu'elle a produites. « Instauratio facienda est ab unis furvJ amentis . »
, I, 31.) À cet effet, il faut abandonner les hypothèses, les con-
i abstraits, ainsi que la déduction, le syllogisme aristotélicien, et
observer la réalité, c'est-à-dire la nature. Aussi son Organum a reçu un
-titre : sive indiciel vera de inttrpretatione naturx, et l'esprit pra-
tique, utilitaire du philosophe anglais se manifeste dans l'addition :
gno hominis. « Meta scientiarwn vera et légitima non alia est
ut dotetur vita humana novis inventis et copiis » (Org., I, 81).
Bacon reconnaît d'autres sciences, la logique, les mathématiques,
l'histoire ; mais il les subordonne à la philosophie de la nature : « Pi c
magna maire scientiarum haberi débet. » (Org., I, 79). L'observation
ait seulement les matériaux de cette philosophie; c'est par i in-
duction qu'on s'élève des phénomènes aux lois, aux formes nécessaires
i > s. Bacon décrit avec beaucoup de soin les règles de cette mé-
nouvelle; il aurait voulu en écarter l'emploi de tout prini
l3 mais dans le cours de ses indications il est obligé de recourir
à quelques notions initiales, sans se prononcer toutefois sur le nombre
et la teneur de ces principes premiers. Du reste c'est généralement la
théologie qui lui en garantit la vérité, par exemple pour l'axiome que
la quantité de la matière n'augmente ni ne diminue (De c?^w.,I).Car à
u\ le inonde de la connaissance est partagé en (U>ux domaines
icts : l'un profane, objet de nos libres investigations, l'autre sacré,
révélé dans la parole divine. Il admet bien une théologie naturelle,
24 BACON — BADE
mais il la juge tout au plus capable de réfuter l'athéisme et non de
nous l'aire connaître la volonté de Dieu et le culte légitime (De dign.}
III, 2).' C'est la révélation qui nous fournit les vérités suprêmes, qui
sont des mystères, et « quanto mysterium aliquod divinum fuerit magis
absonum et incredibile, tanlo plus in credendo exhibe tur honoris Deo et fit
Victoria fidei nobilior. » (De dign., IX, 1.) Le champ de cette théologie
sacrée est très-étendu; c'est elle qui nous instruit au sujet de notre âme
rationnelle (ibid. , IV, 3) , elle qui nous dit nos devoirs et fonde un système
éthique (ibid., IX, 1). Le rôle de la philosophie en cette matière est ce-
lui d'une prudente domestique, d'une suivante lidèle et toujours prête
à obéir au moindre signe (ibid., VII, 3). Bacon avait débuté (1597) par
un ouvrage de morale, des Essais, une imitation de Montaigne, où l'on
trouve nombre de pensées ingénieuses (par ex. : levés gustus in philo-
sophia movent fortasse in athenmum, sed pleniores haustus ad religionem
reducunt, XVI), mais qui ne veulent être que des réflexions détachée*.
Divers écrits religieux de Bacon montrent qu'il était sincère dans son
orthodoxie rigoureuse; un ouvrage posthume, Christian paradoxes
(1645), qui énumère les contradictions du christianisme, ne peut s'ex-
pliquer que par une crise momentanée de ses croyances. Mais ce dua-
lisme d'un domaine sacré et d'un domaine profane montre que Bacon
ne s'est pas élevé vers les problèmes supérieurs de la méditation. Une
pareille mutilation de la pensée, autorisée par l'exemple d'un si bril-
lant esprit, devait exercer une influence fâcheuse sur les travaux des
savants, en les encourageant à se désintéresser, plus ou moins respec-
tueusement, des questions religieuses et morales. A ce titre, Bacon fut, .
contre son gré, un des promoteurs de l'empirisme moderne qui ne
veut connaître d'autres sciences que celles de la nature. — Ses œuvres
complètes, précédées de sa vie par Mallet, ont paru à Londres, 1740;
ses écrits philosophiques ont été publiés par M. Bouillet, 1834: en fran-
çais, par M. Riaux, 1842. En 1799, l'abbé Eymery, dans son ouvrage le
Christianisme de Bacon, opposait la foi de ce philosophe à l'incrédulité
des savants du dix-huitième siècle. — Voy. Ch. de Rémusat, Bacon, sa
vie, son temps, sa philosophie, 1857 ; Macaulay, Bacon, Revue d'Edim-
bourg, juil. 1837. A. Matter.
BADE (Co'loque de). Les promoteurs du colloque de Bade furent Jean
Faber, vicaire génér, 1 de l'évêché de Constance, et le docteur Eck, le
champion attitré de Rome. Dès le 13 août 1524, ce dernier, dans une
lettre aux confédérés, s'offrit à convaincre Zwingle d'hérésie, dans une
disputation publique. Ce n'est cependant que le 13 mars 1526 que le
colloque fut convoqué à Bade, « dans le but, disait-on, d'empêcher
Zwingle et consorts de répandre dans la confédération leurs doctrines
dangereuses, de ramener de l'erreur et d'apaiser le commun peuple. »
Zwingle, craignant pour sa sécurité, refusa de se rendre à ce colloque,
dont, du reste, il ne se promettait pas de bons résultats. « Istud union
caveo, écrit-il à Vadian, ne optima piebs helvetica horum nebulonum, Fabri
videlicet et Ecciorum, strophis committatur, id autem oligarcharum perfi-
dia. » Ce refus déjà fut considéré par les catholiques comme une vic-
toire, et les amis mêmes du réformateur l'en blâmèrent. OEcolampade
IïAUE 25
y vint de Baie et Berthold Haller de Berne. Le colloque lui solennelle-
ment ouvert le 21 mai. Ou discuta sur le. sacrement de L'autel, le sacrifice
de la messe, le culte de la Vierge, des saints et des images, le purga-
toire, le péché origine] et le baptême. La science et la douceur évan-
gélique d'CEcolampade tirent une profonde impression: « Plût à Dieu.
disait-on, <|uc ce grand homme pâle fût des nôtres. » Chaque parti dé-
signa deux secrétaires; il fut défendu à tout autre de prendre des notes.
Les catholiques s'attribuèrent la victoire; ils voulurent cependant em-
pêcher la publication des actes, et, quand ceux-ci furent enfin publiés,
ils n'en envoyèrent qu'un seul exemplaire à chaque commune, avec la
défense de le communiquer à personne. Les conséquences du colloque
furent très-graves; il consomma la scission religieuse de la Suisse. Avant
Le colloque, les populations des Waldstettes (Lucerne, Uri, Schwitz,
Unterwalden) étaient inquiètes, agitées; leur confiance dans la cause
papale avait été fortement ébranlée. Ayant vu cette cause défendue avec
tant d'éclat, et jugeant les partisans de Zwingle convaincus d'erreur,
elles montrèrent dès ce moment une antipathie croissante contre les
doctrines nouvelles et contre le réformateur de Zurich, et Ton dut re-
noncer à l'espoir de gagner à la réforme la Suisse tout entière. Dans les
villes au contraire, la Réforme remporta définitivement. — Voy. Ranke,
Deutsche Gesckichte im Zeitalter der Re formation, vol. 3; Morikofer,
Leben Zwinglïs, vol. 2. Ch. Pfender.
BADE (Histoire religieuse). Le pays qui constitue aujourd'hui le grand-
duché de Bade était découpé, au temps de la Réforme, en une quantité
de territoires indépendants ou relevant de juridictions diverses. L'auto-
rité ecclésiastique se partageait entre les évoques de Spire, Wurtzbourg,
Strasbourg, Constance et Bàle. Deux universités y étaient de-
venues des loyers de lumières: celle de Heidelberg, fondée en 1386, et
qu'illustrèrent Mélanchthon, Bucer, Brenz, Billican, Schnepf, etc.; et
celle de Fribourg (1456), d'où sortirent Capiton, Urbain Rhegius, Hé-
dion et autres. Luther vint à Heidelberg en avril 1518 ; il y défendit la
théologie augustinienne et biblique dans une disputation publique, et
démontra dans une série de thèses que l'homme ne peut acquérir la
justice par les œuvres de la loi et que, sans la doctrine de la croix, la
connaissance de Dieu et de la loi ne peut lui être que nuisible. Les pro-
irsde l'université prirent part à cette disputation, dont Luther rend
ainsi compte à Spalatin (18 mai 1518) : « Quanquam enim peregrina Mis
videbatur theolo gia, nihilominus tamen et argute et pulchre adversus eam
bantur, excepto uno, qui erat quintus et junior doctor; qui rhum toti
•:i audit orio, quando dicebat, si rustici hœc audirent, certe lapidibus
ùruerent et mterficerent. » Et il ajoute : « Eximia spes mihi est, ut,
ncul Ckristm ad gentes migramt rejectus a Judœis, ita et nunc quoque
veraejui theologia, quam rejiciunt opiniosi Mi senes, ad juventulem se
transférât. ■> Cette espérance fut justifiée; la réformation fit des pro-
grès rapides sur la rive droite du Rhin, et gagna les savants, la noblesse
el le peuple ; mais elle subit les fluctuations de la politique de l'empire,
étant alternativement tolérée, favorisée ou comprimée. Après redit de
•• le évêquea de Mayence, de Wurtzbourg et de Spire tirent une
26 BADE
guerre acharnée aux nouvelles doctrines. A Fribourg on brûla, par la
main du bourreau, 2,000 écrits évangéliques. « Friburgi Brisgoiae, écrit
Luther à Spalatin (sept. 1523), nomen meum ne per vi'am guidem licet
meminisse. » — Ne pouvant suivre les destinées de la Réforme dans tous les
territoires particuliers, nous devons nous borner aux plus importants.
Au sud, sur la frontière de la Suisse, nous trouvons d'abord la cité
qui reçut dans son sein le deuxième concile réformateur et vit se dresser
le bûcher de Jean Huss. Constance accueillit favorablement la Réforme ;
la bourgeoisie s'opposa à l'exécution de redit de Worms; à l'archiduc
Ferdinand qui réclamait l'expulsion des prédicateurs, le conseil répon-
dit : « Nous ne voulons autre chose que l'Evangile affranchi des tradi-
tions humaines, pour la gloire de Dieu et la paix des consciences. » Les
principaux réformateurs de Constance furent Jean Wanner, Jean
Zwick et Ambroise Blaurer. A partir de 1525 on abolit les tribunaux
ecclésiastiques; l'évéque dut se transporter, avec son chapitre, à Meers-
bourg. La ville de Constance se joignit aux Protestants de Spire en
1529, et en 1530, à la diète d'Augsbourg, elle présenta, avec Strasbourg,
Ulm et Memmingen, la Confession tétrapolitaine ; elle entra ensuite dans
la ligue de Smalkalde, mais l'issue malheureuse de la guerre de
Smaikalde amena pour elle la ruine de la Réforme. Ayant refusé
de se soumettre à l'Intérim, Constance fut mis au ban de l'empire
(1548) et pris par les Impériaux, après une courageuse résistance; le
culte catholique y fut rétabli ; beaucoup de bourgeois émigrèrent avec
leurs pasteurs; en 1555, la ville fut exclue de la paix d'Augsbourg, et
bientôt les jésuites et les capucins y firent disparaître les derniers ves-
tiges de l'Eglise évangélique. Dans le Haut-Rhin la domination autri-
chienne empêcha la Réforme de prendre racine ; la persécution l'étouffa
là où elle tentait de s'établir. Dans les margraviats de Baden-Baden et
de Baden-Durlach, elle fit d'abord de grands progrès. Le margrave Phi-
lippe se rendant (1526) à la diète de Spire, emmena son prédicateur,
François Irenicus, qui y prêcha l'Evangile. Après la paix d'Augsbourg,
les margraves Charles II et Philibert réorganisèrent dans* leurs Etats le
culte évangélique, avec l'aide de Christophe de Wurtemberg et de
Jacques Andrese. Mais sous l'influence d'Albert de Bavière, tuteur du
margrave Philippe de Baden-Baden, les jésuites purent rétablir le culte
catholique, de sorte que le nombre des protestants diminua considé-
rablement. Dans le Palatinat, la Réforme fut d'abord tolérée par
Louis V, qui pourtant resta lui-même attaché à l'Eglise romaine. Mais
Frédéric II et surtout Othon-Henri établirent et organisèrent le culte
luthérien. Othon-Henri appela àHeidelberg le théologien strasbourgeois
JeanMarbach, et, le 4 avril 1556, il donna à l'Eglise uneagende évangé-
lique {Kurpfàlzische Kirchenordnung). Pour réformer l'université, il lit
venir, sur le conseil de Mélanchthon, Tieïmann Heslius de Rostock,
luthérien fougueux et passionné, qui eut bientôt les plus violentes dis-
putes avec son diacre Guillaume Kîebitz. Ce dernier ayant ouvertement
attaqué la cène luthérienne, la querelle occasionna des conflits scanda-
leux jusque sur les marches de l'autel. Frédéric III expulsa les deux
fanatiques, en 1559, et, ayant embrassé la foi réformée en 1560, il ap-
BADE 27
pela à L'université des théologiens calvinistes. Au grand déplaisir du
peuple, on supprima dans les églises les orgues, les autels et les images,
« t l'hostie l'ut remplacée par du pain. Frédéric 111 lit faire parZacharias
Ursinus et Gaspard Olevianus le Catéchisme de Heidelberg, qui sup-
planta ceux de Luther et de Brenz. 11 établit aussi la discipline calvi-
niste de Genève dans toute sa rigueur; le professeur de médecine
Thomas Eraste, membre du conseil d'Eglise, ayant protesté contre ce
despotisme nouveau qu'on imposait aux consciences, fut accusé d'a-
rianisme et excommunié; plusieurs pasteurs luthériens furent plus mal-
traités encore; Sylvan, emprisonné d'abord, fut accusé de blasphème,
condamné sans jugement régulier, et décapité à Heidelberg, le 23 dé-
cembre 1572. Louis VI (1576-4583), fervent adhérent de la Formule de
Concorde, rétablit le luthéranisme et destitua les pasteurs et professeurs
réformés. Mais Jean-Casimir, tuteur de Frédéric IV, chassa de nouveau
les luthériens et éleva son pupille dans le plus strict calvinisme. Fré-
déric V, devenu roi de Bohême, attira par son ambition et son incapa-
cité les plus grandes calamités sur le Palatinat, que les troupes impé-
riales occupèrent et dévastèrent, et qui resta jusqu'à la paix de
Westphalie sous la domination catholique. En 1685, il échut à la ligue
catholique du Palatinat-Neubourg, et dès lors l'Eglise réformée y fut
opprimée; ce n'est qu'en 1705 que les réformés recouvrèrent leurs
droits, parla médiation de la Prusse et du Brunswick. — En 1821 l'union
d< - deux Eglises (luthérienne et réformée) fut établie dans le grand-
duché de Bade. On reconnut comme règle de la foi la confession
d'Àugsbourg et les catéchismes de Luther et de Heidelberg, « en tant
qu'ils réclament et appliquent la libre étude de l'Ecriture, seule source
de la foi chrétienne. » En 1834 un synode pourvut l'Eglise unie d'une
agende, d'un recueil de cantiques et d'un catéchisme passablement ra-
tionalistes. Comme après 1850 il y eut, en bien des endroits, un réveil
de la foi luthérienne, on le réprima par les gendarmes, on infligea des
amendes et la prison. Les pasteurs Eichhorn et Ludwig durent aban-
donner leurs troupeaux, .et ce n'est qu'en 1854 qu'on accorda aux lu-
thériens séparés le choix d'un pasteur. Dans aucun pays on n'a appli-
qué, autant que dans le Palatinat, ce funeste principe : Cujus regio,
ilh'us religio. C'est peut-être à ces fréquents changements de confession,
plus encore qu'à l'enseignement dissolvant du professeur Paulus de
Heidelberg, qu'il faut attribuer l'indifférence du protestantisme badois
pour toute tradition religieuse et ecclésiastique. Aujourd'hui le grand-
duché de Bade est, avec le Palatinat de la rive gauche, le champ d'ex-
périences (E xperirnentirivinkel) où le Prolestantenverein essaye les ré-
If ►nues les plus radicales, sur le terrain de l'Eglise aussi bien que de
l'école (Vierordt, Gesch. der Réf. kn Grossherz. Bâderï). Ch. pfender.
BADE (Statistique religieuse). Le grand-duché de Bade comptait,
au lr décembre 1875. 1,507,179 habitants, savoir: 517,851 protes-
tants, 958,907 catholiques, 3,842 chrétiens d'autres confessions, 2<>,W-
lites, S7 adhérents d'autres cultes. Les protestants habitent surtout
nciennes i ossessions héréditaires de la maison de Bade; les catho-
liques, les territoires annexés plus récemment au grand-duché. — l°Le&
28 BADE — BADUEL
deux confessions protestantes sont fondues en une seule depuis le sy-
node général de 1821. L'autorité suprême réside à la fois dans le
synode général élu par les paroisses et dans le conseil supérieur évan-
gélique, composé d'un président et de dix conseillers nommés par le
gouvernement et de quatre délégués du synode. Les paroisses sont
groupées en 35 décanats; chaque décanat a son synode particulier,
chaque paroisse son conseil d'Eglise. Les biens d'Eglise, assez consi-
dérables, sont administrés par des autorités assez diverses, sous la sur-
veillance du conseil supérieur. La Faculté de théologie et le séminaire
de Heidelberg forment les pasteurs. Cette Faculté, longtemps floris-
sante, est tombée aujourd'hui, sous l'influence de ses chefs actuels,
à avoir (été de 1876) 9 étudiants pour 9 professeurs. — 2° L'Eglise ca-
tholique forme l'archidiocèse de Fribourg, érigé le 16 août 1821. Les
biens ecclésiastiques sont administrés par une commission d'Etat com-
posée d'un président et de six conseillers. Le pays est partagé en 82 dé-
canats, 729 paroisses, 114 chapellenies et 224 vicariats. Les prêtres
sont instruits au séminaire et à la Faculté de théologie de Fribourg : (été
de 1876) 7 professeurs, 47 étudiants. — 3° Les vieux-catholiques sont
au nombre de 17,203, formant 44 paroisses et sociétés (Rapport de
M. de Schulte au synode des vieux-catholiques à Bonn, le 7 mai 1876).
— 4° Parmi les chrétiens d'autres confessions, il y a environ 1,500 men-
nonites. — 5° Les israélites sont régis par une conférence administrative,
composée d'un délégué grand-ducal , de 4 membres laïques et d'un
rabbin. Dans les questions de doctrine, on appelle à siéger 2 rabbins
de plus. Le territoire est divisé en 15 rabbinats de district. Les juifs ne
jouissent de tous les droits de citoyens que depuis 1849. La constitu-
tion de 1818 n'admettait à ces droits que les membres des confessions
chrétiennes. Les biens d'Eglise suffisent à peu près aux dépenses des
cultes. La part contributive de l'Etat n'est, au budget de 1876, que de
215,522 marcs. — Bibliographie : Almanach de Gotha, 1877 ; Hof-und
Staats-Handbuch des Grossherzogthums, Baden, 1876, etc. E. Vaucher.
BADUEL (Claude), humaniste, professeur et pasteur, naquit à Nîmes
au commencement du seizième siècle, d'une famille obscure, s'adonna
avec ardeur à l'étude et s'éprit d'une vive passion pour le mouvement
littéraire de la Renaissance. Cette passion le conduisit de Nimes à Paris,
de Paris à Louvain où il connut Jean Sturm, de Louvain à Wittemberg
où il visita Mélanchthon, en 1534. Il s'ouvrit dès lors aux idées de la Ré-
forme qui lui sembla la conclusion légitime et la sauvegarde nécessaire
de la Renaissance. Recommandé par Mélanchthon à la reine de Navarre,
Marguerite de Valois, et soutenu dans ses études par les libéralités de
cette princesse, il séjourna à Strasbourg en 1538, dans la maison de
Bucer, fit la connaissance de Calvin, dont il resta F ami, et assista aux
débuts du gymnase fondé par Jean Sturm. Professeur ensuite à Paris, il
fut désigné par sa royale protectrice pour diriger le collège et l'univer-
sité des arts que la municipalité de Nimes venait de fonder, sur autori-
sation et lettres patentes de François Ier. Ouvert en 1540, cet établisse-
ment ne tarda pas à fleurir ; mais de déplorables querelles avec Guil-
laume Bigot, que Baduel avait appelé pour enseigner la philosophie à
BADUEL — BAIIRDT 29
côté de lui. et qui était l'adversaire déclaré des études littéraires, trou-
blèrent l'ordre du collège et le repos de Baduel. Il chercha en vain la
tranquillité dans les écoles de Carpentras (1544) et de Montpellier
(1546) où il enseigna quelque temps. Revenu à Nimés, mais dénoncé
comme luthérien, pressé (railleurs par sa conscience de professer le
nouveau culte auquel il adhérait intérieurement, il quitta Nimes
vers la fin de 1550, séjourna quelques mois à Lyon, où il encouragea
comme pasteur le zèle des protestants secrets de cette ville, et trouva
enfin à Genève (lool) la pleine liberté de conscience à laquelle il
aspirait depuis si longtemps. 11 y collabora aux grands ouvrages de
Crespin et de Robert Estienne, fut reçu bourgeois de la ville en 1556,
nommé pasteur à Russin la même année, et un peu plus tard à Van-
dceuvres. Il fut enfin appelé à l'Académie de Genève en 1560 et y
professa la philosophie et les mathématiques jusqu'à sa mort, arrivée
en 1561. Lettré éminent, chrétien conséquent, il avait toujours su-
bordonné ses intérêts personnels à ceux des études, et l'intérêt des
études à celui de sa foi. — Baduel a laissé plusieurs écrits parmi les-
quels nous citerons : une Lettre à Sadolet sur la marche à suivre dans
r éducation de la jeunesse ; un Traité sur le mariage des gens de lettres, où
il combat le préjugé qui vouait les professeurs au célibat ; des Annota-
tions sur quelques discours de Cicéron; divers Biscornus scolaires ou de
circonstances; des Traductions en latin de traités d'Isocrate et de ser-
mons de Calvin ; enfin des Lettres, inédites, dont une copie se trouve à
la bibliothèque de la ville d'Avignon. Tous ces ouvrages sont écrits en
un latin très-pur et modelé sur celui de Cicéron. M.. j. gaufrés.
BAHRDT (Charles-Frédéric) [1741-1793] est le représentant le plus
avancé du rationalisme vulgaire, et l'un des types les plus laids de la
théologie allemande à la lin du dernier siècle. Elevé dans la savante
école de Schulpforta, où il se distingua par ses talents non moins que
par sa légèreté, Bahrdt fit ses études en théologie à Leipzig, sous la di-
iv. t ion de Crusius, dont il adopta Y orthodoxie confuse et bizarre. Nommé
professeur à l'université d'Erfurt, il jeta le masque dont il avait jus-
que-là couvert ses hérésies, et enseigna le rationalisme le plus super-
ficiel. A la platitude de la doctrine, Bahrdt ajouta le cynisme de la
conduite. Obligé de quitter l'Allemagne, en présence de la réprobation
universelle dont il était l'objet, il passa quelque temps en qualité de pé-
dagogue au gymnase de Marschlintz, dans le canton des Grisons; puis,
ayant eu rautorisation de revenir dans son pays natal, il fonda près de
Yïni mis. d'après les principes de Basedow, un établissement d'éducation
auquel il donna le nom prétentieux de pkilanthropinum. Plus tard, nous
!.■ trouvons établi à Halle, sous la protection du ministre prussien
Zedlitz, favorable aux nouvelles doctrines, vivant du produit de sous-
criptions recueillies à Berlin et de l'exploitation d'une auberge fréquen-
tée par lc> étudiants que Bahrdt façonnait à ses idées. Bahrdt se vit, à
la lin de sis jours, impliqué dans des poursuites pour affiliation à une
iété secrète, <'t fut condamné à un an de prison pour "un pamphlet
qu'il avait publié contre le gouvernement à l'occasion de l'édit de reli-
ii de 1787. Dans son Autobiographie (Berlin, 1790, \ vol.;, Bahrdt
30 BAHRDT — BAINS
indique les titres de 126 ouvrages dont il est Fauteur. Nous citerons
dans le nombre ses Neuesle Offenbarungen Gottes in Briefen u. Erzœh-
lungen, Riga, 1772, 4 vol., sorte de paraphrase du Nouveau Testament,
remplie des opinions et des conjectures les plus étranges; ses Briefe
iiber die Bibel im Volkston, 1783-1791, 12 vol., et son Ausfûhrung
des Plans u. Ztvecks Jesu in Bine f en, 1784. Pour expliquer naturel-
lement l'origine du christianisme, Bahrdt imagine un roman très-
compliqué sur le développement de la jeunesse du Christ, dressé par
une société secrète à son rôle messianique et pourvu par elle de con-
naissances médicales et de remèdes inconnus jusqu'alors. On peut
dire que tout F effort de Bahrdt consistait à traduire les idées chré-
tiennes dans un rationalisme affranchi de tout sérieux et de toute
retenue. Le succès que ces ouvrages ont eu auprès d'une grande partie*
du public éclairé de F Allemagne est F un des plus tristes symptômes
de l'affaiblissement du sentiment religieux à la fin du dernier siècle.
— Voyez : Tholuck dans ses Vermischte Schriften, II, p. 110 ss., et
Prutz, K. Fr. Bahrdt, Bcitràge zur Geschichte seiner Zeit u. seines
Lebens, dans Raumer, Histor. Taschenbuch, 1850.
BAIER (Jean-Guillaume) [1647-1695], savant théologien luthérien qui
professa à Iéna et à Halle. Par sa tendance il se rattache à l'école
qui forme la transition entre l'orthodoxie stricte et le piétisme dont
Baier subit fortement l'influence. Dans la christologie, il rejeta la doc-
trine de l'ubiquité; dans la théorie du sacrement, il nia la présence
d'une materia cœlestis comme élément constitutif ; il demanda que
Fexorcisme, lors du baptême, fut considéré comme un àdta<popov, et
distingua, dans le recueil canonique du Nouveau Testament, des libri
primi et secundi ordinis. La science de Baier avait un caractère vérita-
blement encyclopédique. C'est ce que prouve son vaste Compendium
theologiœ positivœ, homileticœ, historicœ, moralis et exegeticœ (1673-
1694), qui embrasse toutes les branches de la théologie. Baier, suivant
l'impulsion donnée par Calixte, traita avec prédilection la symbolique
et chercha avec une ardeur infatigable les moyens de réconcilier les
catholiques et les protestants, comme aussi d'unir en un même faisceau
les diverses branches du protestantisme. De ces efforts sont nés ses
deux ouvrages : Cullatio doctrinœ pontificiorum et protestantium, 1692,
et Collatio doctrine quaker orum et protest antium, 1694.
BAINS chez les Hébreux. La chaleuret la poussière propres aux pays de
F Orient nécessitent F usage fréquent des bains, reconnu d'ailleurs comme
indispensable pour se préserver contre les maladies de la peau. Chez les
Hébreux, les bains étaient prescrits comme un devoir élémentaire (Néh.
IV, 23), et même, dans certains cas, ordonnés. par la loi et placés sous
la sanction de Dieu (Lév. IV, 8 ss.; XV, 5, 18; XVII, 16; XX, 6; Nomb.
XIX, 19; Deut. XXIII, 11). On ne se baignait pas seulement dans les ri-
vières (Lév. XV, 13; 2 Rois V, 10), mais aussi dans les maisons, qui
avaient parfois un bassin spécial disposé à cet effet (2, Sam. XI, 2; Su-
zanne XV; cf. Josèphe, Antiq., XIV, 15, 13). Plus tard, les villes de la
Palestine empruntèrent aux Grecs et aux Romains Fusage des bains
publics (Jos., Jintiq., XIX, 7, 5). Les historiens postérieurs à l'exil
BAINS - BAI US 31
mentionnent, comme possédant certaines vertus euratives, les ther-
mes de Tibériade, de Gadara et de Kalirrhon (Pline, V, 15; Jos.,
//../.. I. 33,5).
BAIUS (Michel), en français de Bay, naquit on 151:) à Melin, petite
localité du Hainaut. Disciple de l'université de Louvain, il l'ut nommé
en 1540 surintendant d'une institution de bienfaisance. En 1551, nous
trouvons docteur en théologie et professeur suppléant à Louvain,
où, de concert avec J. Hessels, il remplaçait les théologiens Tapper et
Ravenstein, envoyés par celte université au concile de Trente. 11 donna
dès lors à son enseignement une tendance augustiniennequi scandalisa
beaucoup ces derniers à leur retour. Une vive controverse s'éleva. Les
franciscains jetèrent feu et flamme contre cet augustinisme ressuscité,
qui niait la capacité de l'homme naturel pour faire le bien ainsi que le
mérite des œuvres. On surprit à la Sorbonne, grâce à d'habiles ma-
nœuvres, la condamnation de dix-huit thèses tirées des écrits de Baïus.
Cependant Baïus et Cornélius Jansen (V. l'art. Jansénisme) furent envoyés
en 1503 par Granvelle au concile de Trente. A leur retour, la contro-
verse reprit de plus belle à propos des écrits de Baïus sur le libre arbi-
t «-. le mérite des œuvres, les vertus des impies, et [les adversaires de
Baïus finirent en 1567 par obtenir du pape Pie V la bulle Ex omnibus
afflictionibus qui réprouvait 70 thèses extraites de ces traités, et, sans
nommer Baïus, chargeait Granvelle d'étouffer toute nouvelle dispute au
I des doctrines condamnées. Baïus insistait surtout sur la profon-
: de l'état de péché qui a suivi la chute, état tel que nul n'échappe
à cette triste condition, ni les régénérés eux-mêmes, ni les saints, ni
même la Vierge Marie. Aucune œuvre de satisfaction, mais uniquement
l'imputation du mérite du Christ, nos bonnes œuvres toutefois entrant
en ligne de compte, peut nous procurer le salut. Baïus se soumit au
décret pontiiieal, et dans ses leçons combattit les doctrines condam-
. mais en déclarant que ce n'étaient pas les siennes et qu'on les lui
; ait imputées à tort. Cependant un certain levain d'indépendance
augustinienne ne cessait de se faire voir dans ses leçons. Par exemple
il soutenait que les évêques tenaient leur pouvoir, non du pape, mais
immédiatement de Dieu. En 1577 il devint chancelier de l'université et
par cela même inquisiteur général des Pays-Bas. En 1588 Sixte-Quint
dut encore intervenir pour imposer silence aux deux partis qui, mal-
la bulle de Pie Y, avaient repri-s les armes de la controverse. Ses
< fforts échouèrent de la même manière, et bientôt le jansénisme, dont
Baïus est à vrai dire le père spirituel, développa les germes qu'il avait
es d'une main discrète, ferme à la fois et timide. Baïus mourut
le 10 septembre 1589. L'intérêt qu'il inspire provient uniquement de
ce qu'il est le premier théologien marquant de cette tendance dite
te qui. rétive à la réforme* hardie du seizième siècle, ayant hor-
sme et de toute révolte contre l'autorité de l'Eglise-, essaya
avec la tradition catholique les doctrines de la grâce, de
de la nullité intrinsèque des oeuvres, enseignées par Au-
gustin, ttachanl à la prédication de Paul et qui ont toujours plu
its mystiques en même temps que désireux de i> • commune
32 BAIUS — BALBEK
immédiate, avec Dieu. C'est à l'histoire du jansénisme môme de nous
apprendre si Baïus, que le jansénisme a continué, n'a pas condamné
lui-même à l'avortement son timide essai de retour à Taugustinisme
en s'inclinant d'avance devant les décrets d'une autorité trop inté-
ressée à une manière pélagienne d'envisager la vie chrétienne pour
jamais tolérer un augustinisme quelque peu conséquent. Les écrits de
Baïus forment deux in-quarto édités en 1596 par le bénédictin Ger-
béron. Outre les traités à couleur augustinienne dont nous avons parlé,
on y voit des livres de controverse contre les adversaires de l'Eglise
romaine, en particulier contre le célèbre Marnix de Sainte-Aldegonde.
Gomp. aussi Bayle, Dictionnaire hist. et crû., les histoires ecclésias-
tiques et celles du jansénisme. Albert kéville.
BALAAM [Bileàm, BaXodtp, BiXa|wç], prophète originaire de
Pethor, en Mésopotamie, engagé au service de Balac, roi des Moabites,
pour prononcer des malédictions sur les Israélites qui pénétraient en
Palestine, mais qui, sur l'ordre de Jéhova, les bénit par trois fois
(Nomb. XXII-XXIY; Deut. XXIIJ, 5 ss.). Dans le récit biblique, en par-
ticulier dans celui du Deutéronome, Balaam se montre strictement soumis
aux inspirations divines, et pourtant il est dit que Jéhova se mit en co-
lère contre lui et l'arrêta en chemin par un ange. Pour faire disparaître
cette contradiction, plusieurs commentateurs ont considéré le passage,
Nomb. XXII, 22 ss., comme interpolé; mais il est plus simple d'attri-
buer la colère de Jéhova à la circonstance que le Voyant s'est laissé
persuader par des présents à exécuter les ordres de Balac, au lieu de
renvoyer ses messagers sans leur prêter l'oreille. Les circonstances
étranges qui accompagnent la bénédiction de Balaam ont déterminé un
certain nombre d'exégètes à regarder comme légendaire, sinon le récit
entier (de Wette), malgré l'importance qu'Israël attachait à cette béné-
diction involontaire prononcée par un Voyant étranger (Jos. XXIV, 9 ;
Mich. VI, 5; Néh. XIII, 2), flétri dans la tradition juive comme ré-
prouvé (ios., Antiq., IV, 6-3; cf. 2 Pierre II, 15 ss.; Jude 11; Apoc.II, 14),
du moins la partie du récit ayant trait à l'ànesse qui parle (Michaelis, Her-
der, Jahn), présentée parfois aussi comme une vision ou un songe du
prophète (Steudel). La répugnance naturelle qu'inspire ce miracle est
très-ancienne. Philon déjà le passe sous silence, et Sam. Bochart n'hé-
site pas à y voir un mythe poétique (Hieroz., 1, 161 ss.). L'exégèse ratio-
naliste a imaginé un dialogue mental entre Balaam et son ânesse, dans
lequel le Voyant a prêté à l'animal impatient les paroles qui, dans le
récit, sont présentées comme ayant été réellement prononcées (Lesse,
Bauer, etc.). — Voyez Hilliger, Bileamus ejusque asina loquens, Viteb.,
1673; Mœbig, Hist. Bileami, L., 1676; Winer, Bibl. Realwôrterbuch ;
de Geer, Dissert, de Bileamo,ej. historia et vatic, Traj. a Rh., 1816.
BALAC [Bàlàq], roi des Moabites. Voyez Balaam.
BALBEK, en grec Héliopolis , ville de Syrie, célèbre dans les
premiers siècles de l'ère chrétienne et fameuse encore aujour-
d'hui par ses ruines. Balbek est située à 75 kilom. nord-ouest de Da-
mas , entre le Liban et l' Anti-Liban , sur la ligne de séparation des
eaux du Leontes et de l'Oronte, au centre de la Beqa'a, c'est-à-dire de
BALBEK 33
la grande « vallée, » ïi laquelle les Grecs ont donné le nom de Cœlé-
Syrie. Halbek n'est connue dans l'histoire que sous son nom grec Hé-
liopolis, qu'elle partage avec une ville de la Basse-Egypte; mais,
comme cette dernière, elle a dû s'appeler antérieurement On. Ce fait est
établi par Robinson (Lat. bibl. res., p. 519 s.) et par M. Renan (Miss*
de Phénicie, p. 320). Amos (I, S) cite, en effet, à côté de Damas, un
endroit du nom de Biqéat Aven, qu'il faut sans doute corriger, d'ac-
cordavec les LXX, en Biqe'at-On, « la Beqa'a, » c'est-à-dire « la vallée
d'On. )) Cette hypothèse est pleinement confirmée par les inscriptions
phéniciennes d'Àbydos. En effet, sur un de ces graffiti qui ont été tra-
cés, soit par des mercenaires, soit par des pèlerins phéniciens, l'un
d'eux s'intitule : Yacheb On Micrayim, « habitant d'On en Egypte. »
M. Kenan suppose donc qu'il y avait probablement deux villes d'On
répondant aux deux Héliopolis : l'On d'Egypte et l'On de la Beqa'a,
aujourd'hui Balbek. Dès lors, on ne saurait hésiter à attribuer à cette
dernière ville les monnaies si nombreuses des Séleucides à légende
phénicienne, que M. Lenormant nous signale dans la collection du duc
de Luynes et qui portent les lettres alef, noun. Elles sont un témoi-
gnage de l'importance qu'a eue la ville de Balbek dans l'antiquité. La
parenté de nom de l'On de Syrie avec l'On d'Egypte implique, sinon
une parenté de race, du moins des rapports fort anciens entre les deux
villes. Plusieurs des grandes villes de Phénicie étaient dans le même
cas. Le souvenir de cette parenté s'est conservé sous la forme d'une lé-
gende religieuse. L'auteur dix De Dea Syria (n° 5) raconte qu'on adorait
dans le grand temple d'Héliopolis un hieron antique, qui y avait été ap-
port»' d'Egypte; Macrobe (1. I, 23) rapporte la même chose de l'image
du Jupiter Heliopoiitanus. Balbek est le nom actuel d'Héliopolis ; on
serait tenté d'y retrouver encore la Beqa'a; il n'y a qu'un obstacle à
cela : c'est que Balbek s'écrit en arabe par un kaph ; M. Renan néan-
moins ne considère pas comme impossible que Balbek soit une alté-
ration de la forme Baal-Beqa'a. Quoi qu'il en soit, la première partie
du mot, « Baal, » semble bien lui assigner une origine sémitique an-
cienne. C'est seulement à dater des Romains que Balbek a été ville
de premier ordre ; elle devint colonie romaine sous le nom de Colonia
Julia Augusta FeiU Heliopolitana , et les empereurs de la fin du
deuxième et du troisième siècle y élevèrent les deux temples dont
on voit encore les ruines. On peut en reconstituer en partie l'histoire
à l'aide des monnaies. Le grand temple avait dix colonnes de façade;
H était entouré d'une enceinte ou temenos; sur le devant se trouvaient
nue cour, un grand vestibule et un péristyle de douze colonnes
qui est ligure sur les monnaies. Ce temple, une des merveilles de
l'ancien monde, a été presque entièrement détruit; il n'en reste que
six colonnes qui ont près de 40 mètres d'élévation. Le mur de sou-
bassement était formé de blocs immenses, quelques-uns atteignent des
dimensions dont aucun autre monument ne peut donner l'idée. Trois
de ces pierres (d'où le nom de trililhon (pie l'on a donné au temple)
tonnent une masse de 65 mètres de long sur 10 de haut et 5 de large.
Le petit temple était un peu en retraite sur le grand, auqule le rattachait
n 3
U BALBEK — BALDE
un escalier coudé. Il est conservé presque en entier. Les colonnades,
les murs, les sculptures intérieures n'ont presque pas souffert. L'éléva-
tion en est encore assez grande et le style élégant, mais il est un peu
surchargé et sent la décadence. Les masses de pierre mises en œuvre
dans ces temples sont en général plus considérables que dans les édi-
fices romains, et dénotent encore les habitudes de l'architecture orien-
tale. Certaines parties doivent remonter à l'époque phénicienne. On est
assez peu d'accord sur l'attribution de ces temples soit à un dieu, soit
à un autre; en général, on appelle le petit temple le temple du Soleil,
et le grand, le temple de Jupiter Heliopolitanus. D'après M. de Saulcy
(Ac. des Insc, 19 janvier 1877), il faudrait renverser ces appellations;
elles n'ont, du reste, d'importance pour nous qu'autant qu'elles peu-
vent servir à nous éclairer sur l'ancienne religion de Balbek ; mais ce
dernier point est encore très-obscur. Nous savons par des inscriptions
que le grand dieu d'Héliopolis s'appelait Zeus-Balanios. M. de Saulcy
corrige ce nom en Baal-Hélios, « le Baal-Soleil; » M. Renan préfère y
voir le nom deBaal-Oni, « le Baal d'On. » C'est sans doute une repré-
sentation de ce dieu que porte un bas-relief dédié au Jupiter Opt. Max.
Heliopolitanus, qu'on a retrouvé dans la fontaine de Nimes (Lenor-
mant, Gaz. archéol., 1876, fasc. 4)„ D'après Macrobe, le culte qu'on lui
rendait était purement sémitique; mais ses origines n'étaient pas sans
quelque attache avec l'Egypte (voyez plus haut). Certains passages des
auteurs anciens qu'il est difficile de mettre d'accord feraient même
croire qu'on adorait à Balbek, avant l'arrivée des Romains, deux di-
vinités distinctes , auxquelles répondirent dans la suite les deux tem-
ples élevés par les empereurs. M. de Saulcy n'admet pas cette manière
de voir. D'après ce savant, le grand temple avait été bâti par Antonin
le Pieux, sans doute sur l'emplacement de l'ancien. Le plus petit fut
construit par Septime Sévère (193-197) et muni d'un escalier coudé
et d'une enceinte par Philippe l'Arabe ; le grand vestibule et le teme-
nos furent commencés par Caracalla, et terminés probablement par
Philippe. Durant les premiers siècles de l'ère chrétienne, Balbek fut
le théâtre de plusieurs persécutions ; Théodose renversa le grand tem-
ple et éleva en sa place une basilique (375-379). Dès lors il y eut des
évéques d'Héliopolis (jusqu'en 458; par la suite le siège épiscopal fut
transporté à Zahleh). Ils comptaient parmi les évoques de Phénicie;
néanmoins le souvenir de l'ancien culte est resté vivant jusqu'à la
prise de Balbek par les Arabes sous Abou-Obeida. — Les ruines de
Balbek ont été explorées et décrites par un grand nombre de voya-
geurs à partir du dix-septième siècle ; celui qui voudra s'en faire une
idée devra consulter principalement Wood : Les ruines de Balbek, autre-
ment dite Héliopolis, dans la Cœlesyrie, Londres, 1757, grand in-fol., et
la restitution qui en a été faite tout récemment à l'Ecole des Beaux-
Arts par M. Joyau, architecte pensionnaire de l'Ecole de Rome.
Ph. Berger.
BALDE (Jacques), jésuite, professeur, prédicateur et poëte, né à En-
sisheim en 1003, mort à Neubourg en 1668. Si la versification est l'es-
sence de la poésie, Balde, selon le surnom qu'on lui donna de son
BAL DE — BALE 35
vivant, fut l'Horace germain comme le jésuite Vanière, avec son Prœdium
rtisf tcum, f ut le Virgile français. A l'imitation de l'Horace latin, l'Horace
latinisant a écrit quatre livres d'odes et un d'épodes, sans parler de
neuf livres de sylves, de satires et d'une infinité de pièces héroïques,
religieuses et burlesques. Il lit, en dialecte osque, un drame rustique à
la manière des anciennes Atellanes, production étonnante d'érudition
oiseuse. Son Cranta victrix, ou les Combats de lame chrétienne contre
les tentations des cinq sens du corps, enthousiasma Alexandre Vil, qui lui
envoya une médaille d'or. Balde fut aussi mauvais poëte allemand
qu'habile versificateur latin. Outre la collection complète de ses œu-
vres (Cologne, i(K)0, 2 vol. in-12), on a une édition de pièces choisies
(Turin, 1805, in-8°).
BALE\Concilede).Le concile de Bàle (1431-1449) est le troisième des
conciles appelés réformateurs. Comme ceux de Pise et de Constance, il
proclama la suprématie des conciles sur le pape, et tenta une réforme
de l'Eglise dans son chef et dans ses membres. A Constance on avait
décidé qu'un autre concile serait réuni, après cinq ans, à Pavie. Cette
convocation eut lieu en effet, en 1423, mais le concile, à peine ouvert,
fut d'abord transféré à Sienne, à cause de la mort noire qui régnait à
Pavie. puis dissous après quelques séances, sous prétexte qu'il n'était
pas en nombre. On convint cependant qu'après sept ans on convoque-
rait un nouveau concile à Bàle, ce qui fut fait (1431) par Martin V, qui
chargea le cardinal Césarini de l'ouvrir. Martin V mourut peu de jours
après, el eut pour successeur Eugène IV. Césarini se trouvait alors en.
Bohême <>ù il était chargé de mettre fin à l'hérésie hussite, soit par la
persuasion soit par la force; il n'allait pas volontiers à Bàle, parce qu'il
craignait de nouveaux conflits entre le pape et le concile (propter
multa aux tune ver ebar posse accidere, quse jam experiri incipio. Epist.
Juliani ad Evgenium IV). Cependant Eugène lui ayant renouvelé
Pordre de se rendre à son poste, le cardinal y envoya en attendant, à
va place, deux ecclésiastiques, Jean de Bilombar et Jean de Raguse.
Hais ayant dû s'enfuir ignominieusement de la Bohème et ayant tra-
versé l'Allemagne, il reconnut que l'hérésie hussite ne pourrait être que
difficilement vaincue par la force, etqu'un concile était nécessaire pour
cette pacification; que, de plus, la corruption du clergé allemand
exigeait des réformes promptes et sérieuses; car Césarini désirait
sincèrement une réforme des abus et des mœurs du clergé. Il se rendit
donc au [tins vite à Bàle. (Incitavit etiam me hue venire de for mitas et
Jutio cleri Alemaniae, exqua laici supra modum irritantur adversus
m ecclesiasticum. Propter quod valde timendum est,nisise emendenf,
ne laici more Hussitarum in totum clerum irruant, ut publiée diamt.)
Peu de prélats s'y trouvaient à ce moment; on craignait d'y aller en
pure perte, car on avait peu de confiance dans la bonne volonté de la
curie romaine. Mais après L'arrivée de Césarini on vint en foule, si bien
qu'en 1^34 il y eut à Bâle environ 800 personnes appartenant à l"a>-
semblée, mais dont la moitié seulement étaient de&Pèresdu concile. On
comptai! 7-11 cardinaux et environ 100 évoques. Les autres étaient des
docteurs, des membres du l>as clergé et «les moines, auxquels on ac-
36 BALE
corda des droits que nul autre concile ne leur avait jamais concédés,
c'est là sans doute ce qui fit dire à iEneas Sylvius que le droit de vote
fut donné à des cuisiniers et à des palefreniers. Le concile fut constitué
et devint aussitôt une puissance avec laquelle le pape et les cardinaux
durent compter. Aussi Eugène eut-il peur qu'il n'entrât dans les erre-
ments de son prédécesseur de Constance et ne voulût réformer trop
sérieusement la vigne du Seigneur; craignant son indépendance au
milieu d'un peuple libre, il ordonna son transfert à Bologne. Mais il
n'était pas facile de faire accepter cette décision aux pères du concile.
Il y avait là beaucoup d'esprits indépendants, membres du bas clergé,
docteurs en théologie et en droit canon, tels que Nicolas de Cusa, qui
jouissait d'une grande autorité dans toute l'Europe. Le cardinal Julien
fut du reste le premier à s'opposer au pape, auquel il adressa une
longue lettre qui caractérise bien la situation et l'état des esprits :
«Que diront les hérétiques, écrit-il entre autres, si le concile est
dissous? L'Eglise n'avouera-t-elle pas ainsi qu'elle est vaincue, qu'elle
n'a pas osé attendre ceux qu'elle a cités (les hussites)? Quelle honte
pour la foi chrétienne! On dira : Les armées ont succombé; mainte-
nant l'Eglise aussi lâche pied; les hussites ne peuvent donc être vaincus
ni par les armes, ni par des raisons. Qu'en dira le monde? Que le
clergé est incorrigible et ne veut pas sortir de sa crasse... On dira que
nous nous jouons de Dieu et des hommes, et les laïques auront raison
de nous courir sus. Ils croiront offrir à Dieu un sacrilice agréable en
tuant et dépouillant les prêtres. Et quel honneur en retirera la curie
romaine? Toute la faute, toute la haine et toute la honte retomberont
sur elle. C'est à vous, ô Saint-Père, que tout le sang versé sera rede-
mandé ; vous aurez à rendre compte de tout, et que pourrez-vous
répondre ? On dira : Nous avons été trompés à Sienne et nous le
sommes encore ici. Chaque jour les abus du clergé occasionnent de
nouveaux scandales, et l'on renvoie à plus tard le remède au mal !... »
Le cardinal supplia donc le pape de revenir sur sa décision ; l'empe-
reur Sigismond fit des démarches dans le même sens. Quant au
concile, il ne semblait aucunement disposé à se laisser dissoudre ; bien
au contraire, le 14 février 1432, il se déclara le continuateur du concile
de Constance, c'est-à-dire un concile œcuménique, représentant l'Eglise
universelle, tenant son pouvoir de Dieu même, placé au-dessus du pape
et ne pouvant être dissous que de sa libre volonté. Comme dans ce
même temps des troubles à Rome donnaient de l'inquiétude au pape,
celui-ci dut enfin céder. Il se réconcilia avec l'assemblée (oct. 1433)
et ses légats eurent la présidence du concile. L'assemblée avait été
placée sous la protection du conseil de la ville de Bàle, qui était
chargé de la police des séances. Le concile se subdivisa en quatre
députai ions dont les membres étaient pris dans tous les rangs de la
hiérarchie ; la première fut chargée des questions concernant la foi ;
la deuxième de la paix de l'Eglise; la troisième de la réforme; la
quatrième des affaires générales. Pour qu'une décision fût valable, il
fallait qu'elle réunit l'adhésion de trois des députations, et qu'elle fût
ensuite promulguée en assemblée générale. Césarini voulait surtout
BALE 37
travaillera la réconciliation des hussites avec l'Eglise. Sur L'invitation
du concile, ceux-ci envoyèrent une députation à Bàle. Procope, « la
terreur de la chrétienté, » et le savant théologien hussite Jean Rokyczaria,
y tirent leur entrée le \ janvier 1433, à la tête de trois cents hommes;
ils se présentèrent fièrement et non comme des hérétiques repentants.
Dans les conférences qu'on eut avec eux, il fallut toute la dou-
ceur et la dignité de Gésarini pour empêcher une rupture. On s'accorda
entin sur un certain nombre d'articles [compact nia) par lesquels on
accordait aux hussites leurs principales demandes, entre autres la
Cène sous les deux espèces. Pour tout le reste, les Bohèmes devaient
se soumettre à l'Eglise, ce que les Taborites ne firent jamais, de sorte
que les successeurs d'Eugène IV refusèrent de reconnaître la conven-
tion. Malgré cela, cette réconciliation, si peu réelle qu'elle fût, donna
quelque prestige au concile. — On s'occupa ensuite de la réforme de
l'Eglise dans son chef et dans ses membres; les prélats et les clercs
censurèrent tout ce qu'il était possible de censurer; mais toutes les
décisions du concile trahissaient la passion et la haine de la curie
romaine. On abolit successivement la plus grande partie des réserves,
les grâces expectatives, les annates et autres exactions des papes;
la liberté des appels en cour de Rome fut pareillement circonscrite :
c'était couper les vivres au pape dans un moment où il avait besoin de
toutes ses ressources; c'était léser en même temps les intérêts des
cardinaux et de toute la légion des fonctionnaires de la curie. Même
des hommes modérés comme Césarini, qui voulaient le bien de l'Eglise,
mais sans trop amoindrir le pape, sentirent se refroidir leur sympathie
pour le concile. Eugène, profitant de ces dispositions, transféra le
concile, après sa vingt-sixième séance, à Ferrare, le 18 septembre 1437.
Il avait du reste trouvé un prétexte à ce transfert; c'étaient les négocia-
tions avec l'Eglise grecque. Jean VII Paléologue, pressé par les Turcs
et ayant besoin du secours de l'Eglise romaine, s'était adressé en
même temps au pape et au concile pour traiter de la réunion des deux
Eglises; le pape et les pères du concile se disputaient la gloire de ce
grand acte. Il y eut alors à Bàle des séances très-orageuses, surtout
celles du 0 et du 7 mars 1437; on criait, on vociférait et l'on en
venait aux mains, lorsque les citoyens de Bàle intervinrent en armes
pour empêcher au moins l'effusion du sang. Pour avoir la majorité,
chacun des deux partis s'adjoignit des membres nouveaux, qui n'avaient
aucune qualité pour voter; les partisans de Rome l'emportèrent, mais
la minorité refusa de reconnaître la légalité de cette décision et préten-
dit imposer sa propre volonté. Césarini et la plupart des prélats quit-
tèrent alors Bàle. Eugène IV transféra alors le concile de Ferrare a
Florence, où il se trouvait lui-même, depuis qu'il avait été forcé par
le peuple de quitter Rome. Dans ce concile il excommunia la « syna-
gogue de Satan » réunie à Bàle. Ayant réussi à stipuler la réunion des
schématiques avec Rome, quoique cette réunion fût plus illusoire
encore que celle des hussites, il en rejaillit quelque honneur sur le
concile de Florence.» Cependant rassemblée de Bàle ne s'effraya point
de ces anathèmes. Elle se réorganisa sous la présidence du cardinal
38 BALE
Louis d'Allemand, archevêque d'Arles, un homme saint, d'une énergie
indomptable, et d'un amour passionné pour la liberté; il était en outre
animé d'une haine ardente contre Rome, dont la rapacité et les intrigues
le révoltaient: sur les sièges des prélats absents, on plaça les reliques
de Bâle. Le concile mit en accusation le pape et ses cardinaux, et, le
25 juin 1439, Eugène IV fut destitué comme simoniaque, hérétique
relaps et incorrigible et perturbateur de la paix. La France inclinait
vers le concile de Bâle ; le roi Charles VII avait défendu à tous les
prélats d'aller ou d'envoyer à Ferrare. En 1438 il réunit à Bourges un
concile national pour examiner l'ensemble des canons du concile de
Bâle, envoyés en France par cette assemblée. Malgré les etforts des
légats romains, le concile gallican de Bourges, d'accord avec le parle-
ment et le conseil du roi, ratifia, sauf quelques modifications , la
plupart des décrets du concile, qfti furent promulgués sous forme
d'ordonnance royale et sous le titre de Pragmatique Sanction. La Prag-
matique Sanction fut accueillie en France avec le plus grand enthou-
siasme; elle consacrait les libertés du clergé gallican, et le peuple
conçut l'espoir que l'or de la France cesserait de s'écouler vers Rome.
La plupart des autres puissances de l'Europe se prononcèrent pour
Eugène ; l'empire resta neutre, ne voulant reconnaître les décrets ni
du pape ni du concile. Entraîné par le cardinal d'Allemand, le concile
poussa la lutte jusqu'aux dernières extrémités. 32 électeurs pris dans
son sein (11 évêques, 7 abbés, 5 théologiens et 9 docteurs) se consti-
tuèrent en conclave sous la présidence du cardinal, et, après cinq
tours de scrutin, ils élurent un nouveau pape, le 4 novembre 1439;
c'était Amédée VIII, duc de Savoie, qui avait depuis peu abdiqué en
faveur de son fils , pour se retirer avec quelques amis dans un riant
ermitage, à Ripaille, où il parait avoir mené une vie plus épicurienne
qu'ascétique : « Et se faisoient, dit Monstrelet, lui et ses gens, servir,
au lieu de racines et d'eau de fontaine, du meilleur vin et des meil-
leures viandes qu'on pouvait rencontrer. » Amédée accepta la tiare et
prit le nom de Félix V. Le cardinal d'Allemand procéda à son couron-
nement, le 24 juillet 1440, sur la grande place de la cathédrale, en
présence, dit-on, de 50,000 spectateurs. Félix V éleva au cardinalat
les membres les plus influents du concile ; celui-ci par contre lui vota
la dime, pour pourvoir à son entretien et à celui de sa curie. Mais la
France ne suivit pas le concile dans cette voie extrême. La deuxième
assemblée de Bourges, après avoir entendu les deux partis (sept. 1440),
refusa d'adhérer à la déposition d'Eugène IV ; le roi et le concile galli-
can déclarèrent que le concile de Bàle ne leur paraissait plus « assez
certainement universel » pour procéder à une mesure aussi grande et
aussi périlleuse ; ils demandèrent la dissolution des deux assemblées
de Bàle et de Florence, et la convocation d'un nouveau concile œcu-
ménique en France, pour l'année suivante. En attendant, une ordon-
nance royale du 2 septembre signifia que la France ne reconnaîtrait pas
les suspensions, dépositions et excommunications fulminées parles deux
partis l'un contre l'autre, et qu'elle entendait rester en paix. Félix V ne
futreconnn que par la Savoie, les rois d'Aragon et de Hongrie, quelques
BALE 39
princes allemands) les Suisses et la plupart des universités. Il n'eut pas
pour Lui l'opinion publique, qui avait fait la force des conciles précé-
dents: on ne voulait plus de schisme. L'empire garda quelque temps
encore sa neutralité. Frédéric III ayant passé par Baie, lors de son
couronnement, fut reçu avec de grands honneurs par les pères du
concile; il fléchit le genou devant Félix V, mais ne lui baisa que la
main et non le pied. Dans les diètes germaniques, les cardinaux
Dommés par Félix étaient contraints de déposer les insignes de leur di
gnité.Mais l'habile .Eneas Sylvius Piccolomini, qui avait été l'un des se-
crétaires du concile, finit par se rallier aux intérêts de Rome, et réussit
à gagner aussi l'empire. Eugène IV en reçut la nouvelle sur son lit de
mort (7 7 février 1447). Le roi de France envoya alors une ambassade
à Félix V, pour le presser de renoncer à la tiare, moyennant une tran-
saction honorable. Mais le nouveau pape de Rome, Nicolas V, déclara
Amédée de Savoie et ses adhérents déchus de leurs biens et honneurs.
D'un autre côté Fempereur contraignit la ville de Bàle à retirer au
concile son sauf-conduit. Le concile, réduit par la peste, amoindri de
jour en jour, se transporta à Lausanne, où résidait Félix V. Cinq cents
Bàlois lui donnèrent la conduite le 4 juillet 1448. Le roi de France fit
une nouvelle tentative de conciliation, en envoyant à Rome une bril-
lante ambassade. Nicolas V se résigna alors à accorder à son adver-
saire des conditions très-avantageuses. Félix V, de son côté, après avoir
rétabli tous les ecclésiastiques déposés par Eugène IV et Nicolas V,
révoqué les anathèmes qu'il avait lui-même lancés contre ces deux
pontifes et confirmé les actes de son propre pontiiicat, déposa la tiare.
Les pères du concile, fatigués de la lutte, élurent Nicolas V, et pronon-
cèrent, le 7 mai 1449,1a dissolution du concile. Ils n'avaient pas réussi
mieux que leurs devanciers à réformer FEglise. — Mansi,t.XXIX-XXXI,
Monumenta concil. gen. 3, XV, t. 1 [Conc. Bas. scriptores], Vien., 1857;
JSneae Sylv. Comnitr. de gestis Bas. Conc. [1439] ; Augustini Patricii
Summa Concil. Basil. Florentini, etc. ; Lenfant, Hist. de la guerre des
Hussites et du Concile de Basle, Amst., 1731, 2 vol.; J.-H. v. Wes-
senberg, Die grossen Kirchenversammlungen fies 15 u. 16 ten Jahrh.,
Const., 1840, 4 vol. ch. Pfendée.
BALE (Réformation et Confession de). On connaît peu les origines du
christianisme à Bàle; on le fait remonter au temps des Romains et de
Auguste Bauracorum. C'est en 616 qu'il est fait mention pour la pre-
mière fois d'un évêque « d'Aiigst et de Bàle », du nom de Ragnacaire,
En 1061, sous Fépiscopat de Beringer, il y eut à Bàle un premier con-
auquel prirent part un grand nombre d'évêqucs et de princes al-
lemands et lombards. L'impératrice Agnès, mère et tutrice d'Henri IV,
avait convoqué cette assemblée pour opposer au pape Alexandre II, élu
a participation, un anti-pape de son choix, Honorius II. De 1431
a l'i'iK. Bàle fut le siège du troisième concile réformateur, et c'est à la
suite de ce concile que fut fondée l'université. Jusqu'à ce moment Bàle
ne s'était point distingué par la science, etavait été fort pauvre en pro-
ductions Littéraires. Eneas Sylvius, qui avait longtemps séjourné dans
cette ville lors du concile, dépeint ainsi les Bàlois: « Ils vénèrent beau-
40 BALE
coup d'images, mais se soucient fort peu de la science, et ne cherchent
pas à connaître la littérature païenne; jamais ils n'ont entendu parler
de Cicéron ou d'un autre orateur, et la poésie ne leur offre aucun in-
térêt; ils ne s'occupent que de grammaire et de dialectique » (ce qui
veut dire, sans doute, des connaissances élémentaires). C'est ce même
iEneasSylvius qui, devenu le pape Pie II, donna, le 12 novembre 1459,
la bulle de fondation de l'université ; celle-ci fut solennellement inau-
gurée dans le chœur de la cathédrale (4 avril 1460) et dotée par le
pape et le conseil de la cité de tous les privilèges et franchises désira-
bles. En 1482, .il y eut une nouvelle tentative de réunir dans cette
ville un concile opposé au pape; elle fut faite par un personnage
énigmatique, André, archevêque de Krain. Le pape lança l'interdit
contre la cité ; le conseil lit alors saisir l'aventureux prélat, mais lors-
qu'on voulut lui faire son procès, on le trouva pendu dans sa prison
(1484). — C'est en 1501 que Bâle entra dans la confédération helvé-
tique. La Réforme pénétra et se développa lentement dans la ville de
Bâle. Le siège épiscopal était alors occupé par un ami d'Erasme,
Christophe d'Utenheim, homme d'un caractère évangélique et de
mœurs irréprochables ; sa devise était : Spes mea crux Christi : gratiam
non opéra quxro. Il aimait la science, mais répugnait à toute mesure
précipitée et violente. Son coadjuteur Jean de Diesbach était animé
du même esprit. L'université fut d'abord peu favorable aux doctrines
nouvelles ; le recteur Romanus Wonnecker, professeur de médecine,
se faisait fort de confondre à lui seul tout le luthéranisme dans une
disputation publique. Erasme prit vis-à-vis de la réformation à Bàle
la même position que vis-à-vis delà réformation en général. A Bàle, du
reste, la Réforme eut, plus que partout ailleurs en Suisse, un caractère
révolutionnaire et fut mêlée à un mouvement politique. Les principaux
réformateurs de Bàle furent Jean OEcolampade, Wolfgang-Fabricius
Capiton, Gaspard Hédion, Conrad Peilican (voir, pour les détails, ces
biographies). A la grande procession de la Fête-Dieu (1521), le curé de
Saint-Alban, Guillaume Rôublin, porta, au lieu de reliques, une Bible
avec cette inscription : « Biblia, la seule vraie relique ; tout le reste
n'est qu'ossements de morts. » Obligé de quitter la ville, malgré l'agi-
tation du peuple en sa faveur, Rôublin se perdit dans l'anabaplisme.
Il fut avantageusement remplacé par Wolfgang Wyssenburger, prédi-
cateur à l'hôpital. En 1524, Farel, réfugié à Bàle, défendit, dans une
disputation publique à l'université, treize thèses contre le jeûne, le mé-
rite des œuvres, l'invocation des saints, etc. « 11 en résulta beaucoup de
bien, dit un contemporain, et la Parole de Dieu fit de grands progrès. »
Le gouvernement de Bàle ne s'était pas prononcé pour la Réforme;
mais le parti évangélique reconnut un jour qu'il était en majo-
rité dans la commune. En janvier 1529, dans une assemblée populaire,
il ne se trouva que 800 catholiques contre 3,000 évangéliques. On pro-
fita de cette majorité pour changer la constitution et rendre leur
ancienne autonomie aux corporations ; elles reprirent le droit de faire
entrer soixante membres dans le Grand Conseil; les membres du
Petit Conseil ne furent plus nommés que sur îa proposition du Grand
BALE 11
Conseil. Aussi tous les catholiques sortirent-ils du Petit Conseil. La
victoire appartenait dès lors à la Réforme; Oïl chanta les psaumes alle-
mands et le culte tut organisé comme à Zurich. — La confession de Bàle
fut probablement l'œuvre de Myconius, qui prit pour base de son tra-
vail la courte confession de foi qifQEcolampade composa, peu avant sa
mort, et intercala dans son discours d'ouvertureau synode de 1531. La
confession de Haie fut publiée le 21 janvier 1534, et envoyée peu après
à Strasbourg, c( pour montrer aux théologiens de cette ville que les Bâ-
tais n'ont point une communion sans Christ. » La première édition a
pour titre : Bekanntnus vnsers lieijligenchristlichen gloubens, ivie er die
Kylch zu Basel haldt. On y ajouta des notes marginales latines, qui ce-
pendant disparurent de nouveau à partir de 1547. La ville de Mulhouse
ayant aussi adopté la confession de Bàle, celle-ci fut parfois appelée
eonfessto mulhusana. Elle a enfin porté, tantôt le nom de première con-
fession helvétique, tantôt celui de deuxième confession de Bûle. Elle com-
prend douze articles: 1° de Dieu ; 2° de l'homme; 3° delà Providence de
Dieu (Sorg (lottes ûber uns); 4° de Christ, vrai Dieu et vrai homme;
5° de l'Eglise; 6° de la Cène de Notre-Seigneur ; 7° de la discipline (Von
4em Brauch des Bannes); 8° de l'autorité; 9° de la foi et des œuvres;
10° du dernier jour ; 11° de ce qui est commandement et de ce qui ne
Test pas (Von Gcbott u. nicht Geboit) ; 12° contre Terreur des anabap-
tistes. La confession de Bàle, insérée dans l'agende de l'Eglise, est ac-
compagnée de cette ordonnance : « Après le service de préparation du
jeudi saint, on lira du haut de la chaire la confession de Bàle. Dans la
campagne elle sera lue deux fois, le dimanche avant la Pentecôte et le
dimanche avant Noël. » La confession de Bàle est très-courte, d'une
rédaction sobre et modérée, quoique manquant souvent de précision
dogmatique. Dans l'article de la Cène elle nous semble se rapprocher
de Zwingle plutôt que de Calvin. Il y est dit que dans le pain et le vin,
« le vrai corps et le vrai sang de Christ nous est représenté (fùrgebil-
det) et offert par le ministre. » Puis, après avoir affirmé que « Christ
lui-même est la nourriture de l'àme et la vie éternelle, et qu'il est pré-
sent dans la Cène pour tous ceux qui croient véritablement, » on
ajoute : « Mais le corps naturel, vrai et essentiel de Christ, qui est né de
la Vierge Marie, qui a souffert pour nous et est monté aux cieux, n'est
point, selon nous, enfermé dans le pain et le vin du Seigneur. Aussi
n'adorons-nous point Christ dans ces signes du pain et du vin (qu'on
appelle d'ordinaire sacrement du corps et du sang de Christ), mais dans
les cieux, à la droite de Dieu le Père, d'où il viendra pour juger les
vivants et les morts. » — Voyez Ochs, Gesch. der Stadt //. Landschaft
liasel; Hagenbach, Krit. Gesch. d. Entstchung u. d. Schicksale d. ersten
Bouler Confession, Basel, 1827; Ranke, Deutsche Gesch. im Zeitalter d.
Re formation, vol. III. Oh. Pfendee.
BALE (Eglise française de). Par sa situation, son importance et son
histoire, Bàle était prédestinée, au milieu des troubles du seizième
siècle, à servir de lieu de retraite passager ou définitif à de nombreux
persécutés ; nous y voyons Farel en 1524, Calvin en 1536, Pierre
Humus en 1568: Jean Bauhin, souche d'une lignée remarquable de
42 BALE
naturalistes et de médecins, s'y établit en 1541, Castellion en 1544,
François Hotmann vers 1579 ; des réfugiés italiens s'y rencontrent,
entre autres Curione (1546) et la famille Socin (1559), ainsi que des
exilés des Pays-Bas. L'un de ces derniers, Marc Perez, d'Anvers, ayant
dans sa manufacture de soie de nombreux ouvriers français, italiens et
espagnols, demanda en 1569 la permission d'établir à Bâle un culte
français, demande qui échoua devant l'opposition d'un des pasteurs
de la ville. La Saint-Barthélémy amena un nouveau flot de réfugiés
français, et parmi eux trois enfants de l'amiral Coligny, ainsi que sa
belle-sœur et son neveu; ces illustres proscrits demandèrent en no-
vembre 1572 la permission de demeurer à Bàle et d'y professer publi-
quement leur culte, ce qui leur fut accordé. Après un an de séjour,
cette intéressante famille quitta la ville, mais l'Eglise fondée par elle
subsista; en 1574, Henri de Condé, le chef général des réformés de
France depuis la mort de Coligny, vint résider pendant un an à Bâle
avec une nombreuse suite et se joignit naturellement à la nouvelle
Eglise. Telles sont les origines de la plus ancienne des Eglises du refuge
en Suisse ; ce ne fut pas sans difficultés d'abord qu'elle continua à
exister, les pasteurs de la ville surveillant d'un œil craintif cette con-
grégation étrangère. Cependant les mesures vexatoires ne durèrent
pas; dès 1588 la cène, les baptêmes et les mariages purent être célébrés
au culte français; la même année, à la demande des magistrats, l'uni-
versité cédait pour ce culte une salle de collège, la maison particulière
(chez une réfugiée du nom de Faulny) qui avait abrité jusque-là la
congrégation, n'étant plus disponible. En 1591 l'Eglise comptait 300
membres, augmentés les jours de fête surtout de nombreux réfugiés des
environs et du pays de Montbéliard, ce qui rendit bientôt le nouveau
local tout à fait insuffisant ; aussi les magistrats accordèrent-ils en 1614
le temple des dominicains, sans emploi depuis la Béformation, temple
qui réunit l'Eglise française jusqu'en 1868 où elle fit construire un lieu
de culte spécial. Le dix-septième siècle amena constamment de nou-
velles recrues à l'Eglise par les émigrations des Grisons, de l'Italie,
des vallées vaudoises et surtout de la France ; la révocation de l'édit de
Nantes (1685) ht affluer à Bàle plus de 2,500 réfugiés, mais dont un bon
nombre passèrent en d'autres pays ; il en resta cependant suffisamment,
malgré quelques difficultés qui leur furent faites dans les commence-
ments de leur établissement, pour que Bàle soit de toutes les villes de
la Suisse allemande celle qui compte parmi ses bourgeois la plus forte
proportion de réfugiés. Dans l'origine, les membres de l'Eglise se
cotisaient pour subvenir à l'entretien des pasteurs; en 1688, ces cotisa-
tions cessèrent, les revenus des legs et dons faits pour l'Eglise à partir
de 1592, et fort augmentés depuis, étant désormais suffisants. Notons
aussi que l'État de Bàle assista l'Eglise française à partir du dix-huitième
siècle en faisant un supplément de traitement à ses pasteurs, comme
aussi en lui venant en aide pour des dépenses exceptionnelles. Quant
à son organisation, l'Eglise se rattachait aux Eglises réformées de
France, dont elle avait adopté la confession de foi et la discipline ; sa
constitution était presbytérienne ; le consistoire, composé des pasteurs,
BALE 43
des anciens, et, pendant 1111 temps, <le diacres, administrait L'Eglise
dès 1588. Dans le commencement, les pères de famille choisissaient
leurs pasteurs ; un peu pins tard, l'élection fut remise au consistoire.
ei les pères de famille étaient appelés à la confirmer ; en 1682 le
sénat décida que désormais les pasteurs seraient nommés par un corps
nouveau et spécial, le grand consistoire, composé, outre le consistoire
de l'Eglise française, de Vantâtes ou premier pasteur de la ville et des
quatre scholarques; ce mode d'élection a subsisté avec quelques modi-
fications jusqu'à nos jours. Le premier pasteur dont nous trouvions le
nom mentionné (en 1577) est Virel ; dans la suite il y eut ordinaire-
ment deux pasteurs, ce qui devint la règle générale à la lin du dix-septième
siècle ; les plus connus parmi les pasteurs furent : Jacque:. Gouet, de
Paris, mort en 1608; Daniel Toussaint, de Montbéliard (1630-1647);
Jean de La Fave, du Vivarais (1661-1675) ; Jean de Tournes, de Genève
(1672-1699); Paul Reboulet, de Privas (1699-1710); Jean-Rod. Oster-
vald, fils du traducteur de la Bible, de Neuchàtel (1710-1759) ; Pierre
Roques, du Languedoc (1710-1748) ; Alex. -Ces. Chavannes, de Vevey
(1759-1763); Philippe-Cyriaque Bridel, appelé dans la suite le doyen
Bride! (1786-1796); Frédéric Mestrezat, de Genève (1795-1803) ; Jean-
Louis Bridel (1803-1808), etc. Quant aux anciens, au nombre de six ou
sept, ils étaient d'abord nommés à vie par le consistoire; à partir de
172ri ils lurent élus par le sort, enfui depuis 1853 les anciens sont
nommés pour six ans par l'autorité ecclésiastique de Bàle sur une
double présentation du consistoire. La charge d'ancien a été remplie
par des hommes appartenant souvent aux premières familles de la
ville, et dont plusieurs ont acquis un nom illustre dans les lettres, les
sciences ou la magistrature, tels que les Battier, les Sarasin, les Rail-
lard, les Passavant, les Bernouilli, les Werenfels, les Christ, les Frey,
les Bourcard, les Legrand, etc. Les descendants des réfugiés se sont
assez promptement fondus dans la population bàloise, plus prompte-
ment même que dans le reste de la Suisse ; il en résulte qu'actuelle-
ment l'Eglise française de Bàle ne compte plus qu'un très-petit nombre
de familles du refuge ; elle s'est recrutée par contre de bien des
familles bàloises, comme aussi de Français et de Suisses français établis
plus récemment. — Sources : les archives de l'Eglise française de Bàle,
contenant entre autres deux essais d'histoire de cette Eglise, l'un de
Pierre Roques, l'autre d'Ostervald et de A. -H. Petitpierre; Die fran-
ichen Religions fl'Ochtlinge in Basel, von L.-A. Burckhardt, dans les
Beitrxge zur vaterlaendischen Geschickte, Basel, 1860, VII, p. 301-333;
Bulletin de In Soc. de l'hist. du protest, franc., XII ss., 1863, p. 264;
Histoire de l'Egl. franc, de Bâle, par L. Junod ; dans le Chrétien évwtv-
g clique ) mars-juin 1868 ; Gesch. der eoangel. Flù.clitlinge in der Schweiz,
von J.-C. Rfœrikofer, Leipz., 1876. a. bernus.
BALE Statistique religieuse). Population (1870) : Bàle ville, 'a7,760 :
protestants, 34,457; catholiques, 12,301; sectes chrétiennes, 196; Is-
raélites, 506. Bâle campagne, o'j-,127 : protestants, 4&,523; catholi-
ques, 10,245; sectes chrétiennes, 228; israélites, 131. — Dispositions
constitutionnelles : 1" Bâle ville (8 avril 1847) : Art. 16. La religion de
44 BALE — BALGUY
l'État est la religion évangélique réformée; l'exercice de tout autre
culte chrétien est garanti en se conformant à la loi. L'abjuration d'un
culte chrétien et la profession d'un autre culte chrétien et les mariages
mixtes n'entrainent aucune restriction dans les droits politiques ou
communaux (la Constitution fédérale accorde les mêmes droits aux
cultes non chrétiens). 2° Bàle campagne (25 décembre 1850) : Art. 11.
La liberté de croyance est inviolable. Les droits de l'Eglise évangélique
réformée et de l'Eglise romaine catholique , actuellement existantes
dans les communes qui en font profession, sont garantis, et les minis-
tres de ces deux cultes sont seuls salariés. — Organisation. Bàle ville :
L'autorité suprême de l'Eglise réformée bâloise est le conseil d'Eglise
(Kirchenrath, jusqu'en 1834 Kirchenconvent), composé de Vantâtes,
premier pasteur de la cathédrale, président de droit, de 2 conseillers
d'Etat, de 2 professeurs de théologie, de 3 membres laïques et de
3 pasteurs. Tous les membres, à l'exception de Y autistes, sont nom-
més pour six ans et se renouvellent par moitié tous les trois ans. Le
clergé bàlois se compose de 23 membres ainsi répartis : 4 paroisses ur-
baines : 1° la cathédrale avec Vantâtes, premier pasieur, l'archidiacre
et quatre pasteurs adjoints, qui desservent en même temps les annexes
de Saint-Martin, Saint- Alban, Sainte-Elisabeth et Saint -Jacques;
2° Saint-Pierre, et 3° Saint-Léonard, avec chacune un pasteur et 2 ad-
joints; 4° Saint-Théodore, un pasteur et 3 adjoints. Les deux paroisses
rurales de Riehen et de Petit-Huningue ont chacune leur pasteur. Trois
aumôniers desservent les prisons, l'hôpital et l'orphelinat. L'Eglise
française a 2 pasteurs , mais le clergé bàlois est beaucoup plus nom-
breux. 11 comptait en outre, en 1872, 3 pasteurs retirés, 13 ministres
remplissant des fonctions scolaires , 44 pasteurs en fonctions hors du
canton et 21 ministres sans fonctions. Il y a à Bàle une Faculté de théo-
logie avec 5 professeurs, 3 agrégés et (été de 1876) 50 étudiants. Bàle
est le siège d'un grand nombre de sociétés religieuses, dont les plus
importantes sont : la Société biblique (1804), la Société des Missions
(1816), l'Association des Amis d'Israël (1820), l'Etablissement mission-
naire de Chrischona (1839), etc. Les catholiques du canton dépendent
de l'évêché de Bàle, dont le titulaire réside à Soleure depuis la Refor-
matée. Une communauté morave, quelques anabaptistes, baptiste?,
darbystes et irvingiens représentent à Bàle les sectes chrétiennes. —
Bàle campagne. Eglise réformée : 30 paroisses avec 33 pasteurs et auxi-
liaires (1876). Autorités centrales : le directeur des cultes et de l'ins-
truction publique ; la commission d'examen des pasteurs et les con-
seils paroissiaux. Les catholiques sont répartis dans 10 paroisses, qui
font partie du diocèse de Bàle- Soleure. — Bibliographie : G. Finsler,
Kirchliche Statistik der réf. Schiveiz, 1856; Almanach de Gotha, 1877;
Verzeîchniss der Behœrden und Beamten des Kantons Basel-Stadt, 1872 ;
Kalender fur Basel-Land, 1876. E. Vauchee.
BALGUY (Jean), théologien anglais, né en 1686 à Shefheld, dans
le comté d'York, mort en 1748. Les divers écrits qu'il a publiés, et qui
traitent surtout d'apologétique chrétienne, se distinguent par un esprit
libéral. C'est à la raison qu'il en appelle le plus souvent dans ses
BALGUY — BALLANCHE: 45
discussions religieuses, et il essaye de prouver que la révélation chré-
tienne ne renferme rien qui lui soit contraire. En 17()0, il fit paraître
une Lettre à itn déiste sur la beauté et l'excellence des vertus morales,
et r appui qu'elles trouvent dans la révélation chrétienne. En 1728, il
donna un traité intitulé : le Fondement de la bonté morale, ou Recherche
approfondie de l'origine de nos idées sur la vertu, et, en 1730, des
Recherches sur les perfections morales de Dieu, particulièrement en ce gui
est relatif à la création et à la Providence. Balguy fut aussi un prédica-
teur estimé, et ses deux volumes de Sermons sur différents sujets ont en
Angleterre une certaine réputation. Malgré ses talents, il dut se con-
tenter de l'humble poste de vicaire à North-Allerton, dans le comté
d'York. 11 tut trop indépendant de caractère pourarriverà une position
plus éminente. Citons aussi de lui un estimable Essai sur la Rédemption,
paru en 1741.
BALLANCHE (Pierre-Simon) [1776 1847], écrivain estimé sous la
Restauration et philosophe mystique, s'est surtout attaché, comme
L'auteur des Idées, Herder, en Allemagne, et comme Yico, en Italie,
dans sa Science nouvelle, à l'étude de la philosophie de l'histoire.
Une longue maladie qu'il eut dans sa jeunesse, à Lyod, sa ville natale,
ne lit que développer en lui cette disposition naturelle au mysticisme
qu'on trouve déjà dans son premier livre : Du sentiment dans ses
rapports avec la littérature, publié en 1802, et dans ses Fragments
1 1806). Mais ce ne fut qu'en 1814, après avoir fixé sa demeure à Paris,
suivant le conseil de M,m> Récamier, qu'il trouva réellement sa philoso-
phie, exposée bientôt après dans Y Essai sur les Institutions (1818), et
surtout dans le plus important de ses ouvrages, la Palingénésie sociale
(1830). Charles Bonnet avait déjà écrit la Palingénésie philosophique
pour montrer comment, dès le temps même de son existence passagère,
l'être mortel peut manifester en lui l'être immortel. Ce qu'on avait es-
sayé ainsi pour l'homme individuel, Ballanche le tente à son tour pour
l'homme collectif. 11 part de l'hypothèse d'une révélation primitive.
Les idées préexistaient en Dieu, comme le veut Platon, et le monde
existait dans sa pensée, non manifesté. Pour le manifester, il a parlé,
et aussitôt l'essence ayant revêtu le temps, l'espace, la forme, le monde
idéal est devenu le monde plastique, et l'intelligence humaine un reflet
affaibli de l'intelligence divine. Pour comprendre le développement
historique de l'homme collectif, l'humanité, il n'y aura donc qu'à
bien connaître le développement moral de l'homme individuel. Il y a
trois époques dans le développement intellectuel de l'homme : 1° l'in-
dividu, apparaissant dans la société, en reçoit le langage; 2° il agit
sur le fonds commun ; 3° il se l'approprie et devient un être moral et
intelligent. Et la société de même traverse trois périodes : dans la
première, elle a une poésie, une religion : dans la seconde, elle prend
couleur déraison ; dans la troisième, elle se fait estimer par la science.
11 n'y a pas séparation, œuvre et but différents entre les hommes
des diverses époques, mais l'unité et l'homogénéité sont' évidentes dans
le genre humain. Mais comment, avec ces données, expliquer le mal
qui es! dans le monde? Par la déchéance de l'homme. Dieu voulut que
46 BALLANCHE — BALLERINI.
les destinées humaines tussent une suite d'initiations mystérieuses et
pénibles, pour qu'elles fussent méritoires comme foi et comme labeur.
Ainsi il y a eu chute de l'homme et par suite expiation nécessaire. Seu-
lement cette déchéance, cause des épreuves successives par lesquelles
passent l'homme et l'humanité, n'a été qu'un mal passager; en effet,
du moment où elle s'est produite date pour eux. la conquête de la
conscience et de la liberté. Chaque partie de la Palingénésie sociale est
destinée à prouver l'une de ces affirmations. Orphée, c'est la déchéance.
Dans la Formule générale de l'Histoire de tous les peuples appliquée à
C histoire du peuple romain, l'humanité subit l'épreuve, et l'initiation
pénible s'incarne dans la lutte du plébéianisme et du patriciat. La
Ville des expiations nous mène aux temps modernes où l'homme est
enfin réhabilité. Ainsi la substance intelligente doit finir nécessaire-
ment par être bonne, mais d'une bonté acquise, la chrysalide humaine
n'ayant pas reçu, mais s'étant donné à elle-même, les ailes brillantes
sur lesquelles elle doit s'élever, de région en région, jusqu'au séjour
de l'immutabilité et de la gloire éternelle. Le style de Ballanche est
pur et harmonieux, l'écrivain allie sans peine la profondeur à la grâce,
et cependant il est souvent obscur, parce qu'il divise mal ses ouvrages
faits de fragments qui ne sont rattachés les uns aux autres que par des
analogies secrètes, trop difficiles à saisir, et parce qu'il abuse du
symbolisme, remontant toujours jusqu'à l'antiquité reculée, jusqu'à
Orphée, jusqu'aux Romains, quand il veut passer à l'application après
avoir exposé ses principes. C'est un simple épisode détaché de la Ville
des expiations, la vision d'Hébal, qui donne la plus exacte idée de sa
doctrine. Au point de vue philosophique, quand paraît la Palingénésie,
Y école sensualiste reproche à Ballanche de poser toujours, à la place
de principes évidents, des croyances traditionnelles, et le renvoie à
l'école théologique; celle-ci, à son tour, l'école des de Maistre, de
Bonald, cl'Eckstein, de Lamennais, le repousse, ne le trouvant pas
assez hardi dans l'affirmation, et c'est dans son sein qu'il rencontre
les moins indulgents de ses critiques et les plus dédaigneux de ses
adversaires. Mais ce qui provoque leur blâme, est à nos yeux ce
qu'il faut louer le plus chez l'écrivain. Il aime l'état présent et il aspire
à l'améliorer au lieu de le haïr et de le combattre, à leur exemple.
Aussi est-il l'esté sous la Restauration le théoricien écouté, non du
parti ultramontain, mais des jeunes légitimistes. A sa mort, selon le
vœu qu'il avait exprimé, il a été déposé le premier dans le caveau
qui devait bientôt recevoir Mme Récamier, sa fidèle amie. — Voyez
Damiron, Essai sur l'Histoire de la philosophie en France au XI Xe siècle,
Paris, 1834 ; Sainte-Beuve, Portraits contemporains, I; d'Eckstein, le
Catholique, 1828, février; Chateaubriand, Etudes; de Loménie, Ga-
lerie des contempor. Musses ; J.-J. Ampère, Ballanche, P., 1848.
Jules Arboux'.
BALLERINI (Pierre et son frère Jérôme), prêtres, de Vérone. Elevés
chez les jésuites au commencement du dix-huitième siècle, ils tra-
vaillèrent en commun aux éditions savantes qui portent leur nom.
Ce sont : les Œuvres du cardinal Noris (Vérone, 1732, 4 vol. in-fol.),
BALLERINI — BALSAMON Al
dont Jérôme lit seul les trois premiers volumes; tes Œuvres de J.-M.
Gibert, évêque de Vérone (in-4°) ; les Sermons de S. Zenon, évêque
de la même ville au quatrième sièele (1739, in-4°) ; la Somme
théologique de S. Antonin de Florence (4740-4^ 2 vol. in-fol.), et La
Somme de S, Raymond de Pennafort (i 744, in-fol.). Les deux frères
donnèrent, à la requête du pape, une édition des Œuvres de S. Léon.
(Venise, 1755-56, 2 vol. in-fol.) destinée à remplacer celle de Quesncl
condamnée par le saint-siége. On doit à Pierre un traité sur la Méthode
d'étudier, tirée de S. Augustin, traduit de l'italien en français par F abbé
Nicolle (Paris. 1760, in-12). Ses nombreux écrits contre l'usure et la
querelle sur le probabilisme dont il fut l'historien et le défenseur,
L'engagèrent dans une vive polémique qui ne put heureusement le dis-
traire de ses études d'érudit.
BALMES (Jaime), né à Vich (Catalogne) le 28 août 1810, fit ses pre-
mières études au séminaire de cette petite ville, puis il se rendit à l'u-
niversité de Cervera, où il reçut en 1833 le titre de docteur. Balmes
débuta en 1840 dans sa carrière de publiciste par l'ouvrage qui porte
Le titre de Observaciones sociales, polit icas y economicas sobre los bienes
del clero. Deux ans plus tard parut le livre qui l'a rendu célèbre : El.
protestantismo comparado con el catolicismo, en sus relaciones con lacivi-
Hzacion europea. Il n'est pas nécessaire de lire beaucoup de pages de
cette œuvre de polémique pour voir que l'auteur s'adresse à un public
qui ne connaît le protestantisme que d'ouï dire et qui n'a jamais eu
l'occasion d'expérimenter la valeur de cette doctrine au point de vue re-
Ligieux, moral et intellectuel. Les arguments philosophiques ou histori-
ques employés par Balmes pour démontrer la supériorité du catholi-
cisme dans i'ceuvrede la civilisation sont très-faibles et portent presque
tous à faux. Il a été plus heureux dans ses attaques contre certains
dogmes des premiers réformateurs. Malgré ses faiblesses et ses défauts,
ce livre mérite d'être lu, surtout à cause de la très-grande influence
qu'il a exercée en Espagne. Le parti de l'unité religieuse y trouve de
nombreuses armes pour la défense de son principe, , et le parti libéral,
trop peu religieux pour vouloir substituer au catholicisme une autre
religion positive et trop ignorant pour pouvoir apprécier l'influence du
protestantisme sur la civilisation européenne, en accepte sans protesta-
tion les conclusions relativement modérées. Balmes se mêla vers la
même époque à la politique militante, en conseillant dans plusieurs ar-
ticles du journal El pensamiente de la nacion le mariage d'Isabelle de
Bourbon avec le comte de Montemolin. Ses autres ouvrages, El crite-
rio (1845), Cartas a un escéptico en materias de religion (1845) et deux
manuels de philosophie, quoique très-lus et estimés en Espagne, n'ont
qu'une médiocre importance. Balmes est mort le 9 juillet 1848.
Morel-Fatio.
BALSAMON (Théodore), né à Constantinople vers le milieu du dou-
zième siècle, mort- probablement en 1204, fut diacre, chancelier
(vojjlcçuXoÇ) -et archiviste (xapro^uXo^) du patriarcat de Constantinople.
Vers L'année 1190 il fut créé patriarche d'Antioche, après ta mort du
patriarche Jean; mais les croisés, maîtres d'Antioche. y ayant établi
48 BALSAMON — BALUZE
un patriarche, ainsi qu'à Jérusalem, Balsamon ne put prendre posses-
sion de son siège. C'était un homme savant et très-versé dans la science
des lois. Il écrivit des réponses aux questions à lui posées par Marc,
patriarche d'Alexandrie (chez Leunclavius, Jus graeco-romanum, t. I,
p. 442-478), ainsi qu'un Commentaire sur le Nomokanon et le Syntagma
de Photius, d'après l'ordre de l'empereur Manuel Comnène. Dans
ces écrits il réfute entre autres les nouveautés de l'Eglise latine. Le
Commentaire sur le Nomokanon fut imprimé en grec et en latin, à
Paris, 1615, in-4° ; puis en 1661, dans la Bibliàtheca jur. can. vet.
de Vœllus et Jristellus, t. II, p. 789. Le Commentaire sur le Syntagma
se trouve dans le Synodicon de Beveregius, t. I. On attribuait long-
temps à Balsamon une Collectio canon, eccles. en trois livres (Juste!.
etVœl., Biblioth. jur. canon, vet., t. II, p. 1217), mais il est certain
maintenant que cet écrit est beaucoup plus ancien.
BALTHASAR [Bélchàçar, BaATasap], dernier roi de Babylonede la
race des Chaldéens, connu aussi sous les noms de Nabonnède (Bérose),
de Nabonadius (Ptolémée), de Nabonnidoque (Mégasthènes), de Laby-
nète (Hérodote), de Naboandel (Josèphe). Il fut tué, dans la dix-septième
année de son règne, lors de la prise de Babylone par Cyrus, au milieu des
débauches d'une fête qu'il donnait à sa cour, et dans laquelle il s'était
servi des vases d'or et d'argent que son aïeul avait enlevés du temple
de Jérusalem. Le prophète Daniel raconte les détails épouvantables
de sa mort (V, 1, 30; VII, 1 ss.; cf. Hérod. I, 191; Xénoph., Cyrop.y
VI, 5, 15 ss. ; Esaïe XXI, 5 ss. ; XIII, 14 ss.).
BALTUS (Jean-François), né à Metz en 1667, mort à Reims en 1743,
entra dans la Société de Jésus dès l'âge de quinze ans et se distingua dans
les divers travaux littéraires et théologiques de son ordre. Le premier
et le plus connu de ses ouvrages est sa Réponse à V histoire des Oracles,
de Fontenelle (Strasb., 1707, in-8°). L'académicien ne voulait voir dans
les oracles antiques que l'eliet de pieuses fourberies; Baltus maintint
que l'intervention du démon s'y était souvent exercée. L'érudition
qu'il étale dans cet ouvrage n'était pas, dit-on, toute à lui; il y joignit
en tout cas un tel emportement que, soit prudence, soit dédain, Fonte-
nelle trouva plus à propos «que le diable passât pour prophète » que de
se mesurer avec son contradicteur. Baltus s'appliqua ensuite, dans sa
Défense des saints Peines accusés de platonisme (Paris, 1711, in-4u), à
justifier les Pères de tout emprunt aux conceptions des anciens philo-
sophes. Mais il dépassa le but, oubliant que l'antiquité païenne a sou-
vent fourni aux Pères sinon des théories et des systèmes, du moins des
idées et des réminiscences. L'écrit intitulé Jugement des saints Pères
sur la morale des philosophes païens (Strasb., 1719, in-4°) est comme la
contre-partie du premier. On a de Baltus une autre série d'ouvrages
apologétiques sur l'accord des prophéties et du christianisme, et une
foule de traités détachés sur les sujets ordinaires de ses études.
BALUZE (Etienne) , de Tulle (1630-1718) . La protection éclaijée de M. de
Marca, archevêque de Toulouse puis de Paris, fournit à son goût pour
l'histoire ecclésiastique l'occasion de se développer. A vingt-deux ans,
il publia YAntifrizonius, critique delà Gallia purpurata de Frizon. M. de
BALUZE — BAN DE LA ROCHE 4D
Marca lui avant confié en mourant ses manuscrits, il édita, en ajoutant,
lin supplément à chacun d'eux, la Marca hispanica (marche ou limite
d'Espagne), et le livre excellent, souvent réimprimé, De concordia sacer-
dotiiet imper il seu de libertatibus Ecclesiie gallican x libri octo. La dédi-
cace de Baluze à Séguier est de 1663. En 1070, le roi créa pour lui une
chaire de droit canon au collège royal. Bibliothécaire de Colbert, puis
de ses tils, il travailla trente-trois ans à enrichir cette collection devenue
>i fameuse, ("est pendant cette période (1067-1700) qu'il publia ses
grands ouvrages. En 1077, il donna ses Regum francorum capitularia,
augmentés d'une foule de pièces inédites (2 vol. in-folj, réimprimés en
1780 par M. de Ghiniac dans le même format et d'après l'exemplaire
de la première édition que Baluze lui-même avait chargé de notes et de
variantes. En 1682 parurent les Epistolœ Innocenta pàpae III (in-fol.,
2 vol.), collection aussi complète que le permettaient les documents que
l'éditeur avait pu réunir. Les Vies des papes d1 Avignon (1793, 2 vol,
in-4°), ouvrage qui fait justice de la prétendue captivité de Babylone
et qui démontre le droit des papes d'établir leur siège en quelque pays
que ce soit, lui valurent une pension de Louis XIV. Baluze n'avait pas
plus cherché à plaire au roi par cette publication qu'il ne chercha à
lui déplaire en insérant dans son Histoire généalogique de la maison
■l' Auvergne (1708) les titres qui prouvaient l'indépendance des Bouillon,
descendants directs des anciens comtes d'Auvergne. Louis XIV le
punit de n'avoir pas méconnu les droits historiques des Bouillon,
comme il avait puni Mézeray d'avoir osé douter de Pharamond; il lui
retira ses pensions et ses places et l'exila plus de cinq ans. Les princi-
pales des ï-i publications de Baluze sont par ordre de dates : Editions
de Sal vien et de Vincent de Lérins, 1003 ; de Loup de Ferrières, 1664 ;
^gobard, Amolon, Leidrade et un traité du diacre Florus, 1000; qua-
torze homélies de Césaire d'Arles, 1009; Réginon, 1071; Antoninus
Augustinus, 1078; Nouvelle collection des Conciles, 1083, dont il ne
parut que le premier volume et qui s'arrête au concile de Ghalcédoine
Marins Mercator, 108'a ; les Conciles de la Gaule Narbonnaise, 1088.
En 1717, il publia une histoire de Tulle, Ilistoria tutellensis (2 vol.
in-V'i. La mort le surprit à quatre-vingt-huit ans, au milieu de l'im-
pression des œuvres de saint Gyprien que continua dom Marand. Il
laissait cent quinze ouvrages annotés de sa main en vue d'éditions
nouvelles. On les déposa à la bibliothèque royale avec plus de quinze
cents manuscrits. Baluze fut le type de l'érudition consciencieuse et de
la probité scientifique. p. rouffet.
BAN DE LA ROCHE. Ce district accidenté des Vosges, si intéressant au
point de vue religieux, s'adosse au Champ-du-Fen et mesure environ
six lieues de circonférence. Des vallons étroits descendent de ce haut
plateau déboisé, (ouvert de tourbières. De ses flancs garnis de sapins,
de hêtres ou de genêts, jaillissent des sources nombreuses qui se
jettent dans la Bruche, après avoir arrosé de maigres pâturages. Le
«•limai est rude, le sol ingrat et pierreux, les communications difficiles.
Les habitants, originaires de divers pays, Italiens, Suisses, Français,
allemands, parlaient un patois roman informe, où les sons gutturaux
U. 4
50 BAN DE LA ROCHE
de la Suisse se mêlaient à l'accent traînant du pays de Montbéliard.
La féodalité fut très-dure pour eux; les seigneurs du château de la
Roche étaient redoutés pour leur amour du brigandage et leurs mœurs
féroces. Détruit une première fois, en 1099, par les seigneurs voisins
de Schirmeck et de Colleroy-la-Roche, il fut rebâti sitôt après, et les
rapines et les violences reprirent leur cours. Au treizième siècle, les
princes de la maison de Rappolstein, de Girsberg et de Rathsamhausen
acquirent la seigneurie, sans toutefois mettre un terme aux souffrances
des populations. Le château de la Roche (zum Steiri) continua à être
un foyer de terreur pour tout le pays. Ce ne fut qu'en 1469, après un
bombardement de huit jours, qu'il tomba sous les efforts réunis des
troupes de la ville impériale de Strasbourg et de celles du duc de Lor-
raine. La religion, pendant tout le cours du moyen âge, avait été
impuissante à conjurer les maux des pauvres habitants de cet âpre
district et à les affranchir de la triple servitude de la force, de l'igno-
rance et de la misère. Les princes palatins de. la maison de Valdence,
ayant hérité au quinzième siècle de la seigneurie, y introduisirent la
réforme en 1570, mais sans qu'elle portât tout d'abord les fruits que
l'on eût été en droit d'attendre. Le jovial curé de Rothau, Papellier,
s'était prêté sans difficultés à remplacer la messe par le prêche, mais
il n'avait guère changé ses mœurs dissolues ni réussi à exercer une
action sérieuse sur ses paroissiens. Les superstitions les plus grossières
étaient demeurées extrêmement vivaces dans ces vallons reculés, sans
communication avec la plaine. Le pasteur Nicolas Mermet, en 1632,
faillit être jeté dans la Bruche par les femmes de Fouday pour avoir
enlevé de l'autel une tête en bois de Jean-Baptiste, à laquelle elles
avaient l'habitude d'adresser leurs dévotions. Les procès de sorcellerie
se succédaient sans relâche. Le prince de Valdence, désireux d'y mettre
fin, fit donner la question au bourreau qui confessa avoir décapité
soixante-dix personnes, en une seule année, sur la Ba3rhœh qui sépare
Rothau de Fouday. Pendant la guerre de Trente Ans, la maladie et la
famine moissonnèrent impitoyablement les habitants qui s'étaient
réfugiés dans les bois par crainte des bandes des partisans. Il en resta
au plus quatre cents, disséminés dans les cinq villages et dans les nom-
breuses fermes de la montagne. Par le traité de Westphalie, le Ban de
la Roche passa à la France avec la garantie de la liberté religieuse pour
ses habitants protestants. Il formait alors deux paroisses, celle de Wal-
dersbach avec les annexes de Belmont, de Bellefosse, de Fouday et de
Solbach, et celle de Rothau avec les annexes de Neuvillers et de Wil-
dersbach; mais ce n'est qu'en 1700 qu'elles furent pourvues toutes
deux de pasteurs qui, pour la plupart, étaient originaires du pays de
Montbéliard. Toutefois, depuis 1726, on ne rencontre plus au Ban de la
Roche que des pasteurs alsaciens, ignorant la langue du pays et relégués,
le plus souvent, pour cause d'indignité, dans ces postes perdus dont
nul ne voulait. Des réunions de réveillés eurent lieu, à cette époque,
dans les villages : le sentiment religieux, qui ne peut être refoulé ou
contrarié impunément à la longue, demanda à la Parole de Dieu inter-
prétée par de simples paysans la nourriture qu'il ne trouvait point
BAN DE LA ROCHE 51
dans l'Eglise officielle, À lYxtinction de la maison de Valdence, la
seigneurie fut donnée par Louis XV à M. d'Argenvillers, intendant
de la province d'Alsace (1723), puis elle passa au président du parle-
ment, île Maisons; en 17()2, elle fut érigée en comté et donnée au mar-
quis Voyer d'Argenson ; enfin, en 1771, elle échut en partage au baron
de Dietiich, ammeister de Strasbourg. Ces fréquents changements
n'avaient guère été avantageux pour le Ban de la Hoche, les seigneurs
<jui s'étaient succédé n'ayant pas eu le temps de s'occuper des intérêts
matériels et moraux de leurs sujets. Leurs champs restaient en friche,
leurs prés livrés à l'incurie de la vaine pâture; eux-mêmes croupis-
saient dans l'ignorance et dans la misère, se nourrissant de fruits
sauvages et d'herbes cuites dans du lait. C'est de la philanthropie
chrétienne que devait leur venir le secours. Nous raconterons
ailleurs la vie et les travaux du pasteur Jean-Georges Stuber et de
son successeur, Jean-Frédéric Oberlin (voy. ces mots). Qu'il nous
suffise de dire ici que c'est grâce à leurs efforts, inspirés par le plus
pur zèle évangélique, que le Ban de la Roche se transforma comme
par enchantement, que des chemins le relièrent à la plaine, que le sol
fut cultivé et les prés irrigués, que l'industrie du tissage s'introduisit,
que des maisons d'école s'élevèrent dans chaque village, que la misère
disparut avec l'ignorance, que la moralité se développa avec la piété,
que les habitants du Ban de la Roche, par leur probité, leur amour de
l'ordre et du travail, leur esprit cultivé et naturellement porté aux
n ic» litations religieuses, conquirent une réputation qu'ils ont conservée
j u s( [ u ' à ce jour . — La Ré vol ution de 1 789 fut accueillie avec enthousiasme
dans ce petit pays, administrativement réuni, depuis lors, par une
assez bizarre anomalie, pour moitié au département du Bas-Rhin, pour
moitié à celui des Vosges. Au point de vue ecclésiastique, il releva, à
partir de 1802, du consistoire luthérien de Barr. En 1814 et 1815 les
corps francs du Ban de la Roche, sous la direction de leur chef Wolf,
arrêtèrent pendant plusieurs jours la marche des armées alliées. Le
retour de la paix ramena l'attention de ses habitants sur les œuvres
plus utiles de propagande religieuse et d'amélioration sociale. Sous la
puissante impulsion d'Oberlin, les habitants du Ban de la Roche prirent
la part la plus active à la diffusion de la Bible et des traités religieux,
ainsi qu'à la mission parmi les païens. Les dons de ces paysans peu
aisés faisaient souvent honte aux souscriptions des riches, d'autant plus
qu'ils ne se bornaient pas à des offrandes en argent, mais qu'ils en-
voyaient aussi des missionnaires. A partir de 1813, Oberlin fut secondé
dans son œuvre par une famille d'industriels, originaire de Bâle, qu
était venue s'établir à Fouday. Daniel Legrand (1783-1859) déploya un
zèle infatigable pour créer des écoles enfantines, pour supprimer ou
régler le travail des enfants dans les manufactures, pour améliorer la
condition des ouvriers par une loi internationale. Chrétien convaincu,
plein d'amabilité et de largeur, il avait trouvé, sans avoir jamais étudié
la théologie, la meilleure définition de l'Evangile. Sur la couverture
des petits traités qu'il faisait distribuer il avait fait imprimer ces sim-
ples mots : «Qu'est-ce (pie le christianisme? Jésus-Christ. » (Voy. F. Mon-
52 BAN DE LA KOCHE — BANGOR
nier, Notice sur Daniel Legrand, Paris, 1859). Le Ban de la Roche eut
la bonne fortune de voir se perpétuer les traditions d'Oberlin dans
une série de dignes pasteurs et d'industriels éminents, parmi lesquels
il suffira de nommer M. Gustave Steinheil, si connu par ses publica-
tions religieuses, où^la sève chrétienne la plus féconde se mêle à une
pensée vigoureuse et souvent originale, par sa participation à l'œuvre
des Amis de la Paix et de la solution évangéliquede la question sociale,
par les paroles vaillantes et généreuses qu'il a fait entendre, au lende-
main de nos désastres, à l'Assemblée nationale de Versailles ; M. Louis
Fallot, si zélé pour tout ce qui touche à l'œuvre des écoles, de l'évan-
gélisation et de la mission; Christophe Dieterlen enfin (1818-1875),
apôtre encore plus que fabricant, chrétien simple, sobre et vrai, en-
nemi des formes et des phrases, de l'ostentation et du bruit, auteur des
meilleurs traités populaires de langue française (voyez le recueil : V Ami
chrétien des familles, 2 vol. ; la Religion pure et sans tache, etc.), visi-
teur infatigable et discret des chaumières des pauvres, qui définissait
Jésus-Christ « un homme qui a eu pitié », et qui aimait les malheureux
avec une respectueuse sollicitude, comme le Sauveur les avait aimés.
Exilé volontaire du Ban de la Roche par suite de la conquête allemande,
après avoir élevé une noble et chrétienne protestation dans une lettre
adressée à son ami et admirateur, M. Bethmann-Hollweg, mais le cœur
brisé par cet arrachement, Dieterlen vint se dévouer à l'œuvre de l'é-
vangélisation des ouvriers de Paris et parler avec cette sobre puissance
qui le caractérisait dans les réunions d'appel des faubourgs. Il ne ré-
sista pas longtemps aux fatigues de cette vie dévorante, et suivant
le sévère exemple d'Oberlin, il rendit le dernier soupir en prononçant
ces mots : « Point dé raffinements. » Grâce à ces hommes de Dieu,
dont la semence n'est pas épuisée, le Ban de la Roche mérite d'occu-
per une place importante dans l'histoire de la vie religieuse contem-
poraine. Administrativement, il forme depuis 1852 un consistoire
spécial rattaché à l'Eglise de la confession d'Augsbourg d'Alsace-Lor-
raine, et dont le siège est à Rothau. En 1845 une cure officielle a été
créée à Neuvillers, en 1861 à Fouday, en 1875 à Wildersbach. La con-
sistoriale comptait, en 1868, 4 pasteurs, 7 temples, 23 écoles et
4,557 habitants. — Pour la bibliographie, voir l'article Oberlin.
F. LlCHTENBERGEE.
BANAIAS [Benaiàh, Benaja], fils de Joïada et capitaine des
gardes de David (2 Sam. VIII, 18). Il tua deux célèbres guerriers
(Luther traduit, d'après la Vulgate, deux lions) de Moab, un géant
égyptien armé de pied en cap et un lion tombé dans une citerne
(2 Sam. XXIII, 20 ss.).
BANGOR, ancien couvent près de Chester, en Angleterre, célèbre par
le grand nombre de moines qu'il abritait. On fait remonter sa fonda-
tion à une époque antérieure à l'arrivée de Germain d'Auxerre en Bre-
tagne, vers 429. A la fin du onzième siècle, ce couvent fut érigé en
archevêché. Il ne faut pas le confondre avec un autre couvent du
même nom, fondé vers 550 par saint Comogell dans la province d'Uls-
ter, en Irlande, d'où sortirent Colomban , Luan et d'autres moines à
BANGOR — BAPTÊME 53
l'esprit entreprenant et missionnaire (vov. Bède, Hist. ceci., liv. IJ,
cli. 2).
BANIER (Antoine) [1673-1741], néàDalet, en Auvergne, mort à
Paris. Après de brillantes études chez les jésuites de Glermont, réduit,
par la modicité de ses ressources, à accepter un préceptorat, il trouva
sa voie en expliquant avec son élève les poètes anciens. ^Explication
historique des Fables (1711, 2 vol. in-12) lui ouvrit Y Académie des ins-
criptions et belles-lettres, dont il fut l'un des membres les plus actifs.
Ramer ne cessa de remanier ce premier travail, qui reparut complète-
ment transformé en 1715, et dont l'édition définitive (Paris, 17)38,
\\ vol. in-4°) eut pour titre : la Mythologie et les Fables expliquées par
V Histoire. Sauf la révision de quelques éditions de Voyages et d'Histoire
littéraire, entreprise à la demande des libraires, il ne s'écarta jamais
de ses études mythologiques. Il donna en 1732 une traduction plus
exacte que poétique des Métamorphoses d'Ovide, dont les magnifiques
éditions se succédèrent jusqu'en 1807 sous divers formats. Il publia
enfin, avec l'abbé Le Mascrier, les Cérémonies et Coutumes religieuses
des différents peuples du monde (Paris, 1741, 7 vol. in-fol.), ouvrage
qu'il emprunta presque en entier à T. -F. Bernard, mais sans lui pren-
dre son irrévérence pour les cérémonies de l'Eglise romaine.
BANNEZ (Bannesius, Banès), Dominique, né à Valladolid en 1527,
mort en 1604, entra en 1544 chez les dominicains de Salamanque. Il
professa à Valladolid, à Alcala et à Avila, où il soutint la réforme de
sainte Thérèse, qui le prit pour son confesseur. Disciple zélé de saint
Thomas, il contribua puissamment à la condamnation des doctrines
«le Molina par l'inquisition espagnole. On a de lui des Commentaires
sur le Somme théologique de saint Thomas, des Traités de la Foi, de l'Es-
pérance et de la Charité, etc., etc.
BAPTÊME, l'un des sacrements en usage dans les Eglises chré-
tiennes. — I. Doctrine biblique. Selon toutes les probabilités, le baptême
«'tait chose inconnue aux contemporains de Jean, lorsqu'il commença à
prêcher la repentance et à baptiser sur les bords du Jourdain. C'est ce
que semble prouver le surnom de Baptiste qui lui fut donné à cette oc-
casion. Le baptême n'est pourtant pas sans analogie avec les lustrations
employées comme moyen de purification dans la plupart des religions.
Il est question dans l'Ancien Testament de lustrations de ce genre (Lé-
vit. XIV, 7; Nomb. XXXI, 21-24), de bains de purification dans le
Jourdain (2 Hois V, 10;. L'eau est un symbole de purification qui de-
\ait se présenter naturellement à l'esprit, et il n'est pas étonnant que
plusieurs prophètes aient employé cette image pour dépeindre le
changement de conduite qui devait s'opérer en Israël (Es. 1,16; Za-
char, XIII. i; Ezéch- XXXVI, 24-30). Ce sont probablement ces passages
de l'Ancien Testament qui ont donné à Jean-Baptiste l'idée du rite
qu'il inaugura sur les bords du Jourdain. D'après les Evangiles sy-
noptiques (Matth. III, 1-12; Marc I, 1-8; Luc III, 3-18), il annonçait
l'approche du royaume des cieux, prêchait la repentance eu vue du
jugement que le Messie devait exercer, et, connue symbole «!<• cette
repentance, il baptisait dans le Jourdain ceux qui venaient à lui cou-
54 BAPTEME
fessant leurs péchés. Bobct($biv veut dire plonger dans V eau; pa^-u^Oai et
PaTUTior^oç se disaient des ablutions ordonnées par la loi (Marc VU, 4,8;
Luc XI, 38; Hébr. IX, 10). BonurÇecOai (Matth. XX, 22, 23; Marc X,
38, 39 ; Luc XII, 50) signifie être submergé par une calamité, et a
pour synonyme dans les deux premiers passages metv to iwu^ptov. Ce
baptême était donc une simple immersion dans le fleuve , et cette im-
mersion elle-même n'était qu'un symbole de la purification intérieure
qui devait aboutir au pardon des péchés. Rien ne prouve que Jean-
Baptiste ni ses auditeurs aient attaché au baptême une autre idée, et
en aient attendu d'autres effets. On s'est beaucoup occupé du rapport
à établir entre le baptême de Jean et le baptême chrétien tel qu'il a
été établi postérieurement. Jean lui-même, au rapport des Synopti-
ques, a touché cette question : Pour moi, dit-il, je vous baptise d'eau,
mais celui qui viendra après moi vous baptisera d'Esprit saint et de
feu (Matth. III, 11; Marc I, 7; Luc III, 16), voulant indiquer par là
qu'il ne faisait qu'en appeler à la conscience et provoquer la repen-
tance, tandis que le Messie communiquerait aux hommes une force
nouvelle (comp. Act. I, 5; XI, 16; XIII, 24). Cette antithèse fut le
point de départ des différences qu'on établit ensuite entre l'ancienne
et la nouvelle alliance. En développant la doctrine du baptême chré-
tien, les Pères de l'Eglise furent naturellement amenés à chercher
en quoi le baptême de Jean en différait. D'après Tertullien, il pou-
vait conduire à la repentance, mais non produire le pardon des péchés
ou la communication du Saint-Esprit. Le baptême administré par les
apôtres du vivant de Jésus-Christ n'avait pas d'autre effet. Ce n'est
qu'après la mort et la résurrection de Jésus-Christ que le baptême
chrétien exista véritablement avec toutes les grâces qu'il confère à
ceux qui le reçoivent (de Baptismo, c. 10 et 11). Saint Augustin s'élève
contre ceux qui pensaient de son temps que le baptême de Jean con-
férait le pardon des péchés, sans toutefois communiquer le Saint-
Esprit, et déclare que ceux qui furent baptisés par Jean n'eurent qu'en
espérance le pardon de leurs péchés. Cette doctrine fut professée gé-
néralement dans l'Eglise, et adoptée par le concile de Trente (sess. VII,
can. 11). Les Eglises protestantes au contraire, sauf les sociniens et les
arminiens, attribuèrent au baptême de Jean la même efficacité qu'au
baptême chrétien. La solution de cette question , aujourd'hui du reste
sans importance, dépend surtout de l'idée qu'on se fait du baptême
chrétien lui-même. — Pendant que Jean prêchait ainsi la repentance,
Jésus vint se faire baptiser par lui. Ce fait, rapporté par les trois Synop-
tiques (Matth. III, 13, 17 ; Marc I, 9-11 ; Luc II, 21-22), n'est pas sans
offrir de grandes difficultés. Ceux qui venaient se faire baptiser par
Jean confessaient leurs péchés. Jésus a-t-il fait, et a-t-il eu besoin de
faire une confession semblable? Ce fait serait en contradiction avec la
sainteté parfaite que de bonne heure on attribua à la personne de Jésus.
Ou le baptême aurait-il eu pour lui, clans la pensée des rédacteurs des
Synoptiques, une autre signification que pour le peuple qui venait se
faire baptiser? Matthieu et surtout Luc mettent le baptême de Jésus sur
la même ligne que celui des autres personnes qui l'avaient reçu. De
BAPTÊME 55
plus, le baptême était administré en vue de la prochaine venue du
Christ : Jésus Ignorait-il qu'il était le Christ? Le rédacteur du premier
évangile a dû déjà pressentir ces objections et ces difficultés, car, d'a-
près lui, Jean refusa d'abord son ministère à Jésus (Matth. 111, 14,
passage qui se trouve en contradiction avec Jean I, 33). Enfin, c'est à
cette occasion que le Saint-Esprit descendit sur Jésus : y avait-il été jus-
que-là étranger 1 Ces difficultés, il est vrai, n'existaient probablement
pas pour ceux qui ont recueilli les premières traditions chrétiennes, et
viennent surtout de ridée que la spéculation postérieure s'est faite de la
personne de Jésus. Tant qu'on s'en tient à l'idée de la divinité de Jésus-
Christ et de sa sainteté parfaite, on peut, jusqu'à un certain point, ex-
pliquer les circonstances accessoires qui ont accompagné son baptême,
en considérant la descente du Saint-Esprit et la voix qui se fait entendre
du ciel comme une vision qu'aurait eue Jésus lui-même, d'après Mat-
thieu et Marc, ou Jean, d'après le quatrième évangile (J, 32-34), encore
faut -il remarquer que la relation de Luc s'oppose formellement à une
pareille interprétation; mais le fait même du baptêmede Jésus demeure
inexplicable et incompréhensible (Eck, Le bapt. de Jésus. Revue de théol.,
3 sér., vol. 2, p. 150). C'est pour cela que beaucoup de théologiens mo-
dernes admettent de préférence la version du quatrième évangile, et ne
voient dans toute cette scène qu'une vision de Jean-Baptiste destinée à
lui faire connaître Jésus comme le Messie, ce qui fait disparaître la dif-
ficulté, le quatrième évangile ne disant pas un mot du baptême de Jésus.
d se met. au contraire, au point de vue de la première tradition chré-
tienne, les principales difficultés du récit des Synoptiques disparaissent:
le baptême de Jésus a pour but de l'introduire dignement et puissamment
dans le ministère qu'il va commencer ; c'est pour lui comme une consé-
cration spéciale au service de Dieu dont il sent désormais la puissante
influence au dedans de lui (voy. Reuss, Hist. évangél., p. 170). Quel-
ques Pères de l'Eglise et l'Eglise catholique elle-même admettent que
Jésus, lors de son baptême, a sanctifié l'eau par le contact de son corps,
et la rendue ainsi propre à produire les merveilleux effets du sacre-
ment (Jérôme, Com. in 3 cap. Matth.; August., sermo 36, de JempL;
Catech. Hom., de Baptismo, § 20) . — Il n'y a pas dans le Nouveau Testa-
ment de doctrine systématique concernant le baptême. Il n'en est
question dans le livre des Actes que lorsque le récit des événements
amène naturellement la mention du baptême ; les auteurs des épitres
h \ [ont que des allusions qui ne nous renseignent pas suffisamment
sur l'idée que s'en faisaient les contemporains, et dont quelques-unes
mtenl de grandes difficultés d'interprétation. D'après Jean III, 22,
2h. Jésus administra le baptême, ou plutôt le lit administrer' par ses
disciples (Jean IV, 2), comme Jean l'avait fait pendant son ministère.
Les S> ooptiques ne l'ont pas mention de ce fait. Ce n'est qu'à la fin des
derniers chapitres que les deux premiers évangiles relatent la recoin-
main lai ion de. fésusà ses a pu très, au moment de les quitter: Allez et bapti-
se/ toutes les Dations (Matth, XXVIII, 19; Marc XVI, 10). Rienneprouve
même que les apôtres eux-mêmes aient été baptisés. La réalisation de la
paroi. ide.Jean-JJaptiste: Celui qui vientaprèsmoi vousbaptisera d'Ksprit
50 BAPTÊME
saint et de feu, semble d'après Aet. 1,5, être restreinte aux seuls apôtres,
et ne concerner que les événements qui eurent lieu le jour de la pre-
mière Pentecôte. A partir de ce jour-là, cependant, le baptême devient
habituel dans l'Eglise, mais il ne semble pas que ce baptême ait été à
l'origine autre chose que le baptême institué et administré par Jean-
Baptiste. Il fut certainement considéré dès cette époque comme un rite
d'introduction dans l'Eglise : les trois mille personnes qui furent bap-
tisées ce jour-là furent admises (7cpoffETé0rj<rav, Act. II, 41; cf. Y, 14)
par le fait même de leur baptême dans la nouvelle communauté. Mais
on ne peut établir avec la même certitude l'idée que les apôtres et les
fidèles se faisaient de la portée et de l'efficacité du baptême. L'idée du
pardon des péchés est étroitement rattachée à celle du baptême (Act.
II, 38: XXII, 16), mais le considérait-on comme un simple symbole,
ou comme une condition de ce pardon? Cette dernière idée n'aurait
rien eu que de très-naturel à une époque où bien des idées supersti-
tieuses avaient cours, et ce pouvoir attribué à un rite religieux n'aurait
froissé personne. Mais rien ne prouve que les chrétiens de l'âge apos-
tolique aient eu cette idée-là. Les passages comme 1 Cor. VI, 11;
Ephés. V, 26; Hébr. X, 22; Jean III, 5, peuvent sans doute être
considérés comme se rapportant au baptême, mais on peut fort
bien ne voir dans les mots à-sXctaasÔs, tw XcuTpw xoX> uBatcç, pspav-
Tia^évot, etc., que des expressions figurées; l'expression o-.à Xuipou t.z-
7aYY£vea(aç (Tit. III, 5) peut être également entendue dans le sens
propre et dans un sens figuré. Ce qui est certain, c'est que l'apôtre
Paul fait souvent allusion au baptême dans un sens figuré : Vous tous
qui avez été plongés (iôa-TisÔiçTs, Gai. III, 27) en Christ, vous avez
revêtu Christ; et ailleurs : Nous sommes ensevelis en sa mort parle
baptême (Rom. VI, 3, 4) . Dans un autre passage l'image est plus complète :
L'immersion dans l'eau du baptême est l'ensevelissement avec Christ (en-
sevelissement du vieil homme) , et la sortie de l'eau est la résurrection avec
Christ (résurrection du nouvel homme ; Col. II, 12). Toutes ces expres-
sions sont si bien des images dans la pensée de l'apôtreque, dans le verset
précédent, il emploie pour exprimer sa pensée une autre image, celle
de la circoncision (Col. II, 11). Tous ces passages tendent à nous faire
considérer le baptême apostolique comme un pur symbole, comme une
image de la régénération intérieure produite par la repentance et la
foi. Un autre fait, la communication du Saint-Esprit, semble, d'après
certains passages des Actes, dépendre du baptême. Que chacun de vous,
dit Pierre le jour de la Pentecôte, soit baptisé au nom de Jésus-Christ
pour obtenir la rémission des péchés, et vous recevrez le don du Saint-
Esprit (Act. 11,38). Un autre récit semble encore plus significatif. Paul
rencontre à Ephèse des disciples qui n'avaient reçu que le baptême de
Jean, et qui n'avaient pas même entendu dire qu'il y eût un Saint-
Esprit. Quel baptême avez-vous donc reçu? leur dit-il. Ils furent alors
baptisés au nom de Jésus-Christ, et après que Paul leur eut imposé les
mains, ils reçurent le Saint-Esprit (Act. XIX, 1-7). Ce passage semble
prouver que les manifestations extraordinaires (ib. vers. 6) qui consta-
taient la présence du Saint-Esprit, accompagnaient habituellement le
BAPTÊME :>7
baptême ou plutôt l'imposition des mains qui suivait le baptême. Mais
H résulte d'autres passages du livre des Actes que la communication
du Saint-Esprit ne dépendait pas absolument du baptême. Pendant que
Pierre annonçait l'Evangile à Corneille et aux personnes qui se trou-
vaient avec lui, le Saint-Esprit descendit sur ses auditeurs, avant qu'ils
eussent été baptisés (Act. X, 14 ss.). Ailleurs nous lisons que Philippe
avait baptisé les Samaritains au nom du Seigneur Jésus, sans qu'aucun
d'eux reçût le Saint-Esprit. Ce n'est qu'à l'arrivée de Pierre et de
Jean, et après que les apôtres eurent prié et leur eurent imposé les
mains, que le Saint-Esprit Leur fut communiqué (Act. VIII, 14-17). Userait
téméraire de rien conclure de positif à cet égard, et si nous trouvons
quelque lumière sur cette question, ce n'est pas dans les passages qui
précèdent, c'est dans l'esprit général des écrits du Nouveau Testament.
Or il ressort de l'ensemble de la prédication apostolique que c'est la
foi en Jésus-Christ qui produit et le pardon des péchés et la communi-
cation du Saint-Esprit, et que la pensée générale, à l'égard du baptême,
était celle qu'exprimait l'apôtre Pierre : le baptême qui sauve n'est
pas celui qui ôte les souillures du corps, mais l'aspiration d'une bonne
conscience vers Dieu (1 Pierre III, 21). Un seul passage des épitres de
saint Paul semblerait en contradiction avec cette interprétation. C'est
le fameux passage 1 Cor. XV, 29 : Que feraient, ou que gagneraient ceux
qui se font baptiser pour les morts, ùizïp tcov vev.pwv, si les morts ne
ressuscitent pas? Ce verset, qui a été interprété de tant de façons,
semble signifier que le baptême était alors conféré à des vivants au
bénéfice de chrétiens morts sans avoir pu recevoir le rite sacré, que
cette coutume était assez générale, dans l'Eglise de Corinthe du moins,
pour que la simple allusion de l'apôtre fût facilement comprise, et qu'il
ne la désapprouvait pas, puisqu'il en fait un argument en faveur de la
résurrection. Une pareille coutume a existé en effet chez quelques sectes
hérétiques (Tertull., adv. Marc, V, 10; Epiph., Hx?\, XXVIII, ch. 6);
mais on n'a aucune autre preuve qu'un baptême par procuration de
ce genre ait existé dans l'Eglise elle-même. En tout cas, ce fut de
bonne heure une règle dans l'Eglise de ne baptiser que des vivants.
Les autres explications qu'on a données de ce texte sont invraisem-
blables, ou forcées, ou inacceptables pour des raisons purement gram-
maticales. Le baptême administré sur le tombeau des martyrs, usage
qui a existé plus tard, n'était pas possible à cette époque. Le texte ne
peut signifier ni se faire baptiser en confessant le dogme de la résur-
rection, ni être baptisé au nom des morts, ni pour la mort, en vue
de l'approche de la mort, ni à l'avantage des morts, c'est-à-dire pour
rapprocher le moment de la parousie en augmentant le nombre des
chrétiens, etc. Si l'interprétation que nous avons donnée en premier
lieu, et qui est la seule qui s'accorde avec le texte, est la bonne, il en
résulterait qu'on attribuait déjà du temps de l'apôtre Paul, et de son
aveu, une importance assez grande au rite extérieur du baptême, pour
chercher les moyens de l'aire jouir les chrétiens morts non baptisés des
prérogatives qu'on y attribuait, et ce seul fait, à moins qu'il n'ait été
particulier à une ou à quelques Eglises locales, suffirait pour modifier les
58 BAPTEME
idées que nous avons émises sur le baptême des temps apostoliques. Nous
devons faire remarquer toutefois que si cette explication est la plus vrai-
semblable, elle n'est pas nécessairement vraie, et qu'on ne peut guère tirer
de conclusions fondées d'un passage aussi obscur et aussi énigmatique.
A l'époque apostolique, le baptême était administré par immersion et
était suivi de l'imposition des mains (Act. VIII, 17; XIX, 5, 6). Il est très-
probable qu'il n'était conféré qu'aux adultes. Jean baptisait après une
confession des péchés, et les apôtres eux-mêmes n'administraient le
baptême qu'à ceux qui se repentaient de leurs péchés ou chez lesquels
le désir du baptême faisait supposer larepentance (Act. II, 38). Le pas-
sage 1 Cor. 1,16: « J'ai baptisé la famille Stéphanas, » ne prouve pas
qu'il y ait eu des enfants dans cette famille, ni, s'il y en avait, qu'ils
aient été aussi baptisés. 11 en est de même des passages Act. XV, 15,
32, 33, qui ne font pas expressément mention que de petits enfants
aient reçu le baptême , et qu'on ne saurait invoquer en faveur de l'ori-
gine apostolique du pédobaptisme. L'idée de baptiser des enfants ne
pouvait venir à une époque où la repentance et la foi jouaient encore
le grand rôle dans l'affaire du salut. L'apôtre Paul suppose d'ailleurs
que les enfants des chrétiens sont purs sans qu'il soit nécessaire de
les baptiser, par le fait même de leur origine (1 Cor. VII, 14), et qu'ils
appartiennent à l'Eglise avant même d'y avoir été introduits officielle-
ment par le rite initiateur. Quant à la formule employée , les écrits
apostoliques sont unanimes à dire qu'on administrait le baptême au
nom de Jésus-Christ (exi t<o ovopari 'Ivjdoy Xpiorou, Act. II, 38; elq to cvo^a
tou Kjpioj Tyjsou, Act. VIII, 16; h tÇ> ovqjjwcti tgu Kupiou, X, 48, etc.). La
formule sic XpiGrov (Rom. VI, 3) est plutôt une interprétation particulière
du baptême qu'une formule qui aurait été employée dans l'administra-
tion du rite. On trouve Matth. XXVIII, 19 , la formule plus complète
zlç to cvojj.a tou Ilarpoç xal toO YfoD" xal tou àyioj nv£iS^aTO£, donnée par
Jésus-Christ lui-même au moment où il institua le baptême. Comment
se fait-il, si cette formule a été donnée par Jésus-Christ lui-même dans
une circonstance aussi solennelle, qu'on n'en retrouve pas trace dans
tous les récits de baptêmes du Nouveau Testament ? La première for-
mule est-elle, comme on l'a supposé, non une formule de baptême,
mais une simple manière de désigner le baptême chrétien pour le dis-
tinguer du baptême de Jean? Cela est peu probable, et cette tentative
d'explication ne fait pas disparaître la difficulté. Les Pères de l'Eglise
ont déjà remarqué cette différence, et Cyprien, entre autres, a cherché
à l'expliquer en disant que la formule simple était usitée seulement
chez les Juifs , parce qu'ils connaissaient déjà le Père , et qu'il n'était
pas nécessaire de les baptiser en son nom (Ep. LXXIII, cap. 17, 18).
L'Eglise catholique, tout en mettant en doute que les apôtres aient
réellement baptisé au nom de Jésus-Christ, explique pourtant qu'ils
ont pu le faire, sous l'inspiration du Saint-Esprit, pour donner, dans
les premiers temps de l'Eglise, plus d'éclat au nom et à la personne de
Jésus-Christ (Cat. Rom., de Baptismo, §§ 15, 16). Il est probable que la
formule plus complète n'a été usitée que plus tard, et que c'est seule-
ment alors qu'elle a passé dans le texte du premier évangile. L'admi-
BAPTEME 59
oistration du baptême ne paraît pas avoir été l'objet d'une fonction
spéciale au temps apostolique. Nulle part nous ne voyons que les
apôtres ou les diacres seuls aient été chargés de ce soin. L'apôtrè
Paul se félicite d'avoir baptisé peu de personnes à Corinthe, Jésus
lavant envoyé non pour baptiser, mais pour prêcher l'Evangile
(1 Cor. I, 11). Probablement les apôtres baptisaient dans leurs voyages
de mission les premiers convertis, et ceux-ci baptisaient les autres. Il
n'est pas non plus impossible que, dès que les Eglises furent organi-
sées et eurent à leur tête des anciens, ceux-ci n'aient été, par mesure
d'ordre, spécialement chargés de baptiser les nouveaux convertis.
II. Doctrine catholique. — Ces idées saines ne persistèrent pas long-
temps dans l'Eglise, et onne tarda pas à attribuer au baptême un pouvoir
magique et à le considérer comme une condition essentielle dusalut. Le
premier de ces effets merveilleux fut le pardon des péchés commis au-
paravant. D'après Barnabas, le néophyte entre dans l'eau tout couvert
de péchés et en sort riche en fruits de justice (Ep., cap. 11). Hermas
dit «pie l'eau du baptême purifie [Past., lib. I, Vis. III, c. 3). Pour Justin,
être baptisé est synonyme d'être régénéré. Tertullien représente les
chrétiens comme des poissons qui sont nés dans l'eau, qui nagent à la
suite du grand poisson, et qui ne peuvent être sauvés qu'en restant
dans l'eau (de Bapt., c. 1). Un autre résultat du baptême est la
communication du Saint-Esprit (pe?' baptisma Spiritus Sanctus accipi-
tur, Cyprien, Epist. LXVIII ; Justin, Dial., c. 29). Enfin l'effet le plus
merveilleux est que l'àme, mortelle par sa nature, acquiert l'immorta-
lité par 1» baptême. Cette singulière idée se trouve déjà chez Hermas:
Echus à la mort, dit-il, les hommes entrent dans l'eau du baptême; ils
• H sortent destinés à la vie (lib. III, simil. IX, c. 16-18). L'homme re-
voit de nouveau l'Esprit de Dieu, reçu une première fois du souffle de
sa bouche et perdu par le péché, et devient par là immortel (Tertull.,
de Buptismo, c. o. Voy. lrénée, adv. Hœres., lib. III, c. 17). Grégoire
de Nysse rapporte seulement à l'àme l'immortalité qui résulte du bap-
tême : le corps reste mortel à cause du péché, mais il devient capable
de résurrection par l'union avec le corps de Christ dans la sainte-cène.
Gettc puissance magique du baptême est expliquée soit par les proprié-
tés physiques et cosmiques de l'eau (l'eau, d'après Tertullien, est une
substance primitive ; le monde est sorti de l'eau ; l'homme a été fa-
çonné avec de l'argile encore humide ; sa vie supérieure sort de même
de l'eau du baptême, de Bapt., c. 2), soit par l'union mystique de l'eau
iv.i l'Esprit de Dieu. De même qu'au commencement l'Esprit de Dieu
planait sur les eaux , ainsi l'eau du baptême reçoit la force sanctifiante
par l'invocation de l'Esprit de Dieu (de Bapt., c. 3). D'après Cyprien,
l'eau u'est pas seulement sanctifiée par l'Esprit, mais l'Esprit s'unit à
l'eau pour lui communiquer sa puissance sanctifiante (Ep. LXX, 2;
LXXIV, 5). Clément d'Alexandrie dit que la force et l'Esprit du Logos
s'unissent à l'eau, qui devient un u&5p Xoyuccv (Co/wrt., 79). A côté de
la croyance en ces merveilleux effets du baptême, on rencontre, il est
vrai, une doctrine plus sobre. Plusieurs Pères de l'Eglise établissent
une différence entw le signe et la force agissante. Grégoire de Nazian/e
60 BAPTÊMK
distingue dans le baptême une double purilication : Tune typique, pro-
duite par l'eau du baptême, l'autre véritable et réelle, produite par
l'Esprit {Or. 40). Saint Jérôme exige la foi comme condition essentielle
des effets salutaires du baptême : « Qui non plena fide accipiunt
baptisma, non SpiritUm, sed aquam accipiunt » (Knarrat in Ps., 77).
Les effets du baptême sont proportionnés aux dispositions morales
avec lesquelles on le reçoit. On trouve surtout chez les Pères grecs
Tidée que le baptême est non l'accomplissement, mais le commen-
cement de la. régénération, qui ne peut s'achever qu'avec la coo-
pération du lidèle. Origène nomme le baptême le commencement et
la source des dons de Dieu (Nom. in Luc, XXI). Mais cette idée
élevée du baptême était loin d'être partagée par tous les chrétiens.
La plupart des fidèles, surtout depuis l'introduction dans l'Eglise
d'un grand nombre de païens convertis, penchaient vers les idées
superstitieuses, et attendaient du baptême des effets magiques, et le
pardon complet de tous leurs péchés indépendamment de leurs dis-
positions morales. Dès le commencement du quatrième siècle, la cou-
tume s'établit de différer le baptême le plus longtemps possible, et
même jusqu'aux approches de la mort, dans l'espoir de mourir, même
après une vie dissolue, dans un état de pureté sans tache. C'est ce que
fit, au rapport d'Eusèbe, l'empereur Constantin lui-même (Vit. Const.,
lib. IV, c. 62). D'autres motifs contribuaient au même résultat : les uns
reculaient devant le renoncement qu'exigeait la pratique du christia-
nisme, et la difficulté des pénitences infligées par l'Eglise à ceux qui
retombaient dans leurs anciens errements; d'autres désiraient être bap-
tisés un jour de fête, en présence d'une assistance considérable; d'au-
tres, plus sérieux, craignaient de compromettre par une faute la grâce
reçue par le baptême, ou désiraient se préparer d'une manière plus
complète à cet acte décisif. Tertullien remarque que ceux qui compre-
naient l'importance du baptême, craignaient plus de le recevoir que
de le différer (de Baptis.,\, 18). Grégoire de Nysse (Orat. izpbq ~ohq gpa-
&t5vovraç ~b ga::T'.7[j.a) et Grégoire de Nazianze (Or. 40) se prononcèrent
contre cette coutume dans des discours spéciaux. Ce dernier fait
valoir en faveur du baptême non différé l'incertitude de la vie, le bon-
heur que donne le baptême, et dont les catéchumènes ne peuvent con-
naître que l'avant-goût. En même temps se répandait chez les chrétiens,
sauf chez quelques sectes gnostiques (Théodoret, Hœrctic. fabul., lib. I,
ch. 10), l'opinion que le baptême était absolument indispensable au salut.
Il n'y avait d'exception qu'en faveur du martyre, et le baptême du sang,
auquel on attribuait une efficacité complète, pouvait seul suppléer le
baptême d'eau (Tertull., deBapt.,c. 16; ApoL, ch. 49; Origène, Exhort.
ad Mart.fc.3Q', Cyprien, Epist. LXXIII, etc.). Grégoire de Nazianze le
considère même comme plus efficace, carie chrétien mort martyr ne peut
plus être souillé par de nouveaux péchés (Or. 39). Mais le martyre des
chrétiens catholiques avait seul cet effet. Quant aux catéchumènes morts
pendant leur catéchuménat, on pensait alors que le projet et la volonté
de recevoir le baptême équivalaient au baptême lui-même (Ambros.,
Orat. in ohit. Valent.). La foi en la nécessité du baptême pour le salut
BAPTÊME 01
c'était pas sans amener quelques difficultés : quel était le sort réservé
aux justes morts avant Jésus-Christ, et qui, sans qu'il y ait eu de leur
faute, n'avaient pu recevoir le baptême? Déjà iïermas l'ait descendre les
apôtres dans lelîadès pour y baptiser les patriarches et les justes de l'an-
cienne alliance, el Clément d'Alexandrie pense même qu'ils y baptisèrent
aussi les païens vertueux | J'astor, sim. IX, c. 16; Clém. d'Alex. , Stro-
matest lib. 11. e. 9; VI, c. 6). Plus tard, on pensa qu'il existait déjà des
sacrements dans l'ancienne alliance, que la foi au Sauveur futur suffi-
sait pour le salut, et on ne se préoccupa plus de cette question. Une
autre conséquence de la croyance à la nécessité du baptême, fut l'usage
de baptiser les enfants nouveau-nés. Il est impossible, faute de docu-
ments suffisamment clairs, de dire d'une façon précise à quelle époque
cette coutume s'établit dans l'Eglise. Le premier indice qu'on a cru
trouver du baptême des enfants est une phrase d'Irénée dans laquelle
il n'est pas spécialement question du baptême. Après avoir dit que le
Christ est venu pour sauver tous les hommes, il ajoute : « Omnes, in-
quant* qui per eum renascuntur in Deum : infantes, parvulos, juvenes,
teniores. Ideo per omnem venit ivtatem, et infantibus infans factus sanc-
ti/icans infantes; in parvulis parvulus, sanctificans hanc ipsam habentes
setatem, et exemplum illis pietatis effectus et subjectionis. » (Adv. kœres.,
lib. Il, c. 22, § 4). Mais il n'est pas certain qu'Irénée fasse ici allusion
au baptême, quoiqu'à ses yeux la régénération dépende étroitement du
baptême. Je dirai même que pour trouver dans cette phrase le baptême
des enfants, il faut commencer par l'y mettre. Il en est de même du
passage <>ù Justin parle de personnes qui dès l'enfance ont été disciples
de Jésus-Christ (Apol., I, 15) : il renferme plutôt une allusion au caté-
chuménat qu'au baptême des enfants. Le premier indice certain de
^existence de cette coutume est l'opposition qu'y litTertullien : « Cane-
tatio baptismi utilior est, praecipue tamen circa parvulos » (de Bapt.,
c. 18 . Cette opposition prouve que le baptême des enfants était pratiqué
de m m temps, mais que cet usage ne datait pas de loin, et que Tertul-
lien ne le croyait pas d'origine apostolique; il y voyait un abus,
et il demande qu'on en revienne à l'ancienne coutume de ne baptiser
les néophytes que quand ils sont en état de connaître Jésus-Christ :
« Veniant ergo dum a/Jolescunt, veniant dura discunt, dum quo veniant
docentur; fiant christiani eum Christian nosse potuerint » (ibid.). A la
même époque (tin du deuxième siècle), le baptême des enfants était
déjà généra] en Egypte au rapport d'Origène, qui fait remonter cette
coutume aux apôtres eux-mêmes (in Epist. ad. liant., lib. V., ch. 9),
<t qui la justifie en en montrant la nécessité. Il voit, en effet, dans la
naissance même une souillure que le baptême doit faire disparaître (in
Lue. Evang. fa, mil.. XXV) et déclare que le baptême est nécessaire
aux enfants parce qu'ils ont aussi besoin de pardon (mLevit.hom., VIII).
Malgré l'opposition de Tertulïien, la coutume de baptiser les enfants
se répandit de plus en plus en Afrique et dans la chrétienté tout en-
tière. On tomba bien vite d'accord sur la nécessité ou l'utilité dr ee
baptême, quoique les raisons qu'on en donnait ne tussent pas toujours
les mêmes, les uns. comme Origène, pensant que le baptême efface chez
62 BAPTÊME
les enfants les péchés commis dans une vie antérieure, ou la coulpe
léguée par Adam (Cyprien, ity. LXIV, 5), d'autres que le baptême pro-
duit surtout son effet dans la vie postérieure (Grégoire deNaz.), d'autres
enfin admettant les deux raisons à la fois (Isidore dePeluse, Théodoret,
Théod. de Mopsveste, etc.). Le seul différend qui s'éleva à ce sujet
porta sur la question de savoir si on devait baptiser les enfants dès leur
naissance ou admettre un délai de huit jours. Un synode présidé par
Cyprien décida (252) que le baptême doit être administré dès la nais-
sance (Cypr., Epist. LIX). Cette coutume rencontra quelque résistance
en Orient, mais s'établit sans difficulté dans les Eglises latines. Quant
aux possédés et aux énergumènes, Cyprien pense qu'on peut les bap-
tiser, parce que le diable qui les obsède peut être expulsé par le baptême
(Ep. LXIX, c. 15); mais l'avis le plus général est qu'il ne faut adminis-
trer le baptême à des personnes privées de leur bon sens que dans des
cas de nécessité urgente. Malgré la croyance en la nécessité absolue du
baptême pour le salut, on admettait des différences dans le sort de
ceux qui mouraient sans l'avoir reçu. Grégoire de Nazianze distingue
trois cas : ceux qui ont refusé le baptême par impiété ou mépris du
rite sacré sont punis de châtiments plus rigoureux ; ceux qui l'ont dif-
féré par ignorance ou insouciance subissent des peines plus légères ;
enfin les enfants morts sans baptême ne sont pas punis, mais sont pri-
vés de la gloire divine (Or. 40, 23). L'usage de baptiser les enfants
donna naissance à la fonction des parrains (àvàSo^oi, sponsores, fide-
jussores, fidedictores, suscepto?*es, etc.). Tertullien est le premier qui
en fasse mention (de Bapt., c. 18). Les enfants étant incapables de
confesser leur foi et de prendre eux-mêmes les engagements du bap-
tême, il était nécessaire que quelqu'un le fit pour eux, et pût au besoin
témoigner que le baptême avait eu lieu. Ce furent les parents eux-
mêmes qui remplirent d'abord cette fonction; mais le concile de
Mayence (813) défendit cet usage. La règle, dans l'ancienne Eglise,
avant que la coutume de différer le baptême quelquefois jusqu'au lit de
mort se fût établie, était de baptiser par triple immersion. « Non semel,
dit Tertullien, sed ter ad singula nomina in personas singulas tingui-
mur » (adv. Prax., c. 26). Mais quand on dut baptiser des malades et
des mourants (clinicï), ce rite n'était pas praticable. On baptisa donc
exceptionnellement, dans ces cas-là, par infusion ou par aspersion répé-
tée trois fois. Cette coutume eut toutefois bien de la peine à s'établir,
et fut longtemps regardée comme insuffisante (Eusèbe, Bât. écoles.,
lib. VI, c. 43. Voy. Suicer, Thésaurus ecclesiasticus, au mot y.X:vntéç).
Pourtant Cyprien regardait comme valable le baptême par aspersion
donné ei] cas de nécessité urgente (Ep. LXIX, ad Magnum, c. 12 ss.).
Le baptême était suivi de quelques rites symboliques destinés à en
mettre en lumière les salutaires effets. On présentait d'abord au nou-
veau baptisé du lait et du miel (Tertull., de Coron, milit., 3), pour in-
diquer qu'il était désormais enfant de Dieu; venaient ensuite l'onction
(Id., deBapt., 7), symbole du sacerdoce spirituel, puis l'imposition des
mains, coutume apostolique qui, après l'établissement de l'épiscopat,
fut réservée aux seuls évoques. Les néophytes recevaient des vêtements
BAPTEME 63
blancs et une sorte de diadème, en place des vêtements dont ils s'étaient
dépouillés avant le baptême (Et»., de Vit. Const., IV, ()2 ; August.,
/•//,. XXXIV, 8). En Orient ils ceignaient tours reins (allusion à Luc XII, 35)
et recevaient une couronne consacrée; en Occident on leur mettait un
cierge allumé à la main (allusion à la parabole des Vierges sages et des
Vierges folles ou à Luc Xll, 35). — Les idées d'Augustin sur le baptême
sont très-importantes, car elles ontété adoptées par la scolastique et ont
passé presque sans modifications dans la doctrine définitive et officielle
de l'Eglise romaine. Il est donc nécessaire de les examiner à part et
dans leur ensemble. Il fut amené à les développer dans sa lutte contre
les donatistes, puis dans celle qu'il soutint contre les pélagiens. Le
point de départ de sa doctrine est dans sa théorie de l'Eglise.
L'Eglise catholique est pour lui le corps du Christ dont les fidèles sont
les membres; c'est dans ce corps seulement que son Esprit agit; il ne
peut v avoir qu'en elle une communia sanctorum. [Il n'y a pas de salut
possible pour les isolés, parce qu'il ne peut y avoir ni communication
ilu Saint-Esprit, ni part à la vie du Christ pour ceux qui ne sont pas
incorporés à son corps qui est l'Eglise. C'est cette incorporation qui est
produite par le baptême. Delà son absolue nécessité. Augustin distingue
entre le sacrement et son contenu (res sac?'amenti). Le sacrement est le
baptême lui-même ; son contenu est l'action de l'Esprit dans l'âme du
fidèle : tous deux, ensemble produisent la régénération (dePeccat. mont,
et remiss., III, 4, § 7). La régénération comprend le pardon des péchés
■ min, h retustatë), que le Saint-Esprit doit produire d'abord, parce
qu'il ne peut habiter que dans uncœurpur (de Bapt., I, 11, § 16), et la
vivitieation de toutes les forces naturelles par l'effusion du Saint-Esprit.
Dans les ouvrages d'Augustin contre les donatistes et surtout dans son
livre de Baptismo, les péchés dont le baptême assure le pardon sont
surtout les péchés actuels dont les hommes se sont rendus coupables.
Dans ses ouvrages postérieurs il a surtout en vue le péché originel et en
même temps, par surcroit, les péchés actuels. Le but essentiel du bap-
téme est donc, dans cette manière de voir, d'effacer le péché originel.
La concupiscence qui, avant le baptême, est considérée comme un
péché, n'a plus la même gravité après ; elle demeure pourtant dans le
cœur de l'homme, non comme quelque chose de substantiel, mais
i <>i h me une maladie qui vas'afïaiblissant, mais qui ne disparaîtra tout à
fait que dans l'état glorieux (de Nupt. et Concupis., lib. I, c. 25, § 28;
c.2&,| 29). Le baptême ne produit pas un simple effet rétroactif : non-seu-
lement les péchés passés, mais les péchés postérieurs sont remis à celui
qui reçoit le sacrement. Le baptême est donc la condition objective de
la régénération; la condition subjective est la conversion (repentance
et Inii. Les conditions peuvent exister l'une sans l'autre : le baptême
peut être administré à un non converti, et un converti peut ne pas re-
cevoir le baptême. Augustin admet d'abord que, dans certains cas, le
défaut d'une de ces conditions peut n'être pas préjudiciable au salut :
le baptême sans repentance peut suffire chez un enfant mourant, et la
repentance sans le baptême chez des catéchumènes morts avant d'avoir
pu être baptisés. La grâce de Dieu supplée à ce qui manque, et Augus-
64 BAPTEME
tin cite à ce propos l'exemple du brigand sur la croix. Mais il n'admet
cela qu'en des cas d'absolue nécessité (de Boptismo, IV, 22-25). Plus tard,
il se montre plus rigide et déclare le baptême indispensable, car c'est par
le baptême qu'on est incorporé à l'Eglise, hors de laquelle il n'y a pas de
salut possible (Ep. CLXXXV, c. II, § 50; Ep. CXCIV, c. IV, § 18).* Dans ses
Rétractations, il émet l'hypothèse que le brigand à qui Jésus promit le pa-
radis devait avoir été baptisé (voy. aussi de Anima et ejus origine, 1,11; II,
14-16), et ailleurs il déclare qu'un catéchumène mort avant le baptême
ne peut être sauvé (dePeccat. mertl.',.1, 86, 42). Le martyre seul peut rem-
placer le baptême, et seulement lorsqu'il est souffert pour l'Eglise catho-
lique. D'un autre côté, les impies qui reçoivent le baptême en éprouvent
les effets extérieurs : ils sont incorporés à l'Église, à laquelle ils appar-
tiennent désormais, mais cela ne leur sert à rien pour le salut. Il en est
de même du baptême reçu des mains des hérétiques ou des schismati-
ques, quand on pouvait le recevoir de la main d'un catholique. En gé-
néral, nul ne peut être sûr du pardon de ses péchés s'il n'a reçu que le
sacrement du baptême, s'il ne se sent pas converti, s'il ne pardonne pas
afin qu'il lui soit pardonné (de Rapt., VI, 32, §02). Toutefois, le baptême
une fois administré est valable, et il n'est pas nécessaire de l'administrer
une seconde fois. Lorsque les impies se convertissent, il n'y a qu'à leur
imposer les mains pour qu'ils reçoivent le don de l'esprit qui pardonne
les péchés et l'amour qui les couvre (ibid., III, 16, §21 ; VI, 3, §8; 5, § 7).
Augustin a toujours admis le baptême des enfants, mais les motifs sur
lesquels il se basait ont quelque peu varié. Il le justifia d'abord en
disant que chez l'enfant le sacrement peut précéder la conversion,
comme chez Isaac la circoncision précéda la foi ; que la grâce de Dieu
supplée à ce qui manque; il suffit que quelqu'un réponde pour eux,
ce qui ne serait pas le cas pour un adulte. La foi des parents, des par-
rains, de toute l'Eglise, tient lieu au nouveau-né de celle qu'il ne peut
avoir encore (de Peccat. merit., III, ch. 2). L'enfant mort baptisé est
donc sauvé. Il y joignit de nouveaux arguments lorsque la doctrine du
péché originel joua un grand rôle dans sa dogmatique. L'enfant a con-
tracté le péché originel dès avant sa naissance ; il a besoin d'être régé-
néré et délivré de la coulpe par le baptême. Une fois régénéré, il ne
pourrait se trouver de nouveau sous le coup de la colère divine que
par une nouvelle naissance charnelle, et il ne peut perdre la grâce du
baptême que par son propre péché. Quant aux enfants qui meurent
sans baptême, Augustin, après avoir admis d'abord qu'ils ne peuvent
hériter de la gloire céleste, mais qu'il ne serait pas digne de la justice
de Dieu de les punir éternellement d'un péché qui ne leur est pas per-
sonnel (De lib. arbit., lib. III, c. 23), déclara qu'ils sont voués à la dam-
nation éternelle, concédant seulement qu'ils seraient punis de la peine
la plus douce des enfers (de Peccat. merit., lib. I, c. 16). L'idée de la
nécessité absolue du baptême était tellement répandue et exagérée à
cette époque qu'on discuta la question de savoir si on devait baptiser
des enfants encore dans le sein de leur mère. Augustin se prononça
avec force contre cette idée : Renati ?iisi nati homines esse non possunt
(Ep. CLXXXVII,c. 10, § 32 ss.). — Une srne question qui surgit dès le
BAPTÊME 63
troisième siècle dans l'Eglise, fut celle de la validité du baptême des
hérétiques. La doctrine constante de l'Eglise était que le baptême, (Haut
un acte d'initiation à L'Eglise, ne devait pas être renouvelé (Tertull., De
pudicitia, c. 1<>; Eusèbe, ffist. eccles.,\\b. VII, c. 9). L'évoque de Rome,
Etienne ty 257) admettait la validité du baptême administré par les hé-
rétiques, ei pensait qu'il suffit d'imposer les mains à ceux d'entre eux
qui rentrent dans le giron de l'Eglise (Eusèbe, flïsf.ecc/es., VII, 0.2,5).
Le synode d'Arles avait déclaré (314) que ceux qui avaient été baptisés
par des hérétiques au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, ne
devaient pas être rebaptisés, mais qu'il suffisait de leur imposer les
mains en les recevant dans l'Eglise. La plupart des Eglises d'Asie-
Mineure, au contraire, et les Eglises d'Afrique, soutenaient qu'il n'y a
qu'une seule Eglise véritable, et un seul baptême valable et légitime,
celui que cette Eglise confère (Cyprien, Ep. LXX, LXXIII ; Eusèbe,
Hist. eccles., lib. VII, c. 7; Clément d'Alex., Strom., lib. I, c. 19). Les
l'élises d'Orient ne faisaient exception que pour quelques sectes qui se
rapprochaient beaucoup de l'Eglise catholique. Les deux partis en
appelaient également à la tradition. Lorsque le schisme des donalistes
éclata. l'Eglise d'Afrique changea de sentiment, et Augustin déclara
(pie la validité du baptême ne dépend nullement des personnes qui
l'administrent, mais de la manière dont il est administré; que par
conséquent le baptême des hérétiques est valable, pourvu qu'il ait été
administré au nom de la Trinité; mais que ce baptême ne suffit pas au
salut si, après l'avoir reçu, on n'entre pas dans l'Eglise (de Bapt,,
lib. VI, c. 20 ss.). Ces principes furent généralement admis dans
l'Eglise d'Occident. La scolastique appuya la doctrine d'Augustin de
iiniiveauxarguments (Thomas Aq., Summa, p. III, quœst. 66, art. 9), et
elle fut définitivement adoptée par le concile de Trente (sess. VII,
can. %). — Pendant la longue période de plus de dix siècles qui s'étend
entre le commencement du cinquième siècle et le concile de Trente,
la doctrine du baptême demeura, dans l'Eglise d'Occident, à peu près
telle qu'Augustin l'avait formulée. La scolastique ne lit que systématiser
et développer sur quelques points les idées de l'évêque d'Hippone. La
seule modification de quelque importance qu'elle y introduisit fut
l'idée du caractère indélébile imprimé à l'àine par le baptême (Thom.
Aq.. Summa, p. M,quaesf. 63). Dès la fin du treizième siècle, le baptême
par aspersion, dont nous avons vu l'origine, commença à prévaloir
pour l«- baptême des enfants, et comme les baptêmes d'adultes deve-
naient rares, l'usage s'en établit rapidement. En 1311 le concile de
Rayonne laissa le choix, libre entre l'immersion et l'aspersion. L'anti-
que coutume de la triple immersion, dans laquelle on voyait le symbole
de la résurrection de Jésus-Christ le troisième jour, fut remplacée dans
certaines Eglises par une simple immersion. Les évêques espagnols pra-
Liquèrenl les premiers ce rite par opposition aux ariens, l'immersion
unique ('•tant pour eux un symbole de l'union essentielle des • trois
personnes divines. Les deux formes se maintinrent l'une à côté de
l'autre, non sans luttes et sans tiraillements, jusqu'à ce que Thomas
d'Aquin eûl déclaré que les deux usages pouvaient être ('gaiement au-
i:. :;
C>Q BAPTEME
torisés (Sum., p. IIÎ, qua^st. (H), art. 8). Pendant cette période, le rite
du baptême s'enrichit d'un certain nombre d'actes, qui avaient autre-
fois fait partie de la préparation des catéchumènes. Exceptionnellement
d'abord, lorsqu'on baptisait des malades et des mourants, et d'une
manière générale plus tard, lorsque l'usage prévalut de plus en plus
de baptiser les enfants, ces actes furent adjoints au rite du baptême et
le précédèrent immédiatement. Les principaux étaient le signe de la
croix, l'introduction du sel dans la bouche de l'enfant (datio salis), le
renoncement au diable, à ses pompes et à ses anges (abrenuntiatio),
l'exorcisme, l'ouverture des oreilles et des narines (apertio aurium et
narium), l'onction avec l'huile des catéchumènes, et l'enseignement
solennel du symbole et de l'oraison dominicale {ttadûio symboli et
orationis dominicœ) que les néophytes récitaient ensuite Ireddùio sym-
boh', etc.). Les doctrines des scolastiques touchant le baptême furent
adoptées à peu près sans modification par le concile de Trente. Voici
quelle est, d'après le catéchisme romain, la doctrine de l'Eglise catho-
lique à ce sujet. Le baptême est le sacrement de la régénération (Cat.
Rom., p. II, c. 2, § S). Il se compose de deux éléments, la matière et
la forme, dont la réunion constitue le sacrement (§ 6). La matière est
l'eau naturelle (§ 7); la forme consiste dans les paroles: Ego te baptizo
in nomine Patris, et Filii, et Spiritus Sancti. Ces paroles sont essen-
tielles au baptême, sauf la première ego, dont le sens se retrouve dans
le verbe baptizo (§§ 13, 14). Il est indifférent que le baptême ait lieu
par immersion ou par aspersion, et que l'immersion ou l'aspersion
soit triple ou unique : la seule chose à observer, c'est que l'eau doit
être versée de préférence sur la tête, et. que les paroles sacramentelles
doivent être prononcéesau moment même du contact de l'eau (§§ 17, 18).
Les prêtres, ex auctoritate, les diacres, ex concessu, et, en cas de
nécessité, toute personne, peuvent administrer le baptême, même
les juifs, les infidèles et les hérétiques, pourvu qu'ils le fassent dans
la même intention que l'Eglise et qu'ils emploient la formule (§ 22).
Toutefois, une femme ne doit pas administrer le baptême si un
homme est là, ni un laïque en présence d'un clerc, ni un simple clerc
en présence d'un prêtre (§ 24). Le baptême crée une véritable parenté
spirituelle entre celui qui baptise et le néophyte, et entre celui-ci et ses
parents d'un côté, et les parrains de l'autre, et cette parenté est un obs-
tacle dirimant au mariage (§26). Le baptême est d'absolue nécessité pour
le salut, même pour les enfants, qui ne peuvent pas, il est vrai, être
sanctifiés par leur propre foi, mais qui le sont par celle de leurs
parents, s'ils sont fidèles, et, dans le cas contraire, par celle de l'Eglise
entière (§§.30, 31, 33). Quant aux adultes, trois choses sont nécessaires
pour qu'ils soient admis au baptême : la foi, la repentance et le désir
de ne plus pécher à l'avenir (§ 40). Les effets produits par le baptême
sont : la rémission du péché originel et des péchés personnels (la
concupiscence demeure, mais n'est plus considérée comme un péché,
§§ 42, 43) ; la remise des peines méritées par ces péchés (le baptême
n abolit pas les misères de la vie, la souffrance, la maladie, pour nous
exercer à la vertu, et pour qu'on ne le demande pas dans des vues
BAPTBME G7
intéressées, §§ rt7, 18) ; l'infusion de la grâce et de toutes les vertus
(§§ :>0, 51) ; L'incorporation au corps de Christ et la communication à
Pâme d'un caractère indélébile, en conséquence duquel le baptême ne
doit pas être renouvelé (§§ 52,54) ; enfin l'ouverture du ciel, ferme par
nos péchés (§57). Ces fruits du baptême sont plus ou moins abon-
dants selon les dispositions de celui qui le reçoit (§ 58). Le rite du bap-
tême est établi d'après le Catéchisme Romain de la manière suivante :
[eau du baptême doit être consacrée la veille des grandes fêtes (Pâques
ou la Pentecôte). Les néophytes sont amenés aux portes de l'église
dont ils ne sont pas encore dignes de franchir le seuil. Là le prêtre les
instruit de la doctrine chrétienne sur laquelle il les interroge ensuite.
Les adultes répondent eux-mêmes; les enfants, par l'intermédiaire de
leurs parrains. Le prêtre procède ensuite à l'exorcisme, introduit du sel
dans la bouche de l'enfant (symbole de la délivrance de la corruption),
fait le signe de la croix sur le front, les yeux, la poitrine, les épaules,
les oreilles, enduit de salive les oreilles et les narines (réminiscence de
Jean IX, 7). Le néophyte est alors conduit au baptistère : là le prêtre
lui demande s'il renonce à Satan et à ses œuvres : le néophyte, ou Je
parrain, s'il s'agit d'un enfant nouveau-né, répond affirmativement.
Viennent ensuite la profession de foi, l'affirmatio nque le néophyte désire
le baptême, puiseniin le baptême lui-même. Ce dernier rite accompli, le
prêtre oint le sommet de la tête du nouveau baptisé, le revêt d'un vê-
lement blanc (remplacé pour les enfants par un morceau d'étoile
blanche) et lui remet un cierge allumé. Enfin le nom d'un saint est
donné à reniant {Cal. Rom., loe. cit., § (>0). — L'Eglise grecque ue
s'éloigne pas essentiellement, à propos du baptême, de la doctrine de
l'Eglise latine. « L'homme né pécheur, instruit dans la foi chrétienne,
immergé trois fois dans l'eau au nom du Père, du Fils et du Saint-
Esprit, est purifié par la grâce divine de tout péché, et devient uii
homme nouveau, régénéré et sanctifié » (Confess. Orthod., p. 1, iQ2).
Elle n'admet pas (pie le baptême puisse être renouvelé s'il a été admi-
nistré au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, et affirme qu'il est
absolument nécessaire au salut. Elle admet également le baptême des
enfants. Il faut pourtant remarquer (pie, tandis que dans l'Eglise ro-
maine le baptême a surtout pour but d'effacer le péché originel et la
condamnation qu'il entraine, l'Eglise grecque y voit surtout une source
de grâces spirituelles. Le baptême par triple immersion y est seul en
usage, et elle considère cette forme comme essentielle. La formule em-
ployée diffère un peu de celle de l'Eglise romaine : Ba~-:£s7ai 6 gcûàcç
-.-.s H:;j h Iv.ix il; to hz\j.x tou Ilaipcç — Ajjlyjv — xa: tcj Yfou — A(/.r4v
— /.y.: :zj Wfiz'j \hi'j\j.y.-zz — Ajayjv — vBv Kflà âel tlç Tofcç aùoyaç twv
■x.ûnun. Axr,,. Le rite diffère également quelque peu de ce qu'il est
dans l'Eglise latine. L'enfant est baptisé le huitième jour après sa
naissance. Quand il a atteint l'âge de quarante jours, la mère le présente
à l'église; le prêtre le prend dans ses bras, fait sur lui le signe de la
< poix devant lés portes de l'édifice, et le porte dans l'intérieur, jusqu'à
l'autel si c'est un garçon, et seulement jusqu'au milieu du temple si
c est une lille. S il s'agit du baptême d'un adulte converti à l'Eglise
QS 'BAPTEME
grecque du judaïsme ou du mahométisme, le néophyte y est préparé,
comme autrefois les catéchumènes, par l'abjuration, la confession de
foi, l'exorcisme, le renoncement au diable et à ses œuvres, la consé-
cration à Christ. Une fois baptisé, on le revêt d'un vêtement blanc et
on lui met dans la main un cierge allumé (Y. Boissard, Hist. de L'E-
glise de Russie, t. I, p. 314 ss.).
111. Doctrine protestante. Dans l'Eglise protestante la doctrine du
baptême flotta dès l'origine entre un symbolisme pur et les idées de
saint Augustin. Les vues de Luther sur cet important sujet ont plu-
sieurs fois varié: 11 distingue d'abord entre le signe (l'immersion dans
l'eau) et la chose signifiée (la nouvelle naissance). Entre les deux doit
se trouver la foi qui réalise dans l'homme ce que le signe ne fait
que symboliser. La régénération opérée par la foi commence au bap-
tême et se continue pendant toute la vie pour ne cesser qu'à la mort
{Sermon sur le sacrement du baptême, 1519). Plus tard, Luther vit
dans les sacrements des signes et des sceaux que Dieu a attachés à
ses promesses pour fortifier la foi des fidèles. Enfin, par une dernière
modification, Luther considère l'eau du baptême non comme de l'eau
naturelle, mais comme un élément divin. L'eau, sans la parole de
Dieu, est simplement de l'eau ; mais quand la parole de Dieu y est
jointe, c'est le baptême (Cat. min., IV, 10). L'eau du baptême est une
eau divine, céleste, sainte, salutaire (Cat. maj., IV, 17, 18). Ainsi sanc-
tifiée par la parole de Dieu, l'eau opère la rémission des péchés, délivre
de la mort et du diable, et donne la béatitude éternelle à tous ceux qui
croient à la parole et aux promesses divines (Cat. min., IV, 6). L'im-
mersion dans l'eau signifie que le vieil homme qui est en nous doit
être chaque jour noyé avec ses péchés et ses passions, et qu'il en doit
sortir un nouvel homme qui vive à jamais dans la justice et dans la
pureté (Cat. min., IV, 12). Cette idée de la transformation magique de
l'eau du baptême ne fut pas généralement acceptée par les adhérents de
la Réforme allemande. La Confession d" Augsbourg dit simplement que le
baptême est nécessaire au salut, que la grâce de Dieu y est offerte aux
fidèles, et que les enfants doivent être baptisés (art. IX). D'après les
articles de Smalkalde, le baptême n'est autre chose que là parole de
Dieu avec l'immersion dans l'eau. Nous ne pensons pas, disent ces
articles, avec Thomas et les dominicains, que Dieu ajoute à l'eau une
vertu spirituelle qui efface le péché par le moyen de l'eau, ni, avec Scott
et tes franciscains, que le péché soit effacé par la volonté de Dieu, et
non par la parole et l'eau (art. Smal., III, 5). Luther et toute l'Eglise
luthérienne conservèrent le baptême des enfants. Il est certain, dit
P Apologie de la Confession d' Augsbourg , que la promesse du salut est
aussi faite aux petits enfants. Or, elle n'est pas faite à ceux qui sont en
dehors de l'Eglise de Jésus-Christ. Il est donc nécessaire de baptiser les
petits enfants pour que la promesse du salut leur soit aussi appliquée.
Le salut étant offert à tous, le baptême doit l'être aussi. Il s'ensuit clai-
rement que les enfants doivent être baptisés, parce que le salut est offert
avec le baptême (art. IX). Luther, il est vrai, insiste partout sur la né-
cessité de la foi pour obtenir les grâces du baptême. Sans la foi, le
BAPTEME 69
baptême ne sert de rien, quoiqu'on ne puisse nier qu'il ne soit en soi-
même im trésor céleste et inestimable (Cnt. inaj., IV, 34). Les enfants
ne pouvant pas croire, comment peuvent-ils obtenir quelque grâce du
baptême .' Luther répond que le baptême des enfants ne déplaît pas à
Dieu, puisqu'il leur communique son Esprit (ibid., IV, 48ss.). Ce n'est
pas, du reste, la loi qui fait le baptême, puisqu'il consiste dans la
parole de Dieu jointe à Peau. Quand même les enfants ne pourraient
pas croire, ce qu'il ne faut pas affirmer, le baptême n'en serait
pas moins le baptême (ibid., 52-55). La prière et la foi- de l'Eglise
tiennent lieu à l'enfant de la foi qu'il ne peut avoir personnellement,
et lui assurent la jouissance des grâces du baptême (Capt. dp Baùyl.).
Luther conserva la formule de l'Eglise romaine et le baptême par
aspersion simple ou triple. Dans la première édition de son petit
livre De baptisandis infantibus (1523) il conserve toutes les cérémonies
qui dans l'Église catholique précèdent ou suivent le baptême. Dans une
seconde édition (152b) il maintient seulement l'exorcisme, la renonciation
et le symbole abrégé. Un grand nombre d'Eglises luthériennes, surtout
dans l'Ouest et dans le Sud de l'Allemagne, ne tardèrent pas à laisser tom-
ber également ces cérémonies, et ne conservèrent dans leur liturgie du
baptême que le symbole rétabli in extenso. — L'Eglise ré formée se détacha
beaucoup plus radicalement des doctrines et des pratiques du catho-
licisme. Elle part du principe que le salut n'est attaché à aucune œuvre
extérieure, Zwingle n'attribue au baptême aucune influence sancti-
fiante, car c'est la foi qui sanctifie. Le baptême ne peut, d'après
lui. ni nous communiquer le Saint-Esprit, ni nous purifier de nos
fautes, ni faire de l'homme une nouvelle créature; il ne peut davan-
tage fortifier ou affermir la foi : c'est une initiation, un engagement
de suivie Jésus-Christ. C'est le signe de l'Eglise visible, par lequel
l'homme est mis au nombre des chrétiens. Le baptême n'est donc-
pas nécessaire au salut. 11 maintient pourtant le baptême des enfants,
dont il rapporte l'institution à Jésus-Christ et aux apôtres. Il voit une
analogie complète entre le baptême et la circoncision : ce sont les deux
signes de l'ancienne et de la nouvelle alliance. Les enfants de parents
chrétiens sont enfants de Dieu, comme leurs parents eux-mêmes, et on ne
peut pas plus leur refuser le baptême que Pierre ne le refusa» à Cor-
neille après qu'il eut reçu l'Esprit (Vom Tauf, Widertauf und Kin-
dertauf). Calvin tient une espèce de juste milieu entre les idées de
Zwingle et celles de Luther. Pour lui aussi, le baptême est un signe
d'initiation par lequel on entre dans la communion de l'Eglise visible.
C'est un témoignage qui nous donne l'assurance que nos péchés
nous son! pardonnes, mais ce pardon est opéré intérieurement, non
par le baptême lui-même, mais par le sang de Christ dont le baptême
est une représentation symbolique (Instit., IV, 15, 1 et 2). Le baptême
nous montre que nous sommes crucifiés avec Christ, etque nous
possédons une nouvelle vie en lui; il nous témoigne que nous sommes
un av.-c lui el participants de tous ses biens (ibid., §§ 3-6). La condi-
tion à laquelle les grâces promises dans le baptême nous sont acquises
est la foi, -ans laquelle le baptême n'est qu'un signe de notre in-
70 BAPTEME
gratitude envers Dieu (iôùL, §§ 14, 15). Calvin justifie le baptême des-
enfants en partie comme Zwingle. Il cite aussi F analogie du baptême
aVec la circoncision. Par sa naissance, Tentant de parents chrétiens est
déjà dans l'alliance de grâce et a droit au baptême (ibid., IV, c. 16,
j$ 3 et 4). A l'objection que les entants ne peuvent pas être régénérés
parce qu'ils ne sont pas en état de connaître le Christ, il répond que
les enfants ne peuvent pas, il est vrai, entrer dans le royaume des
cieux sans la régénération et la sanctification par le Saint-Esprit, mais
que s'ils n'ont pas encore la foi des adultes, ils ont déjà du moins
une étincelle de la lumière qui brillera plus tard en eux. Mais il n'en
est ainsi que pour les élus, et cette étincelle suffit pour le salut de ceux
qui meurent avant leur complet développement (ibïd., §§ 17-21). Les-
enfants qui meurent non baptisés et qui sont au nombre des élus
héritent de la vie éternelle, de sorte que le baptême n'est pas une
condition essentielle du salut (ibid., c. 15, § 20). Calvin conserva
la formule catholique et le baptême par aspersion : il est inutile de
dire qu'à ses yeux le rite du baptême, la question de savoir si on
doit l'administrer par immersion ou aspersion, simple ou triple, sont
des choses purement indifférentes (ibid., c. 15, § 19). Quant aux
cérémonies accessoires, déjà en 1525, dans son écrit Von dem Kinder tau f.
Zwingle les abandonnait complètement, sauf le vêtement blanc à
remettre aux néophytes après le baptême, et il transformait le rite
tout entier en adressant les questions non plus à l'enfant, mais aux
parrain... — Après la période d'orthodoxie rigide qui remplit la fin du
seizième siècle et le commencement du dix-septième, il se fit une
réaction contre le dogmatisme luthérien, et la doctrine ^ecclésiastique
du baptême commença à pâlir et à s'effacer. Les piétistes, aux yeux
desquels la vraie cause du salut est dans la conversion et la régéné-
ration, attachèrent peu d'importance au baptême. Plus tard les ratio-
nalistes et les supranaturalistes, bien que partant de points de vue
différents, inclinèrent également vers une interprétation symbolique
du baptême. De nos jours la théologie allemande se partage sur cette
question en deux grands courants. Les uns se rattachent au mou-
vement libéral qui a été inauguré par Schleiermacher. Aux yeux
de ce* théologien, le baptême en lui-même n'exerce aucune ac-
tion sur l'âme. Ou bien la foi préexiste au baptême, et avec la foi
la conversion, la régénération et la justification : le baptême ne fait
alors que mettre au jour des effets déjà produits; ou bien la foi
n'existe pas au moment du baptême, et ne sera éveillée que plus tard
par une série d'actes spirituels qui suivront le baptême ; en ce cas
encore le baptême ne produit immédiatement aucun effet. On ne doit
pas le considérer comme un acte isolé, mais comme le commencement
d'une série de faits destinés à éveiller la foi. Le baptême n'est donc
qu'un rite d'introduction dans l'Eglise (Der chràtliche Glaube, §§ 136,
137). Le baptême des enfants rentre dans le deuxième cas. Il est im-
parfait et doit être complété plus tard par la confirmation. 11 est con-
féré à l'enfant non pour lui donner une foi qu'il est incapable d'avoir,
mais pour le mettre en rapport avec la parole divine qui éveillera la
BAPTEME 71
foi dans son coeur. Dans ces conditions, le baptême des enfants peut
être utile, mais il n'est pas nécessaire [ibid., § 138). Les autres suivent
pins on moins le mouvement de réaction qui a commencé an commen-
cement du siècle avec Nicolas Harms, et qui a abouti au néo-luthéra-
nisme. Les pins modérés se bornent à maintenir les idées de Luther ;
d'autres les dépassent, et en arrivant à considérer le baptême comme
nnc sorte de rite magique, agissant ex opère operato, et absolument
nécessaire au salut. Entre ces deux points extrêmes se trouvent na-
turellement un certain nombre de nuances intermédiaires. Aujour-
d'hui la question du baptême se pose surtout au point de vue de l'âge
auquel il doit être administré et du rite à employer, car les deux
questions n'en font qu'une. Les partisans du pédobaptisme font valoir
en faveur de cette institution des raisons de diverse nature qui dif-
fèrent selon Tidée qu'ils se font du baptême, et selon qu'ils consi-
dèrent le baptême des enfants comme nécessaire au salut, ou simple-
ment comme un usage antique et vénérable qu'on peut conserver
sans inconvénient, mais dont on peut aussi se dispenser. Les premiers
s'appuient d'abord sur l'originede cette institution, qu'ils font remon-
ter aux apôtres et même à Jésus-Christ lui-même. Ils s'en réfèrent, pour
prouver cette assertion, à des textes comme Matth. XIX, 14 ; XXVIII, 19 ;
\< t. II. :$9;XVI,lo,22,23;iCor. I, 16; VII, 14, etc., et au témoignage
des Pères de l'Eglise du deuxième et du troisième siècle (Irénée, ado.
ffseres. ,li, 22, § 4 ; Justin, ApoL, \, 15 ; Origène, m Ep. ad Rom., lib. V,
C.9, etc.). À ces raisons historiques se joignent des raisons dogmatiques
qui ont à leurs yeux la plus grande importance. La principale est la
in ■< essitë du baptême, soit pour effacer le péché originel et les péchés
actuels, soit pour conférer les grâces positives dont on ne peut être au-
trement participant. Dans ces conditions il n'y a pas de raison de refuser
fe baptême aux petits enfants, et il serait même cruel de leur fermer les
portes du royaume des cieux. Mais à moins d'admettre que le baptême
produit ces effets d'une manière magique, ex opère operato, et sans
la condition de la foi, la difficulté est d'expliquer comment le bap-
tême peut être efficace chez un enfant nouveau-né, incapable de
rien comprendre et de rien sentir. C'est là l'écueil contre lequel se
sont heurtés, depuis saint Augustin, tous les partisans du pédobap-
tisme strict, qui ne sont parvenus, malgré tous leurs efforts, à déloger
le merveilleux d'une position que pour l'installer dans une autre.
On a tourné la difficulté en admettant soit que la grâce de Dieu
supplée à ce qui manque, soit que la foi des parents, des parrains
et de l'Eglise entière tient lieu de celle que l'enfant ne peut encore
avoir, soit même en accordant à l'enfant nouveau-né une sorte de
loi latente, fuies infusa, suffisante pour que le baptême produise
tous ses effets. Comme, pour les pédobaptistes, le rite de l'aspersion
<--t a [i.ii près le seul praticable (quoique dans l'Eglise grecque on
baptise les enfants par immersion), ils ont admis ce rite comme une
conséquence naturelle de leurs idées, et sans être pour cela hostiles au
rit.' de L'immersion. Ils justifient cet usage par son ancienneté, et par
cette raison que la quantité d'eau employée pour le baptême est chose
72 BAPTEME — BAPTISME
de peu d'importance. Quant à ceux qui pratiquent le baptême des
enfants sans le considérer comme absolument nécessaire au salut, et
par conséquent sans lui attribuer d'efficacité merveilleuse, ils le justi-
fient par sa convenance et son utilité. Le baptême, d'après eux, intro-
duit P enfant dans l'Eglise, le met sous l'influence d'un milieu religieux
et chrétien, et rappelle sans cesse à son entourage les soins qu'on doit
apporter à son éducation chrétienne. Le baptême n'est ainsi que la
première maille d'un réseau qui prend l'enfant dès sa naissance et le
maintient pendant sa vie entière sous l'influence de l'Esprit de Dieu.
11 va sans dire que dans ce cas le rite du baptême est parfaitement
indifférent. Les adversaires du pédobaptisme prétendent au contraire
que l'usage de baptiser les enfants n'est pas d'origine apostolique ;
que le Nouveau Testament n'en contient pas la moindre trace; que le
baptême, pour être efficace, requiert absolument la foi et la repentance
personnelles, et ne doit par conséquent pas être administré à des enfants
incapables d'en comprendre la signification et d'éprouver aucun des
sentiments sans lesquels le baptême n'existe pas. Les baptistes sont
revenus naturellement au baptême par immersion, qu'ils n'avaient
aucune raison de remplacer par un autre rite dont l'Ecriture ne fournit
pas d'exemple, et qui trouve sa justification dans les textes évangé-
liques eux-mêmes. Toute cette discussion perd, du reste, beaucoup de
son importance aux yeux de ceux qui n'oublient pas que la /lettre tue
et que c'est l'esprit qui vivifie. — Voyez sur le baptême : Yossius,
De Baptismo dîsput. , XX, 1648 ; Wall, Hûtory of Infant Baptism., 1705
(trad. en latin par J.-S. Schlosser, 1748-1753) ; A. Van Dale, Historia
Bapthmorum, tumjudaïcorum, tum christianorum, 1705 ; Walch, Historia
Pœdobaptismi IV primorwn seculorum, 1739; Reiche, Die Taufe der
Christen, ein ehrwûrdiger Gebrauch, aber Kein Geselz, 1774; Troschel,
Die Wasse?'taufe de?' Christen, ein Gesetz Christi und Kein W dlkùrlicher
Gebrauch, 1774 ; Stark, Geschichte de?' Taufe, und de?' Taufgesinnten, 1789;
Eisenlohr, Histor-ische Bemerkungen uber die Taufe, 1804 ; Lehmus,
Uebe?' die Taufe, 1807 ; Reiche, De baptismatis origine et ?iecessitate, nec
non de fo?mula baptis?nali, 1816 ; Mathies, Baptismi expositio biblica,
historica, dogmaticd, 1831 ; W. Hoffmann, Taufe wid Wiedertaufe, 1846 ;
Hœfling, Das Sacra?nent der Taufe, 1846-48 ; De Wette, Zur Geschichte
der Kinder 'taufe, Stud. u. Krit., 1830, cah. 3; Lenoir, Essai biblique, his-
io?*ique et dogmatique sur le Baptême des. e?ifa?its, 1856. Eue. Picard.
BAPTISME. On donne ce nom à la doctrine générale d'après laquelle
le baptême ne doit être administré, conformément à l'usage aposto-
lique, qu'à des adultes convertis, et ne peut avoir lieu, à l'exclusion
des autres rites, que par immersion complète du néophyte. En consé-
quence, les partisans de cette doctrine ne reconnaissent comme valable
ni le baptême des enfants tel que le pratiquent la plupart des Eglises
chrétiennes, ni le baptême par aspersion administré aux adultes
convertis, et ils rebaptisent d'après leur rite ceux qui entrent dans
leurs communautés. Les éléments de cette doctrine se retrouvent tout
le long de l'histoire de l'Eglise : le baptême des enfants ne s'y est pas
introduit sans quelque peine, et le rite de l'immersion a été la coutume
BAPTISME 73
générale jusqu'au treizième siècle. Luther et Zwingle eux-mêmes ont
penché un instant du côté des doctrines baptistesà causcdcla difficulté
qu'ils ('prouvaient à concilier le pédobaptisme avecl'idée qu'ils se fai-
saient du baptême. Mais le baptisme ne commença à se manifester
comme doctrine arrêtée et avec son double caractère que vers 1521,
avec la secte des anabaptistes (yoy. ce mot). Cette secte ayant été dis-
persée après la prise de Munster en 1535, ses débris, poursuivis et per-
séeutés, furent réorganisés dans les Pays-Bas et sur les côtes d'Alle-
magne, par Menno Simonis, prêtre de Wittmarsen, qui embrassa leurs
idées en 1536. Ces petites communautés mennonites, laborieuses et
honnêtes, aussi pieuses et aussi paisibles que les anabaptistes avaient
été violents et fanatiques, se sont maintenues jusqu'à nos jours, mais
sans parvenir à s'étendre et à progresser. En même temps que le bap-
tisme s'affaiblissait ainsi en Allemagne, il faisait sa première appari-
tion en Angleterre, où il devait faire des progrès plus sérieux. Dès 1535,
Henri Mil y faisait exécuter quatorze Hollandais accusés d'anabaptisme,
tandis qu'un certain nombre d'autres n'échappaient à un sort pareil
que par une rétractation de leurs idées. Quatre ans plus tard, trente
personnes furent bannies du même pays pour avoir déclaré qu'elles
ne considéraient pas comme valable le baptême des petits enfants.
Malgré ces rigueurs, le baptisme se maintint en Angleterre, se
manifestant de temps à autre, sans faire de grands progrès et sans
parvenir à s'y faire tolérer. Cependant en 1618 nous trouvons une
communauté baptiste organisée. Persécutés au commencement de
la révolution de 1018, ils furent protégés par Cromwell, puis persé-
cutes de nouveau par Charles II et Jacques II, à cause de la part
qu'on les accusait d'avoir prise à la révolution. Enfin ils furent
compris dans l'acte de tolérance donné sous le règne de Guillaume III,
et a partir de ce moment ils purent se développer librement et ne tar-
dèrent pas à former de nombreuses communautés. Les baptistes
anglais ne forment pas une seule Eglise ; ils n'ont de commun entre
eux que leur idée fondamentale du baptême. Leurs doctrines se
rattachent d'une manière générale au type réformé, mais ils se séparent
sur le dogme de la prédestination. Les uns sont à cet égard calvinistes
purs : ce sont les Particular-BapUsts ; les autres, les Gen-ral-Baptists,
Boni arminiens. Ceux-ci sont en général plus larges sous le rapport de
la doctrine; l'arianisme et le socinianisme pénétrèrent dans leurs
communautés vers la fin du dix-huitième siècle, ce qui amena la sépa-
ration d'un certain nombre d'entre elles sous le nom de Gerteral-Baptist
nrir Connexion. Les baptistes anglais, en général, ont pendant long-
temps tait très-peu decasde la science, et de la théologie en particulier,
♦ t il eu est résulté une certaine infériorité de culture chez leurs con-
ducteurs spirituels, et une grande étroitesse d'esprit dans les commu-
nautés elles-mêmes. Adonnés à l'interprétation littérale de la Bible et
enclins aux rêveries mystiques, ils ont accueilli bien des superstitions
et des erreurs, et entre autres les doctrines de l'antinomisme, vers le
milieu du dix-septième siècle. Cet état de choses s'est depuis considé-
rablement amélioré. Les Partïcular-Baptists ont fondé leur premier
74 BAPTISME
séminaire en 1770, à Bristol ; ils en comptent maintenant six en
Angleterre et en Ecosse, et il en est sorti des savants de mérite, tels
que Robert Hall, Ryland, Carey, etc. Les Particular- Baptiste comptent
en Angleterre environ 100,000 communiants, répartis dans 12 à
1,300 communautés; les General-Baptists sont moins nombreux et ne
comptent que 120 communautés environ, comprenant 14,000 mem-
bres actifs. C'est surtout dans les Etats-Unis que le baptisme s'est
répandu. Un pasteur puritain, Roger Williams, banni de l'Etat de
Massachussets pour ses opinions sociales, et amené aux idées du
baptisme par ses propres réflexions, fonda la première communauté
baptiste en 1639 à Providence, dans PEtat de Rliode-lsland. Pendant
longtemps le baptisme fut resserré dans les étroites limites de son
berceau primitif et rencontra plutôt de l'hostilité que de la faveur
chez les Etats voisins. Mais après l'émancipation des Etats-Unis, grâce
à la liberté illimitée dont jouissent les sectes religieuses dans ce pays,
les baptistes firent des progrès considérables, et leurs Eglises sont
aujourd'hui parmi les plus nombreuses et les plus influentes du
Nouveau-Monde. Comme ceux d'Angleterre, les baptistes d'Amérique
sont divisés en plusieurs branches, et c'est également sur le dogme de
la prédestination qu'ils se partagent en deux grands camps: les Baptiste,
rattachés au calvinisme pur, et les Free-wiU- Baptiste, qui sont armi-
niens. Outre ces deux grandes divisions, il y a d'autres sectes baptistes
moins importantes, entre autres les Seventh-day-Baptists, ou bap-
tistes du septième jour, qui sont sabathariens ; les Baformed Baptiste,
nommés aussi Campbellites, du nom de leur fondateur, qui repoussent
toute confession de foi et n'admettent pour symbole que des paroles
de l'Ecriture; les Six-principles- Baptiste, qui ont pris pour confes-
sion de foi les six points mentionnés Hébr. VI, 1-2, sans compter
d'autres sectes sans importance qui admettent les principes du bap-
tisme, se constituent à part pour la moindre divergence d'idées, et
n'ont, la plupart du temps, qu'une existence éphémère. Les baptistes
d'Amérique ont aussi pendant longtemps l'ait peu de cas de la science
et négligé l'éducation de leurs pasteurs. Ils ont maintenant des univer-
sités et de nombreux étudiants. Leur étroitesse d'esprit a diminué à
mesure que les lumières et la science pénétraient chez eux, et, après
avoir été très-stricts à ce sujet, ils admettent aujourd'hui à célébrer la
sainte Cène avec eux des membres d'autres communautés chrétiennes.
Les Baptiste comptent dans les Etats-Unis plus de 8,000 communautés
et plus de 3 millions d'adhérents, dont 600,000 communiants; les
Free-will- Baptiste, 11, 000 communautés environ et 60,000 communiants.
Les autres sectes sont beaucoup moins nombreuses. Il y a également,
mais en très-petit nombre, des communautés baptistes en Danemarck,
en Allemagne et en France. L'organisation des Eglises baptistes est
congrégationaliste. Chaque communauté est parfaitement indépendante
de ses voisines. Elles sont pourtant reliées l'une à l'autre, sinon par
des institutions ecclésiastiques positives, du moins par leur doctrine
fondamentale concernant le baptême, par la communauté du but
qu'elles poursuivent, et par des associations volontaires. En 1813,
BAPTISMK — BAPTISTERE 75
elles ont formé en Angleterre une Baptist- Union à laquelle se rattachent
les Generaf-Maptùts el les ParticulQr-'Baptiste, dans le but d'unirleurs
efforts pour la propagation de l'Evangile et du baptismeen particulier.
Cette Union publie un rapport annuel sur la situation des Eglises bap-
tistes. En Amérique, il existe entre les baptistes calvinistes une Ge*
umil f'onrentioiK niais seulement dans le but de travailler de concert
a la mission extérieure. Un grand nombre de communautés ont
en outre des réunions annuelles régulières pour s'occuper de mis-
sions, d'écoles et d'oeuvres chrétiennes. Les baptistes ont également
leurs sociétés bibliques particulières: en Angleterre, la Bible trans-
lation Society, et en Amérique Y American and foreign Bible Society. Ils
ont soin dans leurs traductions anglaises de rendre les mots (Sarfjew,
;.ï-.-.:~\).z; et $x--Lz\).x partout où ils les rencontrent dans le texte du
Nouveau Testament, par des mots correspondants à immerger et à
DM» rsion. Sauf les baptistes sabathariens qui ne se sont mis à l'œuvre
que récemment, les baptistes ont chez les païens des missions assez,
nombreuses. Ils sont en général animés d'un grand esprit de prosély-
tisme. — Yoy. sur les baptistes d'Angleterre : David Bogue et James
Bcnnett, History of dissenters from the Révolution in 1688 to the year
1808, 1808-1812; James Bennett, History of dissenters during the lasf
thirty years (1808-1838), 1839; The BapUst Mognzine ; The General-
Baptists fteposùwy; — sur ceux des Etats-Unis: Rob. Baird, la Religion
As Etate-Unn d' Amérique, 18H: James D. Knowolls, Memoir of
Il itiïams, \K\\ : The Baptist Mémorial. Eug. Picard.
BAPTISTÈRE [de ^orrwdlptfw (salle de bains chauds chez. les Grecs),
baptisierium (bassin de la relia frigidaria des Romains)], lieu ou
édifice dans Lequel on donne le baptême par immersion. Les pre-
miers chrétiens étaient baptisés en plein air, auprès des sources, des
fontaines, le long des rivières, ou même sur les rivages des lacs et de
la mer. Pendant les persécutions le baptême, comme toutes les céré-
monies du culte, était pratiqué en secret, dans les catacombes. Lorsque,
à partir du quatrième siècle, le culte chrétien put être célébré libre-
ment, on éleva, en même temps que les églises et dans leur proximité
immédiate, des édifices spéciaux destinés uniquement à l'administration
du baptême. Ces baptistères furent isolés de la basilique, le baptême
donnant seul aux catéchumènes le droit d'entrer dans l'Eglise et de
participer aux exercices religieux; on y plaça un autel consacré à
saint Jean-Haptistr. où Les néophytes reçurent la confirmation et l'eu-
chansti.-. immédiatement après le baptême. Ou dut bientôt leur donner
dei dimensions considérables, à cause de la grande affluence des néo-
phytes, qui se présentaient à la fois; ils ne pouvaient en effet, en vertu
■ I.' la discipline des premiers siècles dé l'Eglise, recevoir le baptême
de la main de Tévèque, qu'aux deux l'êtes de Pâques et de la Pentecôte.
Aussi les rites épiseopales seules eurent-elltes, dans le principe, des
baptistères, de Même que seules elles avaient des cathédrales, et
souvent en tes désigna sous te nom (Yecclesia' baptismales pour les
distinguer des églises filiales qui n'avaient point le droit de baptême.
La forme des baptistère* était parfois ronde (surtout dans les premiers
76 BAPTISTERE
temps), rarement carrée ou en croix grecque, le plus souvent octogo-
nale. Une coupole ou un toit en charpente couvrait l'édifice et repo-
sait soit directement sur le mur extérieur, soit, lorsque l'écartement
des murs était trop considérable, sur une rangée de colonnes ou de
piliers, qui le divisaient à l'intérieur en une nef centrale entourée de
bas-côtés. Le baptistère était précédé parfois d'un porche et accom-
pagné d'une abside, recevant l'autel de saint Jean-Baptiste. Au centre
de l'édifice, se trouvait un enfoncement destiné à recevoir le bassin
(fons, piscina)où se donnait le baptême et dans lequel on descendait
par un degré de trois marches. L'architecture des baptistères passa par
tous les styles qui furent employés successivement en Occident; leur
décoration intérieure se composait de colonnes, de niches, de sculp-
tures en bas-reliefs et de peintures représentant le baptême du Christ
dans le Jourdain, ou des scènes de la vie de saint Jean-Baptiste. L'a-
meublement comprenait un autel, une chaire, des bancs pour les caté-
chumènes, enfin le bassin central, recouvert souvent d'une coupole ou
d'un toit, posant sur des colonnes disposées sur la balustrade qui
l'entourait. A cette coupole étaient suspendus les vases d'or et d'ar-
gent destinés à recevoir les saintes huiles et à verser l'eau sur la
tête des néophytes ; plusieurs de ces fioles avaient la forme de colom-
bes, pour symboliser l'Esprit-Saint. Parmi les figures emblématiques
reproduites de préférence par la peinture et la sculpture, dans l'orne-
mentation de l'édifice, se trouvent celles de l'agneau, du poisson et
surtout l'image du cerf altéré. Le baptistère, primitivement isolé de
la basilique et placé, soit dans l'atrium, soit sur les côtés de l'église,
fut bientôt, pour la commodité du service, réuni à l'église par des
galeries de communication ; puis il se souda davantage encore avec
l'église, dont il devint une chapelle, placée ordinairement à l'entrée,
sur le côté gauche. Vers le huitième siècle, le nombre des néophytes
adultes diminuant et le baptême des enfants devenant de plus en plus
général, les dimensions du baptistère purent être réduites; l'Italie seule
continua à élever des baptistères isolés. Partout ailleurs le baptême
s'administra dans une chapelle renfermant une cuve baptismale, sorte
de baignoire ronde ou polygonale, en pierre, marbre ou métal, fermée
par un couvercle mobile en forme de toit, coupole ou pinacle riche-
ment décoré, dans laquelle on conserva l'eau consacrée destinée au
baptême. Bientôt on renonça, d'abord dans le Nord, puis dans le reste
de la chrétienté, au baptême par immersion, et, le baptême par aspersion
étant devenu d'usage général, la cuve baptismale fut réduite encore et
devint. un simple bassin de petite dimension .(fonts baptismaux), pres-
que toujours en pierre ou en marbre, porté par une colonne ou sur un
pied sculpté et placé dans la chapelle baptismale. Les plus anciens
baptistères sont ceux de Constantin et de Sainte-Constance à Rome (ce
dernier fut transformé par Constantin en chapelle funéraire) ; en Italie
les dômes de Florence, Pise, Pistoja, Crémone, Vérone, Ravenne, etc.,
sont accompagnés de baptistères isolés; en France le temple Saint- Jean,
à Poitiers, est un ancien baptistère; les églises Saint-Géréon et Saint-
George, à Cologne, sont accompagnées de baptistères plus ou moins réunis
BAPTISTKUK — DAKBEYRAC 77
au corps del'église; d'autres édiiices de ce genre en Allemagne, coni-
plétement isoles, tels que ceux de Bonn et de Worms, ont été démolis
au commencement de ce siècle. Emilb Lichtbnbee&ee.
BARABBAS (BapaSÇâç, de riiébreu Uar-kabbah, iils d'Abba), nom
d*un malfaiteur dont les Juifs demandèrent la grâce à la place de celle
de Jésus auprès de Ponce-Pilate (Matth. XXVII, l(i ss. et parai.;
Art. 111, 14). D'après une vieille tradition, ce criminel se serait aussi
appelé Jésus. Quelques manuscrits et plusieurs anciennes versions
syriaque, arménienne) ont en effet le nom Jésus devant celui de Ba-
rabbas, au passage de Matthieu cité plus haut, XXVII, lb* et 17. D'après
saint Jérôme, l'Evangile des Hébreux l'avait également. Nous pour-
rions bien croire que , dans la suite , on se sera scandalisé de voir ce
nom sacré porté par un criminel, et que cette considération l'aura fait
retrancher du plus grand nombre des manuscrits. Cependant Tischen-
dorf et la plupart des critiques du texte du Nouveau Testament Font
écarté, sauf Fritzsche (voy. les éléments de cette discussion de texte
dans Tisch., Novum Testamentum gtwce, edit. octava major, I, p. 195).
— Dans le Talmud se rencontrent plusieurs rabbins du nom de Ba-
rabbas.
BARAC [B à r à q], iils d'Abinoen, 4e juge d'Israël, marcha avec
Débora contre Sisara, chef de l'armée de Jabin, roi de Canaan; et,
l'ayant rencontré près du torrent de Kison, il remporta sur lui une
victoire complète, et délivra ainsi son peuple d'une servitude qui
avait duré vingt ans (Juges IV, b* ss. ; V, 1).
BARBARIGO (Grégoire), de Venise (1625-1697). Ambassadeur de
la République à Munster, il s'y lia d'une étroite amitié avec le docte
i Fabio Chigi, plus tard Alexandre VII. 11 fut successivement prélat
domestique de ce pape, évêque de Bergame, cardinal et enfin évê:jue
de Padoue, de 1664 à sa mort. Il fonda dans cette ville un séminaire
<|ifil se plut à doter de toutes les ressources littéraires et d'une impri-
merie pour les langues orientales aussi bien que pour les langues clas-
siques. Il ne reste de lui que quelques opuscules et vingt-cinq lettres,
m italien, adressées à Magliabecchi et insérées dans le recueil des let-
tres des savants à ce célèbre bibliothécaire de Florence.
BARBE (Sainte) [Barbara], vierge et martyre. Bolland nous assure
qu'elle a été inconnue aux anciens et qu'on n'en a aucune his-
toire <|iii ne paraisse fabuleuse. Tillemont (vol. III) en juge de môme.
Surius \ déc.) a publié les Actes de sainte Barbe. On peut y lire les
toitures qu'elle subit à Xicomédie (d'autres disent: en Toscane) sous
Maximien (Maximin?). D'après cette légende, le père dénaturé de la
sainte fut frappé du feu du ciel. Telle est sans doute l'origine de la dé-
votion particulière dont sainte Barbe est l'objet. Elle est surtout invo-
qué contre la foudre depuis le miracle accordé en 1H8 au nommé
Henri Koek. de Gorcum, et dont le récit naïf et véridique a été im-
prime souvent Par un rapprochement naturel, sainte Barbe est deve-
nue la patronne des artilleurs.
BARBEYRAC (Jean,. Fils d'un pasteur du Languedoc et destiné
d'abord à la théologie, il a jeté de L'éclat sur son nom, comme publi-
78 BARBEYRAC
ciste. Né à Béziers le 15 mars 1(574, il avait à peine commencé ses pre-
mières études à Montagnac, lorsque la révocation de Fédit de Nantes
le sépara violemment de ses parents, qui se réfugièrent à Lausanne, on
il les eut bientôt rejoints (1686). 11 y étudia jusqu'en 1093, et, après un
court séjour à Genève, il alla à l'université de Francfort-sur-1'Oder, alors
en réputation ; puis il devint, en 1697, professeur au collège des Réfu-
giés, à Berlin. Son penchant le portait vers la jurisprudence; il s'y
adonna avec succès et publia, en 1706, une traduction du fameux
Traité latin de Puftendorf, du Droit de la Nature et des Gens, en l'ac-
compagnant d'une préface, de notes et développements remarquables,
qui méritèrent d'être traduits eux-mêmes en latin, pour faire désormais
corps avec l'auteur. Cette publication, qui vulgarisa l'important ouvrage
de Puftendorf, ayant acquis à Barbeyrac un renom européen, il reçut, en
1710, l'offre, qu'il accepta, d'une chaire de droit et d'histoire à l'Aca-
démie de Lausanne. Il y fut nommé recteur en 1714. Cette dignité lui
fut conférée trois années de suite ; mais il y renonça par un honorable
scrupule de conscience, ne voulant pas signer la Formula consensus,
que les calvinistes purs opposaient à l'invasion des doctrines soute-
nues par Amyraut et par les autres théologiens de Saumur. 11 accepta
la chaire de droit public et particulier à l'université de Groningue, où
il fut honoré trois fois de la charge de secrétaire de l'Académie et trois
fois aussi de celle de recteur. La Société royale des Sciences de Berlin
se l'était associé dès 1713. Douloureusement éprouvé, en 1729, par la
perte de sa femme, Hélène Chauvin, et, en 1743, par celle de sa fille
unique, qui avait épousé P. -A. de Rochebrune, officier réfugié au ser-
vice de la Hollande, il ne fit plus que languir jusqu'au jour de sa mort,
qui arriva le 3 mars 1744. Outre le grand ouvrage susmentionné et
plusieurs articles et dissertations insérés dans les Nouvelles de la Rép.
des Lettres, dans la Bibliothèque Britannique, la Nouvelle Bibliothèque et la
Bibliothèque raisonnée, Barbeyrac a publié une traduction du Traité des
Devoirs de V Homme et du Citogen,de Puffendorf (1707), et du Traité du
Pouvoir des souverains et de la Liberté de consciencp, de Noodt (1707);
des Sermons de Tillotson (1706-1716); un Traité du Jeu au point de vue
du droit naturel et de la morale (1709); une bonne traduction du traité
de Grotius : De jure belh et pacis (1724), qui fit oublier celle de Cour-
tin ; enfin un Traité de la Morale des Père$ de /' Eglise (1728), où cette
morale est battue en brèche avec un peu d'emportement peut-être,
mais avec une science incontestable. 11 a fait paraître aussi, en 1739,
une Histoire des anciens Traités depuis les temps les plus reculés jusqu'à
Charlemague, grand répertoire diplomatique, bien rédigé et supérieur
en certains points à celui de Dumont, qu'il complète. Nous laissons en-
core de côté divers travaux de moindre intérêt. — Voir Oralio fane-
bris in obiturn J. Barbeyrac, par Gardes, son collègue (Groning., 1744,
in-fol.) et Notice biogr. sur B., par G. Laissac, couronnée par la Soc.
archéolog. de Béziers (Montpellier, 1838). — Il existe des lettres iné-
dites de Barbeyrac à Desmaizeaux au British Muséum de Londres, Bi-
bliotheca Birchiana, nos 4281-4289. Elles sont écrites de Berlin en 1706
et 1707. Charles Read.
BARBIER — BARCLAY 70
BARBIER .losué). né à Die vers 1578. Fils de pasteur, il fut pasteur
lui-même, de 1603 à 1615, à Quint, à Saint-Marcellin et à Livron. Gr-
convemi par Tévéque de Valence, il abjura et reçut une pension de
600 livres. Il se fit recevoir avocat consistorial à Grenoble et devint un
plat courtisan, comme le montre le pamphlet publié par lui à Lyon, en
1618, contre ceux qu'il venait de quitter : La Ministrographie hugue-
note, et comme le démontre encore un petit volume qu'il fit paraître
à Paris la même année : Les miraculeuse effets de la sacrée main des /lot/s
de Franco très-chresttens pour la guérisnn des malades et conversion des
hérétiques. Après les flagorneries qui fleurissent une dédicace au Roi, il
exhorte ses anciens coreligionnaires à subordonner leur liberté de con-
science à l'obéissance due au Monarque : « Ceste liberté étant, dit-il,
« une mauvaise beste, laquelle a sa peau de diverses couleurs comme
« le léopard et change comme le caméléon; ressemblant , quant au
« reste, au rvnocéros, excepté en ceci : c'est que le rynocéros est pris
« au chant d'une vierge pieuse près de laquelle il «s'endort, comme
<( dit Bercorius, tandis que ceste beste (la liberté de conscience) ne
« peut estre prinse qu'au chant d'une femme adultère , desbauchée
d'avec son mari, près de laquelle elle se vient rendre, lui présente
« son dos à monter, et, estant dessus, la porte furieusement partout,
squ'à ce qu'elle la précipite et la dévore. » L'Eglise réformée
avait-elle perdu beaucoup par la défection d'un controversiste de cette
force 1 Chaeles Read.
BARCKHAUSEN (Conrad-Henri), théologien berlinois du commence-
ment du dix-huitième siècle, défendit dans une série d'ouvrages le
me réformé de la prédestination absolue contre les partisans de
liiniversalisme. Son principal ouvrage, Arnica collatio doctrinœ de
fjratia, quàm vera reformata confitetur Ecdesia, publié en 1714, sous le
pseudonyme de Pacificus Verinits, est dirigé contre les Thèses théolo-
gie» de Yolckmann, auquel il reproche d'invoquer l'autorité des prin-
cipaux théologiens et symboles réformés pour justifier ses vues héré-
tiques. D'après Barckhausen, le décret éternel du salut comme aussi la
vertu du sacrifice expiatoire du Christ doivent être restreints aux seuls
élus. La querelle menaçait de s'envenimer, lorsque le roi de Prusse,
Frédéric Ir, lit publier en 1719 un édit qui imposait silence aux deux
camps 'Walch, Itelig. Streùùjk., III, p. 74() ; Revzog, Real-EncueL, XIX,
p. 163 ss.).
BARCLAY (Robert), célèbre théologien de la secte des quakers, naquit
en 1648, à Edimbourg, d'une ancienne famille écossaise. Son grand-
avait été gentilhomme de la cour de Charles 1er, et son père
ni une brillante carrière militaire. Envoyé à Paris pour y pour-
suivre ses études, Robert Barclay s'y convertit au catholicisme. De re-
tour en Ecosse, il trouva son père converti lui-même aux idées de
j e Fox, 1«' fondateur du quakérisme. Ce ne fut qu'après de lon-
gues résistances que le fils se décida à suivre son père dans cette évo-
lution. 11 apporta au service de sa nouvelle foi les ressources d'un
esprit dialectique fortifié par de solides études. Il devint le théologien de
i te dont Fox ''tait l'apôtre. Dans son Apologie de la vraie théologie
80 BARCLAY — BARCOCHÉBA8
chrétienne, il systématisa le spiritualisme mystique de ce dernier, eu
le ramenant dans les bornes de l'orthodoxie protestante, au moins
quant aux dogmes essentiels de la foi. La voix intérieure du Saint-Es-
prit qui parle en chaque homme ne saurait, selon lui, jamais contre-
dire l'Ecriture, dont il accepte pleinement l'autorité. Il croit que « le
germe du péché est transmis à tous les hommes par Adam, mais qu'il
n'est imputé à aucun jusqu'à ce qu'en péchant il se fasse un avec
Adam. » 11 rejette la prédestination et admet pour l'homme la possi-
bilité d'atteindre à un état de sainteté dans lequel il ne pécherait plus.
L'Apologie, publiée en latin en 1676, fut traduite en anglais en 1678, en
allemand en 1684 et en français en 1702. Elle valut à Barclay plusieurs
réponses, auxquelles il répliqua. Il avait, dès 1673, publié un caté-
chisme. Une collection complète de ses œuvres parut deux ans après
sa mort, en 1692, par les soins de William Penn (voir l'article Quakers).
Matth. Lelièvre.
BARC0CHÉBAS,*ou Bar-Kokeba (fils de l'Etoile), surnom sous lequel est
connu Bar-Koziba, chef de la révolte des Juifs de Palestine sous l'empereur
Adrien (132-135 ap. J.-C). La Judée avait gardé le calme pendant la
grande insurrection des Juifs de la Cyrénaïque sous Trajan ; les dispo-
sitions bienveillantes qu'Adrien paraît leur avoir d'abord témoignées
ayant toutefois fait place à des mesures vexatoires et à une véritable
persécution, une rébellion se prépara. L'empereur, renouvelant un
décret de Trajan, défendit aux Juifs de pratiquer la circoncision et ré-
solut de rebâtir Jérusalem pour en faire une ville absolument païenne ;
ces mesures déterminèrent des troubles qui prirent une grande impor-
tance sous la direction d'un certain Bar-Koziba. Ce personnage, dont
l'origine est restée fort obscure, semble avoir dû la plus grande part
de son succès à l'appui du célèbre R. Akiba (voyez ce mot), lequel lui
donna le titre de Messie, et à cet effet l'appellation messianique tirée
des Nombres XXIV, 17, sous laquelle on le désigne d'habitude. Il aurait
groupé autour de lui des troupes nombreuses et se serait emparé sans
grand'peine de Jérusalem et d'un grand nombre de places de moindre
importance. Julius Severus, chargé de le battre, lui enleva successive-
ment un certain nombre de villes, dont Jérusalem, et finit par l'assiéger
dans la ville de Bethar, dont l' identification n'a pu être faite avec cer-
titude. Après un siège long et pénible, les Romains s'emparèrent de
cette citadelle et marquèrent leur victoire par d'affreux massacres.
Bar-Koziba périt dans la lutte, et l'insurrection fut terminée avec lui.
,0n trouvera ces événements relatés avec beaucoup de soin dans la
Palestine de Munk, p. 605-606, d'après les sources éecclsiastiques,
païennes et rabbiniques. Toutefois, si la gravité de la révolte, l'impor-
tance du rôle joué par Bar-Kokeba et l'épisode capital de la lutte
autour de Bétharsont hors de doute, il n'en est pas de même de beau-
coup de faits rattachés à ce mouvement. La tradition juive s'est mon-
trée très-sévère envers Bar-Koziba, dans le nom duquel elle a cherché
un sens injurieux (fils du Mensonge) qui ne se justifie pas ; elle le re-
présente sous l'aspect d'un vulgaire thaumaturge exploitant la crédu-
lité populaire par un grossier charlatanisme ; ces traits s'accordent mal
BARCOCHÉBÀS — BARI 81
avec le patronage d'un homme tel que R. Akiba. Il est également plus
que douteux que le nom de Simon, que Ton lit sur les monnaies frap-
pées pondant l'insurrection, ait été le sien, et qu'il ait pris par là des
prérogatives royales. M. Renan, dans un très-remarquable travail inti-
tulé : Jérusalem a-t-clle été assiégée et détruite nue b'oisième fois sous
Adrien ? (Revue historique, 1876, t. II, p. 112-120), conteste que Jéru-
salem ait joué dans cette lutte un rôle sensible, et rejette comme dé-
pourvue de fondement historique ridée, presque universellement
reproduite, que la capitale juive ait été assiégée par le lieutenant de
l'empereur, réduite en ruines de nouveau et rasée de façon à laisser le
terrain net pour la construction d'JUia-Capitolina. Les travaux d'éta-
blissement d'.Elia remonteraient à Tan 122 et n'auraient point été
mis en question par l'insurrection, qui ne parait point avoir occupé
Jérusalem d'une manière durable, si toutefois elle y a mis jamais le pied.
M. Renan établit surtout une distinction capitale entre les sources de
cette histoire et retient comme solides les renseignements dus à Dion
Cassius et à Ariston de Pella (connu par Eusèbe), tandis que la tradition
juive et chrétienne a été de bonne heure dominée par une assimilation
instinctive entre les circonstances de la guerre de Titus et de celle
d'Adrien. 11 résulte de l'étude de M« Renan que l'on ne saurait ac-
cueillir avec trop de précautions la manière dont est généralement
présentée l'histoire des Juifs sous les empereurs depuis la prise de Jé-
rusalem par Titus. Maurice Vernes.
BARGOS (Martin de) [1600-1678], disciple de Jansénius dont il avait
suivi les cours à Louvain. Il fut chargé de l'éducation du fils d'Arnauld
d'Andilly, et en 1664 il succéda à Jean Duvergier de Hauranne, son
oncle, dans- l'abbaye de Saint-Cyran. Louis XIV, informé de ses ten-
dances, lui envoya un ordre qui l'exilait à Boulogne; Barcos se tint
caché pendant un certain temps, puis il revint à son abbaye, où il mou-
rut. Il a composé un certain nombre d'ouvrages de controverse dont le
plus connu est son Exposition de la foi de l'Eglise romaine touchant la
grâce et la prédestination, qui fut condamnée par le cardinal de Noailles,
archevêque de Paris, et par la congrégation de Y Index (voyez Jansé-
nùme).
BARDESANE, gnostique valentinien, vivait à Edesse (vers Tan 172)
sous le prince Abgar-Manu. Eusèbe nous a conservé un fragment
de son livre Ilept -J.\).y.o\).vrrh Sur la fatalité (Eusèbe, Prxparat. evan-
geL, M, 10). Il avait aussi composé 110 des hymnes hérétiques contre
lesquelles Kphrem composa ses Cantiques orthodoxes . Le système de Bar-
il-- ine n'étant qu'une variété de l'école de Valentinien, il ne peut être
compris qu'en étant rattaché à celui de son maitre (voir les articles
Gnoëticisme et Valentinien).
BARI (Concile de). Cette assemblée, de 183 évéques, fut convoquée
et présidée pur (Jrbain II, le Ier octobre 1098. L'interminable querelle
des grecs et des latins sur le /iliaque en était l'objet apparent. Les
actes de ce concile sont perdus, mais Anselme de Cantorbéry, qui
BOUtint seul Le poids de la discussion, expose dans son Traité sur la
Procession du Saint-Esprit les idées qu'il y développa. La partie poli-
82 BAR1 -- ARLETTA
tique de ce concile nous est mieux connue, grâce au récit de Guillaume
de Malmesbury. Anselme, après ses démêlés de primat d'Angleterre
avec Guilîaume-le-Roux, venait de se réfugier près du pape. Urbain
profita du concile pour le combler de marques de distinction : on alla
jusqu'à l'appeler « alterius orbis papam ». 11 y fut longuement ques-
tion de l'impiété de Guillaume, et ce ne fut qu'à l'intercession cha-
ritable d'Anselme que le pape différa de formuler en excommuni-
cation positive les malédictions dont il chargea le roi normand
(V. Duodecima centuria eccles., Basilea?, 1569; Bail, Summa conciL,
Paris, 1672).
BARJÉSUS (Bar-Jeschuah, fils de Jésus), nom d'un magicien juif atta-
ché à la personne de Sergius Paulus, proconsul dans l'île de Chypre,
que les Actes des Apôtres ont présenté comme un faux prophète et qui
se donnait à lui-même le titre d'Flim, sage (d'où Elymas, mot d'ori-
gine arabe; pluriel, ouléma). Craignant de perdre auprès du proconsul
son influence et son crédit, il voulut s'opposer à Barnabas et à Paul qui
devaient lui apparaître comme des concurrents dangereux ; il en fut
puni, d'après les Actes, sur une parole de Paul-, par une cécité temporaire
(Act. XIII, 6-12).
BARLAAM, moine, né à Seminara, dans la Calabre intérieure, fut
élevé dans la religion latine (Cantakuzène, Eût., lib. II, ch. xxxix). Il
était intelligent et instruit, mais d'un caractère inconstant. Ayant quitté
la religion latine, il vint à Byzance sous Andronique le Jeune et accepta
les dogmes de l'Eglise orientale. En 1339 il fut envoyé par Andronique
au pape Benoît XII, à Avignon, avec la mission d'opérer la réunion
des Eglises et de demander des secours contre les mahométans. Il re-
tourna sans réussir à Constantinople où il eut de vives controverses
avec Palamas, moine du mont Athos et chef des quiétistes (voy. ce
mot). Il écrivit contre ces derniers; c'est pourquoi il fut condamné
par un synode assemblé dans l'église de Sainte-Sophie au mois de
juillet de l'an 1341. Quelques jours après sa condamnation il partit en
Italie, et devint évêque de Gieraci en 1342. Il mourut en 1348. Il écri-
vit contre les latins : 1° un discours sur la primauté du pape, publié
d'abord en grec à Oxford, en 1592, in-4°, puis à Hanovre en 1608 ;
2° Vingt discours sur la procession du Saint-Esprit, dont les manuscrits
se trouvent dans les bibliothèques de Paris, Vienne, etc.; 3° un dialogue
entre un orthodoxe et un latin sur les azymes et sur la procession du
Saint-Esprit; le manuscrit de cet ouvrage se trouve dans la bibliothè-
que du Vatican. Il écrivit aussi les Orationes sur la réunion des deux
Eglises (dans les Annales de Brovins, année 1359, § 25); Aoy^v.y^q,
sive arithmeticœ algebraicœ lib. VI, avec le texte et la traduction latine,
Strasbourg, 1572, in-8°, et Paris, 1606 ; Ethicse secundum sto'icos lib. Il,
dans Canisius, éd. d'Anvers, t. IV. Barlaam n'est pas l'auteur d'un
écrit sur le purgatoire, qui fut publié en 1645 avec son écrit sur la pri-
mauté du pape. Ign. Moshakis.
BARLETTA (Gabriel), fameux prédicateur dominicain du quinzième
siècle. Le soin qu'il eut de conformer son éloquence au goût de son
temps lui valut une popularité incomparable, mais produisit sur la
BARLETTA — BARNABAS 83
postérité une impression bien différente. On a tenté de le disculper de
la bouffonnerie parfois indécente de ses serinons en attribuant ses traits
à la malignité de copistes infidèles. Léandre Albert i, son contemporain,
prétend avoir connu te faussaire qui a emprunté le nom du P. Gabriel,
mais il ne le nomme pas. Henri Estienne a donné dans son Apologie
d'Hérodote quelques spécimens de ce burlesque grossier. Bayle les pré-
tend extraits du Barletta authentique, non sans vraisemblance, car les
dominicains se sont évertués à en atténuer le ridicule avec Une gravité
aussi plaisante que les facéties deTauteur. La premièredes nombreuses
éditions de Barletta est de Brescia, 1498, in-8°. Celle de Venise, 1571 et
1577, in-8°, renfermant dans le tome premier le Carême et dans le
second le reste de l'année ecclésiastique, est réputée la meilleure.
François de la Serre a publié à Paris les Sermons de Barletta en 1531
(Altamura, Biblioth, Onlinis Prwdicat.; Possevin, Appar. Sacri, t. I).
BARMEN, ville moderne de 50,000 habitants, située près d'Elber-
feld, dans la vallée de la Wupper (Prusse rhénane), au centre d'une in-
dustrie considérable de coton, de toile, de velours, de quincaillerie. Un
réveil religieux s'étant manifesté vers 1825 dans ce populeux district
manufacturier, de nombreux établissements de bienfaisance et de pro-
pagande évangélique ne tardèrent pas à surgir, parmi lesquels se place
au premier rang la Société des missions de Barmen (voyez Missions).
BARNABAS ou saint Barnabe, comme rappellent les hagiographes
catholiques et M. Renan dans son Histoire des o?,igines du c/wistianisme
il et III), se nommait en réalité José ou Joseph. Le surnom de
Uaruahas. qui signifie enaraméen « fils de l'exhortation », lui fut donné
par 1rs apôtres (Actes IV, 36), vraisemblablement à cause des nom-
breuses conversions qu'il aurait opérées par son éloquence au milieu
des païens. Une tradition postérieure, adoptée par Clément d'Alexan-
drie et Eusèbe de Césarée (Strom., II, 20; Ilist. eccL, I, 12), lui
assigne une place parmi les soixante-douze disciples que Jésus avait
envoyés pour annoncer la Bonne Nouvelle, mais elle ne s'appuie sur
aucun témoignage positif. Quel que soit son degré de crédibilité, il est
certain que Barnabas était un Juif Helléniste, Cypriote de naissance, et
qu'il appartenait à la tribu de Lévi. Les Homélies Clémentines, qui en
font également un disciple immédiat de Jésus, le prétendent originaire
d'Alexandrie d, 9). Au moment où les Actes le mentionnent pour la
première fois, Barnabas fait partie de l'Eglise de Jérusalem où il se dis-
tingue par sa générosité ; lorsque les membres de cette Eglise, par une
inspiration spontané.', établissent entre eux la communauté des biens,
il vend un ebamp qu'il possède dans le voisinage et en dépose le prix
aux pieds des apôtres. Barnabas se consacra de bonne heure à l'évangé-
lisaiion des païens. La place qu'il y occupa, les pensées qui le dirigè-
rent, ses rapports avec Paul, nous apparaissent sous un jour difïérent,
suivant que nous consultons les épitres pauliniennes ou les Actes des
apôtres. D'après ce dernier document, il aurait, aux débuts de la
mission païenne, joué un rôle de premier ordre. Il introduit après les
événements de Damas Paul dans le cercle des Douze et dissipe leurs
préventions contre le nouveau converti (Actes IX, 27). Lorsque les Hel-
84 BARNABAS
lénistes, dispersés après la mort d'Etienne, fondent à Antioche une
communauté bientôt florissante, les Douze envoient de Jérusalem Bar-
nabas qui en prend la direction et maintient la bonne entente avec la
métropole. Un peu plus tard il se rend à Tarse pour enlever Paul à la
retraite et l'associer à ses travaux (Actes XI, 22, 25). C'est sous son
patronage immédiat et médiatement sous celui des Douze que l'apôtre
des gentils entreprend son premier voyage missionnaire; aussitôt après
ils partent ensemble pour Jérusalem afin d'attester leur subordination
vis-à-vis des chefs de l'Eglise. Dans le deuxième voyage qu'ils font en
commun, Barnabas continue à jouer le premier rôle (Actes XII, XIII) ;
Paul n'est jamais nommé que le second; cependant il prend toujours
la parole pour exposer l'Evangile devant les païens et dans les syna-
gogues, ce qui permet de supposer entre eux des rapports réels tout
autres que ceux décrits dans un but de conciliation par l'auteur des
Actes. Depuis le chapitre XIII leurs rôles sont intervertis, sauf dans les
trois passages suivants : Actes XIV, 14 (Barnabas reçoit le titre d'apôtre
auquel il n'a aucun droit afin d'en faciliter l'octroi à Paul et d'apaiser
les scrupules des judéo-chrétiens) ; XV, 12 (Barnabas et Paul racon-
tent à l'Eglise de Jérusalem les miracles que Dieu a opérés par leur
moyen au milieu des gentils) ; Actes XV, 25 (Barnabas est nommé le
premier dans le décret apostolique comme celui qui entretient les rela-
tions les plus intimes avec la métropole). Tout le rôle de Barnabas,
d'après les Actes, nous paraît subordonné à la pensée maîtresse de l'au-
teur : celle de rapporter aux Douze l'honneur de la mission païenne et
de réduire Paul au rang de leur chargé de pouvoirs, du continuateur
docile de leur œuvre. Lorsque nous parcourons les épîtres pauli-
niennes, les rapports entre les deux missionnaires nous apparaissent
sous un jour différent. L'apôtre des gentils possède le sentiment très-
net d'avoir reçu son Evangile de Dieu directement, sans aucun inter-
médiaire humain : dans les années qui suivirent sa conversion, il
aurait évité aussi soigneusement tout commerce avec les Douze que,
d'après les Actes, il aurait, grâce aux bons offices de Barnabas, promp-
tement obtenu leur concours. Dans le récit de son voyage à Jérusalem
(Gai. I, 1, 9) il s'attribue à lui-même le premier rôle et ramène
Barnabas aux proportions d'un simple auxiliaire. Il n'y a rien d'invrai-
semblable à ce que Barnabas se soit rencontré à Jérusalem trois années
après la conversion de Paul et qu'il lui ait ménagé une entrevue avec
le chef des Douze. Il peut également l'avoir précédé à Antioche, l'avoir
même engagé à y transporter son séjour sur le bruit des conversions
que l'apôtre aurait opérées dans plusieurs villes de la Syrie et de la
Cilicie au milieu des Gentils. En fait ce ne fut que depuis l'arrivée de
Paul qu' Antioche devint en Orient la métropole des ethnico-chrétiens.
Par malheur nous ne possédons que des renseignements très-incom-
plets sur ses origines, sa situation intérieure. Paul et Barnabas semblent
avoir présidé d'un commun accord à ses destinées et professé les
mêmes vues sur la Bonne Nouvelle apportée par Jésus, sa diffusion dans
des cercles toujours plus vastes : ils rayonnèrent de la capitale de la
Syrie comme d'un centre pour annoncer dans de nombreux voyages
BARNABAS 8 5
missionnaires l'Evangile aux juifs et aux païens. Aussi sommes-nous
surpris de la position prise par Barnabas dans la lutte qui surgit entre
Pierre et Paul à propos des repas communs entre circoncis et incir-
concis, du dissentiment qui sépara les deux anciens compagnons d'œu-
vre. L'auteur des Actes garde le silence sur le conflit qui éclata entre
les deux apôtres; il attribue la rupture entre Paul et Barnabas à des
motifs tout personnels qui D'en expliquent ni la gravité ni la durée. Pam,
dans répitre aux (ialates, se glorifie d'avoir ouvertement résisté au
prince des apôtres qui aurait provoqué tous les autres judéo-chrétiens
d'Antioche à la dissimulation par son exemple; il constate avec regret
la faiblesse dont Barnabas, dans cette occasion, s'était rendu cou-
pable, et lui reproche avec amertume de s'être laissé entraîner à l'hy-
pocrisie. L'apôtre des gentils, lorsqu'il émit cette appréciation rigou-
reuse, eedaà la pression de sa propre dialectique plutôt qu'il ne se rendit
un compte exact de la situation psychologique de ses adversaires. Bar-
nabas, en s' inclinant devant le verdict impérieux de Jacques, n'obéit ni
à la peur ni à des mobiles égoïstes, mais lut la victime d'une conscience
timorée qui ne discernait pas encore clairement sa ligne de conduite.
Le rôle (pi' il joua dans le conflit d'Antioche trahit chez lui, en
dépit d'un caractère aimable et d'une connaissance approfondie
de l'Ecriture, l'absence d'un but net, d'une pensée rigoureuse. Bar-
nabas ne se réconcilia jamais avec son ancien compagnon d'œuvre.
Pendant que Paul cherchait à propager l'Evangile dans des régions
toujours pins éloignées et s'avançait à travers l'Asie-Mineure jus-
que sur les bords de l'Archipel, il reprenait avec Marc la route de
lile de Chypre, sa patrie (Actes XV, 39). Depuis lors nous manquons
sur lui de tout renseignement authentique. Les Homélies Clémentines,
si hostiles à l'apôtre des gentils, célèbrent en Barnabas un fidèle pré-
dicateur de l'Evangile, un scrupuleux observateur de la loi mosaïque
(I, 9, 16; II, i). 11 aurait entretenu les relations les plus intimes avec
Pierre, et les judéo-chrétiens continuèrent dans la suite à le regarder
comme un des leurs. S'il faut en croire leur témoignage, il aurait aussi
annoncé la Bonne Nouvelle à Alexandrie et s'y serait rencontré avec
leur béros, Clément Romain. Les Récognitions Clémentines transpor-
tent à Home le théâtre de l'entrevue (I, 7). Les récits qui nous parlent
de son épiscopat à Milan, de son martyre dans l'île de Chypre man-
quant de toute garantie sérieuse. E. Strœhlin.
BARNABAS (Epître de). Cette production anonyme, faussement attri-
buée à l'ami et compagnon de l'apôtre Paul par Clément de Home et d'au-
tres auteurs ecclésiastiques, nous a été conservée, en un très-petit nombre
de copies, dans deux textes, l'un grec, l'autre latin. Le texte grec est tron-
qué, caril commence au milieu d'une phrase du 5e chapitre; la traduction
latine, plus incorrecte encore que l'original grec, s'arrête au 17° chapitre;
I.- livre entier en a 2i. Il se divise en deux parties: la première (1-XVI1),
dogmatique, proclame la déchéance de la loi mosaïque et prémunit les
lecteurs contre toute rechute dans le judaïsme, en démontrant que
1 abolition de ses institutions et de ses cérémonies a été prédite par
l'Ancien Testament lui-même. La typologie el les allégories auxquelles
86 BARNABAS — BARNABITES
Fauteur a recours rappellent la méthode employée dans répitre aux
Hébreux ; mais elles sont généralement forcées et d'un goût douteux.
La seconde partie (XV1II-XXI) renferme des préceptes de morale
et oppose la voie de la lumière, que doit suivre le chrétien, à la voie
des ténèbres dans laquelle marche le mondain. L'auteur appartient
manifestement à ce parti de la conciliation entre le judéo-christianisme
et lepaulinisme qui finit par triompher dans l'Eglise. Son antijudaïsme
est trop prononcé pour qu'on puisse le ranger, avec certains commen-
tateurs, parmi les judéo-chrétiens, mais d'autre part son paulinismeest
bien affaibli, et la manière dont il parle de la grâce et delà foi trahit un
acheminement vers la conception tout intellectuelle dans laquelle se
fixa le dogme catholique. L'ignorance des cérémonies judaïques, inad-
missible chez un lévite, suffirait à elle seule à démontrer l'inauthenti-
cité de l'épitre de Barnabas. La mention de la destruction du temple
de Jérusalem (XYI) nous reporte, pour la date, après l'an 70; d'autre
part l'ascension de Jésus-Christ placée le jour même de sa résurrection
(XV) ne nous permet pas de dépasser la première moitié du second siècle.
Nous ignorons également le cercle des lecteurs auquel s'adresse cette
épître, assez improprement nommée xaGcXirrç, ainsi que son lieu d'o-
rigine. L'hypothèse qu'elle a été écrite par un chrétien d'Alexandrie
manque de fondement. — L 'épître de Barnabas est insérée dans toutes les
éditions delà collection des Pères apostoliques. La première, de Hugues
Ménard, date de 1645; l'une des meilleures est celle deHefele, Tubin-
gue, 1843. Voyez aussi du même, Sendschreiben des Ap. B. untersuckt,
ùbersetzt u. erklœrt,Tùb., 1840; Kayser, Revue dethéol. de Strasbourg,
lre série, II, p. 202 ss.; Reuss, Eût. de la théol. chrét., II, 557 ss.
BARNABITES. Parmi les nombreux ermites qui vivaient en Italie, les
uns isolément, les autres ayant quelques règles communes, il y en
avait qu'on appelait les ermites de Saint-Ambroise. Ils sont mention-
nés pour la première fois sous le règne du pape Grégoire XI. En 1441,
Eugène IV les réunit en congrégation ; leur patron étant saint Barnabe,
on leur donna le nom de Barnabites. Comme ils n'avaient pas de but
pratique , ils restèrent sans importance jusqu'à ce qu'en 1589 Charles
Borromée les fondit avec une congrégation plus récente qui portait le
même nom. Cette dernière fut établie vers 1530 à Milan par Antoine-
Marie Zaccharia, Barthélémy Ferrari et Jacques- Antoine Morigïa. Ces
trois prêtres, entraînés par le mouvement religieux qui traversa l'Italie
à cette époque, convinrent de ranimer la vie pieuse du peuple par
des prédications plus édifiantes et par une distribution plus fréquente
de l'eucharistie. Quand ils eurent trouvé quelques compagnons , Clé-
ment VII confirma l'institution par un bref en 1533; deux années
après, Paul III les exempta de la juridiction épiscopale, les soumit im-
médiatement au saint-siége et leur donna le nom de clercs réguliers de
Saint-Paul. L'oratoire où, à Milan, ils tenaient leurs réunions, était dé-
dié à cet apôtre. Quand, plus tard, ils obtinrent l'église de Saint-Bar-
nabe, on ne les appela plus que Barnabites. Leurs obligations étaient
de prêcher, d'instruire la jeunesse, de diriger des séminaires et de
faire des missions. Leur costume était celui des prêtres séculiers; du
BARNABITES — BARNAUD 87
monachisme ils n'avaient que les trois vœux, auxquels ils avaient
ajouté, comme quatrième, celui de ne pas aspirer à des dignités ecclé-
siastiques. L'ordre se répandit en plusieurs pays ; au commencement
du seizième siècle il avait déjà cinq provinces. La maison principale
était à Rome. Ch. Schmidt.
BARNAUD (Nicolas), gentilhomme dauphinois, comme il se quali-
fiait, et médecin, né à Crest, en Dauphiné, de parents protestants, dans
la première moitié du seizième siècle. On ignore la date de sa nais-
sance et celle de sa mort. Son nom a été souvent défiguré {Bernardus,
Barnardus, Jiernaudus, Barnaudus, Arnaudus). Sa devise était : Nihil
sine numine. Fervent adepte de la philosophie hermétique, il parcourut
l'Espagne vers 1559, se trouva à Genève en 1567 et y reçut droit de
Jjourgeoisie , parcourut presque tous les pays de l'Europe , exerçant
partout la médecine et s'enquérant des progrès du grand œuvre. En
1597 et 1599, on le retrouve à Leyde, et, en 1601, à Gouda, près Rot-
terdam, âfgé alors de plus de soixante ans. En 1612, son nom se trouve
mêlé à L'affaire du ministre d'Aigues-Mortes, Bansillon, que le synode
de Privas suspend pour trois mois, comme s'étant adonné à l'alchimie,
sous les auspices d'un médecin dit Barnaud, comme nous le révèle un
pamphlet du temps {le Magot genevois, etc., 1613). Les écrits que Bar-
naud a publiés, ou qu'on lui a attribués, se rapportent surtout à la
science hermétique, à l'histoire ou à l'économie politique. Les pre-
miers sont devenus très-rares et sont oubliés dans la poussière des bi-
bliothèques; ils sont d'ailleurs réunis dans le Thealrum Chemicum.
Barnaud a donné une traduction du livre : De V Autorité de la Sainte
Ecriture, de Socin,avec ï Advertissement de MM. les Théologiens de Basle
sur quelques endroits dudit escrit, 1592, in-8°; et on lui attribue celle des
sept Livres de Servet concernant les erreurs touchant la Trinité. On lui
a surtout imputé la paternité du célèbre pamphlet, publié en 1573,
contre les instigateurs de la Saint-Barthélémy, sous ce titre : Dialogus
quo multa exponuntur, etc., et qui a été traduit en français : Dialogue
auquel sont traitées plusieurs choses qui sont advenues aux Luthériens et
Huguenots de la France; ensemble certains points et avis nécessaires
d'estre sceuz et suiviz, Bâle, 1573, pet. in-8°. On lit au dernier feuillet :
« Achevé d'imprimer le 12e jour du sixième mois d'après la journée
de la Trahison. » Augmenté d'un deuxième dialogue, cet ouvrage fut
réédité en 1574, et une traduction en fut publiée en français sous ce
titre bien connu : Le Réveille -Matin des François et de leurs voisins,
composé par Eusèbe Philadelphe, cosmopolite, en forme de dialogue,
Ed imbourg (Bàle?), 1574. Le premier dialogue a lieu entre six inter-
locuteurs, qui sont : Alithie, Philalithie, l'Historiographe, le Politique,
l'Eglise et Daniel. 11 est plein de véhémence et de ressentiment, sans
doute, mais plein aussi de détails authentiques et dignes d'attention.
Le deuxième n'a que deux interlocuteurs : le Politique et l'Historio-
graphe. En tête de cette traduction se trouve une dédicace à la reine
Elisabeth* datée du 20 novembre 1573. Il faut noter ici (pie ce pam-
phlet a été attribué aussi à Théodore de Bèze par Maillet, à Hugues Do-
neau par Gujas, à François Hotman par Sayous (supposition qui semble
88 B ARNAUD — BARNEVELD
incompatible avec un mot du 2e dialogue, p. 116); mais Prosper Mar-
chand, Frisius, Placcius, Barbier, Brunet et Haag le maintiennent à
Barnaud. Enfin on lui attribue encore : 1° Cabinet du Roi de France,
dans lequel il y a trois perles précieuses d'inestimable valeur, par le
moyen desquelles Sa Majesté s'en va le premier monarque du monde et
ses sujets du tout soulagez, 1582, s. n. d. 1., 3 liv. en un vol. in-8° de
647 pages. La dédicace à Henri III est signée N. D. G. (Nicolas de Crest?)
et datée du 1er novembre 1581. « Ce beau Cabinet, c'est la monarchie
des Gaules, dont la première perle est la Parole de Dieu, qui a pour
estay l'Eglise papale, dans laquelle elle est enclose ou plustost ensevelie;
la deuxième perle est la Noblesse, et la troisième le Tiers-Estat. » C'est
d'ailleurs une satire assez diffuse, et souvent cynique, mais où se ren-
contrent de bonnes pages. On l'a aussi attribuée à Nicolas Froumen-
teau, auteur du Seo^et des Finances de Finance (1581), ouvrage qui est
une sorte de bilan très-curieux de la fortune du royaume à cette date, et
où se rencontrent des analogies frappantes avec le Cabinet. Mais
Froumenteau n'est peut-être qu'un pseudonyme de notre Barnaud.
2° Le Miroir des François, compris en trois livres, contenant l'état et le
maniement des affaires de France, tant de la justice que de la police,
par Nie. de Montaud, 1582, in-S°. C'est le livre d'un huguenot pas-
sionné , mêlant volontiers la polémique aux affaires, et qui, selon
Haag, serait peut-être Louis Des Masures. Mais La Monnoye le donnait
à Barnaud ; Prosper Marchand, Delisle de Sales et Barbier ont adopté
son opinion, et Le Duchat regardait le Cabinet (de Barnaud), le Secret
(de Froumenteau) et le Miroir (de Montaud) comme l'œuvre d'un
même auteur, quel qu'il fût. Charles Read.
BARNÈS ou Barns (Robert), chapelain du roi d'Angleterre Henri VIII.
Il fut envoyé par ce prince pour conférer avec les théologiens protes-
tants de Wittemberg relativement à son divorce avec Catherine d'Ara-
gon. Ayant professé, à son retour, les doctrines de Luther et insisté
sur certaines réformes nécessaires du culte, il s'attira la disgrâce du
roi qui le fit enfermer à la Tour. Barnès, pour obtenir sa liberté, ab-
jura les propositions incriminées. Poursuivi par le remords, il s'enfuit
à Wittemberg. Lorsque Henri VIII se fut définitivement prononcé contre
le pape, le malheureux exilé retourna dans sa patrie; c'est alors qu'il
fut nommé chapelain du roi et chargé de négocier son mariage avec
Anne de Clèves. Lorsque ce voluptueux tyran divorça avec elle, il
livra Barnès au 'Parlement qui le condamna à périr dans les flammes
(1540). On a de lui un écrit polémique intitulé : Vilae romanorum pon-
tificum quos papas vocamus (de saint Pierre à Alexandre III), publié à
Wittemberg, en 1536, avec une préface de Luther, réimprimé plusieurs
fois et condamné par Pie IV.
BARNEVELD (Jean VanOlden). Né en 1549, il se distingua de bonne
heure dans le maniement des affaires publiques par sa probité et sa
rectitude d'esprit. Guillaume Ier, prince d'Orange, l'investit de sa con-
fiance et le chargea de missions difficiles dont il s'acquitta avec succès.
A la mort de Guillaume, en 1584, son jeune fils, Maurice de Nassau»
trouva dans le crédit de Barneveld près des Etats-Généraux un puissant
BARNEVELD 89
appui pour parvenir aux plus liantes dignités. En 1580, les Etats de
Hollande élurent pour leur conseiller-pensionnaire, ou avocat de la
province, Barneveld, qui déclara n'accepter ce titre qu'à la condition
de s'en démettre le jour où s'entameraient, comme il le craignait alors,
des négociations tendant à une restitution des Pays-Bas à l'Espagne.
Devenu généralissime des troupes des Etats, Maurice de Nassau se si-
gnala bientôt par une série de succès qui consolidèrent la situation de
la nouvelle république des Provinces-Unies, à laquelle une alliance
conclue avec la France apporta une nouvelle force. Non moins habile
négociateur qu'administrateur éclairé, Barneveld fut chargé d'une
mission près de Henri IV, lors des préliminaires de la paix conclue
en 1598, à Vervins, entre la France et l'Espagne. La bonne harmo-
nie, qui pendant plusieurs années avait existé entre lui et Maurice,
cessa en 1607, à raison des pourparlers engagés par l'Espagne avec les
Etats pour arriver soit à une paix, soit à une trêve. Ami de la gloire, et
craignant que la paix ne restreignit l'autorité dont il était revêtu, Mau-
rice voulait la continuation de la guerre ; Barneveld, au contraire,
aspirait d'autant plus à la cessation des hostilités, dans l'intérêt de sa
patrie, qu'il redoutait que Maurice ne parvint à se rendre trop puis-
sant, au détriment de celle-ci. De là entre ces deux hautes personna-
lités gouvernementales un dissentiment qui ne lit que s'aggraver de
jour en jour. Les pourparlers échouèrent quant à la paix; ils furent
repris, en vue d'une trêve à établir. Barneveld insistait pour qu'elle fût
conclue ; Maurice résistait, et finit par céder : une trêve de douze ans
tut signée en 1609. Dans cette même année, se manifesta une divi-
sion profonde au sein des Eglises réformées des Provinces-Unies. Elles
se scindèrent en deux camps, dont les chefs furent J. Arminius et
F. Gomarus, professeur en théologie à l'université de Leyde. Barne-
veld. défenseur convaincu du principe de la liberté religieuse, se
rangea, à ce titre, du côté d'Arminiuset de ses partisans ; Maurice, par
calcul, se prononça contre ceux-ci et le grand-pensionnaire. La ques-
tion religieuse ne tarda pas à se compliquer de questions administra-
tives et politiques, dans le conflit desquelles d'âpres agressions contre
Barneveld furent trop souvent fomentées par Maurice. Ce prince réussit
à attirer à lui la majorité des Etats-Généraux et à préparer la perte de
l'homme dont, plus que tout autre, il eût dû respecter le caractère et
le loyal dévouement, puisqu'à dater de 1584 il avait trouvé en lui un
second père. Barneveld fut arrêté et dut passer de longs mois en
prison, sans qu'une instruction judiciaire fût régulièrement suivie
contre lui. Pendant ce temps, le parti qui l'accablait de sa haine et de
calomnies s'efforçait, afin de le faire plus sûrement succomber
par la suite sous ses coups, de le frapper d'abord en la personne de
ses adhérents, tant par certaines décisions acerbes du synode de Dor-
dreclit que par des persécutions de tout genre. Traduit, après une
incarcération abusivement prolongée, devant une commission compo-
sée non de juges mais d'ennemis, Barneveld, en dépit des généreux
efforts que firent la princesse douairière d'Orange; et L'ambassadeur de
France pour sauver ses jours, lut condamné à mort, comme coupable,
90 BARNEVELD — ARONITJS
notamment, d'avoir voulu livrer sa patrie à l'Espagne, lui qui cepen-
dant avait si énergiquement contribué à l'arracher au joug de cette
puissance, comme il Pavait soustraite naguère aux étreintes de la
Grande-Bretagne. Le 13 mai 1619, entre 8 et 9 heures du matin, il
fut conduit devant les commissaires, qui lui firent lire par le greffier
la sentence de condamnation; après quoi, l'un d'eux osa lui dire :
« Votre sentence est lue ; dépêchez, dépêchez. » Le vénérable vieil-
lard, s'appuyant sur son bâton, marcha courageusement au supplice.
Arrivé sur l'échafaud, il leva les yeux au ciel et dit : « ODieu!
qu'est-ce que de l'homme ! » Il écouta, dans l'attitude du recueille-
ment, la prière que prononça un ministre, pria lui-même avec ferveur ;
puis, s'adressant aux assistants : « Amis, s'écria-t-il, ne croyez pas
que je sois traître à ma patrie ! Je me suis toujours conduit avec
intégrité et probité, comme un bon patriote, et tel je mourrai ! »
A neuf heures et demie, l'œuvre du bourreau était accomplie. —
Voyez : 1° Brandt, Hist. de la Ré forme, liv. 20 à 32; 2° Mercure fran-
çais, ann. 1614 à 1619; 3° Grotius, Annal, des Pays-Bas, liv. 7, 16,
17 ; 4° Grotius, Apolog. eor. qui Holland. prœfuer. ; 5° Acta Synodi
Dordracenœ ; 6° Acta et scripta synodalia Remonstrantium; 7° Lettres
et mém. de Duplessis-Mornay ; 8° De Burigny, Vie de Grotius, 1752,
t. I, p. 91 à 145 ; 9° Louis Aubery, Mémoires sur l'histoire des Pro-
vinces-Unies, 1688, p. 183 à 190, p. 263 à 288, p. 332 à 346, p. 365 à
374; 10° Mien. Levassor, Hist. de Louis XIII, 1757, t. I, p. 211 à
222, p. 517 à 531, p. 736 à 751, t. II, p. 42 à 65, p. 89 à 101 ; 11° Le-
clerc, Hist. de HolL; 12° Delaneuville, Hist. de Holl. ; 12° Kerroux,
Abr. de VHist. de Holl., 1778, t. II. J. DelIborde.
BAR0NIUS (César). Né en 1538, à Sora, au royaume de Naples, de
la noble famille de Barono, le futur historien de l'Eglise entra de bonne
heure à l'Oratoire de Rome. Saint Philippe de Néri, qui avait deviné
son génie, l'employa d'abord à prêcher sur l'histoire ecclésiastique,
puis il l'engagea à mettre la main à l'œuvre immense qui a illustré son
nom. Confesseur de Clément VIII, puis cardinal' (1596) et bibliothécaire
du Vatican, Baronius serait sans doute devenu pape (1605) sans l'opposi-
tion politique des Espagnols : on loue sa modestie et la sainteté de sa
vie; il mourut en 1607. Les Annales ecclésiastiques de Baronius étaient
destinées à servir de contre-pied aux célèbres Centuries des théologiens
de Magdebourg. L'auteur les a conduites jusqu'à l'année 1198; elles
furent imprimées à Rome, de 1588 à 1593, en 12 vol. in-fol. Aucune des
éditions qui portent le nom d'Anvers, sauf celle de 1642 qui est im-
primée ailleurs, ne contient le Traité de la monarchie sicilienne ; cette
dissertation, qui soutenait les prétentions des papes sur Naples et la
Sicile, a été brûlée en Espagne par la main du bourreau. L'édition de
Mayence (1601-1605) a été revue par l'auteur; elle est la meilleure. La
plus utile pour l'étude est celle que Mansi a publiée à Lucques de 1738
à 1759, en 35 vol. in-fol., auxquels sont joints trois volumes contenant
un excellent index. L'édition de Lucques contient, en regard du texte
de Baronius, la -belle Critique du savant cordelier Ant. Pagi (d'Aix en
Provence, f 1699 — isolément, Anvers ou Genève, 1705, 4 vol. in-f°;
BARONIUS — BA11SUMAS 91
meilleure édit., ib.y 1721) et, dans les volumes suivants, les continua-
tions de Toratorien Odoric Raynaldi [(de Trévise, f 1071 : 1196*4568;
impr. séparément, K., 1616-77, 9 vol. in-f°)et de Jacques Laderchi, du
même ordre (1566-1571 ; séparément. R., 1728-37, 3 vol. in-f°). Les
continuations de Bzowski et d'H. de Sponde, l'abréviateur de Baro-
nius,sont moins estimées. Le P. Theiiier(f 1874) a continué les Annales
jusqu'à Tan 1590 (H., 1856 ss.). Il se publie à Bar-le-Duc, sous le nom
de ce savant, une réimpression revue et corrigée de l'édition de Luc-
ques, avec les continuations de Raynaldi, Laderchi et Theiner, la criti-
que de Pagi et les notes de Mansi : 30 vol. in-f° ont paru depuis 1864.
Quels que soient le parti pris de. l'auteur et l'insuffisance de sa mé-
thode, les Annales ecclésiastiques sont encore, surtout si on n'en
sépare point la Critique de Pagi, le trésor de l'historien. On a parlé
ici même (1, p. 5*4) du Martyrologe de Baronius. Les lettres du célèbre
cardinal ont été publiées avec sa biographie par Raym. Albericus
(R., 1759 ss., 3 vol. in-4°). — Voy. aussi les ouvrages de Barnabeo
(R., 1651), de T. Le Febvre (en "franc., Douay, 1668, in-8°) et de
Sarra (ital., R., 1862, in-8°) et les auteurs cités par Potthast.
S. Bebgee.
BARRI (Godefroy de), seigneur de La Renaudie, dit La Forest.
Voyez Amboise.
BARRUEL (Augustin) [1741-1820] . Ses écrits sont la fidèle image de
1 agitation de sa vie. Professeur chez les jésuites de Toulouse, il s'exila
à la suppression de l'ordre, enseigna en Autriche, et parcourut l'Italie
en qualité de précepteur. Rentré en France en 1774, il collabora à
l'Année littéraire, et entreprit dans les Helviennes ou lettres provinciales
philosophiques (Paris, 1785; ib., 1823, 6e édition, 4 vol. in-12) la réfu-
tation des systèmes de l'incrédulité. Cet ouvrage, assaisonné d'un sel
qui n'est pas celui de la charité, fonda sa réputation.. Il écrivit ensuite
au Journal ecclésiastique, qu'il soutint seul de 1788 à 1792. Le succès
compromettant de cette feuille le força à se réfugier en Angleterre. Il y
rédigea avec une ardeur précipitée son Histoire du clergé de France
pendant la Révolution (Londres, 1794, in-8°), et ses Mémoires pour
servir à l'histoire du jacobinisme {ib., 1797 et ss., 5 vol. in-8°), ouvrage
plus malin que sérieux. Une brochure sur l'obéissance du clergé aux
lois de l'Etat, intitulée L'Evangile et le clergé sur la soumission dans les
révolutions (Londres, 1800) lui rouvrit la France. Un autre ouvrage, Du
pape et de ses droits religieux à l'occasion du Concordat (Paris, 1803,
2 vol. in-8°), le lit accuser, à tort, par les ultramontains de s'être vendu
a Bonaparte. Barruel consacra ses dernières années à rééditer ses écrits
et à poursuivre de ses brochures les jacobins et les francs-maçons en
qui il voyait les auteurs de la Révolution et les ennemis de tout ordre
social. De tout son héritage, c'est le seul lot que les ultramontains aient
accepté1 sans bénéfice d'inventaire. . P. Uouffet.
BARSUMAS, archimandrite, ami d'Eutychès et partisan de sa doc-
trine, ladéfendil,àla tête des moines syriens, au synode d'Ephèse dit des
brigands (449), détermina la mort violente de l'archevêque Flavien de
Gonstantinople, son adversaire, et se vit chassé du concile de Chalcé-
92 BARSUMAS — BARTH
doine où il avait osé se présenter. Il mourut en Syrie en Tan 458. Les
Jacobites le vénèrent comme un thaumaturge et comme un saint. —
Voyez Mansi, Sacror. concil. nova et amplissima collectio, VI et VII;
Assemani, Biblioth. orient., II.
BARSUMAS (Thomas), évéque de Nisibe (435-489) contribua puissam-
ment à répandre l'hérésie nestorienne en Perse, même par la violence.
Il était partisan du mariage des prêtres, se fondant sur un passage de
saint Paul (1 Cor. VII, 9), donna lui-même l'exemple en épousant une
religieuse, et fit adopter par le synode d' Adri un canon qui ordonnait aux
évêques de laisser leurs prêtres et leurs diacres se marier, et même de leur
permettre les secondes noces. — Voyez Assemani, Biblioth. orient., I,
p. 436 ss.; II, p. 403; III, p. 390 ss.
BARTH (Chrétien-Gottlob) [1799-1862] est l'un des hommes qui ont
exercé le plus d'influence sur la vie religieuse du Wurtemberg et de
toute l'Allemagne dans ce siècle. Né à Stuttgard, de parents pieux et
instruits, il lit ses études à Tubingue où il se distingua par ses goûts
littéraires et artistiques, son profond sérieux et son penchant pour la
théosophie, uni d'ailleurs à une grande largeur d'esprit. Barth remplit,
pendant près de quarante ans, de modestes fonctions de pasteur dans
la Forêt-Noire, à Mœttlingen d'abord et, depuis 1838, à Calw. On peut
dire qu'il contribua à transformer de la manière la plus heureuse le
piétisme souabe, le débarrassant de ce qu'il avait d'étroit et de sectaire,
montrant que la foi chrétienne n'est nullement hostile à la science,
et que les vrais croyants ne connaissent point les barrières que
cherche à élever entre les chrétiens le dogmatisme confessionnel (voyez
surtout ses deux brochures : Ueber die Pietisten, 1819, et Ziviespalt u.
Einigung der Glaubigen, 1835). Sa piété sereine et active, sa franchise
et sa cordialité, la vivacité de son esprit enclin à l'humour, sa culture
variée, jointes à sa modestie et à la paix de l'àme qui se reflétait dans
toute sa personne, .prêtaient à son commerce un grand charme et
expliquent l'influence considérable qu'il exerça dans toutes les direc-
tions. Dès 1819, il avait contribué à fonder la Société des missions du
Wurtemberg dont il demeura l'âme pendant toute sa vie. Il dirigea
avec un zèle infatigable et un talent qui n'a pas été surpassé la Feuille,
des missions, qui parut à Calw depuis 1828, et, par sa riche collection
ethnographique, il excita l'intérêt pour les missions même dans les
cercles où il est d'ordinaire difficile à réveiller. Il fonda également une
Société de traités et d'écrits religieux, en particulier pour l'enfance,
et créa lui-même toute une littérature scolaire (Histoire de V Eglise
et du monde, Géographie biblique, Histoire naturelle, Psychologie, etc.),
composée de plus de trente ouvrages, parmi lesquels nous ne relè-
verons que ses Histoires bibliques (Biblische Geschichten fur Schulen u.
Familie, 1832), qui ont eu plus de deux cents éditions et ont été tra-
duites dans cinquante langues; elles contiennent une reproduction,
non pas littérale, mais plastique et vivante, des textes sacrés. Son Com-
mentaire biblique (Handbuch der Bibelerklœrung fur Schule u. Haus,
1849-50, 2 vol., 2e édit., 1856) renferme des vues souvent ingé-
nieuses et profondes, toujours animées d'un souffle religieux bienfai-
BARTH — BARTHÉLÉMY 93
sanl ; son Journal pour la jeunesse (Jugendèlsetter. Monatsschrift zur
F'ùrderung wahrer Bildung, 1836-1862), vrai modèle du genre, met
tout le trésor des connaissances et des découvertes humaines, non
moins que le monde gracieux de la fiction et de la poésie, au service
d'une saine propagande évangélique. Barth était aussi poète. Son
recueil de Poésies chrétiennes (1836) montre à quel point il savait trans-
figurer, à la lumière qui nous vient du monde supérieur, les phénomènes
de la nature et les événements de la vie ordinaire. La tendance théolo-
gique de Barth est assez difficile à définir. 11 avait une grande prédilec-
tion pour la théosophie, et les extraits qu'il publia, des ouvrages de
Bengel, d'GEtinger et de leurs disciples (Suddeutsche Originalien, 1828 ss.)
n'ont pas peu contribué à ramener l'attention de ses contemporains
sur ces penseurs d'élite. Comme eux, il s'occupait avec délices des
idées eschatologiques et adhérait de cœur à la doctrine du rétablisse-
ment final. Son orthodoxie n'excluait pas l'originalité et l'indépendance
des convictions, qui prétendaient ne s'appuyer que sur la Bible, sans
exclure aucun des moyens que la science humaine met à notre dispo-
sition pour mieux la comprendre. — Voyez Calwer Missionsblatt fur
180.3, n° 1; Real-Encycl. de Herzog, XIX, p. 168 ss.
BARTHÉLÉMY (BapôoXo[Aal!oç, Bar-Tholmaï, fils de Tholmaï, cf.
Josué XV, 14 et 2 Sam. XIII, 37; un 0oXo;j.xtoç se retrouve encore
chez Josèphe, Antiq. XX, 1, 1), l'un des douze disciples de Jésus
(Marc III, 18; Matth. X, 3 et par.) qu'il faut vraisemblablement iden-
tifier avec Nathanaël (Jean 1,45), cardans le 4e Evangile comme dans les
Synoptiques, Barthélémy ou Nathanaël est toujours associé à Philippe.
Cet apôtre était originaire de Cana en Galilée (Jean XXI, 2). D'après
Eusèbe (H. F., V, 10 et Jérôme (Viris illustribus, 36), il aurait porté
l'Evangile dans les Indes, par où il faut entendre l'Arabie Heureuse.
D'après d'autres traditions il aurait prêché en Lycaonie et en Arménie.
Dans les Histoires du Pseudo-Abdias, liv. VII, on trouve diverses
légendes sur son martyre. Tischendorf a publié dans ses Acta apo-
crypha (1851) le texte grec d'un autre apocryphe sous ce titre : De
martyrio Bartholomœi. Voy. encore : Tillemont, Mémoires pour servir
à l'histoire du christ, des six p7*emiers siècles, I, p. 960 et 1160;
Fabricius, Codex apocr., II, p. 669 et 686, et I, p. 34 et ss. L'Eglise
placé la fête de saint Barthélémy au 24 août.
BARTHELEMY de Bologne, missionnaire dominicain du commence-
ment du quatorzième siècle. Le pape Jean XXII le sacra évêque de
.Maratha, ville située sur les confins de l'Arménie et de la Perse, à Avignon
en 1318. Barthélémy convertit beaucoup de païens et de musulmans,
bâtit un grand nombre d'églises et de monastères, et fut nommé arche-
vêque de Naxivan, en Arménie, qui devint le centre de son activité
missionnaire. Il publia en langue arménienne une Somme des cas de
conscience^ quelques Petits traités des sacrements, une traduction du
Psautier et de quelques ouvrages de saint Thomas d'Aquin.
BARTHÉLÉMY DES MARTYRS (1514-1590), ainsi appelé de l'église de
martyribus de Lisbonne, dans laquelle il avait reçu le baptême. Il entra
à l'âge de quatorze ans dans l'ordre des dominicains," et professa peu-
94 BARTHELEMY
dant près de vingt ans avec un grand succès. Nommé archevêque de
Braga, malgré son refus, il participa au concile de Trente et s'empressa
d'en introduire les réformes dans son diocèse. 11 créa un séminaire
pour l'instruction des prêtres, convoqua des synodes provinciaux,
fonda un hôpital pour les malades et un hospice pour les pauvres, et
fit preuve d'un grand dévouement lors de la peste de 1568, et lors des
famines de 1567 et de 1575. Il obtint l'autorisation de déposer sa
charge en 1582, et se retira dans un couvent qu'il avait fondé à Viane,
pour s'occuper de la méditation des vérités religieuses et de l'instruc-
tion du peuple- dans les villages voisins. Parmi les ouvrages de Barthé-
lémy, nous citerons, indépendamment de ses commentaires bibliques
et d'un catéchisme, son Compendium vitœ sptritualis, traduit en fran-
çais par M. Godeau, Paris, 1699, 2 vol. in-12, et son Stimulus Pasto-
rum, traduit en français par G. de Mello, sous le titre : le Devoir des
Pasteu?%s, Paris, 1672, in-12. Une édition complète de ses œuvres a été
publiée à Rome, en 1734, en 2 vol. in-fol., par le P. d'Inguimbert. Sa
Vie a été écrite par Isaac le Maistre de Sacy, Paris, 1663.
BARTHELEMY (La Saint-). Avant de dire les causes et les effets de
ce drame horrible, nous raconterons par ordre ses diverses péripéties.
Le 18 août 1572, la cour de France est en fête. Henri de Béarn, roi de
Navarre (plus tard Henri IV), se marie avec Marguerite de Valois, sœur
de Charles IX. Ce ne sont à Paris que festins, bals, jeux de bague,
mascarades, scènes de théâtre bizarres et licencieuses. Un grand nombre
de gentilshommes huguenots assistent aux noces royales, mais leur
tenue décente contraste singulièrement avec le luxe éblouissant de la
cour. L'amiral Coligny, qui, depuis la paix de Saint-Germain, est
très-avant dans la faveur du roi, auquel il a fait embrasser, malgré
Catherine de Médicis et le duc d'Anjou, son fils préféré, le dessein de
soutenir les Flamands révoltés contre Philippe II, roi d'Espagne, vient
d'accompagner, après la tenue d'un conseil, Charles IX au jeu de
paume du Louvre, et se retire à pied à l'hôtel dePonthieu, rue Béthizy,
où il loge, lorsque, passant près de l'église Saint-Germain-l'Auxerrois,
il reçoit deux coups d'arquebuse, tirés de la fenêtre d'une maison
appartenant au chanoine Villemur, ancien précepteur du duc de Guise.
L'assassin, Maure vel, qui avait tenté une première fois, en 1569, de
tuer l'amiral, avait été conduit dans cette maison par Chailly, le propre
surintendant des affaires du duc de Guise (22 août). Coligny eut l'index
de la main droite brisé et une balle dans le bras gauche. Se croyant en
danger de mort, il fit prier le roi de venir lui rendre visite, car il avait
à lui communiquer diverses affaires importantes relatives à la guerre
de Flandre, et voulait une dernière fois lui donner le conseil de
secouer l'autorité de sa mère et du duc d'Anjou, dans l'intérêt même
de son royaume et de sa personne royale. L'entrevue eut lieu, mais
Catherine et le duc, profondément irrités des paroles de l'amiral,
jurèrent sa perte à dater de ce moment (23 août au matin). Ne pouvant
toutefois vaincre les scrupules de Charles IX, à qui ils s'efforcèrent de
persuader qu'il y allait de sa vie et du salut de l'Etat de se défaire au
plus tôt de l'amiral, ils lui dépêchèrent un conseiller corrompu, le car-
BARTHELEMY 95
dinal de Retz, son ancien gouverneur, qni lui déclara sans détour que
sa mène el son frère étaient les complices du duc de Guise dans la ten-
tative d'assassinat de la veille, qui il ne pourrait jamais faire croire qu'il
eût ignoré une chose connue de tout le monde, et qu'il y avait plus
de danger el de honte pour lui à nier sa participation au crime sans
être cru qu'à prévenir la vengeance des huguenots en les écrasant. Ce
propos jeta Charles IX dans un de ces accès de fureur sombre qui lui
étaient familiers, et il s'écria que puisque ses conseillers trouvaient bon
qu'on tuât l'amiral, « il le voulait, mais aussi tous les huguenots de
France, afin qu'il n'en demeurât pas un qui lui pût reprocher après »
(23 août, 10 h. du soir). Deux heures après le duc de Guise était
mandé au Louvre par Catherine et le duc d'Anjou, et recevait les pre-
miers ordres du massacre. Il fallait commencer par l'amiral Coligny.
Une bande d'Italiens, de Suisses et quelques Français, commandés par
le duc de Guise, qui était accompagné du duc d'Aumale, son oncle, et
du bâtard d'Angoulème, se rendirent à l'hôtel de l'amiral, qui s'écria,
à la vue de l'Allemand Bcehme, chargé de lui donner le coup mortel :
« Jeune homme, tu viens contre un blessé et un vieillard. Du reste, tu
n'abrégeras rien. » Bcehme, reniant Dieu par un juron épouvantable,
enfonça répieu dont il était armé dans le ventre du héros, qui tomba
en murmurant, dit-on, avec dédain : « Si au moins c'était un homme!
C'est un goujat ! » Le cadavre fut jeté par la fenêtre, sur les instances
du bâtard d'Angoulème, qui voulut s'assurer de la mort de l'amiral.
Sa tête fut ensuite coupée, portée au Louvre et envoyée au pape
(21 août, 3 h. du matin). Ce premier meurtre consommé, Catherine,
craignant que le roi ne persistât pas dans sa résolution première de
mettre à mort tous les huguenots, devança l'heure du massacre
général. Le signal devait être donné par l'horloge du palais de justice.
La reine-mère, trouvant celle-ci trop éloignée, fit sonner le tocsin au
clocher de Saint-Germain-l'Auxerrois, plus rapproché du Louvre.
Aussitôt la tuerie commença. Tous les gentilshommes de la suite du
roi de Navarre et du prince de Condé logés au Louvre furent mis à
mort dans la cour du palais en présence du roi, posté à une fenêtre.
Pendant ce temps les assassins des divers quartiers de la ville accom-
plissaient leur œuvre sanglante, n'épargnant ni l'âge, ni le sexe, ni la
condition, ni le rang. En un instant les rues, les places, les cours des
maisons, furent remplies de cadavres et de sang. L'air retentissait des
cris des malheureux déjà poignardés ou prêts à l'être. Le roi lui-même
prenait part personnellement à cet horrible massacre en tirant sur les
fuyards d'une fenêtre de sa chambre située dans le pavillon sud-ouest
du Louvre. Le pillage, ce cortège obligé du meurtre, s'exerçait en
même temps s'ur la plus vaste échelle, et dans cette a tireuse nuit péri-
rent à la fois la fortune et la vie de toute la population réformée de la
capitale. Le célèbre sculpteur Jean Goujon, le savant professeur Ramus
et le président de la Place, historien de mérite, furent du nombre des
morts, qu'on évalue à 5 ou 6,000. Le massacre et le pillage durèrent
plusieurs jours, en dépit des défenses du roi, dont la première fut
publiée à son de trompe à cinq heures du soir, le jour même de la
96 BARTHÉLÉMY
Saint-Barthélémy. Le 29 elles durent être encore renouvelées, tant était
grande la soif de pillage et de meurtre. Le soir même de l'événement,
le roi, saisi de tardifs remords ou craignant des représailles dans les
provinces, écrivit à tous ses lieutenants généraux pour rejeter toute la
responsabilité du massacre sur les Guise et ordonner Y entière exécution
de Tédit de Saint-Germain. Mais, comprenant bientôt que c'était
s'annihiler devant cette puissante faction que de prendre une pareille
attitude, il tint le 27 août un lit de justice dans lequel il accusa Coligny
d'avoir voulu l'assassiner, lui et les siens, et reconnut que tout s'était
fait par son exprès commandement. Le lendemain 28 il envoya à tous
ses lieutenants généraux une déclaration conçue dans ce sens, stipulant
toutefois qu'il ne voulait contrevenir en rien à son édit de pacification
et exprimant le désir que ceux de la nouvelle religion pussent vivre en
paix dans leurs maisons. Mais en même temps il ordonnait secrètement
à ces mêmes lieutenants généraux de faire main basse sur les huguenots,
et le sang coula par torrents dans une grande partie de la France, à
Orléans, Bourges, Troyes, Lyon, Rouen, Toulouse et ailleurs. Pour
l'honneur de l'humanité, quelques lieutenants généraux se refusèrent
à massacrer froidement leurs concitoyens. De ce nombre furent
Saint-Héran en Auvergne, Charny en Bourgogne, Gordes en Dauphiné,
le comte de Tende en Provence, Damville en Languedoc. La Picardie
et la Bretagne furent également épargnées. Il n'en périt pas moins
30,000 personnes dans tout le royaume, suivant l'historien de Thou,
qui fournit l'estimation la plus vraisemblable. D'autres auteurs parlent
de 100,000, mais ce chiffre est exagéré. —La Saint-Barthélémy fut-elle
le résultat d'un plan longuement et habilement médité, ou l'explosion
subite de la haine du peuple pour le nom de huguenot? Ni l'une ni
l'autre de ces suppositions ne semble la vraie. Que la pensée d'un
massacre général des huguenots soit venue plusieurs fois à l'esprit de
Catherine, c'est ce que prouvent des témoins irrécusables; que le
clergé, qui avait trempé dans le massacre des Vaudois de Cabrières et
de Mérindol, et, plus anciennement, dans celui des Albigeois, ait
souvent excité le roi à commettre cet épouvantable forfait, c'est ce
qu'attestent des témoignages plus positifs encore ; mais que Catherine
et le duc d'Anjou aient arrêté d'avance le projet de mettre à mort les
huguenots à Paris, à l'occasion des noces du roi de Navarre, c'est ce
qui n'est pas prouvé. Le contraire paraît plutôt l'être. Catherine et le
duc d'Anjou, les deux principaux auteurs de la Saint-Barthélémy, ne
songeaient pas à cette époque à faire assassiner l'amiral, et il fallut
l'ascendant considérable et récent que ce dernier avait pris sur
Charles IX ; puis la guerre de Flandre qui, bien menée, aurait brouillé
la France avec la catholique Espagne et le pape et beaucoup fortifié le
parti huguenot; enfin le conseil suprême que Coligny, se croyant sur
sa lin, avait donné au roi de secouer le joug de sa mère et de son
frère, pour décider ces derniers à demander à Charles IX de se défaire
de Coligny. On sait le reste. Le roi donna l'ordre du massacre, et,
l'incendie une fois allumé, les masses catholiques, surexcitées
par le fanatisme religieux, la haine des huguenots et l'amour du
BARTHELEMY — BARTITOLMESS 07
pillage, no connurent plus de bornes; les excès dépassèrent toutes les
prévisions et la race entière des huguenots sembla avoir été anéantie
en une seule fois. Ce point de vue, qui parait le plus vraisemblable,
commence à être généralement admis de nos jours, où la critique
historique a tant fait de progrès. Il est soutenu par des historiens du
;>lus haut mérite, tels que MM. Mignet et Michelet, et par les plus
récents historiens allemands, Ranke, Soldan et Polenz. C'est aussi
celui de M. Ath. Coquerel fils, dans la remarquable monographie qu'il
a consacrée à l'histoire de ce drame lugubre. — La Saint-Barthélémy
•produisit des effets contraires à ceux qu'on en attendait. Les protestants
ne furent nullement anéantis, et, le premier moment de stupeur passé,
ils reprirent les armes avec plus d'ardeur que jamais. L'omnipotence
des Guise, l'espèce de captivité où l'on tenait le roi de Navarre et le
prince de Condé, et l'influence croissante et pernicieuse des étrangers
à la cour, soulevèrent de l'opposition au sein des catholiques modérés,
que le massacre de Paris avait déjà indignés. Un nouveau parti se
forma : le parti des politiques, qui apporta un appoint considérable aux
huguenots, et finalement le duc d'Anjou, porté sur le trône après la
mort précoce de Charles IX, son frère, se vit réduit à faire assassiner le
duc de Guise, son ancien complice, et à se jeter dans les bras du roi
de Navarre pour sauver son honneur et sa couronne. Ce dernier, après
la mort tragique d'Henri III, assassiné à son tour par la faction des
Guise, hérita bientôt lui-même de la couronne de France. Et c'est ainsi
que la Saint- Barthélémy servit en dernière analyse les intérêts de ceux
qu'elle était destinée à anéantir. — Voy. Le stratagème de Charles IX
contre les huguenots rebelles à Dieu, en italien 1572, en français 1574
(dans Cimber et Danjou, Archives curieuses de France, lro série, t. Vil) ;
Du )uassacre de la Saint-Barthélémy, Paris, an Ier de la liberté ; Disser-
tation sur la Saint- Barthélémy , Paris, 1758 (dans Cimber et Danjou,
t. VII); Histoire de la Saint- Barthélémy, Paris, 1826; Le tocsin contre
les massacreurs, Beims, 1579 ; Le réveille-matin des François, Edimbourg,
1574 ; Ernestus Varamundus Frisius (Hotman), De furoribus gallicis,
Ktlimbourg, 1573; Soldan, La France et la Saint-Barthélémy, Paris,
1855 ; Ath. Coquerel fils, La Saint-Barthélémy , Paris, 1859; La Prémé-
ditation de la Saint-Barthélémy (dans le Bulletin de la Soc. de l'histoire
du protestantisme français, 1873, p. 474); Un nouveau récit delà Saint-
I Uuthélemy, par un bourgeois de Paris (id., 1873, p. 374). Voy. encore
le même Bulletin, 1856, p. 147, etc. E. Arxaud.
BARTHOLMESS (Christian-Jean-Guillaume) naquit le 26 février 1815
à Geisselbronn, en Alsace. Après avoir reçu sa première instruction à
Pfortzheim, il fit ses études au gymnase, au séminaire et à la faculté
île théologie de Strasbourg. A Paris, il entra comme précepteur dans
!;i famille du marquis de Jaucourt. Là, il eut assez de loisirs pour
s'occuper <!c travaux littéraires, consacrés principalement à l'histoire
(t.- la philosophie. Son premier ouvrage un peu considérable fut la Vie
de Giordano Bruno, 2 vol., 1847; deux années après il obtint le grade
de docteur es lettres par une remarquable thèse sur Huei et son scepti-
CÙme. En 185*0 suivit V Histoire de l'Académie de Prusse depuis Leibnitz
98 BAKTHOLMESS — 1ÎARTOLI
jusqu'à Schelling, 2 vol. Ces publications lai valurent en 1853 un
appel comme professeur de philosophie au séminaire protestant de
Strasbourg. Son dernier ouvrage, Histoire critique des doctrines reli-
gieuses de la philosophie moderne, 1855, 2 vol., est la plus mûrie de ses
productions. Il mourut, jeune encore, le 31 août 1856, à Nuremberg,
en revenant des eaux de Carlsbad. Instruit, profondément religieux,
quoique moins profond que fin, il n'a pas été sans rendre à la science
philosophique et religieuse quelques services réels.
BARTÏÏOLOMÉE, apôtre. Voyez Barthélémy.
BARTHOLOMITES ou Barthélémites. Deux congrégations distinctes
portent ce nom. — 1° Des moines basiliens d'Arménie, à cause des
persécutions dont ils étaient l'objet dans leur pays, vinrent à Gênes en
1307 pour y chercher secours et protection. Ils y obtinrent une maison,
et Tannée suivante ils posèrent la première pierre de leur église, dédiée
à la Vierge et à saint Barthélémy. Bientôt d'autres moines de leur ordre
vinrent également d'Arménie à Gênes, et le pape Clément V leur ac-
corda l'autorisation de célébrer le culte suivant leur rite. Ils obtinrent
successivement de fonder des maisons dans plusieurs villes d'Italie ;
mais s' étant insensiblement relâchés de leur règle, et beaucoup de
membres étant passés dans d'autres congrégations, ils furent supprimés
par Innocent X en 1650. Les bartholomites eurent quelques prédica-
teurs célèbres et quelques écrivains estimés (voy. Hélyot, I, p. 300). —
2° Une congrégation de clercs séculiers vivant en commun fut fondée
en 1640 par Barthélémy Holzhauser, chanoine à Salzbourg (1613-1658),
dans le but de former des prédicateurs et des directeurs de conscience
capables. Ces congrégations se multiplièrent en Allemagne, en Suisse,
en Hongrie, en Pologne, en Espagne. Elles avaient des maisons parti-
culières pour les séminaristes, les prêtres et les ecclésiastiques émé-
rites. Un président supérieur était placé à leur tête ; pour le spirituel,
elles dépendaient de l'évêque du diocèse où elles fonctionnaient. Inno-
cent XI approuva leurs constitutions en 1680, et l'empereur Léopold
ordonna que dans ses Etats héréditaires les bartholomites fussent promus
par préférence aux bénéfices vacants. Néanmoins le zèle des bartho-
lomites se refroidit dès la fin du dix-septième siècle, et leurs congréga-
tions ne tardèrent pas à se dissoudre (voy. Hélyot, VIII, p. 138 ; J. Va-
laury, Abrégé de la Constitution du clergé vivant en commun).
BARTIMÉE (BapripçSoç, ôloç Tt^atou), nom patronymique de l'aveugle
de Jéricho guéri par Jésus (Marc X, 46). Saint Luc raconte la guérison
sans donner le nom de l'aveugle (Luc XVIII, 35). Saint Matthieu men-
tionne deux aveugles au lieu d'un sans donner aucun nom. La com-
paraison des trois textes évangéliques prouve qu'il y avait à cet en-
droit dans la tradition primitive quelques différences et quelque
incertitude qui expliquent les variantes actuelles de ces récits.
BART0LI (Daniel), né à Ferrare en 1608. Il entra dans l'ordre des
jésuites en 1623. Après s'être livré à l'instruction et à la prédication,
il écrivit en italien Y Histoire de sa compagnie. La publication de cet
ouvrage dura vingt ans (1653-1673, Rome, 6 vol. in-fol.), pendant
lesquels la partie de Y Asie eut trois éditions. C'est plutôt une réunion
BARTOLI — BARUCH 09
de travaux détaches, pleins de renseignements curieux, qu'une œuvre
d'ensemble. Plusieurs parties en ont été traduites en latin et publiées
à diverses reprises. Hartoli a composé plusieurs volumes sur la physique
et la théologie, mais son meilleur titre de gloire est le talent avec
lequel il écrivit une série d'études littéraires sur la langue de son pays.
Il mourut à Home en 108^ (voy. Sotwell, Script. Societ. Jesu).
BARTON (Elisabeth), d'Aldington, dans le Kent, surnommée « la
sainte fille du Kent », eut un moment de célébrité aux premiers jours
de la réforme anglaise. Ses hallucinations et ses discours fanatiques
turent exploités en faveur du catholicisme par le vicaire de sa paroisse,
Richard Masters. La chapelle d'Aldington, où la Vierge lui était ap-
parue, devint un lieu de pèlerinage et elle-même une sorte de prophé-
tesse. Combats avec le diable, lettre en caractères d'or apportée du
ciel par sainte Marie-Madeleine, miracles divers, rien ne manqua à sa
légende. La multitude l'entourait d'un respect religieux, voyant en
elle l'envoyée de Dieu par laquelle il allait chasser l'hérésie. Elle-même,
encouragée par Masters, prit son rôle au sérieux. Lorsqu'Henri VIII fut
sur le point de répudier Catherine, elle annonça qu'elle avait reçu d'un
ange le message suivant : « Rends-toi auprès du prince infidèle de
il' Angleterre, et dis-lui qu'il est trois choses qu'il convoite et que je lui
uterdis à toujours. La première, c'est le droit des papes; la seconde,
cCst la nouvelle doctrine; la troisième, c'est Anne Boleyn. S'il la
prend pour femme, Dieu le frappera. » Elle annonçait de plus que le
roi serait détrôné et périrait dans peu. Toutes ces prédictions causèrent
un grand émoi, et Ton vit des hommes considérables, comme l'évêque
Fisher et le chancelier More, entrer en relations avec Elisabeth Barton.
Le roi finit par s'irriter de tout le bruit qui se faisait autour de la
vierge du Kent, et il la fit arrêter avec ses inspirateurs sous l'accusa-
tion de haute trahison. Ils furent jugés et exécutés en avril 1534. On
assure qu'elle confessa son crime, en en rejetant la responsabilité sur
ses conseillers. Matth. Lelièvre.
BARUCH (Barouk, béni), fils deNérija, ami et compagnon du prophète
Jérémie auquel il servit de secrétaire (Jér. XXXII, 12; XXXVI, 4, 17 ss.,
27, 32; XLV, 1 ss.). D'après Josèphe (An%., X, 3, 1) il fut, pendant
le siège de Jérusalem par Nébucadnetsar, jeté dans un cachot comme
le prophète lui-même ; comme ce dernier encore il reçut du vainqueur
lu liberté et le droit de choisir son séjour. D'après Jérémie XLIII, 1 ss.
il fut également emmené en Egypte, où certaine tradition le fait mourir,
tandis qu'une autrelefait aller ensuite en Babylonie. Les Septante possè-
dent un livre de Baruch qui est étranger au canon hébreu et qui est
rangé parmi les deutéro-canoniques ou apocryphes de l'Ancien Tes-
tament. Cet écrit, assez court, comprend des parties assez hétéro-
gènes, une courte mise en scène, une confession des péchés avec sup-
plications mise dans la bouche des Juifs, un discours à Israël vantant
L'excellence de la sagesse divine, contenue dans la loi, des exhortations
et promesses adressées au même, enfin une longue lettre de Jérémie
contre l'idolâtrie, qui est quelquefois mise à part. L'authenticité de
ces différents morceaux n'est soutenue par personne, mais on est peu
/^ SCIENCES
( U ^L C
V, STUDIES
100 BARUCH — BASEDOW
d'accord sur la date de la composition de l'œuvre entière et de ses
parties, ni même sur la langue originale. Aucune portion du livre ne
peut prétendre à l'antiquité du nom qui le couvre, et certains traits
dénotent une époque beaucoup plus récente, le second siècle avant
Jésus-Christ par exemple (voyez le Commentaire de Fritszche svr les
Apocryphes de VA. T.). Nous possédons encore sous le nom de Baruch
une apocalypse importante tout récemment découverte, sauf la dernière
partie qui consiste en une lettre écrite aux neuf tribus et demie (voyez
Apocalypses Jmies). Ce livre, écrit par un Juif vraisemblablement en
grec, n'existe que dans une traduction syriaque. M. Dillmann a publié
en 1866 (Leipzig) un troisième apocryphe de Baruch dont il avait dé-
couvert une traduction éthiopienne (voyez Pseudépigraphes de l'A. T.).
Maurice Vernks.
BASAN, en hébreu Habbàchàn, 'érec Habbâchân, « le Basan, »
(( la terre de Basan, » désigne, comme sa forme l'indique, non pas un
peuple, mais un district géographique. C'est le nom primitif du pays
situé à l'est du Jourdain, depuis le Jabbok, au sud, jusqu'au Hermon,
au nord. Ses villes principales étaient : Gaulân et Édréi, Astaroth
(Bosra) et Salcha dans le Hauran, et peut-être Mahanaïm, au sud.
Toutes ces villes, sauf la dernière, ont conservé leurs noms anciens
jusqu'aujourd'hui. Le canton d'Argob, avec ses 60 villes fortes, en for-
mait le centre ; au sud se trouvait le pays de Galaad qui paraît s'être
peu à peu substitué, dans l'horizon des Hébreux, à la terre de Basan.
Le nom de Basan ne se rencontre guère que dans l'histoire de la con-
quête (Pentateuque, Josué, Juges), dans les livres poétiques et chez
certains prophètes. Il semble intimement lié au souvenir des popula-
tions géantes (Rephaïm) (Genèse XIV, 5) qui habitaient ces contrées
avant l'invasion des Hébreux, et surtout à leur dernier représentant,
Og, roi de Basan, dont on conservait à Rabbat-Ammon le lit de fer,
long de neuf coudées et large de quatre (Deut. III, 11). Le pays de
Basan n'a pas d'histoire. Lors de l'invasion, les Hébreux, après avoir
vaincu les Amorrhéens, au lieu de traverser le Jourdain, tournèrent à
droite, s'emparèrent du pays de Basan et le donnèrent à la tribu de
Manassé (Nombr. XXI, 33-35; Deut. III, 1-3). Sous l'administration de
Salomon, Basan formait avec Galaad une des douze intendances."
Après la division du royaume, les Syriens l'enlevèrent à Israël (2 RoisX,
32; XIV, 25) ; peu après (XV, 29), il fut ravagé par les Assyriens sous
Tiglath-Pileser. Mais le pays de Basan est resté célèbre par sa ferti-
lité, ses chênes qui rivalisaient en beauté avec les cèdres du Liban, et
ses troupeaux. Les Psaumes célèbrent « les taureaux de Basan, terre
grasse » (XXII, 13; comp. Es. XII, 13 ; Ez. XXVII, 6; Zach. XI, 2;
Deut. XXXII, 14; Amos IV, 1; Ez. XLIX, 18). Après la captivité, il
fut divisé en quatre provinces appelées Gaulanitis, Auranitis, Trachonitis
et Batanée. Cette dernière a conservé, sous une forme un peu altérée,
le nom de Basan. Elle se distingue du reste encore des autres par son
aspect pittoresque et ses montagnes ; c'est Y Ard el Bathanyeh (Porter,
Damascus, vol. II, 57). Ph. Berger.
BASEDOW (Jean-Bernard) [1723-1790,] célèbre pédagogue de la fin
BASEDOW 101
<1li dix-huitième siècle. Sa vie est celle d'un aventurier vulgaire, et son
caractère ne mérite ni sympathie ni estime. Né à Hambourg, il chercha
à se soustraire par la fuite à la discipline sévère qui régnait dans la
maison paternelle. De bonne heure , au milieu d'une vie besogneuse
et d'études irrégulières, il avait contracté de détestables habitudes dont
il ne put jamais se défaire. Ce prince des éducateurs avait la passion
des liqueurs fortes et ne cessait de brutaliser sa femme. Tour à tour
laquais, candidat en théologie et instituteur, d'une humeur joviale et
abusant de sa facilité au travail, il amassa par ses lectures et son com-
merce avec les hommes des connaissances assez superficielles qu'il sut
faire valoir avec une grande habileté. C'est comme précepteur dans
une famille noble du HolsteinqueBasedow révéla son talent pour l'ins-
truction de la jeunesse. Il avait l'art d'enseigner en jouant et, suivant
les préceptes de Y Emile, rattachait son enseignement à tout ce qu'il
voyait, sans s'astreindre à une méthode régulière. Nommé professeur
de morale et de belles-lettres à l'académie danoise de Soroë, il publia,
à partir de 1760, une série de traités de philosophie pratique, destinés
aux hommes des conditions sociales les plus diverses, dans lesquels, à
côté d'un charlatanisme insipide, il se livre à une polémique passionnée
contre les théologiens (voyez entre autres : Philalethie, od. Neue
Aussichten in die Wahrh. u. Relig. der Vernunft, bis an die Grenzen der
glaubwùrd. Offenbarung, Altona, 1704,2 vol.; Theoretisches System
iltr gesunden Verntmft, 1765: Melhodiscker Unterricht in Relig. u. Sit-
teniehre, 1765). Le ton hardi et cynique de ces écrits, les luttes que l'au-
teur eut à soutenir avec le pasteur Gœtze au sujet de ses attaques contre
l'instruction religieuse, les persécutions dont il fut l'objet de la part
des magistrats de Hambourg et de Lubeck, lui firent promptement une
bruyante célébrité. Etabli à Altona d'où il entretenait une vaste cor-
respondance sur toutes les questions relatives à la pédagogie, Basedow
intéressait le public à la réforme qu'il méditait par l'annonce, faite
avec grand fracas, d'un ouvrage complet sur les Connaissances élémen-
taires nécessaires à l'instruction de la jeunesse, qui parut en 1774, illustré
de cent gravures dues à l'habile burin de Chodowiecki. Notre auteur
avait réuni une somme de 15,000 thalers en vue de cette publication
qui est une sorte d'encyclopédie des sciences pédagogiques. L'impéra-
trice de Russie, la plupart des princes allemands et l'élite de la no-
blesse s'étaient intéressés à cette œuvre qui obtint un succès considé-
rable, moins par le plan complet d'éducation qu'elle contenait, et qui
se réduit à une vulgarisation assez plate des idées de Rousseau, que
par la dénonciation véhémente et la description pathétique des vices
que présentaient les systèmes pédagogiques en vigueur. Basedow, de
même que l'auteur de la Profession de foi du vicaire savoyard, veut
que le nom de Dieu ne soit pas prononcé en présence de l'enfant avant
l'âge de dix ans, et il fixe à quatorze ans le moment où il doit être
initié aux mystères, passablement décolorés et affadis du reste, de la
religion chrétienne. Il de manquail pins à l'auteur de cette encyclo-
pédie que la consécration de ses idées par la pratique. L'année même
où son ouvrage parut, Basedow ouvrit, sons les auspices (\w prince de
102 BASEDOW — BASILE
Dessau, un établissement modèle, décoré du titre prétentieux de philan
tropinon. Il devait recevoir des élèves de toutes les classes de la société,
les riches à titre de pensionnaires, les pauvres comme famuli, placés
au service des premiers. Des réclames pompeuses furent répandues à
profusion dans toute l1 Allemagne. Elles assuraient que la bienveillance,
la tolérance et une aimable familiarité remplaceraient la discipline
rigide des anciennes maisons d'éducation ; les exercices corporels, les
promenades et les jeux alternaient avec les études ; des examens pé-
riodiques, auxquels étaient conviées les premières illustrations scienti-
fiques conjointement avec les parents, se chargeraient de démontrer
T incontestable supériorité de rétablissement de Dessau. Imitée dans
beaucoup d'institutions scolaires en Allemagne et en Suisse, cette ten-
tative de réforme avorta misérablement à Dessau même. La direction
négligente de Basedow, sa conduite immorale qu'il avait l'audace de
proposer à ses élèves comme un modèle qu'ils ne devaient pas imiter,
non moins que l'esprit superficiel et indiscipliné qui caractérisait ces
derniers, expliquent suffisamment cet échec. « Basedow, disait Gœthe,
qui regarda le monde entier comme mal élevé, était lui-même un
homme sans aucune éducation. » Il eut néanmoins le mérite d'appeler
l'attention des hommes de son temps sur l'important problème de
l'éducation, et de demander qu'elle fût conçue d'une manière plus ra-
tionnelle et plus humaine : mais il se trompa généralement sur les
moyens, et manqua de l'autorité nécessaire pour opérer une semblable
réforme. F. Lichtenberger,
BASHUYSEN (Henri-Jacques van), théologien et surtout hébraïsant
distingué, naquit le 26 octobre 1679 à Hanau, où son père était pasteur
de l'Eglise réformée hollandaise ; il professa la théologie et les langues
orientales d'abord au gymnase de Hanau, puis, dès 1716, à celui de
Zerbst, où il mourut en décembre 1758. Bashuysen a beaucoup écrit,
et la liste de ses œuvres présente plus de 120 titres, parmi lesquels, il
est vrai, beaucoup d'opuscules de peu d'étendue; la plupart sont fort
oubliés aujourd'hui, bien qu'ils attestent une grande érudition; les
principaux traitent de quelques points spéciaux de critique ou d'exégèse
biblique, d'archéologie judaïque ou de littérature hébraïque et rabbi-
nique, qui était son domaine préféré; il avait établi dès 1708 dans sa
maison à Hanau une imprimerie hébraïque d'où sortit entre autres une
édition estimée du commentaire d'Abrabanel sur le Pentateuque (1710,
in-fol.), que devaient suivre les autres ouvrages de ce rabbin ; ce projet
ne se réalisa pas plus que celui d'une nouvelle Bible rabbinique, dont
Bashuysen ne publia au'un spécimen. — Sources : Gœtten, Gelehrtcs
LJuropa, I ; Moser, Lexicon der Theologen ; Strieder, Hessische Gelehrten-
Geschichte, I (cf. II, IV, V et XV) ; Hirsching, Handbuch, 1 ; Meusel,
Lexicon der verstorb. Teutschen, I; A.-G. Schmidt, Anhalt'sches Schrift-
Ueller Lexicon. A. Bernus.
BASILE LE GRAND, frère de Grégoire de Nysse, l'un des trois doc-
tez*rs de la Cappadoce, naquit en 329 à Césarée de Cappadoce, où son
père exerçait les fonctions d'avocat. Sa famille était une des plus con-
sidérables de la province; attachée depuis plusieurs générations à la
BASILE 103
foi chrétienne, elle avait vu plusieurs de ses membres souffrir le mar-
tyre pour elle. L'aine de dix enfants, Basile grandit sous l'influence
des idées de Gtoégoire le Thaumaturge, disciple d'Origène, et de la piété
ardente de sa mère Emmélia. On a comparé ses relations avee sa sœur
\akrina à celles de Jacqueline Pascal avec son frère. Après avoir
suivi à Constantinople les cours du célèbre rhéteur païen Libanius, qui
resta son ami, il se rendit, suivant l'usage des jeunes chrétiens de
bonne famille, à l'école célèbre d'Athènes, où il contracta avec Gré-
goire de Naziance une amitié que la mort seule put rompre, et eut pour
condisciple le fameux Julien. Des lettres de cette période nous mon-
trent les deux amis passant pour ainsi dire de l'école à l'Eglise et
puisant dans la lecture des auteurs profanes, qu'ils sauront défendre
contre un rigorisme étroit et la persécution ironique de Julien, ce goût
délicat et ce style enchanteur qui nous charment encore. Rappelé à
Gésarée par la mort de son père, Basile plaida quelque temps avec
succès, mais céda bientôt à un travail spirituel, qui le porta à renoncer
au monde et à un brillant avenir. En 360, pour se remettre d'une
maladie grave, il entreprit un long voyage en Syrie, en Egypte et en
Palestine, visita dans son exil Athanase, qui le fortifia dans sa foi en la
divinité du Fils, et les pieux ermites des solitudes de la Thébaïde,
dont il partagea les pratiques ascétiques. De retour dans sa patrie en
361, il se retira avec des membres de sa famille et quelques amis dans
une solitude voisine du village d'Anési, dans la province du Pont.
Quelles que fussent ses austérités, l'enjouement de quelques-unes de
ses lettres nous révèle un esprit hostile à toute exagération. Il y con-
damne formellement la vie érémitique comme contraire aux devoirs
de l'humilité et de la charité et donne la préférence à la vie en
commun. S'il recommande les macérations et les jeûnes, il sait unir à
la vie contemplative les travaux des champs et l'étude, c'est-à-dire la
double activité du corps et de l'esprit, et sa règle est encore suivie de
nos jours dans de nombreux monastères de l'Orient. Bien qu'il eût
distribué tous ses biens aux pauvres, il sentait que la vie contempla-
tive ne répondait pas au besoin d'activité qui dévorait son âme. « J'ai
quitté, disait-il, la ville pour fuir le mal; je ne me suis pas quitté
moi-même. » C'est pendant cette période qu'il composa son livre contre
Kiinoniius et qu'il édita les P/uloJcalia, ou extraits des œuvres les plus
remarquables d'Origène, dont il demeura dans une large mesure le
disciple, bien que chez lui la lutte apparaisse entre les principes ori-
uénistes et les tendances générales de l'Eglise (Fialon, Étude lut. sur
S. Z?., Paris, 1861). Appelé en 304 en qualité de prêtre à Çésarée par
Eusèbe, il remplaça de fait le vieil évêque, auquel il succéda en 370.
Il exerça son ministère au milieu des luttes des partis et des difficultés
• l'une situation pleine de périls jusqu'à sa mort, qui l'enleva à son
diocèse le 1er janvier 379. — Comme théologien, Basile n'occupe pas le
premier rang dans l'histoire de l'Eglise. Tout en restant fidèle au\
principes spiritualistes d'Origène, il affirme contre lui la divinité ab-
solue du Fils, sans vouloir employer le mot «homoousios»,de peur de
prêter «les armes aux sabelliens, qui confondent les personnes. 11
104 BASILE
envisage le péché sous la forme négative de l'indolence qui empêche
Tliomme de s'élever à Dieu. Il admet le concours de la liberté humaine
et de la grâce, que l'Eglise grecque a toujours enseigné, tandis que
l'Occident adopta plus tard la théorie d'Augustin. 11 établit dans les
béatitudes et les peines de la vie future des degrés en rapport avec la
condition spirituelle des âmes. Ses idées sont vagues en ce qui touche
le grave problème du rétablissement final. Il semble admettre que la
punition a en vue l'amélioration du pécheur et que ses progrès vers
le bien sont plus ou moins rapides, sans en tirer toutes les consé-
quences. Il a pris une part active aux controverses sur la personne
du Saint-Esprit. Dans son traité sur cette matière il invoque contre
Eunomius et le parti des macédoniens ou adversaires de l'Esprit
plusieurs passages des Ecritures: Actes V, 4, 9; 1 Cor. XI, 12; XII, 4;
il veut qu'on donne au Saint-Esprit le nom de Dieu, en appelle à la
formule du baptême et met en lumière l'importance pratique de ce
dogme dans l'œuvre de la régénération. Il montre que si le Saint-
Esprit est appelé un don de Dieu, il en est de même du Fils. Du reste
il tient moins à la netteté des formules qu'à la piété de la vie ; c'est le
Saint-Esprit qui seul peut nous révéler Dieu. Il échoua dans sa tenta-
tive généreuse de rapprocher les deux Eglises d'Orient et d'Occident
en enseignant la divinité du Saint-Esprit et en le faisant procéder du
Père, sans nier qu'il procédât aussi du Fils. Comme évêque, Basile
déploya les plus beaux dons de son esprit et de son cœur. Sa modé-
ration même le rendit suspect aux orthodoxes. Exposé, en outre, aux
menées des ariens, il sut tenir tête à l'empereur Valens, dont la mort
seule le préserva de l'exil. Défenseur intrépide des prérogatives de
l'Eglise, il sut empêcher le gouverneur de porter atteinte à son droit
d'asile; il rétablit la discipline, développa le goût de l'étude et favorisa
la vie ascétique dans son diocèse. Comme prédicateur il introduisit
l'un des premiers l'éloquence classique dans la chaire chrétienne. Dans
son Hexaéméron, ou exposé de la création, à côté d'une science impar-
faite et d'allégories outrées, il sut mettre les enseignements les plus
sublimes à la portée des plus humbles, et unir la morale la plus pure
à la poésie la plus grandiose. Si sa philosophie rappelle Platon et si
son style reproduit le coloris d'Homère, sa morale est austère. Il a
surtout prêché l'aumône et, dans l'ardeur de son zèle, il ne craint pas
de comparer au voleur le chrétien sans charité. Ses écrits se distin-
guent par une foi profonde en la révélation, un usage constant des
Ecritures, dont la tradition n'est pour lui que l'assimilation par les
générations successives, enfin par un spiritualisme qui unit au respect
pour les enseignements de l'Eglise l'amour éclairé des lettres antiques
et d'une saine philosophie. — Voyez Œuvres, éd. Garnier, Paris, 1721-
30, 3 vol.; Jalm, Animadversiones in B. M. Opéra, Bernse, 1842; A A.
SS. .un., t. II, 807; Klose, Bas. d. Grosse. Strasb., 1835; Bœhringer,
Die K. Chr. in Biog., II, 2; Feiffer, Diss. hist. et tlieol. de vita B.,
Gron., 1828; Villemain, Elog. chr. au IVe s. Traductions : Lettres
et sermons par l'abbé de Bellegarde, 1671 ; Morale, par Leroy, 1663 ;
Hexaéméron, Homélies, par l'abbé Auger, 1788. A. Paumier.
BASILE — BASILIDES 105
BASILE, archevêque de Séleucie, élu en Tan 448, mort vers 459. Il
se montra inconstant dans les querelles eutychéennes. Dans le synode
de Constantinople, en 448, il condamna Eutychès; ensuite, dans le
concile surnommé le Brigandage d'Ephèse, en 449, il condamna Fla-
vius avec Dioscore et se déclara pour Eutychès. C'est pourquoi il fut
condamné dans le synode de Chalcédoine, en 451 ; mais 11 resta sur
son siège après avoir souscrit avec les autres pères du synode la con-
damnation de Dioscore et cTEutychès. Il écrivit 40 discours, qui se
trouvent à la lin des œuvres de saint Grégoire le Thaumaturge (éd.
Paris, 1021). Dans la même édition nous avons, sous le nom de Basile,
an écrit sur la vie et un autre sur les miracles de sainte Thècle, dont
l'authenticité est contestée. Le style de Basile est plein de figures et
affecté ; il tâche d'imiter Ghrysostôme. Il ne faut pas confondre Basile
de Séleucie avec un autre Basile, ami de Ghrysostôme (Tillem., Mém.,
t. XV, 340).
BASILE, médecin (Hieron., De swipt. eccL, c. 89), fut élu, en 336,
évêque d'Ancyre par les amis d'Eusèbe de Nicomédie, en remplace-
ment de Marcellus, qui fut condamné et excommunié dans la môme
année (Socrat., Hist. eccL, I, 36). 11 fut le chef des semiariens qu'il
protégea dans les synodes d'Ancyre, en 358, de Séleucie, en 359, et de
Constantinople, en 360. Mais dans ce dernier synode, accusé par les
acaciens, il fut condamné et exilé. Basile, quoique accusé par les aca-
riens, est néanmoins regardé par ïhéodoret et Sozomène comme un
homme vertueux et instruit (Théodor., Hist. eccL, II, 25; Sozom., II,
33). Athanase même dit que Basile n'était pas bien loin des ortho-
doxes en ce qui concerne la signification du mot (( homoousios » (Athan.,
Actes synod., ch. 41). Il écrivit contre Marcellus et sur la virginité;
ces ouvrages, ainsi que plusieurs autres écrits (Hieron., De script. eccL,
c. 89), sont tous perdus.
BASILIDES, un des premiers représentants du gnosticisme quand
celui-ci eut été réduit en système, après avoir longtemps flotté à l'état de
mélange confus et incohérent d'idées et de mythes, mais toujours carac-
térisé par la tendance à transformer le christianisme en une cosmologie
dualiste, et à faire prédominer le côté intellectuel de la religion (Yvwr.ç)
sur le côté moral (voir l'article Gnosticisme). Basilides, qui vivait en
Egypte vers Tan 125 (Philosophoumena, VII, 27), essaya de construire
une métaphysique qui conciliât la religion nouvelle avec les théories
essentielles d'Aristote et des stoïciens. C'est dans les Philosophoumena
de saint Hippolyte que son système est exposé d'une manière compré-
hensible (Philosopha VII, 20-27). Les renseignements fragmentaires
donnés sur lui par Clément d'Alexandrie (S tramât., II, 20, 112), par
{rénéeicontr'ajïœres.i 1,24) et Epiphane(//a?7-es.,24),sont ainsi complé-
ta. D'après Basilides, le premier principe est par delà tous les êtres, sem-
blabie a l'être abstrait de Hegel qui se distingue à peine du non-être
->\ Philos., Vil, 20). De ce non-êtresort par une évolution
inexpliquée le germe primitif des choses qui comprend dans une con-
fusion absolue toutes les existences, l'esprit comme la matière. Le
monde avec sa \i<- riche et variée y est enfermé comme le plumage
106 BASILIDES
brillant du paon dans un petit œuf (Phil., VII, 21). La création des êtres
successifs n'est que leur séparation de ce tout informe, séparation qui est
opérée par un principe de distinction (Glem. Alex., S bornât., II, 20, 112).
Ce principe de distinction, pour Basilides comme pour Aristote, est Pat-
traction que le parfait exerce sur l'imparfait, tout ce qui est en bas ten-
dant vers ce qui est en haut (iizzûcv. Tuàvia y.aiwôsv avw ; PAU., VII, 22).
Dans le germe primitif sont trois essences ou trois modes de l'être que
Basilides appelle des filiations. La première essence, la plus pure, vole
de suite vers l'absolu ineffable « comme la plume ou la pensée ». La
seconde essence ne peut l'atteindre ; elle retombe dans le règne infé-
rieur, emportant comme un parfum de la région supérieure (jj-tipou
ocr^v). Le firmament la sépare du monde supérieur et elle forme trois
régions superposées : l°la région supralunaire qui s'appelle Yogdoade;
2° la région intermédiaire ou Yhebdomade ; 3° la basse région où do-
mine la matière désordonnée. C'est dans la deuxième région que s'é-
chelonnent les mondes en nombre égal aux jours de l'année, ils forment
Yabraxas, bizarre assemblage de lettres chiffrées qui expriment le nom-
bre 366. Les deux premières régions ont chacune un roi ou un archon
qui la domine. Il se distingue du démiurge des autres systèmes gnos-
tiques en ce qu'il ne représente pas le mal et ne hait pas le premier prin-
cipe, puisqu'il y tend. La troisième essence ne constitue pas une région
à part ; elle est engagée dans la seconde, et comprend les fils de la
lumière qui doivent s'en séparer par l'illumination supérieure et défi-
nitive. Celle-ci a été préparée par deux révélations antérieures : 1° la
révélation patriarcale qui vient de Yarchon de l'ogdoade ou plutôt de
son fils ; 2° la révélation mosaïque qui vient du fils de Ya?'chon de
i'hebdomade. Nous avons là deux Christ préliminaires, qui frayent
la voie au troisième Christ, le Jésus de l'Evangile. C'est lui qui éclaire
nos ténèbres et unit au premier principe la troisième filiation, les élus
de la gnose, les pneumatiques : « C'est nous, dit Basilides de lui et de
ses disciples, c'est nous qui sommes les hommes spirituels» (ecjjiÉv r^xv.ç
ol Trvsj'xaxiy.ct, Phi'L, VII, 25). En mourant Jésus a rendu son corps à la
basse région; son esprit seul est ressuscité, et a ainsi réalisé le principe
de distinction, grâce auquel l'homme sort de la confusion première où il
s'était trouvé mêlé à l'animalité (Philosopha, VIII, 27). La foi, dans ce
système, perd son caractère moral ; le salut, comme dans toutes les,
formes du gnosticisme, procède non du repentir et de la conversion, mais
de l'illumination de l'esprit et de l'orgueil du savoir. Basilides se dis-
tingue de la gnose de Valentin et de Marcionen ne statuant pas, comme
ces grands gnostiques, une opposition tranchée et absolue entre la créa-
tion naturelle et le divin, et par conséquent entre le Dieu de l'Evangile
et le Dieu de l'ancienne alliance, que ses successeurs ont méprisé en
tant que démiurge créateur. Aussi ne conclut-il pas à un farouche ascé-
tisme ; son fils Isidore, qui fut son Mêle disciple, reconnaît dans son
Ethique la légitimité du mariage ([renée, cont?*a Hœr es., I, 23). Basilides
citait nos évangiles et la plupart des épîtres de Paul. — Voir, à part les
textes cités, Baur, Die christliche Gnosis, Tub., 1831; Jakobi, Basilidis
philosophi (jnostici sententia ex Hippolyti libro, Berlin, 1852 ; de Près-
BAS1LIDES — BASNAGE Io7
sensé, Histoire des irais premiers siècles de V Eglise chrétienne^ t. V,
p [3-34. E- DE 1JRESSKN8B.
BASILIENS. On a vu dans l'article sur Basile le Grand que ce Père
fonda près de Césarée, en Gappadooe, un grand monastère, le premier
qui lie fût pas établi dans le désert. Basile devint, en Orient, le régula-
teur du rnonachisme. Ses Ascetica, composés de trois traités écrits à des
. poques différentes, forment dans leur ensemble une règle complète ;
ils donnent des conseils sur la vie en commun des religieux sous un
supérieur, sur le régime uniforme qu'ils doivent suivre, sur leurs devoirs
spirituels et leurs obligations. Cette règle, moins minutieuse et moins
sévère que celle que plus tard Benoit de Nursie imposa aux couvents
de l'Occident, fut adoptée par presque toutes les communautés monas-
tiques orientales ; les moines qui s'y conformèrent reçurent le nom de
basiliens. Cependant on a tort d'appeler ainsi tous les religieux de
l'Eglise grecque; il y en a qui suivent des coutumes différentes. C'est
surtout en Arménie que l'ancienne règle de Basile est encore observée.
En 1307 des basiliens arméniens, réfugiés à Gènes, y obtinrent l'église
de Saint-Barthélémy ; on les nomma dès lors barthélémites. Clément V
les ayant autorisés à suivre leurs rites nationaux, ils fondèrent des cou-
vents dans plusieurs villes italiennes et se rapprochèrent peu à peu des
Usages romains. En lo(50 l'ordre, tombé en décadence, fut supprimé;
treize ans plus tard, Grégoire XIII en réunit les restes en une congré-
gation de Saint-Basile. D'autres couvents basiliens ont existé en Sicile.
Parmi les basiliens orientaux les plus célèbres on doit citer le canoniste
grec Blastarès ivers 1335), et Bessarion, qui au quinzième siècle se fit
catholique romain et devint cardinal. Ch. Schmidt.
BASILIQUE. Voyez Architecture chrétienne.
BASIN (Thomas), évèque de Lisieux. Louis XI, le soupçonnant de
favoriser les Anglais et les Bourguignons, lui lit sentir avec sa vigueur
habituelle la souveraineté de la couronne sur l'épiscopat gallican; il le
destitua, confisqua ses biens et l'exila. Basin, retiré avec son frère en
terre bourguignonne, à Louvain, où il professa le droit, éprouva les
effets de la politique du pape qui, comme il le faisait pour le cardinal
Balue, le favorisa d'autant plus que le roi lui était plus contraire. Il
reçut de Sixte IV le titre d'archevêque de Césarée et les fonctions de
vicaire de l'évêque d'Utrecht. Il mourut en cette ville en 1491. On cite
• le lui un traité contre Paul de Middelbourg, une histoire de son temps
et un manuscrit sur la Pucelle d'Orléans, de Puellâ Aurelianensz
<\oy. d'Achéry, Spicilegium, t. IV; Mathaeus, Analectes, t. II).
BASNAGE (Benjamin). La famille Basnage est une ancienne et noble
famille de la Normandie , où la science, le talent et la fidélité aux doc-
trines réformées semblent avoir été également héréditaires. Le premier
chef marquant de cette famille est Benjamin Basnage, né en l'an IS80.
Fils d'un père déjà pasteur à Norwtcb (Angleterre) &> à Carentan
(Normandie), Basriàge se consacra au saint ministère (t se concilia
bientôt l'estime de ses collègues et de ses coreligionnaires par l'éner-
gie de son caractère et rétendue dé ses connaissances. En 1609 la
province de Normandie le députa au synode de Saint*Maixent, et en
108 BASNAGE
1614 à celui de Tonneins. En 1621 il fut nommé encore par elle re-
présentant à rassemblée politique de La Rochelle, qui le choisit pour
son vice-président. Plus tard il fut envoyé successivement, en 1631
au synode national de Gharenton, en 1637 à celui d'Alençon, et en
1644 à un autre synode de Charenton. Dans ces diverses assemblées
il défendit les intérêts de ses coreligionnaires avec autant de prudence
que de fermeté. Au synode d'Alençon, dont il avait été élu modérateur,
il répondit à la harangue hautaine et menaçante du commissaire royal
Saint-Marc par un discours plein de mesure et d'habileté, où il justi-
fiait les réformés du reproche, sans cesse reproduit, de rébellion
contre le pouvoir, et repoussait avec énergie les prétentions du gouver-
nement, qui voulait diminuer le nombre des églises annexes du culte
réformé et interdire aux pasteurs la prédication hors du lieu de leur
résidence. Au second synode de Gharenton, il fut chargé de commis-
sions importantes « dont il s'acquitta fort bien », dit Aymon dans son
Histoire des Synodes, et il contribua à mettre lin aux différends de plu-
sieurs consistoires avec leurs pasteurs. La vie de Benjamin Basnage
fut surtout une vie d'activité pratique. Il composa cependant quelques
traités de controverse , parmi lesquels les bibliographes ne mention-
nent spécialement que celui qui a pour titre : De testât visible et invi
sible de V Eglise et de la parfaite satisfaction de Jésus-Christ contre la
fable du Purgatoire sur l'occasion d'une conférence avec un moine recollé.
La Rochelle, 1612, in-8°. Il mourut en 1652, après cinquante-et-un
ans de ministère à Sainte-Mère-Eglise (département de la Manche) où
il avait été appelé en 1601. Il laissait deux fils, Antoine et Henri, qui
furent les chefs de deux branches illustres : la branche aînée et la
branche cadette. N. Recolin.
BASNAGE (Jacques), fils aine de Henri Basnage, qui jouissait d'une
grande réputation au barreau de Rouen. Né dans cette ville en 1653y
Jacques Basnage fut envoyé au collège de Saumur pour y suivre les
cours de Tannegui Lefèvre, qui conçut pour lui une vive affection et
de grandes espérances. Fortement prévenu contre les pasteurs de Sau-
mur, Tannegui chercha à détourner son élève de la carrière pastorale ;
mais le jeune Basnage persévéra dans son dessein, et, après avoir fait
de solides études classiques , il se rendit à Genève , où il étudia la
théologie sous la direction de Mestrezat, Turretin et Tronchin ; puis il
alla à Sedan, où il eut pour maîtres Jurieu et Le Blanc de Beaulieu.
Nommé, en 1676, pasteur de l'Eglise de Rouen, | après le départ du cé-
lèbre Etienne Le Moine, qui venait d'être appelé à Leyde comme pro-
fesseur de théologie, il fut désigné, en 1679, pour prêcher devant le
synode provincial de Saint-Lô, « où il se fit admirer, » dit Bayle. En
1684, il se maria avec Suzanne du Moulin, petite-fille de l'illustre Pierre
du Moulin. Malgré les travaux incessants de sa charge, il s'adonna dès
lors avec ardeur aux études historiques, dans lesquelles il ne tarda pas
à acquérir un grand renom. A la révocation de l'édit de Nantes, il
obtint l'autorisation de se retirer en Hollande, où il desservit les postes
de Rotterdam et de La Haye. C'est à Rotterdam qu'il rencontra son
anien professeur , qui devint son beau-frere, le célèbre Jurieu. Leurs
BASNAGE 109
esprits n'étaient pas faits pour s'entendre : celui de Jurieu était plein
d'emportement et de sévérité; celui de Basnage inclinait plutôt à la
douceur et à la modération. La révolte des Camisards, qui venait d'é-
clater, vint fournir un aliment de plus à leurs discussions. Partageant
les vues de Calvin sur l'obéissance passive que les sujets doivent à leur
souverain, Basnage condamnait le soulèvement des paysans cévenols,
que Jurieu approuvait et défendait. Pour échapper à ces dissensions de
famille, Basnage finit par céder aux instances du grand-pensionnaire
Heinsius, qui l'avait pris en amitié, et accepta le poste de pasteur à La
Haye, où il était appelé. C'est là qu'il acquit une telle réputation d'ha-
bileté dans les affaires, que Voltaire a pu dire de lui « qu'il était plus
propre à être ministre d1Etat que d'une paroisse. » Il fut employé en
effet à d'importantes négociations, qu'il conduisit avec autant d'intel-
ligence que de succès. Le régent de France lui adressa Tabbé Dubois,
lorsque celui-ci fut envoyé à La Haye en 1716 pour négocier le traité
de la triple alliance. N'écoutant que son amour pour son pays et ou-
bliant tous ses justes griefs contre le gouvernement français, il déploya
le plus grand zèle dans cette négociation et contribua pour une bonne
part à la conclusion de l'alliance, qui fut signée en janvier 1717. Plus
tard, le régent, craignant que la terrible guerre des Camisards ne vînt
à se rallumer dans le midi de la France, s'adressa encore à Basnage ,
qui se hâta de mettre le gouvernement français en rapport avec un
jeune homme destiné à devenir le restaurateur du protestantisme fran-
çais, Antoine Court. Le pasteur du Désert donna l'assurance que la
tranquillité ne serait point troublée. Pour maintenir ses coreligion-
naires dans la voie d'une fidélité pacifique, Basnage leur adressa une
instruction pastorale qui fut répandue à profusion dans le midi de la
France. A cette activité diplomatique et pastorale, Basnage joignait
une activité littéraire infatigable. Historiographe des Etats-généraux
des Provinces -Unies, il recueillait et coordonnait les matériaux de
leurs annales. Consulté de tous côtés, il entretenait une vaste corres-
pondance avec des princes, des ministres, des grands seigneurs, des
savants de toutes les parties de l'Europe. Son caractère ne le faisait
pas moins rechercher que son savoir. L'éditeur de son grand ouvrage,
Les Annales des Provinces- Unies, lui rend ce témoignage « qu'il était
vrai jusque dans les petites choses, et que sa candeur, sa franchise, sa
bonne foi ne paraissent pas moins dans ses ouvrages que la profon-
deur de son érudition et la solidité de ses raisonnements. » Il ajoute
qu'il avait acquis par l'usage du grand monde une politesse exquise,
assez rare parmi les savants, qu'il était affable et prévenant, et qu'il
n'avait pas de plus grand plaisir que celui de rendre service et d'em-
ployer son crédit en faveur des misérables. Il mourut le 22 décem-
bre 1723, ne laissant qu'une fille. La liste des ouvrages que Basnage a
composés est considérable. On verra, en la parcourant, que c'est à la
[ois sur !<s matières d'histoire religieuse, d'édification et de contro-
verse qu'il s'est exercé; mais c'est surtout comme écrivain ecclésias-
tique qu'il a excellé. Ses deux ouvrages les plus importants: Y Histoire
A la religion des Eglises réformées et Y Histoire de /' Eglise depuis Jésus-
i 10 BASNAGE — BASSOUTOS
Christ jusqu'à présent, sont un trésor d'érudition et révèlent chez l'au-
teur une alliance de qualités scientifiques diverses : une connaissance
approfondie des sources, une grande finesse et justesse dans les aper-
çus, une véritable impartialité dans les jugements, et avec tout cela un
style correct, terme et parfois éloquent. Ce que le goût moderne pour-
rait y reprendre, c'est la surabondance des faits de détail et la mono-
tonie des divisions. — Voici le catalogue de ses principaux ouvrages
d'après l'ordre chronologique : Examen des méthodes proposées par
MM. de V Assemblée du clergé de France en Vannée 1682 pour la réunion
des protestants avec l'Eglise romaine, Colog., 1682, in-12 ; Considérations
sur Y état de ceux qui sont tombez, Rotterdam, 1686, in-12; Réponse à
M. l'évêque de Meaux sur sa Lettre pastorale, Cologne, 1686, in-12; La
Communion sainte, avec Traité sur la nécessité et les moyens de commu-
nier dignement, Rotterdam, 1688, in-8° ; Histoire de la religion des
Eglises réformées, Rotterdam, 1690, 2 vol. in-12 (la dernière édition,
la plus considérable, est de 1725), 2 vol. in-4° ; Traité de la Con-
science, Amsterdam, 1696, 2 vol. in-12 ; Lettres pastorales sur le renou-
vellement de la persécution, 1698, in-4°, sans nom d'auteur; Histoire de
V Eglise depuis Jésus-Christ jusqu'à présent, Rotterdam, 1699, 2 vol. in-
fol. ; Traité des préjugés faux et légitimes, Delft, 1701, 3 vol. in-8°;
Histoire des Juifs depuis Jésus-Christ jusqu'à présent, Rotterdam, 1706,
5 vol. in-12; Entretiens sur la Religion, Rotterdam, 1709, in-12; Ser-
mons sur divers sujets de morale, de théologie et d'histoire sainte, Rotter-
dam, 1709, 2 vol. in-8°; Antiquités judaïques, Amsterdam, 1713, 2 vol.
in-8°; L'Etat présent de l'Eglise gallicane, Rome (Amsterdam), 1719,
in-12 et in-8° ; Instructions pastorales aux Réformez de France sur
l'obéissance due au souverain, 1720, in-12 ; Annales des Provinces-
Unies depuis les négociations de la paix de Munster, La Haye, 1719 et
1726, 2 vol. in-fol. ; Nouveaux Sermons avec Prières, Rotterdam, 1720^
in-8°. Basnage a laissé imparfaite une Histoire des Hérésies qu'il avait
conduite jusqu'au onzième siècle. N. Recolin.
BASSOUTOS, indigènes de l'Afrique centrale dont le pays fut exploré
pour la première fois en 1833, par les agents de la Société des Missions
évangéliques de Paris, qui en a fait, à partir de cette époque, son
principal champ de travail. Ces noirs appartiennent à une variété de
de la race cafre, qui se distingue des Gafres proprement dits par des
mœurs moins belliqueuses, un caractère plus sociable et plus ami du
travail. L'appellation patronymique Bassoutos paraît s'être originelle-
ment étendue à une agglomération très-considérable de peuplades qui
sont maintenant distinctes et séparées par d'assez grandes distances.
L'usage l'a presque exclusivement restreinte à la tribu qui fait l'objet
de cet article, c'est-à-dire à une population d'environ 200,000 âmes
réunie sous le même gouvernement. Venus du nord par migrations suc-
cessives, ces Bassoutos se sont établis depuis plus d'un siècle à l'ouest
de Natal sous la même latitude. Une haute chaîne de montagnes les
sépare de cette colonie. Les plateaux qu'ils occupent sur le versant
occidental étant à une élévation d'environ 5,000 pieds au-dessus du
niveau de la mer, le climat en est tempéré et fort salubre ; la longévité
BASSOUTOS 111
des habitants égale celle des populations les plus favorisées de l'Eu-
rope. Le sol est très-fertile; des pluies l'arrosent suffisamment pour
permettre (prou le cultive dans toutes ses parties sans irrigation.
Une circonstance qui, du reste, n'était pas sans précédent dans
l'histoire des missions, donne un intérêt tout particulier à L'œuvre
que la Société de Paris a faite dans ce pays. Elle a eu le privilège de
sauver les Bassoutos au point de vue terrestre, en même temps qu'elle
leur offrait les bienfaits de l'Evangile. Lorsqu'on 1833 les mission-
naires Arbousset, Casalis et Gossellin franchirent le fleuve Orange, à la
recherche d'un champ de travail, un chasseur hottentot leur révéla
l'existence des Bassoutos et les conduisit dans leur pays. Ils le trouvè-
rent presque dépeuplé. Des hordes ennemies l'avaient envahi et com-
plètement ruiné. Pendant la lutte, qui avait duré plusieurs années, les
champs étaient restés presque sans culture; il en était résulté une
affreuse famine qui avait fait contracter à une partie de la population
des habitudes de cannibalisme. Des multitudes s'étaient réfugiées dans
des contrées plus heureuses. Cette expatriation se continuait malgré les
efforts d'un homme intelligent et énergique, le chef Moshesh. Encore
un ou deux ans, et le pays eût été complètement désert. L'arrivée des
missionnaires, leurs exhortations, leurs conseils rendirent l'espoir au
chef et à ceux de ses sujets qui lui étaient restés fidèles ; les hostilités
prirent fin, les fugitifs revinrent, et pendant quinze ans le pays jouit
d'une parfaite tranquillité. Durant cette période, le nombre des
missionnaires s'accrut, plusieurs stations furent fondées, la langue
et les mœurs nationales furent soigneusement étudiées, et des conver-
sions remarquables commencèrent à récompenser le zèle des serviteurs
de Christ. Depuis lors, les Bassoutos ont été plus d'une fois à la
veille de voir leur nationalité se dissoudre au milieu de guerres pro-
duites par les empiétements des blancs. Le dévouement des mission-
naires a grandement contribué à prévenir ce malheur. Sans se départir
de leur rôle de ministres de paix, ils n'ont jamais fait de différence
entre leurs intérêts et ceux de leurs troupeaux, ils ont donné l'exemple
de la constance dans l'adversité ; et grâce à leurs instances, ils voient
maintenant les Bassoutos, placés sous une protection et un contrôle
efficaces, jouir sans crainte de ce qui leur reste de l'héritage de leurs
pères. Ces luttes ont considérablement retardé l'œuvre de la réno-
vation sociale et religieuse des naturels, mais elle n'a jamais été inter-
rompue. — I. Progrès matériels. Les Bassoutos sont devenus essentiel-
lement agriculteurs. Le sorgho, le maïs, quelques «cucurbitacées et le
tabac étaient autrefois les seuls produits qu'ils connussent ; ils y ont
ajouté nos céréales, la pomme déterre, nos principales plantes potagères
et nos meilleurs fruits qui viennent très-bien chez eux; toutefois, leur
attention ne se porte encore d'une manière sérieuse que sur les grandes
denrées qui commencent à les enrichir par l'exportation. La charrue
et nos autres outils agricoles remplacent déplus en plus la pioche anti-
que. L'élève des bestiaux, qui n'avait ci-devant d'autre but que d'en
accroître le nombre, change de caractère; les indigènes comprennent
maintenant qu'il faut surtout améliorer les races; ils s'attachent à
112 BASSOUTOS
multiplier les moutons mérinos et la chèvre angora qui leur étaient
autrefois inconnus. Un peu avant l'arrivée des missionnaires, l'appa-
rition de quelques ennemis montés sur des chevaux avait révélé aux
Bassoutos l'existence de ces animaux qu'ils appelèrent d'abord les
bœufs sans nom. Ils ont si bien appris à en élever que maintenant on
vient en acheter chez eux. Voici, d'après un relevé publié l'année
dernière par l'autorité supérieure du pays, des chiffres qui donneront
une idée de la prospérité matérielle de ces indigènes que la Mission
protestante de France trouva dans la plus affreuse misère et ignorés du
reste 'du monde : Achats d'objets de fabrication européenne, principa-
lement vêtements, valeur : 3,750,000 francs. Ventes de blés par ex-
portation : plus de 100,000 sacs du poids de 220 livres; d° laines :
2,000 balles. Richesse rurale : 2,749 charrues, 299 wagons, 35,357 che-
vaux; 28,194 bœufs de trait ; 195,538 vaches et veaux; 303,080 brebis
et moutons; 215,485 chèvres; 15,635 porcs. La construction de mai-
sons de forme européenne est retardée par un déboisement fort regret-
table, mais il vient des bois de charpente de la Cafrerie, et une prime a
été instituée pour encourager la plantation d'arbres de haute futaie. —
IL Progrès dans l'ordre religieux et intellectuel. Il n'y avait chez les
Bassoutos rien qui pût rappeler à des Européens une religion propre-
ment dite, des temples, des autels. Toutefois, l'enseignement des mis-
sionnaires trouva certaines bases, quelques précieux points d'appui.
C'étaient : l'idée et le respect du surnaturel; une vénération des an-
cêtres allant, dans chaque famille, jusqu'à des prières, des offrandes
et impliquant une croyance, sinon raisonnée, du moins très-réelle, à
une continuation d'existence après la mort; la souffrance et le malheur
considérés comme une souillure ayant pour remèdes des purifications,
des sacrifices ; la circoncision, en dépit d'accompagnements absurdes,
pratiquée comme un rite ' sacré faisant mystérieusement passer le
jeune garçon à l'état d'homme raisonnable et de citoyen ; enfin des
légendes où l'on reconnaissait sans peine la notion d'un Seigneur
(Moréna), d'un Maître suprême résidant au ciel, et celles d'une ca-
tastrophe qui a soumis l'homme à la mort ; du rôle du serpent dans
nos destinées malheureuses et dans les arts occultes ; d'un séjour des
trépassés dans les régions souterraines correspondant au scheol des
Hébreux. Le sens moral ne s'était pas oblitéré. En dépit d'infractions
habituelles, la règle était restée au fond des cœurs. En entendant, pour
la première fois, les missionnaires réciter les commandements de la
seconde table, les naturels leur dirent : « Nous savions tout cela avant
votre arrivée. » D'excellents proverbes nationaux en faisaient foi.
La langue qui semblait devoir être un obstacle à tout progrès fut, au
contraire, un puissant auxiliaire. Elle valait beaucoup mieux que les
gens qui la parlaient. Ce n'était pas le maigre et incohérent vocabu-
laire de populations encore au point de départ, mais le dépôt des sen-
timents et des idées d'une] civilisation patriarcale pleine de sève, que
des générations appauvries à tous égards par d'incessantes migra-
tions avaient presque perdue, tout en continuant à s'exprimer comme
elle. Le sessouto a suffi pour reproduire, sans presque aucune circon-
BASSOUTOS — BAUDIN 118
locution, tout ce que contiennent les livres de L'Ancien et du Nouveau
Testament. Les plus grands obstacles à la régénération religieuse des
Bassoutos ont été la polygamie et la circoncision comme symbole e
sauvegarde de tout l'ensemble des j vieilles mœurs. Un opprobre presque
aussi redouté que la mort pèse sur l'incirconcis. Néanmoins la toute-
puissance de l'Evangile s'est manifestée par de nombreuses conver-
sions dans tous les rangs et à tous les âges, et leur réalité a été
démontrée par des réformes personnelles et domestiques très-persis-
tantes, quoique souvent fort douloureuses. Elles ont toutes été l'effet
de la contemplation de Jésus-Christ comme manifestation de Dieu et
preuve de son existence, idéal de sainteté et d'amour, et suprême ré-
parateur du péché. Au point de vue ecclésiastique, les troupeaux sont
sous le régime presbytérien synodal; les enfants des convertis sont
baptisés ; les adultes ne sont admis au baptême et à la sainte Cène qu'a-
près un sérieux catéchuménat. On fait une obligation aux néophytes
d'apprendre à lire, s'ils ne savent pas déjà. Le désir de posséder les
saintes Ecritures devient général. Deux éditions du Nouveau Testament
sont déjà épuisées; une troisième, de 16,500 exemplaires vient d'être
faite à Paris, et on l'expédie eïl ce moment. On peut estimer à environ
500,0001e nombre des indigènes de diverses tribus pour lesquels cette
version de la Mission française est parfaitement intelligible. — III. Sta-
tistique religieuse (1876-1877). Stations ou Eglises centrales, 13; mis-
sionnaires français, 17; annexes, la plupart avec chapelles, 60; caté-
chistes indigènes desservant ces annexes, 60; communiants, à peu près
5,000; catéchumènes, 600; personnes prenant part au culte, 20,000;
écoliers de la semaine, 2,000 ; élèves des écoles du dimanche, 2,500 ;
école normale de jeunes gens, 80; école normale de jeunes fdles, 37 ;
contributions des indigènes pour aider à l'entretien de la mission,
11),:H)0 francs; fonds collectés par les chrétiens bassoutos pour envoyer
des catéchistes fonder une mission nouvelle dans l'intérieur du conti-
nent, chez les Banyaïs, 7,500 francs. Dans tout le pays, on s'abstient
généralement de travaux extérieurs le jour du dimanche ; et par là les
niasses encore inconverties montrent qu'elles ne nient plus l'existence
du Dieu des chrétiens et qu'elles reconnaissent, en une certaine me-
sure, son autorité. E- Casaijs.
BATHANÉE. Voyez Basan.
BATHILDE (Sainte) [Balthildis ou Baïtechildis, sainte Baudour ou
Bautheur], esclave anglo-saxonne, sut plaire , par ses vertus , à Clo-
vis II, < } 1 1 i L'épousa. Elle fut célèbre par sa charité envers les couvents
et fonda le monastère de Corbie et celui de Chelles (Kala), où elle se
rôtira en 664. Elle y mourut vers 680, le 30 janvier. Sa vie a été écrite
par Theofroy, premier abbé de Corbie (Boll., 26 Jan. II; Mabillon,
AA. SS. Ban. s$c. II, p. 775).
BATH-K0L. Voyez Talmud.
BAUDIN (Charles- 1 1784-1854], l'une des illustrations du protestan-
tisme français moderne, appartient à une famille bourgeoise, origi-
naire de la Lorraine et fixée depuis le dix-septième siècle à Sedan. 1!
perdit de bonne hepre son père, qui joua un rôle honorable pendant la
II. 8
114 BAUDIN — BAUDOUIN
Révolution française. Voué depuis l'âge dequinzeans à la marine, Baudin
se distingua dans une série de campagnes sous l'Empire et sous le gou-
vernement de Juillet. 11 commanda en 1838 l'expédition du Mexique,
et se couvrit de gloire à la prise de la forteresse de Saint-Jean-d'Ulloa.
Successivement appelé à la préfecture maritime de Toulon et à la prési-
dence du conseil de l'Amirauté, Baudin déploya dans ces fonctions les
qualités éminentes qui l'avaient porté aux honneurs suprêmes de la
carrière navale. L'obéissance au devoir était le ressort caché de culte
vie, dépensée tout entière au service de la pairie et de l'humanité.
L'amiral Baudin avait une âme humble, sincèrement pieuse et proton
dément aimante. Il portait un vif intérêt à toutes les œuvres d'instruc-
tion, d'évangélisation, de prévoyance et de secours, fondées, depuis le
commencement de ce siècle, par ses coreligionnaires; la liberté de
conscience trouva en lui un zélé défenseur. Dans les affaires ecclésiasti-
ques, il lit preuve, comme membre du consistoire réformé de Paris et,
depuis 1852, comme président du conseil central, d'un esprit à la fois
ferme et conciliant. Il a eu le rare privilège de mourir, estimé et regretté
de tous les partis (voy. la notice insérée dans les Protestants illus-
tres, et publiée à part en 1863).
BAUDOUIN (François), Bauduin ou Balduin, Balduinus, né à Arras le
1er janvier 1520, « l'un des plus jurisconsultes, théologiens et historiens
de ce temps, » écrivait, dès 1584, son contemporain La Croix du Maine,
en lui donnant place dans sa Bibliothèque. Il était fils d'un conseiller et
avocat du roi. Après de remarquables études faites à Arras, à Louvain et
à Paris, il se lia avec le grand juriste Charles Dumoulin dont il était l'hôte,
puis avec Cujas, Guillaume Budé, Baïf, etc. Charles Dumoulin lui avait
peut-être donné du penchant pour la Réforme ; déjà suspect d'hérésie,
il lit un premier voyage en 1545 à Genève, où il connut Calvin ; puis en
Allemagne, où il vit Buceret Mélanchthon.A Genève, il avait abjuré ; il
continua néanmoins à assister à des cérémonies catholiques. De retour
en,Suisseenl547,ilse lia plus étroitement avec Calvin, chez qui il logea
même, luiservantde secrétaire et lui donnant le nom de père. En 1547,
Michel de l'Hôpital l'aida à obtenir à Bourges une chaire de droit, à la-
quelle ses publications des Justiniani leges, etc. (1552) et des Jnstitutes
annotées (1545) lui donnaient déjà de justes titres. Il se lit rece-
voir docteur le 12 mars 1549. Les démêlés que lui suscita bientôt la
jalousie de Duaren, son prédécesseur dans la chaire qu'il occupait, le
rebutèrent, et il y renonça en 1555 pour se rendre à Strasbourg, où il
ouvrit un cours de droit. Là ce furent de nouvelles querelles avec un
autre rival, l'illustre François Hotman ; il se retira en 1558àHeidelberg,
où il professa l'histoire et le droit dans l'université de cette ville. C'est
là qu'il publia, en 1560, YOctavius, en le restituant à Minutius Félix,
tandis qu'on l'avait jusque-là imprimé comme un huitième livre d'Ar-
nobe contre les Gentils (adoersus Gentes). Fut-il envoyé par l'électeur
Casimir et le duc de Wurtemberg pour assister au colloque de Poissy,
ou bien est-ce le chancelier de l'Hôpital, est-ce Antoine de Bourbon,
qui l'appelèrent alors en France ? Toujours est-il qu'il y revint, désireux
« de moyenner la paix et la tranquillité » et apportant avec lui, pour
BAUDOUIN 115
cela, un traité anonyme do son ami le pieux et savant théologien Georges
Cassander, De o/fîcio pii vin) in hoc religionis dissidio^ qu'il regardait
comme « un trésor » et une vraie panacée. Publié alors par ses soins
el distribué lors du colloque, ce livre, qui prêchait l'union, déplut
à tous les partis et ue lit pas fortune à Poissy. Il fut même l'occasion
d'une ardente polémique; Calvin, le premier, s'éleva contre Baudouin
qu'il croyait L'auteur de l' ouvrage. Duaren et Hotman, ses anciens
collègues, vinrent à la rescousse : de part et d'autre ce fut un feu croisé
d'acerbes pamphlets. Baudouin, désabusé et dépité, devint alors pré-
cepteur de Charles de Bourbon, fils naturel du roi de Navarre. Il devait
être L'orateur de ce prince au concile de Trente, lorsque ce dernier lut
tu»'1 au siège de Rouen, en 1562. Cette mort le décida à reprendre ses
Leçons et il voulut aller enseigner le droit romain à Douai, dans les Etats
de Philippe II. Il lui fallut pour cela obtenir le rappel d'un ban exécuté
contre lui, en 1545, comme suspect d'hérésie, par suite de ses rapports
avec un habitant de Tournay, qui avait payé de sa vie son zèle pour la
religion (Bull, de la Soc. d'kist.du Protest, fr., 1, 148), et il lit en consé-
quence une abjuration publique le 24 juillet 1563, à Louvain, entre les
mains de l'inquisiteur général et des théologiens. En publiant le procès-
verbal de cet acte, qui se trouve aux Archives de Belgique, à Bruxelles
(Rev. de LégisL, Paris, 1872, p. 308), M. Rivier demande l'indulgence
de la postérité « pour un savant de la Renaissance, d'humeur vive,
sain d'esprit et de goût, hostile à tout fanatisme et que sa destinée bal-
lotta entre la Genève de Calvin et les Pays-Bas du duc d'Albe ». Rappe-
lant que sa versatilité confessionnelle l'a fait maltraiter et durant sa vie
et après sa mort, il va peut-être un peu loin en réclamant pour lui le bé-
néiice du dicton : Bonus jurisconsultes, malus christianus,qm a servi de
texte à une ou deux douzaines de dissertations au siècle dernier. Quoi
qu'il en soit, cette abjuration, qui fut la dernière, ne lui profita guère.
Il accepta dans les Pays-Bas une mission analogue à celle qui lui avait
été déjà confiée, mais qui n'eut pas meilleur succès. Pour ne pas servir les
fureurs du duc d'Albe, il dut abandonner, en 1567, ce pays désolé, et
vint ouvrir à Paris un cours de Pandectes qui attira un concours d'au-
diteurs de marque, puis fut appelé à la chaire de droit de Besançon, et
enfin, en 1568, à Angers, par le duc d'Anjou, à qui le chancelier Hu-
rault de Cheverny l'avait chaudement recommandé. Il fut aussi
nommé maitre des requêtes de ce prince; mais il sut se soustraire aux
obligations que ce titre semblait devoir lui imposer, lorsqu'on voulut
Le charger de faire l'apologie de la Saint-Barthélémy. De Thou lui fait
honneur de ce refus, qui ne le fit point tomber en disgrâce, puisque c'est
lui qui fut appelé à répondre, au nom du duc, élu roi de Pologne, à la
harangue latine de Jean Zamoski, chef de l'ambassade de la diète, qui
venait lui offrir la couronne. Baudouin devait se rendre à Cracovie avec
le nouveau roi et s'occuperde la réorganisation de l'université, lorsque
!;i mort If frappa au collège d'Arras, à Paris, le 24 octobre 1573, âgé
seulement de53 ans '.hnoiset 24 jours. Il mourut, dit-on, entre les bras
^lii célèbre jésuite Bfaldonat. En résumé, d'un esprit à la fois religieux el
libéral, Baudouin se montra toujours conciliateur et tolérant: il admi-
116 BAUDOUIN — BAUMGARTEN
rait le concile de Nicée et tendait à reconstituer l'Eglise des premiers
siècles. Le séjour d'Heidelberg fortifia cette tendance irénique, que Ton
retrouve dans toute sa correspondance avec Cassander, Martyr et Mê-
la nchthon. On peut donc lui appliquer le fameux vers :
Soyez donc modéré... pour ne plaire à personne !
et il doit y avoir des circonstances atténuantes pour celui qui aimait à
répéter : Suie historia cœcam esse jurisprudentiam, et qui a dit aussi :
Jurisprudentiam, si tota profana sit, vix nomen suum tueri satis posse. —
Voir : 1° Chronique d'Artois, ms.posth. et inédit de Baudouin, publ. par
l'Acad. d'Arras, 1858, in-8°, avec un Advis sur le faict de la ré forma-
tion de l'Eglise et un Discours enseignant le moyen pour remédier aux
troubles ; 2° De Fr. Bald. j. c. ejusque studiis irenicis Disert, historica,
par J. Heveling, Bonn, 1871. Charles Eead.
BAUER (Georges-Laurent) [1756-1806], orientaliste et archéologue
célèbre. 11 professa à Heidelberg et à Altorf,et se livra particulièrement
à l'étude des antiquités bibliques. Bauer appartenait à la tendance rationa-
liste et, l'un des premiers, appliquaà l'Ancien Testament l'interprétation
mythique. 11 trouve dans la Bible des mythes philosophiques, histori-
ques, historico-philosophiques et poétiques, distinction dont la subtilité
cache mal le point de vue assez superficiel de son auteur. Nous citerons
parmi ses ouvrages son Histoire de la nation hébraïque (1800, 2 vol.), sa
Mythologie hébraïque (1802, 2 vol.)» sa Théologie biblique et sa Morale
de l'A. et du N. T. (1796-1804). C'est à Bauer que l'on doit l'expression
significative d' « introduction historique et critique », que l'on appli-
qua, depuis la lin du dernier siècle, à la science isagogique(£Vita,\ einer
Itist. krit. Einl. in die Schriften des A. T., Nùrnb., 1794; 3° édit., 1806).
BAUME (chez les Hébreux). Voyez Histoire naturelle de la Bible.
BAUMGARTEN (Sigismond-Jacques) [1697-1757], théologien estima-
ble du milieu du dernier siècle. Il fut élevé à la maison des orphelins
de Halle dont son père était l'un des directeurs, étudia et professa la
théologie dans la même ville et attira un grand nombre d'auditeurs.
Nourri dans les idées philosophiques du temps, bien que fidèle à ses
sympathies pour le piétisme, Baumgarten forme la transition entre
l'école de Spener et de Francke et le rationalisme. Il appliqua la mé-
thode de Wolf à la théologie, et sut unir un esprit clair et pénétrant à
une piété vraie et à des connaissances historiques étendues et solides.
Son point de vue, tel que le révèle sûDGctrine évangélique (1758,3 vol.),
est encore celui de l'ancienne orthodoxie, bien qu'il ne cite pas les
livres symboliques; il s'appuie sur la Bible et ajoute à chaque doctrine
les devoirs et les règles morales qui en découlent. Dans sa Théologie
morale ou Instruction sur la conduite du chrétien (1738), il unit de la
manière la plus heureuse l'esprit philosophique et l'esprit chrétien.
Son Abrégé de l'Histoire ecclésiastique depuis J.-C. (1742-45, 3 vol.)
est plus faible. Baumgarten se distinguait par son esprit modéré et
bien veillant; il défendit les déistes et prêcha la tolérance. Semler est
son plus illustre disciple (voy. sa biographie, avec le catalogue de ses
écrits, par Semler, Halle, 1 758; Nieraeyer, Die Universitdt Halle, p. 70 ss. ) .
BAUMGARTEN — BAUR 117
BAUMGARTEN-GRUSIUS (Louis-Frédéric-Othon) [1788-1843], pro-
fesseur à la faculté de théologie d'Iéna, s'occupa plus particulièrement
d'exégèse, <lc théologie biblique et d'histoire des dogmes. 11 déploya
une! rare pénétration dans le soin consciencieux avec lequel il s'ap-
pliqua à mettre eu lumière le sens historique et religieux de la Bible,
ainsi que la formation et le développement des doctrines religieuses
dans L'Ëglise chrétienne. Ses principaux ouvrages sont, indépendam-
ment d'une Introduction à l'étude de la dogmatique (1820) et d'une
Théologie biblique (1828), un Compendium de l'histoire des dogmes
1840-1846), qui peut être considéré comme Tune des premières pu-
blications importantes sur cette matière, et une série de commen-
taires sur les écrits du Nouveau Testament dont la plupart n'ont paru
qu'après sa mort. Esprit profondément religieux et libéral, Baumgar-
teu-Crusius n'appartient à aucun des partis entre lesquels se partage
la théologie allemande moderne : son isolement explique le peu
d'action qu'il a exercée sur elle. Il avait le talent, il lui manquait le
génie.
BAUR, fondateur de la nouvelle école [de Tubingue. — 1. Ferdinand-
Christian Baur, fils d'un pasteur wurtembergeois, naquit à Schmiden,
près de Cannstadt, le 22 juin 1792. Il fit ses premières études au sémi-
naire de Blaubeuren d'où il passa à l'université de Tubingue. Rien
n'annonçait, ni chez l'écolier ni même chez l'étudiant, des facultés
extraordinaires. La nature de Baur tient de celle des chênes qui, dans
l«s commencements, poussent moins vite que les arbustes, mais crois-
sent d'une végétation laborieuse et persévérante et finissent par do-
miner de leur forte ramure les autres arbres de la forêt. Ainsi Baur a
grandi sans secousse mais continuellement, par un travail opiniâtre,
jusqu'à se trouver à la tête de sa génération. Il était certainement,
quand il est mort en 1860, le plus éminent théologien de l'Allemagne.
La mort de Schleiermacher seule avait laissé un aussi grand vide après
elle. Quand Baur fit à Tubingue ses études de théologie (1810-1815), il
y régnait un supranaturalisme superficiel et décoloré qui s'épuisait en
vains efforts de dialectique et d'exégèse pour expliquer rationnelle-
ment le christianisme et lui conserver en même temps son caractère de
religion révélée. Le souvenir qu'il avait gardé des leçons de ses maî-
tres. Bengel le neveu de l'illustre théosophe, Storr et Flatt, était celui
« d'un profond ennui ». Leur apologétique pénible et inconséquente
lui suggéra même ses premiers doutes. Mais il ne se sépara d'eux que
très-lentement et 'grâce à d'autres influences. Ce dogmatisme ra-
tionnel w'ca fut pas moins le point de départ de sa pensée, et il peut
servir à i ipliquer jusqu'à un certain point le caractère intellectualiste
qui resta jusqu'à la fin celui de sa conception religieuse. On retrouvera
des traces de cette première phase de son développement théologique
dans la Revue que Bengel publiait alors à Tubingueet àlaquelle il col-
labora pendant quelque temps (voy. surtout un compte-rendu de la
Théologie biblique de Kaiser, Bengels Archiv fur Théologie^ t. II,
p. 656, 181 7 1. Baur alors insistait beaucoup sur la nécessité d'une
révélation et s'indignait fort qu'on osât nier la résurrection du Christ.
118 BAUR
Néanmoins on sent déjà qu'il est mal à Taise dans cette théologie, elle
ne pouvait en aucune manière satisfaire le besoin de logique et de
cohérence qui distinguait déjà sa pensée. Peut-être n'aurait-il point
trouvé en lui-môme le principe nouveau qui devait l'élever au-dessus
d'elle ; car Baur, notons-le en passant, n'est pas un esprit créateur,
une nature intuitive ou inspirée comme Schleiermacher ; son esprit est
surtout un organe dialectique; pour déployer son incomparable
puissance, il a besoin de recevoir d'autrui les principes fécondants et
l'impulsion première. C'est la Dogmatique de Schleiermacher qui les
lui apporta. Nommé professeur de grec, de latin et d'histoire au gym-
nase de Blaubeuren (1817), il y acheva sa préparation philologique et
philosophique. Ses préoccupations perçaient dans ses leçons et la
grammaire y était souvent délaissée pour la critique des doctrines reli-
gieuses et des symboles mythologiques. Déjà il s'attachait surtout à
mettre en lumière les points de contact du christianisme avec les autres
religions et à montrer partout ce lien historique que plus tard toutes ses
recherches tendront à établir. De cette étude assidue de l'antiquité
classique, sortit le premier grand ouvrage de Baur, Symbolik und
Mythologie, 1824. C'était un essai d'expliquer les religions païennes
d'après la nouvelle philosophie religieuse de Schleiermacher. La valeur
n'en est plus grande aujourd'hui. Mais en 1826 il attira l'attention sur
le jeune professeur qui fut appelé à succéder, dans la faculté de théo-
logie de Tubingue, à Bengel son ancien maître dont la mort laissait
vacante la chaire de théologie historique. A cette première période
d'études classiques doit se rattacher sans doute une autre disserta-
tion de Baur parue quelques années plus tard sur Socrate et Jésus
ou l'élément chrétien dans Platon (Socrates und Jésus ode?1 das Christ-
liche in Plato, 1837). Dans l'enseignement de Socrate il trouve une
prémisse essentielle du christianisme, et il montre dans le fameux
principe TvœÔ'. aéauTov la forme grecque du mot [i.eTavosTTe, qui sera
celui de la prédication de Jean-Baptiste et de Jésus-Christ. Ainsi il
avait déjà la vue claire du principe qui dirigea toutes ses recherches
et en fut la conclusion, je veux dire : la continuité historique de tous
les développements de l'esprit humain. Ce furent de laborieuses et
fécondes années que ces premiers temps de l'enseignement univer-
sitaire de Baur. Strauss en a laissé une vive peinture dans sa Vie de
MœrJclin. Une élite de jeunes gens qui s'étaient déjà pris d'enthou-
siasme pour leur professeur au gymnase de Blaubeuren et qui l'avaient
suivi à l'université, se pressaient autour de sa chaire. Ce serait le
moment de peindre le nouveau maître qui allait prendre la direction
des esprits. Avec sa haute taille et sa figure austère, la personnalité
de Baur avait quelque chose d'imposant qui tout d'abord éveillait
le respect plus que la sympathie; on se sentait en présence d'un
homme absorbé tout entier dans sa vocation et dans son travail. Il avait
toutes les qualités solides et puissantes de la nature souabe avec une
certaine raideur et gaucherie. Il lui manquait cette familiarité et cette
bonne humeur qu'ont la plupart des professeurs allemands dans leurs
relations avec leurs élèves ; même avec ses intimes, il était froid,.
BAUR 110
vé, ne s'exprimant souvent (|uc par monosyllabes. En chaire, i!
lisail sur un ton un peu déclamatoire, avec un geste lourd el d'une
voix monotone, ses leçons soigneusement écrites. Son style, éloigné du
on scientifique si fréquent dans les écoles allemandes, était d'une
merveilleuse clarté <|ui rendait encore plus sensible et plus pressante
la logique de ses démonstrations.. En pénétrant un peu plus avant dans
cette nature, il y faut constater la prédominance de la faculté ration-
sur les facultés affectives. Baur sans doute ne manquait pas de
: mais il n'a jamais permis au sentiment de venir troubler les dé-
ductions de la logique. A cet égard, il forme l'antithèse la plus com-
plète avec Schleiermacher» Tandis que, chez ce dernier, la raison et le
sentiment restent dans un fécond et perpétuel échange, chez Baur la
conception purement intellectuelle se développe en droite ligne avec
une sorte de rigueur géométrique qui lui enlève toute souplesse et
toute chaleur. Aussi ne faut-il pas s'étonner s'il passe assez prompte-
menl de l'école de Schleiermacher à celle de Hegel, qui semble être son
Erère aine. Dès 1828, il dénonce le caractère subjectif de la christologie
de Schleiermacher. Le Christ de ce dernier n'est qu'un Christ idéal,
et if est-il pas souverainement arbitraire d'aflirmer que cet idéal est
identique à la personne de Jésus de Nazareth? Loin de se réaliser
jamais dans un seul individu, l'idéal n'épuise sa richesse que dans
le développement de l'espèce entière : tel est le principe que Baur
applique à la critique de la doctrine de Schleiermacher et au nom
duquel il la renverse. On y reconnaît l'axiome hégélien d'où sortira
quelques années plus tard la Vie de Jésus de Strauss. Cette conversion
de Schleiermacher à Hegel se fit lentement, sans secousse et sans éclat
extérieur. Baur se laissa devancer par l'esprit plus impatient et plus
brillant de quelques-uns de ses premiers élèves, de Strauss par
exemple. C'est qu'il suivait une autre voie et comprenait sa tâche
différemment. Tandis que Strauss parut vouloir enlever comme d'as-
saut et ruiner en une fois la forteresse du christianisme surnaturel,
baur se préparait à un long siège, se rapprochait lentement de la place,
ouvrait tout autour et progressivement des tranchées plus menaçantes
qui devaient finir par la faire capituler. Aussi le grand ouvrage de
Strauss n'eut-il qu'une légère influence sur l'esprit de Baur; il n'en a
troublé ni hâté le développement progressif et régulier. Purement né-
gative, la première critique de Strauss laissait subsister sans l'expliquer
l'apparition historique du christianisme et la valeur immense de ce fait
dans l'histoire. On peut dire que personne mieux que Baur n'a senti
«i fait comprendre l'insuffisance historique delà Vie de Jésus où tout
le christianisme se résolvait en quelques légendes d'origine mystérieuse
et d'un sens arbitraire;. Strauss en effet, malgré ses bruyantes profes-
sions d'hégélianisme, n'est pas un sérieux disciple de Hegel; il n'em-
prunte ;i cette philosophie <pie des arguments et des armes, mais, au
tond, c'est un pur critique rationaliste. Il n'a, à aucun .degré, le senti-
ment de l'histoire; il remplace l'explication naturelledes faits chrétiens
[. ir l'explication mythique, mais il ne dépasse pas le point de vue borné
d'un dogmatisme subjectif. Comme les rationalistes, il condamne le.
120 BAUR
dogme du passé au nom du dogme du présent; il n'explique ni le dé-
veloppement positif du dogme chrétien ni la formation du canon du
Nouveau Testament. En face de tout cela il s'arrête à une pure négation.
Baur, au contraire, s'enferme tout entier dans l'histoire et n'en veut
faire la critique qu'au nom de l'histoire elle-même. Il se transporte au
centre du dogme; il y découvre l'àme même de l'Eglise; il en saisit la
dialectique intérieure et en explique le développement à travers les
oppositions et les synthèses, les dissolutions et les reconstructions suc-
cessives, depuis ses origines jusqu'à son terme final. Il s'est bien autre-
ment approprié l'esprit de Hegel, et Ton peut dire que le premier il a
fait l'histoire vraiment hégélienne du christianisme. On comprend dès
lors que la critique de Strauss, loin de rendre son œuvre superflue, la
rendait nécessaire. A ces questions : qu'est-ce que le christianisme?
quelle a été la vie réelle de l'Eglise primitive? comment s'est formé le
canon du Nouveau Testament? quel est le caractère positif de ces pre-
miers documents sacrés? Strauss ne donnait aucune réponse; il n'a-
vait sérieusement résolu aucun problème. Baur a repris l'œuvre et
Fa accomplie avec de tout autres ressources et de bien plus sérieux
mérites. Bien n'a autant fait vieillir la célèbre Vie de Jésus de Strauss
que les recherches historiques de Baur. Personne ne l'a mieux réfutée
parce que personne n'en a mieux révélé l'étroitesse et l'insuftisance.
En vain Strauss, trente ans plus tard, a-t-il essayé de rafraîchir et de
rajeunir son système dépassé et vaincu en rédigeant une nouvelle vie
de Jésus ; en vain a-t-il tenté de marier, malgré leur incompatibilité de
nature, son explication mythique avec la critique historique ; sa Vie
de Jésus à] l'usage du peuple allemand n'en a pas moins fait l'effet d'un
anachronisme. Dans la critique de Strauss sont la raison historique et la
justification de celle de Baur.
II. On a vu que le nouveau professeur deTubingue était chargé d'en-
seigner l'histoire de l'Eglise et celle du dogme. Il a transformé ces
deux sciences théologiques en y apportant une conception et une
méthode nouvelles. II y régnait jusqu'à lui une véritable confusion.
Pour Gieseler, elles n'étaient guère qu'une série de documents juxta-
posés ; pour Néander, elles se résolvaient en une suite d'études psycho-
logiques très-fines où revivaient, mais sans lien entre elles,. les grandes
individualités de chaque époque. Baur, ici comme ailleurs, s'appliqua à
rétablir la continuité du développement et à expliquer logiquement la
succession des époques et des formes historiques traversées par le
christianisme (Die Epochen der kirchlichen Geschichtschreibung , 1852).
Conformément au point de vue hégélien, ce qui dans l'histoire inté-
resse Baur, ce ne sont ni les faits ni les hommes, mais Vidée. Il
montre un véritable génie à saisir le principe d'un système, le ca-
ractère dominant d'une époque et à les exprimer dans une formule
qui ensuite explique tout le reste. Par contre, YHistaire de l'Eglise
qu'il nous a laissée a quelque chose d'abstrait et de monotone ; la vie
réelle, les passions concrètes, l'action des grandes personnalités dispa-
raissent et sont sacrifiées à la dialectique hégélienne de l'idée généra-
trice. C'est, comme on l'a dit, une histoire docète, c'est-à-dire une lus-
BAUfi 121
toire OÙ les individus et les événements extérieurs ne sont qu€ des
apparences éphémères sans autre valeur que celle qu'ils reçoivent de
L'idée dont ils sont les organes ou l'expression . « Il nous est bien indif-
férent, dira-t-il, qu'un individu s'appelle Athanase, un autre Arius, un
troisième ("vrille. Tous les personnages historiques ne sont pour nous
que des noms. » Ainsi, eliez Baur, la philosophie dévore l'histoire, l'abs-
traction dissout la réalité. Mais on doit reconnaître qu'il a singulièrement
précisé la notion même de l'histoire de l'Eglise chrétienne, avant lui si
flottante et si vague. Il s'élève avec une grande force contre les histo-
riens, ses prédécesseurs, qui prenaient leurs points de division non
dans les développements de l'Eglise elle-même, mais dans des événe-
ments de l'histoire générale qui lui sont plus ou moins étrangers,
comme l'avènement de Constantin, l'empire de Charlemagne, la paix
de Westphalie, etc., etc. L'histoire de l'Eglise chrétienne, à ses yeux,
c'est l'histoire de l'idée même de l'Eglise. Cette idée a un mouvement
dialectique nécessaire; c'est de ce mouvement intérieur que doi-
vent se déduire toutes les divisions. A ce point de vue, deux grandes
périodes se détachent immédiatement : l'idée chrétienne cherche
d'abord à se réaliser dans les faits, dans une objectivité adéquate à
l'idée elle-même. Cette première période est celle du catholicisme, où se
distinguent trois moments, ceux de sa formation, de son triomphe etde
sa dissolution. A cette période objective succède, non moins fatalement,
h ne période subjective qui est celle du protestantisme. L'esprit chrétien,
se dégageant des faits extérieurs, du matérialisme où il cherchait
d'abord son expression, rentre en lui-même, se retrouve dans la con-
science de son union directe avec Dieu et commence un nouveau
développement dont les phases logiques correspondront à celles du
développement catholique. Dès lors il ne faut parler ni de chute dans
l'Eglise, ni de relèvement, ni de corruption, ni de réformation. Catho-
licisme et protestantisme ne sont pas la vérité absolue. L'un et l'autre ont
eu leur raison d'être ; ce sont les deux phases nécessaires et légitimes
du développement régulier de l'idée chrétienne. Vous reconnaissez ici
l'optimisme philosophique que Hegel avait appliqué à l'histoire géné-
rale de l'humanité. C'est le même point de vue et la même mé-
thode. Chaque forme historique, chaque époque et chaque système
trouvent de cette manière et tour à tour leur justification relative,
car ils ont été les phases logiques et les expressions légitimes à un
moment donné de l'idée générale; mais aussi, leur condamnation
irrémissible, puisque cette même idée, dans son développement que
rien n'arrête, les a déjà dépassés et laissés derrière elle sur la route
de L'histoire comme des formes aujourd'hui vides et flétries. C'est
dans la vif chrétienne intime, dans le sentiment même de piété que
.Vander avait trouvé l'âme intérieure de l'Eglise, la source cachée de
son développement, de ses œuvres et de ses idées. Nature intellectuelle
et sans élément mystique, Baur a vu cette âme dans le dogme et la
nécessité logique de son développement. Aussi est-ce dans l'histoire
du dogme que sa méthode est à l'aise et triomphe. Si Néander a excellé
dans l'étude biographique des grands hommes de l'Eglise, Baur a créé
122 BAUR
la monographie dogmatique. Nous rencontrons dans ce genre une série
de travaux qui sont des chefs-d'œuvre d'exposition claire et logique
{B.tr Manichseismus, 1831 ; Die Gnosis, 183o; Der Gegematz des Gatko-
iteismw und des Protestantismns gegen Mœhlers Sytnbàlik, 1836; Die
Lehre der Versœhnung, 1838 ; Die Lehre der Dreieinigkeit and Memchir^r-
dung Gottes, 1841-43 ; Lehrbuch der christllchen Dogmmgeschiehte, 1847
et 1858).
III. Nous avons caractérisé tout d'abord ces grands travaux histo-
riques de Baur, parce qu'en réalité, malgré la date de la publication
de quelques-uns d'entre eux, ils ont précédé ses études critiques sur le
canon du Nouveau Testament et donnent le vrai point de vue sous
lequel ces dernières doivent être considérées. C'est par l'histoire de
l'Eglise et en la remontant jusqu'à ses origines, que Baur a rencontré
et abordé la critique des premiers documents du christianisme. Le
catholicisme du troisième siècle lui était apparu comme le résultat d'une
vaste synthèse, d'une conciliation entre les tendances hostiles de
rage précédent. Il avait trouvé la lutte du judéo-christianisme et du
gnosticisme vivement accusée dans un document très-curieux du second
siècle, dans le roman des Homélies Clémentines, où T'un est représenté
sous la figure de Pierre et l'autre sous celle de Paul. Ce livre fut vrai-
ment pour l'esprit de Baur le signal révélateur. Il rencontrait cette
même opposition plus ou moins violente dans un grand nombre d'écrits
de la même époque. Une antithèse, si générale au second siècle, devait
remonter plus haut et avoir ses racines dans le premier. C'est avec ce
pressentiment historique qu'il aborda l'étude des écrits du Nouveau
Testament et tout d'abord des épîtres de saint Paul. Une dissertation
sur le parti du Christ dans l'Eglise de Corinthe, qui remonte à 1831
(Die Christuspartei zu Corinth. Tùbinger Zeitschrift, 1831) fut le point
de départ de ses recherches critiques. Il y montrait que ce parti du
Christ (1 Cor.I, 12) était un parti ultra-judaïsant, qui ne voulait recon-
naître d'autres apôtres que ceux qui avaient vécu avec Jésus et avaient
été choisis par lui, et qui niait l'autorité apostolique de Paul, précisé-
ment parce que ce dernier n'avait pas connu le Christ. Puis, identi-
fiant ce parti avec celui de Pierre, Baur montrait le même conflit au sein
de la primitive Eglise tout entière et jusqu'au milieu du cercle aposto-
lique entre les apôtres de la tradition historique et l'apôtre de l'inspi-
ration subjective et de la liberté. Une fois sur cette piste, il la suit avec
une infatigable persévérance. Appliquant le même principe àj'épitre
aux Romains, il découvre, sous les apparences d'un traité dogmatique,
un plaidoyer vigoureux contre le judéo-christianisme de l'Eglise de
Rome, qui fut dès l'origine et resta judéo-chrétienne jusqu'à la fin du
second siècle, témoin le Pasteur d'Hermas et les Homélies Clémentines.
Tandis qu'auparavant on regardait les huit premiers chapitres de cette
lettre de Paul comme la partie centrale et essentielle, et les trois cha-
pitres suivants sur les destinées contraires d'Israël et des Gentils
comme un appendice, Baur renversa cet ordre, fit de ces trois derniers
chapitres la partie capitale, et des huit premiers une introduction des-
tinée à la préparer et à la justifier {Tùbinger Zeitschrift, 1836, Heft 3;
BAUR 123
Paulus der ApostelJ.-C, p. 332, Inédit., L845). A.yan1 réussi à expli-
quer, par K' l'ait de cet antagonisme des partis, L'épitre aux Romains,
Baur triomphait sans peine dans L'épitre aux Galates, où il mettait à
nu, par mi pénétranl commentaire des conférences de Jérusalem entre
Paul et les anciens apôtres « colonnes de l'Eglise, » la cause el les
premiers germes de ce conflit que nous avons vu troubler les Eglises
de Galatie, de Corinthe et de Rome. Ainsi bien appuyée, cette cri-
tique, que Ton a appelée la critique de tendance, parce qu'elle re-
cherche avant tout dans chaque écrit la tendance dogmatique qui Ta
inspiré, devait, aux. yeux de Baur, résoudre tous les problèmes de la for-
mation du canon du Nouveau Testament. Au commencement, nous
n'avons, d'un côté, que ces quatre grandes lettres de Paul qui nient si
radicalement le judaïsme, et, de l'autre, Y Apocalypse qui anathématise
non moins violemment Paul et ses partisans comme des disciples de
Balaam, le taux prophète, livre dont Baur maintenait énergiquement
L'authenticité. Mais suivant les règles de la logique hégélienne qui
domine toute cette critique et parfois même lui dicte ses conclusions,
ce conflit, violent au début, devait progressivement s'atténuer. Les
deux idées en antithèse devaient tendre à une conciliation progressive.
Paulinisme et judéo-christianisme allaient se rapprocher, se fondre
et disparaître dans la dogmatique catholique de la fin du second
siècle. Les autres écrits du Nouveau Testament échelonnés sur cette
Longue route représentent les diverses étapes de ce progrès : ainsi
Les Actes des Apôtres, qui par leur caractère irénique, leur souci de
faire disparaître tous les conflits et de tenir la balance égale entre
Pierre et Paul, sont déjà tout catholiques d'esprit et de tendance, ne
peuvent appartenir qu'à ce second âge {Der Ursprung des Epùcopats,
Tûb. Zeitsekrift, 1838, Heft 3; Paulus der Apostei, p. 15). Les trois
épitres pastorales où la doctrine de Paul paraît si émoussée et si
refroidie, et qui combattent la gnose marcionite, ne peuvent être non
plus authentiques (Die sogenannten Pastoralbriefe, 1835). Il en faut
dire autant des épîtres aux Thessaloniciens, aux Ephésiens, aux Co-
lossiens, qui sont condamnées comme n'étant pas assez pauliniennes,
tandis que l'épître de Pierre et celle de Jacques sont également rejetées
parce qu'elles le sont beaucoup trop. Malgré toutes ces négations, Baur
protestait vivement quand on appelait sa critique, une critique des-
tructive. Elle était au contraire, à ses yeux, la seule positive, puisque
seule 'Ile remettait chaque chose à sa vraie place et sous son vrai jour.
En contestant l'authenticité des écrits, elle en faisait ressortir la véri-
table valeur et la signification historique. Les pierres qu'il arrachait à
l'édifice ruineux du canon du Nouveau Testament, il comptait bien les
utiliser et les faire rentrer comme parties essentielles dans une con-
struction historique nouvelle embrassant l'histoire des deux premiers
siècles de L'Eglise. De même que Baur dans ses investigations avait re-
monté du second siècle au premier, de même il remonte maintenant
des épitres à l'histoire évangélique. C'est sur la question des Evan-
giles «pi»' sa critique entre en conflit ouvert avec celle de Strauss. Où
ce dernier voyait 1rs créations spontanées d'une mythologie popu-
124 BAUK
laire, Baur montre les produits réfléchis, raisonnes de tendances dog-
matiques parfaitement conscientes d'elles-ntémes. Il est caractéristique
pour sa méthode régressive, déjà plusieurs fois signalée, de le voir
aborder la littérature évangélique par la crifique de l'évangile de Jean,
le dernier en date. Mais aussi ce point de départ était fort heureuse-
ment choisi. Dans aucun autre, la réflexion théologique n'a une aussi
grande part. Il était relativement facile à un esprit d'une si pénétrante
logique, démontrer que toutes les différences relevées par Strauss entre
cette dernière relation de la vie de Jésus et les relations synoptiques,
tiennent à la conception dogmatique inscrite au frontispice môme de
l'évangile, et que l'histoire de Jésus qui y est racontée n'est que l'en-
veloppe transparente et la déduction logique de l'idée mère du Logos
incarné. En même temps cet écrit, où toutes les contradictions antérieures
sont effacées dans une synthèse définitive, apparaît comme l'admirable
couronnement de l'œuvre apostolique, comme la conclusion du déve-
loppement théologique du premier et du second siècle, la fusion du
gnosticisme et du montanisme dans un catholicisme qui apparaît pour
la première fois tout formé et complet dans l'histoire, vers l'an 170.
Passant de l'évangile de Jean aux Synoptiques, Baur retrouvait, entre
l'évangile de Luc et celui de Matthieu, le conflit dogmatique qu'il
avait relevé entre Paul et Pierre. Seulement, pour rendre l'antithèse
plus saillante, il les ramenait l'un et l'autre à deux types plus purs :
l'évangile canonique de Luc à un écrit primitif que possédait Mar-
cion et dont le nôtre n'était qu'une altération faite dans une inten-
tion pacifique, et l'évangile de Matthieu à l'évangile des Hébreux,
remanié dans le même sens. Enfin l'évangile de Marc arrivait comme
une simple abréviation des deux autres faite également pour les be-
soins de la paix avec le caractère d'une neutralité dogmatique parfaite
(Kritische Ùntersuchungen ùber die canonhchen Evangeh'en, 1847).
IV. C'est par ce point que la critique à son tour entrera dans l'œuvre
de Baur pour en réviser les conclusions trop hâtives. Mais, en attendant,
on comprend quelle impression renseignement d'un tel maitre, déve-
loppant des idées si originales et ouvrant sur les origines du chris-
tianisme de si larges et si neuves perspectives, devait produire sur une
jeunesse studieuse et ardente. Il vit bientôt l'élite de ses élèves se
grouper autour de lui, obéir à son impulsion puissante et combattre à
ses côtés pour la même cause. La fondation de cette nouvelle école de
Tubingue dont Baur fut le chef, peut être fixée à l'année 1842, c'est-à-
dire au moment où furent créés les Theologische Jahrbûcher , revue spé-
ciale qui lui servit d'organe. Cette revue théologique, dirigée par Baur
et Zeller, a vécu jusqu'en 1857, et l'on peut dire qu'à la durée du journal
correspond assez bien la durée même de l'école. C'est dans ce recueil
qu'on trouvera les précieuses archives de son histoire intérieure, depuis
l'enthousiasme qui marqua les premiers temps de sa naissance jus-
qu'aux dissensions intestines qui amenèrent sa prompte dissolution.
Dès cette époque, à Baur se rattache une élite de travailleurs et d'esprits
distingués qui sont devenus après lui les principaux représentants de
la théologie allemande. MM. Ed. Zeller et A. Schwegler forment d'à-
BAUtt 125
bord le cercle le plus intime et le plus fidèle; sur une seconde ligne,
nous trouvons MM. Planek, Kœsllin, Ritschl, qui ne tarderont guère à
s'écarter davantage ; un peu plus tard arrivent MM. Hilgenfeld, Volkmar,
Tobler, Keim, Holsten, etc., qui modifieront plus ou moins gravement
les conclusions du maître et feront entrer la critique biblique dans des
voies nouvelles. Les premières recherches de Baur avaient eu surtout
«les résultats négatifs; elles avaient délié la gerbe sacrée. Mais le moment
était venu de reconstruire positivement cette histoire. La tâche était
plus délicate et plus difficile, et c'est des tentatives mêmes qu'on allait
faire pour la remplir que devaient surgir les premières dissensions
entre les membres de l'école. Unanimes dans la négation, ces esprits
d'origine diverse allaient se diviser dans l'affirmation. Dominés par le
principe de la nouvelle critique et impatients d'en dérouler les consé-
quences, les disciples allèrent plus vite que le maitre et le devancèrent
dans ce grand travail de reconstruction historique. Ed. Zeller, dans des
articles datés de l'année 1844 (Jahrbûcher de?' Gegenwart), et A. Sehwe-
gler par un ouvrage plus seientiiique et plus profond (Bas nach-
apostoUscke Zeitalter, 1846) ouvrirent la voie. Ce dernier eut surtout le
mérite de bien préciser le problème à résoudre : Comment, par le con-
flit des principes contraires du paulinisme et de l'ébionitisme et leur
conciliation progressive, s;est formée l'Eglise catholique de la fin du
second siècle, et, dans ce développement, quelle est la place historique
qui revient aux écrits canoniques du Nouveau Testament et à la litté-
rature chrétienne du second siècle? Chose étrange, dans cette histoire
des origines du christianisme, A. Schwegler négligeait totalement ren-
seignement et la personne du Christ, comme choses à peu près indiffé-
rentes, et il montrait la foi catholique sortant, sous la sollicitation de la
penséede saint Paul, de l'ébionitisme juif des premiers apôtres. Schwegler
représentait ce qu'on pourrait appeler la gauche de la nouvelle école;
une droite y apparut immédiatement avec Planek, Kœstlin et surtout
Ritschl, qui s'efforcèrent de rendre à l'enseignement du Christ sa
véritable valeur et au rôle de Paul son vrai caractère. Pour eux au
contraire, le principe du christianisme se trouvait d'abord dans
renseignement du Christ, et ensuite dans celui de Paul, en face
desquels le judéo-christianisme des premiers apôtres n'était qu'une
conception étroite et inférieure destinée à disparaître. On peut dire
que la guerre civile était dans l'école et sa dissolution apparaissait
prochaine vers 1851 ou I8o2, quand le maitre essaya de les conjurer
lune et l'autre en venant à son tour, dans un ouvrage d'ensemble,
donner la vraie solution du problème. Ce fut le premier volume de son
Histoire de t'h'f/lisc, le chef-d'œuvre de son génie littéraire et le cou-
ronnement simple et majestueux de son laborieux édifice (Dus Chris-
tenthum und die christliche Kirche der drei ersten Jahrhunderten, Ve édit.,
L853, 2e édit., L860). Ce livre magistral a singulièrement fait pâlir et
rejeté dans l'ombre les essais antérieurs et incomplets de ses meilleurs
disciples. Il reste l«' vrai monument de sa vie entière et de son école.
C'est là qu'il faudra toujours aller chercher, avec L'ensemble et les
grandes lignes de sou système historique, le dernier mot de sa pensée
126 BAUR
et l'explication rationnelle du christianisme qu'elle poursuivait dès le
commencement. Baur, en effet, semblait s'être donné pour tâche spé-
ciale de faire rentrer le christianisme dans le grand courant de l'histoire
générale de l'esprit humain et de résoudre dans ses éléments histori-
ques et naturels le miracle de son apparition. Le point de vue hégélien
auquel il s'était placé la rendait plus facile. L'essence du christianisme
étant à ses yeux, îîon dans la personne de Jésus-Christ, mais dans une
idée abstraite, il définissait cette idée, le sentiment de l'union de l'homme
avec Dieu, on bien, en traduisant ceci en langage philosophique, la
conscience que l'esprit humain a prise en Jésus de Nazareth de son
identité intime avec l'esprit absolu. Les deux éléments constitutifs de
cette idée étaient, à ses yeux, la moralité humaine ramenée à un prin-
cipe intérieur, dégagée de tout lien extérieur ou matériel, et l'univer-
salisme qui est la conséquence de la spiritualisation de la loi morale.
Ces deux éléments sont le fond même du discours sur la montagne et
des principales paraboles de Jésus-Christ. Mais ils existaient avant lui ;
d'un côté, nous pouvons en suivre l'élaboration dans la philosophie
grecque issue de Socrate ; de l'autre, dans le développement du judaïsme
à Alexandrie et chez les esséniens. Donc l'idée chrétienne n'est pas
tombée du ciel sur la terre ; elle a été longuement préparée dans les siècles
qui ont précédé Jésus-Christ. Dans la marche de cette idée, ce dernier
représente un moment capital, mais relatif; il l'a reprise, l'a vivifiée en
la jetant dans le moule juif du messianisme, et sous cette forme tempo-
raire qui devait disparaître, lui a frayé la voie vers la conquête réelle du
monde. Mais l'alliage de l'élément universel et de cet élément juif et
particulariste devait amener pour l'idée chrétienne de nouvelles évolu-
tions. Les deux éléments entrèrent en lutte, représentés, l'un par Paul
et ses missions, l'autre par les Douze et l'ébionitisme. Aucun d'eux ne
triompha complètement ; car au terme de la lutte, à la fin du second
siècle, nous les retrouvons tous les deux dans la notion d'Eglise catho-
lique, où l'adjectif catholique représente bien le résultat acquis de la
doctrine de Paul, mais où le substantif Eglise est de couleur et de con-
tenu passablement judéo-chrétien. C'est même cet élément judéo-chré-
tien qui détermine et domine le développement du catholicisme, par le-
quel l'idée chrétienne d'abord cherche à se réaliser extérieurement dans
les faits, dans la constitution de la hiérarchie, dans la suprématie du
clergé et de la papauté, dans la sujétion des nations à la puissance
ecclésiastique. Cette identification de l'idée et de la réalité dure jusqu'à
la lin du moyen âge, où le couflit éclate de nouveau dans de bien
autres proportions. L'objectivité catholique se dissout. La conscience
chrétienne rentre en elle-même, et une* période de subjectivité religieuse
où l'esprit de Paul reparait triomphant, commence avec la Réforme et a
pour terme la dissolution de la dogmatique chrétienne proprement
dite dans la philosophie générale de l'esprit humain (voy. les autres
volumes de YEistoi?*e de V Eglise de Baur publiés après sa mort : Die
cltristliche Kirche vom 4tew bis zum &en Jahrhundert, 1859; id. des
Mittelalters, 1861; id. der Neuern Zeit, 1863; id. des 19fen Jahrhun-
deris, 1862). Telles sont les simples et grandes lignes de ce système
BAUfi 127
monumental. Jamais point de départ plus humble ; jamais conclusion
plus large et plus universelle. Le conflil que Baur avait découvert et
signalé dans la première Eglise de Corinthe entre quelques obscurs
partisans de Pierre et de Paul, s'est étendu non-seulement à l'âge apos-
tolique, mais à toute l'histoire de l'Eglise chrétienne; il a fini par
l'enfermer et ^expliquer tout entière. '
V. Mais il en est des systèmes de la pensée humaine comme des
organismes dans la nature. Quand la plante a atteint sa pleine crois-
sance et donné son fruit, il ne lui reste plus qu'à mourir. Le grand
ouvrage de Baur sur les trois premiers siècles de l'Eglise qui devait
prévenir la dissolution de son école, ne lit que la précipiter. Ceux
qui s'étaient le mieux pénétrés de la pensée du maître et la déve-
loppaient avec le plus de conséquence, comme Zeller et Schwegler,
n'avaient plus rien à dire en théologie, puisque celle-ci s'évanouis-
sait dans le courant de la philosophie générale. Aussi prennent-ils le
parti de se consacrer à cette dernière. Après sa brillante étude sur
l'origine des Actes des Apôtres (Die Apostelgeschichle hritisch unter-
sucht, 1854), Zeller ne s'occupe plus de théologie et se met à écrire
une histoire de la philosophie grecque ; Schwegler se tourne du côté de
L'histoire romaine. Les autres disciples de Baur qui poursuivent leurs
études théologiques, s'émancipent de plus en plus et travaillent à l'envi
à la révision de la critique de Baur et à la réfutation de son système.
Ritsehl, qui déjà dans la première édition de son histoire de l'ancienne
Eglise catholique (Die Entstehung der altkatholischen Kirche, 1850),
avait corrigé les prémisses de Baur en faisant sentir ce qu'avaient de
vague et de mal défini les termes de paulinisme et de judéo-christia-
nisme, rompt définitivement ses attaches dans la seconde édition du
même ouvrage (1857) et rentre dans les anciens sentiers. Hilgenfeld et
Volkmar s'échappent par une autre issue; ils arrachent la critique
biblique à la logique hégélienne qui l'opprimait chez Baur et pré-
conisent une méthode plus littéraire et plus historique. S'ils se mon-
trent plus hardis que leur maître en quelques points, ils font sur
d'autres des rétractations qui ruinent les bases critiques du système.
Volkmar démontre la priorité de l'évangile de Marc. Hilgenfeld restitue
à l'apôtre Paul la première épitre aux Thessaloniciens, répitre aux
Philippiens et celle à Philémon. En même temps le quatrième évan-
gile, dont Baur plaçait la composition vers l'an 170, est reculé jusqu'aux
premières années du second siècle, et les Synoptiques jusque vers
l'an 70 ou 80. En 1857, les Theologische Jahrbùcher cessent de
paraître. A Tubingue même, sous la puissante iniluence d'un nouveau
professeur, C. Beck, il se fait une grande réaction contre l'intellectua-
lisme de Baur, et ce dernier voit la solitude se faire autour de lui,
tandis que la jeunesse théologique afflue auprès de son rival. Aussi
peut-on duc que, lorsque le grand professeur mourut en 1860, son
école spéciale acheva de mourir avec lui. Dès ce moment,. Baur et ses
idées ^Mit entrés dans L'histoire, et celle-ci peut aujourd'hui porter un
jugement impartial sur son œuvre et sur son génie. Les causes de cette
ruine du système de Baur ne sont plus difficiles à apercevoir; elles
123 BAUR
peuvent se réduire à trois. La première est dans le mouvement philo-
sophique qui avait déjà emporté les principes de la dialectique de
Hegel. Gomme toute la conception historique de Baur était fondée sur
cette dialectique, elle se trouva sans fondements le jour où celle-ci
vint à disparaître. La théologie de Baur ne pouvait survivre à Fhégé-
lianisme auquel elle avait attaché ses destinées. L'histoire, telle que
Hegel et Baur l'avaient comprise, se changeait en une logique creuse
dont le mouvement, sans point de départ et sans terme, avait quelque
chose de monotone et de fort ennuyeux. 11 était impossible que
les esprits £ fatigués de l'abstraction ne revinssent pas aux faits
concrets et ne préférassent pas le jeu tragique des passions réelles
et des personnes vivantes aux transformations dialectiques de Vidée
pure. Cette réaction inévitable devait être la condamnation du système
historique de Baur. En second lieu, dans la critique elle-même des
livres du Nouveau Testament, les conclusions de Baur, malgré l'im-
mense érudition qui les soutenait, devaient paraitre suspectes parce
qu'elles ne paraissaient pas libres; elles avaient le tort d'arriver
plutôt comme les déductions nécessaires d'une logique abstraite que
comme les résultats d'impartiales recherches; on ne peut nier, en
effet, que sur certains points elles n'aient été dictées par l'esprit de
système, en ce qui touche, par exemple, l'ordre de succession et la
caractéristique des évangiles et l'authenticité de quelques épitres de
Paul; aussi est-ce sur ces points que la révision a porté tout d'abord;
et, comme le système était tout d'une pièce, ces rectifications auraient
suffi pour lui être mortelles. Enfin, et c'est peut-être le point le plus
grave, Baur n'a jamais réussi non-seulement à rendre compte, dans
cette histoire des origines chrétiennes, du rôle et de l'importance de
la personne de Jésus-Christ, mais même à donner sur ce sujet quelque-
affirmation claire et précise. Sa pensée est restée à cet endroit tou-
jours incertaine et équivoque. A son point de vue, la personne de
Jésus pouvait et devait logiquement être négligée, puisque l'idée
chrétienne existait avant lui et hors de lui; mais en même temps il
sentait d'instinct qu'expliquer sans elle la naissance du christianisme,
n'était pas historiquement possible. De là, des efforts sincères mais
impuissants pour rattacher l'idée chrétienne à cette personne et déter-
miner le véritable rôle de cette dernière. Quel a été le christianisme
de Jésus, dans quelle mesure a-t-il influé sur la doctrine des apôtres
vernis après lui? Telle est la grande et fondamentale question que
Baur n'a pas méconnue, mais qu'il n'a pas pu résoudre. Ses hésitations
sur ce point ont duré jusqu'à la fin de sa vie ; car dans le dernier
article publié par lui quelques mois avant sa mort sur la notion du FiU
de l'homme (Zeitschrift fur wissensch. Théologie, 1860, Heft 3), nous
retrouvons sur la conscience de Jésus et la valeur religieuse de sa per-
sonne les mêmes pensées vagues et contradictoires. Renonçant à
découvrir la réalité historique, il se contente de répéter ici ce qu'il
disait, dans son histoire des trois premiers siècles, de la résurrection du
Sauveur : « C'est moins le fait réel et objectif que la foi intérieure des
disciples qui a été la cause du développement historique du christia-
BAVIi 120
nisme. » Un semblable aveu sur un toi sujet n'est autre chose qu'une
abdication. Mais en constatant la chute du système, il ne faut pas
oublier les services pendus à la cause de la science parmi tel homme et
une telle vie. Si l'école spéciale de Baur s'est dissoute, il i'aut dire que,
par un côté ou par un autre, la plupart des théologiens venus après lui
ont profité de ses travaux et subi sou influence. Aucun autre savant
n'a labouré si" profondément et dans toutes les directions le champ
de la critique sacrée: aucun autre, depuis Schleiermacher, n'a jeté dans
le courant public plusd'aperçus nouveaux et plus de pensées fécondes;
nul n'a plus contribué à faire revivre pour nous le siècle apostolique
avec la physionomie originale de ses héros, ses fécondes agitations et
ses perspectives réelles. Pour pénétrer dans l'intime structure du
quatrième évangile, ou pour bien sentir la vive originalité de saint Paul
et la puissante logique de ses grandes lettres, le plus court chemin
esl encore de passer par les écrits de Baur. Le système a pu périr; de
tels mérites assurent à son nom une gloire durable. — Ouvrages de
Baur : Die Symboliku. Mythologie, oder die Naturrdigion desAlterthums,
3 vol., 1824-1825; Der Alanichxismus, 1831; Die christliche Gnosis ode?'
die christliche Religions Philosophie, 1835; Der Gegensatz des Protestan-
tisme u. des Catholicismus, 1836; Die Sogenannten Pastoralbriefe, 1835;
Das Christliche des Platonismus, ode?' Socrates und Jésus, eine Religions-
philosophische Untersuchung , 1837; Der Ursprung des Episcopats; Die
ignatianischen Briefe, 1837; Geschichte der Lehre von der Versœhnung,
1838 : Geschichte der Lehre von der Dreieinigkeit u. Mcnschwerdung, 3 vol.,
1841-43/ Paulus, der ÂpostelJesu Christi, 1845; 2e édit.,avec quelques
modifications, 1807 ; Kritische Untersuchungen ùberdie canonischen Evan-
gelien, 1817 (ces deux grands ouvrages avaient été préparés par une
série d'importantes dissertations insérées dans la Tûbinger Zeitschrift
ou dans les Theologische Jahrbùcher de Zeller sur la glossolalie, 1830;
le parti de Christ à Corinthe, 1831 ; le plan de l'épitre aux Romains, 1836 ;
sur l'évangile de Jean, 1844; sur l'évangile de Luc, 1846; etc.); Das
Marcus Evangelium, 1851 ; Lehrbuch der Dogmen /eschichte, 1847; Die
Epochen derhirchlichen Geschichtschreibung , 1852; Das Christenthum und
die christliche Kirche der 3 ersten Jahrhunderte, 1853; ici. vom y en bis
zum §ten Jahrhund., 1859; Apollonius von Tyana, 1852; AnDT K.Hase,
Beantwortung des Sendschreibens : Die Tûbinger Schule, 1855 ; Die Tûbin-
ger Scinde und ihre Stellung zurGegenwart,{&$$. Les volumes suivants
ont été publiés après la mort de Baur : Die christliche Kirche des Mit telalter s,
1861; id. der neuern Zeit, 1863; id. des ï{)ten Jahrhund., 1862; Vorle-
sungen ûber dié N. T. Théologie, 1864; Vorlesungen ûber die christliche
Dogmengeschkhte, 2 vol., 1865 et 66. En outre, Baur a inséré une série
très-longue de dissertations dans trois recueils théologiques: d'abord dans
la Tûbinger Zeitschrift jusqu'en 1842, puis dans les Theologische Jahr-
jusqu'en 1*57; erifindans la Zeitschrift fur die wissenschaftliche
Théologie de .M. Hilgenfeld, où il faut aller les chercher. Sur l'école de
Tubingue on peut lire lesécrits deHase: Die Tûbinger Schule, 1854; de
Ulhorn, Die Tûbinger Schule, 185ÎJ ; de Zeller, Die Tûbinger historische
Schule (Histor. Zeitschrift von S y bel, 1860-1861-1862) ; de Ritschl, Baur
n. 9
130 BAUR — BAUSSET
und die Tûbingèr Sc/wle, dans les JahrMchèr fur deutè&k'ê Tkeolrtgiéj
1861 et 1862 ; de Schmidt, Baurund die ncuere Tûbingèr Séhule, dans Her-
zog, Real-Encycl., t. XXI; Baur et les origines de l'Ecole de Tubingue,
par Samuel Berger, Strasb., 1867; Histoire des idées religteuslôs ett Alle-
magne, par E. Lichtenberger, t. III, Paris, 1873. a. Sabatier.
BAUSSET (Louis-François de), né à Pondichéry en 1748, mort à Paris
en 1824. D abord grand-vicaire à Aix, puis évoque d'Alais en 1784
jusqu'en 1790, année où cet évéché fut supprimé; incarcéré sous la
Terreur; créé conseiller titulaire de l'Université en 1810; admis à
l'Académie en' 1816, après la composition de ses deux ouvrages
historiques, et nommé cardinal en 1817. Il est connu par son His-
toire de Fénelon (1808, 4 vol. in-8°) et son Histoire de Bossuet
(1814, 4 vol.). Ces deux écrits, auxquels un oratorien, M. Tabaraud,
a ajouté, en 1822, un Supplément empreint de jansénisme, se recom-
mandent par l'étendue des informations sur la vie et les ouvrages de
ces deux illustres écrivains ainsi que sur les choses de leur temps, et
par l'élégance tout académique du récit; aussi Sainte-Beuve a-t-il pu
dire « que de Bausset a créé chez nous la biographie vraiment littéraire. »
L'auteur a eu tous les manuscrits sous les yeux. En outre il a puisé,
pour Y Histoire de Bossuet, dans les Mémoires*et le Journal manuscrits du
secrétaire de ce dernier, l'abbé Ledieu (édités pour la première fois
par l'abbé Guettée, 1856), mais il n'a pris que ce qui pouvait servir à la
gloire de Bossuet, laissant de côté des détails moins favorables. La note
de la louange règne d'un bout à l'autre de ces deux compositions histo-
riques, et constitue un de leurs défauts. D'ailleurs la critique historique
a depuis modifié sur plusieurs points le récit de l'évèque d'Alais (voir
entre autres ouvrages : Y Intolérance de Fénelon, par 0. Douen ; les Etudes
sur la vie de Bossuet, par M. Floquet, et les Etudes critiques de E. Gandar).
Ces réserves faites, les deux Histoires du cardinal de Bausset ont des
mérites réels ; aussi son Histoire de Bossuet, bien que fortement empreinte
de gallicanisme, figure-t-elle en tête de la plus récente édition des œuvres
de Bossuet publiée par une société d'ecclésiastiques entièrement
dévoués aux principes de l'ultramontanisme (Bar-le-Duc, 1870). Le car-
dinal de Bausset, aie juger par ces ouvrages, est un esprit cultivé et mo-
déré; plutôt favorable aux jansénistes, dont il n'approuve pas cependant
la sévérité ni ce qu'il appelle leur « entêtement », qu'aux jésuites dont
l'ambition et les principes lui déplaisent; fermement attaché aux
libertés de Y Eglise gallicane, au point de raconter avec une sorte de
lyrisme l'histoire des travaux et de la fameuse Déclaration de l'as-
semblée de 1682, dont il dit « qu'elle est un des plus beaux titres de la
gloire de Bossuet et de l'Eglise de France, » à quoi les ecclésiastiques
de l'édition de 1870 ripostent, en note : « Non ! mille fois non ! » refu-
sant, avec Bossuet, l'infaillibilité au pape, pour la mettre dans les
conciles; opposé, quant aux pratiques du culte, à toutes les nouveautés
qui n'ont pas pour elles la tradition ; sévère envers l'horrible massacre
de la Saint-Barthélémy, mais ne blâmant point la Révocation de redit
de Nantes; exposant les controverses de Bossuet avec les ministres
protestants et donnant toujours gain de cause au premier sans aperce-
BAUSSET — BAUTAN 131
voir Les points faibles de son argumentation; en résumé esprit plus
élégant que profond; historien agréable plutôt que solide critique, et
dont les deux. Histoires, malgré d'inévitables imperfections, méritent
t'estime dont elles jouissent. j.bastide.
BAUTAIN iLouis), né à Paris en 1796, mort en I867,nesedestinai1 pas
d'abord à la carrière ecclésiastique. Après sa sortie de l'Ecole normale, il
professa La philosophie au collège de Strasbourg. Passionné pour l'étude
■t voulant tout connaître, il fit dans la faculté de cette ville des études
de médecine, obtint le titre de docteur, qui vint ainsi s'ajouter à celui
de docteur es lettres qu'il avait déjà. Disciple et ami de Cousin, il vit
son cours suspendu en 1823, à cause des vues trop libres qu'il y pro-
essait. En 1828 une conviction intérieure des plus sincères le poussa
dans l'Eglise : il devint prêtre. Ce changement ne s'accomplit pas sans
réflexions ni hésitations. Ecrivant plus de trente ans après à un jeune
homme qui voulait renoncer à une position brillante pour se faire
ecclésiastique, il lui disait : « J'ai passé par cette épreuve; j'ai quitté
!e monde pour entrer dans l'Eglise; j'ai ressenti vos aspirations, vos
inquiétudes, vos incertitudes, surtout à l'approche du jour solennel,
et quand il a fallu poser par un acte public ce qui jusque-là était dans
le désir et dans la pensée. » Il ajoutait : « Grâces au ciel, je n'en ai
jamais eu de regret; au contraire, je me suis senti toujours plus lieu-
vu x. de m'être donné pleinement au service de Jésus-Christ et de son
Eglise, même au milieu des contradictions les plus dures et des mé-
comptes de plusieurs genres, effets des circonstances et de mon inex-
ence. » Nommé professeur au grand-séminaire, il s'attira les cen-
sures de son évêque pour avoir dénoncé la méthode scolastique qui
résidait à l'instruction du clergé et le manque de culture scientifique
qui en était le résultat. L'abbé Bautain eut d'autres démêlés encore
avec l'autorité supérieure à cause des articles (( à tendance hégélienne»
qu'il avait insérés dans Y Ami de la religion. Peu soucieux de compro-
mettre son avenir, Bautain. rétracta ses hérésies (1837), et fut nommé
Tannée suivante professeur de philosophie et doyen de la faculté des
Lettres de Strasbourg. Les vues exposées dans ses cours et dans ses
livres sont un mélange des idées de Kant, de Jacobi et de saint Au-
gustin. Le théologien chez lui est beaucoup moins hardi et moins or?-
.h. il que le philosophe. Ce qui caractérise l'abbé Bautain, c'est la
sérénité de sa foi en Christ, entretenue par la lecture assidue de la
Bible^ et en l'Eglise. Il ne sépara jamais ces deux choses; aussi son
obéissance au saint-siége était-elle entière, absolue. A cet égard il n'y
■■ut jamais chez lui les hésitations et les doutes qu'ont connus d'autres
théologiens, le P. Gratry, par exemple, avec lequel il avait de commun
me érudition variée et très-étendue. Il n'hésite pas à condamner les
principes du gallicanisme et à « soumettre ses écrits, pour le fond et
pour ia forme, au jugement du saint-siége, dont il accepte d'avance,
dit-il, les décisions. » <hi est quelque peu étonné de cette intrépidité
d'obéissance chez un esprit si éclairé. Elle découle de sa notion de
orité de l'Eglise, qu'il veut absolue, et qu'il met bien au-dessus
de celle d • l'Ecriture. Son argumentation sur ce point est des plus
132 BAUTAN
faibles. 11 se borne à dire « qu'en démontrant la vérité de la révélation
on prouve l'institution divine de l'Eglise qui en est le dépositaire et le
héraut; » soit, mais comme cette révélation est contenue dans la Bible,
l'Eglise ne peut tirer son autorité que de la conformité de son ensei-
gnement avec celai de l'Ecriture (l'abbé Bautain n'aurait pas accepté
cette conséquence), à moins de prétendre que le Saint-Esprit peut
inspirer à l'Eglise des maximes ou des lois qui ne se trouvent pas
dans la parole de Dieu, ce qui est ouvrir la porte à l'arbitraire. Au
reste la pensée de l'abbé Bautain n'est pas toujours exacte. Il assimile
constamment le protestantisme avec la libre pensée ou la philoso-
phie. « Le protestant, dit-il, veut tout apprécier à la mesure de sa
raison, et respecte peu les choses qui la dépassent. » Un autre trait
du caractère de l'abbé Bautain c'est la liberté de ses jugements sur
les hommes et les choses de son temps. Il a le don de l'observation,
la pénétration du moraliste. Il use largement de son droit de n'être
pas de Tavis de tout le monde, même pour les affaires de l'Eglise.
Aussi il n'approuve pas sans réserve les grands catéchismes de persé-
vérance en usage à Paris ; il blâme avec une ironie mordante l'insti-
tution des prédicateurs ambulants qui promènent pendant les
Carêmes et les Avents leurs sermons d'une église à l'autre; la forme
ordinaire de la prédication, qui consiste à réciter un discours écrit et
appris, provoque ses critiques les plus sévères; ces titres même d'ora-
teur et d'éloquence de la chaire le mettent en veine d'ironie et il se
plaint que cette éloquence « ait son représentant à l'Académie », ce qui
est un peu jeter la pierre dans le jardin du voisin, c'est-à-dire la gloire
de Lacordaire et du P. Gratry. Il recommande, comme Fénelon, l'im-
provisation appuyée sur l'étude et la prière, aussi a-t-il intitulé le livre
qu'il a consacré à ce sujet Etude sur Y art de parler en public, déparier,
fait-il remarquer lui-même, et non réciter. En politique il blâme ceux
qui identifient les intérêts de l'autel avec ceux du trône, et déclare
qu'on peut être bon chrétien sous tous les. régimes. Il montre que le
principe de la légitimité, ou de la transmission de la puissance royale
par hérédité, n'est pas le fondement unique de la monarchie ; il prend
en pitié les journaux catholiques, « qui ne peuvent pas s'entendre, »
et condamne en termes vifs la tentative de quelques prélats de noblesse
de créer un clergé de prêtres sortis de grandes maisons, tentative qui
ramènerait le clergé d'autrefois formé des cadets de famille ; il lui
préfère le clergé actuel, sorti des rangs du peuple « et qui a tant de peine
à vivre qu'il a appris à vivre de peu et honnêtement. » Cette liberté de
jugement a pu lui amener quelques-uns des mécomptes auxquels il
est fait allusion plus haut. Elle n'empêcha pas cependant ses mérites
et sa piété de l'élever à de hautes dignités dans l'Eglise ; il fut tour à
tour vicaire général de Paris et de Bordeaux, professeur de théologie à
la Sorbonne, et supérieur de la maison de Juilly. Sa prédication, « so-
lide et pieuse, » disait monseigneur Darboy, plutôt que brillante, fut
goûtée des esprits sérieux. Ses nombreux ouvrages traitent presque
exclusivement des questions de philosophie et des questions de morale
ou plutôt de vie chrétienne. Son principe philosophique est que la
IUUTAIN - BAVIÈRE 133
raison doit accepter les Lumières de la révélation, an lieu de les re-
pousser comme Le font toutes les philosophies, sans en excepter Le
spiritualisme. Le caractère de ses ouvrages de morale c'est la préoc-
cupation constante d'introduire les principes du christianisme dans tous
les états et tes détails de la vie. principalement de la vie contemporaine,
ce « 1 11 i leur donne un grand intérêt d'actualité. Ils abondent en vues
généralement exactes et profondes; on y regrette quelquefois un peu
de banalité, une tendance marquée à la casuistique, (les répétitions
fréquentes, et surtout le charme d'un grand et beau style. Celui de
l'abbé Bautain, quelquefois vif et ému, est généralement long et un
peu lourd. La pensée, chez lui, est bien supérieure à la forme qu'elle
revêt. Sa piété, profondément biblique, mérite tout respect. — Voici
ses principaux ouvrages : Psychologie expérimentale, 1834, 2 vol.; Phi-
losophie morale, 1842, 2 vol.; Philosophie du christianisme, 2 vol.; La
Religion et la Liberté considérées' dans leurs rapports, 1848; La Belle
Saison à la campagne, 1858; La Chrétienne de nos jours, 1859'; La
Conscience ou la règle des actions humaines, 1860; Le Chrétien de nos
jours, 1861; Méditations sur les E pitres et les Evangiles, 1863, etc.
J. Bastide.
BAVIÈRE (Histoire religieuse). La Bavière a été en Allemagne le plus
ferme soutien de l'Eglise de Rome. Comme son théologien, le Dr Jean
Eck, dans les conférences et les colloques, de même, dans les affaires
politiques, les ducs deBavièreont été les champions les plus ardents de
la papauté. Le clergé, et surtout le clergé régulier, était puissant dans
ce pays, où il possédait, à l'époque de la Réforme, de grands biens :
« Si tu sors de Munich, est-il dit dans un pamphlet du temps, demande
à qui appartiennent ces terres, et Ton te répondra : A nos gracieux
.seigneurs de Degernsee, de Chiemsee, de Saunersee; de sorte que la
moitié de la terre de Bavière appartient aux ecclésiastiques. » Cepen-
dant la Réforme y pénétra très-tôt et s'y propagea rapidement; beau-
coup de prêtres s'y rallièrent et les Etats mêmes lui furent favorables.
On partageait en Bavière les antipathies que toute l'Allemagne éprou-
vait pour la papauté ; les ducs eux-mêmes étaient mécontents de voir
la juridiction ecclésiastique empiéter sans cesse sur les affaires tempo-
relles, de sorte que le duc Guillaume, qui du reste n'était pas alors ou
très-bons termes avec l'empereur, ne ht d'abord aucune opposition
sérieuse aux doctrines nouvelles. Mais en 1521, après la diète de
Worms, où Luther fut mis au ban de l'empire, ces dispositions chan-
gèrent. Eck surtout excita le duc contre les protestants, et d'un autre
côté, les ordres monastiques, qui craignaient pour leurs possessions,
Contribuèrent de leur mieux à ranimer le zèle religieux du prince.
L'université dlngolstadt elle-même finit par reconnaître qu'elle ne
pourrait se défendre de la contagion sans l'intervention du pouvoir.
\a> maîtres l<'^ plus fanatiques, Jean Eck, François Burkhardtet George
Hauer s'efforcèrent de l'obtenir, et ils furent puissamment secondés
par le chancelier Léonard Eck, un de- hommes politiques les plus
actifs el les plus influents de l'époque. Les ducs rendirent alors, le
mercredi des Cendres, 5 mars 1522, une ordonnance portant que, sous
134 BAVIERE
les peines les plus sévères, il serait défendu à tous les sujets d'aban-
donner la foi des ancêtres ; tous les fonctionnaires reçurent l'ordre
d'appréhender au corps les récalcitrants, tant ecclésiastiques que laï-
ques, et d'en faire rapport aux ducs (Frètes bam'sches Religiommawhit .
Mûnchen am Eschermittiche angeender Vassten). Mais malgré toutes les
mesures de rigueur, le mouvement religieux ne se ralentit point ; les
évèques eux-mêmes, se sentant menacés dans leur autonomie, ne prê-
taient pas au pouvoir séculier tout l'appui désirable, et bien souvent
ils renvoyaient sans aucune condamnation les luthériens arrêtés par \a>
fonctionnaires et traduits devant leur tribunal. Les ducs chargèrent
alors (1523) le Dr Eck d'aller à Rome pour porter plainte contre les
évêques auprès du pape Adrien VI et pour demander une extension
des pouvoirs ducaux dans les actions judiciaires contre les hérétiques.
Malgré la réclamation que les évêques bavarois envoyèrent à Rome
(déc. 1523), Adrien VI, ne pouvant rien refuser au plus orthodoxe des
docteurs, accorda, par une bulle, à une commission ecclésiastique
instituée pour cet effet, le droit de dégrader et de livrer au bras sécu-
lier, sans le concours des évêques, tout ecclésiastique reconnu cou-
pable d'hérésie ; en même temps il concéda aux ducs de Bavière la
cinquième partie des revenus de l'Eglise (Seckendorf semble penser
que ce fut pour cinq ans seulement), parce que « ils se sont engagés à
prendre les armes contre les perfides ennemis de la foi orthodoxe ))..
Le D1 Eck n'a donc pas seulement été un adversaire acharné de Luther;
il a encore exercé en Bavière une très-grande influence sur l'Etat aussi
bien que sur l'Eglise; et, en y constituant une autorité indépen-
dante de l'épiscopat, et toute entre les mains du pouvoir séculier, il a
fondé l'alliance entre les ducs, l'université d'Ingolstadt et la papauté,
alliance qui a permis d'arrêter le mouvement national en Bavière. Les
luthériens ressentirent bientôt les effets de cette alliance. Dès l'année
1524, Luther écrivait : « Dux Bavarix sxvit ultra modum occidcndu.
profliyando, prosequendo totis viribus Evarigelium; » et le 30 octobre
de la même année : « In Bavaria multum régnât crux et persêcutw
verbt, etium non palam seminati, ita sxviunt Mi porci, sed sanguis fusus
suffocabit eos. » On rechercha en effet les luthériens partout où l'on
pouvait les découvrir. Tous les chemins furent gardés pour sur-
prendre ceux qui se rendraient aux prédications du voisinage ; ceux
qui étaient pris durent payer de fortes amendes; puis, comme on
accusa le duc de sévir par intérêt, on leur infligea d'autres peines. A
Landsberg neuf hommes furent condamnés à mourir par le feu (1526) ;
à Munich, vingt-neuf autres, à mourir par l'eau. C'est alors aussi que
périt Léonard Kaiser, qui était venu de Wittemberg à Schœrding (près
de Passau) pour voir son père mourant ; dénoncé par le prêtre de l'en-
droit, il fut jeté dans les prisons de Passau et, malgré les supplications
de l'électeur de Saxe et de plusieurs autres princes, il dut monter sur
le bûcher. Ses dernières paroles furent : « Jésus, je suis à toi, donne-
moi le salut » (Seckendorf, C omrnentarius de Luther anismo, 1. II). — Mais
la puissance des ducs de Bavière ne s'étendait pas alors sur toute la
Bavière actuelle, dont une partie, qui n'a été jointe à ce pays que dans
BAVIÈRE 1S5
aptre siècle seulement, constituait alors des villes libres ou des terri-
toires indépendants; là la Réforme eut son histoire à part et elle y put
souvent se développer et s'établir librement. A Nuremberg l'Evangile
fut prêché par Dominique Sleupner, André Osiander, Thomas Venator,
qui adressèrent au conseil de la ville un avis (Bedenken) sur la question
religieuse, puis par les prévôts de Saint-Sébald et de Saint-Laurent, George
Bessler et Hector Boshmer. En 1534, à la fête de Pâques, au moment
même où la diète était assemblée à Nuremberg, quatre mille personnes
y reçurent la communion sous les deux espèces; dans ce nombre il y
avait plusieurs personnages officiels (des lieichs Personen) et la sœur
même de l'archiduc Ferdinand, Isabelle, reine de Danemark. Ferdinand
fut fort effrayé de cette démonstration : « Je ne sais trop, dit-il, com-
ment tout cela finira. » Il s'en plaignit au conseil de la ville; celui-ci
lui répondit avec hardiesse « qu'il ne voulait pas consentir plus long-
temps à des abus antichrétiens, mais s'attacher fidèlement à la Parole
de Dieu. » Les membres les plus influents du conseil, tels que Jérôme
Ebner, Christophe Scheurl, Jérôme Baumgwrtner, le secrétaire Lazare
Spengler et autres, étaient déjà gagnés à la cause de l'Evangile. Mais
ce qui caractérise l'établissement de la Réforme à Nuremberg, c'est la
prudente lenteur avec laquelle les innovations furent introduites. On
administra le baptême en' langue allemande, mais en conservant tout
l'ancien rituel. On abolit sans doute les prières à la Vierge, mais on
remplaça Y Ave Maria par cette formule plus évangélique : « Je te
salue, Jésus-Christ^ roi de grâce; etc. » En 1529 Nuremberg prit part à
la protestation de Spire et se prononça, au colloque de Marbourg,
contre l'union avec les zwingliens; en 1530 elle apposa sa signature à
la confession d'Augsbourg. A Nôrdlingen, c'est Billican qui établit le
culte évangélique. A Augsbourg le papisme fut attaqué dès 1521 par
Jean Frosch, secondé par Etienne Agricola, Urbain Regius, et, depuis
1530, par le théologien sfrasbourgeois Wolfgang Musculus. Luther se
plaignait fort des tendances zwingliennes des prédicateurs d'Augsbourg.
En 1534 le conseil de la ville rendit un décret portant qu'on cesserait
a l'avenir de célébrer la messe dans les églises et chapelles de la cité,
sauf !<• dôme, aussi longtemps qu'on n'aurait pas prouvé qu'elle est
conforme aux Ecritures. Les chanoines et les prêtres quittèrent alors
la ville et furent bientôt suivis par les religieuses et par les moines
mendiants, dont on ferma le couvent (Seckendorf, Commentarius, 1. III).
A Ratisbonne, où l'influence de la Bavière avait longtemps empêché
la Réforme, le culte évangélique ne fut établi qu'en 1542; le premier
prédicateur évangélique fut l'éloquent Erasme Zollner [der àeredte
Pfaff). L'Autriche protégea alors la ville contre la Bavière ; le 14 octobre
on put \ célébrer la communion sous les deux espèces, et l'on acheva
aussitôt après l'organisation de l'Eglise évangélique. Un élève de l'école
de Wittemberg, le \v Napp, y fut le premier surintendant. Les ducs <!<•
Bavière durent se contenter d'empêcher leurs sujets d'apporter leurs
denrées à Ratisbonne ; mais la ville supporta vaillamment ces vexations.
« Peu importe, disait-On, qu'il arrive un peu moins de beurre sur le
marché. » La doctrine évangélique pénétra dès 1520 dans la ville
136 BAVIERE
éplseopale de Bamberg, administrée par l'évêque pieux et intelligent
George de Lindenbourg, qui s'entourait de savants, mais qui mourut
trop tôt pour la cause de l'Evangile (1522). Le luthéranisme trouva
encore un autre appui dans cette ville, le grand-maître de Bamberg,
Jean de Schwarzenberg, jurisconsulte et lettré aussi savant que pieux.
L'évêque de Wurtzbourg, Laurent de Bibra, avait reçu, en 1518,
Luther qui se rendait cà Heidelberg, et lui avait témoigné beaucoup de
bienveillance; mais lui aussi mourut trop tôt (1519), de sorte que la
Réforme ne put triompher dans cette ville. —Dans la vieille Bavière, par
contre, la réaction contre le protestantisme s'accentua de plus en plus.
Non content de combattre 1' hérésie dans ses propres Etats, le duc Guil-
laume, resté seul après la mort de son frère Louis, poussa Charles-
Quint à prendre les armes contre les protestants. Dans la guerre de
Smalkalde, rien ne fut plus funeste à ces derniers que l'intervention
indirecte du duc Guillaume, qui, en s'alliant secrètement à l'empereur,
tout en gardant à l'égard des protestants les dehors de la bonne amitié,
contribua peut-être plus que tout autre à l'effondrement de leur puis-
sance. L'armée protestante avait été placée sous le commandement
d'un vieux capitaine plein d'expérience, Sébastien Schsertlin de Bur-
tenbach; celui-ci allait attaquer les Impériaux qui n'étaient ni con-
centrés, ni entièrement prêts à entrer en lutte, et surprendre l'empe-
reur à Ratisbonne, ce qui eût probablement décidé du sort de la
campagne, lorsque les princes lui défendirent de franchir les frontières
de la Bavière, de peur de mécontenter le duc ; Charles-Quint eut donc
le temps de rassembler ses forces, et l'on connaît l'issue désastreuse de
la guerre. En 1549 Guillaume appela les jésuites, qui s'emparèrent de
l'enseignement théologique à l'université d'Ingolstadt, et acquirent une
influence très-grande en devenant les confesseurs et les conseillers des
princes. A l'avènement d'Albert V le Magnanime (1550-79) les neuf
dixièmes de l'Allemagne avaient abandonné Rome; la Bohême était
protestante; dans l'archiduché d'Autriche, la trentième partie à peine
de la population était restée fidèle à la vieille Eglise, qui ne pouvait
plus compter que sur la Bavière et leïyrol ; aussi Canisius compare-t-il
ces derniers à Juda et à Benjamin, après le schisme des dix tribus. Ce-
pendant même en Bavière il s'était formé, dans la noblesse, un parti lu-
thérien. Les abus de l'Eglise romaine étaient si évidents que le duc Al-
bert alla jusqu'à promettre à ses Etats la coupe des laïques (1556). Bien
plus, il envoya au concile de Trente son conseiller Paumgartner, chargé
de demander, au grand scandale des prélats assemblés, la communion
sous les deux espèces et le mariage des prêtres, cette concession, disait-il,
étant le seul moyen de retenir son peuple dans l'obéissance de Rome ;
à la lin du concile (1564) Pie IV accorda en effet à la Bavière la commu-
nion sous les deux espèces (ïhiersch, Luther, Gustav Adolf u. Maximi-
lian 1 von Bayerri). Mais étant tombé sous l'influence de l'Autriche et
des jésuites, Albert perdit toute modération et devint à son tour persé-
cuteur ; il permit d'établir une véritable inquisition, « produit de l'en-
vie et du venin, » et obligea les fonctionnaires d'adhérer à la foi du
concile de Trente; quiconque n'allait pas à la messe était emprisonné,
BAVIERE 137
mis à la gène, exilé, et perdait la moitié de ses biens. C'est alors que
Brenz et Amsdorf écrivirent aux protestants de Bavière des épitres con-
solatoires. Sous Guillaume V, élève des jésuites, et sous son lils Maximi-
lien Ier, la persécution alla en croissant. La Bavière devint le centre du
romanisme en Allemagne et le fanatisme clérical n'y connut plus de
bornes, surtout Lorsqu'après la mort de l'empereur Maximilien II le duc
de Bavière se vit soutenu par l'Autriche. En 1609 Maximilien Ier consti-
tua à Munich la Ligue catholique, opposée à Y Union des protestants.
Lorsqu'éclata la guerre de Trente ans, il s'avança jusqu'à Prague, et
c'est à lui surtout qu'est due la victoire de la Montagne-Blanche. Plus
tard il céda le commandement de son armée au fameux Tilly, En récom-
pense de ses services, Maximilien fut investi du Palatinat et reçut le
chapeau d'électeur. Les victoires de Gustave-Adolphe procurèrent un
temps de répit aux protestants de la Bavière; mais après la défaite de
Nôrdlingen (1634) et la prise d'Augsbourg (1635), les persécutions
recommencèrent. Le traité de Westphalie confirma Maximilien dans la
dignité électorale et dans la possession du Palatinat supérieur; à ce
dernier était assurée la liberté religieuse, mais Maximilien refusa
toujours de la lui accorder réellement. — Rome régnait alors en
maîtresse dans la Bavière; mais le jour vint où son joug pesa même
à d'aussi bons catholiques que l'étaient les électeurs de Bavière.
Maximilien-Joseph ïep commença à réagir contre cette domination ; il
enleva aux jésuites la censure, réforma les couvents et améliora
l'instruction. Cependant ce n'est qu'à la fin du dix-huitième siècle,
sous Maximilien-Joseph II et sous le ministère Montpelar, que l'on
accorda en tin aux protestants la liberté religieuse. Beaucoup de cou-
vents furent supprimés et l'on fonda un grand nombre d'écoles. L'an-
nexion des nouveaux territoires, en grande partie protestants, donna une
plus grande importance à l'Eglise évangélique, qui fut reconnue, par
la constitution de 1818, à l'égal de l'Eglise romaine; cependant on
lui interdit le nom d' 'évangélique, de sorte qu'elle porte officiellement
celui d'Eglise protestante. Dans le Palatinat, l'Union entre luthériens
et réformés fut établie en 1819, sur la même base dogmatique que dans
le grand-duché de Bade. Comme ce dernier aussi, le Palatinat bavarois
est devenu la conquête presque incontestée du Protestantenverein et le
champ d'expériences du radicalisme religieux. Dans le reste de la Ba-
vière. L'Eglise évangélique est restée luthérienne; l'université d'Erlan-
gen a beaucoup contribué à y maintenir l'attachement à la doctrine et
aux traditions luthériennes, et est devenue un foyer de science et de
pieté pour la Bavière et pour toute l'Allemagne (Seckendorf, Commen-
ta ri, i* de Lut lier anismo; Ranke, Deutsche Geschichte imZeitalter d. Réf.;
Thiersch, Luther, Gustav Adolfu. Maçimilian l v.Bayerri).
Ch. Pfender.
BAVIERE (Statistique religieuse). La Bavière fut longtemps un Etat
presque exclusivement catholique. Les changements territoriaux de la
période napoléonienne .amenèrent L'annexion à ce pays de provinces
nu les protestants étaient assez nombreux. Mais la majorité restait aux
catholiques, «pu en usèrent et abusèrent jusqu'aux changements qu'en-
138 BAVIERE
trama en Allemagne la guerre de 1866. Depuis lors, le pouvoir a passé
aux éléments anticléricaux, qui l'ont rudement peser leur autorité sur les
catholiques et les luthériens. Le recensement de 1875 attribue à ki
Bavière une population de 5,022,904 habitants ; mais les résultats rela-
tifs aux cultes ne sont pas encore publiés et nous devons nous en tenir
à ceux de 1871 qui constatent 3,464,364 catholiques, 1,342,592 protes-
tants, 5,453 membres d'autres dénominations chrétiennes (dont
3,820 mennonites, 360 irvingiens, 246 catholiques grecs, 217 vieux-catho-
liques, 72 anabaptistes, 63 anglicans, 623 adhérents de la Frète Reli-
gion), 50,662 Israélites et 379 personnes se rattachant à d'autres cultes
non chrétiens, soit en résumé 71 0/0 de catholiques et 28 0/0 de protes-
tants. Les résultats de 1871 seront sans doute assez analogues pour 1875,
sauf pour les vieux-catholiques dont le nombre s'est accru considé-
rablement. L'autorité centrale des cultes est le ministère de l'intérieur
pour les affaires d'Eglise et d'écoles. Le budget de 1876-1877 attribue
(pour deux ans) aux cultes et à l'instruction publique réunis une
somme de 19,884,677 marcs (environ 25,000,000 de francs). — A. Eglise
catholique : Les rapports de l'Eglise et de l'Etat sont régis par le con-
cordat du 5 juin 1817. Le royaume est divisé actuellement en huit dio-
cèses : l'archevêché de Munich-Freysing (évêché au huitième siècle,
archevêché le 5 juin 1817) avec les trois évêchés suffragantsd'Augsbourg
(quatrième siècle), de Passau (huitième siècle) et de Ratisbonne (huitième
siècle), et l'archevêché de Bamberg (évêché le 1er novembre 1007, arche-
vêché le 5 juin 1817) avec trois évêchés suffragants : Wùrtzbourg (hui-
tième siècle), Eichstaëdt (huitième siècle) et Spire (quatrième siècle?).
A chaque cathédrale est joint un chapitre composé d'un prieur, d'un
doyen, de huit à dix chanoines et de six vicaires capitulaires. Ces huit
diocèses se divisent en 171 décanats et 2,756 paroisses. Le clergé est
assez nombreux , car il y a un prêtre par 464 âmes. Les couvents
tant d'hommes que de femmes ne dépassent guère le nombre de 60,
avec un peu plus de 1,000 religieux et religieuses. Le clergé catholique
étudie dans les séminaires diocésains au nombre de huit et dans les
deux facultés de théologie catholique de Munich et de Wùrtzbourg. La
première compte (octobre 1876) 9 professeurs et 80 étudiants, la
seconde 8 professeurs et 119 étudiants. Les traitements du clergé
sont assez modestes; les plus élevés sont naturellement ceux des pré-
lats qui touchent l'archevêque de Munich 20,000 florins, celui de Bam-
berg 15,000, les évêques de 8 à 10,000. — B. Les vieux-catholiques bavarois
sont, d'après le compte rendu fait au synode de Bonnle7 juin 1876, au
nombre de 10,110 formant 31 paroisses. — G. L'égalité civile et politi-
que avec les catholiques est garantie aux protestants par la constitution
de 1818. Dans le Palatinat les deux Egiises luthérienne et réformée
sont unies depuis 1818 ; dans les autres provinces, les protestants se
rattachent en majorité au luthéranisme. Ils sont en majorité dans trois
provinces sur huit (Palatinat, Haute et Moyenne Franconie). L'auto-
rité centrale des luthériens est le consistoire supérieur de Munich, com-
posé d'un président, de 4 conseillers ecclésiastiques et d'un conseiller
laïque. Deux consistoires provinciaux à Ansbach et à Bayreuth, sont
BAVIÈRE — BAXTER 130
soumis au consistoire supérieur; ils ont au-dessous d'eux 37 décanats
avec 1,036 pasteurs. Il y a de plus dans les mêmes provinces \:\H pas-
teurs réformés. Le Palatinal renferme 14 décanats, ressortissant au
consistoire uni de Spire, composé d'un président, de deux conseillers
ecclésiastiques et d'un conseiller laïque. Les pasteurs l'ont leurs
études à la faculté d'Erlangén, qui compte (octobre 1876)9 professeurs
et 136 étudiants. — Bibliographie : Âlmanach de Gotha 1877; ffof-
und Staatskandbuch des h'ômgreichs Bayem, 1876 ; F. Martin, The
Statesmans Yearbook 1877. etc. B. vjlucher.
BAXTER (Richard), l'un des théologiens les plus distingués du non-
conformisme anglais', naquit dans le village d'Eatori-Constantine
(Shropshire), le 12 novembre 1645*. Il eut de bonne heure sous les yeux
dans sa paroisse natale le spectacle de la précoce décrépitude de l'Eglise
établie, desservie trop souvent par des ministres qui n'avaient ni piété ni
même moralité. L'influence d'une famille pieuse contrebalança heureu-
sement cette influence pernicieuse d'une Eglise démoralisée. Il y apprit
ce type de piété auquel on donnait le nom de puritain, et qui n'était le
plus souvent que le retour pur et simple à l'austérité de la vie évangéli-
que. L'état précaire de sa santé et les ressources limitées de sa famille ne
lui permirentpas de faire des études régulières, et la haute culture univer-
sitaire lui manqua. Mais il y suppléa en grande partie par un travail person-
nel mis au service d'une intelligence supérieure. Il reçut l'ordination épis-
copale à l'âge de vingt-trois ans ; mais l'exercice même du ministère
dans une paroisse et les tracasseries qu'il y rencontra à l'occasion de
ce qu'on appelait le serment de Y Et caetera développèrent chez lui des
convictions non-conformistes, qui ne sortirent jamais toutefois des
bornes d'une sage modération. En 1640 il devint pasteur à Kidder-
ininster, dans le comté de "Worcester, et ce fut là que s'écoula la plus
grande partie de son ministère. Il fut pourtant, pendant plusieurs an-
nées, éloigné de sa paroisse, ayant accepté la charge de chapelain dans
! année du parlement (1642), charge qu'il ne déposa qu'en 1646, con-
traint par le mauvais état de sa santé. Attaché à la royauté et à l'ordre
ecclésiastique; Baxter eut à souffrir toutes sortes de contrariétés au mi-
lieu de cette armée dont les tendances républicaines s'accentuaient tou-
jours plus et où (( les disputes théologiques faisaient rage du matin jus-
qu'au soir ». Ce fut au sortir de cette vie agitée des camps et dans les
loisirs prolongés que lui fit la maladie qu'il composa son meilleur ou-
vrage, \e Repos éternel des saints (The Saint's Everlasting Rest). Il assista
du fond de sa paroisse aux péripéties de la Révolution, désapprouva
hautemenl l'exécution de Charles I r, conserva jusqu'au bout une atti-
tude dé défiance à l'égard de Cromwell qui chercha vainement à le
gagner à sa cause, et salua avec bonheur le rétour de la royauté. Déjà
célèbre par ses écrits et par ses talents de prédicateur, Baxter joua un
certain rôle dans le rappel des Stuarts. 1! eut une entrevue avec Monk,
et pour calmer les scrupules qui se manifestaient, iî répandit dans le
public des lettres à lui adressées par les pasteurs français, Daillé, Dre-
lincourtet Raimond Gâches, qui donnaient à. Charles II des certificats de
protestantisme en bonne forme. Le roi lui témoigna sa reconnaissance
140 BAXTER — BAYEUX
en faisant delui l'un de ses chapelains. Baxter employa son influence à
essayer de rapprocher les épiscopaux et les presbytériens. Dans la que-
relle qui les divisait, il prit une position moyenne et conciliante; il pré-
para une liturgie révisée, qui faisait disparaître du Frayer Book les par-
ties auxquelles objectaient le plus les presbytériens. Malheureusement
l'infatuation des évoques fit avorter cette tentative. Baxter, qui avait
refusé, au cours des négociations, un siège épiscopal qu'on lui offrait,
ne put pas même obtenir qu'on lui rendit sa modeste cure de Kidder-
minster, En 1661 Y Acte d'uniformité vint montrer comment la cour et
le parlement entendaient faire delà conciliation. Le 24 août 1662, deux
mille pasteurs sortirent de l'Eglise. Baxter, qui pendant deux ans
avait travaillé à faire une place au puritanisme dans F enceinte de
l'Eglise établie, fut le premier à donner le signal de cette rupture défi-
nitive. Forcé d'interrompre son ministère public, il trouva une retraite
à Acton, puis à Totteridge, près de Londres, où il travailla à plusieurs
ouvrages, spécialement à son grand Methodus Theologix. Après dix ans
de retraite, il put enfin, en 1672, prêcher de nouveau publiquement à
Londres. Mais la persécution, un moment ralentie, reprit bientôt contre
les non-conformistes, et les dernières années de Baxter furent assombries
par des tracasseries de toute sorte. En 1685 il fut traduit devant le
juge Jeffries, pour répondre au sujet de quelques passages de sa Para-
phrase du Nouveau Testament que l'on avait trouvés malsonnants. Il fut
traité avec une brutalité révoltante par ce triste magistrat, qui le fît
condamner à l'amende et à la prison. Après dix-huit mois d'emprison-
nement, il fut relâché par l'intercession de lord Powis, et on lui fit
grâce de l'amende. L'accession de Guillaume III au trône d'Angleterre
mit fin à ces persécutions et ouvrit une ère de tolérance, sinon encore
de liberté. Baxter put finir sa vie en paix. Il mourut à Londres le 8 dé-
cembre 1691. Baxter a publié un grand nombre d'ouvrages de théolo-
gie et d'édification. Sa théologie peut être définie la théologie de la
modération ; il combattit l'ultra-calvinisme et essaya, dans son système,
de sauvegarder à la fois la prescience divine et la liberté humaine. Ses
ouvrages théoîogiques ne sont plus guère lus aujourd'hui. Mais ce qui
reste de lui ce sont plusieurs traités d'édification, pleins de mouvement
et de vie, dont la piété anglaise se nourrit toujours. Quelques-uns ont
été traduits en français, le Repos des saints, la Voix de Dieu,\es Aphoris-
mes sur la justification, etc. La meilleure édition de ses œuvres est celle
d'Orme (Londres), avec une -biographie. Mentionnons parmi ses biogra-
phes : Calamy (Londres, 1713), Gerlach (Berlin, 1836), Schmidt (Leip-
zig, 1843). Nous avons en français : Baxter et l'Angleterre religieuse de son
temps (par Mark \Yilks (?), Paris, 1840). Un ami de Baxter publia peu
après sa mort, son autobiographie, sous le titre de Reliquix Buxterianx,
Londres, 1696. Matth. Lelièvre.
BAYEUX (Calvados) [Bajocœ, Bajocum, Baex], évêché suffragant de
Rouen. Saint Exupère (saint Soupir, saint Spire) est l'apôtre du pays
Bessin; il vivait vers Fan 400, ses reliques sont à Gorbeil. Parmi ses
successeurs on nomme saint Leu, saint Manvieu, saint Vigor, qui a
donné son nom à une abbaye bâtie sur le mont Phaunus, saint Regno-
BAYEUX— BAYLE Ml
bert tmi construisit ta cathédrale. Gereboldus (f 691) châtia l'ingra-
titude de st s ouailles en les affligeant d'un mal d'entrailles, le mal
Saint-Gerbaut. Eudes de Conteville, frère utérin de Guillaume le Con-
quérant, occupa révêché de L050 à 1097; ce prélat intrigant, qui avait
été à Hastings et était comte de Kent, prétendit en 1085 à la dignité de
pape. Sou frère le lit jeter en prison; il mourut après une vie agitée. Il
avait consacré en 1080 sa splendide cathédrale, dédiée à Notre-Dame;
]« s célèbres monastères de Saint-Etienne et de la Trinité de Caen
(Cadomw) avaient été peu avant fondés par le duc Guillaume et son
épouse Mathilde. Le cardinal d'Ossat fut évêque deBayeux (1600-1604).
— Voy. J. Lair, Orig. de Vév. de B., Bibl. de l'Ec. des Chartes, 1862
et 186.>; Hermant, Hist. du dioc. de B., Caen, 1705,[in-4° ; Gallia Chris-
tiana, XI; Fisquet, La France pontificale. s- Berger.
BAYLE (Pierre), célèbre critique et philosophe, né au Cariât, dans le
comté de Foix, le 18 novembre 1647, mort le 28 décembre 1706, a
i>\i'wé par ses ouvrages, presque tous traduits en plusieurs langues,
une grande influence sur les lettres et la philosophie de l'Europe. Fils
d'un ministre de l'Evangile, on le trouve d'abord, quand il a terminé
à Puylaurens ses premières études, élève des jésuites à Toulouse, ins-
truit par eux dans la vieille philosophie du moyen âge que Ton prenait
dans ce temps-là pour la doctrine d'Aristote, et un moment converti
au catholicisme ; puis, relaps, il est obligé de quitter la France et se
réfugie à Genève, où, tout en occupant le modeste emploi de précep-
teur pour gagner sa vie, il a l'occasion de s'initier à la doctrine de
Descartes, le nouveau réformateur des études philosophiques. Alors
s'ouvre pour lui une difficile et glorieuse carrière, une vie de travail,
d'activité et d'incessante agitation, dont les deux grandes étapes sont
Sedan et Rotterdam. Ses nombreux adversaires, avec un égal mépris
de l'évidence et du sens commun, l'ont accusé tantôt de mauvaise foi
et d'ignorance et tantôt d'incrédulité révoltante. Ils lui reprochent sur-
tout, à propos de sa conversion, ce qu'ils appellent sa versatilité. Cou-
mu même va jusqu'à dire qu'il s'était décidé dans les derniers temps
de sa vie à redevenir catholique pour rentrer en France. Mais il est
certain que cette dernière accusation ne s'appuie que sur des calomnies,
et en particulier sur ce*qu'a écrit Jurieu. Quant à sa première conver-
sion, il est vrai, c'est lui-même qui l'avoue, qu'elle a eu lieu pendant
-nu séjour chez les Pères jésuites. Son erreur dura dix-sept mois. Mais
il la comprit lui-même et sortit de l'Eglise catholique comme il y était
entré, de son plein gué. Quelques années après, espérant qu'on aurait
oublié pendant son long séjour à Genève son abjuration, il revenait,
s'arrêtant d'abord à Rouen, puis à Paris et enfin à Sedan, après avoir
obtenu au concours , en 1675, la chaire de philosophie' à l'Aca-
démie protestante de cette ville. Son cours, rédigé et complété
eu deux ans, a été conservé dans la grande édition de ses Œu-
diverses, imprimées à La Haye (1727-1741), en 4 volumes in-folio.
C'est, avec une remarquable érudition et un talent de dialecticien très-
spécial à l'auteur que Voltaire appela plus tard« le premier dialecticien
du monde », Descartes pour la méthode, comme on pouvait s'y attendre
142 BAYLE
d'après la direction de ses études, et pour le fond des idées, Aristote,
quelquefois même Malebranche. Il comprend quatre parties : 1° la lo-
gique, avec des subdivisions assez semblables à celles de Port-Hoyal et de
Gassendi, car elles ont une source commune, YOrganum; 2° la morale;
3° la physique; 4° la métaphysique. Les deux dernières parties sont les
plus développées et contiennent ce qu'il y a de plus original dans tout
le système. On a dit de Bayle qu'il fut « le grand journaliste de son
temps ». Il est en effet critique et polémiste par goût et par vocation.
Il a toujours besoin d'exercer sa plume alerte et vive en donnant son
avis sur l'affairé du jour. A Sedan, à l'occasion d'un procès célèbre, il
se fait, devant le public, l'avocat de François-Henri de Montmorency,
duc de Luxembourg, accusé de sorcellerie, et il répond par ses Cogita-
lianes rationales de Deo, anima et malo au ministre Poiret, mystique,
enthousiaste de mademoiselle Bourignon et de madame Guyon. A Rot-
terdam où il vient d'être appelé, Louis XIV ayant l'ait fermer en 1681
l'Académie de Sedan, il continue, tout en occupant la chaire de philo-
sophie et d'histoire à l'université de cette ville, ses critiques et ses
controverses. Une comète qu'on vit en 1680 avait causé une alarme
générale. 11 publie sur ce sujet en 1682 ses trois volumes de Pensées
diverses, suivies bientôt d'une Addition aux Pensées, et plus tard d'une
Continuation des Pensées. Mais l'apparition de la comète n'est qu'un
prétexte, et ce qu'il examine au fond, c'est si l'athéisme est moins dan-
gereux que la superstition, s'il ne serait pas vrai de dire que Dieu fait
des miracles pour confirmer l'idolâtrie clans le monde, en supposant
que les comètes fussent un présage de malheur, et d'a.utres thèses très-
hardies pour le temps. Dans la même année, le P. Maimbourg,
jésuite, ayant publié une Histoire du Calvinisme, Bayle écrit en quinze
jours l'une de ses meilleures et plus spirituelles réfutations, sous ce
titre : Critique générale de l'Histoire du Calvinisme de M. Maimbourg .
Le jésuite eut assez de crédit pour obtenir qu'on brûlât le livre de son
adversaire en place de Grève, mais craignant son redoutable antago-
niste, il évita de lui répondre. Un autre ennemi du professeur de Rot-
terdam, son collègue Jurieu, l'accusa, le combattit enfin avec tant
d'acharnement qu'il finit par lui faire perdre sa place et par obtenir
qu'on lui ôtàt jusqu'au droit d'enseigner. Bayle venait de publier en
1684 son journal, Les Nouvelles de la République des Lettres. Jurieu, non
pas jaloux, comme on l'a dit souvent, mais aigri, affligé d'apprendre
chaque jour qu'on ne cessait de persécuter en France les protestants,
s'indigna de ce qui lui semblait être chez son collègue indifférence et
manque de foi. Le Commentaire philosophique sur ces paroles de l'Ecri-
ture, {{Contrains-les d'entrer,)) contre Louis AI V, paraît en 1686, provoque
une première réponse de Jurieu, et un peu après, celui-ci, sans provo-
cation nouvelle, attribuant à Bayle l'Avis aux réfugiés sur leur prochain
retour en France, quoique le professeur de Rotterdam ait toujours sou-
tenu qu'il ne l'avait pas écrit, l'accuse de trahir leurs coreligionnaires
et d'être secrètement dévoué à leurs ennemis. Bayle eut beau répliquer
et tourner en ridicule la Cabale chimérique. Il fallut renoncer à la place
qu'il occupait. C'est alors que, délivré de toute autre occupation, ayant
BAYLE — BÀYONNE 143
presque renoncé à la polémique directe avec ses contemporains (il n'y
revient qu'en 170't. deux ans avant sa mort, pour adresser à Leclerc,
Jaquelot et Kiug sa Réponse aux questions d'un provincial, sur l'accord
de la foi et de la raison c( touchant la Providence), il l'ait son Diction-
naire historique et critique. Ce dictionnaire, le meilleur ouvrage de
Bayle, réimprimé onze lois, a été attaqué avec passion. En 1696, Tannée
de la première publication, le consistoire de Rotterdam décide, à la
demande de Jurieu : 1° que l'auteur s'est permis des paroles obscènes;
2° qu'il a l'ait de l'article David une diatribe contre ce roi ; 3° qu'il a
prête de nouveaux arguments aux manichéens au lieu de les réfuter;
\° qu'il mérite le même reproche pour l'article Pyrrhon; 5° qu'il a
donné des louanges outrées aux athées et aux épicuriens; 6° qu'il a
pris à tort la défense de quelques papes attaqués par les théologiens de
la Réforme. Joly, dans ses Remarquée critiques, et les catholiques lui
ont reproché de mauvais raisonnements dans ce qu'il dit notamment
sur le jour, sur l' abbaye dé Fontevrault, sur les diables, une trop grande
liberté d'expression dans ses articles sur Catulle, Horace, Juvénal, Bran-
hême, Montaigu, les médecins, les avocats et les romans, et un détesta-
ble scepticisme, en particulier dans l'article Abel. Qu'y a-t-il de fondé
dans tous ces reproches? On ne juge pas Bayle exactement quand on
dit (pie son but est d'établir en général que la raison humaine étant
plus capable de réfuter et de détruire que de prouver et de bâtir, il
faut alors l'obliger à se captiver sous l'obéissance de la foi. Ses deux
auteurs favoris furent toujours Montaigne et Plutarque. C'est dire qu'il
n'appartient pas à cette école de sceptiques qui, comme Huet, Jérôme
llirnaim et même Pascal (il ne se rejetait, disait-il, dans l'excès du
dogmatisme que pour échapper au scepticisme et au néant), n'insistent
-ni la faiblesse de la raison que pour justifier le dogmatisme le plus
impérieux; Montaigne, Gassendi, voilà la famille d'esprits à laquelle
Bayle appartient. C'est moins un sceptique qu'un incertain. « Mon
talent, disait-il lui-même, est d'assembler des doutes. » Mais on peut
comprendre, malgré ce qui a été écrit contre lui, qu'il n'aimait pas l'in-
certitude et la contradiction pour elles-mêmes, et penser qu'il a été
assez persécuté pendant sa vie pour s'être donné la mission, dans le
-ii m le de dogmatisme où il a vécu, d'enseigner aux hommes, en les fai-
sant réfléchir et douter, ce qu'ils paraissaient ignorer entièrement, la
tolérance. — Voy. Durevert, Histoire de Bayle et de ses ouvrages, 1710,
in-É2 : Schœtterieek, Dissertatio de Petro Baylio, Tubingue, 1719, in-4p ;
Chauffepié, Dictionnaire historique et critique pour servir de supplément
à celui de Bayle, La Haye, 1750-1756, 4 vol. in-fol.; Dugald-Stewart,
Histoire des sciences métaphysiques, trad. J.-A. Buchon, Paris, 1820-18^1,
:; vol.; Damiron, Mémoires de l'Académie des sciences morales et politi-
ques, t. VI, -lli); Michel Nicolas, biogr. Didot, art. Jurieu-Joly, Remar-
/ es, Paris, 1750,2 vol. in-fol. J. Abboux.
BAYONNE (Basses-Pyrénées) [Bajona, et jusqu'au douzième siècle,
Lapurdum], évéclié suffragant d'Auch, connu depuis 980 : à ce mo-
nt il appartenait à Arsivus Racha, évoque de Gascogne. Ses succes-
imulèrenl plusieurs dignités. Raimond Ier le Vieux (1025)
144 BAYONNE — BEARN
occupait les six évêchés de Bazas, d'Aire, de Dax, de Bayonne, d'Oloron
et de Lescar ; ie pape le contraignit à se contenter de ce dernier siège.
Son successeur Raimond II (1059) réunissait encore trois évêchés. Le
diocèse de Bayonne contenait, outre les archidiaconés de Labourd et
de Cize, quelques vallées espagnoles que Philippe II réunit à Pampe-
lune. La cathédrale de Notre-Dame, l'ondée vers 1140, fut achevée
au seizième siècle. — Voy. Compaigne, Chron. de Bayonne, P., 1660,
in-4° ; Gallia, I.
BAZAS (Gironde) [Vasates, autrefois Cossio], évêché suffragant
d'Auch. Grégoire de Tours (Gloria mari., I, 12) raconte qu'une ma-
trone gauloise avait rapporté à Bazas une ampoule du sang de saint
Jean-Baptiste, et éleva sur cette relique l1 église qui est consacrée au
Précurseur (cette église, d'un gothique pur, remonte au douzième
siècle). Nous savons du moins qu'en 417 Bazas avait un évoque. L'his-
toire religieuse de la Gascogne, au dixième et au onzième siècle,
est troublée par le cumul et la confusion des sièges, résultat du mal-
heur des temps. Gombaud, Hugues, les deux Raimond, réunirent
presque tous les évêchés du pays en leur personne. Les noms mêmes
des évêchés, dans ces pays désolés par l'invasion des Normands et
par la fuite des prêtres, avaient disparu devant le titre général dV-
vêque de Gascogne. L' évêché de Bazas fut supprimé à la Révolution
(Galha, I).
BÉARN (Eglises du). L'histoire ne dit pas quels furent les débuts de
la Réforme dans cette province, qui relevait de la couronne de Na-
varre, mais on sait qu'à partir du mariage d'Henri II d'Albret avec la
célèbre Marguerite de Valois, sœur de François Ier (24 janvier 1527), elle
y lit des progrès. La nouvelle reine penchait, en effet, vers les idées
luthériennes, et elle accueillit favorablement à sa cour plusieurs de
leurs sectateurs, notamment Clément Marot, Calvin (1534), le savant et
infortuné Dolet, Lefèvre d'Etaples, Gérard Roussel et autres. La non
moins célèbre Jeanne d'Albret, sa fille, marcha sur ses traces, et la
Réforme prit de l'extension dans le Béarn, qui fut évangélisé vers cette
époque par les ministres François le Gay ditBoë Normand (sept. 1557),
Martin (juillet 1579) , Henri de Barran , fondateur de l'Eglise de
Pau (1556) , David et Théodore de Bèze. La mort d'Antoine de
Bourbon, époux de Jeanne d'Albret (17 novembre 1562), laissa plus
de liberté à cette dernière pour poursuivre l'œuvre de la réformation
dans ses Etats. Calvin lui en rappela le devoir dans une lettre du
20 janvier 1563, en lui envoyant, pour l'assister, le savant et habile
ministre Raymond Merlin, ancien aumônier de Coligny. « Je ne dis
pas, madame, lui écrivait-il, que tout se puisse faire en un jour. Dieu
vous a donné prudence pour juger de la procédure que vous aurez à
tenir... Votre plus aisé sera de commencer aux lieux qui seront
les plus difficiles pour être les plus apparents, et, si vous en avez
gagné un, il tirera après soi plus longue queue. » Malgré le bon vou-
loir de Jeanne d'Albret, la marche de la Réforme rencontra de grands
obstacles dans un pays déchiré par les factions et exposé sur ses fron-
tières aux attaques du féroce Montluc et de Philippe II d'Espagne. La
BÉARN 145
reine de Navarre parvint à triompher de tous, en s' appuyant sur l'au-
torité des synodes et des Etats généraux de la province. « Elle abolit
le culte des images, interdit Les processions publiques, supprima les
couvents et transforma les églises en temples réformés. Les biens ec-
clésiastiques lurent réunis au domaine de la couronne, leurs revenus
consacrés au soulagement des pauvres et à l'éducation de la jeunesse.
Des missionnaires béarnais et basques prêchèrent partout l'Evangile
dans la langue du pays, mais leur nombre était insuffisant. Par les
joins de Calvin, la compagnie des pasteurs de Genève, qui avait déjà
donné Merlin à Jeanne cTAlbret, lui envoya douze ministres et s'asso-
cia ainsi plus activement à l'œuvre qui, commencée en 1563, s'acheva
en 1571 par les célèbres Ordonnances, monument du génie et de la piété
de la reine de Navarre. » Une des gloires de Jeanne fut la fondation de
l'académie d'Orthez, qui subsista de 1560 à 1620, et dont les profes-
seurs les plus distingués furent Nicolas des Gallards, seigneur de Saule,
et Lambert Daneau, élève du célèbre Anne Dubourg et ancien pro-
fesseur de théologie à Leyde. Les Eglises béarnaises jouirent de la plus
grande tranquillité pendant les premières années du régime de Fédit
de Nantes, mais Louis XIII, envahissant tout à coup avec une armée la
province, qui avait refusé avec raison de restituer aux prêtres tous les
biens ecclésiastiques, affectés depuis 1569 au service des temples, des
écoles, des hôpitaux et des pauvres, attendu que la population du
pays était aux neuf dixièmes protestante, se saisit violemment de ces
biens, les livra aux évêques, abbés, curés et jésuites du pays, et ferma
la savante académie d'Orthez. Malgré ce désastre, les Eglises du Béarn
redevinrent prospères et, vers le milieu du dix-septième siècle, elles
comptaient 6 colloques, formant un même arrondissement synodal,
i€ Eglises, 39 ministres, 86 temples et 6,414 familles, soit plus de
30,000 protestants. — La révocation de Ledit de Nantes fut très-funeste au
protestantisme béarnais, mais ne le détruisit point. Des Eglises s'orga-
nisèrent dans la province vers le milieu du dix-huitième siècle et eurent
pour pasteurs Etienne Dettère dit Montagny, Cazaucan, Cassagne, Pic,
Laune dit Dubois, et, plus tard, Jean Journet, Marsoo, Fosse dit Ri-
chard, Bertezène, Chabaud et autres. Court de Gébelin, qui les visita
en 1763, leur rend le meilleur témoignage dans ses lettres. La persécu-
tion les atteignit tard (1756), mais elle sévit longtemps. En 1759 le
pieux catéchiste Dominique Chérer fut pris et condamné aux ga-
lères, d'où il s'échappa dix ans plus tard. En 1773 le pasteur Deffère,
poursuivi de près, se vit contraint de quitter la province. A dater de
cette époque et jusqu'en 1778, les Eglisesfurent ravagées dans tous les
-us par les dragons. Court de Gébelin ayant pris chaudement leur
défense auprès de la cour, elles purent, depuis 1778, se réunir paisi-
blement dans leurs granges sous la conduite de leurs pasteurs. Aujour-
d'hui 1 1*70: le Béarn, qui a servi à former le département des Basses-
Pyrénées, compte 7 paroisses, 16 annexes et 5,000 protestants,
ressortissant au consistoire d'Orthez. — Voy. Bulletin de la Société
de V histoire du protestantisme en France, 1854, p. 501; IS55, p. 2N0 ;
L857, p. 1. 259, 112; 1865. p. 230; 1867, p. 60 \ ■ 1872, p. 184, i87;
il. 10
146 BEARN — BEATTIE
1873, p. 188, 498; 1875, p. 415; Ch. Coquerel, Histoire des Eglises du
désert; Th. Muret, Histoire de Jeanne d'Albret; Correspondance inédite
des deux C Juron. E. Arnaud.
BÉATIFICATION , acte par lequel le pape déclare préalablement
qu'une personne dont la vie a été sainte et accompagnée de miracles
jouit, après sa mort, du bonheur éternel, qu'elle peut être publique-
ment invoquée et devenir ainsi l'objet d'un culte particulier, tandis
que la canonisation est une déclaration définitive qu'un personnage va
être mis au rang des saints et honoré comme tel dans toute l'Eglise.
Les saints qui ne sont que béatifiés sont honorés d'un culte moins
solennel que ceux qui sont canonisés. La béatification a été introduite
principalement à cause de la longueur des procédures qu'on observe
dans la canonisation. C'est Alexandre VII qui, le premier, a ordonné
que la béatification aurait lieu solennellement dans la basilique du Va-
tican. Selon Gonzalès (in cap. Audivimus de rel. et venerat. Sanctor.),
la béatification , dans les premiers siècles de l'Eglise, était faite par les
évêques ; mais Urbain VIII déclara que ce droit était entièrement ré-
servé au saint-siége (voy. Benoit XIV, De Scrvorum Dei beatificatione,
I, 24 et 39; Glaire, Diction, des Sciences ecclés.).
BÉATITUDE. Saint Augustin la distingue ainsi de la félicité : Félici-
tas est omnium rerum expectandarum plenitudo. Beatitudo est status om-
nium bonorum aggregatione perfectus (De Civit. Dei, V). Renchérissant
encore sur cette distinction, les théologiens catholiques admettent «une
béatitude naturelle, qui est l'assemblage de tous les biens de la nature
saine, et que la nature peut acquérir par les forces naturelles, comme
l'exemption du mal, la connaissance de la vérité, l'amour du bien, la
subordination des appétits sensitifs aux appétits rationnels , la droiture
des puissances et des facultés de l'âme, enfin ce qui rendait l'homme
heureux avant son péché; et une béatitude surnaturelle, qui est la
réunion des biens que la nature même saine et entière ne saurait ac-
quérir par ses propres forces , comme les grâces nécessaires pour faire
le bien, les vertus surnaturelles, l'amour et la connaissance de Dieu
comme auteur de la grâce » (Glaire, Dictionn. des Sciences ecclés.). La
scolastique connaissait en outre la béatitude objective, qui est Dieu
même, et la béatitude subjective, qui est la vue et 1 amour de Dieu,
une béatitude parfaite et imparfaite, essentielle et accidentelle, com-
mencée et consommée. Il est superflu de montrer la subtilité et l'inu-
tilité parfaite de semblables distinctions. — On appelle béatitudes les
huit (ou sept, lorsqu'on identifie les promesses contenues dans les ver-
sets 3 et 10) maximes que Jésus-Christ a placées à la tête du discours
rapporté Matth. V, 3 ss., et qui ont pour but de déterminer d'une
manière générale les conditions morales de l'entrée dans le royaume
messianique : Initiale hoc verburn toties repetitum indicat scopum doc-
trine Christi (Bengel). Voyez l'explication et le lien organique des
béatitudes dans les nombreux commentaires du Nouveau Testament,
et en particulier dans Texorde du sermon de Massillon sur le Bon-
heur des Saints.
BEATTIE (James), philosophe et poète écossais, né en 1735, à La-
BEATTIE — BEAUCAIRE 147
wrencekirk, dans te comté de Kincardine, mort à Aberdeen en 18(j:i.
Comme Reid, le chef de l'école écossaise, Beattie essaya d'établir
sur la Ijase do sens commun les principales vérités morales et reli-
gieuses ébranlées par le scepticisme du dix-huitième siècle. Sa philo-
sophie a donc un caractère plutôt pratique que spéculatif, et elle est
exposée dans nn style clair et chaleureux qui Ta rendue assez popu-
laire. Ses principaux ouvrages philosophiques sont les suivants : Essay
on the nature and immutabilité of the trut/i, 1770; Dissertations moral
and critical on memory (tnd imagination ; on dreaming ; the theory of
fanguage; illustrations on sublimity, 1783; Eléments of moral science,
1790-1793. Mais Beattie n'était pas seulement un philosophe distingué,
il était aussi poète, et le Minstrel, recueil de poésies qu'il publia en
17()8. obtint un grand succès. Plusieurs stances de ce poëme ont été
traduites par Chateaubriand dans ses Considérations sur les Littéra-
tures étrangères. La vie de Beattie fut assez accidentée. Dès Page de
sept ans il perdit son père. Marié avec miss Mary Dun, lille du direc-
teur de grammaire d'Aberdeen , il ne conserva pas longtemps sa
femme et eut la douleur de voir mourir les deux fils qu'il avait eus, à
un âge peu avancé. Ces deuils domestiques altérèrent profondément sa
santé. Il quitta la chaire qu'il occupait au collège d'Aberdeen et vécut
dès lors dans la solitude.
BEAUCAIRE (François de Péguillon) [1514-1591] remplit durant les
luttes religieuses du seizième siècle un rôle secondaire, mais parfois
d'autant plus important. Il s'attacha à Charles de Lorraine, dont il
avait été le précepteur, et qui se démit en sa faveur de l'évêché de
Metz ( 1555). 11 le suivit à Trente, où il prononça, à l'occasion de la ba-
taille (!«• Dieux (15()2), où il avait perdu un neveu, un discours resté
célèbre par l'éloquence avec laquelle il rappela aux Pères du concile
que leurs intérêts personnels devaient céder le pas à ceux de l'Eglise.
La question des mariages clandestins soulevant autant d'avis que de
votants, Beaucaire lit adopter une formule assez élastique pour que
chacun y trouvât son compte. Il montra plus de fermeté apparente
dans la question de la suprématie pontificale. A l'instigation de Charles
de Lorraine, qui l'envoyait « sonder le gué », il soutint fortement que
les évêques, successeurs des apôtres, tirent leur autorité de Dieu
même, et non pas d'une délégation du pape. La thèse démontrée, il
laissa le cardinal décliner toute solidarité avec lui et nier même qu'il
eût rit son précepteur. En 15()8 il remit, comme il en était convenu.
-on évêché a la maison de Guise, au cardinal Louis. Il avait signale
-mi épiscopa! par une controverse dans laquelle il soutint contre les
calvinistes lu damnation des enfants morts sans baptême. Il avait
i ssayé, au rapport de Bèze, mais sans succès, de joindre à la discus-
sion mu- persécutioB effective. Après sa démission, il se retira au châ-
teau de la Creste, près Montluçon, où il était né et où il mourut. Il \
consacra ses loisirs a son Rerum Gallicarum Commentaria ab anno 1461
ad annum 1580. Cette histoire s'arrête pourtant à 1507. Longtemps
ignorée sur les rayons de sa bibliothèque, elle fut découverte et pu-
bliée à Lyon (102b, 1 vol. in-fol.i par Philippe Dinet. lieaucaire pré-
148 BEAUCAIRE — BEAUREGARD
tend Tavoir composée « sans esprit de faveur et de haine ». 11 n'en a
pas moins oublié souvent envers les calvinistes la modération qui ne
l'abandonne jamais quand il s'agit des Guise (voy. Bèze, Hist. étiolés.,
liv. XYI; Paîlavicinus , lib. XIX, 6; Fra Paolo, Hist. du Conc. de
Trente). P. Rouffet.
BEAUMONT (François de), baron des Adrets. Voyez Adrets.
BEAUMONT (Christophe de) [1703-1781], né au château de la Roque,
dans le diocèse de Sarlat, évêque de Bayonne en 1741, archevêque de
Vienne en 1745 et de Paris en 1746. Il soutint avec énergie l'auto-
rité de la bulle Unigenitus contre les jansénistes, ordonnant aux prê-
tres de son diocèse de refuser l'absolution et les funérailles ecclé-
siastiques à tous ceux qui ne pourraient pas prouver par des billets
de confession qu'ils s'étaient habituellement confessés à des prêtres
en règle vis-à-vis du saint-siége. C'est en vain que le parlement me-
naça l'archevêque de la mise sous séquestre de ses revenus (1752).
Celui-ci tint bon, et la plupart des évêques de France se joignirent
à lui pour soutenir contre les parlements le droit absolu de l'Eglise
de disposer des sacrements. Le roi intima l'ordre au parlement de
Paris de ne plus se mêler des affaires ecclésiastiques et, sur son
refus, le suspendit. Toutefois, le parlement ayant été rappelé en 1754
et persistant dans son refus, l'archevêque, par un de ces revirements
fréquents dans la politique de Louis XIV, fut à son tour exilé. Mgr de
Beaumont déploya, pour combattre les progrès de la philosophie
anti-chrétienne, je même zèle qu'il avait montré contre les jansé-
nistes. Le mandement qu'il publia en 1762 contre Y Emile lui valut la
Lettre à M. de Beaumont, qui est sans contredit l'une des œuvres les
plus fortes et les plus éloquentes sorties de la plume de J.-J. Rousseau.
L'illustre exilé établit qu'en demandant pour la religion la liberté
d'examen et de discussion, il est plus respectueux pour elle, plus con-
fiant dans sa puissance, et par conséquent plus croyant que ses adver-
saires qui s'appuient sur le bras temporel et les lois restrictives de
l'Etat pour maintenir le prestige de l'Eglise. Mgr de Beaumont unissait
à la fermeté et au courage qu'il lit voir dans plusieurs circonstances
vis-à-vis de la cour une charité inépuisable qui le rendit populaire
parmi les pauvres. On a de lui plusieurs volumes de Mandements et de
Lettres pastorales qui présentent un grand intérêt (voy. Ferlet, Eloge
funèbre de Mgr de Beaumont, P., 1784).
BEAUREGARD, jésuite, né en 1730, à Pont-à-Mousson. Ce fameux
prédicateur n'a rien laissé d'imprimé, et peut-être sa renommée
y a-t-elle gagné, car, comme celle du P. Bridaine dont elle rappelait la
vigueur, son éloquence tenait plutôt du missionnaire que de l'orateur-
mais il s'imposait à l'auditoire le plus cultivé autant par son renom
de sainteté que par sa rude franchise. Il fit sensation à la cour, en 1789,
par ses sermons du carême. On se souvint à la Révolution des paroles
prophétiques par lesquelles il avait annoncé, treize ans auparavant,
dans la chaire de Notre-Dame, les profanations de ce sanctuaire et la
substitution du culte de Vénus à celui du Très-Haut. Réfugié de bonne
heure à Londres, Beauregard y continua ses prédications, mais il oublia
BEAUREGARD — BEAUSOBRE 149
que les U mps étalent changés. Plus porté à condamner qu'à consoler
ses compagnons d'exil, il dut renoncer à la chaire. Il se retira à Maes-
tricht, [)iiis à Cologne, et enfin chez la princesse Sophie de Holienlohe
OÙ il mourut en 1804.
BEAUSOBRE (Isaac de), né à Mort le 8 mars 1659, pasteur à Châ-
tillon-sur-lndre de 1683 à 1685, se réfugia en Hollande après la révo-
cation de Tédit de Nantes, fut appelé en 1()8() à Dessau comme chape-
lain de la princesse d'Anhalt. En 1695 il devint pasteur de l'Eglise
française de Berlin, et il est mort dans cette ville, où il a exercé son
ministère pendant quarante -trois ans, le 5 juin 1738. Frédéric le
Grand, dans une lettre à Voltaire, le nomme un grand orateur, et
Formey a dit de lui que la Réformation a produit peu de prédicateurs
de sa volée. Il disait lui-même que le prédicateur doit émouvoir ses
auditeurs, et que cet effet n'est le résultat ni des grands mouvements
ni des grandes ligures, mais des sentiments qui sortent de son cœur.
On n'a de Beausobre, à l'exception du Sermon funèbre de Jean-
George II . prince d'Anhalt, prononcé en 1693, que des sermons de sa
vieillesse sur le XIIe chapitre de répitre aux Romains et sur le cha-
pitre XI de l'évangile selon saint Jean, prêches, les uns en 1730 et
1731, les autres en 1735 et 173(3, et publiés après sa mort. Il y en a
souvent plusieurs sur le même texte, sept, par exemple, dans le second
recueil, sur le verset 47. Quelquefois les développements sont suffi-
sants, et Ton rencontre çà et là des pages émues; mais en général les
sermons écrits ne sont que de simples canevas des sermons prêches.
Beausobre affirmait la résurrection de Jésus-Christ et les miracles rap-
portés dans les Evangiles; il combattait l'incrédulité; mais il s'interdi-
sait de porter en chaire les sujets débattus entre chrétiens. « Vous êtes
bien enseignés, mes frères, disait-il en caractérisant la prédication en
usage de son temps à Berlin. Ici point de docteurs qui viennent vous
repaître ou de disputes sur les mystères, ou d'explications allégoriques
«le- ligures de la Loi. On s'attache à confirmer les vérités capitales de
la religion, on combat les superstitions, surtout on insiste sur les
devoirs de la morale. » C'est sans doute de peur d'encourager au ren-
voi de la conversion, qu'il se refusait à prêcher que l'homme étant
ju>tiiié par la foi, et non par les œuvres, la vie éternelle lui est assurée
a <ause de la mort de Jésus-Christ, s'il témoigne, en mourant, qu'il
croit en lui, et qu'il soit touché de repentir {Sermons sur Romains,
XII, t. II. (>. %){\). Le prince luthérien de Saxe-Barby ayant
embrasse le calvinisme, et George Mœbius ayant, avec l'approbation
de la faculté de théologie de Leipzig, écrit contre son changement de
religion, Beausobre publia, pour le justifier, sa Défense de la doctrine
é ! Réformé* tur la Providence, la Prédestination, la Grâce et l'Eucha-
ristie, Hagdebourg, 1693. L'électeur de Brandebourg, informé que les
anciennes versions françaises des saintes Ecritures, dont la langue
a*ail vieilli, ne répondaient plus aux besoins de l'édification, le char-
i p'-ine arrivé à Berlin, conjointement avec Jacques Lenl'anl, l'un
de ses collègues dans le pastorat, par un décret, de revoir celles du
Nouveau Testamenl ou d'en entreprendre une traduction nouvelle. Il
150 BEÀUSOBRE
s'arrêtèrent à ce dernier parti et se partagèrent le travail tout en le
poursuivant dans une entente parfaite. Beausobre se chargea des épitres
de saint Paul; la préface générale sur ces épitres est aussi de lui. L'ou-
vrage parut à Amsterdam en 1718, en deux volumes in-4°, sous ce
titre : Le Nouveau Testament de Notre-Seigneur Jésus-Christ, traduit
sur l'original grec, avec des notes littérales. Les deux auteurs le présen-
tèrent au roi de Prusse et, sur sa demande, y ajoutèrent une dédicace au
prince royal, due à la plume de Beausobre, où il soutient la thèse
dangereuse que les princes doivent être les défenseurs de la foi. La
Chapelle a donné à La Haye, en 1742, comme supplément à la version
de Berlin, et dans le même format, un ouvrage posthume de Beau-
sobre, en deux volumes, intitulé : Remarques historiques, critiques et
philologiques sur le Nouveau Testament. Quelquefois il y corrige Len-
fant, d'autres fois il s'y corrige lui-même. Il y critique aussi les nou-
velles versions publiées depuis peu, celle dite de Mons, celles de
Richard Simon et de David Martin, et surtout celle de Le Clerc, à
laquelle il revient sans cesse. L'orthodoxie de Beausobre avait été atta-
quée en 1719 dans une brochure par Dartis, ancien pasteur à Berlin, à
propos de ses notes sur quelques passages, et il y avait répondu aus-
sitôt. 11 maintient ici l'interprétation de Phil. II, 6, et Col. Il, 9, dont
Dartis prétendait qu'il avait altéré le sens, et l'accuse lui-même de
favoriser l'arianisme par un zèle sans science (t. II, p. 48). Les
Remarques se suivent dans le même ordre que les livres et les cha-
pitres auxquels elles se rapportent. Plusieurs sont de longues disser-
tations, suggérées au savant auteur par ses lectures, et qui ne ser-
vent pas toujours à l'éclaircissement du texte. Beausobre s'était
proposé pendant son séjour à Dessau d'écrire l'histoire de la Réforma-
tion, et, pour la mieux comprendre, il lui parut nécessaire d'étudier
aussi celle des sociétés chrétiennes qui, avant le seizième siècle, s'é-
taient séparées de l'Eglise grecque et de l'Eglise latine, ou en avaient
été retranchées. Il ne s'en tint même pas là : de nombreuses condam-
nations à mort ayant été prononcées en divers lieux, à partir du com-
mencement du onzième siècle, sous prétexte de manichéisme, contre
les Vaudois, il voulait pouvoir comparer leurs doctrines avec celles
qu'on leur attribuait. Telle est l'origine de son Histoire de Manichèe et
du manichéisme, 2 vol. in-4°, dont le premier parut, de son vivant, en
1734, à Amsterdam, et le second en 1739, un an après sa mort, par
les soins de Formey. La première partie contient l'histoire de Mani-
chèe et du manichéisme, d'abord d'après les auteurs grecs et latins,
et ensuite d'après les Syriens, les Persans et les Arabes, et Beausobre
fait voir que ces deux histoires n'ont presque rien de commun entre
elles. Personne n'avait révoqué en doute avant lui l'authenticité des
Actes de la dispute entre Archélaus, évêque de Mésopotamie, et V héré-
siarque Mânes. Il soutient que ce n'est qu'un roman composé entre
les années 330 et 340 par un Grec, dans l'intention de réfuter le mani-
chéisme et de donner à la foi orthodoxe l'avantage d'en avoir triom-
phé en confondant le chef de cette hérésie, mis en scène comme la
défendant en personne. La deuxième partie est dogmatique. Beausobre
BEAUSOBRE — KEAUVAIS 151
reproche à saint Augustin d'avoir souvent mal représenté les croyances
des manichéens, accueillant des fables qui leur étaient défavorables,
donnant un mauvais tour à des paroles évidemment innocentes, et
irigeanl en dogmes de la secte des conséquences qu'elle désavouait. II
prétend même que saint Augustin n'avait pas lu les livres des mani-
i uéens qui existaient de son temps et dont il aurait pu tirer avantage
contre eux en les citant dans ses disputes, ce qu'il ne fait jamais.
Beausobre voulait s'occuper dans un troisième volume des hérétiques
modernes accusés de manichéisme; mais il n'a pu exécuter ce dessein.
On a de lui un Supplément à l'Histoire de la guerre des Hussiles, im-
primé à Lausanne en 1745 avec deux autres pièces trouvées parmi ses
papiers, V Examen de la nouvelle hypothèse de M. Mosheim touchant 1rs
Nazaréens, et des Observations critiques sur l'extrait que M. du Pin a
donné des lèvres, d'Optat. Quant à Y Histoire de la Réformation, ou Ori-
gine >■! /jrogrès du luthéranisme dans V Empire et les Etats de la Confes-
sion d'Augsbmug depuis 1517 jusqu 'en 1530, projetée dès sa sortie de
France et à laquelle Beausobre revenait toutes les fois qu'il en avait le
loisir, elle n'a vu le jour qu'en 1785 et 1786, à Berlin, en quatre vo-
lumes in-8°, dont Pajon des Moncets a été l'éditeur. L'auteur y suit
Nrkendorl', dont l'ouvrage, Commentarius historicus et apologeticus de
lutheranismo, publié de 1686 à 1692, venait de paraître lorsqu'il com-
mença le sien, et il lui emprunte un grand nombre de documents. Ce
qui lui appartient en propre, c'est l'appréciation du caractère, de la
conduite et des écrits des hommes qui iigurent dans cette histoire. Ses
jugements sur Luther sont souvent sévères, et son blâme est en maints
endroits plein d'aigreur. Beausobre a inséré des articles importants
dans la Bibliothèque germanique (Amst., 1720-1740), et il en fut long-
temps le directeur. Marié deux fois, il eut sept enfants. Deux de ses
lils se sont fait connaître par leurs écrits. En 1785, un siècle après
la révocation de l'édit de Nantes, il ne restait de cette nombreuse
famille qu'une petite fille de Beausobre, qui dédia au roi de Prusse la
dernière œuvre de son grand-père. La Chapelle et Formey ont ajouté
des notices sur sa vie aux ouvrages posthumes édités par eux. Voir
aussi la France prolestante-. H. Lutteroth.
BEAUVAIS ( Uellocaci) , évêché suffragant de Reims. On donne
comme le premier évèque de Beauvais saint Lucien, compagnon de
ttint Denis et martyr. Ce n'est pourtant qu'à partir du neuvième
siècle (|n on trouve le titre d'évéque joint à son nom. Les évêques qui
ûvirent n'ont point laissé de traces. Eudes 1er, moine de Corblc
$6i-$8i), a écrit l'histoire de saint Lucien (AA. SS.9 8 janv. 1). Le
cardinaj .Iran de Donnans (Johannes dictas Dormiens, 1360-1368) fonda
11 137Q I'1 collège de Dormans-Beauvais à Paris. Il faut encore nom-
mer Milon de Donnans, son neveu, comme lui grand-chancelier de
France, Pierre Çauchon (Calceo, 1420-1432), dont le nom est demeuré
1 " horreur aux Français, Odet de Châtillon, qui embrassa la Réforme
L53S-1502), et le cardinal de Forbin-Janson (1679-1713), grand-aumô-
duroyaume.nsetint à Beauvais plusieurs synodes (Hefele,IV et V:.
k'évêqui Mois (998-1022) avait reçu du roi Robert le comté
152 BEAUVAIS — BÉCAN
de Beauvais; ses successeurs furent de ce l'ait pairs du royaume. Leur
admirable cathédrale gothique, Saint-Pierre, est du treizième siècle.
On remarque aussi l'église de la Basse-Œuvre, du huitième siècle. —
Voy. Delettre, Hist. du Dioc. de B., 3 vol., 1842 ; Gallia, IX.
BEAUVAIS (Marie de), né à Cherbourg en 1733, mort en 1790, fut,
avec le P. Guénard et l'abbé de Boismont, l'un des prédicateurs les
plus goûtés de son temps. Sa réputation et son crédit à la cour le
firent nommer évoque de Senez (1775); mais il se démit de cette
charge (1783) et revint à Paris, où il avait obtenu de grands succès. Il
fut député aux Etats généraux. On cite son Oraison funèbre de
Louis XIV. Le cardinal Maury le met au nombre des prédicateurs
français du second rang, dont il dit « qu'on trouverait dans leurs ou-
vrages d'éloquents sermons » qui formeraient un recueil excellent
(Essai sur V éloquence de la chaire, chap. LX). On a 4 volumes de ses
Sermons, édités par l'abbé Galard, Paris, 1806.
BEC (Abbaye du) [Beccum Herluini, Eure, diocèse de Rouen], célèbre
par la sévérité de sa règle et la culture des lettres. Saint Helluin, che-
valier, transporta en ce lieu, en 1040, le couvent qu'il avait bâti en
1034 à Bonneville. De l'école que Lanfranc y ouvrit sortirent saint An-
selme, le pape Alexandre II, Guitmond, Yves de Chartres, ainsi que
Gilbert et Miles Crespin, qui ont écrit (v. 1150) la vie des premiers ab-
bés du Bec. Ces biographies se trouvent dans l'Appendice du Lanfranc
de d'Achery, de môme que la chronique du Bec, attribuée à Robert de
Thorigny (f 1186, voir aussi Bouquet) et continuée par des anonymes.
L'abbaye du Bec, autrefois chef d'ordre, fut exemptée vers l'an 1100
des droits épiscopaux. La réforme de Saint-Maur y fut introduite en
1626. En 1563, le monastère avait été pillé par les protestants. Les bâ-
timents du couvent sont aujourd'hui un dépôt de remonte; de l'église,
dédiée en 1343, et qui était sous l'invocation de Notre-Dame, il ne
reste plus qu'une haute tour du quinzième siècle. — Voy. Gallia chris-
tiana, XI, 216; Mém. de la Soc. des Antiq. de Normandie, 1841 ; Monas-
ticon Galiicanum, par Peigné-Delacourt et Léopold Delisle, 1873, in-4°,
pi. 114; Bibl. de VEc. des Chartes, 1876, p. 519. S. Berger.
BÉCAN (Martin) [1550-1624]. Longtemps professeur de philosophie,
puis de théologie dans les collèges de son ordre, ce jésuite belge mé-
rita la faveur de l'empereur Matnias, qui le retint à Vienne, et de son
successeur Ferdinand II , qui en fit son confesseur. Cette fonction et
ses écrits font juger de l'ardeur avec laquelle il seconda la politique
dont la guerre de Trente Ans fut le fruit. Tous ses ouvrages sont con-
çus dans l'esprit de l'ultramontanisme le plus intransigeant; mais ce
qui distingue Bécan , c'est l'acharnement avec lequel il combattit
l'Eglise protestante en général et l'Eglise anglicane en particulier. Il
s'attaqua à diverses reprises à Jacques Ier et il alla jusqu'à soutenir,
dans sa Controversia anglicana de potestate régis et ponti/icis (Mayence,
1612, in-8°), la légitimité éventuelle des attentats contre la vie des sou-
verains. La cour de Rome jugea prudent de condamner l'ouvrage,
mais de hautes influences empêchèrent la faculté de théologie de Paris
de lui infliger même une simple censure. Une autre doctrine qui
BEOAN — BECKET L53
appartient moins en propre à la Société de Jésus, puisque L'empereur
Sigismond l'avait déjà mise en pratique contre Jean Huss , fut aussi
l'objet des spéculations de Bécan. 11 l'exposa dans ses Qusestiones de fide
hœreticis seroanda (Mayence, 1609, in-8°). On ne voit pas que ses théo-
ries sur ce point lui aient attiré le moindre désaveu (Alegambe, Bibl.
Scrip. S. ./. ; Valerius Andréas, Bibl. Belg., etc.). p- Rouffet.
BECK (Jacques-Christophe) [1711-1785] professa l'histoire et la dog-
matique à Bàle, sa ville natale. On a de lui une Synopsis Tnstitutioiium
univers» theologiœ naturalis et revelaUv, dogmçiticae,palemic& et practicœ,
Bas., 1 7Ti-S. qui marque la transition entre la rigidité de l'orthodoxie
confessionnelle et l'esprit plus large de la théologie moderne. Son Dtc-
tionnaire biblique (1770) eut beaucoup d'éditions et jouit pendant long-
temps d'une considération méritée. Beck publia aussi un certain nom-
bre de dissertations latines, parmi lesquelles nous ne citerons que son
curieux traité De Diluvio Noaf:kico universali, B., 1738, in-4°, complété
par un autre De Partibm orbis quas ante diluvium Noachicum hommes
incoluisse videntur, B., 1739, in-4°. Un traité contre les séparatistes
< Ungintnd des Separatismus, Bas., 1779) achève de caractériser la ten-
dance à laquelle se rattachait notre auteur.
BECKET (Thomas), l'un des défenseurs les plus ardents de l'autorité
papale et des droits absolus de l'Eglise vis-à-vis de l'Etat, né à Londres
wers 1119, après des études brillantes à Paris, attira par ses talents l'at-
tention de Théobald, archevêque de Cantorbéry, qui le nomma archi-
diacre de la cathédrale. Une capacité extraordinaire et Fart consommé
du courtisan lui concilièrent bientôt la faveur d'Henri II, qui l'éleva à
la dignité de grand-chancelier du royaume. Le clergé anglo-normand,
profitant des désordres du règne si agité d'Etienne, avait réussi à re-
conquérir en partie son indépendance en face du pouvoir royal.
Henri II, reprenant la tradition des rois de la race anglo-normande,
voulut rétablir ses prérogatives dans leur plénitude et trouva dans son
chancelier un instrument aussi docile que dévoué de ses desseins.
Compagnon de chasse et de plaisir de son souverain, dont il était le
plus intime confident, entouré d'un faste vraiment royal, Becket sem-
blait avoir renoncé pour jamais à l'ascétisme et aux principes ecclé-
siastiques de sa jeunesse. Tout entier à l'œuvre présente, il ne voulait
entendre parler que des droits du pouvoir civil (A. Thierry, Conq. de
/' Iny., V édit.,P., 183(), IV, p. 102-lOi), et, malgré l'opinion contraire
de Reuter (Gesch. d.Papstes Alexander ]//, 3 vol., 2e éd., 1864-66, VI,
p. 330), il est difficile de le justifier du reproche de duplicité. Elevé en
1 H'rl par la laveur royale à la dignité suprême de primat d'Angleterre,
I homas Becket devint, pour ainsi dire,en un moment un homme nouveau,
on bien, renonçant au rôle qu'il avait joué jusqu'alors, parvenu au terme
de son ambition, résolutde sacrifier son bienfaiteur à son devoir, rendit
les sceaux au roi et révéla bientôt la transformation qui s'était accom-
plie en lui par son ascétisme, par le relus qu'il opposa au synode de
Westminster de soumettre les prêtres indignes à la justice royale.
enfin par le soin jaloux qif il prit de se faire remettre le pallium par
le pape lui-même au concile de Tours (1163) pour éviter l'investiture
154 BECKET — BEDA
royale, ce qui lui attira le blâme de ses partisans les plus dévoués
(Neander, K. G., 4e éd., Gotha, 1864, VII, 278). Furieux de cette résis-
tance inattendue, Henri II convoqua, en 1164, les grands du royaume
à Clarendon. Après une vive résistance, Becket consentit à signer les
XVI constitutions (Mansi, XXI, 1187), qui faisaient rentrer le clergé
dans le droit commun. Convaincu d'avoir manqué par faiblesse à son
devoir, l'archevêque, après avoir cherché sa consolation auprès du
pape, voulut fuir, mais il se vit retenu par des vents contraires. Le roi,
poussé à bout, le somma de comparaître à Northampton , devant les
Etats du royaume, pour rendre compte de sa gestion comme chance-
lier, bien qu'il eût été dégagé de toute responsabilité lors de sa sortie
de charge. Becket, bien qu'abandonné par une partie de son clergé,
ne craignit pas d'en appeler au pape et dut chercher son salut dans
l'exil. Les six années qui suivent (1164-1170) sont toutes remplies par
les diverses vicissitudes de la lutte entre les deux pouvoirs et par de
nombreuses tentatives de réconciliation. Réfugié d'abord à Sens, puis
à l'abbaye de Pontigny en Bourgogne, Becket voit ses parents et ses
amis jetés en prison ou envoyés en exil, et la cour papale elle-même,
menacée par Henri II de se voir préférer l'antipape , ou gagnée par
l'or anglais, blâmer son àpreté et lui conseiller la modération, il n'en
lance pas moins de Vézelay (1168) l'excommunication contre les dé-
tenteurs des biens ecclésiastiques. Malgré la protection du roi de
France Louis VII, il se voit presque abandonné par Alexandre III,
dont il ne sait ni comprendre la situation délicate ni excuser la diplo-
matie, et en vient à douter presque de son infaillibilité. Toutefois,
en 1170, son inflexible volonté l'emporta. Menacé à son tour de l'ex-
communication par le pape, dont la politique a varié avec les intérêts,
le roi consent à lui rendre toutes ses prérogatives et à laisser tomber
en désuétude les constitutions de Clarendon. Rentré à Cantorbéry
avec le pressentiment d'une fin prochaine, Becket, voyant le roi man-
quer à ses engagements et ne pas rendre à l'Eglise les biens et les
droits dont il l'avait dépouillée, lança l'excommunication contre les
prélats d'York et de Londres. Une menace échappée dans un banquet
à la fureur du roi arma contre lui quatre chevaliers, qui l'assassinè-
rent au pied des autels le 29 décembre 1170. 11 obtint par sa mort tra-
gique, qui fut envisagée comme un martyre par ses contemporains et
lui assura la canonisation, le succès que n'avaient pu lui assurer de lon-
gues années de luttes et d'épreuves, et Henri II dut renoncer pour un
temps sur le tombeau de sa victime à ses prérogatives et reconnaître
l'indépendance de l'Eglise. L'Eglise catholique célèbre sa fête le
29 décembre. — Voy. Reuter,| A. Thierry, ouvrages cités ; Giles, Life
and letters, etc., London, 1846; Weber, Weltgesch., Leipzig, 1858, VII,
258 et ss. ; la bibliographie dans Hase, K. £.,9( éd., 1867, p. 224.
A. Paumier.
BEDA (Natalis, Noël Bédier), docteur et syndic de la faculté de
théologie de Paris, mort en 1536 à l'abbaye du Mont-Saint-Michel. 11
fut principal du collège de Montaigu et s'opposa au projet qu'avait
François Ier de faire approuver par la Sorbonne le divorce de
BÈDÀ — BEDE 155
Henri VIII. roi (^Angleterre. Beda l'ut l'un des adversaires les plus pas-
sionnes de la Réforme. Il obtint dé la Sorboiine (1521) une condam-
nation des écrits de Lefèvre d'Etaplés, et, sans l'opposition du roi, il
eût arraché la même condamnation au parlement. Ce fut lui qui , en
1523, à propos des écrits de Louis Berquin, rédigea l'Avis de la Sor-
bonne, réclamant la persécution de tous ceux qui favorisent la pro-
pagation des doctrines hérétiques. Berquin ayant dénoncé comme
impies 1- propositions tirées des ouvrages de Beda, François I" les
soumit (1527) à la Sorbonne, afin qu'elle les justifiât par des textes
bibliques. Ce jugement n'a jamais été rendu. Parmi les ouvrages de Beda
nous citerons un traité De unica Magdalena, P., 1519, réfuté par Le-
fèvre d'Etaplés; une Apnhgia pro filiabus et nepotibus Annie, P., 1520,
contre Lefèvre ; un écrit Contra commentarios Fabri in Evangeiio
Hb. IL P., lo2(); un autre In Erasmi paraphrases, etc. Rabelais lui
attribue, à cause de sa gourmandise devenue célèbre, un traité De
Optimitate triparum, que Beda prétendait avoir trouvé dans la biblio-
thèque de Saint- Victor, sous le titre de Pantofla decretorum, conjoin-
tement avec deux autres : Décret um universitatis Parisiensis super gor-
giasitate millier mlarani ad placitum, et V Apparition de saincte Geltrude
à une nonnatri de Poissy estant en mal d'enfant.
BEDAN [Bedân, Badan'] se trouve cité 1 Sam. XII, 11, comme un
des héros d'Israël, entre Gédéon et Jephté; mais ni le livre des Juges,
ni aucun autre livre de l'Ancien Testament ne font mention d'un per-
sonnage portant ce nom. Au lieu de Bedan. plusieurs anciennes ver-
sions (LXX, Syriaque. Arabe) lisent 'Barak ; la paraphrase chaldéenneet
les rabbins interprètent le mot par ben-cfàn, « iils de Dan, » et en font
un surnom de Samson. La meilleure explication est celle qui regarde
Bedan comme une autre forme pour Abdon {Bedân = 'Abdân— 'Ab-
don); la chute du am au commencement d'un nom propre est un phé-
nomène très-fréquent en phénicien (cf. Schrœder, Phœn. Sprache,
p. 88 (voyez Abdon).
BEDE (Deda), surnommé le Vénérable, le savant le plus distingué
de l'Eglise anglo-saxonne du huitième siècle, naquit en 674. Sa vie pré-
sente peu d'incidents ; les récits de ses anciens biographes sont trop
chargés de faits imaginaires pour mériter qu'on s'y arrête. A l'âge de
sept ans ses parents le mirent au couvent de Wearmouth, dans le Nor-
thumberland, qui, sous l'abbé Biscop, possédait une des meilleures
écoles du temps. Delà il entra au couvent deJarrow, où il passa la plus
grande partie de sa vie, pieux, humble, sans ambition, ne s'occupant
que d étude et formant des disciples, dont plusieurs arrivèrent à de
hautes positions dans l'Eglise d'Angleterre. Il mourut le 20 mai 735,
au inuiii.nl on il achevait une traduction anglo-saxonne de l'Evangile
de saint .Iran. Ses nombreux ouvrages,' témoignent de l'étendue de ses
connaissances et de l'état florissant des études dans son pays; ils se
répandirent dans toutes les bibliothèques de l'Occident ;. Bède devint
pour les écoles du moyen âge un des maîtres les plus utiles et les plus
respectés. Il B traité de la plupart des sciences, d'exégèse, de gram-
maire, de physique, dJastronomie, d'histoire; il a laisse en outre quel-
156 BEDE — BEELZÉBUB
ques poésies religieuses. Ses travaux sur la Bible, eomposés de com-
mentaires, d'homélies et d'explications de quelques points spéciaux,
ne sont en général que des compilations où domine l'interprétation
allégorique; au huitième siècle, où Ton ne pouvait guère faire autre
chose, ces recueils de passages des anciens Pères étaient un précieux
moyen d'étude. On rencontre aussi chez Bède des opinions qui prou-
vent une certaine indépendance à l'égard de la tradition, et, sachant
très-bien le grec, il a su trouver quelques explications meilleures que
celles de ses devanciers. Ses ouvrages historiques sont un Ckronicon
sive de sex œtàtibus mundi, une Historia ecclesiastica gentis Brihmum,
un martyrologe, une histoire des abbés de Wearmouth et quelques
vies de saints. Sa chronique, qui va depuis Adam jusqu'en 726, est
importante parce que Bède y a suivi, pour compter les années, le canon
de Denis, et qu'il a contribué ainsi, plus qu'aucun autre, à faire
adopter ce canon en Occident. L'ouvrage lui-même est le premier essai
d'histoire universelle; il servit de point de départ à la plupart des chro-
niqueurs postérieurs, qui presque tous se conformèrent à la division en
six âges ou périodes du monde. Le martyrologe eut le même succès;
on ne le possède plus dans sa forme primitive ; le texte qu'on a est
rempli d additions faites au neuvième siècle par le sous-diacre lyonnais
Florus. L'histoire ecclésiastique des Bretons, qui commence par Jules-
César pour s'arrêter à l'année 731, n'a de l'intérêt que dans la partie
qui débute par la conversion des Anglo-Saxons. Dans les chapitres qui
précèdent, l'auteur est peu original et peu authentique, mais pour la
suite il a fait usage de renseignements et de documents qui, malgré
quelques erreurs, donnent à son travail une grande valeur historique.
Enfin ses traités de grammaire, de prosodie et surtout d'astronomie,
tous très-simples et très-précis, furent copiés dans la plupart des cou-
vents, où pendant plusieurs siècles on s'en est servi pour l'enseigne-
ment. Les anciennes éditions des œuvres de Bède (Paris, 1544; Bàle, 1563;
Cologne. 1612 et 1688) laissent à désirer sous le rapport de la critique.
Dans celles de Giles (Londres, 1843, 12 vol.) et de Migne (vol. 90 à 92
de la Patrologie), on a commencé à séparer des œuvres authentiques
celles qui ne le sont pas. Les ouvrages historiques de Bède ont été plu-
sieurs fois publiés à part. Sur sa vie, voy. l'introduction à l'édition de
son tint, ecclés., par Stevenson, Londres, 1838, etGehle, De Bedœvita
et scriptis, Leyde, 1838. Ch. Schmidt.
BÉELPHÉGOR. Voyez Baal.
BEELZÉBUB, nom du prince des démons (Matth. XII, 24 ; X, 25;
Marc III, 22; Luc XI, 15). Trois explications ont été données de ce
nom. — 1° Les manuscrits syriens, l'Itala, la Vulgate et les Pères latins
ont adopté la forme BssXÇeSouê que l'on fait dériver de baal zeboub,
le dieu des mouches : c'était le nom d'une divinité des Hekronites
(Philistins) que le roi Achazia consulta pendant une maladie. D'autres
peuplades paraissent avoir adoré une divinité semblable qui règne sur
les mouches, et par conséquent est capable de délivrer ses adorateurs
d'une plaie si pénible dans les pays de l'Orient. — 2° La plupart des
exégètes modernes (Buxtorf, De Wette, Winer, Bleek, etc.) admettent
BÉELZEBUB — BEETHOVEN i;>7
cjne les Juifs, en changeant le 3 en X, ont, par un jeu de mots plus ou
moins spirituel, gratifié le diable de l'épithète baal zeboul (ou
plus correctement zè bel), dieu de la boue (dominus stercoris), c'est-
à-dire de ce <|ui est impur et souillé. — 3° D'autres commentateurs
(Michaelis, llitzig, Meyer, etc.) prêtèrent traduire zeboul par domi-
cile, le seigneur de la maison, c'est-à-dire celui qui règne sur le sombre
royaume qui est la demeure des esprits méchants (Matth. XII, 2't ss.,
et surtout 13 ss.). Cette dernière interprétation parait être la meilleure.
BÉER, « Puits. » — 1. Nom d'une station des enfants d'Israël au dé-
sert, au nord du pays de Moab. Peut-être identique avec Beer-Elim,
i le puits des héros, » qui est cité par Esaïe (XV, 8). Du moins une
vieille poésie , rapportée par le livre des Nombres , et qui semble faire
allusion à ce nom , le ferait croire (Riehm, Handworterb. , comp.
Nombr. XXI, 1(3-18 ). — 2. Lieu où Jotham s'enfuit de devant son
frère Abimelech ( Jug. IX, 21). C'est à tort, parait-il, qu'on a voulu
l'identifier avec Béeroth de Benjamin (voy. à ce sujet Sandrecski dans
YAuslnnd, XLV (1872), p. 99 ss.).
BÉEROTH, « les Puits, » ville des Gabaonites. D'après une tradition
conservée par Josué (IX, 17) et 2 Samuel (IV, 2-3), ses habitants l'a-
vaient abandonnée, et elle était considérée comme appartenant à la
tribu de Benjamin. Le partage du pays qui est donné au livre de Josué
(XVIII, 25) sanctionne cet état de choses. Au temps d'Esdras, on voit
figurer des Béerotites parmi les exilés qui revinrent avec Zorobabel.
Béeroth existe encore sous le nom à."1 El Bireh ; on y voit des sources
et les ruines d'un antique réservoir. C'est la première étape sur la
route de Jérusalem à Naplouse. C'est là 'que Marie se serait aperçue
de l'absence de l'enfant Jésus. Mais on ne sait pas si cette tradi-
tion, qui n'a en soi rien d'impossible, remonte au moyen âge. On
la voit paraître pour la première fois dans les récits des pèlerins du
seizième siècle.
BEETHOVEN (Louis van), né le 29 décembre 1770 à Bonn. Son père
et son grand-père, d'origine hollandaise, avaient été ténors de la cha-
pelle électorale. Beethoven avait cinq ans quand son père lui enseigna
les premiers principes de la musique. Quoiqu'il devint virtuose plus
tard, on dut tout d'abord contraindre de force l'enfant revèche et
obstiné à l'étude du piano qu'il détestait. Il eut successivement pour
maîtres un hauboïste et un organiste de la cour. L'organiste Neefe
initia de bonne heure son élève aux grandes compositions de Haendel
et de Bach pour lesquels il conserva un culte ardent jusqu'à la lin de
sa vie. A douze ans Beethoven jouait déjà le clavecin tempéré de Bach
sur un mouvement très-rapide et avait composé plusieurs variations,
chansons et sonates. En 1785 il fut nommé organiste par l'électeur
Mai Franz, mais il ne remplit ses fonctions que pendant fort peu de
temps. Ayant fait un voyage à Vienne dans l'hiver de 1780-87 pour
prendre des Leçons de Haydn, il y eut tant de succès comme pianiste et
comme compositeur) qu'il se décida à y rester au risque de perdre sa
pension. Ayant été présenté un soir à Mozart, il lui demanda la per-
mission d'improviser sur un thème donné, et le fit avec tant de fougue
158 BEETHOVEN
et de puissance que Mozart étonné s'écria : « Ce jeune homme fera par-
ler de lui ! » Déjà Beethoven se faisait remarquer par l'indépendance
de son caractère autant que par son génie impétueux qui le poussait à
franchir toutes les barrières. Il trouva cependant toujours des protec-
teurs fidèles et passionnés qui lui permirent de vivre avec une liberté
presque absolue. Parmi eux il faut compter surtout le prince et la prin-
cesse Lichnowski. Celle-ci lui pardonnait toutes ses brusqueries et ses
bourrades par affection et par respect pour son génie. A partir de ce
moment Beethoven fut toujours fixé à Vienne et aux environs, unique-
ment absorbé par le travail incessant de la composition. Les pensions
qu'il recevait de divers protecteurs le garantissaient à peine contre la
pauvreté; il dut souvent avoir recours à des expédients pour vivre. Son
plus grand malheur fut sa surdité, dont il ressentit les premiers symp-
tômes à l'âge de trente ans et qui alla toujours en augmentant. Elle le
rendit ombrageux et farouche et le condamna à une vie solitaire d'où
sortirent cependant ses plus beaux chefs-d'œuvre. Il ne se maria pas
et on ne lui connaît qu'une seule grande passion ; je veux parler de son
amour pour la comtesse Guicciardi qui lui préféra un compositeur de
ballets. Ses amis intimes furent Rochlitz et Schindler. En 1812 il
fit à Tœplitz la connaissance de Gœthe dont les œuvres lui inspiraient
une si grande admiration qu'il disait : « Ce Gœthe a tué Klopstock
pour moi. » Mais si Beethoven comprit le génie de Gœthe, comme le
prouvent son ouverture et ses intermèdes pour Egmont, l'auteur de
Faust ne comprit qu'à demi la grandeur du musicien. Outre tous les
soucis et ennuis qui lui pesaient d'habitude, les dernières années de
Beethoven furent obscurcies par les succès que le jeune Rossini obtint
à Vienne avec ses premiers opéras. Il passa la fin de sa vie dans une
assez grande retraite, entouré seulement d'un petit cercle d'amis, et
mourut d'une fluxion de poitrine suivie d'hydropisie, le 24 mars 1827,
pendant un violent orage. Il avait 56 ans. — Beethoven est aujourd'hui
presque universellement reconnu non-seulement comme le plus grand
des symphonistes, mais encore comme le génie musical le plus vaste et
le plus complet que l'humanité ait produit. S'il a passé auprès de ses
contemporains pour un compositeur subjectif et capricieux, sa renom-
mée grandissante l'a proclamé le Shakespeare de la musique. La musi-
que instrumentale est son domaine propre, et il excelle surtout dans
le pathétique et le sublime, mais la variété de ses œuvres le montre
également capable d'exprimer tous les côtés de la nature et tous les
sentiments humains. Ses œuvres sont trop universellement connues
pour être énumérées ici. Qu'il nous suffise de rappeler en quoi Beethoven
peut être considéré comme un compositeur religieux. Il n'a guère fait
que trois œuvres qui rentrent à proprement parler dans ce genre :
1° le Christ au mont des Oliviers, oratorio (1800) ; 2° une messe (1810) ;
3° sagrande messe, Missa solemnis (1818-1819) qui fut comme une sorte de
préparation à la neuvième symphonie. Cette dernière, la grande sym-
phonie avec chœurs, ne rentre dans aucun genre déterminé, dans aucun
cadre reçu. Par l'idée comme par la forme, elle nous apparaît comme
le couronnement de son œuvre entière. Après avoir traversé dans les
BEETHOVEN — BÉGUARDS 159
trois premiers morceaux toutes les formes delà musique instrumentale
qui symbolisent ici la lutte de lvhomme contre la destinée, il l'ait en-
tonner à ses choMirs l' Hymne à la Joie de Schiller, qui affirme par un
élan sublime la toi de l'homme en Dieu et la fraternité de tous les êtres
dans ce sentiment enthousiaste. Si l'on a dit du Faust de Gœtlie qu'il
est une sorte d'évangile mondain, on peut dire de la neuvième sym-
phonie de Beethoven qu'elle est un culte de l'Eglise universelle affran-
chie de tout dogme particulier, de toute limite confessionnelle. Beetho-
ven n'est plus protestant à vrai dire, il est le plus humain et le plus
universel des musiciens. Mais par l'esprit comme par la forme, son
œuvre, d'un caractère essentiellement laïque et indépendant, n'en est
pas moins le fruit de la Réforme et de la libre conscience. A ce point
de vue, il a donné le dernier mot du grand développement de la musi-
que religieuse en Allemagne, développement qui commence parles
cantiques de Luther, se continue par Haendel et Bach et s'achève en
Beethoven. E. Schuré.
BÉGUARDS et BÉGUINES {beggehart , beghardi, beginhardi, beguini,
appelés aussi en France boni pueri; beghinœ, beguime, begultx, c'est-à-
dire « beiGott » ou bigotes, pau.peres so?*o?'es ; leur domicile : oratorium,
gotteshus. et à partir du quinzième siècle beguinagium). A la lin du
douzième et dans les premières années du treizième siècle, apparurent
dans les Pays-Bas des associations à la fois religieuses et laïques
d'hommes et de femmes; elles se répandirent rapidement dans les
autres pays en vertu de l'importance sociale qu'elles avaient à une épo-
que où les croisades, s'ajoutant aux guerres continuelles et aux autres
maux dont soutirait le peuple, avaient augmenté la misère générale.
La première maison de béguines qui soit mentionnée est celle fondée
à Liège vers 1180 par le prêtre Lambert dit le Bègue (dont on a voulu
.'(•trouver le surnom dans le mot ((béguine», tandis que d'autres ont fait
dériver ce mot de sainte Begge, fille de Pépin de Landen, créatrice pré-
sumée de l'institution des béguines dès le septième siècle) ; lapins an-
cienne maison de béguards connue est celle de Louvain (1220). C'étaient
des établissements de charité ouverts par l'initiative privée ou par ordre
du magistrat aux personnes dénuées de ressources, qui désiraient
passer le reste de leurs jours dans le silence et la sécurité d'une re-
traite religieuse et se livrer à la vie contemplative, sans se soumettre à
la règle sévère des couvents. De là vient le nom de mendiants et de
mendiantes que les membres de ces associations ont continué à porter
dans la bouche du peuple, quand même ils eurent cessé de vivre ex-
clusivement d'aumônes depuis leur admission dans une maison spé-
ciale (Du Gange, (iïossai?*e,et Littré, Dictionn., font dériver béguard et
béguine d'une racine beggen, mendier, (pie l'on retrouve en anglais :
:■. abeggarj; artisans pour la plupart, les béguards demandaient
leur subsistance au travail, tout en acceptant les dons de la charité
populaire; les béguines s'oecupaient dans leurs maisons de travaux de
femmes e1 d'exercices de piété; parfois aussi elles allaient soigner les
malades dans les familles. Bien que soumis à une règle commune et
dépendant d'une direction librement élue, les membres de ces asso-
160 BEGUARDS
dations ne prononçaient pas de vœux perpétuels; ils continuaient à
gérer leurs affaires, pouvaient quitter la communauté et contracter
mariage, et, à leur mort, avaient le droit de disposer par testament
d'une partie de leur fortune, sinon de leur fortune entière. Ils jouis-
saient des bienfaits de la vie monastique, sans cesser d'être laïques.
Dans la plupart des grandes villes, il se forma en outre des béguinages
de dames nobles, en possession de la même indépendance que les
maisons des béguines pauvres. Les progrès de ces associations éveil-
lèrent la jalousie du clergé tant régulier que séculier, dont les revenus
avaient sensiblement diminué par suite de la faveur dont les béguards
et les béguines jouissaient auprès du peuple. Le concile de Latran
(1215) avait décidé qu'aucun ordre nouveau n'obtiendrait plus l'ap-
probation pontificale; on accusa les béguards et les béguines d'appar-
tenir à des congrégations non reconnues par l'Eglise. En outre, les
reproches de paresse et de mauvaises mœurs commencèrent à s'élever
contre eux depuis le milieu du treizième siècle. Le déclin de ces
corporations religieuses fut hâté par les rapports que certains de
leurs membres eurent avec les sectes hérétiques de leur époque, par
suite de la liberté de leur genre de vie. Leurs noms servirent bientôt à
désigner des hérétiques de toute espèce, les fratricelles, les partisans
de Gérard Segarelli, et surtout les Frères et les Sœurs du Libre Esprit
dont ils partagèrent le sort (voy. cet article). A côté des béguards
et des béguines qui subirent l'influence de l'hérésie, il y en eut
cependant un grand nombre qui restèrent orthodoxes, et qui furent
souvent confondus avec ceux-ci et enveloppés avec eux dans une
même condamnation. Pour sauver leur existence, les diverses as-
sociations furent obligées l'une après l'autre de sacrifier leur auto-
nomie et de se soumettre à la direction des moines mendiants en
acceptant la troisième règle de l'un de ces ordres. A l'exemple de
leurs directeurs spirituels, les béguards et les béguines se livrèrent de
plus en plus à la mendicité et au vagabondage, ils traversaient les rues
et les places publiques en criant : « Du pain, au nom de Dieu! » La
persécution et leur absorption progressive par le clergé régulier firent
que ces associations disparurent au bout d'un certain temps en France
et en Allemagne. Au milieu du quinzième siècle, il se forma dans les
Pays-Bas la Cong égation des béguards de la troisième règle de Saint-Fran-
çois ou Congréqation de Zipperen, car elle était dirigée par une assem-
blée annuelle réunie dans cette ville. Au dix-septième siècle, Inno-
cent X réunit cette congrégation, qui ne comptait plus que peu de
membres, aux tertiaires franciscains de Lombardie. Ainsi disparurent
les béguards. Quant aux béguines, elles se maintinrent en Belgique jus-
qu'à nos jours, sans que rien ne rappelât plus dans leur vie leur
ancienne autonomie religieuse. — Voyez Mosheim , De Begliardis
et Beguinabus commentarius , Leipz. , 1790; Hallmann , Die Gesch.
des (T"sprungs der belgischen Begbinen, Berl.,1843; Ch. Schmidt,
Die Strassb. Begmenhœuser im Mittelalter , dans YAlsatia, 1859; et
mon Hist. du panthéisme populaire, etc., Paris, 1875, p. 42 ss.
A. JUNDT.
BEKKBR — BELGIQUE ici
BEKKER (Balthazar), né en 1634, dans la Frise, cartésien, docteur en
théologie et pasteur à Amsterdam (1679). L'apparition d'une comète
avant répandu l'effroi, il publia, en même temps que Bayle, un écrit,
Recherches sur fes pronostics des comètes, 1()82, dans lequel il soutint
que ces astres ne sont pas des présages de malheur. Dans un autre ou-
vrage, qui souleva de très-vifs débats, De belooverde Weereld, 1091, il
s'attaqua aux superstitions démonologiques; car'on fait trop d'honneur
au diable en lui attribuant des miracles ; « s'il est un dieu, qu'il sedé-
fende lui-même et s'en prenne à moi ». En tant qu'esprit, le diable ne
peut, selon la philosophie, exercer une action sur les corps, et selon
l'Evangile, il a été précipité au fond de l'abime et chargé de chaînes. Il
ne faut donc pas prendre à la lettre ce que la Bible dit. des bons et des
mauvais anges; la tentation de Jésus se passa dans son imagination;
quand il guérissait les possédés, il parlait comme s'il eût chassé des
démons. Le « lion rugissant » (I Pierre Y, 8), c'est Néron. La Bible a
pour but la gloire de Dieu, notre salut, et non l'enseignement des
choses naturelles ; en d'autres termes, c'est un livre non pas scientifi-
que, mais pratique, religieux. Destitué par le synode, Bekker se retira
dans la Frise, où il publia les deux dernières parties de son livre et
mourut en 1698. Cet ouvrage fut traduit en français sous les yeux de
l'auteur, le Monde enchanté, 1694 ; en italien ; en espagnol ; en alle-
mand, 1781, avec notes de Semler et Schwager (voy. Schrœckh,
Neuere Kirch. Gesch., VIII, p. 713 ss.). A. Matter.
BEL. Voyez Baal.
BELGIQUE (Histoire religieuse). On ignore l'époque précise de l'intro-
duction du christianisme en Belgique. Au temps de Constantin déjà les
deux provinces qui portaient ce nom ne comptaient pas moins de
quatorze évèchés. Parmi les missionnaires célèbres qu'elles pro-
duisirent sous les Mérovingiens, nous citerons saint Amand,
T apôtre de la Flandre, saint Aubert, évoque de Cambrai et d'Arras,
saint Eloi, évêque de Tournay, saint Lambert, évèque de Liège, saint
Hubert, l'apôtre des Ardennes. Le grand nombre et les change-
ments fréquents des souverains, l'esprit mondain et guerrier de beau-
coup d'évèques, en particulier de ceux de Liège, la prospérité indus-
trielle et commerciale des Ailles libres flamandes n'étaient guère
favorables au développement de la moralité et de la piété. Tandis que les
chroniqueurs du moyen-àge sont unanimes à constater la corruption des
mœurs dans ces contrées, l'éclosion de sectes nombreuses atteste la dé-
cadence précoce de L'Eglise et son peu d'action sur les masses. C'est
dans les villes de Flandre que naissent et se propagent avec une mer-
veilleuse rapidité les corporations des béguards et des béguines, les
associations des lollards et des frères de la vie commune. Un double
courant, celui des mystiques et celui des humanistes, y prépare la voie
à la Réforme : Ruysbrœck et Frasme ébranlent, chacun à sa manière,
l'autorité de L'Eglise romaine. — C'est dans le couvent des augustins
d'Anvers que nous découvrons les premières traces d'une adhésion à
l'œuvre du réformateur de Wittemberg. A sa tète se trouvait le prieur
Jacob Spreng [Jacobus Prœpositus), duquel Frasme écrivit à Luther,
n. 11
162 BELGIQUE
le 30 mai 1519 (Ep. 427) : « vir pure christianus, qui pâme solus Chris-
tumprœdicat. » Amené prisonnier à Bruxelles en 1521, il fut obligé de
se rétracter, mais n'en prêcha pas moins la Réforme à Bruges, fut repris
et réussit à s'enfuir auprès de Luther qui le fit nommer pasteur à
Brème. Malgré la condamnation solennelle des nouvelles doctrines par
les théologiens de Louvain, le 7 novembre 1519, la Réforme fut
accueillie avec empressement dans les villes éclairées et actives de la
Flandre et du Brabant. Pour enrayer le mouvement, Charles-Quint
publia un édit, daté de Worms le 8 mai 1521, contre ceux qui propa-
geaient des écrits hérétiques. Grapheus, secrétaire municipal d'Anvers,
fut jeté en prison à Bruxelles en 1522, à cause de la préface qu'il avait
jointe à sa traduction du traité de Jean de Gochsur/a liberté chrétienne:
il fut condamné à la rétractation, à la confiscation de ses biens, à la
déposition et à l'exil. Le couvent des augustins d'Anvers fut détruit
en octobre 1522, et deux moines augustins, Henri Yœs et Jean Esch,
furent brûlés à Bruxelles, le 1er juillet 1523. De nouveaux édits rendus
à Matines en 1526, à Bruxelles en 1529, 1531, 1535, 1540, 1544, 1546,
enjoignaient d'infliger les peines les plus sévères à ceux qui tenaient
des conventicules, qui traduisaient ou répandaient des livres de la
Bible ou d'autres ouvrages hérétiques, qui hébergeaient des moines ou
des nonnes fugitives ou favorisaient leur évasion. Les relaps de-
vaient « estre exécutés par le feu, et les autres, à sçavoir les hommes
par l'espée, et les femmes par la fosse » . Mais ces édits ne furent pas
dès l'abord exécutés avec rigueur. La gouvernante Marguerite de
Savoie n'était rien moins que fanatique; elle engagea les prêtres à
écrire contre Luther (Interrogavit ipsa : quisnam est iste Lutherus? In-
doctus est, inquiunt, monachus. Respondit ipsa : Scribite multi docti
contra unum indoctum, tune totus mundus plus credet multis doctis,
quam uni indocto. Seckendorf, Comm. de Lutheran., I, 129), ordonna
(22 septembre 1525) aux municipalités de surveiller les prédicateurs
et les instituteurs afin qu'ils ne nuisent pas à l'Eglise par les fables
ineptes qu'ils débitent et par leur conduite immorale. A Marguerite
de Savoie succéda en 1530 Marie de Hongrie, la sœur de Charles-
Quint, soupçonnée d'être secrètement favorable à la Réforme. Le pape
Paul 111 l'en accusa formellement en 1539 auprès de son frère, quœ
clandestine factioni Luther anse faveat, eamque efferat, submissisque homi-
nibus causam catholicam déprimât, atque optime ab administris cœsareis
■conslituta impediat. De plus, l'exécution de ces édits étant confiée aux
soins des autorités provinciales et municipales, et celles-ci n'étant nul-
lement disposées à se soumettre aux exigences de la faculté de théologie
de Louvain, qui avait dressé un long catalogue des écrits réputés héré-
tiques, ces derniers purent se répandre en toute liberté. — Ce qui com-
promit le plus gravement les progrès de la Réforme en Belgique et l'em-
pêcha de s'y consolider, ce furent les excès commis par des sectaires
fanatiques, la fureur iconoclaste des anabaptistes, les doctrines extra-
vagantes des frères du Libre-Esprit. Une ordonnance de Charles-Quint
du 29 avril 1550 porte que l'inquisition serait introduite dans les Pays-
Bas et y fonctionnerait d'après le mode adopté en Espagne. Sur le refus
BELGIQUE 163
«les municipalités d'exécuter cette ordonnance, Marie la fait renouveler le
Sfô septembre suivante! réussit à lu luire adopter grâce à la suppression
du mot d'inquisition, la procédure d'ailleurs restant identiquement la
même. En réalité, ces mesures ne purent être exécutées que sous Phi-
KppeII,que les instigations de Granvelle, évêque d'Arras, avaient mal
disposé contre les Pays-Bas. Treize nouveaux évêchés furent érigés
pour rendre la surveillance ecclésiastique plus facile (1559). Des pro-
testations unanimes accueillirent ces décrets. En même temps les
réformés adressèrent au roi une confession, destinée à lui donner meil-
leure opinion d'eux et de leur croyance. LaConfessio belgica fut rédigée
«mi 1559 par le prédicateur wallon Guido de Bres, communiquée à un
grand nombre de théologiens dans les Pays-Bas et à l'étranger, envoyée
à Philippe II en 1502, approuvée en 1566 par le synode d'Anvers, signée
en 1571 par les pasteurs présents au synode d'Emden et confirmée
en 1620 par celui de Dordrecht. Il en existe deux recensions, Tune,
plus courte, qui fut aussitôt traduite dans plusieurs langues et qui re-
çut la sanction officielle; l'autre, plus étendue, qui sans doute repro-
duit le projet primitif et qui a été admise clans le Corpus et Syntagma
de 1612, et éditée à nouveau, avec certaines variantes, par FestusHom-
mius, en 1618, dans son Spécimen controversiamim belgicarum, seu
eonfessto ecclesiarum reform. inBelgi'o, etc. Les deux éditions ont d'ail-
leurs le même nombre d'articles et ne diffèrent l'une de l'autre que
sur des points secondaires. Elles portent toutes deux l'empreinte de la
théologie calviniste, adoptée de préférence par les protestants des
Pays-Bas, à cause de leurs fréquentes relations avec leurs coreligion-
naires de France, et plus conforme d'ailleurs à leur génie national. —
Nous n'avons pas à raconter ici les diverses phases du soulèvement
des Pays-Bas, amené par le régime de terreur que le duc d'Albe imposa
au pays, à partir de l'année 1567. Lorsque, par suite du traité d'Arras
conclu par l'habileté d'Alexandre de Parme (17 mai 1579), les provin-
ces du Sud séparèrent leur cause de celles du Nord pour se réconcilier
avec l'Espagne, la Belgique devint le théâtre d'une réaction catholique
violente. Ceux des protestants qui n'avaient pas péri sur les bûchers ou
sur les champs de bataille prirent le chemin de l'exil. Les jésuites,
d'abord établis à Saint-Omer et à Douai, se répandirent dans tout le
pays et le fanatisèrent. Pourtant, au dix-septième siècle, Baïus et Jan-
iis illustrèrent l'université de Louvain et s'efforcèrent de réagir
contre le semi-pélagianisme de l'Eglise catholique et le relâchement
il qui en était la conséquence, et, dans le domaine de l'érudition,
bollandistes jetèrent un certain éclat sur Anvers. L'édit de tolérance,
publié le 13 o< tobfe 1781 par Joseph il, introduisit le mariage civil en
Belgique, décréta la suppression des ordres monastiques et des sémi-
naires épiscopaux, défendit les pèlerinages et d'autres abus. Le peuple,
excité par les jésuites se souleva, et il fallut la politique prudente de
Léopold II, qui rétablit l'ancien ordre <\<^ choses, pour empêcher la
Belgique éparer de la maison d'Autriche. La Révolution l'ran-
■ tit ce que n'avait pu accomplir la passion cléricale. Réunie à la
ace républicaine en 171>:>, ù la Hollande protestante et monarchique
164 BELGIQUE
en 1815, la Belgique recouvra son indépendance à la suite de la Bévo-
L ut ion de 1830, grâce aux efforts combinés des catholiques et des libé-
raux, qui ne se coalisèrent un instant que pour se diviser tout aussitôt
de nouveau et commencer une lutte qui forme presque toute l'histoire
du pays dans les quarante dernières années. Nulle part le catholicisme
ne s'est montré plus entreprenant, nulle part aussi il ne se heurte à des
haines plus violentes. — Sources : Dufau, La Belgique chrétienne,
Liège, 1847 ; Heliferiçh, Jklgien in polit, u. kirchl. fieziehitng,
Pforzh., 1848, et les ouvrages indiqués dans la Iieal-Encykl. de Her-
zog, II, p. 10, ainsi que les documents cités par Gieseler, Kirchengesch.,
III, p. 551. 11 n'existe pas du reste, jusqu'à ce jour, une seule mo-
nographie sur l'histoire religieuse de la Belgique.
F. LlCHTENBERGER.
BELGIQUE (Statistique ecclésiastique). Officiellement, la Belgique
appartient presque entière à la religion catholique. Les adhérents
d'autres cultes ne forment qu'une intime minorité. Mais, en fait, peu
de pays sont aussi divisés au point de vue religieux. La population
totale de la Belgique était en 1874 de 5,336,634 habitants. Les recen-
sements officiels ne contiennent pas d'indications relatives aux cultes;
on évalue le nombre des protestants à 13 ou 15,000, celui des israélites
à 1,500 ou 3,000. L'énorme majorité delà population est donc catholi-
que. La constitution garantit la liberté de tous les cultes ; elle assure
aux principaux d'entre eux une subvention de l'Etat; mais elle laisse
à toutes les Eglises la liberté de s'organiser et de se gouverner comme
elles l'entendent. Il faut donc étudier chacune d'elles en particulier.
— 1. Catholiques. Le chef de la hiérarchie dans le royaume est l'arche-
vêque de Malines (12 mai 1559) ; ses sufîragants sont les deux évoques
hollandais d'Amsterdam et de Bois-le-Duc et les cinq évoques belges de
Liège (720), de Namur (1559), de Tournay (1146), de Gand (12 mai
1559) et cfe Bruges (1559). Les sièges d'Anvers et d'Ypres ont été sup-
primés en 1801. Quelques paroisses du Hainaut ressortissent au diocèse
français de Cambrai. L'archevêque est assisté de 3 vicaires généraux ;
chaque évêque a 2 grands-vicaires. Un chapitre de chanoines est
joint à chaque cathédrale ; celui de Malines se compose de 12 cha-
noines ; les cinq autres en ont chacun 8. Les diocèses sont divisés en
doyennés au nombre de 185 pour tout le royaume. La subvention de
l'Etat à l'Eglise catholique figurait au dernier budget pour 4,568,200 fr. ,
soit environ 1 franc par tête d'habitant. Des biens d'Eglise assez
considérables augmentent considérablement ces ressources. Les traite-
ments de l'Etat sont de 21,000 francs pour l'archevêque de Malines, de
46,000 pour les évêques, de 2,000 pour les chanoines, de 6 à 800 pour
Je clergé inférieur. L'Eglise a profité de la liberté de l'enseignement
supérieur pour fonder à Malines en 1834 une université transférée à
Louvain l'année suivante. Elle compte plus d'élèves à elle seule que les
trois autres universités belges, celles de Liège et de Gand entretenues
par l'Etat, et celle de Bruxelles fondée par les libéraux. Les cou-
vents sont très-nombreux en Belgique, et leur accroissement a surtout
été rapide depuis quelques années. En 1839 il y en avait 333, dont
BELGIQUE - BELLARMIN ir>5
12 d'hommes et 29i de femmes^ en 1874 on en comptait 993, dont
143 d'hommes et 848de femmes. — 2. Protestants'. Au commencement
du siècle, le protestantisme n'était représenté en Belgique que par
'i communautés réformées,! èri Flatidreet 3 dans le Haînaut. Plusieurs
autres turent fondées sous la domination des Français et des Hollan-
dais, et depuis lors l'accroissement est lent; niais continu. Les pro-
testants belges se rattachent aujourd'hui à trois groupes principaux.
L'Union des Eglises protestantes évangéliques, formée en 1838 et
reconnue par l'Etat, «se compose de 12 paroisses environ. Chacune
d'elles a un conseil presbytéral présidé par le pasteur. Toutes ensem-
ble forment un synode qui se réunit tous les ans à Bruxelles; il se
compose de tous les pasteurs et de délégués de chaque paroisse. La
part de l'Union dans le budget des cultes est de 69,336 francs. Les
Eglises libres de Belgique sont au nombre crime vingtaine. Elles sont
généralement composées de catholiques convertis parles soins de la So-
ciété' évangélique belge. Les éléments baptistes y dominent. L'Eglise
épiseopale d'Angleterre entretient en Belgique 8 chapelles dépendantes
de l'évêque de Londres,:} sont à Bruxelles, les 5 autres à Anvers, Bruges,
Ostende, Spa et Gand. — :j. Les israélites touchent 11,220 francs au
budget. Ils ont une synagogue centrale à Bruxelles, et 5 synagogues
à Anvers, (.and, Liège, Arlon et Namur. — Bibliographie : Ahhanach
royal officiel de Bulgique, 1870; Annuaire statistique de la IJelgique,
1876; Tarlier : Dictionnaire des communes de Belgique, 1877; Atmanach
de Gotha, 1877; Martin, The Statesmaas Year Book, 1877.
E. Vaucher.
BÉLIAL. nom donné à Satan (2 Cor. VI, 15) et dérivé du mot hébreu
beliaal (-zrrtziz, le mal ou le malin). Dans l'idiome hellénistique le
changement du "a en p est fréquent : de là BeXta? au lieu de BeXweX.
Ce mot est fréquemment employé dans les pseudépigraphes du Nou-
veau Testament, les canons apostoliques et les Pères de l'Eglise.
BELLARMIN. Le cardinal Bellarmin est connu des personnes mêmes
qui ne s'occupent pas de questions théologiques, comme un des cham-
pions les plus savants et les plus déterminés de l'ultramontanisme ;
peu de catholiques ont déployé autant d'érudition et de sagacité pour
combattre, non-seulement les doctrines protestantes, mais tout système
politique qui n'admet pas la suprématie du siège de Borne. Né le
ï octobre 1542, a Montepulciano en Toscane, il reçut les noms de llo-
François-Romulus ; son père, Vincent Bellarmino, appartenait à
une ancienne famille noble ; sa mère était une sieur de ce cardinal
.Marcel On in. cjui, en 1555, occupa pendant quelques jours, sous le
nom de Marcel II, le trône pontifical. Il fut envoyé à l'université de
Padoue pour >.• vouer au droit; mais, poussé par ses besoins religieux,
il se lit recevoir en L560 dans la Compagnie de Jésus. Au collège de l'or-
dre à Rome il étudia les humanités ; pour la théologie il revint à Pa-
do le. En 1589 le général le lit partir pour Louvain ; là, après avoir été
consacré prêtre en 1570, à Gand, il expliqua la Somme de Thomas
d'Afjuin; il lui le premier professeur jésuite de cette université. En
même temps il apprit assez, d'hébreu pour pouvoir renseigner lui-
16Ô BELLARMIN
même et pour publier une grammaire. Pendant les troubles des Pays-
Bas il trouva un asile à Douai. Bientôt après Grégoire XIII le chargea
de faire, clans le Collège romain nouvellement fondé, des leçons sur
les controverses du temps. Habile dans la discussion, versé dans les
Pères, méthodique, il était mieux préparé que d'autres à traiter, au
point de vue de son Eglise, les questions débattues entre les catholi-
ques et les protestants. En 1581 il commença, sur Tordre de son géné-
ral, la publication d'un grand ouvrage sous le titre de Disputationes de
controversiis fîdei, adversus hujvs temporis hœretices^ dont le troisième vo-
lume parut en 1593 (Ingolstadt, in-f°). C'est la substance des cours qu'il
avait faits à Rome pendant douze ans. Personne depuis les scolastiques
n'avait exposé les doctrines romaines d'une manière plus complète et
plus définitive. Sur chaque point Bellarmin donne les objections des
adversaires, et il les donne si exactement qu'on lui a reproché d'éveil-
ler parla des doutes chez les lecteurs catholiques. L'ouvrage provoqua
des réfutations non moins éruclitesdela part de théologiens protestants.
En 1589 Bellarmin accompagna en France un légat envoyé par Sixte-
Quint auprès de la Ligue: il était chargé de discuter avec les réformés
si l'occasion s'en était présentée. Après dix mois il revint à Rome. En
1599 Clément VIII le créa cardinal ; en 1602 il obtint l'évêché de Pa-
doue ; il ne négligea rien pour rétablir la discipline dans son diocèse
et pour remédier à quelques abus. Comme Paul V, élu en 1605, le re-
tint auprès de lui, il renonça à son évêché, donnant ainsi un exemple
aux prélats qui se dispensaient du devoir de la résidence. Vers cette
époque les és7énements qui se passaient à Venise, où le gouvernement
était en conflit avec le saint-siége, et en Angleterre, où le roi Jacques
prenait des mesures rigoureuses contre les catholiques, engagèrent Bel-
larmin à prendre la défense du pouvoir pontifical. Contre les Vénitiens
et leur défenseur Paul Sarpi, il publia en 1606 trois traités successifs ;
contre les Anglais il écrivit son livre De Potestate Summi Pontificis in ré-
bus tempora liùu s (Rome, 1610, défendu à Paris par ordre du parlement).
Dans ces écrits, ainsi que dans plusieurs parties de ses Disputationes,
notamment dans celle De Summo Ponfifice capite totius militantn Ec-
clesiœ, il développe la théorie que Dieu a institué le pape comme chef
unique et souverain de l'Eglise, que ce chef a la plénitude de la puis-
sance spirituelle, qu'il ne peut pas errer, qu'il juge tout le monde et
que personne n'a le droit de le juger, que par conséquent il lui revient
aussi une grande part dans le gouvernement temporel des peuples et
qu'il doit empêcher les princes d'user de leur pouvoir contre lEglise.
11 est à remarquer toutefois que Bellarmin est loin d'attribuer au pape
cette suprématie directe et absolue sur les princes clans les choses sé-
culières, qui avait été le rêve de quelques canonistes du moyen âge et
qui était la prétention de tous les évoques de Rome. Aussi Sixte-Quint
avait-il été peu satisfait en le voyant apporter une restriction à son om-
nipotence, tandis qu'en France on trouvait qu'il allait encore beau-
coup trop loin. Après avoir occupé dans ses dernières années l'évêché
de sa ville natale, il se retira à Rome dans un collège de son ordre, où
il mourut le 27 septembre 1621. — Ses œuvres complètes parurent à
BELLARMIN — BELLTNI 167
Cologne (1619, 7 vol. in-f°.) Outre ceux de ses écrits que nous avons
mentionnés, il faut citer encore : son Liber de scriptoribus ecclesiasticis
(Rome, 1613, in-4°), catalogue, sans critique, des écrivains ecclésias-
tiques jusqu'en 1500; son Explicatio doctrinae christ ian<v, un des ca-
téchismes romains les plus répandus, publié d'abord en italien (Home,
L603, in-V't el traduit en plusieurs langues, même en arabe; un Com-
mentaire sur les Psaumes (Rome, 1611, in-i°,et souvent) ; une Admoni-
tio ad episcopum Theanensem, ncpotem suum (Paris, 1618, in-12), où
Ton voit quelle haute idée il se faisait des devoirs d'un évoque; enfin un
recueil de lettres (Home, 1650). Les ouvrages qu'on a publiés pour le
réfuter sont trop nombreux, pour être cités ici ; comme on le considé-
rait avec raison comme le défenseur le plus autorisé du catholicisme
orthodoxe, on écrivait encore des Antibellarmin bien longtemps après
sa mort. Oh. Schmid.t.
BELLEY (Ain) [Bellicium, quelquefois Belisma], évêché suffragant
de Besançon . Les auteurs racontent que Nyons (Colonia Fquestris, Ni-
vidunum) avait eu des évêques, et que le siège établi en cette ville fut
transféré au cinquième siècle à Belley ; néanmoins l'évêché n'est connu
avec certitude que depuis 555. L'évêque de Belley, qui avait le gouver-
nement de la ville, était prince de l'empire. L'église cathédrale, dé-
diée à saint Jean-Baptiste, possède des reliques de ce saint. — Voy. Gui-
chenon, Hist. de Bresse et de Bugey, Lyon, 1650, in-fol. ; Depéry,
ffist. hagiol. de Belley, 3 vol., Bourg, 1841-45; Hauréau , G allia
Christ.. XV.
BELLINI (Giovanni) [1426-1516], chef de l'école vénitienne, porta la
peinture religieuse à un singulier degré de noblesse et de grandeur.
Formé par son père, stimulé par l'exemple de son frère Gentile, pein-
tre distingué lui-même, Giovanni Bellini a donné à ses christs, à ses
madones, à ses saints un caractère d'auguste sérénité qu'ils n'avaient
pas atteint avant lui. Un des premiers il adopta la peinture à l'huile,
récemment introduite de la Flandre en Italie par les frères Van Eyck.
Les œuvres de Bellini ne se distinguent ni par la profondeur de la
pensée, ni par l'inspiration poétique, ni par la richesse ou la variété
de la composition : ce qu'on admire en elles, c'est une sorte de gran-
deur sublime, tempérée dans ses madones et ses anges par une dou-
ceur et une -race presque vaporeuses, un coloris chaud, des tons ad-
mirablemenl fondus, comme ceux qu'offre le paysage des lagunes,
illuminé par un soleil radieux et déroulant les scènes tranquilles et
sereines d'une population habituée à l'éclat et à la pompe des cos-
tumes el qui semble être toujours en fête. Bellini, dans ses types, ne
reproduil ni l'angoisse de la souffrance ; ni l'extase de la félicité cé-
leste, mais I expression d'un bonheur calme que rien ne viendra trou-
bler, parce qu'il a sa source dans l'absence de passions. Jamais peut-
être I déal el le réel ne se sont autant rapprochés et fondus. Ce que
l'on peul regretter, c'est un certain manque de mouvement dans les
attitudes comme dans les physionomies, un cachet uniforme de so-
lennité aristocratique, quj interdit aux pensées et aux sentiments de
I àme de venir se refléter d'une manière trop vive sur le visage. Il
168 BELL1NI — BELSUNCE
y a trop de majesté officielle et pas assez d'émotion intime dans ces
expressions si placides et si reposées. Ajoutons que le peintre excelle à
construire les groupes avec une symétrie parfaite qui n'exclut point
l'aisance et le naturel. Parmi les chefs-d'œuvre de Bell in i, nous cite-
rons, au-dessus du maitre-autel de la sacristie de Sancta-Maria de1 Fra-
tri, à Venise, la Vierge sur son trône, entourée de saints et d'anges fai-
sant de la musique, et symbolisant ainsi, avec une rare éloquence,
l'accord harmonieux qui règne entre les divers personnages de ce
groupe ; un Christ enseignant, dans une attitude pleine de dignité et de
noblesse, à la galerie de Dresde ; une Madone, avec l'enfant Jésus, de-
bout et la bénissant, appuyé contre une balustrade, à l'Académie de
Venise ; un Saint Jérôme, absorbé dans sa lecture, dans un paysage
sauvage, au milieu de rochers aux tons chauds, avec saint Augustin à
sa droite, et saint Christophe portant l'enfant Jésus à sa gauche, dans
l'église de S. Giovanni Crisostomo, à Venise; Jésus soupant avec les dis-
ciples d'Emmaùs, dans l'église San Salvadore, etc. Giovanni Bellini fut
le maître du Titien et du Giorgione. F. Lichtenbergeii.
BÉLOUTCHISTAN (Statistique religieuse). On comprend sous le nom
de Béloutchistan le vaste territoire qui s'étend sur les bords de la mer
d'Oman, entre la Perse et l'Hindoustan. Le pays n'est, à vrai dire,
qu'une vaste steppe parcourue par les tribus nomades des Béloutchis
et des Brahonis. Quoique soumises nominalement au khan de Kélat,
ces hordes sont, de fait, à peu près indépendantes. La seule influence
qui pèse sur elles est celle de l'Angleterre, qui fait peu à peu du Bé-
loutchistan Pavant-garde de ses possessions indiennes contre la Rus-
sie. La population du pays est évaluée très-diversement : les chiffres
fournis par les voyageurs varient de 700,000 à 3,000,000; les plus
bas sont probablement les moins éloignés de la vérité. Toutes ces tri-
bus professent l'islamisme : c'est tout ce que l'on peut dire de leur
état religieux. — Behm et Wagner, Die Bevôlkeruny von der Erde, II,
1874; Dieterici, Mittheilungen de Gotha, 1859; Boss, Comptes i codas de
la Société royale de Géographie de Londres, t. XVI, 1871-72, etc.
BELSUNCE de Castel-Moron (Henri-François-Xavier de), né en 1671,
au château de La Force , entra chez les jésuites à l'âge de vingt ans.
Grand-vicaire d'Agen et évêque de Marseille en 1709, il ne sortit de la
Société de Jésus , dans un temps où la grande majorité de Fépiscopat
gallican lui était hostile, que pour mieux la protéger du dehors. Capa-
ble également d'abnégation héroïque et de rancune haineuse, il réunit
les caractères les plus opposés et pourtant les plus authentiqués de
l'ordre. II ne connut de charité que celle qui livre son corps : ce fut
un Borromée, moins la douceur. On connaît le zèle admirable avec
lequel il se dévoua à son troupeau pendant la peste qui désola Mar-
seille en 1720 et 1721. Il s'attacha à son Eglise en proportion de ce
qu'il avait fait pour elle et refusa Pévêché de Laon, duché-pairie, et
l'archevêché de Bordeaux, n'acceptant du pape que le pallium, et du
roi que le revenu, d'ailleurs considérable, des deux bénéfices. Mais
avant la fin de son long épiscopat, il avait fatigué son diocèse à force
de turbulence et indisposé ses plus sincères admirateurs. Le souvenir
BELSUNCE — BENEDICTION 169
<!(• son noble dévouement lui assurait une autorité dont ses anciens
confrères usèrent à leur gré pour troubler la paix de L'Eglise. Il ne
cessa de s'attaquer aux actes et aux écrits de Colbert, évêque de Mont-
pellier, qui était un des appelants de la bulle Unigenitus. Son intolé-
rance inquisitorîale imagina d'exiger des malades leur soumission à la
laineuse bulle avant de leur donner les sacrements, mesure qui causa
depuis tant de troubles. Aussi zélé en faveur des jésuites, pour les-
quels il fonda même un collège à Marseille, qu'emporté contre leurs
adversaires, il alla jusqu'à accuser faussement les oratoriens de cette
ville de l'avoir abandonnée pendant la peste. Belsunçe mourut en
1755. On a de lui un Abrogé de la ci', de Suzanne-Henriette de Foix,
sa tante (Agen. 1707. in-12), et un ouvrage intitulé : V Antiquité de
l'église de Marseille et la succession de ses éoèques (Marseille, 1747-51,
.'] vol. in-'t°). Ses nombreuses Instructions pastorales, publications de
controverse contre les jansénistes plutôt que d'édification, ont été re-
cueillies en 1822 par l'abbé Jautï'ret. P. Rouppet.
BENADAD [ Bcn-Hadad , uw* "ASep, lils du soleil], nom porté par
trois rois de Syrie. Adad est le nom sous lequel le soleil fut adoré chez
les Syriens. Ben adad, lils de Tabremon, vint au secours d'Asa, roi de
Juda, contre Baasa, roi d'Israël, entra sur les terres d'Israël et obligea
Baasa d'accourir dans son propre pays et d'abandonner Rama, qu'il
voulait fortifier (2 Cliron. XVI, 1 ss.). Son fils Benadad fut en guerre
avec Achab et Joram , rois d'Israël. Achab le battit et lui enleva tout
son bagage (1 Rois XX, 20 ss.). Quant à Joram, il fut d'abord vaincu,
et Benadad, campé devant Samarie, se croyait déjà sur de s'emparer
de cette ville, quand son armée fut dispersée par une terreur panique
(2 Rois VI, 2i; VII, 7 ss.). Il mourut l'année suivante, assassiné par
Hazaël , un de ses officiers; qui usurpa le trône. Benadad, fils de
Hazaël, fut battu trois fois par Joas, roi de Juda, qui le contraignit de
lui rendre tout le pays qui s'étend au delà du Jourdain, qu'Hazaël
avait pris sous les règnes précédents (2 Rois XIII; 2o ; Jérém. XLIX,
27; Amos I. V).
BENAJA. Voyez Banaias.
BENEDICITE (Mensx cimstcralfo), prière qui se fait avant le repas
pour bénir les mets qui sont sur la table, dette bénédiction est très-
ancienne Nous en trouvons une trace Deut;é. VIII, 10. Elle s'est con-
servée chez les juifs orthodoxes jusqu'à ni ..; jours. D'ordinaire, c'est
la personne la plus qualifiée qui donne la bénédiction ; puis, quand on
es! assis, on récite le psaume XXIII; le maître de la maison prend
ensuite un pain, le bénit et en donne un morceau à chacun. L'usage
de la cemecratio mensœ a passé de la Synagogue aux chrétiens et répond
à un senti me ni religieux naturel. C'est au père de famille que revient
cet office, <-t non pas « aux clercs préférablement aux laïques», comme
le veulent l'Eglise catholique et un certain cléricalisme protestant.
BÉNÉDICTINS (Ordre des). Voyez Henoît de Nursie.
BÉNÉDICTINES. Vont/ Scholaslique (Sainte).
BÉNÉDICTION. Le mot hébreu bàraq, que l'on traduit communé-
ment par bénir, a un sens très-étendu. Il signifie d'aberd tomber à
170 BENEDICTION
genoux, fléchir les genoux; puis, surtout au pluriel (béréq), implorer,
adorer et louer Dieu, et, par une extension naturelle, souhaiter à quel-
qu'un, implorer pour quelqu'un la faveur divine. D'après les Hébreux,
Dieu est la source inépuisable de toutes les bénédictions. Celui qu'il
bénit demeure béni éternellement (1 Ghron. VIII, 27); par contre, tout
effort, tout travail de l'homme est vain, si Dieu ne le bénit (Ps. CXXVII,
2; cf. Luc V, 5). Les bénédictions de Dieu sont temporelles (Gen.
XXXIX, 5; Exode XXIII, 25; Deut. XXVIII, 38; Ps. CXXXII, 15;
cf. Hébr. VI, 7) et spirituelles (Esaïe XIX, 24 ; XLIV, 3; cf. Eph. I, 3).
Elles sont le partage de celui qui craint Dieu (Ps. CXXYIII, 1, 3, 4;
CXV, 13; Ecclésiastique I, 19; cf. 1 Tim. IV, 8), qui se confie en lui
(Ps. XXXIX, 10; Jérém. XVII, 7), de l'homme juste et pieux (Ps. V, 13;
XXXVII, 26; CXII, 2 ; Prov. III, 33 ; XXVIII, 20 ; Jérém. XXXI, 23) ; de
celui qui ne se lasse pas d'implorer l'assistance divine (Gen. XXXII,
26 ss.; Osée XII, 5). De môme, Dieu bénit les pères pieux dans leurs
enfants (Prov. XIII, 22; Ps. CIII, 17; Ecclésiastique III, il), et fait
reposer une bénédiction sur la mémoire des justes (Prov. X, 7). Mais
la grandeur, la sagesse et l'inépuisable fécondité des bénédictions divines
se manifestent surtout dans le dessein qu'il a formé, de toute éternité,
pour le salut des hommes et dont il a préparé l'accomplissement dans
le temps. C'est clans ce but qu'il a plus particulièrement béni Adam et
Eve (Gen. I, 28; V, 2), Noé (Gen. IX, 1), Abraham (Gen. XII, 2;
XXIV, I, 35; Esaïe LI, 2; Hébr. VI, 14), Jacob (Gen. XXXV, 9;
XLVIII, 3), Joseph (Gen. XLIX, 25), ainsi que les principaux représentants
de l'ancienne alliance. Moïse, pour entretenir le souvenir de ces bienfaits
passés et futurs, ordonna que les prêtres, matin et soir, bénissent les
enfants d'Israël au moyen d'une formule que la Synagogue, et l'Eglise
chrétienne après elle, se sont appropriée (Nomb. VI, 24-27). Cette bé-
nédiction attachée à l'observation exacte et fidèle de la loi, Balaam la
rappela au peuple au moment de son entrée en Palestine, et Josué,
après la conquête, sur l'ordre de Jéhova, la grava dans sa mémoire dans
une cérémonie solennelle accomplie en face des monts Hébal et Garizim
(Jos. VIII, 33). Lespsalmistes et les prophètes ne cessent de la rappeler.
Ils soutiennent et consolent Israël dans ses épreuves par le souvenir des
promesses de l'Eternel et annoncent la venue de celui par lequel la
bénédiction d'Abraham sera répandue sur les païens (Gai. III, 14). En
Jésus-Christ, Dieu nous a abondamment bénis des biens spirituels les
plus variés (Eph. 1,3) ; le Sauveur lui-même bénit les enfants (MarcX,
16), ainsi que ses disciples, lors de son ascension (Luc XXIV, 50, 51).
A l'exemple des hommes pieux de l'Ancien Testament qui avaient
laissé leur bénédiction à leurs descendants (Gen. XXVII, 27 ; XLVIÏI,9;
Exode XXXIX, 43; Deut. XXXIII, 1 ss.;l Rois VIII, 14), il nous ordonne
de bénir tous les hommes, même nos ennemis (Matth. V, 44 ; Luc VI,
28; cf. Rom. XII,. 14 ; 1 Pierre III, 9). —L'Eglise chrétienne n'a pas su
comprendre et appliquer, dans sa spiritualité, la puissance de bénédic-
tion renfermée dans sa mission d'annoncer l'Evangile à toute créature.
Pour rappeler aux hommes que tous les biens de ce monde sont des
dons de Dieu, qu'il faut en faire un usage conforme à sa volonté, que
BENEDICTION 171
Dieu ne nous les accorde pas pour nous seuls (1 Tim. IV, Mi), et sous
le prétexte de combattre les erreurs des païens qui croyaient que toutes
Jcs parties de la nature étaient animées par des esprits ou des génies
tantôt bienfaisants, tantôt malfaisants, elle a multiplié les aetes et les
formules de bénédiction, en les attribuant comme un privilège exclusif
à la caste sacerdotale. C'est ainsi qu'elle a prescrit que les maisons,
les campagnes les fontaines, les rivières, les animaux, les aliments
tussent bénis par «les cérémonies particulières, de même que les per-
sonnes dans diverses circonstances de la vie, tels que les nouveaux
époux, les accouchées, les mourants, les abbés et les abbesses, etc. La
bénédiction, dans ces cas, tend à se confondre avec la consécration
(voy. cet article). En vertu de la même tendance, l'Eglise a ordonné
que tout ce qui a trait au culte divin fût béni : édifices, cimetières, croix,
images publiques, clocbes, habits sacerdotaux, linges, vases de l'autel,
huile, sel, pain, eau (voy. ces divers articles). On nomme bènèdiclion-
nairesles livres liturgiques qui contiennent l'énumération des formules
et des rites prescrits par l'Eglise pour tous les cas particuliers, avec des
instructions très-détaillées sur la manière de s'en servir. L'usage du
signe de la croix, invariablement employé dans les bénédictions, et
l'importance attachée à celles que donne un prêtre nouvellement con-
sacré suffiraient à eux seuls pour montrer combien la superstition a
exploité un domaine que Ton voulait arracher au pouvoir des sorciers
<-t des magiciens. Les bénédictionnaires règlentaussi la compétence des
divers membres de la hiérarchie ecclésiastique pour les rites en ques-
tion. C'est ainsi qu'ils statuent qu'il y a des bénédictions réservées aux
évèques seuls, comme le sacre des rois, la consécration des églises et
de- autels et toutes les bénédictions qui exigent l'emploi des saintes
huiles. Il en est de même de la bénédiction solennelle à la lin des
messes hautes : il n'y a que les évêques ou les abbés mitres qui puis-
sent la donner. De son côté, le pape s'est réservé le pouvoir de bénir
certains objets, tels (pie l'agneau pascal, la rose, la catholicité entière,
vvbi et orbi*9 toutes les personnes qui s'approchent de lui doivent de-
mander sa bénédiction. La benedictio pontificia ou apostolica a une
efficacité particulière en vue du pardon des péchés. Les évêques ne
peuvent la donner qu'en vertu d'une délégation expresse du pape.
Par un bref du :> septembre 1762, Clément XIÏI informa les évêques
du pouvoir qui peut leur être accordé, lorsqu'ils le demandent, de
deux, t'ois l'an, à l'issue d'une messe pontificale, la bénédic-
tion papale accompagnée d'une indulgence plénière pour les fidèles
qui -ont présents. Quant à la bénédiction ordinaire, l'évêque peut
la donner toujours, même in via ou itinerando, aux personnes qu'il
rencontre sur son chemin, dans toute rétendue de son diocèse. Les
o naires attachent une importance particulière à la béné-
diction fl" saint-sacrement^ qui doit toujours être donnée en silence,
pareeque, 'lui « e cas, ce n'est pas proprement l'évêque ou le prêtre qui
bénil le peuple, mais Jésus-Christ lui-même. L'oftfciani u'esl qu'un
pur instrument : c'esl pourquoi avant la bénédiction il récite une prière
déprécatoire, et. pendant qu'il bénit, il se tait entièrement, aussi bien
172 BENEDICTION — BENEFICES
que les chantres et les assistants, afin que l'attention ne soit point dis-
traite, mais qu'elle se porte uniquement sur l'objet, qui est le saint-
sacrement. Lorsque révoque donne cette bénédiction, il fait trois fois
un signe de croix avec l'ostensoir, tandis que le simple prêtre ne le
fait qu'une seule fois. — Les Eglises protestantes, supprimant tout cet
appareiLextérieur et ces distinctions subtiles, n'ont conservé, dans les
cérémonies du culte, que la bénédiction qui clôt le service religieux et
pour laquelle le ministre officiant se sert ou de la formule mosaïque
(Nomb. VI, 24) ou de telle autre formule empruntée aux salutations
apostoliques (1 Cor. I, 3; Gai. I, 3; Eph. I, 2; Col. 1, 2, etc.), et que la
communauté répète parfois en chantant. — Voyez Grégoire le Grand,
Sacrumentarium ; Ducange, Gtossarium ; Durandus, Rationale dwi-
noram officiorum ;-Dinkel, Du sens des bênédict. sacerdot. et ordin. dans
l'Egl. cat/iol.; Goschler, Dialoçj. famil. sur les cérêm. et les pratiq.
extér. de VEgl. catknl., trad. de l'allem., P., 1857; Wetzer u. Welte,
Kirchenlexîcim; Bergier, Diction, de théol.; Glaire, Diction, des sciences
ecclés., s. v. bénédictions. F. Lichtenbergek.
EÉNÉFICES ECCLÉSIASTIQUES. On appelle ainsi un revenu uni à une
charge ecclésiastique. Les bénélices étaient inconnus dans les premiers
siècles de l'Eglise chrétienne : les biens ecclésiastiques formaient alors
une masse commune, administrée souverainement par l'évoque (voyez
Biais ecclésiastique*). On répartit plus tard les revenus de ces biens
entre l'évêque, le clergé, l'église et les pauvres. Il était naturel alors
que l'on songeât à confier à un prêtre un immeuble de l'église, dont le
produit lui assurât sa part. D'abord défendue par le droit ecclésiastique
(c. 23, caus. XII, q. 2), cette affectation fut ensuite admise : on permit
aux évêques d'accorder aux prêtres la puissance temporaire des biens
de l'Eglise (c. (M, caus. XVI, q. 1; c. 32, 3o, 36, caus. XII, q. 2). Cette
concession s'appelait precaria (c. 11, caus. XVI, q. 3 et autres textes).
Ainsi s'établit l'usage de doter chaque église d'immeubles. La législa-
tion franque consacra cet usage et le rendit général; elle exigea qu'un
rnansus integer fût attribué à chaque église (Capitid. Caruli J/., lib. I,
cap. 83). Le rmnsus était une mesure agraire, de douze arpents; on
y joignit des esclaves et l'on déclara le mafisus ecclesiasticus libre
de toute charge. Nous rencontrons, à la même époque, l'expression :
lies ecclesiœ in beneficium relinere, Jiabere (C'apif. Cciroli 71/., lib. Y,
cap. 146). La féodalité s'imposa à l'Eglise, qui fut contrainte de
donner ses biens in beneficium. Les évêques tirent ces concessions
tantôt à des laïques, tantôt à des clercs. Telle est l'origine des
bénélices ecclésiastiques (voyez Ducange, h. v.). Ils furent régis par
une législation spéciale, que nous ne pouvons pas résumer ici. Bor-
nons-nous à en indiquer les points principaux. On divisa les bénélices
en deux classes : les séculiers, qui ne pouvaient être conférés qu'à des
clercs séculiers : papauté, patriarcat, archevêché, évêché, cardinalat,
abbayes séculières, églises paroissiales, canonicats, chapelles, etc. ; les
réguliers, alfectés aux clercs réguliers : les abbayes régulières, les
prieurés, les offices claustraux, etc. Ces derniers étaient contraires à la
règle qui voulait que les biens des moines fussent communs. Aussi
BÉNÉFICES ECCLÉSIASTIQUES 173
tout bénéfice était-il présumé séculier. Pour être nommé à un bénéfice,
il fallait remplir certaines conditions de gradèsel d'âge. On distinguait
les bénéfices sacerdotaux, qui, en vertu de la loi ou des actes de fou-
dation, ne pouvaient être conférés qu'à des prêtres: pour les obtenir,
il fallait donc, s'ils étaient séculiers, avoir 2o ans; s'ils étaient régu-
liers, 16 ans. Pour les bénéfices à simple tonsure, le concile de Trente
exigeai! l'âge de 14 ans;; mais en France, où ce concile n'était pas
reçu, Oïl les donnait à des enfants de 10, et même de 7 ans, auxquels
ils servaient de bourses. Selon la qualité du bénéfice qu'il postulait, le
candidat devait être séculier ou régulier. En France, les étrangers ne
pouvaient être nommés à aucun bénéfice, et l'Eglise de France main-
tint constamment cette règle. — Ordinairement, c'était L'évêque qui
nommait aux bénéfices, c'est-à-dire qui était collateur, de sorte que
[escanonistes considérèrent les collations comme des fruits de l'évêché.
Mais les évoques n'eurent pas l'exercice exclusif de ce droit. Parfois,
en effet, le collateur était obligé de nommer un candidat désigné par
une autre personne, par le patron : c'est-à-dire par !e laïque ou l'ec-
clésiastique qui avait fondé ou doté l'église. Le droit du patron n'était
pas attaché à sa personne, mais à sa terre, et la suivait en quelques
mains qu'elle passât. Le patron nommait, le collateur donnait l'insti-
tution. Parfois aussi, le collateur était obligé de nommer les gradués
des universités, c'est-à-dire les maîtres ou docteurs, de quelque fa-
culté que ce fût, les bacheliers des trois facultés supérieures. Ils te-
naient ce droit du concile de Bàle, qui leur avait affecté le tiers de
tous les bénéfices, en considération des services qu'ils avaient rendus à
L'Eglise* et de leur capacité, constatée par leurs grades. Malheureuse-
ment, les grades furent donnés trop facilement, et la garantie fit place
à un abus. Pour le restreindre, l'Eglise gallicane s'opposa à ce que le
pape pût dispenser les gradués du temps d'études (art. 57 des Libertés
de V Eglise gallicane). Enfin, les droits des collateurs ordinaires étaient
limités par ceux des chapitres, du pape et du roi. Les chapitres, deve-
nus Les conseils des évêques, partagèrent avec eux les collations ; mais
leurs droits mutuels furent réglés par les concordats qu'ils firent entre
eux. — Les canonistes ultramontains soutinrent que le pape pouvait dis-
poser souverainement des biens et des bénéfices ecclésiastiques, qu'ils
Eussent vacants ou non; d'où les expectatives et les réserves. Les ex-
pectatives étaient une assurance donnée par le pape à un clerc, qu'il
lui conférerait tel bénéfice Lorsqu'il serait vacant. Lorsque le collateur
ne nommait pasla personne désignée, le pape envoyait des lettres exécu-
toriales, quelquefois même une excommunication. Par les réserves,
le pape déclarait qu'il entendait nommer à tel bénéfice, lorsqu'il serait
vacant, e! Léfendait au collateur d'y pourvoir. Les conciles ^Con-
stance et de Bàle restreignirent les expectatives et les réservés : le
concile de Trente les abrogea. Sur d'autres points, les prétentions ultra-
montaines étaient repoussées par l'Eglise gallicane. Ainsi, dans les
autres pays d'Europe, Le pape percevait, sous le nom d'annates, le re-
venu d'un an de tout bénéfice vacant, on du moins la somme à l;i-
quelle la chancellerie romaine avait évalué ce revenu. Le concile de
174 BENEFICES ECCLÉSIASTIQUES
Bâle avait prohibé les annates en vain. Eu France, le concordat de
François Ier en permettait la perception ; mais elle ne s'exerçait que
sur les bénéfices consistoriaux. De même, l'Eglise gallicane n'admet-
tait pas que le pape pût prévenir les nominations d'un patron laïque,
et tolérait seulement que celles d'un patron ecclésiastique lussent
prévenues (Libertés, art. 55). Les rois de France avaient sur les
bénéfices des droits considérables. D'abord, sous les noms de droit
de joyeux avènement et de droit de serment de fidélité, ils nom-
maient à la première prébende vacante dans chaque cathédrale, après
leur avènement ou après l'installation d'un nouvel évêque. Lors
du schisme d'Avignon, les papes avaient mis les expectatives au ser-
vice de nos rois, en leur accordant des induits pour faire nommer
leurs officiers aux bénéfices qui vaqueraient : d'où l'induit des officiers
du parlement. Le pape permettait au roi de désigner à tel collateur
qu'il voudrait, un officier du parlement auquel le bénéfice serait né-
cessairement conféré. S'il était clerc, l'officier était nommé lui-même;
sinon, il faisait nommer une autre personne. Mais le principal droit que
les rois de France exercèrent sur les bénéfices était d'origine féodale :
la régale. Tout seigneur percevait les fruits des fiels vacants: donc le
roi, ceux des évêchés vacants. Lorsque les canonistes eurent rangé les
collations parmi les fruits des évêchés, elles furent comprises dans la
régale. Le roi nommait, comme le pape l'eût fait, et la régale durait
jusqu'à ce que le nouvel évêque eût fait enregistrer par la cour des
comptes son serment de fidélité. Le concile de Lyon, sous Grégoire X,
avait toléré la régale pour les églises qui y étaient alors soumises, mais
avec défense de l'étendre à d'autres églises. Les gens du roi en firent
un droit de la couronne, inaliénable et imprescriptible, théorie consa-
crée par un arrêt du parlement de Paris (1608), qui étendait la régale à
tout le royaume. Après soixante ans de luttes, cet arrêt fut confirmé
par la déclaration royale de 1673. Deux évoques du Midi résistèrent
seuls, mais le pape Innocent XI les appuya. Cette querelle, célèbre
dans notre histoire, fut apaisée par l'assemblée du clergé (1682), qui
inspira au roi une nouvelle déclaration : tout le royaume était soumis à
la régale; mais elle était réduite à un simple droit de présentation,
l'autorité religieuse jugeant la capacité des personnes présentées
par le roi (voyez Pinsson, Traité singulier des régales, ou des droits
du roi sur les bénéfices ecclésiastiques, etc., Paris, 1688, 2 vol. in-4°).
— Le bénéficier, de quelque manière qu'il fût nommé, n'était qu'ad-
ministrateur des biens. Il ne devait de compte qu'à sa conscience
et à Dieu, mais pour le for extérieur, il était considéré comme
usufruitier : il acquérait les fruits, mais il devait entretenir le fonds
en bon état de culture et de réparations, et ne pas anticiper sur
la jouissance de son successeur. Les autres charges des bénéfices
étaient les décimes (voyez Biens ecclésiastiques) et divers droits perçus
par les évêques. Mais souvent des pensions leur étaient imposées : par
exemple, un titulaire qui résignait son bénéfice, le grevait d'une pen-
sion, qui parfois était si élevée que le nouveau titulaire n'était que le
fermier du premier. Rien ne contribua plus à la ruine des biens ecclé-
BÉNÉFICES ECCLÉSIASTIQUES
7y
siastiques que les pensions et les comraendes. Lors de l'invasion des .
barbares, des églises vacantes furent confiées par le pape à des évêr
ques voisins, qui les visitaient et percevaient les revenus. Nos rois de
là seconde race conférèrent des monastères même à deslaïques, et plus
tard les commendes servirent à dédommager les évoques chassés de
la Palestine. Pendant le schisme d'Avignon, des prélats français lurent
abbés commendataires de nombreux, monastères. Le concile de Trente
conserva cet abus en le réglant : le pape seul put donner en corn*
mende des bénéfices qui n'eussent pas de charge-d'âmes et qui ne
fussent pas des monastères de filles. Les pensions et les commendes
dissimulaient un grave abus : la pluralité des bénéfices (Conc. t?*it., sess.
Vil. /te Reforma c. IV et v ; sess. XXIV, c. xvn). Souvent un même titu-
laire réunissait plusieurs bénéfices considérables et éloignés, dont les
produits cumulés s'élevaient à des sommes énormes. Il ne pouvait pas
remplir les fonctions attachées à ces divers bénéfices: il lui était même
impossible d'y résider. 11 arrivait même souvent que les titulaires, au
lieu de résider sur l'un de leurs bénéfices, passaient leur temps à la
cour ou en voyages. Le concile de Trente s'efforça de remédier à cet
abus (sess. XXIV, c. xn; sess. XXI, c. ni; sess. XXII, c. m). — Les
bénéfices ecclésiastiques existent encore en Allemagne. Les bénéficiers
5 sont considérés comme des usufruitiers, quant au droit de jouis-
sance qu'ils ont sur les biens et à l'obligation de les entretenir en bon
état de culture et de réparations. Ils exercent les actions réelles ou les
droits de créance, non de leur chef, mais au nom de l'Eglise. Ils ont un
droit d'action pour exiger le payement des oblations et des droits
d'étole. De même, si un traitement fixe est attaché à un bénéfice, en
cas de refus de payement, le titulaire peut poursuivre civilement les
récalcitrants, et même s'adresser à l'Etat, s'il a garanti le traitement.
L'Eglise établie d'Angleterre a conservé l'ancienne organisation des
bénéfices. Les titulaires sont considérés comme tenants for life. Ils ont la
jouissance des biens, mais ne peuvent ni les aliéner ni en diminuer la
valeur. Les lois qui règlent les acquisitions de biens nouveaux ou les
échanges sont si compliquées, qu'il faut renoncer à les exposer. Les bé-
néficiers. s'ils n'aiment mieux cultiver eux-mêmes, peuvent louer les
biens pour quatorze ans, en se conformant aux prescriptions de 5 et (>
\Kt.. ch. 27. Ils doivent cependant se réserver le presbytère (parso-
nage-kouse) et dix acres de terre y attenante. Ils peuvent contracter,
pour 1er, terres, des baux emphytéotiques d'une durée de 1)9 ans au
plus : il leur faut alors appliquer 5 et 6 Vict., ch. 108, 21 et 22 Vict.,
i obtenir l'autorisation des commissaires ecclésiastiques. Ces
commissaires sont les deux archevêques de Cantorbéry et d'York, tous
les évéques, cinq membres du gouvernement, trois doyens, six juges
des cours supérieures. Ce conseil, organisé par «les actes du parlement
de 1836 et de 18't(), a pour tâche d'égaliser la répartition des revenus
ecclésiastiques. Sous eux fonctionnent trois commissaires des propriétés
ecclésiastiques chtarch estâtes commissionner s), nommés deux par !<■ sou-
verain, nu par l'archevêque de Cantorbéry. Parmi leurs nombreuses
fonctions, nous ne citerons que la ré\ ision septennale du taux des revenus
170 BÉNÉFICES ECCLÉSIASTIQUES
. des é.vêchés, qu'ils doivent ramener, autant que possible, à 125,000 francs
par an. Tous les six mois, chaque évêque leur envoie l'état de ses reve-
nus. S'ils dépassent la moitié du chiffre fixé pour Tannée, l'excédantdoit
être versé entre les mains des commissaires. S'ils sont inférieurs, les com-
missaires comblent le déficit. Ils délèguent une partie de leurs fonctions à
un comité des propriétés ecclésiastiques, qui s'occupe, sous leurs ordres,
des biens des évêchés, des chapitres, des doyens, des chanoines, des
recteurs, etc. L'Angleterre et le pays de Galles sont divisés en deux
circonscriptions, le Nord et le Sud, que parcourent tous les ans deux
surveillants chargés de percevoir les revenus et de les déposer à la ban-
que d'Angleterre, au nom des commissaires, qui en font la répartition
entre les ayants droit. Il faut espérer que cette institution remédiera à
l'inégalité choquante des bénéiices, qui permet au clergé supérieur de
vivre dans l'opulence, lorsque le clergé inférieur est dans la pauvreté.
En France, la révolution de 1789 a fait disparaître les bénéfices, en
sécularisant les biens ecclésiastiques ; mais l'Etat a assuré des traite-
ments aux ministres de divers cultes. Pour l'Eglise catholique ro-
maine (concordat de 1801, art. 4; charte de 1814 et les constitutions
postérieures), les évoques reçoivent actuellement un traitement lixe de
15,000 fr. (1. 18 germ. an X, art. 64, 65; 1. de finances, 1831; décr.
15 janv. 1853; arr. min. 14 mars 1853 et 13 oct. 1855;. 1. de
finances, 23 juill. 1857). Les archevêques reçoivent 20,000 fr. (décr.
15 janv. 1853) ; celui de Paris, 50,000 fr.; les cardinaux, 10,000 fr.
Diverses indemnités sont ajoutées à ces traitements, pour frais d'ins-
tallation et de tournées (orcl. 12 sept. 1819 et 3 août 1825; circul. min.
lOfévr. 1834). Les curés de lre classe ont un traitement de 1,600 fr.;
ceux de 2e classe, l,200fr. (1. org. 18 germ. an X, art. 66 ; ord. 5 juin
1816). Les desservants reçoivent aujourd'hui de 900 à 1,300 fr., selon
leur âge (1. de fin. 8 juin 1854 ; décr. 13 août 1854). « Le traitement
des pasteurs des églises protestantes est réglé d'après la population des
communes dans lesquelles ils exercent leur ministère » (arr. consul.
15 germ. an XII, art. 1). Ils sont divisés en trois classes, selon que le
chef-lieu de leur paroisse a plus de 30,000, plus de 5,000, ou moins de
5,000 habitants. Les pasteurs de lre classe reçoivent 2,100 fr. ; ceux de
2e classe, 1.900 fr.; ceux de 3e classe, 1,600 fr. (ord.roy. 22 mars 1827,
12 oct. 1842; décr. 20 oct. 1863). Les communes peuvent leur allouer
des suppléments de traitement, qui ne doivent pas dépasser la moitié
du traitement fixé par l'Etat (décr. 5 mai 1806, art. 2; cire. min.
18 mai 1818). — On peut consulter sur les bénéfices: Duarex, De sacris
Ecclesix mùiisterià ac beneftciis libri VIII, Paris, 1564 ; Rebuffeus,
Praxis bene/iciorum, Paris, 1664, in-fol.; Sarpi, Tractatus de materiis
beneficiariis ex liai, in lat. ve?*s. a Caffa, Jen., 1681 ; Blondeau, Biblio-
thèque canonique, Paris, 1689, 2 vol. in-fol.; Thomassin, Discipline
de l'Eglise, 3 vol. in-fol.; De Héricourt, Lois ecclésiastiques, in-fol.;
Fleury, Introduction au droit ecclésiastique, 2 vol. in-12, Paris, 1687 ;
Phillips, Kirchenrecht, 2 vol. -, 1859 et 1862 ; Kichter, Kirchenrecht, 7e éd.,
Leipzig, 1874; Walter, Kirchenrecht, 14e éd., Bonn, 1871. Pour l'Eglise
anglicane, De Franqueville, Les Institutions politiques, judiciaires et ad-
BÉNÉFICES — BBNÉZET 177
mtnistratwes de f 'Angleterre ,2° éd., Paris, 18(tt; Blunt, The book of
churchLaw,reo.hy Phillimore, ^éd.jLondon, 1870; Hodgson, Instruc-
tion* for the clergy, 1870. Loin Ion. J. Bourgeois.
BÉNÉVENT (ville, duché et évêché). Des premiers âges de Rome à
nos jours, ce nom se mêle à l'histoire politique et religieuse de tout
l'Occident. Bâtie, dit-on, par Diomède, et appelée Maleventum par les
Samnites, cette ville reçut un nom de meilleur augure avec la colonie
romaine qui l'occupa et qui fut Tune des dix-huit restées fidèles à la
métropole contre Annibal. Ruinée par Totila, elle fut relevée et érigée
en duché par les Lombards vers 590, duché qui comprenait tout le
royaume de Naples, moins les Abruzzes et les Calabres. Un de ses ducs
devint roi des Lombards, un autre était gendre de Didier, l'infortuné
rival de Charlemagne. Après maintes fluctuations, le duché tut supprimé
par l'empereur Louis IL En 1053, Henri III donna Bénévent au pape
Léon IX, son parent et sa créature, en échange des droits du saint-
siége sur Bamberg. Charles d'Anjou, appelé par Urbain IV, délit et tua,
sous ses murs, en 121)6*, ce tyran des Deux-Siciles. Depuis la donation
de Henri III, Bénévent resta annexé aux Etats pontificaux. Les Espa-
gnols, il est vrai, réduisirent peu à peu son territoire à une étroite
banlieue. Ferdinand Ier de Naples l'occupa de 1709 à 1774. Enfin,
en 180(), Napoléon en lit une principauté en faveur de Talleyrand,
mais, en 1814, il fut rendu au pape qui le garda jusqu'à la perte de
son pouvoir temporel. — Bénévent est célèbre par ses nombreux
conciles. Les deux premiers lurent les plus importants. Victor Ili,
le < ligne successeur de Grégoire VII, qui était de la maison des princes
de Bénévent. y signala son court pontificat par un concile qui excom-
munia l'antipape Guibert et renouvela le décret contre les investitures,
anathématisant tout empereur, roi ou laïque qui disposerait d'un
évêché ou d'une abbaye (août 1087). Le pape, oubliant même le
caractère indélébile du sacerdoce, avança que tout ecclésiastique
ainsi promu ne devait plus être considéré comme prêtre. Le successeur
de Victor. Urbain II, y réunit encore, en 1091, un concile qui fut
comme la continuation du premier et réitéra l'anathème contre l'in-
domptable Guibert qui venait de réoccuper Home. Parmi les décisions
de cette assemblée, il convient de noter la défense d'élever un laïque
à l'épiscopat avant qu'il ne soit au moins diacre, l'abstinence des
viandes imposée aux laïques pendant tout le carême, enfin l'interdic-
tion du mariage pendant près de cinq mois de l'année, de la Septua-
gésime à L'octave delà Pentecôte et de l'Avent à l'octave de l'Epiphanie.
P. ROUFl'ET.
BÉNÉZET (Saint) [Benedwtus], pâtre et pontife. En 1177, disent les
Actes i.l. SS., l'i Api-.. II), le jour où eut lieu L'éclipsé de soleil, le
Chrisl apparul à un enfant de douze ans nommé Bénézet, qui gardait
Les brebis de sa mère, et lui ordonna de construire [\\i pbnl sur le
Rhône, à Avignon. Repoussé par L'évêque, Le jeune saint posa de sa
m;rni la première pierre du pont, qui fut terminé en onze ans;Bénézel
était mort en L 184. Théophile Raynaud (Œuvres, VIII, 146) l'aconfondu
,1 tort avec Jean Benedictus, qui était en 1187 prieurdesfreresduPont.il
11. 12
178 BENEZET
est pourtant certain que Bénézet a appartenu à Tordre laïque des Frères-
Pontifes. L'œuvre de ces confréries hospitalières était religieuse, carelles
avaient pour but principal de faciliter le voyage des romieux ou pèlerins.
Chose singulière, nous retrouvons en 1239 la fondation d'un pont sur
la Durance rattachée à une éclipse de soleil. — Yoy. Hélyot, II, 281 ;
Magne Agricole (de Haitze), Hisl. de S* B. et des relig. pontifes, Aix,
1708, in-16; Grégoire, Rech.sur les Fr. Pontifes,?., 1818, in-8°,cité par
Hase, art. Brùckenbrùder, dans Ersch et Gruber.
BÉNEZET (Antoine), grand philanthrope, premier promoteur de
l'abolition dé la traite des noirs dans les Deux Mondes, né à Saint-
Quentin le 31 janvier 1713. Il descendait par sa mère de Jean Crom-
melin, le principal créateur de l'industrie saint-quentinoise au
seizième siècle (Bull, de l'Hist. Protest., t. VII, p. 488). Son père étant
mort en 1681, sa famille, qui avait été jusque-là l'objet d'une certaine
tolérance, fut obligée de chercher un refuge en Hollande, puis en
Angleterre. D'abord destiné au négoce, il y renonça bientôt pour
apprendre l'état de tonnelier. A l'âge de quatorze ans, il entra dans la
Société des Amis (Quakers). En 1731, il passa en Amérique avec ses
parents, qui s'établirent à Philadelphie, où il se maria en 1736. Tout
en s'occupant d'une entreprise manufacturière, il montrait dès lors la
vocation philanthropique qui devait bientôt l'entraîner dans une autre
voie, celle d'une pédagogie éclairée, et de l'abolition de l'esclavage
des nègres. En 1742, il accepta la mission d'enseigner la langue
anglaise dans l'école publique fondée par William Penn, et pendant
douze ans il la remplit avec un grand succès, se préparant à fonder
lui-même une école de filles, ce qu'il fit en 1755. Il y appliqua des
idées qui étaient fort avancées pour son temps : instruction générale
variée, discipline austère, mais pleine de douceur. On cite particuliè-
rement les soins qu'il prodigua durant deux ans à une élève sourde-
muette, qu'il parvint à mettre en état de jouir du commerce de la
société, préludant ainsi aux travaux de l'illustre abbé de l'Epée. La
condition misérable des noirs de l'Afrique, qu'un trafic dégradant
livrait aux Américains pour en faire des esclaves, avait éveillé en lui
une sollicitude qui devint active et fervente en 1750. Il commença à
plaider leur cause au tribunal de l'opinion, et, prêchant d'exemple, il
ouvrit pour eux une école gratuite qu'il dirigea et que le concours
généreux de la Société des Amis permit bientôt de transformer en un
établissement plus vaste. Les progrès ainsi obtenus pour l'amélioration
morale et religieuse ouvrirent les yeux d'hommes influents qui
n'avaient jusqu'alors professé que du mépris pour la race noire, et
on commença à porter quelque intérêt à cette question. L'opinion
((qu'un épidémie noir ne pouvait envelopper un être doué de raison, »
cette opinion que la ligue impie de l'orgueil et de l'ignorance, de
l'avarice et de la cruauté avait réussi à enraciner dans les esprits,
fut enfin attaquée de front et ébranlée. On put bientôt faire appel à
la pitié et à la justice des peuples et des gouvernements, en démon-
trant l'illégalité de l'esclavage, la barbarie criminelle de la traite.
C'est ce que fit Bénezet en publiant : Notions su?' la pairie de l'Afrique
BÉNEZET — BENGEL 179
qu'habitent les nègres (1762); Observations sur Vital et le caractère des
natifs Indiens de ce continent (1763) ; Avis à la Grande-Bretagne et à ses
colonies sur la situation désastreuse des JVègi'es esclaves (1767); Notice
historique sur la Guinée, sa situation, ses produits, ses habitants, accom-
pagnée de recherches sur l'origine et les progrès de la Traite des JXègres,
sa nature et ses effets calamiteux (Londres, 1772 et 1778). Il faisait
imprimer et distribuait à ses frais ees publications, en adressant aux
principaux, personnages d'Amérique et d'Europe des lettres d'envoi
particulières qui ne laissèrent pas de produire un heureux effet : le
bon grain était semé, il allait lever peu à peu. La notice sur la Guinée
eut, en 1785, une influence décisive sur l'esprit de Thomas Clarkson,
cl en lit un infatigable abolitionniste, dont les travaux contribuèrent
pour beaucoup aux mesures prises par le parlement britannique. En
1781, Bénezet adressa un appel à l'abbé Raynal ; en 1783, à la reine
Charlotte d'Angleterre, aux reines de France et de Portugal, et il
suscita partout des dispositions sympathiques qui devaient plus tard
porter les fruits qu'il en attendait. Après une vie entièrement con-
sacrée aux œuvres de paix et de bienfaisance, Antoine Bénezet mourut
le 17 mai 1784, dans sa soixante-et-onzième année, laissant après lui
une mémoire bénie et d'universels regrets. Jamais on n'avait vu un
tel concours de monde à des funérailles. Il avait fait promettre à un
ami de s'opposer à ce qu'aucun tribut d'éloges lui fût payé après sa
mort. Ce panégyrique muet n'en fut que plus éloquent. Ch. Read.
BÉNEZET (François), né à Montpellier en 1726, n'était encore que
proposant et assistait Paul Rabaut et les autres pasteurs du Désert,
lorsqu'il fut arrêté, le 30 janvier 1752, près du Vigan, dans les Cévennes.
Transféré à la citadelle de Montpellier, il fut condamné à mort « pour
avoir été, dit l'arrêt, dûment atteint et convaincu d'être prédicant et
d'en avoir fait les fonctions dans la province du Languedoc. » Un
prêtre, chargé de déployer toute l'éloquence possible pour le faire
changer de religion, l'ayant menacé de l'enfer, s'il ne l'écoutait pas :
« Si vous étiez convaincu de l'existence de cet enfer dont vous parlez,
dit Bénezet, me persécuteriez- vous donc comme vous le faites? M'au-
rait-on condamné à mourir sur le gibet, pour avoir simplement
♦'xhorté mes frères? » L'exécution eut lieu le 27 mars, sur l'esplanade,
devant la porte même de la forteresse. A peine en eut-il franchi le
seuil, que les roulements des tambours couvrirent sa voix. Il chantait
le psaume LI, cette lamentation sublime qui n'est autre que le Mise-
rere. La mort de ce courageux confesseur de vingt-six ans fut bien
cette d'un martyr. On la célébra dans une complainte, un de ces nom-
breux poèmes populaires inspirés par les calamités du Désert. Elle
renferme dix-sept strophes d'une grande naïveté {/Jut/. du Protest.
firanç., t. XIV, p. L258). Purent-elles adoucir la douleur de la jeune
femme de Bénezet, qu'il laissait enceinte? Ch. Read.
BENGEL (Jean-Albert), célèbre théologien wurtembergeois du dix-
huitième siècle, naquit «-n 10S7 à Winnenden, où son père exerçait les
[onctions du ministère pastoral, et mourut en 1693, victime de, son zèle
lors d'une épidémie. Grâce à la protection d'excellents amis et du
180 BBNGEL
second mari de sa mère, il reçut une éducation soignée et étudia la
théologie à Tubingue. Très-pieux en même temps que très-studieux, il
mena de front les exercices de piété et l'étude consciencieuse de la
philosophie, de celle, entre autres, de Spinosa. Toutefois ses convictions
évangéliques demeurèrent victorieuses des assauts qu'elles eurent à
subir pendant ce temps d'épreuve. Bengel, toute sa vie, devait offrir
l'alliance rare d'une érudition très-remarquable et d'une soumission
presque enfantine aux doctrines traditionnelles. Ajoutons que son
excellent caractère, son esprit tolérant, la pureté de sa vie, la sincé-
rité de sa piété mystique et onctueuse lui valurent pendant toute sa
carrière la confiance, l'affection, bientôt même la vénération de l'Alle-
magne protestante. Après une grave maladie qu'il fit en 1705 et quel-
que temps dé ministère pastoral à Metzingen, il fut nommé répétiteur
à Tubingue, et en 1713 professeur au séminaire de Denkendorf. C'est
là qu'il publia d'abord une édition des Lettres de Cicêron (Stuttgard, 1719)
avec notes et commentaires, puis en 1722 le Panegyricus ad Origenem
de Grégoire le Thaumaturge (grec et latin), puis encore en 1725 les six
livres de Chrysostôme De sacërdatio (grec et latin), auxquels il joignit
\mProdromus sur le texte grec du Nouveau Testament. Bengel en effet
avait été frappé, précisément en proportion de sa foi profonde en
l'autorité de la Bible, des nombreuses variantes que la comparaison
des manuscrits et des éditions accusait dans le texte du Nouveau Testa-
ment. Il entreprit de soumettre ce texte à une révision soigneuse, se
procura toutes les éditions imprimées qu'il put réunir, vingt-quatre ma-
nuscrits grecs de diverses provenances et beaucoup de manuscrits latins,
et en 1734 il fit paraître sous le titre d'Apparatus criticus, en même
temps qu'une édition révisée du Nouveau Testament grec, le résultat
de ses laborieuses recherches. Sa règle était de préférer la leçon la
plus obscure à la plus claire, celle-ci devant a priori avoir été substi-
tuée à la première, toutefois à la condition qu'elle eût été déjà admise
dans une édition imprimée. Evidemment cette seconde clause fait plus
d'honneur à sa prudence qu'à sa logique. Cela suffisait cependant pour
qu'il ne craignit pas de rejeter comme inauthentique un passage aussi
connu que la doxologie Matth . VI, 43. Le livre qui sortit le plus modifié
de ce travail de révision fut l'Apocalypse. C'est lui aussi qui eut l'idée
de classer par familles les anciens manuscrits du Nouveau Testament.
Cette publication lui valut de nombreuses attaques, les uns l'accusant
d'innovations téméraires, les autres d'une timidité excessive. Il tint
tête aux assaillants avec une grande fermeté et compléta son œuvre
d'exégèse en publiant en 1742 son Gnomon Novi Testameati in quo ex
nativa verboruai vi simplicùus , profit ndita*, conctnnitas, salubiims ten-
suum cœlestium indicatur (rééditions en 1759, 1773, 1788, 1835, 1850;
trad. en allemand par Werner , Stuttg., 1853). 11 partait de ridée
que les livres bibliques forment un tout harmonique, une économie
ou une disposition divine. La bienfaisante inlluence de ces livres sur
le cœur était selon lui la preuve suffisante de leur divine origine. On
pouvait même remarquer chez lui la tendance à émanciper l'interpré-
tation des livres sacrés des restrictions traditionnelles et confession-
BENGEL 181
Délies. Ce livre fut très-lu et exerça mie puissante action sur le déve-
loppement de la science exégétique allemande. Il passa même à 1' étran-
ger, et Wesley, en Angleterre, bien que peu enclin à recourir aux
lumières de la science, taisait une exception très-expresse en faveur
du Gnomon de Bengel. — Peut-être pourtant l'ouvrage <jui contribua le
plus à la réputation théologique de Bengel est-il celui que nous serions
tentés de regretter le pins pour l'honneur, de son renom scientifique.
Il eut le malheur de s'adonner à des calculs apocalyptiques dont l'in-
génieuse complication ne saurait voiler l'arbitraire. En 1741 il avait
fait paraître son Ordo temporum, où il croyait pouvoir retracer toute
Tliistoire et même prédire l'avenir jusqu'à la fin du monde en se fon-
dant sur les indications prophétiques de la Bible. Il s'imaginait, entre
autres, que les passages du Nouveau Testament qui parlent de la fm
prochaine du monde doivent s'entendre en ce sens que la durée de la
nouvelle alliance sera plus courte que celle de l'ancienne économie,
et comme il calculait qu'il s'était écoulé 3,940 ans d'Adam à Jésus-
Christ, que déjà 1.740 ans le séparaient de la première venue du Christ,
qu'il fallait retrancher du chiffre total de la seconde période le règne
de 1,000 ans (auquel il croyait à la lettre) ; comme de plus, en vertu
de la valeur du chiffre 7 attestée par plusieurs supputations bibliques,
on pouvait tixer la durée totale du monde à 7,777 ans, il se voyait
amené à renfermer dans les 97 années qui devaient encore venir tout ce
qui manquait encore aux antécédents de la seconde venue du Christ
annoncée par l'Apocalypse. Nous n'entrerons pas dans les détails
subtils du calcul dont nous indiquons ici les lignes générales. Il nous
suflira de dire qu'il faisait du chiffre apocalyptique 666 (où les mo-
dernes lisent le nom de César Néron) un nombre d'années s'étendant
de 1143 à 1740 et qu'il assignait à l'an 1836 le commencement du
règne de 1,000 ans. L'excellent Bengel était presque tenté de croire
qu'il devait cette connaissance anticipée à une révélation supérieure,
et i! continua de s'enfoncer dans cette recherche stérile qui amena la
publication d'une Apocalypse expliquée (éditions de 1740, 1747, 1788)
et de 60 discours édifiants sur l'Apocalypse (1747, 1788, 1836). Cà et là,
au milieu de bien des divagations, on est frappé de quelques rencontres
heureuses, mais qui témoignent plus en faveur d'un jugement en
somme clairvoyant sur les tendances de son temps que de la justesse
de ses calculs. Par exemple, il prévoit toute une période de libertinage,
de scepticisme et de naturalisme. 11 n'accorde pas plus de soixante ans
de durée à l'empire germanique, et se demande si le souverain de la
France ne deviendra pas empereur à la lin du siècle. Il prédit que les
évéchés allemands seront sécularisés, que l'on connaîtra bien mieux
I»' -lobe, au point que les anciennes cartes deviendront hors d'usage, etc.
Cette explication de L'Apocalypse fut traduite dans presque toutes les
langues de l'Europe ; en Allemagne, elle fut commentée, développée
«'u prose et m vers. Quelques-uns la tinrent pour miraculeusement
inspirée. Il est vrai qu'elle lut aussi très-vivement combattue, mais
resta populaire longtemps même après qu'elle eut perdu tout
lit scientifique. • Bengel fut appelé de Denkendorf en 1741 au poste
elle
182 BENGEL — BENIGNE
de prélat et de conseiller du prince (fùrstlicher Rath), puis en 1749 à
celui de conseiller consistorial et de prélat d'Alpirsbach avec résidence
à Stuttgard. Il avait toujours décliné les offres qu'on lui avait faites
d'une chaire professorale à Tubingue. Sa correspondance était des
plus actives (il y eut des années où il écrivit près de 1,200 lettres),
parce qu'on le consultait de toutes parts et du sein de toutes les classes
sociales sur des points de religion ou de conscience. En qualité
de conseiller ecclésiastique et de théologien, il eut à s'occuper
des affaires des frères Moraves dont il connut de près le réformateur,
le fameux comte Zinzendorf. Tout en l'estimant beaucoup, lui et ses
frères, il trouvait leurs idées sur l'Eglise exagérées et leur théologie
trop exclusivement absorbée par la constante et unique préoccupation
du sang versé sur la croix. Mais il prit leur parti contre les mesures
intolérantes dont ils étaient menacés. Il agit de même dans l'intérêt
des petites communautés séparatistes du Wurtemberg. De son mariage
avec Jeaime-Régine Seeger, Bengel eut douze enfants, dont six mouru-
rent en bas âge. Des six autres, quatre étaient des filles qui se marièrent
heureusement; des deux garçons restants, l'aîné étudia la médecine,
le second mourut doyen à Tubingue. En 1751 la faculté de théologie
de Tubingue lui décerna le titre de docteur, non sans surprendre
beaucoup de personnes qui croyaient la chose faite depuis longtemps. Il
composa plusieurs cantiques dont plusieurs comptent encore aujour-
d'hui parmi les plus goûtés du recueil liturgique du Wurtemberg. C'est
en 1751, le 2 novembre, et à l'âge de soixante-cinq ans, qu'il s'étei-
gnit doucement, dans les sentiments de la piété la plus confiante. Sa
mémoire est restée vénérée dans sa patrie. Bengel, par ses travaux sur
le texte du Nouveau Testament, ouvre la série des grands exégètes
allemands et a fondé par cela même une science dont il ne prévoyait
guère les évolutions ultérieures. On peut dire de lui. qu'il fut critique
en vertu même de sa foi. Longtemps ce mélange d'orthodoxie sincère
et de hardiesse dans les détails d'interprétation, qui fait si souvent
son originalité, devait caractériser l'exégèse allemande, si différente à
ce double point de vue de l'exégèse anglaise ou française. La vie de
Bengel a été racontée par son fils dans la troisième édition du Gnomon.
Cette biographie a été reprise et enrichie par son arrière-petit-fils,
J.-C.-F.Burk(Stuttg., 1831; 2e éd., 1837). Outre les ouvrages de Bengel
que nous avons mentionnés et quelques opuscules sans grand intérêt
pour nous, il faut citer encore son Esquisse des frères Moraves (A briss
der Brùdergemeinde) , Stuttg., 1751, remarquable par la grande sûreté
des renseignements qu'on peut y puiser. A. eéville.
BÉNIGNE (Saint),, apôtre de la Bourgogne. Envoyé dans* les Gaules
par saint Polycarpe avec saint Andoche et saint Thyrse, il subit le
martyre avec eux à Dijon, sous Aurélien (Surius, 1er nov.). Quelques-
uns préfèrent lire ici le nom de Marc-Aurèle; mais Tillemont (III, 38)
dit beaucoup mieux : « Il est difficile de rien dire de ces saints qu'on
puisse tenir pour authentique et pour assuré. » Grégoire de Tours nous
dit les miracles qui se faisaient au lieu de leur supplice. Sur leur tom-
beau s'éleva, en 512, l'illustre abbaye de Saint-Bénigne de Dijon, qui
BEXKJNi; — BENNOX 183
fut richement dotée par ('harles-le-Chauve. L'église en ml reconstruite
en 101(> et restauréeau treizième siècle; elle sert de cathédrale à Dijon.
La règle de Samt-Maur fut introduite à Saint-Bénigne en 1651. La chro-
nique de Saint-Bénigne est imprimée dans le Spieilegium de d'Àchery
il: 2" édit., II); elle est conduite jusqu'en 1052 et continuée jusqu'en
1513. — Voy. Gallia, IV, 668; Monasticon Galticanum, pi. 3(5-38; Kogct
de Belloguet, Origines dijonnaises, 1851; Bougaud, ht. sur saint Bé-
nigne et sur Vorig. des cgi. de Dijon, d'Autun et de Langres, Autun,
t859, in-S". S. Berger.
BÉNITIER. Voyez Eau bénite.
BENJAMIN [Béni à mi n], fils cadet de Jacob etdeRacliel (Gen. XXXV,
17 ss.) et leur favori iGen.XLII, I, 36"; XLIII, 14). Il est l'ancêtre de la
tribu qui porte son nom et qui était Time des moins nombreuses d'Is-
raël (Nonîb. I, 37; XXVI, 41). Elle n'occupait qu'un territoire peu
étendu, entre les districts d'Ephraïm, de Dan et de Juda, dans la Pales-
tine centrale, près du Jourdain (Jos. XVIII, 11 ss.). Bien que monta-
gneux, c'était un pays fertile, non-seulement dans les vallées et les
plaines bien arrosées, mais jusque sur les plateaux et les sommets cul-
tivés avec soin parles habitants (Josèphe, Aritiq., V, 1, 22). La tribu de
Benjamin fut impliquée, au temps des Juges, avec les autres tribus,
dans une guerre civile qui lui fit essuyer les pertes les plus cruelles
(Juges XX, 13 ss.; XXI». Plus tard, Saiil, le premier roi d'Israël, fut
choisi dans son sein, sans doute pour éviter toute jalousie entre les
autres tribus, toutes plus puissantes qu'elle (1 Sam. IX; X, 20 ss.). Les
Benjaminttes , après la mort de Saûî, demeurèrent fidèles à son fils
isboseth, de concert avec dix. autres tribus (2 Sam. II. i) ss.), jusqu'à
ce que David réussit à se faire proclamer roi partout Israël. Lors du
schisme, la tribu de Benjamin se joignit à celle de Juda pour consti-
tuer le royaume de Juda (1 Rois XII, 21). Après l'exil, ces deux tribus
formèrent le noyau de la nouvelle colonie juive en Palestine (Esdras
IV. 1; X, 9).
BENJAMIN DE TUDÈLE , rabbin espagnol, mort en 1175, a par-
couru les synagogues d'Europe et d'Orient, dans le but de réunir les
matériaux destinés à favoriser la connaissance de la Palestine. Son ///-
ire, écrit en hébreu sous le titre de Mazaloth, pérégrinations,
voyages, fourmille de fautes géographiques, de bévues et d'anachro-
nismes de tout genre, qui n'autorisent pourtant pas la supposition que
Benjamin n'a jamais visité les pays qu'il décrit. L' Itinéraire a été im-
primé pour la pivni ère fois à Constantinople 1 1543, in-8°), puis réim-
primé à Anvers en 1575 avec une traduction latine, par Arias Montanus.
Les meilleures éditions sont celle de Constantin l'Empereur, Lyon,
1633, en latin; celle de Baratier, Amsterdam, 1734, 2vol. en français;
enfin celle d'Asher, Londres, 18W, 2 vol., en anglais.
BENNOND'EINSIEDELN. originairede la Sonabe el parent de Raoul,
roi de Bourgogne, était chanoine à la cathédrale de Strasbourg, lors-
qu'en 907 il prit la résolution de se retirer (\u monde, il alla s'établir
dans la solitude d'Einsiedeln , en Suisse, et y releva le monastère
fond.'- par Meinrad, et depuis sa mort tondu- en ruines, sur une col-
184 BENNON — BENOIT III
line qui porta le nom de Bennau. Il y vécut, avec une courte interrup-
tion, pendant près de trente ans.
BENNON (Saint) [1011-1107], évêque de Misnie, fut élevé au couvent
de Hildesheim et dirigea pendant quelque temps le séminaire deGoslar,
où les jeunes clercs recevaient une instruction supérieure à celle que
Ton donnait dans la plupart des établissements de ce temps. C'est là
que Bennon composa son ouvrage : Expositiones supra Evangelia do-
minkalia. Nommé en 10(56 évêque de Misnie par Henri IV, il ne tarda
pas à être impliqué dans les querelles qui s'élevèrent entre cet empe-
reur et le pape Grégoire VII. L'attitude qu'il observa parait avoir manqué
de netteté. Accusé d'avoir concouru à fomenter l'insurrection des Saxons
contre Henri IV et d'avoir épousé la cause du saint-siége, il se vit à di-
verses reprises emprisonné et ne fut réintégré dans son évêché qu'à la
lin de la querelle des investitures. Bennon s'occupa avec zèle de la ré-
forme de l'instruction, du culte et des mœurs dans son diocèse et eut
beaucoup à souffrir de la part des nobles et du clergé récalcitrants. Il
s'appliqua également à la conversion des populations slaves enclavées
dans son diocèse ou établies sur ses frontières. La canonisation de Bennon
ne se lit pas sans difficulté; elle ne put avoir lieu qu'en 1523. A l'occa-
sion des fêtes qu'elle provoqua, Luther publia son pamphlet : Widerden
neuen Abgott u. altcn Teufel, (1er zu Meissen soll erhoben werden, que
Jérôme Emser chercha à réfuter. — Voyez, indépendamment des anna-
listes du temps de Henri IV et des chroniques de Hildesheim, le pané-
gyrique d'Emser : Epitome ad papam Julium II super vita, miraculis et
sanctimonia divt'patris Bennonis, Misn., 1505, in-4°, travail qu'on trouve
avec plusieurs autres pièces relatives à ce personnage dans les A A.
SS. des bollandistes, t. III. junii, p. 150 ss. ; Seyffart, Ossilegium Ben-
nonis, seu vita et acta ipsius, veterum mtmumentis ac dipiomatum reli-
quiis illustrata, Monach., 1765, in-4°, réfuté par Crammer, Apologia
Bennoniaua, Monach., 1773.
BENOIT Ier, dit Bonose, fut pape de 573 à 578.
BENOIT II (Saint) [684-685] s'appliqua à faire accepter les décrets
du sixième concile. L'empereur Constantin Pogonat, en retour, sans
renoncer à son droit de confirmation, permit que désormais « l'élu au
siège apostolique fût sans retard ordonné pape. » Ses successeurs
n'observèrent pas cette constitution. Benoit lui-même avait, à ce qu'il
parait, attendu près d'un an la confirmation impériale. — Voy. sa Vie
attribuée à Anastase, et les bollandistes, 7 mai, II.
BENOIT III, Romain (juillet 855-858). La légende met la papesse
Jeanne entre Léon IV et lui. Son concurrent, Anastase, déjà condamné
par quatre synodes, sut gagner les ambassadeurs qui allaient demander
à Lothaire et à Louis le Germanique la confirmation de Benoit. Les
députés impériaux introduisirent à Saint-Pierre Anastase, qui jeta bas
à coups de hache le tableau qui représentait sa condamnation. Mais le
peuple de Rome se prononça avec tant de force en faveur du pape
régulièrement élu, que les représentants des empereurs durent céder
à sa voix. Après trois jours d'un jeûne public, Benoit, tiré de sa prison,
fut installé à Saint-Pierre. Anastase fut, plus tard encore, anathématisé
BENOIT III — BENOIT VIII 185
en 868 comme coupable du meurtre de la femme el de la fille
d'Adrien 11. — Voy. le prétendu Anastase, et les Annales d'Hincmar,
dites Bertiniennes , année 808; Gregorovius, Gesch. der Stadt
Rom, 111. 129.
BENOIT IV, Romain (900-903). 11 couronna Louis III en 901. Bérenger,
le rival de Louis, a été accusé de sa mort. — llefele, Concil., IV, 549.
BENOIT V (964). A la mort de Jean XII, Benoit, dit le Grammairien,
fut, malgré lui, opposé par les tribus à Léon VIII. A l'élection de ce
pape, les Romains avaient juré de ne jamais élire un pape sans le con-
sentement d'Othon I"; Othon refusa de reconnaître le nouvel élu.
Vaincu par V empereur et emmené par lui en Allemagne, Benoit alla
mourir à Hambourg (966). Ses ossements turent rapportés à Home.
— Voy. Watterich, Vite Pond/'., I; Gregorovius, III, 377.
BENOIT VI (972-sept. 974) était Romain et tils du moine Hildebrand.
A la mort d'Othon Ier, par l'influence duquel ce pape avait été élu, la
pornocratie releva la tête. Saisi par Crescentius, seigneur de Nomen-
tum ou Mentana et lils de Théodora, Benoit fut étranglé dans le château
Saint-Ange. Avant même qu'il fût mort, Crescentius (on l'appelait aussi
Cencius) avait fait élire, sous le nom de Boniface VII, le diacre Franco,
fils de Ferrucius. Cet homme détestable, que la voix du peuple a appelé
Mah'fare. parait avoir été parent de Crescentius. Il ne régna qu'un
mois. 11 s'enfuit à Constantinople avec les trésors de l'Eglise. Mais en
98i. à la mort de Jean XIV, l'usurpateur remonta sur le siège de
saint Pierre. Bientôt abandonné par les siens, Boniface mourut par le
poison; son cadavre fut traîné sur la voie publique. — Voy. Watterich, l;
von Reumont, Gesch. d. St. Rom, II, 293; Gregorovius, 111,403 ;Ferruci,
Investigazioni s. Bonif. VII, 2e édit., Lugo, 1856.
BENOIT VII, Romain, évêque de Sutri, régna d'octobre 974 à 983
(voy. Do nu s JI). On croit <pf il était neveu d'Albéric. Soutenu par le
parti impérial, Benoit condamna Boniface; il appela Othon II en
Italie : Othon se trouva à Rome en 981. Ce pape est enterré dans
l'église de Santa-Croce. — Voy. Watterich, I; Gregorovius, 111,412;
Giesebrecht, Jahrbùcher, Otto If.
BENOIT VIII (1012-1024) [Théophylacte], était fils de Grégoire de
Tusculum. Le parti des Crescentius lui opposa un certain Grégoire;
chassé de Rome, ce! antipape s'enfuit auprès de Henri II, Benoit,
bientôt réconcilié avec le prince, le couronna en 1014. En 1020 il se
rendit à Bamberg. moins pour instituer le premier évêque de ce
I"'11 que pour invoquer la protection de l'empereur contre les Grecs,
dont les progrès dans la Fouille ne lui laissaient point de repos. C'est
de Bamberg qu'esl daté le prétendu privilège accordé par Henri II au
saint-siége, qui n'est en réalité que la répétition de celui qu'avait
donné Othon Ier. Il se trouve dans Pertz, Leg., II, 2, 17't. Dans un
synode tenu en 1022 à Pavie, Benoit condamna le mariage des prêtres
H déclara les Gis des clercs serfs de l'Eglise. La famille de Benoitétait
maîtresse de Rome, le pape avait mis son frère Romanus à la tète de
la république. Ce Romanus lui succéda sous le nom de Jean XIX. Be-
noit \ III laissa la mémoire d'un pontife énergique et ennemi des abus.
186 BENOIT VI II — BENOIT XI
— Voy. Watterich, I; Gregorovras, IV, 14; Hirsch, Jahrb. Hein-
rich II, 1875.
BENOIT IX (1033-1048), également nommé Théophylacte, était neveu
des deux papes précédents, Benoit VIII et Jean XIX, et fils du consul de
Rome, Albéric de Tusculum. D'après Raoul Glaber, il avait dix ou peut-
être douze ans, lorsque l'argent de son père réleva à la papauté. Simo-
niaque et débauché, « benoît de nom plus que défait, » ce pape infâme
se lit chasser par Jean, évêque de Sabine (Silvestre III), en février 1044.
Après trois mois, pourtant, il rentra dans Rome avec l'aide de sa
famille. Une première fois déjà, en 1037, il n'avait triomphé des Ro-
mains révoltés que par les forces de Conrad II. En 1045, il osa deman-
der la main de sa cousine, la fille de Girart de Sasso, et comme Girart
faisait difficulté de marier sa fille à un pape, Benoît vendit la tiare, pour
quelque 1,000 livres, à son parrain Jean, dit Gratien, archidiacre de
Saint-Jean-devant-la-Porte-Latine, qui fut Grégoire VI. A ce moment,
dit un chroniqueur, il y avait trois papes à Rome, Silvestre à Saint-
Pierre, Grégoire au Latran, Benoit à Tusculum. Cependant le synode
de Sutri (1046) excommunie Grégoire, sans condamner Benoît qui s'est
fait justice à lui-même, et met Clément II sur le trône. Telle était la cor-
ruption des mœurs, que Grégoire VI n'a pas été considéré par ses con-
temporains comme un simoniaque. Il s'en alla mourir en Allemagne.
Mais Théophylacte, voyant qu'il a été joué par le père de sa fiancée,
revient à Rome au moment où Clément vient de mourir par le poison
{nov. 1047). Il fallut qu'Henri III contraignit par ses menaces le marquis
de Toscane, protecteur de Benoit, à le chasser et à mettre à sa place le
pape légitime, Damase II. Certains auteurs prétendent que Théophylacte
mena désormais une vie d'aventures dans les montagnes du Latiuin, les
autres, qu'il mourut moine à Grottaf errata. — Voy. Placentini, De se-
pulcro B. IX, R., 1747; Watterich, 1, où on lira les documents de cette
honteuse histoire ; Th. Mittler, De schism. sub. Ben. IX, Zur., 1835;
Papencordt, Gesch. d. St. Boni, p. 191 ; Gregorovius, IV, 40.
BENOIT X (1058-1059), Romain, évêque de Velletri. Il s'appelait
Jean, on l'a surnommé Mincius (rninçkio, imbécile?). Quoique cet évêque
ait conservé son rang dans la série des papes (son portrait se voit
à Saint-Paul parmi les médaillons des papes), il n'est en réalité que
l'antipape de Nicolas II. Nous renvoyons à ce nom l'histoire des luttes
de Mincius contre Hildebrand. Lui aussi, ilfut le protégé des Tusculans
et des Crescentius. Benoît vécut dans la retraite jusqu'au pontificat de
Grégoire VII, qui lui fit donner la sépulture des papes à Sainte-Agnès.
On lira dans Watterich les récits absolument contraires de Pierre Pisan,
dans le Lwre des Papes, de Bonizo et de Boson, hildebrandiens décla-
rés, et des Annales Bomaines, organe des ennemis de Grégoire VII.
BENOIT XI (Saint) [oct. 1303 - 6 juil. 1304]. Au moment où Boni-
fàce VIII était insulté à Anagni par les serviteurs du roi de France, le
cardinal-évêqued'Ostie, Niccolo Boccasini, était presque seul auprès du
pape. Dix jours après sa mort, il fut élu en sa place. Il était trévisan et
prieur général des dominicains. Philippe-le-Bel, à cette heure, menaçait
de poursuivre le procès de Boniface, il réclamait un concile général,
BENOIT XI - BENOIT XII 187
dont il attendait la condamnation de tous les actes du pape défunts
Benoit, homme de mœurs pures, mais de volonté faible, n' attendit pas
l'arrivée des ambassadeurs français pour lever l'excommunication pro-
noncée contre le roi (2 avr. 1304). Il annula la révocation des privilèges
accordés à la couronne de France. En même temps (13 mai) il révoqua
la sentence prononcée contre les auteurs du coup de main d'Anagni.
sans pourtant rendre aux cardinaux Colonna leur dignité et sans per-
mettre que Palestrina fût rebâtie. Nogaret était formellement exclu de
cet acte de pardon. Mais bientôt le pape quitte Rome où il ne se sent
plus en sûreté. A Pérouse, au milieu des populations guelfes de l'Om-
hrie, il reprend courage et procède avec rigueur (7 juin) contre ceux
qui ont osé porter la main sur un pape. Il n'osa pourtant pas nommer
le premier coupable, Philippe-le-Bel. Trente jours après, il mourait à
Pérouse, di morte naturelle. On n'a pas voulu croire que Benoit n'ait
pas été empoisonné. Un cordelier français fut accusé de sa mort.
Y\. llauréau a trouvé dans le procès de ce moine le sujet d'un beau
tableau de mœurs (Bernard Délicieux et l 'inquisition albigeoise, Paris,
1S77. in-12); mais ce [soupçon n'est pas plus fondé que la légende
de la femme voilée, qu'ont répétée tous les historiens. — Voy. (Du
Puy) Hist. du différend entre Bonif. VIII, etc.; Campana, Vita
dt 11. XI, Milan, 17o6, in-4° ; Hefele, VI, 344; Gregorovius, Y,
585 : von Reumont, II, 671 ; Léon Gautier, Benoit XI, 3e édit..
Tours, 1876.
BENOIT XII (20 déc. 1334-25 avr. 1342) fut le troisième pape d'Avi-
gnon. Jacques Nouveau ou Fournier était enfant du peuple. Né à
Sa verdun, il était entré dans l'ordre de Citeaux, avait été abbé de
Fontfroide, évèque de Pamiers, puis de Mirepoix; il était cardinal de-
puis 1327. Aussitôt élu, Benoit reçut une ambassade des Romains qui
le sollicitaient de rentrer à Rome. Le pape le promit, mais la politique
de Philippe de Valois sut rendre vains ses désirs. Bientôt, tandis que
Pétrarque le pressait de retourner dans la Ville éternelle, et que Phi-
lippe VI l'entretenait de chimériques projets de croisade, il commença
la construction du nouveau palais des papes. Benoit aurait voulu se
réconcilier avec Louis de Bavière, mais Philippe VI sut encore lui
imposer ses ressentiments : « Si Louis a agi contre l'Eglise, disait le
pape, que n'avons-nous pas fait contre lui ,? » Le 15 juillet 13:18, les
électeurs forment l'Union de Rense, et déclarent l'élection du roi des
Romains indépendante de l'approbation du pape. Tel était en effet le
droit. Mais le S août, Louis de Bavière, allant au-delà, dénie au pape
le droit d'excommunier un empereur; il proclame le concile géné-
ra'I jugé du pape, et déclare que la couronne impériale est donnée
par Dieu seul et appartient au roi élu, sans qu'il ait besoin de l'ap-
probation ni du consentement du siège apostolique (Pragmatique
Sanction de Francfort). Albert de Strasbourg, témoin de ces luttes, eu a
été l'historien (Urstisius, demi, il/., II). Benoit laissa la mémoire d'un
homme savant, juste et modéré. Comme théologien, il axait condamné
la doctrine de Jean XXII sur l'état des âmes avant le jugement. — Voy.
Baluze, Vitx Papar. Aven.; Raynaldi, Annales; Hefele, VI, 555; (ire-
188 BENOIT XIII
gorovius, VI, 194; Reumont, II, 817; Christophe, Papauté au quator-
zième siècle, 1853, III. S. Berger.
BENOIT XIII (Antipape). Pierre de Luna, d'abord soldat, puis
étudiant en droit à Montpellier, lut créé cardinal-diacre de Santa-Maria
in Gôsmedin par Grégoire XI; il fut au nombre des douze cardinaux
qui déclarèrent illégale l'élection d'Urbain VI et provoquèrent le
schisme. Après la mort de Clément Vil, les cardinaux d'Avignon, qui
avaient tous promis sous la toi du serment qu'en cas d'élection ils
abdiqueraient. si le pape romain abdiquait, choisirent Pierre de Luna
qui prit le nom de Benoit XIII (28 sept. 1394). Benoit trompa l'attente
de tous en repoussant obstinément la voie de réunion. Dès 1395 une
assemblée épiscopale convoquée à Paris le somme de tenir sa
promesse; il s'y refuse catégoriquement. En 1398, à la suite d'une
conférence tenue à Reims, entre Wenceslas et Charles VI, celui-ci
engage Benoit à abdiquer et demande que les cardinaux des deux
obédiences se réunissent pour choisir un nouveau pape. Sur le refus
de Benoit, les députés des universités et les prélats de France procla-
ment sa déchéance, et Charles VI chargé Boucicaut d'occuper le
Venaissin et de mettre le siège devant Avignon. Benoit résiste, Martin
d'Aragon intervient en sa faveur et fait signer à son protégé l'enga-
gement d'abdiquer en cas de cession ou de mort de Boniface IX. Mais
Benoit n'est pas plus tôt libre qu'il reprend sa parole, encouragé
surtout par Louis d'Orléans, s'enfuit d'Avignon, écrit de Marseille au
roi de France qu'il est prêta traiteravec lui et à travailler à la réunion.
Ni Benoit ni Boniface ne pensaient sérieusement à faire des concessions,
et après la mort de ce dernier (^octobre 1404) les cardinaux romains
s'empressent, malgré les instances de Charles VI, de choisir un nou-
veau pape, Innocent VII. A Innocent VII succède Grégoire XII (1406) ,
sans que la situation eût changé; la France s'impatiente; l'université,
les évêques reprennent la question d'obédience; un concile national
(nov. 1406) s'attaque au principe même de l'autorité pontificale.
Enfin, la France, lasse des atermoiements de Benoit, déclare, dans les
premiers mois de 1408, que si jusqu'à l'Ascension il n'y avait pas
accord entre les deux pontifes, elle ne prendrait plus parti ni pour
l'un ni pour l'autre. Benoît, qui se trouvait à Gênes en ce moment,
répondit à la sommation de Charles VI par un bref qui menaçait
d'excommunication ceux qui chercheraient une autre voie d'accom-
modement ou de réunion que celle des conférences. Le conseil du roi,
en présence des princes du sang, condamne Benoit comme schisma-
tique et perturbateur de l'Eglise (21 mai 1408); peu après les cardi-
naux des deux obédiences réunis à Livourne tombent d'accord sur la
marche à suivre pour mettre un terme au schisme. Le concile de Pise
dépose, le 5 juin 1409, Pierre de Luna et Angelo Corrario, et le conclave
proclame le cardinal-archevêque de Milan sous le nom d'Alexandre V.
Benoit ne cède pas. Quoique solennellement reconnu coupable de
parjure et indigne de tout honneur, quoique privé par un concile de
tout droit de commander et de retrancher de l'Eglise, il s'obstine à
garder son titre et à exercer des pouvoirs que personne ne veut plus
BENOIT XII r 189
reconnaître. Lie concile de Constance, après avoir arraché la tiare à
Jean XXIII et amené Grégoire XII à se retirer, essaie de vaincre
l'obstination <le Benoit; rien. n'y lit, ni les représentations de Sigis-
mond, ni les prières du roi d'Aragon; l'intraitable vieillard voulait
mourir pape, et lorsque les envoyés du concile arrivèrent à Paniscola
en Catalogne, accompagnés de trois notaires, et lui firent donner lecture
de l'acte de déposition voté le 26 juillet 1417 , il frappa violemment
sur le dossier de son siège en sYcriant : « Voici l'arche de Noé. »
Benoit ne mourut qu'en 1421, à l'âge de quatre-vingt-dix ans; son
pontifical avait duré trente ans. — Muratori,/?. /. Scriptore8,lU,2; Baiuze,
Vitœ Paparum Avinionensium, P.,1693;Diètrich de Mien, De schismate,
lil». il, III; Theiner/Corfea; diplomaticus dominiitemporalis;lx\yèha\ des
Ursins, Vie de ('hurles VI; Tessier, Histoh*e des souverains Pontifes (/ni
ml siégé à Avignon, Avignon, 1774; Christophe, Hist. de la Papauté
pendant le quatorzième siècle, 1853; André, Hist.politiq. de la monar-
chie pontificale au quatorzième siècle,?., 1854; Magna, Hist. d'Urbain V
et de son siècle, P., 18(tè ; Gregorovius ; de Reumont, etc.
BENOIT XIII (Vincenzo-Maria Orsini de Gravina), dominicain,
cardinal en 1672, archevêque de Bénévent en 1(585, élu pape le
30 mai 1724. L'Eglise perdit à cette élection un excellent archevêque
el n'y gagna qu'un pape médiocre. Trop confiant dans les hommes,
inexpérimenté malgré son grand âge, Benoit compromit par sa fai-
blesse les intérêts du saint-siége. Des favoris indignes le suivirent à
Rome et s'y emparèrent de la direction des affaires; un de ses
domestiques, NiccoloCoscia, se lit nommer secrétaire des mémoriales,
puis cardinal malgré la protestation du sacré-collége. Benoit, tout à
ses exer< ices de piété, ignora ou toléra des dilapidations scandaleuses,
le trafic des grâces et des bénéfices, une licence de mœurs telle qu'on
ne l'avait plus vue depuis bien des années et que nous a décrite un
voyageur allemand > Jean-Georges Keyssler, dans sa relation pédante mais
vëridique. En 1725, Benoit célèbre le seizième jubilé de Tannée sainte,
convoque un concile provincial à Saint-Jean-de-Latran qui décide la
tenue triennale du concile provincial et la tenue annuelle des assem-
bléès diocésaines et qui prend de sages mesures relativement aux
tribunaux ecclésiastiques. Dans cette même réunion la bulle Unigenitus
lut proclamée règle de foi; mais on a prétendu que le secrétaire Fini
inséra frauduleusement cette résolution dans les actes du concile. Ce
qui esl certain, c'est que la cour de Rome; n'a jamais protest*' contre
cette supercherie et que Benoît demanda et obtint dans la suite que la
France ne lit plus opposition à cette bulle. En 1729 le pape autorise la
légende de Grégoire VII et condamne les édits publiés en France contre
l'extension de cet office à toute l'Eglise; il canonise saint Jean Népo-
mucène et approuve l'opinion de Pertusati relative à l'authenticité du
corps de saint Augustin récemment découvert. "Le cardinal de Noailles,
lied amitié avec Benoit, lui avait écrit dès après son exaltation pour
le supplier de donner la paix à l'Eglise; dans une seconde lettre il lui
soumel douze articles doctrinaux sur les questions qui divisaient alors
le catholicisme. Benoit était prêt à les approuver, l'opposition
190 BENOIT XIII — BENOIT XIY
du sacré-collége l'empêcha de travailler comme il aurait voulu à
l1 apaisement des esprits. Il publia toutefois un bref favorable à la doc-
trine de la prédestination et de la grâce efficace par elle-même que
soutenaient les dominicains et qu'il appelait tutissima et inconcussa
SS. Augustini et Thorax dogmata. Aux protestations des cardinaux il
se contenta de répondre : « Vous m'avez fait pape malgré moi, je vous
ferai obéir malgré vous. » Les jésuites ayant réclamé : « Appelez-en
au concile, leur dit-il, vous m'y trouverez. » Benoit a eu quelques
démêlés sans importance d'ailleurs, avec la cour de Vienne, au sujet
de Parme et Plaisance, avec la diète polonaise et avec le roi Jean V de
Portugal. Il mourut en 1730. Nous possédons de ce pape un ouvrage
étendu : Homélies sur l'Exode, Rome, 1724, 3 vol. in-4°. — A consulter :
Aless. Borgia, Vita Benedîcti XIII, Rome, 1741; Walch, Commentatio
de Concilia Lateranensi, Lips., 1727; Kapp, Historia Conc. Lateran.y
Lips., 1731 ; Ranke, Die Pœpste ; de Reumont, Gesch. der Stadt Rom.
BENOIT XIV (Prospero Lambertini), d'une famille illustre de Bologne,
cardinal en 1728, archevêque de sa ville natale en 1731, élu pape le
17 août 1740, était qualifié plus que personne par ses talents, par
son caractère, par sa science pour relever l'autorité pontificale, pour
réconcilier l'Eglise avec l'Etat et pour faire cesser les dissidences.
En 1744 il publie la bulle Ex quo sin g ulari contre les pratiques supersti-
tieuses que certains missionnaires autorisaient en Chine et aux Indes ;
en 1745, la Sacrée Congrégation de Rome proscrit sur ses ordres la
Bibliothèque janséniste du jésuite Colonia qui renfermait, entre autres
livres, les œuvres du cardinal Noris, zélé défenseur de la doctrine de
saint Augustin. Dix ans après Benoît condamne Y Histoire du peuple de
Dieu du jésuite Berruyer. L'assemblée du clergé de France, n'ayant pu
tomber d'accord sur la manière de traiter les non-constitutionnaires
dans l'administration des sacrements, s'adressa en 1755 au pape qui
répondit par une lettre encyclique conciliante et raisonnable. Dans
ses rapports avec les puissances catholiques, Benoît déploya autant de
modération que d'habileté ; il apaise la cour de Sardaigne qui s'était
vu retirer soiis Clément XII des concessions importantes, par les ins-
tructions concordatives de 1741 et 1750; il signe en 1753 avec l'Espa-
gne un concordat par lequel il renonce au droit de collation des petits
bénéfices en se réservant cinquante-deux de ces bénéfices pour qu'il
puisse récompenser des prêtres espagnols et en se faisant payer une
indemnité en argent ; dans le royaume de Naples les privilèges de la
nonciature sont réduits, le clergé est obligé de contribuer aux impôts,
Benoit n'y fait pas d'objection. Il va si loin daqs la voie des conces-
sions qu'il abolit, à la demande de la cour impériale, plusieurs jours de
têtes, qu'il éteint le droit de patronage qu'exerçait le roi de Portugal
sur l'Eglise de ses Etats, institue un patriarche légat à Lisbonne. Enfin il
cède aux instances de Pombai, soutenu par plusieurs ordres religieux
et par le parti des philosophes, et donne, par un bref de visite et de
réforme, le droit au cardinal Saldanha d'inspecter les établissements des
jésuites situés en Portugal et dans les colonies portugaises. Peu après
Saldanha, dans un décret très-énergique, blâme les opérations com-
BENOIT XIV 191
merciales de la Société el accorde pleins pouvoirs au roi pour confis-
quer les marchandises qui lui appartenaient. Benoit, qui était depuis
longtemps mécontent de L'esprit de l'ordre et qui s'était élevé contre
la conduite des jésuites dans les missions, approuva toutes les mesures
prises par SakLanha et PombaL S'il n'eût tenu qu'à lui, la Société eût
été dépouillée de son crédit, ramenée par une réforme radicale à son
institution primitive; c'était peut-être le seul moyen de la sauver, maïs
Benoit n'eut pas le temps d'y recourir. Il mourut avant d'avoir pris
une décision. — Les souverains protestants ou grecs qui étaient en rela-
! ,,ii ou en correspondance avec Benoît et qui traitaient avec lui les
affaires de leurs sujets catholiques, n'eurent qu'à se louer de son esprit
éclairé et de sa tolérance. Frédéric II et Elisabeth Petrowna lui témoi-
gnèrent en toute occasion les plus grands égards ; tous les princes qui
visitèrent Rome sous le pontificat de Benoit publièrent les louanges de
ce papequi les avait accueillis et entretenus en homme du monde et en
homme d'esprit. Les philosophes, dont quelques-uns l'avaient connu
à 'Paris, en faisaient un éloge pompeux et même compromettant;
Grimm l'appelait le plus infaillible de tous les successeurs du prince
• les apôtres, parce qu'il avait à lui tout seul plus d'esprit et plus
d'agrément que tous ses prédécesseurs ensemble (Co?Tespond., 1764).
Joseph II le cite, lors de sa visite au Vatican, en exemple aux cardinaux
et les engage vivement à choisir un pape qui lui ressemble, qui sache
ne vouloir rien de trop et qui surtout, en traitant avec les souverains,
n'oublie pas les règles de la politique et de la bonne éducation (papiers du
marquis d'Aubeterre, ap. Saint-Priest, Chute des jésuites , p. 100-101). Si
Benoit a été apprécié à sa valeur par toute l'Europe éclairée, il fut moins
heureux à Rome où les grands prélats trouvaient qu'il n'avait souci ni de
leurs intérêts ni des intérêts du saint-siége, qu'il les ruinait pour plaire
aux cours étrangères, qu'il riait du monde entier et surtout de ses cardi-
naux, qu'il manquait enfin de la fortezza del petto du prêtre. On n'y
goûtait ni la liberté qu'il affectait dans ses propos, ni ses boutades, ni
même la simplicité charmante de ses manières. Le peuple romain, en
voyant le souverain pontife parcourir les rues de la ville, un jonc
d'Espagne à la main, disait plaisamment ; E un bivbante, questo papa.
On ne lui sut pas gré de ses efforts pour rétablir les finances, pour
uiettic quelque ordre dans l'administration, et 'les mesures qu'il fit
prendre indisposaient même ceux qui devaient y trouver des avanta-
Grand ami des lettres et des arts, il essaie de rendre la vie aux
institutions scientifiques que possédait Rome, il en crée de nouvelles;
il lui manque, pour réussir dans cette tentative, l'argent et les
de talent. Il dote le collège de la Sapiencede chaires de chimie
mathématiques, le Gapitole d'une chaire dé peinture el d'une de
sculpture.; il fonde quatre académies pour l'histoire ecclésiastique, le
droit canonique, les antiquités romaine et chrétienne; il enrichit la
bibliothèque du Vatican; il ordonne des fouilles dans la. ville et dans
les environs et fait transporter an musée du Gapitole les objets d'art
grand nomon . N'oublions pas d'ajouterqùe sous le pon-
tificat de Benoit le grand archéologue Winkelmann vinl se fixer à
192 BENOIT XIV - BENOIT DK NURSIE
Home (1755), où il fut accueilli d'abord avec empressement par le car-
dinal Archinto, puis secondé dans ses travaux, et surtout dans la création
du musée par le cardinal Alessandro Albani. Benoit mourut en 1758, à
Page de quatre-vingt-trois ans. — Benoit était un écrivain infatigable; il
s'est occupé de questions théologiques nombreuses et les a toutes traitées
avec une compétence et une sagacité remarquables; ses œuvres, publiées
d'abord séparément, ont été recueillies plusieurs fois : l'édition la plus
connue et la meilleure a été revue par P. -Emmanuel de Azevado, 1747-
1751, 12 vol..in-4°; l'édition la plus complète a paru à Bassano, 1788,
15 vol. in-fol. ; la plus récente à Prato, 1839-1846. Les principaux
ouvrages de Benoit sont les suivants : De servorum Dei beatificattone et
canonisai ione ; Miscellanea ; De sacro-sanctô fm'ssœ sacrificio ; Instùutiones
ecclestasticœ ; De synodo diocesano libri XIII ; Quœstiones canonicx (t
morales. — A consulter : Fabroni, Vita di Benedetto XIV; Vie du pape
Benoit XIV, P., 1775 et 1785, in-12; Ranke, Die Pœpste; de Reumont,
Geschiehte der Stadt Rom; Winckelmann, Briefe, Berlin, 1824-25,
3 vol. in-8°. ' G. Léser. '
BENOIT DE NURSIE, fondateur de l'ordre des bénédictins, naquit
en 480 à Nursie, petite ville de la Sabine, à une époque où la civilisa-
tion romaine expirante se débattait sous l'étreinte des barbares. La
légende lui donne pour mère l'héritière des comtes de Nursie et pour
père un descendant de la gent Anicia. Envoyé de bonne heure à Rome
pour y faire ses études, il quitte en 494 sa nourrice pour se retirer
dans la solitude, et nous n'avons plus pour nous guider dans sa vie que
des légendes que nous conservons comme un trait caractéristique
de cette époque troublée, car sa biographie, écrite par Grégoire-le-
Grand d'après les témoignages des quatre disciples favoris de Benoît,
est trop pénétrée de l'amour du merveilleux pour que nous
puissions l'accepter sans réserve. Retiré à Lubiaco, sur la frontière
de la Sabine et de l'ancien pays des Eques, le jeune enthousiaste
établit sa demeure dans une grotte presque inaccessible et reçut
pendant trois ans sa nourriture d'un moine Romanus qui chaque
jour lui faisait parvenir un pain par une corde à laquelle était sus-
pendue une sonnette pour l'avertir de sa présence. Ses jeûnes, son
costume sauvage le firent prendre souvent pour une bête fauve par-
les rares paysans superstitieux des alentours, et l'esprit des ténèbres
vint l'assaillir par des tentations et des épreuves multipliées. Toutefois
sa réputation s'étendit au loin, et les moines voisins de Vicovaro le
choisirent pour leur abbé. Mais la rigueur de sa discipline changea
bientôt leur enthousiasme en une haine qui les poussa à se débarrasser
de lui par le poison. Le saint ayant fait le signe de la croix sur la
coupe fatale, celle-ci se brisa en morceaux. Benoit résolut enfin de
grouper autour de lui quelques disciples romains et barbares. Ses
miracles se multiplient : nous le voyons rendre à un Goth négligent la
hache qu'il a laissée tomber au fond du lac et qui revient docile a
l'appel du saint. Une autre fois, Maur, soutenu par son obéissance,
marche impunément sur les eaux et arrache Placide à une mort iné-
vitable. Les prêtres et les moines dégénérés du pays, jaloux de Tin-
BENOIT DE NURSIE 393
fluence de Benoit, honteux de leurprôpre indignité, le forcent à sortir
de sa retraite et à chercher un nouvel asile au Mont-Cassin, isolé, es-
carpé, dont la cime arrondie domine le cours du Siris naissant, les
plaines fertiles baignées par la Méditerranée, et du côté de l'Adria-
tique des vallées sombres et profondes. C'est dans cette retraite que
Benoit passa les dernières années de sa vie (529-543) et fonda un mo-
nastère, le plus fameux peut-être de ceux, qifa fait surgir la piété du
moyen âge. Le paganisme comptait dans ces contrées montagneuses des
contins du Samnium et de la Gampanie de nombreux adorateurs.
Benoît démolit lui-même un antique sanctuaire d'Apollon et travailla
avec un zèle infatigable à civiliser les cœurs et les consciences. Les
moines, obligés à une obéissance aveugle, à un travail manuel et in-
tellectuel, dont il leur donnait l'exemple, construisirent eux-mêmes le
couvent, défrichèrent les campagnes longtemps incultes, nourrirent
pendant une famine des populations malheureuses, qu'ils défendirent
contre les attaques et les spoliations des barbares. Sévère envers lui-
même, inflexible dans l'application de sa règle, Benoit condamnait
toute austérité inutile pour l'àme; habile à lire au fond du cœur, il
semblait deviner les plus secrètes pensées. Ayant fui le monde, il le
voyait venir à lui. En 542, il a une entrevue avec Totila, auquel il
prédit ses triomphes et sa fin prochaine. Lui-même touchait au terme
de son pèlerinage : il mourut entouré des siens le 21 mars 543, debout,
en oraison devant la fosse qui devait recevoir sa dépouille mortelle. —
Benoit a le premier donné à la vie monastique une règle appropriée
aux besoins de l'Occident qui, jusqu'à lui, avait suivi la règle de Saint-
Basile et la vie érémitique de l'Orient. La meilleure édition de la règle
de Saint-Benoit est celle publiée par Dom.Martène (Comm. in reg., etc.,
Paris, 1090, in-4°). Nous devons nous borner à en donner une idée
sommaire. Elle exige la soumission absolue à l'abbé nommé par les
moines eux-mêmes d'après certaines règles et qui ne peut être déposé
que pour cause d'indignité notoire. Le prieur est nommé par l'abbé
et lui doit l'obéissance. Chaque fraction de dix moines est sous la di-
rection d'un doyen qui relève de l'abbé. Des prescriptions minutieuses
entourent de précautions nécessaires l'admission et l'examen des
néophytes; chaque moine a son rôle dans l'ensemble des travaux
communs. Ce fut là la grande innovation de Benoit; ses moines ont été
les défricheurs de l'Europe barbare. A l'obéissance, au silence, à l'hu-
milité, ees trois vertus cardinales du moine, Benoît joint le travail qui
combat l'oisiveté, cette ennemie de l'àme. Les frères doivent à certains
moments se livrer au travail des mains; à d'autres, à de saintes lec-
tures. Sept heures furent assignées au travail, trois à la lecture. Les
articles qui concernent le vêtement et la nourriture sont austères, mais
relativement modérés, proportionnés au climat. —L'essor de l'ordre de
Saint-Benoît fut rapide, immense, d'une valeur incalculable pour le
relèvement matériel et moral du monde barbare. Les couvents cou-
vrent eu plusieurs siècles l'Europe entière. Nous pouvons citer en
France : Glanfeuil d'Anjou, fondé par saint Maur;leBeeen Normandie',
d'où sonl sortis Lanfrancet Anselme; Corbie, centre intellectuel aux
n- 13
194 BENOIT DE NUESIE
septième et huitième siècles ; Saint-Denis ; Saint-Germain-des-Prés ,
Lérins ; Cluny ; Fontenelle ; Fleur y-sur-Loire, fondé par saint Léodebod
en 638; en Angleterre : Glatonsbury, fondé parDunstan; Abingdon ,
en Belgique : Gemblon; en Suisse : Einsiedeln, fondé par Meinrad en
907 ; Saint-Gall ; Reichenau ; en Allemagne : Gorvey ou la nouvelle
Corbie; Saint-Biaise dans la Forêt-Noire; Fritzlar; l'illustre Fulda; en
Italie : Bobbio (600), soustrait comme Saint-Gall à la règle de Colomban.
La règle de Saint-Benoît coïncida avec la fondation de nombreuses
institutions monastiques, et comme elle était la plus large, la plus sage,
la plus modérée, elle pénétra partout, fut seule maîtresse du neuvième
au douzième siècle et profita de ce besoin d'unité, qui assurait le
triomphe de la papauté. Les richesses, Finfluence de Tordre attirèrent
dans son sein de nombreux disciples des hautes classes. 11 conserva, à
côté de la noblesse de ses membres, le monopole de T intelligence, de
la culture et de la conservation des trésors de l'antiquité classique.
C'est de son sein que sont sortis Cassiodore, Bède le Vénérable. Ses
écoles, dans lesquelles on enseignait le trivium et le quadrivium, de-
vinrent des foyers de culture. Aelfric, l'Anglo-Saxon, rédigea pour elles
un glossaire (Oxford, 1659), une grammaire, des Colloquia, des traduc-
tions d'auteurs sacrés et profanes. OEthelwold, évêque de Winchester,
disciple de Dunstan, dirigea lui-même une école pour laquelle il
écrivit des livres élémentaires (950). Abbon suivit la même méthode.
Toutefois, dès le quatorzième siècle la décadence semblait irrémédiable
et Boccace, visitant la bibliothèque du Mont-Cassin, trouvait les livres
couverts de poussière bu déchirés par les moines, qui les vendaient aux
paysans pour leur servir de sortilèges. Les bénédictins se signalèrent
également par leur zèle pour les missions lointaines, où ils remplacèrent
les moines irlandais dès la fin de la période mérovingienne. En Alle-
magne nous les voyons à l'œuvre, en Alemannie, en Bavière, avec Sturm,
qui fonde les évêchés dePassau, Ratisbonne et Augsbourg; en Hanovre
à partir de 856 ; Boniface fonde le monastère d'Ohrdruf en Thuringe.
Celui de Corvey sur les bords du Weser mérite le titre de Dei semina-
rium apostolorium, et projette une grande lumière sur les contrées bar-
bares. C'est de là que l'Evangile pénètre dans l'île de Rûgen en 850;
qu'Anscar se rend enPoméranie; qu'Adalgar part pour une mission en
Danemark à la fin du huitième siècle. De là sort son successeur, Uni,
qui, accompagné de nombreux moines, va prêcher l'Evangile à la cour
du roi Gorm ; entin Canut-le-Grand (1019-35) y trouve ses premiers
auxiliaires dans F œuvre de l'évangélisation de la Suède. En Suisse, nous
voyons Reichenau, fondé en 724; Rheinau, en 778; Pfsefïers; en 720,
la règle de Saint-Benoît remplace celle de Saint-Colomban à Saint-Gall.
L'Anglo-Saxon Aelfric est bénédictin, ainsi que le moine Augustin,
l'apôtre des Anglo-Saxons. Etienne de Hongrie envoie le bénédictin
Astrick en mission à Rome; c'est un bénédictin, Benoit Béta, arche-
vêque de Grann, qui le couronne en Fan 1000. Grégoire-le-Grand, le
biographe de saint Benoît, appliqua sa règle aux couvents de Rome,
de Naples et de la Sicile. De nombreux réformateurs travaillèrent dans
l'esprit du maître à régler la vie monastique: en France, en 670, saint
BENOIT DE NURSIE — BENOIT D'AXIANE 195
Léger ; au neirv ième siècle, Benoit d'Aniane ; en Flandre, Gérard de Bro-
gne (890); en Angleterre, l'archevêque de Gantorbéry saint Dunstan (924-
988), qui écrivit un expose delà règle de Saint-Benoit; en Italie, Pierre
Damien. Innocent III, bénédictin lui-même, lit duMont-Cassin la for-
teresse et la pépinièredu saint-siége, et préféra la règle de Saint-Benoit
à la vie érémitique fondée par Romuald. Fructuosus, archevêque de
Braga (647), exagéra la sévérité de la règle et fonda le couvent de Com-
plutum en Portugal. Dès le neuvième' siècle les couvents bénédictins,
qui avaient réussi à se soustraire à l'influence des évêques, furent
ruinés plus par la domination des riches laïques, auxquels les rois les
livraient en pâture, que par les invasions normandes. Ils créèrent vers
eette époque le tiers-ordre des laïques, qui soutenaient leurs intérêts et
répandaient leur influence. La fondation de l'ordre de Gluny par
Bernon en 910 leur rendit une partie de leur ancien prestige. Peu à peu
les religieuses durent se soumettre à la même règle, mais saint Benoit
n'avait pas songé à elles et Héloïse s'en plaint dans plusieurs de ses
lettres. Ce fut Tordre de Saint-Benoît qui, pendant plusieurs siècles,
fournit à l'Eglise ses évêques les plus éminents, ses papes les plus
énergiques. Tout en étant soumis aux évêques, il fut affranchi de la
juridiction des simples curés qui, choisis dans les ordres les plus
inférieurs de la société, durent être réformés à plusieurs reprises. La
vie canonique tomba bientôt en désuétude, mais la vie monastique se
réforma d'elle-même. Gérard de Brogne et quelques autres introdui-
sirent dans l'organisation de l'ordre la congrégation, libre union des
couvents indépendants les uns des autres. Une union plus étroite ne
put jamais exister et le désir d'une centralisation plus forte amena la
création d'ordres nouveaux, qui eurent bientôt leur vie propre, tout en
acceptant plus ou moins les règles de l'ordre de Saint-Benoît. Celui-ci
se confondit de plus en plus dans la masse, et ses membres, à cause de
leur costume, reçurent le nom de moines noirs. La création des ordres
mendiants lui porta un coup sensible; les décrets de Benoît XIII (1336)
et de Clément VI (1343) n'eurent qu'une influence restreinte et peu
durable. Le concile de Trente, dans sa session XXV (De réf., cap. 8),
organisa des congrégations nouvelles, dont les moines, choisis avec soin
parmi les classes nobles, se livrèrent exclusivement aux travaux scien-
tifiques. Parmi les plus célèbres nous pouvons citer celles des Flandres,
de la Bourgogne, des Pays-Bas, celle de Saint-Vannes de Verdun, qui
luttèrent avec quelque succès contre l'influence des jésuites. L'ordre
des bénédictins reprit une nouvelle vie, grâce à la célèbre congrégation
de Saint-Maur, fondée en 1618 à Paris (voy. l'article Saint-Maur). —
Voyez : saint Grégoire, />ta/.,liv. III ; Mabillon, ActaSanct. Ord. S.B.,
Paris, 1098-1701, 9 vol. in-fol. ; Brandes, Der B. Ord. nach s. welthist,
/>V/.,Tub. Quartalschr., 1851, 1 ; Montalembert, Les Moines d'Occ, II;
Guizot, //ist.fli' la civ. enFr., I, 370-85. A. Paumieb.
BENOIT D'ANIANE naquit en 750 dans le Languedoc. Son nom de
[amille était Witiza, et son père s'était distingué dans les guerres des
ntre les Gascons. Elevé à la cour du roi Pépin, il suivit son fils
Gharlemagne en Italie ci se voua au Seigneur à la suite d'un grand
1-96 BENOIT D'ANIANE — BENOIT (René)
«langer qu'il avait couru en sauvant son frère. Entré au couvent de
Saint-Seine, il trouva les règles de Tordre trop relâchées et se retira
dans la solitude à Aniane, son pays natal. Sa réputation de sainteté
attira près de lui de nombreux disciples, qu'il réunit dans un monas-
tère fondé par lui en 782. Les guérisons merveilleuses, les soins de la
culture et de la charité ne l'empêchèrent pas de relever le chant reli-
gieux et d'initier ses moines à l'étude des Ecritures. 11 créa plusieurs
couvents célèbres, auxquels il donna la règle de Saint-Benoît, en lui
imprimant un caractère à la fois plus rigide et plus minutieux. Son
Ordo regularum se répandit dans la Gaule franque, à Saint-Savin en
Poitou, à Corméry en Touraine, à Sainte-Barbe de Lyon, à Marmou-
tier en Alsace, etc. Nous n'avons pas à relever le rôle politique qu'il
joua sous les successeurs de Gharlemagne. En 794, il prit part à un con-
cile qui condamna les opinions de Félix, évoque d'Urgelles ; en 799 il
l'amena à comparaître au synode d'Aix-la-Chapelle avec un sauf-con-
duit qui fut respecté, et le renvoya dans son diocèse après avoir obtenu
sa rétractation. Nommé abbé d'Inde, près Aix-la-Chapelle, par Louis-le-
Débonnaire en 815, il reçut en 817 la mission de réformer tous les or-
dres religieux et l'empereur lit publier sous sa rédaction un capitulaire
en quatre-vingts articles, qui renferme plus d'un détail puéril. Benoît
s'attira par ses réformes et ses idées politiques de nombreux adver-
saires, dont les principaux, Adalhard et Wala, rentrèrent en faveur
aussitôt après sa mort, survenue le 12 février 821. — Voyez : sa Vie,
par Ardon; Mabillon, Act. Sanct. Ord. Bened., ssec. IV, 1; Néander,
K. G., V, 215, VI, 188 ss. ; Guizot, 'Cîv. en Fr., II, 216 ss.
BENOIT LEVITA, c'est-à-dire diacre, célèbre par la rédaction d'un
recueil destiné à continuer et à compléter celui d'Anségise. Entreprise
vers 840 et achevée sept ans après, sur l'instigation d'Autgar, arche-
vêque de Mayence, cette collection de prétendus décrets de synodes et
de diètes, dispersés in diversis locis et in diverses schedidis, bien qu'elle
portât le titre de 5e, 6e et 7e livres des Capitulaires d'Anségise, ne compta
jamais au nombre des codes de l'empire. Dès le dix-septième siècle son
authenticité a été fortement attaquée par Blonde! et Conring, et faible-
ment défendue par Baluze; de nos jours, Savigny (Gesch. des rom.
Redits im 'Mittelalter, II, § 45) et Knust {De Benedicti Leviix collectione
rapitularium, 1836) ont prouvé avec la dernière évidence que le recueil
de Benoit est l'œuvre d'un faussaire qui a habilement mis à profit les
ouvrages les plus divers que recelaient les archives et la bibliothèque
épiscopales de Mayence, les codes des Visigoths et des Bavarois, celui
de Théodose, la Bible, les écrits des Pères, les recueils de canons,
mais surtout les Fausses Décrétâtes (voy. cet article), dans le but de
faire donner force de lois en Allemagne aux théories ecclésiastiques
contenues dans le recueil de Pseudo-Isidore, notamment en ce qui
concerne les droits de l'épiscopat vis-à-vis de la royauté. La collection
de Benoît a été publiée dans les Monumenta Germanise Legum, IL
BENOIT (René) [152L-1608]. Confesseur de Marie Smart, puis curé
de Saint-Eustache en 1669, il fut l'un des chefs de ce parti mitoyen,
royaliste et gallican, appelé politique pendant la Ligue, janséniste plus
BENOIT (René) — BENOIT (Elie) 197
tard, et dont on retrouverait peut-être quelqu.es traits dans l'école
dite catholique-libérale de notre temps. Benoit fut par excellence
l'homme des compromis, et il en ('prouva tour à tour les avantages et
les inconvénients. Il donna en 1566 (Paris, in-fol.) une traduction
française de la Bible on il avait mis peu du sien, s'étant contenté de
corriger à sa façon la version de Genève, et d'y adapter à la marge
des notes de Vatable augmentées de remarques de controverse à
l'adresse des hérétiques. Cette précaution ne sauva ni le livre de la
censure ni l'auteur de la colère de la faculté qui l'exclut de son sein.
Après de vaines protestations, il publia une nouvelle édition de sa
Bible (1588, 2 vol. in-4°), enrichie d'une apologie dans laquelle, né-
gligeant adroitement les autres griefs, il s'étonne « que la langue fran-
çaise soit plus excommuniée, pour parler chrétien, que la latine ou
autre langue quelconque. » Le courage lui était revenu avec la faveur
du roi qui venait de le nommer professeur cle théologie au collège de
Navarre. Mais la faculté ne se départit pas de sa rigueur, et pour y
rentier comme doyen, en 1588, il dut se résoudre à souscrire à ses
condamnations. Benoit était intimement liéavec le jurisconsulte Belloy,
ce fougueux adversaire des Guise et des ligueurs. Il soutint avec lui
que les droits du roi de Navarre au trône étaient indépendants de son
orthodoxie. Du reste, il travailla avec succès à éviter aux amis catholi-
ques du Béarnais la nécessité de défendre cette thèse jusqu'au bout.
Forcé de fuir les fureurs des Seize, il se réfugia au camp du roi. Henri
se prêta à ses conseils, et Benoit de son côté obtint de l'assemblée
de Saint-Denis que le roi fût réconcilié avec l'Eglise sans attendre
ordres de Borne. Ce' service inappréciable lui valut l'évêché de
Troyes. Mais les ultramontains ne lui pardonnèrent jamais son gallica-
nisme et surtout l'application qu'il en avait faite en esquivant l'inter-
vention directe du pape dans l'abjuration de Henri. On renouvela les
vieux griefs d'hétérodoxie de sa Bible, et malgré les efforts du cardinal
d'Ossat, il ne »*eçut jamais ses bulles et n'eut de son évèché que le re-
venu temporel. Il finit même par l'abandonner en 1604 (voy. d'Ossat,
Lettres ; Mézeray ; et, pour la longue liste de ses ouvrages, Lacroix du
Maine et .Nicéron, t. XLI). P. Rouffkt.
BENOIT Elie), né à Paris le 20 janvier 1640, mort à Delft le 15 no-
vembre 17:28. pasteur etécrivain, l'une des victimes de la révocation de
1 édit de Nantes, est surtout connu par son Histoire de cet édit célèbre.
Fils <\'i\\\ concierge de l'hôtel de La Trémoille, il fit successivement ses
études aux collèges d'Harcourt, de Montaigu et de La Marche, et acheva
sa philosophie a Montauban. Il racheta quelques années de dissipation
par un.- longue vie de travail et de dévouement. Il étudia la théologie
tout endonnanl «l<-^ leçons à quelques élèves, et fut consacré pasteur
vers 1664. Il desservit pendant environ neuf mois deux églises de la
Beauce, et lut appelé, en 1665, dans celle d'Alençon, où il remplit les
fonctions pastorales pendant vingt ans, au milieu des circonstances h-,
plu- difficiles. Il soutint une lutte fort vive contre le P. de La Rue sur
divers points de controverse; et ce jésuite trop fameux n'ayant pu,
malgré son éloquence, vaincre l'opposition de son savant adversaire,
198 BENOIT (Elie)
eut recours, pour se débarrasser de lui et des protestants de la ville, à-
un moyen plus expéditif : il fanatisa par ses prédications la populace
catholique, qui vint, le 10 août 1681, assaillir le temple nouvellement
élevé dans le faubourg de Lencrel. Les assaillants furent repoussés à
coups de cannes et d'épées par les huguenots, tandis que Benoit conti-
nuait tranquillement sa prière. Celui-ci ne quitta pourtant Alençon et
la France qu'après la révocation. Il fut nommé troisième pasteur de
l'église wallonne de Delft, et après trente-et-un ans de ministère dans
cette église, il obtint en 1715 le titre de pasteur émérite. Dans sa nou-
velle patrie, il s'employa avec une activité infatigable à la défense et au
soulagement de ses frères persécutés. Il fut, avec Jurieu, l'un des agents
les plus dévoués des réfugiés, surtout lors des négociations qui précédè-
rent la paix de Ryswick (1697). Il aurait voulu que les plénipotentiaires
des princes protestants imposassent à Louis XIV le rétablissement des
Eglises réformées de France. Mais les princes ne donnèrent pas des ordres
dans ce sens : ils tenaient à garder dans leurs Etats ces milliers de
familles qui déjà avaient apporté avec elles F industrie, la moralité, la
foi. — Benoit a publié de nombreux ouvrages de controverse, de polé-
mique ou d'édification. Le seul qui soit resté est sou Histoire de redit de
Nantes... jusques à l'édit de révocation, en octobre 1685, Delft, 1693 et
1695, 5part.in-4°; trad. en anglais, Lond., 1693, in-4°, et en flamand,
Amst., 1696. 2 vol. in-fol. 1er vol. : de l'origine de la Réforme à la mort
de Henri IV, en 1610 ; 2e vol. : règne de Louis XIII, 1610-1643 ; 3U vol. :
1643-1665; 4" vol.: 1665-1683 ; 5e vol.: 1683-1688; avec des centaines
de pièces justificatives. Le style est diffus, la composition lâche, la
forme vieillie ; en outre, bien .des pages sont amères ; Fauteur ne con-
tient pas son indignation contre le clergé catholique qu'il accuse, à bon
droit, d'avoir poussé à la persécution. Mais sa fidélité historique est
incontestable. Il avait eu entre les mains de précieux mémoires recueil-
lis par Abr. Tassereau, qui avait été pendant vingt ans secrétaire de
Louis XIV, de 1653 à 1673, et qui mourut à Rotterdam en 1689. Sa
véracité a été confirmée par toutes les pièces officielles qui ont été
publiées depuis lors ou qui ont été consultées dans les archives et les
bibliothèques publiques. La seule réfutation qui fut tentée par les
PP. Thomassin et Bordes (Paris, 1703, 2 vol. in-4°) consista à justifier le
roi persécuteur : il aurait eu le droit de frapper des hérétiques, à
l'exemple des premiers princes chrétiens; comme si un crime pouvait
être légitimé par un crime semblable ! Quelques erreurs seulement, et
de peu d'importance, se sont glissées dans cette masse de détails et
de noms propres. Mais l'auteur, après avoir reçu des lettres qui
rectifiaient des faits avancés dans son Histoire, signala lui-même ces
rectifications dans son Supplément, qui malheureusement n'a pas été
imprimé, et qui contient en 84 pages serrées in-folio une continuation
de son Histoire jusqu'en 1690. Ce supplément, de la main de Benoît,
se trouve dans les manuscrits d'Ant. Court à la bibliothèque publique
de Genève, n° 50. D'autres documents inédits sur le même sujet sont
dans la même collection, aux nos 17 et 48. Chauffepié donne les titres
avec des extraits fort étendus de seize autres volumineux manuscrits
BENOIT (Elie) — BENTLEY 199
laisses par notre pasteur, mais qui n'ajoutent pas grand'chose à sa ré-
putation : il pensait librement, mais il a exprimé, en critique et en
philosophie, des idées singulières et bizarres. Sa gloire a été de racon-
ter fidèlement les souffrances et l'héroïsme de nos pères martyrs, et
cette gloire lui restera. — Sources : Haag, Fr. prot., II, et Bulletin du
Prot. fr.. VU, VIII, XI. Ch. Dardier.
BENOIT (le Père) [i663-1742]. Issu d'une famille maronite du Mont-
Liban, il l'ut envoyé à Home à l'âge de neuf ans. Après treize ans
d'études, il retourna dans son pays où le patriarche Adœnsis le chargea
de corriger ses ouvrages sur la liturgie et l'histoire des Maronites.
.Délégué à Rome par l'Eglise maronite d'Antioche, il fut retenu en
Italie par Cosme 111 de Florence qui lui conlia l'organisation de son
imprimerie pour les langues orientales et la publication de plusieurs
manuscrits écrits en ces langues. Benoit, à quarante-quatre ans,
renonça à la chaire d'hébreu que Cosme lui avait donnée à Pise, pour
se faire jésuite. Après son noviciat, Clément XI l'adjoignit aux savants
qu'il avait chargés de réviser le texte grec de la Bible. Le cardinal Qui-
rini, qui avait été son élevé, le décida plus tard à entreprendre une
édition de saint Ephrem, son compatriote. La mort le surprit au milieu
du second volume, et le savant Assemani, sous-bibliothécaire du Vati-
can. en acheva la publication (Rome, b' vol. in-fol., 1742-46).
BENTHAM (Jérémie) [1748-1832], de Londres, donna une forme juri-
dique à la morale utilitaire. Ils'occupade la réforme des lois et reçut de
la Convention le titre de citoyen français. Son Introduction aux princi-
pes de la morale et de la législation, 1789, exposait qu'une action est
bonne quand elle est utile, quand elle a pour conséquence d'augmenter
notre bonheur ou de diminuer nos maux ; c'est à ce titre seulement
qu'elle est juste, morale, légitime. Le principe de nos actions, c'est
donc l'intérêt, et le critérium du bien n'est que le calcul du plus grand
plaisir, évaluation qui s'obtient en considérant chaque plaisir au
point de vue de son intensité, de sa durée, de sa certitude, de sa
proximité, de sa fécondité en. plaisirs nouveaux et de sa pureté de
toute douleur. Le problème d'arithmétique morale se complique tou-
tefois de plusieurs éléments encore: le tempérament, l'état de santé,
les habitudes, etc. Le même raisonnement s'applique aux douleurs, et
la législation, en attachant un châtiment aux actions malfaisantes, con-
tribue au triomphe du bien. Bentham n'admettait pas qu'il pût y avoir
opposition entre l'intérêt individuel et l'intérêt général ; à cet elïet, il
s'appuyait sur un deuxième principe, la sympathie naturelle qui unit
les hommes, et enveloppait ainsi dans la philanthropie une doctrine
donl l'égoïsme était le point de départ, heureuse inconséquence qui
seule pouvait satisfaire son âme bienveillante. — Voyez Joutfroy,
('oins de droit naturel, t. II. M. Grote a publié récemment, d'après les
papiers de Uentham, La religion naturelle, son influence sur le bonheur
du genre kumain9U, en fr. par M. Gazelles, 1874.
BENTLEY (Richard), célèbre philologue anglais, né en 1662 à Oulton,
près Wakefield, dans l'Yorkshire. Son père, qui n'était qu'un simple
maréchal-ferrant, l'envoya d'abord à l'école de Wakefield. Il en sortit
200 BENTLEY — BEEAULD
en 1670 pour aller à Cambridge. Il se lit remarquer de bonne heure
par son goût pour les langues anciennes et par son érudition critique.
A l'âge de vingt-quatre ans, il avait composé, dit-on, une table alpha-
bétique de tous les mots hébreux contenus dans la Bible avec leurs
diverses interprétations en chaldéen, en syriaque, en latin, etc. En
1700, il fut nommé professeur de théologie au collège de la Trinité à
Cambridge, et Tannée suivante fut pourvu d'un archidiaconatà Elv. Sa
passion pour la critique philologique ne l'empêcha pas de publier un
volume de sermons qui, après avoir eu un certain nombre d'éditions
en anglais, ont été traduits en plusieurs langues. Dans ces sermons,
Bentley s'applique à réfuter l'athéisme et puise surtout ses arguments^
dans les idées philosophiques de Newton et de Locke. Il mourut en
1742, à un âge avancé.
BÉRAULD (Michel), né au Mans vers 1535 et mort à Montauban le
11 juillet 1610. Vers 1555, il quitta le couvent des dominicains de sa
ville natale, où il faisait son noviciat, pour faire profession de la reli-
gion réformée. Reçu au ministère évangélique en 1560, il desservit les
Eglises de Lodève (1561 et 1562) et de Béziers (15*33 et 1564). Chassé
de cette ville par la persécution, il se rendit à Montauban. On le trouve
pasteur à Puylaurens en 1573, puis de nouveau à Béziers en 1576.
Cette Eglise ayant été dispersée quelques mois à peine après son
arrivée, il alla desservir l'Eglise de Réalmont (1577-1579). 11 fut à cette
dernière date nommé pasteur à Montauban, et à la fondation de
l'académie de cette ville, il fut appelé à une des deux chaires de théo-
logie. Sauf un intérim de deux ans environ qu'il passa à l'académie
de Saumur, qui avait réclamé momentanément ses services, il remplit
ses deux fonctions de pasteur et de professeur à Montauban jusqu'à
la lin de ses jours. Michel Bérauld joua un rôle considérable dans
l'Eglise réformée de son temps. Il prit part à de nombreuses confé-
rences sur les matières controversées, assista à plusieurs assemblées
politiques, et présida les trois synodes nationaux de Montauban (1594),
de Montpellier (1598) et de La Rochelle (1607). Le caractère de son
action dans l'Eglise réformée de France est surtout marqué par le fait
qu'il fut le principal promoteur du parti de la résistance. Ses écrits
sont peu nombreux, ce qui ne saurait étonner de la part d'un homme
qui prit une part très-active à presque tous les événements importants
de son temps dans l'Eglise réformée. Voici la ;lisle de ceux que nous
avons pu avoir entre les mains : Athénagoras d'Athènes, philosophe chres-
titn, louchant fa résurrection des morts, Montauban, L. Rabier, 1582,
pet. in-8° de 70 pages, plus une dédicace de 6 pages aux protestants
de Béziers, une préface de 20 pages et 2 pages contenant deux sonnets
de Jean Gardesi ; Briçve et. clan e défense de la vocation des ministres de
l'Evangile, contre la Répliq. de messire Jacq. Davy, évesque d'Fvreux,
Montauban, Denis Haultin, 1598, petit in-8° de xxi et 498 pages;
Epistola apologetica ad l'iantavitium Pauseum semi-jesuistam, Salmurii,
1608, petit in-8° de 164 pages ; Disputationum theologicarum prima de
sacra theologia (thèse sur laquelle argumenta Pierre de Liques), Sal-
murii, 1608, in-4° de 6 pages.
BÉRAULD 201
BÉRAULD (Pierre), un des (ils de Michel, né à Réalmont de 1577 à
1579, el mort à Montauban en 1645. Après avoir passé quelque temps
à aider son père à Montauban, il desservit les Eglises de Bergerac
(1603-1613), de Pamiers (1614-1618) el de Montauban (1619-1645).
Après la mort de Charnier, il fut nommé à la chaire de théologie
laissée vacante à l'académie. Il poussa encore pins loin que son père le
système de la résistance et prit une part active aux guerres civiles de
1621 à 1628 (Aymon, Synodes nation., t. 11, p. 456, 458, 467 et 468).
Nous ne connaissons de lui que les écrits suivants : L'Estat de Mon-
tauban depuis In descente de l'Anglais en Ré le ¥2 juillet 1027 jusqu'à la
reddition de La Roc/telle, (Montauban) 1028, in-8° de x et 161 pages;
L Espluchement de soy-mème, ou sermon faict au jeusne des Eglises de
France, célébré en celle de Montauban, le quatrième jour de mars 1621,
fur Sopftonie II, Montauban, Pierre Goderc, lb'22, in-8° de 128 pages;
La Froissure de Joseph, ou sermon faict le vingt-neuvième jour de sep-
tembre 1()22 en la solennité du jeusne célébré en l'Eglise de Montauban,
pour les fidèles de Montpellier assiégés, Montauban, Pierre Codcrc, 1022,
in-8° de 102 pages. M. Nicolas.
BÉRAULD (Nicolas). Né en 1473 à Orléans, il y professa le droit,
pendant plusieurs années, avec une distinction qu'attestent les écrits
d'Erasme et de Badius. Quittant les travaux du jurisconsulte pour ceux
du philologue et de l'humaniste, il vint à Paris, où il vécut dans la
société de Budé, de Huel, de Louis de Ruzé, de François de Loques,
d'Etienne Poucher, et d'autres amis des lettres. Occupé de ses études
favorites et obéissant en outre au mouvement qui, en France de môme
qu'en d'autres contrées de l'Europe, poussait alors les esprits à la
recherche de la vérité religieuse, il s'intéressa aux premiers travaux
entrepris pour la restitution et la publication du texte des saintes Ecri-
tures. Vne étroite amitié s'était établie entre lui et Louis de Berquin,
disciple de l'Evangile et courageux adversaire de l'intolérante Sorbonne :
l'année même où Berquin, martyr de ses convictions chrétiennes, fut
brûlé à Paris, Bérauld lit paraître dans cette ville un écrit {Enarratio
Psalmorum LXXI et CXXXII, in-4°, Parisiis, 1529) dont la composition
tut sans doute inspirée par son amitié pour la pieuse victime du l'ana-
tisme de la Sorbonne et de ses adhérents. De 1514 à 1528, Bérauld
avait conquis par d'importants écrits une place honorable dans le
monde savant; non moins sûr que bienveillant dans ses relations, il
jouissait de la réputation méritée d'homme de bien et de savoir. Ce fut
alors que la maréchale de Chàtillon le chargea de diriger l'éducation
de m> gis Odet, Gaspard et François. Dès le début de sa mission,
Bérauld justilia pleinement la confiance dont il avait été investi. Il ai-
mait la jeunesse et possédait le secret de se faire comprendre et aimer
d'elle. Alliant à une fermeté calme et digne une aménité de langage et
de manières qu'accompagnait l'expression d'une physionomie empreinte
de bout.', il se concilia d'autant plus aisément l'affection de ses trois
disciples, qu'il leur lit sentir immédiatement la sincérité de la sienne.
On ignore jusqu'à quelle limite Bérauld poussa les études des lils
de la maréchale. Quant aux directions morales qu'ils reçurent de leur
202 BÉRAULD — BERENGER
zélé précepteur, elles ne purent qu'être salutaires, à raison des senti-
ments élevés qui animèrent celui-ci. Odet de Ghâtillon, devenu de
bonne heure cardinal, attacha Bérauld à sa maison. On ignore la
date de sa mort. — Voyez : doni Lyron, Singularités histor. et
littér., t. III; dédicace de Bérauld à Poculus, 9 nov. 1520 (Bibl. nat.,
mss. f. fr., vol. 6864) ; lettres de Bérauld à Erasme des 16 mars 1518,
1er juillet 1519 ; d'Erasme à Bérauld, du 21 février 1517 ; de Berquin à
Erasme, du 17 avril 1526; de Morelet à Bérauld, du 9 août 1534
(op. Herminjard, corresp. des réform.). J. Del aborde.
BÉRÉE : 1° ville de Macédoine, en Emathie, au sud-ouest de Pella, sur
le fleuve Astrœos et au pied du mont Bermios. Bérée est une des plus
anciennes villes de cette riche contrée. Saint Paul y prêcha l'Evangile
dans son premier voyage en Grèce, en se rendant de Thessalonique
en Achaïe (an 54 ; comp. Act. XVII, 10-15). Aujourd'hui : Berre ou
Kara-Ferdja. — 2° Bérée, en Syrie, nom de la ville située entre Antio-
che et Hiérapolis, sur le fleuve Halos, et beaucoup plus connue sous
son nom actuel, Alep (voy. Helbon). — 3° Localité d'ailleurs inconnue
de Judée, où périt Judas Machabée (1 Mac. IX, 4).
BERENGER DE TOURS, né au commencement du onzième siècle,
disciple du savant et pieux Fulbert, évêque de Chartres, esprit fin et
libre, mais caractère faible, nourri des lettres anciennes et habile dans
l'art de la dialectique, joua un rôle important dans les débats relatifs
à la fixation du dogme de la transsubstantiation. Il représente l'opposi-
tion au matérialisme sacramentaire qui triompha au quatrième con-
cile de Latran. Scholastique de Tours depuis 1031 et archidiacre
d'Angers depuis 1040, jouissant d'une grande considération tant à
cause de sa piété que de sa science, Bérenger se prononça en faveur
de la doctrine attribuée à Scot Erigène (en réalité professée par Ba-
tramne), contre celle de Radbert, presque universellement reçue dans
l'Eglise, d'après laquelle la substance du pain et du vin se changent
en corps et en sang du Christ dans le mystère de l'eucharistie. Béren-
ger, qui avait soutenu d'abord que Jésus-Christ n'est pas réellement pré-
sent dans la sainte Cène, mais seulement en figure, fut amené, dans
le cours delà controverse, à modifier sa manière de voir et à reconnaî-
tre que Jésus-Christ est présent réellement dans le repas eucharistique,
mais par son esprit, c'est-à-dire par la force spirituelle qui est cachée
dans la substance des éléments terrestres du pain et du vin. Ceux-ci ne
peuvent subir de transformation, parce que l'on ne peut admettre que
les signes et les qualités d'une substance sont indépendants d'elle, et
continuent à subsister, alors que cette substance elle-même a été
changée en une autre. Le corps du Christ est au ciel où il demeure
sans plus en descendre. En s' unissant avec Christ par la foi, le chré-
tien devient participant des vertus attachées à ce commerce tout spirituel.
Pour lui, mais pour lui seul, les espèces matérielles se changent en quelque
mesure en vrai corps et en vrai sang du Christ, avec les vertus qui leur
sont propres. Celui qui ne croit pas ne reçoit absolument que le pain et
le vin. En un mot, Bérenger, par un jeu de mot subtil, enseigne une
transsubstantiation non des éléments terrestres présents dans la Cène,
BÉRENGER DE TOURS 203
mais de leur efficacité dans l'âme du croyant. Sa conception, qui
manque de netteté, se t'approche de celle de Calvin. Luther, de même
que l'Eglise catholique, la considérait comme entachée d'hérésie. — Ce
fut dans une lettre à Lanfranc, prieur de Bec, passionnément épris de
la formule de Radbert, que Bérenger exposa pour la première fois avec
suite sa doctrine. Dénoncé et condamné sans être entendu par les con-
ciles de Rome et de Verceil (1050), retenu en prison à Paris par
Henri 1"", désireux de s'emparer de ses biens, il parvint à gagner la fa-
veur du puissant légal du pape, Hildebr and, qui, dans son éloignement
pour les discussions subtiles de la scolastique, voulait que Ton s'en
tint, relativement à la Cène, aux paroles de l'Ecriture sans y ajouter de
commentaires. Dans un synode tenu à Tours en 1054, il se contenta
de la déclaration faite sous la foi du serment par l'accusé qu'il ne niait
pas la présence du Christ dans la Cène et regardait les éléments consa-
crés comme sou corps et son sang. Enhardi par ce succès, l'archidia-
cre se présenta à Rome dans l'espoir d'obtenir du pape la confirma-
tion de la sentence de Tours. Mais il se trompait amèrement. Un parti
fanatique, à la tête duquel se trouvait le cardinal Humbert-de Langres,
l'obligea, au synode de 1059, de jeter ses écrits au feu et de signer une
confession de foi portant que « le pain devenu, après la consécration,
véritable corps du Christ, était saisi sensualité)' parla main du prêtre,
rompu et broyé par les dents des fidèles. » irrité de la faiblesse dont il
s'était rendu coupable, Bérenger se rétracta publiquement dès qu'il
eut franchi les Alpes et s'engagea dans une controverse très-vive, en
particulier avec Lanfranc, au cours de laquelle il fut amené à donner
à son opinion une forme plus précise, comme aussi à la soutenir par
des arguments plus décisifs. Toutefois la, doctrine contraire ne tarda pas
à triompher. Elle avait pour elle d'être beaucoup plus saisissable, dès
que le miracle de la transsubstantiation était admis, et de répondre à
la fois au goût de l'époque pour les opérations magiques et à la tendance
de l'Eglise d'augmenter toujours davantage le prestige du sacerdoce.
Hildebrand, devenu pape sous le nom de Grégoire VII, et que les questions
de dogme intéressaient moins que celles de discipline ecclésiastique,
hésita à compromettre plus longtemps sa réputation d'orthodoxie en
soutenant l'hérétique de Tours. Celui-ci, mandé au deuxième synode
de Rome (1079), se vit obligé d'adhérer à la doctrine de la transsub-
stantiation pure et simple et de promettre de cesser toute controverse
ultérieure sur ce sujet. Le co^ur ulcéré, brisé par l'âge et par les cha-
grins. Bérenger se retira dans l'île de Saint-Côme, près de Tours. 11 y
reçut, dans les pratiques d'un ascétisme rigoureux, jusqu'à sa mort
(1088i. — Sources : la plupart des ouvrages de Bérenger sont perdus;
ce qui en reste se trouve, avec les écrits de Lanfranc, dans les collec-
tions des PP. d'Achéry et Martenne. en particulier Epistola <ul Lanfr,,
prim. éd. d'Achéry, in opp. Lanfr., p. 22, chez Mansi, XIX, 7(>8, et
Acla concilii /!>>///. sub (irey. P. Vil, ah ipso Bereng. conscripta, prtm,
tri. Martenne, m tkesaur, nov. anecdote IV, 99, chez Mansi, XIX, 761.
Leasing a retrouvé à Wolfenbûttel l'importante défense, de Sacra cœna
nilr. Lanfr, lib. < voy. Berenh, Turon. od. inkûnd, eines wichtigen Werîcs
204 BÉRENGER - BÉRÉNICE
dess., Braunschw., 1770, in-4°),qui a été éditée par les frères Vischer,
Berl., 1834. Sudendorf a publié à Hambourg un recueil de Lettres de
Bérenger, sous le titre de : Ber. Tur. od. eine Sammlung ihn betreffender
Bnefe, Hamb., 1850. Voyez aussi Ebrard, Dogma vont /œil. Abendm.,
I, p. 439 ss. ; Néander, Ki'rchengesch., IV, p. 327 ss. ; Gieseler, Kir-
chengesch., II, p. 274 ss. F. Liohtenbeeger.
BERENGER (Laurent-Pierre) [1749-1822]. Oratorien au sortir de ses
études et longtemps professeur de rhétorique, il quitta l'Oratoire pour
entrer comme précepteur chez le duc de Valentinois. Certains écrits
indiscrets lui attirèrent des disgrâces qui en tirent depuis un ardent pa-
triote. En 1795, il fut du nombre des gens de lettres secourus par la Con-
vention. Correspondant de l'Institut dès sa création, professeur à l'Ecole
centrale puis au lycée de Lyon, il mourut inspecteur d'Académie.
Cette place, qui répondait bien peu à son ambition, récompensait am-
plement sa médiocrité littéraire. De ses nombreux écrits en prose et en
vers, aussi oubliés aujourd'hui que goûtés de son temps, un seul a
survécu, la Morale en action, tant de fois réimprimé à l'usage des
maisons d'éducation. Bérenger avait consacré bien des volumes à la
Provence, son pays; il lui reste du moins le mérite d'avoir contribué à
remettre en honneur ses troubadours et ses trouvères.
BERENICE (Bepv&wj ou BepevtxYj, <ï>epovtxY)), mentionnée dans Àct. XXV,
13 ; XXVI, 30 (cf. Josèphe, Antiq., XIX, 5, 1 ; XX, 7, 3 ; Tacite, Eist.,11,
81; Sueton., Titus, 7; Dio Cass. LXVI, 15 et 18), fille aînée d'Hérode-
Agrippal01, fiancée d'abord à un jeune fils d'Alexandre, magistrat d'A-
lexandrie, nommé Marc; mariée à la mort de ce dernier à son oncle
Hérode, roi de Chalcis, duquel elle eut deux fils, Bérénicianus et
Hyrcan (Jos., Ant., XX, 5, %; Bel. ML, II, 11, 6). Devenue bientôt
veuve, elle alla vivre dans le palais de son frère, Agrippa II, et passa
pour avoir avec lui des relations incestueuses. Pour donner le change
à la rumeur publique, elle se décida à épouser Polémon, roi deCilicie.
Mais elle ne resta pas longtemps auprès de ce prince, et revint auprès
de son frère reprendre la vie qu'elle menait auparavant. Le bruit de ce
scandale était venu jusqu'à Rome et Juvénal s'en est fait l'écho (Sat. VI.
v. 156-100). C'est à ce moment, vers l'année 60 ou 61, qu'elle vint, avec
Agrippa II, complimenter à Césarée le nouveau gouverneur de la Palestine
Portius Festus, qui succédait à Félix, et que Paul, prisonnier déjà depuis
deux ans, comparut et exposa sa doctrine devant eux. Bérénice semble
avoir eu à son service, avec le charme d'une beauté singulièrement
durable, un esprit souple, ambitieux, fécond en expédients habiles, de
sorte qu'elle fait songer à Cléopâtre. Elle séduisit Vespasien pendant
la guerre des Juifs , puis se fit aimer de Titus qu'elle vint retrouver à
Rome vers l'an 74. C'est le moment le plus brillant de sa vie; elle
vivait dans le palais de son amant et put espérer même se faire épou-
ser par lui. Mais îe bruit de ce mariage souleva dans Rome de telles
clameurs que Titus dut renvoyer sa maîtresse (dimisit invitas invitarn,
Suét., Titus, 7). A la mort de Vespasien (79), on la vit revenir d'Orient
pour essayer de reprendre son ancien crédit sur le cœur du nouvel
empereur. Titus était guéri de sa passion et ne fit aucune attention à
BÉRÉNICE — BERGERAC 205
elle. On ne sait rien de la fin de sa vie. Dans ses voyages de Palestine à
Rome, elle s'arrêta plus (l'une lois sans doute à Athènes, où le souve-
nir de ses Largesses lui consacré par des colonnes et' (les inscriptions.
On en a retrouvé une ainsi conçue : 'IouX(a Lhpvniv.r, WxzC/,:~zy. Mr^X-r;,
1:j/.'.:j \\\-z:--z; (âajiXéwç Ox/aTYjp (Corp. lnscrip. grœc, n. 361).
BERGERAC (Eglise de). Les premiers apôtres de la Réforme dans
cette ville turent des religieux. Pendant le carême de 1545 le moine
franciscain Guillaume Marentin en sema les germes dans ses prédica-
tions. Trois prêcheurs de Sainte-Foy le suivirent bientôt, qui nièrent
le purgatoire et le saint-sacrement. Huit ans après, et bien que les
sectateurs de .Marentin eussent été vigoureusement punis, le culte ré-
formé fut célébré publiquement à Bergerac (1553). Il s'écoula encore
huit années et la nouvelle religion pénétra dans les couvents des ja-
cobins, des cordeliers et des carmes. L'église de Saint-Martin fut
rasée et un temple s'éleva sur ses ruines (1561) ; pendant la première
guerre de religion, Bergerac, qui eut à souffrir beaucoup du féroce
Montluc, de Xoailles et de Borie, qui commandaient les troupes du
roi dans la Guyenne, fut pris par le chef protestant Armand de Cler-
mont, seigneur de Piles (1563). Pendant la deuxième, de Saint-Geniès
de Badefol, lieutenant pour le roi en Périgord, s'en saisit à son tour
'juillet 1569), et ce ne furent que prises et reprises jusqu'à redit de
Nantes, qui mit fin à ses perplexités. L'Eglise s'affermit, malgré le sac
de la ville en 1()21 parles troupes de Louis XIII. Celle-ci était toute
protestante à cette époque. Un collège s'y éleva, qui devint florissant,
et I»' 7 juillet 1636 fut posée la première pierre d'un nouveau temple,
dont la dédicace se fit le 10 avril 1(537. L'ancien avait été détruit pen-
dant les troubles. Le pasteur de Bergerac le plus distingué au dix-sep-
tième siècle fut Azimont, qui jouissait dans son Eglise d'une grande
autorité et n'était même pas sans crédit auprès de la cour, à qui il
avait eu l'occasion de rendre des services pendant la guerre de
Guyenne. Azimont a laissé un livre fort rare intitulé: L ' Anti-Chiron ou
défense de l'accord de la foi et de la raison contre la réfutation et les
répliques de maître Jean Chiron, prestre et bachelier en théologie ,
Paris, 1665, in-12. Le temple de Bergerac, par arrêt du parlement de
Toulouse, fut démoli le 11 novembre 1682. Toutes les autorités civiles,
militaires et religieuses assistèrent à une procession solennelle or-
donnée à ce propos et plantèrent une croix sur les ruines d'un des
piliers du temple. Un autre temple, construit au quartier et bourg delà
Madeleine avait été déjà détruit par un arrêt du Conseil d'Etat du 18 sep-
tembre Kwi). La révocation de Ledit de Nantes, survenant peu après,
porta un rude coup à l'Eglise, qui se dépeupla en partie par l'émigra-
tion et l'abjuration. Les tribulations de l'un de ses enfants sont restées
célèbres (voy. Mémoir. d'un pr.ot. condamné aux gàL, publiées à Rotterd.
en 1757 et réimpr.en 1865). Les dragons, de leur coté, la ravagèrent. Elle
l'ut réorganisée en 17'i(.) par les pasteurs JeanPradon, Claire et Pélissier,
qui y tinrent des assemblées nombreuses. En 17r>!) le maréchal de
Richelieu, gouverneur de la province, impuissant à les faire cesser, les
toléra dans des maisons particulières. Mais tous les protestants ne con-
206 BERGERAC — BERGIUS
sentirent point à se laisser ainsi restreindre, et nous voyons le maré-
chal de Mouchy, gouverneur, se plaindre en 1774 de ce que les reli-
gionnaires des environs de Bergerac se réunissaient en masses
considérables. Le pasteur Allard, qui résidait dans la ville, leur écrivit
de ne point se décourager, et ils persévérèrent de la sorte jusqu'à la
Révolution. L'Eglise de Bergerac, qui ressortissait au dix-septième
siècle à la province ecclésiastique de la Basse-Guyenne et au colloque
du Périgord, devint un chef-lieu de consistoire à la réorganisation des
cultes. — Bèze, Hist. ecclés.; Rabaut le jeune, Annuaire ou répert.
eccl; Bullet. de la Soc. de Ihist. du prot. franc.,, 1863, p. 416; 1875,
p. 183 ; Vidal, La Réf. à Bergerac. E. Arnaud.
BERGIER (Nicolas-Sylvestre) [1718-1790], né à Darnay en Lorraine,
mort à Paris. Ce prêtre, aussi modeste que distingué, honora la reli-
gion par ses vertus en même temps qu'il la défendit par ses écrits.
Après de longues années de travaux assez obscurs, il était, vers 1760,
principal du collège de Besançon. Il fit suivre quelques dissertations
savantes, accueillies avec intérêt, d'une étude comparée des racines
des quatre langues classiques et d'un ouvrage estimé sur Hésiode et la
mythologie. Malgré les succès sérieux qu'il obtenait en ces sujets, il
les délaissa pour se consacrer à l'apologétique. Son grand ouvrage sur
la matière s'imposa à l'attention. C'était la Certitude des preuves du
christianisme, réfutation de Y Examen critique des apologistes de la
religion chrétienne (Paris, 1768, 2 vol. in-12). Les éditions et traductions
de ce livre se succédèrent rapidement. Voltaire essaya de le réfuter
sinon avec plus de gravité, du moins avec plus de ménagements que
n'en comportait sa méthode ordinaire de polémique. Anacharsis
Clootz, le futur conventionnel, opposa à la Certitude des preuves du
christianisme la Certitude des preuves du mahométisme. L'idée était
moins neuve qu'il ne paraît, car les orthodoxes de Hollande avaient
déjà usé du même procédé de réfutation par l'absurde pour démon-
trer, contre les sociniens, que, la divinité de Jésus-Christ supprimée,
les titres de Mahomet étaient aussi valables que les siens. Bergier avait
déjà écrit, contre Jean-Jacques Rousseau, le Déisme réfuté par lui-même
(1765, 2 vol. in-12). Il publia plus tard Y Apologie de la religion chré-
tienne contre le Christianisme dévoilé du baron d'Holbach (1769, 2 vol.
in-12) et enfin, en 1771, Y Examen du matérialisme ou Réfutation du sys-
tème de la nature (2 vol. in-12). De si éclatants services lui valurent la
faveur de la cour et du clergé. Il n'accepta qu'une pension de 2,000
livres et un canonicat. Il fallut lui imposer les fonctions de confesseur
des tantes du roi. Bergier refondit ses divers travaux en un ouvrage
général, le Traité historique et dogmatique de la vraie religion, etc.,
12 vol. in-12, et composa encore un Dictionnaire théologique, qui fai-
sait partie de Y Encyclopédie méthodique, et qui a été réédité à Lille
en 1844, et à Paris en 1868, 6 vol. P. Rouffet.
BERGIUS (Jean) [1587-1658], théologien réformé estimé, était pro-
fesseur à l'université de Francfort-sur-l'Oder et prédicateur à la cour
des électeurs de Brandebourg. Il représenta non sans distinction le
parti réformé, favorable à l'union avec les luthériens, dans les collo-
BERGIUS — BERLEBOURG 207
ques de Leipzig (1631) ei de Thorn (1642), combattit te dogme de la
prédestination absolue dans un ouvrage intitulé : Zter Wille Gottes von
aller Menschen Seligkeit (1653), refusa d'aller siéger à DordreclU et
désapprouva les mesures édictées contre les remontrants. Dans sa polé-
mique avec les Luthériens, il fit preuve d'un esprit modéré et conci-
liant, et entretint nne correspondance amicale avec Calixte.
BERINGTON (Joseph), historien anglais, né en 1760, dans lecomté de
Shrop, d'une famille catholique. Ses parents renvoyèrent de bonne
heure eu France, au collège de Saint-Omer, destiné à l'éducation des
jeunes étrangers qui se vouaient au sacerdoce. Après avoir exercé les
fonctions sacerdotales en France pendant vingt ans, Berington revint
eu Angleterre où il fut nommé en 1814 curé de Bucldand, près d'Ox-
ford, il mourut en 1820. Bien qu'appartenant à l'Eglise romaine, il eut
des opinions assez libérales et fut même parfois taxé d'hérésie. Son
principal ouvrage est Y Histoire littéraire du moyen âge, dont les
deux premiers livres sont consacrés aux huit premiers siècles de l'ère
chrétienne.
BERKELEY (Georges), né en 1684, à Kilcrin (Irlande), mort en 1753.
Pieux, instruit, philanthrope zélé, d'une imagination vive, fort estimé à
la cour et par les esprits les plus distingués de l'Angleterre, il se con-
tenta du modeste évêché de Cloyne, en Irlande. Emu des progrès du
matérialisme et de l'incrédulité, il crut devoir les combattre en expli-
quant ce qu'est la nature. Il maintint le point de départ de Locke, la
sensation, mais pour constater qu'au moyen des sens nous ne connais-
sons que nos perceptions. Le monde corporel n'est donc que phéno-
ménal ; il n'a pas de substance, de permanence ni d'activité propres;
il est relatif, il n'a d'existence que dans les esprits, qui seuls sont des
substances, des êtres réels et actifs. Toutefois les modifications sensi-
bles que nous subissons ne viennent pas de nous ; elles ont une cause,
l'esprit suprême, source de toute activité. Les phénomènes de la nature
sont le langage par lequel Dieu nous instruit et dirige notre volonté.
Les sciences naturelles nous montrent les effets, la théosophie nous en-
seigne les causes. Cet immatérialisme, où l'on retrouve des emprunts
faits à Descartes, Malebranche, Spinoza, fut exposé notamment dans le
Tin ixé sur les principes de la connaissance humaine, 1710; Dialogues
entre Hylas et Philonoûs, 1713; Alciphron, 1732; édition complète,
1784; .1. (iérard, De Idealismi apud Berhleium ratione et principio, 1876.
BERLEBOURG (Bible de). Le district westphalien, qui formait le comté
deSahr-Witgenstein-Berlebourg, fut, dans la première moitié du dernier
siècle, le théâtre d'un réveil religieux intéressant. Né sous l'influence du
piétisme, eu réaction légitime contre le règne d'une orthodoxie sèche
et formaliste, il dégénéra promptement en mysticisme sectaire. Le
principal produit de ce mouvement fut une nouvelle traduction de la
Bible, accompagnée d'un commentaire destiné à propager les idées
mystiques de ses auteurs, demeurés inconnus d'ailleurs, mais s'intitu-
laiit ' pasteurs persécutés pont- cause d'hétérodoxie. » Leur œuvre,
patronnée par les comtes de Berlebourg qui voulaient en affecter le
produit à la fondation d'une maison d'orphelins, après une interdic-
208 BERLEBOURG — BERLIN
tion passagère du Corpus Fvàngelicorum, parut de 1720 à 1739 en sept
parties, comprenant, outre les livres canoniques, un certain nombre
d'écrits apocryphes de l'Ancien et du Nouveau Testament, ainsi que
des extraits de Josèphe et des Pères apostoliques. Elle n'eut pas de
seconde édition, et les exemplaires en sont devenus fort rares aujour-
d'hui. La traduction, de valeur inégale, dénote, pour l'Ancien Testa-
ment surtout, une absence choquante cle connaissances grammaticales,
de goût littéraire et de sens poétique. Quant au commentaire, placé
sous le texte pour l'Ancien Testament, inséré dans le texte même pour
le Nouveau, il reflète fidèlement les diverses nuances du mysticisme que
professaient ses auteurs, depuis les vues élevées d'un Origène jusqu'aux
conceptions passablement grossières d'une Leade ou d'un Petersen.
Comme tous les mystiques, les collaborateurs de la Bible de Berlebourg
admettent pour le livre saint un triple sens, le sens littéral, reproduit
le plus souvent avec un pédantisme plein de trivialité, le sens moral
et le sens intime ou prophétique, ce dernier relevé et expliqué de pré-
férence. La doctrine centrale est celle de la régénération. L'homme
peut dès ici-bas accomplir parfaitement la volonté de Dieu et s'assimi-
ler d'une manière essentielle la justice du Christ, qui n'est d'ailleurs
que la reproduction de la nature primitive de l'humanité avant la
chute. L'idée du péché, et surtout celle de la lutte, est affaiblie, et une
polémique assez vive dirigée contre la justification par la foi, telle
que l'enseignait l'orthodoxie traditionnelle. Favorables à la doctrine
du rétablissement final et passionnés pour les espérances millénaires,
les commentateurs de la Bible de Berlebourg, tout en préconisant
l'inspiration littérale de l'Ecriture sainte, mettent la Parole intérieure
au-dessus de la Parole écrite, rejettent l'autorité des confessions de
loi, spiritualisent l'idée de l'Eglise, du sacerdoce et des sacrements.
BERLIN, capitale du royaume de Prusse et du nouvel empire germa-
nique, comptait à la fin de 1876 : 968,634 habitants. Parmi les grandes
villes de l'Europe elle est une de celles dont l'accroissement numérique a
suivi la proportion la plus constante, la plus rapide: en 1640, au sor-
tir de la guerre cle Trente-Ans et lors de l'avènement du grand-électeur,
elle n'avait que 20,000 âmes; en 1713, à la mort de Frédéric 1er, le
premier roi de Prusse, leur nombre s'élevait à 50,000; en 1786, à la
mort de Frédéric II, à 145,000; en 1840, à la mort de Frédéric-Guil-
laume III, à 330,000; le 3 décembre 1861, lors du dernier recensement
officiel, à 547,570; en 1873, à 909,586. La population de Berlin a donc
triplé depuis 1840, c'est:à-dire dans une période de trente années, et il ne
lui a fallu que dix ans pour s'accroître de ses dernières 300,000 âmes.
— I. Histoire. Les origines de Berlin sont relativement toutes modernes
et ne remontent pas au-delà du treizième siècle. Il en est fait pour la
première fois mention dans l'histoire, en 1232, lorsque les margraves
Jean Ier et Othon III de Brandebourg acquirent d'un prince slave les sei-
gneuries de Barnim et de Teltow et conférèrent à l'ancien village les
droits d'une cité. Berlin se composa jusqu'en 1307 de deux cités sépa-
rées pour l'administration municipale comme pour les intérêts mercan-
tiles : Berlin et Kœlln. Le nom de la première signifie en wende une
BERLTX 209
digue, celui de la seconde une colline. Les deux saints, sous la pro-
tection desquels elles s'étaient placées, Pierre et Nicolas, étaient tout
spécialement invoqués l*nn par les pécheurs, l'autre parles bateliers. La
ville n'acquit une réelle importance que sous le margrave Albert II de
Brandebourg (1206-1220). L'électeur Frédéric II éleva en 1442 àKœlln,
sur les bords de la Sprée, le château qui est resté aujourd'hui encore
la résidence royale; à partir de.Iean-Cicéron (1486), Berlin devint le sé-
jour définitif des électeurs de Brandebourg, mais elle ne prit véritable-
ment la physionomie d'une capitale que sous Frédéric-Guillaume (1640).
Berlin ne joua dans l'histoire de l'Eglise aucun rôle jusqu'aux approches
de la Réformation. Tetzel, dans ses pérégrinations à travers l'Allemagne
pour la vente des indulgences, rencontra dans le Brandebourg un très-
t'avorable accueil (1517), grâce à l'appui déclaré de l'électeur JoachimI0r
et de son frère Albert, archevêque de Mayence, grâce aussi à la jalousie
invétérée de l'université de Francfort-sur-1'Oder contre sa rivale de Wit-
temberg ; il y collecta en quelques semaines plus de 100,000 florins.
Au commencement d'octobre 1517, le trop célèbre dominicain lit à
Berlin une entrée triomphale au son des cloches, suivi d'un nombreux
cortège de dévots admirateurs. La situation changea complètement
après la mort de Joachim Pr (1535). Son fils Joachim II se montra fa-
vorable aux nouvelles doctrines, qui d'autre part avaient trouvé un
prompt et facile accès dans la noblesse et la bourgeoisie. Un pasteur lu-
thérien aussi recommahdable pour son savoir que pour sa piété, Georges
Buchholtzer. fut nommé en 1539 doyen de Berlin. Le jour de la Tous-
saint de la même année l'évêque de Brandebourg, Matthias de Jagow,
célébra le service divin en langue allemande devant l'électeur et sa fa-
mille, les représentants du clergé, les délégués des Etats de Brandebourg
et leur distribua la communion sous les deux espèces. La même céré-
monie fut renouvelée le lendemain 2 novembre à Kœlln, dans l'église
paroissiale de Saint-Nicolas, en présence des magistrats et des mem-
bres de la bourgeoisie. Peu après Berlin devint le siège du consis-
toire de Brandebourg; en 1574, Joachim II établit dans l'ancien cloî-
tre des moines gris (Graue Kloster) le gymnase qui porte encore
aujourd'hui leur nom. La première imprimerie date de 1539. Sous le
règne de Jean-Georges (1571-1598) se fixèrent à Berlin plusieurs artisans
habiles, chassés de Flandre par la tyrannie duducd'Albe. L'intolérance
dont à diverses époques se rendirent coupables les autres monarques
européens, et contre laquelle protestèrent toujours énergiquement les
électeurs de Brandebourg, contribua pour une large part à la prospé-
rité' de Berlin. L'édit de Potsdam (29 octobre 1685) fut, sous l'électeur
Frédéric-Guillaume, une digne réponse à la révocation de celui de
Nantes (22 octobre 1685) et attira dans la capitale du Brandebourg une
nombreuse colonie de réfugiés français qui se fortifia en 1089, en 1697
d'éléments congénères venus de la Suisse et dùPalatinàt. En 1609 furent
supprimés avec les images tous les restes de catholicisme qui s'étaient
maintenus dans le culte. Le Dôme fut à la même époque élevé à la
dignité d'église cathédrale et paroissiale. Pendant le cours du dix-
septième siècle, Berlin vit se réunir dans ses murs divers synodes
u. 14
210 BERLIN
qui, sous les auspices des électeurs, travaillèrent à l'union entre les
luthériens et les calvinistes, mais dont les efforts furent régulière-
ment frappés d'insuccès. En octobre 1614, Jean-Sigismond convoqua
dans son palais les ecclésiastiques luthériens du Brandebourg pour
qu'ils renonçassent à leur polémique injurieuse contre les réformés :
la raideur avec laquelle ils accueillirent cette démarche toute conci-
liante hâta sa propre conversion au calvinisme (Noël 1615). Cet évé-
nement, loin de servir de leçon aux fanatiques, fournit le prétexte de
nouveaux troubles. Les pasteurs luthériens de la capitale, Gedicke,
Willich, Stùler, abusèrent de leur influence sur la population qui se
porta à de regrettables excès, ravagea le Dôme, détruisit la maison du
jpasteur réformé Fiïssel, maltraita le bourgmestre Jahn et le gouver-
neur, le margrave Jean-Georges de Ja3gerndorf. L'ordre ne fut que dif-
ficilement rétabli par les soldats de l'électeur. Le 8 septembre 1662,
sur le désir exprès de Frédéric-Guillaume, eut lieu à Berlin un nouveau
colloque entre cinq ecclésiastiques de chaque parti, assistés de quelques
jurisconsultes, sous la présidence d'un conseiller laïque, Otto de Sche-
ven. Ils avaient pour mission d'examiner dans les confessions de foi
réformées de la Marche de Brandebourg les articles dont la profession
entraînait divino judicio, au dire des luthériens, la damnation éter-
nelle, dans les symboles luthériens ceux dont la négation équivalait
au rejet du salut. Les délégués luthériens, encouragés par leurs frères
de Wittemberg, se refusèrent à tonte concession, atout compromis. Au
dix-neuvième siècle, Berlin fut également le siège d'importantes réu-
nions ecclésiastiques. En janvier 1846 y fut tenue la conférence offi-
cieuse convoquée sur l'instigation de quelques théologiens du juste
milieu telsqu'Ullmann, Snethlage, et destinée dans leur esprit à couper
court aux abus soit de l'orthodoxie confessionnelle, soit du rationa-
lisme vulgaire, à favoriser dans les communautés l'introduction du
système presbytérien, à grouper en un seul faisceau les Eglises des
différents Etatsr germaniques pour une série d'œuvres communes. L'in-
fluence du parti conservateur était trop forte pour que cette assem-
blée, malgré les excellentes intentions de ses promoteurs, pût opérer
des changements sérieux. Les vicissitudes du synode général qui
siégea la même année, de juin en août, à Berlin, sous la présidence
du ministre des cultes Eichhorn, offrent avec celles de cette réunion
préparatoire une triste et frappante analogie. En décembre 1875 se
réunit à Berlin le synode général constituant, convoqué par le ministre
des cultes Falk, pour doter les six provinces orientales de la monar-
chie prussienne d'un simulacre d'institutions presbytériennes syno-
dales. Nous en exposerons ailleurs le résultat (voy. l'article Prusse).
Plusieurs sociétés religieuses dont les résolutions, malgré leur carac-
tère non officiel, exercent sur les destinées de l'Eglise une influence
considérable, ont tenu à Berlin quelqu'une de leurs assemblées an-
nuelles : en 1853, le Kirchentag , créé à Wittemberg le 23 septembre 1847
par l'initiative de MM. de Bethmann-Hollweg, Stahl, Wichern; en 1857,
l'Alliance évangélique ; en 1869, l'Union protestante libérale. — II. Cultes.
1° En sa qualité de capitale de la Prusse, Berlin est le siège des princi-
BERLIN 211
pales autorités ecclésiastiques : du ministère de9 cultes, du conseil ec-
clésiastique supérieur (Oberkirchenrath), du consistoire de Brandebourg,
• 'i se trouve réparti entre trois surintendances : Berlin, Kœlln, Frédé-
richswerder. Les deux premières sont régies par les doyens de Saint-
Pierre et de Saint-Nicolas, qui jouissent de revenus quasi-épiscôpauî
et exercent sur la direction des affaires ecclésiastiques une influence
considérable. Au nombre de leurs prérogatives figure celle de donner,
au même titre que les professeurs ordinaires, des cours à l'université.
Quelques quartiers assortissent, en outre, à la surintendance provin-
ciale de Brandebourg. Les protestants formaient en 1874, à Berlin,
88,36 pour cent de la population, soit 732,736 âmes (hommes 362,088,
femmes 370,648). Ils sont divisés en 29 paroisses. Les élections géné-
rales, qui ont eu lieu le 4 janvier 1874, ont donné dans 27 d'entre elles
une forte majorité aux adeptes du protestantisme libéral. Le sol de
Berlin s'est montré jusqu'ici peu favorable à l'esprit sectaire, et les
diverses communautés dissidentes n'y ont recruté qu'un nombre
minime d'adeptes. D'après les statistiques officielles, il y aurait
397 vieux-luthériens, 158 mennonites, 92 baptistes, 44 irvingiens,
4 moraves (ces derniers possèdent à Bixdorf, près de Berlin, une colonie
importante fondée en 1738 par Zinzendorf) ; les communautés libres
(catholiques allemands et Amis des lumières) comptent 939 membres.
I ne des branches les plus curieuses de l'Eglise nationale à Berlin
si formée par les descendants de ces héroïques réfugiés français
qui trouvèrent auprès de l'électeur Frédéric-Guillaume un si géné-
reux et si cordial accueil : ils sont encore aujourd'hui administrés
par lui consistoire spécial qui envoie un délégué au conseil ecclésias-
tique supérieur, possèdent une église particulière desservie par deux
pasteurs, consacrent leurs abondantes ressources à l'entretien d'un
séminaire théologique, d'un gymnase, d'écoles, d'établissements de
bienfaisance. Les institutions qu'ils dirigent sont célèbres pour leur
activité et leur bon ordre. Il n'y a du reste qu'un seul service reli-
gieux, peu fréquenté, en langue française, et l'on sait de quels senti-
ments sont animes contre leur ancienne patrie ces Prussiens, a plus
royalistes que le roi, » qui portent des noms français. — 2° Les catho-
liques constituent à Berlin 6,26 pour cent de la population totale, soit
51,762 (hommes 32,002, femmes 19,760). Ils ont toujours joui, pour
rcice de leur culte, d'une entière liberté, soit sous les premiers
llohenzollern, soit à partir de Frédéric II, qui profita de la conquête de
Silésie pour déterminer dans une série d'édits (8 mars, 20 sep-
embre 1742, 22 mars 1756,9 juillet 1757, 15 juin!764) les relations de
Eglise catholique avec l'Etat prussien. Les catholiques de Berlin rele-
nt depuis 1741 de la juridiction du prince archevêque de Breslau et
Mit pour directeur spirituel le doyen de Sainte-Hedwige. La cour de
Rome, malgré ses tentatives réitérées sous Frédéric-Guillaume III et Fré-
déric-Guillaume IV, n'est jamais parvenue à la création d'une noncia-
ture à Hci lin. Les nombreux établissements charitables entretenus par
catholiques, e! auxquels des observateurs impartiaux.se plaisent à
rendre un témoignage favorable, sont administrés depuis 1851 par les
212 BERLIN
sœurs de charité connues dans le peuple sous le nom de soeurs grises.
Les catholiques possèdent à Berlin 4 églises et 2 chapelles. Le 29 no-
vembre 1874 a été inauguré un culte vieux-catholique qui n'a pas cessé
depuis cette époque de faire des progrès. — 3° Les juifs jouent dans
la vie matérielle et spirituelle de Berlin un rôle beaucoup plus consi-
dérable que ne permettrait de le supposer leur chiffre de : 35,215
(hommes 19,454, femmes 16,561), soit 4,38 pour cent. Les enquêtes
statistiques fournissent les résultats les plus favorables sous le rapport
de leur bien-être, de leur instruction, de leur moralité : sur 100 garçons
juifs 56, sur 100 jeunes tilles 66 suivent l'enseignement supérieur,
tandis que parmi les adeptes des différentes confessions chrétiennes la
proportion n'est que de 20 et de 16 pour cent. Les enfants illégitimes
n'atteignent, pour la totalité des naissances, qu'un chiffre de 2 au lieu
de 15 pour cent. Le nombre des enfants morts-nés ne s'élève qu'à 1 au
lieu de 4 pour cent, une preuve irrécusable de la sollicitude dont sont
entourées les femmes juives. Enfin celui des enfants morts en bas âge
n'est que de 17 au lieu de 25 pour cent. Les juifs ont, pendant le cours
des âges, traversé à Berlin à peu près les mêmes vicissitudes que dans
les autres cités de l'Allemagne. En 1520, une trentaine d'entre eux
furent brûlés vifs sur la place du Marché comme coupables d'avoir
acheté à un chaudronnier un enfant chrétien et de l'avoir offert en
holocauste. Dans la seconde moitié du dix-huitième siècle, deux juifs
berlinois, Dohm et Moïse Mendelssohn, réclamèrent en faveur de leurs
compatriotes, avec un talent égal à la bonté de leur cause, l'égalité
politique et civile, et accomplirent au sein du judaïsme une révolution
tout aussi hardie, en brisant l'autorité du Talmud.'Dans les premières
années du dix-neuvième siècle, les riches familles juives présidèrent
au mouvement intellectuel de la capitale de la Prusse; il suffit de
rappeler les noms d'Henriette Herz, de Rachel Lewin. Leurs descen-
dants sont demeurés fidèles à ces nobles traditions, et brillent aujour-
d'hui encore d'un vif éclat dans le monde des lettres, des arts, de la
politique. Le libéralisme religieux de Mendelssohn est également
professé par la majorité des juifs actuels qui ont renoncé vis-à-vis de
la civilisation moderne à tout particularisme sectaire, et compté
parmi leurs rabbins le célèbre critique Abraham Geiger. Quelques-uns
se sont détachés de la communauté-mère, qu'ils trouvaient trop atta-
chée auxanciens usages, trop soumise à l'autorité du Pentateuque et
ont fondé une association toute semblable à celle des Amis des Lumières,
mais ils ne comptent jusqu'à présent qu'un nombre restreint d'adeptes.
Nous terminerons cette revue statistique par la mention des grecs
orthodoxes dont il se trouve à Berlin 178. —Parmi les 58 églises protes-
tantes de Berlin, il n'en est aucune qui soit remarquable par la gran-
deur de ses proportions, la pureté de ses lignes, sa richesse artistique.
La plus ancienne, Saint-Nicolas, date du douzième, deux autres,
Sainte-Marie et le Cloître (Klosterkirche) , du treizième siècle; toutes trois
sont construites dans la variété la plus simple, la plus pauvre du style
ogival. Le dôme, élevé en 1747 sous le règne de Frédéric II par Bou-
mann, modifié en 1817 et en 1821 par Schinkel, n'a rien de gracieux
BERLIN 213
ni d'imposant ; dans la crypte se trouvent les caveaux de famille des
Hohenzôllern. Le projet de doter Berlin d'une cathédrale digne de lui,
longtemps caressé par Frédéric-Guillaume IV. a été repris il y a une
dizaine d'années et poussé en 1870 jusqu'à l'ouverture d'un concours.
Le Temple neuf et L'église française, qui se font pendant, ont égale-
ment été bâtis au dix-huitième siècle sur un modèle romain : Santa-
Maria-del-Popolo. La brique a été remise en honneur pour les nom-
breuses églises élevées sous le règne de Frédéric-Guillaume IV, suivant
l'exemple donné par Schinkel pour celle du Werder (1830). La plupart
sont romanes (Saint-Marc, Saint-Jacques, Saint-Thomas) ou byzantines
(Saint-Matthieu) ; quelques-unes, et des mieux réussies, relèvent du
style gothique (Saint-Pierre, Saint-Barthélémy). Aucune d'entre elles
n'offre des dimensions considérables. Des deux grandes églises catho-
liques, la première, Sainte-Hedwige, construite en 1747, est une repro-
duction du Panthéon romain; la deuxième, Saint-Michel (1860), un
beau spécimen de F architecture romane. De tous les édifices religieux
de Berlin, le plus vaste comme le plus splendide est sans contredit la
nouvelle synagogue bâtie dans le style mauresque par Knoblauch (1863) :
la coupole a 50 mètres de haut, l'intérieur se distingue par la richesse
et la variété des couleurs comme par l'harmonie des jeux de lumière ;
le nombre des places s'élève à 3,000. Les juifs possèdent encore deux
autres synagogues. Les grecs orthodoxes, les anglicans, les irvingiens,
les mennonites, les baptistes, les vieux-luthériens, les catholiques
allemands, les juifs réformés, les amis des lumières possèdent chacun
un édifice ou une salle pour leurs réunions. — L'indifférence des Ber-
linois pour tout ce qui concerne la vie ecclésiastique est proverbiale :
il convient de l'attribuer dans une large mesure au divorce qui s'est
établi depuis une cinquantaine d'années entre une population toute
•pénétrée de la culture moderne et une Eglise qui s'est faite dans de
trop nombreuses occasions la complaisante auxiliaire de la réaction
politique et s'est efforcée de galvaniser les rites, les dogmes, les
formules du dix-septième siècle. Sur 630,600 protestants, 11,900,
soit 1 4/5 pour cent, assistent en moyenne chaque dimanche au
culte; encore quelques statisticiens rigides proposent-ils d'en défal-
quer les 2,200 auditeurs du Dôme qui satisfont des besoins moins
religieux qu'artistiques. Suivant un calcul d'Hengstenberg, la pro-
portion s'élèverait à 2 pour cent; le Jardin zoologique aurait à lui
seul compté plus de visiteurs que toutes les églises de Berlin réunies.
Le manque de ferveur trouve également une fâcheuse confirmation
dans la faible participation aux cérémonies religieuses. D'après un des
derniers rapports du bureau royal de statistique (1875), 39 pour cent
des enfants seraient non baptisés ; 65 pour cent des mariages se seraient
passés de la bénédiction nuptiale, 85 pour cent des ensevelissements se
seraient accomplis sans la présence d'un pasteur. La cure d'àmes est
également entravée par le petit nombre des pasteurs (un seul quelquefois
pour 25.000 habitants), l'étendue de certaines paroisses (trois d'entre
elles comprennent 50 à 60,000 âmes). — 111. Institutions de bienfaisance.
La charité ne souffre point cependant de cette antipathie trop générale
214 BERLIN
contre l'Eglise. L'esprit d'association est très-répandu à Berlin et
exerce sa bienfaisante influence dans les domaines les plus variés :
distribution des aumônes, travail pour les indigents, secours pour les
orphelins, éducation de la jeunesse, directions aux émigrants, caisses
d'épargne, prêts de capitaux, fourniture des substances premières à
un prix avantageux et dans les meilleures qualités, adoucissement des
maux causés par la guerre, la famine, la maladie. La caisse royale
d'épargne compte 75,000 déposants; son capital s'élève à 9,600,000 fr.
La première société coopérative d'après les principes de Schultze-De-
litzsch fut fondée à Berlin en 1864 ; il en existe aujourd'hui 31 pour les
prêts et crédits, 4 pour les matières premières, 8 pour la production,
18 pour la consommation ; elles occupent à des titres divers plus de
6,000 personnes. Les 91 caisses pour les compagnons et les ouvriers
des fabriques (Gesellen urtd Fabrikarbeiter K assert) sont alimentées par
77,800 membres et reçoivent 1,180,924 francs de contributions annuelles
dont plus d'un million (1,028,538) est fourni par les ouvriers, le surplus
(161,386) par les patrons. L'Association spéciale des ouvriers contre la
maladie compte 70,000 membres, administre 71 caisses, paye 36 méde-
cins, soulage chaque année 69,000 patients. De leur côté les patrons ont
créé 122 caisses (Meister /{assert) avec un capital de 1,260,795 francs,
18,959 souscripteurs, 145,260 francs de recettes annuelles. Mentionnons
enfin 44 sociétés de secours qui ne sont liées à aucune corporation.
Parmi les associations qui poursuivent un but d'utilité publique ou de
bienfaisance, les plus importantes sont: 1° L'Association populaire pour
ies cuisines (Volkskùchen-vereiri) , créée pendant la guerre de 1866 sous
le patronage de la princesse de Prusse. Dans la pensée primitive de ses
organisateurs, sa mission ne devait être que temporaire ; ils se déci-
dèrent bientôt à lui donner un caractère permanent à cause de ses
bons résultats, des vives sympathies qu'elle rencontra au sein de la •
population. Son activité atteignit son apogée pendant la guerre de
1870-1871. Il fut ouvert pendant cette période 14 cuisines qui four-
nirent à 6,000 personnes au prix coûtant une nourriture saine et
substantielle; l'excédant des recettes (344,366 fr.) sur les dépenses
(331,855) donne la meilleure preuve de leur utilité. 2° L'Association de
Leite (Le Ite-vereiri), ainsi nommée à cause de son créateur, l'économiste
et député Guillaume- Adolphe Lette, fondée en 1865 et placée sous le
patronage de la princesse de Prusse. Elle poursuit d'après ses statuts
les buts suivants : a) lutter contre les préjugés qui s'opposent pour la
femme à toute carrière lucrative en dehors de la sphère domestique et
supprimer graduellement les iniquités consacrées par la loi; b) préparer
aux carrières commerciales et industrielles ; c) procurer du travail aux
sociétaires (sont exclues de l'association les domestiques des villes et
des campagnes ; d) organiser des expositions périodiques des travaux
des sociétaires; e) protéger les sociétaires contre tout abus de l'ordre
moi al, juridique ou économique; f) faciliter leur entretien et leur
logement. L'Association de Lette répondait à des besoins si sérieux,' si
profonds qu'il s'en est aussitôt créé des filiales à Brème, à Breslau, à
Brunswick, à Cassel, à Carlsruhe, à Darmstadt, à Dresde, à Hambourg,
BERL1X 215
à Stuttgard, à Vienne. In congrès général do L'Association a été tenu
en novembre L870à Berlin. Un journal, VAvoeat des femmes^ propage
les vues de l'Association et paraît depuis 1870 à Berlin sons la di-
rection de mademoiselle Jenny Hirsch. 3° L'Association des Asiles
(Asyl-verein), fondée en 1869 pour combattre l'effrayante extension
du paupérisme, subvenir à des besoins urgents. Jusqu'alors les in-
dividus (|iii n'avaient point de domicile régulier passaient la nuit à
la belle étoile, se réfugiaient dans d'ignobles repaires ou se lais-
saient volontairement arrêter par la police. D'après le rapport officiel
de 1868, elle avait eu à sa charge 14,029 hommes, 1,664 femmes,
68 entants : sur le nombre 13,743 hommes, 1,331 femmes, 64 enfants
s'étaient dénoncés eux-mêmes. Quelques philanthropes, émus par la
terrible éloquence de ces simples chiffres, s'unirent pour soulager les
victimes souvent irresponsables d'une si grande misère, prévenir chez
elles la dégradation qui résultait de leur contact avec les criminels, les
rendre à une vie honnête et laborieuse. Devint membre de l'associa-
tion toute personne qui s'engageait à 2 francs de contribution annuelle
ou en payait vingt, une fois pour toutes. La direction fut confiée à un
comité de 25 membres qui en prit dans son sein plus spécialement
sept pour exécuter ses décisions. Le premier local choisi pour asile,
un ancien atelier d'artillerie, fut exclusivement consacré aux femmes
et admirablement approprié à sa nouvelle destination. Les chambres
et les corridors en furent éclairés au gaz, des sommiers en fer garnis
de couvertures de laine se succédèrent en longues rangées dans les
dortoirs, l'eau amenée dans toutes les pièces, des bains, une buan-
derie permirent d'exiger des hôtes de la maison la propreté la plus
rigoureuse. Les portes en sont ouvertes en hiver de 6 heures du soir à
8 heures du matin, en été de 7 heures du matin à 7 heures du soir.
Le matin il est distribué une tasse de café, le soir une soupe substan-
tielle. La surveillance générale est exercée par un père et une mère
(Hausvater. ffausmutter) sous la direction supérieure d'un membre du
comité. Habituellement, pendant les soirées d'hiver, il est fait une
lecture commune tirée d'un ouvrage à la fois populaire et scientifique.
L'excellence de l'œuvre a été constatée par le nombre de ceux
auxquels elle a servi. Pendant le premier mois de sa création, en jan-
vier 1869, l'asile avait été fréquenté par 393 femmes, en juillet de la
même année leur chiffre s'était déjà élevé à 1,174 ; aujourd'hui il en
reçoit quotidiennement en moyenne 320. Les femmes entre vingt et
trente ans constituent plus de la moitié du chiffre total; les femmes
plus âgées \ entrent pour un quart, les enfants pour la même propor-
tion. D'après les statuts, la même personne ne peut pas user de l'asile
plus de cinq t'ois par mois. La mère se charge de placer des servantes à
Berlin el au dehors. En 1872, il a été construit avec le concours de la
municipalité un asile pour les hommes qui repose sur les mêmes
bases. Déjà auparavant deux auberges pour les servantes {Maegdeher-
bergé) axaient été créées sous les auspices de la Mission intérieure.
'i ' Associations ouvrières (Handwerkervereine). La plus importante est la
grand»- association ouvrière de Berlin qui fut fondée en 18U par le
216 BERLIN
libraire et député progressiste Franz Duncker et reçut de lui une orga-
nisation excellente. Son but est de développer chez l'ouvrier la vie
intellectuelle, de lui fournir des jouissances artistiques et sociales éle-
vées qui fortifient en lui le lien de la famille au lieu de le relâcher,
de compléter son éducation par une série de cours populaires sur les
sujets les plus variés (sciences naturelles et économiques, histoire, litté-
rature). Les débats politiques et religieux sont exclus du programme.
Les membres ont en outre la jouissance d'une riche bibliothèque :
leur nombre s'élève aujourd'hui à plus de 6,000. Nous citerons eniin
les sociétés qui poursuivent un but philanthropique et religieux : l'U-
nion évangélique, l'Union protestante libérale (fondée en 1863), la
Société de Gustave-Adolphe (1844), la Société des missions (fondée en
1800 par le prédicateur morave Janicke),la Société des traités religieux
(fondée en 1814 par l'Anglais Pinkerton), la Société pour la conver-
sion des juifs (1834), la Société pour l'amélioration des détenus, la So-
ciété centrale pour le soulagement de la classe ouvrière. — Le problème
du paupérisme a depuis longtemps été pratiquement étudié sous toutes
ses faces et a reçu sur divers points une solution satisfaisante. La cha-
rité publique est exercée par la direction des pauvres dont les
32 membres sont choisis parmi les conseillers et les assesseurs munici-
paux, les délégués de la bourgeoisie. Les principaux domaines de son
activité sont : lu La lutte contre la mendicité proprement dite. En 1875
le nombre des assistés s'élevait à 8,337. Sur ce chiffre total, 85 pour cent
avaient dépassé la cinquantaine, 68 pour cent se recrutaient parmi les
veufs, les divorcés, les abandonnés par leurs conjoints. La plupart
d'entre eux sont originaires d'autres contrées de l'Allemagne, sur l'en-
semble 43,8 pour cent seulement ressortissaient de Berlin. 2° Le soin
des malades qui se répartissent en deux grandes divisions : ceux qui
sont visités dans leurs demeures (43,318), et ceux qui se font transpor-
ter dans les hôpitaux (13,698). 3° Distribution de secours non pécuniai-
res rsoupes à bon marché, pommes de terre, vêtements, étoffes, bois de
chauffage. 4° Education. A la commission des pauvres incombe la direc-
tion des 116 orphelinats de quartier, des grands établissements de Ber-
lin (Friederichs Waisenhaus) et de Rummelsbourg (488 pensionnaires).
5° Administration du pénitencier (458 détenus en 1875, organisé d'a-
près le système cellulaire pour 800 détenus), de la maison centrale des
aliénés. La ville de Berlin consacre à ces différentes sections une
somme annuelle de 3,830,000 francs dont 794,000 sont fournis par les
caisses de quartier et les dons individuels. Les capitaux dont dispose la
commission des pauvres et qui proviennent pour une forte part de
legs particuliers, de fondations pieuses, constituent un total d'à peu
près 6 millions (5,620,000). Aux efforts de l'administration centrale se
joignent ceux des délégations des quartiers, de la charité privée. Cette
dernière trouve son principal organe dans Y Association contre le pau-
périsme et la mendicité qui exerce une action préventive, empêche
par un sérieux examen de chaque cas particulier les aumônes inconsi-
dérées ou nuisibles, secourt annuellement 3,800 personnes par des
dons et des prêts, l'indication des différentes sources de travail, une
BERLIN 2Î7
protection aussi persévérante qu'éclairée soit en actes soit en conseils.
Quoiqu'elle soit d'origine récente, elle a déjà restreint dans des propor-
tions considérables le vagabondage, la mendicité dans les rues cl aux
portes des maisons. L'efficacité de la charité privée à Berlin est attestée
par le nombre relativement minime des personnes qui cherchent
nu refuge dans l'un ou l'autre des 25 workhouses (605 hommes,
981 femmes), par l'abondance des secours accordés aux malades, aux
infirmes, aux veuves, aux orphelins. A la fin de 1875, 1,705 de ces der-
niers étaient élevés chez des particuliers à Berlin ou dans les environs
La surveillance de la salubrité publique est également comprise dans
le nombre des attributions communales. Il y est pourvu par 1 méde-
cin de la municipalité, 2 médecins légistes, 10 médecins de district,
1 chirurgien, 2 vétérinaires. La commission sanitaire emploie en outre
l\0 médecins de quartier. Le corps médical de Berlin compte environ
1,000 membres ; Berlin possède 21 hôpitaux dont 2 assortissent à l'ad-
ministration militaire, 39 cliniques et maisons de santé particulières,
7 maisons d'aliénés dont 2 sont régies par la municipalité et 5 par des
particuliers. Il existe 39 fondations dont les revenus sont affectés au
soin des malades. 25,852 personnes ont été ensevelies en 1875 dans
10 cimetières. Parmi les institutions philanthropiques les plus impor-
tantes, il convient de mentionner : l'orphelinat Frédéric, l'orphelinat
de Hummelsbourg, la maison des veuves, la maison d'éducation du
Kreutzberg pour les enfants abandonnés, l'institut des aveugles, l'ins-
titut des sourds-muets, l'hospice Wilhelmine-Amélie pour les femmes
et les tilles de la classe noble, l'hospice Rouge et l'hospice Guillaume
à Cliarlotlenbourg pour les employés et leurs familles, l'hospice des
Johannites, l'asile Madeleine (Maydalenenherberge) pour les repenties
fondé par la Mission Intérieure, la nouvelle maison des aliénés cons-
truite d'après le système des pavillons dans la banlieue de Berlin à Dall-
dorf, les diverses fondations créées et entretenues par les communautés
catholique, israélite, française réformée. Les plus vastes hôpitaux sont,
d'après l'ordre de leur ancienneté: a) l'hôpital des Invalides, fondé par
Frédéric II en 1748; il possède 600 lits et ressortit au ministère de la
guerre; b) la Charité: ouvert en 1785, également sous le règne de Fré-
déric II, avec 1,350 lits et de nombreux bâtiments adjacents pour les
diverses cliniques \c) Sainte-Elisabeth ou Béthanie, institué en 1847 par
Frédéric-Guillaume IV et administré par des diaconesses présidées à
l'origine par la comtesse de Bantzau, depuis 1855 par la comtesse de
Stolberg-Wernigerode ; il offre aux malades 350 lits et possède son église,
son pasteur particulier ; d) Sainte-Hedwige (1854), l'hôpital catholique
dont l<s lits, au nombre de 250, peuvent être cependant affectés à des
malades d'une autre confession; é) Augusta (1866), bâti au milieu d'un
magnifique parc sous les auspices de l'association des dames (Frctuen-
verein)\m\\ passe pour un établissement modèle; f) le grand hôpital
municipal du Friederichshain, construit d'après le système moderne des
pavillons (1870) : il contient 600 lits. L'hospice Saint-Nicolas est exclu-
sivement destiné aux vieillards nécessiteux de la bourgeoisie. —
IV. Instruction. Sous le rapport de l'instruction, il existerait à Berlin,
218 BERLIN
d'après le recensement général de 1871, 13,576 personnes au-dessus de
10 ans, soit 2,05 pour cent, qui ne sauraient ni lire ni écrire (4,108 hom-
mes et 9,468 femmes, soit 1,23 et 2,89 pour cent). Ces chiffres sont
exceptionnellement favorables, surtout si Ton tient compte de la forte
proportion de résidents qui n'ont point été élevés' à Berlin. Dans quel-
ques années, d'après la comparaison des âges, les résultats seraient plus
satisfaisants encore. Sur 1,000 personnes, il s'en trouverait en effet 48
entre 10 et 15 ans, 158 entre 30 et 40, 446 entre 50 et 60, qui n'auraient
reçu aucune instruction primaire. Les catholiques fourniraient un con-
tingent de 2,65, les juifs de 1,74 pour cent. Si nous parcourons les divers
degrés de l'enseignement, nous rencontrons au bas de l'échelle 35 salles
pour la garde des petits enfants et 35 jardins organisés d'après le
système Frœbel, les uns et les autres entretenus par la bienfaisance
privée. L'instruction primaire proprement dite est donnée dans
82 écoles parfaitement installées, divisées en 1 ,067 classes fréquentées par
48,000 enfants ; 12,000 autres d'entre eux sont élevés soit aux frais de
la commune dans 5 établissements alimentés par des legs particuliers,
soit dans 15 écoles entretenues aux frais des paroisses, soit enfin dans
5 écoles juives, 2 écoles catholiques qui ne sont soumises à aucune
inspection de la part de l'Etat. Dans le domaine de l'instruction secon-
daire Berlin compte : a) pour les garçons, 12 gymnases dont 4 royaux
et 8 municipaux, 6 écoles réaies de premier ordre et 2 de second
ordre, 11 écoles industrielles, 1 école de commerce, 1 école supérieure
municipale (Bùrgerschule), 6 écoles supérieures paroissiales, 45 écoles
préparatoires, 1 séminaire pour les instituteurs, 4 écoles complémen-
taires pour les adultes qui ont été contraints cle quitter prématurément
l'école; b) pour les filles, 4 écoles supérieures dont 2 paroissiales et
2 municipales, 38 écoles paroissiales moyennes, 1 école normale
pour les institutrices, 1 gymnase {Victoria- Lyceum) récemment créé
sous les auspices de la princesse de Prusse et dans lequel enseignent
quelques-uns des professeurs les plus estimés de Berlin. Il existe, en
outre, 38 écoles moyennes communes aux élèves des deux sexes. Les
catholiques possèdent en propre 1 progymnase, 4 gymnases, 1 école
réale, 1 école supérieure- pour les jeunes filles. Les établissements que
nous venons d'énumérer ainsi que toutes les institutions privées sont
soumis à la surveillance de la députation scolaire de Brandebourg;
le choix des maîtres appartient à la commission royale désignée par le
ministère de l'instruction publique. La direction de l'enseignement
secondaire incombe au magistrat (comité exécutif de la municipalité),
celle de l'enseignement primaire à une députation scolaire de 53 mem-
bres répartie en 12 sections et composée de conseillers municipaux, de
représentants de la bourgeoisie, du doyen catholique, des surintendants
évangéliques. La municipalité de Berlin inscritannuellement à son budget
pour l'instruction primaire et secondaire une somme de 4,677,300 francs
dans laquelle ne sont comptés ni les frais d'entretien ni ceux d'érection
pour les bâtiments anciens ou nouveaux. Dans la sphère de l'enseigne-
ment supérieur la première place est occupée par l'université, créée
en 1810 (voy. l'article Universités allemandes), et qui a compté, pendant le
BERLIN 211)
semestre d'hiver de 1876, 120 professeurs, 70 ptnvatdocenten^ 1,724 étu-
diants el 1,754 auditeurs bénévoles. Parmi les autres établissements pu-
blics d'instruction supérieure, nous mentionnerons :T Académie militaire,
l'Ecole des ingénieurs, l'Ecole vétérinaire, le Séminaire statistique, le Se*
minaire pédagogique pour les Ecoles supérieures; et parmi les institutions
privées du même ordre: l'Ecole pour les missions, le Séminaire théolo-
gique fondé parla colonie française, le Séminaire pour les rabbins ins-
titue par les juifs orthodoxes, l'Ecole israélite des hautes études
destinée aux juifs affranchis de l'autorité du Talmud, créée en 1872,
L'Ecole de philologie moderne établie en 1872 par les soins de la So-
ciété pour l'étude des langues vivantes. — Parmi les bibliothèques de
Berlin, la plus importante est la Bibliothèque royale, créée en 1(359 par
le grand-électeur, qui a pris un développement toujours plus considé-
rable grâce à la sollicitude éclairée des différents monarques et à l'obli-
gation inscrite dans la loi d'envoyer à la direction un exemplaire de
chaque volume publié en Prusse. Parmi les grandes bibliothèques de
l'Europe, Berlin occupe aujourd'hui le quatrième rang: le nombre des
volumes s'élève à 700,000, celui des manuscrits à 15,000. La direction
supérieure, après avoir été longtemps confiée à l'historien Pertz, a été
remise en 1873 à l'égyptologue Lepsius. L'université possède en outre
une bibliothèque spéciale, exclusivement réservée à l'usage des profes-
seurs et des étudiants, qui compte environ 100,000 volumes, 10,000 dis-
sertations et programmes. Ses collections philologiques se sont sensi-
blement accrues depuis le legs de la bibliothèque Bceckh. Enfin nous
regretterions d'omettre dans cette rapide esquisse les bibliothèques
populaires qui se proposent de fournir à toutes les personnes désireu-
ses d'instruction une nourriture riche, saine, variée, facilement ac-
cessible. Leur entretien et leur multiplication seraient impossibles si
elles se trouvaient réduites aux contributions plus que modestes exi-
gées de chaque membre ; il y est pourvu par des dons et des legs parti-
culiers. L'As ociation scientifique donne chaque année, devant un public
nombreux et choisi, une série de séances payantes auxquelles les écri-
vains les plus illustres, les professeurs les plus célèbres n'ont jamais
refusé leur participation. Le succès en a été si grand que dans l'espace
de dix-sept ans(18ii-1871) elle n'a pas créé moins de 75 bibliothèques
de quartier i 60,000 volumes). Berlin est aujourd'hui la ville d'Allemagne
où il se publie le plus de journaux et de revues périodiques. En 1876,
le nombre s'en élevait à 353. Leipzig n'en possède que 300, Vienne
205. Sur cet ensemble la littérature théologique et édifiante est repré-
sentée par 21 organes. Les plus connus sont : la Gazette évangêdque,
fondée en l<S27parllengstenberg, la Gazette protestante, journal des pro-
testants libéraux, fondée en 1853 par Krause; le journal des ultramon-
tain-, la Germania, dont la naissance coïncide avec celle du nouvel
empire, s'occupe tout à la fois de politique et de ivii-ion et suit la
même direction que V Univers. Sur le marché de la librairie allemande,
Berlin occupe le second rang : en 1710 il v fut édité 33 ouvrages; en
1818, i35; en 1859, 1,299; en 1873, 1,946. Les branches les plus for-
tement représentées -ont L'art militaire, la politique, la jurisprudence.
220 BERLIN — BERNARD DE CLAIRVATJX
Parmi les collections artistiques une des plus intéressantes est le mu-
sée d'archéologie chrétienne créé par le professeur Piper et installé dans
les salles de l'Université. Il a pour but de donner un aperçu historique et
systématique de l'art chrétien depuis la période des catacombes jusqu'à
nos jours, soit par des originaux bien choisis, soit par la reproduction des
monuments les plus célèbres. La partie la plus riche est celle rela-
tive au moyen âge. Au musée est jointe une bibliothèque patristique
d'après les meilleures éditions modernes. — Berlin occupe un rang dis-
tingué dans le monde artistique par l'excellence de ses concerts classi-
ques, les sympathies qu'ils rencontrent dans la population. Les sociétés
qui se sont le plus spécialement vouées à la culture de la musique clas-
sique et religieuse sont l'académie de chant (Singakademie, fondée
en 1791), le chœur de la cathédrale (Domcltor), les sociétés de Stern et
de Bach. La première, à laquelle son directeur Jelter (1800-1832) inculqua
avec le goût pour la vieille musique la méthode la plus sévère, les tra-
ditions les plus rigoureuses, exécuta en 1828, à l'instigation de Félix
Mendelssohn, la Passion selon saint Matthieu ensevelie depuis près
d'un siècle dans l'oubli et la poussière. — Sources : Brockhaus, Cou-
ver sations-Lexicon, III, 12e édition, 1875; Meyer, Conversations-Lexicon,
III, 1874; Huile, Statistique ecclésiastique de Berlin, 1876; Kapp,
Guide de Berlin, 4 e édition, 1873; Journal pour V Economie politique et
la Statistique de Berlin, publié par le bureau royal de statistique depuis
1867 ; Streckfuss, Berlin depuis trois cents ans, 1863-1865, et Berlin au
XIXe siècle, 1869: Woltmann, L 'architecture à Berlin, 1872; Schasler,
Les trésors artistiques de Berlin, 109 édition, 1874. K.Steœhlin.
BERNARD DE CLAIRVAUX (Saint) naquit en 1091 à Fontaine, près
de Dijon. Son père suivait la carrière des armes; ce fut sa mère,
Aleth, qui exerça une influence décisive sur sa vocation religieuse et
qui le consacra au Seigneur dès sa naissance. Après une enfance
absorbée par l'étude et par les pratiques d'une piété fervente, Bernard
résolut de se vouer à la vie contemplative et gagna à ses idées tous les
membres de sa famille, sauf un frère et une sœur qui le suivirent plus
tard dans sa retraite. Il ne choisit pas l'ordre riche et fameux de
Cluny, mais le rude et austère Giteaux (près de Chalon-sur-Saône),
dont la discipline rigide n'avait encore attiré que peu de néophytes. Il
se soumit aux fonctions les plus humbles et imposa à son corps délicat
des privations qui devaient détruire sa santé. Sa réputation de sainteté
déjà grande amena à Giteaux assez de novices pour nécessiter la fon-
dation d'un nouveau monastère, dont il fut appelé à être l'abbé. Ber-
nard lit choix d'une vallée sauvage du pays de Langres, Clara vallis,
assuré de la protection du célèbre Guillaume de Ghampeaux, évêque
de Châlons-sur-Marne. Il réussit, après des fatigues inouïes, non-
seulement à fonder un monastère florissant, mais à civiliser les contrées
voisines, à nourrir les paysans pendant une famine, à lutter contre
le découragement de son frère Gérard qui se lamentait de voir les
greniers vides, à obtenir enfin par l'exemple et la prière des bénédic-
tions inattendues. Tant de fatigues, jointes à un ascétisme outré, con-
traignirent l'évêque de Ghàlons à intervenir et à lui interdire tout
BERNARD DE CLAIRVAIW 221
travail pendant une année. I>e délai écoulé, Bernard se remit à l'œuvre
avec un zèle qui, comme dit Néander, réunissait l'esprit de Marthe
à celui de Marie. C'était le modèle <ln moine et du directeur de con-
science, et il avait la puissance de transformer les caractères les pins
endurcis. In grand nombre de ses sermons traitent des devoirs et des
dangers de la vie monastique. Il met ses moines en garde contre la
tentation de raconter avec complaisance leur vie passée, contre le vide
de Pâme que la prière seule peut remplir, contre l'orgueil sans charité
qui se plaît à censurer ses frères. Il y avoue avoir poussé trop loin
L'ascétisme, qui empêche de remplir ses devoirs. Sa correspondance
est immense : ces cent soixante couvents qu'il laissa à sa mort dis-
persés dans tonte l'Europe jusqu'en Suède, il les dirige de loin, les
reprend, les encourage; il écrit dix lignes à un roi et il consacre dix
pages à un simple moine. Consulté par tous les hommes éminents de
son temps, il dut souvent sortir de sa retraite. Il serait impossible de
le suivre dans le détail de ses occupations multiples. Nous le voyons
combattre les guerres privées, chercher avec le comte Thibaut de
Champagne à abolir les prétendus jugements de Dieu, s'élever contre
les piètres et les chanoines indignes. Il écrit plusieurs lettres au célèbre
Suger, abbé de Saint-Denis, pour rengager à réformer les abus qui se
sont glissés dans son monastère, dont les riches abbés dérobent aux
pauvres l'or qu'ils consacrent à leur luxe. Il va jusqu'à forcer par
la menace de l'interdit Louis VI de rendre ses biens à l'archevêque de
Sens, et répond au pape qu'il l'engage à rester moine, que la cour
papale s'est souvent mêlée des affaires mondaines, mais au grand péril
des âmes. En 1129, au concile de Chàlons,il provoque la démission de
l'indigne Henri, évêque de Verdun, et s'attire la colère des cardinaux
dont il combat l'orgueil. A la mort d'Honorius II, un nouveau schisme
désola l'Eglise et deux papes rivaux, Anaclet II et Innocent II, se dis-
putèrent la tiare (1130). Innocent II, menacé par le parti puissant de
son rival, se réfugia en France. Au concile d'Etampes, malgré l'illé-
galité de son choix, Bernard se prononça pour lui comme le plus digne
et lui assura par des démarches nombreuses l'appui d'Henri II d'An-
gleterre et du duc de Saxe Lothaire, rival de Conrad pour la couronne
impériale (Liège, 1131), qu'il détourna de réveiller la question des
investitures. Il accompagna le pape au concile de Reims de 1131, qui
condamna Anaclet et travailla dans son esprit à la réforme du costume
et des mœurs du clergé et des barons féodaux, et lui fit les honneurs
de son monastère de Citeaux, dont l'austère pauvreté frappa d'éton-
nement les riches prélats romains. Deux fois appelé un peu plus tard
en Italie par le pape, auquel le parti de son rival faisait courir les
plus grands dangers, et après avoir, dans l'intervalle de ces deux
séjours, fait un voyage en Allemagne pour y ramener la paix et
réformer L'Eglise, Bernard assista en 1134 au concile de Pise et lutta
avec succès contre le clergé de Milan et son archevêque Anselme, fier
de l'héritage d'Ambroise, défenseur de l'indépendance; des évêques
vis-à-vis de la cour de Home, dont il refusait le pallium, auquel était
attaché le vasselage. Il le lit déposer et se déroba par la fuite aux
222 BERNARD DE CLAIRVAUX
instances d'un peuple enthousiaste, électrisé par son éloquence et ses
miracles et qui le voulait pour son pasteur. Tel était alors le prestige
de sa parole qu'elle peuplait les monastères; les femmes cachaient
leurs maris et les mères leurs fils pour les soustraire au prestige irré-
sistible du grand abbé. A peine rentré en France en 1135, il reprit le
cours de ses voyages, se rendit à la cour du duc Guillaume d'Aquitaine
pour le détacher de la cause d'Anaclet et ne craignit pas de le menacer
en face de l'excommunication s'il ne rendait pas leurs charges aux
prêtres partisans d'Innocent. 11 réussit également à décider l'empereur
Lothaire à ramener le pape à Rome. Rappelé une troisième fois par
Innocent, il ne parvint pas à détacher du parti d'Anaclet le roi normand
Roger de Sicile, mais amena repentant aux pieds du pape le principal
défenseur de son rival, le cardinal Pierre de Pise, qu'il convainquit
dans une discussion publique, que l'on croit avoir été réglée d'avance.
Le schisme prit fin en 1138 par la mort d'Anaclet, car l'élection de
Victor III n'eut ni conséquence ni durée. De nouvelles divisions ne
tardèrent pas à attirer encore l'attention de Bernard vers les affaires
de l'Eglise de France. En 1142 deux rivaux se disputaient l'archevêché
de Bourges. Louis VII se prononça contre le candidat du pape qui se
réfugia auprès de Thibaut de Champagne. Il en résulta une guerre
dans laquelle le comte des moines fut vaincu ; une des conditions du
pardon royal et de la paix fut la levée par le pape de l'excommunica-
tion lancée contre un certain comte Radulph, qui avait répudié sa
femme pour épouser une parente du roi. Rernard obtint du pape une
concession, d'ailleurs fictive, puisque l'excommunication fut de nou-
veau prononcée contre le comte qui avait refusé de reprendre sa
première femme. En 1140, Bernard, qui nJavait point pris part à la
première condamnation prononcée contre Abélard au concile de
Soissons (1121) et qui n'avait eu avec lui qu'une polémique passagère
à propos d'un reproche qu'il avait adressé à Héloïse pour avoir sub-
stitué, sur son conseil, dans l'oraison dominicale le mot substan-
tialem au mot quotidianum (Hist. Ut., XII, 113), se rendit, sur les
instances du pape, au concile de Sens. Les pères du concile, que
Bérenger accuse d'incapacité, condamnèrent Abélard sans l'entendre,
sur la dénonciation implacable de son illustre rival. En 1146 l'abbé de
Clairvaux, qui depuis longtemps brûlait du désir d'arracher le saint-
sépulcre aux infidèles, prêcha à Vézelay la croisade avec une telle
puissance qu'une armée nombreuse se mit bientôt en marche pour
l'Orient. En 1147 il se rendit en Allemagne, où le même enthou-
siasme accueillit ses prédications, dont les gestes et la conviction
entraînaient les foules, qui ne comprenaient pas son langage. Un
certain Radulph avait fanatisé les paysans des bords du Rhin et les
entraînait déjà au massacre des Juifs. Bernard réussit à réduire ce
fanatique au silence et à sauver des innocents, mais il eut de la peine
à entraîner à la croisade l'empereur Conrad. Pendant ce voyage il eut
une entrevue avec la célèbre voyante Hildegarde, qui prophétisait des
temps meilleurs et s'élevait contre la corruption de l'Eglise. Il l'appelle
sa fille en Christ et reconnaît le caractère inspiré de ses visions, qui
BERNARD DE CLAÏRVAUX 223
retracent la lutte de l'Eglise idéale avec les obstacles que lui opposent
les péchés du monde et de ses propres enfants (Bœhringer, Die K. £'., II,
l, 547 ss.)i Les dernières années de Bernard furent attristées par les.
reproches que lui attira l'insuccès de sa croisade et par les angoisses
intérieures qui en turent le fruit, par les menées de quelques-uns-
de ses propres moines et par la mort de tous ses amis, de Suger, de
Thibaut, du pape Eugène, son disciple favori, qui le précéda dans la
tombe le S juillet 1153. Comme Luther, Bernard termina sa carrière si
remplie par une œuvre de conciliation et travailla à rétablir la paix
• ntre les barons et le clergé de Metz, comme il l'avait t'ait en 1138
entre l'archevêque Reinaud et les habitants de Reims. Le grand
athlète de la foi mourut en pleine possession de son intelligence, au
milieu des plus cruelles souffrances, le 20 août 1153, dans sa soixante-
troisième année, après quarante ans de vie monastique, dont trente-
huit comme abbé. 11 fut canonisé dès l'année 1173 par Alexandre III. —
Nous n'avons pas à exposer la conception théologique de Bernard dans
son ensemble, car il n'était ni un docteur ni un philosophe, et la vie
pratique et contemplative absorbait tous ses instants. Ascète et moine
dans l'àme, il se plonge avant tout dans la méditation. Il suivit tout
un jour les bords du lac de Genève et demanda, le soir, où il se trou-
vait : il ne l'avait pas môme aperçu ! Nous pouvons le considérer
comme un des représentants les plus distingués du mysticisme mitigé
contre le rationalisme de l'école d'Abélard et de l'orthodoxie dessé-
chante de la scolastique. Pour lui, la foi sous sa forme actuelle est
une préparation à la contemplation éternelle de la vérité, comme
l'ancienne alliance a été l'ombre de la nouvelle. La révélation naturelle
lance des rayons de vérité dans toutes les âmes ; dès que le désir de
Dieu s'empare de l'une d'elles, Dieu vient au-devant de sa créature.
Dans ses traités : De contemtu mundi et De diligendo Deo , Bernard
sait éviter l'écueil du panthéisme en établissant une distinction néces-
saire entre Dieu et l'homme , le présent et l'éternité. Il admet trois
degrés pour s'élever jusqu'à Dieu : la vie pratique, contemplative,
extatique. On lui a reproché de méconnaître les droits de la science;
il ne l'admet pas pour elle-même, il ne lui accorde aucune indépen-
dance vis-à-vis de la vie religieuse et de la révélation, qu'il rattache
étroitement au dogme ecclésiastique. Il affirme en l'homme une triple
liberté : de la nécessité, qui a survécu au péché; du péché, obtenu par
la grâce ; du malheur, dans la vie éternelle. Il attache une grande im-
portance au dogme de la rédemption. Enfant de son siècle, il professe
un culte fervent pour la Vierge et les saints, sans lesquels on ne
saurait aborder le trône du Christ tout-puissant; mais il repousse avec
énergie le dogme naissant de l'Immaculée Conception, qui compromet
la situation unique du Verbe, et regrette la fête instituée à Lyon en son
honneur. 11 place le bonheur éternel dans la contemplation parfaite
de Dieu et dans la connaissance de la vérité des choses ; les élus attein-
dront alors le (le^n'- suprême de l'amour pur et désintéressé pour Dieu
presque inaccessible ici-bas. Bernard eut à soutenir dans le cours de
sa longue carrière de nombreuses controverses théologiques, dans les-
224 BERNARD DE CLAIRVAUX
quelles il brilla plus par le prestige de son influence et de son nom que
par la puissance de sa dialectique. Tout en restant avec Pierre le Véné-
rable de Cluny, plus large et plus tolérant que lui, dans les termes
d'une affection et d'une estime réciproques, il se vit obligé, par les
attaques de l'un de ses moines, Pontius, de défendre son ordre, et
reprocha aux moines de Cluny leur faste, leur luxe, leur orgueil (dé-
fauts dans lesquels ceux de Giteaux ne devaient pas tarder à tomber
eux-mêmes), et leur opposa l'ascétisme du vrai moine et une concep-
tion , nous dirions presque protestante, d'un culte simple et sans
pompe extérieure. A l'occasion du concile de Sens de 1140, Bernard
reproche à Abélard de tomber dans le sabellianisme, en ne voyant que
des noms dans, les trois personnes, d'enseigner que la raison est sou-
veraine, que le diable n'a pas reçu la rançon de l'homme; de ne voir
en Jésus que le docteur et non le rédempteur; de déposer le doute
dans l'âme ; enfin de professer le pélagianisme. Nous avons vu qu*A-
bélard ne se défendit pas. Bernard déploya la même ardeur contre son
illustre disciple, Arnaud de Brescia, dont l'austérité était une protes-
tation contre le relâchement des mœurs du clergé, et dont la tentative
d'établir à Rome la théocratie ébranlait les bases mêmes de la papauté.
Tout en rendant justice à sa vie, il lança contre lui l'empereur Conrad
et fut l'instrument indirect de son supplice. En 1148, au concile de
Reims, il accusa Gilbert de la Porrée, évêque de Poitiers (qui distin-
guait entre la Divinité et Dieu, et enseignait que les trois personnes,
une quant à l'essence, ne le sont pas quant à la substance), de tomber
dans le trithéisme ou même dans la quaternité. Eugène approuva la
confession de foi de Bernard ; mais les cardinaux , jaloux de son in-
fluence, obtinrent que la première proposition de Gilbert serait seule
condamnée et que l'écrit de son rival ne ferait pas autorité. Gilbert put
rentrer en paix dans son diocèse. Néander croit que ce fut à ce même
concile que Bernard fit condamner à la prison perpétuelle Henri de
Lausanne, dont la prédication morale, la vie exemplaire, les attaques
contre le clergé, le baptême des enfants, la transsubstantiation, les
images, la dîme, avaient réveillé dans les esprits les idées gnostiques
venues de l'Orient et les enseignements de Taukkelm et de Pierre de
Bruys. Hahn (Gesch. d. Ketzer im Mittel., Stuttg., 1845-47) a prouvé
que cette condamnation fut prononcée l'année précédente à Toulouse,
à la suite d'une tournée de prédications que fit Bernard dans le Midi à
la demande du pape et de la lettre dénonciatrice qu'il adressa à Hilde-
fonte, comte de Béziers. Du reste, Bernard avait défendu dans ses dis-
cours 65 et 66 sur le Cantique la doctrine de l'Eglise contre des hé-
rétiques des bords du Rhin. Cette énergie avec laquelle il cherchait
à défendre l'Eglise contre les ennemis du dehors, Bernard sut aussi
la déployer à l'égard des abus et des fautes de l'Eglise elle-même. Son
traité De Consideratione, adressé au pape Eugène et que l'on peut re-
garder comme son testament spirituel , renferme ses censures, ses pro-
jets de réforme et ses vœux. Il relève sans merci les abus scandaleux
des procès, de l'esprit de domination qui a fait perdre au pape l'em-
pire des âmes, des exemptions, des appels, de l'absolutisme qui a sup-
BERNARD DE MENTHON 2â5
primé le pouvoir épiscopal et la liberté des conciles. 11 demande avait
tout la séparation des pouvoirs temporel e1 spirituel, le renouvellement
de la vie religieuse au sein de la curie et la suppression des abus à
tous les degrés. Aussi voyons-nous les réformateurs le considère]
comme un de leurs précurseurs el lui accorder les plus grands éloges
Calvin, fast. chr., liv. IV, c. 11, § 10). — Comme écrivain, Bernard a
composé des traités ascétiques d'édification et de polémique: De cou-
temtu Dei; De Consideratione ; De diligendo Deo; Adversus Abœlardum ,
'fSd lcttns de lui nous ont été conservées et sont un monument de
son zèle, de sa piété, de sa tendresse d'âme, de sa connaissance pro-
fonde du cœur humain. Nous possédons de lui 340 sermons, dont 13
sur la Vierge et les saints, des panégyriques, dont le plus connu est
celui sur Malachias, évêque d'Irlande, mort à Citeaux pendant un de
ses voyages. Ses sermons les plus célèbres, au nombre de 86, sont ceux
que Bernard a consacrés à l'explication du Cantique. Le style est bar-
bare; mais Bernard a une profonde connaissance de l'Ecriture, qu'il
se plait a citer. Il a recours le plus souvent à l'homélie; beaucoup de
ses discours sont de vrais traités de morale; l'allégorie est sa méthode
favorite. On ne saurait refuser l'éloquence à un homme qui exerçait
une telle influence sur ses moines, développait en eux les dons ora-
toires, électrisait, même en Allemagne, les foules et entraînait tout ui»
monde à la conquête du tombeau de Jésus-Christ. Se fondant sur
l'austérité de sa règle, les critiques ont nié l'authenticité de plusieurs
poésies qui lui furent attribuées par ses contemporains : des Salve ou
salutations à diverses parties du corps de Jésus-Christ; la prose de la
Nativité; le Jubilas rhythmicus de. Nomme Dei. Nous avons cependant
le témoignage formel de son adversaire Bérenger, et nous aimons à lui
attribuer plusieurs poésies demeurées célèbres . entre autres le Salve
caput cruentatum, traduit par Paul Gerhard en 1659, etqui ligure dans
nos recueils évangéliques sous le titre de Chef couvert de blessures, et
le Jesu dulcis memoria, traduit par Moller en 1 584 : 0 Jesu sûss, wei
Dein gedenkt. En un mot, Bernard est un véritable Père de l'Eglise, un
grands docteurs de la foi dans ce douzième siècle si fécond, qui
vit renaître en Europe la vie intellectuelle et religieuse. — Œuvres : la
première édition imprimée est de 1475, Mayenee, chez Pierre Schœfler ;
la meilleure est celle de Mabillon, Paris, 1667-90, 6 vol. in-folio. La
première traduction est celle des Degrés de V humilité, par Pierre Vives.
1510. Ses plus anciens biographes sont : Guillaume, abbé de Saint-
Thierry, près Reims; Arnaud, abbé de Bonneval, et Geoffroy; parmi
aodérnes, Néander, Der h. B. u. s. Zeit, 3e 'édit., Gotha, 1854-58:
Niedner, Zeit. f. hist. Th., 1862; Ellendorf; Der heil. //.. 1837; Bœh-
ringer, Die A. Ç. in /A, I. i36-719; Hatisbonne. Hist. de suint Ber-
'. Paris, 1843, 2 vol.;J. Morison, The Life und times of S. IL, Lon-
don, 1864 : Bût. litt. de /«>■., IX, XI, XII, XIII, 129 ss. a. Paumieb.
BERNARD DE MENTHON (Saint) [923-1008], originaire d'une famille
noble de Menthon, près d'Annecy, se distingua par su piété précoce,
mdance vers l'ascétisme et son inépuisable charité. Il lit ses études
a Aoste, où, après avoir résisté à sa famille el aux perspectives sédui-
II. K
220 BERNARD DE MENTHON
sautes que lui ouvrait la vie mondaine, il se lit consacrer prêtre et
reçut les fonctions d'archidiacre qu'il exerça avec le plus grand dé-
vouement jusqu'à sa mort, opérant de nombreuses conversions eu
Piémont, dans le Valais, à Genève, en Savoie et en Lombardie. Sa
pensée dominante était d'arracher le col, qui depuis a porté son nom.
à la double possession du démon et des Sarrasins idolâtres, et d'y
élever un asile pour les pèlerins. Sur le col du Petit-Saint-Bernard se
dressait une colonne, débris d'un temple de Jupiter {columna Jovis),
appelée aussi VŒU de Jupiter, à cause de l'escarboucle qui avait été
enchâssée dans l'orbite de l'œil de la statue, et grâce à laquelle, sui-
vant la tradition païenne, elle pouvait apercevoir de loin ceux qui
avaient besoin- de secours. Bernard lit abattre cette statue que la légende
chrétienne disait possédée du démon et à laquelle elle attribuait
toute sorte de maléfices. En même temps il s'employa activement à la
conversion des Sarrasins, établis sur ces hauteurs inhospitalières où
ils pouvaient exercer impunément leurs brigandages. Grâce aux dons
nombreux qui affluèrent à la suite des éloquentes prédications de Ber-
nard, et aux riches legs que firent les membres les plus proches de sa
famille, il put ériger (vers 996), sur ce col élevé de 7,000 pieds au-
dessus du niveau de la mer et enseveli pendant neuf mois de l'année
sous la neige, un monastère et un hospice qui rendirent, dans la suite,
les services les plus signalés aux voyageurs. Le concile de Latran
(1215) rattacha les moines du couvent de Saint-Bernard à la règle de
Saint- Augustin. — La source principale est la Legenda vitx S. Bernh.
de Menthone de Richard, archidiacre d'Aoste et proche parent de Ber-
nard. Elle a été publiée d'abord par les bollandistes, d'après un ma-
nuscrit trouvé dans l'église de Saint-Jean-de-Maurienne par Chiffief
(AA. SS., 15 juin, p. 1074); puis, en latin, par Adam Schirmbeck, à
Munich (1652) ; enlin, en français, par Viot, sous le titre de Miroir de
toute sainteté en la vie de saint Bernard de Menthon. Il existe deux
autres récits de la vie de ce personnage, également publiés par les
bollandistes, l'un, qui paraît être un abrégé du précédent, ex mann-
stripto cœnobii Bodecensis, p. 1082; l'autre, qui n'est qu'un tissu de
fables et de légendes et qui peut être considéré comme la source de
tous les miracles prêtés à Bernard, tiré ex manuscripto Carthusiœ Colon..
p. 1080. Voyez aussi un article de Ph. Bridel dans le Conservateur
suisse, V, p. 231 ss. ; une Vie de saint Bernard en allemand de L. Bur-
gener (1856), et l'article du docteur Gelpke dans la Real-Encykl. de
Herzog, XIX, p. 178 ss.
BERNARD DE HILDESHEIM (Saint) [Bernward, Bernouard], évêque
de 993 à 1022, canonisé en 1193, neveu du comte palatin Adalbéron,
élevé à l'excellente école de Hildesheim, instruit dans les lettres, dans
les arts et dans les lois, devint le précepteur et le chapelain de l'em-
pereur Otton III et exerça une grande influence sur sa cour. Dans son
diocèse, il favorisa les études, enrichit la bibliothèque épiscopale
d'écrits classiques, philosophiques et théologiques, en partie rapportés
d'Italie, écrivit lui-même sur les mathématiques et l'alchimie et dirigea
a construction de divers édifices ecclésiastiques, en particulier de
BERNARD (Samuel) 227
l'abbaye des bénédictins érigée en l'honneur dé saint Michel. Bernard
défendit les droits de sou évêché contre llàrchevêque de Mayencè, lit
plusieurs voyages à Home où il était très-estimé et fortifia Hildesheim
et ses environs contre les attaques des Normands. Sa biographie, écrite
de son vivant par le prêtre Tangmar, son précepteur et le compagnon
le ses voyages, se trouve dans Surius, an 1018, 20 novembre.
BERNARD DE TIRON (Saint) [1046-1116], évangélisa la Normandie
eu compagnie de Robert d'Arbrisselles, et fonda, en 1109, une congré-
gation nouvelle de Tordre de Saint-Benoit, qui porte son nom.
BERNARD (Claude), appelé communément le Pauvre Prêtre ou
le Père Bernard (1588-1641), originaire d'une famille noble de Dijon,
étudia le droit et la théologie, fut détourné par une vision de la vie
mondaine qu'il menait sous l'habit ecclésiastique, résigna le bénéfice
qu'il avait, et vint se consacrer, à Paris, au service des malades et des
pauvres, pour lesquels il se dépouilla de tous ses biens. Il prêchait
plusieurs fois par semaine, et ses sermons entraînants produisaient des
miracles de charité, bien qu'il parlât sans préparation. Il a été enterré
à l'hôpital de la Charité. Sa vie a été écrite par plusieurs auteurs, entre
autres par Th. Le Gaufïre, par le P. Giry, minime, et par le P. Lem-
pereur, jésuite.
BERNARD (Samuel). — I. Les registres du temple de Charenton,
anéantis par les incendies de 1871, contenaient des renseignements
précieux sur la famille de ce peintre et graveur célèbre. Baptisé le
8 novembre 161o, il était le quatrième des douze enfants de Noël Ber-
nard, qualifié de maitre peintre, et de Marguerite Sevin. D'après
Mariette, « il avait étudié sous Vouët et ensuite sous Duguernier, et il
a merveilleusement bien peint la miniature. » Il fut un des membres
fondateurs de l'Académie de peinture en 1648 ; nommé professeur le
6 juillet 1655. 11 exposa en 1673. On lui doit, dit Robert-Dumesnil, « de
charmantes copies en petit des plus célèbres compositions de Raphaël,
et qui sont d'un fini précieux, sans sécheresse. Le faire de la Vision
d'Attila, par lui gravée, peut aisément mettre sur la voie de l'exécution
de ces petits chefs-d'œuvre, qui sont anonymes. » Il a gravé lui-même
les portraits de Duguernier, du musicien Hautman, du comte de Bé-
thune, etc. On a pu voir, en 1864, à l'exposition régionale d'Evreux,
un cadre de 24 portraits de Samuel Bernard appartenant au duc de
Clermont-Tonnerre, qui descend de lui par une de ses arrière-petites-
lilles, née Bernard de Boulainvilliers. Exclu de l'Académie, comme
protestant, en 1681, il lut réintégré dans son fauteuil après avoir ab-
juré le 20 octobre 1685. Il mourut à Paris, rue de l'Université, le
2't juin 1687, âgé de 72 ans. Il avait épousé, en octobre 1645, Made-
leine Lequeux, fille d'un tailleur, qui lui donna douze enfants. —
II. Samuel Bernard, le célèbre financier, était le quatrième des
rulants du peintre qui vient d'être mentionné. Il fut baptisé à Cha-
renton, le -l décembre 1651. En juin 1676, il fut reçu maitre dans la
co poration des marchands de draps d'or et de joaillerie; et, en
dé embre 1685, il ligure parmi les soixante-trois notables négociants
iris de la R. P. H. que le secrétaire d'Etat Seignelay mande chez
228 BERNARD (Samuel)
lui pour leur faire signer une abjuration en règle. Nonobstant, et par
suite d'une erreur singulière, on envoie des dragons, commandés par
d'Artagnan, dans sa belle campagne de Chenevières-sur-Marne, les-
quels, croyant avoir affaire à un non-converti, font là, consciencieu-
sement, en quelques jours, pour dix mille livres de dégâts. Le Journal
de Dangeau nous apprend qu'en juin 1697 Samuel Bernard aida à
l'élection du roi de Pologne, en envoyant à Dantzick 200,000 écus,
selon le désir de Louis XIV, « qu'il servit très-bien en cette occasion. »
Il fit dès lors preuve d'un génie linancier et d'une étendue de crédit,
propres à seconder puissamment les desseins du monarque. Aussi
reçoit-il, au mois d'août 1699, des lettres d'anoblissement, pour lui et
ses descendants, portant cette clause remarquable : « Sans que pour
« ce il soit tenu de cesser son commerce, ce que nous luy avons
« expressément défendu, pour l'utilité que nous et nos sujets pouvons
« continuer d'en retirer. » Il avait, est-il dit encore, « fait venir à grands
« frais des grains de l'étranger, en temps de disette, et avait montré
« autant de zèle que de désintéressement dans des affaires secrètes
« dont il avait été chargé. » En juin 1702, il fut fait chevalier de
l'ordre de Saint-Michel. Son concours devenait de plus en plus néces-
saire à Chamillart et à Desmarets, à mesure que le roi avait à se dé-
fendre contre plus d'ennemis. On sait, par le récit piquant de Saint-
Simon, comment Desmarets aux abois, en 1708, attira Bernard à Mari y,
afin que le grand roi daignât lui-môme le promener, le iïatter, et ainsi
« lui couper plaisamment la bourse ». On peut croire qu'en semblant
tout concéder, l'habile linancier ne laissa pas d'y trouver son compte.
C'est lui qui avait commencé la fortune des frères Paris; il se ligua
avec eux et avec Crozat contre le système de Law. En décembre 1725,
Louis XV le fit comte de Coubert, érigeant en seigneurie une terre de
ce nom, située près de Brie-Comte-Robert. On avait toujours besoin de
lui. L'histoire de l'Administration de la Guerre constate que, pendant
tout le ministère du cardinal Fleury, « le véritable ministre du matériel
de la guerre fut ce simple négociant, banquier de la cour, qui se
montra habile au possible, courageux, infatigable. » En novembre 1730,
il fut l'ait conseiller d'Etat, à titre de récompense exceptionnelle. Il
mourut le 18 janvier 1739, en sa maison de la place des Victoires, et
fut inhumé àSaint-Eustache. La fortune qu'il laissait était de 33 millions,
qui furent « le fumier de bien des terres », par le moyen des alliances
que la noblesse avait contractées avec ses enfants. C'étaient des partis
de 800,000 livres : on se mésalliait souvent à moins. Bernard avait
été marié deux fois. De sa première femme, Madeleine Clergeau, lille
d'une célèbre faiseuse de mouches, il avait eu huit enfants, dont :
1° Madeleine, née en 1684, qui épousa, en 1701, Hardouin Mansart,
comte de Sagonne ; 2° Samuel- Jacques, né en 1686, surintendant de la
maison de la reine, qui épousa, en 1715, une Frottier de la Coste-Mes-
selière ; 3° Gabriel, né en 1687, qui devint le président de Rieux et
épousa, en 1717, une Saint-Chamans, puis, en 1719, une Boulainvil-
liers. De sa seconde femme, Pauline de Saint-Chamans (1720), sœur
de sa belle-fille, Bernard eut encore une lille, née en 1721, qui épousa,
BERNARD (Jacques) 229
en 17;W, le président Mole, avec une dot de douze cent mille livres.
Le sang de Samuel Bernard entra ainsi dans les veines : 1° des Mole,
des Cossé-Brissac et des Lamoignon; 2° des Montvallat d'Entragues,
des Berryer et des Leclerc de J.uigné ; 11° des Lévis de Mirepoix, des
Beauvoir du Roure, des Hallencourt, des Crussol d'Uzès, des Faudoas
el des Clermont-Tonnerre. Un dernier Samuel Bernard, comte de
Goubert (arrière-pétit-fils du financier), qui avait épousé une TUrgot,
s'est éteint sans postérité, le 24 janvier 1861, à l'âge de 93 ans. Il avait
fait passer son titre, en 1846, sur la tête de L.-F. de Forestier, fils de
sa sœur et du vicomte de Forestier, commissaire général des guerres
pour les troupes suisses. Ch. Rkad.
BERNARD (Jacques), publiciste protestant. Fils de Salomon Bernard
et de Madeleine Galatin, de Genève, il naquit, le 1er septembre 1658, à
Nyons, en Dauphiné, où son père était ministre. Ayant étudié à Genève,
en vue de la carrière pastorale, il fut attaché en 1679 à l'Eglise de
Venterol, puis à celle de Yinsobres. Lorsque l'exercice y fut interdit
et le temple condamné à être démoli, en 1683, il ne put se résigner à
la persécution et, à la tête de son troupeau, résista ouvertement à la
force armée. Puis il gagna la frontière suisse et apprit qu'on l'avait
pendu en effigie, en même temps que tous ses biens et ceux de sa
famille avaient été confisqués au profit d'un parent converti. D'abord
à Lausanne, où son père le rejoignit, il vécut de leçons de philosophie
et de mathématiques. Ayant passé en Hollande, après 1685, il devint
ministre pensionné par la ville de Gouda, se maria en 1690 et s'établit
professeur à La Haye, en continuant à remplir son office de prédicateur
à Gouda, même après que Le Clerc, son parent, l'eût chargé, en 1691,
de publier les derniers volumes de la Bibliothèque universelle, au
nombre de six. II ne se montra pas tout à fait à la hauteur de cette
tâche. Cependant il entreprit encore, en 1699, de continuer les Nou-
velles de la République des Lettres, journal qui avait dû au génie de
Bayle un renom difficile à soutenir. 11 les publia jusqu'en décembre
1710, et les reprit, après une interruption, en 1716, pour ne les aban-
donner qu'à sa mort, en 1718. Longtemps il avait attendu une place
de pasteur à Leyde, qui lui avait été offerte par les réfugiés français de
cette ville; mais le roi Guillaume, l'ancien stathouder, lui fit oppo-
sition. Les principes politiques du publiciste lui déplaisaient : il eût
voulu trouver un flatteur de la monarchie dans celui que la monarchie
despotique avait proscrit. Enfin, après la mort de ce prince, en octo-
bre 1705, Bernard fut nommé pasteur, et en même temps professeur
suppléant à l'université de Leyde, où il devint titulaire en 1712. Il
mourut à Leyde le 27 avril 1718, laissant deux filles et un fils, Jean-
Pierre Bernard, qui a été chapelain du comte de Lorraine, s'est fait
connaître par des travaux littéraires, et fut un des collaborateurs de
la traduction du Dictionnaire de Bayle et de la Bibliothèque britan-
nique. Jacques Bernard, écrivain plus laborieux que remarquable,
a laissé de nombreux écrite, publiés de 1686 à 1714. Il a travaillé au
Supplément au Dictionnaire de Moreri (1716) et a donné une édition
estimée des Lettres de Bongars. Oh. Read.
230 BERNARDIN
BERNARDIN DE SIENNE (Saint) est l'un des plus grands repré-
sentants de la prédication franciscaine, prédication morale comme
celle des dominicains était religieuse. Fils d'un noble siennois, Tollo
Albizzeschi, il naquit à Massa. A l'âge de vingt-deux ans, en 1402, il
entra aux frères mineurs de Sienne, précédé de la réputation qu'il
s'était faite en soignant les pestiférés, et bientôt il se lit recevoir dans
la stricte observance. Bernardin prêcha contre les mœurs du temps
dans toutes les villes de l'Italie, réunissant parfois devant sa chaire
30,000 auditeurs, et sa parole produisit de tels effets qu'après l'avoir
entendu, les hommes jetaient au feu leurs dés et leurs jeux de cartes,
et les femmes leurs parures et leurs faux cheveux. Plusieurs fois Ber-
nardin refusa la dignité d'évêque. Nommé en 1438 vicaire général de
l'observance, il s'adjoignit bientôt comme visiteur Jean de Capistrano,
son élève, dont l'éloquence devait égaler la sienne. Saint Bernardin
mourut en 1444, à Aquila, dans les Abruzzes, et dès 1450 il fut cano-
nisé. Sa vie a été écrite par Gapistran et par plusieurs auteurs contem-
porains. On trouvera clans ses Œuvres, dans les éditions de Paris,
1639, et de Venise, 1745, l'une et l'autre en 4 vol. in-folio, ses ser-
mons traduits en latin, mais le P. Haraglia, dans son Supplément urti
ad Script. Ord. Minor. (Rome, 1806, in-folio), énumère les nombreux
manuscrits italiens de ses sermons et ses ouvrages moins connus. —
Voy. Wadding, Annales Min., année 1380; A A. SS., 20 mai, Y; Ber-
thaumier, Hist. de saint Bernardin, Paris, 1862, in-12.
BERNARDIN DE SAINT-PIERRE (Jacques-Henri), né au Havre le
19 janvier 1737, mort à Eragn y-sur-Oise le 21 janvier 1814, a été,
parmi les écrivains, vers latin du dix-huitième siècle, l'un de ceux qui
ont le plus contribué à faire aimer la religion, à la défendre contre les
nombreux adversaires qu'elle avait dans ce temps-là, et à retarder les
progrès de l'incrédulité. Sorti jeune, en 1758, de l'Ecole des ponts et
chaussées, il n'entre cependant que fort tard, à quarante-sept ans, dans
la carrière des lettres, après avoir fait plusieurs campagnes comme
officier ingénieur, et cherché fortune vainement au milieu des plus
romanesques aventures, tour à tour en Hollande, en Russie, en Polo-
gne, en Prusse, en Autriche et enfin à l'île de France. N'ayant trouvé
ses semblables heureux en aucun lieu du monde et n'ayant pas réussi
à fonder ce qu'il rêvait, une ville, un petit Etat, quelque nouvelle
Salente qui l'eût choisi pour législateur et pour père, il est alors
dégoûté du commerce et de la vue des hommes. Les plus admirés de
ses ouvrages, Paul et Virginie, la Chaumière Indienne, ont été écrits
sous cette impression, qui lui resta ; il prenait plaisir à opposer les lois
naturelles aux lois sociales qui les contrarient, et la paix, sous la disci-
pline de la nature, de quelque petite société réunie par des besoins,
des malheurs communs, au désordre et aux divisions des autres socié-
tés, dans le monde qu'on appelle civilisé. On vantait partout les philo-
sophes et les rédacteurs de Y Encyclopédie ; mais conduit au milieu
d'eux par d'Alembert, dans la société de mademoiselle de Lespinasse,
Bernardin de Saint-Pierre, qui a trouvé Dieu partout, au lieu de s'unir
à ceux qui professent l'athéisme, sent qu'il est appelé à les combattre.
BERNARDIN 281
C'est dans ce but qu'il public en ITS'i Les Etudes de la Mature el plus
tard les Harmonies. Voyant que L'usage exclusif de la raison a cond lit
Les philosophes du dix-huitième siècle à l'athéisme, L'auteur des Etudes
s'attache au contraire à établir la faiblesse de la raison, et c'est au
sentiment qifil demande les preuves de la divinité et de L'immortalité
de l'âme. Sa méthode invariable est indiquée dans cette courte phrase
de la dixième étude : « Rien n'est si lumineux dans l'observation de la
nature que de référer tout ce qui existe à la bonté de Dieu et aux
besoins de L'homme. » Et, en effet, aux yeux de cet amant naïf de la
nature, tout est parfait en elle. Chaque désordre apparent du globe, du
règne animal, végétal, n'est, quand il est expliqué, compris, qu1
perfection, une beauté de plus. Toute objection contre la Providence
se transforme sous sa plume en une preuve nouvelle de la bonté de
Dieu envers les hommes. Il n'y a partout que convenance, ordre, pro-
gression, harmonie, entre les plantes, les animaux, toute la terre et
l'homme. Le mal même est heureusement expliqué, car les souffrances
du genre humain naissent du vice des institutions et non de la nature.
Bernardin de Saint-Pierre se montre en tout disciple des deux écrivains
qu'il estimait le plus, de Fénelonet de Jean-Jacques Rousseau. L'erreur
dans ce système, ou si Ton veut l'illusion qui en a quelquefois égaré
l'auteur, c'est Y optimisme providentiel. A chaque instant la science,
l'observation attentive et rigoureuse est sacrifiée au sentiment religieux,
et le même défaut, une espèce de compromis entre le spiritualisme
chrétien et l'observation irrécusable, se montre dans tous ses ouvrages.
Tout ce qui parut nouveau et original dans les Eludes en 1794, se
trouva faux ou insuffisamment prouvé plus tard, quand Laplace et
Lavoisier eurent étudié les mêmes choses en savants. Mais le livre eut
un succès mérité, au point de vue philosophique, parce que le senti-
ment profond de la divinité qu'on y trouvait, cette éloquence entraî-
nante chaque fois que l'auteur parle de la religion, cette fraîcheur dans
les sentiments et dans les tableaux contrastaient heureusement avoc la
sécheresse des rédacteurs de 1" Encyclopédie ; et au point de vue litté-
raire, parce qu'après Jean-Jacques Rousseau qui avait peint la nature
\lpes. retrouvé Dieu et la nature oubliés par les philosophes* et
3 Billion qui avaitfaitdu même spectacle des tableaux plus calmes,
plus froids, mais participant à un haut degré de la majesté du sujet,
Bernardin de Saint-Pierre sut être encore original en s'attachant à
peindre et à décrire la nature des tropiques. Il vivait de cet amour, de
cette foi en la Providence; aussi lui fut-il permis, quand il devint mem-
bre de L'Académie, de soutenir sans faiblesse des discussions avec ses
collègues incrédules, quelquefois même d'aigres disputes, contre Volney,
Cabanis, Suard et Morellet, et au milieu même des orages de la Révo-
lution, de s'endormir du dernier sommeil en jetant un dernier regard
sur les harmonies de la nature. — Voyez: Œuvres complet*** de Bernar-
le Saint-Pierre, avec une Introduction par Aimé Martin, 12 vol.
in-8°, Paris, 1S18; Lemontey, Mélanges littéraires; Patin, Eloge de
Bernardin de Saint-Pierre^ Paris, 1816, 1 vol. in-8°. J. akboux.
BERNARDINS, religieux fondés par saint Robert, abbé de (liteaux,
232 BERNARDIN — BERNE
d'où leur est venu le nom, sous lequel ils sont plus connus, de reli-
gieux de Cîteaux (voy. cet article). Ils suivent la règle de Saint-Benoit
avec les modifications apportées par les usages de Citeaux, et on les
nomme bernardins, parce que saint Bernard a beaucoup contribué à
illustrer et à étendre leur ordre.
BERNE (Histoire et statistique religieuse). La Réformation futprêchée
à Berne à partir de Tannée 1518, par l'Allemand Berchthold Haller
(f 1536) ; elle y trouva bien vite de nombreux adhérents : Franz Kolb,
Sébastien Meyer, Nicolas Manuel furent bientôt les auxiliaires dé Haller,
mais contribuèrent à donner à son œuvre un certain caractère d'agita-
tion politique et une tendance zwinglienne plus prononcée. Dès 1523
le gouvernement autorisa les moines à sortir de leurs cloîtres pour
se marier, et à la suite du colloque de 1528, la Réformation fut défi-
nitivement adoptée sur l'initiative des magistrats. Le canton de
Berne fut dès lors un pays presque exclusivement protestant. Les ca-
tholiques n'y sont devenus assez nombreux que par l'annexion au
canton, en 1815, de territoires considérables de l'ancien évêché de
Bâle. Voici la proportion des adhérents des différents cultes d'après le
recensement du 1er décembre 1870. Population totale, 506,465: protes-
tants, 436,304; catholiques, 66,015; sectes chrétiennes, 2,746; israé-
lifces, 1,400. Nous allons étudier séparément chacune de ces confessions.
— 1. Prolestants. L'autorité centrale de l'Eglise bernoise fut d'abord
le synode qui se réunit pour la première fois en 1532; ses sessions de-
vaient être annuelles ; mais le gouvernement, jaloux de l'aristocratie
bernoise, ne pouvait s'accommoder d'une autorité aussi considérable ; il
ne convoqua le synode qu'à de longs intervalles (1536, 1537 (2 fois), 1546,
1549, 1581, 1599, 1615, 1699); cet ancien synode se composait de tous
les pasteurs du pays, tant de langue allemande que de langue française,
ce qui formait une assemblée très-nombreuse, car les possessions
bernoises étaient alors beaucoup plus considérables qu'aujourd'hui; le
canton de Vaud actuel, la plus grande partie de celui d'Argovie étaient
soumis aux Bernois. A partir de 1615, l'autorité du synode fut déléguée
au Kirchenconvént, composé des pasteurs de la ville et des professeurs
de théologie. Pendant toute cette période, l'Eglise bernoise resta fidè-
lement attachée aux croyances du type réformé. Le piétisme de Spener
y trouva beaucoup de partisans et fut même l'occasion de quelques
troubles à la fin du dix-septième siècle ; le rationalisme y fut comme
partout le fils du piétisme et n'a cessé depuis lors d'y gagner du ter-
rain. Au commencement de ce siècle l'autorité du Kirchenconvént fut
beaucoup diminuée et ses attributions les plus importantes transférées au
conseil ecclésiastique fondé en 1803 et composé de 5 membres du gou-
vernement et de 4 pasteurs. La constitution de 1831 soumit entière-
ment l'Eglise à l'autorité de l'Etat. Le directeur des cultes devint le
chef suprême de l'Eglise. Le synode général créé en même temps ne
fut guère qu'une autorité consultative, n'ayant qu'undroitdeproposition
souvent peu écouté ; plus réduite encore fut la part des synodes de districts
et des conseils de paroisses. La constitution de 1846 se montre encore
moins favorable à l'autonomie de l'Eglise. La loi ecclésiastique de 1854
BERNE 2;i3
établit comme autorités purement consultatives, un synode cantonal com-
posé de pasteurs et de laïques, se réunissant tous les ans à Berne, sept
synodes de districts qui ont à s'occuper principalement de l'inspection
(ies paroisses, une commission synodale et des conseils de paroisses. La
Confession helvétique est encore officiellement la règle de renseigne-
ment. Mais il y a longtemps qu'elle est tombée en désuétude, ainsi (pie
U catéchisme de Heidelberg, et que la grande majorité du clergé ber-
nois prêche les doctrines du rationalisme. La faculté de théologie de
Berne l'ondée, avec l'université, en 1834, en remplacement de l'an-
cienne académie, appartient à la tendance libérale. Elle compte 5 pro-
fesseurs ordinaires, dont les cours étaient suivis en 1870 par 2() étu-
diants. Les paroisses sont au nombre de 183 réparties en 7 districts.
Jusqu'à ces dernières années, les pasteurs étaient nommés par le
gouvernement conformément à certaines règles qui n1 étaient pas les
mêmes dans toutes les paroisses. Aujourd'hui ils sont élus pour six ans
par les paroisses et soumis au bout de ce temps à une réélection. La
liturgie revisée en 1846, le cantique adopté quelques années plus tard
sont beaucoup meilleurs que ne le ferait supposer l'état de l'Eglise
bernoise. Les principales associations sont la Société Biblique (181 (>)
et la Société d'Evangélisation (1831). Il existe dans le canton de Berne
une petite Eglise libre, peu nombreuse et s'en tenant strictement aux
idées du réveil. Les principales sectes protestantes dont nous ayons con-
naissance sont une communauté morave à Berne, quelques conventi-
cules de piétistes connus sous le nom de Heimberger Brùder, des
anabaptistes assez nombreux, quelques baptistes fanatiques dans leur
opposition à l'Eglise établie, des darbystes, des irvingiens et même un
petit nombre de mormons. — 2. Catholiques. L'Eglise catholique du can-
ton de Berne est presque exclusivement formée des portions de l'évêché
de Haie réunies au canton en 1815. L'accord conclu par la Suisse avec le
saint-siège en 1828 les avait rattachés à l'évêché de Bàle-Soleure , et
malgré q uelques vexations du gouvernement, leur existence avait été assez
paisible jusqu'en 1871. Depuis quelques années l'évêque, Mgr Lâchât,
était en conllit sur plusieurs points avec les gouvernements cantonaux.
La proclamation du dogme de l'infaillibilité et l'excommunication de
deux prêtres qui avaient refusé d'y adhérer furent l'occasion d'une lutte
violente qui se termina par la déposition de l'évêque. La grande ma-
jorité du clergé bernois refusa d'adhérer à cette mesure; le gouverne-
ment déposa alors 07 prêtres du Jura bernois et les remplaça par des
ecclésiastiques vieux-catholiques, français pour la plupart et générale-
ment peu recommandables. Les paroisses restèrent fidèles à leurs an-
ciens pasteurs; le conseil d'Etat dut faire installer par la force armée
les nouveaux curés et envoya les anciens en exil. La loi ecclésiastique
de janvier 1874 confirma toutes les violences des années précédentes
et soumit entièrement l'Eglise; à l'Etat. La loi du 3 décembre 1874 or-
ganise un synode catholique; celle du 11 juin 1875, pour ruiner
L'influence des curés destitués, invente toutes sortes d'entraves au
droit de réunion et à la liberté des cultes. Les vieux-catholiques ber-
nois reconnaissent actuellement pour évêque L'ancien curé d'Olten,
234 BERNE — BERNIS
M. Herzog. Une faculté de théologie catholique a été fondée en 1874
à l'université de Berne; elle comptait, en 1876, o professeurs et 11 étu-
diants. — Bibliographie : Berne?' Staats Kalender, 1870 ; Almanach de
Gotha, 1877 ; G. Finsler, Kirchliche Statistik der réf. Schweitz, 1856 ; de
Mestral, Tableau de V Eglise chrétienne, 1870, etc. E. Vaucher.
BERNIÈRES-LOUVIGNY (Jean de) [1602-1659], trésorier de France
à Caen, est F un des principaux représentants du quiétisme (voy. cet
article). Il avait établi et dirigeait une espèce de communauté compo-
sée d'ecclésiastiques et de laïques, unis par le lien de la contemplation
spirituelle et de la prière, et qui s'intitulait Y Ermitage ; il contribua
aussi à l'établissement d'hôpitaux, de couvents et de stations mission-
naires, surtout dans le Canada. Parmi ses écrits, nous citerons V Inté-
rieur chrétien, qui a eu un grand nombre d'éditions. Ses Œuvres spi-
rituelles, publiées en 1670, in-8°, en 2 vol., ont été mises à Y Index
comme entachées de quiétisme. Tersteegen les a traduites en allemand,
en 1726, avec une préface remarquable.
BERNIS (Francois-Joachim de Pierres, comte de Lyon et cardinal
de) naquit à Saint-Marcel de l'Ardèche, en 1715. La noblesse de sa
famille qui lui assurait de grands avantages dans l'Eglise, et sa pau-
vreté qui la rendait nécessaire, décidèrent de sa vocation ecclésias-
tique. Du chapitre noble de Brioude, il passa bientôt [h celui de Lyon,
puis au séminaire de Saint-Sulpice. Accueilli dans les cercles les plus
distingués, il adopta, dès le premier jour, une ligne de conduite de
mondanité décente dont il ne s'écarta jamais. Dévoré d'ambition,
mais trop judicieux pour brusquer la fortune, et du reste assez mal en
cour tant que vécut Fleury, il employa, avec une insouciance appa-
rente, toutes les ressources de son esprit à charmer une société qui
récompensait comme des services les agréments qu'on lui donnait. Il
sut plaire dans le salon de madame de Pompadour comme dans tous
les autres, mais en proportion de ce qu'elle pouvait pour lui, et comme
de la favorite à la politique il n'y avait qu'un pas, Bernis l'eut bien
vite franchi. D'abord ambassadeur à Venise, il était membre du conseil
quand madame de Pompadour, dans tout le feu de son enthousiasme
pour l'alliance autrichienne, crut l'assurer en lui faisant donner le
portefeuille des affaires étrangères. Quelle part prit-il à ce fatal traité
qui amena la guerre de Sept-Ans? En fut-il l'auteur, ou seulement le
partisan, ou même l'adversaire? Ce qui n'est pas douteux, c'est qu'il se
chargea de l'exécuter, et c'est lui que le cri public, dès les premiers
désastres, en rendit responsable. En 1758, Bernis conseilla fortement
la paix, malgré sa protectrice qui le lit exiler aussitôt. Mais il pouvait
désormais se passer d'elle, car il venait de recevoir le chapeau de car-
dinal. En eftet, dès la paix, Louis XV le nomma archevêque dAlbi, et,
en 1769, ambassadeur à Rome. Il occupa jusqu'à sa mort ce poste ma-
gnifique, dépensant les 400,000 livres de revenu de ses bénéfices et de
son archevêché avec autant de bonne grâce qu'il en avait mis autre-
fois à jouir de l'opulence de ses amis. En 1791, il accueillit à l'ambas-
sade les tantes du roi qui venaient d'émigrer. La Révolution lui enleva
ses revenus, mais la cour d'Espagne y suppléa par une pension consi-
BERNIS — HERNSTEIN 235
dérable. Il mourut à home en 1794. On a longtemps surfait, maigre' les
justes railleries de Voltaire, le talent poétique de Berriis, niais sa
prose est exquise. Son véritable chef-d'œuvre est sa correspondance
;i\«'t Voltaire. Depuis sa grande fortune, il ne laissa pas d'être un peu
confus de ses premières poésies auxquelles il devait pourtant une
bonne partie de ses succès, sans compter son entrée à l'Académie f nui-
se. 11 essaya (Vvn réparer la légèreté par son poëme de la Re/ùjinn
vengée, imprimé après sa mort, et il y réussit, mais dans un sens tout
différent. Ses œuvres, publiées séparément dans une foule d'éditions
diverses, ont été réunies par Didot en 1797, in-8°, et par Uelangle en
1825, in -S". p. Kouffet.
BERNON. premier abbé de Cluny, issu d'une famille noble de Bour-
gogne, mort Tan 927, dut sa réputation à la fermeté de son caractère
et à l'austérité de ses mœurs. Il réforma une série de monastères de sa
province, notamment ceux de Baume et de Déols. Voyez Cluny.
BERNON (ou Bernard), abbé de Reichenau, sur les bords du lac de
Constance, après avoir séjourné dans les c'ouvents bénédictins de
Fleury-sur-Loire et de Prum, près de Trêves, mort Tan 1048. Bernon
était savant, poète et artiste. Il donna un grand éclat à l'école de Rei-
chenau. enrichit sa bibliothèque de manuscrits précieux et s'employa
activement à la réforme du chant d'église. En 1013, il accompagna
l'empereur d1 Allemagne Henri II à son sacre à Rome. Outre des Trai-
i- s mr In musique, des Lettres et des Sermons, on a de lui : 1° un traité
de Officto mùsx, P., 1518; Yen., 1572; Col., 1568; il se trouve aussi
dans la M. Bibl. P., t. XVIII; 2° un traité sur le jeûne des Quatre-
Temps, intitulé Dialogus cum Gerungo monacho, dans Bern. Pez, Anec-
dota, II. p. 59 ss.; 3° un traité sur l'Avent, sous le titre : Qualiler
idventus Domini celebretur, iôtd., p. 69 ss. (voy. D. Ceillier, Hist. des
aut. eccl., XX, p. 200 ss.; Hefele, Tub. tlieol. Quartolschrift, 1838).
BERNSTEIN (Georges-Henri), orientaliste, né le 12 janvier 1789 à
Cospéda, près îéna, professeur à Berlin (1812), puis à Breslau (1821),
mort à Lauban en Silésie, le 5 avril 1860. Après avoir publié quel-
fin» -s opuscules de peu d'importance relatifs aux littératures indienne
et arabe, il se voua exclusivement à la langue syriaque, domaine dans
lequel il fut un des maîtres les plus écoutés; malheureusement son
exactitude minutieuse et l'ambition de nedonnerque de l'irréprochable
l'ont empêché de mener à bonne fin les œuvres importantes qu'il
avait entreprises, tout particulièrement un dictionnaire syriaque
pour lequel il réunit pendant toute sa vie des matériaux, notamment
dan- ses voyages scientifiques en Angleterre (1816 et 1836) et en Italie
ilS'r2-'i:i, et dont un spécimen important est le Lexique (Leipz., 1836,
in-S; qu'il composa pour la chrestomathie syriaque de Kirsch (1789)
dont il avait publié une édition fort améliorée et augmentée (Leipz.,
1832, in-S"). Quant au dictionnaire, qui était devenu sous sa main pres-
que une encyclopédie syriaque, il ne put en publier qu'un petit com-
mencement [Lexicon linguse syriacœ, Berlin, 1857, in-fol., fascieul. 1
de 144 col.); les matériaux qu'il laissa à sa mort, de même que ceux
réunis dans un but analogue par Et. Quatremère, ont été mis à la dis-
23G BERNSTEIN — BÉROSE
position de M. Pay ne-Smith, qui réalise enfin les désirs des orienta-
listes par son Thésaurus iinguœ syriacœ. Bernstein avait promis aussi
une nouvelle édition de la chronique politique de Bar-Hebra3us
(Grégoire Aboull'arage), un des principaux ouvrages historiques de la
littérature syriaque, mais ici encore il n'a donné que de courts spé-
cimens (1822 et 1847). Dans la chrestomathie de Kirsch il inséra
l'introduction du même écrivain à ses scholies sur la Bible, ainsi
que les notes sur Job (nouv. édit. de ces dernières, Breslau, 1858,
in-4°). Bernstein publia l'évangile de saint Jean dans la traduction
syriaque faite sous la direction de Philoxène et revue par Thomas d'Hé-
raclée (Dos heil. Evangelium. des Johannes, syrisch nach heraldensùcher
Uebersetzung , Leipz., 1853, in-8°), et donna une dissertation sur cette
traduction du Nouveau Testament (De Charklensi Novi Testamenti
translat. syriaca, Breslau, 1837, in-4°; 2e éd., 1854, in-4°). Enfin, sous le
titre d'Etudes syriaques, dans la Zeitschrift der deutschen morgenl.
Gesellschaft, t. III i<1850), IV (1850) et V (1852), Bernstein passa en
revue au point îexicographique les principaux ouvrages alors publiés en
langue syriaque. — Nowack, Schlesisches Schriftsteller Lextcon, I;
Allgem. deutsche Biographie, II; Gosche, Wissenschaft. Jahresbericht,
1859-61, p. 8; Zenker, Bibliotheca orientalis. A. Beenus.
BÉROALDE (Matthieu), né à Saint-Denis, fit au collège Lemoine les
plus brillantes études. Il embrassa la Réforme en 1550. Arrêté à Cou-
tances, il échappa au supplice des hérétiques, grâce à un officier qui le
lit évader. On le voit ensuite à Orléans, à La Rochelle et enfin à San-
cerre où il était quand le maréchal de La Châtre l'assiégea. Il fut, selon
d'Aubigné, Pâme de la défense. Après un rapide séjour à Sedan où il
fit un cours d'histoire aussi peu agréable aux catholiques qu'aux par-
tisans des Valois, il se retira à Genève. Il y enseignait la philosophie
en 1576. L'érudition de Béroalde était accompagnée d'un travers que
Scaliger traite fort durement. Il prétendait que l'Ecriture renferme tous
les matériaux de la chronologie ancienne et qu'il faut supprimer tous
les noms qu'elle ne mentionne pas. C'est ainsi qu'il effaçait de la liste
des rois de Perse, Cambyse et Darius, faute de pouvoir ou de savoir les
retrouver dans les saints Livres. Malgré cette bizarrerie, son Chromcon
sacrx Scripturae ouctoritate constitutum (Genève, 1575, in-fol.) ne
manque pas de mérite. On a peu de renseignements précis sur la vie
de ce savant, et l'on ne s'accorde pas, à huit années près, sur la date
de sa mort. Ce qui est certain, c'est qu'il exerça le ministère à Genève,
car Théodore de Bèze en parle incidemment comme d'un fait connu,
et qu'il ne vivait plus en 1684 (voy. d'Aubigné, à l'année 1572, et Bèze,
in Act. apost., c. XIII, v. 20). ' P- Rouffet.
BÉROSE (B^pwcjffoç), savant chaldéen qui vivait peu de temps après
la conquête de l'Asie par les Grecs. Il est mentionné par Pline, Sénèque
et Vitruve ; ce dernier (IX, n, 1) raconte que Bérose avait quitté sa
patrie pour enseigner la science chaldéenne en Asie-Mineure et qu'il
s'établit dans l'île de Cos (IX, vi, 2), et Pline nous laisse entendre
(VII, 57) qu'il avait puisé sa science astronomique dans les briques des
Babyloniens; mais ces renseignements sont, en partie du moins, sujets
BEROSE 237
à caution. 11 faut en dire autant de l'histoire de ses rapports avec la
sibylle, et dos légendes qui nous sont parvenues sur son compte au
travers de l'école d'Alexandrie. Bérose est Fauteur supposé d'une
histoire de Babylone, qui comprenait la mythologie et la cosmogonie.
Cet ouvrage, intitulé Babyloniaca par les auteurs qui le citent, est
perdu : mais des fragments importants nous en ont été conservés par
Josèphe et par Kusèbe dans sa Chronique, abrégée au huitième siècle
par George le Syncelle. La Chronique d'Eusèbe s'est conservée en
outre dans une version arménienne, retrouvée au siècle dernier et tra-
duite en latin par Ang. Mai, en 1818, et publiée en dernier lieu par
Schcene. Eusèbe toutefois ne connaissait Bérose que de seconde ou de
troisième main ; il le cite toujours d'après Alexandre Poiyhistor, qui le
connaissait par l'historien grec Apollodore. Quant à Josèphe, il est
difficile de dire s'il a connu directement le livre de Bérose, ou bien s'il
a puisé aux mêmes sources qu'Eusèbe. Les Pères de l'Eglise ont fait
un usage assez fréquent de Bérose; il est cité par l'apologiste Tatien,
dans son « discours contre les Hellènes », par Athénée, Clément
d'Alexandrie, Agathias et Hésychius. Les Babyloniaca paraissent avoir
été écrits primitivement en grec et se divisaient, au dire d'Eusèbe, en
trois livres. Le livre Ier traitait de la géographie et de la cosmogonie
chaldéennes, et les livres II et III de l'histoire. Les données de Bérose
relatives à la cosmogonie et à la mythologie ont reçu une confirmation
éclatante par le déchitïrement des textes cunéiformes. Le récit du dé-
luge reproduit souvent textuellement celui qui a été retrouvé, en 1872,
par George Smith. Tous les fragments relatifs à ces matières ont été
publiés par M. Fr. Lenor niant, qui en a rapproché une foule de textes
tirés des inscriptions assyriennes. L'attribution des Babyloniaca à Bé-
rose est très-contestable, malgré le témoignage d'Eusèbe (6%., 11, p. 8) ;
il est possible que leur auteur ait voulu mettre son œuvre sous le
patronage d'un nom illustre, et qu'elle soit, comme tant d'autres,
pseudépigraphe. M. Havet prétend que non-seulement le nom de
Bérose est supposé , mais que les Babyloniaca n'ont jamais été
réellement cités par Alexandre Poiyhistor ni par Apollodore, et il
s'appuie sur un passage des livres sibyllins cité par Bérose pour faire
descendre la composition de tout l'ouvrage jusqu'à l'époque de
Fère chrétienne. Toutes les discussions sur l'origine des fragments
de Bérose n'ont fait que mieux établir leur valeur intrinsèque. Ils re-
présentent, comme le traité d'agriculture nabatéenne étudié par
M. Renan et comme toute cette famille d'écrits, une tentative de tout
expliquer parles forces physiques qui était bien dans l'esprit delà
vieille doctrine chaldéehne. Mais l'exactitude des renseignements con-
tenu- dans Bérose et leur coïncidence, d'une part avec les textes cunéi-
formes, tracés sur briques, qui composaient la bibliothèque de Sarda-
oapale, de l'autre avec les fragments de l'historien Abydenus, leur
-ii'-iii une date beaucoup plus reculée. Les fragments de Bérose ont
été recueillis el publiés par Richter,Lipsiae, 1825, et par K. Muller,dans
1rs Fragmenta hist. grxc, t. II, p. 495-510, Paris, 18't8. Les fragments
mogoniques ont été publiés à part et commentés par.Fr. Lenor-
238 BEROSE — BERQUIN
mant, Essai de commentaire sur les fragments cosmogoniques de Bé-
rose, Paris, Maisonneuve, 1872. On peut encore citer Ë. Havet,
Essai sur la date des écrits qui portent le nom de Bérose et deMànéthon,
Paris, Hachette, 1873. Ph. Berger.
BERQUIN (Louis de), issu d'une famille noble de l'Artois et seigneur
du village dont il portait le nom, est né à Passy près Paris. D'un es-
prit libéral et cultivé, et d'une grande rigidité de mœurs, il se lia d'a-
mitié avec Nicolas Bérauld, qui professait le droit à Orléans. Badius,
voulant honorer en même temps les deux amis, leur dédia à chacun,
en 1512, un tome des œuvres de Politien qu'il avait annotées. Berquin
obtint de François Ier le titre de conseiller du roi. Catholique fervent,
il s'était toujours conformé scrupuleusement aux prescriptions de son
Eglise; mais il en secoua le joug à la suite d'un démêlé qu'il eut avec
Guillaume Du Chêne, l'un des principaux membres de la Sorbonne,
et se mit à examiner la doctrine luthérienne, dont on commençait à
s'occuper en France. Le parlement ayant fait rechercher les livres de
Luther chez les libraires et ailleurs au mois de juillet 1523, on en
trouva aussi chez lui. Il fut enfermé, le 1er août, à la Conciergerie, et
deux conseillers furent adjoints à l'évêque de Paris pour lui faire son
procès. Louise de Savoie, alors régente, étant intervenue en sa faveur,
il fut remis en liberté, « chargé du cas, » il est vrai, mais sans qu'au-
cune condamnation eût été prononcée contre lui. Retiré dans ses
terres, où il espérait attirer moins l'attention, il se mit à écrire de
petits traités de controverse et à traduire du latin en français quelques
livres d'Erasme, entre autres le Manuel du chevalier chrétien, « en y ajou-
tant plusieurs choses, dit Crespin, qui de plus près approchaient à la
vérité évaugélique. » Erasme lui en sut mauvais gré et le pria de ne
plus le mêler désormais à ses querelles, lui prédisant que s'il ne se te-
nait pas en repos, de nouvelles poursuites seraient dirigées contre lui.
En elïet, le 10 janvier 1526, sur la requête du procureur général et de
l'évêque d'Amiens, l'huissier de Mailly reçut ordre du parlement d'al-
ler l'arrêter et de le ramener à la Conciergerie. Une enquête fut ou-
verte sur sa conduite, et ses livres furent saisis au château de Ram-
bures. Déclaré hérétique et luthérien par les juges ecclésiastiques
chargés de l'examiner, et auxquels, dit Erasme, « il ne voulut céder
même sur un seul point, » il aurait certainement encouru dès lors la
peine de mort, si quelques membres du parlement n'eussent insisté
pour la révision de son procès. La régente invita, de son côté, la cour
à surseoir à l'exécution du jugement jusqu'au retour du roi, alors pri-
sonnier en Espagne, et celui-ci, étant revenu, demanda formellement,
le 11 juillet, l'élargissement de Berquin. Il n'eut cependant pas lieu
aussitôt. Berquin fut traité avec moins de sévérité ; mais ce n'est qu'à
la suite de nouvelles missives du roi en date du 10 octobre, et après
que le parlement se fut encore occupé de cette affaire les 11, 12, 13 et
29 du même mois, ainsi que cela résulte d'un abrégé manuscrit de ses
registres, qu'il fut rendu à la liberté. La reine de Navarre, sœur de
François Ier, l'attacha à son service. De peur que cette protection ne
fût pas suffisante, ses amis l'engageaient à se faire donner une mission
qui l'éloignâtdu royaume. Erasme l'engageait à se faire oublier, lui re-
BERQUIN 239
présentant qu'une (acuité ne peut mourir, facultasenîm non mortlur, et
qu'elle est par conséquent une ennemie immortelle pour ceux gui Tout
offensée. « Mais l'esprit de Berquin était semblable à la palme, dit
Grespin, se dressant plus quand on voulait le déprimer. » Au lieu de
céder à ses adversaires, il se lit à sou tour leur accusateur. Bien réso-
lus à le perdre, ils le tirent arrêter pour la troisième fois comme lu-
thérien, au commencement de mars 1529. Le premier chef d'accusa-
tion portait sur ce qu'il avait écrit que la religion est intéressée à ce
que les saintes Ecritures traduites en langue vulgaire soient lues par le
peuple, ce que le parlement avait défendu. Pendant sa réclusion il se
souvint qu'il y avait chez lui des livres qui pouvaient le compromettre,
et il écrivit à un ami de les brûler, de peur qu'ils ne fussent saisis;
mais le serviteur qu'il lui envoya s'étant trouvé mal en chemin, la
lettre dont il était porteur fut lue par ceux qui l'assistèrent ; ils la
remirent à Béda, que Berquin avait accusé d'impiété et de blasphème,
et celui-ci la livra à la cour. Guillaume Budé, qu'Erasme suppose
sans motif avoir été l'un de ses juges, s'efforça de lui persuader d'ab-
jurer les hérésies qu'on lui reprochait; mais il s'y refusa absolument
Aussi, après avoir été condamné, le vendredi 16 avril, à voir brûler
ses livres, à faire amende honorable à Dieu et à la glorieuse Vierge
sa mère devant l'église Notre-Dame, et à être enfermé ensuite entre
deux murs de pierre pour tout le reste de sa vie, fut-il condamné le
lendemain 17 avril, par une seconde sentence, et malgré son appel au
roi, à être brûlé vif en la place de Grève. L'arrêt fut exécuté le même
jour, afin de ne pas laisser au roi et à sa mère, qui étaient alors à
Blois, le temps d'en empêcher l'effet. Cette date du 17 avril, affirmée
par Erasme dans une lettre du 9 mai 1529, est aussi celle assignée à
cet événement dans le Journal d'un Bourgeois de Paris, publié par
M. Léonce Lalanne en 1854 pour la Société de l'Histoire de France,
d'après le manuscrit portant le n° 742 du fonds Du Puy, conservé à
i Bibliothèque nationale. Elle doit donc être préférée au 22 avril,
mentionnée par Erasme dans une lettre postérieure. Quant à la date
du 10 novembre, indiquée par Bèze dans son Histoire ecclésiastique des
Eglises réformées, d'où elle a passé dans l'édition de 1608 de Y Histoire
Umti/rs de Crespin, c'est une erreur manifeste, déjà relevée par
Bayle. Erasme raconte dans une lettre importante, du 1er juillet 1529,
iiliv^s,',' à Charles d'Utenhof, et dont la France protestante a donné
nue traduction presque complète, ce que Montius lui écrivit sur la
mort de Berquin. Il était là lorsqu'on l'amena dans une charrette au
■In supplice. Loin de témoigner aucun trouble, on eût dit, aie
voir si calme, « qu'il se livrait à ses études dans son cabinet ou qu'il
méditait les choses du ciel dans un temple. » Il était ûgé d'environ
quarante ans suivant Erasme, d'environ cinquante ans suivant le
Bourgeois <!<■ Paris, dont le récit ajoute de nombreux détails à ce que
l'on savait de lui. On lit dans 1 'Abrégé des registres du Parlement déjà
cité, sous la date du 12 septembre Ië30: « Thiery, religieux de Saint-
François- de-Pau le, a dénoncé à la chambre qu'il a prêché avent et
ne à Amiens; y avait personnes mal sentant de la foi et concer-
240 BERQUIN — BERRUYER
nant Berquin. » L'influence de Berquin dans cette contrée ne s'était
donc pas éteinte avec sa vie. La Croix du Maine dit dans sa Bibliothè-
que francoise, qu'il n'a point vu de ses livres imprimés. La traduc-
tion du Manuel du chevalier chrétien a cependant été réimprimée à
Anvers en 1529, avec un prologue de Martin Lempereur, et en 1542
à Lyon, par Dolet. MM. Haag ont donné dans la France protestant? la
liste des autres ouvrages traduits ou composés par Berquin, mais
en y ajoutant cette remarque, que plusieurs d'entre eux, saisis ma-
nuscrits dans ses papiers, n'ont sans doute jamais vu le jour.
H. LUTTEROTH.
BERRUYER (Joseph-Isaac), jésuite, né à Rouen en 1681, mort à Paris
en 1758. Il donna en 1728 la première partie, contenant l'Ancien Tes-
tament, de sa fameuse histoire du peuple de Dieu. A une époque où les
jansénistes multipliaient les exemplaires de l'Ecriture en langue vul-
gaire, il semble que les jésuites aient voulu en discréditer la lecture
en la parodiant. Josèphe avait t'ait d'après- la Bible l'histoire des Juifs
pour instruire les Gentils ; Berruyer en lit le travestissement pour
donner le change aux chrétiens. Il transforma la simplicité du style
biblique en une fade élégance et sa sublimité en niaises réflexions. Il
s'appliqua surtout à renforcer le' préjugé, vulgaire parmi les catholi-
ques, qui veut que la Bible soit parsemée d'indécences et dangereuse à
mettre entre toutes les mains: tâche facile pour un romancier qui étend
complaisamment en impudiques peintures les grands traits dont use
l'Ecriture pour signaler le mal. Colbert, évèquede Montpellier, de con-
cert avec plusieurs de ses collègues, s'éleva avec une telle force contre
l'ouvrage, que le général des jésuites parut reculer et ordonna à Fau-
teur d'en préparer une édition expurgée. Berruyer en donna même
deux à la fois, mais si insuffisamment corrigées que ce fut, à vrai dire,
un redoublement de scandale. Rome même les censura en 1734.
L'affaire semblait terminée. Mais on comptait sans la patiente ténacité
de Berruyer, ou plutôt de son ordre, et la seconde partie, les Evangiles,
parut vingt ans après. Publiée à Paris, sous la fausse désignation de La*
Haye, elle ne porta le nom de son auteur que sur un petit nombre
d'exemplaires. Une assemblée d'évêques réunis à Conflans fit aussitôt
examiner l'ouvrage et l'interdit. Les jésuites protestèrent qu'il avait
été imprimé à leur insu, débité malgré eux, et produisirent un acte de
soumission de Berruyer à la décision des évêques. La faculté et le pape
joignirent leurs censures à celles des prélats, et le parlement exigea
une rétractation plus explicite que Berruyer s'empressa de donner
par écrit, avec l'engagement de supprimer la troisième partie. Les
jésuites avaient encore plié pour ne pas rompre. Ils en furent quittes
pour publier que le manuscrit leur avait été dérobé, et ils imprimè-
rent les E pitres à Lyon en 1758, toujours sous la rubrique de La Haye.
Cette fois, l'indignation fut à son comble. La France entière retentit de
mandements épiscopaux. Clément XIII ordonna des prières à la Tri-
nité en réparation des outrages que renfermait contre elle cette troi-
sième partie, et il écrivit, dans ses lettres apostoliques du 2 décembre
1758, que « la mesure du scandale était remplie ». C'était constater
BERRUYER — BERRY 241
que les auteurs avaient atteint leur but, qui était de faire connaître
l'ouvrage, et ils multiplièrent à l'infini les éditions et traductions de
cette Bible d'un nouveau genre. p- Rouppet»
BERRY (Eglises du). Lorsque Calvin, attiré parles leçons du laineux
jurisconsulte Alciat, vint en 1528 à Bourges, capitale du Berry, les
doctrines luthériennes y étaient connues et prêchées même assez libre-
ment par les docteurs en théologie Jean Chaponneau, moine de
l'abbaye de Saint-Ambroise, et Jean Michel, del'ordre de Saint-Benoit.
Le savant humaniste allemand Melchior Wolmar, qui enseignait à
Bourges, les professait aussi et y initia Calvin, pense-t-on. Six ans plus
tard (1533) Chaponneau et Michel, prêchant avec plus de hardiesse,
trouvèrent de zélés collaborateurs dans le prêtre Jean Gamaire et dans
Jean deBournouville,dit loquet, prieur de l'abbaye de Saint-Ambroise.
Ils eurent pour continuateurs Augustin Marlorat, Jean de l'Epine,
Richard Vauville, l'augustin Jean Loquet et le jacobin Jean de Bosco,
qui tous devinrent dans la suite d'excellents pasteurs. L'étude de la
théologie fut transformée par les soins du docteur en théologie
Michel Simon. Mais ces réformes ne se firent pas sans résistance. Les
prêtres cherchèrent à étouffer la voix de Jean Michel à l'heure de sa
préi I ication et, par un juste retour, l'inquisiteur Matthieu Ory, qui voulut
lui faire concurrence en chaire, fut empêché de parler par le peuple.
Tout honteux, il partit pour Paris, dans le but d'obtenir contre les
luthériens des ordres plus sévères, qu'il ne put heureusement exécuter.
Aussi quitta-t-il Bourges pour n'y plus revenir. Sancerre, autre ville du
Berry, fut évangélisé avec beaucoup de succès par le même Jean Michel
en 1534. Un conseiller au parlement de Paris, nommé Bourgoin, qui
demeurait dans le voisinage, chercha, mais en vain, à arrêter le mou-
vement. L'inquisiteur Ory, qui était venu dans la ville dans des vues
hostiles, « se contenta si fort, dit Bèze, du bon vin qu'on lui donna
pouiTapaiser, qu'étant de retour à Bourges il assura en chaire qu'il avait
trouvé les gens de Sancerre fort gens de bien. » Son substitut Rocheli
marcha sur ses traces, mais, plus sérieux, il se convertit et prêcha la
réformation. Néanmoins trois luthériens, à la requête de l'archiprêtre
.Iran Tranchant, furent incarcérés, et l'un d'eux, le barbier Denis Brion,
brûlé. Issoudun, qui était en importance la seconde ville du Berry
accepta les doctrines luthériennes vers 1547. Le gouverneur de la
ville, Jean de Fosses, entièrement gagné à l'Evangile, ainsi que son
neveu, Antoine Misnier, qui remplissait les fonctions d'enquêteur,
tirent venir de Bourges le jacobin Jean de Bosco, qui prêcha la ré-
forme de même que l'éloquent cordelier Abel Pépin. Les autres cor-
deliers d'Issoudun, ayant conçu une grande irritation contre eux, les
attaquèrent violemment dans leurs sermons et ne craignirent même
point de s'en prendre à la reine de Navarre elle-même, qui possédait
Issoudun (ii apanage, si bien que François Ier, pour faire respecter sa
soeur, ordonna l'arrestation du plus violent d'entre eux, Toussaint
Hémard, qui fui condamné aux galères. Pour en revenir à Bourges, un
jeune écolier y fut brûlé en 1547, à la requête des moines de Saint-
Sulpice, et Jean Michel, qui revenait d'un voyage en Suisse, fut pris,
il. 16
242 BERRY
condamné et exécuté à Paris. Ces supplices n'arrêtèrent pas l'œuvre.
Uh ermite inconnu prêcha l'Evangile à Bourges sur la place publique,
et de faux miracles, auxquels recoururent les prêtres pour relever leur
crédit, tournèrent au contraire à leur confusion, car en 1556 le ministre
Simon Brossier put organiser l'Eglise de Bourges et pendant cinq mois
Tévangélisa avec un grand succès. Néanmoins il dut la quitter après
ce temps, car on voulut se saisir de sa personne. Il fut remplacé par
Martin de Hargous, dit de Rossehut, qui prêchait avec talent et affermit
L'Eglise. En 1557 les assemblées se tenaient non-seulement à Bourges,
mais encore à Asnières, situé à une lieue delà. En 1500 l'Eglise s'accrut
considérablement sous le ministère des pasteurs David Veran et Jean
Jortrin. La cène fut célébrée dans la salle des grandes écoles publiques,
à minuit. De Rys, bailli du Berry, voulut poursuivre, mais il ne trouva
aucun témoin à charge. De Barbezieux, envoyé comme gouverneur de
la ville, ayant ordonné le recensement des habitants de la cité, les
ministres se retirèrent, et les assemblées furent suspendues pendant
huit jours. Passé ce temps, elles reprirent plus nombreuses que jamais,
■et ce fut en pure perte que le clergé incita Barbezieux à les interdire.
Simon Brossier, en quittant Bourges, se rendit à Issoudun et y orga-
nisa la communauté (1er novembre 1566). L'Eglise d'Aubigny fut
-également « dressée » par le ministre Hamet et prospéra beaucoup,
malgré les persécutions des seigneurs du lieu. En juillet 1561, les
prêtres de Bourges, exaspérés des progrès de la Réforme dans leur
ville, excitèrent une émotion populaire, qui entraîna la mort de
plusieurs catholiques et luthériens. La sédition n'eut heureusement
pas de suite, car les deux partis s'accordèrent. Le favorable édit de
janvier 1562 fut publié et les assembléeSj se tinrent dans le fau-
bourg de Saint-Sulpice, malgré les tracasseries des moines, et peu
après clans l'intérieur même de la ville. Aux approches de la première
guerre de religion, les huguenots de Bourges coururent de grands
dangers, par suite de la haine que le bailli du Berry nourrissait contre
eux et de l'animosité des catholiques, dont un message fut surpris, qui
demandait au duc de Guise et au cardinal de Lorraine un secours de
300 hommes, moyennant quoi ils se faisaient forts de massacrer tous
les huguenots de la province. Informé du complot, le prince de Coudé
envoya sur l'heure à Bourges 120 chevaux (27 mai 1562), commandés
par Montgomméry, qui, renforcé bientôt de trois enseignes, fit prêcher
au cloître de Saint-Etienne le ministre de Rovière, désarma les catholi-
ques et laissa briser les images et brûler les reliques. Après cela il
assiégea la tour de Bourges, dont la garnison se rendit sur l'heure,
vie, bagues et armes sauves. Les autres villes du Berry, comme Issou-
dun, Vierzon et Mun, apprenant la reddition de la tour de Bourges,
offrirent spontanément à Montgomméry de ne plus souffrir chez elles
d'autre religion que la religion réformée. Mais ce dernier n'accepta
pas leur proposition et, se bornant à s'emparer de tous les fonds
royaux, il retourna à Orléans, laissant Bourges aux mains des religion-
naire. Ce fut une grande faute, car les villes susmentionnées fournirent
beaucoup de vivres à l'armée royale, qui assiégea Bourges quelques
BERET 2i:î
mois après et 1** prit par composition (iei septembre). A partir de ce
moment, et pendant de Longues années, Bourges refusa ses portes à tous
les huguenots qui voulurent s'y établir et expulsa même quelques-uns de
ceux qui y habitaient depuis longtemps. Dans d'autres contrées du Bercy
il y eut plusieurs massacres de religionnaires. A Dion, village distant
de trois lieues d'Issoudurr, treize jeunes gens logés dans l'hôtellerie
du lieu turent mis à mort sans pitié (8 mai 1562). De tous les assassins
un seul lut puni. Dans le même mois de mai, deux écoliers rencontrés
sur le chemin de Bourges par des catholiques d'Issoudun, furent laissés
pour morts. Le lieutenant général de la ville, ayant voulu poursui-
vre les eoupahles, fut décrété d'arrestation sur un ordre venu de
Paris, ainsi que Valentiennes, son lieutenant particulier , et le procu-
reur du roi François Arthur s. Peu après de Larzay, beau-frère du bailli
du Berry, nommé gouverneur d'Issoudun , se saisit de la ville
(9 juillet 1562), et chercha à capturer, mais sans succès, les deux mi-
nistres Bobert Barbier, surnommé de Lacroix, et Ambrois le Balleur,
surnommé La Plante. Il dévasta le lieu des assemblées, lit emprisonner
les luthériens et laissa piller leurs maisons dans la ville et les villages
environnants, et finalement leur ordonna à tous de quitter Issoudun
sous peine de la hart. Quant à Sancerre, il ne put être pris, mais au
moment où Bourges fut assiégé par les troupes royales, on avait jugé
prudent de faire sortir le pasteur de Gléreau, qui revint quelque temps
plus tard. Châtillon-sur-Loire eut un plus triste sort. Il fut pris et pillé.
Son pasteur, nommé Dumont, et les pasteurs de Cléreau, de Sancerre;
Lamouroux, de Saint-Satur, et Yaliay, de Gien, qui s'étaient réfugiés
dans la ville, furent incarcérés, puis relâchés moyennant une rançon.
Pendant les autres guerres de religion, les protestants du Berry eurent
beaucoup à souffrir. A Bourges et à Issoudun un grand nombre d'entre
eux lurent massacrés (août 15(18). A l'époque de la Saint-Barthélémy,
il en fut de même dans 'la première de ces deux villes. Sancerre sou-
tint peu après un siège resté célèbre par la famine épouvantable qui
décima ses habitants (janvier à septembre 1573). La ville avait été déjà
assiégée par les catholiques en 1569, mais sans succès. Sous le régime
de l'édit de Nantes, le Berry, érigé en colloque, forma avec l'Or-
léanais, le Blaisois, le Nivernais, la Haute-Marche et le Bourbonnais
un arrondissement synodal. Les principales Eglises étaient Sancerre,
Henrichemont, Aubigny , Châtillon-sur-Loire et Issoudun. Quant à
celle de Hourges, elle ne put obtenir le droit d'exercice, parce qu'elle
u'.n jouissait pas au moment de l'édit de Poitiers. La révocation de
l'édit de Nantes détruisit presque entièrement les Eglises du Berry.
Réduites à un petit nombre, elles n'eurent pas de pasteurs en pro-
pre et lurent seulement visitées de loin en loin par les pasteurs des
autres provinces; mais, à l'époque de la Bévolution, le culte réformé
•li'hra publiquement à Sancerre jusqu'en 1794. A cette date, le
temple lui fermé. Il se rouvrit en l'an Y, sous le pasteur Darnaud.
Le consistoire actuel de liourges, qui comprend les Eglises deSancerie
et d'Asnières-les-Bourges et dessert les protestants disséminés du
Cher (Berry), de l'Indre Bas-Berry) , de la Nièvre (Nivernais) et
244 BERRY — BERTHE
de T Allier (Bourbonnais), est de création récente, car au moment de
ia réorganisation des cultes Sancerre n'était qu'un simple oratoire,
qu'un décret du 10 brumaire an X avait rattaché au consistoire
de Paris. — Bèze, Hist. eccl. ; Jiullet. de la Soc. de l'hist. du prot.
franc., 1863, p. 111) ; 1853, p. 100; Jean de Lery, Hist. mémor. de la ville
de Sancerre, 1574, in-8° ; Rabaut le jeune, Annuaire ou répert. eccl.
E. Arnaud.
BERSABÉE [B e1 ê r G h â b a \ B e1 ê r C h e b a \ « le Puits du Serment, »
« ou le Puits des Sept, » la tradition biblique varie à ce sujet (Gen., XXI,
28; comp. XXVI, 32)]. Bersabée était située à l'entrée du désert et à la
limite extrême du pays de Jucla; delà l'expression « tout Israël, depuis
Bersabée jusqu'à Dan. » Comme cette dernière ville, du reste, elle paraît
avoir été un centre religieux dès la plus haute antiquité ; elle joue un rôle
considérable dans l'histoire des patriarches ; elle est signalée par des
apparitions divines (Gen. XXVI, 2-3; XLVI, 1) ; Abraham y plante un
tamarisc et y adore Jéhova, El Olàm (XXI, 33); elle sert de cadre à
l'histoire du sacrilice d'Isaac,et plus tard c'est encore au même endroit
qu'Elie reçut, sous un genêt, la vision qui lui donna la force de mar-
cher quarante jours et quarante nuits et de se présenter à la face de
l'Eternel au mont Horeb (I Rois XIX, 3). Ce culte parait s'être conti-
nué sous les prophètes qui le condamnaient (Amos V, 5; VIII, 14) :
(( Ceux qui jurent par le péché de Samarie et qui disent : Vive ton
ce dieu, Dan, et vive la voie (?) de Bersabée, tomberont et ne se relève-
« rontplus. » Bersabée a longtemps conservé son importance. Au temps
de saint Jérôme, elle comptait parmi les places fortes romaines sur les
contins delà Palestine, prima et tertia ; à la fin du onzième siècle, elle était
le siège d'un évêché (Reland, Palxstina, p. 620 ss.,et Spruner Menke,
Hist. Handatlas, pi. 80). D'après Guillaume de Tyr, les Arabes lui
donnèrent le nom deBeth-Gabril, « maison de Gabriel ; » aujourd'hui,
sonemplacement porte l'ancien nom de Bir-d-Seba'; seulementles Arabes
lui ont donné encore une nouvelle étymologie : « le Puits du Lion. » La
ville a presque entièrement disparu, mais on voit, à quelque distance
d'une colline couverte de ruines, deux puits anciens entourés d'auges
en pierre, où les troupeaux viennent se désaltérer (Robinson, Palses-
tina, I, 337). Palmer (The désert of the Exodus, II, 388) prétend qu'on
voit les restes de sept puits en cet endroit, mais cette donnée, qui re-
pose sur une étymologie sans doute fautive quoique très-répandue,
n'est pas acceptée par tout le monde. C'est par un jeu de mots analo-
gue que l'on a donné le nom de Bersébaà une station de la Société des
missions de Paris au pays des Bassoutos, où se trouvaient également
sept puits lors de l'arrivée des missionnaires. ph. Beegee.
BERTHE (Sainte), veuve et fondatrice du monastère de Blangy, au
diocèse de Thérouanne, parait avoir vécu au septième siècle. Tout ce
qu'on a sur elle est récent; ses actes (Boll., 4 juil., Il ; Mabillon, AA .
SS. Ben., s. III, 1, 451) ne méritent aucune créance: d'après leurrécifc,
elle était veuve de Sigefroy, parent de Clovis II, et nièce de sainte Ba-
thilde. En 682, elle bâtit le couvent de Blangy, où elle mit des nonnes.
Los bénédictins s'v établirent en 1032.
BERTHIEJR — BERTHOLD 245
BERTHIER (Guillaume-François), savant jésuite, né à Issoudun
en 1704. Après avoir occupé plusieurs chaires avec distinction, il fut
chargé de continuer* V Histoire de l'Eglise gallicane du P. Brumoy, qu'il
mena jusqu'en 1529 et à Laquelle il ajouta six: volumes. 11 traita ce sujet,
délicat pour un jésuite, avec autant de modération dans la forme que
d'érudition véritable. Ces qualités le tirent appeler au Journal de Tré-
voux qu'il dirigea à partir de 1745. 11 eut à subir dans ces fonctions de
critique les invectives de tous ceux dont ses jugements blessaient la
vanité, niais il ne parut jamais s'en émouvoir. Voltaire lui-même, dont
il appréciait les œuvres historiques avec une rigueur qui exaspéra l'é-
crivain, ne put ramener à la réplique. Les encyclopédistes, également
piqués, n'y réussirent pas davantage. A la suppression de son ordre, le
dauphin, père de Louis XVI, le lit précepteur de ses enfants; mais il
dut partager, en 17(iï, l'exil de ses confrères, et se lixa à Offenbourg.
Dix ans après il obtint de se retirer à Bourges où il mourut en 1782. Il
avait achevé dans cette ville un Commentaire sur les Psaumes et sur
haïe, travail estimé que le P. Querbœuf publia après sa mort, ainsi
qu une Réfutation du Contrat social et ses Œuvres spirituelles.
BERTHOLD, apôtre de la Livonie, abbé de Lockum dans la liasse
Saxe, de Tordre de Citeaux, fut appelé en 1196 par l'archevêque dé
Brème à continuer près des populations slaves païennes des bords de
la Duna, en Livonie, L'action missionnaire commencée par Meinhard et
Théoderic. Après avoir reçu la consécration épiscopale, il se mit à l'œu-
vre et réussit à grouper autour de lui à Yskûll, près de Riga, les quel-
ques disciples déjà gagnés à la cause de l'Evangile et de nombreux
païens attirés par ses aumônes et par les bénéfices que leur assuraient
leurs relations commerciales avec Brème. Toutefois son succès fut de
courte durée. Trop vite découragé par les menaces du parti païen, il se
réfugia en Allemagne et revint à la tète d une armée de croisés, qui
remporta une victoire éclatante et imposa aux vaincus la profession de
la loi chrétienne. Mais l'évêque avait péri pendant le combat et le
paganisme ne tarda pas à relever la tête après le départ de L armée alle-
mande. — Voyez Néander, K. G., 4e éd., VU, 45 ss. ; Blumhardt, Mis-
sionsgesch., 111, 2, 518 ss.
BERTHOLD, le franciscain, né dans les premières années du treizième
siècle, mort le 14 décembre 1272, l'un des prédicateurs les plus popu-
laires de l'Allemagne au moyen âge, a été Lire de l'obscurité par
.1 . Grimm et Néander et par la publication de ses sermons par Kling
(Berlin, 1824), et plus récemment par Gœbel. On suppose que son nom
de famille était Lechi et que son origine était humble. Disciple et
ami du prédicateur mystique David, il a prêché à Augsbourg, à Ratis-
bonne et dans une partie de la Suisse, le plus souvent en plein air (en
Bavière un vieux tilleul porte encore son nom), devant des auditoires
immenses. Dans sis discours, il emprunte ses images à la nature, a sou-
vent recours aux apostrophes directes, aux. dialogues. Tout en étant for-
tement imbu des idées de son temps, il s'élève avec énergie contre les
indulgences, l'oppression des grands, les crimes du temps, l'hérésie
grandissante, les vices du peuple, dont il connaît à fond les misères et
240 BERTHOLD — BERTHOLET
les besoins et dont il a partagé la vie. Parfois tendre et mystique comme
son maître, plus souvent incisif et pénétrant, attachant plus de prix à la
vie du cœur qu'aux formes extérieures, véritable apôtre de la mission
intérieure, il accomplit des conversions merveilleuses et exerça une
influence énorme sur ses contemporains. — Voyez : Piper, Zeugen der
Wahrheit, 1874, III, 82 ss. : Néander, K. G., 4c'éd., Mil, 34; Ébrard,
K. G., 1865, 11, passim.
BERTHOLDT (Léonard) [1774-1822] professa les langues orientales
et les sciences bibliques à Erlangen. Son ouvrage sur le prophète Da-
niel (1800, 2 vol.) lit sensation. Son Introduction aux écrits de V Ancien
et du Nouveau Testament (1812-19, 5 vol.) a vieilli; la méthode en est
défectueuse, Fauteur groupant et mêlant les livres des deux alliances
d'après leur genre littéraire ; la tractation elle-même dénote une ab-
sence choquante du sens historique. L'auteur représente le rationa-
lisme dans ce qu'il a de plus vulgaire. Son Introduction aux sciences
tl/éologiqiies (1821-22, 2 vol.) et son Manuel de l'histoire des dogmes
(1822-23, 2 vol.) sont encore plus faibles.
BERTHOLET (François) est né à Aigle (canton de Vaud),le 27 février
1814. Amené jeune à la foi (1824), il se prépara au saint ministère
dans l'académie de Lausanne, et entra en 1837 dans la carrière pasto-
rale, en qualité de sutfragant à Gryon, village de montagne au-dessus
de Bex. En 1843, renonçant à sa position officielle, il revint à Aigle, sa
ville natale, pour y exercer un ministère indépendant; mais, chassé
par la persécution qui ne sévit nulle part avec plus de force dans le
canton de Vaud que dans la vallée du Rhône, il accepta un appel de
la Société évangélique de France, et desservit pendant quatre ans le
poste de Sens (1845-1849), dont il fit un centre d'évangélisation.
Rayonnant de là dans plus de vingt-deux localités différentes, toujours
à pied, souvent chargé de la balle du colporteur, traitant durement
son corps et ne lui accordant qu'une maigre nourriture, il contracta
dans ce ministère tout apostolique le germe d'une maladie qui devait
le conduire de bonne heure au tombeau. Après quelques semaines
passées dans ses chères Alpes, pour y refaire sa santé, Bertholet se rendit à
Lyon, où pendant cinq nouvelles années (1849-1854) il dépensa ses
forces au service de l'Eglise évangélique de cette ville et dans de
vastes tournées d'évangélisation dans les départements avoisinants
(Drôme, Hautes-Alpes, etc.). Obligé de quitter Lyon, dont le climat ag-
gravait le mal qui le consumait, Bertholet accepta en 1854 une place
de prédicateur dans l'Eglise évangélique de Genève. Il put y exercer
pendant huit années un ministère actif et béni, souvent interrompu par
des courses missionnaires en Suisse et surtout en France (Midi, Ouest et
Centre). .Le 27 juin 1862, se sentant épuisé physiquement, il partit pour le
val d'Anniviers, espérant refaire ses forces sur les sommets des Alpes;
mais au bout de peu de jours, il venait mourir dans une localité pres-
que inconnue, sans que nul des siens pût le revoir (2 juillet 1862, à
Vez, près Sion, Valais). Bertholet a été par excellence le prédicateur
populaire. Exclusivement désireux de sauver les âmes, il courait au
pins pressé, sans s'inquiéter des règles et des formes; mais sa parole
BERTHOLET — BÉRULLE 247
était de feu. Il a publié quelques discoure détachés : Exhortation pas-
torale adressée par le pasteur d'une paroisse de montagne à snspa7'oissiens7t
Laus., 1843; Deux exhortations pastorales adressées à mes anciens parois-
siens, Laus'., 1 844 : Ephèse et Laodicée, Paris, 1805; Le culte de la louange
et le culte de la vie : Baruch ou le désir des grandeurs cl lademande d'un
passage pour le peuple de Dieu, Toul., 1859; L'amour de Dieu pour le
monde. Laus. . 1857; La promesse du Saint-Esprit, Laus., 1858; L'èg lue ou
la maison de Dieu, et un rec ueil de douze Méditations sur quelques sujets de
l'Ancien Testament étudié à la Ivmièrede V Evangile, Laus., 1857 et 1865.
On lira avec un grand intérêt les Lettres de F. Bertholet-Bridel publiées
pour ses amis, et précédées d'une notice biographique, Laus., 1855.
Louis Ruffet.
BERTIN (Saint), fondateur du couvent qui porte son nom (f 709). Il
était moine de Luxeuil et était né au diocèse de Constance. Vers 660,.
il se rendit avec saint Mommolin, plus tard évoque de Noyon, et saint
Kbertram. auprès de saint Orner, évêque de Thérouanne, qui était
sorti du même couvent; ce prélat lui fit obtenir, d un homme riche
nommé Adroalde. la terre de Sithiu, au lieu qui fut appelé plus tard
Saini-Omer. C'est là (pie les trois moines établirent le célèbre couvent
dont les belles ruines se voient encore. Jean d'Ypres, abbé de cette
maison (y 1383), est Fauteur de la précieuse Chronique Bertinienne,
imprimée dons Martène (Thés, nov., III, 441) et qui fut continuée jus-
qu'en 1497 (Martène, AmpL coll., VI, 6i4). Foucart, moine de Sithiu,
a écrit en 1 108 la vie de saint Bertin (Boll.,5 sept.; Mabillon, AA. SS,
lien., s. III, 1, 104). — Voyez Gallia Chr., III, 484.
BÉRULLE (Pierre de) [1575-1629], né en Champagne, descendant
des Séguier par sa mère, élevé par les jésuites, ami de François de
Sales, unissant l'esprit subtil et souple des premiers à la dévotion sen-
timentale et mystique du second, remarquable surtout par sa douceur
i nsin uante, joua un rôle important dans l'histoire de l'Eglise de France de
son temps. Attaché aux Guise, il s'employa activement, et non sans succès,
à la conversion des réformés, particulièrement des grandes dames
nobles. 11 établit en France, malgré les obstacles qu'il rencontra de la
part des carmes et des jésuites, les couvents de femmes de l'ordre
de Sainte-Thérèse (carmélites d'Espagne) et la congrégation de l'Ora-
loire (voy. cet article). Jouissant de toute la confiance de Louis XIII et
de la peine-mère, qui le tirent cardinal et ministre en 1627 et cherchè-
a l'opposer à Richelieu, il fut chargé de plusieurs négociations
importantes, notamment de solliciter à Rome unedispense pour le ma-
riage d'Henriette de France avec le prince de Galles. 11 mourut subite-
ment en célébranl la messe, et la rumeur publique accusa Richelieu
<!<• l'avoir empoisonné. Protecteur des lettres et des arts, Bérulle en-
couragea Deseartes, favorisa la publication de la Bible polyglotte de
Lejaj et contribua à développer le goût pour la musique sacrée en
Franc-. I! a laissé plusieurs écrits, réunis après sa mort par le P. Bour-
.- g P., 1644, ~ï vol. in-fol.; nouv. édit., Montrouge, L856), parmi
Lesquels nous citerons son traité Des Grandeurs de Jésus, qui f ut ap*
prouvé el répandu par les jansénistes. Toutefois Bérulle est plutôt di-
248 BÉRULLE — BESANÇON
recteur de conscience que théologien, 11 occupa une position intermé-
diaire entre les partis de son temps, s'appliqua surtout à la réforme
des mœurs, et ne montra quelque ardeur que dans la controverse avec
les protestants. — Voyez Habert de Cérisi, Vie du cardinal de Bertille,
P., 1646, in-4°; Tabaraud, Hist. de P. de Bèrulle, P,, 1818, 2 vpL ;
Nourrisson, Le card. de Bérulle, sa vie et ses écrits, P., 1850.
BERYLLE, évêque de Bostra en Arabie, homme instruit, vivait dans
la première moitié du troisième siècle (Ëusèbe, Hist. eccl., VI, 20, 23;
Hieron., De Script, ercl.j 60). Il gouverna longtemps son Eglise avec
gloire, mais ensuite il tomba dans une grave erreur sur la personne
de Jésus-Christ, et peu s'en fallut qu'il ne devînt sabellien. Il prétendait,
en elï'et, que le Fils de Dieu n'existait pas avant l'incarnation comme
hypostase ou personne particulière ; mais qu'il ne commença à exister
qu'à partir de sa naissance et qu'il n'avait en lui que la divinité du Père
(tov awT^pa xal xtfpiov r^wv A£*fsv [ayj wpouçiorravaî v~z~' '.o'.av G:j5'.xq r.zp'-
Ypaçr^v r.pb rqq eîç àvôpw-syç ï-\zr^J.xq \j;rfii \j;r^ SâOTYjTa ISiav ë^E'.v, aXX'
â{A7:dp.Teuo^évyjv a-jTo) (AÔvYjv tyjv t> x~ p'.v.rft . Eusèbe , //&£. éTC/., VI, 33).
Grâce à Origène, Berylle abandonna son erreur et revint à l'ensei-
gnement orthodoxe de l'Eglise, en Tan 244. D'après Eusèbe, il écrivit
des lettres et d'autres opuscules; les premières sont des lettres de
remerciment à Origène ; le contenu des autres écrits est inconnu et il
n'en reste aucun vestige (cf. Ullmann, De Beryllo Bostrene, Hamb.,
1835).
BERZELLAI [Barzilai], de Roglim, dans le pays de Galaad, donna
l'hospitalité à David, lorsqu'il fuyait devant Absalon. Il refusa les
services qui lui furent offerts à la cour, en faveur de son lils Chi-
meliam (2 Sam. XVII, 27; XIX, 32 s.s.).
BESANÇON, archevêché. La capitale de la grande Séquanaise, Ve-
suntio (Bisimtium), reçut l'Evangile de saint Ferréol, envoyé, dit-on,
avec saint Ferjeux ou Ferrutius, son frère, par saint Irénée, et qui
mourut martyr avec son compagnon vers 212 (16 juin). On croyait au-
trefois que saint Lin, avant d'être pape, avait été en Tan 54 évêque
de Besançon, mais il semble plus juste d'admettre qu'un autre saint
de ce nom annonça l'Evangile dans la cité bisontine en même temps
que saint Ferréol. On doute qu'à ce moment Besançon ait eu des
évêques, et jusqu'à Célidoine, qui fut déposé en 444 par un synode
que présidait saint Hilaire d'Arles, les évêques de notre ville ne nous
paraissent pas appartenir à l'histoire. Au neuvième siècle seulement,
Besançon prit le titre d'archevêché. On admet généralement que ce
siège avait eu autorité sur ceux d'Avenches, d'Augst et de Winclisch et
(s'il exista jamais) sur celui de Nyons; quand Windisch eut été uni à
Constance et ainsi rattaché à Mayence, quand l'évêché d'Augst eut été
transporté à Bàle, celui d'Avenches à Lausanne, comme peut-être celui
de Nyons fut mis à Belley, le siège de Besançon garda ces trois derniers
suffragants. En 1871, la province de Besançon, aujourd'hui diminuée,
comprenait les diocèses de Strasbourg, Metz, Verdun, Belley, Saint-Dié
et Nancy. L'Eglise de Besançon fut divisée, pendant tout le moyen âge.
par une querelle de clochers : deux cathédrales, Saint-Jean-Apôtre
BESANÇON — BESOLD 249
(rebâtie au onzième siècle), où Ton conserve le saint-suaire, et Saint-
Etienne (rééditiée en 1042), se disputaient ce qu'on appelait le privi-
lège de maternité. On croit même qu'en 614 Besançon avait deux
évêques. Calixte 11 décida en laveur de SainthJean et en 1254 les deux
chapitres turent nuis par Innocent IV; ce ne fut toutefois qu'en 1668,
Lorsque Saint-Etienne eut été démolie avec ses maisons canoniales, que
Les deux chapitres furent confondus en l'ait comme endroit. Les arche-
vêques de Besançon, dont la capitale avait pris le nom allier de Chry-
sopolis, étaient princes d'empire; parmi ces dignitaires, au nombre
desquels nous trouvons les représentants de toute la grande noblesse
franc-comtoise, nous ne nommerons que Granvelle (1584-1586), le
fondateur de l'université. Des synodes furent tenus à Besancon en 1124
et 1571. — Voy. : Dunod, Hist. de l'Egide Besançon, Bes., 1750, in-4°,
2 vol. ; Richard, H. des Dinc. de Besançon et de Saint-Claude, 3 vol.,
1847-51; Vies des Saints de Fr.-C>, Bes., 1854-56, 4 vol.; Hauréau,
Gàllia, XV. s- Bebgeb.
BESCHITZI (Elie), fils de Moïse fils de Menahem, juif caraïte, né à
Adrianople, vécut à Constantinople (d'où son surnom de Bèschitzi, le
Byzantin) jusqu'en li()0 où il succéda à son père comme chef de la
congrégation caraïte d'Âdrianople, où il mourut en 1491. Il laissait
inachevé un ouvrage intitulé Aderet Elijahmi (manteau d'Elie) que
son disciple et bean-frère Caleb Afendopulo acheva en 1497, et que le
petit-fils de l'auteur lit imprimer à Constantinople en 1531, in-fol.
(nouv. éd. publ. par Firkowitz, Eupatoria, 1835, 2 part., in-fol.). Ce
livre qui, basé sur la connaissance de toute la littérature caraïte anté-
rieure, aujourd'hui en grande partie perdue, décrit les rites et les
ordonnances des caraïtes, a acquis dans cette secte une si grande im-
portance qu'il y sert en quelque sorte de code civil. Bèschitzi écrivit
aussi quelques petits ouvrages polémiques contre les juifs rabbanistes
(imprimés dans redit, de 1835), et parait être l'auteur d'un traité de
logique dont il existe 'quelques manuscrits. Son arrière-petit-fils, Moïse,
tils d'Elie Bèschitzi, quoique mort à dix-huit ans (1572), avait écrit
plusieurs ouvrages importants, dont la plupart périrent dans un in-
cendie du vivant de l'auteur; ce ne fut pas le cas du Mate Elnhim
(bâton de Dieu), dans lequel il défendait les principes des caraïtes
contre les rabbanistes, et dont on a publié un fragment dans le Dod
Mardechai (Hamb., 1714; Vienne, 1830).— Sources: Wolf, Notitia
Carœorum {Dod Mardechai), p. 63, 93 et 146; Wolf, Bibliotlteca Hebr.,
t. I et 111. n'j^ 237 et 1519; De Rossi, Diiion. d. autori Ebr. ; Fûrst, Bi-
blioth. judaica, I. p. 114; Fùrst, Gesck. des Karœerthums von 900 bis
1575 iLeip/., 1865), p. 304-322. A. Bernus.
BESOLD (Christophe) [1577-1638], jurisconsulte et apostat célèbre,
professa le droit à Tubingue. Accablé par les malheurs du temps et
l'ennui des discussions théologiques, séduit par le mysticisme douce-
reux et la poésie du culte catholique, il abjura le protestantisme en
103V. au moment où les troupes de Wallénstein occupèrent la Souabe.
Dans une série d'écrits (Prodromus vindiciarum eccles. Wirtemb., 1636,
m-'i : Documenta rediviva monaster. Wirtemb., 1536, in-4°, etc.), il
250 BESOLD — BESSARION
chercha à prouver que les couvents wurtembergeois , dont les biens
avaient été appliqués par les ducs Ulrich et Christophe à l'entretien
des églises et des écoles protestantes, étaient la propriété immédiate
de r empire et devaient en conséquence faire retour à l'Eglise ca-
tholique. Lorsque le duché fut évacué par les Autrichiens, Besold
sollicita et obtint une place de professeur en droit à Ingolstadt,
mais il mourut Tannée suivante. Son exemple n'eut guère d'imitateurs,
comme les jésuites l'avaient espéré : seuls, trois étudiants en droit de
T ubingue se convertirent à l'Eglise romaine (voy. Fischlin, Meraor.
theol. wirtemb. suppl.).
BESSARION (Jean ou Basile), de Trébizonde, né en 1395, fut un de
ces savants distingués qui, après la chute de Constantinople, transpor-
tèrent en Occident les monuments de la littérature grecque. 11 eut pour
maître Gemistos Pletho, à qui il doit son enthousiasme pour Platon. En
1410 il se transporta à Constantinople et, probablement en 1423, il
entra dans l'ordre des basiliens. Elu archevêque de Nicée, il accompa-
gna en 1437 Jean VII Paléologue au concile de Florence (1439), convo-
qué pour la réunion des deux Eglises. Dans ce concile il se distingua
par son éloquence et par son ardeur à poursuivre la réconciliation pro-
jetée. Après le concile il passa à l'Eglise catholique. Il ne nous appar-
tient pas de juger ici les raisons qui le déterminèrent à cet acte. Tou-
tefois, à quelque point de vue qu'on se place, il paraît bien difficile
d'admettre que les motifs qui le dirigèrent en cette circonstance aient
été complètement désintéressés (voir l'article de Hase sur Bessarion
dans l' Encyclop. von Ersch u. Gruber). Quoiqu'il en soit, il ne cessa pas
d'aimer sa patrie et de travailler avec une ardeur infatigable au pro-
grès des lettres grecques. Sa maison fut toujours le rendez-vous
des savants les plus distingués de la Grèce et de l'Italie. Il fut créé
cardinal-prêtre par le pape Eugène IV; Nicolas V r éleva à la dignité
de cardinal-évêque du titre de Sainte-Sabine et d'archevêque de Si-
ponto, et sous le pape Pie II il reçut le titre de patriarche de Cons-
tantinople (1463) et il fut envoyé comme légat à Bologne, où il restade
l'an 1451 à 1455. Après la chute de Constantinople il parcourut l'Alle-
magne et la France; il alla jusqu'à Vienne pour susciter une croisade
contre les Turcs, et il fut le protecteur de tous ses compatriotes exilés.
Quatre fois il fut revêtu de la dignité de légat et deux fois il fut sur le
point d'être élu pape comme successeur de Nicolas V et de Paul II ;
mais il échoua par les intrigues de ses adversaires. En revenant d'un
voyage en France il mourut à Bavenne le 19 novembre 1472. Sa riche
bibliothèque, contenant 600 manuscrits grecs précieux, fut léguée par
lui au sénat de Venise. Il travailla beaucoup pour le développement
des lettres. Attaché à la philosophie de Platon, il prit sa défense contre
George de Trébizonde et publia sur ce sujet à Borne, en 1469, un ou-
vrage intitulé Contra calumniatorem Platonis. Il a laissé aussi quelques
ouvrages théologiques ; son Traité sur le sacrement de V Eucharistie a
été inséré dans la Bibliothèque des Pères ; d'autres ont été recueillis
dans les Actes du concile de Florence du P. Labbe et du P. Hardouin
(voy. De vitaet rébus gestis Bessarionis cardinalis JSicxni Commentarius,
BESSÀRION — BETHEL 251
Roma?, 1777: Trithèrae et Bellarmin, De Script, eccles.; Auberi, His-
toire des Cardinaux). J- Moshakis.
BETHABARA est, d'après le texte reçu depuis ûrigèrïe, le nom d'un
endroit sur te Jourdain, où Jean baptisait (Jeanl,28). Mais lés plus anciens
manuscrits portent Bëtlianie. Origène ne trouvant pas sur les bonis
du Jourdain d'endroit du nom de Béthanie, s'est décidé pour la leçon
aujourd'hui reçue: tous les Pères Tout suivi. Il faut en distinguer un
autre endroit nommé Bethbara (Jug. VII, 24), qui était situé sur la
rive droite et non, comme Bethabara, sur la rive gauche du Jourdain,
au-dessous de Bethsan.
BÉTHANIE, village situé à gauche de la route qui va de Jérusalem à
Jéricho, à H) minutes de Jérusalem (15 stad., Jean XI, 18). Il n'est cité
nulle part dans l'Ancien Testament. C'est là qu'habitaient Lazare et ses
sœurs (Jean XI, 1 : comp. Matth. XXI, 17 ; XXVI, 0 et les pass. paral-
lèles). Jésus s'y retirait le soir, pendant son séjour à Jérusalem. D'a-
près le Talmud, il y avait à Béthanie des réservoirs où ceux qui étaient
souillés se lavaient avant d'entrer à Jérusalem. Peut-être cette tradition
doit-elle sa naissance aux récits bibliques. L'étymologie est incertaine.
La version rabbinique, Beth-hinê, « la maison des dattes, » quoique s'é-
cartant de la prononciation grecque, semble la plus probable. De très-
bonne heure, les chrétiens l'ont appelée Lazarium, d'où les Arabes
ont forgé le nom d'e/ Azriyeh, qui a entièrement prévalu. Aujourd'hui
Béthanie est un méchant village arabe : pourtant on y voit çà et là de
grandes pierres qui doivent provenir d'anciennes constructions. On y
montre le château de Lazare, les maisons de Marthe et Marie que la tradi-
tion a tantôt réunies, tantôt séparées, la maison de Simon le Lépreux
et le tombeau de Lazare. La tradition relative à ce dernier, quoique
fort ancienne (elle remonte au quatrième siècle), manque de fondement.
— Voyez Tobler, Topogr. v. Jerus., II, p. 422-464.
BÉTHEL, le plus ancien et pendant longtemps le premier sanctuaire
des Hébreux. Son nom signifie « maison de Dieu » ; toutefois il faut
entendre par là non pas un temple, mais une de ces pierres sacrées
dans lesquelles la divinité était censée habiter, comme en possédaient
la plupart des endroits où se rendaient des oracles. L'histoire de
l'échelle de Jacob fait bien comprendre la vraie nature de ce
1 h Itc. La Genèse rapporte la création de Béthel tantôt à Abraham (XII,
8 MIL 2), tantôt à Jacob (XXVIII, li); XXXV, G). D'après Gen.
XXVIII, 19, la ville s'appelait primitivement Luz ; il se pourrait toute-
fois que ce lût là son nom profane à côté du nom sacré; dans le livre
de Josué (VIII, 17; XII, 10), le nom de Béthel se trouve de même as-
socié, d'une façon assez insolite, à celui d'Aï. De tout temps, Béthel
eut son autel et son Bâma, il posséda même l'arche, et fut un centre
prophétique jusque sous les rois d'Israël (Jug. XX, 18; 1 Sam. VII,
16; \. 3; l R. Il, 3). .Mais, à partir du schisme, Béthel revêtit un
caractère d'opposition religieuse et politique à Jérusalem; «on n'y
adorai! pasJéhovah. » Jéroboam y érigea un veau d'or et y institua nue
fête solennelle au 18 jour du 8e mois (I R. XII et XIII). Dès lors, son
culte lut considéré comme idolâtre e1 poursuivi par les prophètes,
252 BÉTHEL — BÉTHESDA
surtout par Âmos et par Osée (comp. Jér. XLVIII, 13), jamais pour-
tant à Tégal du culte de Baal ; Jéhu ne l'abolit pas, et il fut continué
même pendant la captivité des dix tribus par des prêtres qu'avait
renvoyés à cet effet le roi d'Assyrie, à côté d'autres cultes païens
(2 R. XVJI) — Josias y mit lirt, et réunit Bétliel au royaume de Juda.
Jusqu'alors, et sauf une conquête passagère d'Abia, sur la fin du règne
de Jéroboam II (2 Chron. X1I1, 19), Béthel avait toujours appartenu à
la maison de Joseph. La répartition du pays clans le livre de Josué in-
dique de la part des Benjamites des prétentions sur Béthel qui sem-
blent n'avoir existé réellement qu'au retour de la captivité (Esdr. II,
28;Néh.-VH, 38; XI, 31). Pendant les guerres des Machabées Bé-
thel fut pris et fortifié par Bacchides le Syrien; plus tard, Vespasien
s'en empara. On n'a jamais eu de doutes sur l'identité de Béthel avec
Beîtin. Les ruines qui sont assez importantes, les substructions, la tour
et le réservoir, doivent dater du moyen âge. Le village ne compte
que 400 habitants ; il est sur le penchant sud d'une colline située entre
deux vallées verdoyantes. Distance de Jérusalem, 4 heures 1/2; d'après
Eusèbe, 12 milles romains. Ph. Beegeb.
BÉTHESDA, d'après Jean V, 2, un des étangs de Jérusalem, situé
près de la Porte des Troupeaux et dont les eaux avaient certaines ver-
tus curatives. Il était entouré de cinq portiques où les malades se
tenaient, en attendant le mouvement des eaux. On l'a placé successi-
vement de tous les côtés de Jérusalem. Mais il semble résulter des pas-
sages de Néhémie (III, 1, 32; XII, 39), où cette porte est mentionnée,
qu'elle devait se trouver au nord de la ville. Plus généralement, on
identifie la Porte des Troupeaux avec la Porte Saint-Etienne qui forme
l'angle nord-est de l'enceinte sacrée (/Jaram-el-Schériff'), et l'étang de
Béthesda avec le grand bassin, qui longe la mer du côté du nord. Ce
bassin, long de 1 10 mètres et large de 40, et situé 21 mètres plus bas que le
niveau du temple, est aujourd'hui à peu près comblé. Il devait jadis
s'étendre encore davantage; à l'ouest, deux grandes voûtes pénètrent
à une distance d'au moins 30 mètres sous les maisons ; du côté opposé,
à l'angle sud-est se trouvait une tour qui servait à régler le niveau des
eaux; le trop-plein s'écoulait dans la vallée duCédron. Les dimensions
mêmes de ce réservoir permettent difficilement d'y voir une source
thermale. Peut-être faut-il chercher Béthesda dans un bassin plus
petit situé un peu plus au nord, contre l'église Sainte-Anne, la piscina
interior des anciens, que l'on appelait à l'époque des croisades « l'E-
tang des Troupeaux » pour le distinguer du Birket Israïl. Aujourd'hui,
cette identification peut être considérée comme certaine. Le réservoir
de Béthesda avait conservé sa vertu après la prise de Jérusalem. C'est ce
que prouve un ex-voto curatif, trouvé clans l'église Sainte-Anne, et
publié par M. AYaddington sur l'indication de M. Clermont-Ganneau.
Cet ex-voto porte une inscription grecque, de la lin du premier ou
plutôt du commencement du second siècle, surmontée d'un pied; la
donatrice s'appelait Pompeia Lucilia. Il n'y a pas, contrairement à
l'usage, de nom de divinité, ce qui semble indiquer une sorte de sou-
venir de la religion juive. Le bassin était encore plein d'eau à l'épo-
BÉTHESDA — BETHLÉHEM 253
que de la visite du Pèlerin de Bordeaux (333 ap. J.-C). qui dit que
l'eau est trouble et rougcàtre. C'est sans doute encore lui que Yltinè*
raire d'Antonio (au sixième siècle» désigne comme la />is<iti>i natatoria
où il se taisait de nombreuses guérisons; peut-être enfin faut-il le re-
connaître dans Y jzmz XguxiXXiovôv dont il est parlé dans la vie de
saint Sabas (c, 67), également écrite au sixième siècle. S'il en était
ainsi, on pourrait supposer que cette Lucilia était une personne
considérable <pii avait restauré les portiques ruinés pendant le siège,
peut-être la tille de Lucilius Bassus qui gouverna la Palestine après la
prise de Jérusalem. Le nom de Béthesda est très-douteux. Dans le
Cod. Sinaït. on lit en place Bethzatka, et. on trouve dans les différents
manuscrits et auteurs anciens de nombreuses variantes, telles que
BsXÇeQz, Befoatha, Betzeta. 11 est probable que ce nom est le même
que celui de la colline septentrionale de Jérusalem, qui est appelée
par Josèphe Bezetha. — Voyez : Hobinson, II, p. 137, note; Tobler,
Denkbl., p. 58 ss. ; Waddington, Ac. des Insc?'., C. R., 18(58, p. 333 ss.
Ph. Bebger.
BETHHORON [Betkhôrôn hà'elion, Betkhôrôn hattakhtôn,
8 liant Bethhoron » et (( Bas Bethhoron, » aujourd'hui Beù Ur el-fôkha
el Beù Ur et tachta], sur la route qui allait de Jérusalem à la mer en
l>assant par Gabaon, à l'entrée de la gorge profonde qui rejoint lamon-
tagneà la plaine des Philistins, d'où son nom de Bethhoron, «la Maison
Creuse. » La route de Bethhoron a été peu à peu remplacée par celle qui
va de Jérusalem à Joppé en passant par Ramleh et Nicopolis, mais les
localités n'ont pas changé d'aspect. Les deux Beit Ursont séparés par une
vallée assez large qui rejoint le Wadi Saleiman. Beit Ur et-tachta est sur
une colline peu élevée, au pied du plateau que couronne Beit Ur el-
fôkha, à 200 mètres environ plus bas (460 et 640). Pour atteindre le
second il faut gravir un défilé étroit et pavé de grandes dalles polies.
La situation de Bethhoron lui donnait une grande importance. La tra-
dition (1 Chron. VII, 24) en l'ait remonter la fondation à Seéra, fille
d'Ephraïm. D'après le livre des Rois (I R. IX, 17) et les Chroniques
(2 Chron. VIII, 5), les deux villes furent construites et fortifiées par Sa-
bmon. La gorge qui mène de l'une à l'autre est restée célèbre dans
l'histoire des guerres d'Israël. C'est par là que Josué poursuivit les
Âmorrhéens (Jos. X, 10 ss.) et que les Philistins montèrent pour atta-
quer Saûl il Sam. XIII, 18). Judas 3Iachabée y livra deux batailles
1 Mac. III. io ss. ; VII, 31) ss.) ; et l'armée deCestius Gallus y fut enfer -
m. v par les Juifs et presque anéantie (Jos., Bell. Jud., II, 19, 8).
— Voyez Robinson, III, p. 58 ss. Ph. Berger.
BETHLÉHEM [Bêt-lekhem, LXX HrfiX&éy., Jos. Brfi\ée\La, « maison
du pain s |, lieu de naissance de Jésus, d'après Matthieu, Luc et la
tradition universellement reçue dans l'Eglise (cf. Jean VII, 41-42).
Bethléhem appartenait à la tribu de Juda; on l'appelait Bethléhem de
.Inilii. pour le distinguer d'un autre Bethléhem situé sur le territoire
«If Zabulon (Jps. XIX, 15). Son nom primitif parait avoir été Ephrath
qui es! longtemps resté dans l'usage, comme adjectif (Gen. XXX VI, 19;
lintli I. 2; .Miellée V. I); il se pourrait toutefois (pie ce dernier ait
254 BETHLEHEM — BETHLÉHEMITES
toujours désigné un canton plutôt qu'un endroit; d'après les généa-
logies des Chroniques (1 Chron. II, 19 ; IV, 4), Bethléhem était petit-fils
d'Ephrath, femme de Caleb. La signification des deux noms est à peu
près la même (Ëphrath — fertilité). Bethléhem ne ligure pas parmi les
villes de Juda qui sont énumérées Josué XV (texte hébreu) ; il est vrai
que clans les LXX on l'y retrouve à la suite du v. 59, ainsi que les
noms de dix autres villes qui manquent également dans le texte masso-
rétique; mais son antiquité nous est attestée par l'histoire de la mort
de Rachel et par différents passages du livre des Juges. Toutefois, il est
surtout devenu célèbre comme berceau de la famille de David. Le livre
de Ruth était destiné à établir cette descendance. Bethléhem était aussi la
patrie des fils de Tserujah, tille d'Isaï, ainsi que d'Elhanan, fils de Dodo,
un des preux de David et peut-être un de ses parents (2 Sam. XXI, 15-22 ;
comp. XXIII, 9-18, 24), et devint le théâtre de plus d'un de leurs
exploits. C'est enfin là que David fut oint. Aussi les espérances messia-
niques se sont-elles attachées de bonne heure à Bethléhem, bien que
ce fût un endroit de peu d'importance (il avait pourtant été fortifié par
Roboam, 2 Chron. XI, 6; comp. Jér. XLI, 17). La tradition juive est
restée fidèle à cette croyance (Reland, p. 644). D'après le récit bibli-
que, Jésus y naquit dans un caravansérail, et Marie l'emmaillotta et le
coucha dans une crèche, parce qu'il n'y avait pas de place pour eux à
l'hôtellerie. La tradition, que l'on trouve déjà formée au deuxième
siècle, chez Justin Martyr, a placé le lieu de naissance de Jésus dans
une grotte qui est à l'ouest de la ville. Constantin fit construire sur
cet emplacement, en 330/ une belle basilique, celle, d'après M. de Vo-
gué, que l'on voit encore aujourd'hui. En 1010 elle échappa par mi-
racle, suivant les chroniqueurs, à la destruction, lors de l'invasion des
musulmans. En 1101, au jour de Noël, Baudouin y fut couronné roi, et
en 1110 Bethléhem fut transformé en évêché. A partir de ce moment
et pendant tout le cours du moyen-âge, on peut suivre presque année
par année le sort de la basilique et les embellissements que les diffé-
rents princes chrétiens y ont apportés. En 1672, les Grecs réussirent à
s'en rendre maîtres ; mais dans ces dernières années, grâce à l'inter-
vention de Napoléon III, les Latins ont de nouveau pu y rentrer. Bethlé-
hem, son église et sa crypte ont été décrits par presque tous les voya-
geurs. Ph. Berger.
BETHLÉHEM, le plus petit desévêchés de France. En voici l'origine :
En 1168, un comte de Nevers, mourant en Terre-Sainte, lit don à
l'évêquede Bethléhem, pour s'y retirer en cas de besoin, de l'hôpital de
Pantenor, à Clamecy, et bientôt, chassé par les infidèles, l'évêque dut
transférer le siège de Bethléhem-Ephrata dans la petite chapelle de
l'hospice, qui prit le nom de Notre-Dame-de-Bethléhem. Dès lors, et
jusqu'à la Révolution, il y eut à Pantenor un évêché dont un hôpital
formait tout le diocèse et dont le titulaire, nommé par les ducs
de Nevers, relevait directement du pape. L'évêque de Bethléhem, qui
n'avait pas mille livres de revenu, vivait d'expédients. Aujourd'hui
la cathédrale de Bethléhem est une auberge.
BETHLÉHEMITES, nom de deux ordres religieux dont le premier,
BETHLÉHÉMITES — BETHSAÏDE 255
disparu aujourd'hui, s'établit en I2:>7 à Cambridge. Les moines
étaient vêtus comme les dominicains et portaient sur la poitrine une
étoile rouge, en mémoire de L'étoile qui guida les mages. Le second
lut tonde dans les lies Canaries, en 1655, par Pierre de Betlieneouri,
gentilhomme français, rattaché à Tordre des franciscains. Il devait se
vouer au service des malades dans les hôpitaux. Approuvé par Inno-
cent XI en L687, cet ordre reçut de nouveaux privilèges sous Clé-
ment XI en 1707. Les religieux sont soumis à la règle des augustins,
et portent au cou une médaille représentant la naissance de Jésus-
Christ à Bethléhem. Le siège de Tordre est à Guatemala; il compte
iin,> quarantaine de maisons, répandues principalement dans les iles
Canaries (voy. Gaet. Moroni, Diction., Y, p. 196 ss.).
BETHPHAGÉ, « la Maison des Figues, » était située sur le mont des
Oliviers, tout près de Jérusalem (Matth. XXI, 1) et à côté de Béthanie
(Marc XI, 1 ; Luc XIX, 29). On discute pour savoir lequel des deux en-
droits était plus rapproché de Jérusalem. Il semble résulter du premier
de ces passages que Bethphagé était aux portes mêmes de la ville, au
haut de la descente qui y conduit et sur le côté de la route. C'est là que
la place la tradition. On ne retrouve du reste. actuellement aucune trace
ni du nom ni de Tendroit.
BETHSABÉE, tille d'Ammiel et femme d'Urie THéthéen. Voyez
David.
BETHSAIDE, « Pêcherie, » bourg de Galilée situé sur les bords du
lac de Génésareth, non loin de Capernaum (Marc VI, 45, 53; Jean VI,
17. 24 ss.) , patrie de Pierre (Jean I, 44 ss.; XII, 21) , Jésus y lit de
nombreux séjours. Le nom de Bethsaïde est attaché au souvenir de la
multiplication des pains. Ce miracle nous a été transmis par six
rédactions différentes : deux dans Matthieu (XIV, 13-21 ; XV, 29-39),
deux dans Marc (VI, 30-44; VIII, 1-10), une dans Luc (IX, 10-17), et
une dans Jean (VI, 1-14). 11 résulte de ces différents récits que Jésus
lit ce miracle à Test ou au nord du lac, sur le territoire de Philippe le
tétrarque, et que c'est à Bethsaïde en Galilée qu'il aborda lorsqu'il eut
apaisé la tempête, après avoir congédié le peuple. Seul Luc raconte
que la multiplication des pains eut lieu dans un endroit solitaire où
Jésus s'était retiré, près d'une ville appelée Bethsaïde. C'est à ce der-
nier endroit que semble aussi se rapporter la guérison de l'aveugle
qui esl racontée Marc VIII, 22-23. On est naturellement porté à voir
dans la mention d'une seconde ville nommée Bethsaïde en dehors de
la Galilée le résultat d'une confusion. Pourtant, quelque étrange que
cela paraisse, il n'est pas impossible qu'il y ait eu deux Bethsaïde;
phe stinble faire la même distinction, mais les passages où il
touche à ce sujet sont très-obscurs pour nous. En tous cas, si cette
ide ville a jamais existé, nous ne croyons pas qu'il soit possible
de Tidentifier, comme on le fait le plus souvent, avec la célèbre ville de
tuée au nord du lac. à Tendroit où il reçoit le Jourdain. Jo-
sèphe lui-même distingue Julias, auparavant Betharamphtha, de Beth-
• :|ui avuit également reçu le nom de Julia (voyez Josèphe, .1///.,
25G BETHSAIDE — BETHSAN
XVIII, 2, 1 ; 4, 6 ; Bell. Jud., II, 9, 1; III, 10, 7). L'emplacement de Betli-
saïdc de Galilée est très-mal connu. On Ta placé tantôt près du nord
du lac, kel-'Tâbigah, belle source qui est environ à 35 minutes de Tell-
Hûm, emplacement présumé de Capernaùm ; tantôt plus au sud, à
Khan-Mini/eh, « le petit port. » Les lieux, dans ce dernier endroit, se
prêteraient fort bien aux circonstances des récits bibliques. C'est dans
la même contrée, mais plus au sud encore, qu'il faut cbercher les
territoires de Magada et Dalmanuta, d'ailleurs inconnus, qui ont si fort
tourmenté les exégètes. Peut-être, du reste, peut-on limiter la difficulté.
M. Renan pense en effet qu'il ne s'agit que d'un seul et même endroit,
Magada, défiguré par la plume d'écrivains qui ne le connaissaient pas.
_ Voyez :Robinson, Pal., III, p. 288-294, et Lot. attires., p. 344.
Ph. Bekger.
BETHSAMÈS, Beit-Ghemech, « Maison du Soleil », aussi appelée
Mr Chemecb, « Ville du Soleil» (Jos. XIX, 41), et peut-être identique
avec Har-Kheres, « la Montagne du Soleil » (Jug. I, 35). Ville sacer-
dotale située près de Kiriat-Jeharim, à la limite de la plaine des Phi-
listins et de la montagne de Juda. Beth-Chemech était sur la route
d'Ekron ; elle fut le théâtre de la rencontre entre Joas, roi d'Israël, et
Amazia, roi de Juda, où ce dernier fut fait prisonnier (2R.XIV, 11 ss.;
2 Chr. XXV, 21 ss.). Sous Achaz, les Philistins s'en emparèrent
(ibid., XXVIII, 18). D'après le livre de Samuel, il y avait là « une
grande pierre» sur laquelle on déposa l'arche de Jéhova, lorsque les Phi-
listins l'eurent renvoyée. Cette pierre, qui était un monument religieux,
et sans doute solaire, resta longtemps debout (1 Sam. VI, 10-18, où il faut
corriger au'/v. 18 : ve *êd 'eben haggedôlâh, « ce dont témoigne la grande
pierre » ). Aujourd'hui Aïn-Schems, « la Source du Soleil » (Robin-
son, III, p. 17 ss.). Deux autres villes portaient le même nom : l'un
était dans la tribu d'Issachar (Jos. XIX, 22), l'autre était phénicienne;
elle est citée deux fois (Jos. XIX, 38 ; Jug. I, 33) et toujours à côté de
Beth-Anath ; le livre de Josué la met au nombre des villes fortes de
Nephtali, mais il est dit dans le livre des Juges que les Hébreux ne
purent s'en emparer. Jérôme (0nom.,s. v. Bethsamis) dit à son sujet:
« in quâ cultorcs pristzni manserunt. »
BETHSAN [Beit-Che 'an , LXX: BaiSsav, Jos. : Br/hava, Beisân,
Etym. incert., « lieu de sûreté? »] était située sur le territoire de Ma-
riasse (Jos. XVII, 11), et commandait l'entrée de la vallée de Jizréel
du côté du Jourdain. Elle resta entre les mains des Cananéens jusqu'à
l'époque de David. C'est à sa muraille que fut pendu le corps de Saùl
(1 Sam. XXXI, 10; comp. Jug. I, 27 ss.). Sous le règne de Salomon
(1 Rois IV, 12), le territoire de Bethsan formait une des douze inten-
dances du royaume, mais c'est la seule fois qu'on voit figurer son nom
parmi ceux des villes d'Israël. Les Grecs l'appelèrent Ni/sa, en l'hon-
neur de Bacchus (Dionysos**.). Mais elle porte plus généralement le nom
de Scytliopnlis; on admet qu'elle reçut ce nom lors de l'invasion des
Scythes mentionnée par Hérodote ; peut-être aussi vient-il d'un endroit
appelé Succoth qui était en face,, sur la rive gauche du Jourdain
/Burckhardt, 11,595). Scythopolis faisait partie de la Décapole ; c'est par
BETHSAX — BEVERIDGE 257
là que Pompée pénétra en Judée; plus tard elle l'ut reconstruite et forti-
fiée par Gabinius. A l'époque chrétienne, elle devint le siège d'un évê-
ehé, et futle lieu de naissance dugnostique Basilide et de saint Cyrille;
cuti n. elle lut prise et incendiée par Saladin. Lors des croisades, on
la connaissait sous ses deux noms; aujourd'hui, c'est l'ancien qui a
prévalu. Beisàn est située sur le Tell-Beisân, au nord duDjalùd, à l'en-
droit où il se jette dans le Jourdain; elle domine d'une hauteur de
100 mètres la vallée qui montait vers Jizréel et donnait ainsi accès
dans la plaine du Kishon. La ville était anciennement beaucoup plus
étendue que le village actuel ; on y voit les ruines de temples en
basalte, sauf les colonnes, celles d'un théâtre ainsi que des murailles
qui couronnaient la hauteur. — Socin, Pal., p. 352.
BETHSUR, «la Roche, » aujourd'hui Beit-Sûr, «ville de la Monta-
gne de .luda» (Jos. XV, 58 ; 1 Chr. II, 45), sur la route de Jérusalem à
Hébron. Tour ancienne, ruines. Fortifiée par Hoboam (2 Chr. XI, 7;
comp. Néh. III, 10), elle est surtout devenue célèbre à l'époque des
guerres d'indépendance. Judas Machabée releva ses murailles après
avoir battu Lysias; mais elle fut reprise par Antiochus Eupator, et
resta aux mains des Syriens, jusqu'à ce que Simon s'en emparât de
nouveau il Mac. IV, VI, IX, XI, XIV, passim). Le deuxième livre des
Machabées la mentionne également, mais ses renseignements sont
sujets à caution. Josèphe (Ant., XIII, 5, 0) l'appelle la première place
forte de Judée. C'est près de là que, d'après une tradition déjà connue
d'Eusèbe et de saint Jérôme, l'eunuque de la reine d'Ethiopie fut
baptisé par Philippe.
BÉTHULIE. nom, dans le livre de Judith, d'une ville qui devait être
située sur la montagne d'Ephraïm, au sud de la vallée de Jizréel et non
loin de Dothaïn. On ne le rencontre jamais en hébreu. Dans ce livre,
Béthulie est le centre de l'action, et, à ce titre, elle est minutieusement
décrite; néanmoins, on n'a pas réussi à l'identifier jusqu'à présent.
En général, on admet que ce nom répond à un endroit réel; mais le
caractère romanesque de l'histoire de Judith et ses nombreuses inexac-
titudes font qu'on se demande si le nom de Béthulie n'est pas, lui
aussi, de pure invention; sa forme réelle, Bethilua, « Maison de
Dieu i?) », se prêterait assez à une semblable explication.
BEVERIDGE (Guillaume), évèque anglican de Saint-Asaph, naquit
en 1638 à Barrow, dans le comté de Leicester; il lit à l'université de
Cambridge des études distinguées et publia de bonne heure un traité
sur les langues orientales qui porte ce titre : De linguarum orientalium
Prœstantia et /'su, cum Grammatica syriaca. Après avoir été revêtu
successivement de différentes dignités ecclésiastiques, il fut appelé en
170V. par la reine Anne, à l'évêché de Saint-Asaph; la mort ne tarda
|>as à l'enlever à ce poste éminent, le 5 mars 1708. Beveridge n'était
pas un novateur; il défendit avec ardeur l'ancienne version rimée des
Psaumes à l'usage de V Eglise anglicane, qui était plus que surannée,
el il se prévalut parfois <lu mot de Tertullien : Credo quia ineplum,
pour expliquer sou adhésion à tel ou tel dogme. On a publié de lui
II. 17
258 BEVERIDGE — BEZE
après sa mort, douze volumes de Sermons, qui n'ont rien de bien
extraordinaire au point de vue de la profondeur des idées.
BÈZE (Théodore de), l'ami, le collègue, le successeur et le plus illustre
des disciples de Calvin, né à Vézelay en Bourgogne, le 24 juin 1519.
et mort à Genève, le 13 octobre 1605. — I. L'homme d'action, si
puissant sur son siècle, si redoutable pour ses adversaires qu'il
fut honoré de leurs plus grossières injures, eut en Théodore de
Bèze une préparation merveilleuse. Sa famille d'abord ; elle était
noble, généreuse, haut placée dans l'estime de tous par l'éclat des
vertus et des services rendus. Son père, Pierre de Bèze, était bailli
de Vézelay; sa mère, Marie Bourdelot, femme supérieure, intelli-
gente, était l'objet, dans la contrée de l'universelle affection ; son pro-
tecteur, son oncle Nicolas de Bèze, était membre du parlement de
Paris, et se chargea de son éducation. Son enfance fut délicate,,
traversée par des maladies et des accidents cruels; à cinq ans, il était
à peine hors du berceau. Mais ce furent là ses seules entraves. Les
embarras matériels furent écartés de son chemin, ce qui n'arrive pas
pour tous les réformateurs. Il eut de très-gros revenus, d'abord de la
part de son oncle, le conseiller, puis du fait d'un autre oncle, abbé de
Froidmont, qui l'avait pris en amitié et lui légua son abbaye avec quinze
mille livres de rentes; enfin deux autres bons bénéfices dont on l'avait
pourvu; ajoutez qu'à la mort de son frère aine sa fortune devint bien
plus considérable encore. Nous trouvons ces détails intimes dans
l'autobiographie de Bèze; c'est une lettre toute de cœur et de vérité,,
adressée à son maître Wolmar et qui précède sa Confessio christianar
placée en tête de ses traités théologiques. Les deux sources principales
pour la vie de Bèze, sont l'Epitre à Wolmar et sa Biographie écrite par
son ami, le pasteur Antoine de La Faye, De vita et obitu clarisshni
viri Theodori Bezx Vezeliï, Gen., 1606. En même temps que sa
famille, la nature avait été généreuse pour lui et l'avait orné des
plus beaux dons. Voici son portrait, tracé par un de ses plus
cruels ennemis, le P. Maimbourg : « II était bien fait, de belle taille,
ayant le visage agréable, l'air fin et délicat, et toutes les manières d'un
homme du monde, qui le faisaient estimer des grands et surtout des
dames, auxquelles il prenait grand soin «de ne pas déplaire. Pour l'es-
prit, on ne peut nier qu'il ne l'eût très-beau, vif, aisé, subtil, enjoué
et poli, ayant pris peine de le cultiver par l'étude des belles-lettres et
particulièrement de la poésie, où il excellait en français et en latin,
sachant avec cela un peu de philosophie et de droit qu'il avait appris
aux écoles d'Orléans. » Son éducation, aussi bien que ses dons
naturels et sa famille, contribua grandement à préparer Bèze au rôle
éminent qu'il devait remplir. Cette éducation fut en quelque sorte
universelle. Son maître fut le célèbre Melcliior Wolmar, dont la science
profonde, et clans tous les domaines, était appréciée de tous les grands
esprits de l'époque. Wolmar avait étudié à Paris sous Lefèvre d'Eta-
ples, avait appris le droit à Orléans et professé les belles-lettres dans
cette ville. La reine de Navarre l'appela à Bourges pour y enseigner
les langues anciennes, et il quitta la France, sous l'imminence des
BÈZE 259
persécutions violantes, en 1535, pour retourner en Allemagne, sa
pairie. Ce grand humaniste était, comme tous les esprits éclairés,
ouvert aux idées de réforme et il avait nue adresse merveilleuse pour
instruire La Jeunesse. Th.de Bèze entra dans sa maison en 1528, et
pendant sept ans il y fut traité comme un lils. Le maître et rélève se
prirent l'on pour l'autre d'une profonde et tendre affection, «te
serais le plus ingrat des hommes, dit-il dans sa fameuse épitre, si je
ne t'appelais pas nu tu père. » Ces bases de la haute culture posées,
Bèze alla étudier le droit à Orléans, et prit ses licences en 1539. Huma-
niste avant tout, il préférait la lecture des poètes anciens à l'étude,
alors fort indigeste, mal présentée, de la jurisprudence; il excellait
lui-même dans l'art de faire des vers en latin et en français, sa répu-
tation était déjà considérable, il vivait à Orléans et à Paris au milieu
drs hommes les plus célèbres. Wolmar fut non pas seulement son père
intellectuel, mais son père spirituel. « Le plus grand service que tu
m'aies rendu est celui-ci : c'est que tu m'as abreuvé de la connais-
sance de la piété à la pure parole de Dieu comme à une source pure,
verse pietatis cognitione, ex Dei verbo, tanquam limpidissima fonte petita
lu me ùta imbuistî. » Ces impressions premières ne s'effaceront jamais.
La piété est entrée dans ce cœur ardent. Sans doute, Bèze est jeté et
emporté au milieu du tourbillon du monde, toutes les séductions et
tous les entraînements le sollicitent, il n'a souvent pas la force de
résister., il écrit les Juvenilia, qui ont été le prétexte de tant de sottes
déclamations^ mais au fond de toute cette exubérance d'imagination
et de ce désordre de sentiments, vit caché le germe de piété que ne
peut étouffer une existence mondaine. Ce qu'on appelle la grande
tante de sa jeunesse est, en définitive, un acte qui le relève par
certains côtés. «Pour n'être pas dominé par les mauvaises passions, je
me fiançai à une femme (Claudine Denosse, 1544), secrètement, il est
vrai, en présence de deux amis; soit parce que je ne voulais pas
donner de scandale aux autres, soit parce que je ne pouvais me passer
de cet argent infernal, que je tenais des bénéfices ecclésiastiques. Je fis
à cette femme la promesse formelle qu'après tous ces obstacles, je
I "épouserai solennellement dans l'Eglise de Dieu, dans l'avenir le
plus rapproché, et que je n'entrerai jamais dans les ordres papistes.
J'ai tenu iidèlement ces deux promesses. » Mais Bèze avait bien encore
d'autres tentations à vaincre; safamille entière le suppliait de renoncer
à la loi évangélique; on ne l'avait comblé de tant de bénéfices ecclé-
siastiques que pour l'enchaîner par ces richesses et ces redoutables
bienfaits. La gloire rappelait aussi, le sollicitait. Il fallait une convic-
tion et on courage plus qu'ordinaires pour renoncer à de si douces et
de si brillantes perspectives. « Mais mon Dieu miséricordieux me vint
enaide,si bien que mes amis non-seulement étaient dans l'étonnement,
mais La plupart me blàmaienl et m'appelaient ironiquement le nouveau
philosophe, o Le combat fut terrible, la crise pleine d'angoisses: «J'étais
embourbé, dit-il, comme un char dan s la vase. » C'est alors que, par une
de ces manifestations redoutai, les, telles quenousen voyons dans la vie
des grands serviteurs de Dieu, et dans lesquelles la conscience recon-
naît un appel souverain, Bèze fut violemment arraché de son milieu de
260 BEZE
perdition. La lutte prit fin. Dieu remporta. « Voici, Dieu me chercha
alors par une cruelle maladie qui me terrassa. Après des tourments
infinis du corps et de l'âme, le Seigneur eut pitié de son serviteur in-
digne, et il m'envoya la consolation, de sorte que je ne doutai plus de
sa grâce miséricordieuse. En versant des torrents de larmes je me dé-
testai moi-même. Aussitôt que je pus quitter ma couche, je brisai tous
les liens qui m'avaient enchaîné jusque là, j'empaquetai mon petit
avoir, et j'abandonnai patrie, parents, amis ensemble, pour suivre Christ
et je me dirigeai avec mon épouse dans un exil volontaire. » Cet hé-
roïsme de la foi, si simplement exposé en ces loyales paroles, a forcé
au respect des critiques qui, comme Bayle, ne sont pas toujours ten-
dres pour le réformateur. « La force qu'il eut enfin de rompre cette
ligature en est d'autant plus admirable, dit-il. » — Th. de Bèze ar-
riva le 24 octobre 1548 à Genève, la cité hospitalière, le refuge béni,
où vinrent s'abriter nos réformateurs et nos pères pendant les longs
jours de persécution. Bèze entra aussitôt en relation avec Calvin. Le
grand réformateur, de son profond regard, lut dans le cœur et dans
la conscience du nouveau réfugié, et il pressentit dès ce moment les
services immenses que Bèze pourrait rendre à la cause sainte. Un attrait
secret le porta vers ce brillant jeune homme, qui avait quitté pour la
vie austère un monde qui n'avait pour lui que des sourires et une Eglise
qui n'avait pour lui que des faveurs. Une affection bien touchante et
bien fidèle unit Calvin et Th. de Bèze. Th. de Bèze tint religieu-
sement la promesse qu'il avait faite au sujet de son mariage. Son
premier acte public d'adhésion à l'Eglise réformée fut précisément
la consécration de son union solennelle. Pour pourvoir aux besoins de
son existence, il était disposé, sur les conseils de Calvin, à établir une
imprimerie et une librairie avec Crespin ; mais avant de prendre une
résolution définitive, il voulut revoir et consulter son maitre Wolmar,
son père d'adoption. Il fit donc le voyage de Tubingue, et Melchior Wol-
mar fut bien heureux de cette visite de l'élève chéri (lettre de Wolmar
à Calvin, 25 septembre 1549, Calvini opéra, de Reuss et Cunitz, t. XIII,
p. 413). Au retour de Tubingue à Genève, en passant par Lausanne,
Bèze lit la connaissance de Yiret et il fut nommé professeur de langue
grecque à la nouvelle académie fondée dans cette ville. Il fut heu-
reux de cet appel, mais il ne l'accepta qu'après avoir demandé à ses
savants et pieux collègues, Merlin, François Hotman, François Bérauld,
Mathurin Cordier, si la publication de ses vers de jeunesse, les Juveni-
lia, n'était pas un empêchement à son installation. Pendant dix ans
environ il se consacra à sa tâche de professeur et contribua grandement
au lustre de l'académie de Lausanne. En même temps, après ses leçons
officielles, il rassemblait autour de lui ses compatriotes réfugiés, et,
pour leur instruction et leur consolation, il leur expliquait le Nou-
veau Testament, et notamment répitre aux Romains et les épitres de
saint Pierre. C'est dans cette période aussi que commencent pour le ré-
formateur ces missions si importantes et si belles, qu'il accomplit avec
tant de distinction, et auxquelles semblaient l'avoir prédestiné sa nais-
sance, sa connaissance du monde, ses grandes manières, son élo-
BÈZE 261
quence persuasive, et surtout sou amour ardent pour l'Evangile et
pour l'Eglise persécutée. La première de ces missions fut, eu faveur
des vaudois persécutés, auprès des cantons .évangéliques et des princes
protestants de l'Allemagne. Bèze s'y montra peut-être, avec les inten-
tions les meilleures de conciliation, trop habile négociateur. Pour s'at-
tirer la faveur des princes luthériens, il présenta une confession de foi
réformée en termes très-adoucis sur la sainte Cène et qui plut aux
théologiens de la confession d'Augsbourg. Elle souleva au contraire
dans le camp réformé une terrible tempête. Bèze fut sévèrement blâmé.
11 tomba malade de cette malheureuse affaire. Aussitôt après, la persé-
cution sévit à Paris même d'une manière plus particulièrement vio-
lente. Dans une maison delà rue Saint-Jacques, les lidèles, secrète-
ment assemblés pour célébrer leur culte, ont été arrêtés, jetés en
prison, mis à mort, au nombre d'environ 130. L'émotion est grande
en Suisse et en Allemagne. Calvin presse ses amis d'aller en mission
auprès des cantons suisses et des princes allemands pour que ces
derniers interviennent auprès de Henri II. Th. de Bèze se met en
route avec Jean de Budé, Farel et Gaspard Carmel. Pendant le
temps nécessaire à cette mission, plusieurs malheureux prisonniers
de l'affaire de la rue Saint-Jacques meurent sur le bûcher. L'inter-
vention des cantons et des princes, arrivée tardivement, eut cepen-
dant encore quelques résultats (voy. la lettre des cantons évangé-
liques au roi de France dans les Archives de Bàle, Bulletin de la
Soc. du Protett. français, t. XVII, p. 163). La réponse de Henri II est
hautaine [ibi'd., p. 166). Pendant ces voyages de mission, Bèze eut
la satisfaction de se réconcilier avec Bullinger et la joie de faire la
connaissance de Mélanchthon ; ces deux grands esprits se comprirent
et s'aimèrent du premier coup. Au retour de ces voyages, Bèze quitta
Lausanne. Calvin l'attira à Genève, et d'ailleurs la position n'était plus
bonne à Lausanne, à cause des différends survenus entre le sénat de
Berne et Pierre Viret au sujet de la discipline ecclésiastique. Bèze prit
le parti de Viret, il se rangea du côté du calvinisme pur, et se trouva
en désaccord avec le gouvernement. Bien des ecclésiastiques et des
plus importants donnèrent en ce moment leur démission de pasteur et
de professeur. Bèze quitta donc Lausanne pour Genève, emportant si
bien l'estime et l'admiration publiques que toutes les fois qu'il y
retournait, le conseil de la ville, pour lui faire honneur, se rendait
au-devant de lui : témoignage éclatant du respect et de la recon-
naissance de lu ville entière pour le réformateur. — Th. de Bèze
devint alors pasteur et professeur à Genève. Il illustra l'académie
naissante dont il fut le premier recteur. Le 3 juin 1559, à la cathédrale
de Saint Pierre, il inaugura par un discours académique la nouvelle
école de théologie, qui devait jeter un si vif éclat et qui donna aux
Eglises «!«' France l<-urs pasteurs et leurs martyrs. En dehors des nom-
breux professeurs attachés an gymnase nouvellement fondé aussi, il y
avait cinq professeurs à l'académie : Antoine Chevalier pour L'hébreu,
François Bérauld pour le grec, Jean Tagaul pour les belles-lettres et la
philos,, piiie: Calvin et Bèze se partageaient la théologie. A partir de
262 BÈZE
1560, Th. de Bèze est vraiment l'âme du parti réformé en France.
C'est à lui que sont coniiées les missions difficiles et délicates, et nul ne
pouvait s'en acquitter avec plus d'honneur. « Bèze parlait bien, dit
Bayle, il savait le monde, il avait l'esprit présent et beaucoup d'érudi-
tion. » La situation était des plus graves pour le parti réformé. Les
Guise s'étaient emparés du pouvoir, et il était de haute importance de
rattacher solidement le roi de Navarre au parti protestant. C'est dans
ce but que Bèze fut appelé, cumque eo de rébus gravissimis communi-
caret, sed potissimum ut illius anima , si Deus aspirare dignaretur, verœ
religionis guslum aliquem instillaret (Ant. de La Faye). Ces conférences
n'eurent peut-être pas le résultat immédiat et direct qui en était
attendu, mais elles produisirent une impression considérable et mirent
en relief les qualités éminentes du réformateur. Quelques mois après
ces dons si rares devaient briller du plus vif éclat dans une mémorable
assemblée : le colloque de Poissy s'ouvrit le 9 septembre 1561. Au
moment de l'ouverture de cette assemblée, bien des symptômes pa-
raissaient favorables. D'abord il y avait dans la meilleure partie du
clergé des désirs très-sérieux de réforme, et certains évoques se sont
exprimés avec plus de vigueur que Th. de Bèze lui-même sur le
triste état de la doctrine et des mœurs, Montluc, de Valence, et
Marillac, de Vienne. La reine-mère n'avait pas de conviction précise
et pouvait, suivant les circonstances, se jeter dans les bras de tel ou
tel parti : elle désirait le colloque et n'en discernait pas l'issue.
Avant et après le colloque, Bèze prêchait à la cour et son éloquente
et évangélique parole trouvait faveur. La veille du colloque, dans
les préliminaires importants, le cardinal de Lorraine lui-même,
après une discussion sur la Cène avec Th. de Bèze, paraissait ne
pas insister sur la transsubstantiation et avait dit « que les théologiens
auraient bien pu se passer de la mettre en avant et que pour sa part il
n'était pas d'avis que pour cela les Eglises fussent divisées. » Enfin le
chancelier L'Hospital dit ces bonnes paroles : « Le meilleur moyen de
s'entendre est de procéder par humilité, en laissant les subtiles et cu-
rieuses disputes. Il n'est pas besoin de plusieurs livres, mais de bien
comprendre la Parole de Dieu et de s'y conformer le plus qu'on pourra.
N'estimez point ennemis ceux qu'on dit de la nouvelle religion, qui
sont chrétiens comme vous et baptisés, et ne les condamnez point par
préjugé. Recevez-les comme le père fait de ses enfants. » Sans doute
d'autres symptômes, et profondément tristes, éclatèrent de divers côtés :
la passion tyrannique de Rome, le fanatisme du roi d'Espagne, les au-
daces insolentes des Guise, l'orgueil blessé des prélats, les marques
d'inégalité entre les deux parties dont l'une, la partie réformée, était
traitée en accusée et comme citée à la barre d'un tribunal hautain.
« Ce fait, étant les ministres au nombre de douze, avec vingt-deux
députés des églises des provinces qui les assistaient, appelés et intro-
duits par le duc de Guise, qui avait cette charge avec le sieur de La
Ferté, capitaine des gardes, qui les conduisirent jusqu'aux barrières
sur lesquelles étant appuyés têtes nues, Th. de Bèze, élu par tous les
autres pour ce faire, parla à la manière qui s'ensuit : Sire, puisque
BEZE 263
l'issue de toutes les entreprises, grandes el petites, dépend de l'assis-
tance et faveur de notre Dieu, et principalement quand il est question
de ce qui appartient à son service, et qui surpasse la capacité de nos
entendements, nous espérons «pie Votre Majesté ne trouvera mauvais ni
étrange, si nous commençons par l'invocation du nomd'icclui, le sup-
pliant en cette façon: Seigneur Dieu, Père éternel et tout-puissant, nous
reconnaissons et nous confessons devant ta sainte majesté que nous
sommes pauvres et misérables pécheurs... » Cette prière, si belle et si
touchante, que l'Église réformée a adoptée pour l'ouverture du service
divin, fut écoutée avec émotion et respect, ainsi que l'éloquente haran-
gue que Bèze prononça aussitôt. C'est une exposition très-forte, très-
hardie et très-habile, des principes de la foi réformée. « Pîùt à Dieu,
doit avoir dit le cardinal de Lorraine après cette séance, qu'il lut muet
ou que nous fussions sourds. » Bèze énumère d'abord nettement les
points communs aux deux Eglises : Dieu, Jésus-Christ, le Saint-Esprit,
la rédemption, la vie éternelle. Puis, avec autant de fermeté que dé
convenance, il marque les différences qui séparent les deux Eglises : le
fondement de la foi, qui ne peut être pour les réformés que l'Ecriture
sainte ; la Cène et les sacrements, qui sont présentés sous le jour sphï-
tualiste du calvinisme, mais en termes respectueux pour la transsubstan-
tiation et pour la consuhstantiation ; enfin le gouvernement de l'Eglise,
à propos duquel il s'exprime plus vivement, « soit qu'on considère
Tordre tel qu'il est aujourd'hui dressé, soit qu'on regarde la vie et les
mœurs. » Le discours se termine par une protestation de fidélité au
roi et par la remise entre ses mains de la confession de foi des Eglises
réformées. On a fait grand bruit dans l'histoire d'une interruption, à
laquelle de Thon, Mézeray, plus tard Bossuet, ont donné de l'im-
portance. D'après Bèze, l'incident fut très-petit et ne se comprend
pas. On avait écouté « avec une singulière attention » jusqu'au mo-
ment où l'orateur dit que ((le corps de Jésus-Christ était aussi loin
du pain (dans la sainte Cène) que le haut des cieux est éloigné de la
terre. » On murmura, on cria : Blaspkentavit, on s'indigna, le vieux
cardinal de Tournon surtout; mais Bèze put continuer paisiblement
jusqu'à la fin. D'autres séances eurent lieu, les unes officielles, les
autres plus restreintes, mais l'intention arrêtée, la tactique suivie dès
le discours de Th. de Bèze, ce fut d'ôter la parole à la Réforme.
On répondit, le cardinal de Lorraine non sans habileté et sans talent,
le cardinal de Tournon « en fort grande colère et comme fort troublé»,
et le général des jésuites Lainez avec une violence haineuse. Bèze parla
de nouveau avec puissance, admirablement soutenu dans la troisième
et dernière grande séance par Pierre Martyr. Mais la volonté expresse
d< s prélats étail que la foi nouvelle ne put plus se produire publiquement.
Ils traitèrent désormais les pasteurs comme des accusés, ils leur pré-
sentèrent • • signer des confessions de foi, leur déclarant sans phrases
que. s'ils refusaient, ils étaient exclus de l'Eglise et du pays. Tout
accord était désormais impossible. En ce sens le colloque n'avait pas
abouti. — Les progrès de la Réforme', sensibles partout, le furent en
particulier à Paris ou des assemblées considérables de plusieurs mil-
264 BEZE
liers de personnes se réunissaient. Th. de Bèze, retenu en France par
la reine-mère, y faisait souvent entendre son éloquente parole. Après
le massacre de Vassy (Tr mars 1562), comme en toutes les occasions
solennelles, il fut chargé d'aller demander justice à la cour. Antoine
de Bourbon, dont la défection était un fait accompli, osa parler avec
violence en faveur de Guise. C'est à cette occasion que Bèze prononça
ces prophétiques paroles : « Sire, c'est vraiment à l'Eglise de Dieu au
nom de laquelle je parle d'endurer les coups et non pas d'en donner;
mais aussi vous plaira-t-il vous souvenir que c'est une enclume qui
a usé beaucoup de marteaux. » A partir de ce moment la guerre civile
était inévitable. Le parti protestant se jeta entre les bras de Condé.
Bèze déploya une intelligence et une ardeur extraordinaires pour la
victoire de la cause, auprès des Eglises pour provoquer leur zèle, au-
près des cantons évangéliques pour réclamer leur appui. 11 assista
même aux grandes batailles, il était à Dreux. « Oui, dit-il à son perfide
accusateur Claude de Saintes, j'ai été au combat du commencement à
la lin; j'y étais en manteau et non en armes, et personne ne me re-
prochera avec vérité ni la fuite, ni le meurtre de qui que ce soit. »
Quant au principe même de la guerre civile : « Je n'ai point encore
appris par la Parole de Dieu ni par les exemples cle toute la vraie
Eglise chrétienne depuis le commencement du monde, dit de Bèze,
ciu'il soit loisible aux sujets en bonne conscience d'extorquer de leur
souverain magistrat l'exercice de la vraie religion par la voie des
armes, mais qu'en tel cas il faut, en ne laissant de servir Dieu et le plus
prudemment que le temps le pourra porter, combattre et vaincre par
chrestienne patience, invincible sous la croix... » C'est ainsi, poursuit-il,
que les Eglises françaises ont été « dressées et plantées au milieu des
plus grands coups, à savoir par le seul glaive spirituel de la Parole de
Dieu. » Bappelant les horreurs commises, le roi et la reine menacés par
une faction étrangère, il dit que « c'est une calomnie par trop effrontée
de bailler le nom d'émotions et de rébellion contre le roy et le repos
public à une si juste et totalement nécessaire défensive contre tels et
si horribles violateurs de tout droit divin et humain)) (Mémoire de Th.
de Bèze sur les guerres de religion, collection Tronchin, Bull, du
Protest, français, t., XXI, p. 28). Et au milieu des agitations qui
précédèrent la seconde guerre civile : « Nous n'approuverons jamais
telles violences et confusions, dont l'issue ne saurait être que très-mal-
heureuse. Je ne doute point que ne soyez de mesme advis et que
votre désir ne soit que d'empescher mesme que confusion n'advienne
plus grande. Mais pour vous dire ce que j'en pense, le mal est desjà
tel et si avancé qu'il est incurable aux hommes » (Lettre au prince de
Portien, de Genève, 14 d'août 1560, collection Tronchin, Bulletin du
Prof, français, t. XXY, p. 315). Quant aux résultats des guerres
civiles, voici en quels termes Bèze les apprécie : « Quant à la pauvre
France, l'ire de Dieu brusle et consume toujours; il est vray que ce-
pendant il faict son œuvre vray ment merveilleuse devant les yeux
mesmes de ses adversaires contraincts de le recongnoistre. Mais il y a
apparence que d'un costé ce sera l'issue d'un Pharao, quant aux
3EZB 265
persécutions, et quant à l'Eglise du Seigneur, qu'elle trouvera son
désert en la France; mesmes si les guerres continuent qui ne faudrait
de transformer ce tant grand et opulent royaume en une Arabie la
Déserte, et Dieu veuille «qu'au bout se trouve quelque terre de
Chanaan » (Lettre à rélecteur Palatin, de Genève, 4 juillet ITiTTi,
Bibl. de Genève, vol. 107. Bulletin du ProL français, t. XVI, p. 271).
— Bientôt après son retour à Genève, la mort de Calvin (1564) fut
pour Bèze une grande douleur. Ses charges déjà bien lourdes en furent
considérablement accrues. Il était le successeur naturel du grand
réformateur, et malgré ses refus, ses collègues le conservèrent à la tête
de l'Eglise jusqu'en 1580. Correspondance immense, direction de
toutes les Eglises, participation à toutes les luttes de leur temps,
composition de longue haleine, soucis et devoirs pastoraux, prédica-
tion et enseignement académique, Bèze suffit à tout. En 1508 il fit
un voyage à Vézelay pour affaires de famille. En 1571 il retourna en
France ; appelé par Coligny et le prince de Béarn, il prit part aux
synodes nationaux de La Rochelle et de Nimes. Théodore de Bèze fut
chargé de l'aire un rapport sur deux livres écrits par le sieur Cozani, de
réfuter avec de la Roche-Chandieu et de Beaulieu les erreurs démocra-
tiques de doctrine et de discipline contenues dans les livres de Ramus,
Morelli et du Rozier, et enfin de faire réponse au nom du synode aux
lettres des frères de Zurich et de leur faire part des décrets de Nimes.
Cette même année, 2ï août 1572, eut lieu le massacre de la Saint-
Barthélémy. Tous les malheureux qui échappèrent aux égorgeurs
cherchèrent un refuge hors de la patrie. Théodore de Bèze leur pro-
digue consolations et secours, il provoque de tous côtés un généreux
élan en laveur de si épouvantables misères, il supplie les chefs des
Etats étrangers de faire bon accueil à ces coreligionnaires fugitifs, il
fonde à Genève même un hospice destiné aux plus pauvres d'entre eux
(voy. entre autres : Lettre latine de Bèze, Britisk muséum, Bulletin
du Brut, français, onzième année, 1862, p. 25). — 11 faut compter
parmi les événements considérables qui exercèrent une influence sur
la Réforme française l'abjuration de Henri IV. Le nom de Bèze a été
mêlé à ces événements, et d'une façon fâcheuse, par des historiens con-
temporains, Schlosser et Yulliemin en particulier. Or l'œuvre de Bèze
est ici excellente et sa mémoire demeure plus pure encore quand on
examine son attitude et son action auprès du roi. Sans doute il l'aima
toujours, même après son abjuration. Ce fut une des joies du vieux
réformateur de pouvoir à l'Eluiset embrasser Henri IV qui, de passage
«mi >a\u;<\ lavait mandé de Genève. Sans doute, lors de cette chute
douloureuse, ni Bèze ni de La Faye, qui exerçait ses fonctions auprès
du roi, ne procèdent par invectives : ils tiennent compte des circon-
stances, des séductions, des faiblesses comme aussi des espérances que
l'avènement au tronc de Henri IV devait réaliser pour la malheu-
reuse Eglise. Bèze communique aux frères de Zurich le douloureux
événement • •! la lettre de de La Faye qui le lui annonce le jour même,
<( à Saint-Denis, l«- 25 de juillet loi):}, jour mémorable <-t Lamentable à
tous les gens de bien et craignant Dieu, » et Bèze écrit : « Au reste,
2fî6 BÈZE
encore que la chute d'un prince d'ailleurs si éminent soit incontes-
tablement pour tous les gens de bien et de religion une blessure d'au-
tant plus cruelle qu'elle est plus grave et devait être moins attendue,
il ne faut pas nous laisser émouvoir outre mesure. Et c'est notre de-
voir, à nous tous surtout qui avons mission de soutenir nos pères, de
l'aire comprendre à tous que nous ne faisons dépendre notre espérance
tout entière d'aucun homme, ni même des anges, en ayant trop vu
d'infidèles » (Collection de Zurich, Bulletin du Prot. français, 1857,
p. 27). Mais, bien que ce soit la note attristée et non indignée qui
domine, Bèze avait fait noblement son devoir auprès du roi, il l'avait
détourné de cet acte indigne par les raisons tirées de la conscience,
et sa lettre entière, d'une éloquence si vraie et si haute, témoigne des
sentiments évangéliques du réformateur. « Scachez donc, sire, qu'en
tous vos affaires, il ne vous faut jamais regarder ny à vostre estât, ni
à vostre propre personne, que Dieu et ce que vous lui devez ne
vous vienne en pensée devant toutes choses sans exception quel-
conque pour rapporter à ce but vos délibérations et résolutions, au-
trement tout ce que vous bastirez sera sans vray fondement, et si
vostre conseil vous mène par un autre chemin, croyez que vous estes
très-mal conduict » (Lettre de juin 1593, Bibl. de Genève, Bulletin du
Prot. français, 1853, p. 41). — Sans parler de missions plus particu-
lièrement politiques, comme celle de 1574 auprès du prince Casimir, du
Palatinat, en faveur de Conclé qui s'occupait alors de rassembler une
armée, ni de l'action très-directe qu'il eut dans les affaires de tout
genre, même financières (Bulle' in du Prot. français, p. 330), il faut
noter enfin deux missions essentiellement théologiques et dans les-
quelles ses efforts furent couronnés de succès. La première eut lieu
en 1580, à Montbéliard. Le comte Frédéric voulait rapprocher luthé-
riens et réformés et il avait appelé à un colloque Th. de Bèze, de
La Faye, Musculus et Huber d'un côté, et de l'autre les professeurs
de Tubingue Andrew et Osiander. Bèze fut toujours très-conciliant à
ce sujet, il proposa comme moyen terme de s'abstenir pour le mo-
ment des controverses et de se donner la main fraternelle. Andreae se
montra en cette circonstance, et en bien d'autres, irréconciliable. Ce-
pendant, avant de quitter Montbéliard, les réformés purent participer
avec les luthériens à la célébration de la sainte Cène : ce fut un bon
résultat, un germe de paix : tous les luthériens étaient loin d'être
aussi absolus qu'André*. Le second colloque auquel assista Th. de
Bèze, à Berne, en 1588, eut aussi d'heureuses conséquences pour la
paix et l'union. Bèze supplia Huber et Aubéry, qui professaient cer-
taines doctrines excessives sur la prédestination et sur la justification,
d'entrer dans des voies plus modérées et moins bruyantes. A la fin de
sa vie Bèze fit deux actes qui l'honorent grandement. Les finances de
la république, en fort mauvais état, menaçaient l'existence de l'aca-
démie, et il fallut supprimer des chaires et des traitements. Bèze se
chargea de tous les cours avec abnégation et dévouement, et pendant
des années, et malgré son grand âge et ses infirmités menaçantes.
Rome tenta de séduire le vieil athlète, et François de Sales se chargea
BÈZÊ 207
de cette mission équivoque. On lit courir le bruïï que Y intrigue avait
réussi et les jésuites se réjouirent «le ce que le réformateur était re-
tourné à l'Eglise romaine. Le vieillard retrouva à cette occasion la
verve indignée de sa jeunesse et écrivit une satire virulente contre les
jésuites, coupables de cette calomnie. Il conserva ses fonctions jus*
qu'en 1000. 11 prêcha même en 1002, le fameux jour de l'escalade.
Cette longue et vaillante existence se termina en 1605.
II. L'œuvre littéraire de Th. de Bèze est aussi variée que l'œuvre
ecclésiastique. — 1° Le poète. Ce fut sa première gloire, et sa dernière
oeuvre (1600) fut encore unepiècede vers; votiva grafulatio,k l'occasion
de son entrevue en Savoie avec Henri IV et Sully. Ses trois grandes
œuvres poétiques sont les Juvenilia, Abraham sacrifiant et les Psaumes.
Theodori Bezse Vezelit Poemata juvenilia, tel est le titre du recueil
qui a été le prétexte de tant de déclamations absurdes contre Bèze. Le
recueil se compose d'élégies, de sylves, d'épitaphes et d'épi grammes.
Bèze se défend admirablement lui-même dans sa seconde apologie à
Claude de Saintes. Ce sont là jeux poétiques ; il y a bien quelques
peintures un peu risquées, et Bèze s'est repenti d'avoir écrit quelques
vers trop libres, il les a fait disparaître : mais en somme rien ne justifie
cette horreur intéressée et les calomnies soulevées par ses adversaires.
11 y a dans les épigrammes, comme dans toutes les petites pièces
du recueil, quelque chose d'un peu artificiel, cherché, puéril. Il y a
dans les élégies par trop de réminiscences; ce qui est original, ce sont
les sylves. Qu'on lise la Sylva III, Natalia Domini, et la suivante,
Prxfàtio jioctica in Davidicos Psalmos quos pœnitentiales vocant.
Le sacré et le profane s'y mêlent, l'antiquité païenne et la Bible se
disputent l'àme du poète. C'est la glorification de Noël, « delà nuit qui
vit s'ouvrir pour un saint enfantement les entrailles chargées du
maître du ciel et de la terre », mais les bergers ont des noms buco-
liques et Apollon et Minerve y ont leur place. La préface aux Psaumes
de la pénitence est une histoire poétique de David et de son repentir,
mais Cupidon a un rôle important et les descriptions de Bethsabée sont
toutes païennes. Ce mélange inconscient de sacré et de profane nous
révèle l'état d'âme de toute une époque: c'est la Renaissance et la
Réforme, c'est le paganisme classique et le christianisme biblique
encore mêlés, se heurtant et non encore fondus, en ces grands écri-
vains qui seront bientôt les saints défenseurs et les martyrs de la foi
nouvelle. — Abraham sacrifiant, tragédie française, Gen., looO. Elle fut
jouée d'abord par les élèves de Bèze à Lausanne et fut applaudie de
tous et longtemps. Pasquier dit {Recherches de la France, liv. Vil,
p. 625) : K Vers ce même temps estait Th. de Bèze, brave poète latin
et françois. Il composa en vers françois le Sacrifice d'Abraham, si bien
retiré au vif, que, le lisant, il me lit autrefois tomber les larmes des
yeux. » La tragédie est en effet fort émouvante et bien conduite. Le sens
<-t l'esprit du Sacrifice dT ibraham se révèlent aussitôt. Cette tragédie
est un appel, une sorte de prédication en ces temps solennels. Il faut
tout quitter, tout sacrifier, et biens, et patrie, et famille, el saintes affec-
tions pour suivre la volonté de Dieu. — Les Psaumes. C'est à la demande;
268 BEZE
de Calvin que Bèze entreprit la version poétique des psaumes. Clément
Marot en avait déjà traduit cinquante et ses vers, comme on sait, fai-
saient fureur. Bèze publia son travail par fragments, d'abord en 1553,
puis en 1556, l'œuvre fut achevée en 1500. Les éditions furent innom-
brables. Le travail de Th. de Bèze fut reçu naturellement avec de
grands applaudissements par les réformés, mais il fut très-critiqué
par ceux du dehors. Le jugement dePasquier exprime bien,mesemble-
t-il, l'opinion moyenne: « La traduction du demourant des psaumes de
David montra ce qu'il pouvait faire, encore qu'il n'ait si heureusement
rencontré que Clément Marot en ses cinquante. » — 2° Le polémiste. Les
ouvrages polémiques de Th. de Bèze sont fort nombreux : c'est le
temps de la lutte, et l'adversaire debout, pressant, redoutable, a besoin
d'être réfuté avec vigueur. On trouvera dans Senebier et dans Haag la
liste très-longue des ouvrages polémiques; de La Faye, dans sa note
finale de la vie de Bèze, ne les donne pas tous. On peut diviser les ou-
vrages polémiques en trois catégories : a) contre les catholiques ro-
mains ; b) contre les luthériens ; c) contre les réformés qui se trou-
vaient en divergence avec les idées du réformateur. La polémique de
Bèze contre les catholiques romains a quelque chose de léger, de leste,
de satirique qui ne laisse pas de surprendre (voyez : Breuis et utilis
Zoographia Cochlœi, 1549 ; Epistola magistri Benedicti Passavantii,
1553; Comédie du pape malade et tirant à la fm, parThrasibule Phénice,
1561 ; Les réponses à Baudoin, 1563; Histoire delà Mappemonde papisti-
que, par Frangidelple Ëcorche-messes, 1567; Les trois apologies à Claude
de Saintes, 1567-1577, etc.). Dans la Zoographie, Cochkeus, un adversaire
passionné, est classé parmi les monstres curieux. Le Passavant con-
tre le président Lizet, cet ennemi cruel des protestants, est, au témoignage
même de Florimond de Rémond, « une belle droslerie. » La Comédie
du pape et la Mappemonde papistique sont des satires virulentes, dans
lesquelles, à côté de quelques traits vifs, heureux, on a le regret de
rencontrer des violences et certains détails par trop rabelaisiens.
Baudouin, jurisconsulte célèbre, qui changea dans sa vie plusieurs fois
de croyance, ne mérite pas sans doute des égards excessifs ; mais quand
Bèze reprit la dispute, abandonnée par Calvin, il mit trop d'àpreté dans
la lutte, et un tel emportement qu'il mécontenta ses amis, notamment
Marnix deSainte-Aldegonde. Letti^ois apologies à Claude de Saintes sont
plus calmes, plus dignes. Sa polémique contre les luthériens sur-
prend encore davantage. Au fond Bèze a le désir profond de concilier les
deux Eglises, il s'est donné bien de la peine pour arriver à ce résultat
tant souhaité. Et cependant ses écrits contre certains adversaires dé-
passent en violences tout ce qu'on peut imaginer. Le traité De Cœnô Do-
mini plena et perspicua tractatio, 1559, contre Westphal a de la dignité,
malgré sa verdeur. Mais contre Heshusius, les traités Creofragia sive
Cyclops, Onos syllogizomenos siue sophista manquent absolument de
mesure et ont été sévèrement reprochés à leur auteur (voy. aussi
Besponsiones ad repetitas Andrex et Selneccerii calumnias, Gen.,
1578, etc.). Bèze eut [aussi à lutter contre certains réformés, et en
particulier contre Castalion (Responsio ad defensiones et reprehensiones
BEZE 269
Oastellionis). Le plus célèbre de ses ouvrages de polémique est le
traité De hxretici* a eirili magistvotu punïendîs, Gen., 1554. Le bûcher
de Servet fut dressé le 27 octobre 1553. Il y eut une universelle
approbation. Une voix, s'éleva cependant qui revendiqua les droits
de la liberté el de la charité et qui proclama la tolérance. Ce fut la
voix de Castalion. Cinq mois après le supplice de Servet, un livre
parut, hardi, éloquent, d'une généreuse inspiration : De hœreticis^
an sini penequendi? 11 ne portait pas le nom de l'auteur; une belle
lettre au duc Christophe de Wurtemberg, à qui le livre était dédié ,
était signée : Martinm Bellius, Ni Calvin ni Bèze ne s'y trompèrent,
ils virent aussitôt d'où partait le coup, et ils reconnurent Castalion.
L'émotion produite par les idées de Castalion était grande. Il fallait
répondre; Th. de Bèze écrivit alors son De hœreticis a civili magistratu
puniendts. La thèse est carrément posée, c'est le droit et le devoir pour
le magistrat de punir l'hérésie. Ce n'est pas en vain qu'il est armé du
glaive. Il doit en user non-seulement contre les perturbateurs de la
paix publique, mais contre les novateurs téméraires qui corrompent la
vraie religion et mettent en péril le salut des âmes. C'est la réfutation
de la thèse de Castalion, l'apologie de l'intolérance, à grand renfort
de citations, de raisonnements et de violences contre Bellius. Et puis
à la lin, une dénonciation en règle : « Vous avez beau cacher vos
noms, votre style et jusqu'au nom de la ville dans laquelle a été publié
votre livre... Chacun sait qui vous êtes et ce que vous machinez ! » La
thèse et les arguments de Bèze ne se réfutent pas aujourd'hui. Ils ne
nous troublent plus, ils nous attristent et nous humilient. — 3° Le
dogmatûte. C'est surtout dans la sphère de la dogmatique que la dé-
pendance de Calvin trouve son entière application. Bèze ne veut être
que le reflet de la pensée du maître. Les écrits dogmatiques de Bèze ont
été réunis en trois volumes in-fol., Gen., 1580, sous le titre de Trac-
tains theologici o?/mes, plus complets que l'édition de 1575. On ne trouve
pas dans l'œuvre dogmatique de Bèze quelqu'un de ces grands traités
où la pensée du maître est méthodiquement exposée : la plupart des
traités contenus dans le recueil sont des œuvres de circonstance, d'at-
taque, de défense. D'abord les confessions de foi, Confessio fidei doc-
trinxque de Cœnà Domini, exhibita illustriss. principe Wirtembtrgensi;
Confessio doctrines ecclesiarum gallicarum, etc. ; Tractatus très de rébus
gravissimis scripti, sur l'unité de l'essence divine et les trois substances
en une seule, sur l'union hypostatique des deux natures, sur la Cène;
Thèses sur la Trinité des personnes et V Unité de /' essence; Quœstionum et
responsionum christianarum libellas, sea Catechismus compendiarius ; De
prœdestinatione doctrinâ et vero usatractatio absolalissima, etc. La pensée
théologique de Bèze se trouve aussi dans ses nombreuses lettres, dont
plusieurs sont insérées dans les traités : Epistolarum tkeologicarum lib. I.
Dans toutes les grandes bibliothèques publiques de l'Europe se trouvent
des lettres de l'infatigable réformateur; plusieurs ont été déjà éditées
dans Hau ni et dans le Bulletin du Prot. français. Nous avons donc sous
des formes très-diverses la pensée dogmatique de Bèze, et, sous une
tonne particulièrement précise et concise, dans les confessions de foi,
270 BEZE
notamment dans celle que Bèze écrivit pour son père, afin de lui prouver
qu'il n'était ni un hérétique, ni un impie. Ce dernier écrit eut beaucoup
de succès et fut beaucoup traduit et édité. Cent ans après, à la révo-
cation de Tédit de Nantes, il avait encore l'honneur d'être signalé et
condamné spécialement par l'archevêque de Paris comme un écrit
dangereux. Sur les questions métaphysiques, la Trinité, l'union des
personnes, l'unité des deux natures, la prédestination, la pensée de Bèze
est l'orthodoxie calviniste la plus pure. Sur la rédemption, il faut noter
l'idée, qui n'est pas d'ailleurs contraire au calvinisme, que Christ ne
nous sauve pas seulement par son sang, mais par sa vie entière, ab
ipso momento conceplionis ad resurrectionem ; c'est Yobedientia activa
Christi sur laquelle les luthériens mettaient plutôt l'accent. Quant à
l'Eglise et à son gouvernement, la cène et les sacrements sont toujours
présentés sous leur jour spiritualiste, l'Ecriture est posée comme base
de la foi, comme « autorité suffisante qu'elle tient d'elle-même et non
des hommes », l'antithèse du papisme et du christianisme est toujours
mise en relief; quant aux rapports de l'Eglise et de l'Etat, on voit
aussitôt que, tout en distinguant les deux sphères, Bèze veut que l'Etat
soit le protecteur et le gardien de l'Eglise. Du reste toutes ces exposi-
tions de foi se ressemblent, le type c'est la confession de foi du pre-
mier synode national. — 4° Lexéghte. Les travaux critiques et histori-
ques de Bèze sur le Nouveau Testament demeurent, au point de vue
scientifique et théologique, son meilleur titre de gloire (voy. Reuss, Ge-
schichte der H.Schriften N. T., p. 386). Bèze travailla sur dix-neuf ma-
nuscrits, et parmi ceux qu'il s'était procurés, deux sont plus particulière-
ment importants, \e Codex Cantabrigensis donné par lui à l'université de
Cambridge (1581), oùil se trouve encore, et le Codex Clavomontanus, qui
est à la Bibliothèque nationale. Le texte fut ainsi notablement amélioré,
d'autant que Bèze consulta avec fruit les Pères, toutes les éditions anté-
rieures et les versions syriaque et arabe. Sa méthode a bien quelque
chose d'un peu vacillant, et on ne voit pas d'après quelles règles
sûres il procède ; mais il faut le louer sans réserves de ce qu'il a sans
cesse amélioré le texte. Il fit plusieurs éditions successives, la pre-
mière en 1556, la cinquième en 1598. La traduction est littéraire,
quelquefois exacte jusqu'à être obscure, d'autres fois par trop libre :
on lui a reproché quelques entorses en vue de la dogmatique. Somme
toute, elle a été avec juste raison louée par Elie du Pin et par Sca-
iiger. Son exégèse (consulter surtout la célèbre édition de Cambridge,
1642) assure à Bèze un rang des plus distingués; il n'a pas l'exégèse
profonde de Calvin, mais sa pensée est nette, lumineuse. Richard
Simon, tout en lui reprochant d'avoir inséré trop de théologie, lui
accorde le premier rang. Ces remarquables travaux sur le Nouveau
Testament, sans compter les explications de quelques livres de l'An-
cien, furent l'œuvre de la vie entière. de Bèze (Annotationes in N. 2\,
1556; J\ov. Test, latine jam olim e veteri interprète, nunc denuo a
Th. Bezâ versum; Nov. Test, grxce et latine, nec non apostolicarum
epistolarum brevis explicalio, 1565). — 5° L'hisforien.Trois œuvres his-
toriques sont dues à la plume de Th. de Bèze, la Vie de Calvin, les
BEZE l'71
/cônes et Y Histoire ecclésiastique. La Fie flfe Calvin est un récit ému
de la vie du réformateur, c'est le cœur du disciple qui parle sans dé-
clamation, eo toute vérité; il n*v faut pas chercher une appréciation
critique de L'œuvre immense de Calvin, c'est une simple biographie
succincte, vivante, dans laquelle respirent la vénération et l'affection
pour le héros religieux, pour celui <pii lit tant de bien aux âmes, pour
cette lumière, la plus grande qui eût resplendi en ces temps pour
amener les hommes à la connaissance de la vraie piété. Les Icônes
sont une série de portraits des précurseurs, des héros et des martyrs
.le la Réforme. Toutes les nations y ont leurs représentants; le livre
s'ouvre par Wiclef, Jean Huss. Jérôme de Prague, Savonarole; vien-
nent aussi les humanistes Reuchlin, Erasme et aussi les princes qui
ont secondé la renaissance des lettres. François Ier et le mouvement
religieux; les derniers portraits sont Olympia Morata, Dryander et
Diaz. Chaque personnage a son portrait gravé sur bois et une biogra-
phie rapide, mais nette, frappante, terminée d'ordinaire par un qua-
train. La première édition latine : lames, id est verse imagines virorum
dectrina simul et pietate ilbxstrium, Gen., 1580, est un magnilique
volume in-4° ; la première édition française, traduction de Gouîart, est
intitulée : Les vrais pour traits, 1581 ; même éditeur. Jean de Laôn. La
traduction française est moins soignée, mais elle renferme tous les por-
traits sur bois des hommes illustres, tandis que dans l'édition latine
certains manquent. L'Histoire ecclésiastique des Eglises réformées au
royaume de France, Anvers, 1580, trois forts volumes in-8° de 7 à
800 pages, est l'œuvre essentielle qui recommande Bèze comme his-
torien. C'est le récit des événements depuis 1521 jusqu'à 1503; mais
la période entre 1521 et 15G0 est plutôt résumée que décrite : en fait
ce sont les trois années de 1560 à 1563, années si importantes, si agi-
tées, si décisives, qui fournissent la matière des trois volumes. Pour les
origines de nos Eglises, c'est une source d'informations inépuisable :
il n'y a pas d'Eglise tant soit peu considérable qui n'ait là le récit de
sa naissance et de son développement. Mémoires, rapports, confé-
rences ecclésiastiques, récits de martyres, d'incidents locaux, détails
de toutes les rencontres militaires, pièces secrètes, officielles, tout s'y
trouve à profusion. La narration est vivante et sincère. Certes, l'au-
teur n'est pas impartial, il est du côté des opprimés, il ne cache pas
- - <;motions, mais il dit la vérité tout entière, même quand elle est
nuisible à sa cause : les violences et les insolences des soldats en divers
lieux (destruction des images, des monuments, parfois des bibliothè-
ques), la tiédeur des Eglises, les fautes et les hontes de certains, etc.
L'impression produite par ces récits dut être profonde et salutaire. Par
là Bèze réveilla l'enthousiasme des siens : chacun put voir par ces
ries, par ces persécutions, par ces martyres, par ces délivrances,
(pie Dieu était avec la Réforme et (pie le devoir était de persévérer.
; l'ait à Lille, en 1841, une édition nouvelle de l'histoire de Bèze,
1 en trois volumes. — 6° L'orateur. Sou éloquence frappe par la
lité *'t l'ampleur. La harangue de Poissj est le type de ces nom-
irs puissants, méthodiques, mesurés et habiles que Bèze
272 BEZE
i
prononça dans les circonstances solennelles où il porta la parole au
nom de ses frères. Il est grand le contraste qui existe entre l'attitude
et le ton deBèze en ces assemblées, et les invectives violentes ou bouf-
fonnes que nous rencontrons trop souvent dans certains de ses écrits
polémiques. Tous les sermons deBèze n'ont pas été publiés. Les princi-
paux recueils, enoutredes sermons parus isolément, sont: Sermonssur
les trois prem. c/tap. du Cantique des cantiques (1586), et Homélies sur l'his-
toire de la passion et de la sépulture de Notre Seigneur (1592). La méthode
est celle de Calvin : d'abord interprétation et longue discussion du texte,
puis application du texte, quant à la doctrineetà la morale, aux besoins
de l'Eglise. L'appareil théologique et critique du début était tort goûté à
cette époque. On est d'accord pour reprocher aux sermons sur le Cantique
bien des subtilités et des interprétations forcées, qui arrêtent l'essor de
l'éloquence. Autrement intéressants et puissants sont les sermons sur la
passion de Jésus. Ici Bèze se révèle vraiment comme orateur. Les grandes
qualités, la dignité, l'ampleur ,1a puissance apparaissent avec éclat. Il faut
dire que ces sermons ne sont pas exclusivement religieux. Bèze entre dans
le vif des affaires, des agitations, des douleurs de la république. Ces
sermons sont encore des harangues, des discours d'actualité, répri-
mant les passions, conseillant telle ligne politique, poussant à la
guerre à outrance, excitant les courages. — Ces travaux immenses ne
détournèrent point Bèze de ses fonctions, moins éclatantes, de pasteur.
Son zèle et sa piété furent à la hauteur de ses talents éminents. Ses
collègues avaient pour lui une affection égale à leur admiration. Pen-
dant la peste terrible de Genève (1570), craignant pour une vie si
précieuse, ils s'efforcèrent de le retenir loin des malades ; mais Th.
de Bèze «. déclare qu'il ne saurait avoir la conscience en repos aussi
longtemps que la seigneurie ne lui permettra pas de pouvoir exercer
cette partie de son ministère (la visite aux pestiférés). Cette demande
ayant été trouvée juste, on a permis... » Il mourut comblé de jours,
de bénédictions et de gloire. Sa belle vieillesse et sa mort chrétienne
furent en édification à l'Eglise entière (voir son testament, ses der-
nières lettres, les témoignages de Casaubon, de Diodati, Bull, du P.
F., 1854, p. 281; 1870-71, p. 159). Les calomnies répandues sur son
compte s'expliquent par la haine féroce de ses adversaires, exaspérés
des coups qu'il leur portait, et ne méritent même plus aujourd'hui
d'être réfutées (voir en détail dans Bayle l'exposé et la discussion de
ces calomnies). Dans toutes les nations, et en diverses langues, les
poètes et les savants célébrèrent sa gloire (voir dans deLaFaye les cin-
quante-quatre épisodes à l'occasion de sa mort). Le dimanche 13 oc-
tobre 1605 il expira. Le 14 à midi, il fut enseveli dans le cloître de
Saint-Pierre. Tout le peuple genevois suivit son cercueil. — Sources :
Les œuvres de Bèze ne se trouvent plus guère que dans les grandes
bibliothèques publiques; Antoine de La Paye, Devita etobitu Th. Bezx,
1606; Bayle, art. Th. de Bèze, très-complet pour certains détails; Schlos-
ser, Leben des Th. Beza, 1809; Baum, Th. Beza, Ve partie, 1843,
2e partie, 1851, très-riche, avec pièces justificatives, documents inédits;
Haag, France protestante, notice bibliog. complète , Bulletin de la So-
BÈZE — BIBLE 27:;
cii'té d'/ustoirc du Prot. j'unirais, passim, documents inédits très-pré-
cieux; Savons, Etudes littéraire* sur les écrivains /'murais de la Ré-
formation ; Herzog, art. Bèze dans son Encyclopédie; les histoires
générales de l'Eglise et les histoires spéciales delà Réformation.
A. VlGUIÉ.
BÉZIERS (Hérault) \Bliterra, Biterrœ, Béders, Bédeirezj, évêché
sufiragant de Narbonne. La légende rapporte que saint Paul a fondé
L'Eglise deBéziers; L'apôtre ensuite quitta cette ville pour Narbonne.
laissant saint Aphrodite à sa place. Usuard mentionne cette tradition
(voy. Acta SS., 22 mars) à laquelle le couvent de Saint-Aphrodite,
dont l'église fut cathédrale avant celle de Saint-Nazaire, a donné un
corps, mais jusqu'après 418 on ne sait rien de r évêché de Béziers.
Ce n'est pas le lieu de raconter les malheurs de cette ville :
Anno milleno ducentenoque noveno
In Magdalena mit urbs Biterris amœna.
Nous île voulons néanmoins pas omettre de dire que le mot sinistre
que l'histoire a pu attribuer avec vraisemblance au légat du pape :
« Tuez-les, car Dieu connaît les siens, » est inconnu des témoins du
massacre, et apparaît, quelques années seulement après la ruine de
Béziers, sous la plume d'un moine allemand peu digne de foi, Césaire
d'Heisterbach. Outre le conciliabule arien de 356, il se tint à Béziers un
grand nombre de synodes; ceux de 1233 et 1246, seuls dignes de
remarque, s'occupèrent de combattre les Cathares et de réformer le
clergé (Hefele, V; Mansi, XXIII). L'évêché fut supprimé en 1801. —
Voyez : Catel, Hist. du Languedoc; Andoque, Calai, des év. de Béziers,
1650, in-4°; Sabatier, Hist. de B., 1854; G allia, Vf; Tamizey de
Larroque, Mèm. sur le sac de Béziers, P., 1862. S. Berger.
BIBIENNE (Sainte) ou Bibiane, martyre romaine, n'aurait aucun
titre à notre attention, si son nom n'était celui d'une église de Rome,
dédiée versl'an 470 par le papeSimplice au lieu dit ad (Jrsum Pileatum,
et qui fut reconstruite en 1625 par le cavalier Bernin. On fête sainte
Bibienne le 2 décembre.
BIBLE. Le mot de Bible (t<z BiSXta, les livres, d'où les moines, dans
leur mauvais latin, ont fait le singulier biblia), employé depuis le
quatrième siècle, désigne la collection des livres regardés par les
chrétiens comme saints ou comme « les livres par excellence ». IJ est
synonyme du terme Ecriture sainte (Scriptura -sacra, lepà Ypoppora,
Ypa<pa». rytai, ou simplement r, YPacPÎ5 a- YP*¥a'l)j (iul est même plus an-
cien, vu qu'il a déjà été usité dans la Synagogue, pour désigner l'Ancien
Testament; c'est dans ce sens qu'il se rencontre dans les écrits du
Nouveau Testament (Màtth. XXII, 29; Jean XIX, 26; Act. VIII, 32;
Boni. I, 2; 2 Tim. III, 15). Le mot de Testament (en hébreu berith,
en grec SuttoptiQ, inexactement traduit par la Vulgate par testamentum,
dans le sens de teètatio, lex) désigne, par une abréviation passée dans
l'usage à partir du troisième siècle, les documents relatifs à l'ancienne
alliance que Dieu conclul avec le peuple d'Israël par Moïsi \ de
ii. 18
274 BIBLE
l'alliance nouvelle (xatvyj en opposition avec izcCkœ.oL, Matth. XXVI, 28;
2 Cor. III, 14), que Dieu conclut avec l'humanité par Jésus-Christ. Des
articles spéciaux seront consacrés à l'histoire de la formation (voy. Ca-
non), de la conservation (voy. Texte), de la vulgarisation (voy. Versions)
et de la propagation (voy. Fart, suivant) de la Bihle, comme aussi au\
divers écrits dont elle se compose et aux idées qu'elle développe
(voy. Théologie biblique). La science qui s'occupe de l'histoire de la
Bible, considérée comme le recueil des documents de la religion révélée,
porte le nom de science de l'Introduction à la Bible ou d'Isagogique
(voy. cet article). — Nous ne traiterons ici que de la valeur dogmatique re-
connue à la Bible par l'Eglise chrétienne. Pendant longtemps il n'y eut
pas de doctrine arrêtée à cet égard. Dans l'antiquité chrétienne, à mesure
que le recueil des écrits du Nouveau Testament se forme et s'impose à
l'usage des Eglises, on lui attribue la même valeur qu'au recueil, depuis
longtemps adopté et vénéré, des livres de l'Ancien Testament. L'idée
d'une inspiration spéciale ou théopneustie (2 Tim. III, 16), impliquant
de la part des écrivains une attitude passive vis-à-vis du Saint-Esprit
qui les guide et leur dicte leurs oracles, passe couramment de l'un des
recueils à l'autre (Justin, Dial. c. Tr., VII, 115; Cohort., VIII; Athenag.,
Légat., 9); elle est étendue à toutes les parties du recueil, comme à
chaque mot dont il se compose (Orig., Deprinc. prœf., 4; Iren., III,
16, 2). Pourtant, en opposition avec le montanisme, les écrivains
ecclésiastiques distinguent l'inspiration de l'extase et se plaisent, en
particulier dans l'école d'Antioche, à relever le côté humain de
l'Ecriture, lrénée parle de l'originalité du style de saint Paul, et
saint Augustin dit des évangélistes que chacun d'eux a écrit : « ut
quisque meminerat et ut cuique cordi erat » (De consensu evang., II,
12). De même, l'Eglise des premiers siècles ne se prononça pas
sur les rapports de l'Ecriture et de la tradition (è'yypaçoç et arfpaqoç)* et
leur autorité respective. lrénée invoque avec la même force l'au-
torité des apôtres et celle des évêques institués par eux comme
leurs successeurs et dépositaires de la doctrine apostolique (III, 3) ;
Tertullien, tout en regardant la Bible comme la norme de la foi
(De prœscr., 29, 38), proclame la tradition, gardienne de la vérité
scripturaire, laquelle est altérée et faussée par les hérétiques (De prœscr. ,
17 ss.). On peut trouver, dans les écrits d'un même auteur, et sou-
vent à quelques lignes de distance, des assertions également concluantes
pour l'autorité souveraine de l'Ecriture comme pour celle de la tra-
dition et de l'Eglise qui la personnifie. Ainsi saint Augustin dira :
« Titubabit fides, si dimnarum Scripturarum vacillât autoritas » (De
doctr. christ., I, 37), et il n'en soutiendra pas moins : « Ego vero Evan-
gelio ne crederem, nisi me catholicse Ecclesiœ commoveret autoritas » (C.
ep. fundaîn., 5). L'indétermination : tel est le caractère de cette pre-
mière période. En réalité, l'épiscopat, investi de l'autorité souveraine
en matière de foi, invoque tantôt la Bible, tantôt la tradition en faveur
de ses décisions. — Le moyen âge, sinon dans la théorie, du moins dans
la pratique, subordonna résolument la Bible à la tradition, c'est-à-dire
à l'Eglise; la première était inconnue, inaccessible, suspectée; la
BIBLE 275
seconde, incarnée dans la papauté, exerçait un ascendant irrésistible
et gouvernail toute chose : la toi, la vie, la science. Aujourd'hui encore,
par l'organe du concile de Trente et de tontes les huiles pontificales
qui ont confirmé ses décisions, L'Eglise catholique, tout en proclamant
({ne la Bible et la tradition occupent le même rang et qu'elles doivent
être reçues «pm^pietatis affecta acreverentia » (Conc. Trid., Sess. ]\\,
decr. de ciui. $a v'/i/.i. l'ait dépendre l'interprétation de la Bible de la
tradition, considère la Vulgate comme le seul texte authentique et en
interdit la lecture aux lidèles, ou, ce qui revient au même, en subor-
donne l'autorisation au bon plaisir du confesseur (voy. Y Index librorum
prohibitorum, joint comme appendice au Conc. Trid. et sanctionné par
une huile du pape Pie IV en 156i, Régula IV). Bellarmin (De verbo
IV. 3) et tous ceux qui l'ont suivi, justifient ce procédé par le carac-
tère incomplet et le langage obscur de la Bible. — Les réformateurs,
sans se prononcer sur la question de l'origine, de la composition et de
l'inspiration de l'Ecriture, proclamèrent son autorité normative en
lace des doctrines et des préceptes de l'Eglise romaine qui ne repo-
saient que sur « des traditions humaines ». Seul, Luther s'enhardit
jusqu'à faire dépendre la valeur des écrits sacrés du degré plus ou
moins intense avec lequel « Christ y est prêché » (Vorr. zuder Ep.
S. Jakobi et passim). Les confessions de foi réformées sont, en général,
plus explicites que les symboles luthériens. La doctrine de la « théo-
pneustie » se trouve déjà en germe dans la Formula consensus H civet. , c. 1 :
« Hebraicus Y. T. Codex, tum quoad consonas, tum quoad vocalia, sive
puneta ipsa punctorum saltem potestatem, et tum quoad res tum quoad
verba ÔeoTeveucroç. » Ce fut- au milieu des débats passionnés qui rem-
plirent le dix-septième siècle, que les théologiens protestants dévelop-
pèrent la doctrine de la Bible et fixèrent sa valeur dogmatique. Ils lui
confèrent tous les attributs que les catholiques revendiquaient pour
l'Eglise, identifiant l'inspiration avec l'infaillibilité et le document
inspiré avec la révélation divine elle-même : « Quidquid De us revelavày
infallibiliter certum est. Quidquid sacra Scriptura docet infallibiliter
eertum est » (Hollaz). Il est vrai que le mot de révélation est toujours
pris, non dans le sens de manifestation historique, mais dans celui de
communication de la doctrine nécessaire au salut: « Sacra Scriptura est
rerbum Dei aproph. et apost. ex inspiratione div. libris consignatum, ut
per illud peccator informetur ad œternam salutem. » L'Ecriture est ainsi
complètement identifiée avec la parole de Dieu et proclamée comme le
plus puissant moyen de grâce. Dieu est la causa principalis et Yautor
primarim de la Bible; les écrivains sacrés n'ont été que ses instruments
passifs : c'est le Saint-Esprit qui leur a mis en main la plume et qui l'a
conduite : « Utiautem os Dei fuerunt in loquendo seu prœdicando prophet.
et apost. , ita quoque m anus fuerunt et calamiSpiritus Sancti in scribendo »
(Quenstedt). L'inspiration divine implique: 1° Yimpulsus ad scriben-
éum ou 1(3 mandatumdivirmm, tandis que les docteurs catholiques ensei-
gnaient que les écrivains sacrés avaient pris la plume ex occasions
quadam accidentaria aliundeoblataaut necessùate coactos ; 2° la suggestio-
rerunty qui ne doit pas être considérée; comme une simple assistentia
27g BIBLE
et directio divina, mais comme un véritable dictamen, et qui s'étend
absolument à toutes les parties, même les plus insignifiantes, de l'Ecri-
ture : « Si enim unicus Script, versiculus, cessante immediato Spiritus
Sancti influxu, conscriptus est, promptum erit satanœ, idem de toto capite,
de integro libro, de universo denique codice biblico excipere, etper conse-
quens omnem Script, autoritatem elevare » (Quenst., I, 71) ; 3° la suggestio
verborum qui, à son tour, s'étend jusqu'aux points- voyelles hébraïques.
La diversité du style s'explique par une accommodation du Saint-
Esprit; mais elle ne saurait compromettre la pureté absolue de la
langue sacrée : « Stylus Nom Testamenti ab omni barbarismorum et solx-
cismorum labe immunis est. » Si l'on pouvait constater la moindre tache
ou la plus légère erreur dans la Bible, c'en serait fait de son autorité
et par conséquent, de la foi du chrétien : « Périt fidei nostrœ certitudo
et infallibilitas. Si enim qusedam inscript, occurrunt dubia, incerta, erro-
nea falsa, unde de ceterorum autoritate, certitudine autveritate constabit? »
Y)e cette théorie de l'inspiration découlent ce que les anciens dog-
matistes, depuis Calov, appelaient les affectiones seu proprietates Scrip-
turœ sacrœ, c'est-à-dire les attributs de la Bible. Ils en distinguent
quatre principaux : 1° La divina auctoritas, qui repose sur l'origine
divine de la Bible, est attestée par des preuves externes (la sincérité des
auteurs les miracles, les prophéties, l'accord unanime de l'Eglise, les
martyrs, les triomphes du christianisme, etc.) et internes (la majesté, la
simplicité, la vérité du langage biblique, la sainteté des préceptes, etc.),
mais surtout par le testimonium Spiritus Sancti, ou le témoignage que
Dieu se rend à lui-même dans l'âme de chaque auditeur ou lecteur at-
tentif de la Bible. Cette autorité est à la fois normativa, en tant que seule
elle peut déterminer ce qui est nécessaire au salut, et judicialis, en ce
que seule elle peut trancher les difficultés et terminer les controverses
qui peuvent se produire en matière de foi. L'Ecriture est le seul code
et le seul tribunal que la théologie et l'Eglise chrétiennes puissent re-
connaître. 2° La perfectio ou sufficientia. Tout ce qui est nécessaire au
salut est contenu dans la Bible. La lumière intérieure qu'invoquent
les sectaires et la tradition sur laquelle l'Eglise catholique fonde ses
dogmes et ses cérémonies sont des guides trompeurs. Dieu nous a
donné dans la Bible une révélation complète et pleinement suffisante
de la vérité. 3° La perspicuitas . La Bible expose avec la plus grande
clarté les vérités nécessaires au salut. Cette clarté ne s'applique pas
aux res qui demeurent des mystères, mais aux verba. Elle est gradua-
lis ' tous les passages de l'Ecriture ne sont pas également clairs, mais
il V en a qui sont comme les sedes doctrinœ, loci classici, dicta pro-
bantia. Les passages obscurs doivent être expliqués par les passages
clairs. La Bible possède la facultas se ipsam interpretandi ; elle est sui
insius legitimus interpres. Enfin la clarté de la Bible est ordinata, c'est-
à-dire liée à certaines conditions religieuses, morales et scientifiques,
nécessaires à celui qui la lit. 4° Vefficacia. La Bible n'est pas une
lettre morte. Elle a le pouvoir de convertir, de régénérer, de redresser
et de consoler. Chacun peut trouver dans ce moyen de grâce une source
puissante d'édification. — Etablie au dix-septième siècle, dans la dou-
BIBLE 277
ble lutte contre les catholiques et les illuminés, cette théorie de la va-
leur dogmatique de la Bible ne tarda pas à trouver des adversaires au
sein même du protestantisme. Son vice fondamental est de confondre
les documents de la révélation avec la révélation elle-même, que la
nature el le mode de l'inspiration prêtée aux écrivains sacres
rendent absolument inutile. L'Ecriture n'est pas la Parole de Dieu,
elle la renferme. C'est ce qu'ont mis en pleine lumière les travaux
el K-s débats de la théologie protestante depuis le milieu du dernier
siècle. Si l'accord n'existe pas encore sur le rang et la valeur qu il
convient d'attribuer à la Bible dans le domaine de la foi et dans celui
de la science chrétienne, aucun théologien ne soutient plus la théorie
de l'infaillibilité absolue de la Bible. Dès à présent, nous pouvons con-
sidérer comme définitivement acquis les résultats suivants : 1° ^ an~
cienne dogmatique a méconnu le rapport intime qui existe entre la
tradition orale et la tradition écrite, en revendiquant pour cette der-
nière une autorité qu'elle dénie à la première. 2° La Bible, comme
tout autre livre ou recueil de livres, loin de redouter l'examen de la
critique historique, doit le provoquer et l'encourager; toute obscurité
volontairement et arbitrairement maintenue est un témoignage de dé-
fiance non justifiée à l'endroit de sa valeur. 3° La Bible renferme les
documents les plus anciens et les plus authentiques sur les origines,
sur l'essence et sur les caractères de la religion chrétienne, et en par-
ticulier sur la personne et sur l'œuvre de son fondateur ; à ce titre seul
elle a droit au respect dont on l'entoure, à l'usage auquel elle sert,
ainsi qu'aux patientes et laborieuses recherches dont elle est l'objet dans
l'Eglise chrétienne. 4° La théorie de la Bible ainsi que sa valeur dog-
matique dépendent, en dernière analyse, de celle de Y inspiration et de
la révélation (voir ces deux articles). F. lichtbnbkkger.
BIBLE (Propagation de la). Avant la découverte de l'imprimerie,
deux obstacles principaux s'opposaient à la diffusion des saintes Ecri-
tures : 1° L'ignorance presque universelle. On ne savait pas lire et
l'Eglise ne s'en mettait point en peine. La foule n'avait qu'à croire et
à obéir, nullement à examiner. D'ailleurs, depuis Grégoire VU et les
conciles de Toulouse (1229) et de Tarascon (1234), la lecture de la
Bible était le privilège exclusif des prêtres. 2° Le prix énorme des
livres. Faust, venu à Paris pour se défaire des Bibles qu'il venait d'im-
primer, les vendit 50 couronnes (360 fr.), tandis que l'exemplaire
manuscrit se payait de 4 à 500 couronnes (2,900 à 3,500 fr.). Or un
ouvrier gagnait alors trois ou quatre sous par jour. Quand les réfor-
mateurs en appelèrent de l'Eglise et du pape à l'Ecriture sainte et à
la conscience individuelle, ils firent une véritable révolution et la plus
bienfaisante entre toutes. Basée sur le livre et l'école, la Réforme
voulut que tons lussent et s'assimilassent les enseignements de Jésus;
de là, les traductions en langue vulgaire mises à la portée de tous et
même des plus pauvres. Les Bibles glosées et historiées imprimées
jusqu'alors, abrégeaient le texte (surtout celui de l'Ancien Testament)
ou y intercalaient sans scrupule les superstitions du temps. Les tra-
ductions proprement dites ne commencèrent qu'avec les réforma
278 BIBLE
teurs; aussi leur débit fut-il considérable. Les peuples se précipitèrent
avec avidité sur le saint volume. Dès 1555, la Bible allemande de
Luther comptait 58 éditions. La Bible française d'Olivetan, qui subit à
Genève une révision perpétuelle, reparut plus de cent cinquante fois
au seizième siècle. Elle avait été précédée de celle de Lefèvre d'Etaples,
qui eut une trentaine d'éditions, y compris celles du Nouveau Testa-
ment : les plus illustres personnages avaient subvenu aux frais de
l'entreprise, et Brieonnet « n'avait épargné or n'argent, pour donner
livres à ceux qui désiraient y entendre. » Il en fut de même partout
où s'étendit la Réforme. L'extrême vivacité des controverses força
l'Eglise romaine, qui jetait au feu traductions, traducteurs et lecteurs
de l'Evangile, à descendre sur le terrain protestant, et à publier aussi
la Bible, en ayant soin de l'annoter, de tirer à elle tous les passages
qui paraissaient s'y prêter, et d'atténuer tous ceux qui lui étaient défa-
vorables. La Bible de Louvain, corrigée aussi à diverses reprises, et
mise au jour, selon Richard Simon, pour détourner les catholiques de
la lecture de la Bible de Genève, eut, dit-on, plus d'éditions que celle-
ci. En outre, la France possède une trentaine d'autres traductions
catholiques, principalement du Nouveau Testament, en dépit des pres-
criptions anti-bibliques du concile de Trente et des papes Pie IV,
Clément VIII, Grégoire XV, Urbain VIII, Clément XI, Pie VII, Léon XII,
Pie VIII, Grégoire XVI et Pie IX. De même, quand la traduction des
psaumes, qui faillit conduire Clément Marot sur *le bûcher, eut paru,
une multitude de rimeurs (au moins 200), pour la plupart catholiques,
s'empressèrent de publier des Psautiers ou des fragments de Psautier
en vers. Celui de Marot, que chantent encore aujourd'hui les Eglises
réformées, fit le tour du monde, fut traduit en vingt-trois langues, et
imprimé en français plus de quinze cents fois. Outre les premiers essais
d'association biblique qu'on trouve au berceau de la Réforme, Genève
en vit un autre en 1588. Quelques personnes firent un fonds destiné à
imprimer la Bible, et stipulèrent que le bénéfice appartiendrait aux
pauvres réfugiés de divers pays. Cette combinaison eut pour résultat
de maintenir assez élevé le prix de l'édition, et les synodes de Saumur
et de Gap s'en plaignirent. Soixante ans plus tard, en 1649, une pensée
aussi charitable et plus féconde* donna naissance à la première société
biblique, qui fut restaurée en 1661. Son titre, Société pour la propaga-
tion de l'Ecriture dans la Nouvelle-Angleterre , indique assez le but
qu'elle se proposait, savoir la traduction des saints Livres dans les
idiomes des peuplades sauvages du nouveau continent. Les solitaires
de Port-Royal semblent aussi s'être associés, pour la propagation du
Nouveau Testament auquel ils avaient travaillé en commun. Ils le
firent imprimer, l'année 1667, en bons caractères pour les riches, en
très-communs pour les pauvres, et le vendirent au prix coûtant et
peut-être parfois à prix réduit, si bien que 5,000 exemplaires furent
placés à Paris en quelques mois, et que l'ouvrage compta cinq éditions
la première année, et quatre la seconde. Quand il crut avoir détruit
l'hérésie par ses missionnaires et ses dragons, quand il eut enlevé aux
protestants leurs écoles et leurs Bibles, et qu'il les eut contraints à
BIBLE
L'abjuration par le sabre, Louis XIV fut obligé (ravoir recours à la
méthode protestante, pour essayer de convertir réellement ceux qu'il
appelait les nouveaux convertis. Il fallut qu'il distribuât dos Bibles
comme un vulgaire janséniste <>u un obstiné huguenot Le mission-
naire Pénelon demandail des Nouveaux Testaments à profusion, en
même temps que l'établissement de bonnes écoles, auxquelles 'es
veaux catholiques seraient forcés d'envoyer leurs enfants : « On ne
fait rien, écrivait-il, si on n'ôte les livres hérétiques; j> mais il faut
absolument les remplacer. « Si on ôte leurs livres sans leur en
donner, ils diront que les ministres leur avaient bien dit que nous
ne voulions pas laisser lire la Bible, de peur qu'on ne vît la con-
damnation de nos superstitions et de notre idolâtrie. » Plus de
150,000 Nouveaux Testaments de Godeau et des Psautiers du même
traducteur, furent imprimés par ordre de l'archevêque de Paris ;
mais on craignait qu'ils ne tombassent en d'autres mains que celles
des protestants. C'est pourquoi, en invitant Foucault, intendant du
Poitou, à commander une édition du Nouveau Testament, Louvois
lui ordonna d'en prendre tous les exemplaires dès qu'ils seraient,
imprimés, et de faire rompre les planches. Un peu plus tard, tandis
que les Eglises sous la croix étaient absolument dépourvues de livres
religieux, et que Brousson se faisait copiste et colporteur en même
temps que prédicateur, la Société pour la propagation des connaissances
chrétiennes naissait en Angleterre (1698), et imprimait la Bible en
arabe, en gallois, etc. Le principe de la Réforme, qui produisait chez
les huguenots une indomptable revendication des droits de la con-
science, portait de plus en plus ses fruits salutaires au sein de l'heu-
reuse nation qui l'avait adopté. Pendant que l'ultramontanisme ne
savait que persécuter, en France et ailleurs, le protestantisme d'outre-
Manche enfantait la Société pour la propagation de V Evangile dans les pays
étrangers (1701), et la Société écossaise pour propager la connaissance de la
religion chrétienne (1719), toutes deux nécessairement vouées à la
diffusion des saintes lettres. Sous l'influence de Spener et de Franke,
un mouvement semblable s'opéra en Allemagne. Les Bibles y étaient
mal imprimées, pleines de fautes, très-chères et rares. Le baron de
Canstein trouva, grâce à son immense fortune, le moyen de remédier
à ces inconvénients. Il se procura assez de caractères pour imprimer
toute une Bible, et quand elle fut composée, il en garda les planches
pour renouveler le tirage ad libitum. C'est ainsi qu'il fonda l'institu-
tion biblique de Halle (la première du continent), laquelle répandit,
de 1712 à 18io, 3,030,400 exemplaires des livres saints en Allemagne.
en Russie, en Suède, en Danemark, en Pologne, en Hongrie et en
Transylvanie. La pénurie de ces livres se faisait plus vivement sentir
encore parmi les réformés de France. Dans le Midi, de soi-disant ins-
pirés, qui croyaient converser directement avec Dieu et recevoir ses
ordres immédiats, étaient plus écoutés qu'il n'aurait fallu. « La né-
det livres est grande, » écrivait Antoine Court; cette affirmation
><■ reproduit sous mille formes dans ses lettres et dans celles de Corteiz.
Mais comment s'en procurer? Le pavs était trop pauvre pour les
^80 BIBLE
acheter de ses deniers, et la surveillance des ennemis trop active
pour les laisser pénétrer librement. Les réfugiés avaient souvent réussi
à faire parvenir à leurs frères quelques ouvrages. On s'adressa
encore à leur générosité et on les pria de multiplier leurs dons. La
Suisse et la Hollande se firent remarquer par leur empressement à
répondre à cet appel. « M. Basnage, écrivait le pasieur Vial, m'a
« mandé qu'il vous envoie des livres par la voie de Genève et d'autres
« endroits, aussi bien qu'à nos frères du Poitou. J'ai même su que les
« Etats de Hollande ont fait un petit fonds pour ce sujet ; cela m'a
« fait soupçonner qu'à l'avenir vous aurez peut-être moins besoin de
« ceux que nous vous envoyions ci-devant. Cependant nous ferons à
« cet égard-là tout ce que nous pourrons, et quand vous n'en pourrez
« pas tirer d'ailleurs, vous n'aurez qu'à m'écrire. » Ces livres étaient
des Testaments et des Psautiers, des Testaments surtout, puis des
ouvrages de morale. Quant à faire .pénétrer ces ouvrages en France,
de hardis colporteurs s'en chargeaient. Les difficultés et les périls étaient
grands, mais ils en triomphaient. Avec leurs ballots, un beau jour, ils
passaient la frontière, arrivaient, déposaient leur précieux fardeau en
lieu sûr et repartaient. Lorsque les prédicants possédaient quelques
livres, après le prêche ou dans leurs courses, ils les distribuaient aux
fidèles. C'était la « manne divine ». Tous, pour en avoir, se précipi-
taient, se ruaient ; ils mettaient de la fureur à obtenir une Bible, des
Psautiers, des catéchismes. « Il me serait difficile, écrivait Corteiz, de
« vous dire où se distribuèrent ceux que votre bonté me donna. J'en
« ai laissé un peu partout, et si j'avais voulu croire le monde, je les
(( aurais tous laissés à la première paroisse... » Les livres, malgré tous
les efforts, étaient si rares qu'en aurait-on eu « mille quintaux », on
les aurait distribués en moins d'un mois ». (Edm. Hugues, Ant.
Court, 1,50). Court se félicita bientôt de l'heureux succès de ces distri-
butions. « Toute la montagne donne présentement gloire à Dieu,
écrivit-il vers 1718. Quelques livres parsemés ont réveillé un grand
nombre d'âmes qui dormaient, tellement que les noises, les discordes,
les procès, les querelles commencent à perdre leurs forces; mais sur-
tout la jeunesse travaille avec empressement à croître ses lumières et
ses connaissances, tellement que le curé des Plantiers, proche
Yalleraugue, un jour de dimanche, se prit à pleurer, disant que
tout d'un coup son église était devenue déserte, mais que le sei-
gneur évoque en serait informé. Quelques lâches en furent intimidés ;
mais la jeunesse bénissait le ciel qui l'avait éclairée » (ibid., p. 60).
Le souvenir de Port-Boyal et l'exemple de l'Angleterre et de l'Alle-
magne, portèrent un pieux abbé, secondé par quelques évêques, jansé-
nistes comme lui, à fonder en France, vers 1719, la seconde Société
biblique du continent, et la première Société biblique catholique. Il se
nommait de Barneville, et, bien que né à Dublin (1659), il avait fait
toutes ses études à Paris, et avait été reçu, à l'âge de 29 ans, dans la
congrégation de l'Oratoire. L'association catholique acceptait des dons
et distribuait gratis aux pauvres, et sans notes ni commentaires, le
Nouveau Testament traduit par son fondateur ; mais elle n'excluait pas
BIBLE 281
les préfaces. Celles qu'elle a publiées respirent un tel amour des Ecri-
tures, un sentiment de piété si large, que la Société des /mites religieux
de Paris, a pu en insérer de nombreux extraits dans un opuscule qui
porte le iv 107 de ses publications. En 1728, des perquisitions turent
faites chez M. de Barneville et chez quelques autres prêtres également
coupables de trop (rattachement à la Bible, et l'association fut obligée
de se dissoudre par de misérables tracasseries, qui démontrèrent une
fois de plus l'irréconciliabilité de Rome et de la Bible. On connaît de
la traduction de l'abbé de Barneville, 12 éditions parues de 1719 à
17o3. La seconde moitié du dix-huitième siècle vit naître en Angleterre
quatre autres sociétés, dans les attributions desquelles entrait la publi-
cation de la Bible: la Société pour l'avancement de la connaissance de la
religion parmi les pauvres (1750), la Société biblique, destinée à fournir
des livres saints aux armées de terre et de mer de la Grande-Bretagne
(1780), la Société pour le soutien et l'encouragement des écoles du di-
manche (178o),etla Société biblique française de Londres (1792). Celle-ci
se proposait de répandre les saintes Ecritures parmi les catholiques et
les protestants français, au moyen de dépôts placés chez les pasteurs
ou autres personnes zélées, qui se chargeraient de vendre les exem-
plaires à ceux qui pourraient les payer, et de les céder à prix réduit
ou même gratis aux pauvres. Les protestants ne pouvaient qu'accueillir
avec un joyeux empressement la circulaire qui leur fut adressée ; car
aucune Bible protestante n'avait été imprimée en France depuis 1678.
Le pasteur de Paris, Marron, se mit en relation avec là Société et en
reçut 4,000 francs, qu'il remit à un imprimeur pour l'impression qui se
préparait. Mais la Révolution ruina l'imprimeur, suspendit les relations
<iitre les deux peuples, et la Société fut dissoute, non sans avoir laissé
aux protestants de Paris le vif désir d'en établir une du même genre.
Le projet fut repris par une autre société anglaise, probablement celle
des missions, qui, en 1802, fit imprimera Paris un Nouveau Testament,
dont la distribution fut confiée à un comité, sous la surveillance du
consistoire de l'Eglise réformée. Les hostilités qui recommencèrent en
1803, arrêtèrent de nouveau l'admirable élan de zèle religieux qui
transformait en sœurs deux nations violemment divisées par la poli-
tique. Eniin le 7 mars 1804, pendant que l'Europe se livrait à une
guerre terrible et insensée, fut établie l'une des plus puissantes asso-
ciations religieuses qui aient jamais existé, et qui allait répandre sur le
monde entier les bienfaits d'une pieuse et chrétienne sollicitude, la
Société biblique britannique et étrangère. Elle se donna pour unique
mission défaire circuler les Ecritures parmi les chrétiens, les maho-
métans et les païens. Plusieurs sociétés déjà existantes avaient à peu
le même but; mais elles manquaient du caractère d'universalité
que prit leur cadette. Elles n'étaient que des œuvres de secte ou de
diverses dénominations religieuses, tandis que tous se trouvèrent réunis
«■t d'accord pour fonder l'œuvre nouvelle. Aussi son budget, qui attei-
gnit bientôt plusieurs millions, lui permit-il d'aider, par des subven-
tions considérables, un grand nombre d'autres sociétés créées à son
exemple <t sous son influence. Depuis son origine, elle a distribué
282 BIBLE
76,400,000 exemplaires des livres saints et dépensé 198,580,350 francs.
Elle a reçu dans son dernier exercice 6,717,600 francs. Son rapport
annuel très-abrégé forme un volume in-8° de 4 à 500 pages. Elle a des
dépôts à Paris, Bruxelles, Cologne, Francfort, Amsterdam, Berlin,
Stockholm, Copenhague, Saint-Pétersbourg, Vienne, Odessa, Constan-
tinople, Rome, Madrid, Lisbonne, et des sociétés auxiliaires à Bombay,
dans le Pendjab, dans le nord de l'Inde, à Calcutta, Madras, Colombo,
Jaffna, Sengapore, Hong-Kong, Shangaï, en Australie, dans la Nouvelle-
Zélande, aux Indes occidentales, au Canada/et sur les côtes est, ouest et
sud de l'Afrique. Rien ne montre à un degré supérieur la fécondité et
les heureux effets du principe d'association. Actuellement 79 Sociétés
du même genre \ sans compter celles d'Afrique (67 en Europe,- 4 en
Amérique et 8 dans l'Inde), travaillent de concert avec la société de
Londres. Les principales sont la Société biblique américaine, la Société
biblique américaine et étrangère, Y Union biblique américaine, la Société
biblique nationale d'Ecosse, la Société biblique hibernienne, celles de
Suède, de Norwége, de Danemark, de Néerlande, de Wurtenberg, de
Prusse et de Russie. La plus importante, après celle de Londres, est la
Société biblique américaine, fondée en 1816. Le chiffre de ses distribu-
tions s'élève à 33,125,800 exemplaires des livres saints, et ses dépenses
à 86,145,800 francs. Les recettes de son dernier exercice ont atteint
2,980,600 francs. De même que la découverte de l'imprimerie avait pré-
cédé la Réforme, de même la découverte de la stéréotypie(trouvée en 1795
par Firmin-Didot) précéda de quelques années la fondation des sociétés
bibliques du dix-neuvième siècle, qui allaient en faire usage sur la plus
vaste échelle. Elles ont dépensé jusqu'ici environ 366,550,000 francs,
et distribué plus de 141 millions d'exemplaires des livres sacrés, chiffre
énorme, qui égalera bientôt celui des kilomètres (153 millions) qui
séparent la terre du soleil. Sous quelque rapport qu'on l'envisage,
on demeure frappé de stupeur et d'admiration, à la vue du gigan-
tesque travail opéré par la foi en la Bible. Le saint livre est aujour-
d'hui traduit et imprimé en 227 langues ou dialectes, dont plusieurs
n'avaient jamais été écrits. Dire que les traductions n'étaient qu'au
nombre de 50 avant 1804, c'est montrer la grande part qui revient
dans cette œuvre à la Société britannique et étrangère. Voici le
tableau de ces 227 traductions, auxquelles il en faut ajouter deux
qui sont sous presse (total 229) : l'une en balinese , l'autre en
butta. — EUROPE : anglais, gallois, gaélique, irlandais, dialecte de
l'île de Man (Iles Britanniques) ; — français, breton, basque (France) ;
— espagnol, catalan, basque espagnol, dialecte de Guipuscoa, gitano,
portugais (Espagne et Portugal) ; — islandais, suédois, lapon, fin-
nois, norwégien, danois, fœroé (Nord de l'Europe) ; — hollandais,
flamand, allemand, lithuanien, polonais, haut wende, bas wende,
bohémien, hongrois, esclavon, ruthénien (Europe centrale) ; — ita-
lien, latin, roman du haut pays, roman de l'Engadine, piémontais,
vaudois, maltais (Italie et Suisse) ; — grec ancien, grec moderne,
Ibanais du Nord, albanais du Sud, turc, roumain, serbe, croate, bul-
gare de l'Est, bulgare de l'Ouest (Grèce, Turquie) ; — slave, russe mo-
BIBLE 283
derne, esthonien de Dorpat, esthonien de Kevel, livonien, carélien,
siriane, samoyède, calmouck, mordouine, tchérémisse, tchouvache,
tartare d'Orenbourg, tartare turc, tartare de Crimée (Empire russe). —
ASIE : ossète, géorgien, arménien ancien, arménien moderne, armé-
nien de TArarat. tartare trans-caucasique, kurdoijpéorgie) ; — hébreu,
arabe, syriaque, carse (Syrie); — persan, afghan, belouchi, sanscrit,
hindoustani (Inde) ; — bengali, bengali musulman, santali, mondari,
lepcha, maghudha, orissa, hindoui, bughelcundi, brug, canoj, kousulu;
harroti, oojein, oodeypora, marwar, juyapora, bikaneera, buttaneer,
sindhi, sindhi gurumukhi, moultan, pendjabi, dogura, gondi, cache-
mirien, népalais, palpa, kumaon, gurwhal (Présidence du Bengale);
— telinga, carnatique, tamoul, dakhani, malayalim, tulu (Prési-
dence de Madras) ; — kunkuna, mahratte, guzarati, parsi guzarati,
cutchi (Présidence de Bombay) ; — pâli, cingalais, indo-portugais
{Ceylan); — assamois, munipoora, tibétain, khassi, birman, peguese,
bghai karen, sgau karen,pwo karen, siamois (Indo-Chine); — chinois,
dialecte des mandarins de Pékin, dialecte des mandarins de Nankin,
dialecte de Ningpo, dialecte de Canton, dialecte de Hakka, mandchou,
mongol de l'Est, mongol du Sud, japonais, loochooan(CAme et Japon);
— malai, bas malai, javanais, sundanese, dayak, niasian; macassar,
bugis (Malaisie)\ — malgache, narrinyeri, maori, néo-calédonien, nen-
gonese, lil'u, iaian, aneityum, eromangan, faté, hawaïen, lidjien, rotu-
man, tongan, niué, samvan, rarolongue, tahitien, marquisien, kusaien,
ebon, gilbert island (îles du Pacifique). — AFRIQUE : copte, éthiopien,
amharique, tigré, galla, kinika, swahili (Afrique de l'Est) ; — ber-
bèré, mandingo, temne, mende, bullom, grebo, accra, otji, ewe, yo-
ruba, haussa, ibo, nupé, mpongwe.efik, dualla (Afrique de l'Ouest); —
benga, namacqua, sechuana, sessouto, zulu, kafîr (Afrique du Sud). —
AMERIQUE': groenlandais, esquimau, mohawk, mie mac, maliseet, dia-
lectecreç de l'Est, dialecte crée de l'Ouest, chippeway,tukudh, ojibwa,
delaware, choctav, dakota, cherokee, muskokee, seneca, mayan, mexi-
cain, créole, dialecte nègre de Curaçao, arrawack, dialecte nègre de Su-
rinam, aimara. Si considérable que soit le travail accompli, il est loin
d'être complet; car Balbi évalue à 5,000 le nombre des dialectes, et à
2.000 le nombre des langues, dont il n'a cependant classé que 860. Il
reste donc encore immensément à faire, pour qu'aucune àme ne de-
meure forcément soustraite à l'influence de l'Evangile. Cette sainte
propagande a souvent excité la colère de Rome. Après vingt années
d existence^ la Société biblique catholique de Bavière, fondée aussi en
1804. par Wittmann, régent du séminaire de Ratisbonne, dut renoncer
à ses travaux, sous les menaces des jésuites redevenus tout-puissants.
Il en fut de même de la Société catholique pour la distribution du Nou-
veau Testament, établie à Paris par un protestant, M. Léo, en 1816. Elle
ne dura que huit ans. Plus courageux, le célèbre moine bénédictin et
professeur de l'université de Marbourg, Van Ess, dont la traduction
du Nouveau Testament, imprimée aux frais de la Société de Londres
(1807-1830), eut vingt éditions, fut abreuvé de persécutions, mais ré-
sista jusqu'au bout a Léon XII, qui, dans une encyclique de 18c2't,qua-
284 BIBLE
lifiait & innovation diabolique et redoutable pour la foi et les mœurs, la
Société biblique dont l'acti vite s'exerçait « avec effronterie sur le monde
entier ». C'est dans le même esprit que l'assemblée générale du clergé
de France avait présenté au roi, en 1780, un long mémoire contre les
entreprises des protestants, en suppliant Sa Majesté de revenir aux
ressorts salutaires et aux voies réprimantes des beaux jours de Louis XIV.
La réponse lut redit de tolérance de 1787, bientôt dépassé par la Ré-
volution, qui proclama l'égalité de tous les citoyens devant la loi, ren-
dit aux glorieux descendants des martyrs leurs droits civils, religieux
et politiques. Le protestantisme commençait à renaître quand fondirent
sur lui la réaction de 1815 et la Terreur blanche. Il fallut un certain
courage au marquis de Jaucourt, à Boissy d'Anglas, au grand Guvier,
aux pasteurs Marron, Gœpp, Monod,etc, pour fonder, trois ans après
(1818), une société destinée à fournir des Bibles aux protestants du
royaume, la Société biblique protestante de Paris. Elle ne tarda point à
avoir des auxiliaires jusque dans les moindres villages. Elle réchauffa
le zèle et vivifia la piété un peu froide du dix-huitième siècle. Ses as-
semblées aunuelles étaient des fêtes auxquelles les protestants, dissé-
minés et sans lien commun, accouraient de toutes parts, apprenaient à
se connaître, à se compter et à s'aider mutuellement. Elle devint non-
seulement un centre de ralliement, mais un foyer d'action, d'où sorti-
rent la -Société des traités religieux, la Société des missions et la Société
pour l'encouragement de l'instruction primaire. Les subsides que la
puissante Société de Londres lui accorda généreusement dans les six
premières années, cessèrent tout à coup, non par suite de divergences
dogmatiques, le dogme n'était nullement en question, mais par suite de
divergences de méthode. Deux esprits régnaient dans le comité de Paris,
et se manifestèrent dès la publication de sa première circulaire: l'esprit
conservateur et l'esprit progressif. Quand il s'agit de clicher un texte
et de le rendre pour longtemps immuable, les uns proposèrent la révi-
sion améliorée de Lausanne (1822) qui venait de paraître. Les autres,
au contraire, firent adopter le texte vieilli et inexact d'Ostervald, et
sans le dire, y substituèrent en beaucoup d'endroits celui de Martin,
plus vieux encore, et qu'ils trouvaient plus orthodoxe. Les premiers
tenaient à ce que les livres apocryphes continuassent à être joints
aux livres canoniques; les seconds, au contraire, en vinrent à consi-
dérer la distribution des apocryphes comme une infidélité. Ces
deux esprits agitaient aussi le comité de Londres, et la fraternelle et
chrétienne largeur des premiers temps disparut, quand le second
l'emporta sur le premier. En 1826, la Société anglaise modifia son
règlement qui jusqu'alors avait autorisé la publication des livres apo-
cryphes, et exclut de ses libéralités toutes les Sociétés qui ne renon-
ceraient pas à imprimer ces livres. La Société de Paris ne voulut pas
y renoncer, et, pour rétablir la paix dans son sein, elle imprima des
Bibles avec les apocryphes et des Bibles sans les apocryphes, en
laissant le choix aux lecteurs. Cependant, dès 1819, la Société de
Londres avait confié à un membre de celle de Paris, M. Kieffer,
un dépôt de Bibles et de Nouveaux Testaments destinés aux catho-
BIBLE 285
tiques. Grâce à rabaissement des prix, les agents de M. Kieffer en
vendirent des quantités prodigieuses. En 1827, emportée par son
aversion pour les apocryphes, la Société de Londres, entrant déci-
dément dans le domaine de celle de Paris, adressa une circulaire à
tous les pasteurs de France, et, Tannée suivante, elle chargea M. Kief-
fer, qui appartint jusqu'à sa mort (1832) au comité de la Société bi-
blique protest un te de Paru, de faire concurrence à cette Société, en
distribuant aux protestants des' Bibles sans apocryphes. M. Kieffer
n'était pas seul dans cette position fausse et intenable; plusieurs autres
membres de la Société de Paris faisaient partie du comité qui dirigeait
le dépôt de la Société de Londres. Dans ce dernier comité, où Ton
ignorait absolument les difficultés budgétaires, les distributions de la
pauvre Société, qui n'avait pas à sajdisposition des centaines de mille
francs, étaient jugées mesquines. Aussi, après la révolution de 1830, qui
permettait d'élargir la sphère d'action de la Société biblique protestante ,
M. Kieffer et ses amis voulurent l'obliger à modifier son règlement et
à s'occuper aussi des catholiques. Le refus redoubla des tiraillements
depuis longtemps inévitables, et lors des élections de 1833, chacun
des deux partis vota pour exclure plusieurs membres de l'autre. Deux
hommes du parti conservateur et des plus récemment entrés dans le
comité ne furent pas réélus ; les autres donnèrent leur démission, et
tous ensemble ils fondèrent la Société biblique française et étrangère,
laquelle n'avait guère de nouveau que le nom, puisqu'elle existait sous
le nom de dépôt depuis quatorze ans. Toutefois le dépôt continua d'exis-
ter à côté d'elle et sous les ordres directs de la Société britannique ;
il existe encore aujourd'hui, et la France lui est redevable de la pro-
pagation de o millions d'exemplaires des livres saints. La Société bi-
blique protestante fut grandement affaiblie par le schisme ; mais ayant
trouvé le moyen de placer l'Ecriture sainte dans toutes les mains pro-
testantes, en donnant gratuitement un Nouveau Testament à chaque
catéchumène, lors de sa première communion, et une Bible à chaque
couple qui reçoit la bénédiction nuptiale, elle poursuivit son œuvre
circonscrite et en rapport avec la modicité de ses ressources, sans
s'interdire du reste les distributions dans les écoles, les hôpitaux,
les prisons, etc. Trente ans après le premier schisme, la lutte éclata de
nouveau entre les amis du progrès et les partisans du statu quo, qui
ne se défiaient pas moins qu'en 1822 des versions améliorées. La ques-
tion biblique, posée en 1862 avec un grand éclat, fit oublier un moment
les autres sujets qui divisaient le protestantisme français. Les fautes de
tout genre de la révision d'Ostervald, ou plus exactement, de la ré-
vision qu'on imprime à tort sous son nom, ayant été signalées dans
des brochures répandues à un grand nombre d'exemplaires, il devint
impossible de les nier et même de garder le silence. Mais tandis que
les uns disaient : Le devoir de la Société biblique est de publier
1rs meilleures versions possibles, les plus exactes, les plus françaises,
c'est-à-dire actuellement, l'Ancien Testament de Perret-Gentil et
les Nouveaux Testaments de Genève et d'Arnaud; les autres répon-
daient : ce o'es! pas la pluralité, mais l'unité de version qui est
28G BIBLE
désirable. Le premier qui a divulgué les fautes d'Ostervald a commis
une mauvaise action. Ces fautes existent sans doute, bien qu'on en
ait exagéré le nombre, et des corrections paraîtraient nécessaires;
mais elles troubleraient la foi des simples, et il faut à tout prix éviter
ce danger. D'ailleurs le Nouveau Testament de Genève est suspect au
point de vue de la fidélité dogmatique, et nous nous opposons for-
mellement à ce que la Société biblique publie aucune version nouvelle.
Au fond, il s'agissait de savoir si la Société biblique (et avec elle
l'Eglise réformée) était inféodée pour jamais à une Vulgate française,
plus fautive encore que la Vulgate latine ; car, si un changement peut
troubler aujourd'hui les âmes, il les troublera demain, après-demain,
toujours, et s'il- suffit d'accuser une version d'infidélité sans ombre de
preuve, pour qu'elle soit mise à l'index, toutes les versions nouvelles
pourront être mises à l'index. Durant deux années, la majorité du
comité recula devant une menace de démission réitérée parla minorité.
Elle dut cependant, tout en sauvegardant la liberté de ceux qui préfé-
raient Ostervald, faire droit au vœu des Eglises qui réclamaient les ver-
sions nouvelles. Les démissions ne se firent pas attendre (fin 1863), et une
troisième société biblique fut fondée, sous le titre de Société biblique de
France (1864). La Société biblique française et étrangère crut devoir
s'effacer devant sa jeune sœur, et cessa d'exister (1865) après avoir
distribué 750,000 volumes et dépensé 2,400,000 francs. La Société
biblique, de France, qui rejette les apocryphes, semblait vouée, par son
origine et par les principes qui lui avaient donné naissance, à la dis-
tribution d'Ostervald in œternum. Mais fort heureusement ses fonda-
teurs furent eux-mêmes entrailles par le progrès. Ils s'étaient retirés
de l'ancienne Société, parce qu'elle violait, disaient-ils, l'article 1er de
son règlement, en imprimant des versions récentes ; et lorsqu'ils
constituèrent une Société nouvelle, ils s'empressèrent d'abroger cet
article, et d'y en substituer un qui leur permît de distribuer dans
l'avenir d'autres versions que celles de Martin et d'Ostervald. En atten-
dant, cette Société révise elle-même Ostervald et a déjà publié deux
parties de sa révision : le Nouveau Testament et les Psaumes. Ses dé-
penses se sont élevées jusqu'ici à environ 402,000 francs, et ses distri-
butions ont atteint le chiffre de 223,500 exemplaires, y compris des
portions détachées de l'Ancien et du Nouveau Testament. Tardivement
éclairée sur les dangers auxquels pouvait l'exposer encore l'article 1er
de son règlement, l'ancienne Société l'a modifié et rendu aussi large
que possible. 11 était ainsi conçu à l'origine : « La Société a pour but
unique de répandre parmi les chrétiens protestants les saintes Ecri-
tures,- sans notes ni commentaires, dans les versions reçues et en usage
dans leurs Eglises. » Sa rédaction actuelle est la suivante : « La Société
a pour but de répandre les saintes Ecritures parmi les chrétiens pro-
testants, dans les versions demandées par leurs Eglises. » L'article cor-
respondant du règlement de la nouvelle Société est différent : « Si la
majorité des Eglises demande d'autres versions fidèles, celles-ci pour-
ront être distribuées par la Société. » Ajoutons, pour finir, que , dans
ses 57 années d'existence, la Société biblique protestante de Paris a
BIBLE — BIBLIOGRAPHIE TIIEOLOGIQUE 287
dépensé 2,234,000 francs, ci mis en circulation 575,850 exemplaires de
l'Ancien ef du Nouveau Testament. — /lis/, de lu Soc. bibliq. britanniq.
et étrang.y traduite de l'anglais du rév. J. Owen, Paris, 1820, 2 vol.
in-S°; La Bible pour tous pays, par Baxter et fils ; The history of the
british and foreign Bible society..., by tlie George Browne, London,
1859, 2 vol. in-8°; Geschichte der Cansteirfsçken Bibelanstalt, von
0. Bertram, Halle, 1863, ln-89; Die Bibel und ihre Geschichte, von
Albert Ostertag, Bâle, l« édit, !S(î3, in-12, ouvrage traduit en traînas
par HUï Dufour, Paris, 1857, in-12; La bible et son histoire, etc., par
L|ouis] N[apoléon] Rfoussel], Toulouse, 1861, in-12; La Bible en
Fronce, etc.. par Emmanuel Pétavel, Paris, 1864, in-8°; Hist. de la
Soc. bibliq. prot. de Paris, par 0. Douen, Paris, 1808, gr. in-8°;
Sixtieth annual report of the american Bible society ; Seventy-second
report of ihe british and foreign Bible society. 0. Douen. ■
BIBLIANDER, Buchmann (Théodore) [1507-15641, professa les lan-
gues orientales à Zurich, après la mort de Zwingle. Il se distinguait par
une connaissance approfondie de l'hébreu et termina la traduction de
la Bible commencée par Léon Juda. Partisan des idées d'Erasme,
Bibliander combattit, non sans une certaine véhémence, la doctrine
de la prédestination, professée à Zurich par Pierre Martyr dans toute
sa rigueur. Son ouvrage le plus connu est Machumetis Saracenorum
principis ejusque successorum vitai, doctrina ac ipse Alcoran, etc.,
Bâle, 1543, in-tol.|Il a laissé un grand nombre de manuscrits conservés
dans la bibliothèque de Zurich.
BIBLIOGRAPHIE THÉOLOGIQUE. Les livres consacrés à l'indication,
à l'analyse ou à la critique des ouvrages théologiques sont fort nom-
breux ; nous devons nous borner à indiquer les meilleurs et les plus
récents, ou ceux plus anciens qui n'ont point encore été dépassés ou
qui ont conservé une utilité réelle. Nous signalerons d'abord ceux qui
se rapportent à la théologie prise dans son ensemble, puis les ouvrages
consacrés aux diverses disciplines, en distinguant ceux qui suivent
l'ordre systématique, utile surtout pour connaître ce qui a paru sur un
sujet particulier, de ceux qui suivent l'ordre chronologique ou alpha-
bétique des auteurs, destiné plutôt à trouver le titre exact d'un livre
que l'on connaît ou les divers ouvrages d'un môme auteur.
I. THÉOLOGIE dans son ensemble.— 1° Bibliographie systématique.
Parmi les divers ouvrages qui, sous la forme d'introduction à la théo-
logie, d'histoire delà théologie, d'encyclopédie théologique, etc., don-
nent en même temps une grande place à l'indication des livres essen-
tiels publiés dans chaque branche, nous mentionnerons G. -M. Pfaffius
fntroductïo in historiam theologia • litterariam,^ éd.,Tubing., 1724-2G,
:> vol. in-4d); J.-F. Buddeus (Isagoge historico-theologica ad theologia m
universam, 2 éd., Lips., 1730, in-4°); G. Stolle (Anleiiung zur Historié
der theol. Gelahrheit, Iena, 1739, in-4°) ; G.-J. Plank (Einkitung in die
theol. Wis$enschaften% Leipz., 1794, 2 vol. in-8°) ; C.-F. Staeudlin (Gesch.
d. theol. Wissensehàften, Gœtting., 1810-11, 2 vol. in-8°, et Lehrbuch d.
theol. Encyclop. u. Méthodologie, llan., 1821) et, parmi les plus ré-
sents, tout particulièrement K.-K. Hagenbach (Encyktopœdie u. Me-
28 i BIBLIOGRAPHIE THÉOLOGIQUE
thodologie der thel. Wissenschaften, 9e éd., Leipz., 1874, in-8<>). Quant
aux ouvrages plus spécialement bibliographiques, J.-G. Walch [Biblio-
theca theologica selecta, Iena, 1757-65, 4 vol. in-8°) occupe encore main-
tenant une place éminente par la netteté de son plan, la sûreté de ses
indications et la masse de renseignements qu'il offre dans toutes les
parties de la théologie; il n'a été dépassé depuis que par G.-B. Winer
(Handbach der theol. Literatur, 3e éd., Leipz., 1838-40, 2 vol. in-8° et
1 supplém. en 1842), mais le plan de ce dernier exclut tout renseigne-
ment accessoire, sauf cependant les courtes notices biographiques réu-
nies à la lin de l'ouvrage. Nous ne rappellerons que pour mémoire les
ouvrages analogues de J.-O. Thiess (1795-97), D.-G. Niemeyer (1796-
1812, 4 vol.), J.-A. Nœsselt (1800), F.-L. Simon (1813), J.-S. Ersch
(1822), W.-D. Fuhrmann (1818-36, 4 vol.). Le Dictionnaire de biblio-
graphie catholique, par F. Pérennès (Montrouge, 1858-60, 4 vol. in-4°,
faisant partie de la troisième Encyclopédie théol. de Migne), contient
une masse énorme de titres, qui ne sont malheureusement pas toujours
suffisamment exacts ni rangés dans un ordre commode. Pour la con-
naissance des ouvrages plus récents, la plupart des revues théologi-
ques publient des comptes-rendus isolés d'ouvrages importants; mais,
en dehors des revues purement bibliographiques, la Zeitschrift fur
die gesammte lutherische Théologie u. Kirche (36e année, 1876, Leipz.)
seule donne un compte-rendu d'ensemble sous le titre de : Allgemeine
kritische Bibliographie der neuesten theol. Literatur. Le Theologische
Jahresbericht de W. Hauck (Wiesbaden, 1865-75) a cessé de paraître et
a fait place à la Theologische Literatur zeitung de E. Schûrer (Leipzig,
1876 et suiv.), à côté de laquelle se range pour la théologie catholique
/e Theologische Literatur blatt de F. -H. Reusch (Bonn, 1866 et suiv.) ;
la France n'a guère que la Bibliographie catholique (Paris, 1842 ss.)
.qui n'est pas spécialement théologique. La simple indication des titres
des ouvrages parus est fort bien donnée par le catalogue de la théo-
logie protestante que publie deux fois par an, depuis 1848, la librairie
Vandenhœck et Ruprecht à Gœttingen, sous le titre de Bibliotheca theo-
logica (rédigé depuis 1867 par W. Mùldener) ; la Bibliotheca catholico-
theologica n'a paru que pour l'année 1867. Les catalogues analogues
publiés à Leipzig chez Hinrichs, 1870 et 1875, par E. Baldamus (Pro-
testantische Théologie, 1865-69 et 1870-74; Kathol. Théologie, id.)
embrassent chacun une période de cinq ans et s'en tiennent plus exclusi-
vement aux ouvrages allemands. Toutes ces bibliographies systéma-
tiques sont terminées par des tables alphabétiques des auteurs. Aban-
donnant l'ordre systématique rigoureux pour ranger les divers ouvrages
sous la rubrique alphabétique des sujets traités, M. Lipenius (Biblio-
theca realis theologica, Francof., 1685, 2 vol. in-fol., terminée par une
table dès auteurs) a donné un volumineux catalogue assez inexact;
Danz (Universal- Wœrterbuch der theologischen, kirchen-u. religionsge-
schicht lichen Literatur , Leipz., 1837-43, in-8°, avec un supplément, 1843)
a suivi un plan analogue et peut rendre de bons offices ; il lui manque
seulement une table des auteurs. — 2° Bibliographie par ordre d'auteurs.
Les grands ouvrages consacrés aux auteurs ecclésiastiques par Possevin,
BIBLIOGRAPHIE THKOLOCÏIQUE 289
Cave, Du Pin et son continuateur Goujet, Geillier.j Oudin, comme
ceux moins volumineux de Trithème, de Miraeus, de Bellarmin con-
tinuë par Labbe et Du Saussay, d'OIearius, fournissent sur les auteurs
anciens un grand nombre de renseignements plutôt littéraires que
bibliographiques. Les bibliographies suivantes l'ont connaître les
livres théologiques plus récents : Enslin (Bibliotheca theologica, 2e éd.,
Stuttg., 1833, in-S), qui indique les ouvrages protestants parus en Alle-
magne jusqu'en 1831, et Zuchold (Bibliotheca theologica, Gœttfng.,
1864, 2 vol. in-8°), qui le continue pour la période de 1830 à 1862,
tandis que l'ouvrage anonyme de M. Schmalhofer (Bûcherkunde dtr
kath. t licol. Literatur bis 1836, Augsb., 1837, in-8°, avec des supplé-
ments .intitulés Hatidbùchkin d. neuesten Literatur des /Calholizismus,
Schaffhaus., 184044) rend des services analogues pour la théologie
catholique; le Thésaurus librorum rei catholicœ (Wûrzbourg, 1848-50,
2 vol. in-8° et 1 supplément) embrasse l'ensemble des auteurs catholi-
ques et joint dans son ordre alphabétique les écrivains aux sujets.
traités. Darling (Cyclopxdia bibliogra/jhica, London, 1854, 2 vol. in-4°)
s'occupe de toute la littérature théologique, mais n'est un peu complet
que pour les auteurs anglais; il présente l'avantage de faire connaître
le contenu détaillé de toutes les grandes collections et des ouvrages
composés de dissertations détachées, comme aussi des sermonnaires
qu'il indique. La place ne nous permet pas de rappeler les nombreuses
bio-bibliographies théologiques consacrées aux auteurs de certaines
époques ou de certaines contrées. — 3° Catalogues de bibliothèques parti-
culières. Nous ne devons pas omettre les catalogues raisonnes que plu-
sieurs théologiens allemands du siècle dernier ont donnés de leurs
bibliothèques particulières, à cause des notices souvent très-développées
et fort exactes qu'ils ont jointes à l'indication des titres : Jo. Fabricsus
(Historia Bibliothecœ Fabricianae, Wolfenbùt., 1717-24, 6 vol. in-4°),
dont l'ouvrage consciencieux, interrompu par sa mort, manque d'une
table générale des matières ; J.-F. lieimmann (Catalogus bibliothecœ theo-
logicœ systematico-criticus, Hildesiée, 1731, in-8°, avec un supplément.
1747); Mien. Lilienthal (/Jiblisch-Exeyetische Uibliothek., Kœnigsb.,
1740; Theologische Uibliothek, 1741; Fortgesetzte Theologische Biblio-
t/n-k. 1744, en tout 30 fascicules in-8°, formant 3 vol.); S.-J. Baum-
garten (Nachrichten von einer hallischen Bibliothek, Halle, 1748-51,
8 vol. in-8° ; Nachrichten von merkivùrdigen JJùchern, 1752-58, 12 vol.
in-S0) ; ces deux ouvrages de Baumgarten, remarquables surtout par la
précieuse collection de Bibles qui y est décrite et par l'exactitude des
renseignements bibliographiques, sont terminés par des tables fort
commodes sur l'ensemble des 20 volumes. J. -M. Francke est l'auteur du
Catalogua Bibliothecœ Bunavianœ (Lips., 1750-50, 7 vol. in-4°), ouvrage
malheureusement inachevé, qui ne présente point comme les précé-
dents de renseignements autres que les titres, mais qui donne avec
une scrupuleuse exactitude le contenu détaillé et systématiquement
classé des ouvrages de cette belle collection (aujourd'hui à Dresde),
particulièrement riche dans le domaine de L'histoire ecclésiastique el
de la biographie. Nous joindrons encore L'indication de deux catalogues
ii 19
290 BIBLIOGRAPHIE THÉOLOGIQUE
de libraires, intéressants à cause des belles collections de dissertations"
et thèses théologiques dont ils donnent le détail : C.-G.-G. Theile (Thé-
saurus literaturx theologicœ academicœ, Lips., 1840, in-8°) et 0. Fiebi"
(Corpus dissertationum theologicarum, Lips., 1847, in-8°); le premier
disposé systématiquement, n'a pas été terminé ; le second, indiquant
plus de 15,000 dissertations, est rédigé avec moins de soin ; il est
disposé d'après Tordre alphabétique des auteurs, mais il est suivi
d'assez bonnes tables des sujets traités.
II. Théologie exegétique. — 1° Exégèse dans son ensemble. J. Lelong
{Bibliotheca sacra, nov. éd., Paris, 1723, 2 vol. in-fol.) a composé un
vaste répertoire des études bibliques ; le premier volume contient le
catalogue des éditions de la Bible en diverses langues, le second
une liste alphabétique des auteurs qui ont écrit sur la Bible avec l'in-
dication de leurs ouvrages, suivie d'une table systématique de ces
derniers ; malgré bien des inexactitudes et des omissions, ce livre est
encore utile. E.-F.-K. Rosenmùller (Handbuck fur die Literatur der bi-
blischen Kritik u. Exégèse, Gœtting., 1797-1800, 4 vol. in-8°) voulait
donner une revue systématique et raisonnée de tous les ouvrages im-
portants publiés sur la Bible ; son excellent travail, malheureusement
inachevé, n'embrasse que l'introduction et la critique, les éditions
essentielles des textes originaux, l'herméneutique, les versions ancien-
nes et parmi les modernes celles en langues romanes ; il lui restait
à traiter les autres versions et tous les commentateurs. G.-W. Meyer
(Geschichte der Schrifterklârung seit der Wiederhersiellung der Wissen-
schaften, Gœtting., 1802-9, 5 vol. in-8°) donne de nombreuses indica-
tions bibliographique!». En outre on consultera avec fruit : La Bibliothè-
que sacrée de Calmet (en tête de son Dictionnaire de la Bible, Paris,
1722, in-fol., souvent réimpr. et trad. en plus, langues); W. Orme (Bi-
bliotheca biblica, a sélect list of books on sacred literature, Edinburgh,
1824, in-8°); Horne (Manual of biblical bibliography , London, 1839,
in-8°), ainsi que les diverses introductions à l'Ancien et au Nouveau
Testament, parmi lesquelles se distinguent tout particulièrement par
l'abondance des renseignements bibliographiques, pour l'Ancien Tes-
tement, celles de de Wette (nouv.éd. par Schrader, Berlin, 1869) et de
Bleek (3e éd. par Kamphausen, Berlin, 1870); pour le Nouveau Tes-
tament, de Wette (nouv. éd. par Messner et Lùnemann, Berlin, 1860);
Bleek (3e éd. par Mangold, Berlin, 1875); Reuss (5e éd., Braunschw.,
1874) ; entin nous indiquerons encore pour l'Ancien Testament Diestel
(Geschichte d. Alt Test, in der christlichen Kirche, Iéna, 1869). Ewald,
(dans ses Jahrb'àcher der bibl. Wissenschaften, Gœtting., 1848-65, 12 vol.
111-8% auxquels il manque encore la table générale promise) a rendu
compte de presque tous les ouvrages touchant de près ou de loin à
l'exégèse biblique publiés dans cet espace de temps. — 2° Editions de la
Bible. A.-G. Masch (Bibliotheca sacra, Halœ, 1778-90, 2 parties en
6 vol. in-4°) a repris le travail de Lelong et l'a fort amélioré ; mais il
s'est arrêté après avoir traité des éditions du texte original, et des versions
dans les langues orientales, grecque et latine; pour les Bibles hébraïques
il a été complété par J.-B. de Rossi (De igno tisnonnullis antiquissimis
BIBLIOGRAPHIE THÉOLOGIQUE i>9i
hebr. textus editionibus, Erlang., 1 78^2, in-'t0;. On possède en outre plu-
>sieurs catalogues raisonnes d'importantes collections particulières' de
iBibles, celles de J.-S. Baumgarten (cité j)lus haut), des ducs de
^Brunswick (G. -L.-0. Knoch, Bibliotheca biblicay Brunsw., 1752, in-4°,
et Hist. crit. Nachrichten von der Braunschweigiscken. Bibelsammlung,
Bd. /.. Wolfenbûttel, 1754, in-8°), de J.-M. Gœze, appartenant main-
tenant à la bibliothèque dé Hambourg (Verzeichniss seine?- Sammlung
merkwùrdiger Bibehn, Halle, 1777, in-4° ; Fortsetzuny, Hamb., 1778,
iii-V'i. de J. Lorck, appartenant maintenant à la bibliothèque de
Stuttgard (Die Bibelgeschichte, Koppenhag., 1779-83, 2 vol. in-8°,
et J.-G.-C. Adler, Bibliotheca biblica, Altona, 1787, 5 parties in-4°),
le J.-B. de Rossi, maintenant à la bibliothèque de Parme (Apptoratus
hebr&O'btbkcus, Parnw, 1782, in-8°, et plus complet en tête des vo-
lumes 1 et V de ses Varias Lectiones Vet. Testamenti, Parmae, 1784-98,
5 vol. in-4°), du duc de Sussex (T.-J. Pettigrew, Bibliotheca Sussexiana,
London, 1827-39, 3 vol. in-8°). Les éditions de la Bible en hébreu ont
été l'objet de plusieurs monographies de J.-B. de Rossi; celles du Nou-
veau Testament grec ont été étudiées spécialement et avec un soin minu-
tieux par Reuss (Bibliotheca Ntivï Test, grœci, Braunschw., 1872, in-8°) ;
des versions allemandes par J.-G. Palm (1772), J.-M. Gœze (1775), G.-W.
Panzer dans plusieurs ouvrages (1777-91), H.-E. Bindseil (1841); les
versions hollandaises par Is. Lelong (1732) et N. Hinlopen (1777); les
suédoises par J.-A. Schinmeyer (1777), les anglaises par J., Lewis (1739,
nouv. éd. 1818), H. Cotton (1852), etc.; les Bibles publiées en Amé-
rique par E.-B. CTCallaghan (1861) ; enfin les Bibles en langues romanes
et spécialement les Bibles françaises ont été l'objet des recherches
approfondies de M. Reuss (Bévue de théologie de Strasbourg et Herzog's
Encyclopédie). — 3° Les Commentaires. J.-F. Mayer (Bibliotheca biblica,
F ranci., 1709, in-4°) et C. Arnd (Bibliotheca Mayeri biblica continuata,
Rostoch, 1713, in-4°) ont indiqué les principaux commentateurs jusqu'à
leur temps; L. Miiller, sous le pseudonyme de Théoph. Alethaeus
(Ausfûhrlicher Bericht von den Commentariis, Leipz., 1719-44, 8 vol.
in-8°) les complète utilement. M. Lilienthal (Biblischer Archivarius des
AU. Test., Kœnigsb., 1746, in-4°; des N. Test., 1745, in-4°) indique
pour chaque livre, chapitre et verset, les auteurs qui les ont expliqués
exégétiquement ou homilétiquement ; J.-F„ Wildeshausen (Bibliotheca
disputationum in V. et N. Test., Hamb., 1700, in-4°) et G. -H. Scheteli-
gius (Hamb., 1736-37,3 vol. in-4°) ont suivi le même plan pour les
dissertations exégétiques isolées, ainsi que plus récemment.!. Darling
| ( 'yclopœdia bibliographica. Subjects; Holy script ur es, Lond.,1859, in-4°),
qui indique toutes les dissertations et tous les sermons se rapportant à
.chaque verset de la Bible, spécialement les travaux anglais. Tout der-
riièiviiifiit Spurgeon (Commenting and commentâmes, Lond., 1870, in-8°)
.n publié un catalogue des commentaires en langue anglaise1 les plus
ommandables à son point de vue. Comme appendice à la théologie
exégétique, nous indiquerons quelques bibliographies de sujets touchant
d'assez près à l'exégèse : W.-F. Hezel (Versuch einer Qesch. der bifri*
JCritû des Ut. Test, Halle, 1780, in-8°) ; J.-C. Wolf (Hisioria Lextcorunz
292 BIBLIOGRAPHIE THÉOLOGIQUE
kebraicorum, Wittemb, 1705, in-8°); W. Gesenius (Geschichte der
hebrxischen Sprache u. Schrift, Leipz., 1815, in-8°); M. Steinschnei-
der (Bibliagraphisches Hcundhuch ûber die theoretisùhe u. praktische
Literatur fur hebrœische Sprachkunde, Leipz., 1859, in-8°); T. Tôbler
(Bibliographiageographica Palxstinx, Leipz., 1867, in-8°) ; H.-E. Bind-
seil (Concordantium Homericarum spécimen, cura Prolegomenis, in quibus
concordantix biblicx recemBntur, Halle, 1867, in-8°; complété par un
article desTheolog. Studien u. A'ritiken, 1870, p. 673-720).
III. Théologie historique. G. Sagittarius et son continuateur J.-A.
Sohmid {Introduction», historiam ecclesiasticam, Iéna, 1694-1718,2 vol.
in-4°), C.-F.-W. Walch (Grundsxtze der zur Kirchenhistorie nœthigen
Bùcherkenntnis; Gœtting.,, 1773, in-8°), G. -W. Fluegge (Enleitung in dus
Studium und die Literatur der Rehgions-und fiirchengeschichte, Gœtting.,
1801, in-8°), C.-F. Staeudlin (Geschichte u. Literatur der Kirchengesckkhie,
Hannover, 1827, in-8°), J.-J. Ritter (Handbuch der Kirchengeschichte,
6e éd., Bonn., 1862, 2 vol. in-8°) fournissent d'amples renseignements
bibliographiques sur l'ensemble de l'histoire ecclésiastique. Sur
quelques points spéciaux nous citerons : J.-A. Bosius (latroductio in
notitiam scriptorum ecclesiasticorwn, dern. édit., Iéna, 1723, in-8°); Th.
Ittig (Schediasma de autoinbus qui de scriptoribus ecclesiasticis egerunt,
Lips., 1711, in-8°) : G. -F. Gudius (Bibliotlieca disputationum de selectis
historix eccles. capitibus, Lips., 1743, in-8°) ; J.-E. Yolbeding (Index
dhsertationum quibus singuli historix N. Test, et antiquitatum ecclesiasti-
carum loci illustrantur, Lips., 1849, in-8°) ; J.-C. Kœcher (Bibliotheca
theologix symbolicx et catecheticx, itemque liturgicx, Wolfenb., 1751,
in-8°) ; J.-G. Feuerlin (Bibliotheca symbolica eoangelica lutherana, nouv.
éd. par J.-B. Riederer, Norimb., 1768, 2 vol. in-8°); F. -A. Zaccaria,
(Bibliotheca ritualis, Romae, 1776-78, 2 vol. in-8°) ; H. -G. Kœnig
[Bibliotheca agendorum, Zelle, 1726, in-4°); P. Wackernagel (Bibliogra-
phie zur Gesch. d. deutschen Kirchenliedes im XV I Jaïirh., Frankf.,
1855, in-4°); F. Bovet (Hùt. du psautier des Egl. réf. de France, Neu-
ehatel, 1872, in-8°). La patristique offre quelques bons travaux biblio-
graphiques :T. Ittig (De bibliothecis et cathenis patrum, Lips., 1707, in-8°);
J.-G. Walch (Bibliotheca pair istica, nouv. éd. par Danz, Iéna, 1834,in-8°) ;
C.-T.-G. Schœnemann (Bibliotheca hùtorico-litteraria patrum lasinorum,
Lips., 1792-94, 2 vol. in-8°); F.-W. Goldwitzer (Bibliographie der Kir-
chenvxter u. Kirchenlehrer, Landshut, 1828, in-8°, et Patrologieverbun-
den mit Palristik, Niirnberg, 1834, 2 vol. in-8°); ainsi que les divers
traités de patrologie. Pour l'étude du moyen âge, l'ouvrage de A. Pot-
thast (Bibliotheca historica medii xvi, Berlin, 1862, in-8° et supplem.
1868) est un guide indispensable, à côté duquel vient se placer le Ré-
pertoire des sources histor. du moyen âge de l'abbé Chevalier, en cours
de publication. L'époque de la réformation aurait besoin d'un manuel
semblable, pour lequel les catalogues de quelques collections particu-
lières offriraient de bons matériaux : H. von der Hardt (Anliqua lite-
rarum monumenta Reformations xtatem illustrantia, Brunsw., 1691-93,
3 vol.in-8°); J.-A. Fabricius (Ceniifolium lutheranum, Hamb., 1728-30,
2 v. in-8°); G. Schwetschke (Ausstelhrng meist originelhr Druckschriften
BIBLIOGRAPHIE THEOLOGIQUE 293
zur Èrlœuter. der Reformntionsgesch.t Halle, 1841, in-8°; A. Kucznyski
(Thésaurus UbeUorum kistoriam Reformationis illustrantium , Leipz.,
1S70-7V); ainsi que les bibliographies générales consacrées à la pre-
mière moitié du seizième siècle de C. Gesner, de Panzer et de Weller.
Les réformateurs d'Espagne ont trouvé un bibliographe accompli en
Wiffeu et sou continuateur, Ed. Bœhmer (Bibliotheca Wiffeniana,
Strasb., 1874, in-8°). La plupart des ordres religieux ont eu aussi les
leurs : nous ne citerons que ceux des ordres les plus importants : pour
les bénédictins, Ziegelbauer et François, et spécialement pour la con-
grégation de Saint-Maur, Pez, Lecerf et Tassin ; pour les dominicains,
Qtiétii et Echard; pour les franciscains, Wadding et son continuateur
Sbaralea, ainsi que J. a S. -Antonio; pour les jésuites, après les ouvrages
anciens de Ribadneira, Alegambe et Sotwell, le remarquable travail des
frères de Backer (Bibliothèque des écrivains de la Comp.de Jésus, nouv.
éd., Liège et Louvain, 1869-7(5, 3 vol. in-fol.) et celui de A. Carayon (Bi-
bliographie historique de la Comp.de Jésus, Paris, 1864, in-4°). Quelques
sectes religieuses ont fourni de bonnes monographies bibliographiques :
ainsi pour les sociniens, G. Sand (Bibliotheca Anti-Trinitariorum, Freis
tad, 1684, in-8°) ; pour les arminiens, A. van Cattenburgh (Bibliotheca
Si riptorum Remonstrantium, Amst., 1728, in-8°), et tout récemment H. -C.
Rogge (Catalogus der Pamfletten-Verzameling van de Bœckereij der
Remonstnxntsche Kerh te Amsterdam, Amst., 1861-65, 3 parties en
8 livraisons in-8°), qui est un excellent travail d'ensemble bien plus
i omplet que son titre ne l'indique. Le jansénisme, si fécond en pro-
ductions imprimées, aurait bien mérité une bonne bibliographie; à
son défaut, il faut se contenter de l'ancien Catalogue des livres impr. de
la Biblioth. du roi; Théologie (Paris, 1739-43, 3 v.- in-fol.), très-complet
sur cet article; il est regrettable que la publication entreprise par
l'abbé Guettée de V Histoire littéraire de Port-Royal, par Clémencet
(Paris, 1868, in-8°) en soit restée an premier volume. Pour ce qui
concerne spécialement la France, nous rappellerons que J. Lelong
Bibliothèque hist. de la France, nouv. éd. par Fevret de Fontetto,
s, 1708-78, 5 vol. in-fol.) consacre presque tout son premier
volume à l'histoire ecclésiastique de ce pays, et qu'il est fort bien
complété sur ce point par le Catalogue de Vhist. de France de la Biblio-
thèque impériale (Paris, 1855-70, 1() vol. in-4°) dont le tome V tout
entier est affecté à l'histoire religieuse. La Suisse possède un excellent
ouvrage dans le genre de celui de Lelong par G.-E. de Haller (Biblio-
thek der Schweizer^Geschichte, Berne, 1785-88, 7 vol. in-8°), dont le
volume III est consacré à la bibliographie de l'histoire ecclésiastique;
mment on a extrait du livre de Haller toutes les indications se
rapportant à l'histoire de la Réformation en Suisse, dans YArchiv fur
die schw. Reformations-Geschichteherausgeg. von don Pius-Verein (vol. I,
Soloth., 1868, in-8°), tandis que le volume III (Freib., 1875) de cette
publication complète ces extraits par l'indication malheureusement
assez peu soignée des ouvra-. s parus sur le même sujet depuis Haller.
IV. Appendice. Des bibliographies spéciales pour la théologie
ématiqueel pratique font défaut ou sont trop anciennes, e! il Eaut
294 BIBLIOGRAPHIE — BICHETEAr
se contenter des histoires du dogme et de la théologie, des histoires de-
là prédication dans les divers pays et des ouvrages de catéchétique, etc. .
ou recourir aux bibliographies pour F ensemble de la théologie.
Quoique ne rentrant pas directement dans le domaine de la théologie,
nous croyons devoir indiquer ici les principaux ouvrages bibliogra-
phiques sur l'Orient dans son ensemble et sur la littérature hébraïque :
J-.-T. Zenker (Bibliotheca orientalis, Leipz., 1846-61,2 vol. in-8°) est un
bon catalogue des ouvrages publiés en langues orientales ou relatifs à
ces langues; un troisième volume, qui devait être destiné àl'indication
dès ouvrages relatifs à la géographie, à l'histoire et à la philosophie do-
lOrient, if a pas paru ; C.-H. Herrmann (Bibliotheca orientulis et lin-
guistica, Halle, 1870, in-8°) signale les ouvrages publiés en Allemagne
de 1850 à 1868. La Zeitschrift der Deulschen Morgenlœndïsçhen Gesell-
schaft (Leipzig, 1847 et suiv.) publie dès l'origine d'excellentes revues
critiques sur l'ensemble des travaux parus dans Tannée sur l'Orient :.
elles ont eu successivement pour auteurs Fleischer, Rœdiger, Arnold
et Gosche ; elles se sont à tel point développées qu'il a fallu séparer ces
comptes-rendus du journal et les faire paraître à part (Gosche, Wissen-
schaftlicher Jahresbericht ûber die morgenlxndischen Studien, 1859-61 r
Leipz., 1868, et 1862-67, Heft L Leipz., 1871 ; la suite est encore en re-
tard). Pour tout ce qui concerne les Juifs, J.-C. Wolf (Bibliotheca hebrœa,
Hamb., 1715-33, 4 vol. in-4°) est une mine inépuisable de renseigne-
ments bibliographiques de tout genre; le supplément donné par
H. -F. Kœcher (Nova bibliotheca hebraica, Iéna, 1783-84,2 vol. in 4°) est
loin d'être delà même valeur; J. Fùrst (Bibliotheca judaica, Leipz.,
1849-63, 3 vol. in-8°) contient une foule de titres, mais aussi beaucoup
d'inexactitudes; M. Steinschneider (Catalogus librorum hebrxorum in
Bibliotheca Bodleiana, Berlin, 1852-60, 2 vol. in-4°) est un ouvrage
bien supérieur et qui, malgré son titre, est une véritable bibliographie
hébraïque; enfin, pour les plus anciens ouvrages imprimés en hébreu,
J.-B. de Rossi -a livré un excellent travail (Annales hebrœo-typogra-
phici, Parmse, 1795-99, 2 vol. in-4°) ; on doit entre autres encore à ce
bibliographe distingué une Bibliotheca judaica antichristiana (Parai* ,
1800, in-8°). — Pour des indications plus complètes sur les ouvrages
de bibliographie théologique, conf. : Walch, Bibliotheca theologica,
Iéna, 1757 (préface du t. I); Struve, Bibliotheca historias litterarix
(t. II de la nouv. éd. par Jugler, Iéna, 1754-63); Namur, Biblio-
graphie paléogrophico-diplomatico-bibliographique, Liège, 1838, t. II;
et surtout Petzholdt, Bibliotheca bibliographica, Leipz., 1866; de Smedt,
Introd. gêner, ad histor. eccl., Gand, 1876, in-8°. a. Bernus.
BICHAT. Voyez Sensualisme.
BICHETEAU (Abel), pasteur à Montauban et professeur en l'aca-
démie de cette ville, où le synode provincial de Puylaurens le nomma,
en 1618, à la chaire d'hébreu. Il y fut confirmé par le synode
national d'Alais. Il avait épousé Marie Le Petit. On ne sait rien de plus
sur ce ministre; on ne signale aucun ouvrage publié par lui. — Un
autre professeur du même nom, et qui était peut-être son fils, a occupé
la chaire de grec. Une pension fut accordée à. sa. veuve, en. 1660, par le
BICHETEAU — BTDDLE 295
synode national de Loudun. Les registres de Charenton nous ont fait
connaître deux de ses autres fils : 1° Jean, avocat au parlement de Paris,
qui épousa, en juin 1643, Marie Vimboin ; 2° Michel, qui fut aussi avo-
cat à Paris et fut enterré Le 2 juillet 1661; L'un des deux eut delà
< élébrite* comme « souffleur (répétiteur) de droit », et fut le maître de
Jean Bon.
BICKELL (Jean-Guillaume) [1799-1848], professeur de droit à Mar-
bourgel magistrat hessois distingué, ami et soutien du ministre Has-
senpflug. II visita les plus importantes bibliothèques de l'Allemagne
et (!(> l'étranger, et réunit de nombreux matériaux concernant les
sources et les principales parties du droit canon. Nous ne citerons
parmi ses ouvrages que son Histoire du droit ecclésiastique (Marb., 1843,
I vol.), qui a été continuée par son collègue, le professeur Bcestel'l.
Bickell prit une part active aux luttes ecclésiastiques dont la Hesse
électorale fut le théâtre depuis 1830. Il se rattachait au parti ortho-
doxe, et publia plusieurs brochures fort remarquées, tant sur le ré-
gime presbytéral-synodal, qui avait toutes ses sympathies, que sur le
caractère obligatoire des confessions de foi pour renseignement des
pasteurs.
BIDDLE (Jean), théologien anglais, considéré comme l'un des ancê-
tres de l'unitarisme en Angleterre. 11 était né en 1615 à "Watton, dans
le comté de Glocester. Sa famille était d'une condition plus que mo-
deste, et ce fut lord Berkeley qui lui fournit les moyens de faire son
éducation. Il ne tarda pas à se distinguer par une précocité d'intelli-
gence extraordinaire, et à Page de treize ans il avait déjà traduit en
vers anglais les églogues de Virgile et les deux premières satires
de Juvénal. En 1641, l'université d'Oxford lui conféra le grade de maî-
tre es arts et la ville de Glocester se l'attacha comme maître d'école. Mal-
heureusement ses opinions indépendantes lui attirèrent toutes sortes de
désagréments et de persécutions. Il s'était permis d'émettredes doctrines
contraires à celles de l'Eglise anglicane sur la Trinité. On le punit de
cette hardiesse par la prison. II ne se tint pas pour convaincu ou con-
verti et publia en 1647 un traité où il soutenait que le Saint-Esprit ne
participait point de la divinité. Ce traité fut brûlé par la main du bour-
reau. En 1648 parurent de lui deux autres écrits : Confessions of fait h
concerning the holy Trinity et The Testimonies of Irenœus, etc. Une
assemblée de théologiens fut convoquée à Westminster à ce propos
et le parlement anglais, à la sanction duquel on avait fait appel, rendit
une loi 'portant peine de mort contre quiconque professerait des opi-
nions contraires à celles de l'Eglise officiellement reconnue. Biddle
tombait directement sous le coup de cette loi ; il ne dut son salut qu'au
désaccord qui éclata entre le roi et le parlement.il jouit pendant quel-
que temps d'une espèce de tolérance, Jeté de nouveau en prison, ii re-
couvra la liberté par un acte de pardon émané du parlement en 1651.
II profita de sa liberté pour faire imprimer en 1654 son Twofold scrip-
ture catéchisme. Cromwell L'exila en 1655 au château de Sainte-Marie,
dans les îles Sorlingues. Rappelé en 1658, Biddle devint pasteur d'une
congrégation d'indépendants établie à Londres. Charles II ne l'y laissa
206 BIDDLE — BIEN
pas longtemps tranquille; il le lit arrêter et mettre en prison. Ce
dernier emprisonnement altéra profondément sa santé et il mourut en
1(302, à l'âge de quarante-sept ans. Ses adversaires eux-mêmes n'ont
pu s'empêcher d'apprécier son grand savoir, la douceur de son ca-
ractère et l'austérité de ses mœurs. a. Gaey.
BIEL (Gabriel), qui, en Allemagne, fut le dernier nominaliste, de
même que Jean Heynlin a Lapide fut le dernier réaliste, était originaire
de Spire. Il lit ses études à Heidelberg, les continua depuis 1442 à Er-
furt, remplit pendant quelque temps les fonctions de prédicateur à
Mayence, devint prévôt du chapitre et conseiller du comte Eberhard
de Wurtemberg. Quand celui-ci fondaruniversitédeTubingue,il y ap-
pela Biel comme professeur de théologie. Sur la lin de sa vie, le vieux
savant se retira dans un couvent de chanoines réguliers de Saint-Au-
gustin ; c'est là qu'il mourut en 1495. Dans son Collectorium ex Occamo
super Ubros Sentcntiarum (Tubing. , 1495 et 1501 , in-f°), il expose le nomi-
nalisme d'Occam d'une manière habile et lucide. Outre quelques re-
cueils de sermons (Sermones dominicales de tempore et de sanctis, Tubing.,
1500, m-4° ; Haguenau, 1520, in-4°; Sermo seupotiustractatus dominiez
passionis, Hag., 1520, in-4°), on a de lui une Canonis missœ expositîo
resolutissima (Tubing., 1499, in-4°, et souvent), et un Epithoma exposi-
tionis canonis missœ (Spire, s. a., in-4°). Cette Exposition est moins un
ouvrage de Biel lui-même qu'un résumé de leçons que maître Engelin
de Brunswick avait faites à Mayence. On y rencontre quelques passages
assez libres sur les abus du temps; l'auteur met en doute l'efficacité de
certains sacrements, il place les conciles universels au-dessus de la pa-
pauté et prend la défense des canons de celui de Bàle. Attaqué à ce
sujet, Biel se justifia par un Defensorium contra œmulos suos de obe-
dientia sedis apostolicœ. Ch. Schmidt.
BIEN. Le bien est ce qui doit être, comme le mal est ce qui ne doit
pas être. Pour quiconque croit en Dieu, le bien est donc la réalisation
de la volonté de Dieu. En dehors et au-dessous de cette définition reli-
gieuse qui est seule complète, on trouve chez les penseurs et chez les
moralistes des formules très diverses par lesquelles ils ont essayé de
déterminer la nature et les conditions du bien, appelé, dans le langage
philosophique, le souverain bien. Pour Platon, le bien ne fait qu'un
avec le beau et le vrai et consiste essentiellement dans la ressemblance
avec Dieu. L'effort pour imiter Dieu (qjioiuxnç ©sw xaià to Suvaxov)
est, suivant Platon, la perfection de l'homme (Thcétète, Philèbe, la
République). C'est aussi l'unique condition de son bonheur: « Le plus
vertueux et le plus juste des hommes en est aussi le plus heureux ; le
plus méchant et le plus injuste en est le plus malheureux » (Ré-
publ., IX). Aristote cherche le souverain bien dans l'utile, ou dans la
somme des jouissances qui résultent du plein exercice de la raison.
L'exercice parfait de la raison est pour lui la vertu et le bien, et réci-
proquement le bien est la perfection même de la raison. Le bien pour
Epicure, c'est le plaisir ou le bien-être, un ensemble d'impressions
agréables et l'absence de toute sensation comme de tout sentiment
pénible. Si Epicure recommande à ses disciples ia recherche de la
BIEN 207
vertu, c'est parce qu'elle procure à Illumine une vraie satisfaction.
Zenon et les stoïciens considèrent comme le but suprême de la vie la
vertu en soi, la vertu austère à laquelle nous conduit la nature, quand
nous savons l'interroger et la suivre. « Vis conformément à la nature, »
telle est la maxime de la morale stoïcienne qui ne s'exprime guère
que sous forme négative : Susttne et abstinè. Bossuet entendait autre-
ment le souverain bien quand il le définissait : « la vérité entendue et
aimée parfaitement » [Connaissance de Dieu et de soi-même, IV, 10).
kant, qui a fait de cette question le centre de ses recherches, après
avoir renversé la réalité des idées de la raison, établit qu'il reste néan-
moins un principe nécessaire et universel, savoir la loi morale. Le
sentiment du devoir qu'il appelle la raison pratique donne seul aux
actions humaines un but suprême et absolu. Le devoir, tel est donc
pour Kant le souverain bien. Les mystiques le trouvent dans l'acte
d'amour pur et d'abandon total par lequel l'àme humaine se détache
d'elle-même au point de se perdre en Dieu. — Après avoir jeté ce rapide
coup d'œil sur les systèmes des principaux chefs d'écoles, rappelons
quelle est la notion biblique du bien. On n'en saurait imaginer une
ni plus simple, ni plus féconde. Dieu est le bien absolu ; Dieu seul est
bon (Matth. XIX, 17; Marc X, 18; Luc XVIII, 19); non-seulement entre
le mal et lui aucun contact n'est possible (Jacques I, 13), mais il est la
source même, la source unique du bien : il ne procède de lui que du
bien, et il n'est aucun bien qui médiatement ou immédiatement ne
procède de lui (Jacques I, 17). La création, cette première révélation
de Dieu, est bonne, en sortant de ses mains; le récit de la Genèse
appuie avec intention sur ce fait capital (Gen. I, 10, 12, 19, 21, 25)
i i ! accentue encore plus fortement dans les derniers mots : « Dieu vit
tout ce qu'il avait fait, et voici, cela était très bon » (Gen. I, 31). « Tout
ce que Dieu a créé, dit saint Paul, est bon » (1 Tim. IV, i). De là cette
conclusion inévitable et d'une grande importance, que le mal, si uni-
versel qu'il soit, n'a qu'une existence contingente, qu'il n'est qu'un
accident, que, loin d'être la condition du bien, il est son contraire,
comme les ténèbres, symbole du mal, sont le contraire de la lumière,
symbole du bien (Jean III, 19; 1 Jean I, 5; Ephés. V, 8), et qu'il est
permis d'en attendre la disparition définitive (Matth. VI, 13; Jacques IV,
7; Esaïe XXXV, 10; LI, il; Luc X, 18; Apocal. XII, 9). Mais le bien
fiant un fait moral, il ne peut y avoir de bien pour l'homme qu'autant
<] u 'il y a de sa part un acte volontaire ; quoiqu'il soit créé à l'image de
Dieu et qu'en vertu de cette céleste origine il soit fait pour connaître,
amer, pratiquer le bien, il peut s'en détourner, et il s'en est détourné
en effet; le monde, œuvre de Dieu, n'a pas été ce que Dieu voulait
qu'il fût, le royaume du bien, parce que l'homme auquel le monde a
été assujetti (Gen. 1,28) a laissé s'interrompre la communion primi-
ve entn lui et son créateur qui était pour lui la condition de tout
bien. L'œuvre de Jésus-Christ a précisément consisté à rétablir cette
communion interrompue et à remettre par là à la portée de l'homme
tombé le souverain bien qu'il a perdu par sa faute, mais qu'il n'a pas
de désirer (Ps. XVI, tî ; XXXVI,8; EsaïeLV, 1-3). Christ, par sa vie
298 BIEN — BIENS ECCLÉSIASTIQUES
sainte, son enseignement divin et sa mort rédemptrice, a fondé, au
sein de l'humanité pécheresse, un nouveau royaume de Dieu (Matth. VI,
33) saint (Ephés. V, 5) et inébranlable (Hébr. XII, 28), qui est pour
l'homme le royaume du bien, royaume gouverné par une loi spirituelle
(Rom. XIV, 17), savoir la volonté de Dieu librement acceptée par tous
les membres de ce royaume (Matth. V-VII), et dans lequel se trouvent
tous les biens que l'homme peut souhaiter : le repos (Matth. XI, 28).
le rassasiement (Jean VI, 35), l'eau qui désaltère pour toujours (Jean IV,
14), la vie (Jean X, 10). Le bien suprême pour l'homme ne peut donc-
être qu'un bien spirituel ; rien de ce qui est matériel et périssable ne
saurait le satisfaire. Ce n'est pas à dire que nous devions mépriser les
biens que nous offre la vie présente et que nous tenons aussi de la
bonté de Dieu, puisque la terre et tout ce qu'elle renferme est à lui
(Ps. XXIV, 1 ; Exode XIX, 5). Loin d'enseigner un ascétisme arbitraire
(Colos. II, 20, 21), l'Ecriture sainte nous invite à rapporter toutes
choses à la gloire de Dieu, même le manger et le boire (1 Cor. X, 31),
et à considérer toutes choses comme à nous, pourvu que, vivant nous-
mêmes dans la communion de Jésus-Christ, nous les fassions toutes
servir à l'affermissement et à l'extension du royaume de Dieu
(1 Cor. III, 21-23). Remarquons, en terminant, que le propre de ce
royaume et du souverain bien qui s'y développe, c'est que l'élément
religieux et l'élément moral non-seulement s'y rencontrent, mais s'y
pénètrent d'une manière intime et complète; dans le bien, tel que
Dieu le veut et tel qu'il nous le révèle par l'Evangile, on trouve réuni
et confondu ce qu'il y a de plus moral dans les préceptes les plus
élevés du stoïcisme et ce qu'il y a de plus religieux dans les principes
les plus purs du mysticisme. C'est un bien qui descend d'en haut, du
Père des lumières, mais qui germe dans des cœurs humains et se réa-
lise par l'activité humaine (Rom. XII, 1). Envisagé dans son caractère
essentiel, ce bien n'est autre que la volonté de Dieu accomplie par la
volonté de l'homme. On ne peut donc concevoir dans le royaume que
Christ a fondé et où cette volonté sainte est la loi souveraine, ni le bien
sans Dieu, ni Dieu sans le bien. J. Monod.
BIENS ECCLÉSIASTIQUES. La propriété ecclésiastique est antérieure
au christianisme. La loi de Moïse ordonnait aux Israélites d'offrir à
Dieu non-seulement des sacrifices, mais aussi la dime de leurs récoltes
et les prémices de leurs troupeaux. On portait ces dîmes et ces pré-
mices aux lévites et aux sacrificateurs. Lors du partage du pays de Ca-
naan, ils avaient reçu quarante-huit villes, dont le territoire formait une
propriété ecclésiastique. De même, lors de la dispersion, les syna-
gogues et les terres y attenantes. Dans l'antiquité païenne, non-seule-
ment les particuliers offraient de fréquents sacrifices ; non-seulement
les temples étaient enrichis de dons précieux (voir par ex. Cic. In Ver-
rem) , mais encore des immeubles en dépendaient. Nous trouvons donc
chez les Juifs et chez les païens l'habitude de subvenir aux frais du
culte et la propriété ecclésiastique. Les premiers chrétiens conser-
vèrent l'une et constituèrent l'autre au profit de la nouvelle Eglise. Il
fallait, dès le début, pourvoir à l'entretien des apôtres, à la célébra-
BIENS ECCLÉSIASTIQUES
tion de la Cène el des agapes; la charité distribuait des secours. Aussi
voyons-nous les membres de l'Eglise vendre leurs biens et en apporter
le prix aux apôtres (Act II. 'io; IV, 31 ss.; V, i,.ss.), ou faire des
collectes pour subvenir aux besoins de l'Eglise (1 Cor. XVI, iss.;
2 Cor. VIII, IX; Philip. IV, 15, etc.). Ces souscriptions, ces dons en
nature ne constituent pas encore des biens ecclésiastiques; cependant.
déposés chez l'évêque, ils tonnent bientôt un fonds permanent, qu'il
administre (('an. apost. IV). Ensuite les chrétiens, au lieu de vendre
leurs immeubles, les donnent; la propriété ecclésiastique naît ainsi
chez eux en l'ait ; mais elle n'existait pas encore en droit. D'après le
droit romain, étaient seules personnes civiles, et, par suite, seules
capables d'être propriétaires, les associations autorisées par le gou-
vernement (1. 1 pr., D., Quod cujuscunque universitatis; 1. 3, § 1, D.,
De colleg.). Donc les églises chrétiennes n'avaient pas le droit d'être
propriétaires. Cependant , dès le troisième siècle , elles avaient des
locaux pour le culte et des immeubles de produit. Mais ces biens,
illégalement possédés, furent confisqués au profit du fisc : nous le
savons par la loi de Licinius et de Constantin (an. 313), qui ordonne
de restituer ces immeubles aux églises chrétiennes (Eusèbe, Hist.
eccl.y IX; Lactance, De morte persec, c. XLVlli). Dès lors, les empe-
reurs deviennent chrétiens et tout change. Non contents de conférer à
l'Eglise la faculté d'acquérir (C. Th. XVI, n, De episc, c. 4; C. J.,
I, ii. De sacros. eccles., c. 1), ils la comblent de largesses et de fa-
veurs; le patrimoine de l'Eglise prend un rapide développement,
indiquons les modes d'acquisition qui le formèrent. — I. Les modes
ordinaires d'acquisition à titre onéreux, d'après le droit civil. — II. Les
libéralités. Les empereurs concédaient souvent à des particuliers, à titre
gratuit, des terres de leur domaine; l'Eglise reçut de nombreuses con-
cessions de ce genre (C. Th. XI, xx, De collât, donat., c. 20, § 2). Les
lidèles, aussi considéraient comme un devoir d'enrichir l'Eglise par des
donations ou par des legs (voy. Dons et legs). — III. Succession. D'après
Eusèbe ( Vie de Constantin, cité dans Haenel, Corpus legum ante Justi-
nianum latamm, p. 196 et 197), Constantin aurait attribué à ce titre, à
l'Eglise, les biens confisqués sur des martyrs dont il n'existait plus de
parents. Au cinquième siècle, Théodose et Valentinien ordonnent que
les évêques, prêtres, diacres, etc., religieux et religieuses, qui décè-
dent sans héritiers, auront pour successeur non le fisc, mais leur église
ou leur monastère (C. Th., tit. De bonis cleric; C. J., I, ni, Deepisc,
« . '20; cf. eod. C, tit. De sacros eccles. AUTH. ingressi monasteria et Nov.
131. c. 13, in f.). — IV. Confiscation. Selon les auteurs de l'histoire ec-
clésiastique , Constantin aurait commencé à confisquer les temples
païens au profit de l'Eglise chrétienne (voy. lescitations dans Haenel, op.
'//.. p. 19b' et 200). Nous croyons plutôt, d'après les constitutions des
empereurs, que les coniiscations se tirent plus tard et au profit du fisc;
mais que des dons particuliers furent prélevés au profit de l'Eglise sur
les biens confisqués (C. Th., XI, xx, De collât, donat.; c. 5, c. 6 pr. , X,
x, De petit or. c. ~1'\ : XVI, x, De paganis, c. 19 pr., c. 20; x , 1 ; De
jure fisci, c. H; C. J., 1, XI, De paganis, c. 1, c. 7, c. 8, c. 9, c. 19,
S'<KI BIENS ECCLÉSIASTIQUES
Si i. c. 20, § 2, c. 25; XI, LXIX, De divers, prœd. urb. et rust. témpl. et
< wit., c. 4). Mais les empereurs ajoutèrent la confiscation des biens aux
autres peines édictées : 1° contre le ravisseur d'une religieuse (C. J., I, in,
De epïsc, c. 54) ; 2° contre certains hérétiques : Nestorius (Haenel, op.
cit., p. 247); les donatistes (C. Th., XVI, v, De hxret., c. 52, § 5, cf.
eod. tit., c. 43 etc. 53, § I); les montanistes (C. Th., eod. fc7.,c.52, §5).
Pour les biens des autres hérétiques, voy. eod. ftï.,c.65, § 3.) — V. Au
milieu des désordres d'époques si troublées, ne soyons pas surpris de
voir les gens d'Eglise usurper les terres voisines et même s'emparer
violemment des biens des païens et des juifs (C. Th. XVI, x, De pa-
yants, c. 24, § 1 ; Gregorii Magni Papœ Registrum Epistolarum, lib. I,
Epist. IX; lib. VII, II, indictio Epist. V, p. 782; Epist. LIX, p. 826;
Kpist. XL1V, p. 809. Voir aussi de Savigny, System des heutigen
rœmischeri Rechts, II, p. 262 ss.). De la sorte, à la lin de l'empire ro-
main, le patrimoine de l'Eglise avait pris une immense extension. Il
était môme privilégié, car les empereurs l'avaient entouré d'immuni-
lés importantes (voy. Immunités). Mais ils s'étaient donné le droit
d'en surveiller l'administration. Léon et Anthemius (C. J. 1, n, De
.<acros. eccles., c. 14), puis Anastase (eod. tit., c. 17), enfin Justinien
{eod., eod. eod. tit., c. 24, § 1-3 AUTH. hoc jus porrectum ; I, ni, De
opisc, c. 42 et c. 57) déclarent inaliénables les biens de l'Eglise. Ils
ue peuvent être ni vendus, ni hypothéqués, ni donnés en emphytéose
pour une période de plus de trois générations, ni loués pour plus de
vingt ans. Les aliénations sont nulles, sauf si elles ont été faites dans
les cas de nécessité et dans les formes que la loi détermine (voy. aussi
<'. J., I, n, AUTH. sedet permutare. AUTH. Item prœdia). Justinien dit
que les biens d'Eglise doivent être pie administranda. Ces ordonnances
n'étaient pas inutiles. Au début, les évêques, assistés de diacres et
«I ''conomes, avaient été administrateurs souverains des biens d'Eglise
n a non 24, Caus. XIII, q. 1). Tantôt saint Jean-Chrysostôme (Hom. LXXXV
in Matth. Edit. Benedict., vol. VII, p. 809) nous les représente plus
-upés de vendre les produits des terres de l'Eglise ou de plaider que
<»<• remplir leurs devoirs. Tantôt nous les voyons attribuer à leurs pa-
rents ou à leurs serviteurs les biens confiés à leur gestion (c. 23, eod.
loi'o). Parmi les papes, saint Grégoire surtout tâcha de prescrire des rè-
gles aux administrateurs des biens d'Eglise (voir Registrum. Epist.,
lib. I, Epist. XLII, p. 408; Epist. LXX, p. 430; lib. II, Epist. XXX,
p. 466; lib. VI, Indictio XV, Epist. XXXVI, p. 738; lib. VII, Ind. II,
Kpist. XVII, p. 794; lib. XII, Ind. VI, Epist. XXX, p. 1119, etc.). Les
conciles s'en étaient déjà occupés, et le droit ecclésiastique fonda sur
les principes suivants la théorie de la propriété de l'Eglise. L'Eglise a
besoin, pour soutenir son existence extérieure, de biens temporels.
Elle tient donc de Jésus-Christ, son fondateur, le droit de les possé-
der; et donner à l'Eglise, c'est donner à Christ. Les biens ainsi consa-
s à Dieu sont sacrés et ne peuvent pas être enlevés à l'Eglise sans
rilége. Le besoin qu'elle a de ces biens impose aux fidèles le devoir
le les lui donner. Au début, on songea tout naturellement à remplir
envers l'Eglise les obligations imposées aux Israélites par la loi de
ère
sa*1
rie
BIENS ECCLÉSIASTIQUES 30J
Moïse. Les prémices et Les oblations affluèrent; les dimes s'établirent.
Lorsque l'esprit de sacrifice se fut affaibli, on sanctionna ce devoir par
des peines spirituelles (C. J., I, ni, De episc, c. 39; Synode de Mâcon.
an. 585, c. 5). Les Pères*de L'Eglise s'étaient bornés à des exhortations
(c. 65, 66, 68, Caus. XVI, q. 1; c. 8, Caus. XVI, q. 7, d'Augustin el de
Jérôme ; voir Dîmes). Au droit de l'Eglise correspondait le devoir pour
elle d'administrer, conformément à leur destination, les biens qu'elle
recevait : le droit ecclésiastique en fixa l'emploi. Au début, les évêques
et les clercs devaient ne prendre part aux biens de l'Eglise que s'il-.
n'avaient pas de quoi vivre (c. 23, Caus. XII, q. 1). Plus tard, nu
divisa les revenus ecclésiastiques en quatre parts : une pour l'évêque.
une pour le clergé, une pour la fabrique, une pour les pauvres (Gaus.
XII. «|. 2, c. 23, 25, 26, 27, 28, 29, 30). Cette répartition, qui ne fui pa-
loujours respectée en fait (voir Greg. P. Jleg. Epist., lib. III, Ind. Mi.
Epist. XI, p. 548; lib. V, Ind. XIV, Epist. XXIX, p. 070), ne s'appliqua
pas à tous les pays chrétiens. En Espagne, l'évêque, le clergé et la
fabrique partagèrent par tiers (Conc. Bracar. I, an 563, c. 7). Dans
l'empire franc, on adopta tantôt la répartition par tiers (Capit. Aquisgr..
c. T.i, tantôt la répartition par quarts (Stat. Rhispacensia et Frisïngeu-
sta). Mais on ne distribuait ainsi que les revenus et non les imn ici ■-
blés, qui formèrent un fonds commun jusqu'à l'époque où l'on affecta
des immeubles déterminés à chaque fonction ecclésiastique. Les béné-
fices naquirent ainsi (voir ce mot) et furent consacrés surtout par le*
lois franques (Capit. Lud., 817, c. 10, c. 25; Caus. XXIII, q. 8). En
effet, convertis par l'Eglise, les barbares avaient sanctionné par leurs
lois les décisions du droit ecclésiastique (Ed. Theod., c. xxvi; Capi-
tul., lib. V, ccclxiv; Ed. Baluze, I, p. 904; Capit., lib. VI, cccciv.
p. 1001; Can. Isaac, tit. VII, 5, p. 1268; Capit. VIII, ann. 803, p. 407 :
Capit. III. ann. inc, p. 525; Capit., lib. VI, CCCCXXVIH, p. 1008: Ca
pit., lib. V, cccxxvi, p. 894; Capit., lib. VII, lxxvi, p. 1041; Capit..
lib. I, lxxx, p. 718; Capit., lib. VII, xxvn, p. 1035; Capit. add.. III.
LVI, p. 1100, etc.). L'Eglise continua donc de s'enrichir pendant le
moyen âge. A cette époque aussi les couvents se développèrent el ac;
quirent de vastes possessions. Mais la féodalité envahit l'Eglise, qui,
tantôt opprimée et obligée, malgré elle, d'abriter ses riches domaines
sous la protection d'un patron féodal, tantôt dotée d'apanages, vil ses
évoques devenir princes temporels et même prendre rang parmi les
électeurs de l'empire d'Allemagne. Le droit féodal soumettait au.\ ser-
vices personnels les biens d'Eglise, à l'exception du mansus integer.
que les Capitulaires affranchissaient (voy. Bignonius ad Marculfm,, .
col. S77). Lorsque les seigneurs prélevèrent des droits sur- les mu la
dons de propriété entre vifs ou par décès, les acquisitions par l'Eglise
Leur causèrent un sensible préjudice, puisque l'Eglise acquérait, mais
n'aliénait pas. et que les biens entrés dans ses mains étaient moi*
.«il
commerce. Oh les appela biens de mainmorte, et l'acquisition par
l'Eglise s'appela admortisatio (Ducange, h. v.). Elle fut réglée pai des
lois spéciales, dites lois d'amortissement , qui exigèrent, pour que
l'Eglise pût acquérir des immeubles ou des valeurs mobilières au delà
302 BIENS ECCLESIASTIQUES
d'une somme déterminée, l'autorisation du seigneur (en Angleterre,
la première loi d'amortissement date de 1225; Henri III, c. 36. Pour
l'Allemagne, voir Richter, op. infra cit., §.303, n. 4). En France,
l'Eglise ne put acquérir qu'en obtenant des lettres-patentes : elles
obligeaient l'Eglise à payer au seigneur l'indemnité, c'est-à-dire un
dédommagement des droits de relief, de lots et ventes qu'il ne perce-
vrait plus; au roi l'amortissement (voy. Fleury, op. infra cit., p. 338).
L'amortissement fut définitivement réglé par l'édit de mainmorte
d'août 1749. Aujourd'hui il est remplacé par l'impôt dit de main-
morte. Non content d'apporter ces limitations au développement des
biens ecclésiastiques , le pouvoir civil puisa quelquefois , pour subve-
nir à ses besoins, dans le trésor de l'Eglise, qu'on a appelé, de nos
jours, la caisse d'épargne de la révolution. Déjà Charles-Martel et Phi-
lippe le Bel, en France, Henri II, en Allemagne, avaient porté la main
sur les richesses de l'Eglise. Mais ce fut, au seizième siècle, une grave
question, que celle de savoir quel serait le sort des biens ecclésiasti-
ques dans les pays où la Réforme avait triomphé. Les princes protes-
tants d'Allemagne les affectèrent rarement aux besoins de l'Etat, le
plus souvent à F entretien de l'Eglise évangélique, au soulagement des
pauvres, à la création d'établissements d'instruction. La paix de Pas-
sau et la diète d'Augsbourg crurent trancher la question : elles lais-
saient aux protestants les biens qu'ils avaient sécularisés, et établis-
saient pour l'avenir la réserve ecclésiastique, c'est-à-dire la perte de
son bénéfice pour tout ecclésiastique qui devenait protestant. Les diffi-
cultés redoublèrent jusqu'à la paix de, Westphalie, qui les apaisa défi-
nitivement (1648 , Traité d'Osnabruck , art. 5). Depuis lors , l'Eglise
protestante conserva les biens qui lui étaient affectés et les administra
conformément aux règles du droit ecclésiastique. L'Eglise romaine
conserva aussi ses biens médiats et immédiats : ces derniers jusqu'au
commencement du siècle. En 1803, ils furent sécularisés pour dédom-
mager les princes allemands auxquels Napoléon enlevait des territoires
situés sur la rive gauche du Rhin (voy. de Garden, Hist. des Traités
de paix , vol. VII). En Angleterre, les biens ecclésiastiques avaient
passé à l'Eglise établie. En France, d'autres questions se posèrent, qui
soulevèrent de graves difficultés entre le pape, le clergé gallican et le
roi. Nous ne parlerons pas de toutes ici (voy. Bénéfices), mais de quel-
ques-unes. Et d'abord, qui pouvait aliéner les biens ecclésiastiques? Les
ultramontains voulurent que le pape pût ordonner des aliénations sans
le consentement du roi, et même invita cleHcis. Le clergé français re-
poussa toujours ces maximes (Libertés de l'Eglise gallicane, art. XXVIII
et XXIX, prouvées et commentées ; Ed. Durand deMaillane). Si nous pre-
nons pour exemples les biens d'un chapitre ou d'une abbaye, il
fallait que l'aliénation fût avantageuse, votée par tous les chanoines
ou par les moines et l'abbé, entourée des formalités réglées par la loi,
autorisée par l'évêque et surtout par le roi, enfin sanctionnée par le
pape, si le bénéfice relevait directement de lui (Blondeau, Biblioth.
canon., v° Biens ecclés.; Fleury, op. infra cit. Voir l'édit de main-
morte de 1749, art. 14). L'aliénation n'était valable que si elle avait
BIENS ECCLESIASTIQUES 308
été préalablement autorisée par lettres-patentes du roi , qui réglai!
ainsi souverainement remploi des biens ecclésiastiques. Pouvait-il
prélever sur ces biens des impôts? Non. Mais il s'en lit aider, dans les
cas de nécessité. Le pape avait donné l'exemple. A l'occasion des
croisades, les papes avaient imposé sur les biens d'Eglise une contri-
bution du dixième du revenu : d'où son nom de décimes saladines.
Les rois de France défendirent aux papes d'en lever, mais en levèrent
à leur prolit. Les décimes, dont le taux varia, étaient toujours votées
par le clergé, qui refusa constamment de contribuer aux besoins de
L'Etat autrement que par des dons volontaires dits gratuits (voy. Institu-
tion du droit français, par C. Fleury, Ed. Laboulaye et Dupin, lre part.,
ch. XXXVII). Les décimes devinrent en fait continuelles, et leur taux
fut considérable. A l'époque des guerres de religion, Charles IX en
imposa pour un chiffre élevé. Le même roi et Henri III, par plusieurs
édits (1563, 1576, 1586, etc.), autorisèrent des ventes importantes de
biens d'Eglise pour subvenir aux frais de la guerre contre les protes-
tants. Ainsi nos rois, dans leurs efforts pour étouffer la vérité reli-
gieuse, employèrent, pour combattre le culte en esprit et en vérité,
ces biens mêmes que la piété des fidèles avait consacrés au service de
Dieu. L'Eglise romaine les conserva encore deux siècles; puis la Révo-
lution française, après avoir aboli les dîmes (décr. des 4-1 1 août 1789),
déclara les biens ecclésiastiques propriétés nationales (décr. des 2-4 no-
vembre 1790; décr. 13 brumaire an II). Mais tout ne fut pas vendu. Le
Concordat restitua à l'Eglise les biens non aliénés (art. 12), et l'on
affecta de nouveaux immeubles à la célébration du culte et au loge-
ment du clergé (art. org. 7*2 et 75 ; cf. décr. du 30 déc. 1809 et loi du
18 juillet 1837 sur l'organisation communale). — Théorie. La pro-
priété ecclésiastique soulève des questions théoriques que nous ne
pouvons pas passer sous silence. L'Eglise a-t-elle nécessairement le
droit d'être propriétaire? Pour être sujet d'un droit, il faut être une
personne. Le droit civil reconnaît deux sortes de personnes : les per-
sonnes naturelles, les individus, et les personnes civiles. Une personne
civile est « un être de raison, capable de posséder un patrimoine et de
devenir le sujet des droits et des obligations relatifs aux biens »
(Aubry et Rau, Cours de droit civil, § 54, 4e éd., vol. 1, p. 185.) Ces
êtres fictifs ont une personnalité distincte de celle des membres qui les
composent : ils sont propriétaires, créanciers ou débiteurs sans que
leurs membres le soient ; mais ils n'existent que par la volonté du
législateur, qui les l'ait naître ou périr à son gré. En présence d'une
association, le législateur peut donc prendre trois partis : la prohi-
ber, l'autoriser, la créer personne civile. D'où nous concluons (pic
toute église n'acquiert une personnalité juridique qu'autant que la
législation du pays la lui concède, mais ne l'a pas nécessairement.
Qu'elle en jouisse ou non, elle n'en existera pas moins. Exemple :
les Eglises aux Etats-Unis; en France, les Eglises non reconnues par
L'Etat. Le droit ecclésiastique |n' est donc pas dans la vérité juridique
lorsqu'il prétend que L'Eglise tient de Jésus-Christ le droit d'être pro-
priétaire. Le christianisme s'accorde avec la science du droit pour re-
3u4 BIENS ECCLESIASTIQUES
pousser cette théorie. Le principe que nous avons posé décide une
autre controverse. On s'est demandé en qui résidait la propriété ecclé-
siastique, et les auteurs ont proposé : les uns, Jésus-Christ; d'autres, le
pape, considéré comme son représentant sur la terre ; quelques-uns, les
pauvres; d'autres, l'Eglise universelle. Selon nous, sont propriétaires
des biens ecclésiastiques, dans chaque pays, les établissements ecclé-
siastiques que le législateur a reconnus personnes civiles. En effet :
1° ils sont propriétaires; 2° eux seuls le sont. Les faits con-
cordent avec la logique du droit. Ne sont-ce pas les Eglises locales,
paroissiales ou épiscopales, les divers établissements religieux, qui ac-
quièrent à titre gratuit ou onéreux, qui aliènent, qui gèrent les biens
dits ecclésiastiques? Comment donc pourrait-on contester qu'ils soient
propriétaires et donner ce titre à d'autres personnes? C'est ce que te
droit romain avait reconnu (voir surtout Justinien, C, I, II, De sacros.
eccles., c. 26), et ce qu'admettent de nombreux auteurs (Richter, op.
infra cit., § 302; Jacobson, id., p. 125 ss. ; Lequeux, id., vol. III,
p. 252). Quelles sont donc, d'après notre législation française, les per-
sonnes civiles ecclésiastiques? Pour l'Eglise catholique romaine : 1. Les
paroisses, représentées par les fabriques (arr. 7 therm. an. IX ; décr.
30 déc. 1809). 2. Les cures et succursales (^décr. 6 nov. 1813 ; 1. 2 jan-
vier 1817; ord. 2 avr. 1817). 3. Les évêchés (décr. 1813). 4. Les
chapitres. 5. Les séminaires (I: 23 vent, an XII). Ces établissements
sont propriétaires des choses sacrées, des édifices destinés au culte,
des biens affectés aux usages religieux. Pour l'Eglise protestante :
1. Les paroisses, représentées par les conseils presbytéraux (décr.
26 mars 1852, art. 1er; arr. 10 nov. 1852, *art. 1-3; arr. 20 mai 1853,
ch. I). 2. Les consistoires (l. 18 germ. an X; arr. 20 nov. 1852, art. 7
et 8; arr. 20 mai 1853, ch. II). 3. Les séminaires. Les biens possédés
par l'Eglise protestante sont : les objets et les édifices consacrés au
culte; les biens destinés à couvrir les frais de culte; les biens dits cu-
riaux, qu'on avait affectés au traitement des pasteurs avant que l'Etat
s'en chargeât et qui ont conservé cette affectation ; les biens affectés
au traitement des sacristains, etc. Les textes que nous venons de citer
établissent, selon nous, le droit de propriété de l'Eglise. Nous repous-
sons donc la théorie qui veut que les biens dits ecclésiastiques soient
des biens de l'Etat ou des communes, affectés temporairement à des
usages religieux (arr. minist. 6 therm. an XII et 23 brum. an XII;
Puchta, Pandeklen, § 564; Meyer, Kirchenrecht, § 169). L'Eglise n'est
pas une branche des services publics , mais une société unie à l'Etat
par un traité et dont les intérêts temporels, spécialement les biens,
sont soumis aux lois civiles. Aujourd'hui non-seulement ils ne jouis-
sent plus d'immunités spéciales, mais ils payent, outre les impôts
ordinaires, l'impôt dit de mainmorte, et les actes qui les concernent
ne sont exempts ni des formalités, ni des frais de publicité. De même,
les établissements ecclésiastiques sont soumis , pour la gestion de leurs
biens, à des règles analogues à celles prescrites aux communes. Pre-
nons pour exemples dans l'Eglise romaine, les biens d'une fabrique.
Les baux de leurs immeubles doivent être faits pour dix-huit ans au
BIENS ECCÉSIASTIQUES 305
plus, sur cahier des charges dressé par le bureau des marguilliers, ap-
prouvé par L'évêque et homologué par le préfet, par adjudication pu-
bliée selon la loi, et dont le procès-verbal doit être approuvé par le
prèle!. Le bail doit être enregistré dans les vingt jours après cette ap-
probation. S'il est important, il est bon qu'il soit fait par acte notarié,
avec stipulation d'hypothèque 'sur les biens du preneur (arr. 7 therm.
au XI, art. 3 ; décr. 30 dé,c. 1801), art. 00; 1. 5 novemb. 1790; l. 10 fé-
vrier 1791; ord. 7 oct. 1818; 1. 25 mai 1835). Les fabriques peuvent.
acquérir des objets mobiliers avec la simple autorisation de l'évêque
diocésain, pourvu qu'elles n'empruntent pas et ne demandent pas de
subvention. Elles ne peuvent acquérir des immeubles à titre oné-
reux qu'avec l'autorisation préalable de l'Etat. Elles doivent, pour la
demander, fournir les pièces suivantes : 1° délibération du conseil de
fabrique indiquant le prix de l'acquisition projetée, les ressources des-
tinées à y faire face, la nature, la situation, la destination projetée de
l'immeuble; une promesse de vente émanée du propriétaire; un plan
6guré des lieux; un procès-verbal indiquant la contenance et la valeur-
estimative de l'immeuble, dressé par deux experts nommés, l'un par
la fabrique, l'autre par le vendeur; un procès-verbal d'enquête de
eommodo et incommodo ; un état de Tactif et du passif de la fabrique ;
un certificat de publication préalable de l'enquête; l'avis du conseil
municipal; l'avis de l'évêque diocésain et celui du préfet (loi 2 jan-
vier 1817, art. 1er; ordonn. 14 janv. 1831, art. 2 ; loi 18 juillet 1837,
art. 21; instruct. 10 avril 1862). Le ministre peut refuser arbitrairer
ment l'autorisation (arr. du Conseil d'Etat du 17 janv. 1838). Les
mêmes iormalités sont exigées pour les aliénations d'immeubles. Les
autres établissements religieux doivent suivre les mêmes règles. Les
établissements religieux protestants qui sont personnes civiles sont
soumis à ces formalités. L'établissement intéressé dresse le dossier, le
transmet à ses supérieurs ecclésiastiques ; ceux-ci au préfet; celui-ci au
ministre des cultes. Les autorités ecclésiastiques et le préfet donnent
leur avis (cire, minist., 18 sept. 1823). — Consulter, pour l'ancien droit,
Braun, Dos kirchliche Vermogen von den xltesteyi Zeiten bis auf Justi-
nian, Giessen, 1860; Thomassin, Discipline de l'Eglise, 3 vol. in-fol ;
de Héricourt, Lois ecclésiastiques de France, 1 vol. in-fol. ; Durand de
Mai liane, Dictionnaire canonique, 1786, 6 vol. in-8. Pour le droit mo-
derne. Eglise catholique romaine : Affre, Traité de la propriété des biens
ecclésiastiques, Paris, 1837, in-8°; Walter, Kirchenrecht, 14e éd., 1871;
Lequeux, Manuale compendium jvris canonici ad usum seminariorum ,
Paris, 1843, 4 vol. in-12; Vuillefroy, Traité de l'administration du culte*
catholique, Paris, 1842, in-8° ; Campion, Manuel pratique de droit civil
ecclésiastique, Caen, 1876, 2e édit., in-8°. Pour l'Eglise protestante :
Btehmer, Jus ecclesiasticum protestantium ; Carpzow, Jurisprudentia
ecclesiastica; Richter, Kirchenrecht, 7e éd., 1874; Jacobson, art. Kir-
chenrecht, dansWeiske, Rechtslexiçpn, t. VI; Lehr, Dictionnaire d'admi-
nistr ition ecclésiastique à l'usage des Eglises protestantes de France,.
Paris, 1869, in-8°. G. Bourgeois.
BIGAMIE. Voyez Mariage.
il. 20
306 BILFINGER — BINET
BILFINGER (George-Bernard) [1693-1750], l'un des hommes les plus
marquants du Wurtemberg au dix-huitième siècle. Professeur et cu-
rateur de l'université de Tubingue, membre de l'académie royale de
Berlin et de celle de Saint-Pétersbourg, également distingué par sa piété,
sa science, son esprit large et tolérant, Bilfinger contribua plus qu'au-
cun autre à préserver son pays du divorce fâcheux qui, presque par-
tout, s'établit au dernier siècle entre la foi chrétienne et la culture
philosophique. Disciple de Wolf, il publia un certain nombre de traités
destinés à prouver que la théodicée et la dogmatique ne diffèrent
point par les résultats de leurs investigations, mais uniquement par l'o-
rigine naturelle ou surnaturelle qu'elles leur attribuent. Ses trois prin-
cipaux ouvrages sont : 1° Dilucidationes philosophiez de JDeo, anima
humana, mundo et generalibns rerurn a ffectionibus, 1 'ub.,1725, in-4° ;
2° Disputationes de natura et legibus studiiin theologia ethica, 1731, in-4° ;
3° De Mysteriis christianœ fidei generatim spectatis sermo recùatus, 1732,
in-4°. Bilfinger fut chargé de rédiger le célèbre édit de 1743, qui, en
proclamant la pleine liberté des réunions religieuses publiques, atté-
nua, dans une large mesure, pour le Wurtemberg les dangers du
séparatisme.
BÎLLICAN. Diebolt Gerlach, dit Billicanus, de son lieu de naissance,
Billigheim près de Landau, se déclara pour la Réforme après avoir fait
ses études à Heidelberg. En 1522 il dut quitter cette ville pour y avoir
enseigné les principes de Luther. Après un court séjour à Weil, dans
le Wurtemberg, il devint pasteur dans la ville libre de Nordlingen,où il
introduisit définitivement la Réformation. En 1535 il revint à Heidel-
berg comme professeur de droit. Expulsé de nouveau en 1544, il fut
chargé de l'enseignement de la rhétorique et de l'histoire àMarbourg,
où il mourut en 1554. Ses écrits, les uns théologiques, les autres phi-
losophiques, ne sont plus que d'une médiocre importance.
BILLUART (Charles-René), né et mort à Revin sur la Meuse, dans
le diocèse de Liège (1685-1757). Après avoir fait ses études chez les jé-
suites de Charleville, il entra chez les dominicains. De 1710 à sa mort,
il fut professeur, prédicateur, prieur et provincial, et se distingua dans
ces divers emplois qu'il remplit et quitta tour à tour selon les décisions
de son ordre. 11 enseigna à diverses reprises au collège Saint-Thomas
de Douai. De ses nombreux écrits qui roulent presque tous sur des
points de polémique concernant la doctrine de saint Thomas d'Aquin,
son auteur favori et son idéal théologique, un seul a survécu dans le
monde des séminaires. C'est sa Summa S. Thomœ hodiernis Acade-
miarum morihus acc&mmodata, sive cursus theologiœ juxta mentent D.
Thomœ (Liège, 4746-51, 29 vol. in-8°). Ce manuel, souvent réimprimé
en Italie et en Allemagne, et dont l'auteur lui-même avait donné un
abrégé (Liège, 1754, 6 vol. in-8°), n'a pas peu contribué à développer
dans l'école catholique les idées et surtout l'esprit ultramontain du
Docteur angélique.
BINET (Etienne), né à Dijon, mort à Paris (1569-1639), passa près
de cinquante ans dans la compagnie de Jésus. Il était rentré en France
avec elle, en 1603, quand Henri IV la rappela. Lié d'amitié avec François
BINBT - I51XGHAM :;o7
de Sales, et d'un caractère aussi doucereux que sou style, le P, Billet
poussa à l'extrême la naïveté souvent maniérée de son modèle. Pascal
tança rudement son livre intitulé Marques de prédestination. La liste
interminable de ses ouvrages, aussi prolixes que leurs titres, se trouv»
dans la Bibliothèque des écrivains de la compagnie (te, Jésus, par Augustin
et Aloïsde Hacker (Liège, 1853). En voici quelques-uns : « Quel est le
meilleur gouvernement, le rigoureux ou le doux, pour les supérieurs
de religion? » « De l'état heureux et malheureux des âmes soutirantes
du purgatoire, et des moyens souverains pour n'y aller pas, ou y
demeurer fort peu, où sont traictées toutes les plus belles questions
du purgatoire: » « Méditations affectives sur la vie de la très-saint*
Vierge, mère de Dieu » (Anvers, 1632, in-8°). ; « Les saintes faveurs du
petit Jésus au cœur qu'il ayme et qui l'ayme » (Paris, 1626, in-12).
Notons surtout Le chef -aV œuvre de Dieu, ou les souveraines perfections de la
suinte Vierge sa mère. Le P. Jennesseaux a donné (Paris, Adrien Le
Clerc, 1855) mie édition corrigée de ce livre qui renferme la plus fidèle
exposition de la doctrine qui finit par prévaloir dans l'école ultramon-
taine. Malgré toutes les réticences, elle se résume en ceci : entre le
fidèle et Marie, il y a la différence « du tout au néant » (p. 486).
Rien n'y est plus commun que des passages comme ceux-ci : « Voilà
une fille d'Adam qui nomme Dieu son Père, comme fait le Fils ;
le Verbe éternel, son Fils, comme fait le Père; et le Saint-Esprit, son
amour, comme font le Père et le Fils. Dieu! quelle sainte confusion est
ceci?.... Vous voyez la filiation de Marie dans le Père; sa maternité dans
le Fils : son amour dans le Saint-Esprit. Disons mieux : vous la voyez
toute dans le Père, toute dans le Fils, toute dans le Saint-Esprit (p. 149
et loi). Puis donc que Dieu le Père engendre continuellement son Fils,
et que la très-sainte Vierge est si intimement unie au Père éternel,
quelle ne fait presque avec lui, autant que cela se peut dire d'une pure
créature, qu'une môme chose, ne pourrait-on pas dire qu'elle aussi...
Mais la main me tremble, et ma plume refuse de passer outre. Brisons
donc ce discours; je n'oserais tirer la dernière conséquence, tant elle
est haute et sublime. J'aime mieux tout dire par mon silence; aussi
bien les paroles s'arrêtent dans ma bouche (p. 291). » Le P. Jennesseaux
souhaite dans sa préface que son travail donne l'idée de reproduire
quelques-uns de ces anciens ouvrages. Nous regrettons de ne pouvoir
transcrire celui-ci tout entier. P. Rouffet.
BINGHAM (Joseph), né en 1668, dans le Yorkshire, à Wakeneld, est
surtout connu par un grand ouvrage en dix volumes in-8° intitulé Ori-
gines ecclesiasticaB (1708-1722), qui a été traduit en latin par 4*4-1.
Grichow et publié à Halle (172W738). Cet ouvrage ne compïend
que l'histoire des six premiers siècles du christianisme ; on y trouve des
renseignements assez précis sur tout ce qui a rapport au culte, à la
liturgie, à l'administration des sacrements, à la forme des anciens
temples, etc. Ihngiiam a laissé aussi deux volumes de Sermons. Agrégé
de bonne heure au collège de l'université d'Oxford, il eut pour disciple
le savant Potter, depuis archevêque de Cantorbéry. Chargé de prêcher
devant l'académie il prononça un sermon sur le mystère de La Trinité el
308 BINGHAM — BITHYNIE
fut, à cette occasion, accusé (Tarianisme, de trithéisme, etc. Bingliam
crut devoir céder à Forage et abandonna sa charge pour aller occuper
la modeste cure de Headbourn-Worthy, dont le revenu de 100 livres
sterling suffisait à peine à l'entretien de sa nombreuse famille. C'est là
qu'il mourut en 1723.
BITAUBÉ (Paul-Jérémie), littérateur, petit-fils de Jérémie Bitaubé, un
des premiers protestants qui, à la révocation de redit de Nantes,
s'étaient réfugiés à Kœnigsberg et y avaient fondé d'importantes mai-
sons de commerce. Né en cette ville, le 24 novembre 1732, il préféra le
barreau au négoce et alla étudier à Francfort-sur-1'Oder, où son goù
le porta bientôt, vers les travaux théologiques. 11 entra dans le minis-
tère évangélique et prêcha à Berlin, non sans succès. Mais sa passion
pour la Bible en avait engendré une plus forte encore pour Homère,
qu'il se mit à traduire, sacrifiant tout à cette œuvre qu'il mit au jour
en 1760, sous le titre cV Essai dJu?ie nouvelle traduction cï Homère (Berlin,
in-8°). Cet essai ayant reçu à Paris un accueil très-favorable, Bitaubé fut
admis, en 1766, dans l'Académie de Berlin. En 1780 il publia à Paris
sa traduction complète de Y Iliade en 2 vol. in-8°, et en 1785 celle de
Y Odyssée, en 3 vol. in-8°. Les deux poëmes réunis furent réimprimés
en 1786, en 12 vol. in-12, avec de savantes annotations, et valurent à
leur auteur, cette même année, le titre d'associé étranger de l'Académie
des belles-lettres. Après avoir été d'abord l'objet d'une admiration un
peu trop enthousiaste, l'œuvre de Bitaubé a continué à jouir assez
longtemps d'une certaine estime. Bitaubé professait cette opinion que
les prêtres ne peuvent être bien traduits qu'en prose, et, àl'appuide sa
théorie, il composa un poëme en prose : Joseph (Paris, 1767), qui eut
un véritable succès et fut traduit dans presque toutes les langues. Il
entreprit un autre poëme sur la délivrance des Provinces-Unies : Guil-
laume de Nassau (Amst., 1773; Paris, 1775), qui fut achevé sous un
autre titre: Les Bataves (Paris. 1798), œuvre où la raison et la froideur
dominent. Bitaubé, devenu tout à fait Parisien, fut victime, en 1794,
de nos troubles civils: arrêté et incarcéré comme suspect, il ne dut
d'échapper à l'échafaucl qu'à la chute de Bobespierre. Quand l'Institut
fut créé, il en fit partie, d'abord dans la classe de littérature et beaux-
arts, puis dans celle d'histoire et littérature anciennes. Membre de la
Légion d'honneur dès la première fournée, il reçut de Napoléon, en
1807, une pension de 6,000 francs. Il mourut le 22 novembre 1808,
accablé surtout de la douleur qu'il ressentait de la perte de sa femme.
Ses œuvres complètes, publiées en 1804, en 9 vol. in -8°, ne compren-
nent pas un certain nombre d'opuscules qui avaient pourtant paru
avant cette date et qui ne manquent pas d'intérêt pour l'histoire lit-
téraire. Ch. Eead.
BITHYNIE, province de F Asie-Mineure, conquise par les Romains
en l'an 75 avant Jésus-Christ. Couverte de montagnes boisées avec de
gras pâturages dans les vallées, elle était, sous l'empereur Auguste,
bornée au nord par la mer Noire, à l'est par la Paphlagonie, au sud
par la Phrygie et la Mysie, à l'ouest par le Bosphore de Thrace, la
Propontide et la Mysie (Pline, IL TV., 5, 40; Strabon, 12, p. 563;
BITHYNIE — BLAISE 309
Ptolérnée, 5, i). L'apôtre Paul ne put réaliser son projet de la visiter
(Actes XVI, 7) ; mais, dès la fin du premier siècle de l'ère chrétienne,
nous y trouvons des Eglises (1 Pierre 1, 1). Constantin les rattacha au
diocèse du Pont (Pontica prima, Justin., Nov., 29) : parmi elles nous
remarquons Nicomédie, Chalcédoine, Héraclée, Nicée, qui ont joué un
certain rôle dans l'histoire de L'Eglise.
BLAIR (Hugues), prédicateur écossais dont les sermons ont obtenu
des succès éclatants et sont encore aujourd'hui justement considérés.
Il était né à Edimbourg le 7 avril 1718, et fut voué dès son enfance à
l'état ecclésiastique. A vingt-trois ans, après avoir fait de brillantes
études au collège et à l'université d'Edimbourg, il fut consacré pasteur
et nommé au poste de Collesie, dans le comté de Fife. Il ne resta pas
longtemps dans cette position modeste, et devint en 1758 pasteur de
L'église cathédrale d'Edimbourg. Sa prédication n'avait pas tardé à
opérer une sorte de révolution dans la manière dont la plupart des
pasteurs écossais entendaient alors l'éloquence de" la chaire. Au lieu de
ce langage bizarre où la trivialité alternait avec le mysticisme, Blair
adopta une langue noble et mesurée, une éloquence douce et persua-
sive. En outre il substitua à ces discussions métaphysiques et dogma-
tiques qui faisaient le fond de presque tous les sermons, des analyses
psychologiques et des leçons morales qui produisaient le plus grand
effet. Ce fut en 1777 que parut le premier volume de ses Sermons. Le
libraire à qui Blair avait confié son manuscrit lui avait conseillé de ne
pas le faire imprimer parce qu'il n'y avait, selon lui, aucun succès à
espérer. Cependant, après avoir pris l'opinion d'un homme compétent,
il convint de sa méprise et offrit à Blair 50 guinées de son manuscrit;
mais le produit de la vente fut tel qu'il lui en donna bientôt 50 de
plus. L'édition étant épuisée, Blair ht réimprimer ce premier volume
accompagné d'un second et reçut pour chacun 200 livres sterling. On
va jusqu'à dire que le libraire lui paya 2,000 livres pour le quatrième.
C'était un immense succès que la mode grandit encore si possible.
Tout le monde devait avoir lu les sermons de Blair. On en lit de nom-
breuses traductions, en français, en hollandais, en allemand, en italien.
Blair cependant n'était pas uniquement un sermonnaire. Il s'occupa
de littérature, composa un Essai sur le beau, lit à l'université d'Edim-
bourg un cours sur les principes de la composition littéraire et publia
en 1783 le résumé de ses leçons sous le titre de Lectures on Rhelomc
and Jkllcs-Lettres. Il mourut le 27 décembre 1800, à l'âge de quatre-
vingt-deux ans, après avoir préparé, cette année même, pour l'im-
-ion, un volume des sermons de sa jeunesse. La dernière
édition anglaise de ses sermons est de Londres, 1801, 5 vol. in-8°. La
principale traduction française est celle de M. Prévost, professeur de
Genève : elle a paru en 1808, en 4 vol. in-8°. a. Gary.
BLAISE (Saint), évêque, fut, d'après ses Actes, imprimés dans les
bollandistes an 3 février, martyrisé à Sébaste en Cappadoce (d'autres
disent en Petite Arménie), sous Dioclétien ou peut-être sous Licinius ;
mais I.' plus sûr est de dire avec Tillemont : « On n'a rien i\r bon sur
aini Biaise. 8 En mémoire d'un miracle opéré par le saint Lorsqu'il
310 BLAISE — BLANDBATA
marchait au supplice, son nom est invoqué, dit-on, avec efficace par
les malheureux qui ont une arête ou un os dans le gosier. Voici la
formule que nous lisons dans un passage peut-être interpolé d'Aëtius,
médecin grec du cinquième ou du sixième siècle, et que des auteurs
sérieux recommandent encore aujourd'hui : « Tournez-vous vers le
malade, regardez-le en face, ordonnez-lui de vous regarder, et dites :
« Sors, ô os, fétu ou objet quelconque, comme Jésus-Christ a fait sortir
Lazare du tombeau, et Jonas du ventre de la baleine. » Ou encore,
saisissant le gosier du malade (les modernes prescrivent de faire ici le
signe de la croix), dites : « Biaise, martyr et serviteur de Dieu, te dit :
ô os, monte ou descends! » (1. VIII, c. 53.) Les reliques de saint
Biaise, apportées' de Kheinau au monastère d'Alba-Cella, dans les
solitudes de la Forêt-Noire, ont donné le nom de ce saint patron à un
couvent de bénédictins, célèbre par la culture des lettres, que releva
en 936 un noble du Zùrichgau, Regimbert, et qui, ayant embrassé la
réforme de Cluny, puis celle de Saint-Maur, subsista jusqu'en 1807.
De cette illustre abbaye sortit au dix-huitième siècle une génération de
savants tels que Marquard Hergott, l'historien des Habsbourg, et le
prince-abbé dom Martin Gerbert, homme de goût autant que de science,
auteur d'importants ouvrages de musique et de liturgie, et du beau
livre intitulé : Historia Siivœ Nigrœ, Saint-Biaise, 1783-88, 3 vol. in-4°.
S. Berger.
BLANDINE (Sainte), jeune martyre chrétienne. Elle périt dans la
persécution qui fondit sur l'Eglise de Lyon sous Marc-Aurèle en l'an
177. Eusèbe (H. F., V, 1) nous a conservé le récit de ses tortures et
de sa constance. Quoique d'une complexion délicate, elle souffrit avec
le plus grand courage,, et ne cessa de répéter ces paroles : « Je suis
chrétienne, il ne se commet aucun crime parmi nous. » L'Eglise l'ho-
nore le 2 juin.
BLANDRATA ou Biandrata (George) a joué un rôle dans l'histoire
des antitrinitaires. Né en 1515, dans le marquisat de Saluées, d'une
famille noble dans laquelle l'hostilité au saint-siége était de tradition,
il mena une vie errante et agitée. Il était médecin et s'occupa avec
passion de théologie, révoquant en doute le dogme de la Trinité qu'il
ne trouvait pas enseigné dans l'Ecriture. Persécuté pour cause d'hé-
résie, il ne trouva de repos nulle part. A Genève, il entra en relations
avec Calvin qui le dénonça comme un impie et une « peste dange-
reuse », et écrivit contre lui son traité : Responsum ad quœstiones G.
Blandratœ, Gen., 1559. De là il se rendit en Pologne, auprès du prince
Kadzivil, et en Transylvanie, auprès du prince Jean-Sigïsmond qui le
protégèrent. De rechef accusé par les théologiens réformés, Biandrata
exposa sa foi au synode de Pinczow (1561) et fut absous (Confessio
antitrinitaria, publiée en 1794 par Henke, avec la réfutation de Fla-
cius). C'est à tort qu'on l'a soupçonné d'avoir favorisé, dans sa vieil-
lesse, les menées des jésuites, établis en Pologne, L'année de sa mort
est inconnue. Sandius (Biblioth. antitrinit., p. 28 ss.) a donné une
nomenclature de ses écrits, mais il est douteux qu'il les ait composés
tous (voy. Bayle, Dictionnaire, I; Heberle, Tùb. Zeitschr. f. Theol.,.
BLANDRATA — BLASPHEMH 3«
L840, 11. 'i, p. 116 ss. ; Maîacarne, Commentario délie opère di Giorgio
Biandrate, etc., Pad., 1814). — Voyez Antitrintiaires.
BLASPHÈME, propos injurieux à la majesté divine. Jam vero blas-
phemia non accipitw ntsi nui/a verÔU de Deo dicere, dit saint Augustin
(De morib. Manich., lib. II, c. 11). La loi mosaïque punissait de mort
les Israélites el les étrangers qui se rendaient coupables de ce crime
I Le\ . XXIV, 16 ; cf. Jos., Antiq., IV. 8, 6). Le blasphémateur était conduit
hors du camp OU de la ville, les témoins posaient la main sur sa tête pour
< onlinner leur déposition, puis ils levaient les premières pierres contre
lui pour le lapider (Deut. XVII, 7 ; Lév. XXIV, 10 ss. ; 1 Rois XXI, 13;
Aet. VI, 13; VII, 56); parfois on lui appliquait lapeinede la roue, comme
à l'apostat Ménélas (2 Mach. XIII, 6ss.). C'est à tort que Ton a vu dans
Exode XXII, 27, et Lév. XXIV, 15, la défense de blasphémer les
divinités étrangères, comme Philon (II, 166, 219) et Josèphe (Ant., IV,
8,10) l'ont prétendu. Une pareille condescendance politique à l'égard
du culte idolâtre des nations voisines était étrangère à l'esprit du
mosaïsme, et encore à l'époque de la domination romaine les Juifs
étaient mal notés à cause de leur zèle fanatique contre les autres
dieux (Pline, XIII, 9 : gens contumelia nwninum insignis). Ce qui paraît
certain, c'est que, dans l'esprit de bien des commentateurs de la loi,
la seule circonstance de prononcer le nom de Jéhova, au lieu de le
sanctifier en ne le portant pas sur les lèvres, constituait un blasphème,
alors même que le verbe nâqab n'a pas le sens de prof erre, mais de
blasphemctre, comme le traduit exactement la Vulgate (Lév. XXIV, 16 ;
cl. par contre Nomb. I, 17; et les LXX, cvo[j.aÇo)v tc ovojjujc Kuptou).
Dans le judaïsme postérieur l'idée du blasphème s'étendit davantage.
Le Nouveau Testament regarde comme blasphémateur celui oui s'at-
tribue ou qui attribue à un autre tout ou partie des prérogatives divines,
comme le pardon des péchés ou la circonstance d'accepter les hon-
neurs que l'on ne rend qu'a Dieu (Matth. IX, 3; XXVI, 65; Jean X,
36), ou encore celui qui refuse de donner gloire à Dieu (Rom. III, 34),
ou celui qui injurie le Christ (Matth. XXVII, 39; Marc XV, 29; Act. X,
6; XXVI, 11). Le blasphème contre le Saint-Esprit (Matth. XII, 31;
Marc III, 28 ; Luc XII, 10) sera examiné dans un article spécial. — L'an-
cienne Eglise rangeait parmi les blasphematici les relaps pendant les
persécutions et les hérétiques; les degrés de la pénalité variaient. Au
moyen âge, on leur appliquait tantôt des peines plus légères, telles que
l'obligation de se tenir pendant sept dimanches consécutifs devant la
porte de l'église sans manteau ni souliers, combinée avec le jeûne,,
l'amende et la prison ; tantôt, au contraire, la peine de mort était
prononcée sur eux (ordonnances d'Orléans, art. 23; de Moulins, art. 86;
de Blois, art. 38) ; au préalable ils devaient avoir la langue coupée ou
percée avec un fer chaud par la main du bourreau. La plupart des
auteurs catholiques trouvent très-naturelle cette rigueur, « vu que,
d'une part, les souverains de la terre, qui ne sont eux-mêmes que de
simples créatures comme leurs sujets, punissent très-sévèrement to
parole ou tout écrit outrageant leur majesté », et que, d'autre part, k
fléaux que Dieu envoie aux hommes, tels que famines, tremblement-
312 BLASPHEME — BLAURER
de terre, pestes, doivent être considérés comme un châtiment provoqué
par leurs blasphèmes. «Les incrédules de nos jours, dit l'abbé Bergier
{Diction, de théoL, I, p. 315), doivent se féliciter de ce que ces lois ne
sont pas exécutées : personne n'a vomi autant de blasphèmes qu'eux
contre Dieu, contre Jésus-Christ, contre tous les objets de notre culte ;
mais pour suivre les lois à la lettre, il faudrait punir un trop grand
nombre de coupables. » Beaucoup d'auteurs protestants, même parmi
les plus modérés, ont partagé cette opinion. Spener (Letzte theol. Be-
denken, II, p. 34 ss.), discutant le cas d'un soldat convaincu de blas-
phème, dit qu'à la vérité la peine de mort devrait lui être appliquée,
mais que, pour provoquer sa repentance et sa conversion (par les-
quelles riionneûr de Dieu sera mieux satisfait), il conviendra de lui
infliger une longue et douloureuse captivité. Un changement considé-
rable se produisit dans les idées et dans les diverses législations à
partir du dernier siècle. L'édit rendu par Joseph II en 1787 ordonne
d'enfermer les blasphémateurs dans une maison d'aliénés. L'opinion
générale, parmi les esprits éclairés de ce temps et du nôtre, est que la
majesté de l'Etre suprême ne peut pas être offensée par les propos
injurieux des hommes qui retombent uniquement sur ceux qui les
tiennent. Mais les sentiments sont partagés sur la nécessité de sau-
vegarder, par des mesures de police ou des peines judiciaires,
la religion dans un intérêt social, et de sévir contre les discours ou les
écrits injurieux qui tendent à porter atteinte à l'une des religions
reconnues par l'Etat, dans ses dogmes, ses cérémonies ou ses repré-
sentants (voy. l'article Sacrilège). Tandis qu'un grand nombre de théo-
logiens soutiennent encore que, « puisque la loi punit tant d'autres
délits dont les conséquences sont moins graves, il n'est pas juste
qu'elle laisse impuni le blasphème, » les chrétiens convaincus de la
puissance spirituelle de l'Evangile et de l'ineflicacité des lois civiles à
protéger les croyances religieuses sont d'accord avec les libres penseurs
pour demander l'abrogation de toutes les pénalités édictées contre les
blasphémateurs. — Voyez : Michaelis, Mos. Recht, V; Winer, Bibl.
Realwôrterb., I; Concil. Late?\, sess. IX, c. 2, de Maledicis; Bergier,
Diction, de théoL, I; Herzog, Real-Encykl.^ ', etc.
BLASTARES (Matthieu), théologien grec de l'ordre de Saint-Basile, a
joué un rôle important dans l'histoire du droit canonique du quator-
zième siècle. Son ouvrage principal, Suviav^a y.aià aiot^éiov (Syn-
tagma alphabeticum rerum omnium, quœ in sacris canonibus comprehen-
duntur), composé en 1335, est un recueil, divisé en 303 chapitres par
ordre alphabétique, des canons des conciles, des décisions des Pères
de l'Eglise et des lois des empereurs grecs, concernant les matières
ecclésiastiques. Il se trouve dans le Synodicon de Beveridge, au t. II,
deuxième partie.
BLAURER (Ambroise),un des réformateurs duWurtemberg et de Cons-
tance, naquit en cette ville en 1492. Il entra très-jeune dans l'ordre des
bénédictins, au monastère d'Alpirsbach, dans la Forêt-Noire; à Tubingue,
où il entra en relation avec Mélanchthon, il étudia la théologie'; devenu
prieur de son couvent, il lut les écrits de Luther, dont il répandit les
BLAUBER — BLESSIG 313
principes parmi ses moines. Obligé de quitter la maison, il revint à
Constance où depuis 1524 il prêcha la Réforme. En 1534 le duc Ulric
de Wurtemberg, qui venait de rentrer dans ses Etats, l'invita à l'as-
sister dans l'organisation des Eglises du pays. Dans la doctrine de la
sainte (-eue, Blaurer penchait du côté de Zwingle ; mais, ami de la paix,
il signa une formule conciliatrice faite à Stuttgàrd avec le luthérien
Erhard Schœpf; deux ans plus tard il adhéra aussi à la concorde de
Wittemberg. Ce n'est pas le lieu de le suivre dans tous les détails de
son activité dans le Wurtemberg, où il montra autant de zèle que de
modération. En 1538 il revint à Constance. Forcé de quitter cette ville
après l'Intérim, il se lixa à Winterthur, fonctionna à diverses reprises
comme prédicateur dans d'autres villes de la Suisse, et mourut à Win-
terthur en 1564. La plupart de ses écrits sont plutôt édifiants que
-scientifiques.
BLEEK (Frédéric) [1793-1859], l'un des critiques bibliques les plus
«minents de ce temps. Originaire du Holstein, il débuta, après de
bonnes études philologiques et théologiques à Kiel et à Berlin, dans
cette derrière ville, sous la direction de Schleiermacher, en qualité de
privatdocent (1818). Il fut nommé professeur à Bonn en 1829 et y
occupa pendant trente ans la chaire de critique sacrée. Ses ouvrages
appartiennent tous à ce domaine. Nous citerons, outre de nombreux
et substantiels articles dispersés dans les revues (surtout les Studien u.
Kritikeri), son Introduction à V E pitre aux Hébreux (1812-40, 3 vol.),
ses Essais de critique évangé ligue (1846), ainsiqueses cours publiés après
sa mort, son Introduction à l'Ancien et au Nouveau Testament (1860-62,
2 vol.), son Explication synoptique des tt ois premiers Evangiles (1862,
2 vol.), son Commentaire sur l'Apocalypse (1802), etc. Les écrits de Bleek
se distinguent par une grande clarté, une méthode sévère et une sin-
gulière solidité de jugement. L'auteur fait preuve de l'impartialité la
plus scrupuleuse, et n'accepte que ce qui, à ses yeux, est suffisam-
ment documenté. Sans être aucunement sceptique, il se délie des hy-
pothèses hasardées, a conscience des limites delà science et ne sacrifie
jamais le sens du vrai au désir de plaire à tel ou tel parti ou de com-
bler telle ou telle lacune. Ses introductions aux livres sacrés sont des
modèles d'exposition simple, sobre et lucide. Elles montrent que la
foi positive et la critique historique ne s'excluent pas, alors même que
les recherches n'aboutissent souvent qu'à poser un point d'interroga-
tion. Par sa tendance théologique Bleek se rattachait à la grande école
de la conciliation ( Vermittlungstheologie) issue de Schleiermacher.
BLESSIG (Jean-Laurent) [1747-1816], professeur à l'université et
pasteur à l'église du Temple-Neuf de Strasbourg, distingué par sapiété,
son esprit tolérant, la clarté, la noblesse et l'onction suave de sa pa-
role, non moins que par la sagesse et la fermeté de son caractère, eut
la direction des affaires de l'Eglise d'Alsace durant la période révolu-
tionnaire qu'elle traversa à la fin du dernier siècle et au commence-
ment du notre. Blessig était supranaturaliste convaincu, mais ennemi
de toute orthodoxie rigide et formaliste. 11 subit dix mois de déten-
tion sous la terreur pour avoir refusé d'abjurer ses croyances, prit
314 BLESSIG — BLONDEL
une part active à la réorganisation des cultes en 1802, fit introduire un
recueil de cantiques et une liturgie en harmonie avec les tendances et
le goût du temps. Blessig a peu écrit. Outre un certain nombre de dis-
cours de circonstance (notamment celui prononcé lors de l'inauguration
du tombeau du maréchal Maurice de Saxe en 1777), il a publié quel-
ques dissertations théologiques, un Livre de communion (1784) estimé
et des articles de revues. C'est sur le terrain de l'activité pratique, la
cure d'âmes, le soin des pauvres, l'amour des enfants délaissés et or-
phelins que Blessig s'est conquis les titres les plus durables à la re-
connaissance de la postérité (voy. Fritz, Leben Dr J.-L. Blessigs, Strasb. ,
1813, 2 vol. ; Edel, Monatsblsetter fur die Blessig-Stiftung, 1847-1850,
4 vol.).
BLOIS (Blesœ), dont le nom se trouve pour la première fois dans
Grégoire de Tours, dépendait autrefois du diocèse de Chartres. Vers
874 les moines de Curbio, ou Saint-Lomer-le-Moustier, antique mo-
nastère situé dans la forêt du Perche, apportèrent à Blois les reliques
de leur saint et fondèrent le couvent de Saint-Laumer, qui fut pillé
en 1567 par les protestants, et qui accepta en 1627 la réforme de Saint-
Maur; son église porte aujourd'hui ie nom de Saint-Nicolas. Saint
Laumer (Launomarus) était né au sixième siècle, aux environs de
Chartres. L'église de Saint-Souleine, aujourd'hui Saint-Louis, fut en
1697 érigée en évêché, Paris en est la métropole. — Voyez Gallia, VIII ;
Dupré, Notice sur les saints de Blois, 1860, in-12.
BLOIS (Louis de), Blosius [1506-1563], bénédictin, originaire du pays
de Liège, abbé du monastère de Liesse qu'il réforma d'après des rè-
gles approuvées par Paul III, est surtout connu par son ouvrage
Spéculum, religiosorum, traduit en français par Le Mombroux de la
Nauze, sous le titre Le directeur des âmes religieuses , P., 1726, pré-
cédé d'une vie de Blois; et plus tard, par Lamennais, sous le titre
Guide spirituel, ou Miroir des âmes religieuses, P., 1820. Tous les ouvra-
ges de L. de Blois ont été réunis et publiés par son disciple Jacques
Frojus, Col., 1571, in-fol.; Paris, 1606, in-4°; Anvers, 1633.
BLONDEL (David), pasteur, né à Châlons-sur-Marne en 1591, mort
à Amsterdam le 6 avril 1655. Ce fut un érudit de premier ordre, un
infatigable chercheur, un critique perspicace et sagace, qui ne laissait
plus guère à dire après lui sur une question délimitée et précise,
l'homme qui passa au dix-septième siècle, au rapport de Bayle, pour
avoir la plus grande connaissance de l'histoire ecclésiastique et de l'his-
toire civile. Esprit anlaytique plutôt que synthétique, se plaisanta fouiller
les parues obscures, délicates, controversées de l'histoire plutôt qu'à
embrasser de vastes horizons et à porter sur une période un jugement
d'ensemble, sa vie tout entière est dans ses livres. Il rendit à la cause
protestante les plus signalés services par ses écrits de controverse his-
torique et théologique". Il fut reçu pasteur en 1614, dans un synode de
l'Ile-de-France, et exerça son ministère àHoudan. Il ne paraît pas avoir
eu du talent pour la chaire. Il avait une peine extrême à apprendre mot
à mot ses sermons, son style fut toujours d'ailleurs embarrassé et chargé
de parenthèses , et puis çnfîn son esprit était tout entier tourné vers les
BLONDEL 815
travaux d'érudition. Pour bien connaître Blonde] et se faire une idée
exacte de son développement littéraire, il faut lire surtout Courcelles et
des Marets; Courcelles, sympathique, forçant peut-être la note favora-
ble (Stephanus CurceUseus, Prœfatio apologetica), et des Marets, qui
décidément doit être regardé comme un adversaire (Maresius, Réfuta-
tio prxfat. apolog.Curcellaneœ. Blonde! débuta dans la carrière litté-
raire bientôt après sa venue à Houdan. En I6i9 il publia son premier
livre (Modeste déclaration de la sincérité et vérité (les Eglises réformées
France, Sedan, in-8°). Ce fut un brillant début, plein d'espérances
qui ne tardèrent pas à se réaliser. Le livre était une réponse aux vio-
lentes invectives dirigées contre les protestants par trois ou quatre
écrivains catholiques et en particulier par l'évèque de Lucon, si
connu plus tard sous le nom de cardinal de Richelieu. La science et
les succès de Blondel, les services par lui rendus à la cause attirèrent
sur sa personne l'attention des protestants français, et il fut député à
quatre synodes nationaux et eut des emplois d'honneur dans plus de
vingt synodes provinciaux, surtout l'emploi de secrétaire. Des Marets
insinue que cette charge lui fut donnée surtout à cause de sa belle
écriture : proptèr calligraphiant factus est actuarius synodorum. Mau-
vaise et mesquine insinuation : ce qui mit Blondel aux premières places
des synodes, ce fut l'estime dont il fut entouré par ses coreligion-
naires. Les synodes honorèrent toujours ce savant et lui fournirent,
autant qu'il était en eux, les moyens de travailler : et d'abord le synode
national de Castres (1626), qui l'engagea à écrire pour la cause pro-
testante et lui lit un don de [mille francs. Le livre important qui vit
jour à la suite de cette invitation fut, non pas une réfutation
des Annales de Baronius (voir Bayle et Haag, France protestante),
mais bien le fameux traité Pseudo-Jsidorus et Turrianus vapulantes
( Gen. , Chouet, 1628, in-4°) ; réfutation exacte, complète, achevée
des Fausses Décrétales et des arguments qui avaient été avancés
naguère par le jésuite espagnol François Torrès. En 1631, au synode
de Çharenton, la province d'Anjou le demanda pour être professeur
à Saumur, mais le comte de Roussy, François de La Rochefoucauld,
s'y refusa, et il fut décidé qu'il resterait ministre de l'Eglise qui s'as-
semblait dans le château de ce seigneur. Il y resta jusqu'en 1644 (voir
Bulle t. du Prot, franc., VIII, p. 428 et 454). En 1641 parait le fameux
livre : Traité historique de la primauté en V Eglise, auquel les Annales ec-
clésiasttqttea du cardinal Baronius, les Controverses du cardinal Bellarmin ,
In réplique du cardinal du Perron sont confrontées avec la réponse du
sérénùsime roy de la Grande-Bretagne, Genève, Chouet, in-fol. Ce livre
ruine les prétentions ultramontaines, il est la réfutation complète et
compendieuse des raisons avancées par les cardinaux susnommés pour
établir la suprématie absolue de la papauté au détriment de l'autorité
civile. Le synode national de Çharenton (1643) récompensa très-hono-
rablement Blonde! en Le nommant professeur honoraire et en lui per-
mettant de résider à Paris, pour la facilité de ses travaux, avec un trai-
tement supplémentaire de mille livres. « Le synode voyant que le
public avait tiré mie grande Utilité de ses ouvrages tous remplis d'èru-
316 BLONDEL
dition, et que pour les perfectionner il ne pourrait aller dans aucun
autre lieu plus propre que Paris... Et on l'exhorta de publier ses livres
de théologie et d'histoire, puisqu'on était persuadé qu'ils contribue-
raient beaucoup à l'édification des Eglises de Dieu... Et d'autant que
chacun connaissait que ledit M. Blondel était très-habile, et qu'il avait
de beaux talents, qu'il était surtout bien versé dans l'histoire de
l'Eglise primitive, ce qui le faisait estimer beaucoup de toutes nos
Eglises... » (Vingt-huitième synode national, tenu à Charenton, Aymon,
t. XI, p. 692 et 693). — Les écrits de controverse historique et théolo-
gique se succédèrent en effet avec rapidité. Nous ne signalons que les
plus célèbres : Apologia pro sententia Hieronymi de episcopis et presby-
teris, Amst., 1646, in-4°, traité dans lequel Blondel expose que dans la
primitive Eglise les mots de prêtre et d'évêque désignaient les mêmes
fonctions. Familier éclaircissement de la question si une femme a été
assise au siège papal de Borne entre Léon IV et Benoist III , Amst.,
1647, in-8°. Ce traité ruine absolument la légende de la papesse Jeanne.
Des protestants en voulurent à l'auteur d'avoir rendu ce service aux
catholiques. Grand bruit autour de ce traité (voir Courcelles et des
Marets); l'histoire de cette controverse est très-amplement racontée
dans Bayle. De jure plebis in regimine ecclesiastico dissertation Paris,
1648. Le peuple chrétien a le droit de se mêler des affaires ecclésiasti-
ques, et, en fait, il s'en est mêlé pendant les premiers siècles. Des
Sibylles célébrées tant par V antiquité payenne que par les saincts Pères,
Charenton, Périer, 1649, in-4°. L'auteur montre la fausseté des oracles
sibyllins, explique comment les Pères ont cru pouvoir s'en servir pour
le triomphe d'une bonne cause, et réfute diverses erreurs, en particu-
lier les prières pour les morts. Oomminatorium de fulmine nuper Esqui-
liis vibrato, 1651, Amst., sous le pseudonyme d'Amand Flavien, est
un traité adressé aux princes et aux peuples en faveur de la liberté
de conscience, contre la bulle lancée par Innocent X contre le traité
de Westphalie. Blondel passa les dernières années de sa vie en Hol-
lande : elles ne furent pas heureuses. A la mort de Vossius, il fut
appelé à Amsterdam comme professeur d'histoire; il s'y rendit en
1650. Le climat humide et l'excès de travail le rendirent aveugle :
des chagrins sérieux hâtèrent sa fin. Il fut accusé d'arminianisme et
fortement inquiété. 11 est déplorable de voir comment la vie fut rendue
amère à certains esprits indépendants et graves, qu'on accusait d'hé-
résie. Assurément Blondel penchait du côté de l'arminianisme. 11 pu-
blia, en Hollande, ses « Actes authentiques des Eglises réformées de
France, Germanie, touchant la paix et charité fraternelles que tous les
serviteurs de Dieu doivent saintement entretenir avec les protestants
qui ont quelque diversité, soit d'expression, soit de méthode, soit
même de sentiment, rassemblés pour la consolation et confirmation
des âmes pieuses et pour l'instruction de la postérité, » Amst., in-4°.
Dans ce livre il ne cache pas ses préférences pour la doctrine plus
large de l'arminianisme; il blâme la conduite de Dumoulin et de Rivet,
dans les synodes, à l'endroit des sévérités dogmatiques contre Amyraut
(voir la lettre de Blondel à Philippe Vincent, Bull, du Prot. franc.,
BLONDEL — BLUMHARDT 317
X, p. 386). On a t'ait aussi un crime à Blonde] de prétendues dé
marches faites auprès de lui par L'Eglise romaine, qui mettait un grand
prix à posséder un tel savant. Blonde! les ignore, il est désolé d'avoir
donné lieu peut-être à ces on-dil en se rencontrant avec quelques
prélats dans certaines réunions (voir la lettre de Blondel, Bulle t., \,
p. 386). Blondel écrivit aussi de savants ouvrages sur des points
obscurs d'histoire profane, notamment sur la généalogie des rois de
France, contre les assertions de Ghifflet. On trouvera la liste complète
des œuvres de Blondel dans Nicéron, vol. VIII, p. 48, et surtout dans
llaag. France protestante, vol. II, p. 308. A- Viguié.
BLOUNT (Jean), connu en latin sous les noms à&Blundus ou Bloudus,
savant théologien du treizième siècle, mort à un âge très-avancé en
12^8. Il fit ses premières études à l'université d'Oxford et alla se per-
fectionner à celle de Paris. De retour en Angleterre il s'établità Oxford
et s'acquit une immense réputation par ses leçons de théologie. C'est lui
qui, dit-on, expliqua pour la première fois les ouvrages d'Aristote aux
élèves de l'université. Il fut nommé prébendier et chancelier de l'église
d'Yorck, et sans les querelles qui survinrent entre la cour de Rome et
le roi' d'Angleterre, il aurait occupé le siège archiépiscopal de Can-
torbéry. On lui attribue un Summarium sacrée facultatis, et des Com-
mentaires divers.
BLUMHARDT (Ghrétien-Gottlieb) [1779-1838], premier inspecteur de
la maison des missions de Bâle. Né en Souabe de parents pauvres,
d'une constitution maladive, élevé dans une piété ferme et vivante, Blum-
hardt, après avoir terminé ses études à Tubingue, futappelé, en qualité
de secrétaire de la Société allemande du christianisme (voy. cet article), à
Bàle (1803), où il entra en rapport avec un certain nombre de chrétiens
éminents qui surent apprécier ses dons et les faire valoir pour l'avan-
cement durègne de Dieu. Nous possédons de cette époque les Homélies
sur Lazare (2e édit., 1827) que le jeune agent prononça dans des réu-
nions d'édification très-suivies, ainsi qu'une série d'articles insérés
dans le recueil mensuel publié par la Société. Le zèle deBlumhardt pour
les œuvres de propagande évangélique avait été puissamment stimulé
par le mouvement religieux qui s'était produit en Angleterre et qui
avait abouti à la fondation des grandes sociétés britanniques pour la
diffusion de la Bible, des traités religieux et des missions. Il fut l'un
des fondateurs de la Société biblique de Bâle (1804) et de celle des
missions (1815), due surtout à l'initiative de Spittler et aux encourage-
ments décisifs qu'apporta de Londres le docteur Steinkopf. Biumhardt,
dans l'intervalle, avait passé quelques années dans son pays natal,
comme vicaire et comme pasteur; il en revint accompagné et bientôt
suivi de nombreux jeunes hommes wurtembergeois qui se destinaient
à la carrière de missionnaire. De 1810 jusqu'à sa mort, il dirigea avec
un dévouement infatigable la maison des Missions (voy. cet article), le
Magasindes missions, feuille trimestrielle du plus haut intérêt, et l'œu-
vre missionnaire elle-même. Cette dernière, après avoir échoué parmi
les arméniens et les musulmans de la Russie, grâce à l'interdiction dont
la frappa l'ukase du t-\ août 1835, se concentra surtout sur les nègres.
318 BLUMHARDT - BOCHART
de l'Afrique occidentale (Côte d'Or et Libéria) et sur les Indes orien-
tales, en maintenant le lien sympathique qui l'avait unie, dès le
début, à la Société de Londres. De grands efforts pour centraliser, en-
tre les mains d'une Société unique, l'œuvre missionnaire des pays de
langue allemande demeurèrent infructueux. Pour nourrir l'intérêt et
le zèle en faveur des missions, Blumhardt publia une traduction des
Christian Researches in Asia de Buchanan (Bàle, 1813) et un Essai
d'une histoire générale des missions (1828-1837, 3 vol.). Caractère ferme
et esprit conciliant, joignant une remarquable sagesse à une activité
prodigieuse, Blumhardt présente un des types les plusbeaux et les mieux
équilibrés du christianisme évangélique (voy. l'article du docteur Os-
tertag, dans la' Real-EncykL de Herzog).
BOCHART (René), pasteur de l'église de Rouen, était fils d'Etienne
Bochart, sieur du Ménillet, qui fut successivement avocat général à la
chambre des comptes et conseiller au parlement de Paris. Né en 1560,
il se destina au ministère évangélique. Obligé de se réfugier en Angle-
terre durant les guerres de la Ligue, il s'y lia avec Pierre du Moulin,
dont il épousa la sœur en 1595. On le trouve pasteur à Dieppe, en
1595, puis à Pontorson ; enfin, en 1594, à Rouen, où l'exercice public
n'était pas encore permis : il ne fut autorisé qu'en 1599, au village de
Dieppedale d'abord, puis, sur les plaintes que cette désignation avait
soulevées, on le transféra au Grand-Quévilly. C'est là que fut élevé, par
le charpentier Gigonday, sur les plans de Nicolas Genevois, le fameux
temple qui pouvait contenir commodément 7 à 8,000 fidèles et qui fut
renommé comme un des plus curieux et des plus hardis qu'il y eût
en France.
BOCHART (Samuel), savant théologien protestant, naquit à Rouen
le 30 mai 1599, de René Bochart, et d'Esther du Moulin, fille de
Joachim du Moulin, pasteur à Orléans, et sœur du célèbre Pierre
du Moulin. A l'âge de douze ans, il fut envoyé à Paris auprès de son
oncle, qui le confia aux soins de Thomas Dempster. Après avoir fait sa
philosophie à Sedan et sa théologie à Saumur, il accompagna Jean
Caméron en Angleterre, passa quelque temps à Oxford et se rendit
ensuite à Leyde, où il profita des leçons d'Erpénius pour se perfec-
tionner dans la connaissance de la langue arabe. A son retour en
France, il fut nommé pasteur à Caen. En travaillant à une série de ser-
mons sur la Genèse (publiés après sa mort, à Amsterdam, 1705-1711,
3 vol. in-12), il fut conduit à faire sur les temps primitifs des recher-
ches auxquelles il consacra vingt années d'études et dont il donna les
résultats dans un grand ouvrage intitulé : Géographie sacrée parsprior :
Plialeg seu de dispersione gentium et terrarum divisione facta in xdifica-
tione turris Babel, et pars altéra : Chanaan seu de coloniis et sermone
Phœnicum, Cadomi, 1646, in-fol. ; 2e édition, Caen, 1651, in-fol.,et 3e,
Francof.,1681,in-4°. La première partie est une explication ingénieuse
du Xe chapitre de la Genèse. Là où on n'avait vu jusqu'alors que des
généalogies de familles, Bochart crut trouver le tableau des généalogies
des peuples qui se sont répandus sur la surface de la terre, et qu'il tenait,,
avec tous ses contemporains, pour les descendants de Noé. En établis-
BOCHART — BODE 319
saut cette filiation de tous les peuples, il l'ut amené à exposer sa singu-
lière théorie de l'origine do toutes les mythologies de l'antiquité
païenne, qui ne sont, selon lui, que des souvenirs altérés de l'histoire
de Noé et «le ses trois fils, devenus, en dehors du peuple d'Israël, Sa-
turne et ses trois (Mitants, Jupiter, Neptune etPluton. La seconde partie
se compose de deux livres. Dans l'un Bocliart suit les traces'dcs Phéni-
; iens dans tous les lieux où ils fondèrent des établissements; et dans
l'autre il signale et explique les vestiges de la langue phénicienne
(voisine de l'hébreu) dans les anciens écrivains grecs et latins. C'est au
< lia pitre VI de ce IIe livre que se trouve l'explication des dix premiers
vers de la scène première du cinquième acte de Pœnulus de Plaute ;
ces dix vers sont, d'après lui, en langue punique, et les six suivants en
langue lybienne. Cet ouvrage eut un grand succès. Christine, reine de
Suède, qui se plaisait à attirera sa cour les hommes les plus distingués
de cette époque, écrivit elle-même à Bochart pour l'inviter à passer
quelque temps auprès d'elle. Après un an d'hésitation, il partit en
1652 pour Stockholm, accompagné de son disciple Daniel Huet, plus
tard évêque d'Avranches, qui a laissé une relation en vers latins de leur
voyage. Pendant l'année qu'il passa à la cour de la reine, il eut occa-
sion d'étudier treize manuscrits arabes, dont il profita pour la compo-
sition d'un autre grand ouvrage qu'il publia plus tard sous ce titre :
Hierozoicon sive de animalibus Scripturœ sanctœ, Londini, 2 vol. in-fol
avec ligures; réimprimé à Francf., 1675, 2 vol. in-fol., et à Leipz.,
1793-i796, 3 vol. in-4°. Une édition abrégée en fut publiée à Franeker,
1090, in-4°. Ces deux ouvrages, auxquels on a joint un certain nombre
de dissertations critiques de Bochart, portant pour la plupart sur des
sujets bibliques, ont été réunis dans Sam. Bocharti Opéra omnia, Lugd.
Batav., 1675, 2 vol. in-fol. ; 2e édit., 1692-1707, 3 vol. in-fol. ; 3° édit.,
1712, 3 vol. in-fol. Cet éminent érudit mourut subitement d'une atta-
que d'apoplexie, le 16 mai 1667, dans une séance de l'académie de
Caen, qui avait été fondée pendant son séjour auprès de la reine Chris-
tine, et dont il avait été nommé membre dès son retour dans cette ville.
— Notice sur Samuel Bochart, par Paumier, Bouen, 1840, in-8° de 47
pages : La France protestante, t. II, p. 318-323 ; Niceron, Mémoires,
t. XXVII, p. 201-215; Richard Simon, Histoire critique du Vieux Testa-
ment, liv. III, chap.XX; J.Leclerc, Biblioth. univers., t. XXIII, Irft part.,
p. 276 ss. M. Nicolas.
BODE (Christophe-Auguste), né le 28 décembre 1722 à Wernigerode,
étudia à Halle sous C.-B. MichaBlis et à Leipzig; professeur extraordi-
naire à Helmstaîdt en 1749, puis dès 1763 professeur ordinaire de
langues orientales dans la même ville, il y mourut le 7 mars 1796. Il
connaissait un grand nombre de langues orientales, car outre les
langues sémitiques il possédait l'arménien, le persan et le turc; il en
profita pour s'appliquer à l'étude critique des versions orientales du
Nouveau Testament, pour plusieurs desquelles il publia <Jes traduc-
tions latines bien plus exactes que celles de la Polyglotte de Londres,
et des notes où il s'attachait à présenter les variantes (pie ces versions
fournissent pour le texte original du Nouveau Testament. Dans son
320 BODE — BOËUE
ouvrage principal (Pseudocritica Millio-Bengeliana, Halle, 1767-69,
2 vol. in-8°), il soumit à une exacte révision les variantes de cette es-
pèce admises souvent trop légèrement par Mi 11 et Bengel dans leurs
éditions critiques du Nouveau Testament ; il laissa en manuscrit
un travail semblable sur l'édition de Wetstein. — Pour sesouvrages, cf.
Mensel, Lexicon der teutschen Hchriftsteller , I; Masch, Biblio thec a sacra,
part. II, III ; Rosenmûller, Handbuck der bibl. Kritik, t. I et III; Meyer,
Gesch. der Schrifterklœrung, t. IV et Y. Pour sa vie, cf. Harles, Vitae
philologorum, t. III ( Bremae, 1768) ; Wideburg, Memoria C. A. Bodii,
Helmst, 1796, in-4°; Schlichtegroll, Nekrolog auf. d. Jahr 1796, t. II.
A. Beenus.
BODIN (Jean) naquit à Angers vers 1530, étudia à Toulouse le droit,
vint à Paris où il s'occupa de politique, s'attacha au duc d'Anjou et de-
vint, après la mort de ce prince, procureur à Laon où il mourut
en 1596. Catholique modéré, il s'est opposé aux rigueurs contre les hu-
guenots, et bien qu'il obtînt que la ville de Laon se déclarât en faveur
de la Ligue, il l'amena plus tard à reconnaître Henri IV. Ses ouvrages
révèlent une instruction variée, un esprit vif et hardi, maisaussi ce mé-
lange de doute et de foi qu'on rencontre chez tant de savants du
seizième siècle. Parmi ses écrits qui s'occupent des questions reli-
gieuses est son Heptaplomeres qui, resté longtemps inédit, a été .publié
pour la première fois par Gulirauer, à Berlin, en 1841. C'est; un dialogue
entre plusieurs interlocuteurs dont chacun prétend démontrer l'ex-
cellence de sa religion. Bodin s'y montre théiste, animé d'un profond
sentiment de la dignité morale de l'homme, mais très-libre dans ses
explications de l'Ecriture. Dans un autre ouvrage, également sous forme
de dialogue et intitulé Universœ naturx theatrum (Lyon, 1490), il
traite des causes et des fins de toutes choses, et prend si ouvertement
parti pour l'incrédulité que le livre fut supprimé. Ses six livres de la
République, imprimés d'abord à Paris en 1576, in-f°, et dans lesquels il
examine les diverses formes du gouvernement de la chose publique,*
sont remarquables par l'indépendance et la sagesse des vues sur les
dangers du despotisme et de l'anarchie. La Démonomanie ou traité des
sorciers, Paris, 1787, in-4°, est un livre plus singulier qu'instructif; mal-
gré la liberté de sa pensée, Bodin partage encore plus d'une des su-
perstitions de son temps. On doit citer encore de lui une traduction
en vers latins du Cynegetikon d'Oppien, Paris, 1555, in-4°, une Oratio
de instituenda in republica juventute, Toulouse, 1559, in-4°. et un
Methodus ad facilem historiarwn cognitionem , Paris, 1566, in-4°. — Voy.
l'article un peu embrouillé de Bayle, et Baudrillart, Jean Bodin et son
temps, Paris, 1853. C. Schmidt.
BOECE (Anicus Manlius Torquatus Severinus Boetius) , né à Rome vers 470,
d'une famille riche et illustre, se fraya de bonne heure la voie vers les
hautes charges par la noblesse de son caractère et par ses connaissan-
ces. Il fut longtemps le principal conseiller de Théodoric, mais ayant
été accusé de trahison, il fut jeté en prison et plus tard mis à mort par
le plus cruel supplice (526). La tradition le représenta comme un
catholique zélé; on lui attribua des écrits apologétiques : Quod Trinitas
BOECE — BŒHME 321
sit unus Deus et non très Dit; Adversus Eutychenet Kestorium de duabus
naturis et una persona, et une profession de foi; les bollandistes Font
rangé parmi les saints. Du moins il oe s'associa pas aux attaques que
le néoplatonisme dirigeait contre la religion chrétienne; la mythologie
était à ses yeux, une fable; il considérait les stoïciens et les épicuriens
comme les ennemis dé la vraie philosophie. Mais on ne trouve la pro-
fession d'aucune des doctrines essentielles de l'Evangile dans l'ouvrage
qui a rendu son nom célèbre, le De consolatione philosopktae. Ecrit pen-
dant sa disgrâce, ce dialogue entre la philosophie et Fauteur traite
avec une grande élévation de pensée et dans un style élégant le pro-
blème de la Providence et du rôle de nos épreuves. La tendance en
esl surtout pratique : nous nous élevons au-dessus des misères d'ici-bas
en nous unissant par l'amour à Celui qui nous a donné l'existence; la
spéculation, sage et timide, s'y inspire de Platon et des vérités les
plus générales de la philosophie chrétienne. Cet ouvrage fut traduit
dans toutes les langues de l'Europe, en anglo-saxon par le roi Alfred,
et commenté par saint Thomas. Le renom de martyr contribua àl'in-
fluencequ'exercèrent sur les études latines les autres tra vaux deBoëce, ses
traductions ou commentaires de YOrganon d'Aristote, ainsi que des
œuvres de Platon, Ptolémée, Euclide, etc. Dans son deuxième commen-
taire de Ylsagoge de Porphyre, quand il rencontre cette grande ques-
tion : «si les genres et les espèces existent par eux-mêmes ou seulement
dans l'intelligence, et dans le premier cas, s'ils sont corporels ou in-
corporels, s'ilsexistent séparés des objets sensibles ou dansées objets,»
Boëce, quoique penchant pour la solution aristotélicienne, n'ose pren-
dre un parti entre Platon et le Stagirite, et la solution de ce problème
devait être longtemps débattue par les docteurs du moyen âge. Placé
aux confins de deux âges, Boëce les unit par la tradition, transmet-
tant aux peuples nouveaux les enseignements du monde antique, en
les adoucissant et sans rien y ajouter. — Edit. complète de ses œuvres,
Bàle, 1570; Migne, t. LXIII, LXIV; De la consolation, Leyde, 1777.
Voy. les histoires de la philosophie et de l'Eglise; art. de Hand, dans
YEncycL d'Ersch et Gruber, t, XI; G. Baur, De Boethio christ, doctr.
asse?-tore, 1841. A. Matter.
BŒHME (Jacques) naquit en 1575, à Altseidenberg, près Gœrlitz
(Silésie),de paysans si pauvres qu'il dut très-jeune garderies bestiaux,
quoiqu'il fût d'une complexion délicate; plus tard il apprit le métier
de cordonnier. Il était fort pieux; la fermeté avec laquelle il blâmait
les désordres de ses camarades le fit renvoyer par son patron. Il fît le
voyage usité des apprentis, et rencontrant partout des discussions
théologiques d'une extrême vivacité, son cœur doux et aimant se re-
plia sur lui-même et chercha la vérité dans la Bible; peut-être connut-il
dès lois les écrits de quelques mystiques et ceux de Paracelse. A ces
méditations solitaires il joignait d'instantes supplications, demandant à
Dieu le secours de son Esprit et la grâce de vivre en racheté de Jésus-
Christ. Il fut exaucé au delà de son attente; une fois, une paix ravis-
sante inonda son cœur pendant sept jours, il se sentit comme
enveloppé d'une lumière divine, et cet état d'élévation intérieure était
il. 21
322 BŒHME
si calme qu'il pouvait continuer son travail. En 1594, il revint à Gœr-
litz, gagna la maitrise et se maria. Adonné à la vie contemplative, il
ne songeait pas à publier ses pensées; mais en 1612, à la suite d'une
élévation nouvelle, où il put contempler « le centre de la nature et la
lumière de l'essence divine, » il se hâta d'écrire ce qu'il avait vu, pour
le relire dans des jours moins favorisés. A cette époque bien des âmes,
fatiguées des luttes ecclésiastiques, s'édifiaient dans des entretiens
spirituels et mystiques. Plusieurs de ces personnes aimaient à venir
conférer avec Bœhme dans sa boutique. L'une d'entre elles, Ch. de
Endern, ayant trouvé ce manuscrit, en fit prendre une copie, qui cir-
cula sous le nom d'Aurora. Le pasteur principal, G. Richter, fut indi-
gné de l'ingérence du cordonnier dans de si hautes questions; il
prêcha contre lui et demanda aux magistrats de Gœrlitz le châtiment
de l'hérétique. Ceux-ci le condamnèrent à l'exil ; mais touchés de son
humble soumission, ils le rappelèrent et se contentèrent de lui défendre
d'écrire. Bœhme obéit à cette injonction pendant sept années ; mais
il sentait que la lumière intérieure se retirait de lui ; divers amis, entre
autres le directeur du laboratoire chimique de Dresde, le docteur Balth..
Walther, qui avait parcouru tout l'Orient à la recherche d'une sagesse
qu'il trouvait enfin dans une pauvre maison de Gœrlitz, le supplièrent
de ne pas cacher la science qu'il avait acquise. A partir de 1619, il
écrivit de nouveaux ouvrages; un seul, le traité intitulé Le chemin qui
conduit à Christ, fut imprimé de son vivant, en 1624, par le soin de
ses amis. Cette publication, qui se répandit rapidement, réveilla la
colère de Richter ; les magistrats invitèrent Bœhme à quitter volon-
tairement la ville pour quelque temps. Bœhme, à ce moment, n'exer-
çait plus sa profession; il acceptait, pour l'entretien de sa famille, les
secours de ses amis. Il se retira chez l'un d'eux, à Dresde, où il fut
bien accueilli de plusieurs personnages considérables. Il eut avec les
théologiens Hoë, Meissner, Balduin, J. Gerhard et Leyser un entretien
à la suite duquel Gerhard affirma qu'il ne voudrait pas pour toutes les
richesses du monde condamner un tel homme. Bœhme n'avait jamais
été malade ; il était sobre, modéré dans ses goûts, sans s'astreindre à
un rigorisme étroit, et par là choquait parfois Walther qui était beau-
coup plus austère. Pendant un séjour en Silésie, il fut pris d'une
lièvre violente et se lit transporter à Gœrlitz, où il mourut le 17 no-
vembre 1624, en confessant la foi évangélique. — Les ouvrages de
Bœhme ne sont pas d'une lecture facile ; le langage en est inculte, souvent
étrange, mêlé de termes empruntés à l'alchimie ; cependant Fr. Schlegel
(Hist. de la lût. anc. et mod.) a dit : « Si l'on compare Bœhme aux
poètes chrétiens qui ont essayé de représenter l'invisible, à Klopstock,
Milton et môme au Dante, on reconnaît qu'il ne leur est pas inférieur
pour la richesse de l'imagination et la profondeur du sentiment. »
L'esprit de ses ouvrages est profondément religieux, n'admettant pas
que les vérités premières puissent être même entrevues sans la piété,
et c'est cette piété qui a préservé Bœhme du panthéisme qu'on lui a
parfois reproché. Son procédé habituel, c'est l'intuition qui applique
à la vie absolue les formes, les symboles que suggère la vie des créa-
BŒHME 323
Uires, et sa pensée se mont non dans le domaine de la spiritualité pure
ni dans celui de la matière, mais dans le domaine de la COrporéhé
spirituelle. Tous ses enseignements se concentrent en une idée fonda-
mentale, qui a été adoptée par plusieurs philosophes modernes, savoir
que Dieu if est pas une perfection immuable et simple, mais qu'il y a
unenature en Dieu, une substance infiniment riche et diverse, au sein de
laquelle s'opère de toute éternité un mouvement, par lequel la Divinité
s'entendre, s'affirme librement, devient cette personnalité concrète
qui seule a droit de présider à l'existence de, toutes les réalités. Or la
vie se réalise parle conflit des contraires, et Dieu est le principe de
tout; les forces qui hors de Dieu se combattent, sont donc harmoni-
quement unies en lui, constituant sept essences, qui, depuis la pre-
mière, le désir, jusqu'à la septième, la forme, comprennent toutes les
puissances, lumineuses ou sombres, terribles ou bienfaisantes, qu'on
peut concevoir. Par ce déploiement la Divinité se donne son corps, sa
gloire. La création fut le résultat d'un second déploiement du principe
qui repose éternellement au sein de l'être; création qui, d'abord pure
et bonne , devint chaos par la chute de Lucifer , et le premier chapitre
de la Genèse est le récit d'une restitution partielle. L'homme possède
en lui-même un lien substantiel qui l'unit à la Divinité, savoir le prin-
cipe obscur qui est à la base de l'être. Chacun de nous doit s'appuyer
sur cette base, mais chercher sa vie ailleurs, dans la lumière qui est
Christ, pour reproduire à son tour l'évolution de la Trinité; c'est la
seconde naissance. Quelque pieuse, quelque attachée aux saintes
Ecritures que soit cette doctrine, il faut reconnaître qu'elle dépasse la
sphère du mysticisme; c'est une théosophie, où les préoccupations de
la gnose , de la métaphysique l'emportent sur celles de la vie pratique
et religieuse. — Après la mort de Bœhme, ses œuvres furent publiées
par ses amis ; Abraham de Frankenberg écrivit sa biographie ; Théo-
dore de Tschesch, le docteur Krause, Walther exposèrent sa pensée
sous une forme populaire ; J.-A. Werdenhagen, professeur de1 droit
à Helmsta^dt, traduisit en latin les Quarante questions sur Vâme (1632).
Walther, avant de venir à Paris où il mourut, se rendit en Hollande où
il communiqua le système aux classes élevées ; le docteur Comenius
le seconda; deux négociants d'Amsterdam, H. Betke et Abrah. Wil-
lielmson, publièrent et firent traduire en hollandais les principales
œuvres du maitre; E. Richardsoon composa un Chemin du re-
pos (1655); mais cette propagande rencontra des adversaires, parmi
Lesquels !<• principal fut David Gilbert (Admom'tio adversus scripta
bohemiam, 1643). En Angleterre, le roi Charles Itr ayant lu les Quarante
quêtions, envoya un savant à Gœrlitz pour traduire les œuvres de
Bœhme en anglais; en 1646 parut une traduction de l'avocat J. Sparrow
(une troisième, de W.Law, 1765) ;J. Pordage (f 1698) publia un com-
mentaire estimé. Metaphysieû vera et divinu; ses principaux disciples
furent Bromley 'y 161)1), et Jeanne Leade (f 1704), qui fonda la
société- des Philadelphes; par eux la théosophie en Angleterre devint
surtout visionnaire et sectaire. En Allemagne, la propagande exercée
par Quir. kuhlinann <y 1(>8(.)), Christ. Hoburg (-f 167Ô) et Er. IJreckling
324 BŒHME — BŒHMER
(f 1711), fut dépassée par celle de J.-G. Gichtel (f 1710), éditeur
des œuvres complètes de Bœhme, 1682, 10 vol. in-8° (2e éd., 1715,
2 vol. in-4°; 3e éd., 1730) et fondateur de la société des Frères des Anges
(Matth. XXII, 30) ; il mêla trop de bizarreries à la doctrine du maître et
attaqua la diverses Eglises avec trop de fougue pour ne pas éveiller de
violents débats. Les théologiens J. Fabricius, Wagner, Mœller, Ca-
lov, etc., répliquèrent avec la verdeur usitée à cette époque, traitant
Bœhme d'athée, d'hypocrite, de possédé. Spener, Gottfr. Arnold se
prononcèrent avec plus de modération, et les progrès du rationalisme
détournèrent les esprits de ces débats. Mais depuis la fin du dernier
siècle, quelques penseurs éminents appelèrent l'attention de la philo-
sophie moderne sur Bœhme ; ce furent : le pasteur wurtembergeois
OEtinger (f 1782) ; Saint-Martin, qui traduisit en français plusieurs
écrits du ihéosophe ; Schelling, qui dans ses Recherches sur la liberté
humaine (1809) se servait des termes mêmes de Bœhme; et surtout
Baader, qui ne voulut être que le continuateur du philosophe teutoni-
que et donna des commentaires, publiés en 1855. Quant aux théo-
ogiens, si Ton retrouve l'influence de Bœhme dans les écrits de
Bothe et Martensen, c'est surtout M. B. Bocholl, pasteur à Gœttingue
{Die Realpresenz, 1875) qui maintient la tradition théosophique au
sein de la spéculation. — Voy. Jul. Hamberger, Die Lehre des deutsch.
PhiL J. Bœhme, Avszugaus dessenschriften, 1844; Zurtieferen Wùrdi-
qung der Lehre J. B., 1855 (où l'on trouve la bibliographie); Peip,
B. der teufsche Philosoph, 1861. Â. Matter.
BŒHMER (Juste-Henning) [1674-1749], chancelier de l'université de
Halle et doyen de la faculté de droit, jurisconsulte éminent qui, dans
ses ouvrages, éclaira d'une vive lumière l'application des principes
du droit canonique au droit ecclésiastique protestant. Il défendit les
droits de la liberté de l'enseignement évangélique en face des confes-
sions de foi , méconnue en sens contraire par l'orthodoxie et par le
rationalisme; partisan d'abord d'un système territorial tempéré, il
inclina de plus en plus vers le système collégial. Bœhmer a laissé de
nombreux écrits, parmi lesquels nous signalerons : 1° une édition du
Corpus juris canonici (Halle, 1747, 2 vol. in-4°), avec des notes criti-
ques, des tables de matières et d'autres appendices précieux. Elle est
dédiée au pape Benoit XIV, qui la reçut avec bonté, ce qui n'empêcha
pas la congrégation de Y Index de condamner les autres ouvrages de
Bœhmer; 2° Jus ecclesiasticum Protestanhum (1756-1789 , 6vol. in-4° ; le
6e volume parut à part sous le titre de : Jus parochiale ad fundamenta
qenuina revocatum) ; 3° Duodecim dissertationes juris ecclesiastici ad Pli-
num II et Tertullianum (1729) ; 4° Consultationes et decisiones juris (1748-
1754, 3 vol.) ; 5° une Esquisse des Etats de l'Eglise des trois premiers
siècles (1733). Bœhmer s'essaya également dans la poésie sacrée. On a
de lui 21 cantiques répandus dans les divers recueils de l'Allemagne. —
Son fils, Georges-Louis (1715-1797), professeur à la faculté de droit de
Gœttingue, est Fauteur de deux ouvrages estimés : Principia juris cano-
nici (1762) et Obsermtiones juris canonici (17 '63). Son petit-fils, Georges-
Guiilaume (1761-1839), a publié un Abrégé du droit ecclésiastique protes-
BŒHMER — BOGOMILES 325
huit 1 17S7).' et un traité sur les Lois concernant les mariages à l'époque
f/>' Charlemagne et de ses successeurs (1826).
BOGATZKY (Charles-Henri de) [1690-1774] est L'un des écrivains les
plus populaires de l'école piétiste. D'une santé faible, d'un naturel doux
et timide, bien qu'expansif et dévoré de l'ardeur du prosélytisme, con-
trarié dans sa vocation par un père mondain et irascible, Bogatzky
avait vingt-six ans lorsque, enflammé par la prédication de Francke,
il étudia la théologie à Halle. Sa vie intérieure s'était développée dans
l'isolement et dans la prière. Il mena une existence assez errante, ac-
cueilli par des familles nobles et princières, dans lesquelles il remplis-
sait les fonctions de directeur spirituel. En 1740, il se retiraà la maison
des orphelins de Halle, dirigeant des réunions d'édification pour les
étudiants et publiant ses nombreux écrits, qui occupent une place mar-
quante dans la littérature ascétique de l'Allemagne protestante. Un
souille de piété intime et vivante les anime : ils sont le fruit des expé-
riences de l'auteur qui a su généralement les revêtir d'une expression
exquise. La tendance piétiste s'y révèle avec sa force comme avec
ses faiblesses. Le plus populaire des ouvrages de Bogatzky est un recueil
de maximes pieuses, publié sous le titre : Das gùldene Schatzkœstlein
dfir Kinder Gotles (1718), qui a eu plus de cinquante éditions; le
plus étendu, les Betrachtungen ùber das ganze N. T., 1755-61, en
7 vol. Bogatzky a composé un grand nombre de cantiques qui ont
trouvé place dans divers recueils et que l'auteur a réunis sous le titre
de Uebung der Gottseligkeit in geistlichen Liedern, Halle, 1749. Une auto-
biographie de Bogatzky a été publiée par Knapp en 1801.
BOGOMILES. sectaires bulgares du douzième siècle. On fait remonter
leur origine aux euchètes ou eutychites (ceux qui prient) du quatrième
siècle. Tandis que les uns font dériver leur nom des deux mots slaves
Gospodine pomilui (Seigneur, aie pitié de moi!), d'autres l'identifient
avec celui de Théophile (ami de Dieu). Ils se tenaient cachés, principa-
lement à Constantinople, parmi les moines qui peuplaient les nom-
breux couvents de la ville. Leur chef, le médecin Basile, ayant été
convaincu d'hérésie, sous l'empereur Alexis Comnène, fut brûlé en
l'an 1118. Leurs écrits furent l'objet de nombreuses réfutations; les
synodes de Constantinople de 1140 et 1143 les condamnèrent à être
brûlés, deux évêques accusés de bogomilisme furent destitués et plu-
sieurs moines mis en prison. Mais la persécution ne parvint pas à
extirper la secte qui se maintint en Bulgarie, particulièrement autour
de Philippople. pendant tout le moyen âge. Le chroniqueur Geoffroy
de Villehardouin dit qu'une partie. des habitants de cette ville étaient
popolicani. La doctrine des bogomiles est un mélange d'idées mani-
chéennes et mystiques : elle se rapproche d'une manière frappante de
celle des cathares (voy. cet article). Ils niaient la Trinité et attribuaient
à Dieu une tonne humaine. 11 engendra deux iils dont l'aîné, Sata-
naël, se révolta contre son père auquel il voulait ressembler, entraî-
nant dans sa chute un certain nombre d'anges et formant le
monde visible au moyen d'un principe enlevé au inonde divin, il sé-
duisit Eve et engendra avec elle Caïn. L'appareil extérieur de la théo-
326 BOGOMILES — BOHÊME
cratie juive et de l'Eglise chrétienne est son œuvre. Son siège était
Jérusalem; actuellement il réside dans l'église Sainte-Sophie à Cons-
tantinople. Le fils cadet, nommé Logos, est le sauveur du monde.
Conçu par la Vierge et issu de son oreille, il se revêtit d'un corps
<Tange, entra en lutte avec son frère aîné et le vainquit. Il enseigna aux
hommes la véritable manière de vivre et d'adorer Dieu. Les bogomiles
condamnent le mariage, l'usage de la chair et des œufs ; ils rejettent la
croix, les reliques, les images des saints, et ne reconnaissent d'autre
communion que de demander le pain quotidien en récitant l'oraison
dominicale, sept fois le jour eteinq fois la nuit. De l'Ancien Testament,
ils ne conservent que les psaumes et les seize prophètes ; mais ils y
ajoutent plusieurs ouvrages apocryphes : ils y trouvent leurs doctrines,
grâce à la méthode d'interprétation allégorique. — Sources : Anna
Comnena, lib. XV, p. 486; Euthymius Zygadenus, Panoplia, qui con-
tient un exposé complet de la doctrine des bogomiles, pars IL
itituî. xxiii, publiée d'une manière fragmentaire par J.-G. Wolf, Hài .
Bogom., Vitenb., 1712, in-4°,et dans son ensemble par Gieseler, 2£W/.
Zyg. Narratio de Bog., Gœtt. , 1842 ; OEder, Prodrom. histor. Bog. critic. ,
'Gœtt., 1743; Engelhardt, Die Bogomilen (Kirch. gesch. Abhandl., ErL.
1832, n° 2) ; Gieseler, Lehrb. der Kirchen gesch., II, 2, p. 679 ss.
BOHÊME. Le vaste quadrilatère formé par les Sudètes, les Monts des
Géants, l'Erzgebirge saxon, la Forêt de Bohême et les collines de Moravie
occupe une place importante dans l'histoire du christianisme; il y a
surtout joué dans les derniers temps du moyen âge un rôie trop consi-
dérable et trop curieux pour qu'on n'en retrace au moins une rapide
esquisse, quelle que soit la difficulté de grouper tous ces faits d'une
manière concise, tant à cause des fluctuations continuelles de la situa-
tion religieuse elle-même, qu'à cause des questions politiques et natio-
nales qui viennent en Bohême heurter sans cesse et compliquer les
questions ecclésiastiques. Ce fut au cinquième siècle que les Tchèques,
le peuple slave qui forme actuellement la population des deux tiers de
la Bohême, vinrent occuper les contrées qui portent aujourd'hui ce
nom, et où ils trouvèrent encore quelques restes des Marcomans et des
Boïens, peuplades germaniques occupant anciennement le pays. Ils
étaient païens et le restèrent longtemps. Gharlemagne dévastateur pays,
mais il ne put ni les soumettre, ni les convertir. Les premiers éléments
du christianisme pénétrèrent dans ces contrées avec quelques nobles
tchèques, qui étaient venus visiter le roi Louis le Germanique à sa cour
de Ratisbonne et qui reçurent le baptême en 845. Ces conversions tou-
tefois n'eurent aucune influence sur les masses, bien que le saint-siége
s'empressât de rattacher la Bohême au diocèse de Ratisbonne. La véri-
table conquête religieuse se fit du côté opposé, et ce fut Constantinople
qui l'emporta sur Rome, sans profit ultérieur, il est vrai. La légende
religieuse, difficile à séparer de l'histoire pour ces temps reculés, ra-
conte la conversion des Bohèmes de la façon suivante. Une sœur du
roi des Bulgares, Bogoris, était prisonnière à Byzance; elle revint dans
son pays, chrétienne, amenant un moine nommé Méthodius, qui réussit
à convertir Bogoris en 861. Puis, de concert avec son frère Constantin.
BOHEME 327
•plus connu sons sou nom monacal de ("vrille. Méthode se mit à évan-
géliser l'empire morave dont Swatopluk était alors le chef. En 871 le
duc de Bohême Borziwov et son épouse Ludmilla vinrent rendre visite
à Swatopluk, et furent convertis à leur tour et baptisés à OlmÙtZ. On
ne parlera pas ici plus en détail de l'activité des deux apôtres slaves,
comme 00 les appelle (voy. l'article Méthodius). Il suffira de dire (pie,
grâce à eux et contrairement aux règles de conduite de l'Eglise ro-
maine, la religion nouvelle resta pour la Bohême une religion nationale,
et qu'ils surent obtenir du pape Adrien II l'usage des Evangiles et
d'une liturgie en langue vulgaire. Ce point de départ explique bien
des phénomènes du développement religieux postérieur dans le pays.
Le christianisme ne se développa d'ailleurs que lentement chez les
Tchèques. Les successeurs de Borziwoy revinrent en partie au paga-
nisme, regardé comme un boulevard contre l'invasion germanique. Ce
ne fut que sous le règne d'Othon Ier, alors que la Bohème devint vas-
sale effective de l'empire, que Boleslas le Cruel rétablit les églises
détruites. En 972 Boleslas II, le Pieux, obtenait du pape Jean XIII la
création de l'évêché de Prague, mais à la condition de suivre désor-
mais les rites de l'Eglise latine et d'adopter sa langue aussi bien que
•ses prescriptions dogmatiques. Ce fut le commencement d'une longue
lutte entre l'esprit national et l'influence allemande du dehors. Pour
le moment cette dernière, marchant d'accord avec le saint-siége, l'em-
porta. Un Saxon fut le premier évêque de Prague et son siège fut placé
sous la suprématie de l'archevêché de Mayence. Un de ses successeurs
tchèques, Adalbert, canonisé plus tard, préféra abandonner ses insignes
pontificaux, plutôt que de soutenir une lutte incessante contre les pré-
tentions centralisatrices de Rome, et trouva la mort en évangélisant les
Prussiens (997). Pendant les longues querelles du sacerdoce et de l'em-
pire, la puissance papale s'affermit de plus en plus en Bohême; les
successeurs de Grégoire VII firent à peu près disparaître l'usage de la
langue vulgaire dans les chants et les rites de la messe, et |le célibat
des prêtres seul ne fut point accepté partout. Encore au milieu du
quinzième siècle nous trouvons des prêtres mariés en Bohême. [Vers la
fin du onzième siècle disparaissent aussi les derniers vestiges du paga-
nisme; l'année 1092 vit la chute des derniers bois sacrés et l'exil des
derniers prêtres restés fidèles aux dieux vaincus. La Bohême resta dans
ce! état pendant plusieurs siècles, participant, elle aussi, à la lente dé-
cadence de l'Eglise universelle, amenée par les victoires mêmesqu'elle
avait remportées jusque-là. — Au quatorzième siècle la Bohême atteignit
L'apogée de son importance politique sous la dynastie des Luxembourgs
qui succédait à la famille éteinte des Premyslides. Du règne du princi-
pal monarque de cette race nouvelle date aussi le réveil intellectuel et
par suite religieux du pays. Charles IV (1346V1378) obtenait en 1343
la création de L'archevêché de Prague et nommait un métropolitain
pour la Bohême en la personne d'Ernest de Pardubitz, brisant ainsi îe
lien qui rattachait l'Eglise tchèque au siège de Mayence. Mais surtou;
il tondait, le 7 avril 1348, la célèbre université de Prague, qu'il orga-
nisait sur le modèle de celle de Paris, avec ses quatre facultés de théo-
328 BOHEME
logie, de droit, de médecine et des arts, et ses quatre nations d'étudiants,
les Bohèmes, les Bavarois, les Polonais et les Saxons. Il fit ainsi pour un
temps de la Bohême le centre intellectuel de l'empire d'Allemagne où
n'existait alors encore aucune université de ce genre; il en fit aussi Je
foyer d'une culture intellectuelle relativement intense pour le pays lui-
même, en ordonnant que tout nouveau bachelier de Prague serait tenu
d'enseigner deux ans dans les écoles des villes et des campagnes. C'était
créer, sans y penser peut-être, un admirable instrument de propagande
pour les idées nouvelles que l'université devait faire éclore dans
la suite. Mais en même temps qu'il entreprenait ces utiles innova-
tions, Charles IV augmentait les richesses du clergé par des dona-
tions fréquentes et se plaisait à redoubler de luxe dans les céré-
monies du culte, augmentant ainsi, d'une façon peut-être également
inconsciente, le dévergondage et l'avarice des prêtres bohèmes. —
Les germes semés par lui soit en bien, soit en mal, devaient
porter leurs fruits. Ce fut son fils Wenceslas (1378-1419) qui les vit
mûrir lentement pendant un règne très-long, mais aussi tourmenté
que celui de son père avait été glorieux. Intelligent mais brutal, fourbe
et paresseux, Wenceslas se brouilla bientôt avec ses sujets d'Allema-
gne, comme avec ses sujets de Bohême, et l'apathie complète avec
laquelle il laissait flotter les rênes du gouvernement favorisa grande-
ment la révolte et l'anarchie des esprits qui ne tarda point à se mani-
fester sur le domaine religieux comme sur celui de la politique. Le
schisme dont souffrait l'Eglise, la corruption du haut et du bas clergé
qui s'étalait sans pudeur, favorisèrent une réaction morale qui peut
s'observer alors partout, mais qui trouvait en Bohême un terrain tout
particulièrement préparé parles souvenirs nationaux. C'est à tort qu'on
a voulu attribuer ce réveil bohème à l'influence vaudoise, comme Fa
prétendu déjà Léger, le vieil historien des vaudois. Rien dans les
recherches approfondies des savants contemporains n'est venu donner
une base solide à ces affirmations répétées. Ce fut l'université de Prague
qui, pour la Bohême, fut le centre de ce mouvement des esprits. La
seconde moitié du quatorzième siècle vit toute une série de prédica-
teurs, de théologiens et de mystiques spéculatifs qui peuvent être
regardés, à des titres divers, comme les initiateurs du réveil religieux.
Parmi eux l'on distingue le moine augustin Conrad de Waldhausen,
prédicateur à Prague (f 1369), l'archidiacre Jean Milic de Kremsier,
secrétaire de Charles IV (f 1374), Mathias deJanow, chanoine à Prague
(f 1394) ; tous ils se tinrent au point de vue dogmatique sur le ter-
rain de l'Eglise, mais par leurs appels à la conscience chrétienne,
leurs attaques véhémentes contre les vices du clergé, l'allure mystique
de leurs prédications éloquentes, ils furent les précurseurs de Jean
Huss. Ce dernier naissait au moment où Conrad de Waldhausen fer-
mait les yeux (6 juillet 1369), et sa venue donnait à la Bohême son
véritable réformateur. Nous n'avons point à raconter ici sa biographie
ni à exposer ses doctrines (voy. l'article Huss); rappelons seulement
qu'il commença ses cours à l'université, dès 1398, et qu'il fut nommé
recteur de cette corporation savante en 1402. Son développement théo-
BOHÊME 329
logique s'était fait avec une prudente lenteur, et pendant longtemps il
n'enseigna rien qui lût en opposition avec l'orthodoxie catholique,
bien que la lecture des écrits de Wiclef ne restât pas sans influence
sur ses idées, lue question plus politique encore que religieuse lit sur-
gir les commencements d'un schisme religieux. Les trois nattons entre
Lesquelles se répartissaient les étudiants étrangers de l'université, s'é-
taient prononcées en 1408 pour le pape Grégoire XII ; la nation bohème
au contraire se prononça pour la neutralité entre Grégoire et son rival
Benoit XIII. Pour faire triompher l'élément tchèque sur l'élément
étranger, \\ enceslas, par lettres patentes du 18 janvier 1409, accorda
trois voix à la nation bohème et décida qu'à l'avenir les trois autres
nations n'auraient plus qu'une voix dans les délibérations universi-
taires. Cette violation des statuts primitifs irrita professeurs et étudiants
étrangers. Ils quittèrent Prague et allèrent fonder l'université de
Leipzig, eii 1409. Ce fait attira d'une part les haines dès longtemps
existantes entre l'élément national et l'immigration allemande ; d'autre
part, l'idée religieuse nationale, restée sans contre-poids par ce schisme
académique, prit tout à coup un essor nouveau, favorisé par l'antipa-
thie contre les idées cléricales étrangères. La lutte éclata au synode de
Prague en 1410, où les écrits de Wiclef furent condamnés au feu, Huss
lui-même excommunié. En 1412 quelques-uns de ses partisans, qui
s'opposaient à la vente des indulgences, furent exécutés à Prague ; ce
lurent les premiers martyrs bohèmes. Sur ces entrefaites se réunissait
le concile de Constance; sur la foi des promesses de l'empereur Sigis-
mond, Huss quittait Prague le 11 octobre 1414, pour aller défendre ses
doctrines devant les Pères de l'Eglise. On sait le reste; condamné pour
crime d'hérésie, il périssait sur le bûcher le 6* juillet 1415. Ses amis
emportèrent en Bohême un peu de la terre où s'étaient mêlées ses cen-
dres; ils y emportèrent surtout une haine inextinguible contre l'Eglise
qui avait tué leur maitre, contre l'Allemagne sacrilège qui avait auto-
risé le crime. Les suites s'en firent bientôt sentir. Les Etats de Bohême,
réunis à Prague, formaient entre eux une ligue offensive et défensive,
et le 5 septembre 1415, par quatre cent cinquante-deux signatures, ils
déclaraient mensongère la condamnation du concile de Constance. Le
légat apostolique répliquait à cette déclaration par l'interdit lancé
contre la Bohème ; la rupture était consommée. — Dès ce premier moment
déjà il y avait des discussions et des querelles entre ceux que l'Eglise
anathématisait ainsi. Les amis et partisans de Huss, à Prague, par
exemple Jacoubek ( Jacobellus ) de Mies, ne voulaient que des ré-
formes modérées dans la discipline ecclésiastique et l'obtention de la
coupe pour les laïques dans la célébration de la cène; d'autres, plus
ardents, rejetaient le culte des images, la doctrine du purgatoire, etc.
Ces derniers se groupèrent surtout dans la petite ville d'Austi, et quand
celle-ci eut été détruite en 1420, ils fondèrent à côté la ville de Tabor.
De là les dénominations de calixtins et de taborites qui servent dès
lors à désigner les diverses tendances au sein du schisme hussite. Déjà
te pape .Martin Y et l'empereur Sigismond s'étaient entendus pour
employer la luire contre cette hérésie nouvelle, quand le décès de
380 BOHEME
Wenceslas (16 août 1419) vint compliquer encore la situation politique.
Sigismond devait être l'héritier de son frère; les partis ne voulaient
point de lui comme monarque ou n'en voulaient qu'à certaines condi-
tions que l'empereur refusait d'accepter pour sa part. Un désordre in-
dicible s'empara du royaume ; à côté des calixtins et destaborites se forma
un parti catholique, qui, tendant la main à l'étranger, se mit à persé-
cuter d'une manière féroce les partisans de Huss. Dans le cours de
l'année 1420 on aurait précipité vivants plus de 4,300 hérétiques dans
les puits des mines de Kuttenberg. Une exaltation religieuse de plus en
plus vive se manifestait d'autre part sous l'impulsion de ces persécu-
tions. Du sein des taborites sortirent des groupes plus violents encore
et plus fanatiques. Laurent de Brezowa annonçait l'arrivée de Huss
ressuscité et le commencement du règne de mille ans prédit par l'Apo-
calypse ; un paysan, nommé Nicolas, créait la secte des nicolaïtes ou
adamites , qui voulaient retourner à l'état de nature et se livrèrent aux
plus absurdes excès. Nous ne pouvons entrer dans le détail des croisades
•entreprises par Sigismond contre ses propres sujets après que le
saint -siège eut fait prêcher la guerre sainte par toute l'Europe.
Elles ne furent point heureuses, et quoique divisés entre eux, les
Bohèmes hussites surent toujours se retrouver unis en face de
l'étranger. Quand Sigismond eut été battu sur la colline de Wykow,
près de Prague, le 14 juillet 1420, les calixtins lui proposèrent comme
base des négociations les quatre articles de Prague, résumant l'ensemble
des réclamations qu'ils prétendaient faire admettre par l'Eglise. Le
premier demandait la liberté de la parole de Dieu par toute la Bohême,
le second la communion sous les deux espèces (sub utraque) ; le troi-
sième dépouillait le clergé de l'administration des biens de l'Eglise; le
quatrième demandait l'abolition de tous les péchés mortels dans la
•chrétienté, et de toutes choses contraires à la loi divine. Les taborites
voulaient aller bien plus loin ; mais pour le moment, la demande des
calixtins eux-mêmes fut repoussée avec dédain. Cherchant un monar-
que au dehors, les Bohèmes accueillirent alors en partie Sigismond
iKorybut de Pologne comme leur roi ; d'autres refusaient de reconnaître
une royauté quelconque. La mort de leur célèbre chef, Jean Ziska de
Trocnow (11 novembre 1424) affaiblit vers cette époque le parti des tabo-
rites; mais les incursions de Sigismond et de l'électeur Frédéric de
Brandebourg n'en furent pas moins repoussées par Procope le Grand,
le plus connu des successeurs du redoutable aveugle. Une nouvelle
^croisade se termine par la défaite des Allemands à Taus, le 14 août
1431. Le concile de Bâle, qui venait de se réunir, invite alors les
tBohêmes à venir discuter avec lui leurs griefs religieux. Le 15 octobre
vde la même année, les délégués hussites, dont les plus marquants
étaient Jean de Bockycana, Nicolas Biskupec de Pilgram et Procope le
Grand, entraient à Bâle. Leurs négociations avec les Pères et le cardinal-
légat, Julien Césarini, ne purent aboutir une première fois. Après bien
des allées et venues, on signa le 30 novembre 1433 les premiers com-
pactais de Prague, qui rappelaient les quatre articles de 1420. Les
taborites refusèrent de ratifier cet accord. Les calixtins durent les
BOHÊME 331
combattre les armes à la main, et la défaite de Lipan. où périt Procope
(30 mai 1434), mit un terme à leur influence politique. Leurs partisans
se dispersèrent et les modérés restèrent maîtres <ia terrain. Us signèrent
avec Sigismond les m,,//, >!>'/<, ts (I ' /(//au, le 5 juillet 1436, et l'empereur
les garantit à perpétuité par une Lettre de Majesté. Le concile, las de la
lutte, reconnul de son côté les Bohèmes comme de bons chrétiens, et
le 11 février 1437 la ratification des légats pontificaux arrivait à Prague.
Le schisme bussite «tait donc extérieurement terminé par suite des
concessions du saint-siége qui reconnaissait l'existence d'une Eglise
Htraquiste. Au tond les antipathies, religieuses et politiques restaient les
mêmes; la suite des événements le prouva sans réplique. Sigismond
étant mort en 1437 et son gendre Albert de Habsbourg l'ayant suivi
dans la tombe en 1439, la minorité de Ladislas le Posthume vit les
dernières querelles entre taborites et calixtins, mais sans que les
premiers pussent se relever de leurs défaites antérieures. A la mort de
Ladislas, en 1457, les Bohèmes choisirent comme monarque un ardent
défenseur de leurs libertés politiques et religieuses, Georges de Pode-
brad, sous lequel les tendances réformatrices qui avaient autrefois ins-
piré les chefs des taborites purent se développer à l'aise en Bohême,
malgré les excommunications de l'Eglise. Parmi les sectes nombreuses
que nous y rencontrons alors, la plus digne d'intérêt est celle des
Frères Bohèmes, dont le fondateur Pierre Chelcicky, né vers 1390, exerça
son ministère de 14 30 à 1440 surtout. Son successeur Grégoire, regardé
communément, mais à tort, comme un parent de Rockycana, fonda
V Unité des Frères Bohèmes, au village deKunewald, vers 1457, afin d'y
mettre en pratique les doctrines et les mœurs de la primitive Eglise,
que les utraquistes ne réalisaient point suffisamment à son gré. La con-
fession de foi des Frères, rédigée en 1503, nous révèle un esprit reli-
gieux assez conforme à celui des réformateurs (voy. l'article Frères
Bohèmes), — Au moment où l'Allemagne vit éclater le mouvement de
Luther, il y avait donc en Bohême des catholiques en assez petit
nombre, une Eglise utraquiste qui, plus ou moins infidèle aux doctrines
de son maitre, aceeptait l'héritage des traditions de l'Eglise, les ensei-
gnements des conciles, les sacrements et les rites catholiques, et n'en
différait guère que par l'usage de la cène et de la langue nationale dans
les rites ecclésiastiques. A côté de ces deux partis religieux se trou-
vaient des sectes assez nombreuses, où la vie religieuse, presque éteinte
dans le schisme utraquiste, continuait à vivre grâce à l'ardeur d'une
loi souvent plus intense qu'éclairée. Dès 1519 les doctrines professées
à W ittemberg firent leur entrée en Bohême. Un ancien marchand de
fourrures, Mathias l'Hermite, un pasteur de Prague, Jean Poduska,
Jean Miras, répandirent presque simultanément la doctrine du moine
augnstin. Poduska entra même en correspondance avec Luther, dès
juillet 1519, mais ce fut seulement trois ans plus tard que le réforma-
teur noua des relations plus directes avec les Bohèmes, par un écrit
adressé aux Etats du royaume, le 15 juillet 1522. S'il conquit des par-
tisans parmi les Frères Bohèmes, les utraquistes purs ne cessèrent de le
regarder comme un hérétique. Vers la même époque les doctrines ré-
332 BOHEME
formées pénétraient également dans ces contrées ; un ancien moine de
Breslau, Jean Cézek, brûlé plus tard à Briinn en Moravie, répandit
après 1525 les idées de Zwingle parmi ses compatriotes. Les questions
religieuses vinrent se compliquer encore unefois de questions politiques.
Le jeune roi de Bohême et de Hongrie, Louis l'Enfant, tombait à la
bataille de Mohacs, le 29 août 1526, et avec lui linissait la dynastie des
Jagellons. En vertu d'anciens traités de famille, Ferdinand d'Autriche,
frère cadet de l'empereur Charles Y, lui succédait en Bohême. Sous son
règne (1526-1564), les relations avec l'Allemagne et la Suisse protes-
tante amenèrent un développement, de plus en plus marqué dans le
sens de la Réforme parmi les descendants des anciens hussites. Les
nombreux Bohèmes devenus protestants, dans le sens ecclésiastique qui
s'attachait dès lors à ce mot, eurent à pàtir, comme leurs coreligion-
naires d'Allemagne, des suites de la défaite de Mùhlberg (24 avril 1547).
Les Frères surtout durent quitter la Bohême en grand nombre, chassés
par les édits royaux du 5 et du 12 mai 1548. En même temps l'ordre
des jésuites se répandait dans le royaume où plusieurs d'entre ses
membres, comme le bienheureux Pierre Canisius, surent acquérir en
peu de temps une influence extraordinaire. Sous le fils de Ferdinand Ier,
le tolérant Maximilien II (1564-1576), les protestants purent respirer
plus à l'aise. En 1575 les différents partis religieux, utraquistes, luthé-
riens et Frères, présentèrent même à l'empereur une déclaration de
foi commune en vingt-cinq articles, amalgame de la confession d'Augs-
bourg et de la confession des Frères Bohèmes, que Maximilien promit,
mais verbalement seulement, dereconnaitre et de respecter. C'était une
large tolérance qu'il accordait à ses sujets, ce n'était point la liberté
légale. On le vit bien sous le règne de son fils, l'incapable Rodolphe II
(1576-1612). Les jésuites, qui l'avaient élevé, devinrent tout-puissants.
L'archevêque catholique de Prague sut obtenir le serment d'obéissance
de l'administrateur du consistoire utraquiste de la capitale, et les suc-
cesseurs de Rockycana allèrent s'humilier à Rome devant le pape
(1593). Cette décrépitude du mouvement vieux-hussite offre un con-
traste frappant avec le développement de l'Unité des Frères. Cette
même année 1593 voyait paraître la fin de la grande traduction tchèque
de la Bible, avec commentaires, en six gros volumes in-folio. Les per-
sécutions qui recommencèrent au dix-septième siècle ne purent entraver
d'abord cet épanouissement du protestantisme bohème. Un bref de
Clément YIÏI à l'archevêque de Prague, Zbinko de Berka, en avait
donné le signal (1604). Toutes les professions libérales ne devaient
être exercées à l'avenir que par des catholiques. Déjà les rares sei-
gneurs appartenant encore à l'Eglise romaine commençaient à recon-
vertir leurs vassaux hérétiques parles mesures les plus brutales, quand
les querelles suscitées entre Rodolphe II et son frère Mathias forcèrent
le premier à implorer l'appui de la noblesse sub utraque dans le
royaume. Comme les protestants ne voulurent pas s'engager à l'aven-
ture, l'empereur dut leur signer, le 9 juillet 1609, la célèbre Lettre de
Majesté qui non-seulement donnait aux barons, aux chevaliers et aux
bourgeois une liberté complète du culte, mais qui leur permettait
BOHÊME 333
encore de nommer des défenseurs qui veilleraient au respect de leurs
droits. Plus de cinq cents églises lurent ouvertes à la suite de cet édit,
et de beaux jours semblaient s'annoncer pour l'Eglise bohème. .Mais le
successeur de Rodolphe II, son frère Mathias (1612-1619), souverain
presque aussi unique lui, obéissait également à l'influence d'un clergé
forcément réactionnaire. Poussé par son premier ministre, le cardinal
Melchior Khlesl, il autorisa les administrateurs du royaume à com-
mencer une guerre de chicanes contre l'édit de 1609. Les temples
bâtis sur des terres d'église furent, démolis, celui de Klostergrab, celui
de Braunau et bien d'autres encore ; les serfs des domaines royaux
furent traqués et forcés d'aller à la messe. Les défenseurs réclamèrent
en vain ; l'empereur leur défendit de se réunir. Ils appelèrent alors
les Etats sub u traque dans la capitale, et le 23 mai 1618 les meneurs
du parti montaient au château royal de Prague, au Hradschin, et
après des discussions violentes finissaient par jeter deux des gouver-
neurs du royaume, Slawata et Martini tz, par les fenêtres du château.
La défenestration de Prague fut le signal de la guerre de Trente-
Ans. — Nous n'avons point à la raconter ici; ni l'avènement de Ferdi-
nand II au trône impérial, ni celui du comte palatin, Frédéric V, au
trône de Bohême, ne touchent directement à l'histoire religieuse du
pays, et notre récit reprendra donc au moment où la bataille de la
Montagne-Blanche, près de Prague (8 novembre 1620), décidait la
question politique d'une façon favorable à la dynastie des Habsbourgs
et détruisait pour longtemps les libertés constitutionnelles de la Bo-
hême. Ferdinand II, désormais maitre absolu de la situation, avait juré,
dès son enfance, de ramener à la vérité religieuse, telle qu'il la voyait,
tous les sujets que lui avait confiés la Providence. Il voulut tenir parole,
bien que la tâche fût immense. Le légat apostolique, Carlo Carafa, qui
vint présider à la recatholisation de la Bohême, nous dit que la dixième
partie du royaume à peine n'était point infectée du venin de l'hérésie.
Une exécution terrible, celle de tous les anciens défenseurs de la foi et
directeurs de l'insurrection bohème, sur lesquels on put mettre la main,
inaugura, le 20 juin 1621, l'ère de la répression religieuse. On com-
mença par attaquer les calvinistes en ménageant les luthériens, pour
ne pas froisser l'électeur de Saxe, allié de l'empereur. Un décret du
3 juin bannissait tous les prédicants calvinistes et ceux des Frères
Bohèmes, les forçait à évacuer le pays dans les huit jours et à vendre
tous leurs biens. Puis le gouverneur impérial, le prince Charles de
Lichtenstein, expulsa les ecclésiastiques luthériens tchèques, et finale-
ment les prédicateurs allemands eux-mêmes durent prendre le chemin
de l'exil. Après avoir ainsi privé la population du royaume de ses con-
ducteurs religieux, on se mit en devoir de la ramener dans le giron de
l'Eglise. Les principaux soutiens des libertés politiques et religieuses
de la Bohême se trouvaient dans les rangs de la haute et de la petite
noblesse. La bourgeoisie de tout temps a manqué dans les pays slaves,
et son absence y explique bien des catastrophes politiques. Sous pré-
texte qu'ils avaient trempé dans la révolte, on confisqua les biens de
presque tous les -rigueurs protestants, pour les donner à des aventu-
334 BOHEME
riers espagnols, italiens ou wallons. Les ordres religieux, les jésuites
surtout, reçurent d'immenses dotations en biens-fonds. Un peu plus
tard (1624), on défendit aux nobles non catholiques tout mariage
dans le pays. Enfin l'édit du 31 juillet 1027 les mit dans l'alternative
d'abjurer ou de partir pour l'exil. Ils avaient le droit de vendre ce
qui leur restait à des chalands catholiques ; mais qui donc aurait voulu
payer à sa valeur ce qui pourrait bientôt s'obtenir pour rien? Néan-
moins plus de deux cents familles seigneuriales passèrent les frontières,
préférant la misère au reniement de leur foi. Pour les habitants des
villes, l'instruction générale de juillet 1624 indiquait les moyens de les
ramener à la religion catholique. Il leur était défendu d'exercer une
profession libérale, un commerce, une industrie quelconque ; toute abs-
tention des pratiques du culte était punie par des amendes ; tout enfant
devait être envoyé à l'instruction religieuse du curé; tout blasphème
contre la sainte Vierge, les saints et la glorieuse maison de Habsbourg
était puni de mort ; les pauvres et les malades étaient expulsés des
hôpitaux s'ils ne confessaient point la foi catholique. Les unions non
bénies par les prêtres étaient déclarées œuvre de prostitution ; les en-
fants qui en naîtraient, regardés comme bâtards. Mais ce qui fit plus
que tout le reste pour ramener les hérétiques, ce fut «l'emploi décent
de la force coercitive » autorisé par Ferdinand II, par ses lettres pa-
tentes du 5 février 1627. On mettait à [la disposition de la Haute-
Commission de Réforme les dragons de Lichtenstein, et dès lors les
conversions marchèrent vite. On ne se contentait pas de mettre des
garnisaires dans les maisons des récalcitrants; à Kœnigingrsetz, par
exemple, on enfermait les hommes à l'hôtel-de- ville, tandis que les
femmes étaient livrées aux outrages de la soldatesque ; à Schlan, on
leur refusait trois jours durant toute nourriture; à Saatz, on assommait
à coups de bâton les malheureux qui refusaient de s'agenouiller devant
le saint-sacrement. Ceux qui ne voulurent point céder néanmoins,
virent leurs biens confisqués et durent partir, eux aussi, pour l'exil.
Quant aux malheureux paysans, on ne les exilait point ; c'était une
propriété des maîtres, il fallait la respecter. Mais à quels supplices ces
malheureux serfs ne furent-ils pas soumis pour les amener à l'abjura-
tion de leurs erreurs ? Les dragons de Lichtenstein avaient imaginé,
entre autres, d'attacher les jeunes mères en face de leurs nourrissons
affamés et de les tenir séparés jusqu'à ce qu'elles eussent promis de
devenir catholiques. Autre part , on enfermait les paysans dans des
cages étroites dans lesquelles ils ne pouvaient ni s'asseoir, ni se coucher,
ni se tenir debout. On les empêchait de nourrir leur bétail et l'on spé-
culait sur les beuglements de ces brutes affamées pour les pousser dans
la voie du salut. Autre part encore on ouvrait la bouche aux malheu-
reux avec le canon des fusils pour les forcer à recevoir l'hostie consa-
crée. Il n'est point étonnant que des procédés si barbares aient fini par
triompher de la constance des populations protestantes de la Bohême.
Quel mérite les jésuites avaient-ils à convertir des milliers d'héré-
tiques avec le secours de pareils auxiliaires? Le général des capu-
cins, le P. Valerianus Magnus, avait bien raison quand il répondait au
BOHÊME 885
pape Urbain VIII, qui louait devant lui les jésuites : « Saint-Père,
donnez-moi beaucoup de collaborateurs semblables et j'aurai bientôt
converti le monde eu'ier. » On peut dire <pie la Terreur catkoiique
organisée par toute la Bohême depuis 1027 mit lin, d'une façon
générale, au protestantisme dans ce pays. Les quelques débris de
la population protestante qui survécurent, obligés de feindre une
dévotion qu'ils ne partageaient point au fond du cœur, n'avaient
aucune existence extérieure. Mais en même temps que ses libertés reli-
gieuses, la Bohême perdit également son importance politique et sa
réputation méritée d une des nations les plus éclairées et les plus civili-
sées de l'Europe. Grâce à la tyrannie et à l'oppression intellectuelle que
tirent peser dorénavant sur elle ses possesseurs temporels et ses guides
spirituels, la population de ces contrées devint bientôt et reste encore
aujourd'hui l'une des plus arriérées de notre continent. A cette déca-
dence intellectuelle et morale correspond une décadence matérielle
pour le moins aussi complète. Selon les calculs les plus modérés, plus
de trente mille familles s'expatrièrent, plus d'un tiers de la population
périt par la guerre, la peste ou la famine, près des deux tiers des villes,
et des villages du royaume étaient changés en ruines au moment où ces-
sait la guerre de Trente-Ans. Et si le plan de conquête, habilement
tracé par la curie romaine, impitoyablement exécuté par Ferdinand II,
semblait avoir atteint le but, c'est-à-dire la destruction complète de
l'hérésie, cette conquête violente et contraire aux lois éternelles de
la justice renfermait pour le vainqueur le germe de bien des dangers
et des malheurs futurs, comme la dynastie des Habsbourgs peut en faire
aujourd'hui l'expérience. — Les victoires de Gustave-Adolphe ravivèrent
un instant les espérances des nouveaux convertis de Bohême; quand,
après la victoire de Leipzig (1631), l'électeur de Saxe entra dans le
royaume, un certain nombre de prédicateurs exilés revinrent dans
leurs paroisses et l'on comptait dans Prague, au bout de quelques
mois, jusqu'à lo,000 protestants. Mais les chances de la guerre ame-
nèrent un recul et la persécution devint plus féroce encore que par le
passé. Les traités de Westphalie (1648) confirmèrent le droit de réfor-
mation de chaque Etat de l'empire, et dès lors on n'entendit plus
guère parler du protestantisme en Bohême. Officiellement il n'existait
plus; de temps à autre seulement quelque édit nouveau, quelque re-
doublement d'intolérance, apprenait aux nations étrangères que le fer-
ment hérétique n'avait point encore été complètement extirpé. Malgré
la vigilance des jésuites, censeurs officiels de toutes les presses du
royaume, il y entrait parfois quelque livre tchèque, recueil de canti-
ques ou de prières, traduction de la Bible ou confession de foi: de
hardis apôtres, dont plusieurs furent des martyrs, venaient à la déro-
bée visiter leurs ouailles dispersées et pourtant fidèles. Quelles que
fussent V s mesures de rigueur prises surtout en 1696, 1710, 1715, 17±2.
17:;:;, 17o^. un petit noyau de protestants subsistait, tout en adhérant
extérieurement aux doctrines de l'Eglise triomphante. Encore en 1760
on condamnait à mort des colporteurs et des hérétiques dénoncés à la
vindicte gouvernementale. Knlin le moment vint où l'un des succès-
336 BOHEME
seurs de Ferdinand II, prince absolu comme lui, et comme lui dominé
par les idées de son temps, décida démettre un terme à de trop longues
souffrances. Joseph II avait déjà prononcé la dissolution de Tordre des
jésuites (1773), qui comptait en Bohême 1,130 membres et y possédait
huit millions de revenus fonciers, quand il signa, le 13 octobre 1781,
son célèbre Edit de tolérance. Cet édit nous semble aujourd'hui bien
intolérant et bien peu digne d'éloges; c'était néanmoins un immense
progrès. Tout en déclarant le catholicisme religion d'Etat, la loi per-
mettait dorénavant aux protestants de proclamer leurs croyances ; elle
leur permettait de se réunir, sans appareil extérieur, dans des maisons
particulières pour s'y édifier en commun ; elle laissait au curé la dîme
des hérétiques, mais elle permettait aux iidèles d'appeler et d'entre-
tenir à leurs Irais des pasteurs. Malgré les clameurs de l'Eglise, cette
réforme porta bientôt des fruits. Dès 1789 on comptait à Prague trois
cent dix familles protestantes, et l'année suivante les relevés officiels
donnaient 44,000 protestants pour la Bohême entière. C'était bien peu
quand on songe aux deux millions d'adhérents que possédait la Ré-
forme en 1620; c'était assez pour prouver la vitalité de l'Evangile au
milieu des plus longues et terribles persécutions. Quand les acatholiques
(ce fut là l'expression officielle jusqu'en 1849) se constituèrent en pa-
roisses, ils durent se poser une question qui ne manquait pas d'impor-
tance. A quelle dénomination protestante devaient-ils se rattacher?
Seraient-ils calvinistes, luthériens, adhérents à la confession de foi de
1575 ? Les communautés de nationalité tchèque, qui dans les premiers
temps eurent surtout des prédicateurs venus de la Hongrie calviniste,
se prononcèrent pour la Confession Helvétique ; les communautés alle-
mandes, ainsi que quelques paroisses tchèques, dont les premiers mi-
nistres furent Slovènes, adoptèrent la Confession d'Augsbourg. Ces deux
dénominations se partagent le protestantisme bohème de nos jours. En
1870 , il comptait vingt-cinq paroisses luthériennes et quarante-quatre
paroisses helvétiques, partagées en deux surintendances, les unes
renfermant 35,600 âmes, les autres 63,500 fidèles, et donnant ainsi
un total d'environ 99,000 âmes sur une population totale de 5,400,000
habitants. Ces communautés protestantes sont bien pauvres encore,
bien faibles au milieu du pays le plus dominé peut-être par le clergé
que l'on puisse voir aujourd'hui. Le gouvernement n'a fait que
peu de chose pour les dissidents de l'Autriche. Ce n'est que depuis
1850 que l'école théologique de Vienne, changée en faculté, permet
de trouver dans l'empire même les conducteurs spirituels néces-
saires aux communautés; ce n'est que depuis la révolution de
1848 que la liberté, une certaine liberté du moins, a succédé dans
l'empire à la tolérance souvent capricieuse des pouvoirs politiques. La
constitution ecclésiastique provisoire du 9 avril 1861, remplacée depuis
par celle du 6 janvier 1866, a enfin inauguré l'ère de l'indépendance
et du développement légal des cultes dissidents d'Autriche, et la Bohême
protestante, elle aussi, profitera, nous l'espérons, de cette plus grande
liberté d'allures, pour reprendre peu à peu la place qu'elle occupait
jadis parmi les pays les plus éclairés et les plus heureux de l'Europe.
BOHEME — BOILEAU 337
^-Sources: Fr. Palacky, Gesch. Bœhmens, Prag., 1845-1867, t. I1I-V;
Krummel, Gesch, der Bœhm, Reform. imXVJahrh., Gotha, lSi>(> ;
C. Hœfler, Gesch. schreiberder hussit. Bewegung^fien, 1856-1866, ,'ï vol.;
Fr. Palacky, Monumenta ad J. ffuss spectantia, Vindob., 1869; Czer-
wenka, Gesch. der cran;/. Kirche in Bœhmen, Bielefeld, 18()(.)-1870,
2 vol. : Historia persecutionum Ecclesiœ Bœhemiie, s. ioc, 1(518; Ko-
latschek , Die evang. Kirche i». den deuisck-slauischcn Lsendern OKster-
reich's, Wien, 18()i) ; C. Peschek, Gesch. der Gegenre formation in Bœ/unen,
Leipzig, 1850, 2 vol.; Rod. Ueuss, Destruction du protestantisme en Bo-
hême, Paris. 1868. Eod. Keuss.
BOILEAU (Jacques), né et mort à Paris (1635-1716). Frère de
Despréaux, il ne tut pourtant rien moins que poëte ; mais le satiriste
n'eût sans doute pas porté dans la théologie un autre esprit que le sien.
Minutieux comme un collectionneur, et lui-môme avaitréuni une biblio-
thèque considérable de livres rares et précieux ; gallican convaincu et
quelque peu frondeur, mais avec prudence et sous le voile du pseu-
donyme; érudit et malin, J. Boileau passa comme son frère une longue
vie de tranquille célibataire entre ses amis et ses livres. Après ses
études au collège d'Harcourt, il prit son grade de docteur en théologie,
entra en Sorbonne, puis se laissa nommer grand-vicaire de Sens,
place qu'il quitta en 1694 pour un canonicat à la Sainte-Chapelle. Il
composa en latin, de peur, dit-il malignement, d'être persécuté par les
évoques s'ils venaient à les lire, une foule d'écrits peu étendus, mais
curieux et piquants, et dont les sujets dénotent bien la tournure de son
esprit. En 1676 et 1678, il publia à Lyon deux ouvrages, l'un sous la
rubrique de La Haye et sous le pseudonyme de Fonteius, l'autre avec
la désignation de Liège et le nom de David, dans lesquels il démontrait
l'ancienne participation des prêtres au gouvernement des diocèses et
lYxtension abusive de la juridiction épiscopale. La même prudence
lui lit imprimer sous le nom de Marcellus Ancyranus une dissertation
sur la résidence obligatoire des chanoines, une autre sur les bévues
des littérateurs célèbres et une troisième De tactibus impudicis : an sint
peccaia morlalta vel venalia (Paris, 1095, in-8°). On y reconnaît bien cet
ennemi des casuis-tes qui appelait les jésuites « des gens qui allongent
I.- Symbole et accourcissent le Décalogue. » C'est dans le même esprit
qu'il avait donné en I(>7(), en français, un écrit pour montrer que
la contrition est nécessaire à la rémission des péchés dans le sacrement
de pénitence. On sait avec quelle vigueur Pascal et toute l'école de
Port-Royal insistaient sur ce point; mais la demi-contrition ou altrition,
aidée de la Eormule magique de l'absolution, n'en a pas moins fait son
chemin dans- la morale catholique. La rigidité de sa doctrine sur la
confession l'autorisail plus que tout autre à en prendre la défense
contre !<■ ministre Daillé, dans son Historia confessionis auricularis
(Paris, 1683, in-8°). Il lit d'autres ouvrages de controverse. En 1681 il
soutint, contre le ministre Allix, que saint Augustin ne doutait pas que
Le corps de Jésus-Christ n'eût du sang après la résurrection; il édita
<*n 1686 le texte latin de Ratramne De cùrpore et sanguine Christi, avec
une traduction française, el en l(>8o un traité sur le retranchement de
338 BOILEAU — BOISGELIN
la coupe. Mais Boileau se trouva dans son véritable élément quand il
écrivit son histoire des flagellants : Historia Flagellantium,^ siue de
recto et perverso usu flagellorum apud Christianos (Paris, 1700, in-12).
Le censeur avait exigé l'addition du mot recto dans le titre, mais l'idée
ne s'en retrouve guère dans le livre. La malice gauloise de l'auteur se
donna carrière, grâce à la liberté du latin, pour dévoiler ces aberra-
tions d'un fanatisme sensuel. Un anonyme en publia, en 1701, une
traduction qui rendit en français toutes les crudités du latin et en
nomma l'auteur. Boileau s'en plaignit amèrement, mais il donna
raison au critique en émondant l'ouvrage. Cette même traduction
reparut, expurgée, en 1732 (Paris, in-12). Une thèse moins dange-
reuse fut celle qu'il soutint pour démontrer que les ecclésias-
tiques ne doivent pas se distinguer dans le monde par la forme,
mais par la simplicité de leurs habits : De re vestiaria hominis
saeri, etc. (Amsterdam, 1704, in-12). Il appliqua lui-même sa théorie
en adoptant un costume qu'il eut la bonhomie de croire assez long et
assez court pour ne différer de celui des laïques que par sa modestie.
Boileau a fait une foule de dissertations sur divers sujets. Il eut la joie
d'en composer une vers la lin de sa vie, en 1713, contre le jésuite
Hardouin. Ce singulier érudit prétendait que le Céphas de la dispute
d'Antioche n'est pas le même que saint Pierre. Boileau n'eut garde de
manquer cette occasion de polémique. Ce qui est plus étonnant, c'est que
Don Calmet ait daigné reprendre la réfutation pour son compte dans
son Commentaire sur VEpître aux Galaies. C'était pourtant un sujet à
ne pas traiter deux fois (voir, pour la liste des ouvrages de Boileau,
Du Pin, Bibl. ecclés du dix-septième siècle, t. Y, et les Mémoires de
Nicéron, t. XII). P. Rouffet.
BOISGELIN (Jean de Dieu-Raymond de Cucé), né à Rennes en 1732.
Bien que sa famille l'eût destiné dès l'enfance à l'Eglise, la carrière
ecclésiastique fut pour lui moins un état qu'une vocation. Aussi, quand
la mort de son frère aîné le rendit chef de sa famille, il renonça à son
privilège en faveur d'un autre frère et resta dans les ordres. Grand-
vicaire de Pontoise, évoque de Lavaur, puis archevêque d'Aix (1770),
il laissa partout le souvenir d'une activité bienfaisante. Son zèle, joint
à sa libérale charité, sauva, aux approches de la Révolution, son dio-
cèse des désordres et de la famine qui menaçaient de suivre les émeutes
au sujet des approvisionnements. Député du clergé en 1789, il se (it
remarquer par une sage modération. 11 s'exila à la fin de la Consti-
tuante et resta en Angleterre jusqu'au moment où le gouvernement
renoua les relations avec Rome. Archevêque de Tours en 1802, il pro-
nonça un discours remarquable à la cérémonie de la prestation du
serment des archevêques et évêques. Peu après il fut nommé car-
dinal et mourut en 1804. Membre de l'Académie française depuis 1770.
Boisgelin mena de front les travaux ecclésiastiques et les occupations
littéraires. On a de lui une Traduction des Héro'ides $ Ovide, en vers
français, imprimée à Paris sans nom d'auteur, sous la rubrique de
Philadelphie, et tirée à douze exemplaires seulement (1786, in-8°);
une traduction en vers du Psautier, publiée au profit d'émigrés (Lon-
BOISGELIX — BOLIVIE 339
dfes, 1790); tes Oraisons funèbres du roi Stanislas (1766, in-Si. delà
Dauphine, belle-fille de Louis XV il70(.), in-4°), et le discours du sacre
«le Louis XVI. Il a encore compose divers opuscules sur les question
de son temps, et des observations sur Montesquieu qui sont restées er
manuscrit.
B0ISM0NT (Nicolas Thyrel de) [171M786]. Prédicateur illustre en
son temps et parfois véritablement éloquent, mais plus élégant que
profond, et incapable de se maintenir par un travail constant à la
même hauteur, Boismont donna une preuve négative de l'aphorisme
de Buffon, que le génie est une longue patience. Après s'être fait con-
naître à Rouen, sa patrie, il se rendit à Parisen 17W. Son talent le fai-
sait remarquer peu à peu; un trait d'esprit ou un hasard fonda sa
renommée. Prêchant devant un auditoire plus distingué que sérieux-
sur la conversion de Madeleine, il décrivit longuement la vie mondaine
de la pécheresse, et, arrivé au second point où il devait exposer la
contre-partie de sa vie pénitente, il resta court et descendit delà chaire.
Le sujet de son discours de réception à l'Académie : De la nécessité
d'orner les vérités évangéliques , montre assez qu'il se faisait de la pré-
dication un tout autre idéal que les Bridaine et les Beauregard. Prédi-
cateur de cour dans le vrai sens du mot, il fit les Oraisons funèbres du
Dauphin, fils de Louis XV, de la reine, de Louis XV, et enfin de
Marie-Thérèse. On les a recueillies, avec un Panégyrique de saia}.
Louis et quelques autres discours, et publiées en un volume (Paris,
1805, in-8°).
BOISSARD i Georges-David-Frédéric), né à Montbéliard en 1783, fut
pasteur à Lille, puis à Nancy. Un consistoire de l'Eglise de la confession
(TAugsbourg ayant été institué à Paris, Boissard en fut le premier pasteur
et procéda à l'inauguration de l'église des Billettes le 26 novembre
1809. Son zèle infatigable et son aimable caractère lui assurèrent une
large part dans l'organisation de la nouvelle communauté , ainsi que
dans la fondation de la Société biblique et d'autres œuvres chrétiennes,
à une époque où le protestantisme n'était pas encore agité par des
débats religieux. Il mourut en 1836.
BOLIVIE (Statistique ecclésiastique). La république de Bolivie ou du
Haut-Pérou a longtemps fait partie des colonies espagnoles. Rattachée
jusqu'en J 778 à la vice-royauté de Lima, elle appartint ensuite à celle
de Buenos-Ayres. Elle se souleva en 1808 contre la domination delà
métropole, et forme une république indépendante depuis 1825. Son
histoire n'est guère depuis lors qu'une suite de révolutions successives,
interrompue par de rares et courtes périodes de tranquillité relative.
Le dernier recensement officiel de la population remonte à 1861 ; il
constatait l'existence de 1,787,352 habitants. Il fauty ajouter les Indiens
nomades dont le nombre est très-diversement estimé par les géogra-
phes et tes voyageurs. Les chiffres varient entre 24,000 et 700,000. La
population totale de la république peut donc être évaluée à environ
2,000,000 d'âmes. Les Indiens sont en grande majorité païens; les
efforts des missionnaires catholiques n'ont réussi à en convertir qu'un
petit nombre. Les blancs se rattachent tous à l'Eglise romaine; nous
340 BOLIVIE — BOLLANDISTES
n'avons pas connaissance qu'il y ait dans le pays d'adhérents d'autres
communions chrétiennes, et une loi de 1872 interdit l'exercice d'autres
cultes que le catholicisme. L'Eglise est riche et n'a besoin pour pourvoir
à son entretien que d'une subvention peu considérable de l'Etat (envi-
ron 500,000 fr. en 1874). Le chef de la hiérarchie catholique est l'ar-
chevêque de Charcas ou de La Plala; l'évêché a été créé par une bulle
du 3 juillet 1552 et élevé au rang de métropole le 2 juillet 1609. La
cathédrale (Sainte- Marie) , bâtie en 1553, passe pour l'édifice religieux
le plus magnifique de l'Amérique du Sud. Il y a en Bolivie trois autres
évêchés, ceux de La Paz (1601), de Cochabamba (23 juin 1847) et de
Santa-Cruz de la Sierra (6 juillet 1605). Jusqu'à ces dernières années,
le premier de ces évêchés relevait de l'archevêché de Lima (Pérou) ; il
a été subordonné (1866) à l'archevêque de Charcas, auquel on a retiré
en même temps sa juridiction sur les sièges de Buenos-Ayres et de
Salta de Tucuman, dans la république Argentine, pour en former la
nouvelle province archiépiscopale de Buenos-Ayres. Les couvents tant
d'hommes que de femmes sont assez nombreux et fort riches. 11 y a
une université à Quiquisaca. — Bibliographie : Almanach de Gotha,
1877 ; Martin, The Statesmans. Yearbook, 1877 ; Hugo Reck, Géographie
und Statistik der Republik Boliuia, dans les Mittheilungen de Peter-
mann, VII, VIII, 1865, etc. E. Vaucher.
B0LLANDISTES, nom donné aux jésuites chargés de travailler à la
grande collection des Acta Sanctorum (voy. ce mot). Héribert de
Roswey, professeur au collège des jésuites de Douai, se trouvant en
1599 au monastère de Léessies en Flandre (auj. dép. du Nord), y con-
çut le plan d'un Recueil en dix-sept volumes in-folio, le fit connaître
en 1607 dans ses F asti Sanctorum quorum vitx in belgicis bibliothecis ma-
nuscriptx asservantur (Antverpiœ, ex off. Plantiniana, ap. J. Moretum,
in-12). Il ne put publier qu'un recueil préliminaire de Vitx Pa-
trum en 1615, et mourut le 5 octobre 1629, au moment où il allait
commencer l'impression des Acta. Jean Bolland, né à Tirlemont, dans
le Limbourg, le 18 août 1596, entré en 1612 dans Pordre des jésuites,
fut chargé en 1629 de continuer l'œuvre de Roswey, et la maison
d'Anvers fut désignée pour être le centre de l'entreprise. L'impression
fut commencée en 1634, et Bolland s'adjoignit comme collaborateurs
deux hommes éminents, ses élèves, Godefroid Henschen (1600-1681) et
Daniel Papebrœck (1628-1714). C'est au triumviratde ces troishommes
que les Acta Sanctoimm durent leur période la plus brillante, celle où
les travaux furent poursuivis avec le plus d'ardeur et exécutés avec le
plus de liberté d'esprit et le plus de critique. Vingt-six volumes furent
publiés du vivant de Papebrœck. Il consacra toute sa fortune à la créa-
tion de la Bibliothèque des bollandistes qui devint d'une admirable
richesse, et fut le vrai créateur du Musée Bollandkn ou Musée des Saints
d'Anvers. Henschen et Papebrœck firent d'importants voyages scienti-
fiques en Allemagne, en Italie et en France pour y recueillir des docu-
ments. Leurs lettres et leur Diarium itineris romani se trouvent à
Bruxelles, à la bibliothèque des ducs de Bourgogne (nos 7671, 7672).
Ils entretenaient une immense correspondance avec les savants de
BOLLANDISTES 341
toute L'Europe. A ces trois grands hommes succédèrent d'autres colla-
borateurs moins illustres, mais dont quelques-uns ne manquèrent pas
de mérite : Janninek, Baerts, du Sollier, Pieu, Cuypers, Van den Bosch,
Van de Velde, Limpeu, Stveker, Stiltinck, Suyskene, Périer, Clé, de
Bye, Ghesquière, de Bue, Huben, Berthod. La persécution qui frappa
au dix-huitième siècle Tordre des jésuites n'épargna pas les bollan-
distes. Le 20 septembre 1773 on leur donna lecture de la bulle de Clé-
ment XIV et des lettres patentes de Marie-Thérèse qui leur ordonnaient
de se séparer, et l'un d'eux, Clé, fut même emprisonné pendant
deux. ans. Toutefois en 1778 l'abbé de Caudenbey fut autorisé à rece-
voir les bollandistes à qui l'on intima l'ordre de terminer leur œuvre
en dix ans et en dix volumes. Mais en 1780 le monastère de Cauden-
bey fut aussi supprimé, et les bollandistes furent ramenés à Bruxelles,
au collège des jésuites. Joseph II vendit pour 23,000 florins le Musée
des Saints à l'abbé de Tongerloo. et c'est là que parut encore en mai
1794 le cinquante-troisième volume de la collection, grâce au zèle de
quatre prémontrés : Fonson, Yan Dyck, deGoor etStalz,queleP. de Bue
avait réussi à enrôler pour l'œuvre. La Révolution vint arrêter leurs
travaux; le () décembre 1791 les religieux de Tongerloo furent expulsés
et le Musée eut été entièrement perdu si les fermiers de l'abbaye n'en
avaient pieusement recueilli et conservé les débris. Sous Napoléon, il
fut plusieurs fois question de rétablir les bollandistes et de reprendre
leur œuvre. Le janséniste Camus, Monge, l'Institut s'en occupèrent,
et Napoléon se montrait favorable; mais rien ne fut fait. En 1825, le
roi Guillaume de Hollande racheta les restes du Musée des Saints dont
les imprimés furent déposés à La Haye, et les manuscrits à Bruxelles.
Après la création du royaume de Belgique, le ministère de M. Guizot
ayant manifesté l'intention de faire continuer en France l'œuvre des
bollandistes, le roi Léopold chargea en 1836 les jésuites de Belgique
de reprendre l'entreprise inachevée. En 1845 le cinquante-quatrième
volume parut, deux cents ans après l'apparition du premier. Le col-
lège Saint-Michel de Bruxelles a depuis lors été le centre des bollan-
distes, et les Pères qui depuis 1836 ont travaillé au recueil sont les
PP. Van der Mœre, Yan Hecke, Bossue, de Buch, Tinuebrœck. Soixante
volumes ont paru. Ils sont publiés par la librairie catholique générale
de Paris, qui a aussi réédité tous les anciens volumes. Les Acta
Sanclorum contiennent non-seulement les textes principaux des vies
«les saints et d'amples préfaces où sont discutées toutes les ques-
tions critiques que ces documents soulèvent, mais encore des disser-
tations étendues sur des points spéciaux de l'histoire ecclésiastique,
telles que la Diatribe sur les trois Dugobert de Henschen , le Propylée
diplomatique de Papebrœck, les traités sur les martyrologes, sur les
patriarches d'Antioche et de Constantinople, etc. — Consultez pour
['histoire des bollandistes : De Prosecutione operis Bollandiani quod \ A.
SS. ùucribitur, Namur, 1838, in-8° ; Donner, Zeitscltri/t fur Philoso-
phie h. katholische Tln><>l<><jii\ 1836, livr. 17 et 20; Pitra, Etudes sur la
collection des .{<■/,■< des Saints publies par les Bollandistes, Paris,
1850, in -8°. Gabriel Monod.
342 BOLOGNE — BOLSEC
BOLOGNE (ville et archevêché de). Bâtie, on ne sait par quels émi-
grants, non loin de la Gaule cisalpine, Bologne dut à sa position de re-
cevoir une colonie romaine. Enlevée par Pépin et Charlemagne aux
Lombards, elle profita des longues luttes entre les empereurs et les
papes pour devenir indépendante. La liberté lui donna quelques
moments de puissance au dehors, mais une anarchie perpétuelle au
dedans. Après des discordes civiles qui remplirent les treizième et qua-
torzième siècles. Bologne se soumit au pape, mais le saint-siége fut
longtemps incapable de la soustraire aux tyrans qui s'y disputaient le
pouvoir. Jules II l'annexa définitivement, en 1506, aux Etats de l'Eglise.
Cette ville est célèbre dans l'histoire ecclésiastique par son université
fondée, dit-on, par Théodose le Jeune, vers 423, par sainte Catherine
de Bologne et par les cinq papes qui y sont nés : Grégoire XIII, Ho-
noré II, Luce II, Innocent IX et Grégoire XV. Elle a produit aussi l'il-
lustre naturaliste Aldrovandus et nombre d'érudits. Saint-Dominique
y est enterré dans l'église de son ordre. Clément VII couronna Charles-
Quint à Bologne, en 1529. Le concile de Trente y fut transféré en 1547,
par une délibération du il mars votée , à l'instigation de la cour de
Rome, par 35 évoques et 3 généraux d'ordres. Charles-Quint s'oppo-
sait formellement à cette translation ; aussi fut-elle rejetée par un car-
dinal et 17 évoques qui restèrent à Trente sur l'ordre de l'ambassa-
deur impérial. Ce schisme d'un nouveau genre paralysa l'assemblée de
Bologne, et il fallut différer le plus possible les sessions pour ne pas tom-
ber dans un embarras ridicule. La première fut célébrée le 21 avril, uni-
quement pour la remettre au 2 juin, vu l'absence des Pères. Le 2 juin,
on renouvela la même formalité, en fixant la session au 15 septembre..
Cette fois, on eut honte de la tenir, et dès le 14 les légats convoquèrent
une congrégation qui prorogea indéfiniment la session annoncée. Elle
n'eut lieu que sous Jules III, à Trente, le 1er mai 1551. Les deux ses-
sions nominales de Bologne sont les IXe et Xe du concile et les der-
nières du pontificat de Paul III.
BOLSEC (Jérôme-Hermès). En 1551 arriva de Ferrare à Genève un
médecin nommé Bolsec, ancien carme, inquiété à Paris pour la har-
diesse de sa prédication, réfugié en Italie, dans les Etats de Renée de
France, devenu protestant, mais ayant dû quitter Ferrare à cause de
son inconduite. A Genève il commit l'imprudence de s'attaquer ouver-
tement et même en plein temple au dogme de la prédestination et de
l'élection calviniste, ce qui lui attira non-seulement les violentes re-
montrances, mais aussi l'animadversion de Calvin, très-peu tolérant sur
ce chapitre. Mis en prison par ordre du Conseil, il fut, malgré les préa-
vis de Zurich, de Berne et de Bàle, banni de la république et dut se
retirer à Thonon (Savoie), qui dépendait alors de Berne. Calvin, député
auprès du Conseil de Renie, obtint encore son expulsion. Bolsec revint
à Paris et s'arrangea de manière à faire sa paix avec les ' Eglises
réformées. Il rétracta ses erreurs au synode national d'Orléans (1562).
On ne sait trop ce qu'il devint ensuite ; mais, peu de temps après, ou-
ïe retrouve à Lausanne exerçant de nouveau la médecine, il en est
encore chassé pour cause d'opinions malsaines, il séjourne quelque
BOLSEC — BONA 343
temps à Montbéliard. enfin il rentre en France el abjure le protestan-
tisme. A Autun. du il ^'établit comme médecin, il se lia avec les cha-
noines du lieu et commença La série de ces diatribes systématiques con-
tre la Réforme 61 les réformateurs. Il changea encore plusieurs lois de
résidence: on levoif à Lyon en 1577, el il y est probablement mort en
1585. On a de lui : 1" Le Miroir de Vérité au roi ('hurles IX (1562, in-
trouvable); 2" Histoire de la vie, mœurs, actes, doctrine et mort <l'
demi Calvin, jadis grand-ministre de Genève (4582); 3° Histoire de la
oie, mœurs, doctrine et dé por terriens de Th. de Bèze dit le Spectahle
1582); Ces biographies sont un tissu de calomnies qu'aucun historien
sérieux., pas même le P. Maimbourg, n'a osé admettre et dont plus ré-
cemment M. Mignet a fait bonne justice. C'est là pourtant qu'il faut
chercher la première mention de la légende, devenue depuis si chère
aux écrivains passionnés de l'ultramonlanisme d'après laquelle Calvin
aurait eu de mauvaises mœurs et, dans sa jeunesse, aurait été « lleurde-
lysé ». Sans doute Bolsec a été Tune des victimes de l'àpreté avec la-
quelle Calvin et Th. de Bèze défendaient leur dogme favori de la pré-
destination. Mais tout le reste de sa vie nous montre en lui un esprit
inquiet, brouillon, peu scrupuleux, très-entiché de lui-môme et ne
eraignanl pas, pour acheter de puissantes protections et satisfaire ses
rancunes, de tremper sa plume dans le plus noir mensonge. — Voyez:
La France protestante, art. Bolsec ; La Vie de Calvin, par Henry ; la
même Vie, par Th. de Bèze. a. réville.
BONA (Jean), né à Mondovi en 1609, d'une branche des Bonne-Les-
digùières du Daùphiné. Il prit, dès 102o, l'habit de Citeaux à Pignerol,
et en 1051 il fut élu général de son ordre. Après ses trois ans d'exercice.
il déclina cet honneur, mais Fabio Chigi, son ami intime, devenu pape
en 1655 sous le nom d'Alexandre VII, le força à l'accepter de nouveau.
Cardinal en 1669, de la création de Clément IX, il était désigné par la
voix publique pour lui succéder au saint-siége, mais le conclave de
1070 trompa l'attente universelle. Il mourut en 1074. Bona avait con-
sacre'' sa vie à la science et à la théologie. Il entretenait avec les savants
de l'Europe une correspondance qui a été recueillie par le P. Sala
(Turin, 1755, 1 vol. in-8°). La meilleure des nombreuses éditions de
ses œuvres es! celle du même P. Sala (Turin, 1747, 4 vol. in-tol.). L'ou-
vrage le plus érudit de Bona est son Rerum liturgicarum libri duo, tra-
duit par l'abbé Lobry (Paris, 1850, 2vol. in-8°).Un autre écrit, Le
Phénix qui renaît, ou rénovation de l'âme par la retraite et les exercices
spirituels, ouvrage posthume du cardinal, a été traduit du latin par
M. Julien Travers «Paris. 1858, in-8°). Mais ce qui a rendu Bona popu-
laire, ce sonf ses Principia vit.v christianœ et sa Manuductio ad
cœlum. Os deux traités, dignes, par leur onction et leur simplicité,
d'être compares a Y Imitation de Jésus-Christ, ont eu plusieurs traduc-
tions françaises. Celles de Lambert pour le premier et du président
Cousin pour le second onl été reproduites dans le Panthéon littéraire
deBuehon (Paris, 1825, in-8°). Ce sérail rendre un véritable service
que d'adapter, comme on la fait pour Y I Tmitation, à tontes les commu-
nions, au moins les Principes de la vie chrétienne.
344 BONALD
BONALD (Louis-Gabriel-Ambroise, vicomte de), né au Monna, près
Milhau, en Rouergue, le 2 octobre 1754, quitta la France au début de
la Révolution et se retira à Heidelberg avec sa famille après avoir servi
dans les rangs des émigrés. Ce fut à l'étranger qu'il publia son
premier ouvrage, la Théorie du pouvoir politique et religieux (Cons-
tance, 1796). Quelques années après, au couronnement de Napoléon,
il rentrait, devenait à Paris collaborateur du Mercure de France et du
Journal des Débats, et bientôt, à la demande de Fontanes, il était nommé
conseiller titulaire de l'université, quoiqu'il put sans injustice être
mis au nombre de ses pires ennemis. Député de 1 Aveyron, il siège
presque sans interruption dans les assemblées de 1815 à 1830, offre avec
empressement son concours à tous ceux qui proposent quelque loi de
réaction, et se fait nommer successivement président de la commission
de censure, membre de l'Académie, ministre d'Etat, pair de France. A
la révolution de Juillet, ayant refusé de prêter serment à Louis -Phi-
lippe, il rentre enfin dans la vie privée, et va mourir dansle lieu même
où il était né, au Monna, le 23 novembre 1840. — Comme écrivain et
philosophe, de Bonald, collaborateur au Mercure et au Conservateur de
Chateaubriand, Salaberry, Fiévée, se rattache avec de Maistre, d'Eck-
stein, de Lamennais, à ce qu'on a appelé, dans la première moitié du
dix-neuvième siècle, Y école théologique, soutenant que la révélation,
et non l'observation, doit être le principe de la philosophie. On peut
dire qu'il est tout entier danssa théorie du langage. Le langage primitif,
dit-il, a été donné par Dieu à l'homme, et il s'appuie, pour le dé-
montrer, d'abord sur l'autorité de la Bible et les recherches des philo-
logues, comme preuve historique. Puis il passe à la preuve méta-
physique. Dieu, qui a créé l'homme sociable, a dû le pourvoir en même
temps du langage : la parole a été nécessaire, Rousseau le reconnaît
lui-même, pour établir l'usage de la parole. Il eût fallu trop de génie
à l'homme pour s'élever seul de la pure idée à la conception du
discours. Et là-dessus M. de Bonald établit tout son système. Mais il
prouve mal ce qu'il avance ainsi, et il est facile de lui répondre. Par
exemple, est-ce que la conscience de notre existence propre qui, seule,
rend possibles nos autres connaissances, ne précède pas ne nous la
présence de toute espèce de signes? Est-ce que la pensée ne se prête
pas à un beaucoup plus grand nombre de nuances que la parole n'en
saurait exprimer? Est-il réellement impossible d'expliquer l'invention
du langage sans une révélation directe de Dieu, et de soutenir que les
perceptions de l'àme se fixant par la réflexion, et l'organe vocal étant
très-propre à bien rendre ces perceptions, l'homme a eu besoin de
trouver dans son organisation, non pas une langue toute faite, mais un
instrument de pensée qu'il ait pu mettre en jeu, et puis de développer
simplement cette faculté pour parvenir à toutes les connaissances
pour lesquelles la parole lui était nécessaire? On pourrait ainsi ren-
verser l'édifice que de Bonald avait si laborieusement élevé. Mais si
l'on accepte sans discussion ces principes, il en tire aussitôt un
excellent parti pour appuyer, comme défenseur du pouvoir absolu,
ses vues sociales. Si la parole est un don direct de Dieu à l'homme, les
BONALD — BONAVENTURE 345
idées transmises. Les formes politiques, les maximes religieuses, morales.
déjà en vigueur, les vieilles traditions, sont la vérité même et L'homme
ne doit rien chercher au-delà. 11 s'agit au fond, pour de Bonald comme
pour de Maistre, de nier la puissance et l'indépendance de La raison.
Leur théorie <ln langage, c'est la forme qu'ils ont donnée l'un et
l'autre à la question de L'origine des idées. Cette maxime: L'homme
pense sa parole avant de parler sa pensée, est donc la base de la phi-
losophie de M. de Bonald. On peut dire également que toute sa politique
est renfermée dans ce principe : trois idées générales, cause, moyen,
effet, embrassent l'ordre universel des êtres et de leurs rapports.
Il explique tout ainsi, appliquant à tout son principe : à la Trinité
divine; aux mystères de la foi catholique, trinité, incarnation, ré-
demption; à la société politique, le pouvoir, le ministre, le sujet; à la
société domestique, le père, la mère, l'enfant,. Dieu, qui a voulu qif U
y eût partout une cause, un moyen et un effet, veut quo chaque terme
conserve sa fonction propre. Donner quelque puissance au médiateur
ou à l'effet, c'est désobéir à la volonté de Dieu pour suivre la raison et
la loi naturelle. Le despotisme doit donc rester établi partout, comme
révélé par Dieu, dans la religion, dans la société politique et dans la
famille. Les discours politiques de M. de Bonald et ses grands
ouvrages : la Théorie du pouvoir politique et reliyieu.v, la Législation
primitive, les Recherches philosophiques sur les premiers objets des con-
naissances morales, tous compris dans l'édition de ses œuvres complètes
(Paris, 1817-1821), 10 volumes), présentent l'application aux sujets les
plus divers, de ces principes, en même temps que de la théorie du
langage. Ainsi, tandis que la plupart de ses contemporains, dans
L'école sensualiste, s'efforçaient de renouer la chaîne qui les rattachait
à Condillac et kY Encyclopédie, M. de Bonald vouluteonstituer la société
civile sur la base de la religion et d'une révélation contraire à la raison.
L'école théologique à laquelle d appartenait n'a rien fait qui fût
destiné à durer, il crut lui-même, haïssant la Révolution et l'esprit
moderne, n'arriver qu'aux conséquences fatales de ses théories, tandis
qu'en réalité ses principes n'étaient au contraire que des moyens de
satisfaire et de légitimer ses sentiments. — Voyez Damiron, Essai sur
l'hist. de la philosophie en France, 2 vol. in-8°, Paris, 1828; Académie
française, Collée t. des discours, séance du 15 juillet 1841 ; Marie-Joseph
Chénier, Tableau de la littérature ; Maine de Biran, Œuvres inédites,
publiées par Na ville, Examen critique des opinions de M. de Bonald,
Paris. 18.M). in-8°. J. Arboux.
BONAVENTURE. Jean de Fidenza, tel était son nom véritable, naquit
en 1221 à Bagnarça, en Toscane. A l'âge de vingt-et-un ans il entra
dans Tordre des franciscains , dont il devint une des gloires les plus
pures. Après avoir achève'' ses études à Paris, il resta dans cette ville;
il y enseigna la philosophie et la théologie chez les frères mineurs,
pendant que Thomas d'Aquin professait les mêmes parties chez les
dominicains. Les deux docteurs avaient une réputation égale, et tout
en appartenant a des ordres rivaux et en suivant dans, leur enseigne-
ment des méthodes différentes, ils étaient unis par une amitié qu'aucun
^46 BONAVENTURE
dissentiment ne vint troubler. En 1250 Bonaventure fut élu général des
franciscains. Lorsque, dans les conllits entre l'université et les ordres
mendiants , Guillaume de Saint-Amour attaqua ces derniers dans son
traité De pénculis novissimorum temporum, Bonaventure prit leur dé-
fense en même temps que Thomas d'Aquin ; il écrivit contre Guillaume
un opuscule De paupertate Chrisli et un Liber apologeiicus in eos qui
ordini fratrum minorum adversantur. Mais il savait aussi que ce n'était
pas sans cause qu'on se plaignait des moines. Par une lettre circulaire,
adressée le 23 avril 1257 à tous les supérieurs des franciscains, il les
rend attentifs à la cupidité, à la paresse, à l'amour du vagabondage, à
la dissipation, au. faste auxquels se livraient trop fréquemment les
frères ; il demande le retour à l'observation de la règle. Dans une autre
lettre il réprimande ses moines à cause de leurs empiétements sur les
droits des curés et de leur habitude d'obséder les mourants pour obte-
nir des legs. En 1273 le pape Grégoire X lui conféra l'évéché d'Albano,
peu après il le nomma cardinal. Envoyé comme légat au concile de
Lyon, il mourut en cette ville le 15 juillet 1274 ; on lui lit des funé-
railles magnifiques. En 1482 Sixte IV prononça sa canonisation ; en 1587
Sixte-Quint le mit, comme sixième en rang, au nombre des plus grands
docteurs de l'Eglise. Le dominicain Thomas d'Aquin ayant été qualifié
de Docteur angélique, le franciscain Bonaventure fut appelé Docteur
séraphique. Ses œuvres forment sept volumes in-folio (Rome, 1586;
Mayence, 1009) ; dans ces deux éditions elles se composent de 88 ou-
vrages, dont plusieurs ne sont pas authentiques. Aujourd'hui l'ordre
de Saint-François en publie, avec un soin qui l'honore, une édition
nouvelle à Venise. Plusieurs des traités ont été publiés séparément à
différentes époques. — Comme philosophe, Bonaventure professe le réa-
lisme des écoles de son temps; mais il n'est pas sans avoir quelques
opinions originales, sur la matière qui ne peut pas être -considérée
comme séparée de la forme, sur l'individuation, laquelle résulte de
l'union de la forme et de la matière, etc. Dans sa théologie, également
empreinte de réalisme , il se rattache à saint Augustin, à Pseudo-Denis,
et plus immédiatement à l'école de Saint- Victor; mais là aussi il fait
preuve de réflexion personnelle. Il a laissé un Commentaire sur les
quatre liores des Sentences et une Summa theologiœ ; ces ouvrages révè-
lent moins de sagacité que ceux de Thomas d'Aquin, mais plus d'inti-
mité religieuse ; Bonaventure s'efforce d'éviter les subtilités, les argu-
ties, lesquœstiones cariosœ, et d'animer l'enseignement delà scolastique
par le souffle de la piété. Son Centiloquium, pour les commençants, et
son Breviioquium , pour les théologiens plus avancés, sont des manuels
dogmatiques d'une précision et d'une sobriété comme il n'y en a pas
d'autres au moyen âge. La théologie, selon lui, est spéculative par son
objet , mais pratique par son but ; elle est une scientia a-ffectica.
L'homme est séparé de Dieu par la chute; pour revenir à lui, il doit
franchir quatre degrés ; au premier il est éclairé par la lumière exté-
rieure, d'où nous viennent les arts mécaniques; au second par la
lumière inférieure, celle des sens, qui nous procure les notions expéri-
mentales; au troisième par la lumière intérieure, celle de la raison qui,
BONAVENTURE — BONGARS 3 17
par le moyeu de La réflexion, élève l'âme jusqu'aux choses Intelligibles;
au quatrième enfin par la Lumière supérieure, qui ne vient que de La
grâce ci qui seule nous révèle les vérités qui sanctifient. La raison
naturelle parvient ainsi, en commençant par L'observation empirique
et en s'élevant de plus en plus par Le raisonnement, jusqu'aux Limites
extrêmes de la nature créée, mais pour atteindre aux réalités surnatu-
relles, elle n'a d'autre guide que la foi; c'est ainsi que les sciences
sont ramenées à la théologie, qui est leur couronnement. Tel est le
contenu Irès-remarquable <lu traité intitulé Reductio artiiun ad thcolo-
gt'am. Il y a donc, d'après Bonaventure, deux domaines, celui de la
philosophie et celui de la foi; la philosophie ne donne pas de certi-
tude, la foi seule peut nous la procurer. Si Bonaventure ne parlait que
de certitude en matière spéculative, nous n'aurions pas d'objection à
faire: mais il va si loin que, môme quand il s'agit d'une question de
l'ordre naturel, une assertion secundwn pietatem lui semble plus cer-
taine que celle qui serait donnée au nom de la science. Les principaux
de ses ouvrages mystiques sont V Itinerariurn mentis ad Deum et le traité
D< septem gradibus contemplatignis. 11 y décrit, en reproduisant les doc-
trine de Richard de Saint-Victor, le chemin qu'il faut suivre pour
connaître ou plutôt pour contempler Dieu dansla puretéde son essence;
<e chemin part de l'observation du monde sensible pour arriver, à
travers L'étude psychologique des différents états de l'àme, à l'intelli
uencr suprême où, délivrés de toute image et de toute notion, nous
sortons de nous-mêmes pour ne plus voir que Dieu, pour le posséder
dans l'extase dune sainte et tranquille contemplation. Bonaventure
n'est pas devenu fondateur (J'école comme Thomas d'Aquin ; l'école
franciscaine, opposée à celle des thomistes, ne procède pas de lui,
mais de Duns Scot. Cependant il a exercé une grande influence ; il a
eu de son temps quelques disciples distingués, et un siècle après sa
mort il a eu pour continuateur le chancelier Gerson, qui dans divers
endroits de ses écrits lui a rendu un hommage auquel on peut sous-
crire encore aujourd'hui. — Voyez Wadding, Annales Minorant, t. Il;
/Us/, litt. de la France, t. XIX, p. 206 ss.; Hauréau, De la philo*.
scolast., t. II, p. 218 et suiv.; de Margerie, Essai sur la philosophie de
saint Bonaventure^ Paris, 18"io; Hollenberg, 'Bonaventura als Dogmati-
/><■/■. dans les Studien une Kriliken, 1868. Ch. Schmidt.
BONGARS (Jacques) naquit en 1554 à Orléans. Il étudia à Strasbourg
en 1571, et à Bourges, sous Cujas, en 157(5. Son goût prononcé pour
les travaux de haute critique littéraire et les succès qu'il obtint par di-
verses publication», estimées encore aujourd'hui, ne le détournèrent
point de sa vocation principale, le maniement des affaires d'Etat. En-
tré dans la carrière diplomatique au moment où les vues larges et tolé-
rantes de Henri IV la rendaient accessible aux protestants, il la quitta-,
après un long exercice, alors qu'elle fut brutalement fermée, au grand
détriment de La France, par l'intolérance dV un nouveau monarque, qui
n"eut que de trop serviles imitateurs. Négociateur non moins habile
que loyal, Bongars servit son souverain et sa patrie,. pendant trente
années consécutives, avec nu entier dévouement, en qualité soit de rési-
348 BONGARS — BONIFACE
dent, soit d'ambassadeur, près des princes protestants de l'Allemagne
Il jouissait à la cour de chacun d'eux d'un crédit égal à celui qu'a-
vaient conquis ailleurs d'autres protestants chargés de représenter la
France à l'étranger, tels notamment que de Buzanval, du Maurier et
Hotman de Villiers. Rappelons ici, à l'honneur de Bongars, l'hommage
que rendit à son caractère et à son influence l'illustre Duplessis-Mor-
nay dans ces quelques lignes extraites d'une lettre qu'il lui adressa le
10 juillet 1609 : « J'ai loué Dieu de vostre retour en Allemaigne, et
pour l'affaire principale qui vous y mène et parce que je sçais que con-
curremment vous advancerés toutes choses bonnes... Je vous prye
donc , desployés-y vostre prudence selon vostre zèle et en faictes sentir
la conséquence à vos plus féaulxamis. » La douleur que causa à Bongars
la mort de Henri IV déborde dans une lettre qu'il écrivit, le 1er juin
1610, à Jacques Zwinger (Bull, de la Soc. d'hist. du protest, fr., 3e ann.,
p. 541) : k Le plus terrible coup, s'écria-t-iî, vient de nous accabler !
Dieu seul peut nous relever, car c'est sa main qui, par un juste juge-
ment, nous a infligé cette grande épreuve... Nous avons perdu un
grand prince, un prince bien supérieur, non-seulement à tous ceux de
ce siècle, mais même à ceux des âges précédents ; et nous l'avons perdu
par l'exécrable attentat d'un misérable sorti, l'on n'en doute pas, de
l'école des jésuites, et digne ministre de Satan... Priez pour nous Dieu,
l'unique auteur de notre salut... » Deux ans plus tard, Bongars mou-
rut. Le Papier-Registre des enterrements faicts à Paris des personnes de
la religion (Bull, de la Soc. d'hist. duprot. fr., ann. 12, p. 277) men-
tionne, sous la date du 29 juillet 1612, l'inhumation de noble homme
Jacques de Bongars, maistre d'hostel ordinaire du roy (cimei. du faub.
Saint-Germain).— Voir: 1° Bayle, Dict. h'ist. et crit., Paris, 1820, in-8°,
t. III; 2° Haag, Fr. prot.; 3° Lettres de Henri IV, in-4°, II, p. 430,
431 ; III, p. 173, 174; VI,. p. 1 ; 4° Mémoires et Corresp. de Duplessis-
Mornay, in-8°, p. 572; IX, p. 291, 367, 413, 463, 549 ; X, p. 266, 342.
Ouvrages de Bongars: 1° Justinus, Paris, 1581, in-8°; 1610, 1654,
in-12 ; 2° Collectio hunyacicarum rerum scriptorum , Francof., 1600,
in-l'°; 3° Gesta Dei per Francos, etc., Hanov., 1619 et ann. suiv.,
2 vol. in-f°; 4° Lettres de Bongars, La Haye, 1695, 2 vol. in-12.
La riche collection de manuscrits et d'imprimés dont se composait
la bibliothèque de Bongars appartient aujourd'hui à la ville de Berne.
J. Delaborde.
BONHEUR. Voyez Félicité.
BONIFACE, l'apôtre de la Germanie, dont le vrai nom était Winfrid, est
né en 683, à Kirton , en Angleterre. Son père appartenait à la noblesse
anglo-saxonne et désirait assurer à son fils une position brillante dans
le monde, mais il dut céder à la vocation irrésistible que celui-ci
manifesta dès son enfance. Winfrid fit son éducation dans les couvents
d'Exeter et de Nhutscelle. Ce dernier, dont l'école jouissait d'une
grande réputation, lui fournit les moyens de cultiver son intelligence,
d'approfondir ses études scripturaires et de connaître à fond la règle
de Saint-Benoit. Prêtre avant trente ans, professeur et prédicateur
éminent, il avait fait preuve dans des circonstances délicates de talents
BONIFACE 349
si remarquables qu'il serait parvenu dans son pays aux plus liantes
dignités ecclésiastiques, s'il ne s'était pas senti entraîné par celte
ardeur missionnaire, dont les prêtres catholiques anglo-saxons avaient
reçu L'héritage de leurs illustres prédécesseurs, les moines culdéens de
L'Irlande et de l'Ecosse. Il dirigea son attention sur la Frise, dont les
habitants, marins sauvages et grossiers, étendaient au christianisme la
haine qu'ils professaient à L'égard des Francs, leurs redoutables adver-
saires. Le terrain avait été déjà préparé par Amandus, Eloi, évêque
de Noyon, Wulfram, évêque de Sens, et surtout par Willibrord. Mais
Winfrid arrivait au moment où Charles-Martel venait de subir un échec
sanglant dans sa lutte contre Radbod et il dut rentrer en Angleterre
en 717. Reportant alors son attention sur F Allemagne centrale à peine
entamée par. les missions antérieures, il se rendit en Italie avec la
recommandation de son protecteur et ami, le pieux Daniel, évêque de
Winchester. Le pape Grégoire II l'accueillit avec bienveillance et le
nomma son légat par une lettre en date du 15 mai 719, où nous le
voyons désigné pour la première fois sous le nom de Boniface. Dès
cette première entrevue le missionnaire manifesta par le serment
solennel (mil prêta entre les mains du pontife son dévouement absolu
et sans réserve pour la cause de la papauté et sa résolution d'unir dans
une même pensée et dans un commun triomphe Rome et FEvangile.
Après quelques tentatives de mission dans la Thuringe, évangélisée
précédemment par Kilian, Boniface, apprenant la mort de Radbod, se
icndit en Frise, et seconda pendant trois années Févêque dTtrecht,
Willibrord. En 1%\ il rencontra à Trêves, dans son voyage de retour,
un jeune homme qui devait être Fun de ses meilleurs disciples,
Grégoire, plus tard évêque dTtrecht, qui s'attacha à ses pas. Après
avoir évangélisé les contrées arrosées par la Lahn et fondé un couvent
à Amœnbourg, il lit un second voyage à Rome, où, le 30 novembre, le
pape le consacra évêque pour la Germanie, sans résidence lixe.
En l'M nous le voyons reparaître en Thuringe, muni d'une lettre de
recommandation de Charles-Martel; mais bien loin d'être favorisé par
le pouvoir civil, il eut à lutter contre la résistance du grand-maire du
palais et contre l'hostilité du clergé franc, dont il censurait les abus et
menaçait surtout F indépendance. Toutefois il obtint, grâce à son
énergie, des succès décisifs. Dans la Hesse, tout en se livrant à l'œuvre
pacifique de l'évangélisation, il frappa un grand coup en abattant lui-
même, avec le concours de ses disciples, • un chêne gigantesque,
consacré à Odin, la plus grande divinité (\o* barbares. En Thuringe
il fonda de ~rl\ à 727 le couvent d'Ohrdruf et appela à son aide de
nombreux moines et des religieuses de son pays natal, dont plusieurs
ont acquis un nom dans l'histoire de L'Eglise, entre autres: Bunhard,
qui fut évêque de Wurtzbourg, Lull, son successeur à Mayence, el
parmi L< s religieuses L'illustre Lioba, qui transforma le couvent de
Bischofsheim en un foyer de civilisation el de piété. Boniface entretenait
une correspondance suivie et active avec Le pape, auquel il rendait
compte de tous ses succès el soumettait tous ses scrupules. Serviteur
dévoué de la papauté, ;l appliqua les règlements minutieux des degrés
350 BONIFAGE
défendus dans le mariage tout en les trouvant trop rigoureux, et il
chercha à détruire toute trace de l'indépendance et de Faction des
anciennes missions bretonnes. Dans cette correspondance nous relevons
deux traits importants : la reconnaissance du baptême des hérétiques,
et l'usage encore existant de la coupe pour les laïques dans la commu-
nion. Grégoire III nomma archevêque pour l'Allemagne entière,
Boniface, qui fonda en 723 le couvent de Fritzlar et qui, après avoir
consacré à la mission les premières années de son ministère, résolut
de réaliser la seconde partie du programme qu'il s'était tracé, l'orga-
nisation de l'Eglise. Après un troisième voyage à Rome en 738, il se
rendit en 739 dans la Bavière, évangélisée déjà par Eustase, succes-
seur de Golombah à Luxeuil. Jusqu'alors les évêques du pays avaient
été indépendants du saint-siége et exerçaient souvent leurs fonctions
en qualité d'abbés des couvents les plus importants. Boniface détruisit
cette indépendance, ne reconnut comme canonique que l'un des
quatre évêques intronisés par Grégoire II et mit trois de ses disciples à
la tête des nouveaux diocèses, qu'il créa à Salzbourg, Freisingen,Ratis-
bonne et Passau. Jusqu'alors , malgré le concours de nombreux
disciples, il avait eu à lutter contre une hostilité sourde ou ouverte.
Malgré l'énergie de sa volonté et l'ardeur de son zèle, il froissait
trop de vanités et introduisait des innovations trop considérables
pour ne point soulever la résistance d'un clergé auquel les lois
romaines du célibat étaient inconnues, de prélats guerriers et mon-
dains, de prêtres accoutumés à la hère indépendance des Eglises
bretonnes. La mort de Charles-Martel et l'avènement de ses fils
Garloman et Pépin amenèrent un changement favorable aux desseins
de Boniface. Celui-ci résolut d'en profiter pour étendre à l'Allemagne
centrale les réformes qu'il venait d'appliquer à l'Eglise de Bavière.
11 créa quatre évêchés, savoir: pour la Thuringe, Erfurt; pour la Hesse,
Burabourg (bientôt abandonné pour Frizlar); Wurtzbourg dans la
Franconie orientale; enfin Eichshedt pour les contrées intermédiaires.
A ces créations épiscopales, que le pape se hâta de confirmer, Boniface
joignit la fondation de nombreux monastères, dont il confia la direction
à ses collaborateurs venus d'Angleterre. Quelques historiens ont voulu
voir dans ces créations le point de départ d'une Eglise nationale alle-
mande de plus en plus indépendante de l'influence franque, mais
cette théorie semble avoir été étrangère à l'esprit de Boniface, romain
avant tout, et auquel le pape Zacharie accorda plus tard une sorte de
primauté sur la Gaule entière. C'est à ce moment que nous voyons
Boniface, arrivé au point le plus glorieux de sa longue carrière, exercer
une iniluence décisive dans de grandes réunions synodales appelées
à régénérer et à réformer l'Eglise franque corrompue par l'invasion
de nombreux leudes, dont Charles-Martel avait récompensé les ser-
vices militaires par des bénéfices et dont Milon, prélat de Trêves et
de Reims, est le type le plus saillant. La plupart de ces prêtres étaient
mariés, ce que Boniface considérait comme un adultère; la chasse, la
guerre, les banquets étaient leurs passe-temps favoris, et leur ignorance
était si grande que plusieurs ne savaient même pas la formule litur-
BONI FACE ;55l
gique du baptême. Ce lut le "21 avril 7'ri que s*ouvril le premier
synode austrasien, à la fois réformateur et disciplinaire (Labbe,
Cône., VI, 1544-45) et dont les nombreux canons, outre les abus que
nous venons de signaler, défendaient les pratiques superstitieuses, la
vente des esclaves chrétiens aux païens, et rattachaient étroitement
l'Eglise t'ranque au siège de Rome. Le deuxième synode austrasien se
réunit en TV!, dans la villa royale de Lest'mes (llainaut), et. renouve-
lant les décrets de 7'i2, travailla à détruire les derniers vestiges du
paganisme expirant. Boniface voulut, avec le concours de Pépin,
arriver aux mêmes résultats pour l'Eglise de Neustrie et tint en
mars 744 un synode général à Soissons. Ces trois synodes ou conciles
adoptèrent l'ère latine de l'Incarnation et la règle de Saint-Benoit.
Boniface obtint du pape le pallium pour les archevêques de Reims, de
Rouen et de Sens, et lit rendre aux églises une partie des biens dont
Charles-Martel les avait dépouillées. En 7'tri un synode commun aux
deux pays (Baluze, 1, 157), assigna l'archevêché de Cologne à Boniface et
déposa l'évêque de Mayence, Gewiellieb, non canonique et meurtrier.
C'est dans ce synode que furent condamnés deux hérétiques, Adelbert
et Clément, dont nous ne connaissons les opinions que par la déposi-
tion partiale d'un adversaire implacable dont ils contre-carraient l'am-
bition et les réformes; Adelbert, mystique défenseur de l'indépen-
dance du clergé, était plein d'orgueil et professait une foi puérile
en une prétendue lettre de Jésus-Christ tombée du ciel; Clément,
moine irlandais , soutenait le mariage des prêtres, et interprétait
la descente aux enfers dans le sens de l'universalisme du salut. Boni-
face poursuivit ses adversaires avec le zèle d'un inquisiteur, mais
ne ivu>Mt pas, malgré l'appui du pape, à les faire déposer de suite.
11 ht également condamner par la cour de Home l'hérésie d'un
certain Virgile qui admettait les antipodes. Nous avons vu Boniface
missionnaire et organisateur: il joignait à ces dons celui de la vie
ascétique et contemplative. Le désir de s'assurer une retraite paisible
pour sa vieillesse et de créer pour l'Allemagne un centre de vie reli-
gieuse, le poussa en 742 à fonder, avec le concours de son disciple, le
Bavarois Sturm, la célèbre abbaye de Fulda , dans la forêt Bo-
chonia, qui devait bientôt devenir la rivale du Mont-Cassin et de
Saiiit-Gall. Par trois fois Sturm, perdu au sein d'épaisses forêts, recula
devant la grandeur de la tâche ; par trois fois son intrépide maitre le
lança en avant, soutenu par ses prières. La révolution qui renversa
• ■il 752 les Mérovingiens en faveur de la race carlovingienne eut-elle
oncours actif et efficace ou indirect et effacé de Boniface? C'est
ce que Les documents ne permettent pas de décider et le procès est
encore pendant. Il n'en est pas moins vrai (pie ce changement de
dynastie lut favorable au triomphe de ses idées, dont Pépin et
Charlemagne devaient être comme les exécuteurs testamentaires. Bo-
niiaee n "occupa jamais le sié<>e de Cologne qu'il désirait, et nous
pouvons considérer comme un succès de ses adversaires, toujours
debout malgré sa faveur, son transfert au siège de Mayence,
Reprenant ù la (in de sa carrière les désirs et les rêves de sa jeunesse,
352 BONIFACE — BONIFACE II
las du monde, avide du martyre, il obtint du pape Etienne de dési-
gner comme son successeur son cher disciple Lull, et se rendit à
Utrecht sur le théâtre de ses anciens travaux missionnaires. Surpris le
5 juin 755 par une horde païenne , il refusa de se défendre et suc-
comba avec quarante de ses compagnons de voyage. Son corps fut
rapporté en grande pompe à Fulda, au milieu du deuil de l'Allemagne
et de la Gaule. Ainsi mourut en plein combat de la vie chrétienne le
grand apôtre de la race germanique, peu savant, mais croyant con-
vaincu, conscience délicate, énergique lutteur, homme de prière, or-
ganisateur habile , champion dévoué de la papauté , à laquelle il ne
craignit pas de dire parfois des vérités sévères. Toute sa vie il s'inté-
ressa aux progrés de la foi dans sa patrie ; véritable prophète de l'an-
cienne alliance, s'il transforma le prêtre en un être à part, il lui im-
posa des devoirs auxquels il ne manqua jamais lui-même, intrépide
censeur des rois et des puissants. Frizlar et Fulda, l'organisation syno-
dale et hiérarchique, furent ses grandes créations. De nombreux dis-
ciples travaillèrent à continuer et à affermir son œuvre. — Les
Œuvres de Boniface ont été publiées par Giles (Londres, 1844, 2 vol.);
ses Lettres par Serarius (May., 1605) et Wurdtwein (May., 1789) ; ses
Lettres se lisent dans les Monum. Moguntina de Jaffé (1866), ainsi que
sa Biographie, écrite peu après sa mort par Willibald, moine de
Mayence, et des extraits de sa Vie, par Otloh, moine de Ratisbonne
(1062). — Voyez : AA. SS., 5 juin ; les monographies de Letzner (Hil-
desh., 1602), Hanisch (ou Semler, Halle, 1770), Lœffler (Gotha, 1812),
Seiters (May., 1845), Waitzmann (DHL, 1840), Erdmann (BerL, 1855),
Gams (May., 1855); Arndt et Simson (1863), Sayous (1866) et Werner
(1875); Mignet, Mém. hist., I; Bœhringer, Die Kirche, II, 1; Rettberg,
K. G. DeutschL, I. A. Paumier.
BONIFACE Ier (Saint), pape (418-422), succéda à Zozime. Il était
romain. Il eut à combattre un anti-pape, Eulalius, que le préfet de
Rome, Symmaque, favorisait. L'empereur Honorius, dans l'embarras
où le mettait une double élection , semble avoir eu recours à une sorte
de jugement de Salomon. Il décida qu'en un cas semblable aucun des
deux élus ne serait pape, et que le clergé aurait à procéder à une nou-
velle élection unanime. Il ordonnaen même temps aux deux évoques de
sortir de Rome, et attendit que l'un d'eux eût trahi son ambition par son
acharnement à retenir le pouvoir. On trouve dans Tes recueils de droit
canon plusieurs constitutions de Boniface, qui n'ont aucune valeur. —
Voyez : Baronius, année 418 s.; Tillemont, XII, 385; AA. SS., 25oct., XL
BONIFACE II (530-532) avait été élu sous l'influence du roi des
Ostrogoths; il était goth lui-même. Débarrassé par la mort d'un com-
pétiteur nommé Dioscure, mais se défiant de ceux qui l'avaient fait
élire, il entreprit de nommer lui-même, en 531, son successeur, et
exigea du clergé romain le serment de reconnaître le diacre Vigile, son
élu. Mais il eut la honte de se voir contraint par Athalaric à brûler de
sa main la bulle par laquelle il avait disposé de sa succession ; son
clergé cassa le décret imprudent du pape, et celui-ci dut se déclarer
coupable de lèse-majesté. — Voyez Hefele, 2e éd., II, 742.
BONIFACE III — BONIFACE V il 053
BONIFACE III | 607 | étail romain. Ses flatteries à l'égard du cri-
minel empereur Phocas déterminèrent ce prince à reconnaître l'Eglise
de Home, contrairemenl aux prétentions de Gonstantinople, comme
« la tête de toutes les Eglises ». Ce décret, dont l'authenticité a été
contestée sans succès, n'a pas été observé par les empereurs suivants.
Dans un synode OÙ siégeait tout le clergé romain, Bon if ace interdit,
sous Fanathème, « que personne, du vivant d'un pontife ou d'un
évéque, présumai de parler de son successeur ou de se faire un parti,
sinon trois jours après F enterrement du défunt et en présence de tout
le cierge et des fils de FEglise; qu'alors l'élection ait lieu, et que l'as-
semblée ait la liberté d'élire l'évêque qu'elle voudra. » — Voyez Anas-
tase et Paul Diacre; J.-M. Lorcnz, Examen Decreli Phocœ, Arg., 1790.
BONIFACE IV (15 septembre 608-015) succéda, après dix mois
d'interrègne, à Boniface III. 11 était natif de Valeria et fils d'un méde-
cin. Il sut obtenir de la bienveillance de Phocas le don du Panthéon,
et aussitôt , vidant les Catacombes pour remplir la confession de ce
nouveau temple, où Notre-Dame-des-Martyrs avait succédé aux dieux
de Rome, il y fit transporter vingt-huit voitures d'ossements sacrés.
Sainte-Marie-la-Ronde , Sancta Maria ad Martyres, fut dédiée, le
13 mai, sans doute en l'an 009, et ce jour de dédicace fut célébré
dans Rome par une fête annuelle, où l'on a vu souvent l'origine de la
Toussaint (voy. cet article). On attribue à Boniface un faux décret en
faveur des moines.— Voyez : Gregorovius, 3e édit., II, 102; AA. SS.9
28 mai, VI.
BONIFACE V (619-625) ne fut séparé du pape précédemment nommé
que par Deusdedit. Ce pontife établit à Canterbury le siège métropoli-
tain de la Grande-Bretagne, et il s'appliqua particulièrement aux pro-
grès de l'Evangile dans ce pays. Voyez ses Lettres dans Mansi, X.
BONIFACE VI (896), élu dans le désordre, ne fut pape que quinze
jours. Il était romain et fils d'un évoque.
BONIFACE VII, dit Maïïface, antipape (974 et 984-5). Voyez
Beno?t VI.
BONIFACE VIII. Le 24 décembre 1294, onze jours après l'abdication
forcée de Célestin V, Benedetto Caëtani fut élu, de l'accord unanime
des Orsini et des Colonna, des Guelfes et des Gibelins. Issu d'une vieille
famille romaine, dont il devait établir la puissance par le népotisme le
plus criant, le nouveau pape était homme d'autorité et d'éloquence.
Pontife inexorable, » comme l'appelle Pétrarque, son ambition était
- limites et sa volonté de fer. Benoît Cajétan avait été légat en
France; il aimait Philippe le Bel et il canonisa saint Louis. Mais il
n"\ avait point de paix possible entre le droit de l'Eglise el les droits
de la couronne du moment que le siège de saint Pierre était occupé
par un pape comme Boniface, et le trône de France par un prince as-
tucieux et ferme comme était le jeune roi. La lutte où les Hohenstau-
t'.'ii avaient succombé, le roi de France en devait sortir vainqueur, car
étail une cause nationale, et les Etats-Généraux soutenaient la
lutte encore plus que le roi. Boniface commença par se faire des enne-
mis de ceux qui rasaient porté au pouvoir: il laissa les Colonna à
u. 23
354 BONIFACE VIII
Técart, il les irrita par son intervention dans leurs querelles de famille.
Apprenant que deux cardinaux de ce nom intriguent contre lui et s'en-
tourent des partisans du pape déposé, il somme l'un d'entre eux de
déclarer s'il est ou s'il n'est pas pape légitime. Les Colonna refusent
de s'expliquer et s'enferment dans Palestrina avec quelques hommes
déterminés , auxquels les célestins et ce moine étrange , Jacopone da
Todi, prêchent la résistance. En même temps, les ennemis du pape
protestent contre son élection et font afficher sur l'autel de Saint-Pierre
leur appel à un concile général. Boniface excommunie les Colonna et
tous leurs fauteurs; il prêche la croisade contre les rebelles, il prend
leurs châteaux et brûle leurs forteresses. Cependant Palestrina tenait
bon ; « le prince des nouveaux Pharisiens, » par ce consiglio frodolente
qu'a flétri le Dante, admit les Colonna en grâce; mais aussitôt qu'ils se
furent jetés, en septembre 1298, la corde au cou, aux pieds du pontife,
celui-ci, comme avait fait Sylla, fit raser Préneste et y sema du sel. Le
jubilé de l'an 1300 mit le comble à l'orgueil du pape. En présence de
foules immenses accourues de toute la chrétienté, Boniface lit porter
devant lui les deux glaives : il se crut le maitre du monde. Mais déjà
la paix avec la France était troublée. Lorsqu'en 1297 le pape avait pré-
tendu imposer sa médiation à la France et à l'Angleterre, Philippe le
Bel n'avait accepté l'intervention de Boniface qu'à titre de Benoit Cajé-
tan, et à ce moment déjà le pape avait dû reculer devant la royauté.
En effet, accueillant les plaintes d'une partie du clergé de France, qui
se récriait contre les impositions que le roi levait sur les prêtres, Boni-
face avait fulminé, le 18 août 1296, la bulle Chricis laicos (les laïques
sont ennemis des clercs), où il excommuniait ceux qui levaient des im-
pôts sur le clergé. C'était toucher à la couronne de France. Le roi ré-
pondit par l'interdiction de sortir l'argent de France. Abandonné par
une grande partie du clergé français, pressé par les Colonna, Boni-
face dut céder. Mais au lendemain du jubilé, enivré d'orgueil, le pape
apprenant que Philippe le Bel avait l'ait alliance avec Albert d'Autri-
che, qui était excommunié, l'envoya sommer de secourir la Terre-
Sainte. Le roi fit arrêter le légat Bernard Saisset, et lit demander au
pape sa condamnation. Le pape refusa, et, suspendant les privi-
lèges accordés à la couronne de France, il convoqua un concile géné-
ral à Borne, à l'effet de travailler « au bon gouvernement de la
France. » En même temps, par la bulle Ausculta fili, il affirmait que
« la juridiction spirituelle s'étend sur le temporel, car le pape a le
droit de connaître de toutes les actions humaines en raison du pé-
ché. » Philippe, mal conseillé par ses juristes, ne craignit pas de ré-
pandre une fausse bulle : « Apprenez, faisait-on dire au pape, que
vous nous êtes soumis au temporel comme au spirituel. » On publia
en même temps une fausse réponse : « Sache votre très-grande sot-
tise qu'au temporel nous ne sommes soumis à âme qui vive... »Le roi,
soutenu par son peuple, lit brûler la bulle Ausculta à Notre-Dame, le
11 février 1302, à son de trompe : c'est le premier feu qui ait brûlé
une bulle. Le 10 avril, les Etats-Généraux se réunirent à Notre-Dame,
et le clergé s'unit aux deux autres ordres pour la défense delà cour-
BONIFACE VIII 355
ronne. La même année, le Ier novembre, le concile s'était réuni au
Latran, et, le 18 de ce mois, parla huile Unam sanetam, Boniface osait
taire la loi de l'Eglise de ce qui n'avait été jusque-là que la doctrine
de sa vie et l'ambition de ses prédécesseurs : « Nous déclarons, disons
,«i définissons que toute créature humaine est soumise au pape, et que
cela est de nécessité pour le salut... Il faut que le glaive soit sous le
glaive, et l'autorité temporelle sous le pouvoir spirituel. Le pouvoir
spirituel institue le pouvoir terrestre, et s'il est mauvais, il le juge. »
Le roi, avec une grande, sagesse, mit les États-Généraux en avant. Les
Etats se réunirent au Louvre le 13 juin 1303; ils formulèrent Lacté
d'accusation le plus violent contre le pape et en appelèrent à un con-
cile général; la France entière répéta cet appel. Cependant le pape
cherchait un appui auprès d'Albert d'Autriche, qui venait de se recon
naître humblement son vassal. Mais Boniface ne se sentait pas en
sûreté à Rome, où la noblesse latine l'entourait menaçante, et où le vice-
chancelier de France, Guillaume Nogaret, venait notifier au pape Lap-
pel au futur concile : il se réfugia dans Anagni, sa ville natale. « Le
nouveau Pilate » (c'est le nom que le Dante donne au roi) devait
triompher de son ennemi par un coup de main inouï. La veille du
jour où l'excommunication lancée contre le roi de France allait être
affichée dans Home, la nuit du 6 au 7 septembre, Nogaret, à la tête
d'une troupe de conjurés que commandent Jacques Golonna , dit
Sciarra, et un traître, Rainaud de Supino, pénètre dans Anagni sous
la bannière de France et sous le gonfanon de Saint-Pierre, aux cris
de : « Mort au pape Boniface! Vive le roi de France! » Alors, dit
le chroniqueur Jean Villani, ce pape magnanime et valeureux s'écria :
« Puisque, comme Jésus-Christ, je suis pris par trahison, et puis-
qu'il me faut mourir, je veux mourir comme un pape. » Aussitôt,
se faisant revêtir du manteau de saint Pierre, la couronne de Constan-
tin sur la tète, les clefs en croix dans sa main, il alla s'asseoir sur son
trône pontifical. 11 dit à Sciarra : « Voici mon cou, voici ma tête, » et
à Nogaret, dont le père avait été brûlé : « Il me plaît d'être condamné
par un patarin. » Personne, dit le chroniqueur, n'eut la hardiesse de
porter la main sur lui. Les coups, les outrages publics sont une fable
des historiens. Après trois jours où les vainqueurs ne réussirent pas à
triompher de son énergie, le pape fut délivré par les siens accourus.
Gardé à vue par les Orsini, qui l'entouraient d'une protection
outrageante, brisé par sa défaite, mais l'âme haute, il mourut à
Rome le II octobre 1303. Les chroniques de Saint-Denis disent : ((Il
cheul en frénésie, si qu'il mangeait ses mains. » Cela n'est pas.
Lorsqu'en 1605 on retrouva son corps, ce pape, qui, suivant le
mot de Mansi, était un roi plutôt qu'un prêtre, montrait encore une
figure sévère el pleine de gravité. Ainsi mourut celui que Dante
appelle il gran prête. L'histoire aété impitoyable pour sa mémoire. Des
serviteursfde [Louis XIV, comme Du Puy (Hist. du différend de B. VIII
et de Ph. le B., Paris, 1655, in-f", ouvrage capital), des jansénistes,
comme Baille! {Desmeslez de B. VIII av. Ph. le II.. in-12, Paris, 171S;
ont fait la loi aux historiens. En ces derniers temps, dom L. Tosti
356 BONIFACE VIII — BONNECHOSE
{Storia di B. VIII, 2 vol. in-8°, Mont-Cassin, 1840; tr. fr.5 Paris, 18o4,
2 vol. in-8°) a pris avec ardeur la défense du pape. 11 appartenait à un
Français ( Boutaric, La France sous Pli. le B., Paris, 1861, in-8°)
d'écrire son histoire sans passion et avec autorité. Voyez aussi Dru-
mann, Gesck. Bon. VIII, Kœnigsfi., 1852, 2 vol. in-80'; Hefele, VI;
Papencordt, Gesch. d. St. Rom, p. 326; de Reumont, II, et surtout
Gregorovius, V. S. Beegee.
BONIFACE IX. Voyez Clément VII.
BONJOUR (les frères). Issus d'une famille pauvre de Pont-d'Ain, les
deux Bonjour entrèrent dans les ordres et suivirent ensemble une
longue carrière, pendant laquelle leur fanatisme ou leur fourberie ne
se démentit pas plus que leur étroite union. En nommant Faîne curé à
Fareins, près de Trévoux, Farchevêque Montazet, qui redoutait les écarts
d'un enthousiasme dont il avait déjà donné des preuves, lui adjoignit son
frère comme vicaire, ne soupçonnant pas qu'il partageait les mêmes
idées. Après huit ans d'exercice, le curé se* déclara indigne du minis-
tère et, laissant la cure à son frère, il se réduisit de lui-môme aux
modestes fonctions de maître d'école. Un nouveau vicaire, Furlay, fut
adjoint à Bonjour second. Il ne tarda pas à adopter leurs vues. Alors
s'ouvrit l'ère des miracles ou des mystifications. L'ancien curé en vint,
après divers essais en ce genre, à crucifier une jeune fille dans
l'église de Fareins, aux jour et heure fatidiques, un vendredi, à trois
heures du soir , devant plus de douze témoins. La secte des fareinistes
était fondée. Deux pratiques la distinguèrent : la flagellation, fréquem-
ment administrée par les Bonjour à leurs affidés, et la communauté
des biens. Les opposants se scandalisèrent du partage plus vite que de
la flagellation, quand ils virent leurs femmes et leurs filles le pratiquer
à leurs dépens. Une enquête révéla ces désordres. On exila Furlay et
Bonjour aîné, et l'on enferma le second au couvent de Toulay. Il s'en
échappa, comme saint Pierre, dit-il, de la prison d'Hérode, et
se réfugia à Paris. Plusieurs fareinistes vendirent leurs biens pour l'y
rejoindre, ainsi que la fille crucifiée avec laquelle il entretint la
ferveur de ses adeptes. 11 essaya, en 1789, de se réinstaller de force
dans son ancienne cure, et il fallut que la maréchaussée y mit bon
ordre. Revenu à Paris, il continua à diriger les flagellants, jusqu'au
moment où le gouvernement consulaire exila les deux Bonjour à
Lausanne. Leur secte s'y éteignit avec eux.
BONN. Voyez Universités allemandes.
BONNECHOSE (Emile de), né le 18 août 1801, à Leyerdorp (Hollande),
et mort en février 1875, à Paris, suivit d'abord la carrière militaire et
obtint le grade d'officier d'état-major sous la Restauration. Il donna sa
démission en 1829, fut nommé bibliothécaire du palais de Saint-Cloud,
et put ainsi se livrer sans partage à ses goûts historiques et littéraires.
Un Eloge de Bailly, couronné par l'Académie française, en fut le pre-
mier fruit (1833). Christophe Sauvai, ou la Société sous la Restauration
(2 vol. in-8°, 1836), ne fut que le prélude de sérieuses études consa-
crées à l'histoire. Issu d'une mère protestante, dans une famille catho-
lique, et amené à la croyance réformée par ses méditations person
BOXNECHOSE — BONNET 357
ne 11 es, Emile de Bonnechose a largement pavé sa dette envers l'Eglise
de son choix. Rappelons d'abord son Histoire de France^ en deux
volumes, parvenue, du vivant de son auteur, à la quatorzième
édition, et qui justifie ce succès par la clarté de l'exposition, la
sagesse des vues. Elle eut pour pendant YHistoire dJ Angleterre ,
couronnée par l'Académie. .Mais le titre principal de M. E. de Bonne-
chose est l'ouvrage ingénieusement intitulé : Les Réformateurs avant
li Réforme (2 vol. in-8°, 1845), qui montre sous un aspect aussi nou-
veau qu'attachant les figures de Jean lluss et deJérùme de Prague, les
velléités réformatrices de concile de Constance, et la terrible guerre
des hussites (pie Ton voit se perdre, après ce sanglant eftbrt, dans la
paisible communauté des moraves. Un sourde généreux anime ce livre
puisé aux sources. Dans une préface empreinte d'une noble sincérité,
l'auteur revendique éloquemment les droits de la conscience religieuse,
et s'estime heureux de vivre en un temps où Ton peut admirer
la vivante fermeté de Jean Huss sans cesser d'admirer Gerson, « qui
eut le malheur d'être son juge ». M. Ch. Waddington a rendu, dans le
Bulletin du Protestantisme fançnis (t. XXIV, p. 144), un juste hom-
mage à l'homme excellent qu'il eut le privilège de connaître dans
l'intimité, à l'écrivain qui a su conquérir une réputation méritée par
ses travaux.
BONNET (Charles), né à Genève en 1720, d'une famille patricienne,
publia d'abord des travaux d'entomologie et de botanique qui eurent
un grand succès. Mais la fatigue de l'observation microscopique
l'obligea de renoncer à de telles recherches, et il s'appliqua à des
méditations d'un caractère plus général (Considérations sur les corps
organisés, 1702; Contemplations de la nature, 17 '64) qui révélèrent
l'élévation de ses sentiments et la vivacité de son imagination. Dans
Y Essai de psychologie (1754). et dans Y Essai analytique sur les facultés
de l'unie (1700), il abordait un domaine nouveau, où il maintenait
cependant les procédés d'observation usités pour les sciences natu-
relles. Partant de la relation entre l'àme et le corps et de l'influence
du physique sur le moral, il constata que « nos idées sont attachées à
certaines libres; nous pouvons donc raisonner sur ces fibres, parce que
nous les voyons ». C'est l'action de la fibre qui éveille la pensée .
« L'homme n'a des idées que par l'intervention des sens, et ses notions
les plus abstraites dérivent encore des sens;» les convictions morales,
religieuses ne font pas exception. 11 est vrai que l'àme a son activité
propre, appelée réflexion, qui, en combinant les données des sens,
acquiert les connaissances et prend des résolutions; mais cette activité
est iiii^«' <'ii jeu par le plaisir ou la douleur, c'est-à-dire par la
sensibilité, par l'action que les objets exercent sur nous. Comme
intermédiaire entre !<■ corps et l'àme, Bonnet admettait la présence
dans I'- cerveau d'un organe de nature éthérée, impérissable, « vrai
siège de l'àme et qui est comme la monade de la pensée ». La Palin-
ie philosophique (0. vol., 1764) appliqua à la condition future des
êtres vivants les idées de Bonnel sur le développement des germes.
Dans cet écrit, dépassant encore davantage les limites de la doctrine
358 BONNET — BONN1VAI1D
de Locke et de Condillac, il s'appuya sur deux principes de Leibnitz,
la loi de continuité et l'union indissoluble de Famé et du corps : Les
êtres vivants sont appelés à réaliser un progrès continu dans une série
infinie d'existences ; le degré de connaissance et de vertu auquel chaque
homme s'est élevé ici-bas déterminera le point où il commencera son
existence future; l'organe éthéré, qui reste uni à notre âme après
notre mort, reconstituera un corps nouveau, en rapport avec les con-
ditions de notre nouveau séjour, et puisqu'il aura conservé les traces
de nos anciennes impressions, il maintiendra dans cette existenee
ultérieure le souvenir de notre passé. Après notre départ de ce monde,
les animaux supérieurs, le singe, l'éléphant, prendront notre place,
et les plantes sentiront leurs âmes se dégager de l'engourdissement où
elles sont plongées. Du moins Bonnet n'allait pas jusqu'à enseigner
que notre condition actuelle fût le résultat d'une progression semblable
dans des existences antérieures. Par ce perfectionnement infini se
constituera la cité de Dieu, annoncée par le christianisme, cette religion
que nous reconnaissons à des preuves nombreuses comme une révé-
lation divine venant en aide à nos spéculations conjecturales. Ce
dernier ordre de pensées fut plus développé dans les Recherches philo-
sophiques sur les preuves du Christianisme (1770); l'auteur invitait la
théologie et la philosophie à s'unir pour résister aux progrès d'une
sagesse impie. Mais lui-même faisait bien des concessions à l'esprit du
siècle ; par exemple, les miracles, cette parole par laquelle Dieu nous
révèle les desseins de sa sagesse, sont des actes préformés, déposés en
germe lors de la création dans le sein de la nature, pour surgir à un
moment donné par le seul jeu des forces de ce monde. Bonnet mourut
en 1793. M. Villemain (Lût. fr. au XVIIIe siècle) a consacré la fin de sa
XIXe leçon à Abauzit et à Bonnet, qui furent, « à des degrés différents,
des libre-penseurs religieux, purs et vertueux moralistes, pieux con-
templateurs de la Providence, si méconnue dans les cercles philoso-
phiques. » — Voyez Herzog, EncyUL, t. XIX, Eloge de Bonnet, par
Ed. Humbert, qui donne la bibliographie complète. A. Mattee.
BONNIVARD (François de) [1496-1570], fameux patriote et historien
de Genève. Son oncle paternel lui laissa le riche prieuré de Saint-
Victor, dont les dépendances formaient une assez notable portion du
territoire genevois. Malgré cette situation privilégiée, il n'hésita pas, à
l'époque où l'évêque Jean de Savoie s'entendait avec le duc Charles III
pour lui livrer la juridiction temporelle de Genève, à se mettre à la
tête des plus ardents défenseurs de ses libertés. Il enleva le malheu-
reux Pécolat à l'ingénieuse cruauté de l'évêque, et travailla efficace-
ment au traité d'alliance entre Genève et Fribourg (1518). Son dévoue-
ment lui coûta d'abord son prieuré, dont Jean de Savoie le dépouilla.
Pierre de la Baume, successeur de Jean, le lui rendit bientôt; mais
quand Charles III entra dans Genève par la brèche, en 1519, Bonni-
vard, qui s'était hâté de fuir, lui fut livré par ses compagnons de route
et resta deux ans en prison. Neuf ans plus tard, il tomba de nouveau
entre les mains du duc qui, violant le sauf-conduit qu'il lui avait
donné pour aller voir sa mère malade à Seyssel, lui fit subir, dans une
B0XXIVAR1) — BOOS 859
cave basse <lu château de Chillon, pendant six ans et demi, et sans
même lui accorder un interrogatoire, la dure captivité qui le rendit si
célèbre el que Byron a chantée. La conquête du pays de Vaud par les
Bernois le délivra en 1536. Genève était alors libre et réformée, et lion
nivard y put jouir des services qu'il lui avait rendus. Les magistrats le
chargèrent d'écrire la chronique de la république : il y était préparé
par son savoir el son patriotisme. En 1 r>:>H, il céda son prieuré à la
ville pour l'entretien d'un hôpital, moyennant une pension viagère dg
quatre écus et demi par mois; en 1551, il lui donna sa bibliothèque,
noyau de la collection actuelle, et il l'institua enfin son héritière à la
condition de fonder un collège. Il se montra jusqu'à la lin, selon le
mot de J.-J. Rousseau; « ami de la liberté, quoique savoyard, et tolé-
rant, quoique prêtre. » Dès longtemps, il est vrai, cette dernière qua-
lité n'était pour lui qu'un vague souvenir. Senebier (Hist. littér. de Ge-
nève, I, 137-139) énumère ses nombreux ouvrages. Tous sont conservés
à Genève en manuscrits autographes. On en a imprimé dans cette ville :
la Chronique de Genève, 1831 , 4 vol. in-8°; Ad vis et devis de la source
de l'idolâtrie et tyrannie papale , par quelle prac tique et finesse les papes
sont en si haut degré montez, etc., publié par MM. Chaperon et Revilliod,
avec les caractères du temps, 1856, in-8°; et les Advis et devis des lan-
gues, composés en 1563, Genève et Paris, 1849, in-8°.
P. ROUFFET.
BONOSE. évêque de Sardique, en Illyrie, vers le milieu du quatrième
siècle, enseignait que la vierge Marie avait eu encore plusieurs enfants
après la naissance de Jésus. 11 fut dénoncé, de ce fait, au synode de
Gapoue (391), et déposé, malgré l'intervention de l'évêque de Rome
Siricius qui, tout en condamnant sa doctrine, inclinait vers une mesure
moins rigoureuse. C'est à tort qu'on a accusé Bonose d'avoir nié la
divinité de Jésus-Christ. Ses adhérents, qui plus tard partagèrent les
opinions de Jovinien et de Photin, se maintinrent jusque vers la fin du
septième siècle, sous le nom de bonosiaques (voyez : Epiphane, Hœres.,
VIII ; Augustin, Hxres., LXXX1V; Walch, De Bonoso hœretico, Gcett.,
175 ï. et Histor. der Ketzereien, III).
BOOS (Martin) [1762-1825], originaire d'une famille de paysans de la
Bavière, élevé par les jésuites à Augsbourg, étudia la théologie à l'uni-
versité de Dillingen, qui était alors le foyer d'un mouvement religieux
intéressant. Son maitre Sailer professait les doctrines évangéliques et
inspirait au petit nombre de disciples éclairés et pieux quise groupaient
autour de lui le désir de purifier l'Eglise catholique des pratiques péla-
giennes que le romanisme y avait introduites. Convaincu par son expé-
rience personnelle de la vérité de la doctrine de la justification par la
foi, Boos la prêcha et rappliqua avec une courageuse fidélité pendant
un ministère de trente années, traversé par des dénonciations, des
procès, d'incessantes menaces de suspension et d'emprisonnement. \]\\
réveil important s'accomplit, sous ses auspices, dans la paroisse de
Gallneukirchen, prèsde Linz, à laquelle, grâce à la protection deléveV
que Gall, il présida pendant une douzaine d'années. Son séjour en
Autriche et en Bavière étant devenu impossible, le gouvernement prus-
360 BOOS — BORA
sien l'appela en 1817 à exercer les fonctions pastorales dans la Prusse
rhénane. A l'exemple des jansénistes, Boos s'éleva avec force contre
les œuvres méritoires, le jeûne, les pèlerinages, les aumônes, la con-
fession auriculaire, insistant sur la doctrine de la grâce toute gratuite
acquise à l'homme par le sang du Christ. Sa piété simple, pratique,
empreinte d'une rare cordialité, gagnait les cœurs. Bien qu'il demeurât
attaché à l'Eglise catholique, le puissant prédicateur de la « justice qui
vient par la foi » entretenait des relations de sympathie avec beaucoup
de protestants. — Voyez : J. Gossner, M. Boos, 1831; Bodemann,
M. Boos nach seinem Leben, Wirken u. Leiden, Bielef., 1854.
B00Z [B o a z, Bïo'Ç) , riche cultivateur de Bethléhem, du temps des Juges,
qui, en vertu de l'a loi du lévirat, épousa Ruth, sa parente (Ruth II, 1 ;
IV, 13), et devint ainsi l'ancêtre de David (Matth. 1, 5). — C'était aussi
le nom que portait la colonne de bronze qui se dressait à gauche de
l'entrée du parvis du temple de Salomon, tandis que celle de droite
s'appelait Jachin. Elles se distinguaient par la riche décoration de leurs
chapiteaux où des fleurs de lis ou de lotus se combinaient artistement
avec des guirlandes de grenades (1 Rois VII, 15-22; Jérémie LU,
21 ss.; Josèphe, Anh'q., VIII, 5, 3).
BOQUIN (Jean), originaire de la Guyenne, religieux de l'ordre des
carmes, étudia la théologie à l'université de Bourges, où en 1539 il fut
reçu docteur. Après avoir embrassé le protestantisme, il quitta la France
en 1541, se rendit à Bàle et à Wittemberg, revint à Bourges, rentra
dans son couvent, et essaya sous des dehors catholiques de répandre
les principes de la Réforme. Menacé de poursuites, il vint en avril 1555
à Strasbourg, avec le jurisconsulte François Baudouin. On venait de dé-
poser Jean Garnier, le pasteur delà communauté française; le magistrat
songea à donner la place à Boquin; mais les réfugiés, sachant qu'à
Bourges il avait repris le froc, s'y opposèrent. Le 27 mai il donna une
explication publique de sa conduite; comme la communauté n'en fut
point satisfaite, il fut écarté, et le 12 août on choisit comme pasteur
Pierre Alexandre. Le 15 février 1557 Boquin obtint une chaire de théo-
logie à Heidelberg; il l'occupa jusqu'en 1564 où, ayant refusé d'adhé-
rer au dogme luthérien de l'ubiquité, il fut destitué, il trouva une
autre chaire à Lausanne; c'est là qu'il mourut en 1582. Voyez la liste
de ses ouvrages, qui pour la plupart sont consacrés à la controverse
avec les luthériens et les catholiques, dans La Fiance protestante, t. II,
p. 401.
BORA (Catherine de) [1499-1 552], l'épouse de Luther. Elle descen-
dait d'une famille noble mais pauvre du comté de Misnie. A l'âge de
dix ans, elle entra au couvent de Nimptsch, près Grimma, où se trou-
vait déjà une de ses tantes. Sous l'influence des idées de la Réforme et
n'ayant pu obtenir que sa famille l'arrachât à la vie claustrale, elle
s'enfuit, le 5 avril 1523, avec huit autres nonnes, aidée par un citoyen
considéré de Torgau, Deux jours après les fugitives se présentèrent
chez Luther, qui les plaça dans des familles honorables et lit une col-
lecte pour subvenir à leurs besoins. Catherine avait été reçue dans la
maison de Philippe Reichenbach, secrétaire de la mairie et plus £ard
BOKA — RORDAS-DEMOULIN 361
bourgmestre de Wittemberg. Demandée eii mariage par le docteur
Glatz, pasteur à Orlamûnde, après avoir eu une inclination malheureuse
pour le jeune patricien Jérôme Baumgaertner, de Nuremberg, elle dé-
clara dans un mouvement de franchise et de fierté à Àmsdorf qu'elle
ne consentirait à épouser que lui ou Luther. Cette démarche déter-
mina la résolution que ce dernier avait depuis longtemps mûrie e!
fixa son choix. Il l'exécuta avec une rapidité que les circonstances du
temps expliquent et justifient. Le mariage eut lieu, le 13 juin 1525,
dans la maison de Luther, en présence de quelques amis parmi les-
quels Bugenhagen, Jouas, Lucas Cranach et sa femme. On trouve des
détails sur cette cérémonie dans une lettre de Jouas à Spalatin du
14 juin et dans une autre de Mélanchthon à Camerarius du 21 juillet.
« Dieu voulut que j'eusse pitié de cette abandonnée, » écrit de son
côté Luther. Il n'eut qu'à s'applaudir de son choix. Catherine était une
femme « pieuse, fidèle, complaisante, soumise, » dans la joie comme
au milieu des deuils. Ménagère soigneuse et économe,;elle présida à la
maison hospitalière de Luther, et lui donna six enfants dont deux leur
fuient enlevés de bonne heure. Celle que, dans ses lettres, il appelait
en plaisantant Dominus Ketha, était digne, par sa ferme raison et sa foi
sereine, de s'associer à l'œuvre du réformateur. 11 l'estimait plus, di-
sait-il, que «le royaume de France et la domination vénitienne. » Il est
inutile de relever les calomnies dont elle a été l'objet. Les auteurs catho-
liques la dépeignent comme ayant été «admirablement belle». Les por-
traitsque nous possédons d'elle ne laissent pas cette impression. Cathe-
rine de Bora survécut sept années àLuther, enproieàdes soucis d'argent
et a toutes sortes d'épreuves amenées par la guerre de Smalkalde et
ses conséquences. Elle mourut à Torgau, des suitesd'une chute de voi-
ture, fuyant la peste qui avait éclaté à Wittemberg. — Voyez surtout
Hofmann, Kath. von. Bora v. h. M. Luther, Leipz., 1845; J. Kœstlin,
M. Luther. Elberf., 1875, I, p. 7()i ss. et passim.
BORBORITES (Borôo? Ht<e, Borboriani, (te (âcpSspoç, boue, fange, parce
qu'ils se barbouillaient le visage et le corps d'ordures), secte gnostique
du second siècle dont les membres étaient accusés de commettre, dans
leur fureur antinomiste, toutes sortes de débauches et de crimes. Ils
possédaient des livres saints particuliers (Evangile d'Eve, de Noria,
femme de Noé, Révélation d'Adam, de Seth, etc.) qu'ils plaçaient sur
le même rang que l'Ancien et le Nouveau Testament. Ils admettaient
huit cieux régis chacun par un souverain; le septième est gouverné
par /Vbaoth, le dieu des juifs ; Barbelo, la mère des vivants, qui est
la même que le Dieu suprèmeet le Christ, règne sur le huitième. L'âme
humaine, débarrassée du corps, traverse les sept cieux jusqu'à ce qu'elle
trouve le repos auprès de Barbelo. Les récits d'Epiphane ( Haeres.,
X) et 26 i et d'Augustin i ffaeres., 5) renferment des exagérations mani-
f estes.
BORDAS-DEMOULIN. né à Montagnac (Dordogne) en 1798, mort à
Paris eu 1859, est le chef d'un groupe de catholiques libéraux qui éle-
vèrent une protestation énergique mais impuissante contre les récents
progrès de l'ultramontanisme. L'Académie des sciences morales cou-
362 BORDAS-DEMOULIN — BORDEAUX
ronna ses Etudes de philosophie cartésienne, son Eloge de Pascal et son
Discours sur Voltaire; mais ses deux ouvrages les plus importants
sont : Les Pouvoirs constitutifs de l'Eglise (855) et V Essai sur ta Ré-
forme catholique (1857), ainsi qu'un volume de Mélanges philosophiques
et religieux. Renouant avec la tradition cartésienne et gallicane, dont
il conserva la mâle vigueur, l'auteur accuse la papauté des maux de
l'Eglise et de sa lamentable décadence; il signale son peu d'action sur
le monde, la faiblesse de sa théologie, la médiocrité de son sacerdoce,
l'affadissement de sa piété et de son culte, dû surtout à la funeste inva-
sion de la mariolàtrie. Comme remède à ce mal, Bordas réclame la
restitution de l'élément laïque, comprimé dans l'Eglise depuis le
moyen âge, qui n'a été qu'une longue déviation de l'esprit chrétien,
causée par l'amalgame de l'Eglise avec l'Etat. Il demande que le ca-
tholicisme soit mis en harmonie avec les besoins de notre âge et les
idées démocratiques; que les fonctions dans l'Eglise soient rendues à
l'élection populaire; que le sacerdoce des laïques soit reconnu dans
ses droits à côté du sacerdoce des prêtres; que l'un et l'autre se régé-
nèrent par le pouvoir fructifiant de la sainteté. L'Eglise n'a point de
lois dans le sens coercitif et temporel ; elle ne fait rien que par la pa-
role: elle-même est le pouvoir divin revêtu de la parole humaine. Pour
elle, gouverner, c'est parler. Ces nobles accents ne rencontrèrent au-
cun écho, et Bordas-Demoulin termina sa vie pauvre et laborieuse de
penseur à l'hôpital.
BORDEAUX (Burdegala, Burdigala), ancienne métropole de la Se-
conde Aquitaine, archevêché. Comme presque toutes les villes de
l'Aquitaine, Bordeaux se glorifie d'avoir reçu la foi de saint Martial.
Nous dirons à un autre article ce qu'il faut penser de la tradition qui
place ce saint apôtre au premier siècle, tandis que Grégoire de Tours
le fait vivre vers l'an 250. On raconte que le jour même où saint
André subit le martyre, Martial, averti par une révélation divine,
fonda l'église de Saint-André de Bordeaux. Nous dirons seulement
qu'Oriental, vivant en 314, est le premier évêque de Bordeaux qui
nous soit connu. Saint Delphin, son successeur, tint en 380 un synode
contre les priscillianistes; il baptisa Paulin de Noie. Saint Amand, qui
vint après lui, céda son siège à saint Seurin (vers 410-420; Boll., 25 oc-
tob.), qu'il ne faut pas confondre avec saint Séverin de Cologne, et
sur la tombe duquel s'élève une église du onzième siècle, qui montre
la très-ancienne crypte de Saint-Fort. Léonce le Jeune (542) fut chanté
par Fortunat; Frotaire, prélat ambitieux, fut transféré à Bourges en
876 par le saint-siége, malgré les lois de l'Eglise. Géraud de Malemort
tint en 1255 un synode (Hefele, VI) qui s'occupa de la discipline. Ber-
trand de Got (Clément V) avait été archevêque de Bordeaux. En 1306,
dans un voyage qu'il lit dans cette ville, il exempta Bordeaux de la
juridiction primatiale des archevêques de Bourges. Jean du Bellay
(1545-1553), le cardinal de Sourdis (1599-1628), "le cardinal de Che-
-verus (1826-1836) ont illustré ce siège. En 1605, pour être délivrée
-d'une peste, la ville de Bordeaux se voua au culte de la Vierge. Les
archevêques avaient juridiction sur Agen, Angoulême, Saintes, Poi-
BORDEAUX — BORGIA 363
tiers et Périgueux, et, depuis i :> 1 T , sur les évêchés nouveaux de Con-
dom, Maillezaïs, Luçon et Sarlat. Aujourd'hui Saintes et Sarlat ont
disparu. La Rochelle a remplacé Maillezais, et Ton a mis sous l'auto-
rité de Bordeaux les évèeliés de la liasse-Terre (la Guadeloupe), de
Saint-Denis de la Réunion et de Fort-de-France, à la Martinique, insti-
tués en 1850. Urbain 11 a consacré, en 1096, l'église cathédrale de
Saint-André: les églises Saint-Michel (1160) et Sainte-Croix (dixième
Méele i mériteraient aussi notre attention. — Voyez dom Devienne,
Hist. de />'., 1. 1771 ; I et II, 1862; Ravenèz, Orig. relig. de 7,\, 1861 ;
Cirof de la Ville, Orig. chrét. de B., 1869; Gallia, II; Fisquet, Bor-
deaux, 1868. S. beeger.
BORDELUM, nom d'une secte (fui se forma dans le village de ce nom,
près de Flensbourg, dans le duché de Holstein, vers 1739, sous l'in-
tluence d'un piétisme antinomiste et malsain. Son fondateur est David
Bsehr, prédicant saxon (f 1743), qui mena une vie désordonnée et prê-
chait, sous prétexte de spiritualisme, le mépris de tout ordre ecclésias-
tique, des sacrements, de la célébration du dimanche, du mariage et
de la propriété. Il insistait sur la conversion intérieure et la nécessité
de parvenir dès ici-bas à un état de sainteté parfaite. Un édit de Chris-
tian IV mit lin à la propagande de ces sectaires, dont la plupart furent
impliqués dans des procès de mœurs.
BORELISTES. Adam Borel ou Borrel ( 1()03-1667), prédicateur ré-
formé de la Zélande, se démit de ses fonctions, sous le prétexte que
l'Eglise ('tait déchue de son rang et ne méritait plus son titre depuis la
mort des apôtres. Il prétendait s'appuyer sur la Bible seule, sans le se-
cours d'aucune interprétation humaine, et fonda, vers 1645, à Ams-
terdam, une secte dont les membres se distinguaient par l'austérité de
leurs mœurs et la libéralité de leurs dons. Borel, qui était un savant
fort instruit et un habile hébraïsant, publia une série d'écrits, parmi
lesquels le plus connu porte le titre de : Ad legem et testimonium.
C'est à tort que ses adversaires lui ont attribué des opinions soci-
niennes.
BORGIA (François de) [1510-15721. Fils de Jean de Borgia,
duc de Gandie, et de Jeanne d'Aragon, il perdit sa mère à dix ans et
fut élevé par l'archevêque de Saragosse, son oncle maternel. Honoré
de la protection de l'impératrice Isabelle, qui lui ht épouser Eléonore
de Castro, Borgia arriva, presque malgré lui, aux charges les plus éle-
vées. Charles-Quint le nomma vice-roi de Catalogne. Mais , de tout
temps, une vocation impérieuse le portait à la vie monastique. Un
incident en redoubla la force. Chargé, comme grand-écuyer, de recon-
naître, avant qu'on l'inhumât, le corps de l'impératrice Isabelle
1 1539), l'aspect de ce cadavre fit une si vive impression sur lui, qu'il
lit vœu d'entrer en religion s'il venait à perdre sa femme. La mort de
la duchesse lui permit d'accomplir son vœu. Porté depuis longtemps
vers les jésuites, en faveur de qui il avait fondé, à Gandie, le premier
collège ou ils enseignèrent, il obtint du pape, par l'intermédiaire de
Loyola-, de pouvoir faire sa profession quatre ans avant de quitter le
monde extérieurement. Borgia, qui n'avait alors que trente-six ans, se
364 BORGIA — BORROMEE
consacra tout entier à la Société et refusa le cardinalat et toute dignité
ecclésiastique. Il prolita de son ancienne faveur auprès de Charles-
Quint pour dissiper ses préventions contre les jésuites. Pendant que
Lainez, leur deuxième général, et son vicaire Salmeron étaient absor-
bés , l'un par les affaires de France , l'autre par celles du concile de
Trente , Borgia les suppléa dans le gouvernement intérieur de Tordre.
A la mort de Lainez, il lui succéda dans le généralat (1565). Ce fut la
bonne fortune de la Compagnie de trouver dans ses trois premiers
chefs des génies différents qui se complétaient l'un l'autre. Borgia per-
fectionna les détails dont ses prédécesseurs avaient tracé les grandes
lignes, et acheva par ses règlements l'édifice des Constitutions. Du
reste , il eut dans Pie V moins un protecteur qu'un collaborateur, qui
mit au service de la nouvelle Société tous les privilèges dont pouvait
disposer le saint-siége. Il survécut peu à ce pontife et mourut la même
année que lui. Urbain VIII le béatifia en 1624, et Clément X le canonisa
en 1671. Ses nombreux ouvrages ascétiques, écrits en espagnol , ont
été traduits en latin par le P. Deza (voyez Alegambe, Biblioth. script.
Societ. Jesu, et Menofag. ejusd. Soc/et.). P. Rouffet.
BORRI (Joseph-François), né à Milan en 1627, lit ses études au collège
des jésuites à Rome, s'appliqua avec ardeur à la médecine et à la chimie;
mais ses dérèglements le firent chasser de Rome. Il se fixa à Milan, où
il réunit autour de lui un certain nombre de partisans, parmi lesquels
se trouvaient même des prêtres, dont il exigea le vœu de pauvreté, pour
pouvoir leur enlever leur argent. Il insistait sur la nécessité de réformer
l'Eglise et de donner à la Vierge Marie, « vraie déesse, incarnation du
Saint-Esprit, présente dans l'Eucharistie, » la place qui lui revient
dans le culte des fidèles. Le prétendu prophète fut obligé de fuir, sous
l'inculpation de nombreuses escroqueries. Il séjourna sur les bords du
Rhin et de la Baltique, se faisant passer pour le Médecin universel; \\
allait se sauver en Turquie, lorsqu'il fut arrêté à Vienne et livré à la
justice romaine, qui le condamna à l'emprisonnement perpétuel. 11
mourut au château de Saint-Ange, à l'âge de soixante-huit ans. On a de
lui une série d'ouvrages sur l'alchimie dont le plus curieux, La Chiave
del Gabinetto (Col., 1691), se compose de dix lettres relatives à la na-
ture des esprits élémentaires et aux secrets du grand œuvre ; la der-
nière contient une dissertation sur l'àme des bêtes.
BORROMEE (Charles de) [1538-1584]. Issu d'une illustre famille de
Lombardie, neveu par sa mère du cardinal de Médicis, plus tard Pie IV,
Borromée jouit, sans s'en laisser corrompre, de ce népotisme alors si
commun dans l'Eglise et si souvent funeste. Pourvu à l'âge de douze
ans de riches abbayes et cardinal à vingt-trois ans, il cumula sans en
négliger aucune, à la cour de Rome, une foule de fonctions impor-
tantes. Il trouvait encore le temps de cultiver les lettres et surtout la
philosophie. On ne peut douter que l'étude assidue d'Ëpictète, à qui
il prétendait devoir beaucoup, n'ait contribué à donner à son caractère
une teinte de stoïcisme antique. De ces études sortirent les Noctes Va-
ticanœ, série de conférences qu'il donnait dans une sorte d'académie
de littérateurs instituée par lui au Vatican. On les a publiées à la suite
BORROMÉE 365
de ses œuvres. Le concile de Trente dut à son influence sur Pie IV de
pouvoir procéder, niais du reste avec une discrétion singulière, à la
réforme de la cour romaine. C'est sous sa direction que se rédigea,
d'après les décisions du concile, le laineux Catechismus Tridentinus
(1566). Borromée était à cette époque engagé sans retour dans les or-
dres. 11 avait refusé d'en sortir en 1562, quand la mort de son frère
aine le laissa à la tète de sa famille, et en 1565 il fut nommé arche-
vêque de Milan. Son premier soin fut d'aller résider dans son diocèse,
auquel il consacra le reste de sa vie. Abandonnant son patrimoine à
sa famille, et la plus grande partie de son bien propre à son église et
aux pauvres, il donna le premier l'exemple d'une réforme qu'il poussa
lui-même jusqu'à l'ascétisme le plus rigoureux. Six conciles provin-
ciaux qu'il eut grand'peine à imposer aux évêques ses sufiragants, et
onze synodes diocésains témoignent, par le volumineux recueil de
leurs actes, de son activité. Il trouva dans la congrégation des Oblats,
qu'il fonda, les auxiliaires qui appliquèrent ses réformes jusqu'aux
moindres paroisses. Une tentative d'assassinat dirigée contre lui par
un frère de l'ordre des Humiliés fut le terme de la résistance des op-
posants, mais non pas de son zèle et de sa charité. Il ne s'ensuivit que
la suppression de cet ordre depuis longtemps corrompu. Son dévoue-
ment absolu à son Eglise pendant la fameuse peste de Milan est resté,
à juste titre, légendaire. Epargné, comme par miracle, par le fléau
auquel il s'exposait tous les jours, il succomba peu après sous l'excès
des macérations et des travaux, à l'âge de quarante-six ans. Paul V le
canonisa dès 1010. Le savant Saxius a publié ses œuvres à Milan
, 1747-18, 5 vol. in-4°), et à Augsbourg (1758, 2 vol. in-fol.). L'assem-
blée du clergé de France de 1057 a fait imprimer à ses frais ses In-
structions aux confesseurs. La Vie de Borromée, de Giussani, traduite de
l'italien en français par le P. de Soulfour, en 1615, fut la première
publication de l'Oratoire. Il a eu du reste nombre de biographes. Les
Acta ecclesiœ Mediolanensis, imprimés d'abord à Milan (1582 et 1599,
2 vol. in-fol. ), l'ont été en dernier lieu à Bergame (1738, id.). Une
édition magnifique en a été donnée à Lyon en 1682, par Anisson,
dans le même format, et dédiée à Letellier, archevêque de Reims..
P. ROUFFET.
BORROMÉE (Frédéric IC1) [1564-1631], cardinal, continua l'œuvre de
son oncle Charles, après l'épiscopat de Gaspar Vicecomes (1584-1595).
Contraint par Clément VIII, il accepta l'archevêché de Milan le
24 avril 1595, et il montra dans le cours de son ministère plus de vraie
piété, plus de charité et plusde tolérance envers les hérétiques, que son
oncle canonisé. 11 fonda plusieurs couvents de capucins; mais l'œuvre
la plus importante de sa vie est sans contredit d'établissement de la
Bibliothèque Ambroisienne qui fut, de sou vivant, riche de 30,000 vo-
lumes imprimés et de 14,000 manuscrits. Des hommes instruits et
rétribués par lui parcouraient l'Europe et l'Asie en quête de livres
rares. De plus, il établit dans le local même de la Bibliothèque un
collège pie docteurs chargés spécialement de l'étude. (\c^ langues
orientales et de la version des Pères grecs. La Bibliothèque recèle
366 BOSIO — BOSSUET
encore aujourd'hui plusieurs trésors inédits et même inexplorés.
BOSIO (Antoine) [1570-1629], célèbre antiquaire, neveu de Jacques
Bosio, chevalier de Tordre de Saint-Jean de Jérusalem et auteur d'une
histoire de cet ordre (Rome, 1621-32,3 vol. in-fol.), était lui-même
agent des chevaliers de Malte à Rome. 11 employa trente-cinq ans à
étudier et à décrire les catacombes et mourut avant d'avoir terminé ce
grand travail, qui fut publié en 1632 par le chevalier Albrandino, sous,
le titre de Borna sotterranea. Le P. Saverani, le P. Aringhi et monsi-
gnor Boltari, Font enrichi d'additions importantes dans les éditions
de 1637, 1651, 1659, 1737, 1747, 1753, et porté à 3 volumes in-folio
(voy. Catacombes).
BOSRA. Voyez Bostra.
BOSSUET (Jacques-Bénigne). — I. Etudes et séjour à Metz. Bossuet
naquit à Dijon le 27 septembre 1627, et mourut à Paris le 2 avril 1704.
Son père était avocat au parlement de Bourgogne, et passa plus tard
en celui de Metz, dont il devint le doyen. Son éducation fut confiée à
un frère de son père qui était membre aussi du parlement de Dijon.
Il fut élevé au collège des jésuites de cette ville, et pour échapper à
leurs obsessions, il entra au collège de Navarre à l'âge de quinze ans
pour y terminer ses études classiques et y faire ses études de théologie.
De bonne heure, en effet, il était voué à la carrière ecclésiastique. A
huit ans il recevait la tonsure, et à treize il était nommé à un canonicat
de la cathédrale de Metz. C'est de cette nomination que date la sup-
pression des coadjutoreries, c'est-à-dire du droit que s'arrogeaient les
titulaires d'un canonicat de léguer, à leur mort, ce bénéfice à un ami
ou coadjuteur qu'ils désignaient eux-mêmes. Nicolas Cornet était
grand-maitre du collège de Navarre. Bossuet passa d'abord six ans dans
cette maison, dont il était la gloire. C'est pendant la première année
de ce séjour que le marquis de Feuquières, un ami de son père, le
présenta à l'hôtel de Rambouillet où il prêcha, un soir, son premier
sermon; ce qui faisait dire à Voiture « qu'il n'avait jamais vu prêcher
de si bonne heure ni si tard ». Le 25 janvier 1648, il termina ses études
théologiques par la soutenance d'une thèse dédiée au grand Condé,
après quoi il fut nommé au diaconat de l'Eglise de Metz. Mais en 1650 il
rentra au collège de Navarre pour faire sa licence en théologie. Ces
études duraient deux ans. Tout élève devait soutenir, en Sorbonne,
une thèse appelée, à cause de cela, sorbonnique, et adresser au prieur
de la Sorbonne un résumé de ses arguments avec ce titre honorifique,
dignissime domine prior. Bossuet ayant refusé, sur le conseil de ses
maîtres, de remplir cette formalité, sa soutenance fut interrompue et
donna lieu à un procès devant le parlement. Au concours de la lin de
licence il n'obtint que la seconde place : l'abbé de Rancé eut la pre-
mière, mais leur amitié ne s'altéra jamais. La licence terminée, on
recevait le bonnet de docteur. Le 18 mai 1652, le chancelier de l'uni-
versité lui donnait, au pied de l'autel des Martyrs, la bénédiction et
les pouvoirs apostoliques. Dans sa réponse, en latin, Bossuet lit ce
serment, dont il se prévalait plus tard pour justifier les controverses
religieuses qu'il soutint avec les réformés et avec Fénelon : «0 Vérité
BOSSUET 367
suprême, conçue dans le sein paternel d'un Dieu, et descendue sur la
terre pour se donner à nous dans les saintes Ecritures, nous nous
erîchainons tout entier à vous. » On peut taire observer déjà que
Bossuet ne se borna pas à détendre la vérité contenue dans les saintes
Ecritures et qu'il combattit surtout pour la tradition, que l'Eglise
romaine place à côté, si ce n'est au-dessus des livres saints, (les
études terminées, Bossuet fut immédiatement nommé archidiacre de
l'Eglise de Metz, et il resta six ans dans cette ville (1652-1658)
pour y remplir les devoirs de sa position. — Bossuet s'appliqua
à l'étude des Ecritures. 11 étudia aussi les Pères, et en particulier
saint Augustin. Il possédait si bien cedernier « qu'il parvint à rétablir
une lacune de huit lignes dans un sermon de l'édition des bénédic-
tin^ » C'est à Metz qu'il commença ses ouvrages de controverse contre
les protestants. Le pasteur de cette Eglise, Paul Ferry, ayant publié un
Catéchisme, Bossuet écrivit et publia une Réfutation. A côté d'argu-
ments solides on trouve dans ce premier écrit de Bossuet des points
faibles, que l'immense talent de l'auteur ne parvient pas à dissimuler,
et qui se retrouvent d'ailleurs dans tous ses autres ouvrages de con-
troverse. Ainsi, pour prouver que l'Eglise a, dans la personne de son
clergé, le droit et le pouvoir « d'être juge des interprétations que les
hommes donnent de la Parole de Dieu », il cite cette parole tirée de la
résolution du concile de Jérusalem : « Il a plu au Saint-Esprit et à nous,
etc..., » laissant entendre que ce nous désigne uniquement les apôtres et
lesanciens, tandis que, d'après le texte (Actes XV, 22,23), il s'applique
aussi " à tous les frères, à tous les membres de l'Eglise. » Dans cette Ré-
futation Bossuet reprochée la Réforme sa nouveauté : « Qui êtes-vous, d'où
venez-vous ? » C'est le reprocheque les païens adressaient aux premiers
chrétiens. Les controversistes protestants répondaient qu'ils avaient la
foi et le culte de la primitive Eglise tels qu'on les trouve dans les écrits
des apôtres, et que c'étaient certaines doctrines et certains usages de
l'Eglise romaine qui méritaient le reproche de nouveauté, puisqu'on
ne les trouve pas dans les écrits apostoliques. Dans ce même écrit
Bossuet reproche encore aux protestants d'être sortis du giron de
l'Eglise catholique au lieu d'avoir travaillé à la réformer : « S'il y a
des abus dans l'Eglise, sachez que nous les déplorons tous les jours,
mais nous détestons tous les mauvais desseins de ceux qui ont
voulu les réformer par le sacrilège du schisme au lieu d'agir au
dedans. Il y avait à cela uneobjection sans réplique: c'est que Rome
ne voulait absolument pas « qu'on agit au dedans »? témoin JeanHuss.
condamné, par le concile de Constance, à être brûlé pour ses essais de
réforme, et la tête de Luther mise à prix après la diète de Worms
pour l«' même motif. Du reste cette polémique n'altéra pas les bonnes
relations de Bossuet et de Paul Ferry, et c'est de ces relations mêmes
que naquirent les premiers efforts de Bossuet pour la réunion <!<■* pro-
testants nu catholicisme. Il devait toute sa vie porter sa sollicitude sur ce
grand dessein : niais malgré l'appui qu'il trouva dans la modération et
l'autorité de Leibnitz, ses tentatives <\r réunion échouèrent, Bossuet
il'- taisant aux réformés d'autres concessions positives «pie la liberté
368 BOSSUET
de prendre la communion sous les deux espèces. C'est pendant son
séjour à Metz qu'il travailla à son fameux traité de V Exposition de la foi
catholique, auquel on a l'habitude de rapporter la conversion de Tu-
renne au catholicisme, et qui, après avoir circulé longtemps en manu-
scrit, fut publié en décembre 1671.
II. Bossuet à la cour (1658-1682). En 1658, après six ans de
séjour à Metz, il fut envoyé à Paris par le chapitre de Metz pour y
défendre les intérêts de cette Eglise. Ce fut pour lui l'occasion de se
faire connaître. Il prêcha devant la reine-mère quelques carêmes
et quelques panégyriques, celui de saint Paul entre autres, qui fondè-
rent sa réputation. Ce fui une admiration générale, et il fut choisi pour
prêcher le carême de 1662 au Louvre devant Louis XIV. alors âgé de
vingt-quatre ans. Il resta jusqu'en 1669 le prédicateur du roi. Ce fut
pour Bossuet une période de floraison, pour ainsi dire, et de gloire.
Jamais l'éloquence chrétienne n'avait brillé d'un si large et d'un si
vif éclat. On peut dire, sans diminuer en quoi que ce soit d'autres
gloires, que la majesté de la religion n'a jamais eu de plus puissant
interprète, ni la vanité des grandeurs humaines de peintre plus saisis-
sant. Par la force de la pensée et l'éclat de la parole, Bossuet reste
encore le premier orateur chrétien. C'est de 1660 à 1669 qu'il prêcha
à Paris les plus connus et les plus beaux de ses sermons : sur la
Providence, Y Eminente dignité des pauvres, Y Honneur du monde, la Haine
de la Vérité, Y Impénitence finale, Y Ambition, la 'Mort, etc. Ce dernier
passe, auprès des meilleurs juges, pour le plus achevé de ses discours.
M. Gandar a rétabli récemment, dans deux excellents ouvrages de cri-
tique, le texte exact et la date précise de ces divers sermons. C'est
pendant ses fonctions de prédicateur à la cour que Bossuet débute
dans Y Oraison funèbre, genre où û devait s'élever si haut, et méri-
ter le titre d'Aigle de Meaux qui lui a été donné. Il prononça celles du
P. Bourgoing (1662), de son ancien maître Nicolas Cornet (1663) et de
la reine-mère Anne d'Autriche (1667). Il était à la cour en qualité de
précepteur du Dauphin lorsqu'il prononça celle d'Henriette de France
(16 novembre 1669) et sept mois après celle de sa fille Henriette d'An-
gleterre. Ce sont deux chefs-d'œuvre, «deux monuments historiques »
auxquels on ne peut reprocher que l'injuste sévérité avec laquelle
Bossuet parle de la Réforme et le ton prophétique dont il prédit sa ruine
prochaine. L'oraison du prince de Conclé est aussi un modèle : elle
contient des traits de génie et des peintures magnifiques; la péroraison
arrachait à Chateaubriand « des larmes d'admiration ». — En 1669,
Bossuet céda à Bourdaloue sa charge de prédicateur du roi pour de-
venir évêque de Condom; mais le précepteur du Dauphin étant mort à
ce moment , Bossuet renonça à son évêché pour remplir cette haute
fonction à la cour, de 1669 à 1680, époque où fut arrêté le mariage
du Dauphin avec la princesse de Bavière. L'élève ne répondit pas
aux espérances et aux ellorts d'un tel maitre. On reproche à Bossuet
de n'avoir pas su se mettre à la portée de ce prince et de n'avoir
pas apporté assez de douceur dans cette éducation. Le seul sentiment
qu'il développa fortement en lui fut le respect de l'autorité royale, de
BOSSUET 3G9
sorte que, même après la savante réhabilitation que M. Ploquet a ten
tée de ce prince, od ue voit rien à ajouter au portrait que M. Guizot en
a tracé : « Médiocre e! soumis, toujours le plus humble sujet du roi, à
près de cinquante ans. » Le Discours sur l'Histoire unira-selle, où Bos-
suet montre « l'autorité et la sainteté de la religion par sa propre sta-
bilité, ainsi que les causes de la ruine des empires; » la Politique tirée
de l'Ecriture sainte, où il établit avec une intraitable rigueur les droits
de L'autorité royale; le Traité de la connaissance de Dieu et de soi-même ,
où il complète ainsi la célèbre formule de Descartes : « Je pense, donc
Dieu est, » ces trois ouvrages publiés pour le Dauphin, et qui. étaient
évidemment bien au-dessus de son intelligence, contiennent des pages
admirables et sont de vrais monuments littéraires. Lorsque le mariage
du Dauphin fut arrêté, Bossuet cessa d'être son précepteur; mais il
resta à la cour encore six. années (1679-1685) en qualité d'aumônier de
la Dauphine. Toutes les semaines, des ecclésiastiques savants et pieux,
l'abbé Fleury entre autres , se réunissaient auprès de lui, en petit con-
cile, comme on disait, pour conférer sur l'Ecriture. C'est de là que
sont sortis ses commentaires latins sur les Psaumes, fort goûtés d'Ar-
naud . sur les Proverbes et sur le Cantique des Cantiques. C'est pendant
son séjour à la cour que Bossuet se trouva mêlé à quelques événements
qui sont restés célèbres dans l'histoire: la conversion de mademoiselle
de la Yallière, l'éloignement de madame de Montespan, la dispute avec
Claude et l'assemblée de 1682. Un fait est hors de doute : c'est que Bos-
suet donna toujours à la cour l'exemple d'une vie sainte et qu'il pro-
testa souvent contre les désordres du roi. Ce sont ses prédications et
celles de Jtourdaloue qui décidèrent mademoiselle de La Yallière, cette
première victime de Louis XIY, aussi illustre par sa pénitence que par
sa faute, à quitter la cour pour le cloître, où elle ht de si grands pro-
grès dans la piété. Bourdaloue devait prêcher le sermon de la prise de
voile, et il fut remplacé par l'abbé de Fromentières , le prédicateur le
plus estimé du temps après ces deux grands noms. C'est Bossuet qui
prononça le sermon pour la Profession des vœux. On doit lui rendre ce
témoignage, qu'il insista auprès de Louis XIV pour l'éloignement de
madame de Montespan et qu'il y réussit même à un moment. Son âme
droite et sa doctrine évangélique ne lui permettaient pas de voir, sans
souffrir, de tels abus, et lui dictèrent même des remontrances élo-
quentes; mais dès que le roi lui déclara nettement qu'il reverrait la
célèbre marquise, Bossuet garda le silence et resta à la cour. C'était
pour lui le moment de parler plus haut que le roi ou de fuir le spec-
tacle de ses désordres. On souffre de voir ainsi la religion et le génie
se courber devant le despotisme du grand vicieux couronné. M. Flo-
quet a essayé encore de rendre justice à Bossuet sur ce point; mais il
ne parvient pas à justifier son silence et sa présence à la cour après la
réponse hautaine de Louis XIV : « Ne me dites rien, j'ai donné des or-
dres. » D'ailleurs, cette attitude humiliée de Bossuet devant Louis XIV
est une des choses qu'on regrette le plus de trouver dans la vie du
grand évêque. On lui voudrait par moments plus de fierté et de dignité
devant son roi. L'abbé Ledieu, son intéressé secrétaire, raconte dans
... 24
370 BOSSUET
son Journal que Bossuet, peu de temps avant sa mort et quand il pliait
sous le poids des ans, consacrait ses forces (ô pénible révélation qui
nous détruit presque entièrement le charme des derniers mots de
l'oraison du prince de Condé! ) « à monter les pentes douces des ter-
rasses des Tuileries, afin, disait-il, de s'accoutumer à monter et à des-
cendre pour se mettre en état d'aller chez le roi. » Et l'on sait en outre,
par le môme Journal, qu'il montait ainsi l'escalier de Versailles pour
obtenir de Louis XIV des faveurs pour son médiocre neveu, plus tard
évêque de Troyes. — C'est cette môme adulation pour le monarque, mê-
lée cette fois d'une forte dose de haine à l'endroit de la Réforme, qui
lui fit louer la Révocation de l'édit de Nantes dans ce fameux passage de
l'oraison de Michel Le Tellier, où il s'écrie : « Prenez vos plumes sacrées,
vous qui composez les annales de l'Eglise; hàtez-vous de mettre Louis
avec les Constantin et les Théodose; poussons jusqu'au ciel nos accla-
mations, etc. » Ce cantique en l'honneur de la Révocation indique assez
les sentiments de Bossuet à l'endroit du protestantisme ; il ne laissa passer
aucune occasion de le combattre par la plume ou par la parole. La dispute
avec Claude eut lieu le 1er mars 1678, de trois heures à huit heures,
chez la comtesse de Roye, et à la demande de mademoiselle de Duras,
sa sœur, à moitié gagnée au catholicisme. Les deux adversaires pu-
blièrent chacun une Relation de cette conférence. Bossuet avait établi
« que jamais des particuliers n'ont le droit de se séparer de l'Eglise. —
Mais alors, répond Claude, les premiers disciples du Christ eurent tort
de se séparer du judaïsme et du sanhédrin qui condamnait Jésus. —
Non, réplique Bossuet, parce qu'il y avait un signe extérieur, les mira-
cles, qui formaient une autorité et créaient une évidence à laquelle on
devait céder. » Réplique bien faible, car s'il n'y avait pas eu ce signe
extérieur, Jésus aurait-il été moins Dieu, moins digne d'être suivi ? Et
puis cette évidence et cette autorité extérieures, qui les jugera suffi-
santes, sinon l'individu lui-même? Bossuet établit ensuite qu'il y a
toujours eu une autorité visible : la synagogue d'abord, puis Jésus-
Christ, puis le Saint-Esprit, enfin l'Eglise. Claude ajoute aussitôt
l'Ecriture, et fait observer, avec raison, que le Saint-Esprit et l'Ecri-
ture sont les deux grandes autorités dans les matières religieuses.
L'Eglise n'est pas précisément une autorité distincte des deux autres,
en ce sens qu'elle est la réunion de ceux qui ont le Saint-Esprit et qui
vivent selon l'Ecriture. C'est de ce caractère que lui vient son autorité,
et non d'une grâce particulière, distincte du don du Saint-Esprit, qui
ne serait accordée qu'aux membres du clergé, comme le dit le catholi-
cisme. Enfin un troisième point prêta à une discussion des plus vives.
Bossuet prétendit « qu'il faut croire à l'infaillibilité de l'Eglise si l'on
veut croire à la divinité des Ecritures qu'elle nous transmet. » « Donc,
répondit Claude , comme je crois et veux croire à la divinité des Ecri-
tures, j'ai et je dois avoir foi en l'infaillibilité de l'Eglise protestante,
de laquelle je l'ai reçue. » Cette réplique, de l'aveu de Bossuet lui-
même, le mit dans une grande angoisse; mais il ne tarda pas à sortir
de ce mauvais pas. c< La vérité, dit-il, est que vous ne croyez pas à une
Eglise infaillible; vous l'avez dit et écrit : d'où je conclus que quand
BOSSUET 371
relise \ous dit: L'Ecriture est divine ; vous ne savez pas si elle dit
vrai ou non, et vous n'êtes pas persuadé, sur la parole de L'Eglise, que
L'Ecriture esl de Dieu. » Claude avoue qu'en effet on n'en est point per-
suadé sur la simple déclaration de L'Eglise; sur quoi Bossuet pousse
une exclamation victorieuse que nous avons quelque peine à compren-
dre aujourd'hui, et s'écrie : h Eh bien! monsieur, c'est assez! Il y a
doue dans votre religion un point où un chrétien ne sait pas même si
l'Evangile est une table ou une vérité. » Si la séance n'eût été levée,
Claude aurait répondu certainement que, pour être vraie et efficace ,
notre foi en la Bible ne doit pas découler de notre foi en l'Eglise, qui
nous la présente comme divine, mais de notre expérience personnelle;
qu'on n'est véritablement persuadé de la vérité de la Parole de Dieu,
c'est-à-dire véritablement chrétien, qu'après cette expérience indivi-
duelle, et que le point capital n'est pas de croire tout d'abord à l'in-
faillibilité de l'Eglise pour arriver à croire ensuite, par voie de simple
conséquence, à la divinité de l'Ecriture, mais de commencer par
étudier et pratiquer celle-ci, pour voir si elle prouve elle-même
sa divinité. C'est diminuer l'autorité de l'Ecriture, de dire qu^on
la croit divine, parce que l'Eglise la donne pour telle. Tant qu'on
ne la croit divine, que pour ce motif, c'est une foi extérieure.
La vraie foi, à cet égard, est le fruit de l'expérience personnelle,
et l'on peut opposer ici à Bossuet le mot de Tertullien : « On ne
nait pas chrétien , on le devient. » Il faut citer ici deux ouvrages
importants de Bossuet : 1° Y Exposition de la doctrine de l'Eglise catho-
lique sur les matières de controverse (1671). Bossuet y présente le
catholicisme théorique, bien différent sur plusieurs points du catho-
licisme pratique avec les abus criants contre lesquels la Réforme avait
protesté. C'est ce que tirent remarquer dans leurs Réponses les mi-
nistres La Bastide et Noguiër, ajoutant, à tort croyons-nous, que Bos-
suet avait à dessein altéré les doctrines catholiques pour les rendre
plus acceptables. C'était bien le catholicisme de Trente, mais ce n'était
pas le catholicisme courant, encore moins est-ce le catholicisme d'au-
jourd'hui. L'approbation du pape se lit attendre huit ans. 2° L'His-
toire des Variations des Eglises protestantes (1688), ouvrage considéra-
ble, où Bossuet déploie toutes les richesses de son immense érudition,
toute la puissance de son style incomparable, et aussi, il faut bien le
dire, toutes les violences de son injuste dédain pour l'Eglise réformée.
Le ministre Jurieu y opposa de très-vives réponses. Evidemment le
principe de liberté qui est à la base du protestantisme a ses périls;
mais le principe d'autorité, qui est à la base du catholicisme, n'a-t-il
point les siens? La multiplicité des Eglises protestantes peut être consi-
dérée comme un mal ; mais le joug de fer que le catholicisme fait peser
sur l»s consciences pour conserver son unité est-il un mal moindre?
D'ailleurs il y a à répondre au livre des Variations; 1° que celles-ci
n'ont pas porté sur les points capitaux de la foi; 2° et qu'on les trouve
dans le catholicisme aussi bien qu'ailleurs, témoin le dogme de l'infail-
libilité du pape, que Bossuet et l'Eglise gallicane de son temps repous-
sèrent avec énergie dans l'assemblée de 1682, et qui a été depuis peu
372 BOSSUET
proclamé par le concile du Vatican. Dans cette assemblée générale du
clergé, convoquée pour défendre les droits du royaume dans la
question de la régale, débattue entre Louis XIV et le pape, Bossuet joua
le principal rôle; il prêcha le sermon d'ouverture sur Y Unité de l'Eglise
(30 octobre 1681) et rédigea lui-même les quatre articles de la fameuse
Déclaration, où il est établi « que le pape n'a pas de puissance sur les
choses temporelles » et que « dans les questions de foi son jugement
n'est pas irréformable, à moins que le consentement de l'Eglise n'in-
tervienne ». H jugeait sévèrement d'ailleurs Innocent XI. « Une bonne
intention avec peu de lumières, écrivait-il à l'abbé de Rancé, c'est un
grand mal dans de si hautes places. » Il s'éloignait considérablement
du dogme officiel sur un point très-important, la messe, où il ne voyait
« qu'une commémoration du grand sacrifice de la croix, une mort et une
destruction mystique en laquelle la mort effective que le Fils de Dieu
a soufferte une fois pour nous est représentée ».
III. Bossuet évêque de Menux. Il fut installé évêque de Meaux en fé-
vrier 1682. 11 s'engagea à prêcher dans sa cathédrale à chacune des
grandes fêtes de l'année. C'est pendant son séjour à Meaux qu'il écri-
vit quelques excellents ouvrages de piété : Y Explication de V Apo-
calypse (1689), les Méditations sur l'Evangile, admirables de simplicité
et d'onction, et les Elévations sur les mystères. Le repos dont il jouissait
dans son diocèse fut troublé par la querelle du Quiétisme. Fénelon, se
faisant l'apologiste des idées et des ouvrages de madame Guyon, pu-
blia en 1697 le livre des Maximes des Saints, où il soutenait qu'il y a
pour certaines âmes « un état habituel d'amour pur où elles n'aiment
plus Dieu ni pour le mérite, ni pour la perfection, ni pour le bonheur
qu'on doit trouver en l'aimant, » état où elles pourraient consentir,
par amour, à être éternellement séparées de lui, c'est-à-dire à perdre
leur salut. Ce mysticisme, qui dispensait l'àme de se servir des formes
du culte, parut à Bossuet plein de dangers, et il écrivit « qu'il y allait
de toute la religion ». Il réfuta dans plusieurs écrits le livre des
Maximes et en poursuivit avec acharnement la condamnation à Rome.
Fénelon y opposa des réponses très-habiles, où sa plume facile et son
esprit délié reprenaient tous leurs avantages. Puis cette polémique prit
de part et d'autre un caractère personnel et agressif, qui nuisit à la
majesté de la religion et à la gloire de ces deux hommes. Bossuet mit
le comble à ces violences en écrivant à l'adresse de Fénelon et de
madame Guyon ces mots qui tirent scandale : « Cette Priscille a trouvé
son Montan pour la défendre. » Innocent XII, par un bref du 12 mars
1669, condamna la doctrine de Fénelon. Celui-ci racheta les torts
qu'il avait eus dans cette polémique par la promptitude et la docilité
de sa soumission. Une autre polémique vint encore troubler les der-
nières années de Bossuet. Un ancien prêtre de l'Oratoire, très-versé
dans l'étude des langues anciennes et particulièrement de l'hébreu,
mais d'une grande indépendance d'esprit, Richard Simon, avait pu-
blié en 1678 une Histoire critique de V Ancien Testament, dans laquelle
il mettait en dou&ï l'authenticité des livres de Moïse et ôtait à tout le
recueil de l'Ancien Testament tout caractère d'inspiration. Bossuet lit
BOSSUET — BOST 373
des remontrances à l'auteur, qui promit de faire des corrections et
ne tint point sa promesse ; tous les exemplaires de cette édition fu-
rent saisis et brûlés. En 17(h> Richard Simon lit imprimer à Trévoux,
une Version du Nouveau Testament où il attaquait L'inspiration des
Livres saints, supprimait plusieurs passages, et dans ses commentaires
penchait vers le pélagianisme. Bossuel prit de nouveau la plume pour
réfuter celte version dans dciw Instructions pastorales, et après une
correspondance très-animée avec le cardinal de Noailles, correspon-
dance où perce l'inquiétude dans laquelle le jettent les hardiesses
du critique, il obtint de Louis XIV la condamnation de sa version.
Sans doute quelques-unes des remarques de Richard Simon ont été
justifiées depuis par le progrès des études critiques; mais l'ensemble
de son travail méritait la censure que Bossuet en a faite. Bossuet cm-
plova les dernières années de sa vie à mettre la dernière main à quel-
ques-uns de ses ouvrages. Il montra une grande patience et un vif
amour de la Parole de Dieu durant sa maladie. Son secrétaire lui par-
lant un jour de sa gloire, Bossuet le reprit vivement : « Cessez ces
discours, et demandez pour moi pardon à Dieu de mes péchés. » Il
mourut un samedi matin, à quatre heures, le 12 avril 1704. Son ami
l'abbé de Saint-André, qui avait passé la nuit auprès de lui, lui ferma
les yeux, en disant : « Mon Dieu, que de lumières éteintes, et quel
tlambeau de moins en votre Eglise ! » Bossuet fut, en effet, la plus
grande lumière de son siècle. L'Eglise catholique n'a pas eu depuis de
prélat plus illustre ni plus dévouée sa prospérité. 11 eut une fécondité de
pensée incomparable : il relevait et élargissait les sujets les plus rebat-
tus par la protondeur de ses vues et la magnificence d'un style admira-
blement ferme et net, grand comme son génie et lier comme son
àme. On ne peut lui refuser la droiture et la sincérité. Un juge qui
n'est point suspect de complaisance, Sainte-Beuve, lui accorde aussi la
bonté. Les seules réserves qu'on ait à joindre à ces éloges portent sur
sa timidité en présence de Louis XIV, et sur le ton acerbe, presque mé-
prisant, qu'il prit toujours en parlant de la Réforme. Par là il montra
qu'il était homme, mais ces faiblesses ne nous empêcheront pas de dire
qu'il fut un grand chrétien, un grand orateur et un grand écrivain, et
que dans ces deux derniers domaines il s'est incontestablement élevé
au premier rang. — Ouvrages à consulter : Histoire de Bossuet, par de
Beausset; Etudes sur la vie 'le Bossuet, par A. Floquet, 3 vol. in-8°;
Bossm t précepteur du Dauphin et évoque à la cour, 1 vol. in-8°, par le
même; Etud?» critiques sur Bossuet, par E. Gandar; Sainte-Beuve,
Causeries ; Ed. Sc.héveï, Etudes critiques de littérature; l'article de M. de
Barante dans la Biographie universelle, etc., etc. J- Bastide.
BOST (Paul-Ami-Isaac- David) est né à Genève le 10 juin 1790. Son
père, membre de la Société morave, l'envoya pour son éducation
a Neuwied, où il passa quatre années. De retour à Genève, il suivit les
cours du collège e! de l'académie, et fut consacré en 1814. Il
embrassa de bonne heure les doctrines du réveil, dont il devint un
des chefs, sans toutefois se ranger entièrement aux vues plus étroites
de quelques-uns de ses amis. Comme il ne pouvait pas compter sur
374 BOST — BOSTON
un prochain appel de l'Eglise de Genève, à cause de divergences dog-
matiques avec la Compagnie, il accepta une suffragance à Moutiers-
Grandval (Berne), où il passa deux ans; puis commença sa rude car-
rière d'évangéliste, sous les auspices de la Société continentale de
Londres (1818-1825). Il visita successivement l'Allemagne, la France
et la Suisse, et rentra à Genève en 1825. Renonçant à la vie de
missionnaire, il devint l'un des pasteurs de l'Eglise indépendante du
Bourg-de-Four, et fonda à Carouge une communauté indépendante qui
-subsista pendant quelques années. Ayant écrit à cette époque deux
brochures dans lesquelles il accusait la Compagnie des pasteurs d'avoir
violé les Ordonnances ecclésiastiques, et d'avoir sciemment dénaturé la
foi de l'Eglise, il fut traduit en police correctionnelle (1826) et
condamné à l'amende pour expressions injurieuses envers un corps
respectable de l'Etat (Défense des fidèles de Genève, etc, Lyon, 1825).
L'œuvre du pastorat que Bost accomplit successivement à Genève
(1825-1826), puis à Carouge (1828-1837), n'aurait pu suffire à sa
brûlante activité. Il composa, dans cet intervalle, quelques-uns de ses
beaux cantiques. Il entreprit aussi d'importants ouvrages de littérature
religieuse, notamment Y Histoire des frères de Bohême et de Moravie
(Genève, 2 vol., 1831) et la traduction française de Y Histoire générale
de rétablissement du christianisme , de Blumhardt (Valence, 1838,4 vol.).
Il lit dans le môme temps des courses missionnaires, en Suisse et en
Savoie, sous les auspices de la Société continentale d'Edimbourg et de
la Société baptiste de Londres. En 1840, Bost fut réintégré sur sa
demande dans l'Eglise nationale de Genève, et quitta cette ville pour
desservir en France l'Eglise d'Asnières-les-Bourges. Nommé trois ans
plus tard aumônier de la maison centrale à Melun, il conserva ce
poste jusqu'en 1848. Il se retira dès lors du ministère, revint à Genève
en 1866, pour y surveiller l'impression du recueil qui renferme toutes
ses compositions musicales, et mourut à La Force le 14 décembre 1874.
Nature mobile et complexe, tour à tour raisonneuse et mystique,
hardie et timide, belliqueuse et sentimentale, Bost a laissé dans ses
, Mémoires pouvant servir à l'hist. relig. des Egl. prot. de la Suisse et de la
France (2 vol. in-8°, 1854-1856) de précieux documents sur sa vie si
pleine et si mouvementée. — Voyez Guers , Premier réveil à Genève, 1871 ;
Semaine relig., janv. 1875; Eglise libre, 9 avril 1875, etc. L. Rupfet.
BOSTON, capitale de l'Etat de Massachussetts (Etats-Unis), la plus popu-
leuse des cités des six Etats de la Nouvelle- Angleterre et la septième ville
des Etats-Unis au point de vue de la population, comptait, lors du recen-
sement de 1870, un chiffre total de 250,526 habitants, dont un tiers
environ d'étrangers. Elle fut fondée en 1630 par une compagnie de colons
anglais, et joua un rôle important dans l'histoire des colonies anglaises
et plus tard dans les événements qui aboutirent à la Bévolution. Les
premières églises de Boston se rattachaient au type congrégationaliste.
Elle compta parmi ses premiers pasteurs John Wilson, John Cotton,
John Norton, John Davenport, James Allen, John Oxenbridge, minis-
tres sortis des universités anglaises d'Oxford et de Cambridge. Plus
avant dans le premier siècle de son existence, elle commença à recruter
BOSTON 875
son clergé dans le pays même, el ses églises jouirent du ministère de
pasteurs éminents, tels que John Mayo, [ncrease Mather et Cotton
Mather, gradués du collège d'Harvard, dans le voisinage de Boston,
collège qui devait devenir la plus grande école de hautes études de
P Amérique. Vers Tannée 1700, quatre églises congrégationalistes avaient
été fondées, l'église de Chauncy-Place, celle de Old-North, celle de Old-
South et celle de Bratt le- Street; il existait de plus une église baptiste
1665) et une église épiscopale, dite chapelle du roi. fàng's-Chapel
(1686), soit en tout six églises pour une population d'environ
7.000 habitants. Un siècle plus tard, en 1800, la population n'était
encore que de 25,000 habitants et le nombre des lieux de culte s'était
élevé à dix-sept, ainsi répartis : neuf congrégationalistes, deux épis-
copaux. deux baptistes, un méthodiste, un universaliste, un catholique
et un unitaire. Cette église unitaire n'était autre que la plus ancienne
église épiscopale de la Nouvelle-Angleterre {King" s-C hapel) , qui, la
première, avait adopté les vues ariennes et sociniennes. Ces vues
avaient l'ait silencieusement leur chemin depuis plus d'un demi-siècle
au sein des églises congrégationalistes elles-mêmes, qui, à l'exception
d'une seule {The OH- South), se rattachèrent ouvertement, quinze ans
plus tard, à l'unitarisme. A ce moment, vers 1815, Boston comptait
donc dix églises plus ou moins rationalistes et seulement six évangé-
liques; le catholicisme en avait une seule. Aujourd'hui (1870) les
forces respectives des diverses églises sont bien changées. Les églises
évangéliques sont au nombre de soixante-huit qui se répartissent
ainsi : seize méthodistes, quinze baptistes, douze épiscopales, douze
congrégationalistes orthodoxes, huit presbytériennes, deux baptistes
dites Frec- 117/7, deux luthériennes et une réformée allemande. Les églises
libérales sont au nombre de vingt-quatre dont dix-neuf sont unitaires,
quatre universalistes, une chrétienne. Les catholiques romains possèdent
dix-huit ou vingt églises, destinées surtout à répondre aux besoins
d'environ 00.000 Irlandais qui habitent Boston. Les juifs ont quatre
synagogues. Les communiants des diverses églises évangéliques sont
au nombre d'environ 23,000. Chacune des plus importantes fractions
du protestantisme a sous ses soins une œuvre de mission intérieure et
d'évangélisation urbaine. Les congrégationalistes, les unitaires et les
universalistes ont à Boston des agences de publications religieuses; les
méthodistes, les baptistes et les catholiques y possèdent des dépôts
importants de leurs publications. Les journaux et revues publiés à
Boston et traitant de matières religieuses ont une circulation totale
d'environ 350,000 exemplaires. Les plus importants sont le Congrcga-
tionalist, le Watchman (baptiste), le Zions Herald (méthodiste) et le
Pilol (catholique). L'Union chrétienne de jeunes gens (Young Men's
( hristian issociation), fondée en 1851, est une institution de premier
ordre, avec plus de 1,000 membres et une bibliothèque circulante de
5,000 volumes. Elle reçoit dans une seule année environ (UXK)
demandes de places ; elle a tous les jours des services religieux dans
ses vastes locaux; ses membres président de nombreuses réunions
d'évangélisation, des classes bibliques, des cours publics, des meetings
376 BOSTON — BOSTRA
en faveur de la tempérance, etc. Ils ont rattaché aussi à leur association
une caisse d'épargne pour les jeunes gens. Les églises libérales ont
aussi leur Union de jeunes gens qui possède un fort beau local et pour-
suit un certain nombre d'oeuvres philanthropiques et religieuses. Les
méthodistes ont récemment établi à Boston une grande université
(Boston Universùy), divisée en facultés des lettres, des sciences, de
théologie, de médecine et de droit, avec environ 600 étudiants. Les
jésuites, de leur côté, ont fondé le Boston Collège, qui réunit environ
150 étudiants. C'est du reste par le développement de la culture
intellectuelle que Boston a mérité de s'appeler l'Athènes des Etats-Unis.
Elle possède un grand nombre d'institutions littéraires et scientifiques.
L'instruction populaire y est donnée dans 380 écoles publiques,
dirigées par un millier de maîtres et fréquentées par 30 ou 40,000
enfants. Les institutions de bienfaisance sont au nombre de soixante
environ. Boston est le siège de Y American Board of Commissioners for
Foreign Missions, la plus ancienne et la plus influente des sociétés
américaines de missions, et qui est soutenue aujourd'hui presque exclu-
sivement par lescongrégationalistes américains. — Nous sommes rede-
vables de la plupart des renseignements statistiques qui précèdent au
docteur Daniel Dorchester, de Malden (Mass.), et à M. Edward Abbott,
de Boston. On peut consulter aussi les publications et annuaires des
diverses églises, et les encyclopédies, particulièrement celle d'Appleton.
Matth. Lelièvke.
BOSTRA, ville du Hauran, située au sud-ouest du groupe de monta-
gnes qui porte ce nom, à l'entrée du désert de Syrie. La forme sémi-
tique était Boçra. Ce fait est établi par une inscription de Palmyre
(de Vogiié, Syrie centr., fnsc. de Palmyre, n° 25), qui mentionne la
légion de Bostra, legiôna di Boçra, d'accord avecPtolémée, chez lequel
on lit : Bzg'ooc, Xeyiwv. La même orthographe se retrouve dans le Tal-
mud (voy. Beland, Pal., II, p. 666), et c'est encore celle qui est usitée
parmi les Arabes. Iln'y a donc entre Bostra et Botzrah (Boçra) qu'une
simple transposition de sons, etle nom de la capitale du Hauran est iden-
tiquepourlesensaveclesnombreuxBeçer, Boçor, Boçra quisont men-
tionnés dans la Bible. Boçra signifie «Fort». Bostra est-elle identique
soità l'une, soit à l'autre des localités de ce nom mentionnées dans la
Bible? La question a été débattue et résolue dans tous les sens. L'au-
teur d'Esaïe LXI1I, 3, mentionne une ville deBoçràh, qu'il met en
parallèle avecEdom. La même ville se trouve citée, dans le même rap-
port avec Edom, Jérémie XL1X, 13. Dans ces deux passages, Boçrah
est donnée sinon comme la capitale, du moins comme une des villes
principales de l'Idumée. Ni l'histoire postérieure, ni la géographie
actuelle n'en ont conservé le nom, mais c'est à tort qu'on voudrait
s'appuyer sur ce fait pour la chercher dans la capitale du Hauran. Le
Hauran et l'Idumée sont, pour la géographie comme pour l'ethnogra-
phie, absolument différents: l'un se rattache à la Syrie du Nord, l'autre
à l'Arabie ; jamais on n'a pu les confondre ; en tous cas, en admettant
même que Boçrah n'était pas dans l'Idumée proprement dite, dans
Esaïe LXI1I, il s'agit manifestement d'un conquérant venant du sud.
BOSTRA 377
Le second des endroits avec lesquels on ait voulu identifier Bostra est
la ville de refuge appelée Beçer, à Test du Jourdain et sur le terri-
toire de Ruben (Dent. IV, \:\; Jos. XX, 8). L'identification remonte à
Eusèbe et à saint .Jérôme; mais elle n'est pas possible, pour les mêmes
raisons que la précédente. Le territoire de Ruben, tel que le donne le
Livre des Juges, était pris sur Le pays de Moab, et séparé du Hauran
par toute la largeur du désert. Autre est la question de savoir si Beçer
îi'ot pas identique à Boçrah d'Esaïe LXIII. Jérémie XL VIII, 24, men-
tionne Boçrah parmi les villes de Moab, à la suite de Dibon, Nebo,
Bethmaôn, Kerioth; il est difficile de ne pas reconnaître dans celte
ville le Beçer du Deutéronome et du livre des Juges ; la situation est à
peu près la même ; et, d'autre part, il n'est pas moins difficile de
distinguer le Boçrah du chapitre XL VIII, de la ville de même nom citée
au chapitre XLIX, et qui est manifestement identique avec celle
d'Esaïe LXIII. On comprend que, pour un écrivain israélite, le sud du
pays de Moab se soit confondu avec l'Idumée; la direction était la
même. On ne doit pas se laisser arrêter par la différence d'ortho-
graphe; en effet, l'inscription de Mésa reproduit à peu de chose près
La même énumération de villes que Jérémie XL VIII, et, dans leur nombre,
au sud du pays de Moab, Boçrah qu'il écrit Beçer. Nous concluons
donc qu'il y avait en tous cas deux villes du nom de Boçrah : l'une,
la capitale du Hauran, la Bostra des auteurs grecs et romains; l'autre,
une des villes principales du pays de Moab, le Beçer du livre des Juges
et de l'inscription de Mésa; cette dernière était peut-être identique à
la ville de Boçrah, citée Jérémie XLIX et Esaïe LXIII comme apparte-
nant an pays d'Edom. Quel était le nom primitif de Bostra? M. Wet-
zstein (Hauran u. dm Trackonen, p. 108 ss.), s'appuyant sur une
ancienne conjecture de Beland (Pal., 662), a soutenu que Bostra n'était
autre que la ville de Beth-Astaroth, qui est également appelée Astaroth
ou Astaroth-Karnaïm. Le nom actuel se serait formé par la corruption
de Beth-Astaroth en Beesterah et en Bostra. La forme Beesterah existe,
et elle est appliquée (Jos. XXI, 27; comp. 1 Chron. VII, 71) aune
ville lévitique qui appartenait au territoire de la dèmi-tribu de Ma-
nassé, et qui était sans doute identique à Astaroth. Mais depuis que
l'on a retrouvé la forme Boçra, cette explication n'est plus possible;
le changement de Beesterah en Boçra est contraire à toutes les règles
de la phonétique sémitique. M. Waddington (fnscr. grecques de $i/?*iey
p. 'i-i(.l ss.) a parfaitement établi ce point. Il faut donc encore distin-
guer de Bostra l'ancienne ville de Beth-Astaroth ou Astaroth-Karnaïm;
cette dernière était une ville antique, célèbre par le culte d'Astarté,
dont elle avait pris le nom; elle ligure dans l'histoire de Kedor-La-
homer (Gen. XIV, 5) ei avant d'appartenir aux Hébreux, avait ét.5 la
résidence d'0g,'roi de Basan. Eusèbe lui-même distingue nettement les
deux endroits, et place Astaroth à six milles romains d'Edréi et à
vingt-cinq de Bostra. Il faut la chercher sans doute dans un petit
endroit, appelé aujourd'hui Tell-Asterefi, et qui est précisément à
L'endroit où Eusèbe et saint Jérôme placent Astaroth. Bostra doit
être une ville relativement moderne, c'est une ville de plaine; et
378 BOSTKA — BOUCHER
elle fut sans doute bàlie, d'après M. Waddington, par les rois naba-
téens (comp. Vogué, Inscr. nabatén., n" 4). — L'auteur profane
le plus ancien qui en fasse mention est Gicéron (54 av. J.-C). Elle
ne devint importante que sous Trajan qui l'embellit. Sous cet empe-
reur et sous ses successeurs, elle parait sur les monnaies avec le nom
•de Nova Trajana Bostra, puis de Nova Trajana Alexandriana colonia
Bostra. A partir de Philippe, elle prend le titre de métropole. — Bostra
fut le siège d'abord d'un évêclié, puis d'un archevêché dont le titulaire
exerçait son autorité sur une vingtaine d'évêques (Wadd., IL). Parmi
ses évoques, il convient de citer Bérylle, et un siècle plus tard, un
apologiste, adversaire des manichéens, Titus, qui fut chassédeson siège
par les persécutions de l'empereur Julien (voy. Manichéens) ; enhn, sous
l'empereur Léon (457-474), Antipater, archevêque de Bostra et métro-
politain d'Arabie, dont M. Waddington (IL, p. 462, n° 1914), croit
avoir retrouvé à Bostra même une inscription. Au temps de l'évèque
Titus, les chrétiens et les païens étaient en nombre égal dans la ville
PH. BEE'^ER.
BOUCARD (François ou Jacques de), grand-maitre de l'artillerie des
protestants, particulièrement aimé de Coligny. De Lanoue, dans ses
Aî&moires, dit de Boucard « qu'il estoit un des plus braves gentilshom-
mes du royaume, et qui avait du feu et du plomb en la teste ». Il prit
une part active aux trois premières guerres de religion. Après la ba-
taille de Jarnac, il tomba malade, et mourut en mai 1569.
BOUCHER (Jean), né à Paris vers 1550. Après une longue suite de
succès dans l'enseignement, à Reims où il complimenta Henri III à son
sacre en 1575, et à Paris où il fut successivement recteur de l'univer-
sité, prieur et docteur de Sorbonne, Boucher, nommé curé de Saint-
Benoit, sollicita en vain plusieurs évêchés et chercha dans la politique
la plus fanatique une satisfaction à ses rancunes. Henri III, qu'il ne
cessait de poursuivre de ses invectives, eut la sottise de lui rendre pu-
bliquement ses insultes, sans les faire suivre d'autre effet. Les ligueurs
tinrent chez lui leur première assemblée. Le 2 septembre 1587, il fit
sonner le tocsin à son église pour exciter un soulèvement. Le jour de
l'assassinat de Henri III, qui était la fête de Saint-Pierre-aux-Liens
(1er août 1589), il dit en chaire à ses auditeurs que, « comme Dieu
avoit délivré cet apostre des mains d'Hérode, on devoit espérer qu'il
leur feroit une pareille gràce3 » et il exalta comme un acte de grand*
mérite l'assassinat d'un roi hérétique ou fauteur d'hérétiques. Il avait
composé contre Henri III un atroce libelle intitulé De justaHenrici III
abdication p e Francorum regno, et il eut l'impudeur de le publier après
la mort de ce prince (Paris, 1589,in-8°). Le libraire de la Ligue à Lyon
en donna, en 1591, la troisième édition, dansée but, avoué dans la
préface, de susciter un assassin contre Henri IV. Boucher célébra en-
suite le crime de Jacques Clément dans un pamphlet rempli de textes
de l'Ecriture. 11 osa dire des assassins du président Brisson qu'ils étaient
des martyrs de Jésus-Christ. L'abjuration de Henri IV mit le comble à
sa fureur. Il l'exhala dans neuf sermons : « De ta simulée conversion et
nullité de la prétendue absolution de Henry de Bourbon, prince de Béarn,
BOUCHER — BOUHOURS 379
à Saint- Denis en France, le dimenche %5 juillet 1593, sw;* le sujet de
V Evangile du même jour : 1 ttendite a faim propketis, etc., par M Jean
Boucher, docteur de théologie. » Il les publia aussitôt à Paris, avec
approbation de docteurs et dédicace au cardinal de Plaisance, légat du
pape, et les réédita à Douai l'année suivante. Ce livre fut brûlé par la
main du bourreau, sur la place publique, après la reddition de Paris.
Son auteur s'empressa de se réfugier chez les Espagnols. Philippe II,
<pii avait donné à un autre apologiste de Jacques Clément, Bernard de
Montgaillard dit le Petit Feuillant, l'abbaye d'Orval, donna au curé de
Saint-Benoit un canonicat à Tournai. Il eut peu après l'imprudence de
rentrer en France, et Henri IV laclémencede le relâcher. 11 Feu récom-
pensa en publiant F « Apologie pou?- Jean Chaslel, Parisien, exécuté à
mort, et pour 1rs Pères et escoliers de la Société de Jésus bannis du
royaume de France, etc., par François de Vérone Constantin. » Ce li-
belle fut traduit en latin et imprimé à Lyon (1611, in-8") sous le titre
de Jesuita sicarius. Boucher prononça à Tournai, le 26 octobre 1598,
l'oraison funèbre de Philippe II, imprimée à Anvers (1600, in-8°). Cet
honneur lui était bien dû. Il avait entrepris d'aller à Borne, espérant
sans doute y être aussi bien reçu que l'avait été Montgaillard, tandis
que le cardinal d'Ossat écrivait au pape une longue lettre où il le sup-
pliait de le faire emprisonner. Une maladie qui le surprit en route le
détourna de ce voyage. Boucher publia, sous divers pseudonymes, une
foule de libelles sur ses sujets de prédilection. On a prétendu, mais à
tort, qu'il avait changé de sentiments sur la fin de sa longue carrière.
Il mourut à Tournai, presque centenaire, vers 1645. Peu d'hommes ont
attiré sur eux de plus justes exécrations. De Thou Fappelle liomo vecors,
et le terme n'est pas trop fort. — Voyez : de Thou, lib. 95, 87 et 112;
Maimbourg, Hist. de la Ligue, liv. III, ann. 1589 ; Mézerai, Abr. chronol. ,
ann. 1591 ; et pour le catalogue détaillé de ses ouvrages les plus cu-
rieux, le Manuel de Brunet, Paris, 1860, 5e édit. P- Rouffet.
BOUDDHISME. Voyez Inde.
BOUHOURS (Dominique) [1628-1702]. Longtemps professeur dans
les collèges de la Compagnie, puis précepteur des princes de Longue-
ville et de Seignelay, iils de Colbert, ce jésuite traita tour à tour, avec
une aisance égale, le profane et le sacré; mais il fut plutôt bel esprit
que théologien. On l'accusa de servir « le monde et Dieu par semestre»,
et on lui prête des bons mots jusqu'à son lit de mort. Madame de Sé-
vigné disait de lui « que l'esprit lui sortait de tous les côtés ». Moins
soucieux des pensées que des mots, il s'attira le reproche d'empeser les
Muses. I/école de Port-Royal, et surtout le grave Nicole, si étranger à
ce défaut, le releva rudement chez Bouhours. Il n'en fut pas moins
jusqu'au bout nn pi'écieux quasi ridicule, et jusque dans sa Traduction
du Nouveau Testament, il fait parler, selon Richard Simon, les évangé-
listes à la Rabutin. Voltaire le met, dans son Temple dugoût, derrière
Pascal et Bourdaloue, occupé à noter les incorrections qui leur échap-
pent. Malgré les travers de son genre maniéré, Bouhours a rendu à la
langue de véritables services par une foule d'ouvrages qui contribuè-
rent aux polémiques littéraires si fécondes du dix-septième siècle. Ses
380 BOUHOURS — BOUILLON
Doutes sur la langue française (1074, in-12) sont un de ses meilleurs
écrits. Sa Manière de bien penser dans les ouvrages de l'esprit (Paris,
1687, in-4°)eut un succès considérable et mérité. Notons enfin ses Vies
de saint Ignace (Paris, 1(579, in-4° et in-12) et de saint François-Xavier
(1682). 11 y compare le premier à César et le second à Alexandre,
parallèle qui se transformerait aisément en une amère satire des deux
héros, mais qui répond aussi bien au goût du biographe qu'à l'esprit
de son ordre. — Voir l'éloge du P. Bouliours dans les Mémoires de
Irovoux, d'août, dans le Mercure historique, d'octobre, et surtout dans
le Journal des Savants, du 24 juillet 1702.
BOUILLON (Godefroi de), fils aine du comte Eustache de Boulogne,
naquit à Boulogne vers 1058; il fut adopté par son oncle maternel,
Godefroi le Bossu, duc de Basse-Lorraine. A la mort de ce dernier,
Henri IV investit Godefroi de la marche d'Anvers (1076) ; il ne lui
accorda qu'en 1093, après la révolte de Conrad, le duché de Basse-
Lorraine en récompense des services que Godefroi avait rendus à la
cause impériale en Allemagne et en Italie. Godefroi fut un des premiers
chevaliers de la France du Nord à prendre la croix; pour pouvoir
figurer dans la guerre sainte avec une puissante armée, il vendit une
partie de ses terres, il engagea son château de Bouillon pour
1,300 marcs d'argent et une livre d'or. Ses frères Eustache et Baudoin,
son neveu Baudoin de Rames, un grand nombre de vassaux et
d'hommes d'armes répondirent à son appel. Godefroi, par ses talents
militaires, par sa piété et son courage, devint le chef de la première
croisade; il introduisit quelque ordre clans les bandes indisciplinées
des chrétiens et contribua plus que personne aux premiers succès des
Occidentaux; dès qu'il eut reçu de ses compagnons d'armes le com-
mandement suprême avec le titre d'avoué du Saint-Sépulcre, Godefroi
chercha les moyens d'assurer sa conquête et de fonder en Palestine
un Etat féodal et militaire, seul capable, pensait-il, de tenir tête aux
Seldjoucides et aux Fatimites ; à cet effet il réunit « les princes, les
barons et les plus sages hommes qu'il pooit avoer », et fait rédiger par
cette assemblée les Lettres du Sépulcre. Ces lettres, qui sont le code et
la constitution du nouvel Etat, fixent les droits et les obligations de
tous les habitants ; elles instituent la haute-cour pour la noblesse, la
cour des bourgeois, la cour des reis pour les Syriens, la cour d'Eglise ;
elles accordent au chef-seigneur — c'est le nom que portait Godefroi —
le droit d'exiger l'hommage-lige direct de tous les barons. En même
temps qu'elle donna des lois, l'assemblée répartit les terres de l'Etat
de Jérusalem et les divisa en 300 lots nobles ou fiefs. Godefroi eut fort
à faire de modérer les prétentions de l'Eglise et particulièrement du
patriarche Daïmbert; il n'y réussit qu'à force de souplesse et de
prudence. Il accorde au représentant du saint-siége des droits hono-
rifiques, il se soumet à d'humiliantes cérémonies, mais en somme
l'Etat de Jérusalem — Godefroi n'a pas pris le titre de roi de peur de
blesser le clergé — resta laïque et féodal. Au milieu de ses travaux de
législateur et d'administrateur, Godefroi fut obligé de prendre les armes
pour repousser l'invasion de 200,000 Fatimites : avec 15,000 hommes
BOUILLON 381
il coupa L'armée des infidèles à Ascalon et assura pour quelque
temps le repos de la Palestine. Godefroi mourut le 15 juillet 1100,
laissant à des successeurs incapables le soin de continuer son œuvre. De
tous les héros des croisades, Godefroi est, avec Louis JX, le plus grand;
il a réalisé l'idéal du guerrier et du souverain chrétien. « J'ai les
mains fortes, disait-il à ceux qui le félicitaient après Ascalon, parce
qu'elles sont pures » (Albert d'Aix, lib. VI). — A consulter : historiens
des croisades, Michaud, Wilken ; Fr. Monnier, Godefroi de Bouillon et
lis Assises de Jérusalem, Paris, 1874. G-. Léser.
BOUILLON (Henri de). La Tour d'Auvergne, vicomte de Turenne, de
Gastillon et de Lanquais, naquit en Auvergne le 28 septembre 1555.
Elevé à la cour de France, il s'attacha d'abord au duc d'Alençon et fut
mêlé aux intrigues des Politiques et à la conjuration de La Mole. A la
suite d'une maladie qui Pavait « attiré à penser sérieusement à son
« àme et à l'autre vie », il se convertit et introduisit la Réforme dans
ses domaines (1575 à 1570). Au synode national de Sainte-Foy il re-
présente le roi de Navarre (1578) et il acquiert dans la guerre contre
les ligueurs du Midi la réputation d'un chef habile et heureux. Pri-
sonnier en Flandre où il s'était rendu à la suite du duc d'Anjou, il ne
recouvre sa liberté qu'au prix d'une forte rançon; de retour en
France, il reprend son service auprès du roi de Navarre et assiste à la
bataille de Contras. Chargé de missions diplomatiques en Angleterre,
en Hollande et en Allemagne, il réussit à gagner des alliés à Henri IV
et à lui amener des renforts. Ce fut à cette époque (1591) qu'il épousa
Charlotte de La Marck, héritière de Sedan, Raucourt et Jametz, et
devint duc de Bouillon; Charlotte étant morte dès 1594, sans laisser
d'enfants, il dut à la bienveillance du roi de pouvoir recueillir presque
tout entière la succession de sa femme. En 1595 Bouillon épouse
Elisabeth de Nassau, iille de Guillaume le Taciturne. Quoique comblé
d'honneurs et de faveurs par Henri IV, qui venait de le nommer ma-
réchal de France, il était mécontent; il entra, parait-il, en relation
avec Biron, sans approuver toutefois ses projets de trahison. Le roi
l'invite à venir se justifier; Bouillon se rend à Castres et demande à
être jugé par la Chambre de l'Edit. Henri IV fait défense à la Chambre
d'accueillir cette requête justifiée par l'article 34 de l'édit de Nantes.
Bouillon se retire à Genève, puis à Heidelberg, publie sa justification,
écrit au roi les lettres les plus soumises et les plus respectueuses. Mais
rien n'y fait: Henri IV, poussé par Sully, veut réduire à merci le trop
puissant et trop remuant duc qui rêvait peut-être, depuis la conversion
du roi, de prendre la direction du parti protestant, et le voyant
abandonné des Eglises et des princes allemands, ses anciens protec-
teurs, il l'oblige à signer le traité du 2 avril 1606, par lequel Bouillon
s'engage : à servir le roi et ses successeurs... et à recevoir dans Sedan
et les autres places de sa souveraineté le roi ou ceux qu'il désignait par
lettres-patentes. Le roi met garnison dans Sedan, mais dès 1608,
n'ayant plus à craindre le duc humilié et délaissé, il lui restitue cette
place. Après la mort d'Henri IV, Bouillon siège au conseil de régence;
il l'ait alliance avec Condé et Concini pour se venger de Sully et pour
382 BOUILLON — BOUKHARIE
combattre le parti espagnol, puis il travaille contre Concini et se voit
réduit à quitter la cour. 11 trouble l'Assemblée de Saumur par ses
menées et y joue le rôle d'un intrigant et d'un vulgaire ambitieux :
après s'être fait plus qu'il ne convenait l'agent de la reine régente
par haine de Rohan, et avoir compromis les intérêts de ses coreligion-
naires, il s'avise bien tardivement de reprendre en main la cause des
Eglises et essaie de conclure une alliance avec Mansfeld, le célèbre
chef de mercenaires. Il ne réussit pas dans sa négociation et meurt peu
après, en 1623, à Sedan. Bouillon, grand capitaine, politique remuant
et inquiet, « plus ami de son bien que de toute autre chose », ne mé-
rite guère de figurer à côté des illustres chefs des huguenots: il n'avait
ni leur foi profonde ni leur patriotisme. Il a rendu des services incon-
testables à ses domaines, qu'il a administrés avec beaucoup d'intel-
ligence. Sedan lui doit sa prospérité industrielle et commerciale et
l'honneur d'avoir été pendant de longues années un des foyers du
protestantisme français ; il y fonda en 1601 l'université qu'il dota
d'une belle bibliothèque. — Consulter la Biographie de Bouillon, par
Marsollier, La France protestante et les Mémoires de Bouillon, qui s'ar-
rêtent en 1586. G. Léser.
BOUKHARIE (Statistique religieuse). La Petite Boukharie forme une
province de l'empire chinois, Thian-Chan-Nandou, ou le Turkestan chi-
nois. Nous n'avons à nous occuper ici que de la Grande Boukharie ou
Khanat deBoukhara, l'ancienne Sogdiane. Ce grand pays de l'Asie cen-
trale est encore assez incomplètement connu. La population est peu
considérable proportionnellement à l'étendue de la contrée, mais ce-
pendant très-nombreuse si on la compare au reste de l'Asie centrale.
Entre les évaluations très-diverses qui en ont été faites, celle de Behm
et Wagner nous paraît la plus probable. Ils attribuent à la Bou-
kharie 2,286,000 habitants sur une superficie de 217,500 kilomètres
carrés. La grande majorité de cette population est aborigène et porte
le nom de Tadjiks. Les Ouzbeks sont des conquérants établis depuis
le commencement du seizième siècle. Le gouvernement appartient à
un khan qui a changé son nom en celui d'Emir-al-Moumenim ou
Prince des croyants. Son pouvoir, absolu en théorie, est en réalité
très-dépendant des mollahs ou prêtres mahométans. C'est que la Bou-
kharie est en effet un des centres religieux de l'islamisme. Sauf quel-
ques milliers de juifs établis dans les villes, et quelques païens venus
du pays de Dervazeh, tous les habitants se rattachent au mahométisme
sous sa forme sunnite. Boukhara, la capitale, est la ville sainte de l'Asie
centrale, le centre de la théologie musulmane d'une vaste région. Des
voyageurs optimistes ont appelé Boukhara l'Athènes de l'Asie. A en
croire les témoins les plus récents, ce bel éloge est loin d'être justifié.
Ce que le voyageur Clavijo appelait l'université de Boukhara se com-
pose de 360 mosquées et d'autant de médressés ou collèges (d'autres
disent 60 seulement) où des mollahs font réciter le Coran et quelques
poésies sacrées à 10,000 élèves venus de toute l'Asie mahométane.
Quant à quelque chose qui rappelât même de loin ce que nous appe-
lons science, on le chercherait en vain dans les médressés de Boukhara.
BOUKIIAUIE — BOULOGNE ;38:î
—Bibliographie : Behm undWagner, Die Bevùlkerung der Erde, III, 1875;
r. Hanemann, Karte von Mùtelasien, 1872; E. Larnansky, Bulletin de
la Société de Géographie, Y" série, t. XV. B. Vatjcheb.
BOULAINVILLIERS-ll^iiri, comte (Ici. né le 11 octobre 1658, à Saint-
Saire en Normandie, mort le ^:> janvier 17±2, est surtout connu par
L'ardeur avec Laquelle il détendit dans de nombreux écrits historiques
Le système féodal dans Lequel il voyait L'idéal d'une société libre. C'est
>ans doute son admiration pour la vie chevaleresque qui le poussa à
écrire une Vie de Mahomet avec des réflexions sur la religion mahomé-
tane et 1rs coutumes des Musulmans, Londres et Amsterdam, 1730, in-H"r
Ouvrage sans valeur scientifique et tout à fait oublié aujourd'hui. 11
s'occupa aussi de philosophie et même de sciences occultes. Il a
lasse en manuscrit plusieurs volumes d'astrologie; il traduisit le Traité
des trois imposteurs (trad. publiée en 1775, in-8°), prit part à la Réfuta-
tion de Spinosa, par Fénelon et Lami (publ. en 1731), et écrivit lui-même
un examen des doctrines de Spinosa, sous le titre d'Essai de méta-
physique, dans les principes de B. de Spinosa (1731). Boulainvilliers
était un esprit vigoureux, hardi et original, mais il manquait de solidité
dans ses jugements et dans son érudition.
BOULANGER (Nicolas-Antoine), né à Paris en 1722, ingénieur des
ponts et chaussées, croyait avoir trouvé dans les révolutions du globe et
dans les phénomènes astronomiques l'explication des plus anciennes
traditions de l'humanité. Après sa mort parut sous son nom un ou-
vrage intitulé Recherches sur le despotisme oriental (Genève, 1761), où
l'on démontrait que la terreur inspirée par le déluge donna naissance à
la superstition, au despotisme, à la théocratie. En 1760 ce livre fut re-
produit dans un ouvrage plus étendu : L'antiquité dévoilée par ses usages,
ou examen crit lique des principales opinions, cérémonies et institutions relig.
et pol. des di/f. peuples de la terre (3 vol. in-12). Quelques descriptions
poétiques et la sympathie que les esprits forts portaient à tout ce qui
attaquait la religion procurèrent un grand succès à cet écrit, qui manque
dénotions exactes soit pour les sciences naturelles, soit pour l'histoire
et la philologie. Le même symbolisme astronomique se retrouve dans une
Dissertation sur EUe et Enoch; dans une autre sur saint Pierre, l'apôtre
est Janus, l'emblème du commencement de l'année. Ces diverses œu-
vres ayant été publiées par d'Holbach, on ne sait jusqu'à quel point L'édi-
teur s'y est substitué à l'auteur. Mais on considère comme apocryphe
Ze Christianisme dévoilé, qui parut sous le nom de Boulanger et fut
composé par d'Holbach ou Damila ville (édit. compl., 1792,8 vol. in-8°);
YAntiq. dévoilée fut traduite en allemand (1767). — Voyez: de Baranter
art. Boulanger dans i>Yo</?\ unie, de Michaud; Guérard, France lût.
BOULOGNE. Voyez Thérouanne.
BOULOGNE (Etienne-Antoine), né à Avignon en 1747. Il dut à ses
succès précoces Les bienfaiteurs qui lui fournirent le moyen de faire
ses études, et à son talent pour la chaire Ja protection de l'abbé
Poulie qui Tciigagea à se rendre à Paris. Un Eloge du Dauphin, père
de Louis XVI, qui lui valut un prix de 2,400 livres, consacra la répu-
tation que son éloquence lui créait peu à peu; mais il s'attira, on ne
384 BOULOGNE
sait pourquoi, la disgrâce de M. de Beaumont, et il ne put reprendre
ses prédications qu'après la mort de cet archevêque. Jusqu'à la Bévo-
lution, sa carrière fut une série de succès oratoires. Il avait même
prêché le carême à la cour en 1787 et le roi le retint pour la station de
1792, mais il comptait sans les événements. Plusieurs fois en danger
sous la Terreur, il iinit par être emprisonné, fort tard heureusement,
à la veille du 9 thermidor. De 1795 au concordat, Boulogne fut cons-
tamment sur la brèche : il ridiculisa dans ses brochures L'Eglise cons-
titutionnelle, prêcha dans les chapelles catholiques et rédigea les An-
nales religieuses. Ce journal lui attira même, après le 18 fructidor, une
sentence de déportation à laquelle il se déroba prudemment. Après le
18 brumaire, il en reprit la rédaction jusqu'en 1807, non sans inter-
ruptions forcées, mais il donnait à son recueil un titre nouveau à me-
sure qu'il était supprimé sous un autre. On vit se succéder ainsi les
Fragments de littérature et de morale, [es Annales littéraires et morales, et
les Mélanges de philosophie, d'histoire, de morale et de littérature. En
1808, Boulogne, déjà grand-vicaire de Versailles et chapelain de l'em-
pereur, fut nommé à l'évêché de Troyes. Les difficultés que causa le
texte de sa bulle retardèrent son installation d'une année. Pie Vil
avançait dans la formule qu'il choisissait l'évêque motu proprio, à peu
près comme Pie IX, en 1871, insinuait qu'il nommait M. Nouvel au
siège de Quimper. Le Conseil d'Etat s'émut de l'empiétement dans le
premier cas comme dans le second. L'épiscopat de M. Boulogne fut
encore plus orageux que son installation, et Napoléon vit bientôt qu'il
n'était pas plus gallican qu'il n'avait été constitutionnel. Secrétaire du
concile que l'empereur avait réuni à Notre-Dame en 1812, dans l'es-
poir d'y faire proclamer la compétence de l'Eglise de France pour l'in-
stitution des évoques sans l'intervention du pape, l'évêque de Troyes
s'unit à ceux de Gand et de Tournai pour faire rejeter le projet de dé-
cret présenté par le ministre. Le concile fut aussitôt dissous (11 juillet
1812) et, dès la nuit suivante, les trois prélats étaient enfermés à Vin-
cennes. Ils n'en sortirent qu'après avoir signé leur démission, et
M. Boulogne fut interné à Falaise. Le ministre notifia aussitôt au cha-
pitre de Troyes la démission de l'évêque ; les grands-vicaires résignè-
rent leurs fonctions, et on en nomma de nouveaux dont les mandements
portèrent la mention : le siège vacant. En apparence, l'empire l'empor-
tait; au fond, le sacerdoce ne cédait rien, car le mot de vacant était
assez élastique pour signifier la simple absence de l'évêque, et, d'autre
part, M. Boulogne eut le soin de nommer de son côté les nouveaux
vicaires. Ils semblaient ainsi gouverner au nom du chapitre, tandis qu'ils
gouvernaient avec les pouvoirs du prélat. L'équivoque subsista jus-
qu'au jour où Napoléon nomma M. de Cussy évêque de Troyes, en
1813. Alors le pape, consulté pour savoir s'il avait agréé la démission
de l'évêque précédent, répondit en niant la juridiction du chapitre;
un grand-vicaire déclara reconnaître M. Boulogne, et les chanoines se
trouvèrent partagés en deux camps égaux en nombre. Le gouverne-
ment voulut exiger du démissionnaire une renonciation encore plus
formelle que la première ; sur son refus déguisé, on le ramena à Vin-
BOULOGNE — BOUQUIN 385
cennes, d'où il fut transféré à La Force en février L814. L'entrée des
allies lui rendit la liberté, Il retourna triomphant à Troyes et supprima
du registre toutes les délibérations du chapitre. Pendant ses dernières
années, il joignit à ses travaux épiscopaux ses anciennes fonctions de
prédicateur a la cour et dans les chaires de Paris. 11 avait même pré-
paré le discours du sacre de Charles X quand il mourut subitement le
13 mai 1825. H était depuis 18^0 membre de la Chambre des pairs*
Ses œuvres complètes ont été publiées en 182() (Paris, 8 vol. in-8°).
P. KOUFFET.
BOUQUET (Dom Martin), né à Amiens, mort à Paris (1683-1754).
Bénédictin de la congrégation de Saint-Maur, il collabora longtemps
aux éditions savantes que publiait le célèbre Bernard de Montfaucon,
de la même congrégation. Aussi modeste qu'érudit, il avait entrepris
une édition de Josèphe et en avait déjà presque achevé la prépa-
ration quand il apprit que 1' illustre professeur de Leyde, Havercamp,
s'occupait du même travail. Il lui envoya aussitôt ses propres maté-
riaux. Havercamp les joignit aux siens, et il en résulta les notes par-
fois trop étendues d'une savante édition (Amsterdam, 1726, 2 vol.
in-fol.). Le plus grand titre de gloire de Bouquet est d'avoir commencé
la collection des historiens des Gaules et de la France, projet conçu
par Colbert, repris par Letellier, archevêque de Reims, et enfin par le
chancelier d'Aguesseau. Mabillon lui-même avait reculé devant l'im-
mensité de la tâche. Bouquin l'accepta et publia les deux premiers
volumes en 17o8sous ce titre: Rerum Gallicarum et Frnncicarum sc?-ip-
tores. La mort le surprit après la publication du huitième volume ;
mais son œuvre fut poursuivie pendant près d'un siècle par les reli-
gieux ses confrères (voy. Don Briaï). Ce recueil en est au vingt-et-
unième volume, publié en 1855 par MM. Guigniaut et de Wailly.
BOUQUIN (Pierre), de Bourges, docteur en théologie et prieur des
carmes de cette ville. Sa science des Ecritures lui fit abandonner son
ordre pour aller à Bàle en 1541, et de là à Wittemberg. Luther et Mé-
lanchthon le décidèrent à occuper à Strasbourg la place que le retour
de Calvin à Genève laissait vacante. Il y expliqua lépitre aux Galates.
Il revint ensuite à Bourges pour travailler à la Réforme, et y enseigna
gratuitement l'hébreu et l'Ecriture. Marguerite de Valois, à qui il pré-
senta son livre De la nécessiti- et de V usage de la sainte Ecriture, lui as-
sura une pension. Aidé de son frère, docteur comme lui, mais dont
les convictions étaient plus timides que les siennes, il put même prê-
cher dans la cathédrale et d compta longtemps sur le succès de ses
travaux évangéliques. Il en désespéra à la fin et dut fuir la persécution
avec un autre; professeur de Bourges, François Baudouin. Après un
court ministère dans l'église française de Strasbourg, il passa à Hei-
delberg ou L'appelait l'électeur palatin, et il y fut, de 1557 à 1577, pro-
fesseur de théologie. Les disputes sur l'ubiquité et la présence réelle le
forcèrent a quitter sa charge, à cause de ses opinions peu luthériennes.
Les calvinistes rappelèrent à Lausanne où il continua ses leçons jus-
qu'à sa mort (1582). Bayle donne une liste assez longue de ses écrits.
Sauf quelques-uns, comme sa Défense pour les professeurs de théologie
ii. 25
386 BOUQUIN — BOURBON
-évangélique,? 'Epoux spirituel et V Homme parfait, ils roulent tous sur le
sujet de la cène.
BOURBON (Antoine de), lils de Charles de Bourbon, duc de Ven-
dôme, et de Françoise d'Alençon , naquit le 22 avril 1518. Il suc-
céda à son père dans le gouvernement de Picardie, et se signala,
comme chef militaire, tant sur les frontières du Boulonnais qu'à Thé-
rouanne, à Landrecy, à Lillers, en Hainaut et en Flandre en 1551, et
en Lorraine et en Picardie de 1552 à 1554 . Il avait épousé, en 1548,
Jeanne d'Albret. De nombreuses lettres qu'il lui adressa, à une époque
qui suivit de près son union avec elle, attestent l'intimité qui régnait
alors entre les deux époux. Lors de la mort du père de Jeanne, en 1555,
Antoine de Bourbon devint roi de Navarre. En 1558, il se prononça en
laveur de la religion réformée. Les protestants croyaient pouvoir compter
sur lui comme sur un protecteur sérieux; mais il déçut bientôt leurs
espérances. Bafoué à la cour, après la mort de Henri II, il retourna en
Béarn, y devint le jouet de l'Espagne, se tourna contre les protes-
tants, à l'issue de la conjuration d'Amboise, paralysa l'entreprise de
Maligny sur Lyon, et ne vint à Orléans, avec son frère, le prince de
Condé, en 1560, que pour s'y voir, ainsi que lui, opprimé par les
€uise. A la mort de François II, il se laissa dominer par Catherine de
Médicis et abdiqua en partie ses prérogatives de prince du sang, quant
au maniement des affaires de l'Etat. S'il parut pendant quelque temps
reprendre en main les intérêts des protestants en luttant contre l'in-
fluence des Guise, il ne tarda pas à se laisser circonvenir par ces der-
niers et parles agents de la cour d'Espagne. Rompant alors avecCondé
et les Chàtillon, oubliant aux pieds d'une fille d'honneur de la reine-
mère ses devoirs d'époux, il relégua brutalement la vertueuse Jeanne
d'Albret en Béarn, s'allia avec les membres du triumvirat, refusa
lâchement de s'élever contre le massacre de Vassy, alors que les pro-
testants invoquaient son appui, et se démasqua complètement, en pre-
nant, quand éclata la première guerre de religion, le commandement
des troupes catholiques. Dans les conférences successives qui suspen-
dirent momentanément le cours des hostilités, il n'apporta qu'étroi-
tesse de vues, que dureté de cœur, et que résistance aux justes repré-
sentations formulées par le prince, son frère. 11 fut, au siège de Rouen,
blessé d'un coup d'arquebuse à l'épaule. Sentant de jour en jour ses
forces décliner, il exprima le désir de revoir Jeanne d'Albret, et chargea
un gentilhomme qu'elle lui avait envoyé de retourner près d'elle et de
l'accompagner de Béarn en Normandie; mais il était trop tard : il suc-
comba le 17 novembre 1562. Jeanne, qui se fut estimée heureuse d'ap-
porter à son mari de suprêmes consolations, n'avait plus devant elle
la possibilité de franchir en temps opportun la longue distance qui
la séparait de lui. Couvrant d'un généreux pardon le loyal aveu qu'au
terme de sa carrière Antoine de Bourbon avait fait de ses torts envers
elle, elle ne se rappela plus que son affection pour lui, et pleura sa
mort en femme chrétienne. Antoine de Bourbon laissa deux enfants,
issus de son mariage avec Jeanne d'Albret, savoir : un fils (voir
Henri IV) et une fille (voir Catherine de Bourbon). — Sur Antoine
BOURBON 887
de Bourbon, voir: 1" Brantôme, U<>/>ni/es illustres; 2° de Thon,
BisL unir., tr. fr., in-V\ t. 11, p. 681 à 688; 720 à 723; 7!):; à 857;
et t. m. p. 36 à 160; :\'M à :>:>7; :>" Désormeaux, Hist. de lamat-
san de Bourbon, t. III: V' la corresp. Eranç. de Calvin, passitn; o° les
ouvrages du présidenl de La Place, de Th. de Bèze, de Régnier de
La Planche, de Davila, de La Popelinière, de d'Aubigné, les Mémoires
de Coude: 6° Les lettres d'Ant. de Bourbon à Jeanne d'Albret (Bibl.
nat.. mss. fr., vol. 8746). J- D^laboede.
BOURBON (Catherine de), fille d'Antoine de Bourbon et de Jeanne
d'Albret, uaquit à Paris, le 7 février 1559. A quatorze ans, elle perdit
sa mère; son chagrin fut d'autant plus vif, qu'elle éprouva dans toute
sod amertumele vide de l'isolement: elle sévit livrée à la merci d'une
cour corrompue, sans pitié pour sa faiblesse, sans respect pour sa
conscience, sans égard pour son rang. Des périls de tout genre mena-
çaient l'orpheline; mais,lidèle aux convictions religieuses que Jeanne
lui avait inculquées, et puisant en elles une indomptable énergie, elle
sut, par l'élévation de ses sentiments et la fermeté de son caractère,
lutter avec succès, pendant quatre ans, contre les menées oppressives
de Catherine de Médicis, et recouvrer en 1576 sa liberté. Rentrée en
Béarn, elle y reprit l'exercice du culte réformé, qui lui avait été
interdit à la cour de France depuis le jour néfaste de la Saint-Barthé-
lémy, et s'y concilia, comme femme et comme princesse, une consi-
dération et une sympathie que commandaient ses vertus, ses talents,
ainsi que ses qualités à la fois solides et brillantes. Henri, son frère,
eût dû, à titre d'unique appui qui lui restât désormais, tenir à
honneur de la protéger, alors surtout que Jeanne d'Albret, à l'heure
suprême, lui en avait confié le soin, moins comme une obligation
sacrée que comme un privilège ; mais, infidèle aux dernières recom-
mandations de sa mère, dont il avait déserté la foi, le bon Henri de la
légende populaire, ne justifiant que trop réellement le titre de mauvais
frère que lui inflige le sévère jugement de l'histoire, traita souvent
Catherine avec dureté. Non-seulement il la fit souffrir de la résistance
qu'elle lui opposa, alors qu'il voulait l'entraîner dans une défection
religieuse semblable à celle dont il lui avait donné le triste exemple ;
mais encore, la blessant jusque dans ses affections les plus intimes et
les plus pures, il combattit avec une âpre ténacité un projet d'union
à la réalisation duquel elle eût attaché son bonheur, employa de
coupables manœuvres pour tenter de triompher de sa constance, et
finit, lorsqu'elle se vit trompée dans son espoir, par arracher son
consentement à un mariage avec Henri de Lorraine, duc de Bar.
L'étroit bigotisme et le caractère déprimé de cet homme, indigne de
la pieuse et noble Catherine, furent pour elle une source d'incessantes
angoisses qu'elle domina des hauteurs de sa foi. Digne fille d'une mère
dont elle vénérait la mémoire et s'efforçait de suivre les traces,
Catherine demeura, jusqu'à son dernier soupir (1*3 février l(>0i),
fermement attachée à la religion réformée; léguant ainsi aux généra-
tions futures un admirable exemple de la puissance que le sentiment
religieux et la piété filiale exercèrent sur le cœur d'une orpheline pour
388 • BOURBON
la soutenir dans l'austère épreuve d'une existence solitaire et
dépouillée. — Voir sur Catherine de Bourbon : Ballet, de la Soc. d'hist.
duprôtest. /h, t. II, p. 140 à 155; t. III, p. 279; t. V, p. 148 à 160, et
283 à 292; t. XV, p. 19 à 35, et 583 à 586; t. XXIV, p. 26; E. Alby,
Catherine de Navarre, 2 vol. in-8°, 1850; la comtesse d'Armaillé,
Catherine de Bourbon, 1 vol. in-12, 1865. J. Delabordb.
BOURBON (Louis de), septième lils de Charles de Bourbon, duc de
Vendôme, et de Françoise d'Alençon, naquit à Vendôme, le 9 mai
1530. Elevé dans l'abbaye de Saint-Denis par son oncle le cardinal de
Bourbon, il en sortit pour suivre la carrière des armes. Il se distingua en
1551 en Piémont et en Picardie, en 1552 à Metz, en 1553àDourlens, en
1554 en Hainaut et en Artois, en 1555 en Italie, et en 1557 à Saint-Quentin.
Par son mariage avec Eléonore de Roye, en 1551, il était devenu l'allié
des Montmorency et des Chàtillon. S'étant joint à la cause protestante,
moins peut-être par conviction religieuse que par inimitié contre les
Guise qui l'avaient froissé, il opina, dans les conférences de Vendôme
et de La Ferté, pour une prise d'armes et accepta le rôle de chef muet
dans la conjuration d'Amboise, dont l'insuccès motiva sa retraite en
Béarn. Trompé par les promesses décevantes de la cour, il revint en 1560
à Orléans, où le dévouement héroïque de sa femme ne put le sous-
traire à une condamnation capitale, odieusement provoquée par les Guise
et lâchement prononcée par leurs suppôts. Sauvé de la mort par un
changement de règne, et réhabilité par décisions souveraines du con-
seil privé et du parlement, il prit en mains le parti des protestants en
1561. Il les protégeait à Paris, en 1562, lorsque le massacre de Vassy
le décida, dans leur intérêt, à une résistance à main armée. Ralliant à
lui, du fond des provinces, les principaux chefs protestants, et devenu
maître d'Orléans et de diverses villes, il accepta la lutte avec l'armée
catholique, rechercha et obtint l'appui de divers princes d'Allemagne,
d'Elisabeth d'Angleterre et de quelques cantons suisses, et, après une
série d'engagements, livra la célèbre bataille de Dreux, dans laquelle il fut
fait prisonnier. Le traité de paix d'Amboise, en mettant un terme à sa
captivité, imposa, par sa faute, d'iniques restrictions au régime de
liberté religieuse qu'avait inauguré en partie l'édit de janvier 1562.
Après avoir concouru à la reprise du Havre sur les Anglais, en juillet
1563, il mena à la cour uni vie de dissipation et y entretint, à l'insti-
gation de Catherine de Médicis, des relations scandaleuses, qu'inter-
rompit à peine, en 1564, la mort de sa pieuse et généreuse femme, et
qui ne cessèrent qu'à l'époque de son second mariage, en 1565, avec
Françoise d'Orléans, tille delà marquise de Rothelin. Lespersécutions re-
nouvelées contre les protestants, au mépris du traité de paix, lui firent
reprendre les armes en 1567. La bataille de Saint-Denis fut glorieuse
pour lui. A la suite de sa jonction avec les forces du duc Casimir,
il dégagea Orléans, investit Chartres, et conclut, le 13 mars 1568, une
paix qui n'offrait aucune garantie de durée. La cour et ses agents la
violèrent, comme ils avaient violé la précédente. De Noyers, où il
s'était retiré et où l'on cherchait à s'emparer de lui, Condé se rendit,
avec sa famille, à travers les plus grands dangers, à La Rochelle, où il
BOURBON 389
lut rejoinl par la noblesse de Poitou et de Saintonge, ainsi que par
Jeanne d'Aibret, accompagnée de sou lils. Bientôt commença la troi-
sième guerre civile, dans laquelle Louis de Bourbon, fortement se-
condé, comme dans les deux premières guerres, par Coligny, déploya
une grande énergie el une valeur à toute épreuve. On le vitalors, rom-
pant avec sa déchéance passée, se relever moralement de toute la hau-
teur d'un noble caractère. Son attitude à la bataille deJarnac, livrée le
13 mars 1569, lut admirable. Il venait par une charge brillante de
forcer l'ennemi à reculer, lorsque, déjà blessé, il reçut une ruade de
cheval qui lui cassa la jambe. Pourvu de nombreux renforts, l'ennemi
revenait sur lui; les seigneurs qui entouraient le prince le conjuraient
de se retirer; un simple signe fut sa réponse; il leur montra la de-
vise de sa cornette : Doux le péril pour Christ et le pays. Se faisant
aussitôt remonter à cheval : « Voici, noblesse française , s'écria-t-il,
voici le moment désiré. Souvenez-vous en quel état Louis de Bour-
bon entre au combat pour Christ et la patrie ; » puis il s'élança sur
les rangs ennemis, et ne tarda pas à tomber avec son cheval tué sous
lui. Odieux instrument de la haine du duc d'Anjou pour le prince,
Montesquiou se rua sur celui-ci qui déjà s'était rendu à d'Argence, et
d'un coup de pistolet tiré par derrière, lui fracassa la tête. Une appré-
ciation impartiale à formuler sur Louis de Bourbon, en tant que chef
protestant, peut se résumer en quelques mots. Amené, sur les traces
de sa première femme et de sa belle-mère, à professer la religion ré-
formée, on le voit, à en juger par l'ensemble de sa conduite, sincère
sans doute dans l'adoption du nouveau culte, mais touché uniquement
à la surface de son âme par les doctrines évangéliques, demeurer ac-
cessible aux calculs et aux entraînements de la politique, qu'il ne do-
minera jamais des hauteurs d'une foi stable, et compromettre trop
souvent, ici parles vues restreintes de l'homme de guerre et de l'homme
d'Etat, là par la légèreté de l'homme du monde et parles défaillances
de l'esclave du plaisir, la dignité morale du chrétien, de l'époux et du
père. Mais, dans les derniers temps de son existence agitée, son àme
se retrempe à la source des généreux sentiments; il veut, dans l'élan
d'une admirable transformation, justiiier sa devise, s'immoler, s'il le
faut, au service de son Dieu et de sa patrie, et sa mort est bien celle
d'un chrétien et d'un vrai Français. — Voir sur Louis de Bourbon :
Brantôme, Gr.capit. françois; de Thon, Hist, univ., tr. fr., in-4°, t. Il,
p. 681 a 836 ; t. 111, p. 38à 506; t. IV, p. 2 à 175; Désormeaux, Hist. de
la maison de Bourbon, t. III, p. 209 à 238 et 261 à 675 ; t. IV, p. 12 à 1I(),
et p. 139 à 350; Mém. de la troisième guerre civile, in-12, 1571; cor-
resp. française de Calvin, passim\ les ouvr. du présidentde LaPlace, de
Th. de Bèze, de Régnier de La Planche, de Davila,deLa Popelinière, de
d'Aubighé de Mézeray; [esMémoires de Coudé; Mémoires de Castelnau
ef addit. de Le Laboureur: Disc. polit, et milit. de Lanouc ; Hist. de cinq
rois, \n-\i.. 1599; Hist. des princes (h- Condé, par le due d'Aumale,
t. 1 et t. II. p. 1 a 81. J. Dblabobde.
BOURBON (Henri de), premier du nom, fils de Louis de Bourbon et
d'Eléonore de Roye, né le 29 décembre 1552. Privé en 1564 d'une
390 BOURBON
mère qu'il chérissait, perdant en 1569 un père qui s'était peu occupé
de lui, traité alors en fils, non par sa belle-mère, mais par Jeanne
(TAlbret et par Coligny, Henri de Bourbon fut, en concours avec le
jeune Henri de Navarre, son cousin, nominalement placé à la tête de
l'armée des réformés. Il combattit pour la première fois à Arnay-le-
Duc, en 1570. Fidèle aux convictions religieuses que lui avait incul-
quées sa mère, et profondément attaché à l'amiral ainsi qu'à Jeanne,
il venait d'être uni par les soins de cette princesse à Marie de Nevers,
quand éclata l'effroyable drame de la Saint-Barthélémy. Sommé d'ab-
jurer, il refusa avec une fermeté qui faillit lui coûter la vie, et ne finit
par céder, en apparence, que pour rétracter bientôt sa prétendue con-
version : il dut, au péril de ses jours, fuir une cour corrompue et
sanguinaire qui voulait le contraindre à porter les armes contre les ré-
formés et qui favorisait par sa dépravation les insolentes assiduités
dont sa femme était l'objet delà part du duc d'Anjou. Libre désormais,
il revint publiquement à la religion réformée dont il ne s'était jamais
séparé au fond de son cœur. L'assemblée de Milhau (juillet 1574) le
proclama chef et gouverneur général des Eglises de France. Trois
mois après, il perdit sa femme. En 1575 lui fut conféré le titre de « pro-
tecteur de l'association du clergé et des catholiques paisibles avec les
Eglises réformées du royaume. ». Ayant formé une petite armée, il se
joignit à Monsieur. En mai 1576 intervint un édit de pacification. Jus-
tement indigné de l'attitude de Henri III à son égard, il alla rejoindre
le roi de Navarre 'en Guyenne. Investi par les protestants d'une con-
fiance que celui-ci était loin de leur inspirer, il sut, au milieu de cir-
constances compliquées, ardues, dont l'exposé ne saurait trouver place
ici, demeurer invariablement fidèle à la cause de la Réforme et lui
rendre de véritables services. On ne sait que trop qu'il n'en fut pas de
même du roi de Navarre, contre l'indifférence et la légèreté duquel il
eut plus d'une fois à lutter. Au moment où Henri de Bourbon allait
reprendre les armes, il fut atteint tout à coup de violentes douleurs, le
3 mars 1588,etsucccomba,le5. On soupçonna sa seconde femme, Char-
lotte de La Trémouille, de l'avoir fait empoisonner ; on dirigea même
contre elle des poursuites criminelles ; mais, au bout de quelques
années, elles furent arbitrairement amorties. La vérité sur ce point si
grave ne s'est pas fait jour. La vie d'Henri de Bourbon, clans sa briè-
veté, fut semée de douloureuses épreuves, qu'il domina par sa foi et
l'élévation de son âme : en toute rencontre, il se montra le digne fils
de la pieuse mère aux infortunes de laquelle il avait été associé dès
son enfance, et des exemples de laquelle il tint toujours à honneur de
s'inspirer. Les historiens, catholiques et protestants, sont à peu près
unanimes dans les éloges qu'ils décernent au caractère d'Henri de
Bourbon. Au premier rang des qualités qui le distinguèrent se placent
sa fidélité à de nobles convictions religieuses et son dévouement aux in-
térêts cle ses coreligionnaires. De ïhou le représente comme brave et
plein d'humanité, ferme et d'une rare affabilité, prudent et libéral,
grave et éloquent, enfin comme réunissant en lui tous les mérites
qu'on peut souhaiter dans un prince. — Voir, sur Henri de Bourbon, la
BOURBON — BOURBONNAIS 391
plupart des ouvrages cités dans la notice relative à Louis <le Bourbon,
son père. •'• Dblabobdb.
BOURBONNAIS (Eglises du). On signale la présence de luthériens à
Moulins, capitale du Bourbonnais, en 1562. Apprenanl vers la mi-marsi
de cette même année le passage du ministre Bourgoîn, dit Dagnon, ils
le décidèrent à leur donner quelques prédications dans le château du
seigneur de Foulet, près .Moulins. Peu après ((') avril), un ministre, du
nom de Cougnat, étant venu pour être le pasteur de l'Eglise, fut em-
prisonné dès son premier prêche, ainsi que de Foulet. Ce fut bien pis
quand l'implacable Montaré prit le gouvernement de Moulins. Un
pauvre menuisier, qui avait t'ait baptiser son enfant par un ministre,
fut pendu après avoir été préalablement exposé aux railleries et aux
mauvais traitements de la populace. Un autre luthérien, qui avait fait
remarquer qu'on aurait dû se contenter de mettre à mort ce malheu-
reux sans l'outrager, fut également pendu. Après ces exécutions, Mon-
taré, réunissant 3,000 hommes de troupes, ordonna à tous ceux de la
nouvelle religion de quitter la ville et lâcha la bride à ses soldats pour
piller leurs maisons, voire même pour les massacrer tant à la ville
<pfauxchamps.Les capitaines huguenots Saint-Auban et Saint-Jean du
Dauphiné, qui conduisaient des troupes à Orléans au prince de Condé,
essayèrent bien de se saisir de Moulins pour délivrer le pays de ce
misérable, mais ils ne purent y parvenir. Ils obtinrent seulement que
de Foulet serait mis en liberté. Cela servit de peu à cet infortuné, car
ayant été rencontré par une bande de catholiques en dehors de la ville,
il l'ut impitoyablement massacré par eux, ainsi que son laquaiset Favo-
cat Claude Brisson qui Faccompagnait. Montaré continua son œuvre
de sang jusqu'à Fédit de paix (19 mars 1563), « donnant, dit Bèze, force
pratiques au bourreau, qu'il appelait son compère, lequel il chérissait
jusqu'à le faire manger à sa table.» L'Eglise de Saint-Amand en Bour-
bonnais fut organisée dès 1559, et put se maintenir « par la signalée
faveur de Dieu », car la ville appartenait au duc de Nevers, F un des
plus grands adversaires des luthériens. — Après Fédit de Nantes, les
Eglises du Bourbonnais, qui formèrent un colloque ressortissant à la
province synodale du Berry, Orléanais, Blaisois, Nivernais et Haute-
Marche, eurent beaucoup de peine à obtenir des lieux de culte. Le
13 novembre 1000, Legay et Chandieu, commissaires exécuteurs de
Tédit dans la province, leur assignèrent seulement pour lieux d'exer-
cice le faubourg de La Varenne, dans la ville d'Hérisson, et le faubourg
de Chantelle-le-Château. Le ±\ août 1003, Chandieu et son nouveau
collègue Frère remplacèrent le faubourg de La Varenne par celui du
Font, dans la même ville d'Hérisson, sur la réclamation des catholi-
ques, et le faubourg de Chantelle par celui d'Avermes, près Moulins,
sur la réclamation des protestants. Ce dernier lieu, n'ayant pas con-
venu aux catholiques, fut remplacé par le hameau des Chevennes,
mandement d'Avermes. Le jugement fut confirmé par les commissaires
exécuteu *s de 1612, mais mal exécuté, en dépit des arrêts du Conseil
d'Etat du 30 décembre 1614 et de 1618. Marie de Médicis, devenue
régente, biffa d'un trait de plume ces derniers, et à partir de ce mo-
392 BOURBONNAIS — BOURDALOUE
ment la position des protestants du Bourbonnais devint si précaire
qu'à la révocation de l'édit de Nantes on n'en signalait aucun dans la
province. Aujourd'hui le culte réformé est prêché à Moulins, Mont-
ïuçon et Vichy par des pasteurs non salariés de l'Etat, et les protes-
tants de ces localités se rattachent officiellement au consistoire de
Bourges. — Bèze, Hist. eccl. ; Ballet, de la Soc. de l'hist. du prot. franc.,
1863. p. 374; 1864, p. 18. E. abnaud.
BOURDALOUE (Louis). Sa vie n'offre pas d'événements considérables.
On peut la résumer par ces mots de Vinet : « Il prêcha, il confessa, il
consola, puis il mourut. » Ce fut une vie de saint, et Sainte-Beuve
dit avec raison « qu'elle lui assurait dans l'ordre moral une autorité
que nul en son siècle n'a surpassée, pas mêmeBossuet. » « Bourdaloue,
dit le cardinal de Beaussetdans son Histoire de Bossuet, est peut-être le
seul homme d'un mérite supérieur qui n'ait jamais eu ni ennemis ni
détracteurs. » Il naquit à Bourges, «d'une des familles les plus considé-
rables de la ville, » le 20 août 1632. A l'âge de quinze ans il entra dans
la compagnie des jésuites, et il la servit jusqu'à la iin de sa vie (1704),
d'abord comme professeur de théologie morale, et pendant trente-
quatre ans comme prédicateur. En 1669, l'année même où Bossuet
descendait des chaires de Paris pour devenir le précepteur du Dauphin,
Bourdaloue y montait, faisant succéder à l'éloquence vive et hère de son
devancier une prédication moins brillante, mais plus solide peut-être,
et plus riche en instruction et en édification. Elle fut.de tout temps ap-
préciée de Louis XIV. En 1685 il envoya Bourdaloue à Montpellier pour
y prêcher l'Avent en vue de la conversion des hérétiques. « Les courti-
sans entendront ici peut-être des sermons médiocres, lui dit-il, mais les
Languedociens apprendront une belle doctrine et une belle morale. » Il
lui témoigna le désir de l'entendre tous les deux ans. « J'aime mieux vos
redites, lui disait-il, que les nouveautés des autres. » Quel dommage
que Louis XIV se soit contenté d'admirer « cette belle morale » et qu'il
l'ait si peu pratiquée! Bourdaloue ne se faisait point d'illusions à cet
égard. Voici la réponse qu'il lit un jour au roi après une fausse retraite
de sa favorite: « Mon père, lui disait Louis XIV, vous devez être content
de moi : madame de Montespan est à Clagny. — Oui, Sire, répondit
Bourdaloue, mais Dieu serait bien plus content si Clagny était à
soixante-dix lieues de Versailles. » Quelques rares passages de ses
sermons nous font lire dans l'âme de Bourdaloue, et nous montrent la
sérénité dont elle jouissait. « Combien de fois, Seigneur, s'écrie-t-il
dans son sermon sur la Récompense des saints, m'est-il arrivé de goûter
avec suavité l'abondance des consolations célestes dont vous êtes la
source? Combien de fois, rempli de vous, ai-je méprisé tout le reste,
et compté le monde pour rien? »Dans le sermon sur la Paix chrétienne
on trouve ce mot, souvent cité depuis : « Je ne sais si vous êtes
content de moi, Seigneur, et je reconnais même que vous avez bien
des sujets de ne l'être pas; mais pour moi, mon Dieu, je dois confesser
à votre gloire que je suis content de vous, et que je le suis parfaite-
ment. » Dans les dernières années de sa vie, se sentant courbé par l'âge
et le travail, il écrivit au général de l'ordre une lettre admirable pour
BOURDÀLOUE 393
demander qu'on lui permit de se retirer dans une maison de retraite,
éloignée de Paris. « Je souhaite, disait-il, de me retirer el démener dé-
sormais une vie plus tranquille ; je dis plus tranquille, afin qu'elle soit
plus régulière et plu s sainte. Là, oubliant les choses du monde, je repas-
serai devant Dieu toutes les années de ma vie dans Y amertume de mon
âme. Voila tout l'objet de mes vœux. «Cette lettre est littérairement et
moralement toul aussi belle que le célèbre adieu tle Bossuet a la cour et
à son siècle dans l'oraison funèbre du prince de Condé. Le repos que
demandait Bourdàloue lui l'ut refusé, et il dut prêcher jusqu'à la fin. 11
prêcha son dernier sermon un des premiers jours de mai 17(H.Lel3, à
cinq heures du matin, il mourait, « épuisé par la prédication et victime
de l'obéissance, » dit M. Anatole Feugère, son dernier biographe. — Bour-
dàloue fut et reste un prédicateur de premier ordre, et en quelque sorte
de première grandeur. Vinet a signalé l'accent d'autorité qu'il apporta
dans la chaire. Il ne l'ait aucune concession sur ce qu'il croit être la
vérité chrétienne. 11 ne cherche pas les éloges du monde, mais il ne re-
doute pas ses critiques. Parlant du devoir de faire la prière avant le repas :
« Vous m'accuserez, dit-il, de descendre à un détail frivole et puéril?...
Vous en penserez et vous en direz, mes frères, tout ce qu'il vous plaira ;
pour moi, je ne me tairai pas sur un devoir si légitime et si raison-
nable. )) Dans un autre sermon on litee passage : « Mais quoi ! toujours
souffrir, et par de si longues et de si cruelles souffrances ne rien
acquitter, cela se peut-il comprendre? — Comprenez-le, mes chers
auditeurs, ou ne le comprenez pas, la chose n'en est pas moins vraie, et
n Vu esl pas moins un article de votre foi. » Et encore dans le sermon
sur le Pardon des injures : « Dieu veut que vous pardonniez... Dieu le
veut, et je vous l'annonce de sa part. A cela vous ne pouvez rien
répliquer qui ne tombe de lui-même. » Un autre caractère de sa pré-
dication c'est la sévérité de sa morale, en quoi il tranchait sur son
ordre, dont la morale est parfois si relâchée. Aussi l'on a dit que ses
sermons étaient une victorieuse réfutation des Provinciales. Oui sans
doute, ils prouvent avec éclat qu'il y a eu d'autres jésuites que ceux.
dont a parlé Pascal, mais ils ne sauraient prouver que ceux que Pascal
fouette dans ses Provinciales n'aient pas existé. Ses sermons ont des
mérites de diverses sortes. Le principal est dans l'abondance et la
huasse des observations morales, dans les peintures de mœurs et les
analyses du cœur humain, dont ils sont remplis. Pour le don del'obser-
vaiion ci connue moraliste, Bourdàloue n'a pas de maître, et peut-être
même pas d'égal. Ses peintures de mœurs, ses analyses des passions
et des motifs par lesquels on essaye de les justifier ont conservé toute
leur fraîcheur : on dirait des fruits cueillis de la veille. Ces parties
du discours ruissellent d'intérêt, d'instruction et d'édification.
Bourdàloue est remarquable aussi par la puissance de sa dialectique.
Quand il tient une idée, il y enfonce sa réflexion comme un levier puis-
sant, et il soulève de- masses de pensées neuves et fortes, qu'il prend
ensuite une à une pour les polir. Seulement, à force de poursuivre ses
idées, il tombe parfois dans la subtilité'; pour être plus complet, il
devient obscur, surtout quand il développe quelque point de dogme.
o94 BOURDALOUE
Là, son raisonnement a quelque chose de la sécheresse de Spinoza :
on dirait une sorte de géométrie religieuse, avec des preuves numé-
rotées comme des théorèmes et tout un appareil de dialectique étalé;
mais tout aussitôt une belle peinture morale succède à cette sécheresse
et la fait vite oublier. On se sent alors comme porté sur une eau pro-
fonde! C'est par ses analyses morales et la solidité de ses raisonne-
ments que Bourdaloue saisissait et remuait son auditoire; et c'est par
là qu'il saisit et remue encore ses lecteurs. On peut dire qu'il est un
grand renverseur d'excuses. En le voyant paraître en chaire, le prince
de Condé un jour laissait échapper ce mot : « Silence! voici l'ennemi.»
Et le prince de Grammont s'écria, un autre jour, en pleine église :
« Morbleu, il a raison! » Madame de Sévigné, très-friande des allusions
que Bourdaloue semait dans ses discours, écrivait : « Il frappe toujours
comme un sourd, disant des vérités à bride abattue, parlant à tort et
à travers contre l'adultère. Sauve qui peut! il va toujours son che-
min ! » Et dans une autre lettre : « On est pendu à la force et à la jus-
tesse de ses discours, et je ne respirais que quand il lui plaisait définir.»
Les sermons de Bourdaloue ont un autre genre d'intérêt : on y trouve
à tout instant comme des dialogues où l'amour-propre humain expose
ses artifices, et où l'orateur les déjoue ; cela est vif, brusque, ingénieux,
et soutient ou relève les parties faibles du discours; on y trouve
aussi des pages d'un grand souffle, d'où respire une éloquence saisis-
sante, et des morceaux moins étendus ou même de simples phrases qui
rappellent la langue de Bossuet. Les qualités ordinaires du style de
Bourdaloue sont la simplicité et la précision. Il manque un peu d'éclat,
mais il exprime avec une telle précision des pensées si belles qu'il en
acquiert lui-même de la beauté. Nul ne parle mieux que Bourdaloue
cette belle langue du dix-septième siècle, d'une simplicité si sévère et
si distinguée. Il faut signaler encore un autre mérite de Bourdaloue :
sa connaissance des Pères; il enchâsse dans ses discours leurs plus belles
pensées. Toutes, il est vrai, ne sont pas des perles, et on regrette
parfois qu'il ne fasse pas preuve d'un goût plus sévère dans ces cita-
tions. On regrette aussi qu'il ne s'applique pas davantage à expliquer
les textes évangéliques. Ses textes ne sont le plus souvent que des pré-
textes. Le livre qu'il tient ouvert sous ses yeux et qu'il explique, c'est
moins l'Ecriture que le cœur humain : mais celui-là il l'explique en
maître. Pour ce qui est de sa doctrine, elle est, comme il le dit souvent,
« conforme aux principes de la plus exacte théologie » catholique. Il
faut observer qu'il traite toutes les questions par les côtés où elles tou-
chent à la morale, plutôt que par ceux où elles touchent au dogme.
Ainsi dans un sermon sur la Sainteté, prêché à l'occasion de la fête des
Saints, il s'attache « à l'exemple des saints, sans rien dire du secours
que nous pouvons attendre d'eux et que nous en attendons. » C'est-à-
dire qu'il ne nie pas le dogme de l'intercession des saints, mais il le
néglige pour s'attacher à une question toute morale et plus conforme
aux goûts de son esprit : leur exemple. Cette tendance se révèle dans
sa définition de la sainteté : « Elle est de remplir ses devoirs et de les
remplir dans la vue de Dieu. »Au point de vue du dogme et même delà
BOUKDALOUE — BOURGEOIS 395
vre chrétienne, la prédication de Bourdaloue offre une lacune considé-
rable : le rôle et le secours du Saint-Esprit y sonl presque passés sous
silence. Bourdaloue ne voit pas que ces victoires qu'il demande à
l'homme sur le péché, l'homme ne peut les obtenir sans l'aide de l'Es-
prit de Dieu. Sans doute, il dit bien cela une t'ois et même (Tune ma-
nière frappante, mais il faut le répéter plus souvent. Son discours sur
V Aumône exagère encore, si possible, l'erreur de la doctrine catho-
lique sur ce point. 11 voit dans l'aumône un moyen «de nous purifier
devant Dieu, d'acquitter nos dettes, et d'avoir même de quoiacheter la
terre promise.)) « Le pauvre satisfait Dieu par ses souffrances, dit-il, et
le riche par ses charités. )> Le sermon sur le Pardon des injures repro-
duit une autre erreur de l'Eglise catholique sur la certitude de notre
salut : « Nous savons que nous avons péché, dit-il, et nous ne savons
si Dieu nous a pardonné. Les plus grands saints ne le savaient pas
eux-mêmes. » Pour ce qui est de la morale, on regrette les éloges qu'il
donne à Louis XIV, qu'il appelle « le plus chrétien de tous les rois »,
et surtout les félicitations qu'il lui adresse sur « la destruction de
Thérésie)). — Voyez la Préface du P. Bretonneau; l'article de Gallais
dans la Biographie universelle; Alexandre Vinet, Mélanges ; Sainte-Beuve,
et surtout M. Feugère, Bourdaloue, sa prédication et son temps.
J. Bastide.
BOURGEOIS (Lovs). Le parisien Bourgeois, que la persécution reli-
gieuse avait conduit à Genève, y donnait des leçons de musique, quand
Calvin y rapporta les dix-huit psaumes et les trois cantiques qu'il
avait fait imprimer à Strasbourg. Bourgeois, dont le génie n'attendait
< pi* une occasion pour éclater, corrigea les airs du recueil et en sup-
prima quelques-uns auxquels ilen substitua de nouveaux. C'est àlui que
Ton doit les mélodies des cinquante psaumes de Marot et des quarante
premiers de Bèze, encore chantées aujourd'hui, après avoir fait le tour
du monde et excité tout à la fois la jalousie des catholiques et celle
des luthériens, qui n'avaient rien d'aussi beau à leur opposer. Quel-
ques-unes de ces mélodies sont des chefs-d'œuvre de musique reli-
gieuse. Pauvre et dévoué à l'art, au point de recommencer sans cesse
son œuvre, pour la porter à la perfection, Bourgeois rappelle son core-
ligionnaire et son contemporain, Bernard Palissy. Devenu chantre de
1 Eglise de Genève (1545), il fut mis en prison pour avoir modilié les
psaumes sans autorisation. Il publia en 1550 un ouvrage qui avait
pour but la simplification de l'étude de la musique, chose alors des
plus compliquées. 11 eût voulu introduire dans le culte les chants à
quatre parties en harmonie consommante; mais Calvin s'y opposait de
la manière la plus absolue. Jaloux de la liberté de l'art, Bourgeois re-
tourna a Paris en 1557. et ses psaumes à quatre voix, chantés l'année
suivante par ses ("lèves, provoquèrent la célèbre manifestation du
Pré-aux-Clercs, où tout Paris courut entendre la grande nouveauté,
l'incomparable merveille des chants huguenots.— Voir Fétis, Biographie
des musici ns; Haag, La France prot., art. Goudirnel; Félix Bovet, HisL
du Psauti /• des Egl. réf.,p. 60; Riggenbach, Der Kirchengesang m Basel,
p. 66, et surtout notre Clément Marot et le Psautier huguenot, sous
presse. o. Douen.
396 BOURGES — BOURGOGNE
BOURGES [cwùas Biturigum, Avaricum (Avara est le nom de l'Yèvre),
Biturigœ] , archevêché, autrefois métropole de la première Aquitaine
et capitale de toute l'Aquitaine. Les origines religieuses de Bourges
sont parfaitement connues. Sous le règne de Décius (vers 250), un dis-
ciple de saint Gatien et de ses compagnons, saint Ursin, vint prêcher
l'Evangile dans cette ville, et un sénateur, nommé Léocade, lui ouvrit
sa maison. Les corps de saint Léocade et de son iils saint Ludre
(Lwor) sont conservés au Bourg-Dieu. Léocade avait pour ancêtre
Vettius Epagathus, l'un des martyrs de Lyon, et nous connaissons son
histoire par Grégoire de Tours, qui descendait de lui par sa mère. La
tradition a tiré- parti de quelques mots assez vagues de l'évêque de
Tours pour faire de saint Ursin, comme en général de tous les apôtres
de la France, un disciple de Clément Komain ou même de Jésus-
Christ (voir ses Actes dans la FJibl. nova de Labbe, Iï, 455). On cite,
parmi les évêques de Bourges, saint Pallade (-î-384), saint Simplice
(vers 472), dont Sidoine a loué les vertus, saint Sulpice Ier (-j-591),
écrivain et poète, saint Outrille (Austreyesilus), saint Sulpice le Pieux,
dont une paroisse! de Paris porte le nom (624-644), Saint Aoust (Agiul-
fus), saint Raoul, Yulfade, Frotaire, Gauslin, lils naturel d'Hugues
Capet, et plus tard Gilles Colonna (1298-1316), le dodor fundatissimus,
Jean Cœur, qui releva en 1464 V université de Bourges, et le cardinal
de Tournon (1525-1538). La cathédrale de Saint-Etienne fut consacrée
en 1324 ; elle fut en 1562 dévastée par les protestants. Des nombreux
synodes de Bourges, ceux de 1031, 1276 et 1286 (Mansi, XIX et XX1Y;
Hefele, IV et VI), qui s'occupèrent de la réforme de l'Eglise, méritent
seuls d'être mentionnés à côté du synode de 1438 où [ut arrêtée la fa-
meuse Pragmatique Sanction. L'archevêque de Bordeaux était primat
des provinces de Bourges, Narbonne, Auch, Bordeaux, Toulouse et
Alby; il a aujourd'hui pour suti'ragauts, comme avant 1790, les évê-
ques de Clermont, de Limoges, du Puy, de Tulle et de Saint-Flour
(voy. Gallia, II). S. Berger.
BOURGOGNE (Eglises de). L'histoire ne dit point eu quelle année la
Réforme s'introduisit en Bourgogne, mais elle nous apprend que dès
l'année 1536 le laboureur Jean Cormon était brûlé vif à Màcon pour
ses opinions luthériennes. Trois ans après, les protestants de Beaune
étaient persécutés par le parlement de Dijon et plusieurs d'entre eux
obligés de fuir. A Autun, l'abbé de Saint-Martin, une façon de syba-
rite, devint entre les mains de Dieu le propagateur des idées nouvelles.
Amateur de nouveautés et fort instruit, il prenait « plaisir, dit Bèze, à
faire bonne chère à ceux qui venaient le visiter, auxquels il parlait
assez ouvertement de la vérité. » Il ne sut malheureusement pas en
profiter pour lui-même, et mourut catholique. Il n'en fut pas moins
le fondateur indirect de l'Eglise de Vézelay (1547). A Dijon le parle-
ment de Bourgogne condamna le Soissonnais Simon Laloë à être brûlé
vif. Sa mort eut ceci de remarquable que le bourreau, nommé Jacques
Silvestre, se convertit en entendant la prière du courageux confesseur
et se retira à Genève. Deux malheureux colporteurs, découverts clans
une maison d'Autun avec quelques balles de livres luthériens, périrent
BOURGOGNE 397
de même sur le bûcher. Leurs juges et un doeteur de Sorbonne,
Dommé Guillaud, attirés par la curiosité, se partagèrent secrètement
leurs ouvrages et quelques-uns d'eux y trouvèrent la vérité (1535).
Deux ans après, deux autres colporteurs, Robert Gotereau et Noël
Bardin, furent plus heureux. Leurs juges se contentèrent de les
condamner au fouet, et dès les premiers coups ils firent cesser leur
supplice. Une partie de leurs livres leur furent secrètement rendus et
les autres achetés et payés. Par contre le jeune Andoche Minard, qui
revenail de Genève, fut arrêté à M mtcenis pour avoir repris quelques
blasphémateurs et endura le suplice du feu devant le grand temple de
Saint-Ladre d'Autun (1557). La même année le parlement de Dijon
condamna également à être brûlés vifs quatre partisans des idées nou-
velles qui se rendaient à Genève, savoir Philippe Cène et Jacques sou
compagnon, de Normandie; le mercier Archambaut (Séraphin), natif
du Bazadois, et l'avocat du Rousseau, de Paris. Les trois premiers pé-
rirent sur le bûcher et le troisième en prison. Les luthériens de Beaune,
persécutés en 1539, essayèrent de s'assembler en 1559, mais ils furent
découverts et le notaire Jacques Renier mis en état d'arrestation. Ju-
geant qu'ils s'étaient trop hâtés, ils suspendirent leurs prêches. L'année
suivante les protestants de Màcon, vivement pressés par le gentil-
homme René Gaflin, du Languedoc, envoyé de Genève, se constituèrent
en Eglise sous la direction du ministre Bouvet qui, débordé de travail,
fut secondé par les pasteurs Pasquier et Jacques Solte. A AuLun ceux de
la religion, d'abord fort craintifs,. montrèrent plus de courage quand
ils virent deux curés instruits de la ville, les chanoines Jean Veriet et
Jean de La Coudrée, s'élever contre les abus de l'Eglise romaine et
prêcher ouvertement les doctrines évangéliques (15 novembre 1559).
LYvêque les toléra quelque temps, mais il finit par les mander dans
son palais en présence de son clergé et de deux notaires, ce qui leur
fournit l'occasion d'annoncer l'Evangile devant une société nombreuse
et choisie. Leurs déclarations, couchées par écrit, furent envoyées à la
Sorbonne qui les condamna. Les deux curés en ayant appelé au roi au
moment où se préparait l'heureux édit de janvier 1562, furent ren-
voyés absous et peu après ordonnés ministres par le synode provincial
de Chalon, et établis pasteurs à Autun. L'Eglise de la première de ces
deux villes avait été dressée par les soins du gentilhomme Antoine Po-
pillou, envoyé de Genève, et de deux autres, du Pré et Philibert Grené.
Les protestants de Dijon, qui se réunissaient secrètement de maison en
maison, n'avaient pas osé jusque là se constituer en Eglise. Ils crai-
gnaient le duc de Guise, gouverneur de la province, le maréchal de Ta-
\ a n nés. lieutenant général pour le roi, tous deux ennemis implacables
de la uouvelle religion, mais surtout le maire de la ville, Bénigne
Martin, qui faisait emprisonner tous les luthériens qu'il découvrait.
Après l'édit de janvier 1562, (pie le parlement ne voulut pas enregis-
trer, ces derniers n'en tirent pas moins venir deux ministres pour
constituer leur Eglise. A Auxerre qui, depuis plusieurs années, renfer-
mait des partisans des Idées nouvelles, notamment Jacques Chalmeaux,
prévôt d'Auxerre, Girardin, conseiller présidial, et plusieurs gentils-
398 BOURGOGNE
hommes de la campagne, les choses ne se passèrent pas si paisiblement.
Les protestants s'étant réunis pour célébrer leur culte le 9 octobre 1561,
des enfants et des gens mal lamés s'assemblèrent au nombre de deux
à trois mille, assaillirent à coups de pierres les maisons des luthériens
et en pillèrent vingt-sept. Le roi en fut informé et envoya à Auxerre
Tavannes, « lequel y étant arrivé, dit Bèze, trouva façon d'emplir sa
bourse aux dépens des uns et des autres à la manière accoutumée,
faisant toutefois pendre en personne trois pauvres bélitres de ces pil-
lards et cinq de ceux de la religion en figure, et bannir cinq autres
avec confiscation de leurs biens, de sorte que les battus furent con-
damnés aux dépens. » Les évangéliques ne se laissèrent pas décou-
rager pour cela et allèrent au prêche à Chevannes, distant d'Auxerre
de deux lieues. A Beaune, mêmes persécutions. Les protestants se réunis-
saient à la carrière de Rochestain. Leurs ennemis, furieux, émurent
une sédition, blessèrent plusieurs évangéliques à coups de pierres et
cherchèrent à tuer Jean Bouchain, maire de la ville et protestant (1561).
Quelques mois après, les assemblées eurent lieu aux halles de la ville,
en dépit des prêtres qui cherchaient à s'y opposer. Elles étaient prési-
dées de temps à autre par les pasteurs de Chalon. En décembre de la
même année l'Eglise eut un pasteur en propre, Sébastien Tiran, et se
réunit dans la maison de Sébastian de Marqueray, sieur du Champ, et
compta jusqu'à mille auditeurs. Après redit de janvier, les assemblées
se tinrent au faubourg de la Bretonnière, dans la grange de Groseli,
puis, sur l'opposition du clergé, dans celle des Brevots, au même fau-
bourg. Le ministre Yignol vint se joindre à Tiran et la cène fut célé-
brée le jour de Pâques, avec le concours du ministre d'Auxonne, qui
avait été obligé de fuir cette ville quelques jours auparavant. Les évan-
géliques tinrent encore des assemblées publiques à Arnay-le-Duc, Is-
sur-Tille, Châtillon-sur-Loire, Noyers, Buxy, etc. Pendant la première
guerre de religion, les huguenots s'emparèrent de Mâcon et de Chalon
^mai 1562), mais Tavannes les leur reprit bientôt. Pendant la deuxième,
Mâcon tomba une seconde fois au pouvoir des protestants (1567), et le
duc de Nevers le leur enleva peu après de vive force. Les luttes de la
Ligue couvrirent de sang et de ruines une partie de la Bourgogne.
Mâcon s'était déclaré pour elle, mais fut repris presque sans combat
par les partisans d'Henri IV. Sous le régime de l'édit de Nantes, celles
des Eglises de Bourgogne qui avaient survécu aux guerres de religion
s'affermirent. Elles furent groupées en deux colloques importants qui,
réunis à ceux de Lyon et de Gex, formèrent la province synodale de
Bourgogne. Les Eglises de Dijon, Auxerre, Autun, Yézelay, etc., avaient
disparu. Un collège protestant fut fondé à Paray-le-Monial, et des théo-
logiens des deux communions se mesurèrent dans des disputes publi-
ques. La plus célèbre donna naissance aux deux opuscules suivants,
qui sont fort rares : La dispute solennelle agitée en la maison de 'cille de
Mascon entre FF. Humblot, minime, et Th. Cassegrain, ministre, Lyon,
1598, in-12; Avertissement sur le libelle fameux publié par le F. Hum-
blot sur la dispute avec Cassegrain, Genève, 1600, in-12. La révocation
de Féclit de Nantes anéantit presque totalement le protestantisme en
BOURGOGNE — BOURIGNON 399
Bourgogne, qui ne compte plus à cette heure qu'une seule Eglise con-
cordataire, celle de Dijon, qui tonne à elle seule un consistoire, encore
celui-ci est-il de création récente; mais il y a des protestants dissé-
minés à Màcon, Chalon-sur-Saône et Le Creuzot, desservis par des pas-
teurs non salariés par l'Etat. — Voyez : Bèze, Hist. éccl.; Edm. Che-
vrier, Le Protestantisme dans l<- Maçonnais et la /Jrets<>; Bullet.de la
Sur. de VHht du Prot. franc, 1800, p. 100. E. Akxaud.
BOURGOING (François) [1585-1662]. Nommé à la petite cure de
Clichy, qui répondait mieux à sa vocation pastorale qu'à ses études
distinguées, Bourgoing fut un des six prêtres qui s'associèrent au
cardinal de Bérulle pour fonder l'Oratoire, et il en devint le troisième
général. Soussa Longue administration, la nouvelle congrégation lit dans
toute la France et en Flandre surtout des progrès dignes du zèle de son
chef: mais il fallut toute la sagesse de son fondateur pour empêcher cette
activité quelque peu despotique d'en altérer l'esprit libéral. Pour ré-
sister à ses empiétements, les assemblées générales durent restreindre
ses pouvoirs et lui rappeler à diverses reprises que Tordre était une
sorte de république où, suivant Bossuet, « on obéit sans dépendre et
Ton gouverne sans commander. » Fort du crédit que lui donnait sa
qualité de confesseur du prince d'Orléans, Bourgoing essaya plusieurs
fois de faire prévaloir son esprit inquisitorial et ses règlements
minutieux. L'assemblée de 1661 lui répondit en interdisant désormais
au général toute fonction à la cour et celle même de confesseur des
princes. L'assemblée de 1644 l'avait déjà forcé à s'excuser d'avoir
écrit une « Déclaration présentée à la Reine, par le R. P. général de
l'Oratoire, au nom de la congrégation, sur quelques points touchant
le sacrement de pénitence. » Pour disculper l'Oratoire de toute ten-
dance janséniste, il y tombait dans l'excès contraire d'une morale
relâchée que ses confrères désavouèrent vivement. Bourgoing a écrit
une foule d'Homélies et de traités à l'usage du clergé. Il publia avec
ie P. Gibieuf les Œuvres du cardinal de Bérulle (Paris, 1644, in-fol.).
Son ouvrage le plus remarquable est un recueil de méditations pour
tous les jours de Tannée. Publié d'abord en latin, il fut augmenté et
traduit en français par l'auteur sous le titre de Vérités et excellences de
Jésus-Christ, etc. (Paris, 1636, 6 vol. in-12) et eut de son vivant plus
de trente éditions. Bossuet prononça l'oraison funèbre du P. Bourgoing.
C'était son premier essai dans ce genre qu'il devait porter bientôt à la
perfection. r. Rouffet.
BOURIGNON (Antoinette), célèbre visionnaire, naquit à Lille, en 1616,
si laide, dit Bayle, « que Ton délibéra quelques jours dans la famille s'il
ne serait pas à propos de l'étouffer comme un monstre. » A quatre
ans, dit-on, étonnée de la vie que Ton menait à l'entour d'elle, elle de-
manda « qu'on la menât dans le pays des chrétiens ». Elle s'opposa
absolument à ce qu'on la mariât, en partie parce qu'elle voyait sa
mère très-malheureuse en mariage, en partie parce qu'elle voulait
« s'unir intimement à son Créateur ». Aussi, en 1636, s'enfuit-elle en
toute hâte pour échapper à son père qui voulait lui faire épouser un
jeune Français. Elle s'habilla en ermite pour aller s'enterrer dans
400 BOTJRIGNON
quelque désert, arriva à Tournay, fut arrêtée dans un village du Hai-
naut et conduite auprès de l'archevêque de Cambrai qui l'obligea de
retourner auprès de son père. Elle s'y construisit une espèce d'ermi-
tage; entourée des images en cire de saint Antoine et de Marie-Made-
leine, elle n'en eut pas moins des visions diaboliques. Elle quitta une
seconde fois le domicile paternel, lasse qu'elle était des moqueries de
ses sœurs et pour échapper une seconde l'ois au mariage, et passa plu-
sieurs années dans la retraite, mais non sans inspirer de vives pas-
sions. Son biographe Poiret raconte qu'elle passait des journées
entières, sans manger ni boire, ne demandant que les caresses divines,
soumise aux plus rudes pratiques de l'ascétisme. Après avoir pris pos-
session de son patrimoine auquel elle avait d'abord renoncé, elle de-
vint, en 1653, directrice d'un hôpital et prit en 1658 l'habit de Saint-
Augustin. Toutes les petites tilles placées sous sa direction se disant
possédées du diable, elle fut elle-même, grâce à l'influence des jé-
suites, soupçonnée de sorcellerie. Elle put se sauver à Gand, où « Dieu
lui découvrit de grands secrets ». A Malines, elle fit un prosélyte en la
personne de M. de Cort, avec lequel elle séjourna longtemps à Amster-
dam. Elle y fut visitée par bon nombre de prophètes et de propkétesses,
dont un petit nombre seulement se conformèrent à ses instructions.
Elle ne se lassa pas, pour cela, de composer toutes sortes de livres,
d'avoir des visions, de s'entretenir fréquemment avec Dieu, quand
M. de Cort vint à mourir (1669) après l'avoir instituée son héritière.
Dans le Holstein, elle se pourvut d'une imprimerie, car « sa plume
allait comme la langue des autres, c'est-à-dire comme un torrent. »
Attaquée vivement sur ses dogmes et sur ses mœurs par des gens qui
voulaient qu'on la décapitât ou qu'on la brûlât, elle se retira à Flens-
bonrg (1673), après avoir publié son Témoignage de la vérité. Là
encore elle eut peine à échapper aux fureurs du peuple qui la tenait pour
une sorcière et arriva en 1676 à Hambourg. Toujours persécutée, elle
s'éteignit eniin à Franecker, dans la province de Frise, en 1680. D'après
ses admirateurs, sa naissance et son avènement à la qualité d'auteur
auraient été signalés par l'apparition de comètes. Elle écrivait ses ins-
pirations au fur et à mesure. Elle soutenait que la véritable Eglise
était éteinte et que les exercices liturgiques ne la ranimeraient pas : il
faut au chrétien la lumière intérieure. Ame aimante, elle ne dédaignait
point la charité active ; mais elle manquait de persévérance et préfé-
rait s'égarer dans les régions nuageuses du mysticisme. Le diable lui
apparut, dit-elle, sous les formes les plus diverses. Elle vit l'Antéchrist,
au point de pouvoir en donner une description. Elle tenait pour
suspectes les visions qui se font par l'entremise de l'imagination « jus-
qu'à ce que, les ayant recommandéesà Dieu dans un recueillement pro-
fond et dégagé de toutes images, elle apprit de Dieu ce qu'elle en
devait penser, et que Dieu lui en ratifiât la vérité d'une manière si
pure, si intime et si secrète, dans un fond d'àme si dégagé et si aban-
donné à Dieu, qu'il ne pût point y avoir de mélange soit de la pensée
humaine, soit de l'illusion diabolique. » C'est ainsi, dit-elle, que Dieu
lui ratifia la vérité de la vision de l'Antéchrist. Elle fut également
BOURIGNON — BOUTERWECK 401
détestée des catholiques et des protestants et laissa peu d'adhérents.
Ses rêveries mystiques trouvèrenl surtout de l'écho en Ecosse, vers la
lin du dix-septième siècle. Parmi ses nombreux écrits, on distingue le
Traité du nouveau ciel et du règne de l'Antéchrist, /.'innocence reconnueet
In vertu découverte, Le renouvellement de V Esprit évangèlique. — Ses œu-
vres turent publiées, accompagnées d'une notice biographique, par un
mystique de l'Eglise réformée du nom de Poiret (Amsterdam, 1(')7(.)
et suiv., -1 v. in-8°). Voyez aussi, dans le Dict. de Bayle, Fart. Bouri-
gnon, et Hagenbach, Der ev. Protestantismus, II, p. 301 à 31o (Leipzig,
1854 . Selon M. E. S., auteur d'une Etude sur Ant. Bourignon (Paris,
Sandoz, 1876), A. Bourignon fut « une spirituelle de la plus saine spi-
ritualité », qui « semble parfois un peu naïvement crédule ».
Ad. Schiffer.
BOURSIER (Laurent-François), né à Ecouen en 1679. Ce docteur de
Sorbonne fonda sa réputation' par l'Action de Dieu sur les créatures
(1713, 2 vol. in-4° et (> vol. in-12), livre de philosophie sur la prémo-
tion physique, la grâce et la prédestination, qui parut à Malebranche
digne d'une réponse. Quand Pierre le Grand visita la Sorbonne en
1717. il lui lit accepter un Mémoire sur la réunion des Eglises grecque
et latine, écrit qu'il jugeait fort conciliant, tout en posant pour base
de Taccord la primauté du pape. Le synode russe y répondit par des
observations qui restèrent sans réplique, l'abbé Dubois ayant envoyé
les pièces à Rome pour se faire valoir. Boursier montra une candeur
plus dangereuse dans la querelle des jansénistes dont il épousa la
c mse avec tout le zèle de sa bonne foi. Au refus de souscrire au for-
mulaire de 1665, contre les cinq propositions de Jansénius, il ajouta
celui de souscrire à la constitution Unigenitus contre les 101 proposi-
tions de Quesnel, excita la Sorbonne contre la bulle et fut le plus
chaud partisan de Yappel. Dubois, alors candidat au chapeau rouge,
punit chacune de ses démarches de lettres de cachet qui l'exclurent de
la faculté, puis de la Sorbonne elle-même. Il publia en 1725 une Expo-
sition de Doctrine sur les questions de la grâce, tirée textuellement de
l'Ecriture et des Pères, et il en attendait pour l'union intérieure de
l'Eglise romaine l'effet qu'il avait espéré de son Mémoire au czar pour'
la suppression du schisme oriental. Le résultat fut un ordre d'exil à
Givet. Boursier ne put se résoudre à s'éloigner de Paris. 11 s'y cacha près
de quinze ans de retraite en retraite, et finit par mourir en 1749 avec les
sentiments de piété et de renoncement qui ne l'avaient jamais quitté.
Un exila, quoiqu'il ne lût pas lui-même appelant, le curé qui lui avait
donné les derniers sacrements et la sépulture ecclésiastique : hommage
bien mérité par les embarras qu'avaient causés à ses persécuteurs sa
science e( ses vertus.
BOUTERWECK (Frédéric), né près de Goslar en 1766, succéda
en 17(.)7 a Feder dans la chaire de philosophie à Gœttingue. Fort es-
timé pour ses travaux d'histoire Littéraire et d'esthétique (Histoire de
la poésie et de Véloquence modernes, 12 vol., 1801 à 1819; Esthétique,
1806 ; 2 éd., 1815), il tut. en philosophie, disciple d'abord de Kanl
(Aphorismes d'après la doctrine de Kaut, 1793). Puis, convaincu que le
ji 20
402 BOUTERWECK — BOYER
lîriticisme aboutissait au scepticisme et cédant à l'influence de Spinoza,
il chercha, dans un traité sur la certitude démonstrative (Apodictique*
2 vol., 1799) à montrer que nous avons une notion immédiate de l'être
réel, de l'absolu ; mais, en tant que volonté, nous sommes une réalité
individuelle, comprise dans la réalité universelle ; car l'absolu est vir-
tualité, c'est-à-dire qu'il se révèle dans son activité infinie comme un
ensemble de forces relatives et l'homme en est un élément essentiel.
Toutefois il reconnut avec beaucoup de modestie ce que cet éclectisme
avait de précaire, et il adopta complètement la doctrine de Jacobi, pour
laquelle il éprouvait depuis longtemps une grande sympathie. Ce fut
dans cet esprit qu'il écrivit l'ouvrage intitulé Religion delà raison, 1824.
Bouterweck mourut en 1828.
BOWER (Archibald) [1686-1766]. Né à Dundee et élevé au collège des
Ecossais de Douai , il se fit jésuite à vingt ans et fut successivement
professeur d'humanités, de théologie, et conseiller d'inquisition en
Italie. En 1726, quatre ans après ses derniers vœux, il s'enfuit, on ne
sait trop pourquoi, en Angleterre où il entra dans l'Eglise établie. Il
subsista assez longtemps du produit de sa plume, rédigea, de 1730
à 1734, une sorte de revue mensuelle intitulée Historia litteraria, puis
se livra à divers travaux historiques. En 1748, bibliothécaire de la
reine Caroline, il présenta au roi le premier volume de son Histoire
des papes, œuvre de polémique violente à laquelle ses anciens confrè-
res répondirent en publiant la correspondance qu'il avait entretenue
avec eux dans le temps même où il se disait protestant. On prétendit
même qu'il était revenu aux jésuites vers 1744 et qu'il avait rompu
encore une fois avec eux. La réprobation générale que souleva sa ver-
satilité au moins inconséquente ne pouvait lui faire perdre la fortune
qu'un riche mariage lui avait donnée, mais son crédit d'écrivain était
ruiné, et le peu de soin avec lequel il traita les deux derniers siècles
de son histoire montre qu'il en avait conscience. L'Histoire des papes»
forme sept volumes : les deux derniers parurent après la mort de l'au-
teur. On a publié en 1757, à Amsterdam, un abrégé en français des
quatre premiers volumes.
BOYER (Jacques), pasteur du Désert, qui déploya un grand zèle et fut,
pour « crime d'assemblée », condamné à mort et exécuté en effigie, en
août 1736. Il n'en fut pas moins accusé d'avoir séduit une jeune ca-
téchumène, et une grande division éclata, à ce sujet, parmi les Eglises,
et dura très-longtemps. On invoqua l'intervention de la vénérable
classe de Zurich; mais celle d'Antoine Court fut enfin efficace. Use ren-
dit inopinément au sein des Eglises divisées du Languedoc, s'assura par
une enquête personnelle que Boyer n'était point coupable et parvint à
obtenir uu compromis qui mit fin à ces fâcheux débats. Sa destitution
prononcée par le consistoire fut annulée, et le synode national de 1741
sanctionna cette annulation. Réintégré dans ses fonctions, Boyer fut
élu, l'année suivante, modérateur du synode provincial des Basses-Cé-
vennes. Certains pasteurs lui restèrent cependant hostiles, et il fallut que
le synode de 1745 les forçât à lui faire réparation de nouvelles atta-
ques qu'ils s'étaientpermises contre lui.
BOYLE — BRAHMANISME 403
BOYLE (Robert), célèbre philosophe anglais, connu surtout comme
physicien et chimiste, mais dont les études théologiques et Us recher-
ches philosophiques méritent aussi d'être prises en considération. Né
à Lismore, en Irlande, le £> janvier 1()2(), il était le septième tils de
Richard, comte de Cork et d'Orrerv. Ses parents, qui étaient de chauds
partisans des Stuarts, le destinèrent d'abord à l'état ecclésiastique, mais
la faiblesse de sa constitution ne lui permit pas de continuer ses études.
D'ailleurs ses goûts le portaient plus spécialement vers les sciences.
Après un voyage dans le Midi, dans l'intervalle duquel son père mourut,
Robert, à la tête d'une fortune assez considérable, se retira dans sa
terre deSlalbridge et s'y livra avec ardeur à l'étude de la physique et
de la chimie. Il fut un des premiers membres d'une association de
savants qui se forma à Londres en 1645 et qui, connue d'abord sous le
nom de Colléçje philosophique, fut érigée en corporation par la protec-
tion du roi Charles II et prit le titre de Société royale. Boyle perfec-
tionna la machine pneumatique d'Otto de Guéricke et fit sur l'air des
expériences intéressantes. A la suite d'un accident fort grave qui lui
était arrivé au collège d'Eton et où il avait failli périr, il tourna son
attention du côté des questions religieuses et se mit à rechercher les
principes et les preuves du christianisme et fit imprimer successive-
ment un Essai sur l'Ecriture sainte, Le Chrétien naturaliste, des Consi-
dérations pour concilier la raison et la religion, etc. Ses principes reli-
gieux devinrent très-fermes et lui inspirèrent des actes de bienfaisance
chrétienne qui lui font honneur. Il mourut à Londres en 1091 et fut
enterré dans l'église de l'abbaye de Westminster.
BRADWARDINA (Thomas de), né vers 1290 àHartfield, dans le comté
de Suflolk, professeur de théologie à Oxford, puis confesseur
d'Edouard III qu'il accompagna pendant ses campagnes en France,
élu archevêque de Canterbury, mort en 1349, avant d'être entré en
fonctions. On a de lui quelques traités sur les mathématiques. Son ou-
vrage principal, le seul pour lequel il doive être mentionné ici, est in-
titulé De causa Dei ' adversus Pelagium libritres (éd. Savile, Londres, 1(518,
in-f°). Ce travail, écrit en 1344, est d'autant plus remarquable qu'au
moyen âge il passa inaperçu. Bradwardina ne polémise pas contre Pe-
lage, le contemporain de saint Augustin, il combat le pélagianisme des
théologiens et de l'Eglise de son propre temps. La cause de Dieu qu'il
détend est celle de la grâce gratuite contre ceux qui exaltent le libre
arbitre; « totus pêne mundus post Pelagium abiitinrrrorem^. Exagérant
encore le déterminisme de Thomas d'Aquin, auquel il se rattache, il
soutient que tout ce qui arrive, quoi que ce soit, est voulu de Dieu et
par conséquent nécessaire; le péché lui-mêmeest dans un certain sens
un effet de la volonté divine. L'Eglise, qui au neuvième siècle avait
condamné Gottschalk, ne lit pas attention à ce retour de la doctrine de
la prédestination absolue; les théologiens étaient trop occupés de dis-
puter sur des questions moins importantes. Le rigide, augustinianisme
de Bradwardina se retrouve chez Wiclefi, duquel il passa à Jean lluss.
— Voyez Lechler, Dt Thoma Bradwardina, Leipzig, 1862.
BRAHMANISME. Vovez Inde.
404 BRAMANTE
BRAMANTE (Donato, (TUrbin), architecte célèbre [1444-1514], appelé
à tort B. Lazzari, naquit probablement à la villa di Monte Asdrualdo,
appartenant à Fermignano, situé à trois milles (TUrbin, et non à Gastel
Durante (Urbania). De là le nom de Bramantes Asdryvaldinus sur la mé-
daille frappée en son honneur par un de ses collaborateurs, le célèbre
Caradosso. Sa biographie est une des plus incomplètes; il s'occupa
d'abord de peinture, sinon exclusivement, du moins d'une manière,
parait- il, dominante; la seule fresque qui nous reste à Milan montre
l'influence de Mantègne et de Melozzo da Forli, et, malgré quelque rai-
deur, de la grandeur de style. Bramante fut aussi un des premiers à
s'occuper de gravure; la grande et unique estampe authentique porte
l'inscription : Bramantus fecit in Mlo. Gomme architecte, il est sans
rival; il dut étudier Mantègne, Alberti, surtout L. de Laurana, qui
construisit le palais ducal d'Urbin. Il arriva à Milan yers!475, comme
le prouvent l'église même de S. M. presso S. Satiro, avec la belle
sacristie, et la façade de l'église d'Abbiate Grasso (1477 et non 1497).
Son influence fut si grande dans le nord de l'Italie, que le style de
cette époque s'appelle encore bramantesque. A la cour de Milan il était
pour l'architecture ce que fut Léonard de Vinci pour les autres arts,
et après, à celles de Jules II et de Léon X, il occupa non-seulement le
premier rang entre Michel-Ange et Raphaël, ïr>ais fut encore surinten-
dant des beaux-arts; comme tel, dans l'intérêt des travaux de la cour,
il appelait et stimulait par l'émulation les plus grands artistes ; il fit
peindre la voûte de la chapelle Sixtine par Michel-Ange qui l'y re-
présenta probablement sous les traits du prophète Joël, lit venir Ra-
phaël qui en fit autant sous les traits d'Archimède et d'Origène. A
Borne on lui doit, entre autres, le palais Giraud, la cour merveilleuse de
celui de la Chancellerie, le percement de la Via Giulia avec un palais
pour les tribunaux dont on ne voit que les fragments gigantesques du
soubassement, ensuite les travaux immenses du palais du Vatican,
rendus méconnaissables depuis. Sur l'emplacement où saint Pierre
aurait été crucifié, il éleva le fameux petit temple circulaire qui passa
pour le premier édifice moderne digne de ceux de l'antiquité ; enfin,
là où serait la tombe du même apôtre, il commença le temple le plus
gigantesque de la chrétienté, qui d'après ses projets en serait devenu
aussi le plus beau, Saint-Pierre de Borne. Dans plusieurs de ses projets
pour ce monument, dont nous avons retrouvé des fragments, il alliait
la grandeur du style antique avec une partie du mystérieux des cathé-
drales du moyen âge ; il le supposait décoré par les œuvres de sculp-
ture et de peinture de Michel-Ange, de Raphaël à l'apogée de leur
gloire, avec des vitraux de Guillaume de Marcillat, et les œuvres des
meilleurs artistes de la Renaissance. Si les cathédrales du moyen âge
expriment mieux le sentiment plus humain de l'aspiration vers le
dél, le Saint-Pierre de Bramante, comme pour y répondre, aurait
élevé les âmes en quelque sorte par le reflet de cette beauté d'en haut.
Le monument actuel, avec sa décoration profane, n'en est qu'un loin-
tain écho, L'indomptable impatience de Jules II compromit d'abord
la solidité des constructions de Saint-Pienv et d'une partie de. celles
BRAMANTE — BRANDEHOURCi 405
du Vatican. On a prétendu que, comme protecteur de Raphaël, il cher-
chait à nuire à Michel-Ange; cela a été grandement exagéré, sinon in-
venté. Bramante fui aussi ingénieur militaire et paraît avoir dirigé les
travaux de siège de Jules 11 contre Bologne et La Mirandole. La biogra-
phie si incomplète qu'en donne Vasari, et les nombreuses confusions
qu'il lit entre Bramante dTrbin et son élève milanais Bart. Suardi, dit
Bramantino, ont induit beaucoup d'auteurs à croire à un Bramante de
Milan ou l'ancien, personnage absolument imaginaire. — Voyez : Va-
sari, Vies; Pungileoni, Donato Bramante; sa notice biographique dans
notre ouvrage sur les projets primitifs pour Saint-Pierre de Rome, etc. ;
C. Cesariano, Corn, de Vitruve, p. 70. H. de Geymuller.
BRAMHALL (Jean), théologien anglais, né à Pontefract, dans le
Yorkshire , vers 1593, mort en 1677. Après avoir fait ses études à
l'université de Cambridge, il entra dans les ordres, et soutint publi-
quement en 1023, avec succès, à North-Allerthon, deux disputes contre
un prêtre catholique et un jésuite. Son talent de prédicateur, sa
grande connaissance des lois et par-dessus tout l'intégrité de son
caractère lui firent acquérir une grande influence. Appelé en Irlande
en 1633, il rétablit Tordre dans la discipline et dans les revenus de
L'Eglise, et quand il fut nommé évoque de Londonderry en 1634, il
profita de sa haute situation pour activer les réformes, au risque de
soulever contre lui la haine des intéressés. Impliqué le 16 mars 1641
dans les troubles d'Irlande, ilfutaccuséde haute trahison et incarcéré;
mais l'archevêque anglais Usher put faire arrêter la procédure et
Bramhall se réfugia successivement en Angleterre et sur le continent,
à Hambourg, Bruxelles et Anvers. En 1648 il revint en Irlande, d'où
il fut obligé de nouveau de s'enfuir. Enfin, après la Restauration, il
fut nomme, le 18 janvier 1661, archevêque d'Armagh, primat et métro-
politain de toute l'Irlande. Les ouvrages qu'il a laissés sont presque
tous consacrés à la défense de la réformation d'Angleterre contre les
attaques des catholiques.
BRANDEBOURG (Réformation de la Marche de). Au temps de la
Réforme , la Marche de Brandebourg était divisée en deux parties :
1° la Marche électorale de Brandebourg , comprenant la Vieille Marche
(Stendal ), la Marche .de Priegnitz (Perlebourg, Pritzwald) , la Moyenne
Marche (Brandebourg, Ruppin, Berlin, Francfort-sur-1'Oder), la Marche
de l'Ucker (Prenzlovv, Templin); 2° la Nouvelle Marche, comprenant
Custrin, les cercles de Soldin, Kœnigsberg, etc., les cercles incorporés
de Stensberg, Zullichau, Cottbus. La Réforme trouva dans le Brande-
bourg des esprits bien préparés à secouer le joug de Rome, car ces
populations du Nord avaient favorablement accueilli d'abord l'hérésie
des vain lois, puis celle des hussites, laquelle, malgré tous les efforts
de Rome, n'avait jamais pu être entièrement extirpée ; elle persistait
encore en bien des endroits, lorsqu'on 1517 ïetzel vint y vendre ses
indulgences. Le dominicain fut protégé et patronné par l'électeur
Joachim I " . qui «'-tait tout dévoué à l'Eglise romaine, et qui était, de
plus, frère du cardinal Albert de Mayence, le grand entrepreneur des
indulgences et le métropolitain de l'évéque de Brandebourg. L'élec-
406 BRANDEBOURG
teur rendit unéditpour recommander le pieux trafic. L'université d<
Francfort-sur-1'Oder ne se montra pas moins favorable à Tetzel, car
elle jalousait la prospérité croissante de sa jeune rivale de Wittemberg.
Soutenu enfin par le clergé, il récolta en une seule année plus de
100,000 florins. Cependant il eut plus d'une fois à souffrir de l'esprit
frondeur de la population de la Marche. A Belitz, par exemple, il reçut
un fort mauvais accueil : «Les Belitziens, dit-il, sont, ou bien tous des
anges, ou tous des pécheurs endurcis. » Ce fut aussi un gentilhomme
de la Marche, le sire de Hake, qui, après avoir acheté fort cher une
indulgence pour un crime non encore consommé, attendit Tetzel au
coin d'un bois et le dévalisa. Les 95 propositions de Luther se répan-
dirent rapidement dans la Marche; Luther les adressa, non-seulement
au cardinal Albert de Mayence, mais encore à Jean Scultetus, évêque
de Brandebourg, son ordinaire. Scultetus était un courtisan habile et
roué, n'aimant nullement les indulgences et les abus de Rome; il
témoigna la plus grande bienveillance au réformateur, et celui-ci lui
adressa aussi ses Resolutiones (1518), lui déclarant qu'il n'avait d'autre
but que de servir la vérité (de Wette, Luthers Briefe, I, p. 112). Mais
l'électeur, irrité surtout de l'agitation causée dans le peuple par les
écrits de Luther, et stimulé d'un autre côté par le cardinal, son frère,
se montra l'ennemi déclaré du mouvement réformateur. L'université
de Francfort entra aussi en lice contre Luther; c'est le plus savant
théologien de Francfort, Conrad Wimpina, qui rédigea les deux Dispu-
tationes opposées aux 95 thèses, et publiées sous le nom de Tetzel ; la
première traitait des indulgences; la seconde, du pouvoir du pape;
quoique Luther n'y fût pas nommé, il y était clairement désigné et
condamné comme hérétique (D. M. Lutheriopem lafina, éd.Erlangen.
I, p. 294). Tetzel acquit ainsi successivement les grades de licencié et
de docteur en théologie. Mais bientôt après Scultetus se brouilla avec
Luther; il l'avait vu à Wittemberg, et l'avait trouvé indocile à ses con-
seils (de Wette, Luth. Br.,1, p. 224,323); il devint son ennemi, s'allia
avec le docteur Eck, et condamna le réformateur au bûcher. A Worms
(1521), Joachim 1er se montra l'adversaire le plus acharné de Luther;
il fut de ceux qui proposèrent à l'empereur Charles-Quint de violer
son sauf-conduit et de traiter le moine de Wittemberg comme Sigis-
mond avait traité Jean Huss. En 1524, il interdit dans ses Etats la
vente du Nouveau Testament de Luther, censuré par les théologiens
de Francfort, et rendit celui-ci responsable du soulèvement des.
paysans (1525). Le réformateur l'avait du reste personnellement froissé
dans son écrit Von iveltlicher Obriglceit (1523). En 1527, Joachim s'en-
tendit avec ses Etats pour maintenir les anciennes cérémonies, ne
jamais accepter aucun prêtre sans le consentement de l'évêque et
procéder contre les récalcitrants conformément aux décrets de Sa Sain-
teté le pape et de Sa Majesté impériale (mandat du jeudi après la Visi-
tation de Marie, 4 juillet). Malgré ces mesures coercitives, la Réforme
gagnait du terrain, car le peuple était bien loin de partager les ressen-
timents de son prince ; elle se répandit dans la bourgeoisie et dans la
noblesse, et pénétra jusqu'à la cour et dans la famille même de Joa-
BRANDEBOURG 407
ehiiu. Celui-ci avait épousé Elisabeth, fiHe du roi de Danemark, qui
a\ait contre lui bien des sujets de plainte. Son médecin, Ratzebei \
la mit en rapport avec Luther dont efle lisait et aimait les écrits; elle
9e rallia résolument à la doctrine évangélique, qu'elle inculqua à ses
enfants: enfin en 11(28, en l'absence de l'électeur, elle lit venir de
Whtemberg un pasteur évangéfique et reçut en secret, dans son châ-
teau de Berlin, la communion sous les deux espèces. Mais elle fut
trahie, et l'électeur se mit dans une violente colère. On admet géné-
ralement que l'électrice fut dénoncée par sa tille Elisabeth, alors âgée,
dit-on. de quatorze ans. Or cette tille, elle en avait maintenant dix-huit:
née en lolO, elle avait été mariée le 7 juillet 13:27 au duc Eric de
Brunswick-Calenberg; en août 1528 elle accoucha à Miinden de son fils
premier-né, et profita de la joie de son mari (plus âgé qu'elle de qua-
rante ans» pour lui demander la grâce d'un pasteur condamné pour
avoir distribué la communion sous les deux espèces. Peut-on admettre
que dans le mois de mars de la même année, c'est-à-dire cinq mois
auparavant, en supposant même qu'elle ait été à Berlin, elle ait trahi
sa mère? Quoi qu'il en soit, Joachim fît enfermer cette dernière
dans ses appartements, et s'apprêta à lui faire subir les traitements
les plus cruels : Marchw slatiierat eam immware, ut Olcitur ide
Wette. Luth. Bf., III, p. 296): mais elle réussit à s'enfuir, et trouva
un asile chez son oncle, 1 électeur de Saxe. Elle habita plus tard
du château près de Wittemberg, où elle vit souvent Luther, qui l'ap-
pelait quelquefois sa « chère commère ». L'irritation de l'électeur fut
encore augmentée par les troubles qui éclatèrent dans ses Etats; c'était
d'abord une guerre entre Nicolas de Minkwitz et quelques gentds-
hommes de la Marche d'une part et de l'autre l'évêque de Lebus.
George de Blumenthal: Luther assure que cette affaire fit plus de mal
que de bien à la bonne cause (lettre à Amsdorf ; de Wette, III. p. 361).
(l'était ensuite le soulèvement des bourgeois de plusieurs \illes, entre
autres de Stendal, contre leur clergé et leurs conseils; ces soulèvements
éclatèrent à la suite du chant de cantiques luthériens, moyen employé
souvent par le peuple pour imposer la Réforme au clergé et aux auto-
rités. Pendant que ces troubles agitaient ses États, Joachim était à la
diète d'Àugsbourg (1530), où il fit échouer par sa violence les tenta-
tives de conciliation et mécontenta même les princes catholiques. A son
retour dans ses Etats, il sévit contre les fauteurs des désordres avec la plus
grand.- sévérité, sans cependant recourir contre les luthériens à des
cotions sanglantes. Il avait reconnu qu'il ne pourrait plus répri-
mer le luthéranisme, et tâchait seulement de le circonscrire pour l'em-
pêcher de tout envahir; ce fut là le but de ses efforts pendant les der-
nières années de >on règne. A la fin de sa vie cependant, invité par le
pape au concile de Mantoae, il eut un moment l'espoir de voir la paix
se rétablir; mais il fut vite détrompé. Avant de mourir il demanda
encore à ses fils la promesse écrite de rester fidèles à la foi de leurs
ancêtres; mais <<-ii\ ci étaient déjà gagnés à l'Evangile; maintes fois 3s
avaient visité leur mère en Saxe, et le prince électoral avait une cor-
respondance suivie avec Luther, Albert de Prusse, le margrave George
408 BRANDEBOURG
d'Ansbach et d'autres personnages marquants, qui raffermirent dans
ses nouvelles convictions. — Lorsque Joachim II succéda à son père
(1535), il fut vivement sollicité à rester iidèle à Rome, par son oncle
Albert de Mayence, par le duc George de Saxe et le roi Sigismond de
Pologne. D'un autre côté les princes protestants ne négligèrent rien
pour l'attirer à eux. Philippe de Hesse lui écrivit avec beaucoup de
piété et de fermeté (voir Seckendorf, Comment. Luth., 1. III). Joachim
adressa alors à Sigismond une lettre que rédigea Mélanchthon (Secken-
dorf, ibid.), où il lui déclare qu'il ne consentirait jamais à défendre les
erreurs de l'Eglise par le fer et le feu, qu'il ne voulait nullement se
séparer de l'Eglise universelle, dont il professait au contraire les vé-
ritables doctrines ; qu'il ne se refuserait jamais à un concile universel,
et qu'il était prêt à donner ses biens et son sang pour la défense du
christianisme; qu'enfin il désirait la concorde. Joachim II et son frère
Jean suivirent chacun sa propre voie pour réformer l'Eglise. Jean, le
plus jeune, avait hérité de la Nouvelle Marche, Stemberg, Crossen,
Cottbus et Pritz; Joachim, du reste de l'électorat. Jean, appelé d'ordi-
naire le margrave de Gustrin, était un esprit vif et clair; il était ardent
et impétueux quand il s'agissait de la foi, et poussait la fermeté jusqu'à
l'obstination. 11 attaqua l'Eglise romaine sans ménagements, sans ce-
pendant jamais la persécuter violemment. Ayant adhéré à la confession
d'Augsbourg, il entra dans la ligue de Smalkalde. Le document de son
adhésion à cette ligue porte l'exposé des motifs suivant : « Parce que
par la Providence de Dieu nous sommes arrivé à la connaissance
claire de la Parole de Dieu et de la pure doctrine, et que nous n'avons
trouvé aucun autre moyen qui nous permit, à nous et à nos sujets,
de rester fidèles à la Parole de Dieu et à la vérité... » Grâce à son in-
fluence, l'Evangile se répandit rapidement dans la Nouvelle Marche.
On y manquait d'abord de pasteurs capables et instruits; l'électeur de
Saxe et le margrave d'Ansbach, Luther et Mélanchthon lui en procurè-
rent; c'est à eux et à Albert de Prusse qu'il demandait conseil pour
toutes choses. En 1538 on donna la communion sous les deux es-
pèces à Gustrin, sa résidence. Mais il eut encore des luttes à soutenir
avec le clergé, notamment avec l'évêque de Lebus, le fanatique
George de Blumenthal ; ce n'est que la mort de ce dernier (1550) qui
mit lin à cette lutte ; son successeur Jean Homebourg accepta l'agende
établie dans la Marche de Brandebourg. Joachim II l'électeur était un
caractère doux et conciliant ; il eût voulu vivre en paix avec tout le
monde. Hésitant d'abord, il fut poussé vers la Réforme par une parole
cynique et blasphématoire de Glément VII ; comme on reprochait à
ce pape sa naissance illégitime, il répondit : « C'est un malheur que
je partage avec le Christ. » Joachim éprouva dès ce moment une vive
répulsion pour Rome, et fit aussitôt adresser des salutations à Luther ;
mais extérieurement il resta encore attaché au culte catholique et
s'efforça de rétablir la paix entre les deux partis ; le pape lui-même
rendit hommage à sa modération. Il laissa partout les idées nouvelles
faire leur chemin par elles-mêmes, sans intervenir, voulant « que le
fruit mûrit, avant de le cueillir ». Pour réformer les abus les plus
BRANDEBOURG 409
criants, il réunit en 1536 les ecclésiastiques les plus marquants à Cologne
sur la Sprée, et sut obtenir pour cette assemblée L'autorisation du pape
et de L'archevêque de Magdebourg. Le couvent des dominicains de Co-
logne fut converti en église-dôme; le pieux chanoine Wolfgang Reh-
dorfier y célébra la communion sous les deux espèces avec l'assenti-
ment de révêque de Brandebourg, Matthias de Jagow. Ce dernier était
favorable à l'Evangile. Il s'y sentait engagé par son ministère épisco-
pal : k Quand je fus sacré évèque, dit-il, on m'a imposé l'obligation
d'éviter l'erreur pour moi-même et de l'empêcher chez les autres. On
m'a mis ensuite dans la main, puis sur l'épaule, l'Evangile, représen-
tant le joug de Christ que je devais porter, et le métropolitain m'a
ordonné de le prêcher au peuple. » Ayant un jour rencontré Luther à
une l'ête à Dessau, il s'entretint avec lui de toutes les questions reli-
gieuses débattues; Luther s'écria: « Dieu veuille nous donner beaucoup
d'évêques semblables. » C'est Jagow qui fournissait à l'électeur des
pasteurs capables et l'aidait à réformer l'Eglise par les voies légales.
Les abus tombèrent comme d'eux-mêmes et l'on peut dire que dans
la Marche électorale la réformation se lit toute seule, et sans que le
prince eût à s'en mêler, par la seule force de la vérité. C'est donc bien
à tort que Maimbourg accuse Joachim de l'avoir établie dans des
vues intéressées; ses sujets, dit-il, « s'obhgèrentà payertoutes ses dettes
pour obtenir de lui ce changement » (Hist. du Luth., I, p. 345). C'est
tout simplement prêter à Joachim ce qui revient à son oncle le cardi-
nal; car ce que l'historien jésuite ne dit point, c'est qu'Albert deMayence
accorde la liberté religieuse à ses sujets de Magdebourg, en échange
d'une forte somme d'argent (50,000 florins). Quant à l'électeur, il
avait pour principe de laisser à ses sujets les coutumes et les céré-
monies auxquelles ils étaient habitués, mais en y faisant pénétrer la
vérité évangélique. En 1537 il s'occupa du relèvement de l'université
de Francfort, à laquelle il attribua les revenus du couvent des char-
treux; peu à peu les autres couvents se vidèrent; mais on eut les plus
grands égards pour les moines et les religieuses, à l'entretien desquels
il fut pourvu. Dès 1538 la cause de l'Evangile était gagnée chez le
peuple. Mélanchthon écrivit en ce temps-là à Jonas : « Dans la Marche,
les gens du peuple ont soif de la pure doctrine; il en est de même
(lune bonne partie de la noblesse. L'électeur, qui apprécie bien la
situation, fait opérer une réforme à son peuple; mais les prêtres s'y
opposent, et il y en a beaucoup dans ce pays ; nulle part je n'en ai
rencontré d'aussi bornés et d'aussi méchants; c'est le vrai type du
barbare...» (dans Seckendorf, Comment. Luth.).Knt)nen 1531) l'électeur
fit un nouveau pas en avant. Ayant appelé à sa cour le pasteur George
Buchholtzer, qifil nomma prévôt de Berlin, il organisa, pour le jour
de la Toussaint, une solennité dans l'église de Spandau, pour marquer
rétablissement officiel de la Réformation dans la Marche. Le culte
évangélique y fut célébré pour la première fois en présence de toute
la cour, des Etats «'I d'un nombreux clergé. L'évêque de Brandebourg
dit les paroles de L'institution en allemand, et distribua la cène sous
les deux espèces a la famille électorale d'abord, puis aux conseillers de
410 BKANDEBOURG
la cour. Le lendemain une solennité semblable eut lieu dans le d'ôme
de Cologne sur la Sprée, où la cène l'ut distribuée aux magistrats et
aux bourgeois de Cologne et de Berlin. L'électeur fut tout heureux de
ce pas décisif; il répondit aux félicitations de George d'Anhalt :
(( Demandons à Dieu de persévérer jusqu'à notre dernière heure dans
l'œuvre commencée, et ne soyons pas semblables à des roseaux agités
par le vent » (30 nov.). Les villes et les villages furent libres d'opter
entre l'ancien et le nouveau culte ; la plupart se prononcèrent pour
l'Evangile, à commencer par Brandebourg. A Francfort aussi on célé-
bra la dernière messe catholique et, le jour suivant, la première cène
luthérienne. Presque partout les paroisses opérèrent elles-mêmes ce
changement; les prêtres ne purent y demeurer qu'en acceptant la
doctrine évangélique. Pour compléter l'organisation de la nouvelle
Eglise et pour y établir l'unité du culte, Joaehim lui donna une agende
{Kirchenordnung un Churfurstenthum der Marken zu Brandenburg,
ivie man sich begde mit der Lehre u. Ceremonien halten soll). Mélan-
chthon approuva le projet, dans lequel l'électeur lui-même introduisit
des changements, et dont la rédaction avait été conliée à Matthias de
Jagow, à ^George Buchholtzer et à Jacques Stratner. L' agende se di-
vise en trois parties : 1° la doctrine de la justification ; 2° le catéchisme ;
3° les cérémonies (sacrements). L'évêque de Brandebourg y ajouta un
diplôme dans lequel il fait la déclaration suivante : « Ce n'est pas
seulement par mon baptême que je suis engagé à Christ, mais aussi
par mon ordination, où il m'a été dit : Allez et prêchez l'Evangile de
Jésus-Christ au peuple qui vous est confié. L'électeur ayant établi une
agende conforme à la Parole de Dieu, je ne puis en conscience m'y
opposer ni résister plus longtemps à la vérité, mais je me sens obligé
de faire mon devoir, en la recommandant au clergé » (dans Secken-
dorf, Comment. Luth.). Cependant on conserva dans le culte bien des
formes catholiques. Quoiqu'il n'en fût pas entièrement satisfait, Luther
déclara cependant que, comme la chose essentielle s'y trouvait, on
pouvait passer sur quelques cérémonies un peu trop papistiques, et il
s'efforça d'apaiser les scrupules de Buchholtzer, qui s'en plaignait :
(( Ne vous plaignez pas, lui écrit-il, de devoir porter un camail aux proces-
sions, faire le tour du cimetière en chantant le Re sponsor ium et, au jour
de Pâques, le Salve festa dies... Si l'électeur votre maître fait prêcher
le pur Evangile et administrer les sacrements conformément à leur
institution; s'il renonce à l'invocation des saints... faites tout au nom
du Seigneur; portez un camail de velours, ou de soie, ou de drap, et
si un seul ne suffit pas, mettez-en trois, comme Aaron; et si l'on n'est
pas content d'un tour, faites-en sept, comme Josué... Si je pouvais
obtenir cela du pape et des papistes, j'en bénirais Dieu et je serais le
plus heureux des hommes» (de Wette, Luth. Br., Y, p. 235). En 1540
les prélats, les conseillers électoraux et les Etats approuvèrent l'agende,
qui fut ensuite remise au roi Ferdinand, à la diète de Worms ; l'empe-
reur Charles-Quint la confirma, mais à condition qu'on n'irait pas plus
loin dans les réformes. En 1542 elle fut publiée et établie dans toutes les
Eglises. — Au commencement du dix-septième siècle, l'Eglise luthé-
BRANDEBOURG — BRANT 411
rienne de la Marche de Brandebourg fut profondément troublée. L'élec-
teur Jean-Sigismond (1608-1619) inclinait vers le calvinisme; ses rapports
avec la cour palatine et sou alliance avec les Pays-lias le décidèrent à
passer, à Noël 1613, à l'Eglise réformée. 11 maintint sans doute la
confession d'Augsbourg, pour ne pas être exclu de la Paix de Religion,
mais la can'ata seulement. Cependant en 1614 il fit faire une confession
calviniste | inoins la prédestination), appelée Confessw Ma?'chica, ou
Sigismundi. Il tenta en vain de contraindre son pays aie suivre; sa
femme même, Anne de Prusse, s'y refusa. Le prédicateur de la cour,
Jean (îerike. cl le pasteur de Berlin Martin Willich durent s'enfuir.
Mais lorsqu*on se mit à dépouiller les églises de Berlin de leurs autels,
de leurs images et de leurs baptistères, il y eut un soulèvement popu-
laire et le sang coula (1615). En 1616 Sigismond défendit à l'uni-
versité de Francfort d'enseigner la doctrine de la communicatio idio-
matum et de Yubîquitas corporis, et l'université luthérienne de Wit-
temberg fut interdite à tous les sujets de l'électeur. On supprima aussi,
dans le recueil des symboles de l'Eglise luthérienne du Brandebourg,
la formule de concorde que l'électeur lui-même avait auparavant signée
et adoptée avec tout son pays. Pendant et après la guerre de Trente-
Ans on lit les premières tentatives d'union, naturellement aux dépens
de la doctrine luthérienne. Le grand-électeur Frédéric-Guillaume
ili)'i()-lC)SS) y apporta la plus grande ardeur; il sévit contre ceux qui
ne voulaient pas se plier. Paul Gerhard, l'âme de l'opposition luthé-
rienne, fut destitué pour avoir refusé de signer un Revers. C'est ainsi
que le grand-électeur préludait aux ordres de cabinet et aux mesures
violentes par lesquels les rois de Prusse devaient continuer et consommer
l'œuvre de leur illustre devancier. — Seckendorf, Commentarius Luthe-
ranismi; Ranke, Deufsc/œ Gesch. im Zeitalter der Reform. ; Yoigt, Reform.
in Brandenburg% dans Herzog, Real-E 'ncyklop . , vol. II. Ch. Pfknder.
BRANT ( Sébastien) [1458-1521], célèbre satirique du quinzième siècle.
Né à Strasbourg, dans un cabaret comme Rabelais, il étudia et professa
le droit à Bàle, dont l'université et les imprimeries étaient alors floris-
santes. 11 y séjourna pendant plus de trente ans; puis il retourna à
Strasbourg où il fut nommé syndic et secrétaire de la ville, et jouit de la
laveur de L'empereur Maximilien Ier. Poète et humaniste, il composa un
grand nombre d'ouvrages en latin et en allemand dont un seul, La Nef
des fous (Narrenschîf), publié en 1494, a passé à la postérité. C'est une
vaste satireen vers allemands dans laquelle l'auteur trace un tableau sai-
sissant de la corruption des diverses classes de la société de son temps.
Observateur infatigable et exact, il ne distingue pas moins de 111 catégo-
riesde tous, admis successivement sur le navire aux lianes gigantesques
qui vogue vers les rives de làNarragonie. Sous le rapport littéraire, le
poème laisse à désirer: il n'a pas de plan nettement déterminé; le style
m est rude et informe; les descriptions, les exhortations, les fables, les
allégories, les sentences, les traits tirés de l'histoire et de la mytholo-
gie se succèdent sans nuire ni lien. Mais comme moraliste, Rrant fait
preuve d'une rai'»' pénétration et d'une vigueur de pinceau incompa-
rable. La Nef ou Le Munir des fous présente un tableau fidèle de
412 BEANT — BREITHAUPT
l'état' des mœurs et des croyances à la fin du moyen âge. Elevé à la
double école de l'antiquité classique et des traditions chrétiennes,
Fauteur, pour juger son temps et lui prescrire des règles, s'inspire à
la fois de la morale païenne et de celle de l'Eglise, essayant (et c'est
là son originalité) de les combiner et de les fondre ensemble pour
donner plus de force à son enseignement. En dépeignant la vie comme
un carnaval désordonné, où l'avarice, la paresse, la luxure, la gour-
mandise, l'ivrognerie, l'orgueil agitent leurs grelots lugubres, Brant
tantôt semble préconiser les pratiques ascétiques et la fuite du monde
comme l'unique remède à tous ces vices, tantôt au contraire il prêche,
avec les anciens, la modération dans les plaisirs et une sage accommo-
dation à des maux que l'homme ne peut éviter parce qu'ils sont fondés
dans sa nature. Amis et adversaires de l'Eglise ont pu également reven-
diquer le poëte comme leur appartenant. S'il recommande le jeûne,
il blâme les pèlerinages; s'il écrit contre les hérétiques, auxquels il
attribue la faiblesse grandissante de l'Eglise, il ne s'élève pas moins
contre la scolastique, qui s'imagine défendre la vérité par les disputes
et les livres de controverse. La Nef des fous jouit d'une vogue immense.
Elle fut mise en vers latins par Badius Ascensius (1496) et en vers
français par P. Rivière (1497). Des traductions anglaises et hollandaises
suivirent. Geiler de Kaisersberg y rattacha même une série de ser-
mons (1498). Le nombre des imitations fut très-considérable. Les meil-
leures éditions allemandes sont celles de Strobel (Leipz., 1839) et de
Zarncke (Leipz., 1854), avec des introductions historiques et critiques.
Voyez aussi Gervinus, Geseh. der deutschen Dichtung, II, 347 ss.
BRECKLING (Frédéric) [1629-1711], originaire du Schleswig, sus-
pendu de ses fonctions pastorales à cause de ses attaques contre l'im-
moralité du clergé luthérien et de ses tendances chiliastes, mena une
vie errante et besogneuse. Il séjourna à Hambourg, à Amsterdam et à
La Haye, entra en rapport avec d'autres sectaires et publia plus de
soixante écrits dans lesquels il dénonce les vices de l'Eglise, dominée
par une orthodoxie sèche etbatailleuse (voy. Adelung, Gesch.de?* menschl.
Narrheit, Leipz., 1787, IV, p. 16 ss.; Arnold, Ketzerhistorie, III).
BREF. Voyez Bulle.
BREITHAUPT (Joachim-Justus) [1658-1732] est l'un des représen-
tants les plus éminents de l'école piétiste. Distingué par sa foi vivante,
ses talents pédagogiques et son zèle pour la conversion des âmes, il fit
à Francfort la connaissance de Spener et exerça avec un grand succès
les fonctions pastorales à Erfurt. Nommé professeur à l'université nou-
vellement créée de Halle (1691), il représenta seul, pendant trois ans,
l'enseignement théologique dont il embrassa avec une ardeur infati-
gable tous les domaines. Lorsque Paul Anton et Francke furent venus
se joindre à lui, ces trois hommes donnèrent à l'école qu'ils dirigèrent
une impulsion telle qu'elle devint promptement la pépinière d'où sor-
tirent un grand nombre de jeunes pasteurs pieux et instruits. Fidèle àla
méthode de Spener, Breithaupt ne s'appliqua pas seulement à commu-
niquer la science, mais aussi à « réveiller la conscience » de ses audi-
teurs. En opposition avec l'orthodoxie régnante, il insista sur l'étude
BREITHAUrT — BREME 413
à la l'ois scientifique et pratique de la Bible, mit la dogmatique et l;i
morale en contact plus direct avec renseignement scripturaire, et dirigea
avec un soin particulier la préparation homilétique et catéché tique des
jeunes étudiants. Indépendamment des exercices habituels du sémi-
naire, i! présida trois l'ois par semaine des réunions destinées à leur
fournir l'occasion de développer leur vie religieuse en s'ouvrant libre-
ment à leurs maîtres sur les tentations ou les doutes avec lesquels ils
pouvaient avoir à lutter. A ces fonctions déjà si chargées de profes-
seur, Breithaupt joignit encore, à partir de 1705, celles de surintendant
général du duché de Magdebourg, auxquelles il finit par se vouer ex-
clusivement, s'appliquant particulièrement à améliorer les écoles, à
relever le niveau de l'instruction religieuse et à exercer, par une cor-
respondance et par des visites fréquentes, une discipline salutaire sur
le pastorat saxon. D'un caractère ferme à la fois et conciliant, humble,
désintéressé, charitable, de mœurs simples et austères, l'ami et le disciple
de Spener puisait dans la prière assidue et vivante la force qui le sou-
tenait. En lui le piétisme a trouvé une de ses plus nobles incarnations.
Breithaupt, indépendamment de nombreux recueils de sermons et
d'écrits de circonstance, a laissé une dogmatique biblique sous le nom
àyIn$titutiones tkeoloyicae, Halle, IG94, 2 vol. ; la 3e édition (1732) a un
3' vol. consacré à la morale.
BREITINGER (Jean -Jacques) [1575-1645], pasteur et chef de l'Eglise
de Zurich pendant la première moitié du dix-septième siècle, et l'un des
plus beaux types de la Réforme en Suisse. Prédicateur simple et puissant,
ami des pauvres et des opprimés, adversaire de l'orthodoxie morte et du
séparatisme, animé d'une piété saine et vigoureuse, unissant dans une
affection égale la patrie etl'Ëglise, ce fidèle héritier de l'esprit de Zwingle
et de Bullinger regardait comme son devoir de conseiller et de censurer
l'autorité civile, la prémunissant contre le danger des alliances étran-
gères, stimulant son zèle en faveur des coreligionnaires persécutés pour
leur foi, et donnant l'exemple de la plus généreuse hospitalité offerte
aux nombreux réfugiés, victimes de la guerre de Trente-Ans. Breitinger
représenta l'Eglise de Zurich au synode de Dordrecht, où, conformément
à ses instructions et à ses propres sentiments, il prit fait et cause pour
le dogme de la prédestination absolue contre les remonstrants. Ses
écrits, en partie manuscrits, appartiennent au domaine de la théologie
pratique. Les Miscéllanem Tigurinœ (I, H. 5) contiennent des extraits
d'une autobiographie (voy. C. Pestalozzi, dans la IîealEnci/kl de
Herzog, XIX, 262 ss.).
BRÈME (La Réformation de). Au temps de la Réforme, Brème, l'une
des villes hanséatiques, formait avec le territoire de Verden le diocèse
de révêque Christophe, frère du duc de Wolfenbuttel. C'était un carac-
tère singulier, présentant un mélange d'ascétisme et de dépravation ;
il trouvait autant de plaisir à réciter ses prières et à dire sa messe
chaque jour, qu'à vivre dans la débauche; entretenant des concubines
en divers endroits de son diocèse et dissipant follement les biens de
PEglise, il aspirait néanmoins à passer pour un saint homme. 11 fut
naturellement hostile à la Réforme, qu'il réussit à comprimer par la
414 BREME — BRENZ
violence à Verden, où il résidait ; mais à Brème, qui formait la
majeure partie de son diocèse, il échoua complètement. Dans cette ville
l'Evangile fut prêché de 1522 à 1524 par un homme qui couronna plus
tard sa foi par le martyre, Henri Moller, ordinairement appelé Henri
de Zutphen. Se rendant à Wittemberg, il fut retenu à son passage
par les bourgeois de Brème. Il eut bientôt pour collaborateur Jac-
ques Spreng, venu d'Anvers, et Jean Timann, venu d'Amsterdam.
En 1525, toutes les églises étaient aux mains des prédicateurs luthé-
riens; en '^1527, on sécularisa les deux couvents de la ville; l'un
devint une école, l'autre un hôpital. Les bourgeois revendiquèren
même les biens-fonds du chapitre, dont celui-ci, disaient-ils, avait spolié
la ville. Comme le sénat résistait à ces prétentions, on élut un conseil
démocratique de cent quatre membres, qui, procédant révolutionnai-
rement, bouleversa la cité en voulant tout changer radicalement et en
un seul jour ; ce conseil ne put être dissous que par la force armée.
Les agitations et les troubles continuèrent jusqu'en 1532; mais la
Réforme en sortit victorieuse. Pendant la guerre de Smalkalde, après
la défaite des princes et la soumission ou la défection des villes, Brème
continua seule la résistance et soutint un siège héroïque; elle fut déli-
vrée par la victoire de Drakenborg (1547). Brème refusa aussi de se
laisser imposer l'Intérim, se déclarant prête « à engager corps et
biens » plutôt que de s'y soumettre. Mais l'Eglise de Brème fut fort
troublée dans la seconde moitié du seizième siècle, lorsqu'on voulut y
introduire le calvinisme. Le prédicateur du dôme, Albert Rizaeus Har-
denberg, attaqua ouvertement l'article Xde la confession d'Augsbourg
(De la sainte Gène) ; il eut contre lui son collègue Jean Timann, qui fut
soutenu par tous les autres pasteurs ; mais il avait pour lui le bourg-
mestre Daniel de Buren et un £vis de Mélanchthon. Comme il refusa
de prêter serment sur la confession d'Augsbourg, l'agitation alla en
croissant. Timann étant mort en 1559, son successeur Tilemann Hess-
husius, qui venait d'être expulsé de Heidelberg, continua la lutte avec
plus d'animosité encore; il excommunia Hardenberg, qui fut des-
titué (1561), mais « cura infamiam et condemnationem ». Le suc-
cesseur d'Hesshusius, Simon Musœus, ne fut pas moins passionné
que lui. Il obtint un édit prononçant l'expulsion des adhérents
d'Hardenberg ; mais il y eut un revirement subit en faveur de Buren,
qui fut réélu bourgmestre le 12 janvier 1502. Musœus fut chassé avec
treize autres pasteurs et les sénateurs luthériens ; on les remplaça
par des réformés. A la suite de ce changement, Brème fut exclue de
l'Union hanséatique; Hambourg et Lubeck cessèrent toutes relations
avec la cité hérétique. En mars 1568 on fit enfin à Verden un traité en
vertu duquel les luthériens purent rentrer dans la ville, mais en per-
dant leurs emplois. On leur restitua le dôme pour leur culte : toutes
les autres églises demeurèrent aux réformés. — Voyez Ranke, Deustche
Geschichte im Zeitalter der Reformation. Ch. Pfender.
BRENZ (Jean), le réformateur de la Souabe, naquit en 1499, dans la
ville souabe de Weil. En 1509 déjà il se rendit à l'université de Hei-
delberg, où il rencontra une foule de jeunes gens'pleins d'enthousiasme
BRENZ - BRESIL 415
pour la renaissance des lettres et la réformation de l'Eglise. Eh 1517
il devint magister. el après plusieurs vicissitudes il reçut la cure de
Hall (1522). Les écrits de Luther et ses propres études l'avaient peu à
peu aillent'' à des emmêlions tout évangéliques. A Hall il ne tarda pas
à prêcher la Réforme, et en 1523 déjà il ne célébra plus la messe. Bien-
tôt les autres abus disparurent et en 1526 Brenz publia la première
Kirchenorcbnung et peu après un catéchisme. Les troubles de la guerre
des paysans arrêtèrent un instantce beau développement: Brenz résista
aux paysans révoltés avec une rare énergie. Dans l'intervalle avaient
éclaté les funestes dissensions entre les réformateurs au sujet de la
sainte Cène ; Brenz et ses collègues de Souabe se mirent dès l'abord
du côté de Luther et rédigèrent même dans ce sens une déclaration
connue sous le nom de Syngramma sucvicum (1525). Cet écrit lui
valut l'estime et l'amitié de Luther, dont il resta toujours le fidèle
disciple. Son activité littéraire fut très-grande, ainsi que la part qu'il
prit à la Réforme dans les pays environnants. En 1535 il fut appelé à
Stuttgard pour y revoir la première Age?ide rédigée par Schnepf :
depuis ce temps il eut une grande influence sur la marche des affaires
religieuses en Allemagne : il assista à presque tous les colloques, mais
la guerre de Smalkalde vint interrompre cette belle activité. La ville de
Hall avait été prise par l'empereur. Brenz dut fuir avec sa famille,
L'Intérim parut; le courageux pasteur ne s'y soumit point. Le catholi-
cisme fut rétabli à Hall et le seul refuge de Brenz fut dès lors le Wur-
temberg. Le duc Ulrich jugea prudent d'envoyer Brenz à Bàle; mais la
mort de sa femme le fit revenir dans le Wurtemberg. Il eut à soutenir
encore mainte lutte et mena une vie bien agitée, jusqu'à ce qu'enfin en
1553 il put occuper la place de prévôt de l'église collégiale de Stuttgard.
Il devint l'ami et le conseiller du duc, et les affaires ecclésiastiques du
Wurtemberg furent mises sous sa direction. En 1559 il publia une grande
Agende avec la Confession de foi rédigée déjà antérieurement en 1551.
Il se mêla encore à beaucoup de discussions théologiques et son acti-
vité fut prodigieuse : on sait qu'il s'occupa aussi des réformés de France
et qu'il eut même une entrevue avec le cardinal de Guise (1562). Brenz
atteignit l'âge de soixante-et-onze ans : il mourut en 1569. —Les écrits
de ce réformateur sont bien nombreux et il n'en existe pas d'édition
complète. En 1576 parut une édition, qui resta inachevée (Tubingue,
1570-90, 8 vol. in-f°). Il a publié de nombreux ouvrages exégétiques
(entre autres Argumenta et summx in libros V. et N. T., un com-
mentaire célèbre sur Esaïe, etc.), un grand Catéchisme (divisé en cinq
parties : le Baptême, le Symbole, l'Oraison dominicale, les dix Com-
mandements, la Cène), un nombre énorme de sermons, d'homélies, etc.,
sans compter ses brochures et pamphlets théologiques. — Voir sur sa
vie : Hartmann et hvgcv,./ohann Brenz, Z. vol., 1840-42; une biographie
moins longue et avec des extraits de Brenz, par le premier, Elberfeld,
1862. A. Courvoisier.
BRÉSIL (Statistique religieuse). Le recensement de 1872 attribue à
l'empire du Brésil une population de 10,108,291 habitants. Dans ce
chiffre ne sont pas compris les Indiens nomades dont on évalue le
416 BRESIL
nombre à 1,000,000 environ. Sous le rapport des confessions, le môme
recensement reconnaît 9,902,712 catholiques (dont 1,510,806 esclaves)
et 27,766 non catholiques. Nous croyons les protestants passablement
plus nombreux que le chiffre officiel ne le ferait croire. Car, d'une
part, il s'en faut de 175,000 âmes que le total indiqué pour les diffé-
rentes confessions égale la population totale; de l'autre, les Allemands
et les Anglais en majorité protestants sont au nombre de plus de
60,000. Les Indiens sont encore païens, en majeure partie. Le catho-
licisme a longtemps régné en maître au Brésil. La situation ne s'est
modifiée que dans les dernières années de la domination portugaise.
La liberté des cultes est reconnue en principe depuis 1810. Depuis lors
un mouvement, lent, il est vrai, mais à peu près constant, fait dispa-
raître les uns après les autres les privilèges de l'Eglise catholique. Les
chapitres des cathédrales furent supprimés en 1820. L'article 5 de la
constitution de 1824, tout en reconnaissant à la religion catholique
romaine le rang de religion de l'Etat, assure aux adhérents d'autres
confessions le droit de célébrer leur culte « dans des bâtiments
spécialement destinés à cet usage, à la condition qu'ils n'auront pas
la forme extérieure de temples ». Nul ne peut être poursuivi pour ses
actes religieux. Une loi de 1851 assure aux mariages protestants la
reconnaissance légale. La juridiction des tribunaux ecclésiastiques a été
insensiblement à peu près annulée. Mais les évèques ne manquent pas
une occasion de protester contre cette diminution de leur influence.
En mai 1873 un conflit violent a éclaté à l'occasion du bref du pape
condamnant les francs-maçons. Les lois de l'Etat défendent la lecture
en chaire et la mise en vigueur des décisions de la cour de Borne,
tant qu'elles n'ont pas été admises par le gouvernement. Sans se soucier
de cette défense, l'évêque d'Olinda et Pernambuco prit contre les
francs -maçon s de son diocèse les mesures les plus sévères. Le gouver-
nement s'opposa énergiquement aux entreprises de l'évêque. La lutte
s'envenima au point que l'évêque fut condamné à quatre ans de
prison et que le saint-siége, craignant les conséquences de cette
querelle, fut obligé de désavouer son serviteur trop zélé. — L'Eglise
catholique forme au Brésil un archevêché, Bahia ou San-Salvador
(érigé en évêché le 28 février 1550, élevé en achevêché le 16 no-
vembre 1676); 11 évêchés : Para ou Belem (4 mars 1719). Fortalesa
(6 juin 1854), Cuyaba (1832, vicariat apostolique le 6 décembre 1745),
Diamantina (6 juin 1854), Olinda et Pernambuco (16 novembre 1676),
Goyaz (15 juillet 1826, prélature le 6 décembre 1745), San-Liiis a
Maranhao (30 août 1677), Marianha (6 décembre 1745), San-Paulo (6 dé-
cembre 1745), San-Pedro do Rio-Grancle do Sul (7 mai 1848), Rio de
Janeiro (16 novembre 1676); 12 vicariats généraux et 1,297 paroisses.
Le clergé est en général très-peu instruit, et l'on ne dit pas de bien
non plus de son état moral. Le peuple est plongé dans la superstition
la plus grossière. Les prêtres font leurs études dans les 11 facultés de
théologie suivantes : Bahia, Belem, San-Luis de Maranhao, Fortalesa,
Olinda, San-Paulo, Porto-Alegre, Marianha, Diamantina, Goyaz et
uyaba. Les couvents sont relativement peu nombreux. Le culte
n
BRESIL — BRESSE 417
catholique, seul subventionné par l'Etat, a vécu, dans l'année finan-
cière 1872-73, 1,292 contos et623 milreis, soit environ 3, 500,000francs
— Le protestantisme parut au Brésil dès 1S5S avec Villegagnon; mais
il n'y laissa aucune trace après l'échec de L'expédition. Les Hollandais,
qui possédèrent la partie septentrionale du Brésil de 1624 à 1654, n'y
implantèrent pas davantage le protestantisme. Aujourd'hui on compte
un certain nombre de communautés allemandes et suisses desservies
par des pasteurs envoyés d'Europe. — Bibliographie : Almanach de
Gotha, 1877; F. Martin, The Statesmans Year-Bock, 1877; N. de
Lahure, L'Empire du Brésil, 18(>2 ; Wappams, Handbuck der Géographie
und Slatistikvbn Brasilien, 1871. H. Vaucher.
BRESSE (Eglises de la). «Les registres municipaux de la ville de
Bourg, dit Edm. Chevrier, constatent que le mouvement de réforme
religieuse qui agita l'Europe entière au seizième siècle avait fait aussi
sentir son influence en Bresse... Les habitants de Bourg se préoccu-
paient tellement des doctrines nouvelles que le prieur des jacobins, prê-
chant un jour sous les halles, se permit de taxer de huguenots, voire
même d'anabaptistes tous les habitants de la ville, ce qui excita une grande
rumeur... L'ofhcialité ecclésiastique, à la requête du duc de Savoie, qui
possédait alors la Bresse, et du conseil municipal de Bourg, avait dressé
une liste de trente-cinq bourgeois suspects d'hérésie. » L'inquisition ré-
gnait dans le pays depuis 1416, mais la terreur qu'elle inspirait n'empêcha
pas les doctrines de Luther de se répandre. En 1552, un maître d'école *
du nom de Hugues Gravier, qui exerçait sa profession dans le canton de
Neufchâtel et qui avait été capturé à la sortie du pontdeMàcon, comme
il se rendait dans le Maine, son pays natal, fut condamné à être brûlé
vif à Bourg, et son supplice fut suivi de plusieurs autres. Le duc de
Savoie. Emmanuel-Philibert, célèbre par sa victoire de Saint-Quentin,
ayant recouvré ses Etats en 1559 (il les avait perdus en 1535), lit cesser
les poursuites. Il ordonna qu'aucun luthérien de ses domaines ne serait
persécuté. Sa femme, Marguerite de Valois, inclinait fortement elle-
même vers les idées nouvelles. Dans la petite principauté des Dom-
bes, qui avait Trévoux pour capitale et avoisinait la Bresse, les luthé-
riens ne jouirent pas de la même tolérance. Leur souverain, Louis de
Bourbon, les persécuta beaucoup, et c'est à son instigation que le par-
lement des Dombes lit brûler à Trévoux sept mulets chargés de livres
hérétiques, et défendit de vendre ou receler des livres de cette sort»',
sous peine de mort. En 1564, le même Louisde Bourbon déposséda de
leurs emplois tons (eux de ses officiers qui ne professaient pas la reli-
gion catholique e! menaça de la confiscation de leurs biens tous les gen-
tilshommes dombistes qui ne voudraient pas aller à la messe. Beaucoup
d'entreeux n'en persévérèrent pas moinsdans leurs sentiments. Lorsque
les huguenots lurent chassés de Mâcon en 1562, ils vinrent s'établir à
Thoissey-eii-Dombes, et Pontsenac, leur colonel, y lit prêcher à la hugue-
nauderi» par un ministre de Genève, (le lurent enfin des gentilshommes
des Dombes commandés par Loëse et Tavernost qui s'emparèrent de
Maçon sur les catholiques en 1567. — Henri IWétant emparé de la Br
Jolis, sur le duc de Savoie (cette province depuis a toujours appar-
n. St
418 BRESSE - BRETAGNE
tenu à la France), une Eglise fut régulièrement établie à Pont-de-Veyle,
puis à Bourg et Fossiat, à la Reyssouze, près Pont-de-Vaux, à Bagé-la-
Ville, Chevreux, etc. Il y avait aussi des protestants à Saint-André-
d'Huiriat, Mepillat, Grottet, Saint-Jean, Biziat, Laiz, etc. Les Eglises de-
là Bresse, rattachées au colloque de Lyon et à la province synodale de-
Bourgogne, furent persécutées de bonne heure après la promulgation
de Fédit de Nantes. Les réformés de Bourg ne purent obtenir de faire
reconstruire leur temple qui avait été incendié en 1609 par des gens
malintentionnés. En 1657 le temple de Pont-de-Veyle fut donné aux
catholiques. Les réformés de ce lieuse rendirent alors au prêche deMàcon
situé à trois ou quatre lieues de là, mais on le leur défendit bientôt, et
ils durent aller à la Reyssouze, distant de six lieues de Pont-de-Veyle..
Le temple de cette dernière localité subsista jusqu'en 1685. Il avait été-
bâti en 1606. La révocation de Fédit de Nantes occasionna Fémigration
du tiers des réformés de la Bresse, lesquels s'établirent pour la plupart
dans le Brandebourg. Ceux qui demeurèrent dans le pays disparurent peu
à peu. Aujourd'hui on compte quelques protestants disséminés à Bourg,
Trévoux, Nantua, etc., rattachés à Féglise deFerney et au consistoire de
Lyon. — Edm. Ghevrier, Le Protest, dans le Maçonnais et la Bresse aux
seizième et dix-septième siècles. & Arnaud.
BRETAGNE (Eglises de). Le premier luthérien breton dont le nom soit
parvenu jusqu'à nos jours, est Nicolas Valeton, receveur de Nantesr
qui fut poursuivi pour crime d'hérésie. On avait trouvé chez lui des
livres de lanouvelle religion, et il n'en fallut pas davantage pour qu'on
le condamnât au feu (1535.) En 1555 le conseiller au parlement Charles
Ferré, sieur de La Garraye, et son frère Jean, sieur de Canquoy, furent
également poursuivis, mais ils purent l'un et l'autre échapper au juge-
ment par la fuite. A cette époque les luthériens tenaient de nombreuses
assemblées secrètes dans divers quartiers de la province, notamment
à Rennes et à Nantes. La venue de François de Chàtillon, sieur d'An-
delot, frère de l'amiral Goligny, qui s'était converti aux idées évangé-
liques pendant sa captivité à Milan, donna un nouvel essor à l'œuvre
de la Réformation. Accompagné de deux ministres, Jean-Gaspard
Cormel dit Fleury et Pierre Loiseleur, seigneur de Villiers, il lit prêcher
à portes ouvertes à Nantes, à Blain, dans le château dTsabeau de
Navarre, douairière de Rohan, à La Bretesche,à La Roche-Bernard, au
Groisic. Après son départ pour Paris, les catholiques tentèrent d'as-
sassiner Loiseleur, qui dut s'enfermer au château de Gareil chez le
sieur de Boulac, son protecteur. Ses partisans étant allés l'y enten-
dre, le clergé du Croisic en conçut une grande irritation et tit venir l'é-
vêque, qui, loin de les calmer, excita au contraire une sédition où
faillirent périr tous les réformés. La cour blâma ces violences et l'é-
vêque désappointé se [démit de ses fonctions. A cette époque, et vrai-
semblablement par les soins de Loiseleur, furent fondées les Eglises de
Piriac ei de..Guérande.[Celles de Rennes et de Vitré paraissent plus an-
ciennes. L'annéejsui vante (1559), trois pasteurs nou veaux vinrent s'établir
en Bretagne : Dufossé (Pierre Legenclre), Jean Bonneau et Mathurin
Lhoumeu1 du Goudray (dit Du vivier et Dugravier). Ils furent rejoints
BRETAGNE — BEETSOHNEIDEB 419
peu après par Le Baleur, dit Dubois, et Jean Louveau, sieur de la Porte.
Ces pasteurs et d'autres encore consolidèrent L'oeuvre, mais non sans
souffrir, eux e1 leurs sectateurs, notamment à Rennes >t à Nantes, où le
clergé excita diverses séditions contre eux. Ils purent néanmoins tenir,
le 10 septembre 1561, leur premier synode provincial à Chàteaubriant,
OÙ se rencontrèrent six pasteurs et trois anciens, représentant autant
d'Eglises. Les protestants de Bretagne ne souffrirent qu'indirectement
des guerres de religion, la province avant eu le privilège de demeurer
en dehors de la marche des armées pendant cette époque troublée. Il
n'en fut pas de même sous la Ligue. La Bretagne devint le théâtre
de luttes sanglantes. Beaucoup de réformés sévirent obligés de fuir, et
ceux qui restèrent dans le pays eurent à subir toutes sortes de mauvais
traitements, surtout à Nantes. Plusieurs Eglises furent privées de pas-
teurs et saccagées. L'édit de Nantes leur permit de se réorganiser. On
en comptait une quinzaine environ et elles formèrent une province syno-
dale, sans colloque. Déjà avant la révocation, le Conseil d'Etat con-
damna plusieurs d'entre elles à disparaître. Le pasteur le plus distin-
gué des Eglises bretonnes au dijx-septième siècle fut le savant Matthieu
de Larroque, ministre à Vitré de 1643 à 1070. Les ports nombreux
de la Bretagne et la proximité de l'Angleterre favorisèrent la fuite d'un
grand nombre de protestants après la révocation de redit de Nantes,
et la plupart des Eglises disparurent. Les réformés qui ne s'expatrièrent
point endurèrent diverses violences, surtout à Nantes, mais ils n'eurent
pas à souffrir des dragonnades. La présence à Nantes de nombreux
négociants protestants étrangers obligeait l'autorité à garder des mé-
nagements dans l'intérêt du commerce français. Les protestants du
pays en bénéficièrent par contre-coup. Ainsi dès 1739 un cimetière leur
fut concédé. Il faut dire que les réformés bretons s'interdirent les
assemblées du Désert. L'autorité fut satisfaite, mais le protestantisme
y perdit considérablement, car le culte public est une des sauvegardes
de la foi. On signale, il est vrai, un prédicant dans le diocèse de Dol en
17r(). mais il se bornait à « dogmatiser » et à distribuer « des livres
contraires à la religion catholique », dit une pièce du temps. En 1770
un registre fut ouvert à Nantes pour servir à l'inscription des baptêmes
des enfants des étrangers professant la religion chrétienne réformée.
Ilest signé parles aumôniers des régiments suisses en garnison à Nantes.
Six ans après, un pasteur français, nommé Jacques Barre, put s'établir
et remplir ses fonctions dans la ville sans opposition. La loi de ger-
minal an X institua un seul consistoire pour toute la Bretagne, encore
comprenait-il les protestants de la Vendée. Aujourd'hui ce département
a son consistoire à Puzangues, et la Bretagne en possède deux à Nantes
et Brest. — Philippe Lenoir, sieur de Crevain, Hist.eccUs. de Bre-
tagne\ Vaurigaud, Essai su?' VHist. des Eglises réf. de Bretagne, 3 vol.
E. Arnaud.
BRETONS (Le christianisme chez les). Voyez Culdèens.
BRETSCHNEIDER (Charles-Gottlieb) [1776-1848], surintendant gé-
néral à Gotha depuis L816, dirigea, pendant plus de trente ans, l'Eglise
de ce duché dans le sens d'un rationalisme modéré. Esprit clair, ferme,
420 BRETSOHNEIDER — BREVIAIRE
sobre, ennemi de tous les extrêmes, il se montra surtout hostile aux
essais de reconstruction spéculative du christianisme qu'il voyait s'ac-.
complir sous ses yeux. Doué d'une pénétration particulière pour voir
leur faiblesse, il accusait ceux qui prétendaient réconcilier la foi du passé
avec la pensée moderne, de vouloir jeter de la poudre aux yeux et
d'être des charlatans (Ueb. die Grundansichten der theol. Système in
denLehrb. v. Schleiermacher, Marheinekc u. Hase, Leipz., 1828). Grâce
au sens historique que Bretschneider possédait à un haut degré, il
avait un instinct profond de la différence des formes dogmatiques que
les diverses époques ont produites. Aussi dans ses ouvrages, écrits
avec une application et un soin des plus consciencieux, a-t-il réuni
tous les matériaux nécessaires à l'intelligence des dogmes chrétiens,
sans essayer lui-même de les réunir en un système (Handb. der Dogmat.
de?1 eu. lut/ter. Kirche, Leipz., 1814-18, 2 vol., et surtout System. Ent-
wicklung aller in der Dogmat. vorlcommenden Begriffe, etc., Leipz., 1805;
3eédit., 1841). Bretschneider s'est aussi occupé de travaux exégéti-
ques : il a publié un dictionnaire et un essai sur la dogmatique et la
morale des livres apocryphes de l'Ancien Testament (1805), un dic-
tionnaire très-estimé du Nouveau Testament (Lexicon manuale grœco-
latinum in libros N. T., Lips., 1824), un traité sur l'évangile et les
épîtres de saint Jean (Probabilia de evangelii et epistolarum Joli. Apoèt.
indole et origine, Lips., 1820), dans lequel il élève, l'un des premiers,
des doutes sérieux sur l'authenticité du quatrième évangile. Il a égale-
ment publié une édition des œuvres de Mélanchthon (Ph. Mel. Opp.
quse supersunt omnia, vol. J-XV, Hal., 1834-48), ainsi que de quelques
œuvres inédites de Calvin et de 'Th. de Bèze (Lips., 1835), plusieurs
recueils de sermons et de nombreux articles dans la Gazette ecclésias-
tique de Darmstadt dont il a été l'un des fondateurs. Son autobiogra-
phie, publiée après sa mort (Ans meinem Leben, Gotha, 1851), est un
document d'un haut intérêt pour la connaissance des luttes auxquelles
Bretschneider s'est trouvé mêlé.
BRÉVIAIRE (Breviarium), livre d'Eglise renfermant les oflices que
doivent lire ou plutôt réciter les prêtres, les religieux et les moines
des différents ordres. On n'est pas d'accord sur l'origine du nom
Breviarium; selon les uns, il n'a été donné que pour indiquer en
général Y abrégé des prières, des lectures et des hymnes de l'Eglise;
selon les autres, il aurait une étymologie historique et déterminée
remontant à l'époque de Grégoire VII. Ce pape, nous disent-ils, « ac-
cablé lui et sa cour d'.une immense quantité d'affaires, jugea à propos
d'abréger pour l'usage de sa maison le très-long office qui, jusqu'à ce
jour, avait été chanté ou récité; et naturellement cet abrégé, cette abré-
viation prit le nom de breviarium curix romanse » (Guillois, Explic. du
Catéch., t. IV, p. 32; J.-B.-E. Pascal, Origines et raison de la Litur g.
caih:, art. Bréu., Supplém. au Dict. de Moréri). A mesure que l'Eglise
entra d'ans la déviation des principes évangéliques qui avaient fait la
gloire de ses premiers jours, la démarcation entre clercs et laïques de-
vint toujours plus accentuée, et, ce qui fut considéré comme formant
le corps du clergé, fut astreint à des observances plus ou moins strictes
BRÉVIAIRE 421
ou rigoureuses qui furent développées par L'établissement des institu-
tions monastiques. Chaque clerc, chaque moine fut obligé à une
lecture, el bientôt à une récitation de portions considérables de
l'Ecriture sainte et des Pères. Cet ensemble de leçons {lectiones) con-
stitua un office très-long dont la lecture, même rapide, prenait beau-
coup de temps. C'est ce qu'on appelait le cours des offices (cursus); les
Grecs le désignent encore ainsi. Chez eux, la récitation qu'on en doit
faire exige quatre heures chaque jour. L'abréviation de Grégoire VU
fut donc reçue favorablement, et adoptée par la plupart des clercs,
quoiqu'elle n'eût été primitivement destinée qu'à la cour romaine.
Toutefois, le Bréviaire romain d'aujourd'hui n'est pas l'ancien Bré-
viaire de Rome, mais un recueil d'oflices mis en usage par des corde-
liers, dans la maison du pape. Ce recueil fut adopté par Sixte IV, et
corrigé successivement par Pie V, Clément VIII et Urbain V. — Le Bré-
viaire, renfermant les offices de toute Tannée, se divise en quatre
parties, une pour chaque saison : pm's Hiemalis, pars Verna, pars
sEstiva, pars Autumnahs, Il est entièrement en latin, sa traduction en
langue vulgaire est interdite. Nicolas Le Tourneux en publia une tra-
duction qui fut condamnée le 10 avril 1088 par l'archevêque de Harlay;
la sentence de son officialité « condamne l'impression et la traduction
en langue française du Bréviaire romain, comme étant une nouveauté
faite contre les conciles, les délibérations des assemblées du clergé ou
les ordonnances du diocèse de Paris, les édits et les ordonnances du
roi, contre l'esprit et l'usage de l'Eglise » (Colonia, Biblioth. jans.,
t. I). L'office de chaque jour compose ce que l'on appelle les Heures
canoniales, qui. sont au nombre de sept; les voici dans leur ordre :
Matines (office de la nuit; de là le nom de Vigiltœ qui lui a été quel-
quefois donné, comme aussi officium nocturnum ; les Laudes sont une
partie de cet office), Prime, Tierce, Sexte, None, Vêpres et Compiles.
On les divise en Heures majeures et en Heures mineures ; les majeures
sont la première, la sixième et la septième (Matines, Vêpres et Com-
piles) ; les mineures : la deuxième, la troisième, la quatrième et la
sixième (Prime, Tierce, Sexte et None), Chacune de ces Heure
a son office spécial composé de prières, de versets, de psaume j
d'antiennes, d'hymnes, de portions de l'Ecriture sainte, de fragments
d'homélies des Pères ou de vies de saints. Tout cela doit être lu
dans un certain ordre prescrit par les Rubriques, ce qui constitue un
travail aussi diflicile que fastidieux. La récitation de ces offices est
d'une difficulté presque invincible pour celui qui n a pas été initié à ce
que l'on pourrait appeler le mécanisme liturgique du Bréviaire. L'of-
fice de Matines, à lui seul, contient dix-huit psaumes auxquels on doit
ajouter des antiennes, des versets, des répons et des prières en grand
nombre. Les auteurs les plus autorisés en science liturgique nous disent
gravement (pie les sept Heures canoniales ont été établies dans l'Eglise
pour suivre l'exemple du saint roi David : « Sept fois le jour je te
loue à cause des ordonnances de ta justice » (Ps. CX1X, 164). — Objet de
critiques sévères, parfois mordantes, dans le sein même du catholicisme,
le Bréviaire romain contient, cela est incontestable, de fades légendes
422 BREVIAIRE
qu'il présente comme de l'histoire pure, et des enseignements de la plus
grossière superstition. C'est au discrédit dont il était plus ou moins
frappé par cette critique, particulièrement en France, que Ton doit
sans doute en grande partie la révolution liturgique qui s'opéra dans
ce pays au dix-huitième siècle. Nous voulons parler du Bréviaire que
tit paraître en 173(> M. de Yintimille, alors archevêque de Paris. Dans
cet ouvrage, publié sous le titre de Breviarium Parisien.se, la partie
historique avait été l'objet d'un. remaniement complet où l'on sentait
l'influence de l'érudition et du goût de cette époque littéraire. Les
passages de la Bible remplacèrent, dans ce travail entièrement nouveau,
les sentences plus ou moins apocryphes du Bréviaire romain. La distribu-
tion des psaumes et des leçons bibliques fut disposée avec plus de clarté
et de simplicité, et on peut dire que les auteurs de cette œuvre litur-
gique firent de leur mieux dans la position qu'ils conservaient, au
sein du catholicisme. La partie poétique du Bréviaire parisien fut tout
spécialement soignée. Les hymnes de Santeuil et de Coffin qui y furent
insérées, sont pleines de sentiment, de fraîcheur, d'onction, et sont
écrites dans un style vraiment rhythmique de la plus belle latinité.
Quoi de plus gracieux , en effet, que ces versets des hymnes de Com-
piles :
Grates. peracto jam die, . Desiderate gentibus,
Deus, tibi persolvimus ; Verbum Patris, mundi salus,
Pronoque, dum nox incipit, Audi preces gementium,
Prosternimus vultu preces. Tandemque lapsos excita.
In noctis umbrâ desides Adsis. Redemptor; et tuse
Dum soranus artus occupât, Plebis relaxans crimina,
Ad te, Deus, fidelibus Adse scelus quas clauserat,
Mens excubat suspiriis. Reclude cœlestes domos.
On avait de plus introduit, dans chaque office quotidien, un extrait
des canons ou décrets des conciles, ce qui , pour la connaissance de l'his-
toire ecclésiastique, fut considéré comme une heureuse innovation par
ceux devant qui ces canons faisaient autorité. L'œuvre liturgique de l'ar-
chevêque Vintimille fut accusée de jansénisme dès sa première appari-
tion; elle résista pourtant aux attaques dont elle était l'objet, et devint
même bientôt le prototype de la plupart des Bréviaires nouveaux qui
parurent plus tard dans les divers diocèses de France. Malgré sa
supériorité, le Bréviaire parisien devait être immolé aux exigences
de l'unité liturgique. L'opposition qu'il avait soulevée à son début
se réveilla au temps de la Restauration ; c'est alors que commença
une lutte ardente où s'engagèrent ultramontains et gallicans, et dans
laquelle ces derniers devaient avoir le dessous. Les Bréviaires dio-
césains étaient pour la curie romaine un fait gênant pour sa domi-
nation ; il constatait, en faveur des évêques, un droit de décision en
matière de liturgie ; il y avait là une grosse question de droit cano-
nique qui devait être décidée au profit de Rome et de ses prétentions
à tout régenter. Pour ce faire, elle lança dans l'arène la bouillante
individualité de Dom Guéranger, dont la plume amère, la phrase
acerbe et l'argumentation audacieuse firent merveille. Chaque évêque
•de France fit sa cour à la papauté en abrogeant le Bréviaire français
BRÉVIAIRE — BRÏÇONNET 423
pour adopter le romain. Le diocèse de Paris vient p'être soumis à son
tour au rite romain qui y règne aujourd'hui sans partage.
A. Maulvault.
BRIAL (Dom Michel Jean-Joseph), bénédictin de Saint-Maur, né à
Perpignan en I7'i3. mort à Paris en 1828. Il travailla d'abord à
VHistoùvi littéraire de la France. Les XIIe et XIIIe tomes lui sont dus
ainsi qu'à 1). Clément, son collaborateur; les six suivants sont de Brial
seul et complètent la série des monuments du règne de Philippe-
Auguste et de celui de Louis VIII jusqu'en 1226. D. Brial n'a pas
achevé le XIX1. 11 a été continué par MAI. Daunou et Naudet, qui ont
donné le XXe en 18Ï0. C'est le premier tome de la série consacrée à
Louis IX et à ses successeurs, de 1220 à 1328. Le XXIe volume, publié
en 1855 par MM. Guigniaut et de Wailly, est le second de cette série.
On sait que l'Institut poursuit l'exécution de ce long travail auquel
s'est spécialement consacré M. Hauréau. Le tome XXIVe a paru
• en 1862. M. Camille Rivain a donné en 1875 une table générale des
quinze premiers volumes. Il collabora également au Recueil des Historiens
>/r France que l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres continua
après une assez longue interruption. MM. Pastoret, Brial, Ginguené et Dau-
nou donnèrent en 1814 le XIII" volume. Dom Brial publia les cinq sui-
vants du XIV' au XVIII0. Il laissa en mourant les matériaux du XIXe qui
a été publié en 1833 par MM. Daunou et Naudet. 11 a aussi composé un
grand nombre de mémoires sur divers points d'histoire.
BRICE (Saint), de Tours, arraché à la vie mondaine et converti par
saint Martin, lui succéda en 396 sur le siège épiscopal de Tours, dans
des temps orageux et troublés. Lui-même pendant son épiscopat se
vit à plusieurs reprises exposé aux attaques de nombreux adversaires.
In certain Lazare, qui devint plus tard évèque d'Aix-la-Chapelle,
l'accusa d'inconduite et d'erreurs manichéennes, mais se vit condamné
comme calomniateur au concile de Turin en 404. Brice se signala par
son zèle pour la propagation de la foi et construisit de nombreuses
églises dans son diocèse. En 429 le peuple, soulevé par des ennemis du
prélat, qui l'accusaient de mauvaises mœurs, sans se laisser toucher par
tous les miracles qu'il accomplit pour se justifier, le chassa de son
diocèse et lui donna pendant son séjour à Rome deux successeurs :
Justinien, mort à Verceil vers 430, et Armentius, dont on célébrait
les funérailles en 436 au moment où Brice, revenu de l'exil, rentrait
dans sa cathédrale. Il mourut en paix en 447. Saint Ouen rapporte
que ses restes furent déposés dans une chasse forgée par saint Eloi. En
'.il 3 févêque de Tours les déposa solennellement dans la basilique de
Saint-Martin. La légende associe à son ministère les sept dormants du
temps de Dioclétien ; mais elle n'est qu'une pale copie de celle dessept
donnants d'Epkèse (Greg. Tur., De Glor. Mari., 1, 95; Piper, Zeug,
d. \\\, 1). Le 13 novembre 1002, jour de la Saint-Brice, est une date
célèbre dans L'histoire d'Angleterre : en ce jour Ethclred lit massa-
crer bous les Danois établis dans ses Etats. — Voir : Gallia chr., XIV,
10 et 11 ; Greg. Tur. Opéra, éd. Ruihart, Lutetiae, L699, "passim.
BRIÇONNET (Guillaume), dont le père, devenu veuf, entra dans les
424 BRIÇONNET
ordres, obtint l'évèché de Saint-Malo et fut élevé au cardinalat par
Alexandre VI, naquit à Paris en 1470. Il porta d'abord le nom de comte
de Montbrun et lit ses études au collège de Navarre, où il eut pour
régent Louis Pinelle. Jacques Le Fèvre d'Etaples, ami de son père, fut
aussi l'un de ses maîtres. Ayant embrassé l'état ecclésiastique, il devint
en 1504 évoque de Lodève. Charles VIII ne l'en lit pas moins président
lay de la chambre des comptes ; mais il se démit de cette charge, qui
ne lui permettait pas de résider habituellement dans son diocèse. Il dut
cependant en sortir plusieurs fois pour remplir des missions impor-
tantes. Louis XII, accusé, dans des libelles que l'empereur Maximilien
faisait répandre -en Allemagne et en Italie, de vouloir chasser Jules II
de son trône, transporter le saint-siége à Rome et y faire asseoir le
cardinal d'Amboise, envoya en 1507 Briçonnet à Home repousser ces
imputations. Il le fit en présence du sacré-collège dans un discours latin
qui fut imprimé en cette langue, et plusieurs fois en français sous ce
titre : La harangue de Monseigneur de Lodève proposée devant notre
saint-père le pape. En cette même année 1507, le père de Briçonnet
renonça en sa faveur à la riche abbaye de Saint-Germain-des-Prés, qu'il
tenait de la libéralité du roi. Trente religieux de Chazal-Benoit et de
Samt-Sulpice y furent appelés par le nouvel abbé concordataire pour
l'aider à en opérer la réforme. Il y accueillit aussi, comme dans un
asile, divers hommes savants et pieux, disposés à mettre leur science
au service de la religion, Jacques Le Fèvre, entre autres, qui y acheva
en 1509 son Commentaire sur les Psaumes, et François Vatable, dont la
dédicace à Briçonnet, en août 1518, de sa traduction de la Physique
d'Aristote, est datée de cette abbaye. — Nommé évêque cle Meaux, Bri-
çonnet venait à peine d'yfaire, le 19 mars 1516, son entrée publique,
quand François Ier lui confia une mission auprès de Léon X. Il ne
revint en France qu'au bout de deux ans et se consacra tout entier, à
son retour, au réveil de la piété dans son diocèse. Son premier soin
fut de prescrire, le 13 octobre 1518, dans un synode, la résidence aux
curés ; mais ils n'en tinrent aucun compte, ainsi que cela résulte de
son mandement du 27 octobre 1520, où il se plaint de ce qu'à peine
la dixième partie de ceux qui recueillent les dîmes prennent garde en
personne à leurs troupeaux. Aussi, les déclarant traîtres et fuyards,
annonce-t il qu'il pourvoira autrement aux besoins des pauvres ouailles
rachetées par le sang de Jésus-Christ. Il avait imaginé de diviser son
diocèse en trente-deux sectionsr à chacune desquelles il résolut d'at-
tacher un prédicateur. Jacques Le Fèvre, qui était venu demeurer à
Meaux et qui, dans la préface de son Commentaire sur les quatre Evangiles,
publié depuis peu, prie Dieu d'envoyer des ouvriers nouveaux en vue
d'une moisson nouvelle, lui ayant recommandé pour cette fonction ses
plus chers élèves, Guillaume Farel, Gérard Roussel et Michel d'Arande,
il leur fit appel ; mais il en fallait bien d'autres encore pour pourvoir
à des postes si nombreux, et Briçonnet ne tarda pas à reconnaître que,
mal renseigné sur plusieurs de ceux qui s'étaient offerts à lui, il
avait introduit des loups dans sa bergerie. De là son mandement
du 12 avril 1523, par lequel il révoquait tous les prédicateurs qu'il
BRIÇONNET 425
avait nommés; et la raison qu'il en donnait, c'est que quelques-uns
d'entre eux, « quoique déguisés du masque de piété, au lion de s'ac-
quitter de leur devoir, s'amusaient à ivrogner et paillarder, ce <|ne je
ne puis raconter que la larme à l'œil, » ajontait-il. Peu de jours après,
le I ' mai 1523, il choisit Le Fèvre, qu'il avait placé, le 11 août 1521,
à la tête de la léproserie de Meaux, pour son vicaire général ou spirituel.
Le Fèvre axait dit, dans la préface citée pins haut, et qui était un véri-
table manifeste, que « les chrétiens ce sont ceux-là seulement qui
aiment Jésus-Christ et sa parole ». Se l'associer comme vicaire général,
c'était adopter son programme. Les mauvais ouvriers furent renvoyés;
mais les disciples de Le Fèvre furent maintenus dans leur emploi, et
c'est d'eux que Florimond de Rémond a dit: « Des mains de ces gens
a été pétri le levain de l'hérésie en la France ; car ceux-ci se répan-
dirent en diverses contrées par la trop grande facilité de l'évêque »•
Guillaume Farel est cependant le seul des prédicateurs mis alors à
l'œuvre par Briçonnet, qui ait pris part ouvertement au mouvement
de la réformation ; tous les autres refusèrent de s'y associer, désirant,
comme leur évêque, ne pas accepter la responsabilité de ce qui se
faisait ailleurs d'après des principes différents des leurs. Briçonnet ne
s'est donc pas mis, ainsi qu'on l'a prétendu, en contradiction avec lui-
même, en défendant sous peine d'excommunication, par un décret
synodal du 15 octobre 1523, quatre mois après s'être adjoint Le Fèvre
comme vicaire général, « d'acheter, emprunter, lire, avoir et porter
sur soi les livres de Martin Luther, et ceux que l'on dit être de sa façon
sons noms empruntés, comme aussi de les approuver, défendre ou di-
vulguer, soit es assemblées publiques, soit es colloques particuliers et
familiers devis, avec très-exprès commandement de jeter, biffer ou
brider, incontinent après la publication de ce décret, ceux qu'ils auraient
peut-être jusques ici gardés dans leurs maisons ou mis en dépôt quelque
autre part. » Son décret synodal du 13 décembre de la même année,
défendant aux curés, sous peine d'anathème, de laisser prêcher dans
leurs chaires les luthériens et tous autres faisant profession de leur doc-
trine, n'aurait le caractère d'un abandon de son entreprise que si Bri-
çonnet avait jamais voulu propager cette doctrine; mais il n'en est rien,
et il suffit pour s'en assurer de prendre connaissance des lettres adressées
par lui à Marguerite d'Angoulême, sœur de François Ier, alors mariée
au duc d'Âlençon, qui l'avait prié delà diriger dans la voie de la piété.
La première est du 19 juin 1521, et appartient ainsi à l'époque où
l'évêque de Meaux invita les disciples de Le Fèvre à venir le seconder.
Ce sont des espèces de dissertations mystiques, dont quelques-unes
n'ont pas moins de cent pages, souvent inintelligibles, bien que le roi,
sa sœur et sa mère les goûtassent fort, et dans lesquelles Bèze n'aurait
certainen* ot pas reconnu « la doctrine de vérité » que Briçonnet s'ef-
forçait, selon lui, « d'avancer en son diocèse » {Histoire ecclésiastif//»'
des Eglises réformées, t. I, p. 5). On ne peut guère douter que ce ne
M>it a deux de ces lettres, dont Marguerite laissait, parait-il, prendre des
copies, que Capiton fait allusion dans la dédicace à cette princesse de
son commentaire latin sur le prophète Osée, lorsqu'il lui dit qu'il a lu
426 BRIÇONNET
•deux lettres à elle adressées, où, « à l'imitation de Nieolas de Cusa, on
philosophait sur l'essence et la puissance de Dieu. » Il se réjouit de ce
•qu'elle en a retiré du bien, « si toutefois, lui dit-il, cette méthode peut
porter d'heureux fruits, » et il la félicite de ne pas s'être contentée de
■cette philosophie de haute volée, mais d'être arrivée à la pleine pos-
session de la foi en Jésus-Christ, telle qu'il l'entendait lui-même {Cor-
respondance des Réformateurs, publiée par Hermenjard, n° 227). Mais
si Marguerite n'a fait que traverser la phase antérieure, Briçormet
semble s'y être arrêté. Ses lettres sont remplies d'un mysticisme allé-
gorique qui revêt les formes les plus bizarres et qui peut nous aider à
comprendre certains actes qu'on lui a reprochés. En effet, Tun des
premiers principes de l'école mystique, ainsi que Merle d'Aubigné en
a fait la remarque en parlant delui, a toujours été de s'accommoder à
l'Eglise où l'on se trouve, quelle qu'elle puisse être » (Histoire de la
Ré format ion, t. III, p. 635). M. Schmidt a dit, avec non moins de
raison, des théologiens de cette école, que, « tout en se prononçant
contre les abus de Rome, ils ont cru de tout temps qu'ils étaient les fils
dévoués de l'Eglise; aussi, toutes les fois que celle-ci les avertissait
qu'ils tombaient dans l'hérésie en donnant un autre sens à ses dogmes
•et à ses usages, reculaient-ils avec effroi et se hâtaient-ils de protester
de leur fidélité à l'orthodoxie catholique » (Gérard Roussel, p .13). Il en
a été ainsi de maître Eckart et de ses disciples au moyen âge, et de l'é-
vêque de Meaux au seizième siècle. Celui-ci ne désirait nullement que
François Ier, à l'exemple de Henri VIII et des princes allemands favora-
bles à Luther, prit parti pour la réformation de l'Eglise. Redoutant les
imprudences de Marguerite, il l'engageait à modérer son zèle, de peur
de nuire à la cause qu'elle désirait servir, en voulant trop agir sur son
frère. « Il vous plaira couvrir le feu pour quelque temps, lui écrivit-il
en octobre 1522, après en avoir conféré avec Le Fèvre; ne conseillons
pour plusieurs raisons que passiez outre, si vous ne voulez du tout
(entièrement) éteindre le tison et le surplus qui désire se brûler et
autres enflammer » (Hermenjard, n° 54). — La suite a fait voir combien
ces craintes étaient fondées. Tout ce que Briçonnet demandait au
roi, c'était de faire un bon usage du droit de nommer aux évêchés
et aux abbayes qui lui était attribué par le concordat conclu en 1516
avec Léon X, et c'est dans ce but qu'il écrivait à Marguerite : « Pouvez-
vous ignorer que la plupart de ceux qui doivent être préconisateurs de
vérité ne savent l'annoncer? Il fait mauvais guet qui est borgne, aveugle
et endormi. Je vous supplie procurer pour l'avenir l'honneur de Dieu
en l'élection et choix de ses ministres » (Hermenjard, n° 87). Mais les
bons évêques rencontraient de puissants adversaires, ardents à con-
trarier leurs efforts. Briçonnet se vit accusé « de planter l'hérésie à
Meaux », où, bien que ce ne fût pas son dessein, le luthéranisme
faisait des progrès. Il se sépara alors de Farel et de ceux qui, ainsi
que lui, pouvaient le compromettre par un langage trop hardi,
« leur tenant la main à l'issue comme il avait fait à l'entrée, » dit Flo-
rimond de Rémond. Il ne retint auprès de lui que des hommes tels
•que Le Fèvre et Roussel, résolus à ne pas sortir de l'Eglise catholique,
BRIÇONNET 427
mais à travailler dans son sein à sa régénération, et il remplaça les
partants par des prédicateurs qu'il croyait aussi pieux et pins modérés
qu'eux. De ce nombre furent Pierre Garoli, chanoine de l'église de
Sens, et Martial .Ma/urier, principal <ln collège de Saint-Michel, à Paris.
Ces nouveaux venus excitèrent bientôt les mêmes inquiétudes que leurs
devanciers; plusieurs d'entre eux Curent poursuivis, et Martial, enfermé
à la Conciergerie, n'obtint la liberté qu'après s'être dédit publique-
ment. Ennemi des luttes ouvertes, Briçonnet pensait qu'il ne faut
entreprendre que ce <pfon est sur de mener abonne fin, et (pie la pru-
dence consiste à caler les voiles à propos. Il conseillait à ses amis de
ne pas demeurer dans les diocèses où ils seraient mal vus des évoques,
<le peur de s'attirer l'excommunication, « qui est foudre effarouchant
le populaire, a disait-il (Hermenjard, n° 93). L'archevêque de Bourges
ayant interdit la chaire à Michel d'Arande, il refusa d'intervenir en sa
faveur, craignant qu'il n'en arrivât pis. « S'il ne prêche là, écrivit-il
à Marguerite, il ne sera pas ailleurs infructueux, et sera toujours sa
monnaie bien revue » (Hermenjard, n° 94). Gérard Roussel était un
collaborateur, selon son cœur, parce que, sans faire aucune concession
aux adversaires, il évitait de leur fournir des prétextes de l'accuser.
Dans le temps même où l'on sévissait contre quelques-uns de ses com-
pagnons d'œuvre, Briçonnet le chargea de faire chaque matin, dans la
cathédrale de Meaux, une instruction au peuple sur les épitres de saint
Paul: ailleurs, c'était Nicolas Mangin, Jean Gadon, Nicolas de Neuf-
château, Jean Mesnil, auxquels Le Fèvre, dans une lettre à Farel, rend
un excellent témoignage, qui devaient les expliquer (Hermenjard,
n° 103). Déjà alors la Sorbonne désirait atteindre Briçonnet lui-même,
malgré l'appui que Marguerite ne cessait de lui prêter. Sa position de-
venant de plus en plus difficile, Le Fèvre et Houssel se retirèrent à
Strasbourg sous des noms supposés, et quand ils rentrèrent en France,
ils ne retournèrent pas à Meaux. Les cordeliers de cette ville, auxquels
l'évêque avait fait défendre par les juges civils de prêcher dans son
diocèse sans sa permission , crurent le moment venu de tirer ven-
geance de lui en incriminant sa doctrine, il eut beau publier un man-
dement contre les auteurs de certains actes injurieux au culte catho-
lique, et excommunier publiquement, pour cause d'hérésie, un de ses
diocésains qui se tenait caché, ainsi que ceux qui lui donneraient asile,
les cordeliers soutinrent qu'il était responsable de ces scandales,
puisqu'ils ('(aient le fruit de la lecture du Nouveau Testament, traduit
en français par Le Fèvre, qu'il avait autorisée. Ils obtinrent du parle-
ment l'arrestation de diverses personnes coupables de luthéranisme, et
Briçonnet lut invité à venir à Paris conférer avec deux conseillers sur
ce qui se passait dans son diocèse. Il demanda en vain de ne pas être
interrogé par des commissaires, mais en pleine cour, et même toutes
les chambres assemblées. Le parlement, peut-être dans l'intention
d'étouffer l'affaire, maintint la décision qu'il avait prise. On ignore
ce qui se passa dans l'interrogatoire, qui eut lieu. le 20 octobre 1525.
Kn décembre, il fut cité de nouveau «levant les mêmes conseillers, qui
le questionnèrenl surtout sur l'autorisation qu'il avait donnée de lire
428 BRIÇONNET
la version française du Nouveau Testament de Le Fèvre, imprimée
plusieurs fois en France de 1523 à 1525, et qui ne Ta plus été qu'à
l'étranger à partir de 1526. — Des jugements sévères ont été portés sur la
conduite de Briçonnet depuis cette époque par ceux de ses contempo-
rains qui ne croyaient pas devoir user des mêmes ménagements que
lui. Pierre Toussain, dans une lettre à QEcolampade du 20 juillet 1526,
lui reproche de ne pas annoncer fidèlement la parole de Dieu , « cher-
chant plus à plaire aux hommes qu'à Dieu » (Hermenjard, n° 181 ).
Antoine Froment, dans une ancienne chronique protestante, suivie par
Bèze, prétend que, « craignant perdre son évêché et sa vie, il chan-
gea sa robe et- devint persécuteur de ceux qu'il avait auparavant ensei-
gnés » (th., t. 1, p. 158, note 4). Mais en a-t-il vraiment été ainsi? C'est
le chancelier du Prat qui conseilla à Louise de Savoie de faire pour-
suivre les hérétiques, afin d'étouffer les nouvelles opinions religieuses
qui pouvaient troubler le royaume pendant la captivité de son fils.
Jean Briçonnet, l'un des frères de révoque de Meaux, introduisit le
sujet au sein du parlement dans la séance du 20 mars 1525. Il n'y ren-
contra aucune opposition. Le premier président Jean de Selve fit re-
marquer alors que la constatation de l'hérésie appartenant à l'Eglise et
l'exécution de la sentence ecclésiastique au pouvoir séculier, il fallait
régler avant tout la question des attributions pour écarter toute possi-
bilité de conflit. Là-dessus l'évêque de Paris, qui s'en était entendu à
l'avance avec l'archevêque de Sens et l'évêque de Meaux, proposa de
s'en remettre au parlement du soin de donner des juges aux héré-
tiques, s'engageant, au nom de ces deux collègues et au sien, à bailler
vicariat à ceux qui seraient nommés par la cour, en sorte que ces
juges, munis à la fois du mandat épiscopal et des pouvoirs du parle-
ment, pussent faire et parfaire cette sorte de procès par un seul juge-
ment. Une résolution conforme fut prise séance tenante, et Clément VII
en ayant été informé fit savoir qu'il était satisfait des dispositions adop-
tées. Les deux premières victimes du tribunal institué contre l'hérésie
furent un ecclésiastique nommé Jacques Pavanes et un pauvre homme
qu'on appelait l'hermite de Livry, brûlés vifs à Paris vers la fin de l'an-
née. Ils appartenaient l'un et l'autre au diocèse de Meaux; mais il n'en
résulte pas que Briçonnet les ait livrés au bras séculier; car en baillant
vicariat, suivant la décision du parlement, il avait renoncé à exercer
aucune action personnelle dans les affaires de cette sorte. 11 suffit d'ail-
leurs de regarder aux dates pour reconnaître qu'il ne pouvait prendre
alors l'attitude d'un persécuteur, puisqu'il était formellement accusé à
cette époque par les cordeliers de favoriser les hérétiques et d'avoir
leurs croyances. Il est très- possible que Briçonnet ait essayé, ainsi que
Bèze le rapporte, d'obtenir une rétractation de Denis de Bieux, lequel
fut brûlé vif à Meaux le 3 juillet 1528, pour avoir dit que la messe est
un vrai renoncement de la mort et passion de Jésus-Christ {Histoire
ecclésiastique, t. I, p. 7). C'était son devoir d'évêque, et s'il l'avait
obtenue, il aurait arraché Denis à ses juges. En 1529, quand Philippe
Papillon, chanoine de Meaux, fut inculpé à son tour, le parlement or-
donna qu'il serait mené à Paris, et que Briçonnet baillerait vicariat
BRîÇONNET — BRIDAINE 129
pour cette affaire. Plus tard, la cour L'invita à donner un vicariat géné-
ra] à un conseiller « nommé par elle pour faire le procès à toutes per-
sonnes, de quelque qualité qu'elles lussent, soupçonnées d'hérésie
dans son diocèse » (Guy Bretonneau, p. ISS). 11 n'avait, après cela,
aucun caractère pour y intervenir. Le biographe de Briçonnet assure
qu'il mérita d'être appelé « le grand guerroyeur et ennemi mortel dé
la l'action Luthérienne : factionis lutheranœ debellator acerrimus; » mais
il ne justifie ce titre qu'en disant « qu'il lit tout ce qu'on eût pu se
promettre de la vigilance d'un bon pasteur, tant par visites et prédica-
tions que par censures et anathèmes, » pour s'opposer à la doctrine
Luthérienne (tbid., p. Hiï). De là à être persécuteur, il y a loin assuré-
ment. — ;Les Luthériens de Meaux, comme on les appelait, obtinrent un
peu de relâche en 1532. François Ier, ayant resserré alors son alliance
avec Henri VIII, cessa de se montrer hostile pendant quelque temps aux
projets de réforme. Il voulait seulement, pour éviter toute apparence
de schisme, qu'il fût bien entendu que le pape serait toujours reconnu
pour chef de l'Eglise universelle. Ce changement, qui favorisa sans
doute L'accroissement de « la petite troupe de Meaux, composée. la plu-
part de gens de métier, cardeurs de laines et drapiers drapants» (Bèze),
procura un peu de repos à Briçonnet pendant les deux dernières
années de sa vie. Il mourut le 2o janvier 1534, dans son château d'Ai-
mans. près Montereau-sur-Yonne. On a de lui une traduction des Con-
templâtiones Idiotae, de Raymond Jordan. La Bibliothèque nationale
de (Supplément français, n° 337) une copie contemporaine de sa
correspondance avec Marguerite d'Angoulême, dont M. Génin, dans
ses deux recueils des lettres de cette princesse, et M. Hermenjard ont
pi d >lié des extraits. Guy Bretonneau a donné son portrait sur le fronti-
spice de Y 1 1 istoire généalogique de la maison des Briçonnet, oui' 'on trouve
h h grand nombre de pièces relatives à son épiscopat, recueillies par
Jean Lermite, son secrétaire. Toussaints Du Plessis a inséré dans son
Histoire de l Eglise de Meaux , d'après les registres du parlement, les
décisions qui le concernent. H. lutieroth.
BRIDAINE (le Père) naquit dans un village qui faisait partie du dio-
cèse d'Uzès, à Chusclan, le 21 mars 1701. 11 mourut le 22 septem-
bre I7()7, à Roquemaure. Son père était médecin. Il lit ses études à
Avignon, au collège des jésuites d'abord, puis au séminaire de la con-
fondes Missions royales de Saint-Charles de la. Croix. De là. le
titre de missionnaire royal qui accompagne son nom. De très-bonne
heure il se lit remarquer par une grande facilité d'élocution et un pen-
chant a donner à sa pensée une -l'orme oratoire. Il s'acquit bientôt une
réputation de piété à cause de la ferveur de son zèle, de son infatiga-
ble activité missionnaire, comme aussi une réputation d'orateur par
Ses succès dans la chaire. 11 ne lit pas inoins de deux cent cinquante-six
missions dans le cours de sa vie, de sorte que l'un de ses biographes
a pu due qu'il n*v a pas en France, en quelque sorte, quelques pro-
vince^ du .\Ord exceptées, une ville, un bourg, un village, où il n'ait
porté l<' soin de son apostolat. » Le trait dominant du P. Bridaine fut
une passion \i\<' pour le salut des âmes et la conversion des pé-
480 BRIDAINE
cheùfs. Ce fut là son unique souci. Comme prédicateur, il ne rechercha
pas la gloire. Ses discours sont exempts de ces artifices du style, de
ces ornements voulus qui trahissent le désir de plaire. A cet égard on
peut les proposer pour modèles à tous ceux qui remplissent le minis-
tère évangélique. Chacun de ses sermons, qui n'ont été publiés qu'en
1823 sur les manuscrits originaux, en cinq volumes in-12, auxquels
on en ajouta deux autres quatre ans après, est un véritable assaut pour
la prise des âmes. Par moments on y trouve une éloquence emportée,
toute d'interrogations pressantes et d'exclamations émues. Il y a là
comme un bruit de combat ; on entend les objections et les résistances
de l'auditeur, et aussitôt après les répliques brusques par lesquelles
l'orateur lui coupe la parole. Ce sont comme des épées qui s'entre-croi-
sent avec des éclairs, et comme deux lutteurs qui essayent leur force.
Aussi le P. Bridaine obtenait-il de nombreuses conversions. Ses ser-
mons sont vraiment remarquables par la chaleur qui les pénètre d'un
bout à l'autre, la solidité de l'argumentation, la clarté et l'élégance
d'un style qui coule de source, par l'imprévu et la hardiesse des inter-
rogations, l'originalité des développements et enfin par une éloquence
nerveuse qui saisit et trouble. Il faut aussi y signaler des défauts : des
négligences et des longueurs inséparables de cette facilité dont nous
avons parlé, des trivialités qui apparaissent tout à coup à côté des plus
beaux mouvements et qui descendent quelquefois jusqu'au grotesque ;
enfin des tableaux d'un réalisme outré dans lesquels l'orateur se
plait à décrire les menaces et les châtiments les plus terribles de l'E-
vangile. Il avouait lui-même à ses auditeurs que son dessein « était de
les effrayer », et après l'avoir lu on ne peut douter qu'il n'y ait réussi
le plus souvent. Ses sujets de prédilection étaient les suivants, qui ont
servi de titres à ses meilleurs sermons : le Délai de la conversion, la
Mort des pécheurs, le Jugement, l'Enfer, l'Eternité, le Petit nombre de$
élus, le Péché mortel, la Pénitence. Il ne sortait guère de cet ordre-
d'idées. Il voulait que le pécheur se convertit sans délai, et pour l'a-
mener là, il engageait avec lui une lutte à outrance, le menaçant du
jugement de Dieu. On ne peut lire ses discours sans éprouver un trou-
ble salutaire. On y est en présence d'un homme qui veut vous sauver et
non vous amuser; qui demande votre âme et non vos éloges, et qui,
pour la ravir, ne craint pas de frapper de grands coups. Ce sont des
sermons (V appel. Je ne vois que le prédicateur anglais Spurgeon qui
puisse donner quelque idée du genre du P. Bridaine. On regrette qu'il
n'ait pas essayé d'attirer les pécheurs par la description de l'amour de
Dieu et des consolations de l'Evangile, C'est là évidemment une grave
lacune, mais son tempérament oratoire le portait vers les sévérités de
la religion. Il ne négligeait aucun moyen extérieur pour agir sur l'es-
prit de son auditoire. Ainsi il prêchait habituellement à l'entrée de la
nuit. Madame Necker raconte qu'étant un jour à la tête d'une proces-
sion, il prononça une exhortation saisissante sur la brièveté de la vie,
et finit par dire à la multitude : « Je vais vous ramener chacun chez
vous, » et il les conduisit dans le cimetière. La première fois qu'il
prêcha à Aiguës-Mortes, les fidèles, se défiant du talentd'un jeune pré-
BKIDAINE — BRIDEL 431
dicateur à ses débuts, n'allèrent point l'entendre. Il se rendit sur la
place publique, couvert de son surplis et agitant une sonnette. La
foule surprise de celte singularité, et voulant voir à quoi aboutirait
celte scène, se rendit au temple. OÙ le jeune prédicateur improvisa un
véhément discours sur la mort. Quiconque a lu ses sermons ne s'é-
tonne point de ce que Ton rapporte sur l'impression extraordinaire
qu'ils produisaient : on entendait des soupirs s'élever du milieu de
L'auditoire, et on voyait couler bien des larmes. Quand cette éloquence
sombre descendait sur ces tètes, elle devait les courber et les écraser!
Marmontel en avait gardé un souvenir ineffaçable. Massillon la mettait
au-dessus de la sienne. Il a manqué à Bridaine, pour être un orateur
de premier ordre, une culture et une sûreté de goût que les soins de
son ministère ne lui permirent pas de rechercher, et cette connaissance
du cœur humain, ce talent d'analyse morale où excellait Bourdaloue.
Il aurait peut-être acquis ces dons s'il n'avait été emporté ailleurs par
la ferveur de son zèle. Sa conférence sur Y Aumône, qui est son meil-
leur discours, prouve ce qu'il aurait pu avec du travail. L'exorde bien
connu qu'il prononça dans l'église de Saint-Sulpice, devant un au-
ditoire qui semblait devoir l'intimider, est d'une beauté sans* taches :
notre langue française n'a pas beaucoup de plus beaux morceaux. Pour
ce qui est de sa doctrine, on y trouve les erreurs de la doctrine catho-
lique sur l'incertitude touchant notre salut, et sur le caractère méri-
toire de l'aumône. — Voir : Le Modèle des Prêtres, par l'abbé Car-
ron, 1805 ; Y Essai du cwdïna\ltlauY\; 7Jiog)-aphie universelle deMichaud.
J. Bastide.
BRIDEL (Louis) est né à Vevey (Vaud) en 1813. Après avoir achevé
ses études pour le ministère, dans l'académie de Lausanne, au milieu
de luttes intérieures douloureuses, suivies d'un don joyeux de son
cœur à Dieu, il exerça momentanément des fonctions de sufiïagant
dans l'Eglise de son pays, puis partit pour Paris en 1840. D'abord
placé au faubourg du Temple en qualité d'évangéliste, puis associé à
la direction de l'école normale d'instituteurs fondée par la Société
évangélique, il fut enfin choisi pour être l'un des prédicateurs de la
chapelle Taitbout. L'auditoire distingué qui s'y réunissait appréciait
hautement son enseignement et l'entourait d'une approbation vive et
sympathique. Bridel rendit aussi de grands servives comme membre
des comités de quelques sociétés religieuses importantes, et plus tard
comme membre de la direction de Y Union des Eglises évangéliques.
Rentré dans sa patrie, après une absence de quinze années (1855), il
consacra toutes les forces de sa belle intelligence à l'Eglise libre, dont
son père, le vénéré pasteur Philippe Bridel, auteur de Méditations sur
les sept paroles de la croix, avait été l'un des fondateurs. Comme pas-
teur adjoint dans l'Eglise de Lausanne, comme président de la com-
mission des études de l'Eglise libre vaudoise et comme prédicateur
itinérant, Bridel acquit une autorité et une influence dont il se servit
pour If bien des communautés indépendantes auxquelles le rattachaient
ses convictions les plus chères. Grâce à son activité, la l'acuité libre de
théologie prit un développement inattendu. Elle doit à ses efforts le
432 BRIDEL — BRIE
modeste édifice qui l'abrite aujourd'hui. Bridel fonda aussi le Chrétien
évangèlique (1858), revue très-appréciée qu'il dirigea jusqu'à sa mort.
L'œuvre de î'évangélisation de l'Espagne faisait l'objet de ses préoccu-
pations les plus vives, lorsqu'une maladie imprévue contractée à
Nimes, où il représentait son Eglise auprès du synode des Eglises libres
de France, le ravit en peu de jours à sa famille et à ses amis (1er no-
vembre 1866). « Comme homme et comme chrétien, Bridel possédait
à un haut degré l'élévation, la fermeté, la droiture, la franchise, la
largeur d'esprit et de cœur et la libéralité. Mais ce qui forme peut-être
le caractère le plus prononcé de sa personnalité, c'est l'activité. »
Bridel n'a pasiaissé d'écrits importants; il faut signaler cependant ses
Trois séances sur Paul Rabaut et les prot. franc, au dix-huitième
siècle, 1859 (voir Chrétien évangèlique, 1866, p. 585-604).
Louis Ruffet.
BRIE (Eglises de la). La Brie était une petite province, qui faisait
anciennement partie des gouvernements de Champagne et de l'Ile-de-
France et avait pour capitale Meaux. Dès 1521 l'évêque de cette ville,
Guillaume Briçonnet, prêchait ouvertement les doctrines luthériennes
et appelait pour le seconder Le Fèvre (Fabri) d'Etapbs, docteur en
Sorbonne, Faiel, régent au collège du Cardinal-Lemoine, et les doc-
teurs Martial et Gérard Roussel (Ruffi). Les cordeliers de Meaux n'ayant
pas tardé à persécuter les nouveaux apôtres, Martial, qui craignait plus
les hommes que Dieu, dissuada Briçonnet de donner suite à ses projets
de réforme et même se rétracta publiquement. Il mourut chanoine et
pénitencier de Paris. Le Fèvre se retira à Blois, puis s'établit à Nérac,
grâce à la faveur de la sœur de François Ier, la célèbre Marguerite de
Navarre, qui sauva également Roussel d'une mort certaine. Quant à
Farel, après avoir séjourné quelque temps à Paris, il retourna dans
le Dauphiné, son pays natal. Les ouailles de l'évêque de Meaux, quoi-
que sans instruction (ils étaient pour la plupart cardeurs de laine et
drapiers), supportèrent courageusement la persécution et offrirent à
Dieu comme les prémices des martyrs, selon la touchante parole de
Bèze. L'un d'eux, Jean Leclerc, fut arrêté et flétri par la main du
bourreau. Un an après il mourait martyr à Metz (1524). Le jeune
Jacques Pavannes, qui avait été attiré à Meaux par l'évêque, fut brûlé
vif à Paris (1525). Un ermite, qui habitait Livry, subit le même sort.
La semence évangèlique n'en fructifia pas moins dans la capitale de
la Brie. En 1546 les luthériens de Meaux (comme on les appelait pro-
verbialement) dressèrent une Eglise à l'instar de celle de Strasbourg,
que plusieurs d'entre eux allèrent visiter, et élurent pour pasteur
Pierre Leclerc, cardeur de laine remarquablement versé dans les
Ecritures. Une cruelle persécution suivit de près. Quatorze luthériens
furent condamnés au. feu par le parlement de Paris (4 octobre 1546),
et exécutés à Meaux, notamment le pasteur Leclerc. L'Eglise, ébranlée
par ces supplices, se reconstitua en 1555 sous le ministère de La
Chasse et prit de l'extension. En 1559 ce dernier fut remplacé par le
breton Du Fossé, qui ne tarda pas à être pris et condamné à mort. Au
dernier moment ses amis parvinrent à le faire évader. Meon, qui vint
BRIE — BRTBUC 433
après lui, exerça d'abord ses fonctions en cachette, puis en public, à
partir de Ledit de janvier 1562. — La Réforme s'était introduite dans
plusieurs autres lieux de la Brie. Leclerc, en quittant Meaux, en 1521, la
prêcha à Rozay. Loisy vit son Eglise se constituer. en 1561. Jérémie
Vallée, son pasteur, fut remplacé à cette époque par Jean Fournier,
docteur de Sorbonne converti, dont les longues souffrances sont
racontées par Bèze. Les églises de la Rrie souffrirent beaucoup des
guerres de religion, notamment celle de Meaux (1502), mais elles se
réorganisèrent après Ledit de Nantes et furent rattachées au colloque
de Paris et à la province synodale de Llle-de-France, Brie, Picardie,
Champagne et pays chartrain. C'est à Lissy-en-Brie que se tint en 1682
(ou 1083) le dernier synode de la province. Il offrit ceci de particulier
qu'au commissaire catholique, chargé par le roi d'assister aux séan-
ces, fut adjoint un prêtre catholique, chanoine de l'église cathédrale
d'Arras. Décimés par la révocation de Ledit de Nantes, les protestants
de la Brie eurent des assemblées du désert en 1700. Inquiétés à ce
sujet, ils s'adressèrent à Paul Rabaut, l'oracle du protestantisme à
cette époque, qui leur donna, suivant son habitude, des directions
pleines de prudence et de fermeté. En 1770, nouvelle et plus sérieuse
persécution. Le pasteur Charmusy est arrêté en chaire à Nanteuil-les-
Meaux et conduit en prison, où il meurt au bout de neuf jours. Son
successeur Broca fut emprisonné de même àLagnyen juin 1774; mais on
le relâcha en septembre. Les églises de la Brie avaient encore pour
pasteurs à cette époque Briatte, Bellanger, Hervieux et Maurel. Après
la loi de germinal an X, qui reconstitua les cultes, elles furent réunies
aux églises du département de l'Aisne et formèrent le consistoire de
Monneaux, bientôt partagé en deux : le consistoire de Meaux et celui
de Saint-Quentin. — Bèze, Hist. ecclés.; Crespin, Hist. des martyrs;
Rabaut le jeune, Annuaire ou réper t. ecclés.; Bulletin de la Soc.de
Vhist. du prot. franc., 1853, p. 458. E. Arnaud.
BRIET (Philippe), de la Société de Jésus (1001-1008). Géographe et
historien, le P. Briet entreprit une compilation exacte et méthodique
avec des cartes remarquables, sous ce titre : Parallela geographiœ veteris
et novec (Paris, 1048 et 49, 3 vol. in-4°). Ces trois volumes ne renfer-
ment que l'Europe. Le manuscrit de l'Asie et de l'Afrique n'a pas été
publié; longtemps égaré après la suppression des jésuites, il a été
acquis en 1811 par la Bibliothèque nationale. Briet donna encore le
Theatrum geographicum Europœ veteris (1053, in-fol.). En histoire, il
publia une Chronique universelle où il suit le système chronologique
de son confrère et contemporain le P. Péteau, et une continuation de
1* ibrégé de l' histoire universelle du P. Turselin, qu'il mena de 1598 à
1661, ouvrage aussi élégant pour la latinité qu'inexact dans les laits.
briet s"\ montre plus ultramontain que français. Il compléta aussi la
Concordia chronologica du P. Labbe. Tous ces travaux historiques,
ainsi que divers essais littéraires, font regretter qu'il ne se soit pas
exclusivement consacré à la géographie.
BRIEUC (Saint) ou Brioc, né en Cornouailles, dans. les premières
années du sixième siècle, appartenait à une famille puissante de
n. 28
*84 BRIEUC — BRIGITTE
païens que des signes et des visions décidèrent à embrasser la foi
chrétienne et à consacrer leur enfant au Seigneur. Ils reçurent tous le
baptême des mains de l'illustre Germain d'Auxerre, venu en mission
dans la Bretagne pour combattre l'hérésie pélagienne. Après avoir
terminé ses études à Paris et reçu en 549 la prêtrise, Brieuc retourna
dans son pays natal et se consacra avec succès à l'œuvre de l'évangé-
lisation parmi ses compatriotes. Cédant plus tard à une vocation
irrésistible, il débarqua dans notre Bretagne avec quatre-vingts reli-
gieux, et bâtit un monastère au lieu dit « la Vallée Double », que
lui avait cédé Rignal, après avoir défriché le sol couvert d'arbres
séculaires et transformé ces lieux solitaires en des campagnes couvertes
de moissons. Il mourut en 614 et fut enseveli dans son monastère,
autour duquel se groupèrent quelques habitations, point de départ de
la ville de Saint- Brieuc, dont l'évêchéfut créé en 844. En 860 le corps
du saint fut transporté à Angers, lors des invasions normandes. L'in-
scription retrouvée sur sa châsse en 1222 le qualifie d'évêque, mais il
est probable qu'il en avait simplement le titre sans résidence fixe. —
Voir : Chanoine La De visou, Vie de S. B., 1627; Legrand, Vies des
Saints de Bretagne (très-crédule), in-fol., Nantes, 1637; Dom Taillan-
dier, Hist. de Bretagne, Paris, 1756, II, LX VIII ; Gallia Christ., XIV,
1085.
BRIGITTE, la sainte Marie d'Irlande, née en 467, tille d'un barde
de la province cleLemster, baptisée à l'âge de quatorze ans par F un des
disciples de saint Patrick, refusa de rentrer dans sa famille et se retira
dans une épaisse forêt de chênes, sanctuaire vénéré des druides. Elle
s'y construisit une cellule et groupa autour d'elle de nombreuses no-
vices attirées par sa piété et par ses miracles. Son monastère Kildare,
ou la Cellule du Chêne, a donné peu à peu naissance à la ville de ce
nom. De nombreux couvents adoptèrent la règle qu'elle avait rédigée.
Elle mourut en 525 et fut bientôt canonisée. Son nom fut donné à des
milliers d'églises du continent par les missionnaires de sa patrie. Invo-
quée à l'égal de la Vierge, les nonnes de Kildare entretinrent, en mé-
moire d'elle, un feu perpétuel que le clergé fit éteindre en 1222 pour
couper court à des superstitions grossières. Ses miracles sont aussi fa-
buleux que ses visions sont étranges, toutes pénétrées qu'elles sont des
souvenirs du druidisme. Patronne de l'Irlande, elle a été jusqu'à nos
jours l'objet d'un culte national (Todd, Book of hymns of the anc. ch.
oflr., 1855). Todd a traduit plusieurs des hymnes composées en son
honneur. — Voir : AA. SS., feb., 1, 99-183 ; Montalembert, Les Moines
d'Occident, II, 418.
BRIGITTE, née vers 1302, appartenait par sa famille à la race royale
de Suède. Elle manifesta de bonne heure sa passion pour la vie monas-
tique, qu'elle continua en partie après son mariage avec Wulpho de
Néricie, et entra avec lui dans le tiers-ordre de Saint-François. De leurs
huit enfants, l'aînée, Catherine, eut, elle aussi, l'honneur delà canoni-
sation. Adonnés à une piété vivante et pratique, les deux époux se
consacrèrent au service des pauvres, pour lesquels ils lirent construire
voi hôpital dans leur patrie; puis ils résolurent d'entreprendre un
BRIGITTE — BRIQTJBMAULT 435
pèlerinage à Saint-Jacques-de-Gompostelie. Wulpho, tombé malade au
début du voyage, retourna en Suède et entra, avec le consentement de
sa femme, dans un couvent de l'ordre de Giteaux, où il mourut en
1344, avant d avoir prononcé ses vœux. Sa veuve s'abandonna dès lors
aux pratiques de l'ascétisme le plus rigoureux et fonda à Wadstena,
dans le diocèse de Sinkoeping, un couvent pour soixante religieuses,
qui fut Le point de dépari de Tordre de Sainte-Brigitte ou de Saint-
Sauveur. Cet ordre, confirmé par Urbain VI en 1370, comprend des
moines et des religieuses sous la direction de rabbesse, qui représente
la Sainte Vierge, dont il a pour mission spéciale de propager le culte.
Cet ordre, très-répandu dans le Nord de l'Europe, a jeté quelques
rameaux dans le Sud et a donné OEcolampade à la Réforme. En 1346,
Brigitte se rendit à Rome, où elle fonda une maison de refuge pour les
étudiants et les pèlerins de son pays, et y mourut en 1373, après avoir
accompli un pèlerinage à Jérusalem. Elle fut canonisée parBonifacelX,
dès le 7 octobre 1393, malgré la vive opposition de Gerson. Ses visions,
qu'elle dicta à ses deux confesseurs, inspirées par l'attachement le
plus rigide à la hiérarchie catholique, proclament la Conception
immaculée de la Vierge et mettent dans la bouche de Jésus-Christ les
menaces les plus sévères contre les ennemis du célibat des prêtres et
de la hiérarchie romaine. Les catholiques eux-mêmes y reconnaissent
l'influence de ses directeurs spirituels. — Voir : AA. S S., oct., IV,
378 ss.; Binet, Vie adm. de S. È., Lille, 1624, 8° ; Chaldénius, Dt'sp. do-
rrr. S. //.. Witt., 171o, 4°. A. Paumier.
BRILL (Jacques) [1639-1700], mystique hollandais, auteur d'une qua-
rantaine de traités populaires, recueillis et publiés en 1705 à Amster-
dam, et traduits en allemand en 1706 à Leipzig. Destitué de sa cure en
Z(dande à cause de ses tendances panthéistes, Brill vécut en donnant
des leçons et en répandant sa doctrine par ses écrits. Il place les révé-
lations de la lumière intérieure au-dessus de celles de la Bible, et
demande que le sacrifice du Christ se renouvelle dans chaque chrétien,
afin, de le rendre participant de la nature divine. Poiret fait de Brill
un grand éloge dans sa Bibliotheca mysticorum selecta, 1708.
BRIQUEMAULT (François de Beauvais, seigneur de), un des chefs
militaires les plus distingués du parti protestant durant les premières
guerres de religion. Né en 1502, il s'était de bonne heure signalé
dans la guerre d'Italie comme un des meilleurs capitaines et avait
mérité d'être fait mestre de camp, gentilhomme ordinaire de la chambre
>.i chevalier de Tordre du roi. Liéd'étroite amitié avecColigny, attaché
à la cause du prince de Coudé, il se dévoua au triomphe des doctrines
évaogéliques, sans qu'on pût l'accuser d'arrière-pensée et d'ambition:
il allait leur sacrifier sa vie. Il n'hésita pas à se prononcer pour la
première prise d'armes, et après avoir cédé à Houen le commande-
ment à Montgommery, pour éviter un fâcheux conflit, il se rendit avec
derrières, vidame de Chartres, auprès de la reine Elisabeth d'Angle-
terre, pour négocier l'important traité de llamptoncourl, puis il vint
rejoindre Coligny en Normandie, ef peude jours plus tard il reprenait
Dieppe sur les catholiques. Dans la troisième guerre civile, il rend
436 BRIQUEMAULT — BRITANNIQUES (Iles)
encore les plus importants services, prêtant son appui à la reine Jeanne
d'Albret pour gagner La Rochelle, mettant en déroute ravant-garde de
l'ennemi avant la bataille de Jarnac et reprenant ensuite sur le duc
d'Anjou la place de ce nom. 11 prit une notable part à l'affaire
de La Roche-Abeille, au siège du château de Lusignan, bientôt après à
la bataille de Moncontour, et il déploya dans la retraite une rare éner-
gie. Après avoir échoué dans une tentative pour surprendre Bourges, il
réussit à dégager le commandant de La Chapelle Augeron. En 1570, il
répond à un appel de l'amiral et fait sa jonction avec lui à Saint-Etienne,
puis, le 21 juin; enfonçant à Aruay-le-Duc le corps catholique qui
ui était opposé, il contribue fortement au gain de cette bataille qui
amène le traité de paix. Aussi loyal que brave, Briquemault croyait en
a parole du roi, et il partagea, s'il n'augmenta même la fatale con-
fiance de Coligny. Quand éclata la Saint-Barthélémy, il parvint à gagner,
sous un déguisement, l'hôtel de l'ambassadeur d'Angleterre. Charles IX,
sans respect pour l'inviolabilité de cet asile, l'en lit arracher et le
livra au parlement avec son ami Cavagnes. S'il faut en croire deThou,
qui, âgé de dix-neuf ans, assista au prononcé de l'arrêt dans la chapelle
du Palais, Briquemault, septuagénaire, eut alors un instant de faiblesse ;
mais les exhortations de Cavagnes, qui était, au contraire, plein de
constance, lui eurent bientôt rendu sa fermeté première. Leur fin à tous
deux fut héroïque autant qu'horrible. Traînés sur la claie par les
rues et accablés d'ignobles traitements par une populace forcenée, ils
furent pendus et étranglés. Leurs cadavres mêmes ne furent pas
soustraits aux outrages. Pour comble d'ignominie, Charles IX, nous dit
Brantôme, avait voulu repaitre ses yeux de cet affreux spectacle qui
eut lieu aux flambeaux, comme une curée, et il y lit assister le roi
de Navarre, qu'il obligea à prendre place ensuite à la collation
qu'on avait préparée à l'Hôtel-de-Ville, comme pour une fêle. L'arrêt,
qui est du 27 octobre 1572, confisquait en outre tous leurs biens et
déclarait leur postérité infâme et déchue de tous droits. Mais l'épée des
protestants déchira, en 157(5, cette odieuse sentence et força Henri III à
réhabiliter la mémoire des victimes de 1572. Briquemault avait épousé,
en 1534, Renée de Jaucourt, dont il eut trois fils et une fille. L'ainé,
Jean, fournit une carrière militaire digne de son nom et périt en 1590.
Ch. Eead.
BRITANNIQUES (Iles). Le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Ir-
lande avait, au recensement de 1871, une population de 31,845,379
habitants. La statistique religieuse ne peut considérer ce pays comme
une unité. Ses différentes parties ont pour cela une organisation reli-
gieuse trop différente. 11 faut donc passer successivement en revue les
trois royaumes que comprennent les Iles Britanniques. — A. Angle-
terre et Galles. Population totale : 22,712,266 âmes. Un grand nombre
de dénominations religieuses se partagent l'Angleterre. Mais on ne sau-
rait donner le chiffre exact des adhérents de chacune. Les recense-
ments officiels ne contiennent pas de renseignements à ce sujet et se
contentent de relever le nombre de places contenues dans les édifices
religieux de chaque culte. Nous allons passer en revue les principaux
BRITANNIQUES (Iles) 437
groupes ecclésiastiques delà contrée. — 1. Eglise anglicane. \<>us n'avons
à nous en préoccuper ici qu'au point de vue toutextérieur de la statis-
tique. Les évaluations autorisées donnent à l'Eglise anglicane 17,781,000
membres en Angleterre et dans le pays de Galles. D'autres réduisent ce
nombre à celui, plus probable, de 12,700,000. Cette Eglise est, au sens le
plus strict du mot, une Eglise d'Etat. Le souverain en est le chef suprême,
el les autorités ecclésiastiques tiennent de lui leur pouvoir. Il nomme
directement les évêques d'un certain nombre de sièges; pour les autres,
une lettre royale remet au doyen et au chapitre le soin de l'élection,
mais désigne en même temps la personne qui doit être élue. La cou-
ronne a ('gaiement le patronage d'un très-grand nombre de doyennés
et de cures. La hiérarchie se compose de 2 archevêques et de 27 évê-
ques. Voici la liste des diocèses: 1. Archevêché de Cantorbéry : évêchés
suffragants : 1° Londres, 2' Winchester, 3" Llandatt", 4-1 Norwich,
5° Bangor, 6° Worcester, 7° Gloucester et Bristol, 8" Liclrîield, 9° Here-
ford, 10' Pcterborough, 11° Lincoln, 12° Salisbury, 13° Bath et Wells,
14° Exeter, 15° Oxford, 16° Chichester, 17° Saïnt-Asaph, 18° Ely,
19° Saint-David, 20' Kochester, 21° ïruro (ce dernier diocèse, créé
en 1871) par démembrement du diocèse d' Exeter, n'est pas encore
organisé). 2. Archevêché d'York : évéchés suffragants : 1° Uurham,
2" Ripon, 3° Chester, 4° Carlisle, 5° Manchester, (3° Sodor et Man. Les
titulaires de presque tous ces sièges sont de droit membres de la Cham-
bre des lords. Ces diocèses sont très-inégaux en étendue et en popula-
tion. Tandis que l'évêque de Londres a sous sa juridiction près de
3,000,000 d'àmes, celui de Sodor et Man en a à peine 50,000. Chaque
prélat a pour l'assister dans le gouvernement de son diocèse un cha-
pitre composé d'un doyen, de quatre à six chanoines titulaires, et
d'un nombre variable d'ecclésiastiques, chanoines honoraires, chape-
lains, etc. Les diocèses se divisent en archidiaconés, ceux-ci en doyen-
nés, formés eux-mêmes de plusieurs paroisses, dont les pasteurs ont les
titres de recteurs, de vicaires, de curés perpétuels ou de curés. Le
clergé compte 71 archidiacres, 715 doyens et environ 15,000 pasteurs
en fonctions dans 10,000 lieux de culte renfermant 6,000,000 de sièges.
Le droit de nomination appartient à des patrons qui désignent la per-
sonne à qui doit être donné le bénéfice. La couronne, le prince de
(ialles, le lord chancelier, îe chancelier du duché de Lancastre, les ar-
chevêques et évêques, les doyens et les chapitres, les archidiacres, les
universités sont patrons d'un très-grand nombre de cures; dans d'au-
tres le même droit appartient à des particuliers; on évalue le nombre
de ceux qui jouissent de ce droit dans une ou plusieurs paroisses à
3,850. L'Eglise peut être réunie en concile ou convocation dans cha-
cun.' des deux provinces ecclésiastiques; mais les décisionsde ces con-
vocations ne sont valables qu'après avoir reçu l'approbation du souve-
rain. L'Eglise anglicane, ayant pris la succession de l'Eglise catholique
en Angleterre, en a retenu des biens considérables. Aussi le haut
clergé a-t-il des traitements très-considérables. L'archeyêque de Can-
torbéry touche 15,000 livres (375,000 IV. i, celui d'York 10,000
(250,000fr. ; lès évêques ont en moyenne environ 5,000 livres (125,000 f.)
438 BEITANNIQUES (Iles)
chacun. Dans le clergé inférieur, il y a eneore beaucoup de beaux trai-
tements; mais beaucoup aussi sont déplorablement minimes, et c'est
le plus souvent dans les paroisses où la charge est la plus lourde que le
traitement est le moindre. Le traitement moyen peut être évalué à
200 livres (5,000 fr.). — 2. Les Presbytériens de diverses dénominations,
en grande majorité en Ecosse, sont relativement peu nombreux en An-
gleterre où ils ont environ 200 lieux de culte avec 80,000 sièges. —
3. Les Indépendants ou Congrégationalistes forment un des groupes
ecclésiastiques les plus considérables de l'Angleterre. Ils ont environ
3,500 temples avec 1,200,000 sièges. — 4. Les Baptistes, tant généraux
que particuliers, tant baptistes du septième jour que baptistes écossais
et baptistes de la nouvelle association, ont plus de 2,500 lieux de culte
pouvant contenir 700,000 personnes. — 5. La Société des quakers ou
amis se réunit dans 380 locaux ayant ensemble 90,000 sièges. —
6. Les Unitaires ont 230 lieux de réunion avec 65,000 places. — 7. Les
Frères moraves, 32 temples avec environ 9,000 sièges. — 8. Les Métho-
distes ivesleyens sont, après l'Eglise établie, la dénomination la plus
nombreuse de la contrée. Ils ont environ 9,000 lieux de culte pouvant
renfermer plus de 2,000,000 de personnes. Mais ils ne sont pas unis
entre eux et se subdivisent en plusieurs groupes, dont les principaux
sont l'association originelle, la nouvelle association, les méthodistes
primitifs, les chrétiens bibliques, l'association méthodiste wesleyenne,
les méthodistes indépendants, les wesleyens réformés, etc. — 9. Les
Méthodistes calvinistes, dont les diverses fractions possèdent 1,000 tem-
ples avec 250,000 places. Il y a encore beaucoup d'autres petites con-
grégations ayant environ 700 lieux de culte renfermant 140,000 sièges.
Ce sont quelques Églises étrangères, luthériens, réformés français, alle-
mands et hollandais, puis une multitude de petites sectes dont plusieurs
ont choisi des noms bizarres, tels que calvinistes supralapsaires, millé-
naires, prédestinériens, prédestinériens trinitaires, association chré-
tienne, chrétiens orthodoxes, nouveaux chrétiens, disciples du Christ,
chrétiens primitifs, chrétiens du Nouveau Testament, chrétiens origi-
naux, chrétiens unis, pèlerins de l'Evangile, chrétiens du libre Evangile,
chrétiens de l'amour, réfugiés de l'Evangile, chrétiens libre-penseurs,
chrétiens du doute, méthodistes bienveillants, chrétiens israélites, stephe-
nites, inghamites, wesleyens de la tempérance, chrétiens de la tempé-
rance, libre-penseurs, progressistes rationalistes, etc., etc. — 10. Les Ca-
tholiques anglais sont au nombre de 2,000,000 environ. On s'est beau-
coup inquiété depuis quelques années des progrès que fait en Angleterre
l'Eglise romaine. A en croire certains écrits, la Grande-Bretagne serait
sur le point de retomber sous la domination du pape. Si les progrès
sont certains, du moins les exagère-t-on beaucoup. On dit notamment
que l'aristocratie rentre en masse dans le sein de l'Eglise catholique.
Certainement, il y a eu quelques conversions de grands seigneurs ;
mais elles sont peu nombreuses. Sur 501 pairs du Royaume-Uni, il y a
26 catholiques; sur 652 membres de la Chambre des communes,
50 sont catholiques, représentant tous des districts irlandais ; pas un
catholique n'a été élu, ni en Angleterre, ni en Ecosse, ni dans le pays
BRITANNIQUES (Iles) 439
de Galles. Enfin, sur environ 800 baronnets, on compte 17 catholiques,
on le voit, l'heure d'être inquiet parait encore éloignée. Ce qui a pu
donner lieu à la méprise, c'est la rapide extension qu'a |»risc depuis
quelque temps le développement de la hiérarchie. Lors de la Réfor-
mation, ceux des évèques anglais qui refusèrent de s'y associer furent
expulsés OU emprisonnés. Le dernier d'entre eux, Thomas Goldwell,
évêque de Saint-Asaph, mourut en 1585. Jusqu'à la tin du seizième
siècle, les catholiques anglais lurent privés de chef spirituel. En 1598,
le pape nomma un archiprêtre d'Angleterre qui fut pendant vingt-
einq ;ws le chef de ses coreligionnaires. Le 23 mars 1()23, Grégoire XY
créa un vicariat apostolique d'Angleterre, qui subsista jusqu'en 1655.
Supprimé [tendant les troubles politiques, il fut rétabli sous le règne de
Jacques II, en 1685, divisé en deux en 1687, et enfin, profitant dès
bonnes dispositions du monarque, le pape Innocent XI forma de
l'Angleterre, le 30 janvier 1688, quatre vicariats apostoliques, adminis-
trés pardesévêques inpartibus; c'étaient les vicariats de Londres, du Cen
tre, du Nord et de l'Ouest. Cette organisation se maintint pendant un
siècle et demi, sans recevoir de nouveaux développements. Ce ne fut
que le 30 juillet 1840 que le pape Grégoire XVI remania cette division
et établit 8 districts, ceux de Londres, de l'Ouest, de l'Est, du Centre,
du pays rie Galles, du Lancashire, de l'Yorkshire et du Nord. Enfin
dix ans plus tard, le 29 septembre 1850, le pape Pie IX rétablit complè-
tement la hiérarchie en Angleterre. Depuis ce moment, le pays forme la.
province ecclésiastique de Westmister. L'archevêque a sous lui 12 évo-
ques sulïragants, ceux de Beverley, de Birmingham, de Clifton, de
Il \ham et Newcastle, de Liverpool, de Newport et Meneria, de Nort-
hampton, de Nottingham, de Plymouth, de Salford, de Shrewsbury et
de Southwark. Chaque évêque est assisté d'un vicaire général et d'un
chapitre de 8 à 10 chanoines. Le clergé comprend 1,828 prêtres, qui
desservent 1,076 chapelles (décembre 1876). — 11. On évalue à 45,000
le nombre des Juifs.
B. Ecosse. Population totale : 3,360,018. — 1. L Eglise nationale d'E-
cosse diffère beaucoup de celle d'Angleterre; tandis que celle-ci est
épiscopale, celle-là est presbytérienne, et les tentatives faites autrefois
pour la rendre épiscopale ont toujours rencontré une invincible résis-
tance. Cette Eglise comprenait autrefois la presque totalité des habitants
du pays. .Mais la séparation de 1843 lui a enlevé près de la moitié de ses
membres. Elle ne compte plus aujourd'hui que 1,473,000 membres en-
viron (1871). Charpie paroisse élit un conseil d'Eglise ou Kirk Session,
composé du ou des pasteurs et d'un certain nombrede laïques; ce conseil
maintient la discipline et intervient, quoiqueavec bien des restrictions,
dan- h- choix des pasteurs. Plusieurs paroisses réunies forment un pres-
bytère, an nombre de 81 dans le royaume. La réunion de plusieurs
presbytères forme un synode. L'Ecosse forme 16 synodes: l°Lothian et
JVeeddale, 2°Merse etTeviotdale, 3° Dumfries, 4° Galloway, 5° Glasgow
etAyr, 6° Argyll, 7° Perth el Stirling, 8° Fife, 9° Angus et Mearne,
10- Aberdeen, Il Moray, 12° Ross, L3°Sutherland et Caithness, 14° Gle-
nelg, 15' Orcades, 16" Shetland. Enfin au-dessus des synodes se trouve
440 BRITANNIQUES (Iles)
rassemblée générale de l'Eglise d'Ecosse qui se réunit à Edimbourg-
pendant dix jours tous les ans. Elle se compose de 386 membres
délégués des Eglises ayant à leur tête un modérateur élu par l'assemblée
et un lord haut commissaire désigné par le souverain. Cette constitu-
tion est, on le voit, essentiellement démocratique et le principe de
l'élection s'y retrouve à tous les degrés. Cependant, par une étrange
inconséquence, le droit de patronage y a longtemps fleuri sans res-
triction et avec tous ses abus. Il est aujourd'hui ramené dans des
limites acceptables; néanmoins il présente encore bien des inconvé-
nients. On ne trouve pas dans l'Eglise établie d'Ecosse les gros traite-
ments que l'on rencontre en Angleterre. Les pasteurs reçoivent en
moyenne 150 livres (3,750 fr.). — 2. L'Eglise libre d'Ecosse s'est séparée de
l'Eglise nationale, en 1843, à propos des querelles que suscitait la ques-
tion du patronage. Elle compte environ 740,000 membres et a adopté
toute la constitution de l'Eglise nationale, à l'exception du patronage.
Elle comprend aujourd'hui 932 paroisses groupées en 71 presbytères et
16 synodes. Son budget, fourni tout entier par des cotisations vo-
lontaires, s'est élevé en 1868 à 395,554 livres (10,000,000 de francs).
Le traitement des pasteurs est à peu près le même que dans l'Eglise
nationale. Ils font leurs études dans les trois facultés de théologie
d'Edimbourg, de Glasgow et d'Aberdeen. — 3. V Eglise presbyté-
rienne urne s'est séparée de l'Eglise nationale vers le milieu du siècle
dernier. Elle compte 31 presbytères avec 594 paroisses, 623 ministres,
4,466 anciens, 172,930 communiants. Son revenu annuel, fourni par
les souscriptions de ses membres, s'élève à 275,107 livres (près de
7,000,000 de francs). — 4. Petites Eglises diverses : Eglise presbyté-
rienne réformée : 6 presbytères, 44 paroisses; Eglise réformée presby-
térienne d'Ecosse : 2 presbytères, 10 paroisses ; Synode des séparatistes
unis: 4 presbytères. 27 paroisses; Union des Eglises congrégationa-
listes d'Ecosse: 95 paroisses; Union évangélique et Eglises affiliées:
77 congrégations ; Eglises baptistes d'Ecosse: 92 pasteurs; Eglise mé-
thodiste ivesleyienne : 35 pasteurs ; Eglises unitaires d'Ecosse : 5 pa-
roisses. — 5. Eglise épiscopale d'Ecosse, 7 évêchés : 1° Moray, Ross et
Caithness; 2° Edimbourg; 3° Argyll et les iles; 4° Brechin; 5° Saint-
André Dunkeld et Dunblane ; 6° Aberdeen et Orcades ; 7° Glasgow
et Galloway. Cette Eglise, peu nombreuse (73,200 âmes), est impor-
tante, par le fait que presque toute la noblesse et les classes supé-
rieures s'y rattachent. Le clergé est proportionnellement très- nom-
breux et dessert 173 paroisses. — 6. Eglise catholique. Le dernier pré-
lat de l'ancienne hiérarchie, James Betoun, archevêque de Glasgow,
était mort en 1603, lorsque le pape Urbain VIII créa en 1629 une pré-
fecture apostolique en Ecosse. En 1694, cette préfecture fut transfor-
mée en vicariat apostolique. Divisée en deux districts, Lowland et
Highland, au mois de février 1731, elle forma enfin le 13 février 1827
les trois vicariats apostoliques de l'Est, de l'Ouest et du Nord. La po-
pulation catholique est évaluée à 320,000 personnes , réparties dans
239 paroisses, desservies par 260 prêtres. — 7. On évalue à 6,400 le
nombre des juifs établis en Ecosse.
BRITANNIQUES (Iles) — BRITTO 441
C. Friande. Recensement de 1871 : Population totale, 5,412,377 :
catholiques romains. 1,150,867; anglicans, 667.979; presbytériens,
197,648; méthodistes, £3,441; membres d'antres sectes,. 52,442. —
1. UEglise catholique, qui renferme, comme on le voit, L'immense
majorité du peuple irlandais, a subi, depuis le seizième siècle, de
nombreuses el étranges persécutions, et, depuis peu d'années seule-
ment. cllt1 jouit dune liberté à peu près complète. La hiérarchie n'a
cependant jamais été interrompue. Elle se compose de 4 archevêques
et de 24 évêques. L° Archevêché d'Armagh (455). Suffragants : évê-
chés d'Ardagh [1152), Clôgher (vers 506), Derry (1158), Down et Con-
nor (499), Dromore (vers 510), Kilmore (1136), Meath (vers 520), Ra-
phœ (885). 2° Archevêché de Dublin (neuvième siècle). Suffragants:
évéebés de Feras (632l, Kildare et Leighlin (sixième siècle), Ossory
I sixième siècle». 3° Archevêché de Cashel et Emly (1152). Evêchés
suffragants : Cloyne (septième siècle), Cork (septième siècle), Kerry et
Aghadoe (onzième siècle), Killaloe (septième siècle), Limerick (1106),
Ross (1849), Waterford et Lismore (1096). 4° Archevêché de Tuam
(1150, évêché dès le sixième siècle). Suffragants : Achonry (1152),
Clonfert i^iS), Elphin (cinquième siècle), Galway (26 avril 1831), Kil-
lola (sixième siècle) , Kilmaeduagh et Kilfenora (septième siècle).
— L' Eglise anglicane a été, pendant des siècles, l'Eglise établie. Ses
prélats et ses pasteurs touchaient des prébendes souvent énormes et
n'avaient presque pas de paroissiens. Dans beaucoup de localités,
pour deux ou trois familles anglicanes, on trouvait un pasteur rétri-
bué sur le pied de 15 à 20,000 francs par an. Et ce qui rendait l'abus
plus sensible, c'est que ces traitements étaient, pour la plus grande
partie, fournis par des redevances que payait la population catholique.
Aussi cet état de choses était-il l'un des griefs les plus marqués de l'Ir-
lande contre l'Angleterre, et les esprits libéraux étaient-ils depuis long-
temps d'accord avec les catholiques pour remédier à cette situation.
Ce n'est cependant qu'en 1871 que la réforme put être effectuée et que
l'Eglise épiscopale perdit ses privilèges en Irlande. Il ne semble pas
quelle en ait souffert au point de vue spirituel. La vie religieuse et
l'esprit de sacrifice paraissent, au contraire, y avoir gagné. La hiérar-
chie se compose de 2 archevêchés : 1° Armagh et Clogher ; 2° Dublin
et Kildare. et de 10 évêchés : 1° Meath; 2° Ossory, Feras et Leigh-
lin : '.\ Cashel, Emly, Waterford et Lismore; 4° Down, Connor et Dro
more; 5° Killalol, Kilfenora, Clonfert et Kilmacduagh; 6° Cork, Cloyne
et Ross; 7° Limerick, Ardfort et Aghadt; 8° Tuam, Killala et Achonry;
0° Derry et Raphœ; 10° Kilmore, Elphin et Ardagli. — Quant aux
autres dénominations de chrétiens irlandais, nous manquons de ren-
seignements suffisants pour en parler ici. — Bibliographie : Almanach
de Gotha, 1877; Martin, The StatesmansYéarbockj 1877; British Impé-
rial Calender, 1870; British Almanac and Companion, 1877; Census of
England and Wales fort the y.ear 1871; New-Edinburg Almanach,
187.'i ; The Glergy List for 1873; The Catholic Directory, ecclesiastical
Register and Almanach, 1877, etc., etc.
11. \ A.UCHEB.
442 BRITTO - BROGLIE
BRITTO (Jean de) [1647-16931, page de l'infant D. Pierre de Portugal,
entra dans la compagnie de Jésus en 1674, et se distingua comme
missionnaire dans l'Inde où il mourut martyr de son zèle, après avoir
opéré de nombreuses conversions. Il fut béatifié le 21 août 1853.
BROCARD, dominicain allemand. On ne connaît ni son prénom, ni
le lieu de sa naissance, ni les dates exactes de sa vie. Il visita la Pales-
tine vers 1280, ainsi que Fa démontré M. Victor Le Clerc, et non pas
vers 1230, comme l'avancent ses divers biographes. La relation qu'il
laissa de ce voyage, qui dura plus de dix ans, est extrêmement curieuse
parle mélange de naïveté et de circonspection qui caractérise l'auteur.
Philippe le Bon, duc de Bourgogne, l'avait fait traduire du latin en
français en 1457. Elle fut imprimée pour la première fois en 1475,
dans le Uudimentum noviciorum, espèce d'encyclopédie historique
publiée à Lubeck en 2 volumes in-folio. Le texte de Brocard, cons-
tamment mutilé dans ses reproductions successives, n'a pas moins de
quatre rédactions différentes. Il était déjà altéré dans l'édition de
Venise (1519, in-8°) qui se donne faussement pour la première im-
pression de l'ouvrage. Celle d'Anvers (1536, in-8°) en retrancha
presque tout ce qui n'est pas géographique, c'est-à-dire la partie la
plus intéressante. Enfin celle de Cologne (1624, in-8°) fut donnée sous
le nom du cordelier normand Bonaventure Brochard, qui visita la
Terre-Sainte en 1533 et dont la relation manuscrite est à la Biblio-
thèque nationale. On avait déjà confondu Brocard avec un Burchardde
Strasbourg qui fit le même voyage vers 1175 (voir la belle étude de
M. V. Le Clerc sur Brocard clans le t. XXI de Y Histoire littéraire de la
France, p. 180-215).
BROGLIE (Maurice- Jean-Madeleine de). Fils du maréchal de Broglie
et grand-oncle du duc Albert de Broglie, sénateur actuel, il naquit en
1766 au château de ce nom. Il était au séminaire de Saint-Sulpice au
commencement de la Révolution, et il conseillait à son père, alors
émigré, de revenir en France pour prêter son aide à ce qu'il appelait
la régénération nationale, mais il ne tarda pas à aller le rejoindre à
Berlin. Le roi de Prusse le nomma prévôt du chapitre de Posen. Rentré
en France en 1803, il devint peu après aumônier de l'empereur, puis
évêque d'Acqui en Piémont, d'où il fut transféré sur sa demande, en
1807, à Tévêché de Gand. Les éloges dont il comblait alors Napoléon,
et qui allaient jusqu'à célébrer son amour pour la paix, ne furent égalés
que par la haine qu'il lui montra dans la suite. Forcé par les événe-
ments de se déclarer gallican ou ultramontain, M. de Broglie se mit à
la tête de ce dernier parti. Il refusa, en 1810, la décoration de la Légion
d'honneur pour ne pas prêter le serinent de l'ordre. En 1811, il fut,
avec les évêques de Troyes et de Tournay, le principal auteur du refus
que le concile de Notre-Dame opposa au gouvernement, désireux
d'établir l'institution des évêques par l'Eglise de France, en dehors de
l'intervention du pape. Enfermé aussitôt avec ses deux collègues au
donjon de Vincennes, il donna comme eux sa démission pour en
sortir et fut interné à Beaune, puis dans l'ile Sainte-Marguerite. En
1813, l'empereur ayant nommé M. d'Osmond évêque de Gand, on
BROGLIE 443
obtint de M. de Broglie un nouvel engagement, plus explicite que le
premier, de ne plus se mêler de l'administration «le son ancien dio-
cèse : déclaration qu'il signa le S juillet à Dijon, mais qui ne l'em-
[)r( ha pas de reprendre possession de son siège après la chute de l'em-
pire. De nouvelles tribulations l'attendaient. Le congrès de Vienne
ayant réuni la Belgique à la Hollande, .M. de Broglie donna le signal de
la résistance des catholiques à un ordre de choses qui les soumettait à
un souverain protestant. Il fallut l'intervention du pape pour qu'il se
résolût à ordonner les prières publiques pour le roi. 11 refusa le ser-
ment de fidélité au roi et à la constitution qui reconnaissait également
tmi> les cultes, déclarant que « jurer de maintenir la liberté des opi-
nions religieuses et la protection égale accordée à tous les cultes n'est
autre chose que jurer de maintenir, de propager Terreur contre la
vérité. » 11 résuma ses vues sur ce point dans une foule d'écrits signés
de ses collègues et approuvés par le pape. Son opposition aux lois sur
l'enseignement ne fut pas moins intransigeante. Mais déjà le Jugement
dort final des évêquessur le serment prescrit avait décidé le gouvernement
à prendre des mesures de rigueur, et le 8 novembre 1817, la cour
d'appel, jugeant par contumace, condamna M. de Broglie à la dépor-
tation. Il s'était déjà réfugié en France. Cette seconde vacance du siège
de Gand, du vivant de son titulaire, amena, comme la première, dans
Ce diocèse une série de difficultés légales qui touchaient de près à la
persécution et qui ne se dénouèrent que par la mort de l'évêque,
arrivée à Paris le 20 juillet 1821. P. Roufcet.
BROGLIE (Albertine de Staël, duchesse de), naquit le 8 juin 1797.
Son enfance et sa première jeunesse se passèrent à Paris, à Coppet et
dans l'exil. Ses nobles facultés, son àme sérieuse et tendre se dévelop-
pèrent sous des influences diverses. L'esprit de son illustre mère avait
éveillé chez elle dès l'enfance le goût le plus vif pour les plaisirs de
l'intelligence. Accoutumée aux entretiens des hommes éminents de
tous les pays, bien jeune encore elle sut tout comprendre, tout appré-
cier. On était frappé, en la voyant, de l'expression vraiment idéale de
sa physionomie. Elle était plus que belle ; elle rayonnait de pureté, de
grâce. On devinait en elle une créature d'élite, bénie de Dieu, desti-
née à répandre le bonheur et à faire aimer tout ce qui est beau et
divin. Mariée le 20 février 1810 au duc Victor de Broglie, elle connut le
bien inappréciable d'une intime union avec un noble cœuret un grand
esprit. Tout son être sembla s'élever encore au milieu des joies et des
douleurs de la vie. La mort de sa mère, en 1817, fut pour elle un coup
que 1rs années purent à peine amortir. Protestante de naissance, de
plus en plus chrétienne de conviction, sa pensée et les besoins de son
àme avaient accueilli l'Evangile comme le salut des simples et des petits.
N»ii Erère, te baron Auguste de Staël, arrivé lui-même à la foi chré-
tienne avec toute la sincérité d'une nature fone et généreuse, exerça
sur madame de Broglie une de ces influences quisont une aide puissante
pour traverser les doutes et les anxiétés, dont la route, pour arriver ;'i
la foi, se trouve souvent hérissée. On voit dans la touchante notice
qu'elle écrivit après la mort de son frère, quels liens étroits de foi et
AU BROGLIE — BROMLEY
d'espérance les unissaient. Madame de Broglie s'occupait avec zèle et
intérêt des œuvres chrétiennes ; elle recherchait la société, l'entretien
des personnes pieuses, même les plus humbles. Un mot sorti de leur
cœur et allant trouver le sien, répandait sur son visage une expression
de bonheur. Ceux qui ont eu le privilège de la voir dans quelque simple
réunion de prière et d'édification, ne l'oublieront pas. Madame la du-
chesse de Broglie succomba le 22 septembre 1838 à une fièvre cérébrale.
Le deuil l'ut profond, non-seulement dans sa famille et dans le monde où
elle avait occupé une place brillante, mais encore parmi ses frères en
la foi de tout rang et de toute culture, qu'elle avait aimés et édifiés
par sa piété. Tous se sentirent frappés et comme découronnés. Fort
liée avec l'éminent Ërskine, dont la foi et le savoir ont laissé tant de traces
en Ecosse et sur le continent, madame de Broglie avait traduit trois
de ses ouvrages, et ouvert ainsi à bien des âmes une source pure d'é-
dification. Après sa mort, un volume a été publié, sous le titre de Frag-
ments, où se trouvent réunis des écrits divers qui tous témoignent du
sérieux, de l'élévation de son âme et de la portée d'un esprit qui ne se
plaisait à prendre son essor que dans les hautes sphères religieuses. En
voici les titres : Préface à l' Histoire des Quakers de Clarkson; Préfaces aux
trois ouvrages d'Ershine; Notice sur le baron de Staël; Notice sur un
ouvrage de M. E . Diodati : Essai sur le christianisme ; le Caractère du
Christ; Paraphrase de la parabole de l'Enfant prodigue; Sur les associa-
tions bibliques de femmes, 182i.
BROMLEY (Thomas) naquit àWorcester en 1629 et mourut en 1691.
Elevé par des parents pieux dans la crainte de Dieu, il alla à Oxford
étudier la théologie, et il conserva même un fellowship du AU Soul's
Collège, aussi longtemps que dura le protectorat de Cromwell, qui
assurait la prédominance des Indépendants. Il devint de bonne heure
disciple du théosophe Jacob Bœhme, dont il exagéra même la tendance,
en refusant de s'unir à une Eglise et en déclarant le mariage une con-
dition inférieure dont les parfaits devaient s'abstenir. Il forma toute-
fois, avec une vingtaine de personnes engagées comme lui dans les
voies du haut mysticisme, une association mystique connue sous le
nom de Société de Philadelphie. La Restauration l'ayant privé de son
felloivship, il alla de lieu en lieu prêcher le prochain avènement du
Christ, (( le commencement de l'Evangile éternel, » et la réapparition
des dons miraculeux de l'âge apostolique. Dans un ouvrage qu'il
publia sous ce titre : Révélations qui sont communément appelées extra-
ordinaires, il essaye de prouver que l'Eglise n'a été privée en aucun
temps de révélations extraordinaires et que tous les chrétiens peuvent
en être favorisés. Joignant la pratique à la théorie, il eut des visions et
publia des prophéties, sous la forme de Dix traités mystiques. Ses prin-
cipaux ouvrages sont Le Chemin vers le Sabbat du Repos {The Way to
llie Snbbath ofRcst), et ses Quatre-vingt-quatorze E pitres à ses bons amis
(XCIV Evangelical Epistles to hisgood friends). Dans son Traité con-
cernant le voyage des enfants d'Israël, il se livre à une allégorisation à
outrance, qui faisait partie d'ailleurs des procédés exégétiques de son
temps. Malgré de nombreuses infirmités, il continua à prêcher jusqu'à
BROMLEY — BROUSSAIS 445
trois semaines avant sa mort. Ses oeuvres ont paru à Francfort et
Leipsick, L719-1732, en2 volumesin-8°. Matth. Lbuèvbe.
BROSSE (Salomon de), célèbre architecte parisien. Une erreur sécu-
laire l'a affublé du faux prénom de J<k-</iu>s que lui ont donné jus-
qu'ici tontes les biographies, tons les actes* historiques. D'autre part,
ces mêmes biographies lui consacraient à peine quelques lignes,
témoignant qu'on ne savait rien des particularités de sa vie, pas même
le lieu ni la date de sa naissance et de sa mort, et qu'il fallait se
bornera signaler quatre ou cinq des édifices principaux que lui devait
la ville de Paris. En 1855, nous publiâmes la découverte que nous
venions de faire, dans les registres de l'ancien cimetière protestant
de la rue des Saints-Pères, de l'acte d'inhumation, à la date du 9 dé-
cembre 1()2(), d'un « Salomon de Brosse, architecte de la reine-mère et
du roi » {Bull, de la Soc. d'Hist. du Protest, franc., IV, 631), et nous
démontrâmes que c'était bien le même personnage que celui que tou-
jours on avait jusqu'ici faussement dénommé Jacques. Ce même acte
nous apprit qu'il était natif de Verneuil, et nous acquîmes la preuve
qu'il s'agissait de Verneuil-sur-Oise. Poursuivant nos recherches, dans
ces mêmes registres et ailleurs, nous parvînmes à constater que Salo-
mon de Brosse, déjà marié en 1588 à Fleurance Mestivier,sœur d'unarchi-
tecte du roi, avait eu : 1° un fils, Paul, également devenu architecte du
roi et ainsi qualifié en 1()20; 2° cinq filles, dont une, Madeleine, épousa
Pierre Le Blanc de Beaulieu, avocat au parlement et frère du ministre
de Senlis ; une autre, Catherine, épousa Gédéon de Petau ; une autre,
Judith, épousa Jean de Sorbière. Deux filles de Paul de Brosse, Anne et
Florence, épousèrent en 1044, à Verneuil, deux frères : César et
Antoine de Montdésir, seigneurs de Lucy-le-Bocage, au diocèse de
Soissons. Enfin Madeleine de Brosse épousa en 1634 François Hotman,
sieur de la Tour, fils d'Hotman-Villiers et petit-fils de l'illustre
François Hotman. On voit que Salomon de Brosse avait été en situation
de procurer à ses enfants les plus honorables alliances. 11 est lui-même
qualifié dans les actes « noble homme Salomon de Brosse, sieur du
Plessis, etc. » Nous avons trouvé à Verneuil un petit manoir, dit de
St Quentin, évidemment bâti par lui, et dont il devait aussi porter le
titre. Sa famille ne resta pas protestante, car les actes qui concernent
ses descendants sont dans les registres de la paroisse catholique de Ver-
neuil. L'œuvre architecturale de Salomon de Brosse est considérable et
montre en lui un digne successeur des grands architectes de la Renais-
sance. Il fit plus qu'aucun autre artiste pour le Paris monumental des
règnes de Henri IV et de Louis XIIL Outre de grands travaux au château de
Monceaux, on lui doit le palais du Luxembourg, la grande salle des
Pas Perdus du Palais de Justice, l'aqueduc d'Arcûeil, le portailde Saint-
(iervais. la porte principale de l'hôtel de Soissons, les châteaux de
Coulommiers el de Blérancourt, le palais du parlement de Bretagne à
Rennes, etc. C'estluiqui avait élevé pour ses coreligionnaires Le second
et fameux temple de Charenton, démoli à la révocation de l'édit de
Nantes. CH. Kead.
BROUSSAIS. Vovez Sensualisme.
446 BROUSSON
BROUSSON (Claude), docteur en droit, avocat, pasteur du Désert et
martyr, né à Nîmes en 16^7, mort à Montpellier en 1698. Brousson
étudia à Nîmes. Docteur en droit, il exerça la profession d'avocat d'a-
bord à Castres et à Castelnaudary, chambre mi-partie, puis à Toulouse.
La défense des Eglises protestantes fut toujours son souci. Dans deux
circonstances mémorables, en défendant les ministres de Montauban,
prisonniers à Toulouse, et plus tard quatorze églises qu'on voulait dé-
truire, il montra son courage et son attachement à la cause persécutée.
Cette période est peut-être la plus triste pour le protestantisme fran-
çais. Il y avait dans les rangs des réformés des hésitations, des fai-
blesses, une mollesse telle qu'on semblait prêt à tout supporter et que
le terme « patience de huguenot » passa en proverbe. Devant les pro-
jets audacieux et avoués de la cour, la destruction complète des Eglises
et la révocation de redit de Nantes, c'en était fait du protestantisme, si
des hommes de foi et d'énergie n'avaient pas réveillé le zèle de leurs
frères. Dans la maison de Claude Brousson, les députés laïques envoyés
par le Languedoc, les Cévennes, le Vivarais et le Dauphiné, les « seize
directeurs » résolurent de rouvrir les temples et de célébrer le culte là
où il avait été arbitrairement interdit. Ce ne fut pas sans avoir adressé
à Louis XIV les plus humbles remontrances que les directeurs se déci-
dèrent à la résistance et à l'action. Leurs respectueuses supplications
furent écartées avec dédain. C'est alors que la conscience huguenote
se réveilla puissante et que les réformés affirmèrent leur résolution
d'obéir à Dieu plutôt qu'aux hommes. La cour envoya les troupes
contre les protestants. La lutte eut lieu d'abord dans le Dauphiné, puis
dans le Vivarais, et enfin dans les Cévennes. On ne relit pas de
pareilles atrocités sans que l'indignation et la honte vous prennent à
l'âme. Brousson avait pu se réfugier à Lausanne , où il exerçait la
profession d'avocat. Il fut chargé, à cette époque, d'une mission
à Berlin, auprès de l'électeur de Brandebourg, et il adressa aux
princes protestants un projet d'union pour le salut de l'Eglise réfor-
mée. Mais les souffrances de ses frères émurent son cœur : il ne
put résister à l'appel de sa conscience, et, par un dévouement
sublime, il renonça à toutes les douceurs de la vie pour aller évan-
géliser les persécutés. Périlleux apostolat, où, à chaque instant, il
fallait être prêt au sacrifice de son existence. Brousson fut consacré
dans les Cévennes ; aussitôt il commença dans le Languedoc son
oeuvre de missionnaire. Basville mit sa tête à prix par deux fois:
le 26 novembre 1691, au prix de deux mille livres, et le 26 juin 1693,
au prix de cinq cents louis d'or. Ainsi traqué et dans l'impossibilité
d'exercer avec quelque fruit son ministère, il passa en Suisse, puis en
Hollande, où sa consécration fut régularisée. Mais son àme était tout
entière à ses frères, dont il entendait au loin les sanglots. Il rentra en
France, évangélisa le Nord, les Ardennes, la Normandie, les Eglises au
nord de la Loire, la Bourgogne. Découvert et poursuivi, il put échap-
per par la Suisse et gagner la Hollande. Il revint bientôt, rentra par le
Jura, visita le Dauphiné, où éclataient « les merveilles de Dieu par les
petits prophètes », puis le Vivarais et les Cévennes. De nouveau (1698)
BROUSSON — BROWNE 117
Basviile mit sa tête à prix pour si\ cents louis d'or. La manière dont à
chaque instant il échappe à la mort tient du prodige. Il traverse les
Gévennes, se rend dans le Castrais, avec le désir dès longtemps caressé
de se diriger vers les Eglises du Poitou ; mais, par une imprudence, à
Pau. il se laisse découvrir, il est livré par un traître et est arrêté à Olé-
ron. Basviile réclame sa victime à l'intendant Pinon. Brousson esl en
effet transféré de Pau à Montpellier. Le pasteur du Désert subit le mar-
tyre à Montpellier le 1 novembre 1()98. En 1701, à Utrccht, on a im-
primé, sons le titre de : Lettres et Opuscules^ les principales pièces de
Brousson adressées aux Eglises et aux: puissances, notamment la Lettre
apologétique à Basviile et les Lettres aux fidèles persécutés. Le livre im-
portant de Brousson est : « La Manne mystique du Désert, ou sermons
prononcés en France dans les déserts et les cavernes durant les ténè-
bres de la nuit et de l'affliction, pendant les années 1689-1693, » Ams-
terdam, in-8°. Tous les livres de Brousson sont fort rares; mais on
en a une idée suffisante par les extraits et réimpressions qui se trou-
vent dans le Bulletin du Protestantisme français. Voici dans cet excel-
lent recueil ce qui concerne Brousson : deux sonnets sur sa mort, t. II,
p. 356; son dossier, II, 286; son portrait, son signalement, sa tète mise
à prix, VII, 3; sa lettre à Basviile, VII, 5; détails biographiques, VIII,
o27 ss. ; lettre au roi sur les persécutions, VIII, 586; ses sermons, frag-
ments de la Manne mystique du Désert, VIII, 594 ss., 606 ss. ; lettres
conservées, Genève, XI, 86; détails sur son martyre, XXI, 148 ss. et
197. — Voyez Borrel, Biographie de Claude Brousson, Nîmes, 1852; Bay-
nes, The Evangelist of the Désert, Londres, 1853; de Polenz, article de
Y Encyclopédie de Herzog; Haag, France protestante . A. Viguié.
BROWNE (Robert), théologien puritain anglais, fondateur de la
secte des Brownistes, appartenait à une bonne famille du Rutlandshire
et était parent du lord trésorier Burghley. Né vers 1550, il lit ses études
à Cambridge où il se fit remarquer par son caractère peu endurant et
par son opposition à la hiérarchie et à la liturgie anglicanes. Après
avoir été chapelain du duc de Norfolk, puis lecturer à Islington, près
Londres, il prit, à Norwich, la direction d'une Eglise indépendante
formée surtout d'anabaptistes hollandais. Ses convictions séparatistes
étaient de plus en plus accentuées, et il les propageait avec une grande
ardeur. Associé à un maître d'école nommé Harrison, il parcourait
la contrée formant partout où il le pouvait des communautés consti-
tuées selon le type qu'il croyait conforme à l'Ecriture. Ses discours
avaient un grand succès, et ses vues, qui répondaient aux secrets
instincts d "opposition des masses, étaient accueillies avec empresse-
ment. Lévèque de Norwich, le docteur Freke, grand ennemi des puri-
tains, le lit emprisonner : ce n'était pas la première fois que Browne
allait en prison, el ce ne fut pas la dernière. Il se vantait, s'il faut en
croire Fuller, « d'avoir séjourné dans trente-deux prisons, dans plu-
sieurs desquelles il n'eût pas pu voir sa main en plein midi. » Sous le
règne d'Elisabeth, il suffisait d'être non-conformiste pour être exposé
à être incarcéré sous le moindre prétexte. Relâché grâce* à l'interven-
tion de lord Burghley, Browne se remit à prêcher. Menacé de nouveau,
448 BROWNE — BRUCH
il passa en Hollande avec Harrison et une cinquantaine de ses parti-
sans, et s'établit à Middlebourg, où il fonda une Eglise d'après les
principes qu'il exposa dans un livre publié alors sous ce titre : The
Life and Manners of ail true Christians ; and how unlike they are ta
Turks and Papists, and Heathen Folk. Browne y oppose la vraie Eglise,
royaume de Christ, à la fausse, royaume de l'Antéchrist, celle-ci jouis-
sant de l'appui du magistrat civil. La séparation est un devoir sacré
pour les chrétiens. L'Eglise, reconstituée sur ses vraies bases, a des
pasteurs, des instructeurs (teachers), des anciens, des diacres, des
veuves ou diaconesses; elle a de plus son presbytère (eldershi/j), où se
traitent les affaires de l'Eglise. C'est, à peu de chose près, le système
congrégationaliste, non sans quelque mélange de presbytérianisme.
Revenu en Angleterre à la suite de pénibles contestations avec ses par-
tisans, Browne tenta, en 1584, de porter ses idées en Ecosse, où il
entra en lutte à la fois avec les presbytériens et avec les épiscopaux.
Après avoir fait connaissance avec les prisons écossaises, il revint en
Angleterre, où il fut bientôt cité à comparaître devant l'archevêque de
Canterbury, à cause de certaine publication malsonnante. Il essaya alors
de se faire oublier et passa quelques années dans la retraite chez son
père. Mais le démon de la controverse ne tarda pas à le reprendre, et
il recommença à attaquer avec violence l'Eglise établie et à faire des
prosélytes. Ayant refusé de se rendre à la citation de l'évéquedePeter-
borough (1590), il fut excommunié, et certains auteurs affirment que
cette censure publique l'impressionna si vivement qu'il renonça à ses
principes de séparatisme et lit sa soumission. Quels qu'aient été les
motifs de ce changement, il n'est que trop certain qu'il eut lieu, et
que cet ardent adversaire de l'Eglise établie finit par devenir l'un de
ses ministres. 11 est probable que ce qui l'effraya plus que l'excommu-
nication lancée contre lui, ce fut l'exécution de deux de ses partisans.
Robert Browne n'avait évidemment aucun goût pour le martyre, mais
par contre il avait un goût très-prononcé pour l'agitation, et sa ren-
trée dans le giron de l'établissement officiel ne marqua pas la fin de
ses tourments. Vers la lin de sa vie, il eut encore à lutter avec les auto-
rités; emprisonné à Northampton, il mourut en prison en 1630, âgé
de quatre-vingts ans. Ses partisans ne le suivirent pas dans sa soumis-
sion. Réorganisés par F. Robinson, ils conquirent, sous le nom d'Indé-
pendants, la liberté religieuse, et le jeu des révolutions plaça môme le
pouvoir dans leurs mains. Leur grand principe demeura l'indépen-
dance absolue de l'Eglise locale, au sein de laquelle fonctionnait le
pur régime démocratique. — Sources : Neal, History of the Puritans;
Fuller, Cliurch History ; Fletcher, History of Independency.
Matth. Lelièvre.
BRUCH (Jean-Frédéric) [1792-1874], originaire dePirmasens (Bavière
rhénane), descendait d'une ancienne famille de huguenots français du
nom de Bruyère. Il fit ses études à Strasbourg, passa six années à
Paris en qualité de précepteur, fut nommé en 1821 professeur au sémi-
naire protestant et à la faculté de théologie de Strasbourg, fonctions
qu'il exerça avec une grande conscience jusque peu de temps avant
BRUCII — BRUEYS; 449
sa mort. Il y joignait celles de prédicateur et, depuis L848, d'inspec-
teur ecclésiastique et de membre du directoire de l'Eglise de la Con-
fession d'Augsbourg en France. Grâce à la double autorité de sa haute
position et de son caractère noble et bienveillant, il présida pendant
plus d'un demi-siècle aux. destinées de L'Eglise d'Alsace. Sa ten-
dance était celle du rationalisme austère de Kant, tempéré par un
certain idéalisme esthétique plutôt que mystique. Outre plusieurs
recueils de sermons et de conférences apologétiques sur le chris-
tianisme, qui se distinguent par la pureté classique de la forme,
Bruch a publié, en langue allemande, plusieurs ouvrages de philoso-
phie religieuse, parmi lesquels nous relèverons la Doctrine des attri-
buts de Dieu (1842), le Traité de la Sagesse chez les Hébreux (1851), la
Doct rine de la préexistence de Vâme (1859) et la Théorie de la conscience
(180V). Son gendre, M. Gerold, a publié une notice biographique de
./.-/•'. Bruch, Strasb., 1874.
BRUEYS (David-Augustin de), écrivain polémique et auteur drama-
tique, né à Aix, en 1640, de famille protestante. Reçu avocat, il re-
nonça au barreau pour les études théologiques et les belles-lettres.
Après avoir épousé la sœur du célèbre Barbeyrac, il se fixa à Mont-
pellier. 11 avait quarante ans lorsque parut Y Exposition de la doctrine
catholique, de Bossuet. Il se mit à l'œuvre pour la réfuter, et le fit avec
talent dans sa Réponse à Monsieur de Condom (1681). Désarmer un tel
adversaire, et le gagner à la cause qu'il venait de combattre avec éclat,'
en faire un. apostat et un auxiliaire contre l'hérésie, Bossuet le tenta
aussitôt et il y réussit sans grande peine. Brueys ne sut pas résister à
l'ascendant ou aux flatteries de l'évêque de Condom, aux faveurs du
roi et aux pensions du clergé. Il consentit à abjurer, en 1682; il fit
plus : étant devenu veuf peu de temps après, il se mit en état de recevoir
la tonsure des mains de son convertisseur, en 1683. Son zèle de néophyte
se déploya bientôt avec excès dans des ouvrages pleins d'acrimonie,
dirigés contre ses ex-coréligionnaires. Il put bien les outrager, les re-
présenter comme des ingrats qui méconnaissaient le gouvernement pa-
ternel de Louis XIV, qui se révoltaient contre leurs bienfaiteurs ; mais,
chose remarquable, il ne put parvenir à se combattre lui-même, à
mettre à néant la réfutation qu'il avait d'abord publiée du livre de
Bossuet, et où il avait démontré que cet évêque rendait lui-même un
témoignage irréfragable en faveur de la religion réformée. Ses prin-
cipaux écrits turent : Défense du culte extérieur de l'Eglise catholique,
où l'on mm/ire aussi les défauts qui se trouvent dans le service public de
la />. /'• /•'.. etc. (1685); Réponse aux plaintes des Protestants centre
les moyens que l'on emploie en France pour les réunir à l' 'Eglise, où
l'un réfute les calomnies qui sont contenues dans le livre intitule : La
Politique I" clergé de Troua' (1686); Histoire du fanatisme de notre
temps, et le dessein que l'on avait en Fronce de soulever les mécontents des
Calvinistes (1692); Suite de l Histoire du fanatisme de notre temps, oit
l'ien voit les derniers tnml>li-< des Cévennes (1709-1713). L'exagération et
la mauvaise loi qui entachent cet ouvrage ont mis le comble au mau-
vais renom <pi<' s'était l'ait l'auteur. Tout en prenant la soutane et en
n. 29
450 BRUEYS — BRUNELLESCO
faisant de la controverse comme un père de sa nouvelle Eglise, Brueys
avait senti naitre en lui une autre vocation, celle du théâtre, et il s'é-
tait mis, comme un autre Racine, à composer des tragédies : Gabinie
(1699), Asba, Lysimachus ; puis des comédies : V Opiniâtre, le Grondeur,
le Muet, V Important, les Empiriques, etc. Son arrangement de Y Avocat
Pathelin est resté longtemps au répertoire. On sait qu'il eut pour colla-
borateur Palaprat. Il mourut à Montpellier le 27 novembre 1723, lais-
sant une mémoire fort décriée, et à juste titre. Ch. Kead.
BRUMOY (Pierre) [1688 1742]. Selon l'habitude de ses confrères, ou
plutôt selon la méthode de son ordre, ce jésuite cultiva tout à la fois la
théologie, l'histoire et les lettres. Il professa même les mathématiques
pendant six ans. Divers ouvrages estimables témoignent du succès
avec lequel il s'adonna à ces études. Il n'est pas jusqu'à des poèmes
latins, des tragédies et des comédies, qu'il n'ait composés avec l'élé-
gance un peu fade de son école. Il continua après les PP. de Longueval
et Fontenay Y Histoire de l'Eglise gallicane dont il fit les onzième et
douzième volumes, tâche dans laquelle il eut le P. Berthier pour suc-
cesseur. Brumoy est surtout connu par son Théâtre des Grecs, travail
dont les remarques valent mieux que la traduction (Paris, 1730, 3 vol.
in-4° ; Amsterdam, 1732, et Paris, 1749, 6 vol. in-12). Le P. Fleuriau
y ajouta de savantes notes (Paris, 1763, id.). L'ouvrage entier, revu par
Ch. Brotier, qui traduisit Aristophane, aide de La Porte-Dutheil pour
Eschyle, de Rochefort pour Sophocle et de Prévost pour Euripide
(Paris, 1785-89, 13 vol. in-8°, fi g.), fut aussi parfait que le comportait
le système alors adopté de traduire avec plus d'élégance que de fidélité.
Raoul Roehette réédita la magnifique édition de Brotier en y ajoutant
des observations, des extraits du cours de littérature de La Harpe et la
traduction, d'ailleurs peu réussie, de fragments du théâtre grec (Paris,
1820-25, 16 vol. in-8°).
BRUNELLESCO (Filippp di ser) [1377-1446], architecte florentin
célèbre, est le père de l'architecture moderne, car le premier il
abandonna le style gothique pour retourner aux formes de l'anti-
quité (voyez Architecture religieuse) . Eu appliquant tes détails et les
ordres romains aux besoins de son époque, il forma à l'inverse des
autres styles, pour ainsi dire de toutes pièces, celui de la Renaissance;
il est le seul architecte dont on pourrait dire qu'il créa un style.
Après avoir étudié l'orfèvrerie, la mécanique, s'être instruit dans les
Ecritures saintes, il sculpta un grand crucifix en bois, pour montrer à
son ami le célèbre Donatello comment celui-ci aurait dû traiter ce
sujet. Il concourut aussi avec Ghiberti pour les portes du Baptistère de
Florence. Mais ce qui le préoccupa surtout, ce fut l'étude des monu-
ments de Rome et l'achèvement de la coupole de Sainte-Marie-des-
Fleurs à Florence, la plus grande et la plus élevée qui avait jamais
été conçue, et que depuis la mort d'Arnolfo del Cambio, plus de cent
ans auparavant, personne n'avait osé entreprendre. Brunellesco y
songeait sans cesse. Consulté à ce sujet, il conseilla pour l'année
suivante 1420 un concours des architectes les plus renommés de tous
les pays. Ceux-ci présentèrent des projets bizarres ou impossibles,
BRUNELLESCO — BRUNO 451
tandis que le modèle el le procédé proposés par Filippo.si hardis et si
nouveaux, le tirent traiter de ton. Avec une clarté et un génie admi-
rables, il triompha des obstacles incessants suscités, sa vie durant, par
ses concitoyens un ses rivaux.. A s;i mort, il ne restait plus qu'à
terminer la lanterne, dette coupole majestueuse est d un aspect plus
satisfaisant à l'extérieur qu'à V intérieur ; sans elle Saint-Pierre de Rome
n'existerait pas, et comme construction elle a servi de modèle à
toutes les grandes coupoles élevées depuis. Brunellesco ne put achever
ses deux autres églises de San-Lorenzo et de Santo-Spirito à Florence;
il y adoptait la tonne de la basilique latine, peu imitée dans la suite.
La sobriété du style et de la décoration donnent à ces églises une
apparence presque protestante. L'extérieur de ces édifices ainsi que
plusieurs autres restèrent inachevés, surtout la chapelle « des Anges »
qui exerça une grande influence, de même que celle des Pazzi.Pour un
citoyen florentin, Luca Pitti, Brunellesco construisit un palais, plus
simple, mais plus grandiose, plus « terrible » que toutes les résidences
royales du monde. Il fut appelé comme architecte, comme ingénieur
civil et militaire dans beaucoup de villes d'Italie, et décora Florence
d'édifices et de portiques. Sauf dans le palais Quaratesi, son ornemen-
tation, ses profils manquent de sentiment; ses préoccupations étaient
évidemment ailleurs. Deux ans avant sa mort, naissait celui qui devait
porter à sa perfection le style de Brunellesco et rappliquer au premier
monument de la chrétienté, Saint-Pierre de Rome (voyez Bramante)..
H. DE Geymuller.
BRUNO, archevêque de Cologne, le plus jeune fils de Henri FOise-
leur. ne en 925, fut consacré par ses parents dès ses plus tendres
années à la vie ecclésiastique et passa son enfance studieuse à Liège
SOUS la direction de l'évêque Baldéric, F un des hommes les plus
instruits de son temps. Telle était l'étendue de ses connaissances que
dès 939 il fut capable de remplir avec distinction les fonctions de
chancelier de Fempire que lui confia son frère Otton Ier le Grand.
Elevé quelques années plus tard à la dignité de chapelain en chef de
la maison royale, il déploya une telle activité que tous les actes et
chartes de 939 à 952 sont revêtus de sa signature et ont été rédigés
par lui. Simple dans ses goûts, consacrant à Fétude les heures
arrachées à ses hautes fonctions, il transportait avec lui sa bibliothèque
dans tous ses voyages et cultivait le grec et le latin avec autant de
succès (pic les m irnees et la théologie. Grâce à ses soins, Fécole du
palais vit fleurir les études négligées depuis Charlemagne. L'évêque
irlandais Israël, Kathérius de Vérone, des Grecs de Constantinople étaient
ses principaux collaborateurs. Il s'assura aussi le concours de moines
irlandais chassés de leur pays par les invasions danoises, plaça à la tête
d' - grandesabbayesdes hommes instruits et éclairés, pénétrés de l'esprit
de la règle de Saint-Benoit. Il a été considéré comme le restaurateur des
lettres eo Allemagne. Son frère, reconnaissant ses services, réleva à la
dignité d'archevêque de Cologne et d'archiduc de la Lorraine, alors en
proie a des divisions intestines. Il exerça son influence au prolitdes
intérêts de L'Eglise él de rouvre missionnaire. «En toi, lui écrivait Otton,
452 BRUNO
brille la puissance de la religion et de la royauté. » Esprit conciliant et
modéré, il intervint dans les discussions de la famille royale, réconcilia
en 954 Otton avec son frère Henri le Querelleur et s'interposa à
plusieurs reprises pour mettre fin à la guerre civile, engagée par
Luddolf contre son père. Pendant qu'Otton repoussait sur les bords du
Lech l'invasion hongroise, Bruno défit en 954 Conrad de Lorraine,
révolté, et fit prisonnier en 955 Rigmar, frère de Giselbert, qu'il
envoya terminer en Bohême sa carrière agitée. Pendant neuf ans, lors
des luttes de Louis d'Outremer avec Hugues le Grand, tous les deux
ses beaux-frères, il exerça une influence décisive sur les affaires de la
France. Il fut en 947 l'àme du concile d'Ingelheim qui confirma les
droits de Louis d'Outremer et de sa créature Artaud, archevêque de
Reims, contre Hugues de Vermandois, partisan d'Hugues de France.
En 954, sur les instances de sa sœur Gerberge, veuve de Louis d'Ou-
tremer, il assista à Reims au sacre de son neveu Lothaire. Il mourut à
Reims le II octobre 965, dans l'un de ses nombreux voyages diploma-
tiques, et fut inhumé en grande pompe à Cologne, dans l'église de
Saint-Pantaléon, qu'il avait lui-même fondée. — Voyez : Frodoard,
Vita S. /?., dans Opp. Script, fr., IX; Ruotger, Vita S. B. dans Pertz,
Mon. Germ., IV, 252; Bollandistes, mensoct., V., Brux., 1786; Pieler,
Bruno, I, Arnsb., 1851. A. Paumiek.
BRUNO, l'apôtre de la Prusse, martyr, a été longtemps confondu
avec d'autres personnages obscurs du même nom, et le surnom de
Boniface, qu'il prit à Rome, a donné naissance à l'histoire d'un second
missionnaire qui n'a jamais existé. Aucune légende n'a raconté ses
miracles, aucun monument n'a transmis à la postérité la mémoire de
son martyre. D'après la Chronique de Magdebourg et la Vie de saint Ro-
muald par Damien, il naquit à Querfurt en 970. Sa famille, qui appar-
tenait à la vieille noblesse saxonne, était alliée à la famille régnante et
a donné à l'Allemagne un empereur, Lothaire. Elève de la fameuse
école de Magdebourg, fondée par Otton le Grand, il se voua, selon le
désir de ses parents, à la vie religieuse et fut admis, en qualité d'au-
mônier, dans l'intimité de son jeune parent, Otton III, qu'il suivit en
996 dans sa première expédition romaine. Grâce à ses talents et à ses
relations de famille, il aurait atteint de bonne heure les plus hautes
dignités ecclésiastiques, mais l'amour de la vie ascétique et contem-
plative l'emporta sur la voix de l'ambition et il entra comme novice
dans le couvent des Saints-Alexis-et-Boniface , sur l'Aventin, dont les
moines, grecs austères et lettrés, suivaient la règle de Saint-Basile.
Quelques années plus tard, cédant à l'ascendant du vieil ermite
Romuald , il le suivit dans sa solitude de Ravenne. La nouvelle du
martyre d'Adalbert en Prusse et l'appel pressant adressé par Otton III
et Gerbert en faveur de la mission , décidèrent Bruno à mettre
la main à l'œuvre. Empêché de se rendre en Pologne par la guerre
survenue entre Boleslas et Otton, il passa en Hongrie, après avoir
reçu la consécration épiscopale; mais accueilli [avec froideur par
Etienne , qui voyait en lui un agent politique , il se rendit à Kiew
auprès de Vladimir et travailla à l'évangélisationdesPetchenègues, peu-
BRUNO 453
plade idolâtre et cruelle, campée à l'embouchure du Don. Encouragé
par des succès rapides et laissant à l'un de ses compagnons le soin de
continuer son œuvre, Bruno revint on Pologne et se vit reçu avec bien-
veillance par Boleslas, qu'il ne réussit pas toutefois à réconcilier avec
Otton. 11 était résolu à reprendre l'œuvre d'Adalbert et à étendre son
action sur les Wendes ; mais après avoir parcouru en tous sens ces
contrées sauvages sans réussir à fonder une œuvre durable, il fut as-
sailli par les idolâtres, l'ait prisonnier et décapité, avec dix-huit de ses
compagnons, le 14 lévrier 1009. Boleslas racheta en 1010 les restes des
martyrs et leur assura une sépulture honorable. — Voyez : Pertz,
Mon. Germ.j Y, 1, 577; Voigt, Gesch. Pr.} I, 280; Giesebrecht, Neue
Preuss. ni.. 111, 1, 18S9.
BRUNO (Saint), fondateur de Tordre des Chartreux, est né à Cologne,
d'une famille noble, vers 1040. Il fit ses études en France et devint
successivement chanoine à Cologne et à Beims, puis chancelier et rec-
teur des études. Il professa avec un certain éclat, ayant la réputation
d'être un des docteurs les plus savants de son temps. Défenseur con-
vaincu des principes de Grégoire VII, il désespéra néanmoins de
remédier à la corruption de l'Eglise, et ayant reconnu la vanité de la
science et de ses propres efforts pour parvenir à la sainteté il se retira
dans la vie solitaire, d'abord aux environs de Langres, puis avec six de
ses compagnons dans un désert des Alpes du Dauphiné que lui indiqua
Tévêque Hugues de Grenoble, et qui devint la Grande-Chartreuse (1086).
Bruno établit une règle des plus sévères (voy. l'article Chartreux); mais il
ne demeura lui-même dans cette solitude que pendant six ans. Appelé à
Rome par le pape Urbain II, qui avait été son élève à Beims, il se retira
peu après dans une gorge sauvage delaCalabre, nommée la Torre, où il
mourut en 1101. Le pape Léon X Ta canonisé en 1514. Bruno a laissé
outre des lettres, un Commentaire sur les Psaumes et un autre sur les
Epîtres (te saint Paul, ainsi qu'une Profession de foi, insérée par Mabil-
lon dans ses Analecta, IV, p. 400 ss. — Voyez : Mabillon, Annales V
p. 202 ss. ;id., AA. SS. Qrd. Bened., sœc. VI; AA., SS. III, 496'
() oct. ; D. Ceillier, Histoire des aut. eccl., XXI, p. 216 ss. ; Dorlant
Chron. des Chartreux; le P. de Tracy, Vie de saint Bruno ; Hist litt. de
In France, IX, p. 233 ss. La fable qui raconte la conversoin miracu-
leuse de Bruno date de la lin du treizième siècle ; elle a été retranchée
du Bréviaire romain sous Urbain VIII (voy. J. Launois, De vera causa
tecasus S. Brunonis in eremum, P., 1646).
BRUNO D'ASTI (Saint), né à Soléria dans le diocèse d'Asti, mort
en L 125. Il alla à Rome en 1079, et défendit contre Béreneer le
domine de laprésence réelle de Jésus-Christ dans la Cène. Grégoire Vil
Le nomma évêque de Segni; mais il se démit de ses fonctions pour se
retirerai] Mont-Cassin. Il a laissé : 1° des Commentaires sur le Pr,/f<t-
teuque, sur Job, sur 1rs psnmues, sur le Cantique des cantiques et sur
F Apocalypse ; 2U Cent r/uarante-cinç Sermons; 3° un Traité sur les sacre-
ments de l'Eglise, les Mystères et 1rs lUtes ecclésiastiques, el plusieurs
autres écrits. La première édition de ses œuvres a été publiée par Dora
Marchesi a Venise (1651 3 2 vol. in-fol.)- Une édition plus complète esl
454 BRUNO — BRUNSWICK
due au P. Bruni (Rome, 1789-91, 2 vol. in-fol.). Celle de M. Migne
(Paris, 2 vol. in-8°) la reproduit.
BRUNO (Giordano), né à Nola en Carnpanie vers 1548, dominicain,
s'inspira de la philosophie néoplatonicienne et surtout des écrits de
Nicolas de Cusa, dont il développa les principes dans ce qu'ils avaient
d'hostile à la théologie régnante. Il s'échappa de son couvent en 1580,
fut professeur à Genève, puis se rendit à Lyon, à Toulouse, à Londres,
à Oxford, à Wittemberg, àHelmstiedt, à Francfort-sur-le-Mein ; revenu
à Venise en 1572, il fut jeté en prison et en 1598 livré au saint-office
de Rome, qui le condamna, pour crime d'athéisme, à être brûlé vif
(1000). Sa doctrine, exposée avec enthousiasme et qui provoquait par-
tout d'énergiques protestations, était ufte philosophie de la nature.
Bruno célèbre la grandeur infinie, l'inépuisable fécondité de la nature;
l'univers n'a de limites ni dans le temps, ni dans l'espace, parce qu'il
est la manifestation d'une puissance absolue de prendre successive-
ment toutes les formes, d'une natura naturans, que ne peuvent per-
cevoir nos sens attachés à ce qui est individuel, mais à la connaissance
de laquelle nous nous élevons parla contemplation. Cette nature intime
ou àme du monde estla coinciclentia oppositorum, conciliant en son sein
tous les contraires. Etre universel, Mens, Dieu est la cause immanente de
tous les phénomènes, la substance indivisible et présente dans tous les
êtres, dans le brin d'herbe aussi bien que dans l'hostie consacrée. De cette
monade première, entium imitas, se dégagent les monades qui, d'abord
toutes identiques, se développent en vertu de leur virtualité, s'em-
parent des éléments plus faibles, s'épanouissent dans un maximum
d'opposition réciproque, puis rentrent dans le sein delà nature univer-
selle pour servir de pâture à d'autres monades grandissantes et plus
tard revenir encore à une vie propre sous des apparences nouvelles
dans un incessant devenir. Le système de Bruno était tombé dans
l'oubli; Jacobi, dans ses attaques contre le spinozisme, appela de nou-
veau l'attention sur lui ; Schelling déclara qu'il avait trouvé dans ses
écrits le principe de l'identité absolue. Les œuvres italiennes de Bruno
ont été publiées par Y/agner (2 vol., 1830); les latines par Gfrœrer
(2 vol., 1834, incomplet). — Voyez : CL. Bartliolmess, J. Bruno, J846;
F.-J. Clemens, J. Bruno u. N. von Cusa, 1847; D. Berti, Vtta
Ai G. B., 1860. A. Mattee.
BRUNSWICK (La Réformation du duché de). Le duché de Brunswick
relevait des évêchés de Hildesheim et de Halberstadt; il était riche en
• couvents et en fondations ecclésiastiques. Cependant la ville de Bruns-
wick réussit à conquérir son autonomie vis-à-vis des ducs et des évê-
ques; elle se rendit presque entièrement indépendante des uns et des
autres et ne leur laissa qu'une autorité purement nominale; cette indé-
pendance fut favorable à la Réforme. Les bourgeois de la ville lisaient les
•écrits de Luther et sa traduction des livres saints ; mais ce furent surtout
les cantiques allemands qui impressionnèrent le peuple; ils jouèrent un
rôle important dans le mouvement religieux qui arracha cette ville à la
domination de Rome. Les prêtres de Brunswick jouissaient de leurs
revenus, sans s'occuper beaucoup de leur ministère ; ils chargeaient de
BRUNSWICK 435
leurs prédications de jeunes suppléants, fort mal payés ; ces vicaires s'at-
tachèrent à la bourgeoisie dont ils surent gagner les sympathies, cl se
montrèrent généralement favorables aux nouvelles doctrines. Souvent,
au lieu de L'hymne à la Vierge, ils entonnaient un cantique Luthérien,
«pie chantail alors tonte l'assemblée ; ils abandonnèrent de plus en
plus la vieille prédication scolastique pour expliquer L'Evangile. Aussi
le peuple ne voulnt-il plus soullVir d'autre prédication ; il interrompait
par ses chants les plus savants discours et rectifiait les citations bibliques
inexactes. Le clergé appela alors, pour rétablir son autorité, un des
prédicateurs les plus considérés, le docteur Sprengel, habile controver-
sisie; mais sur la lin de son sermon un bourgeois s'écria : «Prêtre
{Pfaffe), tu mens! »et se mit à chanter avec toute rassemblée le can-
tique de Luther : Ach Gott vom ffïmmel sieh dàrein. Les prêtres
prièrent alors le sénat de les débarrasser de leurs suppléants ; le peuple,
de son côté, demanda qu'on le débarrassât des prêtres. Le sénat, hési-
tant d'abord, lut entraîné par le mouvement populaire. Après la diète
de Spire (4526), qui accordait aux. luthériens une certaine liberté reli-
gieuse, on réformait partout eu Allemagne; on profita de l'absence du
duc Henri, qui s'y lût certainement opposé, pour réformer aussi à
Brunswick. Le 13 mars 1528, le sénat décida qu'à l'avenir on ne prê-
cherait plus (pie la Parole de Dieu; (pie la cène serait célébrée sous les
deux espèces, et le baptême administréen langue allemande. On appela
de A>\ ittemberg Bugenhagen (Pomeranus), le seul des théologiens saxons
qui sût ie bas-allemand, pour organiser l'Eglise dans le sens luthérien ;
sur Tordre du sénat, il lit une agende (Kirchenordnung), qui régla le
culte et la discipline. Le surintendant fut chargé de remplir lesfonctions
épiscopales; il devait prêcher, faire des conférences latines « pour les
savants», surveiller la doctrine, la discipline, la question des biens de
I Eglise, présider au choix des pasteurs, etc. Les moines mendiants quit-
tèrent aussitôt la ville où leurs ressources vinrent à manquer. Après
quelques agitations causées par les zwinglîens et les anabaptistes Lagende
fut définitivement établie, imprimant à l'Eglise un caractère luthérien
qu elle a longtemps gardé dans toute sa pureté. Dans le reste du duché,
la Réforme s'établit beaucoup plus tard, car là régnait de 151 i à 1568 l'ad-
versaire le plus acharné de Luther, le duc Henri, qui lutta contre lui jus*
qu à sa mort. Luther cependant parait avoir eu d'abord quelque espoir
dele gagner; en 1524, il écrivait à Spalatin : « Le duc Henri de Brunswick
commence à embrasser l'Evangile » (de Wette. Luther % Bn'efe, II,
p. 51li. Mais il luidéti'ompé. et il appelait plus tard le duc de Brunswick
atus Nero (ibid., V, p. 314). Lorsque l'électeur Jean-Frédéric de
Saxe e1 Le landgrave Philippe de Hesse s'emparèrent (1545) de Henri et
de ses Etats, on réforma l'Eglise ; maison commit des excès regret-
tables; ( -m piiia et détruisit des couvents. Aussi, quand en 1547 Henri
b" réintégra dans ses possessions, il put restaurer et maintenir Le culte
catholique. Ce n'est que sous son successeur) le duc Jules, que la
Réforme triompha définitivement. Martin Chemnitz, Jacques Andréas,
auteur de La Formule de Concorde, et Pierre Ulner organisèrent L'Eglise;
ils lui donnèrent une agende (lw janvier!569), qui fixa l'état ceci/'-
456 BRUNSWICK — BRUYS
siastique du pays. Le pouvoir suprême fut attribué au duc, qui l'exer-
çait : 1° par un consistoire supérieur ; 2° par cinq surintendants géné-
raux soumis au consistoire, auquel ils se joignaient deux fois par an.
pour constituer le synode. Il y avait ensuite des surintendants spéciaux,
chargés de visiter deux fois par an toutes les paroisses. Les couvents,
auxquels on laissa leurs revenus, furent convertis en séminaires on
étaient formés les pasteurs. On fonda à Gandersheim un pœdagogium
qui fut plus tard transféré à Helmstcedt et converti en université. Dans
cette organisation on ne reconnut aucun droit aux paroisses; aussi le
développement et la vie de l'Eglise subirent-ils toujours l'influence des
opinions personnelles des ducs, ou de leurs conseillers du consistoire
et de l'université. En 1709,1e duc Antoine Ulric, alors âgé de soixante-
dix-sept ans, passa au catholicisme ; mais il n'opprima point l'Eglise
luthérienne au profit de Rome; non-seulement il lui assura toutes les
garanties d'indépendance et de liberté, mais, par un règlement, il
accorda même à ses pasteurs une certaine surveillance sur les divers
groupes catholiques disséminés dans le duché. En 1737 fut fondée
l'université de Gœttingue, qui fit tomber plus tard celle d'Helmstœdt.
Dans la seconde moitié du dix-huitième siècle, le rationalisme régna dans
toutes les Eglises du duché de Brunswick, comme du reste dans toute
l'Allemagne. Ch. Pfendeb.
BRUXELLES (Statistique ecclésiastique).. La ville de Bruxelles est
une des capitales de l'Europe dont la population s'est accrue le plus
rapidement depuis le commencement du siècle. Fondée au sixième
siècle autour du cloître de Saint-Géry, elle fut pendant le moyen
âge capitale des ducs de Brabant, puis des Pays-Bas autrichiens ; mais
elle restait très-inférieure en importance aux grandes cités flamandes
du pays, Gand, Liège, etc. Elle ne comptait en 1800 que 66,297 habi-
tants, et, en y comprenant les huit communes suburbaines, 76,426; en
1875, elle en avait 182,735, et, avec la banlieue, 376,965. Presque tous
sont catholiques; on compte environ 6,000 protestants et 1,500 israélites
dans la ville proprement dite. Les catholiques sont rattachés à l'archi-
diocèse de Malines. Les églises principales sont celles de Sainte-
Gudule (treizième et quatorzième siècles), Saint-Jacques-sur-Cauden-
berg (1776-1785), Notre-Dame-des-Victoires (quatorzième et quinzième
siècles), Notre-Dame-de-la-Chapelle (treizième siècle), Sainte-Catherine,
Sainte-Marie, Saint-Joseph, du Béguinage, Saint-Boniface, Saints-Jean-
et-Etienne, Saint-Nicolas, des Jésuites, Notre-Dame-du-Bon-Secours, etc.
Les églises protestantes sont très-nombreuses proportionnellement à
la population. On ne compte pas moins de trois chapelles anglicanes,
trois j temples de langue française et deux de langue flamande. Les
israélites ont deux synagogues. — Bibliographie : H. Tarlier, Nouveau
Dictionnaire des communes de Belgique, Bruxelles, 1877; K. Bœdeker,
Belgique et Hollande, 1875; Du Pays, Itinéraire de la Belgique, etc.
E. Vauchee.
BRUYS (Pierre de), célèbre hérétique du douzième siècle. Originaire
de la Provence, disciple d'Abélard, d'un tempérament ardent et
révolutionnaire, il prit prétexte delà corruption de l'Eglise et du clergé
BRUYS 457
pour s'élever contre l'autorité de la tradition. Il n'admettait que celle
des évangiles qu'il interprétait d'une manière toute littérale. La réforme
du culte était aussi nécessaire, à ses yeux, que celle des mœurs. Dieu
n'a pas besoin de temples pour être adoré; il ne demande pas de
cérémonies, mais des dispositions pieuses; l'Eglise ne réside que dans
la communion des saints: le baptême ne doit être administré qu'aux
adultes capables de confesser leurs péchés; Jésus-Christ, en célébrant
la cène avec ses disciples, n'en entendait nullement faire un sacre-
ment. Bruys rejette de même le jeune, les aumônes méritoires, les
prières d'intercession pour les morts, le célibat des prêtres. Il recruta
de nombreux adhérents, connus sous le nom de Petrobussiens, dans les
diocèses d'Arles, d'Embrun, de Die, de Gap, de Narbonne. Le mouve-
ment se propagea même jusqu'en Gascogne en se mêlant avec d'autres
hérésies. Les peti'obussiens rebaptisaient les populations, détruisaient
ou profanaient les églises, renversaient les autels, brûlaient les croix,
maltraitaient les prêtres et les moines. Les évêques durent avoir
recours à la force armée pour combattre ces fanatiques. Pierre de
Bruys lui-même fut bridé en 1126, et beaucoup de ses adhérents
partagèrent son sort. Sa doctrine fut solennellement condamnée au
deuxième concile de Latran (1139). Nous ne la connaissons que par
une épitre que Pierre le Vénérable, abbé de Cluny, a adressée aux
évêques du Midi delà France, adversus Petrobusianos hxreticos, rédigée
du vivant de Bruys et accompagnée d'une préface écrite après sa
mort (112() ou 1127). Elle a été éditée par A. 4. Hofmeister, Ingolst.,
1546, et se trouve aussi dans M. Marrier et A. Duchêne (Querceta?ius),
Bibl. Cluniac, p. 1117 ss., ainsi que dans la Bibl. Pair, maxima,
Lyon, XXII, p. 1033 ss.
BRUYS (François), polygraphe, né à Serrières en Maçonnais, le 7 fé-
vrier 1708, de parents devenus nouveaux-catholiques. Ayant un oncle
curé à Chavigny, il lit ses humanités à l'abbaye de Cluny et étudia
la philosophie chez les Pères de l'Oratoire. Un caractère inquiet et le
sentiment exagéré de sa valeur lui tirent bientôt chercher aventure :
d'abord à Genève, où il arriva en 1727 et se lit bien venir de divers
savants; puis en Hollande, où il alla dès 1728 et retrouva un oncle et
une tante, réfugiés de la révocation de Ledit de Nantes. C'est sans
doute sous leur influence et parleur exemple qu'il reprit la première
religion de son père. Il brûlait ainsi ses vaisseaux, et devait se consi-
dérer dès lors comme un proscrit qui ne pourrait plus compter que sur
lui-même. 11 entreprit la publication d'une Critique dési?Uëressée des
Journaux. La querelle entre Saurin et La Chapelle sur le mensonge
officieux, et dans laquelle il prit parti pour h; premier, s'étant en-
venimée au point de nécessiter l'intervention d'un synode, en 1730,
sa polémique donna lieu à des plaintes assez vives pour qu'il crût
prudent <!<■ passer en Angleterre el d'y séjourner quelque temps. Saurin
ayant eu le dessous, le troisième volume de la Critique de Bruys fut
supprimé. Revenu à La Haye, mais dégoûté parles ennuis et les frais
que cette affaire lui avait occasionnés, il passa en Allemagne, et, s'étant
li\.- a Emmerich, il y épousa Anne d'Esiil, de Montauban. Deux ans
458 BRUYS — BUCEfc
plus tard, il retourna en Hollande, et bientôt après il accepta l'offre
que lui fit le comte de Neuwied d'habiter son château et d'en être le
bibliothécaire. En 1736, il revint enfin à Paris où il se convertit an ca-
tholicisme. Ayant été appelé en Bourgogne par des intérêts de famille, il
se vit, contre son gré, obligé d'étudier la jurisprudence, et il mourut
le jour même où il prenait ses licences à Dijon, (21 mai 1738). On a de
lui : L'art de connaître les femmes, avec une dissertation sur l'adultère
(1730); Tacite, avec des notes historiques et politiques (1730-31);
Histoire des Papes depuis saint Pierre jusqu'à Benoit XIII inclusivement
(1732-1734); Le Postillon, ouvrage historique, critique, politique, mo-
ral, philosophique, littéraire et galant (1733-1736); Réponse aux Lettre*
sur les Hollandais (1735) ; Amusements du cœur et de l'esprit (1736) ; Mé-
moires historiques, critiques et littéraires (1751, ouvrage posthume, pu-
blié par l'abbé Joly). Tout ce bagage littéraire est de troisième ordre.
La muse de Bruys fut peu désintéressée : c'était trop souvent la Res
angusta dom.il Ch. Read.
BUCER (Martin), ou plutôt Butzer (en latin Aretius Felinus ou Emun-
ctor), est né en 1491, dans la petite ville alsacienne de Sehlettstadt,
le siège de la célèbre école d'humanistes. A l'âge de quinze ans déjà il
entra dans l'ordre des dominicains et fut envoyé à Heidelberg, où il se
livra à de fortes études classiques et théologiques. Luther, qui était
venu en 1518 à Heidelberg pour y soutenir une discussion, enthousiasma
tellement le jeune Bucer, que depuis ce jour il devint un des fervents
adhérents du moine saxon. Sa position au couvent étant devenue par
là intolérable, il chercha à quitter l'ordre et put obtenir du pape d'être
mis aurangdespretresseculiers.il passa tour à tour de la cour du comte
palatin Frédéric, dont il avait été le chapelain, à lacurede Landstuhl,
que lui procura son ami Sickingen, et enfin à Wissembourg. Chassé de
cette dernière ville par la guerre, il dut se réfugier sous l'aile protec-
trice de l'Eglise de Strasbourg. Sa position y devint de plus en plus
assurée : il tint d'abord dans sa maison des réunions bibliques, qui atti-
rèrent une foule d'auditeurs. Bientôt il fut reconnu citoyen de la ville
et put prêcher dans la cathédrale. En 1524 il devint le premier pasteur
delà paroisse des jardiniers dite de Saint-Aurélie, et bientôt il fut l'âme
de l'Eglise évangéhque de Strasbourg. On sait qu'en 1524, à la suite de
l'agitation provoquée par Carlstadt, éclata la funeste dissension entre
Luther et les théologiens de la tendance zwinglienne, au nombre desquels
se trouvait Bucer. Il avait exposé en toute franchise ses vues larges et
libérales au colloque de Berne en 1528 et au colloque de Marbourg en
1529, et ne cachait passes sympathies pour les réformateurs suisses. Mais
sa nature pacifique et son désir de conciliation le portaient à travailler
en vue d'une union entre l'Allemagne et la Suisse. Comme on avait
écarté les Strasbourgeois de la coopération à la confession d'Augsbourg,
Bucer rédigea avec ses collègues la Tetrapolitana, qui s'exprimait
dans l'article de la sainte cène d'une manière moins radicale. Dès lors
Bucer s'engagea dans la voie de la médiation : il fit des efforts incroya-
bles, tâchait de calmer et Luther et les prédicateurs suisses, que Luther
traitait souvent d'une manière peu chrétienne, et parvint enfin à ame-
BUGEE — HUCHANAX 4.V.»
ncr un colloque à Casse! en 1535, ci enfin es 1536 la concorde comme
sous le nom <lc Wittemherger Conoardie. Au moyen d'une distinction
subtile entre indignes ei impies, Bucer sut contenter Luther, qui tenait
à une présence réelle du Christ dans le sacrement, même pour les im-
pies. On a souvent calomnié Bucer à cause de ces concessions, qui pour-
tant lui étaient dictées par le seul intérêt de la paix de l'Eglise, lue
lois engagé dans la voie delà médiation, Bucer voulut la suivre partout.
Mais il ne réussH pas toujours : les catholiques opposèrent wm^ résis-
tance opiniâtre. Lorsqu'on voulut] imposer à Strasbourg le fameux
Intérim, Bucer à son tour résista. Dans la situation critique où était
le magistrat vis-à-vis de L'empereur, il dut commander le silence aux
récriminations des pasteurs. Bucer fut forcé de quitter la ville et se
retira en Angleterre où l'avait appelé l'archevêque Oanmer. Il fut
nommé par Edouard VI professeur de théologie à Cambridge et écrivit
encore un grand ouvrage : De Regno Christi, publié après sa mort.
.Mais le pauvre exilé ne sut trouver le repos que lorsque, le 28 février
loôl, Dieu mit fin à cette vie de travail et de dévoùment. Les écrits de
Bucer sont nombreux : le pasteur Conrad Hubert voulut en publier
une édition en dix volumes, mais il mourut, et un volume contenant
des écrits latins de Bucer, et connu sous le nom de 7'omus unglicanus,
fut le seul qui parût. — La vie de Bucer a été traitée avec le plus
d'érudition et d'exactitude par M. Baum, dans son beau livre : Capito
und Bntzer, Elberfcld, 1860. A. Couevoisier.
BUGHANAN (Claudius) [17G6-I8I5J, missionnaire célèbre, né de
parents pieux mais pauvres, étudia à Glasgow et, après avoir mené
pendant trois ans une vie d'aventures et de désordres à Londres, se
convertit, suivit les cours de théologie à l'université de Cambridge et
partit en 1796, on qualité de chapelain de la Compagnie des Indes, pour
Calcutta. Il eut à lutter contre des difficultés de tout genre, parmi les-
quelles l'indifférence religieuse des directeurs et des agents de la Com-
pagnie était la plus grave. Pourtant, grâce à la protection du gouver-
neur, lord Mornington (plus tard Wellington), il put fonder un collège
des langues orientales (pie devaient fréquenter tous les Anglais qui
aspiraient à remplir des fonctions publiques en Inde. Il y ajouta un
établissement destiné à doter ce pays d'une bonne traduction de la Bible
en persan et en hindoustani, œuvre à laquelle Buchanan lui-môme colla-
bora activement. Parles mémoires qu'il ne cessait d'envoyer dans la
mère-patrie et les concours qu'il fonda sur les meilleurs moyens d'ou-
vrir à la religion et à la civilisation chrétiennes la vaste péninsule,
il contribua plus qu'aucun autre à réveiller le zèle pour la mission
parmi les Hindous. Au retour d'un voyage entrepris sur la côte de
Malabar, pendant lequel il avait pu juger par ses propres yeux des
horreurs dont le brahmanisme se rendait coupable sous l'égide du
pavillon britannique, se heurtant contre les nouveaux obstacles (pie lui
créa lord Minto. le successeur de Wellington, Buchanan se décida à
revenir en Angleterre 1 1806), où, par l'action qu'il exerça sur l'opinion
publique el sur le parlement, par ses démarches personnelles, ses ser-
mon- et les articles insérés dans la revue, l'Etoilt de VOrient, il servit
460 BUCHANAN — BUDDÉE
plus puissamment la cause de la mission dans l'Inde qu'il n'eût pu le
l'aire à Calcutta, aux prises avec le mauvais vouloir de la Compagnie.
Epuisé par tant d'efforts, le noble missionnaire mourut à l'âge de qua-
rante-huit ans. — Voyez sa biographie dans le Basler Magasin, 1829.
BUCHEZ (Philippe-Joseph-Benjamin) [1796-18661 eut un double rôle
pendant la période d'environ trente années qui sépare la Restauration
de la République de 1848 ; il l'ut eu même temps publiciste et homme
politique. Signalé vers 1820 comme un des fondateurs de la charbon-
nerie française, arrêté comme conspirateur, il n'échappe à la condam-
nation à mort dont il est menacé, qu'à la minorité de faveur ; puis,
ayant donné quelques années exclusivement à l'étude, il coopère à la
rédaction du Producteur avec Enfantin en 1826, fonde à son tour une
revue comme chef d'école, fait partie de l'Assemblée constituante et ren-
tre enfin dans la vie privée après avoir occupé le fauteuil, une dernière
fois, comme président, lors de l'attentat du 15 mai. Auguste Comte,
en 1827, avait quitté le Producteur au moment où la doctrine de Saint-
Simon, tendant au mysticisme, tentait de devenir une religion. Bûchez
s'éloigna deux ans après, parce qu'il ne trouvait pas ses collaborateurs
assez chrétiens, au sens catholique, et il fonda ce qu'on a appelé le
néo-catholicisme. C'est un essai de conciliation entre ce qui semble
s'exclure, le catholicisme et la démocratie, l'idée du progrès et la révé-
lation. La morale, disait-il, doit servir de critère à tous les jugements,
en histoire et en philosophie. Or, cette morale, proposée à l'homme
en vue du but social qui nous est assigné par le créateur, doit néces-
sairement descendre d'un enseignement divin primitif, d'une révélation.
L'instruction donnée au premier homme a dû comprendre tout ce qui
était nécessaire pour déposer en lui le germe de son développement
futur, sous le triple rapport moral, intellectuel et physique. Le pre-
mier langage a donc été la parole morale, enseignement de Dieu lui-
même. Mais que devient le progrès dans ce système? Le progrès con-
siste précisément à déterminer le nombre et la suite des révélations.
L'inventeur du néo-catholicisme en compte quatre, c'est-à-dire quatre
âges de l'humanité : les révélations adamique, noachique ou antédilu-
vienne, brahmanique ou égyptienne, et enfin chrétienne. Des disciples
de Bûchez, Corbon, Frédéric Morin, Jules Bastide, ont développé ce
point de vue dans leurs livres. Bûchez lui-même exposa la doctrine en
détail dans deux ouvrages, Y Introduction à la science de V histoire ou
Science du développement de l'humanité (Vans, 1833 et 1842,2 vol. in-8°),
et Y Essai d'un traité complet de philosophie au point de vue du catholi-
cisme et du progrès (1840, 3 vol. in-8°). L' Histoire parlementai?^ de la
Révolution française (1833-1838) fut écrite sous une semblable inspira-
tion, en collaboration avec Roux, écrivain de la même école. Enlin le
néo-catholicisme eut pour organe Y Européen, revue philosophique,
fondée en 1831, qui continua de paraître, malgré quelques interrup-
tions, jusqu'en 1848. • J. Akboux.
BUDDÉE ou Buddœus (Jean-François) [1667-1729], théologien luthé-
rien distingué, professa la philosophie à Halle et la théologie à Iéna.
Eruclit, pieux, universellement estimé, il avait le talent de grouper
BUDDEE — BUFEON 4G1
avec ordre et d'exposer clairement les nombreux matériaux de toutes
les branches de la théologie qu'il avait amassés. Grâce à son esprit
conciliant, il occupa une position intermédiaire au milieu des partis
de son temps, et ne sut entièrement satisfaire ni les orthodoxes, ni
les piétistes, ni les wolliens. En préconisant la tractation biblique et
historique du dogme, il a rendu un grand service à son siècle et pré-
paré la révolution mie devait voir s'accomplir le siècle suivant. Buddée
a laissé plus de cent écrits, parmi lesquels nous nous bornerons à
nommer, outre les articles fournis auxActa eruditorum et au grand
Dictionnaire historique, imprimé à Leipzig, 1709 ss., les Institut 'iones
theoL moralis, Leipz., 1711 (trad. en allem., 1719); une Historia eccles.
1. /".. Halle, 1715, 4 vol.; les Institutiones tiieol. dogmaticœ, LeÀpz., 1723;
des Thèses de Atheismo et superstitions, 1716, dirigées entre autres
contre Spinoza ; une encyclopédie théologique, sous le titre Isagoge
historica ad theul. universam, 1727, etc, etc. Buddée a donné lui-même
une nomenclature complète de ses écrits dans une Notitia, publiée à
Iéna en 1728.
BUDÉ ou Budœus (Guillaume) [1467-1540], érudit et humaniste cé-
lèbre, protégé par Louis XII et François Ier, qui le nommèrent à des
charges importantes, contribua à la fondation du Collège royal (au-
jourd'hui Collège de France) et à l'affranchissement de toutes les
sciences du joug de la scolastique. Secrètement favorable à la Réforme,
il était trop prudent pour vouloir se compromettre en sa faveur; il ne
s'éleva pas moins, dans plusieurs de ses écrits, contre la corruption
du clergé et de la papauté, et, dans son traité De transita, Hellenismi
ad Chris tt'anismum (libritres ad Franciscum regem, Paris, 1535, in-fol.),
il établit que la vraie sagesse était fondée non dans la connaissance
des lettres classiques, mais dans la pratique de la doctrine du Christ.
Quelques années après sa mo>% sa veuve et ses enfants, soupçonnés
de calvinisme, se réfugièrent à Genève. Son fils Louis y professa les
langues orientales et publia une traduction française des Psaumes, des
Proverbes et de quelques autres écrits de l'Ancien Testament (Genève,
1551). Un autre de ses fils, Jean, remplit plusieurs missions impor-
tantes auprès des princes allemands et des cantons protestants de la
Suisse, eu qualité d'ambassadeur du Conseil genevois. Les œuvres
complètes de Guillaume Budé ont été publiées à Bàle, 1557, en 4 volu-
mes in-4°. — Voyez Rebité, G. Budé, Paris, 1846.
BUFFON (Georges-Louis Leclerc, comte de), né à Montbard, en
Bourgogne, le 7 septembre 1707, mort à Paris le 1(3 avril 1788, se
proposait Lorsque, en 1731), il devint intendant du Jardin du Koi,
d'écrire L'histoire de la nature, et de lui élever un monument, un
temple digne d'elle. L'histoire du globe en effet, la science delà terre,
n'était alors qu'un chaos où tout se trouvait confondu, faits et hypo-
thèses, observations et conjectures. Il sut démêler toutes ces choses,
avec un succès qu'on s'explique en se rappelant qu'il définissait le
génie « une plus grande aptitude à la patience », attirer, dans son siècle,
sur ses études d'histoire naturelle générale et particulière l'attention
de tous 1rs hommes instruits, et créer tout exprès un
462 BUFFON — BUGENHAGEN
dans la langue, quand il voulut parler des grandes transformations du
globe ou décrire les mœurs des animaux. Ni Voltaire, ni les rédacteurs
de Y Encyclopédie, bien que leur influence tût très-grande au dix-
huitième siècle, ne surent faire de Billion, ennemi, par disposition
naturelle, des associations et des cénacles, un philosophe de leur école.
Conduit par le sujet môme qu'il traitait à faire connaître au public ses
vues sur le monde et l'homme, il les exposa dans ses deux meilleurs
ouvrages, en savant qui n'a ni respect aveugle pour la tradition ni goût
pour le scepticisme et l'incrédulité. Dans sa Théorie de la Terre, consi-
dérant qu'on trouve des coquilles jusque sur le sommet des hautes
montagnes, que les matières qui composent notre globe sont constam-
ment disposées en couches parallèles et horizontales, et que les angles
saillants d'une montagne correspondent toujours avec les angles ren-
trants de la voisine, il explique tous ces faits par la seule action des
eaux, et il enconclutque notre terre actuelle a été un fond de mer. Dans
les Epoques de la Nature, il montre que l'histoire du globe a ses âges
et ses révolutions comme l'histoire de l'homme. Il y a eu sept époques
depuis le temps où, par l'action du feu, la masse du globe était en fusion
et même en vapeur, jusqu'au momentoù, la matière une fois consolidée,
la séparation des continents s'étant enfin accomplie, la puissance de
l'homme a secondé celle delà nature. L'écrivain a pris soin lui-même,
en commençant son livre, de mettre sa théorie d'accord avec le récit de
la Genèse. Malgré tout, malgré les plus grandes précautions de style,
les affirmations les plus nettes touchant la puissance supérieure à
laquelle se trouvent subordonnées toutes les forces de la nature, les
causes finales qui nous ramènent toujours à la cause première et
suprême, et Y liomo duplex, « une âme qui commande, un corps qui
obéit tout autant qu'il le peut, » dernier mot de sa psychologie, Buffon
n'échappa que difficilement à la persécution théologique. Ces deux
ouvrages, la Théorie delà Te?Teet les Epoques, furent dénoncés et il dut
se réfugier à Montbard (1779-1780). Le roi, pendant ce temps, ayant
parlé en sa faveur, la faculté de théologie voulut bien, sans prononcer
une condamnation, se contenter de déclarer qu'elle considérait les
Epoques de la Nature de Buffon comme une erreur de sa vieillesse.
Mais ce livre est resté, pour les savants du dix-huitième siècle et du
dix-neuvième, moins sévères, le chef-d'œuvre de l'auteur. — Voyez :
Bachaumont, Mémoires, 1780; Condorcet, Eloges des Académiciens ,
1799, 5 vol. in-8° ; Héraut de Séchelles, Voyage à Montbard, an IX,
in-8° ; Cuvier, Histoire naturelle de Buffon, avec notice sur sa vie et ses
ouvrages, 1825-1826 ; Flourens, Buffon, Hist. de ses ouvrages et de ses
idées, 1850. J. Arboux.
BUGENHAGEN (Jean), un des premiers et des plus utiles collabora-
teurs de Luther, était originaire de la Poméranie, d'où le nom de
Pomeranus sous lequel il est fréquemment cité au seizième siècle. Il
naquit en 1485, à Wollin, étudia à l'université de Greifswalde la
littérature et la théologie, dirigea pendant quelque temps l'école de
Treptow, fut lecteur dans un couvent, écrivit dès 1818 une Histoire de
la Poméranie (publiée seulement en 1728, in-i°). En 1520, il lut le
BUGENHAGEN - BULGARIE 463
traité de Luther. De la Captivité babylonienne de V Eglise; sa première
impression tut que Fauteur était le plus dangereux des hérétiques;
une leetun" plus attentive le confirma dans L'opinion qu'antérieure-
ment déjà il s'était faite que l'Eglise était en décadence el que pour la
relever il fallait revenir à L'Evangile. 11 se rendit à Wittemberg pour
entendre les réformateurs, qui ne tardèrent pas à se l'associer. 11
commença1 par expliquer U>s Psaumes à quelques-uns de ses compa-
triotes: ces Leçons parurent en 1524, avec des préfaces de Luther et de
Mélanchthon. En 1523 Bugenhagen devint pasteur à Wittemberg;
depuis lors il prit part à tout ce qui servit au développement de la
Réforme. Disciple fidèle de Luther, il défenditsa doctrine sur la sainte
cène contre les Suisses, avant que Luther lui-même prit part à la
querelle. Après avoir assisté le réformateur dans sa traduction de la
Bible, il en publia une version en bas allemand (le Nouveau Testa-
ment en 1525, Wittemberg; l'Ecriture entière en 1533, Lubeck). On
rencontre Bugenhagen dans toutes les conférences qui eurent lieu à
cette époque, soit entre les Etats évangéliques,soit entre les luthériens
et les zwingliens. Son principal mérite est d'avoir constitué le protes-
tantisme dans plusieurs contrées du Nord; il a possédé à un haut
degré le talent de l'organisation. En 1528, il fut appelé à Brunswick
et à Hambourg, en 1529 à Lubeck, en 1535 en Poméranie, en 1537
dans le Danemark où il resta près de cinq ans; en 1542 il revint à
Brunswick, d'où il se rendit à Hildesheim. Partout il fit des tournées
pour visiter les Eglises et les écoles ; les règlements ecclésiastiques""
qu'il rédigea pour ces pays et ces villes, ou qui furent écrits d'après
ses principes, montrent avec quelle intelligence des besoins du peuple,
avec quel sens pratique, avec quelle modération il a su organiser les
Eglises; ses idées sur la direction supérieure, sur les fonctions des
ministres, sur le culte, sur la discipline, sur les soins à donner aux
pauvres, sur l'instruction religieuse de la jeunesse, seraient utiles à
bien des égards encore aujourd'hui; elles furent adoptées alors par
plusieurs villes avec lesquelles Bugenhagen n'était pas en relation
personnelle. Il prononça le sermon lors des funérailles de Luther.
Pendant le siège de Wittemberg, il resta dans la ville, continuant de
prêcher pour encourager les habitants à la persévérance. Après le
rétablissement de la paix, quand éclatèrent les querelles entre Flacius
et Mélanchthon, il fut du côté de ce dernier, crut devoir accepter
l'Intérim de Leipzig, mais ne se mêla plus de controverses. Il mourut
en 1558. — Voyez : sa Biographie par Zietz, Leipzig, 1834; Jaeger, Die
Bedeutung der Bug. Kirchenordn. fur die EntwickL der d. Kirche, dans
les Stud. m ni Krii., 1853. Ch. Schmidt.
BULGARIE. On donne le nom de Bulgarie à une vaste région de la
Turquie d'Europe comprise, pour la plus grand*; partie, dans le
vilayetdeTormaoudu Danube. Mais la race bulgare, d'une part, n'est pas
seule en possession de ce territoire; de l'autre, elle le déborde de tous
côtés. Les Bulgares sont un peuple mixte formé par la fusion de
Mongols el de Huns et qui a beaucoup de sang tartare dans les
veines. Ces! une grande erreur que d'en taire des Slaves; ils ont
464 BULGARIE
sans doute avec le temps été mélangés avec des éléments slaves ; mais
ils ont reçu au moins autant de sang grec; ils ont été slavisés,
mais leur origine est toute différente. On varie beaucoup sur le chiffre
de la population. Le consul Engelhardt évalue le nombre des Bul-
gares à 4,500,000, dont 3,500,000 dans la Bulgarie propre ; le reste
répandu dans les autres provinces européennes de l'empire. Sax ré-
duit le chiffre total à 1,500,000 et compte de plus en Bulgarie 500,000
Turcs, 80 à 100,000 Tartares, 70 à 90,000 Tcherkesses, 60 à 70,000
Albanais, 35 à 40,000 Roumains, 20 à 25,000 Zigeunes, 10,000 Juifs,
10,000 Arméniens non unis, 10,000 Russes, 8,000 Grecs, 5,000 Serbes
et 1,000 Allemands. Les autres appréciations, assez nombreuses, mais
toutes assez vagues, flottent entre les chiffres de Sax et ceux d'En-
gelhardt. Il y a lieu, du reste, de se méfier de toutes les évaluations,
les préoccupations politiques portant les uns à grossir, les autres à
diminuer l'importance de l'élément bulgare. — Les Bulgares, venus de
l'Asie, furent longtemps la terreur de l'empire byzantin. Les incursions
de leurs hordes barbares portaient la désolation jusque sous les murs
de Constantinople, et tous les efforts des empereurs ne réussissaient
pas à les refouler. Longtemps ils se montrèrent réfractaires à l'in-
fluence du christianisme. Le prêtre grec Methodius réussit cependant à
les convertir vers le milieu du neuvième siècle. Ils se rattachèrent alors
ecclésiastiquement au siège patriarcal de Constantinople. Mais dès 866
ils s'en séparèrent pour se rapprocher du pape Jean VIII et de l'Eglise
de Rome. Cette union avec l'Occident ne dura que quelques années.
Les Bulgares rentrèrent dans la dépendance spirituelle de Byzance et
pendant dix siècles, à travers toutes les vicissitudes politiques, dans
le temps de l'empire bulgare, comme pendant la domination des Grecs
puis des Turcs, ils demeurèrent indissolublement attachés à leur
métropole religieuse. Et cependant ils n'avaient pas à s'en louer outre
mesure. Trop souvent, dit-on, le patriarche a considéré la Bulgarie
comme terre conquise et ses évêchés comme de grands fiefs, qu'il dis-
tribuait à ses créatures, ou même, si l'on en croit certains rapports,
qu'il vendait au plus offrant. Sans vouloir décider ce qu'il avait de
fondé dans ses accusations, nous devons bien reconnaître que l'état
religieux et moral de l'Eglise bulgare laissait beaucoup à désirer. Son
clergé, dont tous les chefs et beaucoup de membres étaient grecs,
montrait une grande indifférence pour les intérêts spirituels du pays et
paraissait surtout préoccupé de jouir des avantages matériels de sa
situation. Aussi lorsque l'agitation slave commença à travailler le pays,
de nombreuses protestations s'élevèrent contre cet état de choses.
L'Eglise romaine parut d'abord devoir en tirer avantage. On fit grand
bruit vers 1860 de l'entrée des Bulgares dans l'Eglise occidentale ;
en 1861, un prêtre bulgare, Joseph Sokolski, fut consacré patriarche
des Bulgares unis ; mais ce mouvement, dont on se promettait de
grandes choses, avorta misérablement. Les populations, sincèrement
attachées à l'Eglise orthodoxe, malgré tous ses abus, refusèrent de
suivre les agitateurs, et au bout de quelque temps Sokolski lui-même
renonça à sa tentative et rentra dans le clergé grec. Les tendances à
BULGARIE — BULLE 465
l'émancipation prirent alors une autre direction, et Ton chercha à
obtenir de la Porte l'érection de la Bulgarie en un patriarcat distinct
de Constantinople. Ces démarches aboutirent en mars 1870; un tirman
détacha la Bulgarie de Constantinople et en fit un exarchat distinct.
Le prêtre Authimios fut consacré en mai 1872 exarque des Bulgares,
avec cinq évêchés suffra gants. Les dissentiments qui avaient éclaté entra
le sultan et le patriarche avaient facilité cette solution ; mais lorsque
la paix eut été rétablie entre l'Eglise grecque et le pouvoir civil, les
réclamations du patriarche rencontrèrent un écho qu'elles n'avaient
pas trouvé au temps de sa disgrâce, et le sultan chercha à revenir sur
les concessions qu'il avait faites aux Bulgares; ceux-ci s'appuyèrent
alors sur l'influence russe ; de là des tiraillements qui durent encore et
dont les événements politiques qui se déroulent actuellement amène-
ront peut-être la fin. — Bibliographie : Behm und Wagner, Die Bevœl-
herung der Erde, 111 et IV, 1875-76 ; Edw. Stamford, Mémoire sur la
répartition des races dans la péninsule illyrique, 1877 ; Schaifarik, Slavische
Alterthùmer ; Ubicini, Lettres sur la Turquie ; Jirecek, Histoire des Bul-
gares, etc. . E. vaucher.
BULGARIS (Eugène) naquit en 1716, à Corl'ou, où il reçut les pre-
miers éléments de la science sous la direction de Jérémie Cavadios. Il
continua ses études à Janina, où il eut pour maîtres Methodios An-
thrakitis. Ce fut dans cette dernière ville qu'il prit les ordres. Il passa
ensuite àPadoue, où il étudia les sciences philologiques et la théologie."
Après avoir terminé ses études, il dirigea des écoles à. Janina, à Cozane,
au Mont-Athos (de 1753 à 1759), puis à Constantinople, tout en ensei-
gnant avec la plus grande distinction. Partout il eut à lutter contre
les intrigues que lui attira l'indépendance de ses idées : ce qui le
décida à se transporter en Allemagne en 1763 pour publiera Leipzig
ses ouvrages. Il fut appelé par l'impératrice Catherine II à Saint-Pé-
tersbourg et il fut élevé au siège archiépiscopal de Slaviniè et de
Cherson en 1776. Kn 1779 il se démit de son siège en faveur de
Mcéphore Théotokis, et étant allé à Saint-Pétersbourg, il se retira au
monastère de Saint-Alexandre-Nevski,oùil composa plusieurs ouvrages.
C'est dans ce monastère qu'il mourut le 10 juin 1806. Bulgaris était
un homme d'une science très-étendue; il était philosophe, philologue,
mathématicien et théologien également renommé. Voici les principaux
de ses nombreux ouvrages : Logique (Leipz., 1768) ; Métaphysique
(Venise, 1805) ; Un petit livre contre les Latins (Constant., 1796 et 1848) ;
Histoire du premier siècle de V Eglise (Leipz. , 1805) ; Théologie scolastique
(elle n'est pas publiée) ; Théologie dogmatique, revue et publiée par
Athan. Parios en 1806. Le manuscrit du même ouvrage a été publié
à Venise (1872), par A. Lontopoulos, sous le titre : &eokoyw.h Eùy. xoO
BouXfàfCU);. — Voyez : Biographie de l'archevêque Eug. Bulgaris, par
A.-P. Vretos, Athènes, L860 : A. Gondas, Bîc. icapaXXyjXot, t. II,
Athènes, 1870; A. Dimitrakopoulos, OpôéàoÇoç EXXaç, Leipz., 1872;
Sathas, £oeX\yj v./.y; (\>:)S/^[iz, Athènes, 1868. I. Moshakis.
BULLE, probablement de l'italien bollare, apposer un sceau, se dit
des lettres officielles publiées par le pape et expédiées par la chancel-
it. 30
466 BULLE
lerie romaine dans la forme la plus solennelle. Les communications
sur des affaires de moindre importance s'appellent brefs (breois, brève).
Les brefs sont expédiés en papier, sans préface ni préambule, en ca-
ractères nets et lisibles, en général sans abréviations, tandis que les
bulles sont toujours envoyées en parchemin et rédigées en caractères
gothiques, avec les abréviations en usage. Les sceaux de plomb pen-
dent à un cordon de chanvre pour les affaires de justice, et à un cordon
de soie rouge et jaune pour les affaires de grâce. Ils portent l'empreinte
de l'apôtre Pierre jetant un filet depuis sa barque. Les anciennes
bulles avaient sur la première page le nom du pape, sur la seconde
le mot papa; depuis Léon IX (1049), qui n'a fait que rétablir un
usage de Paul Ier (757), elles portent les têtes des apôtres saint Paul et
saint Pierre, avec les initiales S. P. A. — S. P. E. (Sanctus Pauhis
Apostolus, Sanctus Petrus Epùcopus), et sur le revers le nom du pape
avec le millésime. On appelle demi-bulles les lettres pontificales expé-
diées dans l'intervalle de l'élection du pape à son couronnement,
parce qu'on n'y applique que l'empreinte des deux apôtres. A l'imi-
tation des empereurs d'Crient, les papes se servaient parfois dans des
circonstances exceptionnelles de sceaux d'or au lieu de sceaux en plomb,
d'où le nom de bulles d'or. Les bulles sont toujours rédigées en latin et
accompignées, selon les besoins, d'une traduction en grec ou enitalien.
Le bref commence avec le nom du pape, son chiffre et une formule
de salutation ; il se termine par la simple indication du lieu et de la
date. Dans la bulle, au contraire, le chiffre du pape est remplacé par le
titre Episcopus Servus Servorum Dei et la date indiquée en calendes,
nones, ides et par l'année du règne du pape. Les bulles consistoriales
portent, outre la signature du pape (d'ordinaire ajoutée par le ré-
dacteur lui-même), celles des cardinaux, tandis que les brefs ne sont
signés que par les secrétaires spécialement commis à ce soin. La chan-
cellerie expédie les premières, la daterie ou secrétariat apostolique les
secondes. Cette expédition est tantôt gratuite, tantôt soumise à une
taxe déterminée. Il est facile de reconnaître l'authenticité d'une bulle,
d'après les règles particulières que chaque époque a observées pour
leur rédaction. On les désigne d'ordinaire d'après les mots par lesquels
elles commencent. On en distingue deux catégories, les bulles doctrinales
(par exemple, celle de Léon X contre Luther, dite Exsurge, Domine, et
la bulle Umgenitus contre le livre du P. Quesnel), et les bulles d'ex-
communication (par exemple, celles dites Clericislaicos et Ausculta fih
contre Philippe le Bel). Parmi ces dernières, il convient de faire une
place à part à la bulle In cœna Domini ou Bulla J*.vis sanctœ, qui ren-
ferme la sentence de condamnation dont sont frappés, par contumace,
ceux qui se sont rendus coupables de désobéissance impénitente vis-à-
vis du saint-siége. Lecture de cette bulle était donnée aux grandes
fêtes de l'Eglise, en particulier le Jeudi saint (dïes indulgentiœ, et par
conséquent aussi de condamnation pour les impénitents). Cet usage, qui
remonte au douzième siècle, supprimé par Clément XIV en l'année 1770,
s'est maintenu jusqu'à nos jours. Depuis le seizième siècle, ce sont les
protestants surtout qui sont l'objet de cette solennelle excommunication ,
BULLE — BULLTNGER 107
conjointement avec les autres hérétiques et schismatiques, avec ceux
qui en appellent des décrets «lu pape à un futur concile œcuménique,
avec les pirates, les usuriers, les princes qui frappent leurs peuples de
nouveaux impôts non consentis par le pape, les falsificateurs de lettres
.apostoliques, etc., etc. — On appelle bullairss les recueils des bulles
«les papes. Il en existe un certain nombre. Le plus ancien est celui de
Laertius Chérubin i. pour la période écoulée entre Léon Ier et Sixte-
ouint (440-1585), Home. 1586; 2e édition, 1617, ,3 vol. in-fol. Son fils,
Angelius-Maria Cherubini, y ajouta un quatrièmejvolume qui va jusqu'à
Innocent \( 1644), Home, 103i ; Angélus a Lantusca et Jean-Paul de Rome
le complétèrent par un cinquième volume jusqu'à Clément X (1670),
Home, I(')72. Le plus complet est le Bullarium magnum, imprimé à Rome
de 1733 à 1748, en 14 volumes in-folio, par Gocquelin, et pourvu d'un sup-
plément par Barberi, en 20 volumes in-folio, Rome, 1835-1860. —
Sources : Mabillon, De Re diplomatica, 1. II, c. xiv; Gaet. Moroni, V,
p. 277 ss. ; VI, p. 115 ss. ; du Fresne, Glossar. ad voc. brève, bulla;
Ferraris, Prompta bibliotli., ibid.; Eisenschmidt, Bas rôm. Bullarium ,
Neust.,1831, 2 vol.
BULLINGER (Henri) naquit à Bremgarten le 18 juillet 1504. Il fit ses
premières études à Emmerich et à Cologne, où il apprit à connaître
non-seulement les docteurs du moyen âge, mais aussi les premiers
écrits de Luther et l'antiquité classique. Lorsqu'il fut de retour dans sa
patrie, qui dans l'intervalle avait subi l'influence réformatrice de
Zwingle, il devint professeur à une école de couvent nouvellement
fondée. Son enseignement fut tout évangélique et ne reposait que sur
L'Ecriture : ce qui lui attira des amis, mais aussi des ennemis. Parmi
les premiers se trouvait Zwingle ; Bullinger resta quelque temps
sous l'influence immédiate du réformateur de Zurich, dont il partageait
d'ailleurs les opinions théologiques. La carrière ecclésiastique, qu'il
voyait si dignement représentée par des hommes tels que Zwingle et
QEcolampade, l'attirait de plus en plus , il ne tarda pas à se faire
recevoir au nombre des pasteurs évangéliques et accepta avec joie l'ap-
pel que lui adressa son endroit natal Bremgarten : il y devint pasteur
le Ie* juin 1529. Les événements funestes qui coûtèrent la vie à Zwin-
gle forcèrent aussi Bullinger d'abandonner son poste, et peu après la
bataille de Cappel (1541) il se retira de nouveau à Zurich. « Zwingle
est ressuscité, » s'écriait Myconius , après les premiers sermons de
Bullinger a Zurich. En effet, le grand réformateur avait trouvé un
successeur digne de lui. Après avoir été nommé autistes (premier pas-
teur) de Zurich, il défendit vaillamment la cause de la prédication
évangéliqueet déploya une étonnante activité. A côté de ses nombreuses
prédications et de sa eure d'âmes, il trouva le temps de s'occuper de
[a grandi querelle théologique qui divisait aîorsl'Eglise de laRéforme.
On sait que le réformateur de Strasbourg, Bucer, fit tous ses efforts
pour amener une entente entre les frères ennemis : quoique Bullinger
ait été dans ses opinions touchant l'eucharistie peut-être moins radical
que Zwingle, puisqu'il admettait une présence spirituelle du Christ
pour le croyant, les tendances conciliatrices de Bucer ne lurent pas de
468 BULLINGER — BUNGENER
son goût. Il ne se réconcilia jamais avec Luther, et en 1545 encore il lui
envoya une réplique énergique, qui mit fin à cette querelle si stérile
et si funeste pour l'Eglise. Ses rapports avec Calvin ne furent pas tou-
jours exempts de troubles: au Consensus Tigurinw (1529), on parvint à
s'entendre; mais lors des différends entre Calvin et Bolsec, Bullinger
ne put adopter les théories extrêmes de Genève. Cela ne l'empêcha
pourtant pas de donner son assentiment aux mesures que prit Calvin
contre le malheureux Servet. 11 se rapprocha de plus en plus de la
théologie de Calvin, surtout depuis l'arrivée à Zurich de Pierre-Martyr
Vermilli. Nous en avons la preuve dans la position qu'il prit contre le
fanatisme de Marbach à Strasbourg en faveur du réformé Zanchi et
dans sa lutte avec le luthérien Brenz au sujet de l'ubiquité de la per-
sonne du Christ. C'est vers cette époque aussi qu'il composa la se-
conde Confession de foi helvétique, son chef-d'œuvre (1564). Ses ouvrages
se distinguent par leur clarté et leur naturel. Notons entre autres l'appel
aux protestants de France De persemtione. lors des massacres de la
Saint-Barthélémy. La mort mit fin à cette vie si belle et si remplie le
17 septembre 1575. — Voyez : Simmler, De vita et obitu Bullingeri;
Hess, Lebensgeschichte Bullingers; et surtout C. Pestalozzi, H. Bullin-
ger, Lebenund ausgewœhlte Schriften, 1858. a. Courvojsier.
BUNDEHESCH. Voyez Perse.
BUNGENER (Félix) [1814-1874], littérateur, controversiste et prédi-
cateur genevois, un des écrivains les plus marquants du protestantisme
de langue française dans ce siècle. — i. L'homme. Bien que son père,
honnête et modeste artisan, fût d'origine allemande, Bungener, né à
Marseille, n'avait rien de germanique clans le tempérament ni dans
l'esprit; c'était un vrai lils du Midi : il en avait l'accent, l'ardeur et la
verve, que tempérèrent des habitudes cle réflexion et de gravité prises
dans la cité de Calvin. Il y vint accompagné de ses parents, pour se
préparer à la théologie. Chemin faisant, son père tomba malade et
mourut à Chambéry, où il fut enterré, comme protestant, dans le coin
des suppliciés. Souvenir douloureux qui se grava dans l'àme du futur
controversiste ! Son zèle pour l'étude était grand, mais bien traversé
par l'obligation de donner des leçons pour vivre et soutenir sa mère,
qu'il soigna avec un dévouement filial exemplaire. Pendant ses années
de théologie, en 1835, il subit les vives impressions du jubilé de la
Réformation de Genève. En 1838, il alla soutenir à la faculté de Stras-
bourg sa thèse sur et pour la peine de mort. De retour à Genève, il fut
consacré ministre, s'y maria, s'y fixa tout à fait, et devint bourgeois de
cette cité qu'il aima d'une ardeur qu'on trouvait passionnée. 11 en avait
fait siens l'héritage, l'esprit et les destins. Aussitôt après cette période
de préparation, Bungener s'adonne à la littérature. Nommé régent de
la classe la plus élevée du collège classique de Genève, en 1843, il
trouve à côté de cette besogne officielle, consciencieusement remplie
pendant cinq années, le moyen de donner des cours publics et d'écrire
sur les matières qui ont de tout temps exercé son talent, la critique et
la controverse. Mais son caractère de ministre, ses opinions conserva-
rices en politique le rendent impopulaire auprès du parti radical qui,
BUNGENER 469
arrivé au pouvoir par la révolution de 18Y7, le destitue avec d'autres
professeurs en 1848. Un autre enseignement indépendant de l'Etat se
présente aussitôt pour lui. celui de la littérature dans des cours supé-
rieurs destinés aux jeunes tilles. A partir de L853 s'ouvre une troisième
et dernière période de sa vie, où, pendant plus de vingt années, il
porte toute son ardeur de pensée et d'action du côté des intérêts de
l'Eglise. Deux circonstances T y poussent: le danger que court la Genève
protestante, attaquée avec audace par l'ultramontanisme dans cette
même année 1853 ; et le développement de science et d'œuvre qui se
produit au dedans de l'Eglise réformée, cantonnée par la Révolution
dans le domaine spirituel, et qui se voit obligée de regagner par un
redoublement de zèle l'estime de la démocratie. C'est un travail auquel
Bungener, sans être pasteur enotfice, prend une grande part et dont il
raconte les phases dans la chronique annuelle de la collection des
Etreunes religieuses, depuis 1853 jusqu'à sa mort, pendant vingt-et-un,
ans. On le voit d'ailleurs soutenir la cause générale du christianisme
et du protestantisme comme prédicateur, conférencier et publiciste. Le
mérite et le succès de ses ouvrages, traduits en plusieurs langues,
étendent au loin son influence. Dans toutes ces occupations il apporte
une conscience vigilante, une exactitude exemplaire, une force de
travail bien rare, secondée par une robuste santé. Il y joignait le désin-
téressement, la simplicité, même l'austérité des mœurs, sous laquelle
se dérobait aux yeux du public un cœur tendre. On put le voir, lors~-
qu'en 1863, à la mort d'une de ses filles, il écrivit Trois jours de la
mort (Fun père, œuvre singulièrement touchante et édifiante, qui jaillit
d'une âme déchirée mais consolée par l'Evangile, et qui avec cela se
trouve être un petit chef-d'œuvre littéraire. Toutefois la note domi-
nante est bien la sévérité morale. Bungener avait le culte du vrai, mais
une façon particulière d'entendre la véracité. Il se montrait, dans ses
relations comme dans sa critique, habituellement un censeur, frappant
de sa férule non pas seulement les erreurs et les faiblesses du temps,
de la démocratie, de l'Eglise, mais encore les torts de ses élèves et
même de ses collègues. Il n'obtenait pas ainsi la popularité, mais aussi
ne la recherchait-il pas. Ce caractère inspirait moins la sympathie qu'il
ne commandait l'estime. C'était un homme de devoir et d'action, un
homme d'une forte individualité, comme le protestantisme seul peut-
être en sait faire. Et si dans ses écrits Bungener a été surtout l'avocat
• t L'organe militant du protestantisme, dans sa vie il a offert un exem-
plaire adouci sans doute par la littérature et par l'art, mais distinct
encore du type puritain au dix-neuvième siècle. C'est au milieu de ce
labeur, «pie l'âge n'avait point ralenti, que la mort vint l'atteindre,
dans sa soixantième année, le 14 juin 1871.
II. L'oeuvre. Bungener s'est adonné successivement à la littérature
proprement dite (critique et roman) ; à la controverse; à la littérature
religieuse (biographies «-t sermons). De là trois séries d'ouvrages, que
nous allons analyser. — 1. Roman. Bungener débuta par un cours devenu
un livre sur la Poésie moderne (1839). Vers la même époque, il entre-
prend l'élude du dix-septième siècle et bientôt il détache de ses re-
470 BUNGENER
cherches les épisodes suivants : Deux soirées à l'hôtel de Rambouillet
(les improvisations du jeune Bossuet et de l'abbé Cotin), 1839; puis,
en 1843, Un sermon sous Louis XIV, qui fonda sa réputation. C'était un
genre nouveau, où se mêlaient l'histoire, le roman et la théologie. Dans
un récit plein de mouvement, de verve et où le brillant du coloris ne
l'ait jamais tort à la correction et à la précision du style, on voit figurer
tous les personnages marquants de la chaire d'alors. Le but de l'auteur
est d'analyser l'esprit et les conditions de l'art oratoire, tel que le con-
çoivent le catholicisme et le protestantisme, comparés dans des entre-
tiens auxquels prennent part d'un côté Claude, de l'autre Bossuet,
Fénelon, Bourdaloue. Chez celui-là, fidélité évangélique et conscience
rehaussant le talent. Chez ceux-ci, génie, mais accommodation morale et
crainte du prince. Le sujet est heureux, les idées abondantes et intéres-
santes, les dialogues fins, la discussion menée avec modération et bon ton.
Encouragé par le succès qui avait marqué ce début, Bungener aborda le
dix-huitième siècle, étudia profondément et trouva dans ce travail la ma-
tière d'une étude critique et de deux nouveaux romans, composés d'après
les mêmes procédés que le premier, mais dans un cadre bien plus vaste
et sur une toile bien plus chargée de personnages, d'effets et de couleurs.
Les trois sermons sous Louis XV (3 vol., 1849) mêlent intimement la
prédication à l'histoire générale du temps. Le Sermon à la cour et le
Sermon à la ville sont prêches par le missionnaire Bridaine devant le
roi, et le Sermon au désert par Paul Babaut, qui consacre son fils au
plus périlleux ministère devant une grande assemblée de protestants.
Ces trois tableaux sont enfermés dans le cadre du roman émouvant
d'un Cévenol, perfidement entraîné au catholicisme, puis repentant et
réhabilité. Une suite de scènes intercalées dans le drame font appa-
raître la cour de Louis XY, les encyclopédistes, les jésuites, mais sur-
tout (car c'est là l'objet de prédilection de l'auteur et du lecteur) les
souffrances et l'héroïsme des protestants, les prisonnières de la tour
de Constance, les galériens, les supplices du ministre Rochette et de
l'infortuné Calas, Rabaut enfin, le grand pasteur. Les deux autres ou-
vrages, Voltaire et son siècle (2 vol., 1851) et Julien ou la fin d'un siècle
(4 vol., 1854) n'ont pas eu le même succès : ils reproduisent en les
augmentant les défauts littéraires des premiers, et ils mêlent l'amer-
tume aux jugements déjà sévères de l'historien. Cette aggravation pro-
vient des impressions produites sur l'auteur par la révolution de
1848, et par l'envahissement de l'ultramontanisme qui s'enhardit en
France après le coup d'Etat de 1851 et menace Genève en 1853. —
2. Controverse. Pendant que Bungener était encore engagé dans la pé-
riode essentiellement littéraire de sa carrière, on annonçait en 1845 la
célébration du trois-centième anniversaire de l'ouverture du concile de
Trente. Cela le détermina à donner un corps à ses précédentes études
sur le catholicisme. Il fit donc un cours sur ce sujet, qui devint l'ou-
vrage intitulé Histoire du concile de Trente (2 vol., 1847). A l'aide des
deux premiers historiens du concile, Sarpi, l'adversaire, Pallavicini,
l'apologiste, Bungener retrace l'historique long et pénible de ses prépa-
ratifs, de sa convocation, de ses suspensions, de ses incidents politiques
BUNGENER 471
et ecclésiastiques, des débats de ses vingt-cinq sessions et de ses suites
immédiates. Chemin Taisant, i! expose et discute toutes les doctrines
catholiques définies par la haute assemblée : l'autorité, la tradition et
l'Ecriture, les sacrements en particulier, L'épiscopat et son droit divin,
la papauté, les vœux monastiques, le purgatoire, etc. Du haut de
l'Ecriture, de l'histoire el de la raison, il l'ait voir l'incohérence dans
le plan, les vices dans les détails, la fragilité dans les fondements de
cette forteresse de Trente. Après L'agression ultramontaine de 1853,
Bungener conçoit le plan d'une sorte de « cycle d'œuvre » où il
opposera successivement à Rome la Bible, la philosophie morale, l'his-
toire. En 1859 parait Rome et la Mile, manuel ducontroversiste évangéli-
que. L'auteur parcourt tous les livres du Nouveau Testament, donne un
résumé en quelques lignes de chaque chapitre, cite, d'après une version
éclectique en gros caractères, tous les passages invoqués de part et
d'autre par la controverse traditionnelle, les l'ait suivre d'une discus-
sion imprimée en plus petits caractères. Il y a 489 passages annotés.
Une table analytique placée à la fin réunit par des chiffres tout ce qui
se tient par des idées. Cette table n'indique pas moins de 134 sujets
ou questions controversées. Dans l'ouvrage suivant : Home et le cœur
humain, études sur le catholicisme (1861) Bungener suit le jeu des passions
du cœur humain, du «vieil homme » dans la formation tour à tour de
l'Eglise, de l'autorité, de la tradition, du clergé, du culte, de la doc-
trine du salut. Dans cette besogne, où quelque bien n'est pas absent
de tant de mal, il montre, agissant à la t'ois, le servilisme et l'abdica-
tion de soi chez les uns, le despotisme chez les autres, la crainte ou
l'exploitation de la Bible, le formalisme, la déification de l'homme, et
surtout, dans la conception du salut, une secrète aversion pour la
grâce, la propre justice, l'illusion morale donnant le jour à trois
sortes d'altérations qui sont la casuistique, la confession et les indul-
gences. Pour achever sa trilogie, Bungener avait encore à faire un
livre sur Home et l histoire depuis longtemps projeté, mais il n'eut pas
le temps de l'écrire. Les circonstances lui ont dicté deux autres ou-
vrages qui en ont tenu lieu : Pape et concile au XIXti siècle (1870). A
l'approche du concile du Vatican, Bungener voulait dire ce que le
nouveau concile ne manquerait pas de professer et faire après celui de
Trente, ce que ces trois siècles écoulés avaient produit dans l'Eglise
catholique, quelles tendances, quelles doctrines, quelles influences-
s'étaient dessinées et fortifiées dans les temps modernes. L'auteur re- '
trace d'abord le système papal tel que le formule le Syllabus, il énu-
mère les résistances paralysées, les sophismes imaginés en face de la
Bible et en face du siècle pour justifier cette divinisation de l'Eglise,
les travestissements de l'histoire du passé, les promesses fallacieuses
faites au conservatisme pour se l'attacher dans les crises de l'avenir;
puis il discute et réfute les prétentions de la papauté dans Tordre po-
litique, mura! et intellectuel, en invoquant l'argument scripturaire el
l'argument historique. Il montre enfin combien Pie IX a renchéri
jusqu'en 1869 sur l<- concile de Trente, qui avait été' bien plus prudent
ou bien moins avancé, et comment il a porté le marianisme et les su-
472 BUNGENER
perstitions à leur apogée. Ce qu'il venait de faire pour les prétentions
modernes de la papauté, Bungener allait le faire pour la littérature
catholique contemporaine, dans un dernier ouvrage : Rome et le vrai
(1873). Ce qui le frappe chez tous ses organes, légers ou graves, c'est
l'absence du vrai. Elle lui parait condamnée au faux. Le faux est sen-
sible, selon lui, dans la double attitude, ou flatteuse ou hostile, qu'elle
prend vis-à-vis de la Bible, de la liberté de Jésus, de l'histoire, cause
de mille falsifications ; dans la" divinisation du .prêtre, du pape, de
l'Eglise, enfin dans les caractères intrinsèques de cette littérature, es-
prit de coterie, de flatterie mutuelle, attaques sans mesure des adver-
saires, affadissements et petitesses, ou violentes amplifications. A côté
de ces cinq grands ouvrages les opuscules abondent. Toutes les fois
qu'un déli est lancé par un champion ultramontain, ou qu'une témé-
raire nouveauté se fait jour, Bungener se lève et accourt, sa plume,
comme un glaive, à la main. Bungener eut le temps de voir naître à
Genève, en 1873, à la voix du P. Hyacinthe, et s'organiser le catholi-
cisme libéral. Mais il ne croyait guère à sa durée : « Une rupture avec
Tultramontanisme, écrivait-il, sera toujours, quoi qu'on fasse, une
rupture avec l'Eglise romaine, une entrée sur le terrain protestant.
Mais il est bon que l'illusion de nos nouveaux frères subsiste. » —
3. Dans le domaine de la Littérature religieuse proprement dite, nous
nommons d'abord Saint Paul, sa vie, son œuvre et ses épîtres (1867),
étude narrative quant à la forme, et apologétique quant au but. Bun-
gener n'a pas la prétention de traiter scientifiquement les problèmes
historiques et théologiques soulevés par la carrière de l'apôtre des Gen-
tils. C'est à peine s'il nomme Baur, mais il donne son opinion sur
plusieurs des points débattus, et cela généralement dans le sens conser-
vateur. Cette même intention apologétique, nous la trouvons dans Cal-
vin, sa vie , son œuvre , ses écrits (Ï8Q3) , l'un des écrits les plus faibles de
notre auteur au point de vue scientifique. Lincoln, sa vie, son œuore, sa
mort (1865) est un récit biographique plein de vie et d'intérêt. Mais
dans ce genre narratif et populaire la vraie création de Bungener ce sont
les Souvenirs de Noël (1859 ss.), qui transportent les jeunes lecteurs
dans les lieux et les temps les plus divers, et dans la société des plus
nobles types protestants, trois petits chefs-d'œuvre, où la noblesse
des sentiments est relevée par la forme dramatique. Bungener n'avait
point officiellement charge de prédicateur, mais néanmoins il a beau-
coup prêché. Un petit nombre seulement de ses sermons ont vu le jour.
Lui-même n'a publié que le volume intitulé Christ et le siècle (1856).
Il y détermine les rapports qui doivent lier actuellement le christia-
nisme au progrès, aux événements et aux questions sociales. Le
volume des Semions publiés après sa mort (1875) contient principa-
lement des discours pour les solennités chrétiennes et quelques homélies.
On y sent, outre le croyant soumis à l'Evangile, l'observateur péné-
trant des ruses du cœur, le moraliste à la fois fin et grave. Bungener
n'était point un orateur populaire, entraînant; ses sermons étaient
trop écrits peut-être; c'est pour cela qu'ils gagnent à être lus et qu'ils
resteront. — Sources : Les ouvrages imprimés de Bungener, dont le
BUNGENER — BUNSEN 473
nombre, en y comprenant les diverses éditions et les traductions,
s'élève à plus de cent cinquante volumes; beaucoup de manuscrits
inédits; des articles critiques sur ses œuvres dans les journaux; les
E (rennes religieuses de 1850 à lKT'i Félix Bungener, par Jean (iaberel,
dans le volume subséquent, de Tannée L875. A- Bouvibb.
BUNSEN (Chrétien-Charles- Josias), créé chevalier en 1857, célèbre
homme d'Etal et savant, naquit à Korbacli (principauté de Waldeck),
en 1791. Son père, homme d une rare probité, y remplissait les modestes
fonctions de greffier de la justice, après avoir servi pendant trente ans
dans l'armée hollandaise. Le jeune Chrétien fut un des élèves les plus
distingués du gymnase de sa ville natale. En 1808 il étudia la théologie à
Marbourg; de 1809 à 1813, la philologie à Gœttingue où brillait alors
dans tout son éclat l'illustre Heyne. Il y gagna sa vie tant en professant
au gymnase qu'en s'occupant de l'éducation d'un riche Américain du
nom d'Astor. C'est là que parut son premier écrit De jure Athénien-
sium hxreditario; il lui valut, outre un prix, le grade de docteur
en philosophie que lui conféra, en 1813, la faculté de Iéna. Avide de
science, préoccupé dès lors d'apprendre à « connaître Dieu en tant
qu'il se manifeste en 1 nomme par le langage et par la religion, » il
visita tour à tour Vienne, la Hollande, Copenhague, Berlin où il lit la
connaissance de Niebuhr, Paris où il étudia, sous la direction de Syl-
vestre de Sacy, l'arabe et le persan. Arrivé à Florence en 1816, il ap-
prit, à son grand regret, qu'il lui fallait renoncer au voyage en Orient,
qu'il s'était proposé de faire avec son élève Astor, rappelé en Amé-
rique. Sur l'invitation de Niebuhr, alors ambassadeur de la Prusse à
Rome, il se rendit dans la ville éternelle; il y occupa pendant vingt-
et-un ans une position des plus enviées. C'est à Rome qu'il épousa,
en 1817, une Anglaise de grande famille et fort distinguée d'esprit, qui
exerça la plus heureuse influence sur son développement, Frances
Waddington. Secrétaire d'ambassade, en remplacement de Brandis
(1818), il fut nommé, après le départ de Niebuhr (1823), chargé d'af-
faires de la Prusse auprès de la cour papale et enlin, en 1834, ministre
plénipotentiaire. Il dut un si rapide avancement non-seulement à la
protection de Niebuhr, mais encore à l'entrevue qu'il eut à Rome (no-
vembre 1822) avec le roi Frédéric-Guillaume III, que captivèrent au
pins haut point les brillantes qualités du jeune secrétaire, et surtout
a issi a la franchise avec laquelle il exposa au roi ses vues liturgiques
bien différentes des siennes propres. En 1828, il s'y lia d'amitié avec
le prince héréditaire de Prusse (plus tard Frédéric-Guillaume IV), ami-
tié ({ni subsista malgré de profondes divergences d'opinions au sujet
des rapports entre l'Eglise et l'Etat. Telle fut l'estime dont Bunsen
jouit a Rome, que les représentants des grandes puissances adoptèrent,
en 1S:;2. son Mémorandum relatif aux. réformes à introduire dans les
Etats du pape. L'activité de Bunsen se déploya dans les directions les
plus variées. C'esl a son initiative que l'on dut la fondation d'un hôpi-
tal protestant a Rome. Il prit la plus vive part à la création de V Institut
archéologique, œuvre du prince héréditaire, et collabora activement au
grand ouvrage, Beschreibung der Stade Rom qui parut a Stuttgard
474 BUNSEN
(1830-1843), et aux Basiliken des christl. Rom (Munich, 1843; nouv.
édit., 1864; éd. française par Ramier, î'rancf., 1873),touten s'occupant
avec passion des antiquités étrusques et égyptiennes auxquelles l'initia
l'illustre Ghampollion et que lui-même lit apprécier à Lepsius. Pour-
suivant d'ailleurs ses études sur le culte chrétien, il fit paraître, avec le
concours de R. Rothe, alors prédicateur attaché à l'ambassade prus-
sienne à Rome, différents travaux liturgiques et hymnologiques, tels que
Versuch eines allgem. evang. Gesang u. Gebetbuches, 1833 (réédité par le
Rauhe Haus en 1846). Cependant les dissentiments qui éclatèrent entre
le gouvernement prussien et la curie romaine au sujet des mariages
mixtes (voy. les détails, très-compliqués, dans la Allgem. deutsche Bio-
graphie 1876; art. Bunsen, p. 543-4) eurent pour résultat non-seulement
l' emprisonnement du fougueux évoque de Cologne, Droste zu Yischering,
mais encore la cessation des fonctions de Bunsen à Rome (1er avril 1838).
— Après quelques mois de loisirs, passés à Munich, auprès de Schil-
ling et de Schubert, et en Angleterre où il reçut un accueil enthou-
siaste, l'illustre homme d'Etat rentra dans la vie publique en acceptant
les fonctions d'ambassadeur à Berne (novembre 1839). Il y prépara
un ouvrage liturgique qui parut en 1841 (Die Liturgie der stillen Wocher
etc.) et un autre sur Elisabeth Fry (Elis. Fry an die christl. Frauen u.
Jungfr. Beutsc/i/., édité en 1842, par le Rauhe Haus), éloquent plai-
doyer en faveur de la Mission intérieure. Mais à peine monté au trône,
Frédéric-Guillaume IV envoya Bunsen à Londres avec la mission d'y
travailler à la réalisation de- son idée favorite, à savoir, la fondation,
à Jérusalem, d'un évêché anglo-prussien. Bunsen ne réussitqu'à demi.
Il obtint, il est vrai, que le parlement décrétât la fondation d'un
évêché anglican, avec mission de protéger les protestants allemands
de Jérusalem; mais il ne fit que des mécontents; tandis que les
puséystes d'Angleterre l'accusaient de vouloir germaniser l'Eglise
épiscopale, les protestants d'Allemagne le soupçonnaient d'avoir pour
cette dernière une secrète prédilection. Enfin, sur la demande expresse
de la reine Victoria, Bunsen fut nommé ambassadeur de la Prusse à
Londres; il occupa ce poste élevé pendant quinze ans. Mieux encore
qu'à Rome, Bunsen put y utiliser ses riches facultés, tant du cœur que de
l'esprit. Diplomate des plus distingués, Bunsen sut remplir aussi, avec la
plus grande distinction, ses devoirs de chrétien et de philanthrope. Il
fonda entre autres àDalston, près de Londres, un grand hôpital pour ses
compatriotes. Sa maison fut longtemps comme le rendez-vous de tous
les artistes et savants allemands de passage en Angleterre ; ils trouvaient
en Bunsen un conseiller éclairé, un protecteur bienveillant. C'est lui
qui aida entre autres le célèbre orientaliste Max Muller à faire sa bril-
lante carrière. Son activité littéraire, elle aussi, prit à Londres un nouvel
élan. Pour répondre à ceux qui le soupçonnaient de pencher pour les
rites de l'Eglise anglicane, il exposa ses vues ecclésiastiques dans
un livre (Die Verfassung der Kirche der Zukunft, Berlin, 1845), où il
résume lui-même ses convictions à ce sujet en disant que « ce qui
fera vivre l'Eglise de l'avenir, ce ne sont ni les titres surannés, ni
les formes vieillies, dénuées de force et de vie, ni le langage scolas-
BUNSEN 475
tique, mais la vie morale, l'activité chrétienne puisée aux sources
vives de la loi. » C'est à la même époque que, frappé de l'influence
bienfaisante qu'exerce sur la vie du peuple anglais l'étude de la
Bible, il lit paraître un tableau propre à faciliter les lectures bi-
bliques; il s'en vendit 10,000 exemplaires. Il reprit également avec
une nouvelle ardeur ses travaux sur les antiquités égyptiennes et en
publia les résultats chez IVrthes de 1844 à 1857 (jEgyptens Stelle in der
Weltgeschichte ; édition anglaise, 1847 à 1854, supérieure à l'édition
allemande). L'ouvrage comprend cinq livres. Ier:0rigine de la langue,
de l'écriture et de la religion chez les Egyptiens; IIe et IIIe : Histoire
de l'Egypte depuis les temps les plus reculés jusqu'à nos jours. Les
deux derniers livres, les plus importants de l'ouvrage, sont con-
sacrés à l'examen de Thistoire de l'Eglise dans ses rapports avec les
autres peuples. L'auteur y met d'ailleurs eu relief la haute signiiica-
tion de l'Egypte au point de vue religieux. C'est également pendant
son séjour en Angleterre que Bunsen publia trois importants ouvrages
relatifs à l'histoire de l'Eglise chrétienne. Les deux premiers sont
consacrés à l'épineuse question de l'authenticité des épitres attribuées
au Père apostolique saint Ignace {Die 3 œchten und die ht umvchten
Brie fa des Ignatïus von A>>/iochien, et Ignatius von Antwchien und
seine Zeit, Hamb., 1847, in-4°). A part ses recherches sur l'authen-
ticité des écrits attribués1 à ce Père, Bunsen eut le mérite de bien
mettre en relief ses tendances tout évangéliques et contraires à-
celles qui prédominèrent plus tard dans l'Eglise romaine. Ce fut
un événement littéraire que la publication de l'ouvrage Hippolyttis
mil kis âge, 1852, qui fut immédiatement traduit en allemand.
La seconde édition anglaise (1854), beaucoup plus complète que
la première, ne fut malheureusement point traduite. On y remarque *
surtout la seconde partie : Reliquias hterariae, canonic;e, liturgicae.
Bunsen prit occasion de la publication d'un manuscrit ((P'Xo7ooz'j[j.zvx
rt 7.2-z -y.7Ùy; £zizibr> ï/.v;yzz) découvert au Mont-Athos et publié à
Paris, en 1851 (par Miller, qui l'attribuait à Origène et qu'il attribua,
lui, à Hippolyte, disciple d'Irénée et évoque de Portus Bomae, sur le
Tibre, au troisième siècle), pour établir les grands principes d'une
saine philosophie de l'histoire et pour retracer les rites ecclésiastiques
pendant les premiers siècles, si différents de ceux de l'Eglise contem-
poraine. Pour expliquer l'accueil enthousiaste d'une part, fort hostile
de l'autre, qui fut l'ait à ce livre (il fut mis à Vindex), nous (itérons
quelques lignes de la préface de l'édition anglaise ; elles serviront en
même temps à caractériser les tendances générales de l'auteur : « Les
attaques contre la théologie allemande viennent surtout d'un parti qui
«■>( déjà entré ou qui entrera, pour peu qu'il soit conséquent, dans
l'Eglise romaine; quels que puissent être le sérieux et la piété per-
sonnelle de beaucoup de membres de ce parti, toutes les idées chré-
tiennes y sonl noyées dans un formalisme sacerdotal el dans des pré-
tentions hiérarchiques également opposées aux documents officiels de
l'Eglise anglicane et aui instincts du peuple. » Et plus loin : « De
<|eii\ choses Tune : le christianisme est vrai ou il ne Test pas... Mais
476 BUNSEN
si le christianisme n'est pas vrai, quelle autorité pourra le rendre
vrai? Et s'il est vrai, il est vrai en vertu de sa vérité propre, et il n'est
besoin d'aucune autorité quelconque pour le rendre vrai. Si les
évangiles renferment une sagesse inspirée, ils doivent eux-mêmes
inspirer des pensées célestes au penseur sérieux, à l'investigateur
consciencieux; nous devons donc en faire librement le sujet de nos
recherches. Pour que l'Ecriture soit reçue avec une pleine con-
viction comme vraie, il faut qu'elle soit à l'unisson de la raison;
il faut donc l'étudier rationnellement... » — Bunsen fut rappelé de
Londres en 1854, pour avoir trop chaudement plaidé la cause de
l'alliance de l'Allemagne avec l'Angleterre, lors de la guerre de
Crimée ; son départ fut vivement regretté en Angleterre. Pour lui, il
s'estima heureux de pouvoir s'occuper plus que jamais de littérature et
de science; il passa les dernières années de sa vie à Heidelberg, puis
à Cannes où il vit mourir ïocqueville, et enfin à Bonn où il s'éteignit
le 28 novembre 1860. Nous ne signalerons qu'en passant quelques
productions secondaires qu'il fit paraître pendant cette dernière pé-
riode de sa vie (Préface à la trad. ail. du célèbre sermon de Caird,
sur la religion dans la vie de tous les jours; Préface à la trad. angl.
du roman de G. Freytag : Soll u. liabtn; article Luther dans la Bio-
graphia Britannica, 1857), pour dire encore un mot de trois ouvrages
qu'il avait préparés de longue main. Dans les Zeichen (1er Zeit (Briefe
an Freunde ûber die Gewissensfreiheit, etc., Leipz., 1855, 2 vol. in-8° ;
il en parut trois éditions la même année), Bunsen s'attaque à la
fois à Tévêque de Ketteler et à l'intolérance de la fraction semi-catho-
lique du protestantisme en Allemagne. La franchise de son langage
lui valut de chaudes adhésions et d'ardentes inimitiés (voy. Ev.
Kchzig de Hengstenberg, novembre 1855 et janvier 1866; Stahl wider
i?., Berlin, 1856; Gott in der Gescliichte (oder der Fortschritt des
Glaubens an eine sittl. .Weltordwg, 3 vol., 1857 et 1858) est un essai
de philosophie de la révélation. L'auteur y suit pas à pas les révé-
lations successives de Dieu dans les religions de tous les peuples,
depuis les temps les plus reculés jusqu'à nos jours, révélations qui
ont atteint leur point culminant en Jésus-Christ. Son dernier livre
enfin [(Biùelwerck, Leipz., 1857 à 1870, 9 gr. vol. in-8° ; les derniers
publiés par MM. Holtzmann et Kamphausen) peut être considéré
comme le résumé de tous ses travaux antérieurs. Son but, Bunsen
le fait connaitre lui-même en disant que, par sa traduction biblique
et les commentaires dont il l'accompagnait, il espérait prouver
aux esprits cultivés qu'une étude indépendante et sérieuse de la
Bible, loin de troubler la foi du chrétien, sert au contraire à l'affer-
mir. Son plan général, Bunsen le formule ainsi : établir les faits bi-
bliques ; en rechercher le lien historique ; en montrer le sens profond
et éternel. Nous nous bornerons à cette analyse sommaire d'un livre
dans lequel on peut relever mainte erreur, mais qui n'en fait pas moins
le plus grand honneur au savoir et à la piété de l'auteur. — L'amitié
occupa une large place dans la vie de Bunsen. Une foule d'hommes
illustres tinrent à honneur de visiter le noble vieillard pendant son
BUNSEN — BUXYAX 477
séjour à Heidelberg. Le roi de Prusse lui-même n'eut de repos que
lorsque, à l'occasion de la séance tenue à Berlin, en 1837, par V Alliance
évangélique, son vieil ami se l'ut décidé à passer trois semaines dans
son château. La mort de Bunsen fut le digne couronnement d'une belle
vie. « .le vais mourir et je souhaite de mourir. Je me rappelle au sou-
venir de tout homme de bien, et je le prie de se souvenir de moi avec
bienveillance. J'offre ma bénédiction, la bénédiction d'un vieillard, à
quiconque la désire. Je meurs en paix, avec tout le monde. Ceux qui
vivent en Christ, qui vivent en l'aimant, ceux-là sont siens Christ
est le Fils de Dieu, et nous ne sommes ses enfants que quand l'esprit
d'amour qui était en Christ est en nous » (voy. liev. ehr., 18(50, p. 776;
Bœhring, Bunsen' s Bibelwerk nach seinerBed. fur die Gegemvart, 1861,
p. 10 ss. ; Gelzer, Prot. Monatsblaetter, janvier 1861). Telles furent ses
dernières paroles. En lui, « l'Allemagne perdit un grand citoyen, la
science un de ses plus éminents représentants et l'Eglise un chrétien
fervent mort en confessant sa foi au Christ » (de Pressensé) ; Bunsen
fut (( sûrement l'un des hommes les plus éminents de l'Europe »
(Colani, lîev. de th., VI, 316). Bunsen fut nommé tour à tour docteur
en droit par les universités d'Oxford et d'Edimbourg (1839 et 1853),
membre de l'Académie de Berlin (1857), membre correspondant de
l'Académie des inscriptions et belles-lettres (1859), etc., etc. 11 eut
douze enfants, dont huit sont encore en vie; le plus célèbre, George,
né à Rome en 182i, est député au parlement allemand. — Voyez, outre*
les écrits déjà cités, la Correspondance de Bunsen avec Frédéric-
Guillaume IV. par L. Rancke, Leipz., 1873; sa Biographie, publiée par
sa veuve morte à Carlsruhe, avril 1876, édit. anglaise: A Memoir of
Baron Bunsen, etc., London, 1868, en ail. par Nippold : B. aus seinen
Briefen, etc., geschildert, Leipz., 1868 à 1871, 3 vol.; la thèse
de M. G. Bonet : Bunsen. Un prophète des temps modernes, Strasb.,
1867; l'article Bunsen, dans la Heul-Encykl. de Herzog; Unsere Zeit,
1861, p. 337 à 377, par Abecken ; et surtout Allgem. deutsche Biographie,
Leipz., 1876, 14e livr., p. 541 à 552, art. de R. Pauli.
Ad. Sch^effek.
BUNYAN (John), l'allégoriste puritain, naquit en 1628, à Elstow, près
Bedford. Son père était un pauvre chaudronnier, et lui-même exerça long-
temps cet humble métier. 11 a raconté, dans une autobiographie admi-
rable. Thistoirede son âme. 11 dépeint les égarements de sa jeunesse sous
des couleurs évidemment trop sombres, mais qui rendent avec un relief
merveilleux les luttes morales qu'il eut à traverser pour arriver à la
foi. Après avoir servi quelque temps dans l'armée du parlement et pris
part au siège de Leicester, il se maria. Sa femme lui apportait pour
unique dot deux livres de piété qui contribuèrent à l'éclairer. Les con-
versations de quelques femmes pieuses et l'influence du ministre bap-
tiste Gifford achevèrent cette œuvre, qui fut traversée par des crises
terribles de tentation dont le récit donne un charme émouvant au
Grâce abounding. La piété éveilla dans l'àme de Bunyan de grandes
(acuités qui y dormaient sous les voiles épais d'une nature primitive et
grossière. 11 s'unit à la société baptiste de Bedford, qui, en 1656, le
478 BUNYAN
« mit solennellement à part pour le ministère de la Parole. » À défaut
de culture intellectuelle, Bunyan avait une expérience chrétienne pro-
fonde servie par des dons naturels de premier ordre et éclairée par une
étude continuelle de la Bible. Aussi le succès de sa prédication fut-il
immense ; de toutes parts on accourait pour entendre la parole éner-
gique et originale du chaudronnier devenu prédicateur. La renommée
dont il jouissait lui valut l'honneur d'être Tune des premières victimes
du système de compression religieuse que ramena la restauration des
Stuarts. Accusé de présider des réunions illicites et de s'abstenir de
suivre le culte divin de l'Eglise établie, il fut condamné à la prison(1660),
et il y demeura' plus de douze ans. La liberté lui fut souvent offerte, à
la condition qu'il promettrait de ne plus prêcher, mais il refusa tou-
jours d'y consentir. Du fond de sa prison, il continua son ministère, et
il en reprit le cours avec un zèle renouvelé dès que la liberté lui eut été
rendue. Sa fidélité et sa fermeté pendant la persécution lui conquirent
une grande influence au milieu de ses frères non-conformistes. Le res-
pect qu'il inspirait lui valut le surnom d'èvêque Bunyan. Il exerçait en
effet une sorte d'épiscopat moral qui s'étendait bien au-delà de la ville
de Bedford, centre ordinaire de son activité. Fermement attaché aux
principes de son Eglise, il repoussait le baptême des petits enfants,
mais il avait plus de largeur d'esprit que la plupart de ses coreli-
gionnaires et combattit, par ses écrits et par son exemple, les vues de
ceux qui refusaient de communier avec les pédobaptistes. La publica-
tion du Pilgrims Proyress, qui eut lieu en 1678, et celle de plusieurs
de ses traités populaires lui valurent une véritable renommée. On vou-
lut l'entendre à Londres, où sa forte et naïve éloquence attira des mul-
titudes ; plus de douze cents personnes se réunissaient à sept heures
par une matinée d'hiver pour l'entendre avant de se rendre au travail.
Ce n'étaient pas seulement les simples quiprenaientplaisir à l'écouter;
le docteur Owen répondait au roi Charles II qui s'étonnait qu'un homme
aussi savant aimât à s'asseoir au pied de la chaire d'un chaudronnier
illettré : « Sire, je donnerais volontiers toute ma science pour prêcher
aussi bien que ce chaudronnier. » Il mourut (1688) comme il avait
vécu, en faisant du bien. Il contracta la maladie qui l'emporta en faisant
un voyage à cheval sous la pluie pour réconcilier un père avec son fils.
— Bunyan a composé un assez grand nombre d'ouvrages, sermons,
traités théologiques et pratiques, poésies, etc. Mais il est surtout connu
comme l'auteur d'œuvres d'allégorie religieuse qui lui ont conquis une
place éminente dans la littérature de l'Angleterre et une place unique
dans la littérature religieuse de tous les pays protestants. Son chef-
d'œuvre, le Pilgrim* Progress, est le livre de piété probablement le
plus lu après la Bible. Le nombre des éditions qu'on en a publiées en
Angleterre est incalculable. Il a été traduit en presque toutes les lan-
gues écrites, et c'est toujours le premier livre que les missionnaires
évangéliques traduisent après la Bible dans les langues dont ils ont fixé
la grammaire. De nombreuses éditions en ont paru en français : les unes
faites par des mains protestantes et reproduisant assez fidèlement
l'original (Neufchàtel, 1716; Bàle, 1728; Halle, 1752; Colmar, 1821;
BUNYAN — BUEE 479
Guèrnesey; Valence, L825 ; Londres, L831 ; Toulouse, L852;Pàris; 1863;
Bruxelles, etc. ) : les autres faites par des catholiques el ayant subi des
modifications qui l'adaptent tant bien que mal au dogme catholique
(Paris. 1772, 1793; Toulouse, 178:}; Lyon et Paris, 1820, L824;
Paris, 1821). Ce livre a (railleurs été abrégé, modifié, rajeuni, imité de
toutes les façons; on Ta mis en vers et même en musique, et la littéra-
ture qui en est issue formerait un catalogue des plus étendus et des
plus curieux. Le succès populaire a devancé l'arrêt de la critique litté-
raire, qui n'a eu qu'à le constater et en expliquer les causes. William
Gowper, Walter Scott, Southey, Coleridge ont salué en Bûnyan Tune
des gloires des lettres anglaises, et de nos jours Macaulay a dit de lui :
« Bunyan est aussi décidément le prince des allégoristes que Démo-
sthènes est le prince des orateurs et Shakespeare le prince des dra-
maturges. » M. Taine dit de son côté : « Il a l'abondance, le naturel,
l'aisance, la netteté d'Homère. » — Plusieurs éditions complètes des
œuvres de Bunyan ont paru en Angleterre; la plus estimée paraît celle
d'Otfor. Parmi les innombrables écrits dont la vie et l'œuvre de Bunyan
ont été le sujet, nous mentionnerons Philip, Life of Bunyan; Offor,
Memoir of Bunyan ; Tulloch, English Presbyterianism and its leaders.
Matth. Lelièvre.
BURCHARD. Parmi les nombreux personnages qui ont porté ce nom
nous citerons : 1° Burchard (saint), premier évèque de Wùrtzbourg, en
Franconie, mort vers 754, anglais d'origine et compagnon de Boniface,
l'apôtre de la Germanie. Le moine Egihvord a écrit sa Vie, que l'on
trouve dans le recueil biographique de Surius. — 2° Burchard,
évèque de Worms, mort en 1020, auteur du Liber decretorum collecta
en 20 volumes, recueil de canons des plus importants en ce qui
concerne la discipline et l'organisation de l'Eglise (édit. de Co-
logne, 1543 et 1560; édit. de Paris, 1549 et 1853. — 3° Burchard
(Jean), évèque de Citta-di-Castello, mort en 1505, à qui l'on doit le
curieux Diarium ou Journal, dont la première partie embrasse le pon-
tificat d'Innocent VIII, et la seconde celui d'Alexandre VI.
BURCKHARDT (Jean-Louis), né à Lausanne en 1784, mort au Caire
en 1817, est célèbre par les voyages qu'il entreprit, au nom de la
Société africaine de Londres, en Egypte, en Nubie, en Arabie et en
Palestine (1810-16). Grâce à sa connaissance de la langue et de la
religion des musulmans, il put se faire passer pour un marchand arabe
et profiter des facilités que lui procura son déguisement. Son Journal
de voyages fut d'abord publié en anglais par Leake (Travels in Syria
ami the Eoly Land, Lond., 1822), puis en allemand par Gesenius
(Reisen in Syrien u. Palœstina, Weimar, 1823, 2 vol.). Il se distingue
par l'exactitude des observations, la simplicité et la fidélité des des-
criptions et la nouveauté des recherches, particulièrement en ce qui
concerne les provinces situées au delà du Jourdain (voy. l'article
Palestine).
BURE (Idelette do, femme de Jean Calvin, l'illustre réformateur.
Elle avait eu pour premier mari Jean Storder, de Liège, un des chefs
de la secte dv> anabaptistes que le ministère de Calvin lui-môme avai
480 BURE — BURGONDES
converti, comme nous l'apprend Théodore de Bèze. Retirée à Stras-
bourg, en 1540, elle y vivait vouée à l'éducation de ses enfants, lorsque
Calvin, attiré par le renom de ses vertus, rechercha la main d'une
compagne capable d 'affronter avec lui tous les périls et la mort même
(lettre de Calvin à Farel, 7 avril 1549). Le mariage eut lieu en sep-
tembre 1540. Forcé peu de temps après de se rendre aux diètes de
Worms et de Ratisbonne, le réformateur devait s'y trouver cruelle-
ment éprouvé en recevant la nouvelle que la peste frappait les amis
qu'il avait laissés derrière lui et menaçait sa propre famille. Rentré à
Genève, où il était rappelé malgré lui, il n'y resta pas longtemps seul.
Le jour même de son retour, 13 septembre 1541, les Conseils de la
ville délibéraient qu'un messager d'Etat irait chercher Idelette de Bure
à Strasbourg pour qu'elle vînt partager la maison affectée au logement
officiel de son mari. Tout ce qu'on sait d'elle, c'est qu'elle fut la digne
femme d'un tel époux, son aide et son soutien dans les infirmités de la
santé et dans les dangers de sa vie militante ; qu'elle se. dépensa dans
la visite des pauvres, la consolation des affligés, l'accueil fraternel des
étrangers. Elle avait eu, la seconde année de son mariage, en juil-
let 1542, un fils qui lui avait été bientôt ravi et dont la mort avait, on
le voit par une lettre de Calvin à Viret (19 août 1542), accablé le mal-
heureux couple d'une amère douleur, à peine allégée par les témoi-
gnages de sympathie des Eglises de Lausanne et de Genève. Deux autres
épreuves de même nature étaient encore venues l'affliger, en 1544 et
en 1548. De tels coups répétés avaient ébranlé une santé naturellement
frêle : il en résulta une langueur habituelle qui s'accuse tristement
dans la correspondance de Calvin. Malgré les soins vigilants d'un
médecin ami, Benoit Textor, la fièvre qui la minait faisait de rapides
progrès. Bèze,Hotman, des Gallars, Laurent de Normandie accourent,
prévoyant l'issue fatale. La chère malade ne jugea même pas néces-
saire de recommander les enfants de son premier mari à celui qu'elle
allait quitter et qu'elle connaissait si bien. Sa mort fut pleine de séré-
nité. Calvin était présent, l'assistant de sa foi et de ses prières. Elle
était calme et s'endormit du dernier sommeil le 29 mars 1549. Dès le
31, Viret adressait à Calvin ses fraternelles et pieuses condoléances
(Calvini opéra, t. XIII, p. 226, note). « J'ai perdu, écrivait celui-ci,
l'excellente compagne de ma vie,... aide précieuse, jamais occupée
d'elle-même, jamais peine ou obstacle!... Tu sais si mon cœur est
tendre, pour ne pas dire faible. Je suis prêt à succomber, si je ne fai-
sais un violent effort sur moi-même » (10 avril 1549). — Voir la notice
consacrée à Idelette de Bure par M. Jules Bonnet, qui a su tirer de
l'ombre cette humble et touchante figure, et à qui nous avons em-
prunté cette succincte esquisse biographique. Ch. Kead.
BURGONDES (Les), peuplade germanique, avaient émigré vers le
quatrième siècle après Jésus- Christ des bords de la mer Baltique vers
le Rhin inférieur, dont Valentinien Ier leur confia la garde. Lors de l'in-
vasion des Huns, ils remontèrent le Rhin et s'établirent en Savoie, du
consentement d'Aétius. Leur contact avec le monde gallo-romain
amena leur conversion au catholicisme (413). De la Savoie ils éten-
BURGONDES 481
dirent leur domination sur les vallées du Rhône et de la Saône; leur
royaume se trouva de la sorti' resserré entre les empires ariens des
Visigoths de !a France méridionale et des OstrogOths d'Italie. Après la
mort du roi catholique Gundioch (vers 174), la Bourgogne fut par-
tagée entre les quatre lils de ce prince. Godemar, Chilpéric, Gonde-
baud et Godegisèle, dont le second seul était catholique; les trois autres
étaient ariens. Vers la même époque, le roi visigoth Euric, connu par
son zèle pour l'arianisme, envoya chez les Burgondes, qui subissaient
sa suprématie morale, des missionnaires pour les détacher du catholi-
cisme. Ceux-ci réussirent à se créer un parti parmi la population bur-
gonde; ils eurent moins de succès auprès des Gallo-Romains, et ne
tardèrent pas à rencontrer une résistance énergique de la part del'épis-
pat, à la tète duquel se trouvait l'évêque de Lyon, Prudent, dont la
femme de Chilpéric soutenait les efforts. Peu de temps après, Chilpéric
fut vaincu par Gondebaud et mis à mort avec ses lils. De ses deux lilles
Fune,Chrona, entra dans un cloître; l'autre, Clotilde, fut reléguée par
son oncle à Genève. Les émissaires de Clovis ne devaient pas tarder à
l'y découvrir. Le parti arien profita de son triomphe pour persécuter
les évèques catholiques. Gondebaud cependant, par crainte de Clovis,
et grâce à l'influence que Févèque de Vienne, Avite, sut prendre sur
lui, ne persévéra pas dans cette voie; il s'efforça de modérer Fardeur
des ariens et de gagner la population gallo-romaine par une adminis-
tration équitable. Avite, le représentant de cette politique d'apaisé-"
ment, crut consolider le pouvoir de Gondebaud en écrivant à Clovis
une lettre de félicitations à l'occasion deson baptême; il y appelait son
souverain le « soldat de Clovis », et célébrait la victoire du chef franc
comme le triomphe de l'Eglise même. Peut-être espérait-il amener
Clovis à une entente amicale avec Gondebaud et, d'accord avec saint
Rémy, comptait-il sur l'influence pacifique de Clovis pour décider son
maître à accepter la foi catholique. L'ambition des Francs et la haine
que Clotilde, devenue la femme de Clovis, portait au meurtrier de son
père, mirent à néant les plans d'Avite. Secondé par le parti que Clo-
tilde possédait parmi les catholiques de Bourgogne, allié à l'arien
Godegisèle qui était jaloux de son frère et à l'arien Théodoric, roi des
Ostrogoths, Clovis battit Gondebaud à Dijon et l'obligea à lui payei
tribut (500) . Malgré la modération dont Gondebaud fit preuve en ma-
tière ecclésiastique jusqu'à la fin de son règne (517) et l'habileté avec
laquelle son lils Sigismond, converti par Avite, s'efforça de contenter les
deux partis hostiles (par exemple au concile d'Epaunum ou Evionnay,
dans le Valais, convoqué par lui dans la première année de son règne
dans le but de réorganiser l'Eglise, où prévalurent les idées modérées
d'Avite sur l'opportunité de laisser mourir L'arianisme sans le perse»
cuter, tout m évitant de se souiller à son contact en faisant servir au
culte catholique les vases sacrés et les basiliques profanés parles héré-
tiques), les lils de Clovis achevèrent, à l'instigation de Clotilde,
L'œuvre commencée par leuT père. Trahi à la fois par te parti catho-
lique de Clotilde et par les Burgondes ariens qui lui reprochaient son
abjuration, Sigismond fut battu à Autun et livré à Clodomir qui le fit
n 31
4S2 BURGONDES — BURNET
mettre à mort (523-524). Plus tard, son frère, l'arien Godemar, qui dans
l'intervalle avait tenté une restauration de l'arianisme, fut pris par
Glotaire et Childebert et enfermé dans une tour, où il mourut
(532-534). La Bourgogne désormais fit partie du domaine des Francs;
l'arianisme ne tarda pas à en disparaître. — Voyez : Revillout, De Va-
rianisme des 'peuples germaniques, Paris, 1850. A. Jundt.
BURIDAN (Jean), né à Béthune, disciple d'Occam, fut recteur de
l'université de Paris en 1327 et mourut après 1358. 11 est un des repré-
sentants de ce nominal isme qui, tout en restant soumis à l'autorité de
l'Eglise, tendait à isoler la philosophie de la théologie et qui, tout en
honorant Aristote comme le maître par excellence, tenait compte des
autres systèmes et penchait vers le scepticisme. Buridan s'interdit les
questions théologiques; c'est par ses recherches sur la liberté de l'âme
qu'il est devenu célèbre. Il examine si la volonté, dans des circon-
stances identiques, peut se porter tantôt vers une résolution et tantôt
vers une autre ; il démontre que la raison ne pourrait expliquer une
telle diversité ; mais il préfère suivre l'avis des philosophes et des saints
qui croient à la liberté : Anima est libertas et habet eam sicut et suam
essentiam ab ipso Deo {In Eth., X, q. 4). Mais s'il rejette le détermi-
nisme, il ne se range pas complètement à l'indifférentisme de Duns
Scot ; il reconnaît que l'intelligence et la liberté se pénètrent récipro-
quement; l'intelligence fournit des motifs plus ou moins justes et sûrs,
mais la décision appartient à la volonté. C'est la première partie de sa
démonstration qui a suggéré la fable de l'âne mourant de faim entre
deux boisseaux d'avoine qui le sollicitent également, et Tennemann,
d'après des citations incomplètes de Tiedemann, a présenté notre phi-
losophe comme un déterministe. Toutefois, Buridan admet, avec
Aristote, que l'activité suprême de l'âme, c'est la connaissance de
Dieu, et par là il donne à l'intellect la prééminence sur la volonté. Cet
exemple suffit pour montrer ce qu'il y a d'indécis au fond de sa pensée.
— OEuvres publiées par J. Dullard, Paris, 1516.
BURMANN (François) [1632-1679], fils d'un pasteur réformé du Pa-
latinat, réfugié pour cause de religion à Leyde, en Hollande, exerça à
Utrecht les fonctions de professeur et de pasteur. Il a laissé un certain
nombre de commentaires bibliques, de traités de controverse (entre
autres une dissertation De moralitate sabbathi hebdomadalis), et un ou-
vrage plus important, Synopsis theoloyiœet speciatim œconomiœ fœderum
Dei (2 vol. in-4°), dans lequel il s'élève contre le système de la pré-
destination absolue et établit que la chute d'Adam a été complètement
volontaire et spontanée, Dieu lui ayant donné les forces nécessaires
pour le maintenir dans l'obéissance. En démontrant que le péché a sa
source non dans l'intelligence, mais dans la volonté, Burmann a net-
tement rompu avec les théories scolastiques de son temps et préparé
la voie à une conception plus biblique de l'économie du salut.
BURNET (Gilbert), célèbre évêque de Salisbury, naquit à Edim-
bourg, le 13 septembre 1643. « Son père, dit M. Guizot dans sa Notice
•m,r Burnet, était un royaliste modéré ; sa mère, zélée presbytérienne ;
le lord Wartoun, son oncle, l'un des plus ardents adversaires de
BURNET — BURNIER 483
Charles IMlapprit ainsi, dès son enfance, à entendre tous les langages,
peut-être même à sympathiser tour à tour avec les desseins et les sen-
timents les plus divers. » Le jeune Burnet, après avoir suivi un cours
de droit à l'université d'Aherdeen, se destina à l'état ecclésiastique. II
étudia avec une grande ardeur les diverses branches de la théologie,
visita suc<essi\einent l'Angleterre, la France et la Hollande, et, de ré-
unir dans son pays, fut nommé sutïragant de la cure de Salton (Ecosse).
En 1660, il lut appelé à Glasgow pour y occuper une chaire de théo-
logie et publia, cette même année, des Dialogues entre un conformiste et
•m n<m-emformùte, dans lesquels il s'élevait contre le luxe qui ré-
gnait en Ecosse. Cet opuscule souleva bien des contradictions et con-
tribua peut-être, avec la conduite ecclésiastique tenue par Burnet, à
rendre à celui-ci le séjour de Glasgow bien difficile. Burnet, en effet,
avait réussi à mécontenter à la fois les presbytériens par son zèle
pour le système épiscopal, et les épiscopaux par sa tolérance pour les
presbytériens. En 1072, il se démit de sa chaire de Glasgow et se fixa à
Londres où il se fit une grande réputation par ses sermons. A Tavéne-
ment de Jacques II, en 1085, Burnet dut quitter l'Angleterre; il parcou-
rut la France et l'Italie et s'arrêta quelque temps en Hollande où il
devint le chapelain du prince d'Orange. Il mit toute son activité et toute
son iniîuence au service du stathouder qui, devenu Guillaume III d'An-
gleterre, le nomma évoque de Salisbury (1089). Les dernières années
le Burnet furent très-calmes ; il mourut d'une fluxion de poitrine le'
17 mars 171o. C'était un homme d'un vaste savoir, mais d'un caractère
iif a paru manquer parfois de consistance. Ses ouvrages sont très-
iiombreux. On peut citer parmi les principaux : un Recueil de Saumons
1*578-1700, 3 vol. in-8°) ; une Histoire de la Réformation de V Eglise
'(' Angleterre faite en collaboration des docteurs Loyal et Tillotson
(Londres, 1079, 1(581 , 1715, 3 vol. in-fol.) ; Histoire de mon temps
17^i-173i, 2 vol. in-fol.); un certain nombre d'écrits de controverse
contre les catholiques, ainsi : Examen des méthodes du clergé de France
pour la conversion des helvétiques (1082), divers écrits de morale, de poli-
tique et de littérature. — Voyez : Moréri, Dictionnaire universel, t. II,
p. 38o; Chaufepié, Nouveau Dictionnaire, t. II; Bibltotheca britannica,
t. 111, p. 173. A. Gary.
BURNIEE, (Louis) est né à Lutry (Vaud), le 27 janvier 179o. Il n'avait
<pie six ou sept ans, lorsque, sur une demande pressante de sa mère,
il songea à se consacrer au ministère évangélique. « Dès lors, dit-il, je
nai jamais eu la pensée que je pusse être autre chose que ministre. »
Après avoir fait à Lausanne de très-bonnes études, il fut consacré en
1817 «•! exerça la charge pastorale dans diverses localités du canton de
Vaud. Les premières années de son ministère coïncidèrent avec l'appa-
rition de la dissidence. Quoiqu'il demeurât bon national, il tendit
lient la main d'association à ses frères séparés, et travailla
avec eux a la traduction du Nouveau Testament et à direrses oeuvres
tission ci d'évangélisatioffc. Dès 1831 cependant, Burnier se con-
. i le défenseur de la séparation de l'Eglise et de l'Etat. 11 fonda
.^si veinent la fiecie britannique religieuse (1829-1830), et la I)is-
484 BURNIER — BURNOUF
cussion publique su?' la liberté religieuse et le gouvernement de V Eglise
(1830), et dans ces deux journaux plaida non-seulement la liberté,
mais encore l'égalité des cultes. Nommé membre de la commission
chargée par le Conseil d'Etat de la révision des ordonnances ecclésias-
tiques, il demanda, sans succès, une nouvelle organisation de l'Eglise
sur la base de la participation des laïques à son gouvernement. Le
14 décembre 1839, le grand Conseil abolit la confession helvétique, et
la remplaça par un jury de doctrine, sorte de tribunal chargé de juger
de la doctrine des pasteurs. Comme Burnier ne pouvait accepter cette
loi, et qu'il lui répugnait de toucher un salaire de l'Etat et de le com-
battre, il donna en 1841 sa démission de pasteur officiel, tout en dé-
clarant demeurer membre de l'Eglise nationale opprimée. En 1845, il
salua avec joie la grande démission des pasteurs vaudois, et fut l'un
des fondateurs de l'Eglise libre. Burnier est mort le 14 janvier 1873. —
La fertilité de Burnier comme écrivain a été grande. Outre ses Etudes
élémentaires et progressives de la Parole de Dieu en quatre volumes
in-8° (2e édition, Paris, 1862), ses Instructions et Exhortations pastorales
(1 vol. in-8°, Lausanne, 1843), ses Esquisses évangéliques (1 vol. in-12,
1858), il a publié en trois volumes (Histoire littéraire de l'éducation,
2 vol. in-8°, 1864; Cours élémentaire de pédagogie, 1865) les excellentes
leçons sur l'éducation qu'il donna pendant plusieurs années dans
l'école supérieure de Morges, à l'organisation de laquelle il concourut.
11 faudrait citer encore des notices biographiques, des traductions et de
nombreuses brochures ou articles de journaux qui témoignent de l'in-
cessante activité de son esprit (voy. le catalogue de ses écrits, Chrétien
évangélique, 1873, p. 315, 316). Mais l'œuvre à laquelle il a donné le
meilleur de sa vie, c'est la traduction du Nouveau Testament, dite
version suisse, dont il se constitua aussi le défenseur (La version du
JV. T. dite de Lausanne, son histoire et ses critiques, 1866 ; Les mots du
N. T. dans les vers. comp. d'Osterv. et de Laus., 1871). Burnier ne fut
pas un prédicateur brillant, mais ses sermons étaient solides. Il a tou-
jours professé un grand attachement à la Bible entière. 11 croyait fer-
mement à son inspiration verbale. Très-hostile à l'antinomisme,
il insistait avec non moins de force sur la gratuité du salut. La der-
nière parole qu'il prononça, et qui exprime bien la pensée de toute sa
vie, est celle-ci : Il faut être saint (voy. Chrét. év., 1873, p. 313-323,
563-565). Louis Ruffet.
BURNOUF (Eugène), né à Paris le 8 avril 1801, mort le 28 mai 1852,
3st un des hommes qui ont fait faire les plus grands progrès à la con-
naissance des religions anciennes dans la première moitié de ce siècle.
Dans son Essai sur le pâli ou langue sacrée de la presqu'île au delà du
Gange, publié de concert avec Chr. Lassen en 1826, il démontra d'une
manière complète et définitive que cet idiome, employé comme langue
sacrée et savante pour la religion de Bouddha à Ceylan, au Birman, à
Siam, etc., est un dérivé du sanscrit, et restitua par là une des prin-
cipales sources de l'étude de cette grande évolution. Mais son principal
titre de gloire est la découverte de la langue zende {Commentaire sur le
Yaçna, 1833), dont les textes étaient restés jusqu'alors indéchiffrables.
BURNOUF — BTJSCB 485
Grâce à sa connaissance approfondie du sanscrit et s'aidant de tra-
ductions sanscrite et pehlvie, il reconstitua d'une façon absolument
scientifique la langue sacrée du zoroastrisme. Cette découverte, menée
à bout avec une sûreté de méthode rare et une persévérance infati-
gable, est digne d'être mise à côté du déchiffrement des hiéroglyphes
d'Egypte el des inscriptions cunéiformes de la Mésopotamie; Burnouf
toucha du reste avec succès à l'un des côtés de cette dernière question
en interprétant des inscriptions cunéiformes du système persépolitain
écrites dans un dialecte appartenant à la même souche que le zend. Le
second travail capital de Burnouf, celui qui doit être placé à côté du
Commentaire sur le Yaçna, est Y Introduction à l'Histoire du Bouddhisme
indien (1844), fruit du dépouillement de quatre-vingt-huit ouvrages
bouddhiques en sanscrit procurés par M. Hodgson, qui permettaient
de saisir dans sa forme originale une des principales religions du
monde. Ces travaux ont livré au monde moderne le secret de deux des
principaux événements de l'histoire de l'humanité qui n'étaient par-
venus jusqu'à nous que sous une forme absolument défectueuse. —
Voyez la Notice sur les travaux de M. Eugène Burnouf, par M. Barthé-
lémy Saint-Hilaire, mise en tête de la réédition de son Introduction au
Bouddhisme (Paris, 1870). Maurice Vernes.
BURY (Arthur;, théologien anglais, connu surtout par le rôle qu'il
joua dans la tentative faite par Guillaume III pour réunir en une seule
Kulise les différentes sectes de l'Angleterre. 11 composa, à cet effet,
pendant qu'il était principal du collège d'Excester, à Oxford, un livre
fameux intitulé : The niked Gospel (1691). Il y soutenait que l'Evan-
gile ayant été considérablement altéré par des additions postérieures,
il fallait le rétablir dans son intégrité primitive et n'y admettre
que les préceptes absolument nécessaires au salut, c'est-à-dire ceux
qui nous sont enseignés d'autre part par la loi naturelle. La divi-
nité de Jésus-Christ n'est pas de ceux-là et on peut la négliger sans
inconvénient. Ce malencontreux essai de conciliation souleva un
cri de réprobation. Le livre fut condamné au feu, le 19 mai 1(390, et
l'auteur chassé de l'université. Accusé de socinianisme par Jurieu dans
sa Religion du Latitudinaire, Bury répondit par le Latitudinarius or-
tl/odoxus ou Vindicix liber tatis christianx Ecclesix anglicanx contra
ineptias et calumnias P. Jurieu (Londres, 1699). Jurieu était traité de
odiorum professor, malignitatù diabolicx prof essor . Bury trouva pourtant
un certain nombre de partisans chez les latitudinaires de Hollande.
BUS (César de), né à Cavaillon en loii, mort à Avignon en 1607,
après une jeunesse fort dissipée, entra dans l'état ecclésiastique et fut
chanoine de Cavaillon. Il fonda la congrégation des prêtres de la Doc-
trine chrétienne, nommés Doctrinaires, et celle des Ursulines, destinée
comme la première, à l'enseignement (voy. ces articles). 11 reste de
César de Bus des Instructions familières, Paris, 1665, in-12 (voy. J. de
Beau vais, Il Ut. de la Vie de César de /Jus).
BUSCH (Jean) [1399-1479], originaire de Zwoll, en/Hollande, s'acquit
une grande renommée par le zèle infatigable, la fermeté et 1<- tact avec
esquels il s'occupa de la réforme des couvents dont les seigneurs de
486 BUSCH - BUTLER
la Frise, de la Westphalie et de la Saxe le chargèrent, et qu'il accom-
plit avec succès, malgré la résistance, parfois armée, des moines et
des nonnes. On a de Busch une Chronique du couvent de Wmèesheim
dont il était chanoine, et un traité De reformatione monasteriorum quo-
rumdam Saxonùe libri IV, imprimé dans les écrits de Leibnitz,
édit. de Brunswick, t. II, p. 476 ss.
BUSCHING (Antoine-Frédéric), savant géographe, né à Stadthagen
en 1724, précepteur du comte de Lynar à Kœstritz, professeur de
philosophie à Gœttingue, pasteur luthérien à Saint-Pétersbourg, direc-
teur d'un gymnase et membre du consistoire supérieur à Berlin, mort
en 1793. Par ses tendances, il se rattache au piétisme ; par son esprit
large, conciliant, ouvert à toutes les recherches, il mérita la considé-
ration de tous les partis. Bùsching a laissé un grand nombre d'ou-
vrages, des biographies (Beitrœge zur Lebensgesch. denkwùrd. Personen,
1789), des commentaires, une théologie biblique (Epitome theol.,
1756), mais surtout des traités de géographie. Ss. Nouvelle description
du globe ou Géographie universelle (Hamb., 1754-92, 11 vol. in-8°), si
complète et si exacte, valut à Fauteur une juste renommée. La partie
consacrée à la Palestine renferme un nombre considérable de maté-
riaux destinés à faciliter l'intelligence des textes bibliques.
BUSENBAUM (Herman) [1600-1668], jésuite allemand, recteur des
collèges de Hildesheim et de Munster. Il est fameux par son ouvrage
intitulé : Medulla theologiœ moralis facili ac perspicua methodo résolvent
casus conscientiœ , ex variis probatisque authoribus concinnata (Munster,
1650, in-12). Ce livre, souvent remanié dans la suite par les confrères
de Fauteur, reproduit sur la morale sociale et politique les principes
de Sanchez, si connu depuis les Provinciales. Un an après la mort de
Busenbaum, sa Théologie morale, véritable vade-mecum clés séminaires
de la Société de Jésus, en était à sa vingt-troisième édition. Le P. La-
croix en lit plus tard, avec des additions, des commentaires et un
index, huit volumes in-8° (Cologne, 1716). Le P. Montausan l'augmenta
à son tour et la donna en deux volumes in-folio (Lyon, 1729), édition
reproduite en 1740 et 1757 sous la fausse rubrique de Cologne et
recommandée par les critiques du Journal de Trévoux. On était alors
à l'époque de l'attentat de Damiens. Le parlement de Toulouse s'émut
d'une doctrine qui n'allait à rien moins qu'à établir que, si un citoyen
proscrit par un prince ne peut être mis à mort que dans le territoire
soumis à sa juridiction, un prince proscrit par le pape peut l'être sur
toute la terre, parce que le pape est souverain universel. Un arrêt
ordonna de brûler le livre. Le parlement de Paris le condamna aussi
en 1761. Les jésuites, chez qui on avait saisi l'ouvrage au séminaire
d'Albi, en désavouèrent la doctrine et déclarèrent qu'ils ignoraient le
lieu d'impression et l'éditeur ; ce qui n'empêcha pas le P. Zaccaria,
jésuite italien, d'en publier aussitôt l'apologie et de le faire réim-
primer à Venise (1761, 3 vol. in-fol.). On en a donné une autre édition
à Ingolstadt en 1768, et une dernière à Rome en 1844 (2 vol. in-fol.) .
BUTLER (Joseph), philosophe et théologien anglais, naquit à Wantage
(Berkshire), en 1692, dans une famille presbytérienne, se rattacha vers
BUTLER 487
l'âge de vingt-et-un ans à l'Elise anglicane, devint successivement
pasteur de campagne, chapelain de cour, prébendaire de Rochester,
évoque de Bristol el doyen de Saint-Paul de Londres et mourut en 17ôv2,
deux ans après avoir été promu à L'évéché de Durham, le plus riche
de tous Les siégea épiscopaux de l'Eglise anglicane. Accusé dans certains
écrits anonymes d'être mort dans la communion de F Eglise de Home,
il tut aisément vengé de cette absurde imputation par la réfutation
aussi énergique que loyale qu'en lit l'archevêque Secker, l'un de ses
plus anciens et de ses plus intimes amis. Butler était un penseur pro-
fond et un dialecticien consommé. Encore étudiant à l'académie libre
de Newkesbury, il avait eu avec le Dr Samuel Clarke, auteur d'un
traité célèbre sur Y Existence de Dieu, une correspondance au sujet de
quelques-uns des arguments à priori employés par Clarke pour démontrer
les attributs divins, et cette correspondance fut trouvée si intéressante
qu'elle a depuis figuré en appendice dans toutes les rééditions de ce
traité. Butler a publié des Sermons (1726) sur diverses questions de morale
et un ouvrage étendu intitulé : Analogie de la religion naturelle et révé-
lée avec la constitution et le cours de la nature (1736). Gomme moraliste,
Butler appartient à la même école queShaftesbury,Hutcheson et Smith,
c'est-à-dire à celle qui cherche dans les instincts de la nature humaine
le principe de détermination de nos devoirs. 11 occupe pourtant dans
cette école une place à part, par le soin qu'il met à constater chez
nous, à côté des tendances qui sont ou personnelles ou sociales, l'exis-
tence d'une faculté morale à laquelle appartiennent le discerne-
ment du bien et du mal et le gouvernement de notre vie entière.
L'apologétique de Butler est dans un rapport étroit avec sa morale :
comme il a montré, dans ses Sermons, que la vertu consiste à suivre
la nature, il établit dans son livre de V Analogie que l'homme religieux,
le chrétien, qui vit en vue de la vie à venir, suit les plus sûres indica-
tions qu'on peut tirer de l'expérience de la vie présente. Ce livre est
un essai d'application de la méthode baconienne (l'expérience inter-
prétée par la raison) à la preuve de la religion. Notre auteur distingue
la religion naturelle et la religion révélée : la première affirme Dieu
comme l'auteur et le conservateur de l'ordre moral ; la seconde le pré-
sente, dans les personnes du Fils et du Saint-Esprit, comme le répara-
teur de ce même ordre moral compromis par la chute de l'humanité.
Des devoirs positifs découlent de l'une comme de l'autre, et ce que veut
Butler, c'est, non pas démontrer spéculativement les dogmes de la re-
ligion soit naturelle, soit révélée, mais les élever à ce degré de proba-
bilité qui, dans les questions pratiques, suffit pour déterminer la con-
duite d'un homme raisonnable. Pour cela il considère les affirmations
religieuses (vie à venir, rétributions futures, révélation, rédemption)
comme autant d'affirmations de faits susceptibles d'être prouvées par
('argument analogique. Cet argument consiste à conclure de faits positifs
immédiatement connus à d'autres faits que l'expérience n'atteint pas
et qui ont avec les premiers quelque ressemblance, quelq ne analogie
évidente. Ainsi il est certain que chaque période de notre vie terrestre,
envisagée par rapport à celles qui la suivent, est une période d'épreu-
488 BUTLER
ves et de préparation : telle l'enfance par rapport à la jeunesse, la
jeunesse par rapport à l'âge mûr; il n'y a donc rien d'incroyable,
rien que de conforme à la nature des choses à ce qu'il en soit de
môme de l'ensemble de notre vie terrestre par rapport à notre exis-
tence future. Ainsi encore, dans le système de la religion révélée, la
doctrine centrale est celle de l'existence d'un médiateur entre Dieu
et riiomme venant réparer les fautes de ce dernier et le soustraire
aux conséquences de sa chute ; pour justifier cette doctrine, Butler en
signale les analogies avec ce qui se passe dans la vie ordinaire, où si
souvent l'homme est auprès de son semblable l'instrument des miséri-
cordes divines. Telle est l'argumentation de tout l'ouvrage. Sa conclu-
sion est toute pratique : puisque la religion est probable, puisqu'à tout
le moins il est possible qu'elle soit vraie, il est de la prudence la plus
élémentaire d'en remplir fidèlement toutes les obligations. Cette apo-
logie, unique en son genre, a porté coup parce qu'elle était en rapport
intime avec les besoins des esprits à l'époque où elle parut. On sait
dans quel discrédit, dans quel mépris était tombée la religion, en An-
gleterre, au commencement du dix-huitième siècle. Butler la repré-
senta comme respectable et ses preuves comme dignes de considéra-
tion. Aux déistes inconséquents et frivoles de l'école de Bolingbroke, il
montra que la croyance au Dieu de la nature est solidaire et insépara-
ble de la croyance au Dieu de la conscience, et que celle-ci à son tour
conduit à la croyance au Dieu de l'Evangile. Il justifia comme prudente
et raisonnable la conduite de l'homme religieux. Par rapport à son
temps et a ce but tout pratique qu'il se proposait, il réussit pleinement.
— Œuvres de Joseph Butler, éditées par Samuel Halifax, évêque de
Gloucester, Oxford, 1849 ; traduction française de VA nalogie, Paris, 1821
(très-mauvaise). Voyez Jouffroy, Cours de droit naturel, vol. II; Dic-
tion, des se. philos, de Frank, art. Butler. J. de Visme.
BUTLEPi (Alban), né à Appletre dans le comté de Northampton,
en 1710, fut envoyé à l'âge de huit ans au collège anglais de Douai. Il
y devint successivement professeur de philosophie et de théologie.
L'ouvrage qui a établi sa réputation est intitulé : Lives of the Fathers,
Martyrs and other principal Saints (5 vol. in-4°). Pendant un séjour qu'il
fit en Angleterre, il devint chapelain du duc de Norfolk et précepteur de
son lils qu'il accompagna dans an voyage en Flandre et à Paris. Plus
tard il fut nommé principal du collège anglais de Saint-Omer, et
mourut dans cette ville, le 15 mai 1773. On a aussi de lui : Letters on
the History of the Popes, published by M. Archibald Bower. C'est un
essai de réfutation cle Y Histoire des Papes d'Archibald Bower, qui avait
écrit cet ouvrage après être sorti du catholicisme.
BUTLER (Charles), neveu d' Alban Butler, né à Londres en 1750,
mort en 1832, fut élevé au collège cle Douai. A son retour en Angle-
terre, il se voua au barreau et fut le premier avocat catholique qui
profita des dispositions libérales de Georges III en 1791. La plupart des
ouvrages qu'il a écrits concernent des sujets religieux. Ainsi il con-
tinua la Vie des Saints de son oncle, et publia des Horx biblicx où il
s'attache à comparer avec la Bible les traditions religieuses des diffé-
BUTLER — BUXTORF 480
fente peuples. 11 se plaça à la tête du parti catholique modéré et essaya
de l'aire prévaloir des Idées de conciliation dans son célèbre Appel aux
protestants de la Grande-Bretagne et d'Irlande. Sa conduite lui attira la
considération générale. ■
BUTTLAR (Eve>, jeune et belle Hessoise, née en 1670, mariée à dix-
sept ans à un réfugié français, de Vésias, précepteur et maître de
danse à la cour d'Eisenach, mena pendant dix. ans une vie de plai-
sirs et de dissipation mondaine. Réveillée en 1097 par l'influence
du piétisme, elle quitta son mari et se mit à tenir des réunions
religieuses où, sous le masque d'une sainteté supérieure, ne tardè-
rent pas à se commettre les désordres de mœurs les plus révoltants.
L'aimable et séduisante inspirée fonda en 1702 la Société chrétienne
et philadelphique, dans laquelle elle se faisait aduler sous les noms de
« Porte du Paradis, Nouvelle Jérusalem, Sagesse venue du ciel, seconde
Eve, Saint-Esprit, » et, dans l'attente de l'avènement prochain du règne
millénaire, prêcha l'abolition du mariage, la communauté des biens,
la déchéance de l'Eglise, l'obéissance passive aux ordres de la nou-
velle prophétesse. Traquée par l'autorité civile, qui ne pouvait tolérer
de pareils scandales, la secte, après avoir trouvé un asile éphémère
dans le comté de Wittgenstein et à Lude, près de Pyrmont, dut se
dissoudre en 1706. Eve de Buttlar alla s'établir à Altona avec un de
ses nombreux amants spirituels, rentra dans l'Eglise luthérienne, et
mourut vers 1717.
BUXTORF, célèbre famille de savants. — I. Buxtorf (Jean) , né le
25 décembre 1564, à Camen, en Westphalie, étudia à Marbourg,
Herborn, où Piscator l'instruisit dans la langue hébraïque, Heidelberg,
Bàle, Zurich et Genève, et devint en 1591 professeur de langue
hébraïque à Bàle, où son mariage avec une petite-fille deCcelio Secundo
Curione le iixa définitivement, et où il mourut de la peste le 13 sep-
tembre 1629. Il fut père d'une nombreuse famille d'où sont sorties
plusieurs générations d'hébraïsants distingués, qui ont occupé pendant
près d'un siècle et demi la chaire d'hébreu de l'université de Bàle.
Buxtorf s'était voué avec passion à l'étude de l'hébreu, rassemblant
de toutes parts des livres en cette langue (sa belle bibliothèque,
augmentée par ses descendants, fut acquise en 1705 par la ville de
Bàle), entretenant une vaste correspondance avec des savants de
tout pays et avec plusieurs rabbins (8 vol. in-fol. et 1 vol. in-4° de
lettrés originales adressées aux Buxtorf, principalement à J. Buxtorf
fils, sont dans la bibliothèque de Bàle) , logeant même chez lui
des juifs instruits; aussi devint-il le premier hébraïsant de son
temps, l'initiateur dans la connaissance de la littérature rabbi-
nique, et le maître de qui releva pendant le dix-septième siècle la
théologie protestante pour tout ce qui concerne l'Ancien Testament.
Nous citerons ses principaux ouvrages, tous imprimés originairement
à Baie : ses lectures rabbiniques lui fournirent la matière d'un traité
d'archéologie religieuse des Juifs, intitulé: Synagoga judaica (en
allrin., 1603, souvent réimprimé jusqu'en 1729; traduit en lat. et en
holl.i, et de son traité De abbreviaturis hebraieis (suivi d'une étude sur
490 BUXTORF
le Talmud et d'une bibliothèque rabbinique, £613 et plusieurs l'ois
depuis, jusqu'en 1708). Ses ouvrages grammaticaux et lexicographi-
ques sont fort dépendants de la tradition des rabbins, mais la clarté
de l'exposition et leur méthode très-pratique leur acquirent une
influence prolongée, de sorte qu'ils marauèrent une étape dans
l'histoire des études hébraïques entre Reuchlin et Pagninus d'une
part et les philologues du dix-huitième siècle de l'autre ; Prœcepta
grammaticie hebraicx (1605, in-8°; très-souvent réimprimé sous le
titre à'Fpitome gram. hebr. jusqu'en 1710); Thésaurus grammaticw
Imguse kebr., 1609, in-8°; cet ouvrage capital eut plusieurs éditions
dont la dernière est de 1663 ; Lexicon hebrœo-chaldaicum , 1607, in-8°,
dont on compte une douzaine d'éditions jusqu'en 1735; Manuale hebr.
etchald. (qui est un extrait du précédent, 1612, in-12; souvent
réimprimé); Lexicon chald.-, talmud. et rabbinicum, 1639, in-fol. Cet
ouvrage, fruit de vingt années de travail assidu de Buxtorf père, et de
dix de son fils qui le publia, n'est pas seulement un lexique de toute
la littérature talmudique et rabbinique, mais encore une sorte de
dictionnaire encyclopédique dans ce domaine ; malgré ses imperfec-
tions, il est resté sans rival jusqu'à nos temps, où il subit même une
réimpression (revue par B. Fischer, Leipz., 1866-74, in-4°), tandis que
le rabbin J. Lévy publiait un travail original analogue (Leipz., 1866-
68, 2 vol. in-4°) ; Concordantiœ Bibliorum hebraicœ, 1632, in-fol.; cette
œuvre utile, achevée et publiée par son fils, est bien supérieure aux
travaux antérieurs de Nathan et de Calasio ; elle a été réimprimée
récemment par B. Baer (Berlin, 1862-63, in-4°) ; Fûrst en a livré un
remaniement excellent (Leipz., 1840, in-fol.). En 1612 Buxtorf avait
déjà donné avec l'aide d'un rabbin une édition de la Bible hébraïque
soigneusement revue ; sur cette base il publia sa grande Bible rabbi-.
nique (Biblia sacra hebraïca et chaïdaica cum Masora, etc., 1618-20,
4 tomes in-fol.), qui, outre un texte minutieusement établi, contient
les paraphrases chaldaïques, les commentaires des principaux rabbins,
etc. En même temps il publiait un ouvrage fondamental pour la
connaissance de la massore (Tiberias seu Commentarius masorethicus,
1620,in-4° et in-fol.; nouv. éd., revue et fort augmentée par son fils et
publiée par son petit-fils, 1665, in-4°); Buxtorf s'efforçait entre autres
d'y prouver l'antiquité des voyelles et des accents de l'Ancien Testa-
ment, pour en déduire la certitude et la pureté du texte sacré; opinion
que Louis Cappel attaqua dans son Arcanum punctationis revelatum,
1624, et que Buxtorf le fils défendit, à défaut de son père, alors que
cette question était devenue le sujet d'une longue et ardente polémique.
— Sources sur Buxtorf père : D. Tossanus, J. Buxtorfii senioris vita
et mors, Basil., 1630, in-4° (reprod. dans H. Witten, Mémorise philoso-
phorum, Francf., 1677, dec. III, p. 306-324); J. Baldovius, Oratio de
/. Buxtorfii laboribus, Helmst., 1639, in-4°; Buxtorf-Falkeisen, Joh.
Buxtorf Vater, erkannt aus seinem Briefivechsel, Basel., 1860, in-8°.;
Bnicker, Ehrentempel, 1747, t. I; Harzheim, Bibliotheca coloniens.,
1747; Steinschneider, Bibliographisches Handbuch fur. hebr. Sprach-
kunde, 1859. — Les auteurs suivants sont à consulter sur Buxtorf père
BUXTORF 191
el ses descendants : Hailer, Bibl. i. Scàw. GeadL, t. II, n. 570-5; F relier,
Tkealrum virorum d<»c/.: Nieéron, Mémoires, t. XXXI; Zedler, Lexûxm,
t. IV: Leu, ScÂweitL Lexicon,t. IV, el Holzhalb, Supplem^ t. I;
(Herzog), Athenx Rcurïcx, 1778; Rosenmùlier, Handbuch <l. bibl.
Kritik; Meyer, Geêcà, d. Scàrifteràherumg, t. III; Bertheau dans
V Encyclopédie de tierzog, t. II; Siegfried dans A llyem. Deutsche Bm-
grepÀïe, t. III, Leipz., 1870.
IL Buxtorf (Jean),fUs du précédent, naquit à Bâle, le 13 août 1590,
apprit de très-bonne heure le latin, le grec et l'hébreu, lit ses études
à Bâle, à Heidelberg et à Dordrecht, et les compléta par des voyages
en Hollande, en Angleterre et en France; après avoir exercé le minis-
tère pastoral à Baie depuis 1624, il remplaça en 1630 son père dans la
chaire de langue hébraïque, à laquelle il joignit en 1647 celle de
dogmatique que Ton créa pour le retenir à Bâle; il échangea
en 1654 cette dernière contre celle d'exégèse de l'Ancien Testament.
Il mourut dans cette ville le 17 août 1664, laissant de ses quatre
mariages deux fils, dont le second continua à Bâle les traditions stu-
dieuses de sa famille. Son érudition rabbinique et sa connaissance de
Thébreu lirent de Buxtorf un digne successeur de son père, dont il
mena à bonne fin plusieurs travaux inachevés et de plusieurs ouvrages
duquel il publia de nouvelles éditions augmentées. Il prit une part
importante aux polémiques théologiques de son temps dans lesquelles,
comme le dit M. Siegfried, il mit une érudition profonde et une
grande pénétration au service d'une cause insoutenable : la doctrine
de son père sur l'antiquité des voyelles hébraïques avait été attaquée
en 1624 par Louis Cappel ; Buxtorf le fils y répondit d'abord sur un
point spécial [Disscrtatio de literarum heor. genuina antiquitate, 1643,
in-i°), cherchant à prouver que les caractères hébraïques ordinaires
dits carrés étaient plus anciens que ceux dits samaritains; Cappel
répliqua {Diatribe de veris et antiquis Ebrxorum literis,Amst., 1645, in-
12). Buxtorf s'attaqua alors au point essentiel de la dispute (Tractatus
de punctorum vocalium et accentuum origine, antiquitate et autoritate,
1648, in-4°) dans le but de démontrer que l'autorité divine et l'inspi-
ration du texte de l'Ancien Testament n'avaient pas trait seulement
aux consonnes, mais aussi aux voyelles, doctrine qui fut vivement
discutée et qui prévalut quelque temps officiellement dans les Eglises
réformées de la Suisse, grâce à la Formula consensus de 1675. La
réplique de Cappel ne parut qu'en 1689, longtemps après la mort des
deux adversaires. Mais Cappel, dans un ouvrage de longue haleine,
fruit d'un travail de trente-six ans {Critica sacra, Paris, 1650, in-fol.),
avait porté le débat sur un sujet encore plus important; suivant avec
plus de mesure la voie ouverte par Jean Morin, Cappel, prenant le
texte hébreu dans son ensemble, et non plus seulement dans les
voyelles, prouvait qu'il n'avait point été miraculeusement préservé
dans son intégrité, comme l'orthodoxie le voulait, mais (pie, comme
tout autre texte ancien, il avait subi des altérations de détail auxquelles
la science devait chercher à remédier. Buxtorf lui répondit avec
érudition et souvent avec succès sur des points secondaires, mais en
492 BUXTORF — BUZENVAL
somme insuffisamment dans son ouvrage capital (Antzcritica, seu vindicùe
veritatis hebraicœ, 1653, in-4°). Parmi les autres ouvrages de Buxtorf
nous citerons encore : Lexicon chald. et syr., 1622, in-4°; Maimomdis
Doctor perplexorum ex hebr. in lat. translatus, 1629, in-4° ; Liber Cosri,
hebr. et lot., 1660, in-4° ; enfin deux recueils de dissertations diverses:
Exercitationes ad histGriam. Arcse fœderis, etc., 1659, in-4° ; Disse?*ta-
tiones p/iiloloyico-t/ieologicx, 1662, in-4°. — Sources : Outre celles
indiquées pour son père :L. Gernler, Oratio pa?'entalis Joli. Buxtorfii,
Basil., 1665, in-4°; Schelhorn (Amœnitates literariœ, t. XIV, Francf.,
1731) a publié plusieurs lettres de lui.
III. Buxtorf (Jean-Jacques), fils du précédent, naquit à Bàle, le
4 septembre 1645, et fut instruit dans les lettres hébraïques par son
père, dont la succession comme professeur d'hébreu lui fut assurée
déjà du vivant de ce dernier ; fort apprécié des savants ses contem-
porains, il est moins connu de la postérité, n'ayant publié qu'une
nouvelle édition de la Tiberias et de la Synagoga judaica de son grand-
père; il mourut le 1er avril 1704. — Sources : Outre celles citées plus
haut : S. Werenfels, Vita Jo. Jac. Buxtorfii, Basil., 1705,in-4° (repro-
duite dans les diverses éditionsde ses Opuscula theologica philos., etc.).
IV. Buxtorf (Jean), neveu du précédent et petit-fils de Jean Bux-
torf II ; né le 8 janvier 1663, il succéda à son oncle dans la chaire
d'hébreu et mourut le 19 juin 1732. Outre plusieurs ouvrages de
moindre importance, il publia un choix intéressant de lettres de divers
savants à Jean Buxtorf le père et le fils (Catalectaphïlologico-theologica,
1707, in-8°), publication dont il avait promis une suite qui est restée
inédite. A. Bebnus.
BUZENVAL (Paul Çhoart, sieur de). Entré en 1583 clans la carrière
diplomatique, il fut, en 1585, accrédité, à titre d'ambassadeur, auprès
de la reine d'Angleterre. De 1592 à 1607, il résida au même titre dans
les Provinces-Unies. Au moment où il désirait rentrer en France,
Henri IV (Bec. de ses lettres, in-4°, t. VII, p. 20) écrivit aux Etats-Géné-
raux desdites provinces : « Très-chers et bons amys , la procédure
et la sincérité du sieur de Buzenval nous estant cognues, nous esti-
mons que pendant qu'il a résidé de nostre part près de vous, vous
n'aurés eu que tout subject d'en demourer très-contents et satisfaits. »
De Buzenval ne put pas revoir sa patrie : le 31 août 1607, il rendit le
dernier soupir, à La Haye, dans l'hôtel de la princesse douairière d'O-
range, Louise de Goligny. Cette excellente princesse présida, à vrai
dire, aux solennités funéraires. Le deuil fut général en Hollande. « La
chrétienté, s'écria Casaubon, en apprenant la mort de Buzenval, a
perdu en lui un homme habile, qui avait une grande pratique des
affaires. Le roi a perdu un fidèle ministre, l'Eglise de Dieu un homme
excellent et très-zélé pour la pure religion, et moi un ami qui ne m'é-
tait pas attaché par de faibles liens, à savoir une conformité de piété
et l'amour des lettres. » Une étroite amitié unissait de Buzenval à Du-
plessis-Mornay. Une volumineuse correspondance, qui s'étend de 1583
à 1607, atteste non-seulement la vigueur d'intelligence et la sagesse
avec lesquelles ces deux hommes recommandables maniaient les affaires
BUZENVAL — BYBLOS 493
politiques, mais aussi l'élévation de sentiments qui présidait à leurs
intimes relations. Un intérêt saisissant s'attache à la lecture de la plu-
part de leurs lettres. Duplessis-Mornay s'y montre, comme ailleurs,
sous les principaux aspects de son noble caractère. Moins générale-
ment connu «pie ce grand homme, de Buzenval s'y révèle comme un
négociateur expérimenté, plein de déférence pour les conseils de son
illustre ami. et surtout comme un homme de cœur et de dévouement;
témoin, entre tant d'autres, ce passage d'une lettre adressée par lui,
vers la lin de sa carrière, à madame de Mornay : « Je ne puis rien of-
frir à M. Duplessis, car tout ce qui est en moi est sien ; mais si, par
adventure, il a voit oublié la puissance qu'il a sur moi ou que sa dis-
crétion ne lui permit d'en user aussi librement qu'il peut, faictes-moi
cet honneur, madame, de le lui ramentevoir et de me commander
en quoi il se voudra servir de moi; » témoin encore la lettre, si pro-
fondément sympathique, du 1er novembre 1605, que reçut de lui Du-
plessis-Mornay, alors qu'un immense deuil de famille déchirait son
cœur et celui de sa digne compagne. On peut peindre d'un trait de
Buzenval, en disant de lui : que si sa vie publique fut celle d'un homme
d'Etat distingué, sa vie privée fut celle d'un homme doué de ces
grandes qualités du cœur, que rehausse et féconde, dans leur expan-
sion, le sentiment religieux. — Voir : 1° Lettres de M. de Buzenval,
ambassadeur en Hollande, 2 vol. in-f°, Bibl. nat., mss. f. fr., vol.
7112. 7143; 2° Négociât, du président Jeannin; lettres des 3, 11, 2i sep-
tembre 1607 de Jeannin et de Russy au roi, sur la mort et les obsèques
de Buzenval ; 3° Rec.des lettres de Henri IV, 7 vol. in-4°; 4° Mémoires et
correspondance de Duplessis- Mornay, in-8° ; 5° de Thou, Hist. univ.,
t. VIII, p. 783 ss.; t. IX, p. 199 ; t. X, p. 214 ; 6° M. Yreede, Lettres et
négociât, de Paul Choart, sT de Buzenval, etc., Leyde, 1846, in-8° ;
7° Haag, Fr. prot., v° Choart. J- Delaborde,
BYBLOS, anciennement Gebal (Guba-lu des inscriptions cunéi-
formes). Byblos est une altération de l'époque grecque, mais l'ancien
nom a persisté jusqu'aujourd'hui sous la forme Gebeil. Byblos était
célèbre par son temple de Baaltis et par le souvenir d'Adonis. C'était
une sorte de ville sainte, un lieu de pèlerinage où l'on se rendait de
très-loin. M. Movers a même soutenu (pie les Giblites n'étaient pas des
Phéniciens purs, mais bien un mélange de populations où l'élément
hébreu prédominait. L'inscription dont il sera question plus loin sem-
ble confirmer, dans une certaine mesure, cette théorie; le style se rap-
proche plus de l'hébreu que celui des inscriptions phéniciennes ordi-
naires. La Bible mentionne les Giblites comme d'habiles constructeurs
(1 Bois Y, 32; Ezech. XX Vil, 9). Salomon les employa. M. Renan, lors
de sa mission en Phénicie, a mis au jour une partie de l'ancien temple
de Baaltis, ainsi (pie des bas-reliefs (h; style égyptien, qu'accompa-
gnai! un fragment d'inscription hiéroglyphique f \fiss. de Phénicie,
p. 153-180). Plus récemment encore, et à quelques mètres de là, on a
déterré une inscription phénicienne de la plus haute importance qui a
été publiée depuis par .M. de Vogué (Stèlede Yehawmelek, Paris. LÔapr.
Nat, 1875). C'est la stèle dédicatoire du temple de Byblos, par Yehaw-
494 BYBLOS — BYKON
melek, roi de Byblos, fils de Yahdibaal, petit-fils d'Urimelek (?),roi de
Byblos, à la Baalat de Byblos. Ce temple est certainement celui qui est
ligure sur deux monnaies frappées sous Macrin, et qui est attribué par
Fauteur du De Dea Syria à Vénus et Adonis, et par Plutarque à Isis et
Osiris. La Baalat Gebal, « la dame de Byblos, » n'est autre que la
déesse Baaltis des auteurs grecs. L'inscription est surmontée d'un bas-
relief de style égyptien qui la représente sous les traits d' lsis ou d'Athor.
Byblos a été la patrie de Philon de Byblos, qui nous a conservé les
fragments de la mythologie phénicienne de San-Choniaton. U après ce
dernier, Byblos était la ville la plus ancienne du monde et avait été
fondée par Baalkronos. Tous ces renseignements nous permettent d'ap-
précier le caractère antique et sacré de Byblos, mais laissent encore
planer bien des doutes sur son histoire. Ph. Beegee.
BYNiEUS (Antoine), théologien hollandais, né à Utrecht le 0 août
1654, étudia sous la direction du philologue J.-G. Graevius et de l'hé-
braïsant Leusden ; après avoir été pasteur quelques années, il devint
en 1694 professeur de théologie et de langues orientales à Deventer,
où il mourut le 8 novembre 1698. 11 s'occupa principalement de ques-
tions d'archéologie sacrée, et publia entre autres trois ouvrages dont
on vante l'érudition : 1° De calceis Hebrœorum (Dordrecht, 1682, in-12;
nouv. éd. augm., ib., 1695, in-4p), savant traité sur la chaussure des
Hébreux, reproduit dans Ugolini Thésaurus, t. XXIX; 2° De natali
Jesu Christi, Amst., 1689, in-4°, dans lequel il étudie toutes les cir-
constances de la naissance et de la circoncision cle Jésus ; 3° De morte
Jesu Christi, Amst., 1691-98, 3 vol. in-4°; recherches érudites sur
l'histoire de la passion, qui avaient paru d'abord en hollandais. —
Sources: Nicéron, Jimoz'm, t. VII; Paquot, Mémoires pour Fhist, littér.
des Pays-Bas, éd. in-fol., I, p. 369. A. Bernus.
BYRON (Georges Gordon, lord) fut dans la littérature anglaise, au
commencement de notre siècle, le plus grand de ces écrivains et de
ces poètes qu'on avait désignés d'abord sous le nom de mélancoliques
et qui finirent par devenir les désespérés. Vers 1792, à la suite d'une
réaction contre la littérature classique, apparaissait l'école moderne
anglaise. En même temps que les écrivains en prose, s'inspirant avec
Walter Scott du moyen âge et s 'engageant dans une voie nouvelle,
se faisaient romantiques, la poésie subissait une transformation sembla-
ble, et l'école des lacs (LaJce school) depuis Cowper et Burns jus-
qu'aux plus récents restaurateurs de ballades, Coleridge, "Wordsworth,
Thomas Moore, Beattie, parcourait la série entière des rêveries et des
idées mélancoliques. Byron, qui les a imités à ses débuts, ne tarda pas
à sortir du cadre un peu étroit dans lequel ils s'enfermaient et à puiser
une nouvelle inspiration dans les littératures étrangères. 11 eut au plus
haut degré ce qu'on a appelé la maladie du siècle, Y ennui, et le dégoût
de la vie sociale. Chateaubriand fait remarquer que le public connais-
sait son René avant Childe-Harold. Mais si Manfred , Childe-Harold,
sont, comme Obermann, des frères de René, ils font surtout partie
d'une famille qui remonte, en passant par Ossian et Werther, jusqu'à
Bernardin de Saint-Pierre et à J,-J. Bousseau, c'est-à-dire jusqu'aux
BYRON 495
Etudes de la naturel aux Rèverks du promeneur solitaire. Tous ceux qui
se rattachent à cette famille «Tespiits ont un trait commun : au lieu de
s'effacer, à l'exemple de Shakespeare ou <le Corneille, devant leurs
créations, ils se mettent eu\-inèmes en scène, vivant clans leurs héros,
et ces héros sont ordinairement desrévoltés plus grands que la société
qui les repousse, des infortunés qui savent se mettre par la volonté et
la force morale, mais non sans souffrir cruellement, au-dessus de
leur malheur. Faut-il, en présence de certains égarements étranges et
profonds, répéter ce qu'un pape disait de Benvenuto Cellini convaincu
de meurtre, que k les hommes uniques dans leur art ne doivent pas
être soumis aux. lois »? La société anglaise des vingt premières années
du dix-neuvième siècle ne le pensait pas, et il faut avouer que la vie
de Byron eût semblé peu édifiante, même à des juges moins sévères
que les torys et les méthodistes de son temps. —Né en 1788, à Londres,
il publie déjà à dix-sept ans, en 1805, un premier recueil de poésies,
ses Hours of idleness (Heiwes d'oisioeté), et comme la critique a mal
accueilli cet essai, il se venge en écrivant bientôt après sa satire En-
qlish bords and Scotch -revieiver s, qui le fait connaître. En 1811, après
un voyage de deux années, ayant visité le Portugal, l'Espagne, F Italie,
la Grèce, il donne au public, avec le plus grand succès, les deux pre-
miers chants du Pèlerinage de Childe-Harold. « Je m'éveillai un matin,
dit-il. et je me trouvai fameux. » Mais c'est alors aussi que les fautes
commencent. Une vie de débauche, l'admiration hautement exprimée
pour Napoléon, odieux alors à toute la nation anglaise, un mariage
bientôt suivi de séparation (pour incompatibilité d'humeur, disait-on
autrefois, et on vient de dire plus récemment, mais sans preuves, pour
révoltante immoralité du mari), enfin l'adieu définitif qu'il dit à sa
patrie en avril 1816, tout se réunit pour le rendre impopulaire et le
pousser à la révolte contre une société qui l'accable de ses injures et
qui le calomnie. A Genève, de fréquents entretiens avec Shelley, poète
rêveur et matérialiste que son athéisme, ses idées antisociales touchant
l'absolue démocratie et le partage des propriétés ont également con-
duit à s'exiler, augmentent encore sa mélancolie et donnent à ses ré-
flexions une couleur chaque jour plus sombre. « J'étais à demi fou,
a-t-il écrit, quand je composai le troisième chant de Childe-Harold,
entre la métaphysique, les montagnes, les lacs, un désir inextingui-
ble, une souffrance inexprimable et le souvenir de mes propres
égarements. » Autant l'Angleterre de ce temps-là, rigoriste et puri-
taine, avec sa tendance naturelle à la vie active, aux mœurs sévères,
au respect de la religion, devait inspirer d'éloignement à un poète de
ce caractère, autant l'Italie, avec sa vie oisive, ses mœurs relâchées,
sa recherche passionnée du bonheur présent et des jouissances, devait
l'attirer et lui plaire. En effet, c'est à Venise, à Fisc, à Havenne qu'il
donne encore au public Manfred, inférieur, si l'on se place à un pointde
vi;c philosophique, au Faust de Goethe, mais, au moral, plus grand et
plus fort que lui, le quatrième chant de Childe-Harold, et enfin l)on
Juan, le poème préféré, l'arme de guerre du révolté contre la société
en général, et surtout contre cette société anglaise coupable de tyrannie
496 BYRON
et d'hypocrisie qui lui a imposé l'exil et qui sacrifie tout au cant, « pé-
ché criant dans ce siècle menteur et double d'égoïstes déprédateurs. »
Puis, cela fait, fatigué de tout, môme d'écrire, curieux de nouvelles
émotions et voulant se retremper dans la vie active, il se rend en
Grèce pour répondre à l'appel des partisans de la révolution et ter-
mine sa vie à Missolonghi, le 19 avril 1824. Les amis de Byron pen-
saient et ses admirateurs aujourd'hui se plaisent à répéter que, s'il eût
vécu, une sorte de régénération et de vita nuova aurait commencé
pour lui à la révolution grecque. L'un de ses biographes français (Lord
Byron, Histoire d'un homme, par M. de Lescure, Paris, 1866), com-
mettant un singulier oubli des vrais principes et du sens moral, fait
même remonter, pour son poète, ce goût et cet essai de vie nouvelle
jusqu'en 1820 et en 1821, date de sa querelle et de son procès avec le
comte Guiccioli. Mais ce Byron transformé n'a jamais existé que dans
l'imagination de ces amis du poète. L'homme vrai, avec ses exagéra-
tions voulues, pour étonner le public anglais qui le prit au mot, avec
sa douleur étudiée, sa fièvre due autant, pour dire le moins, à la dis-
sipation qu'à une maladie naturelle de l'âme, -c'est Lara, le Corsaire,
Manfred , Childe-Harold , Don Juan , l'être humain malheureux, en
proie au spleen, exilé, sceptique, révolté. 11 est cependant permis de
croire que tout n'était pas affecté dans cette douleur. On s'est de-
mandé quelles pouvaient être les causes de cette maladie, qui a été
assez longue, assez générale pour être appelée un peu plus tard la ma-
ladie du siècle. C'est, a répondu M. Taine, qu'au dix-huitième siècle
la foi avait disparu et qu'on n'avait pas encore une foi nouvelle ; c'est
que la démocratie excitait nos ambitions sans les satisfaire et que
la philosophie éveillait notre besoin de savoir sans le contenter. La
désespérance a été peut-être une maladie pour quelques esprits, mais
elle a été, pour le plus grand nombre de ceux qui ont prétendu l'é-
prouver, une mode. Pour Victor Hugo, dans ses Odes, le poète était tou-
jours « l'auguste infortuné que son âme dévore ». Lamartine et
Alfred de Musset furent byronniens à leur début. En Angleterre, en
France, les étudiants et les jeunes poètes devenaient presque tous, à
leurs propres yeux ou devant le public, des malades destinés à une
mort prochaine, des poitrinaires, de sombres infortunés qui ne pou-
vaient même plus se soulager par des larmes, et, conséquence fâcheuse,
il s'établissait dans leur pensée une association absurde entre la vi-
gueur intellectuelle et la dépravation morale. Ce fut, en effet, une
maladie, mais on peut constater aujourd'hui qu'elle a presque en-
tièrement disparu. — Voyez : Thomas Moore, Mémoires, 1828, 5 vol.;
Medvvin, Co?ivcrsations de lord Byron, 1825, 2 vol. ; Macaulay, Essais
littéraires ; Chateaubriand , Littérature anglaise; Philarète Chasles,
Etudes sur la litt. et les mœurs de l'Angl. au dix-neuv. siècle; Taine,
Hist. de la litt. angL, 1866, 4 vol. ; B. Laroche, trad. des Œuvres com-
plètes de lord Byron, Paris, 1847 ; Edm. de Guérie, Byron et set der-
niers critiques, Revue chrétienne, XXII, p. 535 ss., avec le récit de la
controverse qui s'est élevée au sujet de la moralité de Byron par
suite des révélations faites par lady Byron à madame Beecher-Stowe.
J. Aeboux.
BYZANOE — CABALE 497
BYZANCE. Voyez Constanfinople.
BZOVIUS (Abraham), dominicain polonais (1567-1637). Dont'' (Tune
facilité prodigieuse, il fut tour à tour professeur de philosophie et de
théologie en Italie, prédicateur et prieur de son ordre à Cracovie, puis
historiographe quasi-officiel de l'Eglise. Il lit imprimer un nombre in-
croyable de volumineuses compilations, dont la plus curieuse est son
Pontifes romanus, seude praestantia, officio}autQritate, virtutibus, felici-
t'itr, rébus prasclare gestis summoiitm pontificum a D. Petro usque ad Pent-
ium V commentarius (Cologne, 1619, in-l'ol.), réimprimé dans le premier
volume de Roccaberti, Bibl. Pontif. Un Abrégé de l'Histoire ecclésiasti-
que tiré des Annales de Baronius le lit désigner pour continuer ce grand
ouvrage. 11 en rédigea neuf volumes (XIII à XXI), qui vont de 1198
à 1o(k> (Cologne, 1(316-30, in-fol.). Michel Hercule le continua jus-
qu'en 1572. Bzovius mit autant de zèle, mais moins d'habileté que son
prédécesseur, à défendre les doctrines ultramontaines. Les injures dont
il poursuivit la mémoire de l'empereur Louis V de Bavière à cause de
ses démêlés avec les papes Jean XXII et Clément VI, effaçant son nom
de la liste des empereurs et mettant aux trente-trois ans de son règne
(1314-1347) Y empire vacant, lui attirèrent des poursuites de la part de
Télecteur de Bavière qui le força à se rétracter publiquement. Sa par-
tialité choquante en faveur de son ordre, qui fit dire qu'il écrivait
plutôt l'histoire des dominicains que celle de l'Eglise, souleva contre
lui les cordeliers et après eux les jésuites qui mirent tout en œuvre -
pour l'empêcher d'insérer dans ses annales le travail de Fra Paolo sur
le concile de Trente. Du reste Bzovius semble aussi dépourvu de sens
critique que d'impartialité, et si jamais l'érudition de Bayle fut oi-
seuse, c'est dans la notice considérable qu'il lui a consacrée.
CABALE. La théosophie juive appelée la Cabale se donne pour une
révélation communiquée par Dieu à Abraham, selon les uns, à Adam,
selon d'autres, et transmise ensuite par une chaîne non interrompue
d'initiés. C'est de là que vient le nom par lequel on la désigne, le
mot hébreu Cabbala signifiant tradition, ou ce qui se conserve par
tradition, du verbe cabal qui, au pihel qibbel, a le sens de recevoir par
transmission. Cette légende mise de côté, on peut regarder comme
certain que les spéculations philosophiques qui composent la Cabale
commencèrent à se former pendant le siècle antérieur à l'ère chré-
tienne, et ne furent enseignées pendant longtemps que de vive voix et
sous h- sceau du secret, à un petit nombre de disciples. Il est fait men-
tion en ell.'L dans la Mischna de la Maassé Bereschith, interprétation
allégorique du récit de la création dans le premier chapitre de la Ge-
nèse, et de la ftfaassé Mercaba, interprétation également allégorique
de la vision du chariot, rapportée au chapitre premier d'Ezéchiel (c'est
le thème et la base même delà Cabale), etily enestparlécomme d'une
doctrine secrète, qu'il n'est permis d'expliquer qu'à une ou deux pér-
il 32
41)8 CABALE
sonnes seulement, et encore après s'être assuré de leur caractère et de
leur intelligence (C/w/jifja, 11, 2). On sait d'un autre côté que, dans
le courant du siècle antérieur à r avènement du christianisme, il s'é-
leva dans la Judée des plaintes sur l'abus qu'on faisait du premier cha-
pitre de la Genèse et du premier d'Ezéchiel, et que, pour mettre un
terme à des explications qu'on regardait sans doute comme dangereuses
pour les opinions reçues, on prit le parti d'interdire la lecture de ces
deux passages de la Bible à quiconque n'avait pas atteint l'âge de rai-
son (trente ans). Ces plaintes se rapportaient évidemment à la Cabale
naissante, et la mesure qu'on prit avait pour but d'en arrêter ou du
moins d'en rendre plus difficile la propagation. — La plus ancienne
exposition par écrit qui soit connue de cette théosophie, se trouve dans
un petit ouvrage d'une douzaine de pages à peine, portant le titre de
Sépher Jetzira (Livre de la création). La langue en est un hébreu qui
est tout à fait analogue à celui de la Mischna. Cette circonstance sem-
ble une preuve décisive que cet opuscule fut composé de la fin du
second siècle avant Jésus-Christ au commencement du troisième de
l'ère chrétienne. On l'attribue d'ordinaire à Akiba (mis à mort en 135);
mais il est difficile de croire que ce rigide et fougueux docteur de la
Loi ait été d'un caractère à se plaire à la culture d'abstractions spécu-
latives telles que celles dont le Sépher Jetzira est rempli. Cet écrit se
compose d'une série d'affirmations, dont le maître donnait sans doute
l'explication à ses disciples dans des leçons orales, mais qui ne seraient
pour nous que des énigmes indéchiffrables, si nous n'avions pour nous
guider d'un côté les commentaires qu'on en a faits et d'autres ouvrages
plus développés dans lesquels des cabalistes postérieurs ont exposé
la doctrine de leur école, et d'un autre côté les systèmes, fort nom-
breux d'ailleurs, dans lesquels, en d'autres temps et d'autres lieux, on a
présenté avec plus de clarté des conceptions du même genre. Cette théo-
sophie appartient en effet à la famille des systèmes philosophiques qui,
identifiant les lois qui régissent le monde {or do et connexio rerum) avec
les règles logiques d'après lesquelles s'enchaînent les conceptions de l'es-
prithumain (ordoet connexio idearum), veulent expliquer tout ce qui existe
par une évolution de l'Être, et d'après lesquels il n'existe que l'Être et
ses diverses manifestations, Deus et modi essendi Dei, selon l'expression
de Spinosa. Avec ces secours on peut espérer de saisir, sinon peut-être
le sens de tous les détails, du moins la marche générale des doctrines
de la Cabale. Le Sépher Jetzira se divise en deux parties. La première
porte ce titre spécial : Les trente-deux voies de la sagesse. Elle a pour
but de décrire l'évolution de l'Être (de Dieu) en lui-même, c'est-à-dire
de montrer comment l'Être, qui n'est pas cependantencore l'être, mais
qui est ce qui peut le devenir, prend conscience de lui-même, ou, dans
un langage plus conforme à ce genre de systèmes, comment l'Être vir-
tuel passe à l'état d'Être réel, ou bien encore, comment l'indéterminé
(en hébreu a in, niliil) arrive à se déterminer comme principe unique
de tout ce qui peut et doit exister (le Zohar fait remarquer que « Dieu
en soi n'est rien de déterminé et qu'il est même en dehors de ce que
dans le langage humain on appelle quelque chose »). La seconde partie
CABALE 499
porte plus particulièrement le litre de Sépher Jetzira (Livre de la créa-
tion ,el c'est en effel ici que commence ce que dans le langage vulgaire
on appelle la création, c'est-à-dire la série des manifestations de Dieu.
il 3 est question de l'évolution de l'Être en dehors de lui-même, si on
peut ainsi dire, puisque dans le système il n'y a rien en dehors de l'Etre
ou de Dieu ; ou, en d'autres termes, on y décrit comment s'opèrent les
manifestations de Dieu, sous les formes diverses des êtres et des choses
dont L'ensemble compose l'univers, autant dans le monde intelligible
que dans le monde sensible. L'Être, une fois qu'il a pris possession de
lui-même par les trente-deux voies de la sagesse, se manifeste d'abord
comme pensée et comme parole. Gomme pensée (les dix séphiroth,
decem enumerationcs, symbole de l'abstrait), il est l'intelligible en
général, c'est-à-dire la conception de l'ensemble de tout ce qui peut
être : et comme parole (les vingt-deux lettres de l'alphabet hébreu, élé-
ments du langage), il est non plus seulement la conception d'ensemble
de toutes les idées générales, mais ces idées générales elles-mêmes,
se distinguant les unes des autres par des caractères spéciaux, c'est-à-
dire par des noms qui expriment ces caractères divers et qui sont
formés de combinaisons diverses des lettres de l'alphabet. Il y a évidem-
ment ici deux manières d'être, sinon entièrement différentes, du moins
distinctes. La Cabale les séparera plus tard l'une de l'autre, et en fera
deux phases successives, non quant au temps, mais quant à l'ordre
Logique, de l'évolution descendante de l'Être. Mais confondues ou
séparées, elles sont en somme l'équivalent de ce qu'on appelle dans le
langage platonicien (qui sur ce point est aussi celui de Philon), le
monde intelligible ou suprasensible. Puis ces conceptions idéales, re-
présentées dans leur généralité abstraite par les dix séphiroth, et dans
leurs déterminations en idées de genre par les vingt-deux lettres de l'al-
phabet, se reproduisent à leur tour, à un degré inférieur de l'existence,
sous la forme de ce que dans la philosophie platonicienne on désigne
sous le nom de monde sensible, c'est-à-dire sous les formes infiniment
variées des êtres individuels et des choses particulières. L'évolution
de l'Être s'arrête ici ; au-dessous de cemodus essendi Dei, de cette forme
d'existence du principe de vie, il ne peut y en avoir d'autres. On com-
prend en eiïètque, dans un système qui considère l'ensemble de tout ce
qui existe comme une série descendante de déterminations de plus en
plus précises de ce principe, l'évolution de l'Être ait atteint sa der-
nière limite quand elle est arrivée à ce qu'il y a de plus précis, de
plus étroitement déterminé, savoir les êtres individuels et les choses
particulières. — Telle est cette théosophie dans le Sépher Jetzira. En
un certain sens, ce n'est encore qu'une ébauche. Le principe, la mé-
thode et le cadre en sont déjà clairement indiqués; mais il y
manque bien des traits qu'on s'attendrait à y trouver, entre autres
L'importante question de la destinée humaine qui n'y est pas même
touchée. Ces détails et bien d'autres encore y furentajoutés plus tard,
probablement peu à peu; ils se présentent dans l'exposition bien plus
développée qui est laite de ce système dans l'ouvrage connu sous le
nom do Zohar d'éclat, la lumière;, titre qui dérive certainement de
500 CABALE
Daniel XII, 3. Sous sa forme actuelle, le Zohar est un recueil de dix-
neuf ouvrages, désignés chacun par un titre spécial, dus à des auteurs
différents et probablement de diverses époques, retouchés peut-être à
plusieurs reprises, et n'ayant entre eux d'autre lien que la doctrine
qui en fait le fond commun. On l'attribue à Simon ben Jochaï, disciple
d'Akiba; mais il est de beaucoup postérieur au Sépher. Jetzira; on en
a pour preuve la langue dans laquelle il est écrit et qui est celle des rab-
bins du moyen âge. Dans le Zohar, c'est toujours, comme dans le Sépher
Jetzira, l'être qui, absolument indéterminé dans le principe, se déter-
mine d'abord lui-même et se manifeste ensuite en des modes d'exis-
tence décroissants, semblable (comparaison fréquemment employée
par les cabalistes) à une lumière dont l'éclat diminue à mesure qu'elle
s'éloigne davantage de son foyer, ou encore (comparaison moins
familière toutefois aux adhérents de ce système) à des forces éma-
nant les unes des autres, mais s'affaiblissant graduellement et dans
la même proportion qu'elles sont plus loin de leur point de départ.
Mais tandis que, dans le Sépher Jetzira, la décroissance dans les
modes d'existence ou de manifestation de l'Être s'opère en trois mo-
ments, le Zohar, serrant de plus près le principe général de son
système, dédouble le second, qui, dans le Sépher Jetzira, se com-
pose de la pensée et de la parole, et nous parle de quatre mondes dif-
férents et successifs. C'est d'abord le monde des émanations ('olam
etsiloth, du verbe catsul, qui au pihel 'etsil signifie emanare ex
alto et se ab Mo separare certo modo), c'est-à-dire le travail intérieur par
lequel le possible (a in , nihii) devient réel (les trente-deux voies de la
sagesse du Sépher Jetzira). C'est ensuite le monde de la création
(olam beria, du verbe bara, qui au pihel signifie sortir de soi-même,
excidit), c'est-à-dire le mouvement par lequel l'Être, sortant de son
isolement, se manifeste comme esprit en général, sans qu'il s*y révèle
encore la moindre trace d'individualité; le Zohar désigne ce
monde comme le « pavillon qui sert de voile au point indivisible et
qui, pour être d'une lumière moins pure que le point, était encore trop
pur pour être regardé ». Le troisième monde est celui de la formation
('olam jetzira, du verbe jatsar, fingere, façonner, qui au pihel a le
sens passif de formari), c'est-à-dire le monde des esprits purs, des
êtres intelligibles, ou le mouvement par lequel l'esprit général se mani-
feste ou se décompose en une foule d'esprits individuels, distincts les
uns des autres. Enfin, le quatrième monde est celui de la production
('olam assija, du verbe assa, faire, au pihel conficere), c'est-à-dire
l'univers ou le monde sensible. Le Sépher Jetzira avait décrit comment
se fait l'évolution de l'Etre, « par un mouvement qui descend tou-
jours, )) depuis le plus haut degré de l'existence jusqu'au plus bas ; il
n'avait pas parlé de ce qui arrive ensuite, soit que la Cabale n'eût point
encore porté là-dessus ses méditations, soit qu'on n'eût pas jugé con-
venable d'en faire mention. Le Zohar nous apprend que le mouvement
d'expansion de l'Être est suivi d'un mouvement de concentration en
lui-même. Ce mouvement de concentration esi même le but définitif
de toutes choses. Les âmes (les esprits purs), tombées du monde de la
CABALE 501
formation dans celui de la production, rentreront dans leur patrie
primitive, quand elles auront développé toutes les perfections dont
elles portent en elles-mêmes le germe indestructible. Si elles ne
peuvent accomplir cette tâche dans une première existence terrestre,
elles en recommenceront une seconde, et après celle-ci, d'autres
encore, jusqu'à ce qu'elles aient acquis toutes les vertus qui leur sont
nécessaires. C'est ce qui est appelé le monde ou le cercle de la trans-
migration. Cette idée n'est pas mentionnée dans le Sépher Jetzira;
Philon ne s'en l'ait qu'une idée vague et incertaine, mais elle occupe
une place importante dans la théosophie de Plotin (elle se retrouve
dans les Triades bardiques, qui la tenaient, sans le moindre doute,
d'Origène). Ce ne sont pas seulement les âmes humaines qui, après
être tombées dans ce bas monde, doivent remonter au point d'où elles
sont parties, et delà plus haut encore, dans l'àme universelle, et enfin
dans le sein du principe premier; tout est destiné à rentrer dans le
nom ineffable. Samaël lui-même (le prince des mauvais esprits)
retrouvera son nom et sa nature d'ange. De ce nom mystique, la pre-
mière moitié disparaîtra (sam, qui signifie poison), et il ne lui restera
plus que la seconde partie (el, qui signifie puissant, ange, Dieu). Cette
réabsorption de l'Être en lui-même est l'expression de la doctrine du
rétablissement final; c'est le couronnement de la théosophie de la
Cabale.— Ce développement delà doctrine cabalistique, continué depuis
le Sépher Jetzira jusqu'au Zohar, fut bien certainement en grande*
partie le résultat d'un travail intérieur qui s'accomplit dans le sein de
cette école; mais on ne saurait douter qu'il n'ait été produit aussi en
partie par quelque influence de la théosophie judéo-alexandrine. Le
philonisme, en particulier, semble avoir été largement mis à contri-
bution. La psychologie du Zoha?- présente une ressemblance frappante
avec celle de Philon. Dans l'une et dans l'autre, l'intelligence de
l'homme (vojç) est faite à l'image de Dieu, et dérive du principe pre-
mier, directement, sans l'intervention d'aucun intermédiaire ; et dans
l'une et dans l'autre, c'est à cette circonstance qu'elle doit de posséder
la liberté morale et l'immortalité. La préexistence des âmes, leur chute
dans le monde sensible et dans la prison du corps, la nécessité pour
elles d'un relèvement sont desdoctrines communes à la Cabale du Zohar
et à la théosophie judéo-alexandrine tout entière. Enfin, la légitimité,
disons mieux, la nécessité d'une interprétation allégorique des saintes
Ecritures se fonde pour l'une et pour l'autre sur les mêmes considéra-
tions, et ces considérations ne se trouvent alors nulle autre part. « Les
récits de la Loi, dit le Zohar, sont le vêtement de la Loi. Malheur
à celui qui prend ce vêtement pour la Loi elle-même. Il y a des com-
mandements qu'on pourrait appeler le corps de la Loi; les récits défaits
vulgaires qui s'y mêlent sont les vêtements dont le corps est recouvert.
Les simples ne prennent garde qu'aux vêtements ou aux récits de la
Loi; ils ne voient pas ce qui est caché sous ces vêtements. Les hommes
plus éclairés font attention, non au vêtement, mais au corps qu'il en-
veloppe. Enfin les sages, les serviteurs du roi suprême, ceux qui
habitent les hauteurs du Sinaï, ne sont occupés (pie de l'âme, qui est
502 CABALE
la base de tout le reste, qui est la Loi elle-même. » Aristobule (Eusèbe,
Prsepar. evang., VIII, 10) et Philon (De opif. rnundi, §§ 14 et 56; De
Abrah., §§ 1-12 ; De co?igressu, §§8-31 ; Deprœmiis et pœnis, §11, etc. ; édit.
de Leipzig, 1828), s'expriment sur ce sujet en des termes presque iden-
tiques. Ce n'est pas à dire sans doute que la Cabale ait eu besoin des le-
çons et de l'exemple de la tliéosophie judéo-alexandrine pour se mettre à
interpréter allégoriquement l'Ecriture sainte. Ce serait une erreur pro-
fonde. Cette méthode d'interprétation a été pratiquée à la fois et dès le
principe parles deux écoles. Mais il pourrait bien se faire que les caba-
listes aient appris des judéo-alexandrins à la justifier et à la légitimer
aux yeux de la raison. S'il y a eu des emprunts ou, si l'on aime mieux,
des imitations, onnesaurait s'en étonner. La Cabale et la théosophie ju-
déo-alexandrine sont deux mouvements philosophiques parallèles et cor-
respondants. L'un a été dans la Judée exactement ce que l'autre a été
à Alexandrie. Ils vont dans le même sens; ils se sont produits l'un et
l'autre sous la pression des mêmes besoins de l'intelligence et du sen-
timent religieux, et en grande partie par réaction contre la réglemen-
tation à outrance qui était l'œuvre des écoles pharisiennes. Il convient
sans doute de tenir compte de l'action de la philosophie grecque sur
la formation de la théosophie judéo-alexandrine, quoiqu'il ne soit pas
prouvé que cette philosophie ait été entièrement inconnue à l'auteur
du Sépher Jetzira (comparez les trois termes pas lesquels se termine le
% 1 du chap. I de la seconde partie de ce livre avec Métaph. d'Aristote,
liv. XII, eh. 7; M. Franck tient cependant ces trois termes pour une
interpolation); mais d'un côté il faut bien reconnaître que, s'il n'y avait
pas eu dans la classe éclairée des juifs d'Alexandrie une certaine ten-
dance philosophique, le platonisme n'aurait pas exercé sur elle une
bien profonde impression; et d'un autre côté, on ne saurait admettre
que la théosophie judéo-alexandrine soit exclusivement le produit de
la philosophie grecque. La théorie des êtres intermédiaires entre Dieu
et le monde (la sagesse de la Sapience, les vertus divines d'Aristobule,
le Logos de Philon), théorie qui est le point central de cette théoso-
phie, lui vint incontestablement des écoles palestiniennes. Du moment
que, pour prévenir les fausses notions qu'auraient pu donner de la
nature spirituelle de Dieu, les théophanies, les anthropomorphismes
et les anthropopathies qui abondent dans l'Ancien Testament, comme
d'ailleurs dans tous les documents religieux des âges primitifs, on eut
substitué à l'action immédiate de Dieu celle d'agents divins dérivés et
subordonnés, la voie fut ouverte à la doctrine de l'émanation et à celle
de l'évolution du principe premier qui n'en est qu'une conception à la
fois plus simple et plus logique. Il ne fallait, pour y entrer résolument,
qu'un esprit spéculatif, et les esprits de ce genre ne manquent jamais
dans les temps et dans les lieux où le sentiment religieux domine exclu-
sivement. Ces êtres divins subordonnés et agents du principe premier
devinrent, dans la Judée, les séphiroths de la Cabale, tandis qu'à
Alexandrie ils furent identifiés avec le monde intelligible de Platon
(comme aussi avec les dieux fils de Dieu du Timée de ce philosophe).
La Cabale (et en même temps l'essénisme, qui offre des analogies mani-
CABALE — CADÈS 503
festes avec elle) et la théosophie judéo-alexandrine eurent certainement
une même origine; < * 1 1 * -^ sortirent, l'une aussi bien que L'autre, d
travail religieux et moral qui s'accomplit parmi les juifs dans les deux
siècles au t ('rieurs à l'avènement «lu christianisme, avec cette différent
toutefois que la connaissance plus approfondie que les théosophei
judéo-alexandrins eurent [de la philosophie grecque leur permit de
rattacher leurs spéculations à des systèmes bien connus, ce qui nous
en rend l'intelligence plus facile, taudis <jue les cabalistes ne purent
exposer leurs doctrines que sous la forme lyrique et métaphorique,
propre à leur langue et à leur race et fort éloignée de nos habitudes
dYsprit. de sorte tpie l'étrangeté du fond s'augmente encore deTétran-
geté du langage. Toutes les théosophies donnent dans la théurgie et la
magie. Ce travers est dans la nature même des choses. Quiconque, en
effet, se flatte de posséder la connaissance parfaite des secrets de Dieu
est invinciblement enclin à s'attribuer une puissance réelle sur ses
œuvres. La Cabale n'a pas fait exception à cette règle générale. Mais
il n'y a pas lieu d'insister ici sur ces superstitions. Il suffit de faire
remarquer que plusieurs de ses doctrines y conduisaient inévitable-
ment. C'est ainsi que, en considérant l'homme comme un abrégé de
l'univers (microcosme), elle admettait qu'il y a des rapports directs
entre les différentes parties du corps humain et les différents corps
célestes, et que par là se trouvait légitimée la croyance à l'astrologie
judiciaire. Quant aux procédés artiiiciels, désignés par les noms de
thémoura, guématria et notaricon, procédés dont les cabalistes juifs se
sont servis parfois, sinon pour chercher dans l'Ecriture sainte des sens
cachés différents du sens littéral, du moins pour justifier et faire valoir
ceux qu'ils s'imaginaient y avoir découverts, ce n'est qu'un détail sans
importance réelle dans le système et l'histoire de la Cabale; l'emploi
de ces procédés bizarres n'a pas été exclusivement propre aux
adeptes de cette théosophie; on peut d'ailleurs s'en faire une idée
exacte par ce qui en est dit dans l'a Palestine, par Munk, p. 520 et 521, et
dans Y Encyclopédie de Herzog, t. VII, p. 204 et 205. — Sur les princi-
paux adhérents de cette théosophie parmi les juifs, on peut consulter
Y Encyclopédie de Herzog, t. VII, p. 203, et parmi les chrétiens, ibid.,
t. VII, p. 205 et 206. La Bibliotheca judaica de J. Fùrst, t. 1, p. 16, 27-
29 et 93, et t. III, p. 160 et 329-335, donne une liste complète des
diverses éditions du Séphêt Jetzira et du Zohar, et l'indication d'un
grand nombre d'ouvrages sur la Cabale. M. Nicolas.
CABANIS. Voyez Sensualisme.
CADÈS [Qèdèch, \\y.zr,:, Kiîzzzz], résidence royale sous les Ca-
nanéens i.Jos. XII, 22), ville lévitique, fortifiée et investie du droit
d'asile (Jos. XX. 7; XXI. 32; 2 Rois XV, 2!) ; 1 Ckron. VI, 61), était
située dans la tribu de Nephtali (Jos. XIX, 37: Jug. IV. 6), près de-
frontières de Tyr. et lit partie plus tard de la Galilée il Sffach. Xi. 63;
Josèphe. \ntnp. V. I, 1S; XIII, 5, « : B. J., II, 18. Il C'est sans dbllte
la même localité que le Kfàcç -q Ne?8iXi de Tobie I. 2. -- Il y arail en
Palestine deux autres villes dé Ce nom : Tune au sud de la tribu d,
Juda (Jos. XV. 23 . l'autre dans la tribu d'hsaehar '1 Chron. VI. :i7 .
504 CAEN — CÀHORS
CAEN. La Réforme avait déjà jeté de profondes racines dans celte
ville en 1558, cai% au mois de décembre de la môme année, on y
signale la présence du pasteur Paumier, et, au mois de mai de Tannée
suivante, celle du pasteur Jean Voisinet, tous les deux envoyés de
Genève. Deux ans après, les réformés s'assemblent publiquement au
tripot de la halle au blé (aujourd'hui cour de F Ancienne-Halle), puis
aux grandes écoles, dans le quartier Saint-Sauveur, et enfin dans un
local du quartier Saint-Jean. Sous redit de Nantes, l'Eglise de Caen
devint le chef-lieu de F un des six colloques de la province synodale
de Normandie et reçut une illustration particulière de deux de ses
pasteurs : Bochart et du Bosc. Le premier jouissait d'une réputation
européenne comme orientaliste; le second, au dire de Louis XIV, était
l'homme le plus éloquent de son royaume. Sur la fin de l'année 1684,
on fit un procès à l'Eglise de Caen, qui était accusée d'avoir admis des
relaps à la sainte cène. Ses trois pasteurs, du Bosc, Morin et Guille-
bert, furent arrêtés et traduits devant le parlement de Rouen, qui les
condamna, le 6 juin 1685, à 400 livres d'amende, à l'interdiction du
ministère et au bannissement. Le temple de Caen dut être démoli, et,
comme il avait été fermé dès l'arrestation des ministres, les protes-
tants de l'Eglise se réunirent jusqu'au moment de la révocation de
Ledit de Nantes à Vendes, paroisse de Saint- Waast, située entre Caen
et Bayeux. Durant la période du Désert , les protestants de Caen furent
visités par le prédicant Israël Lecourt (1693) et le pasteur Gautier
(1749). Ce dernier lit tous ses efforts, en 1752, pour reconstituer
l'Eglise, mais sans pouvoir y parvenir, le terrain n'étant pas suffi-
samment prêt. Ce ne fut qu'en 1777 qu'un consistoire y fut établi.
Après la loi de germinal an X, Caen devint le chef-lieu d'un consis-
toire pour les protestants des trois départements du Calvados, de
l'Orne et de la Manche. Cette ville en comptait 500 en 1870. — Voyez :
France protestante, IX, 379; Bullet. de la Soc. de Vhist. du prot. franc.,
1855, p. 473; 1862, p. 1; 1864, p. 339; F. Waddington, Le Protest,
en Normandie dep. la révoc. de Védit de Nantes. E- Aknaud.
CAGLI0STR0 (Alexandre, comte de), ou plutôt Joseph Balsamo,
aventurier d'origine italienne, exploita dans une; large mesure la cré-
dulité d'une société sans convictions. Son existence se termina en
1795, à Rome, dans une prison de l'inquisition. Il pratiquait le mes-
mérisme, opérait des cures merveilleuses, faisait de l'or, composait un
élixir vital, évoquait les esprits, découvrait l'avenir, tout cela en recou-
rant à ce qu'il appelait l'agent universel. Sa doctrine, mélange incohé-
rent de rêveries théurgïques, était confiée aux initiés de la loge égyp-
tienne, une branche nouvelle de franc-maçonnerie qu'il avait fondée.
En 1791 parut une biographie (Compendio délia vita) de Balsamo, qui
paraît avoir été rédigée d'après les documents de son procès. Elle fut
traduite en français la même année.
CAHORS (Divona Cadurcorurn,Cadurcum, Cadurx, Caurs), évêché.On
en attribue la fondation à saint Genou {Genulfus : AA . SS., 17 janv.), qu
fut envoyé en Gaule par le pape saint Sixte II, vers 257, et qui a donné
son nom à une abbaye du diocèse de Bourges; mais cet évêque est aussi
CAHORS — CAINITES 5Q5
douteux que ceux qui le suivent. On ne trouve d'évêques de Gahors qu'à
la fin du quatrième siècle (saint Florent, vers 370). Cahors s'enorgueil-
lit de posséder le saint suaire que Charlemagne a donné à son église.
La cathédrale de Saint-Etienne (onzième siècle) est bâtie dans le même
style byzantin ([ne Saint-Front. Jean XX11 était originaire du diocèse
de Cahors; ce pape, bienfaiteur du Ouercy et qui a multiplié les évê-
ehés dans sa patrie, fonda en 1331 l'université de Cahors, qui subsista
jusqu'en 1751. — Voyez : de la Croix, Séries epist. Cadurc, in-4°, 1617 4
Vidal, Ilisi. desév, de Cahors, 1664,in-8°; Galiia,\.
CAIGNONCLE (Michelle de), jeune femme, victime des atroces per-
sécutions religieuses exercées, en 1551, dans le Hainaut, et qui de-
meura jusqu'à sa dernière heure l'un des types les plus purs de la
piété el de la charité chrétiennes. « Cette damoiselle de bonne maison
a Valenciennes, rapporte Crespin (ffist. des mart., in-f°, éd. de 1608,
f° 192), estant condamnée à la mort, assavoir d'estre bruslée toute
vive, avec d'autres pour une mesme cause, ainsi qu'on la menoit au
supplice, exhortoit les autres à estre constans, et monstrant au doigt
les juges qui les avoient condamnez et qui estoient aux fenestres pour
regarder leur supplice : Voyez-vous ceux-là, dit-elle, ils ont bien
d'autres tourmens que nous, car ils ont un bourreau en leur cons-
cience; mais nous, en souffrant pour Jésus-Christ, nous avons repos ei
certitude de nostre salut. Estant au lieu du supplice, plusieurs povres,
qui avoient reçu soulagement de ceste bonne créature, lamentoient sa
mort; mais elle les consoloit autant qu'il lui estoit permis. Entre
autres il y eut une povre femme laquelle s'écriant dit : Hélas! madamoi-
selle, vous ne nous donnerez plus l'aumosne. Elle luy dit : Si, feray ;
tenez, voilà mes pantoufles, je n'en ay plus que faire. Ceste constance
estonna tous les spectateurs et effraya \es ennemis, car Dieu la luy
garda entière jusques au dernier soupir. »
CAIN (Qain, LXX, Kair, c'est-à-dire celui qui est acquis, de Qounfl
acquérir) est le premier-né d'Adam. En lui donnant ce nom, sa mère
espérait que le salut était proche. Les traditions juives sur Caïn, surtout
celle qui le fait descendre de Sammaël (Satan), par une fausse inter-
prétation de 1 Jean III, 12, n'ont aucune valeur scientifique. D'après
Gen. IV, Caïn tua par jalousie son frère (H)abel, s'enfuit dans le pays
de Xod (pays de la fuite), y propagea l'agriculture et jeta les fondements
de la première ville, qu'il nomma Hanoch (consécration), d'après son
fils aine. La préférence accordée par Jéhova au sacrifice d'Abel
s'explique par la supériorité attribuée aux sacrifices sanglants, comme
exprimant mieux la corrélation entre les idées dépêché et de punition.
Exilé de sa famille et de sa patrie, Caïn fut condamné à une vie
orrante, et Dieu, pour le protéger contro la loi du talion, lui imprima
un signe (ôth) visible, niais non corporel, dont on ne saurait plus
aujourd'hui préciser la nature.
CAINITES. 1° Descendants de Caïn et dont la Genèse donne la gé-
néalogie jusqu'à la sixième génération (IV, 17-24). Ces noms, dont
L'étymologie est incertaine, se retrouvent en partie dans la généalogie
des Séthites (Lamech, Hénoch). L'auteur de la Genèse montre quec^
506 CAINITES — CAIUS
hommes marchèrent dignement sur les traces de leur ancêtre. Lamech
introduisit la polygamie, en prenant deux femmes, et célébra par un
chant sanguinaire la vengeance de Caïn et la sienne. Ce chant, le
morceau poétique le plus ancien de la Bible (IV, 23-24), présente déjà
tous les caractères de la poésie postérieure: le rhythme, l'assonance, le
parallélisme, la construction strophique (trois dystiques), et remploi
d'expressions plus relevées. Il est provoqué par l'orgueil excité par
les inventions des fils de Caïn. Jabal, en effet, régularisa la vie nomade.
Jubal inventa les instruments à cordes (kînor) et à vent (ougâb), et
Thubal-Caïn travailla les instruments tranchants (lâtach, marteler
pour aiguiser) en airain et en fer. — 2° Gnostiques antinomistes du
deuxième siècle. Caïn est pour eux le représentant du principe
spirituel le plus élevé. Dans leur haine contre l'Ancien Testament, ils
déifient ceux que ce dernier condamne, et en font des représentants
de la Sophia. Les apôtres sont des êtres inférieurs, mais Judas Iscarioth
possède la véritable gnose, parce qu'il a amené lamortde Jésus-Christ.
Pour détruire l'œuvre du Démiurge, ils se livraient à toutes sortes de
turpitudes et les plaçaient sous l'invocation des anges. Leurs doctrines
étaient renfermées dans Y Evangile de Judas et dans Y Ascension de saint
Paul (voy. Iren., lib. 3, c. 31; Epiph., flœres., c. 38; Tertullien,
de Prœscnpt., c. 33-37). E. Scherdlin.
CAIPHE. Voyez Anne.
CAIUS (Faîoç). Ce nom, d'origine latine, se trouve quatre fois dans
le Nouveau Testament, trois fois dans le cercle des amis de Paul, une
fois dans celui des amis de Jean. Dans quel rapport ont été les per-
sonnes qui l'ont porté? Y en a-t-il eu quatre, trois ou seulement deux?
C'est ce que le manque de renseignements ne permet pas de décider.
Nous rencontrons d'abord un Caius macédonien dans la compagnie de
Paul à Ephèse (Act. XIX, 29). Quelques mois plus tard, parmi les amis
de l'apôtre qui le suivent de Macédoine en Asie, se trouve un autre
Caius désigné comme originaire de Derbe (XX, 4), à moins qu'il n'y ait
ici une erreur dans le texte et que l'épithète Derbien ne doive se
joindre à Timothée, auquel cas ce second Caius pourrait être identifié
avec le précédent. La première épître aux Corinthiens (I, 15) et l'épître
aux Romains (XVI, 23) mentionnent un autre chrétien du même nom
qui fut à Corinthe l'hôte de saint Paul et réunissait une assemblée
chrétienne dans sa maison. Enfin la troisième épitre attribuée à saint
Jean est adressée à un quatrième Caius qui vivait probablement dans
l'Asie-Mineure. Ce nom était très- répandu.
CAIUS (Pos'îoq), « homme d'église, » ainsi que l'appelle Eusèbe
(II, 25), vivait à Rome au temps de Zéphyrin (198-217), et dans son
ouvrage contre Proclus, chef des montanistes, il fit le premier mention
des « trophées » des apôtres, au Vatican et sur la voie d'Ostie (voy.
aussi Eus., III, 28). Photius (cod. 48) croit savoir que le livre cité par
Eusèbe (V, 28), qui est dirigé contre les artémoniens et que Théo-
doret appelle le Petit Labyrinthe, est du presbytre romain Caius,
et M. de Rossi (Bull.. IV, p. 81) se rattache à cet avis. Raur a soup-
çonné Caius d'être l'auteur des Philosophoumena. Lisez la disser-
CAIUS — CAJETAN 507
tation du P. de Smedt sur Gains, dans ses Disserl. selectœ, 187G.
CAIUS (Saint) [TaToç], fut évêque de Home de 283 à 296, et lut en-
terré au cimetière de Calliste. Les documents de son histoire sont in-
certains. Le Livre des papes nous dit qu'il mourut martyr, et toute sa
légende paraît se rattacher aux Actes fabuleux de sainte Suzanne (.1.1.
.s\s'., 1\ avril), que Ton donne comme la nièce de Caius. Mais tous les
anciens monuments le nomment confesseur et non martyr. La tradition
monumentale de Rome établit d'ailleurs entre Suzanne et Caius une
relation manifeste: le titulus Suzanne, à Rome, portait aussi le nom
d'église de Caius, tifulus Gaii. — Voyez : Lipsius, CàronoL, 1869,
p. 240; de Rossi, Jhdletino, 1870, p. 96; Duchesne, Et. sur le Liber
Pont if., 1877, p. 1(5; Irico, Mem. degli otti di S. Cojo papa, Casale,
1768, in-8°. M. de Rossi vient de retrouver l'épitaphe de Caius {Bull.,
1876, p. 87); elle ne donne pas à cet évêque le titre de martyr; elle
place sa déposition au 10 des calendes de mai. Elle va paraître dans le
troisième volume de la Roma Sotterranea. S. Bergek.
CAJETAN (Jacques de Yio, et plus tard Thomas, en l'honneur de
saint Thomas) naquit en 1469 à Gaëte, d'où lui vint par corruption le
nom de Cajetan. A seize ans il entra dans l'ordre des dominicains,
contre la volonté de ses parents. 11 était doué d'une intelligence claire,
d'une mémoire excellente et de grandes dispositions à l'éloquence.
A vingt-six ans il acquit à Padoue le grade de docteur en théologie, et
fut bientôt après professeur de métaphysique. En 1494 il fut envoyé à
Ferrare pour des affaires de son ordre, et là il disputa publiquement
avec Pic de la Mirandole, et avec tant de succès qu'il fut tenu pour
un des premiers théologiens de son temps. Sa piété, son dévouement
au saint-siége, l'austérité de sa vie et de son caractère le firent nom-
mer procureur de son ordre à Rome; en 1508 il devint général des
dominicains, et en 1517 Léon X l'éleva au cardinalat et lui donna l'ar-
chevêché de Palerme. Il fut le plus zélé champion du pouvoir su-
prême et absolu, nous pourrions dire de l'infaillibilité du pape.
Lorsqu'en 1511 Louis XII convoqua le concile de Pise auquel Jules. II
opposa (1512) le synode de Latran, Cajetan prit la défense du pontife
et lit, entre autres, cette déclaration significative que « l'Eglise est la
servante née du pape ». Sur Tordre de la Sorbonne, il fut réfuté par
Jacques Almain, qui défendit les droits del'épiscopat. Cajetan prit une
part active à l'élection de l'empereur Charles-Quint et plus tard à
celle du pape Adrien VI; il mourut en 1534, honoré de la confiance de
Clément VIL — C'est surtout à sa rencontre avec Luther, à Augsbourg
(octobre 15i8), que Cajetan doit sa célébrité. Il avait été envoyé à la
diète assemblée dans cette ville, comme légat a latere, avec la mis-
sion, entre autres, d'obtenir de gré ou de force la rétractation du ré-
formateur. Luther l'aborda avec une humilité excessive, lui prodiguant
les plus grandes marques de respect; le cardinal, de son côté, se mon-
tra paternel « t bienveillant. Mais comme le moine de Wittemberg re-
fusa de se rétracter s'il n'était convaincu par des textes de l'Ecriture, le
cardinal devint violent, impérieux et pérora à perdre haleine (Decies
fere cœpi ut loquerer, toties rursus tonabat et solus reynabat. De Wette,
508 CAJETAN — CALAS
Luthers Briefe, vol. I, p. 148). Luther à son tour éleva la voix et ou-
blia les égards qu'il devait à un prince de l'Eglise {etegoclamarecœpi...
satis irreverenter fervens erupi... Ibid.). Cajetan lui dit : « Frère, frère,
hier tu étais convenable; aujourd'hui c'est tout le contraire ! » et il le
congédia en s'écriant : « Va, rétracte-toi, ou ne reparais plus sous mes
yeux. » Le cardinal, rapporte Myconius, dit alors à Staupitz : « Je ne
veux plus parler à cette bête allemande, car elle a dans la tête des
yeux profonds et des spéculations surprenantes. » Cajetan eût été prêt
à faire des concessions sur « la nécessité de la foi dans les sacrements,»
mais il fut inflexible sur un second point : « le trésor des indulgen-
ces, » ce qui fit' dire à Staupitz : « On voit bien qu'à Rome on tient
plus à l'argent qu'à la foi. » Voir sur cette affaire ; Acta Augustana,
1518, dans H. Schmidt, Lûtheri Opéra latzna, vol. II, p. 340 ss. « Le
cardinal Cajetan, dit Sarpi (Eût. Conc. Tria1., 1. I, p. 13), n'était pas
riiomme propre à instruire la cause de Luther. C'était un scolastique
et un zélé défenseur de Thomas d'Aquin, et ses connaissances n'al-
laient pas jusqu'aux Ecritures. En outre il était dominicain, et cet
ordre tout entier se trouvait blessé par l'affaire de Tetzel. Plus tard
on se repentit à Rome de l'avoir employé. On lui reprocha d'avoir
traité Luther avec trop de dureté et d'insultes, et de ne l'avoir pas
adouci par la promesse d'un évêché ou d'un chapeau de cardinal. »
Cependant sa dispute avec Luther parait avoir exercé une certaine
influence sur Cajetan. Ayant reconnu la supériorité du réformateur
dans la connaissance de l'Ecriture, il se mit à étudier les livres saints,
s'aidant, pour l'Ancien Testament, d'interprètes juifs, et d'Erasme
pour le Nouveau. Il voulut améliorer la Vulgate par une traduction
strictement littérale. D'un autre côté il s'affranchit de la tradition de
l'Eglise, pensant qu'on pouvait interpréter les Ecritures sans s'asser-
vir aux Pères (Contra torrentem SS. Patrum). Ses œuvres complètes
ont été publiées à Lyon en 1639; maison a atténué les passages qui
pouvaient donner ombrage à Rome. On. Pfender.
CALAS (Jean), marchand d'indiennes à Toulouse, naquit à la Caba-
rède, près de Castres, en 1698. 11 épousa en 1731 Anne-Rose Cabibel,
Anglaise de naissance, mais qui descendait de Français réfugiés. Leur
famille se composait de six enfants : Marc- Antoine, Jean-Pierre, Donat-
Louis, Anne-Rose, Anne (Nanette)et Jean-Louis Donat, etd'une servante
bonne catholique, Jeanne Viguier, que ni menaces ni promesses ne
purent jamais décider à accuser ses maîtres. Marc-Antoine, qui avait
quelque talent oratoire, voulut se faire avocat; mais, pour cela, il lui
fallait un certificat de catholicité. Il essaya, mais en vain, de l'obtenir
par ruse et, plus scrupuleux que son frère Louis, ne voulut point l'a-
cheter au prix d'une hypocrite abjuration. Toutes les autres profes-
sions pour lesquelles il se sentait du goût lui étaient fermées par quel-
que Déclaration du roi. Il voulut alors devenir l'associé de son père
qui n'y consentit point, craignant de donner des pouvoirs trop éten-
dus à un fils chez qui des goûts dangereux de jeu et d'oisiveté se décla-
raient toujours davantage. Ainsi le jour de sa mort il le passa presque
entièrement au billard et au jeu de paume et, au moment de sa mort,
CALAS 509
il portait dans ses poches dos vers et des chansons obscènes. Son ca-
ractère s'aigrit. L'idée du suicide s'empara de son esprit malade. II
songea un instant à étudier la théologie à Genève; l'un de ses amis lui
ayant lait observer que « tout métier qui t'ait pendre son homme ne
vaut rien », il répondit : « Eh bien! je pense à une autre chose, que
j'exécuterai. »11 tint parole. Le 13 octobre 1761 la boutique de J. Calas
se ferma à l'heure accoutumée. Un ami de la famille, Fr.-Alex. Gaubert-
Lavaysse, lils d'un célèbre avocat, fut retenu à souper. C'était un doux
et bon jeune homme, que l'imagination populaire ne tarda pas àtrans-
former en « sacrificateur de religion». Au dessert, Marc-Antoine sortit.
« Je brûle, » dit-il à la servante, selon le récit de madame Calas. Un
peu plus tard, quand M.Lavaysse descendit à son tour, pour se retirer,
on trouva Marc-Antoine pendu dans le magasin de son père. Celui-ci
accourut, épouvanté, puis sa femme; on essaya en vain de ranimer le
malheureux. Pierre sortit éperdu pour aller, dit-il plus tard, demander
conseil partout. Son père le rappela en lui disant : « Ne va pas répan-
dre le bruit que ton frère s'est défait lui-même; sauve au moins l'hon-
neur de ta misérable famille. » Se rappelant la barbare législation du
temps, il voyait déjà le cadavre de son fds, absolument nu, traîné à
travers les rues sur une claie, le visage contre terre, aux huées de la po-
pulace; son sentiment paternel lui lit perdre de vue les terribles soup-
çons auxquels il allait s'exposer. On se donna le mot pour soutenir
qu'on avait trouvé Marc-Antoine non pas pendu, mais étendu sans vie,
sur le plancher du magasin. Cependant les capitouls accoururent sur
les lieux. Ils se disposaient à se retirer, convaincus qu'il y avait eu
suicide, lorsqu'une voix, partie de la foule, accusa Jean Calas d'avoir
assassiné son lils, parce qu'il allait abjurer. Cela suffit aux capitouls
pour faire jeter dans les prisons de l'hôtel-de-ville non seulement les
parents de Marc-Antoine et son frère Pierre, mais encore Lavaysse et
Jeanne Viguier. Ce fut, pour le parlement de Toulouse, une magnifique
occasion de faire preuve de zèle; il n'eut garde de la manquer. 11 fut
d'ailleurs admirablement secondé par l'archevêque, qui fulmina contre
les accusés un monitoire à charge. Lu, dans les églises, avec un cérémo-
nial effrayant, ce formidable document menaçait de l'excommunication
tous ceux qui, ayant à révéler n'importe quoi à la charge des Calas, se
tairaient. Ce monitoire n'eut guère d'autre résultat que de surexciter les
plus mauvaises passions; il lit moins de tort aux Calas que la déclara-
tion de l'apostat Louis Calas, qui ne craignit pas de soutenir que les
protestants sont obligés d'étrangler, de leurs propres mains, leurs
enfants devenus infidèles à leur foi : abominable calomnie que, sur la
demande de l'avocat des Calas, la vénérable Compagnie de Genève
et puis Paul Habaut (dans sa Calomnie confondue, au Désert, 1 7(52)
mirent à néant. Aussitôt Marc-Antoine passa pour un martyr, un
saint. Il fut décidé qu'on le ferait reposer en terre bénite. « Une cin-
quantaine de prêtres, toute la confrérie des pénitents blancs, une
foule de peuple, portant cierges et bannières et marchant en pro-
cession, firent la levée du corps et le conduisirent à la cathédrale. »
Dès lors l'issue du procès était facile à prévoir. Les capitouls ayant
510 CALAS
décidé que les Calas seraient appliqués à la "question ordinaire et extra-
ordinaire, le parlement, sur l'appel des condamnés, évoqua l'affaire.
Un seul membre de cette assemblée osa prendre hautement en main la
défense des opprimés : M. de la Salle. Le 9 mars 1762, et malgré la
lumineuse défense de l'avocat Sudre, Galas fut condamné à être roué
vif. L'arrêt portait : 1° que Jean Calas subirait la question ordinaire
et extraordinaire ; 2° qu'étant en chemise, tête et pieds nus, il serait
conduit devant la porte principale de la cathédrale où l'exécuteur de la
haute justice lui ferait faire amende honorable; 3° que l'exécuteur, sur la
place Saint-Georges, lui « rompra et brisera bras, jambes, cuisses et
reins; » 4° qu'il le portera sur une roue et l'y couchera le visage tourné
vers le ciel « pour y donner de la terreur aux méchants, tout autant qu'il
plaira à Dieu de lui donner vie. » Cette sentence fut exécutée à la lettre
le lendemain. Pendant sa longue agonie, Calas ne proféra pas un mur-
mure ; il soutint jusqu'au bout qu'il mourait innocent. Pressé de nommer
ses complices : « Hélas, dit-il, où il n'y a pas de crime, peut-il y avoir
des complices?» La foule émue, oubliant son fanatisme, pleura sa mort,
tandis que le capitoul David, le plus furieux de ses adversaires, s'achar-
nait en vain à lui arracher un aveu. Les autres victimes furent relâchées,
sauf Pierre Calas, qu'on enferma dans un couvent pour le convertir.
Ses deux sœurs furent également placées dans un couvent, bien qu'elles
eussent été absentes de la maison le 13 octobre 1761. Cependant Pierre
parvint à s'échapper. Il se sauva à Genève, où se trouvait depuis quel-
ques mois son frère Donat. Voltaire, après avoir interrogé les deux
jeunes gens, résolut de réhabiliter la mémoire de leur père. Déployant
un zèle extraordinaire, il réussit non-seulement à soulever l'opinion de
la France et même de toute l'Europe contre le parlement de Toulouse,
mais encore à faire casser la sentence de mort du supplicié et à faire
obtenir à sa famille toutes les réparations possibles. Elie de Beaumont,
Mariette et Loiseau de Mauléon tirent de leur mieux pour le seconder ;
J. -J.Rousseau lui aussi éleva sa voix en faveur des Calas. Le 7 mars 1763,
le Grand Conseil se prononça, à l'unanimité des quatre-vingt-quatre
membres présents, pour la cassation du procès. La reine se fit pré-
senter madame Calas et ses filles et leur lit le plus gracieux accueil. Le
9 mars 1765 enfin, un tribunal, composé de quarante maîtres des re-
quêtes, à l'unanimité réhabilita les accusés et la mémoire de Jean Calas,
ordonna que leurs noms fussent effacés des registres et des écrous, les
laissant d'ailleurs libres de réclamer des dommages-intérêts auprès de qui
de droit. Voltaire reçut la grande nouvelle avec des transports de joie.
11 n'eut de repos que quand il eut réussi encore à mettre à l'abri du
besoin madame Calas, qui mourut à Paris, en 1792. Nanette Galas épousa
le chapelain de l'ambassade de Hollande à Paris, Duvoisin. Grimm
décrit avec enthousiasme sa grâce touchante et naïve ; la sœur Anne-
Julie Fraisse, qu'une lettre de cachet lui avait donnée pour supérieure
au couvent des visitandines, devint son amie, tout en se désolant sans
cesse de n'avoir pu la convertir. Le fils de Nanette, Alexandre Duvoisin,
fut secrétaire de Joseph Bonaparte et auteur dramatique ; il mourut en
1832. — Voyez, outre quelques articles dans le Bulletin du Pr. et l'ar-
CALAS — CALCUTTA 511
ticle Calas dans la France prot^ Jeun Cala*, par Ath. Coquerel fils,
± éd., 1869, ouvrage aussi complet qu'impartial, qui fait d'ailleurs con-
naître toute la littérature relative à la question. A,)- Sch-œsffhe.
CALASANZA, fondateur de l'ordre des Piari&tes (voy. cet article).
CALATRAVA est un bourg d'Espagne, situé à quelque distance de la
(iuadiana. au sud de Ciudad-Keal (Monde). Il a été illustré par Tordre
militaire de ce nom. L'histoire de l'origine de cet ordre mérite d'être
brièvement rappelée. Connue autrefois sous le nom d'Oreto, la ville
l'ut prise en 1013 par Suleiman. En H'iGAlphonse VIII s'en empara et
en confia la défense aux Templiers. Mais ceux-ci ne se sentaient pas
les forces nécessaires pour résister avec succès aux Maures et ils ren-
dirent la ville au roi don Sanche III en 1157. Le prince déclara qu'il
ferai! don de la cité à celui qui se croirait assez fort pour la défendre.
Ce fut un moine obscur de Tordre de Citeaux, don Didace Velasquez,
religieux de l'abbaye de Notre-Dame de Titero, qui, ancien chevalier,
sut engager son abbé don Raimond à ne pas laisser la ville devenir la
proie des mécréants. Don Raimond consentit; grâce au secours de l'ar-
chevêque de Tolède, il prit possession de la ville, et sut la maintenir
contre toutes les incursions des Maures de l'Andalousie. Le chapitre
général de Tordre de Citeaux donna une règle au nouvel ordre, qui co-
lonisa tout le pays environnant, et devint une sentinelle avancée de la
chrétienté. Mais bientôt l'esprit militaire ne voulut plus se plier aux
exigences monastiques. A la mort de Raimond en 1163, les cheva-
liers se détachèrent des moines de Citeaux, et obtinrent du pape
Alexandre ill une bulle qui autorisait leur constitution nouvelle et in-
dépendante. De longues et incessantes luttes contre les infidèles et des
schismes au sein de Tordre marquent son histoire, jusqu'à ce que, à
la mort de don Garzias Lopez de Padilla, le vingt-neuvième et dernier
grand-maître, Innocent VIII se réserva la nomination aux honneurs de
la grande-maitrise, qu'il conféra au roi Ferdinand en 1480. Le pape
Adrien VI réunit cette dignité ainsi que les grandes-maîtrises des ordres
de San-Iago (Saint-Jacques de TEpée) et d'Alcantara à la couronne
d'Espagne qu'il dota par ce moyen d'un revenu considérable. Ayant
obtenu en 1540 du pape Paul III le droit de se marier, les chevaliers ne.
prêtèrent plus que les serments de pauvreté, de chasteté conjugale et
d'obéissance. A partir de 1652 ils promirent encore de défendre et de
soutenir l'immaculée conception de la Vierge. Au dix-huitième siècle
Tordre de Calatrava possédait 56 commanderies, 10 prieurés, 8 cou-
vents de femmes et 6i bourgs et villages répartis en cinq districts.
L'habit de cérémonie était un manteau blanc sur lequel il y avait du
côté gauche une croix rouge fleurdelisée. Eug. Steen.
CALCUTTA. La métropole de Tlndeanglaiseestunevilletoute moderne.
Gfi a'esl qu'en 1686 que les conquérants, trouvant la place favorable,
commencèrent à bâtir une ville dans les terrains marécageux des bords
de L'Hoogly. La rite nouvelle acquit bientôt assez d'importance pour
devenir dès 1707 le siège d'un gouvernement provincial, et en 1772 la
capitale de toutes Les p ^sessions anglaises de L'Hindoustan. Son nom
vient du village de Kaly-Ghats ou Caly-Cutta, les quais de la déesse
512 CALCUTTA — CALDERON
Kali, situé autrefois à remplacement où s'élève aujourd'hui la ville.
L'accroissement de la population a été énorme, surtout depuis le com-
mencement de ce siècle, et le recensement de 1871 attribue à Calcutta et
à ses faubourgs une population de 892,429 âmes. Quoique la ville soit
d'origine européenne, l'énorme majorité de ses habitants se rattachent
aux anciens peuples de la péninsule. Les Anglais (militaires non com-
pris) n'y sont pas au nombre de plus de 8,320 personnes. Les Euro-
péens d'autres nationalités, Portugais pour la plupart, ne sont pas
plus de 5 à 6,000. Si Ton y ajoute un millier d'Arméniens, 2,000 Chinois
et 4 à 500 Juifs, il restera encore environ 870,000 Hindous. Au point
de vue religieux, on évalue le nombre de mahométansàunpeu plus du
quart, les autres sont brahmanistes ou bouddhistes. Les païens ont
dans la ville un fort grand nombre de temples et de pagodes ; mais pos-
térieurs aux beaux temps de l'Inde indépendante, tous sont des con-
structions d'importance médiocre. Il en est de même des mosquées
rnahométanes. L'établissement religieux le plus important des musul-
mans est la médresseh, sorte d'université de l'Islam fondée en 1781 et
entretenue par le gouvernement anglais. Les chrétiens des dénomina-
tions les plus diverses y sont représentés par des communautés ou au
moins par des missionnaires. L'Eglise anglicane y a, depuis 1814, un
évêque métropolitain des Indes. Il est assisté d'un archidiacre et de onze
pasteurs urbains desservant la cathédrale de Saint-Paul et les églises de
la Mission, de Saint-Jean, de Saint-Jacques, de Fort-William, de Hor-
vrah, de Saint-André et de Saint-Pierre. La Société pour la propagation de
l'Evangile dans les pays étrangers entretient cinq missionnaires avec
deux églises. La Société des missions de l'Eglise anglicane a neuf mis-
sionnaires et quatre églises. Ces deux Sociétés se rattachent à l'évêque
de Calcutta, qui préside également à la direction du Bishop's Collège, sé-
minaire important fondé en 1820. La Société des missions de Londres a
cinq établissements, les baptistes en ont quatre, l'Eglise établie d'Ecosse
un, l'Eglise libred'Ecosseun, les méthodistes calvinistes du pays de Galles
un, etc. L'Eglise catholique a un vicaire apostolique à Calcutta depuis
îe 18 avril 1834. Jusqu'en 1856 le Bengale entier fut compris dans son
diocèse. Depuis lors il a été démembré en trois vicariats. Les principaux
établissements catholiques sont la cathédrale de Saint-Paul, les églises
de Saint-Xavier, de Saint-Jean, du Sacré-Cœur-de- Jésus, de Saint-Pa-
trick, de Notre-Dame-de-Bon- Voyage dans le faubourg d'Horvrah, à Saint-
Thomas, de Nostra-Sennora das Dores, ces deux derniers portugais, le
couvent de Lorette, le collège Saint-Xavier, etc. — Bibliographie : The
Clergy List for 1876; Grundemann, Mission s Atlas; Rapports et jour-
naux de Missions, passirn. E. Vaucher.
CALDERON DE LA BARCA (Pedro). Cet illustre poète dramatique
naquit à Madrid le 17 janvier 1600. Il perdit son père de bonne heure,
et ce fut sa mère, doua Ana Gonzalez de Henao y Riano, qui se char-
gea seule de son éducation et le destina à la carrière ecclésiastique.
Après avoir fait ses études élémentaires au Colegio Impérial, le plus
important institut de la Société de Jésus en Espagne , il passa à Sala-
snanque, où il s'adonna à la philosophie, aux mathématiques et à la
CALDERON — CALEB 513
jurisprudence. De retour à Madrid en 1619, il entra au service d'un
grand seigneur, probablement le duc d'Albe. Peu d'années après
(1625), nous le voyons embrasser la carrière militaire et servir dans
les années de Sa Majesté Catholique en Italie et en Flandre. A son re-
tour en Espagne, il fut chargé par le roi Philippe IV de la composition
de comédies destinées à faire l'ornement des l'êtes splendides de la
cour de Madrid, dont la mise en œuvre était la préoccupation princi-
pale de ce souverain léger et fastueux. Cette distinction prouve que la
réputation de Calderon comme poëte dramatique était déjà établie,
bien qu'il n'eût encore écrit que quelques drames. En 1641, Calderon
reprend les armes pour combattre les Catalans révoltés. La paix faite,
nous le retrouvons à la cour, et c'est à partir de cette époque qu'il
s'adonna exclusivement aux lettres, et en particulier à la composition
de ces comedias qui l'ont rendu célèbre. Comme d'autres poètes de
son temps, Calderon comprit bientôt que la laveur du public s'étein-
drait dès qu'il ne produirait plus, et qu'il se trouverait alors sans res-
sources. Aussi se tourna-t-il, comme son prédécesseur Lope de Vega,
vers l'Eglise, dont il avait déjà reçu longtemps auparavant les pre-
miers ordres, et qui l'ordonna prêtre en 1651. Il occupa dès lors
diverses charges ecclésiastiques, soit à Tolède, soit à Madrid, san.
renoncer pour cela au théâtre. C'est à partir de cette époque qu'il
composa aussi ses Autos sacr amentales, drames religieux destinés à
glorifier le "mystère de l'Eucharistie et qui se représentaient le jour de"
la Fête-Dieu. Calderon mourut à Madrid le 25 mai 1681 . — Les Comedias
de Calderon. qui ont été souvent imprimées, se trouvent dans la Bi-
hliotheca de autores espanoles de Rivadeneyra (éd. de D. Juan Eugenio
Hartzenbusch). L'édition la plus connue des Autos sacramentales est
celle de Juan Fernandez de Apontes (6 vol., Madrid, 1760). La biogra-
phie la plus complète de Calderon se trouve dans le Catatogo del tea-
tro antigue espanol, publié par D. Cayetano Alberto de la Barrera
(Madrid, 1860). Morel-Fatio.
CALEB (Kàlëb), fils de Jéphunné, l'un des chefs de la tribu de
Juda (Nombr. XIII, 6; XXXIV, 19), joua un rôle important lors de la
conquête de la Palestine. Chargé par Moïse de la mission d'éclairer le
pays, il se montra partisan de l'attaque immédiate, ce qui lui valut,
seul avec Josué parmi les Israélites qui avaient quitté l'Egypte, de péné-
trer dans la terre promise (Nombr. XIV, 24 ; XXVI, 65 ; Deutér. I, 36 ;
1 Mach. II, 56). Il reçut à titre de propriété la ville de Hébron comme
prix de ses exploits contre les redoutables Enacites (Jos. XIV, 16 ss.;
XV, 13 ss.; Jug. I, 12 ss.); il dut la céder plus tard aux Lévites, mais il
garda tout le districtqui l'avoisine (Jos. XXI, 11 ss.; 1 Sam. XXX, 14).
Dans un certain nombre de passages (Nombr. XXXII, 12; Jos. XIV,
6, etc.), Caleb est appelé un Kenizien, ce qui ne peut s'expliquer que
par le mélange intime qui se produisit après la conquête entre la por-
tion de la tribu de Juda à la tête de laquelle se trouvaient Caleb et ses
descendants, et la tribu des Keniziens au milieu de laquelle elle s'éta-
blit. — Voyez: Bertheau, Comment, z. Buch der Richter^ p. 20 ss.;
Ewald, Getch. des Volkes Israël, II, p. 288 ss.
il. 33
514 CALENDES — CALENDRIER
CALENDES (calenche, du verbe grec xaXetf, appeler) ou premier
jour du mois, se dit des conférences que les curés et les prêtres fai-
saient sur leurs devoirs au commencement de chaque mois, usage qui
parait remonter au neuvième siècle. Au treizième siècle, des congréga-
tions se formèrent en Allemagne (au couvent d'Ottberg, en 1220), en
Hongrie et en France, sous le nom de f?'atrescalendarii, dont les mem-
bres se réunissaient le premier de chaque mois, dans le but de fixer
les fêtes et les exercices religieux (bonnes œuvres, jeûnes, aumônes)
qui devaient être observés pendant le courant du mois. C'étaient des
sociétés de secours mutuels, composées de laïques et de clercs, sous la
surveillance de .l'évoque du diocèse: leur intérêt se concentrait parti-
culièrement sur les obsèques et les messes des morts à instituer en
faveur de leurs membres. Chacune de ces réunions mensuelles se ter-
minait par un joyeux banquet, dont les frais étaient couverts par les
fonds demeurés sans emploi. A mesure que les associations s'enrichi-
rent, les calendes dégénérèrent en véritables orgies et fournirent une
ample matière à la satire populaire. La déformation mit fin à ces abus,
mais certaines sociétés portant ce nom se sont conservées jusqu'à nos
jours dans le diocèse, de Cologne et dans le duché de Brunswick. —
Voyez Feller, Oratio de fratribus calendariis, Francof., 1692.
CALENDRIER CHRÉTIEN. L'étude mathématique de l'établissement
du calendrier pourra être abordée avec plus de profit à l'article Chro-
nologie chrétienne; nous nous bornerons à traiter ici la partie reli-
gieuse de notre sujet, et nous rechercherons les traces que la piété et
la superstition ont laissées dans ce document de la vie de l'Eglise qui
est le calendrier. — I. Origine. Les Romains appelaient fastes ce que
nous désignons aujourd'hui du nom de calendrier. Le calendarium était
chez eux le livre de comptes dans lequel, aux calendes de chaque
mois, le père de famille faisait le calcul de ses revenus. Le plus ancien
calendrier où l'on observe l'influence du christianisme est contenu
dans le manuel des habitants de Rome auquel on a donné le nom de
Chronographe de 354. 11 a été en dernier lieu l'objet d'une remar-
quable étude de M. Mommsen (ûb. d. Chronogr. v. 354, 1850, in-4°,
extrait des Abhandl. de l'Académie de Leipzig, vol. I, p. 549), et il est
imprimé dans le Corpus des inscriptions latines (Berlin, 1863, vol. I,
p. 332). Ce célèbre monument, qui est signé du calligraphe Philocalus,
n'est autre chose que « le calendrier civil officiel de l'empire romain
tel qu'il était après que le paganisme eut cessé d'être la religion de
l'Etat et avant que le christianisme eût pris cette place. » Les jours
attribués autrefois au culte des dieux ne figurent plus que comme
jours fériés, et sans caractère religieux ; les jeux ont gardé leur place ;
à côté de la semaine romaine de huit jours, est marquée la semaine
chrétienne de sept jours. Au même moment, l'Eglise de Rome possé-
dait déjà son feriale, le tableau de ses fêtes, c'est la depositio episcopo-
rum et martyrum, sorte de martyrologe où l'on trouve, à côté des dates
de l'inhumation des saints romains (trois noms seulement appar-
tiennent à l'Eglise d'Afrique) , la fête de Noël, la translation de saint
Pierre et de saint Paul, et le natale Pétri de catedra, au même jour
CALENDEIEE CHRÉTIEN 515
{±2 févr.) où Rome célébrait encore la cara aognaéio, les caràtm, fête
païenne dont les cérémonies se sont confondues pendant des siècles
avec la célébration de la Chaire de saint Pierre (voy. Fêtes chrétienne*)*
Ce vénérable document, dont la composition première remonte à
l'an 336, est insère dans le Chronographe et publié, entre autres au-
teurs, par Hommsen dans le mémoire cité. L'Eglise de Carthage nous a
légué un document semblable, remontant au quatrième on au cinquième
siècle (Mabillon, Analecta, 172:>, p. i().*>). W. Wright a publié en 1865
un Ancient Syriccn Martyrology , qui date de Tan 412 et est traduit
du grec. Mais le monument le plus important de l'ancienne histoire du
calendrier est le taterculus de Polémée Silvius, dédié à l'évêque saint
EucherdeLyon et qui date de Tan 448. Mommsen l'a imprimé dans son
Corpus en regard de l'ouvrage de Philocalus. L'auteur a eu évidemment
sous les yeux un calendrier fort semblable à celui de Tan 354 ; il en a
effacé avec le plus grand soin tout ce qui rappelait la religion païenne.
Nous trouvons ici, à côté des natales des empereurs et au milieu de
quelques restes des fêtes romaines, les anniversaires de saint Vincent,
de saint Laurent, de saint Hippolyte,de saint Etienne et de saint Tite,la
déposition de saint Pierre et de saint Paul (22 févr.), la passion de Jésus-
Christ et sa résurrection (25 et 27 mars), et le natalis Domini corporali*
(25 déo. au même jour où le calendrier de 354 marquait encore la
victoire du soleil sur l'hiver : natalis invîcti (voy. Noël). Il n'entre point
dans notre dessein d'énumérer ici tous les anciens calendriers qui ont été
conservés. Nous devons néanmoins faire remarquer que l'un des plus
anciens monuments de ce genre qui soient exclusivement chrétiens est
le fragment de calendrier gothique que A. Mai a publié dans sa Biblio-
t liera nova (V, p. 66). L'un des plus célèbres parmi ces vieux docu-
ments de la liturgie est le calendrier romain publié par le P. Fronton
(Paris, 1<J52, in-8°), et qui est plutôt un capitulare evangeliorum mar-
quant les stations et les évangiles pour les fêtes romaines, et remontant
au commencement du huitième siècle. De volumineux commentaires
ont été consacrés, en 1744, par d'Anfora, Mazzochi et Sabbatini, au
vieux calendrier napolitain, antérieur à Tan 850, écrit en grec sur une
table de marbre. — IL Moyen Age. Celui cjui voudrait étudier l'histoire
du calendrier devrait se souvenir avant tout que ces anciens monuments
de la Liturgie portent la trace des coutumes propres à chaque Eglise;
il devrait donc, dans l'Eglise latine elle-même, distinguer avec soin
les calendriers de l'Eglise romaine, de l'Eglise franque, de l'Eglise
anglo-saxonne, etc. Gomme dit le savant Père de Buck, « il faudrait
mettre à part tous les calendriers dont le fond n'est pas le calendrier
romain, quoique bien peu aient échappé à son influence. Tels sont les
calendriers du rite ambrosien de Milan, du rite de Verceil, du rite
nio/arab" d'Espagne, les anciens calendriers des Eglises des Gaules.
huiv certain-, * alendriers d'origine romaine, et surtout dans les livres
liturgiques proprement dits, la distribution des dimanches de l'année
iiivcii! tn— dillëivnte dans les divers manuscrits. Cette différence,
.qui t£t très-caraeléristiqiie. |K)iirrait servir comme premier terme de
parâi&on et <\r clas>ilicalion. L<-^ ftfeg des papes, ajoutées par saint
516 CALENDRIER CHRETIEN
Grégoire VII, seraient un autre signe de distinction. Les fêtes de saint
Bernard, de saint François, de saint Dominique et de saint Louis en
fourniraient une troisième. Puis viendraient les saints locaux, qui
prouvent souvent qu'un calendrier a passé d'Angleterre en France, de
France en Allemagne, etc. Pour déterminer l'antiquité des calendriers,
on a donné un grand nombre de règles. Qu'il nous suffise de rappeler
que la brièveté du texte, l'absence ouïe petit nombre de simples commé-
moraisons de fêtes durant le carême, de vigiles et d'octaves, le mot natalis
réservé aux l'êtes des martyrs, et celui de depositio aux fêtes des confes-
seurs, enlin l'omission des mots sanctusetbeatus, sont autant désignes
d'une antiquité plus ou moins reculée. » On trouve des calendriers en
tête des missels, des bréviaires et de presque tous les livres liturgiques
du moyen âge. M. Piper (Karls des Grossen Kalendarium u. Ostertafel,
Berlin, 1858, in-8°) a publié le beau calendrier qui se voit dans l'Evan-
géliaire de Gharlemagne ; il a décrit en même temps les plus anciens
monuments analogues de l'Eglise franque. Le même auteur a réuni
dans une autre publication les calendriers anglo-saxons et le remar-
quable calendrier figuré qui se trouvait dans le manuscrit, aujourd'hui
brûlé, du Hortus Deliciarum de l'abbesse Herrade {Die Kal. d. Angel-
sachsen, das Martyr ologium der Herradv. Landsperg, Berl., 1862, in-8°).
On trouverait encore, dans nos dépôts, de vénérables documents de la
vieille liturgie gallicane qui ont échappé aux recherches de cet auteur.
M. Hampson, dans un ouvrage fort utile, mais écrit avec trop de préci-
pitation, a imprimé avec un commentaire fort ample un certain nombre
d'anciens calendriers anglais (Medii œvi Kalendarium , Londres,
s. d„ in-8°). En dernier lieu, le savant évêqueForbes (f 1875) a publié
l'ouvrage intitulé : Kalendars of Scottish saints, 1872. Les calendriers
du moyen âge sont toujours des calendriers perpétuels ; ils donnent, à
côté des jours des calendes, le nombre d'or, parfois aussi le jour du
mois indiqué par un alphabet complet, le nombre d'or accompagné
quelquefois de l'heure de la nouvelle lune (voy. l'explication de tous
ces termes à l'article Chronologie chrétienne), les saints, qui varient avec
les Eglises et qui sont d'ordinaire d'autant plus rares que le calendrier
est plus ancien, et les fêtes fixes, ainsi que diverses notions astronomiques.
Ils sont ordinairement suivis d'un comput pascal (voy. Pâques). Gomme
spécimen. d'un splendide ouvrage de ce genre, nous pouvons citer les
belles Heures d'Anne de Bretagne, imprimées en fac-similé par Gurmer
(2 vol. in-4°, 1861). Les calendriers anciens en langue vulgaire sont peu
nombreux ; les livres d'Heures du quinzième siècle en montrent un
grand nombre, mais on n'en connaît point d'allemands qui soient an-
térieurs au quatorzième siècle ; ceux du treizième siècle, en français,
sont rares ; nous en indiquerons ici quelques-uns : Arsenal, B. L. F. , 283,
de l'an 1268; Bibl. nat., fr. 786 et 1802 (treizième siècle). Comparez la
publication insuffisante de M. Moland {Revue archéoL, nouv. série,
V, p. 89). M. P. Meyer a publié dans la Romania (janvier 1877) un calen-
drier bourguignon du commencement du quatorzième siècle; on
en voit unjxanco-angiais dans Hampson. On doit faire mention ici des
Computs ou traités du calendrier; on trouve à la Bibliothèque natio-
CALENDRIER CHRETIEN 517
nale (fr. U2) un beau comput en vers français, de Tan 1285. Au bas
des pages du calendrier, nous lisons souvent certains vers mnémo-
niques, qui étaient tort utiles pour retenir les dates des saints; le
nombre des syllabes y marque la date du jour : on les appelle
cisiojanus. Ils varient à l'infini. On a même imprimé, en 1550, un
eisiojanus protestant. Le cisiojanus du calendrier de Paris commence
ainsi : Cisi. ge. janus epi. sibi guil. dat et hyl. fe. mau. mar.jul.;Prisca
fab. ag. vincenti paulus iulique bal. On reconnaît ici la Circoncision,
la sainte Geneviève, l'Epiphanie, etc. Voici le cisiojanus français :
« En janvier que les roys venus sont, Glaume dit, Fremin morfont;
Anthoine, seb., ag., Vincent boit, Fol doit plus qu'on ne lui doit.
A Chandeleur Agathe vient, à Paris y m'en souvient, et Julien de
Poissy, Pierre, Mathias aussi... » — III. Eléments superstitieux. Dès
l'an 354, on rencontre dans le Chro?iographe un calendrier astrologique
où nous trouvons, avec les influences des planètes, l'origine des noms
des jours de la semaine. A chaque heure est attaché le nom d'un astre;
les jours portent le nom de la planète qui préside à leur première
heure, en comptant à partir du samedi, au lever du soleil ; Mars et
Saturne sont nuisibles, Jupiter et Vénus sont bons, Mercure, le soleil et
la lune sont communs. Ce système est égyptien, mais dans le grand
calendrier de 354, nous trouvons déjà, notés avec soin, ces jours
égyptiens qui se perpétuent à travers les calendriers du moyen âge, où
ils sont marqués par un D, et parfois accompagnés de l'heure péril-
leuse. On a pu dire qu'ils sont « la trace du combat que la superstition
a longtemps livré à la foi ». On trouve dans beaucoup de calendriers les
jours égyptiens marqués dans des vers assez barbares que l'on a attri-
bués à Bède :
Si tenebree segyptus graio serraone vocantur...
ou encore :
Prima dies mensis et septima truncat ut ensis...
Cette superstition n'a rien d'égyptien, son origine est toute romaine et
ne remonte qu'au temps des empereurs(Mommsen, Corpus, I, p. 374 ;
voy. aussi les travaux imparfaits de Court de Gébelin, Le Monde Pri-
mitif, 1773 ss., vol. III, et de M. Loi seleu r, Soc. des Antiquaires, 1872,
p. 198). Les jours périlleux ou maleurés, auxquels s'attachait l'ignorance
populaire, ont varié cent fois. M. Meyer en a publié plusieurs listes
{Jahrb. f. roman, te. engl. Liter., Leipzig, 18G0, p. 47; voy. aussi
M. Bonnardot, Soc. des Anciens Textes, 1876, p. 73 ss.). Voyez aussi
les curieux pronostics contenus dans un almanach du dixième siècle
(Hou chérie, Rev. des langues rom., 1872, p. 133). Dans quelques ma-
nuscrits, nous trouvons la recommandation du vendredi : « Au jour du
vendredi occit Gain Abel son frère... » A cet égard, le calendrier nous
montre le tableau de la vie populaire mêlée à la vie de l'Eglise. —
IV. Almanachs. On peut dire que le plus ancien calendrier a été im-
primé à Mayence en 1456; ce sont les Conjunctiones dont la Bibliothèque
nationale possède un fragment. Mais les vrais almanachs n'apparaissent
qu'en 1477 avec la Pronoiticatio de Jean Laet, et avec la Prono&ticatio
518 CALENDRIER CHRETIEN
de Termite alsacien Jean de Lichtenberg (1492, Mayence), à laquelle
Luther n'a pas dédaigné d'écrire une préface (1527). En 1475, le cé-
lèbre astronome Jean de Kœnigsberg, dit Regiomontanus, avait publié
son savant Calendarium. Ce n'est toutefois qu'après le milieu du
seizième siècle qu'on trouve des calendriers établis pour une année
déterminée, avec les fêtes mobiles et les jours de la semaine. Le véri-
table modèle de tous les almanachs - est le Compost et Kalendrier des
bergiers (Paris, 1493), cent fois imprimé et imité. La Bibliothèque na-
tionale en possède un admirable exemplaire sur vélin. On y trouve
l'hygiène, l'astronomie, la morale, et jusqu'au « combat de deux
hommes d'armes et d'une femme contre un limaçon. » On peut voir
aussi le [Calendrier des bergères, pour les dames. Le médecin provençal
Michel de Nostredame, dans les prédictions duquel on a cru voir la
Saint-Barthélémy annoncée (Lyon, 1555, etc.), Mathieu Lansbert, per-
sonnage fort mystérieux (Liège, 1636), n'ont fait qu'imiter le Calen-
drier des bergers, duquel découle toute cette misérable litttér attire qui
ne fait que commenter le vieil adage :
Ungues Mercurio, barbam Jove, Cypride crines.
(voy. Warzée, Rech. sur les Almanachs belges, 1852, extrait du Biblio-
phile Belge; Ch. Nisard, Les Livres populaires, 2e édit., I ; Brunet, Ma-
nuel du Libraire, 5e édit., etc.). — V. Les Calendriers protestants. Dès
ses premiers jours, la Réforme s'est appliquée à détourner l'attention
du peuple de la superstition vers la piété. L' Almanach spirituel et per-
pétuel, nécessaire à tout homme sensuel et temporel, que l'on peut croire
imprimé chez P. de Wingle vers 1533, ne contient pas de calendrier,
mais il renferme des préceptes et des versets de la Bible (in-32, 16 ff.).
En 1550, un théologien de Wittemberg, Paul Eber, publie dans cette
ville le Calendarium lus toricum, savant ouvrage où l'on trouve des éphé-
mérides bien choisies, mais où un certain nombre de saints ont con-
servé leur place. Le Calendrier historial, que nous trouvons, par exemple,
en tète du Psautier (Genève, 1566, in-32, caract. civilité), et, un peu
différent, à la suite de la Bible (F. Estienne, 1567, in-8°), en est une
imitation. M. Fick a réimprimé, en 1866, un curieux almanach de
Genève pour l'an 1573 ; c'est encore un calendrier perpétuel, mais
déjà il est disposé pour l'année indiquée ; à côté des jours de cène
à Genève, il donne encore seize fêtes de la Vierge et des saints, et
les Quatre-Temps. On voit par là combien a été persistante, même
dans l'Eglise calviniste, la commémoration des saints, dont plusieurs
sont encore célébrés dans les Etats protestants de l'Allemagne. Depuis
la Réforme, les calendriers allemands ont tous conservé la liste des
saints, retouchée arbitrairement et variant sans règle ni raison. Un pro-
fesseur de Berlin, M. Piper, a essayé d'introduire un ordre et une
pensée dans ce que l'on a appelé le Calendrier Evangélique ; il a publié,
de 1850 à 1869, une série d'almanachs (Evang. Kalender), où des disser-
tations sur la liturgie se joignent à la biographie des personnages dont
les noms ont été conservés. Cette tentative n'a pas été encouragée par
le sentiment populaire. Une semblable entreprise a été tentée par deux
CALENDRIER — CALICE 519
almanachs moraux et religieux publiés en Alsace, le Guter Bote (1852)
etYAlmanach des Familles (depuis 1852; aujourd'hui à Nancy). Nous
ne manquerons pas de nommer ici YAlmanaek des Bons Conseilt (de-
puis 1826), qui mente sou nom. Dans l'Eglise anglicane, la liste des
saints du calendrier a été révisée en 1662; les plus récents éditeurs du
Prayer-Book ont pris sur eux d'effacer les noms de tous les saints qui
ne se trouvent pas dans la Bible, mais la grande édition de ce livre
liturgique, laite en 1819 par les soins de YEcclesiastical History So-
ciety, a rétabli le calendrier officiel de l'Eglise d'Angleterre. — VI. Ca-
lendriers orientaux. Ne pouvant entrer ici dans leur étude, nous nous
bornons à renvoyer le lecteur aux dissertations d'Assemani dans ses
Kaiendaria Ecclesùe umversas (Home, 175o, 0 vol. in-'±°; voir notre
Enct/cl., I, p. 648), du P. Martinov {AA. SS., oct., XI), et du P. de
Huek, dans la Bibl. de la Comp. de Jésus de deBacker, 2eédit., III, 1876,
p. 383, ainsi qu'à Y Iatroductio ad Hisl. Eccl. du P. de Smedt, Gand,
1876, p. 195. — Sources : Il n'existe aucun traité complet du calendrier :
au reste aucun livre ne pourrait remplacer à cet égard l'étude des ma-
nuscrits. On consultera avec avantage le Glossaire des Dates, publié dans
l'Introduction de Y Art de vérifier les Dates et dans la Paléographie de
M. deWailly (Paris, 1838, in-4°, I), et celui que donne Grotefend (Handb.
d. ChronoL, Hanovre, 1872, in-4°) ; voy. surtout de Buck, Rech. sur les
Calendriers ecclésiastiques, dans les Précis historiques des Pères jésuites,
1877, janvier-mars; Piper, Kirchenrechnung, 1841, in-4° ; le même,
art. Kalender dans Herzog, vol. VII. S. Berger.
CALICE (xor^piGVj calix), en terme de liturgie, est un vase sacré qui
sert lors de la célébration delà sainte cène. A l'origine ces vases étaient
t lès-grands, en verre, en bois ou en métal, garnis de deux anses par
lesquelles les diacres les retenaient en les passant aux fidèles. Decrainte
d'en répandre le contenu j l'usage s'introduisit, vers la lin du huitième
siècle, de munir le calice d'un tuyau ou chalumeau {calamus, arundo,
fistula eucharistie, canna), par le moyen duquel les fidèles buvaient le
sang précieux de l'eucharistie. Les conciles de Londres (1175) et de
Rouen (1189) défendirent l'emploi de calices autres que ceux en argent
ou en or. Leur poids variait. On en trouve dans les trésors et les sacris-
ties de plusieurs églises qui sont d'un volume si considérable que
l'on n'a jamais dû s'en servir : ce sont des dons faits par des princes
pour servir d'ornement. L'évêque seul a le droit de consacrer les cali-
ces. Le sang de Jésus-Christ étant déjà contenu dans son corps, offert
aux fidèles dans l'hostie, l'Eglise jugea utile de restreindre aux seuls
prêtres, comme les successeurs des apôtres, l'invitation de Jésus-Christ :
\V.i~i ï'z zj-.zj r.xr.zz iMaltli. XXVI, 27). Ce n'est qu'au commencement
du treizième siècle que lut consommé le rapt du calice (voyez l'article
Cène)t contre lequel protestèrent les hussites et que confirmèrent les
conciles de Constance et de Trente, ad vitanda pericula et scan-
dala (sess, 2i, can, ï), bien que celui de Baie, pour désarmer
les calixtins, enl décrété que le calice pouvait être accordé am laïque*,
tuaderitibui causa rationalibus. Luther rétablit la communion sous ics
deux espèces lors de la referme du culte à Wittemberg en 1523 (voy*
520 CALICE — CALIXTE II
Sermon vom hoéhwvrd. Sahrament des Leichnams Chrisii, 1519, etConf.
August, pars II, 1). Son exemple fut suivi par les autres Eglises de la
Réforme. Zwingle prescrivit le retour aux calices en bois, usage qui
s'est conservé dans la plupart des Eglises de la Suisse. D'après le rite
réformé, infiniment plus rationnel, le calice passe de main en main,
tandis que, dans les communautés luthériennes, c'est le pasteur offi-
ciant qui le présente à chaque fidèle. Dans l'Eglise grecque le pain est
trempé dans le vin et offert sur une cuiller aux communiants. Cet
usage, pratiqué en Occident pour les communions de malades, ne s'y
est pas maintenu (voy. Dongthœus, De calicibus eucharisticis veter.
christianorum, Brém., 1694 ; Spittler, Gesch. des Kelchs im Abendm.,
Lemgo, 1780). — Dans la Bible, le mot de calice est souvent employé
dans un sens métaphorique pour désigner la destinée bonne ou mau-
vaise (cette dernière plus fréquemment) réservée aux hommes : les
bienfaits de Dieu sont comparés à un breuvage doux et agréable et pour
lequel on le bénit (coupe de bénédiction, d'actions de grâce, de satiété,
etc.), et ses châtiments à un breuvage amer qu'il faut avaler (Ps. X, 7;
XV, 5; LXIV, 9; CXV, 13; Jérém. XVI, 7; XXV, 15; Matth. XX, 22;
XXVI, 39; Luc XI, 39; 1 Cor. X, 16; XI, 25).
CALIXTE Ier. pape. Voyez Calliste.
CALIXTE II (1119-1124). Gélase II étant mort à Cluny, les cardinaux
présents en ce lieu élurent l'archevêque de Vienne, Guy de Bourgogne,
adversaire déclaré de l'empereur dont il était parent éloigné ; acclamé
par les Romains, l'élu fut reconnu par les évoques allemands réunis à
Tribur. Aussitôt le pape se préoccupa de mettre fin à la querelle des
investitures ; il convoqua un concile à Reims pour le mois d'octobre,
il envoya des ambassadeurs à Henri V, et se disposa à aller au devant
de lui. L'évêque de Châlons et l'abbé de Cluny rencontrèrent l'em-
pereur à Strasbourg. « Si vous voulez avoir la paix, sire roi, lui dit
l'évêque, il vous faut renoncer absolument à l'investiture des évêchés
«t des abbayes. Mais sachez que votre autorité n'en sera point dimi-
nuée, car pour moi, qui suis évêque au royaume de France, je n'ai reçu
aucune investiture de la main du roi, et pourtant je lui rends les devoirs
d'un fidèle vassal. » « Eh! s'écria l'empereur, c'est tout ce que je de-
mande. » Henri V était sur le point d'accepter la paix sur ces bases, il
avait même promis d'abandonner l'investiture, mais au dernier mo-
ment les négociations furent rompues, et le concile, renouvelant les
anciens décrets contre ce qu'on appelait la simonie, interdit absolument
« toute investiture des évêchés et des abbayes par la main laïque », et
excommunia solennellement Henri V et l'antipape Bordinho (Gré-
goire VIII), qui occupait encore Rome. Cependant, quittant la France,
Calixte s'en va chasser l'antipape; Burdinus est saisi et traîné ignomi-
nieusement sur un chameau à travers les rues de Rome ; puis on l'en-
voya mourir (1125) en prison. Le pape, vainqueur, humilia la noblesse
romaine, et fit raser les tours menaçantes du seigneur Cencius. Mais la
nation allemande était lasse de la lutte, et à la diète de Wurtzbourg les
Etats demandèrent à l'empereur de se soumettre. Henri V obéit. Le
concordat de Worms, signé le 23 septembre 1122, mit fin à la querelle.
CALIXTE II — CALIXTE III 521
Le pape y accordait à l'empereur l'investiture des iiefs royaux « par
le sceptre », et l'empereur « abandonnait à Dieu, aux saints apôtres
Pierre et Paul et à la sainte Eglise catholique toute investiture par la
crosse et l'anneau, et il permettait que dans toutes les Eglises de son
empire l'élection se fit canoniquement et que l'élu fût consacré libre-
ment ». Telle fut la fin de la querelle des investitures. — On lira dans
Watterich la vie de Calixte par Pandulphe d'Alatri et par Boson, et le
récit du concile de Reims rédigé par un témoin oculaire, Hesson l'éco-
làtre. — Voyez : Baluze, MiscelL, I, 137, éd. Mansi; Papencordt,
p. 244; Gregorovius, IV; Raumer, Hohenst., I, 195, 3e éd.; Robert,
/;'/. sur les actes de Cal. 11, P., 1874, in-8°. s- Berger.
CALIXTE III, antipape. Voyez Alexandre III.
CALIXTE III. Alfonse Borgia, cardinal-évôque de Valence, élu pape
à 1 âge de soixante-dix-liuit ans, le 8 avril 1455, couronné le 20, déploie
tout d'abord un grand zèle pour la croisade, envoie des prédicateurs
par toute l'Europe pour réveiller l'ardeur religieuse et guerrière des
chrétiens; la victoire de Belgrade suivie de la retraite de Mahomet II
ne donne pas les heureux résultats qu'on avait espérés. Le grand
Hunyad et Jean Capistrano meurent en 1456, la flotte pontificale en-
voyée dans les mers de Grèce reste inactive et le pape lui-même,
délaissant les intérêts de la chrétienté, consacre tous ses soins à la
grandeur de sa famille. Rome assiste sous Calixte III à tous les scan-
dales du népotisme : deux des neveux de Calixte (Rodrigue Lenzuoli,
le futur Alexandre VI, était du nombre) sont créés cardinaux et
pourvus des charges les plus lucratives; un troisième, Pierre, est
nommé duc de Spolète, général des troupes du saint-siége, gouver-
neur de Saint-Ange et préfet de Rome ; s'il n'eût dépendu que de lui,
Calixte lui eût donné la couronne de Naples. En effet, à la mort d'Al-
fonse, sans tenir compte des bulles pontificales qui assuraient la suc-
cession aux enfants mâles de ce prince et qu'Eugène IV avait publiées
sur les instances de Borgia lui-même, celui-ci déclare le royaume
dévolu au saint-siége et invite les prétendants à se pourvoir devant les
tribunaux ecclésiastiques ; en même temps il essaie de gagner Sforza
qui refuse de trahir la maison d'Aragon et d'en partager les dépouilles
avec le neveu du pape. Calixte tint bon néanmoins et se disposait à
faire la guerre à Ferdinand lorsque la mort le surprit, le 6 août 1458.
Calixte, indifférent sinon hostile aux lettres et aux arts, vendit ou
donna la plus grande partie de la bibliothèque fondée par Nicolas V
(on achetait pour des carlins des livres qui avaient coûté des florins
d'on, découragea les savants et les artistes, abandonna les travaux
commencés sous son prédécesseur. Son pontificat n'est marqué que
par la restauration de Santa-Prisca sur l'Aventin et la réparation du mur
d'enceinte. L'acte le plus honorable auquel Calixte III ait attaché son nom,
ce fut le procès de réhabilitation de Jeanne d'Arc. Dès après son entrée
à Rouen, Charles VII avait ordonné une enquête sur le procès «moyen-
nant lequel les Anglais avaient fait mourir Jeanne iniquement et très-
cruellement (1449) » : d'Kstouteville, légat et archevêque de Rouen, qui
était chargé au nom du pape de réconcilier la France et l'Angleterre,
522 CALIXTE III — CALIXTE
ouvrit d'office l'instruction ; mais pour commencer le procès il fallait
obtenir l'autorisation de la cour de Rome, et pour décider celle-ci il
fallait lui permettre de faire justice sans qu'elle parût prendre parti
contre les Anglais; Charles VII s'efface, met en avant Ja famille de
Jeanne dont la requête est accueillie par Galixte III; celui-ci, par un
rescrit apostolique daté du 11 juin 1455, ordonne la révision du pro-
cès et en confie le soin à l'archevêque de Rouen, aux évêques de Paris
et de Coutances assistés d'un inquisiteur. Dès après la mort deCalixte
des désordres éclatent à Rome : ses favoris sont arrêtés ou mis à mort,
son neveu Pierre, obligé de s'enfuir à Civita-Vecchia ; le soir de l'élec-
tion de Pie II, toute la ville illumina, tant elle était heureuse d'être débar-
rassée des Catalans. Malheureusement, Calixte III laissa son immense
fortune à son neveu Rodrigue. — Voyez : Platina ap. Muratori, B. 1.
Scriptores, XXV, 961-966; Filelfo, Epist. XIII, 1, et Vespasiano fioren-
tino.
CALIXTE (George) [1586-1656], un des théologiens les plus distingués
de l'Allemagne au dix-septième siècle, continua dans l'Eglise luthé-
rienne les traditions de Mélanchthon et prépara la réforme de Spener.
Originaire du Schleswig, élevé par son père, qui avait suivi les leçons
du prxceptor Germanise, dans la haine d'un confessionalisme étroit,
nourri au gymnase de Flensbourg et à l'université de Helmsta3dt
d'études philologiques et philosophiques solides, grâce aux leçons de
l'humaniste Jean Gaselius et de CornéliusMartini, l'aristotélicien, Calixte
compléta son éducation scientifique par des voyages en Angleterre, en
Hollande, en Italie et en France, visitant les savants et les bibliothèques
et élargissant l'horizon de sa pensée dans le commerce avec des
hommes éminents appartenant à toutes les communions. De retour à
Helmstaedt, il fut appelé en 1614 à y enseigner la théologie. Rien qu'at-
taché de cœur au luthéranisme, il avait acquis la conviction que les
doctrines fondamentales du christianisme étaient professées dans toutes
les Eglises chrétiennes, et que dès lors rien ne devait s'opposer au
rapprochement mutuel de leurs membres. C'est surtout à partir de
1629 que Calixte développa cette tendance irénique, en exhortant les
diverses communions à reconnaître que les vérités nécessaires au salut
étaient contenues dans le symbole apostolique et dans les écrits des
docteurs et des Pères des cinq premiers siècles, et en les sollicitant à se
confédérer en vue d'une fusion future de toutes les Eglises particulières
(voy. entre autres le Proœmium au traité de saint Augustin De doctrina
christiana et au C ommonitorium de Vincens de Lérins, Helm., 1629, la
Disputaliode auctoriiate antîquitatis ecclesiasticœ, 1639, et le Desiderium
et \studium concordiœ ecclesiasticœ, 1650). Cet appel à la concorde, au
milieu d'un siècle où l'étroitesse et l'intolérance dogmatiques régnaient
encore en souveraines, devait rencontrer une vive opposition. La part
que prit Calixte au colloque de Thorn (1645), où, repoussé par les luthé-
riens, il se joignit aux réformés, fut le signal d'une attaque générale de sa
doctrine et de celle de ses disciples, flétrie sous le nom déjà odieux aux
luthériens de syncrétisme (voy. cet article). Ses principaux adversaires
étaient le prédicateur Statius Rucher de Hanovre, qui accusa Calixte de
CALIXTi: 523
crypto-papisme [Crypto-Papismus novae theologix Helmsfadiensis, llamb.,
1640), Hoc de Hoënegg et Jacob Weller, de Dresde, Dannhauer, de
Strasbourg, et Abraham Calov, depuis 1650 professeur et surintendant
général à Wittemberg ; mais ils ne surent point donner à leurs at-
taques le caractère d'une lutte de principes, se bornant à des escar-
mouches stériles, comme par exemple de reprocher à Calixte de n'avoir
pas mi découvrir la doctrine de la Trinité dans l'Ancien Testament,
d'avoir négligé en parlant des fruits de la foi les termes consacrés, et
d'appuyer inconsidérément les doctrines chrétiennes par des arguments
tirés de la philosophie et des autres religions, ce qui constitue essen-
tiellement à leurs yeux le crime de syncrétisme. C'està tort aussi qu'ils
accusaient Calixte de se complaire dans le vague et dans l'indifférence
en matière de dogme. Si, dans sa carrière, il a principalement pour-
suivi un but irénique, il n'a pas cessé néanmoins d'entretenir une
polémique vigoureuse contre les erreurs des Eglises particulières qui
lui semblaient un obstacle à l'union qu'il rêvait. C'est ainsi qu'il
démasque avec une franchise impitoyable les hérésies de l'Eglise catho-
lique (voy. surtout De ponttfictô missœ sacrificio, 1614 ; De religiow
adoratione dispui., 1023; De conjugio clericorum, 1631; De visibili
ecclesiastica monarc/n'a, 1643; De primatu Rom. Pont., 1650, etc.). 11
combat de même la doctrine de la prédestination des réformés, celle
de l'ubiquité et du péché originel des luthériens stricts. Les contro-
verses dans lesquelles Calixte fut engagé, et qui constituent le côté
principal de son activité littéraire, n'absorbèrent pas cependant tout
son temps. Parmi les autres écrits, qui dénotent mieux peut-être encore
que ses traités de polémique la pénétration de son esprit et la largeur
féconde de ses vues, nous citerons son Apparatits théologiens (1628),
dans lequel il énumère les connaissances que doit posséder celui qui
aspire au titre de théologien , et la méthode qu'il doit suivre clans ses
études; sa Theologia mora/z^ (1634), où, tout en traitant d'une manière
séparée les matières qui constituent la morale chrétienne, il montre
son lien intime avec la dogmatique, et en particulier avec la soté-
riologie d'où elle découle; ses commentaires sur l'Ancien et sur le
Nouveau Testament (Lucubrationes ad quorundam V. T. librorwn intel-
ligentiam facientes, édit. par son fils, Helmst., 1665 ; Expositiones lite-
raies, Concordai evangeliorum, etc.), ainsi que ses monographies sur
les principaux articles de la dogmatique qui dénotent, dans la partie
historique, des connaissances et une intuition du développement orga-
nique du dogme très-rare à cette époque. Le côté faible de la théologie
de Calixte, c'est, d'une part, sa théodicée, et le rapport peu heureux
qu'il établit entre les manifestations naturelles et la révélation surna-
turelle de Dieu, entre les lumières de la raison et celles que nous rece-
vons par la loi (voy. surtout Epitome theqlogiœ, L619), et, d'autre part,
L'autorité qu il attribue, à côté de la Bible, au symbole des apôtres età
la tradition de l'Eglise qui n est le commentaire, mais qu'il limite
d'une manière arbitraire aux cinq premiers siècles (Z)e auctoritate Scrtp»
taré .s., 1654). — Sources : Frédéric-Ulrich Calixte (1622-1701) a pré-
paré une édition complète des œuvres de son père qu'il n'a pas
524 CALIXTE — CALLISTE
achevée; mais il en a donné une description intéressante dans son
Catalogus operum CalixtL De nombreux manuscrits se trouvent dans les
bibliothèques de Wolfenbùttel, de Gœttingue, de Darmstadt et de
Hambourg. Voyez surCalixte : Moller, Cimbrialiterata, III, p. 121-210;
H. Schmid, Gesch. der synkret. Streitigk.in der ZeitdesG. Calixt, Erl.,
1846; Gass, Calixt u. der Synkret., Bresl., 1846; Baur, Ueberden Cha-
rakter u. die gesch. Bedeutung des Calixt. Synkret., Theol. Jahrb., Vil,
H. 2, p. 163 ss. ; Henke, Calixtus u. seine Zeit, Halle, 1853-56,
2 vol. ; id. , Calixtus Briefwechsel, Halle, 1833 ; Iena, 1835 ; Marb. , 1840.
F. LlCHTENBERGER.
CALIXTINS. Voyez Bohème.
CALLENBERG (Jean-Henri), né le 12 janvier 1694, dans le duché de
Gotha, lit ses études à Halle, où il devint en 1727 professeur extraor-
dinaire de philologie et en 1735 professeur ordinaire, enfin en 1739
professeur ordinaire de théologie et de langues orientales. Sous l'in-
fluence de Francke, il s'intéressa de bonne heure à l'œuvre des mis-
sions et fonda en 1728 un établissement à Halle pour travailler à la
conversion des juifs; il y recevait des prosélytes, envoyait des mission-
naires en divers pays et faisait imprimer dans la typographie orien-
tale qu'il avait organisée un grand nombre de petits ouvrages en hé-
breu et diverses autres langues pour les distribuer aux juifs. Il s'occupa
aussi de l'évangélisation des mahométans et publia à leur intention
des traités en arabe. Callenberg mourut le 16 juillet 1760; son institut
lui survécut jusqu'en 1791, où il fut réuni aux fondations de Francke.
Dreyhaupt (Beschreibung des Saalkreises , Halle, 1749-51, in-fol., II,
p. 46) donne des détails sur les instituts de Callenberg et les ouvrages
qui y ont été imprimés dans les commencements. Callenberg lui-
même a rendu compte de son œuvre dans plusieurs ouvrages ; il en a
composé aussi quelques-uns sur la littérature arabe , etc. On en trou-
vera l'indication dans Dreyhaupt, 1. c, p. 44 et 600;- Moser, Beytrag
zueinem Lexicon der evang. Theologen, 1740; Adelung, Fortsetzung zu
Jœchers Lexicon, Leipz., 1784, t. 1; Meusel, Lexicon der verstorbenen
Teulschen Schrifsteller, t. II, 18Q3. A. Bernus.
CALLISTE (Saint) fut évêque de Rome de 217 à 222. A-t-il été
martyr? Ses Actes, produit sans valeur (A A. SS., 14 oct., VI), racon-
tent qu'il fut précipité d'une fenêtre, au Transtévère, et en effet nous
savons qu'il fut enterré près de là, sur la voie Aurélienne, au cimetière
de Calepodius. M. de Rossi (Rom a Sott., II, 51) et des auteurs sérieux
(Moretto, De S. Callisti ejusq. basilica S. Mariœ trans Tib., Rome,
1752, 2 vol. in-fol. ) acceptent ce récit, mais d'autres croient que
Calliste n'a mérité le titre de confesseur que par son exil en Sardaigne
( Lipsius, Chronol., 1869, p. 176 ss.). Or le livre des Philosophoumena,
publié en 1851 par M. Miller, a répandu contre cet évêque les accusa-
tions les plus graves. Ce livre, qui paraît l'œuvre d'Hippolyte (voy. ce
nom), compétiteur de Calliste, nous dit que cet homme était esclave;
ayant trompé la confiance de son maître et ayant dissipé les épargnes
que lui avaient confiées les fidèles, il s'en alla insulter les juifs pour
mériter le nom de martyr et se fit condamner aux mines de Sardaigne.
CALLISTE 525
Avant su obtenir sa grâce, Calliste fut de nouveau exilé par l'évêque
Victor; mais sous Zéphyrin, nous le retrouvons dans une haute
position. L'évêque, nous est-il dit, a Le préposa au cimetière », c'est-à-
dire qu'il le lit diacre et syndic des iidèles, qui, comme corporation,
avaient le droit, d'après les lois, de posséder un cimetière collégial :
en effet, le plus beau cimetière de la Home souterraine (voy. Cata-
combes) a conservé son nom. Après Zéphyrin, Calliste est élu pape, et
on lui reproche toutes les hérésies. Obligé de condamner Sabellius
dont il partage les erreurs, il mêle à la doctrine de cet hérétique celle
de Théodote; il dit « qu'il peut remettre à tous leurs péchés». Il décida
«que si un évoque péchait, même mortellement, il ne devait pas être
déposé » ; de son temps, on commença à voir des évêques bigames et
trigames; il permit aux femmes d'avoir un amant. L'école des callis-
tiens subsista et garda le nom de son chef. « Ces hommes, s'écrie
l'accusateur, tentèrent de s'appeler l'Eglise catholique » (Refut.omn.
H;vr., éd. Duncker, II, 11 s.) Ces accusations capitales contre l'hon-
neur et l'orthodoxie d'un des plus vénérés parmi les évêques de Rome,
oubliées pendant de longs siècles, avaient pourtant laissé quelque
trace : dans le premier texte du Livre des Papes, en 530, nous trouvons
le nom de Calliste parmi ceux des hérétiques condamnés par Silvestre;
une fausse décrétai e lui attribue l'opinion mentionnée plus haut sur la
déposition des prêtres ; Théodoret cite un certain Calliste parmi les
sabelliens et Tertullien parait faire allusion à son faux martyre. Il
est vrai que l'on a retrouvé la source apocryphe où le Liber Pontificalis
a puisé ses accusations contre Calliste. M. de Bunsen (Hippol. u seine
Zeit, Leipz., 1852; 2e édit. angl., Londres, 1854), et après lui
Wordsworth (1853), Baur (Jahrb., 1853 s.), Volkmar (1855), M. de
Pressensé (Rev. chrét., 1856) ont abondé dans le sens de l'accusation.
D'autre part Dcellinger (Hipp. u. KalL, Ratisb., 1853), l'abbé Cruice
(El. sur les Philosophoumena, Paris, 1853), l'abbé Le Hir (Et. reliy. des
PP. Jésuites, 1865) et Armellini (De Prisca Refut. ffœr., Rome, 1862)
ont embrassé la défense de l'évêque de Rome dans des travaux d'une
grande érudition, auxquels M. de Rossi, dans une étude digne de ce
maitre (Bulletino di Archeologia cristiana, IV, 1866, in-4°, Rome), a
mis le couronnement. Les auteurs catholiques ont soutenu que la
haute estime où fut tenu Calliste ne permettait pas d'admettre les
accusations passionnées qu'un rival a portées contre ses mœurs; le
concubinat qu'il permit aux femmes nobles, ont-ils dit, n'était que la
bénédiction, par l'Eglise, du mariage des femmes de qualité avec des
affranchis, union qui n'était pas reconnue par la loi ; quant à la
rémission des péchés, c'est le montanisme seul qui l'a contestée, et
lorsque l'adversaire de Calliste parle de prêtres bigames, il ne peut
parler que des mariages conclus avant les ordres reçus. On reproche à
L'évêque de Rome d'avoir penché vers le sabellianisme, mais son
jugement sur la Monarchie divine est devenu, de par le concile de
Nicée, la foi de l'Eglise. Telle est l'apologie ; elle a été fournie, sur
certains [joints, avec autorité ; et néanmoins elle laisse bien des doutes
dans l'esprit. M. de Rossi n'a pu soutenir sa thèse qu'au moyen
526 CALLISTE — CALMET
d'hypothèses dans lesquelles la critique ne le suivra pas toujours, et
surtout nous ne pouvons croire que le pontificat de Zéphyrin et de
Calliste ne nous mette en présence d'une période de grand relâche-
ment dans la discipline de L'Eglise. Ce n'est qu'ainsi que nous
expliquons la réaction du montanisme, autre excès provoqué par ceux
qui ont diminué la sévérité des lois de l'Eglise. s. Berger.
CALMET (Augustin), historien et exégète bénédictin; né le 26 fé-
vrier 1672, à Mesnil-la-Horgne en Lorraine, il fut admis en 1688 dans
l'ordre des bénédictins (congrégation de Saint- Vannes), et fit ses étu-
des dans leur abbaye de Munster en Alsace, où il apprit l'hébreu
d'un pasteur protestant de cette ville; employé d'abord à l'enseigne-
ment dans l'abbaye de Moyen-Moutier, puis sous-prieur dans celle de
Munster, Cahnet poursuivait avec ardeur ses études sur la Bible, de
sorte qu'il fut envoyé dès 1706 à Paris pour y terminer le grand com-
mentaire qu'il avait entrepris et en surveiller l'impression ; après avoir
rempli plusieurs charges importantes dans sa congrégation, il fut
nommé en 1728 abbé de Senones en Lorraine, et y mourut le 25 oc-
tobre 1757, sans avoir jamais voulu accepter l'épiscopat qu'on lui of-
frait. Calmet fut un travailleur infatigable et le nombre de ses ouvrages,
dont plusieurs sont très-volumineux, est considérable; il est vrai qu'il fut
secondé par plusieurs de ses confrères. Gomme historien, il entreprit
une Histoire universelle sacrée et profane (Strasb., 1735-71, 17 vol.
in-4°, dont il n'écrivit lui-même que les huit premiers) ; on fait plus
de cas de ses travaux sur l'histoire lorraine, en particulier de son
Histoire ecclés. et civile de la Lorraine (2e éd., Nancy, 1745-57, 7 vol.
in-fol.) et de sa Bibliothèque Lorraine ou hist. des hommes illustres qui
ont fleuri en Lorraine (Nancy , 1751, in-fol., qui forme aussi le t. IV de
l'ouvrage précédent). Mais ce sont ses ouvrages sur la Bible qui ont
surtout à fixer notre attention : Commentaire littéral sur tous les livres
de VAnc. et du Nouv. Test. (Paris, 1707-16, 23 vol. in-4°; 2e éd., 1714-
20, 26 vol. in-4° ; 3e éd. rev. et corr., Paris, 1724-26, 8 vol. in-fol. ; une
trad. lat. fut imprimée plusieurs fois en Italie et en Allemagne). Ce
commentaire a joui d'une grande autorité parmi les catholiques, mal-
gré les vives critiques par lesquelles Fourmont et R. Simon saluèrent
l'apparition de son premier volume, et, sous la forme abrégée que
Rondet lui a donnée tout en le fondant avec les travaux de Carrières et
de Vence (Paris, 1748-50, 14 vol. in-4°; 4e éd., Paris, 1820- 24, 25 vol.
in-8°), il est encore consulté de nos jours. L'ouvrage de Calmet con-
tient le texte de la Vulgate accompagné de la traduction française de
Lemaistre de Sacy modifiée par endroits ; dans le commentaire, qui
est avant tout une compilation des principaux exégètes catholiques et
même protestants, Calmet, renonçant avec raison aux allégories mys-
tiques, s'attache à rechercher le sens grammatical et historique, et le fait
souvent avec bon sens, mais souvent aussi avec trop de longueur,
avec peu de précision et de profondeur, et avec une connaissance in-
suffisante des langues originales. Une dissertation spéciale est consa-
crée à chaque livre de la Bible, comme aussi à certaines questions de
critique, d'histoire ou d'archéologie, et c'était peut-être la meilleure
OALMET — CALOT 527
partie de l'ouvrage, quoique là aussi il y eût bien des longueurs et
peu d'esprit critique. Ces dissertations, revues et augmentées de tout
tin volume, ont été publiées à part : Dissertations qui peuvent servir
de prolégomènes de rEcritmre sainte (Paris, 1720, 3 vol. in-4°, plu-
sieurs l'ois réimprimées, et traduites eu anglais, eu hollandais, eu ita-
lien, eu latin et eu allemand); dans la Bible de Rondet (dite de Vencé)
citée ci-dessus, Galmeta ajouté dix. nouvelles dissertations qui if ont pas
paru à part. Dictionnaire hist.,crit.. ckroHol., géogr. et littéral delà Bible
(Paris, 1722-28, ï vol. in-fol; 2e éd., Paris, 1730, 4 vol.in-fol.; Genève,
17:H). I vol. in-4° ; Toulouse, 1783, 0 vol. in-8°; Paris, 1845-46, dansl'^w-
cpclop. Migne, 4 vol. in-4°. Ces trois dernières éditions sont sans figures).
Ge dictionnaire a été traduit en latin, en hollandais, en allemand et
en anglais ; dans cette dernière langue il fut remanié et considéra-
blement augmenté par Gli. Taylor (1797, in-4°; 9e éd., Londres, 1845,
5 vol. in-4°). Cet ouvrage de Galmet, tiré en partie de son commentaire
et de ses dissertations, résume tout ce que les recherches historiques,
archéologiques et géographiques de l'époque fournissaient pour l'ex-
plication de la Bible, et a été fort utile; mais c'est en même temps celui
de tous les ouvrages de l'auteur que les travaux modernes ont effacé
davantage. La Bibliothèque sacrée, qui est en tête, offre une bonne bi-
bliographie des éditions de la Bible et des ouvrages servant à l'expli-
quer, résumé de la Bibliotheca sacra du P. Lelong. Histoire sainte de
/'Ane. et du Noue. Test, et des Juifs, pour servir d'introduction à Vlust.
etclés. de Vabbé Fleury (Paris, 1716, 2 vol. in-4° ; 1770, 5 vol. in-4°).
Elle va de la création du monde à la destruction de Jérusalem par les
Romains. Nous passons sous silence plusieursouvrages moins importants.
Pour résumer notre jugement, nous dirons que Galmet a été surtout
un compilateur érudit, mais que le sens critique lui manque ; et nous
ajouterons que Voltaire, qui le connut personnellement, et qui s'est
beaucoup servi de ses travaux exégétiques comme de son Histoire uni-
verselle, eût peut-être moins méconnu la Bible s'il eût dû ses connais-
sances bibliques à un guide moins attaché aux opinions tradition-
nelles. — Sources : (Dom Fange), Vie du P. Aug. Calme t, avec
mi catal. raisonné de ses ouvrages, Senones, 1762, in-8°; trad. en
ital. et annoté par B. Passionei, Roma, 1770, in-4°; Maggiolo, Eloge
fiistor.de Dom Cal met, Nancy, 1839,in-8°; et Mémoire sur la correspon-
dance inédite de Dom Calmet, Paris, 1863, in-8° ; Digot, Notice biogr. et
lit ter. sur D. Calmet, Nancy, 1860, in-8°; Guillaume, Documents inédits
sur les correspondances de D. Calmet et de D. Fange, Nancy, 1873-74,
in-8°: de Ba/.elaire, Cal/net et la congrég. de S. -Vannes (dans le Corres-
pondant, 10 et 25 mars 1845) ; Calmet, Bibliothèque Lorraine; Rathlef,
k. jetzlebender Gelehrten, 1, p. 66; Strodtmaun, Beytrœge zur Ilist.
iler (ielalirtlieii, V, p. 200. A. Berni s.
CALOV (Abraham), un des représentants les plus illustres de l'ortho-
doxie Luthérienne du dix-septième siècle, naquit en 1612, à Mohrungeu
(Prusse orientale); il lit ses études à L'université de Kœnigsberg et
s'exerça dès l'âge de vingt-et-un ans à la polémique théologique. Il
KiccessiTement de Rostock à Kœnigsberg. à Dantzig et enfin à
528 CALOV — CALVAIRE
Wittemberg, où il devint bientôt « surintendant général » et primarius.
11 y déploya une grande activité : à côté de ses cours, qui attiraient
une foule d'étudiants, il ne cessait de lancer contre ses adversaires
brochure sur brochure, et d'exposer dans nombre d'ouvrages son
orthodoxie luthérienne. Sa vie de famille fut très-agitée : il vit mourir
cinq épouses et treize enfants. A l'âge de soixante-douze ans il se maria
encore avec la fille du théologien Quenstedt. Deux ans après il mourut,
en 1686. Son nom est devenu le symbole de cette orthodoxie froide et
acérée, qui ne se nourrit que de formules et de distinctions et que n'a
jamais pénétrée le souffle brûlant de la vie religieuse. Son adversaire
principal futCalixte et son école: c'est contre ce syncrétisme si abhorré
qu'il composa en 1665 une nouvelle confession de foi, le Consensus
repetitus fidei verxlutheranœ. Il s'attaqua aussi aux jésuites établis dans
les environs de Wittemberg, au socinianisme, à l'arminianisme, etc.
C'est contre Grotius qu'il composa son grand ouvrage exégétique, la
Biblia illustrata. Mais l'œuvre de sa vie fut le Systema locorum theolo-
gicorwn (1655-1677, 12 tomes). Le premier il réunit les articles épars
de la dogmatique luthérienne et en ht un système.
CALVAIRE (Goulgâthâ, roXyoOa, xpaviov, xpavtou t6t:cç, calvaria,
calvarium, lieu du crâne), endroit élevé situé en dehors des murs de
Jérusalem (Matth. XXVII, 33 ; Jean XIX, 17 ; cf. Hébr. XIII, 12) où se fai-
saient les exécutions, d'où lui est venu son nom, et non pas de sa forme
semblable à celle d'un crâne ou, comme le veulent quelques Pères
(Jérôme, In Matth., XXVII, 33; Augustin, Civit. Dei, XVI, 32), parce que
la tète d'Adam y serait enterrée. 11 est impossible de déterminer de
quel côté de la ville se trouvait le Calvaire. La tradition qui le place
au nord-ouest de la colline de Sion, à l'endroit où s'élève aujourd'hui,
dans r enceinte de la ville, l'église du Saint-Sépulcre érigée parl'impé-
ratrice Hélène et l'empereur Constantin, et souvent décrit parles pèle-
rins et les touristes, ne repose sur aucun fondement historique. Il n'est
pas admissible que le lieu d'exécution se soit trouvé si près de la ville,
d'autant plus que son élévation, au point de vue stratégique, n'expli-
querait pas qu'on l'eût laissé, au temps de Jésus-Christ, en dehors de
l'enceinte (voy. l'article Jérusalem). — On appelle calvaires des cru-
cifix et des chapelles élevés sur un tertre, près d'une ville, et offrant
aux fidèles qui s'y rendent en pèlerinage, à l'époque du carême, les
images de la Passion. Généralement les crucifix sont au nombre de
trois (Jésus et les deux malfaiteurs). Le long de la voie qui y conduit
(via crucis, calvarii), se trouvent échelonnées de petites chapelles avec
des images représentant les principales scènes de la Passion. On les
appelle des stations. Leur nombre est d'ordinaire de quatorze: la con-
damnation par Pilate, l'imposition de la croix, la première défaillance
de Jésus, la rencontre avec sa mère, la présentation du suaire de sainte
Véronique, la seconde défaillance, les iilles de Jérusalem se lamen-
tant, la troisième défaillance, le partage des vêtements, la crucifixion,
la mort, la descente delà croix, l'ensevelissement. On attribue l'établis-
sement de ces calvaires aux franciscains, dans le but d'offrir une com-
pensation aux fidèles qui ne pouvaient entreprendre le pèlerinage en
CALVARISTES — CALVIN 529
Terre-Sainte. Divers papes leur ont attribué des indulgences plénières.
CALVARISTES ou prêtres du Calvaire association fondéeen 1633 par
Hubert Charpentier sur le mont Betkaram, et, dans le diocèse d'Auch,
à Notre-Dame-de-Garaison, dont le pèlerinage était très-fréquenté.
Hubert Charpentier se proposait surtout d'honorer la Passion de
Jésus-Christ et de reconquérir à la loi catholique le Béarn. Louis XIII
lui avant permis d'établir une résidence au Mont-Valérien, près de
Paris, l'association de la Propagation de la Foi instituée pour la con-
version des protestants s'unit à la congrégation du Calvaire, qui fut
autorisée en 1650 par lettres patentes du roi. Plus tard les prêtres de
Betharam et du Mont-Valérien s'étant réunis, et les curés de Paris
avant été admis dans leur association, on vit les paroisses de Paris se
rendre en procession pendant la semaine des Rogations au Mont-Valérien,
qui prit le nom de colline du Calvaire.
CALVIN (Jean), le plus grand réformateur de langue française et
le théologien le plus éminent du seizième siècle. — I. Le Réformateur.
Calvin naquit à Noyon en Picardie, le 10 juillet 1509. Sa famille appar-
tenait à la moyenne bourgeoisie : il se désigne lui-même comme étant
unus de plèbe komuncio. Son grand-père était tonnelier à Pont-PEvêque,
petite ville de Normandie. Son père, Gérard Chauvin, ou Cauvyn, était
parvenu par sa persévérance et son savoir-faire à conquérir une
position honorable ; il était secrétaire épiscopal, procureur fiscal du
comté et syndic du chapitre de la cathédrale de Noyon. Jean fit sa
première éducation dans sa ville natale, en la compagnie des enfants
de la maison de Mommor. Il paya plus tard sa dette de reconnaissance
à cette noble famille en dédiant son premier ouvrage {De Clementiâ) à
l'un de ses condisciples d'enfance, Claude de Hangest, abbé de Saint-
Eloy de Noyon. Au mois d'août 1523, il fut envoyé à Paris, où il
étudia pendant quatre ou cinq ans : d'abord au collège de La Marche,
sous l'habile direction du savant latiniste Mathurin Cordier, et peu
après au collège de Montaigu, dont l'austère discipline allait si bien à
son tempérament. Ardent au travail, d'une aptitude merveilleuse à
tout saisir, d'une sévérité de mœurs inflexible pour les autres comme
pour lui-même (ses camarades l'avaient surnommé Y accusatif), il
montrait déjà sur les bancs de l'école quelques-uns des traits qui, en
se développant, devaient dessiner la forte physionomie du réforma-
teur. Son père l'avait destiné à la théologie, et dans ce but il lui fit
accorder le bénéfice de la chapelle de la Gésine en la cathédrale de
Noyon (1521) et plus tard (1527) la cure de Marteville qui fut échangée,
en 1529, avec celle de Pont-1'Evêque. Mais « puis après, dit Calvin
lui-même dans la préface de son Commentaire sur les Psaumes,
d'autant qu'il considérait que la science des loix communément
enrichit ceux qui la suyvent, ceste espérance luy fait incontinent
changer d'avis. Ainsi cela fut cause qu'on me retira de Tétude de
philosophie, et que je fus mis à apprendre les loix. » Il suivit d'abord,
à Bourges, les Leçons du Milanais André Alciat, puis à Orléans, celles
de Pierre de l'Estoile. Il lit dans ces universités, de 1528 à 15:{(),srs
deux premières années de droit qui le menèrent à la licence; mais il
n. 34
330 CALVIN
ne fit la troisième et dernière année, qui était nécessaire pour l'obten-
tion du doctorat, que de mai 1532 à juin 1533, à Orléans. Noua le
sa\ons, grâce à la découverte toute récente de deux actes notariés à
la date de mai et de juin 1533, dans lesquels il intervint en qualité
de « substitut annuel du procureur de la nation de Picardie, de
l'université d'Orléans ».Dans le cours de ses études de jurisprudence,
il perdit son père, le 26 mai 1531 ; et cet événement lui permit sans
doute de suivre sa pente naturelle, laquelle le portait de préférence
d'un autre côté. Son début dans la carrière des lettres fut encoura-
geant. La remarquable préface qu'il mit, en mars 1531, à un ouvrage
de l'un de ses amis, Nicolas Duchemin (Antapologia, etc.), révélait
déjà, en effet, les qualités de premier ordre qui distinguent son style
latin : concision , élégance et mâle vigueur. On y trouve aussi, dans un
sujet foncièrement juridique et classique, une élévation de sentiments,
un pur amour de la vérité en matière de sciences, qui étonnent chez
un écrivain de vingt-deux ans. Dans les universités de Bourges et
d'Orléans, il se lia de la plus étroite amitié avec plusieurs jeunes
gens studieux et estimables; et nous relevons ce fait parce qu'il prouve
qu'à cette époque de sa vie Calvin était très-sociable. Il écrivait, à
l'âge de trente ans : Cum innumeros aliquando amicos in Galliahabuerim.1..
Parmi ces amis, dont sa conversion aux idées nouvelles le sépara sans
retour, il faut nommer François Daniel, d'Orléans, auquel il adressa
les premières lettres qui nous soient restées de lui, et qui devint
bailli, avocat au présidial et conseiller du roi ; et Nicolas Duchemin,
chez lequel il logea quelque temps dans sa maison de la rue du
Pommier, et qui était chanoine de Saint- Vrain-de-Jargeau. Peu après
la mort de son père, il se fixa à Paris, qui était déjà, comme
aujourd'hui, le centre intellectuel de la France; et son ambition se
borna à se faire un nom parmi les humanistes. A cette fin il publia, à
ses frais (avril 1532), « un docte et singulièrement beau Commentaire
sur le livre de Sénèque touchant la vertu de clémence » (Bèze, Vie de Calvin,
1565). S'il choisit ce traité, ce ne fut point pour exciter la sympathie ou
la pitié de François Ier en faveur des évangéliques persécutés; rien
absolument n'autorise à lui prêter cette intention : il fit ce choix
parce que Sénèque était pour lui vir eximix éruditions et insignis fa-
cundiœ et qu'il voyait en lui alterum Ciceronem. Il faisait œuvre de
littérateur et non d'évangéliste. — A Orléans comme à Bourges, il eut
certainement l'occasion de voir et d'entendre des partisans des idées
nouvelles : ses relations avec l'évangélique Melchior Wolmar, son
professeur de grec, étaient continuelles, et il vivait dans l'intimité
(vêtus nostra familiaritas) avec son cousin Pierre-Robert Olivetan, qui,
nous semble-t-il, se réfugia à Strasbourg, en avril 1528, pour fuir la
persécution. Ces universités se distinguaient, d'ailleurs, avantageuse-
ment de celle de Toulouse : on y comptait parmi les élèves beaucoup
d'Allemands pour qui la lutte soutenue par Luther contre le clergé
était la grande affaire. Rien ne prouve cependant qu'à cette époque le
jeune étudiant eût embrassé, môme secrètement, ces croyances pour
lesquelles mouraient déjà nos martyrs. Quelques mots mal compris de
CALVIN 531
ses premières lettres ou quelques lettres maladroitement antidatées out
induit en erreur la plupart de ses récents biographes. Sa conversion,
dont il parle lui-même comme avant été « subite », ne dut avoir lieu
que dans les premiers mois de 1534. Et encore ne croyons-nuiis pas
qu'il ait alors prêché Ouvertement la foi nouvelle, à ses risques et
périls. 11 ne le fera qu'après sa sortie de France, par la publication de
son Institution chrétienne, .Nous insistons sur ce point parce qu'il a son
importance et qu'il nous parait clairement démontré depuis la belle
publication de la Correspondance des Réformateurs, par A.-L. Hermin-
jard, Nous ne pouvons ici fournir toutes nos preuves. Rappelons
seulement que, pour la première fois, Calvin, dans une lettre écrite
d'Àngoulême (ex Acropoh), vers le mois de mars 1534, nous fait
entendre une note qui n'avait encore résonné dans aucune des douze
lettres antérieures que nous connaissons de lui. Dans ces lettres, les
élans religieux, le langage de la charité chrétienne font complètement
défaut. Ici au contraire, il déclare que la tranquillité dont il jouit lui a
été (( donnée par la main de Dieu. Reposons-nous sur lui, ajoute-t-il,
il aura soin de nous » (Hœc omnia manus Domini, cui si nos commit-
timus, ipse erit sollicitusnostrî). Aussi bien, tout ce qui vient de nous être
révélé de lui pendant les années 1532 et 1533 (Bulletin du Prot. fr.,
avril 1877) est venu confirmer notre opinion déjà faite sur ce point.
Un jeune homme si profondément enfoncé dans les études du droit ne
devait pas, ne pouvait pas s'occuper beaucoup des questions reli-
gieuses; tout au moins sa conversion aux idées nouvelles n'était
certainement pas accomplie. Avant le commencement de 1534, il
pouvait avoir senti se relâcher les liens qui l'attachaient au catholi-
cisme, mais il n'avait pas encore pensé à les briser. Le discours même
qu'il rédigea pour le compte du recteur Nicolas Cop, et qui fut
prononcé par celui-ci, le 1er novembre 1533, devant l'université de
Paris, sentait évidemment l'hérésie, car il roule sur la foi justifiante;
mais le jeune littérateur devra faire de grands progrès dans la con-
naissance de la vérité évangélique pour devenir le réformateur que
l'on sait. Cop, averti qu'il allait être emprisonné, se réfugia à Bâle.
« Calvin aussi, pour la familiarité qu'il avoit eu avec le dit Cop, fut
contreint de sortir de Paris, estant recerché jusques là, que le bailly
Morin alla en sa chambre au collège de Fortet, où il se tenoit pensant
le constituer prisonnier; mais ne le trouvant pas, saisit tout ce que il
peut de ses livres et papiers : entre lesquels estans plusieurs lettres de
ses amis, tant d'Orléans que (railleurs, on tascha de leur en faire
fascherie ; toutesfois Dieu voulut que cela ne vint à effect » (Rèze, Vie
de Calvin, 1565). Bèze ajoute qu' « il fut envoyé en cour pourchasser
quelque provision, là où il fut recognu et très-bien recueilli de wwx
qui a\oyent quelque droite affection et jugement en ces affaires. »
Ailleurs, il affirme que, dans cette circonstance, la reine de Navarre
l'accueillit avec beaucoup de considération (Vita Calmai, 1575). Calvin
étira ensuite en Saintonge chez un ami, Louis du Tillet, curé de
Claix et chanoine d'ÀngOttiême. Ce fut là, comme dans un « nid pai-
sible », que tout entier à l'étude de la Bible et des Pères de L'Eglise, il
532 • CALVIN
arriva à rompre les derniers liens qui le retenaient dans le catholicisme.
11 n'avait pourtant pas encore éprouvé qu'une libre profession de ses
croyances était impossible dans son pays. Aussi le voyage qu'il fit
à Nérac, avant de quitter Angoulême, peut-il être l'indice d'une
certaine inquiétude, du besoin qu'il avait de s'éclairer encore. Qu'on
serait heureux de savoir ce que se dirent ces deux hommes, dont l'un
avait été le timide précurseur de la Réforme en France, et dont l'autre
en sera le puissant organisateur ! Mais Bèze se contente d'indiquer cetle
conversation par ces laconiques paroles : « Le bon vieillard fut
fort aise de voir Calvin, et conférer avec lui » (Vie de Calvin, 1565).
Calvin n'hésita plus : il sacrifia volontairement le brillant avenir qui
l'attendait sans doute dans la carrière qu'il abandonnait. Le lundi
4 mai 1534, il résigna, à No von, sa chapelle de la Gésine et sa cure de
Pont-1'Evêque. Il parait toutefois, d'après Le Vasseur, qu'il reçut pour
ce double désistement une compensation en argent. Quant à ses autres
pérégrinations jusqu'au mois d'octobre 1534, il est impossible d'en
indiquer la série avec certitude. En quittant Noyon, il dut s'arrêter
plus ou moins longtemps à Poitiers, où le jurisconsulte Pierre de La
Place l'entendit « parler magnifiquement de la connaissance de Dieu »
(Bavle, art. La Place),- et dans la ville d'Orléans, d'où est datée la
première préface de la Psychopannychia, son deuxième ouvrage (au
moins dans sa forme primitive). C'est peut-être à ce moment qu'il
faut placer les prédications qu'il auraitfaites, d'après Bèze, à Lignières,
dans le voisinage de Bourges {Vie de Calvin, 1565). Toutefois, s'il a
réellement prêché en 1534, on peut affirmer qu'il usait d'une grande
réserve en exposant la doctrine de l'Evangile. Le témoignage d'un
homme qui fut son ami, son compagnon, pendant cette même année,
est assez péremptoire pour que nous devions contrôler les récits
fantaisistes dans lesquels tant de ses historiens se sont complu. Du
Tillet, qui était revenu au catholicisme, écrivait le 1er décembre 1538,
à Calvin lui-même : « C'est devant ceulx à la plus grand part des-
quels vous sçavez que votre doctrine est agréable, non pas ailleurs,
que vous la maintenez; car vous avez abandonné vostre nation pour
oe que vous ne l'y avez osé divulguer et maintenir publiquement. »
Si l'on objectait la science scripturaire qu'il montre dans le traité
polémique qui sera plus tard désigné sous le nom de Psychopannychia,
et l'impossibilité où il a dû se trouver d'acquérir cette science en si
peu de temps, cette objection se retournerait contre ceux qui la fe-
raient. Car il est aujourd'hui prouvé que cet ouvrage n'a été publié
qu'en 1542 (à Strasbourg), malgré les deux préfaces datées d'Orléans,
1534, et deBàle, 1536 (Calvini Opéra, édit. Reuss, etc., 2e partie, p. 39).
Son premier travail, qu'il soumit à Capiton et à Bucer, n'était, de son
propre aveu, qu'un « amas de notes sans plan bien ordonné, un brouil-
lon informe où il avait jeté ses pensées pêle-mêle. » Et ses amis de
Strasbourg lui conseillèrent d'attendre, avant de le mettre sous presse,
qu'il eût (( une connaissance plus intime de toutes les saintes Ecritures,
et que ses débuts théologiques fussent plus dignes de lui. » Or, comme
l'œuvre imprimée est certainement d'un théologien qui n'est plus no-
CALVIN 533
vice, mais qui a plutôt le sentiment de sa force, nous devons nous dire
que nous avons là un livre nouveau et non le brouillon primitif; lui-
même lui donne ce nom : novum librum, sic enim appellare licet. Et ce
livre nouveau, il L'achevait en' même temps qu'il mettait la dernière
main à son institution chrétienne. — Une fois converti aux idées nou-
velles, Calvin les propagea avec ardeur autour de lui, quoiqu'il le
lit avec prudence. Il ne craignit pas de se mettre en avant pour les
détendre contre ceux qui pouvaient en ternir la pureté. La petite com-
munauté évangélique qui tenait à Paris ses réunions secrètes comprit
quelle importante recrue elle venait de faire. Ce fut là que, dans cette
même année 1534, il rencontra pour la première fois Michel Servet,
lequel venait de publier deux livres contre la Trinité (1531, 1532).
<( Calvin ne refusa point, dit Bèze, de conférer aveclui pour le convaincre
et redarguer par la parole de Dieu. Pour ce faict fut accordé qu'ils se
trou\ eroyent tous deux à une heure nommée en une certaine maison
de la rue Saint-Antoine, ce que Calvin fit, combien qu'il y eustdu dan-
ger pour sapersonne ; mais ledit Servet ne comparut, quoyqu'on l'atten-
dist longtemps » (Vie de Calvin, 1565). La lutte que Servet refusa à ce
moment s'engagea dix-neuf ans plus tard à Genève, pour le malheur de
l'un et de l'autre. Le 18 octobre 1534, des placards contre la messe
furent affichés dans Paris, Orléans et jusque sur la porte de la chambre
à coucher du roi qui était alors à Blois. Ce violent pamphlet qui pro-
voqua une persécution sanglante était l'œuvre d'Antoine Marcourt, col-
lègue de Farel à Neuchâtel. Calvin partit de France à cette époque, et
peut-être à l'occasion de ces placards. Il se retira à Strasbourg, puis à
Bàle. Dans cette dernière ville, tout entier à l'étude, caché sous le pseu-
donyme de Lucanius, anagramme de son nom, il travailla à avancer
l'œuvre de Dieu, mais par ses écrits seulement, car il se sentait plus homme
de cabinet qu'homme d'action : c'était la plume à la main qu'il voulait
prendre sa part du combatengagé contre l'erreur et la corruption. Il s'oc-
cupait en particulier d'achever la composition d'un « petit livret », es-
pèce de catéchisme qu'il destinait à ses compatriotes, lorsqu'il apprit
qu'alin d'excuser envers les princes protestants d'Allemagne les bûchers
qu'on allumait pour les évangéliques français, on faisait passer ces der-
niers pour anabaptistes et séditieux. Indigné d'une si atroce calomnie,
il met comme préface à son livre une épitre à François Ier, dans laquelle
il le conjure d'examiner sérieusement la doctrine professée par ses frères
qui périssent journellement dans les flammes. Jusqu'ici leur cause a
été jugée mais non instruite. Il réfute ensuite les arguments que les
prêtres allèguent pour nier la légitimité de l'Eglise réformée, et il ter-
mine eu exprimant l'espoir que le ressentiment du monarque fera
place à la bienveillance. Cette admirable épitre est datée de Bâle,
23 août 1535, el elle esl en latin, comme le reste de l'ouvrage avec
lequel elle forme corps. Le latin était la langue la plus universellement
connue au seizième siècle, et Fauteur devait l'employer préférable ment
à la française, car il voulait que son ouvrage lût lu avant tout, d'après
sa propre déclaration, par ceux auprès desquels on avait noirci ses co-
religionnaires martyrs. L'Institution chrétienne sortit de presse au mois
534 CALVIN
de mars 1536. L'ouvrage n'avait que six chapitres; mais on y trouve
déjà en germe, comme dogme et comme discipline, toutes les idées qui
formeront plus tard l'ensemble du système calviniste : la foi du nouveau
converti avait rencontré du premier coup sa formule définitive. Calvin
pensa un instant à donner une traduction française de son Institution,
mais il ne réalisa pas immédiatement ce projet : des travaux de tous
genres réclamèrent toute son activité au poste nouveau où Dieu le plaça.
Lui-même d'ailleurs n'était pas très-content de son œuvre : dans la pré-
face de la seconde édition latine (Strasbourg, 1er août 1539), il dit qu'il
s'était acquitté de sa tâche légèrement (leviter... defunctus eram). La
première traduction française parut en 1541 ; elle était faite d'après
l'édition latine de 1539, qui avait dix-sept chapitres. 11 y eut dix édi-
tions latines du vivant de l'auteur; l'édition définitive fut celle de
Genève (1559) ; elle avait quatre-vingts chapitres. Quant à la traduction
française, elle eut au moins quatorze éditions avant la mortde l'auteur;
mais à part la première, qui est faite par Calvin, et où celui-ci se montre
véritablement l'un des créateurs de notre langue, par la façon magis-
trale dont il l'assouplit et la force à exprimer des pensées qu'elle
n'avait jamais reproduites auparavant, à part, disons-nous, l'édition de
1 541 , toutes les autres laissent beaucoup à désirer : l'auteur n'a pas dû les
voir même en épreuve, car il y a bien des contre-sens et des non-sens.
Calvin ne révéla à personne, à Bàle, le grand projet qui l'occupait; et
personne ne soupçonna dans ce paisible et studieux étranger qui s'en-
veloppait d'ombre et de mystère, l'auteur d'un livre qui devait être
l'œuvre capitale du siècle, et qui, même dans sa forme primitive, dépas-
sait déjà en profondeur et en puissance dialectique les quatre ou cinq
grandes expositions des vérités chrétiennes dont la Réforme avait doté
la naissante Eglise. Cette même raison de timide réserve lui fit sans
doute quitter Bàle « incontinent après » la publication de son ouvrage.
Sous le nom de Charles d'Ëspevilîe, il partit pour faire un voyage en
Italie. Il voulut saluer, ne fût-ce que de loin, comme le dit de Bèze, cette
terre illustre vers laquelle tous les amis de l'antiquité classique tournaient
leurs regards avec amour (Vita Calv., 1575). Il fit ce voyage en com-
pagnie du chanoine du Tillet avec lequel il avait quitté la France et
qui portait son nom seigneurial de M. de Hautmont. Ils s'arrêtèrent à
Ferrare. Là Calvin eut avec la princesse Renée de France des entretiens
intimes sur la religion, et il gagna entièrement sa confiance. Mais rien
ne prouve qu'il ait manifesté ses opinions en pleine cour : il y a plutôt
de bonnes raisons pour affirmer le contraire. Au reste, durant ce voyage
dans la péninsule, il composa en latin deux épitres adressées à deux de
ses amis de France, Nicolas Duchemin et Gérard Roussel, qui avaient été
élevés aux honneurs de l'Eglise : le premier remplissait depuis deux ans
au Mans les importantes fonctions d'official; le second était devenu
évoque. Ces épitres furent publiées à Bàle en mars 1537, sous ce titre
général : Epistolœ duœ de rébus hoc sœculo cognitu apprime necessariis.
Dans la première, il montre qu'il faut fuir l'idolâtrie et garder la pu-
reté delà religion chrétienne ; dan sla seconde, qu'il est du devoir d'un
chrétien et d'un honnête homme de se démettre des fonctions dusacer
CALVIN 53ô
doce en l'Eglise romaine. — Après avoir séjourné quelque temps & Fer-
rare, les deux voyageurs repassèrent les monts. Arrivés à Hàle, ils se sé-
parèrent: duTiflel alla à Neuchâtel, puis à Genève, et Calvin revint une
dernière lois dans sa ville natale poura donner quelque ordre à ses af-
faires » (juin 1530). Il pouvait impunément retourner à Noyon, car un
édit de François Ier, daté de Lyon, Le 31 mai, venait d'être promulgué,
par Lequel le roi pardonnait « à tons hérétiques », voire même aux
« sacramentaires et relaps », pourvu qu'ils vinssent abjurer « dedans six
mois ». il déeida son frère Antoine à partir avec lui; sa sœur Marie le
rejoignit plus tard. La guerre qui venait d'éclater lui fermant « le droit
chemin pour aller à Strasbourg », il dut passer par Genève pour re-
tourner à Baie, il arriva sur les bords du Léman dans la seconde moitié
de juillet, lut reconnu par du Tillet qui en donna avis à'Farel,et malgré
sa répugnance il se rendit à la véhémente adjuration de Tardent Dau-
phinois, « comme si Dieu Teust saisi alors du ciel par un coup violent
de sa main », dit-il lui-même (préf. Ps.) : il promit de rester dans cette
cité où l'attendaient tant de tribulations, mais dont il devait faire la mé-
tropole de la Kéformation française. Le Français (Me Gallus, comme le
désigne le registre du Conseil du 5 septembre 1536) donnait à Saint-
Pierre des leçons de théologie, probablement en latin à cause des nom-
breux réfugiés de tous pays qui affluaient déjà dans la ville hospitalière;
et vers la fin de Tannée il se chargea en outre des fonctions pastorales.
1 1 ne tarda pas à conquérir de l'ascendant sur ses collègues. Les
discours qu'il prononça à la célèbre dispute de Lausanne (1-8 oc-
tobre 1536) et au synode de Berne (16-18 octobre) firent comprendre
à tous qu'un maitre s'était révélé. Le 1er janvier 1537, un mé-
moire sur le gouvernement de l'Eglise fut présenté par les pasteurs
au Conseil de Genève : il avait été certainement rédigé par Calvin, car
le fond des idées est à lui, comme le style. L'auteur de Y Institution
dut saisir avec empressement l'occasion de faire passer dans la prati-
que le système dogmatique et disciplinaire qu'il avait exposé dans son
ouvrage, il voulait en particulier obtenir 1 usage de l'excommunication
et faire imposer à tous les citoyens une adhésion directe et explicite à
la confession de foi. il publia bientôt dans ce but un Catéchisme en
français (dont il n'existe plus un seul exemplaire); le catéchisme en
latin parut en mars 1538. Il n'y avait pour lui d'Eglise chrétienne vrai-
ment digne de ce nom qu'avec une semblable discipline. La requête
ne fut pas agréée (novembre 1537). Les vieux Genevois indépendants
<pi"on flétrit plus tard du nom de Libertins repoussèrent le joug sous
Lequel Les « nouveaux venus » prétendaient les courber. Les Conseils
décident, le \ janvier 1538, que la sainte cène ne sera refusée à per-
sonne. Et la raison comme l'intérêt de la lutte que les pasteurs soutin-
rent, depuis ce moment, contre la nation avec une ténacité inflexible,
consistera précisément dans ces prétentions contraires du corps politique
et du corps pastoral. L'antagonisme ne cessa que vers 1555, par la des-
truction de Tun des partis* Le 3 février 153S. Les quatre syndics qui furent
portés au pouvoir par le murage populaire étaient des adversaires dé-
clarésde Fareletde Calvin; le Lendemain, le renouvellement du Petit
536 CALVIN
Conseil s'opéra dans le même sens. Un conflit ne tarda pas à éclater. Le
11 mars, les Conseils, sans consulter les pasteurs, adoptent le mode de
célébration de la cène pratiqué par l'Eglise bernoise (avec du pain
sans levain), et ils défendent à Farel et à Calvin de se mêler des affaires
du gouvernement. Ceux-ci n'auraient pas eu sans doute l'idée de ré-
sister, à ce moment du moins, sur l'admission de tous à la sainte table;
car, le 25 mars, en partant pour le synode de Lausanne, ils avaient
annoncé aux magistrats qu'ils étaient « prêts à obéir aux commande-
ments ». Mais ils refusent, le 18 avril, d'administrer la cène à la mode
de Berne : ils auraient voulu sur ce point une entente préalable entre
les magistrats et les pasteurs, et l'affaire des cérémonies bernoises
adoptées par les Conseils proprio motu fit déborder la coupe. Leur col-
lègue, Elie Coraud, qui avait blâmé dans ses prédications les actes du
pouvoir civil, fut mis en prison (20 avril), et défense fut faite à Farel
et à Calvin de prêcher s'ils ne voulaient pas se soumettre. Bravant cette
défense, ils occupent la chaire, le premier à Saint-Gervais, le seconda
Saint-Pierre, et se retirent sans avoir distribué le sacrement : ils esti-
ment que les dissensions civiles auraient fait de cet acte une profana-
tion (22 avril). Ils sont bannis de la ville par le Conseil général, ainsi
que leur collègue Coraud (23 avril). « Eh bien ! s'écria Calvin quand
le sautier vint lui enjoindre de quitter Genève dans trois jours. A la
bonne heure! si nous eussions servy les hommes, nous fussions mal
récompensés ; mais nous servons ung grand maystre, qui nous récom-
pensera. » Les magistrats de Berne et les Eglises de la Suisse firent de
solennelles démarches pour que l'arrêt de bannissement fût levé ; ce fut
en vain : la sentence fut confirmée par le peuple en Conseil général,
le 16 mai. Forcé de prendre le chemin de l'exil, Calvin s'arrêta quel-
que temps à Berne, à Zurich, à Baie, et se fixa à Strasbourg dès les
premiers jours de septembre 1538. Il y donna chaque matin une leçon
publique sur les épîtres de saint Paul, et organisa une petite Eglise
(Ecclesiola) de réfugiés français, espagnols ou italiens, que la persécu-
tion avait jetés dans la ville impériale. Dans ce milieu si bien préparé
à tous les sacrifices, il appliqua sans la moindre opposition l'austère
discipline dont Genève n'avait point voulu. Sa gêne fut extrême, les
premiers temps; mais il ne voulut pas accepter l'offre d'argent que lui
fit son ancien protecteur du Tillet, qui était retourné au catholicisme;
il préféra vendre ses livres pour vivre : « J'espère bien, lui écrit-il avec
dignité, que nostre Seigneur m'en donnera d'autres au besoing» (20 oc-
tobre). Bientôt cependant le Conseil de la ville s'occupa de fixer son
traitement, et plus tard lui accorda le droit de bourgeoisie. Il épousa à
Strasbourg (septembre 1540), à l'instigation de ses amis, la veuve de
l'anabaptiste Storder, la vertueuse Idelette de Bure, qui lui donna près
de neuf ans de bonheur domestique. Les magistrats l'adjoignirent à
d'autres députés qu'ils envoyaient en mission en Allemagne. Il assista
à Worms (novembre 1540) et à Ratisbonne (avril 1541), aux conféren-
ces qui s'ouvrirent entre les réformés et les représentants autorisés de
l'Eglise romaine; mais cette suprême tentative pour éviter un déchire-
ment échoua comme les autres. Aussi bien, il ne se croyait pas dégagé
CALVIN Ô37
par l'exil des lions qui Punissaient à l'Eglise de Genève où Pavait ap-
pelé une vocation divine. A peine installé à Strasbourg, il avait écrit à
ces « bien-aimés frères » une lettre pastorale dans laquelle s'épanche
toute la tendresse de son cœur à leur égard. Il sait par quelles épreu-
ves et quels dangers ils continuent à passer, et il leur prêche l'hu-
milité, La pénitence et la confiance en Dieu (Ie* octobre 1538). Et quand
le cardinal Sadolet adressa de Carpentras (18 mars 1539) une lettre
fort habile aux Genevois pour les engager à revenir au catholicisme4,
ce fut lui qui répondit (1er septembre) : il maintint « la vérité de Dieu
contre ce renard », suivant l'expression de Bèze, et il le fit avec tant
de puissance, que Sadolet se tut, n'ayant rien à répliquer. Luther
goûta fort cette manière franche et vive d'imposer silence à des ad-
versaires qui étaient les siens : « Voilà, dit-il, un écrit qui a des mains
et des pieds. Je me réjouis de ce que Dieu suscite de tels hommes. Ils
continueront ce que j'ai commencé contre l'Antéchrist, et avec l'aide de
Dieu, ils l'achèveront. » Le réformateur allemand ne croyait peut-être
pas si bien dire. — A la suite d'une révolution intérieure survenue à
Genève en mai 1540, on fit entrevoir à Calvin la possibilité de rentrer
dans cette Eglise dont il disait qu'il se sentait «obligé à toujours de luy
tenir l'oy et loyauté ». Ses adversaires politiques furent écartés du pou-
voir, et le 21 septembre le Conseil décida de le faire revenir. Calvin
hésita longtemps : « Pourquoi, écrit-il à Farel, me replongerais-je dans
ce gouffre dévorant? Vu le tempérament de la plupart des Genevois, je
ne pourrai pas les supporter et ils ne pourront pas davantage s'ac-
coutumer à moi. » Il versa d'abondantes larmes avant de se décider.
Mais les sollicitations pressantes et multipliées de Berne, de Bâle, de
Zurich, de Genève, et les « tonnerres » de Farel triomphent enfin de
sa résistance. Il revint à ce poste de péril. Toutefois, dès son arrivée,
il exigea du Conseil (13 septembre 1541) qu'on procédât sans retard à
la rédaction &" ordonnances ecclésiastiques. Ces ordonnances établirent
le consistoire, véritable tribunal de doctrine et de mœurs, composé
mi-partie de laïques et d'ecclésiastiques, qui devait veiller sur la foi et
sur la conduite de chacun jusque dans l'intimité du foyer, et qui dispo-
sait à son gré de l'admonition privée, de la censure publique, et plus
tard même de l'excommunication. Le Conseil toutefois se réserva le
droit d'infliger, s'il y avait lieu, les châtiments corporels ou pécuniaires.
Disons à ce sujet qu'il n'y a jamais eu à Genève, même dans les
jours de la plus haute influence de Calvin, ce qu'on pourrait appeler
une théocratie. Il n'obtint jamais, par exemple, même en 155G, qu'on
lit sortir de la ville tous les habitants exclus de la cène et qui ne se;
mettraient pas en mesure d'y être admis de nouveau. Sans doute les
ministres, plutôt que les laïques, furent toujours les personnages im-
portants du consistoire : aux yeux du réformateur, il y avait dans la
Bible toute une législation concernant la doctrine et les mœurs divi-
nemenl imposée à la société, et c'était aux ministres, considérés connue
« la bouche du Seigneur », à lixer cette législation. Sans doute encore
l'influence extraordinaire que posséda Calvin depuis son rappel à
Genève, son génie d'organisation dont il donnait chaque jour de non-
538 CALVIN
velles preuves, ses vastes connaissances dans lesbranehes diverses de la
jurisprudence lui assurèrent le premier rang dans les commissions qui
furent nommées par le Conseil pour s'occuper de la législation civile
et politique : des brouillons écrits de sa main attestent l'importance
de ses travaux à cet égard (Calu. opéra, édit. Reuss, etc.,X, 125-146).
11 fut même déchargé de tous les sermons de la semaine (septembre
1542) pour qu'il eût plus de liberté de vaquer à cette tâche; et le
Conseil le gratifia, deux mois plus tard, d'un tonneau de vin pour les
peines qu'il prenait pour la ville. Mais l'Etat ne fut jamais sous la dé-
pendance de l'Eglise ; le magistrat, au contraire, exerça sur l'Eglise, à
beaucoup d'égards, un pouvoir qui nous paraîtrait excessif aujourd'hui.
Après tout, ce n'est point l'Etat que Calvin a voulu enchaîner, c'est
l'individu; et il est inexact de prétendre qu'il a exercé à Genève, dans
le domaine politique comme dans le domaine religieux, un pouvoir
sans contrôle. Et il le savait bien, lui qui, en 1553, disait des magis-
trats : (( Ils en sont venus à un tel degré d'aveuglement et de folie,
que tout ce que je leur dis devient suspect, à tel point que si je disais
qu'il fait jour à midi, ils commenceraient aussitôt à en douter. »
Comme le plus obscur des citoyens, il devait, avant de publier un
écrit, le faire examiner par une commission du Conseil, et quelque-
fois l'impression n'en était autorisée que si quelques mots trop
injurieux étaient biliés. A plusieurs reprises môme il dut comparaître
devant le magistrat pour recevoir des admonitions au sujet de ses pré-
dications qui avaient provoqué du mécontentement. Il eut assez d'in-
fluence toutefois pour faire partir de Genève ou forcer au silence tous
ceux qui avaient en critique sacrée ou en dogmatique des opinions
différentes des siennes, ou qui blâmaient, même discrètement, la direc-
tion qu'il cherchait à imprimer à l'Etat. Le savant et pieux Sébas-
tien Castalion, qui avait émis des doutes sur l'inspiration du Cantique
des cantiques et sur la réalité de la descente de Jésus aux enfers, fut
contraint à s'éloigner (1544) ; et retiré à Bàle, il y vécut clans une
gêne voisine de la misère. Pierre Ameaux, fabricant de cartes, un rê-
veur mystique et nullement matérialiste, qui avait (( mesdit et blas-
phémé du seigneur Calvin », fut jeté en prison (1546), et il dut faire
le tour de la ville « en chemise, teste nue, une torche allumée en sa
main, et venir ensuite devant le tribunal crier mercy à Dieu et à la jus-
tice, genoulx en terre, » et confesser avoir mal et méchamment parlé. Le
pasteur de Jussy, Henri de La Mare, jugé son complice, fut déposé. Le
médecin français Jérôme Bolsec, qui niait la prédestination, fut banni
(1551); et il serait plus cligne d'intérêt, si, pour se venger, il n'avait
publié d'ignobles calomnies contre le réformateur et contre Bèze.
L'année suivante (1552), le" Genevois Jean Trolliet, qui avait tenu
quelque propos malsonnant contre l'auteur de Y Institution, dut recon-
naître sa faute et se taire désormais. Les évangéliques italiens, à peine
échappés aux inquisiteurs de Rome et qui s'étaient flattés de trouver un
refuge à Genève, ne furent pas même épargnés, car ils n'étaient pas trini-
taires. Alciat, Blandrata, Gribaldi, Gentilis, essuyèrent pour leur indé-
pendance chrétienne de cruelles vexations de la part du consistoire.
CALVIN 539
GFentilis, en particulier, entendit prononcer contre lui une condamna-
tion à mort <|ui fut incontinent commuée en un bannissement perpétuel
après amende honorable en public (1558). Mais il n'échappa au dernier
supplice, à Genève, que pour le subir huit ans après, à Berne, pour
crime d'hérésie (1566). Les libres penseurs lurent naturellement moins
supportés que les libres croyants. Jacques Gruet, esprit inquiet et fo-
lâtre, qui avait été eu relation avec Le célèbre humaniste Etienne Dolet,
brûlé vit' à Paris en 1546, pour outrage à la religion, déposa un jour
dans la chaire de Saint-Pierre un billet en patois savoyard contenant
(( plusieurs parolles villaines et infâmes contre les ministres de la pa-
rolle de Dieu. » Il fut mis en prison ; et comme on trouva chez lui des
feuilles de papier sur lesquelles, pour essayer sa plume peut-être, il
avait griffonné des phrases qui le tirent accuser d1 « impiété » et de
et rébellion », sans qu'il y eût pourtant des raisons suffisantes, il eut
la tête tranchée (juillet 1547); et deux ans et demi plus tard, un livre
de treize feuillets écrits de sa main, qui fut trouvé dans les combles
de sa maison, et qui contenait réellement des attaques grossières
contre la religion de Christ, dut subir un procès en règle : il fut
lacéré et brûlé par la main du bourreau « pour ses énormités »
(mai 1550). ■ — Mais la condamnation la plus odieuse et qui pèse le plus
lourdement sur la mémoire de Calvin, c'est celle de xMichel Servet. Ce
médecin espagnol qui le premier, paraît il, soupçonna la circulation
du sang, avait étudié avec passion la plupart des sciences et particu-
lièrement la théologie. Pour lui, la Réforme s'était arrêtée à moitié che-
min, et il se crut appelé à lui faire accomplir sa dernière évolution, et
à rétablir ainsi le christianisme dans sa pureté primitive. Le titre du
nouvel ouvrage (Chràtianismirestitutio) qu'il publia au printemps de 1 553
sous le pseudonyme de Villeneuve, son lieu d'origine, disait nettement
son ambition à cet égard, et semblait s'annoncer comme la contre-par-
tie de Y Institution chrétienne de Calvin. Aussi entier, aussi dogmatique
en fait de croyance que son implacable rival, il voulait vider avec lui
non une question de liberté, mais une question de théologie. Le duel
qu'il esquiva à Paris, en 1534, et qu'il avait repris durant plusieurs
années par correspondance, devait être sans merci : Il faut, disait-il
dans une de ses requêtes au Conseil de Genève, il faut que « la cause
soyt diffinie pas mort de luy ou de moy. » Mais son illusion étaitgrande
d'espérer que ce ne serait pas lui qui serait la victime, même dans le
cas où il aurait appris quelque chose de la lutte que sa détention avait
suscitée entre Calvin et les Libertins. Son système, il est vrai, avait à
sa base la révélation surnaturelle, les faits miraculeux du christianisme
officiel : mais sur plusieurs points, notamment sur le dogme de la Tri-
nité et le baptême des enfants, il renversait ce que, dans l'Eglise évan-
gélique comme dans l'Eglise de Rome, on s'accordait à regarder comme
les vérités essentielles et fondamentales de la foi chrétienne. On pou-
vait même induire de certaines de ses déclarations (pic sa pensée conli-
nait parfois au panthéisme. Le malheureux devait donc fatalement
succomber. Aussi pouvons-nous invoquer en faveur de Calvin le béné-
fice des circonstances atténuantes, lorsque nous le voyons s'acharner
540 CALVIN
contre l'hérétique dès que celui-ci fut découvert à Genève (13 août 1553),
après s'être échappé des prisons inquisitoriales de Vienne. Il mit sa
gloire à réaliser l'ancienne menace qu'il avait déjà faite, en 1546, de
ne pas le laisser « sortir vivant » de la ville. L'aberration du réformateur
sur ce point est celle du seizième siècle tout entier; car tous les peuples,
à cette rude époque, avaient écrit dans leur code la peine du feu con-
tre le blasphème et l'hérésie ; et les réformés comme les catholiques se
croyaient chargés de défendre ce qu'ils appelaient l'honneur de Dieu.
Mais quand nous le voyons dénoncer son adversaire à l'Inquisition par
son ami de Trie, et faire passer aux mains du redoutable Ory, comme
pièces de conviction, les nombreuses lettres confidentielles qu'il avait
reçues en divers temps de Servet et qui permirent au tribunal de Vienne
d'intenter un procès à ce dernier, nous n'avons pas le courage de dé-
fendre le réformateur. « Etait-il donc chargé de la police des consciences
dans les contrées catholiques ? » dirons-nous avec A. Roget. Peut-être
nourrissait-il l'espoir d'attendrir par cette dénonciation le terrible in-
quisiteur préposé aussi au procès des cinq étudiants français détenus
à Lyon, pour la délivrance desquels il faisait alors de si actives démar-
ches (la première lettre de Trie à Arneys est datée du 26 février 1553).
Dans ce cas, il aurait fait un mauvais calcul, car les cinq évangéliques
montèrent sur le bûcher trois mois après (16 mai). Quoi qu'il en soit,
l'auteur de la Restitution du christianisme, après deux mois et demi de
détention et de souffrances dans les prisons de Genève, fut condamné
au feu avec son livre, et il mourut sur la place de Champel avec l'hé-
roïsme des martyrs, pardonnant à ses accusateurs et à ses juges, et
répétant cette parole d'humilité et de foi: « Jésus, Fils du Dieu éternel,
aie pitié de moi ! » (27 octobre 1553). S'il avait consenti à dire :
« Jésus, Fils éternel de Dieu..., » il aurait pu échapper au supplice. 11
préféra la mort à ce qui était pour lui un mensonge. Les villes suisses,
consultées, avaient répondu aux Genevois « de mettre le méchant hors
d'état de répandre son poison ». Elles saisirent avec empressement
l'occasion qui leur était offerte de repousser par un argument défait le
reproche qu'on leur faisait à l'étranger d'accueillir l'hérésie. C'est une
tache sur la Réforme, une tache que « tous les Ilots de l'Océan et tous
les parfums de l'Arabie, suivant le mot du poète anglais, sont impuis-
sants à laver, car c'est une tache de sang. » Rolsec lui-même applaudit.
Quelques nobles cœurs seulement protestèrent: le Sicilien Camille Renato,
dans une pièce de vers où il invite Calvin en termes émus et éloquents
à « apprendre à conserver les hommes et à tuer les erreurs» ; Castalion,
dans un livre célèbre qu'il inspira, s'il ne le composa pas lui-même; et
Nicolas Zurkinden, magistrat bernois, qui écrit à Calvin lui-même ces
mémorables paroles: « Le temps ne viendra jamais d'une parfaite unité
dans les opinions, et si nous prétendions réserver l'exercice de la cha-
rité pour le jour de cet universel accord, je crains bien qu'elle ne
trouvât jamais d'emploi. L'homme est d'ailleurs ainsi fait qu'il cède
plus sûrement à la persuasion qu'à la force, et tel s'est roidi devant le
bourreau qui n'eût pas résisté au langage de la douceur. » Il faudra
plus de trois siècles pour que ces paroles vraiment évangéliques soient
CALVIN 54!
comprises même des meilleurs. — L'ascendant de Calvin fut depuis lors
à peu près irrésistible. Cette même année 1553, il lit un suprême effort
pourque la toute-puissance disciplinaire lût enfin attribuée au consistoire.
Rendons-lui, d'ailleurs, cette justice que cette réglementation draco-
nienne était pour tous: elle frappait tous les fronts indistinctement, les
plus illustres, les plus haut placés, comme les plus humbles. 11 Pavait
déjà dit dans son Institution de 1536 : «Il faut que les dispensateurs de
la parole divine forcent tous les grands de ce monde à s'incliner devant
la majesté de Dieu; qu'ils commandent à tous; qu'ils épargnent les brebis
et exterminent les loups; qu'ils lient, délient, foudroient, le tout selon
la parole de Dieu. » Bonnivard avait été cité à comparaître (1541) pour
avoir, un soir, en attendant que le souper fût prêt, joué aux dés un
quarteron de vin avec Clément Marot. Un riche marchand, François
Favre, qui avait jadis conduit les galères genevoises destinées à l'atta-
que de Chillon, avait aussi été amené sur la sellette pour cause de
libertinage (1546) ; et son gendre, Ami Perrin, capitaine général de
la république, sa lille, femme de Perrin, et son fils Gaspard avec une
vingtaine des premiers de la ville, parmi lesquels le syndic Corne,
alors président du consistoire, avaient subi quelques jours de prison
pour avoir pris part à une danse aux tambourins au logis d'Ant. Lect.
(( Quand il y aurait dans la maison des Favre, écrivait à ce sujet Cal-
vin à Farel, autant de diadèmes qu'il y a de têtes à l'envers (furiosa
capita), cela ne saurait empêcher que le Seigneur ne demeure victo-
rieux. » La victoire lui resta du moins à lui. Pendant que s'instruisait
le procès du docteur espagnol, le Conseil, contrairement à une déci-
sion antérieure du consistoire, avait permis à Ph. Berthelier de commu-
nier, «s'il se sent net en sa conscience, » dit le protocole; mais Calvin,
le dimanche 3 septembre, dans le temple de Saint-Pierre, sur la fin de
son sermon, « proteste que sa vie en respondroit présentement plustôt
que de bailler la cène à ceux à qui elle estoit défendue » ( Vie de Cal-
vin, 1565) . Berthelier, du reste, ne se présenta point. Après une passa-
gère réconciliation entre les deux partis, la lutte continua plus ardente
que jamais. Calvin aurait préféré quitter Genève plutôt que de céder
sur ce point capital. Et grâce au concours de plusieurs centaines de
réfugiés presque tous français, qui avaient été admis à la bourgeoisie
(il y avait eu 1,360 admissions de 1548 à 1554), et qui formaient au-
tour du réformateur comme une phalange fidèle, il resta finalement
maître du champ de bataille. Les Genevois choisirent parmi ses
amis les quatre syndics de 1555; et comme le parti national des Li-
bertins tenta, sans succès, une prise d'armes nocturne contre les
réfugiés, le 16 mai de cette même année, quatre de leurs chefs eurent
la tête tranchée, soixante et un furent impitoyablement condamnés à
l'exil et à de fortes amendes comme rebelles, et la peine de mort fut
prononcée contre qui proposerait leur rappel. Dès ce moment donc la
royauté morale du réformateur ne rencontra presque point d'opposition.
Ce ne fut pourtant pas par son vote qu'il exerça cette espèce de royauté,
car il ne se lit recevoir bourgeois de Genève qu'en 1560, et encore
fallut-il que le magistrat lui suggérât cette démarche; il l'exerça parce
542 CALVIN
que ses amis appelaient « la majesté de son caractère ». Il avait mis
vingt ans à pétrir de sa forte main cette population frivole et si aisé-
ment'ameutée; mais il parvint à la marquer de son empreinte; et
cette empreinte fut si profonde qu'aujourd'hui encore, après trois
siècles, elle n'est pas complètement effacée. A l'exemple de Luther, de
Zwingle, de Sturm, d'OEcolampade, il fit de l'instruction un auxiliaire
puissant de la Réforme. Libre désormais de porter toute sa sollicitude
de ce côté, il fonda, le5 juin 1559, cette académie à la tête de laquelle il
plaça Théodore de Bèze, et qui, si rapidement illustre, est devenue la
gloire la plus incontestée, la plus pure de Genève. On compta par milliers
des hommes de toute condition et de tout âge qui, accourus de tous les
points de l'Europe pour écouter les prédications et les leçons du réfor-
mateur, s'en retournaient bientôt dans leur pays d'origine, enflammés
de foi et de prosélytisme, et, bravant tous les périls, se mettaient à
l'œuvre sainte avec là vocation du martyre. C'était à lui, après Dieu,
qu'ils regardaient, de lui qu'ils réclamaient les encouragements et les
conseils ; et quand ils devaient souffrir et mourir pour la cause de l'E-
vangile, c'était encore une missive adhortatoire écrite de sa main qui
les fortifiait dans les tortures des prisons et au moment du supplice. Ils
savaient avec quelle brûlante sympathie il cherchait à soulager leur
misère : il fallait d'une façon ou d'une autre que des secours leur arri-
vassent, « quand je devrois, dit-il, y engager teste et pieds » . Ils l'aimaient,
ils le vénéraient comme un père. Aussi comprend-on sa hère réplique à
des adversaires qui tournaient en opprobre le fait que Dieu ne lui eut
pas donné des enfants: « N'ai-je pas des milliers d'enfants dans le
monde chrétien ? » — Qui dira l'ardeur, la persévérance, la virile tendresse
déployées par Calvin dans cette immense propagande religieuse dont il
fut l'àme jusqu'à son dernier soupir? Qui dira cet apostolat presque uni-
versel qu'il exerça plus d'un quart de siècle auprès de tous ceux, grands
ou petits, rois, princes, seigneurs, savants, simples fidèles ou prison-
niers obscurs, qui le considéraient comme leur guide spirituel? Il faut
le demander surtout à ses lettres intimes dont de pieuses mains ont
publié ou publient en ce moment le vaste recueil. Aussi bien, ce n'est
pas à Genève que se présentent à nous, sous leur plus favorable aspect,
les grandes parties de la personne et de l'œuvre de Calvin. Dans les
murs étroits de la remuante cité, sans cesse aux prises avec des intérêts
mesquins, il s'amoindrit à nos yeux; ses qualités maitresses sont voilées
par ces contestations puériles où son inflexibilité dogmatique et sa polé-
mique à outrance, les susceptibilités de son amour-propre et son irrita-
bilité nerveuse sont trop en vue. Il ne se révèle à nous dans toute la
grandeur de son génie que sur ce théâtre plus vaste qui s'étend des
Pyrénées et des bords de l'Océan aux contrées septentrionales de
l'Europe. Et s'il reste à Genève, malgré les oppositions, les tracasseries
incessantes dont il fut harcelé, à Genève que jamais il n'aima, c'est que,
dans sa conviction, il ne pouvait trouver ailleurs un coin déterre qui pût
servir de forteresse à la Réforme et qui fût plus propice au développe-
ment de son œuvre. Rien que sur le sol français, plus de 2,000 Eglises
furent, de son vivant, « dressées » par lui ou par ses disciples. On
CALYIX 541
peste miment confondu devant une activité si dévorante et une si
prodigieuse capacité de travail. Cette correspondance quotidienne à
laquelle tout antre n aurait pu suffire, ne lui prenait que ses loisirs.
Il réservait tout son temps à ses fonctions de pasteur et de pro-
fesseur de théologie, à ses prédications, à la rédaction d'écrits innom-
brables. On a conservé de lui 2,025 sermons manuscrits, et la collection
de ses ouvrages comprend dix volumes in-folio. C'était «un arc toujours
tendu », selon la juste expression d'un contemporain. Ses délassements
étaient rares et (Tune simplicité antique. « Quelquefois, ditBèze, quand
cela venoit à propos et en compagnie familière, il se récréoit au palet,
à la clef, ou autre tel jeu licite par les loix et non défendu en ceste ré-
publique; mais encore c'estoit bien peu souvent, et plustost à fin-
citation de ses familiers amis, que de son propre mouvement »
( Vie de Calvin, 1565). « Ce qui rend ses labeurs plus admirables, dit
encore son illustre biographe, c'est qu'il avoit un corps si débile de
nature, tant atténué de veilles et de sobriété par trop grande, et qui
plus est sujet à tant de maladies, que tout homme qui le voyoit
n'eust peu penser qu'il eust peu vivre tant soit peu » {ibid.).
Ce lutteur infatigable, ce prodigieux travailleur ne connut le repos
qu'après qu'il eut achevé son œuvre, quand Genève fut devenue par
ses soins (( la ville située sur la montagne », éclairant le monde de sa
fécondante lumière. Il mit longtemps à mourir. Le 30 mars 1564, il
siégea pour la dernière fois au consistoire ; rentré chez lui, rue des
Chanoines, il n'en sortit plus. Le 27 avril, le Conseil, apprenant qu'il
est « pressé de maladies jusqu'à la mort, décide qu'il ira le trouver en
son logis pour entendre ce qu'il voudra dire, et après, luy présenter
toute bonne affection et amitié pour les agréables services qu'il a faits
à la seigneurie et qu'il s'est acquitté fidèlement de sa charge ». Calvin,
recevant chez lui cette visite officielle, remercie d'abord les membres du
Conseil « de ce qu'ils l'ont supporté en ses affections trop véhémentes
esquelles il se desplait et en ses vices, et de ce quetousjours ils luy ont
monstre te4 signe d'amitié qu'ils ne pouvoient mieulx faire ». Puis il les
exhorte à mériter toujours plus la bénédiction divine. « Et cela faisant,
combien que nous soions comme pendans d'un fil, Dieu continuera
comme du passé à nous garder ainsi que desja nous avons expérimenté
qu'il nous a saulvés en plusieurs sortes. » « Finalement, ajoute le se-
crétaire du Conseil dans le protocole de ce jour, après avoir derechef
prié d'estre excusé en ses infirmités, prenant en gré son petit labeur,
il a prié ce bon Dieu qu'il nous conduise et gouverne tousjours, aug-
mente ses grâces sur nous et les fasse valoir pour notre salut et celui
de tout ce pauvre peuple. » Le lendemain 28 avril, ses adieux à ses
collègues furent des plus touchants : « J'ai eu beaucoup d'infirmités
que vous aviez à supporter, leur dit-il (nous citons quelques lignes des
notes prises par le ministre Jean Pinaut), et même tout ce que j'ai fait
n'a rien valu. Les méchants s'empareront de ce mot, mais je le répète,
tout ce que j'ai fait n'a rien valu ; je suis une misérable créature ! .Uais
je puis din; que j1ai eu la bonne volonté, et mes vices m'ont toujours
déplu ; et la racine de la crainte de Dieu a été dans mon cœur; et vous
544 CALVIN
pouvez dire cela, que l'affection a été bonne ; et je prie que le mal me
soit pardonné ; mais s'il y a du bien, que vous vous y conformiez et le
suiviez. »I1 expira le samedi 27 mai, vers huit heures du soir, « Voilà, dit
Bèze, comme en un mesme instant ce jour-là le soleil se coucha; et la plus
grande lumière qui fust en ce monde pour l'adresse de l'Eglise de Dieu
fut retirée au ciel... La nuict suivante et le jour aussi, il y eut de grands
pleurs par la ville. Car le corps d'icelle regrettoit le prophète du Sei-
gneur; Je povre troupeau de l'Eglise pleuroit le départ de son fidèle
pasteur ; l'escole se lamentoit de son vray docteur et maistre ; et tous
en général pleuroyent leur vrai père et consolateur après Dieu » ( Vie de
Calvin, lo6o.) Farel, son plus intime ami avec Viret, et qui, dans les
moments difficiles, était toujours accouru de Neuchâtel à Genève pour
le soutenir devant les Conseils ou le peuple, épancha sa douleur dans
une lettre qu'il adressa, le 6 juin, au pasteur Fabri de Thonon : « Oh !
que ne suis- je en son lieu retiré, et que lui, tant utile, tant servant,
n'est en santé ici, longuement, servant les Eglises de notre Seigneur!
Lequel soit béni et loué que, de sa grâce, là. où je n'y avais jamais
pensé, me l'a fait rencontrer, et contre ce qu'il avait délibéré, l'a fait
arrêter à Genève et s'en est servi là ! Oh ! qu'il a couru heureusement une
belle course ! Le Seigneur fasse que nous tous courions selon les grâces
qu'il nous fait, comme Calvin a fait! » Le lendemain dimanche, sur les
deux heures après midi, son corps fut porté au cimetière commun de
Plainpalais, « sans pompe ni appareil quelconques, » dit Bèze ; nul
monument ne marque la place où il fut inhumé ; et quatre jours après
sa mort on inscrivit sur le registre du consistoire ces mots d'une élo-
quente simplicité : « Calvin est allé à Dieu le 27 mai de la présente
année. » En esquissant à grands traits la biographie du réformateur de
Genève, nous n'avons eu qu'un souci : l'exactitude historique. Nous
nous sommes tenu à égale distance des écrivains qui ont tourné cette
biographie en pamphlet, décidés qu'ils étaient à tout noircir, quand
cen'était pas à tout falsifier, et de ceux qui, au pôle opposé, ont cherché
à tout excuser, quand ce n'était pas à tout applaudir. A l'encontre des
derniers, nous répétons le mot que disait déjà, de son temps, l'un de
ses plus ardents admirateurs : « C'était un homme, mais non pas un
ange. » A l'encontre des premiers, qui veulent en faire un monstre d'ini-
quité, nous dirons : « C'était un homme, etnon pas un démon. » C'était
un homme qui, par sa foi et son incorruptible amour pour la vérité, ,
a changé la face d'une partie du monde. Et si, dans « la belle course »
qu'il a courue, selon la juste expression de Farel, il a souvent bronché,
que ses fautes inséparables des temps troublés où il vécut soient, en
partie du moins, rachetées par ses rares vertus. L'œuvre sainte qu'il a
eu pour mission de fonder et dont le glorieux développement se pour-
suit sous nos yeux dans la moitié du protestantisme, lui assigne à
jamais une place parmi ces grands serviteurs de Dieu qui, par leur vie
d'immolation et leurs écrits, ont le plus contribué à l'avancement de
son règne ici-bas. — A consulter : Th. de Bèze, ses trois Vies de
Calvin, 1564, 1565, lo75; A.-L. Herminjard, Correspondance des né-
formateurs dans les pays de langue française, I, II, III, IV; Calvini
CALVIN 545
Opéra, édit. Banni, Ctlnitz él Reuss (15 volumes ont déjà paru);
A. Roget, Hist. du peuple de Genève (3 volumes ont paru) ; L'Eglise ci
VEtat à Genève du rimai de Calvin; Galwie. suisse, t. 1, p. 313-328;
J. Bonnet, Lettres françaises de Calvin, 2 vol.; Récits du seizième
siècle; les frères Haag, La France prot.; L. Vulliemin, Hist. de la
Réformation île la Suisse: Le Chroniqueur,' Hist. de la Confédération
suisse, art. Calvin, dans le t. II; Bulletin de VHist. du Prot. fr.,
passim ; Kampschulte, Johann Calvin, seine Kirche vnd der Staat in
Genf; Merle d'Aubigné, Hist. de la Réf. au temps de Calvin; P. Henri,
Das Leben Johann Calvins ; Gaberel,i//s£. de VEql. de Genève ; Galifï'e,
Notice sur C air in; Bungener, Calvin ; Ern. Stœhelin, Calvin, 2 vol.;
A. Savons, Etudes sur les Réformateurs ; Guizot, Saint Louis et Calvin,
Le Lien, 186()-I870; Albert Rilliet, Lettre à M. Merle d'Aubigné sur
deux points obscurs de la vie de Calvin; Etrennes chrétiennes, Genève,
1871; Hoff, Vie de Calvin; Journal de Genève, 2 juillet 1874, 30 octob.
1875, 30 décemb. 1876; Alfred Franklin, Vie de J. Calvin, etc., etc.
Charles Dardier.
II. Le Théologien. Voici les traits principaux du système dogmatique àe,
Calvin : — 1 . La connaissance de Dieu, créateur et conservateur du monde,
estinnée à renne; mais elle a été obscurcie par le péché. Dieu s'est égale-
ment révélé dans Y univers; malheureusement, dans notre obstination
inexcusable, nous fermons les yeux à la lumière qui brille dans ses
œuvres, et nous attribuons au hasard les événements extraordinaires
dont nous sommes témoins. Le paganisme représente l'abandon par
l'humanité de cette double manifestation de Dieu. Dans un autre ordre
d'idées, Calvin affirme que la révélation divine dans la nature est im-
parfaite et insuffisante pour nous conduire à la vérité. Dieu s'est encore
révélé dans Y Ecriture. Il s'est fait connaître aux patriarches et aux
prophètes, et la certitude qu'il a fait naitre en eux quant à l'origine*
divine de ce qu'ils entendaient, était supérieure à tout raisonne-
ment humain. La même certitude s'éveille encore en nous à la lecture
de la Bible : son autorité ne dépend pas du témoignage extérieur de
l'Eglise, mais du témoignage intérieur du Saint-Esprit. La perception
de cette voix de l'esprit est un « privilège dont Dieu honore ses seuls
élus. » D'autres « preuves humaines et secondaires » corroborent cette
autorité collective des livres saints. Qu'on n'oppose pas l'illumination
intérieure del'Esprit à la doctrine des Ecritures, car l'Esprit ne saurait
tenir un double langage: c'est par la lecture de la Bible que nousrecon-
naitrons si nous avons l'Esprit ou non, car « le Seigneur a uni entre
elles par un lien réciproque la certitude de la parole écrite et celle de
PEsprit. » L'Esprit est le seul interprète autorisé de la Bible : aussi ren-
controns-nous chez Calvin une exégèse éminemment dogmatique, basée
sur le principe de « l'analogie de la foi », ou de l'unité de l'enseigne-
ment scriptural iv. L'Ecriture parle très-rarement de la substance de
Dieu : elle nous le fait connaître « non tel qu'il est en lui-même, mais
tel qu'il est vis-à-vis de nous. » « Le Saint-Esprit n'a pas eu pour but
de] satisfaire chez nous une vainc curiosité : tout, dans ses oracles, a
pour but L'édification. » Le dogme de la Trinité est conforme; selon
h. 35
546 CALVIN
Calvin, à Ja doctrine des Ecritures. Dès 1530, Calvin a enseigné qu'il
existe en Dieu une substance unique et trois personnes ou « subsis
tances », appelées aussi par lui « propriétés », non qu'il eût incliné
vers le sabellianisme, mais pour bien accentuer le caractère parti-
culier de chacune des trois personnes. Lors de ses démêlés avec
Caroli (1337), il protesta contre V usage obligatoire de la terminologie
des anciens symboles ; plus tard, sa lutte contre les antitrinitaires lui
fit regarder cette latitude comme dangereuse et l'amena à exiger l'em-
ploi des expressions consacrées. La perversité du diable et de ses anges
provient d'une chute et n'est pas attribuable au Créateur. Ailleurs
cependant Calvin l'ait dépendre la persévérance de certains anges dans
le bien et la chute des démons de la prédestination éternelle de Dieu,
et il nomme Satan « l'esprit qui a été tait pour combattre la gloire de
Dieu et le salut des hommes. » Les démons, comme les bons anges,
sont les ministres de Dieu, « sans la volonté et le consentement duquel
ils ne peuvent rien l'aire. Satan est si bien tenu enchaîné par le frein
de la puissance divine, qu'il obéit, qu'il le veuille ou non, à son Créa-
teur, car il est contraint de prêter ses services . à tout acte auquel Dieu
le pousse. » Uhomme a été créé à l'image de Dieu, c'est-à-dire « il a
été revêtu de la sagesse et de la vérité, delà justice et de la sainteté ;ila
possédé la lumière de l'intelligence, la rectitude parfaite du cœur et de
la volonté, et la domination de la raison sur la nature physique, portant
elle-même l'empreinte de la gloire intérieure. » Mais Dieu lui a refusé
le don de la persévérance dans le bien, qui eût exclu toute possibilité
de pécher; avec la connaissance du bien et du mal, il lui a donné le
libre arbitre. Dans un autre ordre d'idées, Calvin appelle la volonté
d'Adam non-seulement « flexible dans l'un et dans l'autre sens », mais
encore « caduque »; Dieu l'a donnée à l'homme « pour tirer de sa
chute la matière de sa propre gloire. » De même, il explique la facilité
de la chute d'Adam par le fait que Dieu lui a refuse la constance dans
le bien. « La providence de Dieu n'est pas seulement sa prescience,
mais encore son activité infinie, par laquelle il gouverne le ciel, la
terre, ainsi que les résolutions et les volontés des hommes, et les mène
au but qu'il leur a fixé. » Elle est à la fois générale et spéciale; de
plus, elle est immuable. Calvin se défend contre le reproche d'ensei-
gner le fatalisme des stoïciens : c'est au Dieu personnel qu'il attribue
le gouvernement de l'univers, et non à la « nécessité qui résulte de
l'enchaînement sans fin des causes naturelles ». La volonté de Dieu
est « la cause suprême et première de toutes choses ». Mais au-dessous
d'elle agissent des « causes inférieures » qu'il nous importe de ne pas
négliger; l'idée de l'activité infinie de Dieu ne nous dispense pas d'être
reconnaissants envers nos bienfaiteurs, d'attribuer à notre imprudence
les pertes que nous faisons, et d'user de remèdes contre les maux qui
nous affligent. La doctrine de la providence divine est destinée à donner
aux fidèles une grande tranquillité d'esprit, car ils se savent toujours
entre les mains de Dieu, et une profonde humilité dans leurs juge-
ments : « Puisque Dieu s'attribue un droit de gouverner le monde qui
nous est inconnu, notre devoir est de nous soumettre à son pouvoir, de
CALVIN 547
manière que sa volonté soit pour nous la règle unique de justice, et la
cause souverainement juste de toutes choses. » La providence de Dieu
embrasse les bons et les méchants, par lesquels Dieu manifeste égale-
ment sa puissance. Dieu n Vu est pas pour cela Fauteur du mal, car « il
se sert de la matière du mal, qui réside dans l'homme mauvais, selon
son bon plaisir, de même que le soleil produit l'odeur fétide du cadavre
sans que la pureté de ses rayons en soit altérée. » L'Ecriture elle-même
enseigne que Dieu obscurcit les esprits et endurcit les coeurs* qu'il
crée la lumière et les ténèbres et forme le bien et le mal (Es. XLV,
7; Amos III, 0). Ce qui est contraire à la volonté de Dieu expri-
mée dans la Loi, n'en est donc pas moins conforme à cette volonté,
car elle est simple en elle-même, et c'est notre intelligence bornée
qui seule peut trouver une contradiction entre les diverses manières
suivant lesquelles se manifeste la sagesse de Dieu (Eph. III, 10).
— 2. L'œuvre entière de la création a été viciée par la chute d'Adam.
C'est par une désobéissance volontaire que le premier homme est
tombé. Dans un autre ordre d'idées, ce péché est représenté comme
ayant son principe dans la prédestination éternelle de Dieu. « Dieu n'a
pas seulement prévu la chute du premier homme, il l'a ordonnée par
un décret de sa volonté. » Juxtaposant les deux points de vue sans
les concilier, Calvin s'exprime ainsi : te L'homme tombe en vertu d'une
décision de la providence divine; mais il tombe par sa faute. » L'image
de Dieu a été profondément corrompue dans l'homme, mais non
anéantie, par le péché. L'aveuglement de l'intelligence, l'impuissance
de la volonté, l'impureté du cœur ont remplacé les trésors spirituels
qu'Adam avait possédés dans son «union avec Dieu ». Adam a entraîné
dans sa ruine tous ses descendants. « Avant de naître, nous sommes
souillés et condamnables aux yeux de Dieu, car nous provenons d'une
semence impure. La nature entière de l'homme est une semence de
péché ; l'homme tout entier n'est que concupiscence. » Par suite de ce
péché, la colère divine pèse sur nous, non à cause du délit d'autrui,
mais à cause du vice de notre propre nature, lequel mérite d'être puni.
Quant au mode de cette transmission héréditaire, il suffit de savoir qu'A-
dam a perdu pour lui et pour toute sa race les biens dont Dieu avait gra-
tifié dans sa personne la nature humaine entière, et que le péché d'Adam
s'est transmis à toute sa race « parce que Dieu l'a bien voulu ainsi ».
S'il y a eu de tout temps des hommes non régénérés qui se sont
distingués par « une certaine pureté d'âme, » c'est que, « dans cette»
corruption de la nature humaine, qui n'est pas absolue, il y a une place
pour la grâce de Dieu, non pour purifier complètement cette nature,
mais pour y cohabiter (avec le mal). Dieu réprime par le frein de sa
grâce la rébellion des réprouvés, autant que cela est utile à la conser-
vation ne runivers. » Le mal n'est pas une «propriété substantielle' » de
notre être, mais une « qualité qui s'y est ajoutée». Il nous reste encore
de notre splendeur première comme des « ruines informes ». L'intel-
ligence, avec la l'acuité de distinguer le bien et le mal, et la volonté
n'ont pas été anéanties, mais seulement affaiblies et corrompues, Nou
ne pouvons plus ni penser ni désirer rien de bon : il nous peste tout
548 • CALVIN
au plus T aptitude à la « justice civile ». « L'intelligence des choses
célestes, » la connaissance de Dieu et de sa volonté, nous a été enlevée ;
les philosophes, sans doute, ont conservé une « saveur exiguë de la
divinité », mais qui est aussi insuffisante pour les conduire à la vérité,
que le sont les -éclairs pour guider le voyageur égaré au milieu des
énèbres. L'homme a conservé « l'intelligence des choses terrestres »,
ou l'aptitude à la politique, aux arts mécaniques et aux disciplines
libérales, dont Calvin a fait un splendide éloge. La présence de fous et
d'idiots dans le monde montre jusqu'où la faute d'Adam aurait en-
traîné l'humanité entière si Dieu n'était intervenu dans sa clémence
pour circonscrire le mal. Privée de sa liberté, la volonté est entraînée
« nécessairement » vers le péché. Cette nécessité n'en est pas moins
« volontaire », car c'est en vertu de sa liberté que la volonté s'est faite
esclave. Nous ne pouvons même pas soupirer après la délivrance : c'est
Dieu qui commence en nous l'œuvre de la conversion en éveillant le
désir de la justice ; il la continue en déterminant notre volonté vers le
bien, sans aucune préparation ni coopération de notre part. Les exhor-
tations et les remontrances ecclésiastiques n'en deviennent pas pour
cela mutiles, car c'est par ces moyens extérieurs que l'Esprit agit dans
le cœur des hommes pour convertir les uns et convaincre les autres
de la légitimité de leur condamnation par le témoignage de leur con-
science. Christ, en effet, n'en a pas moins prêché larepentance, tout en
enseignant que personne ne peut venir à lui si le Père ne l'attire. Seul,
un médiateur envoyé par Dieu peut nous apprendre que malgré la
voix de notre conscience, qui nous condamne, Dieu est disposé à nous
pardonner. Ce médiateur, c'est Christ, dont la venue future, promise
à Abraham, a été l'objet de la foi d'Israël, et dont l'œuvre rédemptrice
a été la substance de toutes les expiations de l'Ancien Testament. La
venue de Christ a aboli toutes les cérémonies par lesquelles sa mort
et sa résurrection étaient préfigurées au peuple d'Israël. Elle n'a pas
aboli la loi morale, à l'accomplissement de laquelle Dieu avait attaché
ses récompenses : non que nous soyons autorisés à conclure du nombre
de ses préceptes à l'étendue de notre liberté, car ce n'est pas à notre
faiblesse que Dieu a pu demander la mesure de la règle suprême de
justice qu'il a donnée dans la loi. Pareillement Dieu ne s'est pas joué,
des hommes quand il a subordonné ses promesses à des conditions
qu'ils ne pouvaient remplir : il a voulu leur apprendre par là que ses
promesses sont pour eux sans effet, à moins qu'ils ne cherchent leur
refuge en sa bonté gratuite, clans la foi au Sauveur. La loi écrite a dans
l'économie du salut une triple utilité. D'abord elle nous fait connaître
nos péchés et sentir la malédiction divine. En cela elle est d'accord
avec la loi de notre conscience. En outre elle nous retient par la crainte
du châtiment, et elle nous prépare à la conversion en domptant notre
rébellion. Enfin les fidèles, qui ont la loi divine inscrite dans le cœur,
mais qui ne sont pas délivrés des tentations et de la paresse de la chair,
trouvent en elle des enseignements et des exhortations toujours néces-
saires. L'Ancien et le Nouveau Testament ne diffèrent point « quant à
la substance » ; sous ce rapport ils sont «une seule et même alliance »
CALVIN 549
Ils diffèrent «quant au mode de l'administration », ou quant à la forme
de l'économie divine. « Si même l'homme était resté sans péché, il
aurait eu besoin d'un médiateur pour pénétrer jusqu'à Dieu, à cause
de l'humilité de sa condition terrestre; » à plus forte raison après le
péché. Ce médiateur a été nécessairement homme et Dieu. » Christ,
s'il n'avait été (pie Dieu, n'eût pu souffrir la mort; s'il n'avait été
qu'homme, il n'eût pu la vaincre. » Lui refuser Tune des deux
natures, c'est anéantir toute son œuvre. « C'est par un décret éternel
de Dieu que l'œuvre rédemptrice de Christ a été attachée à son in-
carnation : » ainsi se trouve écartée toute question oiseuse sur la néces-
site de l'incarnation, si même l'homme n'avait pas péché (Osiandre).
Christ a été exempt du péché originel « non parce qu'il a été engendré
par sa mère seule, mais parce qu'il a été sanctifié par le Saint-
Esprit, afin que sa génération fût aussi pure qu'elle eût été. avant
la chute d'Adam. » L'union des deux natures en lui est si étroite
que l'Ecriture attribue quelquefois, au nom de l'unité indissoluble
de la personne de Christ, par la « communication des idiomes », à
l'une des natures ce qui n'appartient en réalité qu'à l'autre (Act.
XX, 28; 1 Cor. II, 8; Jean III, 13). Christ restera notre médiateur
jusqu'après le jugement. En cette qualité il occupe un rang intermé-
diaire entre Dieu et les hommes. Alors Dieu cessera d'être « le chef de
Christ », et « la divinité de Christ, couverte jusqu'alors du vohVde
son humanité, resplendira de nouveau par elle-même. » Comme mé-
diateur, Christ a été chargé par le Père des fonctions de prophète, de
roi et de sacrificateur. Il est le révélateur de la sagesse suprême, le roi
de l'Eglise et de chaque iidèle, et i] est lui-même la victime qu'il a
offerte à Dieu comme sacrificateur. Il a effacé notre culpabilité par
son obéissance parfaite au Père depuis son entrée dans le monde
jusqu'à sa mort, moment suprême de son obéissance. « Rien n'était
cependant accompli si Christ était mort seulement de mort phy-
sique. Pour calmer la colère de Dieu, il devait encore lutter contre les
cohortes infernales et éprouver l'horreur de la mort éternelle qu'éprou-
vent les scélérats, avec cette différence toutefois qu'elle ne pouvait le
rétenir. Il devait soutenir un jugement invisible et incompréhensi-
ble devant le tribunal de Dieu et arriver à clouter de son propre salut
dans le sentiment de l'abandon du Père. » C'est là la descente aux en-
fers du symbole apostolique; elle a commencé à Gethsémané. Le pas-
sage 1 Pierre III, 1(.) enseigne cependant que les élus et les réprouvés
qui sont morts avant l'ère chrétienne, ont éprouvé un « sentiment
commun de la mort de Christ»; les uns se sont emparés avidementdes
fruits de cette mort; les autres ont senti avec une évidence plus grande
qu'ils étaient exclus de tout salut. « Tout le mérite de la mort de
Christ réside dans le bon plaisir de Dieu, » qui a voulu que cette mort
lût méritoire. — & Sans l'Esprit, Christ et son œuvré objective nous
sont « inutiles». La promesse du salut, quisanslui uefrapperail que nos
oreilles ou « demeurerai! logée au sommet de notre cerveau ». pénètre
tgrâce a lui dans notre cœur avec toutes ses conséquences. L'œuvre de
'Esprit en nous est la foi, qui consiste dans « la connaissance certaine
550 CALVIN
de la volonté bienveillante de Dieu envers nous, connaissance fondée
sur la vérité de la promesse gratuite en Christ, et révélée à notre esprit
et scellée dans notre cœur par le Saint-Esprit. Les réprouvés éprou-
vent quelquefois (d'après Matth. XIII, 5) un sentiment de foi semblable
à celui des élus; l'Esprit, par son « opération inférieure », peut leur
communiquer une « foi caduque et temporaire » jointe au désir d'un
amour mutuel entre eux et Dieu, afin de les rendre « plus inexcusa-
bles » et d'exciter par leur chute inattendue les élus à la vigilance.
L'œuvre de la foi en nous est la régénération. Considérée dans son
principe objectif, cette vie nouvelle est contenue tout entière dans la
foi, qui justifie et sanctifie. Considérée dans sa réalisation subjective,
en tant qu'état intérieur de l'âme, elle est contenue dans la pénitence,
qui est « une vraie conversion de notre cœur à Dieu, partant d'une
crainte sincère et sérieuse de Dieu, et consistant dans la mortification
delachairetdansla sanctification de l'esprit; elle est, en un mot, la ré-
génération, par laquelle l'image de Dieu est rétablie en nous. » La foi
et la pénitence ne sont donc qu'un seul et même fait, la régénération,
envisagé à deux points de vue différents mais inséparables, de ma-
nière cependant que le premier moment de la pénitence (le repentir,
auquel Calvin donne aussi parfois le nom de pénitence) est un effet
de la foi, car, pour changer notre rébellion en repentir, la prédication
de la colère de Dieu ne suffit pas : il faut l'annonce et l'acceptation sub-
jective de la promesse divine sous l'influence de l'Esprit, c'est-à-dire
la foi. La pénitence ne doit jamais cesser chez les fidèles, car ils ont
toujours besoin de pardon. L'homme est justifié par la foi, quand il
est déclaré juste par une sentence divine, non en vertu du mérite de
ses œuvres, mais en vertu de la justice de Christ qu'il a saisie par la
foi, et qui lui est imputée gratuitement. Aucune de nos œuvres n'étant
absolument bonne, même après la conversion, et ne pouvant subsister
devant Dieu sans pardon, c'est par la foi seule que nous sommes jus-
tifiés, quoique le mot « seule » ne se trouve point dans l'Ecriture. Cette
justification est gratuite : « Dieu trouve en lui seul le mobile qui le
pousse à sauver l'homme. » Inséparable de l'amour, car l'Esprit qui
la produit est l'Esprit de sanctification, la foi ne puise pas dans la cha-
rité sa vertu justifiante : bien au contraire, elle est active par la cha-
rité parce qu'elle justifie. La miséricorde du Père est la « cause ef-
ficiente » du salut, l'obéissance de Christ en est la « cause matérielle »,
et la foi en est la g cause formelle ou instrumentale ». Si l'Ecriture
attribue parfois le salut aux bonnes œuvres, elle ne fait qu'appeler ce
qui précède le don de la vie éternelle la cause de cette vie; Dieu mène
en effet les fidèles à la vie éternelle par le chemin des bonnes œuvres,
qui sont des « causes inférieures » qui le décident à ajouter de nou-
velles grâces à celles qu'il a déjà accordées. La sanctification est inti-
mement unie à la justification. Par l'obéissance nous nous élevons peu
à peu à la sainteté, qui est le « trait d'union » entre Dieu et nous. La
forme de cette vie nouvelle est la liberté chrétienne. « Notre conscience
n'est plus soumise au joug de la loi ; nous obéissons de plein gré à la
volonté de Dieu gravée dans nos cœurs par le Saint-Esprit ; enfin nous
CALVIN 551
ne sommes plus tenus dans notre conscience à l'observation des
« choses indifférentes », et, tout en évitant de scandaliser les faibles,
nous savons résister à ceux qui voudraient restreindre notre liberté,
sous prétexte qu'elle leur est un scandale. La prière sert à entretenir
cette fie de sanctîficatioi : elle est un sacrifice d'adoration, en même
temps | qu'une communion directe avec Dieu, par laquelle nous pé-
nétrons dans le sanctuaire du ciel, et, admis en présencede Dieu, nous
t'interpellons sur ses promesses. » Si l'expérience intérieure enseigne
que la loi est un don gratuit de Dieu, l'expérience extérieure montre
qu'elle n'est point donnée à tous les hommes. « Dans cette diversité
se manifeste la profondeur admirable du jugement divin, car il n'est
pas douteux qu'elle ne provienne du décret de l'élection éternelle de
Dieu. Nous appelons prédesti?iation l'éternel décret de Dieu, par
lequel il a déterminé lui-même ce qu'il voulait qu'il advint de chaque
homme. Les uns ont été créés pour la vie, en vertu de la miséricorde
gratuite de Dieu ; les autres, pour la mort éternelle, par suite d'un
jugement juste, mais incompréhensible. Notre salut dépend du bon
vouloir de Dieu s (Rom. XI, 5). L'utilité de cette doctrine est que
nous ne serons persuadés jusqu'à l'évidence de la gratuité parfaite de
notre salut, que lorsque nous aurons connu qu'il a été résolu d'é^
■terni té. 11 ne faut pas craindre d'aborder cette doctrine, puisque
Dieu a jugé bon de nous en parler; mais « sachons cesser d'interroger
quand Dieu cesse d'enseigner ». L'élection divine se rapporte à la
fois aux individus et aux peuples ; l'élection spéciale est cependant
le fondement de l'élection générale, car c'est en vue des individus
qu'il a élus que Dieu déclare élire le peuple auquel ils appartien-
nent, par exemple la race d'Abraham. Christ est le centre de l'élec-
tion éternelle. C'est en lui, en tant que membres de son corps, que
les lidèles de l'ancienne et de la nouvelle alliance ont été élus, car
c'est en lui seul que Dieu a pu les aimer. Loin d'avoir son principe
dans la prescience de Dieu, la prédestination est elle-même la
cause de la prescience. L'action de Dieu en nous n'est pas une
simple (( permission », car Dieu est la « nécessité des choses ».
Oue Ton ne demande pas à Dieu de quel droit il fait des réprouvés les
vases de sa colère : qui es-tu, ô homme, pour entrer en discussion
avec Dieu? « La volonté de Dieu est si bien la règle suprême de la
justice, que tout ce qu'elle veut doit être considéré comme juste par
(••la seul qu'elle le veut. Nous ne nous représentons pas Dieu comme
un être purement arbitraire, doué de puissance absolue, sans obéir à
aucune loi : seulement, il est à lui-même sa propre loi. » 11 n'y a pas
d'injustice à ce (pie ceux qui sont pétris de la « masse corrompue »
soient livrés par son jugement éternel à une mort, vers laquelle ils se
sentent entrainés par leur propre nature. C'est en vertu du « décret
admirable » de Dieu que le péché d'Adam est devenu héréditaire,
i décret horrible », mais qu'on ne peut nier, car il serait insensé d'at-
tribuer la transmission du péché à la seule nature. Bien plus, «. c'est
en vertu de la prédestination divine qu'Adam est tombé. Ce serait, en
effet, une vaine iiction quede s'imaginer que Dieu a créé sa plus noble
552 CALVIN
créature en vue d'un but indéterminé, ou bien qu'Adam s'est créé
lui-même sa destinée par le libre arbitre : que deviendrait la toute-
puissance de Dieu, par laquelle il gouverne toutes choses suivant son
décret mystérieux et absolu ? » Dieu a créé toutes choses « en vue de
lui-même ». Les élus glorifient son nom par leur entrée dans la vie, les
réprouvés le glorifient par leur mort. En pardonnant à quelques-uns,
Dieu manifeste sa miséricorde ; en ne pardonnant pas à tous, il mani-
feste sa justice. L'exemple de saint Paul montre qu'on peut prêcher la
doctrine de la prédestination aux fidèles, tout en les exhortant au
bien. Cependant, pour porter de bons fruits, elle doit être prêchée
avec prudence, et non de manière à amener l'inertie religieuse et
morale chez les auditeurs. « Gomme nous ignorons qui appartient au
nombre des élus, nous devons désirer que tous nos frères soient sau-
vés, et conformer à ce désir notre conduite envers eux. » L'élection
éternelle se manifeste dans la vie individuelle par la vocation, ou par
l'illumination efficace, irrésistible du Saint-Esprit, qui produit en nous
la foi. C'est à ses effets, « signes postérieurs » du salut, que nous la
reconnaissons, en comparant notre état intérieur à la norme des Ecri-
tures. Par la vocation universelle, qui est la prédication de sa parole,
Dieu invite tous les hommes à venir à lui, vocation inefficace pour le
grand nombre et qu'il n'adresse aux réprouvés que «.dans le but de
les faire mourir par elle et d'en tirer la matière d'une condamnation
plus grave. » La vocation spéciale rend la vocation universelle efficace;
elle seule communique le don de l'Esprit, par lequel la parole prê-
chée descend dans les cœurs. A cette vocation est joint le don de la
persévérance, qui fait que les élus ne peuvent plus périr. — 4. Les
fidèles se trouvent placés par la dispensation divine au sein de la so-
ciété des chrétiens ou de Y Eglise visible, instituée par Dieu « pour
les nourrir et les élever dans la vraie foi, et pour les gouverner jus-
qu'à ce qu'ils soient devenus semblables aux anges, étant dépouillés de
leur chair mortelle. » A vrai dire, l'Eglise de Dieu est invisible ; Dieu
seul la connaît. Elle a pour fondement l'élection cachée de Dieu et se
compose de la totalité des élus qui ont vécu et qui vivent en ce mo-
ment. L'Eglise invisible est le corps de Christ ; elle est une et univer-
selle; en elle se réalise la communion des saints. Cachée au sein de
l'Eglise visible, elle n'est perçue avec certitude que par la foi. Cepen-
dant, comme il nous est utile de reconnaître à certains signes exté-
rieurs la présence de la société des élus, Dieu, s'accommodant à notre
faiblesse, nous permet de donner le nom de corps de Christ à « l'as-
semblée des chrétiens dans laquelle l'on prêche et l'on écoute avec
sincérité la parole divine, où l'on administre les sacrements conformé-
ment à leur institution, et où l'exemple d'une vie pure se joint à la
profession de la foi chrétienne. » Partout où se manifestent ces signes,
nous devons être certains qu'il y a là « une certaine Eglise », c'est-à-
dire un nombre plus ou moins grand d'élus, car ces signes ne peuvent
exister nulle part d'une manière durable sans porter leurs fruits. Dieu
nous permet donc d'appeler « par un jugement de charité » l'Eglise
visible la véritable Eglise des saints, malgré le nombre des réprouvés
CALVIN Sô3
qui peuvent s'y trouver. Les prérogatives de l'Eglise invisible; passent
de eette manière à l'Eglise visible. Rompre avec Tune des commu-
nautés qui la composent, c'est rompre avec F Eglise entière, et parce
que l'Eglise est le fondement de la vérité (1 Tim. 111, 15), c'est renier
Dieu et Jésus-Christ L'Eglise ne peut se tromper dans les choses né-
cessaires au salut, car elle a abdiqué toute sagesse propre pour se
laisser instruire par l'Esprit, au moyen de la parole divine. L'autorité
dogmatique de l'Eglise est intimement unie à celle de la parole de
Dieu. L'Église n'a pas le droit de produire de nouveaux dogmes; ses
ministres doivent s'en tenir fidèlement à l'enseignement des Ecritures.
S'il surgit quelque divergence d'interprétation, qu'un certain nombre
de ministres se réunissent en synode, et « présentent, après une dis-
cussion équitable, une délinition puisée dans l'Ecriture, qui préserve
le peuple de toute hésitation et ferme la bouche aux hommes méchants
et cupides. » Les décrets des anciens conciles ne sont pas à rejeter, si
ces assemblées « ont été présidées par Christ et dirigées par son Es-
prit », ainsi que l'ont été les quatre premiers conciles œcuméniques,
« que nous vénérons comme sacro-saints, car leurs décisions ne con-
tiennent que la pure et véritable interprétation de l'Ecriture, accom-
modée à la destruction des ennemis de la religion. » Le devoir de
maintenir dans l'Eglise l'unité de la foi et de la vie religieuse, n'exclut
pas celui de supporter patiemment l'imperfection morale de nos
frères et les différences d'opinion qui peuvent exister chez eux sur
quelques points secondaires de doctrine, tout en exigeant d'eux l'ac-
complissement général des devoirs chrétiens, et l'acceptation des véri-
tés essentielles de la religion, telles que l'unité de Dieu, la divinité de
Christ Fils de Dieu, la gratuité du salut. Sans doute l'Eglise est appelée
sainte, mais c'est parce que Christ la sanctifie continuellement ; sa
sainteté n'est que virtuelle, car c'est par la rémission des péchés que
nous sommes devenus et que nous restons ses membres. Cette rémis-
sion s'opère dans l'Eglise par l'entremise des ministres, à qui Dieu a
confié, avec le pouvoir des clefs, le soin de «confirmer les consciences
pieuses dans l'espoir du pardon des péchés, soit publiquement, soit
en particulier. » Dieu a institué en effet le ministère ecclésiastique avec
ses charismes spéciaux, pour servir d'organe humain à l'action que
FEsprit exerce dans l'Eglise au moyen de l'Evangile. Le ministère est
le lien le plus solide de l'unité de l'Eglise. Ses prérogatives sont :
la prédication de la parole de Dieu,, l'administration des sacrements,
l'exercice de la discipline ecclésiastique. Le ministre tient ses fonctions
d'une double vocation divine, consistant dans son élection éternelle
• t dans le don des aptitudes particulières (pie réclame sa charge; et
d'une vocation humaine, qui est son acceptation par la communauté
ecclésiastique dont il va devenir le chef, assemblée sous la présidence
de quelques pasteurs. Pour que le nom 'de corps de Christ, appliqué
à l'Eglise visible, ne soit pas en contradiction flagrante avec son appa-
rence extérieure, il faut qu'elle bannisse autant que possible de son sein
toute souillure morale au moyen (Tune discipline rigoureuse, qui est le
« nerf » de la vie ecclésiastique. Si chaque fidèle a le devoir de repren-
554 CALVIN"
dre son frère à l'occasion, c'est aux pasteurs et aux anciens qu'incombe
la charge de veiller constamment à la sanctification de l'Eglise. Ce serait
insulter Christ que de conserver sciemment des membres corrompus
dans l'Eglise, son corps ; ce serait en outre exposer les fidèles à la
contagion d'un exemple pernicieux, et fermer aux pécheurs eux-
mêmes la voie de l'amélioration par une indulgence déplacée. Les
« péchés cachés » ne doivent être repris publiquement que si la
réprimande privée et celle devant témoins sont restées sans effet.
Les (( péchés publics » au contraire doivent être repris publique-
ment, puisque le scandale a été public, et, selon leur gravité, punis
d'une exclusion temporaire de la sainte cène. Cette peine ne doit être
prononcée qu'avec l'assentiment de la communauté. En cas de déso-
béissance prolongée, il ne reste à l'Eglise qu'à abandonner le pécheur
au jugement de Dieu, sans cesser d'espérer sa conversion et de prier
pour lui, car elle n'a condamné que ses actes et non sa personne.
« Un pareil jugement de l'Eglise est la promulgation de la propre
sentence de Dieu, » car ce que les fidèles ont décidé ici-bas confor-
mément à la parole divine, est ratifié dans le ciel. « Le sacrement
est un signe extérieur par lequel Dieu confirme à nos consciences
les promesses de sa bienveillance envers nous pour soutenir la, fai-
blesse de notre foi, et par lequel à notre tour nous attestons notre
piété envers lui tant en sa présence qu'en celle des anges et des hom-
mes. » 11 faut distinguer dans le sacrement la promesse divine ou la
réalité intérieure, du signe extérieur. « Dieu donne réellement par le
sacrement ce que le signe représente; il est donc fidèle et véridique :
seulement il n'abandonne point pour cela au signe extérieur son propre
rôle, qui est d'être le principe de toute grâce spirituelle. » Le sacre-
ment ne possède aucune vertu propre, qui ferait de lui la cause du
salut ; toute son efficacité dépend de l'action du Saint-Esprit. « C'est
par la foi qu'il faut saisir la parole divine renfermée dans le signe
visible». Aussi les réprouvés ne perçoivent-ils ((qu'une figure vaine et
inutile. » Et cependant la réalité du sacrement n'est pas anéantie pour
cela en elle-même ; la faute en est à l'homme s'il reçoit d'une manière
charnelle la grâce qui lui est offerte d'une manière spirituelle. L'An-
cien Testament a eu ses sacrements, identiques à ceux du Nouveau
quant à la substance qui est Christ des deux parts (1 Cor. X, 3), mais
non quant au degré suivant lequel la grâce de l'Esprit s'y est manifestée.
Le baptême est « le signe de notre entrée dans l'Eglise et de notre im-
plantation dans le corps de Christ. » Il est la garantie visible de notre
purification par l'aspersion du sang de Christ, la garantie de notre
mort et de notre résurrection avec Christ, et par conséquent celle de
notre union parfaite avec le Seigneur et de notre participation à tous ses
biens. Il ne contient pas seulement la rémission de nos péchés passés,
si bien qu'il faudrait, ou le retarder jusqu'au moment de la mort,
ou le renouveler fréquemment, à moins d'attribuer la rémission des
péchés nouveaux à la seule pénitence, élevée à la hauteur d'un sa-
crement complémentaire du baptême ; son efficacité s'étend sur
les péchés commis pendant toute la vie, car son souvenir nous ren-
CALVIN
dra toujours la certitude du pardon gratuit de Dieu. De cette ma-
nière il est Lui-même le vrai sacrement de la pénitence. Vis-à-vis des
tidèles, le baptême est un témoignage de notre foi en la miséricorde
gratuite de Dieu, et de notre intention de vivre avec nos frères d'une
même fie dans le sein de l'Eglise. Les ministres seuls ont le droit
d'administrer le baptême. L'ondoiement est une « usurpation » que
rien ne justifie, car celui qui meurt sans baptême n'est pas damné
pour cela, puisque le principe du salut est l'élection éternelle. Dieu
déclare dans l'Ecriture qu'il adopte nos enfants dès avant leur nais-
sance : les enfants des fidèles ne deviennent donc pas enfants de Dieu
parle baptême; ils sont bien plutôt baptisés parce qu'ils sont déjà
membres du corps de Christ avant de naître. A ce titre, le baptême
leur est dû, car, puisqu'ils possèdent la réalité intérieure du sacre-
ment, ils ont le droit d'en recevoir aussi le signe extérieur. L'exemple
de Jean-Baptiste et de Jésus prouve que l'œuvre de Dieu dans les pe-
tits enfants est réelle, quoiqu'elle dépasse notre entendement. Les en-
fants que Dieu a élus possèdent «la semence de la foi et delà pénitence »
en vertu dune opération mystérieuse de l'Esprit. « Le pain et le vin
de la cène sont des signes qui représentent la nourriture invisible que
nous recevons de la chair et du sang de Christ. » Le rôle principal
du sacrement n'est pas de nous offrir simplement le corps de Christ, mais
plutôt de conlirmer la promesse que Christ a faite de nous donner son
corps et son sang comme notre vraie nourriture pour la vie éternelle,
d'être pour nous le pain de vie. « Le sacrement nous garantit que ce
corps et ce sang nous sont aussi réellement offerts que si Christ était lui-
même présent au milieu de nous sous une forme visible et palpable. »
La manducation du corps de Christ a lieu par la foi ; elle n'est pas la
simple foi, mais le fruit de la foi, « la participation à Christ. » Elle ne
se borne pas à la communication de son Esprit : « quand la Parole
vivifiante a habité dans notre chair, elle a rendu cette chair elle-même
vivifiante pour nous, alin que la vie parvienne par elle jusqu'à nous.
Christ a montré ainsi que la plénitude de la vie habite dans son huma-
nité, aMn que quiconque entre en communion avec sa chair et son
sang reçoive la vie. La chair de Christ est semblable à une fontaine
inépuisable, qui fait couler jusqu'à nous la vie jaillissant du fond de
la divinité. » Le corps incorruptible de Christ est fini, <( suivant la
manière d'être perpétuelle du corps humain ; » il est contenu « lo-
calement » dans le ciel. <c Le lien de notre union avec lui est l'Esprit,
dont les rayons nous transmettent la vertu de ce corps, comme les
rayons du soleil communiquent la chaleur solaire à la terre. » Notre
participation au corps du Seigneur est spirituelle et non matérielle;
elle n'en est pas moins réelle et substantielle, car l'Esprit immatériel
de Dieu est la réalité suprême. Les réprouvés ne reçoivent que les
signes extérieurs; mais ils n'en mangent et n'en boivent pas moins leur
condamnation, car « ils insultent à la majesté du sacrement et signent
leur propre sentence alors qu'ils reconnaissent par leur présence que
leur salut est renfermé dans ces éléments consacrés dont ils s'appro-
chent sans une étincelle de toi ni de charité. » Vis-à-vis de nos frères,
556 CALVIN
la célébration de la cène est une profession solennelle de notre foi en
l'efficacité de la mort de Christ, et de plus, « le lien de la charité » qui
nous unit à eux, car nous sommes devenus avec eux les membres d'un
même corps, qui est Christ. — 5. A côté du pouvoir ecclésiastique,
chargé du gouvernement de « l'homme intérieur », Dieu a institué le
pouvoir politique, pour gouverner « l'homme extérieur » et le conte-
nir dans les limites de la « justice civile. » Les deux pouvoirs sont
également d'origine divine. Pour être distincts, ils ne sont pas sans
rapports réciproques. D'un côté, c'est bien au milieu des circonstances
de la vie terrestre que le règne de Christ doit commencer en nous. De
l'autre, c'est à l'Etat qu'il appartient de « protéger le culte extérieur
de Dieu, de défendre la saine doctrine de la piété et l'existence de
l'Eglise ». Ses représentants punissent toute atteinte à leur propre
majesté : devraient-ils laisser impunies les atteintes à la majesté
de Celui de qui ils tiennent leur autorité ici-bas? « Quiconque al-
lumera que le contenu des Ecritures est fiction sera traîné au sup-
plice. Jl est du devoir du magistrat de punir par le glaive et par
d'autres châtiments ceux qui, après avoir renié leur foi, sollicitent les
autres à une semblable apostasie. » Toute mansuétude à leur égard
serait la pire des cruautés. En effet, la contagion physique ne met
en danger que le corps; la contagion de l'impiété peut jeter les
âmes dans la mort éternelle. Il faut donc user de violence pour ra-
mener dans le droit chemin les âmes qui se seraient laissé égarer.
« C'est avec raison que saint Augustin a dit : ïl est utile que les hommes
soient amenés à la foi contre leur gré. » La fidélité à la parole de
Dieu constitue seule les martyrs ; les victimes de la justice civile
pour crime d'hérésie sont des « blasphémateurs » et des« monstres ».
L'Etat le plus heureux est « celui dans lequel la liberté est consti-
tuée d'une manière régulière et durable, et renfermée dans les limites
d'une juste modération. » Cet idéal est le plus facilement atteint «dans
un gouvernement aristocratique ou dans l'alliance de l'aristocratie et
de la république, car il est plus sûr que plusieurs tiennent le gouver-
nail ; ils pourront s'instruire réciproquement. » Les rois et les magis-
trats sont « les ministres et les vicaires de Dieu, les pères de la patrie; »
leur charge est une « vocation sainte et légitime », qui les revêt d'une
« autorité divine ». L'administration politique les regarde seuls. « Les
simples particuliers doivent s'abstenir de toute ingérence dans les
affaires publiques et de toute usurpation du rôle du magistrat. » Les
dépositaires du pouvoir politique, quels qu'ils soient, ont également
droit au respect et à l'obéissance des hommes. « Même dans le plus
misérable et le plus indigne des hommes, s'il est revêtu du pouvoir
extérieur, réside la puissance divine que le Seigneur a conférée à ses
ministres. Les bons rois ont été donnés par Dieu pour être des mani-
festations vivantes de sa bienveillance ; les rois injustes ont été suscités
par lui pour punir l'iniquité du peuple, afin d'exercer les hommes à
L'humilité par le souvenir de leurs fautes, et afin de leur enseigner à
implorer sou secours, car lui seul tient dans sa main les cœurs des
rois et les destinées des royaumes. » Si Dieu seul a le droit de punir
CALVIN - CAMALDULES 557
les tyrans, et les magistrats populaires, institués par lui pour être les
tuteurs des rois et pour modérer leurs eaprices, tels que les trois ordres
réunis dans leurs assemblées souveraines, peuvent s'opposer, en vertu
de leurs fonctions, à la licence des rois.» Cependant l'obéissance aux
autorités ne doit pas nous détourner de l'obéissance à Dieu. « Dieu n'a
pas renoncé à ses droits royaux quand il a établi des rois sur le genre
humain. Si nous sommes soumis aux rois, c'est en Dieu, le Roi des rois, »
— Consulter : Kœstlin, Calvin s Institutio nach Form u. Inhalt in ihrer
(/esc/t. Entwickelung, dans les Theol. Stud., u. Krit., 1808, I et 3-
*ner,
Gesch d. prot. ThcoL, Munich, 1867, 374 ss. ; Kampschulte, J. Calvin s.
Kirche u. s. Staat in Genf, Leipz., 1869, I, 251 ss. ; Lobstein, Die Ethik
Calvin s, Strasb., 1877. A. Jundt.
CAMALDULES {Camaldulani, Camaldolitœ, Camalduenses) , ordre re-
ligieux fondé par saint Romuald (950-1027) à Campus Maldoli, dans
une vallée sauvage de l'Apennin, à douze lieues de Florence, en'oppo-
sition avec la vie monastique moins sévère des bénédictins. Parmi les
nombreux groupes d'anachorètes réunis par le zèle catholique de Ro-
muald (voy. cet article), celui de Camaldoli conserva le plus fidèle-
ment les traditions d'austérité du célèbre anachorète de Ravenne dont
le biographe, Pierre Damiani, abbé de Fonte Avellana (f 1072) ne
contribua pas peu à exalter la mémoire et à propager les principes La
première règle écrite de l'ordre (Holsten, Cod. regularum monast. II
192 ss.)ne date que de 1102. Elle tempère les premières prescription's'qui
imposaient aux camaidules l'isolement absolu, sauf pour les exercices
spirituels, consistant surtout en prières psalmodiées sur un ton mono-
tone, des jeûnes fréquents, l'abstention de l'usage de la viande et du
vin. Les religieux portaient l'habit blanc. Le prieur de Camaldoli qui
était en même temps le supérieur de l'ordre, avait le titre de major
Des couvents de femmes furent fondés d'après la même rèMe Dès le
treizième siècle des changements importants s'introduisirent dans la
constitution de l'ordre. Les cénobies de Saint-Michel et de Saint-Matthieu
de Murano, près de Venise, bientôt célèbres par leurs richesses sub-
stituèrent la vie en commun des moines à l'isolement des anachorètes
et alternèrent, pour l'élection du major, avec les congrégations organi-
sées sur le type primitif. Un retour dans le sens de l'ascétisme origi-
nel fut tenté par Ambroise de Portico et approuvé par le ^ "
Eugène IV (1131), et par Justiniani, prieur de Camaldoli, sous Léon X
(1520). Ces réformes provoquèrent le détachement de plusieurs bran-
ches de l'ordre qui se constituèrent d'une manière indépendante En
1529, le siège principal futtransféré au couvent de San-Salvadore près
de Pérouse. Partiellement dissous et rétabli au milieu des orales 1*
sévirent sur les congrégations religieuses à la /indu dix-huitième siècle1
Tordre de- eainal. Iules s*est maintenu jusqu'à nos jours • Ia nana (\-\
goire XVI lui appartenait. Le principal couvent en France était situé
près de Grosbois, non loin de Roissy-Saint-Léger, à quelques lieues de
558 CAMALDULES — CAMBRAI
Paris. — Voyez : P. Damiani, Romualdi vila, dans ses Opéra, II, 205 ss. ;
Mabillon, A A. SS. ord. Bened. sœc. VI , I, 247 ss. ; Hélyot, dans son
Histoire des Ordres religieux, V, 247 ss.,a donné une nomenclature des
écrivains de Tordre; Guido de Grandis, Dissert, camalduenses, Lucq.,
1707; Mitarelli, Annales camalduenses Ord. S. Bened., Venise, 1758.
Le P. Ziegelbaur a également donné une Notice des écrivains de cet
ordre, Venise, 1750.
CAMBRAI (Cameracum), archevêché. Sans nous arrêter à la lé-
gende de saint Diogène, produit du seizième siècle, nous dirons que
Tévêché de Cambrai et d' Arras fut fondé, vers 500. par saint Vaast
(voy. Arras), mais que le véritable apôtre du Cambrésis fut saint Géry
{Gaugericus, 580-619). Cet évêque fonda sur le Mont-des-Bœufs le
monastère de Saint-Médard et Saint-Loup, dont l'église prit ensuite le
nom de Saint-Géry jusqu'à ce que ce vocable eût été donné, en 1545, à
l'ancienne église de Saint- Vaast. Saint Aubert (633-669) couvrit son
diocèse de couvents. Saint Landelin, son fils spirituel, était un noble
franc qui, après une vie coupable, fonda Lobbes, Aine, Wallers et Cres-
pin; Ghislain, disciple de saint Aubert et moine de Saint-Basile,
transforma en monastère la solitude d'Ursigondus, aujourd'hui
Saint-Ghislain; Saint- Vaast d' Arras, la Celle, Maubeuge, Marchiennes,
Hautmont, Soignies, Mons, se réclament aussi du nom deSaint-Aubert.
Gérard le Grand (1012-1049) fut un grand évoque; parent d'Adalbéron
de Reims qui l'avait élevé, il fit composer par Fulbert (de Chartres?)
la vie de saint Aubert (Surius, 13 décembre), il fit écrire la vie de
saint Géry (Ghesquière, II) par un chanoine de Cambrai, par lequel
l'évêque fit rédiger ensuite les fameux Gestaepiscoporumcameracensium
(Pertz, Scr., VII), célèbre monument historique qui fut continué
sous ses successeurs, et dont il faut rapprocher les Annales de Cam-
brai, œuvre de Lambert de Waterlos, qui a raconté les tumultes qui
suivirent l'élection de Pierre d'Alsace (1167, Pertz, Scr., XVI). Ce der-
nier évêque, fils du comte de Flandre, ne fut jamais consacré; il se démit
en 1177 del'épiscopat pour épouser la comtesse de Nevers. Saint Liébert,
parent et successeur de Gérard le Grand, fonda en 1064, au retour
d'un pèlerinage où il n'avait pu arriver jusqu'en Terre-Sainte,' le
monastère du Saint-Sépulcre. On cite encore, parmi les évêques de
Cambrai, Odoard, auteur sacré (f 1113), Robert de Genève, qui fut l'an-
tipape Clément VIII, Pierre d'Ailly. En 1559, Cambrai, qui avait été
suffragantde Reims, puis, après 1169, de Cologne, fut érigé en archevê-
ché pour Maximilien de Berghes, mais en même temps son diocèse,
qui avait déjà en 1093 perflu Arras (ce fut, avec Saint-Omer qui n'existe
plus, son seul évêché suffragant), fut diminué des archidiaconés de
Bruxelles et d'Anvers. L'archevêque était prince du Saint-Empire,
duc de Cambrai, comte de Cambrésis. En 1801 Cambrai perdit son ar-
chevêché et fut soumis à Paris ; en 1842 il fut rétabli en son ancienne
dignité. Il n'est pas nécessaire de rappeler que Dubois y a occupé le
siège deFénelon. La belle église cathédrale de Notre-Dame, rebâtie par
Villart de Honnecourt et consacrée en 1182, achevée en 1472, fut
en 1796 vendue comme bien national; le clocher, seul épargné, tomba
CAMBRAI — CAMBRIDGE 559
en 1809. On y conservait l'image de la Vierge, attribuée à suint Luc.
On a donné en 1804 son titre de cathédrale à l'église abbatiale du
Saint-Sépulcre, qui n'est remarquable que parle tombeau deFénelon. —
Voyez : Galtia c*rv, III; Fisquet, Cambrai, 1809, in-8°; Le Glay, Came?:
Christian., Lille. 1849, in-'*0; Ghesquière, Acte SS. Belgii, Watten-
hach. GeseA. fweUen9fr édit., 1874, II, p. 118. s. Berger.
CAMBRÉSIS. Pendant plusieurs années, les partisans des doctrines
de la Réforme, qui habitaient le Canibrésis, se réunirent an Cateau,
capitale de ce petit comté, pour lire les saintes Ecritures; mais quand
l'édit de janvier 1862 eut permis de les prêcher, ils allèrent à ceux qui
se tenaient sur terre française (le Canibrésis était alors un fief de l'em-
pire d'Allemagne). LTévêque de Cambrai, leur suzerain temporel et
spirituel, le leur défendit plusieurs fois, mais ce fut sans succès. Deux
ans après, le ministre Pinchedit donna à Honnechy une prédication à
laquelle assistèrent plusieurs bourgeois du Cateau qui, pour ce fait,
furent condamnés au bannissement. Leurs coreligionnaires n'en conti-
nuèrent pas moins, mais plus secrètement, de se rendre aux diverses
assemblées qui se tenaient à Crespy en Laonais, à Tupigny en Ver-
mandois et à Chauny en Picardie. En 1506, le prêtre converti Jacques
Grégoire, qui était venu « souvent faire les prières ecclésiastiques »
à Saint-Souplet en Cambrésis, y fut arrêté et conduit au Cateau. Le
bailli de Cambrai, envoyé par les vicaires de l'évêque, pour lors à la
diète d'Augsbourg, réclama le prisonnier, mais il ne l'obtint qu'après'
plusieurs démarches. Le 25 août de cette même année, les évangé-
liques du Cateau, ayant appris que toutes les images des églises catho-
liques avaient été abattues dans plusieurs villes et villages du Brabant,
firent de même chez eux sous la conduite de Philippe, ministre de
Tupigny, qui prêcha à cette occasion dans l'église de Saint-Martin
devant une foule immense. L'évêque renouvela ses anciennes défenses,
mais les évangéliques, désormais en grande majorité au Cateau,
résistèrent à ses ordres et se séparèrent de son obéissance. Vivement
irrité, l'évêque fit prendre d'assaut la ville par le comte de Mansfeld
i2i mars 1507). Le pasteur Philippe et un prêcheur furent pendus
sans autre forme de procès, et après eux un grand nombre d'évangé-
liques, qu'on jugea fort sommairement. A dater de cette époque, le
protestantisme disparut du Cateau. En 1508, le prince d'Orange
tenta bien de prendre la ville de force, mais il échoua. Les protestants
actuels du Cateau (1870), au nombre de 441, sont des étrangers, établis
dans le pays depuis assez longtemps. Le culte réformé a été inauguré
parmi eux le 14 janvier 1855, et leur Eglise*, qui se rattache au con-
sistoire de Lille, a été reconnue par l'Etat en 1867.— Ch.-L. Frossard,
La /{''/orme dans le Cambrésis. E. Arnaud.
CAMBRIDGE, capitale du comté de Cambridge en Angleterre, ville
essePtieUemcot universitaire, située à 82 kilomètres nord-est de; Lon-
dres et bâtie sur laCam, qu'on y traverse au moyen d'un très-beau
pont de fer. L'université de Cambridge est regardée comme la plus
ancienne du royaume britannique; on l'ait remonter sa fondation à
Sigebert, roi d'Est-Anglie, vers le milieu du septième siècle; elle fui
560 CAMBRIDGE
organisée par Edouard Ier, puis par Elisabeth en 1571. Elle se compose
de dix-sept établissements, collèges ou halls, unis les uns aux autres
par des jardins et formant un ensemble assez considérable. C'est une
sorte de fédération dont chaque membre a ses statuts particuliers et
est soumis en même temps à des lois générales. Voici la liste des dix-
sept collèges, avec la date de leur fondation : 1° St-Peters-College, fondé
en 1257 par Hugii N. Balsham, évêque d'Ely; la chapelle renferme
de très-beaux vitraux représentant la Passion. 2° C lare-Hall, fondé en
1320 par lady Elisabeth, sœur de Gilbert, comte de Clare, reconstruit,
après incendie, en 1638. 3° Pemùroke-College, fondé en 1317 par Marie
de Saint-Paul, veuve d'Aymon de Valence, comte de Pembroke.
4° Gonville et Caïus-College, appelé aussi Gonville-Hall, fondé en 1348
par Edmond Gonville, et agrandi en 1558 par le docteur John Caïus.
5° Trinity-HaU, fondé en 1350 par l'évêque de Norwich, William
Bateman, consacré plus spécialement à l'étude de la législation civile.
6° Corpus Christi-College, fondé en 1351 par deux guilds ou corpora-
tions, Gilda Corporn Christi et Gilda Beatœ Marix Virgim's. 7° Kings-
College, fondé en 1441 par Henri VI , possède une chapelle que Ton
regarde comme un des spécimens les plus parfaits de l'architecture
ogivale en Angleterre. 8° Queens-College, fondé en 1446 par la reine
Marguerite d'Anjou, femme de Henri VI, et agrandi en 1465 par
Elisabeth Widville, femme d'Edouard IV. 9° St-Catherines-Hall,
fondé en 1473 par le docteur Robert Wodelarke. 10° Jésus- Collège,
fondé en 1496 par John Alcock, évêque d'Ely. 11° Christ" s- Collège,
fondé en 1456 par Henri VI sous le nom de God's House, mais recon-
stitué en 1505 par Marguerite, comtesse de Richmond, et Derby, mère
de Henri VII. On montre dans le jardin un mûrier planté par Milton.
12° Si-John s-College, fondé en 1511 par la comtesse de Richmond;
c'est le plus important après celui de Trinity-College. 13° Magdalene-
College, fondé en 1519 par Thomas Baron Audley. 14° Trinity-College,
fondé en 1546 par Henri VIII ; c'est le plus riche de tous ; le maître en
est nommé directement par la couronne ; son logement sert de rési-
dence au souverain quand il visite Cambridge. 15° Emmanuel- Collège
fondé en 1584 par sir Walter Wildmay, chancelier de l'Echiquier et
conseiller privé sous le règne d'Elisabeth. 16° Sidney-Sitssex-College,
fondé en 1598 par une comtesse de Sussex. 17° Doivning-College,
servant uniquement aux étudiants en droit et en médecine, fondé par
sir Downing, baronet, et ouvert seulement en 1821. — De ces divers
établissements sont sortis quelques-uns des hommes les plus illus-
tres de l'Angleterre : l'archevêque Tillotson, William Pitt, William
Harvey, Nicolas Bacon, l'archevêque Cranmer, l'astronome Flamsteed,
le poëte Coleridge, Milton, Byron, Newton, Olivier Cromwell, etc. Le
nombre des étudiants varie entre 4,000 et 5,000. Chaque collège a sa
bibliothèque particulière ; mais il faut mentionner surtout la grande
bibliothèque de l'université, qui comprend 170,000 volumes environ
et plus de 4,000 manuscrits, entre autres un Nouveau Testament du
troisième ou quatrième siècle, donné par Théodore de Bèze. On a fait
à l'université de Cambridge la réputation d'étudier surtout les mathé-
CAMBRIDGE — CAMERON 561
matiques et de négliger les autres sciences. Cependant la critique
théologique est loin d'y avoir été inconnue, et c'est à Cambridge
qu'ont paru quelques-uns de ces Essays qui ont tellement émotionné
l'Angleterre religieuse, il y a quelques années (voirTarticle Essays and
Rewietvs). a. Gary.
CAMERARIUS (Joachim), célèbre humaniste allemand, né à Bamberg
en L500, mort en 157't, était issu d'une famille dont le premier nom
était Liebhard, et qui avait reçu le surnom de Camerarius, parce que
plusieurs de ses membres avaient été chambellans. Il se lit de bonne
heure connaître par des ouvrages pleins d'érudition, enseigna le grec
et le latin à Erfurt (1521), à Wittemberg (1522), à Nuremberg (1526),
et réorganisa les universités de ïubingue (1535) et de Leipzig (1541). Il
embrassa la Réforme dès 1521 et se lia étroitement avec Mélanchthon.
Esprit modéré, conciliant, sobre, plein de grâce et d'urbanité comme
orateur et comme écrivain, Camerarius sut unir un culte passionné pour
L'antiquité à une foi sincère en l'Evangile. Il fut chargé par le sénat de
Nuremberg de plusieurs missions importantes, et jouit d'un grand crédit
auprès des princes de son temps, même auprès de ceux qui ne par-
tageaient pas ses vues religieuses. C'est sur les notes prises par ce
savant délégué, lors de la lecture de la réfutation que les théologiens
catholiques avaient présentée de la confession d'Augsbourg. que Mé-
lanchthon rédigea son Apologie. Depuis 1530 jusqu'à sa mort, Camera-
rius assista à toutes les diètes et à tous les colloques importants : avec
Mélanchthon il porta la principale responsabilité des Intérims d'Augs-
bourg et de Leipzig. Ses principaux écrits sont: VitaPh. Melanchthonis,
Leipz., 1556, in-8°; Historica narratio de fratrumorthodoxorum Ecclesiis
in Bokemia, Moravia et Polonia, Francf., 1625; Catechesis, seu initia
doctrine in Ecclesia Christi, Leipz., 1563; flistoriœ Jesu Christi sum-
malim relata expositio, Leipz., 1566; Sententix et sapientia Siracidx no-
tatio figurarum sermonis inlibris Ev. et apostolis script., Leipz., 1569 • on
lui doit des traductions estimées d'Homère, d'Hérodote, de Xénophon,
dAristote, de Sophocle, de Thucydide, de Démosthène et d'autres
auteurs^ grecs énumérés dans Fabricius, Biblioth. grœca, X1ÎI, 495 ss.
CAMÉRON (Archibald), célèbre prédicateur écossais, né à Falkland,
dans le comté de Fife. Lorsque Charles II publia l'édit de suprématie
qui, tout en admettant la liberté religieuse, restreignait les privilèges
accordés aux protestants et allait même jusqu'à porter atteinte à la
liberté de leur conscience, Caméron provoqua chez un grand nombre
de ses coreligionnaires une résistance énergique contre le nouvel ordre
de choses. Les caméroniens tinrent des assemblées religieuses en plein
air, connues sous le nom de conventieutes, déclarèrent Charles II déchu de
ses droits à la couronne et proclamèrent le gouvernement républicain.
Caméron n'hésita pas à prendre les armes, mais il périt dans une escar-
mouche et sa tête lut exposée à Edimbourg au bout d'une hallebarde.
Le fanatisme farouche de la secte des caméroniens a été très-bien dé-
peint par Walter Scott dans ses Puritains d'Ecosse.
CAMÉRON (Jean) , célèbre théologien protestant, né à Glasgow en
1580 et mort a Montauban en 1626. Il quitta vers 1600 sa ville na-
II. 36
562 CAMERON
taie où il enseignait la langue grecque, et vint en France, où il fut
d'abord professeur de grec et de latin au collège de Bergerac, puis on
l'appela peu de temps après à une chaire de philosophie à Sedan. En
1604, il devint précepteur des fils de Softrey de Calignon, chancelier
de Navarre, et les accompagna aux universités de Genève et de Heidel-
berg. Lui-même y étudia la théologie. En 1608, il était appelé comme
pasteur à Bordeaux. Lors des troubles de la régence et de l'émotion
produite, de ville en ville, par l'attitude que venait de prendre l'assem-
blée de Nimes, en 1615, il fut d'avis que l'Eglise de Bordeaux suspen-
dit son exercice, et, en présence des divisions que la décision consis-
toriale lit éclater sur ce point, il se retira avec son collègue Primerose,
forçant ainsi la main aux opposants, et faisant, de la suspension, un fait
accompli. Le consistoire, mené par lui et par Primerose, voulut, après
le rétablissement de la paix, faire un mauvais parti aux opposants : de
là conflit, appel au parlement, excommunication, puis appel comme
d'abus et condamnation de Caméron ; en un mot, toute une grosse
affaire qui accusait surtout l'empiétement du consistoire et des mi-
nistres dans une question du ressort administratif et politique. Le
synode d'Alais ne pouvait pas ne pas louer cet excès de zèle, mais il
se refusa à en payer les frais. En 1618, la chaire de théologie de Sau-
mur venant à vaquer par le décès de Gomar, Caméron la disputa à La
Coste, ministre de Dijon, dans un examen solennel qui eut lieu le
8 août, au synode du Mans , devant toutes les sommités des Eglises et
en présence de Duplessis-Mornay et du vieux Du Moulin. La Coste
échoua d'une manière complète; Caméron s'en tira avec honneur
et donna entièrement tort aux préventions que la province de Poitou
avait d'abord montrées contre lui. Le 17 août, il fut proclamé publi-
quement. Il était à peine installé que l'Eglise de Bordeaux le redeman-
dait (juin 1619), et il fallut que Duplessis-Mornay écrivit au consistoire
pour lui représenter combien l'enseignement du nouveau professeur
était nécessaire à l'Académie ; il fallut même que le synode national
d'Alais fit intervenir son autorité pour le maintenir dans sa chaire,
contre l'opposition de son ancienne Eglise. Cependant les idées que
Caméron nourrissait sur la grâce et le libre arbitre, la théorie de
Yuniversalisme hypothétique, que son disciple Amyraut devait déve-
lopper plus tard, suscitaient déjà un antagonisme qui était destiné à
prendre de grandes proportions. Le 18 avril 1620, Caméron eut avec
Tilénus, à l'Isle, près d'Orléans, une conférence amicale qui, selon
l'ordinaire, ne fut pas un moyen de pacification. Ces difficultés théo-
logiques et la disgrâce de Duplessis-Mornay , à qui le gouvernement de
Saumur venait d'être retiré parla cour, amenèrent Caméron à quitter
sa chaire et à retourner en Angleterre, où le roi Jacques Ier le nomma
principal du collège de Glasgow et professeur de théologie ; mais il n'y
demeura pas longtemps, n'ayant pas lieu de s'y trouver bien. Repas-
sant la Manche, il alla à Saumur, où, à défaut de sa chaire, que lui
fermait l'autorité, il donna des leçons particulières, et il reçut du
synode de Charenton, en 1623, une indemnité qui lui permit d'at-
tendre la levée de l'interdit. L'année suivante, il était appelé à pro-
CAMÉRON — CAMISARDS
fesser la théologie à L'Académie de Montauban, qui ne se montra pas
effrayée de ses doctrines. Il y arrivait dans un moment où l'état de
guerre partageai! les esprits: ayant pris rang avec les prudents et les
modérés, il l'ut en butte à la violence des exaltés qui te forcèrent* -
retirer à Moissae. Quand la tranquillité se fut rétablie, quelques mois
après, il revint à .Montauban et ne tarda pas à succomber aux ('motions
et aux fatigues, à Page de quarante ans.Claméron fut un théologien émi-
nent. et singulièrement avancé pour la période où il a vécu ; on enpeut
juger par l'opinion qu'il soutenait, que la «Réforme avait besoin d'ut
reforme nouvelle »; et par cette autre, « qu'il est possible de se sauver
dans l'Eglise romaine. » Le synode national de Castres accorda à ses
enfants et à sa veuve une petite pension « en tesmoignage d'honneur a
sa mémoire ». — Sa bibliographie comprend douze articles, parmi les-
quels il faut citer ses Thèses de gratta et libero arbitvio disputâtes (Sau-
mur, 1618, in-8°) ; Thèses XLII theologicx de necessitate satisfaction
Christi pro peccatis (Saumur, 1620, in-fol.) ; Arnica collatio de gratiir !
voluntalis humanœ concursu in vocatione, etc. (Rouen, 1622, in-8") ;
Sept sermons, sur Jean YI (Saumur, 1624, in-8°) ; Prœlectiones théolo-
gien (Saumur, 1626-28, publ. par L. Cappel en 3 vol.). On a aussi de
lui, comme ouvrages posthumes : Of the sovereign judge of confr •■>-
versies in matters of religion (Oxford, 1628, in-8°) ; et Myrotheticùnn,
evangelicum, etc. (Saumur, 1677, in-4°), recueil de savantes et judi-
cieuses remarques sur le Nouveau Testament, que Richard Simon
qualifie de « doctes éclaircissements ». Oh. Read.
CAMISARDS. Les atrocités commises par l'intendant Baville conî
les protestants du Languedoc donnèrent naissance à la guerre dite des
camisards, terme qui vient vraisemblablement de l'ancien mot cavmsade,
attaque de nuit. L'un des plus cruels agents de Baville, François de
Langlade du Ghaila, archiprétre des Cévennes, prieur de Laval et
ancien missionnaire à Siam, nommé, sur sa recommandation, inspec-
teur des missions du Gévaudan, avait fait de son presbytère du Ponî-
de-Montvert une véritable prison où il torturait à plaisir ses victimes.
« Tantôt, dit le véridique Antoine Court, il leur arrachait avec des
pinces le poil de la barbe ou des sourcils, tantôt il leur mettait des
charbons ardents dans les rnains, qu'il fermait et pressait ensuite avec
violence jusqu'à ce que les charbons fussent éteints; souvent il leur
revêtait tous les doigts des deux mains avec du coton imbibé d'huile
ou de graisse, qu'il allumait ensuite et faisait brûler jusqu'à ce que
les doigts fussent ouverts ou rougis par les flammes jusqu'aux os. »
Ayant fait arrêter, au mois de juillet de l'année 1702, une troupe
de protestants fugitifs qui se rendaient à Genève, il les enferma dan ï
des ceps comme des animaux et requiteontre eux la sévère application
des édits. Désireux de les arracher à une condamnation certaine, une
bande de quarante ou cinquante protestants de leurs parents ou de leurs
amis, conduits par le petit prophète Séguier, envahissent !;i maison
de l'abbé qui. ripostant par une décharge demousqueterie, tue un de-.
assaillants. Ceux-ci, ne mettant dès lors plus de bornes à leur fureur,
percent de mille coups du Chaila (2i juillet 1702). Ainsi commença la
504 CAMISARDS
guerre des camisards. Le comte de Broglie, lieutenant général pour
le roi en Languedoc, instruit de cet événement, monta avec ses sol-
dats dans lesCévennes, mais il fut impuissant à se saisir des meurtriers.
Son lieutenant Poul, plus heureux que lui, les battit dans la plaine de
Font-Morte et fit prisonnier leur chef Séguier, qu'on brûla vif au Pont
de Mont-Vert. Un ancien soldat, nommé Laporte, devenu maître de
forges près du Collet-de-Dèze, le remplaça. Pendant ce temps cinq
nouvelles troupes se formèrent sous les cinq chefs suivants : Roland,
neveu de Laporte et, comme lui, ancien soldat ; Castanet, garde fores-
tier; Jeany, ancien maréchal des logis; Couderc, un des prisonniers
réchappes de du Chaila; Cavalier enfin, jeune boulanger, réfugié à
Genève, qui quitta cette ville pour venir au secours de ses frères et ne
tarda pas à faire sa jonction avec la troupe de Roland, dont il fut
nommé le chef suprême. Outre Roland, Cavalier eut sous ses ordres
Ravanel et Catinat, qui se rendirent bientôt célèbres comme le premier.
Il serait trop long de raconter leurs faits d'armes. Nous dirons seule-
ment qu'ils battirent le duc de Rroglie ou ses officiers dans un grand
nombre de rencontres, notamment dans le bois de Yaquières, à
Saint-Corne, au Mas de Calvi, au Val de Bane, à Vagnas. Dans ce der-
nier lieu les camisards furent successivement vainqueurs et vaincus.
Les insuccès du duc Broglie le firent remplacer par le maréchal
de Montrevel (15 février 1703), qui, plus habile que son prédécesseur,
battit les camisards près de Nîmes, à la tour de Belot, à Pompignan ;
mais comme il se signala par une grande cruauté, au point de mas-
sacrer des populations entières et de réduire en désert par F incendie
soixante-dix villages ou hameaux, il ne fit qu'exaspérer ses adver-
saires, qui remportèrent sur lui une victoire signalée aux Devoirs de
Martignargue. Disgracié pour ce fait, il fut remplacé par le maréchal
de Villars; mais, avant de quitter le Languedoc, il prit près de Bois-
sières une revanche éclatante de sa dernière défaite. Villars essaya des
voies de douceur et, grâce à l'intervention de l'honnête baron d'Aiga-
liers, il persuada Cavalier, qui était découragé du désastre de ses
camisards à Boissières, de faire sa soumission. Le jeune chef partit de
Nîmes le 21 juin 1704, muni d'un brevet de colonel, mais quarante
seulement de ses compagnons consentirent à partager sa nouvelle
fortune, vu qu'il n'avait pas stipulé dans son traité avec Villars que les
protestants jouiraient à l'avenir d'une entière liberté de conscience.
Roland, Catinat et Ravanel continuèrent la lutte, mais le premier, vendu
par un traître et surpris peu après, mourut les armes à la main. Quant
à Catinat, battu près de Marnége en Vannage, il se rendit et obtint la
permission de passer en Suisse. Ravanel fut aussi défait près de Ners,
mais il ne cessa pas les hostilités. A la fin, trahi, ainsi que Catinat,
qui était rentré en France, ils furent l'un et l'autre brûlés vifs à Nîmes
(22 avril 1705). Un grand nombre de camisards périrent avec eux
sur l'échafaud. Malgré ces supplices, quelques autres chefs continuè-
rent à lutter dans les Cévennes, notamment Claris et Montbonneux.
D'autres, comme Billard, Dupont et Mazel, qui s'étaient expatriés en
Suisse, rentrèrent en France à la suggestion des puissances alliées et,
CAMISAEDS — CAMPANBLLA 565
soulevant le Vivarais, battirent les troupes royales à Sa int-For'tunat et à
Saint-Pierreville. Le due de Roquelaure, commandant militaire du
Languedoc, comprenant le péril de la situation, réunit 0,000 soldats
et atteignit les camisards sur les montagnes des Isserlets. près de Yer-
noux (8 juillet 1709). Il les défit, mais sans pouvoir les écraser. Une
seconde rencontre, qui eut lieu quelques jours après (11) juillet) à
Pontréal, proche de Chalencin, paroisse de Saint-Jean-Chambie, fut
également fatale aux camisards et termina la lutte. Dupont avait été
tué dans la première rencontre. Quanta Billard et Mazel, ils tombèrent
peu après entre les mains de leurs ennemis. Le premier fut tué au
moment où il cherchait à fuir. Le second, plus heureux, alla rejoindre
Claris et Montbonneux et leur persuada de tenter un nouveau soulève-
ment (novembre 1709). Ils ne produisirent que de l'agitation et provo-
quèrent de nouveaux supplices. Il en fut de môme des tentatives de
Chambon en Vivarais. Un an plus tard, Mazel fut tué sur les toits d'une
maison au Mas de Couteau, àunquartdelieued'Uzès(17 octobre 1710).
Claris, qui raccompagnait, fut arrêté et conduit à Montpellier, où il
mourut sur la roue avec une admirable constance. Chambon, également
arrêté, fut pendu dans la même ville (13 novembre 1710). L'année
d'après, quelques chefs camisards, excités par les puissances alliées, s'agi-
tèrent encore, manifestant l'intention de se soulever au premier appel ;
mais la chute du ministère anglais, la paix d'Utrecht et l'envoi en Lan-
guedoc d'agents du gouvernement plus conciliants arrêtèrent le mal dans
sa racine. Ainsi finit lalutte des camisards : elle avait duré, avec des in-
tervalles de calme, neuf années (1702-1711). S'il fallait remonter à la
source de l'énergie indomptable de ces hommes extraordinaires, nous
dirions qu'elle résidait tout entière dans l'inspiration des prophètes qui
les dirigeaient. Ceux-ci parlaient au nom de Dieu et ils étaient obéis
comme tels. Cavalier lui-même était prophète, et il dut à cela d'être
préféré à Roland. Organisés théocratiquement, ils s'appelaient entre
eux enfants de Dieu, peuple de Dieu, troupeau de l'Eternel, et leurs
chefs portaient les noms de frère Cavalier, frère Roland, etc. Ils exer-
cèrent, il est vrai, de cruelles représailles à la façon des Israélites, qu'ils
cherchaient à imiter, mais ils ne furent ni assassins ni voleurs, et châ-
tièrent sévèrement ceux d'entre eux qui se rendirent coupables de
meurtre ou de larcin sans nécessité. Quant à leurs mœurs, elles furent
toujours pures. — Voyez : Ant. Court, Hist. des troubles des Cévennes ou
de la guerre des Camisards, Yillefranche, 1700, 3 vol. in-12; Louvre-
leuil, Le fanatisme renouvelé, 1704-1717, 4 vol. in-12; Brueys, Iltst. du
fanatisme, 1709-1713, 4 vol. in-12; Fléchier, Lettres choisies, Lyon,
17.').*), 2 vol. in-12; Mison, Théâtre sacré des Cévennes, Londres, 1709:
de La Baume, Hist. de la révolte des fanatiques (ms.); Ernest Albv, Les
Camisards ; Puaux, Vie de Jean Cavalier. E. Arnaud.
CAMPANELLA (Thomas), né dans la Calabre en 1568, entra dès
Page de quinze ans dans Tordre des dominicains et étudia toutes les
sciences. 11 combattit Taristotélisme, en se rattachant à la doctrine de
Telesio (Philosophia senstbus demonstrata, in-4°, 1590); mais elle lui
parut bientôt insuffisante. Les projets de transformation sociale et poli-
566 CAMPANELLA — CAMPBELLITES
tique qu'il nourrissait inspirèrent des inquiétudes à l'autorité espagnole,
(jui lui fit plusieurs fois subir la petite et la grande question. Après
vingt-sept années de captivité, il fut réclamé, au nom de l'inquisition,
par Urbain VIII, qui lui rendit la liberté; mais le séjour de Rome ne
lui oiirant pas de sécurité, il se réfugia en France (1634) où Richelieu
lui accorda une pension ; il mourut à Paris en 1639. Ses idées se trou-
vent condensées dans les Unive?'salis philosopluse seu metaphysicarum
rerum juxta propria dogmaia parles très (1638). Il est le précurseur de
Locke dans la manière dont il explique la connaissance sensible, par
les seules impressions des objets et sans que notre intelligence y apporte
quelque élément, toutes nos sciences ne nous faisant connaître que les
phénomènes des choses. Mais il est aussi précurseur de Descartes, en ce
qu'il pose comme principe de la science supérieure cette pensée de
saint Augustin : Mihi certissimum est quod ego sum. Or le sens intime
constate que nous pouvons, que nous savons et que nous voulons ou
aimons; ces trois activités sont les primalitates , les qualités fonda-
mentales de tous les êtres, même de ceux que nous considérons comme
nanimés, tels que les minéraux. Les attributs opposés, impuissance,
nintelligence, volonté, appartiennent au néant, qui ne peut exister en
lui-même, mais qui est attaché aux choses et les circonscrit ; les choses
de ce monde participent toutes, à des degrés divers, de F être et du
non être. Elles marquent par là leur dépendance de F être pur, sans
limites, indéfinissable, à qui nous pouvons cependant attribuer les trois
primalités dans leur unité, car c'est lui qui les communique à tout ce
qui existe. Les sciences ne nous fournissent que les phénomènes, il
nous faut rentrer en nous-mêmes pour trouver l'être et nous unir à lui
dans une communion mystique. L'ordre divin doit être représenté sur
cette terre par une hiérarchie dont le pape est le chef (Monarchia
Messiœ, 1633). Mais Campanella assigne à la papauté un rôle tout nou-
veau; dans la Civitas solis (publiée en 1620 à la suite de Realis philoso-
phie epilogisticse partes IV) Campanella dépeint un état idéal, dont le
monarque absolu est un métaphysicien, assisté par trois ministres
représentant la puissance, la sagesse, l'amour, et par une multitude de
fonctionnaires; dans cette organisation parfaite, il n'y a pas de droits
individuels; la propriété, la famille sont abolies; Fauteur se flatte
d'avoir dépassé la République de Platon. Campanella avait horreur du
protestantisme. Son Atheismus triumphatus seu reduclio ad religionem
per scientiam verïtatis (1631) parut manquer le but et fut surnommé
l'Athéisme vainqueur. Ce penseur vaillant et infatigable clôt la philoso-
phie italienne de la Renaissance, il en réunit les tendances diverses
dans son vaste système, et il en partage le défaut principal, l'effacement
de l'élément éthique. — Voyez : Ferrari, De religiosis Campanellse
opinionibus, Paris, 1840; C. Dareste, Morus et Campanella, 1874.
A. Matter.
CAMPBELLITES, ou Disciples du Christ, secte protestante des Etats-
Unis. Elle tire son nom d'Alexandre Campbell, ministre presbytérien,
élève de l'université de Glasgow (Ecosse), qui par sa mère était de des-
cendance huguenote. Il émigra en Amérique en 1809 et s'établit eu
CAMPBELLITES — CAMPE 5C7
Virginie. Il se sépara des presbytériens, poussé par la conviction que
« l'union des chrétiens ne peut être réaliâée que par la destruction des
confessions de foi, el que l'Eglise chrétienne ne doit imposer aucune
autre condition d'admission que celles qu'impose le Nouveau Testa-
ment lui-même. » Ce i'ut en 1810 que Campbell forma une nouvelle
société d'après ce principe. Devenu partisan du baptême par immersion,
il s'unit momentanément aux baptistes. mais son aversion pour les
confessions de foi le lit exclure de cette Eglise en 1827. De ce moment
date L'organisation distincte des Eglises qui se rattachèrent à lui. Doué
d'une gran ;e énergie et d'une vive intelligence, Campbell propagea
son système avec un grand succès, tant par sa parole que par ses écrits.
Il eut souvent recours à des disputes publiques qui, au milieu des
colons de l'Ouest, attiraient d'immenses foules qui appréciaient fort
ses talents de polémiste et d'orateur. Il publia, sous le titre de Christian
System, un résumé de sa théologie qui a souvent été imprimé; on cite
aussi son traité sur la Rémission du péché. Mais ce fut surtout par les
journaux qu'il rédigea, le Christian Baptist et te M Mental Harbinger,
qu'il exerça une grande influence. A sa mort, en 1866, le nombre de
ses partisans dépassait 350,000, répandus surtout dans le Kentucky,
L'Ohio, l'Indiana, l'Illinois, le Missouri et la Virginie. Il en existe
également dans les provinces britanniques du Nord de l'Amérique, en
Grande-Bretagne et en Australie. Onassure qu'ils sont au moins 500,000
actuellement, et que ce chiffre s'accroît chaque année d'environ
30,000 nouveaux membres. Ils ont vingt-six collèges dont les revenus
dépassent treize millions de francs. Ils publient onze journaux hebdo-
madaires qui ont ensemble 50,000 lecteurs, outre quelques publications
mensuelles. Les Disciples, d'accord avec leur fondateur, rejettent toutes
les confessions de foi et déclarent placer la Bible seule à la base de leur
association. A défaut de credo officiel, ils ont, ce qui en tient lieu, des
principes arrêtés sur la doctrine et sur la discipline. Leur théologie
est celle de l'orthodoxie, dont ils ne diffèrent que sur des points de
peu d'importance. Leur organisation est congrégationaliste ; ils ont
des anciens, des diacres et des évangélistes ; ces derniers constituent un
ministère itinérant et sont soutenus par les contributions volontaires des
fidèles. Leurs communautés célèbrent la cène tous les dimanches et
pratique** le baptême par immersion. — On peut consulter sur cette
secte intéressante, outre les ouvrages de Campbell, Jeter, Cnmpôellism
e.rantiiK-d ; .Milligan, Faith and Iteason, etc. Matth. Lelièvre.
CAMPE (Joachim-Henri) [1740-1818], surnommé le /Jerquin allemand,
pédagogue célèbre. Originaire du Brunswick, il l'ut d'abord aumônier
d'un régiment prussien, mais, ne pouvant supporter le spectacle des
horreurs de la guerre, il quitta cette carrière et se voua à l'éducation.
11 dirigea à Dessau le. pkilmUhropùum créé par liasedow, puis fonda à
Hambourg ma pensionnat déjeunes gens qui jouit d'une vogue méritée.
Campe s'applique «Tune manière exclusive à développer la raison de
tes élèves, tout en les astreignant à un régime d'une sévérité presque
puritaine. Il les met en garde contre les écarts de l'imagination, etleur
défend tout commerce avec les beaux esprits. Il traite la poésie ((comme
568 CAMPE — CAMPÈGE
une lanterne allumée en plein jour ou plutôt comme un réverbère
devant lequel aucun homme raisonnable n'ôtera son chapeau. » Son
idéal, c'est l'homme pratique; sa morale peut se résumer dans cet
aphorisme qu'il aimait à inculquer à ses élèves : « Amasse dans ta
jeunesse autant de connaissances utiles que possible ; tu ne sais pas
comment et où elles pourront te servir un jour. » Quant à la religion,
Campe n'y voit qu'un auxiliaire utile de la morale. S'étant retiré en
1805, il fonda à Brunswick une librairie d'éducation qui eut beaucoup
de succès et lui procura une grande aisance. Ses ouvrages, écrits dans
un style châtié, débarrassé des nombreux termes français que la
langue allemande avait adoptés, se distinguent par une grande sobriété
de vues et un ton moralisant qui n'échappe pas à l'ennui {Kinderbi-
bliothek ; Sittenlehre fur Kinder; Vœterliclur Rath an meine Tochter ;
Die Entdeckung America s; Theophron, etc.). On les a réunis en une
collection formant trente-sept petits volumes (1829-32). Un seul
mérite de rester populaire. C'est une imitation du célèbre roman de
Daniel Defoë, Robinson Crusoé, en dialogues (la forme préférée de
Campe), qui eut plus de quarante éditions.
CAMPÈGE (Laurent) [1474-1539], cardinal, archevêque de Bologne,
de la famille des Campeggi, si illustre dans l'Eglise qu'elle ne comp-
tait pas moins de cinq membres parmi les Pères du concile de Trente,
et fils de Jean Campège, professeur de droit à Padoue. Il succéda d'a-
bord à son père dans sa chaire de droit, et l'occupa avec un égal talent;
mais étant devenu veuf, il entra dans les ordres. Sa vocation précédente
le désignait naturellement pour les négociations. Nommé auditeur de
rote par Jules II et évêque de Feltri, il remplit, comme nonce ou légat,
les missions les plus délicates dans ces moments de crise pour la politi-
que romaine qui marquèrent les premières années de la Réformation.
11 faut croire que la souplesse et la dextérité de ce négociateur consti-
tuaient précisément la plus insigne des maladresses, dans un temps où
l'on avait affaire à des convictions plutôt qu'à des intérêts. Telle fut
sans doute la cause de ses échecs successifs en Allemagne où il fut en-
voyé par Léon X pour tâcher de ramener Luther, et par Clément VII
pour unir les princes contre le réformateur à la diète de Nuremberg.
Pour donner satisfaction au vœu universel, Campège publia en 1524
un projet de réforme du clergé ; mais, plus occupé des abus du bas
clergé que des vices des prélats, il ne fit qu'envenimer le mal qu'il
prétendait guérir. L'affaire du divorce de Henri VIII, avec qui il était
en relations amicales et dont il avait même reçu l'évêché de Salisbury,
semblait offrir un terrain plus propice à sa diplomatie. Il arriva en An-
gleterre muni de pleins pouvoirs pour terminer le différend; mais
d'une part le pape, sous la pression de Charles-Quint, les révoqua pres-
que aussitôt, et d'autre part le légat s'embarrassa lui-même dans ses
propres habiletés. Engageant tour à tour le roi à renoncer au divorce,
la reine à s'y résigner d'elle-même, et le pape à céder pour ne pas
perdre davantage, il n'arriva qu'à précipiter un dénouement vaine-
ment retardé un instant, et tout le fruit de ses efforts fut la perte de
on évêché de Salisbury. Paul III le nomma archevêque de Bologne et
OAMPÈGB — CAMPENSIS 569
gouverneur de Parme et de Plaisance, et il employa à Rome au servie*'
du saint-siége su longue expérience des affaires. Il ne reste de lui que
l'intéressant recueil de ses lettres, insérées dans les Epistolarwrnmiscelr
lan. lihri X (Bàle, 1555, in-fol.).
CAMPÈGE (Thomas) [1800-1564], neveu du précédent, auquel il fut
associe dans ses diverses missions et qu'il remplaça dans l'évèché de
Feltri. Il alla, en qualité de légat, à la conférence de Worms (1540),
mais il ne joua un rôle important qu'au concile de Trente. C'est sur
ses instances que le concile prit la grave résolution de ne pas séparer
la discussion des dogmes de celle de la information. On a de Tho-
mas Campège un assez grand nombre de traités sur des points intéres-
sants de discipline ecclésiastique. Tels sont: l'Autorité et la puissance du
}>aj)t\ la Simonie, les Mariages des catholiques avec les hérétiques, qu'il
reconnaît indissolubles, sauf l'opposition formelle du pape, le Célibat
du clergé, qu'il maintient avec vigueur, etc. La plus importante de ses
publications est son traité De autoritate SS. Conciliorum (Venise, 1561),
précieux document pour établir quel était au seizième siècle l'état de
la question de la suprématie pontificale. Campège n'hésite pas à pro-
clamer le pape supérieur au concile, dont il veut que les décrets n'aient
d'autorité que publiés ou confirmés par lui; mais il accorde aux cardi-
naux et, à leur défaut, aux princes et aux évêques, le droit de le con-
voquer, si le pape à qui il appartient de le réunir se refusait à le faire.-
Le concile ne peut rien imposer à un pape qui tombe dans le désordre,
mais il peut défendre de lui obéir en ce qu'il ordonnerait de préjudi-
ciable à l'Eglise. L'auteur va jusqu'à supposer que le pape devient
hérétique, cas unique où, selon lui, il peut être déposé par le concile.
Cette seule concession est un curieux point de repère pour juger de la
distance qui sépare ce prélat, tout dévoué pourtant à la cour de Rome,
de nos modernes ultramontains. P.Rouffet.
CAMPENSIS (Jean), dont le nom véritable est van den Carnpen,
naquit vers 1490 à Carnpen en Hollande, s'adonna avec beaucoup de
zèle et de succès à l'étude de l'hébreu dans une époque où elle était
encore entourée de beaucoup de difficultés, et fut un des premiers à
enseigner cette langue dans les Pays-Bas. Professeur d'hébreu dès
1520 au collège des trois langues que Busleiden avait fondé à Louvain,
il suivit vers 1531 un appel de l'évêque Tomicki à l'université de
Cracovie, mais n'y resta pas longtemps, voyagea longuement en Alle-
magne où il se lia avec plusieurs savants distingués , entre autres avec
Seli. Muenster à Bàle, séjourna deux ans à Venise auprès du rabbin
Elie Levita et fut accueilli avec une grande faveur à Borne par le pape
Paul III. Betournant dans sa patrie où il comptait mettre à profit ses
connaissances nouvelles, il mourut de la peste à Fribourg en Brisgau
le 7 septembre 1538. Ses publications, qui toutes étaient le fruit de
son enseignement à Louvain, sont: 1° un Abrégé de grammaire hé-
brmqtie, d'après les travaux d'Elie Levita (Louvain, 1528, in-4°, plu-
sieurs fois réimprimé à Cracovie et à Paris»; 2" une Paraphrase latine
des Psaumes, publiée d'abord à Nuremberg, 1532, in- 16, qui eut un
grand succès et fut reproduite un grand nombre de fois (souvent con-
570 CAMPENSIS — CAMUS
jointemcnt avec une traduction anonyme des Psaumes qui est de
Zwingle), et fut traduite en hollandais, en anglais, en allemand et en
français; en cette dernière langue par Etienne Dolet; Tliéod. deBèze
publia sa Paraphrase latine des Psaumes pour remplacer celle de
Gampensis ; 3° une paraphrase semblable de YEcclésiaste, jointe à plu-
sieurs éditions de celle des Psaumes (Paris, 1532, etc.)- 11 est incer-
tain si un Commentaire sur les èpîtres aux Romains et aux Galates
(Venise, 1534, in-8°) est de notre auteur ou d'un homonyme. — Sources :
Paquot, Mémoires pour Vhist. littér. des Pays-Bas, éd. in -fol., 11, p. 505;
Panzer, Gesch: d. JSurnberger Ausgaben der Bibel, p. 143; Nève,
Notice sur J. Campensis et André Gennep, Louvain, 1845 (extr. de
Y Annuaire de VUniv. de Louvain, 1845, p. 185); Nève, Mémoire sur le
collège des trois langues à Louvain, 1856, in-4°, p. 235 et 314.
A. Beknus.
CAMUS (Jean-Pierre), né et mort à Paris (1582-1652). Nommé à
vingt-six ans évêque de Belley et consacré par François de Sales, il
jouit longtemps de l'intimité de ce prélat pour qui il professait une
vénération sans bornes. Leurs relations de voisinage, autant que son
peu d'ambition, lui firent refuser les diocèses plus considérables qu'on
lui offrit souvent. « La petite femme que j'ai épousée, disait-il avec sa
rondeur toute gauloise, est assez belle pour un Camus. » Six ans après
la mort de son ami, il résigna son évêché (1628) et reçut de Louis XIII
l'abbaye d'Aulnay en Normandie. Il s'arracha à cette solitude pour
remplir à Rouen les fonctions de vicaire général, à la prière de l'ar-
chevêque de Harlay; puis il se retira à l'hôpital des Incurables, à
Paris. Il y mourut au moment où il se disposait à aller occuper à
Arras le siège épiscopal qu'on lui avait donné malgré lui. Peu
d'hommes ont joui de leur temps d'une aussi grande renommée pour
tomber ensuite dans un aussi profond oubli. Il ne mérita pourtant ni
l'un ni l'autre. Les curieux recueillent soigneusement aujourd'hui le
Rabat-joie du triomphe monacal et sa suite (Lisle, 1634, 2 part. in-8°) ;
la Pauvreté évangélique et la Désappropriation claustrale (Besançon,
1634, in-8°) ; les Deux Hermit.es , V Antimoine bien préparé, et autres
pamphlets d'un goût équivoque, mais sur la portée desquels il ne
faudrait pas se méprendre. La vie et les écrits de Camus sont un ré-
pertoire inépuisable d'anecdotes piquantes et de bons mots contre les
moines, et son acharnement contre eux égalait son irrévérence pour
leurs défenseurs, sans en excepter Richelieu, devant qui il ne réprimait
pas les plus mordantes saillies. Toutefois, dans cette guerre menée avec
plus de verve que de discernement, il s'agissait au fond de tout autre
chose que de remettre à neuf les vieilles satires du moyen âge et du
Pantagruel. En arrivant à Belley, il avait trouvé son diocèse au pouvoir
des religieux de tout ordre, évinçant de leur charge de cure d'àmes
les prêtres séculiers. Leur enlever la direction des consciences, tel fut
l'objet de cette lutte. Il peint sur le vif ces directeurs qui s'entre-
mettent de tout sous le manteau de la charité, s'ingèrent dans les
affaires temporelles de ceux qui les consultent sur les spirituelles, se
plaignent de leur pauvreté en cherchant un moyen d'enrichir la corn-
CAMUS — CANA 571
munauté, Louent L'aumône pour qu'on Leur étonne de L'argent, et par
suite complaisants jusqu'à la connivence, n'ouï rien à refuser pour
qu'on ne leur refuse rien. Cette étrange perversion de l'œuvre apos-
tolique révoltait la candeur de Camus. « La dévotion aisée » eut en lui
un adversaire infatigable, et il avait flétri la chose avant que Pascal lui
eût donné son nom. .Néanmoins il ne faudrait pas voir dans l'évêque
de Belley la vertu pesante d'un janséniste avant l'heure. Le disciple
de François de Sales n'était rien moins que cela, comme le prouvent
ses renuma spirituels. Le succès d'Honoré d'Urfé, son diocésain, dont
IfÀstrée était « le bréviaire des courtisans », lui suggéra de composer,
comme contre-poison à la lecture des romans mondains, une série
d'historiettes où la vertu est aux prises avec toutes les épreuves. Il lit
preuve en ce genre d'une fécondité digne des feuilletonistes de nos jours,
et il put dire à son tour de ses productions : «Elles sont, si vous voulez,
le bréviaire des halles, mais elles ne laissent pas de plaire au public,
et elles se vendent bien. » Du reste, ses sujets étaient souvent aussi
émouvants que ses titres : l'Amphithéâtre sanglant, le Spectacle d'hor-
rein\ etc. Le bon évêque y usa, selon le mot cruel de M. de Salvandy
à propos du théâtre de Victor Hugo, de toutes les ressources de l'art
seénique et de l'art romantique. Le tout est un mélange de naïve
malignité, de galanterie quelque peu indécente, de sensualisme et de
spiritualité, en un style moitié moral, moitié burlesque et parfois
éloquent qui, au temps de EAstrée, réussit plus peut-être par ses dé-
fauts que par ses qualités. Des 186 écrits de Camus, dont quelques-
uns, comme Alexis et les Diversités, ont six et onze volumes, deux
seulement ont survécu en réalité : C Esprit de saint François de Sales
(Paris, 1641, b* vol. in-8°), abrégé et réduit à un volume par Collot, et
I Wfoi'sinement des protestants de V Eglise romaine (Paris, 1703, in-12),
publié par Kichard Simon avec des notes intéressantes de l'éditeur.
C'est de beaucoup le meilleur de ses ouvrages. p- Rouffet.
GANA (de Kaneh, roseau). — l°Nom d'un ruisseau servant de fron-
tière entre le territoire d'Ephraïm au nord et celui de Manassé au midi, et
appelé dans le livre de Josué Nahal-Cana, rivière du roseau (Josué XVI,
8; XV11, 9). — 2° Ville de la tribu d'Asser mentionnée dans Josué XIX, 28.
— 3° Bourgade de Galilée, où Jésus, d'après le quatrième évangile,
accomplit dans un banquet de noces le miracle de l'eau changéeen vin
(Jean 11, 1 ; IV, 40). On a cru retrouver son emplacement sur le chemin
dta Nazareth à Sepplioris, à peu près à une lieue et demie de cette der-
nière ville, où se rencontre une localité nommée encore aujourd'hui
K e un a. Josèphe à plusieurs reprises parle d'un village de Cana en
Galilée située à la distance d'une marche de nuit de Tibériade | Vita,
XVI. 17.. Faut-il l'identifier avec le Cana du quatrième Evangile? La
chose piuait vraisemblable sans être certaine. Le Talmud mentionne
aussi une bourgade de Galilée nommée Cana (Juchasin. f. 57 ; ci Othon,
Lexic. riibb.. p. 115). Muant à la distance entre Cana et Capernaùm, les
uns l'évaluent a sept ou huit lieues, d'autres à quatre, ("est qu'actuel*
lement ni la place de Capernaùm ni celle de Cana ne sont bien
certaines.
572 CANAAN — CANADA
CANAAN. Voyez Palestine et Israël (Histoire du peuple cl1).
CANADA. Le Canada proprement dit a été colonisé par les Français
à partir de 1523 et n'appartient à l'Angleterre que depuis le traité de
Paris qui mit fin à la guerre de Sept-Ansen 1763. Le reste des immenses
possessions britanniques de l'Amérique du Nord appartient depuis
beaucoup plus longtemps à la Grande-Bretagne. La population s'en
accroît plus rapidement encore que celle des Etats-Unis. On l'évaluait
en 1800 à 240,000 âmes seulement. Elle atteignait, d'après le recen-
sement du 3 avril 1871, 3,602,321 habitants, et, avec Terre-Neuve, qui
forme une division particulière, 3,748,867. La population se répartit
quant à l'origine entre les principales nationalités suivantes: 1,082,940
Français, 846,414 Irlandais, 706,369 Anglais, 549,946 Ecossais,
202,991 Allemands, etc. Le nombre des Indiens est évalué en 1874 à
94,163. Au point de vue religieux, on compte 1,492,029 catholiques,
544,998 presbytériens, 494 ,049 anglicans, 567,091 méthodistes, 239,343
baptistes, 37,9351uthériens, 21,829 congrégationalistes, 65,857 membres
de communautés diverses, mennonites, universalistes, mormons, chré-
tiens bibliques, etc. 5,575 personnes ont déclaré n'appartenir à aucune
religion. Depuis quelques années toutes les Eglises sont séparées de
l'Etat. — 1. Catholiques. L'Eglise romaine domine surtout dans les
portions habitées par les Français et les Irlandais. Dans le Bas-Canada,
■1,019, 850 personnes, c'est-à-dire 85 pour cent de la population adhèrent
à sa foi. Dans les autres provinces, l'élément protestant est en majorité.
Les Canadiens, très-attachés à leur Eglise, sont gouvernés par quatre
archevêques et vingt-quatre évêques : 1° Québec (évôché le 13 no-
vembre 1670, archevêché le 12 juillet 1844) ; évêchés suffragants :
Montréal (1820), Ottawa (25 juin 1847), Saint-Germain de Rimouski
(15 janvier 1867), Saint-Hyacinthe (8 juin 1852), Sherbrooke (1874),
Trois-Rivières (8 juin 1852). 2° Halifax (vicariat apostolique en 1518,
archevêché le 4 mai 1852) ; évêchés suffragants : Arichat (27 septem-
bre 1844), Charlottetown (23 novembre 1818), Chattam et Miramicki
(8 mai 1860), Saint-John-Nouveau-Brunswick (15 avril 1860) . 3° Toronto
(évêché le 17 décembre 1841, archevêché le 21 mars 1870); évêchés
suffragants : Hamilton (1856), Kingston (27 janvier 1826), Sandwich
(1856), Canada septentrional (vicariat apostolique le 25 mars 1874).
4° Saint-Boniface (évêché le 4 juin 1847, archevêché le 22 septem-
bre 1871); évêchés suffragants : Saint-Albert (1868), Mackenzie, Akhelasta
(vicariat apostolique en mai 1852), Iles Vancouver (29 juin 1873).
Sièges dépendant immédiatement du saint-siége : Saint-John -Terre-
Neuve (vicariat apostolique en 1796, évêché le 4 juin 1847), Harbour-
Grace (19 février 1856) et les deux préfectures apostoliques de Placentia-
Bay et de Saint-Georges dans l'île de Terre-Neuve. On remarque que
ces sièges sont presque tous d'origine très-récente. C'est que le Canada
est comme la forteresse du catholicisme dans l'Amérique du Nord, et
qu'un clergé nombreux est nécessaire pour résister aux progrès des
protestants et pour faire de nouvelles conquêtes. L'université catho-
lique de Québec forme les prêtres nécessaires au service du pays. Les
couvents de femmes sont assez nombreux dans le pays ; mais nous n'y
CANADA — CANDACE 573
connaissons pas de couvents de moines. — 2. Les Presbytériens , en
majorité dans le Haut-Canada, ne forment pins qu'un seul corps de-
puis 1857. Leur organisation reproduit celle de l'Eglise d'Ecosse. Un
certain nombre de paroisses sont groupées en presbytères. Les 18 pres-
bytères se partagent entre les trois synodes du Canada, de la Nouvelle-
Ecosse et du Nouveau-Brunswick. Au-dessus des synodes est l'assemblée
générale qui se réunit une fois par an. Les presbytériens entretiennent
2:> stations missionnaires parmi les païens du pays. — 3. L'Eglise an-
glicane est gouvernée par 9 évoques : Montréal, 84 pasteurs; Québec,
89 pasteurs; Toronto, 119 pasteurs; Ontario, 81 pasteurs; Huron,
80 pasteurs; Nouvelle-Ecosse, 82 pasteurs; Fredericton, 03 pasteurs;
Terre-Neuve, 59 pasteurs; et enfin le diocèse missionnaire de Rupert's
Land, 11 pasteurs et 20 missionnaires entretenus par les Sociétés de
l'Eglise anglicane et pour la propagation de l'Evangile. — 4. Les Mé-
thodistes ont 47 cercles et près de 300 communautés ; les Baptistes,
environ 120 paroisses. — La partie septentrionale de l'Amérique an-
glaise forme un champ démissions très-étendu. La population indienne
qui T habite est évangélisée par de^ missionnaires protestants et catho-
liques. Nous y relevons 38 stations des missions de l'Eglise anglicane,
10 delà Société pour la propagation de l'Evangile, 28 wesleyens, 23 de
l'Eglise presbytérienne du Canada, 2 des méthodistes épiscopaux, 1 du
bureau américain, 4 moraves, 30 catholiques romains. Mais nous ne
pouvons garantir que cette liste soit complète. Le climat et les condi-
tions de vie des indigènes rendent la tâche des missionnaires particu-
lièrement difficile. Cependant des résultats considérables ont déjà été
obtenus et sont une garantie des succès futurs. — Bibliographie : Sta-
tistics of Canada (officiel), 1870; Marshall, The Canadian Dominion, 1871;
The Year-Bookand Almanac of Canada for 1870; etc. E. Vaucher.
CANAYE (Jean) [1594-1070]. Professeur d'humanités, recteur de
collège, prédicateur, et enfin poète, mais surtout poëte latin, le
P. Canaye est moins connu par ses compilations et par ses vers (Lu-
dovici XIII triumphus de Rupella capta, Paris, 1028, in-4°) que par
l'usage plaisant que Saint-Evremond, son ancien élève au collège de
Clermont, a fait de son personnage. Le P. Canaye était, en 1054,
supérieur des hôpitaux de l'armée de Flandre. Saint-Evremond
suppose entre le maréchal d'Hocqu incourt et l'aumônier une con-
versation, vrais propos de table, qui peint au vif la facilité com-
plaisante avec laquelle les jésuites passaient condamnation sur les
fautes les plus grossières, pourvu que tout finit au détriment des jan-
sénistes et à leur propre succès. Puis, se trouvant seul avec son élève,
le P. Canaye avoue louchant cette rivalité que l'ordre veut s'attirer par
l'indulgence ceux que les jansénistes veulent s'assujettir par la rigueur.
Ce Q'esl pas que les uns et les autres n'ayent dessein de sauver les
hommes : mais chacun veut se donner du crédit en les sauvant; et à
vous parler franchement, l'intérêt du directeur va presque toujours
devant le salut de celui qui est sous la direction. »
CANDACE < Iw.vsr/.v;, Act. VIII, 27), nom commun des reines de
l'Ethiopie (Meroô, Abyssinie) qui ont gouverné ce pays dans les pre-
574 CANDACE — CANDLISH
miers siècles de l'ère chrétienne (Dio Cassius, LIV, 5; Strabon, XVII
et XVIII; Pline, H. N., VI, 29, qui écrit Candaoce. Du temps d'Eusèbe,
il y avait encore des reines d'Ethiopie (H.E.,U, 1). Nous n'avons donc
ici qu'un titre royal semblable au titre de Pharaon, que Fauteur des
Actes aura pris pour un nom propre et dont la vraie traduction grecque
aurait été gsKnXtaî, regina. D'après une tradition éthiopienne, en elïet,
la souveraine de l'eunuque baptisé par Philippe se serait appelée Ju-
dith. Cet eunuque, d'après Irénée et Eusèbe, aurait été l'apôtre de
l'Ethiopie; d'après d'autres traditions, il aurait porté l'Evangile jus-
qu'à l'ile de Ceylan, où il aurait subi le martyre.
CANDLISH (Robert Smith), célèbre prédicateur écossais, naquit le
23 mars 1806, à Edimbourg, mais fut élevé à Glasgow. En 1823 il
devint étudiant en théologie et, ses études terminées, fut nommé en
1829 suffragant du docteur Gavin Gibb, pasteur dans la ville de Saint-
Andrew. Dès cette époque sa prédication fut remarquée ; aussi en 1833,
au moment où il s'offrait pour aller évangéliser le Canada, un appel
lui fut adressé par la congrégation de Saint-George, une des plus im-
portantes d'Edimbourg; il accepta, et l'année suivante il devint le
pasteur en titre de cette Eglise. En 1839 il siégea à l'assemblée générale
ou synode; la Chambre des Lords venait de déclarer illégal le Veto
Act adopté par l'Eglise d'Ecosse pour sauvegarder l'indépendance des
fidèles dans la grave question de la nomination des pasteurs, et le parti
des modérés proposait qu'on laissât tomber ledit Acte en désuétude ;
le Rév. Candlish s'y opposa énergiquement, affirmant que dans les
questions spirituelles l'Eglise n'a pas à s'incliner devant les pouvoirs
civils. Ce discours fut la révélation d'un talent jusque là inconnu : le
grand prédicateur était en même temps un orateur puissant dans les
débats politiques et ecclésiastiques. Dès lors le Rév. Candlish compte
parmi les chefs de l'Eglise et son nom est mêlé à toutes les négociations,
à toutes les luttes qui aboutissent au grand acte delà Disruption : il est
un de ces 474 pasteurs qui en mai 1843 se séparèrent de l'Etat et fon-
dèrent l'Eglise libre d'Ecosse. Peu de temps auparavant il avait reçu
du collège de Princeton le titre de docteur. Le reste de sa vie
fut consacré aux travaux de son ministère, à l'administration des in-
térêts de la nouvelle Eglise et à la publication de divers ouvrages;
parmi ceux-ci on connaît surtout les Lectures on the fatherhood of God
et On theSonship et brotherhood of believers . — L'influence exercée par le
docteur Candlish a été considérable ; c'était un caractère énergique, un
esprit clair et logique; sans être un grand théologien, il peut être
compté parmi les penseurs chrétiens; ses discours sont pleins de
substance, la doctrine en est strictement orthodoxe; bien qu'il les lût
à la façon des prédicateurs écossais, ils produisaient une grande im-
pression sur l'auditoire. Pendant les dernières années de sa vie le
docteur Candlish travailla, sans toutefois réussir, à réunir en un seul
faisceau les diverses Eglises presbytériennes indépendantes de l'Etat.
Depuis 1861 sa santé était ébranlée; en 1871 et 1872 son état s'aggrava,
il put encore prêcher quelquefois à Saint-George pendant l'hiver de
1872-73, ce furent ses derniers efforts : il mourut le 19 octobre 1873.
CAXDLISH — CANDOLLE 575
— Sources : In memoriam R. S, Candtish />. D. Sermons preached in
free Si-George s, Edinb., 1873; Sermons by Ikt laie R. S. Candlis/i,
unth a bhgrapkicai préface , Edinb., L873. F. Dumas.
CANDOLLE (Pyranms de), iils de Cosme de Candolle, d'une noble fa-
mille de Provence, né à Fréjus en L566, avait émigré à Genève avec son
père, qui fut reçu habitant en 1 T> 7 Y . Lui-même fut admis comme bour-
geois en L994 (( gratuitement, eu esgard à sa bonne volonté et service
qu'il a t'ait au port d'armes (pendant la guerre contre le duc de Sa-
voie1, en payant 0 seillots de cuir bouilli pour la défense contre le
feu. » En 1591, Pyramus avait épousé Anne, fille d'Eustache Vignon,
Imprimeur, et ce fut probablement cette circonstance qui le détermina
à se vouer à l'exercice de Part typographique. Il fonda son établisse-
ment dans le village de Cologny. En 1595, il entra dans le Conseil des
Deux-Cents, et, la même année, le 10 juin, le Petit Conseil lui fait des
remontrances « pour avoir fait imprimer, sans congé de la seigneurie,
les Harangues militaires sur la Ligue, lequel livre contient plusieurs
louanges du pape et des invectives contre le moderne roy de France »
(Henri IV). Le 13 mars 1603, le Conseil supprime une chanson sur
l'Escalade que Pyramus de Candolle a imprimée sans congé. Quelques
jours auparavant, il avait offert de se rendre à ses dépens auprès des
Eglises de Guyenne pour solliciter des subsides en faveur de la répu-
blique, obérée grâce aux dépenses extraordinaires qu'elle avait dû
l'aire à la suite de l'Escalade. Mais, les ministres ayant présenté des
objections, il ne paraît pas que de Candolle ait rempli la mission qu'il
avait sollicitée. En 1609, Pyramus fut envoyé en France avec le mandat
de défendre les intérêts de la typographie genevoise, très-compromis
par la prohibition des livres imprimés dans la métropole des hugue-
nots. Il fut reçu par Henri IV et obtint de ce monarque l'autorisation
d'introduire en France des livres qui ne traiteraient pas de matières
de théologie et qui porteraient l'indication : Colonisa Allobrogum. La
mort d'Henri IV, survenue l'année suivante, mit à néant les conces-
sions que Pyramus avait obtenues. En 1617 Pyramus, qui avait eu avec
le gouvernement genevois des difficultés au sujet desquelles nous ne
sommes pas renseignés, se retira à Yverdon, sur les terres de Berne,
où il établit son imprimerie; s'il faut en croire Senebier, il y aurait
fondé de plus une forge et un collège. Nous apprenons par une com-
munication faite au Conseil de Genève en 1618 par le syndic Sarasin
que Pyramus avait composé un mémoire concernant le gouvernement
genevois qu'il se proposait d'imprimer. Le titre n'annonçait pas des
intentions bienveillantes pour les autorités de Genève : Trois livres
d'oligarchie^ comprenant le mespris des lois ecclésiastiques et politiques et
indeu gouvernement de V Estât, ensemble trois traictés y adjoints de l'en-
vie, de la médisance et de V ingratitude avec V apologie et défense du sieur
de Julians (c'était le nom que prenait l'auteur) contre les calomnies à
luy imposées par M. de Genève. Le Conseil s'émut de cette révélation et
fit tant par ses représentations que de Candolle consentit à ne pas pu-
blier son écrit. La rude concurrence que se faisaient les imprimeries
de Genève et rétablissement d'Yverdon donna lieu à un échange de let-
576 CANDOLLE — CANISIUS
très entre la seigneurie de Genève et ses hauts alliés de Berne. Nous
signalerons, entre autres ouvrages sortis des presses de de Gandolle, les
Œuvres de Tacite (1609) et une traduction française des Economiques
de Xénophon, docte philosophe et valeureux capitaine athénien, et de la
Retraite des Dix Mille (1613). Am. Koget.
CANISIUS (Pierre), jésuite, de Nimègue (1521-1597). Il avait fait par-
tie du clergé de Cologne avant d'entrer, à vingt-cinq ans, dans la nou-
velle Compagnie. Professeur de théologie, prédicateur de l'empereur
Ferdinand, et au concile de Trente lieutenant actif de Salmeron et de
Lainez, son ingérence constante dans la politique impériale et son achar-
nement contre les protestants le firent surnommer, par allusion à son
nom, le chien d'Autriche. Il fut le premier provincial qu'ait eu la So-
ciété de Jésus en Allemagne, où la cour de Rome le chargea aussi de
la nonciature. Il mourut àFribourg, en Suisse, dans le collège qu'il y
avait fondé. Outre plusieurs éditions des Pères de l'Eglise, il a produit
nombre d'ouvrages plus étendus que profonds où l'on retrouve dès
l'origine l'esprit même de son ordre. Tels sont ses deux volumes de
commentaires De verbi Dei com*uptelis, contre les auteurs des Centu-
ries de Magdebourg ; De Maria Virgine incompara bili et Dei Génitrice
libri V, etc. Canisius est justement célèbre par son Catéchisme, véri-
table arsenal de la doctrine romaine. Il le publia d'abord vers 1554, en
Autriche, sans indication de lieu, ni d'année, ni d'auteur, sous ce
titre : Summa doctrinœ christianœ per quœstiones trad. et in usum christ,
pueritiœ ?iunc primum édita. C'est, après les Exercitia spiritualia
d'Ignace, le plus ancien ouvrage publié par les jésuites. A partir de
l'édition de Cologne (1566, in- 12), fort différente de la première, il
porta le nom de l'auteur. Du reste, jusqu'à l'édition de 1618 (Paris,
in-fol.), Canisius et, après lui, ses confrères, ne cessèrent de le rema-
nier et de le compléter. Le titre môme subit toutes les variations. Au-
cun ouvrage peut-être, la Bible exceptée, n'a eu plus de réimpressions
et de traductions dans toutes les langues de l'Europe. Condensé avec
le plus grand soin en un abrégé par l'auteur, sur l'ordre de Ferdinand,
puis en abrégé de l'abrégé, il fut longtemps en usage dans tous les
collèges de la Société. La traduction française du catéchisme complet
a été donnée pour la première fois par l'abbé Pelletier : le Grand Caté-
chisme du R. P. Canisius, ou précis de la doctrine chrétienne, appuyé de
témoignages nombreux de l'Ecriture et des Pères (Besançon-Paris, 1856-
1858, 7 vol. in-8°). Il faut dire que trop souvent ces Pères sont des écri-
vains relativement récents, Canisius ayant étendu ses compilations
jusqu'aux décrets du concile de Trente, et mettant les rêveries de
saint Bernard et des scolastiques sur le même rang que les témoigna-
ges de l'Ecriture. Son plan est d'ailleurs extrêmement lucide. Il dis-
pose sous une question les preuves qui correspondent à chacune des
assertions émises dans la réponse. A lire ce travail d'ensemble, l'im-
pression qu'on en ressent est parfois toute contraire à celle qu'il avait
dessein de produire. Outre les contradictions assez fréquentes des
Pères, il est curieux de constater que l'abondance des citations d'au-
teurs plus récents est en proportion de la disette d'autorités anciennes,.
CAN1SIUS — CANON 577
quand il s'agit de doctrines auxquelles nous reprochons précisément
leur nouveauté. Enfin, on y suit aisément, dans les seuls extraits d'é-
crivains du moyen âge qui les réfutent, la trace continue des préten-
dues hérésies qui survivaient à tous leurs adversaires, et Ganisius éta-
blit ainsi, sans le vouloir, la filiation de ces protestants qu'il avait en
vue de confondre comme des novateurs. P. Rouffet.
CANISIUS (Henri), de Nimègue, neveu du précédent (f 1610) .
[] professa pendant vingt-et-un ans le droit canon à Ingolstadt. Erudit
plutôt qu'écrivain, il réunit avec autant de savoir que peu de critique
une immense compilation, pleine d'erreurs de toutes sortes, dont il
faisait imprimer les pièces à mesure qu'il les découvrait, et qui for-
mait à sa mort sept volumes in-4°. Ce sont ses Lectiones antiquse (Ingol-
stadt, 1601-1608). Il mourut avant d'avoir complété son recueil par les
éclaircissements et les notes qu'il avait promis d'y ajouter. Jacques
Basnage entreprit, un siècle après, ce travail. Il combla les lacunes, y
joignit des variantes et des remarques, et en disposa par ordre les maté-
riaux. Il en résulta le Thésaurus monumentorum ecclesiasticorum et liisto-
ricorum, sîve lectiones antiquse, etc., cum prœfat. et notis Jac. Basnage
(Antuerpia^, Amstelod., 1725, 7 tomes in-fol.). L'éditeur avait usé avec
prolitdes notes du savant helléniste Gapperonnier. On a encore de Cani-
sius quelques éditions de chroniques anciennes, et une série d'ouvrages
sur le droit canon recueillis parYalère André (Louvain, 1044, in-4°).
CANON DE L'ANCIEN TESTAMENT. L'Ancien Testament est passé des
juifs aux chrétiens sous deux formes différentes. L'Ancien Testament
hébreu propre aux juifs de la Palestine et aussi, sans le moindre
doute, à ceux de la Babylonie, a été adopté par les protestants ; l'Ancien
Testament grec, connu sous le nom de version des Septante, et
propre aux juifs alexandrins et en général aux juifs hellénistes, a
été reçu par l'Eglise catholique; l'Ancien Testament delà Vulgate
en dérive et n'en est en définitive qu'une traduction latine, retouchée,
il est vrai, à plusieurs reprises, mais seulement dans les détails
d'Eglise orthodoxe grecque a suivi d'abord la Bible hébraïque et en est
venue ensuite peu à peu à adopter le canon des Septante, en le surchar-
geant même de quelques pseudépigraphes qui n'en font pas partie et
qui n'ont pas été admis dans la Vulgate. Ed. Reuss, Hist. du Canon cks
saintes Ecrit., p. 108, 210, 2L7 et 230-241). Il convient d'examiner
séparément ces deux canons, en commençant naturellement par
l'Ancien Testament hébreu, dont la version des Septante n'a été dans
v principe qu'une traduction en langue grecque. — 1° L'Ancien Testa-
ment hébreu se compose de vingt-huit livres; de vingt-cinq, selon
d'autres, qui ne comptent les deux livres de Samuel que pour les.
deux parliez d'un seul et même livre, et de même pour les deux livres
des Rois et pour les deux livres des Chroniques; enfin de vingt-deux,
d'après l'historien juif Josèphe et quelques Pères de l'Eglise, qui,
voulant fixer les écrits de l'Ancien Testament d'après le nombre des
lettres de L'alphabet hébreu, tiennent Kuth pour un supplément des
.luges, les lamentations pour une suite des prophéties de Jérémie, et
eut-être aussi Esdras et Néhémie (appelés dans la Vulgate le premier
i r . 57
578 CANON DE L'ANCIEN TESTAMENT
et le second Esdras) pour les deux parties d'un même ouvrage. Ces
vingt-huit livres sont classés en trois sections et disposés dans Tordre
suivant : lre Section : La Loi, en hébreu Thorah, comprend les cinq
livres attribués à Moïse, savoir : la Genèse, l'Exode, le Lévitique, les
Nombres et le Deutéronome. 2° Section : Les Prophètes, en hébreu
Nebiim. Cette section est divisée en deux parties, dont la première,
sous le titre de Nébiim Richonim {prophetae priores) renferme
Josué, les Juges, les deux livres de Samuel et les deux livres des Rois
(ces six écrits avaient été composés, dans l'opinion des juifs, par d'an-
ciens prophètes), et la seconde, sous le titre de Nébiim Akharonim
(prophetx posteriores), contient Esaïe, Jérémie, Ezéchiel et les douze
petits prophètes (considérés comme ne formant qu'un seul livre).
3e Section ; Les Ecrits, en hébreu Quetoubim (les hagiographes,
écrits saints) : ce sont les Psaumes, les Proverbes, Job, le Cantique des
cantiques, Ruth, les Lamentations, l'Ecclésiaste, Esther (ces cinq
derniers désignés sous le nom des cinq rouleaux, en hébreu Meghil-
loth), Daniel, Esdras, Néhémie et les deux livres des Chroniques
(Paralipomènes) . C'est sous cette forme que l'Ancien Testament hé-
breu nous est parvenu et qu'il a été conservé jusqu'à ce jour par les
israélites. Le traducteur grec de l'Ecclésiastique (138 ans environ
av. J.-C.) nous apprend dans sa préface que l'ensemble des livres hé-
breux de ses coreligionnaires se compose de la Loi, des Prophètes et
des autres livres nationaux, 6 vs[j,oç, cl wpoçSjTat x«l t* dft.Xor mrrpia £1-
6/,'.a; et l'historien juif Josèphe (Contra Apionem, I, § 8) confirme ce
témoignage, en décrivant l'Ancien Testament comme formé de trois
parties, dont la première contenait les cinq livres de Moïse, la seconde
ceux des prophètes et la troisième des hymnes et des écrits de morale,
auxquels on joignait des récits de ce qui s'était passé chez les juifs de-
puis Artaxerxès,fils de Xerxès. Chacune de ces trois parties se compo-
sait-elle des mêmes livres que dans notre canon actuel ? C'est certain
pour la première, qui n'a jamais renfermé que les cinq livres mo-
saïques. On n'en saurait douter pour la seconde, si Josèphe n'assurait
qu'elle renfermait treize livres des prophètes, tandis que notre Bible
hébraïque n'en contient aujourd'hui que dix. Il est fâcheux que
l'historien juif n'ait pas donné les titres de ces treize écrits des pro-
phètes ; il aurait épargné par là aux critiques modernes bien des dis-
cussions sans résultat. Mais en présence du respect des juifs pour leurs
livres sacrés, respect poussé jusqu'à la superstition, on peut admet-
tre sans le moindre scrupule que Josèphe, dont la précision n'est pas
la vertu dominante, transporta de son autorité privée dans cette se-
conde partie de l'Ancien Testament hébreu trois écrits qui appartien-
nent à la troisième et plaça les deux livres des Chroniques à la suite des
deux livres des Rois, dmis\es prophetœ priores, et Daniel après Ezéchiel,
dans les prophetse posteriores. C'est ce qu'on fait aussi dans toutes les
traductions protestantes. Quant à la troisième section, quoique Josèphe
assure que ses coreligionnaires n'avaient pas pour quelques-uns des
livres relativement modernes qui s'y trouvent le même respect que
pour ceux d'un âge plus reculé, on ne saurait admettre que, depuis le
CAXOX DE L'ANCIEN TESTAMENT 579
moment où le recueil hébreu fut clos, on y ait introduit la moindre
modification de quelque importance. On eu a la preuve dans ce t'ait
que, malgré des voii autorisées qui, déjà avant l'ère chrétienne, sYle-
vèrenl dans la Judée contre deux des livres de cette troisième section
il'Kt-t Jésiaste et le Cantique des cantiques), la synagogue ne se crut pas
le droit de les éliminer de la collection des livres nationaux, et se borna
à en interdire la lecture à quiconque îfavaitpas atteint l'âge de raison
(trente ans). — A quelle époque, par qui, dans quelles intentions et
d'après quels principes, les différents écrits qui composent l'Ancien
Testament hébreu furent-ils réunis en un corps d'ouvrages, dans
Tord îv et sous la forme qu'ils ont conservés depuis? Une tradition
juive qui ne parait pas remonter au delà du moyen âge, attribue
ce travail à la grande synagogue qu'Esdras aurait présidée et dont il
aurait été l'àme. Rien n'est plus contraire à la réalité des choses, puis-
qu'il y a dans l'Ancien Testament hébreu bien des écrits postérieurs
à ce célèbre docteur de la Loi. D'un autre côté, quand on examine de
près les trois sections dont il se compose, et qu'on tient compte de la
place assignée à chacune d'elles et de la différence de valeur qu'elles
avaient pour les juifs, on reste convaincu qu'elles ne sont pas de
la même date et qu'elles furent formées l'une après l'autre, dans
1 ordre même dans lequel elles ont été rangées, et sous l'empire de
circonstances différentes. Après le retour de la captivité de Babylone,-
rien u'étàit d'une plus pressante nécessité que de répandre parmi le
peuple une connaissance de plus en plus étendue des principes et des
prescriptions mosaïques qui allaient devenir eniin l'unique règle des
croyances et des mœurs, et dont la plus grande partie des juifs
n'avaient certainement encore qu'une idée vague et insufiisante. Le
moyen le plus efficace d'y réussir, c'était, après avoir réuni les cinq
livres de Moïse en un seul volume, d'en faire des lectures fréquentes
et régulières à la foule spécialement rassemblée dans cette intention.
Ce fut, sans le moindre doute, sous l'impression de ce sentiment que
fut formé le recueil qui, sous le nom de la Loi, est resté depuis ce mo-
ment le code de la famille d'Israël tout entière. Qu'Esdras en ait
conçu la pensée et présidé lui-même à l'exécution de cette collection,
on peut le croire sans peine, quand on considère qu'il prit la plus
grande part à la réorganisation du judaïsme à Jérusalem et que son
nom tient la première place dans la plupart des traditions juives rela-
tive à ce grand événement. Ce fut du moins à ce moment que le Pen-
tateuque prit la forme sous laquelle il est arrivé jusqu'à nous. Ce
recueil n'existait pas avant la captivité de Babylone; le livre de la Loi
trouvé dans le temple par le souverain sacrificateur Milkija. la dix-
huitième année dn règne de Josias (2 Rois XXII, 8 ss.), n'était certai-
nement qu'un seul de ces cinq livres, selon toutes les vraisemblances
le Deutéronome : peu après le retour de l'exil, ce recueil était connu ;
le peuple fut convoqué à plusieurs reprises pour en entendre la lec-
ture (Néhémie VIII. 3,8, 18; XIII, 1), et l'usage de le lire dans 1rs
synagogues hit établi alors ou bientôt après. Les prophètes avaient été
rs de Moïse; ils avaient continué son œuvre et en axaient
580 CANON DE L'ANCIEN TESTAMENT
amené le triomphe. Leurs écrits étaient le commentaire et l'explica-
tion de ceux du grand législateur. Il était dans Tordre des choses
qu'on voulût aussi en former un recueil. Ce second volume était la
suite naturelle du livre de la Loi. Une tradition juive assure que,
Antiochus Epiphane ayant dépouillé les juifs de tous les exemplaires
du recueil des écrits de Moïse, on suppléa, dans les synagogues,
à la lecture, devenue impossible, du livre de la Loi par celle de
morceaux choisis des écrits des prophètes, et que ce fut alors qu'on
en fit un recueil. On ne saurait accorder la moindre valeur historique
à cette tradition. On ne comprend pas comment tous les exemplaires
du livre de la Loi auraient pu être confisqués, et on comprend moins
encore comment l'autorité qui avait supprimé la lecture des écrits
de Moïse aurait toléré celle d'autres livres sacrés. Ajoutez que si les
écrits des prophètes avaient été réunis uniquement dans l'intention
d'en lire des morceaux choisis dans les synagogues, on se serait pro-
bablement borné à une collection de ces morceaux choisis. La tra-
dition juive dont il vient d'être question pourrait tout au plus être
invoquée comme un témoignage de l'existence de la seconde section
de l'Ancien Testament hébreu au temps d' Antiochus Epiphane. Mais
on en trouve un bien plus authentique dans le livre qui porte le nom
de Daniel et qui est de cette époque. Il y est parlé de livres parmi les-
quels étaient les écrits de Jérémie (Daniel IX, 2). Un recueil de diffé-
rents écrits dont ceux de Jérémie faisaient partie ne pouvait être qu'une
collection des écrits des prophètes. Ce nouveau recueil remontait cer-
tainement plus haut, puisque Fauteur du livre de Daniel s'en servait et
le citait comme une autorité connue et incontestée. C'est sans le moin-
dre doute parce qu'on le regardait comme le complément obligé du
livre de la Loi, que s'établit l'usage de faire suivre, dans les synago-
gues, la lecture de celui-ci de celle de passages choisis de celui-là, et à
la manière dont il en est parlé dans le Nouveau Testament (Matth. Y, 17;
Luc XYI, 16, 29, 31; XXIII, 27, 44; Jean I, 46; Actes XIII, 14 et 15;
XV, 31), on peut juger qu'il datait de loin. La troisième section de
l'Ancien Testament hébreu ne se forma que lentement, peu à peu, par
des additions successives. Il est difficile d'assigner une date à ses pre-
miers commencements, et plus difficile encore de déterminer l'époque
fixe à laquelle elle fut achevée. Il est probable que les Psaumes, ou
pour mieux dire les différents recueils de Psaumes qu'on avait déjà
sans le moindre doute vers la fin du troisième siècle avant l'ère chré-
tienne (sur la formation des cinq livres des Psaumes, voy. Ed. Keuss,
Le Psautier, p. 30-35) furent réunis pour composer un troisième vo-
lume, peu de temps après la formation de celui des écrits des prophè-
tes. On tenait ces différentes poésies pour l'œuvre de David, et David
était aussi en un certain sens un prophète. Rien de plus conforme à la
nature des choses que de leur donner une place à la suite du recueil
précédent. Peut-être au même moment, ou du moins bientôt après, on
jugea convenable d'y joindre trois livres qui plus tard ne parurent pas
à tous les docteurs juifs avoir un droit égal à une place dans une collec-
tion d'écrits sacrés, mais que couvrit certainement le nomdeSalomon,
CANON DE L'ANCIEN TESTAMENT 5S1
à qui on les attribuait; nous voulons parler des Proverbes, de l'Ecclé-
siaste et du Cantique des cantiques. Ce sont vraisemblablement ces
trois livres et les Psaumes que veut désigner Josèphe, quand il dit que,
après les écrits des prophètes, se trouvent dans le recueil des écrits des
juifs, quatre autres livres contenant des hymnes et des préceptes moraux
(foutra Apionem, I, § 8). A quelle époque iit-on entrer dans cette troi-
sième section les livres que mentionne encore Josèphe dans le même
passage et qui, composés après 1* extinction du prophétisme, ne jouis-
saient pas auprès des juifs, à ce qu'il assure, du même crédit et de la
même autorité que les précédents? Il est impossible de le déterminer;
on ne peut même savoir s'ils y furent introduits tousà la fois, ou les uns
après les autres. S'il était vrai, comme on le suppose, non sans quel-
que apparence de raison, que la plupart des hymnes qui composent
le cinquième livre des Psaumes fussent du temps des Maccabécs, il fau-
drait admettre que ce cinquième livre ne fut ajouté aux quatre précé-
dents que vers le milieu du siècle antérieur à Père chrétienne. Ce fut
peut-être alors que furent introduits dans la troisième section le livre
de Daniel, qui est du temps de la persécution d'Antiochus Epiphane,
et les deux livres d'Esdras et de Néhémie, qui sont des remaniements
des écrits originaux de ces deux restaurateurs de la nationalité juive. Au
point de vue de l'idée chrétienne du canon de l'Ancien Testament, la
formation de cette troisième section, de quelque manière qu'on essaie^
de l'expliquer, ne laisse pas que de soulever des difficultés insurmon-
tables. On se demande qui donc avait autorité pour insérer dans la
Bible hébraïque de nouveaux écrits, des écrits dont la plupart remon-
tent à peine à cent cinquante ans avant l'ère chrétienne. On se demande
encore pourquoi on choisit les écrits qui y sont, de préférence à d'au-
tres qui avaient, ce semble, autant de droit d'y être; pourquoi par
exemple on n'y a mis ni l'Ecclésiastique, quine le cède presque en rien
aux Proverbes, ni le premier des Maccabées, qui n'y eût pas été déplacé
à côté des livres de Néhémie et d'Esdras. — 2° L'Ancien Testament grec.
Cette traduction, connue sous le nom de version des Septante, n'est pas
une simple reproduction en grec de l'Ancien Testament hébreu. Elle
contient sans doute tous les livres qui en font partie ; mais elle en ren-
ferme huit autres qui ne sont pas dans la Bible hébraïque, en outre
d'un autre livre d'Esdras qui est unremaniementaugmentédeceluiqui
se trouve dans la Bible palestinienne ; et de plus, Esther et Daniel y ont
reçu des additions considérables. Elle présente cette autre différend
qui, quoique moins importante, doit cependant être signalée, que,
sauf les cinq livres de la Loi, qui sont également placés en tête des
deux recueils, tous les autres livres y sont disposés dans un tout autre
ordre que dans la Bible hébraïque. Enfin il convient d'ajouter que, en
un grand nombre de passages, la version des Septante diffère du texte
hébreu à un tel degré que des critiques ont pu soutenir, les uns
qu'elle n'a pas été faite directement sur l'Ancien Testament palesti-
nien, et Les autres que les auteurs de cette traduction ont eu sous les
yeux une récension de la Bible hébraïque différente de celle que nous
possédons. On à cherché naturellement à s'expliquer pourquoi les
582 CANON DE 1/ ANCIEN TESTAMENT
juifs alexandrins ne s'en étaient pas tenus à l'Ancien Testament tel
que l'avaient leurs frères de la Palestine, et y avaient introduit
d'aussi grandes modifications que celles dont il vient d'être parlé. Mais
on n'a pu faire que de vaines conjectures, par cette raison bien sim-
ple que, pour résoudre cette question, on n'a pas une seule donnée
historique qui puisse servir de point de départ. Il est cependant quel-
ques faits qui, s'ils ne peuvent nous donner précisément cette expli-
cation, sont cependant de nature, en nous ramenant à la réalité des
choses, à nous faire comprendre que les différences qui se trouvent
entre la Bible des juifs alexandrins et celle des juifs palestiniens, n'ont
pas l'importance que, dans l'état actuel de nos croyances religieuses,
nous sommes disposés à leur attribuer. Quand, dans les premiers
siècles de l'ère chrétienne, la version des Septante fut mise en suspicion
par les juifs palestiniens, ce ne fut pas parce qu'elle contenait des
livres qui n'étaient pas dans leur propre recueil. Cette circonstance pa-
raît leur avoir été passablement indifférente; du moins il n'y eut
jamais sur ce sujet entre les juifs de la Palestine et ceux d'Alexandrie
des discussions analogues à celles qui ont eu lieu, qui durent
encore entre les catholiques et les protestants. Ce que les premiers
reprochaient à cette version, c'était d'être inlidèle et de prêter, par
plusieurs passages mal traduits, des arguments favorables à la doctrine
chrétienne. En réalité ils voyaient avec peine que cette version, géné-
ralement employée par les chrétiens d'Orient, le fût en même temps
par une portion notable de leurs coreligionnaires. Il y avait là une
sorte de communauté qui leur était importune et désagréable. Ils au-
raient voulu que le culte juif fût célébré partout dans la langue de
leurs pères. Us travaillèrent avec autant de persévérance que d'ardeur
à exclure de la synagogue toute version grecque. Us finirent par y
réussir ; depuis longtemps l'Ancien Testament hébreu est seul en usage
parmi tous les descendants de la famille d'Israël; mais, encore au mi-
lieu du sixième siècle, les livres de la Loi se lisaient en grec dans un
certain nombre de synagogues (Codex, novel. 146, cap. I, § 1). Les
deux fractions du judaïsme avaient-elles donc chacune un canon dif-
férent? Ceux-là seuls peuvent l'admettre qui s'imaginent que l'Ancien
Testament pris dans son ensemble était pour eux la règle de leurs
croyances, de leur conduite et de leur culte. Mais c'est là une opinion
complètement erronée. Le mot de canon, dans le sens dans lequel les
chrétiens l'entendent depuis le quatrième siècle, était étranger aux juifs
alexandrins et n'avait pas de terme correspondant dans la langue des
juifs de la Palestine. S'il avait été connu des premiers, et s'il y avait
eu un terme équivalent chez les seconds, ils l'auraient certainement
appliqué les uns et les autres, non à tous les écrits de leur recueil,
mais uniquement aux cinq livres mosaïques. On en a déjà une
preuve suffisante dans le nom de la Loi qu'ils donnent à ces cinq
livres. On en a une seconde aussi évidente dans le fait que le livre de
la Loi était la seule partie de l'Ancien Testament qui fût lue en entier
dans les synagogues aussi bien dans la Palestine qu'à Alexandrie
la lecture d'Esther à une fête nationale n'avait pas d'autre but que
CANON DE 1/ ANCIEN TESTAMENT 583
dé maintenir le souvenu' d'un événement dans Lequel les enfants
d'Israël voyaient une marque éclatante de la protection divine). Si on
ne lisait dans les synagogues, et encore seulement dans les assemblées
du sabhath. et non dans celles des autres jours de la semaine, que des
morceaux choisis des Prophètes, c'est qu'en Israël ou ne mettait pas
les écrits de ces hommes de Dieu sur la même ligne que ceux de Moïse.
11 parait même que l'usage de faire suivre la lecture de la Loi de celle de
morceaux choisis des Prophètes ne s'établit pas de longtemps dans les
synagogues d'Alexandrie. Ce qui du moins est certain, c'est que la
traduction des cinq livres de Moïse en langue grecque se fit en quel-
que sorte officiellement, fut considérée comme un événement consi-
dérable, presque comme une œuvre inspirée par Dieu, et comme tout
ce qui l'ait une vive et profonde impression sur l'esprit des contem-
porains, donna naissance à une légende qui passa des juifs alexandrins
aux chrétiens, et ne cessa, pendant près de cinq siècles, de prendre
continuellement de nouveaux accroissements. Il en fut autrement pour
les écrits de la seconde et de la troisième section. Ils ne furent pas
traduits avec cette solennité; le soin de les faire passer dans la langue
grecque fut abandonné à quiconque voulut entreprendre ce travail. Ces
faits, et on pourrait les fortifier par d'autres conduisant aux mêmes
conclusions, supposent nécessairement que, pour les juifs, le livre de
la Loi mis à part, le recueil de l'Ancien Testament était une sorte de.
bibliothèque dans laquelle ils avaient réuni leurs écrits nationaux.
Ces écrits avaient sans doute, à leurs yeux, un caractère de sainteté, et
portaient l'empreinte de l'inspiration divine; mais, pour les juifs, tout
ce qui appartenait à leur race était saint et marqué du sceau de Dieu,
il faut reconnaître aussi que les palestiniens attachaient plus de valeur
que les alexandrins aux écrits des prophètes qu'ils tenaient pour des
commentaires antiques et vénérables de la Loi, dignes par cela même
d'être mis au-dessus des autres livres bibliques. Mais cette différence,
en somme de peu d'importance, s'explique par cette circonstance que
les espérances messianiques s'étaient affaiblies au milieu de la paix et de
la prospérité dont les juifs jouirent à Alexandrie, tandis qu'elles mon-
tèrent au plus haut degré d'exaltation parmi les juifs de la Palestine,
par suite des malheurs publics qui ne cessèrent de les frapper depuis
le commencement du second siècle avant l'ère chrétienne jusqu'à la
ruine de Jérusalem, et même plus tard. — Maintenant que nous avons
établi que. sauf le livre de la Loi, l'Ancien Testament n'était pas pour
les juifs un canon dans le sens rigoureux du mot, nous pouvons
aborder la question de la différence qui se remarque entre l'édition
palestinienne et l'édition alexandrine. Transportée du terrain des
préoccupations dogmatiques sur celui de la réalité historique, elle se
trouve débarrassée de toutes les difficultés dont des opinions préconçues
rayaient entourée. Quelques mots suffisent pour en donner la solu-
tion. Kn ajoutant de nouveaux, écrits au recueil qui leur •'■tait venu de
la Judée <•( en eu remaniant quelques-uns de ceux qui en faisaient
partie, les juifs alexandrins usèrent tout simplement du même droit
que ceux de leurs coreligionnaires de la Palestine qui avaient refait dans
584 CANON DE L'ANCIEN TESTAMENT
les Chroniques les livres de Samuel et des Rois, remanié Esdras et
Néhémie et introduit dans la troisième section de leur Ancien Testa-
ment ces livres et probablement d'autres encore. Les juifs de la Pales-
tine avaient jugé convenable de faire suivre le livre de la Loi d'un
certain nombre d'ouvrages dont les uns se rapportaient à l'histoire de
leur nation et les autres étaient dus à des écrivains de leur race, et
représentaient les sentiments, les croyances, les conceptions de leur
génie national. Les juifs d'Alexandrie possédaient un certain nombre
d'écrits qui avaient été composés parmi eux, ou qu'ils s'étaient ap-
propriés en les traduisant en grec. Ces écrits leur semblaient dénature,
les uns à instruire, les autres à édifier. Ils étaient pour eux des produits
de l'esprit juif au môme titre que les Proverbes et l'Ecclésiaste, que
les livres de Néhémie et d'Esdras. Quelques-uns complétaient même le
recueil des historiens de leur famille. Il leur sembla bon d'en enrichir
leur bibliothèque nationale. Au point de vue juif, il n'y avait pas une
seule raison qui dût les en empêcher; et l'événement prouva qu'ils ne
s'étaient pas trompés, puisque plus tard leurs frères de la Judée,
quand ils eurent connaissance de cette seconde édition de leur
Bible, n'eurent rien à reprendre à ces additions. — 3° Le Canon de
l'Ancien Testament dans l'Eglise chrétienne. Les juifs n'avaient eu que
le livre de la Loi pour règle religieuse, morale et sociale. L'Ancien
Testament tout entier devint celle des chrétiens (le Nouveau Testament
n'existait pas encore ou n'était pas encore répandu parmi eux), soit
qu'ils s'en rapportassent à la déclaration de 2 Timoth. III, 16, qu'ils
prenaient à la lettre et dans son sens le plus explicite, soit qu'ils se
regardassent comme substitués aux juifs dans les promesses que Dieu
avait faites à ceux-ci, soit enfin qu'ils vissent l'annonce de la venue
de Jésus-Christ non-seulement dans la Loi et dans les Prophètes, mais
encore dans tous les livres de l'Ancienne Alliance. Cet Ancien Testa-
ment, devenu pour eux une Ecriture sainte, ils ne le connurent d'a-
bord et pendant longtemps que par la version des Septante. L'hébreu
était une langue morte connue seulement des érudits, tandis que la
langue grecque était répandue dans tous les lieux où le christianisme
commença à se répandre. Quand il passa dans les pays de langue
latine, il se fit un grand nombre de traductions de l'Ecriture sainte
en cette langue, mais ce fut toujours sur la version des Septante
{VItala, une de ces traductions latines, fit bientôt oublier toutes les
autres; Augustin, De Doctrina christiana, II, §§ 11 et 15; et c'est pour
cela que Jérôme la désigne sous le nom de : Vulgata et communis
cornm. in J es. XIV et XLIX). Les savants chrétiens firent remarquer, il
est vrai, que tous les écrits qui ne se trouvent pas dans le texte hébreu
doivent être tenus pour apocryphes, et ne peuvent être lus que pour
l'édification du peuple, et non comme autorité dogmatique : ad tedifi-
tationem plebis, non ad auctoritatem ecclesiasticorum dogmatum confir-
mandam (Jérôme, Prologus galeatus et Prœfatio in libros Salomonis).
Mais cette distinction échappait à l'intelligence de ceux qui ne pouvaient
comparer l'Ancien Testament hébreu et l'Ancien Testament grec ; et
c'était incontestablement l'immense majorité. Elle ne pouvait même
CANOX DE L'ANCIEN TESTAMENT 585
produire qu'une assez faible impression sur la plupart des conduc-
teurs des Églises, qui inclinaient naturellement à mettre l'édification
au-dessus des considérations historiques et scientifiques. Il arriva de là
que, pour la grande masse des fidèles, l'Ancien Testament fut ce qu'il.
est dans la version des Septante. Jusqu'au seizième siècle la détermi-
nation du canon de L'Ancien Testament resta indécise. Tous les con-
cile-; ne se prononcèrent pas dans le même sens sur cette question.
Tantôt on penchait du côté de l'Ancien Testament hébreu, tantôt on
adoptait l'Ancien Testament grec. Les protestants s'étant déclarés pour
le premier, l'Eglise catholique dut se prononcer définitivement, et le
8 avril 1546, le concile de Trente déclara la Vulgate version authen-
tique et approuvée, et reconnut pour Ecriture sainte et par conséquent
pour écrits inspirés par l'Esprit-Saint tous les livres faisant partie
de cette version, reproduction, sauf quelques modifications de détail,
de celle des Septante. On ne saurait douter que cette décision ne fut
prise en opposition à la Réforme naissante; mais il faut bien recon-
naître qu'une Eglise qui donne une si grande importance à la tradi-
tion, était tenue, par ses principes mômes, à sanctionner un Ancien
Testament qui, depuis des siècles, était le seul qui fût connu de la
grande masse des chrétiens de l'Occident. Dès ce moment, la question
du canon devint un des points sur lesquels portèrent les controverses
engagées entre les deux Eglises. Les catholiques n'ont plus cessé de-
reprocher aux protestants d'avoir tronqué la Bible, et ceux-ci d'accu-
ser ceux-là de l'avoir falsifiée, en y mêlant une foule d'éléments étran-
_ rs et impurs. En réalité, les accusations sont aussi mal fondées d'un
côté que de l'autre : les protestants n'ont rien tronqué, les catholiques
n'ont rien falsifié ; seulement des circonstances historiques, en grande
partie indépendantes de leur volonté, ont amené les uns à adopter
L'Ancien Testament alexandrin, et les autres l'Ancien Testament pales-
tinien. S'il y a lieu à controverse, elle doit porter uniquement sur ce
point : lequel des deux recueils est préférable à l'autre. Cette question,
nous allons dans un moment la voir débattue entre les protestants.
Conformément à leur principe de remonter aux documents originaux,
les protestants durent s'en référer à la coutume des anciens juifs et au
témoignage du Nouveau Testament. Pour être entièrement conséquents
avec eux-mêmes, ils auraient du recevoir comme Ecriture sainte de
l'Ancien Testament uniquement ce qui formait en réalité le canon des
juifs palestiniens, c'est-à-dire la Loi et les Prophètes, et abandonner
tout le reste, sauf les Psaumes, sanctionnés en quelque sorte par le
Nouveau Testament et employés dans le culte des anciens juifs et dans
celui des premiers chrétiens. Quelques-uns y pensèrent et étaient déci-
dés à l'aire de larges coupures dans les hagiographes. On crut devoir se
contenter de mettre de côté les apocryphes, et encore, comme quel*
ques-uns de ces livres ont une valeur réelle, on se décida à les impri-
mer dans les traductions de la Bible, mais à part et précédés d'un
avertissement. C'était i[\w inconséquence manifeste, plus frappant»
encore que la première. Elle n'a été aperçue par Les protestants que
fort tard; mais enfin elle a donné lieu, entre les orthodoxes qui se sont
586 CANON DE L'ANCIEN TESTAMENT
divisés sur ce sujet à des controverses violentes {alrorisnma contro-
versia de quœstione utrum in ecclesiasticis Bibliorum interpretationi-
bus apocrypha retinenda an omittenda essent; Grimm, Insliluliones
theologùe dogmaticx hislorico-c?'iticœ, 2e édit. , p. 107). En 1825, les
sociétés anglaises pour la propagation des saintes Ecritures décidèrent
de retrancher les apocryphes de leurs éditions de la Bible. Leur exem-
ple a été suivi par la Société biblique française et étrangère. Le débat
lut porté en Allemagne en 1851. Ph.-Fr. Keerl et bien d'autres théolo-
giens, partant comme lui d'une conception étroite de la révélation et
de l'inspiration, se sont appliqués à montrer que les livres apocryphes
de l'Ancien Testament ne sont pas la parole de Dieu et ne doivent pas
par conséquent être produits à côté de ceux qui ont été écrits sous
l'influence du Saint-Esprit ; qu'il n'y a pas seulement inconvenance,
mais qu'il y a un danger réel à les mettre entre les mains des fidèles ;
que ces livres sont, en effet, pleins d'erreurs et de superstitions ; que
souvent des personnes pieuses, mais peu éclairées, prennent plus de
plaisir à leur lecture qu'à celle des livres canoniques, et qu'elles sont
entrainées par là à des écarts fâcheux dans leur foi. Hengstenberg,
Stier et quelques autres, sans mettre les apocryphes sur la même ligne
que les canoniques, firent alors observer, non sans quelque raison?
que si l'on cédait aux arguments dirigés contre ces livres, et qu'on
en interdit la lecture sous le prétexte qu'ils ne sont pas la parole
de Dieu, on courrait le danger de voir certains écrits canoniques
(le Cantique des cantiques et l'Ecclésiaste par exemple) attaqués et
présentés comme indignes de faire partie des saintes Ecritures, par les
mêmes arguments qu'on fait valoir contre les apocryphes, de sorte
que les coups portés à ceux-ci pourraient bien finir par atteindre les
autres. Cette observation est, sans le moindre doute, aussi juste que
pertinente ; elle paraît très-propre à mettre fin aux débats soulevés sur
ce point ; mais elle revient, en définitive, à cet aveu compromettant :
que, pour sauver la première des inconséquences des réformateurs
que nous avons signalées sur la question du canon de l'Ancien Testa-
ment, il faut savoir supporter la seconde. Les théologiens allemands,
qui font profession de sentiments moins étroits, sont restés en général
indifférents à cette controverse. C'est probablement parce qu'il leur a
paru difficile de tracer une ligne de démarcation bien fixe entre les
deux classes d'écrits. On ne saurait méconnaître en effet qu'il est
des apocryphes, par exemple le premier Maccabées, la Sapience et
l'Ecclésiastique, qui ont autant de droit à une place dans un recueil
de livres saints qu'Esther, dans lequel le nom de Dieu ne se ren-
contre même pas une seule fois et dont Luther regrettait l'existence,
ou encore que l'Ecclésiaste et le Cantique des cantiques, et peut-
être aussi quelques autres qui peuvent avoir une certaine valeur
historique, mais qui semblent peu propres à l'instruction morale et à
l'édification. Il faut bien avouer d'un autre côté qu'il est d'autres
apocryphes, Tobie, Judith, Suzanne, etc., sur lesquels les arguments
de Keerl tombent de tout leur poids. Faudrait-il faire un choix
entre eux, en les jugeant d'après leur valeur propre, introduire les
CAXOX DU NOUVEAU TESTAMENT 587
dans le canon et eu exclure à jamais les autres? .Mais qui ne
voit que les craintes manifestées 'par Eiengstenberg se réaliseront aus-
sitôt? On voudra aussi juger sur leur valeur les écrits canoniques,
conserver ceux-ci et rejeter ceux-là. Et ce triage, <|ui le fera? qui se
croira le droil de le l'aire? Peut-être aurait-il été possible aux premiers
moments de la Réformation, quoique même alors, on if en saurait douter,
il eût été plein de difficultés et de dangers. Aujourd'hui il n'y faut plus
penser, et le parti le plus sage, c'est d'accepter les faits accomplis, et
de mettre les fidèles en état de juger eux-mêmes, non plus seulement
par un avertissement placé en tête des apocryphes, comme on Ta fait
jusqu'ici, mais par des instructions solides sur l'histoire des deux édi-
tions de l'Ancien Testament. — Bibliographie : sur le canon de l'An-
cien Testament, en outre des ouvrages déjà cités, les Introductions
à l'Ancien Testament; Ewald, Geschichte des Volks Israël, t. VII,
p. 403 ss. ; OEhler, Kanon des Alt. Test., dansla Real-Ency kl. de Herzog,
t. VII, p. 2i3 ss. ; Frankel, Ueber palœstinisch und alexandrin. Schrift-
forschung, Breslau, 1854, in-4°; Zunz, Die gottesdienstl. Vortrœge der
Juden, p. 44, 101 ss. ; J. Delizsch, De inspirations Scripturx sacrée,
p. 4-10, 14-18; et pour la polémique sur les apocryphes de l'Ancien
Testament : Bleek, Ueber die Stellung der Apokriph. des Alt. Testam. im
CÂristl. Kanon. 1853, t. II, p. 267 ss. M. Nicolas.
CANON DU NOUVEAU TESTAMENT. Le recueil des vingt-sept livres.
qui composent le Nouveau Testament forme la seconde partie de la
Bible. Le?» mots zrjM^r,, testamentum, signifiaient proprement tout
d'abord l'alliance mosaïque ou chrétienne (Matth. XXVI, 28 ; 2 Cor.
III, 0). Aussi l'expression entière pour indiquer les documents eux-
mêmes était, dans l'origine : Ta -f,q XQLkaixq ou y.aivyjç ciaO^ç fiiêXfo
(Euseb., H. E., IV, 26, 13; V, 16, 3; III, 25, 1). L'expression s'est
abrégée, et, à partir du troisième siècle, le nom de l'alliance s'applique
au recueil des livres qui la renferment (Tertull., adv. Mar., IV, 1).
Quant au terme de canon, donné à l'ensemble des écrits bibliques, il
date à peu près de la même époque. Du moins on ne le rencontre pas
dans ce sens avant Origène. Les juifs ne le connaissaient pas; ils appe-
laient « écrits publics » ceux que nous appelons canoniques parce
qu'ils étaient lus dans les synagogues, par opposition à ceux qui ne de-
vaient pas être lus publiquement et qu'ils nommaient pour cette raison
guenouzim, apocryphes. Le mot grec de xovuv, signifiant roseau,
règle, mesure, fut de très-bonne heure pris métaphoriquement (Gai.
VI. 16; Pliil. III, 16). On rencontre souvent chez les premiers écri-
vains ecclésiastiques l'expression générale de « canon de la vérité, ou
de la foi », et rien dès lors ne peut paraître plus naturel que ce mot,
comme celui de testament, se soit étendu de la vérité divine aux livres
qui la révèlent. Cependant cela ne s'est pas fait spontanément et sans
préparation, bs grammairiens d'Alexandrie avaient déjà créé la notion
de canonique dans l'ordre littéraire (Quint, Inst. rlu-t., X, 1, 54). Ils
appliquaient ce terme à l'ensemble de la littérature classique, au cata-
logue de tons les chefs-d'œuvre en chaque genre qui faisaient, autorité
et servaient de modèles. Ils avaient ainsi dressé le canon de la poésie
588 CANON DU NOUVEAU TESTAMENT
épique, celui de la poésie lyrique ou tragique, etc. C'est Origène pro-
bablement qui transporta dans Tordre religieux cette expression née
dans Tordre littéraire et dans Técole. Mais elle ne devient officielle
qu'à partir du concile de Laodicée (360), où apparaissent à peu près
définies les notions de canonique et d'apocryphe (Acla concilù,
can. 59). Désormais, pour l'Eglise chrétienne, le canon du Nouveau
Testament fut l'ensemble des écrits inspirés par l'Esprit de Dieu et
rédigés par les apôtres ou des hommes apostoliques. D'où sait-on qu'il
n'y a dans le canon que des écrits divinement inspirés? En d'autres
termes quelle est la valeur de la notion théologique que ce mot exprime?
fl est évident que la formation du canon est l'œuvre de l'Eglise, et que
la valeur de cette œuvre reste proportionnée à l'autorité de l'Eglise
elle-même. Elle ne saurait être absolue qu'à la condition d'être l'effet
direct d'une inspiration absolue. Ce n'est que dans la théorie catho-
lique de l'infaillibilité de l'Eglise que l'autorité absolue du canon bi-
blique trouve une base certaine. Cette base, le protestantisme Ta ren-
versée en opposant l'Ecriture à la tradition, la Bible à l'Eglise. En
vain les réformateurs en ont-ils appelé au témoignage intérieur du
Saint-Esprit dans l'âme des fidèles ; on sait combien ce témoignage
est variable et comment Luther s'est exprimé sur quelques-uns des
livres canonisés. En vain de nos jours Técole de la théopneustie abso-
lue a-t-elle invoqué un décret providentiel (Gaussen, Le Canon des
saintes Ecritures, t. II, p. 26). On peut bien admettre sans doute ici,
comme dans tout le reste de la vie de l'Eglise, la direction de la Pro-
vidence. Mais comment cette Providence, qui n'a pas empêché l'Eglise
d'errer et de faillir en d'autres domaines, aurait-elle prévenu toute in-
certitude et toute erreur en celui-ci? La collection des écrits sacrés ne
s'est faite ni en une seule fois ni en un seul jour. Ce fut une œuvre
qui dura des siècles, et où nous trouvons souvent la trace des tendances
diverses et des luttes nombreuses de la chrétienté primitive. C'est dire
que la formation du canon a une longue et difficile histoire où Ton peut
marquer des périodes distinctes. On le voit naître, sans doute, spon-
tanément des besoins et des habitudes de l'Eglise dans ses commence-
ments. Mais il se forma d'abord plusieurs noyaux distincts. Chaque secte,
chaque parti eut son canon ; puis, vers la fin du second siècle, quand
se dégagent des agitations premières l'idée et la réalité d'une Eglise ca-
tholique, alors aussi apparaît un canon biblique universel. Les limites en
restent encore flottantes. Bien des écrits secondaires sont tantôt admis,
tantôt rejetés, et de grandes et longues discussions s'élèvent sur quel-
ques-uns. Ce n'est qu'après les grands conciles et les Pères de l'Eglise
du quatrième siècle qu'une sorte d'unanimité relative s'établit. La
question des apocryphes n'a même jamais été définitivement réglée.
Elle fut encore passionnément débattue entre les protestants et les ca-
tholiques aux seizième et dix-septième siècles; et, de nos jours enfin, il
s'est formé sous le nom d'isagogique toute une science théologique
particulière dont les livres du canon et leur histoire sont Tobjet.
I. Première période. Les Origines. L'Eglise chrétienne a existé
avant le canon du Nouveau Testament, et même elle est restée un assez
CANON DU NOUVEAU TESTAMENT 589
long temps sans en sentir La nécessité. Attendant à bref délai le retour
glorieux du Christ, les premiers chrétiens ne pouvaient avoir ni l'idée
ni le besoin d'écritures sacrées spéciales. L'Ancien Testament qu'ilà
avaient en commun avec les juifs leur servait d'autorité; et quant aux
préceptes et aux promesses de Jésus, une tradition très-vivante et soi-
gneusemenl entretenue dans chaque communauté suffisait à les con-
server. Jusque vers le milieu du second siècle cette tradition aposto-
lique était préférée même aux écrits qui circulaient déjà. Ainsi Papias,
évèqne de ilierapolis, recherchait surtout les dires des apôtres rap-
portés par ceux qui les avaient connus; « car, dit-il, je ne croyais pas
retirer de la lecture des livres un aussi grand profit que de la tradition
vivante et persistante » (~x r.xpx Zu)7rt; (pwvffc xa! [/.evouffrja. Ëuseb.,
//. F., III, 39).- Ou peut même dire que les écrits ne prirent l'autorité
et la place de cette tradition qu'autant qu'ils parurent la représenter
fidèlement, et capables de la conserver et de la préserver des altéra-
tions qui la menaçaient. Quand les destinées de l'Eglise semblèrent
devoir se prolonger sur la terre, on en vint naturellement à penser
que l'ancienne alliance ayant ses documents, la nouvelle devait éga-
lement avoir les siens. Le fait générateur du canon du Nouveau Tes-
tament, c'est l'existence antérieure de celui de l'Ancien. Des juifs,
les chrétiens avaient reçu la notion d'Ecritures divines. Dans les livres
du Nouveau Testament ceux de l'ancienne alliance sont cités comme
écritures sacrées lyçayziaytau. (Rom. 1,2), ou simplement comme l'Ecri-
ture: r, Ypaç^s ou encore avec cette formule absolue : yérfpamxai (1 Cor.
I. 31 ; 2 Cor. VIII, lo ; Matth. IV, 36, etc.). La notion est donc toute
prête et l'Eglise ne fera que la transporter quelques années plus tard
aux écrits apostoliques. Comment se fit ce transfert et quelles causes y
concoururent, voilà ce que le manque de documents ne permet pas de dire
d'une façon très-précise. Les lettres et les autres écrits des apôtres ou de
leurs disciples furent tous des écrits de circonstances ; provoqués par des
besoins particuliers, ils ne visaient qu'à les satisfaire. Mais il est évi-
dent que l'autorité de leurs auteurs leur donnait un grand crédit. Bien
que l'inspiration fût l'apanage de tous les vrais croyants, l'apostolat
n'en était pas moins le grand pouvoir directeur de l'Eglise. C'est aux
apôtres qu'on s'en réfère dans les débats sur la circoncision (Act. XV).
C'est dans sa qualité d'apôtre que Paul trouve le droit et l'autorité de
parler aux Calâtes comme il le fait. Dans la fondation et l'organisation
du royaume de Dieu sur la terre, les apôtres sont placés à côté des pro-
phètes (Eph. III, 5). L'écrit de l'apôtre remplaçait donc sa présence
pour ceux à qui il était adressé ; et il est dès lors naturel de penser que
les communautés chrétiennes qui recevaient les lettres de Paul, par
exemple, les aient soigneusement conservées. Quelques-unes de ces let-
tres étaient même des lettres encycliques, comme celles de Pierre, de
Jacques ou de Jean. Les copies durent être nombreuses et devaient
circuler un peu partout. Le grand nombre d'épitres ou d'évan-
giles apocryphes, qu'on voit naître dès la lin du périmer siècle OU le
commencement du second, prouve le crédit dont jouissaient des écrits
ornés d'un nom apostolique. La lecture publique des écrits sacrés fut
590 CANON DU NOUVEAU TESTAMENT
dès le principe un élément essentiel du culte chrétien. C'est ce que
l'on appelle Yanagnose. Sans doute, comme dans les synagogues,
on n'y lisait d'abord que des parties de l'Ancien Testament. 11 ne
faut pas trop presser les passages où Paul recommande solennelle-
ment la lecture de ses lettres (1 Thess. V, 27; Coloss. IV, 16 ; cf. Apoc.
II, 7, il; XXII, 18). Il peut n'être question là que d'une lecture
extraordinaire. Comme nous savons cependantque, du temps de Justin
Martyr, les écrits des apôtres étaient lus à côté de ceux des prophètes,
il est naturel de penser que l'habitude dut commencer d'assez bonne
heure. Ce fait est Tune des causes les plus importantes de la
prompte formation d'un recueil sacré (Just. Mart., Apol., I, 67). A
quel moment trouvons-nous pour la première fois un livre du Nouveau
Testament cité comme Ecriture sacrée? On ne peut s'arrêter au passage
de 2 Pierre III, 15-17, où il est question d'une collection déjà faite des
épîtres de Paul, ni à la citation, dans 1 Tim. V, 18, de LucX, 7, puisque
ces faits sont de graves arguments contre l'origine apostolique de ces
lettres. Mais à la lin du premier siècle, dans l'épître de Barnabas, on
trouve un passage de Matthieu cité avec la formule consacrée. « // est
écrit .-Il y a beaucoup d'appelés, mais peu d'élus» (Barn.,i?/>., chap.IV).
Telle est l'humble et première révélation de l'existence d'un canon du
Nouveau Testament. Cette donnée grossit quand on l'entoure des cita-
tions le plus souvent anonymes que Ton recueille dans les épitres de
Clément Romain, de Polycarpe et d'Ignace (Clém., Epist. ad Cor., I,
47; Polyc, Epist. ad PhiL, 3; Ignat., ad Ephes., 12; ad Philad.,
8, 5, etc.). L'envahissement du gnosticisme, l'apparition d'une foule
d'écrits apocryphes, la tradition qui s'affaiblissait en vieillissant, le
sentiment instinctif de l'insuffisance de toute autre base pour l'enseigne-
ment religieux poussaient l'Eglise à rechercher et à réunir les docu-
ments authentiques de la doctrine des apôtres. Mais il n'y eut alors ni
décision officielle, ni collection unique. Ce n'étaient pas les livres qui
servaient à juger la tradition ; c'était la tradition vivante encore qui
était la norme d'après laquelle on jugeait les livres. Or cette tradition
était loin d'être partout la même. Les grandes polémiques de l'âge
apostolique entre les judéo-chrétiens et les pagano-chrétiens devaient
être un grand obstacle à la formation d'un canon partout identique.
Ce dernier ne devait apparaître que lorsque la conciliation se serait
opérée et que l'éloignement aurait entouré la tête de tous les apôtres
de la même auréole et du même prestige. Dans le principe chaque
Eglise, chaque secte, chaque individu se formait sa collection libre-
ment, suivant ses idées particulières ou son tempérament. Les judéo-
chrétiens, par exemple, qui avaient si violemment attaqué saint Paul,
ne pouvaient pas accepter l'autorité de ses épîtres. Papias laisse tout
à fait de côté les écrits de cet apôtre et ceux de saint Luc ; il est dou-
teux qu'irait connu le quatrième évangile. D'après Eusèbe, il ne se
serait servi; que des deux premiers, delà première épître de Pierre, de-
la première de Jean et de l'Apocalypse (Euseb., H. E., III, 39; André,
évêque de Cappad. au cinquième siècle, Comment, in Apocalyp., préf.).
Peut-on même parler d'un canon de Papias? On sait qu'il mettait les
CANON DU NOUVEAU TESTAMENT :>91
livres fort au-dessous de la tradition orale et qu'il a parlé avec une
surprenante Liberté dos écrits de Matthieu et de Marc. Hégésippe, un
peu plus jeune que Papias, est au môme point de vue. Tour lui. l'Ancien
Testament est toujours la grande et véritable Ecriture divine. II se sert
en outre d'un évangile selon les Hébreux: qui n'était sans doute
qu'une version de Matthieu, et parait avoir accueilli L'évangile de Luc,
malgré la tendance panlinienne de ce dernier. Il rejetait l'autorité des
épîtres de Paul, dont il jugeait la doctrine contraire à l'Ancien Testa-
ment et aux paroles de Jésus. Il faut ajouter qu'il ne la comprenait guère
(Euseb., 7/./:'., IV, 22; II, 23,10.) Voyez le curieux passage d'un évêque
monophysite du sixième siècle rapporté par Photius, dans sa Biblioth.
cofl , 2o2 : « Cependant Hégésippe, homme antique et apostolique,
obéissant à je ne sais quelle inspiration, écarte la parole de 1 Cor. II, 9
et déclare que ceux qui disent de telles choses mentent contre les di-
vines Ecritures et contre le Seigneur Jésus qui a dit : Bienheureux les
yeux qui voient ce que vous voyez, etc. » Une faut donc pas s'étonner
de la résistance des Ebionites et des Nazaréens à l'esprit de saint Paul,
contre lequel vers le milieu du second siècle fut dirigé le fameux ro-
man des Homélies Clémentines. Ce qui est plus digne d'attention, c'est
devoir pénétrer jusque dans ces cercles les évangiles de Luc et de Jean
dont l'auteur des Homélies se sert sans scrupule, prouvant ainsi qu'ils
étaient déjà depuis longtemps accueillis et vénérés dans la majorité de ^
l'Eglise. Les hérétiques gnostiques devancèrent les orthodoxes dans la
commentation des écrits apostoliques. Il y avait donc au commence-
ment du second siècle des écrits canoniques auxquels ils cherchaient
à adapter leurs doctrines. C'est ce qu'affirment Tertullien et Irénée :
Scripturas guident confitenlur, dit ce dernier, interpretationes vero con-
vertunt. Tertullien également dit de Valentin : Integro instrumente uti
videtur (Adv. Haer., III, 12; etPrœscr., c. 38). Ces faits étaient certai-
nement vrais des gnostiques de leur temps ; l'étaient-ils de Basilide et
de Valentin eux-mêmes? On en doute encore. Cérinthe et Karpocrate,
gnostiques judaïsants, n'admettaient guère que l'Apocalypse et l'évan-
gile des Hébreux ou de Matthieu mutilé ; ils repoussaient les épitres de
Paul (Epiph., Hxr., XXVIII, S ; XXX, 14; XXVII, 2, 8 ; Irén., Adv.'
Hxr.. \. 2S s. : Philosophoumena, VII, 32). Les Pères de l'Eglise parlent
d'un évangile de Basilide qui était sans doute un ouvrage apocryphe, et
il parait bien avoir commet même commenté des évangiles canoniques.
Valentin. d'après Tertullien et les Philosophoumena, se serait servi de nos
quatre évangiles en les accommodant par de subtiles interprétations à sa
do< trine. Un de ses disciples, qui vivait vers Tan 160, avait même com-
posé un commentaire sur l'évangile de Jean, dont Origène et Clément
d'Alexandrie ont reproduit quelques lignes. Les valentiniens connais-
saient et citaient également les épîtres de Paul. C'est dans la gnose
marcionite que la tendance antijudaïsante trouve son expression
extrême. Le système de Marcion l'aitpendantanx Homélies Clémentines;
a l'exclusion violente de saint Paul, ce gnostique répond parcelle des
la condamnation de l'Ancien Testament. Testullien l'ac-
cuse d'avoir violemment lacéré le canon ecclésiastique. C'est peut-être
592 CANOX DU NOUVEAU TESTAMENT
îrop dire; le canon ofiiciel n'existait pas encore. Marcion se lit un
recueil canonique à sa guise, usant d'une liberté qui parut scanda-
leuse. Sans doute son choix ne fut dirigé que par ses idées dogmatiques.
Mais nous sommes dans un temps où c'était la dogmatique qui faisait
le canon, et non le canon la dogmatique. Marcion avait un recueil
de dix lettres de Paul rangées dans cet ordre : Galates, 1 et 2 Co-
rinthiens, Romains (moins les ch. XV et XVI), 1 et 2 Thessaloniciens,
Fépitre aux Ephésiens sous le nom d'épilre aux Laodicéens, Colos-
siens, Philippiens et Philémon. Les épitres pastorales et l'épître
aux Hébreux étaient exclues. Marcion s'était fait également un évan-
gile qu'il appelait l'évangile de Christ et qui n'était pas autre chose au
fond que l'écrit de Luc débarrassé de tout ce qui pouvait faire croire
h une subordination du christianisme au judaïsme. Son canon compre-
nait ainsi deux parties, V Evangile et V Apôtre (TcsjayycXbv, b k-i'zSi.zz
ou tg à-sr:éA'.y.sv). Ce n'est pas qu'il n'ait connu les autres livres du
Nouveau Testament ; il les repoussait parce qu'il y trouvait la doctrine
du Christ altérée. On ne doit pas s'étonner qu'il ait choisi l'Evangile de
Luc plutôt que celui de Jean. Il a rejeté ce dernier parce qu'il portait
3e nom d'un apôtre juif, et parce que, malgré son spiritualisme, il
rattachait encore trop étroitement la nouvelle alliance à l'ancienne
(sources àconsulter sur le canon de Marcion : Tertull., Adv. Marcionem,
surtout les livres IV et V ; De carne Christi, surtout II et III; Irénée,
Adv. ffœr. , 1, 27, 2 ; III, 2 ; III, 12; Epiph. , Hœres., XLII; et dans les œuvres
d'Origène le Dialogus Adamantiiet Megetlù de recta fide). Cependant, de
même qu'à travers toute cette agitation confuse et toutes ces hérésies, l'E-
glise tendait en repoussant les sectes à se constituer et à s'affirmer comme
Eglise une et universelle, de môme on voit se dégager progressivement
de tout l'arbitraire des pères orthodoxes comme des docteurs héré-
tiques la notion et les grandes lignes d'un canon ecclésiastique. Justin
Martyr (130-160) représente ce moment de transition. Chez lui, pour
ïa première fois, nous trouvons l'autorité de la tradition orale subor-
donnée à celle des écrits apostoliques ; les évangiles sont la source suf-
Msante de la connaissance de la vie de Jésus. licite sans doute des écrits
déclarés plus tard apocryphes, mais il ne faut pas douter qu'il n'en-
tende par les évangiles provenant d'apôtres ou de compagnons d'apô-
tres, et lus chaque dimanche dans le culte chrétien, nos quatre évan-
giles actuels (ApoL, I, 33, 67; Dial. c. Tryph., c. 103). Beaucoup plus
embarrassée est l'attitude de Justin vis-à-vis de Paul. Evidemment il a
gardé quelque chose des préjugés de Papias et d'Hégésippe contre
l'apôtre des Gentils; il connait ses lettres, il les a lues et en a profité;
mais il semble hésiter à en reconnaître explicitement l'autorité cano-
nique. D'ailleurs on constate la même rareté de citations pour les
Actes des apôtres et les épitres catholiques, qu'il admettait fort bien
cependant. Quant à l'Apocalypse, il la tenait pour un livre inspiré au
même titre que les écrits des anciens prophètes et l'attribuait ouverte-
ment à saint Jean (Dial. c. J\, 81). A peu près au même point que
lustin Martyr, nous trouvons Méliton de Sardes, son contemporain.
Parmi ses nombreux ouvrages dont parle Eusèbe, il y en avait un sur
CANON DU NOUVEAU TESTAMENT 593
L'Apocalypse de Jean , qu'il assimilail comme Justin , aux écrits des
anciens prophètes. C'est qu'à cette époque encore les livres de
L'Ancien Testament étaient placés bien au-dessus de ceux des apôtres,
et que L'inspiration était surtout reconnue sous la forme prophétique.
Telle est la cause de la précoce fortune de l'Apocalypse dans l'Eglise.
Les caractères qui la compromirent plus tard la recommandaient alors.
Ainsi, vers le milieu du second siècle, nous voyons apparaître les linéa-
ments encore incertains du Nouveau Testament. L'Apocalypse étant
rangée à La suite des prophètes, deux volumes se formaient dans les
Eglises : le volume des évangiles (to euarfjfeXfov) et le volume des épîtres
(5 ancoffTsXoç). Le premier commence généralement à s'imposer, bien
qu'à coté de quelques-uns ou de tous nos évangiles actuels, il en ren-
fermât d'autres, plus tard écartés. Le second avait une position évi-
demment inférieure, et ce n'est guère qu'à la fin du second siècle que
la parité s'établira entre eux et que, de leur union en un seul tout, naîtra
le recueil traditionnel du Nouveau Testament.
11. Deuxième période. Canon de l'ancienne Eglise catholique. On sail
que l'ancienne Eglise catholique fut le résultat de la conciliation progres-
sive et de plus en plus générale entre les judéo et les pagano-chrétiens. Une
célèbre école moderne, l'école de Tubingue, veut que cette conciliation
ne se soit faite que dans la dernière moitié du second siècle. Mais un<
exacte interprétation des faits historiques montre que ce catholicisme
primitif que nous voyons triompher vers Tan 100, avait déjà derrière
lui une tradition, et, quand on en recherche le principe, on est obligé
de remonter jusqu'au temps des apôtres, il est évident, en effet, quel-
que graves qu'aient été les conflits entre saint Paul et les Douze, que
leur théologie, avec toutes ses divergences, avait le même point de départ,
qu'ils avaient une sorte de terrain neutre et commun sur lequel ils se
-ont rencontrés et sont restés unis (Gai. II, 7-10; 1 Cor. XV, 1-11). On
peut trouver la notion d'une Eglise catholique dans les chapitres XL
XII et XIV de la première épitre aux Corinthiens, où, dans la variété
des dons, des ministères et même des hérésies, saint Paul fait éclater
l'unité essentielle du corps de Christ. La notion est encore plus nette-
ment formulée dans les épitres aux Kphésiens et aux Colossiens, où les
apôtres sont mentionnes ensemble sans distinction aucune comme fon-
dement de L'Eglise, où celle-ci est comparée à un organisme gran-
dissant par une venu intérieure qui déploie harmonieusement au
dehors son incomparable richesse (Éph. Il, 20; III, 5; Col. 1, 20), où
toute barrière enfin est levée entre les juifs et les païens, unis dans la
formation d'un peuple nouveau (Eplî. 111,6; il, 14-19; Col. 1, 20; [|.
\\ : et'. 1 Tini. III. loi. (ie principe n'a cessé de s'affirmer et dese déve-
lopper dans la suite. Les écrits de Luc, qui tombent certainement aux
environs de L'an 80, en sont tout pénétrés. La notion d'uneEglise catho-
lique domine en particulier les Actes des apôtres tout entiers. Quinze
ans plus tard, nous la retrouvons dans l'épitre de Clément Romain et
dans celle qui a été attribuée à Barnabas. Elle remplit les lettres
d'Ignace d'Antioche, qui, même dan- la supposition de leur inauthen-
ticité, restent toujours des documents du second siècle. Polycarpe. un
ii. :>>h
594 CANON DU NOUVEAU TESTAMENT
peu plus tard, en est le plus illustre représentant. Aussi, dans tous les
écrits de ces pères apostoliques , trouvons-nous le nom de Paul et
celui de Pierre associés dans la même vénération et in unis de la même
autorité. La grande route où marchait la majorité de l'Eglise, passait
entre l'hérésie de Marcion et celle des Homélies Clémentines. Vers le
milieu du second siècle, nous ne rencontrons aucun rapprochement
entre des tendances jusque-là hostiles , aucun traité de paix en
quelque sorte officiel. Le catholicisme qui triomphe alors, n'est point
le résultat d'un nouveau compromis, mais bien celui d'un long
et laborieux développement d'un antique principe que les hérésies
et les dissidences avaient pu voiler, mais non détruire, et qui, à
la longue, devait triompher d'elles. Aussi ne faut-il pas s'étonner
de rencontrer les preuves nombreuses d'un canon ecclésiastique où
sont pacifiquement réunis les écrits de Paul et des autres apôtres,
dans le Martyre de saint Polycarpe (156), dans la Lettre des Eglises
de Vienne et de Lyon (177), dans l'épitreà Diognète, dans l'apologie de
Théophile d'Antioche (170-180), etc. Non-seulement un noyau cano-
nique, ferme et universel, apparaît dans tous ces ouvrages ; mais encore
la notion de l'inspiration et de l'autorité des écrits de la nouvelle al-
liance s'y précise et s'y achève. Le type d'un canon sacré, dès le
commencement, nous l'avons vu, était celui de l'Ancien Testament;
c'est vers ce type absolu quetendait dans saformation progressive le nou-
veau canon de l'Eglise. Vers la fin du second siècle, cette notion idéale
est atteinte ; il y a maintenant parité. Aux apôtres sont attribuées la
même inspiration et la même autorité qu'aux prophètes. Les citations
qu'on fait des uns et des autres sont également présentées comme des
oracles du Saint-Esprit (Epist. ad Diog., c. 11 et 12; Théophile, Ad
Autolyc, III, 11; II, 31). De cette même époque, il existe un document
plus important encore. C'est un catalogue anonyme représentant
l'état général des choses à Rome et en Occident, et connu depuis le
milieu du dix-huitième siècle, sous le titre de Fragment de Muratori,
du nom du savant qui le découvrit en 1740 dans la Bibliothèque de
Milan (Muratori, Anîiquitates medii œvi,t. 111, Mediolan., 1740; sur
ce fragment, voy. Wieseler, Sludien und Kritik., 1847, fasc. IV;
Credner, Geshcichte des N. T. Canons, p. 146 ss. ; M. Laurent, N. Ttli-
clie Studien, Gotha, 1866; Hilgenfeld, Einleit. in das N. T., Leip-
zig, 1875, etc.). La date de ce catalogue est approximativement fixée
par la remarque dont est accompagné le Pasteur d'Hermas qui, dit
l'auteur, fut composé récemment et de notre temps à Rome, sousl'épis-
copat de Pius {nuperrime temporibus nostris in urbe Eoma, sedente
cathedra urbis Ro?nie Ecclesiœ Pio epîscopo, fratre ejus). L'épiscopat
de Pius tombe certainement avant l'année 155 (de 140 à 155 environ).
Si l'on songe, d'un autre côté, qu'Irénée déjà et Clément d'Alexandrie
tenaient le Pasteur d'Hermas pour écriture sacrée, on voit que ce
fragment ne peut pas être postérieur à l'an 180. Le texte latin, qui n'est
probablement que la traduction d'un original grec, nous est arrivé
extraordinairement corrompu, et sa restitution a donné lieu à de lon-
gues polémiques. Le sens a fini pourtant par être assez unanimement
CANOK DU NOUVEAU TESTAMENT 595
déterminé, e1 L'on peut en déduire sans crainte d'erreur les conclusions
suivantes. La notion tics écrits sacrés de la nouvelle alliance en ressort
achevée el complète avec ses deux éléments constitutif s : l'un intérieur,
la tradition orthodoxe établie; l'autre extérieur, l'origine apostolique
des livres. Les écrits mis faussement sous le nom d'un apôtre en faveur
d'une hérésie, sont distingués et exclus. Ceux d'un âge récent, comme le
ur d'Hermas, peuvent être lusprivément, niais ne sauraient préten-
dre aux honneurs de la lecture publique réservée aux. seuls écrits des
apôtres ci des prophètes. L'ensemble des livres du Nouveau Testament
i il divisé en deux grandes parties, comme nous l'avons vu dans la col-
lection de Marcion, et comme cela est général chez Clément d'Alexan-
drie, Irénée et Tertullien. La première partie s'appelle V Evangile, et
comprend quatre livres: ceux de Matthieu, de Marc (ces deux premiers
manquent par la coupure du fragment, mais évidemment se trouvaient
en tète), de Luc et de Jean. La seconde partie, qui se nommait les
Apôtres, comprend: 1° les Actes des apôtres; 2° les treize lettres de
Paul: o1' une ou deux épitres de Jean, une épitre de Jude; 4° deux
Apocalypses, celle de Jean et celle de Pierre, qu'acceptait aussi Clément
d'Alexandrie. 11 est assez étonnant par contre que les deux épîtres de
Pierre, la première aussi bien que la seconde, et celle de Jacques n'ob-
tiennent aucune mention. Deux autres épitres attribuées à saint Paul,
une aux. Laodicéens et l'autre aux Alexandrins (épitre aux Hébreux?)-,
sont expressément condamnées comme entachées de gnose marcionite.
Si le canon de Muratori nous donne le recueil officiel de l'Eglise de
Rome à la fin du second siècle, la version syriaque qu'on nomme la
Peschito, et qui remonte à peu près à la même époque, nous donne celui
des Eglises de Syrie. L'épitre aux Hébreux, non mentionnée dans le
premier et généralement suspecte à l'Occident à cette date, y a trouvé
place, mais non comme épitre de Paul. En revanche, l'Apocalypse de
Jean est absente. Les trois épitres catholiques de Jacques, de Pierre et
de Jean s'y rencontrent. Des petites épitres de Jean, de celle de Jude,
de la seconde de Pierre, nulle trace. Pour achever le tableau de cette
époque, il faut joindre à ces documents anonymes et plus ou inoins
officiels, le témoignage d'Irénée (f202) pour les Eglises des Gaules, celui
de Clément d'Alexandrie pour l'Egypte, et celui de Tertullien (f 220)
pour l'Afrique proconsulaire. Nous trouvons chez eux, chez le dernier
surtout, la première ébauche d'une théorie du canon ecclésiastique,
dont le principe et le critère est l'origine apostolique garantie par la
tradition unanime des diverses Eglises. Cette origine d'un écrit en garantit
MMi tour l'inspiration divine et en fonde l'autorité (Tertull., De
Praeser. hœret., cliap. -J2, 36, 37; Adv. Marcion., IV, 5. Si constat id
lod prîtes, id prius quod ab initia, id ah initia quod ab apostoiis,
pariter utique constabù id esse ab apostoiis traditum quod apud Ecclesî§.s
apostoIorumfuen'tsacrosanctum.Cl. ïren., Adv. Hier., 111. l,etc). Cepen-
dant l'étal réel des choses ne répond pas encore à la théorie, soit que
le critère ne lût pas toujours appliqué, comme en ce qui concerne le
Pasteur d'Hermas, soit que la tradition ecclésiastique elle-même fût sur
plusieurs points muette ou incertaine, comme pour répitre aux Hé-
596 CANON DU NOUVEAU TESTAMENT
breux. Des deux parties fort distinctes encore qui composaient le canon
(to euaffiXiov, 5'. ûbroaroXoi ou h à-ï?S/.o;, instrumcntum evangelicum,
instrumentum. apostolicwn), la première seule était arrêtée. Le quaternaire
évangélique est désormais bien iixé. Ce nombre même de quatre est
devenu déjà une sorte de dogme que l'esprit subtil d' Irénée et de
Tertullien essaie d'expliquer par les plus étranges analogies. Quant à la
seconde partie, il y a unanimité sur les treize épîtres de Paul, sur les
Actes des apôtres et les premières épîtres catholiques de Jean et de
Pierre. Plus loin, nous rencontrons les jugements les plus divers et sou-
vent les plus contradictoires. Ainsi, tandis que Clément d'Alexandrie tient
répitre aux Hébreux pour une lettre de Paul, traduite de l'hébreu en
grec par saint Luc, Irénée la repousse et Tertullien ne sait qu'en pen-
ser. Les traces de l'épitre de saint Jacques sont nulles chez Tertullien,
douteuses chez Irénée, positives chez Clément d'Alexandrie. Le Pasteur
d'Hermas, cité comme écriture sainte par ces deux derniers, est flétri par
Tertullien de l'épithète pastor mœchorum. En outre Clément d'Alexan-
dre accepte comme écrits apostoliques les lettres de Barnabas, de
Clément Romain, l'Apocalypse et la prédication de Pierre, etc. On voit
combien les limites du canon étaient encore indécises et flottantes.
Remarquons en effet que, parmi les causes qui concouraient à l'établir,
on ne trouve à cette époque ni décision officielle de l'autorité ecclésias-
tique, ni recherche historique impartiale ; mais en première ligne la
coutume traditionnelle variant de province à province, l'exemple des
grandes Eglises s'imposant aux plus petites, une tradition dogmatique
enfin qui faisait aisément accueillir les livres qui lui paraissaient favo-
rables et rejeter non moins aisément ceux qui lui étaient contraires.
Cela apparait en toute évidence quand ou suit l'histoire des destinées si
variables de l'Apocalypse. Tandis qu'Irénée et Tertullien la vénèrent,
la Peschito la néglige, Cajus, un prêtre de l'Eglise de Rome, la regarde
comme l'œuvre malfaisante de Cérinthe. Un peu plus tard, Denys
d'Alexandrie et Eusèbe suivront une voie moyenne entre les témoignages
qui la recommandent et les préjugés dogmatiques qui la rendent sus-
pecte, en s'efforçant de prouver qu'elle est l'œuvre de Jean, le pres-
bytre d'Ephèse. Mettre fin à ces fluctuations, séparer ce qui était cano-
nique de ce qui ne l'était pas, fut l'ambition et l'effort d'Origène. Sa
tentative peut être considérée comme le premier essai d'une recherche
et d'une discussion scientifique sur la nature et la composition du
canon du Nouveau Testament. Mais comme telle, elle est éminemment
personnelle, et représente la critique individualiste succédant à la tra-
dition un peu confuse des temps passés et appelant les décisions officielles
des grands conciles de l'âge suivant. Eusèbe a réuni les conclusions
d'Origène au livre VI, 25, de son Histoire ecclésiastique. Le théologien
d'Alexandrie divise, en somme, les livres en question en deux classes :
i° les écrits authentiques des apôtres (yv^ia), sur lesquels règne un accord
unanime; 2° les écrits contestés et contestables (^foxa ou à{jLçt6aXXs|jLevà),
parmi lesquels sont la seconde de Pierre, l'épitre de Jacques, celle de
Jude, la seconde et la troisième de Jean; et aussi des écrits non aposto
ltques. mais pleins encore de l'Esprit divin et dont l'autorité est fort
CANON DU NOUVEAU TESTAMENT 597
grande, comme Le Pasteur (T /fermas, scriptura dioinitus inspirât a, l'é-
pître de Barnabas, L'évangile des Hébreux, etc. On voit que La critique
d'Origène, malgré ses recherches, n'avait guère fait que constater l'exis
tence des difficultés sans 1rs résoudre. Dans la stichométrie latine qui
nous a été conservée à la fin du Codex Clanomontanus (Bibliothèque na-
tionaleà Paris), on trouve les écrits canoniques rangés dans un ordre assez
curieux. Aucun n'y manque de ceux que l'Eglise a définitivement consa-
crés. Mais l'épitre aux Hébreux est appelée épitre de Barnabas. A côté de
l'Apocalypse de Jean se trouvent encore l'Apocalypse de Pierre et le
Pasteur d'Hermas, et à côté des Actes des apôtres, les Actes de Paul.
III. Troisième période. Le Canon des Eglises d'Orient et d'Occident,
quatrième ci cinquième siècles. Des faits constatés jusqu'ici, on peut
déduire une règle générale qui se vérifie toujours et partout: c'est que
le dogme du canon marche du même pas que le dogme de l'Eglise.
L'un fonde l'autre et tous deux tendent à devenir absolus par un progrès
parallèle. Le même mouvement qui poussait l'Eglise à écarter les hé-
résies, à se constituer dans sa hiérarchie et dans son unité, à définir
enfin son infaillibilité, tendait également à expulser du canon les livres
apocryphes, à classer définitivement ceux qui étaient contestés et à
établir enfin le recueil officiel. Un pas décisif, en ce sens, est fait au
quatrième siècle; mais le terme idéal n'est pas encore atteint. Si une
grande centralisation s'opère dans l'Eglise, ce travail n'aboutit pas
encore à l'unité ; il ne réussit qu'à constituer deux grandes Eglises ca-
tholiques, celle d'Orient et celle d'Occident, fort distinctes déjà de tem-
pérament, de tradition et de doctrine. La même diversité se fera
sentir dans la fixation d'un canon scripturaire. On peut même dire
que le dualisme, sur ce point comme sur les autres, a persisté jusqu'à
nos jours. Au commencement du quatrième siècle, nous rencon-
trons tout d'abord le nom d'Eusèbe, évêque de Césarée (f 340).
Doué d'un véritable instinct historique, ce savant théologien en
est sur le canon du Nouveau Testament à peu près au même
point qu'Origène et se trouve dans le même embarras. Comme
ce dernier, il divise les livres qui avaient cours dans l'Eglise en
trois classes : 1° ceux que tout le monde accepte (ôjAoXoyoùjAeva) ;
2° ceux qui sont contestés (avTtA£yç{i,eva) ; 3° ceux qui sont décidément
illégitimes et condamnables (vdOa). Malheureusement, quand on serre
de près les textes d'Eusèbe, on s'aperçoit bien vite que cette classifi-
cation n'a rien d'absolu. Plusieurs écrits sont placés dans deux classes
différentes, comme l'Apocalypse, l'épitre aux Hébreux ou celle de
Clément Romain , preuve évidente que les limites n'avaient rien
d'arrêté. En vain Eusèbe, pour sortir de ces incertitudes, a-t-il scru-
puleusement interrogé tous les écrivains antérieurs; leur témoignage
et la tradition ecclésiastique n'ont fait qu'augmenter son embarras par
leurs divergences et leurs contradictions (Euseb., //. £\, III, 2o ; cf. III,
31; III, 3; II, 23; VI, 13; III, 16; III, 38, etc.). Mais si l'historien
hésite et nous révèle ingénument l'état confus des choses, l 'évêque
était obligé de trancher les difficultés. Les nécessités de L'enseignemenl
pratique, la paix intérieure et L'ordre de l'Eglise contraignaient les
hommes qui la dirigeaient à promulguer pour la masse des fidèles un
598 CANON DU NOUVEAU TESTAMENT
canon arrêté. Ce sont ces mesures ecclésiastiques que nous allons voir
se produire et qui constituent la plus grande partie de l'histoire du
canon à cette époque. Aux recherches des historiens et à la fluctuation
des opinions individuelles succèdent les décisions pratiques des évêques
et des synodes. Eusèbe lui-même fut mis en demeure de se prononcer.
En 332 il reçut de l'empereur Constantin Tordre de lui faire copier
et de lui envoyer à Constantinople cinquante exemplaires des saintes
Ecritures soigneusement écrits sur parchemin. Eusèbe s'acquitta de
cette tâche et envoya les manuscrits qui devinrent le type de ce que
Ton a appelé plus tard le canon byzantin. Quels livres du Nouveau
Testament furent accueillis dans ces exemplaires qui prenaient ipso
facto un caractère officiel et devaient avoir une grande autorité ?
Eusèbe ne le dit pas. Mais, de la coutume postérieure de l'Eglise de
Byzance,on peut conjecturer qu'ils renfermaient tous nos livres actuels
moins l'Apocalypse. Ce canon de Byzance est aussi celui que Cyrille de
Jérusalem (f 386) a déterminé et recommandé officiellement dans ses
catéchèses (Cateçh., IV, 20). Les sept épîtres catholiques y sont placées
avant celles de Paul. Pour les autres livres contestés en usage encore
dans l'Eglise, ils doivent rester en dehors et à un rang secondaire,
Grégoire de rsaziance (-j- 389) a dressé également et mis en vers le
catalogue des écrits sacrés pour servir de direction aux fidèles. L'Apo-
calypse en est exclue. Dans tout le reste, il concorde avec les précé-
dents, sauf que les épîtres de Paul viennent ici avant les épîtres catho-
liques (Carmen, 33). Au nom de Grégoire de Naziance il faut joindre
celui de son ami Amphilochius d'Iconie, à qui l'on attribue une liste
semblable trouvée dans les ïambes à Séleucus, imprimés le plus sou-
vent à la suite des poëmes de Grégoire. La liste est la même, mais
l'auteur éprouve encore le besoin de défendre l'épitre aux Hébreux ;
il hésite sur les quatre petites épîtres catholiques et sur l'Apocalypse.
Plus courageux et plus net est Athanase, patriarche d'Alexandrie
(f 373). Dans un mandement épiscopal de l'an 365, il a voulu séparer
et clore d'une façon définitive le canon du Nouveau Testament. 11 y a
mis tous les livres que nous y lisons aujourd'hui, y compris l'Apoca-
lypse, malgré la défaveur où elle était tombée en Orient, et, à côté de
ce recueil divin, il a réuni comme livres d'édification les autres écrits
dont on se servait et qu'on pouvait lire dans l'Eglise (Epist.festaîù, 39).
Enfin le synode de Laodicée (360), si les Actes de ce concile sont au-
thentiques, se serait aussi occupé de fixer le canon du Nouveau Testa-
ment. Il aurait sanctionné celui de Cyrille de Jérusalem et interdit dans
l'usage ecclésiastique tous livres autres que les canoniques (Canons, o9
et 60). Tels furent en Orient les résultats des prescriptions ecclésiasti-
ques. Les écrits qui devaient rester canoniques étaient bien définitive-
ment séparés des apocryphes, qui étaient relégués à un rang inférieur
et formaient une sorte de canon secondaire. La place de l'Apocalypse
de saint Jean seule restait incertaine, mais l'autorité d' Athanase devait
finir par l'emporter; on trouve cependant des contestations sur ce
point jusqu'au neuvième siècle. Le patriarche Nicéphore (f 828) met-
tait encore l'Apocalypse de Jean hors du canon. L'Eglise de Syrie
CANON DU NOUVEAU TESTAMENT 595
gardait son indépendance à l'égard de ce canon byzantin. L'au-
torité de la Peschito était pour elle décisive. On sait que cette an-
tique version n'avait que les trois grandes ('pitres catholiques et omet-
tait l'Apocalypse. Sans doute saint Ephrem a connu et cité les livres
omis dans la Peschito, mais saint Jean-Chrysostôme et Théodore de
Mopsueste (*j- 1-29) restent fidèles à l'ancienne tradition. La critique de
l'école d'Antioche non-seulement suspectait rApocalypso, mais encore
L'épitre de Jacques et les quatre petites épîtres catholiques. L'ancien
canon de la Peschito s'est maintenu chez les nestoriens, tandis que
l'Eglise d'Arménie a accepté a peu près le canon d'Athanase et que
l'Eglise copte a gardé toujours un certain nombre d'apocryphes à côté
des livres canoniques. L'Eglise d'Occident, qui avait moins de science
et de ressources théologiques que l'Eglise grecque, était peut-être
plus capable que cette dernière de résoudre la question du canon par
des décisions disciplinaires. Les esprits y étaient moins indépendants
et l'administration plus puissante. Constatons d'abord une différence
générale dans la tradition : l'Apocalypse, qui soulevait tant de doutes
en Orient, n'excitait pas la môme répulsion dans les Eglises latines ;
par contre l'épitre aux Hébreux, ajoutée au recueil grec au commen-
cement du troisième siècle, était difficilement acceptée en Italie, en
Afrique et en Gaule. Le volume des épîtres de Paul était clos depuis
longtemps et il paraissait difficile d'y introduire une nouvelle lettre.
anonyme (Jérôme, in haï, 3, G; in Mullh., 26" ; Calai., 51); cf. in
Zach., c. 8, etc.). Cependant, de même que l'Apocalypse triompha en
Orient par l'autorité d'Athanase, l'épitre aux Hébreux finit par se faire
admettre en Occident, grâce à l'exemple des Eglises grecques et à l'au-
torité de saint Augustin. Saint Jérôme (f 420), le plus savant des Pères
de l'Eglise latine, prend ici une place analogue à celle u'Eusèbe en
Orient. Il n'ignore pas les incertitudes qui planent sur l'Apocalypse et
sur l'épitre aux Hébreux. Il rapporte que plusieurs ne jugeaient pas
l'épitre à Philémon digne de trouver place dans le canon des Ecritures
saintes. Il y reçoit bien les sept épitres catholiques, mais la seconde de
Pierre lui parait douteuse et il attribue les deux dernières de Jean au
presbytre d'Ephèse. Mais enfin il s'arrête à la tradition dominante de
son temps et arrive à dresser un catalogue concordant avec celui d'A-
thanase, sauf à placer les Actes des apôtres et les épitres catholiques
après les lettres de Paul (Mpist. Il, ad Paulinum). Saint Augustin,
moins savant que Jérôme, a eu beaucoup moins d'hésitation. Le besoin
d'en finir avec ces incertitudes, l'intérêt de la théorie dogmatique, le
souci de la discipline [et de l'unité étaient chez lui bien plus impérieux.
S'il prouve en maint endroit qu'il n'ignore pas l'état historique des
questions, il exprime avec plus de force encore la nécessité de donner
à l'Eglise chrétienne une règle précise. Il comptera donc simplement
les témoignages et dans les cas douteux tiendra pour certain l'avis du
plus grand nombre et l^ fera sanctionner par les synodes, (l'est ainsi
qu'en l'an ->lX\ le concile d'Ilippone, dont les actes ont été peut-être
remaniés, el en tous cas celui de Cartilage, tenu quatre ans plus tard
sous L'influence directe d'Augustin, décidèrent qu'on ne lirait dans le
«00 CANON DU NOUVEAU TESTAMENT
culte sous le nom d'Ecritures divines que les livres canoniques. Lne
liste de ces livres fut jointe à ce décret contenant les quatre évangiles,
les Actes, treize épitres de Paul, une quatorzième aux Hébreux, deux
de Pierre, trois de Jean, une de Jacques, une de Jude et V Apocalypse.
Enfin on décidait que l'Eglise de Rome serait consultée sur ce cata-
logue. Les Africains n'étaient pas les seuls à demander qu'on sortit
d'une situation confuse. Un peu plus tard, l'un des plus grands .
évoques de la Gaule, Exupère de Toulouse, s'adressait au pape pour
avoir sa décision. Après s'être fait beaucoup prier, l'évêque de Rome
Innocent Ier (405) envoya une liste qui s'accordait avec celle de Car-
tilage, mais en modifiant la série des livres. Le même état de choses
est constaté par le fameux décret De librù recipiendis et nonrecipiendis,
qui porte dans sa triple forme les noms des trois papes Damase (-j- 384),
Gélase (f 496) et Hormisdas (f 523). Le canon de l'Eglise Occidentale
se trouve ainsi lixé en harmonie avec celui d'Athanase, mais avec ces
deux différences que les épitres de Paul y sont placées avant les épi-
tres catholiques, et les Actes des apôtres après les épitres de Paul ;
d'ailleurs l'ordre des livres a varié encore durant tout le moyen âge.
Les plus anciens manuscrits du Nouveau Testament qui nous soient
parvenus datent de cette période, et portent la trace des incertitudes
(jui régnaient encore. Le Cortex Sinaïticus nous offre les livres cano-
niques dans l'ordre suivant : 1° les quatre évangiles; 2° les épitres de
Paul, les Hébreux intercalés entre les épitres aux Eglises et les épitres
à Timothée, Tite et Philémon ; 3° les Actes des apôtres et enfin les
épitres catholiques avec l'Apocalypse de Jean; mais nous y trouvons
encore l'épitre de Barnabas, le Pasteur d'Hermas, et peut-être les
feuilles qui manquent contenaient-elles l'Apocalypse de Pierre. VA-
lexandrinus reproduit exactement le catalogue d'Athanase en y ajoutant
les deux lettres de Clément. Le Vatîcanus, autant que nous en pouvons
juger par l'état incomplet du manuscrit, suivait le même ordre et
contenait les mêmes livres ; le Claromontanus, codex des épitres de
Paul, n'a pas l'épitre aux Hébreux; il ne la mentionne qu'après la
slichométrie latine et comme un appendice. Bien qu'en général on
fasse remonter à cette période la fixation du canon du Nouveau Testa-
ment, il ne saurait donc être question, même alors, d'une décision
œcuménique et absoluequi aurait mis fin à tout doute et àtoute variation
postérieure. Si l'on voit se dégager dès à présent, en Orient et en Occi-
dent, le canon biblique tel qu'il est resté dans la suite, ce ne fut le
résultat ni de la recherche scientifique, ni même d'une théorie dogma-
tique logiquement appliquée, mais simplement l'effet général de la
tradition et des mesures disciplinaires prises par les principaux évê-
ques et quelques conciles. Encore ne faut-il pas oublier qu'il n'y eut
eut pas décision unique et que le dogme du canon, établi dans son
centre, n'était pas défini dans ses limites. 11 reste flottant en Orient et
en Occident à travers tout le moyen âge. Cassiodore (f 562), dans un
Traité sur les saintes Ecritures écrit pour l'éducation de ses moines
du couvent de Viviers, donne trois catalogues différents des livres
saints également adoptés, selon lui, dans l'Eglise, et, trait caractéris-
CANON i)V NOUVEAU TESTAMENT 00<L
tique, ne prend pas la peine d'expliquer ou d'aplanir les divergences.
Le concile de Constantinople (692) s'occupa implicitement du canon
biblique en rappelant les autorités en cette matière, parmi lesquelles il
énumèro les canons dits apostoliques, les synodes de Laodicée et de
Carthage, les Pères de l'Eglise, Athanase et Amphilochius, sans paraître
se douter des différences on des contradictions qui les séparent. Le
moine égyptien Cosmas (ndopleuste (535) repoussait non-seulement
l'Apocalypse, mais encore les sept épitres catholiques comme d'origine
douteuse. Anastase, dit le Si n aï te, rejetait encore l'Apocalypse; Jean
Damascène vToï) l'acceptait, mais avec elle les canons apostoliques et
peut-être les deux, épitres de Clément Romain. Un demi-siècle plu^
tard, Nicéphore de Constantinople insérait dans s'a Chronograp/tie uu
catalogue du Nouveau Testament ne comprenant que vingt-six livres
d'Apocalypse en moins), plus un appendice formé d'un assez grand
nombre d'antilégomènes. En Occident, le Vulgate, qui devient la tra-
duction généralement usitée, faisait loi dans l'Eglise. Cependant on
retrouve des traces assez nombreuses des anciens doutes sur l'origine
pauliniennede répitre aux Hébreux, qui persistent pour reparaître avec
force au seizième siècle dans les écrits d'Erasme et du cardinal Cajétan.
La place de cette épitre dans le canon reste incertaine dans les ma-
nuscrits ; tantôt on la trouve après les grandes épitres de Paul, tantôt
après les épitres dites pastorales; quelquefois elle est absente. En re-.
vanche, le moyen âge latin a connu et accepté une quinzième épitre
de Paul, aux Laodicéens, qui était placée tantôt après l'épitre aux Ga-
lates, tantôt après l'épitre à Philémon (voy. Reuss, Histoire du Canon
des saintes Ecritures, p. 271). En 1439, à l'occasion du concile de
Florence, le pape Eugène IV publia une bulle relative au canon,
laquelle peut être considérée comme le premier acte solennel de
ce genre émané du saint-siége. Cette bulle, à la vérité, ne fait
point partie des actes du Concile, aussi plus tard a-t-on pu ew
contester l'autorité. En réalité, une assez grande liberté régnait
encore sur la question du canon. L'Eglise catholique, dont l'en-
seignement reposait bien plus sur l'autorité de la tradition dogma-
tique que sur celle des livres, n'avait pas encore un grand intérêt et
n'éprouvait pas un vif besoin de la trancher. Ce ne fut que plus tard,
dans les discussions soulevées par les réformateurs, qu'elle fut obligée
de la résoudre nettement et d'autorité. Le concile de Trente (1545) mit
lin à tous les débats en rétablissant l'égalité parfaite des vingt-sept
livres du Nouveau Testament, en les classant dans l'ordre qu'ils ont
encore et en élevant l'autorité de la Vulgate au niveau de celle des
textes originaux. Ce n'est qu'à ce moment qu'il peut être question
d'une clôture officielle et définitive du canon, du moins pour l'Occi-
dent. L'Eglise grecque n'y arriva qu'un peu plus tard et de la même ma-
nière, au synode de Jérusalem (li>72), dont les conclusions concordent
avec celles du concile de Trente. Mais, au moment mêmeoù les autorité s
officielles fermaient la question du recueil canonique avec force ana-
thèmes contre les récalcitrants, la Réforme protestante d'abord et Ij
critique historique ensuite qui en est issue, allaient la rouvrir.
■603 CANON DU NOUVEAU TESTAMENT
IV. Quatrième PÉRIODE. Histoire critiqua du canon du Monceau Testa-
ment. La Réforme a eu pour les destinées du canon biblique deux con-
séquences à peu près contraires. D'abord, comme elle en a fait la source
et la règle unique de la vérité, elle a eu pour effet de donner au dogme
théologique du canon une importance beaucoup plus grande; elle en a
consacré l'autorité souveraine par la théorie de la théopneustie abso-
lue, et Ta, pourainsi parler, divinisé. Mais, d'un autre côté, en l'oppo-
sant d'une façon absolue à l'Eglise et à la tradition, elle lui a enlevé sa
base historique et séculaire eta ouvert la porte aux appréciations subjec-
tives et à la critique. Plus les réformateurs exaltaient le rôle et l'auto-
rité des écrits sacrés, plus il était nécessaire de savoir quels étaient ces
écrits et de les distinguer de ceux qui ne peuvent prétendre à ce haut
caractère. A quel critère les reconnaîtra-t-on ? Faudra-t-il sur ce point
capital s'en remettre à l'autorité de l'Eglise ou de la tradition qu'on
récuse en tout le reste? Ni Luther, ni Zwingle, ni Calvin n'ont voulu
y consentir, et sur ce point les témoignages des Pères cle la Réforme sont
unanimes. La confession de foi helvétique même regarde comme un
blasphème cle dire que l'Ecriture, pour avoir son autorité, a besoin
d'être garantie par l'Eglise (Calvin, Inst. Christ., liv. I, ch. 7; Zwingle,
Opéra, édit. Scli., p. 195; Conf. Helvetica prior, art. 1, etc.). Dès lors
il fallut chercher un autre critère aux livres canoniques. Calvin l'a
trouvé dans le témoignage intérieur du Saint-Esprit ; Luther, dans la
doctrine essentielle de la justification par la foi, mesure à laquelle il
faut juger tous les livres. Ce critère interne ou dogmatique n'a rien
d'absolu et laisse une assez grande liberté dont les réformateurs usent
sans scrupule. A ce premier moment les termes de Parole de Dieu et
d'Ecriture étaient loin de coïncider entièrement. On sait comment
Luther s'exprime sur les épitres de Jacques ; il a condamné
l'Apocalypse (Vorrede auf das JSf. T., 1522). Zwingle a rejeté égale-
ment ce dernier livre et Calvin conteste assez nettement que l'épitre
aux Hébreux soit de Paul ou que la seconde de Pierre soit authentique,
il semble que les Eglises réformées dussent, sur ce nouveau principe,
dresser un nouveau recueil canonique. Cependant il n'en a rien été.
Quelques confessions de foi, comme celle de La Rochelle, donnent bien
une énumération précise des livres sacrés ; mais, pour le Nouveau
Testament du moins, elle concorde avec celle du concile de Trente.
La plupart des autres Eglises acceptent ouvertement et simplement les
écrits canoniques reçus jusqu'à elles dans la chrétienté. Le principe
posé par les réformateurs était trop révolutionnaire ; il parut dange-
reux et on le mitigea bientôt en faisant une place à côté de lui au prin-
cipe contraire de l'autorité de la tradition (Gallicana confessio, art. ÏV ;
Anglicana conf., art. VI; Belgica conf., art. IV). La question du canon
n'a pas eu dans l'Eglise luthérienne la gravité critique qu'elle a prise
dans les Eglises calvinistes. Plus l'autorité de l'Ecriture était pour
celles-ci le fondement unique et exclusif de leur foi et de leur piété,
plus il importait de l'assurer contre les entreprises de la critique indivi-
duelle. Le principe conservateur l'emporta sur le principe révolution-
naire de Calvin. A la fin du seizième et au dix-septième siècle, les
CANON DU NOUVEAU TESTAMENT 608
théologiens réformés parlent bien encore de L'autorité directe de l'Ecri-
tureet du témoignage intérieur du Saint-Esprit, au moins dans leurs
controverses avec les catholiques; mais d'un coté les confessions de
foi, et de L'autre le dogme de L'inspiration littérale qui alla jusqu'à
diviniser les points-voyelles du texte hébreu (Consensus helveticus,
L675) rendaient L'application de ce principe tout à l'ait illusoire. Cepen-
dant il n'en restait pas moins là, au centre même de la théologie
des Eglises protestantes, une contradiction interne que les exagéra-
tions d'une orthodoxie logique et abstraite rendaient chaque jour
pins intolérable et qui devait donner naissance à une critique plus
libre. On la voit poindre chez Hugo Grotius et les théologiens de
Saumur. Mais c'est à un théologien catholique, à Richard Simon
(-;- 171:2). que revient l'honneur d'avoir inauguré la véritable science
critique des écrits sacrés par son Histoire critique du Vieux Testa-
ment, son Histoire critique du texte du Nouveau Testament et
celle des Versions du Nouveau Testament. L'Eglise catholique, dont
l'enseignement dogmatique n'est pas exclusivement fondé sur l'Ecri-
ture, remblait d'abord laisser plus de liberté au savant oratorien
qui essayait d'ailleurs de se faire pardonner ses recherches historiques
en les tournant contre le principe protestant. Mais elle entrevit bientôt
la portée et les conséquences générales de cette critique ; elle la con-
damna, et Richard Simon n'eut pas de successeur. C'est en Allemagne
que ses travaux, vulgarisés et continués par Jean-Salomon Semler
(f 1791), créèrent le grand mouvement de critique historique delà
théologie moderne. Pour Semler, le canon ne fut plus qu'un catalogue
de livres dont l'histoire seule était chargée d'expliquer la formation et
_ine. En même temps le dogme de l'inspiration, sous l'action du
rationalisme du dix-huitième siècle, se dissolvait et se transformait.
La question du canon biblique, en descendant de la sphère dogmatique
sur le terrain de l'histoire où désormais elle s'est trouvée posée et dis-
cutée, se résolvait en une série fort longue de questions particulières.
D'abord, pour chacun des livres du Nouveau Testament, se posaient di-
verses questions d'authenticité, de valeur et de signification. Ensuite
venait l'histoire du recueil tout entier avec celle des causes qui l'avaient
produit et des fluctuations de l'ancienne Eglise. Dans l'enseignement
théologique, VIsagogique ou V Introduction critique aux livres sacrés
ut nue place considérable avec deux parties plus ou moins dis-
tincte : introduction critique à chaque livre et introduction critique
au canon tout entier. Michaëlis écrivit la première Introduction
littéraire et historique complète; aux écrits du .Nouveau Testament,
dont la première édition (Gœttingue, L750) n'était qu'un volume de
B36 pages, et dont La dernière (1788) en comptait quatre d'égale
grosseur. Puis vinrent, avec des points de vue divers, les Fntro~
ions critiques d'Ëichorn (1804), de Hug (1808), de Bertholdt
1812-1819 . de de Wette (1817). Schleiermacher, dans son petit écrit
intitulé Kurze Darstellung des tàeoL Stud. (§ 25) et dans ses Leçons
iur V Introduction au Nouveau Testament publiées après sa mort, es-
saya de marquer dans l'organisme des sciences théologiques la place
604 CANON DU NOUVEAU TESTAMENT
de Y hagrgique ou de la science du canon, et de définir la tâche qu'elle
avait à remplir. Il ne s'agit plus de constituer une autorité indiscuta-
ble où la dogmatique pourra puiser ses théorèmes; il s'agit d'appren-
dre à connaître l'origine et la valeur des documents qui nous restent
de l'époque primitive, créatrice et normative du christianisme. V In-
troduction critique dès lors a pour but de placer le lecteur actuel des
écrits sacrés dans la position même de ceux à qui ces écrits étaient
adressés et qui les lisaient pour la première fois. Pour la dogmatique
moderne, le canon biblique n'est plus l'organe absolu de la vérité,
mais seulement le moyen de la connaître. Certains critiques, comme Gue-
ricke (1828 et 1854), Thiersch (1845) en Allemagne, Gaussen en France,
essayèrent bien de faire revivre l'ancien dogme et de défendre la
pleine authenticité et la théopneustie absolue du Nouveau Testament.
Leurs écrits, qui ne sont point sans mérite, n'ont pu arrêter l'évolution
de la critique sacrée qui tend de plus en plus à n'être qu'une critique
historique. Les travaux de Baur et de l'école de Tubingue ont pris ici
une importance capitale. Baur a rompu le lien de la gerbe sacrée et il en
a disséminé les éléments dans le développement ecclésiastique et dog-
matique des deux premiers siècles dont ils ont été les principaux facteurs
et dont ils restent les documents, Dès ce moment Y Introduction critique
aux livres du Nouveau Testament s'est transformée une fois de plus
et elle est devenue l'histoire même de ces écrits. Cette transformation
apparaît complète déjà clans l'ouvrage de M. Reuss, dont le titre à lui
seul était tout un programme :Die Geschichte der h. Schriften des A7. T.
(1842), qui s'est imposé depuis lors, comme forme du moins, à la
science. Raconter l'origine et les destinées variables de chacun des
livres du Nouveau Testament, puis celles du recueil tout entier; faire
l'histoire de son texte, soit dans les langues originales, soit dans les
versions par lesquelles il est passé, et enfin celle de sa propagation
dans le monde et des interprétations auxquelles il a donné lieu : voilà
la tâche de cette science particulière, tâche aujourd'hui bien près
d'être remplie. — Littérature générale. Les sources de la science cri-
tique du Nouveau Testament se trouvent dans les écrits des Pères des
cinq premiers siècles. On a fait plusieurs compilations des pas-
sages qui ont trait à l'histoire du canon ou à l'explication du
texte Augusti, Chrestomathia patristica, ad usum eorum qui historiam
christianam accuratius discere cupiunt, Lips., 1812 2 vol. ; J. Royards,
Chrestomathia patristica, Traj., 1831, pars I; J.-C. Orelli, Selecta Pa-
trum Eccles. capita, ad exegesin sacrant pertinentia, Tur., 1820-24 : Lard-
ner, Credibility of tke gospel History, 1764-67, 4 vol. ; Joli. Kirchhofer,
Quellensammlung zur Geschichte des N. T. Canons, Zurich, 1844.
Dans ses commencements, Y Isagogique ne s'occupe guère que des
règles d'interprétation et n'est que de l'herméneutique. Tels sont les
premiers écrits en ce genre qui nous sont parvenus : Adrianus (cin-
quième ou sixième siècle) , Isagoge sacrarum litterarum, et antiquissimo-
rum Grxcorum in prophetas fragmenta; Oper. Dav. Hœschelii ex ma-
nusci^ptis codicibus édita, Aug. Vind., 1602; M. Tychonius, Liber
regularum VII ad investigandam et inveniendam S. Scripturam ; Cas-
CANON DU NOUVEAU TESTAMENT 005
siodorus (560), De Institution?, divinarum litterarum, Paris, 1600; Eu-
cherius (de Lyon), De formulis spiritualis inteUigentix liber ad Vera-
nium; Junilius (d'Afrique, sixième siècle), De partibus divinse fegis
libri duo ad Primasium episcop., apud Gallandii, Bibl. PP.; Isidore
de Séville, Liber (ivoirin, in V. et X. T. iniiiationis; Raban-Maur,
De institutions clericorum; Hainion, évêque de Hàlberstadt (853), Histo-
ria sacra; etc. En général, pour l'histoire de la Bible au moyeu âge,
voir : Ed. Reuss, Fragments littéraires et critiques sur l'histoire
de la Bible française, dans la Revue de Théol. de Strasbourg, lre série.
11 suffit de rappeler ici : Nicolas de Lyra, Postillœ perpe&uœ s. commen-
tariu lireria in universà biblia; Santés Pagninus, Isagoge ad sacras litteras,
Lugd., 1536; A.-B. Carlstadt, De canonicis scripturis libellas, Wittenb.,
1520, réédité par Credner, Zur Geschichle des Canons, p. 291 s?.;
Sixtus de Sienne, dominicain, Ribliotheca sancta, Yenet., J5CC; André
Rivet, Isagoge s. lntroductio generalis ad SS. V. etN. T., Lugd. Batav.,
1027; .1. de La Haye, Prolegomena in V. et N. T., dans sa. Bib lia maxima,
1660; Michel Walther, Officina biblica noviter adaperta, Lips., 1636;
Heidegger, Enchiridion biblicum, Tiguri, 1681; B. Lamy, Apparatus bi-
blicus, Lugd., 1696; Ellies du Pin, Xouv. Biblioth. des auteurs ecclésias-
tiques, dissertation préliminaire, Paris, 1693 ; Rich. Simon, Histoire criti-
que du texte du X. T., Paris, 1689; Histoire critique des versions du X.
T., ibid,, 1690; Histoire critique des principaux commentateurs du N.
T.. 1693. Nouvelles observations sur le texte et les versions du Nouveau
Testament, 1695; Disquisitiones critic<r, Lond., 1684, et plusieurs autres
traités de controverse ; J. Leclerc, Sentiments de quelques théolog. de
Hollande (contre R. Simon), Amsterdam, 1685; Historia Ecclesiœ duorum
primorum sxculor., Amstelod., 1716 ; DomCalmet, Comment, littéralsur
la Bible, Paris, 1707-24; A. Calovius, Criticus sacer Biblicus, Vit., 1673 ;
A. Pfeiffer, Ci itica sacra, Lugd., 1680; Brian Walton, Appaiatus bibli-
cus chronologico-topographico-philologicus, appendice à la Polyglotte de
Londres, imprimé à part à Zurich, 1673 ; Semler, Abhandlungen von
freier Untersuchung des Canons, Halle, 1771 ; J.-D. Michaëlis, Einleitung
in die gœttliclien Schriften des X. T., Gœttingue, 1750; 4e éd., 1788;
traduit en fr. par Chenevière, Genève, 1822; H.-C.-A. Hœnlcin, Hand-
buch der Einleitung in die Schriften des N. T., Erl., 1794; J.-E.-Ch.
Schmidt, Historisch-kritische Einleitung ins N. /'. ; J.-G. Eichhorn,
Einleitung ins N. T., Gœtt., 1804; L. Bertholdt, Einleitung in die
sœmmtlichen kanon. und opocr. Schriftendes A. und N. T. 1812, 1819;
H. -A. Schott, Isagoge historico-cr itica in libros X. T., 1830; de Wette,
Lehrbuch der hist. krit, Einleitung in die liibel A, undN. T., lre édit.,
1<S17: 7 édit., 1852; Schleiermacher, Einleitung ins X. T., aus Nach-
lasse, 1845; J.-L. Hug, Einleitung in die Schriften des X. T., 1808
et 1826; J.-M.-A. Scholz, Einleitung in dieheil. Schriften des A. und X.
T., 1845; J.-B. Glaire, Introduction hist. et rrit. aux Unes de l'A. <•! du.
X. T.. Paris, 1843; \\ . Steiger, Introduction générale aux livres du Y.
T., Genève, 1837, édit. par A. Bost ; J.-E. Cellerier. Essai (l'une Inlrc-
duction critique au N. T., Genève, 1823 ; ft.-E.-F. Guerike, lltstor.
krilische Einleitung in dos X. T., 1843; K.-A. Credner, Einleitung in
600 CANON — CANONISATION
das N. T., 1836; Zur Geschichte des Canons, 1847; Geschichte des N.
T. Canons, her.ggben. von Yolkmar, 1800; Ed. Reuss, Die Geschichte
der heil. Schriften N. T., lre édit., 1842; 4e édit., 1864; Histoire du
Canon des saintes Ecritures, Strasb., 1864 ; Gaussen,Ze Canon des saintes
Ecritures, Lausanne, 1860 ; Théopneustie ou inspiration plénière des
saintes Ecritures, 2e édit., Paris, 1842 ; F. Bloek, Einleitung in das N. T.,
1862; A. Maier, Einleitung in die Schriften des N. T., Freiburg, 1852;
F. Reithmayer, Einleitung in die kan. Bûcher des N. T., Regensb.,
1852; Schneckenburger, Beitrœge zur Einleitung ins N. T., 1832;
H, Olsbausen , Nachweis dersEchtheit der sœmmtlichen Schriften desN. T. ,
1832; C.-G. Neudecker, Lehrbuch der hist. krit. Einleit. in das N. T.,
Leipz., 1840; Michel Nicolas, Etudes critiques sur la Bible. Nouveau
Testament, Paris, 1863 ; S. Davidson, An Introduction to the study of
the JS. T. critical, exegetical and theological, London, 1868; Ed. Reuss,
La Bible, traduction nouvelle avec introductions et commentaires,
Paris, 1874 ss. Voir enfin, pour une bibliographie plus complète :
WÎDer, Uandbuch der theologischen Litteratur, 2 vol., 3e édit., Leipzig,
1838. . A. Sabatiek.
CANONICAT. Voyez Chanoines.
CANONISATION. Ce mot signifie proprement insérer clans le canon àt
la messe, c'est-à-dire, selon l'étymologie du mot, dans la partie de la
liturgie qu'il est de règle invariable (xavcov) de prononcer textuelle-
ment toute Tannée, et qui renferme, outre ce que Ton appelle la Mé-
moire des vivants et la Mémoire des morts, en faveur de qui Ton inter-
cède, rénumération des saints et des esprits glorifiés aux mérites et
aux prières desquels le prêtre recommande les fidèles. On sait que cha-
que Eglise honore plus particulièrement tel saint ou tel patron ; d'où il
suit qu'outre les intercesseurs revendiqués par toutes les Eglises, comme
la Vierge, les archanges et les apôtres, chaque congrégation peut avoir sa
liste préférée de saints invoqués au canon. 11 arriva plus d'une fois
dans les anciens âges que de la Mémoire des morts, un nom passât au
catalogue voisin, surtout quand il s'agissait de quelque puissant protec-
teur d'une Eglise particulière. C'est ainsi que les premières dynasties
françaises et les évêques de leur temps comptèrent tant de saints, et
que, de tous les saints vénérés en Bretagne, à peine deux ou trois ont
une canonisation plus authentique que cette ancienne coutume d'in-
sérer un nom au canon, sans autre formalité que le bon vouloir d'un
évoque et parfois même d'un simple officiant. Les archevêques métro-
politains et les primats exercèrent longtemps ce droit sans conteste. La
première canonisation prononcée par un pape est celle d'un saint
Suvlbert, par Léon III, en 804, ou, selon d'autres, celle de saint Uldric,
évêque d' Augsbourg, par Jean XV, en 983 ; mais ce ne fut que longtemps
après que ce droit fut réservé exclusivement au saint-siége. Alexan-
dre III (1159-1181), insistant sur ce que nul ne peut être vénéré comme
saint sans l'autorité de l'Eglise romaine, se plaignait amèrement de ce
que quelques-uns rendaient un culte à un homme qui avait été tué dans
l'ivresse, ce qui montre que J'abus était loin d'être anéanti. Pendant
longtemps les papes prononcèrent les canonisations dans les conciles
CANONISATION — CANONS 607
ou dans des assemblées distinctes des réunions pour le service divin :
depuis celle de Thomas Beckel (1172), ils le liront en lisant le canon de la
messe. 11 si' tonna peu à peu sur ce sujet un cérémonial extrêmement
compliqué, rédigé dès 1348 et imprimé sons Léon X. Le cardinal Lam-
bertini, depuis Benoit XIV. a donné tous les détails de la procédure et
des rites qui préparent la canonisation dans son ouvrage intitulé: De
beatificatione servorum Dei, et canonizatione beatorum. La canonisation
est pour ainsi dire le troisième et dernier degré (Tune série d'honneurs
rendus à la mémoire d'un saint personnage. Le premier est de le dé-
clarer vénérable^ après quoi Ton ne peut plus douter qu'il ne soit ait
nombre des élus, et le second est de le déclarer bienheureux. La
béatification autorise déjà à lui rendre un culte religieux, et la canonisa-
tion la complète à un intervalle plus ou inoins éloigné. Les canonistes
deLEgUse romaine ne doutent pas que ces diverses procédures ne soient
entourées de toutes les garanties désirables pour ne canoniser qu'à bon
escient. 11 est à regretter que le respect des droits acquis n'ait pas
permis de réviser les titres antérieurs à ces minutieux règlements, les
précautions actuelles ne supprimant pas l'effet toujours subsistant des
nombreux abus du passé. P. Rouffet.
CANONS APOSTOLIQUES. Ce nom est traditionnellement donné à un re-
cueil de lois ou de règles formant une espèce de code disciplinaire
destiné à régler le choix, l'institution, les fonctions et la vie du clergé,
de l'ancienne Eglise. Les laïques n'y figurent que tout à fait subsidiai-
rement. La simple lecture suffit pour montrer que cette collection ne doit
son origine qu'au hasard, pour ainsi dire. Il serait difficile d'y recon-
naîtreun ensemble méthodique ou systématique, et surtout quelque peu
complet, de préceptes sur la matière. Nés du besoin du moment, ces
articles doivent avoir été rédigés à des époques très-différentes et sous
des conditions très-diverses. On y voit que l'organisation de l'Eglise est
déjà une chose accomplie; ce n'est pas là ce dont ils s'occupent, leur
but est plutôt de l'affermir et de îa garantir contre certains désordres
provenant des abus ou des vices des hommes. On y voit une société
religieuse qui est moins dans le cas de se défendre contre un ennemi
du dehors, que contre les dangers et les dérèglements qui surgissent
dans son propre sein et au milieu des membres du clergé même. On
y voit la hiérarchie déjà développée à tous ses degrés, depuis le métro-
politain, l'évêque, le presbytre et le diacre jusqu'aux ordres inférieurs
• le- sous-diacres, des chantres et des lecteurs. Les points principaux qui
tout l'objet de ces dispositions sont : la consécration des éveques et
des clercs, les conditions de leur élection et les irrégularités qui em-
pêchent leur admission ; le maintien de la discipline et la répression
vices parmi les membres du clergé; le mariage <\e> prêtres et le
célibat; les formes judiciaires à suivre à leur égard; l'excommunica-
tion -. les biens de l'Eglise et leur administration ; la réunion des synodes :
•app irts avec l'autorité séculière; les hérétiques : les pénitents ; les
objets du culte ; l'administration du baptême ; les oblations; les jeûnes :
l'époque de la fête de Pâques; le canon de la Bible; les pseudépigra-
phes et les livrer défendus. — Primitivement ces canons formaient un
608 CANONS — CANOVA
appendice du huitième livre des Constitutions apostoliques (voy. cet
article). Ils étaient originairement au nombre de 50. Dans les éditions
ordinaires on en trouve 85. Mais les 35 derniers canons ne sont qu'une
addition postérieure, et l'Eglise d'Occident ne les a jamais reconnus
comme authentiques. Le nom de canons apostoliques indique suffi-
samment que dans les premiers temps où ces règlements vinrent à être
connus dans l'Eglise, l'opinion reçue les faisait remonter aux apôtres.
Mais la divergence qui se manifesta dès le commencement entre l'Eglise
d'Occident et l'Eglise d'Orient sur l'authenticité d'une partie du re-
cueil, montre que l'on n'était pas bien fixé sur l'origine de ces articles
en général. Aussi, en 494, un concile romain sous Gélase déclara apo-
cryphe tout le livre désigné sous le nom du Droit apostolique, sans
qu'on sache quelles furent les raisons qui amenèrent cette décision, qui
cependant n'empêcha pas Denys le Petit de traduire en latin les 50 pre-
miers canons comme authentiques. Ce recueil devint ainsi le premier
fondement du droit et de la législation canonique de l'Eglise romaine.
L'Eglise d'Orient de son côté accorda une entière autorité aux 85 ca-
nons qui peu à peu avaient été réunissons le nom des apôtres. Le con-
cile du Trullus, que Justinien II convoqua en 692 et qui prit son nom
de la salle du palais impérial de Byzance où il s'assembla, sanctionna
solennellement cette tradition de l'origine et de l'autorité apostolique
de ces 85 canons. Le savant ministre de Gharenton, Jean Daillé, fut le
premier à soutenir! 'inauthenticité des canons apostoliques, forgés selon
lui par un faussaire du cinquième siècle. Beveridge chercha à prouver
qu'ils étaient sortis des décisions des synodes du deuxième et du
troisième siècle, et que dès cette époque ils furent réunis en un
code destiné à servir de règlement disciplinaire commun aux Eglises
d'alors. Mais il est établi aujourd'hui qu'il n'existe pas de trace cer-
taine de l'existence de la collection, antérieurement au décret du pape
Gélase en 494. Quelques-uns de ces canons peuvent remonter plus haut,
mais il est sur que la plupart n'appartiennent qu'à des synodes du
quatrième siècle. — Voyez: Eichhorn, Grundsxtze des Kirchenrechts,
1831, I, p. 63; Bickell, Gesck. des Kirchenrechts, Giessen , 1843, p. 5;
Krabbe, Diss. de codice canonum qui Apostj/or. nomine circumferuntur ,
Gott., 1829; Richter, Lehrb. des A'irchewechts, von Dove, Leipz., 1867,
p. 50; Drey, Neue Unters. ûh die Conslitut. u. Kanones der Ap., Tub.,
1832. Le texte fut publié entre autres par Cotelier, Patrum quitemporîb.
Apost. floruer. Opéra, Amst., 1724, I; Bruns, Canones Ap. et ConciL, 1,
Berol., 1839; Lagarde, Reliquias ; Pitra, Juris eccl. Grœcor. hist. et
monum., Rom., 1864, I. E. Cunitz.
CANONS DE L'ÉGLISE. Voyez Décrétâtes.
CANOVA (Antoine) [175.-1822], sculpteur vénitien, sut allier avec
bonheur l'imitation de la nature avec les beautés empruntées à l'art
antique. 11 purifia la sculpture du sentimentalisme affecté et prétentieux
dans lequel elle était tombée au dix-huitième siècle. Canova a traité de
préférence des sujets pris dans la mythologie grecque. Sa Madeleine,
n'étaient les emblèmes chrétiens dont elle est entourée, rentre dans la
même catégorie. Il excellait à reproduire dans le marbre l'élégance,
CAXOVA - CANTIQUE DES CANTIQUES G09
le poli et le moelleux des formes féminines. Les figures décoratives
du mausolée «le Clément XIII, dans la basilique <le Saint-Pierre, el
de celui de Clément V/I , dans L'église des Saints- Apôtres, manquent de
vigueur. La statue de Washington qu'il lit pour le sénat de la Caroline,
comme ses Gladiateurs romains et sou Persée, dans le musée du Vati-
can, a quelque chose de théâtral. Canova vivait à Rome depuis 1771),
L'ami el l'hôte des papes. Bonaparte l'appela plusieurs t'ois à Paris et
L'Institut le nomma membre associé. — Voyez sa Biograpliie par le
comte de Cicognara, Venise, 182o, et l'ouvrage de Quatremère de Quincy.
Histoire di' la vie et des ouvrages de Canova, Paris, 182'a-35.
CANSTEIN (Charles-Hildebrand, baron de) [1007-1719], disciple zélé
de Spener, descendait d'une des plus anciennes familles nobles de la
.Marche brandebourgeoise. Après avoir étudié le droit à Francfort-sur-
l'Oder et essayé de la vie de la cour et de l'armée, il se retira dans la
vie privée pour se vouer exclusivement à la propagation de la Bible,
dont le piétisme venait de remettre la lecture en honneur. Intimement
lié avec Francke, qui appréciait sa piété profonde et ses connaissances
solides, Canstein fonda à Halle en 1710 un Etablissement biblique des-
tiné à répandre les saintes Ecritures à bas prix parmi le peuple.
Les fonds furent réunis au moyen de souscriptions et les frais dimi-
nués par l'usage de caractères stéréotypes. La première édition du
Nouveau Testament (texte de Luther révisé avec soin), in-12, parut,
en 1712, et fut suivie, du vivant seul de Canstein, de vingt-sept autres,
s'élevant ensemble à 100,000 exemplaires. La Bible complète, im-
primée à la fois dans le petit format in-12 et dans le grand in-8% eut,
dans le même intervalle , seize éditions et 40,000 exemplaires. A la
mort de Canstein, son établissement biblique, tout en conservant le
nom de son fondateur, fut réuni aux autres branches des fondations
pieuses de Halle, et augmenté d'une imprimerie et d'un dépôt spécial.
Aujourd'hui il fournit plus de 50,000 exemplaires par an. Outre la Bible
allemande, on imprime à Halle des traductions en langue bohémienne
et polonaise. Canstein a publié aussi une Harmonie et Commentaire des
quatre Evangiles, 1718,; 2e édit., 1727, in-fol. — Voyez : Francke,
Memoria Cansteiniana, 1722; Lange, Biogr. Canstein s, dans l'édition
publiée par lui en 1740 d'une biographie de Spener par Canstein; Nie-
meyer, Gesch. der Canst. Bibelanstalt seit tarer Grûndung bis auf diet
gegenw. Zeit, Halle, 1827 ; Bertram, Gesch. der Canst. Bibelanstalt,
Halle, 1863 ; Herzog, Ucal-Encykl, 11.
CANTIQUE DES CANTIQUES [dur ha-chirim], c'est-à-dire le plus
beau des cantiques; l'un des livres poétiques des Hébreux, la première
des cinq Meghillôth. II se lit à Pâques dans les synagogues, par suite de
l'interprétation traditionnelle des Juifs qui identifie la jeune fille
dont il est question dans ce livre avec la nation israélite et explique le
début comme une allusion à la sortie d'Egypte. Cet ouvrage fut de tout
temps une croix pour les interprètes. Expliqué allégoriquement par les
rabbins, qui y voyaient l'histoire du peuple d'Israël depuis la sortie
d'Egypte, ou même depuis Abraham (Âben-Ezra) jusqu'à la ruine de
Jérusalem par Nabukodonosor, et, depuis Origène, par la plupart des
h. m
610 CANTIQUE DES CANTIQUES
Pères de l'Eglise, des scolastiques et des réformateurs, qui y voyaient
l'union de Târne, delà partie fidèle du peuple d'Israël avant Jésus-Christ
ou de l'Eglise chrétienne avec Dieu ou avec Jésus-Christ; objetjde scan-
dale pour ceux qui ne pouvaient souscrire à l'interprétation allégorique
(Théodore de Mopsueste, Séb. Châtillon, Grotius, Episcopius, Richard
Simon, Leclerc, Semler, J.^D. Michaëlis) ; considéré comme un assem-
blage d'un plus ou moins grand nombre de chants d'amour sans lien
entre eux par Richard Simon, Herder, Eiclihorn, Bleek, etc., ce livre ne
commença à être compris que le jour où le pasteur allemand J. C. Ja-
cobi émit l'idée -que la jeune femme du Cantique aimait un autre que
Salomon (Das durcheine leichte und ungekùnstelte Erklœrung vonseinen
Vorwùrfen gerettete Bohelied, 1771). Cette idée fut adoptée et appliquée
d'une manière de plus en plus exacte par Fr. von Ammon, Staeudlin,
Umbreit (1820) et Ewald (1826). L'interprétation d'Ewald est la meil-
leure qui ait été proposée jusqu'ici. Elle présente cependant quel-
ques difficultés très-sérieuses. Pour échapper à ces difficultés, Bcetcher,
Hitzig, M. Renan ont supposé, contre toute vraisemblance, que le ber-
ger aimé de la jeune tille, *et même quelques autres personnages pa-
raissent plusieurs fois sur la scène, dans le palais de Salomon ; et elles
ont paru si graves à Delitzsch qu'il a repoussé comme insoutenable
Y hypothèse du berger (1851). Mais l'hypothèse contraire (que la jeune fille
aime Salomon) offre des difficultés bien plus considérables encore,
tandis qu'il suffit d'apporter quelques modifications à l'interpréta-
tion d'Ewald pour l'élever au-dessus des objections qu'on lui oppose.
— Voici donc comment nous comprenons le Cantique des cantiques. C'est
un drame en cinq actes, qui montre comment une jeune tille du village
deSulem (ou Sunem), danslenordde la Palestine, amenée dans leharem
de Salomon, sut se faire respecter de ce monarque, demeura fidèle au
jeune berger qu'elle aimait, et obtint enfin, par sa résistance courageuse
et prolongée, d'être renvoyée auprès de ses parents. Les deux premiers
actes et le quatrième se terminent, et les deux autres commencent de la
même manière. Le premier acte s'étend jusqu'à II, 7 ; le deuxième de
là à III, 5 ; le troisième de là à V, 1 ; le quatrième de là à VIII, 4 ; le
cinquième embrasse les dix derniers versets. Au premier acte, on
voit Salomon dans son harem, au milieu de ses aimées, qui lui témoi-
gnent leur amour dans des chants voluptueux. Une jeune fille
qu'elles nomment la Sulammùe (VII, 1), et qui y a été introduite
par surprise, comme on l'apprend plus tard (VI, 11, 12), s'étonne
d'abord d'être l'objet des caresses du roi (v. 2a), puis comprend
tout à coup où elle se trouve (v. 4 ab), et pour décourager les
entreprises de Salomon, déprécie sa beauté qu'elle voit admirée de
ses compagnes, et déclare que son cœur n'est pas libre, qu'elle aime
un berger de son pays (v. 5 7). Les aimées se moquent de sa naï-
veté. Salomon affecte de ne pas comprendre et loue sa beauté; mais
à tous les compliments de Salomon elle répond clairement qu'elle en
aime un autre, et supplie les jeunes femmes qui l'entourent de ne pas
chercher à éveiller dans son cœur un amour impossible. Le deuxième
acte consiste en un monologue de la Sulammite, qui raconte un souvenir
CANTIQUE DES CNATIQUES 611
de sa vie. Ce récit est destinée montrer la profondeur et la pureté de son
amour. Un matin de printemps, celui qu'elle aime était venu l'inviter
à une promenade matinale; mais obligée par ses frères d'aller garder
les vignes, elle n'avait pu accepter, et lavait seulement assuré de son
amour en rengageant indirectement à revenir le soir. Le soir il n'était
sans doute pas revenu, et la jeune fille inquiète avait rêvé pendant la
nuit qu'elle se levait pour le chercher par la ville, qu'elle le trouvait et
I "amenait (détail d'une exquise délicatesse) dans la chambre de sa mère.
Après un tel récit les aimées doivent comprendre combien ilest inutile
d'essayer d'éveiller en son cœur un autre amour. Le troisième acte
représente le mariage de Salomon, non avec la Sulammite, comme
Tout cru tous les interprètes, excepté Hitzig (dont l'opinion n'est du
reste pas beaucoup meilleure), mais avec une princesse qui vient à
lui de la région du Liban (IV, S) , peut-être avec la fille de Hiram, roi de
Tyr, que Salomon épousa en effet, d'après certains historiens phéni-
ciens et grecs cités par Tatien (Discows aux Gi*ecs, 37) et Clément
d'Alexandrie (Strom., I, 21), et dont le psaume XLV est l'épithalame.
Salomon lui adresse sur sa beauté la plupart des louanges qu'il a déjà
adressées ou qu'il adressera à la Sulammite dans le premier acte et
dans celui qui suivra. Ces répétitions, qui seraient un grave défaut lit-
téraire s'il s'agissait de la même personne, contribuent au contraire à la
beauté et à la profondeur morale de l'ouvrage: elles montrent combien
est vil et méprisable l'amour sensuel et polygame, qui prodigue indif-
féremment les mêmes flatteries à des femmes différentes. Le quatrième
acte est l'acte décisif, et c'est pour cela qu'il est un peu plus long que les
autres. Il décrit une seconde tentative de Salomon, de ce même Salomon
qui avait « soixante reines, quatre-vingts concubines et des aimées sans
nombre, (VI, 8) » et qui venait à peine d'épouser une nouvelle princesse,
pour triompher de la résistance de la Sulammite. L'acte s'ouvre par un
récit delà jeune fille, qui raconte un rêve qu'elle a fait : elle a entendu
la voix de son bien-aimé, est sortie pour le chercher par la ville. Sur
une question des aimées qui l'écoutent, elle fait une description enthou-
siaste de la beauté de son ami et déclare qu'elle lui appartient, comme
il lui appartient aussi à elle-même. A ce moment Salomon entre en
scène et lui répète à peu près les mêmes louanges qu'il adressait
naguère à sa nouvelle épouse (VI, 4-7; cf. IV, 1-3); il la proclame
plus belle <pie toutes les femmes de son sérail, et cela de leur propre
aveu (v. 8-10). La jeune fille, volontairement inattentive aux paroles
du roi, rappelle que c'est contre son gré qu'elle a été amenée dans le
palais (v. 11 et 12) et veut s'en aller. Le chœur des aimées la rappelle
(VII, 1). Les quelques pas qu'elle fait pour revenir offrent à Salomon
nouvelle matière à compliments; il s'enhardit au point de prononcer
des paroles inconvenantes et obscènes. Mais la noble jeune tille lui
soupe la parole (VII, 10). Salomon définitivement vaincu se retire, et la
Sulammite exhale librement son amour et appelle son ami absent.
Convaincu enfin de l'inutilité de ses efforts, le roi met la Sulammite en
liberté, et nous la voyons, au cinquième et dernier acte, revenir à la
maison paternelle, appuyée sur le bras de son bien-aimé. Au momein
612 CANTIQUE DES CANTIQUES
où ils arrivent à la porte, ses frères s'entretiennent ensemble de leur
autre jeune sœur et manifestent l'intention de la récompenser magni-
fiquement si elle est vertueuse, mais de la garder soigneusement si elle
ne Test pas. La Sulammitese présente tout à coup devant eux et déclare
qu'elle a résisté à toutes les entreprises de Salomon. Son amant la prie
déchanter et elle répète en les abrégeant et en les modifiant un peu les
paroles par lesquelles elle l'avait indirectement engagé à revenir le soir,
le jour où il était venu l'inviter à une promenade matinale qu'elle n'avait
pu accepter (cf. II, 17). — Tel est, à mon avis,le contenu de ce drame hau-
tement moral, puisqu'il est la glorification de l'amour pur, désintéressé,
fidèle, et puisqu'il flétrit énergiquement le vice et la polygamie. Les
expressions inconvenantes qu'il renferme sont mises dans la bouche de
Salomon, c'est-à-dire du séducteur, et ne compromettent pas plus la
moralité de l'ouvrage que les mots : « Mangeons et buvons, car demain
nous mourrons » ne prouvent l'immoralité d'Esaïe ou de saint Paul.
Outre de nombreux détails, notre interprétation diffère de celle d'Ewald
principalement en ce qui concerne le troisième acte. Il n'est pas admis-
sible que Salomon ait été assez insensé, dans l'intention dupoëte, pour
vouloir épouser malgré elle une jeune fille qui lui a déclaré nettement dès
le premier acte qu'elle en aimait un autre, et pour faire tout préparer en
conséquence. On ne comprend pas non plus pourquoi la Sulammite
aurait été emmenée hors du palais pour y être aussitôt ramenée en
grande pompe. Cette erreur en a produit une autre. Comme à la fin de
l'acte l'épouse répond manifestement aux désirs de son époux (IY, 16)
et que la marche générale du poëme ne permet cependant pas de sup-
poser que la Sulammite parle ainsi à Salomon, Ewald a été conduit à
l'opinion la plus étrange : il met tout ce dialogue entre l'époux et
l'épouse. (IV, 8-V, 1) dans la bouche de la seule Sulammite, qui répéte-
rait dans une sorte de rêverie des paroles qu'elle croirait entendre pro-
noncer par son ami absent, qui lui répondrait elle-même avec amour
et se livrerait en imagination à ses désirs. On comprend que, plutôt que
d'admettre une telle invraisemblance, Hitzig, M.Renan, etc., aient pré-
féré supposer que le berger paraissait sur la scène après le départ de
Salomon et tenait directement à la Sulammite ces discours amoureux
auxquels elle répond si tendrement. Mais cette supposition n'est pas
moins invraisemblable que la première : comment croire que le
berger vienne embrasser sa fiancée dans le palais de Salomon et entre
par une porte au moment même où le roi sort par l'autre? Non, c'est
bien Salomon qui continue à exprimer son amour à sa nouvelle
épouse, laquelle se soumet à ses désirs. L'épouse du troisième acte ne
peut donc pas être la Sulammite. Delitzsch, dont l'opinion a été adoptée
par Zœckler, soutient que la Sulammite aime Salomon, qui l'épouse au
troisième acte et finit par être converti par elle à la monogamie. Mais
la fausseté de cette interprétation éclate à chaque pas. Comment croire
que dès la fin du premier acte (qui n'est pas long) cette pure et fière
jeune fille se déclare « malade d'amour » pour Salomon, qui est là et
qui l'embrasse en présence des autres aimées ; qu'elle persiste à
prendre Salomon pour un berger (I, 7), même après son mariage
CANTIQUE DES CANTIQUES 613
(VI, 2-3), et à 1»' dépeindre comme sautant sur les monts et les collines
(deuxième acte) et venant, peu après son mariage, frapper à sa porte,
la chevelure humide de rosée (début du quatrième acte); qu'elle quitte
le harem pour y être ramenée aussitôt en grande pompe, au troi-
sième acte: qu'elle jette des regards terribles et qui le troublent à celui
qu'elle aime si tendrement (IV, 5), et qu'elle lui rende tout son amour
(lès que celui-ci lui a tenu un langage d une obscénité révoltante? Que
signifient les allusions du dernier acte (VIII, (>, 7, 10), si claires
dans l'hypothèse du berger, etqui résumentsi bien le but de l'ouvrage,
puisque la jeune femme n'a eu ni offres brillantes à refuser, ni tenta-
tives audacieuses à repousser? Enfin, quel dénouement invraisem-
blable ! Tout le monde savait bien que Salomon était mort sur le trône
en polygame invétéré et n'avait pas renoncé à toutes "ses autres femmes
pour aller vivre au village avec la seule Sulammite. M. Godet, adoptant
l'interprétation d'Ewald avec quelques modifications qui n'ont pas
pour effet de l'améliorer, a essayé d'y faire rentrer, ou, pour mieux
dire, d'y superposer l'interprétation allégorique et morale. Au lieu de
Salomon, c'est le berger qui est le type de Jéhovah : Dieu n'est-il pas
nommé fréquemment dans l'Ecriture le Berger d'Israël ou des fidèles?
La Sulammite représente l'Israël selon l'esprit, qui aime Jéhova, mais
que Salomon, personnification de la royauté, cherche à éblouir, à
fasciner, comme il a déjà fasciné l'Israël charnel, représenté par
les aimées ou filles de Jérusalem. Les frères de la Sulammite sont les
maîtres que Dieu avait donnés à Israël avant l'institution de la
royauté : Samuel, les sacrificateurs, les lévites. Le poëte, qui n'est
autre que Salomon, d'après M. Godet, a voulu exhorter Israël à
ne pas se laisser séduire par l'éclat et les brillantes promesses de
la royauté, mais à demeurer fidèle à Jéhova. La Sulammite captive
dans le palais de Salomon représente aussi l'âme fidèle enfermée
dans la prison du corps et aspirant vers Dieu. Nous regrettons
de ne pouvoir signaler ici les nombreux points vulnérables de
cette ingénieuse hypothèse. Comme toutes les interprétations allé-
goriques, elle vient se briser contre une foule de textes qu'elle ne
saurait expliquer raisonnablement. Comment imaginer que le person-
nage à qui la jeune fille dit des paroles comme I, 7 ; II. 17 ; VII, 12 ;
VII 1, 4, etc., soit la personnification de Dieu ? Il n'est pas probable que
Salomon soit l'auteur d'un poëmeoù il joue un rôle si peu honorable;
mais ce poème est certainement fort ancien, quoique plusieurs critiques
en aient placé la composition pendant ou après l'exil (Eichhorn,
Hosenmuller, Umbreit, Kœster, Gesenius, etc.), ou même sous la domi-
nation grecque (Hartmann, Graetz), à cause de certaines particularités
de style h principalement à cause des mots pardès (IV, 13) et
appiryôn (III, l.)), qu'on a dérivés, le premier de la langue perse,
l< second du grec yopsTov, par lequel les Septante l'onttraduit. .Mais de
ces deux étymologies la première est douteuse et la seconde sans vrai-
semblance. La puissance de l'inspiration poétique, les traits sous les-
quels <-st dépeint lé règne de Salomon et qui diffèrent, <in certains
•nts, des liyres historiques, en particulier la mention de la ville de
614 CANTIQUE DES CANTIQUES — CANTORBÉRY
Thirtsa en parallèle avec Jérusalem (VI, 4), indiquent que ce drame dut
être écrit peu de temps après la mort de Salomon, probablement dans
le royaume des Dix Tribus (Ewald, Hitzig, Renan, etc.). L'auteur
des neuf premiers chapitres des Proverbes, qui vivait vraisemblable-
ment environ deux siècles plus tard, paraît l'avoir connu et lui avoir
emprunté quelques traits pour peindre l'amour conjugal (V, 15 ss.,
cf. Cant. IV, 15) et l'amour adultère (VII, 17, cf. Cant. IV, 14; — V, 3,
cf. Cant. IV, 11) ; ce qui indique sans doute qu'il ne l'entendait point
dans un sens figuré. Quand il fut, longtemps après, admis au nombre
des écrits sacrés,' il est à peu près certain qu'on n'en comprenait plus
le vrai sens et qu'on l'interprétait allégoriquement. LeTalmud raconte
qu'au premier siècle de notre ère, quelques rabbins ayant émis des doutes
sur son caractère sacré et sur celui de l'Ecclésiaste, une assemblée de
soixante-douze docteurs de la Loi, réunie à Jabné, vers l'an 90, décida
que ces deux livres souillaient les mains, c'est-à-dire rendaient impures
les mains de ceux qui voulaient les toucher, en un mot étaient sacrés
aussi bien que tous les autres. C'est en cette circonstance que R. Akiba
s'écria : « Le monde entier n'est pas digne du jour où il reçut le
Cantique des cantiques; car tous les Ketoubîm sont saints, mais le
Cantique des cantiques est sacro-saint » (voy. Delitzsch, Commentai*
zum H. L., 1875, Introd., p. 14 et 15). Il était cependant interdit aux
Juifs de le lire avant l'âge de trente ans ; mais comme le premier cha-
pitre de la Genèse, le commencement et la fin des prophéties d*Ezé-
chiel étaient frappés de la même interdiction, il est probable qu'elle
n'avait pas été inspirée par la crainte de livrer des peintures trop pas-
sionnées en pâture à de jeunes imaginations, mais plutôt par la pensée
qu'avant cet âge peu d'hommes eussent été capables de pénétrer les
mystères renfermés dans ces diverses portions de l'Ecriture (voy. saint
Jérôme, Prsef. ad Ezech.). On trouvera la liste des nombreux ouvrages
publiés sur ce livre dans les diverses Introductions à l'Ancien Testa-
ment et dans les Commentaires, surtout dans celui de Zœckler. Voici
les plus importants : Umbreit, Lied der Liebe, 1820; Erinnerung an das
Hohe Lied, 1839; Ewald, Das H. L., 1826; Dichter des Alt en Bundes,
1866 ; Hitzig, Das H. L., 1855 ; Renan, Le Cantique des Cantiques, 1860 ;
Godet, Etudes bibliques, lre partie : Ancien Testament, 2e éd., 1873;
Delitzsch, Das H. Z.,1851; Comment *ar zum H. Z.,1875; Zœckler, Com.
zum H. L., 1868. Les deux ouvrages les plus récents sont celui du pro-
fesseur catholique Bernhard Schaefer, Das H. L., Munster, 1876, qui
défend l'interprétation ecclésiastique, et celui de Kasmpf, Das H. L.,
Prague, 1877. Ch. Bruston.
CANTIQUES. Voyez Chant d'Eglise.
CANTORBÉRY, capitale du comté de Kent en Angleterre, à soixante-
dix kilomètres Est de Londres, est le siège d'un archevêché dont le
titulaire est primat d1 Angleterre. Cette ville, une des plus anciennes
de la Grande-Bretagne, a joué dans l'histoire de ce pays un rôle assez
important. Ce fut sous le règne d'Ethelbert, en k597, que le christia-
nisme y fut introduit par le moine Augustin devenu plus tard saint
Austin. Souvent ravagée, pillée et brûlée, elle se releva toujours de ses
CANTORBÉBÏ — CANUT IV 615
ruines et vit enfin se fixer sa prospérité Lorsque, sous le règne d'Eli-
sabeth, L'émigration protestante française y apporta un certain
nombre d'industries, entre autres celle de la soie. Aujourd'hui c'est
encore une cité industrieuse où Ton trouve des manufactures impor-
tantes de coton, de soie, de mousselines, etc. Elle renferme plusieurs
édifices remarquables, mais surtout une cathédrale splendide qui,
après avoir subi mille vicissitudes, a été l'objet de restaurations consi-
dérables et offre tous les styles d'architecture qui caractérisent les
époques écoulées du onzième au seizième siècle. C'est dans cette cathé-
drale que, Le 21) décembre 1170, les sicaires du roi Henri II assassi-
nèrent l'archevêque Thomas Becket. L'archevêque de Cantorbéry,
premier pair du rovaume après les princes du sang, a un revenu de
'±80.000 francs.
CANUS (Melchior Cano, dit) [1523-1560] fut un des plus célèbres
parmi les dogmaticiens catholiques du seizième siècle. Né à Tarançon
(Castille), il entra dans l'ordre des dominicains et professa le thomisme
avec éclat à Valladolid,oùilseposa en adversaire de l'illustre Carranza,
à Alcala, puis à Salamanque, où il succéda à son maître Francisco da
Vittoria et enseigna aux côtés de Domingo da Soto, son ami. Comme
ce dernier, Canus assista au concile de Trente; il fut nommé évêque
des Canaries et mourut provincial de Castille. L'œuvre capitale de
Melchior Cano ne parut qu'après sa mort. Ce sont les célèbres.
Loti ///?o/o#?W(Salam., 1563, in-f°) qui comprennent toute la théo-
rie des sources de la doctrine catholique en douze livres. L'Ecriture,
l'autorité de l'Eglise, la tradition, la légende, paraissent tour à tour
devant son tribunal, et sa méthode est encore la scolastique. Ce
n'est pourtant pas lui qui est l'inventeur du mot fameuxqu'ila répété,
et dans lequel l'Ecriture est comparée à ce nez de cire que chacun
tord à son gré. Canus a de grandes sévérités pour la légende, il ne
craint pas d'appeler l'auteur de la célèbre Léyende Dorée, pourtant
dominicain comme lui, « bouche de fer et cœur de plomb. » Il osa
s'opposer avec acharnement, au nom de la vieille doctrine catholique,
à l'ordre naissant des jésuites, auquel il eutla hardiesse d'appliquer le
nom d1 Antéchrist. Vis-à-vis du pape lui-même, le dominicain espagnol
eut certaines libertés. — Les œuvres de Canus ont été imprimées en
dernier lieu à Bassano, par Hyac. Serry, 177(>, in-4°.
CANUT IV, second iils naturel de Suénon, roi de Danemark, avait
donné pendant les règnes de son père et de son frère aine des preuves
d'une piété ardente et d'un dévouement sans réserve au siégedeRome.
Pour s'affranchir de la suprématie d'Adalbert, archevêque de Brème,
H de L'influence allemande. Suénon avait engagé avec la cour de Rome
d.- négo< lations auxquelles Grégoire V répondit favorablement parce
qu'il espérait trouver dans les Etats du Nord mi appui contre l'empe-
reur Henri IV. Canut IV alla beaucoup plus loin, ('leva L'épiscopat au
rang de la première noblesse, choisit parmi ses membres ses juges et
ses ministres, soumit à sa juridiction exclusive les crimes commis par
tes prêtres <'t par Les moines et substitua an welirgeld et à l'exil les pé-
nitences ecclésiastiques. Ascète rigide, ne vivant que de légumes et
616 CANUT IV — CANZ
d'eau, il voulut imposer le célibat au clergé et détruire parla force les
derniers vestiges du paganisme expirant. Dévot superstitieux et fana-
tique, il sut pourtant introduire dans ses Etats des réformes salutaires,
adoucir le sort rigoureux des nombreux esclaves chrétiens anglo-saxons,
jusqu'alors traités comme un vil bétail, et favorisa l'agriculture. Dès la
première année de son règne, en 1080, il entreprit une croisade contre
les populations païennes de la Livonie, mais ses victoires n'aboutirent
à aucun résultat durable. Le peuple avait supporté avec impatience les
atteintes portées à ses antiques coutumes et les empiétements rapides
du clergé, bien que ce christianisme tout extérieur et sacerdotal n'eût
eu qu'une bien faible action sur les cœurs. Mais lorsque Canut,
poussé par les exhortations du clergé, voulut introduire la dime, les
populations accablées d'impôts se révoltèrent. Au moment où le roi se
préparait à s'embarquer pour défendre contre Guillaume le Conqué-
rant les droits de son parent Harold, les intrigues et l'or du roi nor-
mand semèrent la désunion dans les rangs des coalisés et le roi de
Norwége refusa de marcher. Canut irrité frappa ses alliés infidèles
d'une forte amende. Comme il en proposait la remise contre l'éta-
blissement de la dîme, ses propres sujets se soulevèrent, firent périr les
officiers du fisc et massacrèrent le roi à Odensée, sur les marches de
l'autel, dans cette même église Saint- Alban qu'il avait fait construire
alors qu'il n'était encore que prince royal (1086). Sa veuve, fille du
comte de Flandre, se réfugia dans son pays natal avec son fils, laissant
le trône à Olaf, troisième fils de Suénon. Ce fils de Canut, Charles,
devenu comte, périt assassiné comme son père, dans l'église de Bruges
en 1127. Une famine, qui sévit sous Olaf, fut considérée comme une
punition du ciel par le clergé, dont la gratitude fit canoniser Canut
et transforma en patron du Danemark un prince dont le martyre
profita plus à Rome qu'à l'Evangile, et dont la piété « avait plus de
flamme que de lumière ». — Voir : OElnothus Cant, De vita et passione
6'., 1633, in-4°; Sysholm, Programma de C, 1771, in-8° ; Bircherod,
K. Knud des Heiligen Historié, 1773. A. Paumier.
CANZ (Israël-Gottlieb), né en 1690, professeur de théologie à
Tubingue, fut le premier qui essaya de concilier la philosophie de
Wolff avec la dogmatique protestante. Son traité Philosophiœ leibnit-
zianœ et wolftanx usus in theologia (1728) fut d'abord interdît à
Tubingue ; mais les disciples de Wolff, Reinbeck, Bilfinger, Ribow,
etc., jouirent bientôt d'une considération qui fit lever cette défense.
Canz ne songeait pas à devenir un novateur ; il n'aurait rien voulu
publier qui fût contraire aux saintes Ecritures ni aux livres symboliques.
Mais il estimait que vouloir subordonner. la vérité obtenue par l'effort
de la raison à la vérité révélée, ce serait comme si l'on prétendait que
l'eau obtenue en creusant la terre fût la servante de l'eau tombée direc-
tement du ciel. Les mystères de la foi ont une origine surnaturelle qui
dépasse le domaine de la raison ; mais en eux-mêmes ils ne sont pas
contre la raison. La métaphysique, avec sa forme démonstrative, est
donc utile pour fortifier la croyance à ces mystères. Toutefois, malgré
la piété de l'auteur, une telle méthode tendait à conformer la doctrine
OANZ — CAPHTHOR 617
chrétienne à la philosophie régnante. LeCompendiumtheologiae parions,
17."^, paru! lai hic. Du reste, le premier moment une fois passé,
L'influence «le Cani ne fut pas considérable. 11 mourut en 1753. —
Voyez l'art. II olff; J.-J. Moser, Beitrag zu einem Lexiconjetzt lebender
Theologen, p. LIS; Boeck, Gesch. der Umversttœt Tubingen, p. L69.
CAPERNAUM. Le nom de cette ville de Galilée, qui fut le point de
départ delà prédication évangélique, n'est pas toujours écrit de même.
Le plus grand nombre des manuscrits du Nouveau Testament donnent le
nom de kx-zpxzùj.. Les plus anciens et les meilleurs écrivent Ka«papvaou{A
ou Kaçepvaoûpi ; Ptolémée, Ka-apvao j;j. ; en hébreu K a p h a r nachum,
qu'Origène traduisit « ville de consolation », Jérôme, « ville d'agré-
ment », et quelques exégètes modernes, entre autres Wiseler, ce ville
du consolateur». Toutes ces interprétations sont fort invraisemblables.
Les mots hébreux signifient simplement village de Nahum, qu'il faille
penser au prophète galiléen qui, dit-on, y aurait eu son tombeau, ou à
un autre personnage inconnu du même nom. Le t'ait est que Gapernaùm
n'est mentionné nulle-part dans l'Ancien Testament. Peut-être n'a-t-il
été bâti qu'après le retour de l'exil. A l'époque de Jésus, c'était une
ville florissante, aux limites des territoires deZabulon et de Nephthali,
sur le rivage occidental de la mer de Génézareth (TrapaOaAsbs'.a,
Matth. IV, 13 ; Jean VI, 17), non loin du point où le Jourdain y entre et
sur la route commerciale qui allait de Damas à la Méditerranée. Cette-
situation y avait amené l'établissement d'une douane importante et
d'une population païenne fort nombreuse. Les environs de Gapernaùm
n'étaient pas moins favorisés. La culture d'une plaine fertile, arrosée
par des sources abondantes dont Josèphe parle souvent, la pêche dans
le lac occupaient et enrichissaient les habitants. Ce coin de la Galilée,
situé à l'ouest et au nord du lac, fut le théâtre de la première activité
de Jésus. C'est au sein de cette population mêlée qu'il trouva ses pre-
miers disciples; c'est dans la synagogue de la ville, sur les collines
d'alentour ou sur ce rivage du lac qu'il se fit le plus souvent enten-
dre. La dévastation qui a passé sur tout ce canton a été si grande
qu'on n'y retrouve pas même des vestiges certains de cette vie du
passé. Eusèbe, Jérôme parlent encore de Gapernaùm, qu'ils désignent
tantôt comme une ville, tantôt comme un village. Ëpiphane raconte même
qu'un juif converti, nommé Joseph, obtint de Constantin la permission d'y
bâtir une basilique. Ausixième siècle, on y montrait encore lamaisonde
saint Pierre. Mais ni les vagues indications des Pères de l'Eglise, ni les
renseignements plus incertains encore de quelques pèlerins du moyen
âge ne peuvent nous aider à la retrouver. Les voyageurs modernes ont
cru découvrir les ruines de Gapernaùm en deux endroits, à une distance
d'une lieue l'un de l'autre, entre lesquels leurs avis se sont partagés.
Les uns tiennent pour Tel 1-Hu m (Pocoeke, Karl Ritter, Renan, Ewald);
les autres pour Khan -Mini eh (le franciscain Quaresmus au dix-
septième siècle, Robin son, Sepp, etc.). Guillaume de Tyr parle d'un
autre Gapernaùm, port sur la Méditerranée, à quelque distance de Tyr.
a. Babatibb.
CAPHTHOR (Caphthôr; Jér. XL VII, \; Amos IX, 7), la véritable
618 CAPHTHOR — CAPISTRAN
patrie des Philistins, et dont les habitants, originaires de l'Egypte,
sont nommés Caphthorim. D'après Gen.X, 14, les Philistins ne seraient
pas les descendants des Caphthorim, mais des Casluchim, leurs proches
parents, ce qui serait en contradiction apparente avec les passages ci-
tés plus haut. Les deux indications se concilient si Ton admet que les
Philistins qui, dans l'origine, étaient une colonie de Casluchim, établie
sur la lisière sud-est de la Méditerranée, entre Gazzah et Pélusium,
furent renforcés par des immigrants de Caphthor et agrandirent leur
territoire en expulsant les Haviens (Deut. II, 23; Jos. XIII, 3). La situa-
tion de Caphthor n'est, il est vrai, indiquée nulle part avec précision;
cependant, d'après Jér. XL VII, 4, c'était une ile. Les anciens tra-
ducteurs (LXX, les Chaldéens, Vulgate) y ont vu la Cappadoce, c'est-à-
dire cette province de l'Asie-Mineure qui s'étendait primitivement jus-
qu'au Pont-Euxin. Mais la parenté linguistique entre les Cappadociens
et les Sémites ne saurait être démontrée scientifiquement. D'après une
ancienne monnaie phénicienne (Lévy, Phœnizische Mùnzen), Caphthor
serait l'ile de Chypre; cette hypothèse repose sur une erreur absolue
(Gesen, Monum. phœnicicd). Caphthor ne saurait donc être que l'île de
Crète (Ezéch. XXV, 16; Soph. II, 5). Cette opinion est prouvée par
I Sam. XXX, 14 ; 2 Sam. VIII, 18 ; XV, 18 ; XX, 7, 23. A l'époque de David
et de Salomon les Créthi et les Pléthi (plat-hébreu pour Pelichthim)
composent la garde royaie. Les deux parties du peuple philistin, les
Caphthorim et les Pelichthim, se fondirent peu à peu et îe premier
des deux noms disparut dans l'histoire (voy. Philistins).
CAPISTRAN (Jean de). Descendant d'un des compagnons de Louis
d'Anjou, roi de Naples, il tira son nom de la petite ville des Abruzzes,
où il naquit en 1385. Sa première carrière fut celle du droit qu'il étu-
dia et professa ensuite à Pérouse, où son mariage l'avait fixé. Chargé
de négocier la paix entre cette cité et le roi Ladislas, il fut accusé
d'avoir favorisé le monarque et emprisonné au château de Bruffa, où
il apprit bientôt la mort de sa femme. Ces revers le détachèrent du
monde. Il paya sa liberté de la plus grande partie de ses biens, et entra
chez les franciscains. Prédicateur puissant, réformateur de son ordre,
négociateur habile, il fut employé dans diverses nonciatures par tous
les papes de son temps. Son rôle fut considérable au concile de Flo-
rence, quand on y traita de la réunion des grecs aux latins. Mais sa
mission la plus importante fut celle dont il se chargea, en qualité de
légat, contre les hussites de Bohême, de Moravie, de Hongrie et de
Pologne. Il remporta contre ces précurseurs de la Réforme des succès
où le bras séculier aida singulièrement son zèle de convertisseur. Dans
la fameuse guerre d'Huniade contre Mahomet II, il fut le prédicateur
et Tàme de cette nouvelle croisade, s'enferma dans Belgrade avec le
héros hongrois et partagea avec lui la gloire de sa délivrance (1456).
II succomba la même année à ses fatigues. Benoit XIII le canonisa en
1724. De ses nombreux ouvrages sur le droit, la théologie, la discipline
et la casuistique, un seul mérite d'être noté. Dans les disputes qui
s'élevèrent à propos de la translation à Florence du concile de Bâle, il
se rangea avec éclat dans le parti qui travaillait déjà à élever l'autorité
CAPISTRAX - CAPITULÀIEES 619
du [tape contre celle du concile, par son écrit : De papx et conrilii sive
Ecclesiœ autoritate (Venise. 1580, in-4°). Les pins grandes audaces de
Capistran n'approchent pourtant que <le loin de la théorie qui a fini
par prévaloir dans L'Eglise romaine.
CAPITON (Wolfgang Kœpfel), l'un des trois grands réformateurs de
Strasbourg, naquit à llagnenan en Alsace en H78. Son père l'avait
destiné à la médecine, mais le jeune Kœpfel ne tarda pas à embrasser
la carrière théologique. Il lit ses études à Fribourg, et en 1512 il fut
appelé par l'évêque de Spire à Bruchsal. C'est là qu'il apprit à connaî-
tre OEcolampade. Mais ce fut surtout à Bàle, où il avait été appelé par
l'évêque, qu'il fut entraîné dans le mouvement réformateur, quoique
sa nature timide et craintive arrêtât en lui le développement rapide de
ces idées. Il s'était déjà rendu célèbre par sa grammaire hébraïque
(1516, éd. compl. 1518 et 1525) et par quelques autres travaux de théo-
logie, et ces mérites lui valurent la place de prédicateur à la cour de
l'archevêque de 31ayence. Mais il ne put se sentir à Taise auprès d'un
prélat qui pratiquait la vente des indulgences, et mu peut-être aussi
parles reproches que lui avait faits Luther, il quitta son poste et accepta
la prévôté de Saint-Thomas à Strasbourg (1523). Dans cette ville la
Réformation avait trouvé en Matthieu Zell un défenseur intrépide; l'at-
titude de ce prédicateur courageux déplut au timide Capiton, qui ren-
gagea même à quitter la ville. La réponse énergique de Zell lit de.
Capiton un défenseur zélé et intrépide de la vérité. Ses opinions
théologiques étaient celles de Bucer, qu'il assista sans cesse dans son
ouvre de conciliation. La peste l'enleva déjà en 1541. Il avait été le
premier prédicateur évangélique de l'église Saint-Pierre le Jeune. La
liste des œuvres de Capiton se trouve clans l'ouvrage de M. Baum, Ca-
ptto n,ul Bucer (Elberfeld, 1860). Nous avons de lui quelques ouvrages
exégétiques sur Habacuc, Osée, beaucoup de brochures théologiques,
une vie d'UEcolampade, etc.
CAPITULAIRES. Le terme de capilularia (ou simplement capitula) peut
désigner d'après son étymologie, et a en effet servi à désigner toutes
sortes d'écrits divisés en petits chapitres : d'habitude cependant on ne
l'applique qu'aux actes législatifs et administratifs émanés des rois
francs des deux premières races, et plus spécialement aux ordonnances
d'intérêt public de Charlemagne et de ses premiers successeurs, rédi-
gées d'ordinaire avec le concours des grands ecclésiastiques et laïques,
et promulguées le plus souvent dans les assemblées nationales des
Francs. Nos collections usuelles de capitulaires contiennent, il est vrai,
une multitude «le pièces qui n'ont guère ou pas du tout le caractère de
lois, et qu'on y a fait entrer soit à cause de leur titre officiel de capitu-
laires, soit à cause; de leur analogie avec des monuments qui portent ce
nom ; mais leur Importance est secondaire en comparaison de celledes
actes législatifs proprement dits. Aussi nous bornons-nous à indiquer
qn on y rencontre des notes et des avant-projets, des rapports et des
avis, do pétitions et des formules de tout genre, des traités de paix, et
des prières publiques, des instructions données aux ambassadeurs OU à
d'autres fonctionnaires, des lettres encycliques des rois on des misse',
620 CAPITDLAIRES
des décisions sur les matières les plus diverses et des règlements admi-
nistratifs ou même purement domestiques (comme par exemple le fa-
meux Capitulais de villis de Charlemagne, relatif à l'exploitation des
terres du domaine royal) : les capitulaires que nous aurons principale-
ment en vue dans les lignes suivantes sont les capitulaires d'ordre lé-
gislatif, contenant les uns des additions et des modifications aux anciens
codes nationaux et personnels (leges) des différents peuples germani-
ques réunis dans la monarchie franque, les autres des prescriptions
nouvelles, applicables au territoire entier de l'empire. Dans l'un comme
dans l'autre cas, l'autorité législative était exercée exclusivement par le
souverain, roi ou empereur; c'est lui qui ordonne et défend, lui qui
réclame pour ses prescriptions l'obéissance de tous et à perpétuité;
quelquefois il se sert, pour les désigner, des anciennes expressions ro-
maines d'edictum, de constitutio, de decretum. Sans doute il les promul-
guait généralement dans le placite, après délibération avec ses lidèles,
et les changements apportés aux lois nationales étaient même accompa-
gnés de formalités plus compliquées encore, parce qu'on soumettait les
nouvelles dispositions aux assemblées comtales, pour les y faire corro-
borer par les signatures des scabins : mais, en dépit de la célèbre dé-
claration de Charles le Chauve : Lex consensu populi fit et constitutione
régis (Fdictum pistense, 864, c. 6), le consensus populaire, celui du placite
même, ne jouaient qu'un rôle fort subordonné dans la confection des
lois. Jamais ni les grands ni le peuple n'ont eu le droit de vote; l'adhé-
sion qu'on leur demandait avait pour but de constater à la fois la pu-
blication de Pacte par le roi et l'engagement de lui obéir pris par les
sujets; elle n'était donc en lin de compte, du temps de Charlemagne sur-
tout, qu'une forme de notification plus solennelle, et l'on s'en passait à
l'occasion, en faisant simplement expédier par le chancelier des copies
du nouveau capitulaire aux fonctionnaires publics, missi, évêques ou
comtes, avec ordre de les publier dans leurs circonscriptions respecti-
ves. Plus tard le pouvoir royal a eu davantage à compter avec les grands,
et nous savons que plus d'un édit de Charles le Chauve lui a été imposé
par les seigneurs; mais même alors la vieille théorie persista, et d'après
les termes des capitulaires le roi était toujours censé légiférer seul,
quelquefois sans mention aucune d'un assentiment quelconque. — La
nature extrêmement complexe des capitulaires, la variété des matières
dont ils s'occupent, la diversité de leur mode de promulgation, en ren-
dent fort difficile le classement méthodique. Au neuvième siècle Ansé-
gise les distinguait d'après leur caractère ecclésiastique ou laïque; Ma-
bly opposait les capitulaires législatifs aux règlements provisionnels ;
de nos jours on a insisté sur la différence entre les capitularia specialia
et les capitularia generalia, selon qu'ils se rattachaient aux leges parti-
culières ou s'appliquaient à tout l'empire; mais toutes ces distinctions
sont plus ou moins factices : une foule de capitulaires se rapportent à
la fois au temporel et au spirituel; il n'est pas toujours facile de séparer
ce qui est permanent de ce qui est de circonstance; il y a des capitulai-
res généraux qui revendiquent pour eux-mêmes la qualification de lex,
11 n'est guère plus aisé d'analyser leur contenu et de déterminer leur
CAPITULAIRES 621
portée juridique. Guizot a essayé de Le faire {Histoire de la civilisation
en France^ t. 11. llh en répartissant les capitulaires de chaque règne
carlovingien, article par article, entre huit catégories de dispositions,
et esi arrive ainsi à des résultats d'une exactitude en apparence mathé-
matique, établissant par exemple que, sur 1,151 articles émanés de
Charlemagne, il yen a 87 de législation morale, 273 de législation poli-
tique, 130 de législation pénale. 110 de législation civile, 85 de législa-
tion religieuse, 305 de législation canonique, 73 de législation domesti-
que, 'ri de législation de circonstance; mais, sans compter que ses
chiffres ne concordent pas toujours entre eux (l'exemple même que
nous venons de citer en est la preuve), ils ont été obtenus au moyen
d'appréciations souvent fort arbitraires, et peuvent servir tout au plus
à donner une idée approchante de l'importance relative des différents
éléments dont se composent les monuments législatifs de chaque prince.
Mieux vaut par conséquent s'en tenir à un jugement plus général, in-
sister tout d'abord sur l'inanité de l'opinion vulgaire qui voit dans la*
capitulaires, dans ceux de Charlemagne principalement, une législation
complète, constater que le droit privé, civil et criminel, n'y est guère
représenté que par les additions aux leges, tandis que la majorité des
chapitres est relative soit aux affaires ecclésiastiques, soit à l'adminis-
tration et à la police, et ajouter, comme indice des mœurs du temps,
qu'une foule desimpies conseils ou préceptes moraux s'y rencontrent à
côté des prescriptions législatives ou réglementaires proprement dites.
Les capitulaires qui, sans être jamais officiellement recueillis, ont gardé
de l'autorité en Allemagne jusqu'au treizième siècle, en France jusqu'au
quatorzième, en Italie plus longtemps encore, nous sont parvenus soit
isolément, soit avec les canons d'Eglise ou les codes de lois où on les
avait insérés, soit enfin clans une collection d'origine privée datant de
la première moitié du neuvième siècle. Entreprise en 827 par Anségise,
abbé de Fontenelle ou Saint-Wandrille, qui réunit méthodiquement en
quatre livres les capitulaires parvenus à sa connaissance de Charlema-
gne et des premières années de Louis le Débonnaire (jusqu'à la fin de
l'année 826), elle fut augmentée vers 842 d'un cinquième, d'un sixième
et d'un septième livre par le diacre de Mayence, Benoit Lévite, celui-là
même dans lequel on a voulu voir l'auteur ou le compilateur des
fausses décrétâtes, et comprend en outre quatre appendices sans nom
d'éditeur. Le recueil d'Ânségise était regardé dès 829 comme ayant la
valeur d'une collection officielle, et il mérite en effet toute confiance;
dans la continuation de Benoit au contraire les capitulaires authenti-
ques sont noyés dans une foule d'actes étrangers aux carlovingiens
(extraits de la Bible, du Code théodosien, des lois barbares, des œu-
vres d'Ambroise, Augustin, Prosper, Grégoire, Isidore, des histoires
ecclésiastiques de Butin. Cassiodore, Bède, de la collection des canons
de Denys, des épîtres de Boniface, des livres de Théodulfe et de Jouas
d'I Irléans, des conciles carlovingiens, etc.); néanmoins on la trouve éga-
lement invoquée comme code officiel, en Gaule du moins, sous le règne
de Charles le Chauve. Les premiers recueils de capitulaires turent publiés
parAmerpach(15'*5),du Tillet (1548) ,Herold (1557), Pithou (1588), Lin-
C22 CAPITULAIRES — CAPPADOCE
denbrog (1613) ; puis, en 1677, Etienne Baluze, mettant en œuvre les
nouveaux matériaux recueillis par Baronius,par Canisius, par Goldast,
par Sirmond, par Labbe et par lui-môme, en donnait en deux volumes
in-folio, sous le titre de Capitularia regum Francorum, une collection
plus complète et plus fidèle, disposée par ordre chronologique (sauf
pour la compilation d'Anségise et de Benoit), accompagnée des codes
nationaux, des collections de formules et de diverses autres pièces, et
précédée d'une préface dont certaines parties se lisent encore avec
fruit. Son édition, reproduite en 1780 par Pierre de Chiniac, a passé
dans le Corpus, juris germanici antiqui de Georgisch (1738) et dans celui
de Walter (1824), dans le Barbarorum leges antiquœ de Ganciani
(1781 ss:), pour une notable partie aussi dans le Recueil des historiens
des Gaules et de la France de Bouquet (t. IV à VII) ; elle a fait autorité
jusqu'à celle que Pertz a donnée, avec le soin accoutumé, dans les M o-
numenta Germanùv historica^ aux t. I et II des Leges (1835-1837;. Lais-
sant de côté les lois nationales, les chartes et les épîtres, qui ont trouvé
ou trouveront place dans d'autres volumes de la collection, l'illustre
éditeur a au tome I, qui débute par une préface destinée principale-
ment à apprécier les manuscrits mis à contribution, inséré les capitu-
laires authentiques (dont beaucoup d'inédits) des rois mérovingiens,
deCarloman, de Pépin, de Gharlemagne, de Louis le Débonnaire et des
rois ou empereurs francs carlovingiens subséquents, en les rangeant
par ordre chronologique (la collection d'Anségise à Tannée 827) ; il a
rejeté dans la seconde partie du tome II, dont la première partie com-
prend les constitutions impériales depuis l'extinction des carlovingiens
jusqu'à la mort de Henri VII, lescapitulaires inauthentiques, et dans le
nombre toute la collection de Benoit, qu'il a fait précéder d'une dis-
sertation (sujette à réserves) deKnust, sur l'œuvre du diacre de Mayence
et plus spécialement sur les sources employées par lui. Pas plus que
Baluze, Pertz n'a pu d'ailleurs épuiser la matière : déjà au tome II des
Leges on trouve quelques capitulaires mérovingiens et carlovingiens
découverts depuis la publication du tome I ; d'autres ont été signalés
depuis de différents côtés. L'importance des capitulaires pour l'histoire
législative, administrative et même politique de l'époque carlovingienne
les ayant naturellement désignés à F étude de tous les érudits qui se
sont occupés des antiquités nationales de la France, de l'Allemagne et
de l'Italie, il ne saurait être question d'énumérer ici même les princi-
paux parmi les écrivains qui en ont traité ; nous nous contentons par
conséquent de rappeler les préfaces des recueils de Baluze et de Pertz,
de signaler une dissertation récente de M. Boretius (Beitrœge zur Capi-
tularienkritik, 1874) et de renvoyer, pour plus amples détails relative-
ment à la teneur et à la confection des capitulaires, à la Deutsche Ver-
fassungsgeschichte de M. Waitz ( t. III, 1860, p. 503 à 520) et à un
article de M. Fustel de Goulanges dans la Revue historique de janvier-
février 1877. Auguste Himly.
CAPPADOCE, district de l' Asie-Mineure, séparé au sud de la Cilicie
et de la Syrie parleTaurus, au nord par une chaîne de montagnes pa-
rallèle de la province du Pont, borné à l'ouest par la Lycaonie et la
CAPPADOCE — CAPPEL 02)
Galatie, à l'est par l'Arménie. Pays de prairies, bien arrosé, adonné à
l'élève du bétail et des chevaux, laCappadoce c'était pas d'une grande
fertilité. Ses habitants, de race aryenne, ne jouissaient pas d'une bonne
réputation. Leur lâcheté et leur mauvaise foi étaient devenues prover-
biales (xannuo&oxÉÇew) comme leur prononciation défectueuse. Tibère
lit assassiner Archélaûs, le dernier roi de Cappadoce, que Pompée
avait placé sur le trône, et réduisit le pays en province romaine (Pline,
37, 11: Strabon. 12. 534; Josèphe, Antiq., XVI, 3, 2; Tacite, Annales,
2, 12). Des Juifs s'étaient établis dans la Cappadoce sous la domination
svrienne; par eux le christianisme s'y introduisit de bonne heure
(Actes 11. 9; I Pierre I, 1).
CAPPEL (Jacques), pasteur et professeur à Sedan. La famille des Cap-
pel est une famille illustre dans les annales du protestantisme français:
elle a donné aux Eglises et à la théologie réformées des pasteurs dé-
voués et surtout des savants célèbres. On trouvera l'histoire très-dra-
matique de cette famille dans Y écrit DeCappellorum gente, inséré dans le
grand ouvrage Annotata et CommentariïinV. T. (Amst., 1689, in-fol.),
édité par Jacques Cappel, fils du grand Louis Cappel et neveu de
Jacques Cappel dont il est ici question. MM. Haag {Finance protestante)
ont donné avec une grande clarté le résumé du De Cappellorum gente
dans leur notice biographique sur les Cappel. Le père de Jacques Cap-
pel et de Louis Cappel, Jacques Cappel, embrassa la Réforme : savant
jurisconsulte, il fut pendant cinq ans, de 1505 à 1570, conseiller au
parlement de Rennes. Dépossédé de son emploi à cause de ses con-
victions religieuses, il se retira dans son domaine du Tilloy, en Brie,
puis se réfugia à Sedan. Il était désigné pour faire partie de la chambre
mi-partie, établie près le parlement de Paris (édit de 1566). Non
seulement il ne put pas être mis en possession de cet office, mais il eut
à subir de cruelles persécutions et ne trouva de nouveau un refuge
qu'à Sedan, où il mourut en 1586. Sa veuve, pleine d'anxiété pour ses
enfants, eut la faiblesse, pour leur conserver leurs biens, de retourner
à l'Eglise catholique : elle eut un tel remords et un tel chagrin de
cet acte qu'elle en mourut. L'existence des enfants fut singulièrement
agitée et douloureuse. Jacques Cappel, l'aîné, né à Rennes en 1570,
fut le protecteur de ses frères et de ses sœurs, surtout de son frère
Louis, il se lit recevoir ministre à Sedan, puis il fut le pasteur de l'Eglise
qu'il put établir, d'après les édits, dans son iief du Tilloy. En 1599
il fut appelé comme pasteur et professeur à Sedan. Il exerça cette
charge jusqu'à sa mort (septembre 1621). L'indication de ses nom-
breux écrits, imprimés et manuscrits, se trouve à la fin du De Cappel-
lontm gente ; voir aussi la notice bibliographique de la France pro-
testante, Sedan eut, parmi les académies protestantes, une physionomie
spéciale. Cette école, comme celle de Bfontauban, s'attacha àconserver
rigoureusement le dogme orthodoxe et à combattre avec zèle l'Eglise
catholique. Sedan fut avant tout l'école de la controverse, et tous ses
théologiens éminents nous ont laissé des traités nombreux contre
l'Eglise romaine. Jacques Cappel lut sans doute un philosophe, un
antiquaire, un historien, un exégète et même un dogmatiste dis-
624 CAPPEL
tin gué, mais il fut surtout un eontroversiste. Il faut citer, dans le
domaine de la controverse, Les livres de Babel ou Histoire du siège
romain (Sedan, 1616) contre Ferrier, après son apostasie; Apologie
pour les Eglises réformées (1611) et Instruction chrétienne (1619), contre
le P. Cotton ; Catéchisme confirmant par l'Ecriture la confession de
foy, etc. (1622). Comme antiquaire, on cite le remarquable ouvrage
De mensuris lib. III (1607). Ses écrits d'exégèse sont imprimés dans la
grande édition, déjà citée, de son neveu ; ils roulent sur toutes les par-
ties de la Bible : la plupart se trouvent aussi imprimés dans les Critict
sacri d'Angleterre (Lond., 1660). Comme historien, il faut citer de
Jacques Cappel : Historia sacra et exotica ab Adamo usque ad Augus-
tum (Sedan, 1613) ; une Compendiosa in apostolicam historiam chrono-
logica tabula; et en manuscrit, signalées par son neveu, une Histoire
juive, une Histoire romaine, une Histoire du Christ et de ses Apôtres.
Enfin, comme dogmatiste, on trouve dans le Thésaurus theologix Se-
dunensis plusieurs thèses dogmatiques de Jacques Cappel, en particu-
lier De prœdestinatione, D? libero arbitrio, etc. A- Viguié.
CAPPEL (Louis), pasteur et professeur à Saumur, le fondateur de la
critique biblique, né le 15 octobre 1585 et mort le 18 juin 1658. C'est
au milieu des fureurs de la Ligue qu'il vit le jour. La famille persécutée
fuyait vers Sedan, quand, à Saint-Elier, village à cinq lieues de Sedan,
la mère mit au monde Louis Cappel. Le pauvre enfant, dès sa nais-
sance, faillit périr sous les coups d'une bande de ligueurs : il ne fut
sauvé que par la commisération d'un des hommes de la troupe. Il
perdit son père en 1586. Ce fut le frère aîné qui veilla sur lui avec une
paternelle sollicitude, la mère, comme on sait, ayant eu la faiblesse de
retourner au catholicisme pour recouvrer les biens de ses enfants et
étant bientôt après morte de repentir et de chagrin. Louis Cappel lit
son éducation complète sous la direction de son frère Jacques, et jus-
qu'à vingt ans il étudia à Sedan, ville qu'il n'avait pas quittée, sauf un
court séjour au Tilloy. Le duc de Bouillon lui confia à vingt ans l'édu-
cation de sa fille. A vingt-quatre ans, à la recommandation de Caméron,
il entra au service de l'Eglise de Bordeaux. Cette Eglise lui fournit les
moyens de compléter ses connaissances théologiques en visitant pen-
dant quatre ans les principales universités étrangères. Il demeura deux
ans à Oxford, où il se livra avec ardeur à l'étude de la langue arabe,
et des langues sémitiques en général. Il employa les deux autres années
à visiter les universités de l'Allemagne et de la Hollande. De retour à
Bordeaux, il fut appelé à Saumur comme professeur. L'Eglise de Bor-
deaux comprit qu'elle ne devait pas le retenir. Il prit possession de sa
chaire de professeur en 1614 : pendant un certain temps il essaya de
remplir aussi à Sedan les fonctions de pasteur. De 1614 à 1633 il garda
la chaire d'hébreu, de 1633 à 1658 celle de théologie. Longue et belle
carrière de professeur. Sa vie ne fut pas toutefois sans tourments : il
eut fort à souffrir des attaques de ses adversaires et une grande dou-
leur lui fut réservée dans sa famille, celle de voir son fils aine Jean
retourner au catholicisme. — Cappel est un savant de premier ordre,
aussi remarquable par la profondeur de ses recherches que par l'indé-
(APPEL G25
pendance de sa pensée. Sa science immense est aujourd'hui reconnue
et louée de tous : pendant sa vie il fut loué surtout des catholiques,
qui ne craignaient pas de l'entendre émettre des thèses hardies sur
l'Ecriture sainte : parmi les siens, les plus grands savants peuvent être
cités comme ses admirateurs : Casauhon, Vossius, Grotius, Bochart, etc.
Mais il fut violemment attaqué par certains protestants dont il choquait
les Opinions el les préjugés. Son indépendance d'esprit est complète,
il n'est arrêté par aucune crainte humaine, il est vraiment de sa
famille, cette famille qui avait tout bravé pour demeurer fidèle à ses
convictions : lui aussi, dans le domaine de l'activité théologique, il ne
connaîtra ni peur ni honte, et dira simplement et noblement les résul-
tats de ses profondes recherches. Louis Cappel, avec ses collègues et
amis Moyse Amyraut et Josué de La Place, contribua grandement à
l'éclat de l'école de Saumur. La tendance libérale acquit une puissance
extraordinaire de ces trois illustres professeurs, de l'accord de leurs
vues, de l'amitié qui les unissait, de la gloire de chacun d'eux dans
son domaine spécial. — Louis Cappel s'est distingué dans toutes les bran-
ches de la théologie, mais il faut avant toutes choses mettre en relief
la science, dont il est le père et le maître, et qu'il a fondée par les
deux grands ouvrages dont il va être parlé. Le premier de ces ouvrages
parut sous ce titre : Arcanum punctationis revelatum, sive de punctorum
vocaliiiïïi et accentuant apud Hebrœos vera et genuina antiquitate (Lug- ;
duni Batav. , 1624, in-4°; se trouve aussi dans la réimpression géné-
rale des œuvres de Louis Cappel par son fils Jacques : Comment, et
notx crtticx m Vet. 7'., Amstelod., lb'87, in-fol.). Dansce traité il y a deux
parties, une partie positive et une partie négative. Dans la partie posi-
tive Cappel établit que les points-voyelles, les accents et les autres
signes diacritiques, qui accompagnent le texte hébreu de l'Ancien Tes-
tament, ne font pas partie essentielle du texte et ont été ajoutés plus
tard par les masorèthes, environ cinq siècles après Jésus-Christ. Il fonde
sa thèse sur les faits suivants : que les rabbins admettent la nou-
veauté des points- voyelles, que le texte de la Loi employé dans les
synagogues ne porte point ces signes diacritiques, que le Talmud
n'en fait point mention , que les citations de l'Ancien Testament
dans Philon, dans Josèphe et les Pères, ainsi que des passages de
vieilles traductions grecques et de paraphrases chaldaïques montrent
que les textes en usage n'étaient pas ponctués, que certaines étran-
getés de ponctuation indiquent que ces signes sont d'une époque
OÙ la langue hébraïque n'était point parlée, etc., etc. Dans la seconde
partie, négative, de son ouvrage, Cappel réfute les arguments de ceux
qui revendiquent l'antiquité et la divinité des points-voyelles. Cappel
avait envoyé son ouvrage manuscrit à Buxtori pouravoir son sentiment
et son ap] robation. Buxtorf, dominé par le préjugé dogmatique, ren-
\o\;i le livre en reconnaissant la valeur des arguments et le sérieux
des recherches, mais en signalant le danger de pareilles doctrines, qui
devaient «''branler la foi en l'autorité littérale de la Bible. Cappel, il est
vrai, pour dissiper les préoccupations dogmatiques, protestait, au
commencement et à la fin de son livre, de son respect pour rKcriture,
m. 40
626 CAPPEL
et il était parfaitement sincère. Il ne se laissa pas décourager par
Buxtorf, il envoya son livre au savant orientaliste Erpénius, qui, dans
l'admiration de ces recherches, se chargea des frais de la publication.
Ce fut Buxtorf le fils qui répondit au livre de Cappel; il est toujours
dominé par les préoccupations dogmatiques, mais il adoucit sensible-
ment r opinion plus absolue de son père et en somme fait des conces-
sions à Cappel. Cappel répliqua au professeur deBàle par un nouveau
livre : Arcani punctationis vindiciœ; on le retrouve aussi dans les
Comment, et noix criticx. Il faut regretter clans les deux, écrits des
personnalités blessantes; il est juste de dire que Buxtorf avait le pre-
mier donné ce triste exemple. — Le second grand ouvrage critique de
L. Cappel est la Critica sacra, sive de variis quœ in sacrîs V. T.
libris occurrunt lectionibus lib. VI (Lutetiœ, 1650, in-fol.). C'est le fruit
de trente-six années de travail. Ce livre fonde la critique du texte de
l'Ancien Testament, et on peut dire de la Bible, car la critique du
texte du Nouveau Testament est abordée aussi. La Critica sacra a pour
but de montrer que le texte des écrits bibliques n'est pas absolument
pur, qu'il a été altéré par les copistes, et qu'il est possible de rétablir
scientifiquement le texte primitif. Profusion de faits, de leçons diffé-
rentes, de variantes apportés à l'appui ; comparaison de notre texte
actuel avec les citations faites dans le Nouveau, avec les manuscrits
juifs, avec la version des Septante, les paraphrases chaldaïques, les
versions grecques, la Vulgate, etc., et la conclusion est que le texte
actuel n'est pas de tous points identique avec le texte primitif, mais
que les variantes n'ébranlent pas l'autorité de l'Ecriture et ne touchent
pas aux choses quœ ad /idem et mores pertinent . Cette conclusion heur-
tait de front les opinions orthodoxes de l'époque. L'impression du
livre fut arrêtée pendant des années de par l'opposition décidée des
protestants. Le lils de Cappel, passé au catholicisme, Jean Cappel,
obtint que le livre pût paraître à Paris, en 1650, grâce à l'intervention
du P. Petau, du P. Mersenne et du P. Morin. Louis Cappel eut à défen-
dre ses vues clans des ouvrages spéciaux, surtout contre Arnold Boot,
Usserius et Buxtorf le fils. En 1675, les théologiens orthodoxes de la
Suisse publièrent contre les vues de L. Cappel en particulier, et contre
le libéralisme de Saumur en général, la fameuse Formula consensus Ec-
clesiarum helveticarum reformatarum, que Schweizer appelle très-jus-
tement la Formula antisalmariensis. Louis Cappel, à part ces deux
ouvrages capitaux, publia bien d'autres traités sur l'Ancien Testament, et
notamment Animadve?*siones ad novam Davidis Lyram, contre Gomar, sur
les règles de la poésie hébraïque et Diatriba de veris et antiquis Ebrxorum
litteris, contre Buxtorf; il soutient que les caractères samaritains étaient
les véritables caractères hébreux primitifs, et que les caractères carrés
actuels, d'origine chaldéenne, datent d'Esdras. Les travaux exégétiques
de Louis Cappel embrassent à peu près tous les livres de l'Ancien et du
Nouveau Testament. Ces commentaires visent tout d'abord le sens gram-
matical, littéral, mais les dissertations théologiques, ingénieuses, souvent
hardies, n'y manquent pas. Les commentaires de l'Ancien Testament
sont imprimés clans la célèbre édition faite par son fils : Commentarii
CAPPEL — CAPRATU 627
ïV.T. \; d ' ■! L, 1689). Les commen irleNouveau
unenl ont été publiés à Genève (1632) : Spicilegium seu notas
in \. T. Tous se trouvent dans les Critki soeri {JLondmi, 1(>00,2 vol. in-
fol). Les commentaires sur le Nouveau Testament son! v aimenl ren
quables par Le sens historique et l'esprit libéral. Toute notre interprétation
moderne est en germe dans cessavants travaux (voir en particulier ses
idées sur Les citations de r Ancien Testament dans le Nouveau Testa-
ment sur les types, rinterprétation allégorique, etc.). — Comme traité
théologique proprement dit, le grand recueil Syntagma thesium theolog.
in Academia salmuricnsi variis temporibus éUsputatarum, contient de
nombreuses thèses de Louis Cappel. Il a dit son sentiment sur le grand
sujet de discussion de l'époque, l'élection et la prédestination; il est
plus net et plus hardi qu'Amyraut et tire plus correctement les conclu-
sions de ses prémisses : au fond ce sont les sentiments des chrétiens
que Dieu appelle au salut qui constituent l'élection (voir le Recueil défi
thèses, part, 1, p. 144; part. II, p. 102, 108, 116 et 119). Le même
esprit moral, éthique, anime ses autres dissertations, notamment ses
dissertations sur le sabbat, sur l'état des âmes après la mort (Syntagma,
part. II, p. 263 et 243), ainsi que son écrit apologétique publié à part :
Le pivot de la foi et de la religion, ou preuve de la divinité contre les
athées et prophanes par la raison et le témoignage des saintes Ecritures
desquelles la divinité est démontrée par elles-mêmes (Saumur, 1643). Ce
qui frappe donc dans le père de la critique sacrée, c'est sans doute
avant tout sa vaste science, sa profonde érudition , son intelligence
parfaite des langues anciennes et des textes sacrés, mais c'est aussi son
sens théologique et philosophique, l'impulsion que, dans ce domaine
théologique il donna à la science protestante. Il eut cette gloire d'avoir,
dans Fliistoire du texte et dans les sciences philologiques et critiques,
substitué le fait au préjugé dogmatique, la méthode d'observation à Y à
priori, et, dans le domaine théologique proprement dit, d'avoir, avec
ses illustres collègues Amyraut et La Place, mis en relief l'élément pra-
tique, éthique, religieux, à la place de l'élément purement formel et
métaphysique. Nous avons indiqué les principaux ouvrages deL'M
Cappel. La liste complète de ses écrits imprimés et manuscrits setr:> i:
flans la grande édition donnée par son lils Jacques et dans la notice
bibliographie) ne de MM. Haag. — Voir, au sujet de Louis Cappel, les
histoires générales de la critique et de l'exégèse et notamment: Meyer,
Gesthichte der Schrifterkl. seit der Wiederherst. der Wùsensch.; l'article
de la France protest., Y article de M.Bertheaudans YEncycl.de Herzog,
ei la savante étude de M.Michel Nicolas, Revue de théol. de Strasbourg,
VIII, p. 257. a. viguié.
CAPRARA (Jean-Baptiste), né à Bologne en 1733. Entré de bonne
eure dans les ordres, il fut envoyé avant l'âge de vingt-cinq ans comme
vice-légat à Ravenne, par Benoit XIV, son compatriote. Clément XIII et
Pie VI Le nommèrent successivement nonce à Cologne, à Lucerne et à
Vienne, poste; difficile au temps de Joseph 11 et où il se distingua par
sa bienfaisance autant que par son habileté. Cardinal en 1792 etévéque
d'iësi en 1800, le succès de ses nonciatures le lit désigner par Pie VII
628 OAPEARA — CAPUCINS
légat a lafere près le gouvernement français, pour traiter du Concordat.
On sait de quelle manière il s'acquitta de cette mission. Il présida,
le 18 avril 1802, à la cérémonie qui inaugura à Notre-Dame le rétablis-
sement officiel du culte. Nommé archevêque de Milan, il y sacra Na-
poléon roi d'Italie le 28 mai 1805. Il gouverna cette Eglise jusqu'à sa
mort sans que sa bonne entente avec le gouvernement s'altérât un instant.
Un décret de Napoléon ordonna son inhumation dans l'église Sainte-
Geneviève (juillet 1810).
CAPUGIÉS {Capuciati), fanatiques du treizième siècle qui prirent pour
marque de leur, association un capuchon blanc auquel pendait une
petite lame de plomb. Leur mission était, suivant les uns, de purger
l'Eglise des hérétiques et des abus, afin de rétablir l'unité et la liberté
originelles; suivant les autres, de forcer par les armes ceux qui se
faisaient la guerre à vivre en paix. Les capuciés se disaient disciples
d'un certain Durand, bûcheron ou charpentier d'Auvergne, qui,
vers 1182, publia que la Vierge lui ayant apparu, lui avait donné son
image et celle de son Fils, avec cette inscription : Agneau de Dieu, qui
effacez les péchés du monde, donnez-nous la paix; qu'elle lui avait
ordonné de former une association dont les membres s'obligeraient
par serment à conserver la paix entre eux, et forceraient les autres à
l'observer. Ces fanatiques se répandirent surtout en Bourgogne et dans
le Berry, entrèrent en conflit avec les autorités, et ayant commis des
excès, furent battus et dispersés par les seigneurs et les évêques qui
avaient fait marcher des troupes contre eux.
CAPUCINES ou Filles de la Passion, instituées à Naples en 1538, par
Marie-Laurence Longa. Soumises à la règle de Sainte-Claire, elles
portaient un long capuchon qu'elles déposèrent dans la suite. L'ordre
se répandit bientôt en Italie, en France (couvent à Paris en 1606), en
Suisse, etc. Elles se dévouèrent à Milan, pendant la peste, sous la di-
rection de Charles de Borromée.
CAPUCINS, religieux de la plus étroite observance de l'ordre des
franciscains, ainsi nommés à cause du grand capuce ou capuchon
pointu, attaché à leur robe brune d'étoffé grossière. A l'origine, ils
n'avaient pas d'autre but que de reproduire d'une manière plus exacte
le costume et le genre de vie de saint François d'Assise. Ils devinrent
dans la suite les plus actifs, les plus nombreux et les plus populaires
p édicateurs des classes inférieures. En 1527, Matthieu de Bassi ou
Baschi et Louis deFossombrone, grâce à la protection que leur accorda
Clément VII, obtinrent l'autorisation de se détacher de l'ordre des
franciscains pour suivre une règle plus sévère. Ils prescrivirent, sinon
la vie solitaire, du moins la vie conventuelle réduite aux plus étroites
dimensions (au plus douze moines), le retour à la pauvreté absolue
et aux exercices ascétiques les plus pénibles. Les frères devaient porter
la barbe longue, ne se couvrir que de vêtements grossiers, marcher
nu-pieds, ne jamais faire de provisions pour plus de trois jours, ne
point toucher cle l'argent, dire les messes gratuitement, consacrer deux
heures par jour aux prières silencieuses, se flageller régulièrement. La
première congrégation générale eut lieu en 1529, et à partir de ce
CAPUCINS — CARACALLA 629
momenl l'ordre se répandit rapidement. Dès 1536, muni de l'approba-
tion de Paul III, il échangea le nom de Fratres minores eremitse sous
lequel il était connu d'abord, contre celui de Capûcini, sobriquet que
lui avait donné le peuple. Depuis le scandale provoqué par Bernard
Ochino (voy. cet article), qui en L543 quitta l'ordre avec éclat, les
capucins redoublèrent de soumission humble et servile, faisant du re-
noncement à toute jouissance et à toute culture, du dénuement absolu
imposé à l'esprit et au corps un idéal qui, dans la pratique, s'est
traduit fréquemment sous les formes les plus laides et les plus repous-
santes. En 1573, sous Charles IX, les capucins se sont introduits en
France; en 1592, en Allemagne; en 1606, en Espagne, où ils ont lar-
gement concouru aux missions d'Amérique, d'Afrique et d'Asie. Depuis
1619 les dernières restrictions qui pesaient sur leur ordre ont été
levées: les capucins sont autorisés à avoir à leur tête un général parti-
culier et à marcher derrière leur propre croix dans les processions.
Voyez: J. de Terranova, De origine Fratrum Capucin. S. Franc, 1573 ;
Boverius, Annales Ord. Minor. S. Franc, qui Capuc vocantur, Lugdun. ,
1632, 2 vol. ; Hélyot, Hist. des ordres monast., t. VII, c. 24.
CARACALLA, empereur romain dont le véritable nom était Bassianus
Severus. Son nom de Caracalla lui vient de la caracalle, long manteau
gaulois, qu'il affectionnait et dont il introduisit l'usage à Rome. Né à
Lyon en 188, il fut fait césar par son père, l'empereur Septime-Sévère
à l'âge de huit ans, et fut appelé par lui Marc-Aurèle Antonin. Les
médailles que nous possédons de Caracalla portent en effet ces mots :
Antoninus Pius Aug. Il succéda à son père en 211 (964 de Rome1,
conjointement avec Géta, son frère, qu'il haïssait et qu'il lit assassiner
Tannée suivante. Caracalla égala en cruauté Caliguïa et Néron, et
trouva moyen de les surpasser en folie. Dion évalue à vingt mille le
nombre de ses victimes. Il prend successivement pour modèles Sylla,
Alexandre et Achille, fait tuer le plus cher de ses affranchis pour avoir
un Patrocle à pleurer; il corrompt les soldats et dépense pour eux
280 millions de sesterces par an. C'est surtout dans ses expéditions
militaires qu'éclatent sa cruauté et sa folie. En Germanie, il achète à
prix d'or le droit de se dire vainqueur; à Antioche, il fait charger de
chaines Âbgar, le roi d'Edesse, après l'avoir invité à venir le trouver.
Il se rend à Alexandrie, comme pour adorer le dieu Sérapis, et fait mas-
sacrer la population par ses soldats pendant plusieurs jours et plusieurs
nuits; il marche contre les Parthes, revient à Rome sans les avoir vus
et se l'ail décerner le triomphe avec le nom de Parthique* Macrin, préfet
du prétoire, l'assassina le 18 avril 217. Caracalla méprisait les lettres.
snii plus grand plaisir était de conduire des chars au cirque, déguisé
en cocher. Après sa mort, un sénatus-consulte le mit, suivant l'usage.
au ranu do dieux. Caracalla accorda le droit de cité à tous les homme i
libres de l'empire. Ce fut, avec l'admissionfdes Egyptiens dans le sénat,
le seul acte important de son règne. 11 ne s'occupa point des chrétiens.
Les pires empereurs ne furent pas les plus acharnés contre la religion
naissante, el celle-ci ne fut point troublée sous son règne. La persécu-
tion qui é< laîa vers 2!1 en Afrique, et qui nous a valu une admirable
630 CARACALLA — GARACCIOLI
lettre apologétique de Tertullien (Lettre à Scapula) ne fut que la conti-
nuation de la persécution de l'empereur Sévère.
CARACCIOLI (Galéas), marquis de Vico, naquit àNaples en loi/. Issu
d'une des plus anciennes familles du royaume, il vécut à la cour de r em-
pereur en qualité de gentilhomme de sa chambre et épousa en 1537 Vic-
toria Caraffa de Nocera. Il demeura avec elle jusqu'en 1551 et en eut
quatre enfants. Introduit dans la société de Valdès, deM.-A.Flaminius,
de Bernardin de Sienne, de Pierre Martyr, il se convertit à l'Evangile,
abandonna sa vie mondaine, et lorsque Pierre Martyr dut s'enfuir, il se
rendit auprès de lui à Strasbourg, pour le consulter sur ses devoirs
de chrétien. Pleinement convaincu de la nécessité de manifester sa foi,
il fut, à son retour à Naples, rejeté par des coreligionnaires lâches et
poltrons, et après avoir vainement essayé de convaincre Donna Vitto-
ria, en 1551, il s'exila volontairement pour échapper à l'inquisition.
Prenant pour prétexte sa charge auprès de Charles-Quint, il passa quel-
que temps à la cour à Augsbourg, mais lorsque la cour se transféra
dans les Pays-Bas, Garaccioli se réfugia à Genève, où il se mit sou» la
direction spirituelle de Calvin, qui l'aima et l'honora jusqu'à sa
mort (Calvin, Comm. 1 Co?\, dédicace). A Bàle il se lia avec le
comte Martinenghi de Brescia, et de concert avec d'autres réfugiés
italiens, ils fondèrent à Genève l'Eglise italienne dont le comte
fut le premier pasteur et Garaccioli diacre. Sa famille, irritée dans son
orgueil, usa de tous les moyens pour l'ébranler. Il eut des entrevues
pénibles avec son père, à Vérone (1553) et à Mantoue (1555), lorsque
son grand-oncle Paul IV, J.-P. Caraffa, lui offrit de vivre en pleine
liberté avec sa famille, dans les terres des Vénitiens. Il revit ses enfants
à Lésina, son épouse à Vico (1558) ; son cœur de père et d'époux fut
déchiré, mais il demeura inébranlable dans sa foi, et lorsque sa femme
lui eut refusé les devoirs conjugaux et de venir librement habiter
Genève avec lui, il n'hésita plus et se sépara d'elle pour toujours. De
retour à Genève, il en obtint la bourgeoisie, et après un procès peu légal
(les lois n'ayant pas prévu son cas), Galéas, approuvé des principaux
théologiens réformés qui s'appuyaient sur 1 Cor. VII, 13, 15, envoya à
Donna Vittoria la lettre de divorce et se remaria avec Anna Framery,
de Rouen (1560). La rédaction de la lettre de divorce fut confiée à la
discrétion de Calvin. Galéas, membre du Petit Conseil, puis du Consis-
toire et du Grand Conseil, vécut dès lors dans une pauvreté honorable,
jouissant d'une grande considération dans la communauté italienne et
dans la ville. Il fut en relation avec les principaux réformés italiens et
avec Renée de France. Tourmenté par un asthme cruel et par les décla-
mations intempestives d'un sien parent, moine prédicateur qui fut
chassé de la ville, Galéas mourut le 7 mai 1586. Sa femme ne tarda pas
à le suivre, laissant son avoir au collège, aux réfugiés français et italiens
et quelques legs particuliers à Théodore de Bèze, à P. Diodati, à J. Col-
iadon. — Sources : Nicolas Balbani, lîistoria délia vita di Galeazzo Ca-
racciolo, marchese, Genève, 1587 ; Florence, 1875, publiée par E. Combe ;
J. Bonnet* Lettres françaises, II, 207-208; Heyer, Note sur G. Carac-
ciolo, Genève, 1854; Registres du Conseil de Genève, années 1551, 1559-
1560, etc. P. Long.
OÀRÀCCIOLI 031
CARACCIOLI (Antonio., panégyriste de Paul IV et de l'inquisition
(1556), écrivit pour cette dernière un Compendium hasreticorum d'une
valeur historique égale à celle du rapport de l'évêque Théatin, à Clé-
ment Vil. Ce Compendium, dont L'original se trouve dans le British
Muséum de Londres et dans la Casatanensis de Home, passe en revue
les principales villes de l'Italie, taisant rémunération des plus fameux
hérétiques (Morone de Modène, Soranzo de Bergame, Vergérius,
1>. Celso, Bertoli, protégé par le cardinalPolo et la marquise de Pescarr»
Pierre Martyr, Flaminius, Tremellius, Martinengo, Ochinus, Vittona
Colonna, Renée de France, le due de Palliano, Paleario> etc., etc.) et
nous indiquant avec horreur le grand nombre des adhérents de la
Réforme. Le Compendium démontre clairement que sans l'inquisition
L'Italie aurait eu, elle aussi, une glorieuse et féconde Réformation. —
Sources : Compendium haereticorum, publié dans la Rivista Cristiana,
avril 1876.
CARACCIOLI (Jean-Antoine), évêque de Troyes, et l'un de ceux qui,
eu adhérant à la Réforme, entendirent conserver à leur profit le système
épiscopal. Il était né à Melphe, au commencement du seizième siècle,
et lils de Jean Caraccioli, prince de Melphe, maréchal de France,
originaire d'une ancienne famille du royaume de Naples. Ayant reçu
une éducation soignée, il songea à entrer à la cour de François Ier ;
mais rebuté bientôt par les charges que cette vie imposait, il se retira-
en Provence, au désert de laSte-Baume; puis il prit l'habit de chartreux,
et un peu plus tard, en 1538, il entra chez les chanoines réguliers de
Saint-Victor, dont, en 1543, il était nommé abbé. Sa conduite, en
cette qualité, ne fut rien moins qu'édiiiante, mais il montra de l'habileté,
et Paiis lui dut de faire bonne contenance lors de l'arrivée de Charles-
Quint. Au mois de décembre lool , il obtenait i'évêché de Troyes,
avec licence de garder sa barbe longue. Malheureusement il était sans
doute redevable de tant de faveur à ses complaisances pour Diane de
Poitiers. Quoi qu'il en soit, Caraccioli, en confessant du moins avec
sincérité (pie « sa vie n'estoit point réformée ne telle qu'elle debvoit
estre, » se montra contraire aux grands abus de l'Eglise romaine, « la
messe exceptée ; » il attira la foule à ses sermons et forma ainsi le
premier noyau du troupeau évangélique Troyen. Forcé de se rétracter en
lôôi, il lut remplacé par le ministre Poncelet, de Meaux, jusqu'à la per-
sécution de 1557. Etant allé à Rome, cette même année, peut-être pour
y solliciter un chapeau de cardinal, Caraccioli, qui paraît y avoir échoué,
passa à son retour par Genève, où il conféra avec Calvin et Bèze et
sentil se réveiller son penchant pour la Réforme. Toutefois il restait
indécis et figura encore comme prélat catholique au colloque de
Poiss\ ; mais il y satisfit Bèze par sa courageuse hardiesse, et revenu à
Troyes, "1 se prononça enfin ouvertement, et proposa au consistoire
de le confirmer, s'il le jugeait bon, dans sa charge d'êvôque. Cette
ntion rencontrant des opposants, Calvin fut consulté. Une la blâma
pas formellement, et comme Bèze et Pierre Martyr avaient émis, vu
Les circonstances, et tout en réservant le principe, un avis relattvemen
iavorable à la demande de Caraccioli, il lut élu par le consistoire et
G32 CARACCIOLI — CARACTERE
réunit en sa personne les deux titres d'évêque et de ministre du saint
Evangile. Cet état de choses devait fort alarmer les évoques catho-
liques, qu'il avait scandalisés en se mariant (dit la Biographie Feller),
et qui finirent par obtenir sa destitution ; mais on lui accorda un
dédommagement pécuniaire. Après la bataille de Dreux, du sort de
laquelle Catherine de Médicis avait fait dépendre celui de la religion,
l'attitude du prince de Melphe parut très-équivoque. Il tint à être
chargé de négocier, afin d'aviser à ses propres intérêts, en conjurant
les représailles dont il était menacé et en se faisant autoriser à gagner
sa retraite de Chàteauneuf-sur-Loire. Il s'engagea sous main à prati-
quer selon les vues de la cour certains chefs du parti protestant, tels
que Clermont d'Amboise et Grammont. Retiré à Chàteauneuf, il y
mourut à la fin de 1569. Etait-il rentré dans le giron de l'Eglise ca-
tholique? Quelques-uns Font affirmé, mais sans fondement. Le fait de
son inhumation dans l'église paroissiale ne prouve rien. Il y a plus
d'une tache dans l'oraison funèbre qu'on put faire de Caraccioli. Ses
mœurs furent en contradiction avec ses talents, ses errements avec ses
lumières. Si cependant il s'était rencontré un plus grand nombre
d'évêques comme lui, une Réforme gallicane, Réforme mitigée et ana-
logue à celle d'Angleterre, aurait peut-être eu plus de chance de
s'établir en France que le radicalisme calviniste de Genève. La Saint-
Barthélémy, la Ligue et l'abjuration de Henri IV, la révocation de
l'édit de Nantes enfin, ces pages néfastes de notre histoire, en eussent
peut-être été effacées à l'avance. Et, qui sait? les causes et les effets
mêmes de notre Révolution française (laquelle procéda plus qu'on ne
pense des antécédents religieux de la nation), s'en fussent peut-être
trouvés singulièrement atténués, pour le bien de notre pauvre huma-
nité. Sed aliter visum est! Ch. Read.
CARACCIOLI (Louis-Antoine), né et mort à Paris (1721-1803). Il
descendait d'une branche de l'illustre maison napolitaine de ce nom,
établie depuis longtemps en France et ruinée par la catastrophe de
Law. Après des études distinguées, il entra en 1739 dans la congréga-
tion de l'Oratoire, et visita l'Italie, où son nom et ses talents le firent
bien accueillir, surtout des souverains pontifes. Il passa ensuite
quelques années comme précepteur en Pologne et revint en France
où il composa pour vivre une foule de biographies et de traités de
morale assez médiocres, malgré leur succès. Il écrivit, entre autres,
la vie des deux premiers généraux de l'Oratoire, le cardinal de
Bérulle et le P. de Gondren. Celui de ses ouvrages qui fit le plus de
bruit est le recueil des Lettres de Clément XIV (Paris, 1775, 2 vol. ;
1776, 3 vol. in-12). On l'accusa de les avoir composées lui-même, et
malgré la publication de l'original italien qu'il se hâta de produire,
on les lui attribua longtemps. Privé par la révolution des diverses
pensions qui le soutenaient, il reçut, en 1795, de la Convention, un
secours annuel de 2,000 livres, et mourut huit ans après dans un état
voisin du dénuement.
CARACTÈRE. Chaque homme apporte en naissant un tempérament
physique, des facultés et des prédispositions intellectuelles ou morales,
CARACTÈRE 030
qui s'allient ensemble dans des proportions particulières et forment
ainsi iinc combinaison à laquelle nulle autre n'est exactement pareille.
Il suit de là que chacun de nous entre dans la vie, prédéterminé à une
certaine manière de sentir, de penser et de vouloir. C'est comme si son
être avait été moulé dans une forme spéciale et frappé (Tune marque
dictinctive : c'est son caractère naturel. Le croisement des hérédités,
le climat, l'éducation, le milieu social et religieux tendent à former à
la longue les individus sur un même type général et vague, en effa-
çant les distinctions individuelles trop accusées (caractère national,
européen, etc.). Plusieurs, par faiblesse de volonté ou par manque de
principes, s'abandonnent à leurs inclinations naturelles et aux influences
environnantes; ils ont le caractère que leur font l'hérédité et les cir-
constances. On dit souvent de ceux-là qu'ils sont sans caractère, sans
doute parce que celui qu'ils ont n'est pas à eux. Mais l'homme n'est
point tout entier enfermé dans ce déterminisme. Il est appelé à prendre
possession de sa nature pour la spiritualiser, et à faire servir les in-
fluences extérieures elles-mêmes à la formation et à l'affranchissement
de sa personnalité. Il doit se donner à soi-même son propre caractère.
Il ne saurait assurément se reconstruire de toutes pièces, créer en soi des
facultés et un tempérament absolument nouveaux. Dans ce sens, il est
certain qu'on n'a pas le caractère qu'on veut. D'ailleurs la variété des
caractères individuels n'est ni un accident, ni un désordre, ni une .
transition passagère; elle est un bien, voulu de Dieu: c'est elle qui
fait la richesse et la puissance de l'espèce. Le devoir de l'individu est
donc, non pas d'effacer son "caractère propre, mais de le maintenir
au contraire et de le développer comme la forme particulière sous
laquelle il est chargé de réaliser le bien. Cela ne veut pas dire qu'il
n'y ait rien à détruire dans notre caractère naturel. Il en serait ainsi si
le développement de l'humanité était normal. Mais, l'espèce humaine
étant dans un état de déchéance, l'hérédité mêle des éléments mauvais
aux éléments constitutifs qu'elle transmet, et le milieu social et
physique exerce souvent une influence corruptrice. « Ce qui est né de
la chair est chair. » De là la nécessité d'une nouvelle naissance. Mais la
régénération qu'opère Jésus-Christ laisse subsister l'individualité avec
ses traits particuliers; pour mieux dire, en délivrant celle-ci de tout
ce qui la déforme et la corrompt, elle la reconstitue dans sa divine
originalité. Il suffit de se rappeler les caractères si fortement trempés
et si nettement distincts d'un saint Pierre, d'un saint Jean, d'un saint
Jacques, d'un saint Paul pour comprendre que l'idéal de l'Eglise, la
perfection du royaume de Dieu, ce n'est pas l'effacement des diver-
sités individuelles, c'est bien plutôt l'harmonie de personnalités
libres et grandes, ayant chacune leur caractère propre et leur rôle, et
se complétant les unes les autres en Christ. La transformation du
caractère naturel en un caractère chrétien est l'œuvre de toute la vie :
elle se confond avec Ja sanctification, dont h; but n'est pas seulement
d'accomplir la multitude des actes saints qui si; proposent à la volonté,
mais de former un caractère saint. Ajoutons en Unissant que l'on parle
souvent du caractère chrétien en général pour désigner l'ensemble des
634 CARACTERE — CARAITES
vertus chrétiennes, considérées comme formant un tout organique et
vivant : c'est en effet, par excellence et idéalement, la marque dis-
tinctive du chrétien. — Voir sur le sujet : Rothe, Theologische Et lu' h,
III, §§ 629-634, 687; IV, §§ 991-1003; Ad. Wultke, GhristL Sittenkkre,
I, § 137; II, p. 882; Ed. de Hartmann, Philosophie de l'Inconscient,
trad. par 0. Noie», I, p. 287-291; II, p. 321-336. Ch. Bois.
CARAITES, secte juive dont les derniers vestiges subsistent encore
aujourd'hui. D'après l'étymologie ordinaire, basée sur leurs tendances
dogmatiques, les caraïtes tirent leur nom du verbe hébreu qârâ (lire),
et les qeràim seraient les juifs attachés uniquement au texte biblique.
Il est toutefois pour le moins étrange que les Juifs ignorent cette étyrno-
logie et que le Talmud ne parle pas d'eux sous ce nom. L'étymologie
moderne, tirée de l'arabe : korâm, le lecteur, c'est-à-dire le lecteur
de la Bible, titre qu'ils s'attribuent eux-mêmes, semble plus judicieuse.
L'origine des caraïtes est tout aussi incertaine et obscure. Ils ne des-
cendent pas des sadducéens proprement dits (Néander), quoiqu'ils
rejettent, comme eux, la tradition orale ; ce sont les disciples des
écoles grecques établies en Syrie et en Palestine sous le règne des
Séleucides, et les adversaires les plus acharnés des pharisiens. Long-
temps isolés dans leur lutte contre les rabbinites, ils se recrutaient
parmi les mécontents, opposant aux doctrines des rabbins, comme
principe fondamental, le rejet absolu de toute tradition non ren-
fermée dans l'Ancien Testament ou pouvant en être tirée logiquement.
Cette opposition philosophique, religieuse et politique tout à la fois,
s'accentua davantage après la destruction de Jérusalem, qui rallia aux
mécontents une foule de sadducéens. Etablis d'abord en Palestine
sans autre lien commun qu'une communion d'idées religieuses, ces
esprits libéraux se répandirent en Palestine et dans les pays environ-
nants. Leur opposition aux rabbinites devint plus vive à mesure que
ces derniers exagéraient leurs principes, mais ce n'est qu'au huitième
siècle et grâce à l'appui que leur prêta l'Islam que nous voyons appa-
raître, sous le nom de caraïtes, une communauté indépendante
dirigée par l'ancien rabbin Anan et son lils Saùl (Paul). La conversion
de ces deux hommes et l'appui qu'ils trouvèrent auprès du calife
Abu-Giafar-al-Mansor (734) contribuèrent puissamment à la constitu-
tion de la secte. Animés d'un ardent prosélytisme, les caraïtes se
répandirent rapidement en Syrie, en Palestine et en Babylonie, et y
fondèrent des communautés nombreuses et ardentes. Ils s'organisèrent
sous la direction d'un patriarche (nâsi) dont le siège fut d'abord
Jérusalem et plus tard Al-Kàhirah (le Caire) ; leurs historiens nous ont
conservé la liste complète des vingt-trois titulaires du patriarcat pen-
dant près de neuf cents ans. Après la destruction de Jérusalem (1100),
les caraïtes émigrèrent; les uns s'établirent dans le califat d'Alep,
d'autres dans l'empire romain d'Orient, d'autres en Egypte, dans les
Etats barbaresques, où ils vécurent en véritables nomades, et même en
Espagne, où leur influence littéraire manqua faire crouler l'autorité
des rabbinites. Chassés de la Castille, ils revinrent vers l'Orient et
fondèrent, dès le treizième siècle, en Crimée, dans l'Ukraine, en
CARA1TES 035
Pologne, en Lithuanie, de nombreuses colonies <jui se sont mainte-
nues jusqu'à nos jours. Ils ont en outre des communautés à Constan-
tinople, à Baktschesirai, où ils possèdent une admirable synagogue, à
Dschufukalé, colonie de plus de doux cents familles, en Moldavie, en
Valachie et en Gallicie. ("est dans ce dernier pays que, d'après les
relation, les pins récentes, ils sont le mieux organisés dans les colonies
de Luzk, Ilalicz. Prosz et de Krosnoï-Ostrow ; ils y jouissent de grandes
immunités et sont délivrés des lourds impôts qui pèsent sur les Juifs,
grâce à une charte, souvent confirmée et remontant au roi Etienne de
Hongrie (1578). Ils doivent la considération dont ils jouissent de la
part do^ gouvernants et des chrétiens, au milieu desquels ils vivent,
à leur honnêteté et surtout à leur abstention de toute affaire de lucre;
jamais un earaïte n'a paru devant un tribunal du pays. C'est dire en
même temps que les juifs leur vouent, aujourd'hui comme dans les
commencements de la secte, la haine la plus profonde et refusent abso-
lument de les admettre à leur table. — Les doctrines des caraïtes, basées
uniquement sur les Ecritures, avec le rejet absolu de toute tradition
orale rabbinique, peuvent se résumer dans les points suivants : Le
monde est l'œuvre d'un créateur éternel, unique et personnel, qui a
envoyé Moïse auquel il a donné sa loi. Cette dernière, claire par elle-
même, n'a besoin d'aucune addition humaine, car le texte n'aurait
pas de sens, s'il n'était pas transparent. Dieu a inspiré les prophètes,
et leur a ordonné d'enseigner la résurrection. Il n'abandonne pas
les hommes , mais les améliore graduellement par la souffrance ,
jusqu'à ce qu'ils soient dignes d'être sauvés par Messiah, fils de David.
Quant aux autres doctrines de l'Ancien Testament, les caraïtes les
admettent et les professent dans leur teneur littérale. Quant aux rites
aussi, ils se distinguent des rabbinites, ils n'admettent qu'une seule
nouvelle lune, fixée d'après l'apparition de la lune, rejettent les
doubles jours de fête, ne se servent pas des tchillin (bandes recou-
vertes du texte de la loi), sont plus sévères dans l'observation stricte
des lois sur le sabbat, les purifications, les morts, le divorce, qu'ils
n'autorisent qu'en cas d'adultère, sur le mariage à des degrés prohi-
bés. Depuis la dispersion, le patriarcat a perdu peu à peu toute in-
fluence et n'existe plus aujourd'hui. Les communautés s'administrent
isolément ; chacune d'elles a à sa tête un chacham (rabbin) qui bénit
les enfants (le trentième jour après la naissance) et les mariages, assiste
aourants, dit les prières publiques et fait en même temps l'office
criticateur (schochèt). Tout en se maintenant, les caraïtes, que
Locuments officiels autrichiens appellent aujourd'hui caraïmes ou
caraïmiteSj ont bien perdu de leur ancienne splendeur et surtout de
leur productivité littéraire. Il est d'autant plus important de signaler
en terminant, parmi les nombreux et brillants écrivains de la secte,
les DOms suivants : David-ben-Boàs (950) , Commentaire sur toutel'Ecri-
: Hadazî-Habêl de Jérusalem (1140) qui, dans son livre Eschkôl-
ffakôphêr, a donné une histoire de la secte el de ses doctrines ; Jacob-
ben-Rûben, qui a écrit un Commentaire biblique très-important ;
Ahâron-ben-Josèph (1294), Commentaire sur le Pentateuque ; Ahàron-
£tf CARAÏTES — CAE0AS80NXE
ben-Eliàhû (1350), dont l'ouvrage, Gan-Eden, sommaire des loi
religieuses et civiles, est devenu le code de la secte. Les deux ouvrages
modernes les plus importants concernant les caraïtes remontent au
dix-septième siècle. Samuel-ben-David (1641) a écrit des relations de
voyages faits au milieu des communautés caraïtes, et Mardochaï
(1099), auquel nous devons beaucoup de détails, a écrit l'histoire la
plus complète de la secte qui emprunte une importance particulière à
la lutte séculaire et presque victorieuse qu'elle a livrée au rabbinisme.
— Sources : Dictionnaire de Bayle ; Reland, Antiquitates sacrx; Bur,
Geschichte der-jùdischen Secten; Graëz, Geschichte der Juden; Triegland,
Diatrib. de secta Karaït. E- scherdlin.
GARAMUEL (Juan Caramuele di Lobkowitz), célèbre cistercien, né
à Madrid en 1606, mourut en 1682, évêque de Vigevano. Moins remar-
quable par ses nombreux écrits que par les hautes dignités ecclésias-
tiques dont il fut tour à tour ou à la fois revêtu et par son rôle militaire
pendant la guerre de Trente Ans, il a laissé ce souvenir d'un raisonneur
habile et d'un homme d'une érudition plus étendue que solide. —
Voyez N. Antonio, Bibl. hispana, I; Tadisi, Mem. délia cita di Giov.
Caramuele, Venise, 1760, in-4°.
CARAVAGE (Michelangelo Amerighi da Caravaggio) [1569-1609],
peintre milanais, formé sans maître, caractère passionné et sauvage,
inaugure la réaction contre l'idéalisme religieux des siècles précé-
dents. Sa peinture réaliste copie d'une manière saisissante la nature,
dans ses aspects les plus repoussants mais non les moins tragiques. 11
excelle à représenter les scènes lugubres, comme la mort, le crime,
la misère et la perversion en leurs types extrêmes. Ses ligures sau-
vages, laides, grimaçantes portent, même dans les sujets religieux,
l'empreinte de la vulgarité. Caravage est par excellence le peintre des
vagabonds et des bohémiennes. Ses cadavres ont un grand style. Le
coloris de ses tableaux est chaud, hardi, audacieux; le relief des con-
tours est bien accusé; les ombres ou les clairs-obscurs sont traversés
d'éclairs fauves qui font ressortir la laideur horrible des haillons et
des plaies. Caravage a peint sur fresques Y Histoire de saint Matthieu
dans l'église San-Luigi de' Francesi à Home, la Sépulture du Christ
au-dessus d'un maître-autel du Vatican, la Mort de la Vierge au
Louvre. Ses personnages manquent de noblesse, mais non de vérité.
Ge n'est pas le souffle religieux qui les anime; mais ils reproduisent
avec un art consommé l'impression navrante que laisse le spectacle
des grandes infortunes humaines.
CARCASSQNNE (Carcasso) ne fut évêché que depuis la fin du sixième
siècle. Jusqu'au temps de Pépin, l'évêque de Carcassonne ne prit
point part aux synodes de Gaule, mais d'Espagne, laSeptima.nie appar-
tenant aux Goths,puis aux Sarrasins. L'histoire de saint Hilaire, dont on
l'ait le premier évêque de cette ville, et que l'on suppose fondateur de
l'abbaye qui porte son nom, est bien douteuse, moins encore toutefois
que la légende d'après laquelle l'Evangile a été prêché à Car-
cassonne par saint Crescent, disciple de saint Paul. On cite parmi les
évêques saint Gimer(931) et Guy, abbédes Vauxde Cernay (1210-1223).
CARCASSOXXE — CAUDEL 637
Le 15 août 1209, La ville l'ut prise sur les Albigeois; ses habitants, qui
avaient chassé en 1^2i)7 Béranger, leur évéque, e sortirent nus de ta
ville, sans rien emporter que leurs péchés » : ainsi parle Pierre des
Vaux de Cernay. L'ancienne abbaye de Notre-Dame de Saint-Sauveur,
contemporaine de Charles le Chauve, fut détruite dans l'incendie.
L'église de Saint-Nazaire et Saint-Celse, construite au quatorzième
siècle, et qui avait autrefois un chapitre soumis à la règle de Saint-
Augustin, a remplacé en 1802, connue cathédrale, celle de Saint-Vin-
cent, antique et bel édilice mêlé de roman et de gothique (onzième au
quatorzième siècle». Narbonne est la métropole de Carcassonne. —
Voyez Gallia, VI; Bouges, Hist. de C, Paris, 1741, in-4°; Mahul,
Cartel. </>■ C, 6 vol. in-4°, Paris, 1837-72.
CARCïïEMICÏÏ [Karkemich], ville foniliée importante, au confluent
de l'Euphrate et du Ghaboras, à égale distance d'Antioche et de
Sélcucie, le Cercusium, Circesïum, Circessum des Grecs (Amm. 3Iarc,
23, 5; Zosim., 3, 12; Procop., 2, 5), le Xacojpa de Ptolémée (5, 18),'
est célèbre par la sanglante et décisive défaite que le roi de Babylone
Nabuchodonosor y lit essuyer au roi d'Egypte Nécho, la quatrième
année du règne de Jéhojakim, fils de Josias, roi de Juda (Jérém. XLYI
2; cf. Es. X. 9; 2 Chron. XXXV, 20).
CARDAN (Jérôme), né à Paris en 1501, professa les mathématiques
et la médecine, luttant contre la misère par la publication de nombreux
écrits. En 1570, il se retira à Home, où il obtint le titre d'associé du
collège médical avec une pension du pape, et mourut en 157(). Bizarre,
d'une vanité excessive et s'attribuant, dans son autobiographie, tous
les dérèglements, il se vante d'avoir, comme Socrate, un démon
familier et le pouvoir de tomber en extase quand il le veut, de recevoir
des avertissements par voie de songes ; il prône l'astrologie judiciaire,
les amulettes, la magie. Sa doctrine, exposée notamment dans le De
subtilitate libri XXI, est un singulier mélange de néoplatonisme et
d'averrhoïsme. Le mouvement et la vie de tous les êtres ont leur
source dans Pâme du inonde, puissance unique et universelle, qu'il ne
parait pas distinguer de la divinité; il proclame l'identité de l'homme
avec Dieu : Intellectum sic Dca esse adeptum ut nos prorsus unvm cum eo
esse mtueamur (De utilitate ex adv., Il, c. 5). L'esprit peut être consi-
déré soit au point de vue de son essence, et dans ce cas il est absolu
éternel, ue connaissant que l'universel, soit dans ses manifestations,
dans ses individualisations, et c'est à ce titre quel'homme possède des
facultés personnelles. L'àmc est immortelle, mais cette vérité est inu-
Lile, langereuse même; étrange réserve qui fait supposer qu'à ses
yeux l'immortalité n'est que la continuité du principe de toute vie.
Les œuvres de Cardan ont été publiées en dix volumes (1663). Voyez
l'art, de M. Frank, dans le Diction, des se. philos.; Rixner u. Siber
Ijcjirn u. Lehrmeinungen berùhmter Pht/siker des 16«. 17 Jahr h. 1829.
CARDEL (Jean), réfugié protestant, né à Tours en 1635, qui, pour se
soustrai e aux persécutions par lesquelles on préluda à la révocation
de l'édif de Nantes, alla en 1(>7'p établir à Manheim une grande manu-
lac! ire de soie qu'il porta au plus haut degré de prospérité et de
638 CARDZL — CARDINAL
richesse. Cette fortune commerciale lit ombrage au gouvernement de
Louis XIV : sa perte fut résolue. On l'attira en France et on le prit au
piège, pour le conduire au donjon de Yincennes (25 novembre 1685).
Vainement l'électeur, le roi Guillaume et les Etats-Généraux: élevèrent-
ils leur voix : on répondit que Cardel était mort. Il avait résisté à toutes
les offres qu'on lui faisait pour qu'il changeât de religion et vînt se
fixer en France ; il avait bravé les menaces et les tortures ; les larmes
mêmes de sa mère, les supplications de ses amis le trouvèrent inébran-
lable. Transféré dans un cachot fangeux de la Bastille, en août 1690,
il y séjourna jusqu'en 1705, le corps chargé de soixante-trois livres
de fer, et il n'y succomba qu'après trente années de cette horrible
captivité. Il avait là, pour compagnons d'infortune, Farie de Garlin,
conseiller du Béarn, La Mas, etc., enfin Braconneau, qui mit lin à ses
jours par un coup de couteau, le 18 février 1691. Jean Carde! a, certes,
mérité que son nom fût inscrit en lettres d'or dans le martyrologe des
réformés de France.
GÀRDEL (Paul), sieur du Noyer, fils d'un avocat rouennais, ministre
à Grosménil, près de Rouen. La révocation de l'édit de Nantes le força
de se réfugier en Angleterre. Puis il alla en Hollande, où il conçut,
avec Cottin, le projet de rentrer en France pour y prêcher sous la croix.
À peine arrivé à Paris, en 1088, il fut vendu à la police par une femme
de service, et surpris comme dallait avec le médecin Bernier porter ses
consolations à une malade. Tous deux furent jetés dans le donjon de
Vincennes, et transférés, en 1691, à la Bastille où ils se trouvèrent ren-
fermés avec Blisson, le médecin Bonpaillard, sieur dePavillois, Bouais
<et sa femme, impliqués dans la même affaire. Après avoir enduré
toutes les tortures plutôt que d'abjurer, Cardel fut transféré aux iles
Sainte-Marguerite en 1694, et mourut subitement le 13 juin 1715.
CARDINAL. Ce titre, appliqué d'abord à certains officiers de la
cour de Théodose et à divers fonctionnaires de l'empire, s'est étendu
aux prêtres titulaires des principales églises et aux diacres chargés des
chapelles de moindre importance, pour les distinguer des ecclésiastiques
qui ne les desservaient qu'en passant. C'est ainsi que l'évêché de
Troyes avait treize curés nommés sacerdotes cardinales, et que Thibaud,
évoque do Soissons, appelle dans une charte le curé de Saint-Jean-des-
Vignes presbyter cardinales ipsius loci. Au concile de Rome de 823,
Léon IV désigne certains prêtres sous le nom de presbyteri cardinales,
et leurs églises sous celui de parochiœ cardinales. Il en est de même des
diacres. On comprend ainsi que, dans l'origine, les cardinaux étaient
inférieurs aux évêques, qu'une non-résidence illégitime leur faisait
perdre leur titre, et que, promus à l'épiscopat, ils laissaient leur cardi-
nalat vacant. Mais, conseillers naturels de l'évêque de Rome, ses car-
dinaux s'élevèrent avec lui et ils ne tardèrent pas à prendre le pas sur
tous les dignitaires du dehors. Leur titre se restreignit d'abord aux
seuls curés de Rome et à sept prélats voisins. Plus tard, l'importance
croissante de cette fonction amena un grave changement dans la ma-
nière d'en distribuer les titres. Alexandre III, le premier, nomma car-
dinaux deux évêques étrangers, et il devint bientôt de règle que tout
CARDINAL — CARÊME 639
archevêque, évêque, prêtre ou diacre, élevé à cette dignité, prendrait
le titre d'une des églises de Rome. Ainsi Charles Borromée, créé cardi-
nal-diacre du titre de Saint-Vitè, l'échangea après son ordination pour
celui de cardinal-prêtre de Sainte-Praxède, et le doyen actuel des car-
dinaux-prêtres est Philippe de Àngelis, archevêque de Fermo. il est
difficile de constater le moment précis où le collégedes cardinaux a été
ex< lusivement en possession d'élire le pape, car cet empiétement de la
cour romaine a subi, comme tant d'autres, un sorte de iluxet de reflux
qui ne laisse constater qu'après un long intervalle les progrès accomplis.
11 n*est pas douteux toutefois qu'Hildebrand n'ait puissamment aidé à
celle révolution intérieure. En 1058, il profita de ce que les événements
politiques fermaient les portes de Rome à la cour pontificale pour faire
«dii-e .Nicolas II à Sienne par les seuls cardinaux. Dès lors il ne resta
guère au clergé et au peuple que le vain privilège de confirmer par
leur consentement la nomination des pontifes. En 1059, le canon I du
concile de Rome légalisa cette usurpation en disposant « que l'élection
du pape serait à l'avenir principalement au pouvoir des cardinaux, et
que le pape élu serait intronisé du consentement des ordres religieux,
des clercs et des laïques. » L'élection de Grégoire VII consacra l'inno-
vation. En 1179, le troisième concile de Latran fit le dernier pas et,
écartant toute intervention du clergé et du peuple, il remit l'élection
du pontife aux seuls cardinaux réunis en conclave. Depuis, les décrets
de Grégoire X, de Clément V et de Pie IV ont réglementé dans ses plus
minces détails le nouvel ordre de choses. Innocent IV, au concile de
Lyon (1443), attribua aux cardinaux le chapeau rouge, Boniface VIII la
pourpre et Urbain VIII le titre d'Eminence, en 1630. Un cardinal envoyé
en légation s'appelle légat a latere. Le nombre des cardinaux a singu-
lièrement varié. Sixte-Quint, par sa bulle du 3 décembre 1686, Ta fixé
à 70, dont 6 cardinaux-évèques, savoir les évoques d'Ostie, de Porto,
d'Albano, de Sabine, de Frescatiet de Palestrina, 50 cardinaux-prêtres
et 1 i cardinaux-diacres. Par suite de morts récentes, le Sacré-Collège
ne comptait, au commencement de 1877, que 5 évêques, 41 prêtres et
10 diacres. Les doyens de chacun de ces trois ordres gouvernent
UEglise après la mort du pape jusqu'à l'élection et au couronnement
de son successeur. Des écrivains ultramontains se sont plu à comparer
le pape et les cardinaux à Moïse entouré des 70 juges qu'il institua sur
Israël : on voit que c'est remonter encore j)lus haut que saint Pierre.
— Voyez: Ducange, Glossa?'.; Frison, G allia purpurata; Bellarmin,
Contr., t. IL, lib. I, 16; Henri de Sponde, Suite de Baronnes, aux
années 1254, 1304 et 1362; Aubery, 11ht. des Cardinaux, etc.
P. KOUFFET.
CARÊME (autrefois quaresme, de quadragesima), jeûne de quarante
jours qui sert de préparation à la fête de Pâques. L'origine de cet
usage est fort ancienne. Les Pères la font remonter aux temps apos-
toliques, en invoquant à l'appui l'exemple de Moïse sur le mont
Sinaï (Ex. XXXIV, 28), de Jésus-Christ avant sa tentation dans le désert
Matth. IV, t et parall.), et même les quarante heures que le Christ a
passées dans le tombeau. Le concile de Nicée en 325 (can. 3, disU
640 CAREME
XYII1), et celui de Laodicée de l'an 365 (can. 8, dist. III), en par-
lent comme d'un usage observé dans toute l'Eglise. Jérôme affirme :
Nos unant quadragesimam secundum traditionem apostolorum, toto nobis
orbe congruo, jejunamus (Epist. XX Vil), et Léon Ier déclare : Apostolica
institut ioquadragintadierumjejunioimpjleatur (Sermo XLIII, de guadra-
gesima, VI). Dans la pratique nous voyons toutefois régner une grande
diversité. Irénée, cité par Eusèbe (Hist. eccl., V, 24), dit que, de son
temps, les uns croyaient qu'ils devaient jeûner un jour, les autres
deux, ceux-ci plusieurs jours, ceux-là quarante. Au quatrième siècle,
à Rome, le carême ne durait que trois semaines; en Illyrie, en Achaïe,
à Alexandrie, par contre, il embrassait sept semaines (Socrate, V, 21 ;
Sozomène, VU, 19). Comme on ne devait pas jeûner le dimanche,
les six semaines du carême ne donnaient que trente-six jours ; à partir
du cinquième siècle, on empiéta sur la semaine précédente et Ton
plaça le point de départ du carême au mercredi des cendres (caput
jejuniï). L'Eglise grecque commence le carême une semaine plus tôt
que l'Eglise latine ; mais elle ne jeûne pas les samedis, excepté le
samedi de la semaine sainte. Les anciens moines latins faisaient trois
carêmes de quarante jours chacun : le principal avant Pâques, l'autre
avant Ncëi (on l'appelait le carême de la Saint- Martin), le troisième de
Saint-Jean-Baptiste, après la Pentecôte. — Les anciennes prescriptions
touchant la célébration du carême étaient fort sévères. Le concile de
Tolède (635) ordonne que ceux qui, sans nécessité, auront mangé de
la viande en carême, n'en mangeront point pendant toute l'année et
ne communieront point à Pâques. Ceux que leur grand âge ou la maladie
obligent à en manger, ne le feront que par permission de révoque.
Insensiblement la discipline de l'Eglise se relâcha sur la rigueur ,du
carême. Dans les premiers temps, le jeûne, même dans l'Occident,
consistait à s'abstenir de viande, de poisson, d'œufs, de laitage, d'huile,
de vin, et à ne faire qu'un seul repas après les vêpres ou vers le soir.
Seule, l'Eglise grecque aujourd'hui n'autorise que l'usage du pain et
de l'eau, des fruits secs et des légumes. Dans l'Eglise latine, lesévêques
peuvent donner aux fidèles la permission de manger des œufs, du
lard, du beurre, du poisson, et un mandement annuel détermine les
conditions du carême; on obtient aussi la dispense du maigre, excepté
pour le mercredi, le vendredi et le samedi. L'usage des aliments gras
n'est d'ailleurs autorisé que pour un seul repas de la journée. L'argent
des dispenses accordées pendant le carême fut autrefois employé aux
constructions religieuses. Durant ce temps de pénitence, on ne marie
pas ; les autels, les statues, les tableaux, se couvrent de voiles. Dès
l'origine, on joignit au jeûne du carême la continence, l'abstinence des
jeux, des divertissements et des procès. Jadis les tribunaux étaient
fermés pendant tout le carême ou pendant une partie de ce temps,
et les châtiments corporels étaient suspendus. Seule parmi les Eglises
protestantes, l'Eglise anglicane a conservé l'usage du carême. — Voyez :
Thomassin, Traité luslor. et polit, du jeûne, Paris, 1680 ; Beveridge, Notes
sur les canons des apôtres, liv. III; Ducange, Glossariunt, s. v. Quadra-
qcsima; Liemke, Die Quadragesinialfasten der Kirc/ie, Mùnchen, 1853.
OAREY - CARINTHIE C4I.
GAREY (William), missionnaire, né à Paulersbury, en Angleterre
en 1761, mon en 1834 dans l'Inde. Amenée l'Evangile parun sermon
de Scott le commentateur, il se voua au ministère dans l'Eglise ban-
liste; puis, poussé par une vocation irrésistible, il fonda en 17(.b> la
Société des Missions baptistes, dont il fut le premier missionnaire. Ses
débuts dans l'Inde furent difficiles, à cause du mauvais vouloir du
gouvernement el de la tiédeur des Eglises d'Angleterre. Mais Carev
vainquit ces difficultés à force de dévouement et d'énergie. Ses apti-
tudes extraordinaires pour les langues tirent de lui un orientaliste de
première force, et le gouvernement l'appela à enseigner le bengali le
mahratta et le sanscrit dans son collège de Calcutta. Il publia la gram-
maire de quelques-unes des langues de l'Inde et mena de front plu-
sieurs traductions de la Bible dans ces langues. Quand il mourut les
presses de la mission qu'il dirigeait à Serampore avaient imprimé
213,000 exemplaires de l'Ecriture sainte en quarante idiomes diffé-
rents. — Voir sur Carey : sa Vie, par son fils; VHist. de la Soc. miss,
bapt. de F. Cox; Great Missionaries, by Andrew Thomson.
CARINTHIE. LaCarinthie, en allemand Kœmthen, est aujourd'hui
Tune des provinces allemandes de la monarchie autrichienne. Sous la
domination romaine, elle faisait partie du Norique. Lors de l'invasion
des barbares, elle tomba entre les mains de tribus slaves, qui en for-
mèrent un duché. Les populations du pays, tant conquérants que *
peuple conquis, étaient encore païennes. Les évèques de Passau et de
Saltzbourg, et surtout saint Virgile, y firent annoncer l'Evangile, que
les basses classes reçurent volontiers, mais auquel la noblesse se mon-
tra violemment opposée. La Carinthie ayant été incorporée à l'em-
pire carlovingien, le margrave Gérold, l'un des compagnons de Char-
lemagne, extermina la noblesse païenne et le christianisme fut dès lors
définitivement établi dans le pays. Après le démembrement de l'em-
pire d'Occident, la Carinthie fut successivement rattachée à la Bavière
la Bohème, au Tyrol et enfin, depuis 1335, à l'Autriche, à qui elle
n'a cessé d'appartenir depuis lors, sauf de 1809 à 1813. Au quinzième
siècle, elle eut à résister à l'invasion des Turcs et réussit à en triom-
pher. La Réformation trouva de nombreux adhérents en Carinthie. En
i:i:i:> le pays était presque entièrement luthérien. A la fin du seizième
siècle, l'évêque se plaint que le vingtième à peine de la population est
resté fidèle à l'Eglise catholique. Mais là aussi les jésuites travaillaient
à la contre-réformation. Pendant longtemps on prépara le terrain et
lorsqu'on se crut eu mesure, un édit impérial ordonna, en 1601 à
tous les luthériens de la Carinthie de se convertir ou d'émigrer dans
les sii semaines. L'empereur Ferdinand 11 acheva ce que cet édit avait
commencé, et depuis la, fin de la guerre de Trente-Ans, la Carinthie
peut être considérée comme une province exclusivement catholique
Sur 337,694 habitants (1869), on ne compte (pie l(i à 1,700 luthériens
13 réformés et quelques grecs. Le chef de l'Eglise catholique de Ca-
rinthie est le prince évêquede Gurk,qui réside à Klagenfurth; il esl
assisté d'un chapitre composé d'un prieur, d'un doyen et de six cha-
noines, et d'un consistoire composé des membres du chapitre et de
642 OARINTHIE — CARLSTADT
cinq'conseillers. On trouve à Klagenfurth une école diocésaine de théo-
logie avec sept professeurs, un grand séminaire et un petit séminaire.
Le diocèse renferme douze abbayes et prieurés auxquels sont attachés des
bénéfices. Le clergé séculier est réparti dans vingt-quatre décanats. Il
faut aussi remarquer cinq couvents d'hommes et neuf maisons religieuses
de femmes. La Carinthie est un des pays de l'Europe où le catholicisme
est le plus fanatique et le moins éclairé. E. Vaucher.
CARITH [Krith, Kérith], rivière de Palestine célèbre par le séjour
que fit sur ses bords le prophète Elie (I Rois XVII, 3-5). L'indication
topographique' qui en accompagne la mention est obscure, et a permis
aux uns de la chercher à Test du Jourdain, au-dessous de Bethsan
(Eusèbe, Jérôme et quelques interprètes modernes), aux autres de
la placer à l'ouest du fleuve, aux environs de Phasselis (Josèphe,
Reland, etc.).
CARLETON (Georges), théologien anglais, né en 1559 à Norham,
dans le Northumberland, mort en 1628. Ce fut grâce à la protection
du célèbre Bernard Gilpin, désigné par les Anglais sous le nom d'A-
pôtre du Nord, que Georges Carleton put faire ses études à l'uni-
versité d'Oxford. En 1618.il fut nommé évêque de Landoff et envoyé
avec trois autres théologiens anglais au synode de Dordrecht, où il
défendit la cause de l'épiscopat. L'année suivante, 1619, il fut nommé
évêque de Chichester, où il resta jusqu'à sa mort. Il a laissé un assez
grand nombre d'ouvrages, dans lesquels il se montre grand partisan
de la doctrine de Calvin sur la prédestination.
CARLO WITZ (Christophe de), un des plus grands hommes d'Etat de
l'Allemagne au temps de la Réforme. Né le 13 décembre 1507, d'une
ancienne famille de la Saxe, il se montra très-précoce; à l'âge de
douze ans il était à l'université, où il étudia surtout les classiques latins
et grecs. A Bàle il fut disciple d'Erasme, et à l'école de droit de Dôle
(Franche-Comté) il apprit le français. A vingt-trois ans il entra dans les
affaires, au service du duc George de Saxe, qu'il accompagna en 1530
à la diète d'Augsbourg.Ufutle principal conseiller de Maurice de Saxe,
surtout pour les affaires religieuses. C'est Carlowitz qui négocia avec
Granvelle l'alliance entre Maurice et Charles-Quint, si funeste aux protes-
tants dans la guerre de Smalkalde; aussi a-t-on mis en doute la sincérité
de sa foi. Cependant il défendit les intérêts protestants dans les négo-
ciations qui amenèrent la convention de Passau. Il travailla avec Mélan-
chthon à Y Intérim de Leipzig et, après la mort de Maurice, il garda sa
position influente sous l'électeur Auguste. En 1555 il prit part à la
diète d'Augsbourg oùfut faite la paix de Religion. En 1568 il fut appelé
avec Camerarius à Vienne, par l'empereur Maximilien II, pour faire
une agende conforme à la confession d'Augsbourg. Dans les dernières
années de sa vie, il se retira de plus en plus des affaires et vécut dans
ses terres, en Bohême. Il y mourut en 1578. Carlowitz était un homme
pieux et bienveillant, charitable et désintéressé.
CARLSTADT, c'est-à-dire André Bodenstein, né à Carlstadt, petit
endroit de la Franconie, doit sa célébrité historique au rôle qu'il joua
dans le mouvement religieux du commencement du seizième siècle.
CAKLSTADT 643
Homme honnête et ne manquant pas de science, mais emporté,
extravagant et ne gardant aucune mesure, il eut le malheur d'entrer
en collision avec Luther et «l'allumer, en soulevant les premières dis-
cussions sur la sainte cène, le i'uuesie hrandonde discorde qui sépara les
deux Eglises confessionnelles issues de la Rét'ormation. 11 suivit la car-
rière académique et se livra au\étudesscolastiques, telles qu'elles se tai-
saient alors à l'université de Wittenberg, où il arriva bientôt après sa Ion-
dation par l'électeur Frédéric Le Sage, enlo02. 11 prit les grades usités et
parvint en lô 10 à celui de docteur en théologie; il obtint un professorat en
1515. Il avait enseigné pendant des années sans même avoir encore vu
une Bible. Zélépartisan d'Aristote, il se montra opposé à Taugustinianisme
deLuther, devenu son collègue en iol2. Néanmoins ilne put passe sous-
traire à la longue à l'influence puissante que l'esprit religieux du futur
réformateur exerçait sur tout son entourage. Ce fut probablement l'im-
pulsion reçue de Luther qui mena Carlstadt à la lecture des auteurs
mystiques dont les idées le fascinèrent de plus en plus. Aussi prit-il
fait et cause pour les fameuses thèses que Luther publia contre les
indulgences et se vit-il ainsientrainédans la controverse avec le docteur
Eck d'Ingolstadt. Mais il ne sut pas tenir tète à ce rude antagoniste lors
de la grande dispute de Leipzig en 1319, où du reste chaque parti
s'attribua la victoire. Ces faits eurent leur retentissement jusqu'à Rome.
La bulle d'excommunication lancée contre Luther vint aussi frapper
Carlstadt, ce qui ne lit qu'augmenter son ardeur pour la cause qu'il avait
embrassée, bien qu'il fût loin de partager toutes les opinions de Luther.
Les réformateurs, en opposant aux défenseurs des vieilles traditions de
l'Eglise l'autorité des saintes Ecritures, furent nécessairement conduits
à développer et à établir par des recherches scientifiques le principe
scripturaire. Carlstadt a le mérite d'avoir été le premier à en faire l'ob-
jet d'un traité spécial. Son Libellas de canonicis scripturis (Witt., 1520)
restera, au point de vue de l'histoire de la théologie, la plus intéressante
de ses nombreuses publications. Mais il faut dire qu'il montra là même
combien peu il sut comprendre le principe qu'il était appelé à défendre.
A peine s'il se permet un jugement indépendant sur quelques points
de détail. La tradition des Pères de l'Eglise constitue pour lui la preuve
décisive de la canonicité de chaque livre biblique. 11 est vrai que c'était
déjà un antagonisme secret contre Luther, qui le poussait à cette théorie.
Loin de savoir comprendre et apprécier l'esprit de liberté et d'indé-
pendance avec lequel Luther jugeait certains écrits bibliques, il attaqua
ouvertement la manière dont celui-ci avait osé se prononcer sur le
caractère et la valeur de l'épitre de Jacques. Luther ne releva pas le
gant que son collègue lui avait jeté (Credner, ZurGesckkhte dcsKanons,
p. .21)1 ; Reuss, Histoire du Canon, p. 280). Mais Carlstadt ne se sentait
pas bien à son aise a WiUenberg. Il avait aussi laissé tomber certains
propos dirigés contre Mélanchthon, et ce fut avec empressement qu'il
suivit une invitation deChristiern 11, à venir travailler à la propagation
des nouvelles idées en Danemark. Son séjour cependant n'y l'ut que
très-court et il revint à Wittenberg. Alors, vers la lin de 1520, com-
mença l'époque la plus importante de sa vie. — Luther se trouvait dans
644 CARLSTADT
la retraite de la Wartbourg. On n'avait encore presque rien changé
aux formes du culte, pour les mettre en harmonie avec les doctrines
qu'on prêchait du haut de la chaire. La pratique extérieure était en
contradiction manifeste avec la théorie. Les moines du couvent de
Luther, les augustins, crurent le moment venu pour procéder à des
réformes plus décisives. Ils proclamèrent la nullité des vœux qu'ils
avaient prononcés; ils cessèrent de célébrer la messe. L'électeur s'ef-
fraya de ces hardiesses; il invita l'université à dire son avis. Carlstadt
émit l'opinion qu'aucun changement ne devait être entrepris sans
qu'on eût consulté l'assemblée des fidèles. Mais ceux des moines qui
avaient quitté le couvent nourrissaient l'agitation des esprits. Carlstadt
étant mis en demeure de dire la messe en sa qualité de chanoine, fort
de l'assentiment de Mélanchthon et d'autres collègues, et soutenu par
les applaudissements de la multitude, se contenta de distribuer la cène
conformément aux paroles de l'institution du Seigneur. Mais le mouve-
ment ne s'arrêta pas là. On éloigna tumultuairement des églises les
autels et les images. Carlstadt en même temps proposa d'autres réformes
qui touchaient aux intérêts de l'ordre civil. Tous les biens des Eglises
devaient être réunis en un fonds destiné à subvenir aux besoins des
pauvres, et la mendicité devait être abolie. En outre il prit aussi le
parti de se marier et épousa la fille d'un gentilhomme pauvre des
environs. Enfin l'arrivée de quelques enthousiastes, les prophètes de
Zvvickau, à la tête desquels se trouvaient Thomas Mùnzer et Nicolas
Storch,l' entraîna à des égarements tout à fait révolutionnaires. Il pro-
clama l'inutilité de toutes les sciences humaines et ferma l'école publi-
que. La ville se trouvait dans un désordre qui allait toujours en aug-
mentant, la paix publique était menacée. L'électeur hésitait d'intervenir.
A ce moment, le 6 mars 1522, Luther arriva de la Wartbourg pour
sauver la bonne cause. On avait, il est vrai, trop longtemps différé
l'introduction des réformes qui découlaient des principes qu'il avait
prêches; mais les esprits fanatisés n'observaient plus de mesure. Le
réformateur monta en chaire pour s'adresser au peuple et pour lui,
exposer avec une éloquence victorieuse combien on avait procédé con-
trairement à tout principe d'ordre et combien, au nom de la liberté,
on s'était laissé entraîner à ériger la pire des tyrannies. Carlstadt, tout
en ressentant profondément sa défaite, essaya de reprendre ses fonc-
tions de professeur, mais ne réussit pas à retrouver la clarté et la tran-
quillité d'esprit nécessaires. Il entra en correspondance avec Th. Mùnzer,
dont il ne partageait que trop les idées mystiques et révolution-
naires. Il commença à publier une série d'écrits qui enseignaient
le renoncement aux vanités de ce monde. Il déposa son titre de docteur
et s'appela « un nouveau laïc », échangeant son costume de prêtre
contre l'habit gris et le chapeau de feutre du paysan ; il partagea son
temps entre ses occupations littéraires et les travaux des champs ; enfin
il se fit élire pasteur à Orlamùnde parle suffrage des habitants. Th. Mùn-
zer occupait dans le voisinage la cure d'Allstœdt et s'y livrait à des pu-
blications pleines de verve, mais aussi d'une violence sans bornes
contre Luther et contre les princes régnants, et destinées à amener ie
CARLSTADT 645
renversement de tout Tordre de choses établi. Luther résolut de s'y
rendre pour apaisée les esprits agités. 11 eut à Iéna une explication avec
Carlstadtqui repoussa l'accusation d'avoir participé aux menées révolu-
tionnaires de Miinzer.Les reproches réciproques aboutirent à une rup-
ture entre les deux hommes (en août 1524). Carlstadt dirigea contre
Luther quelques écrits qui montrent l'excès de fanatisme auquel il se
laissa aller : Le royaume des chrétiens, dit-il, ne connaît pas d'autorité
mondaine; tout ce qui est opposé à Dieu doit trouver sa fin par la vio-
lence {Ob man gemach fahren u. des Aergernisses der Schwachen verschonen
soll in Sachen sa Gottis W'illen angehen, 1524). Une autre brochure de
cette époque est digne de'remarque, parce qu'elle inaugura les déplo-
rables discussions sur la sainte cène: Ob die Okrenbeichte oder der Glaub
allein oderwas denMenschen zu wirdiger Ewpfahung des h. Sacrant, ge-
sc hic kt mach ? Là Carlstadt avança pour la première fois sa thèse que
Jésus-Christ en disant : « Ceci est mon corps, » ne désigna pas le pain de
la communion, mais sa propre personne. Quoiqu'il se séparât deMûnzer
sur la question du droit de réforme appartenant à tout chrétien, qu'il
voulait savoir limité aux choses du culte à l'exclusion des institutions
politiques et sociales, il se vit banni delà Saxe (18 septembre 1524), et
à partir de là fut obligé démener une vie errante. A Strasbourg il diri-
gea de nouveaux pamphlets contre Luther sur la question de la sainte
cène. 11 commença en outre à attaquer la doctrine du baptême, *
et Luther l'accuse d'avoir parlé du baptême des enfants comme d'un
bain de chien {balneum caninum). Obligé de quitter Strasbourg, il
alla à Rottenbourg en Souabe et chercha à se mettre en rapport avec
les paysans insurgés de ces contrées. Mais il fut accueilli avec méfiance
et jugea prudent de se retirer de ces hordes égarées. Se trouvant dans
un complet isolement et sans ressources, il ne vit d'autre salut que de
s'adresser à Luther pour obtenir par son intercession la permission de
rentrer en Saxe. Il se résigna à une rétractation publique de ses opi-
nions, et après avoir dû promettre de ne pas prêcher ni écrire,
il obtint de pouvoir s'établir dans les environs de Wittenberg, pour
y vivre en paysan et s'y livrer à un petit trafic de pains d'épices et
d'eau-de-vie. — Les discussions qui éclatèrent entre Luther et les ré-
formateurs de la Suisse lui firent reprendre l'espoir de se relever
de sa misère et de se réhabiliter dans l'opinion publique. Il entra en
correspondance avec quelques sectaires dont les idées se rapprochaient
des siennes, et il quitta la Saxe pour trouver un refuge dans le Holstein
et dans la Frise orientale, où les anabaptistes et d'autres adhérents de
l'opposition religieuse vivaient en toute liberté. Lorsque le landgrave
Philippe de Hesse convoqua (en septembre 1529) le colloque de Mar-
bourg pour essayer de rapprocher Luther et Zwingle, Carlstadt lit des
démarches pour y être admis, mais sans résultat. Il revint à Strasbourg
e( obtint de Bucer et de Capiton une recommandation pour Zurich.
Zwingle l'accueillit avec bienveillance et lui procura une place de
diacre. Enfin, après avoir encore plusieurs fois changé de résidence et
après avoir fourni des garanties d'un esprit plus calme et moins aven-
tureux que par le passé, il réussit, par l'intermédiaire de Bullinger, à
646 CARLSTADT — CARMEL
se faire appeler à Bâle (1534) comme prédicateur et comme professeur
de théologie. Le fougueux iconoclaste, le nouveau, laïc d'autrefois, de-
vint un paisible partisan de la doctrine de Zwingle, jusqu'à ce que la
peste l'enlevât en 1541. Il ne lit plus imprimer que quelques pro-
positions qu'il dut soutenir pour entrer en possession de sa chaire à
Bâle. On compte quatre-vingt-sept écrits sortis de sa plume féconde,
jusqu'en 1525. — Il existe une littérature assez riche sur la vie et la
doctrine de Carlstadt, mais il n'a pas souvent trouvé un jugement
équitable. Voici quelques-unes des publications les plus importantes
sur son compte : Alberus, Wider die verfîuchte Lehre der Carlstœdter,
Neubrandenb., 1565; Gerdesii, Scrinium antiq., P. I; Kœhler, Le-
bensbeschr. deutscher Gelehrten, I; Fûsslin, A. Bodensteins sonst Carlst.
Lebensgesch., 1776; Erbkam, Gesch. der prol. Sekten, 1848, p. 174;
M. Gœbel, A. Bodenst. v. Carlst. nach s. Charakter, Theol. Stud. u.
Krit.y 1841, p, 100; Dieckhofî, Die evang. Abendmahhlehre im Reform.
Zeitaït., I, 299; Jseger, Andr. Bodenst. v. Carlst., Stuttgard, 1856. Une
énumération de ses écrits se trouve dans : Rotermund, Erneuertes
AndenJc. der Mœnner der Ref.,l, p. 62, et Riederer, Abhandl. aus d.
Kirch. Bûcher u. Gelehrt. gesch., p. 473. Ed. Cunitz,
CARMEL[Karmêl,Kapji,Y]Xoç, Kàpp^Xiov cpoq, Josèphe, Antiq., XIII,
15, 4; Carmelus, Tacite, Hist., II, 78], chaîne de montagnes qui se
rattache aux collines galiléennes et par elles au Liban. Elle s'étend
du sud-est au nord-ouest vers l'embouchure du Kischon, formant au
côté sud de la baie de Ptolémaïs (Ay.y.o), à trois lieues de cette ville,
un promontoire élevé de 1,200 pieds qui se jette par une pente rapide
dans la mer. La chaîne du Carmel sépare la plaine de Jesréel de celle
du littoral méridional. Elle formait au temps de Josué (XII, 22; XIX, 26)
la frontière entre les tribus d'Asser et d'Issachar, et plus tard celle
entre la Galilée et le pays de Tyr (Josèphe, B. </., III, 3, 1). De pierre
calcaire très-dure, bien arrosée, riante, très-fertile, elle était renommée
par ses bois magnifiques (Antiq., VII, 6,; Es. XXXV, 2; Jérém. XL VI,
18; Amos I, 9; Mich. V, 14), ses prés savoureux (Jérém. L, 1; Es.
XXXIII, 9; Nah. I, 4) et même ses vignes (2 Ghron. XXVI, 10). Une
autre particularité du Carmel, c'étaient ses grottes. On en compte près
de 2,000, surtout du côté de la mer. Elles ont servi, de tout temps,
d'asile aux ermites et aux proscrits (Amos IX, 3; 1 Rois XVIII, 19 ss.;
2 Rois II, 25; IV, 25). On montre encore aujourd'hui celle qu'Elie doit
avoir habitée. Un couvent a été élevé sur son emplacement à une alti-
tude de 582 pieds au-dessus du niveau de la mer. Fondé vers 1180
par des moines déchaux, qui reçurent le nom de Carmes, il était
tout entier, creusé dans le roc. Un second couvent a été érigé
sur le mont Carmel au commencement du quatorzième siècle,
transformé en un hôpital pour les pestiférés en 1799, détruit par les
Turcs, et reconstruit en 1827 au moyen de souscriptions recueillies
par le moine Jean-Baptiste, le dernier des survivants de l'ancien
monastère. — Voyez: Reland, Palœstina, p. 327-330; Schubert, Reise
in s Morgenland, II, 209-221; Ritter, Erdkununde, XVI, 1, p. 705-722;
Arnold, Palœstina, p. 21 ss.; etc. —Le nom de Carmel est aussi porté
CARMEL — OARMES 047
par une ville de la tribu do Juda (Jos, XV, 55; 1 Sam. XV, 12; XXV,
5; XXVII, 3), située, d'après Eusèbe, à dix lieues de llébron et dont
il reste de nombreuses ruines tant de L'époque des Romains que de
celle des Sarrasins.
CARMÉLITES, congrégation de religieuses qui suivent la règle des
carmes. Introduite en France au milieu du quinzième siècle, elle n'ac-
quit une importance véritable que depuis la réforme ae sainte Thérèse
en 1562, et l'adoption de cette réforme par le cardinal de Bérulle
(voy. ee nom). Un certain nombre de dames du grand monde, et
parmi elles mademoiselle de La Vallière, entrèrent dans cet ordre, qui
possédait à Paris un couvent célèbre, situé rue Saint-Jacques.
CARMES, ordre religieux qui tire son nom et son origine du mont
Garmel, en Palestine. Un prêtre calabrais, Berthold, fonda, vers 1180,
sur cette montagne un refuge pour les prêtres pèlerins qui erraient
sans abri. Sous son successeur, Brocard, le patriarche de Jérusalem,
Albert, petit-lils de Pierre l'Ermite, donna en 1209 à cette congréga-
tion de religieux une règle en seize articles, qui leur imposait T isole-
ment de la vie cellulaire avec un oratoire commun, des exercices spi-
rituels sévères, la pauvreté, le travail manuel, les jeûnes, le silence.
Elle reçut en 1224 la sanction du pape Honorius III. Lorsqu'après
l'insuccès des croisades la Palestine retomba sous le joug des musul-
mans, les carmes se répandirent dans diverses contrées de l'Europe,
dans Tile de Chypre (1238), en Sicile, en Angleterre (1240), dans le*
Midi de la France (1244), à Paris, sous saint Louis, leur fervent pro-
tecteur (1254). En même temps leur règle fut, au concile de Lyon (1245),
considérablement mitigée et appropriée aux besoins de l'Occident.
L'ordre des carmes devint très-populaire à cause de son origine qu'il
faisait remonter, ainsi que sa règle, jusqu'au prophète Elie, et du zèle
fanatique de ses membres pour les missions dans les campagnes; il
devança les moines mendiants qu'il prétendait surpasser en austérité,
et ne contribua pas peu à répandre la dévotion à la Vierge dont les carmes
se disaient les serviteurs préférés. Simon Stock, carme anglais et géné-
ral de son ordre (f 1265), déclara avoir reçu de la Vierge, dans une
vision, le scapulaire, comme une marque de sa protection envers tous
ceux qui le porteraient et qui garderaient la virginité, la continence ou
la chasteté conjugale, selon leur état. Le scapulaire consiste dans deux
petits morceaux d'étoile bénite, avec l'image de la Vierge, portés sous
le vêtement et joints ensemble au moyen d'un cordon passé autour du
cou. La Vierge s'engage à délivrer du purgatoire tous ceux qui le
p< .itéraient. L'habit descarmes subit plusieurs modifications, comme aussi
leur règle. Ils portaient une robe brune ou noire avec une chape ou un
manteau blanc, traversé par des barres de couleur brune, en souvenir
du char de feu qui avait emporté Elie. Comme les franciscains et les domi-
nicains, ils eurent leur tiers-ordre, autorisé par une bulle de Sixte 1\ en
1476. La règle de ce tiers-ordre, modifiée plusieurs lois par les généraux
des carmes, s'est étendue de façon à englober les laïques qui entrent
ei religion san^ changer leur costume, pourvu qu'il soit de couleur
sombre. Le tiers-ordre se recrute principalement dans les campagnes,
648 CARMES — CARNIOLE
tandis que les classes plus élevées le remplacent par l' affiliation aux
jésuites. La popularité dont ont joui les carmes, surtout au dix-septième
siècle, et leur ambition d'offrir le type idéal de la vie monastique, leur
ont valu des attaques passionnées de la part des autres ordres jaloux
-de leur influence, en particulier de celui des jésuites. Le docteur de
Launoy, dans une Dissertatio de Sim. Stochiïviso(PdiY., 1653), a soutenu
que la vision de Stock était une imposture, que les bulles des papes
citées en sa laveur sont des bulles supposées, et que les carmes n'ont
commencé à porter le scapulaire que longtemps après la date de la
vision prétendue. De son côté, le bollandiste Papebroch (A A. SS.,
8 avril, t. I, p. 775 ss.) a fait justice de la prétendue filiation que les
carmes établissent entre leur ordre et le prophète Elie ou même les
premiers anachorètes chrétiens. Le P,Rardouin (f 1729), renchérissant
encore sur cette thèse, dépensa beaucoup d'érudition pour montrer
que les carmes n'avaient pas d'autre Carmel pour berceau que la mon-
tagne Sainte-Geneviève à Paris. Pour mettre lin à ces disputes, le pape
Innocent XII dut imposer silence aux deux partis (1698).— Voyez : Hélyot,
Hist. des ord?*es relig., I, p. 347 ss. ; J.-B. de Lézana, Annal, sacri, pro-
phetici et Eliani Ord. B. V. Mariœ de monte Carmeli, Rome, 1645-56,
4 vol. in- fol. ; le P. Philippe, Histor. Carmel. compendium, Lyon, 1656,
in-8°; Theologia Carmel., Rome, 1665, in-fol. ; Baronius, Annal.
ann. 1181; H. de Sponde, Annal. Baron, continuât., ann. 1205.
CARMES DÉCHAUSSÉS {Carmelitœ excalceati ou discaïceati), ainsi
nommés parce que leur règle leur imposait de marcher nu-pieds. Leur
congrégation a été fondée en Espagne, en 1562, par sainte Thérèse et
par Jean de la Croix, d'après les principes d'un mysticisme ardent et
d'un sombre ascétisme, que l'on retrouve dans les écrits de ces deux
fanatiques espagnols (voy. leurs noms). Cet ordre, approuvé par Pie V
et confirmé par Grégoire XIII, se répandit avec une telle rapidité et lit
de si nombreux prosélytes qu'en 1600 on dut le diviser en deux con-
grégations avec deux généraux, celle d'Espagne et celle d'Italie ou de
Saint-Elie, qui comprend toutes les provinces en dehors de l'Espagne,
Les carmes déchaussés s'établirent en France sous le règne de Louis XIII,
et y conquirent promptement une popularité très-grande. C'est d'eux
que, de nos jours, sortit le P. Hyacinthe Loyson, l'illustre prédicateur
de Notre-Dame, qui déposa le froc en 1872. — Voyez : H. de Sponde,
Annal., ann. 1568 et 1580; le P.Isidore de Saint- Joseph, Hist. des
Carmes déchaux; le P. Jérôme de Saint-Joseph, Hist. de la réforme des
Carmes.
CARNAVAL (étymologie incertaine : carnelevamen, caro vale, etc.),
temps de réjouissance qui précède le carême, commence le 6 janvier,
jour de l'Epiphanie, et finit le mardi, veille du mercredi des cendres.
Cet usage est un reste des fêtes populaires des anciens païens et de celles
de nos pères, telles que les Bacchanales, les Lupercales, les Saturnales,
la fête des Fous, de l'Ane, etc. Depuis Chrysostôme jusqu'à, nos jours,
les prédicateurs se sont plaint des abus qui en résultent.
CARNIOLE, province autrichienne, 466,334 habitants (1869):
465,472 catholiques, 278 grecs unis, 294 grecs non unis, 250 protes-
CARNIOLE — CARPIN 64<J
tants. La population est en grande majorité d'origine slave; il n'y a
guère que 32,000 Allemands. D'après la légende, le christianisme fut
prêché en Carniole, dès le commencement du second siècle, par Fortu-
natus, diacre de révoque d'Àquilée, Hermagoras. Quoi qu'il en soit, le
paganisme avait déjà disparu de la Carniole au temps de Charlemagne.
Réunie à la Garinthie en 1232, elle en partagea dès lors les destinées
politiques. Le luthéranisme y fut prêché, dès 1531, par Primus Tru-
ber, chanoine de Laybach, et rencontra bientôt de nombreux adhé-
rents. Expulsé du pays, Truber se retira en Wurtemberg, où il publia
les premières Bibles slaves. A la fin du seizième siècle, le pays pouvait
être considéré comme protestant; la ville de Laybach avait, en 1597,
neuf pasteurs luthériens. Les violences de la contre-réformation vin-
rent durement frapper la Carniole. L'édit de 1001 (voy. Carinthie)
força les habitants à une émigration en masse. A Laybach, six pères de
famille seulement rentrèrent dans F Eglise catholique. Les autres pré-
férèrent l'exil à l'infidélité et se retirèrent en Bohême, en Allemagne
et en Hongrie. Une révolte des paysans restés protestants fut durement
réprimée en 1637, et, depuis lors, le protestantisme en a disparu. Cepen-
dant une nouvelle église protestante a été construite à Laybach en 1852
par les soins de l'Association de Gustave-Adolphe. Le prince-évêque
de Laybach gouverne le diocèse de la Carniole. Le chapitre de la cathé-
drale se compose d'un prieur, d'un doyen et de neuf chanoines. Le
consistoire se compose des membres du chapitre et de treize conseil-
lers. Il y a à Laybach une école diocésaine de théologie, avec six pro-
fesseurs et deux séminaires; à Rudolplizell, un chapitre avec un prieur
et quatre chanoines. Les paroisses sont réparties dans vingt décanats.
Les couvents d'hommes sont au nombre de cinq; les maisons de reli-
gieuses au nombre de trois. E. Vaucher.
CAR0LINS (Livres). Voyez Livres carolim.
CARPENTRAS [Carpentoracte] (Vaucluse), évêché suffragant d'Arles,
puis, à partir de 1475, d'Avignon, supprimé en 1801. Ses évêques de-
meuraient à Venasque (Vindasca), petit bourg qui parait avoir eu des
évêques avant Carpentras. L'histoire religieuse de ces deux villes
avant la lin du cinauième siècle est fort incertaine ; vers 536, saint
Siffroy, moine de Lérins, était évêque de Venasque : on lui attribue
la fondation de l'église de Saint-Antoine à Carpentras. Jacques Sadolet
occupa le siège de Carpentras de 1517 à 1540 (Gallia christ iana, I;
Courtet, Dict. de Vaucluse, 1877).
CARPIN (Jean du Plan), religieux italien du treizième siècle, des
frères mineurs de l'ordre de Saint-François, voyagea de 1246 à 1247
*'ii Tartarie, où Innocent IV l'avait envoyé en qualité de légat. La naïve
crédulité avec laquelle il consigna dans sa relation tout ce qu'il avait
vud'étrange pour un moine latin ne contribua pas peu aux tables qui
eurenl < mus durant le moyen âge sur ces lointaines régions. La fa-
meuse légende du prêtre Jean, chef religieux ci politique d'une com-
munauté chrétienne opprimée par les infidèles cl attendant toujours de
l'Occident sa délivrance, remonte jusqu'à lui. Sa mission terminée,
Carpin se consacra a L'évangélisation du Nord, et prêcha, dit-on, jus-
650 CARPIN — CARPOCRATE
qu'en Danemark et en Norwége. Sa relation fut imprimée pour la
première fois à Venise, en 1537. On en a fait en 1634 un abrégé réim-
primé à La Haye, en 1729 et 1735, dans la Collection des voyages en
Asie de Benjamin de Tudèle, Carpin, Rubruquis, etc. C'était, jusqu'à
ces derniers temps, le seul extrait qui en eût été donné en français. En
1839, M. Davezac a publié, pour la collection des mémoires de la
Société géographique, la première édition complète de la Relation
des Mongols ou Tar tares, par le frère Jean du Flan de Carpin, etc.,
d'après les manuscrits de Leyde, de Paris et de Londres (Paris, in-4°).
CARPOCRATE, célèbre gnostique, vivait à Alexandrie, au milieu du
deuxième siècle, sous le règne d'Adrien. 11 revêtit les idées platoni-
ciennes de formes empruntées au christianisme et enseigna un antino-
misme qui aboutit aux plus dangereux égarements. Les âmes, d'après
lui, ont existé de toute éternité dans la périphérie de la Monade divine,
qui, dans les cercles toujours plus vastes qu'elle a tracés autour d'elle,
a rencontré la matière à laquelle se sont unis les àyysXs'. jwxjpoicoioc,
déchus de leur pureté primitive. Le royaume du monde, qui n'a point
conservé le souvenir de sa divine origine, s'est constitué dans l'iso-
lement et dans l'indépendance du principe divin, parquant les hommes
et les divisant au moyen des barrières factices qu'élèvent entre eux la
propriété, le mariage, les institutions politiques et religieuses avec leur
caractère essentiellement national, c'est-à-dire particulariste. Par une
fausse interprétation de Rom. VII, 7, Carpocrate oppose aux lois des
hommes qui ont provoqué le péché, la nature, qui représente ce qui
subsiste de leur condition primitive. Pour atteindre à la -pwsiç [j.Gvao'ayj,
il faut vivre y.atà çuaiv, sans souci des traditions et des conventions
sociales. Dans sa réaction aveugle contre le légalisme, Carpocrate va
jusqu'à accuser Moïse, qui a réprimé dans le Décalogue la convoitise
du bien du prochain, d'être l'auteur du vol et de l'adultère. Les phi-
losophes païens, Pythagore, Platon, Aristote, ont réagi contre cette
tendance. A leur famille appartient aussi le juif Jésus, fils de Joseph.
Il est un homme comme nous, mais son âme plus pure s'est souvenue
de ce qu'elle avait vu auprès de Dieu dans l'existence antérieure. C'est
pour cela que la Monade céleste l'aima et lui envoya, lors clu baptême,
la force d'échapper aux démiurges et d'offrir au monde le salut, qui
consiste à suivre son exemple en s' unissant comme lui à Dieu, en
brisant le joug de la loi et en combattant la souffrance par la vertu de
guérir les maladies et de triompher de la puissance de la matière que
nous pouvons obtenir à un degré encore plus grand que lui. Celui qui
reste esclave des puissances inférieures est condamné, par la loi de la
métempsychose, à traîner une existence misérable de corps en corps,
de planète en planète; mais celui qui s'unit à la Monade, retourne à
elle au sein de la félicité glorieuse de la périphérie divine. Le système
de Carpocrate a été développé par son fils Epiphane, qui mourut à
l'âge de dix-sept ans, après avoir dissipé les plus beaux dons dans la
débauche. Ses adhérents, lui élevèrent un temple dans l'ile de Cépha-
lénie et lui accordèrent les honneurs divins. Les carpocratiens se ré-
pandirent dans toutes les contrées méditerranéennes. Ils se livraient,
CARPOCRATE — CARPZOV 6&J
dans leurs agapes, aux débauches imputées par les païens à tous les
chrétiens, pratiquaient les arts magiques, fcélébraieni des rites tout
païens auxquels ils avaient adapté la terminologie chrétienne, asso-
ciant à l'image «lu Christ, dont ils se disaient redevables à Pilate, les
bustes des dieux et des sages de la Grèce. — hviice (Adv. A»res.,I,2&)ct
Clément d'Alexandrie {Strom.>l[\, p. 521 ss.) ont fourniles renseigne-
ments les plus complets que nous possédions sur cette secte. Clément a
inséré dans ses Stromates des fragments d'un traité de morale d'Epi-
pliane. -iz\ z-./.T.zzJrr,;. Voyez aussi Hippolyte, Yj,v;yzz. VII, 32; Epi-
plianc Hares., 27 ; Théodoret, Hivres. fabui, 1, 5; Tertullien, De Script,,
18; Eusèbe, IV, 8; Fuldner, De Carpocratianis, dans Ilgeris Histor.
iheuL Adkandl., Leipz., 1824, p. 180 ss.; Gesenius, De inscriptione
j)/t<i'nicio-(/?';i'ca in Cyrenaica nuper reperta ad Carpocratianorwn hiv-
resi/t pertinente, Hahe, 1825, dans lequel opuscule le savant orientaliste
analyse deux inscriptions trouvées dans la Cyrénaïque qui établissent
que les tendances carpocratiennes y étaient encore vivaces au sixième
siècle; Neander, Kirchengesch., I, p. 509 ss., etc.
CARPZOV, famille originaire du Brandebourg, qui occupe une place
importante dans le mouvement intellectuel de l'Allemagne par la
science et l'orthodoxie luthérienne des quinze savants plus ou moins
marquants qu'elle a fournis à la jurisprudence et à la théologie dans le
dix-septième et le dix-huitième siècle (voy. sur la famille dans son.
ensemble : Dreyhaupt, Beschreibung desSaalkreises, Halle, 1749-51, t. Il ;
Menés Gelehrtes Europa, t. XIV, p. 290; (Conversations- Lexicon de Brock-
haus, 12 éd., t. IV: les principaux savants qui en sont sortis ont chacun
leur article dans Y Encyclopédie de Ersch et Gruber, et dans YAllge-
meine Deutsche Biographie, t. IV; les théologiens, dans l'Encyclopédie
de Herzog). — Nous mentionnerons les suivants : 1. Benoit Cabpzoy
(1593-1666), jurisconsulte célèbre et professeur de droit ecclésiastique,
dont la Jurisprudentia ecclesiastica (Leipz., 1649) a développé scientifi-
quement le système épiscopal luthérien, d'après lequel les droits et
prérogatives des anciens évoques sont considérés comme dévolus au
prince temporel. —2. Jean-Benoit I, son frère, né en 1607 et mort le
22 octobre 1657, pasteur et professeur de théologie à Leipzig, a publié
entre autres, sous le titre de Ilodegeticum (Leipz., 1656, in-8°), un traité
d'homilétique estimé de son temps, et peut être considéré comme le créa-
teur de la symbolique par son ouvrage posthume : Isagogc inlibrosEccle-
siarum lutkerûnarum $t/mèùlicos (Lips., 1665, in-4°). — 3. Jean-
Benoit II, fils du précédent, né à Leipzig le 21 avril 1639, professeur de
morale dans cette ville en 1665, d'hébreu en 1668, de théologie en 1684,
y mourut le 23 mars 1699; il fut un adversaire déclaré du piétisme,
e qui l'entraîna à de très-vives polémiques; élève de Buxtorf, il cou-
naissai! bien l'hébreu et publia dans ce domaine, outre quelques tra-
vaux originaux de peu d'étendue (ses dissertations ont été réunies:
Disputatwnes academicœ, etc., Lips.. 1699. in-4°), de nouvelles éditions
daJtu regium Hebrseorum de Schickard (1674), des Horx hebr. et tal-
mud. m l\ Evangel. de Lightfoot (167"> et 1684, in-4°), du Pugio fidei
adv. Mawos et Judxoi de Raimond Martin (Lips., 1687, in-foL), du
652 CARPZOV
Comment arius in minores prophetas de Tarnov (1688, in-4°). Voyez sur
lui : Pipping, Sacer decadum Septenarius (Lips., 1705, p. 703-784). —
4. Jean-Benoit III (1670-1733), fils du précédent, pasteur à Leipzig et
professeur extraordinaire de langue hébraïque, publia quelques disserta-
tions, et le Collegium rabbinico-biblicum in lib. Ruth (Lips. , 1703, in-4°),
de son père. — 5. Jean-Benoit IV, fils du précédent, né le 20 mai 1720
à Leipzig, fut dès 1748 professeur de grec et de théologie à Helmstœdt,
où il mourut le 28 avril 1803, après y avoir représenté le luthéranisme
strict, au nom duquel il combattit le rationalisme de son collègue
W.-A. Tellerparson Liber doctrinalis theologiœ purioris ut Ma in Acad.
Helmst. docetur (Brunswick, 1768). Ses travaux exégétiques sur les
épitres {Romains, 1756; Epîtres cathol., 1790; Galates, 1794 ; Hébreux,
1795) sont estimés surtoutpour les connaissances philologiques de l'au-
teur, connaissances quibrillent tout spécialement dans ses Sacras Exer-
citationes in epistolam ad Hebrœos ex Philone (Helmst., 1750, in-8°) et
dans de nombreux ouvrages théologiques et philologiques. Voyez sur
lui : Saxius, Onomasticon (t. VIII, p. 55); Neues Gel. Europa (t. XIV,
p. 290) ; Meusel, Gelehrtes Teutschland (t. I). — 6. Samuel-Benoit, fils
de Jean-Benoît I (1647-1707), pasteur à Dresde, devint par l'influence
de son frère, Jean -Benoît II, un adversaire du piétisme, quoiqu'il eût
d'abord été un ami de Spener; il laissa après lui beaucoup de sermons
imprimés, une réputation de prédicateur de talent, et un fils qui doit
nous arrêter davantage. — 7. Jean-Gottlob Carpzov, né à Dresde le
26 septembre 1679, étudia à Wittenberg, Leipzig et Altdorf, voyagea
en Angleterre et en Hollande, exerça le ministère évangélique dès 1704 à
Dresde, et dès 1708 à Leipzig, où ilfut en même temps (1713) professeur
extraordinaire de théologie, puis (1719) professeur ordinaire de langues
orientales; appelé en 1730 comme premier pasteur et surintendant à
Lubeck, il s'y montra d'un luthéranisme violent et persécuteur contre
les réformés et les frères moraves,et y mourut le 7 avril 1767. Carpzov
occupe dans l'histoire de la critique biblique, par ses deux ouvrages
principaux, une place importante, soit comme représentant principal de
l'orthodoxie luthérienne en ces matières, soit comme résumant avec une
grande érudition tous les travaux publiés jusqu'alors sur l'Ancien Testa-
ment dont il rend fidèlement compte, soit enfin pour avoir embrassé plus
complètement que ses prédécesseurs l'ensemble des recherches qui
constituent de nos jours Y Introduction à l'Ancien Testament. Avec un
dogmatisme très-arrêté il soutint l'inspiration littérale, le canon divin et
l'incorruptibilité du texte de l'Ancien Testament, et fut au dix-huitième
siècle le principal adversaire de la tendance critique d'un Louis Cappel
et d'un Richard Simon, auxquels il ne laisse rien passer et dont il
réussit à arrêter pendant plus d'un clemi-siècle l'influence sur la théo-
logie protestante ; il faut cependant lui reconnaître le mérite d'avoir
obligé la critique biblique à plus de circonspection et à une étude plus
minutieuse pour arriver à se former une idée de l'origine des livres de
l'Ancien Testament. Nous citerons de lui son Introductio ad libros ca-
nonicos Bibliorum Vet. Testamenti omnes (Leipz., 1714-21, 3 vol. in-4°;
2e édit, 1731 ; 3eédit., 1741 ; ces deux dern. édit. sans changements),
CARPZOV — CARRANZA 653
dans laquelle il étudie les uns après les autres chacun des livres his-
toriques, poétiques et prophétiques de r Ancien Testament, examinant
leur titre, leur auteur, leur contenu, leur but, le temps de leur com-
position, etc., et appuyant en tous points les opinions traditionnelles
par la réfutation des novateurs, le tout terminé par une ample indi-
cation des commentaires publiés sur chaque livre ; dans la préface du
troisième volume l'auteur répond aux critiques que les Mémoires de
Trévoux avaient faites du premier volume. Dans sa Critica sac?*a Vet. Tes-
tament/ (Lips., 1748, in-'t" ; 2e édit. revue et augm., 1748, in-4°) Carpzov
complète l'ouvrage précédent en exposant dans une première partie
tout ce qui concerne le texte de l'Ancien Testament dans sonensembleet
les travaux dont il a été l'objet, et en examinant dans la seconde les ver-
sions; la troisième partie devaitêtre consacrée aux livres apocryphes et
pseudépigraphes, mais l'auteur l'a remplacée par une réfutation d'un
ouvrage de l'anglais G. Whiston, qui soutenait que le texte hébreu avait
été corrompu par les Juifs; cette partie fut traduite en anglais (Lond.,
1749, in-8). Carpzov avait eu l'intention de faire pour le Nouveau
Testament un travail semblable à celui qu'il avait publié sur l'Ancien
dans ces deux ouvrages; il y renonça d'autant plus facilement qu'il
avait trouvé en J.-W. Rumpseus un disciple fidèle qui chercha à s'ins-
pirer de ses sentiments, sinon de son érudition, dans sa Commentatio
critica in libros J\ovi Testament i in génère, cum prœfatione J. 67. Carp-
zovii (Lips., 1730, in-4"), mais qui mourut avant d'achever l'introduc-
tion spéciale à chaque livre qu'il avait promise. Sous le titre d'Appa-
ra tus historico-criticus Antiquitatum sacri codicis et l gentis hebrœx (Lips.,
1748, in-4°) Carpzov donna un commentaire érudit de l'archéologie
hébraïque que Thomas Godwin avait publiée en anglais sous le titre de
Muses and Aaron (Lond., 1614, in-4°). — Sources : Moser, Lexîcon d.
jetztleb. Theologen, p. 144 et 792; Gœtten, Gelehrtes Europa, t. I,
p. 101 et 843; Meusel, Lexicon d.verstorb. teutschen, Schriftsteller , t. II;
Adelung, Supplem. zu Jœchers Lexicon, t. II; Siegfried, dans Allgem.
Deutsche Biographie, i. IV ; Meyer, Gesch. d, Schrifterklxrung, t. IV;
Rosenmùller, ffandbuch, t. I. a. Bernus.
CARRANZA (Bartolomeo), l'illustre et infortuné archevêque de
Tolède, naquit en 1503, à Miranda, ville du royaume de Navarre.
Dominicain et inquisiteur, il travailla avec un zèle passionné à la
répression de toutes les tendances hostiles à l'autorité du saint-
siège, qu'il plaçait sans hésitation au-dessus de celle des conciles (voy.
les Quatre controverses, en tête de la lre édition du livre: /Somme de tous
les Conciles, et l'édition de 1081). Il professa avec éclat la théologie
dans le collège de Saint- Grégoire à Valladolid et joua un rôle impor-
tant au concile de Trente. L'ardeur avec laquelle il travailla, sous les
auspices de Philippe II ei de Marie Tudor, à la restauration du catholi-
cisme en Angleterre, lui gagna les sympathies du pape et du roi. En
1558 il monta sur le siège de l'archevêché de Tolède et obtint la haute
dignité de primat des Espagnes. Ce fut le commencement de ses
malheurs. Désigné à l'attention du grand-inquisiteur D. Ferdinand de
Vahles, archevêque de Séville, par les aveux de personnes suspectes
654 CARRANZA
d'hérésie et par son attitude étrange au lit de mort de l'empereur
Charles V, il fut arrêté et jeté dans les prisons de l'inquisition. Son
procès, évoqué à Rome par le pape Pie V en 1567, dura jusqu'à 1576.
Le 16 mars, Grégoire XIII prononça la sentence. Carranza, déclaré tiès-
suspect (en gran mariera sospechoso) d'hérésie, devait abjurer seize
propositions scandaleuses, se soumettre à diverses pénitences, et être
suspendu pour cinq ans et au-delà de ses fonctions. Bientôt après, le
2 mai, l'infortuné prélat expirait au couvent de la Minerve, non sans
protester de son innocence. La plupart des historiens admettent que
le procès n'eut d'autre causeque la jalousie des adversaires de Carranza.
Didier de Castejon, dans son histoire de Y Eglise de Tolède, Salazar de
Mendoza, auteur d'une Vie de Carranza, Llorente, dans son Histoire
critique de V Inquisition d'Espagne, et l'auteur de [a Notice sur le procès
de Carranza, dans la Collection de documents inédits pour V histoire d'Es-
pagne (t. V, p. 389), sont d'accord sur ce point. Mais Ad. de Castro,
dans son Histoire des protestants d'Espagne (1851), a prouvé que les
propositions condamnées se trouvent dans les écrits de Carranza, et un
examen plus approfondi montre qu'elles font partie d'un système qui,
sans être conforme aux doctrines de Luther, s'écarte en plus d'un
point des enseignements de l'Eglise catholique. C'est que Carranza
avait obtenu en 1539, lors d'une réunion du chapitre général de son
ordre, Je droit de lire les écrits des hérétiques. Il s'était à son insu pé-
nétré de leurs idées. Si Melchior Cano, son rival et son adversaire, fut
un partisan zélé de la scolastique et un ennemi déclaré de toute inno-
vation, Carranza approuvait les vues d'Erasme de Rotterdam et prêchait
la nécessité d'une réforme dans son traité sur la Résidence des évêques
(Venise, 1547 et 1562) et dans son célèbre discours tenu au concile de
Trente, le premier dimanche du carême de 1546, sur le texte : « Sei-
gneur, est-ce qu'en ce temps tu restitueras le royaume d'Israël? » Les
Commentaires sur le Catéchisme, publiés en 1558 et dédiés à Philippe II,
furent écrits dans le but avoué de combattre l'ignorance des masses et
l' influence pernicieuse des hérésies par une instruction solide et va-
riée, puisée à la source de l'Eglise et des saintes Ecritures. Dans ce
livre que Réginald Pôle et d'autres prélats illustres ont loué, et auquel
la congrégation de Y Index du concile de Trente n'a pas refusé son ap-
probation en 1563, l'auteur enseigne que le chrétien est justifié par la
foi en la mort de Jésus-Christ ; foi capable de vaincre les terreurs du
sépulcre et de l'enfer. Ce fut cette doctrine qu'il apporta au grand em-
pereur comme suprême consolation. Même dans son livre le plus ré-
pandu : La Somme de tous les Conciles, publié pour la première fois eu
1546, revu et corrigé par François Sylvius en 1639, par François Jan-
sens Elinge en 1668 et 1681, et dans les premières années du dix-
neuvième siècle par le bénédictin Schramm, Carranza ne se borne pas
à donner un résumé des décisions des assemblées chrétiennes, mais il
s'applique à réveiller la conscience de la misère des temps présents par
le souvenir de la gloire passée. En un mot Carranza se rattache à ce
groupe d'hommes éminents qui, au seizième siècle, ont pensé réfor-
mer l'Eglise par un retour aux lois du passé, et la théologie par un
CARRANZA — CARTÉSIANISME 6*2
retour aux saintes Ecritures, sans se séparer de l'unité catholique H
tout en restant soumis au v décisions du saint-siège, comme à la su- '
préme autorité en matière de dogme, eug. Stern.
CARRON Ç6ui-Toassaint4ulien), prêtre philanthrope, né à Rennes en
I7t)0. Kiev»' par sa mère en vue du sacerdoce et ordonné prêtre avant
l'âge, il manifesta, dès ses premières fonctions de vicaire dans une
paroisse de Hennés, le zèle ardent et les qualités spéciales qui tirent
de lui un véritable apôtre de bienfaisance. La Révolution l'enleva aux
œuvres charitables qu'il avait déjà organisées dans sa patrie. Empri-
sonne comme réfraetaire, puis exilé, il se réfugia à Jersey, où sa cha-
rité ingénieuse trouvâtes ressources nécessaires aux secours temporels
et spirituels des émigrés et à l'instruction de leurs enfants. Cette sorte
de colonie de réfugiés ayant dû passer à Londres, l'abbé Carron y
transporta ses écoles et ses institutions bienfaisantes, qu'il augmenta
d'hospices et d'un séminaire. Il ne quitta ce champ d'activité qu'à la
Restauration pour prendre, à la demande de Louis XVIII, la direction
de Y Institut royal de Marie-Thérèse, maison entretenue par la liste ci-
vile en faveur de jeunes personnes dont les familles avaient été ruinées
par suite de leur fidélité à la cause du roi. L'abbé Carron montra à
Paris comme à Londres un dévouement infatigable à toutes les misères
et mourut en 1821, entouré de la vénération universelle. Lamennais,
qui vécut assez longtemps dans la même maison et qui lui vouait une
admiration profonde, s'était proposé d'écrire sa vie, dessein que les
luttes qui l'absorbèrent dans la suite l'empêchèrent sans doute de réa-
! ser. Malgré ses travaux incessants, l'abbé Carron ne composa pas
moins de trente ouvrages, dont quelques-uns ont plusieurs volumes,
sur des sujets d'édification et de morale. Trois sont restés en manu-
scrit. Rédigés avec un style quelque peu négligé, mais dans un esprit
de piété pratique absolument étranger aux exagérations de la faction
ultramontaine, ils furent accueillis avec faveur par les contemporains.
Citons les Réflexions chrétiennes pour tous les jours de l'année (Winches-
ter, 1790, in-12), souvent réimprimées à Paris et à Londres sous le
titre de Pensées chrétiennes ; les Pensées ecclésiastiques, et les Confesseurs
de la foi en France à, la fin du dix-huitième siènln (Paris, 1820, 4 vol.
:n-S"); c'est le plus remarquable de s* --■.. L'abbé CLrrOfi a
lossi écrit Le Modèle des prêttec oi »r:dres, 1803,
in-12). i\ Uouffet.
CARTÉSIANISME. René Desca „■??, .,e en Touraine l'an 1596, fut
élevé an collège des jésuitesà la Flèche; après avoir servi dans l'armée
de Maurice de. Nassau, puis dans celle de Tilly, il parcourut une grande
parti»' de L'Allemagne et se retira (1629) en Hollande pour s'y vouer
j»|ii< libreim ut a la méditation. En 1037 il publia Je Discours êe I" mé-
thode, que complétèrent les Principes (lOVi) et les Méditations mé-
taphysiques (1647). Sur l'invitation de la reine Christine de Suède, il
-r rendit en 1649 à Stockholm, où il mourut le 11 lévrier KSJO, Des-
cartes commence par énumérer tous les motifs que nous avons pour
doutei- de la vérité de nos connaissances, et il semble adopter la
maxime de Sanchez (Quoi nihil scitur, UJ81) : Quo magis coyito, magn
656 CARTESIANISME
dubito. Toutefois il a eu soin de distinguer entre la philosophie et la
théologie. En matière religieuse, il est un ferme croyant; il accomplit
le pèlerinage de Lorette pour un vœu fait à la Vierge ; il supprime soie
Traité delà lumière, quand il apprend la condamnation de Galilée, non
qu'il ait renoncé au système de Copernic, car il constate que la déci-
sion des inquisiteurs n'est confirmée ni par le pape ni par un concile;
mais par prudence, il s'enveloppe désormais d'obscurité quand il traite
du système du monde ; etBossuetdit de lui : « Descartes a toujours craint
d'être noté par l'Eglise, et il prenait pour cela des précautions qui al-
laient jusqu'à l'excès.» En philosophie ce doute méthodique rencontre
une vérité inébranlable, obtenue sans raisonnement, par une simple
•inspection de l 'esprit : si je doute, je pense, c'est-à-dire je suis ; ce qui
chez saint Augustin n'était qu'une réflexion entre plusieurs, se trouve
constituer le fondement de la philosophie. Cette première notion ayant
pour caractère d'être évidente, l'évidence est le critère de la vérité*
substitué au principe d'autorité accepté par la philosophie scolastique;
ce que je conçois clairement et distinctement est vrai, et la raison seule
est juge de l'évidence des choses. Or nous discernons clairement dans
notre esprit l'idée d'un être parfait, existant par lui-même, substance
indépendante ; idée qui n'est pas notre œuvre personnelle ; elle est
donc imprimée à notre esprit par l'être infini, c'est-à-dire par Dieu,
créateur universel. Du reste, Descartes ne s'arrête pas à approfondir
l'idée de Dieu; il l'accepte de la tradition chrétienne; comme pour les
jésuites, ses maîtres, la liberté divine est pour lui une liberté d'indiffé-
rence : Dieu aurait pu rendre possibles les choses qu'il a voulu rendre
impossibles; mais il ne développe pas les conséquences de cette no-
tion. Du moins il tire de l'existence de Dieu un second critère : 1»
véracité de l'être parfait, qui ne veut pas nous tromper, Dès lors les
notions que nos sens nous suggèrent ne sont pas des illusions, elles
correspondent à une réalité objective, le monde, dont l'existence
est une création incessante de Dieu, qui est la vraie cause comme i!
est la vraie substance, les êtres créés n'agissant que par son action
continue. La philosophie n'a pas à s'enquérir des causes finales, la
capacité de notre esprit étant trop médiocre pour les discerner ; elle
cherche surtout l'explication mécanique et mathématique des phé-
nomènes de la nature. Dans le monde nous distinguons deux sortes
de substances opposées : les corps, dont l'attribut intelligible et essen-
tiel est l'étendue, tous les mouvements matériels, tant physiques que
physiologiques, n'étant que l'étendue modifiée diversement, et les
esprits, dont l'attribut essentiel est la pensée, la continuité des phé-
nomènes de conscience. Dans l'homme, le corps exerce une action
sur l'âme et réciproquement, mais l'assistance divine est nécessaire
pour ces communications. Nos idées sont les unes innées ou néces-
saires, les autres acquises. Nos erreurs viennent de ce que la volonté
intervient dansla formation de nos jugements; l'entendement ne déter-
mine la volonté qu'avec le consentement de la volonté qui est abso-
lument libre. On a reproché à ce système que les différents termes n'en
sont pas assez justifiés ni coordonnés ; que la psychologie en est faible.
CARTÉSIANISME 6oT
et les éléments éthiques presque absents : l'évidence est mal définie,
et les Idées innées indiquées vaguement ; on passe trop brusquement
d'un simple phénomène de conscience à la notion ontologique de' la
substance pensante, et de l'idée de l'être existant par lui-même au
Dieu des chrétiens; ainsi cette doctrine se présente avec l'apparence
d'une hypothèse ou d'un emprunt l'ait à la tradition; enfin l'élément
rationaliste y prédomine, préparant les voies à l'idéalisme panthéis-
tique. Mais il faut reconnaître (piécette philosophie, dans sa claire et géo-
métrique ordonnance, répondait aux aspirations de cette période du
dix-septième siècle et qu'elle a exercé une action qui peut être com-
parée à celte de Richelieu dans l'ordre politique; Descartes ne veut pas
seulement rompre avec le moyen âge, mais avec le mouvement im-
pétueux de la pensée au seizième siècle; il surmonte le scepticisme; il
résiste au « flot d'épicuriens », et oppose au Dieu-nature des matéria-
listes le Dieu-pensée; il complète la méthode de Bacon, toute consacrée
à l'étude des phénomènes sensibles; il marque fortement le lien intime
qui unit l'âme à Dieu ; et par-dessus tout il ramène la philosophie à
son vrai foyer, la science de l'esprit. Cette doctrine excita dès l'abord
un vif intérêt. En France, elle rencontra de nombreuses adhésions; le
duc de Luynes traduisit en français les méditations; Rohaut institua
des conférences qui furent suivies par l'élite de la société parisienne;
l'influence que cette philosophie exerça sur la littérature fut considé-
rable. Plusieurs ordres religieux l'adoptèrent, notamment l'Oratoire
(Bérulle, Malebranche, le P. Poisson) et Port-Royal (Arnauld, Nicole) ;
dans les autres congrégations elle compta des disciples éminents (le
P, Mersenne, le P. Bossu, etc.). Mais les jésuites lui firent opposition ;
la doctrine de la transsubstantiation était en péril; à leur sollicitation,
le saint-siége défendit l'impression et la lecture des écrits de Descartes
(1663). La Sorbonne demanda un arrêt de prohibition au parlement,
et comme ce corps hésitait, par suite d'un arrêt burlesque imaginé par
Boileau, ce fut le conseil du roi qui proscrivit en France l'enseignement
de cette philosophie (1671) ; l'archevêque de Harlay fit fermer le cours
de Sylvain Régis ; dom Lamy fut interdit de l'enseignement et de la
prédication ; le P. André, jésuite mais cartésien, fut mis à la Bastille ;
l'Oratoire fut obligé de soumettre son enseignement à une révision. Il
est vrai que plusieurs cartésiens s'étaient avancés dans une voie qui
aboutissait au panthéisme : le médecin Delaforge enseignait que les
rapports de l'àme et du corps sont indépendants de notre volonté et
causés par Dieu seul (Traité de l'nme et deson unir») arec le corps d'après
1rs principes de Desc., 1666) ; Régis soutenait qu'il faut rapportera Dieu
les actes que par illusion nous rapportons à nous-mêmes; Malebranche
voyait tout en Dieu et constatait que Dieu fait tout en nous. Toutefois
un cartésianisme mitigé, représenté surtout par deux hommes supé-
rieur-. Bossuel et l'énelon, lit tomber en désuétude les arrêts de pro-
scription, et les j.'siiitcs eux-mêmes finirent par l'adopter. Mais au
dix-huitième siècle, cette philosophie tomba dans un discrédit com-
plet; ce qui amena sa chute, ce ne furent pas les critiques de Huet
(Censvra philosopha cart., 1081) ; Traité de la faiblesse de l esprit humain,
ii. 4-2
6 58 CARTESIANISME
1723), mais d'une part le dogmatisme immobiliste des cartésiens, pour
qui la parole du maître était devenue une nouvelle autorité, et d'autre
part Terreur de l'hypothèse des tourbillons, qui dut faire place à la
théorie de l'attraction découverte par Newton. Quelques voix au sein du
clergé (Gerdil) protestèrent contre cet oubli « du père de la nouvelle
philosophie». En Hollande, un professeur de théologie à Leyde, Heida-
.nus, avait été un des premiers disciples de Descartes; des professeurs de
philosophie, de Rary, Herbrot, Geulinx, le théologien Christ. Wittich
(Theologia pacifica, 1671) suivirent la même voie. A l'université
d'Utrecht, le philosophe Rhegius, le théologien F. Burmann profes-
sèrent aussi le cartésianisme ; mais le recteur G. Voet accusa Descartes
d'athéisme, et celui-ci dut recourir à l'ambassadeur de France pour
obtenir que la procédure fût arrêtée ; la cause du cartésianisme fut con-
fondue avec celle de la doctrine de Cocceius ; toutes deux furent con-
damnées par l'université. Les Etats et le synode intervinrent (1656) ;
les cartésiens étaient suspects au parti orangiste, et en 1676 l'enseigne-
ment de la philosophie cartésienne fut interdit. On incriminait : le
doute posé comme point de départ pour la recherche de la vérité, l'af-
firmation que la certitude philosophique égale, en son domaine, celle de
la révélation, que la liberté de l'homme est assez complète pour qu'il
puisse de lui-même dompter ses passions ; puis l'occasionalisme en-
seigné par Geulinx, qui, après avoir professé pendant douze ans à
Louvain, était devenu protestant et semblait dépasser les limites du
théisme chrétien en affirmant que Dieu produit dans notre corps les
actes correspondant aux pensées de l'esprit et réciproquement ; et la
hardiesse avec laquelle B. Bekker contestait, au nom de la philosophie,
la puissance des démons et introduisait dans F exégèse le procédé de
l'accommodation ; enfin la doctrine de Spinoza, qui apparaissait comme
le continuateur légitime de Descartes. Mais ces rigueurs n'empêchèrent
pas le cartésianisme d'acquérir des adhérents et d'exercer une in-
fluence sur la théologie ; par exemple, chez Van Til (Compend. theoL,
1704). H. -A. Rœll, cartésien, un des précurseurs du rationalisme, put
conserver sa chaire de théologie à Utrecht jusqu'à sa mort (1718). Les
théologiens se préoccupèrent toujours davantage de la clarté, de la
simplicité en matière de dogme. En Angleterre, Hobbes avait combattu
la doctrine des idées innées; les professeurs de Cambridge, Henri Morus
et Samuel Parker, censurèrent la Physique, dont Ant. Legrand prenait
la défense (Apologia pro Cart., 1672). Locke rejeta pareillement les
idées innées, mais il suivit pour l'étude de l'esprit humain la voie ou-
verte par Descartes. En Allemagne, l'université réformée de Duisburg
accueillit la philosophie nouvelle; Clauberg, professeur de théologie.
y enseignait que nous sommes à l'égard de Dieu ce que nos pensées
sont à l'égard de notre esprit; H. Hulsius voulait que notre foi reposât
sur une démonstration rationnelle et non sur un témoignage du Saint-
Esprit. Mais dans les universités luthériennes, le cartésianisme fut com-
battu; il n'y exerça pas d'action notable; c'était à la philosophie de
Leibnitz et de Wolf que ce rôle était réservé. De nos jours M. Cousin a
relevé la gloire de Descartes avec un chaleureux patriotisme. — Voyez
CAUTMACE— OARTULAIRi: 6Ô9
Dainuoii. La philosophie en France au dix-septième siècle, ^ vol., 1846;
Fr. Houillier. Histoire de la révolution cartésienne, :>• éd., 1868.
A. Mat ri: r.
CARTHAGE (Kar/r.^ov. Cartkago), colonie phénicienne l'ondée par
la princesse tyrienne Elissar ou Klissa, sur remplacement de l'an-
cienne ville sidonienne de Kamhé. La nouvelle colonie reçut le nom
de KirùUk-Hadeshât (ville nouvelle), que Ton prononce ordinairement
Kartk-Hadshàt. Après avoir été réduite en cendres, à la suite des
guerres puniques, Carthage avait été rebâtie, conformément au projet
de F empereur Auguste, et était devenue la capitale de l'Afrique pro-
consulaire. Au moment où le christianisme y pénétra, c'était un àêé
centres les plus considérables de l'empire romain; on y comptait envi-
ron 400.000 habitants. Il n'est pas étonnant que l'Eglise d'Afrique
(voir cet article) en ait fait sa métropole et y ait tenu plusieurs conciles
importants où se discutèrent toutes les questions dogmatiques et ecclé-
siastiques qui agitèrent la chrétienté des premiers siècles. En 251 on
s'y occupe des lapsi et Ton décide qu'on ne refuserait pas la réconci-
lation à ceux qui auraient fait preuve d'un véritable repentir. En 255
il s'agit de la validité du baptême donné par les hérétiques; un concile
composé de trente-deux évêques de l'Afrique proconsulaire décide
qu'on ne peut être légitimement baptisé hors de l'Eglise. Le pape
Etienne se refusant à admettre cette décision, nouveau concile en 2o6-
auquel assistent quatre-vingt-cinq évêques et qui est connu sous le nom
de grand concile de Carthage ; mais le siège de Rome n'en persiste pas
moins dans son opinion. En 348, concile très-important qu'on appelle
communément le premier de Carthage et qui s'occupe du schisme des
dénotâtes (voir cet article). En 398, autre concile où assistèrent deux
cent quatorze évêques et où furent rédigés cent quatre canons célèbres
qui portent le nom de Statuts anciens de l'Eglise. En 410, concile qui
met lin à l'hérésie des donatistes. En 412, il6, 417, 418, conciles suc-
cessifs qui s'occupent de l'hérésie de Pelage et de Célestius. Neuf
canons du concile de 418 prononcent l'anathème contre ceux qui
disent qu'Adam a été' créé mortel; contre ceux qui nient la nécessité
du baptême pour les enfants nouveau-nés et contre ceux qui préten-
dent que la grâce de Dieu, qui nous justifie par Jésus-Christ, ne sert
que pour la rémission des péchés déjà commis et non pour nous aider
à n "en plus commettre. D'autres conciles moins importants se réunirent
;i Carthage, même sous la domination des Vandales, et la ville déclina
rapidement jusqu'au moment où les Arabes s'en emparèrent et la
drtriii>iivnt de tond en comble. Aujourd'hui il ne reste de Carthage
que quelques débris informes. A. Gary.
CARTULAIRE {cartuloriinn. chartularitm). On donne ce nom : 1° aux
volumes dans lesquels sont recueillis ou transcrits les contrats de vente,
d'achat, d'échange, les privilèges, immunités et autres chartes ou
titres des églises, des monastères et des chapitres; le plus ancien car-
tulaire que l'on connaisse est celui de l'abbaye de Saint-Bertin, rédigé
au dixième siècle par le moine Folquin; 2° aux officiers du clergé
chargés de garder les chartes,* les codicilles, les livres de compte, les
660 CARTULAIRE — CAS RESERVES
instructions des divers fonctionnaires de l'Eglise. Cette charge était
assez considérable. Le cartulaire de l'Eglise de Gonstantinople {carto-
phylax) présidait, au nom du patriarche, aux jugements ecclésiasti-
ques, et était nommé la, bouche et la main du patriarche; il tenait le
registre de l'état civil, et, dans les cérémonies publiques, tenait et
menait le cheval de l'empereur. De même, celui de Rome présidait, à
la place du pape, aux jugements ecclésiastiques (voy. Balsamon, Du
Droit des Grecs, 1. VII, act. 13 et 14 du sixième concile ; Ducange, Glossa-
rium, etc.).
CARUS (Fr. -Auguste), né en 1770, pasteur, puis professeur de phi-
losophie à Leipzig, mort en 1807. Ses œuvres en sept volumes furent
publiées en 1808; on y remarqua surtout la Psychologie ; quoique Fau-
teur eût adopté les principes de Kant,, son étude de l'àme était le fruit
d'observations poursuivies avec sagacité. La Philosophie générale de la
religion eut peu de succès ; les idées de Kant, de Fichte, de Jacobi et de
Schleiermacher s'y trouvaient juxtaposées sans être réunies dans une
pensée dominante.
CARUS (Charles-Gustave), fils d'un teinturier de Leipzig, né en 1789,
professeur d'anatomie comparée à Leipzig, puis médecin à Dresde,
appartenait, avec Schelver, Kieser, Nées von Esenbeck, à cette fraction
de l'école de Schelling qui apportait à l'étude de la physiologie les
préoccupations du système de l'identité. Dans ses Leçons de psychologie
(1831), il se prononça pour l'animisme; dans la Psyché (1846), il
appela l'attention des penseurs sur la vie inconsciente de l'âme. Un
dernier écrit, Nature et idée ou le Devenir et sa loi (ISQÏ), présente la
création comme une manifestation nécessaire de Dieu, une émanation,
un déploiement de l'idée absolue, par lequel le néant primitif, passant
par les degrés successifs de l'éther, de la matière cosmique, de la sub-
stance organique, s'élève jusqu'à la vie spirituelle de l'homme.
CAS DE CONSCIENCE. Voyez Casuistique.
CAS RÉSERVÉS {Casus reservati). On désigne sous ce nom certains
péchés graves, mortels, entièrement consommés, certains, commis par
des personnes qui ont atteint l'âge de raison, dont le pape, les évêques,
les généraux ou les provinciaux des ordres religieux se sont réservé
l'absolution, afin de faire sentir davantage aux pécheurs la gravité de
leur faute et d'en augmenter par là le regret et le repentir. Si quis
dixerit, episcopos non habere jus reseruandi sibi casus, nisi quoad exter-
narn politiam, atque ideo casuum reservationem non prohibere, quominus
sacerdos a reservatis vere absolvat : anathema sit (Conc. Trid.,sess. XIV,
c, 7 et 11 de Pœnitentia). Les cas particuliers n'ont été déterminés que
peu à peu. En thèse générale, les papes ne se sont réservé que les
péchés mortels qui entraînent l'excommunication. Ils sont énumérés,
en majeure partie, dans la bulle In cœna Dommi, et comprennent sur-
tout les empiétements dont les princes se rendent coupables dans le
domaine spirituel. Aux évêques est réservé le droit d absoudre pour
les grossiers péchés de la chair, les meurtres, la violation du secret du
confessionnal de la part des prêtres; le concile de Trente (sessio XXIV,
c. (). de reform.) leur a de plus accordé le pouvoir d'absoudre in foro
CAS RESERVES — CASAUBON 661
>
cùnscientiaej par eux-mêmes ou par leurs délégués, de tous les cas ré-
servés au siège apostolique, si ces cas sont restés secrets. Ils reçoivent
de plus tous les cinq ans le pouvoir d'absoudre de tous les cas réservés
au pape, notamment dans les Etats non catholiques, de L'hérésie, de
L'apostasie, du schisme, également in foro conscientix . Les supérieurs
des ordres religieux absolvent des violations des vœux monastiques
connue aussi de tous les crimes commis par les religieux placés sous
leurs ordres. Enfin tout prêtre peut, à l'article de la mort, absoudre
de tous les cas réservés, sans exception aucune (Conc. Trid., sessioWY,
c. 7). — Voyez : Thomassin, Vêtus ac nova Èccles. discipl.,\, 1. il, c. 13,
11; Ferraris, Bibl. canon., s. v. Reservatio casnmn, etc.
CASAS (Barthélémy de las), missionnaire espagnol, né à Séville en
li7i, mort à Madrid en 1506. Il consacra sa vie à prêcher l'Evangile
aux Indiens de l'Amérique et à défendre leur cause auprès du gouver-
nement de son pays. Révolté par les mauvais traitements que les con-
quérants du Nouveau-Monde infligeaient aux indigènes, il assiégea de ses
persévérantes protestations le gouvernement de la métropole, et ht
lui-même neuf fois le voyage d'Amérique en Espagne pour obtenir
justice. 11 obtint à la lin du pape Paul III une bulle qui défendait de
réduire les Indiens en esclavage, et de Charles-Quint une loi qui
adoucissait leur sort. Las Casas publia une vingtaine d'ouvrages, la
plupart consacrés à la défense de ses protégés, les Indiens. Sesœuvres* .
ont été réunies plusieurs fois (Séville, 1552); on en a une édition
française par J.-A. Llorente (Paris, 2 vol., 1822), avec un récit détaillé
de sa vie.
CASAUBON (Isaac), l'un des plus grands humanistes du seizième
siècle, né à Genève le 18 février 1559 (nouv. style), mort à Londres le
1er juillet 1614. Son père, Arnaud Casaubon, qui était originaire de
Montfort-en-Clialosse, diocèse de Dax, en Gascogne, avait été reçu
habitant de Genève le 11 janvier 1557, et avait exercé, à partir de
1561, les fonctions pastorales à Crest, en Dauphiné. Sa mère, Jeanne-
Mergine Rousseau , se fixa après son veuvage (1586) à Bourdeaux ,
en Dauphiné , dont elle était sans doute originaire , et où elle
mourut en 1607. Il fut agréé par le conseil professeur de grec à
l'académie de Genève, « suyvant l'advis de tous les ministres et profes-
seurs », le 5 juin 1582. Le 8 septembre 1583, il épousa à Saint-Pierre
Marie Prolyot, tille d'un maitre-chirurgien , Pierre Prolyot, alors
décédé, Il la perdit le 27 mai 1585; et il se remaria le 2ri avril 1586
avec Florence Ëstienne, fille du célèbre imprimeur Henri Estienne, qui
lui donna dix-huit enfants ; il en avait eu déjà un de sa première
femme. La nécessité, le désir bien légitime d'assurer une bonne édu-
cation à sa nombreuse famille lui litaccepter lachairedegrecetde belles-
Lettres que lui offrirent les consuls de Montpellier. H arriva dans cette
ville à la lin de 1596. On lui lit un accueil triomphal; mais on oe tint
pas les brillantes promesses qui lui avaient été laites; et pour sortir de
la gêne qui le tourmentait, il répondit aux avances gracieuses «le
Henri IV, qui l'appelait comme professeur à l'université de Paris. Il
arriva dans la capitale le 6 mars 1600* Quelques semaines plus tard.
662 CAS AU BON
il ne put refuser d'être l'un des commissaires protestants dans la
célèbre conférence de Fontainebleau entre Du Perron et Duplessis-
Mornay, misérable intrigue de cour dont le roi, étalant une. joie
indécente, disait six jours après : J'y ai faict merveilles- Casaubon
reconnut loyalement que quelques citations des Pères faites par Mornay
dans son Institution de V Eucharistie étaient inexactes. Cela suffit pour
qu'il fût exposé aux soupçons et même aux calomnies de ses coreligion-
naires. Il resta pourtant ferme dans sa foi, malgré les obsessions inces-
santes, cruellement indiscrètes ou persécutrices dont l'assaillirent Du Per-
ron et le roi lui-même, surtout après qu'il eut été gratifié de la place de
bibliothécaire (1604). Quand son fils aîné eut été gagné par les cajoleries
des jésuites et l'appât d'une pension de 200écus d'or, il s'écria: «0 Satanx
insidiasî qui non po tuer e nie impellere ut imagines adorarem, ut doctri-
nam diabolorum amplecterer, H filium natu maximum mihi corripue-
runt et cor?*uperunt. Fsvvv^aTa kyiow, qui vos movit, ut hanc fraudem
adversus me excogitaretis ! » Celui qui appelait les jésuites race de vipères
et leur doctrine une doctrine de démons n'avait certes aucune tendresse
pour le catholicisme, et il n'en eut jamais. Seulement, il repoussait les
dogmes les plus rigides du calvinisme, en particulier la prédestination,
dont il disait: «Il est malaisé de ne tirer la conséquence, Deus est author
mali. » Il censurait aussi la discipline draconienne sanctionnée par les
synodes : « Pour nostre police ecclésiastique, elle ne me semble pas
accorder avec l'antiquité. » Homme de conciliation et de paix, il se
trouva jeté, malgré lui, comme ses amis Charles Perrot, pasteur de
Genève, et le Hollandais Uytenbogaert, dans les luttes de ce rude sei-
zième siècle dont les opinions étaient tout d'une pièce et les instincts
si batailleurs ; et il eut à subir tribulations de tout genre, froissements
et souffrances. A la mort du roi, il ne se souvint que de ses bienfaits.
« Ma perte est si grande, écrit-il à son ami de Hollande (26 mai 1610)
ut videar posse dicere, omnes mihi candidos occidisse soles; amisi
enim quod nunquam ouo'èv oveipctç sum recuperatus . » Appelé par
Jacques Ier, il partit pour Londres en octobre 1610, et reçut de ce roi
un accueil si flatteur, si généreux, qu'il se fit naturaliser anglais dès le
3 janvier 1611. Une étrange et horrible maladie (une tumeur mons-
trueuse dans la vessie) l'enleva à ses études le 1er juillet 1614. Il fut
enseveli à ^Vestminster. Critique de premier ordre, il a excellé dans
l'art de commenter les textes antiques. Ses éditions de Diogène Laërce,
de Polyen, de Strabon, d'Athénée, de Suétone, sont encore des modèles
du genre. Il a aussi travaillé sur Théocrite, sur Théophraste , sur
Polybe, sur Denis d'Halicarnasse, Dicéarque, Pline le Jeune, Apulée,
Perse, Aristote, Dion Chrysostôme, sur le Nouveau Testament, sur
Grégoire de Nysse. Ces ouvrages font connaître le savant que l'admi-
ration unanime de ses contemporains a placé au premier rang. Mais
l'homme tout entier ne nous a été révélé que dans ces derniers temps
par la publication de ses Ephémérides. Ce journal intime nous peint
au vif et jour par jour, en traits aussi nobles que touchants, l'exquise
sensibilité de son âme, sa foi profonde, ses tentations et ses combats,
son humilité, sa résignation dans l'épreuve, son indestructible con-
CASAUBON — CASELIUS 66$
fiance en Dieu, et aussi (pourquoi ne le dirions-nous pas?) les chagrins-
domestiques qui lui venaient parfois de 1 humeur contredisante de sa
chère Florence. Domine, fateor ita maritam esse meam, ut quœ alleva-
tioni et auxilio esse débet , su mterdum studiis )iostris impedimentum
(Ephem., ï\ di'c 15(.>7>. Ce dernier ouvrage lui assurera toujours autan*
d'amis qu'il aura de lecteurs. — [s. Casauboni Fpistolœ, publ. parRaphaë.
Thorius, La Haye. 1038, in-8" de 8i8 p.; Praestantium ac erudit. viro-
rum Epistolx ecd. et theoL, Amsterdam, 1660, in-4° de 901 p., v. sur-
tout, p. .*)^ï ss.j l'entretien de Casaubon avec Uytenbogaert, à Paris,
en 1010 ; .1. Kussell, Ephemerides ls. Cas. cuni prxfatione et notis,
Oxford, 1850, c2 vol. in-8° de plus de 1500 p.; Haag, Fr. prot., III;
Bulletin, du prof. fr.} II; Théoph. Dufour, V Intermédiaire, n° du
10 février 1800; A. Germain, /s. Casaubon à Montpellier, broch. in-4°,
1871; Cellérier, La seule chose nécessaire, recueil mensuel, Harlem,
1857, p. 07 à 87. Ch. Dardier.
CASAUBON (Méric), né à Genève le 14 août 1599, fut envoyé en 1008
à Sedan où il fut élevé jusqu'au départ de son père pour l'Angleterre,
en 1010. Il fut admis eu 1014 à l'université d'Oxford, où il fit de rapi-
des progrès, et en 1021 il prenait le grade de maitre es arts. Son dé-
but, la même année, fut une remarquable apologie de son père contre
les calomnies de divers écrivains catholiques, qui lui mérita la faveur
de Jacques Ier. Un second mémoire fut encore écrit par lui, au désir*
du roi, qui le fit traduire en français et en anglais. Il fut nommé bien-
tôt à la cure de Bledow et devint prébendaire de Cantorbéry et recteur
d'Ickham. Déjà bachelier en théologie, il fut fait docteur en 1030. La
guerre civile vint le priver de tous ses bénéfices; il n'était rien
moins qu'heureux lorsque Cromwell lui offrit, en 1049, d'écrire une
histoire impartiale de la guerre qui venait de renverser la royauté. Il
refusa, et Cromwell, sans lui en vouloir, lui lit d'autres avances qu'il
déclina également par loyauté. La Restauration lui fit recouvrer ses
avantages. Il mourut le 14 juillet 1074, laissant un nom honoré pour
sa science et pour son caractère. Un de ses fils, Jean, a exercé comme
chirurgien à Cantorbéry. — Sa bibliographie comprend trente-neuf
articles, principalement d'érudition, qu'on trouve dans >a France pro-
testante.
CASELIUS (Jean), né à Gœttingue en 1533, un des humanistes les plus
distingués de l'Allemagne, eut pour maîtres Mélanchthon etJ.Camera-
rius, puis à Florence Pierre Victor, qui avait rétabli la connaissance
exacte du péripatétisnie, et à Bologne l'archéologue Ch. Sigonius. Profes-
seur à Rostock jusqu'en 1589, puis à Helmsta^dt, il vit son influence
combattue par les ramistes, qui considéraient l'étude approfondie de
L'antiquité païenne comme dangereuse pour la jeunesse. L'université
de Helmsta^dt était divisée sur l'opportunité de signer la Formule de
Concorde, à cause du dogme de l'ubiquité de la nature humaine du
Christ, et la philosophie aristotélicienne avait été, selon l'usage; de cette
époque, mêlée au débat. En 1589, Dan. Hoffmann, qui avait passé de
L'enseignement de la dialectique à celui de la théologie, professa, dans
une disputation (Propositiones de Deo et Chrtsto opposite pontifiais et
664 CASELIUS - CASIMIR
omnibus cauponantibus verbum De}), que la raison est naturellement op-
posée à Dieu et que la philosophie nous rend hostiles à la théologie.
L'attaque était dirigée contre les aristotéliciens et contre les caséliens.
Sans entrer dans la discussion théologique, Caselius demandait, avec
modération, qu'on reconnût bonas literas et logicen et philosophiam...
s.literarumcultoribus ornamento esse, utiles et necessarias. Hoffmann su-
bit une disgrâce momentanée; mais lorsqu'il fut rétabli dans sa chaire,
la situation de Caselius devint pénible. Il gémissait de voir arriver une
nouvelle période de barbarie. Il trouvait du moins une consolation
dans l'amitié des principaux savants de l'Europe, entre autres de
J. Scaliger et de Casaubon, et dans l'attachement de quelques élèves,
parmi lesquels le plus distingué fut Calixte. Il mourut en 1613. Ses
œuvres philosophiques n'ont pas été publiées. — Voyez E. Henke.
G. Calixt u. seine Zeit, 1833, I, p. 50-73.
CASIMIR, le troisième des treize enfants de Casimir III, roi de Pologne,
né le 5 octobre 1458, reçut une éducation digne de son rang, mais
témoigna de bonne heure un penchant prononcé pour la vie religieuse.
Les écrivains catholiques ont cherché dans la piété filiale et le dévoû-
ment pour l'Eglise une excuse pour l'expédition malheureuse qu'il
entreprit contre Mathias Corvin, roi de Hongrie, à l'instigation de ses
sujets révoltés. Quoiqu'il en soit, après l'échec de sa courte campagne
la suite delà paix conclue avec Mathias par l'intermédiaire du pape
Sixte IV, le grand-duc Casimir se retira dans le château de Dobski,
et vécut désormais dans les pratiques de la piété ascétique la plus
rigoureuse et d'une dévotion superstitieuse, interrompue seu-
lement par des visites aux pauvres et aux malades et par des
distributions fréquentes d'aumônes, dont la plus grande partie
allait aux couvents et aux églises. Insensible aux appels de son père et
de sa famille, il vécut et mourut loin de la cour, après avoir refusé
toutes les charges laïques et ecclésiastiques qui lui furent successive-
ment offertes. Sa biographie est toute remplie du récit de ses actes de
piété et des miracles accomplis sur son tombeau à Vilna,où il mourut
le 4 mars 1483 et où l'on a retrouvé un long poëme qu'il composa en
l'honneur de la Vierge. Bientôt canonisé par la cour de Rome, il passa
pendant des siècles pour le patron de l'orthodoxie catholique contre
les hérétiques, et les Polonais vinrent en foule chercher dans l'attou-
chement de ses reliques la guérison de leurs maladies. — Voyez
AA.SS., 1er mars, IV;Ferreri, Vita C, 1520, in-4°.
CASIMIR (le duc Jean), lils de l'électeur palatin Frédéric III, dit le
Pieux. Ce prince aimait à rappeler « que ledit duc Casimir avoit esté,
quelque espace de temps, nourry en France et y receu beaucoup de
gracieusetés et honneur» (Bibl. nat., mss. f. fr., vol. 6619). Tout jeune
qu'il était, sous Henri II, il y avait été bienveillamment accueilli par
quelques-uns des principaux représentants du protestantisme avec les-
quels il était resté en relations depuis son retour en Allemagne (voyez
ses lettres au prince de Portien et à Renée de France. Bibl. nat., mss.
f. fr., vol. 3196, 3218). Dans le cours delà seconde guerre de religion,
Casimir fut autorisé par son père à se rendre en France, à la tête d'un
CASIMIR 665
petit corps de troupes, pour y secourir le prince de Coudé et les autres
chefs protestants. Le r janvier 1568 ( Bibl. nat., mss. f. fr., vol. 15544) •
il écrivait au maréchal de Vieilleville : « Pour préserver la couronne de
France d'une extrême et totale ruyne, je me" suis armé contre ceulx
<] ii i empeschent par leurs mauvais conseils et practiques que le roy
ne puisse déclarer sa clémence naturelle et affection de père envers
ses pauvres subjeetz et qui le contrainent par leurs autoritez d'obéir
plus à leurs affections débordées qu'à la volonté de son Dieu. » Fré-
déric III, de son côté, disait, quelques jours plus tard (lettre au duc de
Wurtemberg du 13 février 1568, Bibl. nat., -mss. f. fr., vol. 15544,
f°292) : (( Mon iilzle duc J. -Casimir n'a eu congé de moy pour faire ce
voyage, en aultre intention que pour le bien de la dignité royalle et
des fidèles subjeetz, aussi pour obvier et empeseber, de son possible,
à toutes sortes de mauvais conseils qui, à mon regret, s'effectuent
journellement, scaichant bien qu'il est bien délibéré de se laisser
■esmouvoir ny employer à aultre eftect ; parquoy je ne luy ay peu
reffuser la license comme à ung jeune prince ebrestien sur une telle
intention chrestienne » (voir, dans le même sens, la déclaration adressée,
le C décembre 15()7, à l'empereur par Frédéric III et Casimir, Bibl. nat.,
mss. f. fr., vol. 6619, fos 189 à 198). Le véridique de Lanoue nous
fait connaître (Disc, polit, et mt7#.,Basle, 1587, p. 745 à 748) les circon-
stances dans lesquelles le duc Casimir, qu'il qualifie de « prince doué
de vertus ebrestiennes, et auquel ceulx de la religion sont fort obligés »,
opéra en Lorraine sa jonction avec l'armée protestante, et il retrace
en ternies saisissants le désintéressement et l'esprit de sacrifice dont
les chefs et les soldats de cette armée firent preuve envers les Alle-
mands, auxquels il s'agissait de fournir une solde. « Tant M. le prince
de Coudé, dit-il, que M. l'admirai déployèrent tout leur art, crédit et
éloquence, pour persuader un chacun de départir des moyens qu'il
avait pour ceste contribution si nécessaire. Eux-mesmes monstrèrent
exemple les premiers, donnant leur propre vaisselle d'argent. Les
ministres en leurs prédications exhortèrent à cest office, et les plus
affectionnez capitaines y préparèrent aussi leurs gens. On vidune dispo-
sition très-grande en plusieurs delà noblesse de s'en acquitter loyau-
ment. Mais quand il fut question de presser les disciples de la picorée
qui ont ceste propriété de sçavoir vaillamment prendre et laschement
donner, là fut l'effort du combat : toutesfois, moitié par amour, moitié
par crainte, ils s'en acquittèrent beaucoup mieux qu'on ne cuidoit.
Et ceste libéralité fut si générale que, jusques aux goujats des soldats,
chacun bailla : de manière qu'à la fin on réputoit à déshonneur
d'avoir peu contribué... Somme, le tout ramassé on trouva, tant en
ce qui estolt monnoyéqu'en vaisselle et chaînes d'or, plus de quatre-
vingts mille livres.; qui vindrent si à poinct que sans cela difficilement
eût-on appaisé les reitres... N'est-ce pas là un acte digne d'esbahisse-
ment, de voir une année point payée et despourvue de moyens, qui
estimoil comme un prodige de se dessaisir des petites c noditez
quelle avoil pour subvenir à ses nécessitez, ne les espargner pour en
accommoder d'autres qui par avanture ne leur en scavoient guère de
M6 CASIMIR — OASSANDRE
gré ?» A la conclusion de la paix, le duc Casimir quitta la France.
♦Il y rentra avec ses troupes, en 1575, en exécution d'un traité passé
avec les chefs protestants, et n'en sortit qu'en 1576. Cette fois son
attitude vis-à-vis du protestantisme français fut moins franche qu'au-
paravant ; plus tard il sembla même incliner plutôt à le desservir quà
sympathiser avec lui. Sa conduite, en dernier lieu, a pu autoriser un
écrivain à dire (Le Laboureur, Addit. aux mém. de Castelnau, t. II,
p. 539) : que le duc Casimir « partit de France gorgé de biens et de
butin, et par conséquent avec un grand fonds de réputation pour
l'Allemagne, parce que les armes et la milice y sont plus mercenaires
que justes, et que la guerre s'y fait avec plus de passion, par l'intérêt
du gain que par celuy d'aucun prétexte. » — Vovez : 1° Lettres du duc
Casimir (Bibl. nat., mss. tir., vol. 3196, 3218/6619, 15544 ; 2° Bran-
tôme, édit. Lud. Lai., t. I,p. 323 à 326; 3° de Thou, Hist. univ., in-4°,
t. IV, 5, 6, 7, 8; 4° Mém. de Castelnau et Addit. de Le Laboureur,
in-f°, t. II, p. 538 à 546 ; 5° Mém. de Claude Haton ; 6° pmsim, Kluckhohn,
Briefe Friedrich des Frommen, 1868. j. Delaborde.
CASLUIM [Kaslouhim, Gen. X, 14 ; 1 Chron. 1, 12 ; X«opiuv«%
XcffXwvisijjJ, colonie égyptienne dont la situation topographique
est difficile à déterminer. La plupart des savants se rattachent à
l'opinion de Bochart {PhaL, 4, 31), qui la place en Colchide, les habi-
tants de ce pays étant, d'après Hérodote, Diodore de Sicile, Ammien
Marcellin, etc., d'origine égyptienne.
CASSANDRE (Georges), de Bruges (1515-1566). Aussi savant que
modeste et désintéressé, jamais théologien ne travailla avec autant de
bonne volonté et si peu de succès à réconcilier l'Eglise romaine et la
Réforme. Au lieu de rapprocher les adversaires, sa controverse, qui sou-
tenait que chacun avait tort en partie et en partie raison, ne réussissait, à
force d'impartialité, qu'à envenimer le différend ; ilindisposait l'un sans
plaire à l'autre et fournissait, sans le vouloir, des armes à tous deux.
En prouvant que l'on s'en prenait avec justice à la puissance exorbi-
tante du pape, aux scandale? des indulgences, aux superstitions du
culte des saints et des reliques, il blessait l'Eglise romaine; tandis
qu'en reprochant aux réformateurs de ne pas borner leurs attaques
aux excès les plus criants, il témoignait que le fond même de leur ré-
novation, le salut par la foi et l'affranchissement de la conscience,
était pour lui lettre close. Les dissidents n'admettaient pas qu'il ré-
clamât uniquement quelques réformes, alors qu'il s'agissait de la ré-
forme du système entier ; et les catholiques, en haine de cette réforme
radicale, ne consentaient même pas à lui accorder la suppression des
abus. Ainsi, dès son premier ouvrage, De offtcio piiveri in hoc dissidio
religionis (Bàle, 1561, in-8°), il fut vivement attaqué d'un côté par
Calvin et de Bèze, et de l'autre par Hessels, docteur de Louvain, et
Robert Cenalis, évêque d'Avranches. 11 composa, sur la demande de
l'empereur Ferdinand, sa fameuse Consultatif) de articulis fidei inter
papistas et protestantes controversis, examen des articles de la confes-
sion d'Augsbourg, où il désigne ceux sur lesquels les deux commu-
nions sont en contradiction absolue et ceux sur lesquels un accommo-
CASSANDRE — CASSIEN 667
dément ne sérail pas impossible. Les œuvres de Cassandre ont été
recueillies pour la première l'ois par Descordes en un volume in-folio
(Paris, 1616). On y trouve, outre 117 lettres, nombre d'études théolo-
giques ou littéraires, un savant ouvrage sur la Liturg ie où il attribue
une origine relativement récente à L'institution des messes privées, et
enfin un traite sur la Cène dont le titre seul décèle la tournure d'esprit
de son auteur : « De sacra commtmione Christian» pojmli in utraque
; sit »<• èjus restitwtio ùatkelicis hommibus optanda etiamsi jure éi-
vino non simpliciter necm&ria habeatwr : De la sainte communion du
peuple chrétien sous Tune et l'autre espèce ; les catholiques doivent-
11s en désirer le rétablissement, quoique de droit divin elle ne soit pas
tenue comme absolument nécessaire? » Incapable d'attribuer à la
bonne foi timide de Cassandre sa réserve et sa circonspection, le fou-
gueux Hessels l'accusa de viser à former, entre les protestants et les
catholiques, un tiers parti dont il serait le chef. Cassandre s'en dé-
fendit avec autant de force qu'en comportait son humeur pacifique et
il tomba à la fin, comme nous voyons tomber ses descendants les ca-
tholiques libéraux, du côté de Rome où il avait toujours penché.
CASSEL (le Colloque de). Ce colloque fut organisé par le landgrave
Guillaume de Hesse (1er — 9 juin 1661) entre les théologiens réformés
de Marbourg et les théologiens luthériens de Rinteln. Les luthériens
étaient Pierre Musaeus et Jean Henichen, qui appartenaient à la ten-
dance modérée de Calixte; les réformés, Sébastien Curtius et Jean
Heim, tous deux calvinistes décidés. Le but du colloque était de réta-
blir une entente entre luthériens et réformés, pour que « utraque pars
aller/ us mentent, et in quibus inter se convertirent vel dissentirent,
plane pleneque perciperet, inde controversiœ status rite formaretur,
et cujus momenH qusestip sit, an fundamentum fidei concernât neene
dispiceretur. denique de re ipso, placida collatio in timoré Dei imii-
tueretur, ac si convenire in omnibus non possent, saltem fraterna
ipsos pax et concordia mutuaque tolerantia sanciretur. » Des
deux parts, on apporta au colloque un esprit modéré et conci-
liant. On traita de la cène, du baptême, de la prédestination, des
deux natures du Christ. Les luthériens concédèrent l'usage du pain à
la communion, le changement de l'exorcisme en prière contre Satan ;
dans les quatre points, on reconnut qu'on s'accordait sur le fond
est ntiel de La doctrine, et que les divergences n'étaient qu'à la sur-
face sans entamer le fond. Mais dans ce temps de surexcitation des
esprits et de passion théologique, cet essai de conciliation ne pouvait
qu'augmenter L'irritation et envenimer encore les disputes.
CASSIEN (Jean), le premier organisateur du monachisme en Occi-
dent. Son origine est inconnue, mais son nom et sa manière d'écrire font
supposer qu'il était occidental. Il fut admis de bonne heure dans un
;ouveni près de Betbléhem. Kn 390 il entrepritavec l'abbé de cette mai-
son, Germanus, un voyage en Egypte, pour visiter les cénobites et les
anachorètes du désert. Après y avoir passé sept ans, ils y revinreni une
seconde fois jusqu'en i00. In peu plus tard on lés rencontre à Constan-
tinople, Cassien comme diacre [de Chrysostome. En i05, après le ban-
'668 CASSIEN — CASSIN
nissement de ce dernier, ils se rendirent à Rome, pour solliciter l'in-
tercession d'Innocent Ier en faveur de l'illustre exilé. On ignore les dé-
tails de leur démarche. Cassien resta désormais en Occident. Vers 410 il
fonda deux couvents près de Marseille, l'un pour des hommes, l'autre
pour des femmes. Ses deux principaux ouvrages sont destinés à re-
commander et à régler la vie monastique. Dans l'un, De cœnobiorum
instituas libri XII, adressé à Castor, évèque d'Apt, Cassien expose
des préceptes sur le costume, la nourriture, les occupations, les exer-
cices spirituels des religieux, et montre ensuite comment, selon lui,
ce genre de vie est le seul qui permette de triompher des vices. L'au-
tre, Collationes Patrum, contient les souvenirs de ses voyages en Egypte
et de ses entretiens avec les pères du désert, sur la perfection ascétique
et sur les moyens d'y parvenir. C'est dans la treizième de ces collations
que Cassien exprime les opinions à cause desquelles on le considère
comme le premier auteur du semipélagianisme (voy. cet article). Lors
de la querelle nestorienne, il écrivit en 430, à la demande de l'archi-
diacre romain Léon (plus tard pape, Léon Ier), sept livres De incamatione
advenus Nestorium; dans cet ouvrage il met, comme l'avait fait Cyrille
d'Alexandrie, la doctrine de Nestorius en rapport avec celle de Pelage.
Il mourut peu après 432. LepapeGélase rangea ses ouvrages au nombre
des apocrypka, c'est-à-dire de ceux qui étaient suspects d'hérésie. La
meilleure édition de ses œuvres est celle d'Alard Gazaeus (Gazet),
Douai, 1616, 3 vol. in-8° ; plus compl. Arras, 1628, in-f°. — ■ Voyez :
Hist. lit. de la Finance, t. II, p. 215 ss. ; Wiggers, DeJohanne Cassiano,
3 p., Rostock, 1824, in-4°; le même, Darstellung des Augustinismus und
Pelagianismus, t. IL Cn. Schmilt.
CASSIEN (Jules). Voyez Docétisme.
CASSIN (Mont, Monte- Casino), le célèbre couvent qui devint la sou-
che de l'ordre des bénédictins, dans un des plus beaux sites, au
sommet d'une montagne qui domine lavillede S. -Germano (Casinam),
dans la terre de Labour, entre Rome et Naples. Avec ses tours et ses
murs il présente plutôt l'aspect d'une forteresse du moyen âge que
d'un monastère. L'église et les autres constructions datent du dix-
septième siècle et neportent plus rien du cachet des siècles antérieurs.
La colonnade qui forme l'entrée est ornée des statues colossales de saint
Benoît et de sa sœur, sainte Scholastique, ainsi que d'autres personna-
ges. Les portes en bronze de l'église sont venues de Constantinople,
elles remontent au onzième siècle et portent une inscription qui énu-
mère les dates les plus importantes de l'histoire de l'abbaye. La biblio-
thèque renferme des trésors en fait d'anciens manuscrits et de chartes
des rois lombards. Plus de treize siècles se sont écoulés depuis que le
fondateur de la vie monacale en Occident, saint Benoît, vint établir sa
demeure dans cette splendide solitude (529) et élever une chapelle sur
les ruines d'un temple d'Apollon, à ce que rapporte la tradition. Ce
fut là qu'il traça la règle qui servit de modèle à la plupart des ordres
monastiques. Les annales de l'ordre de Saint-Benoît puisent une bonne
partie de leur éclat dans celles du Mont-Cassin. Plusieurs papes, nombre
d'évêques et des saints par centaines sortirent de cette abbaye. Les
CASSIN (Mont-) GM
richesses qui bientôt vinrent s'y accumuler et les vastes domaines dont
elle Eut dotée ne lui portèrent guère bonheur. Source de relâchement,
de dissolution et de décadence pour Tordre, ils attirèrent plus d'une
t'ois la rapacité des barbares lors de leurs incursions en Italie. Néan-
moins L'amour des études et des lettres, cette gloire de Tordre des bé-
nédictins, conserva toujours un refuge parmi les moines du Mont-Cas-
sin. Trente-sept ans à peine après la mort de saint Benoit (543), son
couvent tut saccagé pour la première fois par les Lombards (pour la
suite de ces faits nous pouvons à peu près nous laisser guider par les
indications de T inscription susmentionnée). Les moines dans leur fuite
purent emporter quelques-uns de leurs objets les plus précieux. Ils fu-
rent accueillis à Home par le pape Pelage II et s'y lixèrent jusqu'en 720,
où l'abbé Pétronax releva, avec Taide de Grégoire II, les ruines de
l'ancien monastère. Dans Tintervalle, Tordre, sous la protection des
papes, avait étendu sa mission civilisatrice jusque sur les bords de la
mer du Nord et dans les Iles Britanniques. Ce fut à l'impulsion de
Grégoire le Grand que Tabbé saint Augustin partit à la tète de qua-
rante bénédictins et devint Tapôtre des Anglo-Saxons et archevêque de
Canterbury. La plupart des biens furent restitués au couvent du Mont-
Cassin, de nouveaux privilèges furent ajoutés aux anciens. Quelques
hommes distingués contribuèrent à y favoriser le goût des études. Le
diacre Paul ^Yarnefrid, que Charlemagne appela auprès de lui pour
l'aider à répandre quelques lumières parmi le clergé de son empire,
revint finir ses jours au Mont-Cassin, dont il fut une des illustrations
(Daim, Paul Diaconas, 1870). Mais ce temps, pendant lequel Téclat
du Mont-Cassin brillait au milieu des ténèbres d'un monde qui me-
naçait de retomber dans la barbarie, ne dura guère. En 884 les Sar-
rasins vinrent piller et dévaster la riche abbaye, et elle demeura de
nouveau abandonnée jusqu'au milieu du dixième siècle. Les moines
retirés à Teano et ensuite à Capoue se laissèrent aller à un relâche-
ment de discipline toujours croissant. Aligerne devint le troisième
fondateur de Tabbaye, l'empereur Othon Ier lui accorda sa puissante
protection ; mais déjà le successeur d'Aligerne, Tabbé Manso (986)
s'abandonna aux plaisirs de ce monde, la discipline et les mœurs re-
tombèrent dans une profonde décadence. Ce ne fut que Tabbé Dési-
dérius, le successeur au siège pontifical et le continuateur de l'œuvre
de Grégoire VII, qui par son énergie parvint aussi à ramener un meil-
leur ordre de choses à Monte-Casino (1058-1087). Il restaura les édifices
et reconstitua les biens, le pape Alexandre II vint lui-même consacrer
l'église, le nombre desmoines augmenta de nouveau, les études mêmes
rentrèrent dans les murs du monastère, du moins autant que l'esprit
et les troubles de ces temps !•' permettaient. L'abbé Brunon, qui plus
tard devint évêque de Segni dllO), se fit un nom comme exégète et
plus encore comme biographe du pape Léon IX. Le moine Jean de
Gaète sortitdu Mont-Cassin pour, devenir cardinal et monter ensuite sur
le saint-siége, où, sous le nom deGélasell, il continua la lutte des papes
contre l'empereur Henri V. Une autre gloire de Tabbaye fut le biblio-
thécaire Pierre le Diacre, qui par ses écrits, tels que son Chronicon
670 CASSIN — CASSIODORE
casinense et son De Viris iUustribus Casinensibus, chercha à relever
Téclat de la fondation de saint Benoit. Mais l'affluence de nouvelles
richesses amena une nouvelle époque de décadence. L'empereur Fré-
déric II, dans ses guerres avec les papes, profita de la situation du
couvent pour en faire une citadelle et pour y mettre une garnison ;
les moines s'enfuirent, à l'exception de quelques-uns (1239). Après
une vingtaine d'années seulement les choses rentrèrent dans l'ancien
ordre. Le pape Urbain IV appela un abbé de Cluny pour réformer le
vieux cloitre. Mais ce fut en vain. Les vastes domaines devinrent un
objet de convoitise même pour les papes. Boniface VIII jeta l'abbé An-
gelario dans les fers. Jean XXII remit les intérêts temporels et spirituels
à un administrateur pris en dehors du couvent, tout en élevant l'abbaye
au rang d'évêché (1321). Les malheurs qui frappèrent l'Italie à cette
époque n'épargnèrent pas le Mont-Cassin. Et de plus un tremblement
de terre vint renverser tous les édifices en 1349. Toutes les maisons
de Saint-Benoit concoururent à les relever. Enlin en 1649 Benoit XIII
leur donna l'aspect qu'ils ont encore aujourd'hui. Les guerres de la Ré-
volution furent désastreuses pour l'abbaye. Les généraux et les armées
de la République française ne manquèrent pas de lui faire leurs fu-
nestes visites. Dès 1799, quand Ghampionnet vint occuper Naples et
créer la République parthénopéenne, de lourdes contributions de
guerre lui furent imposées. Elle n'échappa pas non plus au pillage. Et
quand Joseph Bonaparte arriva en 1805, l'ordre de Saint-Benoit et
l'abbaye du Mont-Cassin subirent le sort de tous les ordres monastiques
et de leurs couvents en Italie. Leur suppression fut décrétée et leurs
biens furent réunis au domaine de la couronne. La bibliothèque resta
à sa place et la garde en fut confiée aux anciens religieux. Pie YII eut
soin de rétablir l'abbaye par le concordat qu'il négocia avec le roi
Ferdinand. Dans ces derniers temps une vingtaine de moines vivaient
à Monte-Casino et y dirigeaient un petit collège, un séminaire épisco-
pal et une imprimerie. Parmi eux F raja Frangipane et surtout Luigi
ïosti sont généralement connus dans le monde savant, et leurs ouvrages
scientifiques ont fait revivre les meilleures traditions de l'antique ab-
baye.— Léo Ostiensis et Petrus Diaconus, Chronica monasterii Casùiensis
(edit. Muratori, Script, rer. itaL, IV; Wattenbach, dans Pertz, Monum.
script., VII) ; Angélus de Nuce, Chronica Casinensis, 1668 (Muratori,
Script., IV); Petrus Diaconus, Liber illustr. viror. Casin. archist. (éd.
Marus, Rom., 1655 ; Murât., Scr., VI) ; Necrologiwn Casin. (éd. Gat-
tula in ejuscl. Hist. Casin., M. Cas., 733) ; L. ïosti, Storia délia Badia
di Monte Cassino, 3 vol., Napol., 1843, in-8° ; Caravita, 1 codici e le
arti a Monte Cassino, 3 vol., M. Cas., 1869; Bibliotheca Casinensis s.
Codd. mss. Casin. cura et stud. monachor . aff. M. Casini, 2 vol., ex
typ. Casin., 1873, in-fol. E. Cunitz.
CASSIODORE {Marcus Aurelius Cassiodorus Senator), ministre célèbre
de Théodoric le Grand, roi des Goths,et de ses successeurs, naquit
vers 477, dans le Bruttium, probablement à Squillace, d'une famille
qui avait occupé de hauts emplois dans les derniers temps de l'em-
pire. Questeur dès l'âge de vingt ans, secrétaire privé de Théodoric et
CÀSSIÛDORE 071
remplissant auprès de lui les fonctions d'an véritable ministre de l'in-
térieur, consul et à trois reprises préfet du prétoire, il travailla sans re-
lâche à la conciliation entre les Goths et les Romains, qui était le but
de la politique de son maître. Quand le roi, égaré par ses courtisans,
se mil à persécuter ses plus fidèles serviteurs, Symmaque et Boèce
(voyez ces noms , qui étaient en même temps les amis de Sénateur Cas-
siodore, celui-ci sut se retirer à temps de la cour et éviter l'orage. Il y
rentra peu après, en 525, et y resta jusqu'en 540 environ, époque où
il se retira dans le monastère de Viviers (Vivarium) qu'il avait lui-
même établi dans ses propriétés du Jïruttium. C'est là qu'il se livra
jusqu'à un âge très-avancé (il écrivait encore à quatre-vingt-treize ans)
à une activité littéraire des plus variées, excitant le zèle de ses moines
et dirigeant leurs travaux.. Ses Institutiones divinarum et lœcularium
h ctionum (ou litterarum) sont un plan général d'études. Le premier
livre, divisé en trente-trois chapitres, autant que la vie du Christ
comptait d'années, est consacré à la théologie et à l'histoire ecclésias-
tique à laquelle il donne une grande place; le second livre passe rapide-
ment en revue les sept arts libéraux. Son Commenta?ium in Psalmos est
un ouvrage volumineux, composé à l'imitation des Enarrationes in Psal-
mos de saint Augustin et dans lequel il explique les psaumes aux points de
vue littéraire, historique, moral, mystique et symbolique, non sans
beaucoup de subtilité et de pédantisme. Il a accordé une grande place
dans ces commentaires à la recherche des types prophétiques dans
l'Ancien Testament. Cet ouvrage a été très-répandu au moyen âge,
ainsi que le dernier en date de ses écrits, le traité De anima, où il
expose à un ami, sous une forme agréable, simple et facile à saisir, les
théories de la philosophie chrétienne sur l'âme. Les Complexiones in
epistolas et Acta aposfolorum et Apoealypsin ont été (peu répandues.
UHisforia tripartita qui lui est quelquefois attribuée n'est pas en réa-
lité son œuvre. C'est une mauvaise compilation des trois histoires ec-
clésiastiques de Socrate, Sozomène et Théodoret, continuateurs d'Eu-
sèbe. qui fut exécutée sur la demande de Cassiodore par un de ses
amis, Epiphane. Le De orthographia est également de peu de valeur.
Les écrits historiques de Cassiodore ont été importants; malheureuse-
ment il ne nous en reste que peu de chose. Il avait composé une His-
toire des Goths en douze livres qui est perdue, mais qui a servi de
source a VHistoria Gothorum de Jordanis (vulgo Jornandès), et un pa-
négyrique sur les Rois et Reines des Goths dont on croit avoir quelques
fragments (cf. Memorie delV Accademia di Torino, sér. II, 2, 8, p. 169 .
Sa Chronique s'est conservée; mais bien qu'elle remonte à l'origine du
monde, elle est très-courte et n'a d'autre but que de donner la liste des
consuls. Les notes qui accompagnent cette liste n'ont qu'un médiocre
intérêt. Heureusement le grand recueil des lettres de Cassiodore, Varia-
?ntm libri XII, nous est parvenu en entier. C'est le recueil de tous les
actes qu'il avait écrits, soit au nom du roi comme questeur et comme
magister officier um, soit en son propre nom comme préfet du prétoire.
Cette collection est des plus précieuses pour l'histoire du sixième siècle
et pour la connaissance de la législation et de l'administration sous la
672 CASSIODORE — CASTALION
domination gothique. Sénateur Cassiodore mourut presque centenaire
* entre 570 et 580. C'était un esprit encyclopédique, à tendances éminem-
ment pratiques. Dépourvu d'originalité, il n'a guère fait que des com-
pilations ; mais il apportait dans toutes ses œuvres la clarté et la mé-
thode qui avaient fait de lui un excellent administrateur, et il a exercé,
comme vulgarisateur, une grande influence. La meilleure édition de ses
œuvres est encore celle de D. Garet (Rouen, 1679, 2 vol. in-f°, et Venise.
1729). Sa Chronique a été publiée et étudiée par M. Mommsen dans les
Abhandlungen der Kœnigl.Sxchs. Gesellschaft der Wmensckaften, phiL
hùt. Klasse,Rà: [\\.— V oyez sur Cassiodore :A. Thorbecke, Cassiodorus
Senator, Heidelberg; A.Franz, Cassiodoms Senator, Breslau, 1872;
Ebert, Geschichte der Christlich-lateinischen Literatur, t. I, p. 473-490;
J. Ciampi, / Cassiodori nel V e nel VI secolo, Imola, 1876.
GrABEIEL MOXOD.
CASTALION (Sébastien). Son vrai nom, sous lequel il a publié sa
Bible française, était Chateillon, et comme il était né en 1515 à Châ-
tillon en Bresse, c'était à la fois le nom de sa famille et celui de son lieu
natal. Il lui donna la forme latine de Casteillon; mais quelqu'un, par
méprise, l'ayant appelé un jour Castalion, il adopta ce nouveau nom,
qui lui rappelait la fontaine Castalie, consacrée aux muses, au culte
desquelles il était alors voué, faisant des vers et aimant à les lire. Plus
tard il eut regret de ce changement. Ses parents étaient pauvres. Iln'en
réussit pas moins à satisfaire son goût pour l'étude. Chargé d'accom-
pagner comme précepteur trois jeunes Lyonnais à l'université, il en
suivit lui-même les cours et se perfectionna dans la connaissance des
langues anciennes ; non content de bien savoir le latin et le grec, il
voulut aussi apprendre l'hébreu. En 1540, il demeura pendant quel-
ques jours à Strasbourg chez Calvin, qui, frappé de son savoir et de
ses sentiments pieux, l'engagea, après son rappel à Genève, à accepter
le poste de régent dans le collège de cette ville. 11 s'y acquit l'estime de
tous, et les ministres faisaient un tel cas de lui qu'ils avaient résolu à
l'unanimité, ainsi que Calvin l'atteste, de lui confier la charge de pas-
teur, ut nostro omnium consensu jamad munus pastorale destinatus esset.
Il n'en rencontra pas moins une vive opposition de leur part quand il
se présenta pour la place de chapelain de l'hôpital des pestiférés. Cas-
teillon avait pris l'habitude de s'exprimer avec une grande liberté sur
les matières de religion ; il avait, en particulier, témoigné des doutes
sur ce qu'il fallait entendre par la descente de Jésus aux enfers et parlé
du Cantique de Salomon en termes peu révérencieux. Sa demande
ayant été soumise au Conseil, les ministres firent savoir à celui-ci, dans
sa séance du 14 janvier 1544, par l'organe de Calvin, que, quelque
savant qu'il fût, il ne leur paraissait pas, à cause de cela, propre au mi-
nistère. Casteillon, profondément blessé, se décida à quitter Genève.
Il obtint des ministres un certificat, signé par Calvin, où il est dit que
c'est volontairement qu'il s'est démis de l'emploi de régent après
l'avoir rempli à leur entière satisfaction, et que les opinions émises
par lui sur les deux points cités sont le seul motif qui ait empêché son
admission dans le corps pastoral. Calvin, fort inquiet sur ce qu'il allait
CASTALION G73
devenir, lui remit en outre, à son départ, des lettres de recommanda-
tion et écrivit plusieurs l'ois à Yiivt pour le prier de cherchera lui être
utile. Casteillon se fixa à Halo et y lit imprimer dès Tannée suivante, en
1545, sous Le titre de Dialogorum sacrorum libri quatuor •, des entretiens
sur Thistoire sainte, dont les trois premières parties, comprenant l'Ancien
Testament, avaient déjà été publiées à Lyon en 15'tO et à Genève en
1543. Il avertit dans la préface que cet ouvrage étant destiné aux en-
tants, il s'est appliqué dans le premier livre à écrire en un latin qu'ils
pussent aisément comprendre, et que ce n'est que dans les livres sui-
vants qu'il s'est permis de donner un peu d'élégance à son style. La
dernière édition de ces dialogues est celle de Francfort, 1767. Casteil-
lon avait résolu de traduire la Bible en latin et en français. Les cinq
livres de Moïse, Moses latinus ex hebrxo factus, parurent àBàleen 1546,
le Psalterium reliquaque sacrarum literarum carmina et precationes en
1547, la Bible entière, Biblia sacra latina, en 1551, et la version fran-
çaise, avec des annotations sur les passages difficiles, en 1555. Il dédia
l'une de ces traductions au roi d'Angleterre Edouard VI, l'autre au roi
de France Henri II, peut-être pour avoir l'occasion de plaider auprès
d'eux la cause de la liberté de conscience, ce qu'il a fait en termes
excellents. Il la plaida aussi en plusieurs écrits avec un grand bon
sens et une grande énergie, après que Michel Servet eut péri à Genève
sur un bûcher, contre Calvin et Bèze, qui soutenaient qu'il est licite *
aux magistrats de punir les hérétiques : « Tuer un homme, dit-il dans
l'un d'eux, ce n'est pas protéger une doctrine; c'est seulement tuer
un homme. Quand les Genevois ont tué Servet, ils n'ont pas défendu
une doctrine ; ils ont tué un homme. Maintenir une doctrine n'est pas
l'affaire du magistrat (car quel rapport y a-t-il entre une doctrine et le
glaive'?); c'est l'affaire du docteur. Mais protéger le docteur, comme
il protège le laboureur, l'ouvrier, le médecin et les autres, contre le
tort qu'on leur veut faire, voilà ce qui regarde le magistrat. C'est pour-
quoi, si Servet avait voulu tuer Calvin, le magistrat aurait eu raison
de défendre Calvin. Mais Servet ayant combattu avec des arguments et
des écrits, c'est avec des arguments et des écrits qu'il devait être re-
poussé » (Contra libellum Calvini in quo ostendere conatur flœreticos
jure gladii coercendos esse, 1554, art. 77). Les réformateurs afiirmant
en ce temps-là comme les inquisiteurs que le devoir des magistrats est
de châtier les hérétiques, parler ainsi c'était s'élever au-dessus de son
siècle. A son arrivée à Bàle, Casteillon avait eu à lutter contre de sé-
rieuses difficultés pour pourvoir aux besoins de sa famille. Il y vécut
toujours dans la pauvreté, et Montaigne dit de lui et d'un autre savant
son contemporain, «qu'ils sont morts en état de n'avoir pas leur soûl à
manger» [Essais, livre I, cli. xxxiv).Ses traductions, poursuivies pen-
dant tant d'années, n'étaient rien moins qu'un travail rémunérateur.
11 avait d'ailleurs été précédé à Bàle par le bruit de ses différends avec
les ministres de Genève ; on s'y déliait de lui, et ce n'estque quand la
publication de sa version latine de la Bible eut fait connaître sa valeur.
qu"il y lut attaché, en 1552, à L'université comme professeur de grec.
Dans les noies jointes à cette version il continuait à user de la liberté
u. '.:i
674 CASTALION
de discussion qu'il avait revendiquée alors qu'il était régent ; et il se
trouvait maintenant, bien plus qu'à cette époque, en désaccord avec
la doctrine enseignée par Calvin. On peut voir en quoi il se séparait
surtout de lui par ses Entretiens sur la prédestination et l'élection, écrits
seulement, paraît-il, pour être prêtés à des amis, mais qui ont été im-
primés après sa mort (Dialogi IV, de Prœdestinatione ; de Electione;
de liber o Arbitrio; de Fide, Aresdorffii, 1578) . Calvin, déjà irrité de
l'attitude qu'il avait prise vis-à-vis de lui après la condamnation de
Servet, le fut davantage encore quand Casteillon se posa comme ad-
versaire de sa théologie. Il le traita de brouillon, sans le nommer, sur
le titre d'un opuscule destiné à le combattre : Brevis responsio ad
diluendas nebulonis cujusdam calumnias quibus doctrinam de scterna Dei
prœdestinatione fœdare conatus est (1554). Trois ans après, il le désigna
de même en tête d'un autre écrit : Calumniœ nebulonis cujusdam, quibus
odio gravare conatus est doctrinam J. Calvini de occulta Dei providentia,
et J. Calvini ad easdem responsio (1557). Bèze, de quatre ans plus jeune
que Casteillon, prit part aussi à cette nouvelle querelle. C'est lui sur-
tout qu'il avait en vue dans le livre qu'il publia alors contre ceux qu'il
accusait « de vouloir renverser la prédestination éternelle de Dieu,
fondement unique de notre salut : Ad s y cop liant arum quorunclam ca-
lumnias quibus unicum salutis nostrœ fundamentum , id est œternam Dei
prxdettinationem, evertere mtuntur (1557). Les versions de Casteillon
n'étaient pas les premiers essais de traduction des saintes Ecritures
faits à cette époque. On connaît les travaux d'Erasme, d'Osiander, de
Le Fèvre d'Etaples. Robert Olivétan avait fait paraître en 1535 à Neu-
châtel la Bible entière traduite par lui en français. Calvin en avait donné
une édition revue en 1545, et il ne cessait pas de rechercher dans ses
commentaires le vrai sens du texte original. Bèze publia en 1556 une
traduction latine du Nouveau Testament. Il y joignit des notes, Annota-
tiones in quibus ratio interprétations redditur, qu'on a aussi imprimées
séparément. En les comparant avec celles du professeur de Bâle, on
reconnaît aisément, comme nous le savons du reste déjà, que ce
n'étaient pas seulement des versions faites d'après des principes diffé-
rents, mais deux théologies, à plusieurs égards opposées l'une à l'autre,
qui se trouvaient en présence. Casteillon avait dès 1557 pris la plume
pour justifier ses deux traductions et critiquer celle de Bèze ; sa Defen-
sio marum translationum Bibliorum et maxime Novi Fœderis ne parut
cependant qu'en 1562. Bèze lui répondit en 1563, et voici ce qu'il dit,
l'année suivante, dans sa Vie de Calvin, de sa réponse intitulée :
Responsio ad defensiones et reprehensiones S. Castellionis, quibus suam
N. T. interpretationem defendere adv. Bezam, et ejus versionem vicissim
reprehendere conatus est : « Cette mienne réponse, dédiée aux pasteurs
de l'Eglise de Bâle, fut cause qu'icelui Chateillon fut appelé par
l 'Eglise et puis par la Seigneurie, et lui fut enjoint de répondre à ce
dont je le chargeais, et que je m'offrais lui prouver par ses écrits;
mais peu de jours après, la mort le délivra de cette peine. « Casteillon
est mort, en effet, le 29 décembre 1563, cinq mois avant Calvin. On a
mprimé en 1578, sous le titre de Defensio et avec la suscription : Ad
CASTALION 675
tmthorern libri cui tituius est : Calumniae nebulonis, une longue lettre
commencée en mai et terminée en septembre 1558, qui ne l'avait
pas été de son vivant. Il y répond d'abord à Calvin, auquel elle est
adressée, puis à Bèze, repoussant leurs inculpations, dont quel-
-unes l'attaquaient dans son honneur, avec autant de calme
que de fermeté. C'est à elles et à l'accueil qui leur avait été fait à
Baie, qu'il attribue la pauvreté dans laquelle il a vécu pendant tout
le temps qu'il a employé à ces traductions des livres saints, qui,
dit-il, « lui ont attiré la haipe et l'envie de ceux dont elles auraient
dû lui assurer l'affection. » Plus loin, il leur demande de permettre
qu'il ne soit pas de leur avis sur quelques points diversement en-
visagés par les théologiens : « Laissez-moi la liberté de professer ma
foi, comme vous désirez qu'on vous laisse et comme je vous laisse,
moi, la liberté de professer la vôtre. Ne prétendez pas en toute
occasion que ceux qui diffèrent de vous s'opposent à la vérité, et ne les
tenez pas pour des blasphémateurs; car un grand nombre d'hommes
pieux sont en désaccord avec vous sur beaucoup de choses. II n'en
est pas ainsi de moi, qui, d'accord avec vous sur l'ensemble de la
religion du Christ et désirant la soutenir avec vous selon mon pouvoir,
n'en diffère qu'au sujet de quelques interprétations sur lesquelles
beaucoup de gens pieux ne s'entendent pas avec vous. Que ce soient
les uns ou les autres qui se trompent, il n'en faut pas moins nous
aimer les uns les autres. » Sous le rapport de la langue, la Bible latine
de Casteillon a été autant louée que critiquée. « Le défaut qui y a été
condamné le plus généralement, dit Bayle, est l'affectation de ne se
servir que des termes de la bonne latinité. C'est ce qui a fait qu'il dit
"s au lieu d' Angélus, et lotio au lieu de baptismus, et respublica au
lieu frecclesia, et collegium au lieu de synagoga. » Il en résulte des
disparates de style qui rebutent et, par suite des idées qu'on attache
ordinairement aux mots dont il fait un nouvel usage, une confusion
des plus pénibles. Aussi renonça-t-il dans l'édition de 1556, d'après le
conseil de ses amis, à plusieurs de ces mots et reprit-il ceux de bap-
tisma, baptizare, angélus, qu'il avait rejetés. Quand il n'entend pas un
passage, il en avertit le lecteur en marge par ces mots : Hune locum
non intelligo, Genèse, VI, 4b', par exemple, et cette note marginale est
assez fréquente. La dernière étition de la Bible latine de Casteillon
est celle de Leipzig, 1766. Le Nouveau Testament a été réimprimé
plusieurs fois pendant le dix-huitième siècle. Les Annotatwnes l'ont été
en 1738 par les soins de Bunemann, auquel on doit aussi un Index
latinitatis selectœ, vulgo neglectx, merito et falso suspecfœ, ex Sebastiani
Castellwnis interprétation* S. Codicis (Lipsiai, 1735). Sa version fran-
çaise de la Bible n'a eu qu'une seule édition. Il dit dans V Avertisse-
ment qu'ayant principalement égard aux idiots (aux ignorants), « il a
usé d'un langage commun et simple, et le plus entendible qu'il lui a
été possible. Et pour cette cause, ajoute-t-il, au lieu d'user de mots
grecs et latins qui ne sont pas entendus du simple peuple, j'ai
quelquefois usé des mots français quand j'en ai pu trouver; sinon j'en
ai forgé sur les français par nécessité, et les ai forgés tels qu 'on les
676 CASTALION
pourra aisément entendre quand on aura une fois ouï que c'est,
comme serait es sacrifices ce mot brûlage, lequel mot j'ai mis au lieu
de holocauste, sachant qu'un idiot n'entend ni ne peut de longtemps
entendre ce que veut dire holocauste; mais si on lui dit que brûlage
est un sacrifice auquel on brûle ce qu'on sacrifie, il retiendra bientôt
ve mot par la vertu du mot brûler, lequel il entend déjà. » On aurait
pu répondre à Casteillon qu'il est peut-être plus difficile d'associer au
mot de brûlage l'idée de sacrifice qui n'y est pas contenue, que de se
souvenir qu'un holocauste est un sacrifice par le feu. Les autres mots
qu'il a exclus de sa version française, parce qu'ils sont empruntés au
grec ou au latin, comme circoncire, catéchiser, cène, baptême, etc.,
n'ont pas été remplacés par lui plus heureusement. En les rejetant, il
n'a pas eu l'intention de condamner ceux qui s'en servent; « car
moi-même, dit-il, en use bien souvent en temps et lieu; ains le fais
pour éviter certains abus qui se sont eouvés et se couvent journelle-
ment sous tels mots inconnus, et si (pourtant) ne le fais pas partout,
sachant que toute chose nouvelle, quelque droite qu'elle soit, ne peut
être reçue du premier coup, et que tel en souffrira bien deux ou trois,
qui n'en souffrira pas dix ou douze. » Mais ce ne sont pas seulement
les essais de ce genre qui ont paru inacceptables ; ce sont aussi des
expressions étranges, comme flairement pour odorat (1 Corinthiens
XII, 17), songemalices pour inventeurs de méchancetés (Romains I, 30),
enfantons pour petits enfants (1 Jean IV, 3), et celle-ci que l'on cite
souvent, parce que Bèze et Henri Estienne l'ont relevée : Miséricorde fait
la figue au jugement (Jacques II, 13). Peut-être auraient-ils dû dire que
Casteillon en donne en marge cette explication : « Miséricorde est sûre
par innocence contre punition, » ce qui se rapproche plus du sens
admis aujourd'hui que l'interprétation de Calvin : « Miséricorde se
glorifie à rencontre de condamnation. » Mais bien loin de lui rendre
cette justice, Henri Estienne le juge avec une extrême sévérité : « Au
lieu, dit-il, de chercher les plus graves mots et manières de parler,
pour appliquer un tel sujet (traduire la Bible en français), on voit
évidemment que cet homme s'est étudié à chercher les mots de
gueux, ou pour le moins tels qu'ils fissent amuser les lecteurs à rire,
au lieu de s'amuser à considérer le sens du passage » (Apologie pour
Hérodote, livre I, chap. xiv). Bèze assure que « les Poitevins eux-
mêmes, dont le jargon est le plus grossier de tous les jargons de
France, ne peuvent supporter le sien » (Responsio ad Seb. Castellionis
Defensiones et reprehensiones, p. 3). Il ne faut pas s'étonner après cela
que Jacques Lenfant ait cru pouvoir dire, en 1718, dans sa Préface
générale sur le Nouveau Testament : « On ne parlera pas ici de la ridi-
cule version de Chateillon. » Casteillon, trop hardi à forger des mots,
n'a assurément pas réussi par sa version, comme Luther par la sienne,
à fixer pour longtemps la langue de son pays ; mais il la savait aussi
bien que personne, et quelle étude prolongée et approfondie n'a-t-il
pas dû en faire pour traduire en cette langue des écrits aussi variés
que ceux contenus dans la Bible! Il est rare, il est vrai, quand on lit
de suite quelques pages de sa traduction française, qu'on ne rencontre
CASTALION — CASTELL 677
pas des termes bizarres qui ne pouvaient pas se faire aecepter ; mais
l'impression d'ensemble qu'on on reçoit n'est pas ce qu'on pourrait
supposer. Casteillon ne se faisait d'ailleurs aucune illusion sur l'im-
perfection de son œuvre, et il prend congé de ses lecteurs en leur
disant : « Que s'il vient une autre translation qui soit meilleure, j'es-
père que cette-ci ne sera pas marrie de lui faire place. » Rien n'est
moins fondé que le reproche que Henri Estienne lui a adressé, d'avoir
manqué de sérieux dans l'accomplissement de la tâche qu'il s'était
donnée. Les lignes suivantes, empruntées à un morceau intitulé : Le
moyen pou?- entendre la sainte Ecriture, ne sauraient laisser aucun
doute sur ses sentiments et sur le but qu'il avait en vue : « Je conseille
à tous ceux qui se veulent appliquer à l'Ecriture et à connaître la
volonté de Dieu, qu'ils le fassent par le moyen qu'il se peut et doit
faire. Premièrement, qu'ils croient ce qui y est écrit; car s'ils ne le
croient, ils ne l'entendront pas, ains tiendront les saintes Ecritures
pour non saintes. Puis après, ce qui est le fruit de la foi, qu'ils assu-
jettissent leur volonté à celle de Dieu, étant tout prêts à faire tout ce
qu'il commandera, doux ou amer, léger ou pesant, sans aucunement
y contredire, ou même contrepenser. Car la foi, par laquelle il nous
faut être sauvés, et sans laquelle on ne peut plaire à Dieu, est de telle
nature que non-seulement elle obtient à l'homme, par le mérite de la
mort de Christ, pardon de ses péchés passés, mais aussi par sa résur-v
rection le rend juste, et en lui moyennant un nouvel esprit, l'ôte à la
sujétion du diable et l'asservit à Dieu. » Ce style n'est certes pas infé-
rieur à celui des bons écrivains du seizième siècle. On trouvera dans
la France Protestante la liste des nombreux ouvrages de Casteillon. Il
a déclaré ne pas être l'auteur du Conseil à la France désolée, que Bèze
lui attribue et qui fut condamné par le synode national de Lyon en
1563. Son livre De hœreticis, an suit persequendi, publié sous le pseu-
donyme de Martinus Bellius, est une collection d'opuscules sur la
tolérance, à laquelle il a mis une préface. Il convient de citer encore
ses traductions en latin et en français de la Théologie germanique, sous
le nom de Joannes Theophilus, et celle en latin des Dialogues de Ber-
nard Ochin. Quelques-uns de ses ouvrages posthumes ont sans doute
été publiés par son fils Frédéric, le dernier de ses huit enfants, né
quelques jours avant sa mort, qui fut, comme lui, professeur à l'uni-
versité de Bàle. — Voyez Richard Simon et l'article Castalùm dans le
Dictionnaire de Ravie, pour l'appréciation de ses deux versions de la
Bible. H. Luttkroth.
CASTELL (Edmond), né en 1606 à llatley (comté de Cambridge), lit
ses études à Cambridge, où, vers la fin de sa carrière (1666), il devint
professeur d'arabe, et mourut en 1685 à Higham-Gobion (comté de
Bedford), dont il était recteur. Connaissant mieux les langues orientales
que personne de son temps, il l'ut un des principaux collaborateurs de
Wallon pour la publication de sa Bible polyglotte (Londres, 1657,
6 vol. in-fol.). Pour compléter ce grand ouvrage, il composa son Lexi-
con heptaglotton (Londres, 1669, -J vol. Ln-foL), auquel il consacra dix-
sept ans d'un travail assidu, qui lui coûta la vue et toute sa fortune
678 OASTELL — CASTELNAU
Castell a, dans cet ouvrage, fondu en un seul dictionnaire harmonique
des langues sémitiques (plus le persan, qui est traité à part) tous les
matériaux lexicographiques amassés par les orientalistes antérieurs sur
l'hébreu, le chaldéen, le syriaque, le samaritain, l'éthiopien et l'arabe,
et y a joint les importants résultats de ses propres recherches; il a
fourni ainsi pour l'étude comparée des langues sémitiques un ouvrage
qui n'a point été dépassé encore dans son ensemble. La partie syriaque
a été réimprimée à part par J.-D. Michaëlis, qui y a joint quelques
notes (Gœtting., 1788, in-4°), et la partie hébraïque par un disciple
de ce dernier, J'.-F.-L. Trier (Gœtting., 1790, 2 vol. in-4°), pour servir
de texte aux observations lexicographiques de Michaëlis (Supplementa
ad Lexica hebraica, Gœtting., 1785-92, 2 vol. in-4°). — Sources : Kippis,
Biographia brilannica, t. 111;- Biographie universelle, nouv. éd., t. VII;
Meyer, Gesch. cl. Schrifterklœrung, t. III ; Rosenmûller, Handbuch f. d.
Literalur d. bibl. Krilik., t. III, p. 341 ; Wolf, Histoiia lexicorum hebr.,
p. 164. A. Bernus.
CASTELNAU (Pierre de), religieux de Cîteaux et archidiacre de
Maguelone, fut envoyé par Innocent III dans le Midi de la France, avec
la qualité de légat extraordinaire, pour rechercher les hérétiques albi-
geois et les livrer au bras séculier. 11 était accompagné de Ramier,
également moine de Cîteaux, et de Dominique, fondateur de l'ordre
des Frères Prêcheurs. Ces inquisiteurs rencontrèrent une vive résis-
tance, et Castelnau finit par être massacré sur les terres de Raymond .VI,
comte de Toulouse (1208), au moment où il venait d'enjoindre à ce
prince d'abandonner la cause des albigeois ; ce meurtre fit excommu-
nier Raymond et amena la guerre des albigeois.
CASTELNAU (Michel de), seigneur de Mauvissière (1520-1592). Peu
de personnages ont fait plus d'honneur à ce parti modéré, loyal, éga-
lement attaché à la royauté légitime et au catholicisme, au dévouement
duquel Henri IV dut sa couronne bien plus qu'à son abjuration. A
partir de la paix de Cateau-Cambrésis, Castelnau fut de toutes les né-
gociations de ce temps, et, jusqu'à la cinquième guerre civile, de
toutes les campagnes contre les huguenots qui le firent même une fois
prisonnier. Il fut cinq fois ambassadeur en Angleterre et en Ecosse,
sans compter ses ambassades en Allemagne, en Savoie et à Rome, où
il eut à agir dans la conjoncture délicate de la réunion du conclave qui
nomma Pie IV. Les Guises, premiers auteurs de sa fortune, essayèrent
en vain de le lier à leur parti. Sa fidélité à la maison de France lui
avait coûté presque tous ses biens quand Henri IV lui donna un com-
mandement. Castelnau partagea les périls du Béarnais sans avoir part
à sa fortune, car il mourut à Joinville un an avant l'entrée du roi dans
Paris. Pendant sa dernière légation en Angleterre, de 1574 à 1584, il
avait écrit ses Mémoires, aussi précieux par leurs renseignements que
par l'impartialité du récit. Ils vont de 1559 à la paix de Saint-Germain
(août 1570). Publiés pour la première fois en 1621 par Jacques de Cas-
telnau, son fils, et depuis, à deux reprises différentes, avec des com-
mentaires et des pièces justificatives, ils ont été insérés en dernier lieu
dans la Collection universelle des Mémoires particuliers relatifs à l'his-
CASTELXAU - CASTRES (570
tuin de Frtmce. L'édition la pins belle L't la plus complète de Gastetaaa
est celle de Jean Godefroy (Bruxelles, I73i, 3 vol. in-l'ol., iig.).
CASTRES [Castrum] (Tarn) es* appelée dans ia chronique de Simon
de Montfort Villa S. ntiï de Cas/ris. en l'honneur des reliques d
saint Vincent, martyr de Saragosse, qui y lurent apportées de Va-
lence en Espagne par le moine Audaldus, vers 858. Aimoin de Sainl-
Ciermain-de^-1'ivs en a raconté la translation en deux livres, en vers.
La chronique des évéques d'Àlby et des abbés de Castres rapporte
qu'en 647 Robert, Anselin et Daniel, chevaliers, se bâtirent des cellules
en ce lieu (d'Acàery, SpiciL, VU). Leur église, consacrée à saint
Benoit, lut dévastée par les calvinistes ; celle de Saint- Vincent, élevée
par l 'abbé Rigaud (874-688 . tut donnée en 1258 aux frères prêcheurs.
En 1317, Jean XXII érigea r église de Saint-Benoit et Saint- Vincent
en cathédrale, et l'évèehé fut rattaché à Bourges, puis à Alby ; il fut
supprimé en 1801 (Borel, Antiq. de C, 1G49, in-8° ;2'éd., 1868,in-12j.
II. Le premier réformateur de Castres fut le cordelier Marciï (1532),
qui fut emprisonné dans la suite à Toulouse et y « scella heu-
reusement de son sang, dit Bèze, la doctrine de vérité qu'il av;>i:
annoncée. » Ses succès assurèrent l'avenir de l'Eglise de Castres, car,
dès Tannée 1542, elle était organisée et desservie par le pasteur de
lfanna. Mais elle prit surtout de l'extension en avril 1560, sous le mi-
nistère « d'un homme de bien et docte personnage, nommé Geoffroy le
Brun, » qui, succombant bientôt sous le poids de sa charge, dut aller
chercher des collaborateurs à Genève au mois d'octobre de la même
année. En son absence 1" Eglise fut évangélisée par La Vallée, venu de
Toulon^'. Ses assemblées, dénoncées à cetteépoque, furent suspendues
par L'arrivée du procureur général de Toulouse, qui lit jeter en prison
quelques luthériens. Un édit du mois de février 1561, ordonnant leur
mise en Liberté, ranima le courage de l'Eglise qui, desservie par le
pasteur Pierre de l'Hostau, envoyé de Genève par Lebrun, prit de tels
développements que la ville presque tout entière se déclara pour la
Réforme et livra ses églises aux nouveaux apôtres; mais l'édit de jan-
vier 1502. qui ne permettait l'exercice de la religion réformée que dans
les faubourgs des villes, obligea les évangéliques de Castres à tenir
leurs assemblées en dehors des murs. Pendant les guerres de religion,
cette ville lui presque toujours au pouvoir des réformés, qui y fondè-
rent un collège important (1577) et obtinrent une chambre de justice
mi-partie (4S9S). Pendant les nouveaux troubles religieux du dix-
septième siècle, Castres épousa le parti du duc de Rohan : ce dont la
cour lui conserva rancune, car, dès 1663, elle expulsait ses cinq pas-
teurs sous un faux prétexte ets en 1(570, transférai! sa chambre de jus-
tice à Casteinaudary. Euliu, le 18 décembre 1684, le Conseil d'Etatsup-
primait complètement l'Eglise, ressortissant à cette époque au colloque
de l'Albigeois et à la province synodale du Haut Languedoc et Haute
Guienne. Pendant la période du Désert, L'Eglise de Castres demeura
longtemps sans pasteur, tout comme las autres Eglises du Haut Lan-
guedoc. Le prédicateur .Michel Piala réorganisa les unes et les b tires
en 17:}:; et devint leur pasteur en 175^. Corteis leur donna aussi ses
€80 CASTRES — CASUEL
soins pendant quelque temps. Après eux, vinrent les pasteurs Dunières,
Olivier, Sicard et de Barmond. La loi de germinal an X fit de Castres
le chef-lieu d'un consistoire important. En 1870, l'Eglise comptait
1,200 protestants. E.Arnaud.
CASÛEL (casualia, accidentiœ, jura stolœ), honoraires ou rétribu-
tions accordées aux ecclésiastiques pour les diverses fonctions de leur
ministère, telles que baptêmes, bans de mariage, bénédictions nuptiales,
prières pour les accouchées, funérailles, certificats de première com-
munion, extraits des registres paroissiaux, messes privées, etc. L'an-
cienne Eglise, fidèle au précepte de Jésus-Christ : Gratis accepistis, gra-
tis date (Matth. X, 8), ne connaissait pas le casuel, qui était sévèrement
condamné, comme un acte de simonie, par les synodes et les conciles.
Toutefois, « l'ouvrier étant digne de son salaire » (Matth. X, 10; cf.
1 Cor. IX, Il ss.), on s'habitua à considérer le casuel, non comme le
prix (inestimable d'ailleurs) du bienfait spirituel reçu, mais comme la
juste rémunération de la fonction exercée par le ministre du culte. 11
fut permis aux prêtres d'accepter les dons, spontanément offerts par les
fidèles, pour les fonctions exercées dans l'étendue de leur paroisse, à la
condition expresse de ne jamais les recevoir avant l'accomplissement
de l'acte religieux. Mais cette autorisation, qu'il était impossible dans
la pratique de refuser, donna lieu à de criants abus. Innocent III, au
concile de Latran de 1215, se plaint amèrement de ce que les prêtres
« exigent et extorquent » l'argent aux fidèles, lors des funérailles et
des bénédictions nuptiales, et vont jusqu'à refuser le secours de leur
ministère si le casuel n'est pas payé. En conséquence il ordonne de
revenir à la coutume antérieure : Quapropter super his pravas exactiones
fieri prohibemus, et pias consuetudines prœcipimus observari, statuentes,
ut libère conferantur ecclesiastica sacramenta (can. 42, X, de simonia).
Mais l'habitude, la nécessité, parfois aussi la cupidité du clergé furent
les plus fortes. Les fidèles continuèrent à payer, les ministres du culte
à percevoir les taxes prescrites. Les prescriptions varient à l'infini et,
en dépit des efforts qui ont été tentés, l'Eglise n'a jamais réussi à fixer
d'une manière uniforme les droits du casuel. Le concile de Trente,
après quelques hésitations, a maintenu ces règles, mais il a ordonné
que les sacrements de la cène, de l' extrême-onction et de l'ordination
fussent administrés gratuitement (sessio XXI, c. 1, de reform.; XXIY,
c. 18, de reform.). La Réformation, de son côté, a également reconnu
les droits des ministres du culte au casuel, principalement dans les pays
luthériens, dont les constitutions, à la suite d'un accord intervenu
entre l'Etat et l'Eglise, règlent la matière avec la plus grande diversité.
Reconnaissons pourtant que des efforts considérables sont faits de nos
jours, même en Allemagne, pour abolir le caractère obligatoire du ca-
suel, cause inévitable de froissements et de scandales, aussi contraire à
l'efficacité de la cérémonie religieuse qu'à. la dignité de celui qui y pré-
side. D'après la loi organique du 18 germinal an X, en France, les
fonctions pastorales sont gratuites, dans ce sens que le pasteur ne peut
exiger aucune rémunération des fidèles auxquels il prête son ministère,
bien qu'il soit autorisé à accepter les dons que les fidèles peuvent lui
CASUEL — CASUISTIQUE 681
offrir Librement comme un témoignage de leur reconnaissance. On sait
que Rome u'a jamais reconnu ni observé cette loi, à laquelle les Egli-
ses protestantes se sont tout naturellement soumises. — Voyez : Tlio-
massin, Vêtus ac nova Ecries, discipl., III, 1. 1; Stelzer, De jurions stolae,
Altorf, 17(H); Tittmann, Ueb. die Fixinmg der Stolgebûhren, Leipz.,
1831; Bergier, Diction, théol., s. v. Casuel.
CASUISTIQUE. On entend par là cette partie de la morale qui étudie
les »as de conscience et en donne la solution. En un sens, tout le
monde fait de la casuistique : quel est en ce moment mon devoir,
quel serait-il si telle situation se présentait? Ce sont, en vérité, des cas
de conscience, et la vie de l'honnête homme, du chrétien se passe aies
résoudre. Or, la solution n'apparaît pas toujours avec évidence et fa-
cilité; quelquefois le devoir se cache, ou semble se montrer dans des
directions opposées. Dans un tel embarras (c'est pour ces problèmes
délicats et complexes qu'on a réservé le nom de cas de conscience)
on conçoit que les conseils des sages et des expérimentés soient re-
cherchés. Aussi, partout où des hommes ont reçu ou se sont donné à
eux-mêmes la charge d'enseigner aux autres la morale, ils ont été en-
traînés plus ou moins à étudier les cas difficiles et à en indiquer la so-
lution. C'est ce que tirent, par exemple, les philosophes de l'antiquité
classique (Havet, Le christianisme et ses origines, t. II, p. 102). Le Tal-
mud présente un développement de casuistique qui a presque tous les v
fâcheux caractères qui distinguèrent plus tard cette science: on y voit
une multitude de cas imaginés et résolus; l'autorité des docteurs mise
à la place de la loi divine et de la conscience, et les contradictions des
rabbins servant à légitimer le relâchement moral (probabilisme). Les
évangiles eux-mêmes ne sont pas sans nous offrir quelques exemples
de casuistique. Ce sont bien des questions de ce genre qu'on pose à
Jésus-Christ (Matth. XXII, 17), que Jésus-Christ pose aux pharisiens
(Luc XIV, 3), qu'il discute avec Pierre (Matth. XVII, 25-27). —Des cir-
constances particulières amenèrent au sein du christianisme un déve-
loppement considérable de casuistique. D'abord, sans doute, le carac-
tère si profondément moral de cette religion : elle ne se contente pas
de l'acceptation de certaines doctrines ou de la pratique de certains
rites ; elle exige de ses fidèles une vie d'obéissance à la volonté de
Dieu. Il importe donc au premier chef que le fidèle sache toujours
quelle est cette volonté divine. Il est vrai que l'enfant de Dieu, « con-
duit par l'Esprit de Dieu », possède en lui-même une lumière qui dis-
sipe les indécisions et une impulsion intérieure qui poj*te au vrai et au
bien dans chaque cas particulier. Mais tant que le Saint-Esprit n'oc-
cupe pas lame tout entière, il y a place pour l'incertitude dans la
conscience morale du croyant. Il y eut dès les commencements dans
l'Eglise chrétienne des hommes ayant reçu le don et la charge de gui-
der leurs frères. 11 était naturel qu'on demandât à ces chrétiens, choisis
parmi les pins éclairés et les plus pieux, des conseils pour les cas em-
barrassante qui se produisaient souvent au sein (Tune société toute pé-
nétrée des usages et des corruptions du paganisme. Nous voyons sainl
Paul obligé de traiter de ces questions de détail et de pratique dans sa
682 CASUISTIQUE
correspondance avec les Eglises (1 Cor. Vil, -VIII, XI; 2 Cor. VI, etc.).
Et plus tard, il suffit d'ouvrir les écrits d'un Tertullien, d'un Augustin
pour constater la place considérable que les docteurs de l'Eglise durent
donner à l'étude et à la solution de ces délicats et urgents problèmes.
A mesure que la ferveur et la spiritualité s'affaiblissaient dans les âmes,
que la fidélité chrétienne devenait une conformité extérieure à la loi
plus qu'une inspiration et un amour, le besoin de ces décisions et de ces
conseils des maîtres se faisait sentir davantage. Il y eut d'autres actions:
l'Eglise chrétienne institua une discipline, sanctionnée par des pénalités.
On dut indiquer quelles seraient les fautes qui tomberaient sous le
jugement ecclésiastique, et quelle serait pour chacune d'elles la peine
infligée. Ce fut l'origine des libri pœnitentiales, dont on voit déjà une
trace au milieu du troisième siècle dans l'Eglise d'Afrique (Cypr.,
Epist. 2, liber de lapsis). Les décisions des conciles, les anciennes
coutumes , le droit canonique , composaient , avec les apprécia-
tions personnelles des auteurs, la matière de ces ouvrages. A cette
influence de la discipline ecclésiastique se joignit celle de la confes-
sion, qui entrait chaque jour davantage dans les habitudes des fidèles.
Il fallait offrir aux prêtres un guide pour l'appréciation des fautes etl'ap-
plication des pénitences. On multiplia donc et on développa ces libri
pœnitentiales , dont le point de vue était nécessairement et de plus en
plus casuistique. Ce fut bien autre chose quand la confession auricu-
laire fut érigée en loi de l'Eglise (1215). On se mit dès lors à composer
des ouvrages où tous les cas possibles étaient énumérés sous de cer-
taines rubriques et suivant un certain ordre ( assez ordinairement
alphabétique), et où l'an indiquait, pour chacun de ces cas, non-seu-
lement le jugement à prononcer, la pénitence à infliger, mais les
conseils à donner pour l'avenir. C'est l'avènement de la casuistique
proprement dite. Raymond de Pennaforte, au treizième siècle, est le
premier qui ait fait un travail de ce genre (Summa de casibus pœniten-
tialibus). Il eut un grand succès et fut imité dans les siècles suivants
par beaucoup d'autres, dont les summœ sont le plus souvent désignées
par le nom de la ville où naquit l'auteur. Ainsi YAstesana (1330), la
Pisana (1338), la Pacifica (1470), YAngelica de Angélus de Clavasio
(1486), brûlée par Luther avec la bulle du pape, etc. Il faut dire que
cette façon de traiter la morale rentrait assez dans la méthode générale
des scolastiques, habiles à distinguer, accoutumés à considérer toutes
les suppositions possibles ou impossibles, curieux de problèmes au
point d'en imaginer pour la seule satisfaction de les résoudre. Lorsqu'ils
font de la morale dans leurs écrits, ils ne savent pas le faire sans accu-
muler les distinctions, les cas difficiles et les solutions. Ils ont contribué
pour leur grande part au développement de la casuistique ; ils lui ont
donné une forme plus rigoureuse, plus scientifique. Quand la scolastique
a décliné, au quatorzième siècle, on dirait qu'elle a passé sa vigueur à
la casuistique, qui entre alors dans sa belle période. Il arriva naturel-
lement que les casuistes ne donnèrent pas toujours la même solution
auxjnêmes cas de conscience. La diversité s'accroissait avec le nombre
des auteurs. On commença par donner la prépondérance à l'avis des
CASUISTIQUE (Î83
docteurs les plus autorisés; on (init par établir ce principe: Du mo-
ment qu'une opinion a été proposée par an auteur, elle est probable,
et Ton peut j conformer sa conduite, fût-on (.railleurs convaincu en
son esprit que cette opinion es! fausse et mauvaise. C'était le prohabi-
lisuie (voy. ce mot). — Les jésuites parurent. Préoccupés de s'emparer
de la direction des àuies, ils voulurent se mettre en état d'offrir les
directeurs spirituels Les plus capables de dénouer les questions déli-
cates qui se posent au confessionnal, les plus habiles à tranquilliser les
consciences inquiètes, les plus fertiles en ressources pour éviter toute
gêne et (ont renoncement aux pécheurs. Ils trouvèrent dans la casuis-
tique un instrument admirablement adapté à leur but. Ils s'en servi-
rent avec tant de génie qu'elle devint en quelque sorte leur propriété
exclusive; ils surent y faire un emploi si ingénieux et si hardi du pro-
babilisme ; ils y ajoutèrent si heureusement leur théorie de l'intention
et celle des réserves mentales qu'il n'y eut plus de difficulté qui put
arrêter ni leurs directeurs ni leurs pénitents. 11 serait long de
citer leurs auteurs, même en se bornant aux plus distingués (Mariana,
Suarez, Sanchez, Molina, Escobar, Filliucci, Bauny, Perrin, ces deux
derniers français, Busenbaum, etc.). Entre les mains des jésuites, la
casuistique a produit tous les mauvais fruits dont elle est capable.
Elle divise la vie morale et religieuse en une multitude de détails
sans lien intime et profond : pas d'inspiration, pas d'amour pour,
le bien et pour- Dieu; rien qui rappelle la liberté de l'enfant de
Dieu, heureux de témoigner à son Père céleste sa gratitude par
son obéissance; mais, en revanche, un esprit légal et processif, des
prodiges de ruse et de linesse pour obéir le moins possible, et
même pour ne pas obéir du tout, pour satisfaire toutes ses passions
en pleine sécurité de conscience. Cette casuistique se comptait
dans les cas exceptionnels, comme s'ils formaient la. plus grande
partie de l'existence. Elle prend plaisir à supposer les situations les
plus scabreuses, à discuter froidement les fautes les plus épouvan-
tables; elle va jusqu'à en imaginer qui sont à la fois horribles et impos-
sibles. Le triomphe de ces docteurs est de trouver pour ces cas-là des
solutions qui autorisent tout. Ils y mettent une sorte d'amour de l'art,
un étrange dileltantisme. La plupart étaient d'excellents hommes, mais
leur doctrine était infâme. Jamais on n'avait vu un instrument pareil
de scepticisme moral et de corruption. Les jésuites s'attirèrent la flé-
trissure retentissante que leur infligea Pascal (voy. Provinciales:
Nicole, Essais de morale, Instiitctions théol. et morales; vingt écrits
d'Arnauld ; Perrault. La morale des jésuites, Ti vol., etc.). — La Réfor-
mation s'était place»- dés le début sur un tout autre terrain. En procla-
mant le salut par la loi. en attribuant lo-uvre de la régénération mo-
rale à la grâce et au Saint-Esprit, en mettant l'accent sur l'amour de
Dieu, les réformateurs avaient fait dépendre la fidélité chrétienne de
la disposition des cœurs. Ils furent pourtant entraînés à résoudre des
questions particulières d'une solution difficile. Luther fut consulté
plus d'une fois. .Mélanchthon toucha à quelques-uns de ces sujets dans
des écrits spéciaux (ChrùtUcfie Berathschlagvngen und Bedenken, édités
684 CASUISTIQUE — CATACOMBES
par Pezel en 1600), dans ses Lettres et dans ses Consilia. Ceux qui vin-
rent après lui dans l'Eglise luthérienne jusqu'au dix-huitième siècle,
ne traitèrent guère de la morale qu'en examinant des cas de conscience,
mais ils le firent dans un autre esprit, avec d'autres moyens que les
casuistes catholiques et par réaction contre eux ; ils tiraient leurs solu-
tions des enseignements de l'Ecriture et des leçons de l'expérience
chrétienne (Balduin, Tractatus luculentus posthumus, édité en 1628 par
la faculté de Wittenberg ; L. Dunte, Decisiones 1006 casuum conscien-
tiœ, 1643, etc.). On réunit, en 1664, les solutions données par Luther
et par la faculté de Wittenberg à des questions de morale, de doctrine
et de droit ecclésiastique (Consilia theologica Witebergensia ; cf. Dede-
kenn, Thésaurus consiliorum et decisionum, 3, in-fol., 1623). Les Theo-
logische Bedenken du dix-huitième siècle , en particulier ceux de
Spenér et de Baumgarten, doivent être rangés, à bien des égards, parmi
les ouvrages de casuistique (pour la bibliogr. voir Walch, Biblioth.
Theoï., II, p. 1128 ss.). Les calvinistes eurent leurs traités ^de morale
casuistique, avant même les luthériens; mais ils y furent moins fé-
conds et plus sévères (Perkins, Analomia sacra humanœ conscientùe,
casus cotiscien/iœ, 1603; Alsted, Amesius, etc.; voy. Walch, ibid.,
p. 1132 ss.). La casuistique n'était pas destinée à se développer sur
le sol du protestantisme ; elle n'y eut qu'un moment une apparence de
fécondité ; mais ce qu'elle produisit alors ne saurait être comparé, ni
pour la quantité ni pour la qualité, à ce que nous a offert le catholi-
cisme. De nos jours, la casuistique continue à constituer, dans cette
dernière communion, une partie essentielle de la morale ecclésiastique,
mais on assure que les jésuites eux-mêmes y apportent plus de mesure
et de moralité. Chez les protestants, on est universellement d'accord
que la tentative de décider à l'avance des cas de conscience ne saurait
aboutir à des, résultats utiles, et repose d'ailleurs sur une conception
inférieure de la moralité chrétienne. Il y a parfois sans doute des
situations confuses où il est plus difficile, comme on l'a dit, de con-
naître son devoir que de le faire. Mais nul ne peut décider dans ces
cas extraordinaires à la place et pour le compte de celui qui est per-
sonnellement engagé. Quant aux moralistes chrétiens, leur tâche n'est
pas de munir leurs disciples de décisions toutes faites, mais de les met-
tre en état de décider eux-mêmes. — Voyez Sta?udlin, Gesch. d. Sitten-
lehre, p. 448, etc. ; de Wette, ibid., p. 207-208 ; H. Merz, Bas System der
christl. Sittenlehre, p. 73, 77-79; Ad. Wuttke, Christl. Sittenlehre, I,
passim ; J. Simon, Le devoir, IV, ch. I. Ch. Bois.
CATACOMBES, nom d'un cimetière souterrain des environs de Rome,
appliqué à tous les autres, même à ceux de Chiusi, deNaples, de Sicile;
par généralisation abusive, excavations qui n'ont rien de commun avec
les sépultures. Les nécropoles de Rome sont les plus importantes. Con-
fondues à tort avec des carrières de pierre ou de sable, elles se distin-
guent des arénaires par la netteté de leurs coupes, l'étroitesse de leurs ga-
leries, la régularité de leurs plans. Taillées dans le tuf granulaire, elles
évitent la pouzzolane trop friable et les roches trop dures. Leurs origi-
nes sont grecques ou orientales. Il y a des nécropoles souterraines en
CATACOMBES 685
Sicile. Les juifs ensevelissaient dans le roc. A Rome ils ont creusé de
grandes catacombes presque identiques à celles des chrétiens. Ceux-ci
ont été leurs imitateurs. Les Etrusques se servaient aussi de grottes ;
mais ils ne les reliaient point par des galeries illimitées. L'invention de ce
mode ne provint pas de la nécessité de cacher les rites mortuaires, car il est
démontré : 1° que dans les deux premiers siècles les sépultures des
chrétiens ne subirent aucune entrave légale, les familles riches prê-
tant aux. coreligionnaires leurs propres caveaux et les areœ attenantes;
2° qu'au troisième siècle, c'est l'abri des collèges funéraires qui fournit
à l'Eglise sa seule existence légale. Le respect des anciens pour les sé-
pultures favorisait ces associations. L'énorme travail des excavations
n'aurait pu échapper à la police romaine. Le xoi(Jt.iQ?^piov ou dormitorium
collectif devenait le depositorium des croyants, en attendant le réveil
de la résurrection. 11 était bien l'image de la fraternité chrétienne. •
Des rues souterraines, bordées de couchettes étroites (loci), taillées
horizontalement dans le tuf, reliaient ces millions de sépultures
étagées en plusieurs rangs, de chaque côté. Le riche y sommeillait
auprès du pauvre, distinguant sa tombe seulement par quelques déco-
rations, ou la creusant plus grande, en forme de caveau, d'arcoso-
lium, niche voûtée. La tabula de marbre ou de tuile fermait l'ouver-
ture ; elle était gravée ou peinte d'un titulus. Les cubicula ouverts aux
côtés de Yambulacre étaient destinés soit aux familles nombreuses, soit*
aux personnes illustres par leur rang ou leur foi. Clarissimi ou martyres
avaient ainsi une place réservée, mais dans le requietorîum commun.
On superposait les étages de galeries jusqu'à vingt-cinq mètres de pro-
fondeur, choisissant les plateaux secs, le long des routes, se limitant aux
terrains concédés, observant les règlements relatifs à la distance de la
ville. On estime leur étendue à un millier de kilomètres en plusieurs
groupes. Une partie en reste obstruée de matériaux accumulés par les
anciens. Voici les cimetières les plus accessibles: celui de Galliste, en-
globant ceux de Sotère, Balbine, Lucine, étudiés par M. de Rossi ;
celui de Saint-Sébastien, dévasté ; ceux des juifs, de Mithra, de Pré-
textât, de Sainte-Agnès, de Saint-Cyriaque, de Domitilla ou Nérée et Achil-
lée, décrit par Bosio, ainsi que ceux de Pierre etMarcellin,de Priscille,
de Pontien ; ceux de Theason, de Generosa, etc. Il y a des traces d'une
nécropole sur la Via Ostiensis, où dut être enseveli saint Paul, mais
seulement des traditions en faveur d'un cimetière sous forme de cata-
combes au Vatican, où l'on prétend que saint Pierre repose. Sur une
épitaphe de LINVS, qui y aurait été vue au dix-septième siècle, il reste
des obscurités. Les tombes des papes, visibles encore, sont sur la Via
Ippia, dans le cimetière auquel fut préposé Galliste. Creusées à l'usage
de sépultures, les cryptes reçurent la visite des parents et amis qui célé-
braient, par des agapes et des réminiscences, L'anniversaire de leurs dé-
funts, et celle des fidèles qui, surtout à partir de la persécution de Diocté-
tien, y cherchèrent le souvenirdes martyrs. Bientôt on bâtit au-dessus
des memorix, petits oratoires qui furent l'origine des grandes basili-
ques. En temps de persécution, les catacombes ne servirent que
momentanément de refuge à un petit nombre de fidèles, non d'habi-
68G CATACOMBES
tation prolongée. Quand on y célébra des services religieux, ce fut
pour peu de personnes à la fois, vu Tétroitesse des lieux, leur éloigne-
ment et la difficulté d'y avoir accès incognito. La décomposition des
cadavres, derrière de minces tuiles, e£t rendu malsaines des réunions
nombreuses, fréquentes ou prolongées. Les lucemaires n1y amenèrent
un peu d'air et de lumière que sous les empereurs chrétiens. Valérien
enleva un instant aux chrétiens la propriété de leurs sépultures. Gallien
leur en rendit l'usage. Sous Dioclétien, on dut se ménager des échap-
pées sur les arénaires voisins, murer les tombes des martyrs, pour les
sauver de la profanation. Il y eut confiscation partielle des nécropoles,
de 303 à 306. Sous Miltiade, restitution définitive. A partir de Cons-
tantin, les papes se faisant ensevelir dans les basiliques extra muros,
au-dessus des cryptes, beaucoup de fidèles se construisirent des tombes
à fleur de terre. Après Julien l'Apostat, il se fit environ moitié des
sépultures d'après chacun des deux usages. Le pape Damase , qui
ramena le zèle vers les catacombes, enrichit les principales cryptes
d'inscriptions en vers. Puis l'exploitation en fut abandonnée aux fos-
sores qui y vendirent des places aux dévots désireux de reposer le plus
près possible des saints, au risque de mutiler leurs tombes. Ainsi jus-
qu'en 410, où le sac de Rome et les invasions barbares rendirent dan-
gereuse la sortie des murs. La cité dépeuplée put tolérer les inhuma-
tions inlra muros. Des restaurations furent faites du sixième au neuvième
siècle. Au huitième , les dévastations lombardes décidèrent quelques
papes à transporter dans les basiliques, à l'intérieur de la ville, les
restes des saints les plus vénérés. Aussi ne retrouve-t-on plus aux cata-
combes, ni leurs tombes intactes, ni leurs épitaphes. Au moyen âge
l'oubli se fait. A peine quelques itinéraires de pèlerins, qui aident à
retrouver la trace des cimetières et des tombes célèbres. Au quinzième
siècle quelques visites fortuites, avant les recherches de Jean Lheureux
(Macarius) et de Bosio, leur grand explorateur (de 1593 à 1600), qui les
a décrites dans sa Borna sotterranea. Au dix-huitième siècle les cher-
cheurs de reliques et les antiquaires collectionneurs les pillèrent à loisir.
Notre âge les étudie dans un intérêt artistique et historique, copiant les
monuments et recueillant les épitaphes. M. J.-B. de Rossi en est le fouil-
leur le mieux qualifié, fervent catholique, mais critique sérieux. En s'ai-
dant des anciens itinéraires, des études topographiques et de la confron-
tation des textes, on peut porter quelque lumière dans les catacombes.
Essayons un aperçu sur les symboles et objets qu'on y a trouvés, sur
les fresques, les sculptures, les inscriptions qu'elles ont contenues.
— Symboles. Voici leur indication par ordre de dates. La colombe, image
de l'esprit, ordinairement de celui du défunt. Avec un rameau d'oli-
vier, c'est l'âme dans la paix. L'ancre d'espérance était souvent une
allusion à la croix, par la disposition de ses barres, ainsi que le tri-
dent, les mâts de navire, la lettre T. Le poisson désigna le Christ,
son nom grec I^ç contenant les initiales des mots "ItqjoîJç Xptc-cr.
Beou uêôç, crtoTYjp. Le dauphin, poisson ami de l'homme, d'après les
idées antiques, prit cette acception religieuse dès le troisième siècle.
L'agneau fut l'image du chrétien, pendant sa vie surtout. Le paon
CATACOMBES 087
rappela r incorruptibilité, le renouvellement. Le cheval el Le lièvre,
coureurs dans la lice: la couronne ou la palme, prix de La course et de
la victoire spirituelle. L'arche et le navire, allusion aux tempêtes mo-
rales et à L'Église où on les traverse sans périr. Au quatrième siècle,
se montre, sur Le Labarum de Constantin, le monogramme du Christ,
formé de la combinaison des deux premières lettres de son nom X
(ch grec) et P (r). Les divers entre-croisements de ces lettres en fai-
saient souvent (les allusions à la croix. La confrontation de monuments
datés prouve que, du quatrième au cinquième siècle, on est passé
lentement de l'emploi des monogrammes à celui de la croix. Pas un
seul crucifix dans l'iconographie de l'âge des sépultures souterraines,
mais des façons d'y faire penser, par le rapprochement du poisson et
de L'ancre, du dauphin et du trident. Le symbole; pas le fait brutal;
encore moins le culte de l'instrument matériel. Parmi les symboles, il
faut encore noter -l'amphore, cette image du corps fragile, dans lequel
est contenu Le parfum de l'esprit ; le vase est la coupe des grâces spi-
rituelles. H y a aussi des emblèmes de métier, entre autres la trousse
d'un chirurgien. Les lampes de terre cuite avec sujets chrétiens sont
presque toutes du quatrième au sixième siècle; un petit nombre du
troisième. Les fioles de verre qu'on a prises pour des ampoules de
sang n'étaient pas toutes du temps des persécutions; elles ont contenu
probablement des parfums ou peut-être du vin eucharistique. Cer-
taines tasses à ligures dorées, la plupart du quatrième siècle, étaient
d'un usage privé, ou à destination des agapes. Quant aux instruments
ipplice,.ils sont pour la plupart des outils vulgaires, sans emploi
certain à cette destination. — Peintures. Des fresques décorent beau-
coup de cryptes, soit à la voûte, soit sur les parois. Les plus anciennes,
du deuxième siècle probablement, sont des représentations symboli-
ques, paraboliques ou typiques pour la plupart. Dans l'ambulacre de
Domililla. une vigne dont les sarments partent d'un seul cep et cou-
verte de fruits ; c'est l'Eglise où vendangent les anges de Dieu, où
voltigent les âmes, ces colombes célestes ; un Daniel dans la fosse aux
lions, type de l'Eglise persécutée, mais non dévorée; une agape dans
la forme primitive, les convives y étant étendus à moitié sur un tricK-
iiiinn. devant une table où sont le pain et YV/h'jz symbolique, tandis
qu'un personnage apporte la coupe eucharistique. Dans le cimetière
de Priscilla, une orante arrivant au paradis mter sanctos, ou une Su-
sanne type de L'Eglise calomniée, mais triomphante par la foi; une
Marie, jeune mère, sans prétention hiératique, portant sur ses genoux
mi divin, et en face de laquelle Esaïe se tient debout, montrant
I i toile prophétique, la lumière des nations réalisée dans le nouveau-né.
meuere de Prétextai, comme à celui de Lucine, I" Bon Berger,
jeûna et gracieux, portant sur ses épaules la brebis égarée (le défunt
peut-être), et T introduisant an bercail du royaume des cieux. Là encore
L'allégorie des quatre saisons, en guirlande de fleurs, d'épis moissonnés,
de pampres fructueux, d'oliviers pacifiques. A Lucine surtout, Le sym-
bolisme sacramentel, dans Levasedelait, cette nourriture des faibles, el
dans le poisson mystique qui, vivant dans les ondes baptismales, porte
688 CATACOMBES
sur son dos une corbeille de pains, au milieu desquels se distingue un
vase de vin. Un peu plus loin, un baptême du Christ, au Jourdain,
avec la miraculeuse colombe. Au troisième siècle, le cimetière de Cal-
liste nous fournit un déroulement plus complet du symbolisme des
deux sacrements évangéliques. Le baptême a ses racines dans l'Ancien
Testament; rélément en est Tonde jaillissante de la roche mystique,
sous la verge de Moïse. Cette eau forme un fleuve où nage le chrétien,
ce diminutif de l\Mç sacré, du Christ. Le pêcheur d'âmes jette sa
ligne et le recueille. Le néophyte reçoit le baptême proprement dit, de
la main d'un prêtre vêtu comme les philosophes du temps; celui-ci se
tient sur la rive, tandis que le récipiendaire est immergé jusqu'à mi-
jambes, recevant l'aspersion et l'imposition des mains. Désormais for-
tifié, le néophyte peut, comme le paralytique de Béthesda, emporter
son lit et marcher. L'eau jaillissante du puits de Jacob où sera abreu-
vée la Samaritaine, c'est le livre de vie que déroule un docteur de
l'Eglise. L'eucharistie, de même, part de l'ancienne alliance, par une
allusion au sacrifice d'Abraham. Le prêtre se tient auprès du trépied
où sont posés des pains et r/Ô^ç, tandis qu'une orante (l'âme
croyante) , rend grâces à Dieu des biens reçus, offrant sa prière en oblation.
A côté, les disciples s'installent, à la mode romaine, autour de la table ;
ils s'appuient à l'aise sur les coussins du ùnclinium, pour se repaître
des pains multipliés dans les corbeilles et du poisson mystique. C'est
l'agape, et c'est aussi l'eucharistie. Voici enfin la conséquence de la
participation aux deux sacrements : qui a été baptisé, qui a mangé la
chair du Seigneur et bu son sang a la vie éternelle. Lazare sort de son
tombeau ; il marche à la voix du Seigneur qui le touche de la verge de
son pouvoir. Jonas passe par le monstre, comme le chrétien traverse
la mort pour en sortir. Le croyant affronte la tempête sur la barque de
l'Eglise; pourvu qu'il prie, le secours divin le saisira par les cheveux
au moment critique. Nouveau Noé, il peut, de cette arche, voir passer
le déluge : la colombe céleste lui apportera le rameau d'olivier. Du
troisième siècle nous avons encore le jugement d'un chrétien, exemple
unique; les trois jeunes gens traversant la fournaise, comme l'Eglise,
sans être consumés. Aucune scène d'horreur ni de martyre. On em-
prunte au paganisme quelques sujets : Orphée, que les livres sibyllins
présentent comme l'ancêtre de Moïse, devient le type du Christ ; Psyché,
âme inspirée par l'amour divin, est, comme les fleurs dont elle est
entourée, le type du renouvellement des saisons et de la vie. De même
(en deux sculptures), Ulysse, attaché à son mât et bravant les sirènes
est le type du chrétien résistant aux tentations, dans la barque de
l'Eglise dont le mât symbolise la croix. Orantes, Bons Bergers, Moïse
frappant la roche, Jonas jeté à l'eau et vomi par le dragon sous la
tonnelle du repos éternel, sujets cent fois répétés dans les peintures du
troisième siècle. Vers la fin, l'apocryphe Tobie fait son apparition. Au
quatrième siècle la peinture nous fournit des représentations de l'ado
ration des mages, où Marie occupe un siège d'honneur, et des groupes
où le Christ enseigne les apôtres. Dès la lin, le Sauveur porte l'auréole
simple. Le cinquième siècle nous montre cet attribut sur la têted
CATACOMBES 689
saints; pas une seule t'ois sur celle de .Marie (dans les catacombes pro-
prement dites). Plus tard les tètes de Christ, avec auréole cruciforme
•me,
se multiplient, sans qu un type permaiienl puisse faire croire à la tra-
dition d'un portrait. Le byzantinisme, en envahissant l'art, amène
L'imagerie hiératique, parfaitement visible du cinquième au neuvième
siècle, aux cimetières de Callisle, de f.enerosa, de Pontien. Pendant la
période des inhumations souterraines, très-distincte de celle des déco-
rations par ex-voto et par dévotion pieuse, la peinture chrétienne n'est
qu'une continuation dégénérée «les traditions classiques. Ce n'est pas
un art nouveau, ni même renouvelé. Mais des sujets en accord avec la
religion chrétienne ont été exprimés par les moyens familiers à tous
les décorateurs de l'antiquité, et dans le style propre à chaque époque
Etant données les mœurs du monde ancien, qui comportaient l'appli-
cation de l'art décoratif à tous les détails de la vie privée, et notamment
aux sépultures, rien ne doit surprendre dans le fait que des idées
religieuses ont été exprimées par le pinceau, puis par le ciseau. Qu'au-
raient pu représenter d'autre ces chrétiens qui avaient renoncé aux
fables illustrées par les artistes païens? Au reste la déeoration devait
glisser dans l'imagerie, et celle-ci dans l'idolâtrie, par des transitions
lentes. — Sculptures. Souvent les riches étaient déposés dans des sarco-
phages, et non dans des niches. On sculptait ces cercueils de pierre
La plus belle collection de ces monuments est au musée chrétien de
Latran, à Rome. Beaucoup d'entre eux du reste proviennent des basi-
liques, mais ils sont la reproduction ou la continuation de ceux qu'on
a exhumés des catacombes. En sculpture, le deuxième et le troisième
siècle ne tirent guère que des emprunts à l'iconographie païenne dans
Tordre des scènes maritimes et des allégories cosmiques. Le Bon Bercer
est presque leur seule création originale. En effet la sculpture, art cou
teux, ne dut guère être employée par l'Eglise qu'après son triomphe"
alors qu'elle put afficher sa foi, et (pie les sculpteurs, dans leurs ate-
liers, purent impunément exposer des sujets chrétiens. Or, au quatrième
siècle, l'art était en décadence. La composition des sujets est plus sou
vent ingénieuse qu'aisée et naturelle. Les plus heureusement rendus
sont : la résurrection de Lazare et Jouas, expression constante des
espérances de vie, bien à sa place sur le tombeau descrovants- dis
scènes pastorales et même quatre ou cinq statuettes du Bon Berger
paraboles d'un caractère évangélique; les brebis suivent leur pasteur'
.•Iles [«.ut signe de le connaître, elles entendent sa voix, recherchent
ses caresses, broutent les branches de l'arbre de vie. s'abritent
le toit de son bercail, donnent leur lait aux bergers, ou reposent s r
l'épaule de celui qui les a sauvées; des scènes champêtres, comme la
vendange dans la vigne du Seigneur, et le pressoir d'où s'exprime ||!
vin. cet élément eucharistique; des orantes représentant des personnes
ensevelies, ou types de la Susanne triomphante ; des agapes a peu nrès
dans le même goût que celles des peintures. Puis viennent de grand >s
compositions ou les sujets se multiplient et s'entremêlent sans res > • >t
pour la loi de l'unité, faciles à relier néanmoins. Voici, [Kir exemple
Jésus ressuscitant Lazare, tandis que Phémorrhoïsse bais,, ses mains ou
690 CATACOMBES
son vêtement. A côté il prédit son reniement à Pierre qui proteste de
sa fidélité. Quelle est cette main venue du ciel? Elle tend les tables de
la loi à Moïse, puis elle arrête Abraham qui va sacrifier Isaac. Celui-ci
est devant un petit autel sur lequel est un vase dans lequel Pilate va
se laver les mains. Isaac est donc le type du Christ, dans son sacrifice.
Sur le même marbre encore, Moïse montre aux Israélites l'eau jaillis-
sante ; Daniel prie dans la fosse aux lions, tandis qu'Habacuc lui pré-
sente le pain venu du ciel. Job lit et discute avec ses amis. Jésus guérit
T aveugle-né, puis multiplie les poissons et les pains entre les mains de
ses disciples. Tout cela accumulé en deux étages de bas-reliefs, sur un
cercueil de six pieds de long. Le célèbre sarcophage de Junius Bassus
(de Tan 359) représente un sacrifice d'Abraham, une captivité de Pierre
et une autre de Paul, une comparution de Jésus devant Pilate, un Job
en face de ses amis et de sa femme, une tentation d'Adam et d'Eve, une
entrée de Jésus à Jérusalem, un Daniel dans la fosse, sans compter les
miracles de l'agneau de Dieu. Au centre surtout il faut noter un Christ
triomphant, dans le ciel, après son ascension, parlant à Paul et passant
à Pierre le livre de la loi nouvelle. C'est un acheminement vers les
anthropomorphismes du commencement du cinquième siècle, où Dieu
le Père lui-même est représenté recevant les offrandes de Caïn et
d'Abel, ou surprenant nos premiers parents après la chute, ou appa-
raissant à Moïse qui se déchausse par respect. Si, aux sujets déjà cités,
on ajoute la guérison du paralytique, les trois jeunes gens dans la
fournaise, des nativités avec adoration des bergers ou des mages,
des baptêmes, le miracle de Cana, des résurrections diverses, le passage
de la mer Rouge, le char d'Elie, on aura le cycle des sujets ordinaire-
ment exprimés, à Rome du moins, pendant le quatrième siècle. Au
cinquième, outre les anthropomorphismes mentionnés plus haut,
apparaît une représentation de la Trinité sous figure humaine, avec
participation du Fils à la création. En même temps, voici poindre la
primauté de Pierre. Plusieurs marbres de cette époque laissent deviner
qu'un Moïse contre qui les Juifs sont révoltés, et qui, pour les apaiser,
fait jaillir l'eau de la roche, pourrait bien n'être que le type de Pierre
amené captif, et pourtant armé de la verge miraculeuse qui désaltère
les âmes. Ainsi, à mesure que s'altère la spiritualité première, et que
se complique la pensée dogmatique, grandissent les prétentions auto-
ritaires : deux verres dorés indiquent Pierre, sous la ligure de Moïse.
— Epitapkes. On les a rangées par catégories : rangs de dates; classifi-
cations sociales ou ecclésiastiques, évêques, prêtres, diacres, vierges,
néophytes, fossoyeurs, parents, amis, etc. ; ordre de matières, dogma-
tiques, éloges de martyrs, etc. Notons ce qui a une portée religieuse,
en suivant l'ordre chronologique. Une seule épitaphe du premier
siècle (an 71) ; elle est sans importance. De même de celles de 107 et
de 111. H en est d'autres sans date précise, mais que leur paléogra-
phie, leur provenance, la simplicité de leur texte font assigner au
deuxième siècle : Telle à son époux tel; tel à son épouse très-douce ; des
parents à leur fils très-cher. Un simple nom, parfois les trois noms
classiques. Un terme d'affection à côté d'un symbole de foi. Au
CATACOMBES 691
troisième siècle, mention de deux affranchis, l'esclavage n'étant pas
même indiqué. Les textes s'allongent; Page esl marqué, on note 'le
moment de la déposition. Des prêtres sont indiqués par [es deux
lettres II p. L'un d'eus esl en même .temps médecin, d'autres exor-
cistes. Les épitaphes des papes sont Laconiques : intéros évoque *
Faèianus évêgue, martyr; Cornélius martgr, évêque; Lutins ; Eutychien
èvêque; rien antre sur la tabula de leurs loci simplement maçonnés dans
le roc. Leur éloge n'a été ajouté (pie par Damase, dans la seconde moitié
du quatrième siècle. Leurs caveaux n'ont été transformés en chapelles
«pian cinquième siècle, ou décorés de peintures qu'au neuvième.
Relativement à l'état des âmes après la mort, on débute par l'affirma-
tion sereine : Paix avec toi, en paix, il dort, vis en Dieu, sorti du
. entré en paix. On continue par le vœu : Que tu vives en Dieu, que
tu vires en paix, que tu vives éternellement, l'esprit de tel du,, s le bien
entre les saints, avec les saints, à l'esprit saint de tel, dans le Seigneur et en
C krist Ja paix du Seigneur et de Christ avec tel,que tu vives dans V esprit saint
rafraîchie avec les esprits saints, rafraîchis-toi bien. Que le Seiqneur
prenne son esprit en rafraîchissement, Dieu Christ rafraîchisse ton
esprit, que Dieu rafraîchisse vos esprits saints, sois rafraîchie dans le bien
On passe à la prière : 0 Dieu, rafraîchis l'âme de On termine par
un recours aux saints : Que saint Hipp'olyte te rafraîchisse, que Janvier
Agapet, Félicissime rafraîchissent Ces dernières formules sont proba-
blement du quatrième siècle. Au reste, pas de purgatoire, le refrigerium
étant, d'après Tertullien, comme d'après ces formules, un lieu et un
temps d'attente heureux (tn bono), entre la mort et la résurrection. Des
graphites inscrits par des visiteurs sur les murs des cryptes de martyrs
célèbres, ne montrent que trop cette transition du vœu à la prière et
de la eoniiance en Dieu à celle en ses saints. C'est le chemin franchi
du troisième au quatrième siècle. Au quatrième siècle on dit: Il repose
il reposera, puis : qu il repose en paix, que ton esprit repose bien. Enfin
arrive la double prière pour les morts et des morts pour les vivants :
En paix et prie pour nous, prie pour tes parents, pour ta sœur; qu'en
/, on prie pour que ce saint et innocent esprit soit élevé auprès de
Dieu. Pas de doute sur la divinité du Sauveur : Vis en notre Seigneur
Jes/'s. vis en Christ Dieu, tel en Christ, son âme rendue à Christ Vie*
torïa m paix et en Christ, dans la paix du Seigneur, toutes formules
multipliées pendant les querelles de Tarianisme. Et encore :Le vrai Christ
(reçoive) ton esprit en paix, et prie pour nous; dans tes prières, demande
nous, car nous te sneons en Christ (ce dernier mot indiqué par le
monogramme constantinien). En paix au nom de Christ. Les épitaohes
d'ecclésiastiques citent des diacres mariés, des prêtres pères de famille
(notamment de :>Si), \\\)~, 172), quelques évêques mariés ou pères, dés
vierges de Dieu, vierges -aérées, saintes. Surtout du quatrième au cin-
quième siècle, la chasteté est célébrée, quoique le mariage reste honoré
Lu somme l'épigraphie, comme l'art des catacombes, confirment!
en les précisant, l<-s données de l'histoire sur le' développement
<! ■ dogme i-i des mœurs ecclésiastiques. — Bibliographie : Hagio-
ylypta Macarii, édités par le P. Garrucci, i vol. in-8°, Paris, chefe
692 CATACOMBES — CATÉCHÉTIQUE
Toulouse, 1856; Bosio, Borna sotterranea, éditée par Severano, 1 vol.
in-fol., Rome, 1634; réédité et grossi en latin par Aringhi, 2 vol.,
Rome, 1651, et Paris, 1 vol., 1659, in-4° ; commenté par Bottari, en
italien, Rome, 1737 ; Fabretti, Lnscriptiones, chap. 8, Rome, 1700 ; Bol-
detti, Osservazioni sui sacri cemeteri, 1 vol. in-4°, Rome, 1720; Lupi,
Epitaphia Severœ, Païenne, 1734; d'Agincourt, Bist.de l'art, peinture,
Paris, 1823; Raoul Rochette, Mémoires à VAcad. des lnscript., t. XIII, et
Tableau des Catac, Paris, 1831 ;Marchi, A?rhitectura délia Borna sotter-
ranea cristiana, Roma, 1845; Perret, Catac. de Rome,Q vol. in-fol.,
Paris, 1852-56 ; J.-B. de Rossi, Inscriptiones christianx, Roma,l vol. in-4°,
1857; Roma sotterranea, 2 vol. in-4°, Roma, 1864-67; un 3e vol. en
voie de publication; Bullettino di Arch. crist., 1863-77; Liverani, Le
Catacombe di Chiusi, Siena, 1 vol., 1872; Home souterraine, résumé de
Notlicote par Allard, Paris, 1872; Martigny, Dictionnaire des antiquités
chrétiennes, Paris, 1865; Pitra, Spicileyium solesmense ; Marriott, The
testimony of Catacombs; Garrucci, Vetri, Roma, 1838; Storia delVArte,
en voie de publication à Prato; Edmond Le Blant, Inscriptions chré-
tiennes de la Gaule. Le même publie en ce moment les Sarcophages
d'Arles. Knlin l'ouvrage du signataire de cet article, en voie de publi-
cation : Les Catacombes de Rome, histoire de l'art et des croyances dans
les premiers siècles de V Eglise, 2 vol. in-4°, avec 100 planches, Paris,
chez Morel et Cie. Th. Kollee.
CATÉCHÉTIQUE ou science de la catéchisation. Cette branche de la
théologie pratique s'occupe de tout ce qui a rapport à l'instruction des
catéchumènes. — I. Histoire. Après avoir cherché quelle direction nous
trouvons dans le Nouveau Testament sur l'instruction des catéchumè-
nes, nous montrerons comment l'Eglise a compris et réalisé, aux di-
verses époques, cette tache et quelles sont les méthodes qui prévalent
aujourd'hui. Il faut commencer par dire un mot de la méthode que
suit Jésus-Christ dans son enseignement. Or on peut affirmer que si
personne n'a parlé avec plus d'autorité que Jésus-Christ (Matth. VII, 29).
personne n'a moins que lui employé la méthode d'autorité, c'est-à-dire
celle qui consiste à imposer la vérité. Ce n'est pas que Jésus-Christ ait
enseigné dans l'esprit de Socrate, comme le soutenait le rationalisme
du siècle dernier. La méthode de Socrate consistait à tirer de l'homme
ce qui est en l'homme, Jésus-Christ au contraire affirme des choses
que nul ne peut savoir par lui-même, par la seule inspiration de la
nature, et il les révèle comme Fils de Dieu, comme les ayant apprises
de son Père, comme étant Celui qui est venu d'en haut. Mais ces véri-
tés, tout en étant supérieures à l'homme et en le dominant toujours,
doivent devenir en lui des convictions ; il faut donc qu'elles trouvent
en lui un point d'appui, qu'elles entrent dans la substance même de
sa vie spirituelle ; et c'est là le but que Jésus-Christ se propose dans
l'éducation de ses apôtres, qu'il amène graduellement et sans les vio-
lenter jamais à une foi consciente et personnelle. C'est ainsi qu'au lieu
de révéler dès le début de son ministère sa dignité divine et l'œuvre de
rédemption qu'il devait accomplir par sa mort, il y prépare l'esprit de
ses apôtres qui ne comprendront que plus tard, les uns après quelques
OATECHÉTIQUE G93
mois, comme Pierre (Matth. XVI), les autres après sa résurrection,
comme Thomas (Jean XX), les autres après la descente du Saint-Esprit,
la vraie nature de sa personne et dé sou œuvre. Il est clair que cette
lente préparation des apôtres était un fait unique tendant à un but
spécial. Cependant on peut affirmer qu'il y a là un exemple éternel de
la manière dont les âmes doivent à toutes les époques être amenées
à l'intelligence de la vérité. Le mot de catéchumène ne se trouve pas
dans le Nouveau Testament avec le sens que nous lui donnons. Karr^/io)
(de y.x~x et v/î<«>), retentir, résonner, désigne un enseignement de vive
voix, mais s'étend aussi à une tradition plus éloignée (1 Cor. XI,
19; Rom. II, 18; Act. XVIII, 25; Galat. VI, 6; Act. XXI, 21, 24;
Luc 1,4). Le Nouveau Testament nous fournit quelques exemples de
l'enseignement sommaire qui était donné aux prosélytes avant qu'ils
reçussent le baptême. Quelquefois il était très-court, comme dans l'his-
toire de l'eunuque Ethiopien (Act. VIII, 36) et du geôlier de Philippes
(Act. XVJ, 33). Le passage Hébr. Y, 12 semble faire allusion aux pre-
miers principes d'un enseignement catéchétique qui aurait porté sur
« la repentance des œuvres mortes, la foi en Dieu, la doctrine des
baptêmes, l'imposition des mains (?), la résurrection des morts et le
jugement éternel. » Cependant il est difficile de voir là un plan systé-
matique.— Dans les trois premiers siècles, nous rencontrons fort peu dp
traces de la méthode usitée dans la catéchisation. Ce n'est qu'au qua-
trième siècle que nous trouvons sur ce point un ordre arrêté, mais qui
pouvait être d'origine (bien antérieure, et que nous allons essayer d'ex-
poser brièvement. Les prosélytes pouvaient naturellement être des
juifs, des païens ou des hérétiques, et de culture et de situation bien
différentes. Ils se présentaient à l'évêque ou simplement à un presbytre
et étaient admis au rang de catéchumènes; l'évêque leur imposait les
mains ou faisait sur eux le signe de la croix (Augustin, Conf., I, 11,
De peccat. merù., II, 2(3; 1 Conc. Arelat., c. 6.; Conc. Elib., c. 3);
les conciles prescrivaient souvent des conditions d'enquête morale
avant l'admission au catéchuménat; cependant nous voyons (pie saint
Martin, dans sa mission en Gaule, acceptait immédiatement comme
catéchumènes ceux qui venaient à lui par grandes troupes, catervatim
(Sulpicius, Vita, II, 5). A partir du moment de leur admission ai*
catéchuménat, ils étaient reconnus comme chrétiens, mais non pas
encore comme « fidèles » (1 Conc. Constant., c. 7; Cod. Théod., XVI,
tit. vu, De apostat., leg. 2), et ils étaient soumis à une instruction spé-
ciale. Les historiens ne sont pas d'accord sur la signification exacte des
catégories entre lesquelles les catéchumènes étaient classés. Suicer et
Basnage ne reconnaissent que deux grandes divisions, les audientes (les
simples auditeurs) el les compétentes (ceux qui réclamaient le baptême,
après avoir achevé leur préparation). Bingham admet : 1° une
première classe, les s§o>0ou|icvot, ceux qui n'étaient pas encore
admis dans l'enceinte des églises ; mais celte classe existait-elle vrai-
ment? Cela est fort douteux. 2° Bingham admet ensuite les audientes
OU y:/.zz<<>[j.z/z:, classe dont l'existence est incontestable. Il est déjà
parlé des audientes dans Tertullien (De pamùentia, c. 6) et dans
694 CATECHETIQUE
Cyprien (Epist. 13 à 34). Les audienles pouvaient assister à la lecture
des Ecritures, aux prières, à la prédication, et une place leur était
réservée dans les églises; c'était probablement le narthez ou por-
tique. Ils devaient se retirer quand commençait la XewoupYfe propre-
ment dite, c'est-à-dire le service dont la communion était le cou-
ronnement (missa catechumenorum) . Ils ne pouvaient par conséquent
entendre réciter le Credo et Yoraison dominicale, lesquels étaient
réservés pour les seuls fidèles (Chrysost., Hom. XIX in Matth.). La dis-
ciplina a?*cani le leur interdisait. Cette préoccupation de ne point livrer
les symboles de la foi entre les mains de ceux qui n'étaient pas encore
baptisés, si étrange qu'elle nous paraisse, était alors universelle ; on le
voit chez l'historien Sozomène (Hist. eccl., I, 20), qui hésite à insérer
dans son histoire le symbole de Nicée de peur qu'il ne tombe entre
les mains de ceux qui étaient encore catéchumènes. C'est de là que
provient sans doute l'habitude encore prévalente dans l'Eglise latine
d'Occident de prononcer à voix basse l'oraison dominicale. On peut
croire que les audientes correspondent aux rudes pour lesquels a écrit
saint Augustin, dans son De catechizandis rudibus, ou aux dkeXéorepot
des canonistes grecs» Quant à la durée de leur stage, elle n'était évi-
demment pas uniforme; certains conciles parlent de deux ans; les
constitutions apostoliques (VIII, 32), de trois ans. Une grave chute
morale pouvait prolonger ce temps quelquefois même jusqu'à
l'heure de la mort. 3° Certains savants pensent que les genu-
flectentes ou prostraii (yovuvcXivovxeç) formaient une classe spéciale
de catéchumènes, composée de ceux qui auraient été admis à assister
à toutes les prières. On ne peut pas le prouver ; il est certain en
tous cas que des fidèles, en état de chute, étaient replacés parmi les
genuflectentes jusqu'au moment de leur réconciliation publique avec
l'Eglise. 4° Ces diverses étapes parcourues, les catéchumènes décla-
raient qu'ils voulaient recevoir le baptême, et devenaient des compé-
tentes (auvai-couvTeç). Cette démarche était faite en général au com-
mencement du jeûne du carême, et pendant le carême l'instruction
était plus complète et plus précise (Cyril. Hieros., Calech., I, 5;
Hieron., Epist. 61 ad Pammachum). On leur expliquait les grands
articles de la foi, la nature des sacrements, la discipline péniten-
tielle de l'Eglise, comme nous le voyons dans les leçons catéché-
tiques de Cyrille de Jérusalem. Ces quarante jours étaient marqués
par des jeûnes et des prières spéciales (Constit. Apost., VIII, 5;
4. Conc. Carthag., c. 85; Tertull., De bapt., c. 20); ceux qui étaient
mariés devaient garder une stricte continence (August., De ficle et
oper., V, 8). Ceux qui avaient achevé le cycle devenaient les perfec-
tiores (TeAsiwxepcO- On leur apprenait le symbole et la prière do-
minicale; la date où cela avait lieu variait suivant les Eglises; à
Jérusalem c'était le second dimanche de carême, en Afrique le qua-
trième (Cyril., Cateck., III; August., Serm., 213). C'était alors que le
catéchumène pouvait, s'il le voulait, quitter son ancien nom et en
prendre un nouveau (Socrat., H. E., VII, 21). lis étaient ainsi amenés
au baptême (voir ce mot). S'ils étaient, par leur faute, morts sans avoir
OATÉOHÉTIQUE G<J5
encore wvu le baptême, ils étaient enterrés sans que dea prières fussent
prononcées ; mais Chrysostôme dit que leurs amis pouvaient offrir des
aumônes à leur intention (Chrysost., Hom. 3 i» Philipp,). Si le caté-
chumène mourait par accident OU comme martyr, on considérait sa
bonne volonté ou son sacrifice comme équivalent au baptême. Rien ne
prouve que ceux <pii instruisaient les catéchumènes aient jamais formé
un ordre à part: les catéchistes pouvaient être évêques, presbytres ou
diacres. Dans les constitutions apostoliques on leur donne aussi le nom
de vouTéXo-pi (Il, 37), par une image bien naturelle et souvent usité*
alors. Dans deux écrits surtout nous voyons exposée assez au loup;
la méthode que Ton suivait dans l'instruction des catéchumènes, mé-
thode qui devait du reste varier beaucoup selon leur degré d'instruc-
tion et leur capacité. Augustin, dans son De eatechizandis rudibus,
expose d'abord l'histoire sainte, puis il parle de la résurrection et du
jugement d'après les œuvres; il développe le sens allégorique de
l'Ecriture, les types de la loi, et en vient aux évangiles et à la loi
du Christ. Cyrille de Jérusalem, dans ses Catéchèses, suit un plan
plus régulier, il parle de Dieu, de Jésus- Christ, de la naissance sur-
naturelle de Jésus, de la croix, de la sépulture, de la résurrection,
<le l'ascension du Christ, du jugement à venir, du Saint-Esprit, de
l'âme, du corps, des viandes, de la résurrection universelle, des
saintes Ecritures. L'enseignement catéchétique le plus brillant de
l'ancienne Eglise semble avoir été celui d'Origène à Alexandrie. L'u-
sage toujours plus répandu du baptême des enfants devait modifier
rapidement rancit1!) catéchuménat. Les parrains récitèrent pour eux le
symbole et le notre Père. Les païens qui furent introduits dans l'Eglise
en grandes niasses au moment de l'invasion des barbares ne semblent
pas avoir été l'objet d'un enseignement sérieux. Le baptême leur était
souvent imposé par. la force. Le confessionnal remplaça la catéchi-
satiou. Des manuels étaient employés pour préparer les âmes à la
communion par la pénitence ; on y exposait le décalogue, le symbole,
l'oraison dominicale (voir Gerson, De paradis ad Ckrùtum irahendis).
La Réformation donna une très-grande impulsion à la catéchisation,
dont l'Eglise catholique ne s'occupait presque plus : apud adversarzos
nulla prorsus est xon^Yjfftç puerorum (Apol. Conf. Aug., Mil, 41). Les
ordonnances ecclésiastiques de Wittenberg (1533), du Wurtemberg
(1553), etc., insistent sur ce point avec beaucoup de force. On con-
naît les pages éloquentes et familières dans lesquelles Luther recom-
mande l'étude du catéchisme. « Moi, dit-il, qui suis un docteur en
théologie et un prédicateur, et qui n'ai pas honte de me croire
avancé dans la science et dans l'expérience que tons ces esprits altiers
et téméraires, je fais comme les petits enfants. Le matin et dans les
moments libres de la journée je récite mot par mot mon catéchisme :
tes dix commandements, le symbole, l'oraison, les psaumes... J'ai
beau faire, je reste un petit enfant, un pauvre catéchumène, et je m'y
résigne de grand cœur „ (ayant-propos du grand catéchisme). Le
catéchisme de Luther expose : 1" les dix commandements (sans le
sommaire de la loi). On peut remarquer à ce sujet que la division
096 CATECHÉT1QUE
luthérienne des dix commandements, conforme à celle de l'an-
cienne Eglise, n'est pas la môme que celle de l'Eglise réformée.
Luther réunit les deux premiers commandements en un seul et dé-
double le dixième, relatif à la convoitise. 2° Le symbole des apôtres
ou articles de la foi chrétienne; cette exposition est très-brève et
Luther en donne la raison à propos de ce qui est relatif à Jésus-
Christ, « Nous ne développerons pas séparément chacune de ces
parties, parce que nous prêchons à des enfants et que d'ailleurs ces
choses doivent être traitées dans les sermons de toute Tannée... Tout
l'Evangile que nous annonçons se rapporte à cet article, car c'est celui
duquel dépendent notre salut et notre félicité, et il est si riche et si
étendu qu'il ne sera jamais épuisé, etc. » 3° L'oraison dominicale
considérée comme modèle et résumé de toutes les prières. 4° Le bap-
tême. 5° La cène (à la suite de l'exposition du sacrement se trouve une
exhortation à la confession). Le petit catéchisme de Luther suit le
même plan que le grand, mais l'expose d'une manière très-abrégée.
Le catéchisme de Calvin parut en lo45, en français et en latin (Le
catéchisme de l'Eglise de Genève, c'est-à-dire le formulaire d'instruire les
enfants en la chrestienté, faict en manière de dialogue ou le ministre
interroge et l'enfant respond). Cette méthode d'enseigner par demandes
et par réponses a été accusée de sécheresse. Cependant on ne peut
étudier de près cette œuvre magistrale du grand réformateur sans re-
connaître le génie qui s'y manifeste. Il est impossible de condenser
la pensée en moins de mots , d'aller plus droit au cœur même des
questions, de les exposer plus nettement. La distribution des matières
est la suivante : 1° Après avoir demandé à l'enfant quelle est la prin-
cipale fin de la vie humaine, et montré qu'elle gît en la connaissance
de Dieu, et que cette connaissance n'est réelle qu'en Jésus-Christ,
l'auteur passe au symbole de la foi qui vient ainsi en première ligne et
non après le décalogue, comme chez Luther. Cette application du sym-
bole est beaucoup plus développée que dans le catéchisme luthérien et
elle est des plus remarquables. On est frappé du soin avec lequel Cal-
vin, tout en touchant le vif des doctrines, y évite les questions trop
théologiques et les controverses proprement dites. 2° Après le sym-
bole vient la loi, qui est amenée ici logiquement, car « la foi est la
racine d'où les œuvres sont produites » et la loi nous montre ce que
doivent être ces œuvres. Le décalogue est exposé, et il est suivi du
sommaire de la loi. 3° Tient ensuite la prière, dont l'homme sent d'au-
tant ph;s le besoin qu'il ne peut par lui-même accomplir la loi ;
cependant Calvin, mettant toujours Dieu à la première place, voit avant
tout dans la prière la manière de l'honorer. Après avoir montré ce
qu'est la prière, l'auteur expose l'oraison dominicale. 4° La partie
qui suit a pour titre les sacrements, mais il vaudrait mieux l'appeler les
moyens de grâce, car elle commence par montrer l'utilité de la parole
de Dieu, du ministère, des saintes assemblées des fidèles, et c'est ainsi
qu'elle arrive à parler des sacrements proprement dits, c'est-à-dire du
baptême et de la cène. Le catéchisme de Calvin eut tout de suite une
grande rotoriétée 11 devint en France celui des Eglises réformées. On
CATÉCHÉTIQUE G97
le divisa en 52 ou 55 sections, dont chacune devait être expliquée l'un
des dimanches de l'année. Dès le commencement du dix-septième
siècle, on le voit publié avec l'adjonction de commentaires assez éten-
dus; nous citerons parmi les plus remarquables ceux de liai ha ni, de
Bourgoing et de Abraham Du Pan. Notons aussi les sermons tort nom-
breux prêches sur le catéchisme, et souvent par les plus éminents des
théologiens protestants de notre Eglise au dix-septième siècle. Lorsque
la révocation de ledit de Nantes survint, ce fut naturellement à Yé-
tranger que parurent les catéchismes réformés en langue française.
Celui <pii supplanta bientôt tous les autres, fut le catéchisme d'Ostér-
vald, ((ni fut publié à Neuchàtel en 1702. Son plan ne diffère pas
sensiblement de celui de Calvin : il traite d'abord des vérités, en-
suite des devoirs du chrétien. On y sent déjà l'influence d une ortho-
doxie très-adoucie. Chez les réformés allemands, dans une partie de
la Suisse, en Hollande, en Hongrie, c'est le catéchisme de Heidelberg
qui obtint la plus grande vogue, et il la méritait parla richesse du fond,
par Fonction et la beauté du langage. Sa première demande est célèbre:
((Quelle est ton unique consolation dans la vie et dans la mort? C'est la
pensée que j'appartiens à Jésus-Christ, mon Sauveur et mon Maître, etc. »
Le catéchisme de Heidelberg fut composé, à la demande du prince
palatin Frédéric III, par les théologiens Gaspard Olevianus et Zacharie
Ursinus. C'est par erreur qu'on l'a souvent attribué exclusivement à
ce dernier. 11 parait bien que la rédaction dernière est due à Olevianus,
dont on retrouve dans ce livre le style populaire, plein de largeur et
d'onction. Il parut pour la première fois en lo()3sous le titre de : Cate-
chismus oder christlicher Uiiderricht, mie er in d'en Kirehen und Schulen
(1er Kwfùrst lichen Pfah getrieben wird. Il fit partie dès lors des livres
symboliques de l'Eglise réformée allemande. L'Eglise anglicane, dans
son Common Prayer Book, contient un catéchisme ou ((instruction que
toute personne doit apprendre avant d'être présentée à l'évèque pour
être confirmée. » Ce catéchisme est très-court. L'enfant, après avoir
cité son nom, rappelle que ce nom lui a été donné par ses parrain et
marraine, lesquels ont promis trois choses en son nom : i° qu'il re-
noncerait au diable, au monde, etc. ; 2° qu'il croirait tous les articles
de la lui chrétienne; 3° qu'il garderait les commandements de Dieu.
Suit l'exposition du symbole, des commandements, puis celle du som-
maire delà loi, de l'oraison dominicale et des deux sacrements. Les pres-
bytériens ont le célèbre catéchisme de Westminster, ainsi nommé parce
qu'il fut rédigé par la fameuse assemblée de théologiens anglicans et
presbytériens convoquée par le parlement anglais à Westminster en
1643 etqui siégea jusqu'en 1648. Après avoir publié la Westminster Con-
fesiionoffaith, elle publia deux catéchismes, l'un pour les pasteurs, l'autre
pour le peuple. Le grand catéchisme de Westminster a été évidemment
rédigé d'après le remarquable Compendium theologiœ du théologien bà-
lois Johann Wolleb (1626). Le Shorter Catechism est l'un des livres les
plus populaires de la chrétienté. 11 rappelle beaucoup le catéchisme de
Calvin et débute à peu près de la même manière: Mans chief end /.s ta
ylorify God ami lu enjoy him for ecer. La doctrine de la prédestination
698 CATECHETIQUE
y est adoucie, et le decretum reprobationis si durement exposé dans la
confession de foi n'y est pas même mentionné. Comme on le voit, dans
les Eglises issues de la Réformation, le catéchisme était devenu une
espèce de dogmatique populaire. On renseignait comme tel chaque
dimanche, et dans l'Eglise réformée en particulier, cette instruction se
faisait avec le plus grand soin. On n'a pour s'en convaincre qu'à lire
les très-remarquables Sermons sur le Catéchisme des Eglises réformées
prêches à Charenton par M. Daillé (Genève, 1701 ; quelques-uns man-
quant dans le manuscrit de Daillé, ont été remplacés par des sermons
de Jean Mestrezàt).— L'Eglise catholique romaine sentit le besoin de ré-
sister au protestantisme sur le terrain de la catéchisation aussi bien que
sur celui de la prédication . Ce qu'elle produisit en ce genre de plus
remarquable au seizième siècle, ce sont les deux catéchismes du P. jé-
suite Pierre Canisius, qu'il avait rédigés sur la demande de l'empereur
Ferdinand avec le dessein de les opposer à ceux de Luther. Le Cate-
chismus major ou Summa doctrinx christianœ parut en 1554, et le Cate-
chismus parvus en 1556. Ces deux ouvrages, le dernier surtout, ont eu
une vogue extraordinaire et ont servi à l'instruction religieuse des
écoles populaires de toute l'Allemagne catholique jusque dans la seconde
moitié du dix-huitième siècle, où ils furent remplacés par le catéchisme
romain. C'est ce dernier ou Catechismus ex decreto Concilii Trident mi
ad parochos PU Quinti Pont. Max. jussu editus (première édition, 1506)
qui est le catéchisme officiel de l'Eglise catholique romaine. Chaque
évêque demeure toutefois libre d'éditer un catéchisme pour son dio-
cèse, sous réserve de sa conformité avec le catéchisme officiel. Le plan
du catéchisme romain est le suivant : 1° la foi : explication des douze
articles du symbole des apôtres ; 2° la grâce : la grâce sanctifiante, la
grâce actuelle, les moyens de grâce, les sacrements et les choses sacra-
mentelles; 3° les commandements de Dieu et l'observation de ces com-
mandements: le décalogue, le sommaire de la loi, les cinq commande-
ments de l'Eglise; 4° la prière : oraison dominicale, salutation angé-
lique, cérémonie, etc., etc. Le grand mouvement catéchétique inspiré
par la Réforme fut repris au dix-huitième siècle sous l'impulsion de
Spener et de Francke. Ils contribuèrent à enlever à la catéchisation le
caractère dogmatique que le dix-septième siècle surtout lui avait donné
et firent une place plus grande à la méthode psychologique et à l'étude
historique de la Bible. Malheureusement cette réforme salutaire fut
compromise par le rationalisme du dix-huitième siècle, qui vit avant
tout clans la catéchétique une méthode d'instruction morale et reli-
gieuse beaucoup plus qu'une communication de la vérité révélée. En
Allemagne, dans les Pays-Bas, dans la Suisse française ces effets se
firent sentir et l'on en voit l'influence dans les éditions posthumes et
successives du catéchisme du pieux Ostervald. Le réveil qui s'est
opéré au siècle actuel dans la plupart des pays protestants n'a guère
profité jusqu'ici à la catéchisation. Le service du catéchisme a été de
plus en plus remplacé par l'école du dimanche et les manuels catéphé-
tiques par la Bible elle-même ou par des extraits des récits bibliques.
Il en est résulté certainement dans la jeunesse une connaissance plus
CÀTÊCHÉTIQUE ,;0l)
étendue des saintes Ecritures, el tes écoles du dimanche ont puissam-
ment contribué à développer faction des laïques. Cependant on peut
se demander si elles n'ont pas nui au développement du sentiment
ecclésiastique et à la connaissance de la doctrine proprement dite.
C'est dans l'instruction particulière des catéchumènes en vue de la
préparation à la communion que s'est réfugiée aujourd'hui la catéché-
tique. Un très-grand nombre de catéchismes ont été édiles à notre
époque pour ce bul spécial. Nous ne pouvons même songer à en indi-
quer les auteurs. Citons seulement pour la France et la Suisse française
les noms de Cellérier, Nkmtandon, Fontanès, Archinard, Coulin, Tour-
mer, Oemole, Viguet, Heymond, Bernard, Bahut, etc., etc. Ce qui carac-
térise la plupart des catéchismes les plus récents, c'est un changement
de méthode: au lieu d'exposer simplement, comme Calvin et ses suc-
cesseurs, la foi, la loi et les moyens de grâce, ils insistent sur le côté
historique de la révélation, et beaucoup d'entre eux développent un
plan dans le genre du suivant : religion naturelle, nécessité d'une
révélation, la révélation primitive, la révélation patriarcale, la révé-
lation mosaïque, la loi et la prophétie, Jésus-Christ, sa personne, son
oeuvre; le Saint-Esprit, la vie chrétienne, explication de la loi, devoirs
du chrétien envers Dieu, envers le prochain, envers lui-même; l'Eglise,
les moyens de grâce, les sacrements, etc.; le jugement dernier, etc. Ce
plan, qui aspire à être plus rationnel et plus logique que celui des
catéchismes de Luther et de Calvin, est en réalité celui d'une dogma-
tique populaire. Mais c'est précisément le caractère populaire qui lui
manque trop souvent. -— L'Eglise d'Orient n'a pas donnéàlacatéchisa-
tion tout le développement nécessaire. Cependant nous ne comprenons
pas l'assertion de Palmer qui prétend (Herzog, Real-Ennjklopxdie,
art. Catechetik) qu'elle ne possède pas de catéchismes, Elle en a au
contraire de nombreux, dont le plus connu est celui de Platon. Il a
été traduit en français sous le titre de Catéchisme détaillé de l'Eglise
catholique orthodoxe d'Orient, examiné et approuvé par le saint synode
de Russie (Paris, Klincksieck). Voici l'indication du plan : 1° La Foi.
De la religion, de la révélation divine, de la tradition sacrée et de la
sainte Ecriture, exposition du symbole de Nicée (contenant, outre les
vérités de la foi, toutcequi concerne l'Eglise et les sacrements. 2° L'Es-
pérance. Sous ce chef, on range la prière, l'explication de l'oraison
dominicale et celle des neuf béatitudes. 3P La Charité. Dans cette
dernière section se trouve l'explication dudécalogue. — Pourtoutcc qui
concerne la catéchétkjue et son histoire, nous recommanderons, outre
les articles relatifs à ce sujet dans V Encyclopédie de Herzog, l'ouvrage
de Palmer et surtout le beau et grand travail de Zezschwitz (System der
ckristlich kirchKchen Katecketik, ."> vol.). Eu». Bbbsibb.
11. THÉORIE. — 1. But. Pour bien préciser la méthode à suivre dans
l'instruction des catéchumènes, il faut déterminer le but à atteindre. Ce
bul est triple pour le catéchiste : 1" il doit enseigner aux enfants les
grands faits et les doctrines capitales de la religion chrétienne; 2° les
attirer a Clirisl et par Christ les introduire dans la vie chrétienne : '■)" les
préparer a entrer dans l'Eglise en connaissance de cause et à participer
700 CATÉCHÉTIQUE
dignement à la sainte cène. Ce dernier but n'est que la résultante des
deux autres. L'objet principal des efforts du pasteur dans l'instruction
catéchétique est de donner à ses élèves une connaissance saine et pré-
cise des vérités chrétiennes, et surtout de les amener à connaître, à aimer
et à suivre Jésus-Christ comme leur Sauveur et leur Maitre. « L'objet de
l'instruction, dit Vmet (Théologie pastorale, p. 284), n'est pas seulement
d'apprendre aux enfants leur religion, mais de fonder en eux une vie.
C'est une instruction sans doute, mais c'est encore plus une initiation
au mystère sacré de la vie chrétienne. » — 2. Eléments. Le but de l'in-
struction étant déterminé, les éléments qui doivent former cette instruc-
tion le seront aussi en même temps. Les instructions catéchétiques
sont et doivent rester des leçons, mais des leçons qui ne sont pas seule-
ment destinées à éclairer l'intelligence et enrichir la mémoire, mais qui
s'adressent aussi à la conscience et au cœur et veulent mettre en mou-
vement la volonté. Plusieurs catéchètes ont proposé de donner à cet
enseignement le caractère et la solennité d'un culte. Leur intention est
bonne, mais leur dessein est irréalisable. Le lieu, les circonstances, le
nombre souvent restreint des élèves, l'absence de certains éléments
essentiels au culte, y mettraient obstacle; d'ailleurs, les enfants ris-
queraient d'apporter aux leçons ainsi organisées cette disposition à la
somnolence qu'ils apportent si naturellement aux services religieux. Il ne
faut pas oublier enfin que la mission du catéchiste est d'instruire, d'é-
lever dans ces jeunes esprits l'édiiice des croyances chrétiennes. L'E-
glise est bien à la fois une société et une école, mais c'est avant tout
sous ce second aspect qu'elle se présente dans l'instruction des catéchu-
mènes; ils sont là vraiment à l'école, à l'école de Jésus-Christ et de son
Eglise. Il est évident d'ailleurs que le pasteur doit s'efforcer de rendre
ses leçons aussi édifiantes, aussi vivantes que possible, et de les rappro-
cher ainsi d'un acte d'adoration. Ce qui n'importe pas moins, c'est
d'en faire une action à laquelle les jeunes gens participent directement
par leurs réponses aux interrogations. Rien n'est plus fastidieux et
plus impuissant sur l'esprit des auditeurs de cet âge qu'une longue
leçon dans laquelle le pasteur parle toujours comme ex cathedra, tandis
que le catéchumène demeure silencieux. L'idéal serait d'unir la ferveur
et le sérieux d'un culte à la clarté d'une leçon et à la vivacité d'un en-
tretien. Voici dès lors quels sont les éléments qui doivent composer une
bonne leçon catéchétique : a) la prière, précédant et terminant l'instruc-
tion; elle doit être très-courte et très-spéciale, ayant en vue la conver-
sion des élèves et le sentiment de la présence de Dieu dans les leçons ;
b)lalecture d'une portion de l'Ecriture sainte qui soitle plus appropriée
au sujet qui sera traité; cette lecture sera faite avec profit tour à tour
par le pRsteur et les catéchumènes; c) l'interrogation sur le sujet de la
leçon précédente, ou sur les passages bibliques que l'on a donné à
apprendre; d) la leçon proprement dite, soit qu'elle consiste dans
l'explication du catéchisme, soit qu'elle réside dans une exposition
personnelle et continue des vérités chrétiennes. Quelques pasteurs ajou-
tent à ces éléments essentiels le chant ou la lecture d'un cantique; d'au-
tres terminent par un récit court et animé, emprunté à l'histoire de
CATÉCHÉTIQUE 701
l'Eglise et surtout de la Réformation. — 3. Temps et durée de l'instruc-
tion. Ainsi conçu, renseignement catéchétique ne doit pas être fait d'une
manière hâtive: ici comme partout, le temps est la condition (Insuccès.
Pour être sérieuses et efficaces, les instructions religieuses <lu pasteur
devraient être longuement préparées par l'enseignement religieux de
la famille et de l'école. Quand il se présente comme catéchumène, l'en-
fant devrait avoir une certaine connaissance historique et même doc-
trinale de la religion. Il faut que, dans nos écoles en particulier, l'en-
seignement religieux reprenne sa place et que les instituteurs ne se
contentent pas de faire apprendre et réciter à leurs élèves l'histoire
sainte ou les versets de l'Ancien et du Nouveau Testament donnés
par l'Ecole du dimanche, mais qu'ils leur enseignent aussi le caté-
chisme, au moins le catéchisme élémentaire. Même avec cette indis-
pensable préparation, il serait bon que les catéchumènes suivissent les
instructions pendant deux, années au moins. Ces deux années en réalité
n'en t'ont qu'une, puisque dans la plupart des Eglises réformées les
leçons vont du mois d'octobre à Pâques ou tout au plus à la Pentecôte.
Autant que possible, il faut donner deux leçons par semaine, dont
la longueur doit être strictement limitée (d'une heure à une heure et
demie au plus). Dans les grandes villes ces conditions d'un solide
enseignement catéchétique rencontrent de fréquents obstacles, dont
les deux principaux sont les nécessités de l'apprentissage ou des*
études universitaires et la mauvaise volonté ou l'ignorance des pa-
rents. Il est permis de céder quelquefois, mais il faut lutter toujours
avec douceur et énergie pour maintenir la règle établie; le pasteur
ferme et zélé a presque toujours le dernier mot. Tel catéchumène qui
au bout de la première année est resté ignorant ou insouciant, à la tin
de la seconde se montre vivement intéressé aux instructions reli-
gieuses, quelquefois réveillé dans sa conscience et désireux de se
donner à Dieu dans la foi en Jésus-Christ. — 4. Bases de l' enseigne-
ment. Quelle doit être la base de l'instruction catéchétique? A quelles
sources faut-il puiser les leçons données aux élèves? Deux réponses
ont été faites à cette question. Les uns ont dit : Mettez la Bible seule
entre les mains de vos catéchumènes; lisez-la avec eux, faites-la-leur
lire et apprendre par cœur, expliquez-en les parties centrales; n'est-ce
pas là le meilleur cours de religion, le plus populaire, le plus chrétien,
le plus biblique* Et ils ont ajouté : délaissez donc une fois pour toutes
l'usage suranné du catéchisme. Le catéchisme présente la vérité divine
analysée, disséquée, brisée, réduite en formules abstraites; il est comme
un herbier savant, riche peut-être, où les fleurs sont couchées, classées,
numérotées, mais mortes. La Bible au contraire, c'est la nature vivante,
où les faits, les doctrines, les préceptes se présentent à nous dans nue
divine contusion, et aussi dans une admirable unité. Ils ajoutent: Le
catéchisme, c'est une œuvre faite en dehors de la personnalité du pas-
teur: c'est la pensée d'autrui, la pensée de l'Eglise qui devient ainsi
une barrière et un frein pour la liberté pastorale. Dans la bible se ren-
contre le champ le plus vaste et le plus magnifique que le catéchète
puisse parcourir sans entraves. Tout ce qu'il <!oii enseigner à sesélè-
702 CATÉCHÉTIQUE
ves y est renfermé sous une forme vivante et variée. En prenant la
Bible seule pour guide et pour règle, il entre dans le plan de Dieu et il
carde toute son initiative et toute sa personnalité. 11 y a une grande
part de vérité dans ce système d'instruction. Pour un pasteur évangéli-
que, la Bible sera toujours à la fois la matière, le modèle et l'inspiration
d'un bon cours de religion. C'est par elle qu'il faut commencer, c'est à
elle qu'il faut sans cesse revenir. La faire connaître, la faire aimer est
bien l'idéal du catéchiste. Un enseignement duquel on ne pourrait pas
dire qu'il est biblique serait un enseignement impuissant et infidèle.
Mais cela dit, il est permis de ne pas accepter la sentence d'excommu-
nication prononcée par quelques-uns contre les catéchismes et les ma-
nuels de religion pénétrés de cet esprit biblique et évangélique. Voici
les raisons qu'on peut invoquer en leur faveur : 1° L'usage des caté-
chismes remonte à une très-haute antiquité dans l'histoire de l'Eglise
et il est devenu de bonne heure à peu près universel dans les Eglises
issues de la Réformation. Sans être asservi à la tradition, il est juste
d'en tenir compte. 2° L'emploi d'un bon catéchisme n'exclut pas l'u-
sage simultané et constant de l'Ecriture sainte, mais le nécessite au
contraire par les faits et les passages bibliques auxquels le catéchisme
doit toujours renvoyer. 3° L'objection faite contre le catéchisme, à sa-
voir qu'il est une barrière mise par l'Eglise à la liberté du pasteur,
peut se changer en raison favorable. Le pasteur n'est-il pas le serviteur
de l'Eglise? N'est-ce pas en son nom qu'il doit enseigner? Dès lors
l'Eglise n'a-t-elle pas le droit de régler cet enseignement par ses repré-
sentants autorisés en lui assignant pour base un catéchisme déterminé?
Dans ces limites la spontanéité du catéchiste, la variété de ses dons et la
diversité de ses vues sur des points secondaires, trouveront large-
ment à s'exercer. 4° Si le catéchisme risque d'enlever à la vérité évan-
gélique sa fraîcheur et son unité, n'est-ce pas là aussi l'écueil perma-
nent de tout enseignement religieux, quelle qu'en soit la forme, de la
prédication elle-même? Il nous faut toujours traduire la pensée divine
dans une langue humaine, c'est-à-dire la morceler, l'abaisser et plus
ou moins l'altérer. 5° La raison décisive pour l'emploi du catéchisme,
c'est qu'il correspond à la nécessité de renseignement, qui est de dégager
de la Bible les faits les plus importants et les doctrines les plus fonda-
mentales pour les faire connaître aux jeunes gens dans leur suite et
dans leur enchainement naturel. L'esprit de l'homme ne se repose que
daus la lumière et dans l'ordre, et l'esprit de l'enfant a les mêmes
besoins. Cela est si vrai que les adversaires des catéchismes et des ma-
nuels de religion sont infai- iblement amenés à en faire un tôt ou tard.
La conclusion est qu'il faut que le catéchiste combine les deux mé-
thodes : lire, faire lire et apprendre la Bible à ses élèves; imprégner,
pénétrer de son esprit toutes ses leçons, et en même temps mettre un
catéchisme entre les mains l es enfants. — 5. Caractères d'un bon caté-
chisme. Voici les plus essentiels : 1° Un bon catéchisme doit être éminem-
ment biblique par l'esprit et par la forme: par l'esprit, en mettant en
relief les grands faits et les vérités fondamentales exprimées dans la
Bible; par la forme, en appuyant toutes ses affirmations par des passages
CATÉCHÉTIQUB 703
bibliques bien choisis. 2° Comme lu religion chrétienne a revêtu, par la
volonté de Dieu, une Corme historique, il faut que le catéchisme suive
un plan historique el progressif correspondant. 3° Gomme il importe
( ependant, surtout à l'époque d'incertitude et d'indétermination dogma-
tique où nous vivons, de graver profondément les principes évangéliques
dans l'esprit des catéchumènes, un bon catéchisme doit articuler net-
tement les doctrines vitales et les grands préceptes de la religion chré-
tienne. En restant historique par la division, il doit être doctrinal et.
pratique dans L'exposition. V' Comme un catéchisme ne doit pas être
une œuvre uniquement personnelle, mais aussi une œuvre collective
et ecclésiastique, il nous parait convenable et même nécessaire qu'il
soit adopté et recommandé par les corps constitués de l'Eglise (côn-
es, synodes); qu'il mette en relief les principes de la Réformation
et de la communion protestante dont il relève, et enfin que, dans le
cours de son exposition, il mentionne les documents principaux de la
foi et de la liturgie de cette Eglise : décalogue, oraison dominicale,
symbole dit des apôtres, confession des péchés, confession ou profes-
sion de foi, liturgie de la sainte cène et de la première communion.
S Ajoutons enfin, seulement pour mémoire, que l'idéal du catéchisme
évangélique, c'est d'unir la brièveté à la clarté, la précision à l'édi-
fication. On a souvent discuté la question de savoir si un catéchisme
doit nécessairement suivre l'ancien usage de demandes et de réponses,
ou supprimer les demandes et procéder par une exposition continue.'
L'ancienne manière nous semble préférable pour les enfants peu
lettrés : la seconde peut être appliquée aux catéchumènes qui ont reçu
une culture plus étendue et qui peuvent faire des rédactions. Mais
quelle que soit la forme adoptée, on ne saurait trop recommander rem-
ploi de la méthode dite socratique, qui a sans cesse recours aux in-
terrogations. Evidemment, la principale tâche du pasteur qui instruit
est d'exposer; mais, après avoir exposé et même en exposant il doit
beaucoup interroger et s'efforcer de faire sortir la réponse de la con-
science et de l'intelligence de ses jeunes auditeurs. Cette méthode
force le catéchumène à prendre à la leçon une part active ; elle met
i la réflexion et, par suite, contribue à fixer plus profondément
dan- son esprit ce qu'il a concouru lui-même à trouver ou ce qu'il a
reconnu vrai. Toutefois gardons-nous de l'excès et ne faisons pas ce
qu'on lit à une certaine époque en Allemagne, où tout le monde se
mit a 80cratiser; nous ne devons jamais oublier que le christianisme
est une religion révélée, positive, iju'on n'invente pas, qu'il y a là de
que l'œil n'a point vues, que I oreille n'a point entendues
et qui ne sont pas montées au coeur de l'homme. » L'art de l'interro-
gation est d'ailleurs uw art délicat, et à certains égards difficile, qui
réclame a la fois des dons spéciaux d'esprit et de parole : clarté, pré-
cision, vivacité, simplicité, et des dons du cœur : affection, douceur,
patience et fermeté. Le catéchiste doit bannir soigneusement de ses
interrogations et de ses leçons les termes d'école, les -locutions abs-
traite-, les phrases obscures et embarrassées; il doit recourir autant
que possible aux images, aux comparaisons, aux récits empruntés à la
704 CATÉCHÉTIQUE
aature, à la famille, à l'histoire; il doit ne perdre jamais de vue les réa-
lîtés de la vie terrestre et de la vie chrétienne, auxquelles il doit initier
ses élèves. 11 faut aussi qu'il use de bonté, de douceur et de support,
surtout avec ceux qui sont lents et timides ; qu'il ne désespère de la
conversion et du salut d'aucun d'eux, et qu'il se garde de l'esprit
d'irritation ou de moquerie. Enfin, à l'exemple de son divin Maître,
l'éducateur chrétien visera surtout la conscience et le cœur de ses
enfants et, quand il aura déposé en eux la semence de la Parole en l'ar-
rosant de ses prières, il attendra avec patience et confiance, sans
se décourager ni s'enorgueillir, l'époque, quelquefois lointaine, où
cette semence lèvera et fructifiera. Deux moyens supplémentaires
peuvent être employés par le catéchiste, dont l'expérience a constaté
^'efficacité. Le premier consiste dans une série de méditations spé-
ciales faites dans le temple ou dans une salle quelconque et destinées
aux catéchumènes et à leurs parents. Ces méditations doivent rouler sur
un sujet suivi et important qui peut intéresser la jeunesse (par exemple
la vie du jeune chrétien dans le cercle de la famille, de la société, de
l'Eglise ; la biographie des grands hommes de l'Eglise et des réfor-
mateurs, etc.). Elles serviront à compléter les leçons catéchétiques, et
mettront en relief l'élément de rectification proprement dite ; elles
donneront aussi au pasteur l'occasion d'intéresser les parents à l'éduca-
tion religieuse de leurs entants et de leur adresser de sérieux et pressants
appels. Le second moyen, c'est de donner dans les dernières semaines
à tous les catéchumènes réunis une série de leçons supplémentaires,
dans lesquelles, laissant de côté le catéchisme et les rédactions, le pasteur
les interroge et refait en quelque sorte le cours dans ce qu'il a d'es-
sentiel, en employant la méthode régressive, c'est-à-dire en partant de
l'idée de la premiers communion pour remonter à la doctrine de
l'Eglise, puis à celle du péché et de la rédemption. — 6° Plan d'un
cours d'instruction religieuse. D'après ce qui précède, nous ne croyons
pas devoir adopter complètement le plan des anciens catéchismes.
Nous écartons, sans en méconnaître futilité relative et la légitimité
historique, la division du moyen âge et de la Réforme (la foi, la loi,
îa prière et les sacrements) et celle du dix-huitième siècle dont le caté-
chisme d'Ostervald est le type (histoire, doctrine, morale). Nous ne
pouvons adopter non plus le plan exclusivement historique qui se
contente de suivre la marche et les destinées du royaume de Dieu
sur la terre, il nous semble qu'il est conforme à l'essence de la religion
chrétienne, qui est la religion de l'union de l'homme avec Dieu, la
religion de la rédemption de l'homme par Dieu, de prendre pour
bases d'un cours de religion la doctrine de Dieu et celle de l'homme et
pour centre vivant le fait de la rédemption ou du salut par Jésus-Christ,
en le considérant tour à tour dans sa préparation, dans son accomplis-
sement, dans son application, dans sa propagation et dans son entier
achèvement; et voici alors le plan général que l'on pourrait suivre.
C'est à peu près le plan suivi par Tailleur de cet article dans son
Manuel de religion chrétienne. Il va sans dire que ce programme peut
et dans certains cas doit être raccourci pour des instructions moins
CATECHETIQUE — CATHARES 705
étendues et des catéchumènes peu cultivés. Introduction : religion,
révélation, Ecriture sainte. 1. Dieu et r homme : de l'existence et des
perfections de Dieu, création, providence; nature et vocation de
L'homme; liberté et loi morale; chute; existence, manifestation et
conséquences du péché (emploi du décalogue et de la confession des
péchés); besoins de l'homme pécheur. 11. La préparation du salut :
première promesse et ses suites; choix d'Abraham et du peuple élu;
Moïse et son œuvre; le décalogue; les lois cérémonielles;les prophètes;
coup d'œil sur l'état du monde juif et païen à la naissance du Christ.
111. L'accomplissement du salut : naissance, enfance et jeunesse de
Jésus ; prédication de Jean-Baptiste ; baptême et tentation de Jésus ;
son enseignement (paraboles, entretiens, discours); ses miracles;
ses souffrances et sa mort ; sa résurrection et son ascension ; nature
de Jésus-Christ; divinité et étendue de son œuvre (relire le symbole
dit des apôtres). 1Y (pouvant être retranché ou diminué). La propa-
gation du salut: le Saint-Esprit et la première Pentecôte; autorité
des apôtres; fondation de l'Eglise ; sa mission, ses grâces; l'Eglise
au temps des apôtres ; l'Eglise sous la croix aux deuxième et troisième
siècles; l'Eglise conquérante, de Constantin à Charlemagne ; l'Eglise
au moyen âge; catholicisme, papauté; les réformateurs avant la Ré-
forme; la Réformation au seizième siècle, ses héros, ses résultats, ses
principes; l'Eglise depuis la Réformation; les grandes Eglises de lav
chrétienté ; l'Eglise réformée de France, ses destinées, ses principes,
son organisation. V. L 'appropriation du salut : la grâce divine et le
Saint-Esprit; la conversion : a) repentance, foi, b) doctrine de la justi-
fication par la foi ; la sanctification ou la vie chrétienne, ses caractè-
res, ses privilèges, son but; devoirs du chrétien (envers Dieu, envers les
hommes, envers nous-mêmes) ; les moyens de grâce du chrétien : a) la
Parole de Dieu, b») la prière (oraison dominicale), c) le culte, d) les
sacrements (baptême, sainte cène, première communion, liturgie).
VI. La consommation du salut : état des rachetés après la mort; retour
du Christ, résurrection des morts, jugement dernier; la mort éter-
nelle et la vie éternelle ; conclusion. N. Kecolin.
CATHARES. Il est constaté aujourd'hui que la secte dualiste des cathares
(xaÔapot, les purs) est indépendante de celles des manichéens et des pau-
liciens, et qu'elle a eu son origine, au onzième siècle, parmi les Slaves,
probablement parmi ceux de la Macédoine. Elle se répandit très-vite
dans les autres pays de langue slave, et de là d'une part en Italie et dans
le Midi de la France, et de l'autre en Allemagne, dans la France du
Nord et en Flandre. Dans ces dernières contrées elle ne fonda pas
des étabtissementsaussi considérables que dans celles du Sud. A l'époque
de sa plus grande puissance, dans la seconde moitié du douzième
siècle et au commencement du treizième, elle avait des évêchés en Macé-
doine, en Bulgarie, en Thrace, en Bosnie, en Dalmatie, en Italie, dans la
France méridionale; elle avait des écoles, des docteurs, des versions de
la bible des livres théologiques et liturgiques; des populations entières
lui étaient dévouées, elle était protégée par des princes, grâce à la cor-
ruption qu'on reprochait au clergé catholique. Jusqu'à l'avènement
II. 45
06 CATHARES
d 'Innocent III elle résista à tous les efforts faits dans le but de la combattre ;
pour l'exterminer, ce pape ordonna la croisade, saint Dominique fonda
Tordre des Frères Prêcheurs, et la cour de Rome imagina successivement
le vaste système de l'inquisition. En Italie les cathares disparurent dès
le quatorzième siècle ; en France, où depuis les croisades on les appe-
lait boulgres (bulgares) ou poblicans (pauliciens), leur force fut brisée
par la croisade contre les albigeois; en 1244, leurs derniers défenseurs,
retirés au château de Montségur, furent obligés de se rendre, après une
défense héroïque; plus de deux cents d'entre eux, chevaliers et évêques,
furent brûlés vifs. Néanmoins, pendant longtemps encore les inquisi-
teurs trouvèrent à condamner des cathares isolés. C'est dans quelques
pays slaves que la secte parait avoir duré le plus longtemps. Le principe
fondamental de la doctrine des cathares est le dualisme, l'opposition
d'un être bon et d'un être mauvais. Sur la nature de ce dernier la secte
se divisait en deux branches, dont l'une professait le dualisme absolu,
tandis que l'autre essayait de le mitiger pour échapper à la nécessité
d'admettre deux dieux. L'une et l'autre expliquaient à leur façon les
livres du Nouveau Testament, en employant l'interprétation allégo-
rique ; elles se servaient en outre de quelques ouvrages apocryphes. Yoici
les points les plus essentiels du premier des deux systèmes. Les deux
principes, le bon et le mauvais, sont également éternels ; chacun des
deux a son monde à lui ; le bon est le créateur des esprits et de leur
séjour céleste ; à l'autre appartient la matière, cause du mal physique
et du mal moral. Le monde visible et le corps humain sont l'œuvre
du principe mauvais, l'àme seule vient du Dieu bon ; celui-ci s'est révélé
dans le Nouveau Testament ; le Jéhovah de l'Ancien est le mauvais Dieu,
il a donné la loi pour retenir les hommes sous son pouvoir. Pour expli-
quer comment les âmes, créatures du Dieu bon et participant de sa
bonté, sont tombées sous la domination de son adversaire, les cathares
recourent à un mythe : le Dieu mauvais, jaloux de voir le Dieu bon
régner sur un peuple saint et heureux, pénétra dans le ciel, prit la
figure d'un ange et réussit ainsi à se faire aimer des âmes célestes; il
leur persuada de le suivre sur la terre, où il leur promit des délices
plus grandes que celles dont elles jouissaient ; il les fascina au point
qu'il put même, sans les rebuter, leur parler des misères qui les atten-
daient ici-bas ; elles consentirent à rester avec lui. La chute a donc eu
lieu clans le ciel; lésâmes humaines sont des esprits qui ont péché dans
une existence antérieure. Dieu a permis leur descente sur la terre, qui doit
être pour eux un lieu de châtiment et de pénitence. Mais créées bonnes,
les âmes ne sauraient périr ; elles sont destinées par leur nature même
à revenir à leur origine. Pour les sauver, Dieu envoya Jésus, un de ses
anges les plus parfaits; il vint sur la terre, revêtu d'un corps céleste;
esprit pur, il n'entra pas en contact avec la matière; ce n'est qu'en
apparence qu'il eut un corps semblable au nôtre. Sa mission a consisté
à rappeler aux hommes leur vraie nature et à leur enseigner comment
ils peuvent revenir plus promptement au Dieu bon. Jean-Baptiste a été
un des agents du Dieu mauvais, chargé d'opposer au baptême de l'es-
prit le baptême matériel au moyen de l'eau. La Vierge, au contraire.
CATHARES 707
a été un esprit céleste; Jésus étant le Verbe, elle l'a conçu par rouie.
Le retour des âmes au ciel étant nécessaire, mais ce retour n'étant pos-
sible que par Jésus, les cathares admettent que les âmes de ceux qui
sont morts avant la venue du Sauveur ont traversé une série de corps
d'hommes et même d'animaux ; cette transmigration continue jusqu'au
moment OÙ Ton se t'ait admettre dans la secte, car elle seule garantit
le saint. Après la mort les initiés remontent dans le domaine du Dieu
bon; ceux qui ue le sont pas reprennent un nouveau corps jusqu'à ce
qu'ils aient achevé leur pénitence. D'après les cathares, qui professaient
le dualisme mitigé, l'antagonisme entre le bien et le mal n'est paséter-
nel; le principe mauvais, créature de Dieu, a commencé par être bon et
ne s'est séparé de Dieu que par orgueil. Il est le diable, il a formé le
monde et les premiers hommes; ceux-ci toutefois reçoivent des âmes
(•('lestes, et transmettent cette nature meilleure aux âmes de leurs des-
cendants. Pour empêcher les hommes de revenir à Dieu, le diable leur
donne la loi par Moïse ; Jésus vient comme Sauveur de ceux qui accep-
tent sa doctrine, mais ce Jésus n'a pas non plus de corps matériel. Le
retour des âmes n'est pas une nécessité, car elles jouissent du libre
arbitre; il y aura donc un jugement final. Ce système se retrouve, avec
quelques modifications dans la doctrine des bogomiles de la Thrace. Malgré
ces différences, les deux branches de la secte étaient d'accord dans leurs
principes moraux et dans ceux sur le culte et sur l'organisation. Leur
morale était rigoureusement ascétique; les péchés, tous considérés
comme mortels, étaient les suivants : l'amour des biens terrestres; le
commerce avec des hommes mondains dans toute autre intention que
de les convertir à la secte ; le mensonge ; l'homicide, la guerre et l'exer-
cice du droit du glaive ; l'usage de tuer un animal autre qu'un reptile
(on ignore si cette opinion était commune aux deux branches, chez les
dualistes absolus elle se fondait sur la doctrine de la métempsychose) ;
l'usage de toute nourriture animale ; le commerce charnel d'un sexe
avec l'autre, même le mariage ; l'union des deux premiers hommes a
été le vrai péché originel. Le pardon des péchés et la délivrance du pouvoir
du principe mauvais s'obtiennent par l'entrée dans l'Eglise cathare,
hors laquelle le salut n'est pas possible. L'admission se faisait par
un acte symbolique, qui devait représenter le baptême de l'esprit et qui
s'appelait consolamentum ; par cet acte, accompli par l'imposition des
mains, l'esprit consolateur était censé descendre sur l'homme et s'unir
avec lui pour le préserver du mal. Après avoir reçu le consolamentum
on devenait pur ou parfait; en France le peuple appelait les parfaits les
bonshommes; les adversaires leur réservaient spécialement lenomd'hé-
rétiques. Les parfaits étaient les docteurs et ministres de la secte; ils
avaient seuls le droit de conférer le consolamentum, étaient tenus de
s'abstenir de toute souillure par la matière, de ne posséder aucun
bien et de vivre dans le célibat. Ils parcouraient les pays, toujours au
nombre de deux, et présidaient les réunions religieuses. .Les femmes
pariait. lient de l'éducation des jeunes filles. Ceuxqui n'étaient
pas parfaits formaient la classe nombreuse des croyants, auxquels étaient
permis le mariage, le commerce, le métier des armes, etc. Mais celte
708 CATHARES — CATHÉDRALE
permission ne leur était accordée qu'à condition pour eux de se faire
donner le consolamentum avant la mort ; mourir inconsolé, c'était mourir
sans espoir de salut immédiat. Pour avoir une bonne fin, les croyants
faisaient avec les parfaits un pacte, convenenza, par lequel ils s'enga-
geaient à recevoir, en cas de danger de mort, le consolamentum et de
suivre, s'ils ne mouraient pas, les règles sévères de la secte. Pour
empêcher que l'ettet du baptême spirituel ne fût détruit par une rechute
dans le péché, certains cathares se laissaient mourir de faim; on appe-
lait cela se mettre in endura. Le culte cathare était extrêmement simple.
Là où la secte, était puissante, elle avait des oratoires, mais sans croix,
sans images, sans cloches, on n'y voyait qu'une table, couverte d'une
nappe blanche, sur laquelle était posé un Nouveau Testament, ouvert
au premier chapitre de l'évangile de saint Jean. Les services commen-
çaient par la lecture d'un passage biblique, que le ministre expliquait
ensuite dans le sens cathare. Cette prédication était suivie d'un acte
que les auteurs catholiques ont appelé l1 adoration des hérétiques, mais
qui doit porter à plus juste titre le nom de bénédiction. L'assistance se
mettait à genoux, le ministre et les parfaits présents la bénissaient, elle
ne les adorait pas. Le culte se terminait par l'oraison dominicale,
récitée par toute l'assemblée ; c'était la seule prière que les cathares
croyaient permise. La sainte cène était remplacée par une bénédiction
du pain lors de chaque repas auquel assistait un parfait ; le pain était
rompu en morceaux, que les croyants conservaient pour en manger jour-
nellement quelques miettes ; parfois aussi des messagers apportaient
aux croyants de ce pain bénit qu'on appelait le pain de Dieu ou de
la sainte oraison. On avait enfin la coutume de faire à de certaines épo-
ques une confession générale des péchés, à laquelle on donnait le nom
Cl appareillamentum ; pour les parfaits cette confession pouvait entraî-
ner la nécessité d'une reconsolatio , pour les croyants des jeûnes ou
d'autres pénitences. On célébrait les fêtes de Noël, de Pâques et de
Pentecôte ; un auteur allemand parle d'une fête dite Malilosa et obser-
vée en automne; on n'a pas encore pu découvrir le sens de ce mot.
Chaque parfait pouvait remplir les fonctions de ministre ou de prêtre;
en outre les cathares avaient des évêques et des diacres ; les évêques étaient
assistés chacun d'un films majorai d'un filius minor, dont les attributions
ne sont pas clairement définies. L'Eglise était divisée en diocèses; dans
des circonstances importantes les évêques se réunissaient en synodes.
Quelques écrivains parlent d'un pape cathare; mais aucun témoignage
authentique ne constate l'existence d'un chef supérieur de la secte. —
Voyez : C. Schmidt, Histoire et doctrine de la secte des Cathares ou Albi-
geois, 2 vol., Paris, 1848; et le curieux rituel cathare publié par Cunitz,
d'après un manuscrit de Lyon, clans les Beitnvge zu den theologischen
Wissenscliaften, herausgegeben von Reuss und Cunitz, Iéna, 1852.
Ck. Schmidt.
CATHÉDRALE (de cathedra, siège ou trône épiscopal) désigne l'église
où est placé le trône de révoque ou archevêque du diocèse. Primi-
tivement la cathedra était placée au fond de l'abside (cathédrale de
Torcello, près Venise), comme le siège du juge dans la basilique antique.
CATHÉDRALE — CATHERINE DE GÊNES 700
L'évéque entouré de son clergé, placé ainsi derrière l'autel, <|ni
n'était qu'une simple table, voyait L'officiant en lace. Si un évêque
invité par un abbé officiait dans l'église abbatiale, on y plaçait une
cathedra, et pour ce jour-là elle devenait une cathédrale. Pendant long-
temps ces édifices avaient, en outre du caractère divin, celui d'un
tribunal sacré. Ce n'est que vers la lin du douzième siècle que les ca-
thédrales devinrent les plus grands monuments ecclésiastiques ; pendant
le siècle précédent, en France du moins, les abbayes occupaient le
premier rang. L'apparence architectonique de la cathédrale varie extrê-
mement d'un style à l'autre: au treizième siècle le type idéal en France
comportait jusqu'à sept tours. Le grand nombre de cathédrales que
Ton reconstruisit alors dans le style ogival et leur richesse extraordi-
naire ne s'expliquent que par l'appui que l'épiscopat trouva alors dans
la monarchie grandissante et dans le concours prodigieux des foules
protestant contre la féodalité; la cathédrale devint comme le monument
national ou municipal par excellence, et son iconographie fut le l^vre
de la foule (voyez Viollet-le-I)uc, Dict. raisonné de Varchit. française du
onzième au seizième siècle). En Italie et en Allemagne les cathédrales
s'appellent souvent dômes, par exemple le dôme de Milan, le dôme de
Cologne; dans quelques parties de l'Allemagne elles prennent le nom
de munster (de nionasterium).
CATHERINE D'ALEXANDRIE (Sainte), vierge et martyre, honorée
par les grres sous le nom d'AsixaÔapiva,- c'est-à-dire toujours pare.
D'après la légende, elle était d'origine royale, résista aux instances im-
pudiques de l'empereur Maximin, confondit une assemblée de philo-
sophes païens réunis pour la réfuter, et périt au milieu des tortures
dans l'année 307. Son culte pourtant ne commença à se répandre qu'à
la tin du huitième siècle, alors que son corps, trouvé par des chrétiens
d'Egypte, fut solennellement enseveli dans le couvent fondé par l'im-
pératrice Hélène sur le mont Sinaï. L'Eglise latine célèbre sa fête
le 26 novembre. On la représente appuyée sur une roue à demi rompue
et teinte de sang. Elle devint la patronne des écoles de filles et des élèves
de philosophie.
CATHERINE DEB0L0GNE (Sainte), née F an 1413, morte le 9 mars 1463,
était d'une ancienne famille de Fcrrare, où elle fut élevée et où elle
entra chez les sœurs de Sainte-Claire dont elle devint i'abbesse. On
lui attribuait le don de la prophétie et celui des miracles. Clément Vil
la béatifia, et Clément VIII fit inscrire son nom dans le martyrologe
romain en loî)2. En Kill et en 1536 on publia sous son nom à Bologne,
et en 1583 à Venise, un livre intitulé : Reveîationes Catharmœ Bono-
niensi factx dont le contenu est une suite de légendes plus merveil-
leuses les unes que les autres. Catherine a composé plusieurs ouvrages
en latin et en italien, parmi lesquels le plus connu est le Livre de* sept
armes spirituelles.
CATHERINE DE GÊNES (Sainte), née Tan 1448, morte le Ki sep-
tembre 1510, était fille de Jacques de Fiesque, vice-roi de Naples. On
la maria contre son gré à un jeune seigneur qui la lit beaucoup souf-
frir par sou inconduite, mais qu'elle convertit sur son lit de mort après
710 CATHERINE DE GÊNES — CATHERINE DE SIENNE
dix ans de mariage. Devenue veuve, elle consacra le reste de sa vie au
soulagement des pauvres et des malades. Elle donna de grandes
preuves de son dévouement pendant la peste qui ravagea Gènes
en 1497 et en 1501. La légende lui attribue un grand nombre de mi-
racles. Clément XII Ta canonisée en 1737, et Benoît XIV inséra son
nom dans le martyrologe romain à la date du 22 mars. Catherine a
laissé un Traité du purgatoire, un Dialogue entre lame et le corps sur
le pur amour pour Dieu. Le P. Marabotti a publié une Vie de Cathe-
rine de Gênes en 1551, traduite en français par J. Desmarets (Paris,
1661).
CATHERINE DE RICCI (Sainte), née à Florence Fan 1519, morte
Tan 1590, d'une famille noble de Toscane. A l'âge de treize ans elle se
consacra à Dieu dans le monastère du Prat, de Tordre des dominicains,
où elle se distingua par une charité ardente, une profonde humilité et
les austérités les plus rudes. Prieure depuis F âge de vingt-cinq ans,
elle fut en relations avec un grand nombre de princes, de cardinaux,
d'évêques et de saints personnages, parmi lesquels nous ne nomme-
rons que Philippe de Néri, le fondateur de Fordre clés oratoriens. La
légende lui attribue des miracles, des prophéties, des extases et des
visions. Benoît XIV la canonisa; sa fête a lieu le 13 février. Plusieurs
auteurs ont écrit sa vie: les PP. Séraphin Razzi, Philippe Guidi, son
confesseur, Calteri, évêque de Fiesole. En 1848, César Guasti a publié
Cinquante lettere inédite di S. Caterinx de Ricci.
CATHERINE DE SUÈDE (Sainte), née vers Fan 1330, morte le
24 mars 1381, était fille d'Alphonse, prince suédois, et de sainte Bri-
gitte. Elle fut mariée contre son gré à Fun des grands seigneurs du
royaume ; après la mort de son époux elle entreprit, avec sa mère,
plusieurs voyages de piété, et se livra aux pratiques les plus austères.
Elle dirigea le monastère deWartzsten, où elle établit la règle de Saint-
Sauveur. Elle fut canonisée en 1474. Sa fête, célébrée d'abord le
24 mars, fut remise par Léon X au 25 juin.
CATHERINE DE SIENNE (Sainte), née Fan 1347, morte le 29 avril
1380. Elle était fille d'un teinturier. Dès l'âge de sept ans elle lit vœu
de virginité, se fiança avec Jésus-Christ qui, disait-elle, lui donna son
cœur en échange du sien, et, bien que contrariée par ses parents qui
avaient arrangé pour elle un mariage avantageux, elle entra à l'âge de
vingt ans dans l'institution des sœurs de Saint-Dominique; elle y eut
des visions qui lui donnèrent bientôt une grande célébrité, et com-
posa des écrits mystiques qui furent très-recherchés. Les austérités
auxquelles elle se livra dépassèrent toutes les bornes ; elle portait un
cilice avec une ceinture garnie de pointes en fer, couchait sur le sol,
observa pendant trois ans un silence complet et employait la plus
grande partie de ses jours et de ses nuits à des exercices de dévotion.
On assurait même qu'elle ne se nourrissait plus qu'avec l'hostie de la
cène. La peste de 1374 lui fournit l'occasion d'exercer son admirable
charité ; ses prières obtinrent la guérison et la conversion d'un grand
nombre de personnes. Catherine joua un rôle important dans le schisme
qui éclata en 1378, à l'occasion de la concurrence d'Urbain VI et de
CATHERINE DE SIENNE — CATHERINE DE MEDICIS 711
Clémenl VU: elle s'était déclarée pour Le parti (TUrbaifl : c'est elle aussi
qui réconcilia Grégoire XI avec Florence el le détermina à retourner
d'Avignon à Rome. Pie 11 la canonisa en 1461, et on célèbre sa fête le
30 avril. On a d'elle des traités de dévotion, des lettres el des poésies
remarquables par L'élégance et la pureté du style. L'édition la plus
exacte et la plus complète de ses œuvres est celle de Jérôme Gigli, sous
ce titre : Opère délia serafica santa Catarina (Sienne et Lucques, 1707-
1713, \ vol. in-4°). Ou y remarque six Dialogues sur la providence de
Dieu, un Discours sur l'Annonciation de la Vierge, et un recueil de
364 Lettres. Chavin de Malana écrit sa Vie en 185Ô, et Hase lui aassigné
une place d'honneur dans ses Nouveaux prophètes (Leipz., 1851,2e édit. 9
1870). La vie de Catherine de Sienne offre ce phénomène extraordi-
naire d'une simple fille du peuple, presque adorée par un ordre religieux
puissant et par l'Italie tout entière. — Voyez: AA. SS. April., t. III,
p. 853 ss. ; Fabricius, Bibl. med. etinf. Lat., I, p. 363 ss. ; Martene,
Ampl. col., I, p. 1237 ss.
CATHERINE D'ARAGON, fille de Ferdinand V, roi d'Aragon, et d'Isa-
belle, reine de Castille, épousa en 1501 Arthur, (ils aîné de Henri VII,
roi d'Angleterre. Devenue veuve, elle fut en 1509 remariée, avec dispense
du pape Jules II, au frère de son premier époux, qui régna sous le nom
de Henri VIII, et eut de ce prince trois fils et deux filles qui moururent
de bonne heure, sauf celle qui fut reine sous le nom de Marie. La dévo-
tion de Catherine était extrême. Bien qu'elle fût d'une constitution
faible et maladive, elle consacrait six heures par jour aux exercices reli-
gieux, pratiquait les jeûnes, se confessait deux fois par semaine, portait
un cilice sous ses vêtements de reine, préférait à tout la retraite et la
lecture des vies des saints. L'incompatibilité d'humeur entre elle et
son mari était complète. Après dix-huit ans de mariage, Henri VIII,
devant renoncer à avoir des enfants de Catherine et étant passionné-
ment épris d'Anne de Boleyn, demanda la dissolution de son mariage.
Le pape ne voulut point y consentir; Catherine résista plusieurs années,
mais elle n'en finit pas moins par être répudiée (1533). Le divorce fut
prononcé par Cranmer, archevêque de Cantorbéry, muni de l'appro-
bation d'une foule de sommités théologiques et juridiques, et Cathe-
rine se vit confinée dans le château de Kimbolton où elle mourut en
1536. I >n sait le rôle que ce divorce a joué dans l'histoire delà réforme
en Angleterre.
CATHERINE DE MÉDICIS. Vnu seule passion, la soif du pouvoir, et
l'absence complète de sens moral expliquent le rôle de cette reine trop
célèbre, italienne de naissance, qui fit tant de mal à son pays d'adop-
tion, principalement aux protestants français. Cette passion, qui ne
connut point de bornes, Catherine chercha a la satisfaire par des
moyens également méprisables : 1 écrasement de ses ennemis les uns
par les autres et ses tentatives de corruption auprès d'eux. Quelques
faits justifieront cette assertion. Nommée régente de son fils Fran-
çois II, la ivin.'-nKMT se voit en présence de deux partis puissants
qui menacent d'annihiler son autorité, le, Guises et les Bourbons : elle
se sauve loin des premiers à Saint-Germain et retient les seconds
712 CATHERINE DE MEDICIS — CATHOLICISME
captifs à Paris par les charmes de deux de ses plus séduisantes filles
d'honneur, mesdemoiselles de Limeuil et de Renet (1569). La conjuration
avortée d'Amboise dirigée contre le duc de Guise fortifie puissamment
son parti : aussitôt Catherine se jette dans les bras du prince de Coudé,
dont elle lève la sentence de mort (1561). Après la victoire de Dreux,
la reine-mère craint que l'ambition du duc de Guise, qui Ta remportée,
ne connaisse plus de frein : elle se hâte de mettre des entraves à la
prise de la ville d'Orléans, qu'il assiège et, heureuse de son assassinat,
accorde la paix aux huguenots (1563). Cependant ces derniers gagnent
du terrain. Ils fondent un grand nombre d'églises, font venir
des pasteurs de Genève, tiennent des synodes, Condé et Coligny
leurs chefs grandissent dans la faveur publique; c'est le moment de
les abattre. Catherine fait venir dans ce but 6,000 Suisses (1568). 11
en fut ainsi pendant les autres guerres de religion qui suivirent. La
reine-mère les provoquait dès que les huguenots étaient forts, et elle
y mettait fin quand les Guises devenaient trop exigeants. La Saint-Bar-
thélémy elle-même ne s'explique pas autrement. C'est l'ascendant con-
sidérable que Coligny avait pris sur Charles IX qui porta Catherine,
reléguée pour le moment dans l'ombre, à tramer sa perte et celle de
tout son parti (1572). Les courtisans italiens, qui l'entouraient, en-
traient tout à fait dans ses vues et prenaient un plaisir extrême à ces
luttes fratricides, qui les débarrassaient de tous leurs rivaux et créaient
des vides, bientôt remplis par leurs créatures. Depuis le retour
d'Henri 111 de Pologne (1574), la reine-mère, soit qu'elle se fit vieille,
soit qu'elle fût méprisée de tous, n'eut plus aucune influence. L'assas-
sinat du duc de Guise par son fils la frappa de terreur et elle mourut
deux jours après, à l'âge de soixante-et-onze ans (5 janvier 1589). Elle
s'était survécu, et sa mort ne produisit aucune impression. Un histo-
rien de l'époque raconte qu'elle fut jetée comme une charogne dans
un bateau et inhumée dans un coin obscur. Les prédicateurs catholi-
ques se demandèrent même en chaire si l'Eglise devait prier pour celle
qui avait fait encore plus de mal que de bien. — Voyez les histoires
de Jean de Serres, la Popelinière, Davila, d'Aubigné, de Thon,
Mézeray, etc. e. Aenaud.
CATHOLICISME (Principe du). Le christianisme se présente au
monde, à son origine, comme ayant pour objet la réconciliation, par
le Christ, de Dieu avec les hommes. Les conséquences de ce principe
s'aflirmant en face des religions anciennes sont faciles à saisir. Voici les
principales. Dans la société religieuse, plus d'intermédiaires entre les
hommes et la divinité, en un mot plus de sacerdoce. Dans le culte,
plus de sacrifice expiatoire. Dans le dogme, plus de distinction entre
une doctrine ésotérique, qui serait pour les seuls initiés, et une doctrine
exotérique, qui serait pour le vulgaire. Dans la morale, plus de léga-
lisme et plus de distinction artificielle entre le sacré et le profane, ni
dans l'ordre des personnes ni dans l'ordre des choses. Dieu demande au
même titre l'obéissance de tous les hommes et de l'homme tout entier.
Considérons maintenant le christianisme tel que le représente la so-
ciété religieuse qui, sous le nom d'Eglise catholique (ou universelle),
CATHOLICISME 718
domine dans le monde'occidental. Quoi contraste entre le christianisme
d'alors et le christianisme primitif ! L'Eglise n'est plus cette société dont
chaque membre est appelé un sacrificateur et un roi ; elle est une monar-
chie visible. Un évêque, Tévêque de Rome, y concentre en sa personne
ïa sacrificature et la royauté, aussibienque le pouvoir enseignant. Au-
dessous de lui nous apercevons toute une hiérarchie qui constitue avec
lui entre les fidèles et le Christ un intermédiaire obligé, sans parler de la
hiérarchie céleste de la Vierge et des saints. Dans le culte nous retrou-
vons, avec le prêtre, le sacrifice expiatoire renouvelé par celui-ci, au
profit de tous. Dans le dogme, nous retrouvons Tésotérisme : le clergé
seul lit et interprète l'Ecriture sainte. Dans la morale, nous retrouvons
le légalisme et une distinction artificielle entre le sacré et le profane
dans Tordre des personnes et dans Tordre des choses. Il y a des
hommes qui s'appellent les religieux par excellence. Il y a des
états simplement légitimes ; il y en a d'autres qui sont saints. La sain-
teté des uns supplée à Tétat relativement profane des autres. Ajoutons
à tout cela la prétention hautement affichée par TEglise de concentrer
entre ses mainstout pouvoir, aussi bien temporel que spirituel, et le con-
traste étrange qu'offre la politique d'un Grégoire VII avec cette parole
du Christ : Mon royaume n'est pas de ce monde. — Avant de nous
demander quel est le principe de cette déviation, essayons de marquer
brièvement par quels degrés successifs le christianisme primitif est *
devenu, dans le monde occidental, le catholicisme. Déjà dans l'âge
apostolique nous voyons un effort de Tesprit juif tendant à étouffer
Tesprit chrétien dans son germe. Des chrétiens issus du judaïsme élèvent
la prétention d'assujettir aux prescriptions de leur loi les chrétiens issus
du paganisme. Cette prétention vient échouer, à l'assemblée dite concile
de Jérusalem, devant la personnalité de saint Paul et le résultat de son
œuvre missionnaire. Bientôt Tesprit juif revient à la charge sous une
autre forme. Au début Tévêque était considéré, dans chaque église par-
ticulière, comme identique à l'ancien (Actes XX, 28; cf. XX, 17).
Bientôt les deux charges sont distinguées ; puis la charge de Tévêque
est considérée comme supérieure à celle de l'ancien, et enfin
P évêque est considéré comme représentant, dans TEglise, l'autorité
apostolique elle-même. Cette théorie est formulée pour la première
fois par Cyprien, au troisième siècle. En même temps que l'auto-
rité épiscopale, se constituait une certaine primauté des évêques
de ville à l'égard des évêques de campagne. Cyprien, qui résiste
d'ailleurs avec tant de force aux prétentions qu'élève, déjà de
son temps, Tévêque de Rome à l'égard des autres évêques, exerce
de t'ait une véritable primauté sur les évêques de sa province. Paral-
lèlement à ce courant sacerdotal se développe, dans TEglise, une
tendance marquée à donner une grande force à la tradition orale, en
même temps qu'à constituer son unité doctrinale sur des bases Légales.
On commence à chercher le critère de; Tapostolicité (Tune tradition
dans T unanimité des évêques à la reconnaître. A cet égard les livres de
Tertullien, Deprxscriptionibus contra haereticosy et de Cyprien, De unîtate
Ecclesix, font époque. Il convient également de remarquer que la per-
714 CATHOLICISME
sédition qui sévit sur l'Eglise des trois premiers siècles, et qui était pour
sa sainteté une si puissante sauvegarde, tendait, d'un autre côté, à la
pousser vers un ascétisme que favorisait d'ailleurs sa réaction contre
le gnosticisme. On sait, en effet, que l'un des caractères du gnosticisme
était d'opposer à l'excès la loi et la grâce pour exalter celle-ci. Tels
sont les principaux éléments de déviation que nous trouvons déjà dans
l'Eglise, si glorieuse d'ailleurs, des trois premiers siècles. Dans la
période suivante, qui va de Constantin à Charlemagne (312 à 800),
ces éléments se fortifient, se développent, et d'autres éléments viennent
s'y ajouter. La persécution cesse. L'autorité de l'épiscopat se constitue
par l'institution des conciles œcuméniques. La protection du pouvoir
civil et d'un autre côté l'accession à l'Eglise de multitudes ignorantes
et grossières viennent encore fortifier sa hiérarchie. L'institution des
cinq patriarches se fixe. L'autorité de l'évoque de Rome s'accentue.
La doctrine de l'autorité de l'Eglise et de la tradition orale reçoit avec
Augustin et Vincent de Lérins (cinquième siècle) de nouveaux déve-
loppements. Augustin écrit ces mots significatifs : Ego vero Evangelio
non crederem nài me Ecclesix catholicse commoveret auctoritas. Vincent
de Lérins pose dans son C ommonitorium le fameux critère du : Quod
semper, quod uhique, quod ab omnibus creditum est. Surtout il reconnaît
à la hiérarchie le droit non-seulement de désigner, parmi les traditions
qu'elle trouve sur son chemin, celles qui sont apostoliques, mais de ra-
tifier les développements qu'ont pu prendre dans le cours des temps les
traditions apostoliques. C'est par là qu'il dépasse Tertullien et Cyprien.
On conçoit que cette doctrine pouvait mener loin. L'importance du
rite dans le culte s'accentue. Les sacrements augmentent en nombre et
prennent plus d'importance. Un élément nouveau et considérable de
déviation entre en ligne. A la réaction judaïque qui s'était manifestée
surtout par la constitution de la hiérarchie, vient s'allier une réaction
païenne qui se manifeste surtout par la constitution d'une hiérarchie
extra-terrestre et la vénération de nombreux simulacres. Les dieux
vaincus du paganisme renaissent sous des noms chrétiens. Ajoutons que
la discipline prend en face des multitudes qui ont envahi l'Eglise, un
caractère légal. Un lien purement extérieur ;avec l'institution ecclé-
siastique tient lieu de la foi éprouvée des premiers chrétiens. Des
pénitences matérielles tiennent lieu des pénitences morales. En même
temps qu'elle devient légale, la discipline se relâche. Par une sorte de
compensation, l'ascétisme grandit d'un autre côté: le monachisme, né
dans la période précédente, se développe. 11 y a dans l'Eglise deux
morales. Un fait domine, au point de vue du développement du catho-
licisme proprement dit, la période suivante, qui va de Charlemagne à
la Réforme (800-1517). C'est le fait de la pleine formation de la papauté.
Ce fait se consomme sous la puissante influence de Grégoire VII. Pour
lui, l'évêque de Rome est «. le vicaire de Jésus-Christ sur la terre. Il y
tient la place du vrai Dieu. » « Lui seul peut déposer et rétablir les
évêques. » « Lui seul peut déposer les empereurs. » Il n'est plus seu-
lement le symbole de l'unité de l'Eglise, il en concentre en lui-même et
l'unité et les pouvoirs. Ces pouvoirs s'étendent sur toutes les sphères de
CATHOLICISME 715
la vie humaine, tant sociale qu'individuelle. Ce système n'existe pas
seulement à l'état de théorie; il l'ut appliqué. Il y eut deux siècles dans
L'histoire, île Grégoire Vil à Boniface \ 111, en passant par Innocent 111,
du onzième au treizième siècle, durant lesquels toute puissance spiri-
tuelle et toute puissance temporelle était considérée comme absolu-
ment dépendante de L'Eglise, et où L'Eglise c'était l'évêqut de Home.
C'est le temps où la doctrine de la transsubstantiation triomphe, et où
parla même la hiérarchie dispose de .lésus-Christ et de son sacrifice.
C'est le temps où le pape impose à l'empereur Henri IV à la face du
monde, les plus humiliantes pénitences. C'est le temps de lascolastique,
des grandes cathédrales et des croisades. Dès lors le système catholique
est complet Le concile de Trente ne fera plus qu'en rassembler les
éléments pour les besoins de la lutte de l'Eglise contre la Réforme et
lorsque, trois siècles plus tard, le concile du Vatican proclamera l'in-
faillibilité propre del'évêque de Rome, il ne fera que définir un pouvoir
dont celui-ci aura usé depuis longtemps. Tels sont, ce nous semble, les
principaux jalons, non de l'histoire de l'Eglise chrétienne, mais des dé-
viations successives qui ont abouti à cette grande déviation du chris-
tianisme primitif qui s'appelle le catholicisme. — Essayons maintenant
de marquer le principe qui domine tout le système. Le christianisme
en lui-même, avons-nous dit, a pour objet le rétablissement du rapport
normal qui doit exister entre Dieu et les hommes. Or ce raDport est
à la fois individuel et social, il unit l'homme à Dieu; il unit aussi les
hommes à Dieu, et par là même il les unit les uns aux autres. Nous
concevons ces deux éléments coexistant dans une sorte d'équilibre
au sein de l'Eglise, et représentés chacun par une tendance spéciale.
La première de ces tendances, qui pourrait s'appeler la tendance ca-
tholique, aurait pour mission de rappeler la solidarité qui unit les
chrétiens dans la suite des temps et dans l'espace. Elle accentuerait le
rôle pédagogique de l'Eglise à l'égard de ses membres, elle rappel-
lerait que le Christ est venu sur la terre, non-seulement pour y appor-
ter le salut à des individus, mais pour y fonder un royaume. La seconde
de ces tendances, qui pourrait s'appeler la tendance protestante, aurait
pour mission de veiller avec un soin jaloux au respect de la conscience
individuelle, d'écarter tout ce qui tendrait à y porter ombrage, en
particulier tout ce qui tendrait à transformer le respect du passé en
une soumission au passé, le rôle pédagogique de l'Eglise en une mé-
diation. Mais nous concevons aussi que L'une de ces tendances vienne
à prédominer dans l'Eglise. Supposons que ce soit celle qui repré-
sente L'élément individuel du christianisme; qu'arrivera-t-il? Le chris-
tianisme sera mutilé. Le rôle pédagogique de rKgïise sera méconnu, le
chrétien sera livré à l'isolement; l'amour chrétien recevra une atteinte
profonde. Supposons au contraire que la tendance qui prédomine
soit celle qui représente l'élément social du christianisme; qu'arri-
vera-t-ill L'action pédagogique de l'Eglise sera exagérée, cette action
deviendra un»' médiation, toujours nécessaire. Le caractère de la foi et
de L'obéissance s'abaissera par là même. Cette foi et cette obéissance,
ayant pour objet immédiat, non plus le Dieu invisible, mais une hié-
716 CATHOLICISME
rarchie visible, prendront un caractère légal, matériel en quelque sorte,
et nous concevons un moment où cette foi et cette obéissance n'auront
plus en définitive qu'un seul objet, qui garantira et comprendra
tous les autres, savoir l'Eglise. Eli bien! le catholicisme romain n'est
pas autre chose que cette seconde supposition réalisée dans les faits.
11 se réduit, comme système spécial, à ceci : l'élément social du chris-
tianisme empiétant sur son élément individuel, et cela jusqu'à l'absor-
ber ; en d'autres termes il a pour principe la souveraineté médiatrice
de l'Eglise (c'est-à-dire ici de la hiérarchie romaine), notamment en
matière d'autorité, en matière de salut, en matière de morale. Nous
disons souveraineté médiatrice. En efi'et, l'Eglise ne prétend pas par-
ler, sauver, ordonner en son propre nom; elle prétend représenter sur
la terre Jésus-Christ. Nous disons pourtant souveraineté, car elle pré-
tend exercer un pouvoir, et ce pouvoir est absolu. Nous disons souve-
raineté en matière d'autorité. C'est l'Eglise, en effet, qui non-seule-
ment transmet aux fidèles l'Ecriture, mais qui en fixe le contenu par
les décrets de ses conciles, et en détermine le sens par sa traduction
officielle (la Vulgate) et par son interprétation. C'est elle aussi qui dé-
finit la tradition orale. Or si dans ses décrets (voir les canaris du concile
de Trente, session IV) elle attribue une égale valeur à la tradition
écrite ou à l'Ecriture sainte et à la tradition orale, il arrivera néces-
sairement que dans la pratique la tradition orale, dont l'Eglise dispose,
primera l'Ecriture, de sorte que l'autorité religieuse sera en fait tout
entière entre les mains de l'Eglise. Nous disons souveraineté en matière
de salut. Assurément, pour l'Eglise catholique, c'est Dieu qui sauve,
par Jésus-Christ. Mais l'appropriation de ce salut ne peut s'opérer,
pour l'homme, qu'en vertu de la médiation de l'Eglise. Nous disons
plus; en un sens l'Eglise dispose du salut lui-même, puisqu'il faut,
d'après elle, que le sacrifice expiatoire du Christ soit renouvelé pour
être applicable au fidèle, et qu'il n'est renouvelé que par la parole du
prêtre. Voilà pourquoi, pour le dire en passant, en dépit des Augustin
et des Thomas d'Aquin, qui accentuèrent avec tant de force la corrup-
tion humaine et l'œuvre de la grâce dans le salut, ce fut, en définitive,
le semipélagianisme qui triompha. L'Eglise, avec Augustin lui-même,
avait attribué à l'humanité, personnifiée par la hiérarchie, une trop
grande puissance pour pouvoir lui refuser, d'une manière générale, la
puissance de se sauver en quelque mesure par elle-même. Nous avons
dit aussi : souveraineté en matière de morale. Le terme n'est point
exagéré. Qui donc fixe les actes de pénitence que doit accomplir le
fidèle pour rester en état de grâce, qui donc taxe d'orgueil l'acte par
lequel une conscience revendique sa liberté, qui donc fait de l'obéis-
sance passive l'objet d'un conseil de perfection, si ce n'est l'Eglise?
Qui donc est infaillible en matière de mœurs, si ce n'est l'Eglise en-
core, parlant par la bouche de l'évêque de Rome? Voilà bien, n'est-il
pas vrai, l'élément social du christianisme, prédominant, nous dirons
plus, élevé à l'absolu. Voilà bien aussi le principe dont nous retrouvons
l'empreinte sur toutes les parties du système catholique proprement dit.
Ajoutons que la piété catholique, si grande par certains côtés, nous
CATHOLICISME — CATHOLIQUES ALLEMANDS 717
apparaît revêtue du même caractère. Le catholique pieux ne conçoit pas
la grâce divine en dehors de l'Eglise. L'obéissance à l'Eglise comprend
pour lui toutes les vertus; et rappelons que, pour le simple iidèle
comme pour le théologien, l'Eglise ce n'est pasla société, visible ou invi-
sible, de ceux qui croient en Jésus-Christ, c'est une société, bien mieux,
c'est une hiérarchie donnée; de telle sorte qu'en pratique comme en
théorie, cette grande société religieuse, qui a pris le titre de catholique
ou d'universelle, est. malgré sa largeur apparente, la plus haute et la
plus implacable représentation de l'esprit sectaire. — Nous renvoyons
pour la littérature de notre sujet à l'article Symbolique, r. Hollard.
CATHOLIQUE (EgKse). Voyez Eglise catholique.
CATHOLIQUES ALLEMANDS (Deutsch-Katholiken). Cette désignation
ne s'applique pas en Allemagne, comme on pourrait le supposer au pre-
mier abord, à des catholiques demeurés membres de leur Eglise, qui
auraient poursuivi un but analogue à celui des gallicans français et
défendu, vis-à-vis de l'absolutisme romain, avec leurs franchises natio-
nales, les droits de l'épiscopat, mais à des sectaires qui rompirent
en 18ii avec le catholicisme traditionnel pour former des associations
indépendantes sur de nouvelles bases rituelles et dogmatiques. Le mot
«. catholique » fut pris par eux dans son sens étymologique d'universel,
commun à toutes les sectes chrétiennes; eux-mêmes se nommèrent
quelquefois « catholiques -chrétiens » (Christ -Katholiken). La cause
première, profonde de ce schisme doit être cherchée dans les principes
constitutifs de l'Eglise catholique, son antagonisme toujours plus vio-
lent contre la société moderne, l'alliance toujours plus étroite qu'elle a
contractée depuis 1815 avec les fauteurs de la réaction politique. L'oc-
casion immédiate en fut fournie par l'exposition de la Sainte Tunique
organisée dans la cathédrale de Trêves, sous les auspices de l'évêque
Arnold i (18 août -6 octobre 1844). La distribution d'indulgences réser-
vée aux pèlerins et prêchée avec grand fracas dans toutes les chaires
de la catholicité excita le courroux de Jean Ronge, prêtre silésien,
récemment suspendu, à cause d'une brochure anti-ultramontaine, par
l'évêque de Breslau, Mgr de Diepenbrock, des fonctions pastorales qu'il
exerçait à Grottkau, dans le district d'Oppeln (30 janvier 1843), et relé-
gué en qualité d'instituteur primaire à Laurahiitte, sur la frontière
polonaise. La lettre qu'il écrivit à Mgr Arnoldi, datée du 1er octobre 1844
et publiée le 15 du même mois dans les Feuilles patriotiques de
Saxe, produisit une immense sensation dans le monde catholique et
protestant, politique et religieux. Elle fut bientôt suivie d'autres bro-
chures polémiques qui reçurent un aussi favorable accueil : une lettre
au bas clergé où il l'invitait à rompre avec la curie romaine pour fon-
der une Eglise véritablement nationale, un appel aux laïques catholiques.
Ronge avait à peine lancé son cartel à l'évêque de Trêves qu'il s'était
mis à parcourir la Silésie pour y répandre ses idées réformatrices :
ses pérégrinations ne tardèrent pas à se transformer en une M'aie mar-
che triomphale, plus encore a cause de la maladresse et du fanatisme
de ses adversaires qu'en raison de son éloquence el de son sérieux moral.
Adresses pompeuses, bibles d'apparat, coupes commémoratives, listes
718 CATHOLIQUES ALLEMANDS
de souscriptions couvertes d'abondantes signatures, tout se réunit pour
satisfaire son besoin immodéré d'éloges et lui assurer une brillante
situation pécuniaire. L'excommunication majeure dont le frappa, le
4 décembre 1844, le chapitre de Breslau ne servit qu'à surexciter l'en-
thousiasme de ses adhérents. Une assemblée d'environ 60 laïques
catholiques., tenue le 15 décembre 1844 à Breslau, sous la présidence
d'un jurisconsulte distingué, le professeur de droit canonique Regen-
brecht, se décida au schisme après avoir constaté la stérilité au sein
de l'Eglise catholique de toute tentative de réforme. Le 4 février 1845
se constitua dans la capitale de la Silésie une communauté indépen-
dante qui prit le nom de « catholique allemande » (deutsch-katholische
Gemeindé), s'éleva bientôt à 1,200 membres et choisit Ronge pour son
directeur spirituel. Le 9 du même mois elle publia sur les points les
plus importants de la dogmatique, du rituel, de l'organisation ecclé-
siastique une profession de foi confirmée six semaines après au synode
général de Leipzig (23-26 mars) . îl suffisait de ce premier document
pour que le schisme avec la cour de Rome fût consommé d'une manière
irrévocable. La liberté de conscience y était proclamée en termes quel-
que peu déclamatoires. L'Ecriture devenait la règle souveraine de la foi,
mais aucune autorité extérieure traditionnelle ne pouvait en gêner Tin-
terprétation. Aux formules de la théologie orthodoxe se substituait une
déclaration religieuse conçue dans un esprit très-large, très-pratique :
<( Je crois à Dieu le Père qui a créé le monde par sa parole toute-puis-
sante et le gouverne avec amour, sagesse, justice; à Jésus-Christ notre
Sauveur qui nous délivre, par son enseignement, sa vie, sa mort, de la
servitude du péché; à l'action du Saint-Esprit sur la terre, à l'Eglise
chrétienne immaculée, universelle, à la communion des saints, à la vie
éternelle. » Le baptême et la sainte cène étaient seuls conservés comme
sacrements; celle-ci, en tant que simple repas commémoratif, devait
être administrée sous les deux espèces. Ronge maintenait également au
sein de la nouvelle Eglise le baptême des enfants et la confirmation,
mais proscrivait comme autant de superstitions et d'erreurs : la pri-
mauté du pape, la hiérarchie du clergé, le célibat des prêtres, l'invo-
cation des saints, l'adoration des images et des reliques, les jeûnes obli-
gatoires, les pèlerinages, les indulgences. Le Christ était proclamé
l'unique médiateur entre Dieu et les hommes. Il n'était mis aux ma-
riages mixtes d'autres entraves que celles reconnues par la législation
civile. Aux « catholiques allemands » incombait comme premier de-
voir la manifestation de leur foi par leur charité et leurs bonnes
œuvres. Le culte consistait essentiellement dans l'édification, l'ins-
truction des fidèles. L'usage de la langue latine y était supprimé ;
chaque communauté jouissait d'une latitude assez étendue pour l'ac-
commoder aux circonstances temporaires et locales. Les modifications
opérées par Ronge dans le domaine liturgique ne furent que très-légères ;
le nouveau réformateur usa d'une extrême prudence à cet égard et
se contenta de restreindre la pompe extérieure du culte. Le concile
de Leipzig adopta pour l'organisation de l'Eglise « catholique alle-
mande » le système presbytérien et démocratique. Les néophytes du-
CATHOLIQUES ALLEMANDS 710
rcut. avant d'être admis dans son sein, prendre un engagement écrit et
signer sa confession de loi. Les paroisses étaient remises en possession
dn droit antique d'élire leur conseil d'anciens et leur pasteur. Les
premiers n'étaient nommés que pour une année aux approches de la
Pentecôte. A leur première réunion ils choisissaient du milieu d'eux
une commission executive, investie de pleins pouvoirs pour tout ce
qui concernait l'administration, du droit d'introduction et de préavis
pour toutes les autres questions, même celles qui se rapportaient au
dogme, à la cure d'âmes et que l'ensemble du conseil tranchait à la
majorité des voix. Le pasteur assistait aux délibérations, mais ne pou-
vait intervenir qu'avec voix consultative. La paroisse conservait tou-
jours le droit de référendum. Les décisions prises par une communauté
n'engageaient point ses voisines; chacune agissait dans sa sphère avec
une complète indépendance et n'obéissait « qu'à sa connaissance plus
ou moins exacte des besoins de l'époque, à son interprétation particu-
lière et progressive de F Ecriture ». Le synode général, qui se réunis-
sait au moins une fois tous les cinq ans, était composé pour un tiers
d'ecclésiastiques, pour les deux tiers de laïques. Ses décrets n'obte-
naient force de loi que s'ils étaient acceptés par la majorité des pa-
roisses. — Quelques semaines avant que les pamphlets de Ronge mis-
sent en feu l'Allemagne entière, un mouvement d'une nature plus
discrète, quoique tout aussi préjudiciable dans ses conséquences pour '
l'Eglise romaine, s'était produit dans la province de Posen. Le princi-
pal instigateur en était un jeune prêtre de la paroisse de Schneidemùhl
^district de Bromberg), né le 12 mai 1813 dans une pauvre famille de
paysans, à Werlubien, dans la province de Prusse (district de Marien-
werder) : le vicaire Jean Czersky. Ses vues étaient beaucoup moins am-
bitieuses, ses horizons moins étendus que ceux de son collègue. Au
commencement il ne songeait qu'à protester contre les excommunica-
tions lancées par son supérieur, le doyen Busse, pendant le conflit des
« mariages mixtes », et à mettre un terme à une situation devenue in-
tolérable. La confession de foi qu'il rédigea le 19 octobre 1844 au nom
de ses adhérents de Schneidemùhl et transmit le 27 du môme mois au
président du gouvernement do Bromberg pour lui demander la re-
connaissance de la nouvelle communauté et une répartition propor-
tionnelle des revenus ecclésiastiques ne déviait de la tradition .ortho-
doxe sur aucun point essentiel. La sainte Ecriture et le symbole de Nicée
y étaient proclamés la règle unique et certaine de la foi dans le sens
tout au moins selon lequel les interprètent les chrétiens pieux et
éclairés. Les sept sacrements étaient maintenus dans leur intégrité
ne la source véritable du salut, la messe déi larée une institution
utile à la fois pour les vivants et pour les morts. Peu importait, avec
cette direction générale de la pensée, que Czersky eût changé dan., sa
profession de loi quelques termes afin d'atténuer les superstitions les
plus choquantes, qu'il dissimulât, par exemple, la confession auriculaire
sous le nom de pénitence et l'extrême-onction sous celui de prépara-
lion à la mort, ou bien qu'il prouvât le purgatoire par une subtile in-
terprétation du passage johannique : « il y a plusieurs dem ires dans
720 CATHOLIQUES ALLEMANDS
la maison de mon Père, » et par eonséquent plusieurs degrés de perfec-
tion. La distribution de la cène sous les deux espèces ne portait aucun
préjudice à la doctrine romaine de la transsubstantiation ; les fidèles
continuaient à recevoir sous les apparences du pain et du vin la véri-
table chair et le véritable sang du Christ. La seule réforme pratique
introduite par Czersky était la suppression de la langue latine dans le
culte. Sur tous les autres articles abolis dans la profession de Breslau :
confession auriculaire, exorcisme lors du baptême, adoration des
saints et des reliques, pèlerinages, il gardait un étrange silence. Le
seul obstacle sérieux à une future réconciliation avec Rome provenait
du domaine ecclésiastique. Czersky condamnait nettement la primauté
du pape et reconnaissait Christ pour seul intermédiaire entre Dieu et
rhumanité. La communauté schismatique de Schneidemùhl ne prit
point le nom de « catholique allemande », mais de « catholique chré-
tienne », afin de gagner les sympathies des Polonais fixés dans les pro-
vinces orientales de la Prusse. Son inauguration coïncida jour pour
jour avec le mariage de son conducteur spirituel ; Czersky s'était en
effet fiancé avec une jeune Polonaise pendant qu'il n'était encore que
simple chanoine du chapitre de Posen, et avait renoncé à son bénéfice
plutôt que de faillir à sa promesse conjugale. La confession de Schnei-
demùhl, malgré le scandale qu'elle produisit dans les sphères ultra-
montaines, témoignait encore chez son auteur d'une extrême timidité
intellectuelle et ne reflétait qu'à trop d'égards l'étroitesse, l'ignorance,
l'opiniâtre conservatisme religieux des populations slaves. Czersky, qui
n'ayait reçu au séminaire de Posen qu'une éducation des plus incom-
plètes, y trahissait une regrettable ignorance théologique, un anxieux
effroi de l'hérésie. «Qu'on me comprenne bien, disait-il dans une apo-
logie publiée quelques semaines après son mariage, je répudie les er-
reurs de la hiérarchie romaine, mais je ne veux devenir ni luthérien ni.
calviniste ; je reste prêtre et chrétien catholique selon les paroles de
l'Ecriture et les commandements du Sauveur et de ses apôtres. » — Le
mouvement suscité par Ronge se propagea comme une trainée de feu
à travers l'Allemagne entière; après deux années de progrès continu, il
atteignit son apogée à la fin de 1846 où il ne comprit pas moins de
298 associations qui adoptèrent à la presque unanimité les hardies
réformes, le radicalisme dogmatique exposés dans la confession de
Breslau. La Silésie, où un bas clergé instruit luttait avec une heureuse
ténacité pour le maintien des traditions libérales, offrait pour les expé-
riences des novateurs un terrain propice ; ils ne tardèrent pas à y pos-
séder la majorité, tout au moins dans les centres de population les plus
considérables (Breslau, Liegnitz, Oppeln, Gœrlitz, Glogau, Freistadt).
Leur propagande rencontra également un favorable accueil soit dans le
royaume soit dans la province de Saxe, où une faible minorité catholi-
que s'était imbue des idées rationalistes qui prédominaient au sein de
l'Eglise protestante. Du 15 au 20 février naquirent presque simultané-
ment les communautés de Dresde, de Leipzig, d'Annaberg que suivi-
rent bientôt celles de Magdebourg, Chemnitz, Bautzen, Plauen, Glau-
chau, Oschatz. Le reste de l'Allemagne du Nord leur demeura fermé, à
CATHOLIQUES ALLEMANDS 721
l'exception de quelques villes (Brème, Lubeck, Brunswick, Hildesheim
dans le Hanovre, Ludwigslust et WismardansleMecklëmbourg) : encore
ces maigres communautés n'eurent-elles qu'une existence factice, éphé-
mère. Les vicissitudes des catholiques allemands lurent tout aussi
diverses dans te Sud. Si après des progrès rapides ils parvinrent
à se maintenir dans la Hesse électorale, les grands-duchés de Bade
(Heidelberg, Fribourg en Brisgau, Mannheim), de Hesse-Darmstadt
(Worms, Offenbach, Mayence), de Nassau (Wiesbaden), ils ne trouvè-
rent dans le Wurtemberg qu'un pénible accès: dans le Palatinat bava-
rois la communauté de Neustadt sur la Hardt fut dissoute quelques
semaines après sa fondation par l'ordre du gouvernement. La po-
sition de Czersky vis-à-vis de Rome était trop ambiguë pour qu'il
put aspirer en dehors de sa province à un crédit considérable. Parmi
les communautés importantes Berlin fut la seule qui adoptât son sym-
bole, le surpassât même en orthodoxie ; à Hamm, à Elberfeld, dans
tout rOuestde l'Allemagne, il ne parvint à organiser que de rares et ché-
tives associations, lors même qu'il les décorait du nom pompeux de
catholiques chrétiennes apostoliques. L'ultramontanisme avait jeté dans
la Westphalie et la province du Rhin de trop vigoureuses racines pour
en être extirpé aisément malgré le scandale de la tunique de Trêves, le
fanatisme de Mgr de Droste-Vischering, les imprudences de Mgr Ar-
noldi. Ce fut dans la petite bourgeoisie que le catholicisme allemand
recruta ses plus nombreux adeptes ; un fort appoint lui fut également
fourni par le corps scolaire très-aigri à cette époque contre les auto-
rités ecclésiastiques et civiles. Les municipalités de Dresde, de Berlin,
de Leipzig et d'autres grandes villes qui étaient demeurées sous la
réaction les derniers asiles du libéralisme et se voyaient sans cesse
menacées dans l'exercice de leurs prérogatives, se vengèrent de l'arbi-
traire et des dénis de justice dont elles étaient les victimes, en prenant
éciat parti pour les nouveaux sectaires, en leur accordant des
subsides, en leur ouvrant des lieux de culte. Outre Ronge et Czersky,
il convient de citer parmi les chefs les plus remarquables du mouve-
ment Antoine Theiner, de Breslau, le père du célèbre historien, lui-
même exégète très-distingué dont l'adhésion fit grand bruit dans
toute l'Allemagne, Henri Schreiber, professeur de morale et de dogma-
tique à l'université de Fribourg en Brisgau, le jurisconsulte Brugger
d'Heidelberg, des républicains éclairés et sincères, tels que Franz
Wigard de Dresde et Mans Kuehler d'Heidelberg, un agitateur démo-
cratique comme Robert Blum de Leipzig. Leurs espérances furent par-
tagées par des penseurs^el des écrivains protestants, fatigués du régime
orthodoxe, mais que leurs connaissances historiques et leur expérience
du passé auraient dûrendre plus circonspects. Paulus, le vieux profes-
seur rationaliste d'Heidelberg, crut en toute bonne toi à la vitalité du
catholicisme allemand et le proclama son héritier légitime; Gervinus
lui prédit des destinées plus glorieuses encore et salua en lui la reli-
gion de 1 avenir (La Mission du catholicisme allemand; Le clergé
protestant et les catholiques allemands, Heidelb., 1845). — Si le catho-
licisme allemand provoqua lors de son apparition des sympathies
n 46
722 CATHOLIQUES ALLEMANDS
enthousiastes, il se heurta d'un autre côté contre des liâmes tenaces
redoutables. La hiérarchie romaine, pour la croisade qu'elle organisa
immédiatement contre lui, rencontra de fidèles alliés chez les conser-
vateurs protestants qui s'efforçaient d'étouffer au sein de leur propre
Eglise un mouvement tout semblable et proscrivaient toute aspiration
à l'indépendance comme dangereuse. Afin d'obtenir plus aisément
l'appui du bras séculier, ils insistèrent moins sur les hérésies théolo-
giques de leurs adversaires que sur leur radicalisme politique, leur
reprochant de saper les bases de l'Eglise, de la religion, de la société
civile. Leurs accusations ne furent que trop complaisamment accueillies
par des hommes d'Etat méticuleux, pusillanimes, hostiles à toute
extension de la liberté religieuse, qui se refusaient à reconnaître toute
confession autre que celles de Trente et d'Augsbourg, auxquels toute
nouvelle association inspirait une défiance invincible. La situation des
catholiques allemands fut dès le début très-difficile sur toute l'éten-
due de la confédération germanique. Dans la Saxe royale ils durent, en
vertu de l'ordonnance du 26 mars 1845, s'adresser au pasteur de leur
district pour tout ce qui concernait la cure d'âmes, tous les actes litur-
giques sauf la confession et la cène. En Prusse l'usage des églises
évangéliques leur fut enlevé malgré le vote favorable de plusieurs mu-
nicipalités, par l'édit du 17 mai 1845, ou tout au moins elle fut en-
tourée de restrictions dont l'ensemble équivalait à un refus : ils étaient
en effet obligés de s'adresser successivement aux patrons, aux prési-
dents des consistoires, aux présidents supérieurs de province qui le
plus souvent étaient choisis dans les rangs du parti orthodoxe et féodal •
les directeurs spirituels des nouvelles communautés furent dépouillés
de tout caractère ecclésiastique ; les actes accomplis par leur minis-
tère ne possédèrent aucune valeur légale. La Hesse électorale et le
Wurtemberg adoptèrent des mesures conçues dans le même esprit
mais plus rigoureuses encore. Dans le grand-duché de Bade les*
catholiques allemands furent privés des droits civils. En Autriche
en Prusse, en Bavière, ils ne purent pas porter leur véritable nom et
se virent assigner celui de dissidents; dans le premier de ces pavs
l'émigration même leur fut interdite. — Le mauvais vouloir des gouver-
nements et leur politique répressive n'auraient pas suffi pour para-
lyser une manifestation aussi vivace à ses débuts, sans les querelles
intestines auxquelles s'abandonnèrent ses propres adeptes avec une ai-
greur toujours croissante. Aussitôt après la promulgation des décrets
du synode de 1845, Gzerky s'était élevé contre le radicalisme religieux
de Ronge et avait exclu de son Eglise par une énergique circulaire tous
ceux qui niaient la divinité métaphysique de Jésus-Christ. Les catholi-
ques allemands, qui partageaient ses vues, s'étaient réunis du 22 au
24 juillet 1847 à Sclmeidemuhl, afin de protester contre l'œuvre accom-
plie à Leipzig et de rédiger une nouvelle confession de foi, bientôt
suivie d'une troisième qu'ils qualifièrent eux-mêmes de biblique mais
qui présentait avec celle de Trente de nombreuses et regrettables ana-
logies sur plusieurs points essentiels. Aux dissentiments dogmatiques
se joignirent bientôt les rivalités de personnes. Theiner, quis'étaitasso-
CATHOLIQUES ALLEMANDS 723
cié dans Le commencement aux projets de Ronge et avait donné par
son talent et son caractère à la communauté de Breslau une féconde
impulsion, fut bientôt froissé par L'ambition, la légèreté, le charlata-
nisme de son collaborateur et se démit de ses fonctions pastorales, au
risque d'anéantir en Silésie les premiers résultats de ses réformes. Le
Comité directeur de Leipzig déploya, pour mettre fin à une aussi
fâcheuse zizanie, une activité aussi louable que stérile. Une entrevue
ménagée à Rawietz entre Ronge et Czersky oll'rit la caricature de
cclic de Marbourg entre Zwingle et Luther. Un synode général convo-
qué le 25 mai 1847 à Berlin, et auquel assistèrent les représentants de
142 communautés, ne servit qu'à constater l'universalité, la profondeur
du schisme. Le catholicisme allemand, après avoir suivi depuis sa nais-
sance une marche ascensionnelle, traversa en 1847 une période de sta-
gnation pour s'acheminer bientôt vers une ruine complète. La révolu-
tion de 1848. au lieu de le galvaniser par l'adjonction de nouvelles
recrues, l'ouverture d'un champ d'action plus considérable, le fit dégé-
nérer toujours plus en une association démocratique dépourvue de
tout esprit religieux. Ses chefs profitèrent, il est vrai, de l'entière liberté
qui leur était garantie par les Droits Fondamentaux pour répandre leurs
idées dans des villes dont l'accès leur avait été interdit jusqu'alors. A
Munich ils obtinrent un réel succès, grâce à l'activité de leurs conclue-^
teurs spirituels, le professeur Kreutzer et l'abbé Dummhof; à Vienne
au contraire, malgré les efforts des abbés Paulo et Huschberger, la pro-
pagande révolutionnaire de Robert Blum, l'élément ouvrier sur l'appui
duquel ils comptaient pour leur réussite se montra indifférent ou même
hostile. Depuis le triomphe des principes démocratiques au parlement
de Francfort, Ronge affecta toujours davantage les allures d'un tribun
et parcourut l'Allemagne en tous sens pour y prêcher ses théories sub-
versives. Plusieurs livres et journaux publiés à cette époque, tels que
l'Eglise Catholique chrétienne de Rauch, le Manuel de la Religion chré-
tienne de Schell, le Catéchisme de la Religion chrétienne raisonnable
d'Héribert Rau, donnent une faible idée de l'élévation morale, des con-
naissances scientifiques de leurs auteurs. Les rares conquêtes qu'avec
laide des circonstances politiques opéra le catholicisme allemand
furent plus que compensées par la défection d'anciens et solides adeptes,
la lutte toujours plus acharnée qui se poursuivit entre des fractions
toujours plus nombreuses. Un de ses premiers et plus sérieux initia-
teurs, le canoniste Regenbrecht, suivit l'exemple de Theiner et se
condamna volontairement à la retraite. Epouvantées par les excès de
Ronge, les communautés de Dantzig, de Leipzig, de Darnistadt se déga«
nt de toute solidarité avec lui et s'abstinrent de toute action sur le
terrain politique. Celle de Posen, restée conservatrice sous l'influence
de Czersky, expulsa son pasteur Dow iat qui prétendait la transformer en
un club socialiste et qui rentra, après ses mésaventures, dans le giron de
l'Eglise romaine. Un autre de ses collègues, le pasteur de Krefeld Wan-
gemûUer se convertit au protestantisme après avoir consigné le résul-
tat de ses expériences dans une pittoresque brochure. — Les pourparlers
les .1 ■ <- des Lumières Doués par Ronge, favorablement accueillis
724 CATHOLIQUES ALLEMANDS
par le pasteur Schwetschke de Halle, n'offrirent qu'un palliatif insuffisant
contre la dissolution dont étaient menacées Tune et Y autre sectes. Lavie
ne naît pas du contact de deux cadavres. L'alliance ébauchée en 1847
à Halle, différée lors des agitationsde 1848, fut reprise le 20 février 1850
à Darmstadtpour être définitivement consommée dans un synode géné-
ral qui s'ouvrit le 22 mai de la même année à Leipzig, mais ne tarda
pas à se transporter à Kœthen devant les dispositions menaçantes de la
police saxonne. L'union fut complètesur le terrain des principes, quoi-
que les deux contractants se réservassent leur autonomie sur divers
points d'une importance secondaire. Ces légères divergences elles-mêmes
disparurent dans une nouvelle assemblée tenue le 16 et le'17 juin 1859
à Gotha, après une longue période de compression de la part des gou-
vernements. Les anciennes dénominations furent supprimées pour
faire place à celle de libres communautés religieuses. Leur base fut le
libre examen pratiqué dans toute sa largeur, leur but le développement
de la vie spirituelle. La direction suprême fut confiée dans l'intervalle
des synodes à un comité de cinq membres nommés pour trois ans. Les
communautés de l'Allemagne du Nord, de la Silésie, de l'Allemagne
du Sud formèrent au sein de l'association générale des groupes plus
intimement unis, annuellement représentés dans des synodes provin-
ciaux. Chaque communauté fut tenue de se conformer aux décisions
constitutives du synode, mais garda une complète indépendance pour
le dogme, la liturgie, l'élection de ses anciens et de son pasteur. Le
catholicisme allemand ne possédait pas*en lui la vitalité nécessaire
pour résister à l'orage qui s'abattit sur lui en 1850 après le triomphe
de la réaction. Déjà en 1849 la profession publique en avait été interdite
en Autriche comme incompatible avec la fidélité à la maison de Habs-
bourg ; depuis 1850 il ne jouit en Bavière que d'une tolérance provi-
soire singulièrement restreinte. En Prusse, en Saxe, les réunions de
ses adeptes furent soumises à la surveillance de la police ou fermées
comme dangereuses, ses pasteurs entravés dansTexercice deleur minis-
tère ou condamnés à l'exil, leurs enfants obligés de suivre l'enseignement
religieux des ecclésiastiques protestants et de recevoir d'eux la confir-
mation. Leur situation ne s'améliora qu'en 1859, en Prusse avec la
proclamation de la régence, dans l'Allemagne du Sud avec l'abolition
des concordats et l'inauguration d'une politique plus ferme vis-à-vis
de l'ultramontanisme. Encore furent-ils exposés depuis cette époque à
de perpétuelles tracasseries, entre autres sous l'administration de
M. deMùlher. En même temps à l'enthousiasme despremiers joursavait
succédé dans leur propre sein une absence presque complète de vie
spirituelle. Les conducteurs firent toujours plus défaut aux Eglises, moins
encore à cause de la situation précaire à laquelle ils étaient condam-
nés que par manque de sérieux moral, de culture scientifique. Après
avoir assisté à une de leurs prédications, on se rappelle instinctivement
le mot cruel de Joseph deJMaistre sur le pasteur protestant : « Un monsieur
habillé de noir qui dit de bonnes choses. » Des premiers chefs du mou-
vement, Czersky, qui s'était dissimulé pendant les troubles de 1848, avait
«repris obscurément ses fonctions dans son ancienne paroisse de Schnei-
CATHOLIQUES (Vieux-) 725
demûhl. Ronge, après s'être fait envoyer au parlement de Francfort par
nu district de Silésie e( y avoir joué un rôle humiliant pour sa vanité,
avait passé à Paris et à Londres ses années d'exil ; en 1801 il revint en
Allemagne el prit sa résidence à Francfort-sur-le-Mein, toujours avide
de déclamations, toujours affilié à la propagande révolutionnaire. Depuis
1880 le catholicisme allemand a vu l'extinction de plus de 200 de ses
communautés, soit par des mesures de compression extérieure, soit à
cause de Ja lassitude de ses propres adeptes. Quelques-unes ont opéré
leur soumission vis-à-vis de l'Eglise romaine; d'autres, et dans le
nombre celles qui contenaient les éléments religieux les plus solides,
les plus vivaces (Dresde. Mannheim), se sont converties en masse au
protestantisme. Ce dernier phénomène s'est surtout produit dans les
pays qui, comme le grand-duché de Bade, sont entrés pleinement
dans les voies du libéralisme religieux. Eniin les associations qui
sont restées fidèles aux principes de Ronge mènent une existence
misérable et consument le reste de leurs forces dans des querelles ratio-
nalistes, des compétitions de personnes (Berlin, Dantzig, Breslau, Magde-
bourg). L'apparition du Vieux-Catholicisme n'a pu les ramener de leurs
égarements, leur communiquer une salutaire ferveur. Ronge lui a re-
proché dans un véhément pamphlet la prudence de sa méthode, ses
ménagements à l'égard du pouvoir civil, et a pris vis-à-vis de lui dès le
congrès de Munich (1871) une position hostile. En 1870, on comptait
en Allemagne 104 communautés religieuses libres : 75 en Prusse dont
31 en Silésie, 17 dans la province de Saxe, 10 dans celle de Prusse,
5 dans le Brandebourg, 3 dans la province de Posen,2dansla Westpha-
lie, le Hanovre, les provinces du Rhin et de Nassau, 1 en Poméranie;
13 dans le grand-duché de Hesse-Darmsladt ; 4 dans le royaume de
Saxe et les principautés d'Anhalt; 3 dans le grand-duché de Bade et
I'- Wurtemberg, 2 dans les villes libres. D'après les dernières données
statistiques, le nombre des catholiques allemands s'élèverait en Prusseà
10,920, à 3,000 environ dans le grand-duché de Hesse-Darmstadt, à 1 ,300
en Saxe, à 1,000 dans le grand-duché de Bade. — Sources : Kampe, Le
principe constitutif du catholicisme allemand, Tub., 1850; Histoire
des mouvements religieux dans l'époque moderne, Leipzig, 1852-1860,
4 vol.; Brockhaus, Konversations-Lexicon, 11e et 12e éditions, 1805,
1876; Meyer, hon><rsalions-Lexicon, 1875; E. Strœhlin, Le catho-
licisme allemand^ dans le Disciple de Jésus-Christ, 1873.
E. Strœhlin.
CATHOLIQUES (Vieux-), dénomination adoptée en Allemagne et en
Suisse par les catholiques qui prétendent demeurer dans la commu-
nion de leur Eglise, tout en repoussant les décrets du concile de 1870.
L'Allemagne catholique était appelée par son passé à prendre l'ini-
tiative d'une énergique résistance contre les usurpations de la curie
romaine. Pins que dans les pays latins il s'était maintenu chez ses
laïques une piété sérieuse, éclairée, hostile au fanatisme comme aux
superstitions jésuitiques ; les traditions tout à la fois évangéliques el
libérales de Wessemberg s'étaient conservées chez plusieurs membres
du bas clergé, surtout dans le diocèse de Constance et la Forêt-Noire,
726 CATHOLIQUES (Vieux-)
la science théologique possédait à Bonn, à Munich, à Fribourg, à Bres-
lau des sanctuaires justement renommés. Quelques-uns des évêques
allemands et autrichiens (Mgrs Hefele de Rottembourg, Rauscher de
Vienne, Schwarzemberg de Prague) s'étaient fait remarquer au der-
nier concile parla solidité de leurs connaissances, la franchise de leur
ingage ; d'autres (Mgrs Ketteler de Mayence, Melchers de Cologne,
^cherr de Munich, Dinkel d'Augsbourg), malgré leur dévouement per-
sonnel pour le saint-père, n'avaient pas dissimulé à la majorité ultra-
montaine le schisme profond, persistant que susciterait dans leur
patrie la proclamation de l'infaillibilité papale. Les uns et les autres,
avant de quitter Rome, avaient signé la protestation par laquelle, après
le vote du 13 juillet 1870, la minorité expliquait sa retraite : l'opinion
publique salua les prémisses d'une opposition ferme et loyale dans un
document destiné à masquer la prochaine capitulation de ses auteurs.
Quelques semaines après être revenus dans leurs diocèses, les prélats
germaniques se réunirent à Fulda, auprès du tombeau de saint Boniface,
afin de s'entendre pour une action commune. Le résultat de leurs déli-
bérations fut la lettre pastorale du 10 septembre 1870, par laquelle ils
annonçaient leur soumission aux décrets du Vatican après en avoir
reconnu la pleine légitimité et rétracté les objections qu'ils avaient
formulées contre eux pendant la durée du concile. Le clergé inférieur
et les laïques étaient tenus de faire preuve de la même souplesse et de
s'incliner avec une obéissance passive devant les' ordres de leurs chefs
spirituels. Les quelques évêques qui ne s'étaient pas rendus à Fulda se
hâtèrent d'envoyer leur adhésion au mandement de leurs collègues; le
dernier signataire fut Mgr de Hefele, qui avait quelques mois aupara-
vant si fort excité le courroux des infaillibilistes par sa brochure sur le
pape Honorius, sa mâle et vigoureuse éloquence, et qui aujourd'hui,
pour sauvegarder une unité mensongère, se résignait au sacrifice de
ses convictions religieuses et scientifiques. Loin d'user de leurs droits
légitimes pour combattre un dogme funeste et de maintenir leur indé-
pendance vis-à-vis de la curie romaine, il ne s'en trouva parmi les
évêques germaniques aucun qui fût assez délicat pour mettre par sa
démission un terme à un conflit douloureux entre ses croyances per-
sonnelles et la décision de l'autorité supérieure, comme l'avaient
fait Wessemberg et l'archevêque de Breslau Seldnitsky. Tous opé-
rèrent leur volte-face avec une singulière aisance et affirmèrent le
lendemain ce qu'ils niaient encore la veille. Après la déclaration de
Fulda, le Vatican se flatta d'avoir cause gagnée. Les gouvernements
laïques montraient en effet vis-à-vis de ses nouvelles prétentions
une étrange faiblesse : le cabinet de Berlin avait depuis 1850 abdiqué
ses droits sur l'Eglise catholique et continuait avec M. de Mùhler
les errements de Frédéric-Guillaume IV ; à la politique nette et
prévoyante du prince de Hohenlohe (circulaire du 9 avril 1869)
avaient succédé à Munich les subtilités doctrinaires, les tergiver-
sations pratiques de M. de Lutz; Mgr de Hefele s'était entendu
avec le ministre wurtembergeois des cultes, M. de Mittnacht, sur
la teneur de la pastorale par laquelle il justifiait sa palinodie ; M. de
CATHOLIQUES (Vieux-» 727
Daiwigk était dans le grand-duché de Hesse*Darmstadl le complaisant
sri. le de Mgr de Ketteler; seuls, les hommes d'Etat badois perse*
viraient dans la voie libérale qui leuf avait si bien réussi depuis le
rejet du concordat (9 avril 1860). Le bas clergé, façonné comme
une cire molle dans les séminaires des jésuites, avait perdu dès sa
jeunesse toute autonomie spirituelle et se sentait terrorisé par Fépis-
eopat: le peuple des campagnes était fanatisé par ses pasteurs; les
laïques cultivés des grandes villes contemplaient tout débat théologique
avec une superbe indifférence. Les seuls adversaires qui pussent encore
entraver la curie dans l'exécution de ses desseins, étaient les- profes-
seurs des facultés catholiques, mais elle avait appris à les dédaigner
depuis la soumission successive de Hermès (1839*1840), de Gùnther
(1859), de Baltzer (18(30), l'échec de Frohschammer et son passage de
la théologie à la philosophie (1853). Ce furent eux cependant qui, dès
avant l'ouverture du concile, en signalèrent dans la presse l'illégalité,
en révélèrent au fur et a mesure les violences, combattirent l'ultra-
montanisme avec toutes les armes que leur fournissaient une piété, un
patriotisme aussi nobles que sincères, une vaste et solide érudition,
une dialectique acérée. Citons entre tous ces écrits qui produisirent au
moment où ils parurent une si vive et si légitime sensation et dont
quelques-uns n'ont rien perdu aujourd'hui de leur valeur : les Lettres
sur le Concile de Ouirinus à la Gazette cF Augsbourg (Munich, 1871) ; Le v
Pope et le Concile, par Janus (inspiré par Dcellinger, rédigé par Huher,
Munich, 1870) ; les Voix de V Eglise catholique sur les questions ecclé-
siastiques contemporaines, par Huber , Liano , Friederich, Reinkens;
Quelques mots sur V Adresse infaillibiliste et le Nouvel ordre du jour
du Concile, par Dcellinger (Munich, 1870); la Puissance des Popes
romains, Mémoire sur la position de l'Etat vis-à-vis des décrets de la
constitution papale du 18 juillet 1870; les Rapports des Papes, des
Conciles et desEvêques, par Frédéric de Schulte (Prague, 1871).— Ce fut
également d'un milieu universitaire que quelques jours après le vote
du 18 juillet 1870 partit la première attaque contre le nouveau dogme.
Un professeur du séminaire de Braunsberg, dans la Prusse Orientale,
avantageusement connu pour ses travaux apologétiques et philosophi-
ques dans le monde des théologiens, l'abbé Frédéric Michelis, adressa
par la voie de la presse à Pie IX une lettre où il l'accusait de pré-
varication et d'hérésie. Quelques semaines plus tard, quarante-cinq
professeurs de Munich auxquels s'étaient joints plusieurs de leurs col-
lègues catholiques de Bonn, de Fribourg, de Giessen, de Breslau, en-
voyèrent au gouvernement bavarois, à l'instigation de Friederich et
de Dcellinger, une protestation solennelle contre la valeur normative des
décrets conciliaires. A la fin d'août les chefs du mouvement opposi-
tionnel contre le Vatican tinrent à Nuremberg une réunion intime dont
ils ne livrèrent à la publicité les résultats qu'après un laps de tempe
assez considérable, afin de ne pas enrayer plusieurs membres encore
timides et hésitants du bas clergé, d'accorder un dernier délai aux
prélats secrètement anti-infaillibilistes. Parmi les noms des signataires
on remarquait ceu* de Dcellinger, de Huber. de Friederich de Munich,
728 CATHOLIQUES (Vieux-)
de Dittrich et de Michelis de Braunsberg, de Reinkens, de Baltzer et
de Weber de Breslau, de Knoodt de Bonn, de Schulte de Prague. Loin
d'obtempérer, ne fût-ce que dans une modeste proportion, aux vœux
des pétitionnaires, les évêques qui avaient naguère siégé à Rome sur
les bancs de la minorité, ne songeaient qu'à effacer par leur servilité
actuelle le souvenir de leur indépendance première. Tous ceux qui
donnaient un enseignement académique furent tenus, sous peine de
perdre la missio canonica, d'apposer leur signature au bas de déclara-
tions uniformes en vertu desquelles ils reconnaissaient l'excellence de
l'infaillibilité pontificale, la légalité du concile, Ces mesures de terro-
risation ne produisirent les effets qu'en attendaient leurs auteurs que
iur un très-petit nombre d'opposants : le professeur Dieringer de
Bonn, l'abbé Haneberg de Saint -Boniface, l'un des ecclésiastiques
les plus instruits et les plus aimés de Munich. Tous les autres,
auxquels s'associèrent bientôt les professeurs de Bonn , Langen ,
Reusch et Hilgers, persévérèrent dans leurs opinions avec une
courageuse franchise. L'archevêque de Munich ayant une der-
nière fois (4 janvier 1871) ordonné à M. de Dœliinger de se sou-
mettre sans réserve aucune, celui-ci répondit le 20 mars par un
mémorandum célèbre, publié dans la Gazette d'Augsbourg, qu'il rejetait
l'infaillibilité pontificale à la fois « comme chrétien, comme théologien,
comme historien, comme citoyen du nouvel empire germanique :
a) comme chrétien, puisqu'elle était en contradiction directe avec tout
l'esprit de l'Evangile, les déclarations les plus nettes de Jésus et des
apôtres; elle aspire en effet à l'établissement d'une souveraineté tem-
porelle que Jésus a expressément refusée, à une domination sur les
différentes Eglises dont saint Pierre n'a voulu ni pour lui-même ni pour
ses successeurs; b) comme théologien, puisque le nouveau dogme est
incompatible avec les traditions authentiques de l'Eglise à travers les
siècles; c) comme historien, puisqu'en cette qualité il savait que les
efforts persistants des papes pour la réalisation de la monarchie univer-
selle avaient coulé à l'Europe des flots de sang, amené sur de nom-
breuses contrées la dévastation et la ruine, porté à l'harmonieux
organisme de l'ancienne Eglise un coup mortel, suscité, nourri,
entretenu dans son sein les abus les plus regrettables ; d) comme citoyen
de l'empire germanique enfin, puisque, par la prétention de subor-
donner à la papauté les monarques, les Etats et tout l'ordre politique,
par la position exclusive revendiquée pour le clergé, le nouveau dogme
fournissait une ample matière à des controverses aussi longues que
pernicieuses entre l'Etat et l'Eglise, les prêtres et les laïques. » Ces dé-
clarations si fermes et si nettes provoquèrent pour le dimanche des
Rameaux une pastorale de l'archevêque de Munich, uniquement di-
rigée contre leur auteur. Mgr de Scherz déclinait l'offre d'une joute
scientifique à laquelle il était convié et refusait à son adversaire la per-
mission de prouver devant une assemblée d 'évêques et de théologiens
que (( les décrets votés dans la quatrième session du concile se trou-
vaient dans une complète divergence avec l'Ecriture sainte telle que
l'avaient toujours interprétée les Pères, la tradition, l'histoire véridi-
CATHOLIQUES (Vieux-) 720
que, que tout au contraire cette dernière avait été défigurée chez les
coryphées ultramontains par L'introduction de documents interpolés
ou légendaires, qu'en conséquence les dernières décisions de la curie ne
concordaient nullement avec l'ancienne jurisprudence canonique. » Le
docteur Huber signala le 16 avril, dans une mordante brochure, la re-
traite précipitée de Mgr de Scherz, mais celui-ci se consola de sa décon-
venue en lançant le 17 l'excommunication majeure contre l'hérétique
septuagénaire qui plus qu'aucun autre avait maintenu au dix-neuvième
siècle la renommée scientifique du catholicisme. Déjà en date du 3 avril,
il avait interdit aux séminaristes de suivre ses cours ainsi que ceux de
son collègue l'abbé Friederich. La querelle commençait à sortir du
cercle étroit des théologiens pour s'imposer au grand public. Le 10 avril
avait été tenue au Muséum, sous la présidence du premier chambellan
de Louis II, le comte de Moy, une très-nombreuse réunion à laquelle
avaient participé des laïques appartenant à toutes les professions, toutes
les classes de la société, et qui avait décidé l'envoi au gouvernement
d'une adresse pour le mettre en garde contre les dangers politiques et
civils qui découlaient directement de la tolérance du nouveau dogme.
Les signataires (plus de 8,000) prirent à cette occasion pour la première
t'ois le titre de Vieux-Catholiques, afin qu'il ne planât aucun doute sur
leur fidélité à la tradition, leur horreur du schisme. Encouragés par le
succès des Bavarois, les libéraux rhénans provoquèrent dans le môme
but, le 14 août, à Kœnigswinter, une assemblée qui remplit de joie ses
organisateurs. Les desiderata des vieux-catholiques vis-à-vis de l'Etat,
juridiquement formulés par M. de Schulte avec l'assentiment de
Doellinger, peuvent se résumer dans les neuf points suivants: « 1° L'Etat
déclarera solennellement qu'il ne reconnaît plus comme la véritable
Eglise catholique celle qui adhère au dogme du 18 juillet 1870; 2° il
refusera à ce dogme tout effet sur le terrain de l'Etat et de la commune,
dans le domaine politique et civil ; 3° il repoussera par tous les moyens
qui sont en son pouvoir toute tentative, de quelque part qu'elle vienne,
d'introduire clans la vie civile les nouvelles maximes politiques de la
papauté ; 4° il ne souffrira pas l'oppression des vrais catholiques par
les évêques favorables au nouveau dogme et menacera les persécu-
teurs de la séquestration des revenus qui proviennent d'une source
gouvernementale, à quelque personne et quelque institution qu'ils
soient destinés; 5° il introduira des registres civils pour les nais-
sances, les mariages et les décès, rendra le mariage civil obligatoire,
imposera par signature et par serment le rejet de l'infaillibilité aux
députes comme à tous les fonctionnaires catholiques ; ()" il protégera
dans leur fortune ecclésiastique les patrons et les communautés qui
seront restés fidèles à la véritable Eglise catholique; 7° il éloignera des
emplois dont il dispose tout ecclésiastique infaillibilité; 8" il ne nom-
mera quedes ecclésiastiques qui ne reconnaissent pas le nouveau dogme
aux charges el aux bénéfices pour lesquels il possède un droit de nomi-
nation ou de présentation; (.)" il repoussera énergiquement toute incursion
des prêtres el des évéques infaillibilistes dans le domaine de la vie
civile. Ces desiderata deM.de Schulte, qui une année après servirent
730 CATHOLIQUES (Vieux-)
de base aux délibérations du congrès de Munich, ont depuis lors reçu
une ample satisfaction par les lois successivement votées dans les par-
lements de Carlsruhe, de Darmstadt, de Berlin. [ — Malgré ces différents
travaux, en dépit des nombreuses brochures scientifiques et polé-
miques contre le Vatican signées de noms illustres, d'une nouvelle
assemblée populaire qui fut tenue le 21 mai 1871 à Munich et aboutit
à Tenvoi d'une adresse aux catholiques d'Allemagne rédigée par le
docteur Hubei% le mouvement anti-infaillibiliste semblait au bout d'une
année sinon s'épuiser, tout au moins se réduire aux proportions d'une
joute académique. Les laïques, dansleur immense majorité, persistaient
dans leur apathie spirituelle, leur dédaigneuse indifférence. Les
membres du bas clergé, qui étaient in petto favorables aux réformes,
n'osaient le déclarer publiquement, de peur d'être excommuniés par
leurs évêques. Au bout d'une année il n'en restait que neuf qui
eussent persévéré dans leur opposition. Tous furent suspendus de
leurs fonctions par leurs évêques respectifs. Ni le cabinet de Berlin
ni celui de Munich ne prêtèrent aux anathèmes de l'Eglise le con-
cours du bras séculier. Sur les pressantes injonctions du prince de
Bismarck, M. de Mùlher se vit contraint, dans les derniers mois
de son ministère, d'interdire aux évêques toute immixtion dans
les universités de leurs diocèses : les professeurs censurés par eux
ainsi que le chapelain Wollmann purent poursuivre en toute liberté
leur enseignement anti-infaillibiliste. Les jésuites n'en conservèrent
pas moins à la cour d'influents protecteurs. Ils possédaient au sein
même du cabinet bavarois un champion dévoué dans la personne
du ministre des affaires étrangères, le comte Bray, qui s'opposa éner-
giquement à l'adoption de toute mesure propre à sauvegarder les droits
de l'Etat. Lorsque, le 25 juin 1870, un des signataires de l'adresse du
Casino, le professeur Zengger, se trouva en danger de mort, le curé de
sa paroisse, après lui avoir vainement demandé de se rétracter, lui
refusa l' extrême-onction qui lui fut donnée par l'abbé Friederich; un
autre vieux-catholique, le professeur Messmer, entendit sa confession;
20,000 personnes l'accompagnèrent à sa dernière demeure. Mgr de
Scherz, aussitôt qu'il en fut informé, excommunia l'abbé Messmer et
destitua l'abbé Friederich de son bénéfice à l'église de la cour, sans que
le ministre des cultes, M. de Lutz, osât protester contre cette audacieuse
usurpation. En 1871, malgré la présentation unanime de la faculté de
théologie et du sénat, le même ministre refusa d'appuyer auprès du
roi la nomination en qualité de professeur ordinaire du jeune et déjà
célèbre théologien. M. de Dœllinger possédait seul la puissance néces-
saire pour que l'excommunication de son archevêque, loin de lui
causer le moindre détriment personnel, lui attirât de nouvelles dis-
tinctions. Louis II, avec lequel il est demeuré dans d'étroites relations
t qui professe pour son caractère la plus haute estime, le maintint
dans ses fonctions de prévôt de Saint-Cajetan, malgré toutes les intri-
gues ultramontaines, et le nomma en 1870 membre du chapitre de
(( l'ordre de Maximilien pour l'art et la science ». Le 21 juillet ses
collègues, par 54 voix sur G3, le choisirent pour leur recteur afin
CATHOLIQUES (Vieux-) 731
qu'il présidai au jubilé séculaire de l'université; eu 1875 il est devenu
président perpétuel de l'Académie des sciences. Les chef s des vieux-
catholiques eux-mêmes contribuèrent peut-être à refroidir le zèle dé
leurs adeptes par leurs allures diplomatiques, leur excessive prudence,
leur refus persistant d'autoriser la création de communautés distinctes,
lorsque dans la première heure d'enthousiasme elles auraient surgi
de toute part, même dans des localités devenues indifférentes ou hos-
tiles. Les seules (jui se fondèrent furent eelles de MeringetdeKattowicz,
parce que dans l'une et l'autre paroisse la presque totalité des habi-
tantsse rangea ouvertement sous la bannière du curéanti-infaillibiliste.
Les comités d'action institués en Bavière et sur les bords du Rhin ne
rendirent pas, faute d'une solide organisation intérieure, tous les
services qu'on aurait été en droit d'espérer. Cette timidité qui nous
surprend au premier abord chez les promoteurs d'une évolution pro-
gressive, s'explique par leurs antécédents personnels. Tous avaient
été jusqu'au dernier concile des catholiques stricts sur l'esprit desquels
L unité extérieure de l'Eglise avait produit une impression ineffaçable,
auxquels aucune perspective ne répugnait plus que celle d'un schisme.
M. de Dœllinger, qui avait été longtemps le patriarche vénéré du
catholicisme germanique, avait témoigné en toute circonstance de sa
haine profonde pour l'hérésie: dans ses discours à la chambre haute
de Munich (4845-1849, 1808-1870) et au parlement de Francfort; dans
ses brochures contre Bunsen au sujet du conflit des mariages mixtes
(4837) et pour la génuflexion des soldats protestants devant l'hostie
(4843) : dans ses ouvrages sur la Re formation en A llemagne (1846-1848;,
Luther | 1853), /' Eglise et les Eglises (4864). Huber etFriederich s'étaient
toujours montrés ses fidèles disciples et n'avaient pas suivi Froh-
schammer dans sa révolte. L'abbé Michelis avait siégé à la seconde
chambre de Prusse sur les bancs ultramontains (1808-1869) ; M. de
Schulte avait longtemps rempli les fonctions de conseiller juridique de
l'archevêque de Prague et figuré au premier rang parmi les défenseurs
du concordat autrichien (18 août 1855). Dans unesituation qui commen-
çait à devenir critique, il était urgent de frapper un coup décisif pour
prévenir un désastre. Les conférences d'Heidelberg (5 et 0 août 1871
vinrent en temps opportun pour ranimer les esprits quelque peu
abattus, préparer le congrès qui se tint du 20 au 24 septembre à
Munich, dans le palais de cristal, devant une foule aussi nombreuse
que sympathique (6,00Q auditeurs). Le président fut M. de Sehuite,
qui s'acquitta de ses fonctions avec une supérioritési marquée qu'il en
fut investi dans tous les congrès suivants, y compris le dernier, celui de
Breslau (24-24 septembre 1876); la majorité ne se départit point dans le«
débats de sa prudence accoutumée et s'efforça visiblement de conserver
dans son intégrité cette Eglise idéale qui, dans ta pensée de ses princi-
paux docteurs, aurait subsisté jusqu'au votedu 1 S juillet 1870, d'écartet
toute résolution qui aurait ressemblé à une rupture avec le passé, les
principes du catholicisme. Les réformes plus vigoureuses auxquelles
auraient incliné les délégués suisses et autrichiens furent ajournées
connue intempestives jusqu'au prochain réveil de l'opinion publique.
732 CATHOLIQUES (Vieux-) (
Et cependant la puissance de l'esprit moderne était si forte qu'en dépit
de leurs craintes, de leurs calculs diplomatiques, ces novateurs malgré
eux émirent une déclaration aussi hardie par sa portée que féconde
par ses conséquences : « Les décrets d'un concile œcuménique ne
sont valables que dans la mesure où ils ne contredisent aucune donnée
certaine de la science, où ils concordent avec les besoins religieux
nettement exprimés de l'Eglise universelle. » M. de Dœllinger travailla
pendant le cours des séances à la réalisation de son rêve favori d'une
réconciliation avec l'Eglise grecque; MM. Huber, Reinkenset quelques
autres de leurs collègues insistèrent dans un sympathique langage sur
la nécessité d'un rapprochement graduel vers le protestantisme, mais
d'autre part ils s'abstinrent soigneusement de toute attaque, même
légère, contre la dogmatique traditionnelle et bornèrent leurs vœux
à des améliorations pratiques: éducation solide et nationale des futurs
prêtres, protection du bas clergé contre l'arbitraire des évêques, sau-
vegarde des intérêts matériels et spirituels des vieux-catholiques.
Quelques-uns de leurs postulats, celui entre autres qui réclamait l'expul-
sion des jésuites, reçurent du Reichstag, avec l'ouverture des hostilités
entre l'Etat et l'Eglise romaine et leur âpreté croissante, une satisfac-
tion aussi rapide qu'inespérée (loi du 4 juillet 1872). Le congrès de
Munich, en dépit de tous les atermoiements, prit deux décisions im-
portantes. Il statua en premier lieu, malgré la persévérante opposition
de Dœllinger, qu'il serait procédé à la création de paroisses distinctes,
organisé une cure d'àmes régulière dans toutes les communautés où
le besoin s'en ferait sentir. L'alliance fraternelle conclue avec les jan-
sénistes hollandais et leur représentant l'évêque de Deventer permit
aux vieux-catholiques de confirmer leurs enfants, de consacrer leurs
prêtres suivant les règles canoniques, quoique tous les évêques alle-
mands se fussent courbés devant les ordres de Pie IX et les eussent
excommuniés comme hérétiques. Les bienfaisants effets du premier de
ces votes ne se firent pas attendre : avant la fin de 1871 il s'était
constitué plusieurs communautés vieilles-catholiques florissantes, soit
en Bavière (Munich, Passau, Kempten), soit sur les bords du Rhin (Fri-
bourg, Heidelberg, Kaiserslautern, Bonn, Cologne, Elberfeld). Dans
la plupart des cas elles furent reconnues par le gouvernement et
obtinrent la jouissance d'une église; cependant M. de Lutz,qui se com-
plaisait à la tribune et dans la presse à de subtiles discussions juridiques
avec les ultramontains, s'efforça de regagner leurs bonnes grâces par
ses pratiques administratives, les obstacles de tout genre qu'il suscita
à ses adversaires. A Simbach par exemple, dans la Basse-Bavière, où
la majorité de la paroisse s'était prononcée contre l'infaillibilité, il refusa
l'église sous le prétexte que le curé persévérait dans l'opinion contraire.
Le clergé conserva partout sa suprématie sur l'école, sauf dans quelques
villes où les enfants qui appartenaient à des familles libérales furent
dispensés de suivre un enseignement qui blessait leur conscience;
encore ne jouirent-ils de cette immunité que pour les gymnases et les
autres établissements d'instruction secondaire. En Prusse M. Falk com-
battit avec une vigueur tout autre les empiétements hiérarchiques. Les
CATHOLIQUES (Vieux-) 733
vieux-catholiques avaient obtenu à Cologne Le simultanéum pour mie
église affectée au service de La garnison: celle de Pantaléon; l'aumônier
militaire Mgr Namzanowski, qui y interdit le culte romain, comme si
elle eût été profanée, aussitôt après la célébration delà première messe
par le curé vieux-catholique Tangermann, lut cité devant un tribunal
disciplinaire et suspendu de ses fonctions. Les vieux-catholiques de
Wiesbaden lurent exemptés de toute contribution pour le culte infail-
libiliste parmi décret ministériel du 19 mars 1872, qui lit loi pour tous
les cas subséquents du même ordre; ceux de Kattowicz furent autorisés
à se constituer en communauté distincte. D'autre part, afin de tenir la
balance égale entre les deux partis, M. Falk dispensa les enfants ultra-
montains de Braunsberg de suivre les leçons de 1* hérétique chapelain
Wollmann. Ainsi se forma peu à peu par la force des choses une pro-
cédure toute empirique : en thèse générale la prétention de M. de Schulte,
d'après laquelle l'Etat devait reconnaître les vieux-catholiques, en
dépit de leur infime minorité, comme les seuls héritiers légitimes de
l'Eglise qui existait avant le décret du 18 juillet 1870, était tout aussi
inadmissible que celle des ultramontains d'expulser leurs adversaires.
Les hommes d'Etat allemands gardèrent la neutralité aussi longtemps
que le conflit resta sur le terrain du dogme, et n'intervinrent que
lorsque leurs droits coururent de la part de la [hiérarchie romaine un
sérieux péril. — Départ et d'autre la lutte s'accentua avec l'année 1872.
Les ultramontains redoublent de violence pour maintenir le clergé
sous le joug, les laïques dans leur indifférence ou leur aveugle soumis-
sion. Les événements parurent leur donner gain de cause. Le bas
peuple, fanatisé par d'habiles agitateurs, contraignit dans les campagnes
de la Bavière deux curés vieux-catholiques à la retraite, quoique la
majorité leur demeurât acquise dans leurs paroisses ; dans plusieurs
villes de la province rhénane il se porta à des excès assez graves pour
nécessiter l'intervention de la force armée. D'autre part les chefs de
l'opposition, Dœllinger, Friederich, Huber, Michelis, Reinkens, dé-
ployèrent une extrême ardeur et se multiplièrent soit dans des confé-
rences scientifiques partout suivies par de nombreux auditeurs, soit
dans des synodes provinciaux successivement tenus à Kaiserslautern,
à Aschati'enbourg, à Bonn (17 mars 1872). L'archevêque d'Utrecht,
Ifgr Henri Loos, entreprit en juillet de la même année pour la confir-
mation des enfants de son nouveau diocèse, malgré son grand âge, une
tournée pastorale qui eut de très-heureuses conséquences et provoqua
en plusieurs endroits de véritables ovations. Ces divers travaux prépa-
ratoires reçurent leur couronnement au deuxième congrès général qui
fut tenu à Cologne, dans l'antique salle du Gurzenich,du20 au 2'i sep-
tembre 1872. Les séances furent principalement consacrées a l'examen
dequestions administratives et politico-ecclésiastiques. Et tout d'abord
L'assemblée confirma solennellement les déclarations de Munich d'après
Lesquelles le concile du Vatican n'avait pas seulement changé le contenu
objectif du dogme, mais la qualité essentielle <lu docteur, et avait en
conséquence provoqué la création d'une Eglise schismatique ultramon-
taine. Les évéques qui s'étaient rendus complices <!<• cette révolution
734 CATHOLIQUES (Vieux-)
avaient perdu toute autorité sur les membres demeurés tidèles à l'an-
cienne Eglise. L'Etat tout au contraire était tenu de protéger ces derniers
dans l'exercice de leurs droits ecclésiastiques, de reconnaître leurs
évêques et leurs pasteurs, de placer leurs communautés sur un pied
d'égalité complet avec les autres corporations légales, de les exempter
de tout impôt destiné au culte ultramontain, de leur garantir le simul-
tanéum pour les Eglises, une part proportionnelle dans les revenus
communs, d'inscrire à son budget une somme suffisante pour la dota-
tion d'un clergé national, l'entretien de son culte. Relativement à l'or-
ganisation intérieure, les membres du congrès décrétèrent en principe
l'élection d'un évêque qui. conformément aux canons de l'ancienne
Eglise, serait accomplie d'un commun accord par le clergé et le peuple;
la fondation de paroisses ou d'associations vieilles-catholiques dans
toutes les localités où le besoin s'en ferait sentir. Ils adoptèrent en
outre une série de mesures propres à l'allégement de la crise actuelle,
telles que la validité des sacrements distribués sans l'autorisation épis-
copale, l'abolition pour l'exercice des fonctions pastorales de toute
restriction diocésaine, et en thèse générale dans les cas d'urgence de
toute prescription liturgique, la légalité des mariages contractés devant
deux témoins malgré l'absence d'un prêtre ou la violation d'une des
formalités maintenues jusqu'à nos jours par le saint-siége, la faculté de
se servir pour la célébration du culte des chapelles protestantes. Les
archevêques d'Utrecht et d'Arménie continueraient à exercer leur juridk -
tion jusqu'à l'élection d'un titulaire particulier pour l'Allemagne. Si la
majorité de l'assemblée, avec sa prudence ordinaire, résolut de différer
jusqu'à une époque plus favorable des réformes qui semblaient urgentes,
telles que l'abolition de la messe en langue latine, du célibat des prêtres
ou la confession obligatoire, si elle se crut dans l'obligation de condam-
ner en termes sévères soit le récent mariage du P. Hyacinthe (août 1872),
soit les tendances rationalistes, les procédés quelque peu révolution-
naires du curé de Vienne, Aloys Anton, elle marqua cependant avec
éclat par la bouche d'un de ses chefs les plus autorisés, l'abbé Friede-
rich, l'esprit véritablement libéral qui l'animait. « Nous sommes, dit-il,
poussés dans les voies du progrès par le mauvais vouloir des évêques.
Le mouvement vieux-catholique a franchi les barrières qu'il s'était
posées lors de ses débuts et ne combat pas seulement aujourd'hui l' in-
faillibilité, mais tout le système papal, un système uniquement basé
sur l'imposture, qui fleurit depuis un millier d'années et n'a fait, avec
le vote du 18 juillet 1870, qu'atteindre son apogée. » La timidité du
congrès dans les questions dogmatiques fut corrigée par la netteté avec
laquelle, en réponse aux agitations de la démagogie ultramontaine, il
affirma ses sentiments nationaux et patriotiques, la vigueur avec la-
quelle il s'éleva contre ces abus de la chaire qu'avait déjà réprimés le
Reichstag sur la proposition de M. de Lutz (loi du 10 décembre 1871).
L'année suivante, le 4 juillet 1873, la vitalité du mouvement vieux-ca-
tholique fut attestée par l'élection de l'évêque à laquelle procédèrent à
Cologne les prêtres anti-infaillibilistes, les délégués des différentes pa-
roisses. Leur choix tomba sur un de leurs théologiens les plus instruits,
CATHOLIQUES (Tieui-) 7:55
de leurs hommes d'Etat les plus clairvoyants et Les plus habiles, Lan-
cieu professeur d'histoire ecclésiastique à l'université de Breslau,
Joseph-Hubert Reinkens. Le Douve! élu, après avoir été consacré le
11 aoûl delà même année, à Rotterdam, par L'évéque janséniste de
Deventer, l'ut successivement reconnu par la Prusse (7 octobre 1873),
rands-duchés de Bade et de Hesse-Darmstadt. La Bavière se com-
plut, comme à son ordinaire, dans une position équivoque. La seconde
chambre se refusa à une faible majorité, sur le préavis d'une commis-
sion présidée par le jurisconsulte de Poëzl, de prendre une mesure
semblable à celle de tous les autres parlements germaniques, mais
d'autre part le gouvernement, malgré les instances de l'évéque d'Augs-
bourg, n'empêcha pas Mgr Reinkens d'accomplir chaque année son
voyage de confirmation et se tira (rembarras en feignant d'ignorer
sa présence. L'organisation communale et synodale fut arrêtée la même
année dans ses grandes lignes au congrès de Constance (11-H septem-
bre 1873). Les auteurs s'efforcèrent avec une incontestable habileté de
concilier les principes de l'autonomie paroissiale, de la représentation
laïque avec la prééminence qui dans tout système catholique appartient
au clergé. Au sommet de la hiérarchie fut placé l'évéque élu par le
svnode, immédiatement au-dessous de lui un vicaire général comme
son mandataire personnel, et une délégation synodale composée de
quatre ecclésiastiques et de cinq laïques. Le synode lui-même, dont
font partie tous les prêtres et tous les délégués des paroisses (un pour
200 électeurs), est convoqué annuellement par Tévêque qui préside à
ses délibérations. Les projets d'arrêtés sont présentés par la délégation
synodale; les amendements, pour entrer en délibération, doivent être
signée par douze membres au minimum ; les pétitions, les propositions
individuelles transmises à la présidence quatorze jours avant l'ouver-
ture de la session. Les décisions se prennent à la majorité absolue;
cependant l'exécution de celles qui n'obtiennent pas les deux tiers des
voix peut être ajournée jusqu'au prochain synode, qui les soumet à un
nouvel examen. Chaque paroisse, pour ce qui concerne la cure d'âmes,
est confiée immédiatement à un curé, médiatement à l'évéque; pour
tout le reste elle ressort à un comité directeur. Celui-ci, dont les
membres varient de six à dix-huit, fixe le budget et administre la for-
tune de ses mandataires, les représente au dehors et correspond avei
les autres paroisses, s'occupe des secours pour les pauvres, veille au
bon ordre du culte. Le président est choisi chaque année par ses col-
Lègues. L'assemblée paroissiale formée par tous les catholiques qui se
sont fait inscrire auprès du conseil et jouissent de leurs droits civils,
nomme le curé. I.- conseil, les délégués au synode, approuve le budget.
détermine le chiffre de la contribution ecclésiastique. Les curés élus
pai elle sont confirmés par l'évéque et ne peuvent être déposés qu'a-
près une enquête ordonnée et conduite par le synode. — Lu vertu dr ces
déc sions, !«• premier svnode régulier des vieux-catholiques se réunit à
Bonn du -21 au :2(.» mai 1874, <-t fut fréquenté par trente délégués e< i lé-
iques, < inquante-neuf laïques. La même sagesse, qui dés l'origine
;,\ | présidé à tout !<' mouvement, inspira ses délibérations. Il fut
736 CATHOLIQUES (Vieux-)
établi en thèse générale qu'aucune réforme ne pourrait être introduite
dans une communauté avant d'avoir été adoptée par le synode ; toute
modilication qui serait opérée arbitrairement soit par une paroisse;
isolée, soit par un seul prêtre, fut proscrite avec une extrême rigueur.
Les vieux-catholiques, qui ne redoutent rien autant qu'un désaccord
avec l'autorité civile, évitent avec une anxieuse sollicitude toute mesure
intempestive, toute exagération démocratique qui rappellerait celles de
Ronge ; ils voient clans cette marche ferme et prudente leur meilleure
garantie de succès, dans l'œcuménicité de leurs décisions leur diffé-
rence caractéristique avec le protestantisme. La confession auriculaire,,
l'obligation des jeûnes n'en furent pas moins supprimés d'un commun
accord par le premier synode ; de sérieux avertissements adressés aux
prêtres pour qu'ils administrent les sacrements dans un esprit véri-
tablement évangélique et mettent en garde leurs adhérents contre les
indulgences, le culte des images et d'autres pratiques superstitieuses ;
une commission chargée de la préparation d'un rituel en langue alle-
mande, d'un catéchisme, d'une histoire biblique. Les deux premiers
volumes, à la rédaction desquels l'abbé Friederich prit une part prépon-
dérante, parurent en 1876; pour l'enseignement religieux dans les écoles,
les vieux-catholiques se servent provisoirement des ouvrages de Wes-
semberg, de Van Ess. La question délicate, embrouillée, des biens
ecclésiastiques fut abordée par eux dans le quatrième congrès qui se
tint du 6 au 9 septembre 1874, à Fribourg en Brisgau, afin d'établir
juridiquement les droits de leurs adeptes ; celle du célibat des prêtres
que rejettent en théorie tous leurs canonistes et leurs théologiens sé-
rieux (Dœllinger, Friederich, Schulte, Reinkens), mais qui avait été
encore ajournée pour des motifs d'opportunité au dernier synode de
Bonn (7-8 juin 1876), reçut une solution provisoire au congrès de
Breslau (21-24 septembre 1876). Les délégués décidèrent de s'informer
de l'opinion des divers gouvernements germaniques à cet égard, de
provoquer un vote individuel de la part des prêtres, un vote collectif
de la part des paroisses. La messe en langue latine y fut également
supprimée. Dans le domaine pratique, le congrès de Fribourg vota la
création d'une caisse centrale pour des conférences anti-ultramontaines,
celui de Breslau l'organisation de subsides pour les étudiants vieux-
catholiques. — Les vieux-catholiques, depuis leurs premières manifesta-
tions, n'ont cessé de faire en Allemagne de solides et constants progrès
malgré leur lenteur apparente. En 1876, d'après le dernier rapport
statistique présenté au congrès de Bonn, ils comptaient en Prusse 35,
en Bavière 32, dans le Wurtemberg 1, dans le grand-duché de Bade 44,
dans celui de Hesse-Darmstadt 5, dans celui d'Oldenbourg (principauté
de Birkenleld) 2 paroisses régulièrement constituées. Dans ces divers
pays le nombre de leurs adeptes s'élève respectivement : en Prusse à
20*524 (accroissement depuis 1875 : 1,259) ; Cologne, 3,500 ; Bonn, 750;
Cret'eld, 1,200; Dortmund, 1,200; Essen, 1,200; Wiesbaden, 1,500;
Kœnigsberg, 1,200; Breslau, 2,136; Kattowicz, 1,020; Neisse, 490; en
Bavière, 10,567 (accroissement depuis 1875:38')); Munich, 3,000;
Kempten, 1,024; Mering, 1,400; Passau, 450; Straubing, 250; Nurem-
CATHOLIQUES (Vieux-) 737
berg, oOO; dans la Bavière Rhénane : Kaiserslautern, 161 ; Deux-Ponts,
'h)~ : dans le grand-duché de Bade, 1 7,203 (accroissement depuis 1875:
2,240) : Constance, 2,000; Fribourg, 200; Carlsruhe, 1,104 ; Heidel-
berg, 924 ; Mannheim, 750; dans celui de Hesse-Darmstadt, 1,012
(accroissement depuis 1875 :358): Offenbach, 626; dans celui d'Olden-
bourg, 2\\) (accroissement depuis 1875 : 56); en Wurtemberg, 223
(accroissement : 126) ; communauté de Stuttgard, 223. Le terrain le plus
favorable pour l'extension du vieux-catholicisme a été le grand-duché
de Bade, où la majorité des catholiques depuis Wessemberg s'était
toujours montrée hostile au Vatican, et où depuis les réformes de 18G0
l'ultramontànisme avait successivement perdu tout appui législatif. Les
progrès ont été surtout sensibles dans le district de Constance et la
Forêt-Noire, où à diverses reprises des paroisses entières se sont pro-
noncées en bloc contre l'infaillibilité. Si en Bavière le mouvement de-
meure stationnaire, si en particulier Dœllinger et Friederich se sont vus
contraints de suspendre leur enseignement en présence du mauvais
vouloir de M. de Lutz, des excommunications de l'archevêque, il a
opéré des conquêtes aussi sérieuses qu'inattendues dans des provinces
jusqu'alors inféodées au jésuitisme (la Haute-Silésie,les bords du Hhin),
grâce surtout à la persévérante activité de deux prêtres, MM. Knoodt
de Bonn et Weber de Breslau. Le nombre des ecclésiastiques qui ont
fait profession publique de vieux-catholicisme s'élève aujourd'hui à 60
(Prusse, 25; Bade, 22; Bavière, 11; liesse, 2); il a doublé depuis
Tentrée en fonctions de Mgr Beinkens. 9 étudiants suivent les cours de
la faculté vieille-catholique de Bonn sous la direction des professeurs
Keuseh et Langen. Dans la presse le vieux-catholicisme possède comme
organes spéciaux : le Mercure allemand, rédigé par le professeur Hir-
schwalder de Munich; le Messager Vieux-Cotholique; la Gazette de
Bonn; en outre ses idées trouvent un sympathique écho dans toute la
presse libérale, entre autres les Gazettes de Cologne et d1 Augsbourg.
Outre les vieux-catholiques proprement dits, l'équité exige que parmi les
partisans d'une évolution progressive au sein du catholicisme soient
comptés des milliers de laïques qui acceptent volontiers les lois ecclé-
siastiques votées par les chambres de Berlin, de Carlsruhe, de Darm-
stadt, dont quelques-uns même figurent parmi leurs plus ardents pro-
moteurs, leurs défenseurs les plus éloquents et les plus infatigables :
citons parmi ces catholique* d'Etat i Staatskatholiken), pour ne choisir que
deux noms, le président du Beichstag, M. de Forckenbeck, celui de la
chambre des seigneurs de Prusse, le duc de Batibor. — Les vieux-ca-
tholiques ne peuvent qu'être satisfaits de leurs rapports avec les autres
confessions chrétiennes. M. de Dœllinger, qui en 1873 avait, sous le titre
significatif «le Réunion des Eglises, publié un (h; ses meilleurs écrits et
organisé dans le même but à Bonn des conférences périodiques, n'a pu
s'entendre, il est vrai, sur le Filioque et d'autres subtilités théologiques
avec les délégués des Eglises grecque et anglicane, mais cette contro-
verse n'a point altéré leur estime, leur affection réciproques. Les
évéques d'Ely, de Lincoln n'ont cessé de suivre avec un sérieux intérêt
L'émancipation religieuse vis-à-vis (le Rome, dont le chanoine octogé-
n. 47
738 CATHOLIQUES (Vieux-)
naire demeure le plus illustre représentant. Les protestants orthodoxes
ont dès le début montré une froideur voisine de la malveillance (con-
férences de Berlin, 7-11 octobre 1871 ; d'Erlangen, juin 1872; de Halle,
30 septembre - 4 octobre 1872); dans les chambres prussiennes et le
Reichstag, les membres de F extrême droite et du parti de la Croix ont
fait, depuis la loi sur l'inspection des écoles (11 mars 1872), cause com-
mune avec les ultramontains. Les protestants libéraux, tout au contraire ,
bien qu'ils n'approuvent pas les timidités dogmatiques des vieux-ca-
tholiques et qu'ils aient la conscience très-nette des divergences qui
subsistent entre eux, se sont associés avec joie à leur énergique protes-
tation contre Rome et ont salué en eux des alliés venus d'autres ré-
gions mais animés du même esprit. Le congrès de Darmstadt (4-5 octo-
bre 1871) prit contre les jésuites une position toute semblable à celle
du congrès de Munich. M. Bluntschli se rendit en hôte sympathique
au congrès de Cologne, M. Holtzmaim à ceux de Constance et de Fri-
bourg. Sans parler du manque de prêtres, les vieux-catholiques alle-
mands ont été au début entravés dans leur action par une législation
politique déjà ancienne, toute favorable au Vatican. Une ère nouvelle
s'ouvrit pour eux en Prusse avec les lois de mai 1873, complétées par
celle du 7 juin 1876 sur les biens ecclésiastiques; adversaires et
partisans de l'infaillibilité jouissent pour les édifices religieux du
simultanéum, pour les biens paroissiaux et les fondations pieuses
d'une part proportionnelle au nombre de leurs adhérents. L'évêque
vieux-catholique est inscrit au budget des cultes pour une dotation
annuelle de 60,000 francs. La situation des vieux-catholiques est
encore plus propice dans le grand- duché de Bade où, le 11 fé-
vrier 1873, le ministre Jolly, à la requête du conseil municipal de
Constance, leur avait accordé pour une église le simultanéum, le 27 du
même mois son usage exclusif après une protestation illégale des ultra-
montains. En mai 1872 fut promulguée la loi des vieux-catholiques
qui établit une complète égalité entre les deux partis pour la jouissance
des biens et des bâtiments communaux. Les paroisses détachées de
Rome purent s'organiser en toute indépendance, assurées qu'elles étaient
.de la conservation de leurs revenus ; les curés, après leur adhésion
publique au mouvement, n'en gardèrent pas moins leurs bénéfices. La
libre disposition de la fortune ecclésiastique appartint dans chaque pa-
roisse à la majorité ; cependant il fut toujours réservé à la minorité la
portion à laquelle elle avait droit. En Bavière tout au contraire les vieux-
catholiques demeurent condamnés à une situation précaire à cause
du mauvais vouloir et de la politique ambiguë du gouvernement.
M. de Lutz leur refuse obstinément le simultanéum, même dans les cas
où le prescrirait l'équité la plus élémentaire. A Munich où, en vertu de
leur nombre, ils auraient droit à plusieurs églises, ils se voient réduits
à l'usage d'une petite chapelle au-delà de l'Isar; à Wurzbourg, où le
sénat académique leur a octroyé en 1872 la chapelle de l'université, ils
attendent encore l'autorisation du ministre; à Simbach, où ils possè-
dent cependant la majorité, ils ont été obligés de construire à leurs
propres frais un édifice pour leur culte. La seconde chambre leur a
CATHOLKJUKS (Tien**) 739
refus,', à mit1 faible majorité il est vrai, (nui suicide. Mgr Keinkens
n'es! pas encore officiellement racorni», ses voyages ntàssionnaifres ne
voni que tolérés, tes décisions prises à .Munich et dans les congrès
suivants restent pour tOOl le royaume nulles et non avenues. Cepen-
dant leur loi dans l'excellence de leur cause ne semble point refroidie
par d'aussi nombreux, d'aussi persistants obstacles, à eu juger par
l'entrain, la confiance de leur dernière réunion à Munich (décem-
bre ISTin. — Si le vieux-cathol'u isiue peut considérer Y Allemagne comme
sa \éi-itable patrie, il à rencontré en Suisse un sol tout aussi favo-
rable pour la propagation de ses idées* La lutte y fut provoquée,
comme au-delà du lllrin. par le fanatisme des évèques, leurs exorbi-
tantes prétentions vis-à-vis du pouvoir civil. Si celui de Goire, tout en
proclamant l'infaillibilité, se tint dans les limites (Tune modération re-
lative, si ceux de Sion et de Fribourg bénéficièrent de la faiblesse des
tommes d'Etat avec lesquels ils se trouvaient en rapport, celui de
Saint-Gai 1 s'engagea avec îe gouvernement de ce canton dans une
série de graves conflits; celui de Bàle, Mgr Lâchât, se complut dans la
violation des lois auxquelles lors de son installation il avait juré
obéissance et lança l'anathème contre des prêtres universellement
respectés (MM. Egli et Herzog de Lucerne, Gschwind de Starrhirch
dans le canton de Soleure), dont le seul tort consistait à rejeter le nou- ,
veau dogme pour rester fidèles à leurs convictions. Quelques laïques
instruitset courageux, qui depuis longtemps s'efforçaient d'opposer une
digue aux progrès de l'ultramontanisme, et parmi lesquels il convient
de citer au premier rang M. Relier d'Argovie, prirent l'initiative de la
résistance contre le Vatican et déployèrent dans cette amvrejiatriotique
autant de tact (pie d'énergie. Les congrès de Soleure (18 septembre 1871;.
d'Olten il"- décembre 1872, 31 août 1873, 14 juin 1873, 7-8 juin 187(5),
de Berne (44 juin 1874) posèrent les bases de la nouvelle organisa-
tion ecclésiastique, accomplirent de nombreuses réformes et répon-
dirent par leur libéralisme aux besoins religieux des populations. Nous
mentionnerons parmi les innovations les plus heureuses l'abolition du
célibat des prêtres, de la confession auriculaire, de la messe en langue la-
tine; l'élection des curés par les paroisses: l'introduction d'un nouveau
rituel pour le servicedivin rédigé par l'abbé Michaud i !<S7«)) et d'un ma-
nuel pour l'enseignement religieux dans les écoles, commun aux catholi-
et aux réformés (Mamtelde Martig, 1875). En Allemagne les chefs du
mouvement ont attaché une extrême importance à l'unité de leurœuvre,
à sou développement harmonieux et graduel, à son excellence juridi-
que et théologique; en Suisse la crise a revêtu un caractère fout démo-
cratique et les paroisses jouissent pour leur organisation intérieure d'une
complète autonomie. L'ce* uménicité indispensable à toute évolution qui
revendique le titre de catholique u'a point cependant été sacrifiée, tout
au contraire, il a été élevé COBtre les fantaisies individuelles une solide
barrière par L'élection d'un évêque (Olten?, o-0 juin 1876). Le choix des
délégués tomba sur un prêtre aussi recommanda-blé par son talent que
par son caractère, M. Edouard Herzog, curé à Berne, pour la consécra
tion duquel Mgriteinkens >«■ rendit le 18 octobre de la môme année dan
740 CATHOLIQUES (Vieux-)
la petite ville argovienne de Rheinfelden. 11 a été pourvu au commen-
cement de Tannée académique (1874-1875) aux intérêts scientifiques
de la nouvelle Eglise par l'adjonction à l'université de Berne d'une
faculté de théologie vieille-catholique à laquelle ont été successivement
appelés MM, Hirschwalder, Gœrgens, Gareis, Herzog, Michaud ; ce der-
nier remplit en outre les fonctions de vicaire général pour les cantons
de langue française. Dans la Suisse romande, Genève a été jusqu'à
présent le foyer le plus actif du mouvement, le principal théâtre des
réformes. Un prêtre ambitieux et intrigant, M. Gaspard Mermilliod, curé
de Genève, évêque in partibus d'Hébron, s'était arrogé, au mépris de la
loi et avec la connivence du gouvernement dirigé par M. James Fazv,
d'exorbitantes prérogatives et ne rêvait rien moins, après la proclama-
tion de l'infaillibilité, que la célébration de la messe dans la cathédrale
de Saint-Pierre, la restauration d'un évêché dans la république de
Calvin. Sa foi trop audacieuse dans le succès, l'intempérance de son
zèle déchirèrent la trame patiemment, artificieusement ourdie par ses
maitres, les jésuites. Le 20 septembre 1872 le Conseil d'Etat, présidé
par M. Carteret, le suspendit de ses fonctions soit comme curé soit
comme vicaire épiscopal pour avoir exercé des fonctions pour les-
quelles il n'était pas autorisé, travaillé au démembrement du diocèse
de Lausanne tel qu'il avait été institué par la bulle de 1819. M. Mermil-
liod refusa de se soumettre (lettre du 28 septembre), fut soutenu dans
sa résistance par tout son clergé (lettre du 5 octobre) et accepta de
Pie IX pour la Suisse la charge de vicaire apostolique. Le Conseil fé-
déral punit de l'exil cette nouvelle usurpation (arrêtdu!7 février 1873).
Une nouvelle ère s'ouvrit avec la loi du 19 mars 1873, qui rendit aux
vieux-catholiques le droit d'élire leurs pasteurs. Les libéraux profitèrent
de l'abstention des ultramontains pour choisir trois curés qui leur fussent
sympathiques, entre autres M. Hyacinthe Loyson, dont les conférences
sur la Réforme catholique venaient de produire une immense sensation
et avaient été applaudies par des milliers d'auditeurs. Depuis cette
époque le mouvement s'est propagé dans les campagnes; il existe au-
jourd'hui dans le canton de Genève quatorze paroisses libérales. Comme
dans tout le reste de la Suisse, les novateurs placent leur espoir dans la
jeunesse, les enfants confirmés ou instruits dans les écoles. Cinq années
de lutte ont prouvé sa puissance et il se montre aujourd'hui aussi
vivace qu'au début, malgré les intrigues et les violences des ultramon-
tains, la démission du P. Hyacinthe (août 1874), les crises insépara-
bles de toute évolution religieuse. Son triomphe doit être attribué dans
une large mesure au dévouement et à la persévérance de ses chefs, à la
prédominance de l'élément laïque. Dans la Suisse les principes catho-
liques chrétiens (c'est le nom adopté par les vieux-catholiques) l'ont em-
porté dans la ville de Zurich et se déploient avec une énergie, un
succès toujours croissants dans les cantons d'Argovie et de Soleure.
Dans le canton de Berne ils progressent lentement, mais sûrement dans
le Jura, malgré le fanatisme des ultramontains, l'ignorance et la paresse
spirituelle des populations, les mesures brutales du pouvoir exécutif.
Voici les derniers chiffres statistiques présentés au svnode d'Olten :
CATHOLIQUES (Vieux-) — CATIXAT 741
Berne, 34 paroisses, 22.600 membres, 36 ecclésiastiques; Soleure, 8 pa-
roisses, 8. 770 m., \ ceci.; Lucerne, 3 sociétés, 1.250 m.; Saint-Gall,
3 sociétés, 3.950 m. : Baie (ville), 1 paroisse, fc.OOOm. ; Bàle (campagne),
2 sociétés, 070 in.; Zurich, 1 paroisse. S. 000 ni., 2 eccl. ; Argovie,
S paroisses, 7.200 m., 7 eccl.; Neuchatel, 1 paroisse (Chaux-de-Fonds),
2.000 m., 1 ceci.; Genève, i't paroisses, 11.940 m., 15 eccl.— Dans le
reste de l'Europe les espérances de réveil qu'on avait pu concevoir au
lendemain du dogme du 18 juillet 1S70 se sont promptement démen-
ties. Le curé de Vienne, Aloys Anton, a échoué dans sa bizarre combi-
naison du joséphisme et du catholicisme allemand. Sa communauté
(fondée le 11 février 1872) subsiste encore et se fait régulièrement repré-
senter dans les congrès germaniques, mais elle n'est pas reconnue par
l'Etat et ne possède aucune Eglise. Le ministre des cultes M. Stremayr,
malgré sa réputation de libéralisme, s'est montré comme tous les doc-
trinaires un complaisant fauteur du clergé et a étouffé en germe toute
nouvelle association religieuse en lui refusant le titre de catholique
(loi du 21 mars 1874). En France la tentative isolée de l'abbé Mi-
chaud n'a pas trouvé d'écho ; nous ne savons de quel effet pratique
seront suivies les récentes conférences du P. Hyacinthe (avril 1877).
L'Italie a fait preuvedela même indifférence, du même scepticisme que
les autres pays latins. Le comité vieux-catholique qui s'était constitué
à Rome le 7 mai 1872 n'a pas recruté d'adhérents et ne posséderait
que de faibles perspectives de succès, s'il fallait en croire le rapport
présenté au congrès de Fribourg par un de ses membres les plus sé-
rieux, le marquis Guemeri Gonzaga. — Sources : Comptes-rendus sté-
i m graphiques des congrès vieux-catholiques en Suisse et en Allemagne;
Bnukhaus, Conversationslexicon,!, 1875, 12" édition; WolfgangMenzel,
L'injustice de Rome, Stuttgard, 1871; Les intrigves récentes des jésuites
en Allemagne, Stuttgard, 1873; Nippold, Origines et Etendue du mou-
vement vieux-catholique, ses chances adverses et favorables; Le Catho-
licisme et V Etat modei'ne, Berlin, 1873. E. Stkœhlin.
CATINÀT. Ce célèbre cam isard, dont le vrai nom était Abdias More],
naquit au Cayla, près d'Aigues-Mortes, et dut son surnom de Catinat
à l'admiration qu'il professait pour cet illustre général, sous qui il avait
servi en Italie. Il débuta par l'assassinat du baron de Saint-Cosme,
qui avait commis d'atroces exécutions contre les protestants. Pour-
suivi pour ce crime, il rejoignit Cavalier, qui le nomma son lieutenant
(septembre 1702). Il se signala au sanglant combat de Vaquières
(5 septembre), se saisit de la ville de Sauve à la faveur d'un déguise-
ment de lieutenant-colonel, mit en déroute, aidé de Havanel, le duc
de Broglie au Val-de-Bane (12 janvier 1703), et culbuta dans le
Gardon à Barn le chevalier de Saint-Chaptes. Sentant le besoin de
posséder quelque cavalerie, Cavalier l'envoya ensuite dans la Ca-
margue, d'où il ramena 200 chevaux. .Mais il échoua dans son expé-
dition du Rouergue. Quand Cavalier eut traité avec Villars,il ne voulut
point se soumettre et se lit battre à Marnège en Vannage. Découragé,
il se rendit et passa en Suisse (8 octobre 1703), d'où il revint au bout
de deux mois. Sa tête ayant été mise à prix parBerwick, le 20 avril 170*j,
742 CATINAT — CATURCE
il fut arrêté dès le lendemain dans la campagne de Nimes. Soumis à
la torture, il lit de coupables révélations et l'ut condamné à être brûlé
vif, 11 mourut en désespéré, tandis que son compagnon Havane!
expirait en chantant des psaumes, d'où Ton peut inférer que la gloire
de Dieu n'avait pas été le mobile de ses actions.
CATROU (François), jésuite (1659-1737). Après quelques années de
prédication, il renonça à la chaire pour se livrer à la littérature. Il donna
une traduction, ou plutôt un travestissement de Virgile justement
oublié, et une Histoire générale de l'empire du Mogol, d'après les mé-
moires portugais de Manouchi, qui eut plusieurs éditions et une tra-
duction en italien. Il fit, en collaboration avec le P. Rouillé, une
Histoire romaine (Paris, 1725-48, 21 vol. in-4°, lig.). Le P. Routh en
lit le dernier volume, qui ne va guère au-delà de Claude. Elle fut
traduite en anglais et en italien, mais le style en est aussi pompeux
que l'érudition pleine de fatras, et elle n'a plus de valeur que par les
gravures dont elle est illustrée. L'ouvrage où il montra le plus de verve,
mais aussi de partialité, estl' Histoire des anabaptistes, leur doctrine, etc.
(Paris, 1695), qu'il fondit en 1733 dans son Histoire du fanatisme des
religions protestantes, de Vanabaptisme, du davidisme, du quaherisine
(Paris, 3 vol. in-12). Catrou mérite une notice par sa collaboration au
Journal de Trévoux : il commença en 1701 ce recueil célèbre et y
travailla douze ans.
CATURCE (Jean de), martyr protestant, natif de Limoux, où il fut
brûlé vif comme hérétique en 1532. Crespin l'a inscrit dans son Livre
d'or. (( Homme d'excellent savoir, tant en sa profession qu'es saintes
lettres », il professait le droit à l'Université de Toulouse. Se trouvant
dans sa ville natale, le jour de la Toussaint 1531, il fit une exhortation
et fut cause qu'à souper, au lieu du cri païen : Le roy boit! On adopta
de dire : Que Christ règne en nos cœurs! Ensuite, au lieu des propos et
jeux licencieux auxquels on avait coutume de se livrer après boire,
on conversa sur l'Ecriture. Dénoncé comme novateur, il fut arrêté en
janvier 1532, et comme il embarrassa les juges en justifiant et mainte-
nant tout « ce qu'il avait sur le cœur », voulant un débat public « avec
gens savants », on lui demanda seulement de se rétracter sur trois
points, et de déclarer aux écoliers qu'il avait failli, moyennant quoi on
le relâcherait. Après un moment d'hésitalion, il tint ferme, et fut
condamné comme hérétique. Le supplice eut lieu au mois de juin,
place Saint-Etienne, et l'on y mit le temps. La dégradation prit environ
trois heures, que Gaturce employa bien, citant l'Ecriture en témoi-
gnage contre ses bourreaux et la mettant en évidence devant les
écoliers. Un jacobin, chargé du sermon de circonstance, ayant pris
malencontreusement pour texte le quatrième chapitre de l'épitre de
Paul à Timothée : « Mais l'Esprit dit expressément, etc. » et s'étant
arrêté aux premiers mots, pour l'écourter et le commenter à sa guise :
« Suivez! suivez donc! » lui dit Caturce à haute et intelligible voix.
Mais comme notre jacobin n'avait garde de e faire et restait muet, il
poursuivit lui-même la citation : « Etant entraînés par l'hypocrisie
d'imposteurs marqués de flétrissure en leur propre conscience, qui
CATUROE — CAUMOXT LA FORCE 743
proscrivent le mariais et l'usage d'aliments, etc. » On juge quel fut
l'eue! d'une telle prédication but les auditeurs. Reconduit an palais pour
y recevoir sa sentence, il y tut revêtu d'un san-benito et mené au bûcher,
« ne cessant jusquesau dernier soupir de louer et glorifier Dieu, et d'ex-
horter le peuple à la connaissance d'iceluy. » Sa mort porta de grands
lruits d'édification, u spécialement vers les escholiers. »
CAUCHON (Pierre), évéque de Beauvais, puis de Lisieux, tristement
fameux par le rôle qu'il joua dans le procès de Jeanne d'Arc. Chassé
de Beauvais en 1429, par ses propres diocésains, à cause de son atta-
chement au parti anglais et bourguignon, il lit bien voir qu'il ne
renonçait que de force à son siège quand Jeanne d'Arc lut prise à
Compiègne, dans les limites de son ancienne juridiction. L'ardeur
avec laquelle il réclama le droit de la juger n'eut d'égale que celle
qu'il mit à la condamner. Le siège de Rouen où l'héroïne fut conduite
étant vacant, il se ht déléguer par le chapitre pour exercer les droits
épiscopaux, c'est-à-dire pour présider les six évèques et les docteurs
qui remplirent sous lui les fonctions de juges et d'assesseurs. Ce n'est
pas ici le lieu d'entrer dans les détails d'un procès dans lequel
Cauchon. selon le témoignage d'un greffier, essaya de falsilier jus-
qu'aux réponses de L'accusée. Après avoir condamné l'héroïne à une
prison perpétuelle, au pain et à l'eau, il n'eut pas honte de renchérir
par un second jugement sur la première sentence en la livrant « au
bras séculier » pour être brûlée vive. Il mourut subitement douze ans
après i 1443). Le roi d'Angleterre l'avait garanti contre toute condam-
nation du saint-siège. Aussi Calixte 111 l'excommunia-t-il un peu tard,
après sa mort. On exhuma ses restes pour les jeter à la voirie; mais
les exé nations des contemporains avaient devancé plus vite celles de
la postérité.
CAUMONT LA FORGE. François de Caumont, seigneur de La Force,
en Périgord, né en 1524, fut du nombre « des gens de la religion que la
maison de Guise attira à Paris, sous le prétexte du mariage du roi de
Navarre, pour exécuter contre eux le détestable massacre de la Saint-
Barthélémy ». Ainsi s'exprime, dans ses Mémoires, celui de ses lils que cet
odieux événement ht orphelin et qui, miraculeusement sauvé lui-même,
est devenu maréchal de France et a illustré dans l'histoire le nom de
cette famille. Ils étaient logés rue de Seine. Avertis par un serviteur
dévoué-, qui avait passé l'eau à l'a liage, ils croient d'abord (pie le roi
n'est pas consentant et veulent aller se ranger autour de sa personne;
bientôt désabusés, ils s'enferment en leur logis, et attendent de pied
ferme a la grâce de Dieu, lies assassins arrivent aux cris de : Tue! tue!
et commencent par piller, puis vont procéder au meurtre, quand le
capitaine ouvre l'oreille à une promesse de rançon et accoutre >e>
victimes en égorgeurs pour les préserver : croii blanche au chapeau,
bras droil nu jusqu'à l'épaule. Mais les deux mille écus promis tar-
daient à venir; La Force veut rester fidèle à sa parole et refuse da
fuir. Le soir même du jour où il allait être libéré et sauvé. Coconas le
vient chercher, comme pour le conduire au <\\w d'Anjou ; bientôt, arrivés
au fond de la me des Petits-Champs, ils sont massacrés et dépouillés sui
744 CAUMONT LA FORCE
place. Mais, en voyant tomber son père au premier coup, Jacques-
Nompar, âgé alors de quatorze ans, avait eu l'inspiration de se laisser
tomber aussi et de faire le mort. Des voisins s'étant ensuite approchés
et montrant quelque commisération, il souleva sa tête et dit tout bas à
l'un deux : « Je ne suis pas mort. Je vous prie, sauvez-moi la vie ! »
L'homme lui mit la main sur la tête, disant : « Ne bougez ! ils sont
encore là. » Et étant revenu peu après, il le fait lever, le couvre de son
mauvais manteau et remmène. C'était un marqueur du jeu de paume
de la rue Verdelet. L'enfant est d'abord caché par lui, puis conduit
de grand matin, avec toutes sortes de précautions et de difficultés, à
l'arsenal où sa tante, madame de Brisambourg, le reçoit tout émue et
le met dans le cabinet du maréchal de Biron. L'arsenal n'était pas
lieu de sûreté, des soupçons motivent une alerte vive, et il n'échappe
aux recherches que parce qu'on l'a dissimulé, dans la chambre des
iilles, entre deux lits d'enfants, sous un monceau de vertugadins. Tous
les dangers étaient loin d'être conjurés : il fallait en courir de nou-
veaux pour échapper à celui de rester à Paris. Coniié à Jean de Dur-
fort, il parvint, après huit jours de transes continuelles, jusqu'au
château de Castelnaut, où son oncle Geoffroi s'était retiré. De pareilles
épreuves ne furent pas mises en oubli par le jeune huguenot. C'est en
vain que Henri III, pour s'assurer de lui et de ses biens, le plaça sous
la tutelle d'un catholique zélé, le comte de La Yauguyon. Dès qu'il fut
en état de porter les armes et de combattre la Ligue, cette queue gro-
tesque de la Saint-Barthélémy, il se hâta de se ranger sous le drapeau
du roi de Navarre et débuta au siège de Marmande, en 1577 ; il était à
la prise de Cahors, en 1580, et obtint bientôt le gouvernement de Sainte-
Foy et de Bergerac. La fermeté de ses avis plut au prince, lors des
avances faites par Henri III en 1585; on n'y répondit pas, on ne dé-
sarma pas non plus, et la suite montra qu'on avait eu raison. Il montra
successivement sa valeur à Castets, à Marans, au combat d'Anthogni,
enfin à Coutras, où il mérita d'être fait gouverneur de la Basse-
Guienne. Il refoula les ligueurs à La Linde (1587). Quand les deux
rois se furent réunis contre la Ligue, il couvrit le siège de Pontoise,
et, en 1589, combattit à Arques, où il se signala exceptionnellement,
culbutant, avec 120 hommes, plus de 2,000 lances ennemies, et ayant
trois chevaux tués sous lui et deux blessés. Le brevet de capitaine de
cent hommes d'armes fut sa récompense. Il fut à Ivry et au siège de
Paris (1590), à ceux de Chartres et de Noyon (1591), à celui de Rouen
(1592). En 1593, il reçut le gouvernement du Béarn et la vice-royauté
de Navarre. En 1594, il était au sacre de Henri IV, à Chartres, et à son
entrée dans Paris. L'année suivante, il combattit à Laon et à Fontaine-
Française, et, en 1596, à LaFère. Enfin, en 1597, il contribua à la
reprise d'Amiens, et fut chargé, en 1599, de faire exécuter l'édit de
Nantes en Béarn et en Guienne, tâche malaisée dont il sut venir à bout.
Il fut mandé à Lyon pour l'expédition de Savoie, et c'est à lui que le
vieux Théodore de Bèze dut sa célèbre entrevue avec le roi. Cette
époque de sa carrière fut profondément troublée par le procès et la
condamnation du maréchal de Biron, qui était son beau-frère. Henri IV,
OAUMONT LA FORCE 745
supplié par lui, fut inexorable, mais plein d'égards pour sa personne,
et il lui pardonna d'avoir, quatre ans plus tard, vengé la mort de son
parent sur l'homme qui L'avait trompé et vendu. Fidèle à son souve-
rain. La Force s'entremit toujours pour L'apaiser dans ses ressenti-
ments et maintenir soit Bouillon, soit Kohan, dans ses bonnes grâces.
11 se trouvait dans le carrosse royal, au jour fatal où Ravaillac lit son
œuvre maudite. 11 devait, le lendemain, prêter serment comme maré-
chal de France et partir pour l'expédition contre L'Espagne. On lui
donna ordre de quitter la cour et de retourner en Béarn pour y faire
reconnaître le nouveau roi, observer la frontière et rassurer les hugue-
nots alarmés. Sa conduite, dans les temps agités, fut prudente et éner-
gique à la lois. Il eut à modérer ses coreligionnaires, en luttant contre
les intrigues des évêques béarnais ; puis à manœuvrer, sans rien com-
promettre, au milieu des hostilités déclarées par Gondé et des délibé-
rations des assemblées politiques de Sainte-Foy et de Grenoble. L'avé-
nement de Luynes, en î()17, fut pour lui une menace sérieuse. En effet,
le favori de Louis XIII, intéressé à le ruiner, essaya d'abord de perdre
Fun de ses fils (Montpouillan) qui avait une charge de cour et était
aimé du roi ; n'y ayant pas réussi, il souleva la question de la main-
levée des biens ecclésiastiques du Béarn, sachant bien que La Force ne
pouvait que s'opposer à Fédit et se perdre ainsi auprès du roi. La résis-
tance ayant éclaté à Pau et ailleurs, La Force fut mandé à Bordeaux par
Louis XIII; il usa de son inlluence pour amener le parlement à enre-
gistrer Fédit et à empêcher ainsi les malheurs que pouvait entraîner
Farrivée du roi à Pau. C'était trop tard : le 15 octobre 1020, Louis
entrait à Pau et les deux provinces étaient traitées en pays conquis.
La Force ne fut pourtant pas arrêté, il fut même conservé; mais il
n'était plus que Fombre d'un gouverneur. Il lui fallait bientôt pourvoir
à sa propre sûreté, en levant des troupes. Sommé de désarmer, il dut
se retirer précipitamment, en mai 1621, devant d'Epernon qui venait
pour le déposséder. Il organisa aussitôt la défense en Guienne, mais
eut à subir des défections et des défaillances qui le contraignirent à se
réfugier dans Montauban, avec ses lils. Il eut à y lutter contre des pré-
ventions et des soupçons que le ministre Charnier l'aida à dissiper;
mais quand il eut gagné la confiance des Montalbanais, il put agir
puissamment dans leur intérêt. La ville lui dut de repousser L'armée
royale et d échapper ainsi aux dures conséquences d'une défaite. Ce
succès ayant relevé les courages, les huguenots reprirent des forces en
Guienne. La prise de Tonneins assurait le passage de la Garonne, mais
on ne put parvenir à le garder. Enfermé dans Sainte-Foy, La Force,
que le parlement de Bordeaux venait de condamner à mort comme
criminel de lèse-majesté, était résolu à s'ensevelir sous les ruines de
cette place, Lorsque des conditions inespérées lui furent faites. Le roi
lui accordait le bâton de maréchal et 200,000 écus. Ses tils et ses amis
étaient rétablis dans leurs charges et emplois. Il se retira alors dans
son château de La Boulaye en Normandie. On le chargea, en 1625,
d'aller en Picardie, préparer cette province a une attaque que Calais
semblait devoir attendre de Spinola. Il demeura étranger à la prise
740 CAUMONT LA FOECE — CAUS
d'armes de 1629, qu'il avait blâmée. Mis bientôt par Richelieu à la tête
de l'armée destinée à couvrir les frontières de la Bresse, il entra en
Piémont en 1630, força Pignerol et Saluées, enleva divers châteaux et
débloqua Casai, en battant les Espagnols au pont de Carignan, le
6 août. A peine de retour à Paris, il recevait ordre de rassembler une
armée en Champagne et de mettre à la raison Gaston d'Orléans et le
duc de Lorraine. Ces nouveaux et signalés services lui valurent la
charge de grand-maître de la garde-robe. Une nouvelle campagne fut
nécessaire contre le duc de Lorraine et le força à marcher de victoire
en victoire jusqu'au Luxembourg et à Heidelberg. Tant de fatigues, et
le chagrin que causa au vieux soldat la mort d'un petit-fils, tué sous ses
yeux par trahison, lui rendaient quelque repos nécessaire; il n'en
obtint pas la permission sans peine. L'année d'après (1036) on avait
de nouveau recours à lui pour assister le duc d'Orléans de ses conseils.
En 1637, il fut créé duc et pair. En 1638, opposé à Piccolomini, il le
battit à Zonafques. Ce fut sa dernière campagne. Après soixante ans
de guerre, il alla définitivement se reposer dans son château de La
Force, et s'y occupa à écrire ses Mémoires, publiés en 1843 par le
marquis de La Grange (Paris, 4 vol. in-8°). 11 mourut, le 10 mai 1652,
au milieu des troubles de la Fronde. 11 avait été marié. trois fois :
1° en 1577, à Charlotte de Gontaut, tille du maréchal de Biron ;2° à une
fille de Duplessis-Mornay, veuve de Jacques desNouhesde laTabarière;
3° à Elisabeth de Clermont-Gallerande, veuve de Gédéon de Botzlaër.
Il n'eut d'enfants que de sa première femme, dix iils et deux filles :
son fils aine, Armand, eut une lille, Charlotte, qui épousa en 1553
l'illustre Turenne, et mourut sans enfants en 1666. Son second fils,
Henri-Nompar, marquis de Caste! naut, épousa en 1602 Marguerite-
Escodéca de Boisse, et eut neuf enfants, dont l'aîné supporta héroïque-
ment, ainsi que sa femme (Suzanne de Béringhen), les persécutions
auxquelles ils furent en butte lors de la révocation de l'édit de Nantes;
Jean, marquis de Montpouillan ; François, marquis de Castelmoron,
marié à Marguerite de Vicose. Charles Kead.
CAUS (Salomon de). Lorsqu'ils rédigeaient, en 1852, le tome III de
leur grand et précieux ouvrage, les frères Haag se décidèrent, d'après de
simples conjectures, mais logiquement déduites, à compter Salomon
de Caus comme un des noms de la France protestante. On n'avait alors
aucune notion quelconque sur la date et le lieu de sa naissance ou de sa
mort. Son nom de Salomon, les livres publiés par lui, étaient les seuls
indices acquis à l'histoire; il leur fallut prendre la peine de réfuter une
historiette faisant de notre ingénieur un fou, dont la présence à Bi-
cêtre en 1641 était bien et dûment établie... par un document, fabriqué
en 1834, qui a partout popularisé ce mensonge fait à plaisir. La décou-
verte que nous avons faite et annoncée, en 1856, des registres de Cha-
renton (Bull, de la Soc. cVHist. du Protest, franc., IV, 629; cf. XI, 301,
406) donna pleinement raison à la sagacité de MM. Haag. Dans le môme
registre où nous avions trouvé l'acte d'inhumation de Salomon de
Brosse (voir ci-dessus) nous devions rencontrer celui de Salomon de
Caus; nous y avons, en effet, non sans peine, déchifïré une minute ainsi
.CAUS 747
conçue: e Salomon de Caus, ingénieur du roi, a esté enterféà la Trinité,
le samedy, dernier jour de febvrier (1626), assiste'* de deux archers du
guet ■• Ainsi s'est trouvée authentiquemenl anéantie la fable déjà atta-
que» par MM. Haag, mais de nombreuses productions graphiques, dra-
matiques, etc. l'ont si souvent exploitée et colportée partout, que la
vérité court grand risque d'être longtemps encore éclipsée par cette
bourde ridicule qui court les livres et journaux depuis tantôt qua-
rante ans. Deux autres actes, relatifs à un Isaac de Caus, architecte,
natif de Dieppe, mort à Paris en 1648, et à un Jacques de Caus. mar-
chand à Dieppe, mort en 1658, donnent lieu de croire que Salomon
était aussi Dicppois. Isaac, connu par un livre d'art hydraulique pu-
blié à Londres en 16*44 (Nouvelle invention de lever l'eau, etc.), était
vraisemblablement son parent, non son iils , comme le prétendent à
tori quelques biographes, mais peut-être un frère ou un neveu. En
effet, Salomon, d'après la légende de son portrait conservé à Heide1-
berg. étant né en 1576, n'avait que quatorze ans de plus qu'Isaac.
Après avoir complété ses études par un voyage en Italie, Salomon passa
en Angleterre et donna à Londres des leçons de perspective. Attaché
trois ans plus tard au service du prince de Galles, il embellit les jar-
dins du palais de Hichmond de plusieurs inventions mécaniques, dont
il a donné les dessins dans son célèbre Traité sur lesForces mouvantes»
Après la mort du jeune prince (1612), il suivit à Heidelberg la prin-
• Elisabeth, mariée en 1613 au prince palatin Frédéric Y, qui litde
lui son ingénieur et architecte. Il donna les plans de plusieurs parties
du magnifique château dont il ne reste que des ruines admirables; il
les avait traités avec beaucoup d'indépendance et de goût et avec une
grande richesse d'imagination. 11 perdit sans doute sa situation, lors-
que Frédéric V. trahi par la fortune (1020), dut chercher un refuge en
Hollande. Nous le retrouvons à Paris en mars 1021, qualifié dès lors
ingénieur du roi, et obtenant de l'édilité parisienne l'application d'un
système proposé par lui pour le« nettoyementdes boues et immondices
do rues et places publiques ». Ce système était un moyen nouveau
pour élever les eaux de la Seine et les faire servir à l'assainissement
de la capitale. Les pompes Notre-Dame et de la Samaritaine ne furent
établies qu'une cinquantaine d'années plus tard. Encouragé par les
bonnes dispositions de Richelieu à son égard, il fit paraître en Ki^'j
un excellent trait*' des Horloges solaires et une seconde édition de celui
des Forces mouvantes. l\ préparait aussi .la traduction d'un Vitruve
« mis à notre usage ». Mais on ne sait ce qui en est advenu, et on
ignore quels furent les travaux de Salomon de Gaus dans cette dernière
période de son existence. Ce n'était pas une raison suffisante pour en
une intéressante victime du cardinal qui avait été son protecteur.
el pour h- montrer grimaçant et furieux dans un cabanon de fou à Bicétre,
Salomon de Caus a signé de Cauls la dédicace de sa Perspective. 8
préfaces nous le font connaître comme ami (\^> lettres et de la musir
que, citant Du Bartas, « excellent poète », rappelant les psaumes el
u>aiit de cette formule des huguenots : <r A Dieu soit honneur el
gloire éternellement! » Son Institution harmonique (1615) a une dé-
748 CAUS — CAUSE
dicace ainsi terminée. C'est dans ses liaisons des Forces mouvantes (1615
et 1624) qu'en traitant de « l'eau élevée à l'aide du feu », il s'est
donné des titres anticipés à l'honneur de cette grande découverte qui
devait, en se développant, renouveler la face de la terre : la force
d'expansion de la vapeur. Chakles Read.
CAUSE, CAUSALITÉ. Un des principes élémentaires de la pensée,
e'est l'idée que tout fait qui surgit a une cause. Comme les événements
qui s'accomplissent en ce monde sont fort divers, selon qu'ils appar-
tiennent à des sphères différentes de l'ordre physique ou spirituel,
leur causation est pareillement diverse, et l'idée de cause est susceptible
de bien des nuances, qui sont indiquées par les mots: condition, force,
principe, raison, mobile, motif, etc. Toutefois la notion de cause de-
meure très-précise, intelligible pour tous les esprits églaement; elle
signifie : ce qui fait qu'un événement a lieu ; dans notre pensée à tous,
d'une manière consciente ou inconsciente, elle se compose de deux
éléments réciproquement complémentaires. D'une part l'effet est
distinct de la cause ; ce qui est produit n'est pas la même chose que
ce qui produit. Et cependant il y a un rapport entre la cause et l'effet,
rapport qui explique la production de l'effet; quoique la succession
des jours et des nuits soit constante, on n'a jamais été tenté de consi-
dérer la lumière comme un effet des ténèbres, et si l'argument : Post
hoc, ergo propter hoc, a inspiré bien des erreurs, c'est qu'outre la suc-
cession des phénomènes l'esprit humain avait conjecturé quelque autre
relation entre eux; car une certaine cause ne produit pas un effet
quelconque, mais un effet déterminé. Dans ces termes l'idée de cause
est d'un usage journalier, si habituel que nous ne nous rendons pas
compte de l'importance de son rôle dans la formation de nos connais-
sances, et il nous faut y réfléchir pour reconnaître que, si ce principe
disparaissait, notre vie intellectuelle ne serait plus qu'un kaléidoscope
bizarre. Nous mesurons les progrès de la pensée humaine aux appli-
cations plus nombreuses et plus certaines qu'elle peut faire de ce
principe; nous aspirons à savoir le pourquoi de toutes choses. Il est
vrai, la recherche des causes n'est pas facile, à cause de la complexité
des phénomènes ; rien n'est isolé en ce monde, chaque événement
résulte du concours d'une multitude de causes et devient la cause par-
tielle d'un nombre indéfini de faits nouveaux, les êtres particuliers qui
existent simultanément sont réciproquement causes des changements
qui se produisent en eux. Mais la difficulté qui résulte de cet enchevê-
trement ne rebute pas notre soif de connaître ; au moyen de l'obser-
vation, de l'expérimentation, nous corrigeons les relations de causalité
que nous avions d'abord improvisées, et peu à peu nous arrivons à
constituer la science, c'est-à-dire l'explication des effets par leurs causes.
— La question de la légitimité de ce principe se confond avec celle de
son origine. Nous devons à Maine de Biran de connaître que la notion
de cause est éveillée en nous par une expérience intime et primor-
diale : du moment où nous avons le sentiment de notre existence, nous
avons aussi le sentiment que nous agissons, que nous sommes cause,
soit d'une manière toute interne et spirituelle, en pensant, en voulant,
CAUSE, CAUSALITE 749
soit en imprimant dos mouvements à nos muscles, de manière à pro-
duire des effets dans le monde extérieur. Ce n'est pas seulement l'a-
nalyse psychologique qui nous révèle cette genèse ; elle est confirmée
par ce que nous voyous chez nos entants, qui croient d'abord (jue les
pierres, les plantes sont les causes volontaires des peines ou des plaisirs
qu'ils ressentent, et c'est un progrès de leur part quand ils distinguent
entre les êtres personnels et les êtres inanimés; évidemment ils ont
conclu, par analogie, de la causalité dont ils avaient le sentiment in-
time à la causalité des objets qui les entouraient, et il leur a fallu sup-
primer dans leurs naïves conceptions l'élément intentionnel pour
arriver à l'idée de simple l'orée. Toutefois Maine de Biran a méconnu
le vrai caractère du principe de causalité; il croyait que nous l'obte-
nons par voie d'induction, en appliquant à tous les faits ce qu'une
expérience intime nous a appris. L'expérience, si constante qu'on la
conçoive, ne nous fournit que des notions contingentes, c'est-à-dire
éventuelles; l'induction peut étendre, généraliser une telle notion;
mais il y a une grande différence entre de telles notions générales et
les idées nécessaires. Or le principe de causalité estime idée nécessaire;
non-seulement nous l'appliquons à tous les faits, en quelque lieu qu'ils
se passent, sur cette terre comme dans les régions les plus éloignées
du firmament, dans n'importe quelle portion du temps, dans le passé
le plus reculé comme dans l'avenir le plus indéfini, mais nous l'appli-
quons spontanément; nous n'avons pas besoin de nous le remémorer;
la réllexion n'en augmente ni n'en diminue le rôle, elle ne peut que
le constater; aucun effort de notre esprit ne nous permet de concevoir
un phénomène naissant spontanément du néant sans être provoqué
par quelque chose d'antérieur. C'est donc une loi fondamentale de
notre esprit, une condition de la pensée, un élément constitutif de
notre intelligence. On peut le ramener sous un principe plus général,
celui de la raison suffisante, qui se divise en deux branches: de même
que nous ne pouvons légitimement prononcer une affirmation sans
une raison qui nous détermine (principium cognoscendi), de même un
fait ne peut avoir lieu sans une cause déterminante {principium essendi).
Mais le principe de causalité n'a pas besoin d'une telle déduction pour
exercer son empire, et nous affirmons tout ensemble son origine et sa
légitimité en disantqu'ilasa source dans la raison, c'est un principe de
la raison, une idée a priori. Si nous avons tout à l'heure considéré la
notion de cause comme provoquée par l'expérience personnelle, nous
avons voulu seulement signaler la forme expérimentale sous laquelle
elle apparaît d'abord, mais sans affirmer pour cela (pie la notion soit
réellement antérieure au principe. On sait (pie chaque idée à priori est
éveillé*; en nous par les circonstances dans lesquelles nous nous trou-
vons placés; elle n'en conserve pas moins son caractère de nécessité
et de certitude universelle. Il en est de même pour le principe : Nihil
fit si/a- causa, — La vérité de ce principe a été contestée, notamment par
Hume. Aux yeux du philosophe écossais (Essais sur l'entend., VU),
nous constatons seulement que tel fait est ordinairement suivi de tel
autre, d'où nous attendons le second, quand le premier se manifeste.
750 CAUSE, CAUSALITÉ
mais cette succession ne nous autorise pas à statuer chez le premier
un pouvoir de produire le second. Ce que nous appelons relation de
cause et d'effet n'est donc que le fruit de F habitude ou de F association
des idées. « On objecte que la réflexion nous conduit à croire que
nous avons en nous une force par laquelle nous faisons obéir les or-
ganes du corps aux volontés de l'esprit ; mais comme nous ignorons
par quel moyen l'esprit agit sur le corps, avons-nous le droit de con-
clure que l'esprit est une force réelle? Réduits à l'expérience, nous ne
savons que ceci : il y a fréquemment coexistence ou succession des
mômes phénomènes. » Hume était, dans une certaine mesure, autorisé
à ce mode de raisonnement par la manière défectueuse dont Locke
avait fondé l'idée de cause, quand il en trouvait l'origine dans l'expé-
rience extérieure : nous voyons les corps se modifier réciproquement,
donc ils ont un pouvoir, une action les uns sur les autres. 11 faut
encore reconnaître que Hume a justement insisté sur un fait important :
nous ne connaissons pas la manière dont les divers êtres exercent leur
action les uns sur les autres; non seulement pour les rapports du
corps et de l'âme, mais pour les rapports beaucoup plus simples des
molécules entre elles, la causation proprement dite nous échappe,
elle est invérifiable; aucune expérience ne nous a révélé ce fond
intime des opérations des substances; nous n'avons pu saisir que la
connexité constante de certains phénomènes antérieurs avec des phé-
nomènes consécutifs. Mais cette ignorance des dernières intimités de
l'opération ne nous autorise pas à nier ce que M. Cl. Bernard appelle
le déterminisme des phénomènes, chaque phénomène ayant ses con-
ditions déterminées, son déterminisme propre ; et qu'est-ce au fond
que ce déterminisme, sinon la causalité? Nous ignorons, dit Hume,
quels rapports existent entre le corps et l'esprit; mais l'esprit nous
apparaît déjà comme une force réelle dans ses actes internes, alors
qu'il n'est pas question de ses rapports avec une substance étrangère.
Bien plus le monde externe est seulement connu de nous en tant que
cause des sensations que nous éprouvons; supprimez la causalité et
vous ne savez plus rien de l'univers. Ce scepticisme a donc pu un
instant ébranler la croyance universelle, mais pour la fortifier par une
étude plus approfondie de son bon droit. Kant, de son côté, a voulu
restreindre singulièrement la portée de ce principe, en le considérant
comme une loi purement subjective de notre esprit, une forme de
notre entendement, à laquelle nous soumettons les objets de notre
expérience sensible, mais sans que nous puissions savoir s'il existe
une telle relation entre les objets, s'il y a des causes clans ce monde.
Il en faisait de même pour les notions du temps, de l'espace, pour
toutes les conditions essentielles de l'existence ; de la sorte la nature
devenait un. a? indéchiffrable, et Jacobi a pu dire avec raison, au sujet
de la possibilité des impressions sensibles : « On ne peut, sans admettre
la croyance habituelle, entrer dans le système de Kant, ni y demeurer
en la maintenant; car, quoiqu'il soit contraire à l'esprit de ce système
d'affirmer que les objets fassent impression sur l'âme et produisent
ainsi des représentations, on ne conçoit pas comment la philosophie
CAUSE, CAUSALITE 751
kantienne, sans celte croyance, peut commencer (puisque l'intelli-
gence reste vide sans les matériaux qui provoquent son activité), ni
comment elle peut être enseignée » {BeU. zudem Oespr. ùber Idéal, u.
. Aussi le criticisme a exercé en ce point la même influence que
le scepticisme de ilmne. — Le principe de causalité ne trouve pas sa
représentation exacte, sa réalisation dans les faits que nous constatons
journellement; nous ne rencontrons que des causes qui sont elles-
mêmes des effets, qui ne sont causes que dans un sens tivs-restivinl.
transmissions plutôt que causes. La pensée nous l'ait donc concevoir,
à l'origine de cet univers, une cause qui le soit vraiment et purement.
On a dit quelquefois : « Si le principe de causalité est absolument vrai,
il exclut Tidée d'une cause première ; appliqué à la rigueur, il conduit
à un résultat inadmissible, à une série infinie d'effets et de (anses; le
principe de causalité doit se limiter pour rester debout. » H est plus
juste de dire : le principe de causalité étant vrai, il faut rappliquer
dans sa rigueur; un enchaînement d'etiets et de causes, si long qu'on
veuille le concevoir, ne constitue en réalité qu'un seul effet, qui ré-
clame une cause agissant par elle-même, ayant en elle-même la raison
de l'existence de la chaîne. Telle est la preuve de l'existence de Dieu
nommée argument cosmologique. Saint Paul y l'ait appel dans Rom. I,
11). Saint Augustin lui donne de magnifiques développements dans ses
Confessw)is,X,ti: « J'interrogeai la mer et les abîmes, et ils me répon-
dirent : Nous ne sommes pas ton Dieu; cherche au-dessus de nous...
Et je dis aux vents, à l'air, au ciel, au soleil, à la lune, aux étoiles :
Dites-moi quelque chose de Lui. Et ils crièrent d'une voix forte : Il nous
a faits. » Depuis lors cette argumentation a été usitée dans la théologie.
Leibnitz, en voulant tirer de l'argument puisqu'il ne comporte, savoir
l'existence de l'être absolument nécessaire, Ta fait un peu dévier de
son sens primitif : « Les choses bornées, comme tout ce que nous
voyons et expérimentons, sont contingentes et n'ont rien en elles qui
rende leur existence nécessaire. Il faut donc chercher la raison de
l'existence du monde, qui est l'assemblage entier des choses contin-
gentes, et il faut la chercher dans la substance qui porte la raison de
son existence avec elle, et laquelle par conséquent est nécessaire »
(Théod., 1, 7). Kant, exagérant la déviation, expose ainsi l'argument :
Si quelque chose existe, il doit exister un être absolument nécessaire
et qui ne peut être quel'ens realisswium. Or la notion de Vens realiasî-
rtiu.iit est tirée non de l'expérience, mais de la pensée: d'où Kant con-
clut que L'argument cosmologique se confond avec l'ontologique. Mais
l'argument cosmologique, maintenu dans ses justes limites, ne prouve
p.is [a nécessité au moyen de la contingence, n'affirme pas que les
doses de ce monde réclament un auteur qui soit infini, réunissant en
lui toutes les perfections; elles réclament seulement un auteur qui soit
la raison suffisante de ce qui se passe dans l'univers. Jacobi, de son
côté, objecte : « Pour <pic l'existence de Dieu pût être démontrée, il
faudrait qu'elle put être déduite d'un principe qui serait la raison d'être
de Dieu et qui dès lors serait antérieur ou supérieur a Dieu » Von dei)
gœttl. Ding.\ C'est tout simplement confondre le principe de cou-
752 CAUSE, CAUSALITE
naissance avec le principe d'essence. L'argument cosmologique bien
conçu est irès-rigoureux en même temps que populaire (Yoy. Kahnis,
Dogmatik,\). — Enappliquantle principe de causalité à Dieu lui-même,
on a dit que Dieu est causa sui ; il est ce qu'il veut être (voy. Fart.
Aséité). — Ce principe a également été employé dans l'étude des perfec-
tions divines. La scolastique, surlespasde Denys l'Aréopagite, formula
les trois méthodes, très vlas eminentiœ, negationis, causalitatis, la troi-
sième inférant les attributs divins qui expliquent l'existence du monde.
— Affirmer l'existence d'une cause première, ce n'est pas nier l'exis-
tence de causes secondes, douées d'une vertu propre, d'une indépen-
dance accordée et mesurée par le Créateur. En tant que libres et res-
ponsables, nous sommes dans une sphère subordonnée des causes
premières ; et dans la nature nous constatons divers degrésd'une aptitude
des êtres à exécuter spontanément les actes conformes à leur nature,
utiles à leur conservation ou à leur développement, depuis les vertébrés
les plus riches jusqu'aux molécules qui semblent inertes. Descartes ne
tint pas compte des causes secondes; Malebranche combattit leur effi-
cacité ; Leibnitz eut le mérite de les rétablir en introduisant l'idée de
force dans la métaphysique et la physique. Du moment où l'on rejetait
l'existence des causes secondes, il fallait ou bien dire, avec Spinoza, que
les choses créées ne sont que de purs modes de la substance divine,
c'est-à-dire éliminer la causalité, ou bien ne reconnaître qu'une seule
et même cause de tous les mouvements, qui interviendrait jusque dans
les rapports intimes de notre àme avec notre corps, Dieu, à l'occasion
des mouvements du corps, faisant naitre dans l'âme les phénomènes
qui y correspondent et réciproquement, « II est vrai que notre bras se
remue quand nous le voulons, et qu'ainsi nous sommes la cause natu-
relle du mouvement de notre bras. Mais les causes naturelles ne sont point
de véritables causes, ce ne sont que des causes occasionnelles, qui n'a-
gissent que par la force et l'efiicace de la volonté de Dieu » (Malebr.,
Recherche de la v., VI, II, 3). Cette doctrine, que Descartes avait prépa-
rée, fut peu à peu développée par Clauberg, Malebranche, Régis et
surtout Geulinx; elle s'autorisait de la distinction radicale qu'on
statuait entre la substance pensante et la substance étendue. L'occa-
sionalisme a partagé le sort de la philosophie cartésienne. Pour ceux
qui reconnaissent l'existence de causes secondes, la question de leur
subordination à la cause première constitue un des chapitres les plus
intéressants de la doctrine de la Providence. — Cetintérêt redouble, si
l'on considère que la causalité peut être encore envisagée à un autre
point de vue. Quand nous demandons le pourquoi d'un l'ait, notre
question peut recevoir une double réponse, soit qu'elle indique la
cause efficiente, l'action antérieure qui a produit l'effet, ou la cause
finale, le but en vue duquel l'action a été exercée; et quand nous de-
mandons à un être intelligent la raison de son activité, c'est ladeuxième
réponse que d'ordinaire nous attendons. La fin que nous nous propo-
sons d'atteindre détermine le moyen que nous emploierons, elle est
cause de ce moyen ; l'effet est cause de sa cause, non qu'il ait pu agir
avant d'être réalisé, mais il existait déjà, sous une forme idéale, dans
CAUSE, CAUSALITE 753
la pensée de celui qui a disposé les moyens, dette (inalité ne se con-
state pas seulement dans les oeuvres de l'homme, mais aussi dans les
actes intelligents ou instinctifs des animaux; dans L'organisation des
êtres vivants, dans la structure et la fonction de leurs diverses parti.-.
dous retrouvons une coordination de moyens disposés en vue d'un ré-
sultat qui est la vie de ces êtres. En général, nous remarquons dans la
nature des coïncidences constantes et bienfaisantes de phénomènes, qui
demandent à être expliquées et qui ne le peuvent être par le seul jeu
des diverses causes efficientes, mais qui le sont par le résultat auquel
elles aboutissent. La nature est donc soumise à l'empire de la finalité,
c'est-à-dire d'une pensée qui s'est proposé des buts, et si elle est une,
un but suprême. La finalité n'est pas une loi de l'esprit, une condition
nécessaire de la pensée, un à priori que nous appliquions à tous les
phénomènes indistinctement; c'est un caractère delà nature, que nous
pouvons connaître au moyen de l'observation et de l'induction. La
constatation de ce l'ait est l'objet de la physicothéologie. Cette science,
qui commençait avec Socrate, reçut une puissante impulsion de la
philosophie d'Arîstote, aux yeux de (fui le but était la cause dominante
et constituait la vraie essence des choses; Cicéron lui consacra de belles
pages dans son De naturel Deor. (Il, 37) ; elle inspira à Fénelon la pre-
mière partie de son Traité de l'existence de Dieu et à Derham ses dis-
cours {Physicothéologie, 1714). Au siècle dernier, des écrits tels (pie
Lliydrothéologiede Fabricius(1741), la testacéothéologieet lalithothéo-
logie de Lesser (17o7), au commencement de ce siècle les traités pro-
voqués par le comte de Bridgewater jetèrent sur les études téléologi-
ques quelque discrédit par l'esprit trop utilitaire qui les dominait.
Elles étaient vengées parles travaux de Reimarus (Relig.natw\, 1754?),
Ch. Bonnet (Gontempl. de la nat., 1704), Paley (Natural t/ie<>L, 1802).
Ceux (iui ne veulent reconnaître dans la nature que le jeu des forces
efficientes sont embarrassés pour expliquer Tordre qui règne dans l'u-
nivers, le concours si ingénieux des diverses parties de chacun de nos
organes. Aussi le système du mécanisme fait-il place depuis quelque
temps à une théorie nouvelle, celle d'un instinct, d'une force aveugle,
qui inciterait la matière à s'organiser de manière à atteindre le même
résultat que si elle avait été organisée par un être pensant; mais l'hypo-
thèse d'une telle force aveugle et si intelligente constitue plutôt un in-
sondable problème qu'une explication. Nous renvoyons pour toutes les
questions de cet ordre à l'ouvrage de M. Janet, Les causes finales, 1870.
Voyez aussi Koestlin, Gotl in der Natur, 2 vol., 1852, et Ueber di
ZulaessigkeitdesZweckbegriffs inderNutU7*wtsê., 1854. — Enfin les divers
modes de la causalité ont été employés au dix-septième siècle comme
principe de systématisation pour les dogmes delà théologie luthérienne.
Aristote avait distingué quatre sortes de causes : l'efficiente, la formelle.
la matérielle (élément ou matière dont une chose est faite) et la finale
(idée ou plan préconçu dans la pensée de l'auteur); et Calvin avait en u-
méré ilmtU., III, 14, 17) quatre causes de notre salut : l'efficiente,
savoir la miséricordede Dieu; la matérielle, Christ avec son- obéissance ;
l'instrumentale, la foi; la finale, diémontrer la justice de Dieu et glorifier
48
754 CAUSE — CAVALIER
sa bonté. La méthode causale étendit ce oro° '<lé à tout renseignement
chrétien; chaque dogme fut découpé et rangé sous quatre rubriques;
par exemple Baier (Compend. theoL fomL^i%Wl) : Juslificationis causa:
1° efficiens principalis, subdivisée en impulsiva interna et externa; puis
impulsiva minus principalis ; t°formalis, 'ic. La pesanteur formaliste de
ce procédé obscurcissait les dogmes plutôt qu'elle ne les élucidait. Mais
si l'exécution était maladroite, il y avait au fond une pensée légitime,
la recherche des causes et la démonstration de leur enchaînement, pen-
sée dont la science religieuse doit plus que jamais s'inspirer pour
remplir sa mission. — Voyez, pour la question générale, les traités de
métaphysique; J.-H. Fichte, Ontologie , 1836, p. 413-466; et pour les
applications, les articles Dieu, Providence. A. Matter.
CAUSES MAJEURES, appelées ainsi à cause de la gravité de la ma-
tière ou de l'importance des personnes qui y sont intéressées. Les
causes majeures sont réservées au pape. Barbosa {In tract, de offic. et
potest. episcop., Alieg., 50) les définit ainsi : Causse omnes majores ad
sedem apostolicam referuntur : porro causœ majores censëntur quœs-
tiones quœ spectant ad articulos fidei intellig endos, ad canonicos libros
discernendos, ad sensum sacrarum litterarum declarandum approban-
durnque, ad interpretanda quœ dubia sunt vel obscura in controversiis
fidei, in jure canonico vel divino; item ad declarandum quœ ad sacra-
menta pertinent, videlicet ad materiam, formam et ministrum. Autrefois,
en France, on entendait par causes majeures les actions criminelles in-
tentées contre les évêques, et on prétendait que ces causes devaient
être jugées en première instance par le concile provincial, prétention
que la curie romaine n'a jamais reconnue (voy. Glaire, Diction, univ.
des sciences ecclés.).
CAVAILLON [Cabellio] (Vaucluse), évêché sufïragant d'Avignon, et
d'Arles avant 1475, supprimé en 1801. En 1250, Innocent IV en dédia
la cathédrale à Notre-Dame ; néanmoins cette église a conservé comme
deuxième patron saint Urain (Veranus : sa vie dans Labbe, Bibl., II),
qui fut évéque en 585 et qui est révéré le 11 novembre. Il faut encore
nommer Philippe de Gabassole, célèbre cardinal, originaire de Cavail-
lon, ami de Pétrarque et administrateur éclairé (1334-72). — Voyez
Gallia, I ; Courtet, Dictionn. de Vaucluse, 1877.
CAVALIER. Cet homme extraordinaire, «un des plus rares caractères
que l'histoire nous ait transmis, » au jugement de Malesherbes, fut le
principal chef de l'insurrection camisarde. Il naquit à Ribaute, près
d'Anduze, en 1680, et mourut à Chelsea en 1740. Il avait été d'abord
valet de ferme, puis boulanger, et devint bientôt, à la tête de sa bande,
le capitaine le plus audacieux et le plus habile qui fût jamais. Réfugié
à Genève en 1701 à la suite de deux procès, l'un civil, l'autre criminel,
qui lui furent intentés pour cause de religion, il rentra au bout d'un
an dans les Cévennes, qui étaient désolées par les persécutions de
l'abbé du Chaila. Peu après, vingt jeunes gens de Ribaute, gagnés par
ses exhortations, l'élisent pour leur chef, et il entreprend avec eux
cette lutte héroïque, qui a immortalisé son nom et dont voici les prin-
cipaux faits : défaite du capitaine Viial dans les bois d'Alais, destruc-
CAVALIER - CAVOUR 755
tion presque complète des troupes du Lieutenant Montarnaud et du
capitaine Bernard dans les bois de Vaquières (S décembre 1702), d'un
détachement de milices à€endims et d'une compagnie de fusiliers a
Saint-Cosme ; prise du château de Servas, défaite de la garnison
d'Alais aux portes de cette ville (Noël 1702), désarmement de la garni-
son et des habitants de Sauve (27 décembre), expédition malheureuse
ea Vivarais, suivie coup sur coup d'une victoire et d'une défaite
complète à Vagnas (200 camisards périrent dans cette dernière,
10 février 1703), défense héroïque de la tour de Belot près Alais
(300 camisards y furent brûlés), représailles terribles exercées dans la
plaine (incendie de plusieurs bourgs et d'un grand nombre d'églises,
égorgemeai de catholiques), à la suite de la complète dévastation des
hautes Cévennes par le maréchal de Montrevel (septembre et octo-
bre 1703), défaite de la garnison de Nîmes à Nages (13 novembre 1703),
destruction de plusieurs bandes de soldats florentins convertis en pil-
lards, victoire éclatante aux Devoirs de Martignargues, combat héroïque
durant sept heures dans les environs de Nîmes, où les camisards luttent
cinq contre un et laissent 400 des leurs sur le carreau. Au dire du
maréchal de Villars, Cavalier, dans cette sanglante journée, « se com-
porta comme l'aurait pu faire un grand général » (16 avril 1704). Ce fut
le dernier fait d'armes du chef camisard. Découragé par ce désastre, il
traita avec Villars (16 mai), moyennant un brevet de colonel et une
pension de 1,200 livres, et la formation d'un régiment de camisards à
destination de l'Espagne. Mais quarante seulement de ses anciens com-'
pagnonsse rendirent à son appel. Surveillé de près, Cavalier fut envoyé
successivement à Lyon (21 juin 1704), à Mâcon et en dernier lieu à
Neuf-Brisac, d'où il gagna prudemment la Suisse (1er septembre). Il servit
ensuite le duc de Savoie comme colonel d'un régiment de réfugiés.
Passant après cela sous les drapeaux de l'Angleterre, il fut battu en
Espagne avec l'armée anglaise (1706), puis il rejoignit à Nice le prince
Eugène qui échoua dans sa tentative sur la Provence. Retiré en Angle-
terre, il se maria avec la fille aînée de madame du Noyer, et mourut
major général et gouverneur de Jersey. Il a laissé des Mémoires peu
exacts parce qu'ils furent dictés de souvenir. — Pour les sources,
voyez Camisards. E. Aknaud.
CAVE (Guillaume), théologien anglais, né à Pickwell dans le comté
de Leicester, le 30 décembre 1637, mort à Windsor, le 13 août 1713. Il
entra en 1653 au collège Saint-Jean de Cambridge, et après avoir exercé
les fonctions de vicaire dans différentes cures, fut nommé chanoine
d'Oxford. On a de lui divers ouvrages concernant surtout l'histoire
ecclésiastique : Primitive christianity, or the religion of the ancient
ckrùtians in the f/'rs/ âges of the (ïos/jel (Londres, 1672, in-8°) ; Talmlie
ccclesiasticie (Londres, 167']-. in-8°), et Scriptorum ecclesiasticorum his-
toria literarta (Londres, 1688 et 1689, 2 vol. in-fol.), oeuvre impor-
tante à laquelle surtout Cave doit sa réputation.
CAVOUR (Camillo Beuso di) [1810-1861]. Les différentes phases de
sa vie politique n'eurent qu'une influence très-légère sur ses idées po-
litico-religieuses. Malgré la rapide succession de laits capitaux pour le
756 CAYOUR
petit royaume de Sardaigne (1849-1861), malgré les changements ra-
pides survenus dans la situation politique de la presqu'ile et dans
ses rapports avec le saint-siége, Cavour demeura l'inébranlable et ar-
dent défenseur de toutes les libertés civiles et religieuses. Croyant à
une idée iixe, celle de Roger Williams : « l'Eglise libre dans l'Etat
libre, » il veut la liberté pour tous, même pour les jésuites; car il est
convaincu qu'ils seraient moins nuisibles s'ils étaient plus libres. En-
nemi naturel de tout privilège, il s'élève (en 1850) contre le for ecclé-
siastique et le droit d'asile dont l'abolition était réclamée par le comte
Siccardi, interprète de l'opinion publique; et il invite le parlement à
adopter la loi sans s'occuper de la désapprobation du «pape. En 1851,
dans le même esprit de liberté, il soutient que l'instruction théologi-
que dans les séminaires doit être abandonnée au clergé sans l'ingé-
rence du gouvernement, qui n'a pas plus le droit d'être théologien que
les évêques n'ont celui d'être gouverneurs. 11 croit que lorsque le
clergé aura joui de la liberté, il aimera la constitution libérale et qu'il
cherchera son avantage propre dans la pratique delà liberté. En 1852,
il retourna ses armes contre le clergé dans la question du mariage
civil, qu'il considérait comme le premier pas vers la séparation des
deux pouvoirs. En 1855, malgré les anathèmesde Rome et les attaques
virulentes du parti clérical, la loi sur V incarner at ion des biens ecclé-
siastiques fut adoptée par le parlement et par le sénat. Cette loi, qui mit
en péril le ministère de Cavour, demandait à l'Eglise de pourvoir à
l'entretien des paroisses pauvres et diminuait le passif du budget de la
somme d'un million ; elle exigeait en outre la suppression de tous les
établissements religieux qui ne s'occupaient ni de prédication, ni d'é-
ducation, ni des œuvres de charité. Le but de la loi n'était pas de con-
fisquer les biens de l'Eglise au proiit de l'Etat, mais de fonder une
caisse ecclésiastique pour la juste distribution des revenus de l'Eglise
parmi les membres du clergé les plus pauvres. Pour Cavour, les cor-
porations religieuses, généralement hostiles au mouvement libéral mo-
derne, sont des entraves au libre développement économique des
nations, car elles empêchent la circulation et l'exploitation rationnelles
de richesses immenses, infructueuses à cause de leur immobilité. Les
nations les plus prospères sont celles qui ont aboli le monachisme,
et la religion qui le soutient avec un glaive spirituel est une mauvaise
religion. Les mesures libérales doiventêtre appliquées même àl'Eglise.
En 1861, le royaume d'Italie est fondé et la question de Rome s'impose
tout naturellement à l'esprit de Cavour. Voici ses idées sur la question :
le pouvoir temporel ne garantit plus le pape, qui ne vit politiquement
qu'à force de concordats qui compromettent son autorité spirituelle.
Rome doit être la capitale civile du royaume d'Italie et la capitale spi-
rituelle du catholicisme, grâce à une renonciation, tacite même, du pou-
voir temporel, de la part du pape ; du côté de l'Etat, par une liberté
illimitée accordée au pape et au clergé : ainsi le pouvoir politique et
l'autorité religieuse concourront au progrès de la civilisation. Point de
coercition, ni morale ni matérielle; la liberté rayonnera de Rome sur
l'univers, et les peuples ne la considérant plus comme leur ennemie,
CAVOUR - CAYET 757
lui redonneront leur vénération et leur culte. C'est ridée poétique de
Dante et deManzoni, le rêve philosophique de Rosmini et de Gioberti.
La forme définitive de la domination romaine spirituelle sera une fédé-
ration d'évêques régie par un chef électif; c'est-à-dire la première
forme républicaine et parlementaire de L'Eglise chrétienne. Les évo-
ques et le bas clergé qu'ils oppriment sans cesse, ayant pins de liberté,
s'occuperont des libertés civiles et les répandront parmi le peuple.
Bref, il faudrait détruire tons les obstacles qui empêchent d'équilibrer
les forces des deux pouvoirs hostiles, l'Eglise et l'Etat, pour qu'une vie
puissante et féconde pût circuler dans la nation. Si Rome refusela
liberté et la conciliation, il faut agir avec beaucoup de prudence et de
modération, temporiser longtemps ; mais si elle n'accepte pas les senti-
ments de la nation, il faudra un jour détruire sa puissance temporelle
comme contraire au progrès. Cavour était sage lorsqu'il conseillait la
modération, mais il construisait une immense utopielorsqu'il élaborait
son système de conciliation avec Rome. Il est difficile de connaître les
sentiments intimes de Cavour vis-à-vis de la religion. Catholique et ami
de toutes les réformes libérales modernes, il est de l'école de Lacordaire,
de Montalembert, et après avoir entendu à Paris l'abbé Cœur qui défen-
dait la foi et la liberté, il écrivait à son ami Santa-Rosa: « Quand ces
doctrines auront été accueillies par l'Eglise, je te promets de devenir
un catholique fervent comme toi. » 11 ne s'occupait pas de la partie
positive de la religion et professait une indifférence superbe à l'égard
du dogme. Pour lui, comme pour la plupart des politiques, la religion
est utile pour la vie d'une nation et pour sa constitution morale. —
Voyez : Discorsi Porlamentari di Cavour, Florence, 1862 ; Treitschke,
Der Graf von Cavour, trad., Florence, 1873; A. Yera, 77 Cavour c libéra
Chiesa in lîbero Statu, Naples, 1871; Artom et A. Blanc, Œuvre parle*
mentaire du comte de Cavour, Paris, 1862. P. Long.
CAYET (Pierre-Victor-Palma) [1525-1610]. Né à Montrichard en
Touraine, d'une famille pauvre qui embrassa la Réforme, il étudia à
Genève et fut nommé ministre à Poitiers, puis à Montreuil-Bonnin,
près de cette ville, chez de la Noue, et enfin prédicateur de la sœur de
Henri IV, Catherine de Bourbon, qui l'amena avec elle à Paris après
l'entrée du roi (1593). Le treizième synode général (juin 1594) le dé-
posa pour avoir composé deux écrits scandaleux sur les péchés du
sixième commandement, accusation dont il inséra longtemps après,
dans sa Chronologie novenaire, une justification .'maladroite ; et « là-
dessus, dit Agrippa d'Aubigné, étant déjetté, il passa en l'autre religion,
où il fut bien venu de la Sorbonne, mais des jésuites assez mal. » Le
clergé lui fournit aussitôt une pension et un logement à Saint-Martm-
des- Champs; il eut, dès 1596, la charge de professeur d'hébreu au
collège de Navarre, et de « lecteur royal aux langues orientales », le
bonnet de docteur en 1600 et enfin la prêtrise. Encouragé par les féli-
citations de Clément VIII qui ne dédaigna pas de lui écrire, il publia
contre ses anciens coreligionnaires une foule de Remontrances, Admo-
nitions et autres écrits profondément oubliés. Il provoqua le célèbre
Dumoulin à une discussion verbale dont il éluda ensuite de signer le
758 CAYET — CÉCILE
compte rendu. Il eut plus de profit à quitter la théologie pour l'his-
toire, et il est surtout connu aujourd'hui par sa Chronologie novenaire
contenant l'histoire de la guerre, de 1589 jusqu'à la paix de Vei^vins
(Paris, 1608, 3 vol. in-8°), et par sa Chronologie septénaire de V Histoire
de la paix entre les rois de France et d'Espagne, de 1598 à 1004 (Paris,
1609, in-8°). Ces deux ouvrages, auxquels fait suite \e Mercure François
d'Eusèbe Renaudot, ont été reproduits dans la Collection des Mémoires
relatifs à l'Histoire de France. Cayet a traduit de l'allemand V Histoire
prodigieuse et lamentable du docteur Faust, avec sa mort épouvantable
(Paris, 1603, in-12; Rouen, 1604, in-12, 4e édition), livre aussi rare
que curieux, malgré ses nombreuses réimpressions. — Voyez d' Aubigné,
Hist. univ., ann. 1595 ; Maimbourg, préf. deYHist. de la Ligue; Nicéron,
t. XXXV. P. ÈOUFFET.
CÉCILE (Sainte), vierge et martyre romaine. Ses Actes nous disent
qu'elle appartenait à une famille sénatoriale (on veut aujourd'hui
qu'elle ait été des Caecilii). Son père la donna en mariage à un jeune
patricien, nommé Valérien. Le jour de son mariage, elle conduisit son
mari au pape Urbain, qui le baptisa ainsi que son frère Tiburtius ; les
nouveaux chrétiens subirent aussitôt le martyre. Quant à Cécile, le
préfet de Rome tenta d'abord de l'étouffer dans le calclarium de sa
maison; puis il la livra au bourreau qui, l'ayant frappée de trois coups,
la laissa mourante sur le sol. Elle expira le matin du troisième jour,
après avoir recommandé ses pauvres au pape, et lui avoir fait don de
sa maison (c'est aujourd'hui Sainte-Cécile de domo). Urbain l'ensevelit
« parmi les évêques ses collègues et les martyrs, au lieu où Ton a dé-
posé les saints confesseurs. » En 817, nous dit un document confirmé
par le Livre des Papes, Pascal Ier, guidé par un songe, découvrit le
corps de sainte Cécile au cimetière de Saint-Sixte, et le transporta
dans l'église élevée à son nom, et en 1599, Sfondrati, cardinal de
Sainte- Cécile, retrouva le corps de la sainte tel qu'il était au moment
de sa mort, et dans la position gracieuse où l'a sculptée Maderno.
Baronius et Bosio ont décrit l'invention de cette dépouille en témoins
oculaires. Néanmoins, l'histoire de sainte Cécile n'avait trouvé qu'in-
crédulité auprès de la critique. Un mot de Fortunat, qui la fait vivre
en Sicile, le silence des anciens documents, les contradictions de ses
Actes, dont les auteurs, comme dit Tillemont, « n'ont pas reçu l'amour
de la vérité, » avaient mal disposé les historiens. Mais voici qu'en 1854,
tandis qu'il fouillait le cimetière de Saint-Calliste, M. de Rossi décou-
vrit auprès d'un portrait de saint Urbain, datant du dixième siècle,
l'image d'une vierge orante, remontant au septième siècle, placée près
d'un tombeau ouvert, et paraissant représenter sainte Cécile. Une
inscription presque effacée semble avoir conservé son nom, et M. de
Rossi croit avoir trouvé dans les graffiti mêmes de la chapelle le
souvenir de la translation de ses restes que fit le pape Pascal. Cette
importante découverte ramena l'attention sur les Actes de sainte Cécile,
que Ton veut aujourd'hui sauver en quelque mesure, en distinguant
du pape Urbain, dont la date ne concorde pas avec l'an 178 où l'on
met le martyre de la sainte, un évêque suburbain du même nom. On
CÉCILE — CKDROX 759
s'est aussi convaincu que remplacement du cimetière de Calliste appar-
tenait aux CaeciiH. Ce serait donc à vrai dire la sainte <|ui aurai! reçu
les évêques de Rome dans son tombeau. .Mais d'où vient que sainte
Cécile, à la renommée de laquelle nous devons la peinture admirable
de Raphaël et tant d'oeuvres célèbres, soit devenue la patronne des
musiciens? Le t'ait s'explique par un mot mal compris de sa Légende:
( antièîts erganis, C&ctiia Domino decccntabat : mais ici les o?y/<7tt<7 sont
la musique profane du jour de s,>s noces. — Voyez les Actes publiés
d'après Métaphraste par Surins <±2 nov.i et. d'après les mss. par l>o>io
. Pass, S. C;>'<\, Home, 1600, in-'i°> et Laderehi (S. Cm. Acta,
Rome, 17:2:2); Tillemont, III ;deRossi,Za limita sêtterranea, II; Spencer
Northcote et Brownlow, Rome souten-aine, traé. parP. Allard. ^° édit.,
Paris, 187'i. in-8°. p. 224; dom Gttéranger, Sainte Cécile et in Société
romaine aux (leur premiers siècles, Paris, 1874, gr. in-S°.
S. Bebq.be.
CÉDARÉNIENS rKëdàr. BénëKédàr\ peuple nomade d'Arabie
(Jér. II, 10; XLIX, 28; Ps. CXX), que la Geoèse (XXV, 13; cl'. Ezéch.
XXVII. 21) lait descendre de Cédar, lils d'ismaël. Ils taisaient le com-
merce avec les produits de leurs troupeaux (Es. XLII, 11; LX, 7; Cant.
!. 5) et étaient célèbres par l'habileté de leurs archers (Es. XXI, 16 ss.)«
Eusèbe, Jérôme, d'accord avec Pline (5, 12:), les placent dans l'Ara-
bie Déserte, dans le voisinage des Xabathéens, tandis que Théodoret,
au contraire, les fait voyager du côté de Babylone.
CÉDRÉNUS 1v£ccy;v:çj (Georges), auteur d'une sorte de chronique
ou d'histoire universelle, qui s'étend depuis le commencement du
monde jusqu'à l'an 1059 de Jésus-Christ \zriyb\z foropiôv). On n'a aucun
détail sur la vie de cet auteur, car il n'est cité nulle part. Xylander a
mis une préface à la tête de la belle édition qu'il a publiée de cette
chronique et de l'histoire de Jean Scylitza, avec des notes de J. Goar
et un glossaire de Ch.-A. Fabrot, en 1647 (2 vol. in-fol.). Dans cette
préface il conjecture d'après plusieurs passages de son livre que Cé-
drénus a été, au onzième siècle, prêtre ou même moine grec; mais il
n'a à cet égard aucune donnée certaine. L'ouvrage de Cédrénus, copié
surtout sur celui de Georges Syncelle jusqu'à Dioctétien, puis sur celui
de Tbéophaneet JeanTzetzis, complète Zonaras en beaucoup de points;
mais ce n'est qu'une compilation sans critique et sans jugement. Il ne
laisse pas cependant d'avoir quelque importance pour l'histoire du
Bas-Empire.
CÉDRON (Kidron, obscur, trouble ; Ksâpwv, Jean XYIII, 1 ;yi;.[izo'zz;
Kedpcwoç, Joseph. •. Àrttiq., VIII, 1, o), torrent près de Jérusalem, qui
coule dans un lit étroit et profond entre la ville et la montagne des
Oliviers par la vallée du même nom. Aptes un cours très-sinueux de
six à sept tieties, il se jette dans la niiT Morte par un ravin escarpé. H
n'a de Tean qu'après de tories ou de kongnes pluies; en hiver, il dé-
borde parfois. 11 est question du (iédron dans l'histoire du roi David
(-1 Sa,,,. XV. 33; 1 Mois XV, *3; 2 hois XXIII, |, (i, 12). Plus tard il
servit d'écoalemenl au van-- i\c> victimes sacrifiées dans le temple,
peut-être même d'égoul collecteur des immondices de la ville.
TCO CEILLIER — CELESTIN III
CEILLIER (Rémi) [1688-1761], de Bar-le-Buc, confrère de D. Calmet
dans la congrégation de Saint- Vannes, où il entra à l'âge de dix-sept
ans, et dont il devint président; il se livra à l'étude des Pères tandis
que Calmet se consacrait à celle de l'Ecriture. Son premier livre
fut Y Apologie de la Morale des Pères (Paris, 1718, in-4°). L'érudition
un peu difiuse, mais pleine d'exactitude, dont il y lit preuve se
retrouve dans son grand ouvrage : Histoire générale, des auteurs sacrés
et ecclésiastiques (Paris, 1729-1763, 23 vol. in-4°). Le dernier volume,
publié après sa mort, va de Pierre Lombard à Guillaume d'Auvergne.
Un 24e tome de tables facilite les recherches clans cette œuvre im-
mense, comparable à Y Histoire littéraire de la France pour le dévelop-
pement des appréciations raisonnées sur chaque écrivain. L'abbé
Dupin, son contemporain, publia de son côté un ouvrage semblable,
sa Bibliothèque des auteurs ecclésiastiques. Mais la vitesse avec laquelle
il composait,, en même temps qu'une foule d'autres écrits, un travail
où les erreurs sont si difficiles à éviter, lui fait perdre en exactitude
ce qu'il gagne en rapidité et même en intérêt; et, pour être moins
lourd que Calmet, il n'en reste pas moins inférieur au bénédictin qui
avait fait de son histoire l'œuvre presque unique de sa vie.
CELESTIN Ier (Saint), pape de 422 à 432, consacra tous ses efforts à
la lutte contre le nestorianisme, et bien que le promoteur de cette
hérésie n'eût rien négligé pour gagner le pape à sa cause, il
réunit à Rome, en 430, un synode qui déclara Nestorius hérétique, et
il approuva le terme de Ôsotoxoç. Il prépara avec sagesse la réunion du
concile d'Ephèse, auquel il députa, comme légats, les évêques Arca-
dius et Projectus et le prêtre Philippe, leur recommandant de ne pas
se mêler aux débats, mais de les juger. Célestin est l'auteur delà mis-
sion de Saint-Germain l'Auxerrois en Grande-Bretagne, il désigna Pal-
ladius comme premier évêque des Scots. — Voyez Hefele, 2e édit., II;
Mansi, IV et V; les lettres du pape dans Coustant.
CÉLESTIN II (1143-44) fut un pape impuissant. Il régna au milieu
des querelles delà papauté avec la ville de Rome. Son nom était Guido
de Castello, il était originaire de l'Ombrie. — Voyez Watterich, II, 276 ;
Certini, Vita di Cel. JI, Foligno, 1716, in-4°.
CÉLESTIN III (1191-1198) était romain ; il se nommait Giacinto di
Bobone et était des Orsini. Aussitôt monté sur le trône, il accomplit la
promesse de Clément III, son prédécesseur, en couronnant Henri VI
(15 avril 1191) ; mais, au jour et à l'heure, l'empereur dut acquitter le
prix du service rendu, en prêtant la main à une trahison. Clément III
s'était lié envers les Romains par un traité formel : « Vous nous livrerez
les murs de Tusculum pour être détruits, et vous ne les relèverez ja-
mais ; vous en garderez pour vous et pour l'Eglise romaine tous les
biens. Si jusqu'au 1er janvier Tusculum n'est point entre nos mains,
vous en excommunierez les habitants... » Le 16 avril, la garnison al-
lemande qui protégeait Tusculum le livra aux Romains, et la malheu-
reuse ville, patrie de cette triste famille dont le gouvernement s'appela
la pornocratie, fut détruite jusqu'au sol. Les échappés du massacre
s'établirent sur le penchant de la montagne, au lieu dit Frascata (les
CÉLESTIN III — CÉLESTINS 7G1
Buissons), qui est aujourd'hui Frascati. Mais l'empereur et le pape
portent la responsabilité de cei acte de violence e1 de barbarie : au
peste ils en furent punis, car les Romains, que rien nie retenait désor-
mais, ne tardèrent pas un an à (dire un summus senator, un chef de la
république. Innocent III fut élu le jour même de la mort de Célestin.
— Voyez Watterich, 11; de Reumont, I, &62 ; Papencordt, p. 279 ; Gre-
gorovius, IV, 582 ; Tœche, Eeinrich VI, 1867.
CÉLESTIN IV (Goffredo Castiglione, milanais) fut élu à la mort de
Grégoire IX. le 1er novembre 1241. Ce vieillard maladif mourut après
dix-sept jours. 11 est probable (pie les cardinaux qui mirent Innocent IV
à sa place, ne l'avaient choisi (pie pour gagner du temps. — Voyez
V. Castiglione, Col. IV, Turin, 1661.
CÉLESTIN IV, antipape (1124). Voyez Honorius II.
CÉLESTIN V (Saint). A la mort de Nicolas IV, on ne put réunir les
Orsini et les Colonna pour l'élection de son successeur; Rome était
dans l'anarchie. Enfin, ne pouvant s'entendre, les cardinaux allèrent
chercher d'un commun accord (5 juin 1294) un pieux ermite des
Abruzzes, Piero del monte Murrone. La vie de ce saint homme semble
une légende plutôt qu'une histoire. Onzième lils d'un pauvre cultiva-
teur;, Pierre, d'abord bénédictin, s'était retiré sur une montagne où il
avait fondé un couvent consacré au Saint-Esprit et un ordre qui plus
tard prit son nom, et auquel il donna les principes des franciscains
spirituels. A Lyon, devant Grégoire X, il avait suspendu son froc à un
rayon de soleil. Au premier moment, il voulut s'enfuir, mais les moines,
en le voyant, crurent être au temps de l'Evangile éternel annoncé par
Joachim de Flores, on le força d'accepter: il entra dans Aquila sur un
àne tenu à la bride par deux rois. Dès lors les uns s'en firent un ins-
trument et les autres une risée. Benoit Cajétan, qui devait être Boni-
face VIII, se montra son plus cruel ennemi. Le pape se cacha dans
l'obscurité « comme le coq de bruyères qui cache sa tête pour échap-
per aux chasseurs. » Malgré les instances du peuple, ameuté par les
célestins, le pape, après avoir lu une bulle qu'on lui avait dictée et qui
déclarait valable l'abdication d'un pape faite pour de bonnes raisons,
abdiqua le 13 décembre 1294. Cette renonciation volontaire est la seule
que présente l'histoire de la papauté. Déposant la pourpre, le pauvre
ermite voulut regagner sa cellule, mais son successeur lui fit voir qu'un
pape n'est pas libre de rentrer dans la retraite. On lui donna la chasse,
on l'enfermaàFumone, dans une étroite prison, où il mourut le 12 mai
1290. Les célestins ont assuré qu'il avaitété empoisonné par Boniface VIII.
Il fut canonisé en 1313. — Il faut lire, dans les A A. SS., 19 mai, IV, le
poème sur sa vie, de Jacques Stefaneschi, sa biographie traduite de
Lelio Mari no, général des célestins en 1519, et celle que Pierre d'Ailly
composa sur la demande des célestins de Paris. Voyez aussi Gilles Co-
lonna, De renunciatione papœ, dans Roccaberti, Bibl. ponttficia, Rome,
1695 ss., in-f°, II; Spinelli, Vita di S. Pietro del Morone, Rome, 1664,
in-4°; Barcellini, Industrie indefesa di S. Cet. V, Milan, 1761, in-8° ;
Gregorovius, V ; de Reumont, II, 615. B. Bsbgeb.
CÉLESTINS. ordre religieux, issu d'une réforme des bernardins, et
762 CELESTINS — CÉLIBAT
institué par Pierre de Mouron vers 1254. Retiré sur la montagne dont
il prit le nom, puis sur le mont de Majella, près de Sulmone, dans la
Pouille, ce saint personnage y établit une communauté dont les règles
furent approuvées par Urbain IV en 1264, puis confirmées par Gré-
goire X en 1274, au second concile général de Lyon. Ses membres
s'appelaient alors ermites de Saint-Damien, et ils étaient rattachés aux
bénédictins. L'élévation de leur fondateur au saint-siége sous le nom
de Célestin V leur valut leur indépendance et leur dénomination de
célestins. Boniface VIII, qui avait eu l'art d'amener Célestin à abdiquer,
s'empressa de confirmer leurs privilèges. Philippe le Bel les introduisit
en France en 1300, au nombre de douze, et leur donna deux monas-
tères. Ils ne tardèrent pas à s'y propager, sans toutefois se rendre trop
à charge à la nation, car ils furent peut-être, sous l'ancien régime,
l'ordre le plus populaire. Ils avaient en France, au dix-huitième siècle,
vingt-et-un monastères . Parmi les constitutions des ordres religieux,
celle des célestins offre un type curieux de ces sortes de républiques
où la pondération des pouvoirs était le but suprême, pour éviter, sous
une règle commune, l'anarchie comme le despotisme. Ainsi, leur supé-
rieur général, toujours surveillé par le chapitre universel tenu chaque
année à Salmone, était nommé tous les trois ans, et dès 1323 ils lui
enlevèrent la faculté d'être réélu avant neuf ans écoulés. Les provinces
jouissaient d'une grande indépendance. Elles élisaient leur provincial
et leurs définiteurs qui, à leur tour, choisissaient les prieurs, l'élection
descendant ainsi de degré en degré jusqu'aux derniers emplois. La
province pouvait même amender ses constitutions, et celle de France
usa de ce droit en 1667. On voit que cette organisation se rapproche
d'autant plus de celle de l'Oratoire qu'elle s'éloigne davantage de celle
des jésuites. — Il ne faut pas confondre avec les célestins les frères mi-
neurs célestins, religieux franciscains qui, ne pouvant obtenir une ré-
forme de leur ordre, en sortirent pour se livrer aune vie plus austère.
Célestin V leur permit cette rupture et leur donna aussi son nom. Mais,
peu après l'abdication de ce pontife, Boniface VIII les persécuta comme
schismatiques et hérétiques, et ils s'éteignirent obscurément vers 1315.
CÉLESTIUS. Voyez Pélagianisine.
CÉLIBAT (cœli beatitudo !), « état de virginité auquel s'engagent ceux
qui aspirent aux charges de l'Eglise ou à la vie monastique. » Les prê-
tres païens pouvaient se marier. De même, la loi de Moïse ne défendait
aux lévites que l'union avec une prostituée, une femme déshonorée
ou divorcée et, aux grands-prêtres, le mariage avec une veuve
(Lév.XXI,7, 8, 14, 15). Le Nouveau Testament ne contient aucune res-
triction de ce genre. Les apôtres étaient mariés, du moins en partie
(Matth. VIII, 14; 1 Cor. IX, 5); ils recommandaient le mariage aux
chefs des communautés ( 1 Tim. III, 1), tout en proclamant que, dans
certaines circonstances, le célibat présente plus d'avantages que le
mariage (1 Cor. VII, 38). C'est de cette dernière considération que
découla de bonne heure, dans l'Eglise, l'opinion de la valeur supé-
rieure du célibat (Hermas, lib. I, vis. II, 3 ; Ignace, ad Polycarp., c. V).
Elle aboutit au mépris même de l'union conjugale (Origène, ItiNume?:
CELIBAT 763
komiL, VI; Jérôme, ad Jovtnwn., L i), bien < j m* L'Eglise, dans sa
lutte contre le gnosticisme, ait combattu L'erreur que le M<;ge du mal
était dans la chair et dans les inclinations charnelles. Dès le second
siècle. BOUS rencontrons des exemples fréquents de vœux volontaires
de célibat, ainsi que ta prescription de la continence avant L'exercice
des touchons sacrées. Au commencement du quatrième siècle plu-
sieurs conciles rendent des ordonnances formelles dans ce sens (CotlG.
Neo-cxsar., a. M\. c. 1); Cent. Ancyn ///., a. 314, c. Si. En thèse géné-
rale, les célibataires étaient préférés aux. hommes mariés pour la col-
lation des charges ecclésiastiques, mais le mariage n'était pas positi-
vement détendu aux clercs. Tertullien, Hilaire de Poitiers, Grégoire de
Nysse, avaient été mariés, bien que ce dernier représente son mariage
comme le résultat d'une erreur de jeunesse. Par contre, l'évèque de
Borne Strieras déclara, en 385 {ad Himerium Tw?yae&mnsemre]).l, c. 7),
que dans l'Ancien Testament le mariage des prêtres avait été auto-
risé, parce que tous les prêtres appartenaient à une seule et même tribu;
mais que, depuis que cette restriction avait été abolie, la licence de se
marier avait perdu sa valeur, que les obscœniv eupiditatea inséparables
de l'union conjugale devaient être considérées comme un obstacle à
l'exercice des fonctions sacerdotales. Il érigea, en conséquence, en
règle, le renoncement au mariage, qui, jusque-là, avait été volontaire
dans son diocèse. La même opinion se trouve exprimée dans les
décrétâtes d'Innocent Ier (404-405), de Léon Ie" (446-458) et de la
plupart des conciles postérieurs {C&ne. Carthog., II, a. 390, c. 2;
Conc. Carthag., Y, a. 401, c. 3, etc.). Mais si l'Italie, l'Espagne et
L'Afrique se soumirent à celte règle, les pays où dominait la race ger-
manique continuaient à la violer. L'interdiction de se marier ne s'ap-
pliquait d'ailleurs à l'origine qu'aux é vécues; successivement, surtout
depuis le cinquième siècle, elle s'étendit aux prêtres, aux diacres, aux
sous-diacres, à ceux d'entre eux du moins qui voulaient prendre
femme après l'ordination. Les clercs inférieurs, par contre, étaient
autorisés à contracter une union ; mais ils ne devaient pas épouser une
veuve ni convoler en secondes noces. La législation civile confirma ces
décisions, en statuant que des personnes mariées ne pouvaient pas
être promues à l'épiscopat, que le mariage des clercs devait être con-
sidéré comme nul et leurs enfants comme illégitimes (Cod. Theod., de
epùcopèi <'L cie/-ici.s, li, 2; Cod. Justin., I, 3, etc.). 11 convient d'ajouter
toutefois (pie le grand nombre même des ordonnances rendues sur
cette matière prouve combien vives étaient les résistances du clergé.
Ce n"est qu'au milieu du onzième siècle, grâce à l'influence décisive
de Grégoire VII, que le dogme du célibat des prêtres triompha. 11
enllamma la haine du peuple contre les clercs mariés, flétrit leur union
comme une foriiiciiiit). et autorisa ainsi l'opinion postérieure qu'à tout
prendre le concubinat des prêtres était préférable à leur mariage. Le
synode de Latran de lOT't prononce l'excommunication contre tout
prêtre marié qui dit la messe, comme aussi contre tout laïque qui
remit l'hostie de sa main. Urbain II décida en 1069 que tout prêtre
qui se mariait perdrait sa charge et ses bénéfices. Les conciles de
764 CÉLÏBAT
Reims (1119) et de Latran (1123) décrétèrent que de pareilles unions
devaient être dissoutes, et les coupables enfermés dans des péniten-
ciers. Tous les docteurs du moyen âge partagèrent ces vues. Le con-
cile de Trente (sessio XXIV, de sacram. matrim., can. 9), à son tour,
confirma ces décisions. Il rappelle aussi que tout clerc entré dans les
ordres mineurs perd sa charge s'il se marie; s'il est marié en y entrant,
il doit faire vœu de chasteté perpétuelle, et sa femme, dans le cas
où il aspirerait aux charges supérieures, doit prendre le voile et entrer
dans un couvent. Il faut chercher le vrai motif du célibat imposé par
l'Eglise romaine aux prêtres, d'une part dans la valeur supérieure
qu'elle lui attribue, ce qui implique nécessairement que la sanctifica-
tion véritable dans le mariage est impossible {Conc. Trid., sess. XXIV,
can. 10) ; d'autre part, l'Eglise juge nécessaire d'isoler le clergé de la
famille et de la société civile pour en faire un instrument docile du
saint-siége et de la hiérarchie. « Non liber 'ari potest Fcclesia, a dit Gré-
goire VU (Epist., lib. III, p. l),aservitute laicorum,nisi liberentur clerici
ab tixoribus. » Mais l'expérience a prouvé que le célibat des prêtres ne
favorise en aucune manière la virginité et la chasteté. Il n'est que trop
souvent la source de défaillances et de scandales qui ne tournent pas
à l'honneur de l'Eglise. Au lieu de s'élever par le célibat à la vita
angelica, les malheureuses victimes de l'aveuglement fanatique de
Grégoire VII et de ses successeurs sont exposées à tomber dans les
excès de la bestialité la plus grossière. Il est inutile d'énumérer ici les
plaintes incessantes qui se sont élevées, depuis les premiers siècles de
l'Eglise jusqu'à nos jours, sur l'immoralité du clergé. Et pourtant
Rome s'est toujours opposée à abolir la règle du célibat, qui après
tout n'est pas une question de dogme, mais une affaire de discipline.
Dans les pays où l'influence des idées catholiques domine, comme en
Espagne, en France, en Autriche, la législation même civile, en vertu
du caractère indélébile du sacerdoce, ne permet pas au prêtre, qui se
sépare de l'Eglise, de se marier et ne reconnaît pas ses enfants comme
légitimes. — Les Eglises protestantes, dès le début (1518), affranchi-
rent leurs conducteurs de l'obligation du célibat qu'ils ne trouvaient
ni prescrit dans l'Ecriture ni justifié par la nature dés fonctions
sacrées. Nul n'a parlé en termes plus élevés de la sainteté du mariage
que Luther; nul n'a condamné plus justement le célibat que Mélan-
chthon, lorsqu'il dit: « Una est vera et sola causa tuendi cœlibatus, ut
opes commodius administrentur et splendor or diras retineatur. » Les argu-
ments de l'Eglise catholique sont réfutés avec un grand soin dans les
diverses confessions de foi de la Réforme (Conf. August., art. 11 et 23;
Apol., art. VI; Art. Smalc, III, 11 ; Confess. Helvet., I, art. 37; Angli-
cana, art. 1, 34, etc.). — L'Eglise grecque, se fondant à tort suri Tim. III, 2,
ne choisit ses prêtres que parmi les hommes mariés, tandis qu'elle im-
pose le célibat aux moines, aux évêques, aux métropolitains et aux pa-
triarches, qui sortent habituellement des couvents. Les prêtres grecs ne
peuvent point épouser de veuves, ni se remarier, ni même, à la mort de
leurs femmes, à de très-rares exceptions près, conserver leurs fonctions.
Il faut rappeler aussi que l'Eglise catholique, par une heureuse inconsé-
CELIBAT — CELLARIUS 7G5
quence, tolère le mariage des prêtres chez les maronites el les grecs unis,
qui reconnaissent la suprématie du siège de Rome. — Voyez L'article de
Jacobson,dans la Real~Eneykl.de Herzog, ainsi que les grands ouvrages
de Baur, de Marheinecke el de Hase sur la Symbolique el la Polémique.
CELLARIUS. Kellner (Jean), théologien luthérien, naquit en Bohême
en L496; élève de Reuchlin, il enseigna l'hébreu, mais peu de temps,
à Louvain, à Mayence, à Tubingue, à Heidelberg (1518), à Leipzig
(1519), el publia une introduction à L'étude «le L'alphabet hébraïque
qui ne témoigne pas d'une connaissance bien approfondie de cette
Langue. A Leipzig Gellarius assista à la dispute de Luther avec Eck et
en publia une relation, qu'il eut à détendre ensuite dans divers opus-
cules. Après quelques hésitations il se déclara ouvertement pour Luther
en décembre 1520 et fut un des premiers prédicateurs de la Réforme ; en
septembre 1529 il devint pasteur à Francfort, puis à Dresde en 1539;
il mourut le 21 avril 1312 dans cette dernière ville, dont il fut le
premier superintendant luthérien. De ses ouvrages nous mentionnerons :
Isagogicon in fiebrœas litteras, Hageno», 1519, in-4°; Ad Capitonem
Epistola de vera série théologien' disputationis Lipsiacx, Lips., 1519,
in-4°. — Sources : C. Schlegel, Lebensbeschreibung der Dresdener Superin-
tendenten, 1697; L. Geiger, Das Studiurh der hebr. Sprache in Deut-
schland, 1870, p. 107; Steinschneider, Bibliogr. Handbuch ub.die hebr.
Sprachkunde, 1859, p. 33.
CELLARIUS, proprement Keller (Christophe) , philologue alle-
mand, né le 22 novembre 1638 à Smalcalden et mort à Halle le
4 juin 1707. Après de fortes études faites à Iéna et à Giessen, Gellarius
fut successivement professeur au gymnase de Weissenfels, et recteur
des gymnases de Weimar, de Zeist et de Mersebourg, où ses talents
pédagogiques rendirent des services éminents; lors de la création de
l'université de Halle, en 1093, il y fut appelé comme professeur d'élo-
quence et d'histoire ancienne. Erudit consommé et travailleur infati-
gable, Gellarius publia de bonnes éditions d'un grand nombre d'au-
teurs latins, et plusieurs ouvrages, fort appréciés dans le temps, relatifs
à la langue latine, des manuels d'histoire et de géographie; on consulte
encore son grand traité de géographie ancienne (Notifia orbis antiqui,
Lips., 1701-0, 2 vol. in-4°; nouv. éd. revue, 1731). Les langues orien-
tales avaient attiré de bonne heure notre auteur, qui montra la connais-
sance approfondie qu'il en possédait dans ses courts mais remarquables
travaux, grammaticaux sur l'arabe, l'hébreu, le rabbinique, le ehaldéen,
le syriaque et le samaritain; il publia aussi des fragments de la version
syriaque de l'Ancien et du Nouveau Testament avec une traduction
très-iidèle, des notes et un glossaire (1682) ; un ouvrage semblable sur
la version samaritaine du Pentateuque, accompagné d'une grammaire
et d'un Lexique (Horœ samariùanœ, Cizae, 1()82, in-4°) a été jusqu'à
notre siècle la principale ressource pour l'étude de cet idiome. Les
recherches de Gellarius sur L'histoire et La doctrine des Samaritains ont
aussi fait époque : Collée tanea historié samaritanx, Cizae, 1688, in-4Q;
Epistolae samaritanae ad Ludolfum, ib., ÎOSS, in-4°; De gentis samari-
tanx kistoria et caerimoniis, Haie, 1694, in-4° (réimpr. 1699 et 1707,
766 CELLARIUS — CELLERIER
ainsi que dans ses Dissertationes acad. et dans Ugolini thésaurus, t. XXII).
Les principales publications de Cellarius relatives aux langues orientales
se trouvent quelquefois réunies sous le titre de Philologicarum lucubra-
tionum sylloge, Iéna, 1083, in-4°. J.-G. Walch a réimprimé un certain
nombre de dissertations de Cellarius sous le titre de Cellariï disserta-
tiones académies (Lips., 1712, in-8°), avec une notice sur Fauteur et la
liste de ses nombreux ouvrages; il réunit aussi ses discours (Orationes
academicœ, Lips., 1714) et un choix de ses lettres et préfaces (Lips., 1715).
— Sources : Walch, notice citée; A. -H. Francke, Leichenpredigt auf Cella-
riwn, Hal., 1707; J. Burkhardi Epistola ad Strumum de Cellarii obitu,
Hal., 1707; G. Ludovici Historia scholarum, Lips., 1709, t. II, p. 1;
Clarmund, Lebensbeschreihungen , Wittemb., 1713, t. X; J.-P. de
Ludewig, Opuscula oratoria, Hal., 1721, p. 308; Nicéron, Mémoires,
t. V (la liste des ouvrages est plus exacte dans la trad. allem., t. Y);
Hirsching, Hist. litter. Handbuck, Leipz., 1794, t. I; Bohn, De fatis
studiilinguarum oriental. , Iéna, 1769; Meyer, Gesch.der Schrifterldœrung,
t. III; H. Keil, Oratio de Chr. Cellarii vita et studiis, Hal., 1875, in-4°.
A. Beenus.
CELLÉRIER (Jean-Isaac-Samuel) [1753-1844], pasteur et prédicateur
genevois, naquit à Crans, près de Nyon, dans le pays de Yaud, d'une
famille d'agriculteurs. Son enfance s'écoula dans le calme de la vie des
champs, en face des splendides paysages d'une des plus belles contrées
du monde. Ses premières impressions, qui semblent avoir laissé une
trace ineffaçable dans le développement de son individualité, furent
celles de la piété domestique, associées à un vif sentiment de la nature.
Il vint à l'âge de treize ans au collège de Genève, où il fit des études distin-
guées. De bonne heure il se fit remarquer par unegrande clarté d'intelli-
gence, une exquise sensibilité, une consciencieuse application. Les scien-
ces morales et les études littéraires eurent bientôt gagné toutes ses sympa-
thies et devinrent ses travaux de prédilection. Seul, éloigné de sa famille,
luttant contre la gêne, obligé de se suffire à lui-même et de gagner son
pain en donnant des leçons en dehors de ses heures d'étude, il fit durant
ces années l'apprentissage d'une vie austère, indépendante etforte. Entré
à l'auditoire de théologie pour se préparer au saint ministère, il ne
tarda pas à montrer des aptitudes spéciales pour la prédication, et l'on
cite de lui plus d'un de ces traits de précoces succès dont les maitres
de la chaire ont fourni tant d'exemples. Il fut consacré en 1776, en
vertu d'une dispense d'âge : il n'avait pas atteint vingt-trois ans. Les
années qui suivirent furent pour lui traversées par des épreuves de
famille et de santé, par divers voyages et un séjour de quelque durée à
l'étranger. Il les employa néanmoins à se perfectionner dans l'art delà
prédication en s'y exerçant toutes les fois que l'occasion lui en était
offerte, et en profitant des conseils et des directions de ceux qui étaient
considérés alors comme des maîtres. C'est ainsi qu'à Paris il entra en
relation avec l'abbé Fauchet et par son entremise avec les pères de
l'Oratoire, dont les entretiens élargirent pour lui le champ de l'éloquence
chrétienne. Revenu dans sa patrie, il fut appelé, en 1783, à occuperun
poste de pasteur dans la paroisse de Satigny, qu'il ne quitta plus depuis
CELLERIER 767
lors, et dans Laquelle, pendant trente-et-un ans, ses dons remarquables,
mis au service d'une fidélité, d'un dévouement, d'un zèle exemplaires,
firent de lui l'un des types les plus purs et les plus élevés, les plus
sympathiques ci les plus complets, du vrai pasteur évangélique. Son
ministère, qui embrasse la période troublée de 17S:> à 1814, lut fré-
quemment aux prises avec des difficultés exceptionnelles, dans les-
quelles il se montra toujours à la hauteur des devoirs Les plus solen-
nels, tour à tour, et les plus délicats. Sa réputation de prédicateur,
qui grandissait tous les jouis, attirait de loin de nombreux auditeurs
dans son enlise de campagne, et il était en outre souvent appelé dans
ks chaires de la ville, où sa présence prenait occasionnellement
l'importance d'un événement. En 1814, il se vit contraint par l'état
de sa santé, toujours chancelante, de donner sa démission, et après
quelques années passées encore au milieu de sis anciens paroissiens, il
vint linirses jours à Genève dans la solitude et le recueillement, entouré
delà vénération de sa famille, de ses amis, de ses concitoyens. Il atteignit
ainsi l'âge exceptionnel de quatre-vingt-onze ans, et fut transporté après sa
mort dans le cimetière de son ancienne paroisse, où ses restes mortels sont
aujourd'hui déposésau pied du mûr de son église, recouverts d'unepierre
tumulaire <pii. par sa volonté, ne porte pas même son nom. — Sur quatre
cent quatre-vingts sermons sortis de sa plume, Cellérier en avait publié
cent quarante-et-un de son vivant; vingt-trois l'ont été depuis sa mort;
les autres sont déposés en manuscrits à la bibliothèque de la compagnie
des pasteurs de Genève. Ce n'est qu'après son ministère deSatigny, en,
1818, que Cellérier publia un premier volume de sermons, Discours
familiers d'un pasteur de campagne, in-S°), et il n'avait eu en vue, dans le
choix qu'il en fit, que les intérêts de son ancienne paroisse. Encouragé
par le succès et pressé par de nombreuses demandes, il publia ensuite
successivement trois volumes de Sermons et prières pour les solennités chré-
tiennes et les dimanches ordinaires (Genève, 1819, et 2eéclit., 1824, in-8°) ;
deux volumes d'Homélies (Genève, 1825, in-8°) ; deux volumes de Nou-
veaux discours familiers d'un pasteur de campagne (1827, in-8°) .Les éditeurs
du volume posthume : Sermons, Homélies, Discours familiers et Prières
(Paris, 1845, in-8°, 435 pages), ont fait leur choix, clans le nombre des
discours qu'il avait lui-même mis à part comme prêts pour la publica-
tion, et se sont conformés aux désignations qu'il avait précédemment
adoptées. On a encore de lui un Catéchisme ou cours d'instruction religieuse,
volume de 4G0 pages, ((fruit de sa vieillesse, » comme il le dit lui-même,
et résumé de sa longue expérience, publié en 1845 par deux amis aux-
quels il avait conlié ce soin : MM. Coulin et Barde pères, et un volume de
Pensées pieuses extraites de ses divers ouvrages. Nous ne mentionnons la
publication faite par lui, conjointement avec M. Gaussen, de la confession
de foi helvétique, et celle faite après sa mort d'une profession de foi
Individuelle, trouvée dans ses papiers, que pour rappeler ces paroles
écrites en tête de la dernière et qui déterminent bien le caractère de
son orthodoxie : « Je ne mets de prix à une vérité de doctrine, que >i
elle peut contribuer à la sainteté pratique. » — La prédication de Cellérier
se distingue par un ensemble de qualités faites pour Lui assurer une
768 CELLÉRIER
place dans le petit nombre des productions de ce genre qui semblent
destinées à triompher du temps. Si on y rencontre peu de pensées
très-nouvelles et de mouvements oratoires très-entrainants, on y
reconnaît d'autre part à chaque page ce caractère de perfection
relative, qui fait les oeuvres classiques : une grande clarté de plan et
de style, un admirable talent d'exposition, une profonde connaissance
du cœur humain, un choix de détails, une noblesse sans déclamation,
une familiarité sans vulgarité, une convenance enfin, une grâce, une
poésie même d'expression qui ne se démentent jamais. Nous ne con-
naissons pas de prédicateur qui possède à un plus haut degré, et surtout
d'une manière plus égale et plus continue, ce caractère rare mais
essentiel de la prédication évangélique : l'onction, ce je ne sais quoi
d'intime et de pénétrant qui va droit du cœur au cœur, de l'âme à
l'âme. Ce n'est pas ici le souffle de Borée se déchaînant pour arracher
au pécheur le manteau de ses illusions et de sa propre justice; avec
Cellérier ce triste manteau semble devoir tomber de lui-même sous la
douce influence de ce soleil d'en haut qui porte dans ses rayons la
santé, le relèvement, la lumière et la vie. Nul prédicateur n'est plus
fidèle dans la doctrine, nul n'en fait moins étalage, s'adressant toujours
au cœur et à la conscience. Nul n'est plus fidèle dans la morale, nul
ne joint plus de grâce à son austérité. Nul enfin ne semble avoir plus
constamment obéi à cette pensée intime : rendre l'Evangile aimable.
On se tromperait néanmoins en se figurant que la douceur et l'onction
de Cellérier excluaient les impressions profondes chez ses auditeurs.
Le témoignage des contemporains atteste au contraire que l'action de
sa personne et l'accent dont il revêtait sa parole, comme il arrive chez
tous les vrais orateurs, allaient remuer les âmes au plus avant et lui
faisaient atteindre occasionnellement aux plus grands effets de l'élo-
quence. « J'en ai sangloté hier toute la soirée, » disait une jeune
paysanne, le lendemain d'une de ses prédications. Strictement orthodoxe
dans ses convictions, Cellérier n'était point un théologien, à moins
qu'on ne prenne cette épithète dans le sens où la pieuse antiquité
l'avait appliquée à saint Jean. Et s'il crut devoir, pour la défense des
doctrines qui lui étaient plus chères que la vie, prendre part occasion-
nellement aux débats théologiques qui agitèrent l'Eglise de Genève au
commencement du siècle, il en sortit bientôt, disant n'y avoir « guère
aperçu que des sujets de s'affliger, d'oublier, de pardonner. » Peu de vies
ont été aussi fidèlement employées, bien peu se sont terminées dans
une sérénité plus grande, dans une plus intime anticipation des dou-
ceurs de la communion avec Dieu, la vraie récompense du serviteur
fidèle. « Mon Dieu, te voir !... » fut la parole dans laquelle s'exhala son
dernier souffle. Et on peut dire que toute sa vie terrestre se résumait
dans ce mot qui est déjà celui de la vie du ciel. — Il existe en tête du vo-
lume de discours publié après la mort de Cellérier une notice étendue
et fort remarquable due à la plume de M. le professeur Diodati.
MM. Gaussen et Cellérier fils ont aussi consacré à la mémoire du pasteur
de Satigny des écrits du plus haut intérêt, mais devenus aujourd'hui
très-rares. F. Coulin.
OBLLÉRIEE 709
GELLÉRIER (Jacob-Elisée) [1785-1862], pasteur el théologien gene-
vois. Uniqueenfant du pasteur J.-I. -S. Cellérier, il grandità la campagne
sous l'influence d'une douce éducation domestique et du spectacle de
l'un des plus pieux ministères qu'ait comptés l'Eglise protestante. De
sou enfance il conserva toujours une disposition poétique et contem-
plative, l'amour de la nature, de la simplicité et des petites gens. Il lit
unies à L'académie de Genève, en même temps que S. Vincent et
F. Guizot, avec lesquels il prit part aux exercices (Tune société pour
l'avancement des études. Il l'ut consacre ministre en 1808, devint plus
tard L'auxiliaire et le successeur de son père à Satigny, où leur commun
ministère frappa madame de Staël, qui le dépeignit dans Y Allemagne
(46 partie, ch. IV). Deux ans après, il concourait pour la chaire
d'hébreu dans la faculté de Genève, où il entrait en 1816. Il y enseigna
pendant trente-huit années la critique sacrée, ies antiquités bibliques,
l'exégèse de l'Ancien Testament d'abord, jusqu'en 1825, du Nouveau
depuis, jusqu'à sa retraite en 1854. Il consacra à cette besogne du pro-
fessorat et à plusieurs autres que lui coniiaient l'Académie ou l'Eglise
(rectorat, présidence delà compagnie des pasteurs), toutes les forces
d'une conscience vigilante et, en dépit d'une santé délicate, les mena
heureusement à bout, grâce à un emploi méthodiquement réglé de son
temps et à une constante discipline de soi-même. Cette vie paisible, long-
temps sans épreuves au foyer, s'acheva dans une retraite laborieuse et
surtout pieuse au milieu de la vénération générale. — Cellérier était vrai-
ment une individualité chrétienne d'élite. Professeur, il donnait l'exem- ■
pie de l'obéissance scrupuleuse au devoir et se montrait un vrai père
pour les étudiants. Pendant une longue suite d'années, il leur adressa à
l'ouverture des cours des discours pastoraux qui ont été en bon nombre
imprimés et dont six ont pour titre commun : Le serviteur de Jésus-
Christ. Conducteur de l'Eglise, même après avoir quitté le pastorat, il ne
cessa de s'intéresser activement à ses destinées. En 1817, il travaillait,
dans les meilleures intentions, au règlement du 3 mai, qui prescrivait la
réserve et la paix aux prédicateurs du réveil et à leurs adversaires, mais
devait produire l'elict contraire. Plus tard il collaborait au Protestant de
Genève, qui représentait l'Eglise nationale et l'ancien libéralisme supra-
naturaliste en face de l'orthodoxie et de l'Eglise libre; en 1835 il con-
courait à la version du Nouveau Testament et à la célébration du troi-
sième jubilé de la Réformation. Après la constitution de 1847, il prit une
part prépondérante aux efforts que fit la compagnie des pasteurs pour
multiplier les œuvres d'évangélisation et de propagande religieuse et
regagner ainsi la democratiehostile.il remonta dans les chaires pour y
prêcher des méditations empreintes d'une profonde expérience morale
sui la Vie intérieure, qu'il publia en 1852. Enfin, en vrai patriote, il
s'occupa beaucoup de l'histoire de son pays. Déjà, au jubilé de 1835, il
composail pour la jeunesse un tableau animé de la Réformation sous le
: Histoire d'autrefois. Puis, dans [es Mémoires de la Société d'histoire,
les Etrennes religieuses, le Bulletin de la Société de l'histoire du prote
tantisme français, il publia diverses études, parmi lesquelles noie, ne-
mentionnerons que la Vie de ('hurles Pu-rot, pasteur libéral el charita-
6.0
II. ,J
770 CELLÉRIER
ble de la fin du seizième siècle, et V Esquisse dune histoire abrégée de
V Académie fondée par Calvin, qui, dans sa totalité dumoins,?nevitlejour
qu'après samort en 1872, éditée par V auteur de cet article. Comme homme
religieux, Cellérier se trouvait dans une position intermédiaire entre le
réveil et 1' ancien libéralisme, rapproché de l'un par le caractère de sa
piété, cle Vautre par ses idées théologiques. Humble autant que pacifi-
que, il était préoccupé avant tout de se perfectionner soi-même et de
croître dans la communion de Dieu. Une ligne de son testament le
peint bien : « 11 s'est efforcé, dit-il, de vivre et de se préparer à mourir
dans cette religion large, raisonnée, psychologique surtout, en même
temps qu'évangélique et vivante, qui, ennemie des phrases et des for-
mules se rattache à deux idées, misère de l'homme, vie par et en
Christ, et se résume en deux sentiments, humilité de l'homme pécheur,
amour du Sauveur et du monde invisible. » - Comme théologien,
Cellérier eut deux visées: la première, faire connaître à son milieu de
lan-ue française la science allemande, initier et pousser le jeune cierge
à cette étude : c'est ce qu'il fit par de nombreuses recensions dans les
Mélanges de religion, dans Religion et Christianisme de son ami b. Vin-
cent dans le Protestant de Genève, etc., par ses cours et ses ouvrages;
la seconde, combattre les idées théopneustiques, appuyées par le
réveil tout en maintenant fermement la foi à l'inspiration et a l au-
torité des Ecritures. Voici la liste chronologique de ses ouvrages.
En 1820, les Eléments de la grammaire hébraïque, suivis des principes
de la syntaxe hébraïque, traduits librement de l'allemand, de W. bese-
mus C'était la première grammaire hébraïque en français. 11 en em-
pruntait la substance aux Allemands, mais la présentait revêtue de
clarté et de simplicité. Cet ouvrage, depuis longtemps épuise, a
fait place à la grammaire de Preiswerk. En 1823, Essai dune in-
troduction critique au Nouveau Testament, ou analyse raisonnée de l ou-
vrage intitulé : Einleitung in die Schriften des Neuen Testaments, de
J -L Hug, professeur à Fribourg en Brisgau (Genève, m-8°, 5^24 pages).
C;est à un professeur catholique et par conséquent conservateur que
Cellérier recourait, « n'osant, disait-il (ce qui peint l'époque autant
que l'homme), faire de la critique qu'en se cachant à l'abri d un nom
distingué. » 11 croit devoir justifier la critique sacrée, en montrer la
légitimité et l'utilité, et faire voir qu'elle a gagné sa cause. Cet ou-
vrage n'étant pas original, nous nous dispensons de l'analyser. Lais-
sons aussi deux opuscules ultérieurs : DeF origine authentique et divine
de V ancien Testament (1826) , De V origine authentique et divine du Nouveau
Testament (1829), sermons accompagnés de notes, ou la critique taite
en chaire est mise au service et dans la dépendance de l'apologétique.
En 1832, Cellérier publie un ouvrage étendu, qui fait le pendant du
précédent : Introduction à la lecture des livres saints de l'Anaen Testa-
ment à l'usage des hommes religieux et éclairés (in-8°, 547 pages)
Après avoir établi le droit et le caractère de la « critique pieuse », il
-ilite dans la première partie, du Pentateuque, au sujet duquel il se
pose ces quatre questions : authenticité, intégrité, crédibilité, divinité,
qu'il résout affirmativement. Dans une seconde partie, il passe en îe-
CELLERIER 771
vue un à un les hagiogvaphes et les prophètes, en les caractérisant au
point de vue littéraire et édifiant plus encore qu'au point de vue histori-
que et critique; il admet toutes les authenticités qui sont contestées.
Dans une troisième partie, il présente sur l'Ancien Testament pris dans
son ensemble (Us considérations de deux sortes, les unes apologétiques,
tendant à montrer la beauté, l'harmonie et la divinité du livre, les autres
herméneutiques, destinées à combattre diverses erreurs sur son expli-
cation el sou usage pratique. En 1837, VFsprttdela législation mosaïque
(8 vol. in-8°). Cellérier suit encore ici un maître de la science alle-
mande, Ifichaëlis, l'auteur du Droit mosaïque « L'ouvrage n'en est ni
la traduction ni l'abrégé; c'est un produit de son école. » Il trace d'a-
bord deux tableaux : dispositions du peuple hébreu, état de la Pales-
tine; puis il envisage le gouvernement théocratique, les lois dans leur
rapport et leur accommodation au caractère du peuple, au sol, à l'in-
dépendance nationale, au bonheur public, au développement du mo-
nothéisme, de la moralité, de la civilisation des Hébreux, à la prépa-
ration du christianisme. La valeur historique de cet ouvrage, qui est
d'ailleurs d'une lecture instructive et agréable, est compromise par les
préoccupations apologétiques fia législation y est considérée moins
comme le fruit lentement mûri de l'esprit religieux et national des
Hébreux, que comme la conception savamment calculée d'un civilisa-
teur inspiré, comme une œuvre artificielle et surnaturelle tout ensem-
ble. L'idée religieuse et symbolique qui pénètre tout dans le mosaïsme
n'est point mise assez fortement à la première place. C'est que Cellé-
rier voulait recommander à un public plus curieux de civilisation que
de religion, la législation de .Moïse comme un beau spécimen de ce que
peut faire la sagesse d'un organe de la divinité pour l'éducation géné-
rale d'un peuple. On comprend qu'une telle conception de ce sujet
n'est pas suffisamment historique et théologique. Treize ans s'écou-
lent pendant lesquels Cellérier ne publie rien d'important. Vers la fin
de cette époque les esprits commençaient à fermenter; l'attention se
dirigeait de plus en plus vers le grand mouvement de la théologie al
lemande que suivait attentivement le journal La Réformation au dix-
neuvième siècle publié à Genève. Cellérier avait beaucoup attendu pour
donner son premier et unique commentaire sur YEpître de saint Jac-
ques (1850, in-8°, 200 pages). Dans l'avant-propos, il caractérise ce
qu'il appelle l'exégèse pratique, « celle qui met en lumière la pensée
de l'écrivain par ses rapports avec l'expérience et la vie. » Cette épitre
était un des objets de prédilection de Cellérier; nul ne pouvait être un
interprète plus sympathique d'un moraliste inspiré, profond, sage et
pittoresque comme saint Jacques. Quant à la grosse question de l'oppo-
sition entre Paul et Jacques, Cellérier se tient à égale distance de ceux
qui la nient et de ceux qui l'exagèrent, et il établit l'harmonie générale
et supérieure des apôtres. Il avait, annoncé la publication de ses cours
sur les deux épitres aux Corinthiens; nous regrettons qu'il ne l'ail
faite, car c'est là surtout qu'il développait le plus abondamment
a l'exégèse du sentiment », celle qui cherche le cœur de l'écrivain sons
•a doctrir . lions et d< s « motions sous - elle
772 CELLE1UER — OELSE
idées. Nous regrettons aussi qu'il n'ait pas imprimé ses cours sur V En-
cyclopédie et V archéologie bibliques, qui ont été autographiés par ses
élèves. Enfin, en 1852, paraissait le Manuel d'herméneutique (in-8°,
381 pages), le plus original et le plus important des ouvrages de Cellérier.
Dans T introduction il traite successivement de la nature, de l'histoire,
de la division de cette science qui iixe les principes de l'interprétation
des livres saints. Puis viennent cinq parties dans lesquelles sont étu-
diées successivement les règles qui se rapportent aux diverses applica-
tions et espèces de la science: herméneutique psychologique (conditions
que doit réaliser un bon interprète), historique (circonstances de l'auteur
et del'écrit), scripturaire (analogie de la foi, esprit de laBible et de chaque
auteur), dogmatique (preuves et nature de l'inspiration) ; le tout avec une
foule de subdivisions. L'exposition est claire, sobre et judicieuse, mais
un peu trop émiettée. La partie dogmatique est la plus considérable et
la plus délicate. Pour en apprécier les idées, il faut se rappeler qu'au
moment où Cellérier écrivait, la rupture du nouveau libéralisme avec
l'orthodoxie se produisait. L'herméneutique antérieure de Cellérier,
à la fois conservatrice quant aux résultats et libérale quant à la mé-
thode, se voyait dépassée; après avoir longtemps paru hardie, elle
se trouvait timide et Tétait; elle tenait à se défendre de toute conni-
vence avec la guerre qui commençait à se livrer contre l'autorité. Cel-
lérier sentait bien ce que sa position avait de particulier. D'un côté
donc, il continue à repousser les idées théopneustiques, de l'autre, il
défend l'inspiration divine des écrivains sacrés. Il reste ainsi jusqu'au
bout un supranaturaliste libéral. En résumé, si les ouvrages de Cel-
lérier ne sont pas fort originaux quant à la substance, ils le sont
(juant à la manière, surtout quant à l'esprit. L'influence de sa per-
sonnalité et de ses cours fut assez grande. A une époque où faisaient
grand bruit les querelles dogmatiques et les passions ecclésiastiques,
il imprima aux études bibliques sérieuses et indépendantes une im-
pulsion qui s'est prolongée chez ses nombreux élèves. Il se qualifiait
lui-même « d'homme de transition » et il comparait son enseigne-
ment à « une pierre à aiguiser ». Il a eu à la vérité des disciples plus
tranchants que lui, mais nous en connaissons peu chez lesquels on
rencontre, avec une liberté d'esprit plus notable pour son temps, un
plus sincère amour de la Bible et un mélange plus heureux de cul-
ture, de sagesse et de piété. — Outre ses ouvrages et ses articles
dans divers journaux et revues, voir Notice sur le professeur J .-E . Cel-
lérier. par Th. Heyer, secrétaire de la Société d'histoire et d'archéo-
logie de Genève, 1803, et Le. professeur Cellérier, deux articles du pasteur
L. Choisy dans le Chrétien evangélique de 1863. A. Bouvier.
CELSE. Le premier ouvrage composé, dans le monde gréco-latin,
contre la vérité de la religion chrétienne est d'un philosophe grec du
nom de Celse. Origène, qui en a lait une réfutation étendue, en donne
l'auteur pour un épicurien. C'est une erreur manifeste. Dans cet écrit,
Celse parle toujours en platonicien, jamais en épicurien ; Origène en
convient lui-même; il prétend, il est vrai, que ce platonisme n'est
qu'une feinte imaginée pour couvrir ses intentions perfides et s'insi-
OBLSB 773
nuer dans l'esprit du lecteur [Contra Cehum, 1. Si: mais cette expli-
cation De s'appuie sur rien (Redepenning, $, t. II. n. 132-138 .
Cel ouvrage fui composé à un moment où les chréti<
coup d'une violei Maro-Àurèle, 163-183), en 17S,
ne des i >rt plausibles en faveur de
cette date Ceisus ' Wakres Wort, p. . .11 ne faudrait pas en
dure que Cels ilu s'en rendre complice et provoquer contre
eux de nouvelles rigueurs.il nous apprend lui-même dans quel d<
il entreprit de combattre le christianisme. Ce ne fut que pour guérir
de leurs illusions de pauvres et malheureux ignorants, et ouvrir leurs
yeux à la vérité (Contra Celsum, I. 9; V. 65; VI, 37; VII, II). I
vérité à laquelle il se propose de les ramener, c'est, non le paganisme
vulgaire et officiel, mais cette doctrine de Dieu et des êtres divins
intermédiaires entre lui et les hommes, que les platoniciens des pre-
miers siècles de notre ère en donnent pour le sens caché, et qui fut la
religion de toutes celles des écoles philosophiques de cette époque
qui prétendaient se rattacher à Platon. Celse en patrie fort souvent
dans son ouvrage contre le christianism .. I. 6 et (.) : II. 17; Y, 6
et 2.v">. . . ■[ la représente à plusieurs reprises comme bien supé-
rieure aux doctrines chrétiennes (Ml., VII, 68; VIII, 2,9-15). Il n'a
pas d'autre but que de convertir les chrétiens à cette espèce de reli-
gion philosophique. S'il commence par une réfutation du christia-
nism qu'il fallait d'abord ébranler la confiance des chrétiens
en leurs propres croyances, et c'est ce qu'il voulut l'aire dans l'écrit'
auquel Origène repondit, et auquel Celse avait donné pour titre: « Dis-
cours de vérité, s 'AXr/rr,: Xcyoç, indiquant par là qu'il se proposait d'y
montrer ce que valent en réalité les documents sacrés et les doctrines
de l'Eglise chrétienne. Ce « Discours de vérité » devait être suivi d'un
autre, dans lequel il aurait exposé à ceux des chrétiens qui, ébranlés
dans leur foi, lui auraient témoigné quelque confiance, les principes
qui doivent diriger la conduite des hommes (ibid., VIII, 76). Il ne
parait pas que le second « Discours de vérité» ait été jamais composé;
du moins Origène ne le connaissait pas, et aucun écrivain de l'anti-
quité stique n'en parle. Probablement le premier, s'il se ré-
pandit parmi les chrétiens (et il ne l'avait écrit que pour eux), les
révolta plus qu'il ne les convainquit, et Celse dut renoncer a l'espoir
de les convertir à sa religion platonicienne. — On ne s'explique
pas i quel aveuglement le philosophe platonicien ne
comprit pas que - ours de vérité • ne pouvait que lui aliéner
ceux dont il comptait gagner la confiance. Le ton en gant, mo-
queur, ironique, blessant au suprême degré pour les chrétiens qui y
sont presque partout tr ignorants et de pauvres gens sans intelli-
. Muant au fond, rincipalement dans la première partie
qui est a la fois la plus importante et la plus étendue, nu acte d'accu-
sation vans merci, pour ne pas dire un libelle diffamatoire contre le
fondateur du christianisme. Celse y a recueilli tous les contes injurieux
et tout tplications malveillantes que Les juifs avaient imaginés
ur la pers I renseignement de Jésus. C'est, il es vr?i, I
774 CELSE
bouche d'un juif qu'il met ce réquisitoire outrageant (ibid., I, 28; II,
79) ; mais il en endosse la responsabilité, non seulement en insérant ces
injures dans son écrit, mais encore en les faisant suivre de discussions
de nombreux passages des évangiles (ibid., III, 1 ; V, 65), desquelles il
résulterait que le père de la religion chrétienne n'aurait été, pour me
servir des expressions d'Origène (ibid., III. 1), qu'un imposteur qui
aurait voulu, par des manœuvres frauduleuses et de faux miracles, se
faire passer pour le Messie annoncé par les prophètes, et qui n'aurait
eu ni la capacité ni le courage de soutenir ce rôle avec dignité. Evi-
demment Gelse mettait Jésus sur la même ligne que cet Alexandre de
Paphlagonie, dont, sur sa demande, son ami Lucien avait démasqué
les impostures. Les néoplatoniciens, qui combattirent plus tard le chris-
tianisme, furent à la fois plus clairvoyants et plus habiles, en recon-
naissant un sage en Jésus qu'ils mettaient ainsi hors de cause, et en
s'en prenant uniquement à ses disciples qu'ils accusaient d'avoir mal
compris la doctrine de leur maître et de l'avoir dénaturée. Ce n'est
pas que Celse ne signale çà et là dans les discours du fondateur de la
religion chrétienne quelques paroles remarquables et quelques pré-
ceptes élevés ; mais il lui en enlève aussitôt tout l'honneur en assurant
que ce sont des emprunts faits à Platon, sans s'inquiéter le moins du
monde d'expliquer comment le prophète de Nazareth, dont il rabaisse
à plaisir le caractère et l'intelligence, s'était trouvé en état de puiser à
cette source de sagesse. Dans la seconde partie de son « Discours de
vérité » il attaque au nom de la raison la plupart des doctrines chré-
tiennes, entre autres celles de la création (ibid,, VI, 47-65), du diable
{ibid., VI, 42) et de la résurrection de la chair [ibid., VII, 32-35; VIII,
13). Enfin, dans la troisième partie, il essaie de montrer aux chrétiens
que les principes d'après lesquels ils affectent de former un peuple
séparé et distinct de tout le reste des citoyens romains et se refusent
de prendre part aux charges et aux devoirs de la vie commune, ainsi
qu'aux actes du culte public qui ne sont en définitive que des fêtes
nationales et n'engagent en rien la conscience, ne peuvent se justifier
devant la raison, et leur sont préjudiciables à eux-mêmes, en leur
donnant l'apparence d'être toujours en révolte contre les lois de l'Etat
et en attirant sur eux les rigueurs de l'administration romaine (ibid.,
VIII, 17, 21, 24, 28). — Ce qui s'explique encore moins, c'est que
cet ennemi déclaré du christianisme en avait fait une étude appro-
fondie, sans en avoir en aucune façon saisi l'esprit qui le caractérise.
Son « Discours de vérité » nous apprend qu'il connaissait les évan-
giles jusque dans leurs moindres détails; que plusieurs des autres livres
de l'Ancien et du Nouveau Testament lui étaient familiers; qu'il était
au courant de la polémique des juifs avec les chrétiens; qu'il n'igno-
rait pas les dissentiments qui s'étaient produits dans l'Eglise primitive
entre Pierre et Paul, et plus tard entre la « grande Eglise » dxzy£^(]Ey.-
vXr^ia) et de nombreuses sectes rivales, et bien d'autres faits que
l'Eglise laissait volontiers dans l'ombre. Toutes ces choses étaient tel-
lement étrangères aux païens, même aux plus instruits, qu'on est
presque tenté de supposer qu'il avait vécu parmi les chrétiens, qu'il
CELSE — CÈNE 775
avait même été un des leurs, et que quelque blessure faite à sa vanité
l'avait jeté dans le parti des philosophes platonisants de cette époque
et lui avait nus la plumé à la main contre d'anciens coreligionnaires
(Schoeil, Hiêtoire de la littérature grecque, "2" édit., t. V. (>. in:; et L04).
C'est là toutefois une hypothèse gratuite. Le a Discours de vérité ))
!ie contient pas un seul mot qui puisse le faire prendre pour un acte
de vengeance. 11 faut chercher ailleurs les causes de l'antipathie de
Gelse pour le christianisme. On ne peut, ce semble, les trouver que
dans sa nature intellectuelle el morale, et surtout dans les préjugés
qu'il devait à son éducation (voy. Neander, G esc h. der chrtitl. Kirche,
t. [, p. 173-175). Les passades du « Discours de vérité » cités par Ori-
gènexmf été recueillis par C.-K. Jachmann dans son De Celso philosophe* ,
1836, in-4°, et par M. Th. Keim (traduits en allemand et ordonnés de
manière à rétablir autant que possible récrit de Gelse) dans Celsus,
Wahrcs Wort, Zurich, 1871), in-8°. Pour la bibliographie, on peut
renvoyer à ce dernier ouvrage, dans lequel sont discutées toutes les
opinions précédemment émises sur la personne et le discours de Gelse.
M. Nicolas.
CELTES. Voyez Gaule (Religion de L'ancienne).
CENCHRÉE (Keyxpe^, Act. XVIII, 18). Gorinthe avait deux ports :
l'un sur la mer Ionienne, Aé^atov, Léchée, par où se faisait le com-
merce avec T Italie; l'autre sur la mer Egée, Cenchrée, qui mettait
Gorinthe en relation avec l'Orient. La distance entre Corinthe et Cen-
chrée, d'après Strabon, était de soixante-dix stades (sept kilomètres'
environ). Avant de s'y embarquer pour son dernier voyage à Jérusalem,
Paul, à cause d'un vœu, s'y fit raser la tète. A tort, on a trouvé étrange
cet acte de Paul et, pour l'en décharger, quelques exégètes l'ont attribué
à Aquilas qui l'accompagnait, ce qu'à la rigueur permet la construction
de la phrase grecque, mais ce qui n'est pas vraisemblable (Act. XY11I,
18-19). Il y avait à ce moment-là déjà une petite communauté chrétienne
à laquelle appartenait la diaconesse Phébée (Rom. XVI, 1).
CENDRES (Mercredi des). Les cendres sont le symbole de la péni-
tence. Dans les calamités publiques comme dans les deuils privés, les
Hébreux mettaient de la cendre sur leurs têtes. Les pénitents, dans les
premiers siècles du christianisme, devaient se présenter à la porte de
l'église, revêtus de cilices et couverts de cendres. Le concile de Béné-
vent de l'an 1091 ordonne à tous les lidèles de recevoir les cendres le
premier jour du carême, qu'il appelle dies cineris et cilicii. Après que
les rameaux bénits de l'année précédente ont été brûlés, leurs cendres
sont placées dans un vase sur l'autel; puis le prêtre officiant, après
avoir récité les psaumes pénitentiaux et d'autres prières, les bénit, en
impose sur la tète du clergé et du peuple agenouillé, en prononçant
mto, homo, quia pulvis es, et in pulverem reverteris
(Gen. 111, 19). L'Eglise vent ainsi inspirer aux lidèles l'esprit de péni-
tence et d'humiliation dans lequel ils doivent passer le temps du carême
(V0>*. cet article).
CÈNE (Sainte). — I. DOCTRINE BIBLIQUE. -Nous avons quatre relations
de l'institution de la cène (Matth. XXVI, c2o>2(.); Marc XIV, 22-25; Luc_
77G CENE
XXII, 14-20; 1 Cor. XI, 23-33); entre elles il n'y a que des différences
de détail, pour le fond elles s'accordent entièrement. Celles des deux
premiers évangiles sont presque identiques* et sont sans doute l'ex-
pression de la tradition générale de l'Eglise; celles de Luc et de Paul
ont évidemment une origine commune, dont toute la certitude est
indiquée par ces mots : « J'ai reçu du Seigneur ce que je vous ai
aussi transmis, lyt») rtapsXaêov a.izb io'ù Kupfou o %oà Tuapécor/a Oj/tv
(1 Cor. XI, 23). La préposition cko n'indique pas formellement un
enseignement direct comme le ferait mieux rcapa ou utuo, et on pour-
rait admettre que l'apôtre ait en vue une instruction transmise par
l'un des premiers témoins (cf. Luc I, 2). Mais il est plus naturel de
comparer ce passage à Galates I, 11, 12, où Paul déclare que l'Evan-
gile qu'il annonce il ne l'a reçu d'aucun homme cùoi yàp sytoTrapà
àvOpw-o'j rcapéXaSov), mais « par révélation de Jésus-Christ ». S'il
était donc absolument nécessaire de choisir, ce serait aux récits de
Luc et de Paul que devrait être donnée la préférence. Mais les évan-
giles, ici comme partout, sont très-concis, et ne donnent que des ré-
sumés des paroles de Jésus-Christ; ils peuvent être également exacts
sans être identiques, et le plus souvent il est facile de réunir les diffé-
rents éléments qu'ils renferment. Le quatrième évangile ne contient
pas l'institution de la cène, qui était bien connue lorsqu'il a été écrit ;
mais il rapporte ce qui s'est passé le dernier soir que le Seigneur a
passé avec ses disciples et renferme plusieurs discours qui sont en
relation plus ou moins directe avec la cène (Jean VI, X1II-XVII). —
Les synoptiques semblent indiquer que Jésus a institué la cène et célé-
bré la pâque le jour même de la fête ; mais le récit de Jean montre
que c'est la veille seulement. D'abord il commence par ces mots :
« avant la fête de pàque » (XII, 1) ; puis il mentionne le dernier repas
du Seigneur avec ses disciples, <m disant simplement : « un repas
ayant eu lieu » (XII, 2). Il dit ensuite positivement que ce jour, qui,
suivant la coutume des Juifs, avait déjà commencé la veille après le
coucher du soleil, était celui de «la préparation de la pâque » (XIX, 14),
et que les Juifs n'entraient point dans le prétoire de peur de se souiller
et de ne pouvoir pas manger la pàque (XVIII, 28). De plus le jour de
la fête de pàque toute activité devait être suspendue (Lévit. XXIII, 7)
et on ne peut admettre que les Juifs aient i'aitce jour-là tout ce qui a eu
lieu lors de la condamnation et de la mort de Jésus-Christ. Pour réta-
blir l'accord entre le quatrième évangile et les synoptiques, on a
essayé de donner une autre portée aux passages que nous venons de
citer, ce qui ne peut se faire sans s'éloigner de leur sens naturel.
On a aussi supposé que les Juifs avaient, selon une coutume qui s'est
établie depuis, retardé le jour de la fête, qui aurait été reporté du ven-
dredi au samedi alin de n'avoir pas deux jours fériés de suite. On en
verrait un indice dans ces mots : « le jour où il fallait (èv fj ëîei) sa-
crifier la pàque arriva » (Luc XXlï, 7). Cette hypothèse, qui lèverait
toute difficulté, n'est pas suffisamment établie. Mais, en considérant
de plus près les synoptiques, on. voit qu'ils ne sont pas nécessaire-
ment en contradiction avec Jean. Luc dit que « le jour où il fallait
(MINE 777
sacrifier La pàque arriva ». Celle journée, 14 du mois de nisan, com-
mençai légalement le soir du 13 ; el c'est vers la fin de ce jour que
doit se placer le moment où les disciples eurent à chercher une chambre
pour faire tous les préparatifs nécessaires à la célébration de la pàque.
G est aioi's que Jésus, sachant que le moment de sa mort allait arriver,
et usant de sa Liberté ordinaire vis-à-vis de la lettre de la loi,
voulut célébrer la pàque de suite. C'est là ce qu'il explique d'abord
au maître de la maison : « Mon temps est proche » (Matth. XXVI, 18),
puis à ses disciples : a. rai ardemment désiré manger cette pàque avec
vous avant de souffrir » (Luc XXII, 15). Quoi qu'il en soit de ce point
qui est encore controversé, c'est le jeudi soir, dans u o repas pascal, que
Jésus-Christ a institué la sainte cène. Il commença par tourner les
pensées de ses disciples vers sa mort prochaine et leur montrer qu'elle
était voulue de Dieu et annoncée par les Ecritures (Matth. XXVI, 2i;
Marc XIV, '21 ; cf. Jean XIII, 1). Il exprima en même temps la pro-
tonde douleur (pie lui causait la trahison de l'un d'entre eux; et
voyant <pie ce dernier appel était infructueux, il le fit sortir (Jean XIII, 27;
Matth. XXVI, 25); L'exclusion de Judas ressort encore du fait qu'il
s'éloigna aussitôt après avoir reçu le morceau trempé (Jean XIII, 27)
et que la cène ne lut donnée qu'à la lin du repas (Luc XXII, 20;
1 Cor. XI, 25). — Le Seigneur, après avoir rendu grâces, prit un pain et
le rompit, comme le faisait le père de famille dans le repas pascal. Le
fait est mentionné avec le même terme (sy.Xa-s) dans chacune des,
relations de l'institution de la cène; saint Paul y montre un signe de
l'unité des chrétiens : « Parce qu'il y a un seul pain, nous qui sommes
plusieurs, nous ne sommes qu'un seul corps » (1 Cor. X, 17); et la
fraction (xXdwtç) du pain fait tellement partie du symbolisme de la
cène qu'elle semble avoir été employée d'abord habituellement pour
la désigner (Act. II, 42; XX, 7; 1 Cor. X, 16). Jésus distribua en-
suite le pain en disant : « Prenez, mangez, ceci est mon corps
qui est donné (i Cor. XI, 2i remplace donne par rompt/ ; mais
cette leçon est incertaine, et n'a d'ailleurs aucune importance)
pour vous. » En présentant son corps séparé du sang, il montre
([ne c'est essentiellement sa mort qu'il a en vue, et en le donnant
comme nourriture il se compare lui-même à l'agneau pascal (cf. Jean
l, 20; XIX, .')()) et établit comme une pàque nouvelle (cf. 1 Cor. V, 7).
Après li> souper, il prit la coupe, et ayant rendu grâces, il la leur
donna en disant : « Huvez-en tous, car ceci est mon sang, le sang de la
nouvelle alliance qui est répandu pour plusieurs pour la rémission de
leurs péchés. » Ce second acte n'est pas la simple continuation du pre-
mier, car il est précédé d'une action de grâces nouvelle ; il n'en est pas
non plu., larépétition sou i une forme différente, car il rappelle d'abord
!'■ sang de l'agneau pascal et la délivrance dont il a été h; moyen
(Exode XH, 21-28), puis aussi l'alliance conclue entre Dieu et son peuple.
et l'aspersion de sang qui en a été le sceau, et par laquelle le culte mo-
saïque a été inauguré (Exode XXIV, 5-8). ("était là aussi un souvenir
bien conservé 'le-/ les Israélites (cf. Zach. IX, 11; Pà. L, 5). Jésus
annonce ainsi qu'il va inaugurer la nouvelle alliance, l'alliance éter-
778 GÈNE
nelle si souvent annoncée par les prophètes (Jér. XXI, 31; Esaïe
LV, 3; Ezéch. XVI, 66, etc.; cf. Hébr. XIII, 20), et qu'elle sera scellée
par son sang, et aussi par Pacte nouveau qu'il établit, car il dit :
« Cette coupe est la nouvelle alliance en mon sang » (Luc XXIII, 26;
1 Cor. XI, 25). Il ajoute que ce sang est répandu pour la rémission des
péchés « pour plusieurs » (xepl tcoXXôv, Matth., Marc), rappelant les
promesses de salut faites à plusieurs (Esaïe LUI, 11; Matth. XX,
28, etc.), et dit aussi « pour vous » (ùrÀp ôjjuov, Luc XXII, 20), indi-
quant que ce sont ses disciples seuls qui y participent en effet. En
donnant la coupe, le Seigneur dit : « Buvez-en tous » (Matth.), pour
montrer que tous ses disciples doivent y avoir part ; et il ajoute :
« Faites ceci en mémoire de moi toutes les fois que vous en boirez, »
pour indiquer qu'il établit une institution permanente, qui doit, dit
saint Paul, subsister « jusqu'à ce qu'il vienne » (1 Cor. XI, 25, 26). —
La sainte cène place l'Eglise en présence de la mort de Jésus-Christ ;
elle rappelle et atteste le caractère expiatoire de son sacrifice ; elle en
est comme la suite, et donne aux fidèles un moyen d'avoir part plus
directement à ses effets. Dans les sacrifices de l'Ancien Testament on
doit considérer, outre le choix et la mort de la victime, deux actes
également importants, l'emploi de son corps qui était ou consumé en-
tièrement sur l'autel ou en partie mangé par les prêtres ou les fidèles ;
puis l'emploi du sang qui était répandu en aspersions. Jésus-Christ a
voulu donner à son Eglise quelque chose d'analogue, mais de plus
significatif et plus efficace. 11 est lui-même la victime, l'agneau de Dieu
qui ôte réellement les péchés. Il a offert sa vie une seule fois (cf. Hébr.
IX, 28) et il donne à tous ses disciples son corps qui a été rompu
pour eux, et son sang qui a été répandu pour sceller la nouvelle
alliance. Mais il n'est pas nécessaire qu'ils reçoivent matériellement
son corps et son sang, ce qui serait impossible ; aussi il leur distribue
le pain et le vin qui doivent produire sur ceux qui les reçoivent les
mômes effets que s'ils étaient effectivement nourris de lui. C'est là ce
qui est expliqué par saint Paul lorsqu'il dit que la coupe et le pain
sont la communion du sang et du corps du Christ (I Cor. X, 16-21).
Cette expression xcivawfo est employée pour désigner la communi-
cation du Saint-Esprit (2 Cor. XIII, 13) et la participation aux souffran-
ces du Christ (Philip. III, 10), elle indique toujours une participation
effective. Chez les Juifs ceux qui mangent des victimes ont communion
avec l'autel (obyji y.owmo\ tgO (foffiaomîpfoo eîal, 1 Cor. X, 18), c'est-à-dire
s'approprient l'efficacité du sacrifice. De même ceux qui mangent
des choses sacrifiées aux idoles prennent aussi part au culte des dé-
mons et les chrétiens ne doivent pas avoir communion avec les dé-
mons (-/.o'.vcovoj; twv oai|j.ovtû)v yive^Oai, 1 Cor. X, 20). Ce n'est pas par
l'effet de quelque vertu renfermée dans la chair, car il est permis
d'user de toute viande sans s'informer d'où elle provient; mais celui
qui est averti que ce qu'il mange a été sacrifié aux idoles doit s'en
abstenir (1 Cor. XI, 27, 28). L'apôtre établit donc que celui qui prend
part volontairement au repas d'un sacrifice participe par là à ses effets.
Et s'il en est ainsi pour « l'Israël selon la chair », c'est-à-dire pour
CÈNE 779
ceux qui n'ont que l'ombre de ce dont les chrétiens possèdent la
réalité; combien plus ceux-ci seront-ils sûrs de trouver dans la cène
une communion réelle avec Jésus-Christ. Cette certitude ne provient
pas essentiellement des sentiments de ceux qui communient, mais
la coupe et le pain qui sont la communion du sang el du corps
du Seigneur. — Ceci permet de préciser la portée «In mot est dans les
paroles de l'institution : S Ceci est mon corps, ceci esj mon sang. )>
On voit dès l'abord qu'il ne peut être question d'une simple représen-
tation. 11 Tant remarquer aussi que lorsque Jésus-Christ emploie cette
expression, il dit :Je suis le bon berger, le chemin, la lumière, etc., etc. ;
il indique toujours non une figure, mais une réalité d'un ordre supé-
rieur: de même dans la vvnc il ne donne pas des images OU des sym-
boles, mais une communication deseôets de sa mort plus effective que
celle qui aurait été produite par son propre corps et son propre sang
s'il avait jugé utile de les donner. C'est ce que démontrent encore ces
expressions : « discerner le corps du Seigneur », « coupable du corps
et du sang du Seigneur » (1 Cor. X), qui ne peuvent s'expliquer que
s'il s'agit de quelque chose de bien réel. Cette réalité ne peut être de
Tordre physique, puisque d'une part il serait impossible de la con-
stater, et que d'une autre il n'y a ni dans les paroles du Seigneur ni
dans celles de ses disciples aucune trace des' explications qu'aurait
exigées une idée semblable. De plus on serait conduit par là à l'aire
de la cène elle-même une sorte de sacriiiee non sanglant, notion
:* 'tellement contradictoire et entièrement contraire à l'enseigne-,
ment apostolique. On ne peut pas non plus supposer une communi-
cation directe du corps glorifié de Jésus-Christ, car ce point de vue
aussi est étranger à l'Ecriture et en contradic tion avec le symbolisme
de la cène, qui ne nous place pas en présence d'un corps spirituel dans
lequel il n'y aurait plus à distinguerai chair ni sang (cf. ICor. XY,4ri:-50),
mais montre un corps rompu et un sang répandu. — La sainte cène est
donc un des moyens par lesquels les effets de la mort du Christ sont
réellement communiqués. Mais elle est aussi en rapport direct avec
sa résurrection et sa vie. Il faut considérer que Jésus-Christ a rarement
parlé de sa mort sans mentionner également sa résurrection, et (pie les
apôtres de même montrent fréquemment la connexité et L'importance
('•-aie de ces deux faits pour la vie chrétienne; (Rom. IV, 25; VI, 5, 8;
2 Tim. Il, 11, etc.). Jésus, en instituant la cène, a annoncé à ses dis-
ciples sa résurrection et leur réunion avec lui dans le royaume de Dieu
(Matth. XXVI, 29, etc.; cf. Jean XIV, 2, 3, etc.); il leur a parlé du
moment où la pâque serait accomplie (eorç oxou ïCÀYjpwôîj, Luc XXII, l(i)
dans ce royaume. Ce corps rompu qu'il donne, c'est un corps qui doit
: essusciter ; rien n'indique que ce soit un moyen direct de résurrection ;
mais c'en est certainement un gage et un moyen indirect pour ceux
qui sont ainsi unis à Christ, source de toute vie (Jean VI, 57; XIV,
I!), et..i. Le pain et le vin envisagés comme aliments représentent la
plénitude de la vie du Christ communiquée aux siens. Cette vie doil se
substituer à la leur, comme le montre souvent saint Paul en apportant
le témoignage de son expérience personnelle (Gai. 11, 20, etc.) et comme
780 CENE
le Sauveur l'a enseigné de plusieurs manières. Il est le vrai cep qui
communique la vie aux sarments (Jean XV, 1-8) ; il est le pain de
vie; celui qui mange sa chair et qui boit son sang a la vie éternelle, et
il le ressuscitera au dernier jour. Ces paroles et les autres analogues
(Jean VI, 32-51) ne peuvent se rapporter directement à la cène, qui
n'était pas encore instituée lorsqu'elles furent prononcées ; mais cet
acte est un des moyens de réaliser ce qu'elles indiquent et de sceller
cette union intime par laquelle il est dit que « nous sommes de son
corps, de sa chair et de ses os » (Eph. V, 30). La cène doit aussi res-
serrer l'union des fidèles entre eux, elle n'est pas un acte individuel,
mais elle est donnée à l'Eglise entière, qui est elle-même « le corps du
Christ ». Il faut remarquer de combien d'appels à l'amour et à l'union
son institution fut accompagnée (Luc XXII, 22-27 ; Jean XIII, 14; XV,
12; XVII, 21 ; etc.). La cène n'est destinée qu'aux disciples de Jésus-
Christ (1 Cor.XI, 27-32). Ilsdoivent, avant d'y prendre part, examiner
s'ils le sont bien réellement, s'ils peuvent comprendre ce qui leur est
donné et « discerner le corps du Seigneur ». Autrement ils mange-
raient et boiraient un jugement contre eux-mêmes (v. 29), c'est-à-dire
que ce jugement serait pour eux la conséquence directe et spéciale de
leur communion. Ce n'est pas de la condamnation éternelle qu'ils sont
menacés, mais d'un châtiment temporel qui, pour plusieurs membres
de l'Eglise de Corinthe, avait été la maladie ou la mort (v. 30). Ces
punitions sont dispensées par Dieu dans des vues miséricordieuses
« afin que nous ne soyons plus condamnés avec le monde » (v. 32).
Ainsi la cène rapproche de nous la mort de Jésus-Christ; nous rece-
vons son corps et son sang comme s'il venait d'être immolé. C'est lui-
même qui nous invite à les recevoir, qui par ce moyen nous donne
l'assurance de la rémission des péchés, nous communique sa vie et nous
donne un prochain rendez-vous dans l'éternité. Ed. Monnibe.
II. Doctrine catholique. — 1. Les trois premiers siècles. L'Eglise,
durant cette période, flotte entre la conception spirituaiiste et la con-
ception matérialiste de la cène, ou, pour parler plus exactement, elle ne
les distingue pas nettement et ne les soumet pas à l'analyse de la ré-
flexion critique. On peut toutefois démêler déjà les deux courants.
Ignace (ad Rom., 7 ; adSmyrn., 7), Justin (ApoL, I, 06) et Irénée (IV, 18)
insistent sur l'union mystique du Logos avec le pain et le vin, qui de-
viennent ainsi des éléments célestes sans cesser d'être du pain et du vin,
de mêmeque notre corps, lorsqu'il a revêtu l'immortalité, n'a pas cessé
d'être notre corps. Ils polémisent contre les docètes et les gnostiques qui
nient la réalité du corps du Christ dans la cène, parce qu'ils méprisent
la matière du pain et du vin qui le renferme. Le réaliste Tertullien,
par contre, est porté à ne voir dans l'eucharistie qu'une figura corporis
Christi(Adv. Marc.,l, 14 ; IV, 40) et un mémorial de sa mort (De anim.,
c. 17), bien que dans d'autres passages (De resurr1., c. 8 ; De pudic,
c. 9) il représente la cène comme un opimitate dominici corporis vesci,
un de Deo saginari, etc. On trouve les mêmes fluctuations chez Cyprien
(Ep., 63 ; cf. 57), qui relève, en outre, la belle et féconde idée de la
communio sanctorum : « Quo et ipso sacramenlo populus noster ostenditur
CÈNE 781
adunatus, nt quemadmodum grana multa in unum collecta et commolita
et commixta panem unum faciunt, sic in Chrùto, quiestpanis cœlestis,
unumsciamus esse corpus, eut conjunc tus sit noster numerus et adunatus »
(Ep., 63). L'école d'Alexandrie devait incliner vers la conception spi-
ritualiste. Clémenl appelle la cène un tu{ji,6oXov fj.uffiixov, et l'élément
mystique il le place moins dans le pain et dans le vin «pie dans l'union
de l'esprit de L'homme avec le Logos {ILciSaY-j 11, %\ cf. i, 6). Quant à
Origène, il s'élève avec vigueur contre ceux qui, s'attachant à lu lettre
qui tue et non à l'esprit qui vivifie, voudraient faire de la cène un
opus operatum. Le pain du Seigneur n'est utile qu'à celui qui s'en
nourrit avec un esprit sans tache et une conscience pure (Opp., III,
p. 4J)S ss.) : « Non enim panem illum visibilem, quem tembat in mani-
bus, corpus suum dicebat Deus verbum, sed verbum, in cujus mysterio
fueratpanis ille frangendusyi {Opp., II, p. 22o). Le pain véritable, c'est
la parole de justice dont les âmes sont rassasiées, et le breuvage,
c'est la parole de la connaissance. Ce n'est pas ce qui entre dans la
bouche qui purifie l'homme, comme les simples le croient. Le pain de
la communion en lui-même n'est pas différent des autres aliments.
Manger ou ne pas manger de ce pain n'ajoute et n'enlève rien à la vie
de l'âme : ce qui produit cet effet, c'est la bonne ou mauvaise disposi-
tion du cœur. Nous rencontrons déjà chez les Pères apostoliques l'idée
d'un sacrifice, associée à celle de la cène; seulement ce n'est pas le
sacrifice expiatoire du Christ qui se renouvelle quotidiennement, mais
un sacrifice d'actions de grâces offert par les chrétiens, et figuré par
leurs prières, leurs aumônes et leurs dons : de là les expressions fré-
quemment employées de oblatio, oôpa, eùXoY^a, eù^aptsiÉa, ôuaiaar
Tr(:-.:v. ducrCa, iupoar<popa. Ces oblations on les faisait aussi pro defunctis,
pro natalitiis annua die (Tertullien , .De cor. mil., 3; cf. De exltort.
cast., 11; De monog., 10; De orat., 14). Cyprien, le premier, poussé
par ses tendances hiérarchiques, applique l'idée du sacrifice non à
la communauté mais au prêtre, « qui vice Christi fungitur, id quod
Christus fecit imitatur, et sacrifkium verum et plénum tune offert in
ecclesia Deo Patrie (Ep., 03), bien qu'il s'agisse ici non d'une répé-
tition, mais d'une simple imitation du sacrifice du Christ. Ajoutons
encore que, durant cette période, à l'exception des hydroparastates
(aquarii, Epiph., Hseres., 46, 2), tous les chrétiens se servaient de
vin et de pain; on mêlait le vin avec de l'eau (xpa^a), pour figurer
l'union du r^z'yj.y. de Dieu avec le nvetyia de l'homme (Clément,
Ilai&aY»» H>2). Les artotyrites ajoutaient au pain du fromage (Epiphane,
livres., 49, 2; Augustin, de Hxres., 28). Déjà se manifeste la crainte
superstitieuse de répandre quelques gouttes du calice : « Calicis aut
's nostri aliquid decuti in terram anxie patimur » (Tertullien, De cor.
mil., 3;-cf. Origène, In Exod. hom., XIII, 3), comme aussi la croyance
dans la vertu de guérison (çàpjAOXov àtavadaç, ôvt(3otov tou [jmj àrço-
OaveTv), attachée aux symboles eucharistiques. La coutume d'admi-
nistrer la cène aux enfants est également liée à l'attente d'effets
magiques. On pensait même ne pas pouvoir les faire communier trop
tôt. Cyprien nous dit qu'aux enfants qui n'étaient pas encore en état
782 CENE
de manger le pain, on faisait seulement boire le vin. Ces vues erro-
nées étaient favorisées par la séparation devenue nécessaire entre la
cène et les agapes, la conservation du pain bénit, l'habitude de faire
humer la liqueur sacrée avec un tube, un chalumeau, les communions de
malades, comme aussi par le goût prononcé de l'époque pour le mer-
veilleux. Voyez Marheinecke, SS. Patrum de prœsentia Christi in
cœna Domini sententia triplex, Heidelb., 1832; Dœllinger, Die Lehre von
der Eucharistie in den S ersten Jakrh., May., 1826; Hœfling, Die Lehre
der œltest. Kirche vom Opfer ira Leben u. Cultus der Christen, Erl., 1851,
Otto, Das Abendmahlopfer der olten Kirche, Gotha, 1868. — 2. Les
Pères de V Eglise. Les progrès de la hiérarchie, la pompe croissante du
culte et, par-dessus tout, les atteintes portées au spiritualisme chrétien
par les croyances superstitieuses et les conceptions magiques qui
s'étaient frayé une voie dans l'Eglise, expliquent les modifications que
subirent, durant cette période, le dogme et le rite de la cène. Déjà
nous rencontrons, pour la définir, des expressions singulièrement
hardies -(XaTpda âvai^axTOç, ôusia tgu îXa^ou, ispcjpYia, [a|t4Xtj4»i<; tôv
cq".2c-[j^T(07, etc.). L'idée dominante est celle de la consubstantialité du
corps et du sang du Christ d'une part, et des éléments visibles du pain
et du vin de l'autre. Toutefois de nombreux indices font voir qu'il
ne sera pas possible à l'esprit chrétien, une fois dévoyé, de s'arrêter
sur la pente où il est engagé : le besoin de clarté et de logique est tel,
soit chez les docteurs qui sont chargés de formuler et de justifier le
dogme, soit chez les masses qui ne peuvent pas saisir l'idée subtile et
équivoque de la consubstantialité, que Ton entrevoit déjà se dégager
nettement des hésitations et des scrupules qui l'enveloppent encore le
terme fatal de l'évolution, à savoir la théorie de la transsubstantiation.
Ajoutons qu'il n'est pas toujours facile, dans les textes des Pères, de
faire la part del'idée et celle delà forme emphatique dont ils la revêtent.
Au fond, la rhétorique a joué un rôle plus considérable que l'on ne
pense dans l'histoire du développement et de la fixation de notre dogme.
Cyrille de Jérusalem, pour expliquer le mystère de la cène, rappelle
le changement analogue de l'eau en vin aux noces de Cana (Cat., XXII,
§ 6). Nous devenons un même corps et un même sang avec Christ, en
ce sens que le corps et le sang du Christ passent véritablement dans
nos membres (cjjjcrwaot %cà cùvaifAOt Xpiaxoîj y^iizooipoi Yevéfxeôa, Cat.,
XXIII). Grégoire de Nysse établit un parallèle entre la conservation
physique de l'homme par les aliments physiques, et la nourriture à la
fois corporelle et spirituelle que la jouissance du corps et du sang du
Christ dans la cène nous offre, et qui est le contre-poison efficace opposé
à la mortalité produite par le péché (Cat., XXXVII). D'après Chryso-
stôme, finstitution de la cène est le témoignage le plus éclatant de
l'amour du Sauveur pour les hommes, parce que, en elle, il ne s'est
pas seulement montré à eux, mais qu'il leur a permis de le toucher et
de se nourrir de lui {Opp., VIII, p. 292). Il enseigne, lui aussi, une
union corporelle avec Christ : 'Avac/jps'. èauxov i/jptfv , v.oa où T/j xforst
[j,ovov, «XX ' aùttp Tiù îupayjAaTt (jôjxa r^y.z auxou xaTaffKe'jaÇst [Opp., IX,
p. 257), et ajoute d'une manière significative : « Si nous étions des
CÈNE 7*3
êtres incorporels. Christ nous nourrirait au moyen d'aliments incor-
porels (à<Hi>[Aorca) ; mais puisque notre âme est unie au corps, Dieu
nous offre h* acicOrjToîç ta voirrra. » 11 est vrai de dire que la conception
symbolique trouve encore des partisans décidés, tels que Eusèbe de
qui dit formellement que les chrétiens sont appelés à célébrer
Le souvenir de la mort du Christ par les symboles de sou corps et de
son sang (Demonstr. evang., I, 10); Grégoire de Nazianze, qui n'hi
pas à appeler le pain et le vin des signes et «les types (av-ri-ruira), et
surtout Théodoret (Opp., IV, p. L26), qui distingue nettement entre
la figure que nous voyons et l'union mystique qui est L'œuvre de la
— L'Eglise latine suit le même courant que l'Eglise grecque, Ili-
laire dit sans détours du Christ : « Naturam enfui* sux ad natunun
«ternitatis sub sacramento riobis communicandae carnis admiscuit » (De
trinit., VIII, 13). Ambroisc voit dans la cène le pain vivant descendu
du ciel, c'est-à-dire Christ lui-même. Si déjà, dans l'Ancien Testament,
les prophètes ont pu transformer Les éléments par la vertu toute-puis-
sante de Dieu, à combien plus forte raison ce changement ne doit-il
pas s'accomplir dans le sacrement de la cène? « Quod si tantum valait
sermo Elue, ut igitem de cœlo promeret, non valebit Christi sermo, ut
species mutei elementorum » (De initiand. myster., VIII et IX). De même
Tidée d'un renouvellement du sacrifice de Jésus-Christ gagne insensi-
blement du terrain. On la rencontre chez la plupart des Pères, mais
nulle part aussi explicitement que chez Grégoire Ier (Mor., lib. XXII, 26),
qui désigne la cène comme un quotidianum immolationis sacrificium, et,
la met en relation avec les messes dites pour sauver les morts du
purgatoire. Par contre saint Augustin s'élève avec force contre le
capernaïtique (Jean VI, 33) donné aux paroles de l'institution de la
cène. A ses yeux la signification symbolique des éléments du pain et
du vin ne t'ait aucun doute : « Eujura est ergo, praecipiens passioni
dominiez communicandum et suavité?* atque utiliter recondendum in
memoria, quod pro nobis ca.ro ejus crucifixa et vulnerata sit » (De civit.
Dei, XXI, 25). Relativement au corps du Christ il dit : « Ego Domini
corpus ita in cœlo esse credo, ut crat in terra, quando ascendit in cœlum »
(Ep., 146). Il déclare que c'est une servilis infirmitas de prendre les
signes pour la chose signifiée, que celui qui ne possède pas le Christ
dans son cœur ne peut se vanter de manger sa chair et de boire son
sang, quand bien même il mange et boit le sacrement; il définit les
sacrements du Nouveau Testament, en opposition avec les cérémonies
de L'Ancien, « factu facillima, intelleclu augustissima, observations cas-
tissima, » qu'il faut honorer « non carnnli servitute, sed spiritali liber-
tate » (De doctr. christ., III, (.)). L'objet du sacrement est le corps spi-
rituel du Christ 1; le pain et le vin, et ce corps spirituel i
l'union des fidèles entre eux. : « Hune cibum et putum vult intelltgi
wcietatem corporis et membrorum suoi^um, quod est Ecclesia » (Ct
adv. ïegis, 11,9). Le pape Gélase, de son côté, repousse formellement
Tidée de la transsubstantiation. Par h; sacremenl de la crue « divinm
efficimur participes naturœ, et tamen esse %non des.: antia vel
natw
784 CÈNE
p. 703). — 3. Le moyen âge. Bien qu'au début de cette période nous
rencontrions encore des expressions qui peuvent se rapporter à une
conception figurée de la cène, la langue liturgique, officiellement
adoptée dans l'Eglise, favorisa de plus en plus la doctrine de la trans-
substantiation qui répondait si bien à la grossièreté des conceptions et
au caractère superstitieux de la piété de ce temps. L'abbé de Corbie,
Paschase Radbert, dans un écrit adressé vers Tan 830 à Charles le
Chauve sous le titre de Liber de corpore et sanguine Domini (chez Mar-
tène et Durand, IX, col. 367470), s'appuyant sur la toute-puissance
de Dieu, enseigna que par la consécration du prêtre la substance du
pain et du vin « Christi in carnern ipsius ac sanguinem divinitus
irons fertur » (II, 2), de telle manière que les signes extérieurs de la
substance matérielle (forme, couleur, goût) subsistent dans le but
d'exercer la foi comme aussi de ménager la débilité des sens, bien
que parfois le vrai corps du Christ sous la forme de l'agneau, sem-
blable à un petit enfant gisant sur l'autel, avec la couleur de la
chair, et des taches de sang véritables, soit apparu aux communiants
pour raffermir la foi des faibles ou récompenser celle des forts. Cette
doctrine, qui s'appuyait d'ailleurs sur une multitude de légendes,
fut accueillie avec empressement par un clergé ignorant et des popu-
lations barbares. Elle fut combattue néanmoins par Raban Maur,
abbé de Fulda (Ep. ad Eeribanum, chez Massillon, Veter. Analect.
éd. 2, p. 17, dont l'authenticité a été contestée par Mùnscher et Neander),
qui déclare que le sacrement se compose d'éléments visibles et corpo-
rels qui partagent le sort de toute la matière, selon la parole du
Seigneur, que tout ce qui entre dans la bouche va dans le ventre et est
jeté aux lieux secrets : par Ratramne (De corpore et sanguine Domini ad
Carol. Calvum,éd. de J. Boileau, Paris, 1686, et chez Schrœckh, XXIII,
p. 445 ss.), qui distingue dans la cène entre l'acte visible et l'acte
invisible, la figura et la veritas, et insiste sur l'idée du mystère dont le
propre est précisément de détourner l'attention des signes visibles
vers les réalités invisibles. S'il y a une conversio du pain et du vin
dans le corps et le sang du Christ, c'est une conversio tout idéale qui
s'opère dans l'esprit du communiant alors qu'il s'élève du domaine
profane dans le domaine de la foi ; enfin par Scot Erigène (De Euclia-
ristia, que la plupart des savants attribuent aujourd'hui à Ratramne),
qui ne considère le sacrement que comme un signe de la toute-présence
de Dieu. Malgré cette opposition des esprits les plus distingués du
temps, la doctrine de Radbert s'imposa de plus en plus à la croyance
générale. Vers le milieu du onzième siècle, elle était déjà si universel-
lement reçue comme la seule orthodoxe que, lorsque Bérenger, chanoine
de Tours, dans une lettre à Lanfranc (Liber de sacra cœna ad Lanfr.,
éd. d'Achéry, chez Mansi, XIX, 768; éd. de Vischer, 1834, d'ap. le
mss. découv. par Lessing, 1770), osa l'attaquer, il se vit condamné et
obligé, aux synodes de Verceil et de Rome (1050-1079), de se rétracter.
Les expressions dont s'était servi son plus ardent adversaire, le car-
dinal Humbert de Langre:; (panent et vinum, quœ in altari ponuntur,
post consecrationem non solum sacramentum, sed etiam verum corpus et
CÈNE 785
sanguinem Domini nosiri Jesu Christiessefet sensu îli ter ^ non solum sacra-
mento, sed in veritate manibus sacwdotum tractari, frangi et fidelium
dentiàus atteri) ne laissaient subsister aucune équivoque : désormais
c'était le matérialisme le plus grossier qui triomphait. Le quatrième
concile de Latran, présidé par innocent 111 (1215), érigea la transsub-
stantiation en dogme. Ce pape lui-même enseignait (De mysteriis
missm, IV, 17) que non-seulement les caractères accidentels, mais
même les propriétés naturelles subsistaient après le changement de
substance: « paneitatem, quœ satiando famem expellit, et vineitatem,quœ
satiando sttim expellit. » 11 ne resta plus aux docteurs scolastiques qu'à
trancher certaines difficultés secondaires auxquelles s'appliqua leur
art subtil avec une persévérance et une habileté dignes d'une; meil-
leure cause. Le corps du Christ est-il rompu en même temps que le
paint Secundum speciem sacramentatem, répond Thomas d'Aquin
(Summa, p. III. q. 7o, art. 0 et 7), car lui-même est incorruptibile et
impassibile. Tout le corps du Christ réside-t-il dans chaque parcelle de
Thostie ou chaque morceau de pâte correspond-il à un « morceau de
chair » équivalent? « Au moment même, dit Pierre Lombard, où Thostie
se brise, Christ est tout entier dans chacun des fragments, et si ces
fragments s'émiettent, il est tout entier dans chacune des miettes et des
parcelles. Que devient la substance du pain et du vin, au moment où
les paroles du prêtre l'expulsent pour faire place àla substance divine?
Elle rentre dans le néant ou se dissout pour retourner dans les élé-
ments primitifs qui la constituaient. Les souris, les chiens ou les porcs,
en rongeant ou en dévorant une hostie consacrée qui tombe à terre,
rongent-ils ou dévorent-ils le corps du Christ? Pierre Lombard (Sen-
tent., IV, dist. 13) émet quelques doutes discrets à cet égard: « Quid
ergo sumit mus vel quid manducat? Deus novit hoc. » Mais Alexandre de
Haies (Summa, p. IV, q. 45, art. 1, 2) ne recule pas devant l'affir-
mative. Si un homme pécheur peut recevoir le corps du Christ, com-
ment un animal innocent ne le pourrait-il pas bien plutôt? C'est aussi
l'opinion de Thomas d'Aquin (Summa, p. III, q. 80, art. 3). Mais
Innocent III enseigne que, quand le sacrement est rongé par une souris
ou dévoré par le feu, un nouveau miracle s'opère sur-le-champ, et
([Lie la chair divine se transforme de rechef instantanément, et dispa-
rait sans être ni rongée ni brûlée. Le pain n'estil changé qu'en corps,
et non pas aussi dans l'âme du Christ, dans sa divinité, dans la sainte
Trinité elle-même? Cela semble probable à Thomas d'Aquin (p. III,
q. 76, art. 1), en vertu de l'union intime de l'âme et du corps, comme
aussi des deux natures en Christ et des trois personnes dans la Trinité.
La transformation s'opère-t-elle successivement ou instantanément'
Tous les docteurs soutiennent cette dernière alternative. Malgré la
pluralité des hosties, un seul corps est-il présent, si bien que sur tous
les autels à la fois le même Christ est sacrifié? «Sic ergo constat , ensei-
gne saint Anselme (Tract, de COrp. et sang. Dont., p. Il, c. i), îfl divenis
lacis uiid horae momento esse posse corpus Ckristi, se<l tegecreatricisnaturae,
non crtatae. Tous Les scolastiques partagent cette opinion. Le même
corps du Christ est présent à la lois dans tons les pays, dans tous les
[i. B0
786 CENE
lieux, dans toutes les églises, sur tous les autels, partout où l'hostie est
offerte et reçue. — L'adoration de l'hostie était le corollaire obligé du
dogme promulgué par le quatrième concile de Latran. Aussi voyons-
nous au treizième siècle s'établir la coutume de se prosterner au son
de la clochette devant l'hostie, au moment où le prêtre, relevant dans
ses mains, la présente au culte du peuple. On attribue l'origine de
cette coutume au cardinal Guido, ancien abbé de Giteaux, qui imagina
aussi de faire accompagner d'une sonnette dans les routes le viatique,
c'est-à-dire l'hostie portée aux malades, afin que les passants prévenus
pussent s'agenouiller devant leur Dieu. L'introduction de la Fête-Dieu
(fête du corps de Dieu) ordonnée par Urbain IV, en se fondant sur les
visions des religieuses d'un couvent de Liège (1264), et par Clément V
(1311) au synode de Vienne, acheva de populariser le dogme de la
transsubstantiation. 11 se compléta par celui de la concomitance (Scien-
dum, quod aliquid Christi est in hoc sacramento dupliciter, Uno modo
quasi ex vi sacramenti , alio modo ex naturali concomitantia , Thom.
Aquin., p. III, q. 76, art. 1), d'après lequel, le Christ tout entier étant
présent dans chaque parcelle de l'hostie, son sang est déjà goûté avec
son corps dont il est le compagnon (concomitans) inséparable. Ce dogme
permit d'enlever le calice aux laïques pour en réserver l'usage aux
prêtres seuls, afin de rehausser leur prestige, comme aussi de prévenir
la profanation qui résulterait des gouttes de vin répandues sur le sol.
Ernulphe, évêque de Rochester, dit : « Nous trempons la chair du Sei-
gneur dans le sang du Seigneur, de peur que nous ne péchions, soit
en l'offrant, soit en le recevant. Car il arrive souvent que des hommes
barbus et ayant de longues moustaches, imbibent leurs poils de liquide
avant d'y toucher... Quel prêtre sera assez adroit pour administrer le
sacrement sans en rien répandre? » (Epistola II ad Lambertum, dans
le Spicilegium d'Achéry, III, p. 470). C'est à partir du douzième siècle
que le rapt du calice, approuvé par tous les scolastiques, se généralisa,
sans pourtant réussir à vaincre les oppositions locales qui se ravivèrent
en Bohême au quinzième siècle et provoquèrent la guerre des hussites
et les décisions du concile de Constance (1415), partiellement infir-
mées par celles du concile de Bàle, d'après lesquelles : « suadentibus
causis ?\itionabilibus , facultatem communicandi populum sub utraque
spp.cie potesl concedere et elargiri)) (chez Mansi, XXX, col. 695). Malgré
cette concession temporaire faite aux utraquistes, le concile de Bâle main-
tint la doctrine antérieure : <i Nullatenus ambiyendum est, quod non sub
specie panis caro tantum, nec sub specie vini sanguis tantum, sed sub
qualibet specie est integer totus Christus » (Mansi, XXIX, col. 158). —
L'idée du sacrifice journellement renouvelé du Christ est dans un rap-
port étroit avec celle de la transsubstantiation. « Et semel, dit Pierre
Lombard (Sent., IV, 12), Christus mortuus in cruce est ibique immolatus
est in semetipso, quotidie autem immolatur in sacramento, quia in sacra-
mento recordatio fit illius quod factum est semel. » L'expiation de nos
péchés se consomme quotidiennement à l'autel par un nouveau sacri-
fice du Christ (Thomas d'Aquin, Summa, p. III, q. 83, art. 1 ss.).
Grâce à cette conviction que nous trouvons développée sous une grande
CÈNE 787
variété de formes, le sacrifice de la misse (voy. cet article) devint le
centre du culte catholique el entoura le sacerdoce (Tune auréole nou-
velle. Il convient (rajouter, tout en déplorant l'erreur monstrueuse
et l'idolâtrie grossière dont l'Eglise se rendit ainsi coupable, que bien
des àmespieuses trouvèrent, dans le dogme delà présence réelle et dans
l'union mystique avec le Sauveur renouvelant chaque jour son sacrifice
d'amour, une source puissante d'édification. Le mysticisme d'un Bo-
naventure, d'un Tauler, d'un Thomas a Kempis se chargea d'idéaliser
les conceptions abstraites et subtiles des scolastiques, comme aussi les
représentations grossières et matérialistes de la foule. La poésie qui,
pour eux, se dégageait de ce dogme leur lit illusion sur les graves pé-
rils qu'il taisait courir à la foi, et leur humilité ne vit pas ce qu'il
cachait au fond de prétention sacrilège. C'est exactement la situation
d'âme dans laquelle se trouvent de nos jours un grand nombre de
catholiques sincères et convaincus. Le concile de Trente s'est borné à
enregistrer les décisions des conciles antérieurs sur la doctrine de la
cène, sans leur faire subir le moindre changement : « Denuo koesanctn
synodus déclarât, per consecrationem panis et vini conversionem fieri totus
substantif panis in substantinm corporis Christi, ettotius substantix vin/
in substantiam snnguinis ejus, qux conversio convenienter et proprie <t
sancta catholica Ecclesia transsubstantiatio est appellata » (Conc. Trid.,
sess. XIII, can. 4 ; cf. Cat. rom., II, 4, 37; Bellarmin, Gontrov. de sacrant.
euchar., III, 18-24). Les manuels qui servent de base à l'enseignement
des séminaires exposent encore aujourd'hui, jusque dans leurs détails
les plus puérils et les plus répugnants, les commentaires que les doc-
teurs scolastiques ont donnés du dogme promulgué par le quatrième
concile de Latran.
III. Doctrine grecque. L'Eglise grecque se sépara de l'Eglise la-
tine, lorsque celle-ci introduisit, à partir du neuvième siècle, l'usage du
pain sans levain qu'elle lui reprochait comme un abandon du chris-
tianisme apostolique. Parmi les docteurs grecs, les uns penchaient
plutôt vers la doctrine de la consubstantiation, les autres vers celle de
la transsubstantiation. En thèse générale, ils se servaient des expres-
sions iJ.z-z-s'.v.sQz'. et ^xaSaXXs^ôa'., sous lesquelles ils entendaient
moins un changement de substance qu'une participation du pain et
du vin aux propriétés du corps et du sang de Jésus-Christ. Il faut
dire pourtant que, dans les temps plus récents (et en particulier
dans la opâo&éjoç b\uokoyut de Mogilas de Tan 1643), l'Eglise grecque
a incliné vers l'idée de la transsubstantiation proprement dite (jxexou
ziuiz'.z). Par contre, elle conserva la célébration de la cène sous les
deux espèces pour les laïques comme pour les prêtres, et n'a jamais
consenti à remplacer le pain par l'hostie. La part d'eau mêlée au vin
est plus forte dans l'Eglise grecque que dans l'Eglise latine; il y a
même, chez les Orientaux, un double mélange, avant la consécration
avec de l'eau froide, après la distribution du calice avec de l'eau
chaude. — Voyez : Steitz, Pie Abendmahhlehre der griech. Kirche in
ihrer qesch. Entwickelu.iuj, dans les Jaltrb. /'. deutsche TheoL, 1864,
H. i, et 1865, II. 1 et 3.
788 CÈNE
IV. Doctrine protestante. Les réformateurs s'élevèrent d'un
commun accord contre la messe envisagée comme un sacrifice, parce
que Jésus-Christ nous a réconciliés par un seul sacrilice avec Dieu ; ils
protestèrent contre la doctrine de la transsubstantiation, inventée pour
glorifier le sacerdoce, sans être aucunement fondée dans la Bible ; ils
restituèrent le calice à la communauté, conformément à l'institution
même du Seigneur. Mais les divergences se produisirent lorsqu'il s'agit
de formuler la doctrine de la cène, et il advint que ce repas, qui était
destiné à exprimer sous la forme la plus saisissante l'union fraternelle
des membres du corps du Christ, provoqua dans les Eglises séparées
de Rome un schisme nouveau qui les affaiblit en les divisant dans des
luttes absolument stériles. 11 n'est pas toujours facile, dans l'histoire
de ces controverses, de faire la part de l'influence exercée par le mi-
lieu, l'éducation, les circonstances particulières et celle de l'obstina-
tion volontaire à se cantonner dans des hypothèses et des formules
une fois adoptées. Pour juger équitablement ces conflits entre les
concessions que la fidélité interdit et les sacrifices que la charité
commande, il ne faut pas oublier que ce qui paraît indifférent ou
d'importance secondaire à nos yeux était fondamental aux yeux de nos
pères. Là où nous sommes tentés de ne voir qu'une question de
nuances sans rapport avec l'idée même du salut, une divergence dans
des formules abstraites dont aucune ne satisfait pleinement l'intelli-
gence, ils apercevaient un désaccord entre deux conceptions radi-
calement opposées et dont les conséquences s'étendaient sur tout le
domaine du dogme et de la vie chrétienne. Nous ne pouvons songer à
exposer ici le détail même des controverses dont la doctrine de la
cène a été l'objet au seizième siècle, ni énumérer toutes les opinions
des partis, ou intermédiaires ou excentriques, qui se produisirent dans
le cours des débats. Il faut nous borner à retracer succinctement la
physionomie originale des trois principaux types de doctrine. —
1. L Eglise luthérienne, plus conservatrice, maintenant en matière de
dogme et de rite tout ce qu'elle ne jugeait pas directement contraire à
renseignement de l'Ecriture, s'arrêta à une conception destinée à sau-
vegarder à la fois, selon elle, la vérité scripturaire, l'intégrité du
ce mystère de l'autel » et la relation intime entre le domaine spirituel
et le domaine corporel. Dans la crainte de tomber dans le subjectivisme,
elle se rattacha à une idée toute catholique du sacrement et se montra
impuissante à élever une barrière contre le opus operatum. Luther n'ar-
riva que peu à peu à donner à sa pensée une formule précise. Dans
son Sermon vom hochwùrdigen Sacraient (1519), il se servit encore du
terme de transsubstantiation. Puis il fut tenté de se ranger du côté de
la conception symbolique, ainsi que le montre sa lettre aux chrétiens
de Strasbourg (de Wette, Luthers Briefe, II, p. 577). A mesure que cette
manière de voir plus spiritualiste trouva des adhérents, tant parmi les
autres réformateurs que parmi les sectaires et les illuminés, qui, par
leurs exagérations, lui paraissaient gravement compromettre l'œuvre
de la Réformation, il s'éleva, dans des écrits de plus en plus passionnés,
contre ceux qui enseignaient « es sei im Sacrament des Âltars schlecht
CENE 780
n. ri tel Brodu. W'rin » (voy. I om Anbeten des Sacram., lo2)} ; Sermon von
dent Sacra///, des Leibs a. Bluts Christ i\ 1526; Grosses Bekenntniss, 1528).
Luther fonde sa théorie tout d'abord sur le sens littéral des paroles
de l'institution, si claires, dit-il, « qu'un enfant comprend ce que Jésus
nous offre ». C'est ainsi qu'au colloque de Marbourg (1529), il écrivit
sur la table, devant la place où il était assis, ces mots : Hoc est corpus
meum, assurant que si Dieu lui ordonnait de manger des pommes
sauvages ou du fumier, il en mangerait. En conformité avec cette
interprétation littérale, Luther enseignait la présence réelle du corps
du Christ dans le pain (consubstantialité). Un objet peut être présent
de différentes manières en un lieu, localiter, définitive, repletive. La
manière dont Christ est présent dans le pain dépasse notre raison et
ne peut être embrassée que par la foi. Toutefois Luther ne recule,
pour expliquer ee mystère, ni devant la comparaison que le corps du
Christ est dans le pain, comme le glaive dans le fourreau, ni devant
l'affirmation que ce que le pain produit et subit, le corps du Christ le
produit et le subit à son tour : il est « rompu, distribué, mangé et
broyé par les dents, propter unionem sacramentalem ». Ce n'est que
dans ses derniers écrits que Luther fut amené à formuler la toute-
présence (ubiquitas) du corps du Christ et la communication des
attributs de sa nature divine aux propriétés de la nature humaine
(communicatio idiomatum), comme la conséquence logique de sa doc-
trine. Le corps du Christ devant être présent dans chaque hostie,
il est en effet nécessaire d'admettre sa toute-présence, en vertu de'
laquelle il communique sa vraie chair et son véritable sang, in, cum
et sub les symboles extérieurs, considérés non comme de simples signa,
mais comme les véhicula et média collativa, offerts indistinctement
à tous les communiants, aux fidèles comme aux infidèles, aux pre-
miers ad veniam peccatorum, aux seconds ad damnationem. Cette
doctrine est exposée sous sa forme la plus sommaire dans la Con-
fession d 'Augsbourg (art. X) : « De cœna Domini docent,quod coj'pus et
sanguis Christi vere adsint et distribuantur vescentibus in cœna Domini,
et improbant secus docentes. » Les Articuli Smalcaldi (art. YI) ajoutent :
« Et non tantum clari et surni a piis, sed etiam ab impiis christianis ».
Le Catechismus major (pars V) dit : « Est verum corpus et sanguis Domini
nostri fesu Christi in et sub pane et vino per verbum Christi no bis chris-
tianis ad manducandum et bibendum institutum et mandatum ». Enfin la
For mule de Concorde s'efforce à la fois de préciser le dogme et de
réprouver l'usage de certaines expressions exagérées dont Luther lui-
même et ses adhérents les plus fanatiques s'étaient servis. Christ est
< uiporellement présent dans la cène. « Quemadmodum in Christo duœ
distinctx et non mutât se naturae ii/separabiliter sunt unit x, ita in sacra
cœna duos tliversas substantias, panern videlicet naturalem et verum
naturale corpus Christi, in instituta sacramenti administratione hic in
terris simul esse prœsentia » (pars VII). ?séan moins la Formule de Con-
çorde rejette une capernaïticamanducatio, en vertu de laquelle le corps
du Chrisl serait déchiré par les dents et digéré comme 1rs autres ali-
ments par l'estomac. Elle enseigne une vera se/1 supernaturalis mon-
790 CENE
ducatio du corps du Christ, qui est un mystère que la raison ne peut
comprendre, mais auquel la foi doit se soumettre. C'est dans cette
juxtaposition de deux termes contraires et dans cette confusion volon-
taire entre le domaine matériel et le domaine spirituel que le dogme
luthérien s'est maintenu à travers les controverses ardentes et passion-
nées de la seconde moitié du seizième et du dix-septième siècle. Les
dogmatistes postérieurs, avec la subtilité qui les caractérise, distinguè-
rent dans la cène entre : 1° la materia, qui est : a) terrestrts (partis
azymus et vinum album), b) cœlestis, a) corpus et sanguis Christi,
(3) gratta divina; 2° la forma, qui est : à) interna (unio sacramentalis) ,
b) externa, a) consecratio, (3) distributio, y) sumptio; 3° la finis (fructus),
qui est : a) ultimus (salus œterna), b) intermedius, a) recordatio et com-
memoratio mortis Christi, quse fide peragitur, g) obsignatio promissions
de remisstone peccatorum et fidei confirmation) insitio nostra in Christum
et spiritualis nutritio ad vitam, S) dilectio mutua communicantium.
L'abandon de la conception luthérienne, en vertu de sa contradiction
interne, était inévitable. Nous le voyons se préparer dès l'origine, soit
par une tendance naturelle à la conciliation/ que l'on rencontre déjà
chez Mélanchthon et qui engendra le cryptocalvinisme, soit par la
répugnance spéculative contre l'idée deYubiquitas et de la communicatio
idiomatum, qui finirent, depuis le dernier siècle, par être repoussées
presque universellement. Il faut, en effet, reconnaître que la doctrine
de la consubstantiation ne saurait se maintenir avec la donnée d'une
simple prœsmtia Christi oper a tiva, telle que l'enseignent la plupart des
dogmatistes luthériens modernes et telle que la conçoivent presque
tous ceux qui regardent néanmoins l'union avec les réformés, et
même la communion avec eux, comme un péché et comme une
trahison de la foi chrétienne. Sous prétexte d'observer un juste mi-
lieu entre le matérialisme catholique (la manducatio capernditica)
et l'idéalisme réformé (la communio spiritualis), les luthériens se
retranchent derrière des expressions (manducatio supernaturalis, com-
munio sacramentalis, en allemand sakramentierlich, geist-leiblich) aussi
étrangères à l'Ecriture que dépourvues d'un sens précis. A côté des
mystères de la foi, ils créent, d'une manière tout à fait arbitraire,
un mystère de l'autel, dans une obéissance aveugle à la lettre des pa-
roles bibliques, qui en méconnaît et en altère gravement l'esprit ; ils
introduisent Yopus operatum dans l'acte qui doit être l'acte volontaire
et spontané par excellence de la vie et du culte chrétiens. Le idéalisme
prétendu dont se targuent volontiers les défenseurs du dogme luthé-
rien ne se soutient pas davantage. Nous admettons une correspondance
intime entre l'esprit et le corps, mais à la condition expresse de statuer
dans la cène une action de l'esprit du Christ et du chrétien sur le
domaine corporel, et non une action du corps du Christ sur le corps et
sur l'esprit du chrétien. Le vrai nom du réalisme luthérien, c'est le
matérialisme, tandis que dans la cène ce sont les réalités les plus hautes,
nous voulons dire les réalités spirituelles qui deviennent sensibles et qui
aspirent à prendre un corps, en transformant à leur image l'être tout
entier du fidèle. — 2. Calvin, et les Eglises réformées qui se constitué-
OBNB 791
rent d'après son type doctrinal, prirent» en ce qui concerne la cène, une
position intermédiaire* A Leurs yeux le repas eucharistique est moins
un simple signe^ une commémoration toute subjective, qu'il!) gage et un
sceau de la grâce divine communiquée aux crovants. Eu\ seul» s'unissent
parce sacrement avec Jésus-Christ, dont le corps glorifié demeure dans
le ciel d'où il agit d'une manière miraculeuse, avec la puissance dyna-
mique qui lui est propre, sur l'âme des communiants. « Nos âmes ne
sont pas moins repeues de la chair et du sang de Jésus-Christ, que le
pain et le vin entretiennent la vie des corps... Que s'il semble in-
croyable que la chair de Jésus-Christ estant eslongnée de nous par une
si longue distance, pensons que L'esprit unit vrayement les choses qui
sont séparées de lieu. Or Jésus-Christ nous testifie et scelle en la cène
ceste participation de sa chair et de son sang, par laquelle il l'ait des-
couler sa vie en nous, tout ainsi que s'il entroit en nos os et en nos
moelles. Et ne nous y présente pas un signe vuide et frustatoire... com-
bien qu'il n'y ait que les seuls fidèles qui participent à ce convive spi-
rituel » (Instit., IV, 17, 10). « Or nous ne repaissons pas moins la foy
par ceste participation du corps que ceux qui pensent retirer Jésus-
Christ du ciel. Cependant je confesse franchement que je rejette la mix-
tion qu'ils veulent faire de la chair de Jésus-Christ avec nos âmes,
comme si elle descouloit par un alambic: pour ce qu'il nous doit suf-
fire que Jésus-Christ inspire vie à nos âmes delà substance de sa chair:
mesme que sa chair distille sa vie en nous, combien qu'elle n'y entre
pas » I//W.. IV, 17, 32). Calvin repousse tout à la fois une présence
purement spirituelle du Christ et une présence locale de son corps sur
l'autel ou pendant la célébration de la cène sous les espèces du pain et
du vin. Sa chair vivifiante, bien que restant dans le ciel, transfuse en
nous sa vigueur. On comprend la défiance avec laquelle cette opinion
fut accueillie par les zwingliens, qui ne pouvaient se représenter cette
action dynamique du corps glorifié du Christ sur nos âmes, mais sur-
tout par les luthériens, qui y constataient l'abandon de la présence réelle
du corps du Christ dans la cène et jugeaient dangereux de faire dé-
pendre la réalité du mystère sacramentel de la foi des communiants.
En réalité, grâce à cette concession capitale, le dogme calviniste se
rapprochait infiniment plus du dogme zwinglien que du dogme luthé-
rien. Peu importe au fond cette représentation fantastique du corps du
Christ agissant du haut du ciel sur le communiant, qui subtilise le miracle
et lui enlève ce qui choque particulièrement la raison clans le dogme de
la transsubstantiation et dans celui de la consubstantiation ; l'essentiel,
c'est de faire dépendre de la foi seule la réalité et les bienfaits spirituels
de la communion. Ajoutons que la plupart des confessions de foi réfor-
mées, à T instar du Consensus Tigurinus, n°21 (cf. Confess. Gallic.^ art. 36 :
Conf.H*lvet.,\\.c.t\ \C<mft Bêl§ie.,25;C(mf. lnglic.,M \Conf.3tt*.,
21; Catéc/i. de fleidelberg, q. 70, etc.), insistent sur l'idée d'un « vrai
repas spirituel » dans la cène, tout en écartant avec non moins de soin
l'idée de la consubstantiation. La cène n'est pas un symbole \idc;Jésus-
Christv nourrit nos âmes, bien qu'il soitdans le ciel et nous sur la terre.
— H. Zwingle, en opposition plus directe avec la doctrine catholique
792 CENE
(Fpichîfesis, 1523; Apologia, 1523 ; ChristenL Ynleitung ,1523) , et plus
tard avec la doctrine luthérienne (Klare Underrichtung vont nachtmal
Christi, 1526; Arnica exegesis i. e. expositio Eucharistie negotii ad
M. Lutherum, 1527), insiste sur l'idée que le pain et le vin ne sont que
des signes, des symboles du corps et du sang du Christ, et le repas
eucharistique un mémorial (ritus mnemonicus; einWidergedechtnuss des
lydens Ghristi). Le mot kazi ne peut être traduit que par signifie. Jésus-
Christ ne pouvait offrir à ses disciples ni son corps terrestre, ni son
corps glorifié. N'étaient-ils pas habitués d'ailleurs à son langage allé-
gorique ? Ne leur a-t-il pas dit aussi : « Je suis la porte, » « Je suis le
cep, » « Je suis le pain vivant, » etc. ? C'est la foi en lui qui nous sauve
et non une manducation corporelle : In jn vertruwen macht heil, u. jn
easen, sehen, empfinden nit » (Klare Under., p. 441). Ce n'est pas que
Zwingle méconnaisse l'importance de l'union, de la communion spi-
rituelle avec Christ. 11 serait facile de citer de nombreux passages où
il appelle la cène « la nourriture de l'âme chrétienne » que lui pré-
sente Jésus-Christ, son hôte : « In hoc se in cibum prxbuit, ut ejus ali-
mento in virwn perfectum plense setatis suse augesceremus » (Epichir.,
III, 115) ; il ne permet pas que l'on suppose qu'il attribue hac in re ali-
quid humanœ actioni (ibid.) ; il montre que la force que le chrétien
puise dans ce repas consiste en ceci qu' «il fait passer la vie du Christ
dans la sienne propre ». Seulement le réformateur de Zurich relève de
préférence ce que le sacrement de la cène est, moins pour l'individu
que pour l'Eglise, à savoir un gage, un témoignage permanent des
bienfaits que lui a assurés la mort rédemptrice du Christ. Ce dernier
point de vue est aussi celui des doctrines socinienne, arminienne et ra-
tionaliste, avec lesquelles on a eu d'ailleurs grand tort d'identifier la
doctrine de Zwingle. La ressemblance est plus apparente que réelle.
Zwingle n'affaiblit et n'amoindrit en aucune façon l'action de la per-
sonne de Jésus-Christ dans l'œuvre du salut; il reconnaît et défend les
droits d'un sain mysticisme en matière religieuse, et ce n'est pas à sa
conception de la cène que peut s'appliquer la qualification de « signe
vuide et frustatoire ». Il ne faut pas prêtera la théologie très-orthodoxe
et à la piété très-intime et très-vivante d'un des plus vaillants cham-
pions de la foi protestante au seizième siècle la sécheresse et les défail-
lances religieuses des siècles postérieurs. Mieux vaut encore, avec les
libres-penseurs, affranchis de tout respect de la coutume, déserter la
table de la communion; mieux vaut, avec les quakers et d'autres sec-
taires, déclarer que ceux qui sont intérieurement unis avec Christ n'ont
pas besoin de fortifier leur foi par la participation à un repas purement
symbolique, que de ne conserver la cène que comme un vénérable
usage et un froid mémorial, auquel ne correspond aucune grâce spiri-
tuelle. — C'est dans la tradition de Zwingle bien comprise et largement
développée que le protestantisme de nos jours puisera les meilleurs
éléments d'une reconstruction du dogme de la cène. L'hypothèse inter-
médiaire et insoutenable de Calvin est de plus en plus abandonnée, et
ceux-là mêmes qui, en Allemagne, en Angleterre et en France, cherchent
à faire revivre la conception luthérienne répugnent à ses formules pré-
CÈNE 793
cises etàses conséquences logiques. Toute restauration dans cotte direc-
tion est à l'avance frappée «le stérilité. Pour unir les chrétiens autour
de la table de communion, il faudra établir que les textes bibliques,
non moins que la pensée et le sentiment religieux bien compris, nous
portent à considérer la cène comme l'acte le plus élevé du culte où le
chrétien, uni par les liens de l'amour à ses frères, reçoit, dans la com-
munion avec son Sauveur, une mesure de plus en plus abondante de
l'Esprit divin pour fortifier sa foi, purifier son cœur, affermir sa volonté.
Les conséquences pratiques, en ce qui concerne la fréquence et Tordre
de la célébration de ce rite, sont faciles à tirer : 1° Où la vie religieuse
revêl un caractère très-intense et très-intime, en particulier dans les
communautés de professants peu nombreuses, la cène sera célébrée
plus fréquemment; il serait dangereux, d'en faire le centre et le pivot
du culte dans les Eglises dites de multitude qui se composent d'audi-
teurs plutôt que de croyants : la superstition ou le formalisme en alté-
reraient infailliblement la haute spiritualité. 2° Le rite réformé est, de
tous points, plus conforme à l'institution, à l'idée et au but pratique
de la cène que le rite luthérien ; le pain, mieux que l'hostie, rappelle
I al i ment qui journellement nous nourrit ; Jésus-Christ lui-même n'a pas,
comme font le prêtre catholique et le pasteur luthérien, mis les es-
pèces consacrées dans la bouche des communiants, en répétante chacun
la même formule : c'est aux lidèles, rangés debout autour de la table
de communion, qu'il appartient de rompre le pain entre eux et de se
passer la coupe, en observant la seule règle qu'ait tracée l'apôtre
saint Paul : « Que toutes choses se fassent avec bienséance, avec
ordre, et pour l'édification » (1 Cor. XIV, 40, 26). 3° Les communions
publiques sont la règle. On ne saurait recommander les communions
privées, telles du moins qu'elles sont célébrées, qu'à titre d'exception,
en cas d'empêchement majeur de participer au repas eucharistique et
comme un prolongement en esprit de la cène commune. Après cela,
il n'est pas interdit de croire qu'un jour sans doute viendra où, selon
la belle pensée de Yinet, la cène cessera d'être un repas, chaque repas
étant devenu une cène. « Si pour l'édification commune, si pour donner
un appui à la faiblesse on a choisi des jours et des lieux pour accom-
plir d'une façon plus solennelle ce mode de commémoration, l'idée
sublime et simple de Jésus-Christ reste et doit rester; c'est que chaque
repas doit être une commémoration de ce festin sanglant et miséricor-
dieux que nous a offert, au dernier jour de sa vie terrestre, le fils de
Dieu et de l'homme. 11 ne tient qu'à nous, chaque fois que nous nous
asseyons à la table que la bonté de Dieu veut bien nous couvrir, d'y
célébrer tacitement ou expressément la cène; et au vrai, quel est le chré-
tien qui, en bénissant de cœur les mets dont sa table est couverte, ne
bénisse le pain de vie dont ils lui présentent l'emblème, et ne s'unisse
à son Sauveur crucifixié aussi bien que dans ce festin solennel dressé
sous la voûte des temples? 0 1 Yinet, Lettres sur le Sabbat, 1877.) —
Sources : outre les ouvrages déjà cités, Scheibel, Das Abendmahl des
Herrri) Bresl., 1823; Ebrard, Das Dogma vom heil. Abendm. u. seine
Geschichte, Frankf., 1845-46, ^ vol.; Kahnis, Die Lehre vom Abendm,,
794 CÈNE — CENSURE
Leipz., 1851 ; Rûckert, Das Abendm., sein Wesen u. seine Gesch. in
der alten Kirche, Leipz., 1856; ainsi que les principaux ouvrages do
dogmatique. Parmi les articles de moindre étendue nous signalerons
Keim, Das Nachtmahl im Sinn des Stifters (Jahrb. f. deutsche TheoL,
1859, H. 1); Richter, Das Wesen des heil. Abendm. (Slud. u. Krit.,
1863, H. 2); Martensen, Ueber das Abendm. (Evang. réf. Kirchen-
zeitung, 1863, n° 41-44); Herzog, La sainte Cène {Chrétien Evangél.,
VI, p. 281 ss.); A. Matter, De la sainte Cène dans ses rapports avec
la vie chrétienne (Revue théol. de Montauban, II, p. 50 ss.); Steeg, His-
toire de l'Eucharistie, Bord., 1872. F. Lichtenberger.
CÉNOBITES. Voyez Moines.
CENSURE, en terme d'Eglise, sert quelquefois à désigner la flétris-
sure imprimée par un concile, un pape, un évêque ou une faculté de
théologie, aux propositions jugées condamnables, avec la note qui en
marque le caractère répréhensible. Il y a note ou qualification flétris-
sante quand un ouvrage est condamné dans son ensemble in globo ,
ou lorsque quelques-unes des propositions qu'il renferme sont décla-
rées à tort ou à raison impies, blasphématoires, hérétiques, scanda-
leuses. En 1542, par exemple, on voit la faculté de Paris censurer
comme hérétique Y Institution chrétienne que Calvin vient de faire
imprimer à Bàle. Mais ce n'est là qu'une acception particulière du mot.
Chez les Romains, la censure, envisagée comme institution, avait pour
but la correction des mœurs. C'est le sens véritable. On la définit, en
droit canonique, une peine par laquelle un chrétien, en punition d'une
faute considérable, est privé de l'usage de quelques biens spirituels. De
plus, elle est dite médicinale parce que l'Eglise en l'infligeant se pro-
pose d'obtenir l'amendement du coupable, tandis que d'autres peines,
l'irrégularité, la déposition, la dégradation, qui n'ont que sa punition
pour objet, sont appelées vindicatives. — L'Eglise a-t-elle le droit de faire
et d'appliquer des peines, d'exercer la répression? C'est une première
et grave question. Un certain pouvoir en cette matière semble, dès le
commencement, avoir été conféré à l'Eglise par les apôtres eux-mêmes.
« Ce qui contribua le plus, écrit Mosheim, à conserver du moins en
apparence la sainteté de l'Eglise, ce fut le droit d'exclure de son sein
et de toute participation aux rites sacrés les coupables de quelque
grande faute. » Les catholiques sans hésiter, notamment Suarez
(De censuris, disp. I, sect. 1), déclarent hérétiques ceux qui refusent
d'admettre que l'Eglise étant une société véritable, peut priver des
biens spirituels ceux de ses membres qui se montrent désobéissants à
ses lois. Cette doctrine, disent-ils, est contenue dans le Nouveau Testa-
ment, et ressort clairement de Jean XX, 21, Luc X, 16, et surtout Mat-
thieu XVIII, 15 à 18 : (( Si ton frère a péché, va et reprends-le seul à
seul... S'il refuse d'entendre même l'Eglise, qu'il soitpour toi comme
un gentil et un péager. » Saint Paul à son tour retranche du nombre
des fidèles et livre à Satan l'incestueux de Corinthe (1 Cor. V, 1 à 6),
et plusieurs fois ailleurs (1 Cor. IV, 21 ; X, 6 ; 2 Thessal. III, 14 ; 1 Tim.
V, 19) il recommande d'éviter toute communication avec ceuxqui per-
sévèrent dans la désobéissance. Une fois le principe admis, et il faut re-
CENSURE 795
marquer que ce ne fut qu'assez tard, le mot censure ne se trouvant
employé au sens exact qu'on lui donne aujourd'hui qu'à partir des
Décrétâtes* le droit, sur Dette hase, arrive à se lixer et se compléter peu
à peu par les décrets des papes cl parles canons des conciles. Les peines
ainsi adoptées et infligées <pie Ton comprend habituellement sous la
dénomination de censures, sont au nombre de trois : Y excommunica-
tion, la première et la plus grave parce qu'elle livre à Satan; la sus-
pense totale ou partielle, qui n'est pas toujours personnelle comme
l'excommunication, mais peut être infligée à des communautés entiè-
res, à des collèges OU à (les chapitres en tant que formant un corps
moral; et enfin Y interdit, qui n'est jamais personnel, puisqu'il consiste
à ôter à toute une ville, à tout un peuple, à tout un royaume l'usage
des choses saintes (voy. les mots Excommunication, Interdit, Suspense).
Divisées ainsi d'abord en trois espèces, on les subdivise en censures
latic tend nti.r et ferendx scntentiie. Les premières, latx sententix, sont
encourues au for delà conscience, par la seule perpétration de la faute,
ipso facto ; mais il faut qu'ensuite, au for extérieur, quand le juge vent
la prononcer, il cite à son tribunal le coupable, aiin que celui-ci puisse
prouver son innocence. C'est la citatio ad dicendum quare non inciderit
in censurant., ou quare non debeat declarari censuratus. Alors seulement
la sentence déclaratoire peut être prononcée. Les censures ferendx sen-
tentiie, au contraire, ne sont pas encourues par le seul fait; il faut qu'une
sentence soit prononcée, non pas déclaratoire, ce qui n'a de réelle
utilité que dans le premier cas, maiscondamnatoire, et cela suflit. Sup-
posons maintenant qu'un acte appelant application de l'une des trois
censures, soit commis. Si le péché est extérieur (Ecclesia de internis
non judicat), s'il est consommé, s'il est défendu par un précepte ecclé-
siastique, s'il est considérable, s'il est scandaleux et trouble de quelque
manière la police extérieure de l'Eglise, s'il n'a pas été suffisamment
réparé, s'il est constant et bien prouve, une censure ou même plusieurs
à la fois peuvent être prononcées. Par qui? Par le pape seul ou par un
concile général s'il s'agit de frapper soit toute l'Eglise, soit un souve-
rain ; par les congrégations des cardinaux, celles des évêques et des
réguliers, des conciles provinciaux ; par les légats, prélats réguliers et
séculiers ayant juridiction au for extérieur, les vicaires généraux en
l'absence de leur évêque; tous agissant dans le cercle de leurs attribu-
tions. Le confesseur, le curé, qui n'ont juridiction qu'au l'or intérieur,
les abbesses qui n'ont pas le pouvoir des clefs, ne peuvent porter des
censures. Cependant ceux-là mêmes qui ont le pouvoir de les porter
ne doivent s'en servir qu'avec la plus grande réserve. L'Eglise, qui
veut paraître clémente envers ses enfants et les traiter en mère (mourut
priusquam ferait), l'ait à tout dépositaire de sa puissance un devoir
d'adresser à celui qu'il va frapper une munition préalable dite moni-
tion canonique, soit unique et péremptoire, soit réitérée jusqu'à trois
fois à des intervalles de deux jouis selon quelques-uns. de huit jours
selon d'autres, Si le coupable, après un troisième avertissement, n'a
pas été rainent'1 à une conduite plus régulière, la censure produit ses
effets, c'est-à-dire qu'il se trouve privé de quelques-uns des biens spi-
796 CENSURE
rituels, qui sont, suivant les canonistes, les uns purement intérieurs,
tels que la foi, l'espérance, la charité, la grâce; les autres purement
extérieurs, par exemple, les relations et les diverses actions du com-
merce ordinaire de la vie sociale ; les autres mixtes, sacrements, messe,
offices divins, suffrage de l'Eglise, indulgences. Et cela, pour un
temps indéterminé ! En effet, tandis que les autres peines sont toujours
infligées soit à perpétuité, soit pour un temps, la censure, qui est mé-
dicinale, se distingue en ceci des vraies peines, qu'elle est toujours in-
fligée donec corrigatur. Pour qu'elle cesse, il faut que l'absolution soit
donnée par le supérieur légitime. — Un pareil système de répression peut
facilement conduire ceux qui l'emploient à l'exagération et àl'excès de
pouvoirs. Quelque prélat trop zélé, jugeant seul, sans recours, pourrait
rendre une sentence injuste. Aussi voyons- nous établi de bonne heure
le recours au juge laïque, c'est-à-dire l'appel comme d'abus devant les
cours et parlements (voy. Journal du Palais, arrêt du 30 décembre 1669
contre l'évêque d'Amiens, qui avait excommunié le doyen de l'Eglise
de Roye pour avoir refusé de quitter l'étole pendant que l'évêque fai-
sait sa visite dans cette Eglise, et plus tard, arrêt du 26 janvier 1707
contre l'archevêque d'Aix qui venait d'excommunier le supérieur
d'une communauté pour avoir reçu des novices, sans son consente-
ment). L'ecclésiastique dont la censure a été déclarée abusive, rentre
dans ses fonctions de plein droit. — Après ces observations sur l'abus
de la censure, il reste à faire sur l'usage même de cette peine une
objection essentielle et décisive : c'est que l'Eglise étant principale-
ment une société spirituelle, ne doit exercer qu'une autorité de per-
suasion. Il y a dans l'Etat moderne assez de tribunaux et déjuges pour
que l'Eglise puisse s'épargner l'embarras, sous couleur de direction
spirituelle, d'infliger ces lourdes peines, l'excommunication, l'interdit,
qui atteignent profondément l'individu, la ville ou le pays frappés
dans leurs intérêts matériels. Le vieux système tout entier repose sur
une erreur du moyen âge à présent reconnue, l'infaillibilité de l'Eglise,
et la subordination dans le monde de la puissance temporelle à la
puissance spirituelle, comme en nous du corps à l'âme. La vanité des
prétentions de l'Eglise romaine sur ce point, nous le voyons par l'his-
toire, a paru par leur excès même. Marsile de Padoue, l'un des pre-
miers qui osèrent nier le pouvoir coërcitif de l'Eglise, ne voulant lui
accorder qu'une autorité de persuasion, est condamné par Jean XXII.
Les décrétales, le concile de Latran sous Alexandre III adoptent ce ju-
gement et prennent de semblables décisions. Le concile de Trente va
plus loin : il recommande aux juges ecclésiastiques d'infliger, avant
toute censure, des peines purement temporelles : « Liceat in causis
cwiltbus ad forum ecclesiasticum quomodolibet pertinentibus, contra quos-
cumque etiam laïcos, per multas pecuniarias, per captionem pignorum,
sive etiam per privationem beneficioimm, aliaque juris remédia proce-
dere et causas definire » (Concil. Trident. , decr. de Refonn., sess. 25,
cap. 3). Enfin Benoît XIV, dans son bref Ad assiduas (1755), et Pie VI,
dans sa bulle Auctortm fidei, réclament encore pour l'Eglise un pou-
voir absolu, souverain, indépendant de toute autorité séculière. Mais
rKNSUUK 7(.)7
il n'y a là qu'une injustifiable prétention; la réalité est bien différente.
On inscrit en t'ai t , parmi Les libertés de l'Eglise gallicane, le privilège
pour les rois de France de oe pouvoir être frappés de censures. Saint
Louis a déjà fait admettre que sa chapelle ne pourra jamais être mise en
interdit. Autrefois on exigeai! des pénitents qu'ils Vinssent eux-mêmes
à Rome implorer L'absolution, déclarant, « suspecte d'hérésie et justi-
ciable de l'inquisition, ceux qui méprisent si fort i 'absolution des censures
encourues qu'ils passent un an entier sans la demander; » mais de nos
jours on voit soit des souverains, soit des particuliers, vivre en paix sans
même essayer de taire rapporter la sentence d'excommunication qui
les a atteints. Le hou sens éclairé par L'histoire qui nous montre l'Eu-
rope, aux. jours de La domination absolue de l'Eglise, troublée sans cesse
et désolée par les excommunications et les interdits, a été plus tort que
les canonistes et a résolu la question de droit malgré les docteurs. Les
partisans du pouvoir coercitif de l'Eglise en sont réduits à écrire, ce
qu'ils auraient, on le comprend, beaucoup de peine à prouver, qu'en
tout cas a Dieu appesantit souvent son bras vengeur sur ceux que l'E-
glise a retranchés de sa communion, et comme on l'apprend par
l'histoire, fait toujours périr misérablement ceux qui se sont obstiné-
ment moqués de l'excommunication. » — Voyez : Sacrosancta Concilia,
coll. in-t'ol., t. XIV: Antiquœ collectiones decretalium, 1 vol. in-t'ol., 1609;
Durand de Maillane, Instituées du Droit canonique, trad. en français de
J.-P. Lancelot, avec YBistoire du Droit canon, Lyon, 1770, 10 vol.
in-12; id., Dictionnaire de Dr. can.^Lyon, 1776, o vol. in-4°r;J. Strem-
ler, Des peines ecclésiastiques, des appels et des congrégations romaines,
Paris, 1860. 1 vol. in-8°. J. Akboux.
FIN J)U TOME II.
ERRATA
Pagf
. Ligne, Au lieu de: Lisez:
85
39
Rome Alexandrie
—
41
Supprimer depuis : Le texte grec.
— 5e ch'apitre.
86
26
Ajouter : les dernières éditions sont
celles de Millier (1869) H. de Geb-
hardt et Harnack {Patres apost.,
I, 1875), et de Hilgenfeld (1877),
qui a pu le premier mettre à profit
le texte découvert par Bryennius.
93
19
Ajouter : K. Werner, G. Barth,
Calw, 1865-69, 3 vol.
97
38
Ajouter : les articles de M. Loise-
leur dans le Temps (1873, 14 août
et les numéros suivants).
137
25
Montpelar Montpelas
183
43
Ajouter : celle de Lelewel, Bruxel-
les, 1852.
189
11
Mien Niem
192
29
Lubiaco Subiaco
194
4
Gemblon Gembloux
204
21
4'tpovLxvj •l'epevtxïj
207
39
Sahr Sayn
211
19
Bixdorf Bixdorf
217
38
Bantzau Rantzau
220
14
Jelter Zelter
230
19
Haraglia Sbaraglia
236
16
t. 111(1850) t. 111(1849).
—
17
au point au point de vue
—
40
1684 1584
240
9
Ajouter : Hauréau, Rev. des Deux-
Mondes, 15janv. 1869.
48
8
20, 23 20, 33
291
37
1700 1710
292
35
iasinorum latinornm
292
46
1691 1690
Page.
293
317
320
340
341
359
365
385
412
415
424
425
459
462
469
472
516
524
529
573
636
1 Kucznyski
11 Bloudus
6 Mensel
7 pars II, III
25 Léessies
10 et 13 Caudenbey
Ligne A u lieu de : Lises :
Kuczynski
Blondus
Meusel
pars II, tom. III.
Liessies
Caudenberg
de Buch de Buck
Tinuebrœck Tinnebrœck
Chaperon Chaponnière
Vicecomes Visconti
Bouquin Bouquet
au 21e vol. au 23e vol. publié en
1877 par MM. de
Wailly, Delisle et
Jourdain.
Ajouter : Ch. Schmidt, S. Br., 1874.
Ajouter : Pressel, Anecdota Bren-
tiana, Tnb., 1868.
Borne Paris
ou au
plus tard frère de
Wellington Mornington
Ajouter : Correspondance de Buffon,
Paris, 1860, 2 vol.
1847 1846
trois vrais
le nombre d'or la lettre domini-
• cale.
Cullisti Callisto
petite ville de commune des envi-
Normandie rons de Noyon.
1857. 1875.
di Lobkowitz y Lobkowitz
ce souvenir le souvenir
32
45
41
1
35
29
39
20
TABLE DES MATIÈRES
Baader (François). .
Baal . v. Phénicie.
Baalbek, v. Balbeck.
Baasa . .
Babel (tour de)
Babolein (saint)
Babylas (saint)
Babylone
Bacchides
Bach (Jean-Sébastien). - . . .
Bacon (Roger)
Bacon (François)
Bade (colloque de)
Bade (histoire religieuse). . . .
Bade (statistique religieuse). .
Baduel (Claude)
Bahrdt (Charles-Frédéric). . .
Baier (Jean-Guillaume)
Bains chez les Hébreux. . . ,
Baius (Michel)
Balaam
Balac, v. Balaam.
Balbeck
Balde (Jacques)
Baie (concile de)
Baie (réformât ion et confes-
sion de)
Baie (Eglise française de). . . .
Bâle (statistique religieuse). . .
Balguy (Jean)
Ballanche (Pierre-Simon). . . .
Ballerini (Pierre et Jérôme). ,
Balmes (Jaime)
Balsamon (Théodore)
Balthasar
Baltus f Jean-François)
Baluze (Etienne)
Ban de la Roche
Banaias
Bangor
Banier (Antoine)
Bannez
Baptême
Baptisme
Baptistère
Barabbas
Barac
Barbarigo (Grégoire)
Barbe (sainte)
Barbeyrac (Jean)
Barbier (Josué)
Barckhausen(Conrad-Henri ►.
Barclay (Robert)
Barcochébas
Barcos (Martin de)
Bardesane
5
3
4
4
18
18
21
23
24
25
h
29
30
30
31
32
32
34
35
39
41
43
44
45
46
47
47
48
48
48
49
52
52
53
53
53
72
75
77
77
77
77
77
79
7'.)
79
80
81
8]
Ha ri (concile de) 81
Barjésus 82
Barlaam 82
Barletta (Gabriel) 82
Barmen 83
Barnabas . . 83
Barnabas (épître de) 85
Barnabites 86
Barnaud (Nicolas) 87
Barnès (Robert) 88
Barneveld (Jean Van Olden). . 88
Baronius (César) 90
Barri (Godefroy de), v. Amboise.
Barruel (Augustin) 91
Barsumas 91
Barsumas (Thomas) 92
Barth (Chrétien- Gottlob). . . 92
Barthélémy 93
Barthélémy de Bologne. ... 93
Barthélémy des Martyrs. ... 93
Barthélémy (la Saint) 94
Bartholmess (Christian - Jean-
Guillaume) 97
Bartholomée, v. Barthélémy.
Bartholomites -98
Bartimée 98
Bartoli (Daniel) 98
Barton (Elisabeth) 99
Baruch 99
Basan 100
Basedow (Jean-Bernard). ... 100
Bashuysen (Henri-Jacques van). 102
Basile le Grand 102
Basile, archevêque 105
Basile, évêque 105
Basilides 105
Basiliens 107
Basilique, v. Architecture chré-
tienne.
Basin (Thomas) 107
Basnage (Benjamin) 107
Basnage (Jacques) 108
Bassoutos 110
Bathanée, v. Basan.
Bathilde (sainte) 113
Bath-Kol, v. Talmud.
Baudin (Charles) 113
Baudouin (François) 111
Bauer (Georges-Laurent). ... 116
Baume chez (es Hébreux, x.llis-
toire naturelle '/<■ la Bible.
Baumgarten (Sigismond- Jac-
ques) 116
Baumgarten - Crusius ( Louis -
Frédéric othon) in
Baur 117
800
TABLE DES MATIÈRES
Bausset (Louis-François de). .
Hautain (Louis)
Bavière (histoire religieuse). .
Bavière (statistique religieuse) .
Baxter (Richard)
Bayeux
Bayle (Pierre)
Bayonne
Bazas.
Béarn (Eglises du)
Béatification
Béatitude
Beattie (James)
Beaucaire (François de Péguil-
lon) \
Beaumont (François de),
v. Adrets.
Beaumont (Christophe de). . .
Beauregard
Beausobre (Isaac de)
Beauvais
Beauvais (Marie de)
Bec (abbaye du)
Bécan (Martin)
Beck (Jacques-Christophe). . .
Becket (Thomas)
Beda
Bedan
Bède
Béelphégor, v. Baal.
Béelzébub ............
Béer
Béeroth
Beethoven (Louis van)
Béguards et Béguines
Bekker (Balthazar)
Bel, v. Baal.
Belgique (histoire religieuse).
Belgique (statistique ecclé-
siastique)
Bélial
Bellarmin
Belley (Ain)
Bellini (Giovanni)
Béloutchistan (statistique reli-
gieuse)
Belsunce de Castel Moron
(Henri - François - Xavier de) .
Benadad
Benaja, v. Banaias.
Benedicite .
Bénédictins (ordre des), v. Be-
noît de Nursie.
Bénédictines, v. Scholastique
(sainte).
Bénédiction
Bénéfices ecclésiastiques. . . .
Bénévent
Bénezet (saint)
Bénezet (Antoine)
Bénezet (François)
130
131
133
137
139
140
141
143
144
144
146
146
146
147
148
148
149
151
152
152
125
153
153
154
155
155
156
157
157
157
159
161
161
164
165
165
167
167
168
168
169
169
169
172
177
177
178
179
Bengel ( Jean-Albert ). .
Bénigne (saint)
Bénitier, v. Eau bénite.
Benjamin
Benjamin de Tudèle. .
Bennon d'Einsiedeln. .
Bennon (saint)
II (saint).
III
IV
V
VI.
Benoit
Benoît
Benoît
Benoît
Benoît
Benoît
Benoît Vil
Benoît VIII.
Benoît IX:
Benoît X
Benoît XI (saint)
Benoît XII
Benoît XIII (antipape)
Benoît XIII (Vincenzo-Maiïa
Orsini de Gravina)
Benoît XIV. (Prospero Lamber-
tin'i)
Benoît de Nursie
Benoît d'Aniane
Benoît Levita
Benoît (René)
Benoît (Elie)
Benoît (le Père)
Bentham (Jérémie)
Bentley (Richard)
Bérauld (Michel)
Bérauld (Pierre)
Bérauld (Nicolas)
Bérée
Bérenger de Tours
Bérenger (Laurent-Pierre). . .
Bérénice
Bergerac (Eglise de)
Bergier (Nicolas-Sylvestre). .
Bergius (Jean)
Berington (Joseph )
Berkeley (Georges)
Berlebourg (Bible de).
Berlin
Bernard de Clair vaux
Bernard de Menthon
Bernard deHildesheim
Bernard de Tiron
Bernard (Claude)
Bernard (Samuel)
Bernard (Jacques) ,
Bernardin de Sienne (saint). .
Bernardin de Saint- Pierre
(Jacques-Henri)
Bernardins
Berne (histoire et statistique
religieuse)
Bernières-Louvigny (Jean de).
Bernis (cardinal de)
179
182
183
183
183
184
184
184
184
185
185
185
185
185
186
186
186
187
188
189
190
192
195
196
196
197
199
199
199
200
201
201
202
202
204
204
205
206
206
207
207
207
208
220
225
226
227
227
227
229
230
230
231
233
234
234
TABLE DES MATIÈRES
SOI
Bernon 235
Bernon (ou Bernard) 235
Bernstein (Georges-Henri). . . 235
Béroalde (Matthieu) 236
Bérose 2§6
Berquin (Louis de) 238
Berruyer (Joseph-Isaac). ... 240
Berry (Eglise du) 24]
Bersabee 244
Berthe (sainte)
Berthier (Guillaume-François,). 245
Berthold 245
Berthold, le franciscain. . . . 245
Bertholdt (Léonard) 246
BertholoT (François) 246
Berlin (saint) 247
Bérulle ^ Pierre de) 24"3
Berylle 248
Berzellai 248
Besancon 248
Beschitzi (Elie) 249
Besold (Christophe) 249
Bessarion (Jean ou Basile). . . S>n
Bethabara 251
Béthanie 251
Béthel 251
Béthesda 252
Bethhoron 253
Bethléhem <2>3
Bethléhem, évêché 254
Bethléhémitès 254
Bethphagé 255
Bethsabé, v. David.
Bethsaïde 255
Bethsamès 256
Bethsan 256
Bethsur 257
Béthulie 257
Beveridge (Guillaume) 257
Bèze (Théodore de) 258
Béziers 273
Bibiane (sainte) 273
Bible 273
Bibliander (Théodore). . . . . 287
Bibliographie théologique. . . 287
Bichat, v. Sensualisme.
Bicheteau (Abel) 294
Bickell (Jean-Guillaume). . . . 295
Biddle (Jean) 295
Biel (Gabriel) 296
Bien 296
Biens ecclésiastiques 298
i ligamie, \. Mariage.
Biltinger (George-Bernard i. . . 306
Billican 306
Billuart (Charles-René) 306
Binet (Etienne) 306
Bingham (Joseph) 307
Bitaubé (Paul- Jérémie) 308
Bithynie 308
Blair I Hugues; 300
lUaise (saint) 300
Blandine (sainte) 3Î0
Blandrata (George) âïo
Blasphème 311
Blastares (Matthieu) :;I2
Blaurer (Ambroise) 312
Bleek (Frédéric) 313
Blessig (Jean-Laurent) 313
Blois 314
Blois (Louis de) :;l |
Blondel (David) 31*4
Blount (Jean) 317
Blumhardt (Chrétien-Gottlieb). 317
Bochart (René) 318
Bochart (Samuel) 318
Bode (Christophe- Auguste). . . 310
Bodin (Jean) 320
Boece 320
Bœhme (Jacques) 321
Bœhmer (Juste-Henning). . . . 324
Bogatzky (Charles-Henri de). . 325
Bogomiles 325
Bohème 326
Boileau (Jacques) 337
Boisgelin (Jean de Dieu-Ray-
mond de Cucé) 338
Boismont (Nicolas Thyrel de). 339
Boissard (Georges-David-Fré-
déric) 330
Bolivie (statistique ecclésiasti-
que) 339
Bollandistes 340
Bologne 34.2
Bolsec (Jérôme- Hermès). . . . 342
Bona (Jean) '. 343
Bonalcl ( Louis - Gabriel - Am -
broise, vicomte de) 344
Bonaventure 345
Bongars (Jacques) 347
Bonheur, v. Félicité.
Boniface 348
Boniface. Ier (saint) 352
Boniface II 352
Boniface 111 353
Boniface IV 353
Boniface V 353
Boniface VI 353
Boniface VII 353
poniface VIII 353
Boniface IX, v. Clément VII.
lion. jour (les frères) :>:>('>
Bonn, v. Universités ail mandes.
Bonneehose iKmilede) 356
Bonnet (Charles) :;.")7
Bonnivarq1 (François de). • • . 358
Bonose 359
lions ( Martin) :;;>«.»
Booz 300
Boquin (Jean) 300
Bora (Catherine de) :;<',<)
Borborites 3B1
802
TABLE DES MATIÈRES
Bordas-Demoulin 361
Bordeaux 362
Bordelum 363
Borelistes 363
Borgia (François de) 363
Borri (Joseph-François) 364
Borromée (Charles de) 364
Borr ornée (Frédéric 1er). .... 365
Bosio (Antoine) 366
Bosra, v. Bostra.
Bossuet (Jacques-Bénigne). . . 366
Bost (Paul-^fwz-Isaac-David). 373
Boston 374
Bostra 376
Boucard(Françoîs ou Jacques de) 378
Boucher (Jean) 378
Bouddhisme, v.Inde.
Bouhours (Dominique) 379
Bouillon (Godefroi de) . .... 380
Bouillon (Henri de) 381
Boukharie(statistique religieuse)382
Boulainvilliers(Henri , comte de) 383
Boulanger (Nicolas- Antoine) . 383
Boulogne, v. Thérouanne.
Boulogne (Etienne-Antoine). . 383
Bouquet (Dom Martin). .... 385
Bouquin (Pierre) 385
Bourbon (Antoine de) 386
Bourbon (Catherine de) 387
Bourbon (Louis de) 388
Bourbon (Henri de) 389
Bourbonnais (Eglises du). . . 391
Bourdaloue (Louis) 392
Bourgeois (Loys) 395
Bourges 396
Bourgogne (Eglises de) 396
Bourgoing (François). ..... 399
Bourignon (Antoinette) .... 399
Boursier (Laurent-François) . 401
Bouterweck (Frédéric). \ . . . 401
Bower (Archibald) 4 402
Boyer (Jacques) 402
Boy le (Robert) 403
Bradwardina (Thomas de). . . 403
Brahmanisme, v. Inde.
Bramante (Donato) 404
Bramhall (Jean) 405
Brandebourg (réformation de
la Marche de) 405
Brant (Sébastien) 411
Breckling (Frédéric) 412
Bref, v. Bulle.
Breithaupt(Joachim-Justus). . 412
Breitinger (Jean-Jacques). . . 413
Brème (la réformation de). . . 413
Brenz (Jean) 414
Brésil (statistique religieuse). 415
Bresse (Eglises de la), . . . 417
Bretagne (Eglises de) .... . 418
Bretons (le christianisme chez
les), v. Culdéens.
Bretschneider(Charles-Gottlieb) 419
Bréviaire 420
Brial (Dom Michel-Jean- Joseph) 423
Brice (saint) 423
Briconnet (Guillaume). .... 423
Bridaine (le Père). 429
Bridel (Louis) 431
Brie (Eglises de la) 432
Briet (Philippe) 433
Brieuc (saint) 433
Brigitte, d'Irlande 434
Brigitte, de Suède 434
Brill (Jacques) 435
Briquemault(François de Beau-
vais, seigneur de) 435
Britanniques (Iles) 436
Britto (Jean de) 442
Brocard 442
Broglie (Maurice-Jean-Made-
leine de) 442
Broglie (Albertine de Staël,
duchesse de) 443
Bromley (Thomas) 444
Brosse (Salomon de) 445
Broussais, v. Sensualisme.
Brousson (Claude) 446
Browne (Robert) 447
Bruch (Jean-Frédéric) 448
Brueys (David- Augustin de). . 449
Brumoy (Pierre) 450
Brunellesco (Philippodi ser). . .450
Bruno, archevêque 451
Bruno, martyr 452
Bruno (saint) 453
Bruno d'Asti (saint) 453
Bruno (Giordano) 454
Brunswick (la réformation du
duché de) 454
Bruxelles (statistique ecclésias-
tique) 456
Bruys (Pierre de) 456
Bruys (François) 457
Bucer (Martin) 458
Buchanan (Claudius) 459
Bûchez (Philippe-Joseph-Ben-
jamin) 460
Buddée (Jean-François) 460
Budé (Guillaume) 461
Buffon (Georges-Louis Leclerc,
. comte de) 461
Bugenhagen (Jean) . 462
Bulgarie 463
Bulgaris (Eugène) . 465
Bulle 465
Bullinger (Henri) 467
Bundehesch, v. Perse.
Bungener (Félix) 468
Bunsen ( Chrétien-Charles-Jo -
siàs) 473
Bunyan (John). . 477
Burchard 479
TABLE DKS MATIÈRES
803
Burckhardt (Jean-Louis). . . .
Bure (Idelette de)
Burgendes (les)
Burmann (François)
Burnel (Gilbert)
Buriner (Louis)
Burnouf (Eugène)
Bury (Arthur
Bus (César de)
Busch (Jean)
Busching (Antoine-Frédéric), .
Butler (Joseph)
Huiler (Aiban)
Butler (Charles)
Buttlar (Eve)
Buxtorf
Buzenval (Paul Choart, sieur
de)
Byblos
Byna'us (Antoine)
Byron (Georges Gordon, lord).
Byzance, v. Cunstantinople.
Bzovius (Abraham).
Cabale
Cabanis, v. Sensualisme.
Cadès
Caen
Cagliostro (Alexandre, comte
de)
Cahors
Caignoncle (Michelle de). . . .
Gain
Cahutes
Caïphe, v. An tic.
Caius
Caius
Caius (saint).
Cajetan
Calas (Jean)
Calasanza, v. tiaristes.
Calatrava
Calcutta
Calderon de la Barca (Pedro).
Caleb
Calendes
Calendrier chrétien
Calice
Calixte Ier, v. Callistc.
Calixte II
Calixte III (antipape), v.
Alexandre III.
Calixte III
Calixte (George)
Calixtins, v. \'>>>hnne.
Callenberg (Jean-Henri). . . .
Calliste (sainl |
Calmet | Augustin |
Caloy (Abraham)
179
479
480
482
482
183
184
485
185
485
4S0
is;
488
488
489
489
492
493
494
194
497
497
503
504
504
504
505
505
505
506
506
507
507
508
511
511
512
513
514
514
519
520
521
522
52 1
524
526
.V.'7
Calvaire
Calvaristes
Calvin (Jean)
Camaldules
Cambrai
Cambrésis
Cambridge
Cameranus (Joacbim)
Caméron (Archibald)
Caméron (Jean)
Camisards
Campanella (Thomas)
Campbellites
Campe (Joachim-Henri). . . .
Campège (Laurent)
Campège (Thomas)
Campensis (Jean)
Camus (Jean-Pierre)
Cana • • •
Canaan, v. Palestine et JsrOèL
Canada
Canaye (Jean)
Candace
Cancllish (Robert Smith). . . .
Candolle (Pyramus de). . . .
Canisius (Pierre)
Canisius (Henri)
Canon de F Ancien Testament.
Canon du Nouveau Testament.
Canonicat, v. Chanoines.
Canonisation
Canons apostoliques
Canons de l'Eglise
Canova (Antoine).
Canstein (Charles-Hildebrand ,
baron de)
Cantique des Cantiques ....
Cantiques, v. Chant d'église.
Cantorbéry
Canus (Melchior Cano, dit) . .
Canut IV
Canz (Israël-Gottlieb)
Capernaùm
Caphthor
Capistran (Jean de)
Capiton (Wolfgang Kœpfel). .
Capitulâmes
Cappadoce
Cappel (Jacques)
Cappel (Louis). . . .•
Caprara (Jean-Baptiste). . . .
Capuciés
Capucines
Capucins
Caracalla
Caraccioli (Galéas)
Caraccioli (Antonio)
Caraccioli (Jean-Antoine) . . .
Caraccioli (Louis-Antoine). . .
Caractère
('.'irait es
528
529
529
557
558
559
561
561
501
563
565
566
567
568
509
569
570
571
572
573
573
574
575
576
577
577
587
606
607
608
608
609
609
614
615
615
616
617
617
018
619
619
622
623
624
627
628
628
628
629
630
631
031
632
633
634
804
TABLE DES MATIÈRES
Caramuel
Caravage .
Carcassonne
Carchemich
Cardan (Jérôme)
Cardel (Jean)
Cardel (Paul) ,
Cardinal '.....
Carême ,
Carey (William)
Carinthie
Carith
Carleton (Georges)
Carlowitz (Christophe de) . . .
Carlstadt . . . .
Carmel
Carmélites .
Carmes
Carmes déchaussés
Carnaval
Carniole
Carolins (livres), v. Livres ca-
rolins.
Carpentras
Carpin (Jean du Plan)
Carpocrate .
Carpzov
Carranza (Bartolomeo) . . . .
Carron (Gui-Toussaint- Julien) .
Cartésianisme
Carthage
Cartulaire
Carus (Fr.-Auguste)
Carus (Charles-Gustave). . . .
Cas de conscience, y. Casuistique.
Cas réservés
Casas (Barthélémy de las). . .
Casaubon (Isaac)
Casaubon (Méric)
Caselius (Jean)
Casimir
Casimir (le duc Jean)
Casluim
Cassandre (Georges). ......
Cassel (le colloque de)
Cassien (Jean)
Cassien (Jules), v. Docétisme.
Cassin (Mont-)
Cassiodore
Castalion (Sébastien)
Castell (Edmond)
Castelnau (Pierre de)
Castelnau (Michel de)
Castres. .
Casuel
Casuistique
Catacombes
636
036
636
637
637
637
638
638
039
641
641
642
642
642
642
646
647
047
648
648
648
649
649
650
651
653
655
655
659
659
660
660
660
661
661
663
663
664
664
666
666
667,
667
668
670
672
677
678
678
679
680
681
684
Catéchétique
692
Cathares . . . .
705
Cathédrale . . . .
708
Catherine d1Alexandrie(sainte)
709
Catherine dé Bologne (sainte)
709
Catherine de Gênes (sainte). .
709
Catherine de Ricci (sainte) . .
710
Catherine de Suède (sainte). . .
710
Catherine de Sienne (sainte). .
710
Catherine d'Aragon „
711
Catherine de Médicis
711
Catholicisme (principe du). . .
712
Catholique (Eglise), v. Église
catholique.
Catholiques allemands. . . .
717
Catholiques (Vieux-)
725
Catinat
741
Catrou (François)
742
Caturce (Jean de)
742
Cauchon (Pierre)
743
Caumont La Force .
743
Caus (Salomon de)
746
Cause, causalité
748
Causes majeures
754
Cavaillon
754
Cavalier
754
Cave (Guillaume)
755
Cavour (Camillo Beuso di). . .
i 55
Cayet (Pierre-Victor-Palma). .
/ 5 /
Cécile (sainte)
758
Cédaréniens
759
Cédrénus
759
Cédron
759
Ceillier (Rémi)
760
Célestin Ie'
760
Célestin II
760
Célestin III
760
Célestin IV
761
Célestin IV(antipape), v. Hono-
rius II.
Célestin V
761
Célestins
761
Célestius, v. Pélagianisme.
Célibat
762
Cellarius (Jean)
765
Cellarius (Christophe)
765
Cellérier (Jean-Isaac-Samuel).
766
Cellérier (Jacob-Elisée) ]
769
Celse
772
Celtes, v. Gaule (religion de
l'ancienne).
Cenchrée
77:»
Cendres (mercredi des)
775
Cène (sainte)
775
Cénobites, v. Moines.
Censure.
794
Pailâ. — l'y p. Tolmer et Tsirlor Joseph, 43, rue du Four-Saint-Germain.
SCIENCES
Il REL O
STUD1ES
La Bibliothèque
Université d'Ottawa
Échéance
The Library
University of Ottawa
Date due
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MORISl
B.
1993
SET
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ENCYCLOPEDIE
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