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Full text of "Encyclopédie des sciences religieuses"

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University  of  Toronto 


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ENCYCLOPÉDIE 


DES 


SCIENCES    RELIGIEUSES 


PARIS.    —     TYP.  TOLMER   ET   ISIDOR  JOSEPIT. 
43.  rue  du  Four   Saint-Germain. 


ENCYCLOPÉDIE 


DES 


SCIENCES  RELIGIEUSES 

PUBLIÉE     SOUS     LA     DIRECTION 

DE 

P.   LICÏÏTENBERGER 

DOYEN  DE  LA  FACULTÉ  DE  THEOLOGIE  PROTESTANTE  DE  PARIS 


TOME  II 


^wuo^ 


baader-censu|Êeb; 


PARIS 

LIBRAIRIE    SANDOZ    ET    FISCHBACHER 

33,    RUE    DE    SEINE,    33 

1877 


SCILNCCS 

U        «*■        O 

STUDIES 


5/ 


ENCYCLOPÉDIE 


Di:s 


SCIENCES  RELIGIEUSES 


B 

BAADER  (François),  le  philosophe  le  plus  éminent  qui  dans  ce  siècle 
se  soit  élevé  du  sein  de  l'Allemagne  catholique.  Né  à  Munich  en  1765, 
lils  d'un  médecin  distingué  et  d'une  mère  pieuse,  il  s'efforça  toute  sa 
vie  d'unir  la  religion  et  les  sciences  naturelles.  Après  avoir  étudié  la 
médecine,  puis  la  minéralogie,  il  fit  un  séjour  en  Angleterre  (1792- 
1796)  pendant  lequel  il  reconnut  l'erreur  du  déisme  de  Rousseau  et  du 
subjectivisme  de  Kant.  Saint-Martin  et  Bœhme  devinrent  ses  guides 
dans  la  spéculation  ;  plus  tard  il  y  joignit  l'étude  de  Paracelse,  de  saint 
Thomas  d'Aquin  et  des  docteurs  du  moyen  âge.  En  1797,  il  revint  à 
Munich,  où  il  exerça,  jusqu'en  1820,  les  fonctions  de  conseiller  des 
mines,  puis  de  président  de  cette  administration.  Il  se  sentit  attiré  vers 
Jacobi,  à  cause  du  rôle  fondamental  que  celui-ci  attribuait  à  la  foi  dans 
notre  vie  spirituelle  ;  mais  il  s'en  sépara,  parce  que  Jacobi  s'en  tenait 
au  sentiment  religieux  d'une  manière  générale  et  vague  et  statuait  un 
antagonisme  entre  la  science  et  la  foi  que  Baader  repoussa  toujours, 
adoptant  la  maxime  de  saint  Thomas  :  Nemo  crédit  contra  rationem, 
quia  veritas  veritati  contradicere  nonpotest.  De  même,  il  fut  d'abord  en 
relation  intime  avec  Schelling,  qu'il  eut  le  bonheur  d'amener  du 
spinozisme  et  du  système  de  l'identité  au  théisme,  au  christianisme 
historique;  mais  il  le  combattit,  quand  il  vit  que  Schelling  persévérait 
à  confondre  la  théogonie  avec  la  cosmogonie.  En  1826,  il  fut  nommé 
professeur  de  philosophie  et  de  théologie  spéculative  à  l'université  de 
Munich,  récemment  fondée;  ce  fut  une  occasion  pour  lui  de  systéma- 
tiser un  peu  davantage  les  idées  qu'il  avait  jusqu'alors  présentées  dans 
des  écrits  de  circonstance,  d'un  style  concis  et  imagé,  qu'il  était  par- 
fois difficile  de  comprendre  ;  du  reste,  ses  disciples  reconnaissent  qu'il 
n'eut  pas  le  don  d'exposer  sa  doctrine  avec  lucidité  etdans  son  enchaî- 
nement logique.  De  même  qu'il  combattait  le  rationalisme  en  philo- 
sophie, il  se  crut  appelé  à  combattre  aussi  l'esprit  révolutionnaire  en 
politique  et  le  parlementarisme  ;  mais,  conservateur  loyal,  il  demanda 
aux  puissances  du  Nord  de  rendre  la  Pologne  à  elle-même.  11  se 
montra  dédaigneux  pour  Luther  et  pour  le  protestantisme;  mais  il 
s'éleva  contre  les  usurpations  de  la  hiérarchie  romaine,  enseigna  que 
ii.  1 


BAADER 

îa  papauté  n'est  pas  une  institution  essentielle  du  catholicisme   et 
protesta  contre  les  indulgences,  contre  la  communion  sous  une  seule 
espèce  et  d'autres  abus.  Dans  les  dernières  années  de  sa  vie,  il  admirait 
TEglise  grecque,  au  sein  de  laquelle  l'autorité  est  exercée  par  des 
collèges  ou  conseils.  Il  mourut  en  1841.  —  Baader  fut  un  théosophe; 
à  ses  yeux,  le  royaume  de  la  grâce  et  le  royaume  de  la  nature  ne  sont 
pas  seulement  parallèles,  mais  intimement  unis  ;  chaque  réalité  de 
l'ordre  physique  est  le  symbole  ou  plutôt  le  phénomène  d'une  réalité 
spirituelle  ;  la  philosophie  première,  fondamentale,  c'est  la  théologie. 
Notre  science  repose,  non  sur  le  fameux:  Cogito,ergo  sum,  mais  sur  un 
principe  plus  complet  :  Cogitor,  ergo  cogito  et  sum.  L'homme  a  dans  sa 
conscience  un  témoignage  que  Dieu  se  rend  à  lui-môme  ;  témoignage 
confirmé  par  celui  de  la  nature  et  de  l'histoire  ;  mais  nous  possédons, 
en  vertu  d'une  divine  nécessité,  un  savoir  immédiat  (non  une  croyance 
seulement)  de  Dieu;  notre  esprit,  soit  qu'il  se  pense  lui-même  ou  qu'il 
pense  Dieu  et  le  monde,  est  associé  à  la  pensée  divine;  comme  celle-ci, 
il  engendre,  ou  du  moins,  ce  qu'elle  a  construit,  il  le  reconstruit 
(nach  construirf),  à  la  condition  toutefois  de  penser  avec  elle,  en  elle; 
et  dans  notre  état  de  déchéance,  c'est  avec  le  secours  du  Logos,  en 
nous  attachant  à  lui  par  une  méditation  qui  soit  en  môme  temps  une 
prière,  que  nous  rentrons  dans  la  lumière,  dans  la  sagesse  divine;  la 
logique  est  au  fond  la  science  du  Logos.  Dieu  est  le  Dieu  vivant,  à  la 
fois  Etre  et  Devenir,  unité  d'une  multiplicité,  actus  purissimus  et  sub- 
stantiel perfecta.  Or  la  vie  est  une  victoire  incessamment  remportée  sur 
un  conflit  intérieur  (principe  de  contradiction),  et  cela  par  un  mouve- 
ment perpétuel, progressus  et  m/msws,  dans  lequel  le  vivant  s'engendre 
lui-même.  Le  principe  divin  se  déploie  en  deux  éléments  impersonnels: 
l'idée  ou  sagesse  (Prov.  VIII,  22)  ou  esprit,  et  la  nature,  force  produc- 
trice, natura  naturans,  qui,  si  elle  demeurait  séparée  de  la  pensée, 
deviendrait  desiderium  sut,  mouvement  désordonné,  trouble,  ténèbres  ; 
mais  par  leur  pénétration  réciproque,  la  divinité  se  constitue  dans  sa 
richesse  intinie,  corporéité  spirituelle  ou  idéalité  substantielle,  mani- 
festation lumineuse  et  sereine  d'un  fond  insondable  et  fécond.  Le  pre- 
mier ternaire  ou  triplicité  (principe,  idée,  nature)  implique  donc  un 
quatrième  terme,  la  conciliation  du  deuxième  et  du  troisième  en  une 
union  supérieure,  quadruplicité  dont  on  peut  dire  :  «  Quand  on  est  à 
trois,  on  est  à  quatre,  c'est-à-dire  à  un.  »  Dans  cette  activité  ésotérique 
et  logique  de  la  vie  divine,  nous  n'avons  encore  que  l'individualité 
absolue,  un  totum;\&  personnalité  se  réalise  dans  une  seconde  activité, 
exotérique  et  réelle,  en  un  second  ternaire,  la  Trinité,  que  certains 
philosophes,  Platon  entre  autres,  ont  entrevue,  mais  dont  la  formule 
a  été  donnée  par  l'Eglise,  et  notamment  par  saint  Thomas.  Adversaire 
énergique  du  panthéisme  et  du  fatalisme,  Baader  enseigne  que  la 
création  fut   un  acte  libre  ;  les  deux  éléments  primordiaux,  idée  et 
nature,  constituent  l'essence  intime  de  l'univers  ;  le  lien  qui  relie  les 
êtres  créés,  c'est  l'amour  (affinité,  attraction,  quand  il  s'agit  de  l'ordre 
physique)  ;  le  dynamisme,  non  le  mécanisme  ou  atomisme,  est  l'expli- 
cation légitime  des  phénomènes.  Entre  le  monde  des  esprits  ou  anges 


KAÀDER  —  BABOLEIN  :; 

et  la  nature,  fut  placé  un  intermédiaire,  l'homme,  image  •  ^ieu  par 
excellence,  androgyne  comme  lui.  Par  suite  de  la  chute  dos  anges 
l'homme  a  reçu  la  mission  de  réparer  le  trouble  apporté  dans  la 
création  ;  mais  il  cède  à  la  tentation.  Pour  empêcher  l'homme  et  avec 
lui  la  création  entière  de  se  précipiter  dans  l'abîme,  Dieu  matérialise 
la  nature,  qui  jusqu'alors  n'était  pas  matérielle;  il  l'enferme  dans  les 
limites  de  l'espace  et  du  temps,  et  dorénavant  l'intelligence  égarée  est 
obligée  de  reconnaître  Jes  lois  de  cette  nature  nouvelle,  aussi  impé- 
rieuse qu'elle  avait  été  d'abord  soumise  à  l'homme  dans  sa  pureté 
première.  Le  premier  chapitre  de  la  Genèse  raconte  cette  reconstitu- 
tion, où  l'homme  est  appelé  à  une  deuxième  œuvre  de  réparation  : 
cultiver  la  terre  (paradis,  univers)  pour  la  ramener  à  sa  condition 
initiale.  Mais  une  nouvelle  chute  (Gen.  II)  augmente  la  détérioration  ; 
la  création  entière  soupire  après  une  délivrance  (Rom.  VIII).  Dieu  in- 
tervient par  l'incarnation  de  son  Fils,  incarnation  graduelle,  qui,  de- 
puis la  sortie  d'Eden,  se  poursuit  jusqu'au  jour  où  elle  se  condense 
en  Marie,  et  qui,  depuis  la  Rédemption,  recommence  sous  une  forme 
nouvelle  dans  tous  ceux  qui  reçoivent  et  conçoivent  en  eux  le  Christ. 
Ainsi  se  prépare  la  réintégration  finale  des  créatures  dans  leur  harmo- 
nie première.  Toutes  les  sciences  naturelles,  tous  les  trésors  de  l'art 
et  de  l'imagination,  la  mythologie,  le  somnambulisme  et  la  m 
viennent  tour  à  tour  fournir  des  symboles,  des  explications  ou  des 
prophéties  à  ce  drame  immense,  qui  inspire  tantôt  le  plus  séri  i 
intérêt  et  tantôt  des  réserves  fort  graves.  —  Les  disciples  de  Baader, 
MM.  Fr.  Hoffmann,  Jul.  Hamberger,  Ant.  Lutterbeck,  baron  (TOsten 
Sacken,  E.  A.  de  Schaden  et  Chr.  Schlûter  ont  publié  ses  œuvres  com- 
plètes, avec  introductions  et  commentaires  qui  en  facilitent  l'étude, 
15  vol.,  1851-1860.  Hoffmann,  Vorhalle  der  spekul.  Lehre  Baaders,  1830; 
Acht  philos.  Abhandlungen  ùber  B.,  1857;  Erdmann,  EntwickeL  der 
deutsch.  Spekalation  seit  Kant,  t.  II,  p.  583.  a.  Matter. 

BAAL,  divinité  phénicienne.  Voyez  Phénicie. 

BAALBEK.  Voyez  Balbek. 

BAASA  (Baechâ,  Baasà,  Bahasça), originaire  de  la  tribu  d'Issachar, 
fils  d'Ahias,  usurpa  le  trône  d'Israël  après  avoir  fait  mourir  Nadab, 
lils  de  Jéroboam,  son  roi,  et  toute  la  race  de  ce  prince  (1  Rois  XV, 
-21  >s.).  11  résidait  à  Tersa,  alors  la  capitale  des  dix  tribus,  et  lit  La 
guerre  au  roi  de  Juda,Asa,  qui  le  vainquit  avec  le  secours  des  Syriens, 
alliés  (1  Rois  XV,  18  ss.  ;  2  Chron.  XVI,  1  ss.).  Baasa  pratiqua 
l'idolâtrie  et  fit  tuer  le  prophète  Jéhu  qui  lajui  avait  reproché".    I 

:a  pendant  vingt-quatre   ans,   de   954   à  930  avant  Jésus-' 
(1  Rois  XV,  33). 

BABEL  (Tour  de).  Voyez  Babylone  et  Architecture  religieuse. 

BABOLEIN  (Saint)  [Babolenus],  fut  établi,  sous  le  règne  de  Clovis  II, 
premier  abbé  du  couvent  de  Fosmtus,  plus  tard  Saint-Maur-les-F- 
près  Paris.   On  croit  qu'il  avait  été  tiré  de  l'abbaye  de   Luxeuil.    I 
mourut  vers  071.  Ses  actes,  rédigés  vers  1080,  sont  remplis  de  I 
et  d"aiiachronismes  (Bouquet,  III;  Mabillon,  AA.  SS.  Ben.,  8XC  II; 
Bull.  -20  /'/>.  V).  Voy.  Lebeuf,  Dioc.  de  Paris,  V,  p.  07. 


4  BABYLAS  —  BABYLONE 

BABYLAS  (Saint),  évoque  d'Antioche,  mourut  en  prison  vers  250, 
d'après  Eusèbe  (VI,  29).  Ghrysostôme  au  contraire  raconte  son  mar- 
tyre dans  un  livre  plein  de  déclamations  (II,  536,  Monfaucon),  et  le 
place  sous  l'empereur  Philippe.  Les  actes  de  saint  Babylas  (AA.  SS. 
24  Jan  .  II)  le  font  mourir  en  284,  sous  Numérien.  «  Il  faut  avouer,  dit 
ïillemont  (vol.  III),  que  l'histoire  de  ce  saint  évêque  est  embarrassée 
de  plusieurs  difficultés  qui  sont  insurmontables  à  notre  faiblesse.  » 

BABYLONE.  Le  nom  de  Babylone  est  rattaché,  dans  la  Bible,  aux 
plus  antiques  souvenirs  de  l'humanité  post-diluvienne.  C'est  là  que  les 
restes  peuples,  issus  de  Noé,  s'assemblèrent  avec  l'intention  de  bâtir 
une  tour,  signe  de  ralliement  pour  ne  pas  être  dispersés.  Mais,  selon 
la  légende  biblique,  le  Seigneur  descendit,  frappa  les  peuples  assem- 
blés de  confusion,  et  les  dispersa  dans  tous  les  [pays.  C'est  pour  cela 
que  la  place  dans  le  pays  de  Sennaar,  où  cette  confusion  (Tjyyysiç) 
eut  lieu,  fut  nommée  Babel,  du  mot  Balai,  qui  veut  dire  «  confondre  » 
(Gen.  XI,  i-9).  Babel,  ainsi  au  premier  plan  dans  l'époque  primordiale 
de  [l'humanité,  disparaît  de  la  scène  biblique,  pour  ne  plus  paraître 
qu'au  temps  d'Ezéchias  (vers  712),  et  à  partir  de  là,  Babel  joue  un 
rôle  prépondérant  dans  toute  l'histoire  judaïque,  soit  comme  puissance 
politique  de  premier  ordre  ou  comme  puissance  vaincue,  soit  comme 
exemple  de  grandeur  et  de  déchéance  dans  la  bouche  des  prophètes. 
Le  nom  de  Babel  vit  jusque  dansl'épître  de  saint  Pierre  (I,  5, 12)  et  dans 
l'Apocalypse  (XVIII,  1),  et  c'est  surtout  ce  rôle  biblique  de  Babel  qui  lui 
a  valu  sa  grande  popularité  parmi  toutes  les  cités  de  l'antiquité.  —  Le  nom 
de  Babel,  en  grec  BaSuXwv,  se  dit,  dans  la  langue  assyrienne,  Babilon. 
La  tradition  juive  et  chrétienne  a  été  connue  dans  l'antiquité  païenne. 
L'historien  chaldéen  Bérose,  qui  vivait  du  temps  de  Ptolémée  Philadel- 
phe,  et  qui  écrivit  en  grec  trois  livres  d'histoire  babylonienne,  l'avait 
consignée  dans  ses  écrits,  et  les  fragments  d'Abydène,  d'Alexandre 
Polyhistor,  d'Eupolème,  attestent  suffisamment  que  les  Grecs  connais- 
saient cette  légende  de  la  confusion  des  langues.  L'évêque  de  Césarée, 
Eusèbe,  se  servit  de  ces  témoignages  classiques  pour  prouver,  dans  sa 
Préparation  évangélique,  l'authenticité  des  récits  de  la  Bible.  Les  nou- 
velles découvertes,  dues  en  partie  à  M.  Smith,  effectuées  dans  le  do- 
maine de  l'assyriologie,  ont  fait  connaître  les  récits  babyloniens  eux- 
mêmes.  Nous  reviendrons  sur  ce  point.  Le  nom  de  Babylone  comporte 
dans  les  textes  originaux  deux  dérivations  distinctes.  Selon  le  mythe  ba- 
bylonien, Babylone  avait  été  fondée  par  Bel,  et  exista  lors  de  l'époque  du 
premier  roi  Alorus,  qui  fut  môme  un  Babylonien,  432,000  ans  avant  le 
déluge.  La  langue  sumérienne  ou  langue  des  inventeurs  de  l'écriture  cu- 
néiforme nomme  la  ville  Ka-dingirra,  «porte  des  dieux.  »  Plus  tard, les 
Sémites  traduisirent  ce  mot  en  Bab-ilu,  porte  du  dieu,  et  probablement 
la  porte  de  El,  c'est-à-dire  de  la  planète  Saturne.  L'étymologie  que  nous 
venons  de  citer  se  retrouve  dans  la  manière  même  d'écrire  ordinaire- 
ment le  nom  de  Babylone,  en  cunéiformes.  Cette  dérivation  a  prévalu  et 
a  formé  le  nom  grec,  ainsi  que  le  nom  perse  de  Babirus,  et  le  Babilu 
des  Mèdes,  dans  les  inscriptions  médiques  des  Achéménides.  Mais  il 
serait  erroné  de  croire  que  l'étymologie  biblique  n'ait  pas  été  connue 


BABYLONE 

à  Babylone,  et  qu'elle  soit  le  résultat  d'un  calembour  hébraïque.  Au 
contraire,  la  dérivation  du  mot  hébreu  balai,  est  toute  assyrienne, 
et  le  mot  babil  veut  dire  «  confusion  »  en  assyrien  et  non  pas  en  hé- 
breu,  où  la  formation  ne  serait  pas  babil  comme  là,  mais  bilbul.  D'autre 
part,  il  existe  d'autres  manières  de  désigner  Babylone  symbolique- 
ment ou  par  des  idéogrammes.  Ces  manières  d'écrire  ont  trait  au  sens, 
et  non  pas  à  la  prononciation.  L'une  d'elles  nomme  Babylone  «  la  ville 
des  hordes  survivantes  »  (Din-tir-ki),  et  cette  manière  graphique  se 
trouve  avant  tout  dans  les  textes  de  Béhistun,  là  où  l'original  perse 
donne  Babirus.  Dans  ce  même  texte,  et  surtout  dans  les  documents 
commerciaux  du  temps  des  Perses,  Babylone  est  rendu  par  les  deux 
lettres  b-ki  qui  signifiaient  «  ville  du  langage  ».  Un  autre  idéogramme, 
assez  obscur  au  point  de  vue  du  sens,  peut  se  traduire  par  «  ville  de 
la  main  du  ciel  »,  ou  «  ville  du  jugement  d'Anou  »  (su-an-na-ki).  Tous 
ces  textes  prouvent  que  le  nom  sémitique  de  Babel  était  interprété  de 
différentes  manières,  dont  l'une  se  trouve  consignée  dans  la  Genèse. 
I.  Histoire.  Le  nom  de  Babylone,  comme  nous  l'avons  dit,  se  perd 
dans  la  nuit  des  époques  mythiques.  Babylone  était  la  patrie  du  pre- 
mier roi,  Alorus,  qui  fut  suivi  par  dix  autres  rois,  très-mythiques,  et 
qui  régnèrent  pendant  432,000  ans,  ou  120  sares,  époques  de  3,600  ans 
chacune.  Voici  les  noms  de  ces  rois  : 

Alorus 10  sares  ou        30,000  ans 

10,800 
46,800 
43,200 
64,800 
36,000 
64,800 
36,000 
28,800 
64,800 


-IIU1  LIS     .... 

Alaparus  .     .     . 

IU   SU.J 

3 

Amelon    .     .     . 

.      13 

Ammenon     .     . 

.       12 

Amelagarus  .     . 

.       18 

Daonus     .     .     . 

.       10 

Enedorachus     . 

.       18 

Amempsinus     . 

10 

Otiartes  .     .     . 

8 

Xisuthrus     .     . 

.       18 

Total.     .     .     120  sares  ou    432,000  ans 

Les  quatre  derniers  règnes  furent  illustrés  par  l'apparition  de  plu- 
sieurs dieux  puissants,  nommés  (Jaunes,  Odacon,  Annedotus,  qui 
pendant  la  nuit  se  retiraient  dans  la  mer  Erythrée,  pour  enseigner 
pendant  le  jour  aux  humains  les  éléments  des  sciences.  Jusqu'ici,  à 
ce  que  nous  sachions,  les  noms  des  deux  derniers  rois,  le  père  et  le 
fils,  nous  sont  seuls  connus  par  les  textes.  Le  père  (écrit  en  caractères 
idéogrammes  Ubara-an-tu-tu),  signifie  «  loi  du  dieu  générateur  » 
[flpsu)  :  sa  prononciation  n'est  pas  encore  connue.  Le  fils,  exprimé 
par  un  idéogramme-épithète,  Uf-zi,  c'est-à-dire  «  éternellement 
vivant  »,  se  nommé  Adrahasts;  les  deux  éléments  retournés  en  Hàsisu- 
adra  ont  formé  le  grec  Xisuthrus.  Ce  dernier  est  le  Noé  babylonien,  le 
héros  de  la  légende  du  déluge.  Le  récit,  connu  depuis  longtemps  par 
les  fragments  de  Bérose,  a  été  restitué  par  les  textes  assyriens  qui 
traitent  de  ce  cataclysme;  la  légende  est  conservée  dans  une  sorte 
d'épopée,  écrite  sur  douze  tablettes, ei  donl  le  récitdu  déluge  forme  la 


6  BABYLONE 

onzième.  Le  héros  delà  légende  se  fait  raconter  par  Adrahasis  l'histoire 
de  cette  grande  catastrophe  :  le  héros  lui-même  est  un  être  mythique 
divin,  le  dieu  Istubur,  dont  le  vrai  nom  est  encore  une  énigme.  Les 
signes  qui  composent  ce  nom  signifient  peut-être  «  le  Dieu  à  la  grosse 
lèvre  inférieure  »,  et  il  paraît  être  un  génie  du  feu.  (Pour  le  récit  du 
déluge,  voy.  Déluge.)  Le  cataclysme  eut  lieu ,  selon  les  listes  de  Bé- 
rose,  aujourd'hui  vérifiées  avec  une  certitude  mathématique,  en 
41,697  avant  Jésus-Christ.  Selon  les  fragments  du  même  historien, 
86  rois  se  succédèrent  pendant  39,180  ans;  cette  période  mythique  se 
décompose  en  douze  époques  dites  sothiaques  de  1,460  ans,  et 
de  12  époques  lunaires  de  1,805  ans  (22,325  lunaisons)  ;  en  effet, 

12  époques  à  1,460  =  17,520  ans 
12  époques  à  1,805  =  21,660 

39,180  ans 

Les  premiers  rois  postdiluviens  de  Bérose  s'appellent  Evechoos  et  Cho- 
raasfiélus;  ils  régnèrent  ensemble  5,100  ans;  ils  n'ont  pas  encore  été 
assimilés  à  des  rois  cités  dans  les  textes  cunéiformes.  Les  autres  monar- 
ques, dont  la  durée  de  règne  est  évaluée  à  9  sares  (à  3,600  ans)  2  nères 
à  600  ans)  et  8  sosses  (à  60  ans),  donnent  un  ensemble  de  34,080  ans. 
Si  fabuleuse  que  soit  cette  période,  il  est  parfaitement  certain  que,  vers 
la  fin  de  cette  époque,  il  régna  des  monarques  historiques  dont  on  pos- 
sède des  textes.  Le  seul  événement  certain  qui  également  appartient  à  la 
dernière  période,  où  la  nuit  devient  déjà  l'aube  du  jour,  est'transmis 
parla  Genèse,  et  se  rapporte  à  la  domination  d'un  peuple  issu  de  Chus, 
et  portant  le  nom  de  Nimrod.  Ce  peuple,  dont  le  nom  ne  désigne  pas 
plus  une  individualité  que  les  73  autres  noms  de  la  table  des  nations, 
fut  un  peuple  conquérant  et  chasseur,  et  établit,  dans  des  époques  très- 
éloignées,  sa  domination  sur  «  Babel,  Erech  (Orchoê),  Accad  et  Cha- 
Ianné,aupays  du  Sennaar.  »  Ce  nom  de  Nimrod,  qui  ne  paraît  plus  que 
dans  le  prophète  Miellée  (et  là  comme'  nom  purement  géographique 
opposé  à  r Assyrie),  était  le  nom  d'un  peuple  qui  habitait  le  bassin  du 
Las  Euphrate  et  l'Elyniaïdc.  Voilà  tout  ce  qu'on  sait  de  Nimrod;  une 
légende  apocryphe  a  rempli  de  fables  son  existence  dans  la  bouche  des 
juifs  et  des  musulmans.  Dans  ces  derniers  temps,  on  a  voulu  prêter  à 
Nimrod,  contrairement  à  la  grammaire,  l'édification  des  cités  assy- 
riennes, Ninive,  Resen  et  Calach,  que  le  texte  hébreu  ainsi  que  toutes 
les  traductions  attribuent  à  Assur,  c'est-à-dire  à  la  personnification  de 
l'Assyrie.  Le  nombre  des  rois  donné  dans  les  listes  bérosiennes,  trans- 
mises par  la  traduction  arménienne  d'Eusèbe,  peut  n'être  pas  toujours 
exact,  mais  le  nombre  d'années  est  vérifié,  ainsi  qu'il  est  évident,  par 
des  notes  marginales  apposées.  Une  dynastie  médique,  de  8  rois,  com- 
mençant avec  Zoroastre,  régna  depuis  2517  à  2283,  pendant  224  ans,  à 
Babylone.  Elle  était  évidemment  aryenne,  et  fut  supplantée  par  une 
autre  dynastie,  nommée  aussi  médique,  cette  foissusienne,  et  se  servant 
d'une  langue  étroitement  liée  à  la  branche  vraiment  médique.  Cette  dy- 
nastie, inaugurée  par  la  prise  de  Babylone  \>dx Kudur-Nankhundi,  1,635 
ans  avant  la  prise  de  Suse  par  Assurbanhabal,  dura  pendant  234  ans^ 


BABYLONE  7 

Elle  comprend  un  nombre  plus  ou  moins  grand  de  princes  élami- 
tes,  qui  se  servirent  des  deux  langues  sumérienne  et  assyrienne  dans 
leurs  décrets.  L'un  d'eux  semble  être  le  fameux  Hammurabi,fils  d'Um- 
mubanit.  Les  listes  de  Bérose  donnent  encore  une  dynastie  de  49  rois 
clialdéens  pendant  458  ans;  9  princes  arabes  leur  succédèrent  durant 
ï\o  ans.  Alors  l'Assyrie  conquit  la  Babylonie,  Sémiramis  régna  sur 
toute  la  Mésopotamie  (pendant  42  ans,  selon  tous  les  auteurs),  puis  une 
dynastie  assyrienne  nommée  le  grand  empire  d'Assyrie  pendant  526  ans. 
Une  dynastie  chaldéenne  succéda  à  Babylone,  comme  à  Ninive,  et  c'est 
là  que  s'arrête  la  liste  actuelle  de  Bérose,  qu'on  peut  aujourd'hui 
restituer  ainsi,  à  cause  d'une  période  donnée  contenue  dans  les  textes 
de  Sargon,  et  qui  constate  qu'une  des  époques  lunaires  (de  185  ans) 
finissait  en  712  avant  Jésus-Christ.  Ce  chiffre  est  dans  une  merveilleuse 
coïncidence  avec  la  date  de  139  de  l'ère  chrétienne,  donnée  par  Cen- 
sorin  :  ces  calculs,  qui  n'admettent  pas  la  variation  d'une  seule  année, 
ont  été  expliqués  ailleurs. 


10  rois  antédiluviens 
86  rois  clialdéens  pe 

pendant 
ndant  39. 

.  180  ans 

432,000  ans. 
41697  — 

2517 

8  rois  mèdes 

» 

234 

» 

2517  — 

2285 

11  rois  élamites 

» 

224 

)) 

2283  — 

2059 

49  rois  clialdéens 

» 

458 

» 

2059  — 

1601 

9  rois  arabes 

» 

245 

» 

1601  — 

1356 

Sémiramis 

» 

42 

» 

1356  — 

1314 

45  rois  assyriens 

» 

526 

» 

1314  — 

788 

8  rois  babyloniens 

» 

79 

» 

788  — 

709 

Sargon  etles  Sargonides  » 
6  rois  babyloniens        » 
Dynastie  perse               » 
Alexandre                      » 

84 
87 

208 

7 

)) 
» 
» 

Mil 

625 
538 
330 
323 

D'après  Diodore,  en  parfaite  conformité  avec  les  autres  données,  il 
s'était  écoulé  plus  de  473,000  ans  depuis  les  temps  les  plus  anciens 
jusqu'à  Alexandre.  Le  nombre  exact  de  cette  chronologie  fabuleuse  est 
de  473,367  ans.  Cette  liste  ne  se  rapporte  qu'à  l'histoire  de  Babylone 
seule,  et  non  pas  à  l'Assyrie.  Les  textes  nous  ont  laissé  une  très-grande 
quantité  de  noms  royaux,  qui  sont,  avec  très-peu  d'exceptions,  diffi- 
ciles à  classer  dans  un  ordre  chronologique  ;  nous  disons  difficiles, 
pour  ne  pas  dire  impossibles.  Un  roi  très-ancien  et  son  fils,  dont  les 
noms  sont  inconnus  et  résistent  encore  à  la  lecture  (Orcham,  Urukh, 
Urbagas,  etc.,  pour  le  père;  Dangi,  Sulgi,  Edilkin  pour  le  fils),  ont 
régné  à  Ur,  d'où  sortit  Abraham,  et  y  ont  élevé  de  nombreux  édifices. 
Mais  ces  monarques  appartiennent-ils  à  la  fin  de  la  période  mythique 
(avant  2517),  ou  au  commencement  de  l'empire  chaldéen?  C'est  ce 
qu'il  est  impossible,  à  l'heure  qu'il  est,  de  dire.  Les  données  sures  ne 
se  rapportent  qu'à  la  prise  de  Babylone  par  Kudurnankhundi,  à  l'âge 
d'un  roi  assyrien  Ismidagon,  peut-être  pas  même  roi  de  Babylone,  et 
puis  à  Hammurabi,  qui,  à  cause  d'un  chiffre  millésime  illisible,  ne  peut 
être  mis  qu'en  1200  ou  en  2200;  mais  1200  étant  improbable,  <  'es! 


8  BABYLONE 

2200  qu'il  faut  le  placer,  il  nous  semble  inutile  de  donner  toute  la 
nomenclature  de  ces  monarques  antiques  dont  on  ignore  Tordre  et  la 
succession;  nous  ne  connaissons  d'ailleurs  d'eux  presque  aucune  action, 
si  ce  n'est  l'édification  de  temples,  à  Ur,  Orclioé,  Larsa,  Larrak  (La- 
rancha),  Sippara,  Nipur,  Agadè  (la  ville  du  feu  éternel).  Quelques-uns 
portent  des  noms  élamites,  tels  que  Sagaraktiyas,  le  constructeur  du 
temple  de  Sippara,  Purnapuriyas,  et  son  fils  Kurigalzu.  Une  filiation  peut 
être  établie  entre  Simtisi-Silhak,  son  fils  Kudur-Mabug,  qui  s'établit  en 
Phénicie,  et  son  petit-fils,  Eriaku,  l'Arioch  (homonyme  ou  identique) 
de  la  Genèse  XIV,  1.  Nous  ne  savons  rien  sur  la  dynastie  dite  arabe, 
suivie  par  Sémiramis  qui  paraît  être  la  vraie  Sémiramis  historique,  et 
celle  dont  parle  Hérodote  (I,  184).  Rien  non  plus  n'est  connu  d'elle;  il 
se  peut  qu'une  union  avec  un  prince  assyrien  rendit  les  Ninivites 
maîtres  de  Babylone  (1314).  Cette  domination  de  526  ans  selon  Bérose, 
de  520  selon  Hérodote,  inaugura  le  grand  empire  d'Assyrie  qui  dura 
jusqu'à  la  défection  des  Mèdes  et  la  prise  de  Ninive  par  les  Babyloniens. 
Cette  dynastie,  composée  d'une  ou  de  plusieurs  races  assyriennes,  ne 
se  put  pas  toujours  maintenir  dans  la  possession  de  la  ville  sacrée  des 
Chaldéens  ;  nous  connaissons  diverses  révoltes,  dont  l'une  fomentée  par 
Merodach-idin-akhe,  réussit  même  à  prendre- Ninive,  dans  une  guerre 
heureuse  contre  Téglathphalasar  (1100).  Souvent  des  rois  indépendants 
pouvaient  occuper  le  trône  malgré  la  volonté  des  rois  d'Assyrie,  et 
souvent  avec  leur  permission  expresse;  mais  en  général  Ninive  eut  le 
dessus  jusqu'au  règne  d'Assurnirar  (788),  où  une  nouvelle  dynastie 
remplaça  les  Assyriens,  menacés  même  par  des  révoltes  dans  leur 
propre  pays.  Voici,  du  reste,  les  noms  des  rois  connus,  qui  furent  éga- 
lement monarques  ou  suzerains  incontestés  de  Babylone  : 

Bennirar  III 959  —  936 

Téglath-Sandan ," 936—930 

Assurnasirhabal 930  —  905 

Salmanassar  III 905  —  870 

Samas-Ben 870  —  857 

Bennirar  IV 857  —  828 

Salmanassar  IV 828  —  818 

Assuredil-el 818  —  800 

Assurnirar 800—792 

Prise  de  Ninive 788 

Le  roi  fainéant  Assurnirar,  d'où  proviennent  les  fables  sur  le  Sarda- 
napale  lâche  et  amolli,  marque  la  lin  de  cette  prépondérance  de 
Ninive.  Babylone  se  constitua  sous  des  rois  indigènes,  et  pendant 
437  ans,  Ninive  fut  réunie  à  la  Chaldée  jusqu'au  règne  de  Téglath- 
phalasar II  (745).  Jusqu'à  cette  époque,  avaient  régné  en  Mésopotamie 
Belesis  {Balasi)  et  Phul  (Pûlu),  qui  le  premier  de  tous  se  montre  dans 
la  Bible  comme  ennemi  menaçant  de  Ménachem  Ir,  roi  d'Israël.  Phul, 
satisfait  par  les  présents  du  roi  juif,  ne  pénètre  pas  dans  ses  pays,  et 
retourne  en  Assyrie.  Immédiatement  après  Phul,  nous  avons  un 
guide  dans  la  liste  du  canon  de  Ptolémée,  puisé  d'après  les  documents 


BABYLONE  9 

originaux  consultés  à  Alexandrie  par  des  astronomes  plus  anciens, 
surtout  par  Hipparque.  Le  canon  commence  avec  l'ère  de  Nabonassar 
(26  février  747),  mais  chaque  quatre  ans  la  date  recule  d'un  jour. 
puisque  les  années  sont  de  365  jours  seulement.  Voici  la  dynastie 
indépendante  maîtresse  de  l'Assyrie  jusqu'en  747  : 

Belesis depuis     788 

Phul vers        770 

Nabonassar  (Nabo-nasir) . .     .  747  —  733 

Nadius  (Nadir) 733  —  731 

Kinzirus  et  Porus 731  —  726 

Elulœus  (Ululaï) 726  —  72J 

Merodachbaladan 721  —  709 

Cette  période  de  79  ans  fut  signalée  en  745  par  la  sécession  de 
l'Assyrie  sous  Téglathphalasar,  qui  rétablit  l'indépendance  de  Ninive, 
sans  réussir  à  détruire  celle  de  Babylone.  Le  roi  assyrien  lit  des  tenta- 
tives infructueuses  à  cet  effet.  Les  exploits  des  rois  sont  inconnus,  sauf 
ceux  de  Merodachbaladan,  que  ses  adversaires  mêmes  ont  illustré.  Ce 
prince  fut  un  monarque  doué  d'un  grand  sens  politique,  il  noua  des 
relations  surtout  avecJes  ennemis  des  Assyriens,  par  exemple  avec  le 
Juif  Ezéchias.  Attaqué  par  Sargon,  il  perdit  Babylone  en  709,  mais  il  se 
retira  en  combattant  dans  la  basse  Chaldée,  où  il  continua  la  lutte  iné- 
gale, pendant  assez  longtemps.  Et  même  après  la  victoire  du  puissant 
Sargon  et  son  entrée  à  Babylone  (printemps  709),  il  ne  resta  pas  inactif 
en  inaugurant  les  luttes  patriotiques  contre  Ninive,  perpétuées 
presque  jusqu'à  la  chute  de  Ninive.  Mais  pendant  quatre-vingt-quatre 
ans,  l'Assyrie  resta  maîtresse,' malgré  quelques  interrègnes  passagers  et 
quelques  princes  éphémères.  Voici,  d'après  Bérose,  les  canons  de 
Ptolémée  et  les  textes  assyriens,  la  liste  des  princes  pendant  la  période 
des  Sargonides  : 

Sargon 709  —  704 

Interrègne   d'Hagisès  j  7Q4  _  7Q2 

Merodachbaladan  (  '     ' 

Bélibus,  institué  par  Sennachérib  .     .  702  —  699 

Asurnadin,  fils  de  Sennachérib  .     .     .  699  —  693 

[rigebél 693  —      - 

Mesesi-Màrduk 692  —  688 

Interrègne,  pendant  lequel   s'empara 

du  pouvoir  Suzub,  fils  de  Gatul  .     .  688  —  680 

Assarhaddon,  roi  d'Assyrie  ....  680  —  667 
Samul-mukin       (Saosduchin  -  Sam - 

taughes),  fils  d' Assarhaddon  .     .     .  667  —  647 
Issurbanhaba]    (Sardanapale   V),    roi 

d'Assyrie,  frère  du  précédent.     .     .  (\M  —  625 

Rhegebelus  ou  [rigibelus.  et  Mesisimordacus  (Mesesi-Marduk)  de  Ptolé- 
mée nous  sont  inconnus;  mais  nous  avons,  par  les  textes  de  Senna- 
chérib, des  données  précises   sur  l'anarchie  qui  leur  succéda.  Déjà. 


10  BABYLONE 

en  688,  les  Babyloniens,  aidés  par  les  Elamites,  avaient  porté  au 
pouvoir  Suzub,  fils  de  Gatul  ;  mais  Sennachérib  l'avait  fait  prisonnier 
et  l'avait  amené  à  Ninive.  Suzub  s'échappe  (685),  et  secondé  par 
Umman-Ménan,  le  roi  d'Elam,  il  s'empare  du  trône,  et  il  est  de 
nouveau  battu.  Il  revient  une  troisième  fois  (683),  mais  alors  Senna- 
chérib saccage  Babylone,  et  y  institue  ses  satrapes.  L'anarchie  finit 
avec  l'avènement  d'Assarhaddon,  après  l'assassinat  de  Sennachérib 
par  ses  propres  fils.  Assarhaddon  se  conduisit  en  roi  de  Babylone,  et 
laissa,  à  son  abdication  (667),  Ninive  à  son  fils  aîné  Assurbanhabal 
(Sardanapale  V),  Babylone  à  son  fils  cadet  Samulmukin,  Sammughes 
de  Bérose.  Mais  le  roi  de  Babylone  s'allia  contre  son  frère  avec  les 
Elamites,  il  fut  vaincu,  et  finit  sa  vie  dans  un  incendie  allumé  par  ses 
propres  sujets  (647).  C'est  alors  qu'Assurbanhabal(leChiniladaldePto- 
iémée)  réunit  pour  la  dernière  fois  Ninive  et  Babylone  sous  son  sceptre, 
jusqu'à  l'avènement  du  Babylonien  indépendant  Nabopollasar  (625). 
Cet  événement,  sur  lequel  nous  ne  possédons  aucun  texte  original, 
commence  l'époque  de  la  splendeur  de  Babylone.  La  dynastie,  issue 
du  pays,  dure  pendant  87  ans  et  se  compose  des  rois  suivants  : 

Nabopollasar.     .- 625  —  605 

Nabucliodonosor .     .'  605  —  561 

Evilmérodach.    ........  561  —  559 

Nériglissor  {Nirgal-sar-usur).     .     .     .  559  —  555 
Labosordachus  (nom  mutilé),  9  mois  .  —  555 

Nabonid    (Nabu-Nahid,    fils  de  Nabu- 

Balatsu-Jqôi, Labynetus  d'Hérodote).  555  —  538 
Prise  de  Babylone  par  Cyrus.     ...  —  538 

Sous  le  règne  de  Nabopollasar,  la  puissance  de  Ninive  décroît  ;  après 
la  mort  d'Assurbanhabal,  ses  successeurs  Assur-edilili  et  Assur- 
ZikïY-Iskun  (l'Assaracus  des  Grecs,  et  peut-être  le  Konosconcoborus 
estropié),  finirent  par  céder  à  la  puissance  unie  des  Babyloniens  et  du 
Mède  Cyaxarès.  Après  la  chute  de  Ninive  (606),  l'Egyptien  Néchao 
voulut  empêcher  l'agrandissement  de  la  domination  inquiétante  de  la 
Chaldée;  mais  Nabucliodonosor,  devenu  roi,  le  défitàCarchemis(604). 
Le  roi  vainqueur  se  tourna  vers  la  Judée,  et  après  avoir  imposé  et 
détrôné  Joachim,  Jéchonia  et  Sédécia,  il  attaqua  Jérusalem,  prit  la  ville 
et  brûla  le  temple  de  Salomon  (août  587).  Nabucliodonosor  passa,  dans 
l'antiquité,  pour  l'un  des  plus  grands  conquérants.  D'après  une 
donnée,  il  aurait  même  subjugué  la  Libye  et  l'Espagne;  en  tout  cas,  il 
imposa  sa  volonté  en  Asie.  Malheureusement,  nous  ne  possédons  que 
des  textes  historiques  concernant  la  ville  des  Chaldéens  ;  les  documents 
très-détaillés  ne  parlent  que  des  édifices  qu'il  fit  élever  dans  sa  capitale 
et  dans  les  autres  villes  de  son  empire.  Il  fît  de  Babylone  la  plus  grande 
cité  du  monde,  et  les  Jardins,  suspendus,  les  murs  de  Babylone  qu'il 
acheva,  étaient  classés  par  les  Grecs  dans  les  sept  merveilles  de  l'uni- 
vers. Le  livre  de  Daniel  parle  de  sa  folie  passagère,  qui  a  pu  être  réelle, 
et  pendant  cette  aberration,  se  place  peut-être  le  règne  de  Bel-Zikir- 
Iskun,  roi  de  Babylone,  que  l'on  ne  peut  placer  ailleurs.  Il  laissa  le 


BABYLONE  11 

trône  à  son  fils  E  vil  mérodach,  dont  le  seul  fait  connu  est  d'avoir  donné 
la  liberté  au  roi  Jéchonia,  prisonnier  depuis  27  ans.  Nériglissor,  son 
livre,  fils  de  ce Bel-Zikir-Iskun,  l'assassina;  mais  nous  ne  pouvons, 
non  plus,  signaler  aucun  fait  de  son  règne,  sinon  que,  mort  après 
quatre  ans  de  règne,  son  fils  ne  sut  se  maintenir  que  pendant  neuf 
mois,  pour  faire  place  à  un  homme  noble,  mais  non  issu  de  sang 
royal,  Nabonid.  Ce  roi  signala  son  règne  par  de  grandes  constructions, 
telles  que  les  quais  de  TEuphrate  et  la  restauration  des  temples  dans 
toute  la  Chaldée.  Cyrus,  après  avoir  dominé  les  Lydiens  et  les 
Ioniens,  n'avait  trouvé  debout  qu'Elam  et  Babylone;  il  devait  les 
soumettre  toutes  les  deux.  Mais  la  puissance  chaldéenne  était  trop 
bien  établie  pour  la  détruire  d'un  coup.  Nabonid  avait  institué  son 
fils  aîné  Belsazzar  (Balthasar),  en  assyrien  Bel-sar-usur,  sur  quel- 
ques parties  de  son  royaume  ;  il  en  parle  lui-même  dans  ses  textes. 
Les  Perses,  avant  de  prendre  Babylone,  firent  détruire  le  siège  de  la 
royauté  de  Balthasar  par  un  certain  Darius,  dit  le  Mède,  connu  seule- 
ment par  Daniel.  Nulle  part,  il  n'a  été  dit  que  ce  satrape  (voir  Da- 
niel IX,  1)  a  tué  Balthasar  dans  Babylone  même;  il  semble  même  cer- 
tain, d'après  les  textes  perses,  que  Balthasar  n'existait  plus  lors  de  la 
chute  de  Nabonid.  Ce  roi  fut  renvoyé  en  Caramanie,  où  il  finit  ses 
jours,  après  la  prise  de  Babylone  par  Cyrus  (538).  Les  Perses  respec- 

nt  les  usages  et  les  lois  de  la  ville  conquise  et  ne  prirent  jamais  que 
le  titre  de  rois  du  pays  ou  de  rois  de  Babylone,  jamais  celui  de  rois  de 
l'erse.  Néanmoins,  dix-sept  ans  déjà  après  la  prise  de  la  ville,  elle  se 

oha  contre  Darius  Ier,  qui  venait  d'arriver  au  trône.  Nidintabel  (c'est 
le  roi  perse  qui  le  raconte  dans  le  document  célèbre  de  Béhistun),  qui 
prétendait  être  Nabuchodonosor  (second),  fils  de  Nabonid,  attendit  les 
Perses  au  Tigre  et  à  l'Euphrate,  et  Darius  ne  réussit  à  approcher  de  Ba- 
bylone qu'après  deuxbatailles  livrées  à  six  jours  de  distance  (déc.521). 
il  ressort  des  dates  du  texte  perse  que  la  donnée  d'Hérodote  relative 
aux  vingt  mois  de  siège  est  exacte  ;  ce  n'est  qu'en  519  que  le  roi  perse 
put  punir  les  Babyloniens  de  leur  révolte.  Mais  bientôt  après  un  autre 
faux  Nabuchodonosor  surgit  dans  la  personne  d'un  Arménien,  Arakha 
(516),  et  fut  bientôt  vaincu  par  les  armées  perses.  Depuis  ce  temps, 
Babylone  resta  sous  la  domination  perse  ;  quelques  rois  même  en 
Tirent  leur  demeure;  Darius  II  y  mourut  en  40i.  Tous  les  rois,  néan- 
moins, n'avaient  pas  été  animés  d'un  pareil  respect  pour  la  grande 
ville  ;  Xerxès,  à  son  retour  de  Grèce,  pilla  la  ville  et  détruisit  quelques 
temples  :  le  luxe  et  la  splendeur  de  la  ville  n'étaient  pas  anéantis,  et 
Alexandre  put  encore  les  trouver  dans  tout  leur  développement.  Le  grand 
.Macédonien  avait  l'intention  de  faire  de  Babylone  la  capitale  de  son  vaste 
empire,  elle  ne  devint  que  son  sépulcre  (juin  323).  Séleucus  Nicator 
obtint  Babylone  à  L'assemblée  de  Triparadisus,  mais  il  ne  put  en  chasser 
Antigonus  et  son  fils  Démétrius  Poliorcètes  qu'en  312.  et  c'est  de 
cette  prise  de  Babylone  que  date  l'ère  des  Séleucides  (octobre  312  .  Le 
vainqueur  lui  encore  lacausede  sa  ruine;  il  bâtit  à  quelque  distance  d« 
li  Séleucû  .  sur  leTigre,  et  Babylone  fut  démolie  pour  servir  de  carrière 
à  briques  aux  villes  adjacentes.  Les  Par  thés  arrachèrent,  en  13:),  Baby- 


12  BABYLONE 

lone  aux  Séleucides  ;  ils  la  gardèrent  malgré  les  tentatives  de  Trajan 
(114),  de  Lucius  Verus  (164)  et  de  Septime  Sévère  (199)  ;  Julien  (363;, 
fut  impuissant  à  l'enlever  aux  Sassanides.  Les  victoires  du  khalife 
Omar  à  Kadesia  et  à  Nehavend  sur  Jesdasgard  III,  soumirent  Babylone 
à  Tlslam  ;  les  khalifes  fondèrent,  non  loin  de  Babylone,  leur  capitale 
Bagdad  (762)  ;  mais  elle  resta  habitée  jusque  vers  le  milieu  du  onzième 
siècle.  Après  bien  des  péripéties,  les  Turcs,  sous  Mourad  IV,  l'arrachè- 
rent (1648)  à  la  Perse,  et  depuis  ce  temps  Babylone  fait  partie  de  la 
province  d'Iraq,  dont  le  chef-lieu  est  Bagdad.  —  Langue  et  écriture. 
Sur  l'écriture  voyez  :  Ecriture  cunéiforme.  Diverses  langues  furent  par- 
lées à  Babylone  :  d'abord  le  sumérien  ou  la  langue  antique  des  Ghal- 
déens,  puis  Yaccadien  ou  Yassyrien,  idiome  sémitique  qui  devint  la 
langue  dominante.  Simultanément  s'introduisit,  aux  époques  plus  mo- 
dernes, Yaraméen,  qui  était  déjà  en  usage  du  temps  des  Perses,  quoi- 
que les  plus  récents  documents  assyriens  descendent  jusqu'à  l'empire 
romain.  —  Sciences  et  arts.  La  science  principale  des  Babyloniens  fut, 
pendant  des  siècles,  la  connaissance  des  astres,  unie  à  celle  de  prophétiser 
l'avenir.  En  dehors  des  nombreuses  données  qui  nous  sont  parvenues 
par  le  canal  de  l'antiquité  classique,  nous  possédons  de  nombreux 
fragments  de  textes  astrologiques,  oniromantiques  et  d'autres  de  3a 
même  classe.  Leur  science  était  enseignée  dans  diverses  écoles,  telles 
que  celles  de  Babylone,  de  Borsippa,  d'Orchoéet  de  Sippara.  Leurs  sa- 
vants s'occupèrent  de  mathématiques,  etStrabon  nomme  Cidena,  Nabu- 
rianus  et  Sudinus.  Ils  ont  inventé  la  division  du  cercle  en  360  degrés 
et  la  sous-division  sexagésimale.  Hérodote  leur  attribue  le  gnomon  et 
les  douze  heures  de  la  journée.  Ils  ont  institué  la  plus  ancienne  coutume 
du  monde,  la  semaine  de  sept  jours  et  les  noms  des  jours  de  la  semaine. 
Ils  savaient  que  6,585  1/3  jours  équivalent  à  223  mois  synodiques, 
242  mois  draconitiques  et  239  mois  anomalistiques.  Cette  période,  qui 
fait  revenir  pendant  à  peu  près  mille  ans  les  éclipses  dans  le  même 
ordre,  portait  même  le  nom  de  saros  ou  période  chaldéenne.  La  triple 
saros  de  19,756  jours  leur  est  attribuée  par  Geminus;  elle  équivaut  à 
669  mois  synodiques  et  717  mois  anomalistiques,  comme  période  des 
périgées  de  la  lune;  on  les  nommait  évolutions  exéligmes.  Simplicius 
mentionne,  d'après  Porphyrius,  ses  observations  remontant  à  31,000 
avant  Alexandre  (il  faut  probablement  lire  41,000  ans,  l'époque  du 
déluge  selon  eux).  H  existe  encore  des  tables  lunaires;  puis,  en  mathé- 
matiques, des  tables  des  carrés  et  des  cubes  de  1  à  60.  Leurs  idées 
philosophiques  sont  peu  connues  ;  ils  admettaient  l'éternité  de  la  ma- 
tière et  la  création  du  monde  du  néant  ou  de  l'abîme  vide  (apsu), 
l'apason  de  Damascius.  Leur  longue  civilisation  est  attestée  par  le  fait 
qu'ils  connaissaient  une  longue  période  de  1,805  ans,  22,325  mois  sy- 
nodiques, qui  fait  revenir  les  éclipses,  et  qu'ils  ne  pouvaient  pas  avoir 
trouvée  par  le  calcul,  mais  dont  la  connaissance  ne  pouvait  se  baser 
que  sur  la  comparaison  des  éclipses  périodiquement  réitérées.  En  fait 
de  sciences  politiques,  ils  avaient  une  idée  assez  précise  sur  l'Etat,  l'au- 
torité, les  sujets,  les  castes,  et  des  notions  très-détaillées  de  droit  civil, 
ainsi  que  le  prouvent  bien  des  textes.  Leur  médecine  était  toute  empi- 


BABYLONE  13 

rique,  mêlée  de  pratiques  superstitieuses.  Parmi  les  textes  cunéiformes 
se  trouvent  des  exorcismes  contre  une  grande  quantité  de  maladies. 
Hérodote  raconte  qu'on  portait  les  malades  sur  la  rue,  et  que  tous  les 
passants  donnaient  leur  avis.  Vart  des  Babyloniens  était  très-rappro- 
ché  de  l'art  assyrien.  L'architecture  remplaçait  les  pierres  dures  de 
Xinive  par  la  brique  cuite,  avec  une  habileté  extraordinaire  ils  reliaient 
ces  briques  par  du  bitume,  fortifié  par  le  mélange  de  roseaux.  Ils  utili- 
saient beaucoup  de  matières  précieuses,  de  l'or,  de  l'argent,  du  verre, 
de  Tivoire  et  des  essences  de  bois  précieux.  Ils  excellaient  surtout  dans 
les  représentations  sur  briques  vernissées,  qui  avaient  des  couleurs 
d'une  grande  richesse,  surtout  pour  le  jaune  et  le  bleu;  le  rouge  ne 
paraît  pas  autant  dans  les  débris  de  Babylone.  Mais  surtout  ils  culti- 
vaient la  pierre  fine,  qu'ils  savaient  travailler  avec  un  grand  art.  D'in- 
nombrables cachets  en  forme  de  cylindres  démontrent  l'étendue  de 
cette  fabrication  artistique.  Ils  fondaient  beaucoup  d'objets  en  métaux, 
et  Hérodote  parle  de  leurs  casques  en  cuivre  faits  d'une  manière  bar- 
bare difficile  à  raconter.  Leurs  toiles  étaient  célèbres  ;  une  grande 
fabrique  existait  à  Borsippa  ;  ils  en  avaient  môme  une  espèce  très-dure 
pour  en  faire  des  cuirasses.  Les  tapis  de  Babylone  étaient  connus  dans 
tout  l'Occident,  et  pendant  plusieurs  siècles  Babylone  faisait  l'intermé- 
diaire commercial  entre  l'Europe  d'une  part  et  l'Inde  et  la  Perse  de 
l'autre.  —  Mythologie  (voir  Chaldée). 

lî.  Topographie.  Babylone  était  originairement  astreinte  à  des  limites 
relativement  très-étroites,  en  comparaison  avec  l'étendue  énorme 
que  la  ville  sacrée  des  Ghaldéens  occupait  dans  les  derniers  temps  de 
son  existence.  Du  temps  de  la  domination  du  peuple,  Nimrod,  la  ville, 
faisait  partie  de  la  tétrapole  Babel,  Erech  (ass.  Uruk,  Orchoé),  Accad 
et  Chalanné  (Nipur)  ;  mais  même  plus  tard  nous  trouvons  à  côté  d'elle, 
comme  capitale  de  la  Chaldée,  Ur  (Mugheïr  d'aujourd'hui),  Larsa 
(Senkerch),  Larrah  (Larancha  des  Grecs)  et  les  deux  Sippara  (hébreu 
Sepharaîm,  au  duel),  c'est-à-dire  la  \ille  du  Soleil  (Héliopolis)  et  la 
ville  de  la  Lune.  Déjà,  dans  les  textes  de  Hammurabi  (peut-être  vingt- 
deuxième  siècle),  de  Purnapuryas  (même  époque)  et  d'autres,  nous  ren- 
controns le  titre  de  «  roi  de  Babylone  »  à  côté  de  celui  de  «  roi  des 
quatre  régions  »,  qui  sont  Accad  (sud),  Fiant  (est),  Hubur  (nord)  et 
Aharru  (ouest).  Pendant  longtemps  Babylone  était  restreinte  à  la  partie 
qui  plus  tard  s'appelait  V Acropole,  la  Cité  royale.  Cette  cité  rappelle 
les  étroites  limites  des  anciennes  Cités  de  Paris  et  de  Londres  ;  elle  ne 
renfermait  que  530 hectares,  et  comprenait  quelques-uns  des  principaux 
monuments  sacrés.  Lu  roi,  Ben-haOal-idin,  dont  l'époque  est  inconnue, 
fonda  le  mur  qui  existe  encore.  C'est  dans  ces  étroites  limites  que 
Babel  vit  naître  sa  suprématie,  que  Mérodachbaladan  la  défendit.  Le 
premier  roi  qui  semble  avoir  étendu  les  limites  de  la  capitale  fut  un 
assyrien  Assarhaddon,qui  fonda  les  deux  grandes  enceintes  continuées 
par  Nabopollasar  et  achevées  plus  tard  par  Nabuchodonosor.  C'est  de 
ht  Babylone  de  Nabnchodonosor  (pie  nous  parlons;  elle  comprenait 
plusieurs  villes,  Babylone,  Borsippe  et  Cutha,  autrefois  indépendantes 
I  une  de  l'autre,  et  rendues  plus  tard  à  leur  isolement  primitif  par  la 


14  BABYLONE 

destruction,  ordonnée  par  Darius,  d'un  mur  extérieur  qui  les  renfer- 
mait toutes.  —  1.  -Mars  de  Babylone.  Nabuchodonosor,  ainsi  que 
Josèphe,  Abydène  l'attestent,  confirmés  par  les  inscriptions,  entoura  la 
ville  d'un  simple  système  d'enceinte,  comprenant  six  circonvallations. 
Deux  murs  concentriques  entouraient  toute  l'étendue  ;  trois  autres 
entouraient  la  Cité  royale,  Babel  par  excellence  ;  le  dernier  entourait 
Borsippa,  la  Tour  des  Langues.  Le  mur  extérieur  le  plus  puissant  de 
tous,  s'appelait  Imgur-Bel  (Bel  bénit)  ;  il  avait  en  tout  490  stades  de 
longueur,  y  compris  les  détours  occasionnés  par  les  portes;  en  ligne 
droite,  d'un  angle  à  l'autre,  il  mesurait  4  fois  120  stades  (4 fois  22k.  680 
==  90  k.  720).  Le  carré  régulier  formé  par  cette  enceinte  couvrait  donc 
une  superficie  de  513  kilomètres,  plus  grande  que  le  département  de 
la  Seine,  et  sept  fois  plus  grande  que  l'enceinte  fortifiée  de  Paris. 
D'après  la  topographie  actuelle,  elle  s'étend  au  nord  le  long  du  canal 
musulman,  nommé  Nil,  est  bornée  au  nord-est  par  la  ruine  de  VOheynir 
(Cutta),  descend  de  là  vers  le  sud-sud-ouest,  sur  un  espace  de  23  kilomètres 
englobe  par  son  côté  sud  toute  la  ville  de  Borsippa,  et  est  bordée  dans 
son  parcours  occidental  par  les  marais  de  Hadiych,  en  passant  par 
les  ruines  de  Tell-Harkeh  et  de  Tell-Ghazaïeh.  L'Euphrate  partageait  cette 
surface  en  diagonale,  en  deux  parties  presque  triangulaires.  L'étendue 
n'est  pas  exagérée,  car  Aristote  (Polit.,  III,  8)  cite  Babylone  comme 
formant  plutôt  un  pays  qu'une  ville  ;  les  rues  ne  formaient  pas,  selon 
lui,  l'idée  d'une  ville,  car  alors  on  n'aurait  eu  qu'à  entourer  le  Pélopo- 
nèse  d'une  enceinte.  Cette  immense  circonvallation  avait  une  hauteur 
de  90  coudées  (47  mètres  25)  sur  50  coudées  (26  mètres  25)  de  largeur, 
et  quelques  tours  s'élevaient  à  200  coudées  (105  mètres).  Cent  portes 
donnaient  accès  à  la  ville,  et  pour  y  parvenir,  il  fallait  franchir  un 
fossé  extérieur  et  intérieur.  Ce  double  fossé  a  contribué  à  effacer  pres- 
que toute  trace  de  ce  mur  ;  dépouillée  de  son  revêtement  de  briques,  la 
terre  du  noyau  lavée  par  les  inondations  retombait  dans  les  fossés  dont 
elle  avait  été  extraite.  Darius  commença  à  le  démolir.  En  deçà  de  ce 
mur  extérieur,  nommé  par  Hérodote  une  cuirasse  (ôwpvjÇ),  courait  le 
mur  intérieur  (salhû  en  assyrien,  en  opposition  au  dur  qui  désigne  le 
mur  extérieur).  Son  nom  était  Nivit-Bel,  «  demeure  de  Bel.  »  Ce  grand 
mur  avait  360  stades  (68kilom.)de  pourtour;  il  était  encore  d'une  force 
considérable  et  renfermait  une  superficie  de  290  kilom.  carrés.  11  com- 
prenait toute  la  Babylone  proprement  dite,  mais  il  laissait  en  dehors  et 
Cutha  et  Borsippa.  Les  compagnons  d'Alexandre  ne  virent  plus  que  Nivit- 
Bel,  le  mur  de  360  stades  de  pourtour,  et  ainsi  s'explique  à  merveille 
la  divergence  entre  eux  et  Hérodote,  qui  a  encore  dû  voir  les  traces  de 
l'ancien  lmgur-Bel.  Cette  vaste  superficie  était  en  grande  partie  occu- 
pée par  des  champs  cultivés  qui  garantissaient  ce  carré  imprenable  des 
dangers  de  la  famine.  En  effet,  160  kilom.,  la  moitié  sud-est  du  carré  in- 
térieur, est  absolument  dénuée  de  traces  de  ruines  étendues.  Nous  pas- 
sons maintenant  aux  différents  groupes  d'habitations.  —  2.  La  ville 
babylonienne, xo  asti),  située  des  deux  côtés  de  l'Euphrate.  La  surface 
centrale  de  la  ville  s'étendait  en  diagonale  de  10  kilomètres  au  moins. 
Aujourd'hui  s'élève  dans  la  partie  nord,  en  étendue  assez  restreinte, 


BABYLONE  15 

La  ville  de  Hillah,  fondée  au  onzième  siècle  par  Seif-ud  Dauleth.  Les 
rues  de  cette  urbs  étaient  coupées  à  angle  droit  et  étaient  bordées  de 
maisons  de  trois  à  quatre  étages  ;  les  unes  allaient  parallèlement  à  l'Eu- 
phrate,  les  autres  y  aboutissaient  et  y  donnaient  accès  par  des  ruelles 
fermées  par  des  portes  en  bronze.  Par  toute  la  ville,  un  quai  bâti  par 
Nabomd  encaissa  le  fleuve,  et  probablement  ce  quai  s'étendit-il  au  delà 
des  limites  de  la  cité  des  Babyloniens  jusqu'au  point  où  Cyrus  entra  dans 
la  ville,  au  nord-ouest  delà  circonvallation.  Un  système  de  canaux  sou- 
terrains  mettait  la  ville  à  l'abri  d'une  inondation  ;  ces  canaux  pouvaient 
être  fermés  par  des  portes.  Hérodote  nous  dit  que  si  les  Babyloniens, 
surpris  par  Cyrus,  avaient  fermé  ces  sortes  d'écluses,  ils  auraient  pu 
prendre  les  Perses  comme  dans  un  filet.  Selon  Hérodote,  la  reine  Nito- 
rris,  à  laquelle  l'historien  semble  attribuer  les  constructions  de  Nabu- 
ehodonosor,  construisit  un  pont  en  piles  de  pierre,  reliées  par  du  fer  et 
du  plomb.  Les  poutres  qui  formaient  le  tablier  du  pont  étaient  enlevées 
le  soir,  pour  que  ce  passage  ne  devint  pas  le  théâtre  de  brigandages 
nocturnes.  L'emplacement  de  ce  pont,  qui  était  au  milieu  de  la  ville, 
doit  coïncider  avec  la  ville  actuelle  de  Hillah,  où,  en  effet,  a  dû  se 
trouver  la  porte  centrale  si  fréquentée  de  Babylone.  Cette  cité  des  Ba- 
byloniens s'était  formée,  comme  c'est  le  cas  presque  partout  ailleurs, 
par  la  destination  exclusivement  politique  qu'on  donnait  à  l'emplace- 
ment primitif.  La  cité  royale  ne  renfermant  plus  que  des  temples  et  des 
palais,  la  population  bourgeoise  se  trouvait  jetée  au  midi  de  celle-ci. 
Néanmoins,  un  grand  nombre  d'édifices  et  de  temples  s'élèvent  dans 
lie  proprement  dite.  Les  temples  de  Mérodach,  le  dieu  spécial  de 
Babylone,  de  Bel,  de  Sin,  de  Nebo  se  voyaient  très-probablement  où 
des  mosquées  musulmanes  remplacent,  dans  la  ville  de  Hillah,   les 
églises  primitivement  chrétiennes.  Le  temple  du  Soleil,  sur  la  rive 
droite,  se  perpétue  aujourd'hui  dans  le  nom  impie  de  «  Mosquée  du 
Soleil  »,  et  l'emplacement  du  temple  de  Mylitta,  ou  de  la  Vénus  cé- 
leste, se  trouve  sûrement  à  20  minutes  au  nord  des  portes  de  Hillah. 
Le  temple  de  Mérodach  était  probablement  là  où  aujourd'hui  s'élève 
le  grand  Minareth.  C'est  de  lui  que  parle  Arrien.  On  a  confondu  les 
différents  documents  que  citent  les  auteurs  classiques,  en  les  identi- 
fiant mal  à  propos,  et  de  manière  à  ne  plus  comprendre  aucune  des- 
cription antique.  Tous  les  auteurs  parlent  de  la  grande  variété  de  mo- 
numents ;   les  textes  cunéiformes  leur  donnent  raison  ;  et  il  a  fallu 
l'étude  des  ruines  pour  se  convaincre  très-aisément  que  des  données 
:ansmises  par  Hérodote,  Diodore,  Strabon,   Arrien,   Josèphe,  Quinte- 
i •(',  Philostrate  et  autres  se  rapportent  à  des  monuments  tout  (lif- 
ts. —  3.  Cité  royale.  A.  Murs.  La  vieille  ville  s'étendait,  en  grande 
partie,  sur  la  rive  droite  de  l'Euphrate  :  une  partie  minime  était  sur 
la  rive  arabe,  vis-à-vis  de  la  portion  méridionale.  Le  plus  grand  côté 
était  bordé  par  l'Euphrate,  la  grande  partie  ressemblait  à  un  triai 
Ses  deux  portions  étaient  entourées  ensemble  par  un  mur  très-fort  de 
60  stades  (11  kilomètres)  de  longueur,  et  renfermant 530  hectares 

•  dece  mur  existent  encore  dans  presque  toute  leur  longueur: 
Parthes  le  restaurèrent,  en  faisant  de  tout  cet  enclos  un  parc  <ie 


16  BABYLONE 

chasse.  A  la  pointe  nord  de  ce  mur  se  trouvait  la  Pyramide  ou  le  tom- 
beau de  Bélus.  En  deçà  de  cette  circonvallation,  sur  une  longueur  de 
40  stades  (7  kilomètres),  une  seconde  était  construite,  plus  haute  que 
la  première  Gtésias,  dans  Diodore,  estime  sa  hauteur  à  50  brasses,  et 
dit  qu'elle  était  ornée  de  représentations.  Le  troisième  mur  était  plus 
remarquable  encore,  et  il  était  embelli  par  des  représentations  en  bri- 
ques émaillées,  dont  l'expédition  française  a  recueilli  de  nombreux 
fragments.  Ge  mur  interne  n'avait  que  20  stades  (près  de  4  kilomètres 
de  pourtour).  B.  La  Pyramide.  A  la  pointe  nord  de  la  circonvallation 
se  trouve  la  Pyramide,  le  monument  sacré  de  Babylone  par  excellence. 
L'imposante  ruine  qui  en  existe  aujourd'hui,  résume  dans  le  nom  de 
Babil  le  souvenir  môme  de  Babylone,  comme  c'est  à  elle  que  se  rat- 
tache aussi  le  plus  antique  souvenir  de  la  cité.  L'aspect  désolé  qu'offre 
la  plaine  fait  mieux  ressortir  encore  la  grandeur  écrasante  de  cette 
masse  énorme  de  décombres,  haute  encore  de  40  mètres  et  longue  de 
180,  sur  chacun  des  quatre  [côtés.  La  ruine  Babil,  située  du  môme 
côté  que  le  grand  Palais  et  les  Jardins  suspendus,  ne  saurait  être  la  tour 
à  étages  d'Hérodote,  sise  sur  la  rive  droite  ;  mais  c'est  bien  la  Pyra- 
mide, le  tombeau  de  Bélus,  dont  parlent  surtout  Strabon  et  Amen. 
C'était  le  E-saggata  ou  Haram,  le  sanctuaire  de  Babylone,  la  demeure 
du  dieu  Mérodach  reposant.  Xerxèsla  détruisit;  Alexandre,  qui  voulut 
la  restaurer,  employa  dix  mille  ouvriers,  pendant  deux  mois,  à  en 
déblayer  les  décombres.  Mais  la  mort  du  conquérant  interrompit,  dit 
Strabon,  pour  toujours  le  rétablissement  de  la  Pyramide.  Ctésias,  et 
d'après  lui  Elien,  parlent  également  de  la  profanation  par  Xerxès  du 
tombeau  de  Bélus.  Diodore  mentionne  ce  monument,  en  en  attribuant 
la  construction  à  Sémiramis.  Les  descriptions  de  Nabuchodonosor  et 
de  Nériglissor  nous  donnent  des  détails  circonstanciés  sur  l'ornemen- 
tation de  cet  édifice.  Diodore  entre  dans  les  détails  sur  les  trésors  qui  y 
étaient  renfermés  jadis,  avant  que  les  Perses  ne  l'eussent  pillé  et  dé- 
truit, et  dit  qu'il  était  d'une  hauteur  démesurée  et  employé  à  observer 
les  astres,  justement  à  cause  de  sa  grande  élévation.  G.  Le  grand  Palais, 
situé  au  sud  de  Babil,  à  2  kilomètres  de  distance,  longeant  l'Euphrate. 
La  ruine  informe  du  A'asr  (aussi  nommée  Mudjelibeh)  représente  les 
restes  du  palais  de  Nabuchodonosor  élevé  par  lui  en  quinze  jours,  selon 
Josèphe  et  les  inscriptions  ;  13  hectares  forment  la  surface  de  cet 
édifice  magnifique.  Le  centre  en  formait  le  palais  principal  de  ce 
groupe.  Hérodote  et  Diodore  parlent  du  palais;  c'est  là  qu'expira 
Alexandre  ;  pris  du  mal  dans  le  petit  palais  de  la  rive  droite,  il  fut 
transporté  ensuite  aux  Jardins  suspendus,  et  finalement  ici,  où  il 
mourut.  A  un  kilomètre  au  midi,  sur  le  fleuve,  se  trouvaient  les 
fameux  Jardins  suspendus,  aujourd'hui  nommés  le  Tell- Amran-ibn- Ali. 
Les  Jardins  suspendus,  qu'on  appellerait  plus  justement  jardins  aériens, 
étaient  composés  de  terrasses  superposées  dans  les  voûtes  desquelles 
on  pouvait  circuler.  Le  tout  était  planté  d'arbres  et  donnait  à  la  con- 
struction l'air  d'une  montagne  artificielle.  Des  turbines  y  montaient 
l'eau.  Nabuchodonosor  les  construisit  pour  donner  à  son  épouse, 
originaire  de  Médie,   l'image  d'une  montagne  artificielle.   La   ruine 


BABYLONE  17 

des  Jardins  suspendus  l'orme  aujourd'hui  un  trapèze  de  5*00  et  de 
300  mètres  de  longueur,  et  a  une  surface  de  15  hectares.  K.  Entre  le 
A  \sr  et  V Amran-iôn-  Lisse  trouvent  une  foule  de  collines,  qui  formaient 
les  communs  royaux,  et  probablement  aujourd'hui  les  bains  dont  parle 
Àrrien.  F.  D'autres  temples  couvraient  encore  la  rive  gauche  de  la 
cité  ;  il  y  avait  aussi  le  grand  parc.  8.  Sur  la  partie  de  la  rive  droite  se 
trouvait  le  vieux  palais,  ou  le  petit  palais  dont  parle  Diodore.  C'est  là 
qu'habitait  Alexandre  et  qu'il  tomba  malade.  Le  palais  avait  été  res- 
tauré  par  Nériglissor;  l'enceinte  de  la  rive  droite  pouvait  renfermer 
60  hectares.  —  i.  Ville  du  Nord-Est  ou  Cutha,  se  trouve  à  14  kilomètres 
au  nord-est  de  Hillah.  C'est  là  que  le  monticule  de  l'Oheynir  marque 
l'emplacement  du  sanctuaire  de  Nergal,  ou  de  la  planète  de  Mars.  Cu- 
tha,  située  au  coin  nord-est,  était  sans  doute  unie  à  l'Euphrate  par  un 
canal  ;  une  construction  particulière  porte  les  noms  de  Tell-Bender, 
l'emporium.  D'autres  collines  témoignent  de  l'ancienne  magnificence  de 
l'endroit.  —  5.  Ville  du.  Sud-Ouest  ou  Borsippa,  ville  de  la  tour  de  Babel. 
C'est  à  Borsif  et  non  à  Babel,  dit  le  Talmud  Babylonien,  qu'eut  lieu  la 
confusion  des  langues;  il  prétend  même  que  Borsif  est  pour  Bulsif,  de 
Balai  «  confondre  »,  et  Saphah  «  lèvre  ».  Une  inscription  trouvée  par 
l'expédition  française  a  prouvé  l'exactitude  d'une  opinion  émise  depuis 
longtemps,  que  le  Birs-Nimroud  recelait  les  restes  de  l'antique  Borsippa. 
L'assemblage  très-étendu  des  ruines  de  Borsippa  se  trouve  à  12  kilo- 
mètres de  Hillah,  vers  sud-sud-ouest,  26  kilomètres  de  l'Ohyonie;  les 
ruines  les  plus  gigantesques  sont  le  Birs-Nimroud  et  VIbrakim-el-Hahl, 
où.  selon  les  Arabes,  Abraham,  le  premier  musulman,  fut  jeté  par 
Xiinrod  dans  la  fournaise  ardente.  Le  Birs-Nimroud  est  la  ruine  de  la 
Tour  à  étages  d'Hérodote.  Le  monument,  surtout  édifié  par  Nabuchodo- 
nosor,  s'éleva  là  où  la  légende  plaçait  la  dispersion  des  langues.  Les  huit 
tours  superposées  que  mentionne  le  père  de  l'histoire  se  composent 
d'un  soubassement  et  de  sept  tours  étagées.  Chaque  étage  était  consacré 
à  une  planète,  et  colorié  de  la  couleur  attribuée  à  cet  astre.  Dans  le 
soubassement,  se  trouve  le  temple  de  Sin,  le  dieu  de  la  lune.  Il  y  eut 
les  dispositions  suivantes,  et  le  classement  ne  peut  avoir  eu  lieu  que 
selon  l'ordre  des  jours  de  la  semaine  : 

Planète        Couleur    Larg.  Haut,  (en  pieds). 

1er  étage.  Soubassement 600  75 

2  Saturne.  Noir.  180  75 

3e     — Vénus.  Blanc.  156  75 

V  '     — Jupiter.  Orange.  132  75 

— Mercure.  Bleu.  108  75 

r>'     — Mars.  Ecarlate.  84  75 

— Lune.  Argent.  ()0  75 

8»     — Soleil.  Or.  3G  75 

Du    montait    par  des    rampes     extérieures    ménagées    dans  le  corps 
même  des  tours  ainsi  superposées.  Dans  la  dernière  tour  se  trouvait  le 
sanctuaire  «lu  dieu  Nébo,  l'inspecteur  des  légions  célestes.  C'esl  là  pr< 
bablement  qu'une  femme  désignée  par  le  dieu  devait  seul»'  passer  la 
ii.  2 


18  BABYLONE  —  BACH 

nuit.  Le  père  de  l'histoire  avait  surtout  été  frappé  par  l'existence  des 
deux  grands  centres  d'habitations  et  de  merveilles  architectoniques, 
situées  sur  les  deux  rives  opposées  de  l'Euphrate  (Hér.  I,  68).  L'un 
était  la  cité  royale  comprenant  la  pyramide,  dont  Hérodote  ne  parle 
pas,  puisqu'elle  était  détruite,  l'autre,  Borsippa  avec  la  Tour  existant 
encore  de  son  temps   (etç  s;jA  tcjtï»  ïv.  cv),  comme  il  le  dit  expressé- 
ment. Hérodote  décrit  d'une  plume  de  maître  la  Tour  à  étages,  et  le 
sanctuaire  qui  se  trouvait  en  bas.  Ces  deux  parties  de  la  ville  se  recon- 
naissent aux  textes    des  rois,    surtout    de    Nabuchodonosor  qui   lit 
imprimer  sur  toutes  les  briques  la  légende  suivante  :  «  Nabuchodo1 
nosor,  roi  de  Babylone,  restaurateur  de  la  pyramide  et  de  la  Tour,  iils 
aîné  de  Nabopollasar,  roi  de  Babylone,  moi  !  »  Le  sanctuaire  de  Bor- 
sippa ,  le  E-Zoida,  «  la  maison  de  la  droite  »'  peut-être  la  maison  éternelle, 
contenait  aussi  le  temple  des  sept  sphères.  Strabon  ne  parle  pas  de  la 
Toux  à  étages,  comme  étant  située  à  Babylone,  mais  comme  Nabucho- 
donosor lui-môme,  il  la  place  à  Borsippa,  en  mentionnant  un  sanctuaire 
consacré  à  Apollon  et  à  Arténus,  c'est-à-dire  au  soleil  et  à  la  lune.  Il 
y  avait  à  Borsippa  encore  les  temples  de  Ben,  le  dieu  des  orages,  et  le 
triple  sanctuaire  de  la  grande  déesse,  le  temple  de  la  Vie,  le  temple  de 
l'Ame  et  le  temple  de  V Ame  vivante,  puis  un  autre  consacré  à  Ninip, 
l'Hercule  babylonien.  Borsippa  était  fortifiée;  Sargon  avait  agrandi  ses 
circonvallations  avant  que  Nabuchodonosor  ne  la  renfermât  dans  le 
grand  carré  babylonien.  Démétrius  défendit  contre  Séleucus  les  deux 
forts,   la   cité  royale  et  Borsippa.   Aujourd'hui  la  tour  de  Babel  est 
encore  représentée  par  la  ruine  de  Birs-Nimroud,  dont  l'aspect  puis- 
sant a  frappé  tous  les  voyageurs.  Un  pan  de  mur  énorme  s'élève  encore 
à  11  mètres  de  hauteur  sur  la  colline  qui  est  vue  à  huit  lieues  d'étendue. 
Rien   n'égale  le   spectacle   qu'offre  la  ruine,  quand,  cachée  par  les 
brouillards  du  matin,  elle  surgit  soudain  par  la   disparition    de    ce 
rideau  de  nuages  déchiré.  La  légende  de  la  Tour  de  Babel  est  babylo- 
nienne; elle  se  retrouvera  un  jour  parmi  les  restes  de  la  littérature 
chaldéenne  ;  un  fragment  la  mentionne  peut-être,  mais  cela  est  encore 
douteux.    La  légende   elle-même  s'est  perpétuée  dans  l'écriture   su- 
mérienne :  Borsippa  est  désignée  par  un  idéogramme  qui  l'intitule 
la  ville  de  la  Tour  ruinée,  et  le  souvenir  atteste,  par  lui  seul,  la  persis- 
tance de  l'antique  tradition  transmise  par  la  Genèse.       J.  Oppeilt. 

BACCHIDES,  général  des  troupes  de  Démétrius  Soter,  roi  de  Syrie, 
dont  il  avait  toute  la  confiance.  Il  était  en  même  temps  gouverneur  de 
la  Mésopotamie  (sv  tw  luépaw  tcu  7uoTa[i.ou,  c'est-à-dire  au-delà  de  l'Eu- 
phrate,  IMach.YII,  8).  Bacchides,  appuyé  sur  le  parti  syrien  de  Jérusalem, 
livra  plusieurs  batailles  à  Judas  Machabée  et  à  Jonathan,  qui  s'étaient 
mis  à  la  tête  du  parti  des  patriotes  ;  il  occupa  même  pendant  quelque 
temps  la  capitale  qu'il  avait  fait  fortifier.  Mais  ayant  été  battu  à  son 
tour,  il  dut  conclure  la  paix  et  reconnaître  le  pouvoir  des  Machabées, 
sous  l'autorité  des  princes  syriens  (1  Mach.  VII,  10  ss.,  28  ss.;  IX,  18, 
.50,  60  ss.). 

BACH  (Jean-Sébastien).  La  famille  des  Bach  a  été  la  famille  la  plus 
féconde  eu  musiciens  que  l'on  connaisse.  Le  don  musical,  héréditaire 


1  BACH  10 

par  nature,  ne  s'esi  jamais  maintenu  d'une  manière  aussi  persistante 
et  aussi  caractérisée  de  père  en  fils.  Pendant  plus  de  deux  cents  ans, 
du  seizième  au  dix-huitième  siècle,  cette  famille  îfa  cessé  de  produire 
des  artistes  hors  ligne.  Son  ancêtre  Veit  Bach,  boulanger  à  Presbourg 
et  chassé  de  sa  ville  natale  comme  protestant,  se  retira  dans  le  duché 
de  Saxe-Gotha.  Dans  ses  loisirs  il  ne  faisait  que  chanter  en  s'accompa- 
gnant  de  la  guitare.  Il  transmit  ce  goût  à  ses  deux  lils  dont  les  descen- 
dants  inondèrent   la   Saxe  et  la  Thuringe  de  musique   et  d'enfants 
musiciens.  Un  fait  intéressant  est  que  l'entente  patriarcale  qui  unis- 
sait  cette  famille   subsista   pendant  près  de  deux  siècles,  et  que   la 
musique  fut  son  lien  constant.  Très-nombreux  et  dispersés,  les  Bach 
convinrent  de  se  réunir  une  fois  par  an  à  jour  fixe.  Cet  usage  se  per- 
pétua  jusque  vers  le  milieu  du  dix-huitième  siècle,  et  plusieurs  fois  Ton 
vit  jusqu'à  cent  vingt  personnes  du  nom  de  Bach  réunies  au  même 
endroit.  Leurs  divertissements  consistaient  en  exercices  de  musique: 
Ils  débutaient  par  un  hymme  religieux  chanté  en  chœur  et  prenaient 
ensuite  pour  thèmes  des  chansons  populaires  à  quatre,  cinq   et   six 
parties.  Cette  famille  est  la  plus  remarquable  incarnation  de  la  musique 
protestante   proprement  dite.   Elle   représente   assez   bien  le   peuple 
improvisant,  musiquant  et  chantant  de  son  propre  élan.  —  Son  mem- 
bre le  plus  distingué  devait  cependant  dépasser  de  beaucoup  cette 
sphère,  et  devint  le  plus  grand  des  compositeurs  religieux  de  l'Alle- 
:.  Jean-Sébastien  Bach  naquit  le  21  mars  1685,  à  Eisenach,  où 
son  père  Jean-Ambroise  était  musicien  de  cour  et  de  ville  {Hof-und 
Siadtmu&iker).  Orphelin  à  dix  ans  et  sans  ressources,  il  dut  se  réfugier 
auprès  de  son  frère  aine,  Jean-Christophe  Bach,  organiste  à  îOrdruff,  qui 
lui  donna  les  premières  leçons  de  clavecin.  Bientôt  l'élève  surpassa  le 
maitre.  Dévoré  du  désir  de  posséder  certaines  partitions  que  son  frère 
lui  refusait  obstinément,  et  ne  pouvant  se  les  procurer  autrement,  il 
se  mit  à  les  copier  de  nuit  au  clair  de  lune;  car  il  n'avait  même  point 
de  chandelle  à  sa  disposition.  Ce  travail  dura  six  mois  et  affaiblit  telle- 
ment sa  vue,  qu'il  en  resta  myope  pour  la  vie.  A  la  mort  de  son  frère 
en  1701,  il  devint  d'abord  choriste  d'église,  puis  violoniste  à  la  cour 
de  Weimar,  puis  organiste  à  l'église  d'Arnstedt.  Dès  lors  il  fut  reconnu 

:  ne  le  premier  organiste  de  l'Allemagne;  nombre  de  villes  et  de 
princes  se  le  disputaient.  Après  avoir  été  successivement   maître  de 

erts  du  duc  de  Weimar  (1717),  maitre  de  chapelle  du  prince 
Léopold  d'Anhalt-Koethen  (1721),  il  fut  enfin  nommé  directeur  de  mu- 
sique à  L'école  de  Saint-Thomas,  à  Leipzig  (1733),  et  garda  cette  place 

i'à  sa  mort.  En  1730,  il  reçut  le  titre  honorifique  de  compositeur 
du  roi  de  Pologne.  A  cette  époque  son  deuxième  fils  Charles-Philippe- 
Emmanuel  entra  au  service  de  Frédéric  II  de  Prusse,  qui  voulut  voir  le 

\   Bach  et  le  lit  venir  ù  Potsdam  pour  essayer  ses    pianos 

ii-  lesquels  il  lit  merveille.  Ce  fut  son  dernier  voyage.  Dans 

tières  années  de  sa  vie,  il  perdit  la  vue;  l'opération  qu'il  subit 

ne  lit  qu'aggraver  son  état  et  hâter  sa  fin.  Il  mourut  le  30  juillet  1750, 

»  l'âge  de  66  ans.  Marié  deus  l'ois,  il  eut  sept  enfants  de  sa  première 

.i,'  et  tr  i/.e  de  la  second",  dont  dix  lils  tous  plus  ou  moins  niiisi- 


20  BACH 

ciens.  —  La  vie  de  Sébastien  Bach  n'ofïre  aucun  incident  remarquable. 
Son  caractère  fut  celui  d'un  bon  pasteur  de  campagne  et  n'eut  rien  de 
la  fière  indépendance,  de  l'originalité  capricieuse  d'un  Mozart  ou  d'un 
Beethoven.  Ses  biographes  sont  unanimes  à  louer  ses  qualités  d'époux, 
de  père,  d'ami,  son  naturel  bienveillant,  égal  et  facile,  ses  habitudes 
hospitalières.  Peu  soucieux  des  richesses  et  dédaignant  les  succès 
populaires,  il  n'estimait  que  les  éloges  des  connaisseurs  et  préférait  à 
tout  les  douceurs  d'une  vie  retirée  et  laborieuse.  Sa  modestie  était  si 
grande  qu'il  faisait  peu  de  cas  de  son  génie  et  n'attribuait  ses  succès 
qu'à  son  travail.  A  quelqu'un  qui  lui  demandait  comment  il  avait 
acquis  son  talent  prodigieux,  il  répondit  naïvement  :  «  En  travaillant 
beaucoup  ;  tous  ceux  qui  voudront  travailler  de  la  même  manière  y 
parviendront  comme  moi.  »  Bach  jouit  de  son  vivant  d'une  grande 
renommée,  mais  son  génie  ne  fut  vraiment  apprécié  qu'après  sa  mort. 
Ses  œuvres  les  plus  originales,  celles  pour  piano  et  celles  pour  clavecin, 
ne  furent  imprimées  et  connues  que  longtemps  après  sa  mort.  Il  les 
composait  pour  un  petit  cercle  d'amis,  et  une  fois  jouées,  les  entassait 
dans  une  armoire.  On  dut  les  y  repêcher  quarante  ans  après  sa  mort, 
et  ce  fut  toute  une  découverte.  L'attention  publique  fut  d'abord  mise 
en  éveil  par  Mozart.  Celui-ci  passait  à  Leipzig  sur  la  fin  de  sa  vie. 
Doles,  directeur  de  musique  à  l'école  Saint-Thomas,  lui  fit  entendre  un 
motet  de  Bach,  qui  produisit  une  vive  impression  sur  l'auteur  de 
Don  Juan.  11  s'écria  :  «  Dieu  merci,  voilà  du  nouveau  ;  ici  j'apprends 
quelque  chose.  »  Cette  anecdote  lit  le  tour  de  l'Allemagne,  et  à  partir 
de  ce  jour  on  se  mit  à  déterrer  et  à  publier  les  œuvres  inédites  du 
maître.  Une  société  se  forma  en  1850  pour  la  publication  de  ses 
œuvres  complètes,  et  aujourd'hui  encore  Bach  a  ses  adorateurs,  ses 
fanatiques,  son  école,  ses  fêtes  et  sa  petite  église  qui,  pour  être  en 
dehors  du  mouvement  musical  actuel,  n'en  est  pas  moins  fervente. 
Bach  a  été  tout  d'abord  le  premier  organiste  du  monde  et  l'inventeur 
du  style  fugué  qu'il  a  poussé  jusqu'à  son  dernier  degré  de  perfection 
et  même  jusqu'au  formalisme  abstrait.  Les  caractères  distinctifs  de  son 
style  sont  une  originalité  foncière,  une  élévation  soutenue,  une  teinte 
mélancolique  mêlée  de  bizarrerie.  Les  thèmes  ingrats  et  baroques  lui 
plaisent;  il  a  l'air  de  s'en  amuser  et  de  les  manier  pour  le  plaisir  de  la 
difficulté  vaincue.  Bach  marque  dans  l'histoire  de  la  musique  alle- 
mande la  lin  de  la  période  hiératique  et  y  occupe  une  place  semblable 
à  celle  de  Giotto  dans  l'histoire  de  la  peinture  italienne.  Sa  musique 
est  essentiellement  de  la  musique  sacrée  et  de  la  musique  d'église. 
S'il  a  clos  une  période,  il  a  préparé  aussi  la  période  nouvelle;  car,  en 
élaborant  le  monde  de  l'harmonie  jusque  dans  ses  dernières  profon- 
deurs, il  a  fourni  à  ses  successeurs  des  ressources  infinies  pour  l'or- 
chestre comme  pour  les  voix.  Beethoven,  qui  lui  ressemble  si  peu,  en  fit 
son  bréviaire,  et  conserva  pour  lui  un  véritable  culte  jusqu'à  la  fin  de  sa 
vie.  Le  nombre  de  ses  œuvres:  motets,  cantates,  fugues, préludes, etc., 
est  prodigieux.  L'expression  la  plus  complète  et  la  plus  haute  de  son 
génie  se  trouve  dans  son  oratorio  :  La  Passion  selon  saint  Matthieu.  Elle 
est  écrite  à  deux  cho?urs  et  à  deux  orchestres,  avec  récitatifs,  airs, 


BACH—  BACOX  21 

chœurs  et  chorals  harmonisés.  Los  idées  hardies,  les  combinaisons 
compliquées,  les  effets  inattendus  s'y  succèdent,  sans  que  tous  ces 
motifs  répartis  sur  de  grandes  masses  vocales  et  instrumentales  nu  isenl 
à  L'unité  de  l'œuvre.  Bach  se  montre  à  nous  dans  son  chef-d'œuvre 
comme  le  représentant  le  plus  élevé  et  le  plus  parfait  de  la  musique 
protestante  confessionnelle.  Cette  musique  est  à  celle  de  Palestrina  ce 
que  la  religion  de  Luther  est  à  la  métaphysique  et  au  mysticisme 
transcendant  d'un  saint  Augustin.  Cet  oratorio  de  la  Passion  nous 
représente  le  genre  d'édification  propre  à  la  communauté  croyante. 
renfermée  dans  son  dogme,  mais  dégagée  dans  une  certaine  mesure 
par  le  sentiment.  Enoncer  ce  fait,  c'est  dire  quelle  fut  l'excellence  de 
Bach,  et  c'est  aussi  marquer  sa  limite.  Nous  trouvons  ici  l'âme 
humaine  qui,  dans  le  cercle  de  la  foi  de  Luther  et  dans  une  chaste 
contrainte,  s'élève  aux  plus  hauts  mystères  de  la  religion  et  se  répand 
en  émisions  intimes  devant  la  grandeur  du  Crucifié.  Ce  n'est  pas, 
comme  dans  Beethoven,  l'homme  libre  qui, à  travers  tous  les  combats, 
tous  les  doutes  et  toutes  les  angoisses  de  la  [vie,  arrive  à  l'affirmation 
d'une  foi  qui  est  au-dessus  de  toutes  les  confessions,  de  tous  les 
temps  et  de  tous  les  climats.  Mais  dans  son  genre  et  sur  son  domaine 
Bach  est  un  maître  inimitable.  ,      E-  Schueé. 

BACON  (Roger)  [1214-1294],  surnommé  doclor  mirabilis,  est  l'un  des 
savants  les  plus  originaux  qu'ait  produits  le  moyen  âge.  Né  à  Ilchester, 
dans  le  comté  de  Sommerset,  il  lit  ses  études  à  Oxford  et  à  Paris,  subit 
l'influence  de  Robert  Grosshead,  évêque  de 'Lincoln,  esprit  vraiment 
éclairé  et  libéral,  qui  le  détermina  à  entrer  dans  l'ordre  des  franciscains 
dont  il  attendait  de  grandes  choses  (1240).  Fixé  à  Oxford,  où  il  continua 
à  étudier  et  à  enseigner,  il  ne  tarda  pas  à  scandaliser  par  ses  libres 
opinions  les  moines,  ses  collègues,  dont  il  censurait  d'ailleurs  avec  une 
courageuse  franchise  les  mœurs  dissolues.  Roger  Bacon  passa  en  prison 
la  majeure  partie  de  sa  vie,  et  ce  ne  fut  que  sous  le  pontificat  de  Clé- 
ment IV  qu'il  jouit  de  quelque  liberté.  C'est  à  ce  pape,  ami  des  lumiè- 
res, qu'il  dédia  son  Opus  ma/us  (1265),  dont  il  a  présenté  successivement 
deux  ivi  1  uctions  dans  son  Opus  minus  et  dans  son  Opus  tertium.  Une  édition 
incomplète  du  premier  a  été  donnée  en  1733  à  Londres  par  Sam.  Jebb; 
ce  n'est  que  de  nos  jours,  et  grâce  aux  découvertes  faites  par  Y.  Cousin, 
qu'une   édition   complète   en  a  été  donnée  par  J.-S.  Brewer,  Iiogeri 
Bacon  opéra  quœdam  kactenus  inedita,  Londres,  1859.  On  ne  connaissait 
pendant  longtemps  de  Bacon  que  son  Epistola  de  secretis  operibus  artis 
et  nalurx  et  de  nullitate  magiœ,  éditée  par  J.  Dee,  à  Paris,  en  loi2,  et 
lile  eu  français,  en  1557,  par  Girard  de  Tournus,  sous  le  titre: 
De  r admirable  pouvoir  de  l'art  et  de  la  nature,  ainsi  qu'un  Spéculum 
alchemicum,   également  traduit  en  français.  Usser,  dans  son  Historia 
dogmaticade  script uris,  éd.  Wharton,  Lond.,  1()(.)0,  a  inséré  des  fragments 
d'un  ouvrage  de  Bacon,  /Je  laude  Scripturx  sacras.  Un  grand  nombre 
d'ouvrages  manuscrits  sur  la  grammaire,  les  mathématiques,  la  physi- 
que, la  géographie,  la  chimie,  la  logique,  la  philologie,  etc.,  se  trou- 
vent a  la  bibliothèque  de  ^université  d'Oxford.  —  L'importance  de 
p   Bacon   est  dan-  l'opposition  énergique  qu'il  lit  à  la  méthode 


22  BACON 

scolastique  dont  il  dénonça  avec  courage  le  formalisme  et  les  subti- 
lités. Il  ébranla  sans  hésiter  les  autorités  insuffisantes  sur  lesquelles,  en 
matière  scientifique,  on  ne  cessait  de  s'appuyer,  à  savoir  Aristote,  dont 
il  déclara  un  jour  avoir  envie  de  brûler  tous  les  ouvrages  pour  ouvrir 
une  carrière  nouvelle  à  la  curiosité  de  F  esprit  humain,  comme  les  Pères 
de  l'Eglise,  dont  il  combattait  l'infaillibilité  en  montrant  qu'ils  s'étaient 
maintes  fois  corrigés  et  divisés,  et  dont  il  dit  :  Quod  si  vixissent  v.sque 
nunc,  multa  plura  correxissent  et  mutassent  {Op.  magn.,  p.  17).  A  ces 
autorités  caduques,  dont  l'unique  force  consiste  dans  la  prescription 
que  leur  a  donnée  l'habitude,  Bacon  oppose  d'abord  la  rigueur  des 
démonstrations  que  présentent  les  mathématiques,  qu'il  proclame  la 
première  des  sciences  parce  que  la  quantité  est  la  première  catégorie 
après  la  substance  et  que  nous  ne  reconnaissons  les  choses  spirituelles 
et  éternelles  que  par  les  choses  corporelles  et  temporelles.  Mais  si  la 
méthode  d'induction  propre  aux  mathématiques  séduit  l'esprit  de 
Bacon,  il  ne  tarde  pas  à  donner  la  préférence  à  l'expérience  qui  en  est 
le  complément  indispensable  et  le  critère  même  de  la  vérité.  La  preuve 
abstraite,  en  effet,  ne  suffit  pas  ;  seule,  la  vue  de  la  réalité  peut  calmer 
la  raison.  L'expérience  est  la  maîtresse  de  toutes  les  sciences  spécula- 
tives :  Sine  experientja  nihil  suffi çienter  sciri  potest.  Argumentum  con- 
cluait, sed  non  certificat  neque  removet  dubitationem,  ut  quiescat  animus 
m  intuitu  veritatis,  nisieam  inventât  via  experientiœ.  Hœcsola  scientiarum 
domina  spéculât w arum  (0/?.??20^.,p.465).En  matière  religieuse,  Bacon 
ajoute  à  la  démonstration  mathématique  et  à  la  méthode  expérimentale 
un  nouveau  complément  :  il  l'appelle  la  foi,  qui  est  une  expérience  aussi, 
mais  des  choses  invisibles.  Pour  posséder  la  vérité  divine,  il  faut  s'éle- 
ver d'un  degré  :  Oportet  primo  credulitatem  fieri,  donec  secundo  sequitur 
experientia,  ut  tertio  ratio  comitetur.  Notre  auteur  a  admirablement 
entrevu  le  caractère  propre  de  la  théologie  et  le  but  pratique  qu'elle 
doit  poursuivre,  lorsque,  la  plaçant  au-dessus  de  la  spéculation  pure,  il 
disait  que  Yintellectus  practicus  était  plus  noble  quel' intellectus  specula- 
tivus  (/.  c.,  p.  47).  Bacon  assignait  le  rang  le  plus  éminent  à  la  Bible 
dont  il  disait  :  Tota  sapientia  est  ibi  principaliter  contenta  et  fontaliter 
(p.  421);  le  droit  canonique  et  la  philosophie,  qui  n'en  sont  que  le 
développement,  doivent  toujours  y  être  ramenés.  Les  laïques  sont 
exhortés  à  lire  la  Bible  dans  le  texte  original,  à  cause  des  fautes  nom- 
breuses dont  fourmillent  les  versions.  —  Bacon  a  porté  son  esprit 
curieux  et  investigateur  dans  les  domaines  les  plus  divers,  et  un  grand 
nombre  d'inventions  et  de  découvertes  modernes  ont  été,  sinon  faites, 
du  moins  entrevues  par  lui.  Citons  seulement  son  projet  de  réforme 
du  calendrier,  ses  observations  sur  la  réfraction  de  la  lumière,  son 
explication  de  l'arc-en-ciel,  sa  description  de  la  chambre  noire,  des 
verres  grossissants,  du  télescope,  de  la  pompe  à  air,  de  la  poudre  à 
canon,  des  véhicules  par  eau  et  par  terre  au  moyen  de  la  vapeur;  il 
recommandait  des  études  philologiques  sérieuses  aux  jeunes  gens 
placés  sous  sa  direction,  et  démontrait  aux  missionnaires  l'utilité  des 
connaissances  géographiques  et  ethnographiques  ;  mais ,  fortement 
engagé  dans*  les  illusions  superstitieuses  de   son  temps,  il  avait  une 


BACOX  23 

prédilection  particulière  pour  l'alchimie  et  l'astrologie  :  il  espérait 
trouver  le  secret  de  faire  de  l'or  au  moyen  de  la  pierre  philosophale 
et  dé(  huait  qu'il  était  indispensable  de  consulter  les  étoiles  avant  de 
s'engager  dans  une  entreprise.  Aussi  ce  grand  esprit,  si  jaloux  d'affran- 
chir ses  contemporains  de  la  servitude  de  la  routine,  fut-il  accusé  par 
eux  de  sorcellerie.  —  Voyez  :  Ritter,  Gesch.  der  christl.  Philosophie, 
IV.  i  .  'i7;>  ss.;  }\{\\iu\cY,Airchengesch.,  V,  p.  565  ss.;  Protest.  Monats- 
blœtier,  1866,  H.  2;  Charles,  H.  Bacon,  sa  vie,  ses  ouvrages,  ses  doclri- 
Bord.,  1802.  F.  Lichtenbeeger. 

BACON  (François),  né  à  Londres  en  1501,  montra  de  bonne   heure- 
une  merveilleuse  aptitude  pour  toutes  les  sciences.  Sous  le  règne  d'Eli- 
ot h,  il  ne  put,  malgré  ses  talents  oratoires,  sa  renommée  de  juris- 
consulte et  sa  complaisance  servile,  obtenir  un  poste  qui   satisfit  sorv 
ambition.  Il  se  concilia  la  faveur  de  Jacques  Ior  et  fut  nommé  successi- 
vement garde  des  sceaux,  lord  grand-chancelier,  baron  de  Verulam, 
vicomte  de   Saint- Alban  ;  mais  des  actes  de  vénalité  dont  il  dut  se 
iv<-<  .maître  coupable,   l'obligèrent  de   se  démettre   de   ses   charges- 
81),  et  jusqu'à  sa  mort  (1626)  il  se  consacra  plus  librement  aux 
travaux    scientifiques  qu'il  reconnaissait  comme   sa   vraie  vocation. 
>a   jeunesse,  il  avait  conçu  le  plan  d'une  réforme  des  sciences; 
il   exposa  ses  pensées   dans  un  ouvrage    intitulé  Instauratio  magna 
■  m,    1620,    qui   était  formé   pour  la  plus   grande   partie   de 
deux  traités  publiés  auparavant,  le  De  dignitate  et  augmentis  scientia- 
.  I    Novum  organum.  Bacon  partage  le  sentiment  de  Telesius,  de 
is,  de  Campanella  sur  la  méthode  scolastique  et  sur  les  sciences 
qu'elle  a  produites.  «  Instauratio  facienda  est  ab   unis  furvJ amentis .  » 
,  I,  31.)  À  cet  effet,  il  faut  abandonner  les  hypothèses,  les  con- 
i  abstraits,  ainsi  que  la  déduction,  le  syllogisme  aristotélicien,  et 
observer  la  réalité,  c'est-à-dire  la  nature.  Aussi  son  Organum  a  reçu  un 
-titre  :  sive  indiciel  vera  de  inttrpretatione  naturx,  et  l'esprit  pra- 
tique, utilitaire  du  philosophe  anglais  se  manifeste  dans  l'addition  : 
gno   hominis.  «  Meta   scientiarwn  vera   et  légitima  non   alia   est 
ut  dotetur  vita  humana  novis  inventis  et  copiis  »   (Org.,  I,  81). 
Bacon  reconnaît  d'autres  sciences,   la   logique,  les  mathématiques, 
l'histoire  ;  mais  il  les  subordonne  à  la  philosophie  de  la  nature  :  «  Pi  c 
magna  maire  scientiarum  haberi  débet.  »  (Org.,  I,  79).  L'observation 
ait  seulement  les  matériaux  de  cette  philosophie;  c'est  par  i  in- 
duction qu'on  s'élève  des  phénomènes  aux  lois,  aux  formes  nécessaires 
i  >  s.  Bacon  décrit  avec  beaucoup  de  soin  les  règles  de  cette  mé- 
nouvelle;  il  aurait  voulu  en  écarter  l'emploi  de  tout  prini 
l3  mais  dans  le  cours  de  ses  indications  il  est  obligé  de  recourir 
à  quelques  notions  initiales,  sans  se  prononcer  toutefois  sur  le  nombre 
et  la  teneur  de  ces  principes  premiers.  Du  reste  c'est  généralement  la 
théologie  qui  lui  en  garantit  la  vérité,  par  exemple  pour  l'axiome  que 
la  quantité  de  la  matière  n'augmente  ni  ne  diminue  (De  c?^w.,I).Car  à 
u\    le  inonde  de  la  connaissance  est  partagé  en  (U>ux  domaines 
icts  :  l'un  profane,  objet  de  nos  libres  investigations,  l'autre  sacré, 
révélé  dans  la  parole  divine.  Il  admet  bien  une  théologie  naturelle, 


24  BACON  —  BADE 

mais  il  la  juge  tout  au  plus  capable  de  réfuter  l'athéisme  et  non  de 
nous  l'aire  connaître  la  volonté  de  Dieu  et  le  culte  légitime  (De  dign.} 
III,  2).' C'est  la  révélation  qui  nous  fournit  les  vérités  suprêmes,  qui 
sont  des  mystères,  et  «  quanto  mysterium  aliquod  divinum  fuerit  magis 
absonum  et  incredibile,  tanlo  plus  in  credendo  exhibe tur  honoris  Deo  et  fit 
Victoria  fidei  nobilior.  »  (De  dign.,  IX,  1.)  Le  champ  de  cette  théologie 
sacrée  est  très-étendu;  c'est  elle  qui  nous  instruit  au  sujet  de  notre  âme 
rationnelle  (ibid. ,  IV,  3) ,  elle  qui  nous  dit  nos  devoirs  et  fonde  un  système 
éthique  (ibid.,  IX,  1).  Le  rôle  de  la  philosophie  en  cette  matière  est  ce- 
lui d'une  prudente  domestique,  d'une  suivante  lidèle  et  toujours  prête 
à  obéir  au  moindre  signe  (ibid.,  VII,  3).  Bacon  avait  débuté  (1597)  par 
un  ouvrage  de  morale,  des  Essais,  une  imitation  de  Montaigne,  où  l'on 
trouve  nombre  de  pensées  ingénieuses  (par  ex.  :  levés  gustus  in  philo- 
sophia  movent  fortasse  in  athenmum,  sed  pleniores  haustus  ad  religionem 
reducunt,  XVI),  mais  qui  ne  veulent  être  que  des  réflexions  détachée*. 
Divers  écrits  religieux  de  Bacon  montrent  qu'il  était  sincère  dans  son 
orthodoxie  rigoureuse;  un  ouvrage  posthume,  Christian  paradoxes 
(1645),  qui  énumère  les  contradictions  du  christianisme,  ne  peut  s'ex- 
pliquer que  par  une  crise  momentanée  de  ses  croyances.  Mais  ce  dua- 
lisme d'un  domaine  sacré  et  d'un  domaine  profane  montre  que  Bacon 
ne  s'est  pas  élevé  vers  les  problèmes  supérieurs  de  la  méditation.  Une 
pareille  mutilation  de  la  pensée,  autorisée  par  l'exemple  d'un  si  bril- 
lant esprit,  devait  exercer  une  influence  fâcheuse  sur  les  travaux  des 
savants,  en  les  encourageant  à  se  désintéresser,  plus  ou  moins  respec- 
tueusement, des  questions  religieuses  et  morales.  A  ce  titre,  Bacon  fut, . 
contre  son  gré,  un  des  promoteurs  de  l'empirisme  moderne  qui  ne 
veut  connaître  d'autres  sciences  que  celles  de  la  nature.  —  Ses  œuvres 
complètes,  précédées  de  sa  vie  par  Mallet,  ont  paru  à  Londres,  1740; 
ses  écrits  philosophiques  ont  été  publiés  par  M.  Bouillet,  1834:  en  fran- 
çais, par  M.  Riaux,  1842.  En  1799,  l'abbé  Eymery,  dans  son  ouvrage  le 
Christianisme  de  Bacon,  opposait  la  foi  de  ce  philosophe  à  l'incrédulité 
des  savants  du  dix-huitième  siècle.  —  Voy.  Ch.  de  Rémusat,  Bacon,  sa 
vie,  son  temps,  sa  philosophie,  1857  ;  Macaulay,  Bacon,  Revue  d'Edim- 
bourg, juil.  1837.  A.  Matter. 

BADE  (Co'loque  de).  Les  promoteurs  du  colloque  de  Bade  furent  Jean 
Faber,  vicaire  génér,  1  de  l'évêché  de  Constance,  et  le  docteur  Eck,  le 
champion  attitré  de  Rome.  Dès  le  13  août  1524,  ce  dernier,  dans  une 
lettre  aux  confédérés,  s'offrit  à  convaincre  Zwingle  d'hérésie,  dans  une 
disputation  publique.  Ce  n'est  cependant  que  le  13  mars  1526  que  le 
colloque  fut  convoqué  à  Bade,  «  dans  le  but,  disait-on,  d'empêcher 
Zwingle  et  consorts  de  répandre  dans  la  confédération  leurs  doctrines 
dangereuses,  de  ramener  de  l'erreur  et  d'apaiser  le  commun  peuple.  » 
Zwingle,  craignant  pour  sa  sécurité,  refusa  de  se  rendre  à  ce  colloque, 
dont,  du  reste,  il  ne  se  promettait  pas  de  bons  résultats.  «  Istud  union 
caveo,  écrit-il  à  Vadian,  ne  optima  piebs helvetica  horum  nebulonum,  Fabri 
videlicet  et  Ecciorum,  strophis  committatur,  id  autem  oligarcharum  perfi- 
dia.  »  Ce  refus  déjà  fut  considéré  par  les  catholiques  comme  une  vic- 
toire, et  les  amis  mêmes  du  réformateur  l'en  blâmèrent.  OEcolampade 


IïAUE  25 

y  vint  de  Baie  et  Berthold  Haller  de  Berne.  Le  colloque  lui  solennelle- 
ment ouvert  le  21  mai.  Ou  discuta  sur  le.  sacrement  de  L'autel,  le  sacrifice 
de  la  messe,  le  culte  de  la  Vierge,  des  saints  et  des  images,  le  purga- 
toire, le  péché  origine]  et  le  baptême.  La  science  et  la  douceur  évan- 
gélique  d'CEcolampade  tirent  une  profonde  impression:  «  Plût  à  Dieu. 
disait-on,  <|uc  ce  grand  homme  pâle  fût  des  nôtres.  »  Chaque  parti  dé- 
signa  deux  secrétaires;  il  fut  défendu  à  tout  autre  de  prendre  des  notes. 
Les  catholiques  s'attribuèrent  la  victoire;  ils  voulurent  cependant  em- 
pêcher la  publication  des  actes,  et,  quand  ceux-ci  furent  enfin  publiés, 
ils  n'en  envoyèrent  qu'un  seul  exemplaire  à  chaque  commune,  avec  la 
défense  de  le  communiquer  à  personne.  Les  conséquences  du  colloque 
furent  très-graves;  il  consomma  la  scission  religieuse  de  la  Suisse.  Avant 
Le  colloque,  les  populations  des  Waldstettes  (Lucerne,  Uri,  Schwitz, 
Unterwalden)  étaient  inquiètes,  agitées;  leur  confiance  dans  la  cause 
papale  avait  été  fortement  ébranlée.  Ayant  vu  cette  cause  défendue  avec 
tant  d'éclat,  et  jugeant  les  partisans  de  Zwingle  convaincus  d'erreur, 
elles  montrèrent  dès  ce  moment  une  antipathie  croissante  contre  les 
doctrines  nouvelles  et  contre  le  réformateur  de  Zurich,  et  Ton  dut  re- 
noncer à  l'espoir  de  gagner  à  la  réforme  la  Suisse  tout  entière.  Dans  les 
villes  au  contraire,  la  Réforme  remporta  définitivement. —  Voy.  Ranke, 
Deutsche  Gesckichte  im  Zeitalter  der  Re formation,  vol.  3;  Morikofer, 
Leben  Zwinglïs,  vol.  2.  Ch.  Pfender. 

BADE  (Histoire  religieuse).  Le  pays  qui  constitue  aujourd'hui  le  grand- 
duché  de  Bade  était  découpé,  au  temps  de  la  Réforme,  en  une  quantité 
de  territoires  indépendants  ou  relevant  de  juridictions  diverses.  L'auto- 
rité ecclésiastique  se  partageait  entre  les  évoques  de  Spire,  Wurtzbourg, 
Strasbourg,  Constance  et  Bàle.  Deux  universités  y  étaient  de- 
venues des  loyers  de  lumières:  celle  de  Heidelberg,  fondée  en  1386,  et 
qu'illustrèrent  Mélanchthon,  Bucer,  Brenz,  Billican,  Schnepf,  etc.;  et 
celle  de  Fribourg  (1456),  d'où  sortirent  Capiton,  Urbain  Rhegius,  Hé- 
dion  et  autres.  Luther  vint  à  Heidelberg  en  avril  1518  ;  il  y  défendit  la 
théologie  augustinienne  et  biblique  dans  une  disputation  publique,  et 
démontra  dans  une  série  de  thèses  que  l'homme  ne  peut  acquérir  la 
justice  par  les  œuvres  de  la  loi  et  que,  sans  la  doctrine  de  la  croix,  la 
connaissance  de  Dieu  et  de  la  loi  ne  peut  lui  être  que  nuisible.  Les  pro- 
irsde  l'université  prirent  part  à  cette  disputation,  dont  Luther  rend 
ainsi  compte  à  Spalatin  (18  mai  1518)  :  «  Quanquam  enim  peregrina  Mis 
videbatur  theolo gia,  nihilominus  tamen  et  argute  et  pulchre  adversus  eam 
bantur,  excepto  uno,  qui erat  quintus  et  junior  doctor;  qui  rhum  toti 
•:i  audit orio,  quando  dicebat,  si  rustici  hœc  audirent,  certe  lapidibus 
ùruerent  et  mterficerent.  »  Et  il  ajoute  :  «  Eximia  spes  mihi  est,  ut, 
ncul  Ckristm  ad  gentes  migramt  rejectus  a  Judœis,   ita  et  nunc  quoque 
veraejui  theologia,  quam   rejiciunt  opiniosi  Mi  senes,  ad  juventulem  se 
transférât.    ■>  Cette  espérance  fut  justifiée;  la  réformation  fit  des  pro- 
grès rapides  sur  la  rive  droite  du  Rhin,  et  gagna  les  savants,  la  noblesse 
el  le  peuple  ;  mais  elle  subit  les  fluctuations  de  la  politique  de  l'empire, 
étant  alternativement  tolérée,  favorisée  ou  comprimée.  Après  redit  de 
••  le   évêquea  de  Mayence,  de  Wurtzbourg  et  de  Spire  tirent  une 


26  BADE 

guerre  acharnée  aux  nouvelles  doctrines.  A  Fribourg  on  brûla,  par  la 
main  du  bourreau,  2,000  écrits  évangéliques.  «  Friburgi  Brisgoiae,  écrit 
Luther  à  Spalatin  (sept.  1523),  nomen  meum  ne  per  vi'am  guidem  licet 
meminisse.  »  —  Ne  pouvant  suivre  les  destinées  de  la  Réforme  dans  tous  les 
territoires  particuliers,  nous  devons  nous  borner  aux  plus  importants. 
Au  sud,  sur  la  frontière  de  la  Suisse,  nous  trouvons  d'abord  la  cité 
qui  reçut  dans  son  sein  le  deuxième  concile  réformateur  et  vit  se  dresser 
le  bûcher  de  Jean  Huss.  Constance  accueillit  favorablement  la  Réforme  ; 
la  bourgeoisie  s'opposa  à  l'exécution  de  redit  de  Worms;  à  l'archiduc 
Ferdinand  qui  réclamait  l'expulsion  des  prédicateurs,  le  conseil  répon- 
dit :  «  Nous  ne  voulons  autre  chose  que  l'Evangile  affranchi  des  tradi- 
tions humaines,  pour  la  gloire  de  Dieu  et  la  paix  des  consciences.  »  Les 
principaux  réformateurs  de  Constance  furent  Jean  Wanner,  Jean 
Zwick  et  Ambroise  Blaurer.  A  partir  de  1525  on  abolit  les  tribunaux 
ecclésiastiques;  l'évéque  dut  se  transporter,  avec  son  chapitre,  à  Meers- 
bourg.  La  ville  de  Constance  se  joignit  aux  Protestants  de  Spire  en 
1529,  et  en  1530,  à  la  diète  d'Augsbourg,  elle  présenta,  avec  Strasbourg, 
Ulm  et  Memmingen,  la  Confession  tétrapolitaine  ;  elle  entra  ensuite  dans 
la  ligue  de  Smalkalde,  mais  l'issue  malheureuse  de  la  guerre  de 
Smaikalde  amena  pour  elle  la  ruine  de  la  Réforme.  Ayant  refusé 
de  se  soumettre  à  l'Intérim,  Constance  fut  mis  au  ban  de  l'empire 
(1548)  et  pris  par  les  Impériaux,  après  une  courageuse  résistance;  le 
culte  catholique  y  fut  rétabli  ;  beaucoup  de  bourgeois  émigrèrent  avec 
leurs  pasteurs;  en  1555,  la  ville  fut  exclue  de  la  paix  d'Augsbourg,  et 
bientôt  les  jésuites  et  les  capucins  y  firent  disparaître  les  derniers  ves- 
tiges de  l'Eglise  évangélique.  Dans  le  Haut-Rhin  la  domination  autri- 
chienne empêcha  la  Réforme  de  prendre  racine  ;  la  persécution  l'étouffa 
là  où  elle  tentait  de  s'établir.  Dans  les  margraviats  de  Baden-Baden  et 
de  Baden-Durlach,  elle  fit  d'abord  de  grands  progrès.  Le  margrave  Phi- 
lippe se  rendant  (1526)  à  la  diète  de  Spire,  emmena  son  prédicateur, 
François  Irenicus,  qui  y  prêcha  l'Evangile.  Après  la  paix  d'Augsbourg, 
les  margraves  Charles  II  et  Philibert  réorganisèrent  dans* leurs  Etats  le 
culte  évangélique,  avec  l'aide  de  Christophe  de  Wurtemberg  et  de 
Jacques  Andrese.  Mais  sous  l'influence  d'Albert  de  Bavière,  tuteur  du 
margrave  Philippe  de  Baden-Baden,  les  jésuites  purent  rétablir  le  culte 
catholique,  de  sorte  que  le  nombre  des  protestants  diminua  considé- 
rablement. Dans  le  Palatinat,  la  Réforme  fut  d'abord  tolérée  par 
Louis  V,  qui  pourtant  resta  lui-même  attaché  à  l'Eglise  romaine.  Mais 
Frédéric  II  et  surtout  Othon-Henri  établirent  et  organisèrent  le  culte 
luthérien.  Othon-Henri  appela  àHeidelberg  le  théologien  strasbourgeois 
JeanMarbach,  et,  le  4  avril  1556,  il  donna  à  l'Eglise  uneagende  évangé- 
lique {Kurpfàlzische  Kirchenordnung).  Pour  réformer  l'université,  il  lit 
venir,  sur  le  conseil  de  Mélanchthon,  Tieïmann  Heslius  de  Rostock, 
luthérien  fougueux  et  passionné,  qui  eut  bientôt  les  plus  violentes  dis- 
putes avec  son  diacre  Guillaume  Kîebitz.  Ce  dernier  ayant  ouvertement 
attaqué  la  cène  luthérienne,  la  querelle  occasionna  des  conflits  scanda- 
leux jusque  sur  les  marches  de  l'autel.  Frédéric  III  expulsa  les  deux 
fanatiques,  en  1559,  et,  ayant  embrassé  la  foi  réformée  en  1560,  il  ap- 


BADE  27 

pela  à  L'université  des  théologiens  calvinistes.  Au  grand  déplaisir  du 
peuple,  on  supprima  dans  les  églises  les  orgues,  les  autels  et  les  images, 
«  t  l'hostie  l'ut  remplacée  par  du  pain.  Frédéric  111  lit  faire  parZacharias 
Ursinus  et  Gaspard  Olevianus  le  Catéchisme  de  Heidelberg,  qui  sup- 
planta ceux  de  Luther  et  de  Brenz.  11  établit  aussi  la  discipline  calvi- 
niste de  Genève  dans  toute  sa  rigueur;  le  professeur  de  médecine 
Thomas  Eraste,  membre  du  conseil  d'Eglise,  ayant  protesté  contre  ce 
despotisme  nouveau  qu'on  imposait  aux  consciences,  fut  accusé  d'a- 
rianisme  et  excommunié;  plusieurs  pasteurs  luthériens  furent  plus  mal- 
traités encore;  Sylvan,  emprisonné  d'abord,  fut  accusé  de  blasphème, 
condamné  sans  jugement  régulier,  et  décapité  à  Heidelberg,  le  23  dé- 
cembre 1572.  Louis  VI  (1576-4583),  fervent  adhérent  de  la  Formule  de 
Concorde,  rétablit  le  luthéranisme  et  destitua  les  pasteurs  et  professeurs 
réformés.  Mais  Jean-Casimir,  tuteur  de  Frédéric  IV,  chassa  de  nouveau 
les  luthériens  et  éleva  son  pupille  dans  le  plus  strict  calvinisme.  Fré- 
déric V,  devenu  roi  de  Bohême,  attira  par  son  ambition  et  son  incapa- 
cité les  plus  grandes  calamités  sur  le  Palatinat,  que  les  troupes  impé- 
riales occupèrent  et  dévastèrent,  et  qui  resta  jusqu'à  la  paix  de 
Westphalie  sous  la  domination  catholique.  En  1685,  il  échut  à  la  ligue 
catholique  du  Palatinat-Neubourg,  et  dès  lors  l'Eglise  réformée  y  fut 
opprimée;  ce  n'est  qu'en  1705  que  les  réformés  recouvrèrent  leurs 
droits,  parla  médiation  de  la  Prusse  et  du  Brunswick.  —  En  1821  l'union 
d<  -  deux  Eglises  (luthérienne  et  réformée)  fut  établie  dans  le  grand- 
duché  de  Bade.  On  reconnut  comme  règle  de  la  foi  la  confession 
d'Àugsbourg  et  les  catéchismes  de  Luther  et  de  Heidelberg,  «  en  tant 
qu'ils  réclament  et  appliquent  la  libre  étude  de  l'Ecriture,  seule  source 
de  la  foi  chrétienne.  »  En  1834  un  synode  pourvut  l'Eglise  unie  d'une 
agende,  d'un  recueil  de  cantiques  et  d'un  catéchisme  passablement  ra- 
tionalistes. Comme  après  1850  il  y  eut,  en  bien  des  endroits,  un  réveil 
de  la  foi  luthérienne,  on  le  réprima  par  les  gendarmes,  on  infligea  des 
amendes  et  la  prison.  Les  pasteurs  Eichhorn  et  Ludwig  durent  aban- 
donner leurs  troupeaux,  .et  ce  n'est  qu'en  1854  qu'on  accorda  aux  lu- 
thériens séparés  le  choix  d'un  pasteur.  Dans  aucun  pays  on  n'a  appli- 
qué, autant  que  dans  le  Palatinat,  ce  funeste  principe  :  Cujus  regio, 
ilh'us  religio.  C'est  peut-être  à  ces  fréquents  changements  de  confession, 
plus  encore  qu'à  l'enseignement  dissolvant  du  professeur  Paulus  de 
Heidelberg,  qu'il  faut  attribuer  l'indifférence  du  protestantisme  badois 
pour  toute  tradition  religieuse  et  ecclésiastique.  Aujourd'hui  le  grand- 
duché  de  Bade  est,  avec  le  Palatinat  de  la  rive  gauche,  le  champ  d'ex- 
périences (E xperirnentirivinkel)  où  le  Prolestantenverein  essaye  les  ré- 
If  ►nues  les  plus  radicales,  sur  le  terrain  de  l'Eglise  aussi  bien  que  de 
l'école  (Vierordt,  Gesch.  der  Réf.  kn  Grossherz.  Bâderï).     Ch.  pfender. 

BADE  (Statistique  religieuse).    Le  grand-duché  de   Bade  comptait, 
au  lr  décembre  1875.  1,507,179  habitants,  savoir:  517,851  protes- 
tants, 958,907 catholiques,  3,842  chrétiens  d'autres  confessions,  2<>,W- 
lites,  S7  adhérents  d'autres  cultes.  Les  protestants  habitent  surtout 
nciennes  i  ossessions  héréditaires  de  la  maison  de  Bade;  les  catho- 
liques, les  territoires  annexés  plus  récemment  au  grand-duché.  —  l°Le& 


28  BADE  —  BADUEL 

deux  confessions  protestantes  sont  fondues  en  une  seule  depuis  le  sy- 
node général  de  1821.  L'autorité  suprême  réside  à  la  fois  dans  le 
synode  général  élu  par  les  paroisses  et  dans  le  conseil  supérieur  évan- 
gélique,  composé  d'un  président  et  de  dix  conseillers  nommés  par  le 
gouvernement  et  de  quatre  délégués  du  synode.  Les  paroisses  sont 
groupées  en  35  décanats;  chaque  décanat  a  son  synode  particulier, 
chaque  paroisse  son  conseil  d'Eglise.  Les  biens  d'Eglise,  assez  consi- 
dérables, sont  administrés  par  des  autorités  assez  diverses,  sous  la  sur- 
veillance du  conseil  supérieur.  La  Faculté  de  théologie  et  le  séminaire 
de  Heidelberg  forment  les  pasteurs.  Cette  Faculté,  longtemps  floris- 
sante, est  tombée  aujourd'hui,  sous  l'influence  de  ses  chefs  actuels, 
à  avoir  (été  de  1876)  9  étudiants  pour  9  professeurs.  —  2°  L'Eglise  ca- 
tholique forme  l'archidiocèse  de  Fribourg,  érigé  le  16  août  1821.  Les 
biens  ecclésiastiques  sont  administrés  par  une  commission  d'Etat  com- 
posée d'un  président  et  de  six  conseillers.  Le  pays  est  partagé  en  82  dé- 
canats, 729  paroisses,  114  chapellenies  et  224  vicariats.  Les  prêtres 
sont  instruits  au  séminaire  et  à  la  Faculté  de  théologie  de  Fribourg  :  (été 
de  1876)  7  professeurs,  47  étudiants.  —  3°  Les  vieux-catholiques  sont 
au  nombre  de  17,203,  formant  44  paroisses  et  sociétés  (Rapport  de 
M.  de  Schulte  au  synode  des  vieux-catholiques  à  Bonn,  le  7  mai  1876). 
—  4°  Parmi  les  chrétiens  d'autres  confessions,  il  y  a  environ  1,500  men- 
nonites.  —  5°  Les  israélites  sont  régis  par  une  conférence  administrative, 
composée  d'un  délégué  grand-ducal ,  de  4  membres  laïques  et  d'un 
rabbin.  Dans  les  questions  de  doctrine,  on  appelle  à  siéger  2  rabbins 
de  plus.  Le  territoire  est  divisé  en  15  rabbinats  de  district.  Les  juifs  ne 
jouissent  de  tous  les  droits  de  citoyens  que  depuis  1849.  La  constitu- 
tion de  1818  n'admettait  à  ces  droits  que  les  membres  des  confessions 
chrétiennes.  Les  biens  d'Eglise  suffisent  à  peu  près  aux  dépenses  des 
cultes.  La  part  contributive  de  l'Etat  n'est,  au  budget  de  1876,  que  de 
215,522  marcs.  —  Bibliographie  :  Almanach  de  Gotha,  1877  ;  Hof-und 
Staats-Handbuch  des  Grossherzogthums,  Baden,  1876,  etc.  E.  Vaucher. 
BADUEL  (Claude),  humaniste,  professeur  et  pasteur,  naquit  à  Nîmes 
au  commencement  du  seizième  siècle,  d'une  famille  obscure,  s'adonna 
avec  ardeur  à  l'étude  et  s'éprit  d'une  vive  passion  pour  le  mouvement 
littéraire  de  la  Renaissance.  Cette  passion  le  conduisit  de  Nimes  à  Paris, 
de  Paris  à  Louvain  où  il  connut  Jean  Sturm,  de  Louvain  à  Wittemberg 
où  il  visita  Mélanchthon,  en  1534.  Il  s'ouvrit  dès  lors  aux  idées  de  la  Ré- 
forme qui  lui  sembla  la  conclusion  légitime  et  la  sauvegarde  nécessaire 
de  la  Renaissance.  Recommandé  par  Mélanchthon  à  la  reine  de  Navarre, 
Marguerite  de  Valois,  et  soutenu  dans  ses  études  par  les  libéralités  de 
cette  princesse,  il  séjourna  à  Strasbourg  en  1538,  dans  la  maison  de 
Bucer,  fit  la  connaissance  de  Calvin,  dont  il  resta  F  ami,  et  assista  aux 
débuts  du  gymnase  fondé  par  Jean  Sturm.  Professeur  ensuite  à  Paris,  il 
fut  désigné  par  sa  royale  protectrice  pour  diriger  le  collège  et  l'univer- 
sité des  arts  que  la  municipalité  de  Nimes  venait  de  fonder,  sur  autori- 
sation et  lettres  patentes  de  François  Ier.  Ouvert  en  1540,  cet  établisse- 
ment ne  tarda  pas  à  fleurir  ;  mais  de  déplorables  querelles  avec  Guil- 
laume Bigot,  que  Baduel  avait  appelé  pour  enseigner  la  philosophie  à 


BADUEL  —  BAIIRDT  29 

côté  de  lui.  et  qui  était  l'adversaire  déclaré  des  études  littéraires,  trou- 
blèrent l'ordre  du  collège  et  le  repos  de  Baduel.  Il  chercha  en  vain  la 
tranquillité  dans  les  écoles  de  Carpentras  (1544)  et  de  Montpellier 
(1546)  où  il  enseigna  quelque  temps.  Revenu  à  Nimés,  mais  dénoncé 
comme  luthérien,  pressé  (railleurs  par  sa  conscience  de  professer  le 
nouveau  culte  auquel  il  adhérait  intérieurement,  il  quitta  Nimes 
vers  la  fin  de  1550,  séjourna  quelques  mois  à  Lyon,  où  il  encouragea 
comme  pasteur  le  zèle  des  protestants  secrets  de  cette  ville,  et  trouva 
enfin  à  Genève  (lool)  la  pleine  liberté  de  conscience  à  laquelle  il 
aspirait  depuis  si  longtemps.  11  y  collabora  aux  grands  ouvrages  de 
Crespin  et  de  Robert  Estienne,  fut  reçu  bourgeois  de  la  ville  en  1556, 
nommé  pasteur  à  Russin  la  même  année,  et  un  peu  plus  tard  à  Van- 
dceuvres.  Il  fut  enfin  appelé  à  l'Académie  de  Genève  en  1560  et  y 
professa  la  philosophie  et  les  mathématiques  jusqu'à  sa  mort,  arrivée 
en  1561.  Lettré  éminent,  chrétien  conséquent,  il  avait  toujours  su- 
bordonné ses  intérêts  personnels  à  ceux  des  études,  et  l'intérêt  des 
études  à  celui  de  sa  foi.  —  Baduel  a  laissé  plusieurs  écrits  parmi  les- 
quels nous  citerons  :  une  Lettre  à  Sadolet  sur  la  marche  à  suivre  dans 
r éducation  de  la  jeunesse  ;  un  Traité  sur  le  mariage  des  gens  de  lettres,  où 
il  combat  le  préjugé  qui  vouait  les  professeurs  au  célibat  ;  des  Annota- 
tions sur  quelques  discours  de  Cicéron;  divers  Biscornus  scolaires  ou  de 
circonstances;  des  Traductions  en  latin  de  traités  d'Isocrate  et  de  ser- 
mons de  Calvin  ;  enfin  des  Lettres,  inédites,  dont  une  copie  se  trouve  à 
la  bibliothèque  de  la  ville  d'Avignon.  Tous  ces  ouvrages  sont  écrits  en 
un  latin  très-pur  et  modelé  sur  celui  de  Cicéron.  M.. j. gaufrés. 

BAHRDT  (Charles-Frédéric)  [1741-1793]  est  le  représentant  le  plus 
avancé  du  rationalisme  vulgaire,  et  l'un  des  types  les  plus  laids  de  la 
théologie  allemande  à  la  lin  du  dernier  siècle.  Elevé  dans  la   savante 
école  de  Schulpforta,  où  il  se  distingua  par  ses  talents  non  moins  que 
par  sa  légèreté,  Bahrdt  fit  ses  études  en  théologie  à  Leipzig,  sous  la  di- 
iv.  t  ion  de  Crusius,  dont  il  adopta  Y  orthodoxie  confuse  et  bizarre.  Nommé 
professeur  à  l'université  d'Erfurt,  il  jeta  le  masque  dont  il  avait  jus- 
que-là  couvert  ses  hérésies,  et  enseigna  le  rationalisme  le  plus  super- 
ficiel. A  la  platitude  de  la  doctrine,  Bahrdt  ajouta  le  cynisme  de  la 
conduite.  Obligé  de  quitter  l'Allemagne,  en  présence  de  la  réprobation 
universelle  dont  il  était  l'objet,  il  passa  quelque  temps  en  qualité  de  pé- 
dagogue  au  gymnase  de  Marschlintz,  dans  le  canton  des  Grisons;  puis, 
ayant  eu  rautorisation  de  revenir  dans  son  pays  natal,  il  fonda  près  de 
Yïni  mis.  d'après  les  principes  de  Basedow,  un  établissement  d'éducation 
auquel  il  donna  le  nom  prétentieux  de  pkilanthropinum.  Plus  tard,  nous 
!.■  trouvons  établi  à    Halle,  sous  la  protection  du  ministre  prussien 
Zedlitz,  favorable  aux  nouvelles  doctrines,  vivant  du  produit  de  sous- 
criptions recueillies  à  Berlin  et  de  l'exploitation  d'une  auberge  fréquen- 
tée par  lc>  étudiants  que  Bahrdt  façonnait  à  ses  idées.  Bahrdt  se  vit,  à 
la  lin  de  sis  jours,  impliqué  dans  des  poursuites  pour  affiliation  à  une 
iété  secrète,  <'t  fut  condamné  à  un  an  de  prison  pour  "un  pamphlet 
qu'il  avait  publié  contre  le  gouvernement  à  l'occasion  de  l'édit  de  reli- 
ii  de  1787.  Dans  son  Autobiographie  (Berlin,  1790,  \  vol.;,  Bahrdt 


30  BAHRDT  —  BAINS 

indique  les  titres  de  126  ouvrages  dont  il  est  Fauteur.  Nous  citerons 
dans  le  nombre  ses  Neuesle  Offenbarungen  Gottes  in  Briefen  u.  Erzœh- 
lungen,  Riga,  1772,  4  vol.,  sorte  de  paraphrase  du  Nouveau  Testament, 
remplie  des  opinions  et  des  conjectures  les  plus  étranges;  ses  Briefe 
iiber  die  Bibel  im  Volkston,  1783-1791,  12  vol.,  et  son  Ausfûhrung 
des  Plans  u.  Ztvecks  Jesu  in  Bine f en,  1784.  Pour  expliquer  naturel- 
lement l'origine  du  christianisme,  Bahrdt  imagine  un  roman  très- 
compliqué  sur  le  développement  de  la  jeunesse  du  Christ,  dressé  par 
une  société  secrète  à  son  rôle  messianique  et  pourvu  par  elle  de  con- 
naissances médicales  et  de  remèdes  inconnus  jusqu'alors.  On  peut 
dire  que  tout  F  effort  de  Bahrdt  consistait  à  traduire  les  idées  chré- 
tiennes dans  un  rationalisme  affranchi  de  tout  sérieux  et  de  toute 
retenue.  Le  succès  que  ces  ouvrages  ont  eu  auprès  d'une  grande  partie* 
du  public  éclairé  de  F  Allemagne  est  F  un  des  plus  tristes  symptômes 
de  l'affaiblissement  du  sentiment  religieux  à  la  fin  du  dernier  siècle. 
—  Voyez  :  Tholuck  dans  ses  Vermischte  Schriften,  II,  p.  110  ss.,  et 
Prutz,  K.  Fr.  Bahrdt,  Bcitràge  zur  Geschichte  seiner  Zeit  u.  seines 
Lebens,  dans  Raumer,  Histor.  Taschenbuch,  1850. 

BAIER  (Jean-Guillaume)  [1647-1695],  savant  théologien  luthérien  qui 
professa  à  Iéna  et  à  Halle.  Par  sa  tendance  il  se  rattache  à  l'école 
qui  forme  la  transition  entre  l'orthodoxie  stricte  et  le  piétisme  dont 
Baier  subit  fortement  l'influence.  Dans  la  christologie,  il  rejeta  la  doc- 
trine  de  l'ubiquité;  dans  la  théorie  du  sacrement,  il  nia  la  présence 
d'une  materia  cœlestis  comme  élément  constitutif  ;  il  demanda  que 
Fexorcisme,  lors  du  baptême,  fut  considéré  comme  un  àdta<popov,  et 
distingua,  dans  le  recueil  canonique  du  Nouveau  Testament,  des  libri 
primi  et  secundi  ordinis.  La  science  de  Baier  avait  un  caractère  vérita- 
blement encyclopédique.  C'est  ce  que  prouve  son  vaste  Compendium 
theologiœ  positivœ,  homileticœ,  historicœ,  moralis  et  exegeticœ  (1673- 
1694),  qui  embrasse  toutes  les  branches  de  la  théologie.  Baier,  suivant 
l'impulsion  donnée  par  Calixte,  traita  avec  prédilection  la  symbolique 
et  chercha  avec  une  ardeur  infatigable  les  moyens  de  réconcilier  les 
catholiques  et  les  protestants,  comme  aussi  d'unir  en  un  même  faisceau 
les  diverses  branches  du  protestantisme.  De  ces  efforts  sont  nés  ses 
deux  ouvrages  :  Cullatio  doctrinœ  pontificiorum  et  protestantium,  1692, 
et  Collatio  doctrine  quaker orum  et  protest antium,  1694. 

BAINS  chez  les  Hébreux. La  chaleuret  la  poussière  propres  aux  pays  de 
F  Orient  nécessitent  F  usage  fréquent  des  bains,  reconnu  d'ailleurs  comme 
indispensable  pour  se  préserver  contre  les  maladies  de  la  peau.  Chez  les 
Hébreux,  les  bains  étaient  prescrits  comme  un  devoir  élémentaire  (Néh. 
IV,  23),  et  même,  dans  certains  cas,  ordonnés. par  la  loi  et  placés  sous 
la  sanction  de  Dieu  (Lév.  IV,  8  ss.;  XV,  5,  18; XVII,  16;  XX,  6;  Nomb. 
XIX,  19;  Deut.  XXIII,  11).  On  ne  se  baignait  pas  seulement  dans  les  ri- 
vières (Lév.  XV,  13;  2  Rois  V,  10),  mais  aussi  dans  les  maisons,  qui 
avaient  parfois  un  bassin  spécial  disposé  à  cet  effet  (2, Sam.  XI,  2;  Su- 
zanne XV;  cf.  Josèphe,  Antiq.,  XIV,  15,  13).  Plus  tard,  les  villes  de  la 
Palestine  empruntèrent  aux  Grecs  et  aux  Romains  Fusage  des  bains 
publics  (Jos.,  Jintiq.,  XIX,    7,  5).  Les  historiens  postérieurs  à  l'exil 


BAINS  -  BAI  US  31 

mentionnent,  comme  possédant  certaines  vertus  euratives,  les  ther- 
mes de  Tibériade,  de  Gadara  et  de  Kalirrhon  (Pline,  V,  15;  Jos., 
//../..  I.  33,5). 

BAIUS  (Michel),  en  français  de  Bay,  naquit  on  151:)  à  Melin,  petite 
localité  du  Hainaut.  Disciple  de  l'université  de  Louvain,  il  l'ut  nommé 
en  1540  surintendant  d'une  institution  de  bienfaisance.  En  1551,  nous 
trouvons  docteur  en  théologie  et  professeur  suppléant  à  Louvain, 
où,  de  concert  avec  J.  Hessels,  il  remplaçait  les  théologiens  Tapper  et 
Ravenstein,  envoyés  par  celte  université  au  concile  de  Trente.  11  donna 
dès  lors  à  son  enseignement  une  tendance  augustiniennequi  scandalisa 
beaucoup  ces  derniers  à  leur  retour.  Une  vive  controverse  s'éleva.  Les 
franciscains  jetèrent  feu  et  flamme  contre  cet  augustinisme  ressuscité, 
qui  niait  la  capacité  de  l'homme  naturel  pour  faire  le  bien  ainsi  que  le 
mérite  des  œuvres.  On  surprit  à  la  Sorbonne,  grâce  à  d'habiles  ma- 
nœuvres,  la  condamnation  de  dix-huit  thèses  tirées  des  écrits  de  Baïus. 
Cependant  Baïus  et  Cornélius  Jansen  (V.  l'art.  Jansénisme)  furent  envoyés 
en  1503  par  Granvelle  au  concile  de  Trente.  A  leur  retour,  la  contro- 
verse reprit  de  plus  belle  à  propos  des  écrits  de  Baïus  sur  le  libre  arbi- 
t  «-.  le  mérite  des  œuvres,   les  vertus  des  impies,  et  [les  adversaires  de 
Baïus  finirent  en  1567  par  obtenir  du  pape  Pie  V  la  bulle  Ex  omnibus 
afflictionibus  qui  réprouvait  70  thèses  extraites  de  ces  traités,  et,  sans 
nommer  Baïus,  chargeait  Granvelle  d'étouffer  toute  nouvelle  dispute  au 
I  des  doctrines  condamnées.  Baïus  insistait  surtout  sur  la  profon- 
:  de  l'état  de  péché  qui  a  suivi  la  chute,  état  tel  que  nul  n'échappe 
à  cette  triste  condition,  ni  les  régénérés  eux-mêmes,  ni  les  saints,  ni 
même  la  Vierge  Marie.  Aucune  œuvre  de  satisfaction,  mais  uniquement 
l'imputation  du  mérite  du  Christ,  nos  bonnes  œuvres  toutefois  entrant 
en  ligne  de  compte,  peut  nous  procurer  le  salut.  Baïus  se  soumit  au 
décret  pontiiieal,  et  dans  ses  leçons  combattit  les  doctrines  condam- 
.  mais  en  déclarant  que  ce  n'étaient  pas  les  siennes  et  qu'on  les  lui 
;    ait   imputées  à  tort.  Cependant  un  certain  levain   d'indépendance 
augustinienne  ne  cessait  de  se  faire  voir  dans  ses  leçons.  Par  exemple 
il  soutenait  que  les  évêques  tenaient  leur  pouvoir,  non  du  pape,  mais 
immédiatement  de  Dieu.  En  1577  il  devint  chancelier  de  l'université  et 
par  cela  même  inquisiteur  général  des  Pays-Bas.  En  1588  Sixte-Quint 
dut  encore  intervenir  pour  imposer  silence  aux  deux  partis  qui,  mal- 
la  bulle  de  Pie  Y,  avaient  repri-s  les  armes  de  la  controverse.  Ses 
<  fforts  échouèrent  de  la  même  manière,  et  bientôt  le  jansénisme,  dont 
Baïus  est  à  vrai  dire  le  père  spirituel,  développa  les  germes  qu'il  avait 
es  d'une  main  discrète,  ferme  à  la  fois  et  timide.  Baïus  mourut 
le  10  septembre  1589.  L'intérêt  qu'il  inspire  provient  uniquement  de 
ce  qu'il  est  le  premier  théologien  marquant  de  cette  tendance  dite 
te  qui.  rétive  à  la  réforme*  hardie  du  seizième  siècle,  ayant  hor- 
sme  et  de  toute  révolte  contre  l'autorité  de  l'Eglise-,  essaya 
avec  la  tradition  catholique  les  doctrines  de  la  grâce,  de 
de  la  nullité  intrinsèque  des  oeuvres,  enseignées  par  Au- 
gustin, ttachanl  à  la  prédication  de  Paul  et  qui   ont    toujours  plu 
its  mystiques  en  même  temps  que  désireux  de  i>   •  commune 


32  BAIUS  —  BALBEK 

immédiate,  avec  Dieu.  C'est  à  l'histoire  du  jansénisme  môme  de  nous 
apprendre  si  Baïus,  que  le  jansénisme  a  continué,  n'a  pas  condamné 
lui-même  à  l'avortement  son  timide  essai  de  retour  à  Taugustinisme 
en  s'inclinant  d'avance  devant  les  décrets  d'une  autorité  trop  inté- 
ressée à  une  manière  pélagienne  d'envisager  la  vie  chrétienne  pour 
jamais  tolérer  un  augustinisme  quelque  peu  conséquent.  Les  écrits  de 
Baïus  forment  deux  in-quarto  édités  en  1596  par  le  bénédictin  Ger- 
béron.  Outre  les  traités  à  couleur  augustinienne  dont  nous  avons  parlé, 
on  y  voit  des  livres  de  controverse  contre  les  adversaires  de  l'Eglise 
romaine,  en  particulier  contre  le  célèbre  Marnix  de  Sainte-Aldegonde. 
Gomp.  aussi  Bayle,  Dictionnaire  hist.  et  crû.,  les  histoires  ecclésias- 
tiques et  celles  du  jansénisme.  Albert  kéville. 

BALAAM  [Bileàm,  BaXodtp,  BiXa|wç],  prophète  originaire  de 
Pethor,  en  Mésopotamie,  engagé  au  service  de  Balac,  roi  des  Moabites, 
pour  prononcer  des  malédictions  sur  les  Israélites  qui  pénétraient  en 
Palestine,  mais  qui,  sur  l'ordre  de  Jéhova,  les  bénit  par  trois  fois 
(Nomb.  XXII-XXIY;  Deut.  XXIIJ,  5  ss.).  Dans  le  récit  biblique,  en  par- 
ticulier dans  celui  du  Deutéronome,  Balaam  se  montre  strictement  soumis 
aux  inspirations  divines,  et  pourtant  il  est  dit  que  Jéhova  se  mit  en  co- 
lère contre  lui  et  l'arrêta  en  chemin  par  un  ange.  Pour  faire  disparaître 
cette  contradiction,  plusieurs  commentateurs  ont  considéré  le  passage, 
Nomb.  XXII,  22 ss.,  comme  interpolé;  mais  il  est  plus  simple  d'attri- 
buer la  colère  de  Jéhova  à  la  circonstance  que  le  Voyant  s'est  laissé 
persuader  par  des  présents  à  exécuter  les  ordres  de  Balac,  au  lieu  de 
renvoyer  ses  messagers  sans  leur  prêter  l'oreille.  Les  circonstances 
étranges  qui  accompagnent  la  bénédiction  de  Balaam  ont  déterminé  un 
certain  nombre  d'exégètes  à  regarder  comme  légendaire,  sinon  le  récit 
entier  (de  Wette),  malgré  l'importance  qu'Israël  attachait  à  cette  béné- 
diction involontaire  prononcée  par  un  Voyant  étranger  (Jos.  XXIV,  9  ; 
Mich.  VI,  5;  Néh.  XIII,  2),  flétri  dans  la  tradition  juive  comme  ré- 
prouvé (ios.,  Antiq.,  IV,  6-3;  cf.  2  Pierre II,  15 ss.;  Jude  11;  Apoc.II,  14), 
du  moins  la  partie  du  récit  ayant  trait  à  l'ànesse  qui  parle  (Michaelis,  Her- 
der,  Jahn),  présentée  parfois  aussi  comme  une  vision  ou  un  songe  du 
prophète  (Steudel).  La  répugnance  naturelle  qu'inspire  ce  miracle  est 
très-ancienne.  Philon  déjà  le  passe  sous  silence,  et  Sam.  Bochart  n'hé- 
site pas  à  y  voir  un  mythe  poétique  (Hieroz.,  1, 161  ss.).  L'exégèse  ratio- 
naliste a  imaginé  un  dialogue  mental  entre  Balaam  et  son  ânesse,  dans 
lequel  le  Voyant  a  prêté  à  l'animal  impatient  les  paroles  qui,  dans  le 
récit,  sont  présentées  comme  ayant  été  réellement  prononcées  (Lesse, 
Bauer,  etc.).  —  Voyez  Hilliger,  Bileamus  ejusque  asina  loquens,  Viteb., 
1673;  Mœbig,  Hist.  Bileami,  L.,  1676;  Winer,  Bibl.  Realwôrterbuch  ; 
de  Geer,  Dissert,  de  Bileamo,ej.  historia  et  vatic,  Traj.  a  Rh.,  1816. 

BALAC  [Bàlàq],  roi  des  Moabites.  Voyez  Balaam. 

BALBEK,  en  grec  Héliopolis ,  ville  de  Syrie,  célèbre  dans  les 
premiers  siècles  de  l'ère  chrétienne  et  fameuse  encore  aujour- 
d'hui par  ses  ruines.  Balbek  est  située  à  75  kilom.  nord-ouest  de  Da- 
mas ,  entre  le  Liban  et  l' Anti-Liban ,  sur  la  ligne  de  séparation  des 
eaux  du  Leontes  et  de  l'Oronte,  au  centre  de  la  Beqa'a,  c'est-à-dire  de 


BALBEK  33 

la  grande  «  vallée,  »  ïi  laquelle  les  Grecs  ont  donné  le  nom  de  Cœlé- 
Syrie.  Halbek  n'est  connue  dans  l'histoire  que  sous  son  nom  grec  Hé- 
liopolis, qu'elle  partage  avec  une  ville  de  la  Basse-Egypte;  mais, 
comme  cette  dernière,  elle  a  dû  s'appeler  antérieurement  On.  Ce  fait  est 
établi  par  Robinson  (Lat.  bibl.  res.,  p.  519  s.)  et  par  M.  Renan  (Miss* 
de  Phénicie,  p.  320).  Amos  (I,  S)  cite,  en  effet,  à  côté  de  Damas,  un 
endroit  du  nom  de  Biqéat  Aven,  qu'il  faut  sans  doute  corriger,  d'ac- 
cordavec  les  LXX,  en  Biqe'at-On,  «  la  Beqa'a,  »  c'est-à-dire  «  la  vallée 
d'On.  ))  Cette  hypothèse  est  pleinement  confirmée  par  les  inscriptions 
phéniciennes  d'Àbydos.  En  effet,  sur  un  de  ces  graffiti  qui  ont  été  tra- 
cés, soit  par  des  mercenaires,  soit  par  des  pèlerins  phéniciens,  l'un 
d'eux  s'intitule  :  Yacheb  On  Micrayim,  «  habitant  d'On  en  Egypte.  » 
M.  Kenan  suppose  donc  qu'il  y  avait  probablement  deux  villes  d'On 
répondant  aux  deux  Héliopolis  :  l'On  d'Egypte  et  l'On  de  la  Beqa'a, 
aujourd'hui  Balbek.  Dès  lors,  on  ne  saurait  hésiter  à  attribuer  à  cette 
dernière  ville  les  monnaies  si  nombreuses  des  Séleucides  à  légende 
phénicienne,  que  M.  Lenormant  nous  signale  dans  la  collection  du  duc 
de  Luynes  et  qui  portent  les  lettres  alef,  noun.  Elles  sont  un  témoi- 
gnage de  l'importance  qu'a  eue  la  ville  de  Balbek  dans  l'antiquité.  La 
parenté  de  nom  de  l'On  de  Syrie  avec  l'On  d'Egypte  implique,  sinon 
une  parenté  de  race,  du  moins  des  rapports  fort  anciens  entre  les  deux 
villes.  Plusieurs  des  grandes  villes  de  Phénicie  étaient  dans  le  même 
cas.  Le  souvenir  de  cette  parenté  s'est  conservé  sous  la  forme  d'une  lé- 
gende religieuse.  L'auteur  dix  De  Dea  Syria  (n°  5)  raconte  qu'on  adorait 
dans  le  grand  temple  d'Héliopolis  un  hieron  antique,  qui  y  avait  été  ap- 
port»' d'Egypte;  Macrobe  (1.  I,  23)  rapporte  la  même  chose  de  l'image 
du  Jupiter  Heliopoiitanus.  Balbek  est  le  nom  actuel  d'Héliopolis  ;  on 
serait  tenté  d'y  retrouver  encore  la  Beqa'a;  il  n'y  a  qu'un  obstacle  à 
cela  :  c'est  que  Balbek  s'écrit  en  arabe  par  un  kaph  ;  M.  Renan  néan- 
moins ne  considère  pas  comme  impossible  que  Balbek  soit  une  alté- 
ration de  la  forme  Baal-Beqa'a.  Quoi  qu'il  en  soit,  la  première  partie 
du  mot,  «  Baal,  »  semble  bien  lui  assigner  une  origine  sémitique  an- 
cienne. C'est  seulement  à  dater  des  Romains  que  Balbek  a  été  ville 
de  premier  ordre  ;  elle  devint  colonie  romaine  sous  le  nom  de  Colonia 
Julia  Augusta  FeiU  Heliopolitana ,  et  les  empereurs  de  la  fin  du 
deuxième  et  du  troisième  siècle  y  élevèrent  les  deux  temples  dont 
on  voit  encore  les  ruines.  On  peut  en  reconstituer  en  partie  l'histoire 
à  l'aide  des  monnaies.  Le  grand  temple  avait  dix  colonnes  de  façade; 
H  était  entouré  d'une  enceinte  ou  temenos;  sur  le  devant  se  trouvaient 
nue  cour,  un  grand  vestibule  et  un  péristyle  de  douze  colonnes 
qui  est  ligure  sur  les  monnaies.  Ce  temple,  une  des  merveilles  de 
l'ancien  monde,  a  été  presque  entièrement  détruit;  il  n'en  reste  que 
six  colonnes  qui  ont  près  de  40  mètres  d'élévation.  Le  mur  de  sou- 
bassement était  formé  de  blocs  immenses,  quelques-uns  atteignent  des 
dimensions  dont  aucun  autre  monument  ne  peut  donner  l'idée.  Trois 
de  ces  pierres  (d'où  le  nom  de  trililhon  (pie  l'on  a  donné  au  temple) 
tonnent  une  masse  de 65  mètres  de  long  sur  10  de  haut  et  5  de  large. 
Le  petit  temple  était  un  peu  en  retraite  sur  le  grand,  auqule  le  rattachait 
n  3 


U  BALBEK  —  BALDE 

un  escalier  coudé.  Il  est  conservé  presque  en  entier.  Les  colonnades, 
les  murs,  les  sculptures  intérieures  n'ont  presque  pas  souffert.  L'éléva- 
tion en  est  encore  assez  grande  et  le  style  élégant,  mais  il  est  un  peu 
surchargé  et  sent  la  décadence.  Les  masses  de  pierre  mises  en  œuvre 
dans  ces  temples  sont  en  général  plus  considérables  que  dans  les  édi- 
fices romains,  et  dénotent  encore  les  habitudes  de  l'architecture  orien- 
tale. Certaines  parties  doivent  remonter  à  l'époque  phénicienne.  On  est 
assez  peu  d'accord  sur  l'attribution  de  ces  temples  soit  à  un  dieu,  soit 
à  un  autre;  en  général,  on  appelle  le  petit  temple  le  temple  du  Soleil, 
et  le  grand,  le  temple  de  Jupiter  Heliopolitanus.  D'après  M.  de  Saulcy 
(Ac.  des  Insc,  19  janvier  1877),  il  faudrait  renverser  ces  appellations; 
elles  n'ont,  du  reste,  d'importance  pour  nous  qu'autant  qu'elles  peu- 
vent servir  à  nous  éclairer  sur  l'ancienne  religion  de  Balbek  ;  mais  ce 
dernier  point  est  encore  très-obscur.  Nous  savons  par  des  inscriptions 
que  le  grand  dieu  d'Héliopolis  s'appelait  Zeus-Balanios.  M.  de  Saulcy 
corrige  ce  nom  en  Baal-Hélios,  «  le  Baal-Soleil;  »  M.  Renan  préfère  y 
voir  le  nom  deBaal-Oni,  «  le  Baal  d'On.  »  C'est  sans  doute  une  repré- 
sentation de  ce  dieu  que  porte  un  bas-relief  dédié  au  Jupiter  Opt.  Max. 
Heliopolitanus,  qu'on  a  retrouvé  dans  la  fontaine  de  Nimes  (Lenor- 
mant,  Gaz.  archéol.,  1876,  fasc.  4)„  D'après  Macrobe,  le  culte  qu'on  lui 
rendait  était  purement  sémitique;  mais  ses  origines  n'étaient  pas  sans 
quelque  attache  avec  l'Egypte  (voyez  plus  haut).  Certains  passages  des 
auteurs  anciens  qu'il  est  difficile  de  mettre  d'accord  feraient  même 
croire  qu'on  adorait  à  Balbek,  avant  l'arrivée  des  Romains,  deux  di- 
vinités distinctes ,  auxquelles  répondirent  dans  la  suite  les  deux  tem- 
ples élevés  par  les  empereurs.  M.  de  Saulcy  n'admet  pas  cette  manière 
de  voir.  D'après  ce  savant,  le  grand  temple  avait  été  bâti  par  Antonin 
le  Pieux,  sans  doute  sur  l'emplacement  de  l'ancien.  Le  plus  petit  fut 
construit  par  Septime  Sévère  (193-197)  et  muni  d'un  escalier  coudé 
et  d'une  enceinte  par  Philippe  l'Arabe  ;  le  grand  vestibule  et  le  teme- 
nos  furent  commencés  par  Caracalla,  et  terminés  probablement  par 
Philippe.  Durant  les  premiers  siècles  de  l'ère  chrétienne,  Balbek  fut 
le  théâtre  de  plusieurs  persécutions  ;  Théodose  renversa  le  grand  tem- 
ple et  éleva  en  sa  place  une  basilique  (375-379).  Dès  lors  il  y  eut  des 
évéques  d'Héliopolis  (jusqu'en  458;  par  la  suite  le  siège  épiscopal  fut 
transporté  à  Zahleh).  Ils  comptaient  parmi  les  évoques  de  Phénicie; 
néanmoins  le  souvenir  de  l'ancien  culte  est  resté  vivant  jusqu'à  la 
prise  de  Balbek  par  les  Arabes  sous  Abou-Obeida.  —  Les  ruines  de 
Balbek  ont  été  explorées  et  décrites  par  un  grand  nombre  de  voya- 
geurs à  partir  du  dix-septième  siècle  ;  celui  qui  voudra  s'en  faire  une 
idée  devra  consulter  principalement  Wood  :  Les  ruines  de  Balbek,  autre- 
ment dite  Héliopolis,  dans  la  Cœlesyrie,  Londres,  1757,  grand  in-fol.,  et 
la  restitution  qui  en  a  été  faite  tout  récemment  à  l'Ecole  des  Beaux- 
Arts  par  M.  Joyau,  architecte  pensionnaire  de  l'Ecole  de  Rome. 

Ph.  Berger. 

BALDE  (Jacques),  jésuite,  professeur,  prédicateur  et  poëte,  né  à  En- 
sisheim  en  1003,  mort  à  Neubourg  en  1668.  Si  la  versification  est  l'es- 
sence de  la  poésie,  Balde,  selon   le  surnom  qu'on  lui  donna  de  son 


BAL  DE  —  BALE  35 

vivant,  fut  l'Horace  germain  comme  le  jésuite  Vanière,  avec  son  Prœdium 
rtisf  tcum,  f ut  le  Virgile  français.  A  l'imitation  de  l'Horace  latin,  l'Horace 

latinisant  a  écrit  quatre  livres  d'odes  et  un  d'épodes,  sans  parler  de 
neuf  livres  de  sylves,  de  satires  et  d'une  infinité  de  pièces  héroïques, 
religieuses  et  burlesques.  Il  lit,  en  dialecte  osque,  un  drame  rustique  à 
la  manière  des  anciennes  Atellanes,  production  étonnante  d'érudition 
oiseuse.  Son  Cranta  victrix,  ou  les  Combats  de  lame  chrétienne  contre 
les  tentations  des  cinq  sens  du  corps,  enthousiasma  Alexandre  Vil,  qui  lui 
envoya  une  médaille  d'or.  Balde  fut  aussi  mauvais  poëte  allemand 
qu'habile  versificateur  latin.  Outre  la  collection  complète  de  ses  œu- 
vres (Cologne,  i(K)0,  2  vol.  in-12),  on  a  une  édition  de  pièces  choisies 
(Turin,  1805,  in-8°). 

BALE\Concilede).Le  concile  de  Bàle  (1431-1449)  est  le  troisième  des 
conciles  appelés  réformateurs.  Comme  ceux  de  Pise  et  de  Constance,  il 
proclama  la  suprématie  des  conciles  sur  le  pape,  et  tenta  une  réforme 
de  l'Eglise  dans  son  chef  et  dans  ses  membres.  A  Constance  on  avait 
décidé  qu'un  autre  concile  serait  réuni,  après  cinq  ans,  à  Pavie.  Cette 
convocation  eut  lieu  en  effet,  en  1423,  mais  le  concile,  à  peine  ouvert, 
fut  d'abord  transféré  à  Sienne,  à  cause  de  la  mort  noire  qui  régnait  à 
Pavie.  puis  dissous  après  quelques  séances,  sous  prétexte  qu'il  n'était 
pas  en  nombre.  On  convint  cependant  qu'après  sept  ans  on  convoque- 
rait un  nouveau  concile  à  Bàle,  ce  qui  fut  fait  (1431)  par  Martin  V,  qui 
chargea  le  cardinal  Césarini  de  l'ouvrir.  Martin  V  mourut  peu  de  jours 
après,  el  eut  pour  successeur  Eugène  IV.  Césarini  se  trouvait  alors  en. 
Bohême  <>ù  il  était  chargé  de  mettre  fin  à  l'hérésie  hussite,  soit  par  la 
persuasion  soit  par  la  force;  il  n'allait  pas  volontiers  à  Bàle,  parce  qu'il 
craignait   de  nouveaux   conflits  entre  le  pape  et  le   concile  (propter 
multa  aux  tune  ver ebar  posse  accidere,  quse  jam  experiri  incipio.  Epist. 
Juliani  ad  Evgenium  IV).   Cependant  Eugène  lui   ayant  renouvelé 
Pordre  de  se  rendre  à  son  poste,  le  cardinal  y  envoya  en  attendant,  à 
va  place,  deux  ecclésiastiques,  Jean  de  Bilombar  et  Jean  de  Raguse. 
Hais  ayant  dû  s'enfuir  ignominieusement  de  la  Bohème  et  ayant  tra- 
versé l'Allemagne,  il  reconnut  que  l'hérésie  hussite  ne  pourrait  être  que 
difficilement  vaincue  par  la  force,  etqu'un  concile  était  nécessaire  pour 
cette  pacification;  que,  de  plus,   la  corruption   du  clergé  allemand 
exigeait  des   réformes  promptes  et  sérieuses;  car  Césarini    désirait 
sincèrement  une  réforme  des  abus  et  des  mœurs  du  clergé.  Il  se  rendit 
donc  au  [tins  vite  à  Bàle.   (Incitavit  etiam  me  hue  venire  de  for  mitas  et 
Jutio  cleri  Alemaniae,  exqua  laici  supra  modum  irritantur  adversus 
m  ecclesiasticum.  Propter  quod  valde  timendum  est,nisise  emendenf, 
ne  laici  more  Hussitarum  in  totum  clerum  irruant,  ut  publiée  diamt.) 
Peu  de  prélats  s'y  trouvaient  à  ce  moment;  on  craignait  d'y  aller  en 
pure  perte,  car  on  avait  peu  de  confiance  dans  la  bonne  volonté  de  la 
curie  romaine.  Mais  après  L'arrivée  de  Césarini  on  vint  en  foule,  si  bien 
qu'en  1^34  il  y  eut  à  Bâle  environ  800  personnes  appartenant  à  l"a>- 
semblée,  mais  dont  la  moitié  seulement  étaient  de&Pèresdu  concile.  On 
comptai!  7-11  cardinaux  et  environ  100  évoques.  Les  autres  étaient  des 
docteurs,  des  membres  du  l>as  clergé  et  «les  moines,  auxquels  on  ac- 


36  BALE 

corda  des  droits  que  nul  autre  concile  ne  leur  avait  jamais  concédés, 
c'est  là  sans  doute  ce  qui  fit  dire  à  iEneas  Sylvius  que  le  droit  de  vote 
fut  donné  à  des  cuisiniers  et  à  des  palefreniers.  Le  concile  fut  constitué 
et  devint  aussitôt  une  puissance  avec  laquelle  le  pape  et  les  cardinaux 
durent  compter.  Aussi  Eugène  eut-il  peur  qu'il  n'entrât  dans  les  erre- 
ments de  son  prédécesseur  de  Constance  et  ne  voulût  réformer  trop 
sérieusement  la  vigne  du  Seigneur;  craignant  son  indépendance  au 
milieu  d'un  peuple  libre,  il  ordonna  son  transfert  à  Bologne.  Mais  il 
n'était  pas  facile  de  faire  accepter  cette  décision  aux  pères  du  concile. 
Il  y  avait  là  beaucoup  d'esprits  indépendants,  membres  du  bas  clergé, 
docteurs  en  théologie  et  en  droit  canon,  tels  que  Nicolas  de  Cusa,  qui 
jouissait  d'une  grande  autorité  dans  toute  l'Europe.  Le  cardinal  Julien 
fut  du  reste  le  premier  à  s'opposer  au  pape,  auquel  il  adressa  une 
longue  lettre  qui  caractérise  bien  la  situation  et  l'état  des  esprits  : 
«Que  diront  les  hérétiques,  écrit-il  entre  autres,  si  le  concile  est 
dissous?  L'Eglise  n'avouera-t-elle  pas  ainsi  qu'elle  est  vaincue,  qu'elle 
n'a  pas  osé  attendre  ceux  qu'elle  a  cités  (les  hussites)?  Quelle  honte 
pour  la  foi  chrétienne!  On  dira  :  Les  armées  ont  succombé;  mainte- 
nant l'Eglise  aussi  lâche  pied;  les  hussites  ne  peuvent  donc  être  vaincus 
ni  par  les  armes,  ni  par  des  raisons.  Qu'en  dira  le  monde?  Que  le 
clergé  est  incorrigible  et  ne  veut  pas  sortir  de  sa  crasse...  On  dira  que 
nous  nous  jouons  de  Dieu  et  des  hommes,  et  les  laïques  auront  raison 
de  nous  courir  sus.  Ils  croiront  offrir  à  Dieu  un  sacrilice  agréable  en 
tuant  et  dépouillant  les  prêtres.  Et  quel  honneur  en  retirera  la  curie 
romaine?  Toute  la  faute,  toute  la  haine  et  toute  la  honte  retomberont 
sur  elle.  C'est  à  vous,  ô  Saint-Père,  que  tout  le  sang  versé  sera  rede- 
mandé ;  vous  aurez  à  rendre  compte  de  tout,  et  que  pourrez-vous 
répondre  ?  On  dira  :  Nous  avons  été  trompés  à  Sienne  et  nous  le 
sommes  encore  ici.  Chaque  jour  les  abus  du  clergé  occasionnent  de 
nouveaux  scandales,  et  l'on  renvoie  à  plus  tard  le  remède  au  mal  !...  » 
Le  cardinal  supplia  donc  le  pape  de  revenir  sur  sa  décision  ;  l'empe- 
reur Sigismond  fit  des  démarches  dans  le  même  sens.  Quant  au 
concile,  il  ne  semblait  aucunement  disposé  à  se  laisser  dissoudre  ;  bien 
au  contraire,  le  14  février  1432,  il  se  déclara  le  continuateur  du  concile 
de  Constance,  c'est-à-dire  un  concile  œcuménique,  représentant  l'Eglise 
universelle,  tenant  son  pouvoir  de  Dieu  même,  placé  au-dessus  du  pape 
et  ne  pouvant  être  dissous  que  de  sa  libre  volonté.  Comme  dans  ce 
même  temps  des  troubles  à  Rome  donnaient  de  l'inquiétude  au  pape, 
celui-ci  dut  enfin  céder.  Il  se  réconcilia  avec  l'assemblée  (oct.  1433) 
et  ses  légats  eurent  la  présidence  du  concile.  L'assemblée  avait  été 
placée  sous  la  protection  du  conseil  de  la  ville  de  Bàle,  qui  était 
chargé  de  la  police  des  séances.  Le  concile  se  subdivisa  en  quatre 
députai  ions  dont  les  membres  étaient  pris  dans  tous  les  rangs  de  la 
hiérarchie  ;  la  première  fut  chargée  des  questions  concernant  la  foi  ; 
la  deuxième  de  la  paix  de  l'Eglise;  la  troisième  de  la  réforme;  la 
quatrième  des  affaires  générales.  Pour  qu'une  décision  fût  valable,  il 
fallait  qu'elle  réunit  l'adhésion  de  trois  des  députations,  et  qu'elle  fût 
ensuite  promulguée  en   assemblée  générale.  Césarini  voulait  surtout 


BALE  37 

travaillera  la  réconciliation  des  hussites  avec  l'Eglise.  Sur  L'invitation 
du  concile,  ceux-ci  envoyèrent  une  députation  à  Bàle.  Procope,  «  la 
terreur  de  la  chrétienté,  »  et  le  savant  théologien  hussite  Jean  Rokyczaria, 
y  tirent  leur  entrée  le  \  janvier  1433,  à  la  tête  de  trois  cents  hommes; 
ils  se  présentèrent  fièrement  et  non  comme  des  hérétiques  repentants. 
Dans    les   conférences   qu'on   eut   avec   eux,    il   fallut   toute  la  dou- 
ceur et  la  dignité  de  Gésarini  pour  empêcher  une  rupture.  On  s'accorda 
entin  sur  un  certain  nombre  d'articles  [compact nia)  par  lesquels  on 
accordait   aux   hussites    leurs   principales  demandes,  entre  autres  la 
Cène  sous  les  deux  espèces.  Pour  tout  le  reste,  les  Bohèmes  devaient 
se  soumettre  à  l'Eglise,  ce  que  les  Taborites  ne  firent  jamais,  de  sorte 
que  les  successeurs  d'Eugène  IV  refusèrent  de  reconnaître  la  conven- 
tion. Malgré  cela,  cette  réconciliation,  si  peu  réelle  qu'elle  fût,  donna 
quelque  prestige  au  concile.  —  On  s'occupa  ensuite  de  la  réforme  de 
l'Eglise  dans  son  chef  et  dans  ses  membres;  les  prélats  et  les  clercs 
censurèrent  tout  ce  qu'il  était  possible  de  censurer;  mais  toutes  les 
décisions  du  concile  trahissaient  la  passion  et   la  haine  de  la   curie 
romaine.  On  abolit  successivement  la  plus  grande  partie  des  réserves, 
les  grâces  expectatives,  les  annates  et  autres  exactions   des  papes; 
la  liberté  des  appels  en  cour  de  Rome  fut  pareillement  circonscrite  : 
c'était  couper  les  vivres  au  pape  dans  un  moment  où  il  avait  besoin  de 
toutes  ses   ressources;  c'était   léser  en  même  temps  les  intérêts   des 
cardinaux  et  de  toute  la  légion  des  fonctionnaires  de  la  curie.  Même 
des  hommes  modérés  comme  Césarini,  qui  voulaient  le  bien  de  l'Eglise, 
mais  sans  trop  amoindrir  le  pape,  sentirent  se  refroidir  leur  sympathie 
pour  le  concile.  Eugène,  profitant  de  ces   dispositions,  transféra  le 
concile,  après  sa  vingt-sixième  séance,  à  Ferrare,  le  18 septembre  1437. 
Il  avait  du  reste  trouvé  un  prétexte  à  ce  transfert;  c'étaient  les  négocia- 
tions avec  l'Eglise  grecque.  Jean  VII  Paléologue,  pressé  par  les  Turcs 
et  ayant  besoin  du  secours   de   l'Eglise   romaine,   s'était   adressé  en 
même  temps  au  pape  et  au  concile  pour  traiter  de  la  réunion  des  deux 
Eglises;  le  pape  et  les  pères  du  concile  se  disputaient  la  gloire  de  ce 
grand  acte.  Il  y  eut  alors  à  Bàle  des  séances  très-orageuses,  surtout 
celles  du   0  et  du  7  mars  1437;  on  criait,  on  vociférait  et   l'on   en 
venait  aux  mains,  lorsque  les  citoyens  de  Bàle  intervinrent  en  armes 
pour  empêcher  au  moins  l'effusion  du  sang.  Pour  avoir  la  majorité, 
chacun  des  deux  partis  s'adjoignit  des  membres  nouveaux,  qui  n'avaient 
aucune  qualité  pour  voter;  les  partisans  de  Rome  l'emportèrent,  mais 
la  minorité  refusa  de  reconnaître  la  légalité  de  cette  décision  et  préten- 
dit imposer  sa  propre  volonté.  Césarini  et  la  plupart  des  prélats  quit- 
tèrent alors  Bàle.  Eugène  IV  transféra  alors  le  concile  de  Ferrare  a 
Florence,  où  il  se  trouvait  lui-même,  depuis  qu'il  avait  été  forcé  par 
le  peuple  de  quitter  Rome.  Dans  ce  concile  il  excommunia  la  «  syna- 
gogue de  Satan  »  réunie  à  Bàle.  Ayant  réussi  à  stipuler  la  réunion  des 
schématiques  avec  Rome,  quoique  cette   réunion   fût   plus   illusoire 
encore  que  celle  des  hussites,  il  en  rejaillit  quelque  honneur  sur  le 
concile  de  Florence.»  Cependant  rassemblée  de  Bàle  ne  s'effraya  point 
de  ces  anathèmes.  Elle  se  réorganisa  sous  la  présidence  du  cardinal 


38  BALE 

Louis  d'Allemand,  archevêque  d'Arles,  un  homme  saint,  d'une  énergie 
indomptable,  et  d'un  amour  passionné  pour  la  liberté;  il  était  en  outre 
animé  d'une  haine  ardente  contre  Rome,  dont  la  rapacité  et  les  intrigues 
le  révoltaient:  sur  les  sièges  des  prélats  absents,  on  plaça  les  reliques 
de  Bâle.  Le  concile  mit  en  accusation  le  pape  et  ses  cardinaux,  et,  le 
25  juin  1439,  Eugène  IV  fut  destitué  comme  simoniaque,  hérétique 
relaps  et  incorrigible  et  perturbateur  de  la  paix. La  France  inclinait 
vers  le  concile  de  Bâle  ;  le  roi  Charles  VII  avait  défendu  à  tous  les 
prélats  d'aller  ou  d'envoyer  à  Ferrare.  En  1438  il  réunit  à  Bourges  un 
concile  national  pour  examiner  l'ensemble  des  canons  du  concile  de 
Bâle,  envoyés  en  France  par  cette  assemblée.  Malgré  les  etforts  des 
légats  romains,  le  concile  gallican  de  Bourges,  d'accord  avec  le  parle- 
ment et  le  conseil  du  roi,  ratifia,  sauf  quelques  modifications  ,  la 
plupart  des  décrets  du  concile,  qfti  furent  promulgués  sous  forme 
d'ordonnance  royale  et  sous  le  titre  de  Pragmatique  Sanction.  La  Prag- 
matique Sanction  fut  accueillie  en  France  avec  le  plus  grand  enthou- 
siasme; elle  consacrait  les  libertés  du  clergé  gallican,  et  le  peuple 
conçut  l'espoir  que  l'or  de  la  France  cesserait  de  s'écouler  vers  Rome. 
La  plupart  des  autres  puissances  de  l'Europe  se  prononcèrent  pour 
Eugène  ;  l'empire  resta  neutre,  ne  voulant  reconnaître  les  décrets  ni 
du  pape  ni  du  concile.  Entraîné  par  le  cardinal  d'Allemand,  le  concile 
poussa  la  lutte  jusqu'aux  dernières  extrémités.  32  électeurs  pris  dans 
son  sein  (11  évêques,  7  abbés,  5  théologiens  et  9  docteurs)  se  consti- 
tuèrent en  conclave  sous  la  présidence  du  cardinal,  et,  après  cinq 
tours  de  scrutin,  ils  élurent  un  nouveau  pape,  le  4  novembre  1439; 
c'était  Amédée  VIII,  duc  de  Savoie,  qui  avait  depuis  peu  abdiqué  en 
faveur  de  son  fils ,  pour  se  retirer  avec  quelques  amis  dans  un  riant 
ermitage,  à  Ripaille,  où  il  parait  avoir  mené  une  vie  plus  épicurienne 
qu'ascétique  :  «  Et  se  faisoient,  dit  Monstrelet,  lui  et  ses  gens,  servir, 
au  lieu  de  racines  et  d'eau  de  fontaine,  du  meilleur  vin  et  des  meil- 
leures viandes  qu'on  pouvait  rencontrer.  »  Amédée  accepta  la  tiare  et 
prit  le  nom  de  Félix  V.  Le  cardinal  d'Allemand  procéda  à  son  couron- 
nement, le  24  juillet  1440,  sur  la  grande  place  de  la  cathédrale,  en 
présence,  dit-on,  de  50,000  spectateurs.  Félix  V  éleva  au  cardinalat 
les  membres  les  plus  influents  du  concile  ;  celui-ci  par  contre  lui  vota 
la  dime,  pour  pourvoir  à  son  entretien  et  à  celui  de  sa  curie.  Mais  la 
France  ne  suivit  pas  le  concile  dans  cette  voie  extrême.  La  deuxième 
assemblée  de  Bourges,  après  avoir  entendu  les  deux  partis  (sept. 1440), 
refusa  d'adhérer  à  la  déposition  d'Eugène  IV  ;  le  roi  et  le  concile  galli- 
can déclarèrent  que  le  concile  de  Bàle  ne  leur  paraissait  plus  «  assez 
certainement  universel  »  pour  procéder  à  une  mesure  aussi  grande  et 
aussi  périlleuse  ;  ils  demandèrent  la  dissolution  des  deux  assemblées 
de  Bàle  et  de  Florence,  et  la  convocation  d'un  nouveau  concile  œcu- 
ménique en  France,  pour  l'année  suivante.  En  attendant,  une  ordon- 
nance royale  du  2  septembre  signifia  que  la  France  ne  reconnaîtrait  pas 
les  suspensions,  dépositions  et  excommunications  fulminées  parles  deux 
partis  l'un  contre  l'autre,  et  qu'elle  entendait  rester  en  paix.  Félix  V  ne 
futreconnn  que  par  la  Savoie,  les  rois  d'Aragon  et  de  Hongrie,  quelques 


BALE  39 

princes  allemands)  les  Suisses  et  la  plupart  des  universités.  Il  n'eut  pas 
pour  Lui  l'opinion  publique,  qui  avait  fait  la  force  des  conciles  précé- 
dents: on  ne  voulait  plus  de  schisme.  L'empire  garda  quelque  temps 
encore  sa  neutralité.  Frédéric  III  ayant  passé  par  Baie,  lors  de  son 
couronnement,  fut  reçu  avec  de  grands  honneurs  par  les  pères  du 
concile;  il  fléchit  le  genou  devant  Félix  V,  mais  ne  lui  baisa  que  la 
main  et  non  le  pied.  Dans  les  diètes  germaniques,  les  cardinaux 
Dommés  par  Félix  étaient  contraints  de  déposer  les  insignes  de  leur  di 
gnité.Mais  l'habile  .Eneas  Sylvius  Piccolomini,  qui  avait  été  l'un  des  se- 
crétaires du  concile,  finit  par  se  rallier  aux  intérêts  de  Rome,  et  réussit 
à  gagner  aussi  l'empire.  Eugène  IV  en  reçut  la  nouvelle  sur  son  lit  de 
mort  (7  7  février  1447).  Le  roi  de  France  envoya  alors  une  ambassade 
à  Félix  V,  pour  le  presser  de  renoncer  à  la  tiare,  moyennant  une  tran- 
saction honorable.  Mais  le  nouveau  pape  de  Rome,  Nicolas  V,  déclara 
Amédée  de  Savoie  et  ses  adhérents  déchus  de  leurs  biens  et  honneurs. 
D'un  autre  côté  Fempereur  contraignit  la  ville  de  Bàle  à  retirer  au 
concile  son  sauf-conduit.  Le  concile,  réduit  par  la  peste,  amoindri  de 
jour  en  jour,  se  transporta  à  Lausanne,  où  résidait  Félix  V.  Cinq  cents 
Bàlois  lui  donnèrent  la  conduite  le  4  juillet  1448.  Le  roi  de  France  fit 
une  nouvelle  tentative  de  conciliation,  en  envoyant  à  Rome  une  bril- 
lante ambassade.  Nicolas  V  se  résigna  alors  à  accorder  à  son  adver- 
saire des  conditions  très-avantageuses.  Félix  V,  de  son  côté,  après  avoir 
rétabli  tous  les  ecclésiastiques  déposés  par  Eugène  IV  et  Nicolas  V, 
révoqué  les  anathèmes  qu'il  avait  lui-même  lancés  contre  ces  deux 
pontifes  et  confirmé  les  actes  de  son  propre  pontiiicat,  déposa  la  tiare. 
Les  pères  du  concile,  fatigués  de  la  lutte,  élurent  Nicolas  V,  et  pronon- 
cèrent,  le  7  mai  1449,1a  dissolution  du  concile.  Ils  n'avaient  pas  réussi 
mieux  que  leurs  devanciers  à  réformer  FEglise. — Mansi,t.XXIX-XXXI, 
Monumenta  concil.  gen.  3,  XV,  t.  1  [Conc.  Bas.  scriptores],  Vien.,  1857; 
JSneae  Sylv.  Comnitr.  de  gestis  Bas.  Conc.  [1439]  ;  Augustini  Patricii 
Summa  Concil.  Basil.  Florentini,  etc.  ;  Lenfant,  Hist.  de  la  guerre  des 
Hussites  et  du  Concile  de  Basle,  Amst.,  1731,  2  vol.;  J.-H.  v.  Wes- 
senberg,  Die  grossen  Kirchenversammlungen  fies  15  u.  16  ten  Jahrh., 
Const.,  1840,  4  vol.  ch.  Pfendée. 

BALE  (Réformation  et  Confession  de).  On  connaît  peu  les  origines  du 
christianisme  à  Bàle;  on  le  fait  remonter  au  temps  des  Romains  et  de 
Auguste  Bauracorum.  C'est  en  616  qu'il  est  fait  mention  pour  la  pre- 
mière fois  d'un  évêque  «  d'Aiigst  et  de  Bàle  »,  du  nom  de  Ragnacaire, 
En  1061,  sous  Fépiscopat  de  Beringer,  il  y  eut  à  Bàle  un  premier  con- 
auquel  prirent  part  un  grand  nombre  d'évêqucs  et  de  princes  al- 
lemands et  lombards.  L'impératrice  Agnès,  mère  et  tutrice  d'Henri  IV, 
avait  convoqué  cette  assemblée  pour  opposer  au  pape  Alexandre  II,  élu 
a  participation,  un  anti-pape  de  son  choix,  Honorius  II.  De  1431 
a  l'i'iK.  Bàle  fut  le  siège  du  troisième  concile  réformateur,  et  c'est  à  la 
suite  de  ce  concile  que  fut  fondée  l'université.  Jusqu'à  ce  moment  Bàle 
ne  s'était  point  distingué  par  la  science,  etavait  été  fort  pauvre  en  pro- 
ductions Littéraires.  Eneas  Sylvius,  qui  avait  longtemps  séjourné  dans 
cette  ville  lors  du  concile,  dépeint  ainsi  les  Bàlois:  «  Ils  vénèrent  beau- 


40  BALE 

coup  d'images,  mais  se  soucient  fort  peu  de  la  science,  et  ne  cherchent 
pas  à  connaître  la  littérature  païenne;  jamais  ils  n'ont  entendu  parler 
de  Cicéron  ou  d'un  autre  orateur,  et  la  poésie  ne  leur  offre  aucun  in- 
térêt; ils  ne  s'occupent  que  de  grammaire  et  de  dialectique  »  (ce  qui 
veut  dire,  sans  doute,  des  connaissances  élémentaires).  C'est  ce  même 
iEneasSylvius  qui,  devenu  le  pape  Pie  II,  donna,  le  12  novembre  1459, 
la  bulle  de  fondation  de  l'université  ;  celle-ci  fut  solennellement  inau- 
gurée dans  le  chœur  de  la  cathédrale  (4  avril  1460)  et  dotée  par  le 
pape  et  le  conseil  de  la  cité  de  tous  les  privilèges  et  franchises  désira- 
bles. En  1482,  .il  y  eut  une  nouvelle  tentative  de  réunir  dans  cette 
ville  un  concile  opposé  au  pape;  elle  fut  faite  par  un  personnage 
énigmatique,  André,  archevêque  de  Krain.  Le  pape  lança  l'interdit 
contre  la  cité  ;  le  conseil  lit  alors  saisir  l'aventureux  prélat,  mais  lors- 
qu'on voulut  lui  faire  son  procès,  on  le  trouva  pendu  dans  sa  prison 
(1484).  —  C'est  en  1501  que  Bâle  entra  dans  la  confédération  helvé- 
tique. La  Réforme  pénétra  et  se  développa  lentement  dans  la  ville  de 
Bâle.  Le  siège  épiscopal  était  alors  occupé  par  un  ami  d'Erasme, 
Christophe  d'Utenheim,  homme  d'un  caractère  évangélique  et  de 
mœurs  irréprochables  ;  sa  devise  était  :  Spes  mea  crux  Christi  :  gratiam 
non  opéra  quxro.  Il  aimait  la  science,  mais  répugnait  à  toute  mesure 
précipitée  et  violente.  Son  coadjuteur  Jean  de  Diesbach  était  animé 
du  même  esprit.  L'université  fut  d'abord  peu  favorable  aux  doctrines 
nouvelles  ;  le  recteur  Romanus  Wonnecker,  professeur  de  médecine, 
se  faisait  fort  de  confondre  à  lui  seul  tout  le  luthéranisme  dans  une 
disputation  publique.  Erasme  prit  vis-à-vis  de  la  réformation  à  Bàle 
la  même  position  que  vis-à-vis  delà  réformation  en  général.  A  Bàle, du 
reste,  la  Réforme  eut,  plus  que  partout  ailleurs  en  Suisse,  un  caractère 
révolutionnaire  et  fut  mêlée  à  un  mouvement  politique.  Les  principaux 
réformateurs  de  Bàle  furent  Jean  OEcolampade,  Wolfgang-Fabricius 
Capiton,  Gaspard  Hédion,  Conrad  Peilican  (voir,  pour  les  détails,  ces 
biographies).  A  la  grande  procession  de  la  Fête-Dieu  (1521),  le  curé  de 
Saint-Alban,  Guillaume  Rôublin,  porta,  au  lieu  de  reliques,  une  Bible 
avec  cette  inscription  :  «  Biblia,  la  seule  vraie  relique  ;  tout  le  reste 
n'est  qu'ossements  de  morts.  »  Obligé  de  quitter  la  ville,  malgré  l'agi- 
tation du  peuple  en  sa  faveur,  Rôublin  se  perdit  dans  l'anabaplisme. 
Il  fut  avantageusement  remplacé  par  Wolfgang  Wyssenburger,  prédi- 
cateur à  l'hôpital.  En  1524,  Farel,  réfugié  à  Bàle,  défendit,  dans  une 
disputation  publique  à  l'université,  treize  thèses  contre  le  jeûne,  le  mé- 
rite des  œuvres,  l'invocation  des  saints,  etc.  «  11  en  résulta  beaucoup  de 
bien,  dit  un  contemporain,  et  la  Parole  de  Dieu  fit  de  grands  progrès.  » 
Le  gouvernement  de  Bàle  ne  s'était  pas  prononcé  pour  la  Réforme; 
mais  le  parti  évangélique  reconnut  un  jour  qu'il  était  en  majo- 
rité dans  la  commune.  En  janvier  1529,  dans  une  assemblée  populaire, 
il  ne  se  trouva  que  800  catholiques  contre  3,000  évangéliques.  On  pro- 
fita de  cette  majorité  pour  changer  la  constitution  et  rendre  leur 
ancienne  autonomie  aux  corporations  ;  elles  reprirent  le  droit  de  faire 
entrer  soixante  membres  dans  le  Grand  Conseil;  les  membres  du 
Petit  Conseil  ne  furent  plus  nommés  que  sur  îa  proposition  du  Grand 


BALE  11 

Conseil.  Aussi  tous  les  catholiques  sortirent-ils  du  Petit  Conseil.  La 
victoire  appartenait  dès  lors  à  la  Réforme; Oïl  chanta  les  psaumes  alle- 
mands et  le  culte  tut  organisé  comme  à  Zurich.  —  La  confession  de  Bàle 
fut  probablement  l'œuvre  de  Myconius,  qui  prit  pour  base  de  son  tra- 
vail la  courte  confession  de  foi  qifQEcolampade  composa,  peu  avant  sa 
mort,  et  intercala  dans  son  discours  d'ouvertureau  synode  de  1531.  La 
confession  de  Haie  fut  publiée  le  21  janvier  1534,  et  envoyée  peu  après 
à  Strasbourg,  c(  pour  montrer  aux  théologiens  de  cette  ville  que  les  Bâ- 
tais n'ont  point  une  communion  sans  Christ.  »  La  première  édition  a 
pour  titre  :  Bekanntnus  vnsers  lieijligenchristlichen  gloubens,  ivie  er  die 
Kylch  zu  Basel  haldt.  On  y  ajouta  des  notes  marginales  latines,  qui  ce- 
pendant disparurent  de  nouveau  à  partir  de  1547.  La  ville  de  Mulhouse 
ayant  aussi  adopté  la  confession  de  Bàle,  celle-ci  fut  parfois  appelée 
eonfessto  mulhusana.  Elle  a  enfin  porté,  tantôt  le  nom  de  première  con- 
fession helvétique,  tantôt  celui  de  deuxième  confession  de  Bûle.  Elle  com- 
prend douze  articles:  1°  de  Dieu  ;  2°  de  l'homme;  3°  delà  Providence  de 
Dieu  (Sorg  (lottes  ûber  uns);  4°  de  Christ,  vrai  Dieu  et  vrai  homme; 
5°  de  l'Eglise;  6°  de  la  Cène  de  Notre-Seigneur  ;  7°  de  la  discipline  (Von 
4em  Brauch  des  Bannes);  8°  de  l'autorité;  9°  de  la  foi  et  des  œuvres; 
10°  du  dernier  jour  ;  11°  de  ce  qui  est  commandement  et  de  ce  qui  ne 
Test  pas  (Von  Gcbott  u.  nicht  Geboit)  ;  12°  contre  Terreur  des  anabap- 
tistes. La  confession  de  Bàle,  insérée  dans  l'agende  de  l'Eglise,  est  ac- 
compagnée de  cette  ordonnance  :  «  Après  le  service  de  préparation  du 
jeudi  saint,  on  lira  du  haut  de  la  chaire  la  confession  de  Bàle.  Dans  la 
campagne  elle  sera  lue  deux  fois,  le  dimanche  avant  la  Pentecôte  et  le 
dimanche  avant  Noël.  »  La  confession  de  Bàle  est  très-courte,  d'une 
rédaction  sobre  et  modérée,  quoique  manquant  souvent  de  précision 
dogmatique.  Dans  l'article  de  la  Cène  elle  nous  semble  se  rapprocher 
de  Zwingle  plutôt  que  de  Calvin.  Il  y  est  dit  que  dans  le  pain  et  le  vin, 
«  le  vrai  corps  et  le  vrai  sang  de  Christ  nous  est  représenté  (fùrgebil- 
det)  et  offert  par  le  ministre.  »  Puis,  après  avoir  affirmé  que  «  Christ 
lui-même  est  la  nourriture  de  l'àme  et  la  vie  éternelle,  et  qu'il  est  pré- 
sent dans  la  Cène  pour  tous  ceux  qui  croient  véritablement,  »  on 
ajoute  :  «  Mais  le  corps  naturel,  vrai  et  essentiel  de  Christ,  qui  est  né  de 
la  Vierge  Marie,  qui  a  souffert  pour  nous  et  est  monté  aux  cieux,  n'est 
point,  selon  nous,  enfermé  dans  le  pain  et  le  vin  du  Seigneur.  Aussi 
n'adorons-nous  point  Christ  dans  ces  signes  du  pain  et  du  vin  (qu'on 
appelle  d'ordinaire  sacrement  du  corps  et  du  sang  de  Christ),  mais  dans 
les  cieux,  à  la  droite  de  Dieu  le  Père,  d'où  il  viendra  pour  juger  les 
vivants  et  les  morts.  »  —  Voyez  Ochs,  Gesch.  der  Stadt  //.  Landschaft 
liasel;  Hagenbach,  Krit.  Gesch.  d.  Entstchung  u.  d.  Schicksale  d.  ersten 
Bouler  Confession,  Basel,  1827;  Ranke,  Deutsche  Gesch.  im  Zeitalter  d. 
Re formation,  vol.  III.  Oh.  Pfendee. 

BALE  (Eglise  française  de).  Par  sa  situation,  son  importance  et  son 
histoire,  Bàle  était  prédestinée,  au  milieu  des  troubles  du  seizième 
siècle,  à  servir  de  lieu  de  retraite  passager  ou  définitif  à  de  nombreux 
persécutés  ;  nous  y  voyons  Farel  en  1524,  Calvin  en  1536,  Pierre 
Humus  en   1568:  Jean  Bauhin,  souche  d'une  lignée  remarquable  de 


42  BALE 

naturalistes  et  de  médecins,  s'y  établit  en  1541,  Castellion  en  1544, 
François  Hotmann  vers  1579  ;  des  réfugiés  italiens  s'y  rencontrent, 
entre  autres  Curione  (1546)  et  la  famille  Socin  (1559),  ainsi  que  des 
exilés  des  Pays-Bas.  L'un  de  ces  derniers,  Marc  Perez,  d'Anvers,  ayant 
dans  sa  manufacture  de  soie  de  nombreux  ouvriers  français,  italiens  et 
espagnols,  demanda  en  1569  la  permission  d'établir  à  Bâle  un  culte 
français,  demande  qui  échoua  devant  l'opposition  d'un  des  pasteurs 
de  la  ville.  La  Saint-Barthélémy  amena  un  nouveau  flot  de  réfugiés 
français,  et  parmi  eux  trois  enfants  de  l'amiral  Coligny,  ainsi  que  sa 
belle-sœur  et  son  neveu;  ces  illustres  proscrits  demandèrent  en  no- 
vembre 1572  la  permission  de  demeurer  à  Bàle  et  d'y  professer  publi- 
quement leur  culte,  ce  qui  leur  fut  accordé.  Après  un  an  de  séjour, 
cette  intéressante  famille  quitta  la  ville,  mais  l'Eglise  fondée  par  elle 
subsista;  en  1574,  Henri  de  Condé,  le  chef  général  des  réformés  de 
France  depuis  la  mort  de  Coligny,  vint  résider  pendant  un  an  à  Bâle 
avec  une  nombreuse  suite  et  se  joignit  naturellement  à  la  nouvelle 
Eglise.  Telles  sont  les  origines  de  la  plus  ancienne  des  Eglises  du  refuge 
en  Suisse  ;  ce  ne  fut  pas  sans  difficultés  d'abord  qu'elle  continua  à 
exister,  les  pasteurs  de  la  ville  surveillant  d'un  œil  craintif  cette  con- 
grégation étrangère.  Cependant  les  mesures  vexatoires  ne  durèrent 
pas;  dès  1588  la  cène,  les  baptêmes  et  les  mariages  purent  être  célébrés 
au  culte  français;  la  même  année,  à  la  demande  des  magistrats,  l'uni- 
versité cédait  pour  ce  culte  une  salle  de  collège,  la  maison  particulière 
(chez  une  réfugiée  du  nom  de  Faulny)  qui  avait  abrité  jusque-là  la 
congrégation,  n'étant  plus  disponible.  En  1591  l'Eglise  comptait  300 
membres,  augmentés  les  jours  de  fête  surtout  de  nombreux  réfugiés  des 
environs  et  du  pays  de  Montbéliard,  ce  qui  rendit  bientôt  le  nouveau 
local  tout  à  fait  insuffisant  ;  aussi  les  magistrats  accordèrent-ils  en  1614 
le  temple  des  dominicains,  sans  emploi  depuis  la  Béformation,  temple 
qui  réunit  l'Eglise  française  jusqu'en  1868  où  elle  fit  construire  un  lieu 
de  culte  spécial.  Le  dix-septième  siècle  amena  constamment  de  nou- 
velles recrues  à  l'Eglise  par  les  émigrations  des  Grisons,  de  l'Italie, 
des  vallées  vaudoises  et  surtout  de  la  France  ;  la  révocation  de  l'édit  de 
Nantes  (1685)  ht  affluer  à  Bàle  plus  de  2,500  réfugiés,  mais  dont  un  bon 
nombre  passèrent  en  d'autres  pays  ;  il  en  resta  cependant  suffisamment, 
malgré  quelques  difficultés  qui  leur  furent  faites  dans  les  commence- 
ments de  leur  établissement,  pour  que  Bàle  soit  de  toutes  les  villes  de 
la  Suisse  allemande  celle  qui  compte  parmi  ses  bourgeois  la  plus  forte 
proportion  de  réfugiés.  Dans  l'origine,  les  membres  de  l'Eglise  se 
cotisaient  pour  subvenir  à  l'entretien  des  pasteurs;  en  1688,  ces  cotisa- 
tions cessèrent,  les  revenus  des  legs  et  dons  faits  pour  l'Eglise  à  partir 
de  1592,  et  fort  augmentés  depuis,  étant  désormais  suffisants.  Notons 
aussi  que  l'État  de  Bàle  assista  l'Eglise  française  à  partir  du  dix-huitième 
siècle  en  faisant  un  supplément  de  traitement  à  ses  pasteurs,  comme 
aussi  en  lui  venant  en  aide  pour  des  dépenses  exceptionnelles.  Quant 
à  son  organisation,  l'Eglise  se  rattachait  aux  Eglises  réformées  de 
France,  dont  elle  avait  adopté  la  confession  de  foi  et  la  discipline  ;  sa 
constitution  était  presbytérienne  ;  le  consistoire,  composé  des  pasteurs, 


BALE  43 

des  anciens,  et,  pendant  1111  temps,  <le  diacres,  administrait  L'Eglise 
dès  1588.  Dans  le  commencement,  les  pères  de  famille  choisissaient 
leurs  pasteurs  ;  un  peu  pins  tard,  l'élection  fut  remise  au  consistoire. 
ei  les  pères  de  famille  étaient  appelés  à  la  confirmer  ;  en  1682  le 
sénat  décida  que  désormais  les  pasteurs  seraient  nommés  par  un  corps 
nouveau  et  spécial,  le  grand  consistoire,  composé,  outre  le  consistoire 
de  l'Eglise  française,  de  Vantâtes  ou  premier  pasteur  de  la  ville  et  des 
quatre  scholarques;  ce  mode  d'élection  a  subsisté  avec  quelques  modi- 
fications jusqu'à  nos  jours.  Le  premier  pasteur  dont  nous  trouvions  le 
nom  mentionné  (en  1577)  est  Virel  ;  dans  la  suite  il  y  eut  ordinaire- 
ment deux  pasteurs,  ce  qui  devint  la  règle  générale  à  la  lin  du  dix-septième 
siècle  ;  les  plus  connus  parmi  les  pasteurs  furent  :  Jacque:.  Gouet,  de 
Paris,  mort  en  1608;  Daniel  Toussaint,  de  Montbéliard  (1630-1647); 
Jean  de  La  Fave,  du  Vivarais  (1661-1675)  ;  Jean  de  Tournes,  de  Genève 
(1672-1699);  Paul  Reboulet,  de  Privas  (1699-1710);  Jean-Rod.  Oster- 
vald,  fils  du  traducteur  de  la  Bible,  de  Neuchàtel  (1710-1759)  ;  Pierre 
Roques,  du  Languedoc  (1710-1748)  ;  Alex. -Ces.  Chavannes,  de  Vevey 
(1759-1763);  Philippe-Cyriaque  Bridel,  appelé  dans  la  suite  le  doyen 
Bride!  (1786-1796);  Frédéric  Mestrezat,  de  Genève  (1795-1803)  ;  Jean- 
Louis  Bridel  (1803-1808),  etc.  Quant  aux  anciens,  au  nombre  de  six  ou 
sept,  ils  étaient  d'abord  nommés  à  vie  par  le  consistoire;  à  partir  de 
172ri  ils  lurent  élus  par  le  sort,  enfui  depuis  1853  les  anciens  sont 
nommés  pour  six  ans  par  l'autorité  ecclésiastique  de  Bàle  sur  une 
double  présentation  du  consistoire.  La  charge  d'ancien  a  été  remplie 
par  des  hommes  appartenant  souvent  aux  premières  familles  de  la 
ville,  et  dont  plusieurs  ont  acquis  un  nom  illustre  dans  les  lettres,  les 
sciences  ou  la  magistrature,  tels  que  les  Battier,  les  Sarasin,  les  Rail- 
lard,  les  Passavant,  les  Bernouilli,  les  Werenfels,  les  Christ,  les  Frey, 
les  Bourcard,  les  Legrand,  etc.  Les  descendants  des  réfugiés  se  sont 
assez  promptement  fondus  dans  la  population  bàloise,  plus  prompte- 
ment  même  que  dans  le  reste  de  la  Suisse  ;  il  en  résulte  qu'actuelle- 
ment l'Eglise  française  de  Bàle  ne  compte  plus  qu'un  très-petit  nombre 
de  familles  du  refuge  ;  elle  s'est  recrutée  par  contre  de  bien  des 
familles  bàloises,  comme  aussi  de  Français  et  de  Suisses  français  établis 
plus  récemment.  —  Sources  :  les  archives  de  l'Eglise  française  de  Bàle, 
contenant  entre  autres  deux  essais  d'histoire  de  cette  Eglise,  l'un  de 
Pierre  Roques,  l'autre  d'Ostervald  et  de  A. -H.  Petitpierre;  Die  fran- 
ichen  Religions  fl'Ochtlinge  in  Basel,  von  L.-A.  Burckhardt,  dans  les 
Beitrxge  zur  vaterlaendischen  Geschickte,  Basel,  1860,  VII,  p.  301-333; 
Bulletin  de  In  Soc.  de  l'hist.  du  protest,  franc.,  XII  ss.,  1863,  p.  264; 
Histoire  de  l'Egl.  franc,  de  Bâle,  par  L.  Junod  ;  dans  le  Chrétien  évwtv- 
g  clique  )  mars-juin  1868  ;  Gesch.  der  eoangel.  Flù.clitlinge  in  der  Schweiz, 
von  J.-C.  Rfœrikofer,  Leipz.,  1876.  a.  bernus. 

BALE  Statistique  religieuse).  Population  (1870)  :  Bàle  ville,  'a7,760  : 
protestants,  34,457;  catholiques,  12,301;  sectes  chrétiennes,  196;  Is- 
raélites, 506.  Bâle  campagne,  o'j-,127  :  protestants,  4&,523;  catholi- 
ques, 10,245;  sectes  chrétiennes,  228;  israélites,  131.  —  Dispositions 
constitutionnelles  :  1"  Bâle  ville  (8  avril  1847)  :  Art.  16.  La  religion  de 


44  BALE  —  BALGUY 

l'État  est  la  religion  évangélique  réformée;  l'exercice  de  tout  autre 
culte  chrétien  est  garanti  en  se  conformant  à  la  loi.  L'abjuration  d'un 
culte  chrétien  et  la  profession  d'un  autre  culte  chrétien  et  les  mariages 
mixtes  n'entrainent  aucune  restriction  dans  les  droits  politiques  ou 
communaux  (la  Constitution  fédérale  accorde  les  mêmes  droits  aux 
cultes  non  chrétiens).  2°  Bàle  campagne  (25  décembre  1850)  :  Art.  11. 
La  liberté  de  croyance  est  inviolable.  Les  droits  de  l'Eglise  évangélique 
réformée  et  de  l'Eglise  romaine  catholique ,  actuellement  existantes 
dans  les  communes  qui  en  font  profession,  sont  garantis,  et  les  minis- 
tres de  ces  deux  cultes  sont  seuls  salariés.  —  Organisation.  Bàle  ville  : 
L'autorité  suprême  de  l'Eglise  réformée  bâloise  est  le  conseil  d'Eglise 
(Kirchenrath,  jusqu'en  1834  Kirchenconvent),  composé  de  Vantâtes, 
premier  pasteur  de  la  cathédrale,  président  de  droit,  de  2  conseillers 
d'Etat,  de  2  professeurs  de  théologie,  de  3  membres  laïques  et  de 
3  pasteurs.  Tous  les  membres,  à  l'exception  de  Y  autistes,  sont  nom- 
més pour  six  ans  et  se  renouvellent  par  moitié  tous  les  trois  ans.  Le 
clergé  bàlois  se  compose  de  23  membres  ainsi  répartis  :  4  paroisses  ur- 
baines :  1°  la  cathédrale  avec  Vantâtes,  premier  pasieur,  l'archidiacre 
et  quatre  pasteurs  adjoints,  qui  desservent  en  même  temps  les  annexes 
de  Saint-Martin,  Saint- Alban,  Sainte-Elisabeth  et  Saint -Jacques; 
2°  Saint-Pierre,  et  3°  Saint-Léonard,  avec  chacune  un  pasteur  et  2  ad- 
joints; 4°  Saint-Théodore,  un  pasteur  et  3  adjoints.  Les  deux  paroisses 
rurales  de  Riehen  et  de  Petit-Huningue  ont  chacune  leur  pasteur.  Trois 
aumôniers  desservent  les  prisons,  l'hôpital  et  l'orphelinat.  L'Eglise 
française  a  2  pasteurs ,  mais  le  clergé  bàlois  est  beaucoup  plus  nom- 
breux. 11  comptait  en  outre,  en  1872,  3  pasteurs  retirés,  13  ministres 
remplissant  des  fonctions  scolaires ,  44  pasteurs  en  fonctions  hors  du 
canton  et  21  ministres  sans  fonctions.  Il  y  a  à  Bàle  une  Faculté  de  théo- 
logie avec  5  professeurs,  3  agrégés  et  (été  de  1876)  50  étudiants.  Bàle 
est  le  siège  d'un  grand  nombre  de  sociétés  religieuses,  dont  les  plus 
importantes  sont  :  la  Société  biblique  (1804),  la  Société  des  Missions 
(1816),  l'Association  des  Amis  d'Israël  (1820),  l'Etablissement  mission- 
naire de  Chrischona  (1839),  etc.  Les  catholiques  du  canton  dépendent 
de  l'évêché  de  Bàle,  dont  le  titulaire  réside  à  Soleure  depuis  la  Refor- 
matée. Une  communauté  morave,  quelques  anabaptistes,  baptiste?, 
darbystes  et  irvingiens  représentent  à  Bàle  les  sectes  chrétiennes.  — 
Bàle  campagne.  Eglise  réformée  :  30  paroisses  avec  33  pasteurs  et  auxi- 
liaires (1876).  Autorités  centrales  :  le  directeur  des  cultes  et  de  l'ins- 
truction publique  ;  la  commission  d'examen  des  pasteurs  et  les  con- 
seils paroissiaux.  Les  catholiques  sont  répartis  dans  10  paroisses,  qui 
font  partie  du  diocèse  de  Bàle- Soleure.  —  Bibliographie  :  G.  Finsler, 
Kirchliche  Statistik  der  réf.  Schiveiz,  1856;  Almanach  de  Gotha,  1877; 
Verzeîchniss  der  Behœrden  und  Beamten  des  Kantons  Basel-Stadt,  1872  ; 
Kalender  fur  Basel-Land,  1876.  E.  Vauchee. 

BALGUY  (Jean),  théologien  anglais,  né  en  1686  à  Shefheld,  dans 
le  comté  d'York,  mort  en  1748.  Les  divers  écrits  qu'il  a  publiés,  et  qui 
traitent  surtout  d'apologétique  chrétienne,  se  distinguent  par  un  esprit 
libéral.    C'est  à   la  raison  qu'il  en  appelle  le  plus  souvent  dans  ses 


BALGUY  —  BALLANCHE:  45 

discussions  religieuses,  et  il  essaye  de  prouver  que  la  révélation  chré- 
tienne ne  renferme  rien  qui  lui  soit  contraire.  En  17()0,  il  fit  paraître 
une  Lettre  à  itn  déiste  sur  la  beauté  et  l'excellence  des  vertus  morales, 
et  r appui  qu'elles  trouvent  dans  la  révélation  chrétienne.  En  1728,  il 
donna  un  traité  intitulé  :  le  Fondement  de  la  bonté  morale,  ou  Recherche 
approfondie  de  l'origine  de  nos  idées  sur  la  vertu,  et,  en  1730,  des 
Recherches  sur  les  perfections  morales  de  Dieu,  particulièrement  en  ce  gui 
est  relatif  à  la  création  et  à  la  Providence.  Balguy  fut  aussi  un  prédica- 
teur estimé,  et  ses  deux  volumes  de  Sermons  sur  différents  sujets  ont  en 
Angleterre  une  certaine  réputation.  Malgré  ses  talents,  il  dut  se  con- 
tenter de  l'humble  poste  de  vicaire  à  North-Allerton,  dans  le  comté 
d'York.  11  tut  trop  indépendant  de  caractère  pourarriverà  une  position 
plus  éminente.  Citons  aussi  de  lui  un  estimable  Essai  sur  la  Rédemption, 
paru  en  1741. 

BALLANCHE  (Pierre-Simon)  [1776  1847],  écrivain  estimé  sous  la 
Restauration  et  philosophe  mystique,  s'est  surtout  attaché,  comme 
L'auteur  des  Idées,  Herder,  en  Allemagne,  et  comme  Yico,  en  Italie, 
dans  sa  Science  nouvelle,  à  l'étude  de  la  philosophie  de  l'histoire. 
Une  longue  maladie  qu'il  eut  dans  sa  jeunesse,  à  Lyod,  sa  ville  natale, 
ne  lit  que  développer  en  lui  cette  disposition  naturelle  au  mysticisme 
qu'on  trouve  déjà  dans  son  premier  livre  :  Du  sentiment  dans  ses 
rapports  avec  la  littérature,  publié  en  1802,  et  dans  ses  Fragments 
1 1806).  Mais  ce  ne  fut  qu'en  1814,  après  avoir  fixé  sa  demeure  à  Paris, 
suivant  le  conseil  de  M,m>  Récamier,  qu'il  trouva  réellement  sa  philoso- 
phie, exposée  bientôt  après  dans  Y  Essai  sur  les  Institutions  (1818),  et 
surtout  dans  le  plus  important  de  ses  ouvrages,  la  Palingénésie  sociale 
(1830).  Charles  Bonnet  avait  déjà  écrit  la  Palingénésie  philosophique 
pour  montrer  comment,  dès  le  temps  même  de  son  existence  passagère, 
l'être  mortel  peut  manifester  en  lui  l'être  immortel.  Ce  qu'on  avait  es- 
sayé ainsi  pour  l'homme  individuel,  Ballanche  le  tente  à  son  tour  pour 
l'homme  collectif.  11  part  de  l'hypothèse  d'une  révélation  primitive. 
Les  idées  préexistaient  en  Dieu,  comme  le  veut  Platon,  et  le  monde 
existait  dans  sa  pensée,  non  manifesté.  Pour  le  manifester,  il  a  parlé, 
et  aussitôt  l'essence  ayant  revêtu  le  temps,  l'espace,  la  forme,  le  monde 
idéal  est  devenu  le  monde  plastique,  et  l'intelligence  humaine  un  reflet 
affaibli  de  l'intelligence  divine.  Pour  comprendre  le  développement 
historique  de  l'homme  collectif,  l'humanité,  il  n'y  aura  donc  qu'à 
bien  connaître  le  développement  moral  de  l'homme  individuel.  Il  y  a 
trois  époques  dans  le  développement  intellectuel  de  l'homme  :  1°  l'in- 
dividu, apparaissant  dans  la  société,  en  reçoit  le  langage;  2°  il  agit 
sur  le  fonds  commun  ;  3°  il  se  l'approprie  et  devient  un  être  moral  et 
intelligent.  Et  la  société  de  même  traverse  trois  périodes  :  dans  la 
première,  elle  a  une  poésie,  une  religion  :  dans  la  seconde,  elle  prend 
couleur  déraison  ;  dans  la  troisième,  elle  se  fait  estimer  par  la  science. 
11  n'y  a  pas  séparation,  œuvre  et  but  différents  entre  les  hommes 
des  diverses  époques,  mais  l'unité  et  l'homogénéité  sont' évidentes  dans 
le  genre  humain.  Mais  comment,  avec  ces  données,  expliquer  le  mal 
qui  es!  dans  le  monde?  Par  la  déchéance  de  l'homme.  Dieu  voulut  que 


46  BALLANCHE  —  BALLERINI. 

les  destinées  humaines  tussent  une  suite  d'initiations  mystérieuses  et 
pénibles,  pour  qu'elles  fussent  méritoires  comme  foi  et  comme  labeur. 
Ainsi  il  y  a  eu  chute  de  l'homme  et  par  suite  expiation  nécessaire.  Seu- 
lement cette  déchéance,  cause  des  épreuves  successives  par  lesquelles 
passent  l'homme  et  l'humanité,  n'a  été  qu'un  mal  passager;  en  effet, 
du  moment  où  elle  s'est  produite  date  pour  eux.  la  conquête  de  la 
conscience  et  de  la  liberté.  Chaque  partie  de  la  Palingénésie  sociale  est 
destinée  à  prouver  l'une  de  ces  affirmations.  Orphée,  c'est  la  déchéance. 
Dans  la  Formule  générale  de  l'Histoire  de  tous  les  peuples  appliquée  à 
C histoire  du  peuple  romain,  l'humanité  subit  l'épreuve,  et  l'initiation 
pénible  s'incarne  dans  la  lutte  du  plébéianisme  et  du  patriciat.  La 
Ville  des  expiations  nous  mène  aux  temps  modernes  où  l'homme  est 
enfin  réhabilité.  Ainsi  la  substance  intelligente  doit  finir  nécessaire- 
ment par  être  bonne,  mais  d'une  bonté  acquise,  la  chrysalide  humaine 
n'ayant  pas  reçu,  mais  s'étant  donné  à  elle-même,  les  ailes  brillantes 
sur  lesquelles  elle  doit  s'élever,  de  région  en  région,  jusqu'au  séjour 
de  l'immutabilité  et  de  la  gloire  éternelle.  Le  style  de  Ballanche  est 
pur  et  harmonieux,  l'écrivain  allie  sans  peine  la  profondeur  à  la  grâce, 
et  cependant  il  est  souvent  obscur,  parce  qu'il  divise  mal  ses  ouvrages 
faits  de  fragments  qui  ne  sont  rattachés  les  uns  aux  autres  que  par  des 
analogies  secrètes,  trop  difficiles  à  saisir,  et  parce  qu'il  abuse  du 
symbolisme,  remontant  toujours  jusqu'à  l'antiquité  reculée,  jusqu'à 
Orphée,  jusqu'aux  Romains,  quand  il  veut  passer  à  l'application  après 
avoir  exposé  ses  principes.  C'est  un  simple  épisode  détaché  de  la  Ville 
des  expiations,  la  vision  d'Hébal,  qui  donne  la  plus  exacte  idée  de  sa 
doctrine.  Au  point  de  vue  philosophique,  quand  paraît  la  Palingénésie, 
Y école  sensualiste  reproche  à  Ballanche  de  poser  toujours,  à  la  place 
de  principes  évidents,  des  croyances  traditionnelles,  et  le  renvoie  à 
l'école  théologique;  celle-ci,  à  son  tour,  l'école  des  de  Maistre,  de 
Bonald,  cl'Eckstein,  de  Lamennais,  le  repousse,  ne  le  trouvant  pas 
assez  hardi  dans  l'affirmation,  et  c'est  dans  son  sein  qu'il  rencontre 
les  moins  indulgents  de  ses  critiques  et  les  plus  dédaigneux  de  ses 
adversaires.  Mais  ce  qui  provoque  leur  blâme,  est  à  nos  yeux  ce 
qu'il  faut  louer  le  plus  chez  l'écrivain.  Il  aime  l'état  présent  et  il  aspire 
à  l'améliorer  au  lieu  de  le  haïr  et  de  le  combattre,  à  leur  exemple. 
Aussi  est-il  l'esté  sous  la  Restauration  le  théoricien  écouté,  non  du 
parti  ultramontain,  mais  des  jeunes  légitimistes.  A  sa  mort,  selon  le 
vœu  qu'il  avait  exprimé,  il  a  été  déposé  le  premier  dans  le  caveau 
qui  devait  bientôt  recevoir  Mme  Récamier,  sa  fidèle  amie.  —  Voyez 
Damiron,  Essai  sur  l'Histoire  de  la  philosophie  en  France  au  XI Xe siècle, 
Paris,  1834  ;  Sainte-Beuve,  Portraits  contemporains,  I;  d'Eckstein,  le 
Catholique,  1828,  février;  Chateaubriand,  Etudes;  de  Loménie,  Ga- 
lerie des  contempor.  Musses  ;  J.-J.  Ampère,  Ballanche,  P.,  1848. 

Jules  Arboux'. 

BALLERINI  (Pierre  et  son  frère  Jérôme),  prêtres,  de  Vérone.  Elevés 
chez  les  jésuites  au  commencement  du  dix-huitième  siècle,  ils  tra- 
vaillèrent en  commun  aux  éditions  savantes  qui  portent  leur  nom. 
Ce  sont  :  les  Œuvres  du  cardinal  Noris  (Vérone,  1732,  4  vol.  in-fol.), 


BALLERINI  —  BALSAMON  Al 

dont  Jérôme  lit  seul  les  trois  premiers  volumes;  tes  Œuvres  de  J.-M. 
Gibert,  évêque  de  Vérone  (in-4°)  ;  les  Sermons  de  S.  Zenon,  évêque 
de  la  même  ville  au  quatrième  sièele  (1739,  in-4°)  ;  la  Somme 
théologique  de  S.  Antonin  de  Florence  (4740-4^  2  vol.  in-fol.),  et  La 
Somme  de  S,  Raymond  de  Pennafort  (i 744,  in-fol.).  Les  deux  frères 
donnèrent,  à  la  requête  du  pape,  une  édition  des  Œuvres  de  S.  Léon. 
(Venise,  1755-56,  2  vol.  in-fol.)  destinée  à  remplacer  celle  de  Quesncl 
condamnée  par  le  saint-siége.  On  doit  à  Pierre  un  traité  sur  la  Méthode 
d'étudier,  tirée  de  S.  Augustin,  traduit  de  l'italien  en  français  par  F  abbé 
Nicolle  (Paris.  1760,  in-12).  Ses  nombreux  écrits  contre  l'usure  et  la 
querelle  sur  le  probabilisme  dont  il  fut  l'historien  et  le  défenseur, 
L'engagèrent  dans  une  vive  polémique  qui  ne  put  heureusement  le  dis- 
traire de  ses  études  d'érudit. 

BALMES  (Jaime),  né  à  Vich  (Catalogne)  le  28  août  1810,  fit  ses  pre- 
mières études  au  séminaire  de  cette  petite  ville,  puis  il  se  rendit  à  l'u- 
niversité de  Cervera,  où  il  reçut  en  1833  le  titre  de  docteur.  Balmes 
débuta  en  1840  dans  sa  carrière  de  publiciste  par  l'ouvrage  qui  porte 
Le  titre  de  Observaciones  sociales,  polit icas  y  economicas  sobre  los  bienes 
del  clero.  Deux  ans  plus  tard  parut  le  livre  qui  l'a  rendu  célèbre  :  El. 
protestantismo  comparado  con  el  catolicismo,  en  sus  relaciones  con  lacivi- 
Hzacion  europea.  Il  n'est  pas  nécessaire  de  lire  beaucoup  de  pages  de 
cette  œuvre  de  polémique  pour  voir  que  l'auteur  s'adresse  à  un  public 
qui  ne  connaît  le  protestantisme  que  d'ouï  dire  et  qui  n'a  jamais  eu 
l'occasion  d'expérimenter  la  valeur  de  cette  doctrine  au  point  de  vue  re- 
Ligieux,  moral  et  intellectuel.  Les  arguments  philosophiques  ou  histori- 
ques employés  par  Balmes  pour  démontrer  la  supériorité  du  catholi- 
cisme  dans  i'ceuvrede  la  civilisation  sont  très-faibles  et  portent  presque 
tous  à  faux.  Il  a  été  plus  heureux  dans  ses  attaques  contre  certains 
dogmes  des  premiers  réformateurs.  Malgré  ses  faiblesses  et  ses  défauts, 
ce  livre  mérite  d'être  lu,  surtout  à  cause  de  la  très-grande  influence 
qu'il  a  exercée  en  Espagne.  Le  parti  de  l'unité  religieuse  y  trouve  de 
nombreuses  armes  pour  la  défense  de  son  principe, , et  le  parti  libéral, 
trop  peu  religieux  pour  vouloir  substituer  au  catholicisme  une  autre 
religion  positive  et  trop  ignorant  pour  pouvoir  apprécier  l'influence  du 
protestantisme  sur  la  civilisation  européenne,  en  accepte  sans  protesta- 
tion les  conclusions  relativement  modérées.  Balmes  se  mêla  vers  la 
même  époque  à  la  politique  militante,  en  conseillant  dans  plusieurs  ar- 
ticles du  journal  El  pensamiente  de  la  nacion  le  mariage  d'Isabelle  de 
Bourbon  avec  le  comte  de  Montemolin.  Ses  autres  ouvrages,  El  crite- 
rio  (1845),  Cartas  a  un  escéptico  en  materias  de  religion  (1845)  et  deux 
manuels  de  philosophie,  quoique  très-lus  et  estimés  en  Espagne,  n'ont 
qu'une  médiocre  importance.  Balmes  est  mort  le  9  juillet  1848. 

Morel-Fatio. 

BALSAMON  (Théodore),  né  à  Constantinople  vers  le  milieu  du  dou- 
zième siècle,  mort-  probablement  en  1204,  fut  diacre,  chancelier 
(vojjlcçuXoÇ) -et  archiviste  (xapro^uXo^)  du  patriarcat  de  Constantinople. 
Vers  L'année  1190  il  fut  créé  patriarche  d'Antioche,  après  ta  mort  du 
patriarche  Jean;  mais  les  croisés,  maîtres  d'Antioche.  y  ayant  établi 


48  BALSAMON  —  BALUZE 

un  patriarche,  ainsi  qu'à  Jérusalem,  Balsamon  ne  put  prendre  posses- 
sion de  son  siège.  C'était  un  homme  savant  et  très-versé  dans  la  science 
des  lois.  Il  écrivit  des  réponses  aux  questions  à  lui  posées  par  Marc, 
patriarche  d'Alexandrie  (chez  Leunclavius,  Jus  graeco-romanum,  t.  I, 
p.  442-478),  ainsi  qu'un  Commentaire  sur  le  Nomokanon  et  le  Syntagma 
de  Photius,  d'après  l'ordre  de  l'empereur  Manuel  Comnène.  Dans 
ces  écrits  il  réfute  entre  autres  les  nouveautés  de  l'Eglise  latine.  Le 
Commentaire  sur  le  Nomokanon  fut  imprimé  en  grec  et  en  latin,  à 
Paris,  1615,  in-4°  ;  puis  en  1661,  dans  la  Bibliàtheca  jur.  can.  vet. 
de  Vœllus  et  Jristellus,  t.  II,  p.  789.  Le  Commentaire  sur  le  Syntagma 
se  trouve  dans  le  Synodicon  de  Beveregius,  t.  I.  On  attribuait  long- 
temps à  Balsamon  une  Collectio  canon,  eccles.  en  trois  livres  (Juste!. 
etVœl.,  Biblioth.  jur.  canon,  vet.,  t.  II,  p.  1217),  mais  il  est  certain 
maintenant  que  cet  écrit  est  beaucoup   plus  ancien. 

BALTHASAR  [Bélchàçar,  BaATasap],  dernier  roi  de  Babylonede  la 
race  des  Chaldéens,  connu  aussi  sous  les  noms  de  Nabonnède  (Bérose), 
de  Nabonadius  (Ptolémée),  de  Nabonnidoque  (Mégasthènes),  de  Laby- 
nète  (Hérodote),  de  Naboandel  (Josèphe).  Il  fut  tué,  dans  la  dix-septième 
année  de  son  règne,  lors  de  la  prise  de  Babylone  par  Cyrus,  au  milieu  des 
débauches  d'une  fête  qu'il  donnait  à  sa  cour,  et  dans  laquelle  il  s'était 
servi  des  vases  d'or  et  d'argent  que  son  aïeul  avait  enlevés  du  temple 
de  Jérusalem.  Le  prophète  Daniel  raconte  les  détails  épouvantables 
de  sa  mort  (V,  1,  30;  VII,  1  ss.;  cf.  Hérod.  I,  191;  Xénoph.,  Cyrop.y 
VI,  5,  15  ss.  ;  Esaïe  XXI,  5  ss.  ;  XIII,  14  ss.). 

BALTUS  (Jean-François),  né  à  Metz  en  1667,  mort  à  Reims  en  1743, 
entra  dans  la  Société  de  Jésus  dès  l'âge  de  quinze  ans  et  se  distingua  dans 
les  divers  travaux  littéraires  et  théologiques  de  son  ordre.  Le  premier 
et  le  plus  connu  de  ses  ouvrages  est  sa  Réponse  à  V histoire  des  Oracles, 
de  Fontenelle  (Strasb.,  1707,  in-8°).  L'académicien  ne  voulait  voir  dans 
les  oracles  antiques  que  l'eliet  de  pieuses  fourberies;  Baltus  maintint 
que  l'intervention  du  démon  s'y  était  souvent  exercée.  L'érudition 
qu'il  étale  dans  cet  ouvrage  n'était  pas,  dit-on,  toute  à  lui;  il  y  joignit 
en  tout  cas  un  tel  emportement  que,  soit  prudence,  soit  dédain,  Fonte- 
nelle trouva  plus  à  propos  «que  le  diable  passât  pour  prophète  »  que  de 
se  mesurer  avec  son  contradicteur.  Baltus  s'appliqua  ensuite,  dans  sa 
Défense  des  saints  Peines  accusés  de  platonisme  (Paris,  1711,  in-4u),  à 
justifier  les  Pères  de  tout  emprunt  aux  conceptions  des  anciens  philo- 
sophes. Mais  il  dépassa  le  but,  oubliant  que  l'antiquité  païenne  a  sou- 
vent fourni  aux  Pères  sinon  des  théories  et  des  systèmes,  du  moins  des 
idées  et  des  réminiscences.  L'écrit  intitulé  Jugement  des  saints  Pères 
sur  la  morale  des  philosophes  païens  (Strasb.,  1719,  in-4°)  est  comme  la 
contre-partie  du  premier.  On  a  de  Baltus  une  autre  série  d'ouvrages 
apologétiques  sur  l'accord  des  prophéties  et  du  christianisme,  et  une 
foule  de  traités  détachés  sur  les  sujets  ordinaires  de  ses  études. 

BALUZE  (Etienne) ,  de  Tulle  (1630-1718) .  La  protection  éclaijée  de  M.  de 
Marca,  archevêque  de  Toulouse  puis  de  Paris,  fournit  à  son  goût  pour 
l'histoire  ecclésiastique  l'occasion  de  se  développer.  A  vingt-deux  ans, 
il  publia  YAntifrizonius,  critique  delà  Gallia  purpurata  de  Frizon.  M.  de 


BALUZE  —  BAN  DE  LA  ROCHE  4D 

Marca  lui  avant  confié  en  mourant  ses  manuscrits,  il  édita,  en  ajoutant, 
lin  supplément  à  chacun  d'eux,  la  Marca  hispanica  (marche  ou  limite 
d'Espagne), et  le  livre  excellent,  souvent  réimprimé,  De concordia  sacer- 
dotiiet  imper  il  seu  de  libertatibus  Ecclesiie  gallican  x  libri  octo.  La  dédi- 
cace de  Baluze  à  Séguier  est  de  1663.  En  1070,  le  roi  créa  pour  lui  une 
chaire  de  droit  canon  au  collège  royal.  Bibliothécaire  de  Colbert,  puis 
de  ses  tils,  il  travailla  trente-trois  ans  à  enrichir  cette  collection  devenue 
>i  fameuse,  ("est  pendant  cette  période  (1067-1700)  qu'il  publia  ses 
grands  ouvrages.  En  1077,  il  donna  ses  Regum  francorum  capitularia, 
augmentés  d'une  foule  de  pièces  inédites  (2  vol.  in-folj,  réimprimés  en 
1780  par  M.  de  Ghiniac  dans  le  même  format  et  d'après  l'exemplaire 
de  la  première  édition  que  Baluze  lui-même  avait  chargé  de  notes  et  de 
variantes.  En  1682  parurent  les  Epistolœ  Innocenta pàpae  III  (in-fol., 
2  vol.),  collection  aussi  complète  que  le  permettaient  les  documents  que 
l'éditeur  avait  pu  réunir.  Les  Vies  des  papes  d1 Avignon  (1793,  2  vol, 
in-4°),  ouvrage  qui  fait  justice  de  la  prétendue  captivité  de  Babylone 
et  qui  démontre  le  droit  des  papes  d'établir  leur  siège  en  quelque  pays 
que  ce  soit,  lui  valurent  une  pension  de  Louis  XIV.  Baluze  n'avait  pas 
plus  cherché  à  plaire  au  roi  par  cette  publication  qu'il  ne  chercha  à 
lui  déplaire  en  insérant  dans  son  Histoire  généalogique  de  la  maison 
■l' Auvergne  (1708)  les  titres  qui  prouvaient  l'indépendance  des  Bouillon, 
descendants  directs  des  anciens  comtes  d'Auvergne.  Louis  XIV  le 
punit  de  n'avoir  pas  méconnu  les  droits  historiques  des  Bouillon, 
comme  il  avait  puni  Mézeray  d'avoir  osé  douter  de  Pharamond;  il  lui 
retira  ses  pensions  et  ses  places  et  l'exila  plus  de  cinq  ans.  Les  princi- 
pales des  ï-i  publications  de  Baluze  sont  par  ordre  de  dates  :  Editions 
de  Sal vien  et  de  Vincent  de  Lérins,  1003  ;  de  Loup  de  Ferrières,  1664  ; 
^gobard,  Amolon,  Leidrade  et  un  traité  du  diacre  Florus,  1000;  qua- 
torze homélies  de  Césaire  d'Arles,  1009;  Réginon,  1071;  Antoninus 
Augustinus,  1078;  Nouvelle  collection  des  Conciles,  1083,  dont  il  ne 
parut  que  le  premier  volume  et  qui  s'arrête  au  concile  de  Ghalcédoine 
Marins  Mercator,  108'a  ;  les  Conciles  de  la  Gaule  Narbonnaise,  1088. 
En  1717,  il  publia  une  histoire  de  Tulle,  Ilistoria  tutellensis  (2  vol. 
in-V'i.  La  mort  le  surprit  à  quatre-vingt-huit  ans,  au  milieu  de  l'im- 
pression des  œuvres  de  saint  Gyprien  que  continua  dom  Marand.  Il 
laissait  cent  quinze  ouvrages  annotés  de  sa  main  en  vue  d'éditions 
nouvelles.  On  les  déposa  à  la  bibliothèque  royale  avec  plus  de  quinze 
cents  manuscrits.  Baluze  fut  le  type  de  l'érudition  consciencieuse  et  de 
la  probité  scientifique.  p.  rouffet. 

BAN  DE  LA  ROCHE.  Ce  district  accidenté  des  Vosges,  si  intéressant  au 
point  de  vue  religieux,  s'adosse  au  Champ-du-Fen  et  mesure  environ 
six  lieues  de  circonférence.  Des  vallons  étroits  descendent  de  ce  haut 
plateau  déboisé,  (ouvert  de  tourbières.  De  ses  flancs  garnis  de  sapins, 
de  hêtres  ou  de  genêts,  jaillissent  des  sources  nombreuses  qui  se 
jettent  dans  la  Bruche,  après  avoir  arrosé  de  maigres  pâturages.  Le 
«•limai  est  rude,  le  sol  ingrat  et  pierreux,  les  communications  difficiles. 
Les  habitants,  originaires  de  divers  pays,  Italiens,  Suisses,  Français, 
allemands,  parlaient  un  patois  roman  informe,  où  les  sons  gutturaux 
U.  4 


50  BAN  DE  LA  ROCHE 

de  la  Suisse  se  mêlaient  à  l'accent  traînant  du  pays  de  Montbéliard. 
La  féodalité  fut  très-dure  pour  eux;  les  seigneurs  du  château  de  la 
Roche  étaient  redoutés  pour  leur  amour  du  brigandage  et  leurs  mœurs 
féroces.  Détruit  une  première  fois,  en  1099,  par  les  seigneurs  voisins 
de  Schirmeck  et  de  Colleroy-la-Roche,  il  fut  rebâti  sitôt  après,  et  les 
rapines  et  les  violences  reprirent  leur  cours.  Au  treizième  siècle,  les 
princes  de  la  maison  de  Rappolstein,  de  Girsberg  et  de  Rathsamhausen 
acquirent  la  seigneurie,  sans  toutefois  mettre  un  terme  aux  souffrances 
des  populations.  Le  château  de  la  Roche  (zum  Steiri)  continua  à  être 
un  foyer  de  terreur  pour  tout  le  pays.  Ce  ne  fut  qu'en  1469,  après  un 
bombardement  de  huit  jours,  qu'il  tomba  sous  les  efforts  réunis  des 
troupes  de  la  ville  impériale  de  Strasbourg  et  de  celles  du  duc  de  Lor- 
raine. La  religion,  pendant  tout  le  cours  du  moyen  âge,  avait  été 
impuissante  à  conjurer  les  maux  des  pauvres  habitants  de  cet  âpre 
district  et  à  les  affranchir  de  la  triple  servitude  de  la  force,  de  l'igno- 
rance et  de  la  misère.  Les  princes  palatins  de. la  maison  de  Valdence, 
ayant  hérité  au  quinzième  siècle  de  la  seigneurie,  y  introduisirent  la 
réforme  en  1570,  mais  sans  qu'elle  portât  tout  d'abord  les  fruits  que 
l'on  eût  été  en  droit  d'attendre.  Le  jovial  curé  de  Rothau,  Papellier, 
s'était  prêté  sans  difficultés  à  remplacer  la  messe  par  le  prêche,  mais 
il  n'avait  guère  changé  ses  mœurs  dissolues  ni  réussi  à  exercer  une 
action  sérieuse  sur  ses  paroissiens.  Les  superstitions  les  plus  grossières 
étaient  demeurées  extrêmement  vivaces  dans  ces  vallons  reculés,  sans 
communication  avec  la  plaine.  Le  pasteur  Nicolas  Mermet,  en  1632, 
faillit  être  jeté  dans  la  Bruche  par  les  femmes  de  Fouday  pour  avoir 
enlevé  de  l'autel  une  tête  en  bois  de  Jean-Baptiste,  à  laquelle  elles 
avaient  l'habitude  d'adresser  leurs  dévotions.  Les  procès  de  sorcellerie 
se  succédaient  sans  relâche.  Le  prince  de  Valdence,  désireux  d'y  mettre 
fin,  fit  donner  la  question  au  bourreau  qui  confessa  avoir  décapité 
soixante-dix  personnes,  en  une  seule  année,  sur  la  Ba3rhœh  qui  sépare 
Rothau  de  Fouday.  Pendant  la  guerre  de  Trente  Ans,  la  maladie  et  la 
famine  moissonnèrent  impitoyablement  les  habitants  qui  s'étaient 
réfugiés  dans  les  bois  par  crainte  des  bandes  des  partisans.  Il  en  resta 
au  plus  quatre  cents,  disséminés  dans  les  cinq  villages  et  dans  les  nom- 
breuses fermes  de  la  montagne.  Par  le  traité  de  Westphalie,  le  Ban  de 
la  Roche  passa  à  la  France  avec  la  garantie  de  la  liberté  religieuse  pour 
ses  habitants  protestants.  Il  formait  alors  deux  paroisses,  celle  de  Wal- 
dersbach  avec  les  annexes  de  Belmont,  de  Bellefosse,  de  Fouday  et  de 
Solbach,  et  celle  de  Rothau  avec  les  annexes  de  Neuvillers  et  de  Wil- 
dersbach;  mais  ce  n'est  qu'en  1700  qu'elles  furent  pourvues  toutes 
deux  de  pasteurs  qui,  pour  la  plupart,  étaient  originaires  du  pays  de 
Montbéliard.  Toutefois,  depuis  1726,  on  ne  rencontre  plus  au  Ban  de  la 
Roche  que  des  pasteurs  alsaciens,  ignorant  la  langue  du  pays  et  relégués, 
le  plus  souvent,  pour  cause  d'indignité,  dans  ces  postes  perdus  dont 
nul  ne  voulait.  Des  réunions  de  réveillés  eurent  lieu,  à  cette  époque, 
dans  les  villages  :  le  sentiment  religieux,  qui  ne  peut  être  refoulé  ou 
contrarié  impunément  à  la  longue,  demanda  à  la  Parole  de  Dieu  inter- 
prétée par  de  simples  paysans  la  nourriture  qu'il  ne  trouvait  point 


BAN  DE  LA  ROCHE  51 

dans  l'Eglise  officielle,  À  lYxtinction  de  la  maison   de  Valdence,  la 
seigneurie  fut  donnée  par  Louis  XV  à  M.  d'Argenvillers,  intendant 
de  la  province  d'Alsace  (1723),  puis  elle  passa  au  président  du  parle- 
ment, île  Maisons;  en  17()2,  elle  fut  érigée  en  comté  et  donnée  au  mar- 
quis Voyer  d'Argenson  ;  enfin,  en  1771,  elle  échut  en  partage  au  baron 
de    Dietiich,   ammeister  de  Strasbourg.  Ces  fréquents  changements 
n'avaient  guère  été  avantageux  pour  le  Ban  de  la  Hoche,  les  seigneurs 
<jui  s'étaient  succédé  n'ayant  pas  eu  le  temps  de  s'occuper  des  intérêts 
matériels  et  moraux  de  leurs  sujets.  Leurs  champs  restaient  en  friche, 
leurs  prés  livrés  à  l'incurie  de  la  vaine  pâture;   eux-mêmes  croupis- 
saient dans  l'ignorance  et  dans  la  misère,  se   nourrissant  de  fruits 
sauvages  et  d'herbes  cuites  dans  du  lait.  C'est  de  la  philanthropie 
chrétienne    que    devait    leur    venir    le    secours.    Nous    raconterons 
ailleurs  la  vie  et  les  travaux  du  pasteur  Jean-Georges  Stuber   et  de 
son    successeur,   Jean-Frédéric  Oberlin  (voy.   ces  mots).  Qu'il  nous 
suffise  de  dire  ici  que  c'est  grâce  à  leurs  efforts,   inspirés  par  le  plus 
pur  zèle  évangélique,  que  le  Ban  de  la  Roche  se  transforma  comme 
par  enchantement,  que  des  chemins  le  relièrent  à  la  plaine,  que  le  sol 
fut  cultivé  et  les  prés  irrigués,  que  l'industrie  du  tissage  s'introduisit, 
que  des  maisons  d'école  s'élevèrent  dans  chaque  village,  que  la  misère 
disparut  avec  l'ignorance,  que  la  moralité  se  développa  avec  la  piété, 
que  les  habitants  du  Ban  de  la  Roche,  par  leur  probité,  leur  amour  de 
l'ordre  et  du  travail,  leur  esprit  cultivé  et  naturellement  porté  aux 
n ic» litations  religieuses,  conquirent  une  réputation  qu'ils  ont  conservée 
j  u  s(  [  u  '  à  ce  jour .  —  La  Ré  vol  ution  de  1 789  fut  accueillie  avec  enthousiasme 
dans  ce  petit  pays,  administrativement  réuni,  depuis  lors,  par  une 
assez  bizarre  anomalie,  pour  moitié  au  département  du  Bas-Rhin,  pour 
moitié  à  celui  des  Vosges.  Au  point  de  vue  ecclésiastique,  il  releva,  à 
partir  de  1802,  du  consistoire  luthérien  de  Barr.  En  1814  et  1815  les 
corps  francs  du  Ban  de  la  Roche,  sous  la  direction  de  leur  chef  Wolf, 
arrêtèrent  pendant  plusieurs  jours  la  marche  des  armées  alliées.  Le 
retour  de  la  paix  ramena  l'attention  de  ses  habitants  sur  les  œuvres 
plus  utiles  de  propagande  religieuse  et  d'amélioration  sociale.  Sous  la 
puissante  impulsion  d'Oberlin,  les  habitants  du  Ban  de  la  Roche  prirent 
la  part  la  plus  active  à  la  diffusion  de  la  Bible  et  des  traités  religieux, 
ainsi  qu'à  la  mission  parmi  les  païens.  Les  dons  de  ces  paysans  peu 
aisés  faisaient  souvent  honte  aux  souscriptions  des  riches,  d'autant  plus 
qu'ils  ne  se  bornaient  pas  à  des  offrandes  en  argent,  mais  qu'ils  en- 
voyaient aussi  des  missionnaires.  A  partir  de  1813,  Oberlin  fut  secondé 
dans  son  œuvre  par  une  famille  d'industriels,  originaire  de  Bâle,  qu 
était  venue  s'établir  à  Fouday.  Daniel  Legrand  (1783-1859)  déploya  un 
zèle  infatigable  pour  créer  des  écoles  enfantines,  pour  supprimer  ou 
régler  le  travail  des  enfants  dans  les  manufactures,  pour  améliorer  la 
condition  des  ouvriers  par  une  loi  internationale.  Chrétien  convaincu, 
plein  d'amabilité  et  de  largeur,  il  avait  trouvé,  sans  avoir  jamais  étudié 
la  théologie,  la  meilleure  définition  de  l'Evangile.  Sur  la  couverture 
des  petits  traités  qu'il  faisait  distribuer  il  avait  fait  imprimer  ces  sim- 
ples mots  :  «Qu'est-ce  (pie  le  christianisme?  Jésus-Christ.  »  (Voy.  F.  Mon- 


52  BAN  DE  LA  KOCHE  —  BANGOR 

nier,  Notice  sur  Daniel  Legrand,  Paris,  1859).  Le  Ban  de  la  Roche  eut 
la  bonne  fortune  de  voir  se  perpétuer  les  traditions  d'Oberlin  dans 
une  série  de  dignes  pasteurs  et  d'industriels  éminents,  parmi  lesquels 
il  suffira  de  nommer  M.  Gustave  Steinheil,  si  connu  par  ses  publica- 
tions religieuses,  où^la  sève  chrétienne  la  plus  féconde  se  mêle  à  une 
pensée  vigoureuse  et  souvent  originale,  par  sa  participation  à  l'œuvre 
des  Amis  de  la  Paix  et  de  la  solution  évangéliquede  la  question  sociale, 
par  les  paroles  vaillantes  et  généreuses  qu'il  a  fait  entendre,  au  lende- 
main de  nos  désastres,  à  l'Assemblée  nationale  de  Versailles  ;  M.  Louis 
Fallot,  si  zélé  pour  tout  ce  qui  touche  à  l'œuvre  des  écoles,  de  l'évan- 
gélisation  et  de  la   mission;  Christophe  Dieterlen   enfin  (1818-1875), 
apôtre  encore  plus  que  fabricant,  chrétien  simple,  sobre  et  vrai,  en- 
nemi des  formes  et  des  phrases,  de  l'ostentation  et  du  bruit,  auteur  des 
meilleurs  traités  populaires  de  langue  française  (voyez  le  recueil  :  V  Ami 
chrétien  des  familles,  2  vol.  ;  la  Religion  pure  et  sans  tache,  etc.),  visi- 
teur infatigable  et  discret  des  chaumières  des  pauvres,  qui  définissait 
Jésus-Christ  «  un  homme  qui  a  eu  pitié  »,  et  qui  aimait  les  malheureux 
avec  une  respectueuse  sollicitude,  comme  le  Sauveur  les  avait  aimés. 
Exilé  volontaire  du  Ban  de  la  Roche  par  suite  de  la  conquête  allemande, 
après  avoir  élevé  une  noble  et  chrétienne  protestation  dans  une  lettre 
adressée  à  son  ami  et  admirateur,  M.  Bethmann-Hollweg,  mais  le  cœur 
brisé  par  cet  arrachement,  Dieterlen  vint  se  dévouer  à  l'œuvre  de  l'é- 
vangélisation  des  ouvriers  de  Paris  et  parler  avec  cette  sobre  puissance 
qui  le  caractérisait  dans  les  réunions  d'appel  des  faubourgs.  Il  ne  ré- 
sista pas  longtemps  aux  fatigues  de   cette  vie  dévorante,  et  suivant 
le  sévère  exemple  d'Oberlin,  il  rendit  le  dernier  soupir  en  prononçant 
ces  mots   :  «  Point  dé  raffinements.  »  Grâce  à  ces  hommes  de  Dieu, 
dont  la  semence  n'est  pas  épuisée,  le  Ban  de  la  Roche  mérite  d'occu- 
per une  place  importante  dans  l'histoire  de  la  vie  religieuse  contem- 
poraine.  Administrativement,   il  forme  depuis  1852   un   consistoire 
spécial  rattaché  à  l'Eglise  de  la  confession  d'Augsbourg  d'Alsace-Lor- 
raine, et  dont  le  siège  est  à  Rothau.  En  1845  une  cure  officielle  a  été 
créée  à  Neuvillers,  en  1861  à  Fouday,  en  1875  à  Wildersbach.  La  con- 
sistoriale  comptait,   en   1868,   4   pasteurs,    7  temples,     23  écoles   et 
4,557  habitants.  —  Pour  la  bibliographie,  voir  l'article  Oberlin. 

F.   LlCHTENBERGEE. 

BANAIAS  [Benaiàh,  Benaja],  fils  de  Joïada  et  capitaine  des 
gardes  de  David  (2  Sam.  VIII,  18).  Il  tua  deux  célèbres  guerriers 
(Luther  traduit,  d'après  la  Vulgate,  deux  lions)  de  Moab,  un  géant 
égyptien  armé  de  pied  en  cap  et  un  lion  tombé  dans  une  citerne 
(2  Sam.  XXIII,  20  ss.). 

BANGOR,  ancien  couvent  près  de  Chester,  en  Angleterre,  célèbre  par 
le  grand  nombre  de  moines  qu'il  abritait.  On  fait  remonter  sa  fonda- 
tion à  une  époque  antérieure  à  l'arrivée  de  Germain  d'Auxerre  en  Bre- 
tagne, vers  429.  A  la  fin  du  onzième  siècle,  ce  couvent  fut  érigé  en 
archevêché.  Il  ne  faut  pas  le  confondre  avec  un  autre  couvent  du 
même  nom,  fondé  vers  550  par  saint  Comogell  dans  la  province  d'Uls- 
ter,  en  Irlande,  d'où  sortirent  Colomban ,  Luan  et  d'autres  moines  à 


BANGOR  —   BAPTÊME  53 

l'esprit  entreprenant  et  missionnaire  (vov.  Bède,  Hist.  ceci.,  liv.  IJ, 
cli.  2). 

BANIER  (Antoine)  [1673-1741],  néàDalet,  en  Auvergne,  mort  à 
Paris.  Après  de  brillantes  études  chez  les  jésuites  de  Glermont,  réduit, 
par  la  modicité  de  ses  ressources,  à  accepter  un  préceptorat,  il  trouva 
sa  voie  en  expliquant  avec  son  élève  les  poètes  anciens.  ^Explication 
historique  des  Fables  (1711,  2  vol.  in-12)  lui  ouvrit  Y  Académie  des  ins- 
criptions et  belles-lettres,  dont  il  fut  l'un  des  membres  les  plus  actifs. 
Ramer  ne  cessa  de  remanier  ce  premier  travail,  qui  reparut  complète- 
ment transformé  en  1715,  et  dont  l'édition  définitive  (Paris,  17)38, 
\\  vol.  in-4°)  eut  pour  titre  :  la  Mythologie  et  les  Fables  expliquées  par 
V Histoire.  Sauf  la  révision  de  quelques  éditions  de  Voyages  et  d'Histoire 
littéraire,  entreprise  à  la  demande  des  libraires,  il  ne  s'écarta  jamais 
de  ses  études  mythologiques.  Il  donna  en  1732  une  traduction  plus 
exacte  que  poétique  des  Métamorphoses  d'Ovide,  dont  les  magnifiques 
éditions  se  succédèrent  jusqu'en  1807  sous  divers  formats.  Il  publia 
enfin,  avec  l'abbé  Le  Mascrier,  les  Cérémonies  et  Coutumes  religieuses 
des  différents  peuples  du  monde  (Paris,  1741,  7  vol.  in-fol.),  ouvrage 
qu'il  emprunta  presque  en  entier  à  T. -F.  Bernard,  mais  sans  lui  pren- 
dre son  irrévérence  pour  les  cérémonies  de  l'Eglise  romaine. 

BANNEZ  (Bannesius,  Banès),  Dominique,  né  à  Valladolid  en  1527, 
mort  en  1604,  entra  en  1544  chez  les  dominicains  de  Salamanque.  Il 
professa  à  Valladolid,  à  Alcala  et  à  Avila,  où  il  soutint  la  réforme  de 
sainte  Thérèse,  qui  le  prit  pour  son  confesseur.  Disciple  zélé  de  saint 
Thomas,  il  contribua  puissamment  à  la  condamnation  des  doctrines 
«le  Molina  par  l'inquisition  espagnole.  On  a  de  lui  des  Commentaires 
sur  le  Somme  théologique  de  saint  Thomas,  des  Traités  de  la  Foi,  de  l'Es- 
pérance et  de  la  Charité,  etc.,  etc. 

BAPTÊME,  l'un  des  sacrements  en  usage  dans  les  Eglises  chré- 
tiennes. —  I.  Doctrine  biblique.  Selon  toutes  les  probabilités,  le  baptême 
«'tait  chose  inconnue  aux  contemporains  de  Jean,  lorsqu'il  commença  à 
prêcher  la  repentance  et  à  baptiser  sur  les  bords  du  Jourdain.  C'est  ce 
que  semble  prouver  le  surnom  de  Baptiste  qui  lui  fut  donné  à  cette  oc- 
casion. Le  baptême  n'est  pourtant  pas  sans  analogie  avec  les  lustrations 
employées  comme  moyen  de  purification  dans  la  plupart  des  religions. 
Il  est  question  dans  l'Ancien  Testament  de  lustrations  de  ce  genre  (Lé- 
vit.  XIV,  7;  Nomb.  XXXI,  21-24),  de  bains  de  purification  dans  le 
Jourdain  (2  Hois  V,  10;.  L'eau  est  un  symbole  de  purification  qui  de- 
\ait  se  présenter  naturellement  à  l'esprit,  et  il  n'est  pas  étonnant  que 
plusieurs  prophètes  aient  employé  cette  image  pour  dépeindre  le 
changement  de  conduite  qui  devait  s'opérer  en  Israël  (Es.  1,16;  Za- 
char,  XIII.  i;  Ezéch-  XXXVI,  24-30).  Ce  sont  probablement  ces  passages 
de  l'Ancien  Testament  qui  ont  donné  à  Jean-Baptiste  l'idée  du  rite 
qu'il  inaugura  sur  les  bords  du  Jourdain.  D'après  les  Evangiles  sy- 
noptiques (Matth.  III,  1-12;  Marc  I,  1-8;  Luc  III,  3-18),  il  annonçait 
l'approche  du  royaume  des  cieux,  prêchait  la  repentance  eu  vue  du 
jugement  que  le  Messie  devait  exercer,  et,  connue  symbole  «!<•  cette 
repentance,  il  baptisait  dans  le  Jourdain  ceux  qui  venaient  à  lui  cou- 


54  BAPTEME 

fessant  leurs  péchés.  Bobct($biv  veut  dire  plonger  dans  V  eau;  pa^-u^Oai  et 
PaTUTior^oç  se  disaient  des  ablutions  ordonnées  par  la  loi  (Marc  VU,  4,8; 
Luc  XI,  38;  Hébr.  IX,  10).  BonurÇecOai   (Matth.  XX,  22,  23;  Marc  X, 
38,  39  ;  Luc  XII,  50)  signifie  être  submergé  par  une  calamité,  et  a 
pour  synonyme  dans  les  deux  premiers  passages  metv  to  iwu^ptov.  Ce 
baptême  était  donc  une  simple  immersion  dans  le  fleuve ,  et  cette  im- 
mersion elle-même  n'était  qu'un  symbole  de  la  purification  intérieure 
qui  devait  aboutir  au  pardon  des  péchés.  Rien  ne  prouve  que  Jean- 
Baptiste  ni  ses  auditeurs  aient  attaché  au  baptême  une  autre  idée,  et 
en  aient  attendu  d'autres  effets.  On  s'est  beaucoup  occupé  du  rapport 
à  établir  entre  le  baptême  de  Jean  et  le  baptême  chrétien  tel  qu'il  a 
été  établi  postérieurement.  Jean   lui-même,  au  rapport  des  Synopti- 
ques, a  touché  cette  question  :  Pour  moi,  dit-il,  je  vous  baptise  d'eau, 
mais  celui  qui  viendra  après  moi  vous  baptisera  d'Esprit  saint  et  de 
feu  (Matth.  III,  11;  Marc  I,  7;  Luc  III,  16),  voulant  indiquer  par  là 
qu'il  ne  faisait  qu'en  appeler  à  la  conscience  et  provoquer  la  repen- 
tance,  tandis  que  le  Messie  communiquerait  aux  hommes  une  force 
nouvelle   (comp.   Act.  I,  5;  XI,  16;  XIII,  24).  Cette  antithèse  fut  le 
point  de  départ  des  différences  qu'on   établit  ensuite  entre  l'ancienne 
et  la  nouvelle  alliance.  En  développant  la  doctrine  du  baptême  chré- 
tien, les  Pères  de  l'Eglise  furent  naturellement  amenés  à  chercher 
en  quoi  le  baptême  de  Jean  en  différait.  D'après  Tertullien,  il  pou- 
vait conduire  à  la  repentance,  mais  non  produire  le  pardon  des  péchés 
ou  la  communication  du  Saint-Esprit.  Le  baptême  administré  par  les 
apôtres  du  vivant  de  Jésus-Christ  n'avait  pas  d'autre  effet.  Ce  n'est 
qu'après  la  mort  et  la  résurrection   de  Jésus-Christ  que  le  baptême 
chrétien  exista  véritablement  avec  toutes  les  grâces  qu'il  confère  à 
ceux  qui  le  reçoivent  (de  Baptismo,  c.  10  et  11).  Saint  Augustin  s'élève 
contre  ceux  qui  pensaient  de  son  temps  que  le  baptême  de  Jean  con- 
férait le  pardon  des  péchés,  sans  toutefois  communiquer  le   Saint- 
Esprit,  et  déclare  que  ceux  qui  furent  baptisés  par  Jean  n'eurent  qu'en 
espérance  le  pardon  de  leurs  péchés.  Cette  doctrine  fut  professée  gé- 
néralement dans  l'Eglise,  et  adoptée  par  le  concile  de  Trente  (sess.  VII, 
can.  11).  Les  Eglises  protestantes  au  contraire,  sauf  les  sociniens  et  les 
arminiens,  attribuèrent  au  baptême  de  Jean  la  même  efficacité  qu'au 
baptême  chrétien.  La  solution  de  cette  question ,  aujourd'hui  du  reste 
sans  importance,  dépend  surtout  de  l'idée  qu'on  se  fait  du  baptême 
chrétien  lui-même.  —  Pendant  que  Jean  prêchait  ainsi  la  repentance, 
Jésus  vint  se  faire  baptiser  par  lui.  Ce  fait,  rapporté  par  les  trois  Synop- 
tiques (Matth.  III,  13,  17  ;  Marc  I,  9-11  ;  Luc  II,  21-22),  n'est  pas  sans 
offrir  de  grandes  difficultés.  Ceux   qui  venaient  se  faire  baptiser  par 
Jean  confessaient  leurs  péchés.   Jésus  a-t-il  fait,  et  a-t-il  eu  besoin  de 
faire  une  confession  semblable?  Ce  fait  serait  en  contradiction  avec  la 
sainteté  parfaite  que  de  bonne  heure  on  attribua  à  la  personne  de  Jésus. 
Ou  le  baptême  aurait-il  eu  pour  lui,  clans  la  pensée  des  rédacteurs  des 
Synoptiques,  une  autre  signification  que  pour  le  peuple  qui  venait  se 
faire  baptiser?  Matthieu  et  surtout  Luc  mettent  le  baptême  de  Jésus  sur 
la  même  ligne  que  celui  des  autres  personnes  qui  l'avaient  reçu.  De 


BAPTÊME  55 

plus,  le  baptême  était  administré  en  vue  de  la  prochaine  venue  du 
Christ  :  Jésus  Ignorait-il  qu'il  était  le  Christ?  Le  rédacteur  du  premier 
évangile  a  dû  déjà  pressentir  ces  objections  et  ces  difficultés,  car,  d'a- 
près lui,  Jean  refusa  d'abord  son  ministère  à  Jésus  (Matth.  111,  14, 
passage  qui  se  trouve  en  contradiction  avec  Jean  I,  33).  Enfin,  c'est  à 
cette  occasion  que  le  Saint-Esprit  descendit  sur  Jésus  :  y  avait-il  été  jus- 
que-là  étranger  1  Ces  difficultés,  il  est  vrai,  n'existaient  probablement 
pas  pour  ceux  qui  ont  recueilli  les  premières  traditions  chrétiennes,  et 
viennent  surtout  de  ridée  que  la  spéculation  postérieure  s'est  faite  de  la 
personne  de  Jésus.  Tant  qu'on  s'en  tient  à  l'idée  de  la  divinité  de  Jésus- 
Christ  et  de  sa  sainteté  parfaite,  on  peut,  jusqu'à  un  certain  point,  ex- 
pliquer les  circonstances  accessoires  qui  ont  accompagné  son  baptême, 
en  considérant  la  descente  du  Saint-Esprit  et  la  voix  qui  se  fait  entendre 
du  ciel  comme  une  vision  qu'aurait  eue  Jésus  lui-même,  d'après  Mat- 
thieu et  Marc,  ou  Jean,  d'après  le  quatrième  évangile  (J,  32-34),  encore 
faut -il  remarquer  que  la  relation  de  Luc  s'oppose  formellement  à  une 
pareille  interprétation;  mais  le  fait  même  du  baptêmede  Jésus  demeure 
inexplicable  et  incompréhensible  (Eck,  Le  bapt.  de  Jésus.  Revue  de  théol., 
3  sér.,  vol.  2,  p.  150).  C'est  pour  cela  que  beaucoup  de  théologiens  mo- 
dernes admettent  de  préférence  la  version  du  quatrième  évangile,  et  ne 
voient  dans  toute  cette  scène  qu'une  vision  de  Jean-Baptiste  destinée  à 
lui  faire  connaître  Jésus  comme  le  Messie,  ce  qui  fait  disparaître  la  dif- 
ficulté, le  quatrième  évangile  ne  disant  pas  un  mot  du  baptême  de  Jésus. 

d  se  met.  au  contraire,  au  point  de  vue  de  la  première  tradition  chré- 
tienne,  les  principales  difficultés  du  récit  des  Synoptiques  disparaissent: 
le  baptême  de  Jésus  a  pour  but  de  l'introduire  dignement  et  puissamment 
dans  le  ministère  qu'il  va  commencer  ;  c'est  pour  lui  comme  une  consé- 
cration spéciale  au  service  de  Dieu  dont  il  sent  désormais  la  puissante 
influence  au  dedans  de  lui  (voy.  Reuss,  Hist.  évangél.,  p.  170).  Quel- 
ques Pères  de  l'Eglise  et  l'Eglise  catholique  elle-même  admettent  que 
Jésus,  lors  de  son  baptême,  a  sanctifié  l'eau  par  le  contact  de  son  corps, 
et  la  rendue  ainsi  propre  à  produire  les  merveilleux  effets  du  sacre- 
ment (Jérôme,  Com.  in  3  cap.  Matth.;  August.,  sermo  36,  de  JempL; 
Catech.  Hom.,  de  Baptismo,  §  20) .  —  Il  n'y  a  pas  dans  le  Nouveau  Testa- 
ment de  doctrine  systématique  concernant  le  baptême.  Il  n'en  est 
question  dans  le  livre  des  Actes  que  lorsque  le  récit  des  événements 
amène  naturellement  la  mention  du  baptême  ;  les  auteurs  des  épitres 
h  \  [ont  que  des  allusions  qui  ne  nous  renseignent  pas  suffisamment 
sur  l'idée  que  s'en  faisaient  les  contemporains,  et  dont  quelques-unes 

mtenl  de  grandes  difficultés  d'interprétation.  D'après  Jean  III,  22, 
2h.  Jésus  administra  le  baptême,  ou  plutôt  le  lit  administrer' par  ses 
disciples  (Jean  IV,  2),  comme  Jean  l'avait  fait  pendant  son  ministère. 
Les  S>  ooptiques  ne  l'ont  pas  mention  de  ce  fait.  Ce  n'est  qu'à  la  fin  des 
derniers  chapitres  que  les  deux  premiers  évangiles  relatent  la  recoin- 
main  lai  ion  de.  fésusà  ses  a  pu  très,  au  moment  de  les  quitter:  Allez  et  bapti- 
se/ toutes  les  Dations  (Matth,  XXVIII,  19;  Marc  XVI,  10).  Rienneprouve 
même  que  les  apôtres  eux-mêmes  aient  été  baptisés.  La  réalisation  de  la 
paroi.  ide.Jean-JJaptiste:  Celui  qui  vientaprèsmoi  vousbaptisera  d'Ksprit 


50  BAPTÊME 

saint  et  de  feu,  semble  d'après  Aet.  1,5,  être  restreinte  aux  seuls  apôtres, 
et  ne  concerner  que  les  événements  qui  eurent  lieu  le  jour  de  la  pre- 
mière Pentecôte.  A  partir  de  ce  jour-là,  cependant,  le  baptême  devient 
habituel  dans  l'Eglise,  mais  il  ne  semble  pas  que  ce  baptême  ait  été  à 
l'origine  autre  chose  que  le  baptême  institué  et  administré  par  Jean- 
Baptiste.  Il  fut  certainement  considéré  dès  cette  époque  comme  un  rite 
d'introduction  dans  l'Eglise  :  les  trois  mille  personnes  qui  furent  bap- 
tisées ce  jour-là  furent  admises  (7cpoffETé0rj<rav,  Act.  II,  41;  cf.  Y,  14) 
par  le  fait  même  de  leur  baptême  dans  la  nouvelle  communauté.  Mais 
on  ne  peut  établir  avec  la  même  certitude  l'idée  que  les  apôtres  et  les 
fidèles  se  faisaient  de  la  portée  et  de  l'efficacité  du  baptême.  L'idée  du 
pardon  des  péchés  est  étroitement  rattachée  à  celle  du  baptême  (Act. 
II,  38:  XXII,  16),  mais  le  considérait-on  comme  un  simple  symbole, 
ou  comme  une  condition  de  ce  pardon?  Cette  dernière  idée  n'aurait 
rien  eu  que  de  très-naturel  à  une  époque  où  bien  des  idées  supersti- 
tieuses avaient  cours,  et  ce  pouvoir  attribué  à  un  rite  religieux  n'aurait 
froissé  personne.  Mais  rien  ne  prouve  que  les  chrétiens  de  l'âge  apos- 
tolique aient  eu  cette  idée-là.  Les  passages  comme  1  Cor.  VI,  11; 
Ephés.  V,  26;  Hébr.  X,  22;  Jean  III,  5,  peuvent  sans  doute  être 
considérés  comme  se  rapportant  au  baptême,  mais  on  peut  fort 
bien  ne  voir  dans  les  mots  à-sXctaasÔs,  tw  XcuTpw  xoX>  uBatcç,  pspav- 
Tia^évot,  etc.,  que  des  expressions  figurées;  l'expression  o-.à  Xuipou  t.z- 
7aYY£vea(aç  (Tit.  III,  5)  peut  être  également  entendue  dans  le  sens 
propre  et  dans  un  sens  figuré.  Ce  qui  est  certain,  c'est  que  l'apôtre 
Paul  fait  souvent  allusion  au  baptême  dans  un  sens  figuré  :  Vous  tous 
qui  avez  été  plongés  (iôa-TisÔiçTs,  Gai.  III,  27)  en  Christ,  vous  avez 
revêtu  Christ;  et  ailleurs  :  Nous  sommes  ensevelis  en  sa  mort  parle 
baptême  (Rom.  VI,  3, 4) .  Dans  un  autre  passage  l'image  est  plus  complète  : 
L'immersion  dans  l'eau  du  baptême  est  l'ensevelissement  avec  Christ  (en- 
sevelissement du  vieil  homme) ,  et  la  sortie  de  l'eau  est  la  résurrection  avec 
Christ  (résurrection  du  nouvel  homme  ;  Col.  II,  12).  Toutes  ces  expres- 
sions sont  si  bien  des  images  dans  la  pensée  de  l'apôtreque,  dans  le  verset 
précédent,  il  emploie  pour  exprimer  sa  pensée  une  autre  image,  celle 
de  la  circoncision  (Col.  II,  11).  Tous  ces  passages  tendent  à  nous  faire 
considérer  le  baptême  apostolique  comme  un  pur  symbole,  comme  une 
image  de  la  régénération  intérieure  produite  par  la  repentance  et  la 
foi.  Un  autre  fait,  la  communication  du  Saint-Esprit,  semble,  d'après 
certains  passages  des  Actes,  dépendre  du  baptême.  Que  chacun  de  vous, 
dit  Pierre  le  jour  de  la  Pentecôte,  soit  baptisé  au  nom  de  Jésus-Christ 
pour  obtenir  la  rémission  des  péchés,  et  vous  recevrez  le  don  du  Saint- 
Esprit  (Act.  11,38).  Un  autre  récit  semble  encore  plus  significatif.  Paul 
rencontre  à  Ephèse  des  disciples  qui  n'avaient  reçu  que  le  baptême  de 
Jean,  et  qui  n'avaient  pas  même  entendu  dire  qu'il  y  eût  un  Saint- 
Esprit.  Quel  baptême  avez-vous  donc  reçu?  leur  dit-il.  Ils  furent  alors 
baptisés  au  nom  de  Jésus-Christ,  et  après  que  Paul  leur  eut  imposé  les 
mains,  ils  reçurent  le  Saint-Esprit  (Act.  XIX,  1-7).  Ce  passage  semble 
prouver  que  les  manifestations  extraordinaires  (ib.  vers.  6)  qui  consta- 
taient la  présence  du  Saint-Esprit,  accompagnaient  habituellement  le 


BAPTÊME  :>7 

baptême  ou  plutôt  l'imposition  des  mains  qui  suivait  le  baptême.  Mais 
H  résulte  d'autres  passages  du  livre  des  Actes  que  la  communication 
du  Saint-Esprit  ne  dépendait  pas  absolument  du  baptême.  Pendant  que 

Pierre  annonçait  l'Evangile  à  Corneille  et  aux  personnes  qui  se  trou- 
vaient avec  lui,  le  Saint-Esprit  descendit  sur  ses  auditeurs,  avant  qu'ils 
eussent  été  baptisés  (Act.  X,  14  ss.).  Ailleurs  nous  lisons  que  Philippe 
avait  baptisé  les  Samaritains  au  nom  du  Seigneur  Jésus,  sans  qu'aucun 
d'eux  reçût  le  Saint-Esprit.  Ce  n'est  qu'à  l'arrivée  de  Pierre  et  de 
Jean,  et  après  que  les  apôtres  eurent  prié  et  leur  eurent  imposé  les 
mains,  que  le  Saint-Esprit  Leur  fut  communiqué  (Act.  VIII,  14-17).  Userait 
téméraire  de  rien  conclure  de  positif  à  cet  égard,  et  si  nous  trouvons 
quelque  lumière  sur  cette  question,  ce  n'est  pas  dans  les  passages  qui 
précèdent,  c'est  dans  l'esprit  général  des  écrits  du  Nouveau  Testament. 
Or  il  ressort  de  l'ensemble  de  la  prédication  apostolique  que  c'est  la 
foi  en  Jésus-Christ  qui  produit  et  le  pardon  des  péchés  et  la  communi- 
cation du  Saint-Esprit,  et  que  la  pensée  générale,  à  l'égard  du  baptême, 
était  celle  qu'exprimait  l'apôtre  Pierre  :  le  baptême  qui  sauve  n'est 
pas  celui  qui  ôte  les  souillures  du  corps,  mais  l'aspiration  d'une  bonne 
conscience  vers  Dieu  (1  Pierre  III,  21).  Un  seul  passage  des  épitres  de 
saint  Paul  semblerait  en  contradiction  avec  cette  interprétation.  C'est 
le  fameux  passage  1  Cor.  XV,  29  :  Que  feraient,  ou  que  gagneraient  ceux 
qui  se  font  baptiser  pour  les  morts,  ùizïp  tcov  vev.pwv,  si  les  morts  ne 
ressuscitent  pas?  Ce  verset,  qui  a  été  interprété  de  tant  de  façons, 
semble  signifier  que  le  baptême  était  alors  conféré  à  des  vivants  au 
bénéfice  de  chrétiens  morts  sans  avoir  pu  recevoir  le  rite  sacré,  que 
cette  coutume  était  assez  générale,  dans  l'Eglise  de  Corinthe  du  moins, 
pour  que  la  simple  allusion  de  l'apôtre  fût  facilement  comprise,  et  qu'il 
ne  la  désapprouvait  pas,  puisqu'il  en  fait  un  argument  en  faveur  de  la 
résurrection.  Une  pareille  coutume  a  existé  en  effet  chez  quelques  sectes 
hérétiques  (Tertull.,  adv.  Marc,  V,  10;  Epiph.,  Hx?\,  XXVIII,  ch.  6); 
mais  on  n'a  aucune  autre  preuve  qu'un  baptême  par  procuration  de 
ce  genre  ait  existé  dans  l'Eglise  elle-même.  En  tout  cas,  ce  fut  de 
bonne  heure  une  règle  dans  l'Eglise  de  ne  baptiser  que  des  vivants. 
Les  autres  explications  qu'on  a  données  de  ce  texte  sont  invraisem- 
blables, ou  forcées,  ou  inacceptables  pour  des  raisons  purement  gram- 
maticales. Le  baptême  administré  sur  le  tombeau  des  martyrs,  usage 
qui  a  existé  plus  tard,  n'était  pas  possible  à  cette  époque.  Le  texte  ne 
peut  signifier  ni  se  faire  baptiser  en  confessant  le  dogme  de  la  résur- 
rection, ni  être  baptisé  au  nom  des  morts,  ni  pour  la  mort,  en  vue 
de  l'approche  de  la  mort,  ni  à  l'avantage  des  morts,  c'est-à-dire  pour 
rapprocher  le  moment  de  la  parousie  en  augmentant  le  nombre  des 
chrétiens,  etc.  Si  l'interprétation  que  nous  avons  donnée  en  premier 
lieu,  et  qui  est  la  seule  qui  s'accorde  avec  le  texte,  est  la  bonne,  il  en 
résulterait  qu'on  attribuait  déjà  du  temps  de  l'apôtre  Paul,  et  de  son 
aveu,  une  importance  assez  grande  au  rite  extérieur  du  baptême,  pour 
chercher  les  moyens  de  l'aire  jouir  les  chrétiens  morts  non  baptisés  des 
prérogatives  qu'on  y  attribuait,  et  ce  seul  fait,  à  moins  qu'il  n'ait  été 
particulier  à  une  ou  à  quelques  Eglises  locales,  suffirait  pour  modifier  les 


58  BAPTEME 

idées  que  nous  avons  émises  sur  le  baptême  des  temps  apostoliques.  Nous 
devons  faire  remarquer  toutefois  que  si  cette  explication  est  la  plus  vrai- 
semblable, elle  n'est  pas  nécessairement  vraie,  et  qu'on  ne  peut  guère  tirer 
de  conclusions  fondées  d'un  passage  aussi  obscur  et  aussi  énigmatique. 
A  l'époque  apostolique,  le  baptême  était  administré  par  immersion  et 
était  suivi  de  l'imposition  des  mains  (Act.  VIII,  17;  XIX,  5, 6).  Il  est  très- 
probable  qu'il  n'était  conféré  qu'aux  adultes.  Jean  baptisait  après  une 
confession  des  péchés,  et  les  apôtres  eux-mêmes  n'administraient  le 
baptême  qu'à  ceux  qui  se  repentaient  de  leurs  péchés  ou  chez  lesquels 
le  désir  du  baptême  faisait  supposer  larepentance  (Act.  II,  38).  Le  pas- 
sage 1  Cor.  1,16:  «  J'ai  baptisé  la  famille  Stéphanas,  »  ne  prouve  pas 
qu'il  y  ait  eu  des  enfants  dans  cette  famille,  ni,  s'il  y  en  avait,  qu'ils 
aient  été  aussi  baptisés.  11  en  est  de  même  des  passages  Act.  XV,  15, 
32,  33,  qui  ne  font  pas  expressément  mention  que  de  petits  enfants 
aient  reçu  le  baptême ,  et  qu'on  ne  saurait  invoquer  en  faveur  de  l'ori- 
gine apostolique  du  pédobaptisme.  L'idée  de  baptiser  des  enfants  ne 
pouvait  venir  à  une  époque  où  la  repentance  et  la  foi  jouaient  encore 
le  grand  rôle  dans  l'affaire  du  salut.  L'apôtre  Paul  suppose  d'ailleurs 
que  les  enfants  des  chrétiens  sont  purs  sans  qu'il  soit  nécessaire  de 
les  baptiser,  par  le  fait  même  de  leur  origine  (1  Cor.  VII,  14),  et  qu'ils 
appartiennent  à  l'Eglise  avant  même  d'y  avoir  été  introduits  officielle- 
ment par  le  rite  initiateur.  Quant  à  la  formule  employée ,  les  écrits 
apostoliques  sont  unanimes  à  dire  qu'on  administrait  le  baptême  au 
nom  de  Jésus-Christ  (exi  t<o  ovopari  'Ivjdoy  Xpiorou,  Act.  II,  38;  elq  to  cvo^a 
tou  Kjpioj  Tyjsou,  Act.  VIII,  16;  h  tÇ>  ovqjjwcti  tgu  Kupiou,  X,  48,  etc.).  La 
formule  sic  XpiGrov  (Rom.  VI,  3)  est  plutôt  une  interprétation  particulière 
du  baptême  qu'une  formule  qui  aurait  été  employée  dans  l'administra- 
tion du  rite.  On  trouve  Matth.  XXVIII,  19 ,  la  formule  plus  complète 
zlç  to  cvojj.a  tou  Ilarpoç  xal  toO  YfoD"  xal  tou  àyioj  nv£iS^aTO£,  donnée  par 
Jésus-Christ  lui-même  au  moment  où  il  institua  le  baptême.  Comment 
se  fait-il,  si  cette  formule  a  été  donnée  par  Jésus-Christ  lui-même  dans 
une  circonstance  aussi  solennelle,  qu'on  n'en  retrouve  pas  trace  dans 
tous  les  récits  de  baptêmes  du  Nouveau  Testament  ?  La  première  for- 
mule est-elle,  comme  on  l'a  supposé,  non  une  formule  de  baptême, 
mais  une  simple  manière  de  désigner  le  baptême  chrétien  pour  le  dis- 
tinguer du  baptême  de  Jean?  Cela  est  peu  probable,  et  cette  tentative 
d'explication  ne  fait  pas  disparaître  la  difficulté.  Les  Pères  de  l'Eglise 
ont  déjà  remarqué  cette  différence,  et  Cyprien,  entre  autres,  a  cherché 
à  l'expliquer  en  disant  que  la  formule  simple  était  usitée  seulement 
chez  les  Juifs ,  parce  qu'ils  connaissaient  déjà  le  Père ,  et  qu'il  n'était 
pas  nécessaire  de  les  baptiser  en  son  nom  (Ep.  LXXIII,  cap.  17,  18). 
L'Eglise  catholique,  tout  en  mettant  en  doute  que  les  apôtres  aient 
réellement  baptisé  au  nom  de  Jésus-Christ,  explique  pourtant  qu'ils 
ont  pu  le  faire,  sous  l'inspiration  du  Saint-Esprit,  pour  donner,  dans 
les  premiers  temps  de  l'Eglise,  plus  d'éclat  au  nom  et  à  la  personne  de 
Jésus-Christ  (Cat.  Rom.,  de  Baptismo,  §§  15,  16).  Il  est  probable  que  la 
formule  plus  complète  n'a  été  usitée  que  plus  tard,  et  que  c'est  seule- 
ment alors  qu'elle  a  passé  dans  le  texte  du  premier  évangile.  L'admi- 


BAPTEME  59 

oistration  du  baptême  ne  paraît  pas  avoir  été  l'objet  d'une  fonction 
spéciale  au  temps  apostolique.  Nulle  part  nous  ne  voyons  que  les 
apôtres  ou  les  diacres  seuls  aient  été  chargés  de  ce  soin.  L'apôtrè 
Paul  se  félicite  d'avoir  baptisé  peu  de  personnes  à  Corinthe,  Jésus 
lavant  envoyé  non  pour  baptiser,  mais  pour  prêcher  l'Evangile 
(1  Cor.  I,  11).  Probablement  les  apôtres  baptisaient  dans  leurs  voyages 
de  mission  les  premiers  convertis,  et  ceux-ci  baptisaient  les  autres.  Il 
n'est  pas  non  plus  impossible  que,  dès  que  les  Eglises  furent  organi- 
sées et  eurent  à  leur  tête  des  anciens,  ceux-ci  n'aient  été,  par  mesure 
d'ordre,  spécialement  chargés  de  baptiser  les  nouveaux  convertis. 

II.  Doctrine  catholique.  —  Ces  idées  saines  ne  persistèrent  pas  long- 
temps dans  l'Eglise,  et  onne  tarda  pas  à  attribuer  au  baptême  un  pouvoir 
magique  et  à  le  considérer  comme  une  condition  essentielle  dusalut.  Le 
premier  de  ces  effets  merveilleux  fut  le  pardon  des  péchés  commis  au- 
paravant. D'après  Barnabas,  le  néophyte  entre  dans  l'eau  tout  couvert 
de  péchés  et  en  sort  riche  en  fruits  de  justice  (Ep.,  cap.  11).  Hermas 
dit  «pie  l'eau  du  baptême  purifie  [Past.,  lib.  I,  Vis.  III,  c.  3).  Pour  Justin, 
être  baptisé  est  synonyme  d'être  régénéré.  Tertullien  représente  les 
chrétiens  comme  des  poissons  qui  sont  nés  dans  l'eau,  qui  nagent  à  la 
suite  du  grand  poisson,  et  qui  ne  peuvent  être  sauvés  qu'en  restant 
dans  l'eau  (de  Bapt.,  c.  1).  Un  autre  résultat  du  baptême  est  la 
communication  du  Saint-Esprit  (pe?'  baptisma  Spiritus  Sanctus  accipi- 
tur,  Cyprien,  Epist.  LXVIII  ;  Justin,  Dial.,  c.  29).  Enfin  l'effet  le  plus 
merveilleux  est  que  l'àme,  mortelle  par  sa  nature,  acquiert  l'immorta- 
lité par  1»  baptême.  Cette  singulière  idée  se  trouve  déjà  chez  Hermas: 
Echus  à  la  mort,  dit-il,  les  hommes  entrent  dans  l'eau  du  baptême;  ils 
•  H  sortent  destinés  à  la  vie  (lib.  III,  simil.  IX,  c.  16-18).  L'homme  re- 
voit de  nouveau  l'Esprit  de  Dieu,  reçu  une  première  fois  du  souffle  de 
sa  bouche  et  perdu  par  le  péché,  et  devient  par  là  immortel  (Tertull., 
de  Buptismo,  c.  o.  Voy.  lrénée,  adv.  Hœres.,  lib.  III,  c.  17).  Grégoire 
de  Nysse  rapporte  seulement  à  l'àme  l'immortalité  qui  résulte  du  bap- 
tême :  le  corps  reste  mortel  à  cause  du  péché,  mais  il  devient  capable 
de  résurrection  par  l'union  avec  le  corps  de  Christ  dans  la  sainte-cène. 
Gettc  puissance  magique  du  baptême  est  expliquée  soit  par  les  proprié- 
tés physiques  et  cosmiques  de  l'eau  (l'eau,  d'après  Tertullien,  est  une 
substance  primitive  ;  le  monde  est  sorti  de  l'eau  ;  l'homme  a  été  fa- 
çonné avec  de  l'argile  encore  humide  ;  sa  vie  supérieure  sort  de  même 
de  l'eau  du  baptême,  de  Bapt.,  c.  2),  soit  par  l'union  mystique  de  l'eau 
iv.i  l'Esprit  de  Dieu.  De  même  qu'au  commencement  l'Esprit  de  Dieu 
planait  sur  les  eaux ,  ainsi  l'eau  du  baptême  reçoit  la  force  sanctifiante 
par  l'invocation  de  l'Esprit  de  Dieu  (de  Bapt.,  c.  3).  D'après  Cyprien, 
l'eau  u'est  pas  seulement  sanctifiée  par  l'Esprit,  mais  l'Esprit  s'unit  à 
l'eau  pour  lui  communiquer  sa  puissance  sanctifiante  (Ep.  LXX,  2; 
LXXIV,  5).  Clément  d'Alexandrie  dit  que  la  force  et  l'Esprit  du  Logos 
s'unissent  à  l'eau,  qui  devient  un  u&5p  Xoyuccv  (Co/wrt.,  79).  A  côté  de 
la  croyance  en  ces  merveilleux  effets  du  baptême,  on  rencontre,  il  est 
vrai,  une  doctrine  plus  sobre.  Plusieurs  Pères  de  l'Eglise  établissent 
une  différence  entw  le  signe  et  la  force  agissante.  Grégoire  de  Nazian/e 


60  BAPTÊMK 

distingue  dans  le  baptême  une  double  purilication  :  Tune  typique,  pro- 
duite par  l'eau  du  baptême,  l'autre  véritable  et  réelle,  produite  par 
l'Esprit  {Or.  40).  Saint  Jérôme  exige  la  foi  comme  condition  essentielle 
des  effets  salutaires  du  baptême  :  «  Qui  non  plena  fide  accipiunt 
baptisma,  non  SpiritUm,  sed  aquam  accipiunt  »  (Knarrat  in  Ps.,  77). 
Les  effets  du  baptême  sont  proportionnés  aux  dispositions  morales 
avec  lesquelles  on  le  reçoit.  On  trouve  surtout  chez  les  Pères  grecs 
Tidée  que  le  baptême  est  non  l'accomplissement,  mais  le  commen- 
cement de  la.  régénération,  qui  ne  peut  s'achever  qu'avec  la  coo- 
pération du  lidèle.  Origène  nomme  le  baptême  le  commencement  et 
la  source  des  dons  de  Dieu  (Nom.  in  Luc,  XXI).  Mais  cette  idée 
élevée  du  baptême  était  loin  d'être  partagée  par  tous  les  chrétiens. 
La  plupart  des  fidèles,  surtout  depuis  l'introduction  dans  l'Eglise 
d'un  grand  nombre  de  païens  convertis,  penchaient  vers  les  idées 
superstitieuses,  et  attendaient  du  baptême  des  effets  magiques,  et  le 
pardon  complet  de  tous  leurs  péchés  indépendamment  de  leurs  dis- 
positions morales.  Dès  le  commencement  du  quatrième  siècle,  la  cou- 
tume s'établit  de  différer  le  baptême  le  plus  longtemps  possible,  et 
même  jusqu'aux  approches  de  la  mort,  dans  l'espoir  de  mourir,  même 
après  une  vie  dissolue,  dans  un  état  de  pureté  sans  tache.  C'est  ce  que 
fit,  au  rapport  d'Eusèbe,  l'empereur  Constantin  lui-même  (Vit.  Const., 
lib.  IV,  c.  62).  D'autres  motifs  contribuaient  au  même  résultat  :  les  uns 
reculaient  devant  le  renoncement  qu'exigeait  la  pratique  du  christia- 
nisme, et  la  difficulté  des  pénitences  infligées  par  l'Eglise  à  ceux  qui 
retombaient  dans  leurs  anciens  errements;  d'autres  désiraient  être  bap- 
tisés un  jour  de  fête,  en  présence  d'une  assistance  considérable;  d'au- 
tres, plus  sérieux,  craignaient  de  compromettre  par  une  faute  la  grâce 
reçue  par  le  baptême,  ou  désiraient  se  préparer  d'une  manière  plus 
complète  à  cet  acte  décisif.  Tertullien  remarque  que  ceux  qui  compre- 
naient l'importance  du  baptême,  craignaient  plus  de  le  recevoir  que 
de  le  différer  (de  Baptis.,\,  18).  Grégoire  de  Nysse  (Orat.  izpbq  ~ohq  gpa- 
&t5vovraç  ~b  ga::T'.7[j.a)  et  Grégoire  de  Nazianze  (Or.  40)  se  prononcèrent 
contre  cette  coutume  dans  des  discours  spéciaux.  Ce  dernier  fait 
valoir  en  faveur  du  baptême  non  différé  l'incertitude  de  la  vie,  le  bon- 
heur que  donne  le  baptême,  et  dont  les  catéchumènes  ne  peuvent  con- 
naître que  l'avant-goût.  En  même  temps  se  répandait  chez  les  chrétiens, 
sauf  chez  quelques  sectes  gnostiques  (Théodoret,  Hœrctic.  fabul.,  lib.  I, 
ch.  10),  l'opinion  que  le  baptême  était  absolument  indispensable  au  salut. 
Il  n'y  avait  d'exception  qu'en  faveur  du  martyre,  et  le  baptême  du  sang, 
auquel  on  attribuait  une  efficacité  complète,  pouvait  seul  suppléer  le 
baptême  d'eau  (Tertull.,  deBapt.,c.  16;  ApoL,  ch.  49;  Origène,  Exhort. 
ad  Mart.fc.3Q',  Cyprien,  Epist.  LXXIII,  etc.).  Grégoire  de  Nazianze  le 
considère  même  comme  plus  efficace,  carie  chrétien  mort  martyr  ne  peut 
plus  être  souillé  par  de  nouveaux  péchés  (Or.  39).  Mais  le  martyre  des 
chrétiens  catholiques  avait  seul  cet  effet.  Quant  aux  catéchumènes  morts 
pendant  leur  catéchuménat,  on  pensait  alors  que  le  projet  et  la  volonté 
de  recevoir  le  baptême  équivalaient  au  baptême  lui-même  (Ambros., 
Orat.  in  ohit.  Valent.).  La  foi  en  la  nécessité  du  baptême  pour  le  salut 


BAPTÊME  01 

c'était  pas  sans  amener  quelques  difficultés  :  quel  était  le  sort  réservé 
aux  justes  morts  avant  Jésus-Christ,  et  qui,  sans  qu'il  y  ait  eu  de  leur 
faute,  n'avaient  pu  recevoir  le  baptême?  Déjà  iïermas  l'ait  descendre  les 
apôtres  dans  lelîadès  pour  y  baptiser  les  patriarches  et  les  justes  de  l'an- 
cienne alliance,  el  Clément  d'Alexandrie  pense  même  qu'ils  y  baptisèrent 
aussi  les  païens  vertueux  | J'astor,  sim.  IX,  c.  16;  Clém. d'Alex. ,  Stro- 
matest  lib.  11.  e.  9;  VI,  c.  6).  Plus  tard,  on  pensa  qu'il  existait  déjà  des 
sacrements  dans  l'ancienne  alliance,  que  la  foi  au  Sauveur  futur  suffi- 
sait pour  le  salut,  et  on  ne  se  préoccupa  plus  de  cette  question.  Une 
autre  conséquence  de  la  croyance  à  la  nécessité  du  baptême,  fut  l'usage 
de  baptiser  les  enfants  nouveau-nés.  Il  est  impossible,  faute  de  docu- 
ments suffisamment  clairs,  de  dire  d'une  façon  précise  à  quelle  époque 
cette  coutume  s'établit  dans  l'Eglise.  Le  premier  indice  qu'on  a  cru 
trouver  du  baptême  des  enfants  est  une  phrase  d'Irénée  dans  laquelle 
il  n'est  pas  spécialement  question  du  baptême.  Après  avoir  dit  que  le 
Christ  est  venu  pour  sauver  tous  les  hommes,  il  ajoute  :  «  Omnes,  in- 
quant*  qui  per  eum  renascuntur  in  Deum  :  infantes,  parvulos,  juvenes, 
teniores.  Ideo  per  omnem  venit  ivtatem,  et  infantibus  infans  factus  sanc- 
ti/icans  infantes;  in  parvulis  parvulus,  sanctificans  hanc  ipsam  habentes 
setatem,  et  exemplum  illis  pietatis  effectus  et  subjectionis.  »  (Adv.  kœres., 
lib.  Il,  c.  22,  §  4).  Mais  il  n'est  pas  certain  qu'Irénée  fasse  ici  allusion 
au  baptême,  quoiqu'à  ses  yeux  la  régénération  dépende  étroitement  du 
baptême.  Je  dirai  même  que  pour  trouver  dans  cette  phrase  le  baptême 
des  enfants,  il  faut  commencer  par  l'y  mettre.  Il  en  est  de  même  du 
passage  <>ù  Justin  parle  de  personnes  qui  dès  l'enfance  ont  été  disciples 
de  Jésus-Christ  (Apol.,  I,  15)  :  il  renferme  plutôt  une  allusion  au  caté- 
chuménat  qu'au  baptême  des  enfants.  Le  premier  indice  certain  de 
^existence  de  cette  coutume  est  l'opposition  qu'y  litTertullien  :  «  Cane- 
tatio  baptismi  utilior  est,  praecipue  tamen  circa  parvulos  »  (de  Bapt., 
c.  18  .  Cette  opposition  prouve  que  le  baptême  des  enfants  était  pratiqué 
de  m  m  temps,  mais  que  cet  usage  ne  datait  pas  de  loin,  et  que  Tertul- 
lien  ne  le  croyait  pas  d'origine  apostolique;  il  y  voyait  un  abus, 
et  il  demande  qu'on  en  revienne  à  l'ancienne  coutume  de  ne  baptiser 
les  néophytes  que  quand  ils  sont  en  état  de  connaître  Jésus-Christ  : 
«  Veniant  ergo  dum  a/Jolescunt,  veniant  dura  discunt,  dum  quo  veniant 
docentur;  fiant  christiani  eum  Christian  nosse  potuerint  »  (ibid.).  A  la 
même  époque  (tin  du  deuxième  siècle),  le  baptême  des  enfants  était 
déjà  généra]  en  Egypte  au  rapport  d'Origène,  qui  fait  remonter  cette 
coutume  aux  apôtres  eux-mêmes  (in  Epist.  ad.  liant.,  lib.  V.,  ch.  9), 
<t  qui  la  justifie  en  en  montrant  la  nécessité.  Il  voit,  en  effet,  dans  la 
naissance  même  une  souillure  que  le  baptême  doit  faire  disparaître  (in 
Lue.  Evang.  fa, mil..  XXV)  et  déclare  que  le  baptême  est  nécessaire 
aux  enfants  parce  qu'ils  ont  aussi  besoin  de  pardon  (mLevit.hom.,  VIII). 
Malgré  l'opposition  de  Tertulïien,  la  coutume  de  baptiser  les  enfants 
se  répandit  de  plus  en  plus  en  Afrique  et  dans  la  chrétienté  tout  en- 
tière. On  tomba  bien  vite  d'accord  sur  la  nécessité  ou  l'utilité  dr  ee 
baptême,  quoique  les  raisons  qu'on  en  donnait  ne  tussent  pas  toujours 
les  mêmes,  les  uns.  comme  Origène,  pensant  que  le  baptême  efface  chez 


62  BAPTÊME 

les  enfants  les  péchés  commis  dans  une  vie  antérieure,  ou  la  coulpe 
léguée  par  Adam  (Cyprien,  ity.  LXIV,  5),  d'autres  que  le  baptême  pro- 
duit surtout  son  effet  dans  la  vie  postérieure  (Grégoire  deNaz.),  d'autres 
enfin  admettant  les  deux  raisons  à  la  fois  (Isidore  dePeluse,  Théodoret, 
Théod.  de  Mopsveste,  etc.).  Le  seul  différend  qui  s'éleva  à  ce  sujet 
porta  sur  la  question  de  savoir  si  on  devait  baptiser  les  enfants  dès  leur 
naissance  ou  admettre  un  délai  de  huit  jours.  Un  synode  présidé  par 
Cyprien  décida  (252)  que  le  baptême  doit  être  administré  dès  la  nais- 
sance (Cypr.,  Epist.  LIX).  Cette  coutume  rencontra  quelque  résistance 
en  Orient,  mais  s'établit  sans  difficulté  dans  les  Eglises  latines.  Quant 
aux  possédés  et  aux  énergumènes,  Cyprien  pense  qu'on  peut  les  bap- 
tiser, parce  que  le  diable  qui  les  obsède  peut  être  expulsé  par  le  baptême 
(Ep.  LXIX,  c.  15);  mais  l'avis  le  plus  général  est  qu'il  ne  faut  adminis- 
trer le  baptême  à  des  personnes  privées  de  leur  bon  sens  que  dans  des 
cas  de  nécessité  urgente.  Malgré  la  croyance  en  la  nécessité  absolue  du 
baptême  pour  le  salut,  on  admettait  des  différences  dans  le  sort  de 
ceux  qui  mouraient  sans  l'avoir  reçu.  Grégoire  de  Nazianze  distingue 
trois  cas  :  ceux  qui  ont  refusé  le  baptême  par  impiété  ou  mépris  du 
rite  sacré  sont  punis  de  châtiments  plus  rigoureux  ;  ceux  qui  l'ont  dif- 
féré par  ignorance  ou  insouciance  subissent  des  peines  plus  légères  ; 
enfin  les  enfants  morts  sans  baptême  ne  sont  pas  punis,  mais  sont  pri- 
vés de  la  gloire  divine  (Or.  40,  23).  L'usage  de  baptiser  les  enfants 
donna  naissance  à  la  fonction  des  parrains  (àvàSo^oi,  sponsores,  fide- 
jussores,  fidedictores,  suscepto?*es,  etc.).  Tertullien  est  le  premier  qui 
en  fasse  mention  (de  Bapt.,  c.  18).  Les  enfants  étant  incapables  de 
confesser  leur  foi  et  de  prendre  eux-mêmes  les  engagements  du  bap- 
tême, il  était  nécessaire  que  quelqu'un  le  fit  pour  eux,  et  pût  au  besoin 
témoigner  que  le  baptême  avait  eu  lieu.  Ce  furent  les  parents  eux- 
mêmes  qui  remplirent  d'abord  cette  fonction;  mais  le  concile  de 
Mayence  (813)  défendit  cet  usage.  La  règle,  dans  l'ancienne  Eglise, 
avant  que  la  coutume  de  différer  le  baptême  quelquefois  jusqu'au  lit  de 
mort  se  fût  établie,  était  de  baptiser  par  triple  immersion.  «  Non  semel, 
dit  Tertullien,  sed  ter  ad  singula  nomina  in  personas  singulas  tingui- 
mur  »  (adv.  Prax.,  c.  26).  Mais  quand  on  dut  baptiser  des  malades  et 
des  mourants  (clinicï),  ce  rite  n'était  pas  praticable.  On  baptisa  donc 
exceptionnellement,  dans  ces  cas-là,  par  infusion  ou  par  aspersion  répé- 
tée trois  fois.  Cette  coutume  eut  toutefois  bien  de  la  peine  à  s'établir, 
et  fut  longtemps  regardée  comme  insuffisante  (Eusèbe,  Bât.  écoles., 
lib.  VI,  c.  43.  Voy.  Suicer,  Thésaurus  ecclesiasticus,  au  mot  y.X:vntéç). 
Pourtant  Cyprien  regardait  comme  valable  le  baptême  par  aspersion 
donné  ei]  cas  de  nécessité  urgente  (Ep.  LXIX,  ad  Magnum,  c.  12  ss.). 
Le  baptême  était  suivi  de  quelques  rites  symboliques  destinés  à  en 
mettre  en  lumière  les  salutaires  effets.  On  présentait  d'abord  au  nou- 
veau baptisé  du  lait  et  du  miel  (Tertull.,  de  Coron,  milit.,  3),  pour  in- 
diquer qu'il  était  désormais  enfant  de  Dieu;  venaient  ensuite  l'onction 
(Id.,  deBapt.,  7),  symbole  du  sacerdoce  spirituel,  puis  l'imposition  des 
mains,  coutume  apostolique  qui,  après  l'établissement  de  l'épiscopat, 
fut  réservée  aux  seuls  évoques.  Les  néophytes  recevaient  des  vêtements 


BAPTEME  63 

blancs  et  une  sorte  de  diadème,  en  place  des  vêtements  dont  ils  s'étaient 
dépouillés  avant  le  baptême  (Et».,  de  Vit.  Const.,  IV,  ()2  ;  August., 
/•//,.  XXXIV,  8).  En  Orient  ils  ceignaient  tours  reins  (allusion  à  Luc  XII,  35) 

et  recevaient  une  couronne  consacrée;  en  Occident  on  leur  mettait  un 
cierge  allumé  à  la  main  (allusion  à  la  parabole  des  Vierges  sages  et  des 
Vierges  folles  ou  à  Luc  Xll,  35).  —  Les  idées  d'Augustin  sur  le  baptême 
sont  très-importantes,  car  elles  ontété  adoptées  par  la  scolastique  et  ont 
passé  presque  sans  modifications  dans  la  doctrine  définitive  et  officielle 
de  l'Eglise  romaine.  Il  est  donc  nécessaire  de  les  examiner  à  part  et 
dans  leur  ensemble.  Il  fut  amené  à  les  développer  dans  sa  lutte  contre 
les  donatistes,  puis  dans  celle  qu'il  soutint  contre  les  pélagiens.  Le 
point  de  départ  de  sa  doctrine  est  dans    sa    théorie   de  l'Eglise. 
L'Eglise  catholique  est  pour  lui  le  corps  du  Christ  dont  les  fidèles  sont 
les  membres;  c'est  dans  ce  corps  seulement  que  son  Esprit  agit;  il  ne 
peut  v  avoir  qu'en  elle  une  communia  sanctorum.  [Il  n'y  a  pas  de  salut 
possible  pour  les  isolés,  parce  qu'il  ne  peut  y  avoir  ni  communication 
ilu  Saint-Esprit,  ni  part  à  la  vie  du  Christ  pour  ceux  qui  ne  sont  pas 
incorporés  à  son  corps  qui  est  l'Eglise.  C'est  cette  incorporation  qui  est 
produite  par  le  baptême.  Delà  son  absolue  nécessité.  Augustin  distingue 
entre  le  sacrement  et  son  contenu  (res  sac?'amenti).  Le  sacrement  est  le 
baptême  lui-même  ;  son  contenu  est  l'action  de  l'Esprit  dans  l'âme  du 
fidèle  :  tous  deux,  ensemble  produisent  la  régénération  (dePeccat.  mont, 
et  remiss.,  III,  4,  §  7).  La  régénération  comprend  le  pardon  des  péchés 
■  min,  h  retustatë),  que  le  Saint-Esprit  doit  produire  d'abord, parce 
qu'il  ne  peut  habiter  que  dans  uncœurpur  (de  Bapt.,  I,  11,  §  16),  et  la 
vivitieation  de  toutes  les  forces  naturelles  par  l'effusion  du  Saint-Esprit. 
Dans  les  ouvrages  d'Augustin  contre  les  donatistes  et  surtout  dans  son 
livre  de  Baptismo,  les  péchés  dont  le  baptême  assure  le  pardon  sont 
surtout  les  péchés  actuels  dont  les  hommes  se  sont  rendus  coupables. 
Dans  ses  ouvrages  postérieurs  il  a  surtout  en  vue  le  péché  originel  et  en 
même  temps,  par  surcroit,  les  péchés  actuels.  Le  but  essentiel  du  bap- 
téme  est  donc,  dans  cette  manière  de  voir,  d'effacer  le  péché  originel. 
La  concupiscence  qui,   avant  le  baptême,  est  considérée  comme  un 
péché,  n'a  plus  la  même  gravité  après  ;  elle  demeure  pourtant  dans  le 
cœur  de  l'homme,  non  comme  quelque  chose  de   substantiel,  mais 
i  <>i  h  me  une  maladie  qui  vas'afïaiblissant,  mais  qui  ne  disparaîtra  tout  à 
fait  que  dans  l'état  glorieux  (de  Nupt.  et  Concupis.,  lib.  I,  c.  25,  §  28; 
c.2&,|  29).  Le  baptême  ne  produit  pas  un  simple  effet  rétroactif  :  non-seu- 
lement les  péchés  passés,  mais  les  péchés  postérieurs  sont  remis  à  celui 
qui  reçoit  le  sacrement.  Le  baptême  est  donc  la  condition  objective  de 
la  régénération;  la  condition  subjective  est  la  conversion  (repentance 
et  Inii.  Les  conditions  peuvent  exister  l'une  sans  l'autre  :  le  baptême 
peut  être  administré  à  un  non  converti,  et  un  converti  peut  ne  pas  re- 
cevoir le  baptême.  Augustin  admet  d'abord  que,  dans  certains  cas,  le 
défaut  d'une  de  ces  conditions  peut  n'être  pas  préjudiciable  au  salut  : 
le  baptême  sans  repentance  peut  suffire  chez  un  enfant  mourant,  et  la 
repentance  sans  le  baptême  chez  des  catéchumènes  morts  avant  d'avoir 
pu  être  baptisés.  La  grâce  de  Dieu  supplée  à  ce  qui  manque,  et  Augus- 


64  BAPTEME 

tin  cite  à  ce  propos  l'exemple  du  brigand  sur  la  croix.  Mais  il  n'admet 
cela  qu'en  des  cas  d'absolue  nécessité  (de  Boptismo,  IV,  22-25).  Plus  tard, 
il  se  montre  plus  rigide  et  déclare  le  baptême  indispensable,  car  c'est  par 
le  baptême  qu'on  est  incorporé  à  l'Eglise,  hors  de  laquelle  il  n'y  a  pas  de 
salut  possible  (Ep.  CLXXXV,  c.  II,  §  50;  Ep.  CXCIV,  c.  IV,  §  18).*  Dans  ses 
Rétractations,  il  émet  l'hypothèse  que  le  brigand  à  qui  Jésus  promit  le  pa- 
radis devait  avoir  été  baptisé  (voy.  aussi  de  Anima  et  ejus  origine,  1,11;  II, 
14-16),  et  ailleurs  il  déclare  qu'un  catéchumène  mort  avant  le  baptême 
ne  peut  être  sauvé  (dePeccat.  mertl.',.1, 86,  42).  Le  martyre  seul  peut  rem- 
placer le  baptême,  et  seulement  lorsqu'il  est  souffert  pour  l'Eglise  catho- 
lique. D'un  autre  côté,  les  impies  qui  reçoivent  le  baptême  en  éprouvent 
les  effets  extérieurs  :  ils  sont  incorporés  à  l'Église,  à  laquelle  ils  appar- 
tiennent désormais,  mais  cela  ne  leur  sert  à  rien  pour  le  salut.  Il  en  est 
de  même  du  baptême  reçu  des  mains  des  hérétiques  ou  des  schismati- 
ques,  quand  on  pouvait  le  recevoir  de  la  main  d'un  catholique.  En  gé- 
néral, nul  ne  peut  être  sûr  du  pardon  de  ses  péchés  s'il  n'a  reçu  que  le 
sacrement  du  baptême,  s'il  ne  se  sent  pas  converti,  s'il  ne  pardonne  pas 
afin  qu'il  lui  soit  pardonné  (de  Rapt.,  VI,  32,  §02).  Toutefois,  le  baptême 
une  fois  administré  est  valable,  et  il  n'est  pas  nécessaire  de  l'administrer 
une  seconde  fois.  Lorsque  les  impies  se  convertissent,  il  n'y  a  qu'à  leur 
imposer  les  mains  pour  qu'ils  reçoivent  le  don  de  l'esprit  qui  pardonne 
les  péchés  et  l'amour  qui  les  couvre  (ibid.,  III,  16,  §21  ;  VI,  3,  §8;  5,  §  7). 
Augustin  a  toujours  admis  le  baptême  des  enfants,  mais  les  motifs  sur 
lesquels  il  se  basait  ont  quelque  peu  varié.  Il  le  justifia  d'abord  en 
disant  que  chez  l'enfant  le  sacrement  peut  précéder  la  conversion, 
comme  chez  Isaac  la  circoncision  précéda  la  foi  ;  que  la  grâce  de  Dieu 
supplée  à  ce  qui  manque;  il  suffit  que  quelqu'un  réponde  pour  eux, 
ce  qui  ne  serait  pas  le  cas  pour  un  adulte.  La  foi  des  parents,  des  par- 
rains, de  toute  l'Eglise,  tient  lieu  au  nouveau-né  de  celle  qu'il  ne  peut 
avoir  encore  (de  Peccat.  merit.,  III,  ch.  2).  L'enfant  mort  baptisé  est 
donc  sauvé.  Il  y  joignit  de  nouveaux  arguments  lorsque  la  doctrine  du 
péché  originel  joua  un  grand  rôle  dans  sa  dogmatique.  L'enfant  a  con- 
tracté le  péché  originel  dès  avant  sa  naissance  ;  il  a  besoin  d'être  régé- 
néré et  délivré  de  la  coulpe  par  le  baptême.  Une  fois  régénéré,  il  ne 
pourrait  se  trouver  de  nouveau  sous  le  coup  de  la  colère  divine  que 
par  une  nouvelle  naissance  charnelle,  et  il  ne  peut  perdre  la  grâce  du 
baptême  que  par  son  propre  péché.  Quant  aux  enfants  qui  meurent 
sans  baptême,  Augustin,  après  avoir  admis  d'abord  qu'ils  ne  peuvent 
hériter  de  la  gloire  céleste,  mais  qu'il  ne  serait  pas  digne  de  la  justice 
de  Dieu  de  les  punir  éternellement  d'un  péché  qui  ne  leur  est  pas  per- 
sonnel (De  lib.  arbit.,  lib.  III,  c.  23),  déclara  qu'ils  sont  voués  à  la  dam- 
nation éternelle,  concédant  seulement  qu'ils  seraient  punis  de  la  peine 
la  plus  douce  des  enfers  (de  Peccat.  merit.,  lib.  I,  c.  16).  L'idée  de  la 
nécessité  absolue  du  baptême  était  tellement  répandue  et  exagérée  à 
cette  époque  qu'on  discuta  la  question  de  savoir  si  on  devait  baptiser 
des  enfants  encore  dans  le  sein  de  leur  mère.  Augustin  se  prononça 
avec  force  contre  cette  idée  :  Renati  ?iisi  nati  homines  esse  non  possunt 
(Ep.  CLXXXVII,c.  10,  §  32  ss.).  —  Une  srne  question  qui  surgit  dès  le 


BAPTÊME  63 

troisième  siècle  dans  l'Eglise,  fut  celle  de  la  validité  du  baptême  des 
hérétiques.  La  doctrine  constante  de  l'Eglise  était  que  le  baptême,  (Haut 
un  acte  d'initiation  à  L'Eglise,  ne  devait  pas  être  renouvelé  (Tertull.,  De 
pudicitia,  c.  1<>;  Eusèbe,  ffist.  eccles.,\\b.  VII,  c. 9). L'évoque  de  Rome, 
Etienne  ty  257)  admettait  la  validité  du  baptême  administré  par  les  hé- 
rétiques, ei  pensait  qu'il  suffit  d'imposer  les  mains  à  ceux  d'entre  eux 
qui  rentrent  dans  le  giron  de  l'Eglise  (Eusèbe,  flïsf.ecc/es.,  VII,  0.2,5). 
Le  synode  d'Arles  avait  déclaré  (314)  que  ceux  qui  avaient  été  baptisés 
par  des  hérétiques  au  nom  du  Père,  du  Fils  et  du  Saint-Esprit,  ne 
devaient  pas  être  rebaptisés,  mais  qu'il  suffisait  de  leur  imposer  les 
mains  en  les  recevant  dans  l'Eglise.  La  plupart  des  Eglises  d'Asie- 
Mineure,  au  contraire,  et  les  Eglises  d'Afrique,  soutenaient  qu'il  n'y  a 
qu'une  seule  Eglise  véritable,  et  un  seul  baptême  valable  et  légitime, 
celui  que  cette  Eglise  confère  (Cyprien,  Ep.  LXX,  LXXIII  ;  Eusèbe, 
Hist.  eccles.,  lib.  VII,  c.  7;  Clément  d'Alex.,  Strom.,  lib.  I,  c.  19).  Les 
l'élises  d'Orient  ne  faisaient  exception  que  pour  quelques  sectes  qui  se 
rapprochaient   beaucoup  de  l'Eglise  catholique.    Les  deux  partis  en 
appelaient  également  à  la  tradition.  Lorsque  le  schisme  des  donalistes 
éclata.  l'Eglise  d'Afrique  changea  de  sentiment,  et  Augustin  déclara 
(pie  la  validité  du  baptême  ne  dépend  nullement  des  personnes  qui 
l'administrent,   mais  de  la  manière  dont  il  est  administré;  que  par 
conséquent  le  baptême  des  hérétiques  est  valable,  pourvu  qu'il  ait  été 
administré  au  nom  de  la  Trinité;  mais  que  ce  baptême  ne  suffit  pas  au 
salut  si,  après  l'avoir  reçu,  on  n'entre  pas  dans  l'Eglise  (de  Bapt,, 
lib.   VI,   c.    20  ss.).    Ces   principes   furent   généralement  admis  dans 
l'Eglise  d'Occident.   La   scolastique   appuya  la  doctrine  d'Augustin  de 
iiniiveauxarguments  (Thomas  Aq.,  Summa,  p.  III,  quœst.  66,  art.  9),  et 
elle  fut  définitivement  adoptée  par  le   concile  de  Trente  (sess.    VII, 
can.  %).  — Pendant  la  longue  période  de  plus  de  dix  siècles  qui  s'étend 
entre  le  commencement  du  cinquième  siècle  et  le  concile  de  Trente, 
la  doctrine  du  baptême  demeura,  dans  l'Eglise  d'Occident,  à  peu  près 
telle  qu'Augustin  l'avait  formulée.  La  scolastique  ne  lit  que  systématiser 
et  développer  sur  quelques  points  les  idées  de  l'évêque  d'Hippone.  La 
seule   modification   de   quelque  importance  qu'elle  y  introduisit  fut 
l'idée  du  caractère  indélébile  imprimé  à  l'àine  par  le  baptême  (Thom. 
Aq..  Summa,  p.  M,quaesf.  63).  Dès  la  fin  du  treizième  siècle,  le  baptême 
par  aspersion,  dont  nous  avons  vu  l'origine,  commença  à  prévaloir 
pour  l«-  baptême  des  enfants,  et  comme  les  baptêmes  d'adultes  deve- 
naient rares,  l'usage  s'en  établit  rapidement.   En  1311  le  concile  de 
Rayonne  laissa  le  choix,  libre  entre  l'immersion  et  l'aspersion.  L'anti- 
que coutume  de  la  triple  immersion,  dans  laquelle  on  voyait  le  symbole 
de  la  résurrection  de  Jésus-Christ  le  troisième  jour,  fut  remplacée  dans 
certaines  Eglises  par  une  simple  immersion.  Les  évêques  espagnols  pra- 
Liquèrenl   les  premiers  ce  rite  par  opposition  aux  ariens,  l'immersion 
unique  ('•tant   pour  eux  un  symbole  de  l'union   essentielle  des  •  trois 
personnes   divines.   Les  deux    formes  se    maintinrent   l'une  à  côté  de 
l'autre,  non  sans  luttes  et  sans  tiraillements,  jusqu'à  ce  que  Thomas 
d'Aquin  eûl  déclaré  que  les  deux  usages  pouvaient  être  ('gaiement  au- 
i:.  :; 


C>Q  BAPTEME 

torisés  (Sum.,  p.  IIÎ,  qua^st.  (H),  art.  8).  Pendant  cette  période,  le  rite 
du  baptême  s'enrichit  d'un  certain  nombre  d'actes,  qui  avaient  autre- 
fois fait  partie  de  la  préparation  des  catéchumènes.  Exceptionnellement 
d'abord,  lorsqu'on  baptisait  des  malades  et  des  mourants,  et  d'une 
manière  générale  plus  tard,  lorsque  l'usage  prévalut  de  plus  en  plus 
de  baptiser  les  enfants,  ces  actes  furent  adjoints  au  rite  du  baptême  et 
le  précédèrent  immédiatement.  Les  principaux  étaient  le  signe  de  la 
croix,  l'introduction  du  sel  dans  la  bouche  de  l'enfant  (datio  salis),  le 
renoncement  au  diable,  à  ses  pompes  et  à  ses  anges  (abrenuntiatio), 
l'exorcisme,  l'ouverture  des  oreilles  et  des  narines  (apertio  aurium  et 
narium),  l'onction  avec  l'huile  des  catéchumènes,  et  l'enseignement 
solennel  du  symbole  et  de  l'oraison  dominicale  {ttadûio  symboli  et 
orationis  dominicœ)  que  les  néophytes  récitaient  ensuite  Ireddùio  sym- 
boh',  etc.).  Les  doctrines  des  scolastiques  touchant  le  baptême  furent 
adoptées  à  peu  près  sans  modification  par  le  concile  de  Trente.  Voici 
quelle  est,  d'après  le  catéchisme  romain,  la  doctrine  de  l'Eglise  catho- 
lique à  ce  sujet.  Le  baptême  est  le  sacrement  de  la  régénération  (Cat. 
Rom.,  p.  II,  c.  2,  §  S).  Il  se  compose  de  deux  éléments,  la  matière  et 
la  forme,  dont  la  réunion  constitue  le  sacrement  (§  6).  La  matière  est 
l'eau  naturelle  (§  7);  la  forme  consiste  dans  les  paroles:  Ego  te  baptizo 
in  nomine  Patris,  et  Filii,  et  Spiritus  Sancti.  Ces  paroles  sont  essen- 
tielles au  baptême,  sauf  la  première  ego,  dont  le  sens  se  retrouve  dans 
le  verbe  baptizo  (§§  13,  14).  Il  est  indifférent  que  le  baptême  ait  lieu 
par  immersion  ou  par  aspersion,  et  que  l'immersion  ou  l'aspersion 
soit  triple  ou  unique  :  la  seule  chose  à  observer,  c'est  que  l'eau  doit 
être  versée  de  préférence  sur  la  tête,  et.  que  les  paroles  sacramentelles 
doivent  être  prononcéesau  moment  même  du  contact  de  l'eau  (§§  17, 18). 
Les  prêtres,  ex  auctoritate,  les  diacres,  ex  concessu,  et,  en  cas  de 
nécessité,  toute  personne,  peuvent  administrer  le  baptême,  même 
les  juifs,  les  infidèles  et  les  hérétiques,  pourvu  qu'ils  le  fassent  dans 
la  même  intention  que  l'Eglise  et  qu'ils  emploient  la  formule  (§  22). 
Toutefois,  une  femme  ne  doit  pas  administrer  le  baptême  si  un 
homme  est  là,  ni  un  laïque  en  présence  d'un  clerc,  ni  un  simple  clerc 
en  présence  d'un  prêtre  (§  24).  Le  baptême  crée  une  véritable  parenté 
spirituelle  entre  celui  qui  baptise  et  le  néophyte,  et  entre  celui-ci  et  ses 
parents  d'un  côté,  et  les  parrains  de  l'autre,  et  cette  parenté  est  un  obs- 
tacle dirimant  au  mariage  (§26).  Le  baptême  est  d'absolue  nécessité  pour 
le  salut,  même  pour  les  enfants,  qui  ne  peuvent  pas,  il  est  vrai,  être 
sanctifiés  par  leur  propre  foi,  mais  qui  le  sont  par  celle  de  leurs 
parents,  s'ils  sont  fidèles,  et,  dans  le  cas  contraire,  par  celle  de  l'Eglise 
entière  (§§.30,  31,  33).  Quant  aux  adultes,  trois  choses  sont  nécessaires 
pour  qu'ils  soient  admis  au  baptême  :  la  foi,  la  repentance  et  le  désir 
de  ne  plus  pécher  à  l'avenir  (§  40).  Les  effets  produits  par  le  baptême 
sont  :  la  rémission  du  péché  originel  et  des  péchés  personnels  (la 
concupiscence  demeure,  mais  n'est  plus  considérée  comme  un  péché, 
§§  42,  43)  ;  la  remise  des  peines  méritées  par  ces  péchés  (le  baptême 
n  abolit  pas  les  misères  de  la  vie,  la  souffrance,  la  maladie,  pour  nous 
exercer  à  la  vertu,  et  pour  qu'on  ne  le  demande  pas  dans  des  vues 


BAPTBME  G7 

intéressées,  §§  rt7,  18)  ;  l'infusion  de  la  grâce  et  de  toutes  les  vertus 
(§§  :>0,  51)  ;  L'incorporation  au  corps  de  Christ  et  la  communication  à 

Pâme  d'un  caractère  indélébile,  en  conséquence  duquel  le  baptême  ne 
doit  pas  être  renouvelé  (§§  52,54)  ;  enfin  l'ouverture  du  ciel,  ferme  par 
nos   péchés  (§57).  Ces  fruits  du  baptême  sont  plus  ou  moins  abon- 
dants selon  les  dispositions  de  celui  qui  le  reçoit  (§  58).  Le  rite  du  bap- 
tême est  établi  d'après  le  Catéchisme  Romain  de  la  manière  suivante  : 
[eau  du  baptême  doit  être  consacrée  la  veille  des  grandes  fêtes  (Pâques 
ou  la  Pentecôte).  Les  néophytes  sont  amenés  aux  portes  de  l'église 
dont  ils  ne  sont  pas  encore  dignes  de  franchir  le  seuil.  Là  le  prêtre  les 
instruit  de  la  doctrine  chrétienne  sur  laquelle  il  les  interroge  ensuite. 
Les  adultes  répondent  eux-mêmes;  les  enfants,  par  l'intermédiaire  de 
leurs  parrains.  Le  prêtre  procède  ensuite  à  l'exorcisme,  introduit  du  sel 
dans  la  bouche  de  l'enfant  (symbole  de  la  délivrance  de  la  corruption), 
fait  le  signe  de  la  croix  sur  le  front,  les  yeux,  la  poitrine,  les  épaules, 
les  oreilles,  enduit  de  salive  les  oreilles  et  les  narines  (réminiscence   de 
Jean  IX,  7).  Le  néophyte  est  alors  conduit  au  baptistère  :  là  le  prêtre 
lui  demande  s'il  renonce  à  Satan  et  à  ses  œuvres  :  le  néophyte,  ou  Je 
parrain,  s'il  s'agit  d'un  enfant  nouveau-né,  répond  affirmativement. 
Viennent  ensuite  la  profession  de  foi,  l'affirmatio  nque  le  néophyte  désire 
le  baptême,  puiseniin  le  baptême  lui-même.  Ce  dernier  rite  accompli,  le 
prêtre  oint  le  sommet  de  la  tête  du  nouveau  baptisé,  le  revêt  d'un  vê- 
lement blanc  (remplacé  pour   les  enfants   par   un   morceau  d'étoile 
blanche)  et  lui  remet  un  cierge  allumé.    Enfin  le  nom  d'un  saint  est 
donné  à  reniant  {Cal.  Rom.,  loe.  cit.,  §  (>0).  —  L'Eglise  grecque  ue 
s'éloigne  pas  essentiellement,  à  propos  du  baptême,  de  la  doctrine  de 
l'Eglise  latine.  «  L'homme  né  pécheur,  instruit  dans  la  foi  chrétienne, 
immergé  trois  fois  dans  l'eau  au  nom  du  Père,  du  Fils  et  du  Saint- 
Esprit,  est  purifié  par  la  grâce  divine  de  tout  péché,  et  devient    uii 
homme  nouveau,  régénéré  et  sanctifié   »  (Confess.  Orthod.,  p.  1,  iQ2). 
Elle  n'admet  pas  (pie  le  baptême  puisse  être  renouvelé  s'il  a  été  admi- 
nistré au  nom  du  Père,  du  Fils  et  du  Saint-Esprit,  et  affirme  qu'il  est 
absolument  nécessaire  au  salut.  Elle  admet  également  le  baptême  des 
enfants.  Il  faut  pourtant  remarquer  (pie,  tandis  que  dans  l'Eglise  ro- 
maine le  baptême  a  surtout  pour  but  d'effacer  le  péché  originel  et  la 
condamnation  qu'il  entraine,  l'Eglise  grecque  y  voit  surtout  une  source 
de  grâces  spirituelles.  Le  baptême  par  triple  immersion  y  est  seul  en 
usage,  et  elle  considère  cette  forme  comme  essentielle.  La  formule  em- 
ployée diffère  un  peu  de  celle  de  l'Eglise  romaine  :  Ba~-:£s7ai  6  gcûàcç 
-.-.s  H:;j  h  Iv.ix  il;  to  hz\j.x  tou  Ilaipcç —  Ajjlyjv  —  xa:  tcj  Yfou  —  A(/.r4v 
—  /.y.:  :zj    Wfiz'j    \hi'j\j.y.-zz  —   Ajayjv —  vBv  Kflà  âel  tlç  Tofcç  aùoyaç  twv 
■x.ûnun.   Axr,,.  Le  rite  diffère  également  quelque  peu  de  ce  qu'il  est 
dans  l'Eglise  latine.  L'enfant  est  baptisé  le  huitième  jour  après   sa 
naissance.  Quand  il  a  atteint  l'âge  de  quarante  jours,  la  mère  le  présente 
à  l'église;  le  prêtre  le  prend  dans  ses  bras,  fait  sur  lui  le  signe  de  la 
<  poix  devant  lés  portes  de  l'édifice,  et  le  porte  dans  l'intérieur,  jusqu'à 
l'autel  si  c'est  un  garçon,  et  seulement  jusqu'au  milieu  du  temple  si 
c  est  une  lille.  S  il  s'agit  du  baptême  d'un  adulte  converti  à  l'Eglise 


QS  'BAPTEME 

grecque  du  judaïsme  ou  du  mahométisme,  le  néophyte  y  est  préparé, 
comme  autrefois  les  catéchumènes,  par  l'abjuration,  la  confession  de 
foi,  l'exorcisme,  le  renoncement  au  diable  et  à  ses  œuvres,  la  consé- 
cration à  Christ.  Une  fois  baptisé,  on  le  revêt  d'un  vêtement  blanc  et 
on  lui  met  dans  la  main  un  cierge  allumé  (Y.  Boissard,  Hist.  de  L'E- 
glise de  Russie,  t.  I,  p.  314  ss.). 

111.    Doctrine  protestante.   Dans  l'Eglise  protestante  la  doctrine   du 
baptême  flotta  dès  l'origine  entre  un  symbolisme  pur  et  les  idées  de 
saint  Augustin.  Les  vues  de  Luther  sur  cet  important  sujet  ont  plu- 
sieurs fois  varié:  11  distingue  d'abord  entre  le  signe  (l'immersion  dans 
l'eau)  et  la  chose  signifiée  (la  nouvelle  naissance).  Entre  les  deux  doit 
se  trouver  la  foi   qui  réalise  dans  l'homme  ce  que  le  signe  ne  fait 
que  symboliser.  La  régénération  opérée  par  la  foi  commence  au  bap- 
tême et  se  continue  pendant  toute  la  vie  pour  ne  cesser  qu'à  la  mort 
{Sermon  sur  le  sacrement  du   baptême,    1519).   Plus  tard,   Luther  vit 
dans  les  sacrements  des  signes  et  des  sceaux  que  Dieu  a  attachés  à 
ses  promesses  pour  fortifier  la  foi  des  fidèles.  Enfin,  par  une  dernière 
modification,  Luther  considère  l'eau  du  baptême  non  comme  de  l'eau 
naturelle,  mais  comme  un  élément  divin.   L'eau,  sans  la  parole   de 
Dieu,  est  simplement  de  l'eau  ;  mais  quand  la  parole  de  Dieu  y  est 
jointe,  c'est  le  baptême  (Cat.  min.,  IV,  10).  L'eau  du  baptême  est  une 
eau  divine,  céleste,  sainte,  salutaire  (Cat.  maj.,  IV,  17,  18).  Ainsi  sanc- 
tifiée par  la  parole  de  Dieu,  l'eau  opère  la  rémission  des  péchés,  délivre 
de  la  mort  et  du  diable,  et  donne  la  béatitude  éternelle  à  tous  ceux  qui 
croient  à  la  parole  et  aux  promesses  divines  (Cat.  min.,  IV,  6).  L'im- 
mersion dans  l'eau  signifie  que  le  vieil  homme  qui  est  en  nous  doit 
être  chaque  jour  noyé  avec  ses  péchés  et  ses  passions,  et  qu'il  en  doit 
sortir  un  nouvel  homme  qui  vive  à  jamais  dans  la  justice  et  dans  la 
pureté  (Cat.  min.,  IV,  12).  Cette  idée  de  la  transformation  magique  de 
l'eau  du  baptême  ne  fut  pas  généralement  acceptée  par  les  adhérents  de 
la  Réforme  allemande.  La  Confession  d" Augsbourg  dit  simplement  que  le 
baptême  est  nécessaire  au  salut,  que  la  grâce  de  Dieu  y  est  offerte  aux 
fidèles,  et  que  les  enfants  doivent  être  baptisés  (art.  IX).  D'après  les 
articles  de  Smalkalde,  le  baptême  n'est  autre  chose  que  là  parole  de 
Dieu  avec  l'immersion  dans  l'eau.  Nous  ne  pensons  pas,  disent  ces 
articles,  avec  Thomas  et  les  dominicains,  que  Dieu  ajoute  à  l'eau  une 
vertu  spirituelle  qui  efface  le  péché  par  le  moyen  de  l'eau,  ni,  avec  Scott 
et  tes  franciscains,  que  le  péché  soit  effacé  par  la  volonté  de  Dieu,  et 
non  par  la  parole  et  l'eau  (art.  Smal.,  III,  5).  Luther  et  toute  l'Eglise 
luthérienne   conservèrent  le  baptême   des  enfants.  Il  est  certain,  dit 
P Apologie  de  la  Confession  d' Augsbourg ,  que  la  promesse  du  salut  est 
aussi  faite  aux  petits  enfants.  Or,  elle  n'est  pas  faite  à  ceux  qui  sont  en 
dehors  de  l'Eglise  de  Jésus-Christ.  Il  est  donc  nécessaire  de  baptiser  les 
petits  enfants  pour  que  la  promesse  du  salut  leur  soit  aussi  appliquée. 
Le  salut  étant  offert  à  tous,  le  baptême  doit  l'être  aussi.  Il  s'ensuit  clai- 
rement que  les  enfants  doivent  être  baptisés,  parce  que  le  salut  est  offert 
avec  le  baptême  (art.  IX).  Luther,  il  est  vrai,  insiste  partout  sur  la  né- 
cessité de  la  foi  pour  obtenir  les  grâces  du  baptême.    Sans  la  foi,  le 


BAPTEME  69 

baptême  ne  sert  de  rien,  quoiqu'on  ne  puisse  nier  qu'il  ne  soit  en  soi- 
même  im  trésor  céleste  et  inestimable  (Cnt.  inaj.,  IV,  34).  Les  enfants 
ne  pouvant  pas  croire,  comment  peuvent-ils  obtenir  quelque  grâce  du 
baptême .'  Luther  répond  que  le  baptême  des  enfants  ne  déplaît  pas  à 
Dieu,  puisqu'il  leur  communique  son  Esprit  (ibid.,  IV,  48ss.).  Ce  n'est 
pas,  du  reste,  la  loi  qui  fait  le  baptême,  puisqu'il  consiste  dans  la 
parole  de  Dieu  jointe  à  Peau.  Quand  même  les  enfants  ne  pourraient 
pas  croire,  ce  qu'il  ne  faut  pas  affirmer,  le  baptême  n'en  serait 
pas  moins  le  baptême  (ibid.,  52-55).  La  prière  et  la  foi- de  l'Eglise 
tiennent  lieu  à  l'enfant  de  la  foi  qu'il  ne  peut  avoir  personnellement, 
et  lui  assurent  la  jouissance  des  grâces  du  baptême  (Capt.  dp  Baùyl.). 
Luther  conserva  la  formule  de  l'Eglise  romaine  et  le  baptême  par 
aspersion  simple  ou  triple.  Dans  la  première  édition  de  son  petit 
livre  De  baptisandis  infantibus  (1523)  il  conserve  toutes  les  cérémonies 
qui  dans  l'Église  catholique  précèdent  ou  suivent  le  baptême.  Dans  une 
seconde  édition  (152b)  il  maintient  seulement  l'exorcisme,  la  renonciation 
et  le  symbole  abrégé.  Un  grand  nombre  d'Eglises  luthériennes,  surtout 
dans  l'Ouest  et  dans  le  Sud  de  l'Allemagne,  ne  tardèrent  pas  à  laisser  tom- 
ber également  ces  cérémonies,  et  ne  conservèrent  dans  leur  liturgie  du 
baptême  que  le  symbole  rétabli  in  extenso.  — L'Eglise  ré  formée  se  détacha 
beaucoup  plus  radicalement  des  doctrines  et  des  pratiques  du  catho- 
licisme. Elle  part  du  principe  que  le  salut  n'est  attaché  à  aucune  œuvre 
extérieure,  Zwingle  n'attribue  au  baptême  aucune  influence  sancti- 
fiante, car  c'est  la  foi  qui  sanctifie.  Le  baptême  ne  peut,  d'après 
lui.  ni  nous  communiquer  le  Saint-Esprit,  ni  nous  purifier  de  nos 
fautes,  ni  faire  de  l'homme  une  nouvelle  créature;  il  ne  peut  davan- 
tage fortifier  ou  affermir  la  foi  :  c'est  une  initiation,  un  engagement 
de  suivie  Jésus-Christ.  C'est  le  signe  de  l'Eglise  visible,  par  lequel 
l'homme  est  mis  au  nombre  des  chrétiens.  Le  baptême  n'est  donc- 
pas  nécessaire  au  salut.  11  maintient  pourtant  le  baptême  des  enfants, 
dont  il  rapporte  l'institution  à  Jésus-Christ  et  aux  apôtres.  Il  voit  une 
analogie  complète  entre  le  baptême  et  la  circoncision  :  ce  sont  les  deux 
signes  de  l'ancienne  et  de  la  nouvelle  alliance.  Les  enfants  de  parents 
chrétiens  sont  enfants  de  Dieu,  comme  leurs  parents  eux-mêmes,  et  on  ne 
peut  pas  plus  leur  refuser  le  baptême  que  Pierre  ne  le  refusa»  à  Cor- 
neille  après  qu'il  eut  reçu  l'Esprit  (Vom  Tauf,  Widertauf  und  Kin- 
dertauf).  Calvin  tient  une  espèce  de  juste  milieu  entre  les  idées  de 
Zwingle  et  celles  de  Luther.  Pour  lui  aussi,  le  baptême  est  un  signe 
d'initiation  par  lequel  on  entre  dans  la  communion  de  l'Eglise  visible. 
C'est  un  témoignage  qui  nous  donne  l'assurance  que  nos  péchés 
nous  son!  pardonnes,  mais  ce  pardon  est  opéré  intérieurement,  non 
par  le  baptême  lui-même,  mais  par  le  sang  de  Christ  dont  le  baptême 
est  une  représentation  symbolique  (Instit.,  IV,  15,  1  et  2).  Le  baptême 
nous  montre  que  nous  sommes  crucifiés  avec  Christ,  etque  nous 
possédons  une  nouvelle  vie  en  lui;  il  nous  témoigne  que  nous  sommes 
un  av.-c  lui  el  participants  de  tous  ses  biens  (ibid.,  §§  3-6).  La  condi- 
tion à  laquelle  les  grâces  promises  dans  le  baptême  nous  sont  acquises 
est   la   foi,   -ans    laquelle  le  baptême  n'est  qu'un  signe  de  notre  in- 


70  BAPTEME 

gratitude  envers  Dieu  (iôùL,  §§  14,  15).  Calvin  justifie  le  baptême  des- 
enfants  en  partie  comme  Zwingle.  Il  cite  aussi  F  analogie  du  baptême 
aVec  la  circoncision.  Par  sa  naissance,  Tentant  de  parents  chrétiens  est 
déjà  dans  l'alliance  de  grâce  et  a  droit  au  baptême  (ibid.,  IV,  c.  16, 
j$  3  et  4).  A  l'objection  que  les  entants  ne  peuvent  pas  être  régénérés 
parce  qu'ils  ne  sont  pas  en  état  de  connaître  le  Christ,  il  répond  que 
les  enfants  ne  peuvent  pas,  il  est  vrai,  entrer  dans  le  royaume  des 
cieux  sans  la  régénération  et  la  sanctification  par  le  Saint-Esprit,  mais 
que  s'ils  n'ont  pas  encore  la  foi  des  adultes,  ils  ont  déjà  du  moins 
une  étincelle  de  la  lumière  qui  brillera  plus  tard  en  eux.  Mais  il  n'en 
est  ainsi  que  pour  les  élus,  et  cette  étincelle  suffit  pour  le  salut  de  ceux 
qui  meurent  avant  leur  complet  développement  (ibïd.,  §§  17-21).  Les- 
enfants  qui  meurent  non  baptisés  et  qui  sont  au  nombre  des  élus 
héritent  de  la  vie  éternelle,  de  sorte  que  le  baptême  n'est  pas  une 
condition  essentielle  du  salut  (ibid.,  c.  15,  §  20).  Calvin  conserva 
la  formule  catholique  et  le  baptême  par  aspersion  :  il  est  inutile  de 
dire  qu'à  ses  yeux  le  rite  du  baptême,  la  question  de  savoir  si  on 
doit  l'administrer  par  immersion  ou  aspersion,  simple  ou  triple,  sont 
des  choses  purement  indifférentes  (ibid.,  c.  15,  §  19).  Quant  aux 
cérémonies  accessoires,  déjà  en  1525,  dans  son  écrit  Von  dem  Kinder  tau  f. 
Zwingle  les  abandonnait  complètement,  sauf  le  vêtement  blanc  à 
remettre  aux  néophytes  après  le  baptême,  et  il  transformait  le  rite 
tout  entier  en  adressant  les  questions  non  plus  à  l'enfant,  mais  aux 
parrain...  —  Après  la  période  d'orthodoxie  rigide  qui  remplit  la  fin  du 
seizième  siècle  et  le  commencement  du  dix-septième,  il  se  fit  une 
réaction  contre  le  dogmatisme  luthérien,  et  la  doctrine  ^ecclésiastique 
du  baptême  commença  à  pâlir  et  à  s'effacer.  Les  piétistes,  aux  yeux 
desquels  la  vraie  cause  du  salut  est  dans  la  conversion  et  la  régéné- 
ration, attachèrent  peu  d'importance  au  baptême.  Plus  tard  les  ratio- 
nalistes et  les  supranaturalistes,  bien  que  partant  de  points  de  vue 
différents,  inclinèrent  également  vers  une  interprétation  symbolique 
du  baptême.  De  nos  jours  la  théologie  allemande  se  partage  sur  cette 
question  en  deux  grands  courants.  Les  uns  se  rattachent  au  mou- 
vement libéral  qui  a  été  inauguré  par  Schleiermacher.  Aux  yeux 
de  ce* théologien,  le  baptême  en  lui-même  n'exerce  aucune  ac- 
tion sur  l'âme.  Ou  bien  la  foi  préexiste  au  baptême,  et  avec  la  foi 
la  conversion,  la  régénération  et  la  justification  :  le  baptême  ne  fait 
alors  que  mettre  au  jour  des  effets  déjà  produits;  ou  bien  la  foi 
n'existe  pas  au  moment  du  baptême,  et  ne  sera  éveillée  que  plus  tard 
par  une  série  d'actes  spirituels  qui  suivront  le  baptême  ;  en  ce  cas 
encore  le  baptême  ne  produit  immédiatement  aucun  effet.  On  ne  doit 
pas  le  considérer  comme  un  acte  isolé,  mais  comme  le  commencement 
d'une  série  de  faits  destinés  à  éveiller  la  foi.  Le  baptême  n'est  donc 
qu'un  rite  d'introduction  dans  l'Eglise  (Der  chràtliche  Glaube,  §§  136, 
137).  Le  baptême  des  enfants  rentre  dans  le  deuxième  cas.  Il  est  im- 
parfait et  doit  être  complété  plus  tard  par  la  confirmation.  11  est  con- 
féré à  l'enfant  non  pour  lui  donner  une  foi  qu'il  est  incapable  d'avoir, 
mais  pour  le  mettre  en  rapport  avec  la  parole  divine  qui  éveillera  la 


BAPTEME  71 

foi  dans  son  coeur.  Dans  ces  conditions,  le  baptême  des  enfants  peut 
être  utile,  mais  il  n'est  pas  nécessaire  [ibid.,  §  138).  Les  autres  suivent 
pins  on  moins  le  mouvement  de  réaction  qui  a  commencé  an  commen- 
cement  du  siècle  avec  Nicolas  Harms,  et  qui  a  abouti  au  néo-luthéra- 
nisme. Les  pins  modérés  se  bornent  à  maintenir  les  idées  de  Luther  ; 
d'autres  les  dépassent,  et  en  arrivant  à  considérer  le  baptême  comme 
nnc  sorte  de  rite  magique,  agissant  ex  opère  operato,  et  absolument 
nécessaire  au  salut.  Entre  ces  deux  points  extrêmes  se  trouvent  na- 
turellement un  certain  nombre  de  nuances  intermédiaires.  Aujour- 
d'hui la  question  du  baptême  se  pose  surtout  au  point  de  vue  de  l'âge 
auquel  il  doit  être  administré  et  du  rite  à  employer,  car  les  deux 
questions  n'en  font  qu'une.  Les  partisans  du  pédobaptisme  font  valoir 
en  faveur  de  cette  institution  des  raisons  de  diverse  nature  qui  dif- 
fèrent selon  Tidée  qu'ils  se  font  du  baptême,  et  selon  qu'ils  consi- 
dèrent le  baptême  des  enfants  comme  nécessaire  au  salut,  ou  simple- 
ment comme  un  usage  antique  et  vénérable  qu'on  peut  conserver 
sans  inconvénient,  mais  dont  on  peut  aussi  se  dispenser.  Les  premiers 
s'appuient  d'abord  sur  l'originede  cette  institution,  qu'ils  font  remon- 
ter aux  apôtres  et  même  à  Jésus-Christ  lui-même.  Ils  s'en  réfèrent,  pour 
prouver  cette  assertion,  à  des  textes  comme  Matth.  XIX,  14  ;  XXVIII,  19  ; 
\<  t.  II.  :$9;XVI,lo,22,23;iCor.  I,  16;  VII,  14,  etc.,  et  au  témoignage 
des  Pères  de  l'Eglise  du  deuxième  et  du  troisième  siècle  (Irénée,  ado. 
ffseres. ,li,  22,  §  4  ;  Justin,  ApoL,  \,  15  ;  Origène,  m  Ep.  ad  Rom.,  lib.  V, 
C.9,  etc.).  À  ces  raisons  historiques  se  joignent  des  raisons  dogmatiques 
qui  ont  à  leurs  yeux  la  plus  grande  importance.  La  principale  est  la 
in ■<  essitë  du  baptême,  soit  pour  effacer  le  péché  originel  et  les  péchés 
actuels,  soit  pour  conférer  les  grâces  positives  dont  on  ne  peut  être  au- 
trement participant.  Dans  ces  conditions  il  n'y  a  pas  de  raison  de  refuser 
fe  baptême  aux  petits  enfants,  et  il  serait  même  cruel  de  leur  fermer  les 
portes  du  royaume  des  cieux.  Mais  à  moins  d'admettre  que  le  baptême 
produit  ces  effets  d'une  manière  magique,  ex  opère  operato,  et  sans 
la  condition  de  la  foi,  la  difficulté  est  d'expliquer  comment  le  bap- 
tême peut  être  efficace  chez  un  enfant  nouveau-né,  incapable  de 
rien  comprendre  et  de  rien  sentir.  C'est  là  l'écueil  contre  lequel  se 
sont  heurtés,  depuis  saint  Augustin,  tous  les  partisans  du  pédobap- 
tisme  strict,  qui  ne  sont  parvenus,  malgré  tous  leurs  efforts,  à  déloger 
le  merveilleux  d'une  position  que  pour  l'installer  dans  une  autre. 
On  a  tourné  la  difficulté  en  admettant  soit  que  la  grâce  de  Dieu 
supplée  à  ce  qui  manque,  soit  que  la  foi  des  parents,  des  parrains 
et  de  l'Eglise  entière  tient  lieu  de  celle  que  l'enfant  ne  peut  encore 
avoir,  soit  même  en  accordant  à  l'enfant  nouveau-né  une  sorte  de 
loi  latente,  fuies  infusa,  suffisante  pour  que  le  baptême  produise 
tous  ses  effets.  Comme,  pour  les  pédobaptistes,  le  rite  de  l'aspersion 
<--t  a  [i.ii  près  le  seul  praticable  (quoique  dans  l'Eglise  grecque  on 
baptise  les  enfants  par  immersion),  ils  ont  admis  ce  rite  comme  une 
conséquence  naturelle  de  leurs  idées,  et  sans  être  pour  cela  hostiles  au 
rit.'  de  L'immersion.  Ils  justifient  cet  usage  par  son  ancienneté,  et  par 
cette  raison  que  la  quantité  d'eau  employée  pour  le  baptême  est  chose 


72  BAPTEME  —  BAPTISME 

de  peu  d'importance.  Quant  à  ceux  qui  pratiquent  le  baptême  des 
enfants  sans  le  considérer  comme  absolument  nécessaire  au  salut,  et 
par  conséquent  sans  lui  attribuer  d'efficacité  merveilleuse,  ils  le  justi- 
fient par  sa  convenance  et  son  utilité.  Le  baptême,  d'après  eux,  intro- 
duit P enfant  dans  l'Eglise,  le  met  sous  l'influence  d'un  milieu  religieux 
et  chrétien,  et  rappelle  sans  cesse  à  son  entourage  les  soins  qu'on  doit 
apporter  à  son  éducation  chrétienne.  Le  baptême  n'est  ainsi  que  la 
première  maille  d'un  réseau  qui  prend  l'enfant  dès  sa  naissance  et  le 
maintient  pendant  sa  vie  entière  sous  l'influence  de  l'Esprit  de  Dieu. 
11  va  sans  dire  que  dans  ce  cas  le  rite  du  baptême  est  parfaitement 
indifférent.  Les  adversaires  du  pédobaptisme  prétendent  au  contraire 
que  l'usage  de  baptiser  les  enfants  n'est  pas  d'origine  apostolique  ; 
que  le  Nouveau  Testament  n'en  contient  pas  la  moindre  trace;  que  le 
baptême,  pour  être  efficace,  requiert  absolument  la  foi  et  la  repentance 
personnelles,  et  ne  doit  par  conséquent  pas  être  administré  à  des  enfants 
incapables  d'en  comprendre  la  signification  et  d'éprouver  aucun  des 
sentiments  sans  lesquels  le  baptême  n'existe  pas.  Les  baptistes  sont 
revenus  naturellement  au  baptême  par  immersion,  qu'ils  n'avaient 
aucune  raison  de  remplacer  par  un  autre  rite  dont  l'Ecriture  ne  fournit 
pas  d'exemple,  et  qui  trouve  sa  justification  dans  les  textes  évangé- 
liques  eux-mêmes.  Toute  cette  discussion  perd,  du  reste,  beaucoup  de 
son  importance  aux  yeux  de  ceux  qui  n'oublient  pas  que  la  /lettre  tue 
et  que  c'est  l'esprit  qui  vivifie.  —  Voyez  sur  le  baptême  :  Yossius, 
De  Baptismo  dîsput. ,  XX,  1648  ;  Wall,  Hûtory  of  Infant  Baptism.,  1705 
(trad.  en  latin  par  J.-S.  Schlosser,  1748-1753)  ;  A.  Van  Dale,  Historia 
Bapthmorum,  tumjudaïcorum,  tum  christianorum,  1705  ;  Walch,  Historia 
Pœdobaptismi  IV  primorwn  seculorum,  1739;  Reiche,  Die  Taufe  der 
Christen,  ein  ehrwûrdiger  Gebrauch,  aber  Kein  Geselz,  1774;  Troschel, 
Die  Wasse?'taufe  de?'  Christen,  ein  Gesetz  Christi  und  Kein  W dlkùrlicher 
Gebrauch,  1774  ;  Stark,  Geschichte  de?'  Taufe,  und  de?'  Taufgesinnten,  1789; 
Eisenlohr,  Histor-ische  Bemerkungen  uber  die  Taufe,  1804  ;  Lehmus, 
Uebe?'  die  Taufe,  1807  ;  Reiche,  De  baptismatis  origine  et  ?iecessitate,  nec 
non  de  fo?mula  baptis?nali,  1816  ;  Mathies,  Baptismi  expositio  biblica, 
historica,  dogmaticd,  1831  ;  W.  Hoffmann,  Taufe  wid  Wiedertaufe,  1846  ; 
Hœfling,  Das  Sacra?nent  der  Taufe,  1846-48  ;  De  Wette,  Zur  Geschichte 
der  Kinder 'taufe,  Stud.  u.  Krit.,  1830,  cah.  3;  Lenoir,  Essai  biblique,  his- 
io?*ique  et  dogmatique  sur  le  Baptême  des.  e?ifa?its,  1856.     Eue.  Picard. 

BAPTISME.  On  donne  ce  nom  à  la  doctrine  générale  d'après  laquelle 
le  baptême  ne  doit  être  administré,  conformément  à  l'usage  aposto- 
lique, qu'à  des  adultes  convertis,  et  ne  peut  avoir  lieu,  à  l'exclusion 
des  autres  rites,  que  par  immersion  complète  du  néophyte.  En  consé- 
quence, les  partisans  de  cette  doctrine  ne  reconnaissent  comme  valable 
ni  le  baptême  des  enfants  tel  que  le  pratiquent  la  plupart  des  Eglises 
chrétiennes,  ni  le  baptême  par  aspersion  administré  aux  adultes 
convertis,  et  ils  rebaptisent  d'après  leur  rite  ceux  qui  entrent  dans 
leurs  communautés.  Les  éléments  de  cette  doctrine  se  retrouvent  tout 
le  long  de  l'histoire  de  l'Eglise  :  le  baptême  des  enfants  ne  s'y  est  pas 
introduit  sans  quelque  peine,  et  le  rite  de  l'immersion  a  été  la  coutume 


BAPTISME  73 

générale  jusqu'au  treizième  siècle.  Luther  et  Zwingle  eux-mêmes  ont 
penché  un  instant  du  côté  des  doctrines  baptistesà  causcdcla  difficulté 
qu'ils  ('prouvaient  à  concilier  le  pédobaptisme  avecl'idée  qu'ils  se  fai- 
saient du  baptême.  Mais  le  baptisme  ne  commença  à  se  manifester 
comme  doctrine  arrêtée  et  avec  son  double  caractère  que  vers  1521, 
avec  la  secte  des  anabaptistes  (yoy.  ce  mot).  Cette  secte  ayant  été  dis- 
persée après  la  prise  de  Munster  en  1535,  ses  débris,  poursuivis  et  per- 
séeutés,  furent  réorganisés  dans  les  Pays-Bas  et  sur  les  côtes  d'Alle- 
magne, par  Menno  Simonis,  prêtre  de  Wittmarsen,  qui  embrassa  leurs 
idées  en  1536.  Ces  petites  communautés  mennonites,  laborieuses  et 
honnêtes,  aussi  pieuses  et  aussi  paisibles  que  les  anabaptistes  avaient 
été  violents  et  fanatiques,  se  sont  maintenues  jusqu'à  nos  jours,  mais 
sans  parvenir  à  s'étendre  et  à  progresser.  En  même  temps  que  le  bap- 
tisme s'affaiblissait  ainsi  en  Allemagne,  il  faisait  sa  première  appari- 
tion en  Angleterre,  où  il  devait  faire  des  progrès  plus  sérieux.  Dès  1535, 
Henri  Mil  y  faisait  exécuter  quatorze  Hollandais  accusés  d'anabaptisme, 
tandis  qu'un  certain  nombre  d'autres  n'échappaient  à  un  sort  pareil 
que  par  une  rétractation  de  leurs  idées.  Quatre  ans  plus  tard,  trente 
personnes  furent  bannies  du  même  pays  pour  avoir  déclaré  qu'elles 
ne  considéraient  pas  comme  valable  le  baptême  des  petits  enfants. 
Malgré  ces  rigueurs,  le  baptisme  se  maintint  en  Angleterre,  se 
manifestant  de  temps  à  autre,  sans  faire  de  grands  progrès  et  sans 
parvenir  à  s'y  faire  tolérer.  Cependant  en  1618  nous  trouvons  une 
communauté  baptiste  organisée.  Persécutés  au  commencement  de 
la  révolution  de  1018,  ils  furent  protégés  par  Cromwell,  puis  persé- 
cutes de  nouveau  par  Charles  II  et  Jacques  II,  à  cause  de  la  part 
qu'on  les  accusait  d'avoir  prise  à  la  révolution.  Enfin  ils  furent 
compris  dans  l'acte  de  tolérance  donné  sous  le  règne  de  Guillaume  III, 
et  a  partir  de  ce  moment  ils  purent  se  développer  librement  et  ne  tar- 
dèrent pas  à  former  de  nombreuses  communautés.  Les  baptistes 
anglais  ne  forment  pas  une  seule  Eglise  ;  ils  n'ont  de  commun  entre 
eux  que  leur  idée  fondamentale  du  baptême.  Leurs  doctrines  se 
rattachent  d'une  manière  générale  au  type  réformé,  mais  ils  se  séparent 
sur  le  dogme  de  la  prédestination.  Les  uns  sont  à  cet  égard  calvinistes 
purs  :  ce  sont  les  Particular-BapUsts ;  les  autres,  les  Gen-ral-Baptists, 
Boni  arminiens.  Ceux-ci  sont  en  général  plus  larges  sous  le  rapport  de 
la  doctrine;  l'arianisme  et  le  socinianisme  pénétrèrent  dans  leurs 
communautés  vers  la  fin  du  dix-huitième  siècle,  ce  qui  amena  la  sépa- 
ration d'un  certain  nombre  d'entre  elles  sous  le  nom  de  Gerteral-Baptist 
nrir  Connexion.  Les  baptistes  anglais,  en  général,  ont  pendant  long- 
temps tait  très-peu  decasde  la  science,  et  de  la  théologie  en  particulier, 
♦  t  il  eu  est  résulté  une  certaine  infériorité  de  culture  chez  leurs  con- 
ducteurs spirituels,  et  une  grande  étroitesse  d'esprit  dans  les  commu- 
nautés elles-mêmes.  Adonnés  à  l'interprétation  littérale  de  la  Bible  et 
enclins  aux  rêveries  mystiques,  ils  ont  accueilli  bien  des  superstitions 
et  des  erreurs,  et  entre  autres  les  doctrines  de  l'antinomisme,  vers  le 
milieu  du  dix-septième  siècle.  Cet  état  de  choses  s'est  depuis  considé- 
rablement amélioré.  Les  Partïcular-Baptists  ont  fondé  leur  premier 


74  BAPTISME 

séminaire  en  1770,  à  Bristol  ;  ils  en  comptent  maintenant  six  en 
Angleterre  et  en  Ecosse,  et  il  en  est  sorti  des  savants  de  mérite,  tels 
que  Robert  Hall,  Ryland,  Carey,  etc.  Les  Particular- Baptiste  comptent 
en  Angleterre  environ  100,000  communiants,  répartis  dans  12  à 
1,300  communautés;  les  General-Baptists  sont  moins  nombreux  et  ne 
comptent  que  120  communautés  environ,  comprenant  14,000  mem- 
bres actifs.  C'est  surtout  dans  les  Etats-Unis  que  le  baptisme  s'est 
répandu.  Un  pasteur  puritain,  Roger  Williams,  banni  de  l'Etat  de 
Massachussets  pour  ses  opinions  sociales,  et  amené  aux  idées  du 
baptisme  par  ses  propres  réflexions,  fonda  la  première  communauté 
baptiste  en  1639  à  Providence,  dans  PEtat  de  Rliode-lsland.  Pendant 
longtemps  le  baptisme  fut  resserré  dans  les  étroites  limites  de  son 
berceau  primitif  et  rencontra  plutôt  de  l'hostilité  que  de  la  faveur 
chez  les  Etats  voisins.  Mais  après  l'émancipation  des  Etats-Unis,  grâce 
à  la  liberté  illimitée  dont  jouissent  les  sectes  religieuses  dans  ce  pays, 
les  baptistes  firent  des  progrès  considérables,  et  leurs  Eglises  sont 
aujourd'hui  parmi  les  plus  nombreuses  et  les  plus  influentes  du 
Nouveau-Monde.  Comme  ceux  d'Angleterre,  les  baptistes  d'Amérique 
sont  divisés  en  plusieurs  branches,  et  c'est  également  sur  le  dogme  de 
la  prédestination  qu'ils  se  partagent  en  deux  grands  camps:  les  Baptiste, 
rattachés  au  calvinisme  pur,  et  les  Free-wiU- Baptiste,  qui  sont  armi- 
niens. Outre  ces  deux  grandes  divisions,  il  y  a  d'autres  sectes  baptistes 
moins  importantes,  entre  autres  les  Seventh-day-Baptists,  ou  bap- 
tistes du  septième  jour,  qui  sont  sabathariens  ;  les  Baformed  Baptiste, 
nommés  aussi  Campbellites,  du  nom  de  leur  fondateur,  qui  repoussent 
toute  confession  de  foi  et  n'admettent  pour  symbole  que  des  paroles 
de  l'Ecriture;  les  Six-principles- Baptiste,  qui  ont  pris  pour  confes- 
sion de  foi  les  six  points  mentionnés  Hébr.  VI,  1-2,  sans  compter 
d'autres  sectes  sans  importance  qui  admettent  les  principes  du  bap- 
tisme, se  constituent  à  part  pour  la  moindre  divergence  d'idées,  et 
n'ont,  la  plupart  du  temps,  qu'une  existence  éphémère.  Les  baptistes 
d'Amérique  ont  aussi  pendant  longtemps  l'ait  peu  de  cas  de  la  science 
et  négligé  l'éducation  de  leurs  pasteurs.  Ils  ont  maintenant  des  univer- 
sités et  de  nombreux  étudiants.  Leur  étroitesse  d'esprit  a  diminué  à 
mesure  que  les  lumières  et  la  science  pénétraient  chez  eux,  et,  après 
avoir  été  très-stricts  à  ce  sujet,  ils  admettent  aujourd'hui  à  célébrer  la 
sainte  Cène  avec  eux  des  membres  d'autres  communautés  chrétiennes. 
Les  Baptiste  comptent  dans  les  Etats-Unis  plus  de  8,000  communautés 
et  plus  de  3  millions  d'adhérents,  dont  600,000  communiants;  les 
Free-will- Baptiste,  11, 000 communautés  environ  et  60,000  communiants. 
Les  autres  sectes  sont  beaucoup  moins  nombreuses.  Il  y  a  également, 
mais  en  très-petit  nombre,  des  communautés  baptistes  en  Danemarck, 
en  Allemagne  et  en  France.  L'organisation  des  Eglises  baptistes  est 
congrégationaliste.  Chaque  communauté  est  parfaitement  indépendante 
de  ses  voisines.  Elles  sont  pourtant  reliées  l'une  à  l'autre,  sinon  par 
des  institutions  ecclésiastiques  positives,  du  moins  par  leur  doctrine 
fondamentale  concernant  le  baptême,  par  la  communauté  du  but 
qu'elles  poursuivent,   et  par  des  associations  volontaires.  En  1813, 


BAPTISMK  —  BAPTISTERE  75 

elles  ont  formé  en  Angleterre  une  Baptist- Union  à  laquelle  se  rattachent 
les  Generaf-Maptùts  el  les  ParticulQr-'Baptiste,  dans  le  but  d'unirleurs 
efforts  pour  la  propagation  de  l'Evangile  et  du  baptismeen  particulier. 
Cette  Union  publie  un  rapport  annuel  sur  la  situation  des  Eglises  bap- 
tistes.  En  Amérique,  il  existe  entre  les  baptistes  calvinistes  une  Ge* 
umil  f'onrentioiK  niais  seulement  dans  le  but  de  travailler  de  concert 
a  la  mission  extérieure.  Un  grand  nombre  de  communautés  ont 
en  outre  des  réunions  annuelles  régulières  pour  s'occuper  de  mis- 
sions, d'écoles  et  d'oeuvres  chrétiennes.  Les  baptistes  ont  également 
leurs  sociétés  bibliques  particulières:  en  Angleterre,  la  Bible  trans- 
lation Society,  et  en  Amérique  Y  American  and  foreign  Bible  Society.  Ils 
ont  soin  dans  leurs  traductions  anglaises  de  rendre  les  mots  (Sarfjew, 
;.ï-.-.:~\).z;  et  $x--Lz\).x  partout  où  ils  les  rencontrent  dans  le  texte  du 
Nouveau  Testament,  par  des  mots  correspondants  à  immerger  et  à 
DM»  rsion.  Sauf  les  baptistes  sabathariens  qui  ne  se  sont  mis  à  l'œuvre 
que  récemment,  les  baptistes  ont  chez  les  païens  des  missions  assez, 
nombreuses.  Ils  sont  en  général  animés  d'un  grand  esprit  de  prosély- 
tisme. —  Yoy.  sur  les  baptistes  d'Angleterre  :  David  Bogue  et  James 
Bcnnett,  History  of  dissenters  from  the  Révolution  in  1688  to  the  year 
1808,  1808-1812;  James  Bennett,  History  of  dissenters  during  the  lasf 
thirty  years  (1808-1838),  1839;  The  BapUst  Mognzine ;  The  General- 
Baptists  fteposùwy; —  sur  ceux  des  Etats-Unis:  Rob.  Baird,  la  Religion 
As  Etate-Unn  d' Amérique,  18H:  James  D.  Knowolls,  Memoir  of 
Il  itiïams,  \K\\  :  The  Baptist  Mémorial.  Eug.  Picard. 

BAPTISTÈRE  [de  ^orrwdlptfw  (salle  de  bains  chauds  chez. les  Grecs), 
baptisierium  (bassin  de  la  relia  frigidaria  des  Romains)],  lieu  ou 
édifice  dans  Lequel  on  donne  le  baptême  par  immersion.  Les  pre- 
miers chrétiens  étaient  baptisés  en  plein  air,  auprès  des  sources,  des 
fontaines,  le  long  des  rivières,  ou  même  sur  les  rivages  des  lacs  et  de 
la  mer.  Pendant  les  persécutions  le  baptême,  comme  toutes  les  céré- 
monies du  culte,  était  pratiqué  en  secret,  dans  les  catacombes.  Lorsque, 
à  partir  du  quatrième  siècle,  le  culte  chrétien  put  être  célébré  libre- 
ment, on  éleva,  en  même  temps  que  les  églises  et  dans  leur  proximité 
immédiate,  des  édifices  spéciaux  destinés  uniquement  à  l'administration 
du  baptême.  Ces  baptistères  furent  isolés  de  la  basilique,  le  baptême 
donnant  seul  aux  catéchumènes  le  droit  d'entrer  dans  l'Eglise  et  de 
participer  aux  exercices  religieux;  on  y  plaça  un  autel  consacré  à 
saint  Jean-Haptistr.  où  Les  néophytes  reçurent  la  confirmation  et  l'eu- 
chansti.-.  immédiatement  après  le  baptême.  Ou  dut  bientôt  leur  donner 
dei  dimensions  considérables,  à  cause  de  la  grande  affluence  des  néo- 
phytes, qui  se  présentaient  à  la  fois;  ils  ne  pouvaient  en  effet, en  vertu 
■  I.'  la  discipline  des  premiers  siècles  dé  l'Eglise,  recevoir  le  baptême 
de  la  main  de  Tévèque,  qu'aux  deux  l'êtes  de  Pâques  et  de  la  Pentecôte. 
Aussi  les  rites  épiseopales  seules  eurent-elltes,  dans  le  principe, des 
baptistères,  de  Même  que  seules  elles  avaient  des  cathédrales,  et 
souvent  en  tes  désigna  sous  te  nom  (Yecclesia'  baptismales  pour  les 
distinguer  des  églises  filiales  qui  n'avaient  point  le  droit  de  baptême. 
La  forme  des  baptistère*  était  parfois  ronde  (surtout  dans  les  premiers 


76  BAPTISTERE 

temps),  rarement  carrée  ou  en  croix  grecque,  le  plus  souvent  octogo- 
nale. Une  coupole  ou  un  toit  en  charpente  couvrait  l'édifice  et  repo- 
sait soit  directement  sur  le  mur  extérieur,  soit,  lorsque  l'écartement 
des  murs  était  trop  considérable,  sur  une  rangée  de  colonnes  ou  de 
piliers,  qui  le  divisaient  à  l'intérieur  en  une  nef  centrale  entourée  de 
bas-côtés.  Le  baptistère  était  précédé  parfois  d'un  porche  et  accom- 
pagné d'une  abside,  recevant  l'autel  de  saint  Jean-Baptiste.  Au  centre 
de  l'édifice,  se  trouvait  un  enfoncement  destiné  à  recevoir  le  bassin 
(fons,  piscina)où  se  donnait  le  baptême  et  dans  lequel  on  descendait 
par  un  degré  de  trois  marches.  L'architecture  des  baptistères  passa  par 
tous  les  styles  qui  furent  employés  successivement  en  Occident;  leur 
décoration  intérieure  se  composait  de  colonnes,  de  niches,  de  sculp- 
tures en  bas-reliefs  et  de  peintures  représentant  le  baptême  du  Christ 
dans  le  Jourdain,  ou  des  scènes  de  la  vie  de  saint  Jean-Baptiste.  L'a- 
meublement comprenait  un  autel,  une  chaire,  des  bancs  pour  les  caté- 
chumènes, enfin  le  bassin  central,  recouvert  souvent  d'une  coupole  ou 
d'un  toit,  posant  sur  des  colonnes  disposées  sur  la  balustrade  qui 
l'entourait.  A  cette  coupole  étaient  suspendus  les  vases  d'or  et  d'ar- 
gent destinés  à  recevoir  les  saintes  huiles  et  à  verser  l'eau  sur  la 
tête  des  néophytes  ;  plusieurs  de  ces  fioles  avaient  la  forme  de  colom- 
bes, pour  symboliser  l'Esprit-Saint.  Parmi  les  figures  emblématiques 
reproduites  de  préférence  par  la  peinture  et  la  sculpture,  dans  l'orne- 
mentation de  l'édifice,  se  trouvent  celles  de  l'agneau,  du  poisson  et 
surtout  l'image  du  cerf  altéré.  Le  baptistère,  primitivement  isolé  de 
la  basilique  et  placé,  soit  dans  l'atrium,  soit  sur  les  côtés  de  l'église, 
fut  bientôt,  pour  la  commodité  du  service,  réuni  à  l'église  par  des 
galeries  de  communication  ;  puis  il  se  souda  davantage  encore  avec 
l'église,  dont  il  devint  une  chapelle,  placée  ordinairement  à  l'entrée, 
sur  le  côté  gauche.  Vers  le  huitième  siècle,  le  nombre  des  néophytes 
adultes  diminuant  et  le  baptême  des  enfants  devenant  de  plus  en  plus 
général,  les  dimensions  du  baptistère  purent  être  réduites;  l'Italie  seule 
continua  à  élever  des  baptistères  isolés.  Partout  ailleurs  le  baptême 
s'administra  dans  une  chapelle  renfermant  une  cuve  baptismale,  sorte 
de  baignoire  ronde  ou  polygonale,  en  pierre,  marbre  ou  métal,  fermée 
par  un  couvercle  mobile  en  forme  de  toit,  coupole  ou  pinacle  riche- 
ment décoré,  dans  laquelle  on  conserva  l'eau  consacrée  destinée  au 
baptême.  Bientôt  on  renonça,  d'abord  dans  le  Nord,  puis  dans  le  reste 
de  la  chrétienté,  au  baptême  par  immersion,  et,  le  baptême  par  aspersion 
étant  devenu  d'usage  général,  la  cuve  baptismale  fut  réduite  encore  et 
devint. un  simple  bassin  de  petite  dimension  .(fonts  baptismaux),  pres- 
que toujours  en  pierre  ou  en  marbre,  porté  par  une  colonne  ou  sur  un 
pied  sculpté  et  placé  dans  la  chapelle  baptismale.  Les  plus  anciens 
baptistères  sont  ceux  de  Constantin  et  de  Sainte-Constance  à  Rome  (ce 
dernier  fut  transformé  par  Constantin  en  chapelle  funéraire)  ;  en  Italie 
les  dômes  de  Florence,  Pise,  Pistoja,  Crémone,  Vérone, Ravenne,  etc., 
sont  accompagnés  de  baptistères  isolés;  en  France  le  temple  Saint- Jean, 
à  Poitiers,  est  un  ancien  baptistère;  les  églises  Saint-Géréon  et  Saint- 
George,  à  Cologne,  sont  accompagnées  de  baptistères  plus  ou  moins  réunis 


BAPTISTKUK  —  DAKBEYRAC  77 

au  corps  del'église;  d'autres  édiiices  de  ce  genre  en  Allemagne,  coni- 
plétement  isoles,  tels  que  ceux  de  Bonn  et  de  Worms,  ont  été  démolis 
au  commencement  de  ce  siècle.  Emilb  Lichtbnbee&ee. 

BARABBAS  (BapaSÇâç,  de  riiébreu  Uar-kabbah,  iils  d'Abba),  nom 
d*un  malfaiteur  dont  les  Juifs  demandèrent  la  grâce  à  la  place  de  celle 
de  Jésus  auprès  de  Ponce-Pilate  (Matth.  XXVII,  l(i  ss.  et  parai.; 
Art.  111,  14).  D'après  une  vieille  tradition,  ce  criminel  se  serait  aussi 
appelé  Jésus.  Quelques  manuscrits  et  plusieurs  anciennes  versions 
syriaque,  arménienne)  ont  en  effet  le  nom  Jésus  devant  celui  de  Ba- 
rabbas,  au  passage  de  Matthieu  cité  plus  haut,  XXVII,  lb*  et  17.  D'après 
saint  Jérôme,  l'Evangile  des  Hébreux  l'avait  également.  Nous  pour- 
rions bien  croire  que  ,  dans  la  suite  ,  on  se  sera  scandalisé  de  voir  ce 
nom  sacré  porté  par  un  criminel,  et  que  cette  considération  l'aura  fait 
retrancher  du  plus  grand  nombre  des  manuscrits.  Cependant  Tischen- 
dorf  et  la  plupart  des  critiques  du  texte  du  Nouveau  Testament  Font 
écarté,  sauf  Fritzsche  (voy.  les  éléments  de  cette  discussion  de  texte 
dans  Tisch.,  Novum  Testamentum  gtwce,  edit.  octava  major,  I,  p.  195). 
—  Dans  le  Talmud  se  rencontrent  plusieurs  rabbins  du  nom  de  Ba- 
rabbas. 

BARAC  [B  à  r  à  q],  iils  d'Abinoen,  4e  juge  d'Israël,  marcha  avec 
Débora  contre  Sisara,  chef  de  l'armée  de  Jabin,  roi  de  Canaan;  et, 
l'ayant  rencontré  près  du  torrent  de  Kison,  il  remporta  sur  lui  une 
victoire  complète,  et  délivra  ainsi  son  peuple  d'une  servitude  qui 
avait  duré  vingt  ans  (Juges  IV,  b*  ss.  ;  V,  1). 

BARBARIGO  (Grégoire),  de  Venise  (1625-1697).  Ambassadeur  de 
la  République  à  Munster,  il  s'y  lia  d'une  étroite  amitié  avec  le  docte 
i  Fabio  Chigi,  plus  tard  Alexandre  VII.  11  fut  successivement  prélat 
domestique  de  ce  pape,  évêque  de  Bergame,  cardinal  et  enfin  évê:jue 
de  Padoue,  de  1664  à  sa  mort.  Il  fonda  dans  cette  ville  un  séminaire 
<|ifil  se  plut  à  doter  de  toutes  les  ressources  littéraires  et  d'une  impri- 
merie pour  les  langues  orientales  aussi  bien  que  pour  les  langues  clas- 
siques. Il  ne  reste  de  lui  que  quelques  opuscules  et  vingt-cinq  lettres, 
m  italien,  adressées  à  Magliabecchi  et  insérées  dans  le  recueil  des  let- 
tres des  savants  à  ce  célèbre  bibliothécaire  de  Florence. 

BARBE  (Sainte)  [Barbara],  vierge  et  martyre.  Bolland  nous  assure 
qu'elle  a  été  inconnue  aux  anciens  et  qu'on  n'en  a  aucune  his- 
toire <|iii  ne  paraisse  fabuleuse.  Tillemont  (vol.  III)  en  juge  de  môme. 
Surius  \  déc.)  a  publié  les  Actes  de  sainte  Barbe.  On  peut  y  lire  les 
toitures  qu'elle  subit  à  Xicomédie  (d'autres  disent:  en  Toscane)  sous 
Maximien  (Maximin?).  D'après  cette  légende,  le  père  dénaturé  de  la 
sainte  fut  frappé  du  feu  du  ciel.  Telle  est  sans  doute  l'origine  de  la  dé- 
votion particulière  dont  sainte  Barbe  est  l'objet.  Elle  est  surtout  invo- 
qué contre  la  foudre  depuis  le  miracle  accordé  en  1H8  au  nommé 
Henri  Koek.  de  Gorcum,  et  dont  le  récit  naïf  et  véridique  a  été  im- 
prime souvent  Par  un  rapprochement  naturel,  sainte  Barbe  est  deve- 
nue la  patronne  des  artilleurs. 

BARBEYRAC  (Jean,.  Fils  d'un  pasteur  du  Languedoc  et  destiné 
d'abord  à  la  théologie,  il  a  jeté  de  L'éclat  sur  son  nom,  comme  publi- 


78  BARBEYRAC 

ciste.  Né  à  Béziers  le  15  mars  1(574,  il  avait  à  peine  commencé  ses  pre- 
mières études  à  Montagnac,  lorsque  la  révocation  de  Fédit  de  Nantes 
le  sépara  violemment  de  ses  parents,  qui  se  réfugièrent  à  Lausanne,  on 
il  les  eut  bientôt  rejoints  (1686).  11  y  étudia  jusqu'en  1093,  et,  après  un 
court  séjour  à  Genève,  il  alla  à  l'université  de  Francfort-sur-1'Oder,  alors 
en  réputation  ;  puis  il  devint,  en  1697,  professeur  au  collège  des  Réfu- 
giés, à  Berlin.  Son  penchant  le  portait  vers  la  jurisprudence;  il  s'y 
adonna  avec  succès  et  publia,  en  1706,  une  traduction  du  fameux 
Traité  latin  de  Puftendorf,  du  Droit  de  la  Nature  et  des  Gens,  en  l'ac- 
compagnant d'une  préface,  de  notes  et  développements  remarquables, 
qui  méritèrent  d'être  traduits  eux-mêmes  en  latin,  pour  faire  désormais 
corps  avec  l'auteur.  Cette  publication,  qui  vulgarisa  l'important  ouvrage 
de  Puftendorf,  ayant  acquis  à  Barbeyrac  un  renom  européen,  il  reçut,  en 
1710,  l'offre,  qu'il  accepta,  d'une  chaire  de  droit  et  d'histoire  à  l'Aca- 
démie de  Lausanne.  Il  y  fut  nommé  recteur  en  1714.  Cette  dignité  lui 
fut  conférée  trois  années  de  suite  ;  mais  il  y  renonça  par  un  honorable 
scrupule  de  conscience,  ne  voulant  pas  signer  la  Formula  consensus, 
que  les  calvinistes  purs  opposaient  à  l'invasion  des  doctrines  soute- 
nues par  Amyraut  et  par  les  autres  théologiens  de  Saumur.  11  accepta 
la  chaire  de  droit  public  et  particulier  à  l'université  de  Groningue,  où 
il  fut  honoré  trois  fois  de  la  charge  de  secrétaire  de  l'Académie  et  trois 
fois  aussi  de  celle  de  recteur.  La  Société  royale  des  Sciences  de  Berlin 
se  l'était  associé  dès  1713.  Douloureusement  éprouvé,  en  1729,  par  la 
perte  de  sa  femme,  Hélène  Chauvin,  et,  en  1743,  par  celle  de  sa  fille 
unique,  qui  avait  épousé  P. -A.  de  Rochebrune,  officier  réfugié  au  ser- 
vice de  la  Hollande,  il  ne  fit  plus  que  languir  jusqu'au  jour  de  sa  mort, 
qui  arriva  le  3  mars  1744.  Outre  le  grand  ouvrage  susmentionné  et 
plusieurs  articles  et  dissertations  insérés  dans  les  Nouvelles  de  la  Rép. 
des  Lettres,  dans  la  Bibliothèque  Britannique,  la  Nouvelle  Bibliothèque  et  la 
Bibliothèque  raisonnée,  Barbeyrac  a  publié  une  traduction  du  Traité  des 
Devoirs  de  V Homme  et  du  Citogen,de  Puffendorf  (1707),  et  du  Traité  du 
Pouvoir  des  souverains  et  de  la  Liberté  de  consciencp,  de  Noodt  (1707); 
des  Sermons  de  Tillotson  (1706-1716);  un  Traité  du  Jeu  au  point  de  vue 
du  droit  naturel  et  de  la  morale  (1709);  une  bonne  traduction  du  traité 
de  Grotius  :  De  jure  belh  et  pacis  (1724),  qui  fit  oublier  celle  de  Cour- 
tin  ;  enfin  un  Traité  de  la  Morale  des  Père$  de  /' Eglise  (1728),  où  cette 
morale  est  battue  en  brèche  avec  un  peu  d'emportement  peut-être, 
mais  avec  une  science  incontestable.  11  a  fait  paraître  aussi,  en  1739, 
une  Histoire  des  anciens  Traités  depuis  les  temps  les  plus  reculés  jusqu'à 
Charlemague,  grand  répertoire  diplomatique,  bien  rédigé  et  supérieur 
en  certains  points  à  celui  de  Dumont,  qu'il  complète.  Nous  laissons  en- 
core de  côté  divers  travaux  de  moindre  intérêt.  —  Voir  Oralio  fane- 
bris  in  obiturn  J.  Barbeyrac,  par  Gardes,  son  collègue  (Groning.,  1744, 
in-fol.)  et  Notice  biogr.  sur  B.,  par  G.  Laissac,  couronnée  par  la  Soc. 
archéolog.  de  Béziers  (Montpellier,  1838).  —  Il  existe  des  lettres  iné- 
dites de  Barbeyrac  à  Desmaizeaux  au  British  Muséum  de  Londres,  Bi- 
bliotheca  Birchiana,  nos  4281-4289.  Elles  sont  écrites  de  Berlin  en  1706 
et  1707.  Charles  Read. 


BARBIER  —  BARCLAY  70 

BARBIER  .losué).  né  à  Die  vers  1578.  Fils  de  pasteur,  il  fut  pasteur 
lui-même,  de  1603  à  1615,  à  Quint,  à  Saint-Marcellin  et  à  Livron.  Gr- 
convemi  par  Tévéque  de  Valence,  il  abjura  et  reçut  une  pension  de 
600  livres.  Il  se  fit  recevoir  avocat  consistorial  à  Grenoble  et  devint  un 
plat  courtisan,  comme  le  montre  le  pamphlet  publié  par  lui  à  Lyon,  en 
1618,  contre  ceux  qu'il  venait  de  quitter  :  La  Ministrographie  hugue- 
note,  et  comme  le  démontre  encore  un  petit  volume  qu'il  fit  paraître 
à  Paris  la  même  année  :  Les  miraculeuse  effets  de  la  sacrée  main  des  /lot/s 
de  Franco  très-chresttens  pour  la  guérisnn  des  malades  et  conversion  des 
hérétiques.  Après  les  flagorneries  qui  fleurissent  une  dédicace  au  Roi,  il 
exhorte  ses  anciens  coreligionnaires  à  subordonner  leur  liberté  de  con- 
science à  l'obéissance  due  au  Monarque  :  «  Ceste  liberté  étant,  dit-il, 
«  une  mauvaise  beste,  laquelle  a  sa  peau  de  diverses  couleurs  comme 
«  le  léopard  et  change  comme  le  caméléon;  ressemblant ,  quant  au 
«  reste,  au  rvnocéros,  excepté  en  ceci  :  c'est  que  le  rynocéros  est  pris 
«  au  chant  d'une  vierge  pieuse  près  de  laquelle  il  «s'endort,  comme 
<(  dit  Bercorius,  tandis  que  ceste  beste  (la  liberté  de  conscience)  ne 
«  peut  estre  prinse  qu'au  chant  d'une  femme  adultère ,  desbauchée 

d'avec  son  mari,  près  de  laquelle  elle  se  vient  rendre,  lui  présente 

«  son  dos  à  monter,  et,  estant  dessus,  la  porte  furieusement  partout, 

squ'à  ce  qu'elle  la  précipite  et  la  dévore.  »  L'Eglise  réformée 

avait-elle  perdu  beaucoup  par  la  défection  d'un  controversiste  de  cette 

force  1  Chaeles  Read. 

BARCKHAUSEN  (Conrad-Henri),  théologien  berlinois  du  commence- 
ment du  dix-huitième  siècle,  défendit  dans  une  série  d'ouvrages  le 
me  réformé  de  la  prédestination  absolue  contre  les  partisans  de 
liiniversalisme.  Son  principal  ouvrage,  Arnica  collatio  doctrinœ  de 
fjratia,  quàm  vera  reformata  confitetur  Ecdesia,  publié  en  1714,  sous  le 
pseudonyme  de  Pacificus  Verinits,  est  dirigé  contre  les  Thèses  théolo- 
gie» de  Yolckmann,  auquel  il  reproche  d'invoquer  l'autorité  des  prin- 
cipaux théologiens  et  symboles  réformés  pour  justifier  ses  vues  héré- 
tiques. D'après  Barckhausen,  le  décret  éternel  du  salut  comme  aussi  la 
vertu  du  sacrifice  expiatoire  du  Christ  doivent  être  restreints  aux  seuls 
élus.  La  querelle  menaçait  de  s'envenimer,  lorsque  le  roi  de  Prusse, 
Frédéric  Ir,  lit  publier  en  1719  un  édit  qui  imposait  silence  aux  deux 
camps  'Walch,  Itelig.  Streùùjk.,  III,  p.  74()  ;  Revzog,  Real-EncueL,  XIX, 
p.  163  ss.). 

BARCLAY  (Robert),  célèbre  théologien  de  la  secte  des  quakers,  naquit 
en  1648,  à  Edimbourg,  d'une  ancienne  famille  écossaise.  Son  grand- 
avait  été  gentilhomme  de  la  cour  de  Charles  1er,  et  son  père 
ni  une  brillante  carrière  militaire.  Envoyé  à  Paris  pour  y  pour- 
suivre ses  études,  Robert  Barclay  s'y  convertit  au  catholicisme.  De  re- 
tour en  Ecosse,  il  trouva  son  père  converti  lui-même  aux  idées  de 
j e  Fox,  1«'  fondateur  du  quakérisme.  Ce  ne  fut  qu'après  de  lon- 
gues résistances  que  le  fils  se  décida  à  suivre  son  père  dans  cette  évo- 
lution. 11  apporta  au  service  de  sa  nouvelle  foi  les  ressources  d'un 
esprit  dialectique  fortifié  par  de  solides  études.  Il  devint  le  théologien  de 
i  te  dont  Fox  ''tait  l'apôtre.  Dans  son  Apologie  de  la  vraie  théologie 


80  BARCLAY  —  BARCOCHÉBA8 

chrétienne,  il  systématisa  le  spiritualisme  mystique  de  ce  dernier,  eu 
le  ramenant  dans  les  bornes  de  l'orthodoxie  protestante,  au  moins 
quant  aux  dogmes  essentiels  de  la  foi.  La  voix  intérieure  du  Saint-Es- 
prit qui  parle  en  chaque  homme  ne  saurait,  selon  lui,  jamais  contre- 
dire l'Ecriture,  dont  il  accepte  pleinement  l'autorité.  Il  croit  que  «  le 
germe  du  péché  est  transmis  à  tous  les  hommes  par  Adam,  mais  qu'il 
n'est  imputé  à  aucun  jusqu'à  ce  qu'en  péchant  il  se  fasse  un  avec 
Adam.  »  11  rejette  la  prédestination  et  admet  pour  l'homme  la  possi- 
bilité d'atteindre  à  un  état  de  sainteté  dans  lequel  il  ne  pécherait  plus. 
L'Apologie,  publiée  en  latin  en  1676,  fut  traduite  en  anglais  en  1678,  en 
allemand  en  1684  et  en  français  en  1702.  Elle  valut  à  Barclay  plusieurs 
réponses,  auxquelles  il  répliqua.  Il  avait,  dès  1673,  publié  un  caté- 
chisme. Une  collection  complète  de  ses  œuvres  parut  deux  ans  après 
sa  mort,  en  1692,  par  les  soins  de  William  Penn  (voir  l'article  Quakers). 

Matth.  Lelièvre. 

BARC0CHÉBAS,*ou  Bar-Kokeba  (fils  de  l'Etoile),  surnom  sous  lequel  est 
connu  Bar-Koziba,  chef  de  la  révolte  des  Juifs  de  Palestine  sous  l'empereur 
Adrien  (132-135  ap.  J.-C).  La  Judée  avait  gardé  le  calme  pendant  la 
grande  insurrection  des  Juifs  de  la  Cyrénaïque  sous  Trajan  ;  les  dispo- 
sitions bienveillantes  qu'Adrien  paraît  leur  avoir  d'abord  témoignées 
ayant  toutefois  fait  place  à  des  mesures  vexatoires  et  à  une  véritable 
persécution,  une  rébellion  se  prépara.  L'empereur,  renouvelant  un 
décret  de  Trajan,  défendit  aux  Juifs  de  pratiquer  la  circoncision  et  ré- 
solut de  rebâtir  Jérusalem  pour  en  faire  une  ville  absolument  païenne  ; 
ces  mesures  déterminèrent  des  troubles  qui  prirent  une  grande  impor- 
tance sous  la  direction  d'un  certain  Bar-Koziba.  Ce  personnage,  dont 
l'origine  est  restée  fort  obscure,  semble  avoir  dû  la  plus  grande  part 
de  son  succès  à  l'appui  du  célèbre  R.  Akiba  (voyez  ce  mot),  lequel  lui 
donna  le  titre  de  Messie,  et  à  cet  effet  l'appellation  messianique  tirée 
des  Nombres  XXIV,  17,  sous  laquelle  on  le  désigne  d'habitude.  Il  aurait 
groupé  autour  de  lui  des  troupes  nombreuses  et  se  serait  emparé  sans 
grand'peine  de  Jérusalem  et  d'un  grand  nombre  de  places  de  moindre 
importance.  Julius  Severus,  chargé  de  le  battre,  lui  enleva  successive- 
ment un  certain  nombre  de  villes,  dont  Jérusalem,  et  finit  par  l'assiéger 
dans  la  ville  de  Bethar,  dont  l' identification  n'a  pu  être  faite  avec  cer- 
titude. Après  un  siège  long  et  pénible,  les  Romains  s'emparèrent  de 
cette  citadelle  et  marquèrent  leur  victoire  par  d'affreux  massacres. 
Bar-Koziba  périt  dans  la  lutte,  et  l'insurrection  fut  terminée  avec  lui. 
,0n  trouvera  ces  événements  relatés  avec  beaucoup  de  soin  dans  la 
Palestine  de  Munk,  p.  605-606,  d'après  les  sources  éecclsiastiques, 
païennes  et  rabbiniques.  Toutefois,  si  la  gravité  de  la  révolte,  l'impor- 
tance du  rôle  joué  par  Bar-Kokeba  et  l'épisode  capital  de  la  lutte 
autour  de  Bétharsont  hors  de  doute,  il  n'en  est  pas  de  même  de  beau- 
coup de  faits  rattachés  à  ce  mouvement.  La  tradition  juive  s'est  mon- 
trée très-sévère  envers  Bar-Koziba,  dans  le  nom  duquel  elle  a  cherché 
un  sens  injurieux  (fils  du  Mensonge)  qui  ne  se  justifie  pas  ;  elle  le  re- 
présente sous  l'aspect  d'un  vulgaire  thaumaturge  exploitant  la  crédu- 
lité populaire  par  un  grossier  charlatanisme  ;  ces  traits  s'accordent  mal 


BARCOCHÉBÀS  —  BARI  81 

avec  le  patronage  d'un  homme  tel  que  R.  Akiba.  Il  est  également  plus 
que  douteux  que  le  nom  de  Simon,  que  Ton  lit  sur  les  monnaies  frap- 
pées pondant  l'insurrection,  ait  été  le  sien,  et  qu'il  ait  pris  par  là  des 
prérogatives  royales.  M.  Renan,  dans  un  très-remarquable  travail  inti- 
tulé :  Jérusalem  a-t-clle  été  assiégée  et  détruite  nue  b'oisième  fois  sous 
Adrien  ?  (Revue  historique,  1876,  t.  II,  p.  112-120),  conteste  que  Jéru- 
salem ait  joué  dans  cette  lutte  un  rôle  sensible,  et  rejette  comme  dé- 
pourvue de  fondement  historique  ridée,  presque  universellement 
reproduite,  que  la  capitale  juive  ait  été  assiégée  par  le  lieutenant  de 
l'empereur,  réduite  en  ruines  de  nouveau  et  rasée  de  façon  à  laisser  le 
terrain  net  pour  la  construction  d'JUia-Capitolina.  Les  travaux  d'éta- 
blissement d'.Elia  remonteraient  à  Tan  122  et  n'auraient  point  été 
mis  en  question  par  l'insurrection,  qui  ne  parait  point  avoir  occupé 
Jérusalem  d'une  manière  durable,  si  toutefois  elle  y  a  mis  jamais  le  pied. 
M.  Renan  établit  surtout  une  distinction  capitale  entre  les  sources  de 
cette  histoire  et  retient  comme  solides  les  renseignements  dus  à  Dion 
Cassius  et  à  Ariston  de  Pella  (connu  par  Eusèbe),  tandis  que  la  tradition 
juive  et  chrétienne  a  été  de  bonne  heure  dominée  par  une  assimilation 
instinctive  entre  les  circonstances  de  la  guerre  de  Titus  et  de  celle 
d'Adrien.  11  résulte  de  l'étude  de  M«  Renan  que  l'on  ne  saurait  ac- 
cueillir avec  trop  de  précautions  la  manière  dont  est  généralement 
présentée  l'histoire  des  Juifs  sous  les  empereurs  depuis  la  prise  de  Jé- 
rusalem par  Titus.  Maurice  Vernes. 

BARGOS  (Martin  de)  [1600-1678],  disciple  de  Jansénius  dont  il  avait 
suivi  les  cours  à  Louvain.  Il  fut  chargé  de  l'éducation  du  fils  d'Arnauld 
d'Andilly,  et  en  1664  il  succéda  à  Jean  Duvergier  de  Hauranne,  son 
oncle,  dans-  l'abbaye  de  Saint-Cyran.  Louis  XIV,  informé  de  ses  ten- 
dances,  lui  envoya  un  ordre  qui  l'exilait  à  Boulogne;  Barcos  se  tint 
caché  pendant  un  certain  temps,  puis  il  revint  à  son  abbaye,  où  il  mou- 
rut. Il  a  composé  un  certain  nombre  d'ouvrages  de  controverse  dont  le 
plus  connu  est  son  Exposition  de  la  foi  de  l'Eglise  romaine  touchant  la 
grâce  et  la  prédestination,  qui  fut  condamnée  par  le  cardinal  de  Noailles, 
archevêque  de  Paris,  et  par  la  congrégation  de  Y  Index  (voyez  Jansé- 
nùme). 

BARDESANE,  gnostique  valentinien,  vivait  à  Edesse  (vers  Tan  172) 
sous  le  prince  Abgar-Manu.  Eusèbe  nous  a  conservé  un  fragment 
de  son  livre  Ilept  -J.\).y.o\).vrrh  Sur  la  fatalité  (Eusèbe,  Prxparat.  evan- 
geL,  M,  10).  Il  avait  aussi  composé  110  des  hymnes  hérétiques  contre 
lesquelles  Kphrem  composa  ses  Cantiques  orthodoxes .  Le  système  de  Bar- 
il-- ine  n'étant  qu'une  variété  de  l'école  de  Valentinien,  il  ne  peut  être 
compris  qu'en  étant  rattaché  à  celui  de  son  maitre  (voir  les  articles 
Gnoëticisme  et    Valentinien). 

BARI  (Concile  de).  Cette  assemblée,  de  183  évéques,  fut  convoquée 
et  présidée  pur  (Jrbain  II,  le  Ier  octobre  1098.  L'interminable  querelle 
des  grecs  et  des  latins  sur  le  /iliaque  en  était  l'objet  apparent.  Les 
actes  de  ce  concile  sont  perdus,  mais  Anselme  de  Cantorbéry,  qui 
BOUtint  seul  Le  poids  de  la  discussion,  expose  dans  son  Traité  sur  la 
Procession  du  Saint-Esprit  les  idées  qu'il  y  développa.  La  partie  poli- 


82  BAR1  --     ARLETTA 

tique  de  ce  concile  nous  est  mieux  connue,  grâce  au  récit  de  Guillaume 
de  Malmesbury.  Anselme,  après  ses  démêlés  de  primat  d'Angleterre 
avec  Guilîaume-le-Roux,  venait  de  se  réfugier  près  du  pape.  Urbain 
profita  du  concile  pour  le  combler  de  marques  de  distinction  :  on  alla 
jusqu'à  l'appeler  «  alterius  orbis  papam  ».  11  y  fut  longuement  ques- 
tion de  l'impiété  de  Guillaume,  et  ce  ne  fut  qu'à  l'intercession  cha- 
ritable d'Anselme  que  le  pape  différa  de  formuler  en  excommuni- 
cation positive  les  malédictions  dont  il  chargea  le  roi  normand 
(V.  Duodecima  centuria  eccles.,  Basilea?,  1569;  Bail,  Summa  conciL, 
Paris,  1672). 

BARJÉSUS  (Bar-Jeschuah,  fils  de  Jésus),  nom  d'un  magicien  juif  atta- 
ché à  la  personne  de  Sergius  Paulus,  proconsul  dans  l'île  de  Chypre, 
que  les  Actes  des  Apôtres  ont  présenté  comme  un  faux  prophète  et  qui 
se  donnait  à  lui-même  le  titre  d'Flim,  sage  (d'où  Elymas,  mot  d'ori- 
gine arabe;  pluriel,  ouléma).  Craignant  de  perdre  auprès  du  proconsul 
son  influence  et  son  crédit,  il  voulut  s'opposer  à  Barnabas  et  à  Paul  qui 
devaient  lui  apparaître  comme  des  concurrents  dangereux  ;  il  en  fut 
puni,  d'après  les  Actes,  sur  une  parole  de  Paul-,  par  une  cécité  temporaire 
(Act.  XIII,  6-12). 

BARLAAM,  moine,  né  à  Seminara,  dans  la  Calabre  intérieure,  fut 
élevé  dans  la  religion  latine  (Cantakuzène,  Eût.,  lib.  II,  ch.  xxxix).  Il 
était  intelligent  et  instruit,  mais  d'un  caractère  inconstant.  Ayant  quitté 
la  religion  latine,  il  vint  à  Byzance  sous  Andronique  le  Jeune  et  accepta 
les  dogmes  de  l'Eglise  orientale.  En  1339  il  fut  envoyé  par  Andronique 
au  pape  Benoît  XII,  à  Avignon,  avec  la  mission  d'opérer  la  réunion 
des  Eglises  et  de  demander  des  secours  contre  les  mahométans.  Il  re- 
tourna sans  réussir  à  Constantinople  où  il  eut  de  vives  controverses 
avec  Palamas,  moine  du  mont  Athos  et  chef  des  quiétistes  (voy.  ce 
mot).  Il  écrivit  contre  ces  derniers;  c'est  pourquoi  il  fut  condamné 
par  un  synode  assemblé  dans  l'église  de  Sainte-Sophie  au  mois  de 
juillet  de  l'an  1341.  Quelques  jours  après  sa  condamnation  il  partit  en 
Italie,  et  devint  évêque  de  Gieraci  en  1342.  Il  mourut  en  1348.  Il  écri- 
vit contre  les  latins  :  1°  un  discours  sur  la  primauté  du  pape,  publié 
d'abord  en  grec  à  Oxford,  en  1592,  in-4°,  puis  à  Hanovre  en  1608  ; 
2°  Vingt  discours  sur  la  procession  du  Saint-Esprit,  dont  les  manuscrits 
se  trouvent  dans  les  bibliothèques  de  Paris,  Vienne,  etc.;  3°  un  dialogue 
entre  un  orthodoxe  et  un  latin  sur  les  azymes  et  sur  la  procession  du 
Saint-Esprit;  le  manuscrit  de  cet  ouvrage  se  trouve  dans  la  bibliothè- 
que du  Vatican.  Il  écrivit  aussi  les  Orationes  sur  la  réunion  des  deux 
Eglises  (dans  les  Annales  de  Brovins,  année  1359,  §  25);  Aoy^v.y^q, 
sive  arithmeticœ  algebraicœ  lib.  VI,  avec  le  texte  et  la  traduction  latine, 
Strasbourg,  1572,  in-8°,  et  Paris,  1606  ;  Ethicse  secundum  sto'icos  lib.  Il, 
dans  Canisius,  éd.  d'Anvers,  t.  IV.  Barlaam  n'est  pas  l'auteur  d'un 
écrit  sur  le  purgatoire,  qui  fut  publié  en  1645  avec  son  écrit  sur  la  pri- 
mauté du  pape.  Ign.  Moshakis. 

BARLETTA  (Gabriel),  fameux  prédicateur  dominicain  du  quinzième 
siècle.  Le  soin  qu'il  eut  de  conformer  son  éloquence  au  goût  de  son 
temps  lui  valut  une  popularité  incomparable,  mais  produisit  sur  la 


BARLETTA  —  BARNABAS  83 

postérité  une  impression  bien  différente.  On  a  tenté  de  le  disculper  de 
la  bouffonnerie  parfois  indécente  de  ses  serinons  en  attribuant  ses  traits 
à  la  malignité  de  copistes  infidèles.  Léandre  Albert i,  son  contemporain, 
prétend  avoir  connu  te  faussaire  qui  a  emprunté  le  nom  du  P.  Gabriel, 
mais  il  ne  le  nomme  pas.  Henri  Estienne  a  donné  dans  son  Apologie 
d'Hérodote  quelques  spécimens  de  ce  burlesque  grossier.  Bayle  les  pré- 
tend extraits  du  Barletta  authentique,  non  sans  vraisemblance,  car  les 
dominicains  se  sont  évertués  à  en  atténuer  le  ridicule  avec  Une  gravité 
aussi  plaisante  que  les  facéties  deTauteur.  La  premièredes  nombreuses 
éditions  de  Barletta  est  de  Brescia,  1498,  in-8°.  Celle  de  Venise,  1571  et 
1577,  in-8°,  renfermant  dans  le  tome  premier  le  Carême  et  dans  le 
second  le  reste  de  l'année  ecclésiastique,  est  réputée  la  meilleure. 
François  de  la  Serre  a  publié  à  Paris  les  Sermons  de  Barletta  en  1531 
(Altamura,  Biblioth,  Onlinis  Prwdicat.;  Possevin,  Appar.  Sacri,  t.  I). 

BARMEN,  ville  moderne  de  50,000  habitants,  située  près  d'Elber- 
feld,  dans  la  vallée  de  la  Wupper  (Prusse  rhénane),  au  centre  d'une  in- 
dustrie considérable  de  coton,  de  toile,  de  velours,  de  quincaillerie.  Un 
réveil  religieux  s'étant  manifesté  vers  1825  dans  ce  populeux  district 
manufacturier,  de  nombreux  établissements  de  bienfaisance  et  de  pro- 
pagande évangélique  ne  tardèrent  pas  à  surgir,  parmi  lesquels  se  place 
au  premier  rang  la  Société  des  missions  de  Barmen  (voyez  Missions). 

BARNABAS  ou  saint  Barnabe,  comme  rappellent  les  hagiographes 
catholiques  et  M.  Renan  dans  son  Histoire  des  o?,igines  du  c/wistianisme 
il  et  III),  se  nommait  en  réalité  José  ou  Joseph.  Le  surnom  de 
Uaruahas.  qui  signifie  enaraméen  «  fils  de  l'exhortation  »,  lui  fut  donné 
par  1rs  apôtres  (Actes  IV,  36),  vraisemblablement  à  cause  des  nom- 
breuses  conversions  qu'il  aurait  opérées  par  son  éloquence  au  milieu 
des  païens.  Une  tradition  postérieure,  adoptée  par  Clément  d'Alexan- 
drie  et  Eusèbe  de  Césarée  (Strom.,  II,  20;  Ilist.  eccL,  I,  12),  lui 
assigne  une  place  parmi  les  soixante-douze  disciples  que  Jésus  avait 
envoyés  pour  annoncer  la  Bonne  Nouvelle,  mais  elle  ne  s'appuie  sur 
aucun  témoignage  positif.  Quel  que  soit  son  degré  de  crédibilité,  il  est 
certain  que  Barnabas  était  un  Juif  Helléniste,  Cypriote  de  naissance,  et 
qu'il  appartenait  à  la  tribu  de  Lévi.  Les  Homélies  Clémentines,  qui  en 
font  également  un  disciple  immédiat  de  Jésus,  le  prétendent  originaire 
d'Alexandrie  d,  9).  Au  moment  où  les  Actes  le  mentionnent  pour  la 
première  fois,  Barnabas  fait  partie  de  l'Eglise  de  Jérusalem  où  il  se  dis- 
tingue  par  sa  générosité  ;  lorsque  les  membres  de  cette  Eglise,  par  une 
inspiration  spontané.',  établissent  entre  eux  la  communauté  des  biens, 
il  vend  un  ebamp  qu'il  possède  dans  le  voisinage  et  en  dépose  le  prix 
aux  pieds  des  apôtres.  Barnabas  se  consacra  de  bonne  heure  à  l'évangé- 
lisaiion  des  païens.  La  place  qu'il  y  occupa,  les  pensées  qui  le  dirigè- 
rent, ses  rapports  avec  Paul,  nous  apparaissent  sous  un  jour  difïérent, 
suivant  que  nous  consultons  les  épitres  pauliniennes  ou  les  Actes  des 
apôtres.  D'après  ce  dernier  document,  il  aurait,  aux  débuts  de  la 
mission  païenne,  joué  un  rôle  de  premier  ordre.  Il  introduit  après  les 
événements  de  Damas  Paul  dans  le  cercle  des  Douze  et  dissipe  leurs 
préventions  contre  le  nouveau  converti  (Actes  IX,  27).  Lorsque  les  Hel- 


84  BARNABAS 

lénistes,  dispersés  après  la  mort  d'Etienne,  fondent  à  Antioche  une 
communauté  bientôt  florissante,  les  Douze  envoient  de  Jérusalem  Bar- 
nabas  qui  en  prend  la  direction  et  maintient  la  bonne  entente  avec  la 
métropole.  Un  peu  plus  tard  il  se  rend  à  Tarse  pour  enlever  Paul  à  la 
retraite  et  l'associer  à  ses  travaux  (Actes  XI,  22,  25).  C'est  sous  son 
patronage  immédiat  et  médiatement  sous  celui  des  Douze  que  l'apôtre 
des  gentils  entreprend  son  premier  voyage  missionnaire;  aussitôt  après 
ils  partent  ensemble  pour  Jérusalem  afin  d'attester  leur  subordination 
vis-à-vis  des  chefs  de  l'Eglise.  Dans  le  deuxième  voyage  qu'ils  font  en 
commun,  Barnabas  continue  à  jouer  le  premier  rôle  (Actes  XII,  XIII)  ; 
Paul  n'est  jamais  nommé  que  le  second;  cependant  il  prend  toujours 
la  parole  pour  exposer  l'Evangile  devant  les  païens  et  dans  les  syna- 
gogues, ce  qui  permet  de  supposer  entre  eux  des  rapports  réels  tout 
autres  que  ceux  décrits  dans  un  but  de  conciliation  par  l'auteur  des 
Actes.  Depuis  le  chapitre  XIII  leurs  rôles  sont  intervertis,  sauf  dans  les 
trois  passages  suivants  :  Actes  XIV,  14  (Barnabas  reçoit  le  titre  d'apôtre 
auquel  il  n'a  aucun  droit  afin  d'en  faciliter  l'octroi  à  Paul  et  d'apaiser 
les  scrupules  des  judéo-chrétiens)  ;   XV,  12  (Barnabas  et  Paul  racon- 
tent à  l'Eglise  de  Jérusalem  les  miracles  que  Dieu  a  opérés  par  leur 
moyen  au  milieu  des  gentils)  ;  Actes  XV,  25  (Barnabas  est  nommé  le 
premier  dans  le  décret  apostolique  comme  celui  qui  entretient  les  rela- 
tions les  plus  intimes  avec  la  métropole).  Tout  le  rôle  de  Barnabas, 
d'après  les  Actes,  nous  paraît  subordonné  à  la  pensée  maîtresse  de  l'au- 
teur :  celle  de  rapporter  aux  Douze  l'honneur  de  la  mission  païenne  et 
de  réduire  Paul  au  rang  de  leur  chargé  de  pouvoirs,  du  continuateur 
docile  de  leur  œuvre.  Lorsque  nous  parcourons  les    épîtres   pauli- 
niennes,  les  rapports  entre  les  deux  missionnaires  nous  apparaissent 
sous  un  jour  différent.  L'apôtre  des  gentils  possède  le  sentiment  très- 
net  d'avoir  reçu  son  Evangile  de  Dieu  directement,  sans  aucun  inter- 
médiaire humain   :    dans  les  années  qui  suivirent  sa  conversion,  il 
aurait  évité  aussi  soigneusement  tout  commerce  avec  les  Douze  que, 
d'après  les  Actes,  il  aurait,  grâce  aux  bons  offices  de  Barnabas,  promp- 
tement  obtenu  leur  concours.  Dans  le  récit  de  son  voyage  à  Jérusalem 
(Gai.  I,  1,  9)  il  s'attribue    à  lui-même  le    premier    rôle  et    ramène 
Barnabas  aux  proportions  d'un  simple  auxiliaire.  Il  n'y  a  rien  d'invrai- 
semblable à  ce  que  Barnabas  se  soit  rencontré  à  Jérusalem  trois  années 
après  la  conversion  de  Paul  et  qu'il  lui  ait  ménagé  une  entrevue  avec 
le  chef  des  Douze.  Il  peut  également  l'avoir  précédé  à  Antioche,  l'avoir 
même  engagé  à  y  transporter  son   séjour  sur  le  bruit  des  conversions 
que  l'apôtre  aurait  opérées  dans  plusieurs  villes  de  la  Syrie  et  de  la 
Cilicie  au  milieu  des  Gentils.  En  fait  ce  ne  fut  que  depuis  l'arrivée  de 
Paul  qu' Antioche  devint  en  Orient  la  métropole  des  ethnico-chrétiens. 
Par  malheur  nous  ne  possédons   que  des  renseignements  très-incom- 
plets sur  ses  origines,  sa  situation  intérieure.  Paul  et  Barnabas  semblent 
avoir  présidé  d'un   commun    accord    à  ses  destinées  et  professé  les 
mêmes  vues  sur  la  Bonne  Nouvelle  apportée  par  Jésus,  sa  diffusion  dans 
des  cercles  toujours  plus  vastes  :  ils  rayonnèrent  de  la  capitale  de  la 
Syrie  comme  d'un  centre  pour  annoncer  dans  de  nombreux  voyages 


BARNABAS  8  5 

missionnaires  l'Evangile  aux  juifs  et  aux  païens.  Aussi  sommes-nous 
surpris  de  la  position  prise  par  Barnabas  dans  la  lutte  qui  surgit  entre 
Pierre  et  Paul  à  propos  des  repas  communs  entre  circoncis  et  incir- 
concis, du  dissentiment  qui  sépara  les  deux  anciens  compagnons  d'œu- 
vre.  L'auteur  des  Actes  garde  le  silence  sur  le  conflit  qui  éclata  entre 
les  deux  apôtres;  il  attribue  la  rupture  entre  Paul  et  Barnabas  à  des 
motifs  tout  personnels  qui  D'en  expliquent  ni  la  gravité  ni  la  durée.  Pam, 
dans  répitre  aux  (ialates,  se  glorifie  d'avoir  ouvertement  résisté  au 
prince  des  apôtres  qui  aurait  provoqué  tous  les  autres  judéo-chrétiens 
d'Antioche  à  la  dissimulation  par  son  exemple;  il  constate  avec  regret 
la  faiblesse  dont  Barnabas,  dans  cette  occasion,  s'était  rendu  cou- 
pable, et  lui  reproche  avec  amertume  de  s'être  laissé  entraîner  à  l'hy- 
pocrisie. L'apôtre  des  gentils,  lorsqu'il  émit  cette  appréciation  rigou- 
reuse, eedaà  la  pression  de  sa  propre  dialectique  plutôt  qu'il  ne  se  rendit 
un  compte  exact  de  la  situation  psychologique  de  ses  adversaires.  Bar- 
nabas, en  s' inclinant  devant  le  verdict  impérieux  de  Jacques,  n'obéit  ni 
à  la  peur  ni  à  des  mobiles  égoïstes,  mais  lut  la  victime  d'une  conscience 
timorée  qui  ne  discernait  pas  encore  clairement  sa  ligne  de  conduite. 
Le  rôle  (pi' il  joua  dans  le  conflit  d'Antioche  trahit  chez  lui,  en 
dépit  d'un  caractère  aimable  et  d'une  connaissance  approfondie 
de  l'Ecriture,  l'absence  d'un  but  net,  d'une  pensée  rigoureuse.  Bar- 
nabas ne  se  réconcilia  jamais  avec  son  ancien  compagnon  d'œuvre. 
Pendant  que  Paul  cherchait  à  propager  l'Evangile  dans  des  régions 
toujours  pins  éloignées  et  s'avançait  à  travers  l'Asie-Mineure  jus- 
que  sur  les  bords  de  l'Archipel,  il  reprenait  avec  Marc  la  route  de 
lile  de  Chypre,  sa  patrie  (Actes  XV,  39).  Depuis  lors  nous  manquons 
sur  lui  de  tout  renseignement  authentique.  Les  Homélies  Clémentines, 
si  hostiles  à  l'apôtre  des  gentils,  célèbrent  en  Barnabas  un  fidèle  pré- 
dicateur de  l'Evangile,  un  scrupuleux  observateur  de  la  loi  mosaïque 
(I,  9,  16;  II,  i).  11  aurait  entretenu  les  relations  les  plus  intimes  avec 
Pierre,  et  les  judéo-chrétiens  continuèrent  dans  la  suite  à  le  regarder 
comme  un  des  leurs.  S'il  faut  en  croire  leur  témoignage,  il  aurait  aussi 
annoncé  la  Bonne  Nouvelle  à  Alexandrie  et  s'y  serait  rencontré  avec 
leur  béros,  Clément  Romain.  Les  Récognitions  Clémentines  transpor- 
tent à  Home  le  théâtre  de  l'entrevue  (I,  7).  Les  récits  qui  nous  parlent 
de  son  épiscopat  à  Milan,  de  son  martyre  dans  l'île  de  Chypre  man- 
quant de  toute  garantie  sérieuse.  E.  Strœhlin. 

BARNABAS  (Epître  de).  Cette  production  anonyme,  faussement  attri- 
buée à  l'ami  et  compagnon  de  l'apôtre  Paul  par  Clément  de  Home  et  d'au- 
tres auteurs  ecclésiastiques,  nous  a  été  conservée,  en  un  très-petit  nombre 
de  copies,  dans  deux  textes,  l'un  grec,  l'autre  latin.  Le  texte  grec  est  tron- 
qué,  caril  commence  au  milieu  d'une  phrase  du  5e  chapitre;  la  traduction 
latine,  plus  incorrecte  encore  que  l'original  grec,  s'arrête  au  17°  chapitre; 
I.-  livre  entier  en  a  2i.  Il  se  divise  en  deux  parties:  la  première  (1-XVI1), 
dogmatique,  proclame  la  déchéance  de  la  loi  mosaïque  et  prémunit  les 
lecteurs  contre  toute  rechute  dans  le  judaïsme,  en  démontrant  que 
1  abolition  de  ses  institutions  et  de  ses  cérémonies  a  été  prédite  par 
l'Ancien  Testament  lui-même.  La  typologie  el  les  allégories  auxquelles 


86  BARNABAS  —  BARNABITES 

Fauteur  a  recours  rappellent  la  méthode  employée  dans  répitre  aux 
Hébreux  ;  mais  elles  sont  généralement  forcées  et  d'un  goût  douteux. 
La  seconde  partie  (XV1II-XXI)  renferme  des  préceptes  de  morale 
et  oppose  la  voie  de  la  lumière,  que  doit  suivre  le  chrétien,  à  la  voie 
des  ténèbres  dans  laquelle  marche  le  mondain.  L'auteur  appartient 
manifestement  à  ce  parti  de  la  conciliation  entre  le  judéo-christianisme 
et  lepaulinisme  qui  finit  par  triompher  dans  l'Eglise.  Son  antijudaïsme 
est  trop  prononcé  pour  qu'on  puisse  le  ranger,  avec  certains  commen- 
tateurs, parmi  les  judéo-chrétiens,  mais  d'autre  part  son  paulinismeest 
bien  affaibli,  et  la  manière  dont  il  parle  de  la  grâce  et  delà  foi  trahit  un 
acheminement  vers  la  conception  tout  intellectuelle  dans  laquelle  se 
fixa  le  dogme  catholique.  L'ignorance  des  cérémonies  judaïques,  inad- 
missible chez  un  lévite,  suffirait  à  elle  seule  à  démontrer  l'inauthenti- 
cité  de  l'épitre  de  Barnabas.  La  mention  de  la  destruction  du  temple 
de  Jérusalem  (XYI)  nous  reporte,  pour  la  date,  après  l'an  70;  d'autre 
part  l'ascension  de  Jésus-Christ  placée  le  jour  même  de  sa  résurrection 
(XV)  ne  nous  permet  pas  de  dépasser  la  première  moitié  du  second  siècle. 
Nous  ignorons  également  le  cercle  des  lecteurs  auquel  s'adresse  cette 
épître,  assez  improprement  nommée  xaGcXirrç,  ainsi  que  son  lieu  d'o- 
rigine. L'hypothèse  qu'elle  a  été  écrite  par  un  chrétien  d'Alexandrie 
manque  de  fondement.  —  L 'épître  de  Barnabas  est  insérée  dans  toutes  les 
éditions  delà  collection  des  Pères  apostoliques.  La  première,  de  Hugues 
Ménard,  date  de  1645;  l'une  des  meilleures  est  celle  deHefele,  Tubin- 
gue,  1843.  Voyez  aussi  du  même,  Sendschreiben  des  Ap.  B.  untersuckt, 
ùbersetzt  u.  erklœrt,Tùb.,  1840;  Kayser,  Revue  dethéol.  de  Strasbourg, 
lre  série,  II,  p.  202  ss.;  Reuss,  Eût.  de  la  théol.  chrét.,  II,  557  ss. 

BARNABITES.  Parmi  les  nombreux  ermites  qui  vivaient  en  Italie,  les 
uns  isolément,  les  autres  ayant  quelques  règles  communes,  il  y  en 
avait  qu'on  appelait  les  ermites  de  Saint-Ambroise.  Ils  sont  mention- 
nés pour  la  première  fois  sous  le  règne  du  pape  Grégoire  XI.  En  1441, 
Eugène  IV  les  réunit  en  congrégation  ;  leur  patron  étant  saint  Barnabe, 
on  leur  donna  le  nom  de  Barnabites.  Comme  ils  n'avaient  pas  de  but 
pratique ,  ils  restèrent  sans  importance  jusqu'à  ce  qu'en  1589  Charles 
Borromée  les  fondit  avec  une  congrégation  plus  récente  qui  portait  le 
même  nom.  Cette  dernière  fut  établie  vers  1530  à  Milan  par  Antoine- 
Marie  Zaccharia,  Barthélémy  Ferrari  et  Jacques- Antoine  Morigïa.  Ces 
trois  prêtres,  entraînés  par  le  mouvement  religieux  qui  traversa  l'Italie 
à  cette  époque,  convinrent  de  ranimer  la  vie  pieuse  du  peuple  par 
des  prédications  plus  édifiantes  et  par  une  distribution  plus  fréquente 
de  l'eucharistie.  Quand  ils  eurent  trouvé  quelques  compagnons ,  Clé- 
ment VII  confirma  l'institution  par  un  bref  en  1533;  deux  années 
après,  Paul  III  les  exempta  de  la  juridiction  épiscopale,  les  soumit  im- 
médiatement au  saint-siége  et  leur  donna  le  nom  de  clercs  réguliers  de 
Saint-Paul.  L'oratoire  où,  à  Milan,  ils  tenaient  leurs  réunions,  était  dé- 
dié à  cet  apôtre.  Quand,  plus  tard,  ils  obtinrent  l'église  de  Saint-Bar- 
nabe, on  ne  les  appela  plus  que  Barnabites.  Leurs  obligations  étaient 
de  prêcher,  d'instruire  la  jeunesse,  de  diriger  des  séminaires  et  de 
faire  des  missions.  Leur  costume  était  celui  des  prêtres  séculiers;  du 


BARNABITES  —  BARNAUD  87 

monachisme  ils  n'avaient  que  les  trois  vœux,  auxquels  ils  avaient 
ajouté,  comme  quatrième,  celui  de  ne  pas  aspirer  à  des  dignités  ecclé- 
siastiques. L'ordre  se  répandit  en  plusieurs  pays  ;  au  commencement 
du  seizième  siècle  il  avait  déjà  cinq  provinces.  La  maison  principale 
était  à  Rome.  Ch.  Schmidt. 

BARNAUD  (Nicolas),  gentilhomme  dauphinois,  comme  il  se  quali- 
fiait, et  médecin,  né  à  Crest,  en  Dauphiné,  de  parents  protestants,  dans 
la  première  moitié  du  seizième  siècle.  On  ignore  la  date  de  sa  nais- 
sance et  celle  de  sa  mort.  Son  nom  a  été  souvent  défiguré  {Bernardus, 
Barnardus,  Jiernaudus,  Barnaudus,  Arnaudus).  Sa  devise  était  :  Nihil 
sine  numine.  Fervent  adepte  de  la  philosophie  hermétique,  il  parcourut 
l'Espagne  vers  1559,  se  trouva  à  Genève  en  1567  et  y  reçut  droit  de 
Jjourgeoisie ,  parcourut  presque  tous  les  pays  de  l'Europe ,  exerçant 
partout  la  médecine  et  s'enquérant  des  progrès  du  grand  œuvre.  En 
1597  et  1599,  on  le  retrouve  à  Leyde,  et,  en  1601,  à  Gouda,  près  Rot- 
terdam, âfgé  alors  de  plus  de  soixante  ans.  En  1612,  son  nom  se  trouve 
mêlé  à  L'affaire  du  ministre  d'Aigues-Mortes,  Bansillon,  que  le  synode 
de  Privas  suspend  pour  trois  mois,  comme  s'étant  adonné  à  l'alchimie, 
sous  les  auspices  d'un  médecin  dit  Barnaud,  comme  nous  le  révèle  un 
pamphlet  du  temps  {le  Magot  genevois,  etc.,  1613).  Les  écrits  que  Bar- 
naud  a  publiés,  ou  qu'on  lui  a  attribués,  se  rapportent  surtout  à  la 
science  hermétique,  à  l'histoire  ou  à  l'économie  politique.  Les  pre- 
miers sont  devenus  très-rares  et  sont  oubliés  dans  la  poussière  des  bi- 
bliothèques; ils  sont  d'ailleurs  réunis  dans  le  Thealrum  Chemicum. 
Barnaud  a  donné  une  traduction  du  livre  :  De  V Autorité  de  la  Sainte 
Ecriture,  de  Socin,avec  ï  Advertissement  de  MM.  les  Théologiens  de  Basle 
sur  quelques  endroits  dudit  escrit,  1592,  in-8°;  et  on  lui  attribue  celle  des 
sept  Livres  de  Servet  concernant  les  erreurs  touchant  la  Trinité.  On  lui 
a  surtout  imputé  la  paternité  du  célèbre  pamphlet,  publié  en  1573, 
contre  les  instigateurs  de  la  Saint-Barthélémy,  sous  ce  titre  :  Dialogus 
quo  multa  exponuntur,  etc.,  et  qui  a  été  traduit  en  français  :  Dialogue 
auquel  sont  traitées  plusieurs  choses  qui  sont  advenues  aux  Luthériens  et 
Huguenots  de  la  France;  ensemble  certains  points  et  avis  nécessaires 
d'estre  sceuz  et  suiviz,  Bâle,  1573,  pet.  in-8°.  On  lit  au  dernier  feuillet  : 
«  Achevé  d'imprimer  le  12e  jour  du  sixième  mois  d'après  la  journée 
de  la  Trahison.  »  Augmenté  d'un  deuxième  dialogue,  cet  ouvrage  fut 
réédité  en  1574,  et  une  traduction  en  fut  publiée  en  français  sous  ce 
titre  bien  connu  :  Le  Réveille -Matin  des  François  et  de  leurs  voisins, 
composé  par  Eusèbe  Philadelphe,  cosmopolite,  en  forme  de  dialogue, 
Ed imbourg  (Bàle?),  1574.  Le  premier  dialogue  a  lieu  entre  six  inter- 
locuteurs, qui  sont  :  Alithie,  Philalithie,  l'Historiographe,  le  Politique, 
l'Eglise  et  Daniel.  11  est  plein  de  véhémence  et  de  ressentiment,  sans 
doute,  mais  plein  aussi  de  détails  authentiques  et  dignes  d'attention. 
Le  deuxième  n'a  que  deux  interlocuteurs  :  le  Politique  et  l'Historio- 
graphe. En  tête  de  cette  traduction  se  trouve  une  dédicace  à  la  reine 
Elisabeth*  datée  du  20  novembre  1573.  Il  faut  noter  ici  (pie  ce  pam- 
phlet a  été  attribué  aussi  à  Théodore  de  Bèze  par  Maillet,  à  Hugues  Do- 
neau  par  Gujas,  à  François  Hotman  par  Sayous  (supposition  qui  semble 


88  B ARNAUD  —  BARNEVELD 

incompatible  avec  un  mot  du  2e  dialogue,  p.  116);  mais  Prosper  Mar- 
chand, Frisius,  Placcius,  Barbier,  Brunet  et  Haag  le  maintiennent  à 
Barnaud.  Enfin  on  lui  attribue  encore  :  1°  Cabinet  du  Roi  de  France, 
dans  lequel  il  y  a  trois  perles  précieuses  d'inestimable  valeur,  par  le 
moyen  desquelles  Sa  Majesté  s'en  va  le  premier  monarque  du  monde  et 
ses  sujets  du  tout  soulagez,  1582,  s.  n.  d.  1.,  3  liv.  en  un  vol.  in-8°  de 
647  pages.  La  dédicace  à  Henri  III  est  signée  N.  D.  G.  (Nicolas  de  Crest?) 
et  datée  du  1er  novembre  1581.  «  Ce  beau  Cabinet,  c'est  la  monarchie 
des  Gaules,  dont  la  première  perle  est  la  Parole  de  Dieu,  qui  a  pour 
estay  l'Eglise  papale,  dans  laquelle  elle  est  enclose  ou  plustost  ensevelie; 
la  deuxième  perle  est  la  Noblesse,  et  la  troisième  le  Tiers-Estat.  »  C'est 
d'ailleurs  une  satire  assez  diffuse,  et  souvent  cynique,  mais  où  se  ren- 
contrent de  bonnes  pages.  On  l'a  aussi  attribuée  à  Nicolas  Froumen- 
teau,  auteur  du  Seo^et  des  Finances  de  Finance  (1581),  ouvrage  qui  est 
une  sorte  de  bilan  très-curieux  de  la  fortune  du  royaume  à  cette  date,  et 
où  se  rencontrent  des  analogies  frappantes  avec  le  Cabinet.  Mais 
Froumenteau  n'est  peut-être  qu'un  pseudonyme  de  notre  Barnaud. 
2°  Le  Miroir  des  François,  compris  en  trois  livres,  contenant  l'état  et  le 
maniement  des  affaires  de  France,  tant  de  la  justice  que  de  la  police, 
par  Nie.  de  Montaud,  1582,  in-S°.  C'est  le  livre  d'un  huguenot  pas- 
sionné ,  mêlant  volontiers  la  polémique  aux  affaires,  et  qui,  selon 
Haag,  serait  peut-être  Louis  Des  Masures.  Mais  La  Monnoye  le  donnait 
à  Barnaud  ;  Prosper  Marchand,  Delisle  de  Sales  et  Barbier  ont  adopté 
son  opinion,  et  Le  Duchat  regardait  le  Cabinet  (de  Barnaud),  le  Secret 
(de  Froumenteau)  et  le  Miroir  (de  Montaud)  comme  l'œuvre  d'un 
même  auteur,  quel  qu'il  fût.  Charles  Read. 

BARNÈS  ou Barns  (Robert),  chapelain  du  roi  d'Angleterre  Henri  VIII. 
Il  fut  envoyé  par  ce  prince  pour  conférer  avec  les  théologiens  protes- 
tants de  Wittemberg  relativement  à  son  divorce  avec  Catherine  d'Ara- 
gon. Ayant  professé,  à  son  retour,  les  doctrines  de  Luther  et  insisté 
sur  certaines  réformes  nécessaires  du  culte,  il  s'attira  la  disgrâce  du 
roi  qui  le  fit  enfermer  à  la  Tour.  Barnès,  pour  obtenir  sa  liberté,  ab- 
jura les  propositions  incriminées.  Poursuivi  par  le  remords,  il  s'enfuit 
à  Wittemberg.  Lorsque  Henri  VIII  se  fut  définitivement  prononcé  contre 
le  pape,  le  malheureux  exilé  retourna  dans  sa  patrie;  c'est  alors  qu'il 
fut  nommé  chapelain  du  roi  et  chargé  de  négocier  son  mariage  avec 
Anne  de  Clèves.  Lorsque  ce  voluptueux  tyran  divorça  avec  elle,  il 
livra  Barnès  au 'Parlement  qui  le  condamna  à  périr  dans  les  flammes 
(1540).  On  a  de  lui  un  écrit  polémique  intitulé  :  Vilae  romanorum  pon- 
tificum  quos  papas  vocamus  (de  saint  Pierre  à  Alexandre  III),  publié  à 
Wittemberg,  en  1536,  avec  une  préface  de  Luther,  réimprimé  plusieurs 
fois  et  condamné  par  Pie  IV. 

BARNEVELD  (Jean  VanOlden).  Né  en  1549,  il  se  distingua  de  bonne 
heure  dans  le  maniement  des  affaires  publiques  par  sa  probité  et  sa 
rectitude  d'esprit.  Guillaume  Ier,  prince  d'Orange,  l'investit  de  sa  con- 
fiance et  le  chargea  de  missions  difficiles  dont  il  s'acquitta  avec  succès. 
A  la  mort  de  Guillaume,  en  1584,  son  jeune  fils,  Maurice  de  Nassau» 
trouva  dans  le  crédit  de  Barneveld  près  des  Etats-Généraux  un  puissant 


BARNEVELD  89 

appui  pour  parvenir  aux  plus  liantes  dignités.  En  1580,  les  Etats  de 
Hollande   élurent   pour   leur   conseiller-pensionnaire,  ou  avocat  de  la 
province,  Barneveld,  qui  déclara  n'accepter  ce  titre  qu'à  la  condition 
de  s'en  démettre  le  jour  où  s'entameraient,  comme  il  le  craignait  alors, 
des  négociations  tendant  à  une  restitution  des  Pays-Bas  à  l'Espagne. 
Devenu  généralissime  des  troupes  des  Etats,  Maurice  de  Nassau  se  si- 
gnala bientôt  par  une  série  de  succès  qui  consolidèrent  la  situation  de 
la   nouvelle  république  des  Provinces-Unies,  à  laquelle  une  alliance 
conclue  avec  la  France  apporta  une  nouvelle  force.  Non  moins  habile 
négociateur   qu'administrateur  éclairé,    Barneveld   fut   chargé  d'une 
mission  près  de  Henri  IV,  lors  des  préliminaires  de  la  paix  conclue 
en  1598,  à  Vervins,  entre  la  France  et  l'Espagne.  La  bonne  harmo- 
nie, qui  pendant  plusieurs  années  avait  existé  entre  lui  et  Maurice, 
cessa  en  1607,  à  raison  des  pourparlers  engagés  par  l'Espagne  avec  les 
Etats  pour  arriver  soit  à  une  paix,  soit  à  une  trêve.  Ami  de  la  gloire,  et 
craignant  que  la  paix  ne  restreignit  l'autorité  dont  il  était  revêtu,  Mau- 
rice voulait  la  continuation   de  la  guerre  ;  Barneveld,   au  contraire, 
aspirait  d'autant  plus  à  la  cessation  des  hostilités,  dans  l'intérêt  de  sa 
patrie,  qu'il  redoutait  que  Maurice  ne  parvint  à  se  rendre  trop  puis- 
sant, au  détriment  de  celle-ci.  De  là  entre  ces   deux  hautes  personna- 
lités gouvernementales  un  dissentiment  qui  ne  lit  que  s'aggraver  de 
jour  en  jour.  Les  pourparlers  échouèrent  quant  à  la  paix;  ils  furent 
repris,  en  vue  d'une  trêve  à  établir.  Barneveld  insistait  pour  qu'elle  fût 
conclue  ;  Maurice  résistait,  et  finit  par  céder  :  une  trêve  de  douze  ans 
tut  signée  en  1609.  Dans  cette  même  année,   se  manifesta  une  divi- 
sion profonde  au  sein  des  Eglises  réformées  des  Provinces-Unies.  Elles 
se  scindèrent  en    deux  camps,  dont  les  chefs  furent  J.  Arminius  et 
F.  Gomarus,  professeur  en  théologie  à  l'université  de   Leyde.  Barne- 
veld. défenseur  convaincu    du   principe  de   la   liberté  religieuse,  se 
rangea,  à  ce  titre,  du  côté  d'Arminiuset  de  ses  partisans  ;  Maurice,  par 
calcul,  se  prononça  contre  ceux-ci  et  le  grand-pensionnaire.  La  ques- 
tion religieuse  ne  tarda  pas  à  se  compliquer  de  questions  administra- 
tives et  politiques,  dans  le  conflit  desquelles  d'âpres  agressions  contre 
Barneveld  furent  trop  souvent  fomentées  par  Maurice.  Ce  prince  réussit 
à  attirer  à  lui  la  majorité  des  Etats-Généraux  et  à  préparer  la  perte  de 
l'homme  dont,  plus  que  tout  autre,  il  eût  dû  respecter  le  caractère  et 
le  loyal  dévouement,  puisqu'à  dater  de  1584  il  avait  trouvé  en  lui  un 
second  père.   Barneveld  fut  arrêté   et   dut  passer  de   longs  mois  en 
prison,  sans  qu'une  instruction  judiciaire  fût    régulièrement  suivie 
contre  lui.  Pendant  ce  temps,  le  parti  qui  l'accablait  de  sa  haine  et  de 
calomnies  s'efforçait,  afin    de  le  faire  plus  sûrement   succomber 
par  la   suite  sous  ses  coups,  de  le  frapper  d'abord  en  la  personne  de 
ses  adhérents,  tant  par  certaines  décisions  acerbes  du  synode  de  Dor- 
dreclit   que  par  des  persécutions  de  tout  genre.    Traduit,  après   une 
incarcération  abusivement  prolongée,  devant  une  commission  compo- 
sée non  de  juges  mais   d'ennemis,  Barneveld,  en  dépit  des  généreux 
efforts  que  firent  la  princesse  douairière  d'Orange;  et  L'ambassadeur  de 
France  pour  sauver  ses  jours,  lut  condamné  à  mort,  comme  coupable, 


90  BARNEVELD  —       ARONITJS 

notamment,  d'avoir  voulu  livrer  sa  patrie  à  l'Espagne,  lui  qui  cepen- 
dant avait  si  énergiquement  contribué  à  l'arracher  au  joug  de  cette 
puissance,  comme  il  Pavait  soustraite  naguère  aux  étreintes  de  la 
Grande-Bretagne.  Le  13  mai  1619,  entre  8  et  9  heures  du  matin,  il 
fut  conduit  devant  les  commissaires,  qui  lui  firent  lire  par  le  greffier 
la  sentence  de  condamnation;  après  quoi,  l'un  d'eux  osa  lui  dire  : 
«  Votre  sentence  est  lue  ;  dépêchez,  dépêchez.  »  Le  vénérable  vieil- 
lard, s'appuyant  sur  son  bâton,  marcha  courageusement  au  supplice. 
Arrivé  sur  l'échafaud,  il  leva  les  yeux  au  ciel  et  dit  :  «  ODieu! 
qu'est-ce  que  de  l'homme  !  »  Il  écouta,  dans  l'attitude  du  recueille- 
ment, la  prière  que  prononça  un  ministre,  pria  lui-même  avec  ferveur  ; 
puis,  s'adressant  aux  assistants  :  «  Amis,  s'écria-t-il,  ne  croyez  pas 
que  je  sois  traître  à  ma  patrie  !  Je  me  suis  toujours  conduit  avec 
intégrité  et  probité,  comme  un  bon  patriote,  et  tel  je  mourrai  !  » 
A  neuf  heures  et  demie,  l'œuvre  du  bourreau  était  accomplie.  — 
Voyez  :  1°  Brandt,  Hist.  de  la  Ré forme,  liv.  20  à  32;  2°  Mercure  fran- 
çais, ann.  1614  à  1619;  3°  Grotius,  Annal,  des  Pays-Bas,  liv.  7,  16, 
17  ;  4°  Grotius,  Apolog.  eor.  qui  Holland.  prœfuer.  ;  5°  Acta  Synodi 
Dordracenœ  ;  6°  Acta  et  scripta  synodalia  Remonstrantium;  7°  Lettres 
et  mém.  de  Duplessis-Mornay  ;  8°  De  Burigny,  Vie  de  Grotius,  1752, 
t.  I,  p.  91  à  145  ;  9°  Louis  Aubery,  Mémoires  sur  l'histoire  des  Pro- 
vinces-Unies, 1688,  p.  183  à  190,  p.  263  à  288,  p.  332  à  346,  p.  365  à 
374;  10°  Mien.  Levassor,  Hist.  de  Louis  XIII,  1757,  t.  I,  p.  211  à 
222,  p.  517  à  531,  p.  736  à  751,  t.  II,  p.  42  à  65,  p.  89  à  101  ;  11°  Le- 
clerc,  Hist.  de  HolL;  12°  Delaneuville,  Hist.  de  Holl.  ;  12°  Kerroux, 
Abr.  de  VHist.  de  Holl.,  1778,  t.  II.  J.  DelIborde. 

BAR0NIUS  (César).  Né  en  1538,  à  Sora,  au  royaume  de  Naples,  de 
la  noble  famille  de  Barono,  le  futur  historien  de  l'Eglise  entra  de  bonne 
heure  à  l'Oratoire  de  Rome.  Saint  Philippe  de  Néri,  qui  avait  deviné 
son  génie,  l'employa  d'abord  à  prêcher  sur  l'histoire  ecclésiastique, 
puis  il  l'engagea  à  mettre  la  main  à  l'œuvre  immense  qui  a  illustré  son 
nom. Confesseur  de  Clément  VIII,  puis  cardinal'  (1596)  et  bibliothécaire 
du  Vatican,  Baronius  serait  sans  doute  devenu  pape  (1605)  sans  l'opposi- 
tion politique  des  Espagnols  :  on  loue  sa  modestie  et  la  sainteté  de  sa 
vie;  il  mourut  en  1607.  Les  Annales  ecclésiastiques  de  Baronius  étaient 
destinées  à  servir  de  contre-pied  aux  célèbres  Centuries  des  théologiens 
de  Magdebourg.  L'auteur  les  a  conduites  jusqu'à  l'année  1198;  elles 
furent  imprimées  à  Rome,  de  1588  à  1593,  en  12  vol.  in-fol.  Aucune  des 
éditions  qui  portent  le  nom  d'Anvers,  sauf  celle  de  1642  qui  est  im- 
primée ailleurs,  ne  contient  le  Traité  de  la  monarchie  sicilienne  ;  cette 
dissertation,  qui  soutenait  les  prétentions  des  papes  sur  Naples  et  la 
Sicile,  a  été  brûlée  en  Espagne  par  la  main  du  bourreau.  L'édition  de 
Mayence  (1601-1605)  a  été  revue  par  l'auteur;  elle  est  la  meilleure.  La 
plus  utile  pour  l'étude  est  celle  que  Mansi  a  publiée  à  Lucques  de  1738 
à  1759,  en  35  vol.  in-fol.,  auxquels  sont  joints  trois  volumes  contenant 
un  excellent  index.  L'édition  de  Lucques  contient,  en  regard  du  texte 
de  Baronius,  la  -belle  Critique  du  savant  cordelier  Ant.  Pagi  (d'Aix  en 
Provence,  f  1699  —  isolément,  Anvers  ou  Genève,  1705,  4  vol.  in-f°; 


BARONIUS  —  BA11SUMAS  91 

meilleure  édit.,  ib.y  1721)  et,  dans  les  volumes  suivants,  les  continua- 
tions de  Toratorien  Odoric  Raynaldi  [(de  Trévise,  f  1071  :  1196*4568; 
impr.  séparément,  K.,  1616-77,  9  vol.  in-f°)et  de  Jacques  Laderchi,  du 
même  ordre  (1566-1571  ;  séparément.  R.,  1728-37,  3  vol.  in-f°).  Les 
continuations  de  Bzowski  et  d'H.  de  Sponde,  l'abréviateur  de  Baro- 
nius,sont  moins  estimées.  Le  P.  Theiiier(f  1874)  a  continué  les  Annales 
jusqu'à  Tan  1590  (H.,  1856  ss.).  Il  se  publie  à  Bar-le-Duc,  sous  le  nom 
de  ce  savant,  une  réimpression  revue  et  corrigée  de  l'édition  de  Luc- 
ques,  avec  les  continuations  de  Raynaldi,  Laderchi  et  Theiner,  la  criti- 
que de  Pagi  et  les  notes  de  Mansi  :  30  vol.  in-f°  ont  paru  depuis  1864. 
Quels  que  soient  le  parti  pris  de.  l'auteur  et  l'insuffisance  de  sa  mé- 
thode, les  Annales  ecclésiastiques  sont  encore,  surtout  si  on  n'en 
sépare  point  la  Critique  de  Pagi,  le  trésor  de  l'historien.  On  a  parlé 
ici  même  (1,  p.  5*4)  du  Martyrologe  de  Baronius.  Les  lettres  du  célèbre 
cardinal  ont  été  publiées  avec  sa  biographie  par  Raym.  Albericus 
(R.,  1759  ss.,  3  vol.  in-4°).  —  Voy.  aussi  les  ouvrages  de  Barnabeo 
(R.,  1651),  de  T.  Le  Febvre  (en  "franc.,  Douay,  1668,  in-8°)  et  de 
Sarra  (ital.,  R.,  1862,  in-8°)  et  les  auteurs  cités  par  Potthast. 

S.  Bebgee. 

BARRI  (Godefroy  de),  seigneur  de  La  Renaudie,  dit  La  Forest. 
Voyez  Amboise. 

BARRUEL  (Augustin)  [1741-1820] .  Ses  écrits  sont  la  fidèle  image  de 

1  agitation  de  sa  vie.  Professeur  chez  les  jésuites  de  Toulouse,  il  s'exila 
à  la  suppression  de  l'ordre,  enseigna  en  Autriche,  et  parcourut  l'Italie 
en  qualité  de  précepteur.  Rentré  en  France  en  1774,  il  collabora  à 
l'Année  littéraire,  et  entreprit  dans  les  Helviennes  ou  lettres  provinciales 
philosophiques  (Paris,  1785;  ib.,  1823,  6e  édition,  4  vol.  in-12)  la  réfu- 
tation des  systèmes  de  l'incrédulité.  Cet  ouvrage,  assaisonné  d'un  sel 
qui  n'est  pas  celui  de  la  charité,  fonda  sa  réputation..  Il  écrivit  ensuite 
au  Journal  ecclésiastique,  qu'il  soutint  seul  de  1788  à  1792.  Le  succès 
compromettant  de  cette  feuille  le  força  à  se  réfugier  en  Angleterre.  Il  y 
rédigea  avec  une  ardeur  précipitée  son  Histoire  du  clergé  de  France 
pendant  la  Révolution  (Londres,  1794,  in-8°),  et  ses  Mémoires  pour 
servir  à  l'histoire  du  jacobinisme  {ib.,  1797  et  ss.,  5  vol.  in-8°),  ouvrage 
plus  malin  que  sérieux.  Une  brochure  sur  l'obéissance  du  clergé  aux 
lois  de  l'Etat,  intitulée  L'Evangile  et  le  clergé  sur  la  soumission  dans  les 
révolutions  (Londres,  1800)  lui  rouvrit  la  France.  Un  autre  ouvrage,  Du 
pape  et  de  ses  droits  religieux  à  l'occasion  du  Concordat  (Paris,  1803, 

2  vol.  in-8°),  le  lit  accuser,  à  tort,  par  les  ultramontains  de  s'être  vendu 
a  Bonaparte.  Barruel  consacra  ses  dernières  années  à  rééditer  ses  écrits 
et  à  poursuivre  de  ses  brochures  les  jacobins  et  les  francs-maçons  en 
qui  il  voyait  les  auteurs  de  la  Révolution  et  les  ennemis  de  tout  ordre 
social.  De  tout  son  héritage,  c'est  le  seul  lot  que  les  ultramontains  aient 
accepté1  sans  bénéfice  d'inventaire.      .  P.  Uouffet. 

BARSUMAS,  archimandrite,  ami  d'Eutychès  et  partisan  de  sa  doc- 
trine, ladéfendil,àla  tête  des  moines  syriens,  au  synode  d'Ephèse  dit  des 
brigands  (449),  détermina  la  mort  violente  de  l'archevêque  Flavien  de 
Gonstantinople,  son  adversaire,  et  se  vit  chassé  du  concile  de  Chalcé- 


92  BARSUMAS  —  BARTH 

doine  où  il  avait  osé  se  présenter.  Il  mourut  en  Syrie  en  Tan  458.  Les 
Jacobites  le  vénèrent  comme  un  thaumaturge  et  comme  un  saint.  — 
Voyez  Mansi,  Sacror.  concil.  nova  et  amplissima  collectio,  VI  et  VII; 
Assemani,  Biblioth.  orient.,  II. 

BARSUMAS  (Thomas),  évéque  de  Nisibe  (435-489)  contribua  puissam- 
ment à  répandre  l'hérésie  nestorienne  en  Perse,  même  par  la  violence. 
Il  était  partisan  du  mariage  des  prêtres,  se  fondant  sur  un  passage  de 
saint  Paul  (1  Cor.  VII,  9),  donna  lui-même  l'exemple  en  épousant  une 
religieuse,  et  fit  adopter  par  le  synode  d' Adri  un  canon  qui  ordonnait  aux 
évêques  de  laisser  leurs  prêtres  et  leurs  diacres  se  marier,  et  même  de  leur 
permettre  les  secondes  noces.  —  Voyez  Assemani,  Biblioth.  orient.,  I, 
p.  436  ss.;  II,  p.  403;  III,  p.  390  ss. 

BARTH  (Chrétien-Gottlob)  [1799-1862]   est  l'un  des  hommes  qui  ont 
exercé  le  plus  d'influence  sur  la  vie  religieuse  du  Wurtemberg  et  de 
toute  l'Allemagne  dans  ce  siècle.  Né  à  Stuttgard,  de  parents  pieux  et 
instruits,  il  lit  ses  études  à  Tubingue  où  il  se  distingua  par  ses  goûts 
littéraires  et  artistiques,  son  profond  sérieux  et  son  penchant  pour  la 
théosophie,  uni  d'ailleurs  à  une  grande  largeur  d'esprit.  Barth  remplit, 
pendant  près  de  quarante  ans,  de  modestes  fonctions  de  pasteur  dans 
la  Forêt-Noire,  à  Mœttlingen  d'abord  et,  depuis  1838,  à  Calw.  On  peut 
dire  qu'il  contribua  à  transformer  de  la  manière  la  plus  heureuse  le 
piétisme  souabe,  le  débarrassant  de  ce  qu'il  avait  d'étroit  et  de  sectaire, 
montrant  que  la  foi  chrétienne  n'est  nullement  hostile  à  la  science, 
et   que   les  vrais  croyants    ne    connaissent  point  les  barrières   que 
cherche  à  élever  entre  les  chrétiens  le  dogmatisme  confessionnel  (voyez 
surtout  ses  deux  brochures  :  Ueber  die  Pietisten,  1819,  et  Ziviespalt  u. 
Einigung  der  Glaubigen,  1835).  Sa  piété  sereine  et  active,  sa  franchise 
et  sa  cordialité,  la  vivacité  de  son  esprit  enclin  à  l'humour,  sa  culture 
variée,  jointes  à  sa  modestie  et  à  la  paix  de  l'àme  qui  se  reflétait  dans 
toute  sa  personne,  .prêtaient   à   son   commerce  un  grand  charme  et 
expliquent  l'influence  considérable  qu'il  exerça  dans  toutes  les  direc- 
tions. Dès  1819,  il  avait  contribué  à  fonder  la  Société  des  missions  du 
Wurtemberg  dont  il  demeura  l'âme  pendant  toute  sa  vie.  Il  dirigea 
avec  un  zèle  infatigable  et  un  talent  qui  n'a  pas  été  surpassé  la  Feuille, 
des  missions,  qui  parut  à  Calw  depuis  1828,  et,  par  sa  riche  collection 
ethnographique,  il  excita  l'intérêt  pour  les  missions  même  dans  les 
cercles  où  il  est  d'ordinaire  difficile  à  réveiller.  Il  fonda  également  une 
Société  de  traités  et  d'écrits  religieux,  en  particulier  pour  l'enfance, 
et  créa  lui-même  toute  une  littérature   scolaire  (Histoire  de   V Eglise 
et  du  monde,  Géographie  biblique,  Histoire  naturelle,  Psychologie,  etc.), 
composée  de  plus  de  trente  ouvrages,  parmi  lesquels  nous  ne  relè- 
verons que  ses  Histoires  bibliques  (Biblische  Geschichten  fur  Schulen  u. 
Familie,  1832),  qui  ont  eu  plus  de  deux  cents  éditions  et  ont  été  tra- 
duites dans  cinquante  langues;  elles  contiennent  une  reproduction, 
non  pas  littérale,  mais  plastique  et  vivante,  des  textes  sacrés.  Son  Com- 
mentaire biblique  (Handbuch  der  Bibelerklœrung  fur  Schule  u.  Haus, 
1849-50,   2  vol.,   2e  édit.,    1856)  renferme   des   vues   souvent  ingé- 
nieuses et  profondes,  toujours  animées  d'un  souffle  religieux  bienfai- 


BARTH  —  BARTHÉLÉMY  93 

sanl  ;  son  Journal  pour  la  jeunesse  (Jugendèlsetter.  Monatsschrift  zur 
F'ùrderung  wahrer  Bildung,  1836-1862),  vrai  modèle  du  genre,  met 
tout  le  trésor  des  connaissances  et  des  découvertes  humaines,  non 
moins  que  le  monde  gracieux  de  la  fiction  et  de  la  poésie,  au  service 
d'une  saine  propagande  évangélique.  Barth  était  aussi  poète.  Son 
recueil  de  Poésies  chrétiennes  (1836)  montre  à  quel  point  il  savait  trans- 
figurer, à  la  lumière  qui  nous  vient  du  monde  supérieur,  les  phénomènes 
de  la  nature  et  les  événements  de  la  vie  ordinaire.  La  tendance  théolo- 
gique de  Barth  est  assez  difficile  à  définir.  11  avait  une  grande  prédilec- 
tion pour  la  théosophie,  et  les  extraits  qu'il  publia,  des  ouvrages  de 
Bengel,  d'GEtinger  et  de  leurs  disciples  (Suddeutsche  Originalien,  1828  ss.) 
n'ont  pas  peu  contribué  à  ramener  l'attention  de  ses  contemporains 
sur  ces  penseurs  d'élite.  Comme  eux,  il  s'occupait  avec  délices  des 
idées  eschatologiques  et  adhérait  de  cœur  à  la  doctrine  du  rétablisse- 
ment final.  Son  orthodoxie  n'excluait  pas  l'originalité  et  l'indépendance 
des  convictions,  qui  prétendaient  ne  s'appuyer  que  sur  la  Bible,  sans 
exclure  aucun  des  moyens  que  la  science  humaine  met  à  notre  dispo- 
sition pour  mieux  la  comprendre.  —  Voyez  Calwer  Missionsblatt  fur 
180.3,  n°  1;  Real-Encycl.  de  Herzog,  XIX,  p.  168  ss. 

BARTHÉLÉMY  (BapôoXo[Aal!oç,  Bar-Tholmaï,  fils  de  Tholmaï,  cf. 
Josué  XV,  14  et  2  Sam.  XIII,  37;  un  0oXo;j.xtoç  se  retrouve  encore 
chez  Josèphe,  Antiq.  XX,  1,  1),  l'un  des  douze  disciples  de  Jésus 
(Marc  III,  18;  Matth.  X,  3  et  par.)  qu'il  faut  vraisemblablement  iden- 
tifier avec  Nathanaël  (Jean  1,45),  cardans  le 4e Evangile  comme  dans  les 
Synoptiques,  Barthélémy  ou  Nathanaël  est  toujours  associé  à  Philippe. 
Cet  apôtre  était  originaire  de  Cana  en  Galilée  (Jean  XXI,  2).  D'après 
Eusèbe  (H.  F.,  V,  10  et  Jérôme  (Viris  illustribus,  36),  il  aurait  porté 
l'Evangile  dans  les  Indes,  par  où  il  faut  entendre  l'Arabie  Heureuse. 
D'après  d'autres  traditions  il  aurait  prêché  en  Lycaonie  et  en  Arménie. 
Dans  les  Histoires  du  Pseudo-Abdias,  liv.  VII,  on  trouve  diverses 
légendes  sur  son  martyre.  Tischendorf  a  publié  dans  ses  Acta  apo- 
crypha  (1851)  le  texte  grec  d'un  autre  apocryphe  sous  ce  titre  :  De 
martyrio  Bartholomœi.  Voy.  encore  :  Tillemont,  Mémoires  pour  servir 
à  l'histoire  du  christ,  des  six  p7*emiers  siècles,  I,  p.  960  et  1160; 
Fabricius,  Codex  apocr.,  II,  p.  669  et  686,  et  I,  p.  34  et  ss.  L'Eglise 
placé  la  fête  de  saint  Barthélémy  au  24  août. 

BARTHELEMY  de  Bologne,  missionnaire  dominicain  du  commence- 
ment du  quatorzième  siècle.  Le  pape  Jean  XXII  le  sacra  évêque  de 
.Maratha,  ville  située  sur  les  confins  de  l'Arménie  et  de  la  Perse,  à  Avignon 
en  1318.  Barthélémy  convertit  beaucoup  de  païens  et  de  musulmans, 
bâtit  un  grand  nombre  d'églises  et  de  monastères,  et  fut  nommé  arche- 
vêque de  Naxivan,  en  Arménie,  qui  devint  le  centre  de  son  activité 
missionnaire.  Il  publia  en  langue  arménienne  une  Somme  des  cas  de 
conscience^  quelques  Petits  traités  des  sacrements,  une  traduction  du 
Psautier  et  de  quelques  ouvrages  de  saint  Thomas  d'Aquin. 

BARTHÉLÉMY  DES  MARTYRS  (1514-1590),  ainsi  appelé  de  l'église  de 
martyribus  de  Lisbonne,  dans  laquelle  il  avait  reçu  le  baptême.  Il  entra 
à  l'âge  de  quatorze  ans  dans  l'ordre  des  dominicains,"  et  professa  peu- 


94  BARTHELEMY 

dant  près  de  vingt  ans  avec  un  grand  succès.  Nommé  archevêque  de 
Braga,  malgré  son  refus,  il  participa  au  concile  de  Trente  et  s'empressa 
d'en  introduire  les  réformes  dans  son  diocèse.  11  créa  un  séminaire 
pour  l'instruction  des  prêtres,  convoqua  des  synodes  provinciaux, 
fonda  un  hôpital  pour  les  malades  et  un  hospice  pour  les  pauvres,  et 
fit  preuve  d'un  grand  dévouement  lors  de  la  peste  de  1568,  et  lors  des 
famines  de  1567  et  de  1575.  Il  obtint  l'autorisation  de  déposer  sa 
charge  en  1582,  et  se  retira  dans  un  couvent  qu'il  avait  fondé  à  Viane, 
pour  s'occuper  de  la  méditation  des  vérités  religieuses  et  de  l'instruc- 
tion du  peuple-  dans  les  villages  voisins.  Parmi  les  ouvrages  de  Barthé- 
lémy, nous  citerons,  indépendamment  de  ses  commentaires  bibliques 
et  d'un  catéchisme,  son  Compendium  vitœ  sptritualis,  traduit  en  fran- 
çais par  M.  Godeau,  Paris,  1699,  2  vol.  in-12,  et  son  Stimulus  Pasto- 
rum,  traduit  en  français  par  G.  de  Mello,  sous  le  titre  :  le  Devoir  des 
Pasteu?%s,  Paris,  1672,  in-12.  Une  édition  complète  de  ses  œuvres  a  été 
publiée  à  Rome,  en  1734,  en  2  vol.  in-fol.,  par  le  P.  d'Inguimbert.  Sa 
Vie  a  été  écrite  par  Isaac  le  Maistre  de  Sacy,  Paris,  1663. 

BARTHELEMY  (La  Saint-).  Avant  de  dire  les  causes  et  les  effets  de 
ce  drame  horrible,  nous  raconterons  par  ordre  ses  diverses  péripéties. 
Le  18  août  1572,  la  cour  de  France  est  en  fête.  Henri  de  Béarn,  roi  de 
Navarre  (plus  tard  Henri  IV),  se  marie  avec  Marguerite  de  Valois,  sœur 
de  Charles  IX.  Ce  ne  sont  à  Paris  que  festins,  bals,  jeux  de  bague, 
mascarades,  scènes  de  théâtre  bizarres  et  licencieuses.  Un  grand  nombre 
de  gentilshommes  huguenots  assistent  aux  noces  royales,  mais  leur 
tenue  décente  contraste  singulièrement  avec  le  luxe  éblouissant  de  la 
cour.  L'amiral  Coligny,  qui,  depuis  la  paix  de  Saint-Germain,  est 
très-avant  dans  la  faveur  du  roi,  auquel  il  a  fait  embrasser,  malgré 
Catherine  de  Médicis  et  le  duc  d'Anjou,  son  fils  préféré,  le  dessein  de 
soutenir  les  Flamands  révoltés  contre  Philippe  II,  roi  d'Espagne,  vient 
d'accompagner,  après  la  tenue  d'un  conseil,  Charles  IX  au  jeu  de 
paume  du  Louvre,  et  se  retire  à  pied  à  l'hôtel  dePonthieu,  rue  Béthizy, 
où  il  loge,  lorsque,  passant  près  de  l'église  Saint-Germain-l'Auxerrois, 
il  reçoit  deux  coups  d'arquebuse,  tirés  de  la  fenêtre  d'une  maison 
appartenant  au  chanoine  Villemur,  ancien  précepteur  du  duc  de  Guise. 
L'assassin,  Maure vel,  qui  avait  tenté  une  première  fois,  en  1569,  de 
tuer  l'amiral,  avait  été  conduit  dans  cette  maison  par  Chailly,  le  propre 
surintendant  des  affaires  du  duc  de  Guise  (22  août).  Coligny  eut  l'index 
de  la  main  droite  brisé  et  une  balle  dans  le  bras  gauche.  Se  croyant  en 
danger  de  mort,  il  fit  prier  le  roi  de  venir  lui  rendre  visite,  car  il  avait 
à  lui  communiquer  diverses  affaires  importantes  relatives  à  la  guerre 
de  Flandre,  et  voulait  une  dernière  fois  lui  donner  le  conseil  de 
secouer  l'autorité  de  sa  mère  et  du  duc  d'Anjou,  dans  l'intérêt  même 
de  son  royaume  et  de  sa  personne  royale.  L'entrevue  eut  lieu,  mais 
Catherine  et  le  duc,  profondément  irrités  des  paroles  de  l'amiral, 
jurèrent  sa  perte  à  dater  de  ce  moment  (23  août  au  matin).  Ne  pouvant 
toutefois  vaincre  les  scrupules  de  Charles  IX,  à  qui  ils  s'efforcèrent  de 
persuader  qu'il  y  allait  de  sa  vie  et  du  salut  de  l'Etat  de  se  défaire  au 
plus  tôt  de  l'amiral,  ils  lui  dépêchèrent  un  conseiller  corrompu,  le  car- 


BARTHELEMY  95 

dinal  de  Retz,  son  ancien  gouverneur,  qni  lui  déclara  sans  détour  que 
sa  mène  el  son  frère  étaient  les  complices  du  duc  de  Guise  dans  la  ten- 
tative d'assassinat  de  la  veille,  qui  il  ne  pourrait  jamais  faire  croire  qu'il 
eût  ignoré  une  chose  connue  de  tout  le  monde,  et  qu'il  y  avait  plus 
de  danger  el  de  honte  pour  lui  à  nier  sa  participation  au  crime  sans 
être  cru  qu'à  prévenir  la  vengeance  des  huguenots  en  les  écrasant.  Ce 
propos  jeta  Charles  IX  dans  un  de  ces  accès  de  fureur  sombre  qui  lui 
étaient  familiers,  et  il  s'écria  que  puisque  ses  conseillers  trouvaient  bon 
qu'on  tuât  l'amiral,  «  il  le  voulait,  mais  aussi  tous  les  huguenots  de 
France,  afin  qu'il  n'en  demeurât  pas  un  qui  lui  pût  reprocher  après  » 
(23  août,  10  h.  du  soir).  Deux  heures  après  le  duc  de  Guise  était 
mandé  au  Louvre  par  Catherine  et  le  duc  d'Anjou,  et  recevait  les  pre- 
miers ordres  du  massacre.  Il  fallait  commencer  par  l'amiral  Coligny. 
Une  bande  d'Italiens,  de  Suisses  et  quelques  Français,  commandés  par 
le  duc  de  Guise,  qui  était  accompagné  du  duc  d'Aumale,  son  oncle,  et 
du  bâtard  d'Angoulème,  se  rendirent  à  l'hôtel  de  l'amiral,  qui  s'écria, 
à  la  vue  de  l'Allemand  Bcehme,  chargé  de  lui  donner  le  coup  mortel  : 
«  Jeune  homme,  tu  viens  contre  un  blessé  et  un  vieillard.  Du  reste,  tu 
n'abrégeras  rien.  »  Bcehme,  reniant  Dieu  par  un  juron  épouvantable, 
enfonça  répieu  dont  il  était  armé  dans  le  ventre  du  héros,  qui  tomba 
en  murmurant,  dit-on,  avec  dédain  :  «  Si  au  moins  c'était  un  homme! 
C'est  un  goujat  !  »  Le  cadavre  fut  jeté  par  la  fenêtre,  sur  les  instances 
du  bâtard  d'Angoulème,  qui  voulut  s'assurer  de  la  mort  de  l'amiral. 
Sa  tête  fut  ensuite  coupée,  portée  au  Louvre  et  envoyée  au  pape 
(21  août,  3  h.  du  matin).  Ce  premier  meurtre  consommé,  Catherine, 
craignant  que  le  roi  ne  persistât  pas  dans  sa  résolution  première  de 
mettre  à  mort  tous  les  huguenots,  devança  l'heure  du  massacre 
général.  Le  signal  devait  être  donné  par  l'horloge  du  palais  de  justice. 
La  reine-mère,  trouvant  celle-ci  trop  éloignée,  fit  sonner  le  tocsin  au 
clocher  de  Saint-Germain-l'Auxerrois,  plus  rapproché  du  Louvre. 
Aussitôt  la  tuerie  commença.  Tous  les  gentilshommes  de  la  suite  du 
roi  de  Navarre  et  du  prince  de  Condé  logés  au  Louvre  furent  mis  à 
mort  dans  la  cour  du  palais  en  présence  du  roi,  posté  à  une  fenêtre. 
Pendant  ce  temps  les  assassins  des  divers  quartiers  de  la  ville  accom- 
plissaient leur  œuvre  sanglante,  n'épargnant  ni  l'âge,  ni  le  sexe,  ni  la 
condition,  ni  le  rang.  En  un  instant  les  rues,  les  places,  les  cours  des 
maisons,  furent  remplies  de  cadavres  et  de  sang.  L'air  retentissait  des 
cris  des  malheureux  déjà  poignardés  ou  prêts  à  l'être.  Le  roi  lui-même 
prenait  part  personnellement  à  cet  horrible  massacre  en  tirant  sur  les 
fuyards  d'une  fenêtre  de  sa  chambre  située  dans  le  pavillon  sud-ouest 
du  Louvre.  Le  pillage,  ce  cortège  obligé  du  meurtre,  s'exerçait  en 
même  temps  s'ur  la  plus  vaste  échelle,  et  dans  cette  a  tireuse  nuit  péri- 
rent à  la  fois  la  fortune  et  la  vie  de  toute  la  population  réformée  de  la 
capitale.  Le  célèbre  sculpteur  Jean  Goujon,  le  savant  professeur  Ramus 
et  le  président  de  la  Place,  historien  de  mérite,  furent  du  nombre  des 
morts,  qu'on  évalue  à  5  ou  6,000.  Le  massacre  et  le  pillage  durèrent 
plusieurs  jours,  en  dépit  des  défenses  du  roi,  dont  la  première  fut 
publiée  à  son  de  trompe  à  cinq  heures  du  soir,  le  jour  même  de  la 


96  BARTHÉLÉMY 

Saint-Barthélémy.  Le  29  elles  durent  être  encore  renouvelées,  tant  était 
grande  la  soif  de  pillage  et  de  meurtre.  Le  soir  même  de  l'événement, 
le  roi,  saisi  de  tardifs  remords  ou  craignant  des  représailles  dans  les 
provinces,  écrivit  à  tous  ses  lieutenants  généraux  pour  rejeter  toute  la 
responsabilité  du  massacre  sur  les  Guise  et  ordonner  Y  entière  exécution 
de  Tédit  de  Saint-Germain.  Mais,  comprenant  bientôt  que  c'était 
s'annihiler  devant  cette  puissante  faction  que  de  prendre  une  pareille 
attitude,  il  tint  le  27  août  un  lit  de  justice  dans  lequel  il  accusa  Coligny 
d'avoir  voulu  l'assassiner,  lui  et  les  siens,  et  reconnut  que  tout  s'était 
fait  par  son  exprès  commandement.  Le  lendemain  28  il  envoya  à  tous 
ses  lieutenants  généraux  une  déclaration  conçue  dans  ce  sens,  stipulant 
toutefois  qu'il  ne  voulait  contrevenir  en  rien  à  son  édit  de  pacification 
et  exprimant  le  désir  que  ceux  de  la  nouvelle  religion  pussent  vivre  en 
paix  dans  leurs  maisons.  Mais  en  même  temps  il  ordonnait  secrètement 
à  ces  mêmes  lieutenants  généraux  de  faire  main  basse  sur  les  huguenots, 
et  le  sang  coula  par  torrents  dans  une  grande  partie  de  la  France,  à 
Orléans,  Bourges,  Troyes,  Lyon,  Rouen,  Toulouse  et  ailleurs.  Pour 
l'honneur  de  l'humanité,  quelques  lieutenants  généraux  se  refusèrent 
à  massacrer  froidement  leurs  concitoyens.  De  ce  nombre  furent 
Saint-Héran  en  Auvergne,  Charny  en  Bourgogne,  Gordes  en  Dauphiné, 
le  comte  de  Tende  en  Provence,  Damville  en  Languedoc.  La  Picardie 
et  la  Bretagne  furent  également  épargnées.  Il  n'en  périt  pas  moins 
30,000  personnes  dans  tout  le  royaume,  suivant  l'historien  de  Thou, 
qui  fournit  l'estimation  la  plus  vraisemblable.  D'autres  auteurs  parlent 
de  100,000,  mais  ce  chiffre  est  exagéré.  —La  Saint-Barthélémy  fut-elle 
le  résultat  d'un  plan  longuement  et  habilement  médité,  ou  l'explosion 
subite  de  la  haine  du  peuple  pour  le  nom  de  huguenot?  Ni  l'une  ni 
l'autre  de  ces  suppositions  ne  semble  la  vraie.  Que  la  pensée  d'un 
massacre  général  des  huguenots  soit  venue  plusieurs  fois  à  l'esprit  de 
Catherine,  c'est  ce  que  prouvent  des  témoins  irrécusables;  que  le 
clergé,  qui  avait  trempé  dans  le  massacre  des  Vaudois  de  Cabrières  et 
de  Mérindol,  et,  plus  anciennement,  dans  celui  des  Albigeois,  ait 
souvent  excité  le  roi  à  commettre  cet  épouvantable  forfait,  c'est  ce 
qu'attestent  des  témoignages  plus  positifs  encore  ;  mais  que  Catherine 
et  le  duc  d'Anjou  aient  arrêté  d'avance  le  projet  de  mettre  à  mort  les 
huguenots  à  Paris,  à  l'occasion  des  noces  du  roi  de  Navarre,  c'est  ce 
qui  n'est  pas  prouvé.  Le  contraire  paraît  plutôt  l'être.  Catherine  et  le 
duc  d'Anjou,  les  deux  principaux  auteurs  de  la  Saint-Barthélémy,  ne 
songeaient  pas  à  cette  époque  à  faire  assassiner  l'amiral,  et  il  fallut 
l'ascendant  considérable  et  récent  que  ce  dernier  avait  pris  sur 
Charles  IX  ;  puis  la  guerre  de  Flandre  qui,  bien  menée,  aurait  brouillé 
la  France  avec  la  catholique  Espagne  et  le  pape  et  beaucoup  fortifié  le 
parti  huguenot;  enfin  le  conseil  suprême  que  Coligny,  se  croyant  sur 
sa  lin,  avait  donné  au  roi  de  secouer  le  joug  de  sa  mère  et  de  son 
frère,  pour  décider  ces  derniers  à  demander  à  Charles  IX  de  se  défaire 
de  Coligny.  On  sait  le  reste.  Le  roi  donna  l'ordre  du  massacre,  et, 
l'incendie  une  fois  allumé,  les  masses  catholiques,  surexcitées 
par  le  fanatisme  religieux,  la  haine  des  huguenots  et  l'amour  du 


BARTHELEMY     —     BARTITOLMESS  07 

pillage,  no  connurent  plus  de  bornes;  les  excès  dépassèrent  toutes  les 
prévisions  et  la  race  entière  des  huguenots  sembla  avoir  été  anéantie 
en  une  seule  fois.  Ce  point  de  vue,  qui  parait  le  plus  vraisemblable, 
commence  à  être  généralement  admis  de  nos  jours,  où  la  critique 
historique  a  tant  fait  de  progrès.  Il  est  soutenu  par  des  historiens  du 
;>lus  haut  mérite,  tels  que  MM.  Mignet  et  Michelet,  et  par  les  plus 
récents  historiens  allemands,  Ranke,  Soldan  et  Polenz.  C'est  aussi 
celui  de  M.  Ath.  Coquerel  fils,  dans  la  remarquable  monographie  qu'il 
a  consacrée  à  l'histoire  de  ce  drame  lugubre.  —  La  Saint-Barthélémy 
•produisit  des  effets  contraires  à  ceux  qu'on  en  attendait.  Les  protestants 
ne  furent  nullement  anéantis,  et,  le  premier  moment  de  stupeur  passé, 
ils  reprirent  les  armes  avec  plus  d'ardeur  que  jamais.  L'omnipotence 
des  Guise,  l'espèce  de  captivité  où  l'on  tenait  le  roi  de  Navarre  et  le 
prince  de  Condé,  et  l'influence  croissante  et  pernicieuse  des  étrangers 
à  la  cour,  soulevèrent  de  l'opposition  au  sein  des  catholiques  modérés, 
que  le  massacre  de  Paris  avait  déjà  indignés.  Un  nouveau  parti  se 
forma  :  le  parti  des  politiques,  qui  apporta  un  appoint  considérable  aux 
huguenots,  et  finalement  le  duc  d'Anjou,  porté  sur  le  trône  après  la 
mort  précoce  de  Charles  IX,  son  frère,  se  vit  réduit  à  faire  assassiner  le 
duc  de  Guise,  son  ancien  complice,  et  à  se  jeter  dans  les  bras  du  roi 
de  Navarre  pour  sauver  son  honneur  et  sa  couronne.  Ce  dernier,  après 
la  mort  tragique  d'Henri  III,  assassiné  à  son  tour  par  la  faction  des 
Guise,  hérita  bientôt  lui-même  de  la  couronne  de  France.  Et  c'est  ainsi 
que  la  Saint- Barthélémy  servit  en  dernière  analyse  les  intérêts  de  ceux 
qu'elle  était  destinée  à  anéantir.  —  Voy.  Le  stratagème  de  Charles  IX 
contre  les  huguenots  rebelles  à  Dieu,  en  italien  1572,  en  français  1574 
(dans  Cimber  et  Danjou,  Archives  curieuses  de  France,  lro  série,  t.  Vil)  ; 
Du  )uassacre  de  la  Saint-Barthélémy,  Paris,  an  Ier  de  la  liberté  ;  Disser- 
tation sur  la  Saint- Barthélémy ,  Paris,  1758  (dans  Cimber  et  Danjou, 
t.  VII);  Histoire  de  la  Saint- Barthélémy,  Paris,  1826;  Le  tocsin  contre 
les  massacreurs,  Beims,  1579  ;  Le  réveille-matin  des  François,  Edimbourg, 
1574 ;  Ernestus  Varamundus  Frisius  (Hotman),  De  furoribus  gallicis, 
Ktlimbourg,  1573;  Soldan,  La  France  et  la  Saint-Barthélémy,  Paris, 
1855  ;  Ath.  Coquerel  fils,  La  Saint-Barthélémy ,  Paris,  1859;  La  Prémé- 
ditation de  la  Saint-Barthélémy  (dans  le  Bulletin  de  la  Soc.  de  l'histoire 
du  protestantisme  français,  1873,  p.  474);  Un  nouveau  récit  delà  Saint- 
I Uuthélemy,  par  un  bourgeois  de  Paris  (id.,  1873,  p.  374).  Voy.  encore 
le  même  Bulletin,  1856,  p.  147,  etc.  E.  Arxaud. 

BARTHOLMESS  (Christian-Jean-Guillaume)  naquit  le  26  février  1815 
à  Geisselbronn,  en  Alsace.  Après  avoir  reçu  sa  première  instruction  à 
Pfortzheim,  il  fit  ses  études  au  gymnase,  au  séminaire  et  à  la  faculté 
île  théologie  de  Strasbourg.  A  Paris,  il  entra  comme  précepteur  dans 
!;i  famille  du  marquis  de  Jaucourt.  Là,  il  eut  assez  de  loisirs  pour 
s'occuper  <!c  travaux  littéraires,  consacrés  principalement  à  l'histoire 
(t.-  la  philosophie.  Son  premier  ouvrage  un  peu  considérable  fut  la  Vie 
de  Giordano  Bruno,  2  vol.,  1847;  deux  années  après  il  obtint  le  grade 
de  docteur  es  lettres  par  une  remarquable  thèse  sur  Huei  et  son  scepti- 
CÙme.  En  185*0  suivit  V Histoire  de  l'Académie  de  Prusse  depuis  Leibnitz 


98  BAKTHOLMESS    —     1ÎARTOLI 

jusqu'à  Schelling,  2  vol.  Ces  publications  lai  valurent  en  1853  un 
appel  comme  professeur  de  philosophie  au  séminaire  protestant  de 
Strasbourg.  Son  dernier  ouvrage,  Histoire  critique  des  doctrines  reli- 
gieuses de  la  philosophie  moderne,  1855,  2  vol.,  est  la  plus  mûrie  de  ses 
productions.  Il  mourut,  jeune  encore,  le  31  août  1856,  à  Nuremberg, 
en  revenant  des  eaux  de  Carlsbad.  Instruit,  profondément  religieux, 
quoique  moins  profond  que  fin,  il  n'a  pas  été  sans  rendre  à  la  science 
philosophique  et  religieuse  quelques  services  réels. 

BARTÏÏOLOMÉE,  apôtre.  Voyez  Barthélémy. 

BARTHOLOMITES  ou  Barthélémites.  Deux  congrégations  distinctes 
portent  ce  nom.  —  1°  Des  moines  basiliens  d'Arménie,  à  cause  des 
persécutions  dont  ils  étaient  l'objet  dans  leur  pays,  vinrent  à  Gênes  en 
1307  pour  y  chercher  secours  et  protection.  Ils  y  obtinrent  une  maison, 
et  Tannée  suivante  ils  posèrent  la  première  pierre  de  leur  église,  dédiée 
à  la  Vierge  et  à  saint  Barthélémy.  Bientôt  d'autres  moines  de  leur  ordre 
vinrent  également  d'Arménie  à  Gênes,  et  le  pape  Clément  V  leur  ac- 
corda l'autorisation  de  célébrer  le  culte  suivant  leur  rite.  Ils  obtinrent 
successivement  de  fonder  des  maisons  dans  plusieurs  villes  d'Italie  ; 
mais  s' étant  insensiblement  relâchés  de  leur  règle,  et  beaucoup  de 
membres  étant  passés  dans  d'autres  congrégations,  ils  furent  supprimés 
par  Innocent  X  en  1650.  Les  bartholomites  eurent  quelques  prédica- 
teurs célèbres  et  quelques  écrivains  estimés  (voy.  Hélyot,  I,  p.  300). — 
2°  Une  congrégation  de  clercs  séculiers  vivant  en  commun  fut  fondée 
en  1640  par  Barthélémy  Holzhauser,  chanoine  à  Salzbourg  (1613-1658), 
dans  le  but  de  former  des  prédicateurs  et  des  directeurs  de  conscience 
capables.  Ces  congrégations  se  multiplièrent  en  Allemagne,  en  Suisse, 
en  Hongrie,  en  Pologne,  en  Espagne.  Elles  avaient  des  maisons  parti- 
culières pour  les  séminaristes,  les  prêtres  et  les  ecclésiastiques  émé- 
rites.  Un  président  supérieur  était  placé  à  leur  tête  ;  pour  le  spirituel, 
elles  dépendaient  de  l'évêque  du  diocèse  où  elles  fonctionnaient.  Inno- 
cent XI  approuva  leurs  constitutions  en  1680,  et  l'empereur  Léopold 
ordonna  que  dans  ses  Etats  héréditaires  les  bartholomites  fussent  promus 
par  préférence  aux  bénéfices  vacants.  Néanmoins  le  zèle  des  bartho- 
lomites se  refroidit  dès  la  fin  du  dix-septième  siècle,  et  leurs  congréga- 
tions ne  tardèrent  pas  à  se  dissoudre  (voy.  Hélyot,  VIII,  p.  138  ;  J.  Va- 
laury,  Abrégé  de  la  Constitution  du  clergé  vivant  en  commun). 

BARTIMÉE  (BapripçSoç,  ôloç  Tt^atou),  nom  patronymique  de  l'aveugle 
de  Jéricho  guéri  par  Jésus  (Marc  X,  46).  Saint  Luc  raconte  la  guérison 
sans  donner  le  nom  de  l'aveugle  (Luc  XVIII,  35).  Saint  Matthieu  men- 
tionne deux  aveugles  au  lieu  d'un  sans  donner  aucun  nom.  La  com- 
paraison des  trois  textes  évangéliques  prouve  qu'il  y  avait  à  cet  en- 
droit dans  la  tradition  primitive  quelques  différences  et  quelque 
incertitude  qui  expliquent  les  variantes  actuelles  de  ces  récits. 

BART0LI  (Daniel),  né  à  Ferrare  en  1608.  Il  entra  dans  l'ordre  des 
jésuites  en  1623.  Après  s'être  livré  à  l'instruction  et  à  la  prédication, 
il  écrivit  en  italien  Y  Histoire  de  sa  compagnie.  La  publication  de  cet 
ouvrage  dura  vingt  ans  (1653-1673,  Rome,  6  vol.  in-fol.),  pendant 
lesquels  la  partie  de  Y  Asie  eut  trois  éditions.  C'est  plutôt  une  réunion 


BARTOLI     —     BARUCH  09 

de  travaux  détaches,  pleins  de  renseignements  curieux,  qu'une  œuvre 
d'ensemble.  Plusieurs  parties  en  ont  été  traduites  en  latin  et  publiées 
à  diverses  reprises.  Hartoli  a  composé  plusieurs  volumes  sur  la  physique 
et  la  théologie,  mais  son  meilleur  titre  de  gloire  est  le  talent  avec 
lequel  il  écrivit  une  série  d'études  littéraires  sur  la  langue  de  son  pays. 
Il  mourut  à  Home  en  108^  (voy.  Sotwell,  Script.  Societ.  Jesu). 

BARTON  (Elisabeth),  d'Aldington,  dans  le  Kent,  surnommée  «  la 
sainte  fille  du  Kent  »,  eut  un  moment  de  célébrité  aux  premiers  jours 
de  la  réforme  anglaise.  Ses  hallucinations  et  ses  discours  fanatiques 
turent  exploités  en  faveur  du  catholicisme  par  le  vicaire  de  sa  paroisse, 
Richard  Masters.  La  chapelle  d'Aldington,  où  la  Vierge  lui  était  ap- 
parue, devint  un  lieu  de  pèlerinage  et  elle-même  une  sorte  de  prophé- 
tesse.  Combats  avec  le  diable,  lettre  en  caractères  d'or  apportée  du 
ciel  par  sainte  Marie-Madeleine,  miracles  divers,  rien  ne  manqua  à  sa 
légende.  La  multitude  l'entourait  d'un  respect  religieux,  voyant  en 
elle  l'envoyée  de  Dieu  par  laquelle  il  allait  chasser  l'hérésie.  Elle-même, 
encouragée  par  Masters,  prit  son  rôle  au  sérieux.  Lorsqu'Henri  VIII  fut 
sur  le  point  de  répudier  Catherine,  elle  annonça  qu'elle  avait  reçu  d'un 
ange  le  message  suivant  :  «  Rends-toi  auprès  du  prince  infidèle  de 
il' Angleterre,  et  dis-lui  qu'il  est  trois  choses  qu'il  convoite  et  que  je  lui 
uterdis  à  toujours.  La  première,  c'est  le  droit  des  papes;  la  seconde, 
cCst  la  nouvelle  doctrine;  la  troisième,  c'est  Anne  Boleyn.  S'il  la 
prend  pour  femme,  Dieu  le  frappera.  »  Elle  annonçait  de  plus  que  le 
roi  serait  détrôné  et  périrait  dans  peu.  Toutes  ces  prédictions  causèrent 
un  grand  émoi,  et  Ton  vit  des  hommes  considérables,  comme  l'évêque 
Fisher  et  le  chancelier  More,  entrer  en  relations  avec  Elisabeth  Barton. 
Le  roi  finit  par  s'irriter  de  tout  le  bruit  qui  se  faisait  autour  de  la 
vierge  du  Kent,  et  il  la  fit  arrêter  avec  ses  inspirateurs  sous  l'accusa- 
tion de  haute  trahison.  Ils  furent  jugés  et  exécutés  en  avril  1534.  On 
assure  qu'elle  confessa  son  crime,  en  en  rejetant  la  responsabilité  sur 
ses  conseillers.  Matth.  Lelièvre. 

BARUCH  (Barouk,  béni),  fils  deNérija,  ami  et  compagnon  du  prophète 
Jérémie  auquel  il  servit  de  secrétaire  (Jér.  XXXII,  12;  XXXVI,  4, 17  ss., 
27,  32;  XLV,  1  ss.).  D'après  Josèphe  (An%.,  X,  3,  1)  il  fut,  pendant 
le  siège  de  Jérusalem  par  Nébucadnetsar,  jeté  dans  un  cachot  comme 
le  prophète  lui-même  ;  comme  ce  dernier  encore  il  reçut  du  vainqueur 
lu  liberté  et  le  droit  de  choisir  son  séjour.  D'après  Jérémie  XLIII,  1  ss. 
il  fut  également  emmené  en  Egypte,  où  certaine  tradition  le  fait  mourir, 
tandis  qu'une  autrelefait  aller  ensuite  en  Babylonie.  Les  Septante  possè- 
dent un  livre  de  Baruch  qui  est  étranger  au  canon  hébreu  et  qui  est 
rangé  parmi  les  deutéro-canoniques  ou  apocryphes  de  l'Ancien  Tes- 
tament. Cet  écrit,  assez  court,  comprend  des  parties  assez  hétéro- 
gènes, une  courte  mise  en  scène,  une  confession  des  péchés  avec  sup- 
plications mise  dans  la  bouche  des  Juifs,  un  discours  à  Israël  vantant 
L'excellence  de  la  sagesse  divine,  contenue  dans  la  loi,  des  exhortations 
et  promesses  adressées  au  même,  enfin  une  longue  lettre  de  Jérémie 
contre  l'idolâtrie,  qui  est  quelquefois  mise  à  part.  L'authenticité  de 
ces  différents  morceaux  n'est  soutenue  par  personne,  mais  on  est  peu 


/^    SCIENCES 

( U         ^L         C 

V,  STUDIES 


100  BARUCH    —     BASEDOW 

d'accord  sur  la  date  de  la  composition  de  l'œuvre  entière  et  de  ses 
parties,  ni  même  sur  la  langue  originale.  Aucune  portion  du  livre  ne 
peut  prétendre  à  l'antiquité  du  nom  qui  le  couvre,  et  certains  traits 
dénotent  une  époque  beaucoup  plus  récente,  le  second  siècle  avant 
Jésus-Christ  par  exemple  (voyez  le  Commentaire  de  Fritszche  svr  les 
Apocryphes  de  VA.  T.).  Nous  possédons  encore  sous  le  nom  de  Baruch 
une  apocalypse  importante  tout  récemment  découverte,  sauf  la  dernière 
partie  qui  consiste  en  une  lettre  écrite  aux  neuf  tribus  et  demie  (voyez 
Apocalypses  Jmies).  Ce  livre,  écrit  par  un  Juif  vraisemblablement  en 
grec,  n'existe  que  dans  une  traduction  syriaque.  M.  Dillmann  a  publié 
en  1866  (Leipzig)  un  troisième  apocryphe  de  Baruch  dont  il  avait  dé- 
couvert une  traduction  éthiopienne  (voyez  Pseudépigraphes  de  l'A.  T.). 

Maurice  Vernks. 
BASAN,  en  hébreu  Habbàchàn,  'érec  Habbâchân,  «  le  Basan,  » 
((  la  terre  de  Basan,  »  désigne,  comme  sa  forme  l'indique,  non  pas  un 
peuple,  mais  un  district  géographique.  C'est  le  nom  primitif  du  pays 
situé  à  l'est  du  Jourdain,  depuis  le  Jabbok,  au  sud,  jusqu'au  Hermon, 
au  nord.  Ses  villes  principales  étaient   :   Gaulân   et  Édréi,  Astaroth 
(Bosra)  et  Salcha  dans  le  Hauran,   et  peut-être  Mahanaïm,  au   sud. 
Toutes  ces  villes,  sauf  la  dernière,  ont  conservé  leurs  noms  anciens 
jusqu'aujourd'hui.  Le  canton  d'Argob,  avec  ses  60  villes  fortes,  en  for- 
mait le  centre  ;  au  sud  se  trouvait  le  pays  de  Galaad  qui  paraît  s'être 
peu  à  peu  substitué,  dans  l'horizon  des  Hébreux,  à  la  terre  de  Basan. 
Le  nom  de  Basan  ne  se  rencontre  guère  que  dans  l'histoire  de  la  con- 
quête (Pentateuque,  Josué,  Juges),  dans  les  livres  poétiques  et  chez 
certains  prophètes.  Il  semble  intimement  lié  au  souvenir  des  popula- 
tions géantes  (Rephaïm)  (Genèse  XIV,  5)  qui  habitaient  ces  contrées 
avant  l'invasion  des  Hébreux,  et  surtout  à  leur  dernier  représentant, 
Og,  roi  de  Basan,  dont  on  conservait  à  Rabbat-Ammon  le  lit  de  fer, 
long  de  neuf  coudées  et  large  de  quatre  (Deut.  III,  11).  Le  pays   de 
Basan  n'a  pas  d'histoire.  Lors  de  l'invasion,  les  Hébreux,  après  avoir 
vaincu  les  Amorrhéens,  au  lieu  de  traverser  le  Jourdain,  tournèrent  à 
droite,  s'emparèrent  du  pays  de  Basan  et  le  donnèrent  à  la  tribu  de 
Manassé  (Nombr.  XXI,  33-35;  Deut.  III,  1-3).  Sous  l'administration  de 
Salomon,  Basan  formait  avec  Galaad   une   des   douze   intendances." 
Après  la  division  du  royaume,  les  Syriens  l'enlevèrent  à  Israël  (2  RoisX, 
32;  XIV,  25)  ;  peu  après  (XV,  29),  il  fut  ravagé  par  les  Assyriens  sous 
Tiglath-Pileser.    Mais  le  pays  de  Basan  est  resté  célèbre  par  sa  ferti- 
lité, ses  chênes  qui  rivalisaient  en  beauté  avec  les  cèdres  du  Liban,  et 
ses  troupeaux.  Les  Psaumes  célèbrent  «  les  taureaux  de  Basan,  terre 
grasse   »    (XXII,    13;  comp.  Es.  XII,  13  ;  Ez.  XXVII,  6;   Zach.  XI,  2; 
Deut.  XXXII,  14;  Amos  IV,  1;  Ez.  XLIX,  18).  Après  la  captivité,  il 
fut  divisé  en  quatre  provinces  appelées  Gaulanitis,  Auranitis,  Trachonitis 
et  Batanée.  Cette  dernière  a  conservé,  sous  une  forme  un  peu  altérée, 
le  nom  de  Basan.  Elle  se  distingue  du  reste  encore  des  autres  par  son 
aspect  pittoresque  et  ses  montagnes  ;  c'est  Y Ard  el  Bathanyeh  (Porter, 
Damascus,  vol.  II,  57).  Ph.  Berger. 

BASEDOW  (Jean-Bernard)  [1723-1790,]  célèbre  pédagogue  de  la  fin 


BASEDOW  101 

<1li  dix-huitième  siècle.  Sa  vie  est  celle  d'un  aventurier  vulgaire,  et  son 

caractère  ne  mérite  ni  sympathie  ni  estime.  Né  à  Hambourg,  il  chercha 
à  se  soustraire  par  la  fuite  à  la  discipline  sévère  qui  régnait  dans  la 
maison  paternelle.  De  bonne  heure ,  au  milieu  d'une  vie  besogneuse 
et  d'études  irrégulières,  il  avait  contracté  de  détestables  habitudes  dont 
il  ne  put  jamais  se  défaire.  Ce  prince  des  éducateurs  avait  la  passion 
des  liqueurs  fortes  et  ne  cessait  de  brutaliser  sa  femme.  Tour  à  tour 
laquais,  candidat  en  théologie  et  instituteur,  d'une  humeur  joviale  et 
abusant  de  sa  facilité  au  travail,  il  amassa  par  ses  lectures  et  son  com- 
merce avec  les  hommes  des  connaissances  assez  superficielles  qu'il  sut 
faire  valoir  avec  une  grande  habileté.  C'est  comme  précepteur  dans 
une  famille  noble  du  HolsteinqueBasedow  révéla  son  talent  pour  l'ins- 
truction de  la  jeunesse.  Il  avait  l'art  d'enseigner  en  jouant  et,  suivant 
les  préceptes  de  Y  Emile,  rattachait  son  enseignement  à  tout  ce  qu'il 
voyait,  sans  s'astreindre  à  une  méthode  régulière.  Nommé  professeur 
de  morale  et  de  belles-lettres  à  l'académie  danoise  de  Soroë,  il  publia, 
à  partir  de  1760,  une  série  de  traités  de  philosophie  pratique,  destinés 
aux  hommes  des  conditions  sociales  les  plus  diverses,  dans  lesquels,  à 
côté  d'un  charlatanisme  insipide,  il  se  livre  à  une  polémique  passionnée 
contre  les  théologiens  (voyez  entre  autres  :  Philalethie,  od.  Neue 
Aussichten  in  die  Wahrh.  u.  Relig.  der  Vernunft,  bis  an  die  Grenzen  der 
glaubwùrd.  Offenbarung,  Altona,  1704,2  vol.;  Theoretisches  System 
iltr  gesunden  Verntmft,  1765:  Melhodiscker  Unterricht  in  Relig.  u.  Sit- 
teniehre,  1765).  Le  ton  hardi  et  cynique  de  ces  écrits,  les  luttes  que  l'au- 
teur eut  à  soutenir  avec  le  pasteur  Gœtze  au  sujet  de  ses  attaques  contre 
l'instruction  religieuse,  les  persécutions  dont  il  fut  l'objet  de  la  part 
des  magistrats  de  Hambourg  et  de  Lubeck,  lui  firent  promptement  une 
bruyante  célébrité.  Etabli  à  Altona  d'où  il  entretenait  une  vaste  cor- 
respondance sur  toutes  les  questions  relatives  à  la  pédagogie,  Basedow 
intéressait  le  public  à  la  réforme  qu'il  méditait  par  l'annonce,  faite 
avec  grand  fracas,  d'un  ouvrage  complet  sur  les  Connaissances  élémen- 
taires nécessaires  à  l'instruction  de  la  jeunesse,  qui  parut  en  1774,  illustré 
de  cent  gravures  dues  à  l'habile  burin  de  Chodowiecki.  Notre  auteur 
avait  réuni  une  somme  de  15,000  thalers  en  vue  de  cette  publication 
qui  est  une  sorte  d'encyclopédie  des  sciences  pédagogiques.  L'impéra- 
trice de  Russie,  la  plupart  des  princes  allemands  et  l'élite  de  la  no- 
blesse s'étaient  intéressés  à  cette  œuvre  qui  obtint  un  succès  considé- 
rable, moins  par  le  plan  complet  d'éducation  qu'elle  contenait,  et  qui 
se  réduit  à  une  vulgarisation  assez  plate  des  idées  de  Rousseau,  que 
par  la  dénonciation  véhémente  et  la  description  pathétique  des  vices 
que  présentaient  les  systèmes  pédagogiques  en  vigueur.  Basedow,  de 
même  que  l'auteur  de  la  Profession  de  foi  du  vicaire  savoyard,  veut 
que  le  nom  de  Dieu  ne  soit  pas  prononcé  en  présence  de  l'enfant  avant 
l'âge  de  dix  ans,  et  il  fixe  à  quatorze  ans  le  moment  où  il  doit  être 
initié  aux  mystères,  passablement  décolorés  et  affadis  du  reste,  de  la 
religion  chrétienne.  Il  de  manquail  pins  à  l'auteur  de  cette  encyclo- 
pédie que  la  consécration  de  ses  idées  par  la  pratique.  L'année  même 
où  son  ouvrage  parut,  Basedow  ouvrit,  sons  les  auspices  (\w  prince  de 


102  BASEDOW    —     BASILE 

Dessau,  un  établissement  modèle,  décoré  du  titre  prétentieux  de  philan 
tropinon.  Il  devait  recevoir  des  élèves  de  toutes  les  classes  de  la  société, 
les  riches  à  titre  de  pensionnaires,  les  pauvres  comme  famuli,  placés 
au  service  des  premiers.  Des  réclames  pompeuses  furent  répandues  à 
profusion  dans  toute  l1  Allemagne.  Elles  assuraient  que  la  bienveillance, 
la  tolérance  et  une  aimable  familiarité  remplaceraient  la  discipline 
rigide  des  anciennes  maisons  d'éducation  ;  les  exercices  corporels,  les 
promenades  et  les  jeux  alternaient  avec  les  études  ;  des  examens  pé- 
riodiques, auxquels  étaient  conviées  les  premières  illustrations  scienti- 
fiques conjointement  avec  les  parents,  se  chargeraient  de  démontrer 
T incontestable  supériorité  de  rétablissement  de  Dessau.  Imitée  dans 
beaucoup  d'institutions  scolaires  en  Allemagne  et  en  Suisse,  cette  ten- 
tative de  réforme  avorta  misérablement  à  Dessau  même.  La  direction 
négligente  de  Basedow,  sa  conduite  immorale  qu'il  avait  l'audace  de 
proposer  à  ses  élèves  comme  un  modèle  qu'ils  ne  devaient  pas  imiter, 
non  moins  que  l'esprit  superficiel  et  indiscipliné  qui  caractérisait  ces 
derniers,  expliquent  suffisamment  cet  échec.  «  Basedow,  disait  Gœthe, 
qui  regarda  le  monde  entier  comme  mal  élevé,  était  lui-même  un 
homme  sans  aucune  éducation.  »  Il  eut  néanmoins  le  mérite  d'appeler 
l'attention  des  hommes  de  son  temps  sur  l'important  problème  de 
l'éducation,  et  de  demander  qu'elle  fût  conçue  d'une  manière  plus  ra- 
tionnelle et  plus  humaine  :  mais  il  se  trompa  généralement  sur  les 
moyens,  et  manqua  de  l'autorité  nécessaire  pour  opérer  une  semblable 
réforme.  F.  Lichtenberger, 

BASHUYSEN  (Henri-Jacques  van),  théologien  et  surtout  hébraïsant 
distingué,  naquit  le  26  octobre  1679  à  Hanau,  où  son  père  était  pasteur 
de  l'Eglise  réformée  hollandaise  ;  il  professa  la  théologie  et  les  langues 
orientales  d'abord  au  gymnase  de  Hanau,  puis,  dès  1716,  à  celui  de 
Zerbst,  où  il  mourut  en  décembre  1758.  Bashuysen  a  beaucoup  écrit, 
et  la  liste  de  ses  œuvres  présente  plus  de  120  titres,  parmi  lesquels,  il 
est  vrai,  beaucoup  d'opuscules  de  peu  d'étendue;  la  plupart  sont  fort 
oubliés  aujourd'hui,  bien  qu'ils  attestent  une  grande  érudition;  les 
principaux  traitent  de  quelques  points  spéciaux  de  critique  ou  d'exégèse 
biblique,  d'archéologie  judaïque  ou  de  littérature  hébraïque  et  rabbi- 
nique,  qui  était  son  domaine  préféré;  il  avait  établi  dès  1708  dans  sa 
maison  à  Hanau  une  imprimerie  hébraïque  d'où  sortit  entre  autres  une 
édition  estimée  du  commentaire  d'Abrabanel  sur  le  Pentateuque  (1710, 
in-fol.),  que  devaient  suivre  les  autres  ouvrages  de  ce  rabbin  ;  ce  projet 
ne  se  réalisa  pas  plus  que  celui  d'une  nouvelle  Bible  rabbinique,  dont 
Bashuysen  ne  publia  au'un  spécimen.  —  Sources  :  Gœtten,  Gelehrtcs 
LJuropa,  I  ;  Moser,  Lexicon  der  Theologen  ;  Strieder,  Hessische  Gelehrten- 
Geschichte,  I  (cf.  II,  IV,  V  et  XV)  ;  Hirsching,  Handbuch,  1  ;  Meusel, 
Lexicon  der  verstorb.  Teutschen,  I;  A.-G.  Schmidt,  Anhalt'sches  Schrift- 
Ueller  Lexicon.  A.  Bernus. 

BASILE  LE  GRAND,  frère  de  Grégoire  de  Nysse,  l'un  des  trois  doc- 
tez*rs  de  la  Cappadoce,  naquit  en  329  à  Césarée  de  Cappadoce,  où  son 
père  exerçait  les  fonctions  d'avocat.  Sa  famille  était  une  des  plus  con- 
sidérables de  la  province;  attachée  depuis  plusieurs  générations  à  la 


BASILE  103 

foi  chrétienne,  elle  avait  vu  plusieurs  de  ses  membres  souffrir  le  mar- 
tyre pour  elle.  L'aine  de  dix  enfants,  Basile  grandit  sous  l'influence 
des  idées  de  Gtoégoire  le  Thaumaturge,  disciple  d'Origène,  et  de  la  piété 
ardente  de  sa  mère  Emmélia.  On  a  comparé  ses  relations  avee  sa  sœur 
\akrina  à  celles  de  Jacqueline  Pascal  avec  son  frère.  Après  avoir 
suivi  à  Constantinople  les  cours  du  célèbre  rhéteur  païen  Libanius,  qui 
resta  son  ami,  il  se  rendit,  suivant  l'usage  des  jeunes  chrétiens  de 
bonne  famille,  à  l'école  célèbre  d'Athènes,  où  il  contracta  avec  Gré- 
goire de  Naziance  une  amitié  que  la  mort  seule  put  rompre,  et  eut  pour 
condisciple  le  fameux  Julien.  Des  lettres  de  cette  période  nous  mon- 
trent les  deux  amis  passant  pour  ainsi  dire  de  l'école  à  l'Eglise  et 
puisant  dans  la  lecture  des  auteurs  profanes,  qu'ils  sauront  défendre 
contre  un  rigorisme  étroit  et  la  persécution  ironique  de  Julien,  ce  goût 
délicat  et  ce  style  enchanteur  qui  nous  charment  encore.  Rappelé  à 
Gésarée  par  la  mort  de  son  père,  Basile  plaida  quelque  temps  avec 
succès,  mais  céda  bientôt  à  un  travail  spirituel,  qui  le  porta  à  renoncer 
au  monde  et  à  un  brillant  avenir.  En  360,  pour  se  remettre  d'une 
maladie  grave,  il  entreprit  un  long  voyage  en  Syrie,  en  Egypte  et  en 
Palestine,  visita  dans  son  exil  Athanase,  qui  le  fortifia  dans  sa  foi  en  la 
divinité  du  Fils,  et  les  pieux  ermites  des  solitudes  de  la  Thébaïde, 
dont  il  partagea  les  pratiques  ascétiques.  De  retour  dans  sa  patrie  en 
361,  il  se  retira  avec  des  membres  de  sa  famille  et  quelques  amis  dans 
une  solitude  voisine  du  village  d'Anési,  dans  la  province  du  Pont. 
Quelles  que  fussent  ses  austérités,  l'enjouement  de  quelques-unes  de 
ses  lettres  nous  révèle  un  esprit  hostile  à  toute  exagération.  Il  y  con- 
damne formellement  la  vie  érémitique  comme  contraire  aux  devoirs 
de  l'humilité  et  de  la  charité  et  donne  la  préférence  à  la  vie  en 
commun.  S'il  recommande  les  macérations  et  les  jeûnes,  il  sait  unir  à 
la  vie  contemplative  les  travaux  des  champs  et  l'étude,  c'est-à-dire  la 
double  activité  du  corps  et  de  l'esprit,  et  sa  règle  est  encore  suivie  de 
nos  jours  dans  de  nombreux  monastères  de  l'Orient.  Bien  qu'il  eût 
distribué  tous  ses  biens  aux  pauvres,  il  sentait  que  la  vie  contempla- 
tive ne  répondait  pas  au  besoin  d'activité  qui  dévorait  son  âme.  «  J'ai 
quitté,  disait-il,  la  ville  pour  fuir  le  mal;  je  ne  me  suis  pas  quitté 
moi-même.  »  C'est  pendant  cette  période  qu'il  composa  son  livre  contre 
Kiinoniius  et  qu'il  édita  les  P/uloJcalia,  ou  extraits  des  œuvres  les  plus 
remarquables  d'Origène,  dont  il  demeura  dans  une  large  mesure  le 
disciple,  bien  que  chez  lui  la  lutte  apparaisse  entre  les  principes  ori- 
uénistes  et  les  tendances  générales  de  l'Eglise  (Fialon,  Étude  lut.  sur 
S.  Z?.,  Paris,  1861).  Appelé  en  304  en  qualité  de  prêtre  à  Çésarée  par 
Eusèbe,  il  remplaça  de  fait  le  vieil  évêque,  auquel  il  succéda  en  370. 
Il  exerça  son  ministère  au  milieu  des  luttes  des  partis  et  des  difficultés 
•  l'une  situation  pleine  de  périls  jusqu'à  sa  mort,  qui  l'enleva  à  son 
diocèse  le  1er  janvier  379.  —  Comme  théologien,  Basile  n'occupe  pas  le 
premier  rang  dans  l'histoire  de  l'Eglise.  Tout  en  restant  fidèle  au\ 
principes  spiritualistes  d'Origène,  il  affirme  contre  lui  la  divinité  ab- 
solue  du  Fils, sans  vouloir  employer  le  mot  «homoousios»,de  peur  de 
prêter  «les  armes  aux  sabelliens,  qui  confondent  les   personnes.  11 


104  BASILE 

envisage  le  péché  sous  la  forme  négative  de  l'indolence  qui  empêche 
Tliomme  de  s'élever  à  Dieu.  Il  admet  le  concours  de  la  liberté  humaine 
et  de  la  grâce,  que  l'Eglise  grecque  a  toujours  enseigné,  tandis  que 
l'Occident  adopta  plus  tard  la  théorie  d'Augustin.  11  établit  dans  les 
béatitudes  et  les  peines  de  la  vie  future  des  degrés  en  rapport  avec  la 
condition  spirituelle  des  âmes.  Ses  idées  sont  vagues  en  ce  qui  touche 
le  grave  problème  du  rétablissement  final.  Il  semble  admettre  que  la 
punition  a  en  vue  l'amélioration  du  pécheur  et  que  ses  progrès  vers 
le  bien  sont  plus  ou  moins  rapides,  sans  en  tirer  toutes  les  consé- 
quences. Il  a  pris  une  part  active  aux  controverses  sur  la  personne 
du  Saint-Esprit.  Dans  son  traité  sur  cette  matière  il  invoque  contre 
Eunomius  et  le  parti  des  macédoniens  ou  adversaires  de  l'Esprit 
plusieurs  passages  des  Ecritures:  Actes  V,  4,  9;  1  Cor.  XI,  12;  XII,  4; 
il  veut  qu'on  donne  au  Saint-Esprit  le  nom  de  Dieu,  en  appelle  à  la 
formule  du  baptême  et  met  en  lumière  l'importance  pratique  de  ce 
dogme  dans  l'œuvre  de  la  régénération.  Il  montre  que  si  le  Saint- 
Esprit  est  appelé  un  don  de  Dieu,  il  en  est  de  même  du  Fils.  Du  reste 
il  tient  moins  à  la  netteté  des  formules  qu'à  la  piété  de  la  vie  ;  c'est  le 
Saint-Esprit  qui  seul  peut  nous  révéler  Dieu.  Il  échoua  dans  sa  tenta- 
tive généreuse  de  rapprocher  les  deux  Eglises  d'Orient  et  d'Occident 
en  enseignant  la  divinité  du  Saint-Esprit  et  en  le  faisant  procéder  du 
Père,  sans  nier  qu'il  procédât  aussi  du  Fils.  Comme  évêque,  Basile 
déploya  les  plus  beaux  dons  de  son  esprit  et  de  son  cœur.  Sa  modé- 
ration même  le  rendit  suspect  aux  orthodoxes.  Exposé,  en  outre,  aux 
menées  des  ariens,  il  sut  tenir  tête  à  l'empereur  Valens,  dont  la  mort 
seule  le  préserva  de  l'exil.  Défenseur  intrépide  des  prérogatives  de 
l'Eglise,  il  sut  empêcher  le  gouverneur  de  porter  atteinte  à  son  droit 
d'asile;  il  rétablit  la  discipline,  développa  le  goût  de  l'étude  et  favorisa 
la  vie  ascétique  dans  son  diocèse.  Comme  prédicateur  il  introduisit 
l'un  des  premiers  l'éloquence  classique  dans  la  chaire  chrétienne.  Dans 
son  Hexaéméron,  ou  exposé  de  la  création,  à  côté  d'une  science  impar- 
faite et  d'allégories  outrées,  il  sut  mettre  les  enseignements  les  plus 
sublimes  à  la  portée  des  plus  humbles,  et  unir  la  morale  la  plus  pure 
à  la  poésie  la  plus  grandiose.  Si  sa  philosophie  rappelle  Platon  et  si 
son  style  reproduit  le  coloris  d'Homère,  sa  morale  est  austère.  Il  a 
surtout  prêché  l'aumône  et,  dans  l'ardeur  de  son  zèle,  il  ne  craint  pas 
de  comparer  au  voleur  le  chrétien  sans  charité.  Ses  écrits  se  distin- 
guent par  une  foi  profonde  en  la  révélation,  un  usage  constant  des 
Ecritures,  dont  la  tradition  n'est  pour  lui  que  l'assimilation  par  les 
générations  successives,  enfin  par  un  spiritualisme  qui  unit  au  respect 
pour  les  enseignements  de  l'Eglise  l'amour  éclairé  des  lettres  antiques 
et  d'une  saine  philosophie. —  Voyez  Œuvres,  éd.  Garnier,  Paris,  1721- 
30,  3  vol.;  Jalm,  Animadversiones  in  B.  M.  Opéra,  Bernse,  1842;  A  A. 
SS.  .un.,  t.  II,  807;  Klose,  Bas.  d.  Grosse.  Strasb.,  1835;  Bœhringer, 
Die  K.  Chr.  in  Biog.,  II,  2;  Feiffer,  Diss.  hist.  et  tlieol.  de  vita  B., 
Gron.,  1828;  Villemain,  Elog.  chr.  au  IVe  s.  Traductions  :  Lettres 
et  sermons  par  l'abbé  de  Bellegarde,  1671  ;  Morale,  par  Leroy,  1663  ; 
Hexaéméron,  Homélies,  par  l'abbé  Auger,  1788.  A.  Paumier. 


BASILE     —    BASILIDES  105 

BASILE,  archevêque  de  Séleucie,  élu  en  Tan  448,  mort  vers  459.  Il 
se  montra  inconstant  dans  les  querelles  eutychéennes.  Dans  le  synode 
de  Constantinople,  en  448,  il  condamna  Eutychès;  ensuite,  dans  le 
concile  surnommé  le  Brigandage  d'Ephèse,  en  449,  il  condamna  Fla- 
vius avec  Dioscore  et  se  déclara  pour  Eutychès.  C'est  pourquoi  il  fut 
condamné  dans  le  synode  de  Chalcédoine,  en  451  ;  mais  11  resta  sur 
son  siège  après  avoir  souscrit  avec  les  autres  pères  du  synode  la  con- 
damnation de  Dioscore  et  cTEutychès.  Il  écrivit  40  discours,  qui  se 
trouvent  à  la  lin  des  œuvres  de  saint  Grégoire  le  Thaumaturge  (éd. 
Paris,  1021).  Dans  la  même  édition  nous  avons,  sous  le  nom  de  Basile, 
an  écrit  sur  la  vie  et  un  autre  sur  les  miracles  de  sainte  Thècle,  dont 
l'authenticité  est  contestée.  Le  style  de  Basile  est  plein  de  figures  et 
affecté  ;  il  tâche  d'imiter  Ghrysostôme.  Il  ne  faut  pas  confondre  Basile 
de  Séleucie  avec  un  autre  Basile,  ami  de  Ghrysostôme  (Tillem.,  Mém., 
t.  XV,  340). 

BASILE,  médecin  (Hieron.,  De  swipt.  eccL,  c.  89),  fut  élu,  en  336, 
évêque  d'Ancyre  par  les  amis  d'Eusèbe  de  Nicomédie,  en  remplace- 
ment de  Marcellus,  qui  fut  condamné  et  excommunié  dans  la  môme 
année  (Socrat.,  Hist.  eccL,  I,  36).  11  fut  le  chef  des  semiariens  qu'il 
protégea  dans  les  synodes  d'Ancyre,  en  358,  de  Séleucie,  en  359,  et  de 
Constantinople,  en  360.  Mais  dans  ce  dernier  synode,  accusé  par  les 
acaciens,  il  fut  condamné  et  exilé.  Basile,  quoique  accusé  par  les  aca- 
riens, est  néanmoins  regardé  par  ïhéodoret  et  Sozomène  comme  un 
homme  vertueux  et  instruit  (Théodor.,  Hist.  eccL,  II,  25;  Sozom.,  II, 
33).  Athanase  même  dit  que  Basile  n'était  pas  bien  loin  des  ortho- 
doxes en  ce  qui  concerne  la  signification  du  mot  ((  homoousios  »  (Athan., 
Actes  synod.,  ch.  41).  Il  écrivit  contre  Marcellus  et  sur  la  virginité; 
ces  ouvrages,  ainsi  que  plusieurs  autres  écrits  (Hieron.,  De  script.  eccL, 
c.  89),  sont  tous  perdus. 

BASILIDES,  un  des  premiers  représentants  du  gnosticisme  quand 
celui-ci  eut  été  réduit  en  système,  après  avoir  longtemps  flotté  à  l'état  de 
mélange  confus  et  incohérent  d'idées  et  de  mythes,  mais  toujours  carac- 
térisé par  la  tendance  à  transformer  le  christianisme  en  une  cosmologie 
dualiste,  et  à  faire  prédominer  le  côté  intellectuel  de  la  religion  (Yvwr.ç) 
sur  le  côté  moral  (voir  l'article  Gnosticisme).  Basilides,  qui  vivait  en 
Egypte  vers  Tan  125  (Philosophoumena,  VII,  27),  essaya  de  construire 
une  métaphysique  qui  conciliât  la  religion  nouvelle  avec  les  théories 
essentielles  d'Aristote  et  des  stoïciens.  C'est  dans  les  Philosophoumena 
de  saint  Hippolyte  que  son  système  est  exposé  d'une  manière  compré- 
hensible  (Philosopha  VII,  20-27).  Les  renseignements  fragmentaires 
donnés  sur  lui  par  Clément  d'Alexandrie  (S tramât.,  II,  20,  112),  par 
{rénéeicontr'ajïœres.i  1,24)  et  Epiphane(//a?7-es.,24),sont  ainsi  complé- 
ta. D'après  Basilides,  le  premier  principe  est  par  delà  tous  les  êtres,  sem- 
blabie  a  l'être  abstrait  de  Hegel  qui  se  distingue  à  peine  du  non-être 
->\  Philos.,  Vil,  20).  De  ce  non-êtresort  par  une  évolution 
inexpliquée  le  germe  primitif  des  choses  qui  comprend  dans  une  con- 
fusion  absolue  toutes  les  existences,  l'esprit  comme  la  matière.  Le 
monde  avec  sa  \i<-  riche  et  variée  y  est  enfermé  comme  le  plumage 


106  BASILIDES 

brillant  du  paon  dans  un  petit  œuf  (Phil.,  VII,  21).  La  création  des  êtres 
successifs  n'est  que  leur  séparation  de  ce  tout  informe,  séparation  qui  est 
opérée  par  un  principe  de  distinction  (Glem.  Alex.,  S  bornât.,  II,  20, 112). 
Ce  principe  de  distinction,  pour  Basilides  comme  pour  Aristote,  est  Pat- 
traction  que  le  parfait  exerce  sur  l'imparfait,  tout  ce  qui  est  en  bas  ten- 
dant vers  ce  qui  est  en  haut  (iizzûcv.  Tuàvia  y.aiwôsv  avw  ;  PAU.,  VII,  22). 
Dans  le  germe  primitif  sont  trois  essences  ou  trois  modes  de  l'être  que 
Basilides  appelle  des  filiations.  La  première  essence,  la  plus  pure,  vole 
de  suite  vers  l'absolu  ineffable  «  comme  la  plume  ou  la  pensée  ».  La 
seconde  essence  ne  peut  l'atteindre  ;  elle  retombe  dans  le  règne  infé- 
rieur, emportant  comme  un  parfum  de  la  région  supérieure  (jj-tipou 
ocr^v).  Le  firmament  la  sépare  du  monde  supérieur  et  elle  forme  trois 
régions  superposées  :  l°la  région  supralunaire  qui  s'appelle  Yogdoade; 
2°  la  région  intermédiaire  ou  Yhebdomade  ;  3°  la  basse  région  où  do- 
mine la  matière  désordonnée.  C'est  dans  la  deuxième  région  que  s'é- 
chelonnent les  mondes  en  nombre  égal  aux  jours  de  l'année,  ils  forment 
Yabraxas,  bizarre  assemblage  de  lettres  chiffrées  qui  expriment  le  nom- 
bre 366.  Les  deux  premières  régions  ont  chacune  un  roi  ou  un  archon 
qui  la  domine.  Il  se  distingue  du  démiurge  des  autres  systèmes  gnos- 
tiques  en  ce  qu'il  ne  représente  pas  le  mal  et  ne  hait  pas  le  premier  prin- 
cipe, puisqu'il  y  tend.  La  troisième  essence  ne  constitue  pas  une  région 
à  part  ;  elle  est  engagée  dans  la  seconde,  et  comprend  les  fils  de  la 
lumière  qui  doivent  s'en  séparer  par  l'illumination  supérieure  et  défi- 
nitive. Celle-ci  a  été  préparée  par  deux  révélations  antérieures  :  1°  la 
révélation  patriarcale  qui  vient  de  Yarchon  de  l'ogdoade  ou  plutôt  de 
son  fils  ;  2°  la  révélation  mosaïque  qui  vient  du  fils  de  Ya?'chon  de 
i'hebdomade.  Nous  avons  là  deux  Christ  préliminaires,  qui  frayent 
la  voie  au  troisième  Christ,  le  Jésus  de  l'Evangile.  C'est  lui  qui  éclaire 
nos  ténèbres  et  unit  au  premier  principe  la  troisième  filiation,  les  élus 
de  la  gnose,  les  pneumatiques  :  «  C'est  nous,  dit  Basilides  de  lui  et  de 
ses  disciples,  c'est  nous  qui  sommes  les  hommes  spirituels»  (ecjjiÉv  r^xv.ç 
ol  Trvsj'xaxiy.ct,  Phi'L,  VII,  25).  En  mourant  Jésus  a  rendu  son  corps  à  la 
basse  région;  son  esprit  seul  est  ressuscité,  et  a  ainsi  réalisé  le  principe 
de  distinction,  grâce  auquel  l'homme  sort  de  la  confusion  première  où  il 
s'était  trouvé  mêlé  à  l'animalité  (Philosopha,  VIII,  27).  La  foi,  dans  ce 
système,  perd  son  caractère  moral  ;  le  salut,  comme  dans  toutes  les, 
formes  du  gnosticisme,  procède  non  du  repentir  et  de  la  conversion,  mais 
de  l'illumination  de  l'esprit  et  de  l'orgueil  du  savoir.  Basilides  se  dis- 
tingue de  la  gnose  de  Valentin  et  de  Marcionen  ne  statuant  pas,  comme 
ces  grands  gnostiques,  une  opposition  tranchée  et  absolue  entre  la  créa- 
tion naturelle  et  le  divin,  et  par  conséquent  entre  le  Dieu  de  l'Evangile 
et  le  Dieu  de  l'ancienne  alliance,  que  ses  successeurs  ont  méprisé  en 
tant  que  démiurge  créateur.  Aussi  ne  conclut-il  pas  à  un  farouche  ascé- 
tisme ;  son  fils  Isidore,  qui  fut  son  Mêle  disciple,  reconnaît  dans  son 
Ethique  la  légitimité  du  mariage  ([renée,  cont?*a  Hœr es.,  I,  23).  Basilides 
citait  nos  évangiles  et  la  plupart  des  épîtres  de  Paul.  —  Voir,  à  part  les 
textes  cités,  Baur,  Die  christliche  Gnosis,  Tub.,  1831;  Jakobi,  Basilidis 
philosophi  (jnostici  sententia  ex  Hippolyti  libro,  Berlin,  1852  ;  de  Près- 


BAS1LIDES    —    BASNAGE  Io7 

sensé,  Histoire  des  irais  premiers  siècles  de  V Eglise  chrétienne^  t.  V, 

p      [3-34.  E-    DE  1JRESSKN8B. 

BASILIENS.  On  a  vu  dans  l'article  sur  Basile  le  Grand  que  ce  Père 
fonda  près  de  Césarée,  en  Gappadooe,  un  grand  monastère,  le  premier 
qui  lie  fût  pas  établi  dans  le  désert.  Basile  devint,  en  Orient,  le  régula- 
teur du  rnonachisme.  Ses  Ascetica,  composés  de  trois  traités  écrits  à  des 
.  poques  différentes,  forment  dans  leur  ensemble  une  règle  complète  ; 
ils  donnent  des  conseils  sur  la  vie  en  commun  des  religieux  sous  un 
supérieur,  sur  le  régime  uniforme  qu'ils  doivent  suivre,  sur  leurs  devoirs 
spirituels  et  leurs  obligations.  Cette  règle,  moins  minutieuse  et  moins 
sévère  que  celle  que  plus  tard  Benoit  de  Nursie  imposa  aux  couvents 
de  l'Occident,  fut  adoptée  par  presque  toutes  les  communautés  monas- 
tiques orientales  ;  les  moines  qui  s'y  conformèrent  reçurent  le  nom  de 
basiliens.  Cependant  on  a  tort  d'appeler  ainsi  tous  les  religieux  de 
l'Eglise  grecque;  il  y  en  a  qui  suivent  des  coutumes  différentes.  C'est 
surtout  en  Arménie  que  l'ancienne  règle  de  Basile  est  encore  observée. 
En  1307  des  basiliens  arméniens,  réfugiés  à  Gènes,  y  obtinrent  l'église 
de  Saint-Barthélémy  ;  on  les  nomma  dès  lors  barthélémites.  Clément  V 
les  ayant  autorisés  à  suivre  leurs  rites  nationaux,  ils  fondèrent  des  cou- 
vents dans  plusieurs  villes  italiennes  et  se  rapprochèrent  peu  à  peu  des 
Usages  romains.  En  lo(50  l'ordre,  tombé  en  décadence,  fut  supprimé; 
treize  ans  plus  tard,  Grégoire  XIII  en  réunit  les  restes  en  une  congré- 
gation de  Saint-Basile.  D'autres  couvents  basiliens  ont  existé  en  Sicile. 
Parmi  les  basiliens  orientaux  les  plus  célèbres  on  doit  citer  le  canoniste 
grec  Blastarès  ivers  1335),  et  Bessarion,  qui  au  quinzième  siècle  se  fit 
catholique  romain  et  devint  cardinal.  Ch.  Schmidt. 

BASILIQUE.  Voyez  Architecture  chrétienne. 

BASIN  (Thomas),  évèque  de  Lisieux.  Louis  XI,  le  soupçonnant  de 
favoriser  les  Anglais  et  les  Bourguignons,  lui  lit  sentir  avec  sa  vigueur 
habituelle  la  souveraineté  de  la  couronne  sur  l'épiscopat  gallican;  il  le 
destitua,  confisqua  ses  biens  et  l'exila.  Basin,  retiré  avec  son  frère  en 
terre  bourguignonne,  à  Louvain,  où  il  professa  le  droit,  éprouva  les 
effets  de  la  politique  du  pape  qui,  comme  il  le  faisait  pour  le  cardinal 
Balue,  le  favorisa  d'autant  plus  que  le  roi  lui  était  plus  contraire.  Il 
reçut  de  Sixte  IV  le  titre  d'archevêque  de  Césarée  et  les  fonctions  de 
vicaire  de  l'évêque  d'Utrecht.  Il  mourut  en  cette  ville  en  1491.  On  cite 
•  le  lui  un  traité  contre  Paul  de  Middelbourg,  une  histoire  de  son  temps 
et  un  manuscrit  sur  la  Pucelle  d'Orléans,  de  Puellâ  Aurelianensz 
<\oy.  d'Achéry,  Spicilegium,  t.  IV;  Mathaeus,  Analectes,  t.  II). 

BASNAGE  (Benjamin).  La  famille  Basnage  est  une  ancienne  et  noble 
famille  de  la  Normandie ,  où  la  science,  le  talent  et  la  fidélité  aux  doc- 
trines réformées  semblent  avoir  été  également  héréditaires.  Le  premier 
chef  marquant  de  cette  famille  est  Benjamin  Basnage,  né  en  l'an  IS80. 
Fils  d'un  père  déjà  pasteur  à  Norwtcb  (Angleterre)  &>  à  Carentan 
(Normandie),  Basriàge  se  consacra  au  saint  ministère  (t  se  concilia 
bientôt  l'estime  de  ses  collègues  et  de  ses  coreligionnaires  par  l'éner- 
gie de  son  caractère  et  rétendue  dé  ses  connaissances.  En  1609  la 
province  de  Normandie  le  députa  au  synode  de  Saint*Maixent,  et  en 


108  BASNAGE 

1614  à  celui  de  Tonneins.  En  1621  il  fut  nommé  encore  par  elle  re- 
présentant à  rassemblée  politique  de  La  Rochelle,  qui  le  choisit  pour 
son  vice-président.  Plus  tard  il  fut  envoyé  successivement,  en  1631 
au  synode  national  de  Gharenton,  en  1637  à  celui  d'Alençon,  et  en 
1644  à  un  autre  synode  de  Charenton.  Dans  ces  diverses  assemblées 
il  défendit  les  intérêts  de  ses  coreligionnaires  avec  autant  de  prudence 
que  de  fermeté.  Au  synode  d'Alençon,  dont  il  avait  été  élu  modérateur, 
il  répondit  à  la  harangue  hautaine  et  menaçante  du  commissaire  royal 
Saint-Marc  par  un  discours  plein  de  mesure  et  d'habileté,  où  il  justi- 
fiait les  réformés  du  reproche,  sans  cesse  reproduit,  de  rébellion 
contre  le  pouvoir,  et  repoussait  avec  énergie  les  prétentions  du  gouver- 
nement, qui  voulait  diminuer  le  nombre  des  églises  annexes  du  culte 
réformé  et  interdire  aux  pasteurs  la  prédication  hors  du  lieu  de  leur 
résidence.  Au  second  synode  de  Gharenton,  il  fut  chargé  de  commis- 
sions importantes  «  dont  il  s'acquitta  fort  bien  »,  dit  Aymon  dans  son 
Histoire  des  Synodes,  et  il  contribua  à  mettre  lin  aux  différends  de  plu- 
sieurs consistoires  avec  leurs  pasteurs.  La  vie  de  Benjamin  Basnage 
fut  surtout  une  vie  d'activité  pratique.  Il  composa  cependant  quelques 
traités  de  controverse ,  parmi  lesquels  les  bibliographes  ne  mention- 
nent spécialement  que  celui  qui  a  pour  titre  :  De  testât  visible  et  invi 
sible  de  V Eglise  et  de  la  parfaite  satisfaction  de  Jésus-Christ  contre  la 
fable  du  Purgatoire  sur  l'occasion  d'une  conférence  avec  un  moine  recollé. 
La  Rochelle,  1612,  in-8°.  Il  mourut  en  1652,  après  cinquante-et-un 
ans  de  ministère  à  Sainte-Mère-Eglise  (département  de  la  Manche)  où 
il  avait  été  appelé  en  1601.  Il  laissait  deux  fils,  Antoine  et  Henri,  qui 
furent  les  chefs  de  deux  branches  illustres  :  la  branche  aînée  et  la 
branche  cadette.  N.  Recolin. 

BASNAGE  (Jacques),  fils  aine  de  Henri  Basnage,  qui  jouissait  d'une 
grande  réputation  au  barreau  de  Rouen.  Né  dans  cette  ville  en  1653y 
Jacques  Basnage  fut  envoyé  au  collège  de  Saumur  pour  y  suivre  les 
cours  de  Tannegui  Lefèvre,  qui  conçut  pour  lui  une  vive  affection  et 
de  grandes  espérances.  Fortement  prévenu  contre  les  pasteurs  de  Sau- 
mur, Tannegui  chercha  à  détourner  son  élève  de  la  carrière  pastorale  ; 
mais  le  jeune  Basnage  persévéra  dans  son  dessein,  et,  après  avoir  fait 
de  solides  études  classiques ,  il  se  rendit  à  Genève ,  où  il  étudia  la 
théologie  sous  la  direction  de  Mestrezat,  Turretin  et  Tronchin  ;  puis  il 
alla  à  Sedan,  où  il  eut  pour  maîtres  Jurieu  et  Le  Blanc  de  Beaulieu. 
Nommé,  en  1676,  pasteur  de  l'Eglise  de  Rouen, |  après  le  départ  du  cé- 
lèbre Etienne  Le  Moine,  qui  venait  d'être  appelé  à  Leyde  comme  pro- 
fesseur de  théologie,  il  fut  désigné,  en  1679,  pour  prêcher  devant  le 
synode  provincial  de  Saint-Lô,  «  où  il  se  fit  admirer,  »  dit  Bayle.  En 
1684,  il  se  maria  avec  Suzanne  du  Moulin,  petite-fille  de  l'illustre  Pierre 
du  Moulin.  Malgré  les  travaux  incessants  de  sa  charge,  il  s'adonna  dès 
lors  avec  ardeur  aux  études  historiques,  dans  lesquelles  il  ne  tarda  pas 
à  acquérir  un  grand  renom.  A  la  révocation  de  l'édit  de  Nantes,  il 
obtint  l'autorisation  de  se  retirer  en  Hollande,  où  il  desservit  les  postes 
de  Rotterdam  et  de  La  Haye.  C'est  à  Rotterdam  qu'il  rencontra  son 
anien  professeur  ,  qui  devint  son  beau-frere,  le  célèbre  Jurieu.  Leurs 


BASNAGE  109 

esprits  n'étaient  pas  faits  pour  s'entendre  :  celui  de  Jurieu  était  plein 
d'emportement  et  de  sévérité;  celui  de  Basnage  inclinait  plutôt  à  la 
douceur  et  à  la  modération.  La  révolte  des  Camisards,  qui  venait  d'é- 
clater, vint  fournir  un  aliment  de  plus  à  leurs  discussions.  Partageant 
les  vues  de  Calvin  sur  l'obéissance  passive  que  les  sujets  doivent  à  leur 
souverain,  Basnage  condamnait  le  soulèvement  des  paysans  cévenols, 
que  Jurieu  approuvait  et  défendait.  Pour  échapper  à  ces  dissensions  de 
famille,  Basnage  finit  par  céder  aux  instances  du  grand-pensionnaire 
Heinsius,  qui  l'avait  pris  en  amitié,  et  accepta  le  poste  de  pasteur  à  La 
Haye,  où  il  était  appelé.  C'est  là  qu'il  acquit  une  telle  réputation  d'ha- 
bileté dans  les  affaires,  que  Voltaire  a  pu  dire  de  lui  «  qu'il  était  plus 
propre  à  être  ministre  d1Etat  que  d'une  paroisse.  »  Il  fut  employé  en 
effet  à  d'importantes  négociations,  qu'il  conduisit  avec  autant  d'intel- 
ligence que  de  succès.  Le  régent  de  France  lui  adressa  Tabbé  Dubois, 
lorsque  celui-ci  fut  envoyé  à  La  Haye  en  1716  pour  négocier  le  traité 
de  la  triple  alliance.  N'écoutant  que  son  amour  pour  son  pays  et  ou- 
bliant tous  ses  justes  griefs  contre  le  gouvernement  français,  il  déploya 
le  plus  grand  zèle  dans  cette  négociation  et  contribua  pour  une  bonne 
part  à  la  conclusion  de  l'alliance,  qui  fut  signée  en  janvier  1717.  Plus 
tard,  le  régent,  craignant  que  la  terrible  guerre  des  Camisards  ne  vînt 
à  se  rallumer  dans  le  midi  de  la  France,  s'adressa  encore  à  Basnage , 
qui  se  hâta  de  mettre  le  gouvernement  français  en  rapport  avec  un 
jeune  homme  destiné  à  devenir  le  restaurateur  du  protestantisme  fran- 
çais, Antoine  Court.  Le  pasteur  du  Désert  donna  l'assurance  que  la 
tranquillité  ne  serait  point  troublée.  Pour  maintenir  ses  coreligion- 
naires dans  la  voie  d'une  fidélité  pacifique,  Basnage  leur  adressa  une 
instruction  pastorale  qui  fut  répandue  à  profusion  dans  le  midi  de  la 
France.  A  cette  activité  diplomatique  et  pastorale,  Basnage  joignait 
une  activité  littéraire  infatigable.  Historiographe  des  Etats-généraux 
des  Provinces -Unies,  il  recueillait  et  coordonnait  les  matériaux  de 
leurs  annales.  Consulté  de  tous  côtés,  il  entretenait  une  vaste  corres- 
pondance avec  des  princes,  des  ministres,  des  grands  seigneurs,  des 
savants  de  toutes  les  parties  de  l'Europe.  Son  caractère  ne  le  faisait 
pas  moins  rechercher  que  son  savoir.  L'éditeur  de  son  grand  ouvrage, 
Les  Annales  des  Provinces- Unies,  lui  rend  ce  témoignage  «  qu'il  était 
vrai  jusque  dans  les  petites  choses,  et  que  sa  candeur,  sa  franchise,  sa 
bonne  foi  ne  paraissent  pas  moins  dans  ses  ouvrages  que  la  profon- 
deur de  son  érudition  et  la  solidité  de  ses  raisonnements.  »  Il  ajoute 
qu'il  avait  acquis  par  l'usage  du  grand  monde  une  politesse  exquise, 
assez  rare  parmi  les  savants,  qu'il  était  affable  et  prévenant,  et  qu'il 
n'avait  pas  de  plus  grand  plaisir  que  celui  de  rendre  service  et  d'em- 
ployer son  crédit  en  faveur  des  misérables.  Il  mourut  le  22  décem- 
bre 1723,  ne  laissant  qu'une  fille.  La  liste  des  ouvrages  que  Basnage  a 
composés  est  considérable.  On  verra,  en  la  parcourant,  que  c'est  à  la 
[ois  sur  !<s  matières  d'histoire  religieuse,  d'édification  et  de  contro- 
verse qu'il  s'est  exercé;  mais  c'est  surtout  comme  écrivain  ecclésias- 
tique qu'il  a  excellé.  Ses  deux  ouvrages  les  plus  importants:  Y  Histoire 
A  la  religion  des  Eglises  réformées  et  Y  Histoire  de  /' Eglise  depuis  Jésus- 


i  10  BASNAGE    —     BASSOUTOS 

Christ  jusqu'à  présent,  sont  un  trésor  d'érudition  et  révèlent  chez  l'au- 
teur une  alliance  de  qualités  scientifiques  diverses  :  une  connaissance 
approfondie  des  sources,  une  grande  finesse  et  justesse  dans  les  aper- 
çus, une  véritable  impartialité  dans  les  jugements,  et  avec  tout  cela  un 
style  correct,  terme  et  parfois  éloquent.  Ce  que  le  goût  moderne  pour- 
rait y  reprendre,  c'est  la  surabondance  des  faits  de  détail  et  la  mono- 
tonie des  divisions.  —  Voici  le  catalogue  de  ses  principaux  ouvrages 
d'après  l'ordre  chronologique  :  Examen  des  méthodes  proposées  par 
MM.  de  V  Assemblée  du  clergé  de  France  en  Vannée  1682  pour  la  réunion 
des  protestants  avec  l'Eglise  romaine,  Colog.,  1682,  in-12  ;  Considérations 
sur  Y  état  de  ceux  qui  sont  tombez,  Rotterdam,  1686,  in-12;  Réponse  à 
M.  l'évêque  de  Meaux  sur  sa  Lettre  pastorale,  Cologne,  1686,  in-12;  La 
Communion  sainte,  avec  Traité  sur  la  nécessité  et  les  moyens  de  commu- 
nier dignement,  Rotterdam,  1688,  in-8°  ;  Histoire  de  la  religion  des 
Eglises  réformées,  Rotterdam,  1690,  2  vol.  in-12  (la  dernière  édition, 
la  plus  considérable,  est  de  1725),  2  vol.  in-4°  ;  Traité  de  la  Con- 
science, Amsterdam,  1696,  2  vol.  in-12  ;  Lettres  pastorales  sur  le  renou- 
vellement de  la  persécution,  1698,  in-4°,  sans  nom  d'auteur;  Histoire  de 
V Eglise  depuis  Jésus-Christ  jusqu'à  présent,  Rotterdam,  1699,  2  vol.  in- 
fol.  ;  Traité  des  préjugés  faux  et  légitimes,  Delft,  1701,  3  vol.  in-8°; 
Histoire  des  Juifs  depuis  Jésus-Christ  jusqu'à  présent,  Rotterdam,  1706, 
5  vol.  in-12;  Entretiens  sur  la  Religion,  Rotterdam,  1709,  in-12;  Ser- 
mons sur  divers  sujets  de  morale,  de  théologie  et  d'histoire  sainte,  Rotter- 
dam, 1709,  2  vol.  in-8°;  Antiquités  judaïques,  Amsterdam,  1713,  2  vol. 
in-8°;  L'Etat  présent  de  l'Eglise  gallicane,  Rome  (Amsterdam),  1719, 
in-12  et  in-8°  ;  Instructions  pastorales  aux  Réformez  de  France  sur 
l'obéissance  due  au  souverain,  1720,  in-12  ;  Annales  des  Provinces- 
Unies  depuis  les  négociations  de  la  paix  de  Munster,  La  Haye,  1719  et 
1726,  2  vol.  in-fol.  ;  Nouveaux  Sermons  avec  Prières,  Rotterdam,  1720^ 
in-8°.  Basnage  a  laissé  imparfaite  une  Histoire  des  Hérésies  qu'il  avait 
conduite  jusqu'au  onzième  siècle.  N.  Recolin. 

BASSOUTOS,  indigènes  de  l'Afrique  centrale  dont  le  pays  fut  exploré 
pour  la  première  fois  en  1833,  par  les  agents  de  la  Société  des  Missions 
évangéliques  de  Paris,  qui  en  a  fait,  à  partir  de  cette  époque,  son 
principal  champ  de  travail.  Ces  noirs  appartiennent  à  une  variété  de 
de  la  race  cafre,  qui  se  distingue  des  Gafres  proprement  dits  par  des 
mœurs  moins  belliqueuses,  un  caractère  plus  sociable  et  plus  ami  du 
travail.  L'appellation  patronymique  Bassoutos  paraît  s'être  originelle- 
ment étendue  à  une  agglomération  très-considérable  de  peuplades  qui 
sont  maintenant  distinctes  et  séparées  par  d'assez  grandes  distances. 
L'usage  l'a  presque  exclusivement  restreinte  à  la  tribu  qui  fait  l'objet 
de  cet  article,  c'est-à-dire  à  une  population  d'environ  200,000  âmes 
réunie  sous  le  même  gouvernement.  Venus  du  nord  par  migrations  suc- 
cessives, ces  Bassoutos  se  sont  établis  depuis  plus  d'un  siècle  à  l'ouest 
de  Natal  sous  la  même  latitude.  Une  haute  chaîne  de  montagnes  les 
sépare  de  cette  colonie.  Les  plateaux  qu'ils  occupent  sur  le  versant 
occidental  étant  à  une  élévation  d'environ  5,000  pieds  au-dessus  du 
niveau  de  la  mer,  le  climat  en  est  tempéré  et  fort  salubre  ;  la  longévité 


BASSOUTOS  111 

des  habitants  égale  celle  des  populations  les  plus  favorisées  de  l'Eu- 
rope. Le  sol  est  très-fertile;  des  pluies  l'arrosent  suffisamment  pour 
permettre  (prou  le  cultive  dans  toutes  ses  parties  sans  irrigation. 
Une  circonstance  qui,  du  reste,  n'était  pas  sans  précédent  dans 
l'histoire  des  missions,  donne  un  intérêt  tout  particulier  à  L'œuvre 
que  la  Société  de  Paris  a  faite  dans  ce  pays.  Elle  a  eu  le  privilège  de 
sauver  les  Bassoutos  au  point  de  vue  terrestre,  en  même  temps  qu'elle 
leur  offrait  les  bienfaits  de  l'Evangile.  Lorsqu'on  1833  les  mission- 
naires Arbousset,  Casalis  et  Gossellin  franchirent  le  fleuve  Orange,  à  la 
recherche  d'un  champ  de  travail,  un  chasseur  hottentot  leur  révéla 
l'existence  des  Bassoutos  et  les  conduisit  dans  leur  pays.  Ils  le  trouvè- 
rent presque  dépeuplé.  Des  hordes  ennemies  l'avaient  envahi  et  com- 
plètement ruiné.  Pendant  la  lutte,  qui  avait  duré  plusieurs  années,  les 
champs  étaient  restés  presque  sans  culture;  il  en  était  résulté  une 
affreuse  famine  qui  avait  fait  contracter  à  une  partie  de  la  population 
des  habitudes  de  cannibalisme.  Des  multitudes  s'étaient  réfugiées  dans 
des  contrées  plus  heureuses.  Cette  expatriation  se  continuait  malgré  les 
efforts  d'un  homme  intelligent  et  énergique,  le  chef  Moshesh.  Encore 
un  ou  deux  ans,  et  le  pays  eût  été  complètement  désert.  L'arrivée  des 
missionnaires,  leurs  exhortations,  leurs  conseils  rendirent  l'espoir  au 
chef  et  à  ceux  de  ses  sujets  qui  lui  étaient  restés  fidèles  ;  les  hostilités 
prirent  fin,  les  fugitifs  revinrent,  et  pendant  quinze  ans  le  pays  jouit 
d'une  parfaite  tranquillité.  Durant  cette  période,  le  nombre  des 
missionnaires  s'accrut,  plusieurs  stations  furent  fondées,  la  langue 
et  les  mœurs  nationales  furent  soigneusement  étudiées,  et  des  conver- 
sions remarquables  commencèrent  à  récompenser  le  zèle  des  serviteurs 
de  Christ.  Depuis  lors,  les  Bassoutos  ont  été  plus  d'une  fois  à  la 
veille  de  voir  leur  nationalité  se  dissoudre  au  milieu  de  guerres  pro- 
duites par  les  empiétements  des  blancs.  Le  dévouement  des  mission- 
naires a  grandement  contribué  à  prévenir  ce  malheur.  Sans  se  départir 
de  leur  rôle  de  ministres  de  paix,  ils  n'ont  jamais  fait  de  différence 
entre  leurs  intérêts  et  ceux  de  leurs  troupeaux,  ils  ont  donné  l'exemple 
de  la  constance  dans  l'adversité  ;  et  grâce  à  leurs  instances,  ils  voient 
maintenant  les  Bassoutos,  placés  sous  une  protection  et  un  contrôle 
efficaces,  jouir  sans  crainte  de  ce  qui  leur  reste  de  l'héritage  de  leurs 
pères.  Ces  luttes  ont  considérablement  retardé  l'œuvre  de  la  réno- 
vation sociale  et  religieuse  des  naturels,  mais  elle  n'a  jamais  été  inter- 
rompue. —  I.  Progrès  matériels.  Les  Bassoutos  sont  devenus  essentiel- 
lement agriculteurs.  Le  sorgho,  le  maïs,  quelques «cucurbitacées  et  le 
tabac  étaient  autrefois  les  seuls  produits  qu'ils  connussent  ;  ils  y  ont 
ajouté  nos  céréales,  la  pomme  déterre,  nos  principales  plantes  potagères 
et  nos  meilleurs  fruits  qui  viennent  très-bien  chez  eux;  toutefois,  leur 
attention  ne  se  porte  encore  d'une  manière  sérieuse  que  sur  les  grandes 
denrées  qui  commencent  à  les  enrichir  par  l'exportation.  La  charrue 
et  nos  autres  outils  agricoles  remplacent  déplus  en  plus  la  pioche  anti- 
que. L'élève  des  bestiaux,  qui  n'avait  ci-devant  d'autre  but  que  d'en 
accroître  le  nombre,  change  de  caractère;  les  indigènes  comprennent 
maintenant  qu'il    faut   surtout   améliorer  les  races;  ils   s'attachent  à 


112  BASSOUTOS 

multiplier  les  moutons  mérinos  et  la  chèvre  angora  qui  leur  étaient 
autrefois  inconnus.  Un  peu  avant  l'arrivée  des  missionnaires,  l'appa- 
rition de  quelques  ennemis  montés  sur  des  chevaux  avait  révélé  aux 
Bassoutos  l'existence  de  ces  animaux  qu'ils  appelèrent  d'abord  les 
bœufs  sans  nom.  Ils  ont  si  bien  appris  à  en  élever  que  maintenant  on 
vient  en  acheter  chez  eux.  Voici,  d'après  un  relevé  publié  l'année 
dernière  par  l'autorité  supérieure  du  pays,  des  chiffres  qui  donneront 
une  idée  de  la  prospérité  matérielle  de  ces  indigènes  que  la  Mission 
protestante  de  France  trouva  dans  la  plus  affreuse  misère  et  ignorés  du 
reste  'du  monde  :  Achats  d'objets  de  fabrication  européenne,  principa- 
lement vêtements,  valeur  :  3,750,000  francs.  Ventes  de  blés  par  ex- 
portation :  plus  de  100,000  sacs  du  poids  de  220  livres;  d°  laines  : 
2,000  balles.  Richesse  rurale  :  2,749  charrues,  299  wagons,  35,357  che- 
vaux; 28,194  bœufs  de  trait  ;  195,538  vaches  et  veaux;  303,080  brebis 
et  moutons;  215,485  chèvres;  15,635  porcs.  La  construction  de  mai- 
sons de  forme  européenne  est  retardée  par  un  déboisement  fort  regret- 
table, mais  il  vient  des  bois  de  charpente  de  la  Cafrerie,  et  une  prime  a 
été  instituée  pour  encourager  la  plantation  d'arbres  de  haute  futaie.  — 
IL  Progrès  dans  l'ordre  religieux  et  intellectuel.  Il  n'y  avait  chez  les 
Bassoutos  rien  qui  pût  rappeler  à  des  Européens  une  religion  propre- 
ment dite,  des  temples,  des  autels.  Toutefois,  l'enseignement  des  mis- 
sionnaires trouva  certaines  bases,  quelques  précieux  points  d'appui. 
C'étaient  :  l'idée  et  le  respect  du  surnaturel;  une  vénération  des  an- 
cêtres allant,  dans  chaque  famille,  jusqu'à  des  prières,  des  offrandes 
et  impliquant  une  croyance,  sinon  raisonnée,  du  moins  très-réelle,  à 
une  continuation  d'existence  après  la  mort;  la  souffrance  et  le  malheur 
considérés  comme  une  souillure  ayant  pour  remèdes  des  purifications, 
des  sacrifices  ;  la  circoncision,  en  dépit  d'accompagnements  absurdes, 
pratiquée  comme  un  rite  '  sacré  faisant  mystérieusement  passer  le 
jeune  garçon  à  l'état  d'homme  raisonnable  et  de  citoyen  ;  enfin  des 
légendes  où  l'on  reconnaissait  sans  peine  la  notion  d'un  Seigneur 
(Moréna),  d'un  Maître  suprême  résidant  au  ciel,  et  celles  d'une  ca- 
tastrophe qui  a  soumis  l'homme  à  la  mort  ;  du  rôle  du  serpent  dans 
nos  destinées  malheureuses  et  dans  les  arts  occultes  ;  d'un  séjour  des 
trépassés  dans  les  régions  souterraines  correspondant  au  scheol  des 
Hébreux.  Le  sens  moral  ne  s'était  pas  oblitéré.  En  dépit  d'infractions 
habituelles,  la  règle  était  restée  au  fond  des  cœurs.  En  entendant,  pour 
la  première  fois,  les  missionnaires  réciter  les  commandements  de  la 
seconde  table,  les  naturels  leur  dirent  :  «  Nous  savions  tout  cela  avant 
votre  arrivée.  »  D'excellents  proverbes  nationaux  en  faisaient  foi. 
La  langue  qui  semblait  devoir  être  un  obstacle  à  tout  progrès  fut,  au 
contraire,  un  puissant  auxiliaire.  Elle  valait  beaucoup  mieux  que  les 
gens  qui  la  parlaient.  Ce  n'était  pas  le  maigre  et  incohérent  vocabu- 
laire de  populations  encore  au  point  de  départ,  mais  le  dépôt  des  sen- 
timents et  des  idées  d'une]  civilisation  patriarcale  pleine  de  sève,  que 
des  générations  appauvries  à  tous  égards  par  d'incessantes  migra- 
tions avaient  presque  perdue,  tout  en  continuant  à  s'exprimer  comme 
elle.  Le  sessouto  a  suffi  pour  reproduire,  sans  presque  aucune  circon- 


BASSOUTOS  —  BAUDIN  118 

locution,  tout  ce  que  contiennent  les  livres  de  L'Ancien  et  du  Nouveau 
Testament.  Les  plus  grands  obstacles  à  la  régénération  religieuse  des 
Bassoutos  ont  été  la  polygamie  et  la  circoncision  comme  symbole  e 
sauvegarde  de  tout  l'ensemble  des j vieilles  mœurs.  Un  opprobre  presque 
aussi  redouté  que  la  mort  pèse  sur  l'incirconcis.  Néanmoins  la  toute- 
puissance  de  l'Evangile  s'est  manifestée  par  de  nombreuses  conver- 
sions dans  tous  les  rangs  et  à  tous  les  âges,  et  leur  réalité  a  été 
démontrée  par  des  réformes  personnelles  et  domestiques  très-persis- 
tantes, quoique  souvent  fort  douloureuses.  Elles  ont  toutes  été  l'effet 
de  la  contemplation  de  Jésus-Christ  comme  manifestation  de  Dieu  et 
preuve  de  son  existence,  idéal  de  sainteté  et  d'amour,  et  suprême  ré- 
parateur du  péché.  Au  point  de  vue  ecclésiastique,  les  troupeaux  sont 
sous  le  régime  presbytérien  synodal;  les  enfants  des  convertis  sont 
baptisés  ;  les  adultes  ne  sont  admis  au  baptême  et  à  la  sainte  Cène  qu'a- 
près un  sérieux  catéchuménat.  On  fait  une  obligation  aux  néophytes 
d'apprendre  à  lire,  s'ils  ne  savent  pas  déjà.  Le  désir  de  posséder  les 
saintes  Ecritures  devient  général.  Deux  éditions  du  Nouveau  Testament 
sont  déjà  épuisées;  une  troisième,  de  16,500  exemplaires  vient  d'être 
faite  à  Paris,  et  on  l'expédie  eïl  ce  moment.  On  peut  estimer  à  environ 
500,0001e  nombre  des  indigènes  de  diverses  tribus  pour  lesquels  cette 
version  de  la  Mission  française  est  parfaitement  intelligible.  —  III.  Sta- 
tistique religieuse  (1876-1877).  Stations  ou  Eglises  centrales,  13;  mis- 
sionnaires français,  17;  annexes,  la  plupart  avec  chapelles,  60;  caté- 
chistes indigènes  desservant  ces  annexes, 60;  communiants,  à  peu  près 
5,000;  catéchumènes,  600;  personnes  prenant  part  au  culte,  20,000; 
écoliers  de  la  semaine,  2,000  ;  élèves  des  écoles  du  dimanche,  2,500  ; 
école  normale  de  jeunes  gens,  80;  école  normale  de  jeunes  fdles,  37  ; 
contributions  des  indigènes  pour  aider  à  l'entretien  de  la  mission, 
11),:H)0  francs;  fonds  collectés  par  les  chrétiens  bassoutos  pour  envoyer 
des  catéchistes  fonder  une  mission  nouvelle  dans  l'intérieur  du  conti- 
nent, chez  les  Banyaïs,  7,500  francs.  Dans  tout  le  pays,  on  s'abstient 
généralement  de  travaux  extérieurs  le  jour  du  dimanche  ;  et  par  là  les 
niasses  encore  inconverties  montrent  qu'elles  ne  nient  plus  l'existence 
du  Dieu  des  chrétiens  et  qu'elles  reconnaissent,  en  une  certaine  me- 
sure, son  autorité.  E-  Casaijs. 

BATHANÉE.  Voyez  Basan. 

BATHILDE  (Sainte)  [Balthildis  ou  Baïtechildis,  sainte  Baudour  ou 
Bautheur],  esclave  anglo-saxonne,  sut  plaire ,  par  ses  vertus ,  à  Clo- 
vis  II,  < } 1 1 i  L'épousa.  Elle  fut  célèbre  par  sa  charité  envers  les  couvents 
et  fonda  le  monastère  de  Corbie  et  celui  de  Chelles  (Kala),  où  elle  se 
rôtira  en  664.  Elle  y  mourut  vers  680,  le  30  janvier.  Sa  vie  a  été  écrite 
par  Theofroy,  premier  abbé  de  Corbie  (Boll.,  26  Jan.  II;  Mabillon, 
AA.  SS.  Ban.  s$c.  II,  p.  775). 

BATH-K0L.  Voyez  Talmud. 

BAUDIN  (Charles-  1 1784-1854],  l'une  des  illustrations   du  protestan- 
tisme  français  moderne,  appartient  à  une  famille  bourgeoise,  origi- 
naire de  la  Lorraine  et  fixée  depuis  le  dix-septième  siècle  à  Sedan.  1! 
perdit  de  bonne  hepre  son  père,  qui  joua  un  rôle  honorable  pendant  la 
II.  8 


114  BAUDIN  —  BAUDOUIN 

Révolution  française.  Voué  depuis  l'âge  dequinzeans  à  la  marine,  Baudin 
se  distingua  dans  une  série  de  campagnes  sous  l'Empire  et  sous  le  gou- 
vernement de  Juillet.  11  commanda  en  1838  l'expédition  du  Mexique, 
et  se  couvrit  de  gloire  à  la  prise  de  la  forteresse  de  Saint-Jean-d'Ulloa. 
Successivement  appelé  à  la  préfecture  maritime  de  Toulon  et  à  la  prési- 
dence du  conseil  de  l'Amirauté,  Baudin  déploya  dans  ces  fonctions  les 
qualités  éminentes  qui  l'avaient  porté  aux  honneurs  suprêmes  de  la 
carrière  navale.  L'obéissance  au  devoir  était  le  ressort  caché  de  culte 
vie,  dépensée  tout  entière  au  service  de  la  pairie  et  de  l'humanité. 
L'amiral  Baudin  avait  une  âme  humble,  sincèrement  pieuse  et  proton 
dément  aimante.  Il  portait  un  vif  intérêt  à  toutes  les  œuvres  d'instruc- 
tion, d'évangélisation,  de  prévoyance  et  de  secours,  fondées,  depuis  le 
commencement  de  ce  siècle,  par  ses  coreligionnaires;  la  liberté  de 
conscience  trouva  en  lui  un  zélé  défenseur.  Dans  les  affaires  ecclésiasti- 
ques, il  lit  preuve,  comme  membre  du  consistoire  réformé  de  Paris  et, 
depuis  1852,  comme  président  du  conseil  central,  d'un  esprit  à  la  fois 
ferme  et  conciliant.  Il  a  eu  le  rare  privilège  de  mourir,  estimé  et  regretté 
de  tous  les  partis  (voy.  la  notice  insérée  dans  les  Protestants  illus- 
tres, et  publiée  à  part  en  1863). 

BAUDOUIN  (François),  Bauduin  ou  Balduin,  Balduinus,  né  à  Arras  le 
1er  janvier  1520,  «  l'un  des  plus  jurisconsultes,  théologiens  et  historiens 
de  ce  temps,  »  écrivait,  dès  1584,  son  contemporain  La  Croix  du  Maine, 
en  lui  donnant  place  dans  sa  Bibliothèque.  Il  était  fils  d'un  conseiller  et 
avocat  du  roi.  Après  de  remarquables  études  faites  à  Arras,  à  Louvain  et 
à  Paris,  il  se  lia  avec  le  grand  juriste  Charles  Dumoulin  dont  il  était  l'hôte, 
puis  avec  Cujas,  Guillaume  Budé,  Baïf,  etc.  Charles  Dumoulin  lui  avait 
peut-être  donné  du  penchant  pour  la  Réforme  ;  déjà  suspect  d'hérésie, 
il  lit  un  premier  voyage  en  1545  à  Genève,  où  il  connut  Calvin  ;  puis  en 
Allemagne,  où  il  vit  Buceret  Mélanchthon.A  Genève,  il  avait  abjuré  ;  il 
continua  néanmoins  à  assister  à  des  cérémonies  catholiques.  De  retour 
en,Suisseenl547,ilse  lia  plus  étroitement  avec  Calvin,  chez  qui  il  logea 
même,  luiservantde  secrétaire  et  lui  donnant  le  nom  de  père.  En  1547, 
Michel  de  l'Hôpital  l'aida  à  obtenir  à  Bourges  une  chaire  de  droit,  à  la- 
quelle ses  publications  des  Justiniani  leges,  etc.  (1552)  et  des  Jnstitutes 
annotées  (1545)  lui   donnaient  déjà  de  justes  titres.  Il  se   lit  rece- 
voir docteur  le  12  mars  1549.  Les  démêlés  que  lui  suscita  bientôt  la 
jalousie  de  Duaren,  son  prédécesseur  dans  la  chaire  qu'il  occupait,  le 
rebutèrent,  et  il  y  renonça  en  1555  pour  se  rendre  à  Strasbourg,  où  il 
ouvrit  un  cours  de  droit.  Là  ce  furent  de  nouvelles  querelles  avec  un 
autre  rival,  l'illustre  François  Hotman  ;  il  se  retira  en  1558àHeidelberg, 
où  il  professa  l'histoire  et  le  droit  dans  l'université  de  cette  ville.  C'est 
là  qu'il  publia,  en  1560,  YOctavius,  en  le  restituant  à  Minutius  Félix, 
tandis  qu'on  l'avait  jusque-là  imprimé  comme  un  huitième  livre  d'Ar- 
nobe  contre  les  Gentils  (adoersus  Gentes).  Fut-il  envoyé  par  l'électeur 
Casimir  et  le  duc  de  Wurtemberg  pour  assister  au  colloque  de  Poissy, 
ou  bien  est-ce  le  chancelier  de  l'Hôpital,  est-ce  Antoine  de  Bourbon, 
qui  l'appelèrent  alors  en  France  ?  Toujours  est-il  qu'il  y  revint,  désireux 
«  de  moyenner  la  paix  et  la  tranquillité  »  et  apportant  avec  lui,  pour 


BAUDOUIN  115 

cela,  un  traité  anonyme  do  son  ami  le  pieux  et  savant  théologien  Georges 
Cassander,  De  o/fîcio  pii  vin)  in  hoc  religionis  dissidio^  qu'il  regardait 
comme  «  un  trésor  »  et  une  vraie  panacée.  Publié  alors  par  ses  soins 
el  distribué  lors  du  colloque,  ce  livre,  qui  prêchait  l'union,  déplut 
à  tous  les  partis  et  ue  lit  pas  fortune  à  Poissy.  Il  fut  même  l'occasion 
d'une  ardente  polémique;  Calvin,  le  premier,  s'éleva  contre  Baudouin 
qu'il  croyait  L'auteur  de  l' ouvrage.  Duaren  et  Hotman,  ses  anciens 
collègues,  vinrent  à  la  rescousse  :  de  part  et  d'autre  ce  fut  un  feu  croisé 
d'acerbes  pamphlets.  Baudouin,  désabusé  et  dépité,  devint  alors  pré- 
cepteur de  Charles  de  Bourbon,  fils  naturel  du  roi  de  Navarre.  Il  devait 
être  L'orateur  de  ce  prince  au  concile  de  Trente,  lorsque  ce  dernier  lut 
tu»'1  au  siège  de  Rouen,  en  1562.  Cette  mort  le  décida  à  reprendre  ses 
Leçons  et  il  voulut  aller  enseigner  le  droit  romain  à  Douai,  dans  les  Etats 
de  Philippe  II.  Il  lui  fallut  pour  cela  obtenir  le  rappel  d'un  ban  exécuté 
contre  lui,  en  1545,  comme  suspect  d'hérésie,  par  suite  de  ses  rapports 
avec  un  habitant  de  Tournay,  qui  avait  payé  de  sa  vie  son  zèle  pour  la 
religion  (Bull,  de  la  Soc.  d'kist.du  Protest,  fr.,  1,  148),  et  il  lit  en  consé- 
quence une  abjuration  publique  le  24  juillet  1563,  à  Louvain,  entre  les 
mains  de  l'inquisiteur  général  et  des  théologiens.  En  publiant  le  procès- 
verbal  de  cet  acte,  qui  se  trouve  aux  Archives  de  Belgique,  à  Bruxelles 
(Rev.  de  LégisL,  Paris,  1872,  p.  308),  M.  Rivier  demande  l'indulgence 
de  la  postérité  «  pour  un  savant  de  la  Renaissance,  d'humeur  vive, 
sain  d'esprit  et  de  goût,  hostile  à  tout  fanatisme  et  que  sa  destinée  bal- 
lotta entre  la  Genève  de  Calvin  et  les  Pays-Bas  du  duc  d'Albe  ».  Rappe- 
lant que  sa  versatilité  confessionnelle  l'a  fait  maltraiter  et  durant  sa  vie 
et  après  sa  mort,  il  va  peut-être  un  peu  loin  en  réclamant  pour  lui  le  bé- 
néiice  du  dicton  :  Bonus  jurisconsultes,  malus  christianus,qm  a  servi  de 
texte  à  une  ou  deux  douzaines  de  dissertations  au  siècle  dernier.  Quoi 
qu'il  en  soit,  cette  abjuration,  qui  fut  la  dernière,  ne  lui  profita  guère. 
Il  accepta  dans  les  Pays-Bas  une  mission  analogue  à  celle  qui  lui  avait 
été  déjà  confiée,  mais  qui  n'eut  pas  meilleur  succès.  Pour  ne  pas  servir  les 
fureurs  du  duc  d'Albe,  il  dut  abandonner,  en  1567,  ce  pays  désolé,  et 
vint  ouvrir  à  Paris  un  cours  de  Pandectes  qui  attira  un  concours  d'au- 
diteurs de  marque,  puis  fut  appelé  à  la  chaire  de  droit  de  Besançon,  et 
enfin,  en  1568,  à  Angers,  par  le  duc  d'Anjou,  à  qui  le  chancelier  Hu- 
rault  de  Cheverny  l'avait  chaudement  recommandé.  Il  fut  aussi 
nommé  maitre  des  requêtes  de  ce  prince;  mais  il  sut  se  soustraire  aux 
obligations  que  ce  titre  semblait  devoir  lui  imposer,  lorsqu'on  voulut 
Le  charger  de  faire  l'apologie  de  la  Saint-Barthélémy.  De  Thou  lui  fait 
honneur  de  ce  refus,  qui  ne  le  fit  point  tomber  en  disgrâce,  puisque  c'est 
lui  qui  fut  appelé  à  répondre,  au  nom  du  duc,  élu  roi  de  Pologne,  à  la 
harangue  latine  de  Jean  Zamoski,  chef  de  l'ambassade  de  la  diète,  qui 
venait  lui  offrir  la  couronne.  Baudouin  devait  se  rendre  à  Cracovie  avec 
le  nouveau  roi  et  s'occuperde  la  réorganisation  de  l'université,  lorsque 
!;i  mort  If  frappa  au  collège  d'Arras,  à  Paris,  le  24  octobre  1573,  âgé 
seulement  de53  ans  '.hnoiset  24  jours.  Il  mourut,  dit-on,  entre  les  bras 
^lii  célèbre  jésuite  Bfaldonat.  En  résumé,  d'un  esprit  à  la  fois  religieux  el 
libéral,  Baudouin  se  montra  toujours  conciliateur  et  tolérant:  il  admi- 


116  BAUDOUIN  —  BAUMGARTEN 

rait  le  concile  de  Nicée  et  tendait  à  reconstituer  l'Eglise  des  premiers 
siècles.  Le  séjour  d'Heidelberg  fortifia  cette  tendance  irénique,  que  Ton 
retrouve  dans  toute  sa  correspondance  avec  Cassander,  Martyr  et  Mê- 
la nchthon.  On  peut  donc  lui  appliquer  le  fameux  vers  : 

Soyez  donc  modéré...  pour  ne  plaire  à  personne  ! 

et  il  doit  y  avoir  des  circonstances  atténuantes  pour  celui  qui  aimait  à 
répéter  :  Suie  historia  cœcam  esse  jurisprudentiam,  et  qui  a  dit  aussi  : 
Jurisprudentiam,  si  tota  profana  sit,  vix  nomen  suum  tueri  satis  posse.  — 
Voir  :  1°  Chronique  d'Artois,  ms.posth.  et  inédit  de  Baudouin,  publ.  par 
l'Acad.  d'Arras,  1858,  in-8°,  avec  un  Advis  sur  le  faict  de  la  ré  forma- 
tion de  l'Eglise  et  un  Discours  enseignant  le  moyen  pour  remédier  aux 
troubles  ;  2°  De  Fr.  Bald.  j.  c.  ejusque  studiis  irenicis  Disert,  historica, 
par  J.  Heveling,  Bonn,  1871.  Charles  Eead. 

BAUER   (Georges-Laurent)  [1756-1806],  orientaliste  et  archéologue 
célèbre.  11  professa  à  Heidelberg  et  à  Altorf,et  se  livra  particulièrement 
à  l'étude  des  antiquités  bibliques.  Bauer  appartenait  à  la  tendance  rationa- 
liste et,  l'un  des  premiers,  appliquaà  l'Ancien  Testament  l'interprétation 
mythique.  11  trouve  dans  la  Bible  des  mythes  philosophiques,  histori- 
ques, historico-philosophiques  et  poétiques,  distinction  dont  la  subtilité 
cache  mal  le  point  de  vue  assez  superficiel  de  son  auteur.  Nous  citerons 
parmi  ses  ouvrages  son  Histoire  de  la  nation  hébraïque  (1800,  2  vol.),  sa 
Mythologie  hébraïque  (1802,  2  vol.)»  sa  Théologie  biblique  et  sa  Morale 
de  l'A.  et  du  N.  T.  (1796-1804).  C'est  à  Bauer  que  l'on  doit  l'expression 
significative  d'  «  introduction  historique  et  critique  »,  que  l'on  appli- 
qua, depuis  la  lin  du  dernier  siècle,  à  la  science  isagogique(£Vita,\  einer 
Itist.  krit.  Einl.  in  die  Schriften  des  A.  T.,  Nùrnb.,  1794;  3°  édit.,  1806). 
BAUME  (chez  les  Hébreux).  Voyez  Histoire  naturelle  de  la  Bible. 
BAUMGARTEN  (Sigismond-Jacques)  [1697-1757],  théologien  estima- 
ble du  milieu  du  dernier  siècle.  Il  fut  élevé  à  la  maison  des  orphelins 
de  Halle  dont  son  père  était  l'un  des  directeurs,  étudia  et  professa  la 
théologie  dans  la  même  ville  et  attira  un  grand  nombre  d'auditeurs. 
Nourri  dans  les  idées  philosophiques  du  temps,  bien  que  fidèle  à  ses 
sympathies  pour  le  piétisme,  Baumgarten  forme  la   transition   entre 
l'école  de  Spener  et  de  Francke  et  le  rationalisme.  Il  appliqua  la  mé- 
thode de  Wolf  à  la  théologie,  et  sut  unir  un  esprit  clair  et  pénétrant  à 
une  piété  vraie  et  à  des  connaissances  historiques  étendues  et  solides. 
Son  point  de  vue,  tel  que  le  révèle  sûDGctrine  évangélique  (1758,3  vol.), 
est  encore  celui   de  l'ancienne  orthodoxie,  bien   qu'il  ne  cite  pas  les 
livres  symboliques;  il  s'appuie  sur  la  Bible  et  ajoute  à  chaque  doctrine 
les  devoirs  et  les  règles  morales  qui  en  découlent.  Dans  sa  Théologie 
morale  ou  Instruction  sur  la  conduite  du  chrétien  (1738),  il  unit  de  la 
manière  la  plus  heureuse  l'esprit  philosophique  et  l'esprit  chrétien. 
Son  Abrégé  de  l'Histoire  ecclésiastique   depuis   J.-C.   (1742-45,  3  vol.) 
est  plus  faible.  Baumgarten  se  distinguait  par  son  esprit  modéré  et 
bien  veillant;  il  défendit  les  déistes  et  prêcha  la  tolérance.  Semler  est 
son  plus  illustre  disciple  (voy.  sa  biographie,  avec  le  catalogue  de  ses 
écrits,  par  Semler,  Halle,  1 758;  Nieraeyer,  Die  Universitdt  Halle,  p.  70  ss.  ) . 


BAUMGARTEN  —  BAUR  117 

BAUMGARTEN-GRUSIUS  (Louis-Frédéric-Othon)  [1788-1843],  pro- 
fesseur à  la  faculté  de  théologie  d'Iéna,  s'occupa  plus  particulièrement 
d'exégèse,  <lc  théologie  biblique  et  d'histoire  des  dogmes.  11  déploya 
une! rare  pénétration  dans  le  soin  consciencieux  avec  lequel  il  s'ap- 
pliqua à  mettre  eu  lumière  le  sens  historique  et  religieux  de  la  Bible, 
ainsi  que  la  formation  et  le  développement  des  doctrines  religieuses 
dans  L'Ëglise  chrétienne.  Ses  principaux  ouvrages  sont,  indépendam- 
ment d'une  Introduction  à  l'étude  de  la  dogmatique  (1820)  et  d'une 
Théologie  biblique  (1828),  un  Compendium  de  l'histoire  des  dogmes 
1840-1846),  qui  peut  être  considéré  comme  Tune  des  premières  pu- 
blications importantes  sur  cette  matière,  et  une  série  de  commen- 
taires sur  les  écrits  du  Nouveau  Testament  dont  la  plupart  n'ont  paru 
qu'après  sa  mort.  Esprit  profondément  religieux  et  libéral,  Baumgar- 
teu-Crusius  n'appartient  à  aucun  des  partis  entre  lesquels  se  partage 
la  théologie  allemande  moderne  :  son  isolement  explique  le  peu 
d'action  qu'il  a  exercée  sur  elle.  Il  avait  le  talent,  il  lui  manquait  le 
génie. 

BAUR,  fondateur  de  la  nouvelle  école  [de  Tubingue.  —  1.  Ferdinand- 
Christian  Baur,  fils  d'un  pasteur  wurtembergeois,  naquit  à  Schmiden, 
près  de  Cannstadt,  le  22  juin  1792.  Il  fit  ses  premières  études  au  sémi- 
naire de  Blaubeuren  d'où  il  passa  à  l'université  de  Tubingue.  Rien 
n'annonçait,  ni  chez  l'écolier  ni  même  chez  l'étudiant,  des  facultés 
extraordinaires.  La  nature  de  Baur  tient  de  celle  des  chênes  qui,  dans 
l«s  commencements,  poussent  moins  vite  que  les  arbustes,  mais  crois- 
sent d'une  végétation  laborieuse  et  persévérante  et  finissent  par  do- 
miner de  leur  forte  ramure  les  autres  arbres  de  la  forêt.  Ainsi  Baur  a 
grandi  sans  secousse  mais  continuellement,  par  un  travail  opiniâtre, 
jusqu'à  se  trouver  à  la  tête  de  sa  génération.  Il  était  certainement, 
quand  il  est  mort  en  1860,  le  plus  éminent  théologien  de  l'Allemagne. 
La  mort  de  Schleiermacher  seule  avait  laissé  un  aussi  grand  vide  après 
elle.  Quand  Baur  fit  à  Tubingue  ses  études  de  théologie  (1810-1815),  il 
y  régnait  un  supranaturalisme  superficiel  et  décoloré  qui  s'épuisait  en 
vains  efforts  de  dialectique  et  d'exégèse  pour  expliquer  rationnelle- 
ment le  christianisme  et  lui  conserver  en  même  temps  son  caractère  de 
religion  révélée.  Le  souvenir  qu'il  avait  gardé  des  leçons  de  ses  maî- 
tres. Bengel  le  neveu  de  l'illustre  théosophe,  Storr  et  Flatt,  était  celui 
«  d'un  profond  ennui  ».  Leur  apologétique  pénible  et  inconséquente 
lui  suggéra  même  ses  premiers  doutes.  Mais  il  ne  se  sépara  d'eux  que 
très-lentement  et  'grâce  à  d'autres  influences.  Ce  dogmatisme  ra- 
tionnel w'ca  fut  pas  moins  le  point  de  départ  de  sa  pensée,  et  il  peut 
servir  à  i  ipliquer  jusqu'à  un  certain  point  le  caractère  intellectualiste 
qui  resta  jusqu'à  la  fin  celui  de  sa  conception  religieuse.  On  retrouvera 
des  traces  de  cette  première  phase  de  son  développement  théologique 
dans  la  Revue  que  Bengel  publiait  alors  à  Tubingueet  àlaquelle  il  col- 
labora pendant  quelque  temps  (voy.  surtout  un  compte-rendu  de  la 
Théologie  biblique  de  Kaiser,  Bengels  Archiv  fur  Théologie^  t.  II, 
p.  656,  181 7 1.  Baur  alors  insistait  beaucoup  sur  la  nécessité  d'une 
révélation  et  s'indignait  fort  qu'on  osât  nier  la  résurrection  du  Christ. 


118  BAUR 

Néanmoins  on  sent  déjà  qu'il  est  mal  à  Taise  dans  cette  théologie,  elle 
ne  pouvait  en  aucune  manière  satisfaire  le  besoin  de  logique  et  de 
cohérence  qui  distinguait  déjà  sa  pensée.  Peut-être  n'aurait-il  point 
trouvé  en  lui-môme  le  principe  nouveau  qui  devait  l'élever  au-dessus 
d'elle  ;  car  Baur,  notons-le  en  passant,  n'est  pas  un  esprit  créateur, 
une  nature  intuitive  ou  inspirée  comme  Schleiermacher  ;  son  esprit  est 
surtout  un  organe  dialectique;  pour  déployer  son  incomparable 
puissance,  il  a  besoin  de  recevoir  d'autrui  les  principes  fécondants  et 
l'impulsion  première.  C'est  la  Dogmatique  de  Schleiermacher  qui  les 
lui  apporta.  Nommé  professeur  de  grec,  de  latin  et  d'histoire  au  gym- 
nase de  Blaubeuren  (1817),  il  y  acheva  sa  préparation  philologique  et 
philosophique.  Ses  préoccupations  perçaient  dans  ses  leçons  et  la 
grammaire  y  était  souvent  délaissée  pour  la  critique  des  doctrines  reli- 
gieuses et  des  symboles  mythologiques.  Déjà  il  s'attachait  surtout  à 
mettre  en  lumière  les  points  de  contact  du  christianisme  avec  les  autres 
religions  et  à  montrer  partout  ce  lien  historique  que  plus  tard  toutes  ses 
recherches  tendront  à  établir.  De  cette  étude  assidue  de  l'antiquité 
classique,  sortit  le  premier  grand  ouvrage  de  Baur,  Symbolik  und 
Mythologie,  1824.  C'était  un  essai  d'expliquer  les  religions  païennes 
d'après  la  nouvelle  philosophie  religieuse  de  Schleiermacher.  La  valeur 
n'en  est  plus  grande  aujourd'hui.  Mais  en  1826  il  attira  l'attention  sur 
le  jeune  professeur  qui  fut  appelé  à  succéder,  dans  la  faculté  de  théo- 
logie de  Tubingue,  à  Bengel  son  ancien  maître  dont  la  mort  laissait 
vacante  la  chaire  de  théologie  historique.  A  cette  première  période 
d'études  classiques  doit  se  rattacher  sans  doute  une  autre  disserta- 
tion de  Baur  parue  quelques  années  plus  tard  sur  Socrate  et  Jésus 
ou  l'élément  chrétien  dans  Platon  (Socrates  und  Jésus  ode?1  das  Christ- 
liche  in  Plato,  1837).  Dans  l'enseignement  de  Socrate  il  trouve  une 
prémisse  essentielle  du  christianisme,  et  il  montre  dans  le  fameux 
principe  TvœÔ'.  aéauTov  la  forme  grecque  du  mot  [i.eTavosTTe,  qui  sera 
celui  de  la  prédication  de  Jean-Baptiste  et  de  Jésus-Christ.  Ainsi  il 
avait  déjà  la  vue  claire  du  principe  qui  dirigea  toutes  ses  recherches 
et  en  fut  la  conclusion,  je  veux  dire  :  la  continuité  historique  de  tous 
les  développements  de  l'esprit  humain.  Ce  furent  de  laborieuses  et 
fécondes  années  que  ces  premiers  temps  de  l'enseignement  univer- 
sitaire de  Baur.  Strauss  en  a  laissé  une  vive  peinture  dans  sa  Vie  de 
MœrJclin.  Une  élite  de  jeunes  gens  qui  s'étaient  déjà  pris  d'enthou- 
siasme pour  leur  professeur  au  gymnase  de  Blaubeuren  et  qui  l'avaient 
suivi  à  l'université,  se  pressaient  autour  de  sa  chaire.  Ce  serait  le 
moment  de  peindre  le  nouveau  maître  qui  allait  prendre  la  direction 
des  esprits.  Avec  sa  haute  taille  et  sa  figure  austère,  la  personnalité 
de  Baur  avait  quelque  chose  d'imposant  qui  tout  d'abord  éveillait 
le  respect  plus  que  la  sympathie;  on  se  sentait  en  présence  d'un 
homme  absorbé  tout  entier  dans  sa  vocation  et  dans  son  travail.  Il  avait 
toutes  les  qualités  solides  et  puissantes  de  la  nature  souabe  avec  une 
certaine  raideur  et  gaucherie.  Il  lui  manquait  cette  familiarité  et  cette 
bonne  humeur  qu'ont  la  plupart  des  professeurs  allemands  dans  leurs 
relations  avec  leurs  élèves  ;   même  avec   ses  intimes,  il  était  froid,. 


BAUR  110 

vé,  ne  s'exprimant  souvent  (|uc  par  monosyllabes.  En  chaire,  i! 
lisail  sur  un  ton  un  peu  déclamatoire,  avec  un  geste  lourd  el  d'une 
voix  monotone,  ses  leçons  soigneusement  écrites. Son  style,  éloigné  du 
on  scientifique  si  fréquent  dans  les  écoles  allemandes,  était  d'une 
merveilleuse  clarté  <|ui  rendait  encore  plus  sensible  et  plus  pressante 
la  logique  de  ses  démonstrations..  En  pénétrant  un  peu  plus  avant  dans 
cette  nature,  il  y  faut  constater  la  prédominance  de  la  faculté  ration- 
sur  les  facultés  affectives.  Baur  sans  doute  ne  manquait  pas  de 
:  mais  il  n'a  jamais  permis  au  sentiment  de  venir  troubler  les  dé- 
ductions de  la  logique.  A  cet  égard,  il  forme  l'antithèse  la  plus  com- 
plète avec  Schleiermacher»  Tandis  que,  chez  ce  dernier,  la  raison  et  le 
sentiment  restent  dans  un  fécond  et  perpétuel  échange,  chez  Baur  la 
conception  purement  intellectuelle  se  développe  en  droite  ligne  avec 
une  sorte  de  rigueur  géométrique  qui  lui  enlève  toute  souplesse  et 
toute  chaleur.  Aussi  ne  faut-il  pas  s'étonner  s'il  passe  assez  prompte- 
menl  de  l'école  de  Schleiermacher  à  celle  de  Hegel,  qui  semble  être  son 
Erère  aine.  Dès  1828,  il  dénonce  le  caractère  subjectif  de  la  christologie 
de  Schleiermacher.  Le  Christ  de  ce  dernier  n'est  qu'un  Christ  idéal, 
et  if  est-il  pas  souverainement  arbitraire  d'aflirmer  que  cet  idéal  est 
identique  à  la  personne  de  Jésus  de  Nazareth?  Loin  de  se  réaliser 
jamais  dans  un  seul  individu,  l'idéal  n'épuise  sa  richesse  que  dans 
le  développement  de  l'espèce  entière  :  tel  est  le  principe  que  Baur 
applique  à  la  critique  de  la  doctrine  de  Schleiermacher  et  au  nom 
duquel  il  la  renverse.  On  y  reconnaît  l'axiome  hégélien  d'où  sortira 
quelques  années  plus  tard  la  Vie  de  Jésus  de  Strauss.  Cette  conversion 
de  Schleiermacher  à  Hegel  se  fit  lentement,  sans  secousse  et  sans  éclat 
extérieur.  Baur  se  laissa  devancer  par  l'esprit  plus  impatient  et  plus 
brillant  de  quelques-uns  de  ses  premiers  élèves,  de  Strauss  par 
exemple.  C'est  qu'il  suivait  une  autre  voie  et  comprenait  sa  tâche 
différemment.  Tandis  que  Strauss  parut  vouloir  enlever  comme  d'as- 
saut et  ruiner  en  une  fois  la  forteresse  du  christianisme  surnaturel, 
baur  se  préparait  à  un  long  siège,  se  rapprochait  lentement  de  la  place, 
ouvrait  tout  autour  et  progressivement  des  tranchées  plus  menaçantes 
qui  devaient  finir  par  la  faire  capituler.  Aussi  le  grand  ouvrage  de 
Strauss  n'eut-il  qu'une  légère  influence  sur  l'esprit  de  Baur;  il  n'en  a 
troublé  ni  hâté  le  développement  progressif  et  régulier.  Purement  né- 
gative,  la  première  critique  de  Strauss  laissait  subsister  sans  l'expliquer 
l'apparition  historique  du  christianisme  et  la  valeur  immense  de  ce  fait 
dans  l'histoire.  On  peut  dire  que  personne  mieux  que  Baur  n'a  senti 
«i  fait  comprendre  l'insuffisance  historique  delà  Vie  de  Jésus  où  tout 
le  christianisme  se  résolvait  en  quelques  légendes  d'origine  mystérieuse 
et  d'un  sens  arbitraire;.  Strauss  en  effet,  malgré  ses  bruyantes  profes- 
sions d'hégélianisme,  n'est  pas  un  sérieux  disciple  de  Hegel;  il  n'em- 
prunte ;i  cette  philosophie  <pie  des  arguments  et  des  armes,  mais,  au 
tond,  c'est  un  pur  critique  rationaliste.  Il  n'a,  à  aucun  .degré,  le  senti- 
ment de  l'histoire;  il  remplace  l'explication  naturelledes  faits  chrétiens 
[.  ir  l'explication  mythique,  mais  il  ne  dépasse  pas  le  point  de  vue  borné 
d'un  dogmatisme  subjectif.   Comme  les  rationalistes,   il  condamne  le. 


120  BAUR 

dogme  du  passé  au  nom  du  dogme  du  présent;  il  n'explique  ni  le  dé- 
veloppement positif  du  dogme  chrétien  ni  la  formation  du  canon  du 
Nouveau  Testament.  En  face  de  tout  cela  il  s'arrête  à  une  pure  négation. 
Baur,  au  contraire,  s'enferme  tout  entier  dans  l'histoire  et  n'en  veut 
faire  la  critique  qu'au  nom  de  l'histoire  elle-même.  Il  se  transporte  au 
centre  du  dogme;  il  y  découvre  l'àme  même  de  l'Eglise;  il  en  saisit  la 
dialectique  intérieure  et  en  explique  le   développement  à  travers  les 
oppositions  et  les  synthèses,  les  dissolutions  et  les  reconstructions  suc- 
cessives, depuis  ses  origines  jusqu'à  son  terme  final.  Il  s'est  bien  autre- 
ment approprié  l'esprit  de  Hegel,  et  Ton  peut  dire  que  le  premier  il  a 
fait  l'histoire  vraiment  hégélienne  du  christianisme.  On  comprend  dès 
lors  que  la  critique  de  Strauss,  loin  de  rendre  son  œuvre  superflue,  la 
rendait  nécessaire.  A  ces  questions  :  qu'est-ce  que  le  christianisme? 
quelle  a  été  la  vie  réelle  de  l'Eglise  primitive?  comment  s'est  formé  le 
canon  du  Nouveau  Testament?  quel  est  le  caractère  positif  de  ces  pre- 
miers documents  sacrés?  Strauss  ne  donnait  aucune  réponse;  il  n'a- 
vait sérieusement  résolu  aucun  problème.  Baur  a  repris  l'œuvre  et 
Fa  accomplie  avec  de  tout  autres  ressources  et  de  bien  plus  sérieux 
mérites.  Bien  n'a  autant  fait  vieillir  la  célèbre  Vie  de  Jésus  de  Strauss 
que  les  recherches  historiques  de  Baur.  Personne  ne  l'a  mieux  réfutée 
parce  que  personne  n'en  a  mieux  révélé  l'étroitesse  et  l'insuftisance. 
En  vain  Strauss,  trente  ans  plus  tard,  a-t-il  essayé  de  rafraîchir  et  de 
rajeunir  son  système  dépassé  et  vaincu  en  rédigeant  une  nouvelle  vie 
de  Jésus  ;  en  vain  a-t-il  tenté  de  marier,  malgré  leur  incompatibilité  de 
nature,  son  explication  mythique  avec  la  critique  historique  ;  sa  Vie 
de  Jésus  à]  l'usage  du  peuple  allemand  n'en  a  pas  moins  fait  l'effet  d'un 
anachronisme.  Dans  la  critique  de  Strauss  sont  la  raison  historique  et  la 
justification  de  celle  de  Baur. 

II.  On  a  vu  que  le  nouveau  professeur  deTubingue  était  chargé  d'en- 
seigner l'histoire  de  l'Eglise  et  celle  du  dogme.  Il  a  transformé  ces 
deux  sciences  théologiques  en  y  apportant  une  conception  et  une 
méthode  nouvelles.  II  y  régnait  jusqu'à  lui  une  véritable  confusion. 
Pour  Gieseler,  elles  n'étaient  guère  qu'une  série  de  documents  juxta- 
posés ;  pour  Néander,  elles  se  résolvaient  en  une  suite  d'études  psycho- 
logiques très-fines  où  revivaient,  mais  sans  lien  entre  elles,. les  grandes 
individualités  de  chaque  époque.  Baur,  ici  comme  ailleurs,  s'appliqua  à 
rétablir  la  continuité  du  développement  et  à  expliquer  logiquement  la 
succession  des  époques  et  des  formes  historiques  traversées  par  le 
christianisme  (Die  Epochen  der  kirchlichen  Geschichtschreibung ,  1852). 
Conformément  au  point  de  vue  hégélien,  ce  qui  dans  l'histoire  inté- 
resse Baur,  ce  ne  sont  ni  les  faits  ni  les  hommes,  mais  Vidée.  Il 
montre  un  véritable  génie  à  saisir  le  principe  d'un  système,  le  ca- 
ractère dominant  d'une  époque  et  à  les  exprimer  dans  une  formule 
qui  ensuite  explique  tout  le  reste.  Par  contre,  YHistaire  de  l'Eglise 
qu'il  nous  a  laissée  a  quelque  chose  d'abstrait  et  de  monotone  ;  la  vie 
réelle,  les  passions  concrètes,  l'action  des  grandes  personnalités  dispa- 
raissent et  sont  sacrifiées  à  la  dialectique  hégélienne  de  l'idée  généra- 
trice. C'est,  comme  on  l'a  dit,  une  histoire  docète,  c'est-à-dire  une  lus- 


BAUfi  121 

toire  OÙ  les  individus  et  les  événements  extérieurs  ne  sont  qu€  des 
apparences  éphémères  sans  autre  valeur  que  celle  qu'ils  reçoivent  de 
L'idée  dont  ils  sont  les  organes  ou  l'expression .  «  Il  nous  est  bien  indif- 
férent, dira-t-il,  qu'un  individu  s'appelle  Athanase,  un  autre  Arius,  un 
troisième  ("vrille.  Tous  les  personnages  historiques  ne  sont  pour  nous 
que  des  noms.  »  Ainsi,  eliez  Baur,  la  philosophie  dévore  l'histoire,  l'abs- 
traction dissout  la  réalité.  Mais  on  doit  reconnaître  qu'il  a  singulièrement 
précisé  la  notion  même  de  l'histoire  de  l'Eglise  chrétienne,  avant  lui  si 
flottante  et  si  vague.  Il  s'élève  avec  une  grande  force  contre  les  histo- 
riens, ses  prédécesseurs,  qui  prenaient  leurs  points   de  division  non 
dans  les  développements  de  l'Eglise  elle-même,  mais  dans  des  événe- 
ments de  l'histoire  générale  qui  lui  sont  plus  ou   moins  étrangers, 
comme  l'avènement  de  Constantin,  l'empire  de  Charlemagne,  la  paix 
de  Westphalie,  etc.,  etc.  L'histoire  de  l'Eglise  chrétienne,  à  ses  yeux, 
c'est  l'histoire  de  l'idée  même  de  l'Eglise.  Cette  idée  a  un  mouvement 
dialectique   nécessaire;   c'est    de   ce   mouvement  intérieur  que  doi- 
vent se  déduire  toutes  les  divisions.  A  ce  point  de  vue,  deux  grandes 
périodes   se   détachent   immédiatement   :    l'idée  chrétienne   cherche 
d'abord  à  se  réaliser  dans  les  faits,  dans  une  objectivité  adéquate  à 
l'idée  elle-même.  Cette  première  période  est  celle  du  catholicisme,  où  se 
distinguent  trois  moments,  ceux  de  sa  formation,  de  son  triomphe  etde 
sa  dissolution.  A  cette  période  objective  succède,  non  moins  fatalement, 
h  ne  période  subjective  qui  est  celle  du  protestantisme.  L'esprit  chrétien, 
se   dégageant  des  faits   extérieurs,  du  matérialisme  où  il  cherchait 
d'abord  son  expression,  rentre  en  lui-même,  se  retrouve  dans  la  con- 
science de  son  union   directe  avec  Dieu   et  commence  un   nouveau 
développement  dont  les  phases  logiques  correspondront  à  celles  du 
développement  catholique.  Dès  lors  il  ne  faut  parler  ni  de  chute  dans 
l'Eglise,  ni  de  relèvement,  ni  de  corruption,  ni  de  réformation.  Catho- 
licisme et  protestantisme  ne  sont  pas  la  vérité  absolue.  L'un  et  l'autre  ont 
eu  leur  raison  d'être  ;  ce  sont  les  deux  phases  nécessaires  et  légitimes 
du  développement  régulier  de  l'idée  chrétienne.  Vous  reconnaissez  ici 
l'optimisme  philosophique  que  Hegel  avait  appliqué  à  l'histoire  géné- 
rale de  l'humanité.  C'est  le   même   point  de  vue  et  la   même   mé- 
thode. Chaque  forme  historique,  chaque  époque  et  chaque   système 
trouvent  de  cette  manière  et  tour  à  tour  leur  justification  relative, 
car  ils  ont  été  les  phases  logiques  et  les  expressions  légitimes  à  un 
moment    donné   de   l'idée   générale;  mais  aussi,  leur   condamnation 
irrémissible,  puisque  cette  même  idée,  dans  son  développement  que 
rien  n'arrête,  les  a  déjà  dépassés  et  laissés  derrière  elle  sur  la  route 
de  L'histoire  comme  des  formes  aujourd'hui  vides  et  flétries.  C'est 
dans  la  vif  chrétienne  intime,  dans  le  sentiment  même  de  piété  que 
.Vander  avait  trouvé  l'âme  intérieure  de  l'Eglise,  la  source  cachée  de 
son  développement,  de  ses  œuvres  et  de  ses  idées.  Nature  intellectuelle 
et  sans  élément  mystique,  Baur  a  vu  cette  âme  dans  le  dogme  et  la 
nécessité  logique  de  son  développement.  Aussi  est-ce  dans  l'histoire 
du  dogme  que  sa  méthode  est  à  l'aise  et  triomphe.  Si  Néander  a  excellé 
dans  l'étude  biographique  des  grands  hommes  de  l'Eglise,  Baur  a  créé 


122  BAUR 

la  monographie  dogmatique.  Nous  rencontrons  dans  ce  genre  une  série 
de  travaux  qui  sont  des  chefs-d'œuvre  d'exposition  claire  et  logique 
{B.tr  Manichseismus,  1831  ;  Die  Gnosis,  183o;  Der  Gegematz  des  Gatko- 
iteismw  und  des  Protestantismns  gegen  Mœhlers  Sytnbàlik,  1836;  Die 
Lehre  der  Versœhnung,  1838  ;  Die  Lehre  der  Dreieinigkeit  and  Memchir^r- 
dung  Gottes,  1841-43  ;  Lehrbuch  der  christllchen  Dogmmgeschiehte,  1847 
et  1858). 

III.  Nous  avons  caractérisé  tout  d'abord  ces  grands  travaux  histo- 
riques de  Baur,  parce  qu'en  réalité,  malgré  la  date  de  la  publication 
de  quelques-uns  d'entre  eux,  ils  ont  précédé  ses  études  critiques  sur  le 
canon  du  Nouveau  Testament  et  donnent  le  vrai  point  de  vue  sous 
lequel  ces  dernières  doivent  être  considérées.  C'est  par  l'histoire  de 
l'Eglise  et  en  la  remontant  jusqu'à  ses  origines,  que  Baur  a  rencontré 
et  abordé  la  critique  des  premiers  documents  du  christianisme.  Le 
catholicisme  du  troisième  siècle  lui  était  apparu  comme  le  résultat  d'une 
vaste  synthèse,  d'une  conciliation  entre  les  tendances  hostiles  de 
rage  précédent.  Il  avait  trouvé  la  lutte  du  judéo-christianisme  et  du 
gnosticisme  vivement  accusée  dans  un  document  très-curieux  du  second 
siècle,  dans  le  roman  des  Homélies  Clémentines,  où  T'un  est  représenté 
sous  la  figure  de  Pierre  et  l'autre  sous  celle  de  Paul.  Ce  livre  fut  vrai- 
ment pour  l'esprit  de  Baur  le  signal  révélateur.  Il  rencontrait  cette 
même  opposition  plus  ou  moins  violente  dans  un  grand  nombre  d'écrits 
de  la  même  époque.  Une  antithèse,  si  générale  au  second  siècle,  devait 
remonter  plus  haut  et  avoir  ses  racines  dans  le  premier.  C'est  avec  ce 
pressentiment  historique  qu'il  aborda  l'étude  des  écrits  du  Nouveau 
Testament  et  tout  d'abord  des  épîtres  de  saint  Paul.  Une  dissertation 
sur  le  parti  du  Christ  dans  l'Eglise  de  Corinthe,  qui  remonte  à  1831 
(Die  Christuspartei  zu  Corinth.  Tùbinger  Zeitschrift,  1831)  fut  le  point 
de  départ  de  ses  recherches  critiques.  Il  y  montrait  que  ce  parti  du 
Christ  (1  Cor.I,  12)  était  un  parti  ultra-judaïsant,  qui  ne  voulait  recon- 
naître d'autres  apôtres  que  ceux  qui  avaient  vécu  avec  Jésus  et  avaient 
été  choisis  par  lui,  et  qui  niait  l'autorité  apostolique  de  Paul,  précisé- 
ment parce  que  ce  dernier  n'avait  pas  connu  le  Christ.  Puis,  identi- 
fiant ce  parti  avec  celui  de  Pierre,  Baur  montrait  le  même  conflit  au  sein 
de  la  primitive  Eglise  tout  entière  et  jusqu'au  milieu  du  cercle  aposto- 
lique entre  les  apôtres  de  la  tradition  historique  et  l'apôtre  de  l'inspi- 
ration subjective  et  de  la  liberté.  Une  fois  sur  cette  piste,  il  la  suit  avec 
une  infatigable  persévérance.  Appliquant  le  même  principe  àj'épitre 
aux  Romains,  il  découvre,  sous  les  apparences  d'un  traité  dogmatique, 
un  plaidoyer  vigoureux  contre  le  judéo-christianisme  de  l'Eglise  de 
Rome,  qui  fut  dès  l'origine  et  resta  judéo-chrétienne  jusqu'à  la  fin  du 
second  siècle,  témoin  le  Pasteur  d'Hermas  et  les  Homélies  Clémentines. 
Tandis  qu'auparavant  on  regardait  les  huit  premiers  chapitres  de  cette 
lettre  de  Paul  comme  la  partie  centrale  et  essentielle,  et  les  trois  cha- 
pitres suivants  sur  les  destinées  contraires  d'Israël  et  des  Gentils 
comme  un  appendice,  Baur  renversa  cet  ordre,  fit  de  ces  trois  derniers 
chapitres  la  partie  capitale,  et  des  huit  premiers  une  introduction  des- 
tinée à  la  préparer  et  à  la  justifier  {Tùbinger  Zeitschrift,  1836,  Heft  3; 


BAUR  123 

Paulus  der  ApostelJ.-C,  p.  332,  Inédit.,  L845).  A.yan1  réussi  à  expli- 
quer, par  K'  l'ait  de  cet  antagonisme  des  partis,  L'épitre  aux  Romains, 
Baur  triomphait  sans  peine  dans  L'épitre  aux  Galates,  où  il  mettait  à 
nu,  par  mi  pénétranl  commentaire  des  conférences  de  Jérusalem  entre 

Paul  et  les  anciens  apôtres  «  colonnes  de  l'Eglise,  »  la  cause  el  les 
premiers  germes  de  ce  conflit  que  nous  avons  vu  troubler  les  Eglises 
de  Galatie,  de  Corinthe  et  de  Rome.  Ainsi  bien  appuyée,  cette  cri- 
tique, que  Ton  a  appelée  la  critique  de  tendance,  parce  qu'elle  re- 
cherche avant  tout  dans  chaque  écrit  la  tendance  dogmatique  qui  Ta 
inspiré,  devait,  aux.  yeux  de  Baur,  résoudre  tous  les  problèmes  de  la  for- 
mation du  canon  du  Nouveau  Testament.  Au  commencement,  nous 
n'avons,  d'un  côté,  que  ces  quatre  grandes  lettres  de  Paul  qui  nient  si 
radicalement  le  judaïsme,  et,  de  l'autre,  Y  Apocalypse  qui  anathématise 
non  moins  violemment  Paul  et  ses  partisans  comme  des  disciples  de 
Balaam,  le  taux  prophète,  livre  dont  Baur  maintenait  énergiquement 
L'authenticité.  Mais  suivant  les  règles  de  la  logique  hégélienne  qui 
domine  toute  cette  critique  et  parfois  même  lui  dicte  ses  conclusions, 
ce  conflit,  violent  au  début,  devait  progressivement  s'atténuer.  Les 
deux  idées  en  antithèse  devaient  tendre  à  une  conciliation  progressive. 
Paulinisme  et  judéo-christianisme  allaient  se  rapprocher,  se  fondre 
et  disparaître  dans  la  dogmatique  catholique  de  la  fin  du  second 
siècle.  Les  autres  écrits  du  Nouveau  Testament  échelonnés  sur  cette 
Longue  route  représentent  les  diverses  étapes  de  ce  progrès  :  ainsi 
Les  Actes  des  Apôtres,  qui  par  leur  caractère  irénique,  leur  souci  de 
faire  disparaître  tous  les  conflits  et  de  tenir  la  balance  égale  entre 
Pierre  et  Paul,  sont  déjà  tout  catholiques  d'esprit  et  de  tendance,  ne 
peuvent  appartenir  qu'à  ce  second  âge  {Der  Ursprung  des  Epùcopats, 
Tûb.  Zeitsekrift,  1838,  Heft  3;  Paulus  der  Apostei,  p.  15).  Les  trois 
épitres  pastorales  où  la  doctrine  de  Paul  paraît  si  émoussée  et  si 
refroidie,  et  qui  combattent  la  gnose  marcionite,  ne  peuvent  être  non 
plus  authentiques  (Die  sogenannten  Pastoralbriefe,  1835).  Il  en  faut 
dire  autant  des  épîtres  aux  Thessaloniciens,  aux  Ephésiens,  aux  Co- 
lossiens,  qui  sont  condamnées  comme  n'étant  pas  assez  pauliniennes, 
tandis  que  l'épître  de  Pierre  et  celle  de  Jacques  sont  également  rejetées 
parce  qu'elles  le  sont  beaucoup  trop.  Malgré  toutes  ces  négations,  Baur 
protestait  vivement  quand  on  appelait  sa  critique,  une  critique  des- 
tructive. Elle  était  au  contraire,  à  ses  yeux,  la  seule  positive,  puisque 
seule  'Ile  remettait  chaque  chose  à  sa  vraie  place  et  sous  son  vrai  jour. 
En  contestant  l'authenticité  des  écrits,  elle  en  faisait  ressortir  la  véri- 
table valeur  et  la  signification  historique.  Les  pierres  qu'il  arrachait  à 
l'édifice  ruineux  du  canon  du  Nouveau  Testament,  il  comptait  bien  les 
utiliser  et  les  faire  rentrer  comme  parties  essentielles  dans  une  con- 
struction historique  nouvelle  embrassant  l'histoire  des  deux  premiers 
siècles  de  L'Eglise.  De  même  que  Baur  dans  ses  investigations  avait  re- 
monté du  second  siècle  au  premier,  de  même  il  remonte  maintenant 
des  épitres  à  l'histoire  évangélique.  C'est  sur  la  question  des  Evan- 
giles «pi»'  sa  critique  entre  en  conflit  ouvert  avec  celle  de  Strauss.  Où 
ce  dernier  voyait   1rs  créations  spontanées  d'une  mythologie  popu- 


124  BAUK 

laire,  Baur  montre  les  produits  réfléchis,  raisonnes  de  tendances  dog- 
matiques parfaitement  conscientes  d'elles-ntémes.  Il  est  caractéristique 
pour  sa  méthode  régressive,  déjà  plusieurs  fois  signalée,  de  le  voir 
aborder  la  littérature  évangélique  par  la  crifique  de  l'évangile  de  Jean, 
le  dernier  en  date.  Mais  aussi  ce  point  de  départ  était  fort  heureuse- 
ment choisi.  Dans  aucun  autre,  la  réflexion  théologique  n'a  une  aussi 
grande  part.  Il  était  relativement  facile  à  un  esprit  d'une  si  pénétrante 
logique,  démontrer  que  toutes  les  différences  relevées  par  Strauss  entre 
cette  dernière  relation  de  la  vie  de  Jésus  et  les  relations  synoptiques, 
tiennent  à  la  conception  dogmatique  inscrite  au  frontispice  môme  de 
l'évangile,  et  que  l'histoire  de  Jésus  qui  y  est  racontée  n'est  que  l'en- 
veloppe transparente  et  la  déduction  logique  de  l'idée  mère  du  Logos 
incarné.  En  même  temps  cet  écrit,  où  toutes  les  contradictions  antérieures 
sont  effacées  dans  une  synthèse  définitive,  apparaît  comme  l'admirable 
couronnement  de  l'œuvre  apostolique,  comme  la  conclusion  du  déve- 
loppement théologique  du  premier  et  du  second  siècle,  la  fusion  du 
gnosticisme  et  du  montanisme  dans  un  catholicisme  qui  apparaît  pour 
la  première  fois  tout  formé  et  complet  dans  l'histoire,  vers  l'an  170. 
Passant  de  l'évangile  de  Jean  aux  Synoptiques,  Baur  retrouvait,  entre 
l'évangile  de  Luc  et  celui  de  Matthieu,  le  conflit  dogmatique  qu'il 
avait  relevé  entre  Paul  et  Pierre.  Seulement,  pour  rendre  l'antithèse 
plus  saillante,  il  les  ramenait  l'un  et  l'autre  à  deux  types  plus  purs  : 
l'évangile  canonique  de  Luc  à  un  écrit  primitif  que  possédait  Mar- 
cion  et  dont  le  nôtre  n'était  qu'une  altération  faite  dans  une  inten- 
tion pacifique,  et  l'évangile  de  Matthieu  à  l'évangile  des  Hébreux, 
remanié  dans  le  même  sens.  Enfin  l'évangile  de  Marc  arrivait  comme 
une  simple  abréviation  des  deux  autres  faite  également  pour  les  be- 
soins de  la  paix  avec  le  caractère  d'une  neutralité  dogmatique  parfaite 
(Kritische  Ùntersuchungen  ùber  die  canonhchen  Evangeh'en,  1847). 

IV.  C'est  par  ce  point  que  la  critique  à  son  tour  entrera  dans  l'œuvre 
de  Baur  pour  en  réviser  les  conclusions  trop  hâtives.  Mais,  en  attendant, 
on  comprend  quelle  impression  renseignement  d'un  tel  maitre,  déve- 
loppant des  idées  si  originales  et  ouvrant  sur  les  origines  du  chris- 
tianisme de  si  larges  et  si  neuves  perspectives,  devait  produire  sur  une 
jeunesse  studieuse  et  ardente.  Il  vit  bientôt  l'élite  de  ses  élèves  se 
grouper  autour  de  lui,  obéir  à  son  impulsion  puissante  et  combattre  à 
ses  côtés  pour  la  même  cause.  La  fondation  de  cette  nouvelle  école  de 
Tubingue  dont  Baur  fut  le  chef,  peut  être  fixée  à  l'année  1842,  c'est-à- 
dire  au  moment  où  furent  créés  les  Theologische  Jahrbûcher ,  revue  spé- 
ciale qui  lui  servit  d'organe.  Cette  revue  théologique,  dirigée  par  Baur 
et  Zeller,  a  vécu  jusqu'en  1857,  et  l'on  peut  dire  qu'à  la  durée  du  journal 
correspond  assez  bien  la  durée  même  de  l'école.  C'est  dans  ce  recueil 
qu'on  trouvera  les  précieuses  archives  de  son  histoire  intérieure,  depuis 
l'enthousiasme  qui  marqua  les  premiers  temps  de  sa  naissance  jus- 
qu'aux dissensions  intestines  qui  amenèrent  sa  prompte  dissolution. 
Dès  cette  époque,  à  Baur  se  rattache  une  élite  de  travailleurs  et  d'esprits 
distingués  qui  sont  devenus  après  lui  les  principaux  représentants  de 
la  théologie  allemande.  MM.  Ed.  Zeller  et  A.  Schwegler  forment  d'à- 


BAUtt  125 

bord  le  cercle  le  plus  intime  et  le  plus  fidèle;  sur  une  seconde  ligne, 
nous  trouvons  MM.  Planek,  Kœsllin,  Ritschl,  qui  ne  tarderont  guère  à 
s'écarter  davantage  ;  un  peu  plus  tard  arrivent  MM.  Hilgenfeld,  Volkmar, 
Tobler,  Keim,  Holsten,  etc.,  qui  modifieront  plus  ou  moins  gravement 

les  conclusions  du  maître  et  feront  entrer  la  critique  biblique  dans  des 
voies  nouvelles.  Les  premières  recherches  de  Baur  avaient  eu  surtout 
«les  résultats  négatifs;  elles  avaient  délié  la  gerbe  sacrée.  Mais  le  moment 
était  venu  de  reconstruire  positivement  cette  histoire.  La  tâche  était 
plus  délicate  et  plus  difficile,  et  c'est  des  tentatives  mêmes  qu'on  allait 
faire  pour  la  remplir  que  devaient  surgir  les  premières  dissensions 
entre  les  membres  de  l'école.  Unanimes  dans  la  négation,  ces  esprits 
d'origine  diverse  allaient  se  diviser  dans  l'affirmation.  Dominés  par  le 
principe  de  la  nouvelle  critique  et  impatients  d'en  dérouler  les  consé- 
quences, les  disciples  allèrent  plus  vite  que  le  maitre  et  le  devancèrent 
dans  ce  grand  travail  de  reconstruction  historique.  Ed.  Zeller,  dans  des 
articles  datés  de  l'année  1844  (Jahrbûcher  de?'  Gegenwart),  et  A.  Sehwe- 
gler  par  un  ouvrage  plus  seientiiique  et  plus  profond  (Bas  nach- 
apostoUscke  Zeitalter,  1846)  ouvrirent  la  voie.  Ce  dernier  eut  surtout  le 
mérite  de  bien  préciser  le  problème  à  résoudre  :  Comment,  par  le  con- 
flit des  principes  contraires  du  paulinisme  et  de  l'ébionitisme  et  leur 
conciliation  progressive,  s;est  formée  l'Eglise  catholique  de  la  fin  du 
second  siècle,  et,  dans  ce  développement,  quelle  est  la  place  historique 
qui  revient  aux  écrits  canoniques  du  Nouveau  Testament  et  à  la  litté- 
rature chrétienne  du  second  siècle?  Chose  étrange,  dans  cette  histoire 
des  origines  du  christianisme,  A.  Schwegler  négligeait  totalement  ren- 
seignement et  la  personne  du  Christ,  comme  choses  à  peu  près  indiffé- 
rentes, et  il  montrait  la  foi  catholique  sortant,  sous  la  sollicitation  de  la 
penséede  saint  Paul,  de  l'ébionitisme  juif  des  premiers  apôtres.  Schwegler 
représentait  ce  qu'on  pourrait  appeler  la  gauche  de  la  nouvelle  école; 
une  droite  y  apparut  immédiatement  avec  Planek,  Kœstlin  et  surtout 
Ritschl,  qui  s'efforcèrent  de  rendre  à  l'enseignement  du  Christ  sa 
véritable  valeur  et  au  rôle  de  Paul  son  vrai  caractère.  Pour  eux  au 
contraire,  le  principe  du  christianisme  se  trouvait  d'abord  dans 
renseignement  du  Christ,  et  ensuite  dans  celui  de  Paul,  en  face 
desquels  le  judéo-christianisme  des  premiers  apôtres  n'était  qu'une 
conception  étroite  et  inférieure  destinée  à  disparaître.  On  peut  dire 
que  la  guerre  civile  était  dans  l'école  et  sa  dissolution  apparaissait 
prochaine  vers  1851  ou  I8o2,  quand  le  maitre  essaya  de  les  conjurer 
lune  et  l'autre  en  venant  à  son  tour,  dans  un  ouvrage  d'ensemble, 
donner  la  vraie  solution  du  problème.  Ce  fut  le  premier  volume  de  son 
Histoire  de  t'h'f/lisc,  le  chef-d'œuvre  de  son  génie  littéraire  et  le  cou- 
ronnement simple  et  majestueux  de  son  laborieux  édifice  (Dus  Chris- 
tenthum  und  die  christliche  Kirche  der  drei  ersten  Jahrhunderten,  Ve  édit., 
L853,  2e  édit.,  L860).  Ce  livre  magistral  a  singulièrement  fait  pâlir  et 
rejeté  dans  l'ombre  les  essais  antérieurs  et  incomplets  de  ses  meilleurs 
disciples.  Il  reste  l«'  vrai  monument  de  sa  vie  entière  et  de  son  école. 
C'est  là  qu'il  faudra  toujours  aller  chercher,  avec  L'ensemble  et  les 
grandes  lignes  de  sou  système  historique,  le  dernier  mot  de  sa  pensée 


126  BAUR 

et  l'explication  rationnelle  du  christianisme  qu'elle  poursuivait  dès  le 
commencement.  Baur,  en  effet,  semblait  s'être  donné  pour  tâche  spé- 
ciale de  faire  rentrer  le  christianisme  dans  le  grand  courant  de  l'histoire 
générale  de  l'esprit  humain  et  de  résoudre  dans  ses  éléments  histori- 
ques et  naturels  le  miracle  de  son  apparition.  Le  point  de  vue  hégélien 
auquel  il  s'était  placé  la  rendait  plus  facile.  L'essence  du  christianisme 
étant  à  ses  yeux,  îîon  dans  la  personne  de  Jésus-Christ,  mais  dans  une 
idée  abstraite,  il  définissait  cette  idée,  le  sentiment  de  l'union  de  l'homme 
avec  Dieu,  on  bien,  en  traduisant  ceci  en  langage  philosophique,  la 
conscience  que  l'esprit  humain  a  prise  en  Jésus  de  Nazareth  de  son 
identité  intime  avec  l'esprit  absolu.  Les  deux  éléments  constitutifs  de 
cette  idée  étaient,  à  ses  yeux,  la  moralité  humaine  ramenée  à  un  prin- 
cipe intérieur,  dégagée  de  tout  lien  extérieur  ou  matériel,  et  l'univer- 
salisme  qui  est  la  conséquence  de  la  spiritualisation  de  la  loi  morale. 
Ces  deux  éléments  sont  le  fond  même  du  discours  sur  la  montagne  et 
des  principales  paraboles  de  Jésus-Christ.  Mais  ils  existaient  avant  lui  ; 
d'un  côté,  nous  pouvons  en  suivre  l'élaboration  dans  la  philosophie 
grecque  issue  de  Socrate  ;  de  l'autre,  dans  le  développement  du  judaïsme 
à  Alexandrie  et  chez  les  esséniens.  Donc  l'idée  chrétienne  n'est  pas 
tombée  du  ciel  sur  la  terre  ;  elle  a  été  longuement  préparée  dans  les  siècles 
qui  ont  précédé  Jésus-Christ.  Dans  la  marche  de  cette  idée,  ce  dernier 
représente  un  moment  capital,  mais  relatif;  il  l'a  reprise,  l'a  vivifiée  en 
la  jetant  dans  le  moule  juif  du  messianisme,  et  sous  cette  forme  tempo- 
raire qui  devait  disparaître,  lui  a  frayé  la  voie  vers  la  conquête  réelle  du 
monde.  Mais  l'alliage  de  l'élément  universel  et  de  cet  élément  juif  et 
particulariste  devait  amener  pour  l'idée  chrétienne  de  nouvelles  évolu- 
tions. Les  deux  éléments  entrèrent  en  lutte,  représentés,  l'un  par  Paul 
et  ses  missions,  l'autre  par  les  Douze  et  l'ébionitisme.  Aucun  d'eux  ne 
triompha  complètement  ;  car  au  terme  de  la  lutte,  à  la  fin  du  second 
siècle,  nous  les  retrouvons  tous  les  deux  dans  la  notion  d'Eglise  catho- 
lique, où  l'adjectif  catholique  représente  bien  le  résultat  acquis  de  la 
doctrine  de  Paul,  mais  où  le  substantif  Eglise  est  de  couleur  et  de  con- 
tenu passablement  judéo-chrétien.  C'est  même  cet  élément  judéo-chré- 
tien qui  détermine  et  domine  le  développement  du  catholicisme,  par  le- 
quel l'idée  chrétienne  d'abord  cherche  à  se  réaliser  extérieurement  dans 
les  faits,  dans  la  constitution  de  la  hiérarchie,  dans  la  suprématie  du 
clergé  et  de  la  papauté,  dans  la  sujétion  des  nations  à  la  puissance 
ecclésiastique.  Cette  identification  de  l'idée  et  de  la  réalité  dure  jusqu'à 
la  lin  du  moyen  âge,  où  le  couflit  éclate  de  nouveau  dans  de  bien 
autres  proportions.  L'objectivité  catholique  se  dissout.  La  conscience 
chrétienne  rentre  en  elle-même,  et  une*  période  de  subjectivité  religieuse 
où  l'esprit  de  Paul  reparait  triomphant,  commence  avec  la  Réforme  et  a 
pour  terme  la  dissolution  de  la  dogmatique  chrétienne  proprement 
dite  dans  la  philosophie  générale  de  l'esprit  humain  (voy.  les  autres 
volumes  de  YEistoi?*e  de  V Eglise  de  Baur  publiés  après  sa  mort  :  Die 
cltristliche  Kirche  vom  4tew  bis  zum  &en  Jahrhundert,  1859;  id.  des 
Mittelalters,  1861;  id.  der  Neuern  Zeit,  1863;  id.  des  19fen  Jahrhun- 
deris,  1862).  Telles  sont  les  simples  et  grandes  lignes  de  ce  système 


BAUfi  127 

monumental.  Jamais  point  de  départ  plus  humble  ;  jamais  conclusion 
plus  large  et  plus  universelle.  Le  conflil  que  Baur  avait  découvert  et 
signalé  dans  la  première  Eglise  de  Corinthe  entre  quelques  obscurs 

partisans  de  Pierre  et  de  Paul,  s'est  étendu  non-seulement  à  l'âge  apos- 
tolique, mais  à  toute  l'histoire  de  l'Eglise  chrétienne;  il  a  fini  par 
l'enfermer  et  ^expliquer  tout  entière.       ' 

V.  Mais  il  en  est  des  systèmes  de  la  pensée  humaine  comme  des 
organismes  dans  la  nature.  Quand  la  plante  a  atteint  sa  pleine  crois- 
sance et  donné  son  fruit,  il  ne  lui  reste  plus  qu'à  mourir.  Le  grand 
ouvrage  de  Baur  sur  les  trois  premiers  siècles  de  l'Eglise  qui  devait 
prévenir  la  dissolution  de  son  école,  ne  lit  que  la  précipiter.  Ceux 
qui  s'étaient  le  mieux  pénétrés  de  la  pensée  du  maître  et  la  déve- 
loppaient avec  le  plus  de  conséquence,  comme  Zeller  et  Schwegler, 
n'avaient  plus  rien  à  dire  en  théologie,  puisque  celle-ci  s'évanouis- 
sait dans  le  courant  de  la  philosophie  générale.  Aussi  prennent-ils  le 
parti  de  se  consacrer  à  cette  dernière.  Après  sa  brillante  étude  sur 
l'origine  des  Actes  des  Apôtres  (Die  Apostelgeschichle  hritisch  unter- 
sucht,  1854),  Zeller  ne  s'occupe  plus  de  théologie  et  se  met  à  écrire 
une  histoire  de  la  philosophie  grecque  ;  Schwegler  se  tourne  du  côté  de 
L'histoire  romaine.  Les  autres  disciples  de  Baur  qui  poursuivent  leurs 
études  théologiques,  s'émancipent  de  plus  en  plus  et  travaillent  à  l'envi 
à  la  révision  de  la  critique  de  Baur  et  à  la  réfutation  de  son  système. 
Ritsehl,  qui  déjà  dans  la  première  édition  de  son  histoire  de  l'ancienne 
Eglise   catholique   (Die  Entstehung  der  altkatholischen  Kirche,   1850), 
avait  corrigé  les  prémisses  de  Baur  en  faisant  sentir  ce  qu'avaient  de 
vague  et  de  mal  défini  les  termes  de  paulinisme  et  de  judéo-christia- 
nisme, rompt  définitivement  ses  attaches  dans  la  seconde  édition  du 
même  ouvrage  (1857)  et  rentre  dans  les  anciens  sentiers.  Hilgenfeld  et 
Volkmar  s'échappent  par  une  autre   issue;  ils  arrachent  la  critique 
biblique  à  la  logique  hégélienne  qui  l'opprimait  chez   Baur  et  pré- 
conisent une  méthode  plus  littéraire  et  plus  historique.  S'ils  se  mon- 
trent plus   hardis  que  leur  maître  en  quelques  points,  ils  font   sur 
d'autres  des  rétractations  qui  ruinent  les  bases  critiques  du  système. 
Volkmar  démontre  la  priorité  de  l'évangile  de  Marc.  Hilgenfeld  restitue 
à  l'apôtre  Paul  la  première  épitre  aux  Thessaloniciens,  répitre  aux 
Philippiens  et  celle  à  Philémon.  En  même  temps  le  quatrième  évan- 
gile, dont  Baur  plaçait  la  composition  vers  l'an  170,  est  reculé  jusqu'aux 
premières  années  du  second  siècle,  et  les   Synoptiques  jusque  vers 
l'an   70  ou   80.    En    1857,   les    Theologische  Jahrbùcher  cessent  de 
paraître.  A  Tubingue  même,  sous  la  puissante  iniluence  d'un  nouveau 
professeur,  C.  Beck,  il  se  fait  une  grande  réaction  contre  l'intellectua- 
lisme  de  Baur,  et  ce  dernier  voit  la  solitude  se  faire  autour  de  lui, 
tandis  que  la  jeunesse  théologique  afflue  auprès  de  son  rival.  Aussi 
peut-on  duc  que,  lorsque  le  grand  professeur  mourut  en  1860,  son 
école  spéciale  acheva  de  mourir  avec  lui.  Dès  ce  moment,.  Baur  et  ses 
idées  ^Mit  entrés  dans  L'histoire,  et  celle-ci  peut  aujourd'hui  porter  un 
jugement  impartial  sur  son  œuvre  et  sur  son  génie.  Les  causes  de  cette 
ruine   du  système  de  Baur  ne  sont  plus  difficiles  à  apercevoir;  elles 


123  BAUR 

peuvent  se  réduire  à  trois.  La  première  est  dans  le  mouvement  philo- 
sophique qui  avait  déjà  emporté  les  principes  de  la  dialectique  de 
Hegel.  Gomme  toute  la  conception  historique  de  Baur  était  fondée  sur 
cette  dialectique,  elle  se  trouva  sans  fondements  le  jour  où  celle-ci 
vint  à  disparaître.  La  théologie  de  Baur  ne  pouvait  survivre  à  Fhégé- 
lianisme  auquel  elle  avait  attaché  ses  destinées.  L'histoire,  telle  que 
Hegel  et  Baur  l'avaient  comprise,  se  changeait  en  une  logique  creuse 
dont  le  mouvement,  sans  point  de  départ  et  sans  terme,  avait  quelque 
chose  de  monotone  et  de  fort  ennuyeux.  11  était  impossible  que 
les  esprits  £  fatigués  de  l'abstraction  ne  revinssent  pas  aux  faits 
concrets  et  ne  préférassent  pas  le  jeu  tragique  des  passions  réelles 
et  des  personnes  vivantes  aux  transformations  dialectiques  de  Vidée 
pure.  Cette  réaction  inévitable  devait  être  la  condamnation  du  système 
historique  de  Baur.  En  second  lieu,  dans  la  critique  elle-même  des 
livres  du  Nouveau  Testament,  les  conclusions  de  Baur,  malgré  l'im- 
mense érudition  qui  les  soutenait,  devaient  paraitre  suspectes  parce 
qu'elles  ne  paraissaient  pas  libres;  elles  avaient  le  tort  d'arriver 
plutôt  comme  les  déductions  nécessaires  d'une  logique  abstraite  que 
comme  les  résultats  d'impartiales  recherches;  on  ne  peut  nier,  en 
effet,  que  sur  certains  points  elles  n'aient  été  dictées  par  l'esprit  de 
système,  en  ce  qui  touche,  par  exemple,  l'ordre  de  succession  et  la 
caractéristique  des  évangiles  et  l'authenticité  de  quelques  épitres  de 
Paul;  aussi  est-ce  sur  ces  points  que  la  révision  a  porté  tout  d'abord; 
et,  comme  le  système  était  tout  d'une  pièce,  ces  rectifications  auraient 
suffi  pour  lui  être  mortelles.  Enfin,  et  c'est  peut-être  le  point  le  plus 
grave,  Baur  n'a  jamais  réussi  non-seulement  à  rendre  compte,  dans 
cette  histoire  des  origines  chrétiennes,  du  rôle  et  de  l'importance  de 
la  personne  de  Jésus-Christ,  mais  même  à  donner  sur  ce  sujet  quelque- 
affirmation  claire  et  précise.  Sa  pensée  est  restée  à  cet  endroit  tou- 
jours incertaine  et  équivoque.  A  son  point  de  vue,  la  personne  de 
Jésus  pouvait  et  devait  logiquement  être  négligée,  puisque  l'idée 
chrétienne  existait  avant  lui  et  hors  de  lui;  mais  en  même  temps  il 
sentait  d'instinct  qu'expliquer  sans  elle  la  naissance  du  christianisme, 
n'était  pas  historiquement  possible.  De  là,  des  efforts  sincères  mais 
impuissants  pour  rattacher  l'idée  chrétienne  à  cette  personne  et  déter- 
miner le  véritable  rôle  de  cette  dernière.  Quel  a  été  le  christianisme 
de  Jésus,  dans  quelle  mesure  a-t-il  influé  sur  la  doctrine  des  apôtres 
vernis  après  lui?  Telle  est  la  grande  et  fondamentale  question  que 
Baur  n'a  pas  méconnue,  mais  qu'il  n'a  pas  pu  résoudre.  Ses  hésitations 
sur  ce  point  ont  duré  jusqu'à  la  fin  de  sa  vie  ;  car  dans  le  dernier 
article  publié  par  lui  quelques  mois  avant  sa  mort  sur  la  notion  du  FiU 
de  l'homme  (Zeitschrift  fur  wissensch.  Théologie,  1860,  Heft  3),  nous 
retrouvons  sur  la  conscience  de  Jésus  et  la  valeur  religieuse  de  sa  per- 
sonne les  mêmes  pensées  vagues  et  contradictoires.  Renonçant  à 
découvrir  la  réalité  historique,  il  se  contente  de  répéter  ici  ce  qu'il 
disait,  dans  son  histoire  des  trois  premiers  siècles,  de  la  résurrection  du 
Sauveur  :  «  C'est  moins  le  fait  réel  et  objectif  que  la  foi  intérieure  des 
disciples  qui  a  été  la  cause  du  développement  historique  du  christia- 


BAVIi  120 

nisme.  »  Un  semblable  aveu  sur  un  toi  sujet  n'est  autre  chose  qu'une 
abdication.  Mais  en  constatant  la  chute  du  système,  il  ne  faut  pas 
oublier  les  services  pendus  à  la  cause  de  la  science  parmi  tel  homme  et 
une  telle  vie.  Si  l'école  spéciale  de  Baur  s'est  dissoute,  il  i'aut  dire  que, 
par  un  côté  ou  par  un  autre,  la  plupart  des  théologiens  venus  après  lui 
ont  profité  de  ses  travaux  et  subi  sou  influence.  Aucun  autre  savant 
n'a  labouré  si"  profondément  et  dans  toutes  les  directions  le  champ 
de  la  critique  sacrée:  aucun  autre,  depuis  Schleiermacher,  n'a  jeté  dans 
le  courant  public  plusd'aperçus  nouveaux  et  plus  de  pensées  fécondes; 
nul  n'a  plus  contribué  à  faire  revivre  pour  nous  le  siècle  apostolique 
avec  la  physionomie  originale  de  ses  héros,  ses  fécondes  agitations  et 
ses  perspectives  réelles.  Pour  pénétrer  dans  l'intime  structure  du 
quatrième  évangile,  ou  pour  bien  sentir  la  vive  originalité  de  saint  Paul 
et  la  puissante  logique  de  ses  grandes  lettres,  le  plus  court  chemin 
esl  encore  de  passer  par  les  écrits  de  Baur.  Le  système  a  pu  périr;  de 
tels  mérites  assurent  à  son  nom  une  gloire  durable.  —  Ouvrages  de 
Baur  :  Die  Symboliku.  Mythologie,  oder  die Naturrdigion  desAlterthums, 
3  vol.,  1824-1825;  Der  Alanichxismus,  1831;  Die  christliche  Gnosis  ode?' 
die  christliche  Religions  Philosophie,  1835;  Der  Gegensatz  des  Protestan- 
tisme u.  des  Catholicismus,  1836;  Die  Sogenannten  Pastoralbriefe,  1835; 
Das  Christliche  des  Platonismus,  ode?'  Socrates  und  Jésus,  eine  Religions- 
philosophische  Untersuchung ,  1837;  Der  Ursprung  des  Episcopats;  Die 
ignatianischen  Briefe,  1837;  Geschichte  der  Lehre  von  der  Versœhnung, 
1838  :  Geschichte  der  Lehre  von  der Dreieinigkeit  u.  Mcnschwerdung,  3  vol., 
1841-43/  Paulus,  der  ÂpostelJesu  Christi,  1845;  2e  édit.,avec  quelques 
modifications,  1807  ;  Kritische  Untersuchungen  ùberdie canonischen  Evan- 
gelien,  1817  (ces  deux  grands  ouvrages  avaient  été  préparés  par  une 
série  d'importantes  dissertations  insérées  dans  la  Tûbinger  Zeitschrift 
ou  dans  les  Theologische  Jahrbùcher  de  Zeller  sur  la  glossolalie,  1830; 
le  parti  de  Christ  à  Corinthe,  1831  ;  le  plan  de  l'épitre  aux  Romains,  1836  ; 
sur  l'évangile  de  Jean,  1844;  sur  l'évangile  de  Luc,  1846;  etc.);  Das 
Marcus  Evangelium,  1851  ;  Lehrbuch  der  Dogmen /eschichte,  1847;  Die 
Epochen  derhirchlichen  Geschichtschreibung ,  1852;  Das  Christenthum  und 
die  christliche  Kirche  der  3  ersten  Jahrhunderte,  1853;  ici.  vom  y  en  bis 
zum  §ten  Jahrhund.,  1859;  Apollonius  von  Tyana,  1852;  AnDT  K.Hase, 
Beantwortung  des  Sendschreibens  :  Die  Tûbinger  Schule,  1855  ;  Die  Tûbin- 
ger Scinde  und  ihre  Stellung  zurGegenwart,{&$$.  Les  volumes  suivants 
ont  été  publiés  après  la  mort  de  Baur  :  Die  christliche  Kirche  des  Mit  telalter  s, 
1861;  id.  der  neuern  Zeit,  1863;  id.  des  ï{)ten  Jahrhund.,  1862;  Vorle- 
sungen  ûber  dié  N.  T.  Théologie,  1864;  Vorlesungen  ûber  die  christliche 
Dogmengeschkhte,  2  vol.,  1865  et  66.  En  outre,  Baur  a  inséré  une  série 
très-longue  de  dissertations  dans  trois  recueils  théologiques:  d'abord  dans 
la  Tûbinger  Zeitschrift  jusqu'en  1842,  puis  dans  les  Theologische  Jahr- 
jusqu'en  1*57;  erifindans  la  Zeitschrift  fur  die  wissenschaftliche 
Théologie  de  .M.  Hilgenfeld,  où  il  faut  aller  les  chercher.  Sur  l'école  de 
Tubingue  on  peut  lire  lesécrits  deHase:  Die  Tûbinger  Schule,  1854;  de 
Ulhorn,  Die  Tûbinger  Schule,  185ÎJ  ;  de  Zeller,  Die  Tûbinger  historische 
Schule  (Histor.  Zeitschrift  von  S  y  bel,  1860-1861-1862)  ;  de  Ritschl,  Baur 
n.  9 


130  BAUR  —  BAUSSET 

und  die  Tûbingèr  Sc/wle,  dans  les  JahrMchèr  fur  deutè&k'ê  Tkeolrtgiéj 
1861  et  1862  ;  de  Schmidt,  Baurund  die  ncuere  Tûbingèr  Séhule,  dans  Her- 
zog,  Real-Encycl.,  t.  XXI;  Baur  et  les  origines  de  l'Ecole  de  Tubingue, 
par  Samuel  Berger,  Strasb.,  1867;  Histoire  des  idées  religteuslôs  ett  Alle- 
magne, par  E.  Lichtenberger,  t.  III,  Paris,  1873.  a.  Sabatier. 

BAUSSET  (Louis-François  de),  né  à  Pondichéry  en  1748,  mort  à  Paris 
en  1824.  D  abord  grand-vicaire  à  Aix,  puis  évoque  d'Alais  en  1784 
jusqu'en  1790,  année  où  cet  évéché  fut  supprimé;  incarcéré  sous  la 
Terreur;  créé  conseiller  titulaire  de  l'Université  en  1810;  admis  à 
l'Académie  en'  1816,  après  la  composition  de  ses  deux  ouvrages 
historiques,  et  nommé  cardinal  en  1817.  Il  est  connu  par  son  His- 
toire de  Fénelon  (1808,  4  vol.  in-8°)  et  son  Histoire  de  Bossuet 
(1814,  4  vol.).  Ces  deux  écrits,  auxquels  un  oratorien,  M.  Tabaraud, 
a  ajouté,  en  1822,  un  Supplément  empreint  de  jansénisme,  se  recom- 
mandent par  l'étendue  des  informations  sur  la  vie  et  les  ouvrages  de 
ces  deux  illustres  écrivains  ainsi  que  sur  les  choses  de  leur  temps,  et 
par  l'élégance  tout  académique  du  récit;  aussi  Sainte-Beuve  a-t-il  pu 
dire  «  que  de  Bausset  a  créé  chez  nous  la  biographie  vraiment  littéraire.  » 
L'auteur  a  eu  tous  les  manuscrits  sous  les  yeux.  En  outre  il  a  puisé, 
pour  Y  Histoire  de  Bossuet,  dans  les  Mémoires*et  le  Journal  manuscrits  du 
secrétaire  de  ce  dernier,  l'abbé  Ledieu  (édités  pour  la  première  fois 
par  l'abbé  Guettée,  1856),  mais  il  n'a  pris  que  ce  qui  pouvait  servir  à  la 
gloire  de  Bossuet,  laissant  de  côté  des  détails  moins  favorables.  La  note 
de  la  louange  règne  d'un  bout  à  l'autre  de  ces  deux  compositions  histo- 
riques, et  constitue  un  de  leurs  défauts.  D'ailleurs  la  critique  historique 
a  depuis  modifié  sur  plusieurs  points  le  récit  de  l'évèque  d'Alais  (voir 
entre  autres  ouvrages  :  Y  Intolérance  de  Fénelon,  par  0.  Douen  ;  les  Etudes 
sur  la  vie  de  Bossuet,  par  M.  Floquet,  et  les  Etudes  critiques  de  E.  Gandar). 
Ces  réserves  faites,  les  deux  Histoires  du  cardinal  de  Bausset  ont  des 
mérites  réels  ;  aussi  son  Histoire  de  Bossuet,  bien  que  fortement  empreinte 
de  gallicanisme,  figure-t-elle  en  tête  de  la  plus  récente  édition  des  œuvres 
de  Bossuet  publiée  par  une  société  d'ecclésiastiques  entièrement 
dévoués  aux  principes  de  l'ultramontanisme  (Bar-le-Duc,  1870). Le  car- 
dinal de  Bausset,  aie  juger  par  ces  ouvrages,  est  un  esprit  cultivé  et  mo- 
déré; plutôt  favorable  aux  jansénistes,  dont  il  n'approuve  pas  cependant 
la  sévérité  ni  ce  qu'il  appelle  leur  «  entêtement  »,  qu'aux  jésuites  dont 
l'ambition  et  les  principes  lui  déplaisent;  fermement  attaché  aux 
libertés  de  Y  Eglise  gallicane,  au  point  de  raconter  avec  une  sorte  de 
lyrisme  l'histoire  des  travaux  et  de  la  fameuse  Déclaration  de  l'as- 
semblée de  1682,  dont  il  dit  «  qu'elle  est  un  des  plus  beaux  titres  de  la 
gloire  de  Bossuet  et  de  l'Eglise  de  France,  »  à  quoi  les  ecclésiastiques 
de  l'édition  de  1870  ripostent,  en  note  :  «  Non  !  mille  fois  non  !  »  refu- 
sant, avec  Bossuet,  l'infaillibilité  au  pape,  pour  la  mettre  dans  les 
conciles;  opposé,  quant  aux  pratiques  du  culte,  à  toutes  les  nouveautés 
qui  n'ont  pas  pour  elles  la  tradition  ;  sévère  envers  l'horrible  massacre 
de  la  Saint-Barthélémy,  mais  ne  blâmant  point  la  Révocation  de  redit 
de  Nantes;  exposant  les  controverses  de  Bossuet  avec  les  ministres 
protestants  et  donnant  toujours  gain  de  cause  au  premier  sans  aperce- 


BAUSSET  —  BAUTAN  131 

voir  Les  points  faibles  de  son  argumentation;  en  résumé  esprit  plus 
élégant  que  profond;  historien  agréable  plutôt  que  solide  critique,  et 
dont  les  deux.  Histoires,  malgré  d'inévitables  imperfections,  méritent 
t'estime  dont  elles  jouissent.  j.bastide. 

BAUTAIN  iLouis),  né  à  Paris  en  1796,  mort  en  I867,nesedestinai1  pas 
d'abord  à  la  carrière  ecclésiastique.  Après  sa  sortie  de  l'Ecole  normale,  il 
professa  La  philosophie  au  collège  de  Strasbourg.  Passionné  pour  l'étude 
■t  voulant  tout  connaître,  il  fit  dans  la  faculté  de  cette  ville  des  études 
de  médecine,  obtint  le  titre  de  docteur,  qui  vint  ainsi  s'ajouter  à  celui 
de  docteur  es  lettres  qu'il  avait  déjà.  Disciple  et  ami  de  Cousin,  il  vit 
son  cours  suspendu  en  1823,  à  cause  des  vues  trop  libres  qu'il  y  pro- 
essait.  En  1828  une  conviction  intérieure  des  plus  sincères  le  poussa 
dans  l'Eglise  :  il  devint  prêtre.  Ce  changement  ne  s'accomplit  pas  sans 
réflexions  ni  hésitations.  Ecrivant  plus  de  trente  ans  après  à  un  jeune 
homme  qui  voulait  renoncer  à  une   position  brillante   pour  se  faire 
ecclésiastique,  il  lui  disait  :  «  J'ai  passé  par  cette  épreuve;  j'ai  quitté 
!e  monde  pour  entrer  dans  l'Eglise;  j'ai  ressenti  vos  aspirations,  vos 
inquiétudes,  vos  incertitudes,  surtout  à  l'approche  du  jour  solennel, 
et  quand  il  a  fallu  poser  par  un  acte  public  ce  qui  jusque-là  était  dans 
le  désir  et  dans  la  pensée.  »  Il  ajoutait  :  «  Grâces  au  ciel,  je  n'en  ai 
jamais  eu  de  regret;  au  contraire,  je  me  suis  senti  toujours  plus  lieu- 
vu  x.  de  m'être  donné  pleinement  au  service  de  Jésus-Christ  et  de  son 
Eglise,  même  au  milieu  des  contradictions  les  plus  dures  et  des  mé- 
comptes de  plusieurs  genres,  effets  des  circonstances  et  de  mon  inex- 
ence.  »  Nommé  professeur  au  grand-séminaire,  il  s'attira  les  cen- 
sures de  son  évêque  pour  avoir  dénoncé  la  méthode  scolastique  qui 
résidait  à  l'instruction  du  clergé  et  le  manque  de  culture  scientifique 
qui  en  était  le  résultat.  L'abbé  Bautain  eut  d'autres  démêlés  encore 
avec  l'autorité  supérieure  à  cause  des  articles  ((  à  tendance  hégélienne» 
qu'il  avait  insérés  dans  Y  Ami  de  la  religion.  Peu  soucieux  de  compro- 
mettre son  avenir,  Bautain. rétracta  ses  hérésies  (1837),  et  fut  nommé 
Tannée  suivante  professeur  de  philosophie  et  doyen  de  la  faculté  des 
Lettres  de  Strasbourg.  Les  vues  exposées  dans  ses  cours  et  dans  ses 
livres  sont  un  mélange  des  idées  de  Kant,  de  Jacobi  et  de  saint  Au- 
gustin. Le  théologien  chez  lui  est  beaucoup  moins  hardi  et  moins  or?- 
.h. il  que  le  philosophe.  Ce  qui  caractérise  l'abbé  Bautain,  c'est  la 
sérénité  de  sa  foi  en  Christ,  entretenue  par  la  lecture  assidue  de  la 
Bible^  et  en  l'Eglise.  Il  ne  sépara  jamais  ces  deux  choses;  aussi  son 
obéissance  au  saint-siége  était-elle  entière,  absolue.  A  cet  égard  il  n'y 
■■ut  jamais  chez  lui  les  hésitations  et  les  doutes  qu'ont  connus  d'autres 
théologiens,  le  P.  Gratry,  par  exemple,  avec  lequel  il  avait  de  commun 
me  érudition  variée  et  très-étendue.  Il  n'hésite  pas  à  condamner  les 
principes  du  gallicanisme  et  à  «  soumettre  ses  écrits, pour  le  fond  et 
pour  ia  forme,  au  jugement  du  saint-siége,  dont  il  accepte  d'avance, 
dit-il,  les  décisions.  »  <hi  est  quelque  peu  étonné  de  cette  intrépidité 
d'obéissance  chez  un  esprit  si  éclairé.  Elle  découle  de  sa  notion  de 
orité   de  l'Eglise,  qu'il  veut  absolue,  et  qu'il  met  bien  au-dessus 
de  celle  d  •  l'Ecriture.  Son  argumentation  sur  ce  point  est  des  plus 


132  BAUTAN 

faibles.  11  se  borne  à  dire  «  qu'en  démontrant  la  vérité  de  la  révélation 
on  prouve  l'institution  divine  de  l'Eglise  qui  en  est  le  dépositaire  et  le 
héraut;  »  soit,  mais  comme  cette  révélation  est  contenue  dans  la  Bible, 
l'Eglise  ne  peut  tirer  son  autorité  que  de  la  conformité  de  son  ensei- 
gnement avec  celai  de  l'Ecriture  (l'abbé  Bautain  n'aurait  pas  accepté 
cette   conséquence),  à  moins  de  prétendre  que  le  Saint-Esprit  peut 
inspirer  à  l'Eglise  des  maximes  ou  des  lois  qui  ne  se  trouvent  pas 
dans  la  parole  de  Dieu,  ce  qui  est  ouvrir  la  porte  à  l'arbitraire.  Au 
reste  la  pensée  de  l'abbé  Bautain  n'est  pas  toujours  exacte.  Il  assimile 
constamment  le   protestantisme  avec  la  libre  pensée  ou  la  philoso- 
phie. «  Le  protestant,  dit-il,  veut  tout  apprécier  à  la  mesure  de  sa 
raison,  et  respecte  peu  les  choses  qui  la  dépassent.  »  Un  autre  trait 
du  caractère  de  l'abbé  Bautain  c'est  la  liberté  de  ses  jugements  sur 
les  hommes  et  les  choses  de  son  temps.  Il  a  le  don  de  l'observation, 
la  pénétration   du   moraliste.  Il  use  largement  de  son  droit  de  n'être 
pas  de  Tavis  de  tout  le    monde,  même  pour  les  affaires  de  l'Eglise. 
Aussi   il  n'approuve  pas  sans  réserve  les  grands  catéchismes  de  persé- 
vérance  en   usage  à  Paris  ;  il  blâme  avec  une  ironie  mordante  l'insti- 
tution   des    prédicateurs    ambulants    qui    promènent    pendant  les 
Carêmes  et  les  Avents  leurs  sermons  d'une  église  à  l'autre;  la  forme 
ordinaire  de  la  prédication,  qui  consiste  à  réciter  un  discours  écrit  et 
appris,  provoque  ses  critiques  les  plus  sévères;  ces  titres  même  d'ora- 
teur et  d'éloquence  de  la  chaire  le  mettent  en  veine  d'ironie  et  il  se 
plaint  que  cette  éloquence  «  ait  son  représentant  à  l'Académie  »,  ce  qui 
est  un  peu  jeter  la  pierre  dans  le  jardin  du  voisin,  c'est-à-dire  la  gloire 
de  Lacordaire  et  du  P.  Gratry.  Il  recommande,  comme  Fénelon,  l'im- 
provisation appuyée  sur  l'étude  et  la  prière,  aussi  a-t-il  intitulé  le  livre 
qu'il  a  consacré  à  ce  sujet  Etude  sur  Y  art  de  parler  en  public,  déparier, 
fait-il  remarquer  lui-même,  et  non  réciter.  En  politique  il  blâme  ceux 
qui   identifient  les  intérêts  de  l'autel  avec  ceux  du  trône,  et  déclare 
qu'on  peut  être  bon  chrétien  sous  tous  les. régimes.  Il  montre  que  le 
principe  de  la  légitimité,  ou  de  la  transmission  de  la  puissance  royale 
par  hérédité,  n'est  pas  le  fondement  unique  de  la  monarchie  ;  il  prend 
en  pitié  les   journaux  catholiques,  «  qui  ne  peuvent  pas  s'entendre,  » 
et  condamne  en  termes  vifs  la  tentative  de  quelques  prélats  de  noblesse 
de  créer  un  clergé  de  prêtres  sortis  de  grandes  maisons,  tentative  qui 
ramènerait  le  clergé  d'autrefois  formé  des  cadets  de  famille  ;  il   lui 
préfère  le  clergé  actuel,  sorti  des  rangs  du  peuple  «  et  qui  a  tant  de  peine 
à  vivre  qu'il  a  appris  à  vivre  de  peu  et  honnêtement.  »  Cette  liberté  de 
jugement  a  pu  lui  amener  quelques-uns  des  mécomptes  auxquels  il 
est  fait  allusion  plus  haut.  Elle  n'empêcha  pas  cependant  ses  mérites 
et  sa  piété  de  l'élever  à  de  hautes  dignités  dans  l'Eglise  ;  il  fut  tour  à 
tour  vicaire  général  de  Paris  et  de  Bordeaux,  professeur  de  théologie  à 
la  Sorbonne,  et  supérieur  de  la  maison  de  Juilly.  Sa  prédication,  «  so- 
lide et  pieuse,  »  disait  monseigneur  Darboy,  plutôt  que  brillante,  fut 
goûtée  des  esprits  sérieux.  Ses  nombreux  ouvrages  traitent  presque 
exclusivement  des  questions  de  philosophie  et  des  questions  de  morale 
ou  plutôt  de  vie  chrétienne.   Son  principe  philosophique  est  que  la 


IUUTAIN   -  BAVIÈRE  133 

raison  doit  accepter  les  Lumières  de  la  révélation,  an  lieu  de  les  re- 
pousser comme  Le  font  toutes  les  philosophies,  sans  en  excepter  Le 
spiritualisme.  Le  caractère  de  ses  ouvrages  de  morale  c'est  la  préoc- 
cupation constante  d'introduire  les  principes  du  christianisme  dans  tous 
les  états  et  tes  détails  de  la  vie.  principalement  de  la  vie  contemporaine, 
ce  « 1 11  i  leur  donne  un  grand  intérêt  d'actualité.  Ils  abondent  en  vues 
généralement  exactes  et  profondes;  on  y  regrette  quelquefois  un  peu 
de  banalité,  une  tendance  marquée  à  la  casuistique,  (les  répétitions 
fréquentes,  et  surtout  le  charme  d'un  grand  et  beau  style.  Celui  de 
l'abbé  Bautain,  quelquefois  vif  et  ému,  est  généralement  long  et  un 
peu  lourd.  La  pensée,  chez  lui,  est  bien  supérieure  à  la  forme  qu'elle 
revêt.  Sa  piété,  profondément  biblique,  mérite  tout  respect.  —  Voici 
ses  principaux  ouvrages  :  Psychologie  expérimentale,  1834,  2  vol.;  Phi- 
losophie morale,  1842,  2  vol.;  Philosophie  du  christianisme,  2  vol.;  La 
Religion  et  la  Liberté  considérées' dans  leurs  rapports,  1848;  La  Belle 
Saison  à  la  campagne,  1858;  La  Chrétienne  de  nos  jours,  1859';  La 
Conscience  ou  la  règle  des  actions  humaines,  1860;  Le  Chrétien  de  nos 
jours,  1861;  Méditations  sur  les  E pitres  et  les  Evangiles,  1863,  etc. 

J.  Bastide. 
BAVIÈRE  (Histoire  religieuse).  La  Bavière  a  été  en  Allemagne  le  plus 
ferme  soutien  de  l'Eglise  de  Rome.  Comme  son  théologien,  le  Dr  Jean 
Eck,  dans  les  conférences  et  les  colloques,  de  même,  dans  les  affaires 
politiques,  les  ducs  deBavièreont  été  les  champions  les  plus  ardents  de 
la  papauté.  Le  clergé,  et  surtout  le  clergé  régulier,  était  puissant  dans 
ce  pays,  où  il  possédait,  à  l'époque  de  la  Réforme,  de  grands  biens  : 
«  Si  tu  sors  de  Munich,  est-il  dit  dans  un  pamphlet  du  temps,  demande 
à  qui  appartiennent  ces  terres,  et  Ton  te  répondra  :  A  nos  gracieux 
.seigneurs  de  Degernsee,  de  Chiemsee,  de  Saunersee;  de  sorte  que  la 
moitié  de  la  terre  de  Bavière  appartient  aux  ecclésiastiques.  »  Cepen- 
dant la  Réforme  y  pénétra  très-tôt  et  s'y  propagea  rapidement;  beau- 
coup de  prêtres  s'y  rallièrent  et  les  Etats  mêmes  lui  furent  favorables. 
On  partageait  en  Bavière  les  antipathies  que  toute  l'Allemagne  éprou- 
vait pour  la  papauté  ;  les  ducs  eux-mêmes  étaient  mécontents  de  voir 
la  juridiction  ecclésiastique  empiéter  sans  cesse  sur  les  affaires  tempo- 
relles, de  sorte  que  le  duc  Guillaume,  qui  du  reste  n'était  pas  alors  ou 
très-bons  termes  avec  l'empereur,  ne  ht  d'abord  aucune  opposition 
sérieuse  aux  doctrines  nouvelles.  Mais  en  1521,  après  la  diète  de 
Worms,  où  Luther  fut  mis  au  ban  de  l'empire,  ces  dispositions  chan- 
gèrent. Eck  surtout  excita  le  duc  contre  les  protestants,  et  d'un  autre 
côté,  les  ordres  monastiques,  qui  craignaient  pour  leurs  possessions, 
Contribuèrent  de  leur  mieux  à  ranimer  le  zèle  religieux  du  prince. 
L'université  dlngolstadt  elle-même  finit  par  reconnaître  qu'elle  ne 
pourrait  se  défendre  de  la  contagion  sans  l'intervention  du  pouvoir. 
\a>  maîtres  l<'^  plus  fanatiques,  Jean  Eck,  François  Burkhardtet  George 
Hauer  s'efforcèrent  de  l'obtenir,  et  ils  furent  puissamment  secondés 
par  le  chancelier  Léonard  Eck,  un   de-  hommes  politiques  les  plus 

actifs  el    les  plus   influents  de  l'époque.    Les  ducs   rendirent  alors,   le 

mercredi  des  Cendres,  5  mars  1522,  une  ordonnance  portant  que,  sous 


134  BAVIERE 

les  peines  les  plus  sévères,  il  serait  défendu  à  tous  les  sujets  d'aban- 
donner la  foi  des  ancêtres  ;  tous  les  fonctionnaires  reçurent  l'ordre 
d'appréhender  au  corps  les  récalcitrants,  tant  ecclésiastiques  que  laï- 
ques, et  d'en  faire  rapport  aux  ducs  (Frètes  bam'sches  Religiommawhit . 
Mûnchen  am  Eschermittiche  angeender  Vassten).  Mais  malgré  toutes  les 
mesures  de  rigueur,  le  mouvement  religieux  ne  se  ralentit  point  ;  les 
évèques  eux-mêmes,  se  sentant  menacés  dans  leur  autonomie,  ne  prê- 
taient pas  au  pouvoir  séculier  tout  l'appui  désirable,  et  bien  souvent 
ils  renvoyaient  sans  aucune  condamnation  les  luthériens  arrêtés  par  \a> 
fonctionnaires  et  traduits  devant  leur  tribunal.  Les  ducs  chargèrent 
alors  (1523)  le  Dr  Eck  d'aller  à  Rome  pour  porter  plainte  contre  les 
évêques  auprès  du  pape  Adrien  VI  et  pour  demander  une  extension 
des  pouvoirs  ducaux  dans  les  actions  judiciaires  contre  les  hérétiques. 
Malgré  la  réclamation  que  les  évêques  bavarois  envoyèrent  à  Rome 
(déc.  1523),  Adrien  VI,  ne  pouvant  rien  refuser  au  plus  orthodoxe  des 
docteurs,  accorda,  par  une  bulle,  à  une  commission  ecclésiastique 
instituée  pour  cet  effet,  le  droit  de  dégrader  et  de  livrer  au  bras  sécu- 
lier, sans  le  concours  des  évêques,  tout  ecclésiastique  reconnu  cou- 
pable d'hérésie  ;  en  même  temps  il  concéda  aux  ducs  de  Bavière  la 
cinquième  partie  des  revenus  de  l'Eglise  (Seckendorf  semble  penser 
que  ce  fut  pour  cinq  ans  seulement),  parce  que  «  ils  se  sont  engagés  à 
prendre  les  armes  contre  les  perfides  ennemis  de  la  foi  orthodoxe  )).. 
Le  D1  Eck  n'a  donc  pas  seulement  été  un  adversaire  acharné  de  Luther; 
il  a  encore  exercé  en  Bavière  une  très-grande  influence  sur  l'Etat  aussi 
bien  que  sur  l'Eglise;  et,  en  y  constituant  une  autorité  indépen- 
dante de  l'épiscopat,  et  toute  entre  les  mains  du  pouvoir  séculier,  il  a 
fondé  l'alliance  entre  les  ducs,  l'université  d'Ingolstadt  et  la  papauté, 
alliance  qui  a  permis  d'arrêter  le  mouvement  national  en  Bavière.  Les 
luthériens  ressentirent  bientôt  les  effets  de  cette  alliance.  Dès  l'année 
1524,  Luther  écrivait  :  «  Dux  Bavarix  sxvit  ultra  modum  occidcndu. 
profliyando,  prosequendo  totis  viribus  Evarigelium;  »  et  le  30  octobre 
de  la  même  année  :  «  In  Bavaria  multum  régnât  crux  et  persêcutw 
verbt,  etium  non  palam  seminati,  ita  sxviunt  Mi  porci,  sed  sanguis  fusus 
suffocabit  eos.  »  On  rechercha  en  effet  les  luthériens  partout  où  l'on 
pouvait  les  découvrir.  Tous  les  chemins  furent  gardés  pour  sur- 
prendre ceux  qui  se  rendraient  aux  prédications  du  voisinage  ;  ceux 
qui  étaient  pris  durent  payer  de  fortes  amendes;  puis,  comme  on 
accusa  le  duc  de  sévir  par  intérêt,  on  leur  infligea  d'autres  peines.  A 
Landsberg  neuf  hommes  furent  condamnés  à  mourir  par  le  feu  (1526)  ; 
à  Munich,  vingt-neuf  autres,  à  mourir  par  l'eau.  C'est  alors  aussi  que 
périt  Léonard  Kaiser,  qui  était  venu  de  Wittemberg  à  Schœrding  (près 
de  Passau)  pour  voir  son  père  mourant  ;  dénoncé  par  le  prêtre  de  l'en- 
droit, il  fut  jeté  dans  les  prisons  de  Passau  et,  malgré  les  supplications 
de  l'électeur  de  Saxe  et  de  plusieurs  autres  princes,  il  dut  monter  sur 
le  bûcher.  Ses  dernières  paroles  furent  :  «  Jésus,  je  suis  à  toi,  donne- 
moi  le  salut  »  (Seckendorf,  C  omrnentarius  de  Luther anismo,  1.  II).  —  Mais 
la  puissance  des  ducs  de  Bavière  ne  s'étendait  pas  alors  sur  toute  la 
Bavière  actuelle,  dont  une  partie,  qui  n'a  été  jointe  à  ce  pays  que  dans 


BAVIÈRE  1S5 

aptre  siècle  seulement,  constituait  alors  des  villes  libres  ou  des  terri- 
toires indépendants;  là  la  Réforme  eut  son  histoire  à  part  et  elle  y  put 
souvent  se  développer  et  s'établir  librement.  A  Nuremberg  l'Evangile 
fut  prêché  par  Dominique  Sleupner,  André  Osiander,  Thomas  Venator, 
qui  adressèrent  au  conseil  de  la  ville  un  avis  (Bedenken)  sur  la  question 
religieuse, puis  par  les  prévôts  de  Saint-Sébald  et  de  Saint-Laurent,  George 
Bessler  et  Hector  Boshmer.  En  1534,  à  la  fête  de  Pâques,  au  moment 
même  où  la  diète  était  assemblée  à  Nuremberg,  quatre  mille  personnes 
y  reçurent  la  communion  sous  les  deux  espèces;  dans  ce  nombre  il  y 
avait  plusieurs  personnages  officiels  (des  lieichs  Personen)  et  la  sœur 
même  de  l'archiduc  Ferdinand,  Isabelle,  reine  de  Danemark.  Ferdinand 
fut  fort  effrayé  de  cette  démonstration  :  «  Je  ne  sais  trop,  dit-il,  com- 
ment tout  cela  finira.  »  Il  s'en  plaignit  au  conseil  de  la  ville;  celui-ci 
lui  répondit  avec  hardiesse  «  qu'il  ne  voulait  pas  consentir  plus  long- 
temps à  des  abus  antichrétiens,  mais  s'attacher  fidèlement  à  la  Parole 
de  Dieu.  »  Les  membres  les  plus  influents  du  conseil,  tels  que  Jérôme 
Ebner,  Christophe  Scheurl,  Jérôme  Baumgwrtner,  le  secrétaire  Lazare 
Spengler  et  autres,  étaient  déjà  gagnés  à  la  cause  de  l'Evangile.  Mais 
ce  qui  caractérise  l'établissement  de  la  Réforme  à  Nuremberg,  c'est  la 
prudente  lenteur  avec  laquelle  les  innovations  furent  introduites.  On 
administra  le  baptême  en'  langue  allemande,  mais  en  conservant  tout 
l'ancien  rituel.  On  abolit  sans  doute  les  prières  à  la  Vierge,  mais  on 
remplaça  Y  Ave  Maria  par  cette  formule  plus  évangélique  :  «  Je  te 
salue,  Jésus-Christ^  roi  de  grâce;  etc.  »  En  1529  Nuremberg  prit  part  à 
la  protestation  de  Spire  et  se  prononça,  au  colloque  de  Marbourg, 
contre  l'union  avec  les  zwingliens;  en  1530  elle  apposa  sa  signature  à 
la  confession  d'Augsbourg.  A  Nôrdlingen,  c'est  Billican  qui  établit  le 
culte  évangélique.  A  Augsbourg  le  papisme  fut  attaqué  dès  1521  par 
Jean  Frosch,  secondé  par  Etienne  Agricola,  Urbain  Regius,  et,  depuis 
1530,  par  le  théologien  sfrasbourgeois  Wolfgang  Musculus.  Luther  se 
plaignait  fort  des  tendances  zwingliennes  des  prédicateurs  d'Augsbourg. 
En  1534  le  conseil  de  la  ville  rendit  un  décret  portant  qu'on  cesserait 
a  l'avenir  de  célébrer  la  messe  dans  les  églises  et  chapelles  de  la  cité, 
sauf  !<•  dôme,  aussi  longtemps  qu'on  n'aurait  pas  prouvé  qu'elle  est 
conforme  aux  Ecritures.  Les  chanoines  et  les  prêtres  quittèrent  alors 
la  ville  et  furent  bientôt  suivis  par  les  religieuses  et  par  les  moines 
mendiants,  dont  on  ferma  le  couvent  (Seckendorf,  Commentarius,  1.  III). 
A  Ratisbonne,  où  l'influence  de  la  Bavière  avait  longtemps  empêché 
la  Réforme,  le  culte  évangélique  ne  fut  établi  qu'en  1542;  le  premier 
prédicateur  évangélique  fut  l'éloquent  Erasme  Zollner  [der  àeredte 
Pfaff).  L'Autriche  protégea  alors  la  ville  contre  la  Bavière  ;  le  14  octobre 
on  put  \  célébrer  la  communion  sous  les  deux  espèces,  et  l'on  acheva 
aussitôt  après  l'organisation  de  l'Eglise  évangélique.  Un  élève  de  l'école 
de  Wittemberg,  le  \v  Napp,  y  fut  le  premier  surintendant. Les  ducs  <!<• 
Bavière  durent  se  contenter  d'empêcher  leurs  sujets  d'apporter  leurs 
denrées  à  Ratisbonne  ;  mais  la  ville  supporta  vaillamment  ces  vexations. 

«  Peu  importe,  disait-On,  qu'il   arrive   un  peu  moins  de   beurre  sur   le 
marché.  »    La   doctrine  évangélique  pénétra  dès  1520  dans  la  ville 


136  BAVIERE 

éplseopale  de  Bamberg,  administrée  par  l'évêque  pieux  et  intelligent 
George  de  Lindenbourg,  qui  s'entourait  de  savants,  mais  qui  mourut 
trop  tôt  pour  la  cause  de  l'Evangile  (1522).  Le  luthéranisme  trouva 
encore  un  autre  appui  dans  cette  ville,  le  grand-maître  de  Bamberg, 
Jean  de  Schwarzenberg,  jurisconsulte  et  lettré  aussi  savant  que  pieux. 
L'évêque  de  Wurtzbourg,  Laurent  de  Bibra,  avait  reçu,  en  1518, 
Luther  qui  se  rendait  cà  Heidelberg,  et  lui  avait  témoigné  beaucoup  de 
bienveillance;  mais  lui  aussi  mourut  trop  tôt  (1519),  de  sorte  que  la 
Réforme  ne  put  triompher  dans  cette  ville.  —Dans  la  vieille  Bavière,  par 
contre,  la  réaction  contre  le  protestantisme  s'accentua  de  plus  en  plus. 
Non  content  de  combattre  1'  hérésie  dans  ses  propres  Etats,  le  duc  Guil- 
laume, resté  seul  après  la  mort  de  son  frère  Louis,  poussa  Charles- 
Quint  à  prendre  les  armes  contre  les  protestants.  Dans  la  guerre  de 
Smalkalde,  rien  ne  fut  plus  funeste  à  ces  derniers  que  l'intervention 
indirecte  du  duc  Guillaume,  qui,  en  s'alliant  secrètement  à  l'empereur, 
tout  en  gardant  à  l'égard  des  protestants  les  dehors  de  la  bonne  amitié, 
contribua  peut-être  plus  que  tout  autre  à  l'effondrement  de  leur  puis- 
sance. L'armée  protestante  avait  été  placée  sous  le  commandement 
d'un  vieux  capitaine  plein  d'expérience,  Sébastien  Schsertlin  de  Bur- 
tenbach;  celui-ci  allait  attaquer  les  Impériaux  qui  n'étaient  ni  con- 
centrés, ni  entièrement  prêts  à  entrer  en  lutte,  et  surprendre  l'empe- 
reur à  Ratisbonne,  ce  qui  eût  probablement  décidé  du  sort  de  la 
campagne,  lorsque  les  princes  lui  défendirent  de  franchir  les  frontières 
de  la  Bavière,  de  peur  de  mécontenter  le  duc  ;  Charles-Quint  eut  donc 
le  temps  de  rassembler  ses  forces,  et  l'on  connaît  l'issue  désastreuse  de 
la  guerre.  En  1549  Guillaume  appela  les  jésuites,  qui  s'emparèrent  de 
l'enseignement  théologique  à  l'université  d'Ingolstadt,  et  acquirent  une 
influence  très-grande  en  devenant  les  confesseurs  et  les  conseillers  des 
princes.  A  l'avènement  d'Albert  V  le  Magnanime  (1550-79)  les  neuf 
dixièmes  de  l'Allemagne  avaient  abandonné  Rome;  la  Bohême  était 
protestante;  dans  l'archiduché  d'Autriche,  la  trentième  partie  à  peine 
de  la  population  était  restée  fidèle  à  la  vieille  Eglise,  qui  ne  pouvait 
plus  compter  que  sur  la  Bavière  et  leïyrol  ;  aussi  Canisius  compare-t-il 
ces  derniers  à  Juda  et  à  Benjamin,  après  le  schisme  des  dix  tribus.  Ce- 
pendant même  en  Bavière  il  s'était  formé,  dans  la  noblesse,  un  parti  lu- 
thérien. Les  abus  de  l'Eglise  romaine  étaient  si  évidents  que  le  duc  Al- 
bert alla  jusqu'à  promettre  à  ses  Etats  la  coupe  des  laïques  (1556).  Bien 
plus,  il  envoya  au  concile  de  Trente  son  conseiller  Paumgartner,  chargé 
de  demander,  au  grand  scandale  des  prélats  assemblés,  la  communion 
sous  les  deux  espèces  et  le  mariage  des  prêtres,  cette  concession,  disait-il, 
étant  le  seul  moyen  de  retenir  son  peuple  dans  l'obéissance  de  Rome  ; 
à  la  lin  du  concile  (1564)  Pie  IV  accorda  en  effet  à  la  Bavière  la  commu- 
nion sous  les  deux  espèces  (ïhiersch,  Luther,  Gustav  Adolf  u.  Maximi- 
lian  1  von  Bayerri).  Mais  étant  tombé  sous  l'influence  de  l'Autriche  et 
des  jésuites,  Albert  perdit  toute  modération  et  devint  à  son  tour  persé- 
cuteur ;  il  permit  d'établir  une  véritable  inquisition,  «  produit  de  l'en- 
vie et  du  venin,  »  et  obligea  les  fonctionnaires  d'adhérer  à  la  foi  du 
concile  de  Trente;  quiconque  n'allait  pas  à  la  messe  était  emprisonné, 


BAVIERE  137 

mis  à  la  gène,  exilé,  et   perdait  la  moitié  de  ses  biens.  C'est  alors  que 
Brenz  et  Amsdorf  écrivirent  aux  protestants  de  Bavière  des  épitres  con- 
solatoires.  Sous  Guillaume  V,  élève  des  jésuites,  et  sous  son  lils  Maximi- 
lien  Ier,  la  persécution  alla  en  croissant.  La  Bavière  devint  le  centre  du 
romanisme  en  Allemagne  et  le  fanatisme  clérical  n'y  connut  plus  de 
bornes,  surtout  Lorsqu'après  la  mort  de  l'empereur  Maximilien  II  le  duc 
de  Bavière  se  vit  soutenu  par  l'Autriche.  En  1609  Maximilien  Ier  consti- 
tua à  Munich  la  Ligue  catholique,  opposée  à  Y  Union  des  protestants. 
Lorsqu'éclata  la  guerre  de  Trente  ans,  il  s'avança  jusqu'à  Prague,  et 
c'est  à  lui  surtout  qu'est  due  la  victoire  de  la  Montagne-Blanche.  Plus 
tard  il  céda  le  commandement  de  son  armée  au  fameux  Tilly,  En  récom- 
pense  de  ses  services,  Maximilien  fut  investi  du  Palatinat  et  reçut  le 
chapeau  d'électeur.  Les  victoires  de  Gustave-Adolphe  procurèrent  un 
temps  de  répit  aux  protestants  de  la  Bavière;  mais  après  la  défaite  de 
Nôrdlingen  (1634)  et  la  prise  d'Augsbourg   (1635),  les  persécutions 
recommencèrent.  Le  traité  de  Westphalie  confirma  Maximilien  dans  la 
dignité  électorale  et  dans  la  possession  du  Palatinat  supérieur;  à  ce 
dernier   était  assurée   la   liberté   religieuse,    mais  Maximilien   refusa 
toujours   de   la  lui  accorder  réellement.  —   Rome   régnait  alors  en 
maîtresse  dans   la  Bavière;  mais  le  jour  vint  où  son  joug  pesa  même 
à  d'aussi   bons   catholiques  que  l'étaient  les  électeurs   de  Bavière. 
Maximilien-Joseph  ïep  commença  à  réagir  contre  cette  domination  ;  il 
enleva   aux  jésuites  la   censure,   réforma  les  couvents  et  améliora 
l'instruction.  Cependant  ce  n'est  qu'à  la  fin  du  dix-huitième  siècle, 
sous  Maximilien-Joseph  II  et  sous  le  ministère  Montpelar,  que  l'on 
accorda  en  tin  aux  protestants  la  liberté  religieuse.    Beaucoup  de  cou- 
vents  furent  supprimés  et  l'on  fonda  un  grand  nombre  d'écoles.  L'an- 
nexion des  nouveaux  territoires,  en  grande  partie  protestants,  donna  une 
plus  grande  importance  à  l'Eglise  évangélique,  qui  fut  reconnue,  par 
la  constitution   de  1818,  à  l'égal  de  l'Eglise  romaine;  cependant  on 
lui  interdit  le  nom  d' 'évangélique,  de  sorte  qu'elle  porte  officiellement 
celui  d'Eglise  protestante.  Dans  le  Palatinat,  l'Union  entre  luthériens 
et  réformés  fut  établie  en  1819,  sur  la  même  base  dogmatique  que  dans 
le  grand-duché  de  Bade.  Comme  ce  dernier  aussi,  le  Palatinat  bavarois 
est  devenu  la  conquête  presque  incontestée  du  Protestantenverein  et  le 
champ  d'expériences  du  radicalisme  religieux.  Dans  le  reste  de  la  Ba- 
vière. L'Eglise  évangélique  est  restée  luthérienne;  l'université  d'Erlan- 
gen  a  beaucoup  contribué  à  y  maintenir  l'attachement  à  la  doctrine  et 
aux  traditions  luthériennes,  et  est  devenue  un  foyer  de  science  et  de 
pieté  pour  la  Bavière  et  pour  toute  l'Allemagne  (Seckendorf,  Commen- 
ta ri, i*  de  Lut  lier anismo;  Ranke,  Deutsche  Geschichte  imZeitalter  d.  Réf.; 
Thiersch,  Luther,  Gustav  Adolfu.  Maçimilian  l  v.Bayerri). 

Ch.  Pfender. 
BAVIERE  (Statistique  religieuse).  La  Bavière  fut  longtemps  un  Etat 
presque  exclusivement  catholique.  Les  changements  territoriaux  de  la 
période  napoléonienne  .amenèrent  L'annexion  à  ce  pays  de  provinces 
nu  les  protestants  étaient  assez  nombreux.  Mais  la  majorité  restait  aux 
catholiques,  «pu  en  usèrent  et  abusèrent  jusqu'aux  changements  qu'en- 


138  BAVIERE 

trama  en  Allemagne  la  guerre  de  1866.  Depuis  lors,  le  pouvoir  a  passé 
aux  éléments  anticléricaux,  qui  l'ont  rudement  peser  leur  autorité  sur  les 
catholiques  et  les  luthériens.  Le  recensement  de  1875  attribue  à  ki 
Bavière  une  population  de  5,022,904  habitants  ;  mais  les  résultats  rela- 
tifs aux  cultes  ne  sont  pas  encore  publiés  et  nous  devons  nous  en  tenir 
à  ceux  de  1871  qui  constatent  3,464,364  catholiques,  1,342,592  protes- 
tants, 5,453  membres  d'autres  dénominations  chrétiennes  (dont 
3,820  mennonites,  360  irvingiens,  246  catholiques  grecs,  217  vieux-catho- 
liques, 72  anabaptistes,  63  anglicans,  623  adhérents  de  la  Frète  Reli- 
gion), 50,662  Israélites  et  379  personnes  se  rattachant  à  d'autres  cultes 
non  chrétiens,  soit  en  résumé  71  0/0  de  catholiques  et  28  0/0  de  protes- 
tants. Les  résultats  de  1871  seront  sans  doute  assez  analogues  pour  1875, 
sauf  pour  les  vieux-catholiques  dont  le  nombre  s'est  accru  considé- 
rablement. L'autorité  centrale  des  cultes  est  le  ministère  de  l'intérieur 
pour  les  affaires  d'Eglise  et  d'écoles.  Le  budget  de  1876-1877  attribue 
(pour  deux  ans)  aux  cultes  et  à  l'instruction  publique  réunis  une 
somme  de  19,884,677  marcs  (environ  25,000,000  de  francs). —  A.  Eglise 
catholique  :  Les  rapports  de  l'Eglise  et  de  l'Etat  sont  régis  par  le  con- 
cordat du  5  juin  1817.  Le  royaume  est  divisé  actuellement  en  huit  dio- 
cèses :  l'archevêché  de  Munich-Freysing  (évêché  au  huitième  siècle, 
archevêché  le  5  juin  1817)  avec  les  trois  évêchés  suffragantsd'Augsbourg 
(quatrième  siècle),  de  Passau  (huitième  siècle)  et  de  Ratisbonne  (huitième 
siècle),  et  l'archevêché  de  Bamberg  (évêché  le  1er  novembre  1007,  arche- 
vêché le  5  juin  1817)  avec  trois  évêchés  suffragants  :  Wùrtzbourg  (hui- 
tième siècle),  Eichstaëdt  (huitième  siècle)  et  Spire  (quatrième  siècle?). 
A  chaque  cathédrale  est  joint  un  chapitre  composé  d'un  prieur,  d'un 
doyen,  de  huit  à  dix  chanoines  et  de  six  vicaires  capitulaires.  Ces  huit 
diocèses  se  divisent  en  171  décanats  et  2,756  paroisses.  Le  clergé  est 
assez  nombreux ,  car  il  y  a  un  prêtre  par  464  âmes.  Les  couvents 
tant  d'hommes  que  de  femmes  ne  dépassent  guère  le  nombre  de  60, 
avec  un  peu  plus  de  1,000  religieux  et  religieuses.  Le  clergé  catholique 
étudie  dans  les  séminaires  diocésains  au  nombre  de  huit  et  dans  les 
deux  facultés  de  théologie  catholique  de  Munich  et  de  Wùrtzbourg.  La 
première  compte  (octobre  1876)  9  professeurs  et  80  étudiants,  la 
seconde  8  professeurs  et  119  étudiants.  Les  traitements  du  clergé 
sont  assez  modestes;  les  plus  élevés  sont  naturellement  ceux  des  pré- 
lats qui  touchent  l'archevêque  de  Munich  20,000  florins,  celui  de  Bam- 
berg 15,000,  les  évêques  de  8  à  10,000. — B.  Les  vieux-catholiques  bavarois 
sont,  d'après  le  compte  rendu  fait  au  synode  de  Bonnle7  juin  1876,  au 
nombre  de  10,110  formant  31  paroisses.  —  G.  L'égalité  civile  et  politi- 
que avec  les  catholiques  est  garantie  aux  protestants  par  la  constitution 
de  1818.  Dans  le  Palatinat  les  deux  Egiises  luthérienne  et  réformée 
sont  unies  depuis  1818  ;  dans  les  autres  provinces,  les  protestants  se 
rattachent  en  majorité  au  luthéranisme.  Ils  sont  en  majorité  dans  trois 
provinces  sur  huit  (Palatinat,  Haute  et  Moyenne  Franconie).  L'auto- 
rité centrale  des  luthériens  est  le  consistoire  supérieur  de  Munich,  com- 
posé d'un  président,  de  4  conseillers  ecclésiastiques  et  d'un  conseiller 
laïque.  Deux  consistoires  provinciaux  à  Ansbach  et  à  Bayreuth,  sont 


BAVIÈRE  —  BAXTER  130 

soumis  au  consistoire  supérieur;  ils  ont  au-dessous  d'eux  37  décanats 
avec  1,036  pasteurs.  Il  y  a  de  plus  dans  les  mêmes  provinces  \:\H  pas- 
teurs réformés.  Le  Palatinal  renferme  14  décanats,  ressortissant  au 
consistoire  uni  de  Spire,  composé  d'un  président,  de  deux  conseillers 
ecclésiastiques  et  d'un  conseiller  laïque.  Les  pasteurs  l'ont  leurs 
études  à  la  faculté  d'Erlangén,  qui  compte  (octobre  1876)9  professeurs 
et  136  étudiants.  —  Bibliographie  :  Âlmanach  de  Gotha  1877;  ffof- 
und  Staatskandbuch  des  h'ômgreichs  Bayem,  1876  ;  F.  Martin,  The 
Statesmans  Yearbook  1877.  etc.  B.  vjlucher. 

BAXTER  (Richard),  l'un  des  théologiens  les  plus  distingués  du  non- 
conformisme  anglais',  naquit  dans  le  village  d'Eatori-Constantine 
(Shropshire),  le  12  novembre  1645*.  Il  eut  de  bonne  heure  sous  les  yeux 
dans  sa  paroisse  natale  le  spectacle  de  la  précoce  décrépitude  de  l'Eglise 
établie,  desservie  trop  souvent  par  des  ministres  qui  n'avaient  ni  piété  ni 
même  moralité.  L'influence  d'une  famille  pieuse  contrebalança  heureu- 
sement cette  influence  pernicieuse  d'une  Eglise  démoralisée.  Il  y  apprit 
ce  type  de  piété  auquel  on  donnait  le  nom  de  puritain,  et  qui  n'était  le 
plus  souvent  que  le  retour  pur  et  simple  à  l'austérité  de  la  vie  évangéli- 
que.  L'état  précaire  de  sa  santé  et  les  ressources  limitées  de  sa  famille  ne 
lui  permirentpas  de  faire  des  études  régulières,  et  la  haute  culture  univer- 
sitaire lui  manqua.  Mais  il  y  suppléa  en  grande  partie  par  un  travail  person- 
nel mis  au  service  d'une  intelligence  supérieure.  Il  reçut  l'ordination  épis- 
copale  à  l'âge  de  vingt-trois  ans  ;  mais  l'exercice  même  du  ministère 
dans  une  paroisse  et  les  tracasseries  qu'il  y  rencontra  à  l'occasion  de 
ce  qu'on  appelait  le  serment  de  Y  Et  caetera  développèrent  chez  lui  des 
convictions  non-conformistes,  qui  ne  sortirent  jamais  toutefois  des 
bornes  d'une  sage  modération.  En  1640  il  devint  pasteur  à  Kidder- 
ininster,  dans  le  comté  de  "Worcester,  et  ce  fut  là  que  s'écoula  la  plus 
grande  partie  de  son  ministère.  Il  fut  pourtant,  pendant  plusieurs  an- 
nées, éloigné  de  sa  paroisse,  ayant  accepté  la  charge  de  chapelain  dans 
!  année  du  parlement  (1642),  charge  qu'il  ne  déposa  qu'en  1646,  con- 
traint par  le  mauvais  état  de  sa  santé.  Attaché  à  la  royauté  et  à  l'ordre 
ecclésiastique;  Baxter  eut  à  souffrir  toutes  sortes  de  contrariétés  au  mi- 
lieu de  cette  armée  dont  les  tendances  républicaines  s'accentuaient  tou- 
jours plus  et  où  ((  les  disputes  théologiques  faisaient  rage  du  matin  jus- 
qu'au soir  ».  Ce  fut  au  sortir  de  cette  vie  agitée  des  camps  et  dans  les 
loisirs  prolongés  que  lui  fit  la  maladie  qu'il  composa  son  meilleur  ou- 
vrage, \e  Repos  éternel  des  saints  (The  Saint's  Everlasting  Rest).  Il  assista 
du  fond  de  sa  paroisse  aux  péripéties  de  la  Révolution,  désapprouva 
hautemenl  l'exécution  de  Charles  I r,  conserva  jusqu'au  bout  une  atti- 
tude dé  défiance  à  l'égard  de  Cromwell  qui  chercha  vainement  à  le 
gagner  à  sa  cause,  et  salua  avec  bonheur  le  rétour  de  la  royauté.  Déjà 
célèbre  par  ses  écrits  et  par  ses  talents  de  prédicateur,  Baxter  joua  un 
certain  rôle  dans  le  rappel  des  Stuarts.  1!  eut  une  entrevue  avec  Monk, 
et  pour  calmer  les  scrupules  qui  se  manifestaient,  iî  répandit  dans  le 
public  des  lettres  à  lui  adressées  par  les  pasteurs  français,  Daillé,  Dre- 
lincourtet  Raimond  Gâches,  qui  donnaient  à.  Charles  II  des  certificats  de 
protestantisme  en  bonne  forme.  Le  roi  lui  témoigna  sa  reconnaissance 


140  BAXTER  —  BAYEUX 

en  faisant  delui  l'un  de  ses  chapelains.  Baxter  employa  son  influence  à 
essayer  de  rapprocher  les  épiscopaux  et  les  presbytériens.  Dans  la  que- 
relle qui  les  divisait, il  prit  une  position  moyenne  et  conciliante;  il  pré- 
para une  liturgie  révisée,  qui  faisait  disparaître  du  Frayer  Book  les  par- 
ties auxquelles  objectaient  le  plus  les  presbytériens.  Malheureusement 
l'infatuation  des  évoques  fit  avorter  cette  tentative.  Baxter,  qui  avait 
refusé,  au  cours  des  négociations,  un  siège  épiscopal  qu'on  lui  offrait, 
ne  put  pas  même  obtenir  qu'on  lui  rendit  sa  modeste  cure  de  Kidder- 
minster,  En  1661  Y  Acte  d'uniformité  vint  montrer  comment  la  cour  et 
le  parlement  entendaient  faire  delà  conciliation.  Le 24 août  1662,  deux 
mille  pasteurs  sortirent  de  l'Eglise.  Baxter,  qui  pendant  deux  ans 
avait  travaillé  à  faire  une  place  au  puritanisme  dans  F  enceinte  de 
l'Eglise  établie,  fut  le  premier  à  donner  le  signal  de  cette  rupture  défi- 
nitive. Forcé  d'interrompre  son  ministère  public,  il  trouva  une  retraite 
à  Acton,  puis  à  Totteridge,  près  de  Londres,  où  il  travailla  à  plusieurs 
ouvrages,  spécialement  à  son  grand  Methodus  Theologix.  Après  dix  ans 
de  retraite,  il  put  enfin,  en  1672,  prêcher  de  nouveau  publiquement  à 
Londres.  Mais  la  persécution,  un  moment  ralentie,  reprit  bientôt  contre 
les  non-conformistes,  et  les  dernières  années  de  Baxter  furent  assombries 
par  des  tracasseries  de  toute  sorte.  En  1685  il  fut  traduit  devant  le 
juge  Jeffries,  pour  répondre  au  sujet  de  quelques  passages  de  sa  Para- 
phrase du  Nouveau  Testament  que  l'on  avait  trouvés  malsonnants.  Il  fut 
traité  avec  une  brutalité  révoltante  par  ce  triste  magistrat,  qui  le  fît 
condamner  à  l'amende  et  à  la  prison.  Après  dix-huit  mois  d'emprison- 
nement, il  fut  relâché  par  l'intercession  de  lord  Powis,  et  on  lui  fit 
grâce  de  l'amende.  L'accession  de  Guillaume  III  au  trône  d'Angleterre 
mit  fin  à  ces  persécutions  et  ouvrit  une  ère  de  tolérance,  sinon  encore 
de  liberté.  Baxter  put  finir  sa  vie  en  paix.  Il  mourut  à  Londres  le  8  dé- 
cembre 1691.  Baxter  a  publié  un  grand  nombre  d'ouvrages  de  théolo- 
gie et  d'édification.  Sa  théologie  peut  être  définie  la  théologie  de  la 
modération  ;  il  combattit  l'ultra-calvinisme  et  essaya,  dans  son  système, 
de  sauvegarder  à  la  fois  la  prescience  divine  et  la  liberté  humaine.  Ses 
ouvrages  théoîogiques  ne  sont  plus  guère  lus  aujourd'hui.  Mais  ce  qui 
reste  de  lui  ce  sont  plusieurs  traités  d'édification,  pleins  de  mouvement 
et  de  vie,  dont  la  piété  anglaise  se  nourrit  toujours.  Quelques-uns  ont 
été  traduits  en  français,  le  Repos  des  saints,  la  Voix  de  Dieu,\es  Aphoris- 
mes  sur  la  justification,  etc.  La  meilleure  édition  de  ses  œuvres  est  celle 
d'Orme  (Londres),  avec  une  -biographie.  Mentionnons  parmi  ses  biogra- 
phes :  Calamy  (Londres,  1713),  Gerlach  (Berlin,  1836),  Schmidt  (Leip- 
zig, 1843).  Nous  avons  en  français  :  Baxter  et  l'Angleterre  religieuse  de  son 
temps  (par  Mark  \Yilks  (?),  Paris,  1840).  Un  ami  de  Baxter  publia  peu 
après  sa  mort,  son  autobiographie,  sous  le  titre  de  Reliquix  Buxterianx, 
Londres,  1696.  Matth.  Lelièvre. 

BAYEUX  (Calvados)  [Bajocœ,  Bajocum,  Baex],  évêché  suffragant  de 
Rouen.  Saint  Exupère  (saint  Soupir,  saint  Spire)  est  l'apôtre  du  pays 
Bessin;  il  vivait  vers  Fan  400,  ses  reliques  sont  à  Gorbeil.  Parmi  ses 
successeurs  on  nomme  saint  Leu,  saint  Manvieu,  saint  Vigor,  qui  a 
donné  son  nom  à  une  abbaye  bâtie  sur  le  mont  Phaunus,  saint  Regno- 


BAYEUX—  BAYLE  Ml 

bert  tmi  construisit  ta  cathédrale.  Gereboldus  (f  691)  châtia  l'ingra- 
titude de  st  s  ouailles  en  les  affligeant  d'un  mal  d'entrailles,  le  mal 
Saint-Gerbaut.  Eudes  de  Conteville,  frère  utérin  de  Guillaume  le  Con- 
quérant, occupa  révêché  de  L050  à  1097;  ce  prélat  intrigant,  qui  avait 
été  à  Hastings  et  était  comte  de  Kent,  prétendit  en  1085  à  la  dignité  de 
pape.  Sou  frère  le  lit  jeter  en  prison;  il  mourut  après  une  vie  agitée.  Il 
avait  consacré  en  1080  sa  splendide  cathédrale,  dédiée  à  Notre-Dame; 
]« s  célèbres  monastères  de  Saint-Etienne  et  de  la  Trinité  de  Caen 
(Cadomw)  avaient  été  peu  avant  fondés  par  le  duc  Guillaume  et  son 
épouse  Mathilde.  Le  cardinal  d'Ossat  fut  évêque  deBayeux  (1600-1604). 
—  Voy.  J.  Lair,  Orig.  de  Vév.  de  B.,  Bibl.  de  l'Ec.  des  Chartes,  1862 
et  186.>;  Hermant, Hist.  du  dioc.  de  B.,  Caen,  1705,[in-4°  ;  Gallia  Chris- 
tiana,  XI;  Fisquet,  La  France  pontificale.  s-  Berger. 

BAYLE  (Pierre),  célèbre  critique  et  philosophe,  né  au  Cariât,  dans  le 
comté  de  Foix,  le  18  novembre  1647,  mort  le  28  décembre  1706,  a 
i>\i'wé  par  ses  ouvrages,  presque  tous  traduits  en  plusieurs  langues, 
une  grande  influence  sur  les  lettres  et  la  philosophie  de  l'Europe.  Fils 
d'un  ministre  de  l'Evangile,  on  le  trouve  d'abord,  quand  il  a  terminé 
à  Puylaurens  ses  premières  études,  élève  des  jésuites  à  Toulouse,  ins- 
truit par  eux  dans  la  vieille  philosophie  du  moyen  âge  que  Ton  prenait 
dans  ce  temps-là  pour  la  doctrine  d'Aristote,  et  un  moment  converti 
au  catholicisme  ;  puis,  relaps,  il  est  obligé  de  quitter  la  France  et  se 
réfugie  à  Genève,  où,  tout  en  occupant  le  modeste  emploi  de  précep- 
teur pour  gagner  sa  vie,  il  a  l'occasion  de  s'initier  à  la  doctrine  de 
Descartes,  le  nouveau  réformateur  des  études  philosophiques.  Alors 
s'ouvre  pour  lui  une  difficile  et  glorieuse  carrière,  une  vie  de  travail, 
d'activité  et  d'incessante  agitation,  dont  les  deux  grandes  étapes  sont 
Sedan  et  Rotterdam.  Ses  nombreux  adversaires,  avec  un  égal  mépris 
de  l'évidence  et  du  sens  commun,  l'ont  accusé  tantôt  de  mauvaise  foi 
et  d'ignorance  et  tantôt  d'incrédulité  révoltante.  Ils  lui  reprochent  sur- 
tout, à  propos  de  sa  conversion,  ce  qu'ils  appellent  sa  versatilité.  Cou- 
mu  même  va  jusqu'à  dire  qu'il  s'était  décidé  dans  les  derniers  temps 
de  sa  vie  à  redevenir  catholique  pour  rentrer  en  France.  Mais  il  est 
certain  que  cette  dernière  accusation  ne  s'appuie  que  sur  des  calomnies, 
et  en  particulier  sur  ce*qu'a  écrit  Jurieu.  Quant  à  sa  première  conver- 
sion, il  est  vrai,  c'est  lui-même  qui  l'avoue,  qu'elle  a  eu  lieu  pendant 
-nu  séjour  chez  les  Pères  jésuites.  Son  erreur  dura  dix-sept  mois.  Mais 
il  la  comprit  lui-même  et  sortit  de  l'Eglise  catholique  comme  il  y  était 
entré,  de  son  plein  gué.  Quelques  années  après,  espérant  qu'on  aurait 
oublié  pendant  son  long  séjour  à  Genève  son  abjuration,  il  revenait, 
s'arrêtant  d'abord  à  Rouen,  puis  à  Paris  et  enfin  à  Sedan,  après  avoir 
obtenu  au  concours  ,  en  1675,  la  chaire  de  philosophie' à  l'Aca- 
démie protestante  de  cette  ville.  Son  cours,  rédigé  et  complété 
eu  deux  ans,  a  été  conservé  dans  la  grande  édition  de  ses  Œu- 
diverses,  imprimées  à  La  Haye  (1727-1741),  en  4  volumes  in-folio. 
C'est,  avec  une  remarquable  érudition  et  un  talent  de  dialecticien  très- 
spécial  à  l'auteur  que  Voltaire  appela  plus  tard«  le  premier  dialecticien 
du  monde  »,  Descartes  pour  la  méthode,  comme  on  pouvait  s'y  attendre 


142  BAYLE 

d'après  la  direction  de  ses  études,  et  pour  le  fond  des  idées,  Aristote, 
quelquefois  même  Malebranche.  Il  comprend  quatre  parties  :  1°  la  lo- 
gique, avec  des  subdivisions  assez  semblables  à  celles  de  Port-Hoyal  et  de 
Gassendi,  car  elles  ont  une  source  commune,  YOrganum;  2°  la  morale; 
3°  la  physique;  4°  la  métaphysique.  Les  deux  dernières  parties  sont  les 
plus  développées  et  contiennent  ce  qu'il  y  a  de  plus  original  dans  tout 
le  système.  On  a  dit  de  Bayle  qu'il  fut  «  le  grand  journaliste  de  son 
temps  ».  Il  est  en  effet  critique  et  polémiste  par  goût  et  par  vocation. 
Il  a  toujours  besoin  d'exercer  sa  plume  alerte  et  vive  en  donnant  son 
avis  sur  l'affairé  du  jour.  A  Sedan,  à  l'occasion  d'un  procès  célèbre,  il 
se  fait,  devant  le  public,  l'avocat  de  François-Henri  de  Montmorency, 
duc  de  Luxembourg,  accusé  de  sorcellerie,  et  il  répond  par  ses  Cogita- 
lianes  rationales  de  Deo,  anima  et  malo  au  ministre  Poiret,  mystique, 
enthousiaste  de  mademoiselle  Bourignon  et  de  madame  Guyon.  A  Rot- 
terdam où  il  vient  d'être  appelé,  Louis  XIV  ayant  l'ait  fermer  en  1681 
l'Académie  de  Sedan,  il  continue,  tout  en  occupant  la  chaire  de  philo- 
sophie et  d'histoire  à  l'université  de  cette  ville,  ses  critiques  et  ses 
controverses.  Une  comète  qu'on  vit  en  1680  avait  causé  une  alarme 
générale.  11  publie  sur  ce  sujet  en  1682  ses  trois  volumes  de  Pensées 
diverses,  suivies  bientôt  d'une  Addition  aux  Pensées,  et  plus  tard  d'une 
Continuation  des  Pensées.  Mais  l'apparition  de  la  comète  n'est  qu'un 
prétexte,  et  ce  qu'il  examine  au  fond,  c'est  si  l'athéisme  est  moins  dan- 
gereux que  la  superstition,  s'il  ne  serait  pas  vrai  de  dire  que  Dieu  fait 
des  miracles  pour  confirmer  l'idolâtrie  clans  le  monde,  en  supposant 
que  les  comètes  fussent  un  présage  de  malheur,  et  d'a.utres  thèses  très- 
hardies  pour  le  temps.  Dans  la  même  année,  le  P.  Maimbourg, 
jésuite,  ayant  publié  une  Histoire  du  Calvinisme,  Bayle  écrit  en  quinze 
jours  l'une  de  ses  meilleures  et  plus  spirituelles  réfutations,  sous  ce 
titre  :  Critique  générale  de  l'Histoire  du  Calvinisme  de  M.  Maimbourg . 
Le  jésuite  eut  assez  de  crédit  pour  obtenir  qu'on  brûlât  le  livre  de  son 
adversaire  en  place  de  Grève,  mais  craignant  son  redoutable  antago- 
niste, il  évita  de  lui  répondre.  Un  autre  ennemi  du  professeur  de  Rot- 
terdam, son  collègue  Jurieu,  l'accusa,  le  combattit  enfin  avec  tant 
d'acharnement  qu'il  finit  par  lui  faire  perdre  sa  place  et  par  obtenir 
qu'on  lui  ôtàt  jusqu'au  droit  d'enseigner.  Bayle  venait  de  publier  en 
1684  son  journal,  Les  Nouvelles  de  la  République  des  Lettres.  Jurieu,  non 
pas  jaloux,  comme  on  l'a  dit  souvent,  mais  aigri,  affligé  d'apprendre 
chaque  jour  qu'on  ne  cessait  de  persécuter  en  France  les  protestants, 
s'indigna  de  ce  qui  lui  semblait  être  chez  son  collègue  indifférence  et 
manque  de  foi.  Le  Commentaire  philosophique  sur  ces  paroles  de  l'Ecri- 
ture, {{Contrains-les  d'entrer,))  contre  Louis  AI  V,  paraît  en  1686,  provoque 
une  première  réponse  de  Jurieu,  et  un  peu  après,  celui-ci,  sans  provo- 
cation nouvelle,  attribuant  à  Bayle  l'Avis  aux  réfugiés  sur  leur  prochain 
retour  en  France,  quoique  le  professeur  de  Rotterdam  ait  toujours  sou- 
tenu qu'il  ne  l'avait  pas  écrit,  l'accuse  de  trahir  leurs  coreligionnaires 
et  d'être  secrètement  dévoué  à  leurs  ennemis.  Bayle  eut  beau  répliquer 
et  tourner  en  ridicule  la  Cabale  chimérique.  Il  fallut  renoncer  à  la  place 
qu'il  occupait.  C'est  alors  que,  délivré  de  toute  autre  occupation,  ayant 


BAYLE  —  BÀYONNE  143 

presque  renoncé  à  la  polémique  directe  avec  ses  contemporains  (il  n'y 

revient  qu'en  170't.  deux  ans  avant  sa  mort,  pour  adresser  à   Leclerc, 
Jaquelot  et  Kiug  sa  Réponse  aux  questions  d'un  provincial,  sur  l'accord 
de  la  foi  et  de  la  raison  c(  touchant  la  Providence),  il  l'ait  son  Diction- 
naire historique  et  critique.   Ce  dictionnaire,  le  meilleur  ouvrage  de 
Bayle,  réimprimé  onze  lois,  a  été  attaqué  avec  passion.  En  1696,  Tannée 
de  la  première  publication,  le  consistoire  de  Rotterdam  décide,  à  la 
demande  de  Jurieu  :  1°  que  l'auteur  s'est  permis  des  paroles  obscènes; 
2°  qu'il  a  l'ait  de  l'article  David  une  diatribe  contre  ce  roi  ;  3°  qu'il  a 
prête  de  nouveaux  arguments  aux  manichéens  au  lieu  de  les  réfuter; 
\°  qu'il  mérite  le  même  reproche  pour  l'article  Pyrrhon;  5°  qu'il  a 
donné  des  louanges  outrées  aux  athées  et  aux  épicuriens;  6°  qu'il  a 
pris  à  tort  la  défense  de  quelques  papes  attaqués  par  les  théologiens  de 
la  Réforme.  Joly,  dans  ses  Remarquée  critiques,  et  les  catholiques  lui 
ont  reproché  de  mauvais  raisonnements  dans  ce  qu'il  dit  notamment 
sur  le  jour,  sur  l' abbaye  dé  Fontevrault,  sur  les  diables,  une  trop  grande 
liberté  d'expression  dans  ses  articles  sur  Catulle,  Horace,  Juvénal,  Bran- 
hême,  Montaigu,  les  médecins,  les  avocats  et  les  romans,  et  un  détesta- 
ble scepticisme,  en  particulier  dans  l'article  Abel.  Qu'y  a-t-il  de  fondé 
dans  tous  ces  reproches?  On  ne  juge  pas  Bayle  exactement  quand  on 
dit  (pie  son  but  est  d'établir  en  général  que  la  raison  humaine  étant 
plus  capable  de  réfuter  et  de  détruire  que  de  prouver  et  de  bâtir,  il 
faut  alors  l'obliger  à  se  captiver  sous  l'obéissance  de  la  foi.  Ses  deux 
auteurs  favoris  furent  toujours  Montaigne  et  Plutarque.  C'est  dire  qu'il 
n'appartient  pas  à  cette  école  de  sceptiques  qui,  comme  Huet,  Jérôme 
llirnaim  et  même  Pascal  (il  ne  se  rejetait,  disait-il,  dans  l'excès  du 
dogmatisme  que  pour  échapper  au  scepticisme  et  au  néant),  n'insistent 
-ni  la  faiblesse  de  la  raison  que  pour  justifier  le  dogmatisme  le  plus 
impérieux;  Montaigne,  Gassendi,  voilà  la  famille  d'esprits  à  laquelle 
Bayle    appartient.   C'est  moins  un  sceptique  qu'un  incertain.  «  Mon 
talent,  disait-il  lui-même,  est  d'assembler  des  doutes.  »  Mais  on  peut 
comprendre,  malgré  ce  qui  a  été  écrit  contre  lui,  qu'il  n'aimait  pas  l'in- 
certitude et  la  contradiction  pour  elles-mêmes,  et  penser  qu'il  a  été 
assez  persécuté  pendant  sa  vie  pour  s'être  donné  la  mission,  dans  le 
-ii  m  le  de  dogmatisme  où  il  a  vécu,  d'enseigner  aux  hommes,  en  les  fai- 
sant réfléchir  et  douter,  ce  qu'ils  paraissaient  ignorer  entièrement,  la 
tolérance.  —  Voy.  Durevert,  Histoire  de  Bayle  et  de  ses  ouvrages,  1710, 
in-É2  :  Schœtterieek,  Dissertatio  de  Petro  Baylio, Tubingue,  1719,  in-4p  ; 
Chauffepié,  Dictionnaire  historique  et  critique  pour  servir  de  supplément 
à  celui  de  Bayle,  La  Haye,  1750-1756,  4  vol.  in-fol.;  Dugald-Stewart, 
Histoire  des  sciences  métaphysiques,  trad.  J.-A.  Buchon,  Paris,  1820-18^1, 
:;  vol.;  Damiron,  Mémoires  de  l'Académie  des  sciences  morales  et  politi- 
ques, t.  VI,  -lli);  Michel  Nicolas,  biogr.  Didot,  art.  Jurieu-Joly,  Remar- 
/  es, Paris,  1750,2  vol.  in-fol.  J.  Abboux. 

BAYONNE  (Basses-Pyrénées)  [Bajona,  et  jusqu'au  douzième  siècle, 
Lapurdum],  évéclié  suffragant  d'Auch,  connu  depuis  980  :  à  ce  mo- 
nt il  appartenait  à  Arsivus  Racha,  évoque  de  Gascogne.  Ses  succes- 
imulèrenl    plusieurs   dignités.    Raimond    Ier   le    Vieux   (1025) 


144  BAYONNE  —  BEARN 

occupait  les  six  évêchés  de  Bazas,  d'Aire,  de  Dax,  de  Bayonne,  d'Oloron 
et  de  Lescar  ;  ie  pape  le  contraignit  à  se  contenter  de  ce  dernier  siège. 
Son  successeur  Raimond  II  (1059)  réunissait  encore  trois  évêchés.  Le 
diocèse  de  Bayonne  contenait,  outre  les  archidiaconés  de  Labourd  et 
de  Cize,  quelques  vallées  espagnoles  que  Philippe  II  réunit  à  Pampe- 
lune.  La  cathédrale  de  Notre-Dame,  l'ondée  vers  1140,  fut  achevée 
au  seizième  siècle.  —  Voy.  Compaigne,  Chron.  de  Bayonne,  P.,  1660, 
in-4°  ;  Gallia,  I. 

BAZAS  (Gironde)  [Vasates,  autrefois  Cossio],  évêché  suffragant 
d'Auch.  Grégoire  de  Tours  (Gloria  mari.,  I,  12)  raconte  qu'une  ma- 
trone gauloise  avait  rapporté  à  Bazas  une  ampoule  du  sang  de  saint 
Jean-Baptiste,  et  éleva  sur  cette  relique  l1  église  qui  est  consacrée  au 
Précurseur  (cette  église,  d'un  gothique  pur,  remonte  au  douzième 
siècle).  Nous  savons  du  moins  qu'en  417  Bazas  avait  un  évoque.  L'his- 
toire religieuse  de  la  Gascogne,  au  dixième  et  au  onzième  siècle, 
est  troublée  par  le  cumul  et  la  confusion  des  sièges,  résultat  du  mal- 
heur des  temps.  Gombaud,  Hugues,  les  deux  Raimond,  réunirent 
presque  tous  les  évêchés  du  pays  en  leur  personne.  Les  noms  mêmes 
des  évêchés,  dans  ces  pays  désolés  par  l'invasion  des  Normands  et 
par  la  fuite  des  prêtres,  avaient  disparu  devant  le  titre  général  dV- 
vêque  de  Gascogne.  L' évêché  de  Bazas  fut  supprimé  à  la  Révolution 
(Galha,  I). 

BÉARN  (Eglises  du).  L'histoire  ne  dit  pas  quels  furent  les  débuts  de 
la  Réforme  dans  cette  province,  qui  relevait  de  la  couronne  de  Na- 
varre, mais  on  sait  qu'à  partir  du  mariage  d'Henri  II  d'Albret  avec  la 
célèbre  Marguerite  de  Valois,  sœur  de  François  Ier  (24  janvier  1527),  elle 
y  lit  des  progrès.  La  nouvelle  reine  penchait,  en  effet,  vers  les  idées 
luthériennes,  et  elle  accueillit  favorablement  à  sa  cour  plusieurs  de 
leurs  sectateurs,  notamment  Clément  Marot,  Calvin  (1534), le  savant  et 
infortuné  Dolet,  Lefèvre  d'Etaples,  Gérard  Roussel  et  autres.  La  non 
moins  célèbre  Jeanne  d'Albret,  sa  fille,  marcha  sur  ses  traces,  et  la 
Réforme  prit  de  l'extension  dans  le  Béarn,  qui  fut  évangélisé  vers  cette 
époque  par  les  ministres  François  le  Gay  ditBoë  Normand  (sept.  1557), 
Martin  (juillet  1579)  ,  Henri  de  Barran  ,  fondateur  de  l'Eglise  de 
Pau  (1556) ,  David  et  Théodore  de  Bèze.  La  mort  d'Antoine  de 
Bourbon,  époux  de  Jeanne  d'Albret  (17  novembre  1562),  laissa  plus 
de  liberté  à  cette  dernière  pour  poursuivre  l'œuvre  de  la  réformation 
dans  ses  Etats.  Calvin  lui  en  rappela  le  devoir  dans  une  lettre  du 
20  janvier  1563,  en  lui  envoyant,  pour  l'assister,  le  savant  et  habile 
ministre  Raymond  Merlin,  ancien  aumônier  de  Coligny.  «  Je  ne  dis 
pas,  madame,  lui  écrivait-il,  que  tout  se  puisse  faire  en  un  jour.  Dieu 
vous  a  donné  prudence  pour  juger  de  la  procédure  que  vous  aurez  à 
tenir...  Votre  plus  aisé  sera  de  commencer  aux  lieux  qui  seront 
les  plus  difficiles  pour  être  les  plus  apparents,  et,  si  vous  en  avez 
gagné  un,  il  tirera  après  soi  plus  longue  queue.  »  Malgré  le  bon  vou- 
loir de  Jeanne  d'Albret,  la  marche  de  la  Réforme  rencontra  de  grands 
obstacles  dans  un  pays  déchiré  par  les  factions  et  exposé  sur  ses  fron- 
tières aux  attaques  du  féroce  Montluc  et  de  Philippe  II  d'Espagne.  La 


BÉARN  145 

reine  de  Navarre  parvint  à  triompher  de  tous,  en  s' appuyant  sur  l'au- 
torité des  synodes  et  des  Etats  généraux  de  la  province.  «  Elle  abolit 
le  culte  des  images,  interdit  Les  processions  publiques,  supprima  les 
couvents  et  transforma  les  églises  en  temples  réformés.  Les  biens  ec- 
clésiastiques lurent  réunis  au  domaine  de  la  couronne,  leurs  revenus 
consacrés  au  soulagement  des  pauvres  et  à  l'éducation  de  la  jeunesse. 
Des  missionnaires  béarnais  et  basques  prêchèrent  partout  l'Evangile 
dans  la  langue  du  pays,  mais  leur  nombre  était  insuffisant.  Par  les 
joins  de  Calvin,  la  compagnie  des  pasteurs  de  Genève,  qui  avait  déjà 
donné  Merlin  à  Jeanne  cTAlbret,  lui  envoya  douze  ministres  et  s'asso- 
cia ainsi  plus  activement  à  l'œuvre  qui,  commencée  en  1563,  s'acheva 
en  1571  par  les  célèbres  Ordonnances,  monument  du  génie  et  de  la  piété 
de  la  reine  de  Navarre.  »  Une  des  gloires  de  Jeanne  fut  la  fondation  de 
l'académie  d'Orthez,  qui  subsista  de  1560  à  1620,  et  dont  les  profes- 
seurs les  plus  distingués  furent  Nicolas  des  Gallards,  seigneur  de  Saule, 
et  Lambert  Daneau,  élève  du  célèbre  Anne  Dubourg  et  ancien  pro- 
fesseur de  théologie  à  Leyde.  Les  Eglises  béarnaises  jouirent  de  la  plus 
grande  tranquillité  pendant  les  premières  années  du  régime  de  Fédit 
de  Nantes,  mais  Louis  XIII,  envahissant  tout  à  coup  avec  une  armée  la 
province,  qui  avait  refusé  avec  raison  de  restituer  aux  prêtres  tous  les 
biens  ecclésiastiques,  affectés  depuis  1569  au  service  des  temples,  des 
écoles,  des  hôpitaux  et  des  pauvres,  attendu  que  la  population  du 
pays  était  aux  neuf  dixièmes  protestante,  se  saisit  violemment  de  ces 
biens,  les  livra  aux  évêques,  abbés,  curés  et  jésuites  du  pays,  et  ferma 
la  savante  académie  d'Orthez.  Malgré  ce  désastre,  les  Eglises  du  Béarn 
redevinrent  prospères  et,  vers  le  milieu  du  dix-septième  siècle,  elles 
comptaient  6  colloques,  formant  un  même  arrondissement  synodal, 
i€  Eglises,  39  ministres,  86  temples  et  6,414  familles,  soit  plus  de 
30,000  protestants.  —  La  révocation  de  Ledit  de  Nantes  fut  très-funeste  au 
protestantisme  béarnais,  mais  ne  le  détruisit  point.  Des  Eglises  s'orga- 
nisèrent dans  la  province  vers  le  milieu  du  dix-huitième  siècle  et  eurent 
pour  pasteurs  Etienne  Dettère  dit  Montagny,  Cazaucan,  Cassagne,  Pic, 
Laune  dit  Dubois,  et,  plus  tard,  Jean  Journet,  Marsoo,  Fosse  dit  Ri- 
chard, Bertezène,  Chabaud  et  autres.  Court  de  Gébelin,  qui  les  visita 
en  1763,  leur  rend  le  meilleur  témoignage  dans  ses  lettres.  La  persécu- 
tion les  atteignit  tard  (1756),  mais  elle  sévit  longtemps.  En  1759  le 
pieux  catéchiste  Dominique  Chérer  fut  pris  et  condamné  aux  ga- 
lères, d'où  il  s'échappa  dix  ans  plus  tard.  En  1773  le  pasteur  Deffère, 
poursuivi  de  près,  se  vit  contraint  de  quitter  la  province.  A  dater  de 
cette  époque  et  jusqu'en  1778,  les  Eglisesfurent  ravagées  dans  tous  les 
-us  par  les  dragons.  Court  de  Gébelin  ayant  pris  chaudement  leur 
défense  auprès  de  la  cour,  elles  purent,  depuis  1778,  se  réunir  paisi- 
blement dans  leurs  granges  sous  la  conduite  de  leurs  pasteurs.  Aujour- 
d'hui 1 1*70:  le  Béarn,  qui  a  servi  à  former  le  département  des  Basses- 
Pyrénées,  compte  7  paroisses,  16  annexes  et  5,000  protestants, 
ressortissant  au  consistoire  d'Orthez.  —  Voy.  Bulletin  de  la  Société 
de  V histoire  du  protestantisme  en  France,  1854,  p.  501;  IS55,  p.  2N0  ; 
L857,  p.  1.  259,  112;  1865.  p.  230;  1867,  p.  60 \  ■  1872,  p.  184,  i87; 

il.  10 


146  BEARN  —  BEATTIE 

1873,  p.  188,  498;  1875,  p.  415;  Ch.  Coquerel,  Histoire  des  Eglises  du 
désert;  Th.  Muret,  Histoire  de  Jeanne  d'Albret;  Correspondance  inédite 
des  deux  C Juron.  E.  Arnaud. 

BÉATIFICATION  ,  acte  par  lequel  le  pape  déclare  préalablement 
qu'une  personne  dont  la  vie  a  été  sainte  et  accompagnée  de  miracles 
jouit,  après  sa  mort,  du  bonheur  éternel,  qu'elle  peut  être  publique- 
ment invoquée  et  devenir  ainsi  l'objet  d'un  culte  particulier,  tandis 
que  la  canonisation  est  une  déclaration  définitive  qu'un  personnage  va 
être  mis  au  rang  des  saints  et  honoré  comme  tel  dans  toute  l'Eglise. 
Les  saints  qui  ne  sont  que  béatifiés  sont  honorés  d'un  culte  moins 
solennel  que  ceux  qui  sont  canonisés.  La  béatification  a  été  introduite 
principalement  à  cause  de  la  longueur  des  procédures  qu'on  observe 
dans  la  canonisation.  C'est  Alexandre  VII  qui,  le  premier,  a  ordonné 
que  la  béatification  aurait  lieu  solennellement  dans  la  basilique  du  Va- 
tican. Selon  Gonzalès  (in  cap.  Audivimus  de  rel.  et  venerat.  Sanctor.), 
la  béatification ,  dans  les  premiers  siècles  de  l'Eglise,  était  faite  par  les 
évêques  ;  mais  Urbain  VIII  déclara  que  ce  droit  était  entièrement  ré- 
servé au  saint-siége  (voy.  Benoit  XIV,  De  Scrvorum  Dei  beatificatione, 
I,  24  et  39;  Glaire,  Diction,  des  Sciences  ecclés.). 

BÉATITUDE.  Saint  Augustin  la  distingue  ainsi  de  la  félicité  :  Félici- 
tas est  omnium  rerum  expectandarum  plenitudo.  Beatitudo  est  status  om- 
nium bonorum  aggregatione  perfectus  (De  Civit.  Dei,  V).  Renchérissant 
encore  sur  cette  distinction,  les  théologiens  catholiques  admettent  «une 
béatitude  naturelle,  qui  est  l'assemblage  de  tous  les  biens  de  la  nature 
saine,  et  que  la  nature  peut  acquérir  par  les  forces  naturelles,  comme 
l'exemption  du  mal,  la  connaissance  de  la  vérité,  l'amour  du  bien,  la 
subordination  des  appétits  sensitifs  aux  appétits  rationnels ,  la  droiture 
des  puissances  et  des  facultés  de  l'âme,  enfin  ce  qui  rendait  l'homme 
heureux  avant  son  péché;  et  une  béatitude  surnaturelle,  qui  est  la 
réunion  des  biens  que  la  nature  même  saine  et  entière  ne  saurait  ac- 
quérir par  ses  propres  forces ,  comme  les  grâces  nécessaires  pour  faire 
le  bien,  les  vertus  surnaturelles,  l'amour  et  la  connaissance  de  Dieu 
comme  auteur  de  la  grâce  »  (Glaire,  Dictionn.  des  Sciences  ecclés.).  La 
scolastique  connaissait  en  outre  la  béatitude  objective,  qui  est  Dieu 
même,  et  la  béatitude  subjective,  qui  est  la  vue  et  1  amour  de  Dieu, 
une  béatitude  parfaite  et  imparfaite,  essentielle  et  accidentelle,  com- 
mencée et  consommée.  Il  est  superflu  de  montrer  la  subtilité  et  l'inu- 
tilité parfaite  de  semblables  distinctions.  —  On  appelle  béatitudes  les 
huit  (ou  sept,  lorsqu'on  identifie  les  promesses  contenues  dans  les  ver- 
sets 3  et  10)  maximes  que  Jésus-Christ  a  placées  à  la  tête  du  discours 
rapporté  Matth.  V,  3  ss.,  et  qui  ont  pour  but  de  déterminer  d'une 
manière  générale  les  conditions  morales  de  l'entrée  dans  le  royaume 
messianique  :  Initiale  hoc  verburn  toties  repetitum  indicat  scopum  doc- 
trine Christi  (Bengel).  Voyez  l'explication  et  le  lien  organique  des 
béatitudes  dans  les  nombreux  commentaires  du  Nouveau  Testament, 
et  en  particulier  dans  Texorde  du  sermon  de  Massillon  sur  le  Bon- 
heur des  Saints. 

BEATTIE  (James),   philosophe  et  poète  écossais,  né  en  1735,  à  La- 


BEATTIE  —  BEAUCAIRE  147 

wrencekirk,  dans  te  comté  de  Kincardine,  mort  à  Aberdeen  en  18(j:i. 
Comme  Reid,  le  chef  de  l'école  écossaise,  Beattie  essaya  d'établir 
sur  la  Ijase  do  sens  commun  les  principales  vérités  morales  et  reli- 
gieuses ébranlées  par  le  scepticisme  du  dix-huitième  siècle.  Sa  philo- 
sophie a  donc  un  caractère  plutôt  pratique  que  spéculatif,  et  elle  est 
exposée  dans  nn  style  clair  et  chaleureux  qui  Ta  rendue  assez  popu- 
laire. Ses  principaux  ouvrages  philosophiques  sont  les  suivants  :  Essay 
on  the  nature  and  immutabilité  of  the  trut/i,  1770;  Dissertations  moral 
and  critical  on  memory  (tnd  imagination  ;  on  dreaming  ;  the  theory  of 
fanguage;  illustrations  on  sublimity,  1783;  Eléments  of  moral  science, 
1790-1793.  Mais  Beattie  n'était  pas  seulement  un  philosophe  distingué, 
il  était  aussi  poète,  et  le  Minstrel,  recueil  de  poésies  qu'il  publia  en 
17()8.  obtint  un  grand  succès.  Plusieurs  stances  de  ce  poëme  ont  été 
traduites  par  Chateaubriand  dans  ses  Considérations  sur  les  Littéra- 
tures étrangères.  La  vie  de  Beattie  fut  assez  accidentée.  Dès  Page  de 
sept  ans  il  perdit  son  père.  Marié  avec  miss  Mary  Dun,  lille  du  direc- 
teur de  grammaire  d'Aberdeen ,  il  ne  conserva  pas  longtemps  sa 
femme  et  eut  la  douleur  de  voir  mourir  les  deux  fils  qu'il  avait  eus,  à 
un  âge  peu  avancé.  Ces  deuils  domestiques  altérèrent  profondément  sa 
santé.  Il  quitta  la  chaire  qu'il  occupait  au  collège  d'Aberdeen  et  vécut 
dès  lors  dans  la  solitude. 

BEAUCAIRE  (François  de  Péguillon)  [1514-1591]  remplit  durant  les 
luttes  religieuses  du  seizième  siècle  un  rôle  secondaire,  mais  parfois 
d'autant  plus  important.  Il  s'attacha  à  Charles  de  Lorraine,  dont  il 
avait  été  le  précepteur,  et  qui  se  démit  en  sa  faveur  de  l'évêché  de 
Metz  (  1555).  11  le  suivit  à  Trente,  où  il  prononça,  à  l'occasion  de  la  ba- 
taille (!«•  Dieux  (15()2),  où  il  avait  perdu  un  neveu,  un  discours  resté 
célèbre  par  l'éloquence  avec  laquelle  il  rappela  aux  Pères  du  concile 
que  leurs  intérêts  personnels  devaient  céder  le  pas  à  ceux  de  l'Eglise. 
La  question  des  mariages  clandestins  soulevant  autant  d'avis  que  de 
votants,  Beaucaire  lit  adopter  une  formule  assez  élastique  pour  que 
chacun  y  trouvât  son  compte.  Il  montra  plus  de  fermeté  apparente 
dans  la  question  de  la  suprématie  pontificale.  A  l'instigation  de  Charles 
de  Lorraine,  qui  l'envoyait  «  sonder  le  gué  »,  il  soutint  fortement  que 
les  évêques,  successeurs  des  apôtres,  tirent  leur  autorité  de  Dieu 
même,  et  non  pas  d'une  délégation  du  pape.  La  thèse  démontrée,  il 
laissa  le  cardinal  décliner  toute  solidarité  avec  lui  et  nier  même  qu'il 
eût  rit  son  précepteur.  En  15()8  il  remit,  comme  il  en  était  convenu. 
-on  évêché  a  la  maison  de  Guise,  au  cardinal  Louis.  Il  avait  signale 
-mi  épiscopa!  par  une  controverse  dans  laquelle  il  soutint  contre  les 
calvinistes  lu  damnation  des  enfants  morts  sans  baptême.  Il  avait 
i  ssayé,  au  rapport  de  Bèze,  mais  sans  succès,  de  joindre  à  la  discus- 
sion mu-  persécutioB  effective.  Après  sa  démission,  il  se  retira  au  châ- 
teau de  la  Creste,  près  Montluçon,  où  il  était  né  et  où  il  mourut.  Il  \ 
consacra  ses  loisirs  a  son  Rerum  Gallicarum  Commentaria  ab  anno  1461 
ad  annum  1580.  Cette  histoire  s'arrête  pourtant  à  1507.  Longtemps 
ignorée  sur  les  rayons  de  sa  bibliothèque,  elle  fut  découverte  et  pu- 
bliée à  Lyon  (102b,  1  vol.  in-fol.i   par  Philippe  Dinet.   lieaucaire  pré- 


148  BEAUCAIRE  —  BEAUREGARD 

tend  Tavoir  composée  «  sans  esprit  de  faveur  et  de  haine  ».  11  n'en  a 
pas  moins  oublié  souvent  envers  les  calvinistes  la  modération  qui  ne 
l'abandonne  jamais  quand  il  s'agit  des  Guise  (voy.  Bèze,  Hist.  étiolés., 
liv.  XYI;  Paîlavicinus ,  lib.  XIX,  6;  Fra  Paolo,  Hist.  du  Conc.  de 
Trente).  P.  Rouffet. 

BEAUMONT  (François  de),  baron  des  Adrets.  Voyez  Adrets. 
BEAUMONT  (Christophe  de)  [1703-1781],  né  au  château  de  la  Roque, 
dans  le  diocèse  de  Sarlat,  évêque  de  Bayonne  en  1741,  archevêque  de 
Vienne  en  1745  et  de  Paris  en  1746.  Il  soutint  avec  énergie  l'auto- 
rité de  la  bulle  Unigenitus  contre  les  jansénistes,  ordonnant  aux  prê- 
tres  de  son  diocèse  de  refuser  l'absolution  et  les  funérailles  ecclé- 
siastiques à  tous  ceux  qui  ne  pourraient  pas  prouver  par  des  billets 
de  confession  qu'ils  s'étaient  habituellement  confessés  à  des  prêtres 
en  règle  vis-à-vis  du  saint-siége.  C'est  en  vain  que  le  parlement  me- 
naça l'archevêque  de  la  mise  sous  séquestre  de  ses  revenus  (1752). 
Celui-ci  tint  bon,  et  la  plupart  des  évêques  de  France  se  joignirent 
à  lui  pour  soutenir  contre  les  parlements  le  droit  absolu  de  l'Eglise 
de  disposer  des  sacrements.  Le  roi  intima  l'ordre  au  parlement  de 
Paris  de  ne  plus  se  mêler  des   affaires  ecclésiastiques   et,   sur  son 
refus,  le  suspendit.  Toutefois,  le  parlement  ayant  été  rappelé  en  1754 
et  persistant  dans  son  refus,  l'archevêque,  par  un  de  ces  revirements 
fréquents  dans  la  politique  de  Louis  XIV,  fut  à  son  tour  exilé.  Mgr  de 
Beaumont   déploya,   pour  combattre  les  progrès  de   la   philosophie 
anti-chrétienne,  je  même  zèle  qu'il   avait  montré  contre   les  jansé- 
nistes. Le  mandement  qu'il  publia  en  1762  contre  Y  Emile  lui  valut  la 
Lettre  à  M.  de  Beaumont,  qui  est  sans  contredit  l'une  des  œuvres  les 
plus  fortes  et  les  plus  éloquentes  sorties  de  la  plume  de  J.-J.  Rousseau. 
L'illustre  exilé  établit  qu'en   demandant  pour  la   religion  la  liberté 
d'examen  et  de  discussion,  il  est  plus  respectueux  pour  elle,  plus  con- 
fiant dans  sa  puissance,  et  par  conséquent  plus  croyant  que  ses  adver- 
saires qui  s'appuient  sur  le  bras  temporel  et  les  lois  restrictives  de 
l'Etat  pour  maintenir  le  prestige  de  l'Eglise.  Mgr  de  Beaumont  unissait 
à  la  fermeté  et  au  courage  qu'il  lit  voir  dans  plusieurs  circonstances 
vis-à-vis  de  la  cour  une   charité  inépuisable  qui  le  rendit  populaire 
parmi  les  pauvres.  On  a  de  lui  plusieurs  volumes  de  Mandements  et  de 
Lettres  pastorales  qui  présentent  un  grand  intérêt  (voy.  Ferlet,  Eloge 
funèbre  de  Mgr  de  Beaumont,  P.,  1784). 

BEAUREGARD,  jésuite,  né  en  1730,  à  Pont-à-Mousson.  Ce  fameux 
prédicateur  n'a  rien  laissé  d'imprimé,  et  peut-être  sa  renommée 
y  a-t-elle  gagné,  car,  comme  celle  du  P.  Bridaine  dont  elle  rappelait  la 
vigueur,  son  éloquence  tenait  plutôt  du  missionnaire  que  de  l'orateur- 
mais  il  s'imposait  à  l'auditoire  le  plus  cultivé  autant  par  son  renom 
de  sainteté  que  par  sa  rude  franchise.  Il  fit  sensation  à  la  cour,  en  1789, 
par  ses  sermons  du  carême.  On  se  souvint  à  la  Révolution  des  paroles 
prophétiques  par  lesquelles  il  avait  annoncé,  treize  ans  auparavant, 
dans  la  chaire  de  Notre-Dame,  les  profanations  de  ce  sanctuaire  et  la 
substitution  du  culte  de  Vénus  à  celui  du  Très-Haut.  Réfugié  de  bonne 
heure  à  Londres,  Beauregard  y  continua  ses  prédications,  mais  il  oublia 


BEAUREGARD  —  BEAUSOBRE  149 

que  les  U  mps  étalent  changés.  Plus  porté  à  condamner  qu'à  consoler 
ses  compagnons  d'exil,  il  dut  renoncer  à  la  chaire.  Il  se  retira  à  Maes- 
tricht,  [)iiis  à  Cologne,  et  enfin  chez  la  princesse  Sophie  de  Holienlohe 
OÙ  il  mourut  en  1804. 

BEAUSOBRE  (Isaac  de),  né  à  Mort  le  8  mars  1659,  pasteur  à  Châ- 
tillon-sur-lndre  de  1683  à  1685,  se  réfugia  en  Hollande  après  la  révo- 
cation de  Tédit  de  Nantes,  fut  appelé  en  1()8()  à  Dessau  comme  chape- 
lain de  la  princesse  d'Anhalt.  En  1695  il  devint  pasteur  de  l'Eglise 
française  de  Berlin,  et  il  est  mort  dans  cette  ville,  où  il  a  exercé  son 
ministère  pendant  quarante -trois  ans,  le  5  juin  1738.  Frédéric  le 
Grand,  dans  une  lettre  à  Voltaire,  le  nomme  un  grand  orateur,  et 
Formey  a  dit  de  lui  que  la  Réformation  a  produit  peu  de  prédicateurs 
de  sa  volée.  Il  disait  lui-même  que  le  prédicateur  doit  émouvoir  ses 
auditeurs,  et  que  cet  effet  n'est  le  résultat  ni  des  grands  mouvements 
ni  des  grandes  ligures,  mais  des  sentiments  qui  sortent  de  son  cœur. 
On  n'a  de  Beausobre,  à  l'exception  du  Sermon  funèbre  de  Jean- 
George  II .  prince  d'Anhalt,  prononcé  en  1693,  que  des  sermons  de  sa 
vieillesse  sur  le  XIIe  chapitre  de  répitre  aux  Romains  et  sur  le  cha- 
pitre XI  de  l'évangile  selon  saint  Jean,  prêches,  les  uns  en  1730  et 
1731,  les  autres  en  1735  et  173(3,  et  publiés  après  sa  mort.  Il  y  en  a 
souvent  plusieurs  sur  le  même  texte,  sept,  par  exemple,  dans  le  second 
recueil,  sur  le  verset  47.  Quelquefois  les  développements  sont  suffi- 
sants, et  Ton  rencontre  çà  et  là  des  pages  émues;  mais  en  général  les 
sermons  écrits  ne  sont  que  de  simples  canevas  des  sermons  prêches. 
Beausobre  affirmait  la  résurrection  de  Jésus-Christ  et  les  miracles  rap- 
portés dans  les  Evangiles;  il  combattait  l'incrédulité;  mais  il  s'interdi- 
sait de  porter  en  chaire  les  sujets  débattus  entre  chrétiens.  «  Vous  êtes 
bien  enseignés,  mes  frères,  disait-il  en  caractérisant  la  prédication  en 
usage  de  son  temps  à  Berlin.  Ici  point  de  docteurs  qui  viennent  vous 
repaître  ou  de  disputes  sur  les  mystères,  ou  d'explications  allégoriques 
«le-  ligures  de  la  Loi.  On  s'attache  à  confirmer  les  vérités  capitales  de 
la  religion,  on  combat  les  superstitions,  surtout  on  insiste  sur  les 
devoirs  de  la  morale.  »  C'est  sans  doute  de  peur  d'encourager  au  ren- 
voi de  la  conversion,  qu'il  se  refusait  à  prêcher  que  l'homme  étant 
ju>tiiié  par  la  foi,  et  non  par  les  œuvres,  la  vie  éternelle  lui  est  assurée 
a  <ause  de  la  mort  de  Jésus-Christ,  s'il  témoigne,  en  mourant,  qu'il 
croit  en  lui,  et  qu'il  soit  touché  de  repentir  {Sermons  sur  Romains, 
XII,  t.  II.  (>.  %){\).  Le  prince  luthérien  de  Saxe-Barby  ayant 
embrasse  le  calvinisme,  et  George  Mœbius  ayant,  avec  l'approbation 
de  la  faculté  de  théologie  de  Leipzig,  écrit  contre  son  changement  de 
religion,  Beausobre  publia,  pour  le  justifier,  sa  Défense  de  la  doctrine 
é  !  Réformé*  tur  la  Providence,  la  Prédestination,  la  Grâce  et  l'Eucha- 
ristie, Hagdebourg,  1693.  L'électeur  de  Brandebourg,  informé  que  les 
anciennes  versions  françaises  des  saintes  Ecritures,  dont  la  langue 
a*ail  vieilli,  ne  répondaient  plus  aux  besoins  de  l'édification,  le  char- 
i  p'-ine  arrivé  à  Berlin,  conjointement  avec  Jacques  Lenl'anl,  l'un 
de  ses  collègues  dans  le  pastorat,  par  un  décret,  de  revoir  celles  du 
Nouveau  Testamenl  ou  d'en  entreprendre  une  traduction  nouvelle.  Il 


150  BEÀUSOBRE 

s'arrêtèrent  à  ce  dernier  parti  et  se  partagèrent  le  travail  tout  en  le 
poursuivant  dans  une  entente  parfaite.  Beausobre  se  chargea  des  épitres 
de  saint  Paul;  la  préface  générale  sur  ces  épitres  est  aussi  de  lui.  L'ou- 
vrage parut  à  Amsterdam  en  1718,  en  deux  volumes  in-4°,  sous  ce 
titre  :  Le  Nouveau  Testament  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ,  traduit 
sur  l'original  grec,  avec  des  notes  littérales.  Les  deux  auteurs  le  présen- 
tèrent au  roi  de  Prusse  et,  sur  sa  demande,  y  ajoutèrent  une  dédicace  au 
prince  royal,  due  à  la  plume  de  Beausobre,  où  il  soutient  la  thèse 
dangereuse  que  les  princes  doivent  être  les  défenseurs  de  la  foi.  La 
Chapelle  a  donné  à  La  Haye,  en  1742,  comme  supplément  à  la  version 
de  Berlin,  et  dans  le  même  format,  un  ouvrage  posthume  de  Beau- 
sobre, en  deux  volumes,  intitulé  :  Remarques  historiques,  critiques  et 
philologiques  sur  le  Nouveau  Testament.  Quelquefois  il  y  corrige  Len- 
fant,  d'autres  fois  il  s'y  corrige  lui-même.  Il  y  critique  aussi  les  nou- 
velles versions  publiées  depuis  peu,  celle  dite  de  Mons,  celles  de 
Richard  Simon  et  de  David  Martin,  et  surtout  celle  de  Le  Clerc,  à 
laquelle  il  revient  sans  cesse.  L'orthodoxie  de  Beausobre  avait  été  atta- 
quée en  1719  dans  une  brochure  par  Dartis,  ancien  pasteur  à  Berlin,  à 
propos  de  ses  notes  sur  quelques  passages,  et  il  y  avait  répondu  aus- 
sitôt. 11  maintient  ici  l'interprétation  de  Phil.  II,  6,  et  Col.  Il,  9,  dont 
Dartis  prétendait  qu'il  avait  altéré  le  sens,  et  l'accuse  lui-même  de 
favoriser  l'arianisme  par  un  zèle  sans  science  (t.  II,  p.  48).  Les 
Remarques  se  suivent  dans  le  même  ordre  que  les  livres  et  les  cha- 
pitres auxquels  elles  se  rapportent.  Plusieurs  sont  de  longues  disser- 
tations, suggérées  au  savant  auteur  par  ses  lectures,  et  qui  ne  ser- 
vent pas  toujours  à  l'éclaircissement  du  texte.  Beausobre  s'était 
proposé  pendant  son  séjour  à  Dessau  d'écrire  l'histoire  de  la  Réforma- 
tion, et,  pour  la  mieux  comprendre,  il  lui  parut  nécessaire  d'étudier 
aussi  celle  des  sociétés  chrétiennes  qui,  avant  le  seizième  siècle,  s'é- 
taient séparées  de  l'Eglise  grecque  et  de  l'Eglise  latine,  ou  en  avaient 
été  retranchées.  Il  ne  s'en  tint  même  pas  là  :  de  nombreuses  condam- 
nations à  mort  ayant  été  prononcées  en  divers  lieux,  à  partir  du  com- 
mencement du  onzième  siècle,  sous  prétexte  de  manichéisme,  contre 
les  Vaudois,  il  voulait  pouvoir  comparer  leurs  doctrines  avec  celles 
qu'on  leur  attribuait.  Telle  est  l'origine  de  son  Histoire  de  Manichèe  et 
du  manichéisme,  2  vol.  in-4°,  dont  le  premier  parut,  de  son  vivant,  en 
1734,  à  Amsterdam,  et  le  second  en  1739,  un  an  après  sa  mort,  par 
les  soins  de  Formey.  La  première  partie  contient  l'histoire  de  Mani- 
chèe et  du  manichéisme,  d'abord  d'après  les  auteurs  grecs  et  latins, 
et  ensuite  d'après  les  Syriens,  les  Persans  et  les  Arabes,  et  Beausobre 
fait  voir  que  ces  deux  histoires  n'ont  presque  rien  de  commun  entre 
elles.  Personne  n'avait  révoqué  en  doute  avant  lui  l'authenticité  des 
Actes  de  la  dispute  entre  Archélaus,  évêque  de  Mésopotamie,  et  V héré- 
siarque Mânes.  Il  soutient  que  ce  n'est  qu'un  roman  composé  entre 
les  années  330  et  340  par  un  Grec,  dans  l'intention  de  réfuter  le  mani- 
chéisme et  de  donner  à  la  foi  orthodoxe  l'avantage  d'en  avoir  triom- 
phé en  confondant  le  chef  de  cette  hérésie,  mis  en  scène  comme  la 
défendant  en  personne.  La  deuxième  partie  est  dogmatique.  Beausobre 


BEAUSOBRE  —  KEAUVAIS  151 

reproche  à  saint  Augustin  d'avoir  souvent  mal  représenté  les  croyances 
des  manichéens,  accueillant  des  fables  qui  leur  étaient  défavorables, 
donnant    un  mauvais  tour  à  des  paroles  évidemment  innocentes,  et 

irigeanl  en  dogmes  de  la  secte  des  conséquences  qu'elle  désavouait.  II 
prétend  même  que  saint  Augustin  n'avait  pas  lu  les  livres  des  mani- 
i  uéens  qui  existaient  de  son  temps  et  dont  il  aurait  pu  tirer  avantage 
contre  eux  en  les  citant  dans  ses  disputes,  ce  qu'il  ne  fait  jamais. 
Beausobre  voulait  s'occuper  dans  un  troisième  volume  des  hérétiques 
modernes  accusés  de  manichéisme;  mais  il  n'a  pu  exécuter  ce  dessein. 
On  a  de  lui  un  Supplément  à  l'Histoire  de  la  guerre  des  Hussiles,  im- 
primé à  Lausanne  en  1745  avec  deux  autres  pièces  trouvées  parmi  ses 
papiers,  V Examen  de  la  nouvelle  hypothèse  de  M.  Mosheim  touchant  1rs 
Nazaréens,  et  des  Observations  critiques  sur  l'extrait  que  M.  du  Pin  a 
donné  des  lèvres,  d'Optat.  Quant  à  Y  Histoire  de  la  Réformation,  ou  Ori- 
gine >■!  /jrogrès  du  luthéranisme  dans  V Empire  et  les  Etats  de  la  Confes- 
sion d'Augsbmug  depuis  1517  jusqu 'en  1530,  projetée  dès  sa  sortie  de 
France  et  à  laquelle  Beausobre  revenait  toutes  les  fois  qu'il  en  avait  le 
loisir,  elle  n'a  vu  le  jour  qu'en  1785  et  1786,  à  Berlin,  en  quatre  vo- 
lumes in-8°,  dont  Pajon  des  Moncets  a  été  l'éditeur.  L'auteur  y  suit 
Nrkendorl',  dont  l'ouvrage,  Commentarius  historicus  et  apologeticus  de 
lutheranismo,  publié  de  1686  à  1692,  venait  de  paraître  lorsqu'il  com- 
mença le  sien,  et  il  lui  emprunte  un  grand  nombre  de  documents.  Ce 
qui  lui  appartient  en  propre,  c'est  l'appréciation  du  caractère,  de  la 
conduite  et  des  écrits  des  hommes  qui  iigurent  dans  cette  histoire.  Ses 
jugements  sur  Luther  sont  souvent  sévères,  et  son  blâme  est  en  maints 
endroits  plein  d'aigreur.  Beausobre  a  inséré  des  articles  importants 
dans  la  Bibliothèque  germanique  (Amst.,  1720-1740),  et  il  en  fut  long- 
temps  le  directeur.  Marié  deux  fois,  il  eut  sept  enfants.  Deux  de  ses 
lils  se  sont  fait  connaître  par  leurs  écrits.  En  1785,  un  siècle  après 
la  révocation  de  l'édit  de  Nantes,  il  ne  restait  de  cette  nombreuse 
famille  qu'une  petite  fille  de  Beausobre,  qui  dédia  au  roi  de  Prusse  la 
dernière  œuvre  de  son  grand-père.  La  Chapelle  et  Formey  ont  ajouté 
des  notices  sur  sa  vie  aux  ouvrages  posthumes  édités  par  eux.  Voir 
aussi  la  France  prolestante-.  H.  Lutteroth. 

BEAUVAIS    (  Uellocaci) ,   évêché    suffragant  de  Reims.    On   donne 

comme  le  premier  évèque  de  Beauvais  saint  Lucien,  compagnon  de 

ttint  Denis  et  martyr.    Ce   n'est  pourtant  qu'à  partir  du   neuvième 

siècle  (|n  on  trouve  le  titre  d'évéque  joint  à  son  nom.  Les  évêques  qui 

ûvirent  n'ont  point  laissé  de  traces.  Eudes  1er,  moine  de  Corblc 

$6i-$8i),  a  écrit  l'histoire  de  saint  Lucien  (AA.  SS.9  8  janv.  1).  Le 
cardinaj  .Iran  de  Donnans  (Johannes  dictas  Dormiens,  1360-1368)  fonda 

11  137Q  I'1  collège  de  Dormans-Beauvais  à  Paris.  Il  faut  encore  nom- 
mer  Milon  de  Donnans,  son  neveu,  comme  lui  grand-chancelier  de 
France,  Pierre  Çauchon  (Calceo,  1420-1432),  dont  le  nom  est  demeuré 
1  "  horreur  aux  Français,  Odet  de  Châtillon,  qui  embrassa  la  Réforme 

L53S-1502),  et  le  cardinal  de  Forbin-Janson  (1679-1713),  grand-aumô- 

duroyaume.nsetint  à  Beauvais  plusieurs  synodes  (Hefele,IV  et  V:. 

k'évêqui  Mois  (998-1022)  avait  reçu  du  roi  Robert  le  comté 


152  BEAUVAIS  —  BÉCAN 

de  Beauvais;  ses  successeurs  furent  de  ce  l'ait  pairs  du  royaume.  Leur 
admirable  cathédrale  gothique,  Saint-Pierre,  est  du  treizième  siècle. 
On  remarque  aussi  l'église  de  la  Basse-Œuvre,  du  huitième  siècle.  — 
Voy.  Delettre,  Hist.  du  Dioc.  de  B.,  3  vol.,  1842  ;  Gallia,  IX. 

BEAUVAIS  (Marie  de),  né  à  Cherbourg  en  1733,  mort  en  1790,  fut, 
avec  le  P.  Guénard  et  l'abbé  de  Boismont,  l'un  des  prédicateurs  les 
plus  goûtés  de  son  temps.  Sa  réputation  et  son  crédit  à  la  cour  le 
firent  nommer  évoque  de  Senez  (1775);  mais  il  se  démit  de  cette 
charge  (1783)  et  revint  à  Paris,  où  il  avait  obtenu  de  grands  succès.  Il 
fut  député  aux  Etats  généraux.  On  cite  son  Oraison  funèbre  de 
Louis  XIV.  Le  cardinal  Maury  le  met  au  nombre  des  prédicateurs 
français  du  second  rang,  dont  il  dit  «  qu'on  trouverait  dans  leurs  ou- 
vrages d'éloquents  sermons  »  qui  formeraient  un  recueil  excellent 
(Essai  sur  V éloquence  de  la  chaire,  chap.  LX).  On  a  4  volumes  de  ses 
Sermons,  édités  par  l'abbé  Galard,  Paris,  1806. 

BEC  (Abbaye  du)  [Beccum  Herluini,  Eure,  diocèse  de  Rouen],  célèbre 
par  la  sévérité  de  sa  règle  et  la  culture  des  lettres.  Saint  Helluin,  che- 
valier, transporta  en  ce  lieu,  en  1040,  le  couvent  qu'il  avait  bâti  en 
1034  à  Bonneville.  De  l'école  que  Lanfranc  y  ouvrit  sortirent  saint  An- 
selme, le  pape  Alexandre  II,  Guitmond,  Yves  de  Chartres,  ainsi  que 
Gilbert  et  Miles  Crespin,  qui  ont  écrit  (v.  1150)  la  vie  des  premiers  ab- 
bés du  Bec.  Ces  biographies  se  trouvent  dans  l'Appendice  du  Lanfranc 
de  d'Achery,  de  môme  que  la  chronique  du  Bec,  attribuée  à  Robert  de 
Thorigny  (f  1186,  voir  aussi  Bouquet)  et  continuée  par  des  anonymes. 
L'abbaye  du  Bec,  autrefois  chef  d'ordre,  fut  exemptée  vers  l'an  1100 
des  droits  épiscopaux.  La  réforme  de  Saint-Maur  y  fut  introduite  en 
1626.  En  1563,  le  monastère  avait  été  pillé  par  les  protestants.  Les  bâ- 
timents du  couvent  sont  aujourd'hui  un  dépôt  de  remonte;  de  l'église, 
dédiée  en  1343,  et  qui  était  sous  l'invocation  de  Notre-Dame,  il  ne 
reste  plus  qu'une  haute  tour  du  quinzième  siècle.  —  Voy.  Gallia  chris- 
tiana,  XI,  216;  Mém.  de  la  Soc.  des  Antiq.  de  Normandie,  1841  ;  Monas- 
ticon  Galiicanum,  par  Peigné-Delacourt  et  Léopold  Delisle,  1873,  in-4°, 
pi.  114;  Bibl.  de  VEc.  des  Chartes,  1876,  p.  519.  S.  Berger. 

BÉCAN  (Martin)  [1550-1624].  Longtemps  professeur  de  philosophie, 
puis  de  théologie  dans  les  collèges  de  son  ordre,  ce  jésuite  belge  mé- 
rita la  faveur  de  l'empereur  Matnias,  qui  le  retint  à  Vienne,  et  de  son 
successeur  Ferdinand  II ,  qui  en  fit  son  confesseur.  Cette  fonction  et 
ses  écrits  font  juger  de  l'ardeur  avec  laquelle  il  seconda  la  politique 
dont  la  guerre  de  Trente  Ans  fut  le  fruit.  Tous  ses  ouvrages  sont  con- 
çus dans  l'esprit  de  l'ultramontanisme  le  plus  intransigeant;  mais  ce 
qui  distingue  Bécan ,  c'est  l'acharnement  avec  lequel  il  combattit 
l'Eglise  protestante  en  général  et  l'Eglise  anglicane  en  particulier.  Il 
s'attaqua  à  diverses  reprises  à  Jacques  Ier  et  il  alla  jusqu'à  soutenir, 
dans  sa  Controversia  anglicana  de  potestate  régis  et  ponti/icis  (Mayence, 
1612,  in-8°),  la  légitimité  éventuelle  des  attentats  contre  la  vie  des  sou- 
verains. La  cour  de  Rome  jugea  prudent  de  condamner  l'ouvrage, 
mais  de  hautes  influences  empêchèrent  la  faculté  de  théologie  de  Paris 
de  lui   infliger  même    une   simple  censure.   Une  autre  doctrine  qui 


BEOAN  —  BECKET  L53 

appartient  moins  en  propre  à  la  Société  de  Jésus,  puisque  L'empereur 
Sigismond  l'avait  déjà  mise  en  pratique  contre  Jean  Huss ,  fut  aussi 
l'objet  des  spéculations  de  Bécan.  11  l'exposa  dans  ses  Qusestiones  de  fide 
hœreticis  seroanda  (Mayence,  1609,  in-8°).  On  ne  voit  pas  que  ses  théo- 
ries sur  ce  point  lui  aient  attiré  le  moindre  désaveu  (Alegambe,  Bibl. 
Scrip.  S.  ./. ;  Valerius  Andréas,  Bibl.  Belg.,  etc.).        p-  Rouffet. 

BECK  (Jacques-Christophe)  [1711-1785]  professa  l'histoire  et  la  dog- 
matique à  Bàle,  sa  ville  natale.  On  a  de  lui  une  Synopsis  Tnstitutioiium 
univers»  theologiœ  naturalis  et  revelaUv,  dogmçiticae,palemic&  et  practicœ, 
Bas.,  1 7Ti-S.  qui  marque  la  transition  entre  la  rigidité  de  l'orthodoxie 
confessionnelle  et  l'esprit  plus  large  de  la  théologie  moderne.  Son  Dtc- 
tionnaire  biblique  (1770)  eut  beaucoup  d'éditions  et  jouit  pendant  long- 
temps d'une  considération  méritée.  Beck  publia  aussi  un  certain  nom- 
bre de  dissertations  latines,  parmi  lesquelles  nous  ne  citerons  que  son 
curieux  traité  De  Diluvio  Noaf:kico  universali,  B.,  1738,  in-4°,  complété 
par  un  autre  De  Partibm  orbis  quas  ante  diluvium  Noachicum  hommes 
incoluisse  videntur,  B.,  1739,  in-4°.  Un  traité  contre  les  séparatistes 
<  Ungintnd  des  Separatismus,  Bas.,  1779)  achève  de  caractériser  la  ten- 
dance à  laquelle  se  rattachait  notre  auteur. 

BECKET  (Thomas),  l'un  des  défenseurs  les  plus  ardents  de  l'autorité 
papale  et  des  droits  absolus  de  l'Eglise  vis-à-vis  de  l'Etat,  né  à  Londres 
wers  1119,  après  des  études  brillantes  à  Paris,  attira  par  ses  talents  l'at- 
tention de  Théobald,  archevêque  de  Cantorbéry,  qui  le  nomma  archi- 
diacre de  la  cathédrale.  Une  capacité  extraordinaire  et  Fart  consommé 
du  courtisan  lui  concilièrent  bientôt  la  faveur  d'Henri  II,  qui  l'éleva  à 
la  dignité  de  grand-chancelier  du  royaume.  Le  clergé  anglo-normand, 
profitant  des  désordres  du  règne  si  agité  d'Etienne,  avait  réussi  à  re- 
conquérir en  partie  son  indépendance  en  face  du  pouvoir  royal. 
Henri  II,  reprenant  la  tradition  des  rois  de  la  race  anglo-normande, 
voulut  rétablir  ses  prérogatives  dans  leur  plénitude  et  trouva  dans  son 
chancelier  un  instrument  aussi  docile  que  dévoué  de  ses  desseins. 
Compagnon  de  chasse  et  de  plaisir  de  son  souverain,  dont  il  était  le 
plus  intime  confident,  entouré  d'un  faste  vraiment  royal,  Becket  sem- 
blait avoir  renoncé  pour  jamais  à  l'ascétisme  et  aux  principes  ecclé- 
siastiques de  sa  jeunesse.  Tout  entier  à  l'œuvre  présente,  il  ne  voulait 
entendre  parler  que  des  droits  du  pouvoir  civil  (A.  Thierry,  Conq.  de 
/'  Iny.,  V  édit.,P.,  183(),  IV,  p.  102-lOi),  et,  malgré  l'opinion  contraire 
de  Reuter  (Gesch.  d.Papstes  Alexander  ]//,  3  vol.,  2e  éd.,  1864-66,  VI, 
p.  330),  il  est  difficile  de  le  justifier  du  reproche  de  duplicité.  Elevé  en 
1  H'rl  par  la  laveur  royale  à  la  dignité  suprême  de  primat  d'Angleterre, 
I  homas  Becket  devint,  pour  ainsi  dire,en  un  moment  un  homme  nouveau, 
on  bien,  renonçant  au  rôle  qu'il  avait  joué  jusqu'alors,  parvenu  au  terme 
de  son  ambition,  résolutde  sacrifier  son  bienfaiteur  à  son  devoir,  rendit 
les  sceaux  au  roi  et  révéla  bientôt  la  transformation  qui  s'était  accom- 
plie en  lui  par  son  ascétisme,  par  le  relus  qu'il  opposa  au  synode  de 
Westminster  de  soumettre  les  prêtres  indignes  à  la  justice  royale. 
enfin  par  le  soin  jaloux  qif  il  prit  de  se  faire  remettre  le  pallium  par 
le  pape  lui-même  au  concile  de  Tours  (1163)  pour  éviter  l'investiture 


154  BECKET  —  BEDA 

royale,  ce  qui  lui  attira  le  blâme  de  ses  partisans  les  plus  dévoués 
(Neander,  K.  G.,  4e  éd.,  Gotha,  1864,  VII,  278).  Furieux  de  cette  résis- 
tance inattendue,  Henri  II  convoqua,  en  1164,  les  grands  du  royaume 
à  Clarendon.  Après  une  vive  résistance,  Becket  consentit  à  signer  les 
XVI  constitutions  (Mansi,  XXI,  1187),  qui  faisaient  rentrer  le  clergé 
dans  le  droit  commun.  Convaincu  d'avoir  manqué  par  faiblesse  à  son 
devoir,  l'archevêque,  après  avoir  cherché  sa  consolation  auprès  du 
pape,  voulut  fuir,  mais  il  se  vit  retenu  par  des  vents  contraires.  Le  roi, 
poussé  à  bout,  le  somma  de  comparaître  à  Northampton  ,  devant  les 
Etats  du  royaume,  pour  rendre  compte  de  sa  gestion  comme  chance- 
lier, bien  qu'il  eût  été  dégagé  de  toute  responsabilité  lors  de  sa  sortie 
de  charge.  Becket,  bien  qu'abandonné  par  une  partie  de  son  clergé, 
ne  craignit  pas  d'en  appeler  au  pape  et  dut  chercher  son  salut  dans 
l'exil.  Les  six  années  qui  suivent  (1164-1170)  sont  toutes  remplies  par 
les  diverses  vicissitudes  de  la  lutte  entre  les  deux  pouvoirs  et  par  de 
nombreuses  tentatives  de  réconciliation.  Réfugié  d'abord  à  Sens,  puis 
à  l'abbaye  de  Pontigny  en  Bourgogne,  Becket  voit  ses  parents  et  ses 
amis  jetés  en  prison  ou  envoyés  en  exil,  et  la  cour  papale  elle-même, 
menacée  par  Henri  II  de  se  voir  préférer  l'antipape ,  ou  gagnée  par 
l'or  anglais,  blâmer  son  àpreté  et  lui  conseiller  la  modération,  il  n'en 
lance  pas  moins  de  Vézelay  (1168)  l'excommunication  contre  les  dé- 
tenteurs des  biens  ecclésiastiques.  Malgré  la  protection  du  roi  de 
France  Louis  VII,  il  se  voit  presque  abandonné  par  Alexandre  III, 
dont  il  ne  sait  ni  comprendre  la  situation  délicate  ni  excuser  la  diplo- 
matie, et  en  vient  à  douter  presque  de  son  infaillibilité.  Toutefois, 
en  1170,  son  inflexible  volonté  l'emporta.  Menacé  à  son  tour  de  l'ex- 
communication par  le  pape,  dont  la  politique  a  varié  avec  les  intérêts, 
le  roi  consent  à  lui  rendre  toutes  ses  prérogatives  et  à  laisser  tomber 
en  désuétude  les  constitutions  de  Clarendon.  Rentré  à  Cantorbéry 
avec  le  pressentiment  d'une  fin  prochaine,  Becket,  voyant  le  roi  man- 
quer à  ses  engagements  et  ne  pas  rendre  à  l'Eglise  les  biens  et  les 
droits  dont  il  l'avait  dépouillée,  lança  l'excommunication  contre  les 
prélats  d'York  et  de  Londres.  Une  menace  échappée  dans  un  banquet 
à  la  fureur  du  roi  arma  contre  lui  quatre  chevaliers,  qui  l'assassinè- 
rent au  pied  des  autels  le  29  décembre  1170.  11  obtint  par  sa  mort  tra- 
gique, qui  fut  envisagée  comme  un  martyre  par  ses  contemporains  et 
lui  assura  la  canonisation,  le  succès  que  n'avaient  pu  lui  assurer  de  lon- 
gues années  de  luttes  et  d'épreuves,  et  Henri  II  dut  renoncer  pour  un 
temps  sur  le  tombeau  de  sa  victime  à  ses  prérogatives  et  reconnaître 
l'indépendance  de  l'Eglise.  L'Eglise  catholique  célèbre  sa  fête  le 
29  décembre.  —  Voy.  Reuter,|  A.  Thierry,  ouvrages  cités  ;  Giles,  Life 
and  letters,  etc.,  London,  1846;  Weber,  Weltgesch.,  Leipzig,  1858,  VII, 
258  et  ss.  ;  la  bibliographie  dans  Hase,  K.  £.,9(  éd.,  1867,  p.  224. 

A.  Paumier. 

BEDA   (Natalis,  Noël  Bédier),   docteur  et   syndic  de   la  faculté  de 

théologie  de  Paris,  mort  en  1536  à  l'abbaye  du  Mont-Saint-Michel.  11 

fut  principal  du  collège  de  Montaigu  et  s'opposa  au  projet  qu'avait 

François  Ier   de  faire    approuver   par    la   Sorbonne    le    divorce    de 


BÈDÀ  —  BEDE  155 

Henri  VIII.  roi  (^Angleterre.  Beda  l'ut  l'un  des  adversaires  les  plus  pas- 
sionnes de  la  Réforme.  Il  obtint  dé  la  Sorboiine  (1521)  une  condam- 
nation des  écrits  de  Lefèvre  d'Etaplés,  et,  sans  l'opposition  du  roi,  il 
eût  arraché  la  même  condamnation  au  parlement.  Ce  fut  lui  qui ,  en 
1523,  à  propos  des  écrits  de  Louis  Berquin,  rédigea  l'Avis  de  la  Sor- 
bonne,  réclamant  la  persécution  de  tous  ceux  qui  favorisent  la  pro- 
pagation des  doctrines  hérétiques.  Berquin  ayant  dénoncé  comme 
impies  1-  propositions  tirées  des  ouvrages  de  Beda,  François  I"  les 
soumit  (1527)  à  la  Sorbonne,  afin  qu'elle  les  justifiât  par  des  textes 
bibliques.  Ce  jugement  n'a  jamais  été  rendu.  Parmi  les  ouvrages  de  Beda 
nous  citerons  un  traité  De  unica  Magdalena,  P.,  1519,  réfuté  par  Le- 
fèvre d'Etaplés;  une  Apnhgia  pro  filiabus  et  nepotibus  Annie,  P.,  1520, 
contre  Lefèvre  ;  un  écrit  Contra  commentarios  Fabri  in  Evangeiio 
Hb.  IL  P.,  lo2();  un  autre  In  Erasmi  paraphrases,  etc.  Rabelais  lui 
attribue,  à  cause  de  sa  gourmandise  devenue  célèbre,  un  traité  De 
Optimitate  triparum,  que  Beda  prétendait  avoir  trouvé  dans  la  biblio- 
thèque de  Saint- Victor,  sous  le  titre  de  Pantofla  decretorum,  conjoin- 
tement avec  deux  autres  :  Décret um  universitatis  Parisiensis  super  gor- 
giasitate  millier  mlarani  ad placitum,  et  V Apparition  de  saincte  Geltrude 
à  une  nonnatri  de  Poissy  estant  en  mal  d'enfant. 

BEDAN  [Bedân,  Badan']  se  trouve  cité  1  Sam.  XII,  11,  comme  un 
des  héros  d'Israël,  entre  Gédéon  et  Jephté;  mais  ni  le  livre  des  Juges, 
ni  aucun  autre  livre  de  l'Ancien  Testament  ne  font  mention  d'un  per- 
sonnage portant  ce  nom.  Au  lieu  de  Bedan.  plusieurs  anciennes  ver- 
sions  (LXX,  Syriaque.  Arabe)  lisent 'Barak ;  la  paraphrase  chaldéenneet 
les  rabbins  interprètent  le  mot  par  ben-cfàn,  «  iils  de  Dan,  »  et  en  font 
un  surnom  de  Samson.  La  meilleure  explication  est  celle  qui  regarde 
Bedan  comme  une  autre  forme  pour  Abdon  {Bedân  =  'Abdân—  'Ab- 
don); la  chute  du  am  au  commencement  d'un  nom  propre  est  un  phé- 
nomène très-fréquent  en  phénicien  (cf.  Schrœder,  Phœn.  Sprache, 
p.  88  (voyez  Abdon). 

BEDE  (Deda),  surnommé  le  Vénérable,  le  savant  le  plus  distingué 
de  l'Eglise  anglo-saxonne  du  huitième  siècle,  naquit  en  674.  Sa  vie  pré- 
sente peu  d'incidents  ;  les  récits  de  ses  anciens  biographes  sont  trop 
chargés  de  faits  imaginaires  pour  mériter  qu'on  s'y  arrête.  A  l'âge  de 
sept  ans  ses  parents  le  mirent  au  couvent  de  Wearmouth,  dans  le  Nor- 
thumberland,  qui,  sous  l'abbé  Biscop,  possédait  une  des  meilleures 
écoles  du  temps.  Delà  il  entra  au  couvent  deJarrow,  où  il  passa  la  plus 
grande  partie  de  sa  vie,  pieux,  humble,  sans  ambition,  ne  s'occupant 
que  d  étude  et  formant  des  disciples,  dont  plusieurs  arrivèrent  à  de 
hautes  positions  dans  l'Eglise  d'Angleterre.  Il  mourut  le  20  mai  735, 
au  inuiii.nl  on  il  achevait  une  traduction  anglo-saxonne  de  l'Evangile 
de  saint  .Iran.  Ses  nombreux  ouvrages,' témoignent  de  l'étendue  de  ses 
connaissances  et  de  l'état  florissant  des  études  dans  son  pays;  ils  se 
répandirent  dans  toutes  les  bibliothèques  de  l'Occident ;. Bède  devint 
pour  les  écoles  du  moyen  âge  un  des  maîtres  les  plus  utiles  et  les  plus 
respectés.  Il  B  traité  de  la  plupart  des  sciences,  d'exégèse,  de  gram- 
maire, de  physique,  dJastronomie,  d'histoire;  il  a  laisse  en  outre  quel- 


156  BEDE  —  BEELZÉBUB 

ques  poésies  religieuses.  Ses  travaux  sur  la  Bible,  eomposés  de  com- 
mentaires, d'homélies  et  d'explications  de  quelques  points  spéciaux, 
ne  sont  en  général  que  des  compilations  où  domine  l'interprétation 
allégorique;  au  huitième  siècle,  où  Ton  ne  pouvait  guère  faire  autre 
chose,  ces  recueils  de  passages  des  anciens  Pères  étaient  un  précieux 
moyen  d'étude.  On  rencontre  aussi  chez  Bède  des  opinions  qui  prou- 
vent une  certaine  indépendance  à  l'égard  de  la  tradition,  et,  sachant 
très-bien  le  grec,  il  a  su  trouver  quelques  explications  meilleures  que 
celles  de  ses  devanciers.  Ses  ouvrages  historiques  sont  un  Ckronicon 
sive  de  sex  œtàtibus  mundi,  une  Historia  ecclesiastica  gentis  Brihmum, 
un  martyrologe,  une  histoire  des  abbés  de  Wearmouth  et  quelques 
vies  de  saints.  Sa  chronique,  qui  va  depuis  Adam  jusqu'en  726,  est 
importante  parce  que  Bède  y  a  suivi,  pour  compter  les  années,  le  canon 
de  Denis,  et  qu'il  a  contribué  ainsi,  plus  qu'aucun  autre,  à  faire 
adopter  ce  canon  en  Occident.  L'ouvrage  lui-même  est  le  premier  essai 
d'histoire  universelle;  il  servit  de  point  de  départ  à  la  plupart  des  chro- 
niqueurs postérieurs,  qui  presque  tous  se  conformèrent  à  la  division  en 
six  âges  ou  périodes  du  monde.  Le  martyrologe  eut  le  même  succès; 
on  ne  le  possède  plus  dans  sa  forme  primitive  ;  le  texte  qu'on  a  est 
rempli  d  additions  faites  au  neuvième  siècle  par  le  sous-diacre  lyonnais 
Florus.  L'histoire  ecclésiastique  des  Bretons,  qui  commence  par  Jules- 
César  pour  s'arrêter  à  l'année  731,  n'a  de  l'intérêt  que  dans  la  partie 
qui  débute  par  la  conversion  des  Anglo-Saxons.  Dans  les  chapitres  qui 
précèdent,  l'auteur  est  peu  original  et  peu  authentique,  mais  pour  la 
suite  il  a  fait  usage  de  renseignements  et  de  documents  qui,  malgré 
quelques  erreurs,  donnent  à  son  travail  une  grande  valeur  historique. 
Enfin  ses  traités  de  grammaire,  de  prosodie  et  surtout  d'astronomie, 
tous  très-simples  et  très-précis,  furent  copiés  dans  la  plupart  des  cou- 
vents, où  pendant  plusieurs  siècles  on  s'en  est  servi  pour  l'enseigne- 
ment. Les  anciennes  éditions  des  œuvres  de  Bède  (Paris,  1544;  Bàle,  1563; 
Cologne.  1612  et  1688)  laissent  à  désirer  sous  le  rapport  de  la  critique. 
Dans  celles  de  Giles  (Londres,  1843,  12  vol.)  et  de  Migne  (vol.  90  à  92 
de  la  Patrologie),  on  a  commencé  à  séparer  des  œuvres  authentiques 
celles  qui  ne  le  sont  pas.  Les  ouvrages  historiques  de  Bède  ont  été  plu- 
sieurs fois  publiés  à  part.  Sur  sa  vie,  voy.  l'introduction  à  l'édition  de 
son  tint,  ecclés.,  par  Stevenson,  Londres,  1838,  etGehle,  De  Bedœvita 
et  scriptis,  Leyde,  1838.  Ch.  Schmidt. 

BÉELPHÉGOR.  Voyez  Baal. 

BEELZÉBUB,  nom  du  prince  des  démons  (Matth.  XII,  24  ;  X,  25; 
Marc  III,  22;  Luc  XI,  15).  Trois  explications  ont  été  données  de  ce 
nom.  —  1°  Les  manuscrits  syriens,  l'Itala,  la  Vulgate  et  les  Pères  latins 
ont  adopté  la  forme  BssXÇeSouê  que  l'on  fait  dériver  de  baal  zeboub, 
le  dieu  des  mouches  :  c'était  le  nom  d'une  divinité  des  Hekronites 
(Philistins)  que  le  roi  Achazia  consulta  pendant  une  maladie.  D'autres 
peuplades  paraissent  avoir  adoré  une  divinité  semblable  qui  règne  sur 
les  mouches,  et  par  conséquent  est  capable  de  délivrer  ses  adorateurs 
d'une  plaie  si  pénible  dans  les  pays  de  l'Orient.  —  2°  La  plupart  des 
exégètes  modernes  (Buxtorf,  De  Wette,  Winer,  Bleek,  etc.)  admettent 


BÉELZEBUB  —  BEETHOVEN  i;>7 

cjne  les  Juifs,  en  changeant  le  3  en  X,  ont,  par  un  jeu  de  mots  plus  ou 
moins  spirituel,  gratifié  le  diable  de  l'épithète  baal  zeboul  (ou 
plus  correctement  zè bel),  dieu  de  la  boue  (dominus  stercoris),  c'est- 
à-dire  de  ce  <|ui  est  impur  et  souillé.  —  3°  D'autres  commentateurs 
(Michaelis,  llitzig,  Meyer,  etc.)  prêtèrent  traduire  zeboul  par  domi- 
cile, le  seigneur  de  la  maison,  c'est-à-dire  celui  qui  règne  sur  le  sombre 
royaume  qui  est  la  demeure  des  esprits  méchants  (Matth.  XII,  2't  ss., 
et  surtout  13  ss.).  Cette  dernière  interprétation  parait  être  la  meilleure. 

BÉER,  «  Puits.  »  — 1.  Nom  d'une  station  des  enfants  d'Israël  au  dé- 
sert, au  nord  du  pays  de  Moab.  Peut-être  identique  avec  Beer-Elim, 
i  le  puits  des  héros,  »  qui  est  cité  par  Esaïe  (XV,  8).  Du  moins  une 
vieille  poésie ,  rapportée  par  le  livre  des  Nombres  ,  et  qui  semble  faire 
allusion  à  ce  nom ,  le  ferait  croire  (Riehm,  Handworterb. ,  comp. 
Nombr.  XXI,  1(3-18 ).  —  2.  Lieu  où  Jotham  s'enfuit  de  devant  son 
frère  Abimelech  (  Jug.  IX,  21).  C'est  à  tort,  parait-il,  qu'on  a  voulu 
l'identifier  avec  Béeroth  de  Benjamin  (voy.  à  ce  sujet  Sandrecski  dans 
YAuslnnd,  XLV  (1872),  p.  99  ss.). 

BÉEROTH,  «  les  Puits,  »  ville  des  Gabaonites.  D'après  une  tradition 
conservée  par  Josué  (IX,  17)  et  2  Samuel  (IV,  2-3),  ses  habitants  l'a- 
vaient abandonnée,  et  elle  était  considérée  comme  appartenant  à  la 
tribu  de  Benjamin.  Le  partage  du  pays  qui  est  donné  au  livre  de  Josué 
(XVIII,  25)  sanctionne  cet  état  de  choses.  Au  temps  d'Esdras,  on  voit 
figurer  des  Béerotites  parmi  les  exilés  qui  revinrent  avec  Zorobabel. 
Béeroth  existe  encore  sous  le  nom  à."1  El  Bireh  ;  on  y  voit  des  sources 
et  les  ruines  d'un  antique  réservoir.  C'est  la  première  étape  sur  la 
route  de  Jérusalem  à  Naplouse.  C'est  là 'que  Marie  se  serait  aperçue 
de  l'absence  de  l'enfant  Jésus.  Mais  on  ne  sait  pas  si  cette  tradi- 
tion, qui  n'a  en  soi  rien  d'impossible,  remonte  au  moyen  âge.  On 
la  voit  paraître  pour  la  première  fois  dans  les  récits  des  pèlerins  du 
seizième  siècle. 

BEETHOVEN  (Louis  van),  né  le  29  décembre  1770  à  Bonn.  Son  père 
et  son  grand-père,  d'origine  hollandaise,  avaient  été  ténors  de  la  cha- 
pelle électorale.  Beethoven  avait  cinq  ans  quand  son  père  lui  enseigna 
les  premiers  principes  de  la  musique.  Quoiqu'il  devint  virtuose  plus 
tard,  on  dut  tout  d'abord  contraindre  de  force  l'enfant  revèche  et 
obstiné  à  l'étude  du  piano  qu'il  détestait.  Il  eut  successivement  pour 
maîtres  un  hauboïste  et  un  organiste  de  la  cour.  L'organiste  Neefe 
initia  de  bonne  heure  son  élève  aux  grandes  compositions  de  Haendel 
et  de  Bach  pour  lesquels  il  conserva  un  culte  ardent  jusqu'à  la  lin  de 
sa  vie.  A  douze  ans  Beethoven  jouait  déjà  le  clavecin  tempéré  de  Bach 
sur  un  mouvement  très-rapide  et  avait  composé  plusieurs  variations, 
chansons  et  sonates.  En  1785  il  fut  nommé  organiste  par  l'électeur 
Mai  Franz,  mais  il  ne  remplit  ses  fonctions  que  pendant  fort  peu  de 
temps.  Ayant  fait  un  voyage  à  Vienne  dans  l'hiver  de  1780-87  pour 
prendre  des  Leçons  de  Haydn,  il  y  eut  tant  de  succès  comme  pianiste  et 
comme  compositeur)  qu'il  se  décida  à  y  rester  au  risque  de  perdre  sa 
pension.  Ayant  été  présenté  un  soir  à  Mozart,  il  lui  demanda  la  per- 
mission  d'improviser  sur  un  thème  donné,  et  le  fit  avec  tant  de  fougue 


158  BEETHOVEN 

et  de  puissance  que  Mozart  étonné  s'écria  :  «  Ce  jeune  homme  fera  par- 
ler de  lui  !  »  Déjà  Beethoven  se  faisait  remarquer  par  l'indépendance 
de  son  caractère  autant  que  par  son  génie  impétueux  qui  le  poussait  à 
franchir  toutes  les  barrières.  Il  trouva  cependant  toujours  des  protec- 
teurs fidèles  et  passionnés  qui  lui  permirent  de  vivre  avec  une  liberté 
presque  absolue.  Parmi  eux  il  faut  compter  surtout  le  prince  et  la  prin- 
cesse Lichnowski.  Celle-ci  lui  pardonnait  toutes  ses  brusqueries  et  ses 
bourrades  par  affection  et  par  respect  pour  son  génie.  A  partir  de  ce 
moment  Beethoven  fut  toujours  fixé  à  Vienne  et  aux  environs,  unique- 
ment absorbé  par  le  travail  incessant  de  la  composition.  Les  pensions 
qu'il  recevait  de  divers  protecteurs  le  garantissaient  à  peine  contre  la 
pauvreté;  il  dut  souvent  avoir  recours  à  des  expédients  pour  vivre.  Son 
plus  grand  malheur  fut  sa  surdité,  dont  il  ressentit  les  premiers  symp- 
tômes à  l'âge  de  trente  ans  et  qui  alla  toujours  en  augmentant.  Elle  le 
rendit  ombrageux  et  farouche  et  le  condamna  à  une  vie  solitaire  d'où 
sortirent  cependant  ses  plus  beaux  chefs-d'œuvre.  Il  ne  se  maria  pas 
et  on  ne  lui  connaît  qu'une  seule  grande  passion  ;  je  veux  parler  de  son 
amour  pour  la  comtesse  Guicciardi  qui  lui  préféra  un  compositeur  de 
ballets.  Ses  amis  intimes  furent  Rochlitz  et  Schindler.  En  1812  il 
fit  à  Tœplitz  la  connaissance  de  Gœthe  dont  les  œuvres  lui  inspiraient 
une  si  grande  admiration  qu'il  disait  :  «  Ce  Gœthe  a  tué  Klopstock 
pour  moi.  »  Mais  si  Beethoven  comprit  le  génie  de  Gœthe,  comme  le 
prouvent  son  ouverture  et  ses  intermèdes  pour  Egmont,  l'auteur  de 
Faust  ne  comprit  qu'à  demi  la  grandeur  du  musicien.  Outre  tous  les 
soucis  et  ennuis  qui  lui  pesaient  d'habitude,  les  dernières  années  de 
Beethoven  furent  obscurcies  par  les  succès  que  le  jeune  Rossini  obtint 
à  Vienne  avec  ses  premiers  opéras.  Il  passa  la  fin  de  sa  vie  dans  une 
assez  grande  retraite,  entouré  seulement  d'un  petit  cercle  d'amis,  et 
mourut  d'une  fluxion  de  poitrine  suivie  d'hydropisie,  le  24  mars  1827, 
pendant  un  violent  orage.  Il  avait  56  ans.  — Beethoven  est  aujourd'hui 
presque  universellement  reconnu  non-seulement  comme  le  plus  grand 
des  symphonistes,  mais  encore  comme  le  génie  musical  le  plus  vaste  et 
le  plus  complet  que  l'humanité  ait  produit.  S'il  a  passé  auprès  de  ses 
contemporains  pour  un  compositeur  subjectif  et  capricieux,  sa  renom- 
mée grandissante  l'a  proclamé  le  Shakespeare  de  la  musique.  La  musi- 
que instrumentale  est  son  domaine  propre,  et  il  excelle  surtout  dans 
le  pathétique  et  le  sublime,  mais  la  variété  de  ses  œuvres  le  montre 
également  capable  d'exprimer  tous  les  côtés  de  la  nature  et  tous  les 
sentiments  humains.  Ses  œuvres  sont  trop  universellement  connues 
pour  être  énumérées  ici.  Qu'il  nous  suffise  de  rappeler  en  quoi  Beethoven 
peut  être  considéré  comme  un  compositeur  religieux.  Il  n'a  guère  fait 
que  trois  œuvres  qui  rentrent  à  proprement  parler  dans  ce  genre  : 
1°  le  Christ  au  mont  des  Oliviers,  oratorio  (1800)  ;  2°  une  messe  (1810)  ; 
3°  sagrande  messe,  Missa  solemnis  (1818-1819)  qui  fut  comme  une  sorte  de 
préparation  à  la  neuvième  symphonie.  Cette  dernière,  la  grande  sym- 
phonie avec  chœurs,  ne  rentre  dans  aucun  genre  déterminé,  dans  aucun 
cadre  reçu.  Par  l'idée  comme  par  la  forme,  elle  nous  apparaît  comme 
le  couronnement  de  son  œuvre  entière.  Après  avoir  traversé  dans  les 


BEETHOVEN  —  BÉGUARDS  159 

trois  premiers  morceaux  toutes  les  formes  delà  musique  instrumentale 
qui  symbolisent  ici  la  lutte  de  lvhomme  contre  la  destinée,  il  l'ait  en- 
tonner à  ses  choMirs  l' Hymne  à  la  Joie  de  Schiller,  qui  affirme  par  un 
élan  sublime  la  toi  de  l'homme  en  Dieu  et  la  fraternité  de  tous  les  êtres 
dans  ce  sentiment  enthousiaste.  Si  l'on  a  dit  du  Faust  de  Gœtlie  qu'il 
est  une  sorte  d'évangile  mondain,  on  peut  dire  de  la  neuvième  sym- 
phonie de  Beethoven  qu'elle  est  un  culte  de  l'Eglise  universelle  affran- 
chie de  tout  dogme  particulier,  de  toute  limite  confessionnelle.  Beetho- 
ven  n'est  plus  protestant  à  vrai  dire,  il  est  le  plus  humain  et  le  plus 
universel  des  musiciens.  Mais  par  l'esprit  comme  par  la  forme,  son 
œuvre,  d'un  caractère  essentiellement  laïque  et  indépendant,  n'en  est 
pas  moins  le  fruit  de  la  Réforme  et  de  la  libre  conscience.  A  ce  point 
de  vue,  il  a  donné  le  dernier  mot  du  grand  développement  de  la  musi- 
que religieuse  en  Allemagne,  développement  qui  commence  parles 
cantiques  de  Luther,  se  continue  par  Haendel  et  Bach  et  s'achève  en 
Beethoven.  E.  Schuré. 

BÉGUARDS  et  BÉGUINES  {beggehart ,  beghardi,  beginhardi,  beguini, 
appelés  aussi  en  France  boni  pueri;  beghinœ,  beguime,  begultx,  c'est-à- 
dire  «  beiGott  »  ou  bigotes,  pau.peres  so?*o?'es ;  leur  domicile  :  oratorium, 
gotteshus.    et  à  partir  du  quinzième  siècle  beguinagium).  A  la  lin  du 
douzième  et  dans  les  premières  années  du  treizième  siècle,  apparurent 
dans  les  Pays-Bas  des   associations   à  la  fois  religieuses  et  laïques 
d'hommes   et  de  femmes;  elles   se   répandirent  rapidement  dans  les 
autres  pays  en  vertu  de  l'importance  sociale  qu'elles  avaient  à  une  épo- 
que où  les  croisades,  s'ajoutant  aux  guerres  continuelles  et  aux  autres 
maux  dont  soutirait  le  peuple,  avaient  augmenté  la  misère  générale. 
La  première  maison  de  béguines  qui  soit  mentionnée  est  celle  fondée 
à  Liège  vers  1180  par  le  prêtre  Lambert  dit  le  Bègue  (dont  on  a  voulu 
.'(•trouver  le  surnom  dans  le  mot  ((béguine»,  tandis  que  d'autres  ont  fait 
dériver  ce  mot  de  sainte  Begge,  fille  de  Pépin  de  Landen,  créatrice  pré- 
sumée de  l'institution  des  béguines  dès  le  septième  siècle)  ;  lapins  an- 
cienne maison  de  béguards  connue  est  celle  de  Louvain  (1220).  C'étaient 
des  établissements  de  charité  ouverts  par  l'initiative  privée  ou  par  ordre 
du    magistrat  aux   personnes   dénuées  de  ressources,    qui  désiraient 
passer  le  reste  de  leurs  jours  dans  le  silence  et  la  sécurité  d'une  re- 
traite religieuse  et  se  livrer  à  la  vie  contemplative,  sans  se  soumettre  à 
la  règle  sévère  des  couvents.  De  là  vient  le  nom  de  mendiants  et  de 
mendiantes  que  les  membres  de  ces  associations  ont  continué  à  porter 
dans  la  bouche  du  peuple,  quand  même  ils  eurent  cessé  de  vivre  ex- 
clusivement d'aumônes  depuis  leur  admission  dans  une  maison   spé- 
ciale (Du  Gange,  (iïossai?*e,et  Littré,  Dictionn.,  font  dériver  béguard  et 
béguine  d'une  racine  beggen,  mendier,  (pie  l'on  retrouve  en  anglais  : 
:■.  abeggarj;  artisans  pour  la  plupart,  les  béguards  demandaient 
leur  subsistance  au  travail,  tout  en  acceptant  les  dons  de  la  charité 
populaire;  les  béguines  s'oecupaient  dans  leurs  maisons  de  travaux  de 
femmes  e1  d'exercices  de  piété;  parfois  aussi  elles  allaient  soigner  les 
malades  dans  les  familles.  Bien  que  soumis  à  une  règle  commune  et 
dépendant  d'une  direction  librement  élue,  les  membres  de  ces  asso- 


160  BEGUARDS 

dations  ne  prononçaient  pas  de  vœux  perpétuels;  ils  continuaient  à 
gérer  leurs  affaires,  pouvaient  quitter  la  communauté  et  contracter 
mariage,  et,   à  leur  mort,  avaient  le  droit  de  disposer  par  testament 
d'une  partie  de  leur  fortune,  sinon  de  leur  fortune  entière.  Ils  jouis- 
saient des   bienfaits  de  la  vie  monastique,  sans  cesser  d'être  laïques. 
Dans  la  plupart  des  grandes  villes,  il  se  forma  en  outre  des  béguinages 
de  dames  nobles,  en   possession  de  la  même  indépendance   que  les 
maisons  des  béguines  pauvres.  Les  progrès   de  ces  associations  éveil- 
lèrent la  jalousie  du  clergé  tant  régulier  que  séculier,  dont  les  revenus 
avaient  sensiblement  diminué  par  suite  de  la  faveur  dont  les  béguards 
et  les  béguines  jouissaient  auprès  du  peuple.    Le  concile   de  Latran 
(1215)  avait  décidé  qu'aucun  ordre  nouveau  n'obtiendrait  plus  l'ap- 
probation pontificale;  on  accusa  les  béguards  et  les  béguines  d'appar- 
tenir à  des  congrégations   non  reconnues  par   l'Eglise.  En  outre,    les 
reproches  de  paresse  et  de  mauvaises  mœurs  commencèrent  à  s'élever 
contre  eux   depuis  le   milieu  du  treizième   siècle.  Le   déclin  de  ces 
corporations  religieuses   fut  hâté  par  les   rapports   que  certains  de 
leurs  membres  eurent  avec  les  sectes  hérétiques  de  leur  époque,  par 
suite  de  la  liberté  de  leur  genre  de  vie.  Leurs  noms  servirent  bientôt  à 
désigner  des  hérétiques  de  toute  espèce,  les  fratricelles,  les  partisans 
de  Gérard  Segarelli,  et  surtout  les  Frères  et  les  Sœurs  du  Libre  Esprit 
dont   ils  partagèrent  le  sort  (voy.   cet  article).  A  côté  des  béguards 
et  des  béguines   qui   subirent  l'influence   de  l'hérésie,   il  y   en  eut 
cependant  un  grand  nombre  qui  restèrent  orthodoxes,  et  qui  furent 
souvent  confondus   avec  ceux-ci   et  enveloppés  avec  eux  dans  une 
même   condamnation.    Pour   sauver   leur  existence,  les  diverses   as- 
sociations furent  obligées  l'une  après  l'autre  de  sacrifier  leur  auto- 
nomie et   de  se  soumettre  à  la  direction  des   moines   mendiants  en 
acceptant  la  troisième  règle  de  l'un  de  ces  ordres.  A  l'exemple   de 
leurs  directeurs  spirituels,  les  béguards  et  les  béguines  se  livrèrent  de 
plus  en  plus  à  la  mendicité  et  au  vagabondage,  ils  traversaient  les  rues 
et  les  places  publiques  en  criant  :  «  Du  pain,  au  nom  de  Dieu!  »  La 
persécution  et  leur  absorption  progressive  par  le  clergé  régulier  firent 
que  ces  associations  disparurent  au  bout  d'un  certain  temps  en  France 
et  en  Allemagne.  Au  milieu  du  quinzième  siècle,  il  se  forma  dans  les 
Pays-Bas  la  Cong  égation  des  béguards  de  la  troisième  règle  de  Saint-Fran- 
çois ou  Congréqation  de  Zipperen,  car  elle  était  dirigée  par  une  assem- 
blée annuelle  réunie  dans  cette  ville.   Au  dix-septième  siècle,  Inno- 
cent X  réunit  cette  congrégation,  qui  ne   comptait   plus  que  peu  de 
membres,  aux  tertiaires  franciscains  de  Lombardie.  Ainsi  disparurent 
les  béguards.  Quant  aux  béguines,  elles  se  maintinrent  en  Belgique  jus- 
qu'à  nos  jours,  sans  que   rien  ne  rappelât  plus  dans  leur  vie   leur 
ancienne   autonomie   religieuse.    —   Voyez    Mosheim ,   De   Begliardis 
et  Beguinabus    commentarius ,   Leipz. ,  1790;    Hallmann ,  Die   Gesch. 
des    (T"sprungs    der  belgischen  Begbinen,   Berl.,1843;    Ch.  Schmidt, 
Die  Strassb.  Begmenhœuser  im  Mittelalter ,  dans   YAlsatia,  1859;    et 
mon  Hist.  du  panthéisme  populaire,  etc.,  Paris,  1875,  p.  42  ss. 

A.   JUNDT. 


BEKKBR  —  BELGIQUE  ici 

BEKKER  (Balthazar),  né  en  1634,  dans  la  Frise,  cartésien,  docteur  en 
théologie  et  pasteur  à  Amsterdam  (1679).  L'apparition  d'une  comète 
avant  répandu  l'effroi,  il  publia,  en  même  temps  que  Bayle,  un  écrit, 
Recherches  sur  fes  pronostics  des  comètes,  1()82,  dans  lequel  il  soutint 
que  ces  astres  ne  sont  pas  des  présages  de  malheur.  Dans  un  autre  ou- 
vrage,  qui  souleva  de  très-vifs  débats,  De  belooverde  Weereld,  1091,  il 
s'attaqua  aux  superstitions  démonologiques;  car'on  fait  trop  d'honneur 
au  diable  en  lui  attribuant  des  miracles  ;  «  s'il  est  un  dieu,  qu'il  sedé- 
fende  lui-même  et  s'en  prenne  à  moi  ».  En  tant  qu'esprit,  le  diable  ne 
peut,  selon  la  philosophie,  exercer  une  action  sur  les  corps,  et  selon 
l'Evangile,  il  a  été  précipité  au  fond  de  l'abime  et  chargé  de  chaînes.  Il 
ne  faut  donc  pas  prendre  à  la  lettre  ce  que  la  Bible  dit.  des  bons  et  des 
mauvais  anges;  la  tentation  de  Jésus  se  passa  dans  son  imagination; 
quand  il  guérissait  les  possédés,  il  parlait  comme  s'il  eût  chassé  des 
démons.  Le  «  lion  rugissant  »  (I  Pierre  Y,  8),  c'est  Néron.  La  Bible  a 
pour  but  la  gloire  de  Dieu,  notre  salut,  et  non  l'enseignement  des 
choses  naturelles  ;  en  d'autres  termes,  c'est  un  livre  non  pas  scientifi- 
que, mais  pratique,  religieux.  Destitué  par  le  synode,  Bekker  se  retira 
dans  la  Frise,  où  il  publia  les  deux  dernières  parties  de  son  livre  et 
mourut  en  1698.  Cet  ouvrage  fut  traduit  en  français  sous  les  yeux  de 
l'auteur,  le  Monde  enchanté,  1694  ;  en  italien  ;  en  espagnol  ;  en  alle- 
mand, 1781,  avec  notes  de  Semler  et  Schwager  (voy.  Schrœckh, 
Neuere  Kirch.  Gesch.,  VIII,  p.  713  ss.).  A.  Matter. 

BEL.  Voyez  Baal. 

BELGIQUE  (Histoire  religieuse).  On  ignore  l'époque  précise  de  l'intro- 
duction du  christianisme  en  Belgique.  Au  temps  de  Constantin  déjà  les 
deux  provinces  qui  portaient  ce  nom  ne  comptaient  pas  moins  de 
quatorze  évèchés.  Parmi  les  missionnaires  célèbres  qu'elles  pro- 
duisirent sous  les  Mérovingiens,  nous  citerons  saint  Amand, 
T apôtre  de  la  Flandre,  saint  Aubert,  évoque  de  Cambrai  et  d'Arras, 
saint  Eloi,  évêque  de  Tournay,  saint  Lambert,  évèque  de  Liège,  saint 
Hubert,  l'apôtre  des  Ardennes.  Le  grand  nombre  et  les  change- 
ments fréquents  des  souverains,  l'esprit  mondain  et  guerrier  de  beau- 
coup d'évèques,  en  particulier  de  ceux  de  Liège,  la  prospérité  indus- 
trielle et  commerciale  des  Ailles  libres  flamandes  n'étaient  guère 
favorables  au  développement  de  la  moralité  et  de  la  piété.  Tandis  que  les 
chroniqueurs  du  moyen-àge  sont  unanimes  à  constater  la  corruption  des 
mœurs  dans  ces  contrées,  l'éclosion  de  sectes  nombreuses  atteste  la  dé- 
cadence précoce  de  L'Eglise  et  son  peu  d'action  sur  les  masses.  C'est 
dans  les  villes  de  Flandre  que  naissent  et  se  propagent  avec  une  mer- 
veilleuse rapidité  les  corporations  des  béguards  et  des  béguines,  les 
associations  des  lollards  et  des  frères  de  la  vie  commune.  Un  double 
courant,  celui  des  mystiques  et  celui  des  humanistes,  y  prépare  la  voie 
à  la  Réforme  :  Ruysbrœck  et  Frasme  ébranlent,  chacun  à  sa  manière, 
l'autorité  de  L'Eglise  romaine.  —  C'est  dans  le  couvent  des  augustins 
d'Anvers  que  nous  découvrons  les  premières  traces  d'une  adhésion  à 
l'œuvre  du  réformateur  de  Wittemberg.  A  sa  tète  se  trouvait  le  prieur 
Jacob  Spreng  [Jacobus  Prœpositus),  duquel  Frasme  écrivit  à  Luther, 
n.  11 


162  BELGIQUE 

le  30  mai  1519  (Ep.  427)  :  «  vir  pure  christianus,  qui  pâme  solus  Chris- 
tumprœdicat.  »  Amené  prisonnier  à  Bruxelles  en  1521,  il  fut  obligé  de 
se  rétracter,  mais  n'en  prêcha  pas  moins  la  Réforme  à  Bruges,  fut  repris 
et  réussit  à  s'enfuir  auprès  de  Luther  qui  le  fit  nommer  pasteur  à 
Brème.  Malgré  la  condamnation  solennelle  des  nouvelles  doctrines  par 
les  théologiens  de  Louvain,  le  7  novembre  1519,  la  Réforme  fut 
accueillie  avec  empressement  dans  les  villes  éclairées  et  actives  de  la 
Flandre  et  du  Brabant.  Pour  enrayer  le  mouvement,  Charles-Quint 
publia  un  édit,  daté  de  Worms  le  8  mai  1521,  contre  ceux  qui  propa- 
geaient des  écrits  hérétiques.  Grapheus,  secrétaire  municipal  d'Anvers, 
fut  jeté  en  prison  à  Bruxelles  en  1522,  à  cause  de  la  préface  qu'il  avait 
jointe  à  sa  traduction  du  traité  de  Jean  de  Gochsur/a  liberté  chrétienne: 
il  fut  condamné  à  la  rétractation,  à  la  confiscation  de  ses  biens,  à  la 
déposition  et  à  l'exil.  Le  couvent  des  augustins  d'Anvers  fut  détruit 
en  octobre  1522,  et  deux  moines  augustins,  Henri  Yœs  et  Jean  Esch, 
furent  brûlés  à  Bruxelles,  le  1er  juillet  1523.  De  nouveaux  édits  rendus 
à  Matines  en  1526,  à  Bruxelles  en  1529,  1531,  1535,  1540,  1544,  1546, 
enjoignaient  d'infliger  les  peines  les  plus  sévères  à  ceux  qui  tenaient 
des  conventicules,  qui  traduisaient  ou  répandaient  des  livres  de  la 
Bible  ou  d'autres  ouvrages  hérétiques,  qui  hébergeaient  des  moines  ou 
des  nonnes  fugitives  ou  favorisaient  leur  évasion.  Les  relaps  de- 
vaient «  estre  exécutés  par  le  feu,  et  les  autres,  à  sçavoir  les  hommes 
par  l'espée,  et  les  femmes  par  la  fosse  » .  Mais  ces  édits  ne  furent  pas 
dès  l'abord  exécutés  avec  rigueur.  La  gouvernante  Marguerite  de 
Savoie  n'était  rien  moins  que  fanatique;  elle  engagea  les  prêtres  à 
écrire  contre  Luther  (Interrogavit  ipsa  :  quisnam  est  iste  Lutherus?  In- 
doctus  est,  inquiunt,  monachus.  Respondit  ipsa  :  Scribite  multi  docti 
contra  unum  indoctum,  tune  totus  mundus  plus  credet  multis  doctis, 
quam  uni  indocto.  Seckendorf,  Comm.  de  Lutheran.,  I,  129),  ordonna 
(22  septembre  1525)  aux  municipalités  de  surveiller  les  prédicateurs 
et  les  instituteurs  afin  qu'ils  ne  nuisent  pas  à  l'Eglise  par  les  fables 
ineptes  qu'ils  débitent  et  par  leur  conduite  immorale.  A  Marguerite 
de  Savoie  succéda  en  1530  Marie  de  Hongrie,  la  sœur  de  Charles- 
Quint,  soupçonnée  d'être  secrètement  favorable  à  la  Réforme.  Le  pape 
Paul  111  l'en  accusa  formellement  en  1539  auprès  de  son  frère,  quœ 
clandestine  factioni  Luther  anse  faveat,  eamque  efferat,  submissisque  homi- 
nibus  causam  catholicam  déprimât,  atque  optime  ab  administris  cœsareis 
■conslituta  impediat.  De  plus,  l'exécution  de  ces  édits  étant  confiée  aux 
soins  des  autorités  provinciales  et  municipales,  et  celles-ci  n'étant  nul- 
lement disposées  à  se  soumettre  aux  exigences  de  la  faculté  de  théologie 
de  Louvain,  qui  avait  dressé  un  long  catalogue  des  écrits  réputés  héré- 
tiques, ces  derniers  purent  se  répandre  en  toute  liberté. — Ce  qui  com- 
promit le  plus  gravement  les  progrès  de  la  Réforme  en  Belgique  et  l'em- 
pêcha de  s'y  consolider,  ce  furent  les  excès  commis  par  des  sectaires 
fanatiques,  la  fureur  iconoclaste  des  anabaptistes,  les  doctrines  extra- 
vagantes des  frères  du  Libre-Esprit.  Une  ordonnance  de  Charles-Quint 
du  29  avril  1550  porte  que  l'inquisition  serait  introduite  dans  les  Pays- 
Bas  et  y  fonctionnerait  d'après  le  mode  adopté  en  Espagne.  Sur  le  refus 


BELGIQUE  163 

«les  municipalités  d'exécuter  cette  ordonnance,  Marie  la  fait  renouveler  le 
Sfô  septembre  suivante!  réussit  à  lu  luire  adopter  grâce  à  la  suppression 
du  mot  d'inquisition,  la  procédure  d'ailleurs  restant  identiquement  la 
même.  En  réalité,  ces  mesures  ne  purent  être  exécutées  que  sous  Phi- 
KppeII,que  les  instigations  de  Granvelle,  évêque  d'Arras,  avaient  mal 
disposé   contre  les   Pays-Bas.    Treize  nouveaux  évêchés  furent   érigés 
pour  rendre  la  surveillance  ecclésiastique  plus  facile  (1559).  Des  pro- 
testations  unanimes  accueillirent  ces  décrets.   En   même   temps   les 
réformés  adressèrent  au  roi  une  confession,  destinée  à  lui  donner  meil- 
leure opinion  d'eux  et  de  leur  croyance.  LaConfessio  belgica  fut  rédigée 
«mi  1559  par  le  prédicateur  wallon  Guido  de  Bres,  communiquée  à  un 
grand  nombre  de  théologiens  dans  les  Pays-Bas  et  à  l'étranger,  envoyée 
à  Philippe  II  en  1502,  approuvée  en  1566  par  le  synode  d'Anvers,  signée 
en  1571  par  les  pasteurs  présents   au  synode  d'Emden  et   confirmée 
en  1620  par  celui  de  Dordrecht.  Il  en  existe   deux  recensions,  Tune, 
plus  courte,  qui  fut  aussitôt  traduite  dans  plusieurs  langues  et  qui  re- 
çut la  sanction  officielle;  l'autre,  plus   étendue,  qui  sans  doute  repro- 
duit le  projet  primitif   et  qui  a  été  admise  clans  le  Corpus  et  Syntagma 
de  1612,  et  éditée  à  nouveau,  avec  certaines  variantes,  par  FestusHom- 
mius,  en  1618,  dans  son    Spécimen   controversiamim   belgicarum,    seu 
eonfessto  ecclesiarum  reform.  inBelgi'o,  etc.  Les  deux  éditions  ont  d'ail- 
leurs le  même  nombre  d'articles  et  ne  diffèrent  l'une   de  l'autre  que 
sur  des  points  secondaires.  Elles  portent  toutes  deux  l'empreinte  de  la 
théologie  calviniste,   adoptée  de  préférence   par   les  protestants  des 
Pays-Bas,  à  cause  de  leurs  fréquentes  relations  avec  leurs  coreligion- 
naires de  France,  et  plus  conforme  d'ailleurs  à  leur  génie  national.  — 
Nous  n'avons  pas  à  raconter  ici  les   diverses  phases  du  soulèvement 
des  Pays-Bas,  amené  par  le  régime  de  terreur  que  le  duc  d'Albe  imposa 
au  pays,  à  partir  de  l'année  1567.  Lorsque,  par  suite  du  traité  d'Arras 
conclu  par  l'habileté  d'Alexandre  de  Parme  (17  mai  1579),  les  provin- 
ces du  Sud  séparèrent  leur  cause  de  celles  du  Nord  pour  se  réconcilier 
avec  l'Espagne,  la  Belgique  devint  le  théâtre  d'une  réaction  catholique 
violente.  Ceux  des  protestants  qui  n'avaient  pas  péri  sur  les  bûchers  ou 
sur  les  champs  de  bataille  prirent  le  chemin  de  l'exil.  Les  jésuites, 
d'abord  établis  à  Saint-Omer  et  à  Douai,  se  répandirent  dans  tout  le 
pays  et  le  fanatisèrent.  Pourtant,   au  dix-septième  siècle,  Baïus  et  Jan- 
iis  illustrèrent  l'université  de  Louvain  et  s'efforcèrent  de   réagir 
contre  le  semi-pélagianisme  de  l'Eglise  catholique  et  le  relâchement 
il  qui  en  était  la  conséquence,  et,  dans  le  domaine  de  l'érudition, 
bollandistes  jetèrent  un  certain  éclat  sur  Anvers.  L'édit  de  tolérance, 
publié  le  13  o<  tobfe  1781  par  Joseph  il,  introduisit  le  mariage  civil  en 
Belgique,  décréta  la  suppression  des  ordres  monastiques  et  des  sémi- 
naires épiscopaux,  défendit  les  pèlerinages  et  d'autres  abus.  Le  peuple, 
excité  par  les  jésuites  se  souleva,  et  il  fallut  la  politique  prudente  de 
Léopold  II,  qui  rétablit  l'ancien  ordre  <\<^  choses,  pour  empêcher  la 
Belgique  éparer  de  la  maison  d'Autriche.  La   Révolution  l'ran- 

■  tit  ce  que  n'avait  pu  accomplir  la  passion  cléricale.  Réunie  à  la 
ace  républicaine  en  171>:>,  ù  la  Hollande  protestante  et  monarchique 


164  BELGIQUE 

en  1815,  la  Belgique  recouvra  son  indépendance  à  la  suite  de  la  Bévo- 
L  ut  ion  de  1830,  grâce  aux  efforts  combinés  des  catholiques  et  des  libé- 
raux, qui  ne  se  coalisèrent  un  instant  que  pour  se  diviser  tout  aussitôt 
de  nouveau  et  commencer  une  lutte  qui  forme  presque  toute  l'histoire 
du  pays  dans  les  quarante  dernières  années.  Nulle  part  le  catholicisme 
ne  s'est  montré  plus  entreprenant,  nulle  part  aussi  il  ne  se  heurte  à  des 
haines  plus  violentes.  —  Sources  :  Dufau,  La  Belgique  chrétienne, 
Liège,  1847  ;  Heliferiçh,  Jklgien  in  polit,  u.  kirchl.  fieziehitng, 
Pforzh.,  1848,  et  les  ouvrages  indiqués  dans  la  Iieal-Encykl.  de  Her- 
zog,  II,  p.  10,  ainsi  que  les  documents  cités  par  Gieseler,  Kirchengesch., 
III,  p.  551.  11  n'existe  pas  du  reste,  jusqu'à  ce  jour,  une  seule  mo- 
nographie sur  l'histoire  religieuse  de  la  Belgique. 

F.    LlCHTENBERGER. 

BELGIQUE  (Statistique  ecclésiastique).  Officiellement,  la  Belgique 
appartient  presque  entière  à  la  religion  catholique.  Les  adhérents 
d'autres  cultes  ne  forment  qu'une  intime  minorité.  Mais,  en  fait,  peu 
de  pays  sont  aussi  divisés  au  point  de  vue  religieux.  La  population 
totale  de  la  Belgique  était  en  1874  de  5,336,634  habitants.  Les  recen- 
sements officiels  ne  contiennent  pas  d'indications  relatives  aux  cultes; 
on  évalue  le  nombre  des  protestants  à  13  ou  15,000,  celui  des  israélites 
à  1,500  ou  3,000.  L'énorme  majorité  delà  population  est  donc  catholi- 
que. La  constitution  garantit  la  liberté  de  tous  les  cultes  ;  elle  assure 
aux  principaux  d'entre  eux  une  subvention  de  l'Etat;  mais  elle  laisse 
à  toutes  les  Eglises  la  liberté  de  s'organiser  et  de  se  gouverner  comme 
elles  l'entendent.  Il  faut  donc  étudier  chacune  d'elles  en  particulier. 
—  1.  Catholiques.  Le  chef  de  la  hiérarchie  dans  le  royaume  est  l'arche- 
vêque de  Malines  (12  mai  1559)  ;  ses  sufîragants  sont  les  deux  évoques 
hollandais  d'Amsterdam  et  de  Bois-le-Duc  et  les  cinq  évoques  belges  de 
Liège  (720),  de  Namur  (1559),  de  Tournay  (1146),  de  Gand  (12  mai 
1559)  et  cfe  Bruges  (1559).  Les  sièges  d'Anvers  et  d'Ypres  ont  été  sup- 
primés en  1801.  Quelques  paroisses  du  Hainaut  ressortissent  au  diocèse 
français  de  Cambrai.  L'archevêque  est  assisté  de  3  vicaires  généraux  ; 
chaque  évêque  a  2  grands-vicaires.  Un  chapitre  de  chanoines  est 
joint  à  chaque  cathédrale  ;  celui  de  Malines  se  compose  de  12  cha- 
noines ;  les  cinq  autres  en  ont  chacun  8.  Les  diocèses  sont  divisés  en 
doyennés  au  nombre  de  185  pour  tout  le  royaume.  La  subvention  de 
l'Etat  à  l'Eglise  catholique  figurait  au  dernier  budget  pour  4,568,200  fr. , 
soit  environ  1  franc  par  tête  d'habitant.  Des  biens  d'Eglise  assez 
considérables  augmentent  considérablement  ces  ressources.  Les  traite- 
ments de  l'Etat  sont  de  21,000  francs  pour  l'archevêque  de  Malines,  de 
46,000  pour  les  évêques,  de  2,000  pour  les  chanoines,  de  6  à  800  pour 
Je  clergé  inférieur.  L'Eglise  a  profité  de  la  liberté  de  l'enseignement 
supérieur  pour  fonder  à  Malines  en  1834  une  université  transférée  à 
Louvain  l'année  suivante.  Elle  compte  plus  d'élèves  à  elle  seule  que  les 
trois  autres  universités  belges,  celles  de  Liège  et  de  Gand  entretenues 
par  l'Etat,  et  celle  de  Bruxelles  fondée  par  les  libéraux.  Les  cou- 
vents sont  très-nombreux  en  Belgique,  et  leur  accroissement  a  surtout 
été  rapide  depuis  quelques  années.  En  1839  il  y   en   avait  333,  dont 


BELGIQUE   -  BELLARMIN  ir>5 

12  d'hommes  et  29i  de  femmes^  en  1874  on  en  comptait  993,  dont 
143  d'hommes  et  848de  femmes.  —  2.  Protestants'.  Au  commencement 
du  siècle,  le  protestantisme  n'était  représenté  en  Belgique  que  par 
'i  communautés  réformées,!  èri  Flatidreet  3 dans  le  Haînaut.  Plusieurs 
autres  turent  fondées  sous  la  domination  des  Français  et  des  Hollan- 
dais, et  depuis  lors  l'accroissement  est  lent;  niais  continu.  Les  pro- 
testants belges  se  rattachent  aujourd'hui  à  trois  groupes  principaux. 
L'Union  des  Eglises  protestantes  évangéliques,  formée  en  1838  et 
reconnue  par  l'Etat, «se  compose  de  12  paroisses  environ.  Chacune 
d'elles  a  un  conseil  presbytéral  présidé  par  le  pasteur.  Toutes  ensem- 
ble forment  un  synode  qui  se  réunit  tous  les  ans  à  Bruxelles;  il  se 
compose  de  tous  les  pasteurs  et  de  délégués  de  chaque  paroisse.  La 
part  de  l'Union  dans  le  budget  des  cultes  est  de  69,336  francs.  Les 
Eglises  libres  de  Belgique  sont  au  nombre  crime  vingtaine.  Elles  sont 
généralement  composées  de  catholiques  convertis  parles  soins  de  la  So- 
ciété' évangélique  belge.  Les  éléments  baptistes  y  dominent.  L'Eglise 
épiseopale  d'Angleterre  entretient  en  Belgique  8  chapelles  dépendantes 
de  l'évêque  de  Londres,:}  sont  à  Bruxelles,  les  5  autres  à  Anvers,  Bruges, 
Ostende,  Spa  et  Gand.  —  :j.  Les  israélites  touchent  11,220  francs  au 
budget.  Ils  ont  une  synagogue  centrale  à  Bruxelles,  et  5  synagogues 
à  Anvers,  (.and,  Liège,  Arlon  et  Namur.  —  Bibliographie  :  Ahhanach 
royal  officiel  de  Bulgique,  1870;  Annuaire  statistique  de  la  IJelgique, 
1876;  Tarlier  :  Dictionnaire  des  communes  de  Belgique,  1877;  Atmanach 
de  Gotha,  1877;  Martin,  The  Statesmaas  Year  Book,  1877. 

E.  Vaucher. 

BÉLIAL.  nom  donné  à  Satan  (2  Cor.  VI,  15)  et  dérivé  du  mot  hébreu 
beliaal  (-zrrtziz,  le  mal  ou  le  malin).  Dans  l'idiome  hellénistique  le 
changement  du  "a  en  p  est  fréquent  :  de  là  BeXta?  au  lieu  de  BeXweX. 
Ce  mot  est  fréquemment  employé  dans  les  pseudépigraphes  du  Nou- 
veau Testament,  les  canons  apostoliques  et  les  Pères  de  l'Eglise. 

BELLARMIN.  Le  cardinal  Bellarmin  est  connu  des  personnes  mêmes 
qui  ne  s'occupent  pas  de  questions  théologiques,  comme  un  des  cham- 
pions les  plus  savants  et  les  plus  déterminés  de  l'ultramontanisme  ; 
peu  de  catholiques  ont  déployé  autant  d'érudition  et  de  sagacité  pour 
combattre,  non-seulement  les  doctrines  protestantes,  mais  tout  système 
politique  qui  n'admet  pas  la  suprématie  du  siège  de  Borne.  Né  le 
ï  octobre  1542,  a  Montepulciano  en  Toscane,  il  reçut  les  noms  de  llo- 
François-Romulus  ;  son  père,  Vincent  Bellarmino,  appartenait  à 
une  ancienne  famille  noble  ;  sa  mère  était  une  sieur  de  ce  cardinal 
.Marcel  On  in.  cjui,  en  1555,  occupa  pendant  quelques  jours,  sous  le 
nom  de  Marcel  II,  le  trône  pontifical.  Il  fut  envoyé  à  l'université  de 
Padoue  pour  >.•  vouer  au  droit;  mais,  poussé  par  ses  besoins  religieux, 
il  se  lit  recevoir  en  L560  dans  la  Compagnie  de  Jésus.  Au  collège  de  l'or- 
dre à  Rome  il  étudia  les  humanités  ;  pour  la  théologie  il  revint  à  Pa- 
do  le.  En  1589  le  général  le  lit  partir  pour  Louvain  ;  là,  après  avoir  été 
consacré  prêtre  en  1570,  à  Gand,  il  expliqua  la  Somme  de  Thomas 
d'Afjuin;  il  lui  le  premier  professeur  jésuite  de  cette  université.  En 
même  temps  il  apprit  assez,  d'hébreu  pour  pouvoir  renseigner  lui- 


16Ô  BELLARMIN 

même  et  pour  publier  une  grammaire.  Pendant  les  troubles  des  Pays- 
Bas  il  trouva  un  asile  à  Douai.  Bientôt  après  Grégoire  XIII  le  chargea 
de  faire,  clans  le  Collège  romain  nouvellement  fondé,  des  leçons  sur 
les  controverses  du  temps.  Habile  dans  la  discussion,  versé  dans  les 
Pères,  méthodique,  il  était  mieux  préparé  que  d'autres  à  traiter,  au 
point  de  vue  de  son  Eglise,  les  questions  débattues  entre  les  catholi- 
ques et  les  protestants.  En  1581  il  commença,  sur  Tordre  de  son  géné- 
ral, la  publication  d'un  grand  ouvrage  sous  le  titre  de  Disputationes  de 
controversiis  fîdei,  adversus  hujvs  temporis  hœretices^  dont  le  troisième  vo- 
lume parut  en  1593  (Ingolstadt,  in-f°).  C'est  la  substance  des  cours  qu'il 
avait  faits  à  Rome  pendant  douze  ans.  Personne  depuis  les  scolastiques 
n'avait  exposé  les  doctrines  romaines  d'une  manière  plus  complète  et 
plus  définitive.  Sur  chaque  point  Bellarmin  donne  les  objections  des 
adversaires,  et  il  les  donne  si  exactement  qu'on  lui  a  reproché  d'éveil- 
ler parla  des  doutes  chez  les  lecteurs  catholiques.  L'ouvrage  provoqua 
des  réfutations  non  moins  éruclitesdela  part  de  théologiens  protestants. 
En  1589  Bellarmin  accompagna  en  France  un  légat  envoyé  par  Sixte- 
Quint  auprès  de  la  Ligue:  il  était  chargé  de  discuter  avec  les  réformés 
si  l'occasion  s'en  était  présentée.  Après  dix  mois  il  revint  à  Rome.  En 
1599  Clément  VIII  le  créa  cardinal  ;  en  1602  il  obtint  l'évêché  de  Pa- 
doue  ;  il  ne  négligea  rien  pour  rétablir  la  discipline  dans  son  diocèse 
et  pour  remédier  à  quelques  abus.  Comme  Paul  V,  élu  en  1605,  le  re- 
tint auprès  de  lui,  il  renonça  à  son  évêché,  donnant  ainsi  un  exemple 
aux  prélats  qui  se  dispensaient  du  devoir  de  la  résidence.  Vers  cette 
époque  les  és7énements  qui  se  passaient  à  Venise,  où  le  gouvernement 
était  en  conflit  avec  le  saint-siége,  et  en  Angleterre,  où  le  roi  Jacques 
prenait  des  mesures  rigoureuses  contre  les  catholiques,  engagèrent  Bel- 
larmin à  prendre  la  défense  du  pouvoir  pontifical.  Contre  les  Vénitiens 
et  leur  défenseur  Paul  Sarpi,  il  publia  en  1606  trois  traités  successifs  ; 
contre  les  Anglais  il  écrivit  son  livre  De  Potestate  Summi  Pontificis  in  ré- 
bus tempora liùu s  (Rome,  1610,  défendu  à  Paris  par  ordre  du  parlement). 
Dans  ces  écrits,  ainsi  que  dans  plusieurs  parties  de  ses  Disputationes, 
notamment  dans  celle  De  Summo  Ponfifice  capite  totius  militantn  Ec- 
clesiœ,  il  développe  la  théorie  que  Dieu  a  institué  le  pape  comme  chef 
unique  et  souverain  de  l'Eglise,  que  ce  chef  a  la  plénitude  de  la  puis- 
sance spirituelle,  qu'il  ne  peut  pas  errer,  qu'il  juge  tout  le  monde  et 
que  personne  n'a  le  droit  de  le  juger,  que  par  conséquent  il  lui  revient 
aussi  une  grande  part  dans  le  gouvernement  temporel  des  peuples  et 
qu'il  doit  empêcher  les  princes  d'user  de  leur  pouvoir  contre  lEglise. 
11  est  à  remarquer  toutefois  que  Bellarmin  est  loin  d'attribuer  au  pape 
cette  suprématie  directe  et  absolue  sur  les  princes  clans  les  choses  sé- 
culières, qui  avait  été  le  rêve  de  quelques  canonistes  du  moyen  âge  et 
qui  était  la  prétention  de  tous  les  évoques  de  Rome.  Aussi  Sixte-Quint 
avait-il  été  peu  satisfait  en  le  voyant  apporter  une  restriction  à  son  om- 
nipotence, tandis  qu'en  France  on  trouvait  qu'il  allait  encore  beau- 
coup trop  loin.  Après  avoir  occupé  dans  ses  dernières  années  l'évêché 
de  sa  ville  natale,  il  se  retira  à  Rome  dans  un  collège  de  son  ordre,  où 
il  mourut  le  27  septembre  1621.  —  Ses  œuvres  complètes  parurent  à 


BELLARMIN  —  BELLTNI  167 

Cologne  (1619,  7  vol.  in-f°.)  Outre  ceux  de  ses  écrits  que  nous  avons 
mentionnés,  il  faut  citer  encore  :  son  Liber  de  scriptoribus  ecclesiasticis 
(Rome,  1613,  in-4°),  catalogue,  sans  critique,  des  écrivains  ecclésias- 
tiques jusqu'en  1500;  son  Explicatio  doctrinae  christ ian<v,  un  des  ca- 
téchismes romains  les  plus  répandus,  publié  d'abord  en  italien  (Home, 
L603,  in-V't  el  traduit  en  plusieurs  langues,  même  en  arabe;  un  Com- 
mentaire sur  les  Psaumes  (Rome,  1611,  in-i°,et  souvent)  ;  une  Admoni- 
tio  ad  episcopum  Theanensem,  ncpotem  suum  (Paris,  1618,  in-12),  où 
Ton  voit  quelle  haute  idée  il  se  faisait  des  devoirs  d'un  évoque;  enfin  un 
recueil  de  lettres  (Home,  1650).  Les  ouvrages  qu'on  a  publiés  pour  le 
réfuter  sont  trop  nombreux,  pour  être  cités  ici  ;  comme  on  le  considé- 
rait avec  raison  comme  le  défenseur  le  plus  autorisé  du  catholicisme 
orthodoxe,  on  écrivait  encore  des  Antibellarmin  bien  longtemps  après 
sa  mort.  Oh.  Schmid.t. 

BELLEY  (Ain)  [Bellicium,  quelquefois  Belisma],  évêché  suffragant 
de  Besançon .  Les  auteurs  racontent  que  Nyons  (Colonia  Fquestris,  Ni- 
vidunum)  avait  eu  des  évêques,  et  que  le  siège  établi  en  cette  ville  fut 
transféré  au  cinquième  siècle  à  Belley  ;  néanmoins  l'évêché  n'est  connu 
avec  certitude  que  depuis  555.  L'évêque  de  Belley,  qui  avait  le  gouver- 
nement de  la  ville,  était  prince  de  l'empire.  L'église  cathédrale,  dé- 
diée à  saint  Jean-Baptiste,  possède  des  reliques  de  ce  saint. —  Voy.  Gui- 
chenon,  Hist.  de  Bresse  et  de  Bugey,  Lyon,  1650,  in-fol.  ;  Depéry, 
ffist.    hagiol.  de  Belley,  3   vol.,  Bourg,    1841-45;    Hauréau ,    G  allia 

Christ..  XV. 

BELLINI  (Giovanni)  [1426-1516],  chef  de  l'école  vénitienne,  porta  la 
peinture  religieuse  à  un  singulier  degré  de  noblesse  et  de  grandeur. 
Formé  par  son  père,  stimulé  par  l'exemple  de  son  frère  Gentile,  pein- 
tre distingué  lui-même,  Giovanni  Bellini  a  donné  à  ses  christs,  à  ses 
madones,  à  ses  saints  un  caractère  d'auguste  sérénité  qu'ils  n'avaient 
pas  atteint  avant  lui.  Un  des  premiers  il  adopta  la  peinture  à  l'huile, 
récemment  introduite  de  la  Flandre  en  Italie  par  les  frères  Van  Eyck. 
Les  œuvres  de  Bellini  ne  se  distinguent  ni  par  la  profondeur  de  la 
pensée,  ni  par  l'inspiration  poétique,  ni  par  la  richesse  ou  la  variété 
de  la  composition  :  ce  qu'on  admire  en  elles,  c'est  une  sorte  de  gran- 
deur sublime,  tempérée  dans  ses  madones  et  ses  anges  par  une  dou- 
ceur  et  une  -race  presque  vaporeuses,  un  coloris  chaud,  des  tons  ad- 
mirablemenl  fondus,  comme  ceux  qu'offre  le  paysage  des  lagunes, 
illuminé  par  un  soleil  radieux  et  déroulant  les  scènes  tranquilles  et 
sereines  d'une  population  habituée  à  l'éclat  et  à  la  pompe  des  cos- 
tumes el  qui  semble  être  toujours  en  fête.  Bellini,  dans  ses  types,  ne 
reproduil  ni  l'angoisse  de  la  souffrance  ;  ni  l'extase  de  la  félicité  cé- 
leste, mais  I  expression  d'un  bonheur  calme  que  rien  ne  viendra  trou- 
bler, parce  qu'il  a  sa  source  dans  l'absence  de  passions.  Jamais  peut- 
être  I  déal  el  le  réel  ne  se  sont  autant  rapprochés  et  fondus.  Ce  que 
l'on  peul  regretter,  c'est  un  certain  manque  de  mouvement  dans  les 
attitudes  comme  dans  les  physionomies,  un  cachet  uniforme  de  so- 
lennité aristocratique,  quj  interdit  aux  pensées  et  aux  sentiments  de 
I  àme  de  venir  se  refléter  d'une  manière  trop  vive  sur  le  visage.  Il 


168  BELL1NI  —  BELSUNCE 

y  a  trop  de  majesté  officielle  et  pas  assez  d'émotion  intime  dans  ces 
expressions  si  placides  et  si  reposées.  Ajoutons  que  le  peintre  excelle  à 
construire  les  groupes  avec  une  symétrie  parfaite  qui  n'exclut  point 
l'aisance  et  le  naturel.  Parmi  les  chefs-d'œuvre  de  Bell  in  i,  nous  cite- 
rons, au-dessus  du  maitre-autel  de  la  sacristie  de  Sancta-Maria  de1  Fra- 
tri,  à  Venise,  la  Vierge  sur  son  trône,  entourée  de  saints  et  d'anges  fai- 
sant de  la  musique,  et  symbolisant  ainsi,  avec  une  rare  éloquence, 
l'accord  harmonieux  qui  règne  entre  les  divers  personnages  de  ce 
groupe  ;  un  Christ  enseignant,  dans  une  attitude  pleine  de  dignité  et  de 
noblesse,  à  la  galerie  de  Dresde  ;  une  Madone,  avec  l'enfant  Jésus,  de- 
bout et  la  bénissant,  appuyé  contre  une  balustrade,  à  l'Académie  de 
Venise  ;  un  Saint  Jérôme,  absorbé  dans  sa  lecture,  dans  un  paysage 
sauvage,  au  milieu  de  rochers  aux  tons  chauds,  avec  saint  Augustin  à 
sa  droite,  et  saint  Christophe  portant  l'enfant  Jésus  à  sa  gauche,  dans 
l'église  de  S.  Giovanni  Crisostomo,  à  Venise;  Jésus  soupant  avec  les  dis- 
ciples d'Emmaùs,  dans  l'église  San  Salvadore,  etc.  Giovanni  Bellini  fut 
le  maître  du  Titien  et  du  Giorgione.  F.  Lichtenbergeii. 

BÉLOUTCHISTAN  (Statistique  religieuse).  On  comprend  sous  le  nom 
de  Béloutchistan  le  vaste  territoire  qui  s'étend  sur  les  bords  de  la  mer 
d'Oman,  entre  la  Perse  et  l'Hindoustan.  Le  pays  n'est,  à  vrai  dire, 
qu'une  vaste  steppe  parcourue  par  les  tribus  nomades  des  Béloutchis 
et  des  Brahonis.  Quoique  soumises  nominalement  au  khan  de  Kélat, 
ces  hordes  sont,  de  fait,  à  peu  près  indépendantes.  La  seule  influence 
qui  pèse  sur  elles  est  celle  de  l'Angleterre,  qui  fait  peu  à  peu  du  Bé- 
loutchistan Pavant-garde  de  ses  possessions  indiennes  contre  la  Rus- 
sie. La  population  du  pays  est  évaluée  très-diversement  :  les  chiffres 
fournis  par  les  voyageurs  varient  de  700,000  à  3,000,000;  les  plus 
bas  sont  probablement  les  moins  éloignés  de  la  vérité.  Toutes  ces  tri- 
bus professent  l'islamisme  :  c'est  tout  ce  que  l'on  peut  dire  de  leur 
état  religieux.  —  Behm  et  Wagner,  Die  Bevôlkeruny  von  der  Erde,  II, 
1874;  Dieterici,  Mittheilungen  de  Gotha,  1859;  Boss,  Comptes  i  codas  de 
la  Société  royale  de  Géographie  de  Londres,  t.  XVI,  1871-72,  etc. 

BELSUNCE  de  Castel-Moron  (Henri-François-Xavier  de),  né  en  1671, 
au  château  de  La  Force ,  entra  chez  les  jésuites  à  l'âge  de  vingt  ans. 
Grand-vicaire  d'Agen  et  évêque  de  Marseille  en  1709,  il  ne  sortit  de  la 
Société  de  Jésus ,  dans  un  temps  où  la  grande  majorité  de  Fépiscopat 
gallican  lui  était  hostile,  que  pour  mieux  la  protéger  du  dehors.  Capa- 
ble également  d'abnégation  héroïque  et  de  rancune  haineuse,  il  réunit 
les  caractères  les  plus  opposés  et  pourtant  les  plus  authentiqués  de 
l'ordre.  II  ne  connut  de  charité  que  celle  qui  livre  son  corps  :  ce  fut 
un  Borromée,  moins  la  douceur.  On  connaît  le  zèle  admirable  avec 
lequel  il  se  dévoua  à  son  troupeau  pendant  la  peste  qui  désola  Mar- 
seille en  1720  et  1721.  Il  s'attacha  à  son  Eglise  en  proportion  de  ce 
qu'il  avait  fait  pour  elle  et  refusa  Pévêché  de  Laon,  duché-pairie,  et 
l'archevêché  de  Bordeaux,  n'acceptant  du  pape  que  le  pallium,  et  du 
roi  que  le  revenu,  d'ailleurs  considérable,  des  deux  bénéfices.  Mais 
avant  la  fin  de  son  long  épiscopat,  il  avait  fatigué  son  diocèse  à  force 
de  turbulence  et  indisposé  ses  plus  sincères  admirateurs.  Le  souvenir 


BELSUNCE  —  BENEDICTION  169 

<!(•  son  noble  dévouement  lui  assurait  une  autorité  dont  ses  anciens 
confrères  usèrent  à  leur  gré  pour  troubler  la  paix  de  L'Eglise.  Il  ne 
cessa  de  s'attaquer  aux  actes  et  aux  écrits  de  Colbert,  évêque  de  Mont- 
pellier, qui  était  un  des  appelants  de  la  bulle  Unigenitus.  Son  intolé- 
rance inquisitorîale  imagina  d'exiger  des  malades  leur  soumission  à  la 
laineuse  bulle  avant  de  leur  donner  les  sacrements,  mesure  qui  causa 
depuis  tant  de  troubles.  Aussi  zélé  en  faveur  des  jésuites,  pour  les- 
quels il  fonda  même  un  collège  à  Marseille,  qu'emporté  contre  leurs 
adversaires,  il  alla  jusqu'à  accuser  faussement  les  oratoriens  de  cette 
ville  de  l'avoir  abandonnée  pendant  la  peste.  Belsunçe  mourut  en 
1755.  On  a  de  lui  un  Abrogé  de  la  ci',  de  Suzanne-Henriette  de  Foix, 
sa  tante  (Agen.  1707.  in-12),  et  un  ouvrage  intitulé  :  V Antiquité  de 
l'église  de  Marseille  et  la  succession  de  ses  éoèques  (Marseille,  1747-51, 
.']  vol.  in-'t°).  Ses  nombreuses  Instructions  pastorales,  publications  de 
controverse  contre  les  jansénistes  plutôt  que  d'édification,  ont  été  re- 
cueillies en  1822  par  l'abbé  Jautï'ret.  P.  Rouppet. 

BENADAD  [  Bcn-Hadad  ,  uw*  "ASep,  lils  du  soleil],  nom  porté  par 
trois  rois  de  Syrie.  Adad  est  le  nom  sous  lequel  le  soleil  fut  adoré  chez 
les  Syriens.  Ben  adad,  lils  de  Tabremon,  vint  au  secours  d'Asa,  roi  de 
Juda,  contre  Baasa,  roi  d'Israël,  entra  sur  les  terres  d'Israël  et  obligea 
Baasa  d'accourir  dans  son  propre  pays  et  d'abandonner  Rama,  qu'il 
voulait  fortifier  (2  Cliron.  XVI,  1  ss.).  Son  fils  Benadad  fut  en  guerre 
avec  Achab  et  Joram ,  rois  d'Israël.  Achab  le  battit  et  lui  enleva  tout 
son  bagage  (1  Rois  XX,  20  ss.).  Quant  à  Joram,  il  fut  d'abord  vaincu, 
et  Benadad,  campé  devant  Samarie,  se  croyait  déjà  sur  de  s'emparer 
de  cette  ville,  quand  son  armée  fut  dispersée  par  une  terreur  panique 
(2  Rois  VI,  2i;  VII,  7  ss.).  Il  mourut  l'année  suivante,  assassiné  par 
Hazaël ,  un  de  ses  officiers;  qui  usurpa  le  trône.  Benadad,  fils  de 
Hazaël,  fut  battu  trois  fois  par  Joas,  roi  de  Juda,  qui  le  contraignit  de 
lui  rendre  tout  le  pays  qui  s'étend  au  delà  du  Jourdain,  qu'Hazaël 
avait  pris  sous  les  règnes  précédents  (2  Rois  XIII;  2o  ;  Jérém.  XLIX, 
27;  Amos  I.  V). 

BENAJA.  Voyez  Banaias. 

BENEDICITE  (Mensx  cimstcralfo),  prière  qui  se  fait  avant  le  repas 
pour  bénir  les  mets  qui  sont  sur  la  table,  dette  bénédiction  est  très- 
ancienne  Nous  en  trouvons  une  trace  Deut;é.  VIII,  10.  Elle  s'est  con- 
servée chez  les  juifs  orthodoxes  jusqu'à  ni  ..;  jours.  D'ordinaire,  c'est 
la  personne  la  plus  qualifiée  qui  donne  la  bénédiction  ;  puis,  quand  on 
es!  assis,  on  récite  le  psaume  XXIII;  le  maître  de  la  maison  prend 
ensuite  un  pain,  le  bénit  et  en  donne  un  morceau  à  chacun.  L'usage 
de  la  cemecratio  mensœ  a  passé  de  la  Synagogue  aux  chrétiens  et  répond 
à  un  senti  me  ni  religieux  naturel.  C'est  au  père  de  famille  que  revient 
cet  office,  <-t  non  pas  «  aux  clercs  préférablement  aux  laïques»,  comme 
le  veulent  l'Eglise  catholique  et  un  certain  cléricalisme  protestant. 

BÉNÉDICTINS  (Ordre  des).  Voyez  Henoît  de  Nursie. 

BÉNÉDICTINES.   Vont/  Scholaslique  (Sainte). 

BÉNÉDICTION.  Le  mot  hébreu  bàraq,  que  l'on  traduit  communé- 
ment par  bénir,  a  un  sens  très-étendu.  Il  signifie  d'aberd  tomber  à 


170  BENEDICTION 

genoux,  fléchir  les  genoux;  puis,  surtout  au  pluriel  (béréq),  implorer, 
adorer  et  louer  Dieu,  et,  par  une  extension  naturelle,  souhaiter  à  quel- 
qu'un, implorer  pour  quelqu'un  la  faveur  divine.  D'après  les  Hébreux, 
Dieu  est  la  source  inépuisable  de  toutes  les  bénédictions.  Celui  qu'il 
bénit  demeure  béni  éternellement  (1  Ghron.  VIII,  27);  par  contre,  tout 
effort,  tout  travail  de  l'homme  est  vain,  si  Dieu  ne  le  bénit  (Ps.  CXXVII, 
2;  cf.  Luc  V,  5).  Les  bénédictions  de  Dieu  sont  temporelles  (Gen. 
XXXIX,  5;  Exode  XXIII,  25;  Deut.  XXVIII,  38;  Ps.  CXXXII,  15; 
cf.  Hébr.  VI,  7)  et  spirituelles  (Esaïe  XIX,  24  ;  XLIV,  3;  cf.  Eph.  I,  3). 
Elles  sont  le  partage  de  celui  qui  craint  Dieu  (Ps.  CXXYIII,  1,  3,  4; 
CXV,  13;  Ecclésiastique  I,  19;  cf.  1  Tim.  IV,  8),  qui  se  confie  en  lui 
(Ps.  XXXIX,  10;  Jérém.  XVII,  7),  de  l'homme  juste  et  pieux  (Ps.  V,  13; 
XXXVII,  26;  CXII,  2  ;  Prov.  III,  33  ;  XXVIII,  20  ;  Jérém.  XXXI,  23)  ;  de 
celui  qui  ne  se  lasse  pas  d'implorer  l'assistance  divine  (Gen.  XXXII, 
26  ss.;  Osée  XII,  5).  De  môme,  Dieu  bénit  les  pères  pieux  dans  leurs 
enfants  (Prov.  XIII,  22;  Ps.  CIII,  17;  Ecclésiastique  III,  il),  et  fait 
reposer  une  bénédiction  sur  la  mémoire  des  justes  (Prov.  X,  7).  Mais 
la  grandeur,  la  sagesse  et  l'inépuisable  fécondité  des  bénédictions  divines 
se  manifestent  surtout  dans  le  dessein  qu'il  a  formé,  de  toute  éternité, 
pour  le  salut  des  hommes  et  dont  il  a  préparé  l'accomplissement  dans 
le  temps.  C'est  clans  ce  but  qu'il  a  plus  particulièrement  béni  Adam  et 
Eve  (Gen.  I,  28;  V,  2),  Noé  (Gen.  IX,  1),  Abraham  (Gen.  XII,  2; 
XXIV,  I,  35;  Esaïe  LI,  2;  Hébr.  VI,  14),  Jacob  (Gen.  XXXV,  9; 
XLVIII,  3),  Joseph  (Gen.  XLIX,  25),  ainsi  que  les  principaux  représentants 
de  l'ancienne  alliance.  Moïse,  pour  entretenir  le  souvenir  de  ces  bienfaits 
passés  et  futurs,  ordonna  que  les  prêtres,  matin  et  soir,  bénissent  les 
enfants  d'Israël  au  moyen  d'une  formule  que  la  Synagogue,  et  l'Eglise 
chrétienne  après  elle,  se  sont  appropriée  (Nomb.  VI,  24-27).  Cette  bé- 
nédiction attachée  à  l'observation  exacte  et  fidèle  de  la  loi,  Balaam  la 
rappela  au  peuple  au  moment  de  son  entrée  en  Palestine,  et  Josué, 
après  la  conquête,  sur  l'ordre  de  Jéhova,  la  grava  dans  sa  mémoire  dans 
une  cérémonie  solennelle  accomplie  en  face  des  monts  Hébal  et  Garizim 
(Jos.  VIII,  33).  Lespsalmistes  et  les  prophètes  ne  cessent  de  la  rappeler. 
Ils  soutiennent  et  consolent  Israël  dans  ses  épreuves  par  le  souvenir  des 
promesses  de  l'Eternel  et  annoncent  la  venue  de  celui  par  lequel  la 
bénédiction  d'Abraham  sera  répandue  sur  les  païens  (Gai.  III,  14).  En 
Jésus-Christ,  Dieu  nous  a  abondamment  bénis  des  biens  spirituels  les 
plus  variés  (Eph.  1,3)  ;  le  Sauveur  lui-même  bénit  les  enfants  (MarcX, 
16),  ainsi  que  ses  disciples,  lors  de  son  ascension  (Luc  XXIV,  50,  51). 
A  l'exemple  des  hommes  pieux  de  l'Ancien  Testament  qui  avaient 
laissé  leur  bénédiction  à  leurs  descendants  (Gen.  XXVII,  27  ;  XLVIÏI,9; 
Exode  XXXIX,  43;  Deut.  XXXIII,  1  ss.;l  Rois  VIII,  14),  il  nous  ordonne 
de  bénir  tous  les  hommes,  même  nos  ennemis  (Matth.  V,  44  ;  Luc  VI, 
28;  cf.  Rom.  XII,.  14  ;  1  Pierre  III,  9).  —L'Eglise  chrétienne  n'a  pas  su 
comprendre  et  appliquer,  dans  sa  spiritualité,  la  puissance  de  bénédic- 
tion renfermée  dans  sa  mission  d'annoncer  l'Evangile  à  toute  créature. 
Pour  rappeler  aux  hommes  que  tous  les  biens  de  ce  monde  sont  des 
dons  de  Dieu,  qu'il  faut  en  faire  un  usage  conforme  à  sa  volonté,  que 


BENEDICTION  171 

Dieu  ne  nous  les  accorde  pas  pour  nous  seuls  (1  Tim.  IV,  Mi),  et  sous 
le  prétexte  de  combattre  les  erreurs  des  païens  qui  croyaient  que  toutes 
Jcs  parties  de  la  nature  étaient  animées  par  des  esprits  ou  des  génies 
tantôt  bienfaisants,  tantôt  malfaisants,  elle  a  multiplié  les  aetes  et  les 
formules  de  bénédiction,  en  les  attribuant  comme  un  privilège  exclusif 
à  la  caste  sacerdotale.  C'est  ainsi  qu'elle  a  prescrit  que  les  maisons, 
les  campagnes  les  fontaines,  les  rivières,  les  animaux,  les  aliments 
tussent  bénis  par  «les  cérémonies  particulières,  de  même  que  les  per- 
sonnes dans  diverses  circonstances  de  la  vie,  tels  que  les  nouveaux 
époux,  les  accouchées,  les  mourants,  les  abbés  et  les  abbesses,  etc.  La 
bénédiction,  dans  ces  cas,  tend  à  se  confondre  avec  la  consécration 
(voy.  cet  article).  En  vertu  de  la  même  tendance,  l'Eglise  a  ordonné 
que  tout  ce  qui  a  trait  au  culte  divin  fût  béni  :  édifices,  cimetières,  croix, 
images  publiques,  clocbes,  habits  sacerdotaux,  linges,  vases  de  l'autel, 
huile,  sel,  pain,  eau  (voy.  ces  divers  articles).  On  nomme  bènèdiclion- 
nairesles  livres  liturgiques  qui  contiennent  l'énumération  des  formules 
et  des  rites  prescrits  par  l'Eglise  pour  tous  les  cas  particuliers,  avec  des 
instructions  très-détaillées  sur  la  manière  de  s'en  servir.  L'usage  du 
signe  de  la  croix,  invariablement  employé  dans  les  bénédictions,  et 
l'importance  attachée  à  celles  que  donne  un  prêtre  nouvellement  con- 
sacré suffiraient  à  eux  seuls  pour  montrer  combien  la  superstition  a 
exploité  un  domaine  que  Ton  voulait  arracher  au  pouvoir  des  sorciers 
<-t  des  magiciens.  Les  bénédictionnaires  règlentaussi  la  compétence  des 
divers  membres  de  la  hiérarchie  ecclésiastique  pour  les  rites  en  ques- 
tion. C'est  ainsi  qu'ils  statuent  qu'il  y  a  des  bénédictions  réservées  aux 
évèques  seuls,  comme  le  sacre  des  rois,  la  consécration  des  églises  et 
de-  autels  et  toutes  les  bénédictions  qui  exigent  l'emploi  des  saintes 
huiles.  Il  en  est  de  même  de  la  bénédiction  solennelle  à  la  lin  des 
messes  hautes  :  il  n'y  a  que  les  évêques  ou  les  abbés  mitres  qui  puis- 
sent la  donner.  De  son  côté,  le  pape  s'est  réservé  le  pouvoir  de  bénir 
certains  objets,  tels  (pie  l'agneau  pascal,  la  rose,  la  catholicité  entière, 
vvbi  et  orbi*9  toutes  les  personnes  qui  s'approchent  de  lui  doivent  de- 
mander sa  bénédiction.  La  benedictio  pontificia  ou  apostolica  a  une 
efficacité  particulière  en  vue  du  pardon  des  péchés.  Les  évêques  ne 
peuvent  la  donner  qu'en  vertu  d'une  délégation  expresse  du  pape. 
Par  un  bref  du  :>  septembre  1762,  Clément  XIÏI  informa  les  évêques 
du  pouvoir  qui  peut  leur  être  accordé,  lorsqu'ils  le  demandent,  de 
deux,  t'ois  l'an,  à  l'issue  d'une  messe  pontificale,  la  bénédic- 
tion papale  accompagnée  d'une  indulgence  plénière  pour  les  fidèles 
qui  -ont  présents.  Quant  à  la  bénédiction  ordinaire,  l'évêque  peut 
la  donner  toujours,  même  in  via  ou  itinerando,  aux  personnes  qu'il 
rencontre  sur  son  chemin,  dans  toute  rétendue  de  son  diocèse.  Les 
o  naires  attachent  une  importance  particulière  à  la  béné- 
diction fl"  saint-sacrement^  qui  doit  toujours  être  donnée  en  silence, 
pareeque,  'lui  «  e  cas,  ce  n'est  pas  proprement  l'évêque  ou  le  prêtre  qui 
bénil  le  peuple,  mais  Jésus-Christ  lui-même.  L'oftfciani  u'esl  qu'un 
pur  instrument  :  c'esl  pourquoi  avant  la  bénédiction  il  récite  une  prière 
déprécatoire,  et.  pendant  qu'il  bénit,  il  se  tait  entièrement,  aussi  bien 


172  BENEDICTION  —  BENEFICES 

que  les  chantres  et  les  assistants,  afin  que  l'attention  ne  soit  point  dis- 
traite, mais  qu'elle  se  porte  uniquement  sur  l'objet,  qui  est  le  saint- 
sacrement.  Lorsque  révoque  donne  cette  bénédiction,  il  fait  trois  fois 
un  signe  de  croix  avec  l'ostensoir,  tandis  que  le  simple  prêtre  ne  le 
fait  qu'une  seule  fois.  —  Les  Eglises  protestantes,  supprimant  tout  cet 
appareiLextérieur  et  ces  distinctions  subtiles,  n'ont  conservé,  dans  les 
cérémonies  du  culte,  que  la  bénédiction  qui  clôt  le  service  religieux  et 
pour  laquelle  le  ministre  officiant  se  sert  ou  de  la  formule  mosaïque 
(Nomb.  VI,  24)  ou  de  telle  autre  formule  empruntée  aux  salutations 
apostoliques  (1  Cor.  I,  3;  Gai.  I,  3;  Eph.  I,  2;  Col.  1,  2,  etc.),  et  que  la 
communauté  répète  parfois  en  chantant.  —  Voyez  Grégoire  le  Grand, 
Sacrumentarium  ;  Ducange,  Gtossarium  ;  Durandus,  Rationale  dwi- 
noram  officiorum  ;-Dinkel,  Du  sens  des  bênédict.  sacerdot.  et  ordin.  dans 
l'Egl.  cat/iol.;  Goschler,  Dialoçj.  famil.  sur  les  cérêm.  et  les  pratiq. 
extér.  de  VEgl.  catknl.,  trad.  de  l'allem.,  P.,  1857;  Wetzer  u.  Welte, 
Kirchenlexîcim;  Bergier,  Diction,  de  théol.;  Glaire,  Diction,  des  sciences 
ecclés.,  s.  v.  bénédictions.  F.  Lichtenbergek. 

EÉNÉFICES  ECCLÉSIASTIQUES.  On  appelle  ainsi  un  revenu  uni  à  une 
charge  ecclésiastique.  Les  bénélices  étaient  inconnus  dans  les  premiers 
siècles  de  l'Eglise  chrétienne  :  les  biens  ecclésiastiques  formaient  alors 
une  masse  commune,  administrée  souverainement  par  l'évoque  (voyez 
Biais  ecclésiastique*).  On  répartit  plus  tard  les  revenus  de  ces  biens 
entre  l'évêque,  le  clergé,  l'église  et  les  pauvres.  Il  était  naturel  alors 
que  l'on  songeât  à  confier  à  un  prêtre  un  immeuble  de  l'église,  dont  le 
produit  lui  assurât  sa  part.  D'abord  défendue  par  le  droit  ecclésiastique 
(c.  23,  caus.  XII,  q.  2),  cette  affectation  fut  ensuite  admise  :  on  permit 
aux  évêques  d'accorder  aux  prêtres  la  puissance  temporaire  des  biens 
de  l'Eglise  (c.  (M,  caus.  XVI,  q.  1;  c.  32,  3o,  36,  caus.  XII,  q.  2).  Cette 
concession  s'appelait  precaria  (c.  11,  caus.  XVI,  q.  3  et  autres  textes). 
Ainsi  s'établit  l'usage  de  doter  chaque  église  d'immeubles.  La  législa- 
tion franque  consacra  cet  usage  et  le  rendit  général;  elle  exigea  qu'un 
rnansus  integer  fût  attribué  à  chaque  église  (Capitid.  Caruli  J/.,  lib.  I, 
cap.  83).  Le  rmnsus  était  une  mesure  agraire,  de  douze  arpents;  on 
y  joignit  des  esclaves  et  l'on  déclara  le  mafisus  ecclesiasticus  libre 
de  toute  charge.  Nous  rencontrons,  à  la  même  époque,  l'expression  : 
lies  ecclesiœ  in  beneficium  relinere,  Jiabere  (C'apif.  Cciroli  71/.,  lib.  Y, 
cap.  146).  La  féodalité  s'imposa  à  l'Eglise,  qui  fut  contrainte  de 
donner  ses  biens  in  beneficium.  Les  évêques  tirent  ces  concessions 
tantôt  à  des  laïques,  tantôt  à  des  clercs.  Telle  est  l'origine  des 
bénélices  ecclésiastiques  (voyez  Ducange,  h.  v.).  Ils  furent  régis  par 
une  législation  spéciale,  que  nous  ne  pouvons  pas  résumer  ici.  Bor- 
nons-nous à  en  indiquer  les  points  principaux.  On  divisa  les  bénélices 
en  deux  classes  :  les  séculiers,  qui  ne  pouvaient  être  conférés  qu'à  des 
clercs  séculiers  :  papauté,  patriarcat,  archevêché,  évêché,  cardinalat, 
abbayes  séculières,  églises  paroissiales,  canonicats,  chapelles,  etc.  ;  les 
réguliers,  alfectés  aux  clercs  réguliers  :  les  abbayes  régulières,  les 
prieurés,  les  offices  claustraux,  etc.  Ces  derniers  étaient  contraires  à  la 
règle  qui  voulait  que  les   biens  des   moines  fussent  communs.  Aussi 


BÉNÉFICES  ECCLÉSIASTIQUES  173 

tout  bénéfice  était-il  présumé  séculier.  Pour  être  nommé  à  un  bénéfice, 
il  fallait  remplir  certaines  conditions  de  gradèsel  d'âge.  On  distinguait 

les  bénéfices  sacerdotaux,  qui,  en  vertu  de  la  loi  ou  des  actes  de  fou- 
dation,  ne  pouvaient  être  conférés  qu'à  des  prêtres:  pour  les  obtenir, 
il  fallait  donc,  s'ils  étaient  séculiers,  avoir  2o  ans;  s'ils  étaient  régu- 
liers, 16  ans.  Pour  les  bénéfices  à  simple  tonsure,  le  concile  de  Trente 
exigeai!  l'âge  de  14  ans;;  mais  en  France,  où  ce  concile  n'était  pas 
reçu,  Oïl  les  donnait  à  des  enfants  de  10,  et  même  de  7  ans,  auxquels 
ils  servaient  de  bourses.  Selon  la  qualité  du  bénéfice  qu'il  postulait,  le 
candidat  devait  être  séculier  ou  régulier.  En  France,  les  étrangers  ne 
pouvaient  être  nommés  à  aucun  bénéfice,  et  l'Eglise  de  France  main- 
tint constamment  cette  règle.  —  Ordinairement,  c'était  L'évêque  qui 
nommait  aux  bénéfices,  c'est-à-dire  qui  était  collateur,  de  sorte  que 
[escanonistes  considérèrent  les  collations  comme  des  fruits  de  l'évêché. 
Mais  les  évoques  n'eurent  pas  l'exercice  exclusif  de  ce  droit.  Parfois, 
en  effet,  le  collateur  était  obligé  de  nommer  un  candidat  désigné  par 
une  autre  personne,  par  le  patron  :  c'est-à-dire  par  !e  laïque  ou  l'ec- 
clésiastique qui  avait  fondé  ou  doté  l'église.  Le  droit  du  patron  n'était 
pas  attaché  à  sa  personne,  mais  à  sa  terre,  et  la  suivait  en  quelques 
mains  qu'elle  passât.  Le  patron  nommait,  le  collateur  donnait  l'insti- 
tution. Parfois  aussi,  le  collateur  était  obligé  de  nommer  les  gradués 
des  universités,  c'est-à-dire  les  maîtres  ou  docteurs,  de  quelque  fa- 
culté que  ce  fût,  les  bacheliers  des  trois  facultés  supérieures.  Ils  te- 
naient ce  droit  du  concile  de  Bàle,  qui  leur  avait  affecté  le  tiers  de 
tous  les  bénéfices,  en  considération  des  services  qu'ils  avaient  rendus  à 
L'Eglise* et  de  leur  capacité,  constatée  par  leurs  grades.  Malheureuse- 
ment, les  grades  furent  donnés  trop  facilement,  et  la  garantie  fit  place 
à  un  abus.  Pour  le  restreindre,  l'Eglise  gallicane  s'opposa  à  ce  que  le 
pape  pût  dispenser  les  gradués  du  temps  d'études  (art.  57  des  Libertés 
de  V Eglise  gallicane).  Enfin,  les  droits  des  collateurs  ordinaires  étaient 
limités  par  ceux  des  chapitres,  du  pape  et  du  roi.  Les  chapitres,  deve- 
nus Les  conseils  des  évêques,  partagèrent  avec  eux  les  collations  ;  mais 
leurs  droits  mutuels  furent  réglés  par  les  concordats  qu'ils  firent  entre 
eux.  —  Les  canonistes  ultramontains  soutinrent  que  le  pape  pouvait  dis- 
poser souverainement  des  biens  et  des  bénéfices  ecclésiastiques,  qu'ils 
Eussent  vacants  ou  non;  d'où  les  expectatives  et  les  réserves.  Les  ex- 
pectatives  étaient  une  assurance  donnée  par  le  pape  à  un  clerc,  qu'il 
lui  conférerait  tel  bénéfice  Lorsqu'il  serait  vacant.  Lorsque  le  collateur 
ne  nommait  pasla  personne  désignée,  le  pape  envoyait  des  lettres  exécu- 
toriales,  quelquefois  même  une  excommunication.  Par  les  réserves, 
le  pape  déclarait  qu'il  entendait  nommer  à  tel  bénéfice,  lorsqu'il  serait 
vacant,  e!  Léfendait  au  collateur  d'y  pourvoir.  Les  conciles  ^Con- 
stance et  de  Bàle  restreignirent  les  expectatives  et  les  réservés  :  le 
concile  de  Trente  les  abrogea.  Sur  d'autres  points,  les  prétentions  ultra- 
montaines  étaient  repoussées  par  l'Eglise  gallicane.  Ainsi,  dans  les 
autres  pays  d'Europe,  Le  pape  percevait,  sous  le  nom  d'annates,  le  re- 
venu d'un  an  de  tout  bénéfice  vacant,  on  du  moins  la  somme  à  l;i- 
quelle  la  chancellerie  romaine  avait  évalué  ce  revenu.  Le  concile  de 


174  BENEFICES  ECCLÉSIASTIQUES 

Bâle  avait  prohibé  les  annates  en  vain.  Eu  France,  le  concordat  de 
François  Ier  en  permettait  la  perception  ;  mais  elle  ne  s'exerçait  que 
sur  les  bénéfices  consistoriaux.  De  même,  l'Eglise  gallicane  n'admet- 
tait pas  que  le  pape  pût  prévenir  les  nominations  d'un  patron  laïque, 
et  tolérait  seulement  que  celles  d'un  patron  ecclésiastique  lussent 
prévenues  (Libertés,  art.  55).  Les  rois  de  France  avaient  sur  les 
bénéfices  des  droits  considérables.  D'abord,  sous  les  noms  de  droit 
de  joyeux  avènement  et  de  droit  de  serment  de  fidélité,  ils  nom- 
maient à  la  première  prébende  vacante  dans  chaque  cathédrale,  après 
leur  avènement  ou  après  l'installation  d'un  nouvel  évêque.  Lors 
du  schisme  d'Avignon,  les  papes  avaient  mis  les  expectatives  au  ser- 
vice de  nos  rois,  en  leur  accordant  des  induits  pour  faire  nommer 
leurs  officiers  aux  bénéfices  qui  vaqueraient  :  d'où  l'induit  des  officiers 
du  parlement.  Le  pape  permettait  au  roi  de  désigner  à  tel  collateur 
qu'il  voudrait,  un  officier  du  parlement  auquel  le  bénéfice  serait  né- 
cessairement conféré.  S'il  était  clerc,  l'officier  était  nommé  lui-même; 
sinon,  il  faisait  nommer  une  autre  personne.  Mais  le  principal  droit  que 
les  rois  de  France  exercèrent  sur  les  bénéfices  était  d'origine  féodale  : 
la  régale.  Tout  seigneur  percevait  les  fruits  des  fiels  vacants:  donc  le 
roi,  ceux  des  évêchés  vacants.  Lorsque  les  canonistes  eurent  rangé  les 
collations  parmi  les  fruits  des  évêchés,  elles  furent  comprises  dans  la 
régale.  Le  roi  nommait,  comme  le  pape  l'eût  fait,  et  la  régale  durait 
jusqu'à  ce  que  le  nouvel  évêque  eût  fait  enregistrer  par  la  cour  des 
comptes  son  serment  de  fidélité.  Le  concile  de  Lyon,  sous  Grégoire  X, 
avait  toléré  la  régale  pour  les  églises  qui  y  étaient  alors  soumises,  mais 
avec  défense  de  l'étendre  à  d'autres  églises.  Les  gens  du  roi  en  firent 
un  droit  de  la  couronne,  inaliénable  et  imprescriptible,  théorie  consa- 
crée par  un  arrêt  du  parlement  de  Paris  (1608),  qui  étendait  la  régale  à 
tout  le  royaume.  Après  soixante  ans  de  luttes,  cet  arrêt  fut  confirmé 
par  la  déclaration  royale  de  1673.  Deux  évoques  du  Midi  résistèrent 
seuls,  mais  le  pape  Innocent  XI  les  appuya.  Cette  querelle,  célèbre 
dans  notre  histoire,  fut  apaisée  par  l'assemblée  du  clergé  (1682),  qui 
inspira  au  roi  une  nouvelle  déclaration  :  tout  le  royaume  était  soumis  à 
la  régale;  mais  elle  était  réduite  à  un  simple  droit  de  présentation, 
l'autorité  religieuse  jugeant  la  capacité  des  personnes  présentées 
par  le  roi  (voyez  Pinsson,  Traité  singulier  des  régales,  ou  des  droits 
du  roi  sur  les  bénéfices  ecclésiastiques,  etc.,  Paris,  1688,  2  vol.  in-4°). 
—  Le  bénéficier,  de  quelque  manière  qu'il  fût  nommé,  n'était  qu'ad- 
ministrateur des  biens.  Il  ne  devait  de  compte  qu'à  sa  conscience 
et  à  Dieu,  mais  pour  le  for  extérieur,  il  était  considéré  comme 
usufruitier  :  il  acquérait  les  fruits,  mais  il  devait  entretenir  le  fonds 
en  bon  état  de  culture  et  de  réparations,  et  ne  pas  anticiper  sur 
la  jouissance  de  son  successeur.  Les  autres  charges  des  bénéfices 
étaient  les  décimes  (voyez  Biens  ecclésiastiques)  et  divers  droits  perçus 
par  les  évêques.  Mais  souvent  des  pensions  leur  étaient  imposées  :  par 
exemple,  un  titulaire  qui  résignait  son  bénéfice,  le  grevait  d'une  pen- 
sion, qui  parfois  était  si  élevée  que  le  nouveau  titulaire  n'était  que  le 
fermier  du  premier.  Rien  ne  contribua  plus  à  la  ruine  des  biens  ecclé- 


BÉNÉFICES  ECCLÉSIASTIQUES 


7y 


siastiques  que  les  pensions  et  les  comraendes.  Lors  de  l'invasion  des  . 
barbares,  des  églises  vacantes  furent  confiées  par  le  pape  à  des  évêr 
ques  voisins,  qui  les  visitaient  et  percevaient  les  revenus.  Nos  rois  de 
là  seconde  race  conférèrent  des  monastères  même  à  deslaïques,  et  plus 

tard  les  commendes  servirent  à  dédommager  les  évoques  chassés  de 
la  Palestine.  Pendant  le  schisme  d'Avignon,  des  prélats  français  lurent 
abbés  commendataires  de  nombreux,  monastères.  Le  concile  de  Trente 
conserva  cet  abus  en  le  réglant  :   le  pape  seul  put  donner  en  corn* 
mende  des  bénéfices  qui  n'eussent  pas  de  charge-d'âmes  et  qui  ne 
fussent  pas  des  monastères  de  filles.  Les  pensions  et  les  commendes 
dissimulaient  un  grave  abus  :  la  pluralité  des  bénéfices  (Conc.  t?*it.,  sess. 
Vil.  /te  Reforma  c.  IV  et  v  ;  sess.  XXIV,  c.  xvn).  Souvent  un  même  titu- 
laire réunissait  plusieurs  bénéfices  considérables  et  éloignés,  dont  les 
produits  cumulés  s'élevaient  à  des  sommes  énormes.  Il  ne  pouvait  pas 
remplir  les  fonctions  attachées  à  ces  divers  bénéfices:  il  lui  était  même 
impossible  d'y  résider.  11  arrivait  même  souvent  que  les  titulaires,  au 
lieu  de  résider  sur  l'un   de   leurs  bénéfices,  passaient  leur  temps  à  la 
cour  ou  en  voyages.  Le  concile  de  Trente  s'efforça  de  remédier  à  cet 
abus  (sess.  XXIV,  c.  xn;  sess.  XXI,  c.  ni;  sess.  XXII,  c.  m).  —  Les 
bénéfices  ecclésiastiques  existent  encore  en  Allemagne.  Les  bénéficiers 
5   sont   considérés  comme  des  usufruitiers,  quant  au  droit  de  jouis- 
sance qu'ils  ont  sur  les  biens  et  à  l'obligation  de  les  entretenir  en  bon 
état  de  culture  et  de  réparations.  Ils  exercent  les  actions  réelles  ou  les 
droits  de  créance,  non  de  leur  chef,  mais  au  nom  de  l'Eglise.  Ils  ont  un 
droit  d'action  pour   exiger  le  payement   des   oblations  et  des  droits 
d'étole.  De  même,  si  un  traitement  fixe  est  attaché  à  un  bénéfice,  en 
cas  de  refus  de  payement,    le  titulaire  peut  poursuivre  civilement  les 
récalcitrants,  et  même  s'adresser  à  l'Etat,  s'il  a  garanti  le  traitement. 
L'Eglise  établie  d'Angleterre  a   conservé  l'ancienne  organisation  des 
bénéfices.  Les  titulaires  sont  considérés  comme  tenants  for  life.  Ils  ont  la 
jouissance  des  biens,  mais  ne  peuvent  ni  les  aliéner  ni  en  diminuer  la 
valeur.  Les  lois  qui  règlent  les  acquisitions  de  biens  nouveaux  ou  les 
échanges  sont  si  compliquées,  qu'il  faut  renoncer  à  les  exposer.  Les  bé- 
néficiers. s'ils  n'aiment  mieux  cultiver  eux-mêmes,  peuvent  louer  les 
biens  pour  quatorze  ans,  en  se  conformant  aux  prescriptions  de  5  et  (> 
\Kt..  ch.  27.  Ils  doivent  cependant  se   réserver  le  presbytère  (parso- 
nage-kouse)  et  dix  acres  de  terre  y  attenante.  Ils  peuvent   contracter, 
pour  1er,   terres,  des   baux  emphytéotiques   d'une  durée  de  1)9  ans  au 
plus  :  il  leur  faut  alors  appliquer  5  et  6  Vict.,  ch.   108,  21  et  22  Vict., 
i   obtenir  l'autorisation  des  commissaires  ecclésiastiques.  Ces 
commissaires  sont  les  deux  archevêques  de  Cantorbéry  et  d'York,  tous 
les  évéques,  cinq  membres  du   gouvernement,  trois  doyens,  six  juges 
des  cours  supérieures.  Ce  conseil,  organisé  par  «les  actes  du  parlement 
de  1836  et  de  18't(),  a  pour  tâche  d'égaliser  la  répartition  des  revenus 
ecclésiastiques.  Sous  eux  fonctionnent  trois  commissaires  des  propriétés 
ecclésiastiques  chtarch  estâtes commissionner s),  nommés  deux  par  !<■  sou- 
verain, nu  par  l'archevêque  de  Cantorbéry.  Parmi  leurs  nombreuses 
fonctions,  nous  ne  citerons  que  la  ré\  ision  septennale  du  taux  des  revenus 


170  BÉNÉFICES  ECCLÉSIASTIQUES 

.  des  é.vêchés,  qu'ils  doivent  ramener,  autant  que  possible,  à  125,000  francs 
par  an.  Tous  les  six  mois,  chaque  évêque  leur  envoie  l'état  de  ses  reve- 
nus. S'ils  dépassent  la  moitié  du  chiffre  fixé  pour  Tannée,  l'excédantdoit 
être  versé  entre  les  mains  des  commissaires.  S'ils  sont  inférieurs,  les  com- 
missaires comblent  le  déficit.  Ils  délèguent  une  partie  de  leurs  fonctions  à 
un  comité  des  propriétés  ecclésiastiques,  qui  s'occupe,  sous  leurs  ordres, 
des  biens  des  évêchés,  des  chapitres,  des  doyens,  des  chanoines,  des 
recteurs,  etc.  L'Angleterre  et  le  pays  de  Galles  sont  divisés  en  deux 
circonscriptions,  le  Nord  et  le  Sud,  que  parcourent  tous  les  ans  deux 
surveillants  chargés  de  percevoir  les  revenus  et  de  les  déposer  à  la  ban- 
que d'Angleterre,  au  nom  des  commissaires,  qui  en  font  la  répartition 
entre  les  ayants  droit.  Il  faut  espérer  que  cette  institution  remédiera  à 
l'inégalité  choquante  des  bénéiices,  qui  permet  au  clergé  supérieur  de 
vivre  dans  l'opulence,  lorsque  le  clergé  inférieur  est  dans  la  pauvreté. 
En  France,  la  révolution  de  1789  a  fait  disparaître  les  bénéfices,  en 
sécularisant  les  biens  ecclésiastiques  ;  mais  l'Etat  a  assuré  des  traite- 
ments aux  ministres  de  divers  cultes.  Pour  l'Eglise  catholique  ro- 
maine (concordat  de  1801,  art.  4;  charte  de  1814  et  les  constitutions 
postérieures),  les  évoques  reçoivent  actuellement  un  traitement  lixe  de 
15,000  fr.  (1.  18  germ.  an  X,  art.  64,  65;  1.  de  finances,  1831;  décr. 
15  janv.  1853;  arr.  min.  14  mars  1853  et  13  oct.  1855;.  1.  de 
finances,  23  juill.  1857).  Les  archevêques  reçoivent  20,000  fr.  (décr. 
15  janv.  1853)  ;  celui  de  Paris,  50,000  fr.;  les  cardinaux,  10,000  fr. 
Diverses  indemnités  sont  ajoutées  à  ces  traitements,  pour  frais  d'ins- 
tallation et  de  tournées  (orcl.  12  sept.  1819  et  3  août  1825;  circul.  min. 
lOfévr.  1834).  Les  curés  de  lre  classe  ont  un  traitement  de  1,600  fr.; 
ceux  de  2e  classe,  l,200fr.  (1.  org.  18  germ.  an  X,  art.  66  ;  ord.  5  juin 
1816).  Les  desservants  reçoivent  aujourd'hui  de  900  à  1,300  fr.,  selon 
leur  âge  (1.  de  fin.  8  juin  1854  ;  décr.  13  août  1854).  «  Le  traitement 
des  pasteurs  des  églises  protestantes  est  réglé  d'après  la  population  des 
communes  dans  lesquelles  ils  exercent  leur  ministère  »  (arr.  consul. 
15  germ.  an  XII,  art.  1).  Ils  sont  divisés  en  trois  classes,  selon  que  le 
chef-lieu  de  leur  paroisse  a  plus  de  30,000,  plus  de  5,000,  ou  moins  de 
5,000  habitants.  Les  pasteurs  de  lre  classe  reçoivent  2,100  fr.  ;  ceux  de 
2e  classe,  1.900  fr.;  ceux  de  3e  classe,  1,600  fr.  (ord.roy.  22  mars  1827, 
12  oct.  1842;  décr.  20  oct.  1863).  Les  communes  peuvent  leur  allouer 
des  suppléments  de  traitement,  qui  ne  doivent  pas  dépasser  la  moitié 
du  traitement  fixé  par  l'Etat  (décr.  5  mai  1806,  art.  2;  cire.  min. 
18  mai  1818).  —  On  peut  consulter  sur  les  bénéfices:  Duarex,  De  sacris 
Ecclesix  mùiisterià  ac  beneftciis  libri  VIII,  Paris,  1564  ;  Rebuffeus, 
Praxis  bene/iciorum,  Paris,  1664,  in-fol.;  Sarpi,  Tractatus  de  materiis 
beneficiariis  ex  liai,  in  lat.  ve?*s.  a  Caffa,  Jen.,  1681  ;  Blondeau,  Biblio- 
thèque canonique,  Paris,  1689,  2  vol.  in-fol.;  Thomassin,  Discipline 
de  l'Eglise,  3  vol.  in-fol.;  De  Héricourt,  Lois  ecclésiastiques,  in-fol.; 
Fleury,  Introduction  au  droit  ecclésiastique,  2  vol.  in-12,  Paris,  1687  ; 
Phillips,  Kirchenrecht,  2  vol. -,  1859 et  1862  ;  Kichter,  Kirchenrecht,  7e éd., 
Leipzig,  1874;  Walter,  Kirchenrecht,  14e  éd.,  Bonn,  1871.  Pour  l'Eglise 
anglicane,  De  Franqueville,  Les  Institutions  politiques,  judiciaires  et  ad- 


BÉNÉFICES  —  BBNÉZET  177 

mtnistratwes  de  f 'Angleterre ,2°  éd.,  Paris,  18(tt;  Blunt,  The  book  of 
churchLaw,reo.hy  Phillimore,  ^éd.jLondon,  1870;  Hodgson,  Instruc- 
tion* for  the  clergy,    1870.  Loin  Ion.  J.  Bourgeois. 

BÉNÉVENT  (ville,  duché  et  évêché).  Des  premiers  âges  de  Rome  à 
nos  jours,  ce  nom  se  mêle  à  l'histoire  politique  et  religieuse  de  tout 
l'Occident.  Bâtie,  dit-on,  par  Diomède,  et  appelée  Maleventum  par  les 
Samnites,  cette  ville  reçut  un  nom  de  meilleur  augure  avec  la  colonie 
romaine  qui  l'occupa  et  qui  fut  Tune  des  dix-huit  restées  fidèles  à  la 
métropole  contre  Annibal.  Ruinée  par  Totila,  elle  fut  relevée  et  érigée 
en  duché  par  les  Lombards  vers  590,  duché  qui  comprenait  tout  le 
royaume  de  Naples,  moins  les  Abruzzes  et  les  Calabres.  Un  de  ses  ducs 
devint  roi  des  Lombards,  un  autre  était  gendre  de  Didier,  l'infortuné 
rival  de  Charlemagne.  Après  maintes  fluctuations,  le  duché  tut  supprimé 
par  l'empereur  Louis  IL  En  1053,  Henri  III  donna  Bénévent  au  pape 
Léon  IX,  son  parent  et  sa  créature,  en  échange  des  droits  du  saint- 
siége  sur  Bamberg.  Charles  d'Anjou,  appelé  par  Urbain  IV,  délit  et  tua, 
sous  ses  murs,  en  121)6*,  ce  tyran  des  Deux-Siciles.  Depuis  la  donation 
de  Henri  III,  Bénévent  resta  annexé  aux  Etats  pontificaux.  Les  Espa- 
gnols, il  est  vrai,  réduisirent  peu  à  peu  son    territoire  à   une  étroite 
banlieue.  Ferdinand   Ier  de  Naples  l'occupa  de    1709   à  1774.  Enfin, 
en   180(),  Napoléon  en  lit  une  principauté  en  faveur   de   Talleyrand, 
mais,  en  1814,  il  fut  rendu  au  pape  qui  le  garda  jusqu'à  la  perte  de 
son  pouvoir  temporel.  —    Bénévent   est   célèbre   par   ses   nombreux 
conciles.  Les  deux  premiers   lurent   les   plus  importants.    Victor  Ili, 
le  < ligne  successeur  de  Grégoire  VII,  qui  était  de  la  maison  des  princes 
de  Bénévent.  y  signala  son  court  pontificat  par  un  concile  qui  excom- 
munia l'antipape  Guibert  et  renouvela  le  décret  contre  les  investitures, 
anathématisant  tout  empereur,   roi   ou   laïque   qui   disposerait  d'un 
évêché   ou   d'une   abbaye  (août   1087).  Le  pape,  oubliant    même   le 
caractère  indélébile   du   sacerdoce,    avança  que   tout  ecclésiastique 
ainsi  promu  ne  devait  plus  être  considéré  comme  prêtre.  Le  successeur 
de   Victor.  Urbain  II,   y   réunit  encore,  en   1091,  un   concile   qui  fut 
comme  la  continuation  du  premier  et  réitéra  l'anathème  contre  l'in- 
domptable Guibert  qui  venait  de  réoccuper  Home.  Parmi  les  décisions 
de  cette  assemblée,  il  convient  de  noter  la  défense  d'élever  un  laïque 
à    l'épiscopat  avant  qu'il  ne  soit  au  moins  diacre,  l'abstinence   des 
viandes  imposée  aux  laïques  pendant  tout  le  carême,  enfin  l'interdic- 
tion du  mariage  pendant   près  de  cinq  mois  de  l'année,  de  la  Septua- 
gésime  à  L'octave  delà  Pentecôte  et  de  l'Avent  à  l'octave  de  l'Epiphanie. 

P.    ROUFl'ET. 

BÉNÉZET  (Saint)  [Benedwtus],  pâtre  et  pontife.  En  1177,  disent  les 
Actes  i.l.  SS.,  l'i  Api-..  II),  le  jour  où  eut  lieu  L'éclipsé  de  soleil,  le 
Chrisl  apparul  à  un  enfant  de  douze  ans  nommé  Bénézet,  qui  gardait 
Les  brebis  de  sa  mère,  et  lui  ordonna  de  construire  [\\i  pbnl  sur  le 
Rhône,  à  Avignon.  Repoussé  par  L'évêque,  Le  jeune  saint  posa  de  sa 
m;rni  la  première  pierre  du  pont,  qui  fut  terminé  en  onze  ans;Bénézel 
était  mort  en  L 184. Théophile Raynaud  (Œuvres,  VIII,  146)  l'aconfondu 
,1  tort  avec  Jean  Benedictus,  qui  était  en  1187  prieurdesfreresduPont.il 
11.  12 


178  BENEZET 

est  pourtant  certain  que  Bénézet  a  appartenu  à  Tordre  laïque  des  Frères- 
Pontifes.  L'œuvre  de  ces  confréries  hospitalières  était  religieuse,  carelles 
avaient  pour  but  principal  de  faciliter  le  voyage  des  romieux  ou  pèlerins. 
Chose  singulière,  nous  retrouvons  en  1239  la  fondation  d'un  pont  sur 
la  Durance  rattachée  à  une  éclipse  de  soleil.  —  Yoy.  Hélyot,  II,  281  ; 
Magne  Agricole  (de  Haitze),  Hisl.  de  S*  B.  et  des  relig.  pontifes,  Aix, 
1708,  in-16;  Grégoire, Rech.sur  les  Fr.  Pontifes,?.,  1818,  in-8°,cité  par 
Hase,  art.  Brùckenbrùder,  dans  Ersch  et  Gruber. 

BÉNEZET  (Antoine),  grand  philanthrope,  premier  promoteur  de 
l'abolition  dé  la  traite  des  noirs  dans  les  Deux  Mondes,  né  à  Saint- 
Quentin  le  31  janvier  1713.  Il  descendait  par  sa  mère  de  Jean  Crom- 
melin,  le  principal  créateur  de  l'industrie  saint-quentinoise  au 
seizième  siècle  (Bull,  de  l'Hist.  Protest.,  t.  VII,  p.  488).  Son  père  étant 
mort  en  1681,  sa  famille,  qui  avait  été  jusque-là  l'objet  d'une  certaine 
tolérance,  fut  obligée  de  chercher  un  refuge  en  Hollande,  puis  en 
Angleterre.  D'abord  destiné  au  négoce,  il  y  renonça  bientôt  pour 
apprendre  l'état  de  tonnelier.  A  l'âge  de  quatorze  ans,  il  entra  dans  la 
Société  des  Amis  (Quakers).  En  1731,  il  passa  en  Amérique  avec  ses 
parents,  qui  s'établirent  à  Philadelphie,  où  il  se  maria  en  1736.  Tout 
en  s'occupant  d'une  entreprise  manufacturière,  il  montrait  dès  lors  la 
vocation  philanthropique  qui  devait  bientôt  l'entraîner  dans  une  autre 
voie,  celle  d'une  pédagogie  éclairée,  et  de  l'abolition  de  l'esclavage 
des  nègres.  En  1742,  il  accepta  la  mission  d'enseigner  la  langue 
anglaise  dans  l'école  publique  fondée  par  William  Penn,  et  pendant 
douze  ans  il  la  remplit  avec  un  grand  succès,  se  préparant  à  fonder 
lui-même  une  école  de  filles,  ce  qu'il  fit  en  1755.  Il  y  appliqua  des 
idées  qui  étaient  fort  avancées  pour  son  temps  :  instruction  générale 
variée,  discipline  austère,  mais  pleine  de  douceur.  On  cite  particuliè- 
rement les  soins  qu'il  prodigua  durant  deux  ans  à  une  élève  sourde- 
muette,  qu'il  parvint  à  mettre  en  état  de  jouir  du  commerce  de  la 
société,  préludant  ainsi  aux  travaux  de  l'illustre  abbé  de  l'Epée.  La 
condition  misérable  des  noirs  de  l'Afrique,  qu'un  trafic  dégradant 
livrait  aux  Américains  pour  en  faire  des  esclaves,  avait  éveillé  en  lui 
une  sollicitude  qui  devint  active  et  fervente  en  1750.  Il  commença  à 
plaider  leur  cause  au  tribunal  de  l'opinion,  et,  prêchant  d'exemple,  il 
ouvrit  pour  eux  une  école  gratuite  qu'il  dirigea  et  que  le  concours 
généreux  de  la  Société  des  Amis  permit  bientôt  de  transformer  en  un 
établissement  plus  vaste.  Les  progrès  ainsi  obtenus  pour  l'amélioration 
morale  et  religieuse  ouvrirent  les  yeux  d'hommes  influents  qui 
n'avaient  jusqu'alors  professé  que  du  mépris  pour  la  race  noire,  et 
on  commença  à  porter  quelque  intérêt  à  cette  question.  L'opinion 
((qu'un  épidémie  noir  ne  pouvait  envelopper  un  être  doué  de  raison,  » 
cette  opinion  que  la  ligue  impie  de  l'orgueil  et  de  l'ignorance,  de 
l'avarice  et  de  la  cruauté  avait  réussi  à  enraciner  dans  les  esprits, 
fut  enfin  attaquée  de  front  et  ébranlée.  On  put  bientôt  faire  appel  à 
la  pitié  et  à  la  justice  des  peuples  et  des  gouvernements,  en  démon- 
trant l'illégalité  de  l'esclavage,  la  barbarie  criminelle  de  la  traite. 
C'est  ce  que  fit  Bénezet  en  publiant  :  Notions  su?'  la  pairie  de  l'Afrique 


BÉNEZET  —  BENGEL  179 

qu'habitent  les  nègres  (1762);  Observations  sur  Vital  et  le  caractère  des 
natifs  Indiens  de  ce  continent  (1763)  ;  Avis  à  la  Grande-Bretagne  et  à  ses 

colonies  sur  la  situation  désastreuse  des  JVègi'es  esclaves  (1767);  Notice 
historique  sur  la  Guinée,  sa  situation,  ses  produits,  ses  habitants,  accom- 
pagnée de  recherches  sur  l'origine  et  les  progrès  de  la  Traite  des  JXègres, 
sa  nature  et  ses  effets  calamiteux  (Londres,  1772  et  1778).  Il  faisait 
imprimer  et  distribuait  à  ses  frais  ees  publications,  en  adressant  aux 
principaux,  personnages  d'Amérique  et  d'Europe  des  lettres  d'envoi 
particulières  qui  ne  laissèrent  pas  de  produire  un  heureux  effet  :  le 
bon  grain  était  semé,  il  allait  lever  peu  à  peu.  La  notice  sur  la  Guinée 
eut,  en  1785,  une  influence  décisive  sur  l'esprit  de  Thomas  Clarkson, 
cl  en  lit  un  infatigable  abolitionniste,  dont  les  travaux  contribuèrent 
pour  beaucoup  aux  mesures  prises  par  le  parlement  britannique.  En 
1781,  Bénezet  adressa  un  appel  à  l'abbé  Raynal  ;  en  1783,  à  la  reine 
Charlotte  d'Angleterre,  aux  reines  de  France  et  de  Portugal,  et  il 
suscita  partout  des  dispositions  sympathiques  qui  devaient  plus  tard 
porter  les  fruits  qu'il  en  attendait.  Après  une  vie  entièrement  con- 
sacrée aux  œuvres  de  paix  et  de  bienfaisance,  Antoine  Bénezet  mourut 
le  17  mai  1784,  dans  sa  soixante-et-onzième  année,  laissant  après  lui 
une  mémoire  bénie  et  d'universels  regrets.  Jamais  on  n'avait  vu  un 
tel  concours  de  monde  à  des  funérailles.  Il  avait  fait  promettre  à  un 
ami  de  s'opposer  à  ce  qu'aucun  tribut  d'éloges  lui  fût  payé  après  sa 
mort.  Ce  panégyrique  muet  n'en  fut  que  plus  éloquent.       Ch.  Read. 

BÉNEZET  (François),  né  à  Montpellier  en  1726,  n'était  encore  que 
proposant  et  assistait  Paul  Rabaut  et  les  autres  pasteurs  du  Désert, 
lorsqu'il  fut  arrêté,  le  30  janvier  1752,  près  du  Vigan,  dans  les  Cévennes. 
Transféré  à  la  citadelle  de  Montpellier,  il  fut  condamné  à  mort  «  pour 
avoir  été,  dit  l'arrêt,  dûment  atteint  et  convaincu  d'être  prédicant  et 
d'en  avoir  fait  les  fonctions  dans  la  province  du  Languedoc.  »  Un 
prêtre,  chargé  de  déployer  toute  l'éloquence  possible  pour  le  faire 
changer  de  religion,  l'ayant  menacé  de  l'enfer,  s'il  ne  l'écoutait  pas  : 
«  Si  vous  étiez  convaincu  de  l'existence  de  cet  enfer  dont  vous  parlez, 
dit  Bénezet,  me  persécuteriez- vous  donc  comme  vous  le  faites?  M'au- 
rait-on condamné  à  mourir  sur  le  gibet,  pour  avoir  simplement 
♦'xhorté  mes  frères?  »  L'exécution  eut  lieu  le  27  mars,  sur  l'esplanade, 
devant  la  porte  même  de  la  forteresse.  A  peine  en  eut-il  franchi  le 
seuil,  que  les  roulements  des  tambours  couvrirent  sa  voix.  Il  chantait 
le  psaume  LI,  cette  lamentation  sublime  qui  n'est  autre  que  le  Mise- 
rere. La  mort  de  ce  courageux  confesseur  de  vingt-six  ans  fut  bien 
cette  d'un  martyr.  On  la  célébra  dans  une  complainte,  un  de  ces  nom- 
breux poèmes  populaires  inspirés  par  les  calamités  du  Désert.  Elle 
renferme  dix-sept  strophes  d'une  grande  naïveté  {/Jut/.  du  Protest. 
firanç.,  t.  XIV,  p.  L258).  Purent-elles  adoucir  la  douleur  de  la  jeune 
femme  de  Bénezet,  qu'il  laissait  enceinte?  Ch.  Read. 

BENGEL  (Jean-Albert),  célèbre  théologien  wurtembergeois  du  dix- 
huitième  siècle,  naquit  «-n  10S7  à  Winnenden,  où  son  père  exerçait  les 
[onctions  du  ministère  pastoral,  et  mourut  en  1693,  victime  de,  son  zèle 
lors  d'une  épidémie.    Grâce  à  la  protection  d'excellents   amis  et  du 


180  BBNGEL 

second  mari  de  sa  mère,  il  reçut  une  éducation  soignée  et  étudia  la 
théologie  à  Tubingue.  Très-pieux  en  même  temps  que  très-studieux,  il 
mena  de  front  les  exercices  de  piété  et  l'étude  consciencieuse  de  la 
philosophie,  de  celle,  entre  autres,  de  Spinosa.  Toutefois  ses  convictions 
évangéliques  demeurèrent  victorieuses  des  assauts  qu'elles  eurent  à 
subir  pendant  ce  temps  d'épreuve.  Bengel,  toute  sa  vie,  devait  offrir 
l'alliance  rare  d'une  érudition  très-remarquable  et  d'une  soumission 
presque  enfantine  aux  doctrines  traditionnelles.  Ajoutons  que  son 
excellent  caractère,  son  esprit  tolérant,  la  pureté  de  sa  vie,  la  sincé- 
rité de  sa  piété  mystique  et  onctueuse  lui  valurent  pendant  toute  sa 
carrière  la  confiance,  l'affection,  bientôt  même  la  vénération  de  l'Alle- 
magne protestante.  Après  une  grave  maladie  qu'il  fit  en  1705  et  quel- 
que temps  dé  ministère  pastoral  à  Metzingen,  il  fut  nommé  répétiteur 
à  Tubingue,  et  en  1713  professeur  au  séminaire  de  Denkendorf.  C'est 
là  qu'il  publia  d'abord  une  édition  des  Lettres  de  Cicêron  (Stuttgard,  1719) 
avec  notes  et  commentaires,  puis  en  1722  le  Panegyricus  ad  Origenem 
de  Grégoire  le  Thaumaturge  (grec  et  latin),  puis  encore  en  1725  les  six 
livres  de  Chrysostôme  De  sacërdatio  (grec  et  latin),  auxquels  il  joignit 
\mProdromus  sur  le  texte  grec  du  Nouveau  Testament.  Bengel  en  effet 
avait  été  frappé,  précisément  en  proportion  de  sa  foi  profonde  en 
l'autorité  de  la  Bible,  des  nombreuses  variantes  que  la  comparaison 
des  manuscrits  et  des  éditions  accusait  dans  le  texte  du  Nouveau  Testa- 
ment. Il  entreprit  de  soumettre  ce  texte  à  une  révision  soigneuse,  se 
procura  toutes  les  éditions  imprimées  qu'il  put  réunir,  vingt-quatre  ma- 
nuscrits grecs  de  diverses  provenances  et  beaucoup  de  manuscrits  latins, 
et  en  1734  il  fit  paraître  sous  le  titre  d'Apparatus  criticus,  en  même 
temps  qu'une  édition  révisée  du  Nouveau  Testament  grec,  le  résultat 
de  ses  laborieuses  recherches.  Sa  règle  était  de  préférer  la  leçon  la 
plus  obscure  à  la  plus  claire,  celle-ci  devant  a  priori  avoir  été  substi- 
tuée à  la  première,  toutefois  à  la  condition  qu'elle  eût  été  déjà  admise 
dans  une  édition  imprimée.  Evidemment  cette  seconde  clause  fait  plus 
d'honneur  à  sa  prudence  qu'à  sa  logique.  Cela  suffisait  cependant  pour 
qu'il  ne  craignit  pas  de  rejeter  comme  inauthentique  un  passage  aussi 
connu  que  la  doxologie  Matth .  VI,  43.  Le  livre  qui  sortit  le  plus  modifié 
de  ce  travail  de  révision  fut  l'Apocalypse.  C'est  lui  aussi  qui  eut  l'idée 
de  classer  par  familles  les  anciens  manuscrits  du  Nouveau  Testament. 
Cette  publication  lui  valut  de  nombreuses  attaques,  les  uns  l'accusant 
d'innovations  téméraires,  les  autres  d'une  timidité  excessive.  Il  tint 
tête  aux  assaillants  avec  une  grande  fermeté  et  compléta  son  œuvre 
d'exégèse  en  publiant  en  1742  son  Gnomon  Novi  Testameati  in  quo  ex 
nativa  verboruai  vi  simplicùus ,  profit ndita*,  conctnnitas,  salubiims  ten- 
suum  cœlestium  indicatur  (rééditions  en  1759,  1773,  1788,  1835,  1850; 
trad.  en  allemand  par  Werner ,  Stuttg.,  1853).  11  partait  de  ridée 
que  les  livres  bibliques  forment  un  tout  harmonique,  une  économie 
ou  une  disposition  divine.  La  bienfaisante  inlluence  de  ces  livres  sur 
le  cœur  était  selon  lui  la  preuve  suffisante  de  leur  divine  origine.  On 
pouvait  même  remarquer  chez  lui  la  tendance  à  émanciper  l'interpré- 
tation des  livres  sacrés  des  restrictions  traditionnelles  et  confession- 


BENGEL  181 

Délies.  Ce  livre  fut  très-lu  et  exerça  mie  puissante  action  sur  le  déve- 
loppement de  la  science  exégétique  allemande.  Il  passa  même  à  1' étran- 
ger, et   Wesley,  en  Angleterre,    bien  que  peu  enclin  à    recourir  aux 
lumières  de   la   science,   taisait  une  exception  très-expresse  en  faveur 
du  Gnomon  de  Bengel.  —  Peut-être  pourtant  l'ouvrage  <jui  contribua  le 
plus  à  la  réputation  théologique  de  Bengel  est-il  celui  que  nous  serions 
tentés  de  regretter  le  pins  pour  l'honneur,  de  son  renom  scientifique. 
Il  eut  le  malheur  de  s'adonner  à  des  calculs  apocalyptiques  dont  l'in- 
génieuse  complication  ne  saurait  voiler  l'arbitraire.  En  1741  il  avait 
fait  paraître  son  Ordo  temporum,  où  il  croyait  pouvoir  retracer  toute 
Tliistoire  et  même  prédire  l'avenir  jusqu'à  la  fin  du  monde  en  se  fon- 
dant sur  les  indications  prophétiques  de  la  Bible.  Il  s'imaginait,  entre 
autres,  que  les  passages  du  Nouveau  Testament  qui  parlent  de  la  fm 
prochaine  du  monde  doivent  s'entendre  en  ce  sens  que  la  durée  de  la 
nouvelle  alliance  sera  plus  courte  que  celle  de  l'ancienne  économie, 
et  comme  il  calculait  qu'il  s'était  écoulé  3,940  ans  d'Adam  à  Jésus- 
Christ,  que  déjà  1.740  ans  le  séparaient  de  la  première  venue  du  Christ, 
qu'il  fallait  retrancher  du  chiffre  total  de  la  seconde  période  le  règne 
de  1,000  ans  (auquel  il  croyait  à  la  lettre)  ;  comme  de  plus,  en  vertu 
de  la  valeur  du  chiffre  7  attestée  par  plusieurs  supputations  bibliques, 
on  pouvait  tixer  la  durée  totale  du  monde  à  7,777  ans,  il  se  voyait 
amené  à  renfermer  dans  les  97  années  qui  devaient  encore  venir  tout  ce 
qui  manquait  encore  aux  antécédents  de  la  seconde  venue  du  Christ 
annoncée  par   l'Apocalypse.    Nous   n'entrerons   pas   dans  les   détails 
subtils  du  calcul  dont  nous  indiquons  ici  les  lignes  générales.  Il  nous 
suflira  de  dire  qu'il  faisait  du  chiffre  apocalyptique  666  (où  les  mo- 
dernes lisent  le  nom  de  César  Néron)  un  nombre  d'années  s'étendant 
de  1143  à  1740  et   qu'il   assignait  à   l'an  1836  le  commencement  du 
règne  de  1,000  ans.  L'excellent  Bengel  était  presque  tenté  de  croire 
qu'il  devait  cette  connaissance  anticipée  à  une  révélation  supérieure, 
et  i!  continua  de  s'enfoncer  dans  cette  recherche  stérile  qui  amena  la 
publication  d'une  Apocalypse  expliquée  (éditions  de  1740,  1747,  1788) 
et  de  60  discours  édifiants  sur  l'Apocalypse  (1747,  1788,  1836).  Cà  et  là, 
au  milieu  de  bien  des  divagations,  on  est  frappé  de  quelques  rencontres 
heureuses,   mais   qui   témoignent  plus   en  faveur  d'un  jugement  en 
somme  clairvoyant  sur  les  tendances  de  son  temps  que  de  la  justesse 
de  ses  calculs.  Par  exemple,  il  prévoit  toute  une  période  de  libertinage, 
de  scepticisme  et  de  naturalisme.  11  n'accorde  pas  plus  de  soixante  ans 
de  durée  à  l'empire  germanique,  et  se  demande  si  le  souverain  de  la 
France  ne  deviendra  pas  empereur  à  la  lin  du  siècle.  Il  prédit  que  les 
évéchés  allemands  seront  sécularisés,  que  l'on  connaîtra  bien  mieux 
I»'  -lobe,  au  point  que  les  anciennes  cartes  deviendront  hors  d'usage, etc. 
Cette  explication  de  L'Apocalypse  fut  traduite  dans  presque  toutes  les 
langues  de  l'Europe  ;  en  Allemagne,  elle  fut  commentée,  développée 
«'u  prose  et  m  vers.  Quelques-uns  la  tinrent  pour  miraculeusement 
inspirée.   Il   est   vrai   qu'elle  lut   aussi   très-vivement  combattue,   mais 
resta   populaire  longtemps  même  après  qu'elle  eut   perdu   tout 
lit  scientifique.    •  Bengel  fut  appelé  de  Denkendorf  en  1741  au  poste 


elle 


182  BENGEL  —  BENIGNE 

de  prélat  et  de  conseiller  du  prince  (fùrstlicher  Rath),  puis  en  1749  à 
celui  de  conseiller  consistorial  et  de  prélat  d'Alpirsbach  avec  résidence 
à  Stuttgard.  Il  avait  toujours  décliné  les  offres  qu'on  lui  avait  faites 
d'une  chaire  professorale  à  Tubingue.  Sa  correspondance  était  des 
plus  actives  (il  y  eut  des  années  où  il  écrivit  près  de  1,200  lettres), 
parce  qu'on  le  consultait  de  toutes  parts  et  du  sein  de  toutes  les  classes 
sociales  sur  des  points  de  religion  ou  de  conscience.  En  qualité 
de  conseiller  ecclésiastique  et  de  théologien,  il  eut  à  s'occuper 
des  affaires  des  frères  Moraves  dont  il  connut  de  près  le  réformateur, 
le  fameux  comte  Zinzendorf.  Tout  en  l'estimant  beaucoup,  lui  et  ses 
frères,  il  trouvait  leurs  idées  sur  l'Eglise  exagérées  et  leur  théologie 
trop  exclusivement  absorbée  par  la  constante  et  unique  préoccupation 
du  sang  versé  sur  la  croix.  Mais  il  prit  leur  parti  contre  les  mesures 
intolérantes  dont  ils  étaient  menacés.  Il  agit  de  même  dans  l'intérêt 
des  petites  communautés  séparatistes  du  Wurtemberg.  De  son  mariage 
avec  Jeaime-Régine  Seeger,  Bengel  eut  douze  enfants,  dont  six  mouru- 
rent en  bas  âge.  Des  six  autres,  quatre  étaient  des  filles  qui  se  marièrent 
heureusement;  des  deux  garçons  restants,  l'aîné  étudia  la  médecine, 
le  second  mourut  doyen  à  Tubingue.  En  1751  la  faculté  de  théologie 
de  Tubingue  lui  décerna  le  titre  de  docteur,  non  sans  surprendre 
beaucoup  de  personnes  qui  croyaient  la  chose  faite  depuis  longtemps.  Il 
composa  plusieurs  cantiques  dont  plusieurs  comptent  encore  aujour- 
d'hui parmi  les  plus  goûtés  du  recueil  liturgique  du  Wurtemberg.  C'est 
en  1751,  le  2  novembre,  et  à  l'âge  de  soixante-cinq  ans,  qu'il  s'étei- 
gnit doucement,  dans  les  sentiments  de  la  piété  la  plus  confiante.  Sa 
mémoire  est  restée  vénérée  dans  sa  patrie.  Bengel,  par  ses  travaux  sur 
le  texte  du  Nouveau  Testament,  ouvre  la  série  des  grands  exégètes 
allemands  et  a  fondé  par  cela  même  une  science  dont  il  ne  prévoyait 
guère  les  évolutions  ultérieures.  On  peut  dire  de  lui.  qu'il  fut  critique 
en  vertu  même  de  sa  foi.  Longtemps  ce  mélange  d'orthodoxie  sincère 
et  de  hardiesse  dans  les  détails  d'interprétation,  qui  fait  si  souvent 
son  originalité,  devait  caractériser  l'exégèse  allemande,  si  différente  à 
ce  double  point  de  vue  de  l'exégèse  anglaise  ou  française.  La  vie  de 
Bengel  a  été  racontée  par  son  fils  dans  la  troisième  édition  du  Gnomon. 
Cette  biographie  a  été  reprise  et  enrichie  par  son  arrière-petit-fils, 
J.-C.-F.Burk(Stuttg.,  1831;  2e  éd.,  1837).  Outre  les  ouvrages  de  Bengel 
que  nous  avons  mentionnés  et  quelques  opuscules  sans  grand  intérêt 
pour  nous,  il  faut  citer  encore  son  Esquisse  des  frères  Moraves  (A  briss 
der  Brùdergemeinde) ,  Stuttg.,  1751,  remarquable  par  la  grande  sûreté 
des  renseignements  qu'on  peut  y  puiser.  A.  eéville. 

BÉNIGNE  (Saint),,  apôtre  de  la  Bourgogne.  Envoyé  dans* les  Gaules 
par  saint  Polycarpe  avec  saint  Andoche  et  saint  Thyrse,  il  subit  le 
martyre  avec  eux  à  Dijon,  sous  Aurélien  (Surius,  1er  nov.).  Quelques- 
uns  préfèrent  lire  ici  le  nom  de  Marc-Aurèle;  mais  Tillemont  (III,  38) 
dit  beaucoup  mieux  :  «  Il  est  difficile  de  rien  dire  de  ces  saints  qu'on 
puisse  tenir  pour  authentique  et  pour  assuré.  »  Grégoire  de  Tours  nous 
dit  les  miracles  qui  se  faisaient  au  lieu  de  leur  supplice.  Sur  leur  tom- 
beau s'éleva,  en  512,  l'illustre  abbaye  de  Saint-Bénigne  de  Dijon,  qui 


BEXKJNi;  —  BENNOX  183 

fut  richement  dotée  par  ('harles-le-Chauve.  L'église  en  ml  reconstruite 
en  101(>  et  restauréeau  treizième  siècle;  elle  sert  de  cathédrale  à  Dijon. 
La  règle  de  Samt-Maur  fut  introduite  à  Saint-Bénigne  en  1651.  La  chro- 
nique de  Saint-Bénigne  est  imprimée  dans  le  Spieilegium  de  d'Àchery 
il:  2"  édit.,  II);  elle  est  conduite  jusqu'en  1052  et  continuée  jusqu'en 
1513.  — Voy.  Gallia,  IV,  668;  Monasticon  Galticanum,  pi.  3(5-38;  Kogct 
de  Belloguet,  Origines  dijonnaises,  1851;  Bougaud,  ht.  sur  saint  Bé- 
nigne et  sur  Vorig.  des  cgi.  de  Dijon,  d'Autun  et  de  Langres,  Autun, 
t859,  in-S".  S.  Berger. 

BÉNITIER.  Voyez  Eau  bénite. 

BENJAMIN  [Béni  à  mi  n],  fils  cadet  de  Jacob  etdeRacliel  (Gen.  XXXV, 
17  ss.)  et  leur  favori  iGen.XLII,  I,  36";  XLIII,  14).  Il  est  l'ancêtre  de  la 
tribu  qui  porte  son  nom  et  qui  était  Time  des  moins  nombreuses  d'Is- 
raël (Nonîb.  I,  37;  XXVI,  41).  Elle  n'occupait  qu'un  territoire  peu 
étendu,  entre  les  districts  d'Ephraïm,  de  Dan  et  de  Juda,  dans  la  Pales- 
tine centrale,  près  du  Jourdain  (Jos.  XVIII,  11  ss.).  Bien  que  monta- 
gneux, c'était  un  pays  fertile,  non-seulement  dans  les  vallées  et  les 
plaines  bien  arrosées,  mais  jusque  sur  les  plateaux  et  les  sommets  cul- 
tivés avec  soin  parles  habitants  (Josèphe,  Aritiq.,  V,  1,  22).  La  tribu  de 
Benjamin  fut  impliquée,  au  temps  des  Juges,  avec  les  autres  tribus, 
dans  une  guerre  civile  qui  lui  fit  essuyer  les  pertes  les  plus  cruelles 
(Juges  XX,  13  ss.;  XXI».  Plus  tard,  Saiil,  le  premier  roi  d'Israël,  fut 
choisi  dans  son  sein,  sans  doute  pour  éviter  toute  jalousie  entre  les 
autres  tribus,  toutes  plus  puissantes  qu'elle  (1  Sam.  IX;  X,  20  ss.).  Les 
Benjaminttes ,  après  la  mort  de  Saûî,  demeurèrent  fidèles  à  son  fils 
isboseth,  de  concert  avec  dix.  autres  tribus  (2  Sam.  II.  i)  ss.),  jusqu'à 
ce  que  David  réussit  à  se  faire  proclamer  roi  partout  Israël.  Lors  du 
schisme,  la  tribu  de  Benjamin  se  joignit  à  celle  de  Juda  pour  consti- 
tuer le  royaume  de  Juda  (1  Rois  XII,  21).  Après  l'exil,  ces  deux  tribus 
formèrent  le  noyau  de  la  nouvelle  colonie  juive  en  Palestine  (Esdras 
IV.  1;  X,  9). 

BENJAMIN  DE  TUDÈLE ,  rabbin  espagnol,  mort  en  1175,  a  par- 
couru les  synagogues  d'Europe  et  d'Orient,  dans  le  but  de  réunir  les 
matériaux  destinés  à  favoriser  la  connaissance  de  la  Palestine.  Son  ///- 
ire,  écrit  en  hébreu  sous  le  titre  de  Mazaloth,  pérégrinations, 
voyages,  fourmille  de  fautes  géographiques,  de  bévues  et  d'anachro- 
nismes  de  tout  genre,  qui  n'autorisent  pourtant  pas  la  supposition  que 
Benjamin  n'a  jamais  visité  les  pays  qu'il  décrit.  L' Itinéraire  a  été  im- 
primé pour  la  pivni  ère  fois  à  Constantinople  1 1543,  in-8°),  puis  réim- 
primé à  Anvers  en  1575  avec  une  traduction  latine,  par  Arias  Montanus. 
Les  meilleures  éditions  sont  celle  de  Constantin  l'Empereur,  Lyon, 
1633,  en  latin;  celle  de  Baratier,  Amsterdam,  1734,  2vol.  en  français; 
enfin  celle  d'Asher,  Londres,  18W,  2  vol.,  en  anglais. 

BENNOND'EINSIEDELN.  originairede  la  Sonabe  el  parent  de  Raoul, 
roi  de  Bourgogne,  était  chanoine  à  la  cathédrale  de  Strasbourg,  lors- 
qu'en  907  il  prit  la  résolution  de  se  retirer  (\u  monde,  il  alla  s'établir 
dans  la  solitude  d'Einsiedeln ,  en  Suisse,  et  y  releva  le  monastère 
fond.'-  par  Meinrad,  et  depuis  sa  mort  tondu- en  ruines,  sur  une  col- 


184  BENNON  —  BENOIT  III 

line  qui  porta  le  nom  de  Bennau.  Il  y  vécut,  avec  une  courte  interrup- 
tion, pendant  près  de  trente  ans. 

BENNON  (Saint)  [1011-1107],  évêque  de  Misnie,  fut  élevé  au  couvent 
de  Hildesheim  et  dirigea  pendant  quelque  temps  le  séminaire  deGoslar, 
où  les  jeunes  clercs  recevaient  une  instruction  supérieure  à  celle  que 
Ton  donnait  dans  la  plupart  des  établissements  de  ce  temps.  C'est  là 
que  Bennon  composa  son  ouvrage  :  Expositiones  supra  Evangelia  do- 
minkalia.  Nommé  en  10(56  évêque  de  Misnie  par  Henri  IV,  il  ne  tarda 
pas  à  être  impliqué  dans  les  querelles  qui  s'élevèrent  entre  cet  empe- 
reur et  le  pape  Grégoire  VII.  L'attitude  qu'il  observa  parait  avoir  manqué 
de  netteté.  Accusé  d'avoir  concouru  à  fomenter  l'insurrection  des  Saxons 
contre  Henri  IV  et  d'avoir  épousé  la  cause  du  saint-siége,  il  se  vit  à  di- 
verses reprises  emprisonné  et  ne  fut  réintégré  dans  son  évêché  qu'à  la 
lin  de  la  querelle  des  investitures.  Bennon  s'occupa  avec  zèle  de  la  ré- 
forme de  l'instruction,  du  culte  et  des  mœurs  dans  son  diocèse  et  eut 
beaucoup  à  souffrir  de  la  part  des  nobles  et  du  clergé  récalcitrants.  Il 
s'appliqua  également  à  la  conversion  des  populations  slaves  enclavées 
dans  son  diocèse  ou  établies  sur  ses  frontières.  La  canonisation  de  Bennon 
ne  se  lit  pas  sans  difficulté;  elle  ne  put  avoir  lieu  qu'en  1523.  A  l'occa- 
sion des  fêtes  qu'elle  provoqua,  Luther  publia  son  pamphlet  :  Widerden 
neuen  Abgott  u.  altcn  Teufel,  (1er  zu  Meissen  soll  erhoben  werden,  que 
Jérôme  Emser  chercha  à  réfuter.  — Voyez,  indépendamment  des  anna- 
listes du  temps  de  Henri  IV  et  des  chroniques  de  Hildesheim,  le  pané- 
gyrique d'Emser  :  Epitome  ad  papam  Julium  II  super  vita,  miraculis  et 
sanctimonia divt'patris Bennonis,  Misn.,  1505,  in-4°,  travail  qu'on  trouve 
avec  plusieurs  autres  pièces  relatives  à  ce  personnage  dans  les  A  A. 
SS.  des  bollandistes,  t.  III.  junii,  p.  150  ss.  ;  Seyffart,  Ossilegium  Ben- 
nonis, seu  vita  et  acta  ipsius,  veterum  mtmumentis  ac  dipiomatum  reli- 
quiis  illustrata,  Monach.,  1765,  in-4°,  réfuté  par  Crammer,  Apologia 
Bennoniaua,  Monach.,  1773. 

BENOIT  Ier,  dit  Bonose,  fut  pape  de  573  à  578. 

BENOIT  II  (Saint)  [684-685]  s'appliqua  à  faire  accepter  les  décrets 
du  sixième  concile.  L'empereur  Constantin  Pogonat,  en  retour,  sans 
renoncer  à  son  droit  de  confirmation,  permit  que  désormais  «  l'élu  au 
siège  apostolique  fût  sans  retard  ordonné  pape.  »  Ses  successeurs 
n'observèrent  pas  cette  constitution.  Benoit  lui-même  avait,  à  ce  qu'il 
parait,  attendu  près  d'un  an  la  confirmation  impériale.  —  Voy.  sa  Vie 
attribuée  à  Anastase,  et  les  bollandistes,  7  mai,  II. 

BENOIT  III,  Romain  (juillet  855-858).  La  légende  met  la  papesse 
Jeanne  entre  Léon  IV  et  lui.  Son  concurrent,  Anastase,  déjà  condamné 
par  quatre  synodes,  sut  gagner  les  ambassadeurs  qui  allaient  demander 
à  Lothaire  et  à  Louis  le  Germanique  la  confirmation  de  Benoit.  Les 
députés  impériaux  introduisirent  à  Saint-Pierre  Anastase,  qui  jeta  bas 
à  coups  de  hache  le  tableau  qui  représentait  sa  condamnation.  Mais  le 
peuple  de  Rome  se  prononça  avec  tant  de  force  en  faveur  du  pape 
régulièrement  élu,  que  les  représentants  des  empereurs  durent  céder 
à  sa  voix.  Après  trois  jours  d'un  jeûne  public,  Benoit,  tiré  de  sa  prison, 
fut  installé  à  Saint-Pierre.  Anastase  fut,  plus  tard  encore,  anathématisé 


BENOIT  III  —  BENOIT  VIII  185 

en  868  comme  coupable  du  meurtre  de  la  femme  el  de  la  fille 
d'Adrien  11.  —  Voy.  le  prétendu  Anastase,  et  les  Annales  d'Hincmar, 
dites  Bertiniennes ,  année  808;  Gregorovius,  Gesch.  der  Stadt 
Rom,  111.  129. 

BENOIT  IV,  Romain  (900-903).  11  couronna  Louis  III  en  901.  Bérenger, 
le  rival  de  Louis,  a  été  accusé  de  sa  mort.  —  llefele,  Concil.,  IV,  549. 

BENOIT  V  (964).  A  la  mort  de  Jean  XII,  Benoit,  dit  le  Grammairien, 
fut,  malgré  lui,  opposé  par  les  tribus  à  Léon  VIII.  A  l'élection  de  ce 
pape,  les  Romains  avaient  juré  de  ne  jamais  élire  un  pape  sans  le  con- 
sentement d'Othon  I";  Othon  refusa  de  reconnaître  le  nouvel  élu. 
Vaincu  par  V empereur  et  emmené  par  lui  en  Allemagne,  Benoit  alla 
mourir  à  Hambourg  (966).  Ses  ossements  turent  rapportés  à  Home. 
—  Voy.  Watterich,  Vite  Pond/'.,  I;  Gregorovius,  III,  377. 

BENOIT  VI  (972-sept.  974) était  Romain  et  tils  du  moine  Hildebrand. 
A  la  mort  d'Othon  Ier,  par  l'influence  duquel  ce  pape  avait  été  élu,  la 
pornocratie  releva  la  tête.  Saisi  par  Crescentius,  seigneur  de  Nomen- 
tum  ou  Mentana  et  lils  de  Théodora,  Benoit  fut  étranglé  dans  le  château 
Saint-Ange.  Avant  même  qu'il  fût  mort,  Crescentius  (on  l'appelait  aussi 
Cencius)  avait  fait  élire,  sous  le  nom  de  Boniface  VII,  le  diacre  Franco, 
fils  de  Ferrucius.  Cet  homme  détestable,  que  la  voix  du  peuple  a  appelé 
Mah'fare.  parait  avoir  été  parent  de  Crescentius.  Il  ne  régna  qu'un 
mois.  11  s'enfuit  à  Constantinople  avec  les  trésors  de  l'Eglise.  Mais  en 
98i.  à  la  mort  de  Jean  XIV,  l'usurpateur  remonta  sur  le  siège  de 
saint  Pierre.  Bientôt  abandonné  par  les  siens,  Boniface  mourut  par  le 
poison;  son  cadavre  fut  traîné  sur  la  voie  publique. — Voy.  Watterich,  l; 
von  Reumont,  Gesch.  d.  St.  Rom,  II,  293;  Gregorovius,  111,403  ;Ferruci, 
Investigazioni  s.  Bonif.  VII,  2e  édit.,  Lugo,  1856. 

BENOIT  VII,  Romain,  évêque  de  Sutri,  régna  d'octobre  974  à  983 
(voy.  Do  nu  s  JI).  On  croit  <pf  il  était  neveu  d'Albéric.  Soutenu  par  le 
parti  impérial,  Benoit  condamna  Boniface;  il  appela  Othon  II  en 
Italie  :  Othon  se  trouva  à  Rome  en  981.  Ce  pape  est  enterré  dans 
l'église  de  Santa-Croce.  —  Voy.  Watterich,  I;  Gregorovius,  111,412; 
Giesebrecht,  Jahrbùcher,  Otto  If. 

BENOIT  VIII  (1012-1024)  [Théophylacte],  était  fils  de  Grégoire  de 
Tusculum.  Le  parti  des  Crescentius  lui  opposa  un  certain  Grégoire; 
chassé  de  Rome,  ce!  antipape  s'enfuit  auprès  de  Henri  II,  Benoit, 
bientôt  réconcilié  avec  le  prince,  le  couronna  en  1014.  En  1020  il  se 
rendit  à  Bamberg.  moins  pour  instituer  le  premier  évêque  de  ce 
I"'11  que  pour  invoquer  la  protection  de  l'empereur  contre  les  Grecs, 
dont  les  progrès  dans  la  Fouille  ne  lui  laissaient  point  de  repos.  C'est 
de  Bamberg  qu'esl  daté  le  prétendu  privilège  accordé  par  Henri  II  au 
saint-siége,  qui  n'est  en  réalité  que  la  répétition  de  celui  qu'avait 
donné  Othon  Ier.  Il  se  trouve  dans  Pertz,  Leg.,  II,  2,  17't.  Dans  un 
synode  tenu  en  1022  à  Pavie,  Benoit  condamna  le  mariage  des  prêtres 
H  déclara  les  Gis  des  clercs  serfs  de  l'Eglise.  La  famille  de  Benoitétait 
maîtresse  de  Rome,  le  pape  avait  mis  son  frère  Romanus  à  la  tète  de 
la  république.  Ce  Romanus  lui  succéda  sous  le  nom  de  Jean  XIX.  Be- 
noit \  III  laissa  la  mémoire  d'un  pontife  énergique  et  ennemi  des  abus. 


186  BENOIT  VI II  —  BENOIT  XI 

—  Voy.  Watterich,  I;  Gregorovras,  IV,  14;  Hirsch,  Jahrb.  Hein- 
rich  II,  1875. 

BENOIT  IX  (1033-1048),  également  nommé  Théophylacte,  était  neveu 
des  deux  papes  précédents,  Benoit  VIII  et  Jean  XIX,  et  fils  du  consul  de 
Rome,  Albéric  de  Tusculum.  D'après  Raoul  Glaber,  il  avait  dix  ou  peut- 
être  douze  ans,  lorsque  l'argent  de  son  père  réleva  à  la  papauté.  Simo- 
niaque  et  débauché,  «  benoît  de  nom  plus  que  défait,  »  ce  pape  infâme 
se  lit  chasser  par  Jean,  évêque  de  Sabine  (Silvestre  III),  en  février  1044. 
Après  trois  mois,  pourtant,  il  rentra  dans  Rome  avec  l'aide  de  sa 
famille.  Une  première  fois  déjà,  en  1037,  il  n'avait  triomphé  des  Ro- 
mains révoltés  que  par  les  forces  de  Conrad  II.  En  1045,  il  osa  deman- 
der la  main  de  sa  cousine,  la  fille  de  Girart  de  Sasso,  et  comme  Girart 
faisait  difficulté  de  marier  sa  fille  à  un  pape,  Benoît  vendit  la  tiare,  pour 
quelque  1,000  livres,  à  son  parrain  Jean,  dit  Gratien,  archidiacre  de 
Saint-Jean-devant-la-Porte-Latine,  qui  fut  Grégoire  VI.  A  ce  moment, 
dit  un  chroniqueur,  il  y  avait  trois  papes  à  Rome,  Silvestre  à  Saint- 
Pierre,  Grégoire  au  Latran,  Benoit  à  Tusculum.  Cependant  le  synode 
de  Sutri  (1046)  excommunie  Grégoire,  sans  condamner  Benoît  qui  s'est 
fait  justice  à  lui-même,  et  met  Clément  II  sur  le  trône.  Telle  était  la  cor- 
ruption des  mœurs,  que  Grégoire  VI  n'a  pas  été  considéré  par  ses  con- 
temporains comme  un  simoniaque.  Il  s'en  alla  mourir  en  Allemagne. 
Mais  Théophylacte,  voyant  qu'il  a  été  joué  par  le  père  de  sa  fiancée, 
revient  à  Rome  au  moment  où  Clément  vient  de  mourir  par  le  poison 
{nov.  1047).  Il  fallut  qu'Henri  III  contraignit  par  ses  menaces  le  marquis 
de  Toscane,  protecteur  de  Benoit,  à  le  chasser  et  à  mettre  à  sa  place  le 
pape  légitime,  Damase  II.  Certains  auteurs  prétendent  que  Théophylacte 
mena  désormais  une  vie  d'aventures  dans  les  montagnes  du  Latiuin,  les 
autres,  qu'il  mourut  moine  à  Grottaf errata.  —  Voy.  Placentini,  De  se- 
pulcro  B.  IX,  R.,  1747;  Watterich,  1,  où  on  lira  les  documents  de  cette 
honteuse  histoire  ;  Th.  Mittler,  De  schism.  sub.  Ben.  IX,  Zur.,  1835; 
Papencordt,  Gesch.  d.  St.  Boni,  p.  191  ;  Gregorovius,  IV,  40. 

BENOIT  X  (1058-1059),  Romain,  évêque  de  Velletri.  Il  s'appelait 
Jean,  on  l'a  surnommé  Mincius  (rninçkio,  imbécile?).  Quoique  cet  évêque 
ait  conservé  son  rang  dans  la  série  des  papes  (son  portrait  se  voit 
à  Saint-Paul  parmi  les  médaillons  des  papes),  il  n'est  en  réalité  que 
l'antipape  de  Nicolas  II.  Nous  renvoyons  à  ce  nom  l'histoire  des  luttes 
de  Mincius  contre  Hildebrand.  Lui  aussi,  ilfut  le  protégé  des  Tusculans 
et  des  Crescentius.  Benoît  vécut  dans  la  retraite  jusqu'au  pontificat  de 
Grégoire  VII,  qui  lui  fit  donner  la  sépulture  des  papes  à  Sainte-Agnès. 
On  lira  dans  Watterich  les  récits  absolument  contraires  de  Pierre  Pisan, 
dans  le  Lwre  des  Papes,  de  Bonizo  et  de  Boson,  hildebrandiens  décla- 
rés, et  des  Annales  Bomaines,  organe  des  ennemis  de  Grégoire  VII. 

BENOIT  XI  (Saint)  [oct.  1303  -  6  juil.  1304].  Au  moment  où  Boni- 
fàce  VIII  était  insulté  à  Anagni  par  les  serviteurs  du  roi  de  France,  le 
cardinal-évêqued'Ostie,  Niccolo  Boccasini,  était  presque  seul  auprès  du 
pape.  Dix  jours  après  sa  mort,  il  fut  élu  en  sa  place.  Il  était  trévisan  et 
prieur  général  des  dominicains.  Philippe-le-Bel,  à  cette  heure,  menaçait 
de  poursuivre  le  procès  de  Boniface,  il  réclamait  un  concile  général, 


BENOIT  XI  -  BENOIT  XII  187 

dont   il   attendait  la  condamnation  de  tous  les  actes  du  pape  défunts 

Benoit,  homme  de  mœurs  pures,  mais  de  volonté  faible,  n'  attendit  pas 
l'arrivée  des  ambassadeurs  français  pour  lever  l'excommunication  pro- 
noncée contre  le  roi  (2  avr.  1304).  Il  annula  la  révocation  des  privilèges 
accordés  à  la  couronne  de  France.  En  même  temps  (13  mai)  il  révoqua 
la  sentence  prononcée  contre  les  auteurs  du  coup  de  main  d'Anagni. 
sans  pourtant  rendre  aux  cardinaux  Colonna  leur  dignité  et  sans  per- 
mettre que  Palestrina  fût  rebâtie.  Nogaret  était  formellement  exclu  de 
cet  acte  de  pardon.  Mais  bientôt  le  pape  quitte  Rome  où  il  ne  se  sent 
plus  en  sûreté.  A  Pérouse,  au  milieu  des  populations  guelfes  de  l'Om- 
hrie,  il  reprend  courage  et  procède  avec  rigueur  (7  juin)  contre  ceux 
qui  ont  osé  porter  la  main  sur  un  pape.  Il  n'osa  pourtant  pas  nommer 
le  premier  coupable,  Philippe-le-Bel.  Trente  jours  après,  il  mourait  à 
Pérouse,  di  morte  naturelle.  On  n'a  pas  voulu  croire  que  Benoit  n'ait 
pas  été  empoisonné.  Un  cordelier  français  fut  accusé  de  sa  mort. 
Y\.  llauréau  a  trouvé  dans  le  procès  de  ce  moine  le  sujet  d'un  beau 
tableau  de  mœurs  (Bernard  Délicieux  et  l 'inquisition  albigeoise,  Paris, 
1S77.  in-12);  mais  ce  [soupçon  n'est  pas  plus  fondé  que  la  légende 
de  la  femme  voilée,  qu'ont  répétée  tous  les  historiens.  —  Voy.  (Du 
Puy)  Hist.  du  différend  entre  Bonif.  VIII,  etc.;  Campana,  Vita 
dt  11.  XI,  Milan,  17o6,  in-4°  ;  Hefele,  VI,  344;  Gregorovius,  Y, 
585  :  von  Reumont,  II,  671  ;  Léon  Gautier,  Benoit  XI,  3e  édit.. 
Tours,  1876. 

BENOIT  XII  (20  déc.  1334-25  avr.  1342)  fut  le  troisième  pape  d'Avi- 
gnon. Jacques  Nouveau  ou  Fournier  était  enfant  du  peuple.  Né  à 
Sa verdun,  il  était  entré  dans  l'ordre  de  Citeaux,  avait  été  abbé  de 
Fontfroide,  évèque  de  Pamiers,  puis  de  Mirepoix;  il  était  cardinal  de- 
puis 1327.  Aussitôt  élu,  Benoit  reçut  une  ambassade  des  Romains  qui 
le  sollicitaient  de  rentrer  à  Rome.  Le  pape  le  promit,  mais  la  politique 
de  Philippe  de  Valois  sut  rendre  vains  ses  désirs.  Bientôt,  tandis  que 
Pétrarque  le  pressait  de  retourner  dans  la  Ville  éternelle,  et  que  Phi- 
lippe VI  l'entretenait  de  chimériques  projets  de  croisade,  il  commença 
la  construction  du  nouveau  palais  des  papes.  Benoit  aurait  voulu  se 
réconcilier  avec  Louis  de  Bavière,  mais  Philippe  VI  sut  encore  lui 
imposer  ses  ressentiments  :  «  Si  Louis  a  agi  contre  l'Eglise,  disait  le 
pape,  que  n'avons-nous  pas  fait  contre  lui  ,?  »  Le  15  juillet  13:18,  les 
électeurs  forment  l'Union  de  Rense,  et  déclarent  l'élection  du  roi  des 
Romains  indépendante  de  l'approbation  du  pape.  Tel  était  en  effet  le 
droit.  Mais  le  S  août,  Louis  de  Bavière,  allant  au-delà,  dénie  au  pape 
le  droit  d'excommunier  un  empereur;  il  proclame  le  concile  géné- 
ra'I  jugé  du  pape,  et  déclare  que  la  couronne  impériale  est  donnée 
par  Dieu  seul  et  appartient  au  roi  élu,  sans  qu'il  ait  besoin  de  l'ap- 
probation ni  du  consentement  du  siège  apostolique  (Pragmatique 
Sanction  de  Francfort).  Albert  de  Strasbourg,  témoin  de  ces  luttes,  eu  a 
été  l'historien  (Urstisius,  demi,  il/.,  II).  Benoit  laissa  la  mémoire  d'un 
homme  savant,  juste  et  modéré.  Comme  théologien,  il  axait  condamné 
la  doctrine  de  Jean  XXII  sur  l'état  des  âmes  avant  le  jugement.  —  Voy. 
Baluze,  Vitx Papar.  Aven.; Raynaldi,  Annales; Hefele,  VI,  555;  (ire- 


188  BENOIT  XIII 

gorovius,  VI,  194;  Reumont,  II,  817;  Christophe,  Papauté  au  quator- 
zième siècle,  1853,  III.  S.  Berger. 

BENOIT  XIII  (Antipape).  Pierre  de  Luna,  d'abord  soldat,  puis 
étudiant  en  droit  à  Montpellier,  lut  créé  cardinal-diacre  de  Santa-Maria 
in  Gôsmedin  par  Grégoire  XI;  il  fut  au  nombre  des  douze  cardinaux 
qui  déclarèrent  illégale  l'élection  d'Urbain  VI  et  provoquèrent  le 
schisme.  Après  la  mort  de  Clément  Vil,  les  cardinaux  d'Avignon,  qui 
avaient  tous  promis  sous  la  toi  du  serment  qu'en  cas  d'élection  ils 
abdiqueraient. si  le  pape  romain  abdiquait,  choisirent  Pierre  de  Luna 
qui  prit  le  nom  de  Benoit  XIII  (28  sept.  1394).  Benoit  trompa  l'attente 
de  tous  en  repoussant  obstinément  la  voie  de  réunion.  Dès  1395  une 
assemblée  épiscopale  convoquée  à  Paris  le  somme  de  tenir  sa 
promesse;  il  s'y  refuse  catégoriquement.  En  1398,  à  la  suite  d'une 
conférence  tenue  à  Reims,  entre  Wenceslas  et  Charles  VI,  celui-ci 
engage  Benoit  à  abdiquer  et  demande  que  les  cardinaux  des  deux 
obédiences  se  réunissent  pour  choisir  un  nouveau  pape.  Sur  le  refus 
de  Benoit,  les  députés  des  universités  et  les  prélats  de  France  procla- 
ment sa  déchéance,  et  Charles  VI  chargé  Boucicaut  d'occuper  le 
Venaissin  et  de  mettre  le  siège  devant  Avignon.  Benoit  résiste,  Martin 
d'Aragon  intervient  en  sa  faveur  et  fait  signer  à  son  protégé  l'enga- 
gement d'abdiquer  en  cas  de  cession  ou  de  mort  de  Boniface  IX.  Mais 
Benoit  n'est  pas  plus  tôt  libre  qu'il  reprend  sa  parole,  encouragé 
surtout  par  Louis  d'Orléans,  s'enfuit  d'Avignon,  écrit  de  Marseille  au 
roi  de  France  qu'il  est  prêta  traiteravec  lui  et  à  travailler  à  la  réunion. 
Ni  Benoit  ni  Boniface  ne  pensaient  sérieusement  à  faire  des  concessions, 
et  après  la  mort  de  ce  dernier  (^octobre  1404)  les  cardinaux  romains 
s'empressent,  malgré  les  instances  de  Charles  VI,  de  choisir  un  nou- 
veau pape,  Innocent  VII.  A  Innocent  VII  succède  Grégoire  XII  (1406) , 
sans  que  la  situation  eût  changé;  la  France  s'impatiente;  l'université, 
les  évêques  reprennent  la  question  d'obédience;  un  concile  national 
(nov.  1406)  s'attaque  au  principe  même  de  l'autorité  pontificale. 
Enfin,  la  France,  lasse  des  atermoiements  de  Benoit,  déclare,  dans  les 
premiers  mois  de  1408,  que  si  jusqu'à  l'Ascension  il  n'y  avait  pas 
accord  entre  les  deux  pontifes,  elle  ne  prendrait  plus  parti  ni  pour 
l'un  ni  pour  l'autre.  Benoît,  qui  se  trouvait  à  Gênes  en  ce  moment, 
répondit  à  la  sommation  de  Charles  VI  par  un  bref  qui  menaçait 
d'excommunication  ceux  qui  chercheraient  une  autre  voie  d'accom- 
modement ou  de  réunion  que  celle  des  conférences.  Le  conseil  du  roi, 
en  présence  des  princes  du  sang,  condamne  Benoit  comme  schisma- 
tique  et  perturbateur  de  l'Eglise  (21  mai  1408);  peu  après  les  cardi- 
naux des  deux  obédiences  réunis  à  Livourne  tombent  d'accord  sur  la 
marche  à  suivre  pour  mettre  un  terme  au  schisme.  Le  concile  de  Pise 
dépose,  le  5  juin  1409,  Pierre  de  Luna  et  Angelo  Corrario,  et  le  conclave 
proclame  le  cardinal-archevêque  de  Milan  sous  le  nom  d'Alexandre  V. 
Benoit  ne  cède  pas.  Quoique  solennellement  reconnu  coupable  de 
parjure  et  indigne  de  tout  honneur,  quoique  privé  par  un  concile  de 
tout  droit  de  commander  et  de  retrancher  de  l'Eglise,  il  s'obstine  à 
garder  son  titre  et  à  exercer  des  pouvoirs  que  personne  ne  veut  plus 


BENOIT  XII  r  189 

reconnaître.  Lie  concile  de  Constance,  après  avoir  arraché  la  tiare  à 
Jean  XXIII  et  amené  Grégoire  XII  à  se  retirer,  essaie  de  vaincre 
l'obstination  <le  Benoit;  rien. n'y  lit,  ni  les  représentations  de  Sigis- 
mond,  ni  les  prières  du  roi  d'Aragon;  l'intraitable  vieillard  voulait 
mourir  pape,  et  lorsque  les  envoyés  du  concile  arrivèrent  à  Paniscola 
en  Catalogne,  accompagnés  de  trois  notaires,  et  lui  firent  donner  lecture 
de  l'acte  de  déposition  voté  le  26  juillet  1417 ,  il  frappa  violemment 
sur  le  dossier  de  son  siège  en  sYcriant  :  «  Voici  l'arche  de  Noé.  » 
Benoit  ne  mourut  qu'en  1421,  à  l'âge  de  quatre-vingt-dix  ans;  son 
pontifical  avait  duré  trente  ans. — Muratori,/?.  /.  Scriptore8,lU,2;  Baiuze, 
Vitœ  Paparum  Avinionensium,  P.,1693;Diètrich  de  Mien,  De  schismate, 
lil».  il,  III;  Theiner/Corfea;  diplomaticus  dominiitemporalis;lx\yèha\  des 
Ursins,  Vie  de  ('hurles  VI;  Tessier,  Histoh*e  des  souverains  Pontifes  (/ni 
ml  siégé  à  Avignon,  Avignon,  1774;  Christophe,  Hist.  de  la  Papauté 
pendant  le  quatorzième  siècle,  1853;  André,  Hist.politiq.  de  la  monar- 
chie pontificale  au  quatorzième  siècle,?.,  1854;  Magna,  Hist.  d'Urbain  V 
et  de  son  siècle,  P.,  18(tè  ;  Gregorovius  ;  de  Reumont,  etc. 

BENOIT  XIII  (Vincenzo-Maria  Orsini  de  Gravina),  dominicain, 
cardinal  en  1672,  archevêque  de  Bénévent  en  1(585,  élu  pape  le 
30  mai  1724.  L'Eglise  perdit  à  cette  élection  un  excellent  archevêque 
el  n'y  gagna  qu'un  pape  médiocre.  Trop  confiant  dans  les  hommes, 
inexpérimenté  malgré  son  grand  âge,  Benoit  compromit  par  sa  fai- 
blesse les  intérêts  du  saint-siége.  Des  favoris  indignes  le  suivirent  à 
Rome  et  s'y  emparèrent  de  la  direction  des  affaires;  un  de  ses 
domestiques,  NiccoloCoscia,  se  lit  nommer  secrétaire  des  mémoriales, 
puis  cardinal  malgré  la  protestation  du  sacré-collége.  Benoit,  tout  à 
ses  exer<  ices  de  piété,  ignora  ou  toléra  des  dilapidations  scandaleuses, 
le  trafic  des  grâces  et  des  bénéfices,  une  licence  de  mœurs  telle  qu'on 
ne  l'avait  plus  vue  depuis  bien  des  années  et  que  nous  a  décrite  un 
voyageur  allemand >  Jean-Georges  Keyssler,  dans  sa  relation  pédante  mais 
vëridique.  En  1725,  Benoit  célèbre  le  seizième  jubilé  de  Tannée  sainte, 
convoque  un  concile  provincial  à  Saint-Jean-de-Latran  qui  décide  la 
tenue  triennale  du  concile  provincial  et  la  tenue  annuelle  des  assem- 
bléès  diocésaines  et  qui  prend  de  sages  mesures  relativement  aux 
tribunaux  ecclésiastiques.  Dans  cette  même  réunion  la  bulle  Unigenitus 
lut  proclamée  règle  de  foi;  mais  on  a  prétendu  que  le  secrétaire  Fini 
inséra  frauduleusement  cette  résolution  dans  les  actes  du  concile.  Ce 
qui  esl  certain,  c'est  que  la  cour  de  Rome;  n'a  jamais  protest*'  contre 
cette  supercherie  et  que  Benoît  demanda  et  obtint  dans  la  suite  que  la 
France  ne  lit  plus  opposition  à  cette  bulle.  En  1729  le  pape  autorise  la 
légende  de  Grégoire  VII  et  condamne  les  édits  publiés  en  France  contre 
l'extension  de  cet  office  à  toute  l'Eglise;  il  canonise  saint  Jean  Népo- 
mucène  et  approuve  l'opinion  de  Pertusati  relative  à  l'authenticité  du 
corps  de  saint  Augustin  récemment  découvert. "Le  cardinal  de  Noailles, 
lied  amitié  avec  Benoit,  lui  avait  écrit  dès  après  son  exaltation  pour 
le  supplier  de  donner  la  paix  à  l'Eglise;  dans  une  seconde  lettre  il  lui 
soumel  douze  articles  doctrinaux  sur  les  questions  qui  divisaient  alors 
le    catholicisme.    Benoit  était    prêt    à    les    approuver,   l'opposition 


190  BENOIT  XIII  —  BENOIT  XIY 

du  sacré-collége  l'empêcha  de  travailler  comme  il  aurait  voulu  à 
l1  apaisement  des  esprits.  Il  publia  toutefois  un  bref  favorable  à  la  doc- 
trine de  la  prédestination  et  de  la  grâce  efficace  par  elle-même  que 
soutenaient  les  dominicains  et  qu'il  appelait  tutissima  et  inconcussa 
SS.  Augustini  et  Thorax  dogmata.  Aux  protestations  des  cardinaux  il 
se  contenta  de  répondre  :  «  Vous  m'avez  fait  pape  malgré  moi,  je  vous 
ferai  obéir  malgré  vous.  »  Les  jésuites  ayant  réclamé  :  «  Appelez-en 
au  concile,  leur  dit-il,  vous  m'y  trouverez.  »  Benoit  a  eu  quelques 
démêlés  sans  importance  d'ailleurs,  avec  la  cour  de  Vienne,  au  sujet 
de  Parme  et  Plaisance,  avec  la  diète  polonaise  et  avec  le  roi  Jean  V  de 
Portugal.  Il  mourut  en  1730.  Nous  possédons  de  ce  pape  un  ouvrage 
étendu  :  Homélies  sur  l'Exode,  Rome,  1724, 3  vol.  in-4°.  —  A  consulter  : 
Aless.  Borgia,  Vita  Benedîcti  XIII,  Rome,  1741;  Walch,  Commentatio 
de  Concilia  Lateranensi,  Lips.,  1727;  Kapp,  Historia  Conc.  Lateran.y 
Lips.,  1731  ;  Ranke, Die Pœpste ;  de  Reumont,  Gesch.  der  Stadt  Rom. 

BENOIT  XIV  (Prospero  Lambertini),  d'une  famille  illustre  de  Bologne, 
cardinal  en  1728,  archevêque  de  sa  ville  natale  en  1731,  élu  pape  le 
17  août  1740,  était  qualifié  plus  que  personne  par  ses  talents,  par 
son  caractère,  par  sa  science  pour  relever  l'autorité  pontificale,  pour 
réconcilier  l'Eglise  avec  l'Etat  et  pour  faire  cesser  les  dissidences. 
En  1744  il  publie  la  bulle  Ex  quo  sin g  ulari  contre  les  pratiques  supersti- 
tieuses que  certains  missionnaires  autorisaient  en  Chine  et  aux  Indes  ; 
en  1745,  la  Sacrée  Congrégation  de  Rome  proscrit  sur  ses  ordres  la 
Bibliothèque  janséniste  du  jésuite  Colonia  qui  renfermait,  entre  autres 
livres,  les  œuvres  du  cardinal  Noris,  zélé  défenseur  de  la  doctrine  de 
saint  Augustin.  Dix  ans  après  Benoît  condamne  Y  Histoire  du  peuple  de 
Dieu  du  jésuite  Berruyer.  L'assemblée  du  clergé  de  France,  n'ayant  pu 
tomber  d'accord  sur  la  manière  de  traiter  les  non-constitutionnaires 
dans  l'administration  des  sacrements,  s'adressa  en  1755  au  pape  qui 
répondit  par  une  lettre  encyclique  conciliante  et  raisonnable.  Dans 
ses  rapports  avec  les  puissances  catholiques,  Benoît  déploya  autant  de 
modération  que  d'habileté  ;  il  apaise  la  cour  de  Sardaigne  qui  s'était 
vu  retirer  soiis  Clément  XII  des  concessions  importantes,  par  les  ins- 
tructions concordatives  de  1741  et  1750;  il  signe  en  1753  avec  l'Espa- 
gne un  concordat  par  lequel  il  renonce  au  droit  de  collation  des  petits 
bénéfices  en  se  réservant  cinquante-deux  de  ces  bénéfices  pour  qu'il 
puisse  récompenser  des  prêtres  espagnols  et  en  se  faisant  payer  une 
indemnité  en  argent  ;  dans  le  royaume  de  Naples  les  privilèges  de  la 
nonciature  sont  réduits,  le  clergé  est  obligé  de  contribuer  aux  impôts, 
Benoit  n'y  fait  pas  d'objection.  Il  va  si  loin  daqs  la  voie  des  conces- 
sions qu'il  abolit,  à  la  demande  de  la  cour  impériale,  plusieurs  jours  de 
têtes,  qu'il  éteint  le  droit  de  patronage  qu'exerçait  le  roi  de  Portugal 
sur  l'Eglise  de  ses  Etats,  institue  un  patriarche  légat  à  Lisbonne.  Enfin  il 
cède  aux  instances  de  Pombai,  soutenu  par  plusieurs  ordres  religieux 
et  par  le  parti  des  philosophes,  et  donne,  par  un  bref  de  visite  et  de 
réforme,  le  droit  au  cardinal  Saldanha  d'inspecter  les  établissements  des 
jésuites  situés  en  Portugal  et  dans  les  colonies  portugaises.  Peu  après 
Saldanha,  dans  un  décret  très-énergique,  blâme  les  opérations  com- 


BENOIT  XIV  191 

merciales  de  la  Société  el  accorde  pleins  pouvoirs  au  roi  pour  confis- 
quer les  marchandises  qui  lui  appartenaient.  Benoit,  qui  était  depuis 
longtemps  mécontent  de  L'esprit  de  l'ordre  et  qui  s'était  élevé  contre 
la  conduite  des  jésuites  dans  les  missions,  approuva  toutes  les  mesures 
prises  par  SakLanha  et  PombaL  S'il  n'eût  tenu  qu'à  lui,  la  Société  eût 
été  dépouillée  de  son  crédit,  ramenée  par  une  réforme  radicale  à  son 
institution  primitive;  c'était  peut-être  le  seul  moyen  de  la  sauver,  maïs 
Benoit  n'eut  pas  le  temps  d'y  recourir.  Il  mourut  avant  d'avoir  pris 
une  décision.  —  Les  souverains  protestants  ou  grecs  qui  étaient  en  rela- 
!  ,,ii  ou  en  correspondance  avec  Benoît  et  qui  traitaient  avec  lui  les 
affaires  de  leurs  sujets  catholiques,  n'eurent  qu'à  se  louer  de  son  esprit 
éclairé  et  de  sa  tolérance.  Frédéric  II  et  Elisabeth  Petrowna  lui  témoi- 
gnèrent en  toute  occasion  les  plus  grands  égards  ;  tous  les  princes  qui 
visitèrent  Rome  sous  le  pontificat  de  Benoit  publièrent  les  louanges  de 
ce  papequi  les  avait  accueillis  et  entretenus  en  homme  du  monde  et  en 
homme  d'esprit.  Les  philosophes,  dont  quelques-uns  l'avaient  connu 
à 'Paris,  en  faisaient  un  éloge  pompeux  et  même  compromettant; 
Grimm  l'appelait  le  plus  infaillible  de  tous  les  successeurs  du  prince 
•  les  apôtres,  parce  qu'il  avait  à  lui  tout  seul  plus  d'esprit  et  plus 
d'agrément  que  tous  ses  prédécesseurs  ensemble  (Co?Tespond.,  1764). 
Joseph  II  le  cite,  lors  de  sa  visite  au  Vatican,  en  exemple  aux  cardinaux 
et  les  engage  vivement  à  choisir  un  pape  qui  lui  ressemble,  qui  sache 
ne  vouloir  rien  de  trop  et  qui  surtout,  en  traitant  avec  les  souverains, 
n'oublie  pas  les  règles  de  la  politique  et  de  la  bonne  éducation  (papiers  du 
marquis  d'Aubeterre,  ap.  Saint-Priest,  Chute  des  jésuites ,  p.  100-101).  Si 
Benoit  a  été  apprécié  à  sa  valeur  par  toute  l'Europe  éclairée,  il  fut  moins 
heureux  à  Rome  où  les  grands  prélats  trouvaient  qu'il  n'avait  souci  ni  de 
leurs  intérêts  ni  des  intérêts  du  saint-siége,  qu'il  les  ruinait  pour  plaire 
aux  cours  étrangères,  qu'il  riait  du  monde  entier  et  surtout  de  ses  cardi- 
naux, qu'il  manquait  enfin  de  la  fortezza  del  petto  du  prêtre.  On  n'y 
goûtait  ni  la  liberté  qu'il  affectait  dans  ses  propos,  ni  ses  boutades,  ni 
même  la  simplicité  charmante  de  ses  manières.  Le  peuple  romain,  en 
voyant  le  souverain  pontife  parcourir  les  rues  de  la  ville,  un  jonc 
d'Espagne  à  la  main,  disait  plaisamment  ;  E  un  bivbante,  questo  papa. 
On  ne  lui  sut  pas  gré  de  ses  efforts  pour  rétablir  les  finances,  pour 
uiettic  quelque  ordre  dans  l'administration,  et 'les  mesures  qu'il  fit 
prendre  indisposaient  même  ceux  qui  devaient  y  trouver  des  avanta- 
Grand  ami  des  lettres  et  des  arts,  il  essaie  de  rendre  la  vie  aux 
institutions  scientifiques  que  possédait  Rome,  il  en  crée  de  nouvelles; 
il  lui  manque,  pour  réussir  dans  cette  tentative,  l'argent  et  les 
de  talent.  Il  dote  le  collège  de  la  Sapiencede  chaires  de  chimie 
mathématiques,  le  Gapitole  d'une  chaire  dé  peinture  el  d'une  de 
sculpture.;  il  fonde  quatre  académies  pour  l'histoire  ecclésiastique,  le 
droit  canonique,  les  antiquités  romaine  et  chrétienne;  il  enrichit  la 
bibliothèque  du  Vatican;  il  ordonne  des  fouilles  dans  la. ville  et  dans 
les  environs  et  fait  transporter  an  musée  du  Gapitole  les  objets  d'art 
grand  nomon  .  N'oublions  pas  d'ajouterqùe  sous  le  pon- 
tificat de   Benoit   le  grand   archéologue   Winkelmann  vinl  se  fixer  à 


192  BENOIT  XIV   -  BENOIT  DK  NURSIE 

Home  (1755),  où  il  fut  accueilli  d'abord  avec  empressement  par  le  car- 
dinal Archinto,  puis  secondé  dans  ses  travaux,  et  surtout  dans  la  création 
du  musée  par  le  cardinal  Alessandro  Albani.  Benoit  mourut  en  1758,  à 
Page  de  quatre-vingt-trois  ans.  — Benoit  était  un  écrivain  infatigable;  il 
s'est  occupé  de  questions  théologiques  nombreuses  et  les  a  toutes  traitées 
avec  une  compétence  et  une  sagacité  remarquables;  ses  œuvres,  publiées 
d'abord  séparément,  ont  été  recueillies  plusieurs  fois  :  l'édition  la  plus 
connue  et  la  meilleure  a  été  revue  par  P. -Emmanuel  de  Azevado,  1747- 
1751,  12  vol..in-4°;  l'édition  la  plus  complète  a  paru  à  Bassano,  1788, 
15  vol.  in-fol.  ;  la  plus  récente  à  Prato,  1839-1846.  Les  principaux 
ouvrages  de  Benoit  sont  les  suivants  :  De  servorum  Dei  beatificattone  et 
canonisai ione  ;  Miscellanea  ;  De  sacro-sanctô  fm'ssœ  sacrificio  ;  Instùutiones 
ecclestasticœ ;  De  synodo  diocesano  libri  XIII ;  Quœstiones  canonicx  (t 
morales.  —  A  consulter  :  Fabroni,  Vita  di  Benedetto  XIV;  Vie  du  pape 
Benoit  XIV,  P.,  1775  et  1785,  in-12;  Ranke,  Die  Pœpste;  de  Reumont, 
Geschiehte  der  Stadt  Rom;  Winckelmann, Briefe,  Berlin,  1824-25, 
3  vol.  in-8°.    '  G.  Léser.   ' 

BENOIT  DE  NURSIE,  fondateur  de  l'ordre  des  bénédictins,  naquit 
en  480  à  Nursie,  petite  ville  de  la  Sabine,  à  une  époque  où  la  civilisa- 
tion romaine  expirante  se  débattait  sous  l'étreinte  des  barbares.  La 
légende  lui  donne  pour  mère  l'héritière  des  comtes  de  Nursie  et  pour 
père  un  descendant  de  la  gent  Anicia.  Envoyé  de  bonne  heure  à  Rome 
pour  y  faire  ses  études,  il  quitte  en  494  sa  nourrice  pour  se  retirer 
dans  la  solitude,  et  nous  n'avons  plus  pour  nous  guider  dans  sa  vie  que 
des  légendes  que  nous  conservons  comme  un  trait  caractéristique 
de  cette  époque  troublée,  car  sa  biographie,  écrite  par  Grégoire-le- 
Grand  d'après  les  témoignages  des  quatre  disciples  favoris  de  Benoît, 
est  trop  pénétrée  de  l'amour  du  merveilleux  pour  que  nous 
puissions  l'accepter  sans  réserve.  Retiré  à  Lubiaco,  sur  la  frontière 
de  la  Sabine  et  de  l'ancien  pays  des  Eques,  le  jeune  enthousiaste 
établit  sa  demeure  dans  une  grotte  presque  inaccessible  et  reçut 
pendant  trois  ans  sa  nourriture  d'un  moine  Romanus  qui  chaque 
jour  lui  faisait  parvenir  un  pain  par  une  corde  à  laquelle  était  sus- 
pendue une  sonnette  pour  l'avertir  de  sa  présence.  Ses  jeûnes,  son 
costume  sauvage  le  firent  prendre  souvent  pour  une  bête  fauve  par- 
les rares  paysans  superstitieux  des  alentours,  et  l'esprit  des  ténèbres 
vint  l'assaillir  par  des  tentations  et  des  épreuves  multipliées.  Toutefois 
sa  réputation  s'étendit  au  loin,  et  les  moines  voisins  de  Vicovaro  le 
choisirent  pour  leur  abbé.  Mais  la  rigueur  de  sa  discipline  changea 
bientôt  leur  enthousiasme  en  une  haine  qui  les  poussa  à  se  débarrasser 
de  lui  par  le  poison.  Le  saint  ayant  fait  le  signe  de  la  croix  sur  la 
coupe  fatale,  celle-ci  se  brisa  en  morceaux.  Benoit  résolut  enfin  de 
grouper  autour  de  lui  quelques  disciples  romains  et  barbares.  Ses 
miracles  se  multiplient  :  nous  le  voyons  rendre  à  un  Goth  négligent  la 
hache  qu'il  a  laissée  tomber  au  fond  du  lac  et  qui  revient  docile  a 
l'appel  du  saint.  Une  autre  fois,  Maur,  soutenu  par  son  obéissance, 
marche  impunément  sur  les  eaux  et  arrache  Placide  à  une  mort  iné- 
vitable. Les  prêtres   et  les  moines  dégénérés  du  pays,  jaloux  de  Tin- 


BENOIT  DE  NURSIE  393 

fluence  de  Benoit,  honteux  de  leurprôpre  indignité,  le  forcent  à  sortir 
de  sa  retraite  et  à  chercher  un  nouvel  asile  au  Mont-Cassin,  isolé,  es- 
carpé, dont  la  cime  arrondie  domine  le  cours  du  Siris  naissant,  les 
plaines  fertiles  baignées  par  la  Méditerranée,  et  du  côté  de  l'Adria- 
tique des  vallées  sombres  et  profondes.  C'est  dans  cette  retraite  que 
Benoit  passa  les  dernières  années  de  sa  vie  (529-543)  et  fonda  un  mo- 
nastère, le  plus  fameux  peut-être  de  ceux,  qifa  fait  surgir  la  piété  du 
moyen  âge.  Le  paganisme  comptait  dans  ces  contrées  montagneuses  des 
contins  du  Samnium  et  de  la  Gampanie  de  nombreux  adorateurs. 
Benoît  démolit  lui-même  un  antique  sanctuaire  d'Apollon  et  travailla 
avec  un  zèle  infatigable  à  civiliser  les  cœurs  et  les  consciences.  Les 
moines,  obligés  à  une  obéissance  aveugle,  à  un  travail  manuel  et  in- 
tellectuel, dont  il  leur  donnait  l'exemple,  construisirent  eux-mêmes  le 
couvent,  défrichèrent  les  campagnes  longtemps  incultes,  nourrirent 
pendant  une  famine  des  populations  malheureuses,  qu'ils  défendirent 
contre  les  attaques  et  les  spoliations  des  barbares.  Sévère  envers  lui- 
même,  inflexible  dans  l'application  de  sa  règle,  Benoit  condamnait 
toute  austérité  inutile  pour  l'àme;  habile  à  lire  au  fond  du  cœur,  il 
semblait  deviner  les  plus  secrètes  pensées.  Ayant  fui  le  monde,  il  le 
voyait  venir  à  lui.  En  542,  il  a  une  entrevue  avec  Totila,  auquel  il 
prédit  ses  triomphes  et  sa  fin  prochaine.  Lui-même  touchait  au  terme 
de  son  pèlerinage  :  il  mourut  entouré  des  siens  le  21  mars  543,  debout, 
en  oraison  devant  la  fosse  qui  devait  recevoir  sa  dépouille  mortelle.  — 
Benoit  a  le  premier  donné  à  la  vie  monastique  une  règle  appropriée 
aux  besoins  de  l'Occident  qui,  jusqu'à  lui,  avait  suivi  la  règle  de  Saint- 
Basile  et  la  vie  érémitique  de  l'Orient.  La  meilleure  édition  de  la  règle 
de  Saint-Benoit  est  celle  publiée  par  Dom.Martène  (Comm.  in  reg.,  etc., 
Paris,  1090,  in-4°).  Nous  devons  nous  borner  à  en  donner  une  idée 
sommaire.  Elle  exige  la  soumission  absolue  à  l'abbé  nommé  par  les 
moines  eux-mêmes  d'après  certaines  règles  et  qui  ne  peut  être  déposé 
que  pour  cause  d'indignité  notoire.  Le  prieur  est  nommé  par  l'abbé 
et  lui  doit  l'obéissance.  Chaque  fraction  de  dix  moines  est  sous  la  di- 
rection d'un  doyen  qui  relève  de  l'abbé.  Des  prescriptions  minutieuses 
entourent  de  précautions  nécessaires  l'admission  et  l'examen  des 
néophytes;  chaque  moine  a  son  rôle  dans  l'ensemble  des  travaux 
communs.  Ce  fut  là  la  grande  innovation  de  Benoit;  ses  moines  ont  été 
les  défricheurs  de  l'Europe  barbare.  A  l'obéissance,  au  silence,  à  l'hu- 
milité, ees  trois  vertus  cardinales  du  moine,  Benoît  joint  le  travail  qui 
combat  l'oisiveté,  cette  ennemie  de  l'àme.  Les  frères  doivent  à  certains 
moments  se  livrer  au  travail  des  mains;  à  d'autres,  à  de  saintes  lec- 
tures. Sept  heures  furent  assignées  au  travail,  trois  à  la  lecture.  Les 
articles  qui  concernent  le  vêtement  et  la  nourriture  sont  austères,  mais 
relativement  modérés,  proportionnés  au  climat.  —L'essor  de  l'ordre  de 
Saint-Benoît  fut  rapide,  immense,  d'une  valeur  incalculable  pour  le 
relèvement  matériel  et  moral  du  monde  barbare.  Les  couvents  cou- 
vrent eu  plusieurs  siècles  l'Europe  entière.  Nous  pouvons  citer  en 
France  :  Glanfeuil  d'Anjou,  fondé  par  saint  Maur;leBeeen  Normandie', 
d'où  sonl  sortis  Lanfrancet  Anselme;  Corbie,  centre  intellectuel  aux 
n-  13 


194  BENOIT  DE  NUESIE 

septième  et  huitième  siècles  ;  Saint-Denis  ;  Saint-Germain-des-Prés  , 
Lérins  ;  Cluny  ;  Fontenelle  ;  Fleur  y-sur-Loire,  fondé  par  saint  Léodebod 
en  638;  en  Angleterre  :  Glatonsbury,  fondé  parDunstan;  Abingdon  , 
en  Belgique  :  Gemblon;  en  Suisse  :  Einsiedeln,  fondé  par  Meinrad  en 
907  ;  Saint-Gall  ;  Reichenau  ;  en  Allemagne  :  Gorvey  ou  la  nouvelle 
Corbie;  Saint-Biaise  dans  la  Forêt-Noire;  Fritzlar;  l'illustre  Fulda;  en 
Italie  :  Bobbio  (600),  soustrait  comme  Saint-Gall  à  la  règle  de  Colomban. 
La  règle  de  Saint-Benoît  coïncida  avec  la  fondation  de  nombreuses 
institutions  monastiques,  et  comme  elle  était  la  plus  large,  la  plus  sage, 
la  plus  modérée,  elle  pénétra  partout,  fut  seule  maîtresse  du  neuvième 
au  douzième  siècle  et  profita  de  ce  besoin  d'unité,  qui  assurait  le 
triomphe  de  la  papauté.  Les  richesses,  Finfluence  de  Tordre  attirèrent 
dans  son  sein  de  nombreux  disciples  des  hautes  classes.  11  conserva,  à 
côté  de  la  noblesse  de  ses  membres,  le  monopole  de  T intelligence,  de 
la  culture  et  de  la  conservation  des  trésors  de  l'antiquité  classique. 
C'est  de  son  sein  que  sont  sortis  Cassiodore,  Bède  le  Vénérable.  Ses 
écoles,  dans  lesquelles  on  enseignait  le  trivium  et  le  quadrivium,  de- 
vinrent des  foyers  de  culture.  Aelfric,  l'Anglo-Saxon,  rédigea  pour  elles 
un  glossaire  (Oxford,  1659),  une  grammaire,  des  Colloquia,  des  traduc- 
tions d'auteurs  sacrés  et  profanes.  OEthelwold,  évêque  de  Winchester, 
disciple  de  Dunstan,  dirigea  lui-même  une  école  pour  laquelle  il 
écrivit  des  livres  élémentaires  (950).  Abbon  suivit  la  même  méthode. 
Toutefois,  dès  le  quatorzième  siècle  la  décadence  semblait  irrémédiable 
et  Boccace,  visitant  la  bibliothèque  du  Mont-Cassin,  trouvait  les  livres 
couverts  de  poussière  bu  déchirés  par  les  moines,  qui  les  vendaient  aux 
paysans  pour  leur  servir  de  sortilèges.  Les  bénédictins  se  signalèrent 
également  par  leur  zèle  pour  les  missions  lointaines,  où  ils  remplacèrent 
les  moines  irlandais  dès  la  fin  de  la  période  mérovingienne.  En  Alle- 
magne nous  les  voyons  à  l'œuvre,  en  Alemannie,  en  Bavière,  avec  Sturm, 
qui  fonde  les  évêchés  dePassau,  Ratisbonne  et  Augsbourg;  en  Hanovre 
à  partir  de  856  ;  Boniface  fonde  le  monastère  d'Ohrdruf  en  Thuringe. 
Celui  de  Corvey  sur  les  bords  du  Weser  mérite  le  titre  de  Dei  semina- 
rium  apostolorium,  et  projette  une  grande  lumière  sur  les  contrées  bar- 
bares. C'est  de  là  que  l'Evangile  pénètre  dans  l'île  de  Rûgen  en  850; 
qu'Anscar  se  rend  enPoméranie;  qu'Adalgar  part  pour  une  mission  en 
Danemark  à  la  fin  du  huitième  siècle.  De  là  sort  son  successeur,  Uni, 
qui,  accompagné  de  nombreux  moines,  va  prêcher  l'Evangile  à  la  cour 
du  roi  Gorm  ;  entin  Canut-le-Grand  (1019-35)  y  trouve  ses  premiers 
auxiliaires  dans  F  œuvre  de  l'évangélisation  de  la  Suède.  En  Suisse,  nous 
voyons  Reichenau,  fondé  en  724;  Rheinau,  en  778;  Pfsefïers;  en  720, 
la  règle  de  Saint-Benoît  remplace  celle  de  Saint-Colomban  à  Saint-Gall. 
L'Anglo-Saxon  Aelfric  est  bénédictin,  ainsi  que  le  moine  Augustin, 
l'apôtre  des  Anglo-Saxons.  Etienne  de  Hongrie  envoie  le  bénédictin 
Astrick  en  mission  à  Rome;  c'est  un  bénédictin,  Benoit  Béta,  arche- 
vêque de  Grann,  qui  le  couronne  en  Fan  1000.  Grégoire-le-Grand,  le 
biographe  de  saint  Benoît,  appliqua  sa  règle  aux  couvents  de  Rome, 
de  Naples  et  de  la  Sicile.  De  nombreux  réformateurs  travaillèrent  dans 
l'esprit  du  maître  à  régler  la  vie  monastique:  en  France,  en  670,  saint 


BENOIT  DE  NURSIE  —  BENOIT  D'AXIANE  195 

Léger  ;  au  neirv  ième  siècle,  Benoit  d'Aniane  ;  en  Flandre,  Gérard  de  Bro- 
gne  (890);  en  Angleterre,  l'archevêque  de  Gantorbéry  saint  Dunstan  (924- 
988),  qui  écrivit  un  expose  delà  règle  de  Saint-Benoit;  en  Italie,  Pierre 
Damien.  Innocent  III,  bénédictin  lui-même,  lit  duMont-Cassin  la  for- 
teresse et  la  pépinièredu  saint-siége,  et  préféra  la  règle  de  Saint-Benoit 
à  la  vie  érémitique  fondée  par  Romuald.  Fructuosus,  archevêque  de 
Braga  (647),  exagéra  la  sévérité  de  la  règle  et  fonda  le  couvent  de  Com- 
plutum  en  Portugal.  Dès  le  neuvième' siècle  les  couvents  bénédictins, 
qui  avaient  réussi  à  se  soustraire  à  l'influence  des  évêques,  furent 
ruinés  plus  par  la  domination  des  riches  laïques,  auxquels  les  rois  les 
livraient  en  pâture,  que  par  les  invasions  normandes.  Ils  créèrent  vers 
eette  époque  le  tiers-ordre  des  laïques,  qui  soutenaient  leurs  intérêts  et 
répandaient  leur  influence.  La  fondation  de  l'ordre  de  Gluny  par 
Bernon  en  910  leur  rendit  une  partie  de  leur  ancien  prestige.  Peu  à  peu 
les  religieuses  durent  se  soumettre  à  la  même  règle,  mais  saint  Benoit 
n'avait  pas  songé  à  elles  et  Héloïse  s'en  plaint  dans  plusieurs  de  ses 
lettres.  Ce  fut  Tordre  de  Saint-Benoît  qui,  pendant  plusieurs  siècles, 
fournit  à  l'Eglise  ses  évêques  les  plus  éminents,  ses  papes  les  plus 
énergiques.  Tout  en  étant  soumis  aux  évêques,  il  fut  affranchi  de  la 
juridiction  des  simples  curés  qui,  choisis  dans  les  ordres  les  plus 
inférieurs  de  la  société,  durent  être  réformés  à  plusieurs  reprises.  La 
vie  canonique  tomba  bientôt  en  désuétude,  mais  la  vie  monastique  se 
réforma  d'elle-même.  Gérard  de  Brogne  et  quelques  autres  introdui- 
sirent dans  l'organisation  de  l'ordre  la  congrégation,  libre  union  des 
couvents  indépendants  les  uns  des  autres.  Une  union  plus  étroite  ne 
put  jamais  exister  et  le  désir  d'une  centralisation  plus  forte  amena  la 
création  d'ordres  nouveaux,  qui  eurent  bientôt  leur  vie  propre,  tout  en 
acceptant  plus  ou  moins  les  règles  de  l'ordre  de  Saint-Benoît.  Celui-ci 
se  confondit  de  plus  en  plus  dans  la  masse,  et  ses  membres,  à  cause  de 
leur  costume,  reçurent  le  nom  de  moines  noirs.  La  création  des  ordres 
mendiants  lui  porta  un  coup  sensible;  les  décrets  de  Benoît  XIII  (1336) 
et  de  Clément  VI  (1343)  n'eurent  qu'une  influence  restreinte  et  peu 
durable.  Le  concile  de  Trente,  dans  sa  session  XXV  (De  réf.,  cap.  8), 
organisa  des  congrégations  nouvelles,  dont  les  moines,  choisis  avec  soin 
parmi  les  classes  nobles,  se  livrèrent  exclusivement  aux  travaux  scien- 
tifiques. Parmi  les  plus  célèbres  nous  pouvons  citer  celles  des  Flandres, 
de  la  Bourgogne,  des  Pays-Bas,  celle  de  Saint-Vannes  de  Verdun,  qui 
luttèrent  avec  quelque  succès  contre  l'influence  des  jésuites.  L'ordre 
des  bénédictins  reprit  une  nouvelle  vie,  grâce  à  la  célèbre  congrégation 
de  Saint-Maur,  fondée  en  1618  à  Paris  (voy.  l'article  Saint-Maur).  — 
Voyez  :  saint  Grégoire,  />ta/.,liv.  III  ;  Mabillon,  ActaSanct.  Ord.  S.B., 
Paris,  1098-1701,  9  vol.  in-fol.  ;  Brandes,  Der  B.  Ord.  nach  s.  welthist, 
/>V/.,Tub.  Quartalschr.,  1851, 1  ;  Montalembert, Les  Moines  d'Occ,  II; 
Guizot,  //ist.fli'  la  civ.  enFr.,  I,  370-85.  A.  Paumieb. 

BENOIT  D'ANIANE  naquit  en  750  dans  le  Languedoc.  Son  nom  de 

[amille  était  Witiza,  et  son  père  s'était  distingué  dans  les  guerres  des 

ntre  les  Gascons.  Elevé  à  la  cour  du  roi  Pépin, il  suivit  son  fils 

Gharlemagne  en  Italie  ci  se  voua  au  Seigneur  à  la  suite  d'un  grand 


1-96  BENOIT  D'ANIANE  — BENOIT  (René) 

«langer  qu'il  avait  couru  en  sauvant  son  frère.  Entré  au  couvent  de 
Saint-Seine,  il  trouva  les  règles  de  Tordre  trop  relâchées  et  se  retira 
dans  la  solitude  à  Aniane,  son  pays  natal.  Sa  réputation  de  sainteté 
attira  près  de  lui  de  nombreux  disciples,  qu'il  réunit  dans  un  monas- 
tère fondé  par  lui  en  782.  Les  guérisons  merveilleuses,  les  soins  de  la 
culture  et  de  la  charité  ne  l'empêchèrent  pas  de  relever  le  chant  reli- 
gieux et  d'initier  ses  moines  à  l'étude  des  Ecritures.  11  créa  plusieurs 
couvents  célèbres,  auxquels  il  donna  la  règle  de  Saint-Benoît,  en  lui 
imprimant  un  caractère  à  la  fois  plus  rigide  et  plus  minutieux.  Son 
Ordo  regularum  se  répandit  dans  la  Gaule  franque,  à  Saint-Savin  en 
Poitou,  à  Corméry  en  Touraine,  à  Sainte-Barbe  de  Lyon,  à  Marmou- 
tier  en  Alsace,  etc.  Nous  n'avons  pas  à  relever  le  rôle  politique  qu'il 
joua  sous  les  successeurs  de  Gharlemagne.  En  794,  il  prit  part  à  un  con- 
cile qui  condamna  les  opinions  de  Félix,  évoque  d'Urgelles  ;  en  799  il 
l'amena  à  comparaître  au  synode  d'Aix-la-Chapelle  avec  un  sauf-con- 
duit qui  fut  respecté,  et  le  renvoya  dans  son  diocèse  après  avoir  obtenu 
sa  rétractation.  Nommé  abbé  d'Inde,  près  Aix-la-Chapelle,  par  Louis-le- 
Débonnaire  en  815,  il  reçut  en  817  la  mission  de  réformer  tous  les  or- 
dres religieux  et  l'empereur  lit  publier  sous  sa  rédaction  un  capitulaire 
en  quatre-vingts  articles,  qui  renferme  plus  d'un  détail  puéril.  Benoît 
s'attira  par  ses  réformes  et  ses  idées  politiques  de  nombreux  adver- 
saires, dont  les  principaux,  Adalhard  et  Wala,  rentrèrent  en  faveur 
aussitôt  après  sa  mort,  survenue  le  12  février  821.  —  Voyez  :  sa  Vie, 
par  Ardon;  Mabillon,  Act.  Sanct.  Ord.  Bened.,  ssec.  IV,  1;  Néander, 
K.  G.,  V,  215,  VI,  188  ss.  ;  Guizot,  'Cîv.  en  Fr.,  II,  216  ss. 

BENOIT  LEVITA,  c'est-à-dire  diacre,  célèbre  par  la  rédaction  d'un 
recueil  destiné  à  continuer  et  à  compléter  celui  d'Anségise.  Entreprise 
vers  840  et  achevée  sept  ans  après,  sur  l'instigation  d'Autgar,  arche- 
vêque de  Mayence,  cette  collection  de  prétendus  décrets  de  synodes  et 
de  diètes,  dispersés  in  diversis  locis  et  in  diverses  schedidis,  bien  qu'elle 
portât  le  titre  de  5e,  6e  et  7e  livres  des  Capitulaires  d'Anségise,  ne  compta 
jamais  au  nombre  des  codes  de  l'empire.  Dès  le  dix-septième  siècle  son 
authenticité  a  été  fortement  attaquée  par  Blonde!  et  Conring,  et  faible- 
ment défendue  par  Baluze;  de  nos  jours,  Savigny  (Gesch.  des  rom. 
Redits  im  'Mittelalter,  II,  §  45)  et  Knust  {De  Benedicti  Leviix  collectione 
rapitularium,  1836)  ont  prouvé  avec  la  dernière  évidence  que  le  recueil 
de  Benoit  est  l'œuvre  d'un  faussaire  qui  a  habilement  mis  à  profit  les 
ouvrages  les  plus  divers  que  recelaient  les  archives  et  la  bibliothèque 
épiscopales  de  Mayence,  les  codes  des  Visigoths  et  des  Bavarois,  celui 
de  Théodose,  la  Bible,  les  écrits  des  Pères,  les  recueils  de  canons, 
mais  surtout  les  Fausses  Décrétâtes  (voy.  cet  article),  dans  le  but  de 
faire  donner  force  de  lois  en  Allemagne  aux  théories  ecclésiastiques 
contenues  dans  le  recueil  de  Pseudo-Isidore,  notamment  en  ce  qui 
concerne  les  droits  de  l'épiscopat  vis-à-vis  de  la  royauté.  La  collection 
de  Benoît  a  été  publiée  dans  les  Monumenta  Germanise  Legum,  IL 

BENOIT  (René)  [152L-1608].  Confesseur  de  Marie  Smart,  puis  curé 
de  Saint-Eustache  en  1669,  il  fut  l'un  des  chefs  de  ce  parti  mitoyen, 
royaliste  et  gallican,  appelé  politique  pendant  la  Ligue,  janséniste  plus 


BENOIT  (René)  —  BENOIT  (Elie)  197 

tard,  et  dont  on  retrouverait  peut-être  quelqu.es  traits  dans   l'école 
dite  catholique-libérale  de  notre   temps.  Benoit  fut    par  excellence 
l'homme  des  compromis,  et  il  en  ('prouva  tour  à  tour  les  avantages  et 
les    inconvénients.    Il  donna    en    1566    (Paris,  in-fol.)  une   traduction 
française  de  la  Bible  on  il  avait  mis  peu  du  sien,  s'étant  contenté  de 
corriger  à  sa  façon  la  version  de  Genève,  et  d'y  adapter  à  la  marge 
des   notes  de  Vatable  augmentées  de  remarques  de  controverse  à 
l'adresse  des   hérétiques.   Cette  précaution  ne  sauva  ni  le  livre  de  la 
censure  ni  l'auteur  de  la  colère  de  la  faculté  qui  l'exclut  de  son  sein. 
Après  de  vaines  protestations,  il   publia  une  nouvelle  édition  de   sa 
Bible  (1588,  2  vol.  in-4°),  enrichie  d'une  apologie  dans  laquelle,  né- 
gligeant adroitement  les  autres  griefs,  il  s'étonne  «  que  la  langue  fran- 
çaise soit  plus  excommuniée,  pour  parler  chrétien,  que  la  latine  ou 
autre  langue  quelconque.  »  Le  courage  lui  était  revenu  avec  la  faveur 
du  roi  qui  venait  de  le  nommer  professeur  cle  théologie  au  collège  de 
Navarre.  Mais  la  faculté  ne  se  départit  pas  de  sa  rigueur,  et  pour  y 
rentier  comme  doyen,  en  1588,  il  dut  se  résoudre  à  souscrire  à  ses 
condamnations.  Benoit  était  intimement  liéavec  le  jurisconsulte  Belloy, 
ce  fougueux  adversaire  des  Guise  et  des  ligueurs.  Il  soutint  avec  lui 
que  les  droits  du  roi  de  Navarre  au  trône  étaient  indépendants  de  son 
orthodoxie.  Du  reste,  il  travailla  avec  succès  à  éviter  aux  amis  catholi- 
ques du  Béarnais  la  nécessité  de  défendre  cette   thèse  jusqu'au  bout. 
Forcé  de  fuir  les  fureurs  des  Seize,  il  se  réfugia  au  camp  du  roi.  Henri 
se  prêta   à   ses  conseils,  et  Benoit  de  son  côté  obtint  de  l'assemblée 
de  Saint-Denis  que  le  roi  fût  réconcilié  avec  l'Eglise   sans  attendre 
ordres  de  Borne.  Ce'  service  inappréciable  lui   valut  l'évêché  de 
Troyes.  Mais  les  ultramontains  ne  lui  pardonnèrent  jamais  son  gallica- 
nisme et  surtout  l'application  qu'il  en  avait  faite  en  esquivant  l'inter- 
vention directe  du  pape  dans  l'abjuration  de  Henri.  On  renouvela  les 
vieux  griefs  d'hétérodoxie  de  sa  Bible,  et  malgré  les  efforts  du  cardinal 
d'Ossat,  il  ne  »*eçut  jamais  ses  bulles  et  n'eut  de  son  évèché  que  le  re- 
venu  temporel.  Il  finit  même  par  l'abandonner  en  1604  (voy.  d'Ossat, 
Lettres  ;  Mézeray  ;  et,  pour  la  longue  liste  de  ses  ouvrages,  Lacroix  du 
Maine  et  .Nicéron,  t.  XLI).  P.  Rouffkt. 

BENOIT  Elie),  né  à  Paris  le  20  janvier  1640,  mort  à  Delft  le  15  no- 
vembre 17:28.  pasteur  etécrivain,  l'une  des  victimes  de  la  révocation  de 
1  édit  de  Nantes,  est  surtout  connu  par  son  Histoire  de  cet  édit  célèbre. 
Fils  <\'i\\\  concierge  de  l'hôtel  de  La  Trémoille,  il  fit  successivement  ses 
études  aux  collèges  d'Harcourt,  de  Montaigu  et  de  La  Marche,  et  acheva 
sa  philosophie  a  Montauban.  Il  racheta  quelques  années  de  dissipation 
par  un.-  longue  vie  de  travail  et  de  dévouement.  Il  étudia  la  théologie 
tout  endonnanl  «l<-^  leçons  à  quelques  élèves,  et  fut  consacré  pasteur 
vers  1664.  Il  desservit  pendant  environ  neuf  mois  deux  églises  de  la 
Beauce,  et  lut   appelé,  en  1665,  dans  celle  d'Alençon,  où  il  remplit  les 

fonctions  pastorales  pendant  vingt  ans,  au  milieu  des  circonstances  h-, 
plu-  difficiles.  Il  soutint  une  lutte  fort  vive  contre  le  P.  de  La  Rue  sur 
divers  points  de  controverse;  et  ce  jésuite  trop  fameux  n'ayant  pu, 
malgré  son  éloquence,  vaincre   l'opposition  de  son    savant  adversaire, 


198  BENOIT  (Elie) 

eut  recours,  pour  se  débarrasser  de  lui  et  des  protestants  de  la  ville,  à- 
un  moyen  plus  expéditif  :  il  fanatisa  par  ses  prédications  la  populace 
catholique,  qui  vint,  le  10  août  1681,  assaillir  le  temple  nouvellement 
élevé  dans  le  faubourg  de  Lencrel.  Les  assaillants  furent  repoussés  à 
coups  de  cannes  et  d'épées  par  les  huguenots,  tandis  que  Benoit  conti- 
nuait tranquillement  sa  prière.  Celui-ci  ne  quitta  pourtant  Alençon  et 
la  France  qu'après  la  révocation.  Il  fut  nommé  troisième  pasteur  de 
l'église  wallonne  de  Delft,  et  après  trente-et-un  ans  de  ministère  dans 
cette  église,  il  obtint  en  1715  le  titre  de  pasteur  émérite.  Dans  sa  nou- 
velle patrie,  il  s'employa  avec  une  activité  infatigable  à  la  défense  et  au 
soulagement  de  ses  frères  persécutés.  Il  fut,  avec  Jurieu,  l'un  des  agents 
les  plus  dévoués  des  réfugiés,  surtout  lors  des  négociations  qui  précédè- 
rent la  paix  de  Ryswick  (1697).  Il  aurait  voulu  que  les  plénipotentiaires 
des  princes  protestants  imposassent  à  Louis  XIV  le  rétablissement  des 
Eglises  réformées  de  France.  Mais  les  princes  ne  donnèrent  pas  des  ordres 
dans  ce  sens  :  ils  tenaient  à  garder  dans  leurs  Etats  ces  milliers  de 
familles  qui  déjà  avaient  apporté  avec  elles  F  industrie,  la  moralité,  la 
foi.  —  Benoit  a  publié  de  nombreux  ouvrages  de  controverse,  de  polé- 
mique ou  d'édification.  Le  seul  qui  soit  resté  est  sou  Histoire  de  redit  de 
Nantes...  jusques  à  l'édit  de  révocation,  en  octobre  1685,  Delft,  1693  et 
1695,  5part.in-4°;  trad.  en  anglais,  Lond.,  1693,  in-4°,  et  en  flamand, 
Amst.,  1696.  2  vol.  in-fol.  1er  vol.  :  de  l'origine  de  la  Réforme  à  la  mort 
de  Henri  IV,  en  1610  ;  2e  vol.  :  règne  de  Louis  XIII,  1610-1643  ;  3U  vol.  : 
1643-1665;  4"  vol.:  1665-1683  ;  5e  vol.:  1683-1688;  avec  des  centaines 
de  pièces  justificatives.  Le  style  est  diffus,  la  composition  lâche,  la 
forme  vieillie  ;  en  outre,  bien  .des  pages  sont  amères  ;  Fauteur  ne  con- 
tient pas  son  indignation  contre  le  clergé  catholique  qu'il  accuse,  à  bon 
droit,  d'avoir  poussé  à  la  persécution.  Mais  sa  fidélité  historique  est 
incontestable.  Il  avait  eu  entre  les  mains  de  précieux  mémoires  recueil- 
lis par  Abr.  Tassereau,  qui  avait  été  pendant  vingt  ans  secrétaire  de 
Louis  XIV,  de  1653  à  1673,  et  qui  mourut  à  Rotterdam  en  1689.  Sa 
véracité  a  été  confirmée  par  toutes  les  pièces  officielles  qui  ont  été 
publiées  depuis  lors  ou  qui  ont  été  consultées  dans  les  archives  et  les 
bibliothèques  publiques.  La  seule  réfutation  qui  fut  tentée  par  les 
PP.  Thomassin  et  Bordes  (Paris,  1703,  2  vol.  in-4°)  consista  à  justifier  le 
roi  persécuteur  :  il  aurait  eu  le  droit  de  frapper  des  hérétiques,  à 
l'exemple  des  premiers  princes  chrétiens;  comme  si  un  crime  pouvait 
être  légitimé  par  un  crime  semblable  !  Quelques  erreurs  seulement,  et 
de  peu  d'importance,  se  sont  glissées  dans  cette  masse  de  détails  et 
de  noms  propres.  Mais  l'auteur,  après  avoir  reçu  des  lettres  qui 
rectifiaient  des  faits  avancés  dans  son  Histoire,  signala  lui-même  ces 
rectifications  dans  son  Supplément,  qui  malheureusement  n'a  pas  été 
imprimé,  et  qui  contient  en  84  pages  serrées  in-folio  une  continuation 
de  son  Histoire  jusqu'en  1690.  Ce  supplément,  de  la  main  de  Benoît, 
se  trouve  dans  les  manuscrits  d'Ant.  Court  à  la  bibliothèque  publique 
de  Genève,  n°  50.  D'autres  documents  inédits  sur  le  même  sujet  sont 
dans  la  même  collection,  aux  nos  17  et  48.  Chauffepié  donne  les  titres 
avec  des  extraits  fort  étendus  de  seize  autres  volumineux  manuscrits 


BENOIT  (Elie)  —  BENTLEY  199 

laisses  par  notre  pasteur,  mais  qui  n'ajoutent  pas  grand'chose  à  sa  ré- 
putation :  il  pensait  librement,  mais  il  a  exprimé,  en  critique  et  en 
philosophie,  des  idées  singulières  et  bizarres.  Sa  gloire  a  été  de  racon- 
ter fidèlement  les  souffrances  et  l'héroïsme  de  nos  pères  martyrs,  et 
cette  gloire  lui  restera.  —  Sources  :  Haag,  Fr.  prot.,  II,  et  Bulletin  du 
Prot.  fr..  VU,  VIII,  XI.  Ch.  Dardier. 

BENOIT  (le  Père)  [i663-1742].  Issu  d'une  famille  maronite  du  Mont- 
Liban,  il  l'ut  envoyé  à  Home  à  l'âge  de  neuf  ans.  Après  treize  ans 
d'études,  il  retourna  dans  son  pays  où  le  patriarche  Adœnsis  le  chargea 
de  corriger  ses  ouvrages  sur  la  liturgie  et  l'histoire  des  Maronites. 
.Délégué  à  Rome  par  l'Eglise  maronite  d'Antioche,  il  fut  retenu  en 
Italie  par  Cosme  111  de  Florence  qui  lui  conlia  l'organisation  de  son 
imprimerie  pour  les  langues  orientales  et  la  publication  de  plusieurs 
manuscrits  écrits  en  ces  langues.  Benoit,  à  quarante-quatre  ans, 
renonça  à  la  chaire  d'hébreu  que  Cosme  lui  avait  donnée  à  Pise,  pour 
se  faire  jésuite.  Après  son  noviciat,  Clément  XI  l'adjoignit  aux  savants 
qu'il  avait  chargés  de  réviser  le  texte  grec  de  la  Bible.  Le  cardinal  Qui- 
rini,  qui  avait  été  son  élevé,  le  décida  plus  tard  à  entreprendre  une 
édition  de  saint  Ephrem,  son  compatriote.  La  mort  le  surprit  au  milieu 
du  second  volume,  et  le  savant  Assemani,  sous-bibliothécaire  du  Vati- 
can.  en  acheva  la  publication  (Rome,  b'  vol.  in-fol.,  1742-46). 

BENTHAM  (Jérémie)  [1748-1832],  de  Londres,  donna  une  forme  juri- 
dique à  la  morale  utilitaire.  Ils'occupade  la  réforme  des  lois  et  reçut  de 
la  Convention  le  titre  de  citoyen  français.  Son  Introduction  aux  princi- 
pes de  la  morale  et  de  la  législation,  1789,  exposait  qu'une  action  est 
bonne  quand  elle  est  utile,  quand  elle  a  pour  conséquence  d'augmenter 
notre  bonheur  ou  de  diminuer  nos  maux  ;  c'est  à  ce  titre  seulement 
qu'elle  est  juste,  morale,  légitime.  Le  principe  de  nos  actions,  c'est 
donc  l'intérêt,  et  le  critérium  du  bien  n'est  que  le  calcul  du  plus  grand 
plaisir,  évaluation  qui  s'obtient  en  considérant  chaque  plaisir  au 
point  de  vue  de  son  intensité,  de  sa  durée,  de  sa  certitude,  de  sa 
proximité,  de  sa  fécondité  en.  plaisirs  nouveaux  et  de  sa  pureté  de 
toute  douleur.  Le  problème  d'arithmétique  morale  se  complique  tou- 
tefois  de  plusieurs  éléments  encore:  le  tempérament,  l'état  de  santé, 
les  habitudes,  etc.  Le  même  raisonnement  s'applique  aux  douleurs,  et 
la  législation,  en  attachant  un  châtiment  aux  actions  malfaisantes,  con- 
tribue au  triomphe  du  bien.  Bentham  n'admettait  pas  qu'il  pût  y  avoir 
opposition  entre  l'intérêt  individuel  et  l'intérêt  général  ;  à  cet  elïet,  il 
s'appuyait  sur  un  deuxième  principe,  la  sympathie  naturelle  qui  unit 
les  hommes,  et  enveloppait  ainsi  dans  la  philanthropie  une  doctrine 
donl  l'égoïsme  était  le  point  de  départ,  heureuse  inconséquence  qui 
seule  pouvait  satisfaire  son  âme  bienveillante.  —  Voyez  Joutfroy, 
('oins  de  droit  naturel,  t.  II.  M.  Grote  a  publié  récemment,  d'après  les 
papiers  de  Uentham,  La  religion  naturelle,  son  influence  sur  le  bonheur 
du  genre  kumain9U,  en  fr.  par  M.  Gazelles,  1874. 

BENTLEY  (Richard), célèbre  philologue  anglais,  né  en  1662  à  Oulton, 
près  Wakefield,  dans  l'Yorkshire.  Son  père,  qui  n'était  qu'un  simple 
maréchal-ferrant,  l'envoya  d'abord  à  l'école  de  Wakefield.  Il  en  sortit 


200  BENTLEY  —  BEEAULD 

en  1670  pour  aller  à  Cambridge.  Il  se  lit  remarquer  de  bonne  heure 
par  son  goût  pour  les  langues  anciennes  et  par  son  érudition  critique. 
A  l'âge  de  vingt-quatre  ans,  il  avait  composé,  dit-on,  une  table  alpha- 
bétique de  tous  les  mots  hébreux  contenus  dans  la  Bible  avec  leurs 
diverses  interprétations  en  chaldéen,  en  syriaque,  en  latin,  etc.  En 
1700,  il  fut  nommé  professeur  de  théologie  au  collège  de  la  Trinité  à 
Cambridge,  et  Tannée  suivante  fut  pourvu  d'un  archidiaconatà  Elv.  Sa 
passion  pour  la  critique  philologique  ne  l'empêcha  pas  de  publier  un 
volume  de  sermons  qui,  après  avoir  eu  un  certain  nombre  d'éditions 
en  anglais,  ont  été  traduits  en  plusieurs  langues.  Dans  ces  sermons, 
Bentley  s'applique  à  réfuter  l'athéisme  et  puise  surtout  ses  arguments^ 
dans  les  idées  philosophiques  de  Newton  et  de  Locke.  Il  mourut  en 
1742,  à  un  âge  avancé. 

BÉRAULD  (Michel),  né  au  Mans  vers  1535  et  mort  à  Montauban  le 
11  juillet  1610.  Vers  1555,  il  quitta  le  couvent  des  dominicains  de  sa 
ville  natale,  où  il  faisait  son  noviciat,  pour  faire  profession  de  la  reli- 
gion réformée.  Reçu  au  ministère  évangélique  en  1560,  il  desservit  les 
Eglises  de  Lodève  (1561  et  1562)  et  de  Béziers  (15*33  et  1564).  Chassé 
de  cette  ville  par  la  persécution,  il  se  rendit  à  Montauban.  On  le  trouve 
pasteur  à  Puylaurens  en  1573,  puis  de  nouveau  à  Béziers  en  1576. 
Cette  Eglise  ayant  été  dispersée  quelques  mois  à  peine  après  son 
arrivée,  il  alla  desservir  l'Eglise  de  Réalmont  (1577-1579).  11  fut  à  cette 
dernière  date  nommé  pasteur  à  Montauban,  et  à  la  fondation  de 
l'académie  de  cette  ville,  il  fut  appelé  à  une  des  deux  chaires  de  théo- 
logie. Sauf  un  intérim  de  deux  ans  environ  qu'il  passa  à  l'académie 
de  Saumur,  qui  avait  réclamé  momentanément  ses  services,  il  remplit 
ses  deux  fonctions  de  pasteur  et  de  professeur  à  Montauban  jusqu'à 
la  lin  de  ses  jours.  Michel  Bérauld  joua  un  rôle  considérable  dans 
l'Eglise  réformée  de  son  temps.  Il  prit  part  à  de  nombreuses  confé- 
rences sur  les  matières  controversées,  assista  à  plusieurs  assemblées 
politiques,  et  présida  les  trois  synodes  nationaux  de  Montauban  (1594), 
de  Montpellier  (1598)  et  de  La  Rochelle  (1607).  Le  caractère  de  son 
action  dans  l'Eglise  réformée  de  France  est  surtout  marqué  par  le  fait 
qu'il  fut  le  principal  promoteur  du  parti  de  la  résistance.  Ses  écrits 
sont  peu  nombreux,  ce  qui  ne  saurait  étonner  de  la  part  d'un  homme 
qui  prit  une  part  très-active  à  presque  tous  les  événements  importants 
de  son  temps  dans  l'Eglise  réformée.  Voici  la  ;lisle  de  ceux  que  nous 
avons  pu  avoir  entre  les  mains  :  Athénagoras  d'Athènes,  philosophe  chres- 
titn,  louchant  fa  résurrection  des  morts,  Montauban,  L.  Rabier,  1582, 
pet.  in-8°  de  70  pages,  plus  une  dédicace  de  6  pages  aux  protestants 
de  Béziers,  une  préface  de  20  pages  et  2  pages  contenant  deux  sonnets 
de  Jean  Gardesi  ;  Briçve  et.  clan  e  défense  de  la  vocation  des  ministres  de 
l'Evangile,  contre  la  Répliq.  de  messire  Jacq.  Davy,  évesque  d'Fvreux, 
Montauban,  Denis  Haultin,  1598,  petit  in-8°  de  xxi  et  498  pages; 
Epistola  apologetica  ad  l'iantavitium  Pauseum  semi-jesuistam,  Salmurii, 
1608,  petit  in-8°  de  164  pages  ;  Disputationum  theologicarum  prima  de 
sacra  theologia  (thèse  sur  laquelle  argumenta  Pierre  de  Liques),  Sal- 
murii, 1608,  in-4°  de  6  pages. 


BÉRAULD  201 

BÉRAULD  (Pierre),  un  des  (ils  de  Michel,  né  à  Réalmont  de  1577  à 
1579,  el  mort  à  Montauban  en  1645.  Après  avoir  passé  quelque  temps 
à  aider  son  père  à  Montauban,  il  desservit  les  Eglises  de  Bergerac 
(1603-1613),  de  Pamiers  (1614-1618)  el  de  Montauban  (1619-1645). 
Après  la  mort  de  Charnier,  il  fut  nommé  à  la  chaire  de  théologie 
laissée  vacante  à  l'académie.  Il  poussa  encore  pins  loin  que  son  père  le 
système  de  la  résistance  et  prit  une  part  active  aux  guerres  civiles  de 
1621  à  1628  (Aymon,  Synodes  nation.,  t.  11,  p.  456,  458,  467  et  468). 
Nous  ne  connaissons  de  lui  que  les  écrits  suivants  :  L'Estat  de  Mon- 
tauban  depuis  In  descente  de  l'Anglais  en  Ré  le  ¥2  juillet  1027  jusqu'à  la 
reddition  de  La  Roc/telle,  (Montauban)  1028,  in-8°  de  x  et  161  pages; 
L Espluchement  de  soy-mème,  ou  sermon  faict  au  jeusne  des  Eglises  de 
France,  célébré  en  celle  de  Montauban,  le  quatrième  jour  de  mars  1621, 
fur  Sopftonie  II,  Montauban,  Pierre  Goderc,  lb'22,  in-8°  de  128  pages; 
La  Froissure  de  Joseph,  ou  sermon  faict  le  vingt-neuvième  jour  de  sep- 
tembre 1()22  en  la  solennité  du  jeusne  célébré  en  l'Eglise  de  Montauban, 
pour  les  fidèles  de  Montpellier  assiégés,  Montauban,  Pierre  Codcrc,  1022, 
in-8°  de  102  pages.  M.  Nicolas. 

BÉRAULD  (Nicolas).  Né  en  1473  à  Orléans,  il  y  professa  le  droit, 
pendant  plusieurs  années,  avec  une  distinction  qu'attestent  les  écrits 
d'Erasme  et  de  Badius.  Quittant  les  travaux  du  jurisconsulte  pour  ceux 
du  philologue  et  de  l'humaniste,  il  vint  à  Paris,  où  il  vécut  dans  la 
société  de  Budé,  de  Huel,  de  Louis  de  Ruzé,  de  François  de  Loques, 
d'Etienne  Poucher,  et  d'autres  amis  des  lettres.  Occupé  de  ses  études 
favorites  et  obéissant  en  outre  au  mouvement  qui,  en  France  de  môme 
qu'en  d'autres  contrées  de  l'Europe,  poussait  alors  les  esprits  à  la 
recherche  de  la  vérité  religieuse,  il  s'intéressa  aux  premiers  travaux 
entrepris  pour  la  restitution  et  la  publication  du  texte  des  saintes  Ecri- 
tures. Vne  étroite  amitié  s'était  établie  entre  lui  et  Louis  de  Berquin, 
disciple  de  l'Evangile  et  courageux  adversaire  de  l'intolérante  Sorbonne  : 
l'année  même  où  Berquin,  martyr  de  ses  convictions  chrétiennes,  fut 
brûlé  à  Paris,  Bérauld  lit  paraître  dans  cette  ville  un  écrit  {Enarratio 
Psalmorum  LXXI  et  CXXXII,  in-4°,  Parisiis,  1529)  dont  la  composition 
tut  sans  doute  inspirée  par  son  amitié  pour  la  pieuse  victime  du  l'ana- 
tisme  de  la  Sorbonne  et  de  ses  adhérents.  De  1514  à  1528,  Bérauld 
avait  conquis  par  d'importants  écrits  une  place  honorable  dans  le 
monde  savant;  non  moins  sûr  que  bienveillant  dans  ses  relations,  il 
jouissait  de  la  réputation  méritée  d'homme  de  bien  et  de  savoir.  Ce  fut 
alors  que  la  maréchale  de  Chàtillon  le  chargea  de  diriger  l'éducation 
de  m>  gis  Odet,  Gaspard  et  François.  Dès  le  début  de  sa  mission, 
Bérauld  justilia  pleinement  la  confiance  dont  il  avait  été  investi.  Il  ai- 
mait la  jeunesse  et  possédait  le  secret  de  se  faire  comprendre  et  aimer 
d'elle.  Alliant  à  une  fermeté  calme  et  digne  une  aménité  de  langage  et 
de  manières  qu'accompagnait  l'expression  d'une  physionomie  empreinte 
de  bout.',  il  se  concilia  d'autant  plus  aisément  l'affection  de  ses  trois 
disciples,  qu'il  leur  lit  sentir  immédiatement  la  sincérité  de  la  sienne. 
On  ignore  jusqu'à  quelle  limite  Bérauld  poussa  les  études  des  lils 
de  la  maréchale.  Quant  aux  directions  morales  qu'ils  reçurent  de  leur 


202  BÉRAULD  —  BERENGER 

zélé  précepteur,  elles  ne  purent  qu'être  salutaires,  à  raison  des  senti- 
ments élevés  qui  animèrent  celui-ci.  Odet  de  Ghâtillon,  devenu  de 
bonne  heure  cardinal,  attacha  Bérauld  à  sa  maison.  On  ignore  la 
date  de  sa  mort.  —  Voyez  :  doni  Lyron,  Singularités  histor.  et 
littér.,  t.  III;  dédicace  de  Bérauld  à  Poculus,  9  nov.  1520  (Bibl.  nat., 
mss.  f.  fr.,  vol.  6864)  ;  lettres  de  Bérauld  à  Erasme  des  16  mars  1518, 
1er  juillet  1519  ;  d'Erasme  à  Bérauld,  du  21  février  1517  ;  de  Berquin  à 
Erasme,  du  17  avril  1526;  de  Morelet  à  Bérauld,  du  9  août  1534 
(op.  Herminjard,  corresp.  des  réform.).  J.  Del  aborde. 

BÉRÉE  :  1°  ville  de  Macédoine,  en  Emathie,  au  sud-ouest  de  Pella,  sur 
le  fleuve  Astrœos  et  au  pied  du  mont  Bermios.  Bérée  est  une  des  plus 
anciennes  villes  de  cette  riche  contrée.  Saint  Paul  y  prêcha  l'Evangile 
dans  son  premier  voyage  en  Grèce,  en  se  rendant  de  Thessalonique 
en  Achaïe  (an  54  ;  comp.  Act.  XVII,  10-15).  Aujourd'hui  :  Berre  ou 
Kara-Ferdja. —  2°  Bérée,  en  Syrie,  nom  de  la  ville  située  entre  Antio- 
che  et  Hiérapolis,  sur  le  fleuve  Halos,  et  beaucoup  plus  connue  sous 
son  nom  actuel,  Alep  (voy.  Helbon).  —  3°  Localité  d'ailleurs  inconnue 
de  Judée,  où  périt  Judas  Machabée  (1  Mac.  IX,  4). 

BERENGER  DE  TOURS,  né  au  commencement  du  onzième  siècle, 
disciple  du  savant  et  pieux  Fulbert,  évêque  de  Chartres,  esprit  fin  et 
libre,  mais  caractère  faible,  nourri  des  lettres  anciennes  et  habile  dans 
l'art  de  la  dialectique,  joua  un  rôle  important  dans  les  débats  relatifs 
à  la  fixation  du  dogme  de  la  transsubstantiation.  Il  représente  l'opposi- 
tion au  matérialisme  sacramentaire  qui  triompha  au  quatrième  con- 
cile de  Latran.  Scholastique  de  Tours  depuis  1031  et  archidiacre 
d'Angers  depuis  1040,  jouissant  d'une  grande  considération  tant  à 
cause  de  sa  piété  que  de  sa  science,  Bérenger  se  prononça  en  faveur 
de  la  doctrine  attribuée  à  Scot  Erigène  (en  réalité  professée  par  Ba- 
tramne),  contre  celle  de  Radbert,  presque  universellement  reçue  dans 
l'Eglise,  d'après  laquelle  la  substance  du  pain  et  du  vin  se  changent 
en  corps  et  en  sang  du  Christ  dans  le  mystère  de  l'eucharistie.  Béren- 
ger, qui  avait  soutenu  d'abord  que  Jésus-Christ  n'est  pas  réellement  pré- 
sent dans  la  sainte  Cène,  mais  seulement  en  figure,  fut  amené,  dans 
le  cours  delà  controverse,  à  modifier  sa  manière  de  voir  et  à  reconnaî- 
tre que  Jésus-Christ  est  présent  réellement  dans  le  repas  eucharistique, 
mais  par  son  esprit,  c'est-à-dire  par  la  force  spirituelle  qui  est  cachée 
dans  la  substance  des  éléments  terrestres  du  pain  et  du  vin.  Ceux-ci  ne 
peuvent  subir  de  transformation,  parce  que  l'on  ne  peut  admettre  que 
les  signes  et  les  qualités  d'une  substance  sont  indépendants  d'elle,  et 
continuent  à  subsister,  alors  que  cette  substance  elle-même  a  été 
changée  en  une  autre.  Le  corps  du  Christ  est  au  ciel  où  il  demeure 
sans  plus  en  descendre.  En  s' unissant  avec  Christ  par  la  foi,  le  chré- 
tien devient  participant  des  vertus  attachées  à  ce  commerce  tout  spirituel. 
Pour  lui,  mais  pour  lui  seul,  les  espèces  matérielles  se  changent  en  quelque 
mesure  en  vrai  corps  et  en  vrai  sang  du  Christ,  avec  les  vertus  qui  leur 
sont  propres.  Celui  qui  ne  croit  pas  ne  reçoit  absolument  que  le  pain  et 
le  vin.  En  un  mot,  Bérenger,  par  un  jeu  de  mot  subtil,  enseigne  une 
transsubstantiation  non  des  éléments  terrestres  présents  dans  la  Cène, 


BÉRENGER  DE  TOURS  203 

mais  de  leur  efficacité  dans  l'âme  du  croyant.  Sa    conception,  qui 

manque  de  netteté,  se  t'approche  de  celle  de  Calvin.  Luther,  de  même 
que  l'Eglise  catholique,  la  considérait  comme  entachée  d'hérésie.  —  Ce 
fut  dans  une  lettre  à  Lanfranc,  prieur  de  Bec,  passionnément  épris  de 
la  formule  de  Radbert,  que  Bérenger  exposa  pour  la  première  fois  avec 
suite  sa  doctrine.  Dénoncé  et  condamné  sans  être  entendu  par  les  con- 
ciles de  Rome  et  de  Verceil  (1050),  retenu  en  prison  à  Paris  par 
Henri  1"",  désireux  de  s'emparer  de  ses  biens,  il  parvint  à  gagner  la  fa- 
veur du  puissant  légal  du  pape,  Hildebr and,  qui,  dans  son  éloignement 
pour  les  discussions  subtiles  de  la  scolastique,  voulait  que  Ton  s'en 
tint,  relativement  à  la  Cène,  aux  paroles  de  l'Ecriture  sans  y  ajouter  de 
commentaires.  Dans  un  synode  tenu  à  Tours  en  1054,  il  se  contenta 
de  la  déclaration  faite  sous  la  foi  du  serment  par  l'accusé  qu'il  ne  niait 
pas  la  présence  du  Christ  dans  la  Cène  et  regardait  les  éléments  consa- 
crés comme  sou  corps  et  son  sang.  Enhardi  par  ce  succès,  l'archidia- 
cre se  présenta  à  Rome  dans  l'espoir  d'obtenir  du  pape  la  confirma- 
tion de  la  sentence  de  Tours.  Mais  il  se  trompait  amèrement.  Un  parti 
fanatique,  à  la  tête  duquel  se  trouvait  le  cardinal  Humbert-de  Langres, 
l'obligea,  au  synode  de  1059,  de  jeter  ses  écrits  au  feu  et  de  signer  une 
confession  de  foi  portant  que  «  le  pain  devenu,  après  la  consécration, 
véritable  corps  du  Christ,  était  saisi  sensualité)'  parla  main  du  prêtre, 
rompu  et  broyé  par  les  dents  des  fidèles.  »  irrité  de  la  faiblesse  dont  il 
s'était  rendu  coupable,  Bérenger  se  rétracta  publiquement  dès  qu'il 
eut  franchi  les  Alpes  et  s'engagea  dans  une  controverse  très-vive,  en 
particulier  avec  Lanfranc,  au  cours  de  laquelle  il  fut  amené  à  donner 
à  son  opinion  une  forme  plus  précise,  comme  aussi  à  la  soutenir  par 
des  arguments  plus  décisifs.  Toutefois  la, doctrine  contraire  ne  tarda  pas 
à  triompher.  Elle  avait  pour  elle  d'être  beaucoup  plus  saisissable,  dès 
que  le  miracle  de  la  transsubstantiation  était  admis,  et  de  répondre  à 
la  fois  au  goût  de  l'époque  pour  les  opérations  magiques  et  à  la  tendance 
de  l'Eglise  d'augmenter  toujours  davantage  le  prestige  du  sacerdoce. 
Hildebrand,  devenu  pape  sous  le  nom  de  Grégoire  VII,  et  que  les  questions 
de  dogme  intéressaient  moins  que  celles  de  discipline  ecclésiastique, 
hésita  à  compromettre  plus  longtemps  sa  réputation  d'orthodoxie  en 
soutenant  l'hérétique  de  Tours.  Celui-ci,  mandé  au  deuxième  synode 
de  Rome  (1079),  se  vit  obligé  d'adhérer  à  la  doctrine  de  la  transsub- 
stantiation pure  et  simple  et  de  promettre  de  cesser  toute  controverse 
ultérieure  sur  ce  sujet.  Le  co^ur  ulcéré,  brisé  par  l'âge  et  par  les  cha- 
grins. Bérenger  se  retira  dans  l'île  de  Saint-Côme,  près  de  Tours.  11  y 
reçut,  dans  les  pratiques  d'un  ascétisme  rigoureux,  jusqu'à  sa  mort 
(1088i.  —  Sources  :  la  plupart  des  ouvrages  de  Bérenger  sont  perdus; 
ce  qui  en  reste  se  trouve,  avec  les  écrits  de  Lanfranc,  dans  les  collec- 
tions des  PP.  d'Achéry  et  Martenne.  en  particulier  Epistola  <ul  Lanfr,, 
prim.  éd.  d'Achéry,  in  opp.  Lanfr.,  p.  22,  chez  Mansi,  XIX,  7(>8,  et 
Acla  concilii  /!>>///.  sub  (irey.  P.  Vil,  ah  ipso  Bereng.  conscripta,  prtm, 
tri.  Martenne,  m  tkesaur,  nov.  anecdote  IV,  99,  chez  Mansi,  XIX,  761. 
Leasing  a  retrouvé  à  Wolfenbûttel  l'importante  défense,  de  Sacra  cœna 
nilr.  Lanfr,  lib.  <  voy.  Berenh,  Turon.  od.  inkûnd,  eines  wichtigen  Werîcs 


204  BÉRENGER  -  BÉRÉNICE 

dess.,  Braunschw.,  1770,  in-4°),qui  a  été  éditée  par  les  frères  Vischer, 
Berl.,  1834.  Sudendorf  a  publié  à  Hambourg  un  recueil  de  Lettres  de 
Bérenger,  sous  le  titre  de  :  Ber.  Tur.  od.  eine  Sammlung  ihn  betreffender 
Bnefe,  Hamb.,  1850.  Voyez  aussi  Ebrard,  Dogma  vont  /œil.  Abendm., 
I,  p.  439  ss.  ;  Néander,  Ki'rchengesch.,  IV,  p.  327  ss.  ;  Gieseler,  Kir- 
chengesch.,  II,  p.  274  ss.  F.  Liohtenbeeger. 

BERENGER  (Laurent-Pierre)  [1749-1822].  Oratorien  au  sortir  de  ses 
études  et  longtemps  professeur  de  rhétorique,  il  quitta  l'Oratoire  pour 
entrer  comme  précepteur  chez  le  duc  de  Valentinois.  Certains  écrits 
indiscrets  lui  attirèrent  des  disgrâces  qui  en  tirent  depuis  un  ardent  pa- 
triote. En  1795,  il  fut  du  nombre  des  gens  de  lettres  secourus  par  la  Con- 
vention. Correspondant  de  l'Institut  dès  sa  création,  professeur  à  l'Ecole 
centrale  puis  au  lycée  de  Lyon,  il  mourut  inspecteur  d'Académie. 
Cette  place,  qui  répondait  bien  peu  à  son  ambition,  récompensait  am- 
plement sa  médiocrité  littéraire.  De  ses  nombreux  écrits  en  prose  et  en 
vers,  aussi  oubliés  aujourd'hui  que  goûtés  de  son  temps,  un  seul  a 
survécu,  la  Morale  en  action,  tant  de  fois  réimprimé  à  l'usage  des 
maisons  d'éducation.  Bérenger  avait  consacré  bien  des  volumes  à  la 
Provence,  son  pays;  il  lui  reste  du  moins  le  mérite  d'avoir  contribué  à 
remettre  en  honneur  ses  troubadours  et  ses  trouvères. 

BERENICE  (Bepv&wj  ou  BepevtxYj,  <ï>epovtxY)),  mentionnée  dans  Àct.  XXV, 
13  ;  XXVI,  30  (cf.  Josèphe,  Antiq.,  XIX,  5,  1  ;  XX,  7,  3  ;  Tacite,  Eist.,11, 
81;  Sueton.,  Titus,  7;  Dio  Cass.  LXVI,  15  et  18),  fille  aînée  d'Hérode- 
Agrippal01,  fiancée  d'abord  à  un  jeune  fils  d'Alexandre, magistrat  d'A- 
lexandrie, nommé  Marc;  mariée  à  la  mort  de  ce  dernier  à  son  oncle 
Hérode,  roi  de  Chalcis,  duquel  elle  eut  deux  fils,  Bérénicianus  et 
Hyrcan  (Jos.,  Ant.,  XX,  5,  %;  Bel.  ML,  II,  11,  6).  Devenue  bientôt 
veuve,  elle  alla  vivre  dans  le  palais  de  son  frère,  Agrippa  II,  et  passa 
pour  avoir  avec  lui  des  relations  incestueuses.  Pour  donner  le  change 
à  la  rumeur  publique,  elle  se  décida  à  épouser  Polémon,  roi  deCilicie. 
Mais  elle  ne  resta  pas  longtemps  auprès  de  ce  prince,  et  revint  auprès 
de  son  frère  reprendre  la  vie  qu'elle  menait  auparavant.  Le  bruit  de  ce 
scandale  était  venu  jusqu'à  Rome  et  Juvénal  s'en  est  fait  l'écho  (Sat.  VI. 
v.  156-100).  C'est  à  ce  moment,  vers  l'année  60  ou 61,  qu'elle  vint,  avec 
Agrippa  II,  complimenter  à  Césarée  le  nouveau  gouverneur  de  la  Palestine 
Portius  Festus,  qui  succédait  à  Félix,  et  que  Paul,  prisonnier  déjà  depuis 
deux  ans,  comparut  et  exposa  sa  doctrine  devant  eux.  Bérénice  semble 
avoir  eu  à  son  service,  avec  le  charme  d'une  beauté  singulièrement 
durable,  un  esprit  souple,  ambitieux,  fécond  en  expédients  habiles,  de 
sorte  qu'elle  fait  songer  à  Cléopâtre.  Elle  séduisit  Vespasien  pendant 
la  guerre  des  Juifs ,  puis  se  fit  aimer  de  Titus  qu'elle  vint  retrouver  à 
Rome  vers  l'an  74.  C'est  le  moment  le  plus  brillant  de  sa  vie;  elle 
vivait  dans  le  palais  de  son  amant  et  put  espérer  même  se  faire  épou- 
ser par  lui.  Mais  îe  bruit  de  ce  mariage  souleva  dans  Rome  de  telles 
clameurs  que  Titus  dut  renvoyer  sa  maîtresse  (dimisit  invitas  invitarn, 
Suét.,  Titus,  7).  A  la  mort  de  Vespasien  (79),  on  la  vit  revenir  d'Orient 
pour  essayer  de  reprendre  son  ancien  crédit  sur  le  cœur  du  nouvel 
empereur.  Titus  était  guéri  de  sa  passion  et  ne  fit  aucune  attention  à 


BÉRÉNICE  —  BERGERAC  205 

elle.  On  ne  sait  rien  de  la  fin  de  sa  vie.  Dans  ses  voyages  de  Palestine  à 

Rome,  elle  s'arrêta  plus  (l'une  lois  sans  doute  à  Athènes,  où  le  souve- 
nir de  ses  Largesses  lui  consacré  par  des  colonnes  et'  (les   inscriptions. 
On  en  a  retrouvé  une  ainsi  conçue  :   'IouX(a  Lhpvniv.r,  WxzC/,:~zy.  Mr^X-r;, 
1:j/.'.:j  \\\-z:--z;  (âajiXéwç  Ox/aTYjp  (Corp.  lnscrip.  grœc,  n.  361). 

BERGERAC  (Eglise  de).  Les  premiers  apôtres  de  la  Réforme  dans 
cette  ville  turent  des  religieux.  Pendant  le  carême  de  1545  le  moine 
franciscain  Guillaume  Marentin  en  sema  les  germes  dans  ses  prédica- 
tions. Trois  prêcheurs  de  Sainte-Foy  le  suivirent  bientôt,  qui  nièrent 
le  purgatoire  et  le  saint-sacrement.  Huit  ans  après,  et  bien  que  les 
sectateurs  de  .Marentin  eussent  été  vigoureusement  punis,  le  culte  ré- 
formé fut  célébré  publiquement  à  Bergerac  (1553).  Il  s'écoula  encore 
huit  années  et  la  nouvelle  religion  pénétra  dans  les  couvents  des  ja- 
cobins,  des  cordeliers  et  des  carmes.  L'église  de  Saint-Martin  fut 
rasée  et  un  temple  s'éleva  sur  ses  ruines  (1561)  ;  pendant  la  première 
guerre  de  religion,  Bergerac,  qui  eut  à  souffrir  beaucoup  du  féroce 
Montluc,  de  Xoailles  et  de  Borie,  qui  commandaient  les  troupes  du 
roi  dans  la  Guyenne,  fut  pris  par  le  chef  protestant  Armand  de  Cler- 
mont,  seigneur  de  Piles  (1563).  Pendant  la  deuxième,  de  Saint-Geniès 
de  Badefol,  lieutenant  pour  le  roi  en  Périgord,  s'en  saisit  à  son  tour 
'juillet  1569),  et  ce  ne  furent  que  prises  et  reprises  jusqu'à  redit  de 
Nantes,  qui  mit  fin  à  ses  perplexités.  L'Eglise  s'affermit,  malgré  le  sac 
de  la  ville  en  1()21  parles  troupes  de  Louis  XIII.  Celle-ci  était  toute 
protestante  à  cette  époque.  Un  collège  s'y  éleva,  qui  devint  florissant, 
et  I»'  7  juillet  1636  fut  posée  la  première  pierre  d'un  nouveau  temple, 
dont  la  dédicace  se  fit  le  10  avril  1(537.  L'ancien  avait  été  détruit  pen- 
dant les  troubles.  Le  pasteur  de  Bergerac  le  plus  distingué  au  dix-sep- 
tième siècle  fut  Azimont,  qui  jouissait  dans  son  Eglise  d'une  grande 
autorité  et  n'était  même  pas  sans  crédit  auprès  de  la  cour,  à  qui  il 
avait  eu  l'occasion  de  rendre  des  services  pendant  la  guerre  de 
Guyenne.  Azimont  a  laissé  un  livre  fort  rare  intitulé:  L '  Anti-Chiron  ou 
défense  de  l'accord  de  la  foi  et  de  la  raison  contre  la  réfutation  et  les 
répliques  de  maître  Jean  Chiron,  prestre  et  bachelier  en  théologie , 
Paris,  1665,  in-12.  Le  temple  de  Bergerac,  par  arrêt  du  parlement  de 
Toulouse,  fut  démoli  le  11  novembre  1682.  Toutes  les  autorités  civiles, 
militaires  et  religieuses  assistèrent  à  une  procession  solennelle  or- 
donnée  à  ce  propos  et  plantèrent  une  croix  sur  les  ruines  d'un  des 
piliers  du  temple.  Un  autre  temple,  construit  au  quartier  et  bourg  delà 
Madeleine  avait  été  déjà  détruit  par  un  arrêt  du  Conseil  d'Etat  du  18  sep- 
tembre Kwi).  La  révocation  de  Ledit  de  Nantes,  survenant  peu  après, 
porta  un  rude  coup  à  l'Eglise,  qui  se  dépeupla  en  partie  par  l'émigra- 
tion et  l'abjuration.  Les  tribulations  de  l'un  de  ses  enfants  sont  restées 
célèbres  (voy.  Mémoir.  d'un  pr.ot.  condamné  aux  gàL,  publiées  à  Rotterd. 
en  1757  et  réimpr.en  1865).  Les  dragons,  de  leur  coté,  la  ravagèrent.  Elle 
l'ut  réorganisée  en  17'i(.)  par  les  pasteurs  JeanPradon,  Claire  et  Pélissier, 
qui  y  tinrent  des  assemblées  nombreuses.  En  17r>!)  le  maréchal  de 
Richelieu,  gouverneur  de  la  province,  impuissant  à  les  faire  cesser,  les 
toléra  dans  des  maisons  particulières.  Mais  tous  les  protestants  ne  con- 


206  BERGERAC  —  BERGIUS 

sentirent  point  à  se  laisser  ainsi  restreindre,  et  nous  voyons  le  maré- 
chal de  Mouchy,  gouverneur,  se  plaindre  en  1774  de  ce  que  les  reli- 
gionnaires  des  environs  de  Bergerac  se  réunissaient  en  masses 
considérables.  Le  pasteur  Allard,  qui  résidait  dans  la  ville,  leur  écrivit 
de  ne  point  se  décourager,  et  ils  persévérèrent  de  la  sorte  jusqu'à  la 
Révolution.  L'Eglise  de  Bergerac,  qui  ressortissait  au  dix-septième 
siècle  à  la  province  ecclésiastique  de  la  Basse-Guyenne  et  au  colloque 
du  Périgord,  devint  un  chef-lieu  de  consistoire  à  la  réorganisation  des 
cultes.  —  Bèze,  Hist.  ecclés.;  Rabaut  le  jeune,  Annuaire  ou  répert. 
eccl;  Bullet.  de  la  Soc.  de  Ihist.  du  prot.  franc.,,  1863,  p.  416;  1875, 
p.  183  ;  Vidal,  La  Réf.  à  Bergerac.  E.  Arnaud. 

BERGIER  (Nicolas-Sylvestre)  [1718-1790],  né  à  Darnay  en  Lorraine, 
mort  à  Paris.  Ce  prêtre,  aussi  modeste  que  distingué,  honora  la  reli- 
gion par  ses  vertus  en  même  temps  qu'il  la  défendit  par  ses  écrits. 
Après  de  longues  années  de  travaux  assez  obscurs,  il  était,  vers  1760, 
principal  du  collège  de  Besançon.  Il  fit  suivre  quelques  dissertations 
savantes,  accueillies  avec  intérêt,  d'une  étude  comparée  des  racines 
des  quatre  langues  classiques  et  d'un  ouvrage  estimé  sur  Hésiode  et  la 
mythologie.  Malgré  les  succès  sérieux  qu'il  obtenait  en  ces  sujets,  il 
les  délaissa  pour  se  consacrer  à  l'apologétique.  Son  grand  ouvrage  sur 
la  matière  s'imposa  à  l'attention.  C'était  la  Certitude  des  preuves  du 
christianisme,  réfutation  de  Y  Examen  critique  des  apologistes  de  la 
religion  chrétienne  (Paris,  1768,  2  vol.  in-12).  Les  éditions  et  traductions 
de  ce  livre  se  succédèrent  rapidement.  Voltaire  essaya  de  le  réfuter 
sinon  avec  plus  de  gravité,  du  moins  avec  plus  de  ménagements  que 
n'en  comportait  sa  méthode  ordinaire  de  polémique.  Anacharsis 
Clootz,  le  futur  conventionnel,  opposa  à  la  Certitude  des  preuves  du 
christianisme  la  Certitude  des  preuves  du  mahométisme.  L'idée  était 
moins  neuve  qu'il  ne  paraît,  car  les  orthodoxes  de  Hollande  avaient 
déjà  usé  du  même  procédé  de  réfutation  par  l'absurde  pour  démon- 
trer, contre  les  sociniens,  que,  la  divinité  de  Jésus-Christ  supprimée, 
les  titres  de  Mahomet  étaient  aussi  valables  que  les  siens.  Bergier  avait 
déjà  écrit,  contre  Jean-Jacques  Rousseau,  le  Déisme  réfuté  par  lui-même 
(1765,  2  vol.  in-12).  Il  publia  plus  tard  Y  Apologie  de  la  religion  chré- 
tienne contre  le  Christianisme  dévoilé  du  baron  d'Holbach  (1769,  2  vol. 
in-12)  et  enfin,  en  1771,  Y  Examen  du  matérialisme  ou  Réfutation  du  sys- 
tème de  la  nature  (2  vol.  in-12).  De  si  éclatants  services  lui  valurent  la 
faveur  de  la  cour  et  du  clergé.  Il  n'accepta  qu'une  pension  de  2,000 
livres  et  un  canonicat.  Il  fallut  lui  imposer  les  fonctions  de  confesseur 
des  tantes  du  roi.  Bergier  refondit  ses  divers  travaux  en  un  ouvrage 
général,  le  Traité  historique  et  dogmatique  de  la  vraie  religion,  etc., 
12  vol.  in-12,  et  composa  encore  un  Dictionnaire  théologique,  qui  fai- 
sait partie  de  Y  Encyclopédie  méthodique,  et  qui  a  été  réédité  à  Lille 
en  1844,  et  à  Paris  en  1868,  6  vol.  P.  Rouffet. 

BERGIUS  (Jean)  [1587-1658],  théologien  réformé  estimé,  était  pro- 
fesseur à  l'université  de  Francfort-sur-l'Oder  et  prédicateur  à  la  cour 
des  électeurs  de  Brandebourg.  Il  représenta  non  sans  distinction  le 
parti  réformé,  favorable  à  l'union  avec  les  luthériens,  dans  les  collo- 


BERGIUS  —  BERLEBOURG  207 

ques  de  Leipzig  (1631)  ei  de  Thorn  (1642),  combattit  te  dogme  de  la 
prédestination  absolue  dans  un  ouvrage  intitulé  :  Zter  Wille  Gottes  von 
aller  Menschen  Seligkeit  (1653),  refusa  d'aller  siéger  à  DordreclU  et 
désapprouva  les  mesures  édictées  contre  les  remontrants.  Dans  sa  polé- 
mique avec  les  Luthériens,  il  fit  preuve  d'un  esprit  modéré  et  conci- 
liant, et  entretint  nne  correspondance  amicale  avec  Calixte. 

BERINGTON  (Joseph), historien  anglais,  né  en  1760, dans  lecomté  de 
Shrop,  d'une  famille  catholique.  Ses  parents  renvoyèrent  de  bonne 
heure  eu  France,  au  collège  de  Saint-Omer,  destiné  à  l'éducation  des 
jeunes  étrangers  qui  se  vouaient  au  sacerdoce.  Après  avoir  exercé  les 
fonctions  sacerdotales  en  France  pendant  vingt  ans,  Berington  revint 
eu  Angleterre  où  il  fut  nommé  en  1814  curé  de  Bucldand,  près  d'Ox- 
ford, il  mourut  en  1820. Bien  qu'appartenant  à  l'Eglise  romaine,  il  eut 
des  opinions  assez  libérales  et  fut  même  parfois  taxé  d'hérésie.  Son 
principal  ouvrage  est  Y  Histoire  littéraire  du  moyen  âge,  dont  les 
deux  premiers  livres  sont  consacrés  aux  huit  premiers  siècles  de  l'ère 
chrétienne. 

BERKELEY  (Georges),  né  en  1684,  à  Kilcrin  (Irlande),  mort  en  1753. 
Pieux,  instruit,  philanthrope  zélé,  d'une  imagination  vive,  fort  estimé  à 
la  cour  et  par  les  esprits  les  plus  distingués  de  l'Angleterre,  il  se  con- 
tenta du  modeste  évêché  de  Cloyne,  en  Irlande.  Emu  des  progrès  du 
matérialisme  et  de  l'incrédulité,  il  crut  devoir  les  combattre  en  expli- 
quant ce  qu'est  la  nature.  Il  maintint  le  point  de  départ  de  Locke,  la 
sensation,  mais  pour  constater  qu'au  moyen  des  sens  nous  ne  connais- 
sons que  nos  perceptions.  Le  monde  corporel  n'est  donc  que  phéno- 
ménal ;  il  n'a  pas  de  substance,  de  permanence  ni  d'activité  propres; 
il  est  relatif,  il  n'a  d'existence  que  dans  les  esprits,  qui  seuls  sont  des 
substances,  des  êtres  réels  et  actifs.  Toutefois  les  modifications  sensi- 
bles que  nous  subissons  ne  viennent  pas  de  nous  ;  elles  ont  une  cause, 
l'esprit  suprême,  source  de  toute  activité.  Les  phénomènes  de  la  nature 
sont  le  langage  par  lequel  Dieu  nous  instruit  et  dirige  notre  volonté. 
Les  sciences  naturelles  nous  montrent  les  effets,  la  théosophie  nous  en- 
seigne les  causes.  Cet  immatérialisme,  où  l'on  retrouve  des  emprunts 
faits  à  Descartes,  Malebranche,  Spinoza,  fut  exposé  notamment  dans  le 
Tin ixé  sur  les  principes  de  la  connaissance  humaine,  1710;    Dialogues 
entre  Hylas   et  Philonoûs,  1713;  Alciphron,  1732;   édition  complète, 
1784;  .1.  (iérard,  De  Idealismi  apud  Berhleium  ratione  et  principio,  1876. 
BERLEBOURG  (Bible  de).  Le  district  westphalien,  qui  formait  le  comté 
deSahr-Witgenstein-Berlebourg,  fut,  dans  la  première  moitié  du  dernier 
siècle,  le  théâtre  d'un  réveil  religieux  intéressant.  Né  sous  l'influence  du 
piétisme,  eu  réaction  légitime  contre  le  règne  d'une  orthodoxie  sèche 
et   formaliste,    il   dégénéra  promptement  en  mysticisme  sectaire.  Le 
principal  produit  de  ce  mouvement  fut  une  nouvelle  traduction  de  la 
Bible,  accompagnée  d'un  commentaire  destiné  à  propager  les  idées 
mystiques  de  ses  auteurs,  demeurés  inconnus  d'ailleurs,  mais  s'intitu- 
laiit  '   pasteurs  persécutés  pont-  cause  d'hétérodoxie.  »  Leur  œuvre, 
patronnée  par  les  comtes  de  Berlebourg  qui  voulaient  en  affecter  le 
produit  à  la  fondation  d'une  maison  d'orphelins,  après  une   interdic- 


208  BERLEBOURG  —  BERLIN 

tion  passagère  du  Corpus  Fvàngelicorum,  parut  de  1720  à  1739  en  sept 
parties,  comprenant,  outre  les  livres  canoniques,  un  certain  nombre 
d'écrits  apocryphes  de  l'Ancien  et  du  Nouveau  Testament,  ainsi  que 
des  extraits  de  Josèphe  et  des  Pères  apostoliques.  Elle  n'eut  pas  de 
seconde  édition,  et  les  exemplaires  en  sont  devenus  fort  rares  aujour- 
d'hui. La  traduction,  de  valeur  inégale,  dénote,  pour  l'Ancien  Testa- 
ment surtout,  une  absence  choquante  cle  connaissances  grammaticales, 
de  goût  littéraire  et  de  sens  poétique.  Quant  au  commentaire,  placé 
sous  le  texte  pour  l'Ancien  Testament,  inséré  dans  le  texte  même  pour 
le  Nouveau,  il  reflète  fidèlement  les  diverses  nuances  du  mysticisme  que 
professaient  ses  auteurs,  depuis  les  vues  élevées  d'un  Origène  jusqu'aux 
conceptions  passablement  grossières  d'une  Leade  ou  d'un  Petersen. 
Comme  tous  les  mystiques,  les  collaborateurs  de  la  Bible  de  Berlebourg 
admettent  pour  le  livre  saint  un  triple  sens,  le  sens  littéral,  reproduit 
le  plus  souvent  avec  un  pédantisme  plein  de  trivialité,  le  sens  moral 
et  le  sens  intime  ou  prophétique,  ce  dernier  relevé  et  expliqué  de  pré- 
férence. La  doctrine  centrale  est  celle  de  la  régénération.  L'homme 
peut  dès  ici-bas  accomplir  parfaitement  la  volonté  de  Dieu  et  s'assimi- 
ler d'une  manière  essentielle  la  justice  du  Christ,  qui  n'est  d'ailleurs 
que  la  reproduction  de  la  nature  primitive  de  l'humanité  avant  la 
chute.  L'idée  du  péché,  et  surtout  celle  de  la  lutte,  est  affaiblie,  et  une 
polémique  assez  vive  dirigée  contre  la  justification  par  la  foi,  telle 
que  l'enseignait  l'orthodoxie  traditionnelle.  Favorables  à  la  doctrine 
du  rétablissement  final  et  passionnés  pour  les  espérances  millénaires, 
les  commentateurs  de  la  Bible  de  Berlebourg,  tout  en  préconisant 
l'inspiration  littérale  de  l'Ecriture  sainte,  mettent  la  Parole  intérieure 
au-dessus  de  la  Parole  écrite,  rejettent  l'autorité  des  confessions  de 
loi,  spiritualisent  l'idée  de  l'Eglise,  du  sacerdoce  et  des  sacrements. 

BERLIN,  capitale  du  royaume  de  Prusse  et  du  nouvel  empire  germa- 
nique, comptait  à  la  fin  de  1876  :  968,634  habitants.  Parmi  les  grandes 
villes  de  l'Europe  elle  est  une  de  celles  dont  l'accroissement  numérique  a 
suivi  la  proportion  la  plus  constante,  la  plus  rapide:  en  1640,  au  sor- 
tir de  la  guerre  cle  Trente-Ans  et  lors  de  l'avènement  du  grand-électeur, 
elle  n'avait  que  20,000  âmes;  en  1713,  à  la  mort  de  Frédéric  1er,  le 
premier  roi  de  Prusse,  leur  nombre  s'élevait  à  50,000;  en  1786,  à  la 
mort  de  Frédéric  II,  à  145,000;  en  1840,  à  la  mort  de  Frédéric-Guil- 
laume III,  à  330,000;  le  3  décembre  1861,  lors  du  dernier  recensement 
officiel,  à  547,570;  en  1873,  à  909,586.  La  population  de  Berlin  a  donc 
triplé  depuis  1840,  c'est:à-dire  dans  une  période  de  trente  années,  et  il  ne 
lui  a  fallu  que  dix  ans  pour  s'accroître  de  ses  dernières  300,000  âmes. 
—  I.  Histoire.  Les  origines  de  Berlin  sont  relativement  toutes  modernes 
et  ne  remontent  pas  au-delà  du  treizième  siècle.  Il  en  est  fait  pour  la 
première  fois  mention  dans  l'histoire,  en  1232,  lorsque  les  margraves 
Jean  Ier  et  Othon  III  de  Brandebourg  acquirent  d'un  prince  slave  les  sei- 
gneuries de  Barnim  et  de  Teltow  et  conférèrent  à  l'ancien  village  les 
droits  d'une  cité.  Berlin  se  composa  jusqu'en  1307  de  deux  cités  sépa- 
rées pour  l'administration  municipale  comme  pour  les  intérêts  mercan- 
tiles :  Berlin  et  Kœlln.   Le  nom  de  la  première  signifie  en  wende  une 


BERLTX  209 

digue,  celui  de  la  seconde  une  colline.  Les  deux  saints,  sous  la  pro- 
tection desquels  elles  s'étaient  placées,  Pierre  et  Nicolas,  étaient  tout 
spécialement  invoqués  l*nn  par  les  pécheurs,  l'autre  parles  bateliers.  La 
ville  n'acquit  une  réelle  importance  que  sous  le  margrave  Albert  II  de 
Brandebourg (1206-1220).  L'électeur  Frédéric  II  éleva  en  1442  àKœlln, 
sur  les  bords  de  la  Sprée,  le  château  qui  est  resté  aujourd'hui  encore 
la  résidence  royale;  à  partir de.Iean-Cicéron  (1486),  Berlin  devint  le  sé- 
jour définitif  des  électeurs  de  Brandebourg,  mais  elle  ne  prit  véritable- 
ment la  physionomie  d'une  capitale  que  sous  Frédéric-Guillaume  (1640). 
Berlin  ne  joua  dans  l'histoire  de  l'Eglise  aucun  rôle  jusqu'aux  approches 
de  la  Réformation.  Tetzel,  dans  ses  pérégrinations  à  travers  l'Allemagne 
pour  la  vente  des  indulgences,  rencontra  dans  le  Brandebourg  un  très- 
t'avorable  accueil  (1517),  grâce  à  l'appui  déclaré  de  l'électeur  JoachimI0r 
et  de  son  frère  Albert,  archevêque  de  Mayence,  grâce  aussi  à  la  jalousie 
invétérée  de  l'université  de  Francfort-sur-1'Oder  contre  sa  rivale  de  Wit- 
temberg  ;  il  y  collecta  en  quelques  semaines  plus  de  100,000  florins. 
Au  commencement  d'octobre  1517,  le  trop  célèbre  dominicain  lit  à 
Berlin  une  entrée  triomphale  au  son  des  cloches,  suivi  d'un  nombreux 
cortège  de  dévots  admirateurs.  La  situation  changea  complètement 
après  la  mort  de  Joachim  Pr  (1535).  Son  fils  Joachim  II  se  montra  fa- 
vorable aux  nouvelles  doctrines,  qui  d'autre  part  avaient  trouvé  un 
prompt  et  facile  accès  dans  la  noblesse  et  la  bourgeoisie.  Un  pasteur  lu- 
thérien aussi  recommahdable pour  son  savoir  que  pour  sa  piété,  Georges 
Buchholtzer.  fut  nommé  en  1539  doyen  de  Berlin.  Le  jour  de  la  Tous- 
saint de  la  même  année  l'évêque  de  Brandebourg,  Matthias  de  Jagow, 
célébra  le  service  divin  en  langue  allemande  devant  l'électeur  et  sa  fa- 
mille, les  représentants  du  clergé,  les  délégués  des  Etats  de  Brandebourg 
et  leur  distribua  la  communion  sous  les  deux  espèces.  La  même  céré- 
monie fut  renouvelée  le  lendemain  2  novembre  à  Kœlln,  dans  l'église 
paroissiale  de  Saint-Nicolas,  en  présence  des  magistrats  et  des  mem- 
bres de  la  bourgeoisie.  Peu  après  Berlin  devint  le  siège  du  consis- 
toire de  Brandebourg;  en  1574,  Joachim  II  établit  dans  l'ancien  cloî- 
tre des  moines  gris  (Graue  Kloster)  le  gymnase  qui  porte  encore 
aujourd'hui  leur  nom.  La  première  imprimerie  date  de  1539.  Sous  le 
règne  de  Jean-Georges  (1571-1598)  se  fixèrent  à  Berlin  plusieurs  artisans 
habiles,  chassés  de  Flandre  par  la  tyrannie  duducd'Albe.  L'intolérance 
dont  à  diverses  époques  se  rendirent  coupables  les  autres  monarques 
européens,  et  contre  laquelle  protestèrent  toujours  énergiquement  les 
électeurs  de  Brandebourg,  contribua  pour  une  large  part  à  la  prospé- 
rité' de  Berlin.  L'édit  de  Potsdam  (29  octobre  1685)  fut,  sous  l'électeur 
Frédéric-Guillaume,  une  digne  réponse  à  la  révocation  de  celui  de 
Nantes  (22  octobre  1685)  et  attira  dans  la  capitale  du  Brandebourg  une 
nombreuse  colonie  de  réfugiés  français  qui  se  fortifia  en  1089,  en  1697 
d'éléments  congénères  venus  de  la  Suisse  et  dùPalatinàt.  En  1609  furent 
supprimés  avec  les  images  tous  les  restes  de  catholicisme  qui  s'étaient 
maintenus  dans  le  culte.  Le  Dôme  fut  à  la  même  époque  élevé  à  la 
dignité  d'église  cathédrale  et  paroissiale.  Pendant  le  cours  du  dix- 
septième  siècle,  Berlin  vit  se  réunir  dans  ses  murs  divers  synodes 
u.  14 


210  BERLIN 

qui,  sous  les  auspices  des  électeurs,  travaillèrent  à  l'union  entre  les 
luthériens  et  les  calvinistes,  mais  dont  les  efforts  furent  régulière- 
ment frappés  d'insuccès.  En  octobre  1614,  Jean-Sigismond  convoqua 
dans  son  palais  les  ecclésiastiques  luthériens  du  Brandebourg  pour 
qu'ils  renonçassent  à  leur  polémique  injurieuse  contre  les  réformés  : 
la  raideur  avec  laquelle  ils  accueillirent  cette  démarche  toute  conci- 
liante hâta  sa  propre  conversion  au  calvinisme  (Noël  1615).  Cet  évé- 
nement, loin  de  servir  de  leçon  aux  fanatiques,  fournit  le  prétexte  de 
nouveaux  troubles.  Les  pasteurs  luthériens  de  la  capitale,  Gedicke, 
Willich,  Stùler,  abusèrent  de  leur  influence  sur  la  population  qui  se 
porta  à  de  regrettables  excès,  ravagea  le  Dôme,  détruisit  la  maison  du 
jpasteur  réformé  Fiïssel,  maltraita  le  bourgmestre  Jahn  et  le  gouver- 
neur, le  margrave  Jean-Georges  de  Ja3gerndorf.  L'ordre  ne  fut  que  dif- 
ficilement rétabli  par  les  soldats  de  l'électeur.  Le  8  septembre  1662, 
sur  le  désir  exprès  de  Frédéric-Guillaume,  eut  lieu  à  Berlin  un  nouveau 
colloque  entre  cinq  ecclésiastiques  de  chaque  parti,  assistés  de  quelques 
jurisconsultes,  sous  la  présidence  d'un  conseiller  laïque,  Otto  de  Sche- 
ven.  Ils  avaient  pour  mission  d'examiner  dans  les  confessions  de  foi 
réformées  de  la  Marche  de  Brandebourg  les  articles  dont  la  profession 
entraînait  divino  judicio,  au  dire  des  luthériens,  la  damnation  éter- 
nelle, dans  les  symboles  luthériens  ceux  dont  la  négation  équivalait 
au  rejet  du  salut.  Les  délégués  luthériens,  encouragés  par  leurs  frères 
de  Wittemberg,  se  refusèrent  à  tonte  concession,  atout  compromis. Au 
dix-neuvième  siècle,  Berlin  fut  également  le  siège  d'importantes  réu- 
nions ecclésiastiques.  En  janvier  1846  y  fut  tenue  la  conférence  offi- 
cieuse convoquée  sur  l'instigation  de  quelques  théologiens  du  juste 
milieu  telsqu'Ullmann,  Snethlage,  et  destinée  dans  leur  esprit  à  couper 
court  aux  abus  soit  de  l'orthodoxie  confessionnelle,  soit  du  rationa- 
lisme vulgaire,  à  favoriser  dans  les  communautés  l'introduction  du 
système  presbytérien,  à  grouper  en  un  seul  faisceau  les  Eglises  des 
différents  Etatsr  germaniques  pour  une  série  d'œuvres  communes.  L'in- 
fluence du  parti  conservateur  était  trop  forte  pour  que  cette  assem- 
blée, malgré  les  excellentes  intentions  de  ses  promoteurs,  pût  opérer 
des  changements  sérieux.  Les  vicissitudes  du  synode  général  qui 
siégea  la  même  année,  de  juin  en  août,  à  Berlin,  sous  la  présidence 
du  ministre  des  cultes  Eichhorn,  offrent  avec  celles  de  cette  réunion 
préparatoire  une  triste  et  frappante  analogie.  En  décembre  1875  se 
réunit  à  Berlin  le  synode  général  constituant,  convoqué  par  le  ministre 
des  cultes  Falk,  pour  doter  les  six  provinces  orientales  de  la  monar- 
chie prussienne  d'un  simulacre  d'institutions  presbytériennes  syno- 
dales. Nous  en  exposerons  ailleurs  le  résultat  (voy.  l'article  Prusse). 
Plusieurs  sociétés  religieuses  dont  les  résolutions,  malgré  leur  carac- 
tère non  officiel,  exercent  sur  les  destinées  de  l'Eglise  une  influence 
considérable,  ont  tenu  à  Berlin  quelqu'une  de  leurs  assemblées  an- 
nuelles :  en  1853,  le Kirchentag ,  créé  à  Wittemberg  le  23  septembre  1847 
par  l'initiative  de  MM.  de  Bethmann-Hollweg,  Stahl,  Wichern;  en  1857, 
l'Alliance  évangélique  ;  en  1869,  l'Union  protestante  libérale. — II.  Cultes. 
1°  En  sa  qualité  de  capitale  de  la  Prusse,  Berlin  est  le  siège  des  princi- 


BERLIN  211 

pales  autorités  ecclésiastiques  :  du  ministère  de9  cultes,  du  conseil  ec- 
clésiastique supérieur  (Oberkirchenrath),  du  consistoire  de  Brandebourg, 
•  'i  se  trouve  réparti  entre  trois  surintendances  :  Berlin,  Kœlln,  Frédé- 
richswerder.  Les  deux  premières  sont  régies  par  les  doyens  de  Saint- 
Pierre  et  de  Saint-Nicolas,  qui  jouissent  de  revenus  quasi-épiscôpauî 
et  exercent  sur  la  direction  des  affaires  ecclésiastiques  une  influence 
considérable.  Au  nombre  de  leurs  prérogatives  figure  celle  de  donner, 
au  même  titre  que  les  professeurs  ordinaires,  des  cours  à  l'université. 
Quelques  quartiers  assortissent,  en  outre,  à  la  surintendance  provin- 
ciale de  Brandebourg.  Les  protestants  formaient  en   1874,  à  Berlin, 
88,36  pour  cent  de  la  population,  soit  732,736  âmes  (hommes  362,088, 
femmes  370,648).  Ils  sont  divisés  en  29  paroisses.  Les  élections  géné- 
rales,  qui  ont  eu  lieu  le  4  janvier  1874,  ont  donné  dans  27  d'entre  elles 
une  forte  majorité  aux  adeptes  du  protestantisme  libéral.   Le  sol  de 
Berlin  s'est  montré  jusqu'ici  peu  favorable  à  l'esprit  sectaire,  et  les 
diverses  communautés    dissidentes   n'y   ont  recruté   qu'un   nombre 
minime  d'adeptes.    D'après    les    statistiques    officielles,   il   y  aurait 
397  vieux-luthériens,  158  mennonites,   92  baptistes,   44  irvingiens, 
4  moraves  (ces  derniers  possèdent  à  Bixdorf,  près  de  Berlin,  une  colonie 
importante  fondée  en    1738  par  Zinzendorf)  ;  les  communautés  libres 
(catholiques  allemands  et  Amis  des  lumières)  comptent  939  membres. 
I  ne  des  branches  les  plus  curieuses  de  l'Eglise   nationale   à  Berlin 
si   formée  par  les  descendants  de  ces  héroïques  réfugiés  français 
qui   trouvèrent  auprès  de  l'électeur  Frédéric-Guillaume  un  si  géné- 
reux et  si  cordial  accueil  :  ils  sont  encore  aujourd'hui  administrés 
par  lui  consistoire  spécial  qui  envoie  un  délégué  au  conseil  ecclésias- 
tique supérieur,  possèdent  une  église  particulière  desservie  par  deux 
pasteurs,   consacrent  leurs  abondantes  ressources  à  l'entretien  d'un 
séminaire  théologique,  d'un  gymnase,  d'écoles,   d'établissements  de 
bienfaisance.  Les  institutions  qu'ils  dirigent  sont  célèbres  pour  leur 
activité  et  leur  bon  ordre.  Il  n'y  a  du  reste  qu'un  seul  service  reli- 
gieux, peu  fréquenté,  en  langue  française,  et  l'on  sait  de  quels  senti- 
ments sont  animes  contre  leur  ancienne  patrie  ces  Prussiens,  a  plus 
royalistes  que  le  roi,  »  qui  portent  des  noms  français.  —  2°  Les  catho- 
liques constituent  à  Berlin  6,26  pour  cent  de  la  population  totale,  soit 
51,762  (hommes  32,002,  femmes  19,760).  Ils  ont  toujours  joui,  pour 
rcice  de  leur  culte,  d'une  entière  liberté,  soit  sous  les  premiers 
llohenzollern,  soit  à  partir  de  Frédéric  II,  qui  profita  de  la  conquête  de 
Silésie  pour  déterminer  dans  une  série  d'édits  (8   mars,  20  sep- 
embre  1742,  22  mars  1756,9  juillet  1757,  15  juin!764)  les  relations  de 
Eglise  catholique  avec  l'Etat  prussien.  Les  catholiques  de  Berlin  rele- 
nt depuis  1741  de  la  juridiction  du  prince  archevêque  de  Breslau  et 
Mit  pour  directeur  spirituel  le  doyen  de  Sainte-Hedwige.  La  cour  de 
Rome,  malgré  ses  tentatives  réitérées  sous  Frédéric-Guillaume  III  et  Fré- 
déric-Guillaume IV,  n'est  jamais  parvenue  à  la  création  d'une  noncia- 
ture à  Hci  lin.  Les  nombreux  établissements  charitables  entretenus  par 
catholiques,  e!  auxquels  des  observateurs  impartiaux.se  plaisent  à 
rendre  un  témoignage  favorable,  sont  administrés  depuis  1851  par  les 


212  BERLIN 

sœurs  de  charité  connues  dans  le  peuple  sous  le  nom  de  soeurs  grises. 
Les  catholiques  possèdent  à  Berlin  4  églises  et  2  chapelles.  Le  29  no- 
vembre 1874  a  été  inauguré  un  culte  vieux-catholique  qui  n'a  pas  cessé 
depuis  cette  époque  de  faire  des  progrès.  —  3°  Les  juifs  jouent  dans 
la  vie  matérielle  et  spirituelle  de  Berlin  un  rôle  beaucoup  plus  consi- 
dérable que  ne  permettrait  de  le  supposer  leur  chiffre  de  :  35,215 
(hommes  19,454,  femmes  16,561),  soit  4,38  pour  cent.  Les  enquêtes 
statistiques  fournissent  les  résultats  les  plus  favorables  sous  le  rapport 
de  leur  bien-être,  de  leur  instruction,  de  leur  moralité  :  sur  100  garçons 
juifs  56,  sur  100  jeunes  tilles  66  suivent  l'enseignement  supérieur, 
tandis  que  parmi  les  adeptes  des  différentes  confessions  chrétiennes  la 
proportion  n'est  que  de  20  et  de  16  pour  cent.  Les  enfants  illégitimes 
n'atteignent,  pour  la  totalité  des  naissances,  qu'un  chiffre  de  2  au  lieu 
de  15  pour  cent.  Le  nombre  des  enfants  morts-nés  ne  s'élève  qu'à  1  au 
lieu  de  4  pour  cent,  une  preuve  irrécusable  de  la  sollicitude  dont  sont 
entourées  les  femmes  juives.  Enfin  celui  des  enfants  morts  en  bas  âge 
n'est  que  de  17  au  lieu  de  25  pour  cent.  Les  juifs  ont,  pendant  le  cours 
des  âges,  traversé  à  Berlin  à  peu  près  les  mêmes  vicissitudes  que  dans 
les  autres  cités  de  l'Allemagne.  En  1520,  une  trentaine  d'entre  eux 
furent  brûlés  vifs  sur  la  place  du  Marché  comme  coupables  d'avoir 
acheté  à  un  chaudronnier  un  enfant  chrétien  et  de  l'avoir  offert  en 
holocauste.  Dans  la  seconde  moitié  du  dix-huitième  siècle,  deux  juifs 
berlinois,  Dohm  et  Moïse  Mendelssohn,  réclamèrent  en  faveur  de  leurs 
compatriotes,  avec  un  talent  égal  à  la  bonté  de  leur  cause,  l'égalité 
politique  et  civile,  et  accomplirent  au  sein  du  judaïsme  une  révolution 
tout  aussi  hardie,  en  brisant  l'autorité  du  Talmud.'Dans  les  premières 
années  du  dix-neuvième  siècle,  les  riches  familles  juives  présidèrent 
au  mouvement  intellectuel  de  la  capitale  de  la  Prusse;  il  suffit  de 
rappeler  les  noms  d'Henriette  Herz,  de  Rachel  Lewin.  Leurs  descen- 
dants sont  demeurés  fidèles  à  ces  nobles  traditions,  et  brillent  aujour- 
d'hui encore  d'un  vif  éclat  dans  le  monde  des  lettres,  des  arts,  de  la 
politique.  Le  libéralisme  religieux  de  Mendelssohn  est  également 
professé  par  la  majorité  des  juifs  actuels  qui  ont  renoncé  vis-à-vis  de 
la  civilisation  moderne  à  tout  particularisme  sectaire,  et  compté 
parmi  leurs  rabbins  le  célèbre  critique  Abraham  Geiger.  Quelques-uns 
se  sont  détachés  de  la  communauté-mère,  qu'ils  trouvaient  trop  atta- 
chée auxanciens  usages,  trop  soumise  à  l'autorité  du  Pentateuque  et 
ont  fondé  une  association  toute  semblable  à  celle  des  Amis  des  Lumières, 
mais  ils  ne  comptent  jusqu'à  présent  qu'un  nombre  restreint  d'adeptes. 
Nous  terminerons  cette  revue  statistique  par  la  mention  des  grecs 
orthodoxes  dont  il  se  trouve  à  Berlin  178.  —Parmi  les  58 églises  protes- 
tantes de  Berlin,  il  n'en  est  aucune  qui  soit  remarquable  par  la  gran- 
deur de  ses  proportions,  la  pureté  de  ses  lignes,  sa  richesse  artistique. 
La  plus  ancienne,  Saint-Nicolas,  date  du  douzième,  deux  autres, 
Sainte-Marie  et  le  Cloître  (Klosterkirche) ,  du  treizième  siècle;  toutes  trois 
sont  construites  dans  la  variété  la  plus  simple,  la  plus  pauvre  du  style 
ogival.  Le  dôme,  élevé  en  1747  sous  le  règne  de  Frédéric  II  par  Bou- 
mann,  modifié  en  1817  et  en  1821  par  Schinkel,  n'a  rien  de  gracieux 


BERLIN  213 

ni  d'imposant  ;  dans  la  crypte  se  trouvent  les  caveaux  de  famille  des 
Hohenzôllern.  Le  projet  de  doter  Berlin  d'une  cathédrale  digne  de  lui, 
longtemps  caressé  par  Frédéric-Guillaume  IV.  a  été  repris  il  y  a  une 
dizaine  d'années  et  poussé  en  1870  jusqu'à  l'ouverture  d'un  concours. 
Le  Temple  neuf  et  L'église  française,  qui  se  font  pendant,  ont  égale- 
ment été  bâtis  au  dix-huitième  siècle  sur  un  modèle  romain  :  Santa- 
Maria-del-Popolo.  La  brique  a  été  remise  en  honneur  pour  les  nom- 
breuses églises  élevées  sous  le  règne  de  Frédéric-Guillaume  IV,  suivant 
l'exemple  donné  par  Schinkel  pour  celle  du  Werder  (1830).  La  plupart 
sont  romanes  (Saint-Marc,  Saint-Jacques,  Saint-Thomas)  ou  byzantines 
(Saint-Matthieu) ;  quelques-unes,  et  des  mieux  réussies,  relèvent  du 
style  gothique  (Saint-Pierre,  Saint-Barthélémy).  Aucune  d'entre  elles 
n'offre  des  dimensions  considérables.  Des  deux  grandes  églises  catho- 
liques, la  première,  Sainte-Hedwige,  construite  en  1747,  est  une  repro- 
duction  du  Panthéon  romain;  la  deuxième,    Saint-Michel  (1860),  un 
beau  spécimen  de  F  architecture  romane.  De  tous  les  édifices  religieux 
de  Berlin,  le  plus  vaste  comme  le  plus  splendide  est  sans  contredit  la 
nouvelle  synagogue  bâtie  dans  le  style  mauresque  par  Knoblauch  (1863)  : 
la  coupole  a  50  mètres  de  haut,  l'intérieur  se  distingue  par  la  richesse 
et  la  variété  des  couleurs  comme  par  l'harmonie  des  jeux  de  lumière  ; 
le  nombre  des  places  s'élève  à  3,000.  Les  juifs  possèdent  encore  deux 
autres  synagogues.  Les  grecs  orthodoxes,  les  anglicans,  les  irvingiens, 
les  mennonites,   les  baptistes,  les  vieux-luthériens,    les  catholiques 
allemands,  les  juifs  réformés,  les  amis  des  lumières  possèdent  chacun 
un  édifice  ou  une  salle  pour  leurs  réunions.  —  L'indifférence  des  Ber- 
linois pour  tout  ce  qui  concerne  la  vie  ecclésiastique  est  proverbiale  : 
il  convient  de  l'attribuer  dans  une  large  mesure  au  divorce  qui  s'est 
établi  depuis  une  cinquantaine  d'années  entre  une  population  toute 
•pénétrée  de  la  culture  moderne  et  une  Eglise  qui  s'est  faite  dans  de 
trop  nombreuses  occasions  la  complaisante  auxiliaire  de  la  réaction 
politique   et   s'est  efforcée   de  galvaniser  les   rites,   les  dogmes,  les 
formules   du   dix-septième   siècle.    Sur  630,600  protestants,  11,900, 
soit   1   4/5  pour  cent,  assistent  en   moyenne   chaque   dimanche   au 
culte;  encore  quelques  statisticiens  rigides  proposent-ils  d'en  défal- 
quer les   2,200  auditeurs  du  Dôme  qui  satisfont  des  besoins   moins 
religieux  qu'artistiques.  Suivant   un   calcul  d'Hengstenberg,  la   pro- 
portion s'élèverait  à  2  pour  cent;  le  Jardin  zoologique  aurait  à  lui 
seul  compté  plus  de  visiteurs  que  toutes  les  églises  de  Berlin  réunies. 
Le  manque  de  ferveur  trouve  également  une  fâcheuse  confirmation 
dans  la  faible  participation  aux  cérémonies  religieuses.  D'après  un  des 
derniers  rapports  du  bureau  royal  de  statistique  (1875),  39  pour  cent 
des  enfants  seraient  non  baptisés  ;  65  pour  cent  des  mariages  se  seraient 
passés  de  la  bénédiction  nuptiale,  85  pour  cent  des  ensevelissements  se 
seraient  accomplis  sans  la  présence  d'un  pasteur.  La  cure  d'àmes  est 
également  entravée  par  le  petit  nombre  des  pasteurs  (un  seul  quelquefois 
pour  25.000  habitants),  l'étendue  de  certaines  paroisses  (trois  d'entre 
elles  comprennent  50  à  60,000  âmes).  — 111.  Institutions  de  bienfaisance. 
La  charité  ne  souffre  point  cependant  de  cette  antipathie  trop  générale 


214  BERLIN 

contre  l'Eglise.  L'esprit  d'association  est  très-répandu  à  Berlin  et 
exerce  sa  bienfaisante  influence  dans  les  domaines  les  plus  variés  : 
distribution  des  aumônes,  travail  pour  les  indigents,  secours  pour  les 
orphelins,  éducation  de  la  jeunesse,  directions  aux  émigrants,  caisses 
d'épargne,  prêts  de  capitaux,  fourniture  des  substances  premières  à 
un  prix  avantageux  et  dans  les  meilleures  qualités,  adoucissement  des 
maux  causés  par  la  guerre,  la  famine,  la  maladie.  La  caisse  royale 
d'épargne  compte  75,000  déposants;  son  capital  s'élève  à  9,600,000  fr. 
La  première  société  coopérative  d'après  les  principes  de  Schultze-De- 
litzsch  fut  fondée  à  Berlin  en  1864  ;  il  en  existe  aujourd'hui  31  pour  les 
prêts  et  crédits,  4  pour  les  matières  premières,  8  pour  la  production, 
18  pour  la  consommation  ;  elles  occupent  à  des  titres  divers  plus  de 
6,000  personnes.  Les  91  caisses  pour  les  compagnons  et  les  ouvriers 
des  fabriques  (Gesellen  urtd  Fabrikarbeiter  K assert)  sont  alimentées  par 
77,800  membres  et  reçoivent  1,180,924  francs  de  contributions  annuelles 
dont  plus  d'un  million  (1,028,538)  est  fourni  par  les  ouvriers,  le  surplus 
(161,386)  par  les  patrons.  L'Association  spéciale  des  ouvriers  contre  la 
maladie  compte  70,000  membres,  administre  71  caisses,  paye  36  méde- 
cins, soulage  chaque  année  69,000  patients.  De  leur  côté  les  patrons  ont 
créé  122  caisses  (Meister  /{assert)  avec  un  capital  de  1,260,795  francs, 
18,959  souscripteurs,  145,260  francs  de  recettes  annuelles.  Mentionnons 
enfin  44  sociétés  de  secours  qui  ne  sont  liées  à  aucune  corporation. 
Parmi  les  associations  qui  poursuivent  un  but  d'utilité  publique  ou  de 
bienfaisance,  les  plus  importantes  sont:  1°  L'Association  populaire  pour 
ies  cuisines  (Volkskùchen-vereiri) ,  créée  pendant  la  guerre  de  1866  sous 
le  patronage  de  la  princesse  de  Prusse.  Dans  la  pensée  primitive  de  ses 
organisateurs,  sa  mission  ne  devait  être  que  temporaire  ;  ils  se  déci- 
dèrent bientôt  à  lui  donner  un  caractère  permanent  à  cause  de  ses 
bons  résultats,  des  vives  sympathies  qu'elle  rencontra  au  sein  de  la  • 
population.  Son  activité  atteignit  son  apogée  pendant  la  guerre  de 
1870-1871.  Il  fut  ouvert  pendant  cette  période  14  cuisines  qui  four- 
nirent à  6,000  personnes  au  prix  coûtant  une  nourriture  saine  et 
substantielle;  l'excédant  des  recettes  (344,366  fr.)  sur  les  dépenses 
(331,855)  donne  la  meilleure  preuve  de  leur  utilité.  2°  L'Association  de 
Leite  (Le  Ite-vereiri),  ainsi  nommée  à  cause  de  son  créateur,  l'économiste 
et  député  Guillaume- Adolphe  Lette,  fondée  en  1865  et  placée  sous  le 
patronage  de  la  princesse  de  Prusse.  Elle  poursuit  d'après  ses  statuts 
les  buts  suivants  :  a)  lutter  contre  les  préjugés  qui  s'opposent  pour  la 
femme  à  toute  carrière  lucrative  en  dehors  de  la  sphère  domestique  et 
supprimer  graduellement  les  iniquités  consacrées  par  la  loi;  b)  préparer 
aux  carrières  commerciales  et  industrielles  ;  c)  procurer  du  travail  aux 
sociétaires  (sont  exclues  de  l'association  les  domestiques  des  villes  et 
des  campagnes  ;  d)  organiser  des  expositions  périodiques  des  travaux 
des  sociétaires;  e)  protéger  les  sociétaires  contre  tout  abus  de  l'ordre 
moi  al,  juridique  ou  économique;  f)  faciliter  leur  entretien  et  leur 
logement.  L'Association  de  Lette  répondait  à  des  besoins  si  sérieux,'  si 
profonds  qu'il  s'en  est  aussitôt  créé  des  filiales  à  Brème,  à  Breslau,  à 
Brunswick,  à  Cassel,  à  Carlsruhe,  à  Darmstadt,  à  Dresde,  à  Hambourg, 


BERL1X  215 

à  Stuttgard,  à  Vienne.  In  congrès  général  do  L'Association  a  été  tenu 
en  novembre  L870à  Berlin.  Un  journal,  VAvoeat  des  femmes^  propage 
les  vues  de  l'Association  et  paraît  depuis  1870  à  Berlin  sons  la  di- 
rection de  mademoiselle  Jenny  Hirsch.  3°  L'Association  des  Asiles 
(Asyl-verein),  fondée  en  1869  pour  combattre  l'effrayante  extension 
du  paupérisme,  subvenir  à  des  besoins  urgents.  Jusqu'alors  les  in- 
dividus (|iii  n'avaient  point  de  domicile  régulier  passaient  la  nuit  à 
la  belle  étoile,  se  réfugiaient  dans  d'ignobles  repaires  ou  se  lais- 
saient volontairement  arrêter  par  la  police.  D'après  le  rapport  officiel 
de  1868,  elle  avait  eu  à  sa  charge  14,029  hommes,  1,664  femmes, 
68  entants  :  sur  le  nombre  13,743  hommes,  1,331  femmes,  64  enfants 
s'étaient  dénoncés  eux-mêmes.  Quelques  philanthropes,  émus  par  la 
terrible  éloquence  de  ces  simples  chiffres,  s'unirent  pour  soulager  les 
victimes  souvent  irresponsables  d'une  si  grande  misère,  prévenir  chez 
elles  la  dégradation  qui  résultait  de  leur  contact  avec  les  criminels,  les 
rendre  à  une  vie  honnête  et  laborieuse.  Devint  membre  de  l'associa- 
tion toute  personne  qui  s'engageait  à  2  francs  de  contribution  annuelle 
ou  en  payait  vingt,  une  fois  pour  toutes.  La  direction  fut  confiée  à  un 
comité  de  25  membres  qui  en  prit  dans  son  sein  plus  spécialement 
sept  pour  exécuter  ses  décisions.  Le  premier  local  choisi  pour  asile, 
un  ancien  atelier  d'artillerie,  fut  exclusivement  consacré  aux  femmes 
et  admirablement  approprié  à  sa  nouvelle  destination.  Les  chambres 
et  les  corridors  en  furent  éclairés  au  gaz,  des  sommiers  en  fer  garnis 
de  couvertures  de  laine  se  succédèrent  en  longues  rangées  dans  les 
dortoirs,  l'eau  amenée  dans  toutes  les  pièces,  des  bains,  une  buan- 
derie permirent  d'exiger  des  hôtes  de  la  maison  la  propreté  la  plus 
rigoureuse.  Les  portes  en  sont  ouvertes  en  hiver  de  6  heures  du  soir  à 
8  heures  du  matin,  en  été  de  7  heures  du  matin  à  7  heures  du  soir. 
Le  matin  il  est  distribué  une  tasse  de  café,  le  soir  une  soupe  substan- 
tielle. La  surveillance  générale  est  exercée  par  un  père  et  une  mère 
(Hausvater.  ffausmutter)  sous  la  direction  supérieure  d'un  membre  du 
comité.  Habituellement,  pendant  les  soirées  d'hiver,  il  est  fait  une 
lecture  commune  tirée  d'un  ouvrage  à  la  fois  populaire  et  scientifique. 
L'excellence  de  l'œuvre  a  été  constatée  par  le  nombre  de  ceux 
auxquels  elle  a  servi.  Pendant  le  premier  mois  de  sa  création,  en  jan- 
vier 1869,  l'asile  avait  été  fréquenté  par  393  femmes,  en  juillet  de  la 
même  année  leur  chiffre  s'était  déjà  élevé  à  1,174  ;  aujourd'hui  il  en 
reçoit  quotidiennement  en  moyenne  320.  Les  femmes  entre  vingt  et 
trente  ans  constituent  plus  de  la  moitié  du  chiffre  total;  les  femmes 
plus  âgées  \  entrent  pour  un  quart,  les  enfants  pour  la  même  propor- 
tion. D'après  les  statuts,  la  même  personne  ne  peut  pas  user  de  l'asile 
plus  de  cinq  t'ois  par  mois.  La  mère  se  charge  de  placer  des  servantes  à 
Berlin  el  au  dehors.  En  1872,  il  a  été  construit  avec  le  concours  de  la 
municipalité  un  asile  pour  les  hommes  qui  repose  sur  les  mêmes 
bases.  Déjà  auparavant  deux  auberges  pour  les  servantes  {Maegdeher- 
bergé)  axaient  été  créées  sous  les  auspices  de  la  Mission  intérieure. 
'i  '  Associations  ouvrières  (Handwerkervereine).  La  plus  importante  est  la 
grand»-  association  ouvrière  de  Berlin  qui  fut  fondée  en  18U  par  le 


216  BERLIN 

libraire  et  député  progressiste  Franz  Duncker  et  reçut  de  lui  une  orga- 
nisation excellente.  Son  but  est  de  développer  chez  l'ouvrier  la  vie 
intellectuelle,  de  lui  fournir  des  jouissances  artistiques  et  sociales  éle- 
vées qui  fortifient  en  lui  le  lien  de  la  famille  au  lieu  de  le  relâcher, 
de  compléter  son  éducation  par  une  série  de  cours  populaires  sur  les 
sujets  les  plus  variés  (sciences  naturelles  et  économiques,  histoire,  litté- 
rature). Les  débats  politiques  et  religieux  sont  exclus  du  programme. 
Les  membres  ont  en  outre  la  jouissance  d'une  riche  bibliothèque  : 
leur  nombre  s'élève  aujourd'hui  à  plus  de  6,000.  Nous  citerons  eniin 
les  sociétés  qui  poursuivent  un  but  philanthropique  et  religieux  :  l'U- 
nion évangélique,  l'Union  protestante  libérale  (fondée  en  1863),  la 
Société  de  Gustave-Adolphe  (1844),  la  Société  des  missions  (fondée  en 
1800 par  le  prédicateur  morave  Janicke),la  Société  des  traités  religieux 
(fondée  en  1814  par  l'Anglais  Pinkerton),  la  Société  pour  la  conver- 
sion des  juifs  (1834),  la  Société  pour  l'amélioration  des  détenus,  la  So- 
ciété centrale  pour  le  soulagement  de  la  classe  ouvrière.  — Le  problème 
du  paupérisme  a  depuis  longtemps  été  pratiquement  étudié  sous  toutes 
ses  faces  et  a  reçu  sur  divers  points  une  solution  satisfaisante.  La  cha- 
rité publique  est  exercée  par  la  direction  des  pauvres  dont  les 
32  membres  sont  choisis  parmi  les  conseillers  et  les  assesseurs  munici- 
paux, les  délégués  de  la  bourgeoisie.  Les  principaux  domaines  de  son 
activité  sont  :  lu  La  lutte  contre  la  mendicité  proprement  dite.  En  1875 
le  nombre  des  assistés  s'élevait  à  8,337.  Sur  ce  chiffre  total,  85  pour  cent 
avaient  dépassé  la  cinquantaine,  68  pour  cent  se  recrutaient  parmi  les 
veufs,  les  divorcés,  les  abandonnés  par  leurs  conjoints.  La  plupart 
d'entre  eux  sont  originaires  d'autres  contrées  de  l'Allemagne,  sur  l'en- 
semble 43,8  pour  cent  seulement  ressortissaient  de  Berlin.  2°  Le  soin 
des  malades  qui  se  répartissent  en  deux  grandes  divisions  :  ceux  qui 
sont  visités  dans  leurs  demeures  (43,318),  et  ceux  qui  se  font  transpor- 
ter dans  les  hôpitaux  (13,698).  3°  Distribution  de  secours  non  pécuniai- 
res rsoupes  à  bon  marché,  pommes  de  terre,  vêtements,  étoffes,  bois  de 
chauffage.  4°  Education.  A  la  commission  des  pauvres  incombe  la  direc- 
tion des  116  orphelinats  de  quartier,  des  grands  établissements  de  Ber- 
lin (Friederichs  Waisenhaus)  et  de  Rummelsbourg  (488  pensionnaires). 
5°  Administration  du  pénitencier  (458  détenus  en  1875,  organisé  d'a- 
près le  système  cellulaire  pour  800  détenus),  de  la  maison  centrale  des 
aliénés.  La  ville  de  Berlin  consacre  à  ces  différentes  sections  une 
somme  annuelle  de  3,830,000  francs  dont  794,000  sont  fournis  par  les 
caisses  de  quartier  et  les  dons  individuels.  Les  capitaux  dont  dispose  la 
commission  des  pauvres  et  qui  proviennent  pour  une  forte  part  de 
legs  particuliers,  de  fondations  pieuses,  constituent  un  total  d'à  peu 
près  6  millions  (5,620,000).  Aux  efforts  de  l'administration  centrale  se 
joignent  ceux  des  délégations  des  quartiers,  de  la  charité  privée.  Cette 
dernière  trouve  son  principal  organe  dans  Y  Association  contre  le  pau- 
périsme et  la  mendicité  qui  exerce  une  action  préventive,  empêche 
par  un  sérieux  examen  de  chaque  cas  particulier  les  aumônes  inconsi- 
dérées ou  nuisibles,  secourt  annuellement  3,800  personnes  par  des 
dons  et  des  prêts,  l'indication  des  différentes  sources  de  travail,  une 


BERLIN  2Î7 

protection  aussi  persévérante  qu'éclairée  soit  en  actes  soit  en  conseils. 
Quoiqu'elle  soit  d'origine  récente,  elle  a  déjà  restreint  dans  des  propor- 
tions considérables  le  vagabondage,  la  mendicité  dans  les  rues  cl  aux 
portes  des  maisons.  L'efficacité  de  la  charité  privée  à  Berlin  est  attestée 
par   le    nombre    relativement   minime  des  personnes   qui   cherchent 
nu   refuge  dans  l'un  ou   l'autre   des  25  workhouses    (605   hommes, 
981  femmes),  par  l'abondance  des  secours  accordés  aux  malades,  aux 
infirmes,  aux  veuves,  aux  orphelins.  A  la  fin  de  1875, 1,705  de  ces  der- 
niers étaient  élevés  chez  des  particuliers  à  Berlin  ou  dans  les  environs 
La  surveillance  de  la  salubrité  publique  est  également  comprise  dans 
le  nombre  des  attributions  communales.  Il  y  est  pourvu  par  1  méde- 
cin de  la  municipalité,  2  médecins  légistes,  10  médecins  de  district, 
1  chirurgien,  2  vétérinaires.  La  commission  sanitaire  emploie  en  outre 
l\0  médecins  de  quartier.  Le  corps  médical  de  Berlin  compte  environ 
1,000  membres  ;  Berlin  possède  21  hôpitaux  dont  2  assortissent  à  l'ad- 
ministration militaire,  39  cliniques  et  maisons  de  santé  particulières, 
7  maisons  d'aliénés  dont  2  sont  régies  par  la  municipalité  et  5  par  des 
particuliers.  Il  existe  39  fondations  dont  les  revenus  sont  affectés  au 
soin  des  malades.  25,852  personnes  ont  été  ensevelies  en  1875  dans 
10  cimetières.  Parmi  les  institutions  philanthropiques  les  plus  impor- 
tantes, il  convient  de  mentionner  :  l'orphelinat  Frédéric,  l'orphelinat 
de  Hummelsbourg,  la  maison  des  veuves,  la  maison  d'éducation  du 
Kreutzberg  pour  les  enfants  abandonnés,  l'institut  des  aveugles,  l'ins- 
titut des  sourds-muets,  l'hospice  Wilhelmine-Amélie  pour  les  femmes 
et  les  tilles  de  la  classe  noble,  l'hospice  Rouge  et  l'hospice  Guillaume 
à   Cliarlotlenbourg   pour  les  employés  et  leurs  familles,  l'hospice  des 
Johannites,  l'asile  Madeleine   (Maydalenenherberge)    pour  les  repenties 
fondé  par  la  Mission  Intérieure,  la  nouvelle  maison  des  aliénés  cons- 
truite d'après  le  système  des  pavillons  dans  la  banlieue  de  Berlin  à  Dall- 
dorf,  les  diverses  fondations  créées  et  entretenues  par  les  communautés 
catholique,  israélite,  française  réformée.  Les  plus  vastes  hôpitaux  sont, 
d'après  l'ordre  de  leur  ancienneté:  a)  l'hôpital  des  Invalides,  fondé  par 
Frédéric  II  en  1748;  il  possède  600  lits  et  ressortit  au  ministère  de  la 
guerre;  b)  la  Charité:  ouvert  en  1785,  également  sous  le  règne  de  Fré- 
déric II,  avec  1,350  lits  et  de  nombreux  bâtiments  adjacents  pour  les 
diverses  cliniques  \c)  Sainte-Elisabeth  ou  Béthanie,  institué  en  1847  par 
Frédéric-Guillaume  IV  et  administré  par  des  diaconesses  présidées  à 
l'origine  par  la  comtesse  de  Bantzau,  depuis  1855  par  la  comtesse  de 
Stolberg-Wernigerode  ;  il  offre  aux  malades  350  lits  et  possède  son  église, 
son  pasteur  particulier  ;  d)  Sainte-Hedwige  (1854),  l'hôpital  catholique 
dont  l<s  lits,  au  nombre  de  250,  peuvent  être  cependant  affectés  à  des 
malades  d'une  autre  confession;  é)  Augusta  (1866),  bâti  au  milieu  d'un 
magnifique  parc  sous  les  auspices  de  l'association  des  dames  (Frctuen- 
verein)\m\\  passe  pour  un  établissement  modèle;  f)  le  grand  hôpital 
municipal  du  Friederichshain,  construit  d'après  le  système  moderne  des 
pavillons  (1870)  :  il  contient  600  lits.  L'hospice  Saint-Nicolas  est  exclu- 
sivement  destiné  aux    vieillards  nécessiteux  de   la   bourgeoisie.    — 
IV.  Instruction.  Sous  le  rapport  de  l'instruction,  il  existerait  à  Berlin, 


218  BERLIN 

d'après  le  recensement  général  de  1871, 13,576  personnes  au-dessus  de 
10  ans,  soit  2,05  pour  cent,  qui  ne  sauraient  ni  lire  ni  écrire  (4,108  hom- 
mes et  9,468  femmes,  soit  1,23  et  2,89  pour  cent).  Ces  chiffres  sont 
exceptionnellement  favorables,  surtout  si  Ton  tient  compte  de  la  forte 
proportion  de  résidents  qui  n'ont  point  été  élevés' à  Berlin.  Dans  quel- 
ques années,  d'après  la  comparaison  des  âges,  les  résultats  seraient  plus 
satisfaisants  encore.  Sur  1,000  personnes,  il  s'en  trouverait  en  effet  48 
entre  10  et  15  ans,  158  entre  30  et  40,  446  entre  50  et  60,  qui  n'auraient 
reçu  aucune  instruction  primaire.  Les  catholiques  fourniraient  un  con- 
tingent de  2,65,  les  juifs  de  1,74  pour  cent.  Si  nous  parcourons  les  divers 
degrés  de  l'enseignement,  nous  rencontrons  au  bas  de  l'échelle  35  salles 
pour  la  garde  des  petits  enfants  et  35  jardins  organisés  d'après  le 
système  Frœbel,  les  uns  et  les  autres  entretenus  par  la  bienfaisance 
privée.  L'instruction  primaire  proprement  dite  est  donnée  dans 
82 écoles  parfaitement  installées,  divisées  en  1 ,067  classes  fréquentées  par 
48,000  enfants  ;  12,000  autres  d'entre  eux  sont  élevés  soit  aux  frais  de 
la  commune  dans  5  établissements  alimentés  par  des  legs  particuliers, 
soit  dans  15  écoles  entretenues  aux  frais  des  paroisses,  soit  enfin  dans 
5  écoles  juives,  2  écoles  catholiques  qui  ne  sont  soumises  à  aucune 
inspection  de  la  part  de  l'Etat.  Dans  le  domaine  de  l'instruction  secon- 
daire Berlin  compte  :  a)  pour  les  garçons,  12  gymnases  dont  4  royaux 
et  8  municipaux,  6  écoles  réaies  de  premier  ordre  et  2  de  second 
ordre,  11  écoles  industrielles,  1  école  de  commerce,  1  école  supérieure 
municipale  (Bùrgerschule),  6  écoles  supérieures  paroissiales,  45  écoles 
préparatoires,  1  séminaire  pour  les  instituteurs,  4  écoles  complémen- 
taires pour  les  adultes  qui  ont  été  contraints  cle  quitter  prématurément 
l'école;  b)  pour  les  filles,  4  écoles  supérieures  dont  2  paroissiales  et 
2  municipales,  38  écoles  paroissiales  moyennes,  1  école  normale 
pour  les  institutrices,  1  gymnase  {Victoria- Lyceum)  récemment  créé 
sous  les  auspices  de  la  princesse  de  Prusse  et  dans  lequel  enseignent 
quelques-uns  des  professeurs  les  plus  estimés  de  Berlin.  Il  existe,  en 
outre,  38  écoles  moyennes  communes  aux  élèves  des  deux  sexes.  Les 
catholiques  possèdent  en  propre  1  progymnase,  4  gymnases,  1  école 
réale,  1  école  supérieure-  pour  les  jeunes  filles.  Les  établissements  que 
nous  venons  d'énumérer  ainsi  que  toutes  les  institutions  privées  sont 
soumis  à  la  surveillance  de  la  députation  scolaire  de  Brandebourg; 
le  choix  des  maîtres  appartient  à  la  commission  royale  désignée  par  le 
ministère  de  l'instruction  publique.  La  direction  de  l'enseignement 
secondaire  incombe  au  magistrat  (comité  exécutif  de  la  municipalité), 
celle  de  l'enseignement  primaire  à  une  députation  scolaire  de  53  mem- 
bres répartie  en  12  sections  et  composée  de  conseillers  municipaux,  de 
représentants  de  la  bourgeoisie,  du  doyen  catholique,  des  surintendants 
évangéliques.  La  municipalité  de  Berlin  inscritannuellement  à  son  budget 
pour  l'instruction  primaire  et  secondaire  une  somme  de  4,677,300  francs 
dans  laquelle  ne  sont  comptés  ni  les  frais  d'entretien  ni  ceux  d'érection 
pour  les  bâtiments  anciens  ou  nouveaux.  Dans  la  sphère  de  l'enseigne- 
ment supérieur  la  première  place  est  occupée  par  l'université,  créée 
en  1810  (voy.  l'article  Universités  allemandes),  et  qui  a  compté,  pendant  le 


BERLIN  211) 

semestre  d'hiver  de  1876,  120  professeurs, 70 ptnvatdocenten^  1,724 étu- 
diants el  1,754  auditeurs  bénévoles.  Parmi  les  autres  établissements  pu- 
blics  d'instruction  supérieure,  nous  mentionnerons  :T  Académie  militaire, 
l'Ecole  des  ingénieurs,  l'Ecole  vétérinaire,  le  Séminaire  statistique,  le  Se* 
minaire  pédagogique  pour  les  Ecoles  supérieures;  et  parmi  les  institutions 
privées  du  même  ordre:  l'Ecole  pour  les  missions, le  Séminaire  théolo- 
gique  fondé  parla  colonie  française, le  Séminaire  pour  les  rabbins  ins- 
titue par  les  juifs  orthodoxes,  l'Ecole  israélite  des  hautes  études 
destinée  aux  juifs  affranchis  de  l'autorité  du  Talmud,  créée  en  1872, 
L'Ecole  de  philologie  moderne  établie  en  1872  par  les  soins  de  la  So- 
ciété pour  l'étude  des  langues  vivantes.  —  Parmi  les  bibliothèques  de 
Berlin,  la  plus  importante  est  la  Bibliothèque  royale,  créée  en  1(359  par 
le  grand-électeur,  qui  a  pris  un  développement  toujours  plus  considé- 
rable grâce  à  la  sollicitude  éclairée  des  différents  monarques  et  à  l'obli- 
gation inscrite  dans  la  loi  d'envoyer  à  la  direction  un  exemplaire  de 
chaque  volume  publié  en  Prusse.  Parmi  les  grandes  bibliothèques  de 
l'Europe,  Berlin  occupe  aujourd'hui  le  quatrième  rang:  le  nombre  des 
volumes  s'élève  à  700,000,  celui  des  manuscrits  à  15,000.  La  direction 
supérieure,  après  avoir  été  longtemps  confiée  à  l'historien  Pertz,  a  été 
remise  en  1873  à  l'égyptologue  Lepsius.  L'université  possède  en  outre 
une  bibliothèque  spéciale,  exclusivement  réservée  à  l'usage  des  profes- 
seurs et  des  étudiants,  qui  compte  environ  100,000  volumes,  10,000  dis- 
sertations et  programmes.  Ses  collections  philologiques  se  sont  sensi- 
blement accrues  depuis  le  legs  de  la  bibliothèque  Bceckh.  Enfin  nous 
regretterions  d'omettre  dans  cette  rapide  esquisse  les  bibliothèques 
populaires  qui  se  proposent  de  fournir  à  toutes  les  personnes  désireu- 
ses d'instruction  une  nourriture  riche,  saine,  variée,  facilement  ac- 
cessible. Leur  entretien  et  leur  multiplication  seraient  impossibles  si 
elles  se  trouvaient  réduites  aux  contributions  plus  que  modestes  exi- 
gées de  chaque  membre  ;  il  y  est  pourvu  par  des  dons  et  des  legs  parti- 
culiers. L'As  ociation  scientifique  donne  chaque  année,  devant  un  public 
nombreux  et  choisi,  une  série  de  séances  payantes  auxquelles  les  écri- 
vains les  plus  illustres,  les  professeurs  les  plus  célèbres  n'ont  jamais 
refusé  leur  participation.  Le  succès  en  a  été  si  grand  que  dans  l'espace 
de  dix-sept  ans(18ii-1871)  elle  n'a  pas  créé  moins  de  75  bibliothèques 
de  quartier  i  60,000  volumes).  Berlin  est  aujourd'hui  la  ville  d'Allemagne 
où  il  se  publie  le  plus  de  journaux  et  de  revues  périodiques.  En  1876, 
le  nombre  s'en  élevait  à  353.  Leipzig  n'en  possède  que  300,  Vienne 
205.  Sur  cet  ensemble  la  littérature  théologique  et  édifiante  est  repré- 
sentée par  21  organes.  Les  plus  connus  sont  :  la  Gazette  évangêdque, 
fondée  en  l<S27parllengstenberg,  la  Gazette  protestante,  journal  des  pro- 
testants libéraux,  fondée  en  1853  par  Krause;  le  journal  des  ultramon- 
tain-,  la  Germania,  dont  la  naissance  coïncide  avec  celle  du  nouvel 
empire,  s'occupe  tout  à  la  fois  de  politique  et  de  ivii-ion  et  suit  la 
même  direction  que  V Univers.  Sur  le  marché  de  la  librairie  allemande, 
Berlin  occupe  le  second  rang  :  en  1710  il  v  fut  édité  33  ouvrages;  en 
1818,  i35;  en  1859,  1,299;  en  1873,  1,946.  Les  branches  les  plus  for- 
tement représentées  -ont  L'art  militaire,  la  politique,  la  jurisprudence. 


220  BERLIN  —  BERNARD  DE  CLAIRVATJX 

Parmi  les  collections  artistiques  une  des  plus  intéressantes  est  le  mu- 
sée d'archéologie  chrétienne  créé  par  le  professeur  Piper  et  installé  dans 
les  salles  de  l'Université.  Il  a  pour  but  de  donner  un  aperçu  historique  et 
systématique  de  l'art  chrétien  depuis  la  période  des  catacombes  jusqu'à 
nos  jours,  soit  par  des  originaux  bien  choisis,  soit  par  la  reproduction  des 
monuments  les  plus  célèbres.  La  partie  la  plus  riche  est  celle  rela- 
tive au  moyen  âge.  Au  musée  est  jointe  une  bibliothèque  patristique 
d'après  les  meilleures  éditions  modernes.  —  Berlin  occupe  un  rang  dis- 
tingué dans  le  monde  artistique  par  l'excellence  de  ses  concerts  classi- 
ques, les  sympathies  qu'ils  rencontrent  dans  la  population.  Les  sociétés 
qui  se  sont  le  plus  spécialement  vouées  à  la  culture  de  la  musique  clas- 
sique et  religieuse  sont  l'académie  de  chant  (Singakademie,  fondée 
en  1791),  le  chœur  de  la  cathédrale  (Domcltor),  les  sociétés  de  Stern  et 
de  Bach.  La  première,  à  laquelle  son  directeur  Jelter  (1800-1832)  inculqua 
avec  le  goût  pour  la  vieille  musique  la  méthode  la  plus  sévère,  les  tra- 
ditions les  plus  rigoureuses,  exécuta  en  1828,  à  l'instigation  de  Félix 
Mendelssohn,  la  Passion  selon  saint  Matthieu  ensevelie  depuis  près 
d'un  siècle  dans  l'oubli  et  la  poussière.  —  Sources  :  Brockhaus,  Cou- 
ver sations-Lexicon,  III,  12e  édition,  1875;  Meyer,  Conversations-Lexicon, 
III,  1874;  Huile,  Statistique  ecclésiastique  de  Berlin,  1876;  Kapp, 
Guide  de  Berlin,  4  e  édition,  1873;  Journal  pour  V  Economie  politique  et 
la  Statistique  de  Berlin,  publié  par  le  bureau  royal  de  statistique  depuis 
1867  ;  Streckfuss,  Berlin  depuis  trois  cents  ans,  1863-1865,  et  Berlin  au 
XIXe  siècle,  1869:  Woltmann,  L 'architecture  à  Berlin,  1872;  Schasler, 
Les  trésors  artistiques  de  Berlin,  109  édition,  1874.       K.Steœhlin. 

BERNARD  DE  CLAIRVAUX  (Saint)  naquit  en  1091  à  Fontaine,  près 
de  Dijon.  Son  père  suivait  la  carrière  des  armes;  ce  fut  sa  mère, 
Aleth,  qui  exerça  une  influence  décisive  sur  sa  vocation  religieuse  et 
qui  le  consacra  au  Seigneur  dès  sa  naissance.  Après  une  enfance 
absorbée  par  l'étude  et  par  les  pratiques  d'une  piété  fervente,  Bernard 
résolut  de  se  vouer  à  la  vie  contemplative  et  gagna  à  ses  idées  tous  les 
membres  de  sa  famille,  sauf  un  frère  et  une  sœur  qui  le  suivirent  plus 
tard  dans  sa  retraite.  Il  ne  choisit  pas  l'ordre  riche  et  fameux  de 
Cluny,  mais  le  rude  et  austère  Giteaux  (près  de  Chalon-sur-Saône), 
dont  la  discipline  rigide  n'avait  encore  attiré  que  peu  de  néophytes.  Il 
se  soumit  aux  fonctions  les  plus  humbles  et  imposa  à  son  corps  délicat 
des  privations  qui  devaient  détruire  sa  santé.  Sa  réputation  de  sainteté 
déjà  grande  amena  à  Giteaux  assez  de  novices  pour  nécessiter  la  fon- 
dation d'un  nouveau  monastère,  dont  il  fut  appelé  à  être  l'abbé.  Ber- 
nard lit  choix  d'une  vallée  sauvage  du  pays  de  Langres,  Clara  vallis, 
assuré  de  la  protection  du  célèbre  Guillaume  de  Ghampeaux,  évêque 
de  Châlons-sur-Marne.  Il  réussit,  après  des  fatigues  inouïes,  non- 
seulement  à  fonder  un  monastère  florissant,  mais  à  civiliser  les  contrées 
voisines,  à  nourrir  les  paysans  pendant  une  famine,  à  lutter  contre 
le  découragement  de  son  frère  Gérard  qui  se  lamentait  de  voir  les 
greniers  vides,  à  obtenir  enfin  par  l'exemple  et  la  prière  des  bénédic- 
tions inattendues.  Tant  de  fatigues,  jointes  à  un  ascétisme  outré,  con- 
traignirent l'évêque  de  Ghàlons  à  intervenir  et   à  lui  interdire   tout 


BERNARD  DE  CLAIRVAIW  221 

travail  pendant  une  année.  I>e  délai  écoulé,  Bernard  se  remit  à  l'œuvre 
avec  un  zèle  qui,  comme  dit  Néander,  réunissait  l'esprit  de  Marthe 
à  celui  de  Marie.  C'était  le  modèle  <ln  moine  et  du  directeur  de  con- 
science, et  il  avait  la  puissance  de  transformer  les  caractères  les  pins 
endurcis.  In  grand  nombre  de  ses  sermons  traitent  des  devoirs  et  des 
dangers  de  la  vie  monastique.  Il  met  ses  moines  en  garde  contre  la 
tentation  de  raconter  avec  complaisance  leur  vie  passée,  contre  le  vide 
de  Pâme  que  la  prière  seule  peut  remplir,  contre  l'orgueil  sans  charité 
qui  se  plaît  à  censurer  ses  frères.  Il  y  avoue  avoir  poussé  trop  loin 
L'ascétisme,  qui  empêche  de  remplir  ses  devoirs.  Sa  correspondance 
est  immense  :  ces  cent  soixante  couvents  qu'il  laissa  à  sa  mort  dis- 
persés dans  tonte  l'Europe  jusqu'en  Suède,  il  les  dirige  de  loin,  les 
reprend,  les  encourage;  il  écrit  dix  lignes  à  un  roi  et  il  consacre  dix 
pages  à  un  simple  moine.  Consulté  par  tous  les  hommes  éminents  de 
son  temps,  il  dut  souvent  sortir  de  sa  retraite.  Il  serait  impossible  de 
le  suivre  dans  le  détail  de  ses  occupations  multiples.  Nous  le  voyons 
combattre  les  guerres  privées,  chercher  avec  le  comte  Thibaut  de 
Champagne  à  abolir  les  prétendus  jugements  de  Dieu,  s'élever  contre 
les  piètres  et  les  chanoines  indignes.  Il  écrit  plusieurs  lettres  au  célèbre 
Suger,  abbé  de  Saint-Denis,  pour  rengager  à  réformer  les  abus  qui  se 
sont  glissés  dans  son  monastère,  dont  les  riches  abbés  dérobent  aux 
pauvres  l'or  qu'ils  consacrent  à  leur  luxe.  Il  va  jusqu'à  forcer  par 
la  menace  de  l'interdit  Louis  VI  de  rendre  ses  biens  à  l'archevêque  de 
Sens,  et  répond  au  pape  qu'il  l'engage  à  rester  moine,  que  la  cour 
papale  s'est  souvent  mêlée  des  affaires  mondaines,  mais  au  grand  péril 
des  âmes.  En  1129,  au  concile  de  Chàlons,il  provoque  la  démission  de 
l'indigne  Henri,  évêque  de  Verdun,  et  s'attire  la  colère  des  cardinaux 
dont  il  combat  l'orgueil.  A  la  mort  d'Honorius  II,  un  nouveau  schisme 
désola  l'Eglise  et  deux  papes  rivaux,  Anaclet  II  et  Innocent  II,  se  dis- 
putèrent la  tiare  (1130).  Innocent  II,  menacé  par  le  parti  puissant  de 
son  rival,  se  réfugia  en  France.  Au  concile  d'Etampes,  malgré  l'illé- 
galité de  son  choix,  Bernard  se  prononça  pour  lui  comme  le  plus  digne 
et  lui  assura  par  des  démarches  nombreuses  l'appui  d'Henri  II  d'An- 
gleterre et  du  duc  de  Saxe  Lothaire,  rival  de  Conrad  pour  la  couronne 
impériale  (Liège,  1131),  qu'il  détourna  de  réveiller  la  question  des 
investitures.  Il  accompagna  le  pape  au  concile  de  Reims  de  1131,  qui 
condamna  Anaclet  et  travailla  dans  son  esprit  à  la  réforme  du  costume 
et  des  mœurs  du  clergé  et  des  barons  féodaux,  et  lui  fit  les  honneurs 
de  son  monastère  de  Citeaux,  dont  l'austère  pauvreté  frappa  d'éton- 
nement  les  riches  prélats  romains.  Deux  fois  appelé  un  peu  plus  tard 
en  Italie  par  le  pape,  auquel  le  parti  de  son  rival  faisait  courir  les 
plus  grands  dangers,  et  après  avoir,  dans  l'intervalle  de  ces  deux 
séjours,  fait  un  voyage  en  Allemagne  pour  y  ramener  la  paix  et 
réformer  L'Eglise,  Bernard  assista  en  1134  au  concile  de  Pise  et  lutta 
avec  succès  contre  le  clergé  de  Milan  et  son  archevêque  Anselme,  fier 
de  l'héritage  d'Ambroise,  défenseur  de  l'indépendance;  des  évêques 
vis-à-vis  de  la  cour  de  Home,  dont  il  refusait  le  pallium,  auquel  était 
attaché   le  vasselage.  Il  le  lit  déposer  et  se  déroba  par  la  fuite  aux 


222  BERNARD  DE   CLAIRVAUX 

instances  d'un  peuple  enthousiaste,  électrisé  par  son  éloquence  et  ses 
miracles  et  qui  le  voulait  pour  son  pasteur.  Tel  était  alors  le  prestige 
de  sa  parole  qu'elle  peuplait  les  monastères;  les  femmes  cachaient 
leurs  maris  et  les  mères  leurs  fils  pour  les  soustraire  au  prestige  irré- 
sistible du  grand  abbé.  A  peine  rentré  en  France  en  1135,  il  reprit  le 
cours  de  ses  voyages,  se  rendit  à  la  cour  du  duc  Guillaume  d'Aquitaine 
pour  le  détacher  de  la  cause  d'Anaclet  et  ne  craignit  pas  de  le  menacer 
en  face  de  l'excommunication  s'il  ne  rendait  pas  leurs  charges  aux 
prêtres  partisans  d'Innocent.  11  réussit  également  à  décider  l'empereur 
Lothaire  à  ramener  le  pape  à  Rome.  Rappelé  une  troisième  fois  par 
Innocent,  il  ne  parvint  pas  à  détacher  du  parti  d'Anaclet  le  roi  normand 
Roger  de  Sicile,  mais  amena  repentant  aux  pieds  du  pape  le  principal 
défenseur  de  son  rival,  le  cardinal  Pierre  de  Pise,  qu'il  convainquit 
dans  une  discussion  publique,  que  l'on  croit  avoir  été  réglée  d'avance. 
Le  schisme  prit  fin  en  1138  par  la  mort  d'Anaclet,  car  l'élection  de 
Victor  III  n'eut  ni  conséquence  ni  durée.  De  nouvelles  divisions  ne 
tardèrent  pas  à  attirer  encore  l'attention  de  Bernard  vers  les  affaires 
de  l'Eglise  de  France.  En  1142  deux  rivaux  se  disputaient  l'archevêché 
de  Bourges.  Louis  VII  se  prononça  contre  le  candidat  du  pape  qui  se 
réfugia  auprès  de  Thibaut  de  Champagne.  Il  en  résulta  une  guerre 
dans  laquelle  le  comte  des  moines  fut  vaincu  ;  une  des  conditions  du 
pardon  royal  et  de  la  paix  fut  la  levée  par  le  pape  de  l'excommunica- 
tion lancée  contre  un  certain  comte  Radulph,  qui  avait  répudié  sa 
femme  pour  épouser  une  parente  du  roi.  Rernard  obtint  du  pape  une 
concession,  d'ailleurs  fictive,  puisque  l'excommunication  fut  de  nou- 
veau prononcée  contre  le  comte  qui  avait  refusé  de  reprendre  sa 
première  femme.  En  1140,  Bernard,  qui  nJavait  point  pris  part  à  la 
première  condamnation  prononcée  contre  Abélard  au  concile  de 
Soissons  (1121)  et  qui  n'avait  eu  avec  lui  qu'une  polémique  passagère 
à  propos  d'un  reproche  qu'il  avait  adressé  à  Héloïse  pour  avoir  sub- 
stitué, sur  son  conseil,  dans  l'oraison  dominicale  le  mot  substan- 
tialem  au  mot  quotidianum  (Hist.  Ut.,  XII,  113),  se  rendit,  sur  les 
instances  du  pape,  au  concile  de  Sens.  Les  pères  du  concile,  que 
Bérenger  accuse  d'incapacité,  condamnèrent  Abélard  sans  l'entendre, 
sur  la  dénonciation  implacable  de  son  illustre  rival.  En  1146  l'abbé  de 
Clairvaux,  qui  depuis  longtemps  brûlait  du  désir  d'arracher  le  saint- 
sépulcre  aux  infidèles,  prêcha  à  Vézelay  la  croisade  avec  une  telle 
puissance  qu'une  armée  nombreuse  se  mit  bientôt  en  marche  pour 
l'Orient.  En  1147  il  se  rendit  en  Allemagne,  où  le  même  enthou- 
siasme accueillit  ses  prédications,  dont  les  gestes  et  la  conviction 
entraînaient  les  foules,  qui  ne  comprenaient  pas  son  langage.  Un 
certain  Radulph  avait  fanatisé  les  paysans  des  bords  du  Rhin  et  les 
entraînait  déjà  au  massacre  des  Juifs.  Bernard  réussit  à  réduire  ce 
fanatique  au  silence  et  à  sauver  des  innocents,  mais  il  eut  de  la  peine 
à  entraîner  à  la  croisade  l'empereur  Conrad.  Pendant  ce  voyage  il  eut 
une  entrevue  avec  la  célèbre  voyante  Hildegarde,  qui  prophétisait  des 
temps  meilleurs  et  s'élevait  contre  la  corruption  de  l'Eglise.  Il  l'appelle 
sa  fille  en  Christ  et  reconnaît  le  caractère  inspiré  de  ses  visions,  qui 


BERNARD    DE    CLAÏRVAUX  223 

retracent  la  lutte  de  l'Eglise  idéale  avec  les  obstacles  que  lui  opposent 
les  péchés  du  monde  et  de  ses  propres  enfants  (Bœhringer,  Die  K.  £'.,  II, 
l,  547  ss.)i  Les  dernières  années  de  Bernard  furent  attristées  par  les. 
reproches  que  lui  attira  l'insuccès  de  sa  croisade  et  par  les  angoisses 
intérieures  qui  en  turent  le  fruit,  par  les  menées  de  quelques-uns- 
de  ses  propres  moines  et  par  la  mort  de  tous  ses  amis,  de  Suger,  de 
Thibaut,  du  pape  Eugène,  son  disciple  favori,  qui  le  précéda  dans  la 
tombe  le  S  juillet  1153.  Comme  Luther,  Bernard  termina  sa  carrière  si 
remplie  par  une  œuvre  de  conciliation  et  travailla  à  rétablir  la  paix 
•  ntre  les  barons  et  le  clergé  de  Metz,  comme  il  l'avait  t'ait  en  1138 
entre  l'archevêque  Reinaud  et  les  habitants  de  Reims.  Le  grand 
athlète  de  la  foi  mourut  en  pleine  possession  de  son  intelligence,  au 
milieu  des  plus  cruelles  souffrances,  le  20  août  1153,  dans  sa  soixante- 
troisième  année,  après  quarante  ans  de  vie  monastique,  dont  trente- 
huit  comme  abbé.  11  fut  canonisé  dès  l'année  1173  par  Alexandre  III.  — 
Nous  n'avons  pas  à  exposer  la  conception  théologique  de  Bernard  dans 
son  ensemble,  car  il  n'était  ni  un  docteur  ni  un  philosophe,  et  la  vie 
pratique  et  contemplative  absorbait  tous  ses  instants.  Ascète  et  moine 
dans  l'àme,  il  se  plonge  avant  tout  dans  la  méditation.  Il  suivit  tout 
un  jour  les  bords  du  lac  de  Genève  et  demanda,  le  soir,  où  il  se  trou- 
vait :  il  ne  l'avait  pas  môme  aperçu  !  Nous  pouvons  le  considérer 
comme  un  des  représentants  les  plus  distingués  du  mysticisme  mitigé 
contre  le  rationalisme  de  l'école  d'Abélard  et  de  l'orthodoxie  dessé- 
chante de  la  scolastique.  Pour  lui,  la  foi  sous  sa  forme  actuelle  est 
une  préparation  à  la  contemplation  éternelle  de  la  vérité,  comme 
l'ancienne  alliance  a  été  l'ombre  de  la  nouvelle.  La  révélation  naturelle 
lance  des  rayons  de  vérité  dans  toutes  les  âmes  ;  dès  que  le  désir  de 
Dieu  s'empare  de  l'une  d'elles,  Dieu  vient  au-devant  de  sa  créature. 
Dans  ses  traités  :  De  contemtu  mundi  et  De  diligendo  Deo ,  Bernard 
sait  éviter  l'écueil  du  panthéisme  en  établissant  une  distinction  néces- 
saire entre  Dieu  et  l'homme ,  le  présent  et  l'éternité.  Il  admet  trois 
degrés  pour  s'élever  jusqu'à  Dieu  :  la  vie  pratique,  contemplative, 
extatique.  On  lui  a  reproché  de  méconnaître  les  droits  de  la  science; 
il  ne  l'admet  pas  pour  elle-même,  il  ne  lui  accorde  aucune  indépen- 
dance vis-à-vis  de  la  vie  religieuse  et  de  la  révélation,  qu'il  rattache 
étroitement  au  dogme  ecclésiastique.  Il  affirme  en  l'homme  une  triple 
liberté  :  de  la  nécessité,  qui  a  survécu  au  péché;  du  péché,  obtenu  par 
la  grâce  ;  du  malheur,  dans  la  vie  éternelle.  Il  attache  une  grande  im- 
portance au  dogme  de  la  rédemption.  Enfant  de  son  siècle,  il  professe 
un  culte  fervent  pour  la  Vierge  et  les  saints,  sans  lesquels  on  ne 
saurait  aborder  le  trône  du  Christ  tout-puissant;  mais  il  repousse  avec 
énergie  le  dogme  naissant  de  l'Immaculée  Conception,  qui  compromet 
la  situation  unique  du  Verbe,  et  regrette  la  fête  instituée  à  Lyon  en  son 
honneur.  11  place  le  bonheur  éternel  dans  la  contemplation  parfaite 
de  Dieu  et  dans  la  connaissance  de  la  vérité  des  choses  ;  les  élus  attein- 
dront alors  le  (le^n'-  suprême  de  l'amour  pur  et  désintéressé  pour  Dieu 
presque  inaccessible  ici-bas.  Bernard  eut  à  soutenir  dans  le  cours  de 
sa  longue  carrière  de  nombreuses  controverses  théologiques,  dans  les- 


224  BERNARD  DE  CLAIRVAUX 

quelles  il  brilla  plus  par  le  prestige  de  son  influence  et  de  son  nom  que 
par  la  puissance  de  sa  dialectique.  Tout  en  restant  avec  Pierre  le  Véné- 
rable de  Cluny,  plus  large  et  plus  tolérant  que  lui,  dans  les  termes 
d'une  affection  et  d'une  estime  réciproques,  il  se  vit  obligé,  par  les 
attaques  de  l'un  de  ses  moines,  Pontius,  de  défendre  son  ordre,  et 
reprocha  aux  moines  de  Cluny  leur  faste,  leur  luxe,  leur  orgueil  (dé- 
fauts dans  lesquels  ceux  de  Giteaux  ne  devaient  pas  tarder  à  tomber 
eux-mêmes),  et  leur  opposa  l'ascétisme  du  vrai  moine  et  une  concep- 
tion ,  nous  dirions  presque  protestante,  d'un  culte  simple  et  sans 
pompe  extérieure.  A  l'occasion  du  concile  de  Sens  de  1140,  Bernard 
reproche  à  Abélard  de  tomber  dans  le  sabellianisme,  en  ne  voyant  que 
des  noms  dans,  les  trois  personnes,  d'enseigner  que  la  raison  est  sou- 
veraine, que  le  diable  n'a  pas  reçu  la  rançon  de  l'homme;  de  ne  voir 
en  Jésus  que  le  docteur  et  non  le  rédempteur;  de  déposer  le  doute 
dans  l'âme  ;  enfin  de  professer  le  pélagianisme.  Nous  avons  vu  qu*A- 
bélard  ne  se  défendit  pas.  Bernard  déploya  la  même  ardeur  contre  son 
illustre  disciple,  Arnaud  de  Brescia,  dont  l'austérité  était  une  protes- 
tation contre  le  relâchement  des  mœurs  du  clergé,  et  dont  la  tentative 
d'établir  à  Rome  la  théocratie  ébranlait  les  bases  mêmes  de  la  papauté. 
Tout  en  rendant  justice  à  sa  vie,  il  lança  contre  lui  l'empereur  Conrad 
et  fut  l'instrument  indirect  de  son  supplice.  En  1148,  au  concile  de 
Reims,  il  accusa  Gilbert  de  la  Porrée,  évêque  de  Poitiers  (qui  distin- 
guait entre  la  Divinité  et  Dieu,  et  enseignait  que  les  trois  personnes, 
une  quant  à  l'essence,  ne  le  sont  pas  quant  à  la  substance),  de  tomber 
dans  le  trithéisme  ou  même  dans  la  quaternité.  Eugène  approuva  la 
confession  de  foi  de  Bernard  ;  mais  les  cardinaux ,  jaloux  de  son  in- 
fluence, obtinrent  que  la  première  proposition  de  Gilbert  serait  seule 
condamnée  et  que  l'écrit  de  son  rival  ne  ferait  pas  autorité.  Gilbert  put 
rentrer  en  paix  dans  son  diocèse.  Néander  croit  que  ce  fut  à  ce  même 
concile  que  Bernard  fit  condamner  à  la  prison  perpétuelle  Henri  de 
Lausanne,  dont  la  prédication  morale,  la  vie  exemplaire,  les  attaques 
contre  le  clergé,  le  baptême  des  enfants,  la  transsubstantiation,  les 
images,  la  dîme,  avaient  réveillé  dans  les  esprits  les  idées  gnostiques 
venues  de  l'Orient  et  les  enseignements  de  Taukkelm  et  de  Pierre  de 
Bruys.  Hahn  (Gesch.  d.  Ketzer  im  Mittel.,  Stuttg.,  1845-47)  a  prouvé 
que  cette  condamnation  fut  prononcée  l'année  précédente  à  Toulouse, 
à  la  suite  d'une  tournée  de  prédications  que  fit  Bernard  dans  le  Midi  à 
la  demande  du  pape  et  de  la  lettre  dénonciatrice  qu'il  adressa  à  Hilde- 
fonte,  comte  de  Béziers.  Du  reste,  Bernard  avait  défendu  dans  ses  dis- 
cours 65  et  66  sur  le  Cantique  la  doctrine  de  l'Eglise  contre  des  hé- 
rétiques des  bords  du  Rhin.  Cette  énergie  avec  laquelle  il  cherchait 
à  défendre  l'Eglise  contre  les  ennemis  du  dehors,  Bernard  sut  aussi 
la  déployer  à  l'égard  des  abus  et  des  fautes  de  l'Eglise  elle-même.  Son 
traité  De  Consideratione,  adressé  au  pape  Eugène  et  que  l'on  peut  re- 
garder comme  son  testament  spirituel ,  renferme  ses  censures,  ses  pro- 
jets de  réforme  et  ses  vœux.  Il  relève  sans  merci  les  abus  scandaleux 
des  procès,  de  l'esprit  de  domination  qui  a  fait  perdre  au  pape  l'em- 
pire des  âmes,  des  exemptions,  des  appels,  de  l'absolutisme  qui  a  sup- 


BERNARD  DE   MENTHON  2â5 

primé  le  pouvoir  épiscopal  et  la  liberté  des  conciles.  11  demande  avait 
tout  la  séparation  des  pouvoirs  temporel  e1  spirituel,  le  renouvellement 
de  la  vie  religieuse  au  sein  de  la  curie  et  la  suppression  des  abus  à 
tous  les  degrés.  Aussi  voyons-nous  les  réformateurs  le  considère] 
comme  un  de  leurs  précurseurs  el  lui  accorder  les  plus  grands  éloges 
Calvin,  fast.  chr.,  liv.  IV,  c.  11,  §  10).  —  Comme  écrivain,  Bernard  a 
composé  des  traités  ascétiques  d'édification  et  de  polémique:  De  cou- 
temtu  Dei;  De  Consideratione ;  De  diligendo  Deo;  Adversus  Abœlardum , 
'fSd  lcttns  de  lui  nous  ont  été  conservées  et  sont  un  monument  de 
son  zèle,  de  sa  piété,  de  sa  tendresse  d'âme,  de  sa  connaissance  pro- 
fonde du  cœur  humain.  Nous  possédons  de  lui  340  sermons,  dont  13 
sur  la  Vierge  et  les  saints,  des  panégyriques,  dont  le  plus  connu  est 
celui  sur  Malachias,  évêque  d'Irlande,  mort  à  Citeaux  pendant  un  de 
ses  voyages.  Ses  sermons  les  plus  célèbres,  au  nombre  de  86,  sont  ceux 
que  Bernard  a  consacrés  à  l'explication  du  Cantique.  Le  style  est  bar- 
bare; mais  Bernard  a  une  profonde  connaissance  de  l'Ecriture,  qu'il 
se  plait  a  citer.  Il  a  recours  le  plus  souvent  à  l'homélie;  beaucoup  de 
ses  discours  sont  de  vrais  traités  de  morale;  l'allégorie  est  sa  méthode 
favorite.  On  ne  saurait  refuser  l'éloquence  à  un  homme  qui  exerçait 
une  telle  influence  sur  ses  moines,  développait  en  eux  les  dons  ora- 
toires, électrisait,  même  en  Allemagne,  les  foules  et  entraînait  tout  ui» 
monde  à  la  conquête  du  tombeau  de  Jésus-Christ.  Se  fondant  sur 
l'austérité  de  sa  règle,  les  critiques  ont  nié  l'authenticité  de  plusieurs 
poésies  qui  lui  furent  attribuées  par  ses  contemporains  :  des  Salve  ou 
salutations  à  diverses  parties  du  corps  de  Jésus-Christ;  la  prose  de  la 
Nativité;  le  Jubilas  rhythmicus  de. Nomme  Dei.  Nous  avons  cependant 
le  témoignage  formel  de  son  adversaire  Bérenger,  et  nous  aimons  à  lui 
attribuer  plusieurs  poésies  demeurées  célèbres .  entre  autres  le  Salve 
caput  cruentatum,  traduit  par  Paul  Gerhard  en  1659,  etqui  ligure  dans 
nos  recueils  évangéliques  sous  le  titre  de  Chef  couvert  de  blessures,  et 
le  Jesu  dulcis  memoria,  traduit  par  Moller  en  1 584  :  0  Jesu  sûss,  wei 
Dein  gedenkt.  En  un  mot,  Bernard  est  un  véritable  Père  de  l'Eglise,  un 

grands  docteurs  de  la  foi  dans  ce  douzième  siècle  si  fécond,  qui 
vit  renaître  en  Europe  la  vie  intellectuelle  et  religieuse.  — Œuvres  :  la 
première  édition  imprimée  est  de  1475,  Mayenee,  chez  Pierre  Schœfler  ; 
la  meilleure  est  celle  de  Mabillon,  Paris,  1667-90,  6  vol.  in-folio.  La 
première  traduction  est  celle  des  Degrés  de  V humilité,  par  Pierre  Vives. 
1510.  Ses  plus  anciens  biographes  sont  :  Guillaume,  abbé  de  Saint- 
Thierry,  près  Reims;  Arnaud,  abbé  de  Bonneval,  et  Geoffroy;  parmi 

aodérnes,  Néander,  Der  h.  B.  u.  s.  Zeit,  3e  'édit.,  Gotha,  1854-58: 
Niedner,  Zeit.  f.  hist.  Th.,  1862;  Ellendorf;  Der  heil.  //..  1837;  Bœh- 
ringer,  Die  A.  Ç.  in  /A,  I.  i36-719;  Hatisbonne.   Hist.  de  suint  Ber- 

'.  Paris,  1843,  2  vol.;J.  Morison,  The  Life  und  times  of  S.  IL,  Lon- 

don,  1864  :  Bût.  litt.  de  /«>■.,  IX,  XI,  XII, XIII,  129 ss.  a.  Paumieb. 

BERNARD  DE  MENTHON  (Saint)  [923-1008],  originaire  d'une  famille 

noble  de  Menthon,  près  d'Annecy,  se  distingua  par  su  piété  précoce, 

mdance  vers  l'ascétisme  et  son  inépuisable  charité.  Il  lit  ses  études 
a  Aoste,  où,  après  avoir  résisté  à  sa  famille  el  aux  perspectives  sédui- 

II.  K 


220  BERNARD  DE  MENTHON 

sautes  que  lui  ouvrait  la  vie  mondaine,  il  se  lit  consacrer  prêtre  et 
reçut  les  fonctions  d'archidiacre  qu'il  exerça  avec  le  plus  grand  dé- 
vouement jusqu'à  sa  mort,  opérant  de  nombreuses  conversions  eu 
Piémont,  dans  le  Valais,  à  Genève,  en  Savoie  et  en  Lombardie.  Sa 
pensée  dominante  était  d'arracher  le  col,  qui  depuis  a  porté  son  nom. 
à  la  double  possession  du  démon  et  des  Sarrasins  idolâtres,  et  d'y 
élever  un  asile  pour  les  pèlerins.  Sur  le  col  du  Petit-Saint-Bernard  se 
dressait  une  colonne,  débris  d'un  temple  de  Jupiter  {columna  Jovis), 
appelée  aussi  VŒU  de  Jupiter,  à  cause  de  l'escarboucle  qui  avait  été 
enchâssée  dans  l'orbite  de  l'œil  de  la  statue,  et  grâce  à  laquelle,  sui- 
vant la  tradition  païenne,  elle  pouvait  apercevoir  de  loin  ceux  qui 
avaient  besoin- de  secours.  Bernard  lit  abattre  cette  statue  que  la  légende 
chrétienne  disait  possédée  du  démon  et  à  laquelle  elle  attribuait 
toute  sorte  de  maléfices.  En  même  temps  il  s'employa  activement  à  la 
conversion  des  Sarrasins,  établis  sur  ces  hauteurs  inhospitalières  où 
ils  pouvaient  exercer  impunément  leurs  brigandages.  Grâce  aux  dons 
nombreux  qui  affluèrent  à  la  suite  des  éloquentes  prédications  de  Ber- 
nard, et  aux  riches  legs  que  firent  les  membres  les  plus  proches  de  sa 
famille,  il  put  ériger  (vers  996),  sur  ce  col  élevé  de  7,000  pieds  au- 
dessus  du  niveau  de  la  mer  et  enseveli  pendant  neuf  mois  de  l'année 
sous  la  neige,  un  monastère  et  un  hospice  qui  rendirent,  dans  la  suite, 
les  services  les  plus  signalés  aux  voyageurs.  Le  concile  de  Latran 
(1215)  rattacha  les  moines  du  couvent  de  Saint-Bernard  à  la  règle  de 
Saint- Augustin.  —  La  source  principale  est  la  Legenda  vitx  S.  Bernh. 
de  Menthone  de  Richard,  archidiacre  d'Aoste  et  proche  parent  de  Ber- 
nard. Elle  a  été  publiée  d'abord  par  les  bollandistes,  d'après  un  ma- 
nuscrit trouvé  dans  l'église  de  Saint-Jean-de-Maurienne  par  Chiffief 
(AA.  SS.,  15  juin,  p.  1074);  puis,  en  latin,  par  Adam  Schirmbeck,  à 
Munich  (1652)  ;  enlin,  en  français,  par  Viot,  sous  le  titre  de  Miroir  de 
toute  sainteté  en  la  vie  de  saint  Bernard  de  Menthon.  Il  existe  deux 
autres  récits  de  la  vie  de  ce  personnage,  également  publiés  par  les 
bollandistes,  l'un,  qui  paraît  être  un  abrégé  du  précédent,  ex  mann- 
stripto  cœnobii  Bodecensis,  p.  1082;  l'autre,  qui  n'est  qu'un  tissu  de 
fables  et  de  légendes  et  qui  peut  être  considéré  comme  la  source  de 
tous  les  miracles  prêtés  à  Bernard,  tiré  ex  manuscripto  Carthusiœ  Colon.. 
p.  1080.  Voyez  aussi  un  article  de  Ph.  Bridel  dans  le  Conservateur 
suisse,  V,  p.  231  ss.  ;  une  Vie  de  saint  Bernard  en  allemand  de  L.  Bur- 
gener  (1856),  et  l'article  du  docteur  Gelpke  dans  la  Real-Encykl.  de 
Herzog,  XIX,  p.  178  ss. 

BERNARD  DE  HILDESHEIM  (Saint)  [Bernward,  Bernouard],  évêque 
de  993  à  1022,  canonisé  en  1193,  neveu  du  comte  palatin  Adalbéron, 
élevé  à  l'excellente  école  de  Hildesheim,  instruit  dans  les  lettres,  dans 
les  arts  et  dans  les  lois,  devint  le  précepteur  et  le  chapelain  de  l'em- 
pereur Otton  III  et  exerça  une  grande  influence  sur  sa  cour.  Dans  son 
diocèse,  il  favorisa  les  études,  enrichit  la  bibliothèque  épiscopale 
d'écrits  classiques,  philosophiques  et  théologiques,  en  partie  rapportés 
d'Italie,  écrivit  lui-même  sur  les  mathématiques  et  l'alchimie  et  dirigea 
a  construction  de  divers   édifices  ecclésiastiques,   en  particulier  de 


BERNARD  (Samuel)  227 

l'abbaye  des  bénédictins  érigée  en  l'honneur  dé  saint  Michel.  Bernard 
défendit  les  droits  de  sou  évêché  contre  llàrchevêque  de  Mayencè,  lit 
plusieurs  voyages  à  Home  où  il  était  très-estimé  et  fortifia  Hildesheim 

et  ses  environs  contre  les  attaques  des  Normands.  Sa  biographie,  écrite 
de  son  vivant  par  le  prêtre  Tangmar,  son  précepteur  et  le  compagnon 
le  ses  voyages,  se  trouve  dans  Surius,  an  1018,  20  novembre. 

BERNARD  DE  TIRON  (Saint)  [1046-1116],  évangélisa  la  Normandie 
eu  compagnie  de  Robert  d'Arbrisselles,  et  fonda,  en  1109,  une  congré- 
gation nouvelle  de  Tordre  de  Saint-Benoit,  qui  porte  son  nom. 

BERNARD  (Claude),  appelé  communément  le  Pauvre  Prêtre  ou 
le  Père  Bernard  (1588-1641),  originaire  d'une  famille  noble  de  Dijon, 
étudia  le  droit  et  la  théologie,  fut  détourné  par  une  vision  de  la  vie 
mondaine  qu'il  menait  sous  l'habit  ecclésiastique,  résigna  le  bénéfice 
qu'il  avait,  et  vint  se  consacrer,  à  Paris,  au  service  des  malades  et  des 
pauvres,  pour  lesquels  il  se  dépouilla  de  tous  ses  biens.  Il  prêchait 
plusieurs  fois  par  semaine,  et  ses  sermons  entraînants  produisaient  des 
miracles  de  charité,  bien  qu'il  parlât  sans  préparation.  Il  a  été  enterré 
à  l'hôpital  de  la  Charité.  Sa  vie  a  été  écrite  par  plusieurs  auteurs,  entre 
autres  par  Th.  Le  Gaufïre,  par  le  P.  Giry,  minime,  et  par  le  P.  Lem- 
pereur,  jésuite. 

BERNARD  (Samuel).  —  I.  Les  registres  du  temple  de  Charenton, 
anéantis  par  les  incendies  de  1871,  contenaient  des  renseignements 
précieux  sur  la  famille  de  ce  peintre  et  graveur  célèbre.  Baptisé  le 
8  novembre  161o,  il  était  le  quatrième  des  douze  enfants  de  Noël  Ber- 
nard, qualifié  de  maitre  peintre,  et  de  Marguerite  Sevin.  D'après 
Mariette,  «  il  avait  étudié  sous  Vouët  et  ensuite  sous  Duguernier,  et  il 
a  merveilleusement  bien  peint  la  miniature.  »  Il  fut  un  des  membres 
fondateurs  de  l'Académie  de  peinture  en  1648  ;  nommé  professeur  le 
6  juillet  1655.  11  exposa  en  1673.  On  lui  doit,  dit  Robert-Dumesnil,  «  de 
charmantes  copies  en  petit  des  plus  célèbres  compositions  de  Raphaël, 
et  qui  sont  d'un  fini  précieux,  sans  sécheresse.  Le  faire  de  la  Vision 
d'Attila,  par  lui  gravée,  peut  aisément  mettre  sur  la  voie  de  l'exécution 
de  ces  petits  chefs-d'œuvre,  qui  sont  anonymes.  »  Il  a  gravé  lui-même 
les  portraits  de  Duguernier,  du  musicien  Hautman,  du  comte  de  Bé- 
thune,  etc.  On  a  pu  voir,  en  1864,  à  l'exposition  régionale  d'Evreux, 
un  cadre  de  24  portraits  de  Samuel  Bernard  appartenant  au  duc  de 
Clermont-Tonnerre,  qui  descend  de  lui  par  une  de  ses  arrière-petites- 
lilles,  née  Bernard  de  Boulainvilliers.  Exclu  de  l'Académie,  comme 
protestant,  en  1681,  il  lut  réintégré  dans  son  fauteuil  après  avoir  ab- 
juré le  20  octobre  1685.  Il  mourut  à  Paris,  rue  de  l'Université,  le 
2't  juin  1687,  âgé  de  72  ans.  Il  avait  épousé,  en  octobre  1645,  Made- 
leine  Lequeux,  fille  d'un  tailleur,  qui  lui  donna  douze  enfants.  — 
II.  Samuel  Bernard,  le  célèbre  financier,  était  le  quatrième  des 
rulants  du  peintre  qui  vient  d'être  mentionné.  Il  fut  baptisé  à  Cha- 
renton, le  -l  décembre  1651.  En  juin  1676,  il  fut  reçu  maitre  dans  la 
co  poration  des  marchands  de  draps  d'or  et  de  joaillerie;  et,  en 
dé  embre  1685,  il  ligure  parmi  les  soixante-trois  notables  négociants 
iris  de  la  R.  P.  H.  que  le  secrétaire  d'Etat  Seignelay  mande  chez 


228  BERNARD  (Samuel) 

lui  pour  leur  faire  signer  une  abjuration  en  règle.  Nonobstant,  et  par 
suite  d'une  erreur  singulière,  on  envoie  des  dragons,  commandés  par 
d'Artagnan,  dans  sa  belle  campagne  de  Chenevières-sur-Marne,  les- 
quels, croyant  avoir  affaire  à  un  non-converti,  font  là,  consciencieu- 
sement, en  quelques  jours,  pour  dix  mille  livres  de  dégâts.  Le  Journal 
de  Dangeau  nous  apprend  qu'en  juin  1697  Samuel  Bernard  aida  à 
l'élection  du  roi  de  Pologne,  en  envoyant  à  Dantzick  200,000  écus, 
selon  le  désir  de  Louis  XIV,  «  qu'il  servit  très-bien  en  cette  occasion.  » 
Il  fit  dès  lors  preuve  d'un  génie  linancier  et  d'une  étendue  de  crédit, 
propres  à  seconder  puissamment  les  desseins  du  monarque.  Aussi 
reçoit-il,  au  mois  d'août  1699,  des  lettres  d'anoblissement,  pour  lui  et 
ses  descendants,  portant  cette  clause  remarquable  :  «  Sans  que  pour 
«  ce  il  soit  tenu  de  cesser  son  commerce,  ce  que  nous  luy  avons 
«  expressément  défendu,  pour  l'utilité  que  nous  et  nos  sujets  pouvons 
«  continuer  d'en  retirer.  »  Il  avait,  est-il  dit  encore,  «  fait  venir  à  grands 
«  frais  des  grains  de  l'étranger,  en  temps  de  disette,  et  avait  montré 
«  autant  de  zèle  que  de  désintéressement  dans  des  affaires  secrètes 
«  dont  il  avait  été  chargé.  »  En  juin  1702,  il  fut  fait  chevalier  de 
l'ordre  de  Saint-Michel.  Son  concours  devenait  de  plus  en  plus  néces- 
saire à  Chamillart  et  à  Desmarets,  à  mesure  que  le  roi  avait  à  se  dé- 
fendre contre  plus  d'ennemis.  On  sait,  par  le  récit  piquant  de  Saint- 
Simon,  comment  Desmarets  aux  abois,  en  1708,  attira  Bernard  à  Mari  y, 
afin  que  le  grand  roi  daignât  lui-môme  le  promener,  le  iïatter,  et  ainsi 
«  lui  couper  plaisamment  la  bourse  ».  On  peut  croire  qu'en  semblant 
tout  concéder,  l'habile  linancier  ne  laissa  pas  d'y  trouver  son  compte. 
C'est  lui  qui  avait  commencé  la  fortune  des  frères  Paris;  il  se  ligua 
avec  eux  et  avec  Crozat  contre  le  système  de  Law.  En  décembre  1725, 
Louis  XV  le  fit  comte  de  Coubert,  érigeant  en  seigneurie  une  terre  de 
ce  nom,  située  près  de  Brie-Comte-Robert.  On  avait  toujours  besoin  de 
lui.  L'histoire  de  l'Administration  de  la  Guerre  constate  que,  pendant 
tout  le  ministère  du  cardinal  Fleury,  «  le  véritable  ministre  du  matériel 
de  la  guerre  fut  ce  simple  négociant,  banquier  de  la  cour,  qui  se 
montra  habile  au  possible,  courageux,  infatigable.  »  En  novembre  1730, 
il  fut  l'ait  conseiller  d'Etat,  à  titre  de  récompense  exceptionnelle.  Il 
mourut  le  18  janvier  1739,  en  sa  maison  de  la  place  des  Victoires,  et 
fut  inhumé  àSaint-Eustache.  La  fortune  qu'il  laissait  était  de  33  millions, 
qui  furent  «  le  fumier  de  bien  des  terres  »,  par  le  moyen  des  alliances 
que  la  noblesse  avait  contractées  avec  ses  enfants.  C'étaient  des  partis 
de  800,000  livres  :  on  se  mésalliait  souvent  à  moins.  Bernard  avait 
été  marié  deux  fois.  De  sa  première  femme,  Madeleine  Clergeau,  lille 
d'une  célèbre  faiseuse  de  mouches,  il  avait  eu  huit  enfants,  dont  : 
1°  Madeleine,  née  en  1684,  qui  épousa,  en  1701,  Hardouin  Mansart, 
comte  de  Sagonne  ;  2°  Samuel- Jacques,  né  en  1686,  surintendant  de  la 
maison  de  la  reine,  qui  épousa,  en  1715,  une  Frottier  de  la  Coste-Mes- 
selière  ;  3°  Gabriel,  né  en  1687,  qui  devint  le  président  de  Rieux  et 
épousa,  en  1717,  une  Saint-Chamans,  puis,  en  1719,  une  Boulainvil- 
liers.  De  sa  seconde  femme,  Pauline  de  Saint-Chamans  (1720),  sœur 
de  sa  belle-fille,  Bernard  eut  encore  une  lille,  née  en  1721,  qui  épousa, 


BERNARD  (Jacques)  229 

en  17;W,  le  président  Mole,  avec  une  dot  de  douze  cent  mille  livres. 
Le  sang  de  Samuel  Bernard  entra  ainsi  dans  les  veines  :  1°  des  Mole, 
des  Cossé-Brissac  et  des  Lamoignon;  2°  des  Montvallat  d'Entragues, 
des  Berryer  et  des  Leclerc  de  J.uigné  ;  11°  des  Lévis  de  Mirepoix,  des 
Beauvoir  du  Roure,  des  Hallencourt,  des  Crussol  d'Uzès,  des  Faudoas 
el  des  Clermont-Tonnerre.  Un  dernier  Samuel  Bernard,  comte  de 
Goubert  (arrière-pétit-fils  du  financier),  qui  avait  épousé  une  TUrgot, 
s'est  éteint  sans  postérité,  le  24  janvier  1861,  à  l'âge  de  93  ans.  Il  avait 
fait  passer  son  titre,  en  1846,  sur  la  tête  de  L.-F.  de  Forestier,  fils  de 
sa  sœur  et  du  vicomte  de  Forestier,  commissaire  général  des  guerres 
pour  les  troupes  suisses.  Ch.  Rkad. 

BERNARD  (Jacques),  publiciste  protestant.  Fils  de  Salomon  Bernard 
et  de  Madeleine  Galatin,  de  Genève,  il  naquit,  le  1er  septembre  1658,  à 
Nyons,  en  Dauphiné,  où  son  père  était  ministre.  Ayant  étudié  à  Genève, 
en  vue  de  la  carrière  pastorale,  il  fut  attaché  en  1679  à  l'Eglise  de 
Venterol,  puis  à  celle  de  Yinsobres.  Lorsque  l'exercice  y  fut  interdit 
et  le  temple  condamné  à  être  démoli,  en  1683,  il  ne  put  se  résigner  à 
la  persécution  et,  à  la  tête  de  son  troupeau,  résista  ouvertement  à  la 
force  armée.  Puis  il  gagna  la  frontière  suisse  et  apprit  qu'on  l'avait 
pendu  en  effigie,  en  même  temps  que  tous  ses  biens  et  ceux  de  sa 
famille  avaient  été  confisqués  au  profit  d'un  parent  converti.  D'abord 
à  Lausanne,  où  son  père  le  rejoignit,  il  vécut  de  leçons  de  philosophie 
et  de  mathématiques.  Ayant  passé  en  Hollande,  après  1685,  il  devint 
ministre  pensionné  par  la  ville  de  Gouda,  se  maria  en  1690  et  s'établit 
professeur  à  La  Haye,  en  continuant  à  remplir  son  office  de  prédicateur 
à  Gouda,  même  après  que  Le  Clerc,  son  parent,  l'eût  chargé,  en  1691, 
de  publier  les  derniers  volumes  de  la  Bibliothèque  universelle,  au 
nombre  de  six.  II  ne  se  montra  pas  tout  à  fait  à  la  hauteur  de  cette 
tâche.  Cependant  il  entreprit  encore,  en  1699,  de  continuer  les  Nou- 
velles de  la  République  des  Lettres,  journal  qui  avait  dû  au  génie  de 
Bayle  un  renom  difficile  à  soutenir.  11  les  publia  jusqu'en  décembre 
1710,  et  les  reprit,  après  une  interruption,  en  1716,  pour  ne  les  aban- 
donner qu'à  sa  mort,  en  1718.  Longtemps  il  avait  attendu  une  place 
de  pasteur  à  Leyde,  qui  lui  avait  été  offerte  par  les  réfugiés  français  de 
cette  ville;  mais  le  roi  Guillaume,  l'ancien  stathouder,  lui  fit  oppo- 
sition. Les  principes  politiques  du  publiciste  lui  déplaisaient  :  il  eût 
voulu  trouver  un  flatteur  de  la  monarchie  dans  celui  que  la  monarchie 
despotique  avait  proscrit.  Enfin,  après  la  mort  de  ce  prince,  en  octo- 
bre  1705,  Bernard  fut  nommé  pasteur,  et  en  même  temps  professeur 
suppléant  à  l'université  de  Leyde,  où  il  devint  titulaire  en  1712.  Il 
mourut  à  Leyde  le  27  avril  1718,  laissant  deux  filles  et  un  fils,  Jean- 
Pierre  Bernard,  qui  a  été  chapelain  du  comte  de  Lorraine,  s'est  fait 
connaître  par  des  travaux  littéraires,  et  fut  un  des  collaborateurs  de 
la  traduction  du  Dictionnaire  de  Bayle  et  de  la  Bibliothèque  britan- 
nique. Jacques  Bernard,  écrivain  plus  laborieux  que  remarquable, 
a  laissé  de  nombreux  écrite,  publiés  de  1686  à  1714.  Il  a  travaillé  au 
Supplément  au  Dictionnaire  de  Moreri  (1716)  et  a  donné  une  édition 
estimée  des  Lettres  de  Bongars.  Oh.  Read. 


230  BERNARDIN 

BERNARDIN  DE  SIENNE  (Saint)  est  l'un  des  plus  grands  repré- 
sentants de  la  prédication  franciscaine,  prédication  morale  comme 
celle  des  dominicains  était  religieuse.  Fils  d'un  noble  siennois,  Tollo 
Albizzeschi,  il  naquit  à  Massa.  A  l'âge  de  vingt-deux  ans,  en  1402,  il 
entra  aux  frères  mineurs  de  Sienne,  précédé  de  la  réputation  qu'il 
s'était  faite  en  soignant  les  pestiférés,  et  bientôt  il  se  lit  recevoir  dans 
la  stricte  observance.  Bernardin  prêcha  contre  les  mœurs  du  temps 
dans  toutes  les  villes  de  l'Italie,  réunissant  parfois  devant  sa  chaire 
30,000  auditeurs,  et  sa  parole  produisit  de  tels  effets  qu'après  l'avoir 
entendu,  les  hommes  jetaient  au  feu  leurs  dés  et  leurs  jeux  de  cartes, 
et  les  femmes  leurs  parures  et  leurs  faux  cheveux.  Plusieurs  fois  Ber- 
nardin refusa  la  dignité  d'évêque.  Nommé  en  1438  vicaire  général  de 
l'observance,  il  s'adjoignit  bientôt  comme  visiteur  Jean  de  Capistrano, 
son  élève,  dont  l'éloquence  devait  égaler  la  sienne.  Saint  Bernardin 
mourut  en  1444,  à  Aquila,  dans  les  Abruzzes,  et  dès  1450  il  fut  cano- 
nisé. Sa  vie  a  été  écrite  par  Gapistran  et  par  plusieurs  auteurs  contem- 
porains. On  trouvera  clans  ses  Œuvres,  dans  les  éditions  de  Paris, 
1639,  et  de  Venise,  1745,  l'une  et  l'autre  en  4  vol.  in-folio,  ses  ser- 
mons traduits  en  latin,  mais  le  P.  Haraglia,  dans  son  Supplément urti 
ad  Script.  Ord.  Minor.  (Rome,  1806,  in-folio),  énumère  les  nombreux 
manuscrits  italiens  de  ses  sermons  et  ses  ouvrages  moins  connus.  — 
Voy.  Wadding,  Annales  Min.,  année  1380;  A  A.  SS.,  20  mai,  Y;  Ber- 
thaumier,  Hist.  de  saint  Bernardin,  Paris,  1862,  in-12. 

BERNARDIN  DE  SAINT-PIERRE  (Jacques-Henri),  né  au  Havre  le 
19  janvier  1737,  mort  à  Eragn y-sur-Oise  le  21  janvier  1814,  a  été, 
parmi  les  écrivains,  vers  latin  du  dix-huitième  siècle,  l'un  de  ceux  qui 
ont  le  plus  contribué  à  faire  aimer  la  religion,  à  la  défendre  contre  les 
nombreux  adversaires  qu'elle  avait  dans  ce  temps-là,  et  à  retarder  les 
progrès  de  l'incrédulité.  Sorti  jeune,  en  1758,  de  l'Ecole  des  ponts  et 
chaussées,  il  n'entre  cependant  que  fort  tard,  à  quarante-sept  ans,  dans 
la  carrière  des  lettres,  après  avoir  fait  plusieurs  campagnes  comme 
officier  ingénieur,  et  cherché  fortune  vainement  au  milieu  des  plus 
romanesques  aventures,  tour  à  tour  en  Hollande,  en  Russie,  en  Polo- 
gne, en  Prusse,  en  Autriche  et  enfin  à  l'île  de  France.  N'ayant  trouvé 
ses  semblables  heureux  en  aucun  lieu  du  monde  et  n'ayant  pas  réussi 
à  fonder  ce  qu'il  rêvait,  une  ville,  un  petit  Etat,  quelque  nouvelle 
Salente  qui  l'eût  choisi  pour  législateur  et  pour  père,  il  est  alors 
dégoûté  du  commerce  et  de  la  vue  des  hommes.  Les  plus  admirés  de 
ses  ouvrages,  Paul  et  Virginie,  la  Chaumière  Indienne,  ont  été  écrits 
sous  cette  impression,  qui  lui  resta  ;  il  prenait  plaisir  à  opposer  les  lois 
naturelles  aux  lois  sociales  qui  les  contrarient,  et  la  paix,  sous  la  disci- 
pline de  la  nature,  de  quelque  petite  société  réunie  par  des  besoins, 
des  malheurs  communs,  au  désordre  et  aux  divisions  des  autres  socié- 
tés, dans  le  monde  qu'on  appelle  civilisé.  On  vantait  partout  les  philo- 
sophes et  les  rédacteurs  de  Y  Encyclopédie  ;  mais  conduit  au  milieu 
d'eux  par  d'Alembert,  dans  la  société  de  mademoiselle  de  Lespinasse, 
Bernardin  de  Saint-Pierre,  qui  a  trouvé  Dieu  partout,  au  lieu  de  s'unir 
à  ceux  qui  professent  l'athéisme,  sent  qu'il  est  appelé  à  les  combattre. 


BERNARDIN  281 

C'est  dans  ce  but  qu'il  public  en  ITS'i  Les  Etudes  de  la  Mature  el  plus 
tard  les  Harmonies.  Voyant  que  L'usage  exclusif  de  la  raison  a  cond  lit 
Les  philosophes  du  dix-huitième  siècle  à  l'athéisme,  L'auteur  des  Etudes 
s'attache  au  contraire  à  établir  la  faiblesse  de  la  raison,  et  c'est  au 
sentiment  qifil  demande  les  preuves  de  la  divinité  et  de  L'immortalité 
de  l'âme.  Sa  méthode  invariable  est  indiquée  dans  cette  courte  phrase 
de  la  dixième  étude  :  «  Rien  n'est  si  lumineux  dans  l'observation  de  la 
nature  que  de  référer  tout  ce  qui  existe  à  la  bonté  de  Dieu  et  aux 
besoins  de  L'homme.  »  Et,  en  effet,  aux  yeux  de  cet  amant  naïf  de  la 
nature,  tout  est  parfait  en  elle.  Chaque  désordre  apparent  du  globe,  du 
règne  animal,  végétal,  n'est,  quand  il  est  expliqué,  compris,  qu1 
perfection,  une  beauté  de  plus.  Toute  objection  contre  la  Providence 
se  transforme  sous  sa  plume  en  une  preuve  nouvelle  de  la  bonté  de 
Dieu  envers  les  hommes.  Il  n'y  a  partout  que  convenance,  ordre,  pro- 
gression, harmonie,  entre  les  plantes,  les  animaux,  toute  la  terre  et 
l'homme.  Le  mal  même  est  heureusement  expliqué,  car  les  souffrances 
du  genre  humain  naissent  du  vice  des  institutions  et  non  de  la  nature. 
Bernardin  de  Saint-Pierre  se  montre  en  tout  disciple  des  deux  écrivains 
qu'il  estimait  le  plus,  de  Fénelonet  de  Jean-Jacques  Rousseau.  L'erreur 
dans  ce  système,  ou  si  Ton  veut  l'illusion  qui  en  a  quelquefois  égaré 
l'auteur,  c'est  Y  optimisme  providentiel.  A  chaque  instant  la  science, 
l'observation  attentive  et  rigoureuse  est  sacrifiée  au  sentiment  religieux, 
et  le  même  défaut,  une  espèce  de  compromis  entre  le  spiritualisme 
chrétien  et  l'observation  irrécusable,  se  montre  dans  tous  ses  ouvrages. 
Tout  ce  qui  parut  nouveau  et  original  dans  les  Eludes  en  1794,  se 
trouva  faux  ou  insuffisamment  prouvé  plus  tard,  quand  Laplace  et 
Lavoisier  eurent  étudié  les  mêmes  choses  en  savants.  Mais  le  livre  eut 
un  succès  mérité,  au  point  de  vue  philosophique,  parce  que  le  senti- 
ment profond  de  la  divinité  qu'on  y  trouvait,  cette  éloquence  entraî- 
nante chaque  fois  que  l'auteur  parle  de  la  religion,  cette  fraîcheur  dans 
les  sentiments  et  dans  les  tableaux  contrastaient  heureusement  avoc  la 
sécheresse  des  rédacteurs  de  1" Encyclopédie  ;  et  au  point  de  vue  litté- 
raire, parce  qu'après  Jean-Jacques  Rousseau  qui  avait  peint  la  nature 
\lpes.  retrouvé  Dieu  et  la  nature  oubliés  par  les  philosophes*  et 
3  Billion  qui  avaitfaitdu  même  spectacle  des  tableaux  plus  calmes, 
plus  froids,  mais  participant  à  un  haut  degré  de  la  majesté  du  sujet, 
Bernardin  de  Saint-Pierre  sut  être  encore  original  en  s'attachant  à 
peindre  et  à  décrire  la  nature  des  tropiques.  Il  vivait  de  cet  amour,  de 
cette  foi  en  la  Providence;  aussi  lui  fut-il  permis,  quand  il  devint  mem- 
bre de  L'Académie,  de  soutenir  sans  faiblesse  des  discussions  avec  ses 
collègues  incrédules,  quelquefois  même  d'aigres  disputes,  contre  Volney, 
Cabanis,  Suard  et  Morellet,  et  au  milieu  même  des  orages  de  la  Révo- 
lution, de  s'endormir  du  dernier  sommeil  en  jetant  un  dernier  regard 
sur  les  harmonies  de  la  nature. — Voyez:  Œuvres  complet***  de  Bernar- 
le  Saint-Pierre,  avec  une  Introduction  par  Aimé  Martin,  12  vol. 
in-8°,  Paris,  1S18;  Lemontey,  Mélanges  littéraires;  Patin,  Eloge  de 
Bernardin  de  Saint-Pierre^  Paris,  1816,  1  vol.  in-8°.  J.  akboux. 
BERNARDINS,  religieux  fondés  par  saint  Robert,  abbé  de  (liteaux, 


232  BERNARDIN  —  BERNE 

d'où  leur  est  venu  le  nom,  sous  lequel  ils  sont  plus  connus,  de  reli- 
gieux de  Cîteaux  (voy.  cet  article).  Ils  suivent  la  règle  de  Saint-Benoit 
avec  les  modifications  apportées  par  les  usages  de  Citeaux,  et  on  les 
nomme  bernardins,  parce  que  saint  Bernard  a  beaucoup  contribué  à 
illustrer  et  à  étendre  leur  ordre. 

BERNE  (Histoire  et  statistique  religieuse).  La  Réformation  futprêchée 
à  Berne  à  partir  de  Tannée  1518,  par  l'Allemand  Berchthold  Haller 
(f  1536)  ;  elle  y  trouva  bien  vite  de  nombreux  adhérents  :  Franz  Kolb, 
Sébastien  Meyer,  Nicolas  Manuel  furent  bientôt  les  auxiliaires  dé  Haller, 
mais  contribuèrent  à  donner  à  son  œuvre  un  certain  caractère  d'agita- 
tion politique  et  une  tendance  zwinglienne  plus  prononcée.  Dès  1523 
le  gouvernement  autorisa  les  moines  à  sortir  de  leurs  cloîtres  pour 
se  marier,  et  à  la  suite  du  colloque  de  1528,  la  Réformation  fut  défi- 
nitivement adoptée  sur  l'initiative  des  magistrats.  Le  canton  de 
Berne  fut  dès  lors  un  pays  presque  exclusivement  protestant.  Les  ca- 
tholiques n'y  sont  devenus  assez  nombreux  que  par  l'annexion  au 
canton,  en  1815,  de  territoires  considérables  de  l'ancien  évêché  de 
Bâle.  Voici  la  proportion  des  adhérents  des  différents  cultes  d'après  le 
recensement  du  1er  décembre  1870.  Population  totale,  506,465:  protes- 
tants, 436,304;  catholiques,  66,015;  sectes  chrétiennes,  2,746;  israé- 
lifces,  1,400.  Nous  allons  étudier  séparément  chacune  de  ces  confessions. 
—  1.  Prolestants.  L'autorité  centrale  de  l'Eglise  bernoise  fut  d'abord 
le  synode  qui  se  réunit  pour  la  première  fois  en  1532;  ses  sessions  de- 
vaient être  annuelles  ;  mais  le  gouvernement,  jaloux  de  l'aristocratie 
bernoise,  ne  pouvait  s'accommoder  d'une  autorité  aussi  considérable  ;  il 
ne  convoqua  le  synode  qu'à  de  longs  intervalles  (1536, 1537  (2  fois),  1546, 
1549,  1581,  1599,  1615,  1699);  cet  ancien  synode  se  composait  de  tous 
les  pasteurs  du  pays,  tant  de  langue  allemande  que  de  langue  française, 
ce  qui  formait  une  assemblée  très-nombreuse,  car  les  possessions 
bernoises  étaient  alors  beaucoup  plus  considérables  qu'aujourd'hui;  le 
canton  de  Vaud  actuel,  la  plus  grande  partie  de  celui  d'Argovie  étaient 
soumis  aux  Bernois.  A  partir  de  1615,  l'autorité  du  synode  fut  déléguée 
au  Kirchenconvént,  composé  des  pasteurs  de  la  ville  et  des  professeurs 
de  théologie.  Pendant  toute  cette  période,  l'Eglise  bernoise  resta  fidè- 
lement attachée  aux  croyances  du  type  réformé.  Le  piétisme  de  Spener 
y  trouva  beaucoup  de  partisans  et  fut  même  l'occasion  de  quelques 
troubles  à  la  fin  du  dix-septième  siècle  ;  le  rationalisme  y  fut  comme 
partout  le  fils  du  piétisme  et  n'a  cessé  depuis  lors  d'y  gagner  du  ter- 
rain. Au  commencement  de  ce  siècle  l'autorité  du  Kirchenconvént  fut 
beaucoup  diminuée  et  ses  attributions  les  plus  importantes  transférées  au 
conseil  ecclésiastique  fondé  en  1803  et  composé  de  5  membres  du  gou- 
vernement et  de  4  pasteurs.  La  constitution  de  1831  soumit  entière- 
ment l'Eglise  à  l'autorité  de  l'Etat.  Le  directeur  des  cultes  devint  le 
chef  suprême  de  l'Eglise.  Le  synode  général  créé  en  même  temps  ne 
fut  guère  qu'une  autorité  consultative,  n'ayant  qu'undroitdeproposition 
souvent  peu  écouté  ;  plus  réduite  encore  fut  la  part  des  synodes  de  districts 
et  des  conseils  de  paroisses.  La  constitution  de  1846  se  montre  encore 
moins  favorable  à  l'autonomie  de  l'Eglise.  La  loi  ecclésiastique  de  1854 


BERNE  2;i3 

établit  comme  autorités  purement  consultatives,  un  synode  cantonal  com- 
posé de  pasteurs  et  de  laïques,  se  réunissant  tous  les  ans  à  Berne,  sept 
synodes  de  districts  qui  ont  à  s'occuper  principalement  de  l'inspection 
(ies  paroisses,  une  commission  synodale  et  des  conseils  de  paroisses.  La 
Confession  helvétique  est  encore  officiellement  la  règle  de  renseigne- 
ment. Mais  il  y  a  longtemps  qu'elle  est  tombée  en  désuétude,  ainsi  (pie 
U  catéchisme  de  Heidelberg,  et  que  la  grande  majorité  du  clergé  ber- 
nois prêche  les  doctrines  du  rationalisme.  La  faculté  de  théologie  de 
Berne  l'ondée,  avec  l'université,  en  1834,  en  remplacement  de  l'an- 
cienne  académie,  appartient  à  la  tendance  libérale.  Elle  compte  5  pro- 
fesseurs ordinaires,  dont  les  cours  étaient  suivis  en  1870  par  2()  étu- 
diants. Les  paroisses  sont  au  nombre  de  183  réparties  en  7  districts. 
Jusqu'à  ces  dernières  années,  les  pasteurs  étaient  nommés  par  le 
gouvernement  conformément  à  certaines  règles  qui  n1  étaient  pas  les 
mêmes  dans  toutes  les  paroisses.  Aujourd'hui  ils  sont  élus  pour  six  ans 
par  les  paroisses  et  soumis  au  bout  de  ce  temps  à  une  réélection.  La 
liturgie  revisée  en  1846,  le  cantique  adopté  quelques  années  plus  tard 
sont  beaucoup  meilleurs  que  ne  le  ferait  supposer  l'état  de  l'Eglise 
bernoise.  Les  principales  associations  sont  la  Société  Biblique  (181 (>) 
et  la  Société  d'Evangélisation  (1831).  Il  existe  dans  le  canton  de  Berne 
une  petite  Eglise  libre,  peu  nombreuse  et  s'en  tenant  strictement  aux 
idées  du  réveil.  Les  principales  sectes  protestantes  dont  nous  ayons  con- 
naissance sont  une  communauté  morave  à  Berne,  quelques  conventi- 
cules  de  piétistes  connus  sous  le  nom  de  Heimberger  Brùder,  des 
anabaptistes  assez  nombreux,  quelques  baptistes  fanatiques  dans  leur 
opposition  à  l'Eglise  établie,  des  darbystes,  des  irvingiens  et  même  un 
petit  nombre  de  mormons. — 2.  Catholiques.  L'Eglise  catholique  du  can- 
ton de  Berne  est  presque  exclusivement  formée  des  portions  de  l'évêché 
de  Haie  réunies  au  canton  en  1815.  L'accord  conclu  par  la  Suisse  avec  le 
saint-siège  en  1828  les  avait  rattachés  à  l'évêché  de  Bàle-Soleure ,  et 
malgré  q  uelques  vexations  du  gouvernement,  leur  existence  avait  été  assez 
paisible  jusqu'en  1871.  Depuis  quelques  années  l'évêque,  Mgr  Lâchât, 
était  en  conllit  sur  plusieurs  points  avec  les  gouvernements  cantonaux. 
La  proclamation  du  dogme  de  l'infaillibilité  et  l'excommunication  de 
deux  prêtres  qui  avaient  refusé  d'y  adhérer  furent  l'occasion  d'une  lutte 
violente  qui  se  termina  par  la  déposition  de  l'évêque.  La  grande  ma- 
jorité du  clergé  bernois  refusa  d'adhérer  à  cette  mesure;  le  gouverne- 
ment déposa  alors  07  prêtres  du  Jura  bernois  et  les  remplaça  par  des 
ecclésiastiques  vieux-catholiques,  français  pour  la  plupart  et  générale- 
ment peu  recommandables.  Les  paroisses  restèrent  fidèles  à  leurs  an- 
ciens pasteurs;  le  conseil  d'Etat  dut  faire  installer  par  la  force  armée 
les  nouveaux  curés  et  envoya  les  anciens  en  exil.  La  loi  ecclésiastique 
de  janvier  1874  confirma  toutes  les  violences  des  années  précédentes 
et  soumit  entièrement  l'Eglise;  à  l'Etat.  La  loi  du  3  décembre  1874  or- 
ganise un  synode  catholique;  celle  du  11  juin  1875,  pour  ruiner 
L'influence  des  curés  destitués,  invente  toutes  sortes  d'entraves  au 
droit  de  réunion  et  à  la  liberté  des  cultes.  Les  vieux-catholiques  ber- 
nois reconnaissent  actuellement  pour   évêque  L'ancien  curé  d'Olten, 


234  BERNE  —  BERNIS 

M.  Herzog.  Une  faculté  de  théologie  catholique  a  été  fondée  en  1874 
à  l'université  de  Berne;  elle  comptait,  en  1876,  o  professeurs  et  11  étu- 
diants. —  Bibliographie  :  Berne?'  Staats  Kalender,  1870  ;  Almanach  de 
Gotha,  1877  ;  G.  Finsler,  Kirchliche  Statistik  der  réf.  Schweitz,  1856  ;  de 
Mestral,  Tableau  de  V Eglise  chrétienne,  1870,  etc.  E.  Vaucher. 

BERNIÈRES-LOUVIGNY  (Jean  de)  [1602-1659],  trésorier  de  France 
à  Caen,  est  F  un  des  principaux  représentants  du  quiétisme  (voy.  cet 
article).  Il  avait  établi  et  dirigeait  une  espèce  de  communauté  compo- 
sée d'ecclésiastiques  et  de  laïques,  unis  par  le  lien  de  la  contemplation 
spirituelle  et  de  la  prière,  et  qui  s'intitulait  Y  Ermitage  ;  il  contribua 
aussi  à  l'établissement  d'hôpitaux,  de  couvents  et  de  stations  mission- 
naires, surtout  dans  le  Canada.  Parmi  ses  écrits,  nous  citerons  V Inté- 
rieur chrétien,  qui  a  eu  un  grand  nombre  d'éditions.  Ses  Œuvres  spi- 
rituelles, publiées  en  1670,  in-8°,  en  2  vol.,  ont  été  mises  à  Y  Index 
comme  entachées  de  quiétisme.  Tersteegen  les  a  traduites  en  allemand, 
en  1726,  avec  une  préface  remarquable. 

BERNIS  (Francois-Joachim  de  Pierres,  comte  de  Lyon  et  cardinal 
de)  naquit  à  Saint-Marcel  de  l'Ardèche,  en  1715.  La  noblesse  de  sa 
famille  qui  lui  assurait  de  grands  avantages  dans  l'Eglise,  et  sa  pau- 
vreté qui  la  rendait  nécessaire,  décidèrent  de  sa  vocation  ecclésias- 
tique. Du  chapitre  noble  de  Brioude,  il  passa  bientôt  [h  celui  de  Lyon, 
puis  au  séminaire  de  Saint-Sulpice.  Accueilli  dans  les  cercles  les  plus 
distingués,  il  adopta,  dès  le  premier  jour,  une  ligne  de  conduite  de 
mondanité  décente  dont  il  ne  s'écarta  jamais.  Dévoré  d'ambition, 
mais  trop  judicieux  pour  brusquer  la  fortune,  et  du  reste  assez  mal  en 
cour  tant  que  vécut  Fleury,  il  employa,  avec  une  insouciance  appa- 
rente, toutes  les  ressources  de  son  esprit  à  charmer  une  société  qui 
récompensait  comme  des  services  les  agréments  qu'on  lui  donnait.  Il 
sut  plaire  dans  le  salon  de  madame  de  Pompadour  comme  dans  tous 
les  autres,  mais  en  proportion  de  ce  qu'elle  pouvait  pour  lui,  et  comme 
de  la  favorite  à  la  politique  il  n'y  avait  qu'un  pas,  Bernis  l'eut  bien 
vite  franchi.  D'abord  ambassadeur  à  Venise,  il  était  membre  du  conseil 
quand  madame  de  Pompadour,  dans  tout  le  feu  de  son  enthousiasme 
pour  l'alliance  autrichienne,  crut  l'assurer  en  lui  faisant  donner  le 
portefeuille  des  affaires  étrangères.  Quelle  part  prit-il  à  ce  fatal  traité 
qui  amena  la  guerre  de  Sept-Ans?  En  fut-il  l'auteur,  ou  seulement  le 
partisan,  ou  même  l'adversaire?  Ce  qui  n'est  pas  douteux,  c'est  qu'il  se 
chargea  de  l'exécuter,  et  c'est  lui  que  le  cri  public,  dès  les  premiers 
désastres,  en  rendit  responsable.  En  1758,  Bernis  conseilla  fortement 
la  paix,  malgré  sa  protectrice  qui  le  lit  exiler  aussitôt.  Mais  il  pouvait 
désormais  se  passer  d'elle,  car  il  venait  de  recevoir  le  chapeau  de  car- 
dinal. En  eftet,  dès  la  paix,  Louis  XV  le  nomma  archevêque  dAlbi,  et, 
en  1769,  ambassadeur  à  Rome.  Il  occupa  jusqu'à  sa  mort  ce  poste  ma- 
gnifique, dépensant  les  400,000  livres  de  revenu  de  ses  bénéfices  et  de 
son  archevêché  avec  autant  de  bonne  grâce  qu'il  en  avait  mis  autre- 
fois à  jouir  de  l'opulence  de  ses  amis.  En  1791,  il  accueillit  à  l'ambas- 
sade les  tantes  du  roi  qui  venaient  d'émigrer.  La  Révolution  lui  enleva 
ses  revenus,  mais  la  cour  d'Espagne  y  suppléa  par  une  pension  consi- 


BERNIS  —  HERNSTEIN  235 

dérable.  Il  mourut  à  home  en  1794.  On  a  longtemps  surfait,  maigre'  les 
justes  railleries  de  Voltaire,  le  talent  poétique  de  Berriis,  niais  sa 
prose  est  exquise.  Son  véritable  chef-d'œuvre  est  sa  correspondance 

;i\«'t  Voltaire.  Depuis  sa  grande  fortune,  il  ne  laissa  pas  d'être  un  peu 
confus  de  ses  premières  poésies  auxquelles  il  devait  pourtant  une 
bonne  partie  de  ses  succès,  sans  compter  son  entrée  à  l'Académie  f  nui- 
se. 11  essaya  (Vvn  réparer  la  légèreté  par  son  poëme  de  la  Re/ùjinn 
vengée,  imprimé  après  sa  mort,  et  il  y  réussit,  mais  dans  un  sens  tout 
différent.  Ses  œuvres,  publiées  séparément  dans  une  foule  d'éditions 
diverses,  ont  été  réunies  par  Didot  en  1797,  in-8°,  et  par  Uelangle  en 
1825,  in -S".  p.  Kouffet. 

BERNON.  premier  abbé  de  Cluny,  issu  d'une  famille  noble  de  Bour- 
gogne,  mort  Tan  927,  dut  sa  réputation  à  la  fermeté  de  son  caractère 
et  à  l'austérité  de  ses  mœurs.  Il  réforma  une  série  de  monastères  de  sa 
province,  notamment  ceux  de  Baume  et  de  Déols.  Voyez  Cluny. 

BERNON  (ou  Bernard),  abbé  de  Reichenau,  sur  les  bords  du  lac  de 
Constance,  après  avoir  séjourné  dans  les  c'ouvents  bénédictins  de 
Fleury-sur-Loire  et  de  Prum,  près  de  Trêves,  mort  Tan  1048.  Bernon 
était  savant,  poète  et  artiste.  Il  donna  un  grand  éclat  à  l'école  de  Rei- 
chenau. enrichit  sa  bibliothèque  de  manuscrits  précieux  et  s'employa 
activement  à  la  réforme  du  chant  d'église.  En  1013,  il  accompagna 
l'empereur  d1 Allemagne  Henri  II  à  son  sacre  à  Rome.  Outre  des  Trai- 
i-  s  mr  In  musique,  des  Lettres  et  des  Sermons,  on  a  de  lui  :  1°  un  traité 
de  Officto  mùsx,  P.,  1518;  Yen.,  1572;  Col.,  1568;  il  se  trouve  aussi 
dans  la  M.  Bibl.  P.,  t.  XVIII;  2°  un  traité  sur  le  jeûne  des  Quatre- 
Temps,  intitulé  Dialogus  cum  Gerungo  monacho,  dans  Bern.  Pez,  Anec- 
dota,  II.  p.  59  ss.;  3°  un  traité  sur  l'Avent,  sous  le  titre  :  Qualiler 
idventus  Domini  celebretur,  iôtd.,  p.  69  ss.  (voy.  D.  Ceillier,  Hist.  des 
aut.  eccl.,  XX,  p.  200  ss.;  Hefele,  Tub.  tlieol.  Quartolschrift,  1838). 

BERNSTEIN  (Georges-Henri),  orientaliste,  né  le  12  janvier  1789  à 
Cospéda,  près  îéna,  professeur  à  Berlin  (1812),  puis  à  Breslau  (1821), 
mort  à  Lauban  en  Silésie,  le  5  avril  1860.  Après  avoir  publié  quel- 
fin» -s  opuscules  de  peu  d'importance  relatifs  aux  littératures  indienne 
et  arabe,  il  se  voua  exclusivement  à  la  langue  syriaque,  domaine  dans 
lequel  il  fut  un  des  maîtres  les  plus  écoutés;  malheureusement  son 
exactitude  minutieuse  et  l'ambition  de  nedonnerque  de  l'irréprochable 
l'ont  empêché  de  mener  à  bonne  fin  les  œuvres  importantes  qu'il 
avait  entreprises,  tout  particulièrement  un  dictionnaire  syriaque 
pour  lequel  il  réunit  pendant  toute  sa  vie  des  matériaux,  notamment 
dan-  ses  voyages  scientifiques  en  Angleterre  (1816  et  1836)  et  en  Italie 
ilS'r2-'i:i,  et  dont  un  spécimen  important  est  le  Lexique  (Leipz.,  1836, 
in-S;  qu'il  composa  pour  la  chrestomathie  syriaque  de  Kirsch  (1789) 
dont  il  avait  publié  une  édition  fort  améliorée  et  augmentée  (Leipz., 
1832,  in-S").  Quant  au  dictionnaire,  qui  était  devenu  sous  sa  main  pres- 
que une  encyclopédie  syriaque,  il  ne  put  en  publier  qu'un  petit  com- 
mencement [Lexicon  linguse  syriacœ,  Berlin,  1857,  in-fol.,  fascieul.  1 
de  144  col.);  les  matériaux  qu'il  laissa  à  sa  mort,  de  même  que  ceux 
réunis  dans  un  but  analogue  par  Et.  Quatremère,  ont  été  mis  à  la  dis- 


23G  BERNSTEIN  —  BÉROSE 

position  de  M.  Pay ne-Smith,  qui  réalise  enfin  les  désirs  des  orienta- 
listes par  son  Thésaurus  iinguœ  syriacœ.  Bernstein  avait  promis  aussi 
une  nouvelle  édition  de  la  chronique  politique  de  Bar-Hebra3us 
(Grégoire  Aboull'arage),  un  des  principaux  ouvrages  historiques  de  la 
littérature  syriaque,  mais  ici  encore  il  n'a  donné  que  de  courts  spé- 
cimens (1822  et  1847).  Dans  la  chrestomathie  de  Kirsch  il  inséra 
l'introduction  du  même  écrivain  à  ses  scholies  sur  la  Bible,  ainsi 
que  les  notes  sur  Job  (nouv.  édit.  de  ces  dernières,  Breslau,  1858, 
in-4°).  Bernstein  publia  l'évangile  de  saint  Jean  dans  la  traduction 
syriaque  faite  sous  la  direction  de  Philoxène  et  revue  par  Thomas  d'Hé- 
raclée  (Dos  heil.  Evangelium.  des  Johannes,  syrisch  nach  heraldensùcher 
Uebersetzung ,  Leipz.,  1853,  in-8°),  et  donna  une  dissertation  sur  cette 
traduction  du  Nouveau  Testament  (De  Charklensi  Novi  Testamenti 
translat.  syriaca,  Breslau,  1837,  in-4°;  2e  éd.,  1854,  in-4°).  Enfin,  sous  le 
titre  d'Etudes  syriaques,  dans  la  Zeitschrift  der  deutschen  morgenl. 
Gesellschaft,  t.  III  i<1850),  IV  (1850)  et  V  (1852),  Bernstein  passa  en 
revue  au  point  îexicographique  les  principaux  ouvrages  alors  publiés  en 
langue  syriaque. — Nowack,  Schlesisches  Schriftsteller  Lextcon,  I; 
Allgem.  deutsche  Biographie,  II;  Gosche,  Wissenschaft.  Jahresbericht, 
1859-61,  p.  8;  Zenker,  Bibliotheca  orientalis.  A.  Beenus. 

BÉROALDE  (Matthieu),  né  à  Saint-Denis,  fit  au  collège  Lemoine  les 
plus  brillantes  études.  Il  embrassa  la  Réforme  en  1550.  Arrêté  à  Cou- 
tances,  il  échappa  au  supplice  des  hérétiques,  grâce  à  un  officier  qui  le 
lit  évader.  On  le  voit  ensuite  à  Orléans,  à  La  Rochelle  et  enfin  à  San- 
cerre  où  il  était  quand  le  maréchal  de  La  Châtre  l'assiégea.  Il  fut,  selon 
d'Aubigné,  Pâme  de  la  défense.  Après  un  rapide  séjour  à  Sedan  où  il 
fit  un  cours  d'histoire  aussi  peu  agréable  aux  catholiques  qu'aux  par- 
tisans des  Valois,  il  se  retira  à  Genève.  Il  y  enseignait  la  philosophie 
en  1576.  L'érudition  de  Béroalde  était  accompagnée  d'un  travers  que 
Scaliger  traite  fort  durement.  Il  prétendait  que  l'Ecriture  renferme  tous 
les  matériaux  de  la  chronologie  ancienne  et  qu'il  faut  supprimer  tous 
les  noms  qu'elle  ne  mentionne  pas.  C'est  ainsi  qu'il  effaçait  de  la  liste 
des  rois  de  Perse,  Cambyse  et  Darius,  faute  de  pouvoir  ou  de  savoir  les 
retrouver  dans  les  saints  Livres.  Malgré  cette  bizarrerie,  son  Chromcon 
sacrx  Scripturae  ouctoritate  constitutum  (Genève,  1575,  in-fol.)  ne 
manque  pas  de  mérite.  On  a  peu  de  renseignements  précis  sur  la  vie 
de  ce  savant,  et  l'on  ne  s'accorde  pas,  à  huit  années  près,  sur  la  date 
de  sa  mort.  Ce  qui  est  certain,  c'est  qu'il  exerça  le  ministère  à  Genève, 
car  Théodore  de  Bèze  en  parle  incidemment  comme  d'un  fait  connu, 
et  qu'il  ne  vivait  plus  en  1684  (voy.  d'Aubigné,  à  l'année  1572,  et  Bèze, 
in  Act.  apost.,  c.  XIII,  v.  20).  '  P-  Rouffet. 

BÉROSE  (B^pwcjffoç),  savant  chaldéen  qui  vivait  peu  de  temps  après 
la  conquête  de  l'Asie  par  les  Grecs.  Il  est  mentionné  par  Pline,  Sénèque 
et  Vitruve  ;  ce  dernier  (IX,  n,  1)  raconte  que  Bérose  avait  quitté  sa 
patrie  pour  enseigner  la  science  chaldéenne  en  Asie-Mineure  et  qu'il 
s'établit  dans  l'île  de  Cos  (IX,  vi,  2),  et  Pline  nous  laisse  entendre 
(VII,  57)  qu'il  avait  puisé  sa  science  astronomique  dans  les  briques  des 
Babyloniens;  mais  ces  renseignements  sont,  en  partie  du  moins,  sujets 


BEROSE  237 

à  caution.  11  faut  en  dire  autant  de  l'histoire  de  ses  rapports  avec  la 
sibylle,  et  dos  légendes  qui  nous  sont  parvenues  sur  son  compte  au 
travers  de  l'école  d'Alexandrie.  Bérose  est  Fauteur  supposé  d'une 
histoire  de  Babylone,  qui  comprenait  la  mythologie  et  la  cosmogonie. 
Cet  ouvrage,  intitulé  Babyloniaca  par  les  auteurs  qui  le  citent,  est 
perdu  :  mais  des  fragments  importants  nous  en  ont  été  conservés  par 
Josèphe  et  par  Kusèbe  dans  sa  Chronique,  abrégée  au  huitième  siècle 
par  George  le  Syncelle.  La  Chronique  d'Eusèbe  s'est  conservée  en 
outre  dans  une  version  arménienne,  retrouvée  au  siècle  dernier  et  tra- 
duite en  latin  par  Ang.  Mai,  en  1818,  et  publiée  en  dernier  lieu  par 
Schcene.  Eusèbe  toutefois  ne  connaissait  Bérose  que  de  seconde  ou  de 
troisième  main  ;  il  le  cite  toujours  d'après  Alexandre  Poiyhistor,  qui  le 
connaissait  par  l'historien  grec  Apollodore.  Quant  à  Josèphe,  il  est 
difficile  de  dire  s'il  a  connu  directement  le  livre  de  Bérose,  ou  bien  s'il 
a  puisé  aux  mêmes  sources  qu'Eusèbe.  Les  Pères  de  l'Eglise  ont  fait 
un  usage  assez  fréquent  de  Bérose;  il  est  cité  par  l'apologiste  Tatien, 
dans  son  «  discours  contre  les  Hellènes  »,  par  Athénée,  Clément 
d'Alexandrie,  Agathias  et  Hésychius.  Les  Babyloniaca  paraissent  avoir 
été  écrits  primitivement  en  grec  et  se  divisaient,  au  dire  d'Eusèbe,  en 
trois  livres.  Le  livre  Ier  traitait  de  la  géographie  et  de  la  cosmogonie 
chaldéennes,  et  les  livres  II  et  III  de  l'histoire.  Les  données  de  Bérose 
relatives  à  la  cosmogonie  et  à  la  mythologie  ont  reçu  une  confirmation 
éclatante  par  le  déchitïrement  des  textes  cunéiformes.  Le  récit  du  dé- 
luge reproduit  souvent  textuellement  celui  qui  a  été  retrouvé,  en  1872, 
par  George  Smith.  Tous  les  fragments  relatifs  à  ces  matières  ont  été 
publiés  par  M.  Fr.  Lenor niant,  qui  en  a  rapproché  une  foule  de  textes 
tirés  des  inscriptions  assyriennes.  L'attribution  des  Babyloniaca  à  Bé- 
rose est  très-contestable,  malgré  le  témoignage  d'Eusèbe  (6%.,  11,  p.  8)  ; 
il  est  possible  que  leur  auteur  ait  voulu  mettre  son  œuvre  sous  le 
patronage  d'un  nom  illustre,  et  qu'elle  soit,  comme  tant  d'autres, 
pseudépigraphe.  M.  Havet  prétend  que  non-seulement  le  nom  de 
Bérose  est  supposé ,  mais  que  les  Babyloniaca  n'ont  jamais  été 
réellement  cités  par  Alexandre  Poiyhistor  ni  par  Apollodore,  et  il 
s'appuie  sur  un  passage  des  livres  sibyllins  cité  par  Bérose  pour  faire 
descendre  la  composition  de  tout  l'ouvrage  jusqu'à  l'époque  de 
Fère  chrétienne.  Toutes  les  discussions  sur  l'origine  des  fragments 
de  Bérose  n'ont  fait  que  mieux  établir  leur  valeur  intrinsèque.  Ils  re- 
présentent, comme  le  traité  d'agriculture  nabatéenne  étudié  par 
M.  Renan  et  comme  toute  cette  famille  d'écrits,  une  tentative  de  tout 
expliquer  parles  forces  physiques  qui  était  bien  dans  l'esprit  delà 
vieille  doctrine  chaldéehne.  Mais  l'exactitude  des  renseignements  con- 
tenu- dans  Bérose  et  leur  coïncidence,  d'une  part  avec  les  textes  cunéi- 
formes, tracés  sur  briques,  qui  composaient  la  bibliothèque  de  Sarda- 
oapale,  de  l'autre  avec  les  fragments  de  l'historien  Abydenus,  leur 

-ii'-iii  une  date  beaucoup  plus  reculée.  Les  fragments  de  Bérose  ont 
été  recueillis  el  publiés  par  Richter,Lipsiae,  1825, et  par  K.  Muller,dans 
1rs  Fragmenta  hist.  grxc,  t.  II,  p.  495-510,  Paris,  18't8.  Les  fragments 

mogoniques  ont  été  publiés  à  part  et  commentés  par.Fr.  Lenor- 


238  BEROSE  —  BERQUIN 

mant,  Essai  de  commentaire  sur  les  fragments  cosmogoniques  de  Bé- 
rose,  Paris,  Maisonneuve,  1872.  On  peut  encore  citer  Ë.  Havet, 
Essai  sur  la  date  des  écrits  qui  portent  le  nom  de  Bérose  et  deMànéthon, 
Paris,  Hachette,  1873.  Ph.  Berger. 

BERQUIN  (Louis  de),  issu  d'une  famille  noble  de  l'Artois  et  seigneur 
du  village  dont  il  portait  le  nom,  est  né  à  Passy  près  Paris.  D'un  es- 
prit libéral  et  cultivé,  et  d'une  grande  rigidité  de  mœurs,  il  se  lia  d'a- 
mitié avec  Nicolas   Bérauld,   qui  professait  le  droit  à  Orléans.  Badius, 
voulant  honorer  en  même  temps  les  deux  amis,  leur  dédia  à  chacun, 
en  1512,  un  tome  des  œuvres  de  Politien  qu'il  avait  annotées.  Berquin 
obtint  de  François  Ier  le  titre  de  conseiller  du  roi.  Catholique  fervent, 
il  s'était  toujours  conformé  scrupuleusement  aux  prescriptions  de  son 
Eglise;  mais  il  en  secoua  le  joug  à  la  suite  d'un  démêlé  qu'il  eut  avec 
Guillaume  Du  Chêne,  l'un  des  principaux  membres  de  la  Sorbonne, 
et  se  mit  à  examiner  la  doctrine  luthérienne,  dont  on  commençait  à 
s'occuper  en  France.  Le  parlement  ayant  fait  rechercher  les  livres  de 
Luther  chez  les  libraires  et  ailleurs  au  mois  de  juillet   1523,  on  en 
trouva  aussi  chez  lui.  Il  fut  enfermé,  le  1er  août,  à  la  Conciergerie,  et 
deux  conseillers  furent  adjoints  à  l'évêque  de  Paris  pour  lui  faire  son 
procès.  Louise  de  Savoie,  alors  régente,  étant  intervenue  en  sa  faveur, 
il  fut  remis  en  liberté,  «  chargé  du  cas,  »  il  est  vrai,  mais  sans  qu'au- 
cune condamnation   eût  été  prononcée  contre  lui.   Retiré   dans  ses 
terres,  où  il  espérait  attirer   moins  l'attention,  il  se  mit  à  écrire  de 
petits  traités  de  controverse  et  à  traduire  du  latin  en  français  quelques 
livres  d'Erasme,  entre  autres  le  Manuel  du  chevalier  chrétien,  «  en  y  ajou- 
tant plusieurs  choses,  dit  Crespin,  qui  de  plus  près  approchaient  à  la 
vérité  évaugélique.  »   Erasme  lui   en  sut  mauvais  gré  et  le  pria  de  ne 
plus  le  mêler  désormais  à  ses  querelles,  lui  prédisant  que  s'il  ne  se  te- 
nait pas  en  repos,  de  nouvelles  poursuites  seraient  dirigées  contre  lui. 
En  elïet,  le  10  janvier  1526,  sur  la  requête  du  procureur  général  et  de 
l'évêque  d'Amiens,  l'huissier  de  Mailly  reçut  ordre  du  parlement  d'al- 
ler l'arrêter  et  de  le  ramener  à  la  Conciergerie.  Une  enquête  fut  ou- 
verte sur  sa  conduite,  et  ses  livres  furent  saisis  au   château  de  Ram- 
bures.   Déclaré  hérétique   et  luthérien   par    les  juges  ecclésiastiques 
chargés  de  l'examiner,  et  auxquels,  dit  Erasme,  «  il  ne  voulut  céder 
même  sur  un  seul  point,  »  il  aurait  certainement  encouru  dès  lors  la 
peine  de  mort,  si  quelques  membres  du   parlement  n'eussent  insisté 
pour  la  révision  de  son  procès.  La  régente  invita,  de  son  côté,  la  cour 
à  surseoir  à  l'exécution  du  jugement  jusqu'au  retour  du  roi,  alors  pri- 
sonnier en  Espagne,  et  celui-ci,  étant  revenu,  demanda  formellement, 
le  11  juillet,  l'élargissement  de  Berquin.  Il  n'eut  cependant  pas  lieu 
aussitôt.  Berquin  fut  traité  avec  moins  de  sévérité  ;  mais  ce  n'est  qu'à 
la  suite  de  nouvelles  missives  du  roi  en  date  du  10  octobre,  et  après 
que  le  parlement  se  fut  encore  occupé  de  cette  affaire  les  11,  12,  13  et 
29  du  même  mois,  ainsi  que  cela  résulte  d'un  abrégé  manuscrit  de  ses 
registres,  qu'il  fut  rendu  à  la  liberté.  La   reine  de  Navarre,  sœur  de 
François  Ier,  l'attacha  à  son  service.  De  peur  que  cette  protection  ne 
fût  pas  suffisante,  ses  amis  l'engageaient  à  se  faire  donner  une  mission 
qui  l'éloignâtdu  royaume.  Erasme  l'engageait  à  se  faire  oublier,  lui  re- 


BERQUIN  239 

présentant  qu'une  (acuité  ne  peut  mourir, facultasenîm  non  mortlur,  et 

qu'elle  est  par  conséquent  une  ennemie  immortelle  pour  ceux  gui  Tout 
offensée.  «  Mais  l'esprit  de  Berquin  était  semblable  à  la  palme,  dit 
Grespin,  se  dressant  plus  quand  on  voulait  le  déprimer.  »  Au  lieu  de 
céder  à  ses  adversaires,  il  se  lit  à  sou  tour  leur  accusateur.  Bien  réso- 
lus à  le  perdre,  ils  le  tirent  arrêter  pour  la  troisième  fois  comme  lu- 
thérien, au  commencement  de  mars  1529.  Le  premier  chef  d'accusa- 
tion portait  sur  ce  qu'il  avait  écrit  que  la  religion  est  intéressée  à  ce 
que  les  saintes  Ecritures  traduites  en  langue  vulgaire  soient  lues  par  le 
peuple,  ce  que  le  parlement  avait  défendu.  Pendant  sa  réclusion  il  se 
souvint  qu'il  y  avait  chez  lui  des  livres  qui  pouvaient  le  compromettre, 
et  il  écrivit  à  un  ami  de  les  brûler,  de  peur  qu'ils  ne  fussent  saisis; 
mais  le  serviteur  qu'il  lui  envoya  s'étant  trouvé  mal  en  chemin,  la 
lettre  dont  il  était  porteur  fut  lue  par  ceux  qui  l'assistèrent  ;  ils  la 
remirent  à  Béda,  que  Berquin  avait  accusé  d'impiété  et  de  blasphème, 
et  celui-ci  la  livra  à  la  cour.  Guillaume  Budé,  qu'Erasme  suppose 
sans  motif  avoir  été  l'un  de  ses  juges,  s'efforça  de  lui  persuader  d'ab- 
jurer les  hérésies  qu'on  lui  reprochait;  mais  il  s'y  refusa  absolument 
Aussi,  après  avoir  été  condamné,  le  vendredi  16  avril,  à  voir  brûler 
ses  livres,  à  faire  amende  honorable  à  Dieu  et  à  la  glorieuse  Vierge 
sa  mère  devant  l'église  Notre-Dame,  et  à  être  enfermé  ensuite  entre 
deux  murs  de  pierre  pour  tout  le  reste  de  sa  vie,  fut-il  condamné  le 
lendemain  17  avril,  par  une  seconde  sentence,  et  malgré  son  appel  au 
roi,  à  être  brûlé  vif  en  la  place  de  Grève.  L'arrêt  fut  exécuté  le  même 
jour,  afin  de  ne  pas  laisser  au  roi  et  à  sa  mère,  qui  étaient  alors  à 
Blois,  le  temps  d'en  empêcher  l'effet.  Cette  date  du  17  avril,  affirmée 
par  Erasme  dans  une  lettre  du  9  mai  1529,  est  aussi  celle  assignée  à 
cet  événement  dans  le  Journal  d'un  Bourgeois  de  Paris,  publié  par 
M.  Léonce  Lalanne  en  1854  pour  la  Société  de  l'Histoire  de  France, 
d'après  le  manuscrit  portant  le  n°  742  du  fonds  Du  Puy,  conservé  à 
i  Bibliothèque  nationale.  Elle  doit  donc  être  préférée  au  22  avril, 
mentionnée  par  Erasme  dans  une  lettre  postérieure.  Quant  à  la  date 
du  10  novembre,  indiquée  par  Bèze  dans  son  Histoire  ecclésiastique  des 
Eglises  réformées,  d'où  elle  a  passé  dans  l'édition  de  1608  de  Y  Histoire 

Umti/rs  de  Crespin,  c'est  une  erreur  manifeste,  déjà  relevée  par 
Bayle.  Erasme  raconte  dans  une  lettre  importante,  du  1er  juillet  1529, 
iiliv^s,','  à  Charles  d'Utenhof,  et  dont  la  France  protestante  a  donné 
nue  traduction  presque  complète,  ce  que  Montius  lui  écrivit  sur  la 
mort  de  Berquin.  Il  était  là  lorsqu'on  l'amena  dans  une  charrette  au 

■In  supplice.  Loin  de  témoigner  aucun  trouble,  on  eût  dit,  aie 
voir  si  calme,  «  qu'il  se  livrait  à  ses  études  dans  son  cabinet  ou  qu'il 
méditait  les  choses  du  ciel  dans  un  temple.  »  Il  était  ûgé  d'environ 
quarante  ans  suivant  Erasme,  d'environ  cinquante  ans  suivant  le 
Bourgeois  <!<■  Paris,  dont  le  récit  ajoute  de  nombreux  détails  à  ce  que 
l'on  savait  de  lui.  On  lit  dans  1 'Abrégé  des  registres  du  Parlement  déjà 
cité,  sous  la  date  du  12  septembre  Ië30:  «  Thiery,  religieux  de  Saint- 
François- de-Pau  le,  a  dénoncé  à  la  chambre  qu'il  a  prêché  avent  et 

ne  à  Amiens;  y  avait  personnes  mal  sentant  de  la  foi  et  concer- 


240  BERQUIN  —  BERRUYER 

nant  Berquin.  »  L'influence  de  Berquin  dans  cette  contrée  ne  s'était 
donc  pas  éteinte  avec  sa  vie.  La  Croix  du  Maine  dit  dans  sa  Bibliothè- 
que francoise,  qu'il  n'a  point  vu  de  ses  livres  imprimés.  La  traduc- 
tion du  Manuel  du  chevalier  chrétien  a  cependant  été  réimprimée  à 
Anvers  en  1529,  avec  un  prologue  de  Martin  Lempereur,  et  en  1542 
à  Lyon,  par  Dolet.  MM.  Haag  ont  donné  dans  la  France  protestant?  la 
liste  des  autres  ouvrages  traduits  ou  composés  par  Berquin,  mais 
en  y  ajoutant  cette  remarque,  que  plusieurs  d'entre  eux,  saisis  ma- 
nuscrits dans  ses  papiers,  n'ont  sans  doute  jamais  vu  le  jour. 

H.   LUTTEROTH. 

BERRUYER  (Joseph-Isaac),  jésuite,  né  à  Rouen  en  1681,  mort  à  Paris 
en  1758.  Il  donna  en  1728  la  première  partie,  contenant  l'Ancien  Tes- 
tament, de  sa  fameuse  histoire  du  peuple  de  Dieu.  A  une  époque  où  les 
jansénistes  multipliaient  les  exemplaires  de  l'Ecriture  en  langue  vul- 
gaire, il  semble  que  les  jésuites  aient  voulu  en  discréditer  la  lecture 
en  la  parodiant.  Josèphe  avait  t'ait  d'après-  la  Bible  l'histoire  des  Juifs 
pour  instruire  les  Gentils  ;  Berruyer  en  lit  le  travestissement  pour 
donner  le  change  aux  chrétiens.  Il  transforma  la  simplicité  du  style 
biblique  en  une  fade  élégance  et  sa  sublimité  en  niaises  réflexions.  Il 
s'appliqua  surtout  à  renforcer  le' préjugé,  vulgaire  parmi  les  catholi- 
ques, qui  veut  que  la  Bible  soit  parsemée  d'indécences  et  dangereuse  à 
mettre  entre  toutes  les  mains:  tâche  facile  pour  un  romancier  qui  étend 
complaisamment  en  impudiques  peintures  les  grands  traits  dont  use 
l'Ecriture  pour  signaler  le  mal.  Colbert,  évèquede  Montpellier,  de  con- 
cert avec  plusieurs  de  ses  collègues,  s'éleva  avec  une  telle  force  contre 
l'ouvrage,  que  le  général  des  jésuites  parut  reculer  et  ordonna  à  Fau- 
teur d'en  préparer  une  édition  expurgée.  Berruyer  en  donna  même 
deux  à  la  fois,  mais  si  insuffisamment  corrigées  que  ce  fut,  à  vrai  dire, 
un  redoublement  de  scandale.  Rome  même  les  censura  en  1734. 
L'affaire  semblait  terminée.  Mais  on  comptait  sans  la  patiente  ténacité 
de  Berruyer,  ou  plutôt  de  son  ordre,  et  la  seconde  partie,  les  Evangiles, 
parut  vingt  ans  après.  Publiée  à  Paris,  sous  la  fausse  désignation  de  La* 
Haye,  elle  ne  porta  le  nom  de  son  auteur  que  sur  un  petit  nombre 
d'exemplaires.  Une  assemblée  d'évêques  réunis  à  Conflans  fit  aussitôt 
examiner  l'ouvrage  et  l'interdit.  Les  jésuites  protestèrent  qu'il  avait 
été  imprimé  à  leur  insu,  débité  malgré  eux,  et  produisirent  un  acte  de 
soumission  de  Berruyer  à  la  décision  des  évêques.  La  faculté  et  le  pape 
joignirent  leurs  censures  à  celles  des  prélats,  et  le  parlement  exigea 
une  rétractation  plus  explicite  que  Berruyer  s'empressa  de  donner 
par  écrit,  avec  l'engagement  de  supprimer  la  troisième  partie.  Les 
jésuites  avaient  encore  plié  pour  ne  pas  rompre.  Ils  en  furent  quittes 
pour  publier  que  le  manuscrit  leur  avait  été  dérobé,  et  ils  imprimè- 
rent les  E pitres  à  Lyon  en  1758,  toujours  sous  la  rubrique  de  La  Haye. 
Cette  fois,  l'indignation  fut  à  son  comble.  La  France  entière  retentit  de 
mandements  épiscopaux.  Clément  XIII  ordonna  des  prières  à  la  Tri- 
nité en  réparation  des  outrages  que  renfermait  contre  elle  cette  troi- 
sième partie,  et  il  écrivit,  dans  ses  lettres  apostoliques  du  2  décembre 
1758,  que  «  la  mesure  du  scandale  était  remplie  ».  C'était  constater 


BERRUYER  —  BERRY  241 

que  les  auteurs  avaient  atteint  leur  but,  qui  était  de  faire  connaître 
l'ouvrage,  et  ils  multiplièrent  à  l'infini  les  éditions  et  traductions  de 
cette  Bible  d'un  nouveau  genre.  p-  Rouppet» 

BERRY  (Eglises  du).  Lorsque  Calvin,  attiré  parles  leçons  du  laineux 
jurisconsulte  Alciat,  vint  en  1528  à  Bourges,  capitale  du  Berry,  les 
doctrines  luthériennes  y  étaient  connues  et  prêchées  même  assez  libre- 
ment par  les  docteurs  en  théologie  Jean  Chaponneau,  moine  de 
l'abbaye  de  Saint-Ambroise,  et  Jean  Michel,  del'ordre  de  Saint-Benoit. 
Le  savant  humaniste  allemand  Melchior  Wolmar,  qui  enseignait  à 
Bourges,  les  professait  aussi  et  y  initia  Calvin,  pense-t-on.  Six  ans  plus 
tard  (1533)  Chaponneau  et  Michel,  prêchant  avec  plus  de  hardiesse, 
trouvèrent  de  zélés  collaborateurs  dans  le  prêtre  Jean  Gamaire  et  dans 
Jean  deBournouville,dit  loquet,  prieur  de  l'abbaye  de  Saint-Ambroise. 
Ils  eurent  pour  continuateurs  Augustin  Marlorat,  Jean  de  l'Epine, 
Richard  Vauville,  l'augustin  Jean  Loquet  et  le  jacobin  Jean  de  Bosco, 
qui  tous  devinrent  dans  la  suite  d'excellents  pasteurs.  L'étude  de  la 
théologie  fut  transformée  par  les  soins  du  docteur  en  théologie 
Michel  Simon.  Mais  ces  réformes  ne  se  firent  pas  sans  résistance.  Les 
prêtres  cherchèrent  à  étouffer  la  voix  de  Jean  Michel  à  l'heure  de  sa 
préi  I  ication  et,  par  un  juste  retour,  l'inquisiteur  Matthieu  Ory,  qui  voulut 
lui  faire  concurrence  en  chaire,  fut  empêché  de  parler  par  le  peuple. 
Tout  honteux,  il  partit  pour  Paris,  dans  le  but  d'obtenir  contre  les 
luthériens  des  ordres  plus  sévères,  qu'il  ne  put  heureusement  exécuter. 
Aussi  quitta-t-il  Bourges  pour  n'y  plus  revenir.  Sancerre,  autre  ville  du 
Berry,  fut  évangélisé  avec  beaucoup  de  succès  par  le  même  Jean  Michel 
en  1534.  Un  conseiller  au  parlement  de  Paris,  nommé  Bourgoin,  qui 
demeurait  dans  le  voisinage,  chercha,  mais  en  vain,  à  arrêter  le  mou- 
vement. L'inquisiteur  Ory,  qui  était  venu  dans  la  ville  dans  des  vues 
hostiles,  «  se  contenta  si  fort,  dit  Bèze,  du  bon  vin  qu'on  lui  donna 
pouiTapaiser,  qu'étant  de  retour  à  Bourges  il  assura  en  chaire  qu'il  avait 
trouvé  les  gens  de  Sancerre  fort  gens  de  bien.  »  Son  substitut  Rocheli 
marcha  sur  ses  traces,  mais,  plus  sérieux,  il  se  convertit  et  prêcha  la 
réformation.  Néanmoins  trois  luthériens,  à  la  requête  de  l'archiprêtre 
.Iran  Tranchant,  furent  incarcérés,  et  l'un  d'eux,  le  barbier  Denis  Brion, 
brûlé.  Issoudun,  qui  était  en  importance  la  seconde  ville  du  Berry 
accepta  les  doctrines  luthériennes  vers  1547.  Le  gouverneur  de  la 
ville,  Jean  de  Fosses,  entièrement  gagné  à  l'Evangile,  ainsi  que  son 
neveu,  Antoine  Misnier,  qui  remplissait  les  fonctions  d'enquêteur, 
tirent  venir  de  Bourges  le  jacobin  Jean  de  Bosco,  qui  prêcha  la  ré- 
forme de  même  que  l'éloquent  cordelier  Abel  Pépin.  Les  autres  cor- 
deliers  d'Issoudun,  ayant  conçu  une  grande  irritation  contre  eux,  les 
attaquèrent  violemment  dans  leurs  sermons  et  ne  craignirent  même 
point  de  s'en  prendre  à  la  reine  de  Navarre  elle-même,  qui  possédait 
Issoudun  (ii  apanage,  si  bien  que  François  Ier,  pour  faire  respecter  sa 
soeur,  ordonna  l'arrestation  du  plus  violent  d'entre  eux,  Toussaint 
Hémard,  qui  fui  condamné  aux  galères.  Pour  en  revenir  à  Bourges,  un 
jeune  écolier  y  fut  brûlé  en  1547,  à  la  requête  des  moines  de  Saint- 
Sulpice,  et  Jean  Michel,  qui  revenait  d'un  voyage  en  Suisse,  fut  pris, 
il.  16 


242  BERRY 

condamné  et  exécuté  à  Paris.  Ces  supplices  n'arrêtèrent  pas  l'œuvre. 
Uh  ermite  inconnu  prêcha  l'Evangile  à  Bourges  sur  la  place  publique, 
et  de  faux  miracles,  auxquels  recoururent  les  prêtres  pour  relever  leur 
crédit,  tournèrent  au  contraire  à  leur  confusion,  car  en  1556  le  ministre 
Simon  Brossier  put  organiser  l'Eglise  de  Bourges  et  pendant  cinq  mois 
Tévangélisa  avec  un  grand  succès.  Néanmoins  il  dut  la   quitter  après 
ce  temps,  car  on  voulut  se  saisir  de  sa  personne.  Il  fut  remplacé  par 
Martin  de  Hargous,  dit  de  Rossehut,  qui  prêchait  avec  talent  et  affermit 
L'Eglise.  En  1557  les  assemblées  se  tenaient  non-seulement  à  Bourges, 
mais  encore  à  Asnières,  situé  à  une  lieue  delà.  En  1500  l'Eglise  s'accrut 
considérablement  sous  le  ministère  des  pasteurs  David  Veran  et  Jean 
Jortrin.  La  cène  fut  célébrée  dans  la  salle  des  grandes  écoles  publiques, 
à  minuit.  De  Rys,  bailli  du  Berry,  voulut  poursuivre,  mais  il  ne  trouva 
aucun  témoin  à  charge.  De  Barbezieux,  envoyé  comme  gouverneur  de 
la  ville,  ayant  ordonné  le   recensement  des  habitants  de  la  cité,  les 
ministres  se  retirèrent,  et  les  assemblées  furent  suspendues  pendant 
huit  jours.  Passé  ce  temps,  elles  reprirent  plus  nombreuses  que  jamais, 
■et  ce  fut  en  pure  perte  que  le  clergé  incita  Barbezieux  à  les  interdire. 
Simon  Brossier,  en  quittant  Bourges,  se  rendit  à  Issoudun  et  y  orga- 
nisa la   communauté  (1er  novembre  1566).    L'Eglise  d'Aubigny    fut 
-également  «  dressée  »  par  le  ministre  Hamet  et  prospéra  beaucoup, 
malgré  les  persécutions   des   seigneurs   du  lieu.  En  juillet  1561,  les 
prêtres   de  Bourges,  exaspérés  des  progrès  de  la  Réforme  dans  leur 
ville,   excitèrent  une  émotion  populaire,   qui    entraîna  la   mort  de 
plusieurs  catholiques  et  luthériens.  La  sédition  n'eut  heureusement 
pas   de  suite,  car  les  deux  partis  s'accordèrent.  Le  favorable   édit  de 
janvier  1562  fut  publié   et  les   assembléeSj  se   tinrent  dans  le  fau- 
bourg de   Saint-Sulpice,    malgré  les  tracasseries  des  moines,  et  peu 
après  clans  l'intérieur  même  de  la  ville.  Aux  approches  de  la  première 
guerre  de  religion,  les  huguenots   de  Bourges  coururent  de  grands 
dangers,  par  suite  de  la  haine  que  le  bailli  du  Berry  nourrissait  contre 
eux  et  de  l'animosité  des  catholiques,  dont  un  message  fut  surpris,  qui 
demandait  au  duc  de  Guise  et  au  cardinal  de  Lorraine  un  secours  de 
300  hommes,  moyennant  quoi  ils  se  faisaient  forts  de  massacrer  tous 
les  huguenots  de  la  province.  Informé  du  complot,  le  prince  de  Coudé 
envoya  sur  l'heure  à  Bourges  120  chevaux  (27  mai  1562),  commandés 
par  Montgomméry,  qui,  renforcé  bientôt  de  trois  enseignes,  fit  prêcher 
au  cloître  de  Saint-Etienne  le  ministre  de  Rovière,  désarma  les  catholi- 
ques et  laissa  briser  les  images  et  brûler  les  reliques.  Après  cela  il 
assiégea  la  tour  de  Bourges,  dont  la  garnison  se  rendit  sur  l'heure, 
vie,  bagues  et  armes  sauves.  Les  autres  villes  du  Berry,  comme  Issou- 
dun, Vierzon  et  Mun,  apprenant  la  reddition  de  la  tour  de  Bourges, 
offrirent  spontanément  à  Montgomméry  de  ne  plus  souffrir  chez  elles 
d'autre  religion  que  la  religion  réformée.  Mais  ce  dernier  n'accepta 
pas  leur  proposition   et,    se  bornant  à   s'emparer  de  tous  les  fonds 
royaux,  il  retourna  à  Orléans,  laissant  Bourges  aux  mains  des  religion- 
naire.  Ce  fut  une  grande  faute,  car  les  villes  susmentionnées  fournirent 
beaucoup  de  vivres  à  l'armée  royale,  qui  assiégea  Bourges  quelques 


BERET  2i:î 

mois  après  et  1**  prit  par  composition  (iei  septembre).  A  partir  de  ce 
moment,  et  pendant  de  Longues  années,  Bourges  refusa  ses  portes  à  tous 
les  huguenots  qui  voulurent  s'y  établir  et  expulsa  même  quelques-uns  de 
ceux  qui  y  habitaient  depuis  longtemps.  Dans  d'autres  contrées  du  Bercy 

il  y  eut   plusieurs  massacres  de  religionnaires.  A  Dion,  village  distant 
de  trois  lieues  d'Issoudurr,  treize  jeunes  gens  logés  dans  l'hôtellerie 
du  lieu  turent  mis  à  mort  sans  pitié  (8  mai  1562).  De  tous  les  assassins 
un  seul  lut  puni.  Dans  le  même  mois  de  mai,  deux  écoliers  rencontrés 
sur  le  chemin  de  Bourges  par  des  catholiques  d'Issoudun,  furent  laissés 
pour  morts.  Le  lieutenant  général  de  la  ville,  ayant  voulu  poursui- 
vre les   eoupahles,   fut  décrété  d'arrestation   sur  un   ordre  venu  de 
Paris,  ainsi  que  Valentiennes,  son  lieutenant  particulier ,  et  le  procu- 
reur du  roi  François  Arthur  s.  Peu  après  de  Larzay,  beau-frère  du  bailli 
du   Berry,    nommé    gouverneur  d'Issoudun  ,    se   saisit    de  la   ville 
(9  juillet  1562),  et  chercha  à  capturer,  mais  sans  succès,  les  deux  mi- 
nistres Bobert  Barbier,  surnommé  de  Lacroix,  et  Ambrois  le  Balleur, 
surnommé  La  Plante.  Il  dévasta  le  lieu  des  assemblées,  lit  emprisonner 
les  luthériens  et  laissa   piller  leurs  maisons  dans  la  ville  et  les  villages 
environnants,  et  finalement  leur  ordonna  à  tous  de  quitter  Issoudun 
sous  peine  de  la  hart.  Quant  à  Sancerre,  il  ne  put  être  pris,  mais  au 
moment  où  Bourges  fut  assiégé  par  les  troupes  royales,  on  avait  jugé 
prudent  de  faire  sortir  le  pasteur  de  Gléreau,  qui  revint  quelque  temps 
plus  tard.  Châtillon-sur-Loire  eut  un  plus  triste  sort.  Il  fut  pris  et  pillé. 
Son  pasteur,  nommé  Dumont,  et  les  pasteurs  de  Cléreau,  de  Sancerre; 
Lamouroux,  de  Saint-Satur,  et  Yaliay,  de  Gien,  qui  s'étaient  réfugiés 
dans  la  ville,  furent  incarcérés,  puis  relâchés  moyennant  une  rançon. 
Pendant  les  autres  guerres  de  religion,  les  protestants  du  Berry  eurent 
beaucoup  à  souffrir.  A  Bourges  et  à  Issoudun  un  grand  nombre  d'entre 
eux  lurent  massacrés  (août  15(18).  A  l'époque  de  la  Saint-Barthélémy, 
il  en  fut  de  même  dans  'la  première  de  ces  deux  villes.  Sancerre  sou- 
tint peu  après  un  siège  resté  célèbre  par  la  famine  épouvantable  qui 
décima  ses  habitants  (janvier  à  septembre  1573).  La  ville  avait  été  déjà 
assiégée  par  les  catholiques  en  1569,  mais  sans  succès.  Sous  le  régime 
de  l'édit  de  Nantes,  le  Berry,  érigé  en  colloque,   forma  avec  l'Or- 
léanais,  le  Blaisois,  le  Nivernais,  la  Haute-Marche  et  le  Bourbonnais 
un  arrondissement  synodal.  Les  principales  Eglises  étaient  Sancerre, 
Henrichemont,   Aubigny ,    Châtillon-sur-Loire  et  Issoudun.  Quant  à 
celle  de  Hourges,  elle  ne  put  obtenir  le  droit  d'exercice,  parce  qu'elle 
u'.n  jouissait  pas  au  moment  de  l'édit  de  Poitiers.  La  révocation  de 
l'édit  de  Nantes  détruisit  presque   entièrement  les  Eglises  du  Berry. 
Réduites  à  un  petit  nombre,  elles  n'eurent  pas   de  pasteurs  en  pro- 
pre et   lurent    seulement  visitées  de  loin  en  loin  par  les  pasteurs  des 
autres  provinces;  mais,  à  l'époque  de  la  Bévolution,  le  culte  réformé 
•li'hra  publiquement  à  Sancerre  jusqu'en  1794.  A  cette  date,  le 
temple  lui  fermé.  Il  se  rouvrit  en  l'an   Y,  sous  le  pasteur  Darnaud. 
Le  consistoire  actuel  de  liourges,  qui  comprend  les  Eglises  deSancerie 
et    d'Asnières-les-Bourges  et   dessert  les   protestants  disséminés  du 
Cher  (Berry),   de   l'Indre     Bas-Berry) ,   de  la  Nièvre   (Nivernais)  et 


244  BERRY  —  BERTHE 

de  T Allier  (Bourbonnais),  est  de  création  récente,  car  au  moment  de 
ia  réorganisation  des  cultes  Sancerre  n'était  qu'un  simple  oratoire, 
qu'un  décret  du  10  brumaire  an  X  avait  rattaché  au  consistoire 
de  Paris.  —  Bèze,  Hist.  eccl.  ;  Jiullet.  de  la  Soc.  de  l'hist.  du  prot. 
franc.,  1863,  p.  111)  ;  1853,  p.  100;  Jean  de  Lery,  Hist.  mémor.  de  la  ville 
de  Sancerre,  1574,  in-8°  ;  Rabaut  le  jeune,  Annuaire  ou  répert.  eccl. 

E.  Arnaud. 

BERSABÉE  [B  e1  ê  r  G  h  â  b  a  \  B  e1  ê  r  C  h  e  b  a  \  «  le  Puits  du  Serment,  » 
«  ou  le  Puits  des  Sept,  »  la  tradition  biblique  varie  à  ce  sujet  (Gen.,  XXI, 
28;  comp.  XXVI,  32)].  Bersabée  était  située  à  l'entrée  du  désert  et  à  la 
limite  extrême  du  pays  de  Jucla;  delà  l'expression  «  tout  Israël,  depuis 
Bersabée  jusqu'à  Dan.  »  Comme  cette  dernière  ville,  du  reste,  elle  paraît 
avoir  été  un  centre  religieux  dès  la  plus  haute  antiquité  ;  elle  joue  un  rôle 
considérable  dans  l'histoire  des  patriarches  ;  elle  est  signalée  par  des 
apparitions  divines  (Gen.  XXVI,  2-3;  XLVI,  1)  ;  Abraham  y  plante  un 
tamarisc  et  y  adore  Jéhova,  El  Olàm  (XXI,  33);  elle  sert  de  cadre  à 
l'histoire  du  sacrilice  d'Isaac,et  plus  tard  c'est  encore  au  même  endroit 
qu'Elie  reçut,  sous  un  genêt,  la  vision  qui  lui  donna  la  force  de  mar- 
cher quarante  jours  et  quarante  nuits  et  de  se  présenter  à  la  face  de 
l'Eternel  au  mont  Horeb  (I  Rois  XIX,  3).  Ce  culte  parait  s'être  conti- 
nué sous  les  prophètes  qui  le  condamnaient  (Amos  V,  5;  VIII,  14)  : 
((  Ceux  qui  jurent  par  le  péché  de  Samarie  et  qui  disent  :  Vive  ton 
ce  dieu,  Dan,  et  vive  la  voie  (?)  de  Bersabée,  tomberont  et  ne  se  relève- 
«  rontplus.  »  Bersabée  a  longtemps  conservé  son  importance.  Au  temps 
de  saint  Jérôme,  elle  comptait  parmi  les  places  fortes  romaines  sur  les 
contins  delà  Palestine,  prima  et  tertia  ;  à  la  fin  du  onzième  siècle,  elle  était 
le  siège  d'un  évêché  (Reland,  Palxstina,  p.  620  ss.,et  Spruner  Menke, 
Hist.  Handatlas,  pi.  80).  D'après  Guillaume  de  Tyr,  les  Arabes  lui 
donnèrent  le  nom  deBeth-Gabril,  «  maison  de  Gabriel  ;  »  aujourd'hui, 
sonemplacement  porte  l'ancien  nom  de  Bir-d-Seba';  seulementles  Arabes 
lui  ont  donné  encore  une  nouvelle  étymologie  :  «  le  Puits  du  Lion.  »  La 
ville  a  presque  entièrement  disparu,  mais  on  voit,  à  quelque  distance 
d'une  colline  couverte  de  ruines,  deux  puits  anciens  entourés  d'auges 
en  pierre,  où  les  troupeaux  viennent  se  désaltérer  (Robinson,  Palses- 
tina,  I,  337).  Palmer  (The  désert  of  the  Exodus,  II,  388)  prétend  qu'on 
voit  les  restes  de  sept  puits  en  cet  endroit,  mais  cette  donnée,  qui  re- 
pose sur  une  étymologie  sans  doute  fautive  quoique  très-répandue, 
n'est  pas  acceptée  par  tout  le  monde.  C'est  par  un  jeu  de  mots  analo- 
gue que  l'on  a  donné  le  nom  de  Bersébaà  une  station  de  la  Société  des 
missions  de  Paris  au  pays  des  Bassoutos,  où  se  trouvaient  également 
sept  puits  lors  de  l'arrivée  des  missionnaires.  ph.  Beegee. 

BERTHE  (Sainte),  veuve  et  fondatrice  du  monastère  de  Blangy,  au 
diocèse  de  Thérouanne,  parait  avoir  vécu  au  septième  siècle.  Tout  ce 
qu'on  a  sur  elle  est  récent;  ses  actes  (Boll.,  4  juil.,  Il  ;  Mabillon,  AA  . 
SS.  Ben.,  s.  III,  1,  451)  ne  méritent  aucune  créance:  d'après  leurrécifc, 
elle  était  veuve  de  Sigefroy,  parent  de  Clovis  II,  et  nièce  de  sainte  Ba- 
thilde.  En  682,  elle  bâtit  le  couvent  de  Blangy,  où  elle  mit  des  nonnes. 
Los  bénédictins  s'v  établirent  en  1032. 


BERTHIEJR  —  BERTHOLD  245 

BERTHIER  (Guillaume-François),    savant  jésuite,    né    à  Issoudun 

en  1704.  Après  avoir  occupé  plusieurs  chaires  avec  distinction,  il  fut 
chargé  de  continuer* V Histoire  de  l'Eglise  gallicane  du  P.  Brumoy,  qu'il 
mena  jusqu'en  1529 et  à  Laquelle  il  ajouta  six:  volumes.  11  traita  ce  sujet, 

délicat  pour  un  jésuite,  avec  autant  de  modération  dans  la  forme  que 
d'érudition  véritable.  Ces  qualités  le  tirent  appeler  au  Journal  de  Tré- 
voux qu'il  dirigea  à  partir  de  1745.  11  eut  à  subir  dans  ces  fonctions  de 
critique  les  invectives  de  tous  ceux  dont  ses  jugements  blessaient  la 
vanité,  niais  il  ne  parut  jamais  s'en  émouvoir.  Voltaire  lui-même,  dont 
il  appréciait  les  œuvres  historiques  avec  une  rigueur  qui  exaspéra  l'é- 
crivain, ne  put  ramener  à  la  réplique.  Les  encyclopédistes,  également 
piqués,  n'y  réussirent  pas  davantage.  A  la  suppression  de  son  ordre,  le 
dauphin,  père  de  Louis  XVI,  le  lit  précepteur  de  ses  enfants;  mais  il 
dut  partager,  en  17(iï,  l'exil  de  ses  confrères,  et  se  lixa  à  Offenbourg. 
Dix  ans  après  il  obtint  de  se  retirer  à  Bourges  où  il  mourut  en  1782.  Il 
avait  achevé  dans  cette  ville  un  Commentaire  sur  les  Psaumes  et  sur 
haïe,  travail  estimé  que  le  P.  Querbœuf  publia  après  sa  mort,  ainsi 
qu  une  Réfutation  du  Contrat  social  et  ses  Œuvres  spirituelles. 

BERTHOLD,  apôtre  de  la  Livonie,  abbé  de  Lockum  dans  la  liasse 
Saxe,  de  Tordre  de  Citeaux,  fut  appelé  en  1196  par  l'archevêque  dé 
Brème  à  continuer  près  des  populations  slaves  païennes  des  bords  de 
la  Duna,  en  Livonie,  L'action  missionnaire  commencée  par  Meinhard  et 
Théoderic.  Après  avoir  reçu  la  consécration  épiscopale,  il  se  mit  à  l'œu- 
vre et  réussit  à  grouper  autour  de  lui  à  Yskûll,  près  de  Riga,  les  quel- 
ques disciples  déjà  gagnés  à  la  cause  de  l'Evangile  et  de  nombreux 
païens  attirés  par  ses  aumônes  et  par  les  bénéfices  que  leur  assuraient 
leurs  relations  commerciales  avec  Brème.  Toutefois  son  succès  fut  de 
courte  durée.  Trop  vite  découragé  par  les  menaces  du  parti  païen,  il  se 
réfugia  en  Allemagne  et  revint  à  la  tète  d  une  armée  de  croisés,  qui 
remporta  une  victoire  éclatante  et  imposa  aux  vaincus  la  profession  de 
la  loi  chrétienne.  Mais  l'évêque  avait  péri  pendant  le  combat  et  le 
paganisme  ne  tarda  pas  à  relever  la  tête  après  le  départ  de  L  armée  alle- 
mande. —  Voyez  Néander,  K.  G.,  4e  éd.,  VU,  45  ss.  ;  Blumhardt,  Mis- 
sionsgesch.,  111,  2,  518  ss. 

BERTHOLD,  le  franciscain,  né  dans  les  premières  années  du  treizième 
siècle,  mort  le  14  décembre  1272,  l'un  des  prédicateurs  les  plus  popu- 
laires de  l'Allemagne  au  moyen  âge,  a  été  Lire  de  l'obscurité  par 
.1 .  Grimm  et  Néander  et  par  la  publication  de  ses  sermons  par  Kling 
(Berlin,  1824),  et  plus  récemment  par  Gœbel.  On  suppose  que  son  nom 
de  famille  était  Lechi  et  que  son  origine  était  humble.  Disciple  et 
ami  du  prédicateur  mystique  David,  il  a  prêché  à  Augsbourg,  à  Ratis- 
bonne  et  dans  une  partie  de  la  Suisse,  le  plus  souvent  en  plein  air  (en 
Bavière  un  vieux  tilleul  porte  encore  son  nom),  devant  des  auditoires 
immenses.  Dans  sis  discours,  il  emprunte  ses  images  à  la  nature,  a  sou- 
vent recours  aux  apostrophes  directes,  aux.  dialogues.  Tout  en  étant  for- 
tement imbu  des  idées  de  son  temps,  il  s'élève  avec  énergie  contre  les 
indulgences,  l'oppression  des  grands,  les  crimes  du  temps,  l'hérésie 
grandissante,  les  vices  du  peuple,  dont  il  connaît  à  fond  les  misères  et 


240  BERTHOLD  —  BERTHOLET 

les  besoins  et  dont  il  a  partagé  la  vie.  Parfois  tendre  et  mystique  comme 
son  maître,  plus  souvent  incisif  et  pénétrant,  attachant  plus  de  prix  à  la 
vie  du  cœur  qu'aux  formes  extérieures,  véritable  apôtre  de  la  mission 
intérieure,  il  accomplit  des  conversions  merveilleuses  et  exerça  une 
influence  énorme  sur  ses  contemporains.  —  Voyez  :  Piper,  Zeugen  der 
Wahrheit,  1874,  III,  82  ss.  :  Néander,  K.  G.,  4c'éd.,  Mil,  34;  Ébrard, 
K.  G.,  1865,   11,  passim. 

BERTHOLDT  (Léonard)  [1774-1822]  professa  les  langues  orientales 
et  les  sciences  bibliques  à  Erlangen.  Son  ouvrage  sur  le  prophète  Da- 
niel (1800,  2  vol.)  lit  sensation.  Son  Introduction  aux  écrits  de  V Ancien 
et  du  Nouveau  Testament  (1812-19,  5  vol.)  a  vieilli;  la  méthode  en  est 
défectueuse,  Fauteur  groupant  et  mêlant  les  livres  des  deux  alliances 
d'après  leur  genre  littéraire  ;  la  tractation  elle-même  dénote  une  ab- 
sence choquante  du  sens  historique.  L'auteur  représente  le  rationa- 
lisme dans  ce  qu'il  a  de  plus  vulgaire.  Son  Introduction  aux  sciences 
tl/éologiqiies  (1821-22,  2  vol.)  et  son  Manuel  de  l'histoire  des  dogmes 
(1822-23,  2  vol.)  sont  encore  plus  faibles. 

BERTHOLET  (François)  est  né  à  Aigle  (canton  de  Vaud),le  27  février 
1814.  Amené  jeune  à  la  foi  (1824),  il  se  prépara  au  saint  ministère 
dans  l'académie  de  Lausanne,  et  entra  en  1837  dans  la  carrière  pasto- 
rale, en  qualité  de  sutfragant  à  Gryon,  village  de  montagne  au-dessus 
de  Bex.  En  1843,  renonçant  à  sa  position  officielle,  il  revint  à  Aigle,  sa 
ville  natale,  pour  y  exercer  un  ministère  indépendant;  mais,  chassé 
par  la  persécution  qui  ne  sévit  nulle  part  avec  plus  de  force  dans  le 
canton  de  Vaud  que  dans  la  vallée  du  Rhône,  il  accepta  un  appel  de 
la  Société  évangélique  de  France,  et  desservit  pendant  quatre  ans  le 
poste  de  Sens  (1845-1849),  dont  il  fit  un  centre  d'évangélisation. 
Rayonnant  de  là  dans  plus  de  vingt-deux  localités  différentes,  toujours 
à  pied,  souvent  chargé  de  la  balle  du  colporteur,  traitant  durement 
son  corps  et  ne  lui  accordant  qu'une  maigre  nourriture,  il  contracta 
dans  ce  ministère  tout  apostolique  le  germe  d'une  maladie  qui  devait 
le  conduire  de  bonne  heure  au  tombeau.  Après  quelques  semaines 
passées  dans  ses  chères  Alpes,  pour  y  refaire  sa  santé,  Bertholet  se  rendit  à 
Lyon,  où  pendant  cinq  nouvelles  années  (1849-1854)  il  dépensa  ses 
forces  au  service  de  l'Eglise  évangélique  de  cette  ville  et  dans  de 
vastes  tournées  d'évangélisation  dans  les  départements  avoisinants 
(Drôme,  Hautes-Alpes,  etc.).  Obligé  de  quitter  Lyon,  dont  le  climat  ag- 
gravait le  mal  qui  le  consumait,  Bertholet  accepta  en  1854  une  place 
de  prédicateur  dans  l'Eglise  évangélique  de  Genève.  Il  put  y  exercer 
pendant  huit  années  un  ministère  actif  et  béni,  souvent  interrompu  par 
des  courses  missionnaires  en  Suisse  et  surtout  en  France  (Midi,  Ouest  et 
Centre).  .Le  27  juin  1862,  se  sentant  épuisé  physiquement,  il  partit  pour  le 
val  d'Anniviers,  espérant  refaire  ses  forces  sur  les  sommets  des  Alpes; 
mais  au  bout  de  peu  de  jours,  il  venait  mourir  dans  une  localité  pres- 
que inconnue,  sans  que  nul  des  siens  pût  le  revoir  (2  juillet  1862,  à 
Vez,  près  Sion,  Valais).  Bertholet  a  été  par  excellence  le  prédicateur 
populaire.  Exclusivement  désireux  de  sauver  les  âmes,  il  courait  au 
pins  pressé,  sans  s'inquiéter  des  règles  et  des  formes;  mais  sa  parole 


BERTHOLET  —  BÉRULLE  247 

était  de  feu.  Il  a  publié  quelques  discoure  détachés  :  Exhortation  pas- 
torale  adressée  par  le  pasteur  d'une  paroisse  de  montagne  à  snspa7'oissiens7t 
Laus.,  1843;  Deux  exhortations  pastorales  adressées  à  mes  anciens  parois- 
siens, Laus'.,  1 844  :  Ephèse  et  Laodicée,  Paris,  1805;  Le  culte  de  la  louange 
et  le  culte  de  la  vie  :  Baruch  ou  le  désir  des  grandeurs  cl  lademande  d'un 
passage  pour  le  peuple  de  Dieu,  Toul.,  1859;  L'amour  de  Dieu  pour  le 
monde.  Laus. .  1857;  La  promesse  du  Saint-Esprit,  Laus.,  1858;  L'èg  lue  ou 
la  maison  de  Dieu,  et  un  rec  ueil  de  douze  Méditations  sur  quelques  sujets  de 
l'Ancien  Testament  étudié  à  la  Ivmièrede  V Evangile,  Laus.,  1857  et  1865. 
On  lira  avec  un  grand  intérêt  les  Lettres  de  F.  Bertholet-Bridel  publiées 
pour  ses  amis,  et  précédées  d'une  notice  biographique,  Laus.,  1855. 

Louis  Ruffet. 

BERTIN  (Saint),  fondateur  du  couvent  qui  porte  son  nom  (f  709).  Il 
était  moine  de  Luxeuil  et  était  né  au  diocèse  de  Constance.  Vers  660,. 
il  se  rendit  avec  saint  Mommolin,  plus  tard  évoque  de  Noyon,  et  saint 
Kbertram.  auprès  de  saint  Orner,  évêque  de  Thérouanne,  qui  était 
sorti  du  même  couvent;  ce  prélat  lui  fit  obtenir,  d  un  homme  riche 
nommé  Adroalde.  la  terre  de  Sithiu,  au  lieu  qui  fut  appelé  plus  tard 
Saini-Omer.  C'est  là  (pie  les  trois  moines  établirent  le  célèbre  couvent 
dont  les  belles  ruines  se  voient  encore.  Jean  d'Ypres,  abbé  de  cette 
maison  (y  1383),  est  Fauteur  de  la  précieuse  Chronique  Bertinienne, 
imprimée  dons  Martène  (Thés,  nov.,  III,  441)  et  qui  fut  continuée  jus- 
qu'en 1497  (Martène,  AmpL  coll.,  VI,  6i4).  Foucart,  moine  de  Sithiu, 
a  écrit  en  1 108  la  vie  de  saint  Bertin  (Boll.,5  sept.;  Mabillon,  AA.  SS, 
lien.,  s.  III,  1,  104).  —  Voyez  Gallia  Chr.,  III,  484. 

BÉRULLE  (Pierre  de)  [1575-1629],  né  en  Champagne,  descendant 
des  Séguier  par  sa  mère,  élevé  par  les  jésuites,  ami  de  François  de 
Sales,  unissant  l'esprit  subtil  et  souple  des  premiers  à  la  dévotion  sen- 
timentale et  mystique  du  second,  remarquable  surtout  par  sa  douceur 
i  nsin  uante,  joua  un  rôle  important  dans  l'histoire  de  l'Eglise  de  France  de 
son  temps.  Attaché  aux  Guise,  il  s'employa  activement,  et  non  sans  succès, 
à  la  conversion  des  réformés,  particulièrement  des  grandes  dames 
nobles.  11  établit  en  France,  malgré  les  obstacles  qu'il  rencontra  de  la 
part  des  carmes  et  des  jésuites,  les  couvents  de  femmes  de  l'ordre 
de  Sainte-Thérèse  (carmélites  d'Espagne)  et  la  congrégation  de  l'Ora- 
loire  (voy.  cet  article).  Jouissant  de  toute  la  confiance  de  Louis  XIII  et 
de  la  peine-mère,  qui  le  tirent  cardinal  et  ministre  en  1627  et  cherchè- 
a  l'opposer  à  Richelieu,  il  fut  chargé  de  plusieurs  négociations 
importantes,  notamment  de  solliciter  à  Rome  unedispense  pour  le  ma- 
riage  d'Henriette  de  France  avec  le  prince  de  Galles.  11  mourut  subite- 
ment en  célébranl  la  messe,  et  la  rumeur  publique  accusa  Richelieu 
<!<•  l'avoir  empoisonné.  Protecteur  des  lettres  et  des  arts,  Bérulle  en- 
couragea  Deseartes,  favorisa  la  publication  de  la  Bible  polyglotte  de 
Lejaj  et  contribua  à  développer  le  goût  pour  la  musique  sacrée  en 
Franc-.  I!  a  laissé  plusieurs  écrits,  réunis  après  sa  mort  par  le  P.  Bour- 

.- g    P.,  1644,  ~ï  vol.  in-fol.;  nouv.  édit.,  Montrouge,  L856),  parmi 

Lesquels  nous  citerons  son  traité  Des  Grandeurs  de  Jésus,  qui  f ut  ap* 
prouvé  el  répandu  par  les  jansénistes.  Toutefois  Bérulle  est  plutôt  di- 


248  BÉRULLE  —    BESANÇON 

recteur  de  conscience  que  théologien,  11  occupa  une  position  intermé- 
diaire entre  les  partis  de  son  temps,  s'appliqua  surtout  à  la  réforme 
des  mœurs,  et  ne  montra  quelque  ardeur  que  dans  la  controverse  avec 
les  protestants.  —  Voyez  Habert  de  Cérisi,  Vie  du  cardinal  de  Bertille, 
P.,  1646,  in-4°;  Tabaraud,  Hist.  de  P.  de  Bèrulle, P,,  1818,  2  vpL ; 
Nourrisson,  Le  card.  de  Bérulle,  sa  vie  et  ses  écrits,  P.,  1850. 

BERYLLE,  évêque  de  Bostra  en  Arabie,  homme  instruit,  vivait  dans 
la  première  moitié  du  troisième  siècle  (Ëusèbe,  Hist.  eccl.,  VI,  20,  23; 
Hieron.,  De  Script,  ercl.j  60).  Il  gouverna  longtemps  son  Eglise  avec 
gloire,  mais  ensuite  il  tomba  dans  une  grave  erreur  sur  la  personne 
de  Jésus-Christ,  et  peu  s'en  fallut  qu'il  ne  devînt  sabellien.  Il  prétendait, 
en  elï'et,  que  le  Fils  de  Dieu  n'existait  pas  avant  l'incarnation  comme 
hypostase  ou  personne  particulière  ;  mais  qu'il  ne  commença  à  exister 
qu'à  partir  de  sa  naissance  et  qu'il  n'avait  en  lui  que  la  divinité  du  Père 
(tov  awT^pa  xal  xtfpiov  r^wv  A£*fsv  [ayj  wpouçiorravaî  v~z~'  '.o'.av  G:j5'.xq  r.zp'- 
Ypaçr^v  r.pb  rqq  eîç  àvôpw-syç  ï-\zr^J.xq  \j;rfii  \j;r^  SâOTYjTa  ISiav  ë^E'.v,  aXX' 
â{A7:dp.Teuo^évyjv  a-jTo)  (AÔvYjv  tyjv  t> x~ p'.v.rft .  Eusèbe  ,  //&£.  éTC/.,  VI,  33). 
Grâce  à  Origène,  Berylle  abandonna  son  erreur  et  revint  à  l'ensei- 
gnement orthodoxe  de  l'Eglise,  en  Tan  244.  D'après  Eusèbe,  il  écrivit 
des  lettres  et  d'autres  opuscules;  les  premières  sont  des  lettres  de 
remerciment  à  Origène  ;  le  contenu  des  autres  écrits  est  inconnu  et  il 
n'en  reste  aucun  vestige  (cf.  Ullmann,  De  Beryllo  Bostrene,  Hamb., 
1835). 

BERZELLAI  [Barzilai],  de  Roglim,  dans  le  pays  de  Galaad,  donna 
l'hospitalité  à  David,  lorsqu'il  fuyait  devant  Absalon.  Il  refusa  les 
services  qui  lui  furent  offerts  à  la  cour,  en  faveur  de  son  lils  Chi- 
meliam  (2  Sam.  XVII,  27;  XIX,  32  s.s.). 

BESANÇON,  archevêché.  La  capitale  de  la  grande  Séquanaise,  Ve- 
suntio  (Bisimtium),  reçut  l'Evangile  de  saint  Ferréol,  envoyé,  dit-on, 
avec  saint  Ferjeux  ou  Ferrutius,  son  frère,  par  saint  Irénée,  et  qui 
mourut  martyr  avec  son  compagnon  vers  212  (16  juin).  On  croyait  au- 
trefois que  saint  Lin,  avant  d'être  pape,  avait  été  en  Tan  54  évêque 
de  Besançon,  mais  il  semble  plus  juste  d'admettre  qu'un  autre  saint 
de  ce  nom  annonça  l'Evangile  dans  la  cité  bisontine  en  même  temps 
que  saint  Ferréol.  On  doute  qu'à  ce  moment  Besançon  ait  eu  des 
évêques,  et  jusqu'à  Célidoine,  qui  fut  déposé  en  444  par  un  synode 
que  présidait  saint  Hilaire  d'Arles,  les  évêques  de  notre  ville  ne  nous 
paraissent  pas  appartenir  à  l'histoire.  Au  neuvième  siècle  seulement, 
Besançon  prit  le  titre  d'archevêché.  On  admet  généralement  que  ce 
siège  avait  eu  autorité  sur  ceux  d'Avenches,  d'Augst  et  de  Winclisch  et 
(s'il  exista  jamais)  sur  celui  de  Nyons;  quand  Windisch  eut  été  uni  à 
Constance  et  ainsi  rattaché  à  Mayence,  quand  l'évêché  d'Augst  eut  été 
transporté  à  Bàle,  celui  d'Avenches  à  Lausanne,  comme  peut-être  celui 
de  Nyons  fut  mis  à  Belley,  le  siège  de  Besançon  garda  ces  trois  derniers 
suffragants.  En  1871,  la  province  de  Besançon,  aujourd'hui  diminuée, 
comprenait  les  diocèses  de  Strasbourg,  Metz,  Verdun,  Belley,  Saint-Dié 
et  Nancy.  L'Eglise  de  Besançon  fut  divisée,  pendant  tout  le  moyen  âge. 
par  une   querelle  de  clochers  :  deux    cathédrales,  Saint-Jean-Apôtre 


BESANÇON  —  BESOLD  249 

(rebâtie  au  onzième  siècle),  où  Ton  conserve  le  saint-suaire,  et  Saint- 
Etienne  (rééditiée  en  1042),  se  disputaient  ce  qu'on  appelait  le  privi- 
lège de  maternité.  On  croit  même  qu'en  614  Besançon  avait  deux 
évêques.  Calixte  11  décida  en  laveur  de  SainthJean  et  en  1254  les  deux 

chapitres  turent  nuis  par  Innocent  IV;  ce  ne  fut  toutefois  qu'en  1668, 
Lorsque  Saint-Etienne  eut  été  démolie  avec  ses  maisons  canoniales,  que 
Les  deux  chapitres  furent  confondus  en  l'ait  comme  endroit.  Les  arche- 
vêques de  Besançon,  dont  la  capitale  avait  pris  le  nom  allier  de  Chry- 
sopolis,  étaient  princes  d'empire;  parmi  ces  dignitaires,  au  nombre 
desquels  nous  trouvons  les  représentants  de  toute  la  grande  noblesse 
franc-comtoise,  nous  ne  nommerons  que  Granvelle  (1584-1586),  le 
fondateur  de  l'université.  Des  synodes  furent  tenus  à  Besancon  en  1124 
et  1571.  — Voy.  :  Dunod,  Hist.  de  l'Egide  Besançon,  Bes.,  1750,  in-4°, 
2  vol.  ;  Richard,  H.  des  Dinc.  de  Besançon  et  de  Saint-Claude,  3  vol., 
1847-51;  Vies  des  Saints  de  Fr.-C>,  Bes.,  1854-56,  4  vol.;  Hauréau, 
Gàllia,  XV.  s-  Bebgeb. 

BESCHITZI  (Elie),  fils  de  Moïse  fils  de  Menahem,  juif  caraïte,  né  à 
Adrianople,  vécut  à  Constantinople  (d'où  son  surnom  de  Bèschitzi,  le 
Byzantin)  jusqu'en  li()0  où  il  succéda  à  son  père  comme  chef  de  la 
congrégation  caraïte  d'Âdrianople,  où  il  mourut  en  1491.  Il  laissait 
inachevé  un  ouvrage  intitulé  Aderet  Elijahmi  (manteau  d'Elie)  que 
son  disciple  et  bean-frère  Caleb  Afendopulo  acheva  en  1497,  et  que  le 
petit-fils  de  l'auteur  lit  imprimer  à  Constantinople  en  1531,  in-fol. 
(nouv.  éd.  publ.  par  Firkowitz,  Eupatoria,  1835,  2  part.,  in-fol.).  Ce 
livre  qui,  basé  sur  la  connaissance  de  toute  la  littérature  caraïte  anté- 
rieure, aujourd'hui  en  grande  partie  perdue,  décrit  les  rites  et  les 
ordonnances  des  caraïtes,  a  acquis  dans  cette  secte  une  si  grande  im- 
portance qu'il  y  sert  en  quelque  sorte  de  code  civil.  Bèschitzi  écrivit 
aussi  quelques  petits  ouvrages  polémiques  contre  les  juifs  rabbanistes 
(imprimés  dans  redit,  de  1835),  et  parait  être  l'auteur  d'un  traité  de 
logique  dont  il  existe 'quelques  manuscrits.  Son  arrière-petit-fils,  Moïse, 
tils  d'Elie  Bèschitzi,  quoique  mort  à  dix-huit  ans  (1572),  avait  écrit 
plusieurs  ouvrages  importants,  dont  la  plupart  périrent  dans  un  in- 
cendie du  vivant  de  l'auteur;  ce  ne  fut  pas  le  cas  du  Mate  Elnhim 
(bâton  de  Dieu),  dans  lequel  il  défendait  les  principes  des  caraïtes 
contre  les  rabbanistes,  et  dont  on  a  publié  un  fragment  dans  le  Dod 
Mardechai  (Hamb.,  1714;  Vienne,  1830).—  Sources:  Wolf,  Notitia 
Carœorum  {Dod  Mardechai),  p.  63,  93  et  146;  Wolf,  Bibliotlteca  Hebr., 
t.  I  et  111.  n'j^  237  et  1519;  De  Rossi,  Diiion.  d.  autori Ebr. ; Fûrst,  Bi- 
blioth.  judaica,  I.  p.  114;  Fùrst,  Gesck.  des  Karœerthums  von  900  bis 
1575  iLeip/.,  1865),  p.  304-322.  A.  Bernus. 

BESOLD  (Christophe)  [1577-1638],  jurisconsulte  et  apostat  célèbre, 
professa  le  droit  à  Tubingue.  Accablé  par  les  malheurs  du  temps  et 
l'ennui  des  discussions  théologiques,  séduit  par  le  mysticisme  douce- 
reux et  la  poésie  du  culte  catholique,  il  abjura  le  protestantisme  en 
103V.  au  moment  où  les  troupes  de  Wallénstein  occupèrent  la  Souabe. 
Dans  une  série  d'écrits  (Prodromus  vindiciarum  eccles.  Wirtemb.,  1636, 
m-'i  :    Documenta  rediviva  monaster.   Wirtemb.,  1536, in-4°,  etc.),  il 


250  BESOLD  —  BESSARION 

chercha  à  prouver  que  les  couvents  wurtembergeois ,  dont  les  biens 
avaient  été  appliqués  par  les  ducs  Ulrich  et  Christophe  à  l'entretien 
des  églises  et  des  écoles  protestantes,  étaient  la  propriété  immédiate 
de  r empire  et  devaient  en  conséquence  faire  retour  à  l'Eglise  ca- 
tholique. Lorsque  le  duché  fut  évacué  par  les  Autrichiens,  Besold 
sollicita  et  obtint  une  place  de  professeur  en  droit  à  Ingolstadt, 
mais  il  mourut  Tannée  suivante.  Son  exemple  n'eut  guère  d'imitateurs, 
comme  les  jésuites  l'avaient  espéré  :  seuls,  trois  étudiants  en  droit  de 
T ubingue  se  convertirent  à  l'Eglise  romaine  (voy.  Fischlin,  Meraor. 
theol.  wirtemb.  suppl.). 

BESSARION  (Jean  ou  Basile),  de  Trébizonde,  né  en  1395,  fut  un  de 
ces  savants  distingués  qui,  après  la  chute  de  Constantinople,  transpor- 
tèrent en  Occident  les  monuments  de  la  littérature  grecque.  11  eut  pour 
maître  Gemistos  Pletho,  à  qui  il  doit  son  enthousiasme  pour  Platon.  En 
1410  il  se  transporta  à  Constantinople  et,  probablement  en  1423,  il 
entra  dans  l'ordre  des  basiliens.  Elu  archevêque  de  Nicée,  il  accompa- 
gna en  1437  Jean  VII  Paléologue  au  concile  de  Florence  (1439),  convo- 
qué pour  la  réunion  des  deux  Eglises.  Dans  ce  concile  il  se  distingua 
par  son  éloquence  et  par  son  ardeur  à  poursuivre  la  réconciliation  pro- 
jetée. Après  le  concile  il  passa  à  l'Eglise  catholique.  Il  ne  nous  appar- 
tient pas  de  juger  ici  les  raisons  qui  le  déterminèrent  à  cet  acte.  Tou- 
tefois, à  quelque  point  de  vue  qu'on  se  place,  il  paraît  bien  difficile 
d'admettre  que  les  motifs  qui  le  dirigèrent  en  cette  circonstance  aient 
été  complètement  désintéressés  (voir  l'article  de  Hase  sur  Bessarion 
dans  l' Encyclop.  von  Ersch  u.  Gruber).  Quoiqu'il  en  soit,  il  ne  cessa  pas 
d'aimer  sa  patrie  et  de  travailler  avec  une  ardeur  infatigable  au  pro- 
grès des  lettres  grecques.  Sa  maison  fut  toujours  le  rendez-vous 
des  savants  les  plus  distingués  de  la  Grèce  et  de  l'Italie.  Il  fut  créé 
cardinal-prêtre  par  le  pape  Eugène  IV;  Nicolas  V  r  éleva  à  la  dignité 
de  cardinal-évêque  du  titre  de  Sainte-Sabine  et  d'archevêque  de  Si- 
ponto,  et  sous  le  pape  Pie  II  il  reçut  le  titre  de  patriarche  de  Cons- 
tantinople (1463)  et  il  fut  envoyé  comme  légat  à  Bologne,  où  il  restade 
l'an  1451  à  1455.  Après  la  chute  de  Constantinople  il  parcourut  l'Alle- 
magne et  la  France;  il  alla  jusqu'à  Vienne  pour  susciter  une  croisade 
contre  les  Turcs,  et  il  fut  le  protecteur  de  tous  ses  compatriotes  exilés. 
Quatre  fois  il  fut  revêtu  de  la  dignité  de  légat  et  deux  fois  il  fut  sur  le 
point  d'être  élu  pape  comme  successeur  de  Nicolas  V  et  de  Paul  II  ; 
mais  il  échoua  par  les  intrigues  de  ses  adversaires.  En  revenant  d'un 
voyage  en  France  il  mourut  à  Bavenne  le  19  novembre  1472.  Sa  riche 
bibliothèque,  contenant  600  manuscrits  grecs  précieux,  fut  léguée  par 
lui  au  sénat  de  Venise.  Il  travailla  beaucoup  pour  le  développement 
des  lettres.  Attaché  à  la  philosophie  de  Platon,  il  prit  sa  défense  contre 
George  de  Trébizonde  et  publia  sur  ce  sujet  à  Borne,  en  1469,  un  ou- 
vrage intitulé  Contra  calumniatorem  Platonis.  Il  a  laissé  aussi  quelques 
ouvrages  théologiques  ;  son  Traité  sur  le  sacrement  de  V  Eucharistie  a 
été  inséré  dans  la  Bibliothèque  des  Pères  ;  d'autres  ont  été  recueillis 
dans  les  Actes  du  concile  de  Florence  du  P.  Labbe  et  du  P.  Hardouin 
(voy.  De  vitaet  rébus  gestis  Bessarionis  cardinalis  JSicxni  Commentarius, 


BESSÀRION  —  BETHEL  251 

Roma?,  1777:  Trithèrae  et  Bellarmin,  De  Script,  eccles.;  Auberi,  His- 
toire des  Cardinaux).  J-  Moshakis. 

BETHABARA  est,  d'après  le  texte  reçu  depuis  ûrigèrïe,  le  nom  d'un 
endroit  sur  te  Jourdain,  où  Jean  baptisait  (Jeanl,28).  Mais  lés  plus  anciens 
manuscrits  portent  Bëtlianie.  Origène  ne  trouvant  pas  sur  les  bonis 
du  Jourdain  d'endroit  du  nom  de  Béthanie,  s'est  décidé  pour  la  leçon 
aujourd'hui  reçue:  tous  les  Pères  Tout  suivi.  Il  faut  en  distinguer  un 
autre  endroit  nommé  Bethbara  (Jug.  VII,  24),  qui  était  situé  sur  la 
rive  droite  et  non,  comme  Bethabara,  sur  la  rive  gauche  du  Jourdain, 
au-dessous  de  Bethsan. 

BÉTHANIE,  village  situé  à  gauche  de  la  route  qui  va  de  Jérusalem  à 
Jéricho,  à  H)  minutes  de  Jérusalem  (15  stad.,  Jean  XI,  18).  Il  n'est  cité 
nulle  part  dans  l'Ancien  Testament.  C'est  là  qu'habitaient  Lazare  et  ses 
sœurs  (Jean  XI,  1  :  comp.  Matth.  XXI,  17  ;  XXVI,  0  et  les  pass.  paral- 
lèles). Jésus  s'y  retirait  le  soir,  pendant  son  séjour  à  Jérusalem.  D'a- 
près le  Talmud,  il  y  avait  à  Béthanie  des  réservoirs  où  ceux  qui  étaient 
souillés  se  lavaient  avant  d'entrer  à  Jérusalem.  Peut-être  cette  tradition 
doit-elle  sa  naissance  aux  récits  bibliques.  L'étymologie  est  incertaine. 
La  version  rabbinique,  Beth-hinê,  «  la  maison  des  dattes,  »  quoique  s'é- 
cartant  de  la  prononciation  grecque,  semble  la  plus  probable.  De  très- 
bonne  heure,  les  chrétiens  l'ont  appelée  Lazarium,  d'où  les  Arabes 
ont  forgé  le  nom  d'e/  Azriyeh,  qui  a  entièrement  prévalu.  Aujourd'hui 
Béthanie  est  un  méchant  village  arabe  :  pourtant  on  y  voit  çà  et  là  de 
grandes  pierres  qui  doivent  provenir  d'anciennes  constructions.  On  y 
montre  le  château  de  Lazare,  les  maisons  de  Marthe  et  Marie  que  la  tradi- 
tion a  tantôt  réunies,  tantôt  séparées,  la  maison  de  Simon  le  Lépreux 
et  le  tombeau  de  Lazare.  La  tradition  relative  à  ce  dernier,  quoique 
fort  ancienne  (elle remonte  au  quatrième  siècle),  manque  de  fondement. 
—  Voyez  Tobler,  Topogr.  v.  Jerus.,  II,  p.  422-464. 

BÉTHEL,  le  plus  ancien  et  pendant  longtemps  le  premier  sanctuaire 
des  Hébreux.  Son  nom  signifie  «  maison  de  Dieu  »  ;  toutefois  il  faut 
entendre  par  là  non  pas  un  temple,  mais  une  de  ces  pierres  sacrées 
dans  lesquelles  la  divinité  était  censée  habiter,  comme  en  possédaient 
la  plupart  des  endroits  où  se  rendaient  des  oracles.  L'histoire  de 
l'échelle  de  Jacob  fait  bien  comprendre  la  vraie  nature  de  ce 
1  h Itc.  La  Genèse  rapporte  la  création  de  Béthel  tantôt  à  Abraham  (XII, 
8  MIL  2),  tantôt  à  Jacob  (XXVIII,  li);  XXXV,  G).  D'après  Gen. 
XXVIII,  19,  la  ville  s'appelait  primitivement  Luz  ;  il  se  pourrait  toute- 
fois que  ce  lût  là  son  nom  profane  à  côté  du  nom  sacré;  dans  le  livre 
de  Josué  (VIII,  17;  XII,  10),  le  nom  de  Béthel  se  trouve  de  même  as- 
socié,  d'une  façon  assez  insolite,  à  celui  d'Aï.  De  tout  temps,  Béthel 
eut  son  autel  et  son  Bâma,  il  posséda  même  l'arche,  et  fut  un  centre 
prophétique  jusque  sous  les  rois  d'Israël  (Jug.  XX,  18;  1  Sam.  VII, 
16;  \.  3;  l  R.  Il,  3).  .Mais,  à  partir  du  schisme,  Béthel  revêtit  un 
caractère  d'opposition  religieuse  et  politique  à  Jérusalem;  «on  n'y 
adorai!  pasJéhovah.  »  Jéroboam  y  érigea  un  veau  d'or  et  y  institua  nue 
fête  solennelle  au  18  jour  du  8e  mois  (I  R.  XII  et  XIII).  Dès  lors,  son 
culte  lut  considéré  comme  idolâtre  e1  poursuivi  par  les  prophètes, 


252  BÉTHEL  —  BÉTHESDA 

surtout  par  Âmos  et  par  Osée  (comp.  Jér.  XLVIII,  13),  jamais  pour- 
tant à  Tégal  du  culte  de  Baal  ;  Jéhu  ne  l'abolit  pas,  et  il  fut  continué 
même  pendant  la  captivité  des  dix  tribus  par  des  prêtres  qu'avait 
renvoyés  à  cet  effet  le  roi  d'Assyrie,  à  côté  d'autres  cultes  païens 
(2  R.  XVJI)  —  Josias  y  mit  lirt,  et  réunit  Bétliel  au  royaume  de  Juda. 
Jusqu'alors,  et  sauf  une  conquête  passagère  d'Abia,  sur  la  fin  du  règne 
de  Jéroboam  II  (2  Chron.  X1I1,  19),  Béthel  avait  toujours  appartenu  à 
la  maison  de  Joseph.  La  répartition  du  pays  clans  le  livre  de  Josué  in- 
dique de  la  part  des  Benjamites  des  prétentions  sur  Béthel  qui  sem- 
blent n'avoir  existé  réellement  qu'au  retour  de  la  captivité  (Esdr.  II, 
28;Néh.-VH,  38;  XI,  31).  Pendant  les  guerres  des  Machabées  Bé- 
thel fut  pris  et  fortifié  par  Bacchides  le  Syrien;  plus  tard,  Vespasien 
s'en  empara.  On  n'a  jamais  eu  de  doutes  sur  l'identité  de  Béthel  avec 
Beîtin.  Les  ruines  qui  sont  assez  importantes,  les  substructions,  la  tour 
et  le  réservoir,  doivent  dater  du  moyen  âge.  Le  village  ne  compte 
que  400  habitants  ;  il  est  sur  le  penchant  sud  d'une  colline  située  entre 
deux  vallées  verdoyantes.  Distance  de  Jérusalem,  4  heures  1/2;  d'après 
Eusèbe,  12  milles  romains.  Ph.  Beegeb. 

BÉTHESDA,  d'après  Jean  V,  2,  un  des  étangs  de  Jérusalem,  situé 
près  de  la  Porte  des  Troupeaux  et  dont  les  eaux  avaient  certaines  ver- 
tus curatives.  Il  était  entouré  de  cinq  portiques  où  les  malades  se 
tenaient,  en  attendant  le  mouvement  des  eaux.  On  l'a  placé  successi- 
vement de  tous  les  côtés  de  Jérusalem.  Mais  il  semble  résulter  des  pas- 
sages de  Néhémie  (III,  1,  32;  XII,  39),  où  cette  porte  est  mentionnée, 
qu'elle  devait  se  trouver  au  nord  de  la  ville.  Plus  généralement,  on 
identifie  la  Porte  des  Troupeaux  avec  la  Porte  Saint-Etienne  qui  forme 
l'angle  nord-est  de  l'enceinte  sacrée  (/Jaram-el-Schériff'),  et  l'étang  de 
Béthesda  avec  le  grand  bassin,  qui  longe  la  mer  du  côté  du  nord.  Ce 
bassin,  long  de  1 10  mètres  et  large  de  40,  et  situé  21  mètres  plus  bas  que  le 
niveau  du  temple,  est  aujourd'hui  à  peu  près  comblé.  Il  devait  jadis 
s'étendre  encore  davantage;  à  l'ouest,  deux  grandes  voûtes  pénètrent 
à  une  distance  d'au  moins  30  mètres  sous  les  maisons  ;  du  côté  opposé, 
à  l'angle  sud-est  se  trouvait  une  tour  qui  servait  à  régler  le  niveau  des 
eaux;  le  trop-plein  s'écoulait  dans  la  vallée  duCédron.  Les  dimensions 
mêmes  de  ce  réservoir  permettent  difficilement  d'y  voir  une  source 
thermale.  Peut-être  faut-il  chercher  Béthesda  dans  un  bassin  plus 
petit  situé  un  peu  plus  au  nord,  contre  l'église  Sainte-Anne,  la piscina 
interior  des  anciens,  que  l'on  appelait  à  l'époque  des  croisades  «  l'E- 
tang des  Troupeaux  »  pour  le  distinguer  du  Birket  Israïl.  Aujourd'hui, 
cette  identification  peut  être  considérée  comme  certaine.  Le  réservoir 
de  Béthesda  avait  conservé  sa  vertu  après  la  prise  de  Jérusalem.  C'est  ce 
que  prouve  un  ex-voto  curatif,  trouvé  clans  l'église  Sainte-Anne,  et 
publié  par  M.  AYaddington  sur  l'indication  de  M.  Clermont-Ganneau. 
Cet  ex-voto  porte  une  inscription  grecque,  de  la  lin  du  premier  ou 
plutôt  du  commencement  du  second  siècle,  surmontée  d'un  pied;  la 
donatrice  s'appelait  Pompeia  Lucilia.  Il  n'y  a  pas,  contrairement  à 
l'usage,  de  nom  de  divinité,  ce  qui  semble  indiquer  une  sorte  de  sou- 
venir de  la  religion  juive.  Le  bassin  était  encore  plein  d'eau  à  l'épo- 


BÉTHESDA  —  BETHLÉHEM  253 

que  de  la  visite  du  Pèlerin  de  Bordeaux  (333  ap.  J.-C).  qui  dit  que 
l'eau  est  trouble  et  rougcàtre.  C'est  sans  doute  encore  lui  que  Yltinè* 
raire  d'Antonio  (au  sixième  siècle»  désigne  comme  la  />is<iti>i  natatoria 
où  il  se  taisait  de  nombreuses  guérisons;  peut-être  enfin  faut-il  le  re- 
connaître dans  Y jzmz  XguxiXXiovôv  dont  il  est  parlé  dans  la  vie  de 
saint  Sabas  (c,  67),  également  écrite  au  sixième  siècle.  S'il  en  était 
ainsi,  on  pourrait  supposer  que  cette  Lucilia  était  une  personne 
considérable  <pii  avait  restauré  les  portiques  ruinés  pendant  le  siège, 
peut-être  la  tille  de  Lucilius  Bassus  qui  gouverna  la  Palestine  après  la 
prise  de  Jérusalem.  Le  nom  de  Béthesda  est  très-douteux.  Dans  le 
Cod.  Sinaït.  on  lit  en  place  Bethzatka,  et.  on  trouve  dans  les  différents 
manuscrits  et  auteurs  anciens  de  nombreuses  variantes,  telles  que 
BsXÇeQz,  Befoatha,  Betzeta.  11  est  probable  que  ce  nom  est  le  même 
que  celui  de  la  colline  septentrionale  de  Jérusalem,  qui  est  appelée 
par  Josèphe  Bezetha.  —  Voyez  :  Hobinson,  II,  p.  137,  note;  Tobler, 
Denkbl.,  p.  58  ss.  ;  Waddington,  Ac.  des  Insc?'.,  C.  R.,  18(58,  p.  333  ss. 

Ph.  Bebger. 

BETHHORON  [Betkhôrôn  hà'elion,  Betkhôrôn  hattakhtôn, 
8  liant  Bethhoron  »  et  ((  Bas  Bethhoron,  »  aujourd'hui  Beù  Ur  el-fôkha 
el  Beù  Ur  et  tachta],  sur  la  route  qui  allait  de  Jérusalem  à  la  mer  en 
l>assant  par  Gabaon,  à  l'entrée  de  la  gorge  profonde  qui  rejoint  lamon- 
tagneà  la  plaine  des  Philistins,  d'où  son  nom  de  Bethhoron,  «la Maison 
Creuse.  »  La  route  de  Bethhoron  a  été  peu  à  peu  remplacée  par  celle  qui 
va  de  Jérusalem  à  Joppé  en  passant  par  Ramleh  et  Nicopolis,  mais  les 
localités  n'ont  pas  changé  d'aspect.  Les  deux  Beit  Ursont  séparés  par  une 
vallée  assez  large  qui  rejoint  le  Wadi  Saleiman.  Beit  Ur  et-tachta  est  sur 
une  colline  peu  élevée,  au  pied  du  plateau  que  couronne  Beit  Ur  el- 
fôkha,  à  200  mètres  environ  plus  bas  (460  et  640).  Pour  atteindre  le 
second  il  faut  gravir  un  défilé  étroit  et  pavé  de  grandes  dalles  polies. 
La  situation  de  Bethhoron  lui  donnait  une  grande  importance.  La  tra- 
dition (1  Chron.  VII,  24)  en  l'ait  remonter  la  fondation  à  Seéra,  fille 
d'Ephraïm.  D'après  le  livre  des  Rois  (I  R.  IX,  17)  et  les  Chroniques 
(2  Chron.  VIII,  5),  les  deux  villes  furent  construites  et  fortifiées  par  Sa- 
bmon.  La  gorge  qui  mène  de  l'une  à  l'autre  est  restée  célèbre  dans 
l'histoire  des  guerres  d'Israël.  C'est  par  là  que  Josué  poursuivit  les 
Âmorrhéens  (Jos.  X,  10  ss.)  et  que  les  Philistins  montèrent  pour  atta- 
quer Saûl  il  Sam.  XIII,  18).  Judas  3Iachabée  y  livra  deux  batailles 
1  Mac.  III.  io  ss.  ;  VII,  31)  ss.)  ;  et  l'armée  deCestius  Gallus  y  fut  enfer  - 
m. v  par  les  Juifs  et  presque  anéantie  (Jos.,  Bell.  Jud.,  II,  19,  8). 
—  Voyez  Robinson,  III,  p.  58  ss.  Ph.  Berger. 

BETHLÉHEM  [Bêt-lekhem,  LXX  HrfiX&éy.,  Jos.  Brfi\ée\La,  «  maison 
du  pain  s  |,  lieu  de  naissance  de  Jésus,  d'après  Matthieu,  Luc  et  la 
tradition  universellement  reçue  dans  l'Eglise  (cf.  Jean  VII,  41-42). 
Bethléhem  appartenait  à  la  tribu  de  Juda;  on  l'appelait  Bethléhem  de 
.Inilii.  pour  le  distinguer  d'un  autre  Bethléhem  situé  sur  le  territoire 
«If  Zabulon  (Jps.  XIX,  15).  Son  nom  primitif  parait  avoir  été  Ephrath 
qui  es!  longtemps  resté  dans  l'usage,  comme  adjectif  (Gen.  XXX  VI,  19; 
lintli   I.  2;  .Miellée  V.   I);  il  se  pourrait  toutefois  (pie  ce  dernier  ait 


254  BETHLEHEM  —  BETHLÉHEMITES 

toujours  désigné  un  canton  plutôt  qu'un  endroit;  d'après  les  généa- 
logies des  Chroniques  (1  Chron.  II,  19  ;  IV,  4),  Bethléhem  était  petit-fils 
d'Ephrath,  femme  de  Caleb.  La  signification  des  deux  noms  est  à  peu 
près  la  même  (Ëphrath  —  fertilité).  Bethléhem  ne  ligure  pas  parmi  les 
villes  de  Juda  qui  sont  énumérées  Josué  XV  (texte  hébreu)  ;  il  est  vrai 
que  clans  les  LXX  on  l'y  retrouve  à  la  suite  du  v.  59,  ainsi  que  les 
noms  de  dix  autres  villes  qui  manquent  également  dans  le  texte  masso- 
rétique;  mais  son  antiquité  nous  est  attestée  par  l'histoire  de  la  mort 
de  Rachel  et  par  différents  passages  du  livre  des  Juges.  Toutefois,  il  est 
surtout  devenu  célèbre  comme  berceau  de  la  famille  de  David.  Le  livre 
de  Ruth  était  destiné  à  établir  cette  descendance.  Bethléhem  était  aussi  la 
patrie  des  fils  de  Tserujah,  tille  d'Isaï,  ainsi  que  d'Elhanan,  fils  de  Dodo, 
un  des  preux  de  David  et  peut-être  un  de  ses  parents  (2  Sam.  XXI,  15-22  ; 
comp.  XXIII,  9-18,  24),  et  devint  le  théâtre  de  plus  d'un  de  leurs 
exploits.  C'est  enfin  là  que  David  fut  oint.  Aussi  les  espérances  messia- 
niques se  sont-elles  attachées  de  bonne  heure  à  Bethléhem,  bien  que 
ce  fût  un  endroit  de  peu  d'importance  (il  avait  pourtant  été  fortifié  par 
Roboam,  2  Chron.  XI,  6;  comp.  Jér.  XLI,  17).  La  tradition  juive  est 
restée  fidèle  à  cette  croyance  (Reland,  p.  644).  D'après  le  récit  bibli- 
que, Jésus  y  naquit  dans  un  caravansérail,  et  Marie  l'emmaillotta  et  le 
coucha  dans  une  crèche,  parce  qu'il  n'y  avait  pas  de  place  pour  eux  à 
l'hôtellerie.  La  tradition,  que  l'on  trouve  déjà  formée  au  deuxième 
siècle,  chez  Justin  Martyr,  a  placé  le  lieu  de  naissance  de  Jésus  dans 
une  grotte  qui  est  à  l'ouest  de  la  ville.  Constantin  fit  construire  sur 
cet  emplacement,  en  330/  une  belle  basilique,  celle,  d'après  M.  de  Vo- 
gué, que  l'on  voit  encore  aujourd'hui.  En  1010  elle  échappa  par  mi- 
racle, suivant  les  chroniqueurs,  à  la  destruction,  lors  de  l'invasion  des 
musulmans.  En  1101,  au  jour  de  Noël,  Baudouin  y  fut  couronné  roi,  et 
en  1110  Bethléhem  fut  transformé  en  évêché.  A  partir  de  ce  moment 
et  pendant  tout  le  cours  du  moyen-âge,  on  peut  suivre  presque  année 
par  année  le  sort  de  la  basilique  et  les  embellissements  que  les  diffé- 
rents princes  chrétiens  y  ont  apportés.  En  1672,  les  Grecs  réussirent  à 
s'en  rendre  maîtres  ;  mais  dans  ces  dernières  années,  grâce  à  l'inter- 
vention de  Napoléon  III,  les  Latins  ont  de  nouveau  pu  y  rentrer.  Bethlé- 
hem, son  église  et  sa  crypte  ont  été  décrits  par  presque  tous  les  voya- 
geurs. Ph.  Berger. 

BETHLÉHEM,  le  plus  petit  desévêchés  de  France.  En  voici  l'origine  : 
En  1168,  un  comte  de  Nevers,  mourant  en  Terre-Sainte,  lit  don  à 
l'évêquede  Bethléhem,  pour  s'y  retirer  en  cas  de  besoin,  de  l'hôpital  de 
Pantenor,  à  Clamecy,  et  bientôt,  chassé  par  les  infidèles,  l'évêque  dut 
transférer  le  siège  de  Bethléhem-Ephrata  dans  la  petite  chapelle  de 
l'hospice,  qui  prit  le  nom  de  Notre-Dame-de-Bethléhem.  Dès  lors,  et 
jusqu'à  la  Révolution,  il  y  eut  à  Pantenor  un  évêché  dont  un  hôpital 
formait  tout  le  diocèse  et  dont  le  titulaire,  nommé  par  les  ducs 
de  Nevers,  relevait  directement  du  pape.  L'évêque  de  Bethléhem,  qui 
n'avait  pas  mille  livres  de  revenu,  vivait  d'expédients.  Aujourd'hui 
la  cathédrale  de  Bethléhem  est  une  auberge. 

BETHLÉHEMITES,  nom  de  deux  ordres  religieux  dont  le  premier, 


BETHLÉHÉMITES  —  BETHSAÏDE  255 

disparu  aujourd'hui,  s'établit  en  I2:>7  à  Cambridge.  Les  moines 
étaient  vêtus  comme  les  dominicains  et  portaient  sur  la  poitrine  une 
étoile  rouge,  en  mémoire  de  L'étoile  qui  guida  les  mages.  Le  second 

lut  tonde  dans  les  lies  Canaries,  en  1655,  par  Pierre  de  Betlieneouri, 
gentilhomme  français,  rattaché  à  Tordre  des  franciscains.  Il  devait  se 
vouer  au  service  des  malades  dans  les  hôpitaux.  Approuvé  par  Inno- 
cent XI  en  L687,  cet  ordre  reçut  de  nouveaux  privilèges  sous  Clé- 
ment XI  en  1707.  Les  religieux  sont  soumis  à  la  règle  des  augustins, 
et  portent  au  cou  une  médaille  représentant  la  naissance  de  Jésus- 
Christ  à  Bethléhem.  Le  siège  de  Tordre  est  à  Guatemala;  il  compte 
iin,>  quarantaine  de  maisons,  répandues  principalement  dans  les  iles 
Canaries  (voy.  Gaet.  Moroni,  Diction.,  Y,  p.  196  ss.). 

BETHPHAGÉ,  «  la  Maison  des  Figues,  »  était  située  sur  le  mont  des 
Oliviers,  tout  près  de  Jérusalem  (Matth.  XXI,  1)  et  à  côté  de  Béthanie 
(Marc  XI,  1  ;  Luc  XIX,  29).  On  discute  pour  savoir  lequel  des  deux  en- 
droits était  plus  rapproché  de  Jérusalem.  Il  semble  résulter  du  premier 
de  ces  passages  que  Bethphagé  était  aux  portes  mêmes  de  la  ville,  au 
haut  de  la  descente  qui  y  conduit  et  sur  le  côté  de  la  route.  C'est  là  que 
la  place  la  tradition.  On  ne  retrouve  du  reste. actuellement  aucune  trace 
ni  du  nom  ni  de  Tendroit. 

BETHSABÉE,  tille  d'Ammiel  et  femme  d'Urie  THéthéen.  Voyez 
David. 

BETHSAIDE,  «  Pêcherie,  »  bourg  de  Galilée  situé  sur  les  bords  du 
lac  de  Génésareth,  non  loin  de  Capernaum  (Marc  VI,  45,  53;  Jean  VI, 
17.  24  ss.) ,  patrie  de  Pierre  (Jean  I,  44  ss.;  XII,  21) ,  Jésus  y  lit  de 
nombreux  séjours.  Le  nom  de  Bethsaïde  est  attaché  au  souvenir  de  la 
multiplication  des  pains.  Ce  miracle  nous  a  été  transmis  par  six 
rédactions  différentes  :  deux  dans  Matthieu  (XIV,  13-21  ;  XV,  29-39), 
deux  dans  Marc  (VI,  30-44;  VIII,  1-10),  une  dans  Luc  (IX,  10-17),  et 
une  dans  Jean  (VI,  1-14).  11  résulte  de  ces  différents  récits  que  Jésus 
lit  ce  miracle  à  Test  ou  au  nord  du  lac,  sur  le  territoire  de  Philippe  le 
tétrarque,  et  que  c'est  à  Bethsaïde  en  Galilée  qu'il  aborda  lorsqu'il  eut 
apaisé  la  tempête,  après  avoir  congédié  le  peuple.  Seul  Luc  raconte 
que  la  multiplication  des  pains  eut  lieu  dans  un  endroit  solitaire  où 
Jésus  s'était  retiré,  près  d'une  ville  appelée  Bethsaïde.  C'est  à  ce  der- 
nier endroit  que  semble  aussi  se  rapporter  la  guérison  de  l'aveugle 
qui  esl  racontée  Marc  VIII,  22-23.  On  est  naturellement  porté  à  voir 
dans  la  mention  d'une  seconde  ville  nommée  Bethsaïde  en  dehors  de 
la  Galilée  le  résultat  d'une  confusion.  Pourtant,  quelque  étrange  que 
cela  paraisse,  il  n'est  pas  impossible  qu'il  y  ait  eu  deux  Bethsaïde; 
phe  stinble  faire  la  même  distinction,  mais  les  passages  où  il 
touche  à  ce  sujet  sont  très-obscurs  pour  nous.  En  tous  cas,  si  cette 
ide  ville  a  jamais  existé,  nous  ne  croyons  pas  qu'il  soit  possible 
de  Tidentifier,  comme  on  le  fait  le  plus  souvent,  avec  la  célèbre  ville  de 
tuée  au  nord  du  lac.  à  Tendroit  où  il  reçoit  le  Jourdain.  Jo- 
sèphe  lui-même  distingue  Julias,  auparavant  Betharamphtha,  de  Beth- 
•  :|ui  avuit  également  reçu  le  nom  de  Julia  (voyez  Josèphe,  .1///., 


25G  BETHSAIDE  —  BETHSAN 

XVIII,  2, 1  ;  4,  6  ;  Bell.  Jud.,  II,  9, 1;  III,  10,  7).  L'emplacement  de  Betli- 
saïdc  de  Galilée  est  très-mal  connu.  On  Ta  placé  tantôt  près  du  nord 
du  lac,  kel-'Tâbigah,  belle  source  qui  est  environ  à  35  minutes  de  Tell- 
Hûm,  emplacement  présumé  de  Capernaùm  ;  tantôt  plus  au  sud,  à 
Khan-Mini/eh,  «  le  petit  port.  »  Les  lieux,  dans  ce  dernier  endroit,  se 
prêteraient  fort  bien  aux  circonstances  des  récits  bibliques.  C'est  dans 
la  même  contrée,  mais  plus  au  sud  encore,  qu'il  faut  cbercher  les 
territoires  de  Magada  et  Dalmanuta,  d'ailleurs  inconnus,  qui  ont  si  fort 
tourmenté  les  exégètes.  Peut-être,  du  reste,  peut-on  limiter  la  difficulté. 
M.  Renan pense  en  effet  qu'il  ne  s'agit  que  d'un  seul  et  même  endroit, 
Magada,  défiguré  par  la  plume  d'écrivains  qui  ne  le  connaissaient  pas. 
_  Voyez  :Robinson,  Pal.,  III,  p.  288-294,  et  Lot.  attires., p.  344. 

Ph.  Bekger. 

BETHSAMÈS,  Beit-Ghemech,  «  Maison  du  Soleil  »,  aussi  appelée 
Mr  Chemecb,  «  Ville  du  Soleil»  (Jos. XIX,  41), et  peut-être  identique 
avec  Har-Kheres,  «  la  Montagne  du  Soleil  »  (Jug.  I,  35).  Ville  sacer- 
dotale située  près  de  Kiriat-Jeharim,  à  la  limite  de  la  plaine  des  Phi- 
listins et  de  la  montagne  de  Juda.  Beth-Chemech  était  sur  la  route 
d'Ekron  ;  elle  fut  le  théâtre  de  la  rencontre  entre  Joas,  roi  d'Israël,  et 
Amazia,  roi  de  Juda,  où  ce  dernier  fut  fait  prisonnier  (2R.XIV,  11  ss.; 
2  Chr.  XXV,  21  ss.).  Sous  Achaz,  les  Philistins  s'en  emparèrent 
(ibid.,  XXVIII,  18).  D'après  le  livre  de  Samuel,  il  y  avait  là  «  une 
grande  pierre»  sur  laquelle  on  déposa  l'arche  de  Jéhova,  lorsque  les  Phi- 
listins l'eurent  renvoyée.  Cette  pierre,  qui  était  un  monument  religieux, 
et  sans  doute  solaire,  resta  longtemps  debout  (1  Sam.  VI,  10-18,  où  il  faut 
corriger  au'/v.  18  :  ve  *êd  'eben  haggedôlâh,  «  ce  dont  témoigne  la  grande 
pierre  »  ).  Aujourd'hui  Aïn-Schems,  «  la  Source  du  Soleil  »  (Robin- 
son,  III,  p.  17  ss.).  Deux  autres  villes  portaient  le  même  nom  :  l'un 
était  dans  la  tribu  d'Issachar  (Jos.  XIX,  22),  l'autre  était  phénicienne; 
elle  est  citée  deux  fois  (Jos.  XIX,  38  ;  Jug.  I,  33)  et  toujours  à  côté  de 
Beth-Anath  ;  le  livre  de  Josué  la  met  au  nombre  des  villes  fortes  de 
Nephtali,  mais  il  est  dit  dans  le  livre  des  Juges  que  les  Hébreux  ne 
purent  s'en  emparer.  Jérôme  (0nom.,s.  v.  Bethsamis)  dit  à  son  sujet: 
«  in  quâ  cultorcs  pristzni  manserunt.  » 

BETHSAN  [Beit-Che  'an  ,  LXX:  BaiSsav,  Jos.  :  Br/hava,  Beisân, 
Etym.  incert.,  «  lieu  de  sûreté?  »]  était  située  sur  le  territoire  de  Ma- 
riasse (Jos.  XVII,  11),  et  commandait  l'entrée  de  la  vallée  de  Jizréel 
du  côté  du  Jourdain.  Elle  resta  entre  les  mains  des  Cananéens  jusqu'à 
l'époque  de  David.  C'est  à  sa  muraille  que  fut  pendu  le  corps  de  Saùl 
(1  Sam.  XXXI,  10;  comp.  Jug.  I,  27  ss.).  Sous  le  règne  de  Salomon 
(1  Rois  IV,  12),  le  territoire  de  Bethsan  formait  une  des  douze  inten- 
dances du  royaume,  mais  c'est  la  seule  fois  qu'on  voit  figurer  son  nom 
parmi  ceux  des  villes  d'Israël.  Les  Grecs  l'appelèrent  Ni/sa,  en  l'hon- 
neur de  Bacchus  (Dionysos**.).  Mais  elle  porte  plus  généralement  le  nom 
de  Scytliopnlis;  on  admet  qu'elle  reçut  ce  nom  lors  de  l'invasion  des 
Scythes  mentionnée  par  Hérodote  ;  peut-être  aussi  vient-il  d'un  endroit 
appelé  Succoth  qui  était  en  face,,  sur  la  rive  gauche  du  Jourdain 
/Burckhardt,  11,595).  Scythopolis  faisait  partie  de  la  Décapole  ;  c'est  par 


BETHSAX  —  BEVERIDGE  257 

là  que  Pompée  pénétra  en  Judée;  plus  tard  elle  l'ut  reconstruite  et  forti- 
fiée par  Gabinius.  A  l'époque  chrétienne,  elle  devint  le  siège  d'un  évê- 
ehé,  et  futle  lieu  de  naissance  dugnostique  Basilide  et  de  saint  Cyrille; 
cuti n.  elle  lut  prise  et  incendiée  par  Saladin.  Lors  des  croisades,  on 
la  connaissait  sous  ses  deux  noms;  aujourd'hui,  c'est  l'ancien  qui  a 
prévalu.  Beisàn  est  située  sur  le  Tell-Beisân,  au  nord  duDjalùd,  à  l'en- 
droit où  il  se  jette  dans  le  Jourdain;  elle  domine  d'une  hauteur  de 
100  mètres  la  vallée  qui  montait  vers  Jizréel  et  donnait  ainsi  accès 
dans  la  plaine  du  Kishon.  La  ville  était  anciennement  beaucoup  plus 
étendue  que  le  village  actuel  ;  on  y  voit  les  ruines  de  temples  en 
basalte,  sauf  les  colonnes,  celles  d'un  théâtre  ainsi  que  des  murailles 
qui  couronnaient  la  hauteur.  —  Socin,  Pal.,  p.  352. 

BETHSUR,  «la  Roche,  »  aujourd'hui  Beit-Sûr,  «ville  de  la  Monta- 
gne de  .luda»  (Jos.  XV,  58  ;  1  Chr.  II,  45),  sur  la  route  de  Jérusalem  à 
Hébron.  Tour  ancienne,  ruines.  Fortifiée  par  Hoboam  (2  Chr.  XI,  7; 
comp.  Néh.  III,  10),  elle  est  surtout  devenue  célèbre  à  l'époque  des 
guerres  d'indépendance.  Judas  Machabée  releva  ses  murailles  après 
avoir  battu  Lysias;  mais  elle  fut  reprise  par  Antiochus  Eupator,  et 
resta  aux  mains  des  Syriens,  jusqu'à  ce  que  Simon  s'en  emparât  de 
nouveau  il  Mac.  IV,  VI,  IX,  XI,  XIV,  passim).  Le  deuxième  livre  des 
Machabées  la  mentionne  également,  mais  ses  renseignements  sont 
sujets  à  caution.  Josèphe  (Ant.,  XIII,  5,  0)  l'appelle  la  première  place 
forte  de  Judée.  C'est  près  de  là  que,  d'après  une  tradition  déjà  connue 
d'Eusèbe  et  de  saint  Jérôme,  l'eunuque  de  la  reine  d'Ethiopie  fut 
baptisé  par  Philippe. 

BÉTHULIE.  nom,  dans  le  livre  de  Judith,  d'une  ville  qui  devait  être 
située  sur  la  montagne  d'Ephraïm,  au  sud  de  la  vallée  de  Jizréel  et  non 
loin  de  Dothaïn.  On  ne  le  rencontre  jamais  en  hébreu.  Dans  ce  livre, 
Béthulie  est  le  centre  de  l'action,  et,  à  ce  titre,  elle  est  minutieusement 
décrite;  néanmoins,  on  n'a  pas  réussi  à  l'identifier  jusqu'à  présent. 
En  général,  on  admet  que  ce  nom  répond  à  un  endroit  réel;  mais  le 
caractère  romanesque  de  l'histoire  de  Judith  et  ses  nombreuses  inexac- 
titudes font  qu'on  se  demande  si  le  nom  de  Béthulie  n'est  pas,  lui 
aussi,  de  pure  invention;  sa  forme  réelle,  Bethilua,  «  Maison  de 
Dieu  i?)  »,  se  prêterait  assez  à  une  semblable  explication. 

BEVERIDGE  (Guillaume),  évèque  anglican  de  Saint-Asaph,  naquit 
en  1638  à  Barrow,  dans  le  comté  de  Leicester;  il  lit  à  l'université  de 
Cambridge  des  études  distinguées  et  publia  de  bonne  heure  un  traité 
sur  les  langues  orientales  qui  porte  ce  titre  :  De  linguarum  orientalium 
Prœstantia  et  /'su,  cum  Grammatica  syriaca.  Après  avoir  été  revêtu 
successivement  de  différentes  dignités  ecclésiastiques,  il  fut  appelé  en 
170V.  par  la  reine  Anne,  à  l'évêché  de  Saint-Asaph;  la  mort  ne  tarda 
|>as  à  l'enlever  à  ce  poste  éminent,  le  5  mars  1708.  Beveridge  n'était 
pas  un  novateur;  il  défendit  avec  ardeur  l'ancienne  version  rimée  des 
Psaumes  à  l'usage  de  V Eglise  anglicane,  qui  était  plus  que  surannée, 
el  il  se  prévalut  parfois  <lu  mot  de  Tertullien  :  Credo  quia  ineplum, 
pour  expliquer  sou  adhésion  à  tel  ou  tel  dogme.  On  a  publié  de  lui 

II.  17 


258  BEVERIDGE  —  BEZE 

après  sa  mort,  douze  volumes  de  Sermons,   qui  n'ont  rien  de  bien 
extraordinaire  au  point  de  vue  de  la  profondeur  des  idées. 

BÈZE  (Théodore  de),  l'ami,  le  collègue,  le  successeur  et  le  plus  illustre 
des  disciples  de  Calvin,  né  à  Vézelay  en  Bourgogne,  le  24  juin  1519. 
et  mort  à  Genève,  le   13  octobre  1605.  —  I.  L'homme  d'action,   si 
puissant   sur  son    siècle,   si   redoutable  pour  ses  adversaires  qu'il 
fut  honoré  de  leurs  plus  grossières  injures,   eut  en  Théodore  de 
Bèze  une  préparation  merveilleuse.   Sa  famille  d'abord  ;   elle   était 
noble,  généreuse,  haut  placée  dans  l'estime  de  tous  par  l'éclat  des 
vertus  et  des  services  rendus.  Son  père,  Pierre  de  Bèze,  était  bailli 
de   Vézelay;    sa  mère,   Marie  Bourdelot,   femme  supérieure,  intelli- 
gente, était  l'objet,  dans  la  contrée  de  l'universelle  affection  ;  son  pro- 
tecteur,  son  oncle  Nicolas  de  Bèze,  était  membre  du  parlement  de 
Paris,   et  se  chargea   de   son   éducation.    Son   enfance  fut  délicate,, 
traversée  par  des  maladies  et  des  accidents  cruels;  à  cinq  ans,  il  était 
à  peine  hors  du  berceau.  Mais  ce  furent  là  ses  seules  entraves.  Les 
embarras  matériels  furent  écartés  de  son  chemin,  ce  qui  n'arrive  pas 
pour  tous  les  réformateurs.  Il  eut  de  très-gros  revenus,  d'abord  de  la 
part  de  son  oncle,  le  conseiller,  puis  du  fait  d'un  autre  oncle,  abbé  de 
Froidmont,  qui  l'avait  pris  en  amitié  et  lui  légua  son  abbaye  avec  quinze 
mille  livres  de  rentes;  enfin  deux  autres  bons  bénéfices  dont  on  l'avait 
pourvu;  ajoutez  qu'à  la  mort  de  son  frère  aine  sa  fortune  devint  bien 
plus   considérable   encore.  Nous   trouvons   ces  détails   intimes   dans 
l'autobiographie  de  Bèze;  c'est  une  lettre  toute  de  cœur  et  de  vérité,, 
adressée  à  son  maître  Wolmar  et  qui  précède  sa  Confessio   christianar 
placée  en  tête  de  ses  traités  théologiques.  Les  deux  sources  principales 
pour  la  vie  de  Bèze,  sont  l'Epitre  à  Wolmar  et  sa  Biographie  écrite  par 
son  ami,  le  pasteur  Antoine  de  La  Faye,  De  vita  et  obitu  clarisshni 
viri   Theodori  Bezx   Vezeliï,   Gen.,    1606.   En   même   temps   que   sa 
famille,  la  nature  avait  été  généreuse  pour  lui  et  l'avait  orné   des 
plus    beaux   dons.    Voici  son    portrait,   tracé    par   un   de  ses  plus 
cruels  ennemis,  le  P.  Maimbourg  :   «  II  était  bien  fait,  de  belle  taille, 
ayant  le  visage  agréable,  l'air  fin  et  délicat,  et  toutes  les  manières  d'un 
homme  du  monde,  qui  le  faisaient  estimer  des  grands  et  surtout  des 
dames,  auxquelles  il  prenait  grand  soin  «de  ne  pas  déplaire.  Pour  l'es- 
prit, on  ne  peut  nier  qu'il  ne  l'eût  très-beau,  vif,  aisé,  subtil,  enjoué 
et  poli,  ayant  pris  peine  de  le  cultiver  par  l'étude  des  belles-lettres  et 
particulièrement  de  la  poésie,  où  il  excellait  en  français  et  en  latin, 
sachant  avec  cela  un  peu  de  philosophie  et  de  droit  qu'il  avait  appris 
aux   écoles  d'Orléans.   »   Son   éducation,   aussi  bien   que   ses  dons 
naturels  et  sa  famille,  contribua  grandement  à  préparer  Bèze  au  rôle 
éminent  qu'il  devait  remplir.  Cette  éducation  fut  en  quelque  sorte 
universelle.  Son  maître  fut  le  célèbre  Melcliior  Wolmar,  dont  la  science 
profonde,  et  clans  tous  les  domaines,  était  appréciée  de  tous  les  grands 
esprits  de  l'époque.  Wolmar  avait  étudié  à  Paris  sous  Lefèvre  d'Eta- 
ples,  avait  appris  le  droit  à  Orléans  et  professé  les  belles-lettres  dans 
cette  ville.  La  reine  de  Navarre  l'appela  à  Bourges  pour  y  enseigner 
les  langues  anciennes,  et  il  quitta  la  France,  sous  l'imminence  des 


BÈZE  259 

persécutions   violantes,   en    1535,  pour   retourner   en   Allemagne,  sa 
pairie.  Ce  grand   humaniste  était,  comme  tous  les  esprits  éclairés, 
ouvert  aux  idées  de    réforme  et  il  avait  nue  adresse  merveilleuse  pour 
instruire  La  Jeunesse.  Th.de  Bèze  entra  dans  sa  maison  en  1528,  et 
pendant  sept  ans   il  y  fut  traité  comme  un  lils.  Le  maître  et  rélève  se 
prirent    l'on  pour  l'autre   d'une   profonde  et  tendre  affection,  «te 
serais  le  plus  ingrat  des  hommes,  dit-il  dans  sa  fameuse  épitre,  si  je 
ne  t'appelais  pas  nu  tu  père.  »  Ces  bases  de  la  haute  culture  posées, 
Bèze  alla  étudier  le  droit  à  Orléans,  et  prit  ses  licences  en  1539.  Huma- 
niste avant  tout,   il  préférait  la  lecture  des  poètes  anciens  à  l'étude, 
alors  fort  indigeste,  mal  présentée,  de  la  jurisprudence;  il  excellait 
lui-même  dans  l'art  de  faire  des  vers  en  latin  et  en  français,  sa  répu- 
tation était  déjà  considérable,  il  vivait  à  Orléans  et  à  Paris  au  milieu 
drs  hommes  les  plus  célèbres.  Wolmar  fut  non  pas  seulement  son  père 
intellectuel,  mais  son  père  spirituel.  «  Le  plus  grand  service  que  tu 
m'aies  rendu  est  celui-ci  :  c'est  que  tu  m'as  abreuvé  de  la  connais- 
sance de  la  piété  à  la  pure  parole  de  Dieu  comme  à  une  source  pure, 
verse  pietatis  cognitione,  ex  Dei  verbo,  tanquam  limpidissima  fonte  petita 
lu  me  ùta  imbuistî.  »  Ces  impressions  premières  ne  s'effaceront  jamais. 
La  piété  est  entrée  dans  ce  cœur  ardent.  Sans  doute,  Bèze  est  jeté  et 
emporté  au  milieu  du  tourbillon  du  monde,  toutes  les  séductions  et 
tous  les  entraînements  le   sollicitent,  il   n'a  souvent  pas  la  force  de 
résister.,  il  écrit  les  Juvenilia,  qui  ont  été  le  prétexte  de  tant  de  sottes 
déclamations^  mais  au  fond  de  toute  cette  exubérance  d'imagination 
et  de  ce  désordre  de  sentiments,  vit  caché  le  germe  de  piété  que  ne 
peut  étouffer   une  existence  mondaine.  Ce  qu'on  appelle  la   grande 
tante  de  sa  jeunesse  est,  en   définitive,    un   acte   qui   le   relève  par 
certains  côtés.  «Pour  n'être  pas  dominé  par  les  mauvaises  passions,  je 
me  fiançai  à  une  femme  (Claudine  Denosse,  1544),  secrètement,  il  est 
vrai,    en   présence  de  deux   amis;  soit  parce  que  je  ne  voulais  pas 
donner  de  scandale  aux  autres,  soit  parce  que  je  ne  pouvais  me  passer 
de  cet  argent  infernal,  que  je  tenais  des  bénéfices  ecclésiastiques.  Je  fis 
à  cette  femme  la  promesse  formelle  qu'après  tous   ces  obstacles,  je 
I "épouserai  solennellement  dans  l'Eglise   de   Dieu,  dans  l'avenir  le 
plus  rapproché,  et  que  je  n'entrerai  jamais  dans  les  ordres  papistes. 
J'ai  tenu  iidèlement  ces  deux  promesses.  »  Mais  Bèze  avait  bien  encore 
d'autres  tentations  à  vaincre;  safamille  entière  le  suppliait  de  renoncer 
à  la  loi  évangélique;  on  ne  l'avait  comblé  de  tant  de  bénéfices  ecclé- 
siastiques que  pour  l'enchaîner  par  ces  richesses  et  ces  redoutables 
bienfaits.  La  gloire  rappelait  aussi,  le  sollicitait.  Il  fallait  une  convic- 
tion et  on  courage  plus  qu'ordinaires  pour  renoncer  à  de  si  douces  et 
de  si  brillantes  perspectives.  «  Mais  mon  Dieu  miséricordieux  me  vint 
enaide,si  bien  que  mes  amis  non-seulement  étaient  dans  l'étonnement, 
mais  La  plupart  me  blàmaienl  et  m'appelaient  ironiquement  le  nouveau 
philosophe,  o  Le  combat  fut  terrible,  la  crise  pleine  d'angoisses:  «J'étais 
embourbé,  dit-il,  comme  un  char  dan  s  la  vase.  »  C'est  alors  que,  par  une 
de  ces  manifestations  redoutai, les,  telles  quenousen  voyons  dans  la  vie 
des  grands  serviteurs  de  Dieu,  et  dans  lesquelles  la  conscience  recon- 
naît un  appel  souverain,  Bèze  fut  violemment  arraché  de  son  milieu  de 


260  BEZE 

perdition.  La  lutte  prit  fin.  Dieu  remporta.  «  Voici,  Dieu  me  chercha 
alors  par  une  cruelle  maladie  qui  me  terrassa.  Après  des  tourments 
infinis  du  corps  et  de  l'âme,  le  Seigneur  eut  pitié  de  son  serviteur  in- 
digne, et  il  m'envoya  la  consolation,  de  sorte  que  je  ne  doutai  plus  de 
sa  grâce  miséricordieuse.  En  versant  des  torrents  de  larmes  je  me  dé- 
testai moi-même.  Aussitôt  que  je  pus  quitter  ma  couche,  je  brisai  tous 
les  liens  qui  m'avaient  enchaîné  jusque  là,  j'empaquetai  mon  petit 
avoir,  et  j'abandonnai  patrie,  parents,  amis  ensemble,  pour  suivre  Christ 
et  je  me  dirigeai  avec  mon  épouse  dans  un  exil  volontaire.  »  Cet  hé- 
roïsme de  la  foi,  si  simplement  exposé  en  ces  loyales  paroles,  a  forcé 
au  respect  des  critiques  qui,  comme  Bayle,  ne  sont  pas  toujours  ten- 
dres pour  le  réformateur.  «  La  force  qu'il  eut  enfin  de  rompre  cette 
ligature  en  est  d'autant  plus  admirable,  dit-il.  »  —  Th.  de  Bèze  ar- 
riva le  24  octobre  1548  à  Genève,  la  cité  hospitalière,  le  refuge  béni, 
où  vinrent  s'abriter  nos  réformateurs  et  nos  pères  pendant  les  longs 
jours  de  persécution.  Bèze  entra  aussitôt  en  relation  avec  Calvin.  Le 
grand  réformateur,  de  son  profond  regard,  lut  dans  le  cœur  et  dans 
la  conscience  du  nouveau  réfugié,  et  il  pressentit  dès  ce  moment  les 
services  immenses  que  Bèze  pourrait  rendre  à  la  cause  sainte.  Un  attrait 
secret  le  porta  vers  ce  brillant  jeune  homme,  qui  avait  quitté  pour  la 
vie  austère  un  monde  qui  n'avait  pour  lui  que  des  sourires  et  une  Eglise 
qui  n'avait  pour  lui  que  des  faveurs.  Une  affection  bien  touchante  et 
bien  fidèle  unit  Calvin  et  Th.  de  Bèze.  Th.  de  Bèze  tint  religieu- 
sement la  promesse  qu'il  avait  faite  au  sujet  de  son  mariage.  Son 
premier  acte  public  d'adhésion  à  l'Eglise  réformée  fut  précisément 
la  consécration  de  son  union  solennelle.  Pour  pourvoir  aux  besoins  de 
son  existence,  il  était  disposé,  sur  les  conseils  de  Calvin,  à  établir  une 
imprimerie  et  une  librairie  avec  Crespin  ;  mais  avant  de  prendre  une 
résolution  définitive,  il  voulut  revoir  et  consulter  son  maitre  Wolmar, 
son  père  d'adoption.  Il  fit  donc  le  voyage  de  Tubingue,  et  Melchior  Wol- 
mar fut  bien  heureux  de  cette  visite  de  l'élève  chéri  (lettre  de  Wolmar 
à  Calvin,  25  septembre  1549,  Calvini  opéra,  de  Reuss  et  Cunitz,  t.  XIII, 
p.  413).  Au  retour  de  Tubingue  à  Genève,  en  passant  par  Lausanne, 
Bèze  lit  la  connaissance  de  Yiret  et  il  fut  nommé  professeur  de  langue 
grecque  à  la  nouvelle  académie  fondée  dans  cette  ville.  Il  fut  heu- 
reux de  cet  appel,  mais  il  ne  l'accepta  qu'après  avoir  demandé  à  ses 
savants  et  pieux  collègues,  Merlin,  François  Hotman,  François  Bérauld, 
Mathurin  Cordier,  si  la  publication  de  ses  vers  de  jeunesse,  les  Juveni- 
lia,  n'était  pas  un  empêchement  à  son  installation.  Pendant  dix  ans 
environ  il  se  consacra  à  sa  tâche  de  professeur  et  contribua  grandement 
au  lustre  de  l'académie  de  Lausanne.  En  même  temps,  après  ses  leçons 
officielles,  il  rassemblait  autour  de  lui  ses  compatriotes  réfugiés,  et, 
pour  leur  instruction  et  leur  consolation,  il  leur  expliquait  le  Nou- 
veau Testament,  et  notamment  répitre  aux  Romains  et  les  épitres  de 
saint  Pierre.  C'est  dans  cette  période  aussi  que  commencent  pour  le  ré- 
formateur ces  missions  si  importantes  et  si  belles,  qu'il  accomplit  avec 
tant  de  distinction,  et  auxquelles  semblaient  l'avoir  prédestiné  sa  nais- 
sance, sa  connaissance  du  monde,   ses  grandes   manières,    son   élo- 


BÈZE  261 

quence  persuasive,  et  surtout   sou  amour  ardent  pour  l'Evangile  et 
pour  l'Eglise  persécutée.  La  première  de  ces  missions  fut,  eu  faveur 
des  vaudois  persécutés,  auprès  des  cantons  .évangéliques  et  des  princes 
protestants  de  l'Allemagne.  Bèze  s'y  montra  peut-être,  avec  les  inten- 
tions les  meilleures  de  conciliation,  trop  habile  négociateur.  Pour  s'at- 
tirer la  faveur  des  princes  luthériens,  il  présenta  une  confession  de  foi 
réformée  en  termes   très-adoucis  sur  la  sainte   Cène  et  qui  plut  aux 
théologiens  de  la  confession  d'Augsbourg.  Elle  souleva  au  contraire 
dans  le  camp  réformé  une  terrible  tempête.  Bèze  fut  sévèrement  blâmé. 
11  tomba  malade  de  cette  malheureuse  affaire.  Aussitôt  après,  la  persé- 
cution sévit  à  Paris  même  d'une  manière  plus  particulièrement  vio- 
lente.  Dans  une  maison  delà  rue  Saint-Jacques,  les  lidèles,  secrète- 
ment assemblés  pour   célébrer  leur  culte,   ont  été   arrêtés,  jetés  en 
prison,  mis  à  mort,  au  nombre  d'environ  130.  L'émotion  est  grande 
en  Suisse  et  en  Allemagne.  Calvin  presse  ses  amis  d'aller  en  mission 
auprès  des  cantons   suisses  et  des  princes  allemands  pour  que  ces 
derniers   interviennent  auprès  de  Henri  II.  Th.  de  Bèze  se   met  en 
route   avec    Jean   de   Budé,    Farel   et   Gaspard   Carmel.   Pendant  le 
temps  nécessaire  à  cette  mission,  plusieurs  malheureux  prisonniers 
de  l'affaire  de  la  rue  Saint-Jacques  meurent  sur  le  bûcher.  L'inter- 
vention des  cantons  et  des  princes,  arrivée  tardivement,  eut  cepen- 
dant encore  quelques   résultats  (voy.  la  lettre   des   cantons   évangé- 
liques au  roi  de  France  dans   les  Archives  de  Bàle,  Bulletin   de   la 
Soc.  du  Protett.  français,  t.  XVII,  p.  163).  La  réponse  de  Henri  II  est 
hautaine   [ibi'd.,  p.   166).  Pendant  ces  voyages  de  mission,  Bèze  eut 
la  satisfaction  de  se  réconcilier  avec  Bullinger  et  la  joie  de   faire  la 
connaissance  de  Mélanchthon  ;  ces  deux  grands  esprits  se  comprirent 
et  s'aimèrent  du  premier  coup.  Au  retour  de  ces  voyages,  Bèze  quitta 
Lausanne.  Calvin  l'attira  à  Genève,  et  d'ailleurs  la  position  n'était  plus 
bonne  à  Lausanne,  à  cause  des  différends  survenus  entre  le  sénat  de 
Berne  et  Pierre  Viret  au  sujet  de  la  discipline  ecclésiastique.  Bèze  prit 
le  parti  de  Viret,  il  se  rangea  du  côté  du  calvinisme  pur,  et  se  trouva 
en  désaccord   avec  le  gouvernement.  Bien  des  ecclésiastiques  et  des 
plus  importants  donnèrent  en  ce  moment  leur  démission  de  pasteur  et 
de  professeur.  Bèze  quitta  donc  Lausanne  pour  Genève,  emportant  si 
bien   l'estime  et  l'admiration   publiques   que   toutes  les  fois  qu'il  y 
retournait,  le  conseil  de  la  ville,  pour  lui  faire  honneur,  se  rendait 
au-devant  de   lui  :  témoignage   éclatant  du  respect  et  de   la  recon- 
naissance de  lu    ville   entière   pour   le  réformateur.  —   Th.  de   Bèze 
devint    alors   pasteur  et  professeur  à  Genève.   Il   illustra   l'académie 
naissante  dont  il  fut  le  premier  recteur.  Le  3  juin  1559,  à  la  cathédrale 
de  Saint  Pierre,  il  inaugura  par  un  discours  académique  la  nouvelle 
école  de  théologie,  qui  devait  jeter  un  si  vif  éclat  et  qui  donna  aux 
Eglises  «!«'  France  l<-urs  pasteurs  et  leurs  martyrs.  En  dehors  des  nom- 
breux professeurs  attachés  an  gymnase  nouvellement  fondé  aussi,  il  y 
avait  cinq  professeurs  à  l'académie  :  Antoine  Chevalier  pour  L'hébreu, 
François  Bérauld  pour  le  grec,  Jean  Tagaul  pour  les  belles-lettres  et  la 
philos,, piiie:  Calvin  et  Bèze  se  partageaient  la  théologie.  A  partir  de 


262  BÈZE 

1560,  Th.  de  Bèze  est  vraiment  l'âme  du  parti  réformé  en  France. 
C'est  à  lui  que  sont  coniiées  les  missions  difficiles  et  délicates,  et  nul  ne 
pouvait  s'en  acquitter  avec  plus  d'honneur.  «  Bèze  parlait  bien,  dit 
Bayle,  il  savait  le  monde,  il  avait  l'esprit  présent  et  beaucoup  d'érudi- 
tion. »  La  situation  était  des  plus  graves  pour  le  parti  réformé.  Les 
Guise  s'étaient  emparés  du  pouvoir,  et  il  était  de  haute  importance  de 
rattacher  solidement  le  roi  de  Navarre  au  parti  protestant.  C'est  dans 
ce  but  que  Bèze  fut  appelé,  cumque  eo  de  rébus  gravissimis  communi- 
caret,  sed  potissimum  ut  illius  anima ,  si  Deus  aspirare  dignaretur,  verœ 
religionis  guslum  aliquem  instillaret  (Ant.  de  La  Faye).  Ces  conférences 
n'eurent  peut-être  pas  le  résultat  immédiat  et  direct  qui  en  était 
attendu,  mais  elles  produisirent  une  impression  considérable  et  mirent 
en  relief  les  qualités  éminentes  du  réformateur.  Quelques  mois  après 
ces  dons  si  rares  devaient  briller  du  plus  vif  éclat  dans  une  mémorable 
assemblée  :  le  colloque  de  Poissy  s'ouvrit  le  9  septembre  1561.  Au 
moment  de  l'ouverture  de  cette  assemblée,  bien  des  symptômes  pa- 
raissaient favorables.  D'abord  il  y  avait  dans  la  meilleure  partie  du 
clergé  des  désirs  très-sérieux  de  réforme,  et  certains  évoques  se  sont 
exprimés  avec  plus  de  vigueur  que  Th.  de  Bèze  lui-même  sur  le 
triste  état  de  la  doctrine  et  des  mœurs,  Montluc,  de  Valence,  et 
Marillac,  de  Vienne.  La  reine-mère  n'avait  pas  de  conviction  précise 
et  pouvait,  suivant  les  circonstances,  se  jeter  dans  les  bras  de  tel  ou 
tel  parti  :  elle  désirait  le  colloque  et  n'en  discernait  pas  l'issue. 
Avant  et  après  le  colloque,  Bèze  prêchait  à  la  cour  et  son  éloquente 
et  évangélique  parole  trouvait  faveur.  La  veille  du  colloque,  dans 
les  préliminaires  importants,  le  cardinal  de  Lorraine  lui-même, 
après  une  discussion  sur  la  Cène  avec  Th.  de  Bèze,  paraissait  ne 
pas  insister  sur  la  transsubstantiation  et  avait  dit  «  que  les  théologiens 
auraient  bien  pu  se  passer  de  la  mettre  en  avant  et  que  pour  sa  part  il 
n'était  pas  d'avis  que  pour  cela  les  Eglises  fussent  divisées.  »  Enfin  le 
chancelier  L'Hospital  dit  ces  bonnes  paroles  :  «  Le  meilleur  moyen  de 
s'entendre  est  de  procéder  par  humilité,  en  laissant  les  subtiles  et  cu- 
rieuses disputes.  Il  n'est  pas  besoin  de  plusieurs  livres,  mais  de  bien 
comprendre  la  Parole  de  Dieu  et  de  s'y  conformer  le  plus  qu'on  pourra. 
N'estimez  point  ennemis  ceux  qu'on  dit  de  la  nouvelle  religion,  qui 
sont  chrétiens  comme  vous  et  baptisés,  et  ne  les  condamnez  point  par 
préjugé.  Recevez-les  comme  le  père  fait  de  ses  enfants.  »  Sans  doute 
d'autres  symptômes,  et  profondément  tristes,  éclatèrent  de  divers  côtés  : 
la  passion  tyrannique  de  Rome,  le  fanatisme  du  roi  d'Espagne,  les  au- 
daces insolentes  des  Guise,  l'orgueil  blessé  des  prélats,  les  marques 
d'inégalité  entre  les  deux  parties  dont  l'une,  la  partie  réformée,  était 
traitée  en  accusée  et  comme  citée  à  la  barre  d'un  tribunal  hautain. 
«  Ce  fait,  étant  les  ministres  au  nombre  de  douze,  avec  vingt-deux 
députés  des  églises  des  provinces  qui  les  assistaient,  appelés  et  intro- 
duits par  le  duc  de  Guise,  qui  avait  cette  charge  avec  le  sieur  de  La 
Ferté,  capitaine  des  gardes,  qui  les  conduisirent  jusqu'aux  barrières 
sur  lesquelles  étant  appuyés  têtes  nues,  Th.  de  Bèze,  élu  par  tous  les 
autres  pour  ce  faire,  parla  à  la  manière  qui  s'ensuit  :  Sire,    puisque 


BEZE  263 

l'issue  de  toutes  les  entreprises,  grandes  el  petites,  dépend  de  l'assis- 
tance et  faveur  de  notre  Dieu,  et  principalement  quand  il  est  question 

de  ce  qui  appartient  à  son  service,  et  qui  surpasse  la  capacité  de  nos 
entendements,  nous  espérons  «pie  Votre  Majesté  ne  trouvera  mauvais  ni 
étrange,  si  nous  commençons  par  l'invocation  du  nomd'icclui,  le  sup- 
pliant en  cette  façon:  Seigneur  Dieu,  Père  éternel  et  tout-puissant,  nous 
reconnaissons  et  nous  confessons  devant  ta  sainte  majesté  que  nous 
sommes  pauvres  et  misérables  pécheurs...  »  Cette  prière,  si  belle  et  si 
touchante,  que  l'Église  réformée  a  adoptée  pour  l'ouverture  du  service 
divin,  fut  écoutée  avec  émotion  et  respect,  ainsi  que  l'éloquente  haran- 
gue que  Bèze  prononça  aussitôt.  C'est  une  exposition  très-forte,  très- 
hardie  et  très-habile,  des  principes  de  la  foi  réformée.  «  Pîùt  à  Dieu, 
doit  avoir  dit  le  cardinal  de  Lorraine  après  cette  séance,  qu'il  lut  muet 
ou  que  nous  fussions  sourds.  »  Bèze  énumère  d'abord  nettement  les 
points  communs  aux  deux  Eglises  :  Dieu,  Jésus-Christ,  le  Saint-Esprit, 
la  rédemption,  la  vie  éternelle.  Puis,  avec  autant  de  fermeté  que  dé 
convenance,  il  marque  les  différences  qui  séparent  les  deux  Eglises  :  le 
fondement  de  la  foi,  qui  ne  peut  être  pour  les  réformés  que  l'Ecriture 
sainte  ;  la  Cène  et  les  sacrements,  qui  sont  présentés  sous  le  jour  sphï- 
tualiste  du  calvinisme,  mais  en  termes  respectueux  pour  la  transsubstan- 
tiation et  pour  la consuhstantiation  ;  enfin  le  gouvernement  de  l'Eglise, 
à  propos  duquel  il  s'exprime  plus  vivement,  «  soit  qu'on  considère 
Tordre  tel  qu'il  est  aujourd'hui  dressé,  soit  qu'on  regarde  la  vie  et  les 
mœurs.  »  Le  discours  se  termine  par  une  protestation  de  fidélité  au 
roi  et  par  la  remise  entre  ses  mains  de  la  confession  de  foi  des  Eglises 
réformées.  On  a  fait  grand  bruit  dans  l'histoire  d'une  interruption,  à 
laquelle  de  Thon,  Mézeray,  plus  tard  Bossuet,  ont  donné  de  l'im- 
portance. D'après  Bèze,  l'incident  fut  très-petit  et  ne  se  comprend 
pas.  On  avait  écouté  «  avec  une  singulière  attention  »  jusqu'au  mo- 
ment où  l'orateur  dit  que  ((le  corps  de  Jésus-Christ  était  aussi  loin 
du  pain  (dans  la  sainte  Cène)  que  le  haut  des  cieux  est  éloigné  de  la 
terre.  »  On  murmura,  on  cria  :  Blaspkentavit,  on  s'indigna,  le  vieux 
cardinal  de  Tournon  surtout;  mais  Bèze  put  continuer  paisiblement 
jusqu'à  la  fin.  D'autres  séances  eurent  lieu,  les  unes  officielles,  les 
autres  plus  restreintes,  mais  l'intention  arrêtée,  la  tactique  suivie  dès 
le  discours  de  Th.  de  Bèze,  ce  fut  d'ôter  la  parole  à  la  Réforme. 
On  répondit,  le  cardinal  de  Lorraine  non  sans  habileté  et  sans  talent, 
le  cardinal  de  Tournon  «  en  fort  grande  colère  et  comme  fort  troublé», 
et  le  général  des  jésuites  Lainez  avec  une  violence  haineuse.  Bèze  parla 
de  nouveau  avec  puissance,  admirablement  soutenu  dans  la  troisième 
et  dernière  grande  séance  par  Pierre  Martyr.  Mais  la  volonté  expresse 
d<  s  prélats  étail  que  la  foi  nouvelle  ne  put  plus  se  produire  publiquement. 
Ils  traitèrent  désormais  les  pasteurs  comme  des  accusés,  ils  leur  pré- 
sentèrent •  •  signer  des  confessions  de  foi,  leur  déclarant  sans  phrases 
que.  s'ils  refusaient,  ils  étaient  exclus  de  l'Eglise  et  du  pays.  Tout 
accord  était  désormais  impossible.  En  ce  sens  le  colloque  n'avait  pas 
abouti.  —  Les  progrès  de  la  Réforme',  sensibles  partout,  le  furent  en 
particulier  à  Paris  ou  des  assemblées  considérables  de  plusieurs  mil- 


264  BEZE 

liers  de  personnes  se  réunissaient.  Th.  de  Bèze,  retenu  en  France  par 
la  reine-mère,  y  faisait  souvent  entendre  son  éloquente  parole.  Après 
le  massacre  de  Vassy  (Tr  mars  1562),  comme  en  toutes  les  occasions 
solennelles,  il  fut  chargé  d'aller  demander  justice  à  la  cour.  Antoine 
de  Bourbon,  dont  la  défection  était  un  fait  accompli,  osa  parler  avec 
violence  en  faveur  de  Guise.  C'est  à  cette  occasion  que  Bèze  prononça 
ces  prophétiques  paroles  :  «  Sire,  c'est  vraiment  à  l'Eglise  de  Dieu  au 
nom  de  laquelle  je  parle  d'endurer  les  coups  et  non  pas  d'en  donner; 
mais  aussi  vous  plaira-t-il  vous  souvenir  que  c'est  une  enclume  qui 
a  usé  beaucoup  de  marteaux.  »  A  partir  de  ce  moment  la  guerre  civile 
était  inévitable.  Le  parti  protestant  se  jeta  entre  les  bras  de  Condé. 
Bèze  déploya  une  intelligence  et  une  ardeur  extraordinaires  pour  la 
victoire  de  la  cause,  auprès  des  Eglises  pour  provoquer  leur  zèle,  au- 
près des  cantons  évangéliques  pour  réclamer  leur  appui.  11  assista 
même  aux  grandes  batailles,  il  était  à  Dreux.  «  Oui,  dit-il  à  son  perfide 
accusateur  Claude  de  Saintes,  j'ai  été  au  combat  du  commencement  à 
la  lin;  j'y  étais  en  manteau  et  non  en  armes,  et  personne  ne  me  re- 
prochera avec  vérité  ni  la  fuite,  ni  le  meurtre  de  qui  que  ce  soit.  » 
Quant  au  principe  même  de  la  guerre  civile  :  «  Je  n'ai  point  encore 
appris  par  la  Parole  de  Dieu  ni  par  les  exemples  cle  toute  la  vraie 
Eglise  chrétienne  depuis  le  commencement  du  monde,  dit  de  Bèze, 
ciu'il  soit  loisible  aux  sujets  en  bonne  conscience  d'extorquer  de  leur 
souverain  magistrat  l'exercice  de  la  vraie  religion  par  la  voie  des 
armes,  mais  qu'en  tel  cas  il  faut,  en  ne  laissant  de  servir  Dieu  et  le  plus 
prudemment  que  le  temps  le  pourra  porter,  combattre  et  vaincre  par 
chrestienne  patience,  invincible  sous  la  croix...  »  C'est  ainsi,  poursuit-il, 
que  les  Eglises  françaises  ont  été  «  dressées  et  plantées  au  milieu  des 
plus  grands  coups,  à  savoir  par  le  seul  glaive  spirituel  de  la  Parole  de 
Dieu.  »  Bappelant  les  horreurs  commises,  le  roi  et  la  reine  menacés  par 
une  faction  étrangère,  il  dit  que  «  c'est  une  calomnie  par  trop  effrontée 
de  bailler  le  nom  d'émotions  et  de  rébellion  contre  le  roy  et  le  repos 
public  à  une  si  juste  et  totalement  nécessaire  défensive  contre  tels  et 
si  horribles  violateurs  de  tout  droit  divin  et  humain))  (Mémoire de  Th. 
de  Bèze  sur  les  guerres  de  religion,  collection  Tronchin,  Bull,  du 
Protest,  français,  t.,  XXI,  p.  28).  Et  au  milieu  des  agitations  qui 
précédèrent  la  seconde  guerre  civile  :  «  Nous  n'approuverons  jamais 
telles  violences  et  confusions,  dont  l'issue  ne  saurait  être  que  très-mal- 
heureuse. Je  ne  doute  point  que  ne  soyez  de  mesme  advis  et  que 
votre  désir  ne  soit  que  d'empescher  mesme  que  confusion  n'advienne 
plus  grande.  Mais  pour  vous  dire  ce  que  j'en  pense,  le  mal  est  desjà 
tel  et  si  avancé  qu'il  est  incurable  aux  hommes  »  (Lettre  au  prince  de 
Portien,  de  Genève,  14  d'août  1560,  collection  Tronchin,  Bulletin  du 
Prof,  français,  t.  XXY,  p.  315).  Quant  aux  résultats  des  guerres 
civiles,  voici  en  quels  termes  Bèze  les  apprécie  :  «  Quant  à  la  pauvre 
France,  l'ire  de  Dieu  brusle  et  consume  toujours;  il  est  vray  que  ce- 
pendant il  faict  son  œuvre  vray  ment  merveilleuse  devant  les  yeux 
mesmes  de  ses  adversaires  contraincts  de  le  recongnoistre.  Mais  il  y  a 
apparence  que  d'un  costé  ce  sera  l'issue   d'un    Pharao,  quant    aux 


3EZB  265 

persécutions,  et  quant  à  l'Eglise  du  Seigneur,  qu'elle  trouvera  son 
désert  en  la  France;  mesmes  si  les  guerres  continuent  qui  ne  faudrait 
de  transformer  ce  tant  grand  et  opulent  royaume  en  une  Arabie  la 
Déserte,  et  Dieu  veuille  «qu'au  bout  se  trouve  quelque  terre  de 
Chanaan  »  (Lettre  à  rélecteur  Palatin,  de  Genève,  4  juillet  ITiTTi, 
Bibl.  de  Genève,  vol.  107.  Bulletin  du  ProL  français,  t.  XVI,  p.  271). 
—  Bientôt  après  son  retour  à  Genève,  la  mort  de  Calvin  (1564)  fut 
pour  Bèze  une  grande  douleur.  Ses  charges  déjà  bien  lourdes  en  furent 
considérablement  accrues.  Il  était  le  successeur  naturel  du  grand 
réformateur,  et  malgré  ses  refus,  ses  collègues  le  conservèrent  à  la  tête 
de  l'Eglise  jusqu'en  1580.  Correspondance  immense,  direction  de 
toutes  les  Eglises,  participation  à  toutes  les  luttes  de  leur  temps, 
composition  de  longue  haleine,  soucis  et  devoirs  pastoraux,  prédica- 
tion et  enseignement  académique,  Bèze  suffit  à  tout.  En  1508  il  fit 
un  voyage  à  Vézelay  pour  affaires  de  famille.  En  1571  il  retourna  en 
France  ;  appelé  par  Coligny  et  le  prince  de  Béarn,  il  prit  part  aux 
synodes  nationaux  de  La  Rochelle  et  de  Nimes.  Théodore  de  Bèze  fut 
chargé  de  l'aire  un  rapport  sur  deux  livres  écrits  par  le  sieur  Cozani,  de 
réfuter  avec  de  la  Roche-Chandieu  et  de  Beaulieu  les  erreurs  démocra- 
tiques de  doctrine  et  de  discipline  contenues  dans  les  livres  de  Ramus, 
Morelli  et  du  Rozier,  et  enfin  de  faire  réponse  au  nom  du  synode  aux 
lettres  des  frères  de  Zurich  et  de  leur  faire  part  des  décrets  de  Nimes. 
Cette  même  année,  2ï  août  1572,  eut  lieu  le  massacre  de  la  Saint- 
Barthélémy.  Tous  les  malheureux  qui  échappèrent  aux  égorgeurs 
cherchèrent  un  refuge  hors  de  la  patrie.  Théodore  de  Bèze  leur  pro- 
digue consolations  et  secours,  il  provoque  de  tous  côtés  un  généreux 
élan  en  laveur  de  si  épouvantables  misères,  il  supplie  les  chefs  des 
Etats  étrangers  de  faire  bon  accueil  à  ces  coreligionnaires  fugitifs,  il 
fonde  à  Genève  même  un  hospice  destiné  aux  plus  pauvres  d'entre  eux 
(voy.  entre  autres  :  Lettre  latine  de  Bèze,  Britisk  muséum,  Bulletin 
du  Brut,  français,  onzième  année,  1862,  p.  25).  —  11  faut  compter 
parmi  les  événements  considérables  qui  exercèrent  une  influence  sur 
la  Réforme  française  l'abjuration  de  Henri  IV.  Le  nom  de  Bèze  a  été 
mêlé  à  ces  événements,  et  d'une  façon  fâcheuse,  par  des  historiens  con- 
temporains, Schlosser  et  Yulliemin  en  particulier.  Or  l'œuvre  de  Bèze 
est  ici  excellente  et  sa  mémoire  demeure  plus  pure  encore  quand  on 
examine  son  attitude  et  son  action  auprès  du  roi.  Sans  doute  il  l'aima 
toujours,  même  après  son  abjuration.  Ce  fut  une  des  joies  du  vieux 
réformateur  de  pouvoir  à  l'Eluiset  embrasser  Henri  IV  qui,  de  passage 
«mi  >a\u;<\  lavait  mandé  de  Genève.  Sans  doute,  lors  de  cette  chute 
douloureuse,  ni  Bèze  ni  de  La  Faye,  qui  exerçait  ses  fonctions  auprès 
du  roi,  ne  procèdent  par  invectives  :  ils  tiennent  compte  des  circon- 
stances,  des  séductions,  des  faiblesses  comme  aussi  des  espérances  que 
l'avènement  au  tronc  de  Henri  IV  devait  réaliser  pour  la  malheu- 
reuse Eglise.  Bèze  communique  aux  frères  de  Zurich  le  douloureux 
événement  •  •!  la  lettre  de  de  La  Faye  qui  le  lui  annonce  le  jour  même, 
<(  à  Saint-Denis,  l«-  25 de  juillet  loi):},  jour  mémorable  <-t  Lamentable  à 
tous   les  gens  de  bien  et  craignant  Dieu,   »  et  Bèze  écrit  :  «  Au  reste, 


2fî6  BÈZE 

encore  que  la  chute  d'un  prince  d'ailleurs  si  éminent  soit  incontes- 
tablement pour  tous  les  gens  de  bien  et  de  religion  une  blessure  d'au- 
tant plus  cruelle  qu'elle  est  plus  grave  et  devait  être  moins  attendue, 
il  ne  faut  pas  nous  laisser  émouvoir  outre  mesure.  Et  c'est  notre  de- 
voir, à  nous  tous  surtout  qui  avons  mission  de  soutenir  nos  pères,  de 
l'aire  comprendre  à  tous  que  nous  ne  faisons  dépendre  notre  espérance 
tout  entière  d'aucun  homme,  ni  même  des  anges,  en  ayant  trop  vu 
d'infidèles  »  (Collection  de  Zurich,  Bulletin  du  Prot.  français,  1857, 
p.  27).  Mais,  bien  que  ce  soit  la  note  attristée  et  non  indignée  qui 
domine,  Bèze  avait  fait  noblement  son  devoir  auprès  du  roi,  il  l'avait 
détourné  de  cet  acte  indigne  par  les  raisons  tirées  de  la  conscience, 
et  sa  lettre  entière,  d'une  éloquence  si  vraie  et  si  haute,  témoigne  des 
sentiments  évangéliques  du  réformateur.  «  Scachez  donc,  sire,  qu'en 
tous  vos  affaires,  il  ne  vous  faut  jamais  regarder  ny  à  vostre  estât,  ni 
à  vostre  propre  personne,  que  Dieu  et  ce  que  vous  lui  devez  ne 
vous  vienne  en  pensée  devant  toutes  choses  sans  exception  quel- 
conque pour  rapporter  à  ce  but  vos  délibérations  et  résolutions,  au- 
trement tout  ce  que  vous  bastirez  sera  sans  vray  fondement,  et  si 
vostre  conseil  vous  mène  par  un  autre  chemin,  croyez  que  vous  estes 
très-mal  conduict  »  (Lettre  de  juin  1593,  Bibl.  de  Genève,  Bulletin  du 
Prot.  français,  1853,  p.  41).  —  Sans  parler  de  missions  plus  particu- 
lièrement politiques,  comme  celle  de  1574  auprès  du  prince  Casimir,  du 
Palatinat,  en  faveur  de  Conclé  qui  s'occupait  alors  de  rassembler  une 
armée,  ni  de  l'action  très-directe  qu'il  eut  dans  les  affaires  de  tout 
genre,  même  financières  (Bulle' in  du  Prot.  français,  p.  330),  il  faut 
noter  enfin  deux  missions  essentiellement  théologiques  et  dans  les- 
quelles ses  efforts  furent  couronnés  de  succès.  La  première  eut  lieu 
en  1580,  à  Montbéliard.  Le  comte  Frédéric  voulait  rapprocher  luthé- 
riens et  réformés  et  il  avait  appelé  à  un  colloque  Th.  de  Bèze,  de 
La  Faye,  Musculus  et  Huber  d'un  côté,  et  de  l'autre  les  professeurs 
de  Tubingue  Andrew  et  Osiander.  Bèze  fut  toujours  très-conciliant  à 
ce  sujet,  il  proposa  comme  moyen  terme  de  s'abstenir  pour  le  mo- 
ment des  controverses  et  de  se  donner  la  main  fraternelle.  Andreae  se 
montra  en  cette  circonstance,  et  en  bien  d'autres,  irréconciliable.  Ce- 
pendant, avant  de  quitter  Montbéliard,  les  réformés  purent  participer 
avec  les  luthériens  à  la  célébration  de  la  sainte  Cène  :  ce  fut  un  bon 
résultat,  un  germe  de  paix  :  tous  les  luthériens  étaient  loin  d'être 
aussi  absolus  qu'André*.  Le  second  colloque  auquel  assista  Th.  de 
Bèze,  à  Berne,  en  1588,  eut  aussi  d'heureuses  conséquences  pour  la 
paix  et  l'union.  Bèze  supplia  Huber  et  Aubéry,  qui  professaient  cer- 
taines doctrines  excessives  sur  la  prédestination  et  sur  la  justification, 
d'entrer  dans  des  voies  plus  modérées  et  moins  bruyantes.  A  la  fin  de 
sa  vie  Bèze  fit  deux  actes  qui  l'honorent  grandement.  Les  finances  de 
la  république,  en  fort  mauvais  état,  menaçaient  l'existence  de  l'aca- 
démie, et  il  fallut  supprimer  des  chaires  et  des  traitements.  Bèze  se 
chargea  de  tous  les  cours  avec  abnégation  et  dévouement,  et  pendant 
des  années,  et  malgré  son  grand  âge  et  ses  infirmités  menaçantes. 
Rome  tenta  de  séduire  le  vieil  athlète,  et  François  de  Sales  se  chargea 


BÈZÊ  207 

de  cette  mission  équivoque.  On  lit  courir  le  bruïï  que  Y  intrigue  avait 

réussi  et  les  jésuites  se  réjouirent  «le  ce  que  le  réformateur  était  re- 
tourné à  l'Eglise  romaine.  Le  vieillard  retrouva  à  cette  occasion  la 
verve  indignée  de  sa  jeunesse  et  écrivit  une  satire  virulente  contre  les 
jésuites,  coupables  de  cette  calomnie.  Il  conserva  ses  fonctions  jus* 
qu'en  1000.  11  prêcha  même  en  1002,  le  fameux  jour  de  l'escalade. 
Cette  longue  et  vaillante  existence  se  termina  en  1605. 

II.  L'œuvre  littéraire  de  Th.  de  Bèze  est  aussi  variée  que  l'œuvre 
ecclésiastique.  —  1°  Le  poète.  Ce  fut  sa  première  gloire,  et  sa  dernière 
oeuvre  (1600)  fut  encore  unepiècede  vers; votiva  grafulatio,k  l'occasion 
de  son  entrevue  en  Savoie  avec  Henri  IV  et  Sully.  Ses  trois  grandes 
œuvres  poétiques  sont  les  Juvenilia,  Abraham  sacrifiant  et  les  Psaumes. 
Theodori  Bezse  Vezelit  Poemata  juvenilia,  tel  est  le  titre  du  recueil 
qui  a  été  le  prétexte  de  tant  de  déclamations  absurdes  contre  Bèze.  Le 
recueil  se  compose  d'élégies,  de  sylves,  d'épitaphes  et  d'épi  grammes. 
Bèze  se  défend  admirablement  lui-même  dans  sa  seconde  apologie  à 
Claude  de  Saintes.  Ce  sont  là  jeux  poétiques  ;  il  y  a  bien  quelques 
peintures  un  peu  risquées,  et  Bèze  s'est  repenti  d'avoir  écrit  quelques 
vers  trop  libres,  il  les  a  fait  disparaître  :  mais  en  somme  rien  ne  justifie 
cette  horreur  intéressée  et  les  calomnies  soulevées  par  ses  adversaires. 
11  y  a  dans  les  épigrammes,  comme  dans  toutes  les  petites  pièces 
du  recueil,  quelque  chose  d'un  peu  artificiel,  cherché,  puéril.  Il  y  a 
dans  les  élégies  par  trop  de  réminiscences;  ce  qui  est  original,  ce  sont 
les  sylves.  Qu'on  lise  la  Sylva  III,  Natalia  Domini,  et  la  suivante, 
Prxfàtio  jioctica  in  Davidicos  Psalmos  quos  pœnitentiales  vocant. 
Le  sacré  et  le  profane  s'y  mêlent,  l'antiquité  païenne  et  la  Bible  se 
disputent  l'àme  du  poète.  C'est  la  glorification  de  Noël,  «  delà  nuit  qui 
vit  s'ouvrir  pour  un  saint  enfantement  les  entrailles  chargées  du 
maître  du  ciel  et  de  la  terre  »,  mais  les  bergers  ont  des  noms  buco- 
liques et  Apollon  et  Minerve  y  ont  leur  place.  La  préface  aux  Psaumes 
de  la  pénitence  est  une  histoire  poétique  de  David  et  de  son  repentir, 
mais  Cupidon  a  un  rôle  important  et  les  descriptions  de  Bethsabée  sont 
toutes  païennes.  Ce  mélange  inconscient  de  sacré  et  de  profane  nous 
révèle  l'état  d'âme  de  toute  une  époque:  c'est  la  Renaissance  et  la 
Réforme,  c'est  le  paganisme  classique  et  le  christianisme  biblique 
encore  mêlés,  se  heurtant  et  non  encore  fondus,  en  ces  grands  écri- 
vains qui  seront  bientôt  les  saints  défenseurs  et  les  martyrs  de  la  foi 
nouvelle.  —  Abraham  sacrifiant,  tragédie  française,  Gen.,  looO.  Elle  fut 
jouée  d'abord  par  les  élèves  de  Bèze  à  Lausanne  et  fut  applaudie  de 
tous  et  longtemps.  Pasquier  dit  {Recherches  de  la  France,  liv.  Vil, 
p.  625)  :  K  Vers  ce  même  temps  estait  Th.  de  Bèze,  brave  poète  latin 
et  françois.  Il  composa  en  vers  françois  le  Sacrifice  d'Abraham,  si  bien 
retiré  au  vif,  que,  le  lisant,  il  me  lit  autrefois  tomber  les  larmes  des 
yeux.  »  La  tragédie  est  en  effet  fort  émouvante  et  bien  conduite. Le  sens 
<-t  l'esprit  du  Sacrifice  dT  ibraham  se  révèlent  aussitôt.  Cette  tragédie 
est  un  appel,  une  sorte  de  prédication  en  ces  temps  solennels.  Il  faut 
tout  quitter,  tout  sacrifier,  et  biens,  et  patrie,  et  famille,  el  saintes  affec- 
tions pour  suivre  la  volonté  de  Dieu.  — Les  Psaumes.  C'est  à  la  demande; 


268  BEZE 

de  Calvin  que  Bèze  entreprit  la  version  poétique  des  psaumes.  Clément 
Marot  en  avait  déjà  traduit  cinquante  et  ses  vers,  comme  on  sait,  fai- 
saient fureur.  Bèze  publia  son  travail  par  fragments,  d'abord  en  1553, 
puis  en  1556,  l'œuvre  fut  achevée  en  1500.  Les  éditions  furent  innom- 
brables. Le  travail  de  Th.  de  Bèze  fut  reçu  naturellement  avec  de 
grands  applaudissements  par  les  réformés,  mais  il  fut  très-critiqué 
par  ceux  du  dehors.  Le  jugement  dePasquier  exprime  bien,mesemble- 
t-il,  l'opinion  moyenne:  «  La  traduction  du  demourant  des  psaumes  de 
David  montra  ce  qu'il  pouvait  faire,  encore  qu'il  n'ait  si  heureusement 
rencontré  que  Clément  Marot  en  ses  cinquante.  »  —  2°  Le  polémiste.  Les 
ouvrages  polémiques  de  Th.  de  Bèze  sont  fort  nombreux  :  c'est  le 
temps  de  la  lutte,  et  l'adversaire  debout,  pressant,  redoutable,  a  besoin 
d'être  réfuté  avec  vigueur.  On  trouvera  dans  Senebier  et  dans  Haag  la 
liste  très-longue  des  ouvrages  polémiques;  de  La  Faye,  dans  sa  note 
finale  de  la  vie  de  Bèze,  ne  les  donne  pas  tous.  On  peut  diviser  les  ou- 
vrages polémiques  en  trois  catégories  :  a)  contre  les  catholiques  ro- 
mains ;  b)  contre  les  luthériens  ;  c)  contre  les  réformés  qui  se  trou- 
vaient en  divergence  avec  les  idées  du  réformateur.  La  polémique  de 
Bèze  contre  les  catholiques  romains  a  quelque  chose  de  léger,  de  leste, 
de  satirique  qui  ne  laisse  pas  de  surprendre  (voyez  :  Breuis  et  utilis 
Zoographia  Cochlœi,  1549  ;  Epistola  magistri  Benedicti  Passavantii, 
1553;  Comédie  du  pape  malade  et  tirant  à  la  fm,  parThrasibule  Phénice, 
1561  ;  Les  réponses  à  Baudoin,  1563;  Histoire  delà  Mappemonde  papisti- 
que,  par  Frangidelple  Ëcorche-messes,  1567;  Les  trois  apologies  à  Claude 
de  Saintes,  1567-1577,  etc.).  Dans  la  Zoographie,  Cochkeus,  un  adversaire 
passionné,  est  classé  parmi  les  monstres  curieux.  Le  Passavant  con- 
tre le  président  Lizet,  cet  ennemi  cruel  des  protestants,  est,  au  témoignage 
même  de  Florimond  de  Rémond,  «  une  belle  droslerie.  »  La  Comédie 
du  pape  et  la  Mappemonde  papistique  sont  des  satires  virulentes,  dans 
lesquelles,  à  côté  de  quelques  traits  vifs,  heureux,  on  a  le  regret  de 
rencontrer  des  violences  et  certains  détails  par  trop  rabelaisiens. 
Baudouin,  jurisconsulte  célèbre,  qui  changea  dans  sa  vie  plusieurs  fois 
de  croyance,  ne  mérite  pas  sans  doute  des  égards  excessifs  ;  mais  quand 
Bèze  reprit  la  dispute,  abandonnée  par  Calvin,  il  mit  trop  d'àpreté  dans 
la  lutte,  et  un  tel  emportement  qu'il  mécontenta  ses  amis,  notamment 
Marnix  deSainte-Aldegonde.  Letti^ois  apologies  à  Claude  de  Saintes  sont 
plus  calmes,  plus  dignes.  Sa  polémique  contre  les  luthériens  sur- 
prend encore  davantage.  Au  fond  Bèze  a  le  désir  profond  de  concilier  les 
deux  Eglises,  il  s'est  donné  bien  de  la  peine  pour  arriver  à  ce  résultat 
tant  souhaité.  Et  cependant  ses  écrits  contre  certains  adversaires  dé- 
passent en  violences  tout  ce  qu'on  peut  imaginer.  Le  traité  De  Cœnô  Do- 
mini  plena  et  perspicua  tractatio,  1559,  contre  Westphal  a  de  la  dignité, 
malgré  sa  verdeur.  Mais  contre  Heshusius,  les  traités  Creofragia  sive 
Cyclops,  Onos  syllogizomenos  siue  sophista  manquent  absolument  de 
mesure  et  ont  été  sévèrement  reprochés  à  leur  auteur  (voy.  aussi 
Besponsiones  ad  repetitas  Andrex  et  Selneccerii  calumnias,  Gen., 
1578,  etc.).  Bèze  eut  [aussi  à  lutter  contre  certains  réformés,  et  en 
particulier  contre  Castalion  (Responsio  ad  defensiones  et  reprehensiones 


BEZE  269 

Oastellionis).  Le  plus  célèbre  de  ses  ouvrages  de  polémique  est  le 
traité  De  hxretici*  a  eirili  magistvotu  punïendîs,  Gen.,  1554.  Le  bûcher 
de  Servet  fut  dressé  le  27  octobre  1553.   Il   y  eut  une  universelle 
approbation.  Une  voix,  s'éleva  cependant  qui  revendiqua   les  droits 
de  la  liberté  el  de  la  charité  et  qui  proclama  la  tolérance.  Ce  fut  la 
voix  de  Castalion.  Cinq  mois  après  le  supplice  de  Servet,  un  livre 
parut,  hardi,   éloquent,  d'une   généreuse    inspiration  :   De  hœreticis^ 
an  sini  penequendi?  11  ne  portait  pas  le  nom  de  l'auteur;  une  belle 
lettre  au  duc  Christophe  de  Wurtemberg,  à  qui  le  livre  était  dédié , 
était   signée  :  Martinm  Bellius,  Ni  Calvin  ni  Bèze  ne  s'y  trompèrent, 
ils  virent  aussitôt  d'où  partait  le  coup,  et  ils  reconnurent  Castalion. 
L'émotion  produite  par  les  idées  de  Castalion  était  grande.  Il  fallait 
répondre;  Th.  de  Bèze  écrivit  alors  son  De  hœreticis  a   civili  magistratu 
puniendts.  La  thèse  est  carrément  posée,  c'est  le  droit  et  le  devoir  pour 
le  magistrat  de  punir  l'hérésie.  Ce  n'est  pas  en  vain  qu'il  est  armé  du 
glaive.  Il  doit  en   user  non-seulement  contre  les  perturbateurs  de  la 
paix  publique,  mais  contre  les  novateurs  téméraires  qui  corrompent  la 
vraie  religion  et  mettent  en  péril  le  salut  des  âmes.  C'est  la  réfutation 
de  la  thèse  de  Castalion,  l'apologie  de  l'intolérance,  à  grand  renfort 
de  citations,  de  raisonnements  et  de  violences  contre  Bellius.  Et  puis 
à  la  lin,  une  dénonciation  en  règle     :  «  Vous  avez  beau  cacher  vos 
noms,  votre  style  et  jusqu'au  nom  de  la  ville  dans  laquelle  a  été  publié 
votre  livre...  Chacun  sait  qui  vous  êtes  et  ce  que  vous  machinez  !  »  La 
thèse  et  les  arguments  de  Bèze  ne  se  réfutent  pas  aujourd'hui.  Ils  ne 
nous  troublent  plus,  ils   nous  attristent  et  nous   humilient.  —  3°  Le 
dogmatûte.  C'est  surtout  dans  la  sphère  de  la  dogmatique  que  la  dé- 
pendance de  Calvin  trouve  son  entière  application.  Bèze  ne  veut  être 
que  le  reflet  de  la  pensée  du  maître.  Les  écrits  dogmatiques  de  Bèze  ont 
été  réunis  en  trois  volumes  in-fol.,  Gen.,  1580,  sous  le  titre  de  Trac- 
tains  theologici  o?/mes,  plus  complets  que  l'édition  de  1575.  On  ne  trouve 
pas  dans  l'œuvre  dogmatique  de  Bèze  quelqu'un  de  ces  grands  traités 
où  la  pensée  du  maître  est  méthodiquement  exposée  :  la  plupart  des 
traités  contenus  dans  le  recueil  sont  des  œuvres  de  circonstance,  d'at- 
taque, de  défense.  D'abord  les  confessions  de  foi,  Confessio  fidei  doc- 
trinxque  de   Cœnà  Domini,  exhibita  illustriss.  principe  Wirtembtrgensi; 
Confessio  doctrines  ecclesiarum  gallicarum,  etc.  ;  Tractatus  très  de  rébus 
gravissimis  scripti,  sur  l'unité  de  l'essence  divine  et  les  trois  substances 
en  une  seule,  sur  l'union  hypostatique  des  deux  natures,  sur  la  Cène; 
Thèses  sur  la  Trinité  des  personnes  et  V  Unité  de  /' essence;  Quœstionum  et 
responsionum  christianarum  libellas,  sea  Catechismus  compendiarius ;  De 
prœdestinatione  doctrinâ  et  vero  usatractatio  absolalissima,  etc.  La  pensée 
théologique  de  Bèze  se  trouve  aussi  dans  ses  nombreuses  lettres,  dont 
plusieurs  sont  insérées  dans  les  traités  :  Epistolarum  tkeologicarum  lib.  I. 
Dans  toutes  les  grandes  bibliothèques  publiques  de  l'Europe  se  trouvent 
des  lettres  de  l'infatigable  réformateur;  plusieurs  ont  été  déjà  éditées 
dans  Hau ni  et  dans  le  Bulletin  du  Prot.  français.  Nous  avons  donc  sous 
des  formes  très-diverses  la  pensée  dogmatique  de  Bèze,  et,  sous  une 
tonne  particulièrement  précise  et  concise,  dans  les  confessions  de  foi, 


270  BEZE 

notamment  dans  celle  que  Bèze  écrivit  pour  son  père,  afin  de  lui  prouver 
qu'il  n'était  ni  un  hérétique,  ni  un  impie.  Ce  dernier  écrit  eut  beaucoup 
de  succès  et  fut  beaucoup  traduit  et  édité.  Cent  ans  après,  à  la  révo- 
cation de  Tédit  de  Nantes,  il  avait  encore  l'honneur  d'être  signalé  et 
condamné  spécialement  par  l'archevêque   de  Paris  comme  un  écrit 
dangereux.  Sur  les  questions   métaphysiques,  la  Trinité,  l'union  des 
personnes,  l'unité  des  deux  natures,  la  prédestination, la  pensée  de  Bèze 
est  l'orthodoxie  calviniste  la  plus  pure.  Sur  la  rédemption,  il  faut  noter 
l'idée,  qui  n'est  pas  d'ailleurs  contraire  au  calvinisme,  que  Christ  ne 
nous  sauve  pas  seulement  par  son  sang,  mais  par   sa  vie  entière,  ab 
ipso  momento  conceplionis  ad  resurrectionem ;  c'est  Yobedientia  activa 
Christi  sur  laquelle  les  luthériens  mettaient  plutôt  l'accent.  Quant  à 
l'Eglise  et  à  son  gouvernement,  la  cène  et  les  sacrements  sont  toujours 
présentés  sous  leur  jour  spiritualiste,  l'Ecriture  est  posée  comme  base 
de  la  foi,  comme  «  autorité  suffisante  qu'elle  tient  d'elle-même  et  non 
des  hommes  »,  l'antithèse  du  papisme  et  du  christianisme  est  toujours 
mise  en  relief;  quant  aux  rapports   de  l'Eglise  et  de  l'Etat,  on  voit 
aussitôt  que,  tout  en  distinguant  les  deux  sphères,  Bèze  veut  que  l'Etat 
soit  le  protecteur  et  le  gardien  de  l'Eglise.  Du  reste  toutes  ces  exposi- 
tions de  foi  se  ressemblent,  le  type  c'est  la  confession  de  foi  du  pre- 
mier synode  national.  —  4°  Lexéghte.  Les  travaux  critiques  et  histori- 
ques de  Bèze  sur  le  Nouveau  Testament  demeurent,  au  point  de  vue 
scientifique  et  théologique,  son  meilleur  titre  de  gloire  (voy.  Reuss,  Ge- 
schichte  der  H.Schriften  N.  T.,  p.  386).  Bèze  travailla  sur  dix-neuf  ma- 
nuscrits, et  parmi  ceux  qu'il  s'était  procurés,  deux  sont  plus  particulière- 
ment importants,  \e  Codex  Cantabrigensis  donné  par  lui  à  l'université  de 
Cambridge  (1581),  oùil  se  trouve  encore,  et  le  Codex  Clavomontanus,  qui 
est  à  la  Bibliothèque  nationale.  Le  texte  fut  ainsi  notablement  amélioré, 
d'autant  que  Bèze  consulta  avec  fruit  les  Pères,  toutes  les  éditions  anté- 
rieures et  les  versions  syriaque  et  arabe.  Sa  méthode  a  bien  quelque 
chose  d'un  peu  vacillant,    et  on  ne  voit  pas  d'après  quelles  règles 
sûres  il  procède  ;  mais  il  faut  le  louer  sans  réserves  de  ce  qu'il  a  sans 
cesse  amélioré  le  texte.  Il  fit  plusieurs  éditions  successives,  la  pre- 
mière en  1556,  la   cinquième  en  1598.   La  traduction   est  littéraire, 
quelquefois  exacte  jusqu'à  être  obscure,  d'autres  fois  par  trop  libre  : 
on  lui  a  reproché  quelques  entorses  en  vue  de  la  dogmatique.  Somme 
toute,  elle  a  été  avec  juste  raison  louée  par  Elie  du  Pin  et  par  Sca- 
iiger.  Son  exégèse  (consulter  surtout  la  célèbre  édition  de  Cambridge, 
1642)  assure  à  Bèze  un  rang  des  plus  distingués;  il  n'a  pas  l'exégèse 
profonde  de  Calvin,   mais  sa  pensée  est  nette,  lumineuse.    Richard 
Simon,  tout  en  lui  reprochant   d'avoir  inséré  trop  de  théologie,  lui 
accorde  le  premier  rang.    Ces  remarquables  travaux  sur  le  Nouveau 
Testament,  sans  compter  les  explications  de  quelques  livres  de  l'An- 
cien, furent  l'œuvre  de  la  vie  entière. de  Bèze  (Annotationes  in  N.  2\, 
1556;    J\ov.    Test,    latine  jam  olim  e  veteri  interprète,   nunc  denuo  a 
Th.  Bezâ  versum;  Nov.   Test,  grxce  et  latine,  nec  non    apostolicarum 
epistolarum  brevis  explicalio,  1565).  — 5°  L'hisforien.Trois  œuvres  his- 
toriques sont  dues  à  la  plume  de  Th.   de  Bèze,  la   Vie  de  Calvin,  les 


BEZE  l'71 

/cônes  et  Y  Histoire  ecclésiastique.  La  Fie  flfe  Calvin  est  un  récit  ému 
de  la  vie  du  réformateur,  c'est  le  cœur  du  disciple  qui  parle  sans  dé- 
clamation, eo  toute  vérité;  il  n*v  faut  pas  chercher  une  appréciation 
critique  de  L'œuvre  immense  de  Calvin,  c'est  une  simple  biographie 
succincte,  vivante,  dans  laquelle  respirent  la  vénération  et  l'affection 
pour  le  héros  religieux,  pour  celui  <pii  lit  tant  de  bien  aux  âmes,  pour 
cette  lumière,  la  plus  grande  qui  eût  resplendi  en  ces  temps  pour 
amener  les  hommes  à  la  connaissance  de  la  vraie  piété.  Les  Icônes 
sont  une  série  de  portraits  des  précurseurs,  des  héros  et  des  martyrs 
.le  la  Réforme.  Toutes  les  nations  y  ont  leurs  représentants;  le  livre 
s'ouvre  par  Wiclef,  Jean  Huss.  Jérôme  de  Prague,  Savonarole;  vien- 
nent aussi  les  humanistes  Reuchlin,  Erasme  et  aussi  les  princes  qui 
ont  secondé  la  renaissance  des  lettres.  François  Ier  et  le  mouvement 
religieux;  les  derniers  portraits  sont  Olympia  Morata,  Dryander  et 
Diaz.  Chaque  personnage  a  son  portrait  gravé  sur  bois  et  une  biogra- 
phie rapide,  mais  nette,  frappante,  terminée  d'ordinaire  par  un  qua- 
train. La  première  édition  latine  :  lames,  id  est  verse  imagines  virorum 
dectrina  simul  et  pietate  ilbxstrium,  Gen.,  1580,  est  un  magnilique 
volume  in-4°  ;  la  première  édition  française,  traduction  de  Gouîart,  est 
intitulée  :  Les  vrais  pour  traits,  1581  ;  même  éditeur.  Jean  de  Laôn.  La 
traduction  française  est  moins  soignée,  mais  elle  renferme  tous  les  por- 
traits sur  bois  des  hommes  illustres,  tandis  que  dans  l'édition  latine 
certains  manquent.  L'Histoire  ecclésiastique  des  Eglises  réformées  au 
royaume  de  France,  Anvers,  1580,  trois  forts  volumes  in-8°  de  7  à 
800  pages,  est  l'œuvre  essentielle  qui  recommande  Bèze  comme  his- 
torien. C'est  le  récit  des  événements  depuis  1521  jusqu'à  1503;  mais 
la  période  entre  1521  et  15G0  est  plutôt  résumée  que  décrite  :  en  fait 
ce  sont  les  trois  années  de  1560  à  1563,  années  si  importantes,  si  agi- 
tées, si  décisives,  qui  fournissent  la  matière  des  trois  volumes.  Pour  les 
origines  de  nos  Eglises,  c'est  une  source  d'informations  inépuisable  : 
il  n'y  a  pas  d'Eglise  tant  soit  peu  considérable  qui  n'ait  là  le  récit  de 
sa  naissance  et  de  son  développement.  Mémoires,  rapports,  confé- 
rences ecclésiastiques,  récits  de  martyres,  d'incidents  locaux,  détails 
de  toutes  les  rencontres  militaires,  pièces  secrètes,  officielles,  tout  s'y 
trouve  à  profusion.  La  narration  est  vivante  et  sincère.  Certes,  l'au- 
teur n'est  pas  impartial,  il  est  du  côté  des  opprimés,  il  ne  cache  pas 
-  -  <;motions,  mais  il  dit  la  vérité  tout  entière,  même  quand  elle  est 
nuisible  à  sa  cause  :  les  violences  et  les  insolences  des  soldats  en  divers 
lieux  (destruction  des  images,  des  monuments,  parfois  des  bibliothè- 
ques),  la  tiédeur  des  Eglises,  les  fautes  et  les  hontes  de  certains,  etc. 
L'impression  produite  par  ces  récits  dut  être  profonde  et  salutaire.  Par 
là  Bèze  réveilla  l'enthousiasme  des  siens  :  chacun  put  voir  par  ces 
ries,  par  ces  persécutions,  par  ces  martyres,  par  ces  délivrances, 
(pie  Dieu  était  avec  la  Réforme  et  (pie  le  devoir  était  de  persévérer. 
;  l'ait  à  Lille,  en  1841,  une  édition  nouvelle  de  l'histoire  de  Bèze, 
1  en  trois  volumes.  —  6°  L'orateur.  Sou  éloquence  frappe  par  la 
lité  *'t  l'ampleur.  La  harangue  de  Poissj  est  le  type  de  ces  nom- 
irs  puissants,  méthodiques,  mesurés  et  habiles  que  Bèze 


272  BEZE 

i 

prononça  dans  les  circonstances  solennelles  où  il  porta  la  parole  au 
nom  de  ses  frères.  Il  est  grand  le  contraste  qui  existe  entre  l'attitude 
et  le  ton  deBèze  en  ces  assemblées,  et  les  invectives  violentes  ou  bouf- 
fonnes que  nous  rencontrons  trop  souvent  dans  certains  de  ses  écrits 
polémiques.  Tous  les  sermons  deBèze  n'ont  pas  été  publiés.  Les  princi- 
paux recueils,  enoutredes  sermons  parus  isolément,  sont:  Sermonssur 
les  trois  prem.  c/tap.  du  Cantique  des  cantiques  (1586),  et  Homélies  sur  l'his- 
toire de  la  passion  et  de  la  sépulture  de  Notre  Seigneur  (1592).  La  méthode 
est  celle  de  Calvin  :  d'abord  interprétation  et  longue  discussion  du  texte, 
puis  application  du  texte,  quant  à  la  doctrineetà  la  morale,  aux  besoins 
de  l'Eglise.  L'appareil  théologique  et  critique  du  début  était  tort  goûté  à 
cette  époque.  On  est  d'accord  pour  reprocher  aux  sermons  sur  le  Cantique 
bien  des  subtilités  et  des  interprétations  forcées,  qui  arrêtent  l'essor  de 
l'éloquence.  Autrement  intéressants  et  puissants  sont  les  sermons  sur  la 
passion  de  Jésus.  Ici  Bèze  se  révèle  vraiment  comme  orateur.  Les  grandes 
qualités,  la  dignité,  l'ampleur  ,1a  puissance  apparaissent  avec  éclat.  Il  faut 
dire  que  ces  sermons  ne  sont  pas  exclusivement  religieux.  Bèze  entre  dans 
le  vif  des  affaires,  des  agitations,  des  douleurs  de  la  république.  Ces 
sermons  sont  encore  des  harangues,  des  discours  d'actualité,  répri- 
mant les  passions,  conseillant  telle  ligne  politique,  poussant  à  la 
guerre  à  outrance,  excitant  les  courages.  —  Ces  travaux  immenses  ne 
détournèrent  point  Bèze  de  ses  fonctions,  moins  éclatantes,  de  pasteur. 
Son  zèle  et  sa  piété  furent  à  la  hauteur  de  ses  talents  éminents.  Ses 
collègues  avaient  pour  lui  une  affection  égale  à  leur  admiration.  Pen- 
dant la  peste  terrible  de  Genève  (1570),  craignant  pour  une  vie  si 
précieuse,  ils  s'efforcèrent  de  le  retenir  loin  des  malades  ;  mais  Th. 
de  Bèze  «.  déclare  qu'il  ne  saurait  avoir  la  conscience  en  repos  aussi 
longtemps  que  la  seigneurie  ne  lui  permettra  pas  de  pouvoir  exercer 
cette  partie  de  son  ministère  (la  visite  aux  pestiférés).  Cette  demande 
ayant  été  trouvée  juste,  on  a  permis...  »  Il  mourut  comblé  de  jours, 
de  bénédictions  et  de  gloire.  Sa  belle  vieillesse  et  sa  mort  chrétienne 
furent  en  édification  à  l'Eglise  entière  (voir  son  testament,  ses  der- 
nières lettres,  les  témoignages  de  Casaubon,  de  Diodati,  Bull,  du  P. 
F.,  1854,  p.  281;  1870-71,  p.  159).  Les  calomnies  répandues  sur  son 
compte  s'expliquent  par  la  haine  féroce  de  ses  adversaires,  exaspérés 
des  coups  qu'il  leur  portait,  et  ne  méritent  même  plus  aujourd'hui 
d'être  réfutées  (voir  en  détail  dans  Bayle  l'exposé  et  la  discussion  de 
ces  calomnies).  Dans  toutes  les  nations,  et  en  diverses  langues,  les 
poètes  et  les  savants  célébrèrent  sa  gloire  (voir  dans  deLaFaye  les  cin- 
quante-quatre épisodes  à  l'occasion  de  sa  mort).  Le  dimanche  13  oc- 
tobre 1605  il  expira.  Le  14  à  midi,  il  fut  enseveli  dans  le  cloître  de 
Saint-Pierre.  Tout  le  peuple  genevois  suivit  son  cercueil.  — Sources  : 
Les  œuvres  de  Bèze  ne  se  trouvent  plus  guère  que  dans  les  grandes 
bibliothèques  publiques;  Antoine  de  La  Paye,  Devita  etobitu  Th.  Bezx, 
1606;  Bayle,  art.  Th.  de  Bèze,  très-complet  pour  certains  détails;  Schlos- 
ser,  Leben  des  Th.  Beza,  1809;  Baum,  Th.  Beza,  Ve  partie,  1843, 
2e  partie,  1851, très-riche, avec  pièces  justificatives,  documents  inédits; 
Haag,  France  protestante,  notice  bibliog.  complète ,  Bulletin  de  la  So- 


BÈZE  —  BIBLE  27:; 

cii'té  d'/ustoirc  du  Prot.  j'unirais,  passim,  documents  inédits  très-pré- 
cieux; Savons,  Etudes  littéraire*  sur  les  écrivains  /'murais  de  la  Ré- 
formation ;  Herzog,  art.  Bèze  dans  son  Encyclopédie;  les  histoires 
générales  de  l'Eglise  et  les  histoires  spéciales  delà  Réformation. 

A.  VlGUIÉ. 

BÉZIERS  (Hérault)  \Bliterra,  Biterrœ,  Béders,  Bédeirezj,  évêché 
sufiragant  de  Narbonne.  La  légende  rapporte  que  saint  Paul  a  fondé 
L'Eglise  deBéziers;  L'apôtre  ensuite  quitta  cette  ville  pour  Narbonne. 
laissant  saint  Aphrodite  à  sa  place.  Usuard  mentionne  cette  tradition 
(voy.  Acta  SS.,  22  mars)  à  laquelle  le  couvent  de  Saint-Aphrodite, 
dont  l'église  fut  cathédrale  avant  celle  de  Saint-Nazaire,  a  donné  un 
corps,  mais  jusqu'après  418  on  ne  sait  rien  de  r évêché  de  Béziers. 
Ce  n'est  pas  le  lieu  de  raconter  les  malheurs  de  cette  ville  : 

Anno  milleno  ducentenoque  noveno 

In  Magdalena  mit  urbs  Biterris  amœna. 

Nous  île  voulons  néanmoins  pas  omettre  de  dire  que  le  mot  sinistre 
que  l'histoire  a  pu  attribuer  avec  vraisemblance  au  légat  du  pape  : 
«  Tuez-les,  car  Dieu  connaît  les  siens,  »  est  inconnu  des  témoins  du 
massacre,  et  apparaît,  quelques  années  seulement  après  la  ruine  de 
Béziers,  sous  la  plume  d'un  moine  allemand  peu  digne  de  foi,  Césaire 
d'Heisterbach.  Outre  le  conciliabule  arien  de  356,  il  se  tint  à  Béziers  un 
grand  nombre  de  synodes;  ceux  de  1233  et  1246,  seuls  dignes  de 
remarque,  s'occupèrent  de  combattre  les  Cathares  et  de  réformer  le 
clergé  (Hefele,  V;  Mansi,  XXIII).  L'évêché  fut  supprimé  en  1801.  — 
Voyez  :  Catel,  Hist.  du  Languedoc;  Andoque,  Calai,  des  év.  de  Béziers, 
1650,  in-4°;  Sabatier,  Hist.  de  B.,  1854;  G  allia,  Vf;  Tamizey  de 
Larroque,  Mèm.  sur  le  sac  de  Béziers,  P.,  1862.  S.  Berger. 

BIBIENNE  (Sainte)  ou  Bibiane,  martyre  romaine,  n'aurait  aucun 
titre  à  notre  attention,  si  son  nom  n'était  celui  d'une  église  de  Rome, 
dédiée  versl'an  470  par  le  papeSimplice  au  lieu  dit  ad  (Jrsum  Pileatum, 
et  qui  fut  reconstruite  en  1625  par  le  cavalier  Bernin.  On  fête  sainte 
Bibienne  le  2  décembre. 

BIBLE.  Le  mot  de  Bible  (t<z  BiSXta,  les  livres,  d'où  les  moines,  dans 
leur  mauvais  latin,  ont  fait  le  singulier  biblia),  employé  depuis  le 
quatrième  siècle,  désigne  la  collection  des  livres  regardés  par  les 
chrétiens  comme  saints  ou  comme  «  les  livres  par  excellence  ».  IJ  est 
synonyme  du  terme  Ecriture  sainte  (Scriptura  -sacra,  lepà  Ypoppora, 
Ypa<pa».  rytai,  ou  simplement  r,  YPacPÎ5  a-  YP*¥a'l)j  (iul  est  même  plus  an- 
cien, vu  qu'il  a  déjà  été  usité  dans  la  Synagogue,  pour  désigner  l'Ancien 
Testament;  c'est  dans  ce  sens  qu'il  se  rencontre  dans  les  écrits  du 
Nouveau  Testament  (Màtth.  XXII,  29;  Jean  XIX,  26;  Act.  VIII,  32; 
Boni.  I,  2;  2  Tim.  III,  15).  Le  mot  de  Testament  (en  hébreu  berith, 
en  grec  SuttoptiQ,  inexactement  traduit  par  la  Vulgate  par  testamentum, 
dans  le  sens  de  teètatio,  lex)  désigne,  par  une  abréviation  passée  dans 
l'usage  à  partir  du  troisième  siècle,  les  documents  relatifs  à  l'ancienne 
alliance  que  Dieu  conclul  avec  le  peuple  d'Israël  par  Moïsi  \  de 

ii.  18 


274  BIBLE 

l'alliance  nouvelle  (xatvyj  en  opposition  avec  izcCkœ.oL,  Matth.  XXVI,  28; 
2  Cor.  III,  14),  que  Dieu  conclut  avec  l'humanité  par  Jésus-Christ.  Des 
articles  spéciaux  seront  consacrés  à  l'histoire  de  la  formation  (voy.  Ca- 
non), de  la  conservation  (voy.  Texte),  de  la  vulgarisation  (voy.  Versions) 
et  de  la  propagation  (voy.  Fart,  suivant)  de  la  Bihle,  comme  aussi  au\ 
divers  écrits  dont  elle  se   compose   et  aux  idées  qu'elle  développe 
(voy.  Théologie  biblique).  La  science  qui  s'occupe  de  l'histoire  de  la 
Bible,  considérée  comme  le  recueil  des  documents  de  la  religion  révélée, 
porte  le  nom  de  science  de  l'Introduction  à  la  Bible  ou  d'Isagogique 
(voy.  cet  article).  — Nous  ne  traiterons  ici  que  de  la  valeur  dogmatique  re- 
connue à  la  Bible  par  l'Eglise  chrétienne.  Pendant  longtemps  il  n'y  eut 
pas  de  doctrine  arrêtée  à  cet  égard.  Dans  l'antiquité  chrétienne,  à  mesure 
que  le  recueil  des  écrits  du  Nouveau  Testament  se  forme  et  s'impose  à 
l'usage  des  Eglises,  on  lui  attribue  la  même  valeur  qu'au  recueil,  depuis 
longtemps  adopté  et  vénéré,  des  livres  de  l'Ancien  Testament.  L'idée 
d'une  inspiration  spéciale  ou  théopneustie  (2  Tim.  III,  16),  impliquant 
de  la  part  des  écrivains  une  attitude  passive  vis-à-vis  du  Saint-Esprit 
qui  les  guide  et  leur  dicte  leurs  oracles,  passe  couramment  de  l'un  des 
recueils  à  l'autre  (Justin,  Dial.  c.  Tr.,  VII,  115;  Cohort.,  VIII;  Athenag., 
Légat.,  9);  elle  est  étendue  à  toutes  les  parties  du  recueil,  comme  à 
chaque  mot  dont  il  se  compose  (Orig.,  Deprinc.  prœf.,  4;  Iren.,  III, 
16,  2).  Pourtant,   en  opposition   avec  le  montanisme,   les  écrivains 
ecclésiastiques  distinguent  l'inspiration  de  l'extase  et  se  plaisent,  en 
particulier  dans  l'école   d'Antioche,   à  relever  le   côté  humain   de 
l'Ecriture,   lrénée  parle   de  l'originalité   du   style  de  saint  Paul,  et 
saint  Augustin  dit  des  évangélistes  que  chacun  d'eux  a  écrit  :   «  ut 
quisque  meminerat  et  ut   cuique  cordi  erat  »  (De  consensu  evang.,  II, 
12).    De  même,   l'Eglise   des  premiers  siècles  ne   se  prononça  pas 
sur  les  rapports  de  l'Ecriture  et  de  la  tradition  (è'yypaçoç  et  arfpaqoç)*  et 
leur  autorité  respective.   lrénée   invoque   avec  la   même  force  l'au- 
torité  des  apôtres  et  celle   des   évêques   institués  par   eux  comme 
leurs  successeurs  et   dépositaires  de  la   doctrine  apostolique  (III,  3)  ; 
Tertullien,  tout  en  regardant  la  Bible  comme  la    norme   de  la  foi 
(De  prœscr.,  29,  38),  proclame  la  tradition,  gardienne  de   la  vérité 
scripturaire,  laquelle  est  altérée  et  faussée  par  les  hérétiques  (De  prœscr. , 
17  ss.).  On  peut  trouver,  dans  les  écrits  d'un  même  auteur,  et  sou- 
vent à  quelques  lignes  de  distance,  des  assertions  également  concluantes 
pour  l'autorité  souveraine  de  l'Ecriture  comme  pour  celle  de  la  tra- 
dition et  de  l'Eglise  qui  la  personnifie.  Ainsi  saint  Augustin  dira  : 
«  Titubabit  fides,  si  dimnarum  Scripturarum  vacillât  autoritas  »  (De 
doctr.  christ.,  I,  37),  et  il  n'en  soutiendra  pas  moins  :  «  Ego  vero  Evan- 
gelio  ne  crederem,  nisi  me  catholicse  Ecclesiœ  commoveret  autoritas  »  (C. 
ep.  fundaîn.,  5).  L'indétermination  :  tel  est  le  caractère  de  cette  pre- 
mière période.  En  réalité,  l'épiscopat,  investi  de  l'autorité  souveraine 
en  matière  de  foi,  invoque  tantôt  la  Bible,  tantôt  la  tradition  en  faveur 
de  ses  décisions.  —  Le  moyen  âge,  sinon  dans  la  théorie,  du  moins  dans 
la  pratique,  subordonna  résolument  la  Bible  à  la  tradition,  c'est-à-dire 
à   l'Eglise;   la  première  était  inconnue,  inaccessible,    suspectée;   la 


BIBLE  275 

seconde,  incarnée  dans  la  papauté,  exerçait  un  ascendant  irrésistible 
et  gouvernail  toute  chose  :  la  toi,  la  vie,  la  science.  Aujourd'hui  encore, 

par  l'organe  du  concile  de  Trente  et  de  tontes  les  huiles  pontificales 
qui  ont  confirmé  ses  décisions,  L'Eglise  catholique,  tout  en  proclamant 
({ne  la  Bible  et  la  tradition  occupent  le  même  rang  et  qu'elles  doivent 
être  reçues  «pm^pietatis  affecta  acreverentia  »  (Conc.  Trid.,  Sess.  ]\\, 
decr.  de  ciui.  $a v'/i/.i.  l'ait  dépendre  l'interprétation  de  la  Bible  de  la 
tradition,  considère  la  Vulgate  comme  le  seul  texte  authentique  et  en 
interdit  la  lecture  aux  lidèles,  ou,  ce  qui  revient  au  même,  en  subor- 
donne l'autorisation  au  bon  plaisir  du  confesseur  (voy.  Y  Index  librorum 
prohibitorum,  joint  comme  appendice  au  Conc.  Trid.  et  sanctionné  par 
une  huile  du  pape  Pie  IV  en  156i,  Régula  IV).  Bellarmin  (De  verbo 
IV.  3)  et  tous  ceux  qui  l'ont  suivi,  justifient  ce  procédé  par  le  carac- 
tère incomplet  et  le  langage  obscur  de  la  Bible.  —  Les  réformateurs, 
sans  se  prononcer  sur  la  question  de  l'origine,  de  la  composition  et  de 
l'inspiration  de  l'Ecriture,  proclamèrent  son  autorité  normative  en 
lace  des  doctrines  et  des  préceptes  de  l'Eglise  romaine  qui  ne  repo- 
saient que  sur  «  des  traditions  humaines  ».  Seul,  Luther  s'enhardit 
jusqu'à  faire  dépendre  la  valeur  des  écrits  sacrés  du  degré  plus  ou 
moins  intense  avec  lequel  «  Christ  y  est  prêché  »  (Vorr.  zuder  Ep. 
S.  Jakobi  et  passim).  Les  confessions  de  foi  réformées  sont,  en  général, 
plus  explicites  que  les  symboles  luthériens.  La  doctrine  de  la  «  théo- 
pneustie  »  se  trouve  déjà  en  germe  dans  la  Formula  consensus  H civet. ,  c.  1  : 
«  Hebraicus  Y.  T.  Codex,  tum  quoad  consonas,  tum  quoad  vocalia,  sive 
puneta  ipsa  punctorum  saltem  potestatem,  et  tum  quoad  res  tum  quoad 
verba  ÔeoTeveucroç.  »  Ce  fut-  au  milieu  des  débats  passionnés  qui  rem- 
plirent le  dix-septième  siècle,  que  les  théologiens  protestants  dévelop- 
pèrent la  doctrine  de  la  Bible  et  fixèrent  sa  valeur  dogmatique.  Ils  lui 
confèrent  tous  les  attributs  que  les  catholiques  revendiquaient  pour 
l'Eglise,  identifiant  l'inspiration  avec  l'infaillibilité  et  le  document 
inspiré  avec  la  révélation  divine  elle-même  :  «  Quidquid  De  us  revelavày 
infallibiliter  certum  est.  Quidquid  sacra  Scriptura  docet  infallibiliter 
eertum  est  »  (Hollaz).  Il  est  vrai  que  le  mot  de  révélation  est  toujours 
pris,  non  dans  le  sens  de  manifestation  historique,  mais  dans  celui  de 
communication  de  la  doctrine  nécessaire  au  salut:  «  Sacra  Scriptura  est 
rerbum  Dei  aproph.  et  apost.  ex  inspiratione  div.  libris  consignatum,  ut 
per  illud peccator  informetur  ad  œternam  salutem.  »  L'Ecriture  est  ainsi 
complètement  identifiée  avec  la  parole  de  Dieu  et  proclamée  comme  le 
plus  puissant  moyen  de  grâce.  Dieu  est  la  causa  principalis  et  Yautor 
primarim  de  la  Bible;  les  écrivains  sacrés  n'ont  été  que  ses  instruments 
passifs  :  c'est  le  Saint-Esprit  qui  leur  a  mis  en  main  la  plume  et  qui  l'a 
conduite  :  «  Utiautem  os  Dei  fuerunt  in  loquendo  seu  prœdicando  prophet. 
et  apost. ,  ita  quoque  m  anus  fuerunt  et  calamiSpiritus  Sancti in  scribendo  » 
(Quenstedt).  L'inspiration  divine  implique:  1°  Yimpulsus  ad scriben- 
éum  ou  1(3  mandatumdivirmm,  tandis  que  les  docteurs  catholiques  ensei- 
gnaient que  les  écrivains  sacrés  avaient  pris  la  plume  ex  occasions 
quadam  accidentaria  aliundeoblataaut  necessùate  coactos  ;  2°  la  suggestio- 
rerunty  qui  ne  doit  pas  être  considérée;  comme  une  simple  assistentia 


27g  BIBLE 

et  directio  divina,  mais  comme  un  véritable  dictamen,  et  qui  s'étend 
absolument  à  toutes  les  parties,  même  les  plus  insignifiantes,  de  l'Ecri- 
ture :  «  Si  enim  unicus  Script,  versiculus,  cessante  immediato  Spiritus 
Sancti  influxu,  conscriptus  est, promptum  erit  satanœ,  idem  de  toto  capite, 
de  integro  libro,  de  universo  denique  codice  biblico  excipere,  etper  conse- 
quens  omnem  Script,  autoritatem  elevare  »  (Quenst.,  I,  71)  ;  3°  la  suggestio 
verborum  qui,  à  son  tour,  s'étend  jusqu'aux  points- voyelles  hébraïques. 
La  diversité  du  style  s'explique  par  une  accommodation  du  Saint- 
Esprit;  mais  elle  ne  saurait  compromettre  la  pureté  absolue  de  la 
langue  sacrée  :  «  Stylus  Nom  Testamenti  ab  omni  barbarismorum  et  solx- 
cismorum  labe  immunis  est.  »  Si  l'on  pouvait  constater  la  moindre  tache 
ou  la  plus  légère  erreur  dans  la  Bible,  c'en  serait  fait  de  son  autorité 
et  par  conséquent,  de  la  foi  du  chrétien  :  «  Périt  fidei  nostrœ  certitudo 
et  infallibilitas.  Si  enim  qusedam  inscript,  occurrunt  dubia,  incerta,  erro- 
nea  falsa,  unde  de  ceterorum  autoritate,  certitudine  autveritate constabit?  » 

Y)e  cette  théorie  de  l'inspiration  découlent  ce  que  les  anciens  dog- 

matistes,  depuis  Calov,  appelaient  les  affectiones  seu  proprietates  Scrip- 
turœ  sacrœ,  c'est-à-dire  les  attributs  de  la  Bible.  Ils  en  distinguent 
quatre  principaux  :  1°  La  divina  auctoritas,  qui  repose  sur  l'origine 
divine  de  la  Bible,  est  attestée  par  des  preuves  externes  (la  sincérité  des 
auteurs  les  miracles,  les  prophéties,  l'accord  unanime  de  l'Eglise,  les 
martyrs,  les  triomphes  du  christianisme,  etc.)  et  internes  (la  majesté,  la 
simplicité,  la  vérité  du  langage  biblique,  la  sainteté  des  préceptes, etc.), 
mais  surtout  par  le  testimonium  Spiritus  Sancti,  ou  le  témoignage  que 
Dieu  se  rend  à  lui-même  dans  l'âme  de  chaque  auditeur  ou  lecteur  at- 
tentif de  la  Bible.  Cette  autorité  est  à  la  fois  normativa,  en  tant  que  seule 
elle  peut  déterminer  ce  qui  est  nécessaire  au  salut,  et  judicialis,  en  ce 
que  seule  elle  peut  trancher  les  difficultés  et  terminer  les  controverses 
qui  peuvent  se  produire  en  matière  de  foi.  L'Ecriture  est  le  seul  code 
et  le  seul  tribunal  que  la  théologie  et  l'Eglise  chrétiennes  puissent  re- 
connaître. 2°  La  perfectio  ou  sufficientia.  Tout  ce  qui  est  nécessaire  au 
salut  est  contenu  dans  la  Bible.  La  lumière  intérieure  qu'invoquent 
les  sectaires  et  la  tradition  sur  laquelle  l'Eglise  catholique  fonde  ses 
dogmes  et  ses  cérémonies  sont  des  guides  trompeurs.  Dieu  nous  a 
donné  dans  la  Bible  une  révélation  complète  et  pleinement  suffisante 
de  la  vérité.  3°  La  perspicuitas .  La  Bible  expose  avec  la  plus  grande 
clarté  les  vérités  nécessaires  au  salut.  Cette  clarté  ne  s'applique  pas 
aux  res  qui  demeurent  des  mystères,  mais  aux  verba.  Elle  est  gradua- 
lis  '  tous  les  passages  de  l'Ecriture  ne  sont  pas  également  clairs,  mais 
il  V  en  a  qui  sont  comme  les  sedes  doctrinœ,  loci  classici,  dicta  pro- 
bantia.  Les  passages  obscurs  doivent  être  expliqués  par  les  passages 
clairs.  La  Bible  possède  la  facultas  se  ipsam  interpretandi ;  elle  est  sui 
insius  legitimus  interpres.  Enfin  la  clarté  de  la  Bible  est  ordinata,  c'est- 
à-dire  liée  à  certaines  conditions  religieuses,  morales  et  scientifiques, 
nécessaires  à  celui  qui  la  lit.  4°  Vefficacia.  La  Bible  n'est  pas  une 
lettre  morte.  Elle  a  le  pouvoir  de  convertir,  de  régénérer,  de  redresser 
et  de  consoler.  Chacun  peut  trouver  dans  ce  moyen  de  grâce  une  source 
puissante  d'édification.  —  Etablie  au  dix-septième  siècle,  dans  la  dou- 


BIBLE  277 

ble  lutte  contre  les  catholiques  et  les  illuminés,  cette  théorie  de  la  va- 
leur dogmatique  de  la  Bible  ne  tarda  pas  à  trouver  des  adversaires  au 
sein  même  du  protestantisme.  Son  vice  fondamental  est  de  confondre 
les  documents  de  la  révélation  avec  la  révélation  elle-même,  que  la 
nature  el  le  mode  de  l'inspiration  prêtée  aux  écrivains  sacres 
rendent  absolument  inutile.  L'Ecriture  n'est  pas  la  Parole  de  Dieu, 
elle  la  renferme.  C'est  ce  qu'ont  mis  en  pleine  lumière  les  travaux 
el  K-s  débats  de  la  théologie  protestante  depuis  le  milieu  du  dernier 
siècle.  Si  l'accord  n'existe  pas  encore  sur  le  rang  et  la  valeur  qu  il 
convient  d'attribuer  à  la  Bible  dans  le  domaine  de  la  foi  et  dans  celui 
de  la  science  chrétienne,  aucun  théologien  ne  soutient  plus  la  théorie 
de  l'infaillibilité  absolue  de  la  Bible.  Dès  à  présent,  nous  pouvons  con- 
sidérer comme  définitivement  acquis  les  résultats  suivants  :  1°  ^  an~ 
cienne  dogmatique  a  méconnu  le  rapport  intime  qui  existe  entre  la 
tradition  orale  et  la  tradition  écrite,  en  revendiquant  pour  cette  der- 
nière une  autorité  qu'elle  dénie  à  la  première.  2°  La  Bible,  comme 
tout  autre  livre  ou  recueil  de  livres,  loin  de  redouter  l'examen  de  la 
critique  historique,  doit  le  provoquer  et  l'encourager;  toute  obscurité 
volontairement  et  arbitrairement  maintenue  est  un  témoignage  de  dé- 
fiance non  justifiée  à  l'endroit  de  sa  valeur.  3°  La  Bible  renferme  les 
documents  les  plus  anciens  et  les  plus  authentiques  sur  les  origines, 
sur  l'essence  et  sur  les  caractères  de  la  religion  chrétienne,  et  en  par- 
ticulier  sur  la  personne  et  sur  l'œuvre  de  son  fondateur  ;  à  ce  titre  seul 
elle  a  droit  au  respect  dont  on  l'entoure,  à  l'usage  auquel  elle  sert, 
ainsi  qu'aux  patientes  et  laborieuses  recherches  dont  elle  est  l'objet  dans 
l'Eglise  chrétienne.  4°  La  théorie  de  la  Bible  ainsi  que  sa  valeur  dog- 
matique dépendent,  en  dernière  analyse,  de  celle  de  Y  inspiration  et  de 
la  révélation  (voir  ces  deux  articles).  F.  lichtbnbkkger. 

BIBLE  (Propagation  de  la).  Avant  la  découverte  de  l'imprimerie, 
deux  obstacles  principaux  s'opposaient  à  la  diffusion  des  saintes  Ecri- 
tures :  1°  L'ignorance  presque  universelle.  On  ne  savait  pas  lire  et 
l'Eglise  ne  s'en  mettait  point  en  peine.  La  foule  n'avait  qu'à  croire  et 
à  obéir,  nullement  à  examiner.  D'ailleurs,  depuis  Grégoire  VU  et  les 
conciles  de  Toulouse  (1229)  et  de  Tarascon  (1234),  la  lecture  de  la 
Bible  était  le  privilège  exclusif  des  prêtres.  2°  Le  prix  énorme  des 
livres.  Faust,  venu  à  Paris  pour  se  défaire  des  Bibles  qu'il  venait  d'im- 
primer, les  vendit  50  couronnes  (360  fr.),  tandis  que  l'exemplaire 
manuscrit  se  payait  de  4  à  500  couronnes  (2,900  à  3,500  fr.).  Or  un 
ouvrier  gagnait  alors  trois  ou  quatre  sous  par  jour.  Quand  les  réfor- 
mateurs en  appelèrent  de  l'Eglise  et  du  pape  à  l'Ecriture  sainte  et  à 
la  conscience  individuelle,  ils  firent  une  véritable  révolution  et  la  plus 
bienfaisante  entre  toutes.  Basée  sur  le  livre  et  l'école,  la  Réforme 
voulut  que  tons  lussent  et  s'assimilassent  les  enseignements  de  Jésus; 
de  là,  les  traductions  en  langue  vulgaire  mises  à  la  portée  de  tous  et 
même  des  plus  pauvres.  Les  Bibles  glosées  et  historiées  imprimées 
jusqu'alors,  abrégeaient  le  texte  (surtout  celui  de  l'Ancien  Testament) 
ou  y  intercalaient  sans  scrupule  les  superstitions  du  temps.  Les  tra- 
ductions    proprement  dites   ne  commencèrent   qu'avec   les   réforma 


278  BIBLE 

teurs;  aussi  leur  débit  fut-il  considérable.  Les  peuples  se  précipitèrent 
avec  avidité  sur  le  saint  volume.  Dès  1555,  la  Bible  allemande  de 
Luther  comptait  58  éditions.  La  Bible  française  d'Olivetan,  qui  subit  à 
Genève  une  révision  perpétuelle,  reparut  plus  de  cent  cinquante  fois 
au  seizième  siècle.  Elle  avait  été  précédée  de  celle  de  Lefèvre  d'Etaples, 
qui  eut  une  trentaine  d'éditions,  y  compris  celles  du  Nouveau  Testa- 
ment :  les  plus  illustres  personnages  avaient  subvenu  aux  frais  de 
l'entreprise,  et  Brieonnet  «  n'avait  épargné  or  n'argent,  pour  donner 
livres  à  ceux  qui  désiraient  y  entendre.  »  Il  en  fut  de  même  partout 
où  s'étendit  la  Réforme.  L'extrême  vivacité  des  controverses  força 
l'Eglise  romaine,  qui  jetait  au  feu  traductions,  traducteurs  et  lecteurs 
de  l'Evangile,  à  descendre  sur  le  terrain  protestant,  et  à  publier  aussi 
la  Bible,  en  ayant  soin  de  l'annoter,  de  tirer  à  elle  tous  les  passages 
qui  paraissaient  s'y  prêter,  et  d'atténuer  tous  ceux  qui  lui  étaient  défa- 
vorables. La  Bible  de  Louvain,  corrigée  aussi  à  diverses  reprises,  et 
mise  au  jour,  selon  Richard  Simon,  pour  détourner  les  catholiques  de 
la  lecture  de  la  Bible  de  Genève,  eut,  dit-on,  plus  d'éditions  que  celle- 
ci.  En  outre,  la  France  possède  une  trentaine  d'autres  traductions 
catholiques,  principalement  du  Nouveau  Testament,  en  dépit  des  pres- 
criptions anti-bibliques  du  concile  de  Trente  et  des  papes  Pie  IV, 
Clément  VIII,  Grégoire  XV,  Urbain  VIII,  Clément  XI,  Pie  VII,  Léon  XII, 
Pie  VIII,  Grégoire  XVI  et  Pie  IX.  De  même,  quand  la  traduction  des 
psaumes,  qui  faillit  conduire  Clément  Marot  sur  *le  bûcher,  eut  paru, 
une  multitude  de  rimeurs  (au  moins  200),  pour  la  plupart  catholiques, 
s'empressèrent  de  publier  des  Psautiers  ou  des  fragments  de  Psautier 
en  vers.  Celui  de  Marot,  que  chantent  encore  aujourd'hui  les  Eglises 
réformées,  fit  le  tour  du  monde,  fut  traduit  en  vingt-trois  langues,  et 
imprimé  en  français  plus  de  quinze  cents  fois.  Outre  les  premiers  essais 
d'association  biblique  qu'on  trouve  au  berceau  de  la  Réforme,  Genève 
en  vit  un  autre  en  1588.  Quelques  personnes  firent  un  fonds  destiné  à 
imprimer  la  Bible,  et  stipulèrent  que  le  bénéfice  appartiendrait  aux 
pauvres  réfugiés  de  divers  pays.  Cette  combinaison  eut  pour  résultat 
de  maintenir  assez  élevé  le  prix  de  l'édition,  et  les  synodes  de  Saumur 
et  de  Gap  s'en  plaignirent.  Soixante  ans  plus  tard,  en  1649,  une  pensée 
aussi  charitable  et  plus  féconde*  donna  naissance  à  la  première  société 
biblique,  qui  fut  restaurée  en  1661.  Son  titre,  Société  pour  la  propaga- 
tion de  l'Ecriture  dans  la  Nouvelle-Angleterre ,  indique  assez  le  but 
qu'elle  se  proposait,  savoir  la  traduction  des  saints  Livres  dans  les 
idiomes  des  peuplades  sauvages  du  nouveau  continent.  Les  solitaires 
de  Port-Royal  semblent  aussi  s'être  associés,  pour  la  propagation  du 
Nouveau  Testament  auquel  ils  avaient  travaillé  en  commun.  Ils  le 
firent  imprimer,  l'année  1667,  en  bons  caractères  pour  les  riches,  en 
très-communs  pour  les  pauvres,  et  le  vendirent  au  prix  coûtant  et 
peut-être  parfois  à  prix  réduit,  si  bien  que  5,000  exemplaires  furent 
placés  à  Paris  en  quelques  mois,  et  que  l'ouvrage  compta  cinq  éditions 
la  première  année,  et  quatre  la  seconde.  Quand  il  crut  avoir  détruit 
l'hérésie  par  ses  missionnaires  et  ses  dragons,  quand  il  eut  enlevé  aux 
protestants  leurs  écoles  et  leurs  Bibles,  et  qu'il  les  eut  contraints  à 


BIBLE 

L'abjuration  par  le  sabre,  Louis  XIV  fut  obligé  (ravoir  recours  à  la 
méthode  protestante,  pour  essayer  de  convertir  réellement  ceux  qu'il 
appelait   les  nouveaux  convertis.  Il  fallut  qu'il   distribuât   dos    Bibles 
comme  un  vulgaire  janséniste  <>u  un  obstiné  huguenot  Le  mission- 
naire   Pénelon  demandail  des  Nouveaux  Testaments  à  profusion,  en 
même  temps  que  l'établissement  de  bonnes  écoles,   auxquelles  'es 
veaux  catholiques  seraient  forcés  d'envoyer  leurs  enfants  :  «  On  ne 
fait  rien,  écrivait-il,  si  on  n'ôte  les  livres  hérétiques;  j>  mais  il  faut 
absolument   les   remplacer.    «   Si   on   ôte   leurs   livres   sans  leur  en 
donner,  ils   diront  que  les  ministres  leur  avaient  bien  dit  que  nous 
ne  voulions  pas  laisser  lire  la  Bible,  de  peur   qu'on   ne   vît  la  con- 
damnation  de   nos   superstitions   et   de    notre   idolâtrie.    »   Plus   de 
150,000  Nouveaux  Testaments  de  Godeau  et  des  Psautiers  du  même 
traducteur,    furent   imprimés  par  ordre   de  l'archevêque   de   Paris  ; 
mais  on  craignait  qu'ils  ne  tombassent  en  d'autres  mains  que  celles 
des   protestants.  C'est  pourquoi,  en  invitant  Foucault,  intendant  du 
Poitou,  à  commander  une  édition  du  Nouveau  Testament,   Louvois 
lui  ordonna   d'en   prendre    tous  les  exemplaires   dès  qu'ils  seraient, 
imprimés,  et  de  faire  rompre  les  planches.  Un  peu  plus  tard,  tandis 
que  les  Eglises  sous  la  croix  étaient  absolument  dépourvues  de  livres 
religieux,   et  que   Brousson  se  faisait  copiste  et  colporteur  en  même 
temps  que  prédicateur,  la  Société  pour  la  propagation  des  connaissances 
chrétiennes  naissait  en  Angleterre   (1698),    et  imprimait   la   Bible  en 
arabe,  en  gallois,  etc.  Le  principe  de  la  Réforme,  qui  produisait  chez 
les  huguenots  une  indomptable   revendication  des  droits  de  la  con- 
science, portait  de  plus  en  plus  ses  fruits  salutaires  au  sein  de  l'heu- 
reuse nation   qui   l'avait  adopté.   Pendant   que  l'ultramontanisme  ne 
savait  que  persécuter,  en  France  et  ailleurs,  le  protestantisme  d'outre- 
Manche  enfantait  la  Société  pour  la  propagation  de  V  Evangile  dans  les  pays 
étrangers  (1701),  et  la  Société  écossaise  pour  propager  la  connaissance  de  la 
religion   chrétienne   (1719),    toutes   deux  nécessairement   vouées   à  la 
diffusion  des  saintes  lettres.  Sous  l'influence  de  Spener  et  de  Franke, 
un  mouvement  semblable  s'opéra  en  Allemagne.  Les  Bibles  y  étaient 
mal  imprimées,  pleines  de  fautes,    très-chères  et  rares.    Le   baron   de 
Canstein  trouva,  grâce  à  son  immense  fortune,  le  moyen  de   remédier 
à  ces  inconvénients.   Il   se  procura  assez  de  caractères  pour  imprimer 
toute  une  Bible,  et  quand  elle  fut  composée,  il  en  garda   les   planches 
pour  renouveler  le  tirage  ad  libitum.  C'est  ainsi   qu'il   fonda   l'institu- 
tion biblique  de  Halle  (la  première  du   continent),    laquelle   répandit, 
de  1712  à  18io,  3,030,400  exemplaires  des  livres  saints  en  Allemagne. 
en  Russie,   en   Suède,   en   Danemark,   en  Pologne,  en  Hongrie   et  en 
Transylvanie.  La  pénurie  de  ces  livres   se  faisait  plus  vivement  sentir 
encore  parmi  les  réformés  de  France.  Dans  le  Midi,  de  soi-disant  ins- 
pirés,   qui   croyaient  converser  directement  avec   Dieu  et  recevoir  ses 
ordres  immédiats,  étaient  plus  écoutés  qu'il  n'aurait  fallu.   «  La  né- 
det  livres  est  grande,  »  écrivait  Antoine  Court;  cette  affirmation 
><■  reproduit  sous  mille  formes  dans  ses  lettres  et  dans  celles  de  Corteiz. 
Mais   comment   s'en  procurer?  Le   pavs   était  trop    pauvre    pour    les 


^80  BIBLE 

acheter  de  ses  deniers,  et  la  surveillance  des  ennemis  trop  active 
pour  les  laisser  pénétrer  librement.  Les  réfugiés  avaient  souvent  réussi 
à  faire  parvenir  à  leurs  frères  quelques  ouvrages.  On  s'adressa 
encore  à  leur  générosité  et  on  les  pria  de  multiplier  leurs  dons.  La 
Suisse  et  la  Hollande  se  firent  remarquer  par  leur  empressement  à 
répondre  à  cet  appel.  «  M.  Basnage,  écrivait  le  pasieur  Vial,  m'a 
«  mandé  qu'il  vous  envoie  des  livres  par  la  voie  de  Genève  et  d'autres 
«  endroits,  aussi  bien  qu'à  nos  frères  du  Poitou.  J'ai  même  su  que  les 
«  Etats  de  Hollande  ont  fait  un  petit  fonds  pour  ce  sujet  ;  cela  m'a 
«  fait  soupçonner  qu'à  l'avenir  vous  aurez  peut-être  moins  besoin  de 
«  ceux  que  nous  vous  envoyions  ci-devant.  Cependant  nous  ferons  à 
«  cet  égard-là  tout  ce  que  nous  pourrons,  et  quand  vous  n'en  pourrez 
«  pas  tirer  d'ailleurs,  vous  n'aurez  qu'à  m'écrire.  »  Ces  livres  étaient 
des  Testaments  et  des  Psautiers,  des  Testaments  surtout,  puis  des 
ouvrages  de  morale.  Quant  à  faire  .pénétrer  ces  ouvrages  en  France, 
de  hardis  colporteurs  s'en  chargeaient.  Les  difficultés  et  les  périls  étaient 
grands,  mais  ils  en  triomphaient.  Avec  leurs  ballots,  un  beau  jour,  ils 
passaient  la  frontière,  arrivaient,  déposaient  leur  précieux  fardeau  en 
lieu  sûr  et  repartaient.  Lorsque  les  prédicants  possédaient  quelques 
livres,  après  le  prêche  ou  dans  leurs  courses,  ils  les  distribuaient  aux 
fidèles.  C'était  la  «  manne  divine  ».  Tous,  pour  en  avoir,  se  précipi- 
taient, se  ruaient  ;  ils  mettaient  de  la  fureur  à  obtenir  une  Bible,  des 
Psautiers,  des  catéchismes.  «  Il  me  serait  difficile,  écrivait  Corteiz,  de 
«  vous  dire  où  se  distribuèrent  ceux  que  votre  bonté  me  donna.  J'en 
«  ai  laissé  un  peu  partout,  et  si  j'avais  voulu  croire  le  monde,  je  les 
((  aurais  tous  laissés  à  la  première  paroisse...  »  Les  livres,  malgré  tous 
les  efforts,  étaient  si  rares  qu'en  aurait-on  eu  «  mille  quintaux  »,  on 
les  aurait  distribués  en  moins  d'un  mois  ».  (Edm.  Hugues,  Ant. 
Court,  1,50).  Court  se  félicita  bientôt  de  l'heureux  succès  de  ces  distri- 
butions. «  Toute  la  montagne  donne  présentement  gloire  à  Dieu, 
écrivit-il  vers  1718.  Quelques  livres  parsemés  ont  réveillé  un  grand 
nombre  d'âmes  qui  dormaient,  tellement  que  les  noises,  les  discordes, 
les  procès,  les  querelles  commencent  à  perdre  leurs  forces;  mais  sur- 
tout la  jeunesse  travaille  avec  empressement  à  croître  ses  lumières  et 
ses  connaissances,  tellement  que  le  curé  des  Plantiers,  proche 
Yalleraugue,  un  jour  de  dimanche,  se  prit  à  pleurer,  disant  que 
tout  d'un  coup  son  église  était  devenue  déserte,  mais  que  le  sei- 
gneur évoque  en  serait  informé.  Quelques  lâches  en  furent  intimidés  ; 
mais  la  jeunesse  bénissait  le  ciel  qui  l'avait  éclairée  »  (ibid.,  p.  60). 
Le  souvenir  de  Port-Boyal  et  l'exemple  de  l'Angleterre  et  de  l'Alle- 
magne, portèrent  un  pieux  abbé,  secondé  par  quelques  évêques,  jansé- 
nistes comme  lui,  à  fonder  en  France,  vers  1719,  la  seconde  Société 
biblique  du  continent,  et  la  première  Société  biblique  catholique.  Il  se 
nommait  de  Barneville,  et,  bien  que  né  à  Dublin  (1659),  il  avait  fait 
toutes  ses  études  à  Paris,  et  avait  été  reçu,  à  l'âge  de  29  ans,  dans  la 
congrégation  de  l'Oratoire.  L'association  catholique  acceptait  des  dons 
et  distribuait  gratis  aux  pauvres,  et  sans  notes  ni  commentaires,  le 
Nouveau  Testament  traduit  par  son  fondateur  ;  mais  elle  n'excluait  pas 


BIBLE  281 

les  préfaces.  Celles  qu'elle  a  publiées  respirent  un  tel  amour  des  Ecri- 
tures,  un  sentiment  de  piété  si  large,  que  la  Société  des  /mites  religieux 
de  Paris,  a  pu  en  insérer  de  nombreux  extraits  dans  un  opuscule  qui 
porte  le  iv  107  de  ses  publications.  En  1728,  des  perquisitions  turent 
faites  chez  M.  de  Barneville  et  chez  quelques  autres  prêtres  également 
coupables  de  trop  (rattachement  à  la  Bible,  et  l'association  fut  obligée 
de  se  dissoudre  par  de  misérables  tracasseries,  qui  démontrèrent  une 
fois  de  plus  l'irréconciliabilité  de  Rome  et  de  la  Bible.  On  connaît  de 
la  traduction  de  l'abbé  de  Barneville,  12  éditions  parues  de  1719  à 
17o3.  La  seconde  moitié  du  dix-huitième  siècle  vit  naître  en  Angleterre 
quatre  autres  sociétés,  dans  les  attributions  desquelles  entrait  la  publi- 
cation de  la  Bible:  la  Société  pour  l'avancement  de  la  connaissance  de  la 
religion  parmi  les  pauvres  (1750),  la  Société  biblique,  destinée  à  fournir 
des  livres  saints  aux  armées  de  terre  et  de  mer  de  la  Grande-Bretagne 
(1780),  la  Société  pour  le  soutien  et  l'encouragement  des  écoles  du  di- 
manche (178o),etla  Société  biblique  française  de  Londres  (1792).  Celle-ci 
se  proposait  de  répandre  les  saintes  Ecritures  parmi  les  catholiques  et 
les  protestants  français,  au  moyen  de  dépôts  placés  chez  les  pasteurs 
ou  autres  personnes  zélées,  qui  se  chargeraient  de  vendre  les  exem- 
plaires à  ceux  qui  pourraient  les  payer,  et  de  les  céder  à  prix  réduit 
ou  même  gratis  aux  pauvres.  Les  protestants  ne  pouvaient  qu'accueillir 
avec  un  joyeux  empressement  la  circulaire  qui  leur  fut  adressée  ;  car 
aucune  Bible  protestante  n'avait  été  imprimée  en  France  depuis  1678. 
Le  pasteur  de  Paris,  Marron,  se  mit  en  relation  avec  là  Société  et  en 
reçut  4,000  francs,  qu'il  remit  à  un  imprimeur  pour  l'impression  qui  se 
préparait.  Mais  la  Révolution  ruina  l'imprimeur,  suspendit  les  relations 
<iitre  les  deux  peuples,  et  la  Société  fut  dissoute,  non  sans  avoir  laissé 
aux  protestants  de  Paris  le  vif  désir  d'en  établir  une  du  même  genre. 
Le  projet  fut  repris  par  une  autre  société  anglaise,  probablement  celle 
des  missions,  qui,  en  1802,  fit  imprimera  Paris  un  Nouveau  Testament, 
dont  la  distribution  fut  confiée  à  un  comité,  sous  la  surveillance  du 
consistoire  de  l'Eglise  réformée.  Les  hostilités  qui  recommencèrent  en 
1803,  arrêtèrent  de  nouveau  l'admirable  élan  de  zèle  religieux  qui 
transformait  en  sœurs  deux  nations  violemment  divisées  par  la  poli- 
tique. Eniin  le  7  mars  1804,  pendant  que  l'Europe  se  livrait  à  une 
guerre  terrible  et  insensée,  fut  établie  l'une  des  plus  puissantes  asso- 
ciations religieuses  qui  aient  jamais  existé,  et  qui  allait  répandre  sur  le 
monde  entier  les  bienfaits  d'une  pieuse  et  chrétienne  sollicitude,  la 
Société  biblique  britannique  et  étrangère.  Elle  se  donna  pour  unique 
mission  défaire  circuler  les  Ecritures  parmi  les  chrétiens,  les  maho- 
métans  et  les  païens.  Plusieurs  sociétés  déjà  existantes  avaient  à  peu 
le  même  but;  mais  elles  manquaient  du  caractère  d'universalité 
que  prit  leur  cadette.  Elles  n'étaient  que  des  œuvres  de  secte  ou  de 
diverses  dénominations  religieuses,  tandis  que  tous  se  trouvèrent  réunis 
«■t  d'accord  pour  fonder  l'œuvre  nouvelle.  Aussi  son  budget,  qui  attei- 
gnit bientôt  plusieurs  millions,  lui  permit-il  d'aider,  par  des  subven- 
tions considérables,  un  grand  nombre  d'autres  sociétés  créées  à  son 
exemple  <t  sous  son    influence.  Depuis  son  origine,   elle  a  distribué 


282  BIBLE 

76,400,000  exemplaires  des  livres  saints  et  dépensé  198,580,350  francs. 
Elle  a  reçu  dans  son  dernier  exercice  6,717,600  francs.  Son  rapport 
annuel  très-abrégé  forme  un  volume  in-8°  de  4  à  500  pages.  Elle  a  des 
dépôts  à  Paris,  Bruxelles,  Cologne,  Francfort,  Amsterdam,  Berlin, 
Stockholm,  Copenhague,  Saint-Pétersbourg,  Vienne,  Odessa,  Constan- 
tinople,  Rome,  Madrid,  Lisbonne,  et  des  sociétés  auxiliaires  à  Bombay, 
dans  le  Pendjab,  dans  le  nord  de  l'Inde,  à  Calcutta,  Madras,  Colombo, 
Jaffna,  Sengapore,  Hong-Kong,  Shangaï,  en  Australie,  dans  la  Nouvelle- 
Zélande,  aux  Indes  occidentales,  au  Canada/et  sur  les  côtes  est,  ouest  et 
sud  de  l'Afrique.  Rien  ne  montre  à  un  degré  supérieur  la  fécondité  et 
les  heureux  effets  du  principe  d'association.  Actuellement  79  Sociétés 
du  même  genre \  sans  compter  celles  d'Afrique  (67  en  Europe,-  4  en 
Amérique  et  8  dans  l'Inde),  travaillent  de  concert  avec  la  société  de 
Londres.  Les  principales  sont  la  Société  biblique  américaine,  la  Société 
biblique  américaine  et  étrangère,  Y  Union  biblique  américaine,  la  Société 
biblique  nationale  d'Ecosse,  la  Société  biblique  hibernienne,  celles  de 
Suède,  de  Norwége,  de  Danemark,  de  Néerlande,  de  Wurtenberg,  de 
Prusse  et  de  Russie.  La  plus  importante,  après  celle  de  Londres,  est  la 
Société  biblique  américaine,  fondée  en  1816.  Le  chiffre  de  ses  distribu- 
tions s'élève  à  33,125,800  exemplaires  des  livres  saints,  et  ses  dépenses 
à  86,145,800  francs.  Les  recettes  de  son  dernier  exercice  ont  atteint 
2,980,600  francs.  De  même  que  la  découverte  de  l'imprimerie  avait  pré- 
cédé la  Réforme,  de  même  la  découverte  de  la  stéréotypie(trouvée  en  1795 
par  Firmin-Didot)  précéda  de  quelques  années  la  fondation  des  sociétés 
bibliques  du  dix-neuvième  siècle,  qui  allaient  en  faire  usage  sur  la  plus 
vaste  échelle.  Elles  ont  dépensé  jusqu'ici  environ  366,550,000  francs, 
et  distribué  plus  de  141  millions  d'exemplaires  des  livres  sacrés,  chiffre 
énorme,  qui  égalera  bientôt  celui  des  kilomètres  (153  millions)  qui 
séparent  la  terre  du  soleil.  Sous  quelque  rapport  qu'on  l'envisage, 
on  demeure  frappé  de  stupeur  et  d'admiration,  à  la  vue  du  gigan- 
tesque travail  opéré  par  la  foi  en  la  Bible.  Le  saint  livre  est  aujour- 
d'hui traduit  et  imprimé  en  227  langues  ou  dialectes,  dont  plusieurs 
n'avaient  jamais  été  écrits.  Dire  que  les  traductions  n'étaient  qu'au 
nombre  de  50  avant  1804,  c'est  montrer  la  grande  part  qui  revient 
dans  cette  œuvre  à  la  Société  britannique  et  étrangère.  Voici  le 
tableau  de  ces  227  traductions,  auxquelles  il  en  faut  ajouter  deux 
qui  sont  sous  presse  (total  229)  :  l'une  en  balinese ,  l'autre  en 
butta.  —  EUROPE  :  anglais,  gallois,  gaélique,  irlandais,  dialecte  de 
l'île  de  Man  (Iles  Britanniques)  ;  —  français,  breton,  basque  (France)  ; 
—  espagnol,  catalan,  basque  espagnol,  dialecte  de  Guipuscoa,  gitano, 
portugais  (Espagne  et  Portugal)  ;  —  islandais,  suédois,  lapon,  fin- 
nois, norwégien,  danois,  fœroé  (Nord  de  l'Europe)  ;  —  hollandais, 
flamand,  allemand,  lithuanien,  polonais,  haut  wende,  bas  wende, 
bohémien,  hongrois,  esclavon,  ruthénien  (Europe  centrale)  ;  —  ita- 
lien, latin,  roman  du  haut  pays,  roman  de  l'Engadine,  piémontais, 
vaudois,  maltais  (Italie  et  Suisse)  ;  —  grec  ancien,  grec  moderne, 
Ibanais  du  Nord,  albanais  du  Sud,  turc,  roumain,  serbe,  croate,  bul- 
gare de  l'Est,  bulgare  de  l'Ouest  (Grèce,  Turquie)  ;  —  slave,  russe  mo- 


BIBLE  283 

derne,  esthonien  de  Dorpat,  esthonien  de  Kevel,  livonien,  carélien, 
siriane,  samoyède,  calmouck,  mordouine,  tchérémisse,  tchouvache, 
tartare  d'Orenbourg,  tartare  turc,  tartare  de  Crimée  (Empire russe).  — 
ASIE  :  ossète,  géorgien,  arménien  ancien,  arménien  moderne,  armé- 
nien de  TArarat.  tartare  trans-caucasique,  kurdoijpéorgie)  ;  —  hébreu, 
arabe,  syriaque,  carse  (Syrie);  —  persan,  afghan,  belouchi,  sanscrit, 
hindoustani  (Inde) ;  —  bengali,  bengali  musulman,  santali,  mondari, 
lepcha,  maghudha, orissa,  hindoui,  bughelcundi, brug, canoj, kousulu; 
harroti,  oojein,  oodeypora,  marwar,  juyapora,  bikaneera,  buttaneer, 
sindhi,  sindhi  gurumukhi,  moultan,  pendjabi,  dogura,  gondi,  cache- 
mirien,   népalais,  palpa,  kumaon,    gurwhal  (Présidence  du  Bengale); 

—  telinga,  carnatique,  tamoul,  dakhani,  malayalim,  tulu  (Prési- 
dence de  Madras)  ;  —  kunkuna,  mahratte,  guzarati,  parsi  guzarati, 
cutchi  (Présidence  de  Bombay)  ;  —  pâli,  cingalais,  indo-portugais 
{Ceylan);  —  assamois,  munipoora,  tibétain,  khassi,  birman,  peguese, 
bghai  karen,  sgau  karen,pwo  karen,  siamois  (Indo-Chine); — chinois, 
dialecte  des  mandarins  de  Pékin,  dialecte  des  mandarins  de  Nankin, 
dialecte  de  Ningpo,  dialecte  de  Canton,  dialecte  de  Hakka,  mandchou, 
mongol  de  l'Est,  mongol  du  Sud,  japonais,  loochooan(CAme  et  Japon); 

—  malai,  bas  malai,  javanais,  sundanese,  dayak,  niasian;  macassar, 
bugis  (Malaisie)\ —  malgache,  narrinyeri,  maori,  néo-calédonien,  nen- 
gonese,  lil'u,  iaian,  aneityum,  eromangan,  faté,  hawaïen,  lidjien,  rotu- 
man,  tongan,  niué,  samvan,  rarolongue,  tahitien,  marquisien,  kusaien, 
ebon,  gilbert island  (îles  du  Pacifique).  —  AFRIQUE  :  copte,  éthiopien, 
amharique,  tigré,  galla,  kinika,  swahili  (Afrique  de    l'Est)  ;  —  ber- 
bèré,  mandingo,  temne,  mende,  bullom,  grebo,  accra,  otji,  ewe,  yo- 
ruba,  haussa,  ibo,  nupé,  mpongwe.efik,  dualla  (Afrique  de  l'Ouest);  — 
benga,  namacqua,  sechuana,  sessouto,  zulu,  kafîr  (Afrique  du  Sud). — 
AMERIQUE':  groenlandais,  esquimau,  mohawk,  mie  mac,  maliseet,  dia- 
lectecreç  de  l'Est,  dialecte  crée  de  l'Ouest,  chippeway,tukudh,  ojibwa, 
delaware,  choctav,  dakota,  cherokee,  muskokee,  seneca,  mayan,  mexi- 
cain, créole,  dialecte  nègre  de  Curaçao,  arrawack,  dialecte  nègre  de  Su- 
rinam, aimara.  Si  considérable  que  soit  le  travail  accompli,  il  est  loin 
d'être  complet;  car  Balbi  évalue  à  5,000  le  nombre  des  dialectes,  et  à 
2.000  le  nombre  des  langues,  dont  il  n'a  cependant  classé  que  860.  Il 
reste  donc  encore  immensément  à  faire,  pour  qu'aucune  àme  ne  de- 
meure forcément  soustraite  à  l'influence   de  l'Evangile.  Cette   sainte 
propagande  a  souvent  excité  la  colère  de  Rome.  Après  vingt  années 
d  existence^  la  Société  biblique  catholique  de  Bavière,  fondée  aussi  en 
1804.  par  Wittmann,  régent  du  séminaire  de  Ratisbonne,  dut  renoncer 
à  ses  travaux,  sous  les  menaces  des  jésuites  redevenus  tout-puissants. 
Il  en  fut  de  même  de  la  Société  catholique  pour  la  distribution  du  Nou- 
veau Testament,  établie  à  Paris  par  un  protestant,  M.  Léo,  en  1816.  Elle 
ne  dura  que  huit  ans.  Plus  courageux,  le  célèbre  moine  bénédictin  et 
professeur  de  l'université  de  Marbourg,  Van  Ess,  dont  la  traduction 
du  Nouveau  Testament,  imprimée  aux  frais  de  la  Société  de  Londres 
(1807-1830),  eut  vingt  éditions,  fut  abreuvé  de  persécutions,  mais  ré- 
sista jusqu'au  bout  a  Léon  XII,  qui,  dans  une  encyclique  de  18c2't,qua- 


284  BIBLE 

lifiait  &  innovation  diabolique  et  redoutable  pour  la  foi  et  les  mœurs,  la 
Société  biblique  dont  l'acti  vite  s'exerçait  «  avec  effronterie  sur  le  monde 
entier  ».  C'est  dans  le  même  esprit  que  l'assemblée  générale  du  clergé 
de  France  avait  présenté  au  roi,  en  1780,  un  long  mémoire  contre  les 
entreprises  des  protestants,  en   suppliant   Sa  Majesté  de  revenir  aux 
ressorts  salutaires  et  aux  voies  réprimantes  des  beaux  jours  de  Louis  XIV. 
La  réponse  lut  redit  de  tolérance  de  1787,  bientôt  dépassé  par  la  Ré- 
volution, qui  proclama  l'égalité  de  tous  les  citoyens  devant  la  loi,  ren- 
dit aux  glorieux  descendants  des  martyrs  leurs  droits  civils,  religieux 
et  politiques.  Le  protestantisme  commençait  à  renaître  quand  fondirent 
sur  lui  la  réaction  de  1815  et  la  Terreur  blanche.  Il  fallut  un  certain 
courage  au  marquis  de  Jaucourt,  à  Boissy  d'Anglas,  au  grand  Guvier, 
aux  pasteurs  Marron,  Gœpp,  Monod,etc,  pour  fonder,  trois  ans  après 
(1818),  une  société  destinée  à  fournir  des  Bibles  aux  protestants  du 
royaume,  la  Société  biblique  protestante  de  Paris.  Elle  ne  tarda  point  à 
avoir  des  auxiliaires  jusque  dans  les  moindres  villages.  Elle  réchauffa 
le  zèle  et  vivifia  la  piété  un  peu  froide  du  dix-huitième  siècle.  Ses  as- 
semblées aunuelles  étaient  des  fêtes  auxquelles  les  protestants,  dissé- 
minés et  sans  lien  commun,  accouraient  de  toutes  parts,  apprenaient  à 
se  connaître,  à  se  compter  et  à  s'aider  mutuellement.  Elle  devint  non- 
seulement  un  centre  de  ralliement,  mais  un  foyer  d'action,  d'où  sorti- 
rent la  -Société  des  traités  religieux,  la  Société  des  missions  et  la  Société 
pour  l'encouragement   de   l'instruction  primaire.   Les  subsides   que  la 
puissante  Société  de  Londres  lui  accorda  généreusement  dans  les  six 
premières  années,  cessèrent  tout  à  coup,  non  par  suite  de  divergences 
dogmatiques,  le  dogme  n'était  nullement  en  question,  mais  par  suite  de 
divergences  de  méthode.  Deux  esprits  régnaient  dans  le  comité  de  Paris, 
et  se  manifestèrent  dès  la  publication  de  sa  première  circulaire:  l'esprit 
conservateur  et  l'esprit  progressif.  Quand  il  s'agit  de  clicher  un  texte 
et  de  le  rendre  pour  longtemps  immuable,  les  uns  proposèrent  la  révi- 
sion améliorée  de  Lausanne  (1822)  qui  venait  de  paraître.  Les  autres, 
au  contraire,  firent  adopter  le  texte  vieilli  et  inexact  d'Ostervald,  et 
sans  le  dire,  y  substituèrent  en  beaucoup  d'endroits  celui  de  Martin, 
plus  vieux  encore,  et  qu'ils  trouvaient  plus  orthodoxe.  Les  premiers 
tenaient  à  ce  que  les  livres  apocryphes   continuassent  à  être  joints 
aux  livres  canoniques;  les  seconds,  au  contraire,  en  vinrent  à  consi- 
dérer   la  distribution    des  apocryphes    comme    une    infidélité.    Ces 
deux    esprits  agitaient  aussi  le  comité  de  Londres,  et  la  fraternelle  et 
chrétienne    largeur  des   premiers   temps  disparut,  quand    le  second 
l'emporta    sur  le  premier.   En  1826,  la  Société  anglaise  modifia  son 
règlement  qui  jusqu'alors  avait  autorisé   la  publication  des  livres  apo- 
cryphes, et  exclut  de  ses  libéralités  toutes  les  Sociétés  qui  ne  renon- 
ceraient pas  à  imprimer  ces  livres.  La  Société  de  Paris  ne  voulut  pas 
y  renoncer,  et,  pour  rétablir  la  paix  dans  son  sein,  elle  imprima  des 
Bibles  avec  les  apocryphes  et  des  Bibles   sans  les  apocryphes,   en 
laissant  le  choix  aux  lecteurs.   Cependant,  dès  1819,  la   Société  de 
Londres  avait  confié  à  un   membre  de   celle   de  Paris,  M.  Kieffer, 
un  dépôt  de  Bibles  et  de  Nouveaux  Testaments  destinés  aux  catho- 


BIBLE  285 

tiques.  Grâce  à  rabaissement  des  prix,  les  agents  de  M.  Kieffer  en 
vendirent  des  quantités  prodigieuses.  En  1827,  emportée  par  son 
aversion  pour  les  apocryphes,  la  Société  de  Londres,  entrant  déci- 
dément dans  le  domaine  de  celle  de  Paris,  adressa  une  circulaire  à 

tous  les  pasteurs  de  France,  et,  Tannée  suivante,  elle  chargea  M.  Kief- 
fer, qui  appartint  jusqu'à  sa  mort  (1832)  au  comité  de  la  Société  bi- 
blique protest  un  te  de  Paru,  de  faire  concurrence  à  cette  Société,  en 
distribuant  aux  protestants  des'  Bibles  sans  apocryphes.  M.  Kieffer 
n'était  pas  seul  dans  cette  position  fausse  et  intenable;  plusieurs  autres 
membres  de  la  Société  de  Paris  faisaient  partie  du  comité  qui  dirigeait 
le  dépôt  de  la  Société  de  Londres.  Dans  ce  dernier  comité,  où  Ton 
ignorait  absolument  les  difficultés  budgétaires,  les  distributions  de  la 
pauvre  Société,  qui  n'avait  pas  à  sajdisposition  des  centaines  de  mille 
francs,  étaient  jugées  mesquines.  Aussi,  après  la  révolution  de  1830,  qui 
permettait  d'élargir  la  sphère  d'action  de  la  Société  biblique  protestante , 
M.  Kieffer  et  ses  amis  voulurent  l'obliger  à  modifier  son  règlement  et 
à  s'occuper  aussi  des  catholiques.  Le  refus  redoubla  des  tiraillements 
depuis  longtemps  inévitables,  et  lors  des  élections  de  1833,  chacun 
des  deux  partis  vota  pour  exclure  plusieurs  membres  de  l'autre.  Deux 
hommes  du  parti  conservateur  et  des  plus  récemment  entrés  dans  le 
comité  ne  furent  pas  réélus  ;  les  autres  donnèrent  leur  démission,  et 
tous  ensemble  ils  fondèrent  la  Société  biblique  française  et  étrangère, 
laquelle  n'avait  guère  de  nouveau  que  le  nom,  puisqu'elle  existait  sous 
le  nom  de  dépôt  depuis  quatorze  ans.  Toutefois  le  dépôt  continua  d'exis- 
ter à  côté  d'elle  et  sous  les  ordres  directs  de  la  Société  britannique  ; 
il  existe  encore  aujourd'hui,  et  la  France  lui  est  redevable  de  la  pro- 
pagation de  o  millions  d'exemplaires  des  livres  saints.  La  Société  bi- 
blique protestante  fut  grandement  affaiblie  par  le  schisme  ;  mais  ayant 
trouvé  le  moyen  de  placer  l'Ecriture  sainte  dans  toutes  les  mains  pro- 
testantes, en  donnant  gratuitement  un  Nouveau  Testament  à  chaque 
catéchumène,  lors  de  sa  première  communion,  et  une  Bible  à  chaque 
couple  qui  reçoit  la  bénédiction  nuptiale,  elle  poursuivit  son  œuvre 
circonscrite  et  en  rapport  avec  la  modicité  de  ses  ressources,  sans 
s'interdire  du  reste  les  distributions  dans  les  écoles,  les  hôpitaux, 
les  prisons,  etc.  Trente  ans  après  le  premier  schisme,  la  lutte  éclata  de 
nouveau  entre  les  amis  du  progrès  et  les  partisans  du  statu  quo,  qui 
ne  se  défiaient  pas  moins  qu'en  1822  des  versions  améliorées.  La  ques- 
tion biblique,  posée  en  1862  avec  un  grand  éclat,  fit  oublier  un  moment 
les  autres  sujets  qui  divisaient  le  protestantisme  français.  Les  fautes  de 
tout  genre  de  la  révision  d'Ostervald,  ou  plus  exactement,  de  la  ré- 
vision qu'on  imprime  à  tort  sous  son  nom,  ayant  été  signalées  dans 
des  brochures  répandues  à  un  grand  nombre  d'exemplaires,  il  devint 
impossible  de  les  nier  et  même  de  garder  le  silence.  Mais  tandis  que 
les  uns  disaient  :  Le  devoir  de  la  Société  biblique  est  de  publier 
1rs  meilleures  versions  possibles,  les  plus  exactes,  les  plus  françaises, 
c'est-à-dire  actuellement,  l'Ancien  Testament  de  Perret-Gentil  et 
les  Nouveaux  Testaments  de  Genève  et  d'Arnaud;  les  autres  répon- 
daient  :   ce   o'es!    pas  la  pluralité,  mais  l'unité   de   version    qui   est 


28G  BIBLE 

désirable.  Le  premier  qui  a  divulgué  les  fautes  d'Ostervald  a  commis 
une  mauvaise  action.  Ces  fautes  existent  sans  doute,  bien  qu'on   en 
ait  exagéré   le   nombre,  et   des  corrections  paraîtraient  nécessaires; 
mais    elles  troubleraient  la  foi  des  simples,  et  il  faut  à  tout  prix  éviter 
ce  danger.  D'ailleurs  le  Nouveau  Testament  de  Genève  est  suspect  au 
point  de  vue  de  la  fidélité  dogmatique,  et  nous   nous  opposons  for- 
mellement à  ce  que  la  Société  biblique  publie  aucune  version  nouvelle. 
Au  fond,    il  s'agissait  de  savoir  si  la  Société  biblique   (et  avec  elle 
l'Eglise  réformée)  était  inféodée  pour  jamais  à  une  Vulgate  française, 
plus  fautive  encore  que  la  Vulgate  latine  ;  car,  si  un  changement  peut 
troubler  aujourd'hui  les  âmes,  il  les  troublera  demain,  après-demain, 
toujours,  et  s'il-  suffit  d'accuser  une  version  d'infidélité  sans  ombre  de 
preuve,  pour  qu'elle  soit  mise  à  l'index,  toutes  les  versions  nouvelles 
pourront  être  mises  à  l'index.  Durant  deux  années,   la  majorité  du 
comité  recula  devant  une  menace  de  démission  réitérée  parla  minorité. 
Elle  dut  cependant,  tout  en  sauvegardant  la  liberté  de  ceux  qui  préfé- 
raient Ostervald,  faire  droit  au  vœu  des  Eglises  qui  réclamaient  les  ver- 
sions nouvelles.  Les  démissions  ne  se  firent  pas  attendre  (fin  1863),  et  une 
troisième  société  biblique  fut  fondée,  sous  le  titre  de  Société  biblique  de 
France  (1864).    La  Société  biblique  française   et  étrangère  crut   devoir 
s'effacer  devant  sa  jeune  sœur,  et  cessa  d'exister  (1865)  après  avoir 
distribué  750,000   volumes   et  dépensé  2,400,000  francs.  La  Société 
biblique,  de  France,  qui  rejette  les  apocryphes,  semblait  vouée,  par  son 
origine  et  par  les  principes  qui  lui  avaient  donné  naissance,  à  la  dis- 
tribution d'Ostervald  in  œternum.  Mais  fort  heureusement  ses  fonda- 
teurs furent  eux-mêmes  entrailles  par  le  progrès.  Ils  s'étaient  retirés 
de  l'ancienne  Société,  parce  qu'elle  violait,  disaient-ils,  l'article  1er  de 
son  règlement,   en   imprimant   des  versions  récentes  ;   et  lorsqu'ils 
constituèrent  une  Société  nouvelle,  ils  s'empressèrent   d'abroger  cet 
article,  et  d'y  en  substituer  un  qui  leur  permît  de  distribuer  dans 
l'avenir  d'autres  versions  que  celles  de  Martin  et  d'Ostervald.  En  atten- 
dant, cette  Société  révise  elle-même  Ostervald  et  a  déjà  publié  deux 
parties  de  sa  révision  :  le  Nouveau  Testament  et  les  Psaumes.  Ses  dé- 
penses se  sont  élevées  jusqu'ici  à  environ  402,000  francs,  et  ses  distri- 
butions ont  atteint  le  chiffre  de  223,500  exemplaires,  y  compris  des 
portions  détachées  de  l'Ancien  et  du  Nouveau  Testament.  Tardivement 
éclairée  sur  les  dangers  auxquels  pouvait  l'exposer  encore  l'article  1er 
de  son  règlement,  l'ancienne  Société  l'a  modifié  et  rendu  aussi  large 
que  possible.  11  était  ainsi  conçu  à  l'origine  :  «  La  Société  a  pour  but 
unique  de  répandre  parmi  les  chrétiens  protestants  les  saintes  Ecri- 
tures,- sans  notes  ni  commentaires,  dans  les  versions  reçues  et  en  usage 
dans  leurs  Eglises.  »  Sa  rédaction  actuelle  est  la  suivante  :  «  La  Société 
a  pour  but  de  répandre  les  saintes  Ecritures  parmi  les  chrétiens  pro- 
testants, dans  les  versions  demandées  par  leurs  Eglises.  »  L'article  cor- 
respondant du  règlement  de  la  nouvelle  Société  est  différent  :  «  Si  la 
majorité  des  Eglises  demande  d'autres  versions  fidèles,  celles-ci  pour- 
ront être  distribuées  par  la  Société.  »  Ajoutons,  pour  finir,  que ,  dans 
ses  57  années  d'existence,  la  Société  biblique  protestante  de    Paris  a 


BIBLE  —  BIBLIOGRAPHIE  TIIEOLOGIQUE  287 

dépensé  2,234,000  francs,  ci  mis  en  circulation  575,850  exemplaires  de 
l'Ancien  ef  du  Nouveau  Testament.  —  /lis/,  de  lu  Soc.  bibliq.  britanniq. 
et  étrang.y  traduite  de  l'anglais  du  rév.  J.  Owen,  Paris,  1820,  2  vol. 
in-S°;  La  Bible  pour  tous  pays,  par  Baxter  et  fils  ;  The  history  of  the 
british  and  foreign  Bible  society...,  by  tlie  George  Browne,  London, 
1859,  2  vol.  in-8°;  Geschichte  der  Cansteirfsçken  Bibelanstalt,  von 
0.  Bertram,  Halle,  1863,  ln-89;  Die  Bibel  und  ihre  Geschichte,  von 
Albert  Ostertag,  Bâle,  l«  édit,  !S(î3,  in-12,  ouvrage  traduit  en  traînas 
par  HUï  Dufour,  Paris,  1857,  in-12;  La  bible  et  son  histoire,  etc.,  par 
L|ouis]  N[apoléon]  Rfoussel],  Toulouse,  1861,  in-12;  La  Bible  en 
Fronce,  etc..  par  Emmanuel  Pétavel,  Paris,  1864,  in-8°;  Hist.  de  la 
Soc.  bibliq.  prot.  de  Paris,  par  0.  Douen,  Paris,  1808,  gr.  in-8°; 
Sixtieth  annual  report  of  the  american  Bible  society  ;  Seventy-second 
report  of  ihe  british  and  foreign  Bible  society.  0.  Douen.  ■ 

BIBLIANDER,  Buchmann  (Théodore)  [1507-15641,  professa  les  lan- 
gues orientales  à  Zurich,  après  la  mort  de  Zwingle.  Il  se  distinguait  par 
une  connaissance  approfondie  de  l'hébreu  et  termina  la  traduction  de 
la  Bible  commencée  par  Léon  Juda.  Partisan  des  idées  d'Erasme, 
Bibliander  combattit,  non  sans  une  certaine  véhémence,  la  doctrine 
de  la  prédestination,  professée  à  Zurich  par  Pierre  Martyr  dans  toute 
sa  rigueur.  Son  ouvrage  le  plus  connu  est  Machumetis  Saracenorum 
principis  ejusque  successorum  vitai,  doctrina  ac  ipse  Alcoran,  etc., 
Bâle,  1543,  in-tol.|Il  a  laissé  un  grand  nombre  de  manuscrits  conservés 
dans  la  bibliothèque  de  Zurich. 

BIBLIOGRAPHIE  THÉOLOGIQUE.  Les  livres  consacrés  à  l'indication, 
à  l'analyse  ou  à  la  critique  des  ouvrages  théologiques  sont  fort  nom- 
breux ;  nous  devons  nous  borner  à  indiquer  les  meilleurs  et  les  plus 
récents,  ou  ceux  plus  anciens  qui  n'ont  point  encore  été  dépassés  ou 
qui  ont  conservé  une  utilité  réelle.  Nous  signalerons  d'abord  ceux  qui 
se  rapportent  à  la  théologie  prise  dans  son  ensemble,  puis  les  ouvrages 
consacrés  aux  diverses  disciplines,  en  distinguant  ceux  qui  suivent 
l'ordre  systématique,  utile  surtout  pour  connaître  ce  qui  a  paru  sur  un 
sujet  particulier,  de  ceux  qui  suivent  l'ordre  chronologique  ou  alpha- 
bétique des  auteurs,  destiné  plutôt  à  trouver  le  titre  exact  d'un  livre 
que  l'on  connaît  ou  les  divers  ouvrages  d'un  môme  auteur. 

I.  THÉOLOGIE  dans  son  ensemble.—  1°  Bibliographie  systématique. 
Parmi  les  divers  ouvrages  qui,  sous  la  forme  d'introduction  à  la  théo- 
logie, d'histoire  delà  théologie,  d'encyclopédie  théologique,  etc.,  don- 
nent en  même  temps  une  grande  place  à  l'indication  des  livres  essen- 
tiels publiés  dans  chaque  branche,  nous  mentionnerons  G. -M.  Pfaffius 
fntroductïo  in  historiam  theologia •  litterariam,^  éd.,Tubing.,  1724-2G, 
:>  vol.  in-4d);  J.-F.  Buddeus  (Isagoge  historico-theologica  ad  theologia  m 
universam,  2  éd.,  Lips.,  1730,  in-4°);  G.  Stolle  (Anleiiung  zur  Historié 
der  theol.  Gelahrheit,  Iena,  1739,  in-4°)  ;  G.-J.  Plank  (Einkitung  in  die 
theol.  Wis$enschaften%  Leipz.,  1794, 2  vol.  in-8°)  ;  C.-F.  Staeudlin  (Gesch. 
d.  theol.  Wissensehàften,  Gœtting.,  1810-11,  2  vol.  in-8°,  et  Lehrbuch  d. 
theol.  Encyclop.  u.  Méthodologie,  llan.,  1821)  et,  parmi  les  plus  ré- 
sents,  tout  particulièrement   K.-K.    Hagenbach  (Encyktopœdie  u.  Me- 


28  i  BIBLIOGRAPHIE  THÉOLOGIQUE 

thodologie  der  thel.  Wissenschaften,  9e  éd.,  Leipz.,  1874,  in-8<>).  Quant 
aux  ouvrages  plus  spécialement  bibliographiques,  J.-G.  Walch  [Biblio- 
theca theologica  selecta,  Iena,  1757-65,  4  vol.  in-8°)  occupe  encore  main- 
tenant une  place  éminente  par  la  netteté  de  son  plan,  la  sûreté  de  ses 
indications  et  la  masse  de  renseignements  qu'il  offre  dans  toutes  les 
parties  de  la  théologie;  il  n'a  été  dépassé  depuis  que  par  G.-B.  Winer 
(Handbach  der  theol.  Literatur,  3e  éd.,  Leipz.,  1838-40,  2  vol.  in-8°  et 
1  supplém.  en  1842),  mais  le  plan  de  ce  dernier  exclut  tout  renseigne- 
ment accessoire,  sauf  cependant  les  courtes  notices  biographiques  réu- 
nies à  la  lin  de  l'ouvrage.  Nous  ne  rappellerons  que  pour  mémoire  les 
ouvrages  analogues  de  J.-O.  Thiess  (1795-97),  D.-G.  Niemeyer  (1796- 
1812,  4  vol.),  J.-A.  Nœsselt  (1800),  F.-L.  Simon  (1813),  J.-S.  Ersch 
(1822),  W.-D.  Fuhrmann  (1818-36,  4  vol.).  Le  Dictionnaire  de  biblio- 
graphie catholique,  par  F.  Pérennès  (Montrouge,  1858-60,  4  vol.  in-4°, 
faisant  partie  de  la  troisième  Encyclopédie  théol.  de  Migne),  contient 
une  masse  énorme  de  titres,  qui  ne  sont  malheureusement  pas  toujours 
suffisamment  exacts  ni  rangés  dans  un  ordre  commode.  Pour  la  con- 
naissance des  ouvrages  plus  récents,  la  plupart  des  revues  théologi- 
ques publient  des  comptes-rendus  isolés  d'ouvrages  importants;  mais, 
en  dehors  des  revues  purement  bibliographiques,  la  Zeitschrift  fur 
die  gesammte  lutherische  Théologie  u.  Kirche  (36e  année,  1876,  Leipz.) 
seule  donne  un  compte-rendu  d'ensemble  sous  le  titre  de  :  Allgemeine 
kritische  Bibliographie  der  neuesten  theol.  Literatur.  Le  Theologische 
Jahresbericht  de  W.  Hauck  (Wiesbaden,  1865-75)  a  cessé  de  paraître  et 
a  fait  place  à  la  Theologische  Literatur zeitung  de  E.  Schûrer  (Leipzig, 
1876  et  suiv.),  à  côté  de  laquelle  se  range  pour  la  théologie  catholique 
/e  Theologische  Literatur blatt  de  F. -H.  Reusch  (Bonn,  1866  et  suiv.)  ; 
la  France  n'a  guère  que  la  Bibliographie  catholique  (Paris,  1842  ss.) 
.qui  n'est  pas  spécialement  théologique.  La  simple  indication  des  titres 
des  ouvrages  parus  est  fort  bien  donnée  par  le  catalogue  de  la  théo- 
logie protestante  que  publie  deux  fois  par  an,  depuis  1848,  la  librairie 
Vandenhœck  et  Ruprecht  à  Gœttingen,  sous  le  titre  de  Bibliotheca  theo- 
logica  (rédigé  depuis  1867  par  W.  Mùldener)  ;  la  Bibliotheca  catholico- 
theologica  n'a  paru  que  pour  l'année  1867.  Les  catalogues  analogues 
publiés  à  Leipzig  chez  Hinrichs,  1870  et  1875,  par  E.  Baldamus  (Pro- 
testantische  Théologie,  1865-69  et  1870-74;  Kathol.  Théologie,  id.) 
embrassent  chacun  une  période  de  cinq  ans  et  s'en  tiennent  plus  exclusi- 
vement aux  ouvrages  allemands.  Toutes  ces  bibliographies  systéma- 
tiques sont  terminées  par  des  tables  alphabétiques  des  auteurs.  Aban- 
donnant l'ordre  systématique  rigoureux  pour  ranger  les  divers  ouvrages 
sous  la  rubrique  alphabétique  des  sujets  traités,  M.  Lipenius  (Biblio- 
theca realis  theologica,  Francof.,  1685,  2  vol.  in-fol.,  terminée  par  une 
table  dès  auteurs)  a  donné  un  volumineux  catalogue  assez  inexact; 
Danz  (Universal-  Wœrterbuch  der  theologischen,  kirchen-u.  religionsge- 
schicht  lichen  Literatur ,  Leipz.,  1837-43,  in-8°,  avec  un  supplément,  1843) 
a  suivi  un  plan  analogue  et  peut  rendre  de  bons  offices  ;  il  lui  manque 
seulement  une  table  des  auteurs. — 2°  Bibliographie  par  ordre  d'auteurs. 
Les  grands  ouvrages  consacrés  aux  auteurs  ecclésiastiques  par  Possevin, 


BIBLIOGRAPHIE  THKOLOCÏIQUE  289 

Cave,   Du   Pin  et  son  continuateur  Goujet,  Geillier.j  Oudin,  comme 
ceux  moins  volumineux  de  Trithème,  de  Miraeus,  de  Bellarmin  con- 
tinuë  par  Labbe  et  Du  Saussay,  d'OIearius,  fournissent  sur  les  auteurs 
anciens  un  grand  nombre  de  renseignements  plutôt  littéraires  que 
bibliographiques.    Les    bibliographies    suivantes    l'ont   connaître   les 
livres  théologiques  plus  récents  :  Enslin  (Bibliotheca  theologica,  2e  éd., 
Stuttg.,  1833,  in-S),  qui  indique  les  ouvrages  protestants  parus  en  Alle- 
magne  jusqu'en    1831,  et  Zuchold  (Bibliotheca  theologica,   Gœttfng., 
1864,  2  vol.  in-8°),  qui  le  continue  pour  la  période  de  1830  à  1862, 
tandis  que  l'ouvrage  anonyme  de  M.  Schmalhofer  (Bûcherkunde  dtr 
kath.  t licol.  Literatur  bis  1836,  Augsb.,  1837,  in-8°,  avec  des  supplé- 
ments .intitulés  Hatidbùchkin  d.  neuesten  Literatur  des  /Calholizismus, 
Schaffhaus.,  184044)   rend  des  services  analogues  pour  la  théologie 
catholique;  le  Thésaurus  librorum  rei  catholicœ  (Wûrzbourg,  1848-50, 
2  vol.  in-8°  et  1  supplément)  embrasse  l'ensemble  des  auteurs  catholi- 
ques et  joint  dans  son   ordre  alphabétique  les  écrivains  aux  sujets. 
traités.  Darling  (Cyclopxdia  bibliogra/jhica,  London,  1854,  2  vol.  in-4°) 
s'occupe  de  toute  la  littérature  théologique,  mais  n'est  un  peu  complet 
que  pour  les  auteurs  anglais;  il  présente  l'avantage  de  faire  connaître 
le  contenu  détaillé  de  toutes  les  grandes  collections  et  des  ouvrages 
composés  de  dissertations  détachées,  comme  aussi  des  sermonnaires 
qu'il  indique.  La  place  ne  nous  permet  pas  de  rappeler  les  nombreuses 
bio-bibliographies  théologiques  consacrées  aux  auteurs  de  certaines 
époques  ou  de  certaines  contrées. —  3°  Catalogues  de  bibliothèques  parti- 
culières. Nous  ne  devons  pas  omettre  les  catalogues  raisonnes  que  plu- 
sieurs théologiens  allemands  du  siècle  dernier  ont  donnés  de  leurs 
bibliothèques  particulières,  à  cause  des  notices  souvent  très-développées 
et  fort  exactes  qu'ils  ont  jointes  à  l'indication  des  titres  :  Jo.  Fabricsus 
(Historia  Bibliothecœ  Fabricianae,  Wolfenbùt.,  1717-24,  6  vol.  in-4°), 
dont  l'ouvrage  consciencieux,  interrompu  par  sa  mort,  manque  d'une 
table  générale  des  matières  ;  J.-F.  lieimmann  (Catalogus  bibliothecœ  theo- 
logicœ  systematico-criticus,  Hildesiée,  1731,  in-8°,  avec  un  supplément. 
1747);   Mien.    Lilienthal  (/Jiblisch-Exeyetische   Uibliothek.,   Kœnigsb., 
1740;  Theologische  Uibliothek,  1741;  Fortgesetzte  Theologische  Biblio- 
t/n-k.  1744,  en  tout  30  fascicules  in-8°,  formant  3  vol.);  S.-J.  Baum- 
garten    (Nachrichten  von  einer  hallischen   Bibliothek,  Halle,    1748-51, 
8  vol.  in-8°  ;  Nachrichten  von  merkivùrdigen  JJùchern,  1752-58,  12  vol. 
in-S0)  ;  ces  deux  ouvrages  de  Baumgarten,  remarquables  surtout  par  la 
précieuse  collection  de  Bibles  qui  y  est  décrite  et  par  l'exactitude  des 
renseignements  bibliographiques,  sont  terminés  par  des  tables  fort 
commodes  sur  l'ensemble  des  20  volumes.  J. -M.  Francke  est  l'auteur  du 
Catalogua  Bibliothecœ  Bunavianœ  (Lips.,  1750-50,  7  vol.  in-4°),  ouvrage 
malheureusement  inachevé,  qui  ne  présente  point  comme  les  précé- 
dents de  renseignements  autres  que  les  titres,  mais  qui  donne  avec 
une  scrupuleuse  exactitude  le  contenu  détaillé  et  systématiquement 
classé  des  ouvrages   de  cette  belle  collection  (aujourd'hui  à  Dresde), 
particulièrement  riche  dans  le  domaine  de  L'histoire  ecclésiastique  el 
de  la  biographie.  Nous  joindrons  encore  L'indication  de  deux  catalogues 
ii  19 


290  BIBLIOGRAPHIE  THÉOLOGIQUE 

de  libraires,  intéressants  à  cause  des  belles  collections  de  dissertations" 
et  thèses  théologiques  dont  ils  donnent  le  détail  :  C.-G.-G.  Theile  (Thé- 
saurus literaturx  theologicœ  academicœ,  Lips.,  1840,  in-8°)  et  0.  Fiebi" 
(Corpus  dissertationum  theologicarum,  Lips.,  1847,  in-8°);  le  premier 
disposé  systématiquement,  n'a  pas  été  terminé  ;  le  second,  indiquant 
plus  de  15,000  dissertations,  est  rédigé  avec  moins  de  soin  ;  il  est 
disposé  d'après  Tordre  alphabétique  des  auteurs,  mais  il  est  suivi 
d'assez  bonnes  tables  des  sujets  traités. 

II.  Théologie  exegétique.  —  1°  Exégèse  dans  son  ensemble.  J.  Lelong 
{Bibliotheca  sacra,  nov.  éd.,  Paris,  1723,  2  vol.  in-fol.)  a  composé  un 
vaste  répertoire  des  études  bibliques  ;  le   premier  volume  contient  le 
catalogue  des   éditions    de  la  Bible  en  diverses  langues,   le  second 
une  liste  alphabétique  des  auteurs  qui  ont  écrit  sur  la  Bible  avec  l'in- 
dication de  leurs  ouvrages,  suivie  d'une  table  systématique  de  ces 
derniers  ;  malgré  bien  des  inexactitudes  et  des  omissions,  ce  livre  est 
encore  utile.  E.-F.-K.  Rosenmùller  (Handbuck  fur  die  Literatur  der  bi- 
blischen  Kritik  u.  Exégèse,  Gœtting.,  1797-1800,  4  vol.  in-8°)  voulait 
donner  une  revue  systématique  et  raisonnée  de  tous  les  ouvrages  im- 
portants publiés   sur  la  Bible  ;  son  excellent  travail,  malheureusement 
inachevé,  n'embrasse  que  l'introduction  et  la  critique,  les  éditions 
essentielles  des  textes  originaux,  l'herméneutique,  les  versions  ancien- 
nes et  parmi  les  modernes  celles  en  langues  romanes  ;  il  lui  restait 
à  traiter  les  autres  versions  et  tous  les  commentateurs.  G.-W.  Meyer 
(Geschichte  der  Schrifterklârung  seit  der  Wiederhersiellung  der  Wissen- 
schaften,  Gœtting.,  1802-9,  5  vol.  in-8°)  donne  de  nombreuses  indica- 
tions bibliographique!».  En  outre  on  consultera  avec  fruit  :  La  Bibliothè- 
que sacrée  de   Calmet  (en   tête  de  son  Dictionnaire  de  la  Bible,  Paris, 
1722,  in-fol.,  souvent  réimpr.  et  trad.  en  plus,  langues);  W.  Orme  (Bi- 
bliotheca biblica,  a  sélect  list  of  books  on  sacred  literature,  Edinburgh, 
1824,  in-8°);  Horne  (Manual  of  biblical  bibliography ,  London,  1839, 
in-8°),  ainsi  que  les  diverses  introductions  à  l'Ancien  et  au  Nouveau 
Testament,  parmi  lesquelles  se  distinguent  tout  particulièrement  par 
l'abondance  des  renseignements  bibliographiques,  pour  l'Ancien  Tes- 
tement,  celles  de  de  Wette  (nouv.éd.  par  Schrader,  Berlin,  1869)  et  de 
Bleek  (3e  éd.  par  Kamphausen,  Berlin,  1870);  pour  le  Nouveau  Tes- 
tament, de  Wette  (nouv.  éd.  par  Messner  et  Lùnemann,  Berlin,  1860); 
Bleek  (3e  éd.  par  Mangold,  Berlin,  1875);  Reuss  (5e  éd.,  Braunschw., 
1874)  ;  entin  nous  indiquerons  encore  pour  l'Ancien  Testament  Diestel 
(Geschichte  d.  Alt  Test,  in  der  christlichen  Kirche,  Iéna,  1869).  Ewald, 
(dans ses  Jahrb'àcher  der  bibl.  Wissenschaften,  Gœtting.,  1848-65, 12  vol. 
111-8%  auxquels  il  manque  encore  la  table  générale  promise)  a  rendu 
compte  de  presque  tous  les  ouvrages  touchant  de  près  ou  de  loin  à 
l'exégèse  biblique  publiés  dans  cet  espace  de  temps.  —  2°  Editions  de  la 
Bible.  A.-G.  Masch    (Bibliotheca   sacra,  Halœ,  1778-90,  2   parties   en 
6  vol.  in-4°)  a  repris  le  travail  de  Lelong  et  l'a  fort  amélioré  ;  mais  il 
s'est  arrêté  après  avoir  traité  des  éditions  du  texte  original,  et  des  versions 
dans  les  langues  orientales,  grecque  et  latine;  pour  les  Bibles  hébraïques 
il  a  été  complété  par  J.-B.  de  Rossi  (De  igno  tisnonnullis  antiquissimis 


BIBLIOGRAPHIE  THÉOLOGIQUE  i>9i 

hebr.  textus  editionibus,  Erlang.,  1 78^2,  in-'t0;.  On  possède  en  outre  plu- 
>sieurs  catalogues  raisonnes  d'importantes  collections  particulières' de 
iBibles,   celles  de  J.-S.   Baumgarten   (cité   j)lus  haut),  des  ducs  de 
^Brunswick  (G. -L.-0.  Knoch,  Bibliotheca  biblicay  Brunsw.,  1752,  in-4°, 
et  Hist.  crit.  Nachrichten  von  der  Braunschweigiscken.  Bibelsammlung, 
Bd.  /..  Wolfenbûttel,  1754,  in-8°),  de  J.-M.  Gœze,  appartenant  main- 
tenant à  la  bibliothèque  dé  Hambourg  (Verzeichniss  seine?-  Sammlung 
merkwùrdiger  Bibehn,  Halle,  1777,  in-4° ;  Fortsetzuny,  Hamb.,  1778, 
iii-V'i.   de  J.  Lorck,   appartenant  maintenant  à  la   bibliothèque   de 
Stuttgard  (Die  Bibelgeschichte,  Koppenhag.,   1779-83,   2  vol.  in-8°, 
et  J.-G.-C.  Adler,   Bibliotheca  biblica,  Altona,  1787,  5  parties  in-4°), 
le  J.-B.  de  Rossi,  maintenant  à  la  bibliothèque  de  Parme  (Apptoratus 
hebr&O'btbkcus,  Parnw,  1782,  in-8°,  et  plus  complet  en  tête  des  vo- 
lumes 1  et  V  de  ses  Varias  Lectiones  Vet.  Testamenti,  Parmae,  1784-98, 
5  vol.  in-4°),  du  duc  de  Sussex  (T.-J.  Pettigrew,  Bibliotheca  Sussexiana, 
London,  1827-39,  3  vol.  in-8°).  Les  éditions  de  la  Bible  en  hébreu  ont 
été  l'objet  de  plusieurs  monographies  de  J.-B.  de  Rossi;  celles  du  Nou- 
veau Testament  grec  ont  été  étudiées  spécialement  et  avec  un  soin  minu- 
tieux par  Reuss  (Bibliotheca  Ntivï Test,  grœci,  Braunschw.,  1872,  in-8°)  ; 
des  versions  allemandes  par  J.-G.  Palm  (1772),  J.-M.  Gœze  (1775),  G.-W. 
Panzer  dans  plusieurs  ouvrages  (1777-91),  H.-E.  Bindseil  (1841);  les 
versions  hollandaises  par  Is.  Lelong  (1732)  et  N.  Hinlopen  (1777);  les 
suédoises  par  J.-A.  Schinmeyer  (1777),  les  anglaises  par  J., Lewis  (1739, 
nouv.  éd.   1818),  H.  Cotton  (1852),  etc.;  les  Bibles  publiées  en  Amé- 
rique par  E.-B.  CTCallaghan  (1861)  ;  enfin  les  Bibles  en  langues  romanes 
et  spécialement   les  Bibles  françaises  ont  été  l'objet  des  recherches 
approfondies  de  M.  Reuss  (Bévue  de  théologie  de  Strasbourg  et  Herzog's 
Encyclopédie).  —  3°  Les  Commentaires.  J.-F.  Mayer  (Bibliotheca  biblica, 
F  ranci.,  1709,  in-4°)  et  C.  Arnd  (Bibliotheca  Mayeri  biblica  continuata, 
Rostoch,  1713,  in-4°)  ont  indiqué  les  principaux  commentateurs  jusqu'à 
leur  temps;   L.  Miiller,  sous  le  pseudonyme   de  Théoph.  Alethaeus 
(Ausfûhrlicher  Bericht  von  den  Commentariis,  Leipz.,  1719-44,  8  vol. 
in-8°)  les  complète  utilement.  M.  Lilienthal  (Biblischer  Archivarius  des 
AU.  Test.,  Kœnigsb.,  1746,  in-4°;  des  N.  Test.,  1745,  in-4°)  indique 
pour  chaque  livre,  chapitre  et  verset,  les  auteurs  qui  les  ont  expliqués 
exégétiquement  ou  homilétiquement  ;  J.-F„  Wildeshausen  (Bibliotheca 
disputationum  in  V.  et  N.  Test.,  Hamb.,  1700,  in-4°)  et  G. -H.  Scheteli- 
gius  (Hamb.,  1736-37,3  vol.  in-4°)  ont  suivi  le  même  plan  pour  les 
dissertations  exégétiques  isolées,  ainsi  que  plus  récemment.!.  Darling 
|  (  'yclopœdia  bibliographica.  Subjects;  Holy  script ur es,  Lond.,1859,  in-4°), 
qui  indique  toutes  les  dissertations  et  tous  les  sermons  se  rapportant  à 
.chaque  verset  de  la  Bible,  spécialement  les  travaux  anglais.  Tout  der- 
riièiviiifiit  Spurgeon  (Commenting and  commentâmes,  Lond.,  1870,  in-8°) 
.n  publié  un  catalogue  des  commentaires  en  langue  anglaise1  les  plus 
ommandables  à  son  point  de  vue.  Comme  appendice  à  la  théologie 
exégétique,  nous  indiquerons  quelques  bibliographies  de  sujets  touchant 
d'assez  près  à  l'exégèse  :  W.-F.  Hezel  (Versuch  einer  Qesch.  der  bifri* 
JCritû  des  Ut.  Test, Halle,  1780,  in-8°)  ; J.-C.  Wolf  (Hisioria  Lextcorunz 


292  BIBLIOGRAPHIE  THÉOLOGIQUE 

kebraicorum,  Wittemb,  1705,  in-8°);  W.  Gesenius  (Geschichte  der 
hebrxischen  Sprache  u.  Schrift,  Leipz.,  1815,  in-8°);  M.  Steinschnei- 
der  (Bibliagraphisches  Hcundhuch  ûber  die  theoretisùhe  u.  praktische 
Literatur  fur  hebrœische  Sprachkunde,  Leipz.,  1859,  in-8°);  T.  Tôbler 
(Bibliographiageographica  Palxstinx,  Leipz.,  1867,  in-8°)  ;  H.-E.  Bind- 
seil  (Concordantium  Homericarum  spécimen,  cura  Prolegomenis,  in  quibus 
concordantix  biblicx  recemBntur,  Halle,  1867,  in-8°;  complété  par  un 
article  desTheolog.  Studien  u.  A'ritiken,  1870,  p.  673-720). 

III.  Théologie  historique.  G.  Sagittarius  et  son  continuateur  J.-A. 
Sohmid  {Introduction»,  historiam  ecclesiasticam,  Iéna,  1694-1718,2  vol. 
in-4°),  C.-F.-W.  Walch  (Grundsxtze  der  zur  Kirchenhistorie  nœthigen 
Bùcherkenntnis;  Gœtting.,,  1773,  in-8°),  G. -W.  Fluegge  (Enleitung  in  dus 
Studium  und  die  Literatur  der  Rehgions-und  fiirchengeschichte,  Gœtting., 
1801,  in-8°),  C.-F.  Staeudlin  (Geschichte  u. Literatur  der  Kirchengesckkhie, 
Hannover,  1827,  in-8°),  J.-J.  Ritter  (Handbuch  der  Kirchengeschichte, 
6e  éd.,  Bonn.,  1862,  2  vol.  in-8°)  fournissent  d'amples  renseignements 
bibliographiques  sur  l'ensemble  de  l'histoire  ecclésiastique.  Sur 
quelques  points  spéciaux  nous  citerons  :  J.-A.  Bosius  (latroductio  in 
notitiam  scriptorum  ecclesiasticorwn,  dern.  édit.,  Iéna,  1723,  in-8°);  Th. 
Ittig  (Schediasma  de  autoinbus  qui  de  scriptoribus  ecclesiasticis  egerunt, 
Lips.,  1711,  in-8°)  :  G. -F.  Gudius  (Bibliotlieca  disputationum  de  selectis 
historix  eccles.  capitibus,  Lips.,  1743,  in-8°)  ;  J.-E.  Yolbeding  (Index 
dhsertationum  quibus  singuli  historix  N.  Test,  et  antiquitatum  ecclesiasti- 
carum  loci  illustrantur,  Lips.,  1849,  in-8°)  ;  J.-C.  Kœcher  (Bibliotheca 
theologix  symbolicx  et  catecheticx,  itemque  liturgicx,  Wolfenb.,  1751, 
in-8°)  ;  J.-G.  Feuerlin  (Bibliotheca  symbolica  eoangelica  lutherana,  nouv. 
éd.  par  J.-B.  Riederer,  Norimb.,  1768,  2  vol.  in-8°);  F. -A.  Zaccaria, 
(Bibliotheca  ritualis,  Romae,  1776-78,  2  vol.  in-8°)  ;  H. -G.  Kœnig 
[Bibliotheca  agendorum,  Zelle,  1726,  in-4°);  P.  Wackernagel  (Bibliogra- 
phie zur  Gesch.  d.  deutschen  Kirchenliedes  im  XV I  Jaïirh.,  Frankf., 
1855,  in-4°);  F.  Bovet  (Hùt.  du  psautier  des  Egl.  réf.  de  France,  Neu- 
ehatel,  1872,  in-8°).  La  patristique  offre  quelques  bons  travaux  biblio- 
graphiques :T.  Ittig  (De  bibliothecis et cathenis patrum,  Lips.,  1707,  in-8°); 
J.-G.  Walch  (Bibliotheca pair istica,  nouv.  éd.  par  Danz,  Iéna,  1834,in-8°)  ; 
C.-T.-G.  Schœnemann  (Bibliotheca  hùtorico-litteraria  patrum  lasinorum, 
Lips.,  1792-94,  2  vol.  in-8°);  F.-W.  Goldwitzer  (Bibliographie  der  Kir- 
chenvxter  u.  Kirchenlehrer,  Landshut,  1828,  in-8°,  et  Patrologieverbun- 
den  mit  Palristik,  Niirnberg,  1834,  2  vol.  in-8°);  ainsi  que  les  divers 
traités  de  patrologie.  Pour  l'étude  du  moyen  âge,  l'ouvrage  de  A.  Pot- 
thast  (Bibliotheca  historica  medii  xvi,  Berlin,  1862,  in-8°  et  supplem. 
1868)  est  un  guide  indispensable,  à  côté  duquel  vient  se  placer  le  Ré- 
pertoire des  sources  histor.  du  moyen  âge  de  l'abbé  Chevalier,  en  cours 
de  publication.  L'époque  de  la  réformation  aurait  besoin  d'un  manuel 
semblable,  pour  lequel  les  catalogues  de  quelques  collections  particu- 
lières offriraient  de  bons  matériaux  :  H.  von  der  Hardt  (Anliqua  lite- 
rarum  monumenta  Reformations  xtatem  illustrantia,  Brunsw.,  1691-93, 
3  vol.in-8°);  J.-A.  Fabricius  (Ceniifolium  lutheranum,  Hamb.,  1728-30, 
2  v.  in-8°);  G.  Schwetschke  (Ausstelhrng  meist  originelhr  Druckschriften 


BIBLIOGRAPHIE  THEOLOGIQUE  293 

zur  Èrlœuter.  der  Reformntionsgesch.t  Halle,  1841,  in-8°;  A.  Kucznyski 
(Thésaurus  UbeUorum  kistoriam  Reformationis  illustrantium ,  Leipz., 
1S70-7V);  ainsi  que  les  bibliographies  générales  consacrées  à  la  pre- 
mière moitié  du  seizième  siècle  de  C.  Gesner,  de  Panzer  et  de  Weller. 
Les  réformateurs  d'Espagne  ont  trouvé  un  bibliographe  accompli  en 
Wiffeu  et  sou  continuateur,  Ed.  Bœhmer  (Bibliotheca  Wiffeniana, 
Strasb.,  1874,  in-8°).  La  plupart  des  ordres  religieux  ont  eu  aussi  les 
leurs  :  nous  ne  citerons  que  ceux  des  ordres  les  plus  importants  :  pour 
les  bénédictins,  Ziegelbauer  et  François,  et  spécialement  pour  la  con- 
grégation de  Saint-Maur,  Pez,  Lecerf  et  Tassin  ;  pour  les  dominicains, 
Qtiétii  et  Echard;  pour  les  franciscains,  Wadding  et  son  continuateur 
Sbaralea,  ainsi  que  J.  a  S. -Antonio;  pour  les  jésuites,  après  les  ouvrages 
anciens  de  Ribadneira,  Alegambe  et  Sotwell,  le  remarquable  travail  des 
frères  de  Backer  (Bibliothèque  des  écrivains  de  la  Comp.de  Jésus,  nouv. 
éd.,  Liège  et  Louvain,  1869-7(5,  3  vol.  in-fol.)  et  celui  de  A.  Carayon  (Bi- 
bliographie historique  de  la  Comp.de  Jésus,  Paris,  1864,  in-4°).  Quelques 
sectes  religieuses  ont  fourni  de  bonnes  monographies  bibliographiques  : 
ainsi  pour  les  sociniens,  G.  Sand  (Bibliotheca  Anti-Trinitariorum,  Freis 
tad,  1684,  in-8°)  ;  pour  les  arminiens,  A.  van  Cattenburgh  (Bibliotheca 
Si  riptorum  Remonstrantium,  Amst.,  1728,  in-8°),  et  tout  récemment  H. -C. 
Rogge  (Catalogus  der  Pamfletten-Verzameling  van  de  Bœckereij  der 
Remonstnxntsche  Kerh  te  Amsterdam,  Amst.,  1861-65,  3  parties  en 
8  livraisons  in-8°),  qui  est  un  excellent  travail  d'ensemble  bien  plus 
i  omplet  que  son  titre  ne  l'indique.  Le  jansénisme,  si  fécond  en  pro- 
ductions imprimées,  aurait  bien  mérité  une  bonne  bibliographie;  à 
son  défaut,  il  faut  se  contenter  de  l'ancien  Catalogue  des  livres  impr.  de 
la  Biblioth.  du  roi;  Théologie  (Paris,  1739-43,  3  v.-  in-fol.),  très-complet 
sur  cet  article;  il  est  regrettable  que  la  publication  entreprise  par 
l'abbé  Guettée  de  V Histoire  littéraire  de  Port-Royal,  par  Clémencet 
(Paris,  1868,  in-8°)  en  soit  restée  an  premier  volume.  Pour  ce  qui 
concerne  spécialement  la  France,  nous  rappellerons  que  J.  Lelong 
Bibliothèque  hist.   de  la  France,  nouv.  éd.  par  Fevret  de  Fontetto, 

s,  1708-78,  5  vol.  in-fol.)  consacre  presque  tout  son  premier 
volume  à  l'histoire  ecclésiastique  de  ce  pays,  et  qu'il  est  fort  bien 
complété  sur  ce  point  par  le  Catalogue  de  Vhist.  de  France  de  la  Biblio- 
thèque impériale  (Paris,  1855-70,  1()  vol.  in-4°)  dont  le  tome  V  tout 
entier  est  affecté  à  l'histoire  religieuse.  La  Suisse  possède  un  excellent 
ouvrage  dans  le  genre  de  celui  de  Lelong  par  G.-E.  de  Haller  (Biblio- 
thek  der  Schweizer^Geschichte,  Berne,  1785-88,  7  vol.  in-8°),  dont  le 
volume  III  est  consacré  à  la  bibliographie  de  l'histoire  ecclésiastique; 

mment  on  a  extrait  du  livre  de  Haller  toutes  les  indications  se 
rapportant  à  l'histoire  de  la  Réformation  en  Suisse,  dans  YArchiv  fur 
die  schw.  Reformations-Geschichteherausgeg.  von  don  Pius-Verein  (vol.  I, 
Soloth.,  1868,  in-8°),  tandis  que  le  volume  III  (Freib.,  1875)  de  cette 
publication  complète  ces  extraits  par  l'indication  malheureusement 
assez  peu  soignée  des  ouvra-. s  parus  sur  le  même  sujet  depuis  Haller. 
IV.   Appendice.   Des  bibliographies   spéciales   pour  la  théologie 

ématiqueel  pratique  font  défaut  ou  sont  trop  anciennes,  e!  il  Eaut 


294  BIBLIOGRAPHIE  —  BICHETEAr 

se  contenter  des  histoires  du  dogme  et  de  la  théologie,  des  histoires  de- 
là prédication  dans  les  divers  pays  et  des  ouvrages  de  catéchétique,  etc.  . 
ou  recourir  aux  bibliographies  pour  F  ensemble  de  la  théologie. 
Quoique  ne  rentrant  pas  directement  dans  le  domaine  de  la  théologie, 
nous  croyons  devoir  indiquer  ici  les  principaux  ouvrages  bibliogra- 
phiques sur  l'Orient  dans  son  ensemble  et  sur  la  littérature  hébraïque  : 
J-.-T.  Zenker  (Bibliotheca  orientalis,  Leipz.,  1846-61,2  vol.  in-8°)  est  un 
bon  catalogue  des  ouvrages  publiés  en  langues  orientales  ou  relatifs  à 
ces  langues;  un  troisième  volume,  qui  devait  être  destiné  àl'indication 
dès  ouvrages  relatifs  à  la  géographie,  à  l'histoire  et  à  la  philosophie  do- 
lOrient,  if  a  pas  paru  ;  C.-H.  Herrmann  (Bibliotheca  orientulis  et  lin- 
guistica,  Halle,  1870,  in-8°)  signale  les  ouvrages  publiés  en  Allemagne 
de  1850  à  1868.  La  Zeitschrift  der  Deulschen  Morgenlœndïsçhen  Gesell- 
schaft  (Leipzig,  1847  et  suiv.)  publie  dès  l'origine  d'excellentes  revues 
critiques  sur  l'ensemble  des  travaux  parus  dans  Tannée  sur  l'Orient  :. 
elles  ont  eu  successivement  pour  auteurs  Fleischer,  Rœdiger,  Arnold 
et  Gosche  ;  elles  se  sont  à  tel  point  développées  qu'il  a  fallu  séparer  ces 
comptes-rendus  du  journal  et  les  faire  paraître  à  part  (Gosche,  Wissen- 
schaftlicher  Jahresbericht  ûber  die  morgenlxndischen  Studien,  1859-61  r 
Leipz.,  1868,  et  1862-67,  Heft  L  Leipz.,  1871  ;  la  suite  est  encore  en  re- 
tard). Pour  tout  ce  qui  concerne  les  Juifs,  J.-C.  Wolf  (Bibliotheca  hebrœa, 
Hamb.,  1715-33,  4  vol.  in-4°)  est  une  mine  inépuisable  de  renseigne- 
ments bibliographiques  de  tout  genre;  le  supplément  donné  par 
H. -F.  Kœcher  (Nova  bibliotheca  hebraica,  Iéna,  1783-84,2  vol.  in  4°)  est 
loin  d'être  delà  même  valeur;  J.  Fùrst  (Bibliotheca  judaica,  Leipz., 
1849-63,  3  vol.  in-8°)  contient  une  foule  de  titres,  mais  aussi  beaucoup 
d'inexactitudes;  M.  Steinschneider  (Catalogus  librorum  hebrxorum  in 
Bibliotheca  Bodleiana,  Berlin,  1852-60,  2  vol.  in-4°)  est  un  ouvrage 
bien  supérieur  et  qui,  malgré  son  titre,  est  une  véritable  bibliographie 
hébraïque;  enfin,  pour  les  plus  anciens  ouvrages  imprimés  en  hébreu, 
J.-B.  de  Rossi  -a  livré  un  excellent  travail  (Annales  hebrœo-typogra- 
phici,  Parmse,  1795-99,  2  vol.  in-4°)  ;  on  doit  entre  autres  encore  à  ce 
bibliographe  distingué  une  Bibliotheca  judaica  antichristiana  (Parai* , 
1800,  in-8°).  —  Pour  des  indications  plus  complètes  sur  les  ouvrages 
de  bibliographie  théologique,  conf.  :  Walch,  Bibliotheca  theologica, 
Iéna,  1757  (préface  du  t.  I);  Struve,  Bibliotheca  historias  litterarix 
(t.  II  de  la  nouv.  éd.  par  Jugler,  Iéna,  1754-63);  Namur,  Biblio- 
graphie paléogrophico-diplomatico-bibliographique,  Liège,  1838,  t.  II; 
et  surtout  Petzholdt,  Bibliotheca  bibliographica,  Leipz.,  1866;  de  Smedt, 
Introd.  gêner,  ad histor.  eccl.,  Gand,  1876,  in-8°.  a.  Bernus. 

BICHAT.  Voyez  Sensualisme. 

BICHETEAU  (Abel),  pasteur  à  Montauban  et  professeur  en  l'aca- 
démie de  cette  ville,  où  le  synode  provincial  de  Puylaurens  le  nomma, 
en  1618,  à  la  chaire  d'hébreu.  Il  y  fut  confirmé  par  le  synode 
national  d'Alais.  Il  avait  épousé  Marie  Le  Petit.  On  ne  sait  rien  de  plus 
sur  ce  ministre;  on  ne  signale  aucun  ouvrage  publié  par  lui.  —  Un 
autre  professeur  du  même  nom,  et  qui  était  peut-être  son  fils,  a  occupé 
la  chaire  de  grec.  Une  pension  fut  accordée  à. sa.  veuve,  en.  1660,  par  le 


BICHETEAU  —  BTDDLE  295 

synode  national  de  Loudun.  Les  registres  de  Charenton  nous  ont  fait 
connaître  deux  de  ses  autres  fils  :  1°  Jean,  avocat  au  parlement  de  Paris, 
qui  épousa,  en  juin  1643,  Marie  Vimboin  ;  2°  Michel,  qui  fut  aussi  avo- 
cat à  Paris  et  fut  enterré  Le  2  juillet  1661;  L'un  des  deux  eut  delà 
<  élébrite*  comme  «  souffleur  (répétiteur)  de  droit  »,  et  fut  le  maître  de 
Jean  Bon. 

BICKELL  (Jean-Guillaume)  [1799-1848],  professeur  de  droit  à  Mar- 
bourgel  magistrat  hessois  distingué,  ami  et  soutien  du  ministre  Has- 
senpflug.  II  visita  les  plus  importantes  bibliothèques  de  l'Allemagne 
et  (!(>  l'étranger,  et  réunit  de  nombreux  matériaux  concernant  les 
sources  et  les  principales  parties  du  droit  canon.  Nous  ne  citerons 
parmi  ses  ouvrages  que  son  Histoire  du  droit  ecclésiastique  (Marb.,  1843, 

I  vol.),  qui  a  été  continuée  par  son  collègue,  le  professeur  Bcestel'l. 
Bickell  prit  une  part  active  aux  luttes  ecclésiastiques  dont  la  Hesse 
électorale  fut  le  théâtre  depuis  1830.  Il  se  rattachait  au  parti  ortho- 
doxe, et  publia  plusieurs  brochures  fort  remarquées,  tant  sur  le  ré- 
gime presbytéral-synodal,  qui  avait  toutes  ses  sympathies,  que  sur  le 
caractère  obligatoire  des  confessions  de  foi  pour  renseignement  des 
pasteurs. 

BIDDLE  (Jean),  théologien  anglais,  considéré  comme  l'un  des  ancê- 
tres de  l'unitarisme  en  Angleterre.  11  était  né  en  1615  à  "Watton,  dans 
le  comté  de  Glocester.  Sa  famille  était  d'une  condition  plus  que  mo- 
deste, et  ce  fut  lord  Berkeley  qui  lui  fournit  les  moyens  de  faire  son 
éducation.  Il  ne  tarda  pas  à  se  distinguer  par  une  précocité  d'intelli- 
gence extraordinaire,  et  à  Page  de  treize  ans  il  avait  déjà  traduit  en 
vers  anglais  les  églogues  de  Virgile  et  les  deux  premières  satires 
de  Juvénal.  En  1641,  l'université  d'Oxford  lui  conféra  le  grade  de  maî- 
tre es  arts  et  la  ville  de  Glocester  se  l'attacha  comme  maître  d'école.  Mal- 
heureusement ses  opinions  indépendantes  lui  attirèrent  toutes  sortes  de 
désagréments  et  de  persécutions.  Il  s'était  permis  d'émettredes  doctrines 
contraires  à  celles  de  l'Eglise  anglicane  sur  la  Trinité.  On  le  punit  de 
cette  hardiesse  par  la  prison.  II  ne  se  tint  pas  pour  convaincu  ou  con- 
verti et  publia  en  1647  un  traité  où  il  soutenait  que  le  Saint-Esprit  ne 
participait  point  de  la  divinité.  Ce  traité  fut  brûlé  par  la  main  du  bour- 
reau. En  1648  parurent  de  lui  deux  autres  écrits  :  Confessions  of  fait  h 
concerning  the  holy  Trinity  et  The  Testimonies  of  Irenœus,  etc.  Une 
assemblée  de  théologiens  fut  convoquée  à  Westminster  à  ce  propos 
et  le  parlement  anglais,  à  la  sanction  duquel  on  avait  fait  appel,  rendit 
une  loi  'portant  peine  de  mort  contre  quiconque  professerait  des  opi- 
nions contraires  à  celles  de  l'Eglise  officiellement  reconnue.  Biddle 
tombait  directement  sous  le  coup  de  cette  loi  ;  il  ne  dut  son  salut  qu'au 
désaccord  qui  éclata  entre  le  roi  et  le  parlement.il  jouit  pendant  quel- 
que temps  d'une  espèce  de  tolérance,  Jeté  de  nouveau  en  prison,  ii  re- 
couvra la  liberté  par  un  acte  de  pardon  émané  du  parlement  en  1651. 

II  profita  de  sa  liberté  pour  faire  imprimer  en  1654  son  Twofold  scrip- 
ture  catéchisme.  Cromwell  L'exila  en  1655  au  château  de  Sainte-Marie, 
dans  les  îles  Sorlingues.  Rappelé  en  1658,  Biddle  devint  pasteur  d'une 
congrégation  d'indépendants  établie  à  Londres.  Charles  II  ne  l'y  laissa 


206  BIDDLE  —  BIEN 

pas  longtemps  tranquille;  il  le  lit  arrêter  et  mettre  en  prison.  Ce 
dernier  emprisonnement  altéra  profondément  sa  santé  et  il  mourut  en 
1(302,  à  l'âge  de  quarante-sept  ans.  Ses  adversaires  eux-mêmes  n'ont 
pu  s'empêcher  d'apprécier  son  grand  savoir,  la  douceur  de  son  ca- 
ractère et  l'austérité  de  ses  mœurs.  a.  Gaey. 

BIEL  (Gabriel),  qui,  en  Allemagne,  fut  le  dernier  nominaliste,  de 
même  que  Jean  Heynlin  a  Lapide  fut  le  dernier  réaliste,  était  originaire 
de  Spire.  Il  lit  ses  études  à  Heidelberg,  les  continua  depuis  1442  à  Er- 
furt,  remplit  pendant  quelque  temps  les  fonctions  de  prédicateur  à 
Mayence,  devint  prévôt  du  chapitre  et  conseiller  du  comte  Eberhard 
de  Wurtemberg.  Quand  celui-ci  fondaruniversitédeTubingue,il  y  ap- 
pela Biel  comme  professeur  de  théologie.  Sur  la  lin  de  sa  vie,  le  vieux 
savant  se  retira  dans  un  couvent  de  chanoines  réguliers  de  Saint-Au- 
gustin ;  c'est  là  qu'il  mourut  en  1495.  Dans  son  Collectorium  ex  Occamo 
super  Ubros  Sentcntiarum  (Tubing. ,  1495  et  1501 ,  in-f°),  il  expose  le  nomi- 
nalisme  d'Occam  d'une  manière  habile  et  lucide.  Outre  quelques  re- 
cueils de  sermons  (Sermones  dominicales  de  tempore  et  de  sanctis,  Tubing., 
1500,  m-4°  ;  Haguenau,  1520,  in-4°;  Sermo  seupotiustractatus  dominiez 
passionis,  Hag.,  1520,  in-4°),  on  a  de  lui  une  Canonis  missœ  expositîo 
resolutissima  (Tubing.,  1499,  in-4°,  et  souvent),  et  un  Epithoma  exposi- 
tionis  canonis  missœ  (Spire,  s.  a.,  in-4°).  Cette  Exposition  est  moins  un 
ouvrage  de  Biel  lui-même  qu'un  résumé  de  leçons  que  maître  Engelin 
de  Brunswick  avait  faites  à  Mayence.  On  y  rencontre  quelques  passages 
assez  libres  sur  les  abus  du  temps;  l'auteur  met  en  doute  l'efficacité  de 
certains  sacrements,  il  place  les  conciles  universels  au-dessus  de  la  pa- 
pauté et  prend  la  défense  des  canons  de  celui  de  Bàle.  Attaqué  à  ce 
sujet,  Biel  se  justifia  par  un  Defensorium  contra  œmulos  suos  de  obe- 
dientia  sedis  apostolicœ.  Ch.  Schmidt. 

BIEN.  Le  bien  est  ce  qui  doit  être,  comme  le  mal  est  ce  qui  ne  doit 
pas  être.  Pour  quiconque  croit  en  Dieu,  le  bien  est  donc  la  réalisation 
de  la  volonté  de  Dieu.  En  dehors  et  au-dessous  de  cette  définition  reli- 
gieuse qui  est  seule  complète,  on  trouve  chez  les  penseurs  et  chez  les 
moralistes  des  formules  très  diverses  par  lesquelles  ils  ont  essayé  de 
déterminer  la  nature  et  les  conditions  du  bien,  appelé,  dans  le  langage 
philosophique,  le  souverain  bien.  Pour  Platon,  le  bien  ne  fait  qu'un 
avec  le  beau  et  le  vrai  et  consiste  essentiellement  dans  la  ressemblance 
avec  Dieu.  L'effort  pour  imiter  Dieu  (qjioiuxnç  ©sw  xaià  to  Suvaxov) 
est,  suivant  Platon,  la  perfection  de  l'homme  (Thcétète,  Philèbe,  la 
République).  C'est  aussi  l'unique  condition  de  son  bonheur:  «  Le  plus 
vertueux  et  le  plus  juste  des  hommes  en  est  aussi  le  plus  heureux  ;  le 
plus  méchant  et  le  plus  injuste  en  est  le  plus  malheureux  »  (Ré- 
publ.,  IX).  Aristote  cherche  le  souverain  bien  dans  l'utile,  ou  dans  la 
somme  des  jouissances  qui  résultent  du  plein  exercice  de  la  raison. 
L'exercice  parfait  de  la  raison  est  pour  lui  la  vertu  et  le  bien,  et  réci- 
proquement le  bien  est  la  perfection  même  de  la  raison.  Le  bien  pour 
Epicure,  c'est  le  plaisir  ou  le  bien-être,  un  ensemble  d'impressions 
agréables  et  l'absence  de  toute  sensation  comme  de  tout  sentiment 
pénible.  Si  Epicure  recommande  à  ses  disciples  ia  recherche  de  la 


BIEN  207 

vertu,  c'est  parce  qu'elle  procure  à  Illumine  une  vraie  satisfaction. 
Zenon  et  les  stoïciens  considèrent  comme  le  but  suprême  de  la  vie  la 
vertu  en  soi,  la  vertu  austère  à  laquelle  nous  conduit  la  nature,  quand 
nous  savons  l'interroger  et  la  suivre.  «  Vis  conformément  à  la  nature,  » 
telle  est  la  maxime  de  la  morale  stoïcienne  qui  ne  s'exprime  guère 
que  sous  forme  négative  :  Susttne  et  abstinè.  Bossuet  entendait  autre- 
ment le  souverain  bien  quand  il  le  définissait  :  «  la  vérité  entendue  et 
aimée  parfaitement  »  [Connaissance  de  Dieu  et  de  soi-même,  IV,  10). 
kant,  qui  a  fait  de  cette  question  le  centre  de  ses  recherches,  après 
avoir  renversé  la  réalité  des  idées  de  la  raison,  établit  qu'il  reste  néan- 
moins un  principe  nécessaire  et  universel,  savoir  la  loi  morale.  Le 
sentiment  du  devoir  qu'il  appelle  la  raison  pratique  donne  seul  aux 
actions  humaines  un  but  suprême  et  absolu.  Le  devoir,  tel  est  donc 
pour  Kant  le  souverain  bien.  Les  mystiques  le  trouvent  dans  l'acte 
d'amour  pur  et  d'abandon  total  par  lequel  l'àme  humaine  se  détache 
d'elle-même  au  point  de  se  perdre  en  Dieu.  — Après  avoir  jeté  ce  rapide 
coup  d'œil  sur  les  systèmes  des  principaux  chefs  d'écoles,  rappelons 
quelle  est  la  notion  biblique  du  bien.  On  n'en  saurait  imaginer  une 
ni  plus  simple,  ni  plus  féconde.  Dieu  est  le  bien  absolu  ;  Dieu  seul  est 
bon  (Matth.  XIX,  17;  Marc  X,  18;  Luc  XVIII,  19);  non-seulement  entre 
le  mal  et  lui  aucun  contact  n'est  possible  (Jacques  I,  13),  mais  il  est  la 
source  même,  la  source  unique  du  bien  :  il  ne  procède  de  lui  que  du 
bien,  et  il  n'est  aucun  bien  qui  médiatement  ou  immédiatement  ne 
procède  de  lui  (Jacques  I,  17).  La  création,  cette  première  révélation 
de  Dieu,  est  bonne,  en  sortant  de  ses  mains;  le  récit  de  la  Genèse 
appuie  avec  intention  sur  ce  fait  capital  (Gen.  I,  10,  12,  19,  21,  25) 
i  i  !  accentue  encore  plus  fortement  dans  les  derniers  mots  :  «  Dieu  vit 
tout  ce  qu'il  avait  fait,  et  voici,  cela  était  très  bon  »  (Gen.  I,  31).  «  Tout 
ce  que  Dieu  a  créé,  dit  saint  Paul,  est  bon  »  (1  Tim.  IV,  i).  De  là  cette 
conclusion  inévitable  et  d'une  grande  importance,  que  le  mal,  si  uni- 
versel qu'il  soit,  n'a  qu'une  existence  contingente,  qu'il  n'est  qu'un 
accident,  que,  loin  d'être  la  condition  du  bien,  il  est  son  contraire, 
comme  les  ténèbres,  symbole  du  mal,  sont  le  contraire  de  la  lumière, 
symbole  du  bien  (Jean  III,  19;  1  Jean  I,  5;  Ephés.  V,  8),  et  qu'il  est 
permis  d'en  attendre  la  disparition  définitive  (Matth.  VI,  13;  Jacques  IV, 
7;  Esaïe  XXXV,  10;  LI,  il;  Luc  X,  18;  Apocal.  XII,  9).  Mais  le  bien 
fiant  un  fait  moral,  il  ne  peut  y  avoir  de  bien  pour  l'homme  qu'autant 
<] u 'il  y  a  de  sa  part  un  acte  volontaire  ;  quoiqu'il  soit  créé  à  l'image  de 
Dieu  et  qu'en  vertu  de  cette  céleste  origine  il  soit  fait  pour  connaître, 
amer,  pratiquer  le  bien,  il  peut  s'en  détourner,  et  il  s'en  est  détourné 
en  effet;  le  monde,  œuvre  de  Dieu,  n'a  pas  été  ce  que  Dieu  voulait 
qu'il  fût,  le  royaume  du  bien,  parce  que  l'homme  auquel  le  monde  a 
été  assujetti  (Gen.  1,28)  a  laissé  s'interrompre  la  communion  primi- 
ve  entn  lui  et  son  créateur  qui  était  pour  lui  la  condition  de  tout 
bien.  L'œuvre  de  Jésus-Christ  a  précisément  consisté  à  rétablir  cette 
communion  interrompue  et  à  remettre  par  là  à  la  portée  de  l'homme 
tombé  le  souverain  bien  qu'il  a  perdu  par  sa  faute,  mais  qu'il  n'a  pas 
de  désirer  (Ps.  XVI,  tî  ;  XXXVI,8;  EsaïeLV,  1-3).  Christ,  par  sa  vie 


298  BIEN  —  BIENS  ECCLÉSIASTIQUES 

sainte,  son  enseignement  divin  et  sa  mort  rédemptrice,  a  fondé,  au 
sein  de  l'humanité  pécheresse,  un  nouveau  royaume  de  Dieu  (Matth.  VI, 
33)  saint  (Ephés.  V,  5)  et  inébranlable  (Hébr.  XII,  28),  qui  est  pour 
l'homme  le  royaume  du  bien,  royaume  gouverné  par  une  loi  spirituelle 
(Rom.  XIV,  17),  savoir  la  volonté  de  Dieu  librement  acceptée  par  tous 
les  membres  de  ce  royaume  (Matth.  V-VII),  et  dans  lequel  se  trouvent 
tous  les  biens  que  l'homme  peut  souhaiter  :  le  repos  (Matth.  XI,  28). 
le  rassasiement  (Jean  VI,  35),  l'eau  qui  désaltère  pour  toujours  (Jean  IV, 
14),  la  vie  (Jean  X,  10).  Le  bien  suprême  pour  l'homme  ne  peut  donc- 
être  qu'un  bien  spirituel  ;  rien  de  ce  qui  est  matériel  et  périssable  ne 
saurait  le  satisfaire.  Ce  n'est  pas  à  dire  que  nous  devions  mépriser  les 
biens  que  nous  offre  la  vie  présente  et  que  nous  tenons  aussi  de  la 
bonté  de  Dieu,  puisque  la  terre  et  tout  ce  qu'elle  renferme  est  à  lui 
(Ps.  XXIV,  1  ;  Exode  XIX,  5).  Loin  d'enseigner  un  ascétisme  arbitraire 
(Colos.  II,  20,  21),  l'Ecriture  sainte  nous  invite  à  rapporter  toutes 
choses  à  la  gloire  de  Dieu,  même  le  manger  et  le  boire  (1  Cor.  X,  31), 
et  à  considérer  toutes  choses  comme  à  nous,  pourvu  que,  vivant  nous- 
mêmes  dans  la  communion  de  Jésus-Christ,  nous  les  fassions  toutes 
servir  à  l'affermissement  et  à  l'extension  du  royaume  de  Dieu 
(1  Cor.  III,  21-23).  Remarquons,  en  terminant,  que  le  propre  de  ce 
royaume  et  du  souverain  bien  qui  s'y  développe,  c'est  que  l'élément 
religieux  et  l'élément  moral  non-seulement  s'y  rencontrent,  mais  s'y 
pénètrent  d'une  manière  intime  et  complète;  dans  le  bien,  tel  que 
Dieu  le  veut  et  tel  qu'il  nous  le  révèle  par  l'Evangile,  on  trouve  réuni 
et  confondu  ce  qu'il  y  a  de  plus  moral  dans  les  préceptes  les  plus 
élevés  du  stoïcisme  et  ce  qu'il  y  a  de  plus  religieux  dans  les  principes 
les  plus  purs  du  mysticisme.  C'est  un  bien  qui  descend  d'en  haut,  du 
Père  des  lumières,  mais  qui  germe  dans  des  cœurs  humains  et  se  réa- 
lise par  l'activité  humaine  (Rom.  XII,  1).  Envisagé  dans  son  caractère 
essentiel,  ce  bien  n'est  autre  que  la  volonté  de  Dieu  accomplie  par  la 
volonté  de  l'homme.  On  ne  peut  donc  concevoir  dans  le  royaume  que 
Christ  a  fondé  et  où  cette  volonté  sainte  est  la  loi  souveraine,  ni  le  bien 
sans  Dieu,  ni  Dieu  sans  le  bien.  J.  Monod. 

BIENS  ECCLÉSIASTIQUES.  La  propriété  ecclésiastique  est  antérieure 
au  christianisme.  La  loi  de  Moïse  ordonnait  aux  Israélites  d'offrir  à 
Dieu  non-seulement  des  sacrifices,  mais  aussi  la  dime  de  leurs  récoltes 
et  les  prémices  de  leurs  troupeaux.  On  portait  ces  dîmes  et  ces  pré- 
mices aux  lévites  et  aux  sacrificateurs.  Lors  du  partage  du  pays  de  Ca- 
naan, ils  avaient  reçu  quarante-huit  villes,  dont  le  territoire  formait  une 
propriété  ecclésiastique.  De  même,  lors  de  la  dispersion,  les  syna- 
gogues et  les  terres  y  attenantes.  Dans  l'antiquité  païenne,  non-seule- 
ment les  particuliers  offraient  de  fréquents  sacrifices  ;  non-seulement 
les  temples  étaient  enrichis  de  dons  précieux  (voir  par  ex.  Cic.  In  Ver- 
rem)  ,  mais  encore  des  immeubles  en  dépendaient.  Nous  trouvons  donc 
chez  les  Juifs  et  chez  les  païens  l'habitude  de  subvenir  aux  frais  du 
culte  et  la  propriété  ecclésiastique.  Les  premiers  chrétiens  conser- 
vèrent l'une  et  constituèrent  l'autre  au  profit  de  la  nouvelle  Eglise.  Il 
fallait,  dès  le  début,  pourvoir  à  l'entretien  des  apôtres,  à  la  célébra- 


BIENS  ECCLÉSIASTIQUES 

tion  de  la  Cène  el  des  agapes;  la  charité  distribuait  des  secours.  Aussi 
voyons-nous  les  membres  de  l'Eglise  vendre  leurs  biens  et  en  apporter 
le  prix  aux  apôtres  (Act  II.  'io;  IV,  31  ss.;  V,  i,.ss.),  ou  faire  des 
collectes  pour  subvenir  aux  besoins  de  l'Eglise  (1  Cor.  XVI,  iss.; 
2  Cor.  VIII,  IX;  Philip.  IV,  15,  etc.).  Ces  souscriptions,  ces  dons  en 
nature  ne  constituent  pas  encore  des  biens  ecclésiastiques;  cependant. 
déposés  chez  l'évêque,  ils  tonnent  bientôt  un  fonds  permanent,  qu'il 
administre  (('an.  apost.  IV).  Ensuite  les  chrétiens,  au  lieu  de  vendre 
leurs  immeubles,  les  donnent;  la  propriété  ecclésiastique  naît  ainsi 
chez  eux  en  l'ait  ;  mais  elle  n'existait  pas  encore  en  droit.  D'après  le 
droit  romain,  étaient  seules  personnes  civiles,  et,  par  suite,  seules 
capables  d'être  propriétaires,  les  associations  autorisées  par  le  gou- 
vernement (1.  1  pr.,  D.,  Quod  cujuscunque  universitatis;  1.  3,  §  1,  D., 
De  colleg.).  Donc  les  églises  chrétiennes  n'avaient  pas  le  droit  d'être 
propriétaires.  Cependant ,  dès  le  troisième  siècle ,  elles  avaient  des 
locaux  pour  le  culte  et  des  immeubles  de  produit.  Mais  ces  biens, 
illégalement  possédés,  furent  confisqués  au  profit  du  fisc  :  nous  le 
savons  par  la  loi  de  Licinius  et  de  Constantin  (an.  313),  qui  ordonne 
de  restituer  ces  immeubles  aux  églises  chrétiennes  (Eusèbe,  Hist. 
eccl.y  IX;  Lactance,  De  morte  persec,  c.  XLVlli).  Dès  lors,  les  empe- 
reurs deviennent  chrétiens  et  tout  change.  Non  contents  de  conférer  à 
l'Eglise  la  faculté  d'acquérir  (C.  Th.  XVI,  n,  De  episc,  c.  4;  C.  J., 
I,  ii.  De  sacros.  eccles.,  c.  1),  ils  la  comblent  de  largesses  et  de  fa- 
veurs; le  patrimoine  de  l'Eglise  prend  un  rapide  développement, 
indiquons  les  modes  d'acquisition  qui  le  formèrent.  —  I.  Les  modes 
ordinaires  d'acquisition  à  titre  onéreux,  d'après  le  droit  civil. —  II.  Les 
libéralités.  Les  empereurs  concédaient  souvent  à  des  particuliers,  à  titre 
gratuit,  des  terres  de  leur  domaine;  l'Eglise  reçut  de  nombreuses  con- 
cessions de  ce  genre  (C.  Th.  XI,  xx,  De  collât,  donat.,  c.  20,  §  2).  Les 
lidèles,  aussi  considéraient  comme  un  devoir  d'enrichir  l'Eglise  par  des 
donations  ou  par  des  legs  (voy.  Dons  et  legs). —  III.  Succession.  D'après 
Eusèbe  (  Vie  de  Constantin,  cité  dans  Haenel,  Corpus  legum  ante  Justi- 
nianum  latamm,  p.  196  et  197),  Constantin  aurait  attribué  à  ce  titre,  à 
l'Eglise,  les  biens  confisqués  sur  des  martyrs  dont  il  n'existait  plus  de 
parents.  Au  cinquième  siècle,  Théodose  et  Valentinien  ordonnent  que 
les  évêques,  prêtres,  diacres,  etc.,  religieux  et  religieuses,  qui  décè- 
dent sans  héritiers,  auront  pour  successeur  non  le  fisc,  mais  leur  église 
ou  leur  monastère  (C.  Th.,  tit.  De  bonis  cleric;  C.  J.,  I,  ni,  Deepisc, 
«  .  '20;  cf.  eod.  C,  tit.  De  sacros  eccles.  AUTH.  ingressi  monasteria  et  Nov. 
131.  c.  13,  in  f.).  —  IV.  Confiscation.  Selon  les  auteurs  de  l'histoire  ec- 
clésiastique ,  Constantin  aurait  commencé  à  confisquer  les  temples 
païens  au  profit  de  l'Eglise  chrétienne  (voy.  lescitations  dans  Haenel,  op. 
'//..  p.  19b'  et  200).  Nous  croyons  plutôt,  d'après  les  constitutions  des 
empereurs,  que  les  coniiscations  se  tirent  plus  tard  et  au  profit  du  fisc; 
mais  que  des  dons  particuliers  furent  prélevés  au  profit  de  l'Eglise  sur 
les  biens  confisqués  (C.  Th.,  XI,  xx,  De  collât,  donat.;  c.  5,  c.  6  pr. ,  X, 
x,  De  petit  or.  c.  ~1'\  :  XVI,  x,  De  paganis,  c.  19  pr.,  c.  20;  x ,  1  ;  De 
jure  fisci,  c.  H;  C.  J.,  1,  XI,    De  paganis,  c.   1,  c.  7,  c.  8,  c.  9,  c.   19, 


S'<KI  BIENS  ECCLÉSIASTIQUES 

Si  i.  c.  20,  §  2,  c.  25;  XI,  LXIX,  De  divers,  prœd.  urb.  et  rust.  témpl.  et 

<  wit.,  c.  4).  Mais  les  empereurs  ajoutèrent  la  confiscation  des  biens  aux 
autres  peines  édictées  :  1°  contre  le  ravisseur  d'une  religieuse  (C.  J.,  I,  in, 
De  epïsc,  c.  54)  ;  2°  contre  certains  hérétiques  :  Nestorius  (Haenel,  op. 
cit.,  p.  247);  les  donatistes  (C.  Th.,  XVI,  v,  De  hxret.,  c.  52,  §  5,  cf. 
eod.  tit.,  c.  43  etc.  53,  §  I);  les  montanistes  (C.  Th.,  eod.  fc7.,c.52,  §5). 
Pour  les  biens  des  autres  hérétiques,  voy.  eod.  ftï.,c.65,  §  3.)  —  V.  Au 
milieu  des  désordres  d'époques  si  troublées,  ne  soyons  pas  surpris  de 
voir  les  gens  d'Eglise  usurper  les  terres  voisines  et  même  s'emparer 
violemment  des  biens  des  païens  et  des  juifs  (C.  Th.  XVI,  x,  De  pa- 
yants, c.  24,  §  1  ;  Gregorii  Magni  Papœ  Registrum  Epistolarum,  lib.  I, 
Epist.  IX;  lib.  VII,  II,  indictio  Epist.  V,  p.  782;  Epist.  LIX,  p.  826; 
Kpist.  XL1V,  p.  809.  Voir  aussi  de  Savigny,  System  des  heutigen 
rœmischeri  Rechts,  II,  p.  262  ss.).  De  la  sorte,  à  la  lin  de  l'empire  ro- 
main, le  patrimoine  de  l'Eglise  avait  pris  une  immense  extension.  Il 
était  môme  privilégié,  car  les  empereurs  l'avaient  entouré  d'immuni- 
lés  importantes  (voy.  Immunités).  Mais  ils  s'étaient  donné  le  droit 
d'en  surveiller  l'administration.  Léon  et  Anthemius  (C.  J.  1,  n,  De 
.<acros.  eccles.,  c.  14),  puis  Anastase  (eod.  tit.,  c.  17),  enfin  Justinien 
{eod.,  eod.  eod.  tit.,  c.  24,  §  1-3  AUTH.  hoc  jus  porrectum  ;  I,  ni,  De 
opisc,  c.  42  et  c.  57)  déclarent  inaliénables  les  biens  de  l'Eglise.  Ils 
ue  peuvent  être  ni  vendus,  ni  hypothéqués,  ni  donnés  en  emphytéose 
pour  une  période  de  plus  de  trois  générations,  ni  loués  pour  plus  de 
vingt  ans.  Les  aliénations  sont  nulles,  sauf  si  elles  ont  été  faites  dans 
les  cas  de  nécessité  et  dans  les  formes  que  la  loi  détermine  (voy.  aussi 
<'.  J.,  I,  n,  AUTH.  sedet permutare.  AUTH.  Item  prœdia).  Justinien  dit 
que  les  biens  d'Eglise  doivent  être  pie  administranda.  Ces  ordonnances 
n'étaient  pas  inutiles.  Au  début,  les  évêques,  assistés  de  diacres  et 
«I  ''conomes,  avaient  été  administrateurs  souverains  des  biens  d'Eglise 
n  a  non  24,  Caus.  XIII,  q.  1).  Tantôt  saint  Jean-Chrysostôme  (Hom.  LXXXV 
in  Matth.  Edit.  Benedict.,  vol.   VII,  p.  809)   nous  les  représente  plus 

-upés  de  vendre  les  produits  des  terres  de  l'Eglise  ou  de  plaider  que 

<»<•  remplir  leurs  devoirs.  Tantôt  nous  les  voyons  attribuer  à  leurs  pa- 
rents ou  à  leurs  serviteurs  les  biens  confiés  à  leur  gestion  (c.  23,  eod. 
loi'o).  Parmi  les  papes,  saint  Grégoire  surtout  tâcha  de  prescrire  des  rè- 
gles aux  administrateurs  des  biens  d'Eglise  (voir  Registrum.  Epist., 
lib.  I,  Epist.  XLII,  p.  408;  Epist.  LXX,  p.  430;  lib.  II,  Epist.  XXX, 
p.  466;  lib.  VI,  Indictio  XV,  Epist.  XXXVI,  p.  738;  lib.  VII,  Ind.  II, 
Kpist.  XVII,  p.  794;  lib.  XII,  Ind.  VI,  Epist.  XXX,  p.  1119,  etc.).  Les 
conciles  s'en  étaient  déjà  occupés,  et  le  droit  ecclésiastique  fonda  sur 
les  principes  suivants  la  théorie  de  la  propriété  de  l'Eglise.  L'Eglise  a 
besoin,  pour  soutenir  son  existence  extérieure,  de  biens  temporels. 
Elle  tient  donc  de  Jésus-Christ,  son  fondateur,  le  droit  de  les  possé- 
der;  et  donner  à  l'Eglise,  c'est  donner  à  Christ.  Les  biens  ainsi  consa- 
s  à  Dieu  sont  sacrés  et  ne  peuvent  pas  être  enlevés  à  l'Eglise  sans 
rilége.  Le  besoin  qu'elle  a  de  ces  biens  impose  aux  fidèles  le  devoir 
le  les  lui  donner.  Au  début,  on  songea  tout  naturellement  à  remplir 
envers  l'Eglise  les  obligations  imposées  aux  Israélites  par  la  loi  de 


ère 

sa*1 
rie 


BIENS  ECCLÉSIASTIQUES  30J 

Moïse.  Les  prémices  et  Les  oblations  affluèrent;  les  dimes  s'établirent. 
Lorsque  l'esprit  de  sacrifice  se  fut  affaibli,  on  sanctionna  ce  devoir  par 
des  peines  spirituelles  (C.  J.,  I,  ni,  De  episc,  c.  39;  Synode  de  Mâcon. 
an.  585,  c.  5).  Les  Pères*de  L'Eglise  s'étaient  bornés  à  des  exhortations 
(c.  65,  66,  68,  Caus.  XVI,  q.  1;  c.  8,  Caus.  XVI,  q.  7,  d'Augustin  el  de 
Jérôme  ;  voir  Dîmes).  Au  droit  de  l'Eglise  correspondait  le  devoir  pour 
elle  d'administrer,  conformément  à  leur  destination,  les  biens  qu'elle 
recevait  :  le  droit  ecclésiastique  en  fixa  l'emploi.  Au  début,  les  évêques 
et  les  clercs  devaient  ne  prendre  part  aux  biens  de  l'Eglise  que  s'il-. 
n'avaient  pas  de  quoi  vivre  (c.  23,  Caus.  XII,  q.  1).  Plus  tard,  nu 
divisa  les  revenus  ecclésiastiques  en  quatre  parts  :  une  pour  l'évêque. 
une  pour  le  clergé,  une  pour  la  fabrique,  une  pour  les  pauvres  (Gaus. 
XII.  «|.  2,  c.  23,  25,  26,  27,  28,  29,  30).  Cette  répartition,  qui  ne  fui  pa- 
loujours  respectée  en  fait  (voir  Greg.  P.  Jleg.  Epist.,  lib.  III,  Ind.  Mi. 
Epist.  XI,  p.  548;  lib.  V,  Ind.  XIV,  Epist.  XXIX,  p.  070),  ne  s'appliqua 
pas  à  tous  les  pays  chrétiens.  En  Espagne,  l'évêque,  le  clergé  et  la 
fabrique  partagèrent  par  tiers  (Conc.  Bracar.  I,  an  563,  c.  7).  Dans 
l'empire  franc,  on  adopta  tantôt  la  répartition  par  tiers  (Capit.  Aquisgr.. 
c.  T.i,  tantôt  la  répartition  par  quarts  (Stat.  Rhispacensia  et  Frisïngeu- 
sta).  Mais  on  ne  distribuait  ainsi  que  les  revenus  et  non  les  imn ici ■- 
blés,  qui  formèrent  un  fonds  commun  jusqu'à  l'époque  où  l'on  affecta 
des  immeubles  déterminés  à  chaque  fonction  ecclésiastique.  Les  béné- 
fices naquirent  ainsi  (voir  ce  mot)  et  furent  consacrés  surtout  par  le* 
lois  franques  (Capit.  Lud.,  817,  c.  10,  c.  25;  Caus.  XXIII,  q.  8).  En 
effet,  convertis  par  l'Eglise,  les  barbares  avaient  sanctionné  par  leurs 
lois  les  décisions  du  droit  ecclésiastique  (Ed.  Theod.,  c.  xxvi;  Capi- 
tul.,  lib.  V,  ccclxiv;  Ed.  Baluze,  I,  p.  904;  Capit.,  lib.  VI,  cccciv. 
p.  1001;  Can.  Isaac,  tit.  VII,  5,  p.  1268;  Capit.  VIII,  ann.  803,  p.  407  : 
Capit.  III.  ann.  inc,  p.  525;  Capit.,  lib.  VI,  CCCCXXVIH,  p.  1008:  Ca 
pit.,  lib.  V,  cccxxvi,  p.  894;  Capit.,  lib.  VII,  lxxvi,  p.  1041;  Capit.. 
lib.  I,  lxxx,  p.  718;  Capit.,  lib.  VII,  xxvn,  p.  1035;  Capit.  add..  III. 
LVI,  p.  1100,  etc.).  L'Eglise  continua  donc  de  s'enrichir  pendant  le 
moyen  âge.  A  cette  époque  aussi  les  couvents  se  développèrent  el  ac; 
quirent  de  vastes  possessions.  Mais  la  féodalité  envahit  l'Eglise,  qui, 
tantôt  opprimée  et  obligée,  malgré  elle,  d'abriter  ses  riches  domaines 
sous  la  protection  d'un  patron  féodal,  tantôt  dotée  d'apanages,  vil  ses 
évoques  devenir  princes  temporels  et  même  prendre  rang  parmi  les 
électeurs  de  l'empire  d'Allemagne.  Le  droit  féodal  soumettait  au.\  ser- 
vices personnels  les  biens  d'Eglise,  à  l'exception  du  mansus  integer. 
que  les  Capitulaires  affranchissaient  (voy.  Bignonius  ad  Marculfm,,  . 
col.  S77).  Lorsque  les  seigneurs  prélevèrent  des  droits  sur- les  mu  la 
dons  de  propriété  entre  vifs  ou  par  décès,  les  acquisitions  par  l'Eglise 
Leur  causèrent  un  sensible  préjudice,  puisque  l'Eglise  acquérait,  mais 
n'aliénait  pas.  et  que  les  biens  entrés  dans  ses  mains  étaient  moi* 


.«il 


commerce.  Oh  les  appela  biens  de  mainmorte,  et  l'acquisition  par 
l'Eglise  s'appela  admortisatio  (Ducange,  h.  v.).  Elle  fut  réglée  pai  des 
lois  spéciales,  dites  lois  d'amortissement ,  qui  exigèrent,  pour  que 
l'Eglise  pût  acquérir  des  immeubles  ou  des  valeurs  mobilières  au  delà 


302  BIENS  ECCLESIASTIQUES 

d'une  somme  déterminée,  l'autorisation  du  seigneur  (en  Angleterre, 
la  première  loi  d'amortissement  date  de  1225;  Henri  III,  c.  36.  Pour 
l'Allemagne,  voir  Richter,  op.  infra  cit.,  §.303,  n.  4).  En  France, 
l'Eglise  ne  put  acquérir  qu'en  obtenant  des  lettres-patentes  :  elles 
obligeaient  l'Eglise  à  payer  au  seigneur  l'indemnité,  c'est-à-dire  un 
dédommagement  des  droits  de  relief,  de  lots  et  ventes  qu'il  ne  perce- 
vrait plus;  au  roi  l'amortissement  (voy.  Fleury,  op.  infra  cit.,  p.  338). 
L'amortissement  fut  définitivement  réglé  par  l'édit  de  mainmorte 
d'août  1749.  Aujourd'hui  il  est  remplacé  par  l'impôt  dit  de  main- 
morte. Non  content  d'apporter  ces  limitations  au  développement  des 
biens  ecclésiastiques ,  le  pouvoir  civil  puisa  quelquefois ,  pour  subve- 
nir à  ses  besoins,  dans  le  trésor  de  l'Eglise,  qu'on  a  appelé,  de  nos 
jours,  la  caisse  d'épargne  de  la  révolution.  Déjà  Charles-Martel  et  Phi- 
lippe le  Bel,  en  France,  Henri  II,  en  Allemagne,  avaient  porté  la  main 
sur  les  richesses  de  l'Eglise.  Mais  ce  fut,  au  seizième  siècle,  une  grave 
question,  que  celle  de  savoir  quel  serait  le  sort  des  biens  ecclésiasti- 
ques dans  les  pays  où  la  Réforme  avait  triomphé.  Les  princes  protes- 
tants d'Allemagne  les  affectèrent  rarement  aux  besoins  de  l'Etat,  le 
plus  souvent  à  F  entretien  de  l'Eglise  évangélique,  au  soulagement  des 
pauvres,  à  la  création  d'établissements  d'instruction.  La  paix  de  Pas- 
sau  et  la  diète  d'Augsbourg  crurent  trancher  la  question  :  elles  lais- 
saient aux  protestants  les  biens  qu'ils  avaient  sécularisés,  et  établis- 
saient pour  l'avenir  la  réserve  ecclésiastique,  c'est-à-dire  la  perte  de 
son  bénéfice  pour  tout  ecclésiastique  qui  devenait  protestant.  Les  diffi- 
cultés redoublèrent  jusqu'à  la  paix  de,  Westphalie,  qui  les  apaisa  défi- 
nitivement (1648 ,  Traité  d'Osnabruck ,  art.  5).  Depuis  lors ,  l'Eglise 
protestante  conserva  les  biens  qui  lui  étaient  affectés  et  les  administra 
conformément  aux  règles  du  droit  ecclésiastique.  L'Eglise  romaine 
conserva  aussi  ses  biens  médiats  et  immédiats  :  ces  derniers  jusqu'au 
commencement  du  siècle.  En  1803,  ils  furent  sécularisés  pour  dédom- 
mager les  princes  allemands  auxquels  Napoléon  enlevait  des  territoires 
situés  sur  la  rive  gauche  du  Rhin  (voy.  de  Garden,  Hist.  des  Traités 
de  paix ,  vol.  VII).  En  Angleterre,  les  biens  ecclésiastiques  avaient 
passé  à  l'Eglise  établie.  En  France,  d'autres  questions  se  posèrent,  qui 
soulevèrent  de  graves  difficultés  entre  le  pape,  le  clergé  gallican  et  le 
roi.  Nous  ne  parlerons  pas  de  toutes  ici  (voy.  Bénéfices),  mais  de  quel- 
ques-unes. Et  d'abord,  qui  pouvait  aliéner  les  biens  ecclésiastiques?  Les 
ultramontains  voulurent  que  le  pape  pût  ordonner  des  aliénations  sans 
le  consentement  du  roi,  et  même  invita  cleHcis.  Le  clergé  français  re- 
poussa toujours  ces  maximes  (Libertés  de  l'Eglise  gallicane,  art.  XXVIII 
et  XXIX,  prouvées  et  commentées  ;  Ed.  Durand  deMaillane).  Si  nous  pre- 
nons pour  exemples  les  biens  d'un  chapitre  ou  d'une  abbaye,  il 
fallait  que  l'aliénation  fût  avantageuse,  votée  par  tous  les  chanoines 
ou  par  les  moines  et  l'abbé,  entourée  des  formalités  réglées  par  la  loi, 
autorisée  par  l'évêque  et  surtout  par  le  roi,  enfin  sanctionnée  par  le 
pape,  si  le  bénéfice  relevait  directement  de  lui  (Blondeau,  Biblioth. 
canon.,  v°  Biens  ecclés.;  Fleury,  op.  infra  cit.  Voir  l'édit  de  main- 
morte de  1749,  art.  14).  L'aliénation  n'était  valable  que  si  elle  avait 


BIENS  ECCLESIASTIQUES  308 

été  préalablement  autorisée  par  lettres-patentes  du  roi ,  qui  réglai! 

ainsi    souverainement    remploi   des   biens   ecclésiastiques.   Pouvait-il 
prélever  sur  ces  biens  des  impôts?  Non.  Mais  il  s'en  lit  aider,  dans  les 
cas  de  nécessité.    Le    pape  avait    donné  l'exemple.  A  l'occasion  des 
croisades,  les  papes  avaient  imposé  sur  les  biens  d'Eglise  une  contri- 
bution du  dixième  du  revenu  :  d'où  son  nom  de  décimes  saladines. 
Les  rois  de  France  défendirent  aux  papes  d'en  lever,  mais  en  levèrent 
à  leur  prolit.  Les  décimes,  dont  le  taux  varia,  étaient  toujours  votées 
par  le  clergé,  qui  refusa  constamment  de  contribuer  aux  besoins  de 
L'Etat  autrement  que  par  des  dons  volontaires  dits  gratuits  (voy.  Institu- 
tion du  droit  français,  par  C.  Fleury,  Ed.  Laboulaye  et  Dupin,  lre  part., 
ch.  XXXVII).  Les  décimes  devinrent  en  fait  continuelles,  et  leur  taux 
fut  considérable.  A  l'époque  des  guerres  de  religion,   Charles   IX   en 
imposa  pour  un  chiffre  élevé.  Le  même  roi  et  Henri  III,  par  plusieurs 
édits  (1563,  1576,  1586,  etc.),  autorisèrent  des  ventes  importantes  de 
biens  d'Eglise  pour  subvenir  aux  frais  de  la  guerre  contre  les  protes- 
tants. Ainsi  nos  rois,  dans  leurs  efforts  pour  étouffer   la  vérité  reli- 
gieuse, employèrent,  pour  combattre  le  culte  en  esprit  et  en  vérité, 
ces  biens  mêmes  que  la  piété  des  fidèles  avait  consacrés  au  service  de 
Dieu.  L'Eglise  romaine  les  conserva  encore  deux  siècles;  puis  la  Révo- 
lution française,  après  avoir  aboli  les  dîmes  (décr.  des  4-1 1  août  1789), 
déclara  les  biens  ecclésiastiques  propriétés  nationales  (décr.  des  2-4  no- 
vembre 1790;  décr.  13  brumaire  an  II).  Mais  tout  ne  fut  pas  vendu.  Le 
Concordat  restitua  à  l'Eglise  les  biens  non  aliénés  (art.   12),   et  l'on 
affecta  de  nouveaux  immeubles  à  la  célébration  du  culte  et  au  loge- 
ment du  clergé  (art.  org.  7*2  et  75  ;  cf.  décr.  du  30  déc.  1809  et  loi  du 
18  juillet    1837   sur  l'organisation  communale).  —  Théorie.    La  pro- 
priété ecclésiastique  soulève   des   questions  théoriques   que   nous   ne 
pouvons  pas  passer  sous  silence.   L'Eglise   a-t-elle   nécessairement  le 
droit  d'être  propriétaire?  Pour  être  sujet  d'un  droit,  il  faut  être  une 
personne.  Le  droit  civil  reconnaît  deux  sortes  de  personnes  :   les  per- 
sonnes naturelles,  les  individus,  et  les  personnes  civiles.  Une  personne 
civile  est  «  un  être  de  raison,  capable  de  posséder  un  patrimoine  et  de 
devenir  le  sujet  des  droits  et  des  obligations  relatifs    aux   biens  » 
(Aubry  et  Rau,  Cours  de  droit  civil,  §  54,  4e  éd.,  vol.  1,  p.    185.)  Ces 
êtres  fictifs  ont  une  personnalité  distincte  de  celle  des  membres  qui  les 
composent  :  ils  sont  propriétaires,  créanciers  ou  débiteurs   sans  que 
leurs  membres  le  soient  ;  mais  ils  n'existent  que  par   la  volonté   du 
législateur,  qui  les  l'ait  naître  ou  périr  à  son   gré.  En  présence  d'une 
association,  le  législateur  peut  donc   prendre   trois  partis  :  la  prohi- 
ber, l'autoriser,  la  créer  personne  civile.  D'où   nous  concluons  (pic 
toute  église  n'acquiert  une  personnalité   juridique  qu'autant   que   la 
législation  du  pays  la  lui  concède,  mais  ne   l'a  pas  nécessairement. 
Qu'elle  en  jouisse  ou  non,   elle  n'en  existera  pas  moins.  Exemple  : 
les  Eglises  aux  Etats-Unis;  en  France,  les  Eglises  non  reconnues  par 
L'Etat.  Le  droit  ecclésiastique  |n' est  donc  pas  dans  la  vérité  juridique 
lorsqu'il  prétend  que  L'Eglise  tient  de  Jésus-Christ  le  droit  d'être  pro- 
priétaire. Le  christianisme  s'accorde  avec  la  science  du  droit  pour  re- 


3u4  BIENS  ECCLESIASTIQUES 

pousser  cette  théorie.  Le  principe  que  nous  avons  posé  décide  une 
autre  controverse.  On  s'est  demandé  en  qui  résidait  la  propriété  ecclé- 
siastique, et  les  auteurs  ont  proposé  :  les  uns,  Jésus-Christ;  d'autres,  le 
pape,  considéré  comme  son  représentant  sur  la  terre  ;  quelques-uns,  les 
pauvres;  d'autres,  l'Eglise  universelle.  Selon  nous,  sont  propriétaires 
des  biens  ecclésiastiques,  dans  chaque  pays,  les  établissements  ecclé- 
siastiques que  le  législateur  a  reconnus  personnes  civiles.  En  effet  : 
1°  ils  sont  propriétaires;  2°  eux  seuls  le  sont.  Les  faits  con- 
cordent avec  la  logique  du  droit.  Ne  sont-ce  pas  les  Eglises  locales, 
paroissiales  ou  épiscopales,  les  divers  établissements  religieux,  qui  ac- 
quièrent à  titre  gratuit  ou  onéreux,  qui  aliènent,  qui  gèrent  les  biens 
dits  ecclésiastiques?  Comment  donc  pourrait-on  contester  qu'ils  soient 
propriétaires  et  donner  ce  titre  à  d'autres  personnes?  C'est  ce  que  te 
droit  romain  avait  reconnu  (voir  surtout  Justinien,  C,  I,  II,  De  sacros. 
eccles.,  c.  26),  et  ce  qu'admettent  de  nombreux  auteurs  (Richter,  op. 
infra  cit.,  §  302;  Jacobson,  id.,  p.  125  ss.  ;  Lequeux,  id.,  vol.  III, 
p.  252).  Quelles  sont  donc,  d'après  notre  législation  française,  les  per- 
sonnes civiles  ecclésiastiques?  Pour  l'Eglise  catholique  romaine  :  1.  Les 
paroisses,  représentées  par  les  fabriques  (arr.  7  therm.  an.  IX  ;  décr. 
30  déc.  1809).  2.  Les  cures  et  succursales  (^décr.  6  nov.  1813  ;  1.  2  jan- 
vier 1817;  ord.  2  avr.  1817).  3.  Les  évêchés  (décr.  1813).  4.  Les 
chapitres.  5.  Les  séminaires  (I:  23  vent,  an  XII).  Ces  établissements 
sont  propriétaires  des  choses  sacrées,  des  édifices  destinés  au  culte, 
des  biens  affectés  aux  usages  religieux.  Pour  l'Eglise  protestante  : 
1.  Les  paroisses,  représentées  par  les  conseils  presbytéraux  (décr. 
26  mars  1852,  art.  1er;  arr.  10  nov.  1852,  *art.  1-3;  arr.  20  mai  1853, 
ch.  I).  2.  Les  consistoires  (l.  18  germ.  an  X;  arr.  20  nov.  1852,  art.  7 
et  8;  arr.  20  mai  1853,  ch.  II).  3.  Les  séminaires.  Les  biens  possédés 
par  l'Eglise  protestante  sont  :  les  objets  et  les  édifices  consacrés  au 
culte;  les  biens  destinés  à  couvrir  les  frais  de  culte;  les  biens  dits  cu- 
riaux,  qu'on  avait  affectés  au  traitement  des  pasteurs  avant  que  l'Etat 
s'en  chargeât  et  qui  ont  conservé  cette  affectation  ;  les  biens  affectés 
au  traitement  des  sacristains,  etc.  Les  textes  que  nous  venons  de  citer 
établissent,  selon  nous,  le  droit  de  propriété  de  l'Eglise.  Nous  repous- 
sons donc  la  théorie  qui  veut  que  les  biens  dits  ecclésiastiques  soient 
des  biens  de  l'Etat  ou  des  communes,  affectés  temporairement  à  des 
usages  religieux  (arr.  minist.  6  therm.  an  XII  et  23  brum.  an  XII; 
Puchta,  Pandeklen,  §  564;  Meyer,  Kirchenrecht,  §  169).  L'Eglise  n'est 
pas  une  branche  des  services  publics ,  mais  une  société  unie  à  l'Etat 
par  un  traité  et  dont  les  intérêts  temporels,  spécialement  les  biens, 
sont  soumis  aux  lois  civiles.  Aujourd'hui  non-seulement  ils  ne  jouis- 
sent plus  d'immunités  spéciales,  mais  ils  payent,  outre  les  impôts 
ordinaires,  l'impôt  dit  de  mainmorte,  et  les  actes  qui  les  concernent 
ne  sont  exempts  ni  des  formalités,  ni  des  frais  de  publicité.  De  même, 
les  établissements  ecclésiastiques  sont  soumis ,  pour  la  gestion  de  leurs 
biens,  à  des  règles  analogues  à  celles  prescrites  aux  communes.  Pre- 
nons pour  exemples  dans  l'Eglise  romaine,  les  biens  d'une  fabrique. 
Les  baux  de  leurs  immeubles  doivent  être  faits  pour  dix-huit  ans  au 


BIENS  ECCÉSIASTIQUES  305 

plus,  sur  cahier  des  charges  dressé  par  le  bureau  des  marguilliers,  ap- 
prouvé par  L'évêque  et  homologué  par  le  préfet,  par  adjudication  pu- 
bliée selon  la  loi,  et  dont  le  procès-verbal  doit  être  approuvé  par  le 

prèle!.  Le  bail  doit  être  enregistré  dans  les  vingt  jours  après  cette  ap- 
probation. S'il  est  important,  il  est  bon  qu'il  soit  fait  par  acte  notarié, 
avec  stipulation  d'hypothèque 'sur  les  biens  du  preneur  (arr.  7  therm. 
au  XI,  art.  3  ;  décr.  30  dé,c.  1801),  art.  00;  1.  5  novemb.  1790;  l.  10  fé- 
vrier 1791;  ord.  7  oct.  1818;  1.  25  mai  1835).  Les  fabriques  peuvent. 
acquérir  des  objets  mobiliers  avec  la  simple  autorisation  de  l'évêque 
diocésain,  pourvu  qu'elles  n'empruntent  pas  et  ne  demandent  pas  de 
subvention.  Elles  ne  peuvent  acquérir  des  immeubles  à  titre  oné- 
reux qu'avec  l'autorisation  préalable  de  l'Etat.  Elles  doivent,  pour  la 
demander,  fournir  les  pièces  suivantes  :  1°  délibération  du  conseil  de 
fabrique  indiquant  le  prix  de  l'acquisition  projetée,  les  ressources  des- 
tinées à  y  faire  face,  la  nature,  la  situation,  la  destination  projetée  de 
l'immeuble;  une  promesse  de  vente  émanée  du  propriétaire;  un  plan 
6guré  des  lieux;  un  procès-verbal  indiquant  la  contenance  et  la  valeur- 
estimative  de  l'immeuble,  dressé  par  deux  experts  nommés,  l'un  par 
la  fabrique,  l'autre  par  le  vendeur;  un  procès-verbal  d'enquête  de 
eommodo  et  incommodo  ;  un  état  de  Tactif  et  du  passif  de  la  fabrique  ; 
un  certificat  de  publication  préalable  de  l'enquête;  l'avis  du  conseil 
municipal;  l'avis  de  l'évêque  diocésain  et  celui  du  préfet  (loi  2  jan- 
vier 1817,  art.  1er;  ordonn.  14  janv.  1831,  art.  2  ;  loi  18  juillet  1837, 
art.  21;  instruct.  10  avril  1862).  Le  ministre  peut  refuser  arbitrairer 
ment  l'autorisation  (arr.  du  Conseil  d'Etat  du  17  janv.  1838).  Les 
mêmes  iormalités  sont  exigées  pour  les  aliénations  d'immeubles.  Les 
autres  établissements  religieux  doivent  suivre  les  mêmes  règles.  Les 
établissements  religieux  protestants  qui  sont  personnes  civiles  sont 
soumis  à  ces  formalités.  L'établissement  intéressé  dresse  le  dossier,  le 
transmet  à  ses  supérieurs  ecclésiastiques  ;  ceux-ci  au  préfet;  celui-ci  au 
ministre  des  cultes.  Les  autorités  ecclésiastiques  et  le  préfet  donnent 
leur  avis  (cire,  minist.,  18  sept.  1823).  —  Consulter,  pour  l'ancien  droit, 
Braun,  Dos  kirchliche  Vermogen  von  den  xltesteyi  Zeiten  bis  auf  Justi- 
nian,  Giessen,  1860;  Thomassin,  Discipline  de  l'Eglise,  3  vol.  in-fol  ; 
de  Héricourt,  Lois  ecclésiastiques  de  France,  1  vol.  in-fol.  ;  Durand  de 
Mai  liane,  Dictionnaire  canonique,  1786,  6  vol.  in-8.  Pour  le  droit  mo- 
derne. Eglise  catholique  romaine  :  Affre,  Traité  de  la  propriété  des  biens 
ecclésiastiques,  Paris,  1837,  in-8°;  Walter,  Kirchenrecht,  14e  éd.,  1871; 
Lequeux,  Manuale  compendium  jvris  canonici  ad  usum  seminariorum , 
Paris,  1843,  4  vol.  in-12;  Vuillefroy,  Traité  de  l'administration  du  culte* 
catholique,  Paris,  1842,  in-8°  ;  Campion,  Manuel  pratique  de  droit  civil 
ecclésiastique,  Caen,  1876,  2e  édit.,  in-8°.  Pour  l'Eglise  protestante  : 
Btehmer,  Jus  ecclesiasticum  protestantium  ;  Carpzow,  Jurisprudentia 
ecclesiastica;  Richter,  Kirchenrecht,  7e  éd.,  1874;  Jacobson,  art.  Kir- 
chenrecht, dansWeiske,  Rechtslexiçpn,  t.  VI;  Lehr,  Dictionnaire  d'admi- 
nistr  ition  ecclésiastique  à  l'usage  des  Eglises  protestantes  de  France,. 
Paris,  1869,  in-8°.  G.  Bourgeois. 

BIGAMIE.  Voyez  Mariage. 

il.  20 


306  BILFINGER  —  BINET 

BILFINGER  (George-Bernard)  [1693-1750],  l'un  des  hommes  les  plus 
marquants  du  Wurtemberg  au  dix-huitième  siècle.  Professeur  et  cu- 
rateur de  l'université  de  Tubingue,  membre  de  l'académie  royale  de 
Berlin  et  de  celle  de  Saint-Pétersbourg,  également  distingué  par  sa  piété, 
sa  science,  son  esprit  large  et  tolérant,  Bilfinger  contribua  plus  qu'au- 
cun autre  à  préserver  son  pays  du  divorce  fâcheux  qui,  presque  par- 
tout, s'établit  au  dernier  siècle  entre  la  foi  chrétienne  et  la  culture 
philosophique.  Disciple  de  Wolf,  il  publia  un  certain  nombre  de  traités 
destinés  à  prouver  que  la  théodicée  et  la  dogmatique  ne  diffèrent 
point  par  les  résultats  de  leurs  investigations,  mais  uniquement  par  l'o- 
rigine naturelle  ou  surnaturelle  qu'elles  leur  attribuent.  Ses  trois  prin- 
cipaux ouvrages  sont  :  1°  Dilucidationes  philosophiez  de  JDeo,  anima 
humana,  mundo  et  generalibns  rerurn  a ffectionibus,  1 'ub.,1725,  in-4°  ; 
2°  Disputationes  de  natura  et  legibus  studiiin  theologia  ethica,  1731,  in-4°  ; 
3°  De  Mysteriis  christianœ  fidei  generatim  spectatis  sermo  recùatus,  1732, 
in-4°.  Bilfinger  fut  chargé  de  rédiger  le  célèbre  édit  de  1743,  qui,  en 
proclamant  la  pleine  liberté  des  réunions  religieuses  publiques,  atté- 
nua, dans  une  large  mesure,  pour  le  Wurtemberg  les  dangers  du 
séparatisme. 

BÎLLICAN.  Diebolt  Gerlach,  dit  Billicanus,  de  son  lieu  de  naissance, 
Billigheim  près  de  Landau,  se  déclara  pour  la  Réforme  après  avoir  fait 
ses  études  à  Heidelberg.  En  1522  il  dut  quitter  cette  ville  pour  y  avoir 
enseigné  les  principes  de  Luther.  Après  un  court  séjour  à  Weil,  dans 
le  Wurtemberg,  il  devint  pasteur  dans  la  ville  libre  de  Nordlingen,où  il 
introduisit  définitivement  la  Réformation.  En  1535  il  revint  à  Heidel- 
berg comme  professeur  de  droit.  Expulsé  de  nouveau  en  1544,  il  fut 
chargé  de  l'enseignement  de  la  rhétorique  et  de  l'histoire  àMarbourg, 
où  il  mourut  en  1554.  Ses  écrits,  les  uns  théologiques,  les  autres  phi- 
losophiques, ne  sont  plus  que  d'une  médiocre  importance. 

BILLUART  (Charles-René),  né  et  mort  à  Revin  sur  la  Meuse,  dans 
le  diocèse  de  Liège  (1685-1757).  Après  avoir  fait  ses  études  chez  les  jé- 
suites de  Charleville,  il  entra  chez  les  dominicains.  De  1710  à  sa  mort, 
il  fut  professeur,  prédicateur,  prieur  et  provincial,  et  se  distingua  dans 
ces  divers  emplois  qu'il  remplit  et  quitta  tour  à  tour  selon  les  décisions 
de  son  ordre.  11  enseigna  à  diverses  reprises  au  collège  Saint-Thomas 
de  Douai.  De  ses  nombreux  écrits  qui  roulent  presque  tous  sur  des 
points  de  polémique  concernant  la  doctrine  de  saint  Thomas  d'Aquin, 
son  auteur  favori  et  son  idéal  théologique,  un  seul  a  survécu  dans  le 
monde  des  séminaires.  C'est  sa  Summa  S.  Thomœ  hodiernis  Acade- 
miarum  morihus  acc&mmodata,  sive  cursus  theologiœ  juxta  mentent  D. 
Thomœ  (Liège,  4746-51,  29  vol.  in-8°).  Ce  manuel,  souvent  réimprimé 
en  Italie  et  en  Allemagne,  et  dont  l'auteur  lui-même  avait  donné  un 
abrégé  (Liège,  1754,  6  vol.  in-8°),  n'a  pas  peu  contribué  à  développer 
dans  l'école  catholique  les  idées  et  surtout  l'esprit  ultramontain  du 
Docteur  angélique. 

BINET  (Etienne),  né  à  Dijon,  mort  à  Paris  (1569-1639),  passa  près 
de  cinquante  ans  dans  la  compagnie  de  Jésus.  Il  était  rentré  en  France 
avec  elle,  en  1603,  quand  Henri  IV  la  rappela.  Lié  d'amitié  avec  François 


BINBT  -  I51XGHAM  :;o7 

de  Sales,  et  d'un  caractère  aussi  doucereux  que  sou  style,  le  P,  Billet 
poussa  à  l'extrême  la  naïveté  souvent  maniérée  de  son  modèle.  Pascal 
tança  rudement  son  livre  intitulé  Marques  de  prédestination.  La  liste 
interminable  de  ses  ouvrages,  aussi  prolixes  que  leurs  titres,  se  trouv» 
dans  la  Bibliothèque  des  écrivains  de  la  compagnie  (te,  Jésus,  par  Augustin 
et  Aloïsde  Hacker  (Liège,  1853).  En  voici  quelques-uns  :  «  Quel  est  le 
meilleur  gouvernement,  le  rigoureux  ou  le  doux,  pour  les  supérieurs 
de  religion?  »  «  De  l'état  heureux  et  malheureux  des  âmes  soutirantes 
du  purgatoire,  et  des  moyens  souverains  pour  n'y  aller  pas,  ou  y 
demeurer  fort  peu,  où  sont  traictées  toutes  les  plus  belles  questions 
du  purgatoire:  »  «  Méditations  affectives  sur  la  vie  de  la  très-saint* 
Vierge,  mère  de  Dieu  »  (Anvers,  1632,  in-8°).  ;  «  Les  saintes  faveurs  du 
petit  Jésus  au  cœur  qu'il  ayme  et  qui  l'ayme  »  (Paris,  1626,  in-12). 
Notons  surtout  Le  chef -aV œuvre  de  Dieu,  ou  les  souveraines  perfections  de  la 
suinte  Vierge  sa  mère.  Le  P.  Jennesseaux  a  donné  (Paris,  Adrien  Le 
Clerc,  1855)  mie  édition  corrigée  de  ce  livre  qui  renferme  la  plus  fidèle 
exposition  de  la  doctrine  qui  finit  par  prévaloir  dans  l'école  ultramon- 
taine.  Malgré  toutes  les  réticences,  elle  se  résume  en  ceci  :  entre  le 
fidèle  et  Marie,  il  y  a  la  différence  «  du  tout  au  néant  »  (p.  486). 
Rien  n'y  est  plus  commun  que  des  passages  comme  ceux-ci  :  «  Voilà 
une  fille  d'Adam  qui  nomme  Dieu  son  Père,  comme  fait  le  Fils  ; 
le  Verbe  éternel,  son  Fils,  comme  fait  le  Père;  et  le  Saint-Esprit,  son 
amour,  comme  font  le  Père  et  le  Fils.  Dieu!  quelle  sainte  confusion  est 
ceci?....  Vous  voyez  la  filiation  de  Marie  dans  le  Père;  sa  maternité  dans 
le  Fils  :  son  amour  dans  le  Saint-Esprit.  Disons  mieux  :  vous  la  voyez 
toute  dans  le  Père,  toute  dans  le  Fils,  toute  dans  le  Saint-Esprit  (p.  149 
et  loi).  Puis  donc  que  Dieu  le  Père  engendre  continuellement  son  Fils, 
et  que  la  très-sainte  Vierge  est  si  intimement  unie  au  Père  éternel, 
quelle  ne  fait  presque  avec  lui,  autant  que  cela  se  peut  dire  d'une  pure 
créature,  qu'une  môme  chose,  ne  pourrait-on  pas  dire  qu'elle  aussi... 
Mais  la  main  me  tremble,  et  ma  plume  refuse  de  passer  outre.  Brisons 
donc  ce  discours;  je  n'oserais  tirer  la  dernière  conséquence,  tant  elle 
est  haute  et  sublime.  J'aime  mieux  tout  dire  par  mon  silence;  aussi 
bien  les  paroles  s'arrêtent  dans  ma  bouche  (p.  291).  »  Le  P.  Jennesseaux 
souhaite  dans  sa  préface  que  son  travail  donne  l'idée  de  reproduire 
quelques-uns  de  ces  anciens  ouvrages.  Nous  regrettons  de  ne  pouvoir 
transcrire  celui-ci  tout  entier.  P.  Rouffet. 

BINGHAM  (Joseph),  né  en  1668,  dans  le  Yorkshire,  à  Wakeneld,  est 
surtout  connu  par  un  grand  ouvrage  en  dix  volumes  in-8°  intitulé  Ori- 
gines ecclesiasticaB  (1708-1722),  qui  a  été  traduit  en  latin  par  4*4-1. 
Grichow  et  publié  à  Halle  (172W738).  Cet  ouvrage  ne  compïend 
que  l'histoire  des  six  premiers  siècles  du  christianisme  ;  on  y  trouve  des 
renseignements  assez  précis  sur  tout  ce  qui  a  rapport  au  culte,  à  la 
liturgie,  à  l'administration  des  sacrements,  à  la  forme  des  anciens 
temples,  etc.  Ihngiiam  a  laissé  aussi  deux  volumes  de  Sermons.  Agrégé 
de  bonne  heure  au  collège  de  l'université  d'Oxford,  il  eut  pour  disciple 
le  savant  Potter,  depuis  archevêque  de  Cantorbéry.  Chargé  de  prêcher 
devant  l'académie  il  prononça  un  sermon  sur  le  mystère  de  La  Trinité  el 


308  BINGHAM  —  BITHYNIE 

fut,  à  cette  occasion,  accusé  (Tarianisme,  de  trithéisme,  etc.  Bingliam 
crut  devoir  céder  à  Forage  et  abandonna  sa  charge  pour  aller  occuper 
la  modeste  cure  de  Headbourn-Worthy,  dont  le  revenu  de  100  livres 
sterling  suffisait  à  peine  à  l'entretien  de  sa  nombreuse  famille.  C'est  là 
qu'il  mourut  en  1723. 

BITAUBÉ  (Paul-Jérémie),  littérateur,  petit-fils  de  Jérémie  Bitaubé,  un 
des  premiers  protestants   qui,   à  la   révocation  de  redit  de  Nantes, 
s'étaient  réfugiés  à  Kœnigsberg  et  y  avaient  fondé  d'importantes  mai- 
sons de  commerce.  Né  en  cette  ville,  le  24  novembre  1732,  il  préféra  le 
barreau  au  négoce  et  alla  étudier  à  Francfort-sur-1'Oder,  où  son  goù 
le  porta  bientôt,  vers  les  travaux  théologiques.  11  entra  dans  le  minis- 
tère évangélique  et  prêcha  à  Berlin,  non  sans  succès.  Mais  sa  passion 
pour  la  Bible  en  avait  engendré  une  plus  forte  encore  pour  Homère, 
qu'il  se  mit  à  traduire,  sacrifiant  tout  à  cette  œuvre  qu'il  mit  au  jour 
en  1760,  sous  le  titre  cV Essai  dJu?ie  nouvelle  traduction  cï Homère  (Berlin, 
in-8°).  Cet  essai  ayant  reçu  à  Paris  un  accueil  très-favorable,  Bitaubé  fut 
admis,  en  1766,  dans  l'Académie  de  Berlin.  En  1780  il  publia  à  Paris 
sa  traduction  complète  de  Y  Iliade  en  2  vol.  in-8°,  et  en  1785  celle  de 
Y  Odyssée,  en  3  vol.  in-8°.  Les  deux  poëmes  réunis  furent  réimprimés 
en  1786,  en  12  vol.  in-12,  avec  de  savantes  annotations,  et  valurent  à 
leur  auteur,  cette  même  année,  le  titre  d'associé  étranger  de  l'Académie 
des  belles-lettres.  Après  avoir  été  d'abord  l'objet  d'une  admiration  un 
peu   trop  enthousiaste,  l'œuvre  de  Bitaubé  a  continué  à  jouir  assez 
longtemps  d'une  certaine  estime.  Bitaubé  professait  cette  opinion  que 
les  prêtres  ne  peuvent  être  bien  traduits  qu'en  prose,  et,  àl'appuide  sa 
théorie,  il  composa  un  poëme  en  prose  :  Joseph  (Paris,  1767),  qui  eut 
un  véritable  succès  et  fut  traduit  dans  presque  toutes  les  langues.  Il 
entreprit  un  autre  poëme  sur  la  délivrance  des  Provinces-Unies  :  Guil- 
laume de  Nassau  (Amst.,  1773;  Paris,  1775),  qui  fut  achevé  sous  un 
autre  titre:  Les  Bataves  (Paris.  1798),  œuvre  où  la  raison  et  la  froideur 
dominent.  Bitaubé,  devenu  tout  à  fait  Parisien,  fut  victime,  en  1794, 
de  nos  troubles  civils:  arrêté  et  incarcéré  comme  suspect,  il  ne  dut 
d'échapper  à  l'échafaucl  qu'à  la  chute  de  Bobespierre.  Quand  l'Institut 
fut  créé,  il  en  fit  partie,  d'abord  dans  la  classe  de  littérature  et  beaux- 
arts,  puis  dans  celle  d'histoire  et  littérature  anciennes.  Membre  de  la 
Légion  d'honneur  dès  la  première  fournée,  il  reçut  de  Napoléon,  en 
1807,  une  pension  de  6,000  francs.  Il  mourut  le  22  novembre  1808, 
accablé  surtout  de  la  douleur  qu'il  ressentait  de  la  perte  de  sa  femme. 
Ses  œuvres  complètes,  publiées  en  1804,  en  9  vol.  in -8°,  ne  compren- 
nent pas  un  certain  nombre  d'opuscules  qui  avaient  pourtant  paru 
avant  cette  date  et  qui  ne  manquent  pas  d'intérêt  pour  l'histoire  lit- 
téraire. Ch.  Eead. 

BITHYNIE,  province  de  F  Asie-Mineure,  conquise  par  les  Romains 
en  l'an  75  avant  Jésus-Christ.  Couverte  de  montagnes  boisées  avec  de 
gras  pâturages  dans  les  vallées,  elle  était,  sous  l'empereur  Auguste, 
bornée  au  nord  par  la  mer  Noire,  à  l'est  par  la  Paphlagonie,  au  sud 
par  la  Phrygie  et  la  Mysie,  à  l'ouest  par  le  Bosphore  de  Thrace,  la 
Propontide  et  la  Mysie  (Pline,  IL  TV.,  5,  40;  Strabon,  12,  p.  563; 


BITHYNIE  —  BLAISE  309 

Ptolérnée,  5,  i).  L'apôtre  Paul  ne  put  réaliser  son  projet  de  la  visiter 
(Actes  XVI,  7)  ;  mais,  dès  la  fin  du  premier  siècle  de  l'ère  chrétienne, 
nous  y  trouvons  des  Eglises  (1  Pierre  1,  1).  Constantin  les  rattacha  au 
diocèse  du  Pont  (Pontica  prima,  Justin.,  Nov.,  29)  :  parmi  elles  nous 
remarquons  Nicomédie,  Chalcédoine,  Héraclée,  Nicée,  qui  ont  joué  un 
certain  rôle  dans  l'histoire  de  L'Eglise. 

BLAIR  (Hugues),  prédicateur  écossais  dont  les  sermons  ont  obtenu 
des  succès  éclatants  et  sont  encore  aujourd'hui  justement  considérés. 
Il  était  né  à  Edimbourg  le  7  avril  1718,  et  fut  voué  dès  son  enfance  à 
l'état  ecclésiastique.  A  vingt-trois  ans,  après  avoir  fait  de  brillantes 
études  au  collège  et  à  l'université  d'Edimbourg,  il  fut  consacré  pasteur 
et  nommé  au  poste  de  Collesie,  dans  le  comté  de  Fife.  Il  ne  resta  pas 
longtemps  dans  cette  position  modeste,  et  devint  en  1758  pasteur  de 
L'église  cathédrale  d'Edimbourg.  Sa  prédication  n'avait  pas  tardé  à 
opérer  une  sorte  de  révolution  dans  la  manière  dont  la  plupart  des 
pasteurs  écossais  entendaient  alors  l'éloquence  de"  la  chaire.  Au  lieu  de 
ce  langage  bizarre  où  la  trivialité  alternait  avec  le  mysticisme,  Blair 
adopta  une  langue  noble  et  mesurée,  une  éloquence  douce  et  persua- 
sive. En  outre  il  substitua  à  ces  discussions  métaphysiques  et  dogma- 
tiques qui  faisaient  le  fond  de  presque  tous  les  sermons,  des  analyses 
psychologiques  et  des  leçons  morales  qui  produisaient  le  plus  grand 
effet.  Ce  fut  en  1777  que  parut  le  premier  volume  de  ses  Sermons.  Le 
libraire  à  qui  Blair  avait  confié  son  manuscrit  lui  avait  conseillé  de  ne 
pas  le  faire  imprimer  parce  qu'il  n'y  avait,  selon  lui,  aucun  succès  à 
espérer.  Cependant,  après  avoir  pris  l'opinion  d'un  homme  compétent, 
il  convint  de  sa  méprise  et  offrit  à  Blair  50  guinées  de  son  manuscrit; 
mais  le  produit  de  la  vente  fut  tel  qu'il  lui  en  donna  bientôt  50  de 
plus.  L'édition  étant  épuisée,  Blair  ht  réimprimer  ce  premier  volume 
accompagné  d'un  second  et  reçut  pour  chacun  200  livres  sterling.  On 
va  jusqu'à  dire  que  le  libraire  lui  paya  2,000  livres  pour  le  quatrième. 
C'était  un  immense  succès  que  la  mode  grandit  encore  si  possible. 
Tout  le  monde  devait  avoir  lu  les  sermons  de  Blair.  On  en  lit  de  nom- 
breuses traductions,  en  français,  en  hollandais,  en  allemand,  en  italien. 
Blair  cependant  n'était  pas  uniquement  un  sermonnaire.  Il  s'occupa 
de  littérature,  composa  un  Essai  sur  le  beau,  lit  à  l'université  d'Edim- 
bourg un  cours  sur  les  principes  de  la  composition  littéraire  et  publia 
en  1783  le  résumé  de  ses  leçons  sous  le  titre  de  Lectures  on  Rhelomc 
and  Jkllcs-Lettres.  Il  mourut  le  27  décembre  1800,  à  l'âge  de  quatre- 
vingt-deux  ans,  après  avoir  préparé,  cette  année  même,  pour  l'im- 
-ion,  un  volume  des  sermons  de  sa  jeunesse.  La  dernière 
édition  anglaise  de  ses  sermons  est  de  Londres,  1801,  5  vol.  in-8°.  La 
principale  traduction  française  est  celle  de  M.  Prévost,  professeur  de 
Genève  :  elle  a  paru  en  1808,  en  4  vol.  in-8°.  a.  Gary. 

BLAISE  (Saint),  évêque,  fut,  d'après  ses  Actes,  imprimés  dans  les 

bollandistes  an  3  février,  martyrisé  à  Sébaste  en  Cappadoce  (d'autres 

disent  en  Petite  Arménie),  sous  Dioclétien  ou  peut-être  sous  Licinius  ; 

mais  I.'  plus  sûr  est  de  dire  avec  Tillemont  :  «  On  n'a  rien  i\r  bon  sur 

aini  Biaise.  8  En  mémoire  d'un  miracle  opéré  par  le  saint  Lorsqu'il 


310  BLAISE  —  BLANDBATA 

marchait  au  supplice,  son  nom  est  invoqué,  dit-on,  avec  efficace  par 
les  malheureux  qui  ont  une  arête  ou  un  os  dans  le  gosier.  Voici  la 
formule  que  nous  lisons  dans  un  passage  peut-être  interpolé  d'Aëtius, 
médecin  grec  du  cinquième  ou  du  sixième  siècle,  et  que  des  auteurs 
sérieux  recommandent  encore  aujourd'hui  :  «  Tournez-vous  vers  le 
malade,  regardez-le  en  face,  ordonnez-lui  de  vous  regarder,  et  dites  : 
«  Sors,  ô  os,  fétu  ou  objet  quelconque,  comme  Jésus-Christ  a  fait  sortir 
Lazare  du  tombeau,  et  Jonas  du  ventre  de  la  baleine.  »  Ou  encore, 
saisissant  le  gosier  du  malade  (les  modernes  prescrivent  de  faire  ici  le 
signe  de  la  croix),  dites  :  «  Biaise,  martyr  et  serviteur  de  Dieu,  te  dit  : 
ô  os,  monte  ou  descends!  »  (1.  VIII,  c.  53.)  Les  reliques  de  saint 
Biaise,  apportées' de  Kheinau  au  monastère  d'Alba-Cella,  dans  les 
solitudes  de  la  Forêt-Noire,  ont  donné  le  nom  de  ce  saint  patron  à  un 
couvent  de  bénédictins,  célèbre  par  la  culture  des  lettres,  que  releva 
en  936  un  noble  du  Zùrichgau,  Regimbert,  et  qui,  ayant  embrassé  la 
réforme  de  Cluny,  puis  celle  de  Saint-Maur,  subsista  jusqu'en  1807. 
De  cette  illustre  abbaye  sortit  au  dix-huitième  siècle  une  génération  de 
savants  tels  que  Marquard  Hergott,  l'historien  des  Habsbourg,  et  le 
prince-abbé  dom  Martin  Gerbert,  homme  de  goût  autant  que  de  science, 
auteur  d'importants  ouvrages  de  musique  et  de  liturgie,  et  du  beau 
livre  intitulé  :  Historia  Siivœ  Nigrœ,  Saint-Biaise,  1783-88,  3  vol.  in-4°. 

S.  Berger. 

BLANDINE  (Sainte),  jeune  martyre  chrétienne.  Elle  périt  dans  la 
persécution  qui  fondit  sur  l'Eglise  de  Lyon  sous  Marc-Aurèle  en  l'an 
177.  Eusèbe  (H.  F.,  V,  1)  nous  a  conservé  le  récit  de  ses  tortures  et 
de  sa  constance.  Quoique  d'une  complexion  délicate,  elle  souffrit  avec 
le  plus  grand  courage,, et  ne  cessa  de  répéter  ces  paroles  :  «  Je  suis 
chrétienne,  il  ne  se  commet  aucun  crime  parmi  nous.  »  L'Eglise  l'ho- 
nore le  2  juin. 

BLANDRATA  ou  Biandrata  (George)  a  joué  un  rôle  dans  l'histoire 
des  antitrinitaires.  Né  en  1515,  dans  le  marquisat  de  Saluées,  d'une 
famille  noble  dans  laquelle  l'hostilité  au  saint-siége  était  de  tradition, 
il  mena  une  vie  errante  et  agitée.  Il  était  médecin  et  s'occupa  avec 
passion  de  théologie,  révoquant  en  doute  le  dogme  de  la  Trinité  qu'il 
ne  trouvait  pas  enseigné  dans  l'Ecriture.  Persécuté  pour  cause  d'hé- 
résie, il  ne  trouva  de  repos  nulle  part.  A  Genève,  il  entra  en  relations 
avec  Calvin  qui  le  dénonça  comme  un  impie  et  une  «  peste  dange- 
reuse »,  et  écrivit  contre  lui  son  traité  :  Responsum  ad  quœstiones  G. 
Blandratœ,  Gen.,  1559.  De  là  il  se  rendit  en  Pologne,  auprès  du  prince 
Kadzivil,  et  en  Transylvanie,  auprès  du  prince  Jean-Sigïsmond  qui  le 
protégèrent.  De  rechef  accusé  par  les  théologiens  réformés,  Biandrata 
exposa  sa  foi  au  synode  de  Pinczow  (1561)  et  fut  absous  (Confessio 
antitrinitaria,  publiée  en  1794  par  Henke,  avec  la  réfutation  de  Fla- 
cius).  C'est  à  tort  qu'on  l'a  soupçonné  d'avoir  favorisé,  dans  sa  vieil- 
lesse, les  menées  des  jésuites,  établis  en  Pologne,  L'année  de  sa  mort 
est  inconnue.  Sandius  (Biblioth.  antitrinit.,  p.  28  ss.)  a  donné  une 
nomenclature  de  ses  écrits,  mais  il  est  douteux  qu'il  les  ait  composés 
tous  (voy.  Bayle,  Dictionnaire,  I;  Heberle,    Tùb.  Zeitschr.  f.  Theol.,. 


BLANDRATA  —  BLASPHEMH  3« 

L840,  11.  'i,  p.  116  ss.  ;  Maîacarne,  Commentario  délie  opère  di  Giorgio 
Biandrate,  etc.,  Pad.,  1814).  —  Voyez  Antitrintiaires. 

BLASPHÈME,  propos  injurieux  à  la  majesté  divine.  Jam  vero  blas- 
phemia  non  accipitw  ntsi  nui/a  verÔU  de  Deo  dicere,  dit  saint  Augustin 
(De  morib.  Manich.,  lib.  II,  c.  11).  La  loi  mosaïque  punissait  de  mort 
les  Israélites  el  les  étrangers  qui  se  rendaient  coupables  de  ce  crime 
I  Le\ .  XXIV,  16  ;  cf.  Jos.,  Antiq.,  IV.  8,  6).  Le  blasphémateur  était  conduit 
hors  du  camp  OU  de  la  ville,  les  témoins  posaient  la  main  sur  sa  tête  pour 
<  onlinner  leur  déposition,  puis  ils  levaient  les  premières  pierres  contre 
lui  pour  le  lapider  (Deut.  XVII,  7  ;  Lév.  XXIV,  10  ss.  ;  1  Rois  XXI,  13; 
Aet.  VI,  13;  VII,  56);  parfois  on  lui  appliquait  lapeinede  la  roue,  comme 
à  l'apostat  Ménélas  (2  Mach.  XIII,  6ss.).  C'est  à  tort  que  Ton  a  vu  dans 
Exode  XXII,  27,  et  Lév.  XXIV,  15,  la  défense  de  blasphémer  les 
divinités  étrangères,  comme  Philon  (II,  166,  219)  et  Josèphe  (Ant.,  IV, 
8,10)  l'ont  prétendu.  Une  pareille  condescendance  politique  à  l'égard 
du  culte  idolâtre  des  nations  voisines  était  étrangère  à  l'esprit  du 
mosaïsme,  et  encore  à  l'époque  de  la  domination  romaine  les  Juifs 
étaient  mal  notés  à  cause  de  leur  zèle  fanatique  contre  les  autres 
dieux  (Pline,  XIII,  9  :  gens  contumelia  nwninum  insignis).  Ce  qui  paraît 
certain,  c'est  que,  dans  l'esprit  de  bien  des  commentateurs  de  la  loi, 
la  seule  circonstance  de  prononcer  le  nom  de  Jéhova,  au  lieu  de  le 
sanctifier  en  ne  le  portant  pas  sur  les  lèvres,  constituait  un  blasphème, 
alors  même  que  le  verbe  nâqab  n'a  pas  le  sens  de  prof  erre,  mais  de 
blasphemctre,  comme  le  traduit  exactement  la  Vulgate  (Lév.  XXIV,  16  ; 
cl.  par  contre  Nomb.  I,  17;  et  les  LXX,  cvo[j.aÇo)v  tc  ovojjujc  Kuptou). 
Dans  le  judaïsme  postérieur  l'idée  du  blasphème  s'étendit  davantage. 
Le  Nouveau  Testament  regarde  comme  blasphémateur  celui  oui  s'at- 
tribue ou  qui  attribue  à  un  autre  tout  ou  partie  des  prérogatives  divines, 
comme  le  pardon  des  péchés  ou  la  circonstance  d'accepter  les  hon- 
neurs que  l'on  ne  rend  qu'a  Dieu  (Matth.  IX,  3;  XXVI,  65;  Jean  X, 
36),  ou  encore  celui  qui  refuse  de  donner  gloire  à  Dieu  (Rom.  III,  34), 
ou  celui  qui  injurie  le  Christ  (Matth.  XXVII,  39;  Marc  XV,  29;  Act.  X, 
6;  XXVI,  11).  Le  blasphème  contre  le  Saint-Esprit  (Matth.  XII,  31; 
Marc  III,  28  ;  Luc  XII,  10)  sera  examiné  dans  un  article  spécial.  —  L'an- 
cienne Eglise  rangeait  parmi  les  blasphematici  les  relaps  pendant  les 
persécutions  et  les  hérétiques;  les  degrés  de  la  pénalité  variaient.  Au 
moyen  âge,  on  leur  appliquait  tantôt  des  peines  plus  légères,  telles  que 
l'obligation  de  se  tenir  pendant  sept  dimanches  consécutifs  devant  la 
porte  de  l'église  sans  manteau  ni  souliers,  combinée  avec  le  jeûne,, 
l'amende  et  la  prison  ;  tantôt,  au  contraire,  la  peine  de  mort  était 
prononcée  sur  eux  (ordonnances  d'Orléans,  art.  23;  de  Moulins,  art.  86; 
de  Blois,  art.  38)  ;  au  préalable  ils  devaient  avoir  la  langue  coupée  ou 
percée  avec  un  fer  chaud  par  la  main  du  bourreau.  La  plupart  des 
auteurs  catholiques  trouvent  très-naturelle  cette  rigueur,  «  vu  que, 
d'une  part,  les  souverains  de  la  terre,  qui  ne  sont  eux-mêmes  que  de 
simples  créatures  comme  leurs  sujets,  punissent  très-sévèrement  to 
parole  ou  tout  écrit  outrageant  leur  majesté  »,  et  que,  d'autre  part,  k 
fléaux  que  Dieu  envoie  aux  hommes,  tels  que  famines,  tremblement- 


312  BLASPHEME  —  BLAURER 

de  terre,  pestes,  doivent  être  considérés  comme  un  châtiment  provoqué 
par  leurs  blasphèmes.  «Les  incrédules  de  nos  jours,  dit  l'abbé  Bergier 
{Diction,  de  théoL,  I,  p.  315),  doivent  se  féliciter  de  ce  que  ces  lois  ne 
sont  pas  exécutées  :  personne  n'a  vomi  autant  de  blasphèmes  qu'eux 
contre  Dieu,  contre  Jésus-Christ,  contre  tous  les  objets  de  notre  culte  ; 
mais  pour  suivre  les  lois  à  la  lettre,  il  faudrait  punir  un  trop  grand 
nombre  de  coupables.  »  Beaucoup  d'auteurs  protestants,  même  parmi 
les  plus  modérés,  ont  partagé  cette  opinion.  Spener  (Letzte  theol.  Be- 
denken,  II,  p.  34  ss.),  discutant  le  cas  d'un  soldat  convaincu  de  blas- 
phème, dit  qu'à  la  vérité  la  peine  de  mort  devrait  lui  être  appliquée, 
mais  que,  pour  provoquer  sa  repentance  et  sa  conversion  (par  les- 
quelles riionneûr  de  Dieu  sera  mieux  satisfait),  il  conviendra  de  lui 
infliger  une  longue  et  douloureuse  captivité.  Un  changement  considé- 
rable se  produisit  dans  les  idées  et  dans  les  diverses  législations  à 
partir  du  dernier  siècle.  L'édit  rendu  par  Joseph  II  en  1787  ordonne 
d'enfermer  les  blasphémateurs  dans  une  maison  d'aliénés.  L'opinion 
générale,  parmi  les  esprits  éclairés  de  ce  temps  et  du  nôtre,  est  que  la 
majesté  de  l'Etre  suprême  ne  peut  pas  être  offensée  par  les  propos 
injurieux  des  hommes  qui  retombent  uniquement  sur  ceux  qui  les 
tiennent.  Mais  les  sentiments  sont  partagés  sur  la  nécessité  de  sau- 
vegarder, par  des  mesures  de  police  ou  des  peines  judiciaires, 
la  religion  dans  un  intérêt  social,  et  de  sévir  contre  les  discours  ou  les 
écrits  injurieux  qui  tendent  à  porter  atteinte  à  l'une  des  religions 
reconnues  par  l'Etat,  dans  ses  dogmes,  ses  cérémonies  ou  ses  repré- 
sentants (voy.  l'article  Sacrilège).  Tandis  qu'un  grand  nombre  de  théo- 
logiens soutiennent  encore  que,  «  puisque  la  loi  punit  tant  d'autres 
délits  dont  les  conséquences  sont  moins  graves,  il  n'est  pas  juste 
qu'elle  laisse  impuni  le  blasphème,  »  les  chrétiens  convaincus  de  la 
puissance  spirituelle  de  l'Evangile  et  de  l'ineflicacité  des  lois  civiles  à 
protéger  les  croyances  religieuses  sont  d'accord  avec  les  libres  penseurs 
pour  demander  l'abrogation  de  toutes  les  pénalités  édictées  contre  les 
blasphémateurs.  —  Voyez  :  Michaelis,  Mos.  Recht,  V;  Winer,  Bibl. 
Realwôrterb.,  I;  Concil.  Late?\,  sess.  IX,  c.  2,  de  Maledicis;  Bergier, 
Diction,  de  théoL,  I; Herzog,  Real-Encykl.^ ',  etc. 

BLASTARES  (Matthieu),  théologien  grec  de  l'ordre  de  Saint-Basile,  a 
joué  un  rôle  important  dans  l'histoire  du  droit  canonique  du  quator- 
zième siècle.  Son  ouvrage  principal,  Suviav^a  y.aià  aiot^éiov  (Syn- 
tagma  alphabeticum  rerum  omnium,  quœ  in  sacris  canonibus  comprehen- 
duntur),  composé  en  1335,  est  un  recueil,  divisé  en  303  chapitres  par 
ordre  alphabétique,  des  canons  des  conciles,  des  décisions  des  Pères 
de  l'Eglise  et  des  lois  des  empereurs  grecs,  concernant  les  matières 
ecclésiastiques.  Il  se  trouve  dans  le  Synodicon  de  Beveridge,  au  t.  II, 
deuxième  partie. 

BLAURER  (Ambroise),un  des  réformateurs duWurtemberg  et  de  Cons- 
tance, naquit  en  cette  ville  en  1492.  Il  entra  très-jeune  dans  l'ordre  des 
bénédictins, au  monastère  d'Alpirsbach,  dans  la  Forêt-Noire;  à  Tubingue, 
où  il  entra  en  relation  avec  Mélanchthon,  il  étudia  la  théologie';  devenu 
prieur  de  son  couvent,  il  lut  les  écrits  de  Luther,  dont  il  répandit  les 


BLAUBER  —  BLESSIG  313 

principes  parmi  ses  moines.  Obligé  de  quitter  la  maison,  il  revint  à 
Constance  où  depuis  1524  il  prêcha  la  Réforme.  En  1534  le  duc  Ulric 
de  Wurtemberg,  qui  venait  de  rentrer  dans  ses  Etats,  l'invita  à  l'as- 
sister dans  l'organisation  des  Eglises  du  pays.  Dans  la  doctrine  de  la 
sainte  (-eue,  Blaurer  penchait  du  côté  de  Zwingle  ;  mais,  ami  de  la  paix, 
il  signa  une  formule  conciliatrice  faite  à  Stuttgàrd  avec  le  luthérien 
Erhard  Schœpf;  deux  ans  plus  tard  il  adhéra  aussi  à  la  concorde  de 
Wittemberg.  Ce  n'est  pas  le  lieu  de  le  suivre  dans  tous  les  détails  de 
son  activité  dans  le  Wurtemberg,  où  il  montra  autant  de  zèle  que  de 
modération.  En  1538  il  revint  à  Constance.  Forcé  de  quitter  cette  ville 
après  l'Intérim,  il  se  lixa  à  Winterthur,  fonctionna  à  diverses  reprises 
comme  prédicateur  dans  d'autres  villes  de  la  Suisse,  et  mourut  à  Win- 
terthur en  1564.  La  plupart  de  ses  écrits  sont  plutôt  édifiants  que 
-scientifiques. 

BLEEK  (Frédéric)  [1793-1859],  l'un  des  critiques  bibliques  les  plus 
«minents  de  ce  temps.  Originaire  du  Holstein,  il  débuta,  après  de 
bonnes  études  philologiques  et  théologiques  à  Kiel  et  à  Berlin,  dans 
cette  derrière  ville,  sous  la  direction  de  Schleiermacher,  en  qualité  de 
privatdocent  (1818).  Il  fut  nommé  professeur  à  Bonn  en  1829  et  y 
occupa  pendant  trente  ans  la  chaire  de  critique  sacrée.  Ses  ouvrages 
appartiennent  tous  à  ce  domaine.  Nous  citerons,  outre  de  nombreux 
et  substantiels  articles  dispersés  dans  les  revues  (surtout  les  Studien  u. 
Kritikeri),  son  Introduction  à  V E pitre  aux  Hébreux  (1812-40,  3  vol.), 
ses  Essais  de  critique évangé ligue  (1846),  ainsiqueses  cours  publiés  après 
sa  mort,  son  Introduction  à  l'Ancien  et  au  Nouveau  Testament  (1860-62, 
2  vol.),  son  Explication  synoptique  des  tt ois  premiers  Evangiles  (1862, 
2  vol.),  son  Commentaire  sur  l'Apocalypse  (1802),  etc.  Les  écrits  de  Bleek 
se  distinguent  par  une  grande  clarté,  une  méthode  sévère  et  une  sin- 
gulière solidité  de  jugement.  L'auteur  fait  preuve  de  l'impartialité  la 
plus  scrupuleuse,  et  n'accepte  que  ce  qui,  à  ses  yeux,  est  suffisam- 
ment documenté.  Sans  être  aucunement  sceptique,  il  se  délie  des  hy- 
pothèses hasardées,  a  conscience  des  limites  delà  science  et  ne  sacrifie 
jamais  le  sens  du  vrai  au  désir  de  plaire  à  tel  ou  tel  parti  ou  de  com- 
bler telle  ou  telle  lacune.  Ses  introductions  aux  livres  sacrés  sont  des 
modèles  d'exposition  simple,  sobre  et  lucide.  Elles  montrent  que  la 
foi  positive  et  la  critique  historique  ne  s'excluent  pas,  alors  même  que 
les  recherches  n'aboutissent  souvent  qu'à  poser  un  point  d'interroga- 
tion. Par  sa  tendance  théologique  Bleek  se  rattachait  à  la  grande  école 
de  la  conciliation  (  Vermittlungstheologie)  issue  de  Schleiermacher. 

BLESSIG  (Jean-Laurent)  [1747-1816],  professeur  à  l'université  et 
pasteur  à  l'église  du  Temple-Neuf  de  Strasbourg,  distingué  par  sapiété, 
son  esprit  tolérant,  la  clarté,  la  noblesse  et  l'onction  suave  de  sa  pa- 
role, non  moins  que  par  la  sagesse  et  la  fermeté  de  son  caractère,  eut 
la  direction  des  affaires  de  l'Eglise  d'Alsace  durant  la  période  révolu- 
tionnaire qu'elle  traversa  à  la  fin  du  dernier  siècle  et  au  commence- 
ment du  notre.  Blessig  était  supranaturaliste  convaincu,  mais  ennemi 
de  toute  orthodoxie  rigide  et  formaliste.  11  subit  dix  mois  de  déten- 
tion   sous  la  terreur  pour  avoir  refusé  d'abjurer  ses  croyances,  prit 


314  BLESSIG  —  BLONDEL 

une  part  active  à  la  réorganisation  des  cultes  en  1802,  fit  introduire  un 
recueil  de  cantiques  et  une  liturgie  en  harmonie  avec  les  tendances  et 
le  goût  du  temps.  Blessig  a  peu  écrit.  Outre  un  certain  nombre  de  dis- 
cours de  circonstance  (notamment  celui  prononcé  lors  de  l'inauguration 
du  tombeau  du  maréchal  Maurice  de  Saxe  en  1777),  il  a  publié  quel- 
ques dissertations  théologiques,  un  Livre  de  communion  (1784)  estimé 
et  des  articles  de  revues.  C'est  sur  le  terrain  de  l'activité  pratique,  la 
cure  d'âmes,  le  soin  des  pauvres,  l'amour  des  enfants  délaissés  et  or- 
phelins que  Blessig  s'est  conquis  les  titres  les  plus  durables  à  la  re- 
connaissance de  la  postérité  (voy.  Fritz,  Leben  Dr  J.-L.  Blessigs,  Strasb. , 
1813,  2  vol.  ;  Edel,  Monatsblsetter  fur  die  Blessig-Stiftung,  1847-1850, 
4  vol.). 

BLOIS  (Blesœ),  dont  le  nom  se  trouve  pour  la  première  fois  dans 
Grégoire  de  Tours,  dépendait  autrefois  du  diocèse  de  Chartres.  Vers 
874  les  moines  de  Curbio,  ou  Saint-Lomer-le-Moustier,  antique  mo- 
nastère situé  dans  la  forêt  du  Perche,  apportèrent  à  Blois  les  reliques 
de  leur  saint  et  fondèrent  le  couvent  de  Saint-Laumer,  qui  fut  pillé 
en  1567  par  les  protestants,  et  qui  accepta  en  1627  la  réforme  de  Saint- 
Maur;  son  église  porte  aujourd'hui  ie  nom  de  Saint-Nicolas.  Saint 
Laumer  (Launomarus)  était  né  au  sixième  siècle,  aux  environs  de 
Chartres.  L'église  de  Saint-Souleine,  aujourd'hui  Saint-Louis,  fut  en 
1697  érigée  en  évêché,  Paris  en  est  la  métropole.  — Voyez  Gallia,  VIII  ; 
Dupré,  Notice  sur  les  saints  de  Blois,  1860,  in-12. 

BLOIS  (Louis  de),  Blosius  [1506-1563],  bénédictin,  originaire  du  pays 
de  Liège,  abbé  du  monastère  de  Liesse  qu'il  réforma  d'après  des  rè- 
gles approuvées  par  Paul  III,  est  surtout  connu  par  son  ouvrage 
Spéculum,  religiosorum,  traduit  en  français  par  Le  Mombroux  de  la 
Nauze,  sous  le  titre  Le  directeur  des  âmes  religieuses ,  P.,  1726,  pré- 
cédé d'une  vie  de  Blois;  et  plus  tard,  par  Lamennais,  sous  le  titre 
Guide  spirituel,  ou  Miroir  des  âmes  religieuses,  P.,  1820.  Tous  les  ouvra- 
ges de  L.  de  Blois  ont  été  réunis  et  publiés  par  son  disciple  Jacques 
Frojus,  Col.,  1571,  in-fol.;  Paris,  1606,  in-4°;  Anvers,  1633. 

BLONDEL  (David),  pasteur,  né  à  Châlons-sur-Marne  en  1591,  mort 
à  Amsterdam  le  6  avril  1655.  Ce  fut  un  érudit  de  premier  ordre,  un 
infatigable  chercheur,  un  critique  perspicace  et  sagace,  qui  ne  laissait 
plus  guère  à  dire  après  lui  sur  une  question  délimitée  et  précise, 
l'homme  qui  passa  au  dix-septième  siècle,  au  rapport  de  Bayle,  pour 
avoir  la  plus  grande  connaissance  de  l'histoire  ecclésiastique  et  de  l'his- 
toire civile.  Esprit  anlaytique  plutôt  que  synthétique,  se  plaisanta  fouiller 
les  parues  obscures,  délicates,  controversées  de  l'histoire  plutôt  qu'à 
embrasser  de  vastes  horizons  et  à  porter  sur  une  période  un  jugement 
d'ensemble,  sa  vie  tout  entière  est  dans  ses  livres.  Il  rendit  à  la  cause 
protestante  les  plus  signalés  services  par  ses  écrits  de  controverse  his- 
torique et  théologique".  Il  fut  reçu  pasteur  en  1614,  dans  un  synode  de 
l'Ile-de-France,  et  exerça  son  ministère  àHoudan.  Il  ne  paraît  pas  avoir 
eu  du  talent  pour  la  chaire.  Il  avait  une  peine  extrême  à  apprendre  mot 
à  mot  ses  sermons,  son  style  fut  toujours  d'ailleurs  embarrassé  et  chargé 
de  parenthèses ,  et  puis  çnfîn  son  esprit  était  tout  entier  tourné  vers  les 


BLONDEL  815 

travaux  d'érudition.  Pour  bien  connaître  Blonde]  et  se  faire  une  idée 
exacte  de  son  développement  littéraire,  il  faut  lire  surtout  Courcelles  et 
des  Marets;  Courcelles,  sympathique,  forçant  peut-être  la  note  favora- 
ble (Stephanus  CurceUseus,  Prœfatio  apologetica),  et  des  Marets,  qui 
décidément  doit  être  regardé  comme  un  adversaire  (Maresius,  Réfuta- 
tio  prxfat.  apolog.Curcellaneœ.  Blonde!  débuta  dans  la  carrière  litté- 
raire bientôt  après  sa  venue  à  Houdan.  En  I6i9  il  publia  son  premier 
livre  (Modeste   déclaration  de   la  sincérité  et  vérité  (les  Eglises  réformées 

France,  Sedan,  in-8°).  Ce  fut  un  brillant  début,  plein  d'espérances 
qui  ne  tardèrent  pas  à  se  réaliser.  Le  livre  était  une  réponse  aux  vio- 
lentes invectives  dirigées  contre  les  protestants  par  trois  ou  quatre 
écrivains  catholiques  et  en  particulier  par  l'évèque  de  Lucon,  si 
connu  plus  tard  sous  le  nom  de  cardinal  de  Richelieu.  La  science  et 
les  succès  de  Blondel,  les  services  par  lui  rendus  à  la  cause  attirèrent 
sur  sa  personne  l'attention  des  protestants  français,  et  il  fut  député  à 
quatre  synodes  nationaux  et  eut  des  emplois  d'honneur  dans  plus  de 
vingt  synodes  provinciaux,  surtout  l'emploi  de  secrétaire.  Des  Marets 
insinue  que  cette  charge  lui  fut  donnée  surtout  à  cause  de  sa  belle 
écriture  :  proptèr  calligraphiant  factus  est  actuarius  synodorum.  Mau- 
vaise et  mesquine  insinuation  :  ce  qui  mit  Blondel  aux  premières  places 
des  synodes,  ce  fut  l'estime  dont  il  fut  entouré  par  ses  coreligion- 
naires. Les  synodes  honorèrent  toujours  ce  savant  et  lui  fournirent, 
autant  qu'il  était  en  eux,  les  moyens  de  travailler  :  et  d'abord  le  synode 
national  de  Castres  (1626),  qui  l'engagea  à  écrire  pour  la  cause  pro- 
testante et  lui  lit  un  don  de  [mille  francs.  Le  livre  important  qui  vit 

jour  à  la  suite  de  cette  invitation  fut,  non  pas  une  réfutation 
des  Annales  de  Baronius  (voir  Bayle  et  Haag,  France  protestante), 
mais  bien  le  fameux  traité  Pseudo-Jsidorus  et  Turrianus  vapulantes 
(  Gen. ,  Chouet,  1628,  in-4°)  ;  réfutation  exacte,  complète,  achevée 
des  Fausses  Décrétales  et  des  arguments  qui  avaient  été  avancés 
naguère  par  le  jésuite  espagnol  François  Torrès.  En  1631,  au  synode 
de  Çharenton,  la  province  d'Anjou  le  demanda  pour  être  professeur 
à  Saumur,  mais  le  comte  de  Roussy,  François  de  La  Rochefoucauld, 
s'y  refusa,  et  il  fut  décidé  qu'il  resterait  ministre  de  l'Eglise  qui  s'as- 
semblait dans  le  château  de  ce  seigneur.  Il  y  resta  jusqu'en  1644  (voir 
Bulle  t.  du  Prot,  franc.,  VIII,  p.  428  et  454).  En  1641  parait  le  fameux 
livre  :  Traité  historique  de  la  primauté  en  V Eglise,  auquel  les  Annales  ec- 
clésiasttqttea  du  cardinal  Baronius,  les  Controverses  du  cardinal Bellarmin , 
In  réplique  du  cardinal  du  Perron  sont  confrontées  avec  la  réponse  du 
sérénùsime  roy  de  la  Grande-Bretagne,  Genève,  Chouet,  in-fol.  Ce  livre 
ruine  les  prétentions  ultramontaines,  il  est  la  réfutation  complète  et 
compendieuse  des  raisons  avancées  par  les  cardinaux  susnommés  pour 
établir  la  suprématie  absolue  de  la  papauté  au  détriment  de  l'autorité 
civile.  Le  synode  national  de  Çharenton  (1643)  récompensa  très-hono- 
rablement  Blonde!  en  Le  nommant  professeur  honoraire  et  en  lui  per- 
mettant de  résider  à  Paris,  pour  la  facilité  de  ses  travaux,  avec  un  trai- 
tement supplémentaire  de  mille  livres.  «  Le  synode  voyant  que  le 
public  avait  tiré  mie  grande  Utilité  de  ses  ouvrages  tous  remplis  d'èru- 


316  BLONDEL 

dition,  et  que  pour  les  perfectionner  il  ne  pourrait  aller  dans  aucun 
autre  lieu  plus  propre  que  Paris...  Et  on  l'exhorta  de  publier  ses  livres 
de  théologie  et  d'histoire,  puisqu'on  était  persuadé  qu'ils  contribue- 
raient beaucoup  à  l'édification  des  Eglises  de  Dieu...  Et  d'autant  que 
chacun  connaissait  que  ledit  M.  Blondel  était  très-habile,  et  qu'il  avait 
de  beaux  talents,  qu'il  était  surtout  bien  versé  dans  l'histoire  de 
l'Eglise  primitive,  ce  qui  le  faisait  estimer  beaucoup  de  toutes  nos 
Eglises...  »  (Vingt-huitième  synode  national,  tenu  à  Charenton,  Aymon, 
t.  XI,  p.  692  et  693).  —  Les  écrits  de  controverse  historique  et  théolo- 
gique se  succédèrent  en  effet  avec  rapidité.  Nous  ne  signalons  que  les 
plus  célèbres  :  Apologia  pro  sententia  Hieronymi  de  episcopis  et  presby- 
teris,  Amst.,  1646,  in-4°,  traité  dans  lequel  Blondel  expose  que  dans  la 
primitive  Eglise  les  mots  de  prêtre  et  d'évêque  désignaient  les  mêmes 
fonctions.  Familier  éclaircissement  de  la  question  si  une  femme  a  été 
assise   au  siège  papal  de  Borne  entre  Léon  IV  et  Benoist  III ,  Amst., 

1647,  in-8°.  Ce  traité  ruine  absolument  la  légende  de  la  papesse  Jeanne. 
Des  protestants  en  voulurent  à  l'auteur  d'avoir  rendu  ce  service  aux 
catholiques.  Grand  bruit  autour  de  ce  traité  (voir  Courcelles  et  des 
Marets);  l'histoire  de  cette  controverse  est  très-amplement  racontée 
dans  Bayle.   De  jure  plebis  in  regimine  ecclesiastico  dissertation  Paris, 

1648.  Le  peuple  chrétien  a  le  droit  de  se  mêler  des  affaires  ecclésiasti- 
ques, et,  en  fait,  il  s'en  est  mêlé  pendant  les  premiers  siècles.  Des 
Sibylles  célébrées  tant  par  V antiquité  payenne  que  par  les  saincts  Pères, 
Charenton,  Périer,  1649,  in-4°.  L'auteur  montre  la  fausseté  des  oracles 
sibyllins,  explique  comment  les  Pères  ont  cru  pouvoir  s'en  servir  pour 
le  triomphe  d'une  bonne  cause,  et  réfute  diverses  erreurs,  en  particu- 
lier les  prières  pour  les  morts.  Oomminatorium  de  fulmine  nuper  Esqui- 
liis  vibrato,  1651,  Amst.,  sous  le  pseudonyme  d'Amand  Flavien,  est 
un  traité  adressé  aux  princes  et  aux  peuples  en  faveur  de  la  liberté 
de  conscience,  contre  la  bulle  lancée  par  Innocent  X  contre  le  traité 
de  Westphalie.  Blondel  passa  les  dernières  années  de  sa  vie  en  Hol- 
lande :  elles  ne  furent  pas  heureuses.  A  la  mort  de  Vossius,  il  fut 
appelé  à  Amsterdam  comme  professeur  d'histoire;  il  s'y  rendit  en 
1650.  Le  climat  humide  et  l'excès  de  travail  le  rendirent  aveugle  : 
des  chagrins  sérieux  hâtèrent  sa  fin.  Il  fut  accusé  d'arminianisme  et 
fortement  inquiété.  11  est  déplorable  de  voir  comment  la  vie  fut  rendue 
amère  à  certains  esprits  indépendants  et  graves,  qu'on  accusait  d'hé- 
résie. Assurément  Blondel  penchait  du  côté  de  l'arminianisme.  11  pu- 
blia, en  Hollande,  ses  «  Actes  authentiques  des  Eglises  réformées  de 
France,  Germanie,  touchant  la  paix  et  charité  fraternelles  que  tous  les 
serviteurs  de  Dieu  doivent  saintement  entretenir  avec  les  protestants 
qui  ont  quelque  diversité,  soit  d'expression,  soit  de  méthode,  soit 
même  de  sentiment,  rassemblés  pour  la  consolation  et  confirmation 
des  âmes  pieuses  et  pour  l'instruction  de  la  postérité,  »  Amst.,  in-4°. 
Dans  ce  livre  il  ne  cache  pas  ses  préférences  pour  la  doctrine  plus 
large  de  l'arminianisme;  il  blâme  la  conduite  de  Dumoulin  et  de  Rivet, 
dans  les  synodes,  à  l'endroit  des  sévérités  dogmatiques  contre  Amyraut 
(voir  la  lettre  de  Blondel  à  Philippe  Vincent,  Bull,  du  Prot.  franc., 


BLONDEL  —  BLUMHARDT  317 

X,  p.  386).  On  a  t'ait  aussi  un  crime  à  Blonde]  de  prétendues  dé 
marches  faites  auprès  de  lui  par  L'Eglise  romaine, qui  mettait  un  grand 
prix  à  posséder  un  tel  savant.  Blonde!  les  ignore,  il  est  désolé  d'avoir 
donné  lieu  peut-être  à  ces  on-dil  en  se  rencontrant  avec  quelques 

prélats  dans  certaines  réunions  (voir  la  lettre  de  Blondel,  Bulle  t.,  \, 
p.  386).  Blondel  écrivit  aussi  de  savants  ouvrages  sur  des  points 
obscurs  d'histoire  profane,  notamment  sur  la  généalogie  des  rois  de 
France,  contre  les  assertions  de  Ghifflet.  On  trouvera  la  liste  complète 
des  œuvres  de  Blondel  dans  Nicéron,  vol.  VIII,  p.  48,  et  surtout  dans 
llaag.  France  protestante,  vol.  II,  p.  308.  A-  Viguié. 

BLOUNT  (Jean),  connu  en  latin  sous  les  noms  à&Blundus  ou  Bloudus, 
savant  théologien  du  treizième  siècle,  mort  à  un  âge  très-avancé  en 
12^8.  Il  fit  ses  premières  études  à  l'université  d'Oxford  et  alla  se  per- 
fectionner à  celle  de  Paris.  De  retour  en  Angleterre  il  s'établità  Oxford 
et  s'acquit  une  immense  réputation  par  ses  leçons  de  théologie.  C'est  lui 
qui,  dit-on,  expliqua  pour  la  première  fois  les  ouvrages  d'Aristote  aux 
élèves  de  l'université.  Il  fut  nommé  prébendier  et  chancelier  de  l'église 
d'Yorck,  et  sans  les  querelles  qui  survinrent  entre  la  cour  de  Rome  et 
le  roi'  d'Angleterre,  il  aurait  occupé  le  siège  archiépiscopal  de  Can- 
torbéry.  On  lui  attribue  un  Summarium  sacrée  facultatis,  et  des  Com- 
mentaires divers. 

BLUMHARDT  (Ghrétien-Gottlieb)  [1779-1838],  premier  inspecteur  de 
la  maison  des  missions  de  Bâle.  Né  en  Souabe  de  parents  pauvres, 
d'une  constitution  maladive,  élevé  dans  une  piété  ferme  et  vivante,  Blum- 
hardt,  après  avoir  terminé  ses  études  à  Tubingue,  futappelé,  en  qualité 
de  secrétaire  de  la  Société  allemande  du  christianisme  (voy.  cet  article),  à 
Bàle  (1803),  où  il  entra  en  rapport  avec  un  certain  nombre  de  chrétiens 
éminents  qui  surent  apprécier  ses  dons  et  les  faire  valoir  pour  l'avan- 
cement durègne  de  Dieu.  Nous  possédons  de  cette  époque  les  Homélies 
sur  Lazare  (2e  édit.,  1827)  que  le  jeune  agent  prononça  dans  des  réu- 
nions d'édification  très-suivies,  ainsi  qu'une  série  d'articles  insérés 
dans  le  recueil  mensuel  publié  par  la  Société.  Le  zèle  deBlumhardt  pour 
les  œuvres  de  propagande  évangélique  avait  été  puissamment  stimulé 
par  le  mouvement  religieux  qui  s'était  produit  en  Angleterre  et  qui 
avait  abouti  à  la  fondation  des  grandes  sociétés  britanniques  pour  la 
diffusion  de  la  Bible,  des  traités  religieux  et  des  missions.  Il  fut  l'un 
des  fondateurs  de  la  Société  biblique  de  Bâle  (1804)  et  de  celle  des 
missions  (1815),  due  surtout  à  l'initiative  de  Spittler  et  aux  encourage- 
ments décisifs  qu'apporta  de  Londres  le  docteur  Steinkopf.  Biumhardt, 
dans  l'intervalle,  avait  passé  quelques  années  dans  son  pays  natal, 
comme  vicaire  et  comme  pasteur;  il  en  revint  accompagné  et  bientôt 
suivi  de  nombreux  jeunes  hommes  wurtembergeois  qui  se  destinaient 
à  la  carrière  de  missionnaire.  De  1810  jusqu'à  sa  mort,  il  dirigea  avec 
un  dévouement  infatigable  la  maison  des  Missions  (voy.  cet  article),  le 
Magasindes  missions, feuille  trimestrielle  du  plus  haut  intérêt,  et  l'œu- 
vre missionnaire  elle-même.  Cette  dernière,  après  avoir  échoué  parmi 
les  arméniens  et  les  musulmans  de  la  Russie,  grâce  à  l'interdiction  dont 
la  frappa  l'ukase  du  t-\  août  1835,  se  concentra  surtout  sur  les  nègres. 


318  BLUMHARDT  -  BOCHART 

de  l'Afrique  occidentale  (Côte  d'Or  et  Libéria)  et  sur  les  Indes  orien- 
tales, en  maintenant  le  lien  sympathique  qui  l'avait  unie,  dès  le 
début,  à  la  Société  de  Londres.  De  grands  efforts  pour  centraliser,  en- 
tre les  mains  d'une  Société  unique,  l'œuvre  missionnaire  des  pays  de 
langue  allemande  demeurèrent  infructueux.  Pour  nourrir  l'intérêt  et 
le  zèle  en  faveur  des  missions,  Blumhardt  publia  une  traduction  des 
Christian  Researches  in  Asia  de  Buchanan  (Bàle,  1813)  et  un  Essai 
d'une  histoire  générale  des  missions  (1828-1837,  3  vol.).  Caractère  ferme 
et  esprit  conciliant,  joignant  une  remarquable  sagesse  à  une  activité 
prodigieuse,  Blumhardt  présente  un  des  types  les  plusbeaux  et  les  mieux 
équilibrés  du  christianisme  évangélique  (voy.  l'article  du  docteur  Os- 
tertag,  dans  la'  Real-EncykL  de  Herzog). 

BOCHART  (René),  pasteur  de  l'église  de  Rouen,  était  fils  d'Etienne 
Bochart,  sieur  du  Ménillet,  qui  fut  successivement  avocat  général  à  la 
chambre  des  comptes  et  conseiller  au  parlement  de  Paris.  Né  en  1560, 
il  se  destina  au  ministère  évangélique.  Obligé  de  se  réfugier  en  Angle- 
terre durant  les  guerres  de  la  Ligue,  il  s'y  lia  avec  Pierre  du  Moulin, 
dont  il  épousa  la  sœur  en  1595.  On  le  trouve  pasteur  à  Dieppe,  en 
1595,  puis  à  Pontorson  ;  enfin,  en  1594,  à  Rouen,  où  l'exercice  public 
n'était  pas  encore  permis  :  il  ne  fut  autorisé  qu'en  1599,  au  village  de 
Dieppedale  d'abord,  puis,  sur  les  plaintes  que  cette  désignation  avait 
soulevées,  on  le  transféra  au  Grand-Quévilly.  C'est  là  que  fut  élevé,  par 
le  charpentier  Gigonday,  sur  les  plans  de  Nicolas  Genevois,  le  fameux 
temple  qui  pouvait  contenir  commodément  7  à  8,000  fidèles  et  qui  fut 
renommé  comme  un  des  plus  curieux  et  des  plus  hardis  qu'il  y  eût 
en  France. 

BOCHART  (Samuel),  savant  théologien  protestant,  naquit  à  Rouen 
le  30  mai  1599,  de  René  Bochart,  et  d'Esther  du  Moulin,  fille  de 
Joachim  du  Moulin,  pasteur  à  Orléans,  et  sœur  du  célèbre  Pierre 
du  Moulin.  A  l'âge  de  douze  ans,  il  fut  envoyé  à  Paris  auprès  de  son 
oncle,  qui  le  confia  aux  soins  de  Thomas  Dempster.  Après  avoir  fait  sa 
philosophie  à  Sedan  et  sa  théologie  à  Saumur,  il  accompagna  Jean 
Caméron  en  Angleterre,  passa  quelque  temps  à  Oxford  et  se  rendit 
ensuite  à  Leyde,  où  il  profita  des  leçons  d'Erpénius  pour  se  perfec- 
tionner dans  la  connaissance  de  la  langue  arabe.  A  son  retour  en 
France,  il  fut  nommé  pasteur  à  Caen.  En  travaillant  à  une  série  de  ser- 
mons sur  la  Genèse  (publiés  après  sa  mort,  à  Amsterdam,  1705-1711, 
3  vol.  in-12),  il  fut  conduit  à  faire  sur  les  temps  primitifs  des  recher- 
ches auxquelles  il  consacra  vingt  années  d'études  et  dont  il  donna  les 
résultats  dans  un  grand  ouvrage  intitulé  :  Géographie  sacrée  parsprior  : 
Plialeg  seu  de  dispersione  gentium  et  terrarum  divisione  facta  in  xdifica- 
tione  turris  Babel,  et  pars  altéra  :  Chanaan  seu  de  coloniis  et  sermone 
Phœnicum,  Cadomi,  1646,  in-fol.  ;  2e  édition,  Caen,  1651,  in-fol.,et  3e, 
Francof.,1681,in-4°.  La  première  partie  est  une  explication  ingénieuse 
du  Xe  chapitre  de  la  Genèse.  Là  où  on  n'avait  vu  jusqu'alors  que  des 
généalogies  de  familles,  Bochart  crut  trouver  le  tableau  des  généalogies 
des  peuples  qui  se  sont  répandus  sur  la  surface  de  la  terre,  et  qu'il  tenait,, 
avec  tous  ses  contemporains,  pour  les  descendants  de  Noé.  En  établis- 


BOCHART  —  BODE  319 

saut  cette  filiation  de  tous  les  peuples,  il  l'ut  amené  à  exposer  sa  singu- 
lière théorie  de  l'origine  do  toutes  les  mythologies  de  l'antiquité 
païenne,  qui  ne  sont,  selon  lui,  que  des  souvenirs  altérés  de  l'histoire 

de  Noé  et  «le  ses  trois  fils,  devenus,  en  dehors  du  peuple  d'Israël,  Sa- 
turne et  ses  trois  (Mitants,  Jupiter,  Neptune  etPluton.  La  seconde  partie 
se  compose  de  deux  livres.  Dans  l'un  Bocliart  suit  les  traces'dcs  Phéni- 
;  iens  dans  tous  les  lieux  où  ils  fondèrent  des  établissements;  et  dans 
l'autre  il  signale  et  explique  les  vestiges  de  la  langue  phénicienne 
(voisine  de  l'hébreu)  dans  les  anciens  écrivains  grecs  et  latins.  C'est  au 
<  lia  pitre  VI  de  ce  IIe  livre  que  se  trouve  l'explication  des  dix  premiers 
vers  de  la  scène  première  du  cinquième  acte  de  Pœnulus  de  Plaute  ; 
ces  dix  vers  sont,  d'après  lui,  en  langue  punique,  et  les  six  suivants  en 
langue  lybienne.  Cet  ouvrage  eut  un  grand  succès.  Christine,  reine  de 
Suède,  qui  se  plaisait  à  attirera  sa  cour  les  hommes  les  plus  distingués 
de  cette  époque,  écrivit  elle-même  à  Bochart  pour  l'inviter  à  passer 
quelque  temps  auprès  d'elle.  Après  un  an  d'hésitation,  il  partit  en 
1652  pour  Stockholm,  accompagné  de  son  disciple  Daniel  Huet,  plus 
tard  évêque  d'Avranches,  qui  a  laissé  une  relation  en  vers  latins  de  leur 
voyage.  Pendant  l'année  qu'il  passa  à  la  cour  de  la  reine,  il  eut  occa- 
sion d'étudier  treize  manuscrits  arabes,  dont  il  profita  pour  la  compo- 
sition d'un  autre  grand  ouvrage  qu'il  publia  plus  tard  sous  ce  titre  : 
Hierozoicon  sive  de  animalibus  Scripturœ  sanctœ,  Londini,  2  vol.  in-fol 
avec  ligures;  réimprimé  à  Francf.,  1675,  2  vol.  in-fol.,  et  à  Leipz., 
1793-i796,  3  vol.  in-4°.  Une  édition  abrégée  en  fut  publiée  à  Franeker, 
1090,  in-4°.  Ces  deux  ouvrages,  auxquels  on  a  joint  un  certain  nombre 
de  dissertations  critiques  de  Bochart,  portant  pour  la  plupart  sur  des 
sujets  bibliques,  ont  été  réunis  dans  Sam.  Bocharti  Opéra  omnia,  Lugd. 
Batav.,  1675,  2  vol.  in-fol.  ;  2e  édit.,  1692-1707,  3  vol.  in-fol.  ;  3°  édit., 
1712,  3  vol.  in-fol.  Cet  éminent  érudit  mourut  subitement  d'une  atta- 
que d'apoplexie,  le  16  mai  1667,  dans  une  séance  de  l'académie  de 
Caen,  qui  avait  été  fondée  pendant  son  séjour  auprès  de  la  reine  Chris- 
tine, et  dont  il  avait  été  nommé  membre  dès  son  retour  dans  cette  ville. 
—  Notice  sur  Samuel  Bochart,  par  Paumier,  Bouen,  1840,  in-8°  de  47 
pages  :  La  France  protestante,  t.  II,  p.  318-323  ;  Niceron,  Mémoires, 
t.  XXVII,  p.  201-215;  Richard  Simon,  Histoire  critique  du  Vieux  Testa- 
ment, liv.  III,  chap.XX;  J.Leclerc,  Biblioth.  univers.,  t.  XXIII,  Irft  part., 
p.  276  ss.  M.  Nicolas. 

BODE  (Christophe-Auguste),  né  le  28  décembre  1722  à  Wernigerode, 
étudia  à  Halle  sous  C.-B.  MichaBlis  et  à  Leipzig;  professeur  extraordi- 
naire à  Helmstaîdt  en  1749,  puis  dès  1763  professeur  ordinaire  de 
langues  orientales  dans  la  même  ville,  il  y  mourut  le  7  mars  1796.  Il 
connaissait  un  grand  nombre  de  langues  orientales,  car  outre  les 
langues  sémitiques  il  possédait  l'arménien,  le  persan  et  le  turc;  il  en 
profita  pour  s'appliquer  à  l'étude  critique  des  versions  orientales  du 
Nouveau  Testament,  pour  plusieurs  desquelles  il  publia  <Jes  traduc- 
tions latines  bien  plus  exactes  que  celles  de  la  Polyglotte  de  Londres, 
et  des  notes  où  il  s'attachait  à  présenter  les  variantes  (pie  ces  versions 
fournissent  pour    le   texte  original  du   Nouveau  Testament.  Dans  son 


320  BODE  —  BOËUE 

ouvrage  principal  (Pseudocritica  Millio-Bengeliana,  Halle,  1767-69, 
2  vol.  in-8°),  il  soumit  à  une  exacte  révision  les  variantes  de  cette  es- 
pèce admises  souvent  trop  légèrement  par  Mi  11  et  Bengel  dans  leurs 
éditions  critiques  du  Nouveau  Testament  ;  il  laissa  en  manuscrit 
un  travail  semblable  sur  l'édition  de  Wetstein.  — Pour  sesouvrages,  cf. 
Mensel,  Lexicon  der  teutschen  Hchriftsteller ,  I;  Masch,  Biblio thec a  sacra, 
part.  II,  III  ; Rosenmûller,  Handbuck  der  bibl.  Kritik,  t.  I  et  III;  Meyer, 
Gesch.  der  Schrifterklœrung,  t.  IV  et  Y.  Pour  sa  vie,  cf.  Harles,  Vitae 
philologorum,  t.  III  (  Bremae,  1768)  ;  Wideburg,  Memoria  C.  A.  Bodii, 
Helmst,  1796,  in-4°;  Schlichtegroll,  Nekrolog  auf.  d.  Jahr  1796,  t.  II. 

A.  Beenus. 
BODIN  (Jean)  naquit  à  Angers  vers  1530,  étudia  à  Toulouse  le  droit, 
vint  à  Paris  où  il  s'occupa  de  politique,  s'attacha  au  duc  d'Anjou  et  de- 
vint, après  la  mort  de  ce  prince,  procureur  à  Laon  où  il  mourut 
en  1596.  Catholique  modéré,  il  s'est  opposé  aux  rigueurs  contre  les  hu- 
guenots, et  bien  qu'il  obtînt  que  la  ville  de  Laon  se  déclarât  en  faveur 
de  la  Ligue,  il  l'amena  plus  tard  à  reconnaître  Henri  IV.  Ses  ouvrages 
révèlent  une  instruction  variée,  un  esprit  vif  et  hardi,  maisaussi  ce  mé- 
lange de  doute  et  de  foi  qu'on  rencontre  chez  tant  de  savants  du 
seizième  siècle.  Parmi  ses  écrits  qui  s'occupent  des  questions  reli- 
gieuses est  son  Heptaplomeres  qui,  resté  longtemps  inédit,  a  été  .publié 
pour  la  première  fois  par  Gulirauer,  à  Berlin,  en  1841.  C'est;  un  dialogue 
entre  plusieurs  interlocuteurs  dont  chacun  prétend  démontrer  l'ex- 
cellence de  sa  religion.  Bodin  s'y  montre  théiste,  animé  d'un  profond 
sentiment  de  la  dignité  morale  de  l'homme,  mais  très-libre  dans  ses 
explications  de  l'Ecriture.  Dans  un  autre  ouvrage,  également  sous  forme 
de  dialogue  et  intitulé  Universœ  naturx  theatrum  (Lyon,  1490),  il 
traite  des  causes  et  des  fins  de  toutes  choses,  et  prend  si  ouvertement 
parti  pour  l'incrédulité  que  le  livre  fut  supprimé.  Ses  six  livres  de  la 
République,  imprimés  d'abord  à  Paris  en  1576,  in-f°,  et  dans  lesquels  il 
examine  les  diverses  formes  du  gouvernement  de  la  chose  publique,* 
sont  remarquables  par  l'indépendance  et  la  sagesse  des  vues  sur  les 
dangers  du  despotisme  et  de  l'anarchie.  La  Démonomanie  ou  traité  des 
sorciers,  Paris,  1787,  in-4°,  est  un  livre  plus  singulier  qu'instructif;  mal- 
gré la  liberté  de  sa  pensée,  Bodin  partage  encore  plus  d'une  des  su- 
perstitions de  son  temps.  On  doit  citer  encore  de  lui  une  traduction 
en  vers  latins  du  Cynegetikon  d'Oppien,  Paris,  1555,  in-4°,  une  Oratio 
de  instituenda  in  republica  juventute,  Toulouse,  1559,  in-4°.  et  un 
Methodus  ad  facilem  historiarwn  cognitionem ,  Paris,  1566,  in-4°. —  Voy. 
l'article  un  peu  embrouillé  de  Bayle,  et  Baudrillart,  Jean  Bodin  et  son 
temps,  Paris,  1853.  C.  Schmidt. 

BOECE  (Anicus  Manlius  Torquatus  Severinus  Boetius) ,  né  à  Rome  vers  470, 
d'une  famille  riche  et  illustre,  se  fraya  de  bonne  heure  la  voie  vers  les 
hautes  charges  par  la  noblesse  de  son  caractère  et  par  ses  connaissan- 
ces. Il  fut  longtemps  le  principal  conseiller  de  Théodoric,  mais  ayant 
été  accusé  de  trahison,  il  fut  jeté  en  prison  et  plus  tard  mis  à  mort  par 
le  plus  cruel  supplice  (526).  La  tradition  le  représenta  comme  un 
catholique  zélé;  on  lui  attribua  des  écrits  apologétiques  :  Quod  Trinitas 


BOECE  —  BŒHME  321 

sit  unus  Deus  et  non  très  Dit;  Adversus  Eutychenet  Kestorium  de  duabus 
naturis  et  una  persona,  et  une  profession  de  foi;  les  bollandistes  Font 
rangé  parmi  les  saints.  Du  moins  il  oe  s'associa  pas  aux  attaques  que 
le  néoplatonisme  dirigeait  contre  la  religion  chrétienne;  la  mythologie 

était  à  ses  yeux,  une  fable;  il  considérait  les  stoïciens  et  les  épicuriens 
comme  les  ennemis  dé  la  vraie  philosophie.  Mais  on  ne  trouve  la  pro- 
fession d'aucune  des  doctrines  essentielles  de  l'Evangile  dans  l'ouvrage 
qui  a  rendu  son  nom  célèbre,  le  De  consolatione  philosopktae.  Ecrit  pen- 
dant sa  disgrâce,  ce  dialogue  entre  la  philosophie  et  Fauteur  traite 
avec  une  grande  élévation  de  pensée  et  dans  un  style  élégant  le  pro- 
blème de  la  Providence  et  du  rôle  de  nos  épreuves.  La  tendance  en 
esl  surtout  pratique  :  nous  nous  élevons  au-dessus  des  misères  d'ici-bas 
en  nous  unissant  par  l'amour  à  Celui  qui  nous  a  donné  l'existence;  la 
spéculation,  sage  et  timide,  s'y  inspire  de  Platon  et  des  vérités  les 
plus  générales  de  la  philosophie  chrétienne.  Cet  ouvrage  fut  traduit 
dans  toutes  les  langues  de  l'Europe,  en  anglo-saxon  par  le  roi  Alfred, 
et  commenté  par  saint  Thomas.  Le  renom  de  martyr  contribua  àl'in- 
fluencequ'exercèrent  sur  les  études  latines  les  autres  tra  vaux  deBoëce,  ses 
traductions  ou  commentaires  de  YOrganon  d'Aristote,  ainsi  que  des 
œuvres  de  Platon,  Ptolémée,  Euclide,  etc.  Dans  son  deuxième  commen- 
taire de  Ylsagoge  de  Porphyre,  quand  il  rencontre  cette  grande  ques- 
tion :  «si  les  genres  et  les  espèces  existent  par  eux-mêmes  ou  seulement 
dans  l'intelligence,  et  dans  le  premier  cas,  s'ils  sont  corporels  ou  in- 
corporels, s'ilsexistent  séparés  des  objets  sensibles  ou  dansées  objets,» 
Boëce,  quoique  penchant  pour  la  solution  aristotélicienne,  n'ose  pren- 
dre un  parti  entre  Platon  et  le  Stagirite,  et  la  solution  de  ce  problème 
devait  être  longtemps  débattue  par  les  docteurs  du  moyen  âge.  Placé 
aux  confins  de  deux  âges,  Boëce  les  unit  par  la  tradition,  transmet- 
tant aux  peuples  nouveaux  les  enseignements  du  monde  antique,  en 
les  adoucissant  et  sans  rien  y  ajouter.  — Edit.  complète  de  ses  œuvres, 
Bàle,  1570;  Migne,  t.  LXIII,  LXIV;  De  la  consolation,  Leyde,  1777. 
Voy.  les  histoires  de  la  philosophie  et  de  l'Eglise;  art.  de  Hand,  dans 
YEncycL  d'Ersch  et  Gruber,  t,  XI;  G.  Baur,  De  Boethio  christ,  doctr. 
asse?-tore,  1841.  A.  Matter. 

BŒHME  (Jacques)  naquit  en  1575,  à  Altseidenberg,  près  Gœrlitz 
(Silésie),de  paysans  si  pauvres  qu'il  dut  très-jeune  garderies  bestiaux, 
quoiqu'il  fût  d'une  complexion  délicate;  plus  tard  il  apprit  le  métier 
de  cordonnier.  Il  était  fort  pieux;  la  fermeté  avec  laquelle  il  blâmait 
les  désordres  de  ses  camarades  le  fit  renvoyer  par  son  patron.  Il  fît  le 
voyage  usité  des  apprentis,  et  rencontrant  partout  des  discussions 
théologiques  d'une  extrême  vivacité,  son  cœur  doux  et  aimant  se  re- 
plia sur  lui-même  et  chercha  la  vérité  dans  la  Bible;  peut-être  connut-il 
dès  lois  les  écrits  de  quelques  mystiques  et  ceux  de  Paracelse.  A  ces 
méditations  solitaires  il  joignait  d'instantes  supplications,  demandant  à 
Dieu  le  secours  de  son  Esprit  et  la  grâce  de  vivre  en  racheté  de  Jésus- 
Christ.  Il  fut  exaucé  au  delà  de  son  attente;  une  fois,  une  paix  ravis- 
sante inonda  son  cœur  pendant  sept  jours,  il  se  sentit  comme 
enveloppé  d'une  lumière  divine,  et  cet  état  d'élévation  intérieure  était 
il.  21 


322  BŒHME 

si  calme  qu'il  pouvait  continuer  son  travail.  En  1594,  il  revint  à  Gœr- 
litz,  gagna  la  maitrise  et  se  maria.  Adonné  à  la  vie  contemplative,  il 
ne  songeait  pas  à  publier  ses  pensées;  mais  en  1612,  à  la  suite  d'une 
élévation  nouvelle,  où  il  put  contempler  «  le  centre  de  la  nature  et  la 
lumière  de  l'essence  divine,  »  il  se  hâta  d'écrire  ce  qu'il  avait  vu,  pour 
le  relire  dans  des  jours  moins  favorisés.  A  cette  époque  bien  des  âmes, 
fatiguées  des  luttes  ecclésiastiques,  s'édifiaient  dans  des  entretiens 
spirituels  et  mystiques.  Plusieurs  de  ces  personnes  aimaient  à  venir 
conférer  avec  Bœhme  dans  sa  boutique.  L'une  d'entre  elles,  Ch.  de 
Endern,  ayant  trouvé  ce  manuscrit,  en  fit  prendre  une  copie,  qui  cir- 
cula sous  le  nom  d'Aurora.  Le  pasteur  principal,  G.  Richter,  fut  indi- 
gné de  l'ingérence  du  cordonnier  dans  de  si  hautes  questions;  il 
prêcha  contre  lui  et  demanda  aux  magistrats  de  Gœrlitz  le  châtiment 
de  l'hérétique.  Ceux-ci  le  condamnèrent  à  l'exil  ;  mais  touchés  de  son 
humble  soumission,  ils  le  rappelèrent  et  se  contentèrent  de  lui  défendre 
d'écrire.  Bœhme  obéit  à  cette  injonction  pendant  sept  années  ;  mais 
il  sentait  que  la  lumière  intérieure  se  retirait  de  lui  ;  divers  amis,  entre 
autres  le  directeur  du  laboratoire  chimique  de  Dresde,  le  docteur  Balth.. 
Walther,  qui  avait  parcouru  tout  l'Orient  à  la  recherche  d'une  sagesse 
qu'il  trouvait  enfin  dans  une  pauvre  maison  de  Gœrlitz,  le  supplièrent 
de  ne  pas  cacher  la  science  qu'il  avait  acquise.  A  partir  de  1619,  il 
écrivit  de  nouveaux  ouvrages;  un  seul,  le  traité  intitulé  Le  chemin  qui 
conduit  à  Christ,  fut  imprimé  de  son  vivant,  en  1624,  par  le  soin  de 
ses  amis.  Cette  publication,  qui  se  répandit  rapidement,  réveilla  la 
colère  de  Richter  ;  les  magistrats  invitèrent  Bœhme  à  quitter  volon- 
tairement la  ville  pour  quelque  temps.  Bœhme,  à  ce  moment,  n'exer- 
çait plus  sa  profession;  il  acceptait,  pour  l'entretien  de  sa  famille,  les 
secours  de  ses  amis.  Il  se  retira  chez  l'un  d'eux,  à  Dresde,  où  il  fut 
bien  accueilli  de  plusieurs  personnages  considérables.  Il  eut  avec  les 
théologiens  Hoë,  Meissner,  Balduin,  J.  Gerhard  et  Leyser  un  entretien 
à  la  suite  duquel  Gerhard  affirma  qu'il  ne  voudrait  pas  pour  toutes  les 
richesses  du  monde  condamner  un  tel  homme.  Bœhme  n'avait  jamais 
été  malade  ;  il  était  sobre,  modéré  dans  ses  goûts,  sans  s'astreindre  à 
un  rigorisme  étroit,  et  par  là  choquait  parfois  Walther  qui  était  beau- 
coup plus  austère.  Pendant  un  séjour  en  Silésie,  il  fut  pris  d'une 
lièvre  violente  et  se  lit  transporter  à  Gœrlitz,  où  il  mourut  le  17  no- 
vembre 1624,  en  confessant  la  foi  évangélique.  —  Les  ouvrages  de 
Bœhme  ne  sont  pas  d'une  lecture  facile  ;  le  langage  en  est  inculte,  souvent 
étrange,  mêlé  de  termes  empruntés  à  l'alchimie  ;  cependant  Fr.  Schlegel 
(Hist.  de  la  lût.  anc.  et  mod.)  a  dit  :  «  Si  l'on  compare  Bœhme  aux 
poètes  chrétiens  qui  ont  essayé  de  représenter  l'invisible,  à  Klopstock, 
Milton  et  môme  au  Dante,  on  reconnaît  qu'il  ne  leur  est  pas  inférieur 
pour  la  richesse  de  l'imagination  et  la  profondeur  du  sentiment.  » 
L'esprit  de  ses  ouvrages  est  profondément  religieux,  n'admettant  pas 
que  les  vérités  premières  puissent  être  même  entrevues  sans  la  piété, 
et  c'est  cette  piété  qui  a  préservé  Bœhme  du  panthéisme  qu'on  lui  a 
parfois  reproché.  Son  procédé  habituel,  c'est  l'intuition  qui  applique 
à  la  vie  absolue  les  formes,  les  symboles  que  suggère  la  vie  des  créa- 


BŒHME  323 

Uires,  et  sa  pensée  se  mont  non  dans  le  domaine  de  la  spiritualité  pure 
ni  dans  celui  de  la  matière,  mais  dans  le  domaine  de  la  COrporéhé 
spirituelle.  Tous  ses  enseignements  se  concentrent  en  une  idée  fonda- 
mentale, qui  a  été  adoptée  par  plusieurs  philosophes  modernes,  savoir 
que  Dieu  if  est  pas  une  perfection  immuable  et  simple,  mais  qu'il  y  a 
unenature  en  Dieu,  une  substance  infiniment  riche  et  diverse,  au  sein  de 
laquelle  s'opère  de  toute  éternité  un  mouvement, par  lequel  la  Divinité 
s'entendre,  s'affirme  librement,  devient  cette  personnalité  concrète 
qui  seule  a  droit  de  présider  à  l'existence  de,  toutes  les  réalités.  Or  la 
vie  se  réalise  parle  conflit  des  contraires,  et  Dieu  est  le  principe  de 
tout;  les  forces  qui  hors  de  Dieu  se  combattent,  sont  donc  harmoni- 
quement  unies  en  lui,  constituant  sept  essences,  qui,  depuis  la  pre- 
mière, le  désir,  jusqu'à  la  septième,  la  forme,  comprennent  toutes  les 
puissances,  lumineuses  ou  sombres,  terribles  ou  bienfaisantes,  qu'on 
peut  concevoir.  Par  ce  déploiement  la  Divinité  se  donne  son  corps,  sa 
gloire.  La  création  fut  le  résultat  d'un  second  déploiement  du  principe 
qui  repose  éternellement  au  sein  de  l'être;  création  qui,  d'abord  pure 
et  bonne  ,  devint  chaos  par  la  chute  de  Lucifer ,  et  le  premier  chapitre 
de  la  Genèse  est  le  récit  d'une  restitution  partielle.  L'homme  possède 
en  lui-même  un  lien  substantiel  qui  l'unit  à  la  Divinité,  savoir  le  prin- 
cipe obscur  qui  est  à  la  base  de  l'être.  Chacun  de  nous  doit  s'appuyer 
sur  cette  base,  mais  chercher  sa  vie  ailleurs,  dans  la  lumière  qui  est 
Christ,  pour  reproduire  à  son  tour  l'évolution  de  la  Trinité;  c'est  la 
seconde  naissance.  Quelque  pieuse,  quelque  attachée  aux  saintes 
Ecritures  que  soit  cette  doctrine,  il  faut  reconnaître  qu'elle  dépasse  la 
sphère  du  mysticisme;  c'est  une  théosophie,  où  les  préoccupations  de 
la  gnose ,  de  la  métaphysique  l'emportent  sur  celles  de  la  vie  pratique 
et  religieuse.  —  Après  la  mort  de  Bœhme,  ses  œuvres  furent  publiées 
par  ses  amis  ;  Abraham  de  Frankenberg  écrivit  sa  biographie  ;  Théo- 
dore de  Tschesch,  le  docteur  Krause,  Walther  exposèrent  sa  pensée 
sous  une  forme  populaire  ;  J.-A.  Werdenhagen,  professeur  de1  droit 
à  Helmsta^dt,  traduisit  en  latin  les  Quarante  questions  sur  Vâme  (1632). 
Walther,  avant  de  venir  à  Paris  où  il  mourut,  se  rendit  en  Hollande  où 
il  communiqua  le  système  aux  classes  élevées  ;  le  docteur  Comenius 
le  seconda;  deux  négociants  d'Amsterdam,  H.  Betke  et  Abrah.  Wil- 
lielmson,  publièrent  et  firent  traduire  en  hollandais  les  principales 
œuvres  du  maitre;  E.  Richardsoon  composa  un  Chemin  du  re- 
pos (1655);  mais  cette  propagande  rencontra  des  adversaires,  parmi 
Lesquels  !<•  principal  fut  David  Gilbert  (Admom'tio  adversus  scripta 
bohemiam,  1643).  En  Angleterre,  le  roi  Charles  Itr  ayant  lu  les  Quarante 
quêtions,  envoya  un  savant  à  Gœrlitz  pour  traduire  les  œuvres  de 
Bœhme  en  anglais;  en  1646  parut  une  traduction  de  l'avocat  J.  Sparrow 
(une  troisième,  de  W.Law,  1765)  ;J.  Pordage  (f  1698)  publia  un  com- 
mentaire estimé.  Metaphysieû  vera  et  divinu;  ses  principaux  disciples 
furent  Bromley  'y  161)1),  et  Jeanne  Leade  (f  1704),  qui  fonda  la 
société-  des  Philadelphes;  par  eux  la  théosophie  en  Angleterre  devint 
surtout  visionnaire  et  sectaire.  En  Allemagne,  la  propagande  exercée 
par  Quir.  kuhlinann  <y  1(>8(.)),  Christ.  Hoburg  (-f  167Ô)  et  Er.  IJreckling 


324  BŒHME  —  BŒHMER 

(f  1711),  fut  dépassée  par  celle  de  J.-G.  Gichtel  (f  1710),  éditeur 
des  œuvres  complètes  de  Bœhme,  1682,  10  vol.  in-8°  (2e  éd.,  1715, 
2  vol.  in-4°;  3e  éd.,  1730)  et  fondateur  de  la  société  des  Frères  des  Anges 
(Matth.  XXII,  30)  ;  il  mêla  trop  de  bizarreries  à  la  doctrine  du  maître  et 
attaqua  la  diverses  Eglises  avec  trop  de  fougue  pour  ne  pas  éveiller  de 
violents  débats.  Les  théologiens  J.  Fabricius,  Wagner,  Mœller,  Ca- 
lov,  etc.,  répliquèrent  avec  la  verdeur  usitée  à  cette  époque,  traitant 
Bœhme  d'athée,  d'hypocrite,  de  possédé.  Spener,  Gottfr.  Arnold  se 
prononcèrent  avec  plus  de  modération,  et  les  progrès  du  rationalisme 
détournèrent  les  esprits  de  ces  débats.  Mais  depuis  la  fin  du  dernier 
siècle,  quelques  penseurs  éminents  appelèrent  l'attention  de  la  philo- 
sophie moderne  sur  Bœhme  ;  ce  furent  :  le  pasteur  wurtembergeois 
OEtinger  (f  1782)  ;  Saint-Martin,  qui  traduisit  en  français  plusieurs 
écrits  du  ihéosophe  ;  Schelling,  qui  dans  ses  Recherches  sur  la  liberté 
humaine  (1809)  se  servait  des  termes  mêmes  de  Bœhme;  et  surtout 
Baader,  qui  ne  voulut  être  que  le  continuateur  du  philosophe  teutoni- 
que  et  donna  des  commentaires,  publiés  en  1855.  Quant  aux  théo- 
ogiens,  si  Ton  retrouve  l'influence  de  Bœhme  dans  les  écrits  de 
Bothe  et  Martensen,  c'est  surtout  M.  B.  Bocholl,  pasteur  à  Gœttingue 
{Die  Realpresenz,  1875)  qui  maintient  la  tradition  théosophique  au 
sein  de  la  spéculation.  —  Voy.  Jul.  Hamberger,  Die  Lehre  des  deutsch. 
PhiL  J.  Bœhme,  Avszugaus  dessenschriften,  1844;  Zurtieferen  Wùrdi- 
qung  der  Lehre  J.  B.,  1855  (où  l'on  trouve  la  bibliographie);  Peip, 
B.  der  teufsche  Philosoph,  1861.  Â.  Matter. 

BŒHMER  (Juste-Henning)  [1674-1749],  chancelier  de  l'université  de 
Halle  et  doyen  de  la  faculté  de  droit,  jurisconsulte  éminent  qui,  dans 
ses  ouvrages,  éclaira  d'une  vive  lumière  l'application  des  principes 
du  droit  canonique  au  droit  ecclésiastique  protestant.  Il  défendit  les 
droits  de  la  liberté  de  l'enseignement  évangélique  en  face  des  confes- 
sions de  foi ,  méconnue  en  sens  contraire  par  l'orthodoxie  et  par  le 
rationalisme;  partisan  d'abord  d'un  système  territorial  tempéré,  il 
inclina  de  plus  en  plus  vers  le  système  collégial.  Bœhmer  a  laissé  de 
nombreux  écrits,  parmi  lesquels  nous  signalerons  :  1°  une  édition  du 
Corpus  juris  canonici  (Halle,  1747,  2  vol.  in-4°),  avec  des  notes  criti- 
ques, des  tables  de  matières  et  d'autres  appendices  précieux.  Elle  est 
dédiée  au  pape  Benoit  XIV,  qui  la  reçut  avec  bonté,  ce  qui  n'empêcha 
pas  la  congrégation  de  Y  Index  de  condamner  les  autres  ouvrages  de 
Bœhmer;  2° Jus ecclesiasticum Protestanhum (1756-1789 ,  6vol.  in-4°  ;  le 
6e  volume  parut  à  part  sous  le  titre  de  :  Jus  parochiale  ad  fundamenta 
qenuina  revocatum)  ;  3°  Duodecim  dissertationes  juris  ecclesiastici  ad  Pli- 
num  II  et  Tertullianum  (1729)  ;  4°  Consultationes  et  decisiones  juris  (1748- 
1754,  3  vol.)  ;  5°  une  Esquisse  des  Etats  de  l'Eglise  des  trois  premiers 
siècles  (1733).  Bœhmer  s'essaya  également  dans  la  poésie  sacrée.  On  a 
de  lui  21  cantiques  répandus  dans  les  divers  recueils  de  l'Allemagne.  — 
Son  fils,  Georges-Louis  (1715-1797),  professeur  à  la  faculté  de  droit  de 
Gœttingue,  est  Fauteur  de  deux  ouvrages  estimés  :  Principia  juris  cano- 
nici (1762)  et  Obsermtiones  juris  canonici  (17 '63).  Son  petit-fils,  Georges- 
Guiilaume  (1761-1839),  a  publié  un  Abrégé  du  droit  ecclésiastique  protes- 


BŒHMER  —  BOGOMILES  325 

huit  1 17S7).'  et  un  traité  sur  les  Lois  concernant  les  mariages  à  l'époque 
f/>'  Charlemagne  et  de  ses  successeurs  (1826). 

BOGATZKY  (Charles-Henri  de)  [1690-1774]  est  L'un  des  écrivains  les 
plus  populaires  de  l'école piétiste.  D'une  santé  faible, d'un  naturel  doux 
et  timide,  bien  qu'expansif  et  dévoré  de  l'ardeur  du  prosélytisme,  con- 
trarié dans  sa  vocation  par  un  père  mondain  et  irascible,  Bogatzky 
avait  vingt-six  ans  lorsque,  enflammé  par  la  prédication  de  Francke, 
il  étudia  la  théologie  à  Halle.  Sa  vie  intérieure  s'était  développée  dans 
l'isolement  et  dans  la  prière.  Il  mena  une  existence  assez  errante,  ac- 
cueilli par  des  familles  nobles  et  princières,  dans  lesquelles  il  remplis- 
sait les  fonctions  de  directeur  spirituel.  En  1740,  il  se  retiraà  la  maison 
des  orphelins  de  Halle,  dirigeant  des  réunions  d'édification  pour  les 
étudiants  et  publiant  ses  nombreux  écrits,  qui  occupent  une  place  mar- 
quante dans  la  littérature  ascétique  de  l'Allemagne  protestante.  Un 
souille  de  piété  intime  et  vivante  les  anime  :  ils  sont  le  fruit  des  expé- 
riences de  l'auteur  qui  a  su  généralement  les  revêtir  d'une  expression 
exquise.  La  tendance  piétiste  s'y  révèle  avec  sa  force  comme  avec 
ses  faiblesses.  Le  plus  populaire  des  ouvrages  de  Bogatzky  est  un  recueil 
de  maximes  pieuses,  publié  sous  le  titre  :  Das  gùldene  Schatzkœstlein 
dfir  Kinder  Gotles  (1718),  qui  a  eu  plus  de  cinquante  éditions;  le 
plus  étendu,  les  Betrachtungen  ùber  das  ganze  N.  T.,  1755-61,  en 
7  vol.  Bogatzky  a  composé  un  grand  nombre  de  cantiques  qui  ont 
trouvé  place  dans  divers  recueils  et  que  l'auteur  a  réunis  sous  le  titre 
de  Uebung  der  Gottseligkeit  in  geistlichen  Liedern,  Halle,  1749.  Une  auto- 
biographie de  Bogatzky  a  été  publiée  par  Knapp  en  1801. 

BOGOMILES.  sectaires  bulgares  du  douzième  siècle.  On  fait  remonter 
leur  origine  aux  euchètes  ou  eutychites  (ceux  qui  prient)  du  quatrième 
siècle.  Tandis  que  les  uns  font  dériver  leur  nom  des  deux  mots  slaves 
Gospodine  pomilui  (Seigneur,  aie  pitié  de  moi!),  d'autres  l'identifient 
avec  celui  de  Théophile  (ami  de  Dieu).  Ils  se  tenaient  cachés,  principa- 
lement à  Constantinople,  parmi  les  moines  qui  peuplaient  les  nom- 
breux couvents  de  la  ville.  Leur  chef,  le  médecin  Basile,  ayant  été 
convaincu  d'hérésie,  sous  l'empereur  Alexis  Comnène,  fut  brûlé  en 
l'an  1118.  Leurs  écrits  furent  l'objet  de  nombreuses  réfutations;  les 
synodes  de  Constantinople  de  1140  et  1143  les  condamnèrent  à  être 
brûlés,  deux  évêques  accusés  de  bogomilisme  furent  destitués  et  plu- 
sieurs moines  mis  en  prison.  Mais  la  persécution  ne  parvint  pas  à 
extirper  la  secte  qui  se  maintint  en  Bulgarie,  particulièrement  autour 
de  Philippople.  pendant  tout  le  moyen  âge.  Le  chroniqueur  Geoffroy 
de  Villehardouin  dit  qu'une  partie. des  habitants  de  cette  ville  étaient 
popolicani.  La  doctrine  des  bogomiles  est  un  mélange  d'idées  mani- 
chéennes  et  mystiques  :  elle  se  rapproche  d'une  manière  frappante  de 
celle  des  cathares  (voy.  cet  article).  Ils  niaient  la  Trinité  et  attribuaient 
à  Dieu  une  tonne  humaine.  11  engendra  deux  iils  dont  l'aîné,  Sata- 
naël,  se  révolta  contre  son  père  auquel  il  voulait  ressembler,  entraî- 
nant dans  sa  chute  un  certain  nombre  d'anges  et  formant  le 
monde  visible  au  moyen  d'un  principe  enlevé  au  inonde  divin,  il  sé- 
duisit Eve  et  engendra  avec  elle  Caïn.  L'appareil  extérieur  de  la  théo- 


326  BOGOMILES  —  BOHÊME 

cratie  juive  et  de  l'Eglise  chrétienne  est  son  œuvre.  Son  siège  était 
Jérusalem;  actuellement  il  réside  dans  l'église  Sainte-Sophie  à  Cons- 
tantinople.  Le  fils  cadet,  nommé  Logos,  est  le  sauveur  du  monde. 
Conçu  par  la  Vierge  et  issu  de  son  oreille,  il  se  revêtit  d'un  corps 
<Tange,  entra  en  lutte  avec  son  frère  aîné  et  le  vainquit.  Il  enseigna  aux 
hommes  la  véritable  manière  de  vivre  et  d'adorer  Dieu.  Les  bogomiles 
condamnent  le  mariage,  l'usage  de  la  chair  et  des  œufs  ;  ils  rejettent  la 
croix,  les  reliques,  les  images  des  saints,  et  ne  reconnaissent  d'autre 
communion  que  de  demander  le  pain  quotidien  en  récitant  l'oraison 
dominicale,  sept  fois  le  jour  eteinq  fois  la  nuit.  De  l'Ancien  Testament, 
ils  ne  conservent  que  les  psaumes  et  les  seize  prophètes  ;  mais  ils  y 
ajoutent  plusieurs  ouvrages  apocryphes  :  ils  y  trouvent  leurs  doctrines, 
grâce  à  la  méthode  d'interprétation  allégorique.  —  Sources  :  Anna 
Comnena,  lib.  XV,  p.  486;  Euthymius  Zygadenus,  Panoplia,  qui  con- 
tient un  exposé  complet  de  la  doctrine  des  bogomiles,  pars  IL 
itituî.  xxiii,  publiée  d'une  manière  fragmentaire  par  J.-G.  Wolf,  Hài . 
Bogom.,  Vitenb.,  1712,  in-4°,et  dans  son  ensemble  par  Gieseler,  2£W/. 
Zyg.  Narratio  de  Bog.,  Gœtt. ,  1842  ;  OEder,  Prodrom.  histor.  Bog.  critic. , 
'Gœtt.,  1743;  Engelhardt,  Die  Bogomilen  (Kirch.  gesch.  Abhandl., ErL. 
1832,  n°  2)  ;  Gieseler,  Lehrb.  der  Kirchen gesch.,  II,  2,  p.  679  ss. 

BOHÊME.  Le  vaste  quadrilatère  formé  par  les  Sudètes,  les  Monts  des 
Géants,  l'Erzgebirge  saxon,  la  Forêt  de  Bohême  et  les  collines  de  Moravie 
occupe  une  place  importante  dans  l'histoire  du  christianisme;  il  y  a 
surtout  joué  dans  les  derniers  temps  du  moyen  âge  un  rôie  trop  consi- 
dérable et  trop  curieux  pour  qu'on  n'en  retrace  au  moins  une  rapide 
esquisse,  quelle  que  soit  la  difficulté  de  grouper  tous  ces  faits  d'une 
manière  concise,  tant  à  cause  des  fluctuations  continuelles  de  la  situa- 
tion religieuse  elle-même,  qu'à  cause  des  questions  politiques  et  natio- 
nales qui  viennent  en  Bohême  heurter  sans  cesse  et  compliquer  les 
questions  ecclésiastiques.  Ce  fut  au  cinquième  siècle  que  les  Tchèques, 
le  peuple  slave  qui  forme  actuellement  la  population  des  deux  tiers  de 
la  Bohême,  vinrent  occuper  les  contrées  qui  portent  aujourd'hui  ce 
nom,  et  où  ils  trouvèrent  encore  quelques  restes  des  Marcomans  et  des 
Boïens,  peuplades  germaniques  occupant  anciennement  le  pays.  Ils 
étaient  païens  et  le  restèrent  longtemps.  Gharlemagne  dévastateur  pays, 
mais  il  ne  put  ni  les  soumettre,  ni  les  convertir.  Les  premiers  éléments 
du  christianisme  pénétrèrent  dans  ces  contrées  avec  quelques  nobles 
tchèques,  qui  étaient  venus  visiter  le  roi  Louis  le  Germanique  à  sa  cour 
de  Ratisbonne  et  qui  reçurent  le  baptême  en  845.  Ces  conversions  tou- 
tefois n'eurent  aucune  influence  sur  les  masses,  bien  que  le  saint-siége 
s'empressât  de  rattacher  la  Bohême  au  diocèse  de  Ratisbonne.  La  véri- 
table conquête  religieuse  se  fit  du  côté  opposé,  et  ce  fut  Constantinople 
qui  l'emporta  sur  Rome,  sans  profit  ultérieur,  il  est  vrai.  La  légende 
religieuse,  difficile  à  séparer  de  l'histoire  pour  ces  temps  reculés,  ra- 
conte la  conversion  des  Bohèmes  de  la  façon  suivante.  Une  sœur  du 
roi  des  Bulgares,  Bogoris,  était  prisonnière  à  Byzance;  elle  revint  dans 
son  pays,  chrétienne,  amenant  un  moine  nommé  Méthodius,  qui  réussit 
à  convertir  Bogoris  en  861.  Puis,  de  concert  avec  son  frère  Constantin. 


BOHEME  327 

•plus  connu  sons  sou  nom  monacal  de  ("vrille.  Méthode  se  mit  à  évan- 
géliser  l'empire  morave  dont  Swatopluk  était  alors  le  chef.  En  871  le 
duc  de  Bohême  Borziwov  et  son  épouse  Ludmilla  vinrent  rendre  visite 

à  Swatopluk,  et  furent  convertis  à  leur  tour  et  baptisés  à  OlmÙtZ.  On 
ne  parlera  pas  ici  plus  en  détail  de  l'activité  des  deux  apôtres  slaves, 
comme  00  les  appelle  (voy.  l'article  Méthodius).  Il  suffira  de  dire  (pie, 
grâce  à  eux  et  contrairement  aux  règles  de  conduite  de  l'Eglise  ro- 
maine, la  religion  nouvelle  resta  pour  la  Bohême  une  religion  nationale, 
et  qu'ils  surent  obtenir  du  pape  Adrien  II  l'usage  des  Evangiles  et 
d'une  liturgie  en  langue  vulgaire.  Ce  point  de  départ  explique  bien 
des  phénomènes  du  développement  religieux  postérieur  dans  le  pays. 
Le  christianisme  ne  se  développa  d'ailleurs  que  lentement  chez  les 
Tchèques.  Les  successeurs  de  Borziwoy  revinrent  en  partie  au  paga- 
nisme, regardé  comme  un  boulevard  contre  l'invasion  germanique.  Ce 
ne  fut  que  sous  le  règne  d'Othon  Ier,  alors  que  la  Bohème  devint  vas- 
sale effective  de  l'empire,  que  Boleslas  le  Cruel  rétablit  les  églises 
détruites.  En  972  Boleslas  II,  le  Pieux,  obtenait  du  pape  Jean  XIII  la 
création  de  l'évêché  de  Prague,  mais  à  la  condition  de  suivre  désor- 
mais les  rites  de  l'Eglise  latine  et  d'adopter  sa  langue  aussi  bien  que 
•ses  prescriptions  dogmatiques.  Ce  fut  le  commencement  d'une  longue 
lutte  entre  l'esprit  national  et  l'influence  allemande  du  dehors.  Pour 
le  moment  cette  dernière,  marchant  d'accord  avec  le  saint-siége,  l'em- 
porta. Un  Saxon  fut  le  premier  évêque  de  Prague  et  son  siège  fut  placé 
sous  la  suprématie  de  l'archevêché  de  Mayence.  Un  de  ses  successeurs 
tchèques,  Adalbert,  canonisé  plus  tard,  préféra  abandonner  ses  insignes 
pontificaux,  plutôt  que  de  soutenir  une  lutte  incessante  contre  les  pré- 
tentions centralisatrices  de  Rome,  et  trouva  la  mort  en  évangélisant  les 
Prussiens  (997).  Pendant  les  longues  querelles  du  sacerdoce  et  de  l'em- 
pire, la  puissance  papale  s'affermit  de  plus  en  plus  en  Bohême;  les 
successeurs  de  Grégoire  VII  firent  à  peu  près  disparaître  l'usage  de  la 
langue  vulgaire  dans  les  chants  et  les  rites  de  la  messe,  et  |le  célibat 
des  prêtres  seul  ne  fut  point  accepté  partout.  Encore  au  milieu  du 
quinzième  siècle  nous  trouvons  des  prêtres  mariés  en  Bohême.  [Vers  la 
fin  du  onzième  siècle  disparaissent  aussi  les  derniers  vestiges  du  paga- 
nisme; l'année  1092  vit  la  chute  des  derniers  bois  sacrés  et  l'exil  des 
derniers  prêtres  restés  fidèles  aux  dieux  vaincus.  La  Bohême  resta  dans 
ce!  état  pendant  plusieurs  siècles,  participant,  elle  aussi,  à  la  lente  dé- 
cadence de  l'Eglise  universelle, amenée  par  les  victoires  mêmesqu'elle 
avait  remportées  jusque-là.  —  Au  quatorzième  siècle  la  Bohême  atteignit 
L'apogée  de  son  importance  politique  sous  la  dynastie  des  Luxembourgs 
qui  succédait  à  la  famille  éteinte  des  Premyslides.  Du  règne  du  princi- 
pal monarque  de  cette  race  nouvelle  date  aussi  le  réveil  intellectuel  et 
par  suite  religieux  du  pays.  Charles  IV  (1346V1378)  obtenait  en  1343 
la  création  de  L'archevêché  de  Prague  et  nommait  un  métropolitain 
pour  la  Bohême  en  la  personne  d'Ernest  de  Pardubitz,  brisant  ainsi  îe 
lien  qui  rattachait  l'Eglise  tchèque  au  siège  de  Mayence.  Mais  surtou; 
il  tondait,  le  7  avril  1348,  la  célèbre  université  de  Prague,  qu'il  orga- 
nisait sur  le  modèle  de  celle  de  Paris,  avec  ses  quatre  facultés  de  théo- 


328  BOHEME 

logie,  de  droit,  de  médecine  et  des  arts,  et  ses  quatre  nations  d'étudiants, 
les  Bohèmes,  les  Bavarois,  les  Polonais  et  les  Saxons.  Il  fit  ainsi  pour  un 
temps  de  la  Bohême  le  centre  intellectuel  de  l'empire  d'Allemagne  où 
n'existait  alors  encore  aucune  université  de  ce  genre;  il  en  fit  aussi  Je 
foyer  d'une  culture  intellectuelle  relativement  intense  pour  le  pays  lui- 
même,  en  ordonnant  que  tout  nouveau  bachelier  de  Prague  serait  tenu 
d'enseigner  deux  ans  dans  les  écoles  des  villes  et  des  campagnes.  C'était 
créer,  sans  y  penser  peut-être,  un  admirable  instrument  de  propagande 
pour  les  idées  nouvelles  que  l'université  devait  faire  éclore  dans 
la  suite.  Mais  en  même  temps  qu'il  entreprenait  ces  utiles  innova- 
tions, Charles  IV  augmentait  les  richesses  du  clergé  par  des  dona- 
tions fréquentes  et  se  plaisait  à  redoubler  de  luxe  dans  les  céré- 
monies du  culte,  augmentant  ainsi,  d'une  façon  peut-être  également 
inconsciente,  le  dévergondage  et  l'avarice  des  prêtres  bohèmes.  — 
Les  germes  semés  par  lui  soit  en  bien,  soit  en  mal,  devaient 
porter  leurs  fruits.  Ce  fut  son  fils  Wenceslas  (1378-1419)  qui  les  vit 
mûrir  lentement  pendant  un  règne  très-long,  mais  aussi  tourmenté 
que  celui  de  son  père  avait  été  glorieux.  Intelligent  mais  brutal,  fourbe 
et  paresseux,  Wenceslas  se  brouilla  bientôt  avec  ses  sujets  d'Allema- 
gne, comme  avec  ses  sujets  de  Bohême,  et  l'apathie  complète  avec 
laquelle  il  laissait  flotter  les  rênes  du  gouvernement  favorisa  grande- 
ment la  révolte  et  l'anarchie  des  esprits  qui  ne  tarda  point  à  se  mani- 
fester sur  le  domaine  religieux  comme  sur  celui  de  la  politique.  Le 
schisme  dont  souffrait  l'Eglise,  la  corruption  du  haut  et  du  bas  clergé 
qui  s'étalait  sans  pudeur,  favorisèrent  une  réaction  morale  qui  peut 
s'observer  alors  partout,  mais  qui  trouvait  en  Bohême  un  terrain  tout 
particulièrement  préparé  parles  souvenirs  nationaux.  C'est  à  tort  qu'on 
a  voulu  attribuer  ce  réveil  bohème  à  l'influence  vaudoise,  comme  Fa 
prétendu  déjà  Léger,  le  vieil  historien  des  vaudois.  Rien  dans  les 
recherches  approfondies  des  savants  contemporains  n'est  venu  donner 
une  base  solide  à  ces  affirmations  répétées.  Ce  fut  l'université  de  Prague 
qui,  pour  la  Bohême,  fut  le  centre  de  ce  mouvement  des  esprits.  La 
seconde  moitié  du  quatorzième  siècle  vit  toute  une  série  de  prédica- 
teurs, de  théologiens  et  de  mystiques  spéculatifs  qui  peuvent  être 
regardés,  à  des  titres  divers,  comme  les  initiateurs  du  réveil  religieux. 
Parmi  eux  l'on  distingue  le  moine  augustin  Conrad  de  Waldhausen, 
prédicateur  à  Prague  (f  1369),  l'archidiacre  Jean  Milic  de  Kremsier, 
secrétaire  de  Charles  IV  (f  1374),  Mathias  deJanow,  chanoine  à  Prague 
(f  1394)  ;  tous  ils  se  tinrent  au  point  de  vue  dogmatique  sur  le  ter- 
rain de  l'Eglise,  mais  par  leurs  appels  à  la  conscience  chrétienne, 
leurs  attaques  véhémentes  contre  les  vices  du  clergé,  l'allure  mystique 
de  leurs  prédications  éloquentes,  ils  furent  les  précurseurs  de  Jean 
Huss.  Ce  dernier  naissait  au  moment  où  Conrad  de  Waldhausen  fer- 
mait les  yeux  (6  juillet  1369),  et  sa  venue  donnait  à  la  Bohême  son 
véritable  réformateur.  Nous  n'avons  point  à  raconter  ici  sa  biographie 
ni  à  exposer  ses  doctrines  (voy.  l'article  Huss);  rappelons  seulement 
qu'il  commença  ses  cours  à  l'université,  dès  1398,  et  qu'il  fut  nommé 
recteur  de  cette  corporation  savante  en  1402.  Son  développement  théo- 


BOHÊME  329 

logique  s'était  fait  avec  une  prudente  lenteur,  et  pendant  longtemps  il 
n'enseigna  rien  qui  lût  en  opposition  avec  l'orthodoxie  catholique, 

bien  que  la  lecture  des  écrits  de  Wiclef  ne  restât  pas  sans  influence 
sur  ses  idées,  lue  question  plus  politique  encore  que  religieuse  lit  sur- 
gir les  commencements  d'un  schisme  religieux.  Les  trois  nattons  entre 
Lesquelles  se  répartissaient  les  étudiants  étrangers  de  l'université,  s'é- 
taient prononcées  en  1408  pour  le  pape  Grégoire  XII  ;  la  nation  bohème 
au  contraire  se  prononça  pour  la  neutralité  entre  Grégoire  et  son  rival 
Benoit  XIII.  Pour  faire  triompher  l'élément  tchèque   sur   l'élément 
étranger,  \\  enceslas,  par  lettres  patentes  du  18  janvier  1409,  accorda 
trois  voix  à  la  nation  bohème  et  décida  qu'à  l'avenir  les  trois  autres 
nations  n'auraient  plus  qu'une   voix  dans  les  délibérations  universi- 
taires. Cette  violation  des  statuts  primitifs  irrita  professeurs  et  étudiants 
étrangers.    Ils    quittèrent  Prague   et   allèrent    fonder   l'université   de 
Leipzig,  eii  1409.  Ce  fait  attira  d'une  part  les  haines  dès  longtemps 
existantes  entre  l'élément  national  et  l'immigration  allemande  ;  d'autre 
part,  l'idée  religieuse  nationale,  restée  sans  contre-poids  par  ce  schisme 
académique,  prit  tout  à  coup  un  essor  nouveau,  favorisé  par  l'antipa- 
thie contre  les  idées  cléricales  étrangères.  La  lutte  éclata  au  synode  de 
Prague  en  1410,  où  les  écrits  de  Wiclef  furent  condamnés  au  feu,  Huss 
lui-même  excommunié.  En  1412  quelques-uns  de  ses  partisans,  qui 
s'opposaient  à  la  vente  des  indulgences,  furent  exécutés  à  Prague  ;  ce 
lurent  les  premiers  martyrs  bohèmes.  Sur  ces  entrefaites  se  réunissait 
le  concile  de  Constance;  sur  la  foi  des  promesses  de  l'empereur  Sigis- 
mond,  Huss  quittait  Prague  le  11  octobre  1414,  pour  aller  défendre  ses 
doctrines  devant  les  Pères  de  l'Eglise.  On  sait  le  reste;  condamné  pour 
crime  d'hérésie,  il  périssait  sur  le  bûcher  le  6*  juillet  1415.  Ses  amis 
emportèrent  en  Bohême  un  peu  de  la  terre  où  s'étaient  mêlées  ses  cen- 
dres; ils  y  emportèrent  surtout  une  haine  inextinguible  contre  l'Eglise 
qui  avait  tué  leur  maitre,  contre  l'Allemagne  sacrilège  qui  avait  auto- 
risé le  crime.  Les  suites  s'en  firent  bientôt  sentir.  Les  Etats  de  Bohême, 
réunis  à  Prague,  formaient  entre  eux  une  ligue  offensive  et  défensive, 
et  le  5  septembre  1415,  par  quatre  cent  cinquante-deux  signatures,  ils 
déclaraient  mensongère  la  condamnation  du  concile  de  Constance.  Le 
légat  apostolique  répliquait  à   cette  déclaration   par  l'interdit  lancé 
contre  la  Bohème  ;  la  rupture  était  consommée. — Dès  ce  premier  moment 
déjà  il  y  avait  des  discussions  et  des  querelles  entre  ceux  que  l'Eglise 
anathématisait  ainsi.  Les  amis  et  partisans  de  Huss,  à  Prague,   par 
exemple   Jacoubek   (  Jacobellus  )  de  Mies,  ne  voulaient  que  des  ré- 
formes modérées  dans  la  discipline  ecclésiastique  et  l'obtention  de  la 
coupe  pour  les  laïques  dans  la  célébration  de  la  cène;  d'autres,  plus 
ardents,  rejetaient  le  culte  des  images,  la  doctrine  du  purgatoire,  etc. 
Ces  derniers  se  groupèrent  surtout  dans  la  petite  ville  d'Austi,  et  quand 
celle-ci  eut  été  détruite  en  1420,  ils  fondèrent  à  côté  la  ville  de  Tabor. 
De  là  les  dénominations  de  calixtins  et  de  taborites  qui  servent  dès 
lors  à  désigner  les  diverses  tendances  au  sein  du  schisme  hussite.  Déjà 
te  pape  .Martin    Y    et  l'empereur  Sigismond  s'étaient  entendus  pour 
employer  la  luire  contre  cette  hérésie  nouvelle,  quand  le  décès    de 


380  BOHEME 

Wenceslas  (16  août  1419)  vint  compliquer  encore  la  situation  politique. 
Sigismond  devait  être  l'héritier  de  son  frère;  les  partis  ne  voulaient 
point  de  lui  comme  monarque  ou  n'en  voulaient  qu'à  certaines  condi- 
tions que  l'empereur  refusait  d'accepter  pour  sa  part.  Un  désordre  in- 
dicible s'empara  du  royaume  ;  à  côté  des  calixtins  et  destaborites  se  forma 
un  parti  catholique,  qui,  tendant  la  main  à  l'étranger,  se  mit  à  persé- 
cuter d'une  manière  féroce  les  partisans  de  Huss.  Dans  le  cours  de 
l'année  1420  on  aurait  précipité  vivants  plus  de  4,300  hérétiques  dans 
les  puits  des  mines  de  Kuttenberg.  Une  exaltation  religieuse  de  plus  en 
plus  vive  se  manifestait  d'autre  part  sous  l'impulsion  de  ces  persécu- 
tions. Du  sein  des  taborites  sortirent  des  groupes  plus  violents  encore 
et  plus  fanatiques.  Laurent  de  Brezowa  annonçait  l'arrivée  de  Huss 
ressuscité  et  le  commencement  du  règne  de  mille  ans  prédit  par  l'Apo- 
calypse ;  un  paysan,  nommé  Nicolas,  créait  la  secte  des  nicolaïtes  ou 
adamites ,  qui  voulaient  retourner  à  l'état  de  nature  et  se  livrèrent  aux 
plus  absurdes  excès.  Nous  ne  pouvons  entrer  dans  le  détail  des  croisades 
•entreprises  par   Sigismond   contre   ses   propres  sujets   après  que  le 
saint -siège    eut    fait  prêcher  la  guerre  sainte  par  toute  l'Europe. 
Elles  ne  furent  point  heureuses,   et  quoique  divisés  entre  eux,  les 
Bohèmes    hussites    surent    toujours    se    retrouver  unis   en    face  de 
l'étranger.  Quand  Sigismond  eut  été  battu  sur  la  colline  de  Wykow, 
près  de  Prague,  le  14  juillet  1420,  les  calixtins  lui  proposèrent  comme 
base  des  négociations  les  quatre  articles  de  Prague,  résumant  l'ensemble 
des  réclamations    qu'ils  prétendaient  faire  admettre  par  l'Eglise.  Le 
premier  demandait  la  liberté  de  la  parole  de  Dieu  par  toute  la  Bohême, 
le  second  la  communion  sous  les  deux  espèces  (sub  utraque)  ;  le  troi- 
sième dépouillait  le  clergé  de  l'administration  des  biens  de  l'Eglise;  le 
quatrième  demandait  l'abolition  de  tous  les  péchés  mortels  dans  la 
•chrétienté,  et  de  toutes  choses  contraires  à  la  loi  divine.  Les  taborites 
voulaient  aller  bien  plus  loin  ;  mais  pour  le  moment,  la  demande  des 
calixtins  eux-mêmes  fut  repoussée  avec  dédain.  Cherchant  un  monar- 
que au  dehors,  les  Bohèmes  accueillirent  alors  en  partie  Sigismond 
iKorybut  de  Pologne  comme  leur  roi  ;  d'autres  refusaient  de  reconnaître 
une  royauté  quelconque.  La  mort  de  leur  célèbre  chef,  Jean  Ziska  de 
Trocnow  (11  novembre  1424)  affaiblit  vers  cette  époque  le  parti  des  tabo- 
rites; mais  les  incursions  de  Sigismond  et  de  l'électeur  Frédéric  de 
Brandebourg  n'en  furent  pas  moins  repoussées  par  Procope  le  Grand, 
le  plus  connu  des  successeurs  du  redoutable  aveugle.  Une  nouvelle 
^croisade  se  termine  par  la  défaite  des  Allemands  à  Taus,  le  14   août 
1431.   Le  concile  de  Bâle,  qui  venait  de  se  réunir,   invite  alors  les 
tBohêmes  à  venir  discuter  avec  lui  leurs  griefs  religieux.  Le  15  octobre 
vde  la  même   année,  les  délégués   hussites,  dont  les  plus  marquants 
étaient  Jean  de  Bockycana,  Nicolas  Biskupec  de  Pilgram  et  Procope  le 
Grand,  entraient  à  Bâle.  Leurs  négociations  avec  les  Pères  et  le  cardinal- 
légat,  Julien  Césarini,  ne  purent  aboutir  une  première  fois.  Après  bien 
des  allées  et  venues,  on  signa  le  30  novembre  1433  les  premiers  com- 
pactais de  Prague,   qui  rappelaient  les  quatre  articles  de   1420.    Les 
taborites   refusèrent  de    ratifier  cet  accord.  Les  calixtins  durent  les 


BOHÊME  331 

combattre  les  armes  à  la  main,  et  la  défaite  de  Lipan.  où  périt  Procope 
(30  mai  1434),  mit  un  terme  à  leur  influence  politique.  Leurs  partisans 
se  dispersèrent  et  les  modérés  restèrent  maîtres  <ia  terrain.  Us  signèrent 

avec  Sigismond  les  m,,//, >!>'/<, ts  (I ' /(//au,  le  5  juillet  1436,  et  l'empereur 
les  garantit  à  perpétuité  par  une  Lettre  de  Majesté. Le  concile,  las  de  la 
lutte,  reconnul  de  son  côté  les  Bohèmes  comme  de  bons  chrétiens,  et 
le  11  février  1437  la  ratification  des  légats  pontificaux  arrivait  à  Prague. 
Le  schisme  bussite  «tait  donc  extérieurement  terminé  par  suite  des 
concessions  du  saint-siége  qui  reconnaissait  l'existence  d'une  Eglise 
Htraquiste.  Au  tond  les  antipathies,  religieuses  et  politiques  restaient  les 
mêmes;  la  suite  des  événements  le  prouva  sans  réplique.  Sigismond 
étant  mort  en  1437  et  son  gendre  Albert  de  Habsbourg  l'ayant  suivi 
dans  la  tombe  en  1439,  la  minorité  de  Ladislas  le  Posthume  vit  les 
dernières  querelles  entre  taborites  et  calixtins,  mais  sans  que  les 
premiers  pussent  se  relever  de  leurs  défaites  antérieures.  A  la  mort  de 
Ladislas,  en  1457,  les  Bohèmes  choisirent  comme  monarque  un  ardent 
défenseur  de  leurs  libertés  politiques  et  religieuses,  Georges  de  Pode- 
brad,  sous  lequel  les  tendances  réformatrices  qui  avaient  autrefois  ins- 
piré les  chefs  des  taborites  purent  se  développer  à  l'aise  en  Bohême, 
malgré  les  excommunications  de  l'Eglise.  Parmi  les  sectes  nombreuses 
que  nous  y  rencontrons  alors,  la  plus  digne  d'intérêt  est  celle  des 
Frères  Bohèmes,  dont  le  fondateur  Pierre  Chelcicky,  né  vers  1390,  exerça 
son  ministère  de  14 30 à  1440  surtout.  Son  successeur  Grégoire,  regardé 
communément,  mais  à  tort,  comme  un  parent  de  Rockycana,  fonda 
V Unité  des  Frères  Bohèmes,  au  village  deKunewald,  vers  1457,  afin  d'y 
mettre  en  pratique  les  doctrines  et  les  mœurs  de  la  primitive  Eglise, 
que  les  utraquistes  ne  réalisaient  point  suffisamment  à  son  gré.  La  con- 
fession de  foi  des  Frères,  rédigée  en  1503,  nous  révèle  un  esprit  reli- 
gieux assez  conforme  à  celui  des  réformateurs  (voy.  l'article  Frères 
Bohèmes),  —  Au  moment  où  l'Allemagne  vit  éclater  le  mouvement  de 
Luther,  il  y  avait  donc  en  Bohême  des  catholiques  en  assez  petit 
nombre,  une  Eglise  utraquiste  qui,  plus  ou  moins  infidèle  aux  doctrines 
de  son  maitre,  aceeptait  l'héritage  des  traditions  de  l'Eglise,  les  ensei- 
gnements des  conciles,  les  sacrements  et  les  rites  catholiques,  et  n'en 
différait  guère  que  par  l'usage  de  la  cène  et  de  la  langue  nationale  dans 
les  rites  ecclésiastiques.  A  côté  de  ces  deux  partis  religieux  se  trou- 
vaient des  sectes  assez  nombreuses,  où  la  vie  religieuse,  presque  éteinte 
dans  le  schisme  utraquiste,  continuait  à  vivre  grâce  à  l'ardeur  d'une 
loi  souvent  plus  intense  qu'éclairée.  Dès  1519  les  doctrines  professées 
à  W  ittemberg  firent  leur  entrée  en  Bohême.  Un  ancien  marchand  de 
fourrures,  Mathias  l'Hermite,  un  pasteur  de  Prague,  Jean  Poduska, 
Jean  Miras,  répandirent  presque  simultanément  la  doctrine  du  moine 
augnstin.  Poduska  entra  même  en  correspondance  avec  Luther,  dès 
juillet  1519,  mais  ce  fut  seulement  trois  ans  plus  tard  que  le  réforma- 
teur noua  des  relations  plus  directes  avec  les  Bohèmes,  par  un  écrit 
adressé  aux  Etats  du  royaume,  le  15  juillet  1522.  S'il  conquit  des  par- 
tisans parmi  les  Frères  Bohèmes,  les  utraquistes  purs  ne  cessèrent  de  le 
regarder  comme   un  hérétique.   Vers  la  même  époque  les  doctrines  ré- 


332  BOHEME 

formées  pénétraient  également  dans  ces  contrées  ;  un  ancien  moine  de 
Breslau,  Jean  Cézek,  brûlé  plus   tard  à  Briinn  en   Moravie,   répandit 
après  1525  les  idées  de  Zwingle  parmi  ses  compatriotes.  Les  questions 
religieuses  vinrent  se  compliquer  encore  unefois  de  questions  politiques. 
Le  jeune  roi  de  Bohême  et  de  Hongrie,  Louis  l'Enfant,  tombait  à  la 
bataille  de  Mohacs,  le  29  août  1526,  et  avec  lui  linissait  la  dynastie  des 
Jagellons.  En  vertu  d'anciens  traités  de  famille,  Ferdinand  d'Autriche, 
frère  cadet  de  l'empereur  Charles  Y,  lui  succédait  en  Bohême.  Sous  son 
règne  (1526-1564),  les  relations  avec  l'Allemagne  et  la  Suisse  protes- 
tante amenèrent  un  développement,  de  plus  en  plus  marqué  dans  le 
sens  de  la  Réforme  parmi  les  descendants  des  anciens  hussites.   Les 
nombreux  Bohèmes  devenus  protestants,  dans  le  sens  ecclésiastique  qui 
s'attachait  dès  lors  à  ce  mot,  eurent  à  pàtir,  comme  leurs  coreligion- 
naires d'Allemagne,  des  suites  de  la  défaite  de  Mùhlberg  (24  avril  1547). 
Les  Frères  surtout  durent  quitter  la  Bohême  en  grand  nombre,  chassés 
par  les  édits  royaux  du  5  et  du  12  mai  1548.  En  même  temps  l'ordre 
des  jésuites  se  répandait  dans  le  royaume  où   plusieurs  d'entre  ses 
membres,  comme  le  bienheureux  Pierre  Canisius,  surent  acquérir  en 
peu  de  temps  une  influence  extraordinaire.  Sous  le  fils  de  Ferdinand  Ier, 
le  tolérant  Maximilien  II  (1564-1576),  les  protestants  purent  respirer 
plus  à  l'aise.  En  1575  les  différents  partis  religieux,  utraquistes,  luthé- 
riens et  Frères,  présentèrent  même  à  l'empereur  une  déclaration  de 
foi  commune  en  vingt-cinq  articles,  amalgame  de  la  confession  d'Augs- 
bourg  et  de  la  confession  des  Frères  Bohèmes,  que  Maximilien  promit, 
mais  verbalement  seulement,  dereconnaitre  et  de  respecter.  C'était  une 
large  tolérance  qu'il  accordait  à  ses  sujets,  ce  n'était  point  la  liberté 
légale.  On  le  vit  bien  sous  le  règne  de  son  fils,  l'incapable  Rodolphe  II 
(1576-1612).  Les  jésuites,  qui  l'avaient  élevé,  devinrent  tout-puissants. 
L'archevêque  catholique  de  Prague  sut  obtenir  le  serment  d'obéissance 
de  l'administrateur  du  consistoire  utraquiste  de  la  capitale,  et  les  suc- 
cesseurs de  Rockycana  allèrent  s'humilier  à  Rome   devant  le  pape 
(1593).  Cette  décrépitude  du  mouvement  vieux-hussite  offre  un  con- 
traste frappant  avec  le  développement   de  l'Unité  des  Frères.   Cette 
même  année  1593  voyait  paraître  la  fin  de  la  grande  traduction  tchèque 
de  la  Bible,  avec  commentaires,  en  six  gros  volumes  in-folio.  Les  per- 
sécutions qui  recommencèrent  au  dix-septième  siècle  ne  purent  entraver 
d'abord  cet  épanouissement  du  protestantisme   bohème.  Un  bref  de 
Clément  YIÏI  à   l'archevêque  de  Prague,   Zbinko  de  Berka,  en  avait 
donné  le  signal  (1604).  Toutes  les  professions  libérales  ne  devaient 
être  exercées  à  l'avenir  que   par  des  catholiques.  Déjà  les  rares  sei- 
gneurs appartenant  encore  à  l'Eglise  romaine  commençaient  à  recon- 
vertir leurs  vassaux  hérétiques  parles  mesures  les  plus  brutales,  quand 
les  querelles  suscitées  entre  Rodolphe  II  et  son  frère  Mathias  forcèrent 
le  premier   à  implorer   l'appui  de   la  noblesse  sub   utraque  dans   le 
royaume.  Comme  les  protestants  ne  voulurent  pas  s'engager  à  l'aven- 
ture, l'empereur  dut  leur  signer,  le  9  juillet  1609,  la  célèbre  Lettre  de 
Majesté  qui  non-seulement  donnait  aux  barons,  aux  chevaliers  et  aux 
bourgeois   une  liberté  complète  du  culte,   mais  qui  leur  permettait 


BOHÊME  333 

encore  de  nommer  des  défenseurs  qui  veilleraient  au  respect  de  leurs 
droits.  Plus  de  cinq  cents  églises  lurent  ouvertes  à  la  suite  de  cet  édit, 
et  de  beaux  jours  semblaient  s'annoncer  pour  l'Eglise  bohème.  .Mais  le 
successeur  de  Rodolphe  II,  son  frère  Mathias  (1612-1619),  souverain 
presque  aussi  unique  lui, obéissait  également  à  l'influence  d'un  clergé 
forcément  réactionnaire.  Poussé  par  son  premier  ministre,  le  cardinal 
Melchior  Khlesl,  il  autorisa  les  administrateurs  du  royaume  à  com- 
mencer une  guerre  de  chicanes  contre  l'édit  de  1609.  Les  temples 
bâtis  sur  des  terres  d'église  furent,  démolis,  celui  de  Klostergrab,  celui 
de  Braunau  et  bien  d'autres  encore  ;  les  serfs  des  domaines  royaux 
furent  traqués  et  forcés  d'aller  à  la  messe.  Les  défenseurs  réclamèrent 
en  vain  ;  l'empereur  leur  défendit  de  se  réunir.  Ils  appelèrent  alors 
les  Etats  sub  u traque  dans  la  capitale,  et  le  23  mai  1618  les  meneurs 
du  parti  montaient  au  château  royal  de  Prague,  au  Hradschin,  et 
après  des  discussions  violentes  finissaient  par  jeter  deux  des  gouver- 
neurs du  royaume,  Slawata  et  Martini tz,  par  les  fenêtres  du  château. 
La  défenestration  de  Prague  fut  le  signal  de  la  guerre  de  Trente- 
Ans.  —  Nous  n'avons  point  à  la  raconter  ici;  ni  l'avènement  de  Ferdi- 
nand II  au  trône  impérial,  ni  celui  du  comte  palatin,  Frédéric  V,  au 
trône  de  Bohême,  ne  touchent  directement  à  l'histoire  religieuse  du 
pays,  et  notre  récit  reprendra  donc  au  moment  où  la  bataille  de  la 
Montagne-Blanche,  près  de  Prague  (8  novembre  1620),  décidait  la 
question  politique  d'une  façon  favorable  à  la  dynastie  des  Habsbourgs 
et  détruisait  pour  longtemps  les  libertés  constitutionnelles  de  la  Bo- 
hême. Ferdinand  II,  désormais  maitre  absolu  de  la  situation,  avait  juré, 
dès  son  enfance,  de  ramener  à  la  vérité  religieuse,  telle  qu'il  la  voyait, 
tous  les  sujets  que  lui  avait  confiés  la  Providence.  Il  voulut  tenir  parole, 
bien  que  la  tâche  fût  immense.  Le  légat  apostolique,  Carlo  Carafa,  qui 
vint  présider  à  la  recatholisation  de  la  Bohême,  nous  dit  que  la  dixième 
partie  du  royaume  à  peine  n'était  point  infectée  du  venin  de  l'hérésie. 
Une  exécution  terrible,  celle  de  tous  les  anciens  défenseurs  de  la  foi  et 
directeurs  de  l'insurrection  bohème,  sur  lesquels  on  put  mettre  la  main, 
inaugura,  le  20  juin  1621,  l'ère  de  la  répression  religieuse.  On  com- 
mença par  attaquer  les  calvinistes  en  ménageant  les  luthériens,  pour 
ne  pas  froisser  l'électeur  de  Saxe,  allié  de  l'empereur.  Un  décret  du 
3  juin  bannissait  tous  les  prédicants  calvinistes  et  ceux  des  Frères 
Bohèmes,  les  forçait  à  évacuer  le  pays  dans  les  huit  jours  et  à  vendre 
tous  leurs  biens.  Puis  le  gouverneur  impérial,  le  prince  Charles  de 
Lichtenstein,  expulsa  les  ecclésiastiques  luthériens  tchèques,  et  finale- 
ment les  prédicateurs  allemands  eux-mêmes  durent  prendre  le  chemin 
de  l'exil.  Après  avoir  ainsi  privé  la  population  du  royaume  de  ses  con- 
ducteurs religieux,  on  se  mit  en  devoir  de  la  ramener  dans  le  giron  de 
l'Eglise.  Les  principaux  soutiens  des  libertés  politiques  et  religieuses 
de  la  Bohême  se  trouvaient  dans  les  rangs  de  la  haute  et  de  la  petite 
noblesse.  La  bourgeoisie  de  tout  temps  a  manqué  dans  les  pays  slaves, 
et  son  absence  y  explique  bien  des  catastrophes  politiques.  Sous  pré- 
texte qu'ils  avaient  trempé  dans  la  révolte,  on  confisqua  les  biens  de 
presque  tous  les  -rigueurs  protestants,  pour  les  donner  à  des  aventu- 


334  BOHEME 

riers  espagnols,  italiens  ou  wallons.  Les  ordres  religieux,  les  jésuites 
surtout,  reçurent  d'immenses  dotations  en  biens-fonds.  Un  peu  plus 
tard  (1624),  on  défendit  aux  nobles  non  catholiques  tout  mariage 
dans  le  pays.  Enfin  l'édit  du  31  juillet  1027  les  mit  dans  l'alternative 
d'abjurer  ou  de  partir  pour  l'exil.  Ils  avaient  le  droit  de  vendre  ce 
qui  leur  restait  à  des  chalands  catholiques  ;  mais  qui  donc  aurait  voulu 
payer  à  sa  valeur  ce  qui  pourrait  bientôt  s'obtenir  pour  rien?  Néan- 
moins plus  de  deux  cents  familles  seigneuriales  passèrent  les  frontières, 
préférant  la  misère  au  reniement  de  leur  foi.  Pour  les  habitants  des 
villes,  l'instruction  générale  de  juillet  1624  indiquait  les  moyens  de  les 
ramener  à  la  religion  catholique.  Il  leur  était  défendu  d'exercer  une 
profession  libérale,  un  commerce,  une  industrie  quelconque  ;  toute  abs- 
tention des  pratiques  du  culte  était  punie  par  des  amendes  ;  tout  enfant 
devait  être  envoyé  à  l'instruction  religieuse  du  curé;  tout  blasphème 
contre  la  sainte  Vierge,  les  saints  et  la  glorieuse  maison  de  Habsbourg 
était  puni  de  mort  ;  les  pauvres  et  les  malades  étaient  expulsés  des 
hôpitaux  s'ils  ne  confessaient  point  la  foi  catholique.  Les  unions  non 
bénies  par  les  prêtres  étaient  déclarées  œuvre  de  prostitution  ;  les  en- 
fants qui  en  naîtraient,  regardés  comme  bâtards.  Mais  ce  qui  fit  plus 
que  tout  le  reste  pour  ramener  les  hérétiques,  ce  fut  «l'emploi  décent 
de  la  force  coercitive  »  autorisé  par  Ferdinand  II,  par  ses  lettres  pa- 
tentes du  5  février  1627.  On  mettait  à  [la  disposition  de  la  Haute- 
Commission  de  Réforme  les  dragons  de  Lichtenstein,  et  dès  lors  les 
conversions  marchèrent  vite.  On  ne  se  contentait  pas  de  mettre  des 
garnisaires  dans  les  maisons  des  récalcitrants;  à  Kœnigingrsetz,  par 
exemple,  on  enfermait  les  hommes  à  l'hôtel-de- ville,  tandis  que  les 
femmes  étaient  livrées  aux  outrages  de  la  soldatesque  ;  à  Schlan,  on 
leur  refusait  trois  jours  durant  toute  nourriture;  à  Saatz,  on  assommait 
à  coups  de  bâton  les  malheureux  qui  refusaient  de  s'agenouiller  devant 
le  saint-sacrement.  Ceux  qui  ne  voulurent  point  céder  néanmoins, 
virent  leurs  biens  confisqués  et  durent  partir,  eux  aussi,  pour  l'exil. 
Quant  aux  malheureux  paysans,  on  ne  les  exilait  point  ;  c'était  une 
propriété  des  maîtres,  il  fallait  la  respecter.  Mais  à  quels  supplices  ces 
malheureux  serfs  ne  furent-ils  pas  soumis  pour  les  amener  à  l'abjura- 
tion de  leurs  erreurs  ?  Les  dragons  de  Lichtenstein  avaient  imaginé, 
entre  autres,  d'attacher  les  jeunes  mères  en  face  de  leurs  nourrissons 
affamés  et  de  les  tenir  séparés  jusqu'à  ce  qu'elles  eussent  promis  de 
devenir  catholiques.  Autre  part ,  on  enfermait  les  paysans  dans  des 
cages  étroites  dans  lesquelles  ils  ne  pouvaient  ni  s'asseoir,  ni  se  coucher, 
ni  se  tenir  debout.  On  les  empêchait  de  nourrir  leur  bétail  et  l'on  spé- 
culait sur  les  beuglements  de  ces  brutes  affamées  pour  les  pousser  dans 
la  voie  du  salut.  Autre  part  encore  on  ouvrait  la  bouche  aux  malheu- 
reux avec  le  canon  des  fusils  pour  les  forcer  à  recevoir  l'hostie  consa- 
crée. Il  n'est  point  étonnant  que  des  procédés  si  barbares  aient  fini  par 
triompher  de  la  constance  des  populations  protestantes  de  la  Bohême. 
Quel  mérite  les  jésuites  avaient-ils  à  convertir  des  milliers  d'héré- 
tiques avec  le  secours  de  pareils  auxiliaires?  Le  général  des  capu- 
cins, le  P.  Valerianus  Magnus,  avait  bien  raison  quand  il  répondait  au 


BOHÊME  885 

pape  Urbain    VIII,  qui   louait  devant  lui  les  jésuites  :  «    Saint-Père, 
donnez-moi  beaucoup  de  collaborateurs  semblables  et  j'aurai  bientôt 
converti   le   monde  eu'ier.   »  On  peut  dire  <pie  la   Terreur  catkoiique 
organisée  par  toute   la  Bohême  depuis  1027    mit  lin,    d'une   façon 
générale,   au   protestantisme  dans  ce   pays.  Les  quelques   débris   de 
la    population    protestante   qui    survécurent,    obligés  de   feindre  une 
dévotion  qu'ils   ne   partageaient   point  au  fond  du  cœur,   n'avaient 
aucune  existence  extérieure.  Mais  en  même  temps  que  ses  libertés  reli- 
gieuses, la  Bohême  perdit  également  son  importance  politique  et  sa 
réputation  méritée  d  une  des  nations  les  plus  éclairées  et  les  plus  civili- 
sées de  l'Europe.  Grâce  à  la  tyrannie  et  à  l'oppression  intellectuelle  que 
tirent  peser  dorénavant  sur  elle  ses  possesseurs  temporels  et  ses  guides 
spirituels,  la  population  de  ces  contrées  devint  bientôt  et  reste  encore 
aujourd'hui  l'une  des  plus  arriérées  de  notre  continent.  A  cette  déca- 
dence intellectuelle  et  morale  correspond   une  décadence  matérielle 
pour  le  moins  aussi  complète.  Selon  les  calculs  les  plus  modérés,  plus 
de  trente  mille  familles  s'expatrièrent,  plus  d'un  tiers  de  la  population 
périt  par  la  guerre,  la  peste  ou  la  famine,  près  des  deux  tiers  des  villes, 
et  des  villages  du  royaume  étaient  changés  en  ruines  au  moment  où  ces- 
sait la  guerre  de  Trente-Ans.  Et  si  le  plan  de  conquête,  habilement 
tracé  par  la  curie  romaine,  impitoyablement  exécuté  par  Ferdinand  II, 
semblait  avoir  atteint  le  but,  c'est-à-dire  la  destruction  complète  de 
l'hérésie,  cette  conquête  violente  et  contraire  aux  lois  éternelles  de 
la  justice  renfermait  pour  le  vainqueur  le  germe  de  bien  des  dangers 
et  des  malheurs  futurs,  comme  la  dynastie  des  Habsbourgs  peut  en  faire 
aujourd'hui  l'expérience. —  Les  victoires  de  Gustave-Adolphe  ravivèrent 
un  instant  les  espérances  des  nouveaux  convertis  de  Bohême;  quand, 
après  la  victoire  de  Leipzig  (1631),  l'électeur  de  Saxe  entra  dans  le 
royaume,  un  certain   nombre  de  prédicateurs  exilés  revinrent  dans 
leurs  paroisses  et   l'on  comptait   dans  Prague,  au  bout  de  quelques 
mois,  jusqu'à  lo,000  protestants.  Mais  les  chances  de  la  guerre  ame- 
nèrent un  recul  et  la  persécution  devint  plus  féroce  encore  que  par  le 
passé.  Les  traités  de  Westphalie  (1648)  confirmèrent  le  droit  de  réfor- 
mation de  chaque  Etat  de  l'empire,  et  dès  lors  on  n'entendit  plus 
guère  parler  du  protestantisme  en  Bohême.  Officiellement  il  n'existait 
plus;  de  temps  à  autre  seulement  quelque  édit  nouveau,  quelque  re- 
doublement d'intolérance,  apprenait  aux  nations  étrangères  que  le  fer- 
ment hérétique  n'avait  point  encore  été  complètement  extirpé.  Malgré 
la  vigilance  des  jésuites,  censeurs   officiels  de  toutes  les  presses  du 
royaume,  il  y  entrait  parfois  quelque  livre  tchèque,  recueil  de  canti- 
ques ou  de  prières,  traduction  de  la  Bible  ou  confession  de  foi:  de 
hardis  apôtres,  dont  plusieurs  furent  des  martyrs,  venaient  à  la  déro- 
bée visiter  leurs  ouailles  dispersées   et  pourtant  fidèles.  Quelles  que 
fussent  V  s  mesures  de  rigueur  prises  surtout  en  1696, 1710, 1715, 17±2. 
17:;:;,  17o^.  un  petit  noyau  de  protestants  subsistait,  tout  en  adhérant 
extérieurement  aux  doctrines  de  l'Eglise  triomphante.  Encore  en  1760 
on  condamnait  à  mort  des  colporteurs  et  des  hérétiques  dénoncés  à  la 
vindicte  gouvernementale.  Knlin  le  moment  vint  où  l'un  des  succès- 


336  BOHEME 

seurs  de  Ferdinand  II,  prince  absolu  comme  lui,  et  comme  lui  dominé 
par  les  idées  de  son  temps,  décida  démettre  un  terme  à  de  trop  longues 
souffrances.  Joseph  II  avait  déjà  prononcé  la  dissolution  de  Tordre  des 
jésuites  (1773),  qui  comptait  en  Bohême  1,130  membres  et  y  possédait 
huit  millions  de  revenus  fonciers,  quand  il  signa,  le  13  octobre  1781, 
son  célèbre  Edit  de  tolérance.  Cet  édit  nous  semble  aujourd'hui  bien 
intolérant  et  bien  peu  digne  d'éloges;  c'était  néanmoins  un  immense 
progrès.  Tout  en  déclarant  le  catholicisme  religion  d'Etat,  la  loi  per- 
mettait dorénavant  aux  protestants  de  proclamer  leurs  croyances  ;  elle 
leur  permettait  de  se  réunir,  sans  appareil  extérieur,  dans  des  maisons 
particulières  pour  s'y  édifier  en  commun  ;  elle  laissait  au  curé  la  dîme 
des  hérétiques,  mais  elle  permettait  aux  iidèles  d'appeler  et  d'entre- 
tenir à  leurs  Irais  des  pasteurs.  Malgré  les  clameurs  de  l'Eglise,  cette 
réforme  porta  bientôt  des  fruits.  Dès  1789  on  comptait  à  Prague  trois 
cent  dix  familles  protestantes,  et  l'année  suivante  les  relevés  officiels 
donnaient  44,000  protestants  pour  la  Bohême  entière.  C'était  bien  peu 
quand  on  songe  aux  deux  millions  d'adhérents  que  possédait  la  Ré- 
forme en  1620;  c'était  assez  pour  prouver  la  vitalité  de  l'Evangile  au 
milieu  des  plus  longues  et  terribles  persécutions.  Quand  les  acatholiques 
(ce  fut  là  l'expression  officielle  jusqu'en  1849)  se  constituèrent  en  pa- 
roisses, ils  durent  se  poser  une  question  qui  ne  manquait  pas  d'impor- 
tance. A  quelle   dénomination  protestante  devaient-ils   se  rattacher? 
Seraient-ils  calvinistes,  luthériens,  adhérents  à  la  confession  de  foi  de 
1575  ?  Les  communautés  de  nationalité  tchèque,  qui  dans  les  premiers 
temps  eurent  surtout  des  prédicateurs  venus  de  la  Hongrie  calviniste, 
se  prononcèrent  pour  la  Confession  Helvétique  ;   les  communautés  alle- 
mandes, ainsi  que  quelques  paroisses  tchèques,  dont  les  premiers  mi- 
nistres furent  Slovènes,  adoptèrent  la  Confession  d'Augsbourg.  Ces  deux 
dénominations  se  partagent  le  protestantisme  bohème  de  nos  jours.  En 
1870  ,  il  comptait  vingt-cinq  paroisses  luthériennes  et  quarante-quatre 
paroisses    helvétiques,   partagées  en  deux   surintendances,    les   unes 
renfermant  35,600  âmes,  les  autres  63,500  fidèles,  et  donnant  ainsi 
un  total  d'environ  99,000  âmes  sur  une  population  totale  de  5,400,000 
habitants.  Ces  communautés  protestantes  sont  bien  pauvres  encore, 
bien  faibles  au  milieu  du  pays  le  plus  dominé  peut-être  par  le  clergé 
que  l'on   puisse    voir  aujourd'hui.    Le  gouvernement  n'a  fait  que 
peu  de  chose  pour  les  dissidents  de  l'Autriche.  Ce  n'est  que   depuis 
1850  que  l'école  théologique  de  Vienne,  changée  en  faculté,  permet 
de  trouver  dans    l'empire   même  les  conducteurs  spirituels  néces- 
saires aux    communautés;    ce  n'est    que    depuis    la  révolution    de 
1848  que  la  liberté,  une  certaine  liberté  du  moins,  a  succédé  dans 
l'empire  à  la  tolérance  souvent  capricieuse  des  pouvoirs  politiques.  La 
constitution  ecclésiastique  provisoire  du  9  avril  1861,  remplacée  depuis 
par  celle  du  6  janvier  1866,  a  enfin  inauguré  l'ère  de  l'indépendance 
et  du  développement  légal  des  cultes  dissidents  d'Autriche,  et  la  Bohême 
protestante,  elle  aussi,  profitera,  nous  l'espérons,  de  cette  plus  grande 
liberté  d'allures,  pour  reprendre  peu  à  peu  la  place  qu'elle  occupait 
jadis  parmi  les  pays  les  plus  éclairés  et  les  plus  heureux  de  l'Europe. 


BOHEME  —  BOILEAU  337 

^-Sources:  Fr.  Palacky,  Gesch.  Bœhmens,  Prag.,  1845-1867,  t.  I1I-V; 
Krummel,  Gesch,  der  Bœhm,  Reform.  imXVJahrh.,  Gotha,  lSi>(>  ; 
C.  Hœfler,  Gesch.  schreiberder  hussit.  Bewegung^fien,  1856-1866,  ,'ï  vol.; 
Fr.  Palacky,  Monumenta  ad  J.  ffuss  spectantia,  Vindob.,  1869;  Czer- 
wenka,  Gesch.  der  cran;/.  Kirche  in  Bœhmen,  Bielefeld,  18()(.)-1870, 
2  vol.  :  Historia  persecutionum  Ecclesiœ  Bœhemiie,  s.  ioc,  1(518;  Ko- 
latschek  ,  Die  evang.  Kirche  i».  den  deuisck-slauischcn  Lsendern  OKster- 
reich's,  Wien,  18()i)  ;  C.  Peschek,  Gesch.  der  Gegenre formation  in  Bœ/unen, 
Leipzig,  1850,  2  vol.;  Rod.  Ueuss,  Destruction  du  protestantisme  en  Bo- 
hême, Paris.  1868.  Eod.  Keuss. 

BOILEAU  (Jacques),  né  et  mort  à  Paris  (1635-1716).  Frère  de 
Despréaux,  il  ne  tut  pourtant  rien  moins  que  poëte  ;  mais  le  satiriste 
n'eût  sans  doute  pas  porté  dans  la  théologie  un  autre  esprit  que  le  sien. 
Minutieux  comme  un  collectionneur,  et  lui-môme avaitréuni  une  biblio- 
thèque considérable  de  livres  rares  et  précieux  ;  gallican  convaincu  et 
quelque  peu  frondeur,  mais  avec  prudence  et  sous  le  voile  du  pseu- 
donyme; érudit  et  malin,  J.  Boileau  passa  comme  son  frère  une  longue 
vie  de  tranquille  célibataire  entre  ses  amis  et  ses  livres.  Après  ses 
études  au  collège  d'Harcourt,  il  prit  son  grade  de  docteur  en  théologie, 
entra  en  Sorbonne,  puis  se  laissa  nommer  grand-vicaire  de  Sens, 
place  qu'il  quitta  en  1694  pour  un  canonicat  à  la  Sainte-Chapelle.  Il 
composa  en  latin,  de  peur,  dit-il  malignement,  d'être  persécuté  par  les 
évoques  s'ils  venaient  à  les  lire,  une  foule  d'écrits  peu  étendus,  mais 
curieux  et  piquants,  et  dont  les  sujets  dénotent  bien  la  tournure  de  son 
esprit.  En  1676  et  1678,  il  publia  à  Lyon  deux  ouvrages,  l'un  sous  la 
rubrique  de  La  Haye  et  sous  le  pseudonyme  de  Fonteius,  l'autre  avec 
la  désignation  de  Liège  et  le  nom  de  David,  dans  lesquels  il  démontrait 
l'ancienne  participation  des  prêtres  au  gouvernement  des  diocèses  et 
lYxtension  abusive  de  la  juridiction  épiscopale.  La  même  prudence 
lui  lit  imprimer  sous  le  nom  de  Marcellus  Ancyranus  une  dissertation 
sur  la  résidence  obligatoire  des  chanoines,  une  autre  sur  les  bévues 
des  littérateurs  célèbres  et  une  troisième  De  tactibus  impudicis  :  an  sint 
peccaia  morlalta  vel  venalia  (Paris,  1095,  in-8°).  On  y  reconnaît  bien  cet 
ennemi  des  casuis-tes  qui  appelait  les  jésuites  «  des  gens  qui  allongent 
I.-  Symbole  et  accourcissent  le  Décalogue.  »  C'est  dans  le  même  esprit 
qu'il  avait  donné  en  I(>7(),  en  français,  un  écrit  pour  montrer  que 
la  contrition  est  nécessaire  à  la  rémission  des  péchés  dans  le  sacrement 
de  pénitence.  On  sait  avec  quelle  vigueur  Pascal  et  toute  l'école  de 
Port-Royal  insistaient  sur  ce  point;  mais  la  demi-contrition  ou  altrition, 
aidée  de  la  Eormule  magique  de  l'absolution,  n'en  a  pas  moins  fait  son 
chemin  dans-  la  morale  catholique.  La  rigidité  de  sa  doctrine  sur  la 
confession  l'autorisail  plus  que  tout  autre  à  en  prendre  la  défense 
contre  !<■  ministre  Daillé,  dans  son  Historia  confessionis  auricularis 
(Paris,  1683,  in-8°).  Il  lit  d'autres  ouvrages  de  controverse.  En  1681  il 
soutint, contre  le  ministre  Allix,  que  saint  Augustin  ne  doutait  pas  que 
Le  corps  de  Jésus-Christ  n'eût  du  sang  après  la  résurrection;  il  édita 
<*n  1686  le  texte  latin  de  Ratramne  De  cùrpore  et  sanguine  Christi,  avec 
une  traduction  française,  el  en  l(>8o  un  traité  sur  le  retranchement  de 


338  BOILEAU  —  BOISGELIN 

la  coupe.  Mais  Boileau  se  trouva  dans  son  véritable  élément  quand  il 
écrivit  son  histoire   des  flagellants  :   Historia  Flagellantium,^  siue  de 
recto  et  perverso  usu  flagellorum  apud  Christianos  (Paris,  1700,  in-12). 
Le  censeur  avait  exigé  l'addition  du  mot  recto  dans  le  titre,  mais  l'idée 
ne  s'en  retrouve  guère  dans  le  livre.  La  malice  gauloise  de  l'auteur  se 
donna  carrière,  grâce  à  la  liberté  du  latin,  pour  dévoiler  ces  aberra- 
tions d'un  fanatisme  sensuel.  Un  anonyme  en  publia,  en  1701,  une 
traduction   qui  rendit  en   français  toutes  les  crudités  du  latin  et  en 
nomma  l'auteur.   Boileau   s'en   plaignit  amèrement,   mais  il  donna 
raison  au  critique   en  émondant  l'ouvrage.  Cette  même  traduction 
reparut,  expurgée,  en  1732   (Paris,  in-12).    Une  thèse   moins  dange- 
reuse   fut  celle    qu'il   soutint    pour  démontrer    que    les    ecclésias- 
tiques ne  doivent  pas   se   distinguer  dans  le   monde  par  la  forme, 
mais    par  la  simplicité  de  leurs  habits  :    De    re   vestiaria    hominis 
saeri,  etc.  (Amsterdam,  1704,  in-12).  Il  appliqua  lui-même  sa  théorie 
en  adoptant  un  costume  qu'il  eut  la  bonhomie  de  croire  assez  long  et 
assez  court  pour  ne  différer  de  celui  des  laïques  que  par  sa  modestie. 
Boileau  a  fait  une  foule  de  dissertations  sur  divers  sujets.  Il  eut  la  joie 
d'en  composer  une  vers  la  lin  de  sa  vie,  en  1713,  contre  le   jésuite 
Hardouin.   Ce  singulier  érudit  prétendait  que  le  Céphas  de  la  dispute 
d'Antioche  n'est  pas  le  même  que  saint  Pierre.  Boileau  n'eut  garde  de 
manquer  cette  occasion  de  polémique.  Ce  qui  est  plus  étonnant,  c'est  que 
Don  Calmet  ait  daigné  reprendre  la  réfutation  pour  son  compte  dans 
son  Commentaire  sur  VEpître  aux   Galaies.  C'était  pourtant  un  sujet  à 
ne  pas  traiter  deux  fois   (voir,  pour  la  liste  des  ouvrages   de  Boileau, 
Du  Pin,    Bibl.   ecclés   du  dix-septième  siècle,  t.  Y,  et   les  Mémoires  de 
Nicéron,  t.  XII).  P.  Rouffet. 

BOISGELIN  (Jean  de  Dieu-Raymond  de  Cucé),  né  à  Rennes  en  1732. 
Bien  que  sa  famille  l'eût  destiné  dès  l'enfance  à  l'Eglise,  la  carrière 
ecclésiastique  fut  pour  lui  moins  un  état  qu'une  vocation.  Aussi,  quand 
la  mort  de  son  frère  aîné  le  rendit  chef  de  sa  famille,  il  renonça  à  son 
privilège  en  faveur  d'un  autre  frère  et  resta  dans  les  ordres.  Grand- 
vicaire  de  Pontoise,  évoque  de  Lavaur,  puis  archevêque  d'Aix  (1770), 
il  laissa  partout  le  souvenir  d'une  activité  bienfaisante.  Son  zèle,  joint 
à  sa  libérale  charité,  sauva,  aux  approches  de  la  Révolution,  son  dio- 
cèse des  désordres  et  de  la  famine  qui  menaçaient  de  suivre  les  émeutes 
au  sujet  des  approvisionnements.  Député  du  clergé  en  1789,  il  se  (it 
remarquer  par  une  sage  modération.  11  s'exila  à  la  fin  de  la  Consti- 
tuante et  resta  en  Angleterre  jusqu'au  moment  où  le  gouvernement 
renoua  les  relations  avec  Rome.  Archevêque  de  Tours  en  1802,  il  pro- 
nonça un  discours  remarquable  à  la  cérémonie  de  la  prestation  du 
serment  des  archevêques  et  évêques.  Peu  après  il  fut  nommé  car- 
dinal et  mourut  en  1804.  Membre  de  l'Académie  française  depuis  1770. 
Boisgelin  mena  de  front  les  travaux  ecclésiastiques  et  les  occupations 
littéraires.  On  a  de  lui  une  Traduction  des  Héro'ides  $  Ovide,  en  vers 
français,  imprimée  à  Paris  sans  nom  d'auteur,  sous  la  rubrique  de 
Philadelphie,  et  tirée  à  douze  exemplaires  seulement  (1786,  in-8°); 
une  traduction  en  vers  du  Psautier,  publiée  au  profit  d'émigrés  (Lon- 


BOISGELIX  —  BOLIVIE  339 

dfes,  1790);  tes  Oraisons  funèbres  du  roi  Stanislas  (1766,  in-Si.  delà 
Dauphine,  belle-fille  de  Louis  XV  il70(.),  in-4°),  et  le  discours  du  sacre 
«le  Louis  XVI.  Il  a  encore  compose  divers  opuscules  sur  les  question 
de  son  temps,  et  des  observations  sur  Montesquieu  qui  sont  restées  er 
manuscrit. 

B0ISM0NT  (Nicolas  Thyrel  de)  [171M786].  Prédicateur  illustre  en 
son  temps  et  parfois  véritablement  éloquent,  mais  plus  élégant  que 
profond,  et   incapable  de  se  maintenir  par  un  travail  constant  à  la 
même  hauteur,  Boismont  donna  une  preuve  négative  de  l'aphorisme 
de  Buffon,  que  le  génie  est  une  longue  patience.  Après  s'être  fait  con- 
naître à  Rouen,  sa  patrie,  il  se  rendit  à  Parisen  17W.  Son  talent  le  fai- 
sait remarquer  peu  à  peu;  un  trait  d'esprit  ou  un  hasard  fonda  sa 
renommée.  Prêchant  devant  un  auditoire  plus  distingué  que  sérieux- 
sur  la  conversion  de  Madeleine,  il  décrivit  longuement  la  vie  mondaine 
de  la  pécheresse,  et,  arrivé  au  second  point  où  il  devait  exposer  la 
contre-partie  de  sa  vie  pénitente,  il  resta  court  et  descendit  delà  chaire. 
Le  sujet  de  son  discours  de  réception  à  l'Académie  :  De  la  nécessité 
d'orner  les  vérités  évangéliques ,  montre  assez  qu'il  se  faisait  de  la  pré- 
dication un  tout  autre  idéal  que  les  Bridaine  et  les  Beauregard.  Prédi- 
cateur de  cour  dans  le  vrai  sens  du  mot,  il  fit  les  Oraisons  funèbres  du 
Dauphin,  fils   de  Louis  XV,  de  la  reine,  de  Louis  XV,  et  enfin  de 
Marie-Thérèse.    On  les  a   recueillies,  avec  un  Panégyrique    de  saia}. 
Louis  et  quelques  autres  discours,  et  publiées  en  un  volume  (Paris, 
1805,  in-8°). 

BOISSARD  i  Georges-David-Frédéric),  né  à  Montbéliard  en  1783,  fut 
pasteur  à  Lille,  puis  à  Nancy.  Un  consistoire  de  l'Eglise  de  la  confession 
(TAugsbourg  ayant  été  institué  à  Paris,  Boissard  en  fut  le  premier  pasteur 
et  procéda  à  l'inauguration  de  l'église  des  Billettes  le  26  novembre 
1809.  Son  zèle  infatigable  et  son  aimable  caractère  lui  assurèrent  une 
large  part  dans  l'organisation  de  la  nouvelle  communauté ,  ainsi  que 
dans  la  fondation  de  la  Société  biblique  et  d'autres  œuvres  chrétiennes, 
à  une  époque  où  le  protestantisme  n'était  pas  encore  agité  par  des 
débats  religieux.  Il  mourut  en  1836. 

BOLIVIE  (Statistique  ecclésiastique).  La  république  de  Bolivie  ou  du 
Haut-Pérou  a  longtemps  fait  partie  des  colonies  espagnoles.  Rattachée 
jusqu'en  J  778  à  la  vice-royauté  de  Lima,  elle  appartint  ensuite  à  celle 
de  Buenos-Ayres.  Elle  se  souleva  en  1808  contre  la  domination  delà 
métropole,  et  forme  une  république  indépendante  depuis  1825.  Son 
histoire  n'est  guère  depuis  lors  qu'une  suite  de  révolutions  successives, 
interrompue  par  de  rares  et  courtes  périodes  de  tranquillité  relative. 
Le  dernier  recensement  officiel  de  la  population  remonte  à  1861  ;  il 
constatait  l'existence  de  1,787,352  habitants.  Il  fauty  ajouter  les  Indiens 
nomades  dont  le  nombre  est  très-diversement  estimé  par  les  géogra- 
phes et  tes  voyageurs.  Les  chiffres  varient  entre  24,000  et  700,000.  La 
population  totale  de  la  république  peut  donc  être  évaluée  à  environ 
2,000,000  d'âmes.  Les  Indiens  sont  en  grande  majorité  païens;  les 
efforts  des  missionnaires  catholiques  n'ont  réussi  à  en  convertir  qu'un 
petit  nombre.  Les  blancs  se  rattachent  tous  à  l'Eglise  romaine;  nous 


340  BOLIVIE  —  BOLLANDISTES 

n'avons  pas  connaissance  qu'il  y  ait  dans  le  pays  d'adhérents  d'autres 
communions  chrétiennes,  et  une  loi  de  1872  interdit  l'exercice  d'autres 
cultes  que  le  catholicisme.  L'Eglise  est  riche  et  n'a  besoin  pour  pourvoir 
à  son  entretien  que  d'une  subvention  peu  considérable  de  l'Etat  (envi- 
ron 500,000  fr.  en  1874).  Le  chef  de  la  hiérarchie  catholique  est  l'ar- 
chevêque de  Charcas  ou  de  La  Plala;  l'évêché  a  été  créé  par  une  bulle 
du  3  juillet  1552  et  élevé  au  rang  de  métropole  le  2  juillet  1609.  La 
cathédrale  (Sainte- Marie) ,  bâtie  en  1553,  passe  pour  l'édifice  religieux 
le  plus  magnifique  de  l'Amérique  du  Sud.  Il  y  a  en  Bolivie  trois  autres 
évêchés,  ceux  de  La  Paz  (1601),  de  Cochabamba  (23  juin  1847)  et  de 
Santa-Cruz  de  la  Sierra  (6  juillet  1605).  Jusqu'à  ces  dernières  années, 
le  premier  de  ces  évêchés  relevait  de  l'archevêché  de  Lima  (Pérou)  ;  il 
a  été  subordonné  (1866)  à  l'archevêque  de  Charcas,  auquel  on  a  retiré 
en  même  temps  sa  juridiction  sur  les  sièges  de  Buenos-Ayres  et  de 
Salta  de  Tucuman,  dans  la  république  Argentine,  pour  en  former  la 
nouvelle  province  archiépiscopale  de  Buenos-Ayres.  Les  couvents  tant 
d'hommes  que  de  femmes  sont  assez  nombreux  et  fort  riches.  11  y  a 
une  université  à  Quiquisaca.  —  Bibliographie  :  Almanach  de  Gotha, 
1877  ;  Martin,  The  Statesmans.  Yearbook,  1877  ;  Hugo  Reck,  Géographie 
und  Statistik  der  Republik  Boliuia,  dans  les  Mittheilungen  de  Peter- 
mann,  VII,  VIII,  1865,  etc.  E.  Vaucher. 

B0LLANDISTES,  nom  donné  aux  jésuites  chargés  de  travailler  à  la 
grande  collection  des  Acta  Sanctorum  (voy.  ce  mot).  Héribert  de 
Roswey,  professeur  au  collège  des  jésuites  de  Douai,  se  trouvant  en 
1599  au  monastère  de  Léessies  en  Flandre  (auj.  dép.  du  Nord),  y  con- 
çut le  plan  d'un  Recueil  en  dix-sept  volumes  in-folio,  le  fit  connaître 
en  1607  dans  ses  F  asti  Sanctorum  quorum  vitx  in  belgicis  bibliothecis  ma- 
nuscriptx  asservantur  (Antverpiœ,  ex  off.  Plantiniana,  ap.  J.  Moretum, 
in-12).  Il  ne  put  publier  qu'un  recueil  préliminaire  de  Vitx  Pa- 
trum  en  1615,  et  mourut  le  5  octobre  1629,  au  moment  où  il  allait 
commencer  l'impression  des  Acta.  Jean  Bolland,  né  à  Tirlemont,  dans 
le  Limbourg,  le  18  août  1596,  entré  en  1612  dans  Pordre  des  jésuites, 
fut  chargé  en  1629  de  continuer  l'œuvre  de  Roswey,  et  la  maison 
d'Anvers  fut  désignée  pour  être  le  centre  de  l'entreprise.  L'impression 
fut  commencée  en  1634,  et  Bolland  s'adjoignit  comme  collaborateurs 
deux  hommes  éminents,  ses  élèves,  Godefroid  Henschen  (1600-1681)  et 
Daniel  Papebrœck  (1628-1714).  C'est  au  triumviratde  ces  troishommes 
que  les  Acta  Sanctoimm  durent  leur  période  la  plus  brillante,  celle  où 
les  travaux  furent  poursuivis  avec  le  plus  d'ardeur  et  exécutés  avec  le 
plus  de  liberté  d'esprit  et  le  plus  de  critique.  Vingt-six  volumes  furent 
publiés  du  vivant  de  Papebrœck.  Il  consacra  toute  sa  fortune  à  la  créa- 
tion de  la  Bibliothèque  des  bollandistes  qui  devint  d'une  admirable 
richesse,  et  fut  le  vrai  créateur  du  Musée  Bollandkn  ou  Musée  des  Saints 
d'Anvers.  Henschen  et  Papebrœck  firent  d'importants  voyages  scienti- 
fiques en  Allemagne,  en  Italie  et  en  France  pour  y  recueillir  des  docu- 
ments. Leurs  lettres  et  leur  Diarium  itineris  romani  se  trouvent  à 
Bruxelles,  à  la  bibliothèque  des  ducs  de  Bourgogne  (nos  7671,  7672). 
Ils   entretenaient  une   immense  correspondance  avec  les  savants   de 


BOLLANDISTES  341 

toute  L'Europe.  A  ces  trois  grands  hommes  succédèrent  d'autres  colla- 
borateurs moins  illustres,  mais  dont  quelques-uns  ne  manquèrent  pas 

de  mérite  :  Janninek,  Baerts,  du  Sollier,  Pieu,  Cuypers,  Van  den  Bosch, 
Van  de  Velde,  Limpeu,  Stveker,  Stiltinck,   Suyskene,  Périer,  Clé,  de 
Bye,  Ghesquière,  de  Bue,  Huben,  Berthod.  La  persécution  qui  frappa 
au  dix-huitième  siècle  Tordre  des  jésuites  n'épargna  pas  les  bollan- 
distes.  Le  20  septembre  1773  on  leur  donna  lecture  de  la  bulle  de  Clé- 
ment XIV  et  des  lettres  patentes  de  Marie-Thérèse  qui  leur  ordonnaient 
de  se  séparer,   et  l'un   d'eux,  Clé,  fut   même   emprisonné   pendant 
deux.  ans.  Toutefois  en  1778  l'abbé  de  Caudenbey  fut  autorisé  à  rece- 
voir les  bollandistes  à  qui  l'on  intima  l'ordre  de  terminer  leur  œuvre 
en  dix  ans  et  en  dix  volumes.  Mais  en  1780  le  monastère  de  Cauden- 
bey fut  aussi  supprimé,  et  les  bollandistes  furent  ramenés  à  Bruxelles, 
au  collège  des  jésuites.  Joseph  II  vendit  pour  23,000  florins  le  Musée 
des  Saints  à  l'abbé  de  Tongerloo.  et  c'est  là  que  parut  encore  en  mai 
1794  le  cinquante-troisième  volume  de  la  collection,  grâce  au  zèle  de 
quatre  prémontrés  :  Fonson,  Yan  Dyck,  deGoor  etStalz,queleP.  de  Bue 
avait  réussi  à  enrôler  pour  l'œuvre.  La  Révolution  vint  arrêter  leurs 
travaux;  le  ()  décembre  1791  les  religieux  de  Tongerloo  furent  expulsés 
et  le  Musée  eut  été  entièrement  perdu  si  les  fermiers  de  l'abbaye  n'en 
avaient  pieusement  recueilli  et  conservé  les  débris.  Sous  Napoléon,  il 
fut  plusieurs  fois  question  de  rétablir  les  bollandistes  et  de  reprendre 
leur  œuvre.  Le  janséniste  Camus,  Monge,  l'Institut  s'en   occupèrent, 
et  Napoléon  se  montrait  favorable;  mais  rien  ne  fut  fait.  En  1825,  le 
roi  Guillaume  de  Hollande  racheta  les  restes  du  Musée  des  Saints  dont 
les  imprimés  furent  déposés  à  La  Haye,  et  les  manuscrits  à  Bruxelles. 
Après  la  création  du  royaume  de  Belgique,  le  ministère  de  M.  Guizot 
ayant  manifesté  l'intention  de  faire  continuer  en  France  l'œuvre  des 
bollandistes,  le  roi  Léopold  chargea  en  1836  les  jésuites  de  Belgique 
de  reprendre  l'entreprise  inachevée.  En  1845  le  cinquante-quatrième 
volume  parut,  deux  cents  ans  après  l'apparition  du  premier.  Le  col- 
lège Saint-Michel  de  Bruxelles  a  depuis  lors  été  le  centre  des  bollan- 
distes, et  les  Pères  qui  depuis  1836  ont  travaillé  au  recueil  sont  les 
PP.  Van  der  Mœre,  Yan  Hecke,  Bossue,  de  Buch,  Tinuebrœck.  Soixante 
volumes  ont  paru.  Ils  sont  publiés  par  la  librairie  catholique  générale 
de    Paris,   qui  a  aussi  réédité  tous  les   anciens  volumes.  Les  Acta 
Sanclorum  contiennent  non-seulement  les  textes  principaux    des  vies 
«les   saints  et    d'amples  préfaces   où  sont  discutées  toutes  les  ques- 
tions critiques  que  ces  documents  soulèvent,  mais  encore  des  disser- 
tations étendues  sur  des  points   spéciaux  de  l'histoire  ecclésiastique, 
telles  que  la  Diatribe  sur  les  trois  Dugobert  de  Henschen  ,  le  Propylée 
diplomatique  de  Papebrœck,  les  traités  sur  les  martyrologes,  sur  les 
patriarches  d'Antioche  et  de  Constantinople,  etc.  —  Consultez  pour 
['histoire  des  bollandistes  :  De Prosecutione  operis  Bollandiani quod  \  A. 
SS.  ùucribitur,  Namur,  1838,  in-8°  ;  Donner,  Zeitscltri/t  fur  Philoso- 
phie h.  katholische  Tln><>l<><jii\  1836,  livr.  17  et  20;  Pitra,  Etudes  sur  la 
collection   des    .{<■/,■<   des  Saints  publies  par   les  Bollandistes,   Paris, 
1850,  in -8°.  Gabriel  Monod. 


342  BOLOGNE  —  BOLSEC 

BOLOGNE  (ville  et  archevêché  de).  Bâtie,  on  ne  sait  par  quels  émi- 
grants,  non  loin  de  la  Gaule  cisalpine,  Bologne  dut  à  sa  position  de  re- 
cevoir une  colonie  romaine.  Enlevée  par  Pépin  et  Charlemagne  aux 
Lombards,  elle  profita  des  longues  luttes  entre  les  empereurs  et  les 
papes  pour  devenir  indépendante.  La  liberté  lui  donna  quelques 
moments  de  puissance  au  dehors,  mais  une  anarchie  perpétuelle  au 
dedans.  Après  des  discordes  civiles  qui  remplirent  les  treizième  et  qua- 
torzième siècles.  Bologne  se  soumit  au  pape,  mais  le  saint-siége  fut 
longtemps  incapable  de  la  soustraire  aux  tyrans  qui  s'y  disputaient  le 
pouvoir.  Jules  II  l'annexa  définitivement,  en  1506,  aux  Etats  de  l'Eglise. 
Cette  ville  est  célèbre  dans  l'histoire  ecclésiastique  par  son  université 
fondée,  dit-on,  par  Théodose  le  Jeune,  vers  423,  par  sainte  Catherine 
de  Bologne  et  par  les  cinq  papes  qui  y  sont  nés  :  Grégoire  XIII,  Ho- 
noré II,  Luce  II,  Innocent  IX  et  Grégoire  XV.  Elle  a  produit  aussi  l'il- 
lustre naturaliste  Aldrovandus  et  nombre  d'érudits.  Saint-Dominique 
y  est  enterré  dans  l'église  de  son  ordre.  Clément  VII  couronna  Charles- 
Quint  à  Bologne,  en  1529.  Le  concile  de  Trente  y  fut  transféré  en  1547, 
par  une  délibération  du  il  mars  votée  ,  à  l'instigation  de  la  cour  de 
Rome,  par  35  évoques  et  3  généraux  d'ordres.  Charles-Quint  s'oppo- 
sait formellement  à  cette  translation  ;  aussi  fut-elle  rejetée  par  un  car- 
dinal et  17  évoques  qui  restèrent  à  Trente  sur  l'ordre  de  l'ambassa- 
deur impérial.  Ce  schisme  d'un  nouveau  genre  paralysa  l'assemblée  de 
Bologne,  et  il  fallut  différer  le  plus  possible  les  sessions  pour  ne  pas  tom- 
ber dans  un  embarras  ridicule.  La  première  fut  célébrée  le  21  avril,  uni- 
quement pour  la  remettre  au  2  juin,  vu  l'absence  des  Pères.  Le  2  juin, 
on  renouvela  la  même  formalité,  en  fixant  la  session  au  15  septembre.. 
Cette  fois,  on  eut  honte  de  la  tenir,  et  dès  le  14  les  légats  convoquèrent 
une  congrégation  qui  prorogea  indéfiniment  la  session  annoncée.  Elle 
n'eut  lieu  que  sous  Jules  III,  à  Trente,  le  1er  mai  1551.  Les  deux  ses- 
sions nominales  de  Bologne  sont  les  IXe  et  Xe  du  concile  et  les  der- 
nières du  pontificat  de  Paul  III. 

BOLSEC  (Jérôme-Hermès).  En  1551  arriva  de  Ferrare  à  Genève  un 
médecin  nommé  Bolsec,  ancien  carme,  inquiété  à  Paris  pour  la  har- 
diesse de  sa  prédication,  réfugié  en  Italie,  dans  les  Etats  de  Renée  de 
France,  devenu  protestant,  mais  ayant  dû  quitter  Ferrare  à  cause  de 
son  inconduite.  A  Genève  il  commit  l'imprudence  de  s'attaquer  ouver- 
tement et  même  en  plein  temple  au  dogme  de  la  prédestination  et  de 
l'élection  calviniste,  ce  qui  lui  attira  non-seulement  les  violentes  re- 
montrances, mais  aussi  l'animadversion  de  Calvin,  très-peu  tolérant  sur 
ce  chapitre.  Mis  en  prison  par  ordre  du  Conseil,  il  fut,  malgré  les  préa- 
vis de  Zurich,  de  Berne  et  de  Bàle,  banni  de  la  république  et  dut  se 
retirer  à  Thonon  (Savoie),  qui  dépendait  alors  de  Berne.  Calvin,  député 
auprès  du  Conseil  de  Renie,  obtint  encore  son  expulsion.  Bolsec  revint 
à  Paris  et  s'arrangea  de  manière  à  faire  sa  paix  avec  les  '  Eglises 
réformées.  Il  rétracta  ses  erreurs  au  synode  national  d'Orléans  (1562). 
On  ne  sait  trop  ce  qu'il  devint  ensuite  ;  mais,  peu  de  temps  après,  ou- 
ïe retrouve  à  Lausanne  exerçant  de  nouveau  la  médecine,  il  en  est 
encore  chassé  pour  cause  d'opinions  malsaines,  il   séjourne   quelque 


BOLSEC  —  BONA  343 

temps  à  Montbéliard.  enfin  il  rentre  en  France  el  abjure  le  protestan- 
tisme. A  Autun.  du  il  ^'établit  comme  médecin,  il  se  lia  avec  les  cha- 
noines du  lieu  et  commença  La  série  de  ces  diatribes  systématiques  con- 
tre la  Réforme  61  les  réformateurs.  Il  changea  encore  plusieurs  lois  de 
résidence:  on  levoif  à  Lyon  en  1577,  el  il  y  est  probablement  mort  en 
1585.  On  a  de  lui  :  1"  Le  Miroir  de  Vérité  au  roi  ('hurles  IX  (1562,  in- 
trouvable); 2"  Histoire  de  la  vie,  mœurs,  actes,  doctrine  et  mort  <l' 
demi  Calvin,  jadis  grand-ministre  de  Genève  (4582);  3°  Histoire  de  la 
oie,  mœurs,  doctrine  et  dé por terriens  de  Th.  de  Bèze  dit  le  Spectahle 
1582);  Ces  biographies  sont  un  tissu  de  calomnies  qu'aucun  historien 
sérieux.,  pas  même  le  P.  Maimbourg,  n'a  osé  admettre  et  dont  plus  ré- 
cemment M.  Mignet  a  fait  bonne  justice.  C'est  là  pourtant  qu'il  faut 
chercher  la  première  mention  de  la  légende,  devenue  depuis  si  chère 
aux  écrivains  passionnés  de  l'ultramonlanisme  d'après  laquelle  Calvin 
aurait  eu  de  mauvaises  mœurs  et,  dans  sa  jeunesse,  aurait  été  «  lleurde- 
lysé  ».  Sans  doute  Bolsec  a  été  Tune  des  victimes  de  l'àpreté  avec  la- 
quelle Calvin  et  Th.  de  Bèze  défendaient  leur  dogme  favori  de  la  pré- 
destination. Mais  tout  le  reste  de  sa  vie  nous  montre  en  lui  un  esprit 
inquiet,  brouillon,  peu  scrupuleux,  très-entiché  de  lui-môme  et  ne 
eraignanl  pas,  pour  acheter  de  puissantes  protections  et  satisfaire  ses 
rancunes,  de  tremper  sa  plume  dans  le  plus  noir  mensonge.  —  Voyez: 
La  France  protestante,  art.  Bolsec  ;  La  Vie  de  Calvin,  par  Henry  ;  la 
même  Vie,  par  Th.  de  Bèze.  a.  réville. 

BONA  (Jean),  né  à  Mondovi  en  1609,  d'une  branche  des  Bonne-Les- 
digùières  du  Daùphiné.  Il  prit,  dès  102o,  l'habit  de  Citeaux  à  Pignerol, 
et  en  1051  il  fut  élu  général  de  son  ordre.  Après  ses  trois  ans  d'exercice. 
il  déclina  cet  honneur,  mais  Fabio  Chigi,  son  ami  intime,  devenu  pape 
en  1655  sous  le  nom  d'Alexandre  VII,  le  força  à  l'accepter  de  nouveau. 
Cardinal  en  1669,  de  la  création  de  Clément  IX,  il  était  désigné  par  la 
voix  publique  pour  lui  succéder  au  saint-siége,  mais  le  conclave  de 
1070  trompa  l'attente  universelle.  Il  mourut  en  1074.  Bona  avait  con- 
sacre'' sa  vie  à  la  science  et  à  la  théologie.  Il  entretenait  avec  les  savants 
de  l'Europe  une  correspondance  qui  a  été  recueillie  par  le  P.  Sala 
(Turin,  1755,  1  vol.  in-8°).  La  meilleure  des  nombreuses  éditions  de 
ses  œuvres  es!  celle  du  même  P.  Sala  (Turin,  1747,  4  vol.  in-tol.).  L'ou- 
vrage le  plus  érudit  de  Bona  est  son  Rerum  liturgicarum  libri  duo,  tra- 
duit par  l'abbé  Lobry  (Paris,  1850,  2vol.  in-8°).Un  autre  écrit,  Le 
Phénix  qui  renaît,  ou  rénovation  de  l'âme  par  la  retraite  et  les  exercices 
spirituels,  ouvrage  posthume  du  cardinal,  a  été  traduit  du  latin  par 
M.  Julien  Travers  «Paris.  1858,  in-8°).  Mais  ce  qui  a  rendu  Bona  popu- 
laire, ce  sonf  ses  Principia  vit.v  christianœ  et  sa  Manuductio  ad 
cœlum.  Os  deux  traités,  dignes,  par  leur  onction  et  leur  simplicité, 
d'être  compares  a  Y  Imitation  de  Jésus-Christ,  ont  eu  plusieurs  traduc- 
tions françaises.  Celles  de  Lambert  pour  le  premier  et  du  président 
Cousin  pour  le  second  onl  été  reproduites  dans  le  Panthéon  littéraire 
deBuehon  (Paris,  1825,  in-8°).  Ce  sérail  rendre  un  véritable  service 
que  d'adapter,  comme  on  la  fait  pour  Y I Tmitation,  à  tontes  les  commu- 
nions, au  moins  les  Principes  de  la  vie  chrétienne. 


344  BONALD 

BONALD  (Louis-Gabriel-Ambroise,  vicomte  de),  né  au  Monna,  près 
Milhau,  en  Rouergue,  le  2  octobre  1754,  quitta  la  France  au  début  de 
la  Révolution  et  se  retira  à  Heidelberg  avec  sa  famille  après  avoir  servi 
dans  les  rangs  des  émigrés.  Ce  fut  à  l'étranger  qu'il  publia  son 
premier  ouvrage,  la  Théorie  du  pouvoir  politique  et  religieux  (Cons- 
tance, 1796).  Quelques  années  après,  au  couronnement  de  Napoléon, 
il  rentrait,  devenait  à  Paris  collaborateur  du  Mercure  de  France  et  du 
Journal  des  Débats,  et  bientôt,  à  la  demande  de  Fontanes,  il  était  nommé 
conseiller  titulaire  de  l'université,  quoiqu'il  put  sans  injustice  être 
mis  au  nombre  de  ses  pires  ennemis.  Député  de  1  Aveyron,  il  siège 
presque  sans  interruption  dans  les  assemblées  de  1815  à  1830,  offre  avec 
empressement  son  concours  à  tous  ceux  qui  proposent  quelque  loi  de 
réaction,  et  se  fait  nommer  successivement  président  de  la  commission 
de  censure,  membre  de  l'Académie,  ministre  d'Etat,  pair  de  France.  A 
la  révolution  de  Juillet,  ayant  refusé  de  prêter  serment  à  Louis -Phi- 
lippe, il  rentre  enfin  dans  la  vie  privée,  et  va  mourir  dansle  lieu  même 
où  il  était  né,  au  Monna,  le  23  novembre  1840.  —  Comme  écrivain  et 
philosophe,  de  Bonald,  collaborateur  au  Mercure  et  au  Conservateur  de 
Chateaubriand,  Salaberry,  Fiévée,  se  rattache  avec  de  Maistre,  d'Eck- 
stein,  de  Lamennais,  à  ce  qu'on  a  appelé,  dans  la  première  moitié  du 
dix-neuvième  siècle,  Y  école  théologique,  soutenant  que  la  révélation, 
et  non  l'observation,  doit  être  le  principe  de  la  philosophie.  On  peut 
dire  qu'il  est  tout  entier  danssa  théorie  du  langage.  Le  langage  primitif, 
dit-il,  a  été  donné  par  Dieu  à  l'homme,  et  il  s'appuie,  pour  le  dé- 
montrer, d'abord  sur  l'autorité  de  la  Bible  et  les  recherches  des  philo- 
logues, comme  preuve  historique.  Puis  il  passe  à  la  preuve  méta- 
physique. Dieu,  qui  a  créé  l'homme  sociable,  a  dû  le  pourvoir  en  même 
temps  du  langage  :  la  parole  a  été  nécessaire,  Rousseau  le  reconnaît 
lui-même,  pour  établir  l'usage  de  la  parole.  Il  eût  fallu  trop  de  génie 
à  l'homme  pour  s'élever  seul  de  la  pure  idée  à  la  conception  du 
discours.  Et  là-dessus  M.  de  Bonald  établit  tout  son  système.  Mais  il 
prouve  mal  ce  qu'il  avance  ainsi,  et  il  est  facile  de  lui  répondre.  Par 
exemple,  est-ce  que  la  conscience  de  notre  existence  propre  qui,  seule, 
rend  possibles  nos  autres  connaissances,  ne  précède  pas  ne  nous  la 
présence  de  toute  espèce  de  signes?  Est-ce  que  la  pensée  ne  se  prête 
pas  à  un  beaucoup  plus  grand  nombre  de  nuances  que  la  parole  n'en 
saurait  exprimer?  Est-il  réellement  impossible  d'expliquer  l'invention 
du  langage  sans  une  révélation  directe  de  Dieu,  et  de  soutenir  que  les 
perceptions  de  l'àme  se  fixant  par  la  réflexion,  et  l'organe  vocal  étant 
très-propre  à  bien  rendre  ces  perceptions,  l'homme  a  eu  besoin  de 
trouver  dans  son  organisation,  non  pas  une  langue  toute  faite,  mais  un 
instrument  de  pensée  qu'il  ait  pu  mettre  en  jeu,  et  puis  de  développer 
simplement  cette  faculté  pour  parvenir  à  toutes  les  connaissances 
pour  lesquelles  la  parole  lui  était  nécessaire?  On  pourrait  ainsi  ren- 
verser l'édifice  que  de  Bonald  avait  si  laborieusement  élevé.  Mais  si 
l'on  accepte  sans  discussion  ces  principes,  il  en  tire  aussitôt  un 
excellent  parti  pour  appuyer,  comme  défenseur  du  pouvoir  absolu, 
ses  vues  sociales.  Si  la  parole  est  un  don  direct  de  Dieu  à  l'homme,  les 


BONALD  —  BONAVENTURE  345 

idées  transmises.  Les  formes  politiques,  les  maximes  religieuses,  morales. 

déjà  en  vigueur,  les  vieilles  traditions,  sont  la  vérité  même  et  L'homme 
ne  doit  rien  chercher  au-delà.  11  s'agit  au  fond,  pour  de  Bonald  comme 
pour  de  Maistre,  de  nier  la  puissance  et  l'indépendance  de  La  raison. 
Leur  théorie  <ln  langage,  c'est  la  forme  qu'ils  ont  donnée  l'un  et 
l'autre  à  la  question  de  L'origine  des  idées.  Cette  maxime:  L'homme 
pense  sa  parole  avant  de  parler  sa  pensée,  est  donc  la  base  de  la  phi- 
losophie de  M.  de  Bonald.  On  peut  dire  également  que  toute  sa  politique 
est  renfermée  dans  ce  principe  :  trois  idées  générales,  cause,  moyen, 
effet,  embrassent  l'ordre  universel  des  êtres  et  de  leurs  rapports. 
Il  explique  tout  ainsi,  appliquant  à  tout  son  principe  :  à  la  Trinité 
divine;  aux  mystères  de  la  foi  catholique,  trinité,  incarnation,  ré- 
demption; à  la  société  politique,  le  pouvoir,  le  ministre,  le  sujet;  à  la 
société  domestique,  le  père,  la  mère,  l'enfant,.  Dieu,  qui  a  voulu  qif  U 
y  eût  partout  une  cause,  un  moyen  et  un  effet,  veut  quo  chaque  terme 
conserve  sa  fonction  propre.  Donner  quelque  puissance  au  médiateur 
ou  à  l'effet,  c'est  désobéir  à  la  volonté  de  Dieu  pour  suivre  la  raison  et 
la  loi  naturelle.  Le  despotisme  doit  donc  rester  établi  partout,  comme 
révélé  par  Dieu,  dans  la  religion,  dans  la  société  politique  et  dans  la 
famille.  Les  discours  politiques  de  M.  de  Bonald  et  ses  grands 
ouvrages  :  la  Théorie  du  pouvoir  politique  et  reliyieu.v,  la  Législation 
primitive,  les  Recherches  philosophiques  sur  les  premiers  objets  des  con- 
naissances morales,  tous  compris  dans  l'édition  de  ses  œuvres  complètes 
(Paris,  1817-1821),  10  volumes),  présentent  l'application  aux  sujets  les 
plus  divers,  de  ces  principes,  en  même  temps  que  de  la  théorie  du 
langage.  Ainsi,  tandis  que  la  plupart  de  ses  contemporains,  dans 
L'école  sensualiste,  s'efforçaient  de  renouer  la  chaîne  qui  les  rattachait 
à  Condillac  et  kY  Encyclopédie,  M.  de  Bonald  vouluteonstituer  la  société 
civile  sur  la  base  de  la  religion  et  d'une  révélation  contraire  à  la  raison. 
L'école  théologique  à  laquelle  d  appartenait  n'a  rien  fait  qui  fût 
destiné  à  durer,  il  crut  lui-même,  haïssant  la  Révolution  et  l'esprit 
moderne,  n'arriver  qu'aux  conséquences  fatales  de  ses  théories,  tandis 
qu'en  réalité  ses  principes  n'étaient  au  contraire  que  des  moyens  de 
satisfaire  et  de  légitimer  ses  sentiments.  —  Voyez  Damiron,  Essai  sur 
l'hist.  de  la  philosophie  en  France,  2  vol.  in-8°,  Paris,  1828;  Académie 
française,  Collée  t.  des  discours,  séance  du  15  juillet  1841  ;  Marie-Joseph 
Chénier,  Tableau  de  la  littérature  ;  Maine  de  Biran,  Œuvres  inédites, 
publiées  par  Na  ville,  Examen  critique  des  opinions  de  M.  de  Bonald, 
Paris.  18.M).  in-8°.  J.  Arboux. 

BONAVENTURE.  Jean  de  Fidenza,  tel  était  son  nom  véritable,  naquit 
en  1221  à  Bagnarça,  en  Toscane.  A  l'âge  de  vingt-et-un  ans  il  entra 
dans  Tordre  des  franciscains  ,  dont  il  devint  une  des  gloires  les  plus 
pures.  Après  avoir  achève''  ses  études  à  Paris,  il  resta  dans  cette  ville; 
il  y  enseigna  la  philosophie  et  la  théologie  chez  les  frères  mineurs, 
pendant  que  Thomas  d'Aquin  professait  les  mêmes  parties  chez  les 
dominicains.  Les  deux  docteurs  avaient  une  réputation  égale,  et  tout 
en  appartenant  a  des  ordres  rivaux  et  en  suivant  dans,  leur  enseigne- 
ment des  méthodes  différentes,  ils  étaient  unis  par  une  amitié  qu'aucun 


^46  BONAVENTURE 

dissentiment  ne  vint  troubler.  En  1250  Bonaventure  fut  élu  général  des 
franciscains.  Lorsque,  dans  les  conllits  entre  l'université  et  les  ordres 
mendiants ,  Guillaume  de  Saint-Amour  attaqua  ces  derniers  dans  son 
traité  De  pénculis  novissimorum  temporum,  Bonaventure  prit  leur  dé- 
fense en  même  temps  que  Thomas  d'Aquin  ;  il  écrivit  contre  Guillaume 
un  opuscule  De  paupertate  Chrisli  et  un  Liber  apologeiicus  in  eos  qui 
ordini  fratrum  minorum  adversantur.  Mais  il  savait  aussi  que  ce  n'était 
pas  sans  cause  qu'on  se  plaignait  des  moines.  Par  une  lettre  circulaire, 
adressée  le  23  avril  1257  à  tous  les  supérieurs  des  franciscains,  il  les 
rend  attentifs  à  la  cupidité,  à  la  paresse,  à  l'amour  du  vagabondage,  à 
la  dissipation,  au. faste  auxquels  se  livraient  trop  fréquemment  les 
frères  ;  il  demande  le  retour  à  l'observation  de  la  règle.  Dans  une  autre 
lettre  il  réprimande  ses  moines  à  cause  de  leurs  empiétements  sur  les 
droits  des  curés  et  de  leur  habitude  d'obséder  les  mourants  pour  obte- 
nir des  legs.  En  1273  le  pape  Grégoire  X  lui  conféra  l'évéché  d'Albano, 
peu  après  il  le  nomma  cardinal.  Envoyé  comme  légat  au  concile  de 
Lyon,  il  mourut  en  cette  ville  le  15  juillet  1274  ;  on  lui  lit  des  funé- 
railles magnifiques.  En  1482  Sixte  IV  prononça  sa  canonisation  ;  en  1587 
Sixte-Quint  le  mit,  comme  sixième  en  rang,  au  nombre  des  plus  grands 
docteurs  de  l'Eglise.  Le  dominicain  Thomas  d'Aquin  ayant  été  qualifié 
de  Docteur  angélique,  le  franciscain  Bonaventure  fut  appelé  Docteur 
séraphique.  Ses  œuvres  forment  sept  volumes  in-folio  (Rome,  1586; 
Mayence,  1009)  ;  dans  ces  deux  éditions  elles  se  composent  de  88  ou- 
vrages, dont  plusieurs  ne  sont  pas  authentiques.  Aujourd'hui  l'ordre 
de  Saint-François  en  publie,  avec  un  soin  qui  l'honore,  une  édition 
nouvelle  à  Venise.  Plusieurs  des  traités  ont  été  publiés  séparément  à 
différentes  époques.  —  Comme  philosophe,  Bonaventure  professe  le  réa- 
lisme des  écoles  de  son  temps;  mais  il  n'est  pas  sans  avoir  quelques 
opinions  originales,  sur  la  matière  qui  ne  peut  pas  être -considérée 
comme  séparée  de  la  forme,  sur  l'individuation,  laquelle  résulte  de 
l'union  de  la  forme  et  de  la  matière,  etc.  Dans  sa  théologie,  également 
empreinte  de  réalisme  ,  il  se  rattache  à  saint  Augustin,  à  Pseudo-Denis, 
et  plus  immédiatement  à  l'école  de  Saint- Victor;  mais  là  aussi  il  fait 
preuve  de  réflexion  personnelle.  Il  a  laissé  un  Commentaire  sur  les 
quatre  liores  des  Sentences  et  une  Summa  theologiœ  ;  ces  ouvrages  révè- 
lent moins  de  sagacité  que  ceux  de  Thomas  d'Aquin,  mais  plus  d'inti- 
mité religieuse  ;  Bonaventure  s'efforce  d'éviter  les  subtilités,  les  argu- 
ties, lesquœstiones  cariosœ,  et  d'animer  l'enseignement  delà  scolastique 
par  le  souffle  de  la  piété.  Son  Centiloquium,  pour  les  commençants,  et 
son  Breviioquium ,  pour  les  théologiens  plus  avancés,  sont  des  manuels 
dogmatiques  d'une  précision  et  d'une  sobriété  comme  il  n'y  en  a  pas 
d'autres  au  moyen  âge.  La  théologie,  selon  lui,  est  spéculative  par  son 
objet ,  mais  pratique  par  son  but  ;  elle  est  une  scientia  a-ffectica. 
L'homme  est  séparé  de  Dieu  par  la  chute;  pour  revenir  à  lui,  il  doit 
franchir  quatre  degrés  ;  au  premier  il  est  éclairé  par  la  lumière  exté- 
rieure, d'où  nous  viennent  les  arts  mécaniques;  au  second  par  la 
lumière  inférieure,  celle  des  sens,  qui  nous  procure  les  notions  expéri- 
mentales; au  troisième  par  la  lumière  intérieure,  celle  de  la  raison  qui, 


BONAVENTURE  —  BONGARS  3  17 

par  le  moyeu  de  La  réflexion,  élève  l'âme  jusqu'aux  choses  Intelligibles; 
au  quatrième  enfin  par  la  Lumière  supérieure,  qui  ne  vient  que  de  La 
grâce  ci  qui  seule  nous  révèle  les  vérités  qui  sanctifient.  La  raison 
naturelle  parvient  ainsi,  en  commençant  par  L'observation  empirique 
et  en  s'élevant  de  plus  en  plus  par  Le  raisonnement,  jusqu'aux  Limites 
extrêmes  de  la  nature  créée,  mais  pour  atteindre  aux  réalités  surnatu- 
relles, elle  n'a  d'autre  guide  que  la  foi;  c'est  ainsi  que  les  sciences 
sont  ramenées  à  la  théologie,  qui  est  leur  couronnement.  Tel  est  le 
contenu  Irès-remarquable  <lu  traité  intitulé  Reductio  artiiun  ad  thcolo- 
gt'am.  Il  y  a  donc,  d'après  Bonaventure,  deux  domaines,  celui  de  la 
philosophie  et  celui  de  la  foi;  la  philosophie  ne  donne  pas  de  certi- 
tude, la  foi  seule  peut  nous  la  procurer.  Si  Bonaventure  ne  parlait  que 
de  certitude  en  matière  spéculative,  nous  n'aurions  pas  d'objection  à 
faire:  mais  il  va  si  loin  que,  môme  quand  il  s'agit  d'une  question  de 
l'ordre  naturel,  une  assertion  secundwn  pietatem  lui  semble  plus  cer- 
taine que  celle  qui  serait  donnée  au  nom  de  la  science.  Les  principaux 
de  ses  ouvrages  mystiques  sont  V  Itinerariurn  mentis  ad  Deum  et  le  traité 
D<  septem  gradibus  contemplatignis.  11  y  décrit,  en  reproduisant  les  doc- 
trine de  Richard  de  Saint-Victor,  le  chemin  qu'il  faut  suivre  pour 
connaître  ou  plutôt  pour  contempler  Dieu  dansla  puretéde  son  essence; 
<e  chemin  part  de  l'observation  du  monde  sensible  pour  arriver,  à 
travers  L'étude  psychologique  des  différents  états  de  l'àme,  à  l'intelli 
uencr  suprême  où,  délivrés  de  toute  image  et  de  toute  notion,  nous 
sortons  de  nous-mêmes  pour  ne  plus  voir  que  Dieu,  pour  le  posséder 
dans  l'extase  dune  sainte  et  tranquille  contemplation.  Bonaventure 
n'est  pas  devenu  fondateur  (J'école  comme  Thomas  d'Aquin  ;  l'école 
franciscaine,  opposée  à  celle  des  thomistes,  ne  procède  pas  de  lui, 
mais  de  Duns  Scot.  Cependant  il  a  exercé  une  grande  influence  ;  il  a 
eu  de  son  temps  quelques  disciples  distingués,  et  un  siècle  après  sa 
mort  il  a  eu  pour  continuateur  le  chancelier  Gerson,  qui  dans  divers 
endroits  de  ses  écrits  lui  a  rendu  un  hommage  auquel  on  peut  sous- 
crire encore  aujourd'hui. —  Voyez  Wadding,  Annales  Minorant,  t.  Il; 
/Us/,  litt.  de  la  France,  t.  XIX,  p.  206  ss.;  Hauréau,  De  la  philo*. 
scolast.,  t.  II,  p.  218  et  suiv.;  de  Margerie,  Essai  sur  la  philosophie  de 
saint  Bonaventure^  Paris,  18"io;  Hollenberg,  'Bonaventura  als  Dogmati- 
/><■/■.  dans  les  Studien  une  Kriliken,  1868.  Ch.  Schmidt. 

BONGARS  (Jacques)  naquit  en  1554  à  Orléans.  Il  étudia  à  Strasbourg 
en  1571,  et  à  Bourges,  sous  Cujas,  en  157(5.  Son  goût  prononcé  pour 
les  travaux  de  haute  critique  littéraire  et  les  succès  qu'il  obtint  par  di- 
verses publication»,  estimées  encore  aujourd'hui,  ne  le  détournèrent 
point  de  sa  vocation  principale,  le  maniement  des  affaires  d'Etat.  En- 
tré dans  la  carrière  diplomatique  au  moment  où  les  vues  larges  et  tolé- 
rantes de  Henri  IV  la  rendaient  accessible  aux  protestants,  il  la  quitta-, 
après  un  long  exercice,  alors  qu'elle  fut  brutalement  fermée,  au  grand 
détriment  de  La  France,  par  l'intolérance  dV un  nouveau  monarque,  qui 
n"eut  que  de  trop  serviles  imitateurs.  Négociateur  non  moins  habile 
que  loyal,  Bongars servit  son  souverain  et  sa  patrie,. pendant  trente 
années  consécutives,  avec  nu  entier  dévouement,  en  qualité  soit  de  rési- 


348  BONGARS  —  BONIFACE 

dent,  soit  d'ambassadeur,  près  des  princes  protestants  de  l'Allemagne 
Il  jouissait  à  la  cour  de  chacun  d'eux  d'un  crédit  égal  à  celui  qu'a- 
vaient conquis  ailleurs  d'autres  protestants  chargés  de  représenter  la 
France  à  l'étranger,  tels  notamment  que  de  Buzanval,  du  Maurier  et 
Hotman  de  Villiers.  Rappelons  ici,  à  l'honneur  de  Bongars,  l'hommage 
que  rendit  à  son  caractère  et  à  son  influence  l'illustre  Duplessis-Mor- 
nay  dans  ces  quelques  lignes  extraites  d'une  lettre  qu'il  lui  adressa  le 
10  juillet  1609  :  «  J'ai  loué  Dieu  de  vostre  retour  en  Allemaigne,  et 
pour  l'affaire  principale  qui  vous  y  mène  et  parce  que  je  sçais  que  con- 
curremment vous  advancerés  toutes  choses  bonnes...  Je  vous  prye 
donc ,  desployés-y  vostre  prudence  selon  vostre  zèle  et  en  faictes  sentir 
la  conséquence  à  vos  plus  féaulxamis.  »  La  douleur  que  causa  à  Bongars 
la  mort  de  Henri  IV  déborde  dans  une  lettre  qu'il  écrivit,  le  1er  juin 
1610,  à  Jacques  Zwinger  (Bull,  de  la  Soc.  d'hist.  du  protest,  fr.,  3e  ann., 
p.  541)  :  k  Le  plus  terrible  coup,  s'écria-t-iî,  vient  de  nous  accabler  ! 
Dieu  seul  peut  nous  relever,  car  c'est  sa  main  qui,  par  un  juste  juge- 
ment, nous  a  infligé  cette  grande  épreuve...  Nous  avons  perdu  un 
grand  prince,  un  prince  bien  supérieur,  non-seulement  à  tous  ceux  de 
ce  siècle,  mais  même  à  ceux  des  âges  précédents  ;  et  nous  l'avons  perdu 
par  l'exécrable  attentat  d'un  misérable  sorti,  l'on  n'en  doute  pas,  de 
l'école  des  jésuites,  et  digne  ministre  de  Satan...  Priez  pour  nous  Dieu, 
l'unique  auteur  de  notre  salut...  »  Deux  ans  plus  tard,  Bongars  mou- 
rut. Le  Papier-Registre  des  enterrements  faicts  à  Paris  des  personnes  de 
la  religion  (Bull,  de  la  Soc.  d'hist.  duprot.  fr.,  ann.  12,  p.  277)  men- 
tionne, sous  la  date  du  29  juillet  1612,  l'inhumation  de  noble  homme 
Jacques  de  Bongars,  maistre  d'hostel  ordinaire  du  roy  (cimei.  du  faub. 
Saint-Germain).— Voir:  1°  Bayle,  Dict.  h'ist.  et  crit.,  Paris,  1820,  in-8°, 
t.  III;  2°  Haag,  Fr.  prot.;  3°  Lettres  de  Henri  IV,  in-4°,  II,  p.  430, 
431  ;  III,  p.  173,  174;  VI,. p.  1  ;  4°  Mémoires  et  Corresp.  de  Duplessis- 
Mornay,  in-8°,  p.  572;  IX,  p.  291,  367,  413,  463,  549  ;  X,  p.  266,  342. 
Ouvrages  de  Bongars:  1°  Justinus,  Paris,  1581,  in-8°;  1610,  1654, 
in-12  ;  2°  Collectio  hunyacicarum  rerum  scriptorum  ,  Francof.,  1600, 
in-l'°;  3°  Gesta  Dei  per  Francos,  etc.,  Hanov.,  1619  et  ann.  suiv., 
2  vol.  in-f°;  4°  Lettres  de  Bongars,  La  Haye,  1695,  2  vol.  in-12. 
La  riche  collection  de  manuscrits  et  d'imprimés  dont  se  composait 
la  bibliothèque  de  Bongars  appartient  aujourd'hui  à  la  ville  de  Berne. 

J.  Delaborde. 

BONHEUR.  Voyez  Félicité. 

BONIFACE,  l'apôtre  de  la  Germanie,  dont  le  vrai  nom  était  Winfrid,  est 
né  en  683,  à  Kirton ,  en  Angleterre.  Son  père  appartenait  à  la  noblesse 
anglo-saxonne  et  désirait  assurer  à  son  fils  une  position  brillante  dans 
le  monde,  mais  il  dut  céder  à  la  vocation  irrésistible  que  celui-ci 
manifesta  dès  son  enfance.  Winfrid  fit  son  éducation  dans  les  couvents 
d'Exeter  et  de  Nhutscelle.  Ce  dernier,  dont  l'école  jouissait  d'une 
grande  réputation,  lui  fournit  les  moyens  de  cultiver  son  intelligence, 
d'approfondir  ses  études  scripturaires  et  de  connaître  à  fond  la  règle 
de  Saint-Benoit.  Prêtre  avant  trente  ans,  professeur  et  prédicateur 
éminent,  il  avait  fait  preuve  dans  des  circonstances  délicates  de  talents 


BONIFACE  349 

si  remarquables  qu'il  serait  parvenu  dans  son  pays  aux  plus  liantes 
dignités  ecclésiastiques,  s'il   ne  s'était  pas  senti  entraîné   par  celte 

ardeur  missionnaire,  dont  les  prêtres  catholiques  anglo-saxons  avaient 
reçu  L'héritage  de  leurs  illustres  prédécesseurs,  les  moines  culdéens  de 
L'Irlande  et  de  l'Ecosse.  Il  dirigea  son  attention  sur  la  Frise,  dont  les 
habitants,  marins  sauvages  et  grossiers,  étendaient  au  christianisme  la 
haine  qu'ils  professaient  à  L'égard  des  Francs,  leurs  redoutables  adver- 
saires. Le  terrain  avait  été  déjà  préparé  par  Amandus,  Eloi,  évêque 
de  Noyon,  Wulfram,  évêque  de  Sens,  et  surtout  par  Willibrord.  Mais 
Winfrid  arrivait  au  moment  où  Charles-Martel  venait  de  subir  un  échec 
sanglant  dans  sa  lutte  contre  Radbod  et  il  dut  rentrer  en  Angleterre 
en  717.  Reportant  alors  son  attention  sur  F  Allemagne  centrale  à  peine 
entamée  par.  les  missions  antérieures,  il  se  rendit  en  Italie  avec  la 
recommandation  de  son  protecteur  et  ami,  le  pieux  Daniel,  évêque  de 
Winchester.  Le  pape  Grégoire  II  l'accueillit  avec  bienveillance  et  le 
nomma  son  légat  par  une  lettre  en  date  du  15  mai  719,  où  nous  le 
voyons  désigné  pour  la  première  fois  sous  le  nom  de  Boniface.  Dès 
cette  première  entrevue  le  missionnaire  manifesta  par  le  serment 
solennel  (mil  prêta  entre  les  mains  du  pontife  son  dévouement  absolu 
et  sans  réserve  pour  la  cause  de  la  papauté  et  sa  résolution  d'unir  dans 
une  même  pensée  et  dans  un  commun  triomphe  Rome  et  FEvangile. 
Après  quelques  tentatives  de  mission  dans  la  Thuringe,  évangélisée 
précédemment  par  Kilian,  Boniface,  apprenant  la  mort  de  Radbod,  se 
icndit  en  Frise,  et  seconda  pendant  trois  années  Févêque  dTtrecht, 
Willibrord.  En  1%\  il  rencontra  à  Trêves,  dans  son  voyage  de  retour, 
un  jeune  homme  qui  devait  être  Fun  de  ses  meilleurs  disciples, 
Grégoire,  plus  tard  évêque  dTtrecht,  qui  s'attacha  à  ses  pas.  Après 
avoir  évangélisé  les  contrées  arrosées  par  la  Lahn  et  fondé  un  couvent 
à  Amœnbourg,  il  lit  un  second  voyage  à  Rome,  où,  le  30  novembre,  le 
pape  le  consacra  évêque  pour  la  Germanie,  sans  résidence  lixe. 
En  l'M  nous  le  voyons  reparaître  en  Thuringe,  muni  d'une  lettre  de 
recommandation  de  Charles-Martel;  mais  bien  loin  d'être  favorisé  par 
le  pouvoir  civil,  il  eut  à  lutter  contre  la  résistance  du  grand-maire  du 
palais  et  contre  l'hostilité  du  clergé  franc,  dont  il  censurait  les  abus  et 
menaçait  surtout  F  indépendance.  Toutefois  il  obtint,  grâce  à  son 
énergie,  des  succès  décisifs.  Dans  la  Hesse,  tout  en  se  livrant  à  l'œuvre 
pacifique  de  l'évangélisation,  il  frappa  un  grand  coup  en  abattant  lui- 
même,  avec  le  concours  de  ses  disciples,  •  un  chêne  gigantesque, 
consacré  à  Odin,  la  plus  grande  divinité  (\o*  barbares.  En  Thuringe 
il  fonda  de  ~rl\  à  727  le  couvent  d'Ohrdruf  et  appela  à  son  aide  de 
nombreux  moines  et  des  religieuses  de  son  pays  natal,  dont  plusieurs 
ont  acquis  un  nom  dans  l'histoire  de  L'Eglise,  entre  autres:  Bunhard, 
qui  fut  évêque  de  Wurtzbourg,  Lull,  son  successeur  à  Mayence,  el 
parmi  L<  s  religieuses  L'illustre  Lioba,  qui  transforma  le  couvent  de 
Bischofsheim  en  un  foyer  de  civilisation  el  de  piété.  Boniface  entretenait 
une  correspondance  suivie  et  active  avec  Le  pape,  auquel  il  rendait 
compte  de  tous  ses  succès  el  soumettait  tous  ses  scrupules.  Serviteur 
dévoué  de  la  papauté,  ;l  appliqua  les  règlements  minutieux  des  degrés 


350  BONIFAGE 

défendus  dans  le  mariage  tout  en  les  trouvant  trop  rigoureux,  et  il 
chercha  à  détruire  toute  trace  de  l'indépendance  et  de  Faction  des 
anciennes  missions  bretonnes.  Dans  cette  correspondance  nous  relevons 
deux  traits  importants  :  la  reconnaissance  du  baptême  des  hérétiques, 
et  l'usage  encore  existant  de  la  coupe  pour  les  laïques  dans  la  commu- 
nion. Grégoire  III  nomma  archevêque  pour  l'Allemagne  entière, 
Boniface,  qui  fonda  en  723  le  couvent  de  Fritzlar  et  qui,  après  avoir 
consacré  à  la  mission  les  premières  années  de  son  ministère,  résolut 
de  réaliser  la  seconde  partie  du  programme  qu'il  s'était  tracé,  l'orga- 
nisation de  l'Eglise.  Après  un  troisième  voyage  à  Rome  en  738,  il  se 
rendit  en  739  dans  la  Bavière,  évangélisée  déjà  par  Eustase,  succes- 
seur de  Golombah  à  Luxeuil.  Jusqu'alors  les  évêques  du  pays  avaient 
été  indépendants  du  saint-siége  et  exerçaient  souvent  leurs  fonctions 
en  qualité  d'abbés  des  couvents  les  plus  importants.  Boniface  détruisit 
cette  indépendance,  ne  reconnut  comme  canonique  que  l'un  des 
quatre  évêques  intronisés  par  Grégoire  II  et  mit  trois  de  ses  disciples  à 
la  tête  des  nouveaux  diocèses,  qu'il  créa  à  Salzbourg,  Freisingen,Ratis- 
bonne  et  Passau.  Jusqu'alors ,  malgré  le  concours  de  nombreux 
disciples,  il  avait  eu  à  lutter  contre  une  hostilité  sourde  ou  ouverte. 
Malgré  l'énergie  de  sa  volonté  et  l'ardeur  de  son  zèle,  il  froissait 
trop  de  vanités  et  introduisait  des  innovations  trop  considérables 
pour  ne  point  soulever  la  résistance  d'un  clergé  auquel  les  lois 
romaines  du  célibat  étaient  inconnues,  de  prélats  guerriers  et  mon- 
dains, de  prêtres  accoutumés  à  la  hère  indépendance  des  Eglises 
bretonnes.  La  mort  de  Charles-Martel  et  l'avènement  de  ses  fils 
Garloman  et  Pépin  amenèrent  un  changement  favorable  aux  desseins 
de  Boniface.  Celui-ci  résolut  d'en  profiter  pour  étendre  à  l'Allemagne 
centrale  les  réformes  qu'il  venait  d'appliquer  à  l'Eglise  de  Bavière. 
11  créa  quatre  évêchés,  savoir:  pour  la  Thuringe,  Erfurt;  pour  la  Hesse, 
Burabourg  (bientôt  abandonné  pour  Frizlar);  Wurtzbourg  dans  la 
Franconie  orientale;  enfin  Eichshedt  pour  les  contrées  intermédiaires. 
A  ces  créations  épiscopales,  que  le  pape  se  hâta  de  confirmer,  Boniface 
joignit  la  fondation  de  nombreux  monastères,  dont  il  confia  la  direction 
à  ses  collaborateurs  venus  d'Angleterre.  Quelques  historiens  ont  voulu 
voir  dans  ces  créations  le  point  de  départ  d'une  Eglise  nationale  alle- 
mande de  plus  en  plus  indépendante  de  l'influence  franque,  mais 
cette  théorie  semble  avoir  été  étrangère  à  l'esprit  de  Boniface,  romain 
avant  tout,  et  auquel  le  pape  Zacharie  accorda  plus  tard  une  sorte  de 
primauté  sur  la  Gaule  entière.  C'est  à  ce  moment  que  nous  voyons 
Boniface,  arrivé  au  point  le  plus  glorieux  de  sa  longue  carrière,  exercer 
une  iniluence  décisive  dans  de  grandes  réunions  synodales  appelées 
à  régénérer  et  à  réformer  l'Eglise  franque  corrompue  par  l'invasion 
de  nombreux  leudes,  dont  Charles-Martel  avait  récompensé  les  ser- 
vices militaires  par  des  bénéfices  et  dont  Milon,  prélat  de  Trêves  et 
de  Reims,  est  le  type  le  plus  saillant.  La  plupart  de  ces  prêtres  étaient 
mariés,  ce  que  Boniface  considérait  comme  un  adultère;  la  chasse,  la 
guerre,  les  banquets  étaient  leurs  passe-temps  favoris,  et  leur  ignorance 
était  si  grande  que  plusieurs  ne  savaient  même  pas  la  formule  litur- 


BONI  FACE  ;55l 

gique  du  baptême.  Ce  lut   le  "21  avril  7'ri  que   s*ouvril  le   premier 

synode  austrasien,  à  la  fois  réformateur  et  disciplinaire  (Labbe, 
Cône.,  VI,  1544-45)  et  dont  les  nombreux  canons,  outre  les  abus  que 
nous  venons  de  signaler,  défendaient  les  pratiques  superstitieuses,  la 
vente  des  esclaves  chrétiens  aux  païens,  et  rattachaient  étroitement 
l'Eglise  t'ranque  au  siège  de  Rome.  Le  deuxième  synode  austrasien  se 
réunit  en  TV!,  dans  la  villa  royale  de  Lest'mes  (llainaut),  et.  renouve- 
lant les  décrets  de  7'i2,  travailla  à  détruire  les  derniers  vestiges  du 
paganisme  expirant.  Boniface  voulut,  avec  le  concours  de  Pépin, 
arriver  aux  mêmes  résultats  pour  l'Eglise  de  Neustrie  et  tint  en 
mars  744  un  synode  général  à  Soissons.  Ces  trois  synodes  ou  conciles 
adoptèrent  l'ère  latine  de  l'Incarnation  et  la  règle  de  Saint-Benoit. 
Boniface  obtint  du  pape  le  pallium  pour  les  archevêques  de  Reims,  de 
Rouen  et  de  Sens,  et  lit  rendre  aux  églises  une  partie  des  biens  dont 
Charles-Martel  les  avait  dépouillées.  En  7'tri  un  synode  commun  aux 
deux  pays  (Baluze,  1, 157),  assigna  l'archevêché  de  Cologne  à  Boniface  et 
déposa  l'évêque  de  Mayence,  Gewiellieb,  non  canonique  et  meurtrier. 
C'est  dans  ce  synode  que  furent  condamnés  deux  hérétiques,  Adelbert 
et  Clément,  dont  nous  ne  connaissons  les  opinions  que  par  la  déposi- 
tion partiale  d'un  adversaire  implacable  dont  ils  contre-carraient  l'am- 
bition et  les  réformes;  Adelbert,  mystique  défenseur  de  l'indépen- 
dance du  clergé,  était  plein  d'orgueil  et  professait  une  foi  puérile 
en  une  prétendue  lettre  de  Jésus-Christ  tombée  du  ciel;  Clément, 
moine  irlandais ,  soutenait  le  mariage  des  prêtres,  et  interprétait 
la  descente  aux  enfers  dans  le  sens  de  l'universalisme  du  salut.  Boni- 
face  poursuivit  ses  adversaires  avec  le  zèle  d'un  inquisiteur,  mais 
ne  ivu>Mt  pas,  malgré  l'appui  du  pape,  à  les  faire  déposer  de  suite. 
11  ht  également  condamner  par  la  cour  de  Home  l'hérésie  d'un 
certain  Virgile  qui  admettait  les  antipodes.  Nous  avons  vu  Boniface 
missionnaire  et  organisateur:  il  joignait  à  ces  dons  celui  de  la  vie 
ascétique  et  contemplative.  Le  désir  de  s'assurer  une  retraite  paisible 
pour  sa  vieillesse  et  de  créer  pour  l'Allemagne  un  centre  de  vie  reli- 
gieuse, le  poussa  en  742  à  fonder,  avec  le  concours  de  son  disciple,  le 
Bavarois  Sturm,  la  célèbre  abbaye  de  Fulda ,  dans  la  forêt  Bo- 
chonia,  qui  devait  bientôt  devenir  la  rivale  du  Mont-Cassin  et  de 
Saiiit-Gall.  Par  trois  fois  Sturm,  perdu  au  sein  d'épaisses  forêts,  recula 
devant  la  grandeur  de  la  tâche  ;  par  trois  fois  son  intrépide  maitre  le 
lança  en  avant,  soutenu  par  ses  prières.  La  révolution  qui  renversa 
•  ■il  752  les  Mérovingiens  en  faveur  de  la  race  carlovingienne  eut-elle 
oncours  actif  et  efficace  ou  indirect  et  effacé  de  Boniface?  C'est 
ce  que  Les  documents  ne  permettent  pas  de  décider  et  le  procès  est 
encore  pendant.  Il  n'en  est  pas  moins  vrai  (pie  ce  changement  de 
dynastie  lut  favorable  au  triomphe  de  ses  idées,  dont  Pépin  et 
Charlemagne  devaient  être  comme  les  exécuteurs  testamentaires.  Bo- 
niiaee  n "occupa  jamais  le  sié<>e  de  Cologne  qu'il  désirait,  et  nous 
pouvons    considérer    comme    un   succès  de   ses  adversaires,    toujours 

debout    malgré    sa    faveur,    son   transfert  au    siège    de    Mayence, 
Reprenant  ù  la  (in  de  sa  carrière  les  désirs  et  les  rêves  de  sa  jeunesse, 


352  BONIFACE  —  BONIFACE  II 

las  du  monde,  avide  du  martyre,  il  obtint  du  pape  Etienne  de  dési- 
gner comme  son  successeur  son  cher  disciple  Lull,  et  se  rendit  à 
Utrecht  sur  le  théâtre  de  ses  anciens  travaux  missionnaires.  Surpris  le 
5  juin  755  par  une  horde  païenne ,  il  refusa  de  se  défendre  et  suc- 
comba avec  quarante  de  ses  compagnons  de  voyage.  Son  corps  fut 
rapporté  en  grande  pompe  à  Fulda,  au  milieu  du  deuil  de  l'Allemagne 
et  de  la  Gaule.  Ainsi  mourut  en  plein  combat  de  la  vie  chrétienne  le 
grand  apôtre  de  la  race  germanique,  peu  savant,  mais  croyant  con- 
vaincu, conscience  délicate,  énergique  lutteur,  homme  de  prière,  or- 
ganisateur habile ,  champion  dévoué  de  la  papauté ,  à  laquelle  il  ne 
craignit  pas  de  dire  parfois  des  vérités  sévères.  Toute  sa  vie  il  s'inté- 
ressa aux  progrés  de  la  foi  dans  sa  patrie  ;  véritable  prophète  de  l'an- 
cienne alliance,  s'il  transforma  le  prêtre  en  un  être  à  part,  il  lui  im- 
posa des  devoirs  auxquels  il  ne  manqua  jamais  lui-même,  intrépide 
censeur  des  rois  et  des  puissants.  Frizlar  et  Fulda,  l'organisation  syno- 
dale et  hiérarchique,  furent  ses  grandes  créations.  De  nombreux  dis- 
ciples travaillèrent  à  continuer  et  à  affermir  son  œuvre.  —  Les 
Œuvres  de  Boniface  ont  été  publiées  par  Giles  (Londres,  1844,  2  vol.); 
ses  Lettres  par  Serarius  (May.,  1605)  et  Wurdtwein  (May.,  1789)  ;  ses 
Lettres  se  lisent  dans  les  Monum.  Moguntina  de  Jaffé  (1866),  ainsi  que 
sa  Biographie,  écrite  peu  après  sa  mort  par  Willibald,  moine  de 
Mayence,  et  des  extraits  de  sa  Vie,  par  Otloh,  moine  de  Ratisbonne 
(1062).  —  Voyez  :  AA.  SS.,  5  juin  ;  les  monographies  de  Letzner  (Hil- 
desh.,  1602),  Hanisch  (ou  Semler,  Halle,  1770),  Lœffler  (Gotha,  1812), 
Seiters  (May.,  1845),  Waitzmann  (DHL,  1840),  Erdmann  (BerL,  1855), 
Gams  (May.,  1855);  Arndt  et  Simson  (1863),  Sayous  (1866)  et  Werner 
(1875);  Mignet,  Mém.  hist.,  I;  Bœhringer,  Die  Kirche,  II,  1;  Rettberg, 
K.  G.  DeutschL,  I.  A.  Paumier. 

BONIFACE  Ier  (Saint),  pape  (418-422),  succéda  à  Zozime.  Il  était 
romain.  Il  eut  à  combattre  un  anti-pape,  Eulalius,  que  le  préfet  de 
Rome,  Symmaque,  favorisait.  L'empereur  Honorius,  dans  l'embarras 
où  le  mettait  une  double  élection ,  semble  avoir  eu  recours  à  une  sorte 
de  jugement  de  Salomon.  Il  décida  qu'en  un  cas  semblable  aucun  des 
deux  élus  ne  serait  pape,  et  que  le  clergé  aurait  à  procéder  à  une  nou- 
velle élection  unanime. Il  ordonnaen  même  temps  aux  deux  évoques  de 
sortir  de  Rome,  et  attendit  que  l'un  d'eux  eût  trahi  son  ambition  par  son 
acharnement  à  retenir  le  pouvoir.  On  trouve  dans  Tes  recueils  de  droit 
canon  plusieurs  constitutions  de  Boniface,  qui  n'ont  aucune  valeur.  — 
Voyez  :  Baronius, année 418  s.;  Tillemont,  XII,  385;  AA.  SS.,  25oct.,  XL 

BONIFACE  II  (530-532)  avait  été  élu  sous  l'influence  du  roi  des 
Ostrogoths;  il  était  goth  lui-même.  Débarrassé  par  la  mort  d'un  com- 
pétiteur nommé  Dioscure,  mais  se  défiant  de  ceux  qui  l'avaient  fait 
élire,  il  entreprit  de  nommer  lui-même,  en  531,  son  successeur,  et 
exigea  du  clergé  romain  le  serment  de  reconnaître  le  diacre  Vigile,  son 
élu.  Mais  il  eut  la  honte  de  se  voir  contraint  par  Athalaric  à  brûler  de 
sa  main  la  bulle  par  laquelle  il  avait  disposé  de  sa  succession  ;  son 
clergé  cassa  le  décret  imprudent  du  pape,  et  celui-ci  dut  se  déclarer 
coupable  de  lèse-majesté.  —  Voyez  Hefele,  2e  éd.,  II,  742. 


BONIFACE  III  —  BONIFACE  V  il  053 

BONIFACE  III    |  607  |  étail   romain.   Ses  flatteries  à  l'égard  du  cri- 
minel empereur  Phocas  déterminèrent  ce  prince  à  reconnaître  l'Eglise 
de  Home,  contrairemenl  aux  prétentions  de  Gonstantinople,  comme 
«  la  tête  de  toutes  les  Eglises  ».  Ce  décret,  dont  l'authenticité  a  été 
contestée  sans  succès,  n'a  pas  été  observé  par  les  empereurs  suivants. 
Dans  un  synode  OÙ  siégeait  tout  le  clergé  romain,  Bon  if  ace  interdit, 
sous  Fanathème,   «  que  personne,  du  vivant  d'un  pontife  ou  d'un 
évéque,  présumai  de  parler  de  son  successeur  ou  de  se  faire  un  parti, 
sinon  trois  jours  après  F  enterrement  du  défunt  et  en  présence  de  tout 
le  cierge  et  des  fils  de  FEglise;  qu'alors  l'élection  ait  lieu,  et  que  l'as- 
semblée ait  la  liberté  d'élire  l'évêque  qu'elle  voudra.  »  —  Voyez  Anas- 
tase  et  Paul  Diacre;  J.-M.  Lorcnz,  Examen  Decreli  Phocœ,  Arg.,  1790. 
BONIFACE  IV  (15  septembre  608-015)  succéda,  après  dix  mois 
d'interrègne,  à  Boniface  III.  11  était  natif  de  Valeria  et  fils  d'un  méde- 
cin. Il  sut  obtenir  de  la  bienveillance  de  Phocas  le  don  du  Panthéon, 
et  aussitôt ,  vidant  les  Catacombes  pour  remplir  la  confession  de  ce 
nouveau  temple,  où  Notre-Dame-des-Martyrs  avait  succédé  aux  dieux 
de  Rome,  il  y  fit  transporter  vingt-huit  voitures  d'ossements  sacrés. 
Sainte-Marie-la-Ronde ,    Sancta    Maria   ad  Martyres,    fut   dédiée,    le 
13  mai,  sans  doute  en  l'an  009,  et  ce  jour  de  dédicace  fut  célébré 
dans  Rome  par  une  fête  annuelle,  où  l'on  a  vu  souvent  l'origine  de  la 
Toussaint  (voy.  cet  article).  On  attribue  à  Boniface  un  faux  décret  en 
faveur  des  moines.—  Voyez  :  Gregorovius,  3e  édit.,  II,  102;  AA.  SS.9 
28  mai,  VI. 

BONIFACE  V  (619-625)  ne  fut  séparé  du  pape  précédemment  nommé 
que  par  Deusdedit.  Ce  pontife  établit  à  Canterbury  le  siège  métropoli- 
tain de  la  Grande-Bretagne,  et  il  s'appliqua  particulièrement  aux  pro- 
grès de  l'Evangile  dans  ce  pays.  Voyez  ses  Lettres  dans  Mansi,  X. 

BONIFACE  VI  (896),  élu  dans  le  désordre,  ne  fut  pape  que  quinze 
jours.  Il  était  romain  et  fils  d'un  évoque. 

BONIFACE  VII,  dit  Maïïface,  antipape  (974  et  984-5).  Voyez 
Beno?t   VI. 

BONIFACE  VIII.  Le  24  décembre  1294,  onze  jours  après  l'abdication 
forcée  de  Célestin  V,  Benedetto  Caëtani  fut  élu,  de  l'accord  unanime 
des  Orsini  et  des  Colonna,  des  Guelfes  et  des  Gibelins.  Issu  d'une  vieille 
famille  romaine,  dont  il  devait  établir  la  puissance  par  le  népotisme  le 
plus  criant,  le  nouveau  pape  était  homme  d'autorité  et  d'éloquence. 
Pontife  inexorable,  »  comme  l'appelle  Pétrarque,  son  ambition  était 
-  limites  et  sa  volonté   de  fer.    Benoît  Cajétan  avait  été  légat  en 
France;  il  aimait  Philippe  le  Bel  et  il  canonisa  saint  Louis.  Mais  il 
n"\  avait  point  de  paix  possible  entre  le  droit  de  l'Eglise  el  les  droits 
de  la  couronne  du  moment  que  le  siège  de  saint  Pierre  était  occupé 
par  un  pape  comme  Boniface,  et  le  trône  de  France  par  un  prince  as- 
tucieux et  ferme  comme  était  le  jeune  roi.  La  lutte  où  les  Hohenstau- 
t'.'ii  avaient  succombé,  le  roi  de  France  en  devait  sortir  vainqueur,  car 
étail  une  cause  nationale,  et  les  Etats-Généraux  soutenaient  la 
lutte  encore  plus  que  le  roi.  Boniface  commença  par  se  faire  des  enne- 
mis de  ceux  qui  rasaient  porté  au  pouvoir:  il  laissa  les  Colonna  à 
u.  23 


354  BONIFACE  VIII 

Técart,  il  les  irrita  par  son  intervention  dans  leurs  querelles  de  famille. 
Apprenant  que  deux  cardinaux  de  ce  nom  intriguent  contre  lui  et  s'en- 
tourent des  partisans  du  pape  déposé,  il  somme  l'un  d'entre  eux  de 
déclarer  s'il  est  ou  s'il  n'est  pas  pape  légitime.  Les  Colonna  refusent 
de  s'expliquer  et  s'enferment  dans  Palestrina  avec  quelques  hommes 
déterminés ,  auxquels  les  célestins  et  ce  moine  étrange  ,  Jacopone  da 
Todi,  prêchent  la  résistance.  En  même  temps,  les  ennemis  du  pape 
protestent  contre  son  élection  et  font  afficher  sur  l'autel  de  Saint-Pierre 
leur  appel  à  un  concile  général.  Boniface  excommunie  les  Colonna  et 
tous  leurs  fauteurs;  il  prêche  la  croisade  contre  les  rebelles,  il  prend 
leurs  châteaux  et  brûle  leurs  forteresses.  Cependant  Palestrina  tenait 
bon  ;  «  le  prince  des  nouveaux  Pharisiens,  »  par  ce  consiglio  frodolente 
qu'a  flétri  le  Dante,  admit  les  Colonna  en  grâce;  mais  aussitôt  qu'ils  se 
furent  jetés,  en  septembre  1298,  la  corde  au  cou,  aux  pieds  du  pontife, 
celui-ci,  comme  avait  fait  Sylla,  fit  raser  Préneste  et  y  sema  du  sel.  Le 
jubilé  de  l'an  1300  mit  le  comble  à  l'orgueil  du  pape.  En  présence  de 
foules   immenses  accourues  de  toute  la  chrétienté,  Boniface  lit  porter 
devant  lui  les  deux  glaives  :  il  se  crut  le  maitre  du  monde.  Mais  déjà 
la  paix  avec  la  France  était  troublée.  Lorsqu'en  1297  le  pape  avait  pré- 
tendu imposer  sa  médiation  à  la  France  et  à  l'Angleterre,  Philippe  le 
Bel  n'avait  accepté  l'intervention  de  Boniface  qu'à  titre  de  Benoit  Cajé- 
tan,  et  à  ce  moment  déjà  le  pape  avait  dû  reculer  devant  la  royauté. 
En  effet,  accueillant  les  plaintes  d'une  partie  du  clergé  de  France,  qui 
se  récriait  contre  les  impositions  que  le  roi  levait  sur  les  prêtres,  Boni- 
face  avait  fulminé,  le  18  août  1296,  la  bulle  Chricis  laicos  (les  laïques 
sont  ennemis  des  clercs),  où  il  excommuniait  ceux  qui  levaient  des  im- 
pôts sur  le  clergé.  C'était  toucher  à  la  couronne  de  France.  Le  roi  ré- 
pondit par  l'interdiction  de  sortir  l'argent  de  France.  Abandonné  par 
une  grande  partie  du  clergé  français,  pressé  par  les  Colonna,  Boni- 
face  dut  céder.  Mais  au  lendemain  du  jubilé,  enivré  d'orgueil,  le  pape 
apprenant  que  Philippe  le  Bel  avait  l'ait  alliance  avec  Albert  d'Autri- 
che, qui  était  excommunié,  l'envoya  sommer  de  secourir  la  Terre- 
Sainte.  Le  roi  fit  arrêter  le  légat  Bernard  Saisset,  et  lit  demander  au 
pape  sa  condamnation.  Le   pape  refusa,    et,   suspendant    les  privi- 
lèges accordés  à  la  couronne  de  France,  il  convoqua  un  concile  géné- 
ral à  Borne,   à  l'effet   de  travailler   «  au   bon  gouvernement  de  la 
France.  »  En  même  temps,  par  la  bulle  Ausculta  fili,  il  affirmait  que 
«  la  juridiction  spirituelle  s'étend  sur  le  temporel,  car  le  pape  a  le 
droit  de  connaître  de  toutes  les  actions  humaines  en  raison  du  pé- 
ché. »  Philippe,  mal  conseillé  par  ses  juristes,  ne  craignit  pas  de  ré- 
pandre une  fausse  bulle  :  «  Apprenez,  faisait-on  dire  au  pape,  que 
vous  nous  êtes  soumis  au  temporel  comme  au  spirituel.  »  On  publia 
en  même  temps  une  fausse  réponse  :  «  Sache  votre  très-grande  sot- 
tise qu'au  temporel  nous  ne  sommes  soumis  à  âme  qui  vive...  »Le  roi, 
soutenu  par  son  peuple,  lit  brûler  la  bulle  Ausculta  à  Notre-Dame,  le 
11  février  1302,  à  son  de  trompe  :  c'est  le  premier  feu  qui  ait  brûlé 
une  bulle.  Le  10  avril,  les  Etats-Généraux  se  réunirent  à  Notre-Dame, 
et  le  clergé  s'unit  aux  deux  autres  ordres  pour  la  défense  delà  cour- 


BONIFACE  VIII  355 

ronne.  La  même  année,  le  Ier  novembre,  le  concile  s'était  réuni  au 
Latran,  et,  le  18  de  ce  mois,  parla  huile  Unam  sanetam,  Boniface  osait 
taire  la  loi  de  l'Eglise  de  ce  qui  n'avait  été  jusque-là  que  la  doctrine 

de  sa  vie  et  l'ambition  de  ses  prédécesseurs  :  «  Nous  déclarons,  disons 
,«i  définissons  que  toute  créature  humaine  est  soumise  au  pape,  et  que 
cela  est  de  nécessité  pour  le  salut...  Il  faut  que  le  glaive  soit  sous  le 
glaive,  et  l'autorité  temporelle  sous  le  pouvoir  spirituel.  Le  pouvoir 
spirituel  institue  le  pouvoir  terrestre,  et  s'il  est  mauvais,  il  le  juge.  » 
Le  roi,  avec  une  grande,  sagesse,  mit  les  États-Généraux  en  avant.  Les 
Etats  se  réunirent  au  Louvre  le  13  juin  1303;  ils  formulèrent  Lacté 
d'accusation  le  plus  violent  contre  le  pape  et  en  appelèrent  à  un  con- 
cile général;  la  France  entière  répéta  cet  appel.  Cependant  le  pape 
cherchait  un  appui  auprès  d'Albert  d'Autriche,  qui  venait  de  se  recon 
naître  humblement  son  vassal.  Mais  Boniface  ne   se   sentait  pas  en 
sûreté  à  Rome,  où  la  noblesse  latine  l'entourait  menaçante,  et  où  le  vice- 
chancelier  de  France,  Guillaume  Nogaret,  venait  notifier  au  pape  Lap- 
pel  au  futur  concile  :   il  se  réfugia  dans  Anagni,  sa  ville  natale.  «  Le 
nouveau  Pilate  »   (c'est  le  nom  que  le  Dante  donne  au  roi)  devait 
triompher  de  son  ennemi  par  un  coup  de  main  inouï.  La  veille  du 
jour  où  l'excommunication  lancée  contre  le  roi  de  France  allait  être 
affichée  dans  Home,  la  nuit  du  6  au  7  septembre,  Nogaret,  à  la  tête 
d'une   troupe   de   conjurés   que  commandent  Jacques  Golonna ,  dit 
Sciarra,  et  un  traître,  Rainaud  de  Supino,  pénètre  dans  Anagni  sous 
la  bannière  de  France  et  sous  le  gonfanon  de  Saint-Pierre,  aux  cris 
de  :  «  Mort  au  pape  Boniface!  Vive  le   roi  de  France!  »  Alors,  dit 
le  chroniqueur  Jean  Villani,  ce  pape  magnanime  et  valeureux  s'écria  : 
«  Puisque,  comme  Jésus-Christ,  je  suis  pris  par  trahison,  et  puis- 
qu'il me  faut  mourir,   je  veux  mourir  comme  un  pape.  »  Aussitôt, 
se  faisant  revêtir  du  manteau  de  saint  Pierre,  la  couronne  de  Constan- 
tin sur  la  tète,  les  clefs  en  croix  dans  sa  main,  il  alla  s'asseoir  sur  son 
trône  pontifical.  11  dit  à  Sciarra  :  «  Voici  mon  cou,  voici  ma  tête,  »  et 
à  Nogaret,  dont  le  père  avait  été  brûlé  :  «  Il  me  plaît  d'être  condamné 
par  un  patarin.  »  Personne,  dit  le  chroniqueur,  n'eut  la  hardiesse  de 
porter  la  main  sur  lui.  Les  coups,  les  outrages  publics  sont  une  fable 
des  historiens.  Après  trois  jours  où  les  vainqueurs  ne  réussirent  pas  à 
triompher  de  son  énergie,  le  pape  fut  délivré  par  les  siens  accourus. 
Gardé  à   vue   par  les    Orsini,    qui    l'entouraient    d'une    protection 
outrageante,   brisé   par   sa  défaite,  mais   l'âme  haute,   il  mourut  à 
Rome  le  II  octobre  1303.  Les  chroniques  de  Saint-Denis  disent  :  ((Il 
cheul   en    frénésie,   si    qu'il  mangeait   ses   mains.  »  Cela  n'est  pas. 
Lorsqu'en    1605  on  retrouva   son   corps,   ce   pape,   qui,  suivant  le 
mot  de  Mansi,  était  un  roi  plutôt  qu'un  prêtre,  montrait  encore  une 
figure  sévère  el    pleine   de  gravité.   Ainsi   mourut  celui   que   Dante 
appelle  il  gran  prête.  L'histoire  aété  impitoyable  pour  sa  mémoire.  Des 
serviteursfde [Louis  XIV,  comme  Du  Puy  (Hist.  du  différend  de  B.  VIII 
et  de  Ph.  le  B.,  Paris,   1655,  in-f",  ouvrage  capital),  des  jansénistes, 
comme  Baille!  {Desmeslez  de  B.  VIII  av.  Ph.  le  II..  in-12,  Paris,  171S; 
ont  fait  la  loi  aux  historiens.  En  ces  derniers  temps,  dom  L.  Tosti 


356  BONIFACE  VIII  —  BONNECHOSE 

{Storia  di  B.  VIII,  2  vol.  in-8°,  Mont-Cassin,  1840;  tr.  fr.5  Paris,  18o4, 
2  vol.  in-8°)  a  pris  avec  ardeur  la  défense  du  pape.  11  appartenait  à  un 
Français  (  Boutaric,  La  France  sous  Pli.  le  B.,  Paris,  1861,  in-8°) 
d'écrire  son  histoire  sans  passion  et  avec  autorité.  Voyez  aussi  Dru- 
mann,  Gesck.  Bon.  VIII,  Kœnigsfi.,  1852,  2  vol.  in-80';  Hefele,  VI; 
Papencordt,  Gesch.  d.  St.  Rom,  p.  326;  de  Reumont,  II,  et  surtout 
Gregorovius,  V.  S.  Beegee. 

BONIFACE  IX.  Voyez  Clément   VII. 

BONJOUR  (les  frères).  Issus  d'une  famille  pauvre  de  Pont-d'Ain,  les 
deux  Bonjour  entrèrent  dans  les  ordres  et  suivirent  ensemble  une 
longue  carrière,  pendant  laquelle  leur  fanatisme  ou  leur  fourberie  ne 
se  démentit  pas  plus  que  leur  étroite  union.  En  nommant  Faîne  curé  à 
Fareins,  près  de  Trévoux,  Farchevêque  Montazet,  qui  redoutait  les  écarts 
d'un  enthousiasme  dont  il  avait  déjà  donné  des  preuves,  lui  adjoignit  son 
frère  comme  vicaire,  ne  soupçonnant  pas  qu'il  partageait  les  mêmes 
idées.  Après  huit  ans  d'exercice,  le  curé  se*  déclara  indigne  du  minis- 
tère et,  laissant  la  cure  à  son  frère,  il  se  réduisit  de  lui-môme  aux 
modestes  fonctions  de  maître  d'école.  Un  nouveau  vicaire,  Furlay,  fut 
adjoint  à  Bonjour  second.  Il  ne  tarda  pas  à  adopter  leurs  vues.  Alors 
s'ouvrit  l'ère  des  miracles  ou  des  mystifications.  L'ancien  curé  en  vint, 
après  divers  essais  en  ce  genre,  à  crucifier  une  jeune  fille  dans 
l'église  de  Fareins,  aux  jour  et  heure  fatidiques,  un  vendredi,  à  trois 
heures  du  soir ,  devant  plus  de  douze  témoins.  La  secte  des  fareinistes 
était  fondée.  Deux  pratiques  la  distinguèrent  :  la  flagellation,  fréquem- 
ment administrée  par  les  Bonjour  à  leurs  affidés,  et  la  communauté 
des  biens.  Les  opposants  se  scandalisèrent  du  partage  plus  vite  que  de 
la  flagellation,  quand  ils  virent  leurs  femmes  et  leurs  filles  le  pratiquer 
à  leurs  dépens.  Une  enquête  révéla  ces  désordres.  On  exila  Furlay  et 
Bonjour  aîné,  et  l'on  enferma  le  second  au  couvent  de  Toulay.  Il  s'en 
échappa,  comme  saint  Pierre,  dit-il,  de  la  prison  d'Hérode,  et 
se  réfugia  à  Paris.  Plusieurs  fareinistes  vendirent  leurs  biens  pour  l'y 
rejoindre,  ainsi  que  la  fille  crucifiée  avec  laquelle  il  entretint  la 
ferveur  de  ses  adeptes.  11  essaya,  en  1789,  de  se  réinstaller  de  force 
dans  son  ancienne  cure,  et  il  fallut  que  la  maréchaussée  y  mit  bon 
ordre.  Revenu  à  Paris,  il  continua  à  diriger  les  flagellants,  jusqu'au 
moment  où  le  gouvernement  consulaire  exila  les  deux  Bonjour  à 
Lausanne.  Leur  secte  s'y  éteignit  avec  eux. 

BONN.  Voyez  Universités  allemandes. 

BONNECHOSE  (Emile  de),  né  le  18  août  1801,  à  Leyerdorp  (Hollande), 
et  mort  en  février  1875,  à  Paris,  suivit  d'abord  la  carrière  militaire  et 
obtint  le  grade  d'officier  d'état-major  sous  la  Restauration.  Il  donna  sa 
démission  en  1829,  fut  nommé  bibliothécaire  du  palais  de  Saint-Cloud, 
et  put  ainsi  se  livrer  sans  partage  à  ses  goûts  historiques  et  littéraires. 
Un  Eloge  de  Bailly,  couronné  par  l'Académie  française,  en  fut  le  pre- 
mier fruit  (1833).  Christophe  Sauvai,  ou  la  Société  sous  la  Restauration 
(2  vol.  in-8°,  1836),  ne  fut  que  le  prélude  de  sérieuses  études  consa- 
crées à  l'histoire.  Issu  d'une  mère  protestante,  dans  une  famille  catho- 
lique, et  amené  à  la  croyance  réformée  par  ses  méditations  person 


BOXNECHOSE  —  BONNET  357 

ne  11  es,  Emile  de  Bonnechose  a  largement  pavé  sa  dette  envers  l'Eglise 
de  son  choix.  Rappelons  d'abord  son  Histoire  de  France^  en  deux 
volumes,   parvenue,   du    vivant    de    son   auteur,   à    la  quatorzième 

édition,  et  qui  justifie  ce  succès  par  la  clarté  de  l'exposition,  la 
sagesse  des  vues.  Elle  eut  pour  pendant  YHistoire  dJ Angleterre , 
couronnée  par  l'Académie.  .Mais  le  titre  principal  de  M.  E.  de  Bonne- 
chose  est  l'ouvrage  ingénieusement  intitulé  :  Les  Réformateurs  avant 
li  Réforme  (2  vol.  in-8°,  1845),  qui  montre  sous  un  aspect  aussi  nou- 
veau qu'attachant  les  figures  de  Jean  lluss  et  deJérùme  de  Prague,  les 
velléités  réformatrices  de  concile  de  Constance,  et  la  terrible  guerre 
des  hussites  (pie  Ton  voit  se  perdre,  après  ce  sanglant  eftbrt,  dans  la 
paisible  communauté  des  moraves.  Un  sourde  généreux  anime  ce  livre 
puisé  aux  sources.  Dans  une  préface  empreinte  d'une  noble  sincérité, 
l'auteur  revendique  éloquemment  les  droits  de  la  conscience  religieuse, 
et  s'estime  heureux  de  vivre  en  un  temps  où  Ton  peut  admirer 
la  vivante  fermeté  de  Jean  Huss  sans  cesser  d'admirer  Gerson,  «  qui 
eut  le  malheur  d'être  son  juge  ».  M.  Ch.  Waddington  a  rendu,  dans  le 
Bulletin  du  Protestantisme  fançnis  (t.  XXIV,  p.  144),  un  juste  hom- 
mage à  l'homme  excellent  qu'il  eut  le  privilège  de  connaître  dans 
l'intimité,  à  l'écrivain  qui  a  su  conquérir  une  réputation  méritée  par 
ses  travaux. 

BONNET  (Charles),  né  à  Genève  en  1720,  d'une  famille  patricienne, 
publia  d'abord  des  travaux  d'entomologie  et  de  botanique  qui  eurent 
un  grand  succès.  Mais  la  fatigue  de  l'observation  microscopique 
l'obligea  de  renoncer  à  de  telles  recherches,  et  il  s'appliqua  à  des 
méditations  d'un  caractère  plus  général  (Considérations  sur  les  corps 
organisés,  1702;  Contemplations  de  la  nature,  17 '64)  qui  révélèrent 
l'élévation  de  ses  sentiments  et  la  vivacité  de  son  imagination.  Dans 
Y  Essai  de  psychologie  (1754). et  dans  Y  Essai  analytique  sur  les  facultés 
de  l'unie  (1700),  il  abordait  un  domaine  nouveau,  où  il  maintenait 
cependant  les  procédés  d'observation  usités  pour  les  sciences  natu- 
relles. Partant  de  la  relation  entre  l'àme  et  le  corps  et  de  l'influence 
du  physique  sur  le  moral,  il  constata  que  «  nos  idées  sont  attachées  à 
certaines  libres;  nous  pouvons  donc  raisonner  sur  ces  fibres,  parce  que 
nous  les  voyons  ».  C'est  l'action  de  la  fibre  qui  éveille  la  pensée  . 
«  L'homme  n'a  des  idées  que  par  l'intervention  des  sens,  et  ses  notions 
les  plus  abstraites  dérivent  encore  des  sens;»  les  convictions  morales, 
religieuses  ne  font  pas  exception.  11  est  vrai  que  l'àme  a  son  activité 
propre,  appelée  réflexion,  qui,  en  combinant  les  données  des  sens, 
acquiert  les  connaissances  et  prend  des  résolutions;  mais  cette  activité 
est  iiii^«'  <'ii  jeu  par  le  plaisir  ou  la  douleur,  c'est-à-dire  par  la 
sensibilité,  par  l'action  que  les  objets  exercent  sur  nous.  Comme 
intermédiaire  entre  !<■  corps  et  l'àme,  Bonnet  admettait  la  présence 
dans  I'-  cerveau  d'un  organe  de  nature  éthérée,  impérissable,  «  vrai 
siège  de  l'àme  et  qui  est  comme  la  monade  de  la  pensée  ».  La  Palin- 
ie  philosophique  (0.  vol.,  1764)  appliqua  à  la  condition  future  des 
êtres  vivants  les  idées  de  Bonnel  sur  le  développement  des  germes. 
Dans  cet  écrit,  dépassant  encore  davantage  les  limites  de  la  doctrine 


358  BONNET  —  BONN1VAI1D 

de  Locke  et  de  Condillac,  il  s'appuya  sur  deux  principes  de  Leibnitz, 
la  loi  de  continuité  et  l'union  indissoluble  de  Famé  et  du  corps  :  Les 
êtres  vivants  sont  appelés  à  réaliser  un  progrès  continu  dans  une  série 
infinie  d'existences  ;  le  degré  de  connaissance  et  de  vertu  auquel  chaque 
homme  s'est  élevé  ici-bas  déterminera  le  point  où  il  commencera  son 
existence  future;  l'organe  éthéré,  qui  reste  uni  à  notre  âme  après 
notre  mort,  reconstituera  un  corps  nouveau,  en  rapport  avec  les  con- 
ditions de  notre  nouveau  séjour,  et  puisqu'il  aura  conservé  les  traces 
de  nos  anciennes  impressions,  il  maintiendra  dans  cette  existenee 
ultérieure  le  souvenir  de  notre  passé.  Après  notre  départ  de  ce  monde, 
les  animaux  supérieurs,  le  singe,  l'éléphant,  prendront  notre  place, 
et  les  plantes  sentiront  leurs  âmes  se  dégager  de  l'engourdissement  où 
elles  sont  plongées.  Du  moins  Bonnet  n'allait  pas  jusqu'à  enseigner 
que  notre  condition  actuelle  fût  le  résultat  d'une  progression  semblable 
dans  des  existences  antérieures.  Par  ce  perfectionnement  infini  se 
constituera  la  cité  de  Dieu,  annoncée  par  le  christianisme,  cette  religion 
que  nous  reconnaissons  à  des  preuves  nombreuses  comme  une  révé- 
lation divine  venant  en  aide  à  nos  spéculations  conjecturales.  Ce 
dernier  ordre  de  pensées  fut  plus  développé  dans  les  Recherches  philo- 
sophiques sur  les  preuves  du  Christianisme  (1770);  l'auteur  invitait  la 
théologie  et  la  philosophie  à  s'unir  pour  résister  aux  progrès  d'une 
sagesse  impie.  Mais  lui-même  faisait  bien  des  concessions  à  l'esprit  du 
siècle  ;  par  exemple,  les  miracles,  cette  parole  par  laquelle  Dieu  nous 
révèle  les  desseins  de  sa  sagesse,  sont  des  actes  préformés,  déposés  en 
germe  lors  de  la  création  dans  le  sein  de  la  nature,  pour  surgir  à  un 
moment  donné  par  le  seul  jeu  des  forces  de  ce  monde.  Bonnet  mourut 
en  1793.  M.  Villemain  (Lût.  fr.  au  XVIIIe  siècle)  a  consacré  la  fin  de  sa 
XIXe  leçon  à  Abauzit  et  à  Bonnet,  qui  furent,  «  à  des  degrés  différents, 
des  libre-penseurs  religieux,  purs  et  vertueux  moralistes,  pieux  con- 
templateurs de  la  Providence,  si  méconnue  dans  les  cercles  philoso- 
phiques. »  —  Voyez  Herzog,  EncyUL,  t.  XIX,  Eloge  de  Bonnet,  par 
Ed.  Humbert,  qui  donne  la  bibliographie  complète.       A.  Mattee. 

BONNIVARD  (François  de)  [1496-1570],  fameux  patriote  et  historien 
de  Genève.  Son  oncle  paternel  lui  laissa  le  riche  prieuré  de  Saint- 
Victor,  dont  les  dépendances  formaient  une  assez  notable  portion  du 
territoire  genevois.  Malgré  cette  situation  privilégiée,  il  n'hésita  pas,  à 
l'époque  où  l'évêque  Jean  de  Savoie  s'entendait  avec  le  duc  Charles  III 
pour  lui  livrer  la  juridiction  temporelle  de  Genève,  à  se  mettre  à  la 
tête  des  plus  ardents  défenseurs  de  ses  libertés.  Il  enleva  le  malheu- 
reux Pécolat  à  l'ingénieuse  cruauté  de  l'évêque,  et  travailla  efficace- 
ment au  traité  d'alliance  entre  Genève  et  Fribourg  (1518).  Son  dévoue- 
ment lui  coûta  d'abord  son  prieuré,  dont  Jean  de  Savoie  le  dépouilla. 
Pierre  de  la  Baume,  successeur  de  Jean,  le  lui  rendit  bientôt;  mais 
quand  Charles  III  entra  dans  Genève  par  la  brèche,  en  1519,  Bonni- 
vard,  qui  s'était  hâté  de  fuir,  lui  fut  livré  par  ses  compagnons  de  route 
et  resta  deux  ans  en  prison.  Neuf  ans  plus  tard,  il  tomba  de  nouveau 
entre  les  mains  du  duc  qui,  violant  le  sauf-conduit  qu'il  lui  avait 
donné  pour  aller  voir  sa  mère  malade  à  Seyssel,  lui  fit  subir,  dans  une 


B0XXIVAR1)  —  BOOS  859 

cave  basse  <lu  château  de  Chillon,  pendant  six  ans  et  demi,  et  sans 
même  lui  accorder  un  interrogatoire,  la  dure  captivité  qui  le  rendit  si 
célèbre  el  que  Byron  a  chantée.  La  conquête  du  pays  de  Vaud  par  les 
Bernois  le  délivra  en  1536.  Genève  était  alors  libre  et  réformée,  et  lion 
nivard  y  put  jouir  des  services  qu'il  lui  avait  rendus.  Les  magistrats  le 
chargèrent  d'écrire  la  chronique  de  la  république  :  il  y  était  préparé 
par  son  savoir  el  son  patriotisme.  En  1  r>:>H,  il  céda  son  prieuré  à  la 
ville  pour  l'entretien  d'un  hôpital,  moyennant  une  pension  viagère  dg 
quatre  écus  et  demi  par  mois;  en  1551,  il  lui  donna  sa  bibliothèque, 
noyau  de  la  collection  actuelle,  et  il  l'institua  enfin  son  héritière  à  la 
condition  de  fonder  un  collège.  Il  se  montra  jusqu'à  la  lin,  selon  le 
mot  de  J.-J.  Rousseau;  «  ami  de  la  liberté,  quoique  savoyard,  et  tolé- 
rant, quoique  prêtre.  »  Dès  longtemps,  il  est  vrai,  cette  dernière  qua- 
lité n'était  pour  lui  qu'un  vague  souvenir.  Senebier  (Hist.  littér.  de  Ge- 
nève,  I,  137-139)  énumère  ses  nombreux  ouvrages.  Tous  sont  conservés 
à  Genève  en  manuscrits  autographes.  On  en  a  imprimé  dans  cette  ville  : 
la  Chronique  de  Genève,  1831 ,  4  vol.  in-8°;  Ad  vis  et  devis  de  la  source 
de  l'idolâtrie  et  tyrannie  papale ,  par  quelle  prac tique  et  finesse  les  papes 
sont  en  si  haut  degré  montez,  etc.,  publié  par  MM.  Chaperon  et  Revilliod, 
avec  les  caractères  du  temps,  1856,  in-8°;  et  les  Advis  et  devis  des  lan- 
gues, composés  en  1563,  Genève  et  Paris,  1849,  in-8°. 

P.   ROUFFET. 

BONOSE.  évêque  de  Sardique,  en  Illyrie,  vers  le  milieu  du  quatrième 
siècle,  enseignait  que  la  vierge  Marie  avait  eu  encore  plusieurs  enfants 
après  la  naissance  de  Jésus.  11  fut  dénoncé,  de  ce  fait,  au  synode  de 
Gapoue  (391),  et  déposé,  malgré  l'intervention  de  l'évêque  de  Rome 
Siricius  qui,  tout  en  condamnant  sa  doctrine,  inclinait  vers  une  mesure 
moins  rigoureuse.  C'est  à  tort  qu'on  a  accusé  Bonose  d'avoir  nié  la 
divinité  de  Jésus-Christ.  Ses  adhérents,  qui  plus  tard  partagèrent  les 
opinions  de  Jovinien  et  de  Photin,  se  maintinrent  jusque  vers  la  fin  du 
septième  siècle,  sous  le  nom  de  bonosiaques  (voyez  :  Epiphane,  Hœres., 
VIII ;  Augustin,  Hxres.,  LXXX1V;  Walch,  De  Bonoso  hœretico,  Gcett., 
175 ï.  et  Histor.  der  Ketzereien,  III). 

BOOS  (Martin)  [1762-1825],  originaire  d'une  famille  de  paysans  de  la 
Bavière,  élevé  par  les  jésuites  à  Augsbourg,  étudia  la  théologie  à  l'uni- 
versité de  Dillingen,  qui  était  alors  le  foyer  d'un  mouvement  religieux 
intéressant.  Son  maitre  Sailer  professait  les  doctrines  évangéliques  et 
inspirait  au  petit  nombre  de  disciples  éclairés  et  pieux  quise  groupaient 
autour  de  lui  le  désir  de  purifier  l'Eglise  catholique  des  pratiques  péla- 
giennes  que  le  romanisme  y  avait  introduites.  Convaincu  par  son  expé- 
rience personnelle  de  la  vérité  de  la  doctrine  de  la  justification  par  la 
foi,  Boos  la  prêcha  et  rappliqua  avec  une  courageuse  fidélité  pendant 
un  ministère  de  trente  années,  traversé  par  des  dénonciations,  des 
procès,  d'incessantes  menaces  de  suspension  et  d'emprisonnement.  \]\\ 
réveil  important  s'accomplit,  sous  ses  auspices,  dans  la  paroisse  de 
Gallneukirchen,  prèsde  Linz,  à  laquelle,  grâce  à  la  protection  deléveV 
que  Gall,  il  présida  pendant  une  douzaine  d'années.  Son  séjour  en 
Autriche  et  en  Bavière  étant  devenu  impossible,  le  gouvernement  prus- 


360  BOOS  —  BORA 

sien  l'appela  en  1817  à  exercer  les  fonctions  pastorales  dans  la  Prusse 
rhénane.  A  l'exemple  des  jansénistes,  Boos  s'éleva  avec  force  contre 
les  œuvres  méritoires,  le  jeûne,  les  pèlerinages,  les  aumônes,  la  con- 
fession auriculaire,  insistant  sur  la  doctrine  de  la  grâce  toute  gratuite 
acquise  à  l'homme  par  le  sang  du  Christ.  Sa  piété  simple,  pratique, 
empreinte  d'une  rare  cordialité,  gagnait  les  cœurs.  Bien  qu'il  demeurât 
attaché  à  l'Eglise  catholique,  le  puissant  prédicateur  de  la  «  justice  qui 
vient  par  la  foi  »  entretenait  des  relations  de  sympathie  avec  beaucoup 
de  protestants.  —  Voyez  :  J.  Gossner,  M.  Boos,  1831;  Bodemann, 
M.  Boos  nach  seinem  Leben,  Wirken  u.  Leiden,  Bielef.,  1854. 

B00Z  [B  o  a  z,  Bïo'Ç) ,  riche  cultivateur  de  Bethléhem,  du  temps  des  Juges, 
qui,  en  vertu  de  l'a  loi  du  lévirat,  épousa  Ruth,  sa  parente  (Ruth  II,  1  ; 
IV,  13),  et  devint  ainsi  l'ancêtre  de  David  (Matth.  1,  5).  —  C'était  aussi 
le  nom  que  portait  la  colonne  de  bronze  qui  se  dressait  à  gauche  de 
l'entrée  du  parvis  du  temple  de  Salomon,  tandis  que  celle  de  droite 
s'appelait  Jachin.  Elles  se  distinguaient  par  la  riche  décoration  de  leurs 
chapiteaux  où  des  fleurs  de  lis  ou  de  lotus  se  combinaient  artistement 
avec  des  guirlandes  de  grenades  (1  Rois  VII,  15-22;  Jérémie  LU, 
21  ss.;  Josèphe,  Anh'q.,  VIII,  5,  3). 

BOQUIN  (Jean),  originaire  de  la  Guyenne,  religieux  de  l'ordre  des 
carmes,  étudia  la  théologie  à  l'université  de  Bourges,  où  en  1539  il  fut 
reçu  docteur.  Après  avoir  embrassé  le  protestantisme,  il  quitta  la  France 
en  1541,  se  rendit  à  Bàle  et  à  Wittemberg,  revint  à  Bourges,  rentra 
dans  son  couvent,  et  essaya  sous  des  dehors  catholiques  de  répandre 
les  principes  de  la  Réforme.  Menacé  de  poursuites,  il  vint  en  avril  1555 
à  Strasbourg,  avec  le  jurisconsulte  François  Baudouin.  On  venait  de  dé- 
poser Jean  Garnier,  le  pasteur  delà  communauté  française; le  magistrat 
songea  à  donner  la  place  à  Boquin;  mais  les  réfugiés,  sachant  qu'à 
Bourges  il  avait  repris  le  froc,  s'y  opposèrent.  Le  27  mai  il  donna  une 
explication  publique  de  sa  conduite;  comme  la  communauté  n'en  fut 
point  satisfaite,  il  fut  écarté,  et  le  12  août  on  choisit  comme  pasteur 
Pierre  Alexandre.  Le  15  février  1557  Boquin  obtint  une  chaire  de  théo- 
logie à  Heidelberg;  il  l'occupa  jusqu'en  1564  où,  ayant  refusé  d'adhé- 
rer au  dogme  luthérien  de  l'ubiquité,  il  fut  destitué,  il  trouva  une 
autre  chaire  à  Lausanne;  c'est  là  qu'il  mourut  en  1582.  Voyez  la  liste 
de  ses  ouvrages,  qui  pour  la  plupart  sont  consacrés  à  la  controverse 
avec  les  luthériens  et  les  catholiques,  dans  La  Fiance  protestante,  t.  II, 
p.  401. 

BORA  (Catherine  de)  [1499-1 552],  l'épouse  de  Luther.  Elle  descen- 
dait d'une  famille  noble  mais  pauvre  du  comté  de  Misnie.  A  l'âge  de 
dix  ans,  elle  entra  au  couvent  de  Nimptsch,  près  Grimma,  où  se  trou- 
vait déjà  une  de  ses  tantes.  Sous  l'influence  des  idées  de  la  Réforme  et 
n'ayant  pu  obtenir  que  sa  famille  l'arrachât  à  la  vie  claustrale,  elle 
s'enfuit,  le  5  avril  1523,  avec  huit  autres  nonnes,  aidée  par  un  citoyen 
considéré  de  Torgau,  Deux  jours  après  les  fugitives  se  présentèrent 
chez  Luther,  qui  les  plaça  dans  des  familles  honorables  et  lit  une  col- 
lecte pour  subvenir  à  leurs  besoins.  Catherine  avait  été  reçue  dans  la 
maison  de  Philippe  Reichenbach,  secrétaire  de  la  mairie  et  plus  £ard 


BOKA  —  RORDAS-DEMOULIN  361 

bourgmestre  de  Wittemberg.  Demandée  eii  mariage  par  le  docteur 
Glatz,  pasteur  à  Orlamûnde,  après  avoir  eu  une  inclination  malheureuse 
pour  le  jeune  patricien  Jérôme  Baumgaertner,  de  Nuremberg,  elle  dé- 
clara dans  un  mouvement  de  franchise  et  de  fierté  à  Àmsdorf  qu'elle 
ne  consentirait  à  épouser  que  lui  ou  Luther.  Cette  démarche  déter- 
mina la  résolution  que  ce  dernier  avait  depuis  longtemps  mûrie  e! 
fixa  son  choix.  Il  l'exécuta  avec  une  rapidité  que  les  circonstances  du 
temps  expliquent  et  justifient.  Le  mariage  eut  lieu,  le  13  juin  1525, 
dans  la  maison  de  Luther,  en  présence  de  quelques  amis  parmi  les- 
quels Bugenhagen,  Jouas,  Lucas  Cranach  et  sa  femme.  On  trouve  des 
détails  sur  cette  cérémonie  dans  une  lettre  de  Jouas  à  Spalatin  du 
14  juin  et  dans  une  autre  de  Mélanchthon  à  Camerarius  du  21  juillet. 
«  Dieu  voulut  que  j'eusse  pitié  de  cette  abandonnée,  »  écrit  de  son 
côté  Luther.  Il  n'eut  qu'à  s'applaudir  de  son  choix.  Catherine  était  une 
femme  «  pieuse,  fidèle,  complaisante,  soumise,  »  dans  la  joie  comme 
au  milieu  des  deuils.  Ménagère  soigneuse  et  économe,;elle  présida  à  la 
maison  hospitalière  de  Luther,  et  lui  donna  six  enfants  dont  deux  leur 
fuient  enlevés  de  bonne  heure.  Celle  que,  dans  ses  lettres,  il  appelait 
en  plaisantant  Dominus  Ketha, était  digne,  par  sa  ferme  raison  et  sa  foi 
sereine,  de  s'associer  à  l'œuvre  du  réformateur.  11  l'estimait  plus,  di- 
sait-il, que  «le  royaume  de  France  et  la  domination  vénitienne.  »  Il  est 
inutile  de  relever  les  calomnies  dont  elle  a  été  l'objet.  Les  auteurs  catho- 
liques la  dépeignent  comme  ayant  été  «admirablement  belle».  Les  por- 
traitsque  nous  possédons  d'elle  ne  laissent  pas  cette  impression.  Cathe- 
rine de  Bora survécut  sept  années  àLuther,  enproieàdes  soucis  d'argent 
et  a  toutes  sortes  d'épreuves  amenées  par  la  guerre  de  Smalkalde  et 
ses  conséquences.  Elle  mourut  à  Torgau,  des  suitesd'une  chute  de  voi- 
ture, fuyant  la  peste  qui  avait  éclaté  à  Wittemberg.  —  Voyez  surtout 
Hofmann,  Kath.  von.  Bora  v.  h.  M.  Luther,  Leipz.,  1845;  J.  Kœstlin, 
M.  Luther.  Elberf.,  1875,  I,  p.  7()i  ss.  et  passim. 

BORBORITES  (Borôo? Ht<e,  Borboriani,  (te  (âcpSspoç,  boue,  fange,  parce 
qu'ils  se  barbouillaient  le  visage  et  le  corps  d'ordures),  secte  gnostique 
du  second  siècle  dont  les  membres  étaient  accusés  de  commettre,  dans 
leur  fureur  antinomiste,  toutes  sortes  de  débauches  et  de  crimes.  Ils 
possédaient  des  livres  saints  particuliers  (Evangile  d'Eve,  de  Noria, 
femme  de  Noé,  Révélation  d'Adam,  de  Seth,  etc.)  qu'ils  plaçaient  sur 
le  même  rang  que  l'Ancien  et  le  Nouveau  Testament.  Ils  admettaient 
huit  cieux  régis  chacun  par  un  souverain;  le  septième  est  gouverné 
par  /Vbaoth,  le  dieu  des  juifs  ;  Barbelo,  la  mère  des  vivants,  qui  est 
la  même  que  le  Dieu  suprèmeet  le  Christ, règne  sur  le  huitième.  L'âme 
humaine,  débarrassée  du  corps,  traverse  les  sept  cieux  jusqu'à  ce  qu'elle 
trouve  le  repos  auprès  de  Barbelo.  Les  récits  d'Epiphane  (  Haeres., 
X)  et  26  i  et  d'Augustin  i  ffaeres.,  5)  renferment  des  exagérations  mani- 
f estes. 

BORDAS-DEMOULIN.  né  à  Montagnac  (Dordogne)  en  1798,  mort  à 
Paris  eu  1859,  est  le  chef  d'un  groupe  de  catholiques  libéraux  qui  éle- 
vèrent une  protestation  énergique  mais  impuissante  contre  les  récents 
progrès  de  l'ultramontanisme.  L'Académie  des  sciences  morales  cou- 


362  BORDAS-DEMOULIN  —  BORDEAUX 

ronna  ses  Etudes  de  philosophie  cartésienne,  son  Eloge  de  Pascal  et  son 
Discours  sur  Voltaire;  mais  ses  deux  ouvrages  les  plus  importants 
sont  :  Les  Pouvoirs  constitutifs  de  l'Eglise  (855)  et  V Essai  sur  ta  Ré- 
forme catholique  (1857),  ainsi  qu'un  volume  de  Mélanges  philosophiques 
et  religieux.  Renouant  avec  la  tradition  cartésienne  et  gallicane,  dont 
il  conserva  la  mâle  vigueur,  l'auteur  accuse  la  papauté  des  maux  de 
l'Eglise  et  de  sa  lamentable  décadence;  il  signale  son  peu  d'action  sur 
le  monde,  la  faiblesse  de  sa  théologie,  la  médiocrité  de  son  sacerdoce, 
l'affadissement  de  sa  piété  et  de  son  culte,  dû  surtout  à  la  funeste  inva- 
sion de  la  mariolàtrie.  Comme  remède  à  ce  mal,  Bordas  réclame  la 
restitution  de  l'élément  laïque,  comprimé  dans  l'Eglise  depuis  le 
moyen  âge,  qui  n'a  été  qu'une  longue  déviation  de  l'esprit  chrétien, 
causée  par  l'amalgame  de  l'Eglise  avec  l'Etat.  Il  demande  que  le  ca- 
tholicisme soit  mis  en  harmonie  avec  les  besoins  de  notre  âge  et  les 
idées  démocratiques;  que  les  fonctions  dans  l'Eglise  soient  rendues  à 
l'élection  populaire;  que  le  sacerdoce  des  laïques  soit  reconnu  dans 
ses  droits  à  côté  du  sacerdoce  des  prêtres;  que  l'un  et  l'autre  se  régé- 
nèrent par  le  pouvoir  fructifiant  de  la  sainteté.  L'Eglise  n'a  point  de 
lois  dans  le  sens  coercitif  et  temporel  ;  elle  ne  fait  rien  que  par  la  pa- 
role: elle-même  est  le  pouvoir  divin  revêtu  de  la  parole  humaine.  Pour 
elle,  gouverner,  c'est  parler.  Ces  nobles  accents  ne  rencontrèrent  au- 
cun écho,  et  Bordas-Demoulin  termina  sa  vie  pauvre  et  laborieuse  de 
penseur  à  l'hôpital. 

BORDEAUX  (Burdegala,  Burdigala),  ancienne  métropole  de  la  Se- 
conde Aquitaine,  archevêché.  Comme  presque  toutes  les  villes  de 
l'Aquitaine,  Bordeaux  se  glorifie  d'avoir  reçu  la  foi  de  saint  Martial. 
Nous  dirons  à  un  autre  article  ce  qu'il  faut  penser  de  la  tradition  qui 
place  ce  saint  apôtre  au  premier  siècle,  tandis  que  Grégoire  de  Tours 
le  fait  vivre  vers  l'an  250.  On  raconte  que  le  jour  même  où  saint 
André  subit  le  martyre,  Martial,  averti  par  une  révélation  divine, 
fonda  l'église  de  Saint-André  de  Bordeaux.  Nous  dirons  seulement 
qu'Oriental,  vivant  en  314,  est  le  premier  évêque  de  Bordeaux  qui 
nous  soit  connu.  Saint  Delphin,  son  successeur,  tint  en  380  un  synode 
contre  les  priscillianistes;  il  baptisa  Paulin  de  Noie.  Saint  Amand,  qui 
vint  après  lui,  céda  son  siège  à  saint  Seurin  (vers  410-420;  Boll.,  25  oc- 
tob.),  qu'il  ne  faut  pas  confondre  avec  saint  Séverin  de  Cologne,  et 
sur  la  tombe  duquel  s'élève  une  église  du  onzième  siècle,  qui  montre 
la  très-ancienne  crypte  de  Saint-Fort.  Léonce  le  Jeune  (542)  fut  chanté 
par  Fortunat;  Frotaire,  prélat  ambitieux,  fut  transféré  à  Bourges  en 
876  par  le  saint-siége,  malgré  les  lois  de  l'Eglise.  Géraud  de  Malemort 
tint  en  1255  un  synode  (Hefele,  VI)  qui  s'occupa  de  la  discipline.  Ber- 
trand de  Got  (Clément  V)  avait  été  archevêque  de  Bordeaux.  En  1306, 
dans  un  voyage  qu'il  lit  dans  cette  ville,  il  exempta  Bordeaux  de  la 
juridiction  primatiale  des  archevêques  de  Bourges.  Jean  du  Bellay 
(1545-1553),  le  cardinal  de  Sourdis  (1599-1628),  "le  cardinal  de  Che- 
-verus  (1826-1836)  ont  illustré  ce  siège.  En  1605,  pour  être  délivrée 
-d'une  peste,  la  ville  de  Bordeaux  se  voua  au  culte  de  la  Vierge.  Les 
archevêques  avaient  juridiction  sur  Agen,  Angoulême,  Saintes,  Poi- 


BORDEAUX  —  BORGIA  363 

tiers  et  Périgueux,  et,  depuis  i :>  1 T ,  sur  les  évêchés  nouveaux  de  Con- 
dom,  Maillezaïs,  Luçon  et  Sarlat.  Aujourd'hui  Saintes  et  Sarlat  ont 
disparu.  La  Rochelle  a  remplacé  Maillezais,  et  Ton  a  mis  sous  l'auto- 
rité de  Bordeaux  les  évèeliés  de  la  liasse-Terre  (la  Guadeloupe),  de 
Saint-Denis  de  la  Réunion  et  de  Fort-de-France,  à  la  Martinique,  insti- 
tués en  1850.  Urbain  11  a  consacré,  en  1096,  l'église  cathédrale  de 
Saint-André:  les  églises  Saint-Michel  (1160)  et  Sainte-Croix  (dixième 
Méele  i  mériteraient  aussi  notre  attention.  —  Voyez  dom  Devienne, 
Hist.  de  />'.,  1.  1771  ;  I  et  II,  1862;  Ravenèz,  Orig.  relig.  de  7,\,  1861  ; 
Cirof  de  la  Ville,  Orig.  chrét.  de  B.,  1869;  Gallia,  II;  Fisquet,  Bor- 
deaux, 1868.  S.  beeger. 

BORDELUM,  nom  d'une  secte  (fui  se  forma  dans  le  village  de  ce  nom, 
près  de  Flensbourg,  dans  le  duché  de  Holstein,  vers  1739,  sous  l'in- 
tluence  d'un  piétisme  antinomiste  et  malsain.  Son  fondateur  est  David 
Bsehr,  prédicant  saxon  (f  1743),  qui  mena  une  vie  désordonnée  et  prê- 
chait, sous  prétexte  de  spiritualisme,  le  mépris  de  tout  ordre  ecclésias- 
tique, des  sacrements,  de  la  célébration  du  dimanche,  du  mariage  et 
de  la  propriété.  Il  insistait  sur  la  conversion  intérieure  et  la  nécessité 
de  parvenir  dès  ici-bas  à  un  état  de  sainteté  parfaite.  Un  édit  de  Chris- 
tian IV  mit  lin  à  la  propagande  de  ces  sectaires,  dont  la  plupart  furent 
impliqués  dans  des  procès  de  mœurs. 

BORELISTES.  Adam  Borel  ou  Borrel  (  1()03-1667),  prédicateur  ré- 
formé de  la  Zélande,  se  démit  de  ses  fonctions,  sous  le  prétexte  que 
l'Eglise  ('tait  déchue  de  son  rang  et  ne  méritait  plus  son  titre  depuis  la 
mort  des  apôtres.  Il  prétendait  s'appuyer  sur  la  Bible  seule,  sans  le  se- 
cours d'aucune  interprétation  humaine,  et  fonda,  vers  1645,  à  Ams- 
terdam, une  secte  dont  les  membres  se  distinguaient  par  l'austérité  de 
leurs  mœurs  et  la  libéralité  de  leurs  dons.  Borel,  qui  était  un  savant 
fort  instruit  et  un  habile  hébraïsant,  publia  une  série  d'écrits,  parmi 
lesquels  le  plus  connu  porte  le  titre  de  :  Ad  legem  et  testimonium. 
C'est  à  tort  que  ses  adversaires  lui  ont  attribué  des  opinions  soci- 
niennes. 

BORGIA  (François  de)  [1510-15721.  Fils  de  Jean  de  Borgia, 
duc  de  Gandie,  et  de  Jeanne  d'Aragon,  il  perdit  sa  mère  à  dix  ans  et 
fut  élevé  par  l'archevêque  de  Saragosse,  son  oncle  maternel.  Honoré 
de  la  protection  de  l'impératrice  Isabelle,  qui  lui  ht  épouser  Eléonore 
de  Castro,  Borgia  arriva,  presque  malgré  lui,  aux  charges  les  plus  éle- 
vées. Charles-Quint  le  nomma  vice-roi  de  Catalogne.  Mais ,  de  tout 
temps,  une  vocation  impérieuse  le  portait  à  la  vie  monastique.  Un 
incident  en  redoubla  la  force.  Chargé,  comme  grand-écuyer,  de  recon- 
naître, avant  qu'on  l'inhumât,  le  corps  de  l'impératrice  Isabelle 
1 1539),  l'aspect  de  ce  cadavre  fit  une  si  vive  impression  sur  lui,  qu'il 
lit  vœu  d'entrer  en  religion  s'il  venait  à  perdre  sa  femme.  La  mort  de 
la  duchesse  lui  permit  d'accomplir  son  vœu.  Porté  depuis  longtemps 
vers  les  jésuites,  en  faveur  de  qui  il  avait  fondé,  à  Gandie,  le  premier 
collège  ou  ils  enseignèrent,  il  obtint  du  pape,  par  l'intermédiaire  de 
Loyola-,  de  pouvoir  faire  sa  profession  quatre  ans  avant  de  quitter  le 
monde  extérieurement.  Borgia,  qui  n'avait  alors  que  trente-six  ans,  se 


364  BORGIA  —  BORROMEE 

consacra  tout  entier  à  la  Société  et  refusa  le  cardinalat  et  toute  dignité 
ecclésiastique.  Il  prolita  de  son  ancienne  faveur  auprès  de  Charles- 
Quint  pour  dissiper  ses  préventions  contre  les  jésuites.  Pendant  que 
Lainez,  leur  deuxième  général,  et  son  vicaire  Salmeron  étaient  absor- 
bés ,  l'un  par  les  affaires  de  France ,  l'autre  par  celles  du  concile  de 
Trente ,  Borgia  les  suppléa  dans  le  gouvernement  intérieur  de  Tordre. 
A  la  mort  de  Lainez,  il  lui  succéda  dans  le  généralat  (1565).  Ce  fut  la 
bonne  fortune  de  la  Compagnie  de  trouver  dans  ses  trois  premiers 
chefs  des  génies  différents  qui  se  complétaient  l'un  l'autre.  Borgia  per- 
fectionna les  détails  dont  ses  prédécesseurs  avaient  tracé  les  grandes 
lignes,  et  acheva  par  ses  règlements  l'édifice  des  Constitutions.  Du 
reste  ,  il  eut  dans  Pie  V  moins  un  protecteur  qu'un  collaborateur,  qui 
mit  au  service  de  la  nouvelle  Société  tous  les  privilèges  dont  pouvait 
disposer  le  saint-siége.  Il  survécut  peu  à  ce  pontife  et  mourut  la  même 
année  que  lui.  Urbain  VIII  le  béatifia  en  1624,  et  Clément  X  le  canonisa 
en  1671.  Ses  nombreux  ouvrages  ascétiques,  écrits  en  espagnol ,  ont 
été  traduits  en  latin  par  le  P.  Deza  (voyez  Alegambe,  Biblioth.  script. 
Societ.  Jesu,  et  Menofag.  ejusd.  Soc/et.).  P.  Rouffet. 

BORRI  (Joseph-François),  né  à  Milan  en  1627,  lit  ses  études  au  collège 
des  jésuites  à  Rome,  s'appliqua  avec  ardeur  à  la  médecine  et  à  la  chimie; 
mais  ses  dérèglements  le  firent  chasser  de  Rome.  Il  se  fixa  à  Milan,  où 
il  réunit  autour  de  lui  un  certain  nombre  de  partisans,  parmi  lesquels 
se  trouvaient  même  des  prêtres,  dont  il  exigea  le  vœu  de  pauvreté,  pour 
pouvoir  leur  enlever  leur  argent.  Il  insistait  sur  la  nécessité  de  réformer 
l'Eglise  et  de  donner  à  la  Vierge  Marie,  «  vraie  déesse,  incarnation  du 
Saint-Esprit,  présente  dans  l'Eucharistie,  »  la  place  qui  lui  revient 
dans  le  culte  des  fidèles.  Le  prétendu  prophète  fut  obligé  de  fuir,  sous 
l'inculpation  de  nombreuses  escroqueries.  Il  séjourna  sur  les  bords  du 
Rhin  et  de  la  Baltique,  se  faisant  passer  pour  le  Médecin  universel;  \\ 
allait  se  sauver  en  Turquie,  lorsqu'il  fut  arrêté  à  Vienne  et  livré  à  la 
justice  romaine,  qui  le  condamna  à  l'emprisonnement  perpétuel.  11 
mourut  au  château  de  Saint-Ange,  à  l'âge  de  soixante-huit  ans.  On  a  de 
lui  une  série  d'ouvrages  sur  l'alchimie  dont  le  plus  curieux,  La  Chiave 
del  Gabinetto  (Col.,  1691),  se  compose  de  dix  lettres  relatives  à  la  na- 
ture des  esprits  élémentaires  et  aux  secrets  du  grand  œuvre  ;  la  der- 
nière contient  une  dissertation  sur  l'àme  des  bêtes. 

BORROMEE  (Charles  de)  [1538-1584].  Issu  d'une  illustre  famille  de 
Lombardie,  neveu  par  sa  mère  du  cardinal  de  Médicis,  plus  tard  Pie  IV, 
Borromée  jouit,  sans  s'en  laisser  corrompre,  de  ce  népotisme  alors  si 
commun  dans  l'Eglise  et  si  souvent  funeste.  Pourvu  à  l'âge  de  douze 
ans  de  riches  abbayes  et  cardinal  à  vingt-trois  ans,  il  cumula  sans  en 
négliger  aucune,  à  la  cour  de  Rome,  une  foule  de  fonctions  impor- 
tantes. Il  trouvait  encore  le  temps  de  cultiver  les  lettres  et  surtout  la 
philosophie.  On  ne  peut  douter  que  l'étude  assidue  d'Ëpictète,  à  qui 
il  prétendait  devoir  beaucoup,  n'ait  contribué  à  donner  à  son  caractère 
une  teinte  de  stoïcisme  antique.  De  ces  études  sortirent  les  Noctes  Va- 
ticanœ,  série  de  conférences  qu'il  donnait  dans  une  sorte  d'académie 
de  littérateurs  instituée  par  lui  au  Vatican.  On  les  a  publiées  à  la  suite 


BORROMÉE  365 

de  ses  œuvres.  Le  concile  de  Trente  dut  à  son  influence  sur  Pie  IV  de 
pouvoir  procéder,  niais  du  reste  avec  une  discrétion  singulière,  à  la 
réforme  de  la  cour  romaine.  C'est  sous  sa  direction  que  se  rédigea, 
d'après  les  décisions  du  concile,  le  laineux  Catechismus  Tridentinus 
(1566).  Borromée  était  à  cette  époque  engagé  sans  retour  dans  les  or- 
dres. 11  avait  refusé  d'en  sortir  en  1562,  quand  la  mort  de  son  frère 
aine  le  laissa  à  la  tète  de  sa  famille,  et  en  1565  il  fut  nommé  arche- 
vêque de  Milan.  Son  premier  soin  fut  d'aller  résider  dans  son  diocèse, 
auquel  il  consacra  le  reste  de  sa  vie.  Abandonnant  son  patrimoine  à 
sa  famille,  et  la  plus  grande  partie  de  son  bien  propre  à  son  église  et 
aux  pauvres,  il  donna  le  premier  l'exemple  d'une  réforme  qu'il  poussa 
lui-même  jusqu'à  l'ascétisme  le  plus  rigoureux.  Six  conciles  provin- 
ciaux qu'il  eut  grand'peine  à  imposer  aux  évêques  ses  sufiragants,  et 
onze  synodes  diocésains  témoignent,  par  le  volumineux  recueil  de 
leurs  actes,  de  son  activité.  Il  trouva  dans  la  congrégation  des  Oblats, 
qu'il  fonda,  les  auxiliaires  qui  appliquèrent  ses  réformes  jusqu'aux 
moindres  paroisses.  Une  tentative  d'assassinat  dirigée  contre  lui  par 
un  frère  de  l'ordre  des  Humiliés  fut  le  terme  de  la  résistance  des  op- 
posants, mais  non  pas  de  son  zèle  et  de  sa  charité.  Il  ne  s'ensuivit  que 
la  suppression  de  cet  ordre  depuis  longtemps  corrompu.  Son  dévoue- 
ment absolu  à  son  Eglise  pendant  la  fameuse  peste  de  Milan  est  resté, 
à  juste  titre,  légendaire.  Epargné,  comme  par  miracle,  par  le  fléau 
auquel  il  s'exposait  tous  les  jours,  il  succomba  peu  après  sous  l'excès 
des  macérations  et  des  travaux,  à  l'âge  de  quarante-six  ans.  Paul  V  le 
canonisa  dès  1010.  Le  savant  Saxius  a  publié  ses  œuvres  à  Milan 
,  1747-18,  5  vol.  in-4°),  et  à  Augsbourg  (1758,  2  vol.  in-fol.).  L'assem- 
blée du  clergé  de  France  de  1057  a  fait  imprimer  à  ses  frais  ses  In- 
structions aux  confesseurs.  La  Vie  de  Borromée,  de  Giussani,  traduite  de 
l'italien  en  français  par  le  P.  de  Soulfour,  en  1615,  fut  la  première 
publication  de  l'Oratoire.  Il  a  eu  du  reste  nombre  de  biographes.  Les 
Acta  ecclesiœ  Mediolanensis,  imprimés  d'abord  à  Milan  (1582  et  1599, 
2  vol.  in-fol.  ),  l'ont  été  en  dernier  lieu  à  Bergame  (1738,  id.).  Une 
édition  magnifique  en  a  été  donnée  à  Lyon  en  1682,  par  Anisson, 
dans  le  même  format,  et  dédiée  à  Letellier,  archevêque  de  Reims.. 

P.    ROUFFET. 

BORROMÉE  (Frédéric  IC1)  [1564-1631],  cardinal,  continua  l'œuvre  de 
son  oncle  Charles,  après  l'épiscopat  de  Gaspar  Vicecomes  (1584-1595). 
Contraint  par  Clément  VIII,  il  accepta  l'archevêché  de  Milan  le 
24 avril  1595,  et  il  montra  dans  le  cours  de  son  ministère  plus  de  vraie 
piété,  plus  de  charité  et  plusde  tolérance  envers  les  hérétiques,  que  son 
oncle  canonisé.  11  fonda  plusieurs  couvents  de  capucins;  mais  l'œuvre 
la  plus  importante  de  sa  vie  est  sans  contredit  d'établissement  de  la 
Bibliothèque  Ambroisienne  qui  fut,  de  sou  vivant,  riche  de  30,000  vo- 
lumes imprimés  et  de  14,000  manuscrits.  Des  hommes  instruits  et 
rétribués  par  lui  parcouraient  l'Europe  et  l'Asie  en  quête  de  livres 
rares.  De  plus,  il  établit  dans  le  local  même  de  la  Bibliothèque  un 
collège  pie  docteurs  chargés  spécialement  de  l'étude.  (\c^  langues 
orientales  et  de   la  version  des  Pères  grecs.  La  Bibliothèque   recèle 


366  BOSIO  —  BOSSUET 

encore  aujourd'hui  plusieurs  trésors  inédits  et  même  inexplorés. 
BOSIO  (Antoine)  [1570-1629],  célèbre  antiquaire,  neveu  de  Jacques 
Bosio,  chevalier  de  Tordre  de  Saint-Jean  de  Jérusalem  et  auteur  d'une 
histoire  de  cet  ordre  (Rome,  1621-32,3  vol.  in-fol.),  était  lui-même 
agent  des  chevaliers  de  Malte  à  Rome.  11  employa  trente-cinq  ans  à 
étudier  et  à  décrire  les  catacombes  et  mourut  avant  d'avoir  terminé  ce 
grand  travail,  qui  fut  publié  en  1632  par  le  chevalier  Albrandino,  sous, 
le  titre  de  Borna  sotterranea.  Le  P.  Saverani,  le  P.  Aringhi  et  monsi- 
gnor  Boltari,  Font  enrichi  d'additions  importantes  dans  les  éditions 
de  1637,  1651,  1659,  1737,  1747,  1753,  et  porté  à  3  volumes  in-folio 
(voy.  Catacombes). 
BOSRA.  Voyez  Bostra. 

BOSSUET  (Jacques-Bénigne).  —  I.  Etudes   et  séjour  à  Metz.  Bossuet 
naquit  à  Dijon  le  27  septembre  1627,  et  mourut  à  Paris  le  2  avril  1704. 
Son  père  était  avocat  au  parlement  de  Bourgogne,  et  passa  plus  tard 
en  celui  de  Metz,  dont  il  devint  le  doyen.  Son  éducation  fut  confiée  à 
un  frère  de  son  père  qui  était  membre  aussi  du  parlement  de   Dijon. 
Il  fut  élevé  au  collège  des  jésuites  de  cette  ville,  et  pour  échapper  à 
leurs  obsessions,  il  entra  au  collège  de  Navarre  à  l'âge  de  quinze  ans 
pour  y  terminer  ses  études  classiques  et  y  faire  ses  études  de  théologie. 
De  bonne  heure,  en  effet,  il  était  voué  à  la  carrière  ecclésiastique.  A 
huit  ans  il  recevait  la  tonsure,  et  à  treize  il  était  nommé  à  un  canonicat 
de  la  cathédrale  de  Metz.  C'est  de  cette  nomination  que  date  la  sup- 
pression des  coadjutoreries,  c'est-à-dire  du  droit  que  s'arrogeaient  les 
titulaires  d'un  canonicat  de  léguer,  à  leur  mort,   ce  bénéfice  à  un  ami 
ou  coadjuteur  qu'ils   désignaient  eux-mêmes.   Nicolas    Cornet   était 
grand-maitre  du  collège  de  Navarre.  Bossuet  passa  d'abord  six  ans  dans 
cette  maison,  dont  il  était  la  gloire.  C'est  pendant  la  première  année 
de  ce   séjour  que  le  marquis  de  Feuquières,  un  ami  de  son  père,  le 
présenta  à  l'hôtel  de  Rambouillet  où  il  prêcha,  un  soir,  son  premier 
sermon;  ce  qui  faisait  dire  à  Voiture  «  qu'il  n'avait  jamais  vu  prêcher 
de  si  bonne  heure  ni  si  tard  ».  Le 25  janvier  1648,  il  termina  ses  études 
théologiques  par  la   soutenance  d'une  thèse  dédiée  au  grand  Condé, 
après  quoi  il  fut  nommé  au  diaconat  de  l'Eglise  de  Metz.  Mais  en  1650  il 
rentra  au  collège  de  Navarre  pour  faire  sa  licence  en  théologie.  Ces 
études  duraient  deux  ans.  Tout  élève  devait  soutenir,  en  Sorbonne, 
une  thèse  appelée,  à  cause  de  cela,  sorbonnique,  et  adresser  au  prieur 
de  la  Sorbonne  un  résumé  de  ses  arguments  avec  ce  titre  honorifique, 
dignissime  domine  prior.  Bossuet  ayant  refusé,   sur  le   conseil  de  ses 
maîtres,  de  remplir  cette  formalité,  sa  soutenance  fut  interrompue  et 
donna  lieu  à  un  procès  devant  le  parlement.  Au  concours  de  la  lin  de 
licence  il  n'obtint  que  la  seconde  place  :  l'abbé  de  Rancé  eut  la  pre- 
mière, mais  leur  amitié  ne  s'altéra  jamais.  La  licence  terminée,  on 
recevait  le  bonnet  de  docteur.  Le  18  mai  1652,  le  chancelier  de   l'uni- 
versité lui  donnait,  au  pied  de  l'autel  des  Martyrs,  la  bénédiction  et 
les  pouvoirs  apostoliques.  Dans  sa  réponse,  en  latin,   Bossuet  lit  ce 
serment,  dont  il  se  prévalait  plus  tard  pour  justifier  les  controverses 
religieuses  qu'il  soutint  avec  les  réformés  et  avec  Fénelon  :  «0  Vérité 


BOSSUET  367 

suprême,  conçue  dans  le  sein  paternel  d'un  Dieu,  et  descendue  sur  la 
terre  pour  se  donner  à  nous  dans  les  saintes  Ecritures,  nous  nous 
erîchainons  tout   entier  à  vous.   »   On  peut  taire  observer  déjà  que 

Bossuet  ne  se  borna  pas  à  détendre  la  vérité  contenue  dans  les  saintes 
Ecritures  et  qu'il  combattit  surtout  pour  la  tradition,  que  l'Eglise 
romaine  place  à  côté,  si  ce  n'est  au-dessus  des  livres  saints,  (les 
études  terminées,  Bossuet  fut  immédiatement  nommé  archidiacre  de 
l'Eglise  de  Metz,  et  il  resta  six  ans  dans  cette  ville  (1652-1658) 
pour  y  remplir  les  devoirs  de  sa  position.  —  Bossuet  s'appliqua 
à  l'étude  des  Ecritures.  11  étudia  aussi  les  Pères,  et  en  particulier 
saint  Augustin.  Il  possédait  si  bien  cedernier  «  qu'il  parvint  à  rétablir 
une  lacune  de  huit  lignes  dans  un  sermon  de  l'édition  des  bénédic- 
tin^ »  C'est  à  Metz  qu'il  commença  ses  ouvrages  de  controverse  contre 
les  protestants.  Le  pasteur  de  cette  Eglise,  Paul  Ferry,  ayant  publié  un 
Catéchisme,  Bossuet  écrivit  et  publia  une  Réfutation.  A  côté  d'argu- 
ments solides  on  trouve  dans  ce  premier  écrit  de  Bossuet  des  points 
faibles,  que  l'immense  talent  de  l'auteur  ne  parvient  pas  à  dissimuler, 
et  qui  se  retrouvent  d'ailleurs  dans  tous  ses  autres  ouvrages  de  con- 
troverse. Ainsi,  pour  prouver  que  l'Eglise  a,  dans  la  personne  de  son 
clergé,  le  droit  et  le  pouvoir  «  d'être  juge  des  interprétations  que  les 
hommes  donnent  de  la  Parole  de  Dieu  »,  il  cite  cette  parole  tirée  de  la 
résolution  du  concile  de  Jérusalem  :  «  Il  a  plu  au  Saint-Esprit  et  à  nous, 
etc...,  »  laissant  entendre  que  ce  nous  désigne  uniquement  les  apôtres  et 
lesanciens,  tandis  que,  d'après  le  texte  (Actes  XV,  22,23),  il  s'applique 
aussi  "  à  tous  les  frères,  à  tous  les  membres  de  l'Eglise.  »  Dans  cette  Ré- 
futation Bossuet  reprochée  la  Réforme  sa  nouveauté  :  «  Qui  êtes-vous,  d'où 
venez-vous  ?  »  C'est  le  reprocheque  les  païens  adressaient  aux  premiers 
chrétiens.  Les  controversistes  protestants  répondaient  qu'ils  avaient  la 
foi  et  le  culte  de  la  primitive  Eglise  tels  qu'on  les  trouve  dans  les  écrits 
des  apôtres,  et  que  c'étaient  certaines  doctrines  et  certains  usages  de 
l'Eglise  romaine  qui  méritaient  le  reproche  de  nouveauté,  puisqu'on 
ne  les  trouve  pas  dans  les  écrits  apostoliques.  Dans  ce  même  écrit 
Bossuet  reproche  encore  aux  protestants  d'être  sortis  du  giron  de 
l'Eglise  catholique  au  lieu  d'avoir  travaillé  à  la  réformer  :  «  S'il  y  a 
des  abus  dans  l'Eglise,  sachez  que  nous  les  déplorons  tous  les  jours, 
mais  nous  détestons  tous  les  mauvais  desseins  de  ceux  qui  ont 
voulu  les  réformer  par  le  sacrilège  du  schisme  au  lieu  d'agir  au 
dedans.  Il  y  avait  à  cela  uneobjection  sans  réplique:  c'est  que  Rome 
ne  voulait  absolument  pas  «  qu'on  agit  au  dedans  »?  témoin  JeanHuss. 
condamné,  par  le  concile  de  Constance,  à  être  brûlé  pour  ses  essais  de 
réforme,  et  la  tête  de  Luther  mise  à  prix  après  la  diète  de  Worms 
pour  l«'  même  motif.  Du  reste  cette  polémique  n'altéra  pas  les  bonnes 
relations  de  Bossuet  et  de  Paul  Ferry,  et  c'est  de  ces  relations  mêmes 
que  naquirent  les  premiers  efforts  de  Bossuet  pour  la  réunion  <!<■*  pro- 
testants nu  catholicisme.  Il  devait  toute  sa  vie  porter  sa  sollicitude  sur  ce 
grand  dessein  :  niais  malgré  l'appui  qu'il  trouva  dans  la  modération  et 
l'autorité  de  Leibnitz,  ses  tentatives  <\r  réunion  échouèrent,  Bossuet 
il'-  taisant  aux   réformés  d'autres   concessions  positives  «pie  la  liberté 


368  BOSSUET 

de  prendre  la  communion  sous  les  deux  espèces.  C'est  pendant  son 
séjour  à  Metz  qu'il  travailla  à  son  fameux  traité  de  V Exposition  de  la  foi 
catholique,  auquel  on  a  l'habitude  de  rapporter  la  conversion  de  Tu- 
renne  au  catholicisme,  et  qui,  après  avoir  circulé  longtemps  en  manu- 
scrit, fut  publié  en  décembre  1671. 

II.  Bossuet  à  la  cour  (1658-1682).  En  1658,  après  six  ans  de 
séjour  à  Metz,  il  fut  envoyé  à  Paris  par  le  chapitre  de  Metz  pour  y 
défendre  les  intérêts  de  cette  Eglise.  Ce  fut  pour  lui  l'occasion  de  se 
faire  connaître.  Il  prêcha  devant  la  reine-mère  quelques  carêmes 
et  quelques  panégyriques,  celui  de  saint  Paul  entre  autres,  qui  fondè- 
rent sa  réputation.  Ce  fui  une  admiration  générale,  et  il  fut  choisi  pour 
prêcher  le  carême  de  1662  au  Louvre  devant  Louis  XIV.  alors  âgé  de 
vingt-quatre  ans.  Il  resta  jusqu'en  1669  le  prédicateur  du  roi.  Ce  fut 
pour  Bossuet  une  période  de  floraison,  pour  ainsi  dire,  et  de  gloire. 
Jamais  l'éloquence  chrétienne  n'avait  brillé  d'un  si  large  et  d'un  si 
vif  éclat.  On  peut  dire,  sans  diminuer  en  quoi  que  ce  soit  d'autres 
gloires,  que  la  majesté  de  la  religion  n'a  jamais  eu  de  plus  puissant 
interprète,  ni  la  vanité  des  grandeurs  humaines  de  peintre  plus  saisis- 
sant. Par  la  force  de  la  pensée  et  l'éclat  de  la  parole,  Bossuet  reste 
encore  le  premier  orateur  chrétien.  C'est  de  1660  à  1669  qu'il  prêcha 
à  Paris  les  plus  connus  et  les  plus  beaux  de  ses  sermons  :  sur  la 
Providence,  Y  Eminente  dignité  des  pauvres,  Y  Honneur  du  monde,  la  Haine 
de  la  Vérité,  Y  Impénitence  finale,  Y  Ambition,  la  'Mort,  etc.  Ce  dernier 
passe,  auprès  des  meilleurs  juges,  pour  le  plus  achevé  de  ses  discours. 
M.  Gandar  a  rétabli  récemment,  dans  deux  excellents  ouvrages  de  cri- 
tique, le  texte  exact  et  la  date  précise  de  ces  divers  sermons.  C'est 
pendant  ses  fonctions  de  prédicateur  à  la  cour  que  Bossuet  débute 
dans  Y  Oraison  funèbre,  genre  où  û  devait  s'élever  si  haut,  et  méri- 
ter le  titre  d'Aigle  de  Meaux  qui  lui  a  été  donné.  Il  prononça  celles  du 
P.  Bourgoing  (1662),  de  son  ancien  maître  Nicolas  Cornet  (1663)  et  de 
la  reine-mère  Anne  d'Autriche  (1667).  Il  était  à  la  cour  en  qualité  de 
précepteur  du  Dauphin  lorsqu'il  prononça  celle  d'Henriette  de  France 
(16  novembre  1669)  et  sept  mois  après  celle  de  sa  fille  Henriette  d'An- 
gleterre. Ce  sont  deux  chefs-d'œuvre,  «deux  monuments  historiques  » 
auxquels  on  ne  peut  reprocher  que  l'injuste  sévérité  avec  laquelle 
Bossuet  parle  de  la  Réforme  et  le  ton  prophétique  dont  il  prédit  sa  ruine 
prochaine.  L'oraison  du  prince  de  Conclé  est  aussi  un  modèle  :  elle 
contient  des  traits  de  génie  et  des  peintures  magnifiques;  la  péroraison 
arrachait  à  Chateaubriand  «  des  larmes  d'admiration  ».  —  En  1669, 
Bossuet  céda  à  Bourdaloue  sa  charge  de  prédicateur  du  roi  pour  de- 
venir évêque  de  Condom;  mais  le  précepteur  du  Dauphin  étant  mort  à 
ce  moment ,  Bossuet  renonça  à  son  évêché  pour  remplir  cette  haute 
fonction  à  la  cour,  de  1669  à  1680,  époque  où  fut  arrêté  le  mariage 
du  Dauphin  avec  la  princesse  de  Bavière.  L'élève  ne  répondit  pas 
aux  espérances  et  aux  ellorts  d'un  tel  maitre.  On  reproche  à  Bossuet 
de  n'avoir  pas  su  se  mettre  à  la  portée  de  ce  prince  et  de  n'avoir 
pas  apporté  assez  de  douceur  dans  cette  éducation.  Le  seul  sentiment 
qu'il  développa  fortement  en  lui  fut  le  respect  de  l'autorité  royale,  de 


BOSSUET  3G9 

sorte  que,  même  après  la  savante  réhabilitation  que  M.  Ploquet  a  ten 
tée  de  ce  prince,  od  ue  voit  rien  à  ajouter  au  portrait  que  M.  Guizot  en 

a  tracé  :  «  Médiocre  e!  soumis,  toujours  le  plus  humble  sujet  du  roi,  à 
près  de  cinquante  ans.  »  Le  Discours  sur  l'Histoire  unira-selle,  où  Bos- 
suet  montre  «  l'autorité  et  la  sainteté  de  la  religion  par  sa  propre  sta- 
bilité, ainsi  que  les  causes  de  la  ruine  des  empires;  »  la  Politique  tirée 
de  l'Ecriture  sainte,  où  il  établit  avec  une  intraitable  rigueur  les  droits 
de  L'autorité  royale;  le  Traité  de  la  connaissance  de  Dieu  et  de  soi-même , 
où  il  complète  ainsi  la  célèbre  formule  de  Descartes  :  «  Je  pense,  donc 
Dieu  est,  »  ces  trois  ouvrages  publiés  pour  le  Dauphin,  et  qui.  étaient 
évidemment  bien  au-dessus  de  son  intelligence,  contiennent  des  pages 
admirables  et  sont  de  vrais  monuments  littéraires.  Lorsque  le  mariage 
du  Dauphin  fut  arrêté,  Bossuet  cessa  d'être  son  précepteur;  mais  il 
resta  à  la  cour  encore  six.  années  (1679-1685)  en  qualité  d'aumônier  de 
la  Dauphine.  Toutes  les  semaines,  des  ecclésiastiques  savants  et  pieux, 
l'abbé  Fleury  entre  autres  ,  se  réunissaient  auprès  de  lui,  en  petit  con- 
cile, comme  on  disait,  pour  conférer  sur  l'Ecriture.  C'est  de  là  que 
sont  sortis  ses  commentaires  latins  sur  les  Psaumes,  fort  goûtés  d'Ar- 
naud .  sur  les  Proverbes  et  sur  le  Cantique  des  Cantiques.  C'est  pendant 
son  séjour  à  la  cour  que  Bossuet  se  trouva  mêlé  à  quelques  événements 
qui  sont  restés  célèbres  dans  l'histoire:  la  conversion  de  mademoiselle 
de  la  Yallière,  l'éloignement  de  madame  de  Montespan,  la  dispute  avec 
Claude  et  l'assemblée  de  1682.  Un  fait  est  hors  de  doute  :  c'est  que  Bos- 
suet donna  toujours  à  la  cour  l'exemple  d'une  vie  sainte  et  qu'il  pro- 
testa souvent  contre  les  désordres  du  roi.  Ce  sont  ses  prédications  et 
celles  de  Jtourdaloue  qui  décidèrent  mademoiselle  de  La  Yallière,  cette 
première  victime  de  Louis  XIY,  aussi  illustre  par  sa  pénitence  que  par 
sa  faute,  à  quitter  la  cour  pour  le  cloître,  où  elle  ht  de  si  grands  pro- 
grès dans  la  piété.  Bourdaloue  devait  prêcher  le  sermon  de  la  prise  de 
voile,  et  il  fut  remplacé  par  l'abbé  de  Fromentières ,  le  prédicateur  le 
plus  estimé  du  temps  après  ces  deux  grands  noms.  C'est  Bossuet  qui 
prononça  le  sermon  pour  la  Profession  des  vœux.  On  doit  lui  rendre  ce 
témoignage,  qu'il  insista  auprès  de  Louis  XIV  pour  l'éloignement  de 
madame  de  Montespan  et  qu'il  y  réussit  même  à  un  moment.  Son  âme 
droite  et  sa  doctrine  évangélique  ne  lui  permettaient  pas  de  voir,  sans 
souffrir,  de  tels  abus,  et  lui  dictèrent  même  des  remontrances  élo- 
quentes; mais  dès  que  le  roi  lui  déclara  nettement  qu'il  reverrait  la 
célèbre  marquise,  Bossuet  garda  le  silence  et  resta  à  la  cour.  C'était 
pour  lui  le  moment  de  parler  plus  haut  que  le  roi  ou  de  fuir  le  spec- 
tacle de  ses  désordres.  On  souffre  de  voir  ainsi  la  religion  et  le  génie 
se  courber  devant  le  despotisme  du  grand  vicieux  couronné.  M.  Flo- 
quet  a  essayé  encore  de  rendre  justice  à  Bossuet  sur  ce  point;  mais  il 
ne  parvient  pas  à  justifier  son  silence  et  sa  présence  à  la  cour  après  la 
réponse  hautaine  de  Louis  XIV  :  «  Ne  me  dites  rien,  j'ai  donné  des  or- 
dres. »  D'ailleurs,  cette  attitude  humiliée  de  Bossuet  devant  Louis  XIV 
est  une  des  choses  qu'on  regrette  le  plus  de  trouver  dans  la  vie  du 
grand  évêque.  On  lui  voudrait  par  moments  plus  de  fierté  et  de  dignité 
devant  son  roi.  L'abbé  Ledieu,  son  intéressé  secrétaire,  raconte  dans 
...  24 


370  BOSSUET 

son  Journal  que  Bossuet,  peu  de  temps  avant  sa  mort  et  quand  il  pliait 
sous  le  poids  des  ans,  consacrait  ses  forces  (ô  pénible  révélation  qui 
nous  détruit  presque  entièrement  le  charme  des  derniers  mots  de 
l'oraison  du  prince  de  Condé!  )  «  à  monter  les  pentes  douces  des  ter- 
rasses des  Tuileries,  afin,  disait-il,  de  s'accoutumer  à  monter  et  à  des- 
cendre pour  se  mettre  en  état  d'aller  chez  le  roi.  »  Et  l'on  sait  en  outre, 
par  le  môme  Journal,  qu'il  montait  ainsi  l'escalier  de  Versailles  pour 
obtenir  de  Louis  XIV  des  faveurs  pour  son  médiocre  neveu,  plus  tard 
évêque  de  Troyes.  —  C'est  cette  môme  adulation  pour  le  monarque,  mê- 
lée cette  fois  d'une  forte  dose  de  haine  à  l'endroit  de  la  Réforme,  qui 
lui  fit  louer  la  Révocation  de  l'édit  de  Nantes  dans  ce  fameux  passage  de 
l'oraison  de  Michel  Le  Tellier,  où  il  s'écrie  :  «  Prenez  vos  plumes  sacrées, 
vous  qui  composez  les  annales  de  l'Eglise;  hàtez-vous  de  mettre  Louis 
avec  les  Constantin  et  les  Théodose;  poussons  jusqu'au  ciel  nos  accla- 
mations, etc.  »  Ce  cantique  en  l'honneur  de  la  Révocation  indique  assez 
les  sentiments  de  Bossuet  à  l'endroit  du  protestantisme  ;  il  ne  laissa  passer 
aucune  occasion  de  le  combattre  par  la  plume  ou  par  la  parole.  La  dispute 
avec  Claude  eut  lieu  le  1er  mars  1678,  de  trois  heures  à  huit  heures, 
chez  la  comtesse  de  Roye,  et  à  la  demande  de  mademoiselle  de  Duras, 
sa  sœur,  à  moitié  gagnée  au  catholicisme.  Les  deux  adversaires  pu- 
blièrent chacun  une  Relation  de  cette  conférence.  Bossuet  avait  établi 
«  que  jamais  des  particuliers  n'ont  le  droit  de  se  séparer  de  l'Eglise.  — 
Mais  alors,  répond  Claude,  les  premiers  disciples  du  Christ  eurent  tort 
de  se  séparer  du  judaïsme  et  du  sanhédrin  qui  condamnait  Jésus.  — 
Non,  réplique  Bossuet,  parce  qu'il  y  avait  un  signe  extérieur,  les  mira- 
cles, qui  formaient  une  autorité  et  créaient  une  évidence  à  laquelle  on 
devait  céder.  »  Réplique  bien  faible,  car  s'il  n'y  avait  pas  eu  ce  signe 
extérieur,  Jésus  aurait-il  été  moins  Dieu,  moins  digne  d'être  suivi  ?  Et 
puis  cette  évidence  et  cette  autorité  extérieures,  qui  les  jugera  suffi- 
santes, sinon  l'individu  lui-même?  Bossuet  établit  ensuite  qu'il  y  a 
toujours  eu  une  autorité  visible  :  la  synagogue  d'abord,  puis  Jésus- 
Christ,  puis  le  Saint-Esprit,  enfin  l'Eglise.  Claude  ajoute  aussitôt 
l'Ecriture,  et  fait  observer,  avec  raison,  que  le  Saint-Esprit  et  l'Ecri- 
ture sont  les  deux  grandes  autorités  dans  les  matières  religieuses. 
L'Eglise  n'est  pas  précisément  une  autorité  distincte  des  deux  autres, 
en  ce  sens  qu'elle  est  la  réunion  de  ceux  qui  ont  le  Saint-Esprit  et  qui 
vivent  selon  l'Ecriture.  C'est  de  ce  caractère  que  lui  vient  son  autorité, 
et  non  d'une  grâce  particulière,  distincte  du  don  du  Saint-Esprit,  qui 
ne  serait  accordée  qu'aux  membres  du  clergé,  comme  le  dit  le  catholi- 
cisme. Enfin  un  troisième  point  prêta  à  une  discussion  des  plus  vives. 
Bossuet  prétendit  «  qu'il  faut  croire  à  l'infaillibilité  de  l'Eglise  si  l'on 
veut  croire  à  la  divinité  des  Ecritures  qu'elle  nous  transmet.  »  «  Donc, 
répondit  Claude ,  comme  je  crois  et  veux  croire  à  la  divinité  des  Ecri- 
tures, j'ai  et  je  dois  avoir  foi  en  l'infaillibilité  de  l'Eglise  protestante, 
de  laquelle  je  l'ai  reçue.  »  Cette  réplique,  de  l'aveu  de  Bossuet  lui- 
même,  le  mit  dans  une  grande  angoisse;  mais  il  ne  tarda  pas  à  sortir 
de  ce  mauvais  pas.  c<  La  vérité,  dit-il,  est  que  vous  ne  croyez  pas  à  une 
Eglise  infaillible;  vous  l'avez  dit  et  écrit  :  d'où  je  conclus  que  quand 


BOSSUET  371 

relise  \ous  dit:  L'Ecriture  est  divine  ;  vous  ne  savez  pas  si  elle  dit 

vrai  ou  non,  et  vous  n'êtes  pas  persuadé,  sur  la  parole  de  L'Eglise,  que 
L'Ecriture  esl  de  Dieu.  »  Claude  avoue  qu'en  effet  on  n'en  est  point  per- 
suadé  sur  la  simple  déclaration  de  L'Eglise;  sur  quoi  Bossuet  pousse 
une  exclamation  victorieuse  que  nous  avons  quelque  peine  à  compren- 
dre aujourd'hui,  et  s'écrie  :  h  Eh  bien!  monsieur,  c'est  assez!  Il  y  a 
doue  dans  votre  religion  un  point  où  un  chrétien  ne  sait  pas  même  si 
l'Evangile  est  une  table  ou  une  vérité.  »  Si  la  séance  n'eût  été  levée, 
Claude  aurait  répondu  certainement  que,  pour  être  vraie  et  efficace , 
notre  foi  en  la  Bible  ne  doit  pas  découler  de  notre  foi  en  l'Eglise,  qui 
nous  la  présente  comme  divine,  mais  de  notre  expérience  personnelle; 
qu'on  n'est  véritablement  persuadé  de  la  vérité  de  la  Parole  de  Dieu, 
c'est-à-dire  véritablement  chrétien,  qu'après  cette  expérience  indivi- 
duelle, et  que  le  point  capital  n'est  pas  de  croire  tout  d'abord  à  l'in- 
faillibilité de  l'Eglise  pour  arriver  à  croire  ensuite,  par  voie  de  simple 
conséquence,  à  la  divinité  de  l'Ecriture,  mais  de  commencer  par 
étudier  et  pratiquer  celle-ci,  pour  voir  si  elle  prouve  elle-même 
sa  divinité.  C'est  diminuer  l'autorité  de  l'Ecriture,  de  dire  qu^on 
la  croit  divine,  parce  que  l'Eglise  la  donne  pour  telle.  Tant  qu'on 
ne  la  croit  divine,  que  pour  ce  motif,  c'est  une  foi  extérieure. 
La  vraie  foi,  à  cet  égard,  est  le  fruit  de  l'expérience  personnelle, 
et  l'on  peut  opposer  ici  à  Bossuet  le  mot  de  Tertullien  :  «  On  ne 
nait  pas  chrétien ,  on  le  devient.  »  Il  faut  citer  ici  deux  ouvrages 
importants  de  Bossuet  :  1°  Y  Exposition  de  la  doctrine  de  l'Eglise  catho- 
lique sur  les  matières  de  controverse  (1671).  Bossuet  y  présente  le 
catholicisme  théorique,  bien  différent  sur  plusieurs  points  du  catho- 
licisme pratique  avec  les  abus  criants  contre  lesquels  la  Réforme  avait 
protesté.  C'est  ce  que  tirent  remarquer  dans  leurs  Réponses  les  mi- 
nistres La  Bastide  et  Noguiër,  ajoutant,  à  tort  croyons-nous,  que  Bos- 
suet avait  à  dessein  altéré  les  doctrines  catholiques  pour  les  rendre 
plus  acceptables.  C'était  bien  le  catholicisme  de  Trente,  mais  ce  n'était 
pas  le  catholicisme  courant,  encore  moins  est-ce  le  catholicisme  d'au- 
jourd'hui. L'approbation  du  pape  se  lit  attendre  huit  ans.  2°  L'His- 
toire des  Variations  des  Eglises  protestantes  (1688),  ouvrage  considéra- 
ble, où  Bossuet  déploie  toutes  les  richesses  de  son  immense  érudition, 
toute  la  puissance  de  son  style  incomparable,  et  aussi,  il  faut  bien  le 
dire,  toutes  les  violences  de  son  injuste  dédain  pour  l'Eglise  réformée. 
Le  ministre  Jurieu  y  opposa  de  très-vives  réponses.  Evidemment  le 
principe  de  liberté  qui  est  à  la  base  du  protestantisme  a  ses  périls; 
mais  le  principe  d'autorité,  qui  est  à  la  base  du  catholicisme,  n'a-t-il 
point  les  siens?  La  multiplicité  des  Eglises  protestantes  peut  être  consi- 
dérée  comme  un  mal  ;  mais  le  joug  de  fer  que  le  catholicisme  fait  peser 
sur  l»s  consciences  pour  conserver  son  unité  est-il  un  mal  moindre? 
D'ailleurs  il  y  a  à  répondre  au  livre  des  Variations;  1°  que  celles-ci 
n'ont  pas  porté  sur  les  points  capitaux  de  la  foi;  2°  et  qu'on  les  trouve 
dans  le  catholicisme  aussi  bien  qu'ailleurs,  témoin  le  dogme  de  l'infail- 
libilité du  pape,  que  Bossuet  et  l'Eglise  gallicane  de  son  temps  repous- 
sèrent avec  énergie  dans  l'assemblée  de  1682,  et  qui  a  été  depuis  peu 


372  BOSSUET 

proclamé  par  le  concile  du  Vatican.  Dans  cette  assemblée  générale  du 
clergé,  convoquée  pour  défendre  les  droits  du  royaume  dans  la 
question  de  la  régale,  débattue  entre  Louis  XIV  et  le  pape,  Bossuet  joua 
le  principal  rôle;  il  prêcha  le  sermon  d'ouverture  sur  Y  Unité  de  l'Eglise 
(30  octobre  1681)  et  rédigea  lui-même  les  quatre  articles  de  la  fameuse 
Déclaration,  où  il  est  établi  «  que  le  pape  n'a  pas  de  puissance  sur  les 
choses  temporelles  »  et  que  «  dans  les  questions  de  foi  son  jugement 
n'est  pas  irréformable,  à  moins  que  le  consentement  de  l'Eglise  n'in- 
tervienne ».  H  jugeait  sévèrement  d'ailleurs  Innocent  XI.  «  Une  bonne 
intention  avec  peu  de  lumières,  écrivait-il  à  l'abbé  de  Rancé,  c'est  un 
grand  mal  dans  de  si  hautes  places.  »  Il  s'éloignait  considérablement 
du  dogme  officiel  sur  un  point  très-important,  la  messe,  où  il  ne  voyait 
«  qu'une  commémoration  du  grand  sacrifice  de  la  croix,  une  mort  et  une 
destruction  mystique  en  laquelle  la  mort  effective  que  le  Fils  de  Dieu 
a  soufferte  une  fois  pour  nous  est  représentée  ». 

III.  Bossuet  évêque  de  Menux.  Il  fut  installé  évêque  de  Meaux  en  fé- 
vrier 1682.  11  s'engagea  à  prêcher  dans  sa  cathédrale  à  chacune  des 
grandes  fêtes  de  l'année.  C'est  pendant  son  séjour  à  Meaux  qu'il  écri- 
vit quelques  excellents  ouvrages  de  piété  :  Y  Explication  de  V  Apo- 
calypse (1689),  les  Méditations  sur  l'Evangile,  admirables  de  simplicité 
et  d'onction,  et  les  Elévations  sur  les  mystères.  Le  repos  dont  il  jouissait 
dans  son  diocèse  fut  troublé  par  la  querelle  du  Quiétisme.  Fénelon,  se 
faisant  l'apologiste  des  idées  et  des  ouvrages  de  madame  Guyon,  pu- 
blia en  1697  le  livre  des  Maximes  des  Saints,  où  il  soutenait  qu'il  y  a 
pour  certaines  âmes  «  un  état  habituel  d'amour  pur  où  elles  n'aiment 
plus  Dieu  ni  pour  le  mérite,  ni  pour  la  perfection,  ni  pour  le  bonheur 
qu'on  doit  trouver  en  l'aimant,  »  état  où  elles  pourraient  consentir, 
par  amour,  à  être  éternellement  séparées  de  lui,  c'est-à-dire  à  perdre 
leur  salut.  Ce  mysticisme,  qui  dispensait  l'àme  de  se  servir  des  formes 
du  culte,  parut  à  Bossuet  plein  de  dangers,  et  il  écrivit  «  qu'il  y  allait 
de  toute  la  religion  ».  Il  réfuta  dans  plusieurs  écrits  le  livre  des 
Maximes  et  en  poursuivit  avec  acharnement  la  condamnation  à  Rome. 
Fénelon  y  opposa  des  réponses  très-habiles,  où  sa  plume  facile  et  son 
esprit  délié  reprenaient  tous  leurs  avantages.  Puis  cette  polémique  prit 
de  part  et  d'autre  un  caractère  personnel  et  agressif,  qui  nuisit  à  la 
majesté  de  la  religion  et  à  la  gloire  de  ces  deux  hommes.  Bossuet  mit 
le  comble  à  ces  violences  en  écrivant  à  l'adresse  de  Fénelon  et  de 
madame  Guyon  ces  mots  qui  tirent  scandale  :  «  Cette  Priscille  a  trouvé 
son  Montan  pour  la  défendre.  »  Innocent  XII,  par  un  bref  du  12  mars 
1669,  condamna  la  doctrine  de  Fénelon.  Celui-ci  racheta  les  torts 
qu'il  avait  eus  dans  cette  polémique  par  la  promptitude  et  la  docilité 
de  sa  soumission.  Une  autre  polémique  vint  encore  troubler  les  der- 
nières années  de  Bossuet.  Un  ancien  prêtre  de  l'Oratoire,  très-versé 
dans  l'étude  des  langues  anciennes  et  particulièrement  de  l'hébreu, 
mais  d'une  grande  indépendance  d'esprit,  Richard  Simon,  avait  pu- 
blié en  1678  une  Histoire  critique  de  V Ancien  Testament,  dans  laquelle 
il  mettait  en  dou&ï  l'authenticité  des  livres  de  Moïse  et  ôtait  à  tout  le 
recueil  de  l'Ancien  Testament  tout  caractère  d'inspiration.  Bossuet  lit 


BOSSUET  —  BOST  373 

des  remontrances  à  l'auteur,  qui  promit  de  faire  des  corrections  et 
ne  tint  point  sa  promesse  ;  tous  les  exemplaires  de  cette  édition  fu- 
rent saisis  et  brûlés.  En  17(h>  Richard  Simon  lit  imprimer  à  Trévoux, 
une  Version  du  Nouveau  Testament  où  il  attaquait  L'inspiration  des 
Livres  saints,  supprimait  plusieurs  passages,  et  dans  ses  commentaires 
penchait  vers  le  pélagianisme.  Bossuel  prit  de  nouveau  la  plume  pour 
réfuter  celte  version  dans  dciw  Instructions  pastorales,  et  après  une 
correspondance  très-animée  avec  le  cardinal  de  Noailles,  correspon- 
dance où  perce  l'inquiétude  dans  laquelle  le  jettent  les  hardiesses 
du  critique,  il  obtint  de  Louis  XIV  la  condamnation  de  sa  version. 
Sans  doute  quelques-unes  des  remarques  de  Richard  Simon  ont  été 
justifiées  depuis  par  le  progrès  des  études  critiques;  mais  l'ensemble 
de  son  travail  méritait  la  censure  que  Bossuet  en  a  faite.  Bossuet  cm- 
plova  les  dernières  années  de  sa  vie  à  mettre  la  dernière  main  à  quel- 
ques-uns de  ses  ouvrages.  Il  montra  une  grande  patience  et  un  vif 
amour  de  la  Parole  de  Dieu  durant  sa  maladie.  Son  secrétaire  lui  par- 
lant un  jour  de  sa  gloire,  Bossuet  le  reprit  vivement  :  «  Cessez  ces 
discours,  et  demandez  pour  moi  pardon  à  Dieu  de  mes  péchés.  »  Il 
mourut  un  samedi  matin,  à  quatre  heures,  le  12  avril  1704.  Son  ami 
l'abbé  de  Saint-André,  qui  avait  passé  la  nuit  auprès  de  lui,  lui  ferma 
les  yeux,  en  disant  :  «  Mon  Dieu,  que  de  lumières  éteintes,  et  quel 
tlambeau  de  moins  en  votre  Eglise  !  »  Bossuet  fut,  en  effet,  la  plus 
grande  lumière  de  son  siècle.  L'Eglise  catholique  n'a  pas  eu  depuis  de 
prélat  plus  illustre  ni  plus  dévouée  sa  prospérité.  11  eut  une  fécondité  de 
pensée  incomparable  :  il  relevait  et  élargissait  les  sujets  les  plus  rebat- 
tus par  la  protondeur  de  ses  vues  et  la  magnificence  d'un  style  admira- 
blement ferme  et  net,  grand  comme  son  génie  et  lier  comme  son 
àme.  On  ne  peut  lui  refuser  la  droiture  et  la  sincérité.  Un  juge  qui 
n'est  point  suspect  de  complaisance,  Sainte-Beuve,  lui  accorde  aussi  la 
bonté.  Les  seules  réserves  qu'on  ait  à  joindre  à  ces  éloges  portent  sur 
sa  timidité  en  présence  de  Louis  XIV,  et  sur  le  ton  acerbe,  presque  mé- 
prisant, qu'il  prit  toujours  en  parlant  de  la  Réforme.  Par  là  il  montra 
qu'il  était  homme,  mais  ces  faiblesses  ne  nous  empêcheront  pas  de  dire 
qu'il  fut  un  grand  chrétien,  un  grand  orateur  et  un  grand  écrivain,  et 
que  dans  ces  deux  derniers  domaines  il  s'est  incontestablement  élevé 
au  premier  rang.  —  Ouvrages  à  consulter  :  Histoire  de  Bossuet,  par  de 
Beausset;  Etudes  sur  la  vie  'le  Bossuet,  par  A.  Floquet,  3  vol.  in-8°; 
Bossm  t  précepteur  du  Dauphin  et  évoque  à  la  cour,  1  vol.  in-8°,  par  le 
même;  Etud?»  critiques  sur  Bossuet,  par  E.  Gandar;  Sainte-Beuve, 
Causeries  ;  Ed.  Sc.héveï,  Etudes  critiques  de  littérature;  l'article  de  M.  de 
Barante  dans  la  Biographie  universelle,  etc.,  etc.  J-  Bastide. 

BOST  (Paul-Ami-Isaac- David)  est  né  à  Genève  le  10  juin  1790.  Son 
père,  membre  de  la  Société  morave,  l'envoya  pour  son  éducation 
a  Neuwied,  où  il  passa  quatre  années.  De  retour  à  Genève,  il  suivit  les 
cours  du  collège  e!  de  l'académie,  et  fut  consacré  en  1814.  Il 
embrassa  de  bonne  heure  les  doctrines  du  réveil,  dont  il  devint  un 
des  chefs,  sans  toutefois  se  ranger  entièrement  aux  vues  plus  étroites 
de  quelques-uns  de  ses  amis.  Comme  il  ne  pouvait  pas  compter  sur 


374  BOST  —  BOSTON 

un  prochain  appel  de  l'Eglise  de  Genève,  à  cause  de  divergences  dog- 
matiques avec  la  Compagnie,  il  accepta  une  suffragance  à  Moutiers- 
Grandval  (Berne),  où  il  passa  deux  ans;  puis  commença  sa  rude  car- 
rière d'évangéliste,  sous  les  auspices  de  la  Société  continentale  de 
Londres  (1818-1825).  Il  visita  successivement  l'Allemagne,  la  France 
et  la  Suisse,  et  rentra  à  Genève  en  1825.  Renonçant  à  la  vie  de 
missionnaire,  il  devint  l'un  des  pasteurs  de  l'Eglise  indépendante  du 
Bourg-de-Four,  et  fonda  à  Carouge  une  communauté  indépendante  qui 
-subsista  pendant  quelques  années.  Ayant  écrit  à  cette  époque  deux 
brochures  dans  lesquelles  il  accusait  la  Compagnie  des  pasteurs  d'avoir 
violé  les  Ordonnances  ecclésiastiques,  et  d'avoir  sciemment  dénaturé  la 
foi  de  l'Eglise,  il  fut  traduit  en  police  correctionnelle  (1826)  et 
condamné  à  l'amende  pour  expressions  injurieuses  envers  un  corps 
respectable  de  l'Etat  (Défense  des  fidèles  de  Genève,  etc,  Lyon,  1825). 
L'œuvre  du  pastorat  que  Bost  accomplit  successivement  à  Genève 
(1825-1826),  puis  à  Carouge  (1828-1837),  n'aurait  pu  suffire  à  sa 
brûlante  activité.  Il  composa,  dans  cet  intervalle,  quelques-uns  de  ses 
beaux  cantiques.  Il  entreprit  aussi  d'importants  ouvrages  de  littérature 
religieuse,  notamment  Y  Histoire  des  frères  de  Bohême  et  de  Moravie 
(Genève,  2  vol.,  1831)  et  la  traduction  française  de  Y  Histoire  générale 
de  rétablissement  du  christianisme ,  de  Blumhardt  (Valence,  1838,4  vol.). 
Il  lit  dans  le  môme  temps  des  courses  missionnaires,  en  Suisse  et  en 
Savoie,  sous  les  auspices  de  la  Société  continentale  d'Edimbourg  et  de 
la  Société  baptiste  de  Londres.  En  1840,  Bost  fut  réintégré  sur  sa 
demande  dans  l'Eglise  nationale  de  Genève,  et  quitta  cette  ville  pour 
desservir  en  France  l'Eglise  d'Asnières-les-Bourges.  Nommé  trois  ans 
plus  tard  aumônier  de  la  maison  centrale  à  Melun,  il  conserva  ce 
poste  jusqu'en  1848.  Il  se  retira  dès  lors  du  ministère,  revint  à  Genève 
en  1866,  pour  y  surveiller  l'impression  du  recueil  qui  renferme  toutes 
ses  compositions  musicales,  et  mourut  à  La  Force  le  14  décembre  1874. 
Nature  mobile  et  complexe,  tour  à  tour  raisonneuse  et  mystique, 
hardie  et  timide,  belliqueuse  et  sentimentale,  Bost  a  laissé  dans  ses 
,  Mémoires  pouvant  servir  à  l'hist.  relig.  des  Egl.  prot.  de  la  Suisse  et  de  la 
France  (2  vol.  in-8°,  1854-1856)  de  précieux  documents  sur  sa  vie  si 
pleine  et  si  mouvementée.  — Voyez  Guers ,  Premier  réveil  à  Genève,  1871  ; 
Semaine  relig.,  janv.  1875;  Eglise  libre,  9  avril  1875,  etc.  L.  Rupfet. 
BOSTON,  capitale  de  l'Etat  de  Massachussetts  (Etats-Unis),  la  plus  popu- 
leuse des  cités  des  six  Etats  de  la  Nouvelle- Angleterre  et  la  septième  ville 
des  Etats-Unis  au  point  de  vue  de  la  population,  comptait,  lors  du  recen- 
sement de  1870,  un  chiffre  total  de  250,526  habitants,  dont  un  tiers 
environ  d'étrangers.  Elle  fut  fondée  en  1630  par  une  compagnie  de  colons 
anglais,  et  joua  un  rôle  important  dans  l'histoire  des  colonies  anglaises 
et  plus  tard  dans  les  événements  qui  aboutirent  à  la  Bévolution.  Les 
premières  églises  de  Boston  se  rattachaient  au  type  congrégationaliste. 
Elle  compta  parmi  ses  premiers  pasteurs  John  Wilson,  John  Cotton, 
John  Norton,  John  Davenport,  James  Allen,  John  Oxenbridge,  minis- 
tres sortis  des  universités  anglaises  d'Oxford  et  de  Cambridge.  Plus 
avant  dans  le  premier  siècle  de  son  existence,  elle  commença  à  recruter 


BOSTON  875 

son  clergé  dans  le  pays  même,  el  ses  églises  jouirent  du  ministère  de 
pasteurs  éminents,  tels  que  John  Mayo,  [ncrease  Mather  et  Cotton 
Mather,  gradués  du  collège  d'Harvard,  dans  le  voisinage  de  Boston, 
collège  qui  devait  devenir  la  plus  grande  école  de  hautes  études  de 
P  Amérique.  Vers  Tannée  1700,  quatre  églises  congrégationalistes  avaient 
été  fondées,  l'église  de  Chauncy-Place,  celle  de  Old-North,  celle  de  Old- 
South  et  celle  de  Bratt  le- Street;  il  existait  de  plus  une  église  baptiste 
1665)  et  une  église  épiscopale,  dite  chapelle  du  roi.  fàng's-Chapel 
(1686),  soit  en  tout  six  églises  pour  une  population  d'environ 
7.000  habitants.  Un  siècle  plus  tard,  en  1800,  la  population  n'était 
encore  que  de  25,000  habitants  et  le  nombre  des  lieux  de  culte  s'était 
élevé  à  dix-sept,  ainsi  répartis  :  neuf  congrégationalistes,  deux  épis- 
copaux.  deux  baptistes,  un  méthodiste,  un  universaliste,  un  catholique 
et  un  unitaire.  Cette  église  unitaire  n'était  autre  que  la  plus  ancienne 
église  épiscopale  de  la  Nouvelle-Angleterre  {King" s-C hapel) ,  qui,  la 
première,  avait  adopté  les  vues  ariennes  et  sociniennes.  Ces  vues 
avaient  l'ait  silencieusement  leur  chemin  depuis  plus  d'un  demi-siècle 
au  sein  des  églises  congrégationalistes  elles-mêmes,  qui,  à  l'exception 
d'une  seule  {The  OH- South),  se  rattachèrent  ouvertement,  quinze  ans 
plus  tard,  à  l'unitarisme.  A  ce  moment,  vers  1815,  Boston  comptait 
donc  dix  églises  plus  ou  moins  rationalistes  et  seulement  six  évangé- 
liques; le  catholicisme  en  avait  une  seule.  Aujourd'hui  (1870)  les 
forces  respectives  des  diverses  églises  sont  bien  changées.  Les  églises 
évangéliques  sont  au  nombre  de  soixante-huit  qui  se  répartissent 
ainsi  :  seize  méthodistes,  quinze  baptistes,  douze  épiscopales,  douze 
congrégationalistes  orthodoxes,  huit  presbytériennes,  deux  baptistes 
dites  Frec- 117/7,  deux  luthériennes  et  une  réformée  allemande.  Les  églises 
libérales  sont  au  nombre  de  vingt-quatre  dont  dix-neuf  sont  unitaires, 
quatre  universalistes,  une  chrétienne.  Les  catholiques  romains  possèdent 
dix-huit  ou  vingt  églises,  destinées  surtout  à  répondre  aux  besoins 
d'environ  00.000  Irlandais  qui  habitent  Boston.  Les  juifs  ont  quatre 
synagogues.  Les  communiants  des  diverses  églises  évangéliques  sont 
au  nombre  d'environ  23,000.  Chacune  des  plus  importantes  fractions 
du  protestantisme  a  sous  ses  soins  une  œuvre  de  mission  intérieure  et 
d'évangélisation  urbaine.  Les  congrégationalistes,  les  unitaires  et  les 
universalistes  ont  à  Boston  des  agences  de  publications  religieuses;  les 
méthodistes,  les  baptistes  et  les  catholiques  y  possèdent  des  dépôts 
importants  de  leurs  publications.  Les  journaux  et  revues  publiés  à 
Boston  et  traitant  de  matières  religieuses  ont  une  circulation  totale 
d'environ  350,000  exemplaires.  Les  plus  importants  sont  le  Congrcga- 
tionalist,  le  Watchman  (baptiste),  le  Zions  Herald  (méthodiste)  et  le 
Pilol  (catholique).  L'Union  chrétienne  de  jeunes  gens  (Young  Men's 
(  hristian  issociation),  fondée  en  1851,  est  une  institution  de  premier 
ordre,  avec  plus  de  1,000  membres  et  une  bibliothèque  circulante  de 
5,000  volumes.  Elle  reçoit  dans  une  seule  année  environ  (UXK) 
demandes  de  places  ;  elle  a  tous  les  jours  des  services  religieux  dans 
ses  vastes  locaux;  ses  membres  président  de  nombreuses  réunions 
d'évangélisation,  des  classes  bibliques,  des  cours  publics,  des  meetings 


376  BOSTON  —  BOSTRA 

en  faveur  de  la  tempérance,  etc.  Ils  ont  rattaché  aussi  à  leur  association 
une  caisse  d'épargne  pour  les  jeunes  gens.  Les  églises  libérales  ont 
aussi  leur  Union  de  jeunes  gens  qui  possède  un  fort  beau  local  et  pour- 
suit un  certain  nombre  d'oeuvres  philanthropiques  et  religieuses.  Les 
méthodistes  ont  récemment  établi  à  Boston  une  grande  université 
(Boston  Universùy),  divisée  en  facultés  des  lettres,  des  sciences,  de 
théologie,  de  médecine  et  de  droit,  avec  environ  600  étudiants.  Les 
jésuites,  de  leur  côté,  ont  fondé  le  Boston  Collège,  qui  réunit  environ 
150  étudiants.  C'est  du  reste  par  le  développement  de  la  culture 
intellectuelle  que  Boston  a  mérité  de  s'appeler  l'Athènes  des  Etats-Unis. 
Elle  possède  un  grand  nombre  d'institutions  littéraires  et  scientifiques. 
L'instruction  populaire  y  est  donnée  dans  380  écoles  publiques, 
dirigées  par  un  millier  de  maîtres  et  fréquentées  par  30  ou  40,000 
enfants.  Les  institutions  de  bienfaisance  sont  au  nombre  de  soixante 
environ.  Boston  est  le  siège  de  Y  American  Board  of  Commissioners  for 
Foreign  Missions,  la  plus  ancienne  et  la  plus  influente  des  sociétés 
américaines  de  missions,  et  qui  est  soutenue  aujourd'hui  presque  exclu- 
sivement par  lescongrégationalistes  américains.  —  Nous  sommes  rede- 
vables de  la  plupart  des  renseignements  statistiques  qui  précèdent  au 
docteur  Daniel  Dorchester,  de  Malden  (Mass.),  et  à  M.  Edward  Abbott, 
de  Boston.  On  peut  consulter  aussi  les  publications  et  annuaires  des 
diverses  églises,  et  les  encyclopédies,  particulièrement  celle  d'Appleton. 

Matth.  Lelièvke. 
BOSTRA,  ville  du  Hauran,  située  au  sud-ouest  du  groupe  de  monta- 
gnes qui  porte  ce  nom,  à  l'entrée  du  désert  de  Syrie.  La  forme  sémi- 
tique était  Boçra.  Ce  fait  est  établi  par  une  inscription  de  Palmyre 
(de  Vogiié,  Syrie  centr.,  fnsc.  de  Palmyre,  n°  25),  qui  mentionne  la 
légion  de  Bostra,  legiôna  di  Boçra,  d'accord  avecPtolémée,  chez  lequel 
on  lit  :  Bzg'ooc,  Xeyiwv.  La  même  orthographe  se  retrouve  dans  le  Tal- 
mud  (voy.  Beland,  Pal.,  II,  p.  666),  et  c'est  encore  celle  qui  est  usitée 
parmi  les  Arabes.  Iln'y  a  donc  entre  Bostra  et  Botzrah  (Boçra)  qu'une 
simple  transposition  de  sons,  etle  nom  de  la  capitale  du  Hauran  est  iden- 
tiquepourlesensaveclesnombreuxBeçer,  Boçor,  Boçra  quisont  men- 
tionnés dans  la  Bible.  Boçra  signifie  «Fort».  Bostra  est-elle  identique 
soità  l'une,  soit  à  l'autre  des  localités  de  ce  nom  mentionnées  dans  la 
Bible?  La  question  a  été  débattue  et  résolue  dans  tous  les  sens.  L'au- 
teur d'Esaïe  LXI1I,  3,  mentionne  une  ville  deBoçràh,  qu'il  met  en 
parallèle  avecEdom.  La  même  ville  se  trouve  citée,  dans  le  même  rap- 
port avec  Edom,  Jérémie  XL1X,  13.  Dans  ces  deux  passages,  Boçrah 
est  donnée  sinon  comme  la  capitale,  du  moins  comme  une  des  villes 
principales  de  l'Idumée.  Ni  l'histoire  postérieure,  ni  la  géographie 
actuelle  n'en  ont  conservé  le  nom,  mais  c'est  à  tort  qu'on  voudrait 
s'appuyer  sur  ce  fait  pour  la  chercher  dans  la  capitale  du  Hauran.  Le 
Hauran  et  l'Idumée  sont,  pour  la  géographie  comme  pour  l'ethnogra- 
phie, absolument  différents:  l'un  se  rattache  à  la  Syrie  du  Nord,  l'autre 
à  l'Arabie  ;  jamais  on  n'a  pu  les  confondre  ;  en  tous  cas,  en  admettant 
même  que  Boçrah  n'était  pas  dans  l'Idumée  proprement  dite,  dans 
Esaïe  LXI1I,  il  s'agit  manifestement  d'un  conquérant  venant  du  sud. 


BOSTRA  377 

Le  second  des  endroits  avec  lesquels  on  ait  voulu  identifier  Bostra  est 
la  ville  de  refuge  appelée  Beçer,  à  Test  du  Jourdain  et  sur  le  terri- 
toire de  Ruben  (Dent.  IV,  \:\;  Jos.  XX,  8).  L'identification  remonte  à 
Eusèbe  et  à  saint  .Jérôme;  mais  elle  n'est  pas  possible,  pour  les  mêmes 
raisons  que  la  précédente.  Le  territoire  de  Ruben,  tel  que  le  donne  le 
Livre  des  Juges,  était  pris  sur  Le  pays  de  Moab,  et  séparé  du  Hauran 
par  toute  la  largeur  du  désert.  Autre  est  la  question  de  savoir  si  Beçer 
îi'ot  pas  identique  à  Boçrah  d'Esaïe  LXIII.  Jérémie  XL VIII,  24,  men- 
tionne Boçrah  parmi  les  villes  de  Moab,  à  la  suite  de  Dibon,  Nebo, 
Bethmaôn,  Kerioth;  il  est  difficile  de  ne  pas  reconnaître  dans  celte 
ville  le  Beçer  du  Deutéronome  et  du  livre  des  Juges  ;  la  situation  est  à 
peu  près  la  même  ;  et,  d'autre  part,  il  n'est  pas  moins  difficile  de 
distinguer  le  Boçrah  du  chapitre  XL VIII,  de  la  ville  de  même  nom  citée 
au  chapitre  XLIX,  et  qui  est  manifestement  identique  avec  celle 
d'Esaïe  LXIII.  On  comprend  que,  pour  un  écrivain  israélite,  le  sud  du 
pays  de  Moab  se  soit  confondu  avec  l'Idumée;  la  direction  était  la 
même.  On  ne  doit  pas  se  laisser  arrêter  par  la  différence  d'ortho- 
graphe; en  effet,  l'inscription  de  Mésa  reproduit  à  peu  de  chose  près 
La  même  énumération  de  villes  que  Jérémie  XL  VIII,  et,  dans  leur  nombre, 
au  sud  du  pays  de  Moab,  Boçrah  qu'il  écrit  Beçer.  Nous  concluons 
donc  qu'il  y  avait  en  tous  cas  deux  villes  du  nom  de  Boçrah  :  l'une, 
la  capitale  du  Hauran,  la  Bostra  des  auteurs  grecs  et  romains;  l'autre, 
une  des  villes  principales  du  pays  de  Moab,  le  Beçer  du  livre  des  Juges 
et  de  l'inscription  de  Mésa;  cette  dernière  était  peut-être  identique  à 
la  ville  de  Boçrah,  citée  Jérémie  XLIX  et  Esaïe  LXIII  comme  apparte- 
nant an  pays  d'Edom.  Quel  était  le  nom  primitif  de  Bostra?  M.  Wet- 
zstein  (Hauran  u.  dm  Trackonen,  p.  108  ss.),  s'appuyant  sur  une 
ancienne  conjecture  de  Beland  (Pal.,  662),  a  soutenu  que  Bostra  n'était 
autre  que  la  ville  de  Beth-Astaroth,  qui  est  également  appelée  Astaroth 
ou  Astaroth-Karnaïm.  Le  nom  actuel  se  serait  formé  par  la  corruption 
de  Beth-Astaroth  en  Beesterah  et  en  Bostra.  La  forme  Beesterah  existe, 
et  elle  est  appliquée  (Jos.  XXI,  27;  comp.  1  Chron.  VII,  71)  aune 
ville  lévitique  qui  appartenait  au  territoire  de  la  dèmi-tribu  de  Ma- 
nassé,  et  qui  était  sans  doute  identique  à  Astaroth.  Mais  depuis  que 
l'on  a  retrouvé  la  forme  Boçra,  cette  explication  n'est  plus  possible; 
le  changement  de  Beesterah  en  Boçra  est  contraire  à  toutes  les  règles 
de  la  phonétique  sémitique.  M.  Waddington  (fnscr.  grecques  de  $i/?*iey 
p.  'i-i(.l  ss.)  a  parfaitement  établi  ce  point.  Il  faut  donc  encore  distin- 
guer de  Bostra  l'ancienne  ville  de  Beth-Astaroth  ou  Astaroth-Karnaïm; 
cette  dernière  était  une  ville  antique,  célèbre  par  le  culte  d'Astarté, 
dont  elle  avait  pris  le  nom;  elle  ligure  dans  l'histoire  de  Kedor-La- 
homer  (Gen.  XIV,  5)  ei  avant  d'appartenir  aux  Hébreux,  avait  ét.5  la 
résidence  d'0g,'roi  de  Basan.  Eusèbe  lui-même  distingue  nettement  les 
deux  endroits,  et  place  Astaroth  à  six  milles  romains  d'Edréi  et  à 
vingt-cinq  de  Bostra.  Il  faut  la  chercher  sans  doute  dans  un  petit 
endroit,  appelé  aujourd'hui  Tell-Asterefi,  et  qui  est  précisément  à 
L'endroit  où  Eusèbe  et  saint  Jérôme  placent  Astaroth.  Bostra  doit 
être  une    ville    relativement   moderne,  c'est  une  ville    de    plaine;   et 


378  BOSTKA  —  BOUCHER 

elle  fut  sans  doute  bàlie,  d'après  M.  Waddington,  par  les  rois  naba- 
téens  (comp.  Vogué,  Inscr.  nabatén.,  n"  4).  —  L'auteur  profane 
le  plus  ancien  qui  en  fasse  mention  est  Gicéron  (54  av.  J.-C).  Elle 
ne  devint  importante  que  sous  Trajan  qui  l'embellit.  Sous  cet  empe- 
reur et  sous  ses  successeurs,  elle  parait  sur  les  monnaies  avec  le  nom 
•de  Nova  Trajana  Bostra,  puis  de  Nova  Trajana  Alexandriana  colonia 
Bostra.  A  partir  de  Philippe,  elle  prend  le  titre  de  métropole. —  Bostra 
fut  le  siège  d'abord  d'un  évêclié,  puis  d'un  archevêché  dont  le  titulaire 
exerçait  son  autorité  sur  une  vingtaine  d'évêques  (Wadd.,  IL).  Parmi 
ses  évoques,  il  convient  de  citer  Bérylle,  et  un  siècle  plus  tard,  un 
apologiste,  adversaire  des  manichéens,  Titus,  qui  fut  chassédeson  siège 
par  les  persécutions  de  l'empereur  Julien  (voy.  Manichéens)  ;  enhn,  sous 
l'empereur  Léon  (457-474),  Antipater,  archevêque  de  Bostra  et  métro- 
politain d'Arabie,  dont  M.  Waddington  (IL,  p.  462,  n°  1914),  croit 
avoir  retrouvé  à  Bostra  même  une  inscription.  Au  temps  de  l'évèque 
Titus,  les  chrétiens  et  les  païens  étaient  en  nombre  égal  dans  la  ville 

PH.    BEE'^ER. 

BOUCARD  (François  ou  Jacques  de),  grand-maitre  de  l'artillerie  des 
protestants,  particulièrement  aimé  de  Coligny.  De  Lanoue,  dans  ses 
Aî&moires,  dit  de  Boucard  «  qu'il  estoit  un  des  plus  braves  gentilshom- 
mes du  royaume,  et  qui  avait  du  feu  et  du  plomb  en  la  teste  ».  Il  prit 
une  part  active  aux  trois  premières  guerres  de  religion.  Après  la  ba- 
taille de  Jarnac,  il  tomba  malade,  et  mourut  en  mai  1569. 

BOUCHER  (Jean),  né  à  Paris  vers  1550.  Après  une  longue  suite  de 
succès  dans  l'enseignement,  à  Reims  où  il  complimenta  Henri  III  à  son 
sacre  en  1575,  et  à  Paris  où  il  fut  successivement  recteur  de  l'univer- 
sité, prieur  et  docteur  de  Sorbonne,  Boucher,  nommé  curé  de  Saint- 
Benoit,  sollicita  en  vain  plusieurs  évêchés  et  chercha  dans  la  politique 
la  plus  fanatique  une  satisfaction  à  ses  rancunes.  Henri  III,  qu'il  ne 
cessait  de  poursuivre  de  ses  invectives,  eut  la  sottise  de  lui  rendre  pu- 
bliquement ses  insultes,  sans  les  faire  suivre  d'autre  effet.  Les  ligueurs 
tinrent  chez  lui  leur  première  assemblée.  Le  2  septembre  1587,  il  fit 
sonner  le  tocsin  à  son  église  pour  exciter  un  soulèvement.  Le  jour  de 
l'assassinat  de  Henri  III,  qui  était  la  fête  de  Saint-Pierre-aux-Liens 
(1er  août  1589),  il  dit  en  chaire  à  ses  auditeurs  que,  «  comme  Dieu 
avoit  délivré  cet  apostre  des  mains  d'Hérode,  on  devoit  espérer  qu'il 
leur  feroit  une  pareille  gràce3  »  et  il  exalta  comme  un  acte  de  grand* 
mérite  l'assassinat  d'un  roi  hérétique  ou  fauteur  d'hérétiques.  Il  avait 
composé  contre  Henri  III  un  atroce  libelle  intitulé  De  justaHenrici  III 
abdication p  e  Francorum  regno,  et  il  eut  l'impudeur  de  le  publier  après 
la  mort  de  ce  prince  (Paris,  1589,in-8°).  Le  libraire  de  la  Ligue  à  Lyon 
en  donna,  en  1591,  la  troisième  édition,  dansée  but,  avoué  dans  la 
préface,  de  susciter  un  assassin  contre  Henri  IV.  Boucher  célébra  en- 
suite le  crime  de  Jacques  Clément  dans  un  pamphlet  rempli  de  textes 
de  l'Ecriture.  11  osa  dire  des  assassins  du  président  Brisson  qu'ils  étaient 
des  martyrs  de  Jésus-Christ.  L'abjuration  de  Henri  IV  mit  le  comble  à 
sa  fureur.  Il  l'exhala  dans  neuf  sermons  :  «  De  ta  simulée  conversion  et 
nullité  de  la  prétendue  absolution  de  Henry  de  Bourbon,  prince  de  Béarn, 


BOUCHER  —  BOUHOURS  379 

à  Saint- Denis  en  France,  le  dimenche  %5  juillet  1593,  sw;*  le  sujet  de 
V Evangile  du  même  jour  :  1  ttendite  a  faim  propketis,  etc.,  par  M  Jean 
Boucher,  docteur  de  théologie.  »  Il  les  publia  aussitôt  à  Paris,  avec 
approbation  de  docteurs  et  dédicace  au  cardinal  de  Plaisance,  légat  du 
pape,  et  les  réédita  à  Douai  l'année  suivante.  Ce  livre  fut  brûlé  par  la 
main  du  bourreau,  sur  la  place  publique,  après  la  reddition  de  Paris. 
Son  auteur  s'empressa  de  se  réfugier  chez  les  Espagnols.  Philippe  II, 
<pii  avait  donné  à  un  autre  apologiste  de  Jacques  Clément,  Bernard  de 
Montgaillard  dit  le  Petit  Feuillant,  l'abbaye  d'Orval,  donna  au  curé  de 
Saint-Benoit  un  canonicat  à  Tournai.  Il  eut  peu  après  l'imprudence  de 
rentrer  en  France,  et  Henri  IV  laclémencede  le  relâcher.  11  Feu  récom- 
pensa en  publiant  F  «  Apologie  pou?-  Jean  Chaslel,  Parisien,  exécuté  à 
mort,  et  pour  1rs  Pères  et  escoliers  de  la  Société  de  Jésus  bannis  du 
royaume  de  France,  etc.,  par  François  de  Vérone  Constantin.  »  Ce  li- 
belle fut  traduit  en  latin  et  imprimé  à  Lyon  (1611,  in-8")  sous  le  titre 
de  Jesuita  sicarius.  Boucher  prononça  à  Tournai,  le  26  octobre  1598, 
l'oraison  funèbre  de  Philippe  II,  imprimée  à  Anvers  (1600,  in-8°).  Cet 
honneur  lui  était  bien  dû.  Il  avait  entrepris  d'aller  à  Borne,  espérant 
sans  doute  y  être  aussi  bien  reçu  que  l'avait  été  Montgaillard,  tandis 
que  le  cardinal  d'Ossat  écrivait  au  pape  une  longue  lettre  où  il  le  sup- 
pliait de  le  faire  emprisonner.  Une  maladie  qui  le  surprit  en  route  le 
détourna  de  ce  voyage.  Boucher  publia,  sous  divers  pseudonymes,  une 
foule  de  libelles  sur  ses  sujets  de  prédilection.  On  a  prétendu,  mais  à 
tort,  qu'il  avait  changé  de  sentiments  sur  la  fin  de  sa  longue  carrière. 
Il  mourut  à  Tournai,  presque  centenaire,  vers  1645.  Peu  d'hommes  ont 
attiré  sur  eux  de  plus  justes  exécrations.  De  Thou  Fappelle  liomo  vecors, 
et  le  terme  n'est  pas  trop  fort.  —  Voyez  :  de  Thou,  lib.  95,  87  et  112; 
Maimbourg,  Hist.  de  la  Ligue,  liv.  III,  ann.  1589  ;  Mézerai,  Abr.  chronol. , 
ann.  1591  ;  et  pour  le  catalogue  détaillé  de  ses  ouvrages  les  plus  cu- 
rieux, le  Manuel  de  Brunet,  Paris,  1860,  5e  édit.  P-  Rouffet. 

BOUDDHISME.  Voyez  Inde. 

BOUHOURS  (Dominique)  [1628-1702].  Longtemps  professeur  dans 
les  collèges  de  la  Compagnie,  puis  précepteur  des  princes  de  Longue- 
ville  et  de  Seignelay,  iils  de  Colbert,  ce  jésuite  traita  tour  à  tour,  avec 
une  aisance  égale,  le  profane  et  le  sacré;  mais  il  fut  plutôt  bel  esprit 
que  théologien.  On  l'accusa  de  servir  «  le  monde  et  Dieu  par  semestre», 
et  on  lui  prête  des  bons  mots  jusqu'à  son  lit  de  mort.  Madame  de  Sé- 
vigné  disait  de  lui  «  que  l'esprit  lui  sortait  de  tous  les  côtés  ».  Moins 
soucieux  des  pensées  que  des  mots,  il  s'attira  le  reproche  d'empeser  les 
Muses.  I/école  de  Port-Royal,  et  surtout  le  grave  Nicole,  si  étranger  à 
ce  défaut,  le  releva  rudement  chez  Bouhours.  Il  n'en  fut  pas  moins 
jusqu'au  bout  nn  pi'écieux  quasi  ridicule,  et  jusque  dans  sa  Traduction 
du  Nouveau  Testament,  il  fait  parler, selon  Richard  Simon,  les  évangé- 
listes  à  la  Rabutin.  Voltaire  le  met,  dans  son  Temple  dugoût,  derrière 
Pascal  et  Bourdaloue,  occupé  à  noter  les  incorrections  qui  leur  échap- 
pent. Malgré  les  travers  de  son  genre  maniéré,  Bouhours  a  rendu  à  la 
langue  de  véritables  services  par  une  foule  d'ouvrages  qui  contribuè- 
rent aux  polémiques  littéraires  si  fécondes  du  dix-septième  siècle.  Ses 


380  BOUHOURS  —  BOUILLON 

Doutes  sur  la  langue  française  (1074,  in-12)  sont  un  de  ses  meilleurs 
écrits.  Sa  Manière  de  bien  penser  dans  les  ouvrages  de  l'esprit  (Paris, 
1687,  in-4°)eut  un  succès  considérable  et  mérité.  Notons  enfin  ses  Vies 
de  saint  Ignace  (Paris,  1(579,  in-4°  et  in-12)  et  de  saint  François-Xavier 
(1682).  11  y  compare  le  premier  à  César  et  le  second  à  Alexandre, 
parallèle  qui  se  transformerait  aisément  en  une  amère  satire  des  deux 
héros,  mais  qui  répond  aussi  bien  au  goût  du  biographe  qu'à  l'esprit 
de  son  ordre.  —  Voir  l'éloge  du  P.  Bouliours  dans  les  Mémoires  de 
Irovoux,  d'août,  dans  le  Mercure  historique,  d'octobre,  et  surtout  dans 
le  Journal  des  Savants,  du  24  juillet  1702. 

BOUILLON  (Godefroi  de),  fils  aine  du  comte  Eustache  de  Boulogne, 
naquit  à  Boulogne  vers  1058;  il  fut  adopté  par  son  oncle  maternel, 
Godefroi  le  Bossu,  duc  de  Basse-Lorraine.  A  la  mort  de  ce  dernier, 
Henri  IV  investit  Godefroi  de  la  marche  d'Anvers  (1076)  ;  il  ne  lui 
accorda  qu'en  1093,  après  la  révolte  de  Conrad,  le  duché  de  Basse- 
Lorraine  en  récompense  des  services  que  Godefroi  avait  rendus  à  la 
cause  impériale  en  Allemagne  et  en  Italie.  Godefroi  fut  un  des  premiers 
chevaliers  de  la  France  du  Nord  à  prendre  la  croix;  pour  pouvoir 
figurer  dans  la  guerre  sainte  avec  une  puissante  armée,  il  vendit  une 
partie  de  ses  terres,  il  engagea  son  château  de  Bouillon  pour 
1,300 marcs  d'argent  et  une  livre  d'or.  Ses  frères  Eustache  et  Baudoin, 
son  neveu  Baudoin  de  Rames,  un  grand  nombre  de  vassaux  et 
d'hommes  d'armes  répondirent  à  son  appel.  Godefroi,  par  ses  talents 
militaires,  par  sa  piété  et  son  courage,  devint  le  chef  de  la  première 
croisade;  il  introduisit  quelque  ordre  clans  les  bandes  indisciplinées 
des  chrétiens  et  contribua  plus  que  personne  aux  premiers  succès  des 
Occidentaux;  dès  qu'il  eut  reçu  de  ses  compagnons  d'armes  le  com- 
mandement suprême  avec  le  titre  d'avoué  du  Saint-Sépulcre,  Godefroi 
chercha  les  moyens  d'assurer  sa  conquête  et  de  fonder  en  Palestine 
un  Etat  féodal  et  militaire,  seul  capable,  pensait-il,  de  tenir  tête  aux 
Seldjoucides  et  aux  Fatimites  ;  à  cet  effet  il  réunit  «  les  princes,  les 
barons  et  les  plus  sages  hommes  qu'il  pooit  avoer  »,  et  fait  rédiger  par 
cette  assemblée  les  Lettres  du  Sépulcre.  Ces  lettres,  qui  sont  le  code  et 
la  constitution  du  nouvel  Etat,  fixent  les  droits  et  les  obligations  de 
tous  les  habitants  ;  elles  instituent  la  haute-cour  pour  la  noblesse,  la 
cour  des  bourgeois,  la  cour  des  reis  pour  les  Syriens,  la  cour  d'Eglise  ; 
elles  accordent  au  chef-seigneur  —  c'est  le  nom  que  portait  Godefroi  — 
le  droit  d'exiger  l'hommage-lige  direct  de  tous  les  barons.  En  même 
temps  qu'elle  donna  des  lois,  l'assemblée  répartit  les  terres  de  l'Etat 
de  Jérusalem  et  les  divisa  en  300  lots  nobles  ou  fiefs.  Godefroi  eut  fort 
à  faire  de  modérer  les  prétentions  de  l'Eglise  et  particulièrement  du 
patriarche  Daïmbert;  il  n'y  réussit  qu'à  force  de  souplesse  et  de 
prudence.  Il  accorde  au  représentant  du  saint-siége  des  droits  hono- 
rifiques, il  se  soumet  à  d'humiliantes  cérémonies,  mais  en  somme 
l'Etat  de  Jérusalem  —  Godefroi  n'a  pas  pris  le  titre  de  roi  de  peur  de 
blesser  le  clergé  —  resta  laïque  et  féodal.  Au  milieu  de  ses  travaux  de 
législateur  et  d'administrateur,  Godefroi  fut  obligé  de  prendre  les  armes 
pour  repousser  l'invasion  de  200,000  Fatimites  :  avec  15,000  hommes 


BOUILLON  381 

il  coupa  L'armée  des  infidèles  à  Ascalon  et  assura  pour  quelque 
temps  le  repos  de  la  Palestine.  Godefroi  mourut  le  15  juillet  1100, 
laissant  à  des  successeurs  incapables  le  soin  de  continuer  son  œuvre.  De 
tous  les  héros  des  croisades, Godefroi  est,  avec  Louis  JX,  le  plus  grand; 
il  a  réalisé  l'idéal  du  guerrier  et  du  souverain  chrétien.  «  J'ai  les 
mains  fortes,  disait-il  à  ceux  qui  le  félicitaient  après  Ascalon,  parce 
qu'elles  sont  pures  »  (Albert  d'Aix,  lib.  VI).  —  A  consulter  :  historiens 
des  croisades,  Michaud,  Wilken  ;  Fr.  Monnier,  Godefroi  de  Bouillon  et 
lis  Assises  de  Jérusalem,  Paris,  1874.  G-.  Léser. 

BOUILLON  (Henri  de).  La  Tour  d'Auvergne,  vicomte  de  Turenne,  de 
Gastillon  et  de  Lanquais,  naquit  en  Auvergne  le  28  septembre  1555. 
Elevé  à  la  cour  de  France,  il  s'attacha  d'abord  au  duc  d'Alençon  et  fut 
mêlé  aux  intrigues  des  Politiques  et  à  la  conjuration  de  La  Mole.  A  la 
suite  d'une  maladie  qui  Pavait  «  attiré  à  penser  sérieusement  à  son 
«  àme  et  à  l'autre  vie  »,  il  se  convertit  et  introduisit  la  Réforme  dans 
ses  domaines  (1575  à  1570).  Au  synode  national  de  Sainte-Foy  il  re- 
présente le  roi  de  Navarre  (1578)  et  il  acquiert  dans  la  guerre  contre 
les  ligueurs  du  Midi  la  réputation  d'un  chef  habile  et  heureux.  Pri- 
sonnier en  Flandre  où  il  s'était  rendu  à  la  suite  du  duc  d'Anjou,  il  ne 
recouvre  sa  liberté  qu'au  prix  d'une  forte  rançon;  de  retour  en 
France,  il  reprend  son  service  auprès  du  roi  de  Navarre  et  assiste  à  la 
bataille  de  Contras.  Chargé  de  missions  diplomatiques  en  Angleterre, 
en  Hollande  et  en  Allemagne,  il  réussit  à  gagner  des  alliés  à  Henri  IV 
et  à  lui  amener  des  renforts.  Ce  fut  à  cette  époque  (1591)  qu'il  épousa 
Charlotte  de  La  Marck,  héritière  de  Sedan,  Raucourt  et  Jametz,  et 
devint  duc  de  Bouillon;  Charlotte  étant  morte  dès  1594,  sans  laisser 
d'enfants,  il  dut  à  la  bienveillance  du  roi  de  pouvoir  recueillir  presque 
tout  entière  la  succession  de  sa  femme.  En  1595  Bouillon  épouse 
Elisabeth  de  Nassau,  iille  de  Guillaume  le  Taciturne.  Quoique  comblé 
d'honneurs  et  de  faveurs  par  Henri  IV,  qui  venait  de  le  nommer  ma- 
réchal de  France,  il  était  mécontent;  il  entra,  parait-il,  en  relation 
avec  Biron,  sans  approuver  toutefois  ses  projets  de  trahison.  Le  roi 
l'invite  à  venir  se  justifier;  Bouillon  se  rend  à  Castres  et  demande  à 
être  jugé  par  la  Chambre  de  l'Edit.  Henri  IV  fait  défense  à  la  Chambre 
d'accueillir  cette  requête  justifiée  par  l'article  34  de  l'édit  de  Nantes. 
Bouillon  se  retire  à  Genève,  puis  à  Heidelberg,  publie  sa  justification, 
écrit  au  roi  les  lettres  les  plus  soumises  et  les  plus  respectueuses.  Mais 
rien  n'y  fait:  Henri  IV,  poussé  par  Sully,  veut  réduire  à  merci  le  trop 
puissant  et  trop  remuant  duc  qui  rêvait  peut-être,  depuis  la  conversion 
du  roi,  de  prendre  la  direction  du  parti  protestant,  et  le  voyant 
abandonné  des  Eglises  et  des  princes  allemands,  ses  anciens  protec- 
teurs, il  l'oblige  à  signer  le  traité  du  2  avril  1606,  par  lequel  Bouillon 
s'engage  :  à  servir  le  roi  et  ses  successeurs...  et  à  recevoir  dans  Sedan 
et  les  autres  places  de  sa  souveraineté  le  roi  ou  ceux  qu'il  désignait  par 
lettres-patentes.  Le  roi  met  garnison  dans  Sedan,  mais  dès  1608, 
n'ayant  plus  à  craindre  le  duc  humilié  et  délaissé,  il  lui  restitue  cette 
place.  Après  la  mort  d'Henri  IV,  Bouillon  siège  au  conseil  de  régence; 
il  l'ait  alliance  avec  Condé  et  Concini  pour  se  venger  de  Sully  et  pour 


382  BOUILLON  —  BOUKHARIE 

combattre  le  parti  espagnol,  puis  il  travaille  contre  Concini  et  se  voit 
réduit  à  quitter  la  cour.  11  trouble  l'Assemblée  de  Saumur  par  ses 
menées  et  y  joue  le  rôle  d'un  intrigant  et  d'un  vulgaire  ambitieux  : 
après  s'être  fait  plus  qu'il  ne  convenait  l'agent  de  la  reine  régente 
par  haine  de  Rohan,  et  avoir  compromis  les  intérêts  de  ses  coreligion- 
naires, il  s'avise  bien  tardivement  de  reprendre  en  main  la  cause  des 
Eglises  et  essaie  de  conclure  une  alliance  avec  Mansfeld,  le  célèbre 
chef  de  mercenaires.  Il  ne  réussit  pas  dans  sa  négociation  et  meurt  peu 
après,  en  1623,  à  Sedan.  Bouillon,  grand  capitaine,  politique  remuant 
et  inquiet,  «  plus  ami  de  son  bien  que  de  toute  autre  chose  »,  ne  mé- 
rite guère  de  figurer  à  côté  des  illustres  chefs  des  huguenots:  il  n'avait 
ni  leur  foi  profonde  ni  leur  patriotisme.  Il  a  rendu  des  services  incon- 
testables à  ses  domaines,  qu'il  a  administrés  avec  beaucoup  d'intel- 
ligence. Sedan  lui  doit  sa  prospérité  industrielle  et  commerciale  et 
l'honneur  d'avoir  été  pendant  de  longues  années  un  des  foyers  du 
protestantisme  français  ;  il  y  fonda  en  1601  l'université  qu'il  dota 
d'une  belle  bibliothèque.  —  Consulter  la  Biographie  de  Bouillon,  par 
Marsollier,  La  France  protestante  et  les  Mémoires  de  Bouillon,  qui  s'ar- 
rêtent en  1586.  G.  Léser. 

BOUKHARIE  (Statistique  religieuse).  La  Petite  Boukharie  forme  une 
province  de  l'empire  chinois,  Thian-Chan-Nandou,  ou  le  Turkestan  chi- 
nois. Nous  n'avons  à  nous  occuper  ici  que  de  la  Grande  Boukharie  ou 
Khanat  deBoukhara,  l'ancienne  Sogdiane.  Ce  grand  pays  de  l'Asie  cen- 
trale est  encore  assez  incomplètement  connu.  La  population  est  peu 
considérable  proportionnellement  à  l'étendue  de  la  contrée,  mais  ce- 
pendant très-nombreuse  si  on  la  compare  au  reste  de  l'Asie  centrale. 
Entre  les  évaluations  très-diverses  qui  en  ont  été  faites,  celle  de  Behm 
et  Wagner  nous  paraît  la   plus  probable.   Ils   attribuent   à  la  Bou- 
kharie 2,286,000  habitants  sur  une  superficie  de  217,500  kilomètres 
carrés.  La  grande  majorité  de  cette  population  est  aborigène  et  porte 
le  nom  de  Tadjiks.  Les  Ouzbeks  sont  des  conquérants  établis  depuis 
le  commencement  du  seizième  siècle.  Le  gouvernement  appartient  à 
un  khan  qui   a   changé  son  nom  en    celui  d'Emir-al-Moumenim  ou 
Prince  des  croyants.  Son  pouvoir,  absolu  en  théorie,  est  en  réalité 
très-dépendant  des  mollahs  ou  prêtres  mahométans.  C'est  que  la  Bou- 
kharie est  en  effet  un  des  centres  religieux  de  l'islamisme.  Sauf  quel- 
ques milliers  de  juifs  établis  dans  les  villes,  et  quelques  païens  venus 
du  pays  de  Dervazeh,  tous  les  habitants  se  rattachent  au  mahométisme 
sous  sa  forme  sunnite.  Boukhara,  la  capitale,  est  la  ville  sainte  de  l'Asie 
centrale,  le  centre  de  la  théologie  musulmane  d'une  vaste  région.  Des 
voyageurs  optimistes  ont  appelé  Boukhara  l'Athènes  de  l'Asie.  A  en 
croire  les  témoins  les  plus  récents,  ce  bel  éloge  est  loin  d'être  justifié. 
Ce  que  le  voyageur  Clavijo  appelait  l'université  de  Boukhara  se  com- 
pose de  360  mosquées  et  d'autant  de  médressés  ou  collèges  (d'autres 
disent  60  seulement)  où  des  mollahs  font  réciter  le  Coran  et  quelques 
poésies  sacrées  à   10,000  élèves  venus  de   toute  l'Asie  mahométane. 
Quant  à  quelque  chose  qui  rappelât  même  de  loin  ce  que  nous  appe- 
lons science,  on  le  chercherait  en  vain  dans  les  médressés  de  Boukhara. 


BOUKIIAUIE  —  BOULOGNE  ;38:î 

—Bibliographie  :  Behm  undWagner,  Die  Bevùlkerung  der  Erde,  III,  1875; 
r.  Hanemann,  Karte  von  Mùtelasien,  1872;  E.  Larnansky,  Bulletin  de 
la  Société  de  Géographie,  Y"  série,  t.  XV.  B.  Vatjcheb. 

BOULAINVILLIERS-ll^iiri,  comte  (Ici.  né  le  11  octobre  1658, à  Saint- 
Saire  en  Normandie,  mort  le  ^:>  janvier  17±2,  est  surtout  connu  par 
L'ardeur  avec  Laquelle  il  détendit  dans  de  nombreux  écrits  historiques 
Le  système  féodal  dans  Lequel  il  voyait  L'idéal  d'une  société  libre.  C'est 
>ans  doute  son  admiration  pour  la  vie  chevaleresque  qui  le  poussa  à 
écrire  une  Vie  de  Mahomet  avec  des  réflexions  sur  la  religion  mahomé- 
tane  et  1rs  coutumes  des  Musulmans,  Londres  et  Amsterdam,  1730,  in-H"r 
Ouvrage  sans  valeur  scientifique  et  tout  à  fait  oublié  aujourd'hui.  11 
s'occupa  aussi  de  philosophie  et  même  de  sciences  occultes.  Il  a 
lasse  en  manuscrit  plusieurs  volumes  d'astrologie;  il  traduisit  le  Traité 
des  trois  imposteurs  (trad.  publiée  en  1775,  in-8°),  prit  part  à  la  Réfuta- 
tion de  Spinosa,  par  Fénelon  et  Lami  (publ.  en  1731),  et  écrivit  lui-même 
un  examen  des  doctrines  de  Spinosa,  sous  le  titre  d'Essai  de  méta- 
physique, dans  les  principes  de  B.  de  Spinosa  (1731).  Boulainvilliers 
était  un  esprit  vigoureux,  hardi  et  original,  mais  il  manquait  de  solidité 
dans  ses  jugements  et  dans  son  érudition. 

BOULANGER  (Nicolas-Antoine),  né  à  Paris  en  1722,  ingénieur  des 
ponts  et  chaussées,  croyait  avoir  trouvé  dans  les  révolutions  du  globe  et 
dans  les  phénomènes  astronomiques  l'explication  des  plus  anciennes 
traditions  de  l'humanité.  Après  sa  mort  parut  sous  son  nom  un  ou- 
vrage intitulé  Recherches  sur  le  despotisme  oriental  (Genève,  1761),  où 
l'on  démontrait  que  la  terreur  inspirée  par  le  déluge  donna  naissance  à 
la  superstition,  au  despotisme,  à  la  théocratie.  En  1760  ce  livre  fut  re- 
produit dans  un  ouvrage  plus  étendu  :  L'antiquité  dévoilée  par  ses  usages, 
ou  examen  crit lique  des  principales  opinions,  cérémonies  et  institutions  relig. 
et  pol.  des  di/f.  peuples  de  la  terre  (3  vol.  in-12).  Quelques  descriptions 
poétiques  et  la  sympathie  que  les  esprits  forts  portaient  à  tout  ce  qui 
attaquait  la  religion  procurèrent  un  grand  succès  à  cet  écrit,  qui  manque 
dénotions  exactes  soit  pour  les  sciences  naturelles,  soit  pour  l'histoire 
et  la  philologie.  Le  même  symbolisme  astronomique  se  retrouve  dans  une 
Dissertation  sur  EUe  et  Enoch; dans  une  autre  sur  saint  Pierre,  l'apôtre 
est  Janus,  l'emblème  du  commencement  de  l'année.  Ces  diverses  œu- 
vres ayant  été  publiées  par  d'Holbach,  on  ne  sait  jusqu'à  quel  point  L'édi- 
teur s'y  est  substitué  à  l'auteur.  Mais  on  considère  comme  apocryphe 
Ze  Christianisme  dévoilé,  qui  parut  sous  le  nom  de  Boulanger  et  fut 
composé  par  d'Holbach  ou  Damila  ville  (édit.  compl.,  1792,8  vol.  in-8°); 
YAntiq.  dévoilée  fut  traduite  en  allemand (1767).  —  Voyez:  de  Baranter 
art.  Boulanger  dans  i>Yo</?\  unie,  de  Michaud;  Guérard,  France  lût. 

BOULOGNE.  Voyez  Thérouanne. 

BOULOGNE  (Etienne-Antoine),  né  à  Avignon  en  1747.  Il  dut  à  ses 
succès  précoces  Les  bienfaiteurs  qui  lui  fournirent  le  moyen  de  faire 
ses  études,  et  à  son  talent  pour  la  chaire  Ja  protection  de  l'abbé 
Poulie  qui  Tciigagea  à  se  rendre  à  Paris.  Un  Eloge  du  Dauphin,  père 
de  Louis  XVI,  qui  lui  valut  un  prix  de  2,400  livres,  consacra  la  répu- 
tation que  son  éloquence  lui  créait  peu  à  peu;  mais  il  s'attira,  on  ne 


384  BOULOGNE 

sait  pourquoi,  la  disgrâce  de  M.  de  Beaumont,  et  il  ne  put  reprendre 
ses  prédications  qu'après  la  mort  de  cet  archevêque.  Jusqu'à  la  Bévo- 
lution,  sa  carrière  fut  une  série  de  succès  oratoires.  Il  avait  même 
prêché  le  carême  à  la  cour  en  1787  et  le  roi  le  retint  pour  la  station  de 
1792,  mais  il  comptait  sans  les  événements.  Plusieurs  fois  en  danger 
sous  la  Terreur,  il  iinit  par  être  emprisonné,  fort  tard  heureusement, 
à  la  veille  du  9  thermidor.  De  1795  au  concordat,  Boulogne  fut  cons- 
tamment sur  la  brèche  :  il  ridiculisa  dans  ses  brochures  L'Eglise  cons- 
titutionnelle, prêcha  dans  les  chapelles  catholiques  et  rédigea  les  An- 
nales religieuses.  Ce  journal  lui  attira  même,  après  le  18  fructidor,  une 
sentence  de  déportation  à  laquelle  il  se  déroba  prudemment.  Après  le 
18  brumaire,  il  en  reprit  la  rédaction  jusqu'en  1807,  non  sans  inter- 
ruptions forcées,  mais  il  donnait  à  son  recueil  un  titre  nouveau  à  me- 
sure qu'il  était  supprimé  sous  un  autre.  On  vit  se  succéder  ainsi  les 
Fragments  de  littérature  et  de  morale,  [es  Annales  littéraires  et  morales,  et 
les  Mélanges  de  philosophie,  d'histoire,  de  morale  et  de  littérature.  En 
1808,  Boulogne,  déjà  grand-vicaire  de  Versailles  et  chapelain  de  l'em- 
pereur, fut  nommé  à  l'évêché  de  Troyes.  Les  difficultés  que  causa  le 
texte  de  sa  bulle  retardèrent  son  installation  d'une  année.  Pie  Vil 
avançait  dans  la  formule  qu'il  choisissait  l'évêque  motu  proprio,  à  peu 
près  comme  Pie  IX,  en  1871,  insinuait  qu'il  nommait  M.  Nouvel  au 
siège  de  Quimper.  Le  Conseil  d'Etat  s'émut  de  l'empiétement  dans  le 
premier  cas  comme  dans  le  second.  L'épiscopat  de  M.  Boulogne  fut 
encore  plus  orageux  que  son  installation,  et  Napoléon  vit  bientôt  qu'il 
n'était  pas  plus  gallican  qu'il  n'avait  été  constitutionnel.  Secrétaire  du 
concile  que  l'empereur  avait  réuni  à  Notre-Dame  en  1812,  dans  l'es- 
poir d'y  faire  proclamer  la  compétence  de  l'Eglise  de  France  pour  l'in- 
stitution des  évoques  sans  l'intervention  du  pape,  l'évêque  de  Troyes 
s'unit  à  ceux  de  Gand  et  de  Tournai  pour  faire  rejeter  le  projet  de  dé- 
cret présenté  par  le  ministre.  Le  concile  fut  aussitôt  dissous  (11  juillet 
1812)  et,  dès  la  nuit  suivante,  les  trois  prélats  étaient  enfermés  à  Vin- 
cennes.  Ils  n'en  sortirent  qu'après  avoir  signé  leur  démission,  et 
M.  Boulogne  fut  interné  à  Falaise.  Le  ministre  notifia  aussitôt  au  cha- 
pitre de  Troyes  la  démission  de  l'évêque  ;  les  grands-vicaires  résignè- 
rent leurs  fonctions,  et  on  en  nomma  de  nouveaux  dont  les  mandements 
portèrent  la  mention  :  le  siège  vacant.  En  apparence,  l'empire  l'empor- 
tait; au  fond,  le  sacerdoce  ne  cédait  rien,  car  le  mot  de  vacant  était 
assez  élastique  pour  signifier  la  simple  absence  de  l'évêque,  et,  d'autre 
part,  M.  Boulogne  eut  le  soin  de  nommer  de  son  côté  les  nouveaux 
vicaires.  Ils  semblaient  ainsi  gouverner  au  nom  du  chapitre,  tandis  qu'ils 
gouvernaient  avec  les  pouvoirs  du  prélat.  L'équivoque  subsista  jus- 
qu'au jour  où  Napoléon  nomma  M.  de  Cussy  évêque  de  Troyes,  en 
1813.  Alors  le  pape,  consulté  pour  savoir  s'il  avait  agréé  la  démission 
de  l'évêque  précédent,  répondit  en  niant  la  juridiction  du  chapitre; 
un  grand-vicaire  déclara  reconnaître  M.  Boulogne,  et  les  chanoines  se 
trouvèrent  partagés  en  deux  camps  égaux  en  nombre.  Le  gouverne- 
ment voulut  exiger  du  démissionnaire  une  renonciation  encore  plus 
formelle  que  la  première  ;  sur  son  refus  déguisé,  on  le  ramena  à  Vin- 


BOULOGNE  —  BOUQUIN  385 

cennes,  d'où  il  fut  transféré  à  La  Force  en  février  L814.  L'entrée  des 
allies  lui  rendit  la  liberté,  Il  retourna  triomphant  à  Troyes  et  supprima 
du  registre  toutes  les  délibérations  du  chapitre.  Pendant  ses  dernières 
années,  il  joignit  à  ses  travaux  épiscopaux  ses  anciennes  fonctions  de 
prédicateur  a  la  cour  et  dans  les  chaires  de  Paris.  11  avait  même  pré- 
paré le  discours  du  sacre  de  Charles  X  quand  il  mourut  subitement  le 
13  mai  1825.  H  était  depuis  18^0  membre  de  la  Chambre  des  pairs* 
Ses  œuvres  complètes  ont  été  publiées  en  182()  (Paris,  8  vol.  in-8°). 

P.    KOUFFET. 

BOUQUET  (Dom  Martin),  né  à  Amiens,  mort  à  Paris  (1683-1754). 
Bénédictin  de  la  congrégation  de  Saint-Maur,  il  collabora  longtemps 
aux  éditions  savantes  que  publiait  le  célèbre  Bernard  de  Montfaucon, 
de  la  même  congrégation.  Aussi  modeste  qu'érudit,  il  avait  entrepris 
une  édition  de  Josèphe  et  en  avait  déjà  presque  achevé  la  prépa- 
ration quand  il  apprit  que  1' illustre  professeur  de  Leyde,  Havercamp, 
s'occupait  du  même  travail.  Il  lui  envoya  aussitôt  ses  propres  maté- 
riaux. Havercamp  les  joignit  aux  siens,  et  il  en  résulta  les  notes  par- 
fois trop  étendues  d'une  savante  édition  (Amsterdam,  1726,  2  vol. 
in-fol.).  Le  plus  grand  titre  de  gloire  de  Bouquet  est  d'avoir  commencé 
la  collection  des  historiens  des  Gaules  et  de  la  France,  projet  conçu 
par  Colbert,  repris  par  Letellier,  archevêque  de  Reims,  et  enfin  par  le 
chancelier  d'Aguesseau.  Mabillon  lui-même  avait  reculé  devant  l'im- 
mensité de  la  tâche.  Bouquin  l'accepta  et  publia  les  deux  premiers 
volumes  en  17o8sous  ce  titre:  Rerum  Gallicarum  et  Frnncicarum  sc?-ip- 
tores.  La  mort  le  surprit  après  la  publication  du  huitième  volume  ; 
mais  son  œuvre  fut  poursuivie  pendant  près  d'un  siècle  par  les  reli- 
gieux ses  confrères  (voy.  Don  Briaï).  Ce  recueil  en  est  au  vingt-et- 
unième  volume,  publié  en  1855  par  MM.  Guigniaut  et  de  Wailly. 

BOUQUIN  (Pierre),  de  Bourges,  docteur  en  théologie  et  prieur  des 
carmes  de  cette  ville.  Sa  science  des  Ecritures  lui  fit  abandonner  son 
ordre  pour  aller  à  Bàle  en  1541,  et  de  là  à  Wittemberg.  Luther  et  Mé- 
lanchthon  le  décidèrent  à  occuper  à  Strasbourg  la  place  que  le  retour 
de  Calvin  à  Genève  laissait  vacante.  Il  y  expliqua  lépitre  aux  Galates. 
Il  revint  ensuite  à  Bourges  pour  travailler  à  la  Réforme,  et  y  enseigna 
gratuitement  l'hébreu  et  l'Ecriture.  Marguerite  de  Valois,  à  qui  il  pré- 
senta son  livre  De  la  nécessiti-  et  de  V usage  de  la  sainte  Ecriture,  lui  as- 
sura une  pension.  Aidé  de  son  frère,  docteur  comme  lui,  mais  dont 
les  convictions  étaient  plus  timides  que  les  siennes,  il  put  même  prê- 
cher dans  la  cathédrale  et  d  compta  longtemps  sur  le  succès  de  ses 
travaux  évangéliques.  Il  en  désespéra  à  la  fin  et  dut  fuir  la  persécution 
avec  un  autre;  professeur  de  Bourges,  François  Baudouin.  Après  un 
court  ministère  dans  l'église  française  de  Strasbourg,  il  passa  à  Hei- 
delberg  ou  L'appelait  l'électeur  palatin,  et  il  y  fut,  de  1557  à  1577,  pro- 
fesseur de  théologie.  Les  disputes  sur  l'ubiquité  et  la  présence  réelle  le 
forcèrent  a  quitter  sa  charge,  à  cause  de  ses  opinions  peu  luthériennes. 
Les  calvinistes  rappelèrent  à  Lausanne  où  il  continua  ses  leçons  jus- 
qu'à sa  mort  (1582).  Bayle  donne  une  liste  assez  longue  de  ses  écrits. 
Sauf  quelques-uns,  comme  sa  Défense  pour  les  professeurs  de  théologie 
ii.  25 


386  BOUQUIN  —  BOURBON 

-évangélique,? 'Epoux  spirituel  et  V Homme  parfait,  ils  roulent  tous  sur  le 
sujet  de  la  cène. 

BOURBON  (Antoine  de),  lils  de  Charles  de  Bourbon,  duc  de  Ven- 
dôme, et  de  Françoise  d'Alençon ,  naquit  le  22  avril  1518.  Il  suc- 
céda à  son  père  dans  le  gouvernement  de  Picardie,  et  se  signala, 
comme  chef  militaire,  tant  sur  les  frontières  du  Boulonnais  qu'à  Thé- 
rouanne,  à  Landrecy,  à  Lillers,  en  Hainaut  et  en  Flandre  en  1551,  et 
en  Lorraine  et  en  Picardie  de  1552  à  1554 .  Il  avait  épousé,  en  1548, 
Jeanne  d'Albret.  De  nombreuses  lettres  qu'il  lui  adressa,  à  une  époque 
qui  suivit  de  près  son  union  avec  elle,  attestent  l'intimité  qui  régnait 
alors  entre  les  deux  époux.  Lors  de  la  mort  du  père  de  Jeanne,  en  1555, 
Antoine  de  Bourbon  devint  roi  de  Navarre.  En  1558,  il  se  prononça  en 
laveur  de  la  religion  réformée.  Les  protestants  croyaient  pouvoir  compter 
sur  lui  comme  sur  un  protecteur  sérieux;  mais  il  déçut  bientôt  leurs 
espérances.  Bafoué  à  la  cour,  après  la  mort  de  Henri  II,  il  retourna  en 
Béarn,  y  devint  le  jouet  de  l'Espagne,  se  tourna  contre  les  protes- 
tants, à  l'issue  de  la  conjuration  d'Amboise,  paralysa  l'entreprise  de 
Maligny  sur  Lyon,  et  ne  vint  à  Orléans,  avec  son  frère,  le  prince  de 
Condé,  en  1560,  que  pour  s'y  voir,  ainsi  que  lui,  opprimé  par  les 
€uise.  A  la  mort  de  François  II,  il  se  laissa  dominer  par  Catherine  de 
Médicis  et  abdiqua  en  partie  ses  prérogatives  de  prince  du  sang,  quant 
au  maniement  des  affaires  de  l'Etat.  S'il  parut  pendant  quelque  temps 
reprendre  en  main  les  intérêts  des  protestants  en  luttant  contre  l'in- 
fluence des  Guise,  il  ne  tarda  pas  à  se  laisser  circonvenir  par  ces  der- 
niers et  parles  agents  de  la  cour  d'Espagne.  Rompant  alors  avecCondé 
et  les  Chàtillon,  oubliant  aux  pieds  d'une  fille  d'honneur  de  la  reine- 
mère  ses  devoirs  d'époux,  il  relégua  brutalement  la  vertueuse  Jeanne 
d'Albret  en  Béarn,  s'allia  avec  les  membres  du  triumvirat,  refusa 
lâchement  de  s'élever  contre  le  massacre  de  Vassy,  alors  que  les  pro- 
testants invoquaient  son  appui,  et  se  démasqua  complètement,  en  pre- 
nant, quand  éclata  la  première  guerre  de  religion,  le  commandement 
des  troupes  catholiques.  Dans  les  conférences  successives  qui  suspen- 
dirent momentanément  le  cours  des  hostilités,  il  n'apporta  qu'étroi- 
tesse  de  vues,  que  dureté  de  cœur,  et  que  résistance  aux  justes  repré- 
sentations formulées  par  le  prince,  son  frère.  11  fut,  au  siège  de  Rouen, 
blessé  d'un  coup  d'arquebuse  à  l'épaule.  Sentant  de  jour  en  jour  ses 
forces  décliner,  il  exprima  le  désir  de  revoir  Jeanne  d'Albret,  et  chargea 
un  gentilhomme  qu'elle  lui  avait  envoyé  de  retourner  près  d'elle  et  de 
l'accompagner  de  Béarn  en  Normandie;  mais  il  était  trop  tard  :  il  suc- 
comba le  17  novembre  1562.  Jeanne,  qui  se  fut  estimée  heureuse  d'ap- 
porter à  son  mari  de  suprêmes  consolations,  n'avait  plus  devant  elle 
la  possibilité  de  franchir  en  temps  opportun  la  longue  distance  qui 
la  séparait  de  lui.  Couvrant  d'un  généreux  pardon  le  loyal  aveu  qu'au 
terme  de  sa  carrière  Antoine  de  Bourbon  avait  fait  de  ses  torts  envers 
elle,  elle  ne  se  rappela  plus  que  son  affection  pour  lui,  et  pleura  sa 
mort  en  femme  chrétienne.  Antoine  de  Bourbon  laissa  deux  enfants, 
issus  de  son  mariage  avec  Jeanne  d'Albret,  savoir  :  un  fils  (voir 
Henri  IV)  et  une  fille  (voir  Catherine  de  Bourbon).  —  Sur  Antoine 


BOURBON  887 

de  Bourbon,  voir:  1"  Brantôme,  U<>/>ni/es  illustres;  2°  de  Thon, 
BisL  unir.,  tr.  fr.,  in-V\  t.  11,  p.  681  à  688;  720  à  723;  7!):;  à  857; 
et  t.  m.  p.  36  à  160;  :\'M  à  :>:>7;  :>"  Désormeaux,  Hist.  de  lamat- 
san  de  Bourbon,  t.  III:  V'  la  corresp.  Eranç.  de  Calvin,  passitn;  o°  les 
ouvrages  du  présidenl  de  La  Place,  de  Th.  de  Bèze,  de  Régnier  de 
La  Planche,  de  Davila,  de  La  Popelinière,  de  d'Aubigné,  les  Mémoires 
de  Coude:  6°  Les  lettres  d'Ant.  de  Bourbon  à  Jeanne  d'Albret  (Bibl. 
nat..  mss.   fr.,  vol.  8746).  J-  D^laboede. 

BOURBON  (Catherine  de),  fille  d'Antoine  de  Bourbon  et  de  Jeanne 
d'Albret,  uaquit  à  Paris,  le  7  février  1559.  A  quatorze  ans,  elle  perdit 
sa  mère;  son  chagrin  fut  d'autant  plus  vif,  qu'elle  éprouva  dans  toute 
sod  amertumele  vide  de  l'isolement:  elle  sévit  livrée  à  la  merci  d'une 
cour  corrompue,  sans  pitié  pour  sa  faiblesse,  sans  respect  pour  sa 
conscience,  sans  égard  pour  son  rang.  Des  périls  de  tout  genre  mena- 
çaient l'orpheline;  mais,lidèle  aux  convictions  religieuses  que  Jeanne 
lui  avait  inculquées,  et  puisant  en  elles  une  indomptable  énergie,  elle 
sut,  par  l'élévation  de  ses  sentiments  et  la  fermeté  de  son  caractère, 
lutter  avec  succès,  pendant  quatre  ans,  contre  les  menées  oppressives 
de  Catherine  de  Médicis,  et  recouvrer  en  1576  sa  liberté.  Rentrée  en 
Béarn,  elle  y  reprit  l'exercice  du  culte  réformé,  qui  lui  avait  été 
interdit  à  la  cour  de  France  depuis  le  jour  néfaste  de  la  Saint-Barthé- 
lémy, et  s'y  concilia,  comme  femme  et  comme  princesse,  une  consi- 
dération et  une  sympathie  que  commandaient  ses  vertus,  ses  talents, 
ainsi  que  ses  qualités  à  la  fois  solides  et  brillantes.  Henri,  son  frère, 
eût  dû,  à  titre  d'unique  appui  qui  lui  restât  désormais,  tenir  à 
honneur  de  la  protéger,  alors  surtout  que  Jeanne  d'Albret,  à  l'heure 
suprême,  lui  en  avait  confié  le  soin,  moins  comme  une  obligation 
sacrée  que  comme  un  privilège  ;  mais,  infidèle  aux  dernières  recom- 
mandations de  sa  mère,  dont  il  avait  déserté  la  foi,  le  bon  Henri  de  la 
légende  populaire,  ne  justifiant  que  trop  réellement  le  titre  de  mauvais 
frère  que  lui  inflige  le  sévère  jugement  de  l'histoire,  traita  souvent 
Catherine  avec  dureté.  Non-seulement  il  la  fit  souffrir  de  la  résistance 
qu'elle  lui  opposa,  alors  qu'il  voulait  l'entraîner  dans  une  défection 
religieuse  semblable  à  celle  dont  il  lui  avait  donné  le  triste  exemple  ; 
mais  encore,  la  blessant  jusque  dans  ses  affections  les  plus  intimes  et 
les  plus  pures,  il  combattit  avec  une  âpre  ténacité  un  projet  d'union 
à  la  réalisation  duquel  elle  eût  attaché  son  bonheur,  employa  de 
coupables  manœuvres  pour  tenter  de  triompher  de  sa  constance,  et 
finit,  lorsqu'elle  se  vit  trompée  dans  son  espoir,  par  arracher  son 
consentement  à  un  mariage  avec  Henri  de  Lorraine,  duc  de  Bar. 
L'étroit  bigotisme  et  le  caractère  déprimé  de  cet  homme,  indigne  de 
la  pieuse  et  noble  Catherine,  furent  pour  elle  une  source  d'incessantes 
angoisses  qu'elle  domina  des  hauteurs  de  sa  foi.  Digne  fille  d'une  mère 
dont  elle  vénérait  la  mémoire  et  s'efforçait  de  suivre  les  traces, 
Catherine  demeura,  jusqu'à  son  dernier  soupir  (1*3  février  l(>0i), 
fermement  attachée  à  la  religion  réformée;  léguant  ainsi  aux  généra- 
tions futures  un  admirable  exemple  de  la  puissance  que  le  sentiment 
religieux  et  la  piété  filiale  exercèrent  sur  le  cœur  d'une  orpheline  pour 


388  •     BOURBON 

la  soutenir  dans  l'austère  épreuve  d'une  existence  solitaire  et 
dépouillée.  —  Voir  sur  Catherine  de  Bourbon  :  Ballet,  de  la  Soc.  d'hist. 
duprôtest.  /h,  t.  II,  p.  140  à  155;  t.  III,  p.  279;  t.  V,  p.  148  à  160,  et 
283  à  292;  t.  XV,  p.  19  à  35,  et  583  à  586;  t.  XXIV,  p.  26;  E.  Alby, 
Catherine  de  Navarre,  2  vol.  in-8°,  1850;  la  comtesse  d'Armaillé, 
Catherine  de  Bourbon,  1  vol.  in-12,  1865.  J.  Delabordb. 

BOURBON  (Louis  de),  septième  lils  de  Charles  de  Bourbon,  duc  de 
Vendôme,  et  de  Françoise  d'Alençon,  naquit  à  Vendôme,  le  9  mai 
1530.  Elevé  dans  l'abbaye  de  Saint-Denis  par  son  oncle  le  cardinal  de 
Bourbon,  il  en  sortit  pour  suivre  la  carrière  des  armes.  Il  se  distingua  en 
1551  en  Piémont  et  en  Picardie,  en  1552  à  Metz,  en  1553àDourlens,  en 
1554  en  Hainaut  et  en  Artois,  en  1555  en  Italie,  et  en  1557  à  Saint-Quentin. 
Par  son  mariage  avec  Eléonore  de  Roye,  en  1551,  il  était  devenu  l'allié 
des  Montmorency  et  des  Chàtillon.  S'étant  joint  à  la  cause  protestante, 
moins  peut-être  par  conviction  religieuse  que  par  inimitié  contre  les 
Guise  qui  l'avaient  froissé,  il  opina,  dans  les  conférences  de  Vendôme 
et  de  La  Ferté,  pour  une  prise  d'armes  et  accepta  le  rôle  de  chef  muet 
dans  la  conjuration  d'Amboise,  dont  l'insuccès  motiva  sa  retraite  en 
Béarn. Trompé  par  les  promesses  décevantes  de  la  cour,  il  revint  en  1560 
à  Orléans,  où  le  dévouement  héroïque  de  sa  femme  ne  put  le  sous- 
traire à  une  condamnation  capitale,  odieusement  provoquée  par  les  Guise 
et  lâchement  prononcée  par  leurs  suppôts.  Sauvé  de  la  mort  par  un 
changement  de  règne,  et  réhabilité  par  décisions  souveraines  du  con- 
seil privé  et  du  parlement,  il  prit  en  mains  le  parti  des  protestants  en 
1561.  Il  les  protégeait  à  Paris,  en  1562,  lorsque  le  massacre  de  Vassy 
le  décida,  dans  leur  intérêt,  à  une  résistance  à  main  armée.  Ralliant  à 
lui,  du  fond  des  provinces,  les  principaux  chefs  protestants,  et  devenu 
maître  d'Orléans  et  de  diverses  villes,  il  accepta  la  lutte  avec  l'armée 
catholique,  rechercha  et  obtint  l'appui  de  divers  princes  d'Allemagne, 
d'Elisabeth  d'Angleterre  et  de  quelques  cantons  suisses,  et,  après  une 
série  d'engagements,  livra  la  célèbre  bataille  de  Dreux,  dans  laquelle  il  fut 
fait  prisonnier.  Le  traité  de  paix  d'Amboise,  en  mettant  un  terme  à  sa 
captivité,  imposa,  par  sa  faute,  d'iniques  restrictions  au  régime  de 
liberté  religieuse  qu'avait  inauguré  en  partie  l'édit  de  janvier  1562. 
Après  avoir  concouru  à  la  reprise  du  Havre  sur  les  Anglais,  en  juillet 
1563,  il  mena  à  la  cour  uni  vie  de  dissipation  et  y  entretint,  à  l'insti- 
gation de  Catherine  de  Médicis,  des  relations  scandaleuses,  qu'inter- 
rompit à  peine,  en  1564,  la  mort  de  sa  pieuse  et  généreuse  femme,  et 
qui  ne  cessèrent  qu'à  l'époque  de  son  second  mariage,  en  1565,  avec 
Françoise  d'Orléans,  tille  delà  marquise  de  Rothelin.  Lespersécutions  re- 
nouvelées contre  les  protestants,  au  mépris  du  traité  de  paix,  lui  firent 
reprendre  les  armes  en  1567.  La  bataille  de  Saint-Denis  fut  glorieuse 
pour  lui.  A  la  suite  de  sa  jonction  avec  les  forces  du  duc  Casimir, 
il  dégagea  Orléans,  investit  Chartres,  et  conclut,  le  13  mars  1568,  une 
paix  qui  n'offrait  aucune  garantie  de  durée.  La  cour  et  ses  agents  la 
violèrent,  comme  ils  avaient  violé  la  précédente.  De  Noyers,  où  il 
s'était  retiré  et  où  l'on  cherchait  à  s'emparer  de  lui,  Condé  se  rendit, 
avec  sa  famille,  à  travers  les  plus  grands  dangers,  à  La  Rochelle,  où  il 


BOURBON  389 

lut  rejoinl  par  la  noblesse  de  Poitou  et  de  Saintonge,  ainsi  que  par 
Jeanne  d'Aibret,  accompagnée  de  sou  lils.  Bientôt  commença  la  troi- 
sième guerre  civile,  dans  laquelle  Louis  de  Bourbon,  fortement  se- 
condé,  comme  dans  les  deux  premières  guerres,  par  Coligny,  déploya 
une  grande  énergie  el  une  valeur  à  toute  épreuve.  On  le  vitalors,  rom- 
pant avec  sa  déchéance  passée,  se  relever  moralement  de  toute  la  hau- 
teur d'un  noble  caractère.  Son  attitude  à  la  bataille  deJarnac,  livrée  le 
13  mars  1569,  lut  admirable.  Il  venait  par  une  charge  brillante  de 
forcer  l'ennemi  à  reculer,  lorsque,  déjà  blessé,  il  reçut  une  ruade  de 
cheval  qui  lui  cassa  la  jambe.  Pourvu  de  nombreux  renforts,  l'ennemi 
revenait  sur  lui;  les  seigneurs  qui  entouraient  le  prince  le  conjuraient 
de  se  retirer;  un  simple  signe  fut  sa  réponse;  il  leur  montra  la  de- 
vise de  sa  cornette  :  Doux  le  péril  pour  Christ  et  le  pays.  Se  faisant 
aussitôt  remonter  à  cheval  :  «  Voici,  noblesse  française ,  s'écria-t-il, 
voici  le  moment  désiré.  Souvenez-vous  en  quel  état  Louis  de  Bour- 
bon entre  au  combat  pour  Christ  et  la  patrie  ;  »  puis  il  s'élança  sur 
les  rangs  ennemis,  et  ne  tarda  pas  à  tomber  avec  son  cheval  tué  sous 
lui.  Odieux  instrument  de  la  haine  du  duc  d'Anjou  pour  le  prince, 
Montesquiou  se  rua  sur  celui-ci  qui  déjà  s'était  rendu  à  d'Argence,  et 
d'un  coup  de  pistolet  tiré  par  derrière,  lui  fracassa  la  tête.  Une  appré- 
ciation impartiale  à  formuler  sur  Louis  de  Bourbon,  en  tant  que  chef 
protestant,  peut  se  résumer  en  quelques  mots.  Amené,  sur  les  traces 
de  sa  première  femme  et  de  sa  belle-mère,  à  professer  la  religion  ré- 
formée, on  le  voit,  à  en  juger  par  l'ensemble  de  sa  conduite,  sincère 
sans  doute  dans  l'adoption  du  nouveau  culte,  mais  touché  uniquement 
à  la  surface  de  son  âme  par  les  doctrines  évangéliques,  demeurer  ac- 
cessible aux  calculs  et  aux  entraînements  de  la  politique,  qu'il  ne  do- 
minera jamais  des  hauteurs  d'une  foi  stable,  et  compromettre  trop 
souvent,  ici  parles  vues  restreintes  de  l'homme  de  guerre  et  de  l'homme 
d'Etat,  là  par  la  légèreté  de  l'homme  du  monde  et  parles  défaillances 
de  l'esclave  du  plaisir,  la  dignité  morale  du  chrétien,  de  l'époux  et  du 
père.  Mais,  dans  les  derniers  temps  de  son  existence  agitée,  son  àme 
se  retrempe  à  la  source  des  généreux  sentiments;  il  veut,  dans  l'élan 
d'une  admirable  transformation,  justiiier  sa  devise,  s'immoler,  s'il  le 
faut,  au  service  de  son  Dieu  et  de  sa  patrie,  et  sa  mort  est  bien  celle 
d'un  chrétien  et  d'un  vrai  Français.  —  Voir  sur  Louis  de  Bourbon  : 
Brantôme,  Gr.capit.  françois;  de  Thon,  Hist,  univ.,  tr.  fr.,  in-4°,  t.  Il, 
p.  681  a  836  ;  t.  111,  p.  38à  506;  t.  IV,  p.  2  à  175;  Désormeaux,  Hist.  de 
la  maison  de  Bourbon,  t.  III,  p.  209  à  238  et  261  à  675  ;  t.  IV,  p.  12  à  1I(), 
et  p.  139  à  350;  Mém.  de  la  troisième  guerre  civile,  in-12,  1571;  cor- 
resp.  française  de  Calvin,  passim\  les  ouvr.  du  présidentde  LaPlace,  de 
Th.  de  Bèze,  de  Régnier  de  La  Planche,  de  Davila,deLa  Popelinière,  de 
d'Aubighé  de  Mézeray;  [esMémoires  de  Coudé;  Mémoires  de  Castelnau 
ef  addit.  de  Le  Laboureur:  Disc. polit,  et  milit.  de  Lanouc  ;  Hist.  de  cinq 
rois,  \n-\i..  1599;  Hist.  des  princes  (h-  Condé,  par  le  due  d'Aumale, 
t.  1  et  t.  II.  p.  1  a  81.  J.  Dblabobde. 

BOURBON  (Henri  de),  premier  du  nom,  fils  de  Louis  de  Bourbon  et 
d'Eléonore  de  Roye,  né   le  29  décembre  1552.  Privé  en   1564  d'une 


390  BOURBON 

mère  qu'il  chérissait,  perdant  en  1569  un  père  qui  s'était  peu  occupé 
de  lui,  traité  alors  en  fils,  non  par  sa  belle-mère,  mais  par  Jeanne 
(TAlbret  et  par  Coligny,  Henri  de  Bourbon  fut,  en  concours  avec  le 
jeune  Henri  de  Navarre,  son  cousin,  nominalement  placé  à  la  tête  de 
l'armée  des  réformés.  Il  combattit  pour  la  première  fois  à  Arnay-le- 
Duc,  en  1570.  Fidèle  aux  convictions  religieuses  que  lui  avait  incul- 
quées sa  mère,  et  profondément  attaché  à  l'amiral  ainsi  qu'à  Jeanne, 
il  venait  d'être  uni  par  les  soins  de  cette  princesse  à  Marie  de  Nevers, 
quand  éclata  l'effroyable  drame  de  la  Saint-Barthélémy.  Sommé  d'ab- 
jurer, il  refusa  avec  une  fermeté  qui  faillit  lui  coûter  la  vie,  et  ne  finit 
par  céder,  en  apparence,  que  pour  rétracter  bientôt  sa  prétendue  con- 
version :  il  dut,  au  péril  de  ses  jours,  fuir  une  cour  corrompue  et 
sanguinaire  qui  voulait  le  contraindre  à  porter  les  armes  contre  les  ré- 
formés et  qui  favorisait  par  sa  dépravation  les  insolentes  assiduités 
dont  sa  femme  était  l'objet  delà  part  du  duc  d'Anjou.  Libre  désormais, 
il  revint  publiquement  à  la  religion  réformée  dont  il  ne  s'était  jamais 
séparé  au  fond  de  son  cœur.  L'assemblée  de  Milhau  (juillet  1574)  le 
proclama  chef  et  gouverneur  général  des  Eglises  de  France.  Trois 
mois  après,  il  perdit  sa  femme.  En  1575  lui  fut  conféré  le  titre  de  «  pro- 
tecteur de  l'association  du  clergé  et  des  catholiques  paisibles  avec  les 
Eglises  réformées  du  royaume.  ».  Ayant  formé  une  petite  armée,  il  se 
joignit  à  Monsieur.  En  mai  1576  intervint  un  édit  de  pacification.  Jus- 
tement indigné  de  l'attitude  de  Henri  III  à  son  égard,  il  alla  rejoindre 
le  roi  de  Navarre  'en  Guyenne.  Investi  par  les  protestants  d'une  con- 
fiance que  celui-ci  était  loin  de  leur  inspirer,  il  sut,  au  milieu  de  cir- 
constances compliquées,  ardues,  dont  l'exposé  ne  saurait  trouver  place 
ici,  demeurer  invariablement  fidèle  à  la  cause  de  la  Réforme  et  lui 
rendre  de  véritables  services.  On  ne  sait  que  trop  qu'il  n'en  fut  pas  de 
même  du  roi  de  Navarre,  contre  l'indifférence  et  la  légèreté  duquel  il 
eut  plus  d'une  fois  à  lutter.  Au  moment  où  Henri  de  Bourbon  allait 
reprendre  les  armes,  il  fut  atteint  tout  à  coup  de  violentes  douleurs,  le 
3  mars  1588,etsucccomba,le5.  On  soupçonna  sa  seconde  femme,  Char- 
lotte de  La  Trémouille,  de  l'avoir  fait  empoisonner  ;  on  dirigea  même 
contre  elle  des  poursuites  criminelles  ;  mais,  au  bout  de  quelques 
années,  elles  furent  arbitrairement  amorties.  La  vérité  sur  ce  point  si 
grave  ne  s'est  pas  fait  jour.  La  vie  d'Henri  de  Bourbon,  clans  sa  briè- 
veté, fut  semée  de  douloureuses  épreuves,  qu'il  domina  par  sa  foi  et 
l'élévation  de  son  âme  :  en  toute  rencontre,  il  se  montra  le  digne  fils 
de  la  pieuse  mère  aux  infortunes  de  laquelle  il  avait  été  associé  dès 
son  enfance,  et  des  exemples  de  laquelle  il  tint  toujours  à  honneur  de 
s'inspirer.  Les  historiens,  catholiques  et  protestants,  sont  à  peu  près 
unanimes  dans  les  éloges  qu'ils  décernent  au  caractère  d'Henri  de 
Bourbon.  Au  premier  rang  des  qualités  qui  le  distinguèrent  se  placent 
sa  fidélité  à  de  nobles  convictions  religieuses  et  son  dévouement  aux  in- 
térêts cle  ses  coreligionnaires.  De  ïhou  le  représente  comme  brave  et 
plein  d'humanité,  ferme  et  d'une  rare  affabilité,  prudent  et  libéral, 
grave  et  éloquent,  enfin  comme  réunissant  en  lui  tous  les  mérites 
qu'on  peut  souhaiter  dans  un  prince.  —  Voir,  sur  Henri  de  Bourbon,  la 


BOURBON  —  BOURBONNAIS  391 

plupart  des  ouvrages  cités  dans  la  notice  relative  à  Louis  <le  Bourbon, 
son  père.  •'•  Dblabobdb. 

BOURBONNAIS  (Eglises  du).  On  signale  la  présence  de  luthériens  à 
Moulins,  capitale  du  Bourbonnais, en  1562.  Apprenanl  vers  la  mi-marsi 
de  cette  même  année  le  passage  du  ministre  Bourgoîn,  dit  Dagnon,  ils 
le  décidèrent  à  leur  donner  quelques  prédications  dans  le  château  du 
seigneur  de  Foulet,  près  .Moulins.  Peu  après  ((')  avril),  un  ministre,  du 
nom  de  Cougnat,  étant  venu  pour  être  le  pasteur  de  l'Eglise,  fut  em- 
prisonné dès  son  premier  prêche,  ainsi  que  de  Foulet.  Ce  fut  bien  pis 
quand  l'implacable  Montaré  prit  le  gouvernement  de  Moulins.  Un 
pauvre  menuisier,  qui  avait  t'ait  baptiser  son  enfant  par  un  ministre, 
fut  pendu  après  avoir  été  préalablement  exposé  aux  railleries  et  aux 
mauvais  traitements  de  la  populace.  Un  autre  luthérien,  qui  avait  fait 
remarquer  qu'on  aurait  dû  se  contenter  de  mettre  à  mort  ce  malheu- 
reux sans  l'outrager,  fut  également  pendu.  Après  ces  exécutions,  Mon- 
taré, réunissant  3,000  hommes  de  troupes,  ordonna  à  tous  ceux  de  la 
nouvelle  religion  de  quitter  la  ville  et  lâcha  la  bride  à  ses  soldats  pour 
piller  leurs  maisons,  voire  même  pour  les  massacrer  tant  à  la  ville 
<pfauxchamps.Les  capitaines  huguenots  Saint-Auban  et  Saint-Jean  du 
Dauphiné,  qui  conduisaient  des  troupes  à  Orléans  au  prince  de  Condé, 
essayèrent  bien  de  se  saisir  de  Moulins  pour  délivrer  le  pays  de  ce 
misérable,  mais  ils  ne  purent  y  parvenir.  Ils  obtinrent  seulement  que 
de  Foulet  serait  mis  en  liberté.  Cela  servit  de  peu  à  cet  infortuné,  car 
ayant  été  rencontré  par  une  bande  de  catholiques  en  dehors  de  la  ville, 
il  l'ut  impitoyablement  massacré  par  eux,  ainsi  que  son  laquaiset  Favo- 
cat  Claude  Brisson  qui  Faccompagnait.  Montaré  continua  son  œuvre 
de  sang  jusqu'à  Fédit  de  paix  (19  mars  1563),  «  donnant,  dit  Bèze,  force 
pratiques  au  bourreau,  qu'il  appelait  son  compère,  lequel  il  chérissait 
jusqu'à  le  faire  manger  à  sa  table.»  L'Eglise  de  Saint-Amand  en  Bour- 
bonnais fut  organisée  dès  1559,  et  put  se  maintenir  «  par  la  signalée 
faveur  de  Dieu  »,  car  la  ville  appartenait  au  duc  de  Nevers,  F  un  des 
plus  grands  adversaires  des  luthériens.  —  Après  Fédit  de  Nantes,  les 
Eglises  du  Bourbonnais,  qui  formèrent  un  colloque  ressortissant  à  la 
province  synodale  du  Berry,  Orléanais,  Blaisois,  Nivernais  et  Haute- 
Marche,  eurent  beaucoup  de  peine  à  obtenir  des  lieux  de  culte.  Le 
13  novembre  1000,  Legay  et  Chandieu,  commissaires  exécuteurs  de 
Tédit  dans  la  province,  leur  assignèrent  seulement  pour  lieux  d'exer- 
cice le  faubourg  de  La  Varenne,  dans  la  ville  d'Hérisson,  et  le  faubourg 
de  Chantelle-le-Château.  Le  ±\  août  1003,  Chandieu  et  son  nouveau 
collègue  Frère  remplacèrent  le  faubourg  de  La  Varenne  par  celui  du 
Font,  dans  la  même  ville  d'Hérisson,  sur  la  réclamation  des  catholi- 
ques, et  le  faubourg  de  Chantelle  par  celui  d'Avermes,  près  Moulins, 
sur  la  réclamation  des  protestants.  Ce  dernier  lieu,  n'ayant  pas  con- 
venu aux  catholiques,  fut  remplacé  par  le  hameau  des  Chevennes, 
mandement  d'Avermes.  Le  jugement  fut  confirmé  par  les  commissaires 
exécuteu  *s  de  1612,  mais  mal  exécuté,  en  dépit  des  arrêts  du  Conseil 
d'Etat  du  30  décembre  1614  et  de  1618.  Marie  de  Médicis,  devenue 
régente,  biffa  d'un  trait  de  plume  ces  derniers,  et  à  partir  de  ce  mo- 


392        BOURBONNAIS  —  BOURDALOUE 

ment  la  position  des  protestants  du  Bourbonnais  devint  si  précaire 
qu'à  la  révocation  de  l'édit  de  Nantes  on  n'en  signalait  aucun  dans  la 
province.  Aujourd'hui  le  culte  réformé  est  prêché  à  Moulins,  Mont- 
ïuçon  et  Vichy  par  des  pasteurs  non  salariés  de  l'Etat,  et  les  protes- 
tants de  ces  localités  se  rattachent  officiellement  au  consistoire  de 
Bourges.  —  Bèze,  Hist.  eccl.  ;  Ballet,  de  la  Soc.  de  l'hist.  du  prot.  franc., 
1863.  p.  374;  1864,  p.  18.  E.  abnaud. 

BOURDALOUE  (Louis).  Sa  vie  n'offre  pas  d'événements  considérables. 
On  peut  la  résumer  par  ces  mots  de  Vinet  :  «  Il  prêcha,  il  confessa,  il 
consola,  puis  il  mourut.  »  Ce  fut  une  vie  de  saint,  et  Sainte-Beuve 
dit  avec  raison  «  qu'elle  lui  assurait  dans  l'ordre  moral  une  autorité 
que  nul  en  son  siècle  n'a  surpassée,  pas  mêmeBossuet.  »  «  Bourdaloue, 
dit  le  cardinal  de  Beaussetdans  son  Histoire  de  Bossuet,  est  peut-être  le 
seul  homme  d'un  mérite  supérieur  qui  n'ait  jamais  eu  ni  ennemis  ni 
détracteurs.  »  Il  naquit  à  Bourges,  «d'une  des  familles  les  plus  considé- 
rables de  la  ville,  »  le  20  août  1632.  A  l'âge  de  quinze  ans  il  entra  dans 
la  compagnie  des  jésuites,  et  il  la  servit  jusqu'à  la  iin  de  sa  vie  (1704), 
d'abord  comme  professeur  de  théologie  morale,  et  pendant  trente- 
quatre  ans  comme  prédicateur.  En  1669,  l'année  même  où  Bossuet 
descendait  des  chaires  de  Paris  pour  devenir  le  précepteur  du  Dauphin, 
Bourdaloue  y  montait,  faisant  succéder  à  l'éloquence  vive  et  hère  de  son 
devancier  une  prédication  moins  brillante,  mais  plus  solide  peut-être, 
et  plus  riche  en  instruction  et  en  édification.  Elle  fut.de  tout  temps  ap- 
préciée de  Louis  XIV.  En  1685  il  envoya  Bourdaloue  à  Montpellier  pour 
y  prêcher  l'Avent  en  vue  de  la  conversion  des  hérétiques.  «  Les  courti- 
sans entendront  ici  peut-être  des  sermons  médiocres,  lui  dit-il,  mais  les 
Languedociens  apprendront  une  belle  doctrine  et  une  belle  morale.  »  Il 
lui  témoigna  le  désir  de  l'entendre  tous  les  deux  ans.  «  J'aime  mieux  vos 
redites,  lui  disait-il,  que  les  nouveautés  des  autres.  »  Quel  dommage 
que  Louis  XIV  se  soit  contenté  d'admirer  «  cette  belle  morale  »  et  qu'il 
l'ait  si  peu  pratiquée!  Bourdaloue  ne  se  faisait  point  d'illusions  à  cet 
égard.  Voici  la  réponse  qu'il  lit  un  jour  au  roi  après  une  fausse  retraite 
de  sa  favorite:  «  Mon  père,  lui  disait  Louis  XIV,  vous  devez  être  content 
de  moi  :  madame  de  Montespan  est  à  Clagny.  —  Oui,  Sire,  répondit 
Bourdaloue,  mais  Dieu  serait  bien  plus  content  si  Clagny  était  à 
soixante-dix  lieues  de  Versailles.  »  Quelques  rares  passages  de  ses 
sermons  nous  font  lire  dans  l'âme  de  Bourdaloue,  et  nous  montrent  la 
sérénité  dont  elle  jouissait.  «  Combien  de  fois,  Seigneur,  s'écrie-t-il 
dans  son  sermon  sur  la  Récompense  des  saints,  m'est-il  arrivé  de  goûter 
avec  suavité  l'abondance  des  consolations  célestes  dont  vous  êtes  la 
source?  Combien  de  fois,  rempli  de  vous,  ai-je  méprisé  tout  le  reste, 
et  compté  le  monde  pour  rien?  »Dans  le  sermon  sur  la  Paix  chrétienne 
on  trouve  ce  mot,  souvent  cité  depuis  :  «  Je  ne  sais  si  vous  êtes 
content  de  moi,  Seigneur,  et  je  reconnais  même  que  vous  avez  bien 
des  sujets  de  ne  l'être  pas;  mais  pour  moi,  mon  Dieu,  je  dois  confesser 
à  votre  gloire  que  je  suis  content  de  vous,  et  que  je  le  suis  parfaite- 
ment. »  Dans  les  dernières  années  de  sa  vie,  se  sentant  courbé  par  l'âge 
et  le  travail,  il  écrivit  au  général  de  l'ordre  une  lettre  admirable  pour 


BOURDÀLOUE  393 

demander  qu'on  lui  permit  de  se  retirer  dans  une  maison  de  retraite, 
éloignée  de  Paris.  «  Je  souhaite,  disait-il,  de  me  retirer  el  démener  dé- 
sormais une  vie  plus  tranquille  ;  je  dis  plus  tranquille,  afin  qu'elle  soit 
plus  régulière  et  plu  s  sainte.  Là,  oubliant  les  choses  du  monde,  je  repas- 
serai devant  Dieu  toutes  les  années  de  ma  vie  dans  Y  amertume  de  mon 
âme.  Voila  tout  l'objet  de  mes  vœux.  «Cette  lettre  est  littérairement  et 
moralement  toul  aussi  belle  que  le  célèbre  adieu  tle  Bossuet  a  la  cour  et 
à  son  siècle  dans  l'oraison  funèbre  du  prince  de  Condé.  Le  repos  que 
demandait  Bourdàloue  lui  l'ut  refusé,  et  il  dut  prêcher  jusqu'à  la  fin.  11 
prêcha  son  dernier  sermon  un  des  premiers  jours  de  mai  17(H.Lel3,  à 
cinq  heures  du  matin,  il  mourait,  «  épuisé  par  la  prédication  et  victime 
de  l'obéissance,  »  dit  M.  Anatole  Feugère,  son  dernier  biographe. — Bour- 
dàloue fut  et  reste  un  prédicateur  de  premier  ordre,  et  en  quelque  sorte 
de  première  grandeur.  Vinet  a  signalé  l'accent  d'autorité  qu'il  apporta 
dans  la  chaire.  Il  ne  l'ait  aucune  concession  sur  ce  qu'il  croit  être  la 
vérité  chrétienne.  11  ne  cherche  pas  les  éloges  du  monde,  mais  il  ne  re- 
doute pas  ses  critiques.  Parlant  du  devoir  de  faire  la  prière  avant  le  repas  : 
«  Vous  m'accuserez,  dit-il,  de  descendre  à  un  détail  frivole  et  puéril?... 
Vous  en  penserez  et  vous  en  direz,  mes  frères,  tout  ce  qu'il  vous  plaira  ; 
pour  moi,  je  ne  me  tairai  pas  sur  un  devoir  si  légitime  et  si  raison- 
nable. ))  Dans  un  autre  sermon  on  litee  passage  :  «  Mais  quoi  !  toujours 
souffrir,  et  par  de  si  longues  et  de  si  cruelles  souffrances  ne  rien 
acquitter,  cela  se  peut-il  comprendre?  —  Comprenez-le,  mes  chers 
auditeurs,  ou  ne  le  comprenez  pas,  la  chose  n'en  est  pas  moins  vraie,  et 
n  Vu  esl  pas  moins  un  article  de  votre  foi.  »  Et  encore  dans  le  sermon 
sur  le  Pardon  des  injures  :  «  Dieu  veut  que  vous  pardonniez...  Dieu  le 
veut,  et  je  vous  l'annonce  de  sa  part.  A  cela  vous  ne  pouvez  rien 
répliquer  qui  ne  tombe  de  lui-même.  »  Un  autre  caractère  de  sa  pré- 
dication c'est  la  sévérité  de  sa  morale,  en  quoi  il  tranchait  sur  son 
ordre,  dont  la  morale  est  parfois  si  relâchée.  Aussi  l'on  a  dit  que  ses 
sermons  étaient  une  victorieuse  réfutation  des  Provinciales.  Oui  sans 
doute,  ils  prouvent  avec  éclat  qu'il  y  a  eu  d'autres  jésuites  que  ceux. 
dont  a  parlé  Pascal,  mais  ils  ne  sauraient  prouver  que  ceux  que  Pascal 
fouette  dans  ses  Provinciales  n'aient  pas  existé.  Ses  sermons  ont  des 
mérites  de  diverses  sortes.  Le  principal  est  dans  l'abondance  et  la 
huasse  des  observations  morales,  dans  les  peintures  de  mœurs  et  les 
analyses  du  cœur  humain,  dont  ils  sont  remplis.  Pour  le  don  del'obser- 
vaiion  ci  connue  moraliste,  Bourdàloue  n'a  pas  de  maître,  et  peut-être 
même  pas  d'égal.  Ses  peintures  de  mœurs,  ses  analyses  des  passions 
et  des  motifs  par  lesquels  on  essaye  de  les  justifier  ont  conservé  toute 
leur  fraîcheur  :  on  dirait  des  fruits  cueillis  de  la  veille.  Ces  parties 
du  discours  ruissellent  d'intérêt,  d'instruction  et  d'édification. 
Bourdàloue  est  remarquable  aussi  par  la  puissance  de  sa  dialectique. 
Quand  il  tient  une  idée,  il  y  enfonce  sa  réflexion  comme  un  levier  puis- 
sant, et  il  soulève  de-  masses  de  pensées  neuves  et  fortes,  qu'il  prend 
ensuite  une  à  une  pour  les  polir.  Seulement,  à  force  de  poursuivre  ses 
idées,  il  tombe  parfois  dans  la  subtilité';  pour  être  plus  complet,  il 
devient  obscur,  surtout  quand  il  développe  quelque  point  de  dogme. 


o94  BOURDALOUE 

Là,  son  raisonnement  a  quelque  chose  de  la  sécheresse  de  Spinoza  : 
on  dirait  une  sorte  de  géométrie  religieuse,  avec  des  preuves  numé- 
rotées comme  des  théorèmes  et  tout  un  appareil  de  dialectique  étalé; 
mais  tout  aussitôt  une  belle  peinture  morale  succède  à  cette  sécheresse 
et  la  fait  vite  oublier.  On  se  sent  alors  comme  porté  sur  une  eau  pro- 
fonde! C'est  par  ses  analyses  morales  et  la  solidité  de  ses  raisonne- 
ments que  Bourdaloue  saisissait  et  remuait  son  auditoire;  et  c'est  par 
là  qu'il  saisit  et  remue  encore  ses  lecteurs.  On  peut  dire  qu'il  est  un 
grand  renverseur  d'excuses.  En  le  voyant  paraître  en  chaire,  le  prince 
de  Condé  un  jour  laissait  échapper  ce  mot  :  «  Silence!  voici  l'ennemi.» 
Et  le  prince  de  Grammont  s'écria,  un  autre  jour,  en  pleine  église  : 
«  Morbleu,  il  a  raison!  »  Madame  de  Sévigné,  très-friande  des  allusions 
que  Bourdaloue  semait  dans  ses  discours,  écrivait  :  «  Il  frappe  toujours 
comme  un  sourd,  disant  des  vérités  à  bride  abattue,  parlant  à  tort  et 
à  travers  contre  l'adultère.  Sauve  qui  peut!  il  va  toujours  son  che- 
min !  »  Et  dans  une  autre  lettre  :  «  On  est  pendu  à  la  force  et  à  la  jus- 
tesse de  ses  discours,  et  je  ne  respirais  que  quand  il  lui  plaisait  définir.» 
Les  sermons  de  Bourdaloue  ont  un  autre  genre  d'intérêt  :  on  y  trouve 
à  tout  instant  comme  des  dialogues  où  l'amour-propre  humain  expose 
ses  artifices,  et  où  l'orateur  les  déjoue  ;  cela  est  vif,  brusque,  ingénieux, 
et  soutient  ou  relève  les  parties  faibles  du  discours;  on  y  trouve 
aussi  des  pages  d'un  grand  souffle,  d'où  respire  une  éloquence  saisis- 
sante, et  des  morceaux  moins  étendus  ou  même  de  simples  phrases  qui 
rappellent  la  langue  de  Bossuet.  Les  qualités  ordinaires  du  style  de 
Bourdaloue  sont  la  simplicité  et  la  précision.  Il  manque  un  peu  d'éclat, 
mais  il  exprime  avec  une  telle  précision  des  pensées  si  belles  qu'il  en 
acquiert  lui-même  de  la  beauté.  Nul  ne  parle  mieux  que  Bourdaloue 
cette  belle  langue  du  dix-septième  siècle,  d'une  simplicité  si  sévère  et 
si  distinguée.  Il  faut  signaler  encore  un  autre  mérite  de  Bourdaloue  : 
sa  connaissance  des  Pères;  il  enchâsse  dans  ses  discours  leurs  plus  belles 
pensées.  Toutes,  il  est  vrai,  ne  sont  pas  des  perles,  et  on  regrette 
parfois  qu'il  ne  fasse  pas  preuve  d'un  goût  plus  sévère  dans  ces  cita- 
tions. On  regrette  aussi  qu'il  ne  s'applique  pas  davantage  à  expliquer 
les  textes  évangéliques.  Ses  textes  ne  sont  le  plus  souvent  que  des  pré- 
textes. Le  livre  qu'il  tient  ouvert  sous  ses  yeux  et  qu'il  explique,  c'est 
moins  l'Ecriture  que  le  cœur  humain  :  mais  celui-là  il  l'explique  en 
maître.  Pour  ce  qui  est  de  sa  doctrine,  elle  est,  comme  il  le  dit  souvent, 
«  conforme  aux  principes  de  la  plus  exacte  théologie  »  catholique.  Il 
faut  observer  qu'il  traite  toutes  les  questions  par  les  côtés  où  elles  tou- 
chent à  la  morale,  plutôt  que  par  ceux  où  elles  touchent  au  dogme. 
Ainsi  dans  un  sermon  sur  la  Sainteté,  prêché  à  l'occasion  de  la  fête  des 
Saints,  il  s'attache  «  à  l'exemple  des  saints,  sans  rien  dire  du  secours 
que  nous  pouvons  attendre  d'eux  et  que  nous  en  attendons.  »  C'est-à- 
dire  qu'il  ne  nie  pas  le  dogme  de  l'intercession  des  saints,  mais  il  le 
néglige  pour  s'attacher  à  une  question  toute  morale  et  plus  conforme 
aux  goûts  de  son  esprit  :  leur  exemple.  Cette  tendance  se  révèle  dans 
sa  définition  de  la  sainteté  :  «  Elle  est  de  remplir  ses  devoirs  et  de  les 
remplir  dans  la  vue  de  Dieu.  »Au  point  de  vue  du  dogme  et  même  delà 


BOUKDALOUE  —  BOURGEOIS  395 

vre chrétienne,  la  prédication  de  Bourdaloue  offre  une  lacune  considé- 
rable :  le  rôle  et  le  secours  du  Saint-Esprit  y  sonl  presque  passés  sous 
silence.  Bourdaloue  ne  voit  pas  que  ces  victoires  qu'il  demande  à 
l'homme  sur  le  péché,  l'homme  ne  peut  les  obtenir  sans  l'aide  de  l'Es- 
prit de  Dieu.  Sans  doute,  il  dit  bien  cela  une  t'ois  et  même  (Tune  ma- 
nière frappante,  mais  il  faut  le  répéter  plus  souvent.  Son  discours  sur 
V Aumône  exagère  encore,  si  possible,  l'erreur  de  la  doctrine  catho- 
lique sur  ce  point.  11  voit  dans  l'aumône  un  moyen  «de  nous  purifier 
devant  Dieu,  d'acquitter  nos  dettes,  et  d'avoir  même  de  quoiacheter  la 
terre  promise.))  «  Le  pauvre  satisfait  Dieu  par  ses  souffrances,  dit-il,  et 
le  riche  par  ses  charités.  )>  Le  sermon  sur  le  Pardon  des  injures  repro- 
duit  une  autre  erreur  de  l'Eglise  catholique  sur  la  certitude  de  notre 
salut  :  «  Nous  savons  que  nous  avons  péché,  dit-il,  et  nous  ne  savons 
si  Dieu  nous  a  pardonné.  Les  plus  grands  saints  ne  le  savaient  pas 
eux-mêmes.  »  Pour  ce  qui  est  de  la  morale,  on  regrette  les  éloges  qu'il 
donne  à  Louis  XIV,  qu'il  appelle  «  le  plus  chrétien  de  tous  les  rois  », 
et  surtout  les  félicitations  qu'il  lui  adresse  sur  «  la  destruction  de 
Thérésie)).  — Voyez  la  Préface  du  P.  Bretonneau;  l'article  de  Gallais 
dans  la  Biographie  universelle;  Alexandre  Vinet,  Mélanges  ;  Sainte-Beuve, 
et  surtout  M.  Feugère,  Bourdaloue,  sa  prédication  et  son  temps. 

J.  Bastide. 

BOURGEOIS  (Lovs).  Le  parisien  Bourgeois,  que  la  persécution  reli- 
gieuse avait  conduit  à  Genève,  y  donnait  des  leçons  de  musique,  quand 
Calvin  y  rapporta  les  dix-huit  psaumes  et  les  trois  cantiques  qu'il 
avait  fait  imprimer  à  Strasbourg.  Bourgeois,  dont  le  génie  n'attendait 
< pi* une  occasion  pour  éclater,  corrigea  les  airs  du  recueil  et  en  sup- 
prima quelques-uns  auxquels  ilen  substitua  de  nouveaux.  C'est  àlui  que 
Ton  doit  les  mélodies  des  cinquante  psaumes  de  Marot  et  des  quarante 
premiers  de  Bèze,  encore  chantées  aujourd'hui,  après  avoir  fait  le  tour 
du  monde  et  excité  tout  à  la  fois  la  jalousie  des  catholiques  et  celle 
des  luthériens,  qui  n'avaient  rien  d'aussi  beau  à  leur  opposer.  Quel- 
ques-unes de  ces  mélodies  sont  des  chefs-d'œuvre  de  musique  reli- 
gieuse. Pauvre  et  dévoué  à  l'art,  au  point  de  recommencer  sans  cesse 
son  œuvre,  pour  la  porter  à  la  perfection,  Bourgeois  rappelle  son  core- 
ligionnaire et  son  contemporain,  Bernard  Palissy.  Devenu  chantre  de 
1  Eglise  de  Genève  (1545),  il  fut  mis  en  prison  pour  avoir  modilié  les 
psaumes  sans  autorisation.  Il  publia  en  1550  un  ouvrage  qui  avait 
pour  but  la  simplification  de  l'étude  de  la  musique,  chose  alors  des 
plus  compliquées.  11  eût  voulu  introduire  dans  le  culte  les  chants  à 
quatre  parties  en  harmonie  consommante;  mais  Calvin  s'y  opposait  de 
la  manière  la  plus  absolue.  Jaloux  de  la  liberté  de  l'art,  Bourgeois  re- 
tourna a  Paris  en  1557.  et  ses  psaumes  à  quatre  voix,  chantés  l'année 
suivante  par  ses  ("lèves,  provoquèrent  la  célèbre  manifestation  du 
Pré-aux-Clercs,  où  tout  Paris  courut  entendre  la  grande  nouveauté, 
l'incomparable  merveille  des  chants  huguenots.— Voir  Fétis,  Biographie 
des  musici  ns;  Haag,  La  France  prot.,  art.  Goudirnel;  Félix  Bovet,  HisL 
du  Psauti  /•  des  Egl.  réf.,p.  60;  Riggenbach,  Der  Kirchengesang  m  Basel, 
p.  66,  et  surtout  notre  Clément  Marot  et  le  Psautier  huguenot,  sous 
presse.  o.  Douen. 


396  BOURGES  —  BOURGOGNE 

BOURGES  [cwùas Biturigum,  Avaricum  (Avara  est  le  nom  de  l'Yèvre), 
Biturigœ]  ,  archevêché,  autrefois  métropole  de  la  première  Aquitaine 
et  capitale  de  toute  l'Aquitaine.  Les  origines  religieuses  de  Bourges 
sont  parfaitement  connues.  Sous  le  règne  de  Décius  (vers  250),  un  dis- 
ciple de  saint  Gatien  et  de  ses  compagnons,  saint  Ursin,  vint  prêcher 
l'Evangile  dans  cette  ville,  et  un  sénateur,  nommé  Léocade,  lui  ouvrit 
sa  maison.  Les  corps  de  saint  Léocade  et  de  son  iils  saint  Ludre 
(Lwor)  sont  conservés  au  Bourg-Dieu.  Léocade  avait  pour  ancêtre 
Vettius  Epagathus,  l'un  des  martyrs  de  Lyon,  et  nous  connaissons  son 
histoire  par  Grégoire  de  Tours,  qui  descendait  de  lui  par  sa  mère.  La 
tradition  a  tiré- parti  de  quelques  mots  assez  vagues  de  l'évêque  de 
Tours  pour  faire  de  saint  Ursin,  comme  en  général  de  tous  les  apôtres 
de  la  France,  un  disciple  de  Clément  Komain  ou  même  de  Jésus- 
Christ  (voir  ses  Actes  dans  la  FJibl.  nova  de  Labbe,  Iï,  455).  On  cite, 
parmi  les  évêques  de  Bourges,  saint  Pallade  (-î-384),  saint  Simplice 
(vers  472),  dont  Sidoine  a  loué  les  vertus,  saint  Sulpice  Ier  (-j-591), 
écrivain  et  poète,  saint  Outrille  (Austreyesilus),  saint  Sulpice  le  Pieux, 
dont  une  paroisse!  de  Paris  porte  le  nom  (624-644),  Saint  Aoust  (Agiul- 
fus),  saint  Raoul,  Yulfade,  Frotaire,  Gauslin,  lils  naturel  d'Hugues 
Capet,  et  plus  tard  Gilles  Colonna  (1298-1316),  le  dodor  fundatissimus, 
Jean  Cœur,  qui  releva  en  1464  V université  de  Bourges,  et  le  cardinal 
de  Tournon  (1525-1538).  La  cathédrale  de  Saint-Etienne  fut  consacrée 
en  1324  ;  elle  fut  en  1562  dévastée  par  les  protestants.  Des  nombreux 
synodes  de  Bourges,  ceux  de  1031,  1276  et  1286  (Mansi,  XIX  et  XX1Y; 
Hefele,  IV  et  VI),  qui  s'occupèrent  de  la  réforme  de  l'Eglise,  méritent 
seuls  d'être  mentionnés  à  côté  du  synode  de  1438  où  [ut  arrêtée  la  fa- 
meuse Pragmatique  Sanction.  L'archevêque  de  Bordeaux  était  primat 
des  provinces  de  Bourges,  Narbonne,  Auch,  Bordeaux,  Toulouse  et 
Alby;  il  a  aujourd'hui  pour  suti'ragauts,  comme  avant  1790,  les  évê- 
ques de  Clermont,  de  Limoges,  du  Puy,  de  Tulle  et  de  Saint-Flour 
(voy.  Gallia,  II).  S.  Berger. 

BOURGOGNE  (Eglises  de).  L'histoire  ne  dit  point  eu  quelle  année  la 
Réforme  s'introduisit  en  Bourgogne,  mais  elle  nous  apprend  que  dès 
l'année  1536  le  laboureur  Jean  Cormon  était  brûlé  vif  à  Màcon  pour 
ses  opinions  luthériennes.  Trois  ans  après,  les  protestants  de  Beaune 
étaient  persécutés  par  le  parlement  de  Dijon  et  plusieurs  d'entre  eux 
obligés  de  fuir.  A  Autun,  l'abbé  de  Saint-Martin,  une  façon  de  syba- 
rite, devint  entre  les  mains  de  Dieu  le  propagateur  des  idées  nouvelles. 
Amateur  de  nouveautés  et  fort  instruit,  il  prenait  «  plaisir,  dit  Bèze,  à 
faire  bonne  chère  à  ceux  qui  venaient  le  visiter,  auxquels  il  parlait 
assez  ouvertement  de  la  vérité.  »  Il  ne  sut  malheureusement  pas  en 
profiter  pour  lui-même,  et  mourut  catholique.  Il  n'en  fut  pas  moins 
le  fondateur  indirect  de  l'Eglise  de  Vézelay  (1547).  A  Dijon  le  parle- 
ment de  Bourgogne  condamna  le  Soissonnais  Simon  Laloë  à  être  brûlé 
vif.  Sa  mort  eut  ceci  de  remarquable  que  le  bourreau,  nommé  Jacques 
Silvestre,  se  convertit  en  entendant  la  prière  du  courageux  confesseur 
et  se  retira  à  Genève.  Deux  malheureux  colporteurs,  découverts  clans 
une  maison  d'Autun  avec  quelques  balles  de  livres  luthériens,  périrent 


BOURGOGNE  397 

de  même  sur  le  bûcher.  Leurs  juges  et  un  doeteur  de  Sorbonne, 
Dommé  Guillaud,  attirés  par  la  curiosité,  se  partagèrent  secrètement 
leurs  ouvrages  et  quelques-uns  d'eux  y  trouvèrent  la  vérité  (1535). 
Deux  ans  après,  deux  autres  colporteurs,  Robert  Gotereau  et  Noël 
Bardin,  furent  plus  heureux.  Leurs  juges  se  contentèrent  de  les 
condamner  au  fouet,  et  dès  les  premiers  coups  ils  firent  cesser  leur 
supplice.  Une  partie  de  leurs  livres  leur  furent  secrètement  rendus  et 
les  autres  achetés  et  payés.  Par  contre  le  jeune  Andoche  Minard,  qui 
revenail  de  Genève,  fut  arrêté  à  M  mtcenis  pour  avoir  repris  quelques 
blasphémateurs  et  endura  le  suplice  du  feu  devant  le  grand  temple  de 
Saint-Ladre  d'Autun  (1557).  La  même  année  le  parlement  de  Dijon 
condamna  également  à  être  brûlés  vifs  quatre  partisans  des  idées  nou- 
velles qui  se  rendaient  à  Genève,  savoir  Philippe  Cène  et  Jacques  sou 
compagnon,  de  Normandie;  le  mercier  Archambaut  (Séraphin),  natif 
du  Bazadois,  et  l'avocat  du  Rousseau,  de  Paris.  Les  trois  premiers  pé- 
rirent sur  le  bûcher  et  le  troisième  en  prison.  Les  luthériens  de  Beaune, 
persécutés  en  1539,  essayèrent  de  s'assembler  en  1559,  mais  ils  furent 
découverts  et  le  notaire  Jacques  Renier  mis  en  état  d'arrestation.  Ju- 
geant qu'ils  s'étaient  trop  hâtés,  ils  suspendirent  leurs  prêches.  L'année 
suivante  les  protestants  de  Màcon,  vivement  pressés  par  le  gentil- 
homme René  Gaflin,  du  Languedoc,  envoyé  de  Genève,  se  constituèrent 
en  Eglise  sous  la  direction  du  ministre  Bouvet  qui,  débordé  de  travail, 
fut  secondé  par  les  pasteurs  Pasquier  et  Jacques  Solte.  A  AuLun  ceux  de 
la  religion,  d'abord  fort  craintifs,. montrèrent  plus  de  courage  quand 
ils  virent  deux  curés  instruits  de  la  ville,  les  chanoines  Jean  Veriet  et 
Jean  de  La  Coudrée,  s'élever  contre  les  abus  de  l'Eglise  romaine  et 
prêcher  ouvertement  les  doctrines  évangéliques  (15  novembre  1559). 
LYvêque  les  toléra  quelque  temps,  mais  il  finit  par  les  mander  dans 
son  palais  en  présence  de  son  clergé  et  de  deux  notaires,  ce  qui  leur 
fournit  l'occasion  d'annoncer  l'Evangile  devant  une  société  nombreuse 
et  choisie.  Leurs  déclarations,  couchées  par  écrit,  furent  envoyées  à  la 
Sorbonne  qui  les  condamna.  Les  deux  curés  en  ayant  appelé  au  roi  au 
moment  où  se  préparait  l'heureux  édit  de  janvier  1562,  furent  ren- 
voyés absous  et  peu  après  ordonnés  ministres  par  le  synode  provincial 
de  Chalon,  et  établis  pasteurs  à  Autun.  L'Eglise  de  la  première  de  ces 
deux  villes  avait  été  dressée  par  les  soins  du  gentilhomme  Antoine  Po- 
pillou, envoyé  de  Genève,  et  de  deux  autres,  du  Pré  et  Philibert  Grené. 
Les  protestants  de  Dijon,  qui  se  réunissaient  secrètement  de  maison  en 
maison,  n'avaient  pas  osé  jusque  là  se  constituer  en  Eglise.  Ils  crai- 
gnaient  le  duc  de  Guise,  gouverneur  de  la  province,  le  maréchal  de  Ta- 
\ a n nés.  lieutenant  général  pour  le  roi,  tous  deux  ennemis  implacables 
de  la  uouvelle  religion,  mais  surtout  le  maire  de  la  ville,  Bénigne 
Martin,  qui  faisait  emprisonner  tous  les  luthériens  qu'il  découvrait. 
Après  l'édit  de  janvier  1562,  (pie  le  parlement  ne  voulut  pas  enregis- 
trer, ces  derniers  n'en  tirent  pas  moins  venir  deux  ministres  pour 
constituer  leur  Eglise.  A  Auxerre  qui,  depuis  plusieurs  années,  renfer- 
mait des  partisans  des  Idées  nouvelles,  notamment  Jacques  Chalmeaux, 
prévôt  d'Auxerre,  Girardin,  conseiller  présidial,  et  plusieurs  gentils- 


398  BOURGOGNE 

hommes  de  la  campagne,  les  choses  ne  se  passèrent  pas  si  paisiblement. 
Les  protestants  s'étant  réunis  pour  célébrer  leur  culte  le  9  octobre  1561, 
des  enfants  et  des  gens  mal  lamés  s'assemblèrent  au  nombre  de  deux 
à  trois  mille,  assaillirent  à  coups  de  pierres  les  maisons  des  luthériens 
et  en  pillèrent  vingt-sept.  Le  roi  en  fut  informé  et  envoya  à  Auxerre 
Tavannes,  «  lequel  y  étant  arrivé,  dit  Bèze,  trouva  façon  d'emplir  sa 
bourse  aux  dépens  des  uns  et  des  autres  à  la  manière  accoutumée, 
faisant  toutefois  pendre  en  personne  trois  pauvres  bélitres  de  ces  pil- 
lards et  cinq  de  ceux  de  la  religion  en  figure,  et  bannir  cinq  autres 
avec  confiscation  de  leurs  biens,  de  sorte  que  les  battus  furent  con- 
damnés aux  dépens.  »  Les  évangéliques  ne  se  laissèrent  pas  décou- 
rager pour  cela  et  allèrent  au  prêche  à  Chevannes,  distant  d'Auxerre 
de  deux  lieues.  A  Beaune,  mêmes  persécutions.  Les  protestants  se  réunis- 
saient à  la  carrière  de  Rochestain.  Leurs  ennemis,  furieux,  émurent 
une  sédition,  blessèrent  plusieurs  évangéliques  à  coups  de  pierres  et 
cherchèrent  à  tuer  Jean  Bouchain,  maire  de  la  ville  et  protestant  (1561). 
Quelques  mois  après,  les  assemblées  eurent  lieu  aux  halles  de  la  ville, 
en  dépit  des  prêtres  qui  cherchaient  à  s'y  opposer.  Elles  étaient  prési- 
dées de  temps  à  autre  par  les  pasteurs  de  Chalon.  En  décembre  de  la 
même  année  l'Eglise  eut  un  pasteur  en  propre,  Sébastien  Tiran,  et  se 
réunit  dans  la  maison  de  Sébastian  de  Marqueray,  sieur  du  Champ,  et 
compta  jusqu'à  mille  auditeurs.  Après  redit  de  janvier,  les  assemblées 
se  tinrent  au  faubourg  de  la  Bretonnière,  dans  la  grange  de  Groseli, 
puis,  sur  l'opposition  du  clergé,  dans  celle  des  Brevots,  au  même  fau- 
bourg. Le  ministre  Yignol  vint  se  joindre  à  Tiran  et  la  cène  fut  célé- 
brée le  jour  de  Pâques,  avec  le  concours  du  ministre  d'Auxonne,  qui 
avait  été  obligé  de  fuir  cette  ville  quelques  jours  auparavant.  Les  évan- 
géliques tinrent  encore  des  assemblées  publiques  à  Arnay-le-Duc,  Is- 
sur-Tille,  Châtillon-sur-Loire,  Noyers,  Buxy,  etc.  Pendant  la  première 
guerre  de  religion,  les  huguenots  s'emparèrent  de  Mâcon  et  de  Chalon 
^mai  1562),  mais  Tavannes  les  leur  reprit  bientôt.  Pendant  la  deuxième, 
Mâcon  tomba  une  seconde  fois  au  pouvoir  des  protestants  (1567),  et  le 
duc  de  Nevers  le  leur  enleva  peu  après  de  vive  force.  Les  luttes  de  la 
Ligue  couvrirent  de  sang  et  de  ruines  une  partie  de  la  Bourgogne. 
Mâcon  s'était  déclaré  pour  elle,  mais  fut  repris  presque  sans  combat 
par  les  partisans  d'Henri  IV.  Sous  le  régime  de  l'édit  de  Nantes,  celles 
des  Eglises  de  Bourgogne  qui  avaient  survécu  aux  guerres  de  religion 
s'affermirent.  Elles  furent  groupées  en  deux  colloques  importants  qui, 
réunis  à  ceux  de  Lyon  et  de  Gex,  formèrent  la  province  synodale  de 
Bourgogne.  Les  Eglises  de  Dijon,  Auxerre,  Autun,  Yézelay,  etc.,  avaient 
disparu.  Un  collège  protestant  fut  fondé  à  Paray-le-Monial,  et  des  théo- 
logiens des  deux  communions  se  mesurèrent  dans  des  disputes  publi- 
ques. La  plus  célèbre  donna  naissance  aux  deux  opuscules  suivants, 
qui  sont  fort  rares  :  La  dispute  solennelle  agitée  en  la  maison  de  'cille  de 
Mascon  entre  FF.  Humblot,  minime,  et  Th.  Cassegrain,  ministre,  Lyon, 
1598,  in-12;  Avertissement  sur  le  libelle  fameux  publié  par  le  F.  Hum- 
blot  sur  la  dispute  avec  Cassegrain,  Genève,  1600,  in-12.  La  révocation 
de  Féclit  de  Nantes  anéantit  presque  totalement  le  protestantisme  en 


BOURGOGNE  —  BOURIGNON  399 

Bourgogne,  qui  ne  compte  plus  à  cette  heure  qu'une  seule  Eglise  con- 
cordataire, celle  de  Dijon,  qui  tonne  à  elle  seule  un  consistoire,  encore 
celui-ci  est-il  de  création  récente;  mais  il  y  a  des  protestants  dissé- 
minés à  Màcon,  Chalon-sur-Saône  et  Le  Creuzot,  desservis  par  des  pas- 
teurs non  salariés  par  l'Etat.  —  Voyez  :  Bèze,  Hist.  éccl.;  Edm.  Che- 
vrier,  Le  Protestantisme  dans  l<-  Maçonnais  et  la  /Jrets<>;  Bullet.de  la 
Sur.  de  VHht  du  Prot.  franc,  1800,  p.  100.  E.  Akxaud. 

BOURGOING   (François)  [1585-1662].  Nommé  à   la   petite   cure   de 
Clichy,  qui  répondait  mieux  à  sa  vocation  pastorale  qu'à  ses  études 
distinguées,  Bourgoing  fut   un   des   six  prêtres   qui  s'associèrent  au 
cardinal  de  Bérulle  pour  fonder  l'Oratoire,  et  il  en  devint  le  troisième 
général.  Soussa  Longue  administration,  la  nouvelle  congrégation  lit  dans 
toute  la  France  et  en  Flandre  surtout  des  progrès  dignes  du  zèle  de  son 
chef:  mais  il  fallut  toute  la  sagesse  de  son  fondateur  pour  empêcher  cette 
activité  quelque  peu  despotique  d'en  altérer  l'esprit  libéral.  Pour  ré- 
sister  à  ses   empiétements,  les  assemblées  générales  durent  restreindre 
ses  pouvoirs  et  lui  rappeler  à  diverses  reprises  que  Tordre  était  une 
sorte  de  république  où,  suivant  Bossuet,  «  on  obéit  sans  dépendre  et 
Ton  gouverne  sans  commander.  »  Fort  du  crédit  que  lui  donnait  sa 
qualité  de  confesseur  du  prince  d'Orléans,  Bourgoing  essaya  plusieurs 
fois  de  faire    prévaloir    son    esprit    inquisitorial    et   ses    règlements 
minutieux.  L'assemblée  de  1661  lui  répondit  en  interdisant  désormais 
au  général  toute  fonction  à  la  cour  et  celle  même  de  confesseur  des 
princes.  L'assemblée   de    1644    l'avait  déjà  forcé  à  s'excuser  d'avoir 
écrit  une  «  Déclaration  présentée  à  la  Reine,  par  le  R.  P.  général  de 
l'Oratoire,  au  nom  de  la  congrégation,  sur  quelques  points  touchant 
le  sacrement  de  pénitence.  »  Pour  disculper  l'Oratoire  de  toute  ten- 
dance janséniste,   il  y   tombait   dans  l'excès  contraire  d'une  morale 
relâchée  que  ses  confrères  désavouèrent  vivement.  Bourgoing  a  écrit 
une  foule  d'Homélies  et  de  traités  à  l'usage  du  clergé.  Il  publia  avec 
ie  P.  Gibieuf  les  Œuvres  du  cardinal  de  Bérulle  (Paris,  1644,  in-fol.). 
Son  ouvrage  le  plus  remarquable  est  un  recueil  de  méditations  pour 
tous  les  jours  de  Tannée.  Publié  d'abord  en  latin,  il  fut  augmenté  et 
traduit  en  français  par  l'auteur  sous  le  titre  de  Vérités  et  excellences  de 
Jésus-Christ,  etc.   (Paris,  1636,   6  vol.  in-12)  et  eut  de  son  vivant  plus 
de  trente  éditions.  Bossuet  prononça  l'oraison  funèbre  du  P.  Bourgoing. 
C'était  son  premier  essai  dans  ce  genre  qu'il  devait  porter  bientôt  à  la 
perfection.  r.  Rouffet. 

BOURIGNON  (Antoinette),  célèbre  visionnaire,  naquit  à  Lille,  en  1616, 
si  laide,  dit  Bayle,  «  que  Ton  délibéra  quelques  jours  dans  la  famille  s'il 
ne  serait  pas  à  propos  de  l'étouffer  comme  un  monstre.  »  A  quatre 
ans,  dit-on,  étonnée  de  la  vie  que  Ton  menait  à  l'entour  d'elle,  elle  de- 
manda «  qu'on  la  menât  dans  le  pays  des  chrétiens  ».  Elle  s'opposa 
absolument  à  ce  qu'on  la  mariât,  en  partie  parce  qu'elle  voyait  sa 
mère  très-malheureuse  en  mariage,  en  partie  parce  qu'elle  voulait 
«  s'unir  intimement  à  son  Créateur  ».  Aussi,  en  1636,  s'enfuit-elle  en 
toute  hâte  pour  échapper  à  son  père  qui  voulait  lui  faire  épouser  un 
jeune  Français.  Elle  s'habilla  en  ermite  pour  aller  s'enterrer   dans 


400  BOTJRIGNON 

quelque  désert,  arriva  à  Tournay,  fut  arrêtée  dans  un  village  du  Hai- 
naut  et  conduite  auprès  de  l'archevêque  de  Cambrai  qui  l'obligea  de 
retourner  auprès  de  son  père.  Elle  s'y  construisit  une  espèce  d'ermi- 
tage; entourée  des  images  en  cire  de  saint  Antoine  et  de  Marie-Made- 
leine, elle  n'en  eut  pas  moins  des  visions  diaboliques.  Elle  quitta  une 
seconde  fois  le  domicile  paternel,  lasse  qu'elle  était  des  moqueries  de 
ses  sœurs  et  pour  échapper  une  seconde  l'ois  au  mariage,  et  passa  plu- 
sieurs années  dans  la  retraite,  mais  non  sans  inspirer  de  vives  pas- 
sions. Son  biographe  Poiret  raconte  qu'elle  passait  des  journées 
entières,  sans  manger  ni  boire,  ne  demandant  que  les  caresses  divines, 
soumise  aux  plus  rudes  pratiques  de  l'ascétisme.  Après  avoir  pris  pos- 
session de  son  patrimoine  auquel  elle  avait  d'abord  renoncé,  elle  de- 
vint, en  1653,  directrice  d'un  hôpital  et  prit  en  1658  l'habit  de  Saint- 
Augustin.  Toutes  les  petites  tilles  placées  sous  sa  direction  se  disant 
possédées  du  diable,  elle  fut  elle-même,  grâce  à  l'influence  des  jé- 
suites, soupçonnée  de  sorcellerie.  Elle  put  se  sauver  à  Gand,  où  «  Dieu 
lui  découvrit  de  grands  secrets  ».  A  Malines,  elle  fit  un  prosélyte  en  la 
personne  de  M.  de  Cort,  avec  lequel  elle  séjourna  longtemps  à  Amster- 
dam. Elle  y  fut  visitée  par  bon  nombre  de  prophètes  et  de  propkétesses, 
dont  un  petit  nombre  seulement  se  conformèrent  à  ses  instructions. 
Elle  ne  se  lassa  pas,  pour  cela,  de  composer  toutes  sortes  de  livres, 
d'avoir  des  visions,  de  s'entretenir  fréquemment  avec  Dieu,  quand 
M.  de  Cort  vint  à  mourir  (1669)  après  l'avoir  instituée  son  héritière. 
Dans  le  Holstein,  elle  se  pourvut  d'une  imprimerie,  car  «  sa  plume 
allait  comme  la  langue  des  autres,  c'est-à-dire  comme  un  torrent.  » 
Attaquée  vivement  sur  ses  dogmes  et  sur  ses  mœurs  par  des  gens  qui 
voulaient  qu'on  la  décapitât  ou  qu'on  la  brûlât,  elle  se  retira  à  Flens- 
bonrg  (1673),  après  avoir  publié  son  Témoignage  de  la  vérité.  Là 
encore  elle  eut  peine  à  échapper  aux  fureurs  du  peuple  qui  la  tenait  pour 
une  sorcière  et  arriva  en  1676  à  Hambourg.  Toujours  persécutée,  elle 
s'éteignit  eniin  à  Franecker,  dans  la  province  de  Frise,  en  1680.  D'après 
ses  admirateurs,  sa  naissance  et  son  avènement  à  la  qualité  d'auteur 
auraient  été  signalés  par  l'apparition  de  comètes.  Elle  écrivait  ses  ins- 
pirations au  fur  et  à  mesure.  Elle  soutenait  que  la  véritable  Eglise 
était  éteinte  et  que  les  exercices  liturgiques  ne  la  ranimeraient  pas  :  il 
faut  au  chrétien  la  lumière  intérieure.  Ame  aimante,  elle  ne  dédaignait 
point  la  charité  active  ;  mais  elle  manquait  de  persévérance  et  préfé- 
rait s'égarer  dans  les  régions  nuageuses  du  mysticisme.  Le  diable  lui 
apparut,  dit-elle,  sous  les  formes  les  plus  diverses.  Elle  vit  l'Antéchrist, 
au  point  de  pouvoir  en  donner  une  description.  Elle  tenait  pour 
suspectes  les  visions  qui  se  font  par  l'entremise  de  l'imagination  «  jus- 
qu'à ce  que,  les  ayant  recommandéesà  Dieu  dans  un  recueillement  pro- 
fond et  dégagé  de  toutes  images,  elle  apprit  de  Dieu  ce  qu'elle  en 
devait  penser,  et  que  Dieu  lui  en  ratifiât  la  vérité  d'une  manière  si 
pure,  si  intime  et  si  secrète,  dans  un  fond  d'àme  si  dégagé  et  si  aban- 
donné à  Dieu,  qu'il  ne  pût  point  y  avoir  de  mélange  soit  de  la  pensée 
humaine,  soit  de  l'illusion  diabolique.  »  C'est  ainsi,  dit-elle,  que  Dieu 
lui  ratifia  la  vérité  de  la  vision   de  l'Antéchrist.  Elle  fut  également 


BOURIGNON  —  BOUTERWECK  401 

détestée  des  catholiques  et  des  protestants  et  laissa  peu  d'adhérents. 
Ses  rêveries  mystiques  trouvèrenl  surtout  de  l'écho  en  Ecosse,  vers  la 
lin  du  dix-septième  siècle.  Parmi  ses  nombreux  écrits,  on  distingue  le 
Traité  du  nouveau  ciel  et  du  règne  de  l'Antéchrist,  /.'innocence  reconnueet 
In  vertu  découverte,  Le  renouvellement  de  V Esprit  évangèlique.  —  Ses  œu- 
vres turent  publiées,  accompagnées  d'une  notice  biographique,  par  un 
mystique  de  l'Eglise  réformée  du  nom  de  Poiret  (Amsterdam,  1(')7(.) 
et  suiv.,  -1  v.  in-8°).  Voyez  aussi,  dans  le  Dict.  de  Bayle,  Fart.  Bouri- 
gnon,  et  Hagenbach,  Der  ev.  Protestantismus,  II,  p.  301  à  31o  (Leipzig, 
1854  .  Selon  M.  E.  S.,  auteur  d'une  Etude  sur  Ant.  Bourignon  (Paris, 
Sandoz,  1876),  A.  Bourignon  fut  «  une  spirituelle  de  la  plus  saine  spi- 
ritualité »,  qui  «  semble  parfois  un  peu  naïvement  crédule  ». 

Ad.  Schiffer. 

BOURSIER  (Laurent-François),  né  à  Ecouen  en  1679.  Ce  docteur  de 
Sorbonne  fonda  sa  réputation' par  l'Action  de  Dieu  sur  les  créatures 
(1713,  2  vol.  in-4°  et  (>  vol.  in-12),  livre  de  philosophie  sur  la  prémo- 
tion physique,  la  grâce  et  la  prédestination,  qui  parut  à  Malebranche 
digne  d'une  réponse.  Quand  Pierre  le  Grand  visita  la  Sorbonne  en 
1717.  il  lui  lit  accepter  un  Mémoire  sur  la  réunion  des  Eglises  grecque 
et  latine,  écrit  qu'il  jugeait  fort  conciliant,  tout  en  posant  pour  base 
de  Taccord  la  primauté  du  pape.  Le  synode  russe  y  répondit  par  des 
observations  qui  restèrent  sans  réplique,  l'abbé  Dubois  ayant  envoyé 
les  pièces  à  Rome  pour  se  faire  valoir.  Boursier  montra  une  candeur 
plus  dangereuse  dans  la  querelle  des  jansénistes  dont  il  épousa  la 
c  mse  avec  tout  le  zèle  de  sa  bonne  foi.  Au  refus  de  souscrire  au  for- 
mulaire de  1665,  contre  les  cinq  propositions  de  Jansénius,  il  ajouta 
celui  de  souscrire  à  la  constitution  Unigenitus  contre  les  101  proposi- 
tions de  Quesnel,  excita  la  Sorbonne  contre  la  bulle  et  fut  le  plus 
chaud  partisan  de  Yappel.  Dubois,  alors  candidat  au  chapeau  rouge, 
punit  chacune  de  ses  démarches  de  lettres  de  cachet  qui  l'exclurent  de 
la  faculté,  puis  de  la  Sorbonne  elle-même.  Il  publia  en  1725  une  Expo- 
sition de  Doctrine  sur  les  questions  de  la  grâce,  tirée  textuellement  de 
l'Ecriture  et  des  Pères,  et  il  en  attendait  pour  l'union  intérieure  de 
l'Eglise  romaine  l'effet  qu'il  avait  espéré  de  son  Mémoire  au  czar  pour' 
la  suppression  du  schisme  oriental.  Le  résultat  fut  un  ordre  d'exil  à 
Givet.  Boursier  ne  put  se  résoudre  à  s'éloigner  de  Paris.  11  s'y  cacha  près 
de  quinze  ans  de  retraite  en  retraite,  et  finit  par  mourir  en  1749  avec  les 
sentiments  de  piété  et  de  renoncement  qui  ne  l'avaient  jamais  quitté. 
Un  exila,  quoiqu'il  ne  lût  pas  lui-même  appelant,  le  curé  qui  lui  avait 
donné  les  derniers  sacrements  et  la  sépulture  ecclésiastique  :  hommage 
bien  mérité  par  les  embarras  qu'avaient  causés  à  ses  persécuteurs  sa 
science  e(  ses  vertus. 

BOUTERWECK  (Frédéric),  né  près  de  Goslar  en  1766,  succéda 
en  17(.)7  a  Feder  dans  la  chaire  de  philosophie  à  Gœttingue.  Fort  es- 
timé pour  ses  travaux  d'histoire  Littéraire  et  d'esthétique  (Histoire  de 
la  poésie  et  de  Véloquence  modernes,  12  vol.,  1801  à  1819;  Esthétique, 
1806  ;  2  éd.,  1815),  il  tut.  en  philosophie,  disciple  d'abord  de  Kanl 
(Aphorismes  d'après  la  doctrine  de  Kaut,  1793).  Puis,  convaincu  que  le 
ji  20 


402  BOUTERWECK  —  BOYER 

lîriticisme  aboutissait  au  scepticisme  et  cédant  à  l'influence  de  Spinoza, 
il  chercha,  dans  un  traité  sur  la  certitude  démonstrative  (Apodictique* 
2  vol.,  1799)  à  montrer  que  nous  avons  une  notion  immédiate  de  l'être 
réel,  de  l'absolu  ;  mais,  en  tant  que  volonté,  nous  sommes  une  réalité 
individuelle,  comprise  dans  la  réalité  universelle  ;  car  l'absolu  est  vir- 
tualité, c'est-à-dire  qu'il  se  révèle  dans  son  activité  infinie  comme  un 
ensemble  de  forces  relatives  et  l'homme  en  est  un  élément  essentiel. 
Toutefois  il  reconnut  avec  beaucoup  de  modestie  ce  que  cet  éclectisme 
avait  de  précaire,  et  il  adopta  complètement  la  doctrine  de  Jacobi,  pour 
laquelle  il  éprouvait  depuis  longtemps  une  grande  sympathie.  Ce  fut 
dans  cet  esprit  qu'il  écrivit  l'ouvrage  intitulé  Religion  delà  raison,  1824. 
Bouterweck  mourut  en  1828. 

BOWER  (Archibald)  [1686-1766].  Né  à  Dundee  et  élevé  au  collège  des 
Ecossais  de  Douai ,  il  se  fit  jésuite  à  vingt  ans  et  fut  successivement 
professeur  d'humanités,  de  théologie,  et  conseiller  d'inquisition  en 
Italie.  En  1726,  quatre  ans  après  ses  derniers  vœux,  il  s'enfuit,  on  ne 
sait  trop  pourquoi,  en  Angleterre  où  il  entra  dans  l'Eglise  établie.  Il 
subsista  assez  longtemps  du  produit  de  sa  plume,  rédigea,  de  1730 
à  1734,  une  sorte  de  revue  mensuelle  intitulée  Historia  litteraria,  puis 
se  livra  à  divers  travaux  historiques.  En  1748,  bibliothécaire  de  la 
reine  Caroline,  il  présenta  au  roi  le  premier  volume  de  son  Histoire 
des  papes,  œuvre  de  polémique  violente  à  laquelle  ses  anciens  confrè- 
res répondirent  en  publiant  la  correspondance  qu'il  avait  entretenue 
avec  eux  dans  le  temps  même  où  il  se  disait  protestant.  On  prétendit 
même  qu'il  était  revenu  aux  jésuites  vers  1744  et  qu'il  avait  rompu 
encore  une  fois  avec  eux.  La  réprobation  générale  que  souleva  sa  ver- 
satilité au  moins  inconséquente  ne  pouvait  lui  faire  perdre  la  fortune 
qu'un  riche  mariage  lui  avait  donnée,  mais  son  crédit  d'écrivain  était 
ruiné,  et  le  peu  de  soin  avec  lequel  il  traita  les  deux  derniers  siècles 
de  son  histoire  montre  qu'il  en  avait  conscience.  L'Histoire  des  papes» 
forme  sept  volumes  :  les  deux  derniers  parurent  après  la  mort  de  l'au- 
teur. On  a  publié  en  1757,  à  Amsterdam,  un  abrégé  en  français  des 
quatre  premiers  volumes. 

BOYER  (Jacques),  pasteur  du  Désert,  qui  déploya  un  grand  zèle  et  fut, 
pour  «  crime  d'assemblée  »,  condamné  à  mort  et  exécuté  en  effigie,  en 
août  1736.  Il  n'en  fut  pas  moins  accusé  d'avoir  séduit  une  jeune  ca- 
téchumène, et  une  grande  division  éclata,  à  ce  sujet,  parmi  les  Eglises, 
et  dura  très-longtemps.  On  invoqua  l'intervention  de  la  vénérable 
classe  de  Zurich;  mais  celle  d'Antoine  Court  fut  enfin  efficace.  Use  ren- 
dit inopinément  au  sein  des  Eglises  divisées  du  Languedoc,  s'assura  par 
une  enquête  personnelle  que  Boyer  n'était  point  coupable  et  parvint  à 
obtenir  uu  compromis  qui  mit  fin  à  ces  fâcheux  débats.  Sa  destitution 
prononcée  par  le  consistoire  fut  annulée,  et  le  synode  national  de  1741 
sanctionna  cette  annulation.  Réintégré  dans  ses  fonctions,  Boyer  fut 
élu,  l'année  suivante,  modérateur  du  synode  provincial  des  Basses-Cé- 
vennes.  Certains  pasteurs  lui  restèrent  cependant  hostiles,  et  il  fallut  que 
le  synode  de  1745  les  forçât  à  lui  faire  réparation  de  nouvelles  atta- 
ques qu'ils  s'étaientpermises contre  lui. 


BOYLE  —  BRAHMANISME  403 

BOYLE  (Robert),  célèbre  philosophe  anglais,  connu  surtout  comme 
physicien  et  chimiste,  mais  dont  les  études  théologiques  et  Us  recher- 
ches philosophiques  méritent  aussi  d'être  prises  en  considération.  Né 
à  Lismore,  en  Irlande,  le  £>  janvier  1()2(),  il  était  le  septième  tils  de 
Richard,  comte  de  Cork  et  d'Orrerv.  Ses  parents,  qui  étaient  de  chauds 
partisans  des  Stuarts,  le  destinèrent  d'abord  à  l'état  ecclésiastique,  mais 
la  faiblesse  de  sa  constitution  ne  lui  permit  pas  de  continuer  ses  études. 
D'ailleurs  ses  goûts  le  portaient  plus  spécialement  vers  les  sciences. 
Après  un  voyage  dans  le  Midi,  dans  l'intervalle  duquel  son  père  mourut, 
Robert,  à  la  tête  d'une  fortune  assez  considérable,  se  retira  dans  sa 
terre  deSlalbridge  et  s'y  livra  avec  ardeur  à  l'étude  de  la  physique  et 
de  la  chimie.  Il  fut  un  des  premiers  membres  d'une  association  de 
savants  qui  se  forma  à  Londres  en  1645  et  qui,  connue  d'abord  sous  le 
nom  de  Colléçje  philosophique,  fut  érigée  en  corporation  par  la  protec- 
tion du  roi  Charles  II  et  prit  le  titre  de  Société  royale.  Boyle  perfec- 
tionna la  machine  pneumatique  d'Otto  de  Guéricke  et  fit  sur  l'air  des 
expériences  intéressantes.  A  la  suite  d'un  accident  fort  grave  qui  lui 
était  arrivé  au  collège  d'Eton  et  où  il  avait  failli  périr,  il  tourna  son 
attention  du  côté  des  questions  religieuses  et  se  mit  à  rechercher  les 
principes  et  les  preuves  du  christianisme  et  fit  imprimer  successive- 
ment un  Essai  sur  l'Ecriture  sainte,  Le  Chrétien  naturaliste,  des  Consi- 
dérations pour  concilier  la  raison  et  la  religion,  etc.  Ses  principes  reli- 
gieux devinrent  très-fermes  et  lui  inspirèrent  des  actes  de  bienfaisance 
chrétienne  qui  lui  font  honneur.  Il  mourut  à  Londres  en  1091  et  fut 
enterré  dans  l'église  de  l'abbaye  de  Westminster. 

BRADWARDINA  (Thomas  de),  né  vers  1290  àHartfield,  dans  le  comté 
de  Suflolk,  professeur  de  théologie  à  Oxford,  puis  confesseur 
d'Edouard  III  qu'il  accompagna  pendant  ses  campagnes  en  France, 
élu  archevêque  de  Canterbury,  mort  en  1349,  avant  d'être  entré  en 
fonctions.  On  a  de  lui  quelques  traités  sur  les  mathématiques.  Son  ou- 
vrage principal,  le  seul  pour  lequel  il  doive  être  mentionné  ici,  est  in- 
titulé De  causa  Dei ' adversus Pelagium  libritres  (éd.  Savile,  Londres,  1(518, 
in-f°).  Ce  travail,  écrit  en  1344,  est  d'autant  plus  remarquable  qu'au 
moyen  âge  il  passa  inaperçu.  Bradwardina  ne  polémise  pas  contre  Pe- 
lage, le  contemporain  de  saint  Augustin,  il  combat  le  pélagianisme  des 
théologiens  et  de  l'Eglise  de  son  propre  temps.  La  cause  de  Dieu  qu'il 
détend  est  celle  de  la  grâce  gratuite  contre  ceux  qui  exaltent  le  libre 
arbitre;  «  totus  pêne  mundus  post  Pelagium abiitinrrrorem^.  Exagérant 
encore  le  déterminisme  de  Thomas  d'Aquin,  auquel  il  se  rattache,  il 
soutient  que  tout  ce  qui  arrive,  quoi  que  ce  soit,  est  voulu  de  Dieu  et 
par  conséquent  nécessaire;  le  péché  lui-mêmeest  dans  un  certain  sens 
un  effet  de  la  volonté  divine.  L'Eglise,  qui  au  neuvième  siècle  avait 
condamné  Gottschalk,  ne  lit  pas  attention  à  ce  retour  de  la  doctrine  de 
la  prédestination  absolue;  les  théologiens  étaient  trop  occupés  de  dis- 
puter sur  des  questions  moins  importantes.  Le  rigide,  augustinianisme 
de  Bradwardina  se  retrouve  chez  Wiclefi,  duquel  il  passa  à  Jean  lluss. 
—  Voyez  Lechler,  Dt  Thoma  Bradwardina,  Leipzig,  1862. 

BRAHMANISME.  Vovez  Inde. 


404  BRAMANTE 

BRAMANTE  (Donato,  (TUrbin),  architecte  célèbre  [1444-1514],  appelé 

à  tort  B.  Lazzari,  naquit  probablement  à  la  villa  di  Monte  Asdrualdo, 
appartenant  à  Fermignano,  situé  à  trois  milles  (TUrbin,  et  non  à  Gastel 
Durante  (Urbania).  De  là  le  nom  de  Bramantes  Asdryvaldinus  sur  la  mé- 
daille frappée  en  son  honneur  par  un  de  ses  collaborateurs,  le  célèbre 
Caradosso.  Sa  biographie  est  une  des  plus  incomplètes;  il  s'occupa 
d'abord  de  peinture,  sinon  exclusivement,  du  moins  d'une  manière, 
parait- il,  dominante;  la  seule  fresque  qui  nous  reste  à  Milan  montre 
l'influence  de  Mantègne  et  de  Melozzo  da  Forli,  et,  malgré  quelque  rai- 
deur, de  la  grandeur  de  style.  Bramante  fut  aussi  un  des  premiers  à 
s'occuper  de  gravure;  la  grande  et  unique  estampe  authentique  porte 
l'inscription  :  Bramantus  fecit  in  Mlo.  Gomme  architecte,  il  est  sans 
rival;  il  dut  étudier  Mantègne,  Alberti,  surtout  L.  de  Laurana,  qui 
construisit  le  palais  ducal  d'Urbin.  Il  arriva  à  Milan  yers!475,  comme 
le  prouvent  l'église  même  de  S.  M.  presso  S.  Satiro,  avec  la  belle 
sacristie,  et  la  façade  de  l'église  d'Abbiate  Grasso  (1477  et  non  1497). 
Son  influence  fut  si  grande  dans  le  nord  de  l'Italie,  que  le  style  de 
cette  époque  s'appelle  encore  bramantesque.  A  la  cour  de  Milan  il  était 
pour  l'architecture  ce  que  fut  Léonard  de  Vinci  pour  les  autres  arts, 
et  après,  à  celles  de  Jules  II  et  de  Léon  X,  il  occupa  non-seulement  le 
premier  rang  entre  Michel-Ange  et  Raphaël,  ïr>ais  fut  encore  surinten- 
dant des  beaux-arts;  comme  tel,  dans  l'intérêt  des  travaux  de  la  cour, 
il  appelait  et  stimulait  par  l'émulation  les  plus  grands  artistes  ;  il  fit 
peindre  la  voûte  de  la  chapelle  Sixtine  par  Michel-Ange  qui  l'y  re- 
présenta probablement  sous  les  traits  du  prophète  Joël,  lit  venir  Ra- 
phaël qui  en  fit  autant  sous  les  traits  d'Archimède  et  d'Origène.  A 
Borne  on  lui  doit,  entre  autres,  le  palais  Giraud,  la  cour  merveilleuse  de 
celui  de  la  Chancellerie,  le  percement  de  la  Via  Giulia  avec  un  palais 
pour  les  tribunaux  dont  on  ne  voit  que  les  fragments  gigantesques  du 
soubassement,  ensuite  les  travaux  immenses  du  palais  du  Vatican, 
rendus  méconnaissables  depuis.  Sur  l'emplacement  où  saint  Pierre 
aurait  été  crucifié,  il  éleva  le  fameux  petit  temple  circulaire  qui  passa 
pour  le  premier  édifice  moderne  digne  de  ceux  de  l'antiquité  ;  enfin, 
là  où  serait  la  tombe  du  même  apôtre,  il  commença  le  temple  le  plus 
gigantesque  de  la  chrétienté,  qui  d'après  ses  projets  en  serait  devenu 
aussi  le  plus  beau,  Saint-Pierre  de  Borne.  Dans  plusieurs  de  ses  projets 
pour  ce  monument,  dont  nous  avons  retrouvé  des  fragments,  il  alliait 
la  grandeur  du  style  antique  avec  une  partie  du  mystérieux  des  cathé- 
drales du  moyen  âge  ;  il  le  supposait  décoré  par  les  œuvres  de  sculp- 
ture et  de  peinture  de  Michel-Ange,  de  Raphaël  à  l'apogée  de  leur 
gloire,  avec  des  vitraux  de  Guillaume  de  Marcillat,  et  les  œuvres  des 
meilleurs  artistes  de  la  Renaissance.  Si  les  cathédrales  du  moyen  âge 
expriment  mieux  le  sentiment  plus  humain  de  l'aspiration  vers  le 
dél,  le  Saint-Pierre  de  Bramante,  comme  pour  y  répondre,  aurait 
élevé  les  âmes  en  quelque  sorte  par  le  reflet  de  cette  beauté  d'en  haut. 
Le  monument  actuel,  avec  sa  décoration  profane,  n'en  est  qu'un  loin- 
tain écho,  L'indomptable  impatience  de  Jules  II  compromit  d'abord 
la  solidité  des  constructions  de  Saint-Pienv  et  d'une  partie  de.  celles 


BRAMANTE  —  BRANDEHOURCi  405 

du  Vatican.  On  a  prétendu  que,  comme  protecteur  de  Raphaël,  il  cher- 
chait à  nuire  à  Michel-Ange;  cela  a  été  grandement  exagéré,  sinon  in- 
venté. Bramante  fui  aussi  ingénieur  militaire  et  paraît  avoir  dirigé  les 
travaux  de  siège  de  Jules  11  contre  Bologne  et  La  Mirandole.  La  biogra- 
phie si  incomplète  qu'en  donne  Vasari,  et  les  nombreuses  confusions 
qu'il  lit  entre  Bramante  dTrbin  et  son  élève  milanais  Bart.  Suardi,  dit 
Bramantino,  ont  induit  beaucoup  d'auteurs  à  croire  à  un  Bramante  de 
Milan  ou  l'ancien,  personnage  absolument  imaginaire.  —  Voyez  :  Va- 
sari, Vies;  Pungileoni,  Donato  Bramante;  sa  notice  biographique  dans 
notre  ouvrage  sur  les  projets  primitifs  pour  Saint-Pierre  de  Rome,  etc.  ; 
C.  Cesariano,  Corn,  de  Vitruve,  p.  70.  H.  de  Geymuller. 

BRAMHALL  (Jean),  théologien  anglais,  né  à  Pontefract,  dans  le 
Yorkshire ,  vers  1593,  mort  en  1677.  Après  avoir  fait  ses  études  à 
l'université  de  Cambridge,  il  entra  dans  les  ordres,  et  soutint  publi- 
quement en  1023,  avec  succès,  à  North-Allerthon,  deux  disputes  contre 
un  prêtre  catholique  et  un  jésuite.  Son  talent  de  prédicateur,  sa 
grande  connaissance  des  lois  et  par-dessus  tout  l'intégrité  de  son 
caractère  lui  firent  acquérir  une  grande  influence.  Appelé  en  Irlande 
en  1633,  il  rétablit  Tordre  dans  la  discipline  et  dans  les  revenus  de 
L'Eglise,  et  quand  il  fut  nommé  évoque  de  Londonderry  en  1634,  il 
profita  de  sa  haute  situation  pour  activer  les  réformes,  au  risque  de 
soulever  contre  lui  la  haine  des  intéressés.  Impliqué  le  16  mars  1641 
dans  les  troubles  d'Irlande,  ilfutaccuséde  haute  trahison  et  incarcéré; 
mais  l'archevêque  anglais  Usher  put  faire  arrêter  la  procédure  et 
Bramhall  se  réfugia  successivement  en  Angleterre  et  sur  le  continent, 
à  Hambourg,  Bruxelles  et  Anvers.  En  1648  il  revint  en  Irlande,  d'où 
il  fut  obligé  de  nouveau  de  s'enfuir.  Enfin,  après  la  Restauration,  il 
fut  nomme,  le  18  janvier  1661,  archevêque  d'Armagh,  primat  et  métro- 
politain de  toute  l'Irlande.  Les  ouvrages  qu'il  a  laissés  sont  presque 
tous  consacrés  à  la  défense  de  la  réformation  d'Angleterre  contre  les 
attaques  des  catholiques. 

BRANDEBOURG  (Réformation  de  la  Marche  de).  Au  temps  de  la 
Réforme ,  la  Marche  de  Brandebourg  était  divisée  en  deux  parties  : 
1°  la  Marche  électorale  de  Brandebourg ,  comprenant  la  Vieille  Marche 
(Stendal  ),  la  Marche  .de  Priegnitz  (Perlebourg,  Pritzwald) ,  la  Moyenne 
Marche  (Brandebourg,  Ruppin,  Berlin,  Francfort-sur-1'Oder),  la  Marche 
de  l'Ucker  (Prenzlovv,  Templin);  2°  la  Nouvelle  Marche,  comprenant 
Custrin,  les  cercles  de  Soldin,  Kœnigsberg,  etc.,  les  cercles  incorporés 
de  Stensberg,  Zullichau,  Cottbus.  La  Réforme  trouva  dans  le  Brande- 
bourg des  esprits  bien  préparés  à  secouer  le  joug  de  Rome,  car  ces 
populations  du  Nord  avaient  favorablement  accueilli  d'abord  l'hérésie 
des  vain  lois,  puis  celle  des  hussites,  laquelle,  malgré  tous  les  efforts 
de  Rome,  n'avait  jamais  pu  être  entièrement  extirpée  ;  elle  persistait 
encore  en  bien  des  endroits,  lorsqu'on  1517  ïetzel  vint  y  vendre  ses 
indulgences.  Le  dominicain  fut  protégé  et  patronné  par  l'électeur 
Joachim  I " .  qui  «'-tait  tout  dévoué  à  l'Eglise  romaine,  et  qui  était,  de 
plus,  frère  du  cardinal  Albert  de  Mayence,  le  grand  entrepreneur  des 
indulgences  et  le  métropolitain   de  l'évéque  de   Brandebourg.  L'élec- 


406  BRANDEBOURG 

teur  rendit  unéditpour  recommander  le  pieux  trafic.  L'université  d< 
Francfort-sur-1'Oder  ne  se  montra  pas  moins  favorable  à  Tetzel,  car 
elle  jalousait  la  prospérité  croissante  de  sa  jeune  rivale  de  Wittemberg. 
Soutenu  enfin  par  le  clergé,  il  récolta  en  une  seule  année  plus  de 
100,000  florins.  Cependant  il  eut  plus  d'une  fois  à  souffrir  de  l'esprit 
frondeur  de  la  population  de  la  Marche.  A  Belitz,  par  exemple,  il  reçut 
un  fort  mauvais  accueil  :  «Les  Belitziens,  dit-il,  sont,  ou  bien  tous  des 
anges,  ou  tous  des  pécheurs  endurcis.  »  Ce  fut  aussi  un  gentilhomme 
de  la  Marche,  le  sire  de  Hake,  qui,  après  avoir  acheté  fort  cher  une 
indulgence  pour  un  crime  non  encore  consommé,  attendit  Tetzel  au 
coin  d'un  bois  et  le  dévalisa.  Les  95  propositions  de  Luther  se  répan- 
dirent rapidement  dans  la  Marche;  Luther  les  adressa,  non-seulement 
au  cardinal  Albert  de  Mayence,  mais  encore  à  Jean  Scultetus,  évêque 
de  Brandebourg,  son  ordinaire.  Scultetus  était  un  courtisan  habile  et 
roué,  n'aimant  nullement  les  indulgences  et  les  abus  de  Rome;  il 
témoigna  la  plus  grande  bienveillance  au  réformateur,  et  celui-ci  lui 
adressa  aussi  ses  Resolutiones  (1518),  lui  déclarant  qu'il  n'avait  d'autre 
but  que  de  servir  la  vérité  (de  Wette,  Luthers  Briefe,  I,  p.  112).  Mais 
l'électeur,  irrité  surtout  de  l'agitation  causée  dans  le  peuple  par  les 
écrits  de  Luther,  et  stimulé  d'un  autre  côté  par  le  cardinal,  son  frère, 
se  montra  l'ennemi  déclaré  du  mouvement  réformateur.  L'université 
de  Francfort  entra  aussi  en  lice  contre  Luther;  c'est  le  plus  savant 
théologien  de  Francfort,  Conrad  Wimpina,  qui  rédigea  les  deux  Dispu- 
tationes  opposées  aux  95  thèses,  et  publiées  sous  le  nom  de  Tetzel  ;  la 
première  traitait  des  indulgences;  la  seconde,  du  pouvoir  du  pape; 
quoique  Luther  n'y  fût  pas  nommé,  il  y  était  clairement  désigné  et 
condamné  comme  hérétique  (D.  M.  Lutheriopem  lafina,  éd.Erlangen. 
I,  p.  294).  Tetzel  acquit  ainsi  successivement  les  grades  de  licencié  et 
de  docteur  en  théologie.  Mais  bientôt  après  Scultetus  se  brouilla  avec 
Luther;  il  l'avait  vu  à  Wittemberg,  et  l'avait  trouvé  indocile  à  ses  con- 
seils (de  Wette,  Luth.  Br.,1,  p.  224,323);  il  devint  son  ennemi, s'allia 
avec  le  docteur  Eck,  et  condamna  le  réformateur  au  bûcher.  A  Worms 
(1521),  Joachim  1er  se  montra  l'adversaire  le  plus  acharné  de  Luther; 
il  fut  de  ceux  qui  proposèrent  à  l'empereur  Charles-Quint  de  violer 
son  sauf-conduit  et  de  traiter  le  moine  de  Wittemberg  comme  Sigis- 
mond  avait  traité  Jean  Huss.  En  1524,  il  interdit  dans  ses  Etats  la 
vente  du  Nouveau  Testament  de  Luther,  censuré  par  les  théologiens 
de  Francfort,  et  rendit  celui-ci  responsable  du  soulèvement  des. 
paysans  (1525).  Le  réformateur  l'avait  du  reste  personnellement  froissé 
dans  son  écrit  Von  iveltlicher  Obriglceit  (1523).  En  1527,  Joachim  s'en- 
tendit avec  ses  Etats  pour  maintenir  les  anciennes  cérémonies,  ne 
jamais  accepter  aucun  prêtre  sans  le  consentement  de  l'évêque  et 
procéder  contre  les  récalcitrants  conformément  aux  décrets  de  Sa  Sain- 
teté le  pape  et  de  Sa  Majesté  impériale  (mandat  du  jeudi  après  la  Visi- 
tation de  Marie,  4  juillet).  Malgré  ces  mesures  coercitives,  la  Réforme 
gagnait  du  terrain,  car  le  peuple  était  bien  loin  de  partager  les  ressen- 
timents de  son  prince  ;  elle  se  répandit  dans  la  bourgeoisie  et  dans  la 
noblesse,  et  pénétra  jusqu'à  la  cour  et  dans  la  famille  même  de  Joa- 


BRANDEBOURG  407 

ehiiu.  Celui-ci  avait  épousé  Elisabeth,  fiHe  du  roi  de  Danemark,  qui 
a\ait  contre  lui  bien  des  sujets  de  plainte.  Son  médecin,  Ratzebei  \ 
la  mit  en  rapport  avec  Luther  dont  efle  lisait  et  aimait  les  écrits;  elle 
9e  rallia  résolument  à  la  doctrine  évangélique,  qu'elle  inculqua  à  ses 
enfants:  enfin  en  11(28,  en  l'absence  de  l'électeur,  elle  lit  venir  de 
Whtemberg  un  pasteur  évangéfique  et  reçut  en  secret,  dans  son  châ- 
teau de  Berlin,  la  communion  sous  les  deux  espèces.  Mais  elle  fut 
trahie,  et  l'électeur  se  mit  dans  une  violente  colère.  On  admet  géné- 
ralement que  l'électrice  fut  dénoncée  par  sa  tille  Elisabeth,  alors  âgée, 
dit-on.  de  quatorze  ans.  Or  cette  tille,  elle  en  avait  maintenant  dix-huit: 
née  en  lolO,  elle  avait  été  mariée  le  7  juillet  13:27  au  duc  Eric  de 
Brunswick-Calenberg;  en  août  1528  elle  accoucha  à  Miinden  de  son  fils 
premier-né,  et  profita  de  la  joie  de  son  mari  (plus  âgé  qu'elle  de  qua- 
rante ans»  pour  lui  demander  la  grâce  d'un  pasteur  condamné  pour 
avoir  distribué  la  communion  sous  les  deux  espèces.  Peut-on  admettre 
que  dans  le  mois  de  mars  de  la  même  année,  c'est-à-dire  cinq  mois 
auparavant,  en  supposant  même  qu'elle  ait  été  à  Berlin,  elle  ait  trahi 
sa  mère?  Quoi  qu'il  en  soit,  Joachim  fît  enfermer  cette  dernière 
dans  ses  appartements,  et  s'apprêta  à  lui  faire  subir  les  traitements 
les  plus  cruels  :  Marchw  slatiierat  eam  immware,  ut  Olcitur  ide 
Wette.  Luth.  Bf.,  III,  p.  296):  mais  elle  réussit  à  s'enfuir,  et  trouva 
un  asile  chez  son  oncle,  1  électeur  de  Saxe.  Elle  habita  plus  tard 
du  château  près  de  Wittemberg,  où  elle  vit  souvent  Luther,  qui  l'ap- 
pelait quelquefois  sa  «  chère  commère  ».  L'irritation  de  l'électeur  fut 
encore  augmentée  par  les  troubles  qui  éclatèrent  dans  ses  Etats;  c'était 
d'abord  une  guerre  entre  Nicolas  de  Minkwitz  et  quelques  gentds- 
hommes  de  la  Marche  d'une  part  et  de  l'autre  l'évêque  de  Lebus. 
George  de  Blumenthal:  Luther  assure  que  cette  affaire  fit  plus  de  mal 
que  de  bien  à  la  bonne  cause  (lettre  à  Amsdorf  ;  de  Wette,  III.  p.  361). 
(l'était  ensuite  le  soulèvement  des  bourgeois  de  plusieurs  \illes,  entre 
autres  de  Stendal,  contre  leur  clergé  et  leurs  conseils;  ces  soulèvements 
éclatèrent  à  la  suite  du  chant  de  cantiques  luthériens,  moyen  employé 
souvent  par  le  peuple  pour  imposer  la  Réforme  au  clergé  et  aux  auto- 
rités. Pendant  que  ces  troubles  agitaient  ses  États,  Joachim  était  à  la 
diète  d'Àugsbourg  (1530),  où  il  fit  échouer  par  sa  violence  les  tenta- 
tives de  conciliation  et  mécontenta  même  les  princes  catholiques.  A  son 
retour  dans  ses  Etats,  il  sévit  contre  les  fauteurs  des  désordres  avec  la  plus 
grand.-  sévérité,  sans  cependant  recourir  contre  les  luthériens  à  des 
cotions  sanglantes.  Il  avait  reconnu  qu'il  ne  pourrait  plus  répri- 
mer le  luthéranisme,  et  tâchait  seulement  de  le  circonscrire  pour  l'em- 
pêcher de  tout  envahir;  ce  fut  là  le  but  de  ses  efforts  pendant  les  der- 
nières années  de  >on  règne.  A  la  fin  de  sa  vie  cependant,  invité  par  le 
pape  au  concile  de  Mantoae,  il  eut  un  moment  l'espoir  de  voir  la  paix 
se  rétablir;  mais  il  fut  vite  détrompé.  Avant  de  mourir  il  demanda 
encore  à  ses  fils  la  promesse  écrite  de  rester  fidèles  à  la  foi  de  leurs 
ancêtres;  mais  <<-ii\  ci  étaient  déjà  gagnés  à  l'Evangile;  maintes  fois  3s 
avaient  visité  leur  mère  en  Saxe,  et  le  prince  électoral  avait  une  cor- 
respondance  suivie  avec  Luther,  Albert  de  Prusse,  le  margrave  George 


408  BRANDEBOURG 

d'Ansbach  et  d'autres  personnages  marquants,  qui  raffermirent  dans 
ses  nouvelles  convictions.  —  Lorsque  Joachim  II  succéda  à  son  père 
(1535),  il  fut  vivement  sollicité  à  rester  iidèle  à  Rome,  par  son  oncle 
Albert  de  Mayence,  par  le  duc  George  de  Saxe  et  le  roi  Sigismond  de 
Pologne.  D'un  autre  côté  les  princes  protestants  ne   négligèrent  rien 
pour  l'attirer  à  eux.  Philippe  de  Hesse   lui  écrivit  avec  beaucoup  de 
piété  et  de  fermeté  (voir  Seckendorf,  Comment.  Luth.,  1.  III).  Joachim 
adressa  alors  à  Sigismond  une  lettre  que  rédigea  Mélanchthon  (Secken- 
dorf, ibid.),  où  il  lui  déclare  qu'il  ne  consentirait  jamais  à  défendre  les 
erreurs   de  l'Eglise  par  le  fer  et  le  feu,  qu'il  ne  voulait  nullement  se 
séparer  de  l'Eglise  universelle,  dont  il  professait  au  contraire  les  vé- 
ritables doctrines  ;  qu'il  ne  se  refuserait  jamais  à  un  concile  universel, 
et  qu'il  était  prêt  à  donner  ses  biens  et  son   sang  pour  la  défense  du 
christianisme;  qu'enfin  il  désirait  la  concorde.  Joachim  II  et  son  frère 
Jean  suivirent  chacun  sa  propre  voie   pour  réformer  l'Eglise.  Jean,  le 
plus  jeune,   avait  hérité  de  la  Nouvelle  Marche,   Stemberg,  Crossen, 
Cottbus  et  Pritz;  Joachim,  du  reste  de  l'électorat.  Jean,  appelé  d'ordi- 
naire le  margrave  de  Gustrin,  était  un  esprit  vif  et  clair;  il  était  ardent 
et  impétueux  quand  il  s'agissait  de  la  foi,  et  poussait  la  fermeté  jusqu'à 
l'obstination.  11  attaqua  l'Eglise   romaine  sans  ménagements,  sans  ce- 
pendant jamais  la  persécuter  violemment.  Ayant  adhéré  à  la  confession 
d'Augsbourg,  il  entra  dans  la  ligue  de  Smalkalde.  Le  document  de  son 
adhésion  à  cette  ligue  porte  l'exposé  des  motifs  suivant  :  «  Parce  que 
par  la  Providence   de   Dieu  nous  sommes  arrivé  à  la  connaissance 
claire  de  la  Parole  de  Dieu  et  de  la  pure  doctrine,  et  que  nous  n'avons 
trouvé  aucun  autre  moyen   qui  nous  permit,  à   nous  et  à  nos  sujets, 
de  rester  fidèles  à  la  Parole  de  Dieu  et  à  la  vérité...  »  Grâce  à  son  in- 
fluence, l'Evangile   se  répandit  rapidement  dans  la  Nouvelle  Marche. 
On  y  manquait  d'abord  de  pasteurs  capables  et  instruits;  l'électeur  de 
Saxe  et  le  margrave  d'Ansbach,  Luther  et  Mélanchthon  lui  en  procurè- 
rent; c'est  à  eux  et  à  Albert  de   Prusse   qu'il  demandait  conseil  pour 
toutes  choses.    En  1538  on  donna  la   communion  sous  les  deux  es- 
pèces à  Gustrin,  sa  résidence.  Mais  il  eut  encore  des  luttes  à  soutenir 
avec  le   clergé,   notamment    avec   l'évêque   de   Lebus,  le  fanatique 
George  de  Blumenthal  ;  ce  n'est  que  la  mort  de  ce  dernier  (1550)  qui 
mit  lin  à  cette  lutte  ;  son  successeur  Jean  Homebourg  accepta  l'agende 
établie  dans  la  Marche  de  Brandebourg.  Joachim  II  l'électeur  était  un 
caractère  doux  et  conciliant  ;  il   eût  voulu  vivre  en  paix  avec  tout  le 
monde.  Hésitant  d'abord,  il  fut  poussé  vers  la  Réforme  par  une  parole 
cynique  et  blasphématoire  de  Glément  VII  ;   comme  on   reprochait  à 
ce  pape  sa   naissance  illégitime,  il  répondit  :  «  C'est  un  malheur  que 
je  partage  avec  le  Christ.  »  Joachim  éprouva  dès  ce  moment  une  vive 
répulsion  pour  Rome,  et  fit  aussitôt  adresser  des  salutations  à  Luther  ; 
mais  extérieurement  il   resta   encore  attaché  au  culte  catholique  et 
s'efforça  de  rétablir  la  paix  entre   les  deux  partis  ;  le  pape  lui-même 
rendit  hommage  à  sa  modération.  Il  laissa  partout  les  idées  nouvelles 
faire  leur  chemin   par  elles-mêmes,  sans   intervenir,  voulant  «  que  le 
fruit  mûrit,    avant  de  le  cueillir  ».   Pour  réformer  les  abus  les  plus 


BRANDEBOURG  409 

criants,  il  réunit  en  1536  les  ecclésiastiques  les  plus  marquants  à  Cologne 
sur  la  Sprée,  et  sut  obtenir  pour  cette  assemblée  L'autorisation  du  pape 
et  de  L'archevêque  de  Magdebourg.  Le  couvent  des  dominicains  de  Co- 
logne fut  converti  en  église-dôme;  le  pieux  chanoine  Wolfgang  Reh- 
dorfier  y  célébra  la  communion  sous  les  deux  espèces  avec  l'assenti- 
ment de  révêque  de  Brandebourg,  Matthias  de  Jagow.  Ce  dernier  était 
favorable  à  l'Evangile.  Il  s'y  sentait  engagé  par  son  ministère  épisco- 
pal  :  k  Quand  je  fus  sacré  évèque,  dit-il,  on  m'a  imposé  l'obligation 
d'éviter  l'erreur  pour  moi-même  et  de  l'empêcher  chez  les  autres.  On 
m'a  mis  ensuite  dans  la  main,  puis  sur  l'épaule,  l'Evangile,  représen- 
tant le  joug  de  Christ  que  je  devais  porter,  et  le  métropolitain  m'a 
ordonné  de  le  prêcher  au  peuple.  »  Ayant  un  jour  rencontré  Luther  à 
une  l'ête  à  Dessau,  il  s'entretint  avec  lui  de  toutes  les  questions  reli- 
gieuses débattues;  Luther  s'écria:  «  Dieu  veuille  nous  donner  beaucoup 
d'évêques  semblables.  »  C'est  Jagow  qui  fournissait  à  l'électeur  des 
pasteurs  capables  et  l'aidait  à  réformer  l'Eglise  par  les  voies  légales. 
Les  abus  tombèrent  comme  d'eux-mêmes  et  l'on  peut  dire  que  dans 
la  Marche  électorale  la  réformation  se  lit  toute  seule,  et  sans  que  le 
prince  eût  à  s'en  mêler,  par  la  seule  force  de  la  vérité.  C'est  donc  bien 
à  tort  que  Maimbourg  accuse  Joachim  de  l'avoir  établie  dans  des 
vues  intéressées;  ses  sujets,  dit-il,  «  s'obhgèrentà  payertoutes  ses  dettes 
pour  obtenir  de  lui  ce  changement  »  (Hist.  du  Luth.,  I,  p.  345).  C'est 
tout  simplement  prêter  à  Joachim  ce  qui  revient  à  son  oncle  le  cardi- 
nal; car  ce  que  l'historien  jésuite  ne  dit  point,  c'est  qu'Albert  deMayence 
accorde  la  liberté  religieuse  à  ses  sujets  de  Magdebourg,  en  échange 
d'une  forte  somme  d'argent  (50,000  florins).  Quant  à  l'électeur,  il 
avait  pour  principe  de  laisser  à  ses  sujets  les  coutumes  et  les  céré- 
monies auxquelles  ils  étaient  habitués,  mais  en  y  faisant  pénétrer  la 
vérité  évangélique.  En  1537  il  s'occupa  du  relèvement  de  l'université 
de  Francfort,  à  laquelle  il  attribua  les  revenus  du  couvent  des  char- 
treux; peu  à  peu  les  autres  couvents  se  vidèrent;  mais  on  eut  les  plus 
grands  égards  pour  les  moines  et  les  religieuses,  à  l'entretien  desquels 
il  fut  pourvu.  Dès  1538  la  cause  de  l'Evangile  était  gagnée  chez  le 
peuple.  Mélanchthon  écrivit  en  ce  temps-là  à  Jonas  :  «  Dans  la  Marche, 
les  gens  du  peuple  ont  soif  de  la  pure  doctrine;  il  en  est  de  même 
(lune  bonne  partie  de  la  noblesse.  L'électeur,  qui  apprécie  bien  la 
situation,  fait  opérer  une  réforme  à  son  peuple;  mais  les  prêtres  s'y 
opposent,  et  il  y  en  a  beaucoup  dans  ce  pays  ;  nulle  part  je  n'en  ai 
rencontré  d'aussi  bornés  et  d'aussi  méchants;  c'est  le  vrai  type  du 
barbare...» (dans Seckendorf,  Comment.  Luth.).Knt)nen  1531) l'électeur 
fit  un  nouveau  pas  en  avant.  Ayant  appelé  à  sa  cour  le  pasteur  George 
Buchholtzer,  qifil  nomma  prévôt  de  Berlin,  il  organisa,  pour  le  jour 
de  la  Toussaint,  une  solennité  dans  l'église  de  Spandau,  pour  marquer 
rétablissement  officiel  de  la  Réformation  dans  la  Marche.  Le  culte 
évangélique  y  fut  célébré  pour  la  première  fois  en  présence  de  toute 
la  cour,  des  Etats  «'I  d'un  nombreux  clergé.  L'évêque  de  Brandebourg 
dit  les  paroles  de  L'institution  en  allemand,  et  distribua  la  cène  sous 
les  deux  espèces  a  la  famille  électorale  d'abord,  puis  aux  conseillers  de 


410  BKANDEBOURG 

la  cour.  Le  lendemain  une  solennité  semblable  eut  lieu  dans  le  d'ôme 
de  Cologne  sur  la  Sprée,  où  la  cène  l'ut  distribuée  aux  magistrats  et 
aux  bourgeois  de  Cologne  et  de  Berlin.  L'électeur  fut  tout  heureux  de 
ce  pas  décisif;  il  répondit  aux  félicitations  de  George  d'Anhalt  : 
((  Demandons  à  Dieu  de  persévérer  jusqu'à  notre  dernière  heure  dans 
l'œuvre  commencée,  et  ne  soyons  pas  semblables  à  des  roseaux  agités 
par  le  vent  »  (30  nov.).  Les  villes  et  les  villages  furent  libres  d'opter 
entre  l'ancien  et  le  nouveau  culte  ;  la  plupart  se  prononcèrent  pour 
l'Evangile,  à  commencer  par  Brandebourg.  A  Francfort  aussi  on  célé- 
bra la  dernière  messe  catholique  et,  le  jour  suivant,  la  première  cène 
luthérienne.  Presque  partout  les  paroisses  opérèrent  elles-mêmes  ce 
changement;  les  prêtres  ne  purent  y  demeurer  qu'en  acceptant  la 
doctrine  évangélique.  Pour  compléter  l'organisation  de  la  nouvelle 
Eglise  et  pour  y  établir  l'unité  du  culte,  Joaehim  lui  donna  une  agende 
{Kirchenordnung  un  Churfurstenthum  der  Marken  zu  Brandenburg, 
ivie  man  sich  begde  mit  der  Lehre  u.  Ceremonien  halten  soll).  Mélan- 
chthon  approuva  le  projet,  dans  lequel  l'électeur  lui-même  introduisit 
des  changements,  et  dont  la  rédaction  avait  été  conliée  à  Matthias  de 
Jagow,  à  ^George  Buchholtzer  et  à  Jacques  Stratner.  L' agende  se  di- 
vise en  trois  parties  :  1°  la  doctrine  de  la  justification  ;  2°  le  catéchisme  ; 
3°  les  cérémonies  (sacrements).  L'évêque  de  Brandebourg  y  ajouta  un 
diplôme  dans  lequel  il  fait  la  déclaration  suivante  :  «  Ce  n'est  pas 
seulement  par  mon  baptême  que  je  suis  engagé  à  Christ,  mais  aussi 
par  mon  ordination,  où  il  m'a  été  dit  :  Allez  et  prêchez  l'Evangile  de 
Jésus-Christ  au  peuple  qui  vous  est  confié.  L'électeur  ayant  établi  une 
agende  conforme  à  la  Parole  de  Dieu,  je  ne  puis  en  conscience  m'y 
opposer  ni  résister  plus  longtemps  à  la  vérité,  mais  je  me  sens  obligé 
de  faire  mon  devoir,  en  la  recommandant  au  clergé  »  (dans  Secken- 
dorf,  Comment.  Luth.).  Cependant  on  conserva  dans  le  culte  bien  des 
formes  catholiques.  Quoiqu'il  n'en  fût  pas  entièrement  satisfait,  Luther 
déclara  cependant  que,  comme  la  chose  essentielle  s'y  trouvait,  on 
pouvait  passer  sur  quelques  cérémonies  un  peu  trop  papistiques,  et  il 
s'efforça  d'apaiser  les  scrupules  de  Buchholtzer,  qui  s'en  plaignait  : 
((  Ne  vous  plaignez  pas,  lui  écrit-il,  de  devoir  porter  un  camail  aux  proces- 
sions, faire  le  tour  du  cimetière  en  chantant  le  Re sponsor ium  et,  au  jour 
de  Pâques,  le  Salve  festa  dies...  Si  l'électeur  votre  maître  fait  prêcher 
le  pur  Evangile  et  administrer  les  sacrements  conformément  à  leur 
institution;  s'il  renonce  à  l'invocation  des  saints...  faites  tout  au  nom 
du  Seigneur;  portez  un  camail  de  velours,  ou  de  soie,  ou  de  drap,  et 
si  un  seul  ne  suffit  pas,  mettez-en  trois,  comme  Aaron;  et  si  l'on  n'est 
pas  content  d'un  tour,  faites-en  sept,  comme  Josué...  Si  je  pouvais 
obtenir  cela  du  pape  et  des  papistes,  j'en  bénirais  Dieu  et  je  serais  le 
plus  heureux  des  hommes»  (de  Wette,  Luth.  Br.,  Y,  p.  235).  En  1540 
les  prélats,  les  conseillers  électoraux  et  les  Etats  approuvèrent  l'agende, 
qui  fut  ensuite  remise  au  roi  Ferdinand,  à  la  diète  de  Worms  ;  l'empe- 
reur Charles-Quint  la  confirma,  mais  à  condition  qu'on  n'irait  pas  plus 
loin  dans  les  réformes.  En  1542  elle  fut  publiée  et  établie  dans  toutes  les 
Eglises.  —  Au  commencement  du  dix-septième  siècle,  l'Eglise  luthé- 


BRANDEBOURG  —  BRANT  411 

rienne  de  la  Marche  de  Brandebourg  fut  profondément  troublée.  L'élec- 
teur Jean-Sigismond  (1608-1619)  inclinait  vers  le  calvinisme;  ses  rapports 
avec  la  cour  palatine  et  sou  alliance  avec  les  Pays-lias  le  décidèrent  à 
passer,  à  Noël  1613,  à  l'Eglise  réformée.  11  maintint  sans  doute  la 
confession  d'Augsbourg,  pour  ne  pas  être  exclu  de  la  Paix  de  Religion, 
mais  la  can'ata  seulement.  Cependant  en  1614  il  fit  faire  une  confession 
calviniste  | inoins  la  prédestination),  appelée  Confessw  Ma?'chica,  ou 
Sigismundi.  Il  tenta  en  vain  de  contraindre  son  pays  aie  suivre;  sa 
femme  même,  Anne  de  Prusse,  s'y  refusa.  Le  prédicateur  de  la  cour, 
Jean  (îerike.  cl  le  pasteur  de  Berlin  Martin  Willich  durent  s'enfuir. 
Mais  lorsqu*on  se  mit  à  dépouiller  les  églises  de  Berlin  de  leurs  autels, 
de  leurs  images  et  de  leurs  baptistères,  il  y  eut  un  soulèvement  popu- 
laire et  le  sang  coula  (1615).  En  1616  Sigismond  défendit  à  l'uni- 
versité de  Francfort  d'enseigner  la  doctrine  de  la  communicatio  idio- 
matum  et  de  Yubîquitas  corporis,  et  l'université  luthérienne  de  Wit- 
temberg  fut  interdite  à  tous  les  sujets  de  l'électeur.  On  supprima  aussi, 
dans  le  recueil  des  symboles  de  l'Eglise  luthérienne  du  Brandebourg, 
la  formule  de  concorde  que  l'électeur  lui-même  avait  auparavant  signée 
et  adoptée  avec  tout  son  pays.  Pendant  et  après  la  guerre  de  Trente- 
Ans  on  lit  les  premières  tentatives  d'union,  naturellement  aux  dépens 
de  la  doctrine  luthérienne.  Le  grand-électeur  Frédéric-Guillaume 
ili)'i()-lC)SS)  y  apporta  la  plus  grande  ardeur;  il  sévit  contre  ceux  qui 
ne  voulaient  pas  se  plier.  Paul  Gerhard,  l'âme  de  l'opposition  luthé- 
rienne, fut  destitué  pour  avoir  refusé  de  signer  un  Revers.  C'est  ainsi 
que  le  grand-électeur  préludait  aux  ordres  de  cabinet  et  aux  mesures 
violentes  par  lesquels  les  rois  de  Prusse  devaient  continuer  et  consommer 
l'œuvre  de  leur  illustre  devancier.  —  Seckendorf,  Commentarius  Luthe- 
ranismi;  Ranke,  Deufsc/œ  Gesch.  im Zeitalter  der  Reform.  ;  Yoigt,  Reform. 
in  Brandenburg%  dans  Herzog,  Real-E 'ncyklop . ,  vol.  II.      Ch.  Pfknder. 

BRANT  (  Sébastien)  [1458-1521],  célèbre  satirique  du  quinzième  siècle. 
Né  à  Strasbourg,  dans  un  cabaret  comme  Rabelais,  il  étudia  et  professa 
le  droit  à  Bàle,  dont  l'université  et  les  imprimeries  étaient  alors  floris- 
santes. 11  y  séjourna  pendant  plus  de  trente  ans;  puis  il  retourna  à 
Strasbourg  où  il  fut  nommé  syndic  et  secrétaire  de  la  ville,  et  jouit  de  la 
laveur  de  L'empereur  Maximilien  Ier.  Poète  et  humaniste,  il  composa  un 
grand  nombre  d'ouvrages  en  latin  et  en  allemand  dont  un  seul,  La  Nef 
des  fous  (Narrenschîf), publié  en  1494,  a  passé  à  la  postérité.  C'est  une 
vaste  satireen  vers  allemands  dans  laquelle  l'auteur  trace  un  tableau  sai- 
sissant de  la  corruption  des  diverses  classes  de  la  société  de  son  temps. 
Observateur  infatigable  et  exact,  il  ne  distingue  pas  moins  de  111  catégo- 
riesde  tous,  admis  successivement  sur  le  navire  aux  lianes  gigantesques 
qui  vogue  vers  les  rives  de  làNarragonie.  Sous  le  rapport  littéraire,  le 
poème  laisse  à  désirer:  il  n'a  pas  de  plan  nettement  déterminé;  le  style 
m  est  rude  et  informe;  les  descriptions,  les  exhortations,  les  fables,  les 
allégories,  les  sentences,  les  traits  tirés  de  l'histoire  et  de  la  mytholo- 
gie se  succèdent  sans  nuire  ni  lien.  Mais  comme  moraliste,  Rrant  fait 
preuve  d'une  rai'»'  pénétration  et  d'une  vigueur  de  pinceau  incompa- 
rable.  La  Nef  ou  Le  Munir  des  fous  présente  un   tableau  fidèle  de 


412  BEANT  —  BREITHAUPT 

l'état'  des  mœurs  et  des  croyances  à  la  fin  du  moyen  âge.  Elevé  à  la 
double  école  de  l'antiquité  classique  et  des  traditions  chrétiennes, 
Fauteur,  pour  juger  son  temps  et  lui  prescrire  des  règles,  s'inspire  à 
la  fois  de  la  morale  païenne  et  de  celle  de  l'Eglise,  essayant  (et  c'est 
là  son  originalité)  de  les  combiner  et  de  les  fondre  ensemble  pour 
donner  plus  de  force  à  son  enseignement.  En  dépeignant  la  vie  comme 
un  carnaval  désordonné,  où  l'avarice,  la  paresse,  la  luxure,  la  gour- 
mandise, l'ivrognerie,  l'orgueil  agitent  leurs  grelots  lugubres,  Brant 
tantôt  semble  préconiser  les  pratiques  ascétiques  et  la  fuite  du  monde 
comme  l'unique  remède  à  tous  ces  vices,  tantôt  au  contraire  il  prêche, 
avec  les  anciens,  la  modération  dans  les  plaisirs  et  une  sage  accommo- 
dation à  des  maux  que  l'homme  ne  peut  éviter  parce  qu'ils  sont  fondés 
dans  sa  nature.  Amis  et  adversaires  de  l'Eglise  ont  pu  également  reven- 
diquer le  poëte  comme  leur  appartenant.  S'il  recommande  le  jeûne, 
il  blâme  les  pèlerinages;  s'il  écrit  contre  les  hérétiques,  auxquels  il 
attribue  la  faiblesse  grandissante  de  l'Eglise,  il  ne  s'élève  pas  moins 
contre  la  scolastique,  qui  s'imagine  défendre  la  vérité  par  les  disputes 
et  les  livres  de  controverse.  La  Nef  des  fous  jouit  d'une  vogue  immense. 
Elle  fut  mise  en  vers  latins  par  Badius  Ascensius  (1496)  et  en  vers 
français  par  P.  Rivière  (1497).  Des  traductions  anglaises  et  hollandaises 
suivirent.  Geiler  de  Kaisersberg  y  rattacha  même  une  série  de  ser- 
mons (1498).  Le  nombre  des  imitations  fut  très-considérable.  Les  meil- 
leures éditions  allemandes  sont  celles  de  Strobel  (Leipz.,  1839)  et  de 
Zarncke  (Leipz.,  1854),  avec  des  introductions  historiques  et  critiques. 
Voyez  aussi  Gervinus,  Geseh.  der  deutschen  Dichtung,  II,  347  ss. 

BRECKLING  (Frédéric)  [1629-1711],  originaire  du  Schleswig,  sus- 
pendu de  ses  fonctions  pastorales  à  cause  de  ses  attaques  contre  l'im- 
moralité du  clergé  luthérien  et  de  ses  tendances  chiliastes,  mena  une 
vie  errante  et  besogneuse.  Il  séjourna  à  Hambourg,  à  Amsterdam  et  à 
La  Haye,  entra  en  rapport  avec  d'autres  sectaires  et  publia  plus  de 
soixante  écrits  dans  lesquels  il  dénonce  les  vices  de  l'Eglise,  dominée 
par  une  orthodoxie  sèche  etbatailleuse  (voy.  Adelung, Gesch.de?*  menschl. 
Narrheit,  Leipz.,  1787,  IV,  p.  16  ss.;  Arnold,  Ketzerhistorie,  III). 

BREF.  Voyez  Bulle. 

BREITHAUPT  (Joachim-Justus)  [1658-1732]  est  l'un  des  représen- 
tants les  plus  éminents  de  l'école  piétiste.  Distingué  par  sa  foi  vivante, 
ses  talents  pédagogiques  et  son  zèle  pour  la  conversion  des  âmes,  il  fit 
à  Francfort  la  connaissance  de  Spener  et  exerça  avec  un  grand  succès 
les  fonctions  pastorales  à  Erfurt.  Nommé  professeur  à  l'université  nou- 
vellement créée  de  Halle  (1691),  il  représenta  seul,  pendant  trois  ans, 
l'enseignement  théologique  dont  il  embrassa  avec  une  ardeur  infati- 
gable tous  les  domaines.  Lorsque  Paul  Anton  et  Francke  furent  venus 
se  joindre  à  lui,  ces  trois  hommes  donnèrent  à  l'école  qu'ils  dirigèrent 
une  impulsion  telle  qu'elle  devint  promptement  la  pépinière  d'où  sor- 
tirent un  grand  nombre  de  jeunes  pasteurs  pieux  et  instruits.  Fidèle  àla 
méthode  de  Spener,  Breithaupt  ne  s'appliqua  pas  seulement  à  commu- 
niquer la  science,  mais  aussi  à  «  réveiller  la  conscience  »  de  ses  audi- 
teurs. En  opposition  avec  l'orthodoxie  régnante,  il  insista  sur  l'étude 


BREITHAUrT  —  BREME  413 

à  la  l'ois  scientifique  et  pratique  de  la  Bible,  mit  la  dogmatique  et  l;i 
morale  en  contact  plus  direct  avec  renseignement  scripturaire,  et  dirigea 

avec  un  soin  particulier  la  préparation  homilétique  et  catéché tique  des 
jeunes  étudiants.  Indépendamment  des  exercices  habituels  du  sémi- 
naire, i!  présida  trois  l'ois  par  semaine  des  réunions  destinées  à  leur 
fournir  l'occasion  de  développer  leur  vie  religieuse  en  s'ouvrant  libre- 
ment à  leurs  maîtres  sur  les  tentations  ou  les  doutes  avec  lesquels  ils 
pouvaient  avoir  à  lutter.  A  ces  fonctions  déjà  si  chargées  de  profes- 
seur, Breithaupt  joignit  encore,  à  partir  de  1705,  celles  de  surintendant 
général  du  duché  de  Magdebourg,  auxquelles  il  finit  par  se  vouer  ex- 
clusivement, s'appliquant  particulièrement  à  améliorer  les  écoles,  à 
relever  le  niveau  de  l'instruction  religieuse  et  à  exercer,  par  une  cor- 
respondance et  par  des  visites  fréquentes,  une  discipline  salutaire  sur 
le  pastorat  saxon.  D'un  caractère  ferme  à  la  fois  et  conciliant,  humble, 
désintéressé,  charitable,  de  mœurs  simples  et  austères,  l'ami  et  le  disciple 
de  Spener  puisait  dans  la  prière  assidue  et  vivante  la  force  qui  le  sou- 
tenait. En  lui  le  piétisme  a  trouvé  une  de  ses  plus  nobles  incarnations. 
Breithaupt,  indépendamment  de  nombreux  recueils  de  sermons  et 
d'écrits  de  circonstance,  a  laissé  une  dogmatique  biblique  sous  le  nom 
àyIn$titutiones  tkeoloyicae,  Halle,  IG94,  2  vol.  ;  la  3e  édition  (1732)  a  un 
3'  vol.  consacré  à  la  morale. 

BREITINGER  (Jean -Jacques)  [1575-1645],  pasteur  et  chef  de  l'Eglise 
de  Zurich  pendant  la  première  moitié  du  dix-septième  siècle,  et  l'un  des 
plus  beaux  types  de  la  Réforme  en  Suisse.  Prédicateur  simple  et  puissant, 
ami  des  pauvres  et  des  opprimés,  adversaire  de  l'orthodoxie  morte  et  du 
séparatisme,  animé  d'une  piété  saine  et  vigoureuse,  unissant  dans  une 
affection  égale  la  patrie  etl'Ëglise,  ce  fidèle  héritier  de  l'esprit  de  Zwingle 
et  de  Bullinger  regardait  comme  son  devoir  de  conseiller  et  de  censurer 
l'autorité  civile,  la  prémunissant  contre  le  danger  des  alliances  étran- 
gères, stimulant  son  zèle  en  faveur  des  coreligionnaires  persécutés  pour 
leur  foi,  et  donnant  l'exemple  de  la  plus  généreuse  hospitalité  offerte 
aux  nombreux  réfugiés,  victimes  de  la  guerre  de  Trente-Ans.  Breitinger 
représenta  l'Eglise  de  Zurich  au  synode  de  Dordrecht,  où,  conformément 
à  ses  instructions  et  à  ses  propres  sentiments,  il  prit  fait  et  cause  pour 
le  dogme  de  la  prédestination  absolue  contre  les  remonstrants.  Ses 
écrits,  en  partie  manuscrits,  appartiennent  au  domaine  de  la  théologie 
pratique.  Les  Miscéllanem  Tigurinœ  (I,  H.  5)  contiennent  des  extraits 
d'une  autobiographie  (voy.  C.  Pestalozzi,  dans  la  IîealEnci/kl  de 
Herzog,  XIX,  262  ss.). 

BRÈME  (La  Réformation  de).  Au  temps  de  la  Réforme,  Brème,  l'une 
des  villes  hanséatiques,  formait  avec  le  territoire  de  Verden  le  diocèse 
de  révêque  Christophe,  frère  du  duc  de  Wolfenbuttel.  C'était  un  carac- 
tère singulier,  présentant  un  mélange  d'ascétisme  et  de  dépravation  ; 
il  trouvait  autant  de  plaisir  à  réciter  ses  prières  et  à  dire  sa  messe 
chaque  jour,  qu'à  vivre  dans  la  débauche;  entretenant  des  concubines 
en  divers  endroits  de  son  diocèse  et  dissipant  follement  les  biens  de 
PEglise,  il  aspirait  néanmoins  à  passer  pour  un  saint  homme.  11  fut 
naturellement  hostile  à  la  Réforme,  qu'il  réussit  à  comprimer  par  la 


414  BREME   —  BRENZ 

violence  à  Verden,  où  il  résidait  ;  mais  à  Brème,  qui  formait  la 
majeure  partie  de  son  diocèse,  il  échoua  complètement.  Dans  cette  ville 
l'Evangile  fut  prêché  de  1522  à  1524  par  un  homme  qui  couronna  plus 
tard  sa  foi  par  le  martyre,  Henri  Moller,  ordinairement  appelé  Henri 
de  Zutphen.  Se  rendant  à  Wittemberg,  il  fut  retenu  à  son  passage 
par  les  bourgeois  de  Brème.  Il  eut  bientôt  pour  collaborateur  Jac- 
ques Spreng,  venu  d'Anvers,  et  Jean  Timann,  venu  d'Amsterdam. 
En  1525,  toutes  les  églises  étaient  aux  mains  des  prédicateurs  luthé- 
riens; en '^1527,  on  sécularisa  les  deux  couvents  de  la  ville;  l'un 
devint  une  école,  l'autre  un  hôpital.  Les  bourgeois  revendiquèren 
même  les  biens-fonds  du  chapitre,  dont  celui-ci,  disaient-ils,  avait  spolié 
la  ville.  Comme  le  sénat  résistait  à  ces  prétentions,  on  élut  un  conseil 
démocratique  de  cent  quatre  membres,  qui,  procédant  révolutionnai- 
rement,  bouleversa  la  cité  en  voulant  tout  changer  radicalement  et  en 
un  seul  jour  ;  ce  conseil  ne  put  être  dissous  que  par  la  force  armée. 
Les  agitations  et  les  troubles  continuèrent  jusqu'en  1532;  mais  la 
Réforme  en  sortit  victorieuse.  Pendant  la  guerre  de  Smalkalde,  après 
la  défaite  des  princes  et  la  soumission  ou  la  défection  des  villes,  Brème 
continua  seule  la  résistance  et  soutint  un  siège  héroïque;  elle  fut  déli- 
vrée par  la  victoire  de  Drakenborg  (1547).  Brème  refusa  aussi  de  se 
laisser  imposer  l'Intérim,  se  déclarant  prête  «  à  engager  corps  et 
biens  »  plutôt  que  de  s'y  soumettre.  Mais  l'Eglise  de  Brème  fut  fort 
troublée  dans  la  seconde  moitié  du  seizième  siècle,  lorsqu'on  voulut  y 
introduire  le  calvinisme.  Le  prédicateur  du  dôme,  Albert  Rizaeus  Har- 
denberg,  attaqua  ouvertement  l'article  Xde  la  confession  d'Augsbourg 
(De  la  sainte  Gène)  ;  il  eut  contre  lui  son  collègue  Jean  Timann,  qui  fut 
soutenu  par  tous  les  autres  pasteurs  ;  mais  il  avait  pour  lui  le  bourg- 
mestre Daniel  de  Buren  et  un  £vis  de  Mélanchthon.  Comme  il  refusa 
de  prêter  serment  sur  la  confession  d'Augsbourg,  l'agitation  alla  en 
croissant.  Timann  étant  mort  en  1559,  son  successeur  Tilemann  Hess- 
husius,  qui  venait  d'être  expulsé  de  Heidelberg,  continua  la  lutte  avec 
plus  d'animosité  encore;  il  excommunia  Hardenberg,  qui  fut  des- 
titué (1561),  mais  «  cura  infamiam  et  condemnationem  ».  Le  suc- 
cesseur d'Hesshusius,  Simon  Musœus,  ne  fut  pas  moins  passionné 
que  lui.  Il  obtint  un  édit  prononçant  l'expulsion  des  adhérents 
d'Hardenberg  ;  mais  il  y  eut  un  revirement  subit  en  faveur  de  Buren, 
qui  fut  réélu  bourgmestre  le  12  janvier  1502.  Musœus  fut  chassé  avec 
treize  autres  pasteurs  et  les  sénateurs  luthériens  ;  on  les  remplaça 
par  des  réformés.  A  la  suite  de  ce  changement,  Brème  fut  exclue  de 
l'Union  hanséatique;  Hambourg  et  Lubeck  cessèrent  toutes  relations 
avec  la  cité  hérétique.  En  mars  1568  on  fit  enfin  à  Verden  un  traité  en 
vertu  duquel  les  luthériens  purent  rentrer  dans  la  ville,  mais  en  per- 
dant leurs  emplois.  On  leur  restitua  le  dôme  pour  leur  culte  :  toutes 
les  autres  églises  demeurèrent  aux  réformés.  —  Voyez  Ranke,  Deustche 
Geschichte  im  Zeitalter  der  Reformation.  Ch.  Pfender. 

BRENZ  (Jean),  le  réformateur  de  la  Souabe,  naquit  en  1499,  dans  la 
ville  souabe  de  Weil.  En  1509  déjà  il  se  rendit  à  l'université  de  Hei- 
delberg, où  il  rencontra  une  foule  de  jeunes  gens'pleins  d'enthousiasme 


BRENZ  -  BRESIL  415 

pour  la  renaissance  des  lettres  et  la  réformation  de  l'Eglise.  Eh  1517 
il  devint  magister.  el  après  plusieurs  vicissitudes  il  reçut  la  cure  de 
Hall  (1522).  Les  écrits  de  Luther  et  ses  propres  études  l'avaient  peu  à 

peu  aillent''  à  des  emmêlions  tout  évangéliques.  A  Hall  il  ne  tarda  pas 
à  prêcher  la  Réforme,  et  en  1523  déjà  il  ne  célébra  plus  la  messe.  Bien- 
tôt les  autres  abus  disparurent  et  en  1526  Brenz  publia  la  première 
Kirchenorcbnung  et  peu  après  un  catéchisme.  Les  troubles  de  la  guerre 
des  paysans  arrêtèrent  un  instantce  beau  développement:  Brenz  résista 
aux  paysans  révoltés  avec  une  rare  énergie.  Dans  l'intervalle  avaient 
éclaté  les  funestes  dissensions  entre  les  réformateurs  au  sujet  de  la 
sainte  Cène  ;  Brenz  et  ses  collègues  de  Souabe  se  mirent  dès  l'abord 
du  côté  de  Luther  et  rédigèrent  même  dans  ce  sens  une  déclaration 
connue  sous  le  nom  de  Syngramma  sucvicum  (1525).  Cet  écrit  lui 
valut  l'estime  et  l'amitié  de  Luther,  dont  il  resta  toujours  le  fidèle 
disciple.  Son  activité  littéraire  fut  très-grande,  ainsi  que  la  part  qu'il 
prit  à  la  Réforme  dans  les  pays  environnants.  En  1535  il  fut  appelé  à 
Stuttgard  pour  y  revoir  la  première  Age?ide  rédigée  par  Schnepf  : 
depuis  ce  temps  il  eut  une  grande  influence  sur  la  marche  des  affaires 
religieuses  en  Allemagne  :  il  assista  à  presque  tous  les  colloques,  mais 
la  guerre  de  Smalkalde  vint  interrompre  cette  belle  activité.  La  ville  de 
Hall  avait  été  prise  par  l'empereur.  Brenz  dut  fuir  avec  sa  famille, 
L'Intérim  parut;  le  courageux  pasteur  ne  s'y  soumit  point.  Le  catholi- 
cisme fut  rétabli  à  Hall  et  le  seul  refuge  de  Brenz  fut  dès  lors  le  Wur- 
temberg. Le  duc  Ulrich  jugea  prudent  d'envoyer  Brenz  à  Bàle;  mais  la 
mort  de  sa  femme  le  fit  revenir  dans  le  Wurtemberg.  Il  eut  à  soutenir 
encore  mainte  lutte  et  mena  une  vie  bien  agitée,  jusqu'à  ce  qu'enfin  en 
1553  il  put  occuper  la  place  de  prévôt  de  l'église  collégiale  de  Stuttgard. 
Il  devint  l'ami  et  le  conseiller  du  duc,  et  les  affaires  ecclésiastiques  du 
Wurtemberg  furent  mises  sous  sa  direction.  En  1559  il  publia  une  grande 
Agende  avec  la  Confession  de  foi  rédigée  déjà  antérieurement  en  1551. 
Il  se  mêla  encore  à  beaucoup  de  discussions  théologiques  et  son  acti- 
vité fut  prodigieuse  :  on  sait  qu'il  s'occupa  aussi  des  réformés  de  France 
et  qu'il  eut  même  une  entrevue  avec  le  cardinal  de  Guise  (1562).  Brenz 
atteignit  l'âge  de  soixante-et-onze  ans  :  il  mourut  en  1569.  —Les écrits 
de  ce  réformateur  sont  bien  nombreux  et  il  n'en  existe  pas  d'édition 
complète.  En  1576  parut  une  édition,  qui  resta  inachevée  (Tubingue, 
1570-90,  8  vol.  in-f°).  Il  a  publié  de  nombreux  ouvrages  exégétiques 
(entre  autres  Argumenta  et  summx  in  libros  V.  et  N.  T.,  un  com- 
mentaire célèbre  sur  Esaïe,  etc.),  un  grand  Catéchisme  (divisé  en  cinq 
parties  :  le  Baptême,  le  Symbole,  l'Oraison  dominicale,  les  dix  Com- 
mandements, la  Cène),  un  nombre  énorme  de  sermons,  d'homélies, etc., 
sans  compter  ses  brochures  et  pamphlets  théologiques.  —  Voir  sur  sa 
vie  :  Hartmann  et  hvgcv,./ohann Brenz,  Z.  vol.,  1840-42;  une  biographie 
moins  longue  et  avec  des  extraits  de  Brenz,  par  le  premier,  Elberfeld, 
1862.  A.  Courvoisier. 

BRÉSIL  (Statistique  religieuse).  Le  recensement  de  1872  attribue  à 
l'empire  du  Brésil  une  population  de  10,108,291  habitants.  Dans  ce 
chiffre  ne  sont   pas  compris  les  Indiens  nomades  dont  on  évalue  le 


416  BRESIL 

nombre  à  1,000,000  environ.  Sous  le  rapport  des  confessions,  le  môme 
recensement  reconnaît  9,902,712  catholiques  (dont  1,510,806  esclaves) 
et  27,766  non  catholiques.  Nous  croyons  les  protestants  passablement 
plus  nombreux  que  le  chiffre  officiel  ne  le  ferait  croire.  Car,  d'une 
part,  il  s'en  faut  de  175,000  âmes  que  le  total  indiqué  pour  les  diffé- 
rentes confessions  égale  la  population  totale;  de  l'autre,  les  Allemands 
et  les  Anglais  en  majorité  protestants  sont  au  nombre  de  plus  de 
60,000.  Les  Indiens  sont  encore  païens,  en  majeure  partie.  Le  catho- 
licisme a  longtemps  régné  en  maître  au  Brésil.  La  situation  ne  s'est 
modifiée  que  dans  les  dernières  années  de  la  domination  portugaise. 
La  liberté  des  cultes  est  reconnue  en  principe  depuis  1810.  Depuis  lors 
un  mouvement,  lent,  il  est  vrai,  mais  à  peu  près  constant,  fait  dispa- 
raître les  uns  après  les  autres  les  privilèges  de  l'Eglise  catholique.  Les 
chapitres  des  cathédrales  furent  supprimés  en  1820.  L'article  5  de  la 
constitution  de  1824,  tout  en  reconnaissant  à  la  religion  catholique 
romaine  le  rang  de  religion  de  l'Etat,  assure  aux  adhérents  d'autres 
confessions  le  droit  de  célébrer  leur  culte  «  dans  des  bâtiments 
spécialement  destinés  à  cet  usage,  à  la  condition  qu'ils  n'auront  pas 
la  forme  extérieure  de  temples  ».  Nul  ne  peut  être  poursuivi  pour  ses 
actes  religieux.  Une  loi  de  1851  assure  aux  mariages  protestants  la 
reconnaissance  légale.  La  juridiction  des  tribunaux  ecclésiastiques  a  été 
insensiblement  à  peu  près  annulée.  Mais  les  évèques  ne  manquent  pas 
une  occasion  de  protester  contre  cette  diminution  de  leur  influence. 
En  mai  1873  un  conflit  violent  a  éclaté  à  l'occasion  du  bref  du  pape 
condamnant  les  francs-maçons.  Les  lois  de  l'Etat  défendent  la  lecture 
en  chaire  et  la  mise  en  vigueur  des  décisions  de  la  cour  de  Borne, 
tant  qu'elles  n'ont  pas  été  admises  par  le  gouvernement.  Sans  se  soucier 
de  cette  défense,  l'évêque  d'Olinda  et  Pernambuco  prit  contre  les 
francs -maçon  s  de  son  diocèse  les  mesures  les  plus  sévères.  Le  gouver- 
nement s'opposa  énergiquement  aux  entreprises  de  l'évêque.  La  lutte 
s'envenima  au  point  que  l'évêque  fut  condamné  à  quatre  ans  de 
prison  et  que  le  saint-siége,  craignant  les  conséquences  de  cette 
querelle,  fut  obligé  de  désavouer  son  serviteur  trop  zélé.  —  L'Eglise 
catholique  forme  au  Brésil  un  archevêché,  Bahia  ou  San-Salvador 
(érigé  en  évêché  le  28  février  1550,  élevé  en  achevêché  le  16  no- 
vembre 1676);  11  évêchés  :  Para  ou  Belem  (4  mars  1719).  Fortalesa 
(6  juin  1854),  Cuyaba  (1832,  vicariat  apostolique  le  6  décembre  1745), 
Diamantina  (6  juin  1854),  Olinda  et  Pernambuco  (16  novembre  1676), 
Goyaz  (15  juillet  1826,  prélature  le  6  décembre  1745),  San-Liiis  a 
Maranhao  (30  août  1677),  Marianha  (6  décembre  1745),  San-Paulo  (6 dé- 
cembre 1745),  San-Pedro  do  Rio-Grancle  do  Sul  (7  mai  1848),  Rio  de 
Janeiro  (16  novembre  1676);  12  vicariats  généraux  et  1,297  paroisses. 
Le  clergé  est  en  général  très-peu  instruit,  et  l'on  ne  dit  pas  de  bien 
non  plus  de  son  état  moral.  Le  peuple  est  plongé  dans  la  superstition 
la  plus  grossière.  Les  prêtres  font  leurs  études  dans  les  11  facultés  de 
théologie  suivantes  :  Bahia,  Belem,  San-Luis  de  Maranhao,  Fortalesa, 
Olinda,  San-Paulo,  Porto-Alegre,  Marianha,  Diamantina,  Goyaz  et 
uyaba.   Les  couvents   sont    relativement    peu  nombreux.    Le   culte 

n 


BRESIL  —  BRESSE  417 

catholique,  seul  subventionné  par  l'Etat,  a  vécu,  dans  l'année  finan- 
cière 1872-73,  1,292  contos  et623  milreis,  soit  environ  3, 500,000francs 
—  Le  protestantisme  parut  au  Brésil  dès  1S5S  avec  Villegagnon;  mais 
il  n'y  laissa  aucune  trace  après  l'échec  de  L'expédition.  Les  Hollandais, 
qui  possédèrent  la  partie  septentrionale  du  Brésil  de  1624  à  1654,  n'y 
implantèrent  pas  davantage  le  protestantisme.  Aujourd'hui  on  compte 
un  certain  nombre  de  communautés  allemandes  et  suisses  desservies 
par  des  pasteurs  envoyés  d'Europe.  —  Bibliographie  :  Almanach  de 
Gotha,  1877;  F.  Martin,  The  Statesmans  Year-Bock,  1877;  N.  de 
Lahure,  L'Empire  du  Brésil,  18(>2  ;  Wappams,  Handbuck  der  Géographie 
und  Slatistikvbn  Brasilien,  1871.  H.  Vaucher. 

BRESSE   (Eglises  de  la).   «Les   registres  municipaux  de  la   ville  de 
Bourg,  dit  Edm.  Chevrier,  constatent  que  le  mouvement  de  réforme 
religieuse  qui  agita  l'Europe  entière  au  seizième  siècle  avait  fait  aussi 
sentir  son  influence  en  Bresse...  Les  habitants  de  Bourg  se  préoccu- 
paient tellement  des  doctrines  nouvelles  que  le  prieur  des  jacobins,  prê- 
chant un  jour  sous  les  halles,  se  permit  de  taxer  de  huguenots,  voire 
même  d'anabaptistes  tous  les  habitants  de  la  ville,  ce  qui  excita  une  grande 
rumeur...  L'ofhcialité  ecclésiastique,  à  la  requête  du  duc  de  Savoie,  qui 
possédait  alors  la  Bresse,  et  du  conseil  municipal  de  Bourg,  avait  dressé 
une  liste  de  trente-cinq  bourgeois  suspects  d'hérésie.  »  L'inquisition  ré- 
gnait dans  le  pays  depuis  1416,  mais  la  terreur  qu'elle  inspirait  n'empêcha 
pas  les  doctrines  de  Luther  de  se  répandre.  En  1552,  un  maître  d'école  * 
du  nom  de  Hugues  Gravier,  qui  exerçait  sa  profession  dans  le  canton  de 
Neufchâtel  et  qui  avait  été  capturé  à  la  sortie  du  pontdeMàcon,  comme 
il  se  rendait  dans  le  Maine,  son  pays  natal,  fut  condamné  à  être  brûlé 
vif  à  Bourg,  et  son  supplice  fut  suivi  de  plusieurs  autres.  Le  duc  de 
Savoie.  Emmanuel-Philibert,  célèbre  par  sa  victoire  de  Saint-Quentin, 
ayant  recouvré  ses  Etats  en  1559  (il  les  avait  perdus  en  1535),  lit  cesser 
les  poursuites.  Il  ordonna  qu'aucun  luthérien  de  ses  domaines  ne  serait 
persécuté.  Sa  femme,  Marguerite  de  Valois,  inclinait  fortement  elle- 
même  vers  les  idées  nouvelles.  Dans  la  petite  principauté  des  Dom- 
bes,  qui  avait  Trévoux  pour  capitale  et  avoisinait  la  Bresse,  les  luthé- 
riens ne  jouirent  pas  de  la  même  tolérance.  Leur  souverain,  Louis  de 
Bourbon,  les  persécuta  beaucoup,  et  c'est  à  son  instigation  que  le  par- 
lement des  Dombes  lit  brûler  à  Trévoux  sept  mulets  chargés  de  livres 
hérétiques,  et  défendit  de  vendre  ou  receler  des  livres  de  cette  sort»', 
sous  peine  de  mort.  En  1564,  le  même  Louisde  Bourbon  déposséda  de 
leurs  emplois  tons  (eux  de  ses  officiers  qui  ne  professaient  pas  la  reli- 
gion catholique  e!  menaça  de  la  confiscation  de  leurs  biens  tous  les  gen- 
tilshommes dombistes  qui  ne  voudraient  pas  aller  à  la  messe.  Beaucoup 
d'entreeux  n'en  persévérèrent  pas  moinsdans  leurs  sentiments.  Lorsque 
les  huguenots  lurent  chassés  de  Mâcon  en  1562,  ils  vinrent  s'établir  à 
Thoissey-eii-Dombes,  et  Pontsenac,  leur  colonel,  y  lit  prêcher  à  la  hugue- 
nauderi»  par  un  ministre  de  Genève,  (le  lurent  enfin  des  gentilshommes 
des  Dombes  commandés  par  Loëse  et  Tavernost  qui  s'emparèrent  de 
Maçon  sur  les  catholiques  en  1567.  —  Henri  IWétant  emparé  de  la  Br 
Jolis,  sur  le  duc  de  Savoie  (cette  province  depuis  a  toujours  appar- 
n.  St 


418  BRESSE    -  BRETAGNE 

tenu  à  la  France),  une  Eglise  fut  régulièrement  établie  à  Pont-de-Veyle, 
puis  à  Bourg  et  Fossiat,  à  la  Reyssouze,  près  Pont-de-Vaux,  à  Bagé-la- 
Ville,  Chevreux,  etc.  Il  y  avait  aussi  des  protestants  à  Saint-André- 
d'Huiriat,  Mepillat,  Grottet,  Saint-Jean,  Biziat,  Laiz,  etc.  Les  Eglises  de- 
là Bresse,  rattachées  au  colloque  de  Lyon  et  à  la  province  synodale  de- 
Bourgogne,  furent  persécutées  de  bonne  heure  après  la  promulgation 
de  Fédit  de  Nantes.  Les  réformés  de  Bourg  ne  purent  obtenir  de  faire 
reconstruire  leur  temple  qui  avait  été  incendié  en  1609  par  des  gens 
malintentionnés.  En  1657  le  temple  de  Pont-de-Veyle  fut  donné  aux 
catholiques.  Les  réformés  de  ce  lieuse  rendirent  alors  au  prêche  deMàcon 
situé  à  trois  ou  quatre  lieues  de  là,  mais  on  le  leur  défendit  bientôt,  et 
ils  durent  aller  à  la  Reyssouze,  distant  de  six  lieues  de  Pont-de-Veyle.. 
Le  temple  de  cette  dernière  localité  subsista  jusqu'en  1685.  Il  avait  été- 
bâti  en  1606.  La  révocation  de  Fédit  de  Nantes  occasionna  Fémigration 
du  tiers  des  réformés  de  la  Bresse,  lesquels  s'établirent  pour  la  plupart 
dans  le  Brandebourg.  Ceux  qui  demeurèrent  dans  le  pays  disparurent  peu 
à  peu.  Aujourd'hui  on  compte  quelques  protestants  disséminés  à  Bourg, 
Trévoux,  Nantua,  etc.,  rattachés  à  Féglise  deFerney  et  au  consistoire  de 
Lyon.  —  Edm.  Ghevrier,  Le  Protest,  dans  le  Maçonnais  et  la  Bresse  aux 
seizième  et  dix-septième  siècles.  &  Arnaud. 

BRETAGNE  (Eglises  de).  Le  premier  luthérien  breton  dont  le  nom  soit 
parvenu  jusqu'à  nos  jours,  est  Nicolas  Valeton,  receveur  de  Nantesr 
qui  fut  poursuivi  pour  crime  d'hérésie.  On  avait  trouvé  chez  lui  des 
livres  de  lanouvelle  religion,  et  il  n'en  fallut  pas  davantage  pour  qu'on 
le  condamnât  au  feu  (1535.)  En  1555  le  conseiller  au  parlement  Charles 
Ferré,  sieur  de  La  Garraye,  et  son  frère  Jean,  sieur  de  Canquoy,  furent 
également  poursuivis,  mais  ils  purent  l'un  et  l'autre  échapper  au  juge- 
ment par  la  fuite.  A  cette  époque  les  luthériens  tenaient  de  nombreuses 
assemblées  secrètes  dans  divers  quartiers  de  la  province,  notamment 
à  Rennes  et  à  Nantes.  La  venue  de  François  de  Chàtillon,  sieur  d'An- 
delot,  frère  de  l'amiral  Goligny,  qui  s'était  converti  aux  idées  évangé- 
liques  pendant  sa  captivité  à  Milan,  donna  un  nouvel  essor  à  l'œuvre 
de  la  Réformation.  Accompagné  de  deux  ministres,  Jean-Gaspard 
Cormel  dit  Fleury  et  Pierre  Loiseleur,  seigneur  de  Villiers,  il  lit  prêcher 
à  portes  ouvertes  à  Nantes,  à  Blain,  dans  le  château  dTsabeau  de 
Navarre,  douairière  de  Rohan,  à  La  Bretesche,à  La  Roche-Bernard,  au 
Groisic.  Après  son  départ  pour  Paris,  les  catholiques  tentèrent  d'as- 
sassiner Loiseleur,  qui  dut  s'enfermer  au  château  de  Gareil  chez  le 
sieur  de  Boulac,  son  protecteur.  Ses  partisans  étant  allés  l'y  enten- 
dre, le  clergé  du  Croisic  en  conçut  une  grande  irritation  et  tit  venir  l'é- 
vêque,  qui,  loin  de  les  calmer,  excita  au  contraire  une  sédition  où 
faillirent  périr  tous  les  réformés.  La  cour  blâma  ces  violences  et  l'é- 
vêque  désappointé  se  [démit  de  ses  fonctions.  A  cette  époque,  et  vrai- 
semblablement par  les  soins  de  Loiseleur,  furent  fondées  les  Eglises  de 
Piriac  ei  de..Guérande.[Celles  de  Rennes  et  de  Vitré  paraissent  plus  an- 
ciennes. L'annéejsui  vante  (1559),  trois  pasteurs  nou  veaux  vinrent  s'établir 
en  Bretagne  :  Dufossé  (Pierre  Legenclre),  Jean  Bonneau  et  Mathurin 
Lhoumeu1  du  Goudray  (dit  Du  vivier  et  Dugravier).  Ils  furent  rejoints 


BRETAGNE  —  BEETSOHNEIDEB  419 

peu  après  par  Le  Baleur,  dit  Dubois,  et  Jean  Louveau,  sieur  de  la  Porte. 
Ces  pasteurs  et  d'autres  encore  consolidèrent  L'oeuvre,  mais  non  sans 
souffrir,  eux  e1  leurs  sectateurs,  notamment  à  Rennes  >t  à  Nantes,  où  le 
clergé  excita  diverses  séditions  contre  eux.  Ils  purent  néanmoins  tenir, 
le  10  septembre  1561,  leur  premier  synode  provincial  à  Chàteaubriant, 
OÙ  se  rencontrèrent  six  pasteurs  et  trois  anciens,  représentant  autant 
d'Eglises.  Les  protestants  de  Bretagne  ne  souffrirent  qu'indirectement 
des  guerres  de  religion,  la  province  avant  eu  le  privilège  de  demeurer 
en  dehors  de  la  marche  des  armées  pendant  cette  époque  troublée.  Il 
n'en  fut  pas  de  même  sous  la  Ligue.  La  Bretagne  devint  le  théâtre 
de  luttes  sanglantes.  Beaucoup  de  réformés  sévirent  obligés  de  fuir,  et 
ceux  qui  restèrent  dans  le  pays  eurent  à  subir  toutes  sortes  de  mauvais 
traitements,  surtout  à  Nantes.  Plusieurs  Eglises  furent  privées  de  pas- 
teurs et  saccagées.  L'édit  de  Nantes  leur  permit  de  se  réorganiser.  On 
en  comptait  une  quinzaine  environ  et  elles  formèrent  une  province  syno- 
dale, sans  colloque.  Déjà  avant  la  révocation,  le  Conseil  d'Etat  con- 
damna plusieurs  d'entre  elles  à  disparaître.  Le  pasteur  le  plus  distin- 
gué des  Eglises  bretonnes  au  dijx-septième  siècle  fut  le  savant  Matthieu 
de  Larroque,  ministre  à  Vitré  de  1643  à  1070.  Les  ports  nombreux 
de  la  Bretagne  et  la  proximité  de  l'Angleterre  favorisèrent  la  fuite  d'un 
grand  nombre  de  protestants  après  la  révocation  de  redit  de  Nantes, 
et  la  plupart  des  Eglises  disparurent.  Les  réformés  qui  ne  s'expatrièrent 
point  endurèrent  diverses  violences,  surtout  à  Nantes,  mais  ils  n'eurent 
pas  à  souffrir  des  dragonnades.  La  présence  à  Nantes  de  nombreux 
négociants  protestants  étrangers  obligeait  l'autorité  à  garder  des  mé- 
nagements dans  l'intérêt  du  commerce  français.  Les  protestants  du 
pays  en  bénéficièrent  par  contre-coup.  Ainsi  dès  1739  un  cimetière  leur 
fut  concédé.  Il  faut  dire  que  les  réformés  bretons  s'interdirent  les 
assemblées  du  Désert.  L'autorité  fut  satisfaite,  mais  le  protestantisme 
y  perdit  considérablement,  car  le  culte  public  est  une  des  sauvegardes 
de  la  foi.  On  signale,  il  est  vrai,  un  prédicant  dans  le  diocèse  de  Dol  en 
17r().  mais  il  se  bornait  à  «  dogmatiser  »  et  à  distribuer  «  des  livres 
contraires  à  la  religion  catholique  »,  dit  une  pièce  du  temps.  En  1770 
un  registre  fut  ouvert  à  Nantes  pour  servir  à  l'inscription  des  baptêmes 
des  enfants  des  étrangers  professant  la  religion  chrétienne  réformée. 
Ilest  signé  parles  aumôniers  des  régiments  suisses  en  garnison  à  Nantes. 
Six  ans  après,  un  pasteur  français,  nommé  Jacques  Barre,  put  s'établir 
et  remplir  ses  fonctions  dans  la  ville  sans  opposition.  La  loi  de  ger- 
minal an  X  institua  un  seul  consistoire  pour  toute  la  Bretagne,  encore 
comprenait-il  les  protestants  de  la  Vendée.  Aujourd'hui  ce  département 
a  son  consistoire  à  Puzangues,  et  la  Bretagne  en  possède  deux  à  Nantes 
et  Brest.  —  Philippe  Lenoir,  sieur  de  Crevain,  Hist.eccUs.  de  Bre- 
tagne\  Vaurigaud,  Essai  su?'  VHist.  des  Eglises  réf.  de  Bretagne,  3  vol. 

E.  Arnaud. 

BRETONS  (Le  christianisme  chez  les).  Voyez  Culdèens. 

BRETSCHNEIDER  (Charles-Gottlieb)  [1776-1848],  surintendant  gé- 
néral à  Gotha  depuis  L816,  dirigea,  pendant  plus  de  trente  ans,  l'Eglise 
de  ce  duché  dans  le  sens  d'un  rationalisme  modéré.  Esprit  clair,  ferme, 


420  BRETSOHNEIDER  —  BREVIAIRE 

sobre,  ennemi  de  tous  les  extrêmes,  il  se  montra  surtout  hostile  aux 
essais  de  reconstruction  spéculative  du  christianisme  qu'il  voyait  s'ac-. 
complir  sous  ses  yeux.  Doué  d'une  pénétration  particulière  pour  voir 
leur  faiblesse,  il  accusait  ceux  qui  prétendaient  réconcilier  la  foi  du  passé 
avec  la  pensée  moderne,  de  vouloir  jeter  de  la  poudre  aux  yeux  et 
d'être  des  charlatans  (Ueb.  die  Grundansichten  der  theol.  Système  in 
denLehrb.  v.  Schleiermacher,  Marheinekc  u.  Hase,  Leipz.,  1828).  Grâce 
au  sens  historique  que  Bretschneider  possédait  à  un  haut  degré,  il 
avait  un  instinct  profond  de  la  différence  des  formes  dogmatiques  que 
les  diverses  époques  ont  produites.  Aussi  dans  ses  ouvrages,  écrits 
avec  une  application  et  un  soin  des  plus  consciencieux,  a-t-il  réuni 
tous  les  matériaux  nécessaires  à  l'intelligence  des  dogmes  chrétiens, 
sans  essayer  lui-même  de  les  réunir  en  un  système  (Handb.  der  Dogmat. 
de?1  eu.  lut/ter.  Kirche,  Leipz.,  1814-18,  2  vol.,  et  surtout  System.  Ent- 
wicklung  aller  in  der  Dogmat.  vorlcommenden  Begriffe,  etc.,  Leipz.,  1805; 
3eédit.,  1841).  Bretschneider  s'est  aussi  occupé  de  travaux  exégéti- 
ques  :  il  a  publié  un  dictionnaire  et  un  essai  sur  la  dogmatique  et  la 
morale  des  livres  apocryphes  de  l'Ancien  Testament  (1805),  un  dic- 
tionnaire très-estimé  du  Nouveau  Testament  (Lexicon  manuale  grœco- 
latinum  in  libros  N.  T.,  Lips.,  1824),  un  traité  sur  l'évangile  et  les 
épîtres  de  saint  Jean  (Probabilia  de  evangelii  et  epistolarum  Joli.  Apoèt. 
indole  et  origine,  Lips.,  1820),  dans  lequel  il  élève,  l'un  des  premiers, 
des  doutes  sérieux  sur  l'authenticité  du  quatrième  évangile.  Il  a  égale- 
ment publié  une  édition  des  œuvres  de  Mélanchthon  (Ph.  Mel.  Opp. 
quse  supersunt  omnia,  vol.  J-XV,  Hal.,  1834-48),  ainsi  que  de  quelques 
œuvres  inédites  de  Calvin  et  de  'Th.  de  Bèze  (Lips.,  1835),  plusieurs 
recueils  de  sermons  et  de  nombreux  articles  dans  la  Gazette  ecclésias- 
tique de  Darmstadt  dont  il  a  été  l'un  des  fondateurs.  Son  autobiogra- 
phie, publiée  après  sa  mort  (Ans  meinem  Leben,  Gotha,  1851),  est  un 
document  d'un  haut  intérêt  pour  la  connaissance  des  luttes  auxquelles 
Bretschneider  s'est  trouvé  mêlé. 

BRÉVIAIRE  (Breviarium),  livre  d'Eglise  renfermant  les  oflices  que 
doivent  lire  ou  plutôt  réciter  les  prêtres,  les  religieux  et  les  moines 
des  différents  ordres.  On  n'est  pas  d'accord  sur  l'origine  du  nom 
Breviarium;  selon  les  uns,  il  n'a  été  donné  que  pour  indiquer  en 
général  Y  abrégé  des  prières,  des  lectures  et  des  hymnes  de  l'Eglise; 
selon  les  autres,  il  aurait  une  étymologie  historique  et  déterminée 
remontant  à  l'époque  de  Grégoire  VII.  Ce  pape,  nous  disent-ils,  «  ac- 
cablé lui  et  sa  cour  d'.une  immense  quantité  d'affaires,  jugea  à  propos 
d'abréger  pour  l'usage  de  sa  maison  le  très-long  office  qui,  jusqu'à  ce 
jour,  avait  été  chanté  ou  récité;  et  naturellement  cet  abrégé,  cette  abré- 
viation prit  le  nom  de  breviarium  curix  romanse  »  (Guillois,  Explic.  du 
Catéch.,  t.  IV,  p.  32;  J.-B.-E.  Pascal,  Origines  et  raison  de  la  Litur g. 
caih:,  art.  Bréu.,  Supplém.  au  Dict.  de  Moréri).  A  mesure  que  l'Eglise 
entra  d'ans  la  déviation  des  principes  évangéliques  qui  avaient  fait  la 
gloire  de  ses  premiers  jours,  la  démarcation  entre  clercs  et  laïques  de- 
vint toujours  plus  accentuée,  et,  ce  qui  fut  considéré  comme  formant 
le  corps  du  clergé,  fut  astreint  à  des  observances  plus  ou  moins  strictes 


BRÉVIAIRE  421 

ou  rigoureuses  qui  furent  développées  par  L'établissement  des  institu- 
tions  monastiques.   Chaque  clerc,   chaque  moine  fut  obligé  à  une 

lecture,  el  bientôt  à  une  récitation  de  portions  considérables  de 
l'Ecriture  sainte  et  des  Pères.  Cet  ensemble  de  leçons  {lectiones)  con- 
stitua un  office  très-long  dont  la  lecture,  même  rapide,  prenait  beau- 
coup de  temps.  C'est  ce  qu'on  appelait  le  cours  des  offices  (cursus); les 
Grecs  le  désignent  encore  ainsi.  Chez  eux,  la  récitation  qu'on  en  doit 
faire  exige  quatre  heures  chaque  jour.  L'abréviation  de  Grégoire  VU 
fut  donc  reçue  favorablement,  et  adoptée  par  la  plupart  des  clercs, 
quoiqu'elle  n'eût  été  primitivement  destinée  qu'à  la  cour  romaine. 
Toutefois,  le  Bréviaire  romain  d'aujourd'hui  n'est  pas  l'ancien  Bré- 
viaire de  Rome,  mais  un  recueil  d'oflices  mis  en  usage  par  des  corde- 
liers,  dans  la  maison  du  pape.  Ce  recueil  fut  adopté  par  Sixte  IV,  et 
corrigé  successivement  par  Pie  V,  Clément  VIII  et  Urbain  V.  — Le  Bré- 
viaire, renfermant  les  offices  de  toute  Tannée,  se  divise  en  quatre 
parties,  une  pour  chaque  saison  :  pm's  Hiemalis,  pars  Verna,  pars 
sEstiva,  pars  Autumnahs,  Il  est  entièrement  en  latin,  sa  traduction  en 
langue  vulgaire  est  interdite.  Nicolas  Le  Tourneux  en  publia  une  tra- 
duction qui  fut  condamnée  le  10  avril  1088  par  l'archevêque  de  Harlay; 
la  sentence  de  son  officialité  «  condamne  l'impression  et  la  traduction 
en  langue  française  du  Bréviaire  romain,  comme  étant  une  nouveauté 
faite  contre  les  conciles,  les  délibérations  des  assemblées  du  clergé  ou 
les  ordonnances  du  diocèse  de  Paris,  les  édits  et  les  ordonnances  du 
roi,  contre  l'esprit  et  l'usage  de  l'Eglise  »  (Colonia,  Biblioth.  jans., 
t.  I).  L'office  de  chaque  jour  compose  ce  que  l'on  appelle  les  Heures 
canoniales,  qui.  sont  au  nombre  de  sept;  les  voici  dans  leur  ordre  : 
Matines  (office  de  la  nuit;  de  là  le  nom  de  Vigiltœ  qui  lui  a  été  quel- 
quefois donné,  comme  aussi  officium  nocturnum ;  les  Laudes  sont  une 
partie  de  cet  office),  Prime,  Tierce,  Sexte,  None,  Vêpres  et  Compiles. 
On  les  divise  en  Heures  majeures  et  en  Heures  mineures  ;  les  majeures 
sont  la  première,  la  sixième  et  la  septième  (Matines,  Vêpres  et  Com- 
piles) ;  les  mineures  :  la  deuxième,  la  troisième,  la  quatrième  et  la 
sixième  (Prime,  Tierce,  Sexte  et  None),  Chacune  de  ces  Heure 
a  son  office  spécial  composé  de  prières,  de  versets,  de  psaume  j 
d'antiennes,  d'hymnes,  de  portions  de  l'Ecriture  sainte,  de  fragments 
d'homélies  des  Pères  ou  de  vies  de  saints.  Tout  cela  doit  être  lu 
dans  un  certain  ordre  prescrit  par  les  Rubriques,  ce  qui  constitue  un 
travail  aussi  diflicile  que  fastidieux.  La  récitation  de  ces  offices  est 
d'une  difficulté  presque  invincible  pour  celui  qui  n  a  pas  été  initié  à  ce 
que  l'on  pourrait  appeler  le  mécanisme  liturgique  du  Bréviaire.  L'of- 
fice de  Matines,  à  lui  seul,  contient  dix-huit  psaumes  auxquels  on  doit 
ajouter  des  antiennes,  des  versets,  des  répons  et  des  prières  en  grand 
nombre.  Les  auteurs  les  plus  autorisés  en  science  liturgique  nous  disent 
gravement  (pie  les  sept  Heures  canoniales  ont  été  établies  dans  l'Eglise 
pour  suivre  l'exemple  du  saint  roi  David  :  «  Sept  fois  le  jour  je  te 
loue  à  cause  des  ordonnances  de  ta  justice  »  (Ps.  CX1X,  164).  — Objet  de 
critiques  sévères,  parfois  mordantes,  dans  le  sein  même  du  catholicisme, 
le  Bréviaire  romain  contient,  cela  est  incontestable,  de  fades  légendes 


422  BREVIAIRE 

qu'il  présente  comme  de  l'histoire  pure,  et  des  enseignements  de  la  plus 

grossière  superstition.  C'est  au  discrédit  dont  il  était  plus  ou  moins 
frappé  par  cette  critique,  particulièrement  en  France,  que  Ton  doit 
sans  doute  en  grande  partie  la  révolution  liturgique  qui  s'opéra  dans 
ce  pays  au  dix-huitième  siècle.  Nous  voulons  parler  du  Bréviaire  que 
tit  paraître  en  173(>  M.  de  Yintimille,  alors  archevêque  de  Paris.  Dans 
cet  ouvrage,  publié  sous  le  titre  de  Breviarium  Parisien.se,  la  partie 
historique  avait  été  l'objet  d'un. remaniement  complet  où  l'on  sentait 
l'influence  de  l'érudition  et  du  goût  de  cette  époque  littéraire.  Les 
passages  de  la  Bible  remplacèrent,  dans  ce  travail  entièrement  nouveau, 
les  sentences  plus  ou  moins  apocryphes  du  Bréviaire  romain.  La  distribu- 
tion des  psaumes  et  des  leçons  bibliques  fut  disposée  avec  plus  de  clarté 
et  de  simplicité,  et  on  peut  dire  que  les  auteurs  de  cette  œuvre  litur- 
gique firent  de  leur  mieux  dans  la  position  qu'ils  conservaient,  au 
sein  du  catholicisme.  La  partie  poétique  du  Bréviaire  parisien  fut  tout 
spécialement  soignée.  Les  hymnes  de  Santeuil  et  de  Coffin  qui  y  furent 
insérées,  sont  pleines  de  sentiment,  de  fraîcheur,  d'onction,  et  sont 
écrites  dans  un  style  vraiment  rhythmique  de  la  plus  belle  latinité. 
Quoi  de  plus  gracieux ,  en  effet,  que  ces  versets  des  hymnes  de  Com- 
piles : 

Grates.  peracto  jam  die,  .  Desiderate  gentibus, 

Deus,  tibi  persolvimus  ;  Verbum  Patris,  mundi  salus, 

Pronoque,  dum  nox  incipit,  Audi  preces  gementium, 

Prosternimus  vultu  preces.  Tandemque  lapsos  excita. 

In  noctis  umbrâ  desides  Adsis.  Redemptor;  et  tuse 

Dum  soranus  artus  occupât,  Plebis  relaxans  crimina, 

Ad  te,  Deus,  fidelibus  Adse  scelus  quas  clauserat, 

Mens  excubat  suspiriis.  Reclude  cœlestes  domos. 

On  avait  de  plus  introduit,  dans  chaque  office  quotidien,  un  extrait 
des  canons  ou  décrets  des  conciles,  ce  qui ,  pour  la  connaissance  de  l'his- 
toire ecclésiastique,  fut  considéré  comme  une  heureuse  innovation  par 
ceux  devant  qui  ces  canons  faisaient  autorité.  L'œuvre  liturgique  de  l'ar- 
chevêque Vintimille  fut  accusée  de  jansénisme  dès  sa  première  appari- 
tion; elle  résista  pourtant  aux  attaques  dont  elle  était  l'objet,  et  devint 
même  bientôt  le  prototype  de  la  plupart  des  Bréviaires  nouveaux  qui 
parurent  plus  tard  dans  les  divers  diocèses  de  France.  Malgré  sa 
supériorité,  le  Bréviaire  parisien  devait  être  immolé  aux  exigences 
de  l'unité  liturgique.  L'opposition  qu'il  avait  soulevée  à  son  début 
se  réveilla  au  temps  de  la  Restauration  ;  c'est  alors  que  commença 
une  lutte  ardente  où  s'engagèrent  ultramontains  et  gallicans,  et  dans 
laquelle  ces  derniers  devaient  avoir  le  dessous.  Les  Bréviaires  dio- 
césains étaient  pour  la  curie  romaine  un  fait  gênant  pour  sa  domi- 
nation ;  il  constatait,  en  faveur  des  évêques,  un  droit  de  décision  en 
matière  de  liturgie  ;  il  y  avait  là  une  grosse  question  de  droit  cano- 
nique qui  devait  être  décidée  au  profit  de  Rome  et  de  ses  prétentions 
à  tout  régenter.  Pour  ce  faire,  elle  lança  dans  l'arène  la  bouillante 
individualité  de  Dom  Guéranger,  dont  la  plume  amère,  la  phrase 
acerbe  et  l'argumentation  audacieuse  firent  merveille.  Chaque  évêque 
•de  France  fit  sa  cour  à  la  papauté  en  abrogeant  le  Bréviaire  français 


BRÉVIAIRE  —  BRÏÇONNET  423 

pour  adopter  le  romain.  Le  diocèse  de  Paris  vient  p'être  soumis  à  son 
tour  au  rite  romain  qui  y  règne  aujourd'hui  sans  partage. 

A.  Maulvault. 

BRIAL  (Dom  Michel  Jean-Joseph),  bénédictin  de  Saint-Maur,  né  à 
Perpignan  en  I7'i3.  mort  à  Paris  en  1828.  Il  travailla  d'abord  à 
VHistoùvi  littéraire  de  la  France.  Les  XIIe  et  XIIIe  tomes  lui  sont  dus 
ainsi  qu'à  1).  Clément,  son  collaborateur;  les  six  suivants  sont  de  Brial 
seul  et  complètent  la  série  des  monuments  du  règne  de  Philippe- 
Auguste  et  de  celui  de  Louis  VIII  jusqu'en  1226.  D.  Brial  n'a  pas 
achevé  le  XIX1.  11  a  été  continué  par  MAI.  Daunou  et  Naudet,  qui  ont 
donné  le  XXe  en  18Ï0.  C'est  le  premier  tome  de  la  série  consacrée  à 
Louis  IX  et  à  ses  successeurs,  de  1220  à  1328.  Le  XXIe  volume,  publié 
en  1855  par  MM.  Guigniaut  et  de  Wailly,  est  le  second  de  cette  série. 
On  sait  que  l'Institut  poursuit  l'exécution  de  ce  long  travail  auquel 
s'est  spécialement  consacré  M.  Hauréau.  Le  tome  XXIVe  a  paru 
•  en  1862.  M.  Camille  Rivain  a  donné  en  1875  une  table  générale  des 
quinze  premiers  volumes.  Il  collabora  également  au  Recueil  des  Historiens 
>/r  France  que  l'Académie  des  Inscriptions  et  Belles-Lettres  continua 
après  une  assez  longue  interruption.  MM.  Pastoret,  Brial,  Ginguené  et  Dau- 
nou donnèrent  en  1814  le  XIII"  volume.  Dom  Brial  publia  les  cinq  sui- 
vants du  XIV'  au  XVIII0.  Il  laissa  en  mourant  les  matériaux  du  XIXe  qui 
a  été  publié  en  1833  par  MM.  Daunou  et  Naudet.  11  a  aussi  composé  un 
grand  nombre  de  mémoires  sur  divers  points  d'histoire. 

BRICE  (Saint),  de  Tours,  arraché  à  la  vie  mondaine  et  converti  par 
saint  Martin,  lui  succéda  en  396  sur  le  siège  épiscopal  de  Tours,  dans 
des  temps  orageux  et  troublés.  Lui-même  pendant  son  épiscopat  se 
vit  à  plusieurs  reprises  exposé  aux  attaques  de  nombreux  adversaires. 
In  certain  Lazare,  qui  devint  plus  tard  évèque  d'Aix-la-Chapelle, 
l'accusa  d'inconduite  et  d'erreurs  manichéennes,  mais  se  vit  condamné 
comme  calomniateur  au  concile  de  Turin  en  404.  Brice  se  signala  par 
son  zèle  pour  la  propagation  de  la  foi  et  construisit  de  nombreuses 
églises  dans  son  diocèse.  En  429  le  peuple,  soulevé  par  des  ennemis  du 
prélat,  qui  l'accusaient  de  mauvaises  mœurs,  sans  se  laisser  toucher  par 
tous  les  miracles  qu'il  accomplit  pour  se  justifier,  le  chassa  de  son 
diocèse  et  lui  donna  pendant  son  séjour  à  Rome  deux  successeurs  : 
Justinien,  mort  à  Verceil  vers  430,  et  Armentius,  dont  on  célébrait 
les  funérailles  en  436  au  moment  où  Brice,  revenu  de  l'exil,  rentrait 
dans  sa  cathédrale.  Il  mourut  en  paix  en  447.  Saint  Ouen  rapporte 
que  ses  restes  furent  déposés  dans  une  chasse  forgée  par  saint  Eloi.  En 
'.il 3  févêque  de  Tours  les  déposa  solennellement  dans  la  basilique  de 
Saint-Martin.  La  légende  associe  à  son  ministère  les  sept  dormants  du 
temps  de  Dioclétien  ;  mais  elle  n'est  qu'une  pale  copie  de  celle  dessept 
donnants  d'Epkèse  (Greg.  Tur.,  De  Glor.  Mari.,  1,  95;  Piper,  Zeug, 
d.  \\\,  1).  Le  13  novembre  1002,  jour  de  la  Saint-Brice,  est  une  date 
célèbre  dans  L'histoire  d'Angleterre  :  en  ce  jour  Ethclred  lit  massa- 
crer bous  les  Danois  établis  dans  ses  Etats.  —  Voir  :  Gallia  chr.,  XIV, 
10  et  11  ;  Greg.  Tur.  Opéra,  éd.  Ruihart,  Lutetiae,  L699,  "passim. 

BRIÇONNET  (Guillaume),  dont  le  père,  devenu  veuf,  entra  dans  les 


424  BRIÇONNET 

ordres,  obtint  l'évèché  de  Saint-Malo  et  fut  élevé  au  cardinalat  par 
Alexandre  VI,  naquit  à  Paris  en  1470.  Il  porta  d'abord  le  nom  de  comte 
de  Montbrun  et  lit  ses  études  au  collège  de  Navarre,  où  il  eut  pour 
régent  Louis  Pinelle.  Jacques  Le  Fèvre  d'Etaples,  ami  de  son  père,  fut 
aussi  l'un  de  ses  maîtres.  Ayant  embrassé  l'état  ecclésiastique,  il  devint 
en  1504  évoque  de  Lodève.  Charles  VIII  ne  l'en  lit  pas  moins  président 
lay  de  la  chambre  des  comptes  ;  mais  il  se  démit  de  cette  charge,  qui 
ne  lui  permettait  pas  de  résider  habituellement  dans  son  diocèse.  Il  dut 
cependant  en  sortir  plusieurs  fois  pour  remplir  des  missions  impor- 
tantes. Louis  XII,  accusé,  dans  des  libelles  que  l'empereur  Maximilien 
faisait  répandre  -en  Allemagne  et  en  Italie,  de  vouloir  chasser  Jules  II 
de  son  trône,  transporter  le  saint-siége  à  Rome  et  y  faire  asseoir  le 
cardinal  d'Amboise,  envoya  en  1507  Briçonnet  à  Home  repousser  ces 
imputations.  Il  le  fit  en  présence  du  sacré-collège  dans  un  discours  latin 
qui  fut  imprimé  en  cette  langue,  et  plusieurs  fois  en  français  sous  ce 
titre  :  La    harangue  de  Monseigneur  de  Lodève  proposée  devant  notre 
saint-père  le  pape.  En  cette  même  année  1507,  le  père  de  Briçonnet 
renonça  en  sa  faveur  à  la  riche  abbaye  de  Saint-Germain-des-Prés,  qu'il 
tenait  de  la  libéralité  du  roi.  Trente  religieux  de  Chazal-Benoit  et  de 
Samt-Sulpice  y  furent  appelés  par  le  nouvel  abbé  concordataire  pour 
l'aider  à  en  opérer  la  réforme.  Il  y  accueillit  aussi,  comme  dans  un 
asile,  divers  hommes  savants  et  pieux,  disposés  à  mettre  leur  science 
au  service  de  la  religion,  Jacques  Le  Fèvre,  entre  autres,  qui  y  acheva 
en  1509  son  Commentaire  sur  les  Psaumes,  et  François  Vatable,  dont  la 
dédicace  à  Briçonnet,  en  août  1518,  de  sa  traduction  de  la  Physique 
d'Aristote,  est  datée  de  cette  abbaye.  —  Nommé  évêque  cle  Meaux,  Bri- 
çonnet venait  à  peine  d'yfaire,  le  19  mars  1516,  son  entrée  publique, 
quand  François  Ier  lui  confia  une  mission  auprès  de  Léon  X.  Il  ne 
revint  en  France  qu'au  bout  de  deux  ans  et  se  consacra  tout  entier,  à 
son  retour,  au  réveil  de  la  piété  dans  son  diocèse.  Son  premier  soin 
fut  de  prescrire,  le  13  octobre  1518,  dans  un  synode,  la  résidence  aux 
curés  ;  mais  ils  n'en  tinrent  aucun  compte,  ainsi  que  cela  résulte  de 
son  mandement  du  27  octobre  1520,  où  il  se  plaint  de  ce  qu'à  peine 
la  dixième  partie  de  ceux  qui  recueillent  les  dîmes  prennent  garde  en 
personne  à  leurs  troupeaux.  Aussi,  les  déclarant  traîtres  et  fuyards, 
annonce-t  il  qu'il  pourvoira  autrement  aux  besoins  des  pauvres  ouailles 
rachetées  par  le  sang  de  Jésus-Christ.  Il  avait  imaginé  de  diviser  son 
diocèse  en  trente-deux  sectionsr  à  chacune  desquelles  il  résolut  d'at- 
tacher un  prédicateur.  Jacques  Le  Fèvre,  qui  était  venu  demeurer  à 
Meaux  et  qui,  dans  la  préface  de  son  Commentaire  sur  les  quatre  Evangiles, 
publié  depuis  peu,  prie  Dieu  d'envoyer  des  ouvriers  nouveaux  en  vue 
d'une  moisson  nouvelle,  lui  ayant  recommandé  pour  cette  fonction  ses 
plus  chers  élèves,  Guillaume  Farel,  Gérard  Roussel  et  Michel  d'Arande, 
il  leur  fit  appel  ;  mais  il  en  fallait  bien  d'autres  encore  pour  pourvoir 
à  des  postes  si  nombreux,  et  Briçonnet  ne  tarda  pas  à  reconnaître  que, 
mal  renseigné  sur  plusieurs  de   ceux   qui   s'étaient  offerts  à  lui,  il 
avait  introduit  des  loups  dans   sa  bergerie.  De  là  son   mandement 
du  12  avril  1523,  par  lequel  il  révoquait  tous  les  prédicateurs  qu'il 


BRIÇONNET  425 

avait  nommés;  et  la  raison  qu'il  en  donnait,  c'est  que  quelques-uns 
d'entre  eux,  «  quoique  déguisés  du  masque  de  piété,  au  lion  de  s'ac- 
quitter de  leur  devoir,  s'amusaient  à  ivrogner  et  paillarder,  ce  <|ne  je 
ne  puis  raconter  que  la  larme  à  l'œil,  »  ajontait-il.  Peu  de  jours  après, 
le  I  '  mai  1523,  il  choisit  Le  Fèvre,  qu'il  avait  placé,  le  11  août  1521, 
à  la  tête  de  la  léproserie  de  Meaux,  pour  son  vicaire  général  ou  spirituel. 
Le  Fèvre  axait  dit,  dans  la  préface  citée  pins  haut,  et  qui  était  un  véri- 
table manifeste,   que  «  les  chrétiens  ce  sont   ceux-là   seulement  qui 
aiment  Jésus-Christ  et  sa  parole  ».  Se  l'associer  comme  vicaire  général, 
c'était  adopter  son  programme.  Les  mauvais  ouvriers  furent  renvoyés; 
mais  les  disciples  de  Le  Fèvre  furent  maintenus  dans  leur  emploi,  et 
c'est  d'eux  que  Florimond  de  Rémond  a  dit:  «  Des  mains  de  ces  gens 
a  été  pétri  le  levain  de  l'hérésie  en  la  France  ;  car  ceux-ci  se  répan- 
dirent en  diverses  contrées  par  la  trop  grande  facilité  de  l'évêque  »• 
Guillaume  Farel  est  cependant  le  seul  des  prédicateurs  mis  alors  à 
l'œuvre  par  Briçonnet,  qui  ait  pris  part  ouvertement  au  mouvement 
de  la  réformation  ;  tous  les  autres  refusèrent  de  s'y  associer,  désirant, 
comme  leur  évêque,  ne  pas  accepter  la  responsabilité  de  ce   qui  se 
faisait  ailleurs  d'après  des  principes  différents  des  leurs.  Briçonnet  ne 
s'est  donc  pas  mis,  ainsi  qu'on  l'a  prétendu,  en  contradiction  avec  lui- 
même,  en  défendant  sous  peine  d'excommunication,   par  un  décret 
synodal  du  15  octobre  1523,  quatre  mois  après  s'être  adjoint  Le  Fèvre 
comme  vicaire  général,  «  d'acheter,  emprunter,  lire,  avoir  et  porter 
sur  soi  les  livres  de  Martin  Luther,  et  ceux  que  l'on  dit  être  de  sa  façon 
sons  noms  empruntés,  comme  aussi  de  les  approuver,  défendre  ou  di- 
vulguer, soit  es  assemblées  publiques,  soit  es  colloques  particuliers  et 
familiers  devis,  avec  très-exprès   commandement   de  jeter,   biffer  ou 
brider,  incontinent  après  la  publication  de  ce  décret,  ceux  qu'ils  auraient 
peut-être  jusques  ici  gardés  dans  leurs  maisons  ou  mis  en  dépôt  quelque 
autre  part.  »  Son  décret  synodal  du  13  décembre  de  la  même  année, 
défendant  aux  curés,  sous  peine  d'anathème,  de  laisser  prêcher  dans 
leurs  chaires  les  luthériens  et  tous  autres  faisant  profession  de  leur  doc- 
trine, n'aurait  le  caractère  d'un  abandon  de  son  entreprise  que  si  Bri- 
çonnet avait  jamais  voulu  propager  cette  doctrine;  mais  il  n'en  est  rien, 
et  il  suffit  pour  s'en  assurer  de  prendre  connaissance  des  lettres  adressées 
par  lui  à  Marguerite  d'Angoulême,  sœur  de  François  Ier,  alors  mariée 
au  duc  d'Âlençon,  qui  l'avait  prié  delà  diriger  dans  la  voie  de  la  piété. 
La  première  est  du  19  juin  1521,  et  appartient  ainsi  à  l'époque  où 
l'évêque  de  Meaux  invita  les  disciples  de  Le  Fèvre  à  venir  le  seconder. 
Ce  sont  des  espèces  de  dissertations  mystiques,  dont  quelques-unes 
n'ont  pas  moins  de  cent  pages,  souvent  inintelligibles,  bien  que  le  roi, 
sa  sœur  et  sa  mère  les  goûtassent  fort,  et  dans  lesquelles  Bèze  n'aurait 
certainen*  ot  pas  reconnu  «  la  doctrine  de  vérité  »  que  Briçonnet  s'ef- 
forçait, selon  lui,  «  d'avancer  en  son  diocèse  »  {Histoire  ecclésiastif//»' 
des  Eglises  réformées,  t.  I,  p.  5).  On  ne  peut  guère  douter  que  ce  ne 
M>it  a  deux  de  ces  lettres,  dont  Marguerite  laissait,  parait-il,  prendre  des 
copies,  que  Capiton  fait  allusion  dans  la  dédicace  à  cette  princesse  de 
son  commentaire  latin  sur  le  prophète  Osée,  lorsqu'il  lui  dit  qu'il  a  lu 


426  BRIÇONNET 

•deux  lettres  à  elle  adressées,  où,  «  à  l'imitation  de  Nieolas  de  Cusa,  on 
philosophait  sur  l'essence  et  la  puissance  de  Dieu.  »  Il  se  réjouit  de  ce 
•qu'elle  en  a  retiré  du  bien,  «  si  toutefois,  lui  dit-il,  cette  méthode  peut 
porter  d'heureux  fruits,  »  et  il  la  félicite  de  ne  pas  s'être  contentée  de 
■cette  philosophie  de  haute  volée,  mais  d'être  arrivée  à  la  pleine  pos- 
session de  la  foi  en  Jésus-Christ,  telle  qu'il  l'entendait  lui-même  {Cor- 
respondance des  Réformateurs,  publiée  par  Hermenjard,  n°  227).  Mais 
si  Marguerite  n'a  fait  que  traverser  la  phase  antérieure,  Briçormet 
semble  s'y  être  arrêté.  Ses  lettres  sont  remplies  d'un  mysticisme  allé- 
gorique qui  revêt  les  formes  les  plus  bizarres  et  qui  peut  nous  aider  à 
comprendre  certains  actes  qu'on  lui  a  reprochés.  En  effet,  Tun  des 
premiers  principes  de  l'école  mystique,  ainsi  que  Merle  d'Aubigné  en 
a  fait  la  remarque  en  parlant  delui,  a  toujours  été  de  s'accommoder  à 
l'Eglise  où  l'on  se  trouve,  quelle  qu'elle  puisse  être  »  (Histoire  de  la 
Ré  format  ion,  t.  III,  p.  635).  M.  Schmidt  a  dit,  avec  non  moins  de 
raison,  des  théologiens  de  cette  école,  que,  «  tout  en  se  prononçant 
contre  les  abus  de  Rome,  ils  ont  cru  de  tout  temps  qu'ils  étaient  les  fils 
dévoués  de  l'Eglise;  aussi,  toutes  les  fois  que  celle-ci  les  avertissait 
qu'ils  tombaient  dans  l'hérésie  en  donnant  un  autre  sens  à  ses  dogmes 
•et  à  ses  usages,  reculaient-ils  avec  effroi  et  se  hâtaient-ils  de  protester 
de  leur  fidélité  à  l'orthodoxie  catholique  »  (Gérard  Roussel,  p .13).  Il  en 
a  été  ainsi  de  maître  Eckart  et  de  ses  disciples  au  moyen  âge,  et  de  l'é- 
vêque  de  Meaux  au  seizième  siècle.  Celui-ci  ne  désirait  nullement  que 
François  Ier,  à  l'exemple  de  Henri  VIII  et  des  princes  allemands  favora- 
bles à  Luther,  prit  parti  pour  la  réformation  de  l'Eglise.  Redoutant  les 
imprudences  de  Marguerite,  il  l'engageait  à  modérer  son  zèle,  de  peur 
de  nuire  à  la  cause  qu'elle  désirait  servir,  en  voulant  trop  agir  sur  son 
frère.  «  Il  vous  plaira  couvrir  le  feu  pour  quelque  temps,  lui  écrivit-il 
en  octobre  1522,  après  en  avoir  conféré  avec  Le  Fèvre;  ne  conseillons 
pour  plusieurs  raisons  que  passiez  outre,  si  vous  ne  voulez  du  tout 
(entièrement)  éteindre  le  tison  et  le  surplus  qui  désire  se  brûler  et 
autres  enflammer  »  (Hermenjard,  n°  54).  — La  suite  a  fait  voir  combien 
ces  craintes  étaient  fondées.  Tout  ce  que  Briçonnet  demandait  au 
roi,  c'était  de  faire  un  bon  usage  du  droit  de  nommer  aux  évêchés 
et  aux  abbayes  qui  lui  était  attribué  par  le  concordat  conclu  en  1516 
avec  Léon  X,  et  c'est  dans  ce  but  qu'il  écrivait  à  Marguerite  :  «  Pouvez- 
vous  ignorer  que  la  plupart  de  ceux  qui  doivent  être  préconisateurs  de 
vérité  ne  savent  l'annoncer?  Il  fait  mauvais  guet  qui  est  borgne,  aveugle 
et  endormi.  Je  vous  supplie  procurer  pour  l'avenir  l'honneur  de  Dieu 
en  l'élection  et  choix  de  ses  ministres  »  (Hermenjard,  n°  87).  Mais  les 
bons  évêques  rencontraient  de  puissants  adversaires,  ardents  à  con- 
trarier leurs  efforts.  Briçonnet  se  vit  accusé  «  de  planter  l'hérésie  à 
Meaux  »,  où,  bien  que  ce  ne  fût  pas  son  dessein,  le  luthéranisme 
faisait  des  progrès.  Il  se  sépara  alors  de  Farel  et  de  ceux  qui,  ainsi 
que  lui,  pouvaient  le  compromettre  par  un  langage  trop  hardi, 
«  leur  tenant  la  main  à  l'issue  comme  il  avait  fait  à  l'entrée,  »  dit  Flo- 
rimond  de  Rémond.  Il  ne  retint  auprès  de  lui  que  des  hommes  tels 
•que  Le  Fèvre  et  Roussel,  résolus  à  ne  pas  sortir  de  l'Eglise  catholique, 


BRIÇONNET  427 

mais  à  travailler  dans  son  sein  à  sa  régénération,  et  il  remplaça  les 
partants  par  des  prédicateurs  qu'il  croyait  aussi  pieux  et  pins  modérés 
qu'eux.  De  ce  nombre  furent  Pierre  Garoli,  chanoine  de  l'église  de 

Sens,  et  Martial  .Ma/urier,  principal  <ln  collège  de  Saint-Michel,  à  Paris. 
Ces  nouveaux  venus  excitèrent  bientôt  les  mêmes  inquiétudes  que  leurs 
devanciers;  plusieurs  d'entre  eux  Curent  poursuivis,  et  Martial,  enfermé 
à  la  Conciergerie,  n'obtint  la  liberté  qu'après  s'être  dédit  publique- 
ment. Ennemi  des  luttes  ouvertes,  Briçonnet  pensait  qu'il  ne  faut 
entreprendre  que  ce  <pfon  est  sur  de  mener  abonne  fin, et  (pie  la  pru- 
dence consiste  à  caler  les  voiles  à  propos.  Il  conseillait  à  ses  amis  de 
ne  pas  demeurer  dans  les  diocèses  où  ils  seraient  mal  vus  des  évoques, 
<le  peur  de  s'attirer  l'excommunication,  «  qui  est  foudre  effarouchant 
le  populaire,  a  disait-il  (Hermenjard,  n°  93).  L'archevêque  de  Bourges 
ayant  interdit  la  chaire  à  Michel  d'Arande,  il  refusa  d'intervenir  en  sa 
faveur,  craignant  qu'il  n'en  arrivât  pis.  «  S'il  ne  prêche  là,  écrivit-il 
à  Marguerite,  il  ne  sera  pas  ailleurs  infructueux,  et  sera  toujours  sa 
monnaie  bien  revue  »  (Hermenjard,  n°  94).  Gérard  Roussel  était  un 
collaborateur,  selon  son  cœur,  parce  que,  sans  faire  aucune  concession 
aux  adversaires,  il  évitait  de  leur  fournir  des  prétextes  de  l'accuser. 
Dans  le  temps  même  où  l'on  sévissait  contre  quelques-uns  de  ses  com- 
pagnons d'œuvre,  Briçonnet  le  chargea  de  faire  chaque  matin,  dans  la 
cathédrale  de  Meaux,  une  instruction  au  peuple  sur  les  épitres  de  saint 
Paul:  ailleurs,  c'était  Nicolas  Mangin,  Jean  Gadon,  Nicolas  de  Neuf- 
château,  Jean  Mesnil,  auxquels  Le  Fèvre,  dans  une  lettre  à  Farel,  rend 
un  excellent  témoignage,  qui  devaient  les  expliquer  (Hermenjard, 
n°  103).  Déjà  alors  la  Sorbonne  désirait  atteindre  Briçonnet  lui-même, 
malgré  l'appui  que  Marguerite  ne  cessait  de  lui  prêter.  Sa  position  de- 
venant de  plus  en  plus  difficile,  Le  Fèvre  et  Houssel  se  retirèrent  à 
Strasbourg  sous  des  noms  supposés,  et  quand  ils  rentrèrent  en  France, 
ils  ne  retournèrent  pas  à  Meaux.  Les  cordeliers  de  cette  ville,  auxquels 
l'évêque  avait  fait  défendre  par  les  juges  civils  de  prêcher  dans  son 
diocèse  sans  sa  permission  ,  crurent  le  moment  venu  de  tirer  ven- 
geance de  lui  en  incriminant  sa  doctrine,  il  eut  beau  publier  un  man- 
dement contre  les  auteurs  de  certains  actes  injurieux  au  culte  catho- 
lique, et  excommunier  publiquement,  pour  cause  d'hérésie,  un  de  ses 
diocésains  qui  se  tenait  caché,  ainsi  que  ceux  qui  lui  donneraient  asile, 
les  cordeliers  soutinrent  qu'il  était  responsable  de  ces  scandales, 
puisqu'ils  ('(aient  le  fruit  de  la  lecture  du  Nouveau  Testament,  traduit 
en  français  par  Le  Fèvre,  qu'il  avait  autorisée.  Ils  obtinrent  du  parle- 
ment l'arrestation  de  diverses  personnes  coupables  de  luthéranisme,  et 
Briçonnet  lut  invité  à  venir  à  Paris  conférer  avec  deux  conseillers  sur 
ce  qui  se  passait  dans  son  diocèse.  Il  demanda  en  vain  de  ne  pas  être 
interrogé  par  des  commissaires,  mais  en  pleine  cour,  et  même  toutes 
les  chambres  assemblées.  Le  parlement,  peut-être  dans  l'intention 
d'étouffer  l'affaire,  maintint  la  décision  qu'il  avait  prise.  On  ignore 
ce  qui  se  passa  dans  l'interrogatoire,  qui  eut  lieu. le  20  octobre  1525. 

Kn  décembre,  il  fut  cité  de  nouveau  «levant  les  mêmes  conseillers,  qui 
le  questionnèrenl  surtout  sur  l'autorisation  qu'il  avait  donnée  de  lire 


428  BRIÇONNET 

la  version  française  du  Nouveau  Testament  de  Le  Fèvre,  imprimée 
plusieurs  fois  en  France  de  1523  à  1525,  et  qui  ne  Ta  plus  été  qu'à 
l'étranger  à  partir  de  1526. — Des  jugements  sévères  ont  été  portés  sur  la 
conduite  de  Briçonnet  depuis  cette  époque  par  ceux  de  ses  contempo- 
rains qui  ne  croyaient  pas  devoir  user  des  mêmes  ménagements  que 
lui.  Pierre  Toussain,  dans  une  lettre  à  QEcolampade  du  20  juillet  1526, 
lui  reproche  de  ne  pas  annoncer  fidèlement  la  parole  de  Dieu ,  «  cher- 
chant plus  à  plaire  aux  hommes  qu'à  Dieu  »  (Hermenjard,  n°  181  ). 
Antoine  Froment,  dans  une  ancienne  chronique  protestante,  suivie  par 
Bèze,  prétend  que,  «  craignant  perdre  son  évêché  et  sa  vie,  il  chan- 
gea sa  robe  et- devint  persécuteur  de  ceux  qu'il  avait  auparavant  ensei- 
gnés »  (th.,  t.  1,  p.  158,  note  4).  Mais  en  a-t-il  vraiment  été  ainsi?  C'est 
le  chancelier  du  Prat  qui  conseilla  à  Louise  de  Savoie  de  faire  pour- 
suivre les  hérétiques,  afin  d'étouffer  les  nouvelles  opinions  religieuses 
qui  pouvaient  troubler  le  royaume  pendant  la  captivité  de  son  fils. 
Jean  Briçonnet,  l'un  des  frères  de  révoque  de  Meaux,  introduisit  le 
sujet  au  sein  du  parlement  dans  la  séance  du  20  mars  1525.  Il  n'y  ren- 
contra aucune  opposition.  Le  premier  président  Jean  de  Selve  fit  re- 
marquer alors  que  la  constatation  de  l'hérésie  appartenant  à  l'Eglise  et 
l'exécution  de  la  sentence  ecclésiastique  au  pouvoir  séculier,  il  fallait 
régler  avant  tout  la  question  des  attributions  pour  écarter  toute  possi- 
bilité de  conflit.  Là-dessus  l'évêque  de  Paris,  qui  s'en  était  entendu  à 
l'avance  avec  l'archevêque  de  Sens  et  l'évêque  de  Meaux,  proposa  de 
s'en  remettre  au  parlement  du  soin  de  donner  des  juges  aux  héré- 
tiques, s'engageant,  au  nom  de  ces  deux  collègues  et  au  sien,  à  bailler 
vicariat  à  ceux  qui  seraient  nommés  par  la  cour,  en  sorte  que  ces 
juges,  munis  à  la  fois  du  mandat  épiscopal  et  des  pouvoirs  du  parle- 
ment, pussent  faire  et  parfaire  cette  sorte  de  procès  par  un  seul  juge- 
ment. Une  résolution  conforme  fut  prise  séance  tenante,  et  Clément  VII 
en  ayant  été  informé  fit  savoir  qu'il  était  satisfait  des  dispositions  adop- 
tées. Les  deux  premières  victimes  du  tribunal  institué  contre  l'hérésie 
furent  un  ecclésiastique  nommé  Jacques  Pavanes  et  un  pauvre  homme 
qu'on  appelait  l'hermite  de  Livry,  brûlés  vifs  à  Paris  vers  la  fin  de  l'an- 
née. Ils  appartenaient  l'un  et  l'autre  au  diocèse  de  Meaux;  mais  il  n'en 
résulte  pas  que  Briçonnet  les  ait  livrés  au  bras  séculier;  car  en  baillant 
vicariat,  suivant  la  décision  du  parlement,  il  avait  renoncé  à  exercer 
aucune  action  personnelle  dans  les  affaires  de  cette  sorte.  11  suffit  d'ail- 
leurs de  regarder  aux  dates  pour  reconnaître  qu'il  ne  pouvait  prendre 
alors  l'attitude  d'un  persécuteur,  puisqu'il  était  formellement  accusé  à 
cette  époque  par  les  cordeliers  de  favoriser  les  hérétiques  et  d'avoir 
leurs  croyances.  Il  est  très- possible  que  Briçonnet  ait  essayé,  ainsi  que 
Bèze  le  rapporte,  d'obtenir  une  rétractation  de  Denis  de  Bieux,  lequel 
fut  brûlé  vif  à  Meaux  le  3  juillet  1528,  pour  avoir  dit  que  la  messe  est 
un  vrai  renoncement  de  la  mort  et  passion  de  Jésus-Christ  {Histoire 
ecclésiastique,  t.  I,  p.  7).  C'était  son  devoir  d'évêque,  et  s'il  l'avait 
obtenue,  il  aurait  arraché  Denis  à  ses  juges.  En  1529,  quand  Philippe 
Papillon,  chanoine  de  Meaux,  fut  inculpé  à  son  tour,  le  parlement  or- 
donna qu'il  serait  mené  à  Paris,  et  que  Briçonnet  baillerait  vicariat 


BRîÇONNET  —  BRIDAINE  129 

pour  cette  affaire.  Plus  tard,  la  cour  L'invita  à  donner  un  vicariat  géné- 
ra] à  un  conseiller  «  nommé  par  elle  pour  faire  le  procès  à  toutes  per- 
sonnes, de  quelque  qualité  qu'elles  lussent,  soupçonnées  d'hérésie 

dans  son  diocèse  »  (Guy  Bretonneau,  p.  ISS).  11  n'avait,  après  cela, 
aucun  caractère  pour  y  intervenir.  Le  biographe  de  Briçonnet  assure 
qu'il  mérita  d'être  appelé  «  le  grand  guerroyeur  et  ennemi  mortel  dé 
la  l'action  Luthérienne  :  factionis  lutheranœ  debellator  acerrimus;  »  mais 
il  ne  justifie  ce  titre  qu'en  disant  «  qu'il  lit  tout  ce  qu'on  eût  pu  se 
promettre  de  la  vigilance  d'un  bon  pasteur,  tant  par  visites  et  prédica- 
tions que  par  censures  et  anathèmes,  »  pour  s'opposer  à  la  doctrine 
Luthérienne  (tbid.,  p.  Hiï).  De  là  à  être  persécuteur,  il  y  a  loin  assuré- 
ment. — ;Les  Luthériens  de  Meaux,  comme  on  les  appelait,  obtinrent  un 
peu  de  relâche  en  1532.  François  Ier,  ayant  resserré  alors  son  alliance 
avec  Henri  VIII,  cessa  de  se  montrer  hostile  pendant  quelque  temps  aux 
projets  de  réforme.  Il  voulait  seulement,  pour  éviter  toute  apparence 
de  schisme,  qu'il  fût  bien  entendu  que  le  pape  serait  toujours  reconnu 
pour  chef  de  l'Eglise  universelle.  Ce  changement,  qui  favorisa  sans 
doute  L'accroissement  de  «  la  petite  troupe  de  Meaux,  composée. la  plu- 
part de  gens  de  métier,  cardeurs  de  laines  et  drapiers  drapants»  (Bèze), 
procura  un  peu  de  repos  à  Briçonnet  pendant  les  deux  dernières 
années  de  sa  vie.  Il  mourut  le  2o  janvier  1534,  dans  son  château  d'Ai- 
mans.  près  Montereau-sur-Yonne.  On  a  de  lui  une  traduction  des  Con- 
templâtiones  Idiotae,  de  Raymond  Jordan.  La  Bibliothèque  nationale 
de  (Supplément  français,  n°  337)  une  copie  contemporaine  de  sa 
correspondance  avec  Marguerite  d'Angoulême,  dont  M.  Génin,  dans 
ses  deux  recueils  des  lettres  de  cette  princesse,  et  M.  Hermenjard  ont 
pi d >lié  des  extraits.  Guy  Bretonneau  a  donné  son  portrait  sur  le  fronti- 
spice de  Y 1 1 istoire  généalogique  de  la  maison  des  Briçonnet,  oui' 'on  trouve 
h  h  grand  nombre  de  pièces  relatives  à  son  épiscopat,  recueillies  par 
Jean  Lermite,  son  secrétaire.  Toussaints  Du  Plessis  a  inséré  dans  son 
Histoire  de  l  Eglise  de  Meaux ,  d'après  les  registres  du  parlement,  les 
décisions  qui  le  concernent.  H.  lutieroth. 

BRIDAINE  (le  Père)  naquit  dans  un  village  qui  faisait  partie  du  dio- 
cèse d'Uzès,  à  Chusclan,  le  21  mars  1701.  11  mourut  le  22  septem- 
bre I7()7,  à  Roquemaure.  Son  père  était  médecin.  Il  lit  ses  études  à 
Avignon,  au  collège  des  jésuites  d'abord,  puis  au  séminaire  de  la  con- 
fondes Missions  royales  de  Saint-Charles  de  la. Croix.  De  là. le 
titre  de  missionnaire  royal  qui  accompagne  son  nom.  De  très-bonne 
heure  il  se  lit  remarquer  par  une  grande  facilité  d'élocution  et  un  pen- 
chant a  donner  à  sa  pensée  une  -l'orme  oratoire.  Il  s'acquit  bientôt  une 
réputation  de  piété  à  cause  de  la  ferveur  de  son  zèle,  de  son  infatiga- 
ble activité  missionnaire,  comme  aussi  une  réputation  d'orateur  par 
Ses  succès  dans  la  chaire.  11  ne  lit  pas  inoins  de  deux  cent  cinquante-six 
missions  dans  le  cours  de  sa  vie,  de  sorte  que  l'un  de  ses  biographes 
a  pu  due  qu'il  n*v  a  pas  en  France,  en  quelque  sorte,  quelques  pro- 
vince^ du  .\Ord  exceptées,  une  ville,  un  bourg,  un  village,  où  il  n'ait 
porté  l<'  soin  de  son  apostolat.  »  Le  trait  dominant  du  P.  Bridaine  fut 
une  passion  \i\<'  pour  le  salut  des  âmes  et   la  conversion  des  pé- 


480  BRIDAINE 

cheùfs.  Ce  fut  là  son  unique  souci.  Comme  prédicateur,  il  ne  rechercha 
pas  la  gloire.  Ses  discours  sont  exempts  de  ces  artifices  du  style,  de 
ces  ornements  voulus  qui  trahissent  le  désir  de  plaire.  A  cet  égard  on 
peut  les  proposer  pour  modèles  à  tous  ceux  qui  remplissent  le  minis- 
tère évangélique.  Chacun  de  ses  sermons,  qui  n'ont  été  publiés  qu'en 
1823  sur  les  manuscrits  originaux,  en  cinq  volumes  in-12,  auxquels 
on  en  ajouta  deux  autres  quatre  ans  après,  est  un  véritable  assaut  pour 
la  prise  des  âmes.  Par  moments  on  y  trouve  une  éloquence  emportée, 
toute  d'interrogations  pressantes  et  d'exclamations  émues.  Il  y  a  là 
comme  un  bruit  de  combat  ;  on  entend  les  objections  et  les  résistances 
de  l'auditeur,  et  aussitôt  après  les  répliques  brusques  par  lesquelles 
l'orateur  lui  coupe  la  parole.  Ce  sont  comme  des  épées  qui  s'entre-croi- 
sent  avec  des  éclairs,  et  comme  deux  lutteurs  qui  essayent  leur  force. 
Aussi  le  P.  Bridaine  obtenait-il  de  nombreuses  conversions.  Ses  ser- 
mons sont  vraiment  remarquables  par  la  chaleur  qui  les  pénètre  d'un 
bout  à  l'autre,  la  solidité  de  l'argumentation,  la  clarté  et  l'élégance 
d'un  style  qui  coule  de  source,  par  l'imprévu  et  la  hardiesse  des  inter- 
rogations, l'originalité  des  développements  et  enfin  par  une  éloquence 
nerveuse  qui  saisit  et  trouble.  Il  faut  aussi  y  signaler  des  défauts  :  des 
négligences  et  des  longueurs  inséparables  de  cette  facilité  dont  nous 
avons  parlé,  des  trivialités  qui  apparaissent  tout  à  coup  à  côté  des  plus 
beaux  mouvements  et  qui  descendent  quelquefois  jusqu'au  grotesque  ; 
enfin  des  tableaux  d'un  réalisme  outré  dans  lesquels  l'orateur  se 
plait  à  décrire  les  menaces  et  les  châtiments  les  plus  terribles  de  l'E- 
vangile. Il  avouait  lui-même  à  ses  auditeurs  que  son  dessein  «  était  de 
les  effrayer  »,  et  après  l'avoir  lu  on  ne  peut  douter  qu'il  n'y  ait  réussi 
le  plus  souvent.  Ses  sujets  de  prédilection  étaient  les  suivants,  qui  ont 
servi  de  titres  à  ses  meilleurs  sermons  :  le  Délai  de  la  conversion,  la 
Mort  des  pécheurs,  le  Jugement,  l'Enfer,  l'Eternité,  le  Petit  nombre  de$ 
élus,  le  Péché  mortel,  la  Pénitence.  Il  ne  sortait  guère  de  cet  ordre- 
d'idées.  Il  voulait  que  le  pécheur  se  convertit  sans  délai,  et  pour  l'a- 
mener là,  il  engageait  avec  lui  une  lutte  à  outrance,  le  menaçant  du 
jugement  de  Dieu.  On  ne  peut  lire  ses  discours  sans  éprouver  un  trou- 
ble salutaire.  On  y  est  en  présence  d'un  homme  qui  veut  vous  sauver  et 
non  vous  amuser;  qui  demande  votre  âme  et  non  vos  éloges,  et  qui, 
pour  la  ravir,  ne  craint  pas  de  frapper  de  grands  coups.  Ce  sont  des 
sermons  (V appel.  Je  ne  vois  que  le  prédicateur  anglais  Spurgeon  qui 
puisse  donner  quelque  idée  du  genre  du  P.  Bridaine.  On  regrette  qu'il 
n'ait  pas  essayé  d'attirer  les  pécheurs  par  la  description  de  l'amour  de 
Dieu  et  des  consolations  de  l'Evangile,  C'est  là  évidemment  une  grave 
lacune,  mais  son  tempérament  oratoire  le  portait  vers  les  sévérités  de 
la  religion.  Il  ne  négligeait  aucun  moyen  extérieur  pour  agir  sur  l'es- 
prit de  son  auditoire.  Ainsi  il  prêchait  habituellement  à  l'entrée  de  la 
nuit.  Madame  Necker  raconte  qu'étant  un  jour  à  la  tête  d'une  proces- 
sion, il  prononça  une  exhortation  saisissante  sur  la  brièveté  de  la  vie, 
et  finit  par  dire  à  la  multitude  :  «  Je  vais  vous  ramener  chacun  chez 
vous,  »  et  il  les  conduisit  dans  le  cimetière.  La  première  fois  qu'il 
prêcha  à  Aiguës-Mortes,  les  fidèles,  se  défiant  du talentd'un  jeune  pré- 


BKIDAINE  —  BRIDEL  431 

dicateur  à  ses  débuts,  n'allèrent  point  l'entendre.  Il  se  rendit  sur  la 
place  publique,  couvert  de  son  surplis  et  agitant  une  sonnette.  La 
foule  surprise  de  celte  singularité,  et  voulant  voir  à  quoi  aboutirait 
celte  scène,  se  rendit  au  temple.  OÙ  le  jeune  prédicateur  improvisa  un 
véhément  discours  sur  la  mort.  Quiconque  a  lu  ses  sermons  ne  s'é- 
tonne point  de  ce  que  Ton  rapporte  sur  l'impression  extraordinaire 
qu'ils  produisaient  :  on  entendait  des  soupirs  s'élever  du  milieu  de 
L'auditoire, et  on  voyait  couler  bien  des  larmes.  Quand  cette  éloquence 
sombre  descendait  sur  ces  tètes,  elle  devait  les  courber  et  les  écraser! 
Marmontel  en  avait  gardé  un  souvenir  ineffaçable.  Massillon  la  mettait 
au-dessus  de  la  sienne.  Il  a  manqué  à  Bridaine,  pour  être  un  orateur 
de  premier  ordre,  une  culture  et  une  sûreté  de  goût  que  les  soins  de 
son  ministère  ne  lui  permirent  pas  de  rechercher,  et  cette  connaissance 
du  cœur  humain,  ce  talent  d'analyse  morale  où  excellait  Bourdaloue. 
Il  aurait  peut-être  acquis  ces  dons  s'il  n'avait  été  emporté  ailleurs  par 
la  ferveur  de  son  zèle.  Sa  conférence  sur  Y  Aumône,  qui  est  son  meil- 
leur discours,  prouve  ce  qu'il  aurait  pu  avec  du  travail.  L'exorde  bien 
connu  qu'il  prononça  dans  l'église  de  Saint-Sulpice,  devant  un  au- 
ditoire qui  semblait  devoir  l'intimider,  est  d'une  beauté  sans*  taches  : 
notre  langue  française  n'a  pas  beaucoup  de  plus  beaux  morceaux.  Pour 
ce  qui  est  de  sa  doctrine,  on  y  trouve  les  erreurs  de  la  doctrine  catho- 
lique sur  l'incertitude  touchant  notre  salut,  et  sur  le  caractère  méri- 
toire de  l'aumône.  —  Voir  :  Le  Modèle  des  Prêtres,  par  l'abbé  Car- 
ron,  1805  ;  Y  Essai  du  cwdïna\ltlauY\;  7Jiog)-aphie  universelle  deMichaud. 

J.  Bastide. 
BRIDEL  (Louis)  est  né  à  Vevey  (Vaud)  en  1813.  Après  avoir  achevé 
ses  études  pour  le  ministère,  dans  l'académie  de  Lausanne,  au  milieu 
de  luttes  intérieures  douloureuses,  suivies  d'un  don  joyeux  de  son 
cœur  à  Dieu,  il  exerça  momentanément  des  fonctions  de  sufiïagant 
dans  l'Eglise  de  son  pays,  puis  partit  pour  Paris  en  1840.  D'abord 
placé  au  faubourg  du  Temple  en  qualité  d'évangéliste,  puis  associé  à 
la  direction  de  l'école  normale  d'instituteurs  fondée  par  la  Société 
évangélique,  il  fut  enfin  choisi  pour  être  l'un  des  prédicateurs  de  la 
chapelle  Taitbout.  L'auditoire  distingué  qui  s'y  réunissait  appréciait 
hautement  son  enseignement  et  l'entourait  d'une  approbation  vive  et 
sympathique.  Bridel  rendit  aussi  de  grands  servives  comme  membre 
des  comités  de  quelques  sociétés  religieuses  importantes,  et  plus  tard 
comme  membre  de  la  direction  de  Y  Union  des  Eglises  évangéliques. 
Rentré  dans  sa  patrie,  après  une  absence  de  quinze  années  (1855),  il 
consacra  toutes  les  forces  de  sa  belle  intelligence  à  l'Eglise  libre,  dont 
son  père,  le  vénéré  pasteur  Philippe  Bridel,  auteur  de  Méditations  sur 
les  sept  paroles  de  la  croix,  avait  été  l'un  des  fondateurs.  Comme  pas- 
teur adjoint  dans  l'Eglise  de  Lausanne,  comme  président  de  la  com- 
mission  des  études  de  l'Eglise  libre  vaudoise  et  comme  prédicateur 
itinérant,  Bridel  acquit  une  autorité  et  une  influence  dont  il  se  servit 
pour  If  bien  des  communautés  indépendantes  auxquelles  le  rattachaient 
ses  convictions  les  plus  chères.  Grâce  à  son  activité,  la  l'acuité  libre  de 
théologie  prit  un  développement  inattendu.  Elle  doit  à  ses  efforts  le 


432  BRIDEL   —  BRIE 

modeste  édifice  qui  l'abrite  aujourd'hui.  Bridel  fonda  aussi  le  Chrétien 
évangèlique  (1858),  revue  très-appréciée  qu'il  dirigea  jusqu'à  sa  mort. 
L'œuvre  de  î'évangélisation  de  l'Espagne  faisait  l'objet  de  ses  préoccu- 
pations les  plus  vives,  lorsqu'une  maladie  imprévue  contractée  à 
Nimes,  où  il  représentait  son  Eglise  auprès  du  synode  des  Eglises  libres 
de  France,  le  ravit  en  peu  de  jours  à  sa  famille  et  à  ses  amis  (1er  no- 
vembre 1866).  «  Comme  homme  et  comme  chrétien,  Bridel  possédait 
à  un  haut  degré  l'élévation,  la  fermeté,  la  droiture,  la  franchise,  la 
largeur  d'esprit  et  de  cœur  et  la  libéralité.  Mais  ce  qui  forme  peut-être 
le  caractère  le  plus  prononcé  de  sa  personnalité,  c'est  l'activité.  » 
Bridel  n'a  pasiaissé  d'écrits  importants;  il  faut  signaler  cependant  ses 
Trois  séances  sur  Paul  Rabaut  et  les  prot.  franc,  au  dix-huitième 
siècle,  1859  (voir  Chrétien  évangèlique,  1866,  p.  585-604). 

Louis  Ruffet. 
BRIE  (Eglises  de  la).  La  Brie  était  une  petite  province,   qui  faisait 
anciennement  partie  des  gouvernements  de  Champagne  et  de  l'Ile-de- 
France  et  avait  pour  capitale  Meaux.  Dès  1521  l'évêque  de  cette  ville, 
Guillaume  Briçonnet,  prêchait  ouvertement  les  doctrines  luthériennes 
et  appelait  pour  le  seconder  Le  Fèvre  (Fabri)  d'Etapbs,  docteur  en 
Sorbonne,  Faiel,  régent  au  collège  du  Cardinal-Lemoine,  et  les  doc- 
teurs Martial  et  Gérard  Roussel  (Ruffi).  Les  cordeliers  de  Meaux  n'ayant 
pas  tardé  à  persécuter  les  nouveaux  apôtres,  Martial,  qui  craignait  plus 
les  hommes  que  Dieu,  dissuada  Briçonnet  de  donner  suite  à  ses  projets 
de  réforme  et  même  se  rétracta  publiquement.  Il  mourut  chanoine  et 
pénitencier  de  Paris.  Le  Fèvre  se  retira  à  Blois,  puis  s'établit  à  Nérac, 
grâce  à  la  faveur  de  la  sœur  de  François  Ier,  la  célèbre  Marguerite  de 
Navarre,  qui  sauva  également  Roussel  d'une  mort  certaine.  Quant  à 
Farel,   après  avoir  séjourné  quelque  temps  à  Paris,  il  retourna  dans 
le  Dauphiné,  son  pays  natal.  Les  ouailles  de  l'évêque  de  Meaux,  quoi- 
que sans  instruction  (ils  étaient  pour  la  plupart  cardeurs  de  laine  et 
drapiers),  supportèrent   courageusement  la  persécution  et  offrirent  à 
Dieu  comme  les  prémices  des  martyrs,  selon  la  touchante  parole  de 
Bèze.    L'un   d'eux,   Jean   Leclerc,  fut  arrêté  et  flétri  par  la  main  du 
bourreau.   Un  an   après  il  mourait   martyr  à  Metz  (1524).  Le  jeune 
Jacques  Pavannes,  qui  avait  été  attiré  à  Meaux  par  l'évêque,  fut  brûlé 
vif  à  Paris  (1525).  Un  ermite,  qui  habitait  Livry,  subit  le  même  sort. 
La  semence  évangèlique  n'en  fructifia  pas  moins  dans  la  capitale  de 
la  Brie.  En  1546  les  luthériens  de  Meaux  (comme  on  les  appelait  pro- 
verbialement) dressèrent  une  Eglise  à  l'instar  de  celle  de  Strasbourg, 
que   plusieurs   d'entre   eux   allèrent   visiter,  et  élurent  pour  pasteur 
Pierre  Leclerc,   cardeur   de    laine    remarquablement  versé  dans    les 
Ecritures.  Une  cruelle  persécution  suivit  de  près.  Quatorze  luthériens 
furent  condamnés  au.  feu  par  le  parlement  de  Paris  (4  octobre  1546), 
et  exécutés  à  Meaux,  notamment  le  pasteur  Leclerc.  L'Eglise,  ébranlée 
par   ces   supplices,    se   reconstitua  en  1555   sous  le  ministère  de  La 
Chasse  et  prit  de  l'extension.  En  1559  ce  dernier  fut  remplacé  par  le 
breton  Du  Fossé,  qui  ne  tarda  pas  à  être  pris  et  condamné  à  mort.  Au 
dernier  moment  ses  amis  parvinrent  à  le  faire  évader.  Meon,  qui  vint 


BRIE  —  BRTBUC  433 

après  lui,  exerça  d'abord  ses  fonctions  en  cachette,  puis  en  public,  à 
partir  de  Ledit  de  janvier  1562.  —  La  Réforme  s'était  introduite  dans 
plusieurs  autres  lieux  de  la  Brie.  Leclerc,  en  quittant  Meaux,  en  1521,  la 
prêcha  à  Rozay.  Loisy  vit  son  Eglise  se  constituer. en  1561.  Jérémie 

Vallée,  son  pasteur,  fut  remplacé  à  cette  époque  par  Jean  Fournier, 
docteur  de  Sorbonne  converti,  dont  les  longues  souffrances  sont 
racontées  par  Bèze.  Les  églises  de  la  Rrie  souffrirent  beaucoup  des 
guerres  de  religion,  notamment  celle  de  Meaux  (1502),  mais  elles  se 
réorganisèrent  après  Ledit  de  Nantes  et  furent  rattachées  au  colloque 
de  Paris  et  à  la  province  synodale  de  Llle-de-France,  Brie,  Picardie, 
Champagne  et  pays  chartrain.  C'est  à  Lissy-en-Brie  que  se  tint  en  1682 
(ou  1083)  le  dernier  synode  de  la  province.  Il  offrit  ceci  de  particulier 
qu'au  commissaire  catholique,  chargé  par  le  roi  d'assister  aux  séan- 
ces, fut  adjoint  un  prêtre  catholique,  chanoine  de  l'église  cathédrale 
d'Arras.  Décimés  par  la  révocation  de  Ledit  de  Nantes,  les  protestants 
de  la  Brie  eurent  des  assemblées  du  désert  en  1700.  Inquiétés  à  ce 
sujet,  ils  s'adressèrent  à  Paul  Rabaut,  l'oracle  du  protestantisme  à 
cette  époque,  qui  leur  donna,  suivant  son  habitude,  des  directions 
pleines  de  prudence  et  de  fermeté.  En  1770,  nouvelle  et  plus  sérieuse 
persécution.  Le  pasteur  Charmusy  est  arrêté  en  chaire  à  Nanteuil-les- 
Meaux  et  conduit  en  prison,  où  il  meurt  au  bout  de  neuf  jours.  Son 
successeur  Broca  fut  emprisonné  de  même  àLagnyen  juin  1774;  mais  on 
le  relâcha  en  septembre.  Les  églises  de  la  Brie  avaient  encore  pour 
pasteurs  à  cette  époque  Briatte,  Bellanger,  Hervieux  et  Maurel.  Après 
la  loi  de  germinal  an  X,  qui  reconstitua  les  cultes,  elles  furent  réunies 
aux  églises  du  département  de  l'Aisne  et  formèrent  le  consistoire  de 
Monneaux,  bientôt  partagé  en  deux  :  le  consistoire  de  Meaux  et  celui 
de  Saint-Quentin.  —  Bèze,  Hist.  ecclés.;  Crespin,  Hist.  des  martyrs; 
Rabaut  le  jeune,  Annuaire  ou  réper t.  ecclés.;  Bulletin  de  la  Soc.de 
Vhist.  du  prot.  franc.,  1853,  p.  458.  E.  Arnaud. 

BRIET  (Philippe),  de  la  Société  de  Jésus  (1001-1008).  Géographe  et 
historien,  le  P.  Briet  entreprit  une  compilation  exacte  et  méthodique 
avec  des  cartes  remarquables,  sous  ce  titre  :  Parallela  geographiœ  veteris 
et  novec  (Paris,  1048  et  49,  3  vol.  in-4°).  Ces  trois  volumes  ne  renfer- 
ment que  l'Europe.  Le  manuscrit  de  l'Asie  et  de  l'Afrique  n'a  pas  été 
publié;  longtemps  égaré  après  la  suppression  des  jésuites,  il  a  été 
acquis  en  1811  par  la  Bibliothèque  nationale.  Briet  donna  encore  le 
Theatrum  geographicum  Europœ  veteris  (1053,  in-fol.).  En  histoire,  il 
publia  une  Chronique  universelle  où  il  suit  le  système  chronologique 
de  son  confrère  et  contemporain  le  P.  Péteau,  et  une  continuation  de 
1*  ibrégé  de  l' histoire  universelle  du  P.  Turselin,  qu'il  mena  de  1598  à 
1661,  ouvrage  aussi  élégant  pour  la  latinité  qu'inexact  dans  les  laits. 
briet  s"\  montre  plus  ultramontain  que  français.  Il  compléta  aussi  la 
Concordia  chronologica  du  P.  Labbe.  Tous  ces  travaux  historiques, 
ainsi  que  divers  essais  littéraires,  font  regretter  qu'il  ne  se  soit  pas 
exclusivement  consacré  à  la  géographie. 

BRIEUC  (Saint)  ou  Brioc,  né  en  Cornouailles,  dans. les  premières 
années  du  sixième  siècle,  appartenait  à  une  famille  puissante  de 
n.  28 


*84  BRIEUC    —  BRIGITTE 

païens  que  des  signes  et  des  visions  décidèrent  à  embrasser  la  foi 
chrétienne  et  à  consacrer  leur  enfant  au  Seigneur.  Ils  reçurent  tous  le 
baptême  des  mains  de  l'illustre  Germain  d'Auxerre,  venu  en  mission 
dans  la  Bretagne  pour  combattre  l'hérésie  pélagienne.  Après  avoir 
terminé  ses  études  à  Paris  et  reçu  en  549  la  prêtrise,  Brieuc  retourna 
dans  son  pays  natal  et  se  consacra  avec  succès  à  l'œuvre  de  l'évangé- 
lisation  parmi  ses  compatriotes.  Cédant  plus  tard  à  une  vocation 
irrésistible,  il  débarqua  dans  notre  Bretagne  avec  quatre-vingts  reli- 
gieux, et  bâtit  un  monastère  au  lieu  dit  «  la  Vallée  Double  »,  que 
lui  avait  cédé  Rignal,  après  avoir  défriché  le  sol  couvert  d'arbres 
séculaires  et  transformé  ces  lieux  solitaires  en  des  campagnes  couvertes 
de  moissons.  Il  mourut  en  614  et  fut  enseveli  dans  son  monastère, 
autour  duquel  se  groupèrent  quelques  habitations,  point  de  départ  de 
la  ville  de  Saint- Brieuc,  dont  l'évêchéfut  créé  en  844.  En  860  le  corps 
du  saint  fut  transporté  à  Angers,  lors  des  invasions  normandes.  L'in- 
scription retrouvée  sur  sa  châsse  en  1222  le  qualifie  d'évêque,  mais  il 
est  probable  qu'il  en  avait  simplement  le  titre  sans  résidence  fixe.  — 
Voir  :  Chanoine  La  De visou,  Vie  de  S.  B.,  1627;  Legrand,  Vies  des 
Saints  de  Bretagne  (très-crédule),  in-fol.,  Nantes,  1637;  Dom  Taillan- 
dier, Hist.  de  Bretagne,  Paris,  1756,  II,  LX VIII  ;  Gallia  Christ.,  XIV, 
1085. 

BRIGITTE,  la  sainte  Marie  d'Irlande,  née  en  467,  tille  d'un  barde 
de  la  province  cleLemster,  baptisée  à  l'âge  de  quatorze  ans  par  F  un  des 
disciples  de  saint  Patrick,  refusa  de  rentrer  dans  sa  famille  et  se  retira 
dans  une  épaisse  forêt  de  chênes,  sanctuaire  vénéré  des  druides.  Elle 
s'y  construisit  une  cellule  et  groupa  autour  d'elle  de  nombreuses  no- 
vices attirées  par  sa  piété  et  par  ses  miracles.  Son  monastère  Kildare, 
ou  la  Cellule  du  Chêne,  a  donné  peu  à  peu  naissance  à  la  ville  de  ce 
nom.  De  nombreux  couvents  adoptèrent  la  règle  qu'elle  avait  rédigée. 
Elle  mourut  en  525  et  fut  bientôt  canonisée.  Son  nom  fut  donné  à  des 
milliers  d'églises  du  continent  par  les  missionnaires  de  sa  patrie.  Invo- 
quée à  l'égal  de  la  Vierge,  les  nonnes  de  Kildare  entretinrent,  en  mé- 
moire d'elle,  un  feu  perpétuel  que  le  clergé  fit  éteindre  en  1222  pour 
couper  court  à  des  superstitions  grossières.  Ses  miracles  sont  aussi  fa- 
buleux que  ses  visions  sont  étranges,  toutes  pénétrées  qu'elles  sont  des 
souvenirs  du  druidisme.  Patronne  de  l'Irlande,  elle  a  été  jusqu'à  nos 
jours  l'objet  d'un  culte  national  (Todd,  Book  of  hymns  of  the  anc.  ch. 
oflr.,  1855).  Todd  a  traduit  plusieurs  des  hymnes  composées  en  son 
honneur. —  Voir  :  AA.  SS.,  feb.,  1, 99-183  ;  Montalembert,  Les  Moines 
d'Occident,  II,  418. 

BRIGITTE,  née  vers  1302,  appartenait  par  sa  famille  à  la  race  royale 
de  Suède.  Elle  manifesta  de  bonne  heure  sa  passion  pour  la  vie  monas- 
tique, qu'elle  continua  en  partie  après  son  mariage  avec  Wulpho  de 
Néricie,  et  entra  avec  lui  dans  le  tiers-ordre  de  Saint-François.  De  leurs 
huit  enfants,  l'aînée,  Catherine,  eut,  elle  aussi,  l'honneur  delà  canoni- 
sation. Adonnés  à  une  piété  vivante  et  pratique,  les  deux  époux  se 
consacrèrent  au  service  des  pauvres,  pour  lesquels  ils  lirent  construire 
voi  hôpital  dans  leur  patrie;  puis  ils  résolurent   d'entreprendre  un 


BRIGITTE  —  BRIQTJBMAULT  435 

pèlerinage  à  Saint-Jacques-de-Gompostelie.  Wulpho,  tombé  malade  au 
début  du  voyage,  retourna  en  Suède  et  entra,  avec  le  consentement  de 
sa  femme,  dans  un  couvent  de  l'ordre  de  Giteaux,  où  il  mourut  en 

1344,  avant  d  avoir  prononcé  ses  vœux.  Sa  veuve  s'abandonna  dès  lors 
aux  pratiques  de  l'ascétisme  le  plus  rigoureux  et  fonda  à  Wadstena, 
dans  le  diocèse  de  Sinkoeping,  un  couvent  pour  soixante  religieuses, 
qui  fut  Le  point  de  dépari  de  Tordre  de  Sainte-Brigitte  ou  de  Saint- 
Sauveur.  Cet  ordre,  confirmé  par  Urbain  VI  en  1370,  comprend  des 
moines  et  des  religieuses  sous  la  direction  de  rabbesse,  qui  représente 
la  Sainte  Vierge,  dont  il  a  pour  mission  spéciale  de  propager  le  culte. 
Cet  ordre,  très-répandu  dans  le  Nord  de  l'Europe,  a  jeté  quelques 
rameaux  dans  le  Sud  et  a  donné  OEcolampade  à  la  Réforme.  En  1346, 
Brigitte  se  rendit  à  Rome,  où  elle  fonda  une  maison  de  refuge  pour  les 
étudiants  et  les  pèlerins  de  son  pays,  et  y  mourut  en  1373,  après  avoir 
accompli  un  pèlerinage  à  Jérusalem.  Elle  fut  canonisée  parBonifacelX, 
dès  le  7  octobre  1393,  malgré  la  vive  opposition  de  Gerson.  Ses  visions, 
qu'elle  dicta  à  ses  deux  confesseurs,  inspirées  par  l'attachement  le 
plus  rigide  à  la  hiérarchie  catholique,  proclament  la  Conception 
immaculée  de  la  Vierge  et  mettent  dans  la  bouche  de  Jésus-Christ  les 
menaces  les  plus  sévères  contre  les  ennemis  du  célibat  des  prêtres  et 
de  la  hiérarchie  romaine.  Les  catholiques  eux-mêmes  y  reconnaissent 
l'influence  de  ses  directeurs  spirituels.  —  Voir  :  AA.  S  S.,  oct.,  IV, 
378  ss.;  Binet,  Vie  adm.  de  S.  È.,  Lille,  1624,  8°  ;  Chaldénius,  Dt'sp.  do- 

rrr.  S.  //..  Witt.,  171o,  4°.  A.  Paumier. 

BRILL  (Jacques)  [1639-1700],  mystique  hollandais,  auteur  d'une  qua- 
rantaine de  traités  populaires,  recueillis  et  publiés  en  1705  à  Amster- 
dam, et  traduits  en  allemand  en  1706  à  Leipzig.  Destitué  de  sa  cure  en 
Z(dande  à  cause  de  ses  tendances  panthéistes,  Brill  vécut  en  donnant 
des  leçons  et  en  répandant  sa  doctrine  par  ses  écrits.  Il  place  les  révé- 
lations de  la  lumière  intérieure  au-dessus  de  celles  de  la  Bible,  et 
demande  que  le  sacrifice  du  Christ  se  renouvelle  dans  chaque  chrétien, 
afin,  de  le  rendre  participant  de  la  nature  divine.  Poiret  fait  de  Brill 
un  grand  éloge  dans  sa  Bibliotheca  mysticorum  selecta,  1708. 

BRIQUEMAULT  (François  de  Beauvais,  seigneur  de),  un  des  chefs 
militaires  les  plus  distingués  du  parti  protestant  durant  les  premières 
guerres  de  religion.  Né  en  1502,  il  s'était  de  bonne  heure  signalé 
dans  la  guerre  d'Italie  comme  un  des  meilleurs  capitaines  et  avait 
mérité  d'être  fait  mestre  de  camp,  gentilhomme  ordinaire  de  la  chambre 
>.i  chevalier  de  Tordre  du  roi.  Liéd'étroite  amitié  avecColigny,  attaché 
à  la  cause  du  prince  de  Coudé,  il  se  dévoua  au  triomphe  des  doctrines 
évaogéliques,  sans  qu'on  pût  l'accuser  d'arrière-pensée  et  d'ambition: 
il  allait  leur  sacrifier  sa  vie.  Il  n'hésita  pas  à  se  prononcer  pour  la 
première  prise  d'armes,  et  après  avoir  cédé  à  Houen  le  commande- 
ment à  Montgommery,  pour  éviter  un  fâcheux  conflit,  il  se  rendit  avec 
derrières,  vidame  de  Chartres,  auprès  de  la  reine  Elisabeth  d'Angle- 
terre, pour  négocier  l'important  traité  de  llamptoncourl,  puis  il  vint 
rejoindre  Coligny  en  Normandie,  ef  peude  jours  plus  tard  il  reprenait 
Dieppe  sur  les  catholiques.  Dans  la  troisième  guerre  civile,   il   rend 


436  BRIQUEMAULT  —  BRITANNIQUES  (Iles) 

encore  les  plus  importants  services,  prêtant  son  appui  à  la  reine  Jeanne 
d'Albret  pour  gagner  La  Rochelle,  mettant  en  déroute  ravant-garde  de 
l'ennemi  avant  la  bataille  de  Jarnac  et  reprenant  ensuite  sur  le  duc 
d'Anjou  la  place  de  ce  nom.  11  prit  une  notable  part  à  l'affaire 
de  La  Roche-Abeille,  au  siège  du  château  de  Lusignan,  bientôt  après  à 
la  bataille  de  Moncontour,  et  il  déploya  dans  la  retraite  une  rare  éner- 
gie. Après  avoir  échoué  dans  une  tentative  pour  surprendre  Bourges,  il 
réussit  à  dégager  le  commandant  de  La  Chapelle  Augeron.  En  1570,  il 
répond  à  un  appel  de  l'amiral  et  fait  sa  jonction  avec  lui  à  Saint-Etienne, 
puis,   le  21  juin;  enfonçant  à  Aruay-le-Duc  le  corps  catholique  qui 

ui  était  opposé,  il  contribue  fortement  au  gain  de  cette  bataille  qui 
amène  le  traité  de  paix.  Aussi  loyal  que  brave,  Briquemault  croyait  en 

a  parole  du  roi,  et  il  partagea,  s'il  n'augmenta  même  la  fatale  con- 
fiance de  Coligny.  Quand  éclata  la  Saint-Barthélémy,  il  parvint  à  gagner, 
sous  un  déguisement,  l'hôtel  de  l'ambassadeur  d'Angleterre.  Charles  IX, 
sans  respect  pour  l'inviolabilité  de  cet  asile,  l'en  lit  arracher  et  le 
livra  au  parlement  avec  son  ami  Cavagnes.  S'il  faut  en  croire  deThou, 
qui,  âgé  de  dix-neuf  ans,  assista  au  prononcé  de  l'arrêt  dans  la  chapelle 
du  Palais,  Briquemault,  septuagénaire,  eut  alors  un  instant  de  faiblesse  ; 
mais  les  exhortations  de  Cavagnes,  qui  était,  au  contraire,  plein  de 
constance,  lui  eurent  bientôt  rendu  sa  fermeté  première.  Leur  fin  à  tous 
deux  fut  héroïque  autant  qu'horrible.  Traînés  sur  la  claie  par  les 
rues  et  accablés  d'ignobles  traitements  par  une  populace  forcenée,  ils 
furent  pendus  et  étranglés.  Leurs  cadavres  mêmes  ne  furent  pas 
soustraits  aux  outrages.  Pour  comble  d'ignominie,  Charles  IX,  nous  dit 
Brantôme,  avait  voulu  repaitre  ses  yeux  de  cet  affreux  spectacle  qui 
eut  lieu  aux  flambeaux,  comme  une  curée,  et  il  y  lit  assister  le  roi 
de  Navarre,  qu'il  obligea  à  prendre  place  ensuite  à  la  collation 
qu'on  avait  préparée  à  l'Hôtel-de-Ville,  comme  pour  une  fêle.  L'arrêt, 
qui  est  du  27  octobre  1572,  confisquait  en  outre  tous  leurs  biens  et 
déclarait  leur  postérité  infâme  et  déchue  de  tous  droits.  Mais  l'épée  des 
protestants  déchira,  en  157(5,  cette  odieuse  sentence  et  força  Henri  III  à 
réhabiliter  la  mémoire  des  victimes  de  1572.  Briquemault  avait  épousé, 
en  1534,  Renée  de  Jaucourt,  dont  il  eut  trois  fils  et  une  fille.  L'ainé, 
Jean,  fournit  une  carrière  militaire  digne  de  son  nom  et  périt  en  1590. 

Ch.  Eead. 
BRITANNIQUES  (Iles).  Le  Royaume-Uni  de  Grande-Bretagne  et  d'Ir- 
lande avait,  au  recensement  de  1871,  une  population  de  31,845,379 
habitants.  La  statistique  religieuse  ne  peut  considérer  ce  pays  comme 
une  unité.  Ses  différentes  parties  ont  pour  cela  une  organisation  reli- 
gieuse trop  différente.  11  faut  donc  passer  successivement  en  revue  les 
trois  royaumes  que  comprennent  les  Iles  Britanniques.  —  A.  Angle- 
terre et  Galles.  Population  totale  :  22,712,266  âmes.  Un  grand  nombre 
de  dénominations  religieuses  se  partagent  l'Angleterre.  Mais  on  ne  sau- 
rait donner  le  chiffre  exact  des  adhérents  de  chacune.  Les  recense- 
ments officiels  ne  contiennent  pas  de  renseignements  à  ce  sujet  et  se 
contentent  de  relever  le  nombre  de  places  contenues  dans  les  édifices 
religieux  de  chaque  culte.  Nous  allons  passer  en  revue  les  principaux 


BRITANNIQUES  (Iles)  437 

groupes  ecclésiastiques  delà  contrée.  —  1.  Eglise  anglicane.  \<>us  n'avons 
à  nous  en  préoccuper  ici  qu'au  point  de  vue  toutextérieur  de  la  statis- 
tique. Les  évaluations  autorisées  donnent  à  l'Eglise  anglicane  17,781,000 
membres  en  Angleterre  et  dans  le  pays  de  Galles.  D'autres  réduisent  ce 
nombre  à  celui,  plus  probable,  de  12,700,000.  Cette  Eglise  est,  au  sens  le 
plus  strict  du  mot,  une  Eglise  d'Etat.  Le  souverain  en  est  le  chef  suprême, 
el  les  autorités  ecclésiastiques  tiennent  de  lui  leur  pouvoir.  Il  nomme 
directement  les  évêques  d'un  certain  nombre  de  sièges;  pour  les  autres, 
une  lettre  royale  remet  au  doyen  et  au  chapitre  le  soin  de  l'élection, 
mais  désigne  en  même  temps  la  personne  qui  doit  être  élue.  La  cou- 
ronne a  ('gaiement  le  patronage  d'un  très-grand  nombre  de  doyennés 
et  de  cures.  La  hiérarchie  se  compose  de  2  archevêques  et  de  27  évê- 
ques. Voici  la  liste  des  diocèses:  1.  Archevêché  de Cantorbéry  :  évêchés 
suffragants  :  1°  Londres,  2'  Winchester,  3"  Llandatt",  4-1  Norwich, 
5°  Bangor,  6°  Worcester,  7°  Gloucester  et  Bristol,  8"  Liclrîield,  9°  Here- 
ford,  10'  Pcterborough,  11°  Lincoln,  12°  Salisbury,  13°  Bath  et  Wells, 
14°  Exeter,  15°  Oxford,  16°  Chichester,  17°  Saïnt-Asaph,  18°  Ely, 
19°  Saint-David,  20'  Kochester,  21°  ïruro  (ce  dernier  diocèse,  créé 
en  1871)  par  démembrement  du  diocèse  d' Exeter,  n'est  pas  encore 
organisé).  2.  Archevêché  d'York  :  évéchés  suffragants  :  1°  Uurham, 
2"  Ripon,  3°  Chester,  4°  Carlisle,  5°  Manchester,  (3°  Sodor  et  Man.  Les 
titulaires  de  presque  tous  ces  sièges  sont  de  droit  membres  de  la  Cham- 
bre des  lords.  Ces  diocèses  sont  très-inégaux  en  étendue  et  en  popula- 
tion. Tandis  que  l'évêque  de  Londres  a  sous  sa  juridiction  près  de 
3,000,000  d'àmes,  celui  de  Sodor  et  Man  en  a  à  peine  50,000.  Chaque 
prélat  a  pour  l'assister  dans  le  gouvernement  de  son  diocèse  un  cha- 
pitre composé  d'un  doyen,  de  quatre  à  six  chanoines  titulaires,  et 
d'un  nombre  variable  d'ecclésiastiques,  chanoines  honoraires,  chape- 
lains, etc.  Les  diocèses  se  divisent  en  archidiaconés,  ceux-ci  en  doyen- 
nés, formés  eux-mêmes  de  plusieurs  paroisses,  dont  les  pasteurs  ont  les 
titres  de  recteurs,  de  vicaires,  de  curés  perpétuels  ou  de  curés.  Le 
clergé  compte  71  archidiacres,  715  doyens  et  environ  15,000  pasteurs 
en  fonctions  dans  10,000  lieux  de  culte  renfermant  6,000,000  de  sièges. 
Le  droit  de  nomination  appartient  à  des  patrons  qui  désignent  la  per- 
sonne à  qui  doit  être  donné  le  bénéfice.  La  couronne,  le  prince  de 
(ialles,  le  lord  chancelier,  îe  chancelier  du  duché  de  Lancastre,  les  ar- 
chevêques  et  évêques,  les  doyens  et  les  chapitres,  les  archidiacres,  les 
universités  sont  patrons  d'un  très-grand  nombre  de  cures;  dans  d'au- 
tres le  même  droit  appartient  à  des  particuliers;  on  évalue  le  nombre 
de  ceux  qui  jouissent  de  ce  droit  dans  une  ou  plusieurs  paroisses  à 
3,850.  L'Eglise  peut  être  réunie  en  concile  ou  convocation  dans  cha- 
cun.' des  deux  provinces  ecclésiastiques;  mais  les  décisionsde  ces  con- 
vocations ne  sont  valables  qu'après  avoir  reçu  l'approbation  du  souve- 
rain. L'Eglise  anglicane,  ayant  pris  la  succession  de  l'Eglise  catholique 
en  Angleterre,  en  a  retenu  des  biens  considérables.  Aussi  le  haut 
clergé  a-t-il  des  traitements  très-considérables.  L'archeyêque  de  Can- 
torbéry touche  15,000  livres  (375,000  IV. i,  celui  d'York  10,000 
(250,000fr.  ;  lès  évêques  ont  en  moyenne  environ  5,000  livres  (125,000  f.) 


438  BEITANNIQUES  (Iles) 

chacun.  Dans  le  clergé  inférieur,  il  y  a  eneore  beaucoup  de  beaux  trai- 
tements; mais  beaucoup  aussi  sont  déplorablement  minimes,  et  c'est 
le  plus  souvent  dans  les  paroisses  où  la  charge  est  la  plus  lourde  que  le 
traitement  est  le  moindre.  Le  traitement  moyen  peut  être  évalué  à 
200  livres  (5,000  fr.). —  2.  Les  Presbytériens  de  diverses  dénominations, 
en  grande  majorité  en  Ecosse,  sont  relativement  peu  nombreux  en  An- 
gleterre où  ils  ont  environ  200  lieux  de  culte  avec  80,000  sièges.  — 
3.  Les  Indépendants  ou  Congrégationalistes  forment  un  des  groupes 
ecclésiastiques  les  plus  considérables  de  l'Angleterre.  Ils  ont  environ 
3,500  temples  avec  1,200,000 sièges.  —  4.  Les  Baptistes,  tant  généraux 
que  particuliers,  tant  baptistes  du  septième  jour  que  baptistes  écossais 
et  baptistes  de  la  nouvelle  association,  ont  plus  de  2,500  lieux  de  culte 
pouvant  contenir  700,000  personnes.  —  5.  La  Société  des  quakers  ou 
amis  se  réunit  dans  380  locaux  ayant  ensemble  90,000  sièges.  — 
6.  Les  Unitaires  ont  230  lieux  de  réunion  avec  65,000  places.  —  7.  Les 
Frères  moraves,  32  temples  avec  environ  9,000  sièges.  —  8.  Les  Métho- 
distes ivesleyens  sont,  après  l'Eglise  établie,  la  dénomination  la  plus 
nombreuse  de  la  contrée.  Ils  ont  environ  9,000  lieux  de  culte  pouvant 
renfermer  plus  de  2,000,000  de  personnes.  Mais  ils  ne  sont  pas  unis 
entre  eux  et  se  subdivisent  en  plusieurs  groupes,  dont  les  principaux 
sont  l'association  originelle,  la  nouvelle  association,  les  méthodistes 
primitifs,  les  chrétiens  bibliques, l'association  méthodiste  wesleyenne, 
les  méthodistes  indépendants,  les  wesleyens  réformés,  etc.  —  9.  Les 
Méthodistes  calvinistes,  dont  les  diverses  fractions  possèdent  1,000  tem- 
ples avec  250,000  places.  Il  y  a  encore  beaucoup  d'autres  petites  con- 
grégations ayant  environ  700  lieux  de  culte  renfermant  140,000  sièges. 
Ce  sont  quelques  Églises  étrangères,  luthériens,  réformés  français,  alle- 
mands et  hollandais,  puis  une  multitude  de  petites  sectes  dont  plusieurs 
ont  choisi  des  noms  bizarres,  tels  que  calvinistes  supralapsaires,  millé- 
naires, prédestinériens,  prédestinériens  trinitaires,  association  chré- 
tienne, chrétiens  orthodoxes,  nouveaux  chrétiens,  disciples  du  Christ, 
chrétiens  primitifs,  chrétiens  du  Nouveau  Testament,  chrétiens  origi- 
naux, chrétiens  unis,  pèlerins  de  l'Evangile,  chrétiens  du  libre  Evangile, 
chrétiens  de  l'amour,  réfugiés  de  l'Evangile,  chrétiens  libre-penseurs, 
chrétiens  du  doute, méthodistes  bienveillants,  chrétiens  israélites,  stephe- 
nites,  inghamites,  wesleyens  de  la  tempérance,  chrétiens  de  la  tempé- 
rance, libre-penseurs,  progressistes  rationalistes,  etc.,  etc.  —  10.  Les  Ca- 
tholiques anglais  sont  au  nombre  de  2,000,000  environ.  On  s'est  beau- 
coup inquiété  depuis  quelques  années  des  progrès  que  fait  en  Angleterre 
l'Eglise  romaine.  A  en  croire  certains  écrits,  la  Grande-Bretagne  serait 
sur  le  point  de  retomber  sous  la  domination  du  pape.  Si  les  progrès 
sont  certains,  du  moins  les  exagère-t-on  beaucoup.  On  dit  notamment 
que  l'aristocratie  rentre  en  masse  dans  le  sein  de  l'Eglise  catholique. 
Certainement,  il  y  a  eu  quelques  conversions  de  grands  seigneurs  ; 
mais  elles  sont  peu  nombreuses.  Sur  501  pairs  du  Royaume-Uni,  il  y  a 
26  catholiques;  sur  652  membres  de  la  Chambre  des  communes, 
50  sont  catholiques,  représentant  tous  des  districts  irlandais  ;  pas  un 
catholique  n'a  été  élu,  ni  en  Angleterre,  ni  en  Ecosse,  ni  dans  le  pays 


BRITANNIQUES  (Iles)  439 

de  Galles.  Enfin,  sur  environ  800  baronnets,  on  compte  17  catholiques, 
on  le  voit,  l'heure  d'être  inquiet  parait  encore  éloignée.  Ce  qui  a  pu 
donner  lieu  à  la  méprise,  c'est  la   rapide  extension  qu'a   |»risc  depuis 

quelque  temps  le  développement  de  la  hiérarchie.  Lors  de  la  Réfor- 
mation, ceux  des  évèques  anglais  qui  refusèrent  de  s'y  associer  furent 
expulsés  OU  emprisonnés.  Le  dernier  d'entre  eux,  Thomas  Goldwell, 
évêque  de  Saint-Asaph,  mourut  en  1585.  Jusqu'à  la  tin  du  seizième 
siècle,  les  catholiques  anglais  lurent  privés  de  chef  spirituel.  En  1598, 
le  pape  nomma  un  archiprêtre  d'Angleterre  qui  fut  pendant  vingt- 
einq  ;ws  le  chef  de  ses  coreligionnaires.  Le  23  mars  1()23,  Grégoire  XY 
créa  un  vicariat  apostolique  d'Angleterre,  qui  subsista  jusqu'en  1655. 
Supprimé  [tendant  les  troubles  politiques,  il  fut  rétabli  sous  le  règne  de 
Jacques  II,  en  1685,  divisé  en  deux  en  1687,  et  enfin,  profitant  dès 
bonnes  dispositions  du  monarque,  le  pape  Innocent  XI  forma  de 
l'Angleterre,  le  30  janvier  1688,  quatre  vicariats  apostoliques,  adminis- 
trés pardesévêques  inpartibus;  c'étaient  les  vicariats  de  Londres,  du  Cen 
tre,  du  Nord  et  de  l'Ouest.  Cette  organisation  se  maintint  pendant  un 
siècle  et  demi,  sans  recevoir  de  nouveaux  développements.  Ce  ne  fut 
que  le  30  juillet  1840  que  le  pape  Grégoire  XVI  remania  cette  division 
et  établit  8  districts,  ceux  de  Londres,  de  l'Ouest,  de  l'Est,  du  Centre, 
du  pays  rie  Galles,  du  Lancashire,  de  l'Yorkshire  et  du  Nord.  Enfin 
dix  ans  plus  tard,  le  29  septembre  1850,  le  pape  Pie  IX  rétablit  complè- 
tement la  hiérarchie  en  Angleterre.  Depuis  ce  moment,  le  pays  forme  la. 
province  ecclésiastique  de  Westmister.  L'archevêque  a  sous  lui  12  évo- 
ques sulïragants,  ceux  de  Beverley,  de  Birmingham,  de  Clifton,  de 
Il  \ham  et  Newcastle,  de  Liverpool,  de  Newport  et  Meneria,  de  Nort- 
hampton,  de  Nottingham,  de  Plymouth,  de  Salford,  de  Shrewsbury  et 
de  Southwark.  Chaque  évêque  est  assisté  d'un  vicaire  général  et  d'un 
chapitre  de  8  à  10  chanoines.  Le  clergé  comprend  1,828  prêtres,  qui 
desservent  1,076  chapelles  (décembre  1876).  — 11.  On  évalue  à  45,000 
le  nombre  des  Juifs. 

B.  Ecosse.  Population  totale  :  3,360,018.  —  1.  L Eglise  nationale  d'E- 
cosse diffère  beaucoup  de  celle  d'Angleterre;  tandis  que  celle-ci  est 
épiscopale,  celle-là  est  presbytérienne,  et  les  tentatives  faites  autrefois 
pour  la  rendre  épiscopale  ont  toujours  rencontré  une  invincible  résis- 
tance. Cette  Eglise  comprenait  autrefois  la  presque  totalité  des  habitants 
du  pays.  .Mais  la  séparation  de  1843 lui  a  enlevé  près  de  la  moitié  de  ses 
membres.  Elle  ne  compte  plus  aujourd'hui  que  1,473,000  membres  en- 
viron (1871).  Charpie  paroisse  élit  un  conseil  d'Eglise  ou  Kirk  Session, 
composé  du  ou  des  pasteurs  et  d'un  certain  nombrede  laïques;  ce  conseil 
maintient  la  discipline  et  intervient,  quoiqueavec  bien  des  restrictions, 
dan- h-  choix  des  pasteurs.  Plusieurs  paroisses  réunies  forment  un  pres- 
bytère, an  nombre  de  81  dans  le  royaume.  La  réunion  de  plusieurs 
presbytères  forme  un  synode.  L'Ecosse  forme  16  synodes:  l°Lothian  et 
JVeeddale,  2°Merse  etTeviotdale,  3°  Dumfries,  4°  Galloway,  5°  Glasgow 
etAyr,  6°  Argyll,  7°  Perth  el  Stirling,  8°  Fife,  9°  Angus  et  Mearne, 
10-  Aberdeen,  Il  Moray,  12°  Ross,  L3°Sutherland  et  Caithness,  14°  Gle- 
nelg,  15'  Orcades,  16"  Shetland.  Enfin  au-dessus  des  synodes  se  trouve 


440  BRITANNIQUES  (Iles) 

rassemblée  générale  de  l'Eglise  d'Ecosse  qui  se  réunit  à  Edimbourg- 
pendant  dix  jours  tous  les  ans.  Elle  se  compose  de  386  membres 
délégués  des  Eglises  ayant  à  leur  tête  un  modérateur  élu  par  l'assemblée 
et  un  lord  haut  commissaire  désigné  par  le  souverain.  Cette  constitu- 
tion est,  on  le  voit,  essentiellement  démocratique  et  le  principe  de 
l'élection  s'y  retrouve  à  tous  les  degrés.  Cependant,  par  une  étrange 
inconséquence,  le  droit  de  patronage  y  a  longtemps  fleuri  sans  res- 
triction et  avec  tous  ses  abus.  Il  est  aujourd'hui  ramené  dans  des 
limites  acceptables;  néanmoins  il  présente  encore  bien  des  inconvé- 
nients. On  ne  trouve  pas  dans  l'Eglise  établie  d'Ecosse  les  gros  traite- 
ments que  l'on  rencontre  en  Angleterre.  Les  pasteurs  reçoivent  en 
moyenne  150  livres  (3,750  fr.).  — 2.  L'Eglise  libre  d'Ecosse  s'est  séparée  de 
l'Eglise  nationale,  en  1843,  à  propos  des  querelles  que  suscitait  la  ques- 
tion du  patronage.  Elle  compte  environ  740,000  membres  et  a  adopté 
toute  la  constitution  de  l'Eglise  nationale,  à  l'exception  du  patronage. 
Elle  comprend  aujourd'hui  932  paroisses  groupées  en  71  presbytères  et 
16  synodes.  Son  budget,  fourni  tout  entier  par  des  cotisations  vo- 
lontaires, s'est  élevé  en  1868  à  395,554  livres  (10,000,000  de  francs). 
Le  traitement  des  pasteurs  est  à  peu  près  le  même  que  dans  l'Eglise 
nationale.  Ils  font  leurs  études  dans  les  trois  facultés  de  théologie 
d'Edimbourg,  de  Glasgow  et  d'Aberdeen.  —  3.  V Eglise  presbyté- 
rienne urne  s'est  séparée  de  l'Eglise  nationale  vers  le  milieu  du  siècle 
dernier.  Elle  compte  31  presbytères  avec  594  paroisses,  623  ministres, 
4,466  anciens,  172,930  communiants.  Son  revenu  annuel,  fourni  par 
les  souscriptions  de  ses  membres,  s'élève  à  275,107  livres  (près  de 
7,000,000  de  francs).  —  4.  Petites  Eglises  diverses  :  Eglise  presbyté- 
rienne réformée  :  6  presbytères,  44  paroisses;  Eglise  réformée  presby- 
térienne d'Ecosse  :  2  presbytères,  10  paroisses  ;  Synode  des  séparatistes 
unis:  4  presbytères.  27  paroisses;  Union  des  Eglises  congrégationa- 
listes  d'Ecosse:  95  paroisses;  Union  évangélique  et  Eglises  affiliées: 
77  congrégations  ;  Eglises  baptistes  d'Ecosse:  92  pasteurs;  Eglise  mé- 
thodiste ivesleyienne  :  35  pasteurs  ;  Eglises  unitaires  d'Ecosse  :  5  pa- 
roisses. —  5.  Eglise  épiscopale  d'Ecosse,  7  évêchés  :  1°  Moray,  Ross  et 
Caithness;  2°  Edimbourg;  3°  Argyll  et  les  iles;  4°  Brechin;  5°  Saint- 
André  Dunkeld  et  Dunblane  ;  6°  Aberdeen  et  Orcades  ;  7°  Glasgow 
et  Galloway.  Cette  Eglise,  peu  nombreuse  (73,200  âmes),  est  impor- 
tante, par  le  fait  que  presque  toute  la  noblesse  et  les  classes  supé- 
rieures s'y  rattachent.  Le  clergé  est  proportionnellement  très- nom- 
breux et  dessert  173  paroisses.  —  6.  Eglise  catholique.  Le  dernier  pré- 
lat de  l'ancienne  hiérarchie,  James  Betoun,  archevêque  de  Glasgow, 
était  mort  en  1603,  lorsque  le  pape  Urbain  VIII  créa  en  1629  une  pré- 
fecture apostolique  en  Ecosse.  En  1694,  cette  préfecture  fut  transfor- 
mée en  vicariat  apostolique.  Divisée  en  deux  districts,  Lowland  et 
Highland,  au  mois  de  février  1731,  elle  forma  enfin  le  13  février  1827 
les  trois  vicariats  apostoliques  de  l'Est,  de  l'Ouest  et  du  Nord.  La  po- 
pulation catholique  est  évaluée  à  320,000  personnes ,  réparties  dans 
239  paroisses,  desservies  par  260  prêtres.  —  7.  On  évalue  à  6,400  le 
nombre  des  juifs  établis  en  Ecosse. 


BRITANNIQUES   (Iles)  —  BRITTO  441 

C.  Friande.  Recensement  de  1871  :  Population  totale,  5,412,377  : 
catholiques  romains.  1,150,867;  anglicans,  667.979;  presbytériens, 
197,648;  méthodistes,  £3,441;  membres  d'antres  sectes,.  52,442. — 
1.  UEglise  catholique,  qui  renferme,  comme  on  le  voit,  L'immense 
majorité  du  peuple  irlandais,  a  subi,  depuis  le  seizième  siècle,  de 
nombreuses  el  étranges  persécutions,  et,  depuis  peu  d'années  seule- 
ment. cllt1  jouit  dune  liberté  à  peu  près  complète.  La  hiérarchie  n'a 
cependant  jamais  été  interrompue.  Elle  se  compose  de  4  archevêques 
et  de  24  évêques.  L°  Archevêché  d'Armagh  (455).  Suffragants  :  évê- 
chés  d'Ardagh  [1152),  Clôgher  (vers  506),  Derry  (1158),  Down  et  Con- 
nor  (499),  Dromore  (vers  510),  Kilmore  (1136),  Meath  (vers  520),  Ra- 
phœ  (885).  2°  Archevêché  de  Dublin  (neuvième  siècle).  Suffragants: 
évéebés  de  Feras  (632l,  Kildare  et  Leighlin  (sixième  siècle),  Ossory 
I sixième  siècle».  3°  Archevêché  de  Cashel  et  Emly  (1152).  Evêchés 
suffragants  :  Cloyne  (septième  siècle),  Cork  (septième  siècle),  Kerry  et 
Aghadoe  (onzième  siècle),  Killaloe  (septième  siècle),  Limerick  (1106), 
Ross  (1849),  Waterford  et  Lismore  (1096).  4°  Archevêché  de  Tuam 
(1150,  évêché  dès  le  sixième  siècle).  Suffragants  :  Achonry  (1152), 
Clonfert  i^iS),  Elphin  (cinquième  siècle),  Galway  (26  avril  1831),  Kil- 
lola  (sixième  siècle) ,  Kilmaeduagh  et  Kilfenora  (septième  siècle). 
—  L' Eglise  anglicane  a  été,  pendant  des  siècles,  l'Eglise  établie.  Ses 
prélats  et  ses  pasteurs  touchaient  des  prébendes  souvent  énormes  et 
n'avaient  presque  pas  de  paroissiens.  Dans  beaucoup  de  localités, 
pour  deux  ou  trois  familles  anglicanes,  on  trouvait  un  pasteur  rétri- 
bué sur  le  pied  de  15  à  20,000  francs  par  an.  Et  ce  qui  rendait  l'abus 
plus  sensible,  c'est  que  ces  traitements  étaient,  pour  la  plus  grande 
partie,  fournis  par  des  redevances  que  payait  la  population  catholique. 
Aussi  cet  état  de  choses  était-il  l'un  des  griefs  les  plus  marqués  de  l'Ir- 
lande contre  l'Angleterre,  et  les  esprits  libéraux  étaient-ils  depuis  long- 
temps d'accord  avec  les  catholiques  pour  remédier  à  cette  situation. 
Ce  n'est  cependant  qu'en  1871  que  la  réforme  put  être  effectuée  et  que 
l'Eglise  épiscopale  perdit  ses  privilèges  en  Irlande.  Il  ne  semble  pas 
quelle  en  ait  souffert  au  point  de  vue  spirituel.  La  vie  religieuse  et 
l'esprit  de  sacrifice  paraissent,  au  contraire,  y  avoir  gagné.  La  hiérar- 
chie se  compose  de  2  archevêchés  :  1°  Armagh  et  Clogher  ;  2°  Dublin 
et  Kildare.  et  de  10  évêchés  :  1°  Meath;  2°  Ossory,  Feras  et  Leigh- 
lin :  '.\  Cashel,  Emly,  Waterford  et  Lismore;  4°  Down,  Connor  et  Dro 
more;  5°  Killalol,  Kilfenora,  Clonfert  et  Kilmacduagh;  6°  Cork,  Cloyne 
et  Ross;  7°  Limerick,  Ardfort  et  Aghadt;  8°  Tuam,  Killala  et  Achonry; 
0°  Derry  et  Raphœ;  10°  Kilmore,  Elphin  et  Ardagli. — Quant  aux 
autres  dénominations  de  chrétiens  irlandais,  nous  manquons  de  ren- 
seignements suffisants  pour  en  parler  ici.  —  Bibliographie  :  Almanach 
de  Gotha,  1877;  Martin,  The  StatesmansYéarbockj  1877;  British  Impé- 
rial Calender,  1870;  British  Almanac  and  Companion,  1877;  Census  of 
England  and  Wales  fort  the  y.ear  1871;  New-Edinburg  Almanach, 
187.'i  ;  The  Glergy  List  for  1873;  The  Catholic  Directory,  ecclesiastical 
Register  and  Almanach,  1877,  etc.,  etc. 

11.  \  A.UCHEB. 


442  BRITTO  -   BROGLIE 

BRITTO  (Jean  de)  [1647-16931,  page  de  l'infant  D.  Pierre  de  Portugal, 
entra  dans  la  compagnie  de  Jésus  en  1674,  et  se  distingua  comme 
missionnaire  dans  l'Inde  où  il  mourut  martyr  de  son  zèle,  après  avoir 
opéré  de  nombreuses  conversions.  Il  fut  béatifié  le  21  août  1853. 

BROCARD,  dominicain  allemand.  On  ne  connaît  ni  son  prénom,  ni 
le  lieu  de  sa  naissance,  ni  les  dates  exactes  de  sa  vie.  Il  visita  la  Pales- 
tine vers  1280,  ainsi  que  Fa  démontré  M.  Victor  Le  Clerc,  et  non  pas 
vers  1230,  comme  l'avancent  ses  divers  biographes.  La  relation  qu'il 
laissa  de  ce  voyage,  qui  dura  plus  de  dix  ans,  est  extrêmement  curieuse 
parle  mélange  de  naïveté  et  de  circonspection  qui  caractérise  l'auteur. 
Philippe  le  Bon,  duc  de  Bourgogne,  l'avait  fait  traduire  du  latin  en 
français  en  1457.  Elle  fut  imprimée  pour  la  première  fois  en  1475, 
dans  le  Uudimentum  noviciorum,  espèce  d'encyclopédie  historique 
publiée  à  Lubeck  en  2  volumes  in-folio.  Le  texte  de  Brocard,  cons- 
tamment mutilé  dans  ses  reproductions  successives,  n'a  pas  moins  de 
quatre  rédactions  différentes.  Il  était  déjà  altéré  dans  l'édition  de 
Venise  (1519,  in-8°)  qui  se  donne  faussement  pour  la  première  im- 
pression de  l'ouvrage.  Celle  d'Anvers  (1536,  in-8°)  en  retrancha 
presque  tout  ce  qui  n'est  pas  géographique,  c'est-à-dire  la  partie  la 
plus  intéressante.  Enfin  celle  de  Cologne  (1624,  in-8°)  fut  donnée  sous 
le  nom  du  cordelier  normand  Bonaventure  Brochard,  qui  visita  la 
Terre-Sainte  en  1533  et  dont  la  relation  manuscrite  est  à  la  Biblio- 
thèque nationale.  On  avait  déjà  confondu  Brocard  avec  un  Burchardde 
Strasbourg  qui  fit  le  même  voyage  vers  1175  (voir  la  belle  étude  de 
M.  V.  Le  Clerc  sur  Brocard  clans  le  t.  XXI  de  Y  Histoire  littéraire  de  la 
France,  p.  180-215). 

BROGLIE  (Maurice- Jean-Madeleine  de).  Fils  du  maréchal  de  Broglie 
et  grand-oncle  du  duc  Albert  de  Broglie,  sénateur  actuel,  il  naquit  en 
1766  au  château  de  ce  nom.  Il  était  au  séminaire  de  Saint-Sulpice  au 
commencement  de  la  Révolution,  et  il  conseillait  à  son  père,  alors 
émigré,  de  revenir  en  France  pour  prêter  son  aide  à  ce  qu'il  appelait 
la  régénération  nationale,  mais  il  ne  tarda  pas  à  aller  le  rejoindre  à 
Berlin.  Le  roi  de  Prusse  le  nomma  prévôt  du  chapitre  de  Posen.  Rentré 
en  France  en  1803,  il  devint  peu  après  aumônier  de  l'empereur,  puis 
évêque  d'Acqui  en  Piémont,  d'où  il  fut  transféré  sur  sa  demande,  en 
1807,  à  Tévêché  de  Gand.  Les  éloges  dont  il  comblait  alors  Napoléon, 
et  qui  allaient  jusqu'à  célébrer  son  amour  pour la  paix,  ne  furent  égalés 
que  par  la  haine  qu'il  lui  montra  dans  la  suite.  Forcé  par  les  événe- 
ments de  se  déclarer  gallican  ou  ultramontain,  M.  de  Broglie  se  mit  à 
la  tête  de  ce  dernier  parti.  Il  refusa,  en  1810,  la  décoration  de  la  Légion 
d'honneur  pour  ne  pas  prêter  le  serinent  de  l'ordre.  En  1811,  il  fut, 
avec  les  évêques  de  Troyes  et  de  Tournay,  le  principal  auteur  du  refus 
que  le  concile  de  Notre-Dame  opposa  au  gouvernement,  désireux 
d'établir  l'institution  des  évêques  par  l'Eglise  de  France,  en  dehors  de 
l'intervention  du  pape.  Enfermé  aussitôt  avec  ses  deux  collègues  au 
donjon  de  Vincennes,  il  donna  comme  eux  sa  démission  pour  en 
sortir  et  fut  interné  à  Beaune,  puis  dans  l'ile  Sainte-Marguerite.  En 
1813,  l'empereur  ayant  nommé  M.  d'Osmond  évêque  de   Gand,   on 


BROGLIE  443 

obtint  de  M.  de  Broglie  un  nouvel  engagement,  plus  explicite  que  le 
premier,  de  ne  plus  se  mêler  de  l'administration  «le  son  ancien  dio- 
cèse :  déclaration  qu'il  signa  le  S  juillet  à  Dijon,  mais  qui  ne  l'em- 
[)r(  ha  pas  de  reprendre  possession  de  son  siège  après  la  chute  de  l'em- 
pire. De  nouvelles  tribulations  l'attendaient.  Le  congrès  de  Vienne 
ayant  réuni  la  Belgique  à  la  Hollande,  .M.  de  Broglie  donna  le  signal  de 
la  résistance  des  catholiques  à  un  ordre  de  choses  qui  les  soumettait  à 
un  souverain  protestant.  Il  fallut  l'intervention  du  pape  pour  qu'il  se 
résolût  à  ordonner  les  prières  publiques  pour  le  roi.  11  refusa  le  ser- 
ment de  fidélité  au  roi  et  à  la  constitution  qui  reconnaissait  également 
tmi>  les  cultes,  déclarant  que  «  jurer  de  maintenir  la  liberté  des  opi- 
nions religieuses  et  la  protection  égale  accordée  à  tous  les  cultes  n'est 
autre  chose  que  jurer  de  maintenir,  de  propager  Terreur  contre  la 
vérité.  »  11  résuma  ses  vues  sur  ce  point  dans  une  foule  d'écrits  signés 
de  ses  collègues  et  approuvés  par  le  pape.  Son  opposition  aux  lois  sur 
l'enseignement  ne  fut  pas  moins  intransigeante.  Mais  déjà  le  Jugement 
dort  final  des  évêquessur  le  serment  prescrit  avait  décidé  le  gouvernement 
à  prendre  des  mesures  de  rigueur,  et  le  8  novembre  1817,  la  cour 
d'appel,  jugeant  par  contumace,  condamna  M.  de  Broglie  à  la  dépor- 
tation. Il  s'était  déjà  réfugié  en  France.  Cette  seconde  vacance  du  siège 
de  Gand,  du  vivant  de  son  titulaire,  amena,  comme  la  première,  dans 
Ce  diocèse  une  série  de  difficultés  légales  qui  touchaient  de  près  à  la 
persécution  et  qui  ne  se  dénouèrent  que  par  la  mort  de  l'évêque, 
arrivée  à  Paris  le  20  juillet  1821.  P.  Roufcet. 

BROGLIE  (Albertine  de  Staël,  duchesse  de),  naquit  le  8  juin  1797. 
Son  enfance  et  sa  première  jeunesse  se  passèrent  à  Paris,  à  Coppet  et 
dans  l'exil.  Ses  nobles  facultés,  son  àme  sérieuse  et  tendre  se  dévelop- 
pèrent sous  des  influences  diverses.  L'esprit  de  son  illustre  mère  avait 
éveillé  chez  elle  dès  l'enfance  le  goût  le  plus  vif  pour  les  plaisirs  de 
l'intelligence.  Accoutumée  aux  entretiens  des  hommes  éminents  de 
tous  les  pays,  bien  jeune  encore  elle  sut  tout  comprendre,  tout  appré- 
cier.  On  était  frappé,  en  la  voyant,  de  l'expression  vraiment  idéale  de 
sa  physionomie.  Elle  était  plus  que  belle  ;  elle  rayonnait  de  pureté,  de 
grâce.  On  devinait  en  elle  une  créature  d'élite,  bénie  de  Dieu,  desti- 
née à  répandre  le  bonheur  et  à  faire  aimer  tout  ce  qui  est  beau  et 
divin.  Mariée  le  20  février  1810  au  duc  Victor  de  Broglie,  elle  connut  le 
bien  inappréciable  d'une  intime  union  avec  un  noble  cœuret  un  grand 
esprit.  Tout  son  être  sembla  s'élever  encore  au  milieu  des  joies  et  des 
douleurs  de  la  vie.  La  mort  de  sa  mère,  en  1817,  fut  pour  elle  un  coup 
que  1rs  années  purent  à  peine  amortir.  Protestante  de  naissance,  de 
plus  en  plus  chrétienne  de  conviction,  sa  pensée  et  les  besoins  de  son 
àme  avaient  accueilli  l'Evangile  comme  le  salut  des  simples  et  des  petits. 
N»ii  Erère,  te  baron  Auguste  de  Staël,  arrivé  lui-même  à  la  foi  chré- 
tienne avec  toute  la  sincérité  d'une  nature  fone  et  généreuse,  exerça 
sur  madame  de  Broglie  une  de  ces  influences  quisont  une  aide  puissante 
pour  traverser  les  doutes  et  les  anxiétés,  dont  la  route,  pour  arriver  ;'i 
la  foi,  se  trouve  souvent  hérissée.  On  voit  dans  la  touchante  notice 
qu'elle  écrivit  après  la  mort  de  son  frère,  quels  liens  étroits  de  foi  et 


AU  BROGLIE  —  BROMLEY 

d'espérance  les  unissaient.  Madame  de  Broglie  s'occupait  avec  zèle  et 
intérêt  des  œuvres  chrétiennes  ;  elle  recherchait  la  société,  l'entretien 
des  personnes  pieuses,  même  les  plus  humbles.  Un  mot  sorti  de  leur 
cœur  et  allant  trouver  le  sien,  répandait  sur  son  visage  une  expression 
de  bonheur.  Ceux  qui  ont  eu  le  privilège  de  la  voir  dans  quelque  simple 
réunion  de  prière  et  d'édification,  ne  l'oublieront  pas.  Madame  la  du- 
chesse de  Broglie  succomba  le  22  septembre  1838  à  une  fièvre  cérébrale. 
Le  deuil  l'ut  profond,  non-seulement  dans  sa  famille  et  dans  le  monde  où 
elle  avait  occupé  une  place  brillante,  mais  encore  parmi  ses  frères  en 
la  foi  de  tout  rang  et  de  toute  culture,  qu'elle  avait  aimés  et  édifiés 
par  sa  piété.  Tous  se  sentirent  frappés  et  comme  découronnés.  Fort 
liée  avec  l'éminent  Ërskine,  dont  la  foi  et  le  savoir  ont  laissé  tant  de  traces 
en  Ecosse  et  sur  le  continent,  madame  de  Broglie  avait  traduit  trois 
de  ses  ouvrages,  et  ouvert  ainsi  à  bien  des  âmes  une  source  pure  d'é- 
dification. Après  sa  mort,  un  volume  a  été  publié,  sous  le  titre  de  Frag- 
ments, où  se  trouvent  réunis  des  écrits  divers  qui  tous  témoignent  du 
sérieux,  de  l'élévation  de  son  âme  et  de  la  portée  d'un  esprit  qui  ne  se 
plaisait  à  prendre  son  essor  que  dans  les  hautes  sphères  religieuses.  En 
voici  les  titres  :  Préface  à  l' Histoire  des  Quakers  de  Clarkson;  Préfaces  aux 
trois  ouvrages  d'Ershine;  Notice  sur  le  baron  de  Staël;  Notice  sur  un 
ouvrage  de  M.  E .  Diodati  :  Essai  sur  le  christianisme  ;  le  Caractère  du 
Christ;  Paraphrase  de  la  parabole  de  l'Enfant  prodigue;  Sur  les  associa- 
tions bibliques  de  femmes,  182i. 

BROMLEY  (Thomas)  naquit  àWorcester  en  1629  et  mourut  en  1691. 
Elevé  par  des  parents  pieux  dans  la  crainte  de  Dieu,  il  alla  à  Oxford 
étudier  la  théologie,  et  il  conserva  même  un  fellowship  du  AU  Soul's 
Collège,  aussi  longtemps  que  dura  le  protectorat  de  Cromwell,  qui 
assurait  la  prédominance  des  Indépendants.  Il  devint  de  bonne  heure 
disciple  du  théosophe  Jacob  Bœhme,  dont  il  exagéra  même  la  tendance, 
en  refusant  de  s'unir  à  une  Eglise  et  en  déclarant  le  mariage  une  con- 
dition inférieure  dont  les  parfaits  devaient  s'abstenir.  Il  forma  toute- 
fois, avec  une  vingtaine  de  personnes  engagées  comme  lui  dans  les 
voies  du  haut  mysticisme,  une  association  mystique  connue  sous  le 
nom  de  Société  de  Philadelphie.  La  Restauration  l'ayant  privé  de  son 
felloivship,  il  alla  de  lieu  en  lieu  prêcher  le  prochain  avènement  du 
Christ,  ((  le  commencement  de  l'Evangile  éternel,  »  et  la  réapparition 
des  dons  miraculeux  de  l'âge  apostolique.  Dans  un  ouvrage  qu'il 
publia  sous  ce  titre  :  Révélations  qui  sont  communément  appelées  extra- 
ordinaires, il  essaye  de  prouver  que  l'Eglise  n'a  été  privée  en  aucun 
temps  de  révélations  extraordinaires  et  que  tous  les  chrétiens  peuvent 
en  être  favorisés.  Joignant  la  pratique  à  la  théorie,  il  eut  des  visions  et 
publia  des  prophéties,  sous  la  forme  de  Dix  traités  mystiques.  Ses  prin- 
cipaux ouvrages  sont  Le  Chemin  vers  le  Sabbat  du  Repos  {The  Way  to 
llie  Snbbath  ofRcst),  et  ses  Quatre-vingt-quatorze  E  pitres  à  ses  bons  amis 
(XCIV  Evangelical  Epistles  to  hisgood  friends).  Dans  son  Traité  con- 
cernant le  voyage  des  enfants  d'Israël,  il  se  livre  à  une  allégorisation  à 
outrance,  qui  faisait  partie  d'ailleurs  des  procédés  exégétiques  de  son 
temps.  Malgré  de  nombreuses  infirmités,  il  continua  à  prêcher  jusqu'à 


BROMLEY  —  BROUSSAIS  445 

trois  semaines  avant   sa  mort.  Ses  oeuvres  ont  paru  à    Francfort  et 
Leipsick,  L719-1732,  en2  volumesin-8°.  Matth.  Lbuèvbe. 

BROSSE  (Salomon  de),  célèbre  architecte  parisien.  Une  erreur  sécu- 
laire l'a  affublé  du  faux  prénom  de  J<k-</iu>s  que  lui  ont  donné  jus- 
qu'ici tontes  les  biographies,  tons  les  actes* historiques.  D'autre  part, 
ces  mêmes  biographies  lui  consacraient  à  peine  quelques  lignes, 
témoignant  qu'on  ne  savait  rien  des  particularités  de  sa  vie,  pas  même 
le  lieu  ni  la  date  de  sa  naissance  et  de  sa  mort,  et  qu'il  fallait  se 
bornera  signaler  quatre  ou  cinq  des  édifices  principaux  que  lui  devait 
la  ville  de  Paris.  En  1855,  nous  publiâmes  la  découverte  que  nous 
venions  de  faire,  dans  les  registres  de  l'ancien  cimetière  protestant 
de  la  rue  des  Saints-Pères,  de  l'acte  d'inhumation,  à  la  date  du  9  dé- 
cembre 1()2(),  d'un  «  Salomon  de  Brosse,  architecte  de  la  reine-mère  et 
du  roi  »  {Bull,  de  la  Soc.  d'Hist.  du  Protest,  franc.,  IV,  631),  et  nous 
démontrâmes  que  c'était  bien  le  même  personnage  que  celui  que  tou- 
jours on  avait  jusqu'ici  faussement  dénommé  Jacques.  Ce  même  acte 
nous  apprit  qu'il  était  natif  de  Verneuil,  et  nous  acquîmes  la  preuve 
qu'il  s'agissait  de  Verneuil-sur-Oise.  Poursuivant  nos  recherches,  dans 
ces  mêmes  registres  et  ailleurs,  nous  parvînmes  à  constater  que  Salo- 
mon de  Brosse, déjà  marié  en  1588  à  Fleurance  Mestivier,sœur  d'unarchi- 
tecte  du  roi,  avait  eu  :  1°  un  fils,  Paul,  également  devenu  architecte  du 
roi  et  ainsi  qualifié  en  1()20;  2°  cinq  filles,  dont  une,  Madeleine,  épousa 
Pierre  Le  Blanc  de  Beaulieu,  avocat  au  parlement  et  frère  du  ministre 
de  Senlis  ;  une  autre,  Catherine,  épousa  Gédéon  de  Petau  ;  une  autre, 
Judith,  épousa  Jean  de  Sorbière.  Deux  filles  de  Paul  de  Brosse,  Anne  et 
Florence,  épousèrent  en  1044,  à  Verneuil,  deux  frères  :  César  et 
Antoine  de  Montdésir,  seigneurs  de  Lucy-le-Bocage,  au  diocèse  de 
Soissons.  Enfin  Madeleine  de  Brosse  épousa  en  1634  François  Hotman, 
sieur  de  la  Tour,  fils  d'Hotman-Villiers  et  petit-fils  de  l'illustre 
François  Hotman.  On  voit  que  Salomon  de  Brosse  avait  été  en  situation 
de  procurer  à  ses  enfants  les  plus  honorables  alliances.  11  est  lui-même 
qualifié  dans  les  actes  «  noble  homme  Salomon  de  Brosse,  sieur  du 
Plessis,  etc.  »  Nous  avons  trouvé  à  Verneuil  un  petit  manoir,  dit  de 
St  Quentin,  évidemment  bâti  par  lui,  et  dont  il  devait  aussi  porter  le 
titre.  Sa  famille  ne  resta  pas  protestante,  car  les  actes  qui  concernent 
ses  descendants  sont  dans  les  registres  de  la  paroisse  catholique  de  Ver- 
neuil. L'œuvre  architecturale  de  Salomon  de  Brosse  est  considérable  et 
montre  en  lui  un  digne  successeur  des  grands  architectes  de  la  Renais- 
sance.  Il  fit  plus  qu'aucun  autre  artiste  pour  le  Paris  monumental  des 
règnes  de  Henri  IV  et  de  Louis  XIIL  Outre  de  grands  travaux  au  château  de 
Monceaux,  on  lui  doit  le  palais  du  Luxembourg,  la  grande  salle  des 
Pas  Perdus  du  Palais  de  Justice,  l'aqueduc  d'Arcûeil,  le  portailde  Saint- 
(iervais.  la  porte  principale  de  l'hôtel  de  Soissons,  les  châteaux  de 
Coulommiers  el  de  Blérancourt,  le  palais  du  parlement  de  Bretagne  à 
Rennes,  etc.  C'estluiqui  avait  élevé  pour  ses  coreligionnaires  Le  second 
et  fameux  temple  de  Charenton,  démoli  à  la  révocation  de  l'édit  de 
Nantes.  CH.  Kead. 

BROUSSAIS.  Vovez  Sensualisme. 


446  BROUSSON 

BROUSSON  (Claude),  docteur  en  droit,  avocat,  pasteur  du  Désert  et 
martyr,  né  à  Nîmes  en  16^7,  mort  à  Montpellier  en  1698.  Brousson 
étudia  à  Nîmes.  Docteur  en  droit,  il  exerça  la  profession  d'avocat  d'a- 
bord à  Castres  et  à  Castelnaudary,  chambre  mi-partie,  puis  à  Toulouse. 
La  défense  des  Eglises  protestantes  fut  toujours  son  souci.  Dans  deux 
circonstances  mémorables,  en  défendant  les  ministres  de  Montauban, 
prisonniers  à  Toulouse,  et  plus  tard  quatorze  églises  qu'on  voulait  dé- 
truire, il  montra  son  courage  et  son  attachement  à  la  cause  persécutée. 
Cette  période  est  peut-être  la  plus  triste  pour  le  protestantisme  fran- 
çais. Il  y  avait  dans  les  rangs  des  réformés  des  hésitations,  des  fai- 
blesses, une  mollesse  telle  qu'on  semblait  prêt  à  tout  supporter  et  que 
le  terme  «  patience  de  huguenot  »  passa  en  proverbe.  Devant  les  pro- 
jets audacieux  et  avoués  de  la  cour,  la  destruction  complète  des  Eglises 
et  la  révocation  de  redit  de  Nantes,  c'en  était  fait  du  protestantisme,  si 
des  hommes  de  foi  et  d'énergie  n'avaient  pas  réveillé  le  zèle  de  leurs 
frères.  Dans  la  maison  de  Claude  Brousson,  les  députés  laïques  envoyés 
par  le  Languedoc,  les  Cévennes,  le  Vivarais  et  le  Dauphiné,  les  «  seize 
directeurs  »  résolurent  de  rouvrir  les  temples  et  de  célébrer  le  culte  là 
où  il  avait  été  arbitrairement  interdit.  Ce  ne  fut  pas  sans  avoir  adressé 
à  Louis  XIV  les  plus  humbles  remontrances  que  les  directeurs  se  déci- 
dèrent à  la  résistance  et  à  l'action.  Leurs  respectueuses  supplications 
furent  écartées  avec  dédain.  C'est  alors  que  la  conscience  huguenote 
se  réveilla  puissante  et  que  les  réformés  affirmèrent  leur  résolution 
d'obéir  à  Dieu  plutôt  qu'aux  hommes.  La  cour  envoya  les  troupes 
contre  les  protestants.  La  lutte  eut  lieu  d'abord  dans  le  Dauphiné,  puis 
dans  le  Vivarais,  et  enfin  dans  les  Cévennes.  On  ne  relit  pas  de 
pareilles  atrocités  sans  que  l'indignation  et  la  honte  vous  prennent  à 
l'âme.  Brousson  avait  pu  se  réfugier  à  Lausanne ,  où  il  exerçait  la 
profession  d'avocat.  Il  fut  chargé,  à  cette  époque,  d'une  mission 
à  Berlin,  auprès  de  l'électeur  de  Brandebourg,  et  il  adressa  aux 
princes  protestants  un  projet  d'union  pour  le  salut  de  l'Eglise  réfor- 
mée. Mais  les  souffrances  de  ses  frères  émurent  son  cœur  :  il  ne 
put  résister  à  l'appel  de  sa  conscience,  et,  par  un  dévouement 
sublime,  il  renonça  à  toutes  les  douceurs  de  la  vie  pour  aller  évan- 
géliser  les  persécutés.  Périlleux  apostolat,  où,  à  chaque  instant,  il 
fallait  être  prêt  au  sacrifice  de  son  existence.  Brousson  fut  consacré 
dans  les  Cévennes  ;  aussitôt  il  commença  dans  le  Languedoc  son 
oeuvre  de  missionnaire.  Basville  mit  sa  tête  à  prix  par  deux  fois: 
le  26  novembre  1691,  au  prix  de  deux  mille  livres,  et  le  26  juin  1693, 
au  prix  de  cinq  cents  louis  d'or.  Ainsi  traqué  et  dans  l'impossibilité 
d'exercer  avec  quelque  fruit  son  ministère,  il  passa  en  Suisse,  puis  en 
Hollande,  où  sa  consécration  fut  régularisée.  Mais  son  àme  était  tout 
entière  à  ses  frères,  dont  il  entendait  au  loin  les  sanglots.  Il  rentra  en 
France,  évangélisa  le  Nord,  les  Ardennes,  la  Normandie,  les  Eglises  au 
nord  de  la  Loire,  la  Bourgogne.  Découvert  et  poursuivi,  il  put  échap- 
per par  la  Suisse  et  gagner  la  Hollande.  Il  revint  bientôt,  rentra  par  le 
Jura,  visita  le  Dauphiné,  où  éclataient  «  les  merveilles  de  Dieu  par  les 
petits  prophètes  »,  puis  le  Vivarais  et  les  Cévennes.  De  nouveau  (1698) 


BROUSSON   —   BROWNE  117 

Basviile  mit  sa  tête  à  prix  pour  si\  cents  louis  d'or.  La  manière  dont  à 
chaque  instant  il  échappe  à  la  mort  tient  du  prodige.  Il  traverse  les 
Gévennes,  se  rend  dans  le  Castrais,  avec  le  désir  dès  longtemps  caressé 
de  se  diriger  vers  les  Eglises  du  Poitou  ;  mais,  par  une  imprudence,  à 
Pau.  il  se  laisse  découvrir,  il  est  livré  par  un  traître  et  est  arrêté  à  Olé- 
ron.  Basviile  réclame  sa  victime  à  l'intendant  Pinon.  Brousson  esl  en 
effet  transféré  de  Pau  à  Montpellier.  Le  pasteur  du  Désert  subit  le  mar- 
tyre à  Montpellier  le  1  novembre  1()98.  En  1701,  à  Utrccht,  on  a  im- 
primé, sons  le  titre  de  :  Lettres  et  Opuscules^  les  principales  pièces  de 
Brousson  adressées  aux  Eglises  et  aux:  puissances,  notamment  la  Lettre 
apologétique  à  Basviile  et  les  Lettres  aux  fidèles  persécutés.  Le  livre  im- 
portant de  Brousson  est  :  «  La  Manne  mystique  du  Désert,  ou  sermons 
prononcés  en  France  dans  les  déserts  et  les  cavernes  durant  les  ténè- 
bres de  la  nuit  et  de  l'affliction,  pendant  les  années  1689-1693,  »  Ams- 
terdam, in-8°.  Tous  les  livres  de  Brousson  sont  fort  rares;  mais  on 
en  a  une  idée  suffisante  par  les  extraits  et  réimpressions  qui  se  trou- 
vent dans  le  Bulletin  du  Protestantisme  français.  Voici  dans  cet  excel- 
lent recueil  ce  qui  concerne  Brousson  :  deux  sonnets  sur  sa  mort,  t.  II, 
p.  356;  son  dossier,  II,  286;  son  portrait,  son  signalement,  sa  tète  mise 
à  prix,  VII,  3;  sa  lettre  à  Basviile,  VII,  5;  détails  biographiques,  VIII, 
o27  ss.  ;  lettre  au  roi  sur  les  persécutions,  VIII,  586;  ses  sermons,  frag- 
ments de  la  Manne  mystique  du  Désert,  VIII,  594  ss.,  606  ss.  ;  lettres 
conservées,  Genève,  XI,  86;  détails  sur  son  martyre,  XXI,  148  ss.  et 
197. — Voyez  Borrel,  Biographie  de  Claude  Brousson,  Nîmes,  1852;  Bay- 
nes,  The  Evangelist  of  the  Désert,  Londres,  1853;  de  Polenz,  article  de 
Y  Encyclopédie  de  Herzog;  Haag,  France  protestante .  A.  Viguié. 

BROWNE  (Robert),  théologien  puritain  anglais,  fondateur  de  la 
secte  des  Brownistes,  appartenait  à  une  bonne  famille  du  Rutlandshire 
et  était  parent  du  lord  trésorier  Burghley.  Né  vers  1550,  il  lit  ses  études 
à  Cambridge  où  il  se  fit  remarquer  par  son  caractère  peu  endurant  et 
par  son  opposition  à  la  hiérarchie  et  à  la  liturgie  anglicanes.  Après 
avoir  été  chapelain  du  duc  de  Norfolk,  puis  lecturer  à  Islington,  près 
Londres,  il  prit,  à  Norwich,  la  direction  d'une  Eglise  indépendante 
formée  surtout  d'anabaptistes  hollandais.  Ses  convictions  séparatistes 
étaient  de  plus  en  plus  accentuées,  et  il  les  propageait  avec  une  grande 
ardeur.  Associé  à  un  maître  d'école  nommé  Harrison,  il  parcourait 
la  contrée  formant  partout  où  il  le  pouvait  des  communautés  consti- 
tuées selon  le  type  qu'il  croyait  conforme  à  l'Ecriture.  Ses  discours 
avaient  un  grand  succès,  et  ses  vues,  qui  répondaient  aux  secrets 
instincts  d "opposition  des  masses,  étaient  accueillies  avec  empresse- 
ment. Lévèque  de  Norwich,  le  docteur  Freke,  grand  ennemi  des  puri- 
tains, le  lit  emprisonner  :  ce  n'était  pas  la  première  fois  que  Browne 
allait  en  prison,  el  ce  ne  fut  pas  la  dernière.  Il  se  vantait,  s'il  faut  en 
croire  Fuller,  «  d'avoir  séjourné  dans  trente-deux  prisons,  dans  plu- 
sieurs desquelles  il  n'eût  pas  pu  voir  sa  main  en  plein  midi.  »  Sous  le 
règne  d'Elisabeth,  il  suffisait  d'être  non-conformiste  pour  être  exposé 
à  être  incarcéré  sous  le  moindre  prétexte.  Relâché  grâce* à  l'interven- 
tion de  lord  Burghley,  Browne  se  remit  à  prêcher.  Menacé  de  nouveau, 


448  BROWNE  —  BRUCH 

il  passa  en  Hollande  avec  Harrison  et  une  cinquantaine  de  ses  parti- 
sans, et  s'établit  à  Middlebourg,  où  il  fonda  une  Eglise  d'après  les 
principes  qu'il  exposa  dans  un  livre  publié  alors  sous  ce  titre  :  The 
Life  and  Manners  of  ail  true  Christians ;  and  how  unlike  they  are  ta 
Turks  and  Papists,  and  Heathen  Folk.  Browne  y  oppose  la  vraie  Eglise, 
royaume  de  Christ,  à  la  fausse,  royaume  de  l'Antéchrist,  celle-ci  jouis- 
sant de  l'appui  du  magistrat  civil.  La  séparation  est  un  devoir  sacré 
pour  les  chrétiens.  L'Eglise,  reconstituée  sur  ses  vraies  bases,  a  des 
pasteurs,  des  instructeurs  (teachers),  des  anciens,  des  diacres,  des 
veuves  ou  diaconesses;  elle  a  de  plus  son  presbytère  (eldershi/j),  où  se 
traitent  les  affaires  de  l'Eglise.  C'est,  à  peu  de  chose  près,  le  système 
congrégationaliste,  non  sans  quelque  mélange  de  presbytérianisme. 
Revenu  en  Angleterre  à  la  suite  de  pénibles  contestations  avec  ses  par- 
tisans, Browne  tenta,  en  1584,  de  porter  ses  idées  en  Ecosse,  où  il 
entra  en  lutte  à  la  fois  avec  les  presbytériens  et  avec  les  épiscopaux. 
Après  avoir  fait  connaissance  avec  les  prisons  écossaises,  il  revint  en 
Angleterre,  où  il  fut  bientôt  cité  à  comparaître  devant  l'archevêque  de 
Canterbury,  à  cause  de  certaine  publication  malsonnante.  Il  essaya  alors 
de  se  faire  oublier  et  passa  quelques  années  dans  la  retraite  chez  son 
père.  Mais  le  démon  de  la  controverse  ne  tarda  pas  à  le  reprendre,  et 
il  recommença  à  attaquer  avec  violence  l'Eglise  établie  et  à  faire  des 
prosélytes.  Ayant  refusé  de  se  rendre  à  la  citation  de  l'évéquedePeter- 
borough  (1590),  il  fut  excommunié,  et  certains  auteurs  affirment  que 
cette  censure  publique  l'impressionna  si  vivement  qu'il  renonça  à  ses 
principes  de  séparatisme  et  lit  sa  soumission.  Quels  qu'aient  été  les 
motifs  de  ce  changement,  il  n'est  que  trop  certain  qu'il  eut  lieu,  et 
que  cet  ardent  adversaire  de  l'Eglise  établie  finit  par  devenir  l'un  de 
ses  ministres.  11  est  probable  que  ce  qui  l'effraya  plus  que  l'excommu- 
nication lancée  contre  lui,  ce  fut  l'exécution  de  deux  de  ses  partisans. 
Robert  Browne  n'avait  évidemment  aucun  goût  pour  le  martyre,  mais 
par  contre  il  avait  un  goût  très-prononcé  pour  l'agitation,  et  sa  ren- 
trée dans  le  giron  de  l'établissement  officiel  ne  marqua  pas  la  fin  de 
ses  tourments.  Vers  la  lin  de  sa  vie,  il  eut  encore  à  lutter  avec  les  auto- 
rités; emprisonné  à  Northampton,  il  mourut  en  prison  en  1630,  âgé 
de  quatre-vingts  ans.  Ses  partisans  ne  le  suivirent  pas  dans  sa  soumis- 
sion. Réorganisés  par  F.  Robinson,  ils  conquirent,  sous  le  nom  d'Indé- 
pendants, la  liberté  religieuse,  et  le  jeu  des  révolutions  plaça  môme  le 
pouvoir  dans  leurs  mains.  Leur  grand  principe  demeura  l'indépen- 
dance absolue  de  l'Eglise  locale,  au  sein  de  laquelle  fonctionnait  le 
pur  régime  démocratique.  —  Sources  :  Neal,  History  of  the  Puritans; 
Fuller,  Cliurch  History  ;  Fletcher,  History  of  Independency. 

Matth.  Lelièvre. 
BRUCH  (Jean-Frédéric)  [1792-1874],  originaire  dePirmasens  (Bavière 
rhénane),  descendait  d'une  ancienne  famille  de  huguenots  français  du 
nom  de  Bruyère.  Il  fit  ses  études  à  Strasbourg,  passa  six  années  à 
Paris  en  qualité  de  précepteur,  fut  nommé  en  1821  professeur  au  sémi- 
naire protestant  et  à  la  faculté  de  théologie  de  Strasbourg,  fonctions 
qu'il  exerça  avec  une  grande  conscience  jusque  peu  de  temps  avant 


BRUCII  —  BRUEYS;  449 

sa  mort.  Il  y  joignait  celles  de  prédicateur  et,  depuis  L848,  d'inspec- 
teur ecclésiastique  et  de  membre  du  directoire  de  l'Eglise  de  la  Con- 
fession d'Augsbourg  en  France.  Grâce  à  la  double  autorité  de  sa  haute 
position  et  de  son  caractère  noble  et  bienveillant,  il  présida  pendant 
plus  d'un  demi-siècle  aux.  destinées  de  L'Eglise  d'Alsace.  Sa  ten- 
dance était  celle  du  rationalisme  austère  de  Kant,  tempéré  par  un 
certain  idéalisme  esthétique  plutôt  que  mystique.  Outre  plusieurs 
recueils  de  sermons  et  de  conférences  apologétiques  sur  le  chris- 
tianisme, qui  se  distinguent  par  la  pureté  classique  de  la  forme, 
Bruch  a  publié,  en  langue  allemande,  plusieurs  ouvrages  de  philoso- 
phie religieuse,  parmi  lesquels  nous  relèverons  la  Doctrine  des  attri- 
buts de  Dieu  (1842),  le  Traité  de  la  Sagesse  chez  les  Hébreux  (1851),  la 
Doct rine  de  la  préexistence  de  Vâme  (1859)  et  la  Théorie  de  la  conscience 
(180V).  Son  gendre,  M.  Gerold,  a  publié  une  notice  biographique  de 
./.-/•'.  Bruch,  Strasb.,  1874. 

BRUEYS  (David-Augustin  de),  écrivain  polémique  et  auteur  drama- 
tique, né  à  Aix,  en  1640,  de  famille  protestante.  Reçu  avocat,  il  re- 
nonça au  barreau  pour  les  études  théologiques  et  les  belles-lettres. 
Après  avoir  épousé  la  sœur  du  célèbre  Barbeyrac,  il  se  fixa  à  Mont- 
pellier. 11  avait  quarante  ans  lorsque  parut  Y  Exposition  de  la  doctrine 
catholique,  de  Bossuet.  Il  se  mit  à  l'œuvre  pour  la  réfuter,  et  le  fit  avec 
talent  dans  sa  Réponse  à  Monsieur  de  Condom  (1681).  Désarmer  un  tel 
adversaire,  et  le  gagner  à  la  cause  qu'il  venait  de  combattre  avec  éclat,' 
en  faire  un.  apostat  et  un  auxiliaire  contre  l'hérésie,  Bossuet  le  tenta 
aussitôt  et  il  y  réussit  sans  grande  peine.  Brueys  ne  sut  pas  résister  à 
l'ascendant  ou  aux  flatteries  de  l'évêque  de  Condom,  aux  faveurs  du 
roi  et  aux  pensions  du  clergé.  Il  consentit  à  abjurer,  en  1682;  il  fit 
plus  :  étant  devenu  veuf  peu  de  temps  après,  il  se  mit  en  état  de  recevoir 
la  tonsure  des  mains  de  son  convertisseur,  en  1683.  Son  zèle  de  néophyte 
se  déploya  bientôt  avec  excès  dans  des  ouvrages  pleins  d'acrimonie, 
dirigés  contre  ses  ex-coréligionnaires.  Il  put  bien  les  outrager,  les  re- 
présenter comme  des  ingrats  qui  méconnaissaient  le  gouvernement  pa- 
ternel de  Louis  XIV,  qui  se  révoltaient  contre  leurs  bienfaiteurs  ;  mais, 
chose  remarquable,  il  ne  put  parvenir  à  se  combattre  lui-même,  à 
mettre  à  néant  la  réfutation  qu'il  avait  d'abord  publiée  du  livre  de 
Bossuet,  et  où  il  avait  démontré  que  cet  évêque  rendait  lui-même  un 
témoignage  irréfragable  en  faveur  de  la  religion  réformée.  Ses  prin- 
cipaux écrits  turent  :  Défense  du  culte  extérieur  de  l'Eglise  catholique, 
où  l'on  mm/ire  aussi  les  défauts  qui  se  trouvent  dans  le  service  public  de 
la  />.  /'•  /•'..  etc.  (1685);  Réponse  aux  plaintes  des  Protestants  centre 
les  moyens  que  l'on  emploie  en  France  pour  les  réunir  à  l' 'Eglise,  où 
l'un  réfute  les  calomnies  qui  sont  contenues  dans  le  livre  intitule  :  La 
Politique  I"  clergé  de  Troua'  (1686);  Histoire  du  fanatisme  de  notre 
temps,  et  le  dessein  que  l'on  avait  en  Fronce  de  soulever  les  mécontents  des 
Calvinistes  (1692);  Suite  de  l  Histoire  du  fanatisme  de  notre  temps,  oit 
l'ien  voit  les  derniers  tnml>li-<  des  Cévennes  (1709-1713).  L'exagération  et 
la  mauvaise  loi  qui  entachent  cet  ouvrage  ont  mis  le  comble  au  mau- 
vais renom  <pi<'  s'était  l'ait  l'auteur.  Tout  en  prenant  la  soutane  et  en 
n.  29 


450  BRUEYS  —  BRUNELLESCO 

faisant  de  la  controverse  comme  un  père  de  sa  nouvelle  Eglise,  Brueys 
avait  senti  naitre  en  lui  une  autre  vocation,  celle  du  théâtre,  et  il  s'é- 
tait mis,  comme  un  autre  Racine,  à  composer  des  tragédies  :  Gabinie 
(1699),  Asba,  Lysimachus  ;  puis  des  comédies  :  V Opiniâtre,  le  Grondeur, 
le  Muet,  V  Important,  les  Empiriques,  etc.  Son  arrangement  de  Y  Avocat 
Pathelin  est  resté  longtemps  au  répertoire.  On  sait  qu'il  eut  pour  colla- 
borateur Palaprat.  Il  mourut  à  Montpellier  le  27  novembre  1723,  lais- 
sant une  mémoire  fort  décriée,  et  à  juste  titre.  Ch.  Kead. 

BRUMOY  (Pierre)  [1688  1742].  Selon  l'habitude  de  ses  confrères,  ou 
plutôt  selon  la  méthode  de  son  ordre,  ce  jésuite  cultiva  tout  à  la  fois  la 
théologie,  l'histoire  et  les  lettres.  Il  professa  même  les  mathématiques 
pendant  six  ans.  Divers  ouvrages  estimables  témoignent  du  succès 
avec  lequel  il  s'adonna  à  ces  études.  Il  n'est  pas  jusqu'à  des  poèmes 
latins,  des  tragédies  et  des  comédies,  qu'il  n'ait  composés  avec  l'élé- 
gance un  peu  fade  de  son  école.  Il  continua  après  les  PP.  de  Longueval 
et  Fontenay  Y  Histoire  de  l'Eglise  gallicane  dont  il  fit  les  onzième  et 
douzième  volumes,  tâche  dans  laquelle  il  eut  le  P.  Berthier  pour  suc- 
cesseur. Brumoy  est  surtout  connu  par  son  Théâtre  des  Grecs,  travail 
dont  les  remarques  valent  mieux  que  la  traduction  (Paris,  1730,  3  vol. 
in-4°  ;  Amsterdam,  1732,  et  Paris,  1749,  6  vol.  in-12).  Le  P.  Fleuriau 
y  ajouta  de  savantes  notes  (Paris,  1763,  id.).  L'ouvrage  entier,  revu  par 
Ch.  Brotier,  qui  traduisit  Aristophane,  aide  de  La  Porte-Dutheil  pour 
Eschyle,  de  Rochefort  pour  Sophocle  et  de  Prévost  pour  Euripide 
(Paris,  1785-89,  13  vol.  in-8°,  fi  g.),  fut  aussi  parfait  que  le  comportait 
le  système  alors  adopté  de  traduire  avec  plus  d'élégance  que  de  fidélité. 
Raoul  Roehette  réédita  la  magnifique  édition  de  Brotier  en  y  ajoutant 
des  observations,  des  extraits  du  cours  de  littérature  de  La  Harpe  et  la 
traduction,  d'ailleurs  peu  réussie,  de  fragments  du  théâtre  grec  (Paris, 
1820-25,  16  vol.  in-8°). 

BRUNELLESCO  (Filippp  di  ser)  [1377-1446],  architecte  florentin 
célèbre,  est  le  père  de  l'architecture  moderne,  car  le  premier  il 
abandonna  le  style  gothique  pour  retourner  aux  formes  de  l'anti- 
quité (voyez  Architecture  religieuse) .  Eu  appliquant  tes  détails  et  les 
ordres  romains  aux  besoins  de  son  époque,  il  forma  à  l'inverse  des 
autres  styles,  pour  ainsi  dire  de  toutes  pièces,  celui  de  la  Renaissance; 
il  est  le  seul  architecte  dont  on  pourrait  dire  qu'il  créa  un  style. 
Après  avoir  étudié  l'orfèvrerie,  la  mécanique,  s'être  instruit  dans  les 
Ecritures  saintes,  il  sculpta  un  grand  crucifix  en  bois,  pour  montrer  à 
son  ami  le  célèbre  Donatello  comment  celui-ci  aurait  dû  traiter  ce 
sujet.  Il  concourut  aussi  avec  Ghiberti  pour  les  portes  du  Baptistère  de 
Florence.  Mais  ce  qui  le  préoccupa  surtout,  ce  fut  l'étude  des  monu- 
ments de  Rome  et  l'achèvement  de  la  coupole  de  Sainte-Marie-des- 
Fleurs  à  Florence,  la  plus  grande  et  la  plus  élevée  qui  avait  jamais 
été  conçue,  et  que  depuis  la  mort  d'Arnolfo  del  Cambio,  plus  de  cent 
ans  auparavant,  personne  n'avait  osé  entreprendre.  Brunellesco  y 
songeait  sans  cesse.  Consulté  à  ce  sujet,  il  conseilla  pour  l'année 
suivante  1420  un  concours  des  architectes  les  plus  renommés  de  tous 
les  pays.  Ceux-ci   présentèrent  des  projets   bizarres  ou  impossibles, 


BRUNELLESCO  —  BRUNO  451 

tandis  que  le  modèle  el  le  procédé  proposés  par  Filippo.si  hardis  et  si 

nouveaux,  le  tirent  traiter  de  ton.  Avec  une  clarté  et  un  génie  admi- 
rables, il  triompha  des  obstacles  incessants  suscités,  sa  vie  durant,  par 
ses  concitoyens  un  ses  rivaux..  A  s;i  mort,  il  ne  restait  plus  qu'à 
terminer   la  lanterne,  dette  coupole   majestueuse  est   d  un   aspect  plus 

satisfaisant  à  l'extérieur  qu'à  V intérieur  ;  sans  elle  Saint-Pierre  de  Rome 

n'existerait  pas,  et  comme  construction  elle  a  servi  de  modèle  à 
toutes  les  grandes  coupoles  élevées  depuis.  Brunellesco  ne  put  achever 
ses  deux  autres  églises  de  San-Lorenzo  et  de  Santo-Spirito  à  Florence; 
il  y  adoptait  la  tonne  de  la  basilique  latine,  peu  imitée  dans  la  suite. 
La  sobriété  du  style  et  de  la  décoration  donnent  à  ces  églises  une 
apparence  presque  protestante.  L'extérieur  de  ces  édifices  ainsi  que 
plusieurs  autres  restèrent  inachevés,  surtout  la  chapelle  «  des  Anges  » 
qui  exerça  une  grande  influence,  de  même  que  celle  des  Pazzi.Pour  un 
citoyen  florentin,  Luca  Pitti,  Brunellesco  construisit  un  palais,  plus 
simple,  mais  plus  grandiose,  plus  «  terrible  »  que  toutes  les  résidences 
royales  du  monde.  Il  fut  appelé  comme  architecte,  comme  ingénieur 
civil  et  militaire  dans  beaucoup  de  villes  d'Italie,  et  décora  Florence 
d'édifices  et  de  portiques.  Sauf  dans  le  palais  Quaratesi,  son  ornemen- 
tation, ses  profils  manquent  de  sentiment;  ses  préoccupations  étaient 
évidemment  ailleurs.  Deux  ans  avant  sa  mort,  naissait  celui  qui  devait 
porter  à  sa  perfection  le  style  de  Brunellesco  et  rappliquer  au  premier 
monument  de  la  chrétienté,  Saint-Pierre  de  Rome   (voyez  Bramante).. 

H.  DE  Geymuller. 

BRUNO,  archevêque  de  Cologne,  le  plus  jeune  fils  de  Henri  FOise- 
leur.  ne  en  925,  fut  consacré  par  ses  parents  dès  ses  plus  tendres 
années  à  la  vie  ecclésiastique  et  passa  son  enfance  studieuse  à  Liège 
SOUS  la  direction  de  l'évêque  Baldéric,  F  un  des  hommes  les  plus 
instruits  de  son  temps.  Telle  était  l'étendue  de  ses  connaissances  que 
dès  939  il  fut  capable  de  remplir  avec  distinction  les  fonctions  de 
chancelier  de  Fempire  que  lui  confia  son  frère  Otton  Ier  le  Grand. 
Elevé  quelques  années  plus  tard  à  la  dignité  de  chapelain  en  chef  de 
la  maison  royale,  il  déploya  une  telle  activité  que  tous  les  actes  et 
chartes  de  939  à  952  sont  revêtus  de  sa  signature  et  ont  été  rédigés 
par  lui.  Simple  dans  ses  goûts,  consacrant  à  Fétude  les  heures 
arrachées  à  ses  hautes  fonctions,  il  transportait  avec  lui  sa  bibliothèque 
dans  tous  ses  voyages  et  cultivait  le  grec  et  le  latin  avec  autant  de 
succès  (pic  les  m  irnees  et  la  théologie.  Grâce  à  ses  soins,  Fécole  du 
palais  vit  fleurir  les  études  négligées  depuis  Charlemagne.  L'évêque 
irlandais  Israël,  Kathérius  de  Vérone,  des  Grecs  de  Constantinople  étaient 
ses  principaux  collaborateurs.  Il  s'assura  aussi  le  concours  de  moines 
irlandais  chassés  de  leur  pays  par  les  invasions  danoises,  plaça  à  la  tête 
d'  -  grandesabbayesdes  hommes  instruits  et  éclairés,  pénétrés  de  l'esprit 
de  la  règle  de  Saint-Benoit.  Il  a  été  considéré  comme  le  restaurateur  des 
lettres  eo  Allemagne.  Son  frère,  reconnaissant  ses  services,  réleva  à  la 
dignité  d'archevêque  de  Cologne  et  d'archiduc  de  la  Lorraine,  alors  en 
proie  a  des  divisions  intestines.  Il  exerça  son  influence  au  prolitdes 
intérêts  de  L'Eglise  él  de  rouvre  missionnaire.  «En  toi,  lui  écrivait  Otton, 


452  BRUNO 

brille  la  puissance  de  la  religion  et  de  la  royauté.  »  Esprit  conciliant  et 
modéré,  il  intervint  dans  les  discussions  de  la  famille  royale,  réconcilia 
en  954  Otton  avec  son  frère  Henri  le  Querelleur  et  s'interposa  à 
plusieurs  reprises  pour  mettre  fin  à  la  guerre  civile,  engagée  par 
Luddolf  contre  son  père.  Pendant  qu'Otton  repoussait  sur  les  bords  du 
Lech  l'invasion  hongroise,  Bruno  défit  en  954  Conrad  de  Lorraine, 
révolté,  et  fit  prisonnier  en  955  Rigmar,  frère  de  Giselbert,  qu'il 
envoya  terminer  en  Bohême  sa  carrière  agitée.  Pendant  neuf  ans,  lors 
des  luttes  de  Louis  d'Outremer  avec  Hugues  le  Grand,  tous  les  deux 
ses  beaux-frères,  il  exerça  une  influence  décisive  sur  les  affaires  de  la 
France.  Il  fut  en  947  l'àme  du  concile  d'Ingelheim  qui  confirma  les 
droits  de  Louis  d'Outremer  et  de  sa  créature  Artaud,  archevêque  de 
Reims,  contre  Hugues  de  Vermandois,  partisan  d'Hugues  de  France. 
En  954,  sur  les  instances  de  sa  sœur  Gerberge,  veuve  de  Louis  d'Ou- 
tremer, il  assista  à  Reims  au  sacre  de  son  neveu  Lothaire.  Il  mourut  à 
Reims  le  II  octobre  965,  dans  l'un  de  ses  nombreux  voyages  diploma- 
tiques, et  fut  inhumé  en  grande  pompe  à  Cologne,  dans  l'église  de 
Saint-Pantaléon,  qu'il  avait  lui-même  fondée.  —  Voyez  :  Frodoard, 
Vita  S.  /?.,  dans  Opp.  Script,  fr.,  IX;  Ruotger,  Vita  S.  B.  dans  Pertz, 
Mon.  Germ.,  IV,  252;  Bollandistes,  mensoct.,  V.,  Brux.,  1786;  Pieler, 
Bruno,  I,  Arnsb.,  1851.  A.  Paumiek. 

BRUNO,  l'apôtre  de  la  Prusse,  martyr,  a  été  longtemps  confondu 
avec  d'autres  personnages  obscurs  du  même  nom,  et  le  surnom  de 
Boniface,  qu'il  prit  à  Rome,  a  donné  naissance  à  l'histoire  d'un  second 
missionnaire  qui  n'a  jamais  existé.  Aucune  légende  n'a  raconté  ses 
miracles,  aucun  monument  n'a  transmis  à  la  postérité  la  mémoire  de 
son  martyre.  D'après  la  Chronique  de  Magdebourg  et  la  Vie  de  saint  Ro- 
muald  par  Damien,  il  naquit  à  Querfurt  en  970.  Sa  famille,  qui  appar- 
tenait à  la  vieille  noblesse  saxonne,  était  alliée  à  la  famille  régnante  et 
a  donné  à  l'Allemagne  un  empereur,  Lothaire.  Elève  de  la  fameuse 
école  de  Magdebourg,  fondée  par  Otton  le  Grand,  il  se  voua,  selon  le 
désir  de  ses  parents,  à  la  vie  religieuse  et  fut  admis,  en  qualité  d'au- 
mônier, dans  l'intimité  de  son  jeune  parent,  Otton  III,  qu'il  suivit  en 
996  dans  sa  première  expédition  romaine.  Grâce  à  ses  talents  et  à  ses 
relations  de  famille,  il  aurait  atteint  de  bonne  heure  les  plus  hautes 
dignités  ecclésiastiques,  mais  l'amour  de  la  vie  ascétique  et  contem- 
plative l'emporta  sur  la  voix  de  l'ambition  et  il  entra  comme  novice 
dans  le  couvent  des  Saints-Alexis-et-Boniface ,  sur  l'Aventin,  dont  les 
moines,  grecs  austères  et  lettrés,  suivaient  la  règle  de  Saint-Basile. 
Quelques  années  plus  tard,  cédant  à  l'ascendant  du  vieil  ermite 
Romuald ,  il  le  suivit  dans  sa  solitude  de  Ravenne.  La  nouvelle  du 
martyre  d'Adalbert  en  Prusse  et  l'appel  pressant  adressé  par  Otton  III 
et  Gerbert  en  faveur  de  la  mission ,  décidèrent  Bruno  à  mettre 
la  main  à  l'œuvre.  Empêché  de  se  rendre  en  Pologne  par  la  guerre 
survenue  entre  Boleslas  et  Otton,  il  passa  en  Hongrie,  après  avoir 
reçu  la  consécration  épiscopale;  mais  accueilli  [avec  froideur  par 
Etienne ,  qui  voyait  en  lui  un  agent  politique ,  il  se  rendit  à  Kiew 
auprès  de  Vladimir  et  travailla  à  l'évangélisationdesPetchenègues,  peu- 


BRUNO  453 

plade  idolâtre  et  cruelle,  campée  à  l'embouchure  du  Don.  Encouragé 
par  des  succès  rapides  et  laissant  à  l'un  de  ses  compagnons  le  soin  de 
continuer  son  œuvre, Bruno  revint  on  Pologne  et  se  vit  reçu  avec  bien- 
veillance par  Boleslas,  qu'il  ne  réussit  pas  toutefois  à  réconcilier  avec 
Otton.  11  était  résolu  à  reprendre  l'œuvre  d'Adalbert  et  à  étendre  son 
action  sur  les  Wendes  ;  mais  après  avoir  parcouru  en  tous  sens  ces 
contrées  sauvages  sans  réussir  à  fonder  une  œuvre  durable,  il  fut  as- 
sailli par  les  idolâtres,  l'ait  prisonnier  et  décapité,  avec  dix-huit  de  ses 
compagnons,  le  14  lévrier  1009.  Boleslas  racheta  en  1010  les  restes  des 
martyrs  et  leur  assura  une  sépulture  honorable.  —  Voyez  :  Pertz, 
Mon.  Germ.j  Y,  1,  577;  Voigt,  Gesch.  Pr.}  I,  280;  Giesebrecht,  Neue 
Preuss.  ni..  111,  1,  18S9. 

BRUNO  (Saint),  fondateur  de  Tordre  des  Chartreux,  est  né  à  Cologne, 
d'une  famille  noble,  vers  1040.  Il  fit  ses  études  en  France  et  devint 
successivement  chanoine  à  Cologne  et  à  Beims,  puis  chancelier  et  rec- 
teur des  études.  Il  professa  avec  un  certain  éclat,  ayant  la  réputation 
d'être  un  des  docteurs  les  plus  savants  de  son  temps.  Défenseur  con- 
vaincu des  principes  de  Grégoire  VII,  il  désespéra  néanmoins  de 
remédier  à  la  corruption  de  l'Eglise,  et  ayant  reconnu  la  vanité  de  la 
science  et  de  ses  propres  efforts  pour  parvenir  à  la  sainteté  il  se  retira 
dans  la  vie  solitaire,  d'abord  aux  environs  de  Langres,  puis  avec  six  de 
ses  compagnons  dans  un  désert  des  Alpes  du  Dauphiné  que  lui  indiqua 
Tévêque  Hugues  de  Grenoble,  et  qui  devint  la  Grande-Chartreuse  (1086). 
Bruno  établit  une  règle  des  plus  sévères  (voy.  l'article  Chartreux);  mais  il 
ne  demeura  lui-même  dans  cette  solitude  que  pendant  six  ans.  Appelé  à 
Rome  par  le  pape  Urbain  II,  qui  avait  été  son  élève  à  Beims,  il  se  retira 
peu  après  dans  une  gorge  sauvage  delaCalabre,  nommée  la  Torre,  où  il 
mourut  en  1101.  Le  pape  Léon  X  Ta  canonisé  en  1514.  Bruno  a  laissé 
outre  des  lettres,  un  Commentaire  sur  les  Psaumes  et  un  autre  sur  les 
Epîtres  (te  saint  Paul,  ainsi  qu'une  Profession  de  foi,  insérée  par  Mabil- 
lon  dans  ses  Analecta,  IV,  p.  400  ss.  —  Voyez  :  Mabillon,  Annales  V 
p.  202  ss.  ;id.,  AA.  SS.  Qrd.  Bened.,  sœc.  VI;  AA.,  SS.  III,  496' 
()  oct.  ;  D.  Ceillier,  Histoire  des  aut.  eccl.,  XXI,  p.  216  ss.  ;  Dorlant 
Chron.  des  Chartreux;  le  P.  de  Tracy,  Vie  de  saint  Bruno  ;  Hist  litt.  de 
In  France,  IX,  p.  233  ss.  La  fable  qui  raconte  la  conversoin  miracu- 
leuse  de  Bruno  date  de  la  lin  du  treizième  siècle  ;  elle  a  été  retranchée 
du  Bréviaire  romain  sous  Urbain  VIII  (voy.  J.  Launois,  De  vera  causa 
tecasus  S.  Brunonis  in  eremum,  P.,  1646). 

BRUNO  D'ASTI  (Saint),  né  à  Soléria  dans  le  diocèse  d'Asti,  mort 
en  L 125.  Il  alla  à  Rome  en  1079,  et  défendit  contre  Béreneer  le 
domine  de  laprésence  réelle  de  Jésus-Christ  dans  la  Cène.  Grégoire  Vil 
Le  nomma  évêque  de  Segni;  mais  il  se  démit  de  ses  fonctions  pour  se 
retirerai]  Mont-Cassin.  Il  a  laissé  :  1°  des  Commentaires  sur  le  Pr,/f<t- 
teuque,  sur  Job,  sur  1rs  psnmues,  sur  le  Cantique  des  cantiques  et  sur 
F Apocalypse  ;  2U  Cent  r/uarante-cinç  Sermons;  3°  un  Traité  sur  les  sacre- 
ments de  l'Eglise,  les  Mystères  et  1rs  lUtes  ecclésiastiques,  el  plusieurs 
autres  écrits.  La  première  édition  de  ses  œuvres  a  été  publiée  par  Dora 
Marchesi  a  Venise  (1651 3  2  vol.  in-fol.)-  Une  édition  plus  complète  esl 


454  BRUNO  —  BRUNSWICK 

due  au  P.  Bruni  (Rome,  1789-91,  2  vol.  in-fol.).  Celle  de  M.  Migne 
(Paris,  2  vol.  in-8°)  la  reproduit. 

BRUNO  (Giordano),  né  à  Nola  en  Carnpanie  vers  1548,  dominicain, 
s'inspira  de  la  philosophie  néoplatonicienne  et  surtout  des  écrits  de 
Nicolas  de  Cusa,  dont  il  développa  les  principes  dans  ce  qu'ils  avaient 
d'hostile  à  la  théologie  régnante.  Il  s'échappa  de  son  couvent  en  1580, 
fut  professeur  à  Genève,  puis  se  rendit  à  Lyon,  à  Toulouse,  à  Londres, 
à  Oxford,  à  Wittemberg,  àHelmstiedt,  à  Francfort-sur-le-Mein  ;  revenu 
à  Venise  en  1572,  il  fut  jeté  en  prison  et  en  1598  livré  au  saint-office 
de  Rome,  qui  le  condamna,  pour  crime  d'athéisme,  à  être  brûlé  vif 
(1000).  Sa  doctrine,  exposée  avec  enthousiasme  et  qui  provoquait  par- 
tout d'énergiques  protestations,  était  ufte  philosophie  de  la  nature. 
Bruno  célèbre  la  grandeur  infinie,  l'inépuisable  fécondité  de  la  nature; 
l'univers  n'a  de  limites  ni  dans  le  temps,  ni  dans  l'espace,  parce  qu'il 
est  la  manifestation  d'une  puissance  absolue  de  prendre  successive- 
ment toutes  les  formes,  d'une  natura  naturans,  que  ne  peuvent  per- 
cevoir nos  sens  attachés  à  ce  qui  est  individuel,  mais  à  la  connaissance 
de  laquelle  nous  nous  élevons  parla  contemplation.  Cette  nature  intime 
ou  àme  du  monde  estla  coinciclentia  oppositorum,  conciliant  en  son  sein 
tous  les  contraires.  Etre  universel,  Mens,  Dieu  est  la  cause  immanente  de 
tous  les  phénomènes,  la  substance  indivisible  et  présente  dans  tous  les 
êtres,  dans  le  brin  d'herbe  aussi  bien  que  dans  l'hostie  consacrée.  De  cette 
monade  première,  entium  imitas,  se  dégagent  les  monades  qui,  d'abord 
toutes  identiques,  se  développent  en  vertu  de  leur  virtualité,  s'em- 
parent des  éléments  plus  faibles,  s'épanouissent  dans  un  maximum 
d'opposition  réciproque,  puis  rentrent  dans  le  sein  delà  nature  univer- 
selle pour  servir  de  pâture  à  d'autres  monades  grandissantes  et  plus 
tard  revenir  encore  à  une  vie  propre  sous  des  apparences  nouvelles 
dans  un  incessant  devenir.  Le  système  de  Bruno  était  tombé  dans 
l'oubli;  Jacobi,  dans  ses  attaques  contre  le  spinozisme,  appela  de  nou- 
veau l'attention  sur  lui  ;  Schelling  déclara  qu'il  avait  trouvé  dans  ses 
écrits  le  principe  de  l'identité  absolue.  Les  œuvres  italiennes  de  Bruno 
ont  été  publiées  par  Y/agner  (2  vol.,  1830);  les  latines  par  Gfrœrer 
(2  vol.,  1834,  incomplet).  — Voyez  :  CL.  Bartliolmess,  J.  Bruno,  J846; 
F.-J.  Clemens,  J.  Bruno  u.  N.  von  Cusa,  1847;  D.  Berti,  Vtta 
Ai  G.  B.,  1860.  A.  Mattee. 

BRUNSWICK  (La  Réformation  du  duché  de).  Le  duché  de  Brunswick 
relevait  des  évêchés  de  Hildesheim  et  de  Halberstadt;  il  était  riche  en 
•  couvents  et  en  fondations  ecclésiastiques.  Cependant  la  ville  de  Bruns- 
wick réussit  à  conquérir  son  autonomie  vis-à-vis  des  ducs  et  des  évê- 
ques;  elle  se  rendit  presque  entièrement  indépendante  des  uns  et  des 
autres  et  ne  leur  laissa  qu'une  autorité  purement  nominale;  cette  indé- 
pendance fut  favorable  à  la  Réforme.  Les  bourgeois  de  la  ville  lisaient  les 
•écrits  de  Luther  et  sa  traduction  des  livres  saints  ;  mais  ce  furent  surtout 
les  cantiques  allemands  qui  impressionnèrent  le  peuple;  ils  jouèrent  un 
rôle  important  dans  le  mouvement  religieux  qui  arracha  cette  ville  à  la 
domination  de  Rome.  Les  prêtres  de  Brunswick  jouissaient  de  leurs 
revenus,  sans  s'occuper  beaucoup  de  leur  ministère  ;  ils  chargeaient  de 


BRUNSWICK  435 

leurs  prédications  de  jeunes  suppléants,  fort  mal  payés  ;  ces  vicaires  s'at- 
tachèrent à  la  bourgeoisie  dont  ils  surent  gagner  les  sympathies,  cl  se 
montrèrent  généralement  favorables  aux  nouvelles  doctrines. Souvent, 
au  lieu  de  L'hymne  à  la  Vierge,  ils  entonnaient  un  cantique  Luthérien, 
«pie  chantail  alors  tonte  l'assemblée  ;  ils  abandonnèrent  de  plus  en 
plus  la  vieille  prédication  scolastique  pour  expliquer  L'Evangile.  Aussi 
le  peuple  ne  voulnt-il  plus  soullVir  d'autre  prédication  ;  il  interrompait 
par  ses  chants  les  plus  savants  discours  et  rectifiait  les  citations  bibliques 
inexactes.  Le  clergé  appela  alors,  pour  rétablir  son  autorité,  un  des 
prédicateurs  les  plus  considérés,  le  docteur  Sprengel,  habile  controver- 
sisie;  mais  sur  la  lin  de  son  sermon  un  bourgeois  s'écria  :  «Prêtre 
{Pfaffe),  tu  mens!  »et  se  mit  à  chanter  avec  toute  rassemblée  le  can- 
tique de  Luther  :  Ach  Gott  vom  ffïmmel  sieh  dàrein.  Les  prêtres 
prièrent  alors  le  sénat  de  les  débarrasser  de  leurs  suppléants  ;  le  peuple, 
de  son  côté,  demanda  qu'on  le  débarrassât  des  prêtres.  Le  sénat,  hési- 
tant d'abord,  lut  entraîné  par  le  mouvement  populaire.  Après  la  diète 
de  Spire  (4526),  qui  accordait  aux.  luthériens  une  certaine  liberté  reli- 
gieuse, on  réformait  partout  eu  Allemagne;  on  profita  de  l'absence  du 
duc  Henri,  qui  s'y  lût  certainement  opposé,  pour  réformer  aussi  à 
Brunswick.  Le  13  mars  1528,  le  sénat  décida  qu'à  l'avenir  on  ne  prê- 
cherait plus  (pie  la  Parole  de  Dieu;  (pie  la  cène  serait  célébrée  sous  les 
deux  espèces,  et  le  baptême  administréen  langue  allemande.  On  appela 
de  A>\  ittemberg  Bugenhagen  (Pomeranus),  le  seul  des  théologiens  saxons 
qui  sût  ie  bas-allemand,  pour  organiser  l'Eglise  dans  le  sens  luthérien  ; 
sur  Tordre  du  sénat,  il  lit  une  agende  (Kirchenordnung),  qui  régla  le 
culte  et  la  discipline.  Le  surintendant  fut  chargé  de  remplir  lesfonctions 
épiscopales;  il  devait  prêcher,  faire  des  conférences  latines  «  pour  les 
savants»,  surveiller  la  doctrine,  la  discipline,  la  question  des  biens  de 
I  Eglise,  présider  au  choix  des  pasteurs,  etc.  Les  moines  mendiants  quit- 
tèrent aussitôt  la  ville  où  leurs  ressources  vinrent  à  manquer.  Après 
quelques  agitations  causées  par  les  zwinglîens  et  les  anabaptistes  Lagende 
fut  définitivement  établie,  imprimant  à  l'Eglise  un  caractère  luthérien 
qu  elle  a  longtemps  gardé  dans  toute  sa  pureté.  Dans  le  reste  du  duché, 
la  Réforme  s'établit  beaucoup  plus  tard,  car  là  régnait  de  151  i  à  1568  l'ad- 
versaire le  plus  acharné  de  Luther,  le  duc  Henri,  qui  lutta  contre  lui  jus* 
qu  à  sa  mort.  Luther  cependant  parait  avoir  eu  d'abord  quelque  espoir 
dele  gagner;  en  1524,  il  écrivait  à  Spalatin  :  «  Le  duc  Henri  de  Brunswick 
commence  à  embrasser  l'Evangile  »  (de  Wette.  Luther  %  Bn'efe,  II, 
p.  51li.  Mais  il  luidéti'ompé.  et  il  appelait  plus  tard  le  duc  de  Brunswick 
atus  Nero  (ibid.,  V,  p.  314).  Lorsque  l'électeur  Jean-Frédéric  de 
Saxe  e1  Le  landgrave  Philippe  de  Hesse  s'emparèrent  (1545)  de  Henri  et 
de  ses  Etats,  on  réforma  l'Eglise  ;  maison  commit  des  excès  regret- 
tables; ( -m  piiia  et  détruisit  des  couvents.  Aussi,  quand  en  1547  Henri 
b"  réintégra  dans  ses  possessions,  il  put  restaurer  et  maintenir  Le  culte 
catholique.  Ce  n'est  que  sous  son  successeur)  le  duc  Jules,  que  la 
Réforme  triompha  définitivement.  Martin  Chemnitz,  Jacques  Andréas, 
auteur  de  La  Formule  de  Concorde,  et  Pierre  Ulner  organisèrent  L'Eglise; 
ils  lui  donnèrent  une  agende  (lw  janvier!569),  qui   fixa  l'état  ceci/'- 


456  BRUNSWICK  —  BRUYS 

siastique  du  pays.  Le  pouvoir  suprême  fut  attribué  au  duc,  qui  l'exer- 
çait :  1°  par  un  consistoire  supérieur  ;  2°  par  cinq  surintendants  géné- 
raux soumis  au  consistoire,  auquel  ils  se  joignaient  deux  fois  par  an. 
pour  constituer  le  synode.  Il  y  avait  ensuite  des  surintendants  spéciaux, 
chargés  de  visiter  deux  fois  par  an  toutes  les  paroisses.  Les  couvents, 
auxquels  on  laissa  leurs  revenus,  furent  convertis  en  séminaires  on 
étaient  formés  les  pasteurs.  On  fonda  à  Gandersheim  un  pœdagogium 
qui  fut  plus  tard  transféré  à  Helmstcedt  et  converti  en  université.  Dans 
cette  organisation  on  ne  reconnut  aucun  droit  aux  paroisses;  aussi  le 
développement  et  la  vie  de  l'Eglise  subirent-ils  toujours  l'influence  des 
opinions  personnelles  des  ducs,  ou  de  leurs  conseillers  du  consistoire 
et  de  l'université.  En  1709,1e  duc  Antoine  Ulric,  alors  âgé  de  soixante- 
dix-sept  ans,  passa  au  catholicisme  ;  mais  il  n'opprima  point  l'Eglise 
luthérienne  au  profit  de  Rome;  non-seulement  il  lui  assura  toutes  les 
garanties  d'indépendance  et  de  liberté,  mais,  par  un  règlement,  il 
accorda  même  à  ses  pasteurs  une  certaine  surveillance  sur  les  divers 
groupes  catholiques  disséminés  dans  le  duché.  En  1737  fut  fondée 
l'université  de  Gœttingue,  qui  fit  tomber  plus  tard  celle  d'Helmstœdt. 
Dans  la  seconde  moitié  du  dix-huitième  siècle,  le  rationalisme  régna  dans 
toutes  les  Eglises  du  duché  de  Brunswick,  comme  du  reste  dans  toute 
l'Allemagne.  Ch.  Pfendeb. 

BRUXELLES  (Statistique  ecclésiastique)..  La  ville  de  Bruxelles  est 
une  des  capitales  de  l'Europe  dont  la  population  s'est  accrue  le  plus 
rapidement  depuis  le  commencement  du  siècle.  Fondée  au  sixième 
siècle  autour  du  cloître  de  Saint-Géry,  elle  fut  pendant  le  moyen 
âge  capitale  des  ducs  de  Brabant,  puis  des  Pays-Bas  autrichiens  ;  mais 
elle  restait  très-inférieure  en  importance  aux  grandes  cités  flamandes 
du  pays,  Gand,  Liège,  etc.  Elle  ne  comptait  en  1800  que  66,297  habi- 
tants, et,  en  y  comprenant  les  huit  communes  suburbaines,  76,426;  en 
1875,  elle  en  avait  182,735,  et,  avec  la  banlieue,  376,965.  Presque  tous 
sont  catholiques;  on  compte  environ  6,000  protestants  et  1,500  israélites 
dans  la  ville  proprement  dite.  Les  catholiques  sont  rattachés  à  l'archi- 
diocèse  de  Malines.  Les  églises  principales  sont  celles  de  Sainte- 
Gudule  (treizième  et  quatorzième  siècles),  Saint-Jacques-sur-Cauden- 
berg  (1776-1785),  Notre-Dame-des-Victoires  (quatorzième  et  quinzième 
siècles),  Notre-Dame-de-la-Chapelle  (treizième siècle),  Sainte-Catherine, 
Sainte-Marie,  Saint-Joseph,  du  Béguinage,  Saint-Boniface,  Saints-Jean- 
et-Etienne,  Saint-Nicolas,  des  Jésuites, Notre-Dame-du-Bon-Secours,  etc. 
Les  églises  protestantes  sont  très-nombreuses  proportionnellement  à 
la  population.  On  ne  compte  pas  moins  de  trois  chapelles  anglicanes, 
trois  j temples  de  langue  française  et  deux  de  langue  flamande.  Les 
israélites  ont  deux  synagogues.  —  Bibliographie  :  H.  Tarlier,  Nouveau 
Dictionnaire  des  communes  de  Belgique,  Bruxelles,  1877;  K.  Bœdeker, 
Belgique  et  Hollande,  1875;  Du  Pays,  Itinéraire  de  la  Belgique,  etc. 

E.  Vauchee. 
BRUYS  (Pierre  de),  célèbre  hérétique  du  douzième  siècle.  Originaire 
de  la   Provence,   disciple   d'Abélard,   d'un    tempérament  ardent   et 
révolutionnaire,  il  prit  prétexte  delà  corruption  de  l'Eglise  et  du  clergé 


BRUYS  457 

pour  s'élever  contre  l'autorité  de  la  tradition.  Il  n'admettait  que  celle 
des  évangiles  qu'il  interprétait  d'une  manière  toute  littérale.  La  réforme 
du  culte  était  aussi  nécessaire,  à  ses  yeux,  que  celle  des  mœurs.  Dieu 
n'a  pas  besoin  de  temples  pour  être  adoré;  il  ne  demande  pas  de 
cérémonies,  mais  des  dispositions  pieuses;  l'Eglise  ne  réside  que  dans 
la  communion  des  saints:  le  baptême  ne  doit  être  administré  qu'aux 
adultes  capables  de  confesser  leurs  péchés;  Jésus-Christ,  en  célébrant 
la  cène  avec  ses  disciples,  n'en  entendait  nullement  faire  un  sacre- 
ment. Bruys  rejette  de  même  le  jeune,  les  aumônes  méritoires,  les 
prières  d'intercession  pour  les  morts,  le  célibat  des  prêtres.  Il  recruta 
de  nombreux  adhérents,  connus  sous  le  nom  de  Petrobussiens,  dans  les 
diocèses  d'Arles,  d'Embrun,  de  Die,  de  Gap,  de  Narbonne.  Le  mouve- 
ment se  propagea  même  jusqu'en  Gascogne  en  se  mêlant  avec  d'autres 
hérésies.  Les  peti'obussiens  rebaptisaient  les  populations,  détruisaient 
ou  profanaient  les  églises,  renversaient  les  autels,  brûlaient  les  croix, 
maltraitaient  les  prêtres  et  les  moines.  Les  évêques  durent  avoir 
recours  à  la  force  armée  pour  combattre  ces  fanatiques.  Pierre  de 
Bruys  lui-même  fut  bridé  en  1126,  et  beaucoup  de  ses  adhérents 
partagèrent  son  sort.  Sa  doctrine  fut  solennellement  condamnée  au 
deuxième  concile  de  Latran  (1139).  Nous  ne  la  connaissons  que  par 
une  épitre  que  Pierre  le  Vénérable,  abbé  de  Cluny,  a  adressée  aux 
évêques  du  Midi  delà  France,  adversus  Petrobusianos  hxreticos,  rédigée 
du  vivant  de  Bruys  et  accompagnée  d'une  préface  écrite  après  sa 
mort  (112()  ou  1127).  Elle  a  été  éditée  par  A. 4.  Hofmeister,  Ingolst., 
1546,  et  se  trouve  aussi  dans  M.  Marrier  et  A.  Duchêne  (Querceta?ius), 
Bibl.  Cluniac,  p.  1117  ss.,  ainsi  que  dans  la  Bibl.  Pair,  maxima, 
Lyon,  XXII,  p.  1033  ss. 

BRUYS  (François),  polygraphe,  né  à  Serrières  en  Maçonnais,  le  7  fé- 
vrier 1708,  de  parents  devenus  nouveaux-catholiques.  Ayant  un  oncle 
curé  à  Chavigny,  il  lit  ses  humanités  à  l'abbaye  de  Cluny  et  étudia 
la  philosophie  chez  les  Pères  de  l'Oratoire.  Un  caractère  inquiet  et  le 
sentiment  exagéré  de  sa  valeur  lui  tirent  bientôt  chercher  aventure  : 
d'abord  à  Genève,  où  il  arriva  en  1727  et  se  lit  bien  venir  de  divers 
savants;  puis  en  Hollande,  où  il  alla  dès  1728  et  retrouva  un  oncle  et 
une  tante,  réfugiés  de  la  révocation  de  Ledit  de  Nantes.  C'est  sans 
doute  sous  leur  influence  et  parleur  exemple  qu'il  reprit  la  première 
religion  de  son  père.  Il  brûlait  ainsi  ses  vaisseaux,  et  devait  se  consi- 
dérer dès  lors  comme  un  proscrit  qui  ne  pourrait  plus  compter  que  sur 
lui-même.  11  entreprit  la  publication  d'une  Critique  dési?Uëressée  des 
Journaux.  La  querelle  entre  Saurin  et  La  Chapelle  sur  le  mensonge 
officieux,  et  dans  laquelle  il  prit  parti  pour  h;  premier,  s'étant  en- 
venimée au  point  de  nécessiter  l'intervention  d'un  synode,  en  1730, 
sa  polémique  donna  lieu  à  des  plaintes  assez  vives  pour  qu'il  crût 
prudent  <!<■  passer  en  Angleterre  el  d'y  séjourner  quelque  temps.  Saurin 
ayant  eu  le  dessous,  le  troisième  volume  de  la  Critique  de  Bruys  fut 
supprimé.  Revenu  à  La  Haye,  mais  dégoûté  parles  ennuis  et  les  frais 
que  cette  affaire  lui  avait  occasionnés,  il  passa  en  Allemagne,  et,  s'étant 
li\.-  a  Emmerich,  il  y  épousa  Anne  d'Esiil,  de  Montauban.  Deux  ans 


458  BRUYS  —  BUCEfc 

plus  tard,  il  retourna  en  Hollande,  et  bientôt  après  il  accepta  l'offre 
que  lui  fit  le  comte  de  Neuwied  d'habiter  son  château  et  d'en  être  le 
bibliothécaire.  En  1736,  il  revint  enfin  à  Paris  où  il  se  convertit  an  ca- 
tholicisme. Ayant  été  appelé  en  Bourgogne  par  des  intérêts  de  famille,  il 
se  vit,  contre  son  gré,  obligé  d'étudier  la  jurisprudence,  et  il  mourut 
le  jour  même  où  il  prenait  ses  licences  à  Dijon,  (21  mai  1738).  On  a  de 
lui  :  L'art  de  connaître  les  femmes,  avec  une  dissertation  sur  l'adultère 
(1730);  Tacite,  avec  des  notes  historiques  et  politiques  (1730-31); 
Histoire  des  Papes  depuis  saint  Pierre  jusqu'à  Benoit  XIII  inclusivement 
(1732-1734);  Le  Postillon,  ouvrage  historique,  critique,  politique,  mo- 
ral, philosophique,  littéraire  et  galant  (1733-1736);  Réponse  aux  Lettre* 
sur  les  Hollandais  (1735)  ;  Amusements  du  cœur  et  de  l'esprit  (1736)  ;  Mé- 
moires historiques,  critiques  et  littéraires  (1751,  ouvrage  posthume,  pu- 
blié par  l'abbé  Joly).  Tout  ce  bagage  littéraire  est  de  troisième  ordre. 
La  muse  de  Bruys  fut  peu  désintéressée  :  c'était  trop  souvent  la  Res 
angusta  dom.il  Ch.  Read. 

BUCER  (Martin),  ou  plutôt  Butzer  (en  latin  Aretius  Felinus  ou  Emun- 
ctor),  est  né  en  1491,  dans  la  petite  ville  alsacienne  de  Sehlettstadt, 
le  siège  de  la  célèbre  école  d'humanistes.  A  l'âge  de  quinze  ans  déjà  il 
entra  dans  l'ordre  des  dominicains  et  fut  envoyé  à  Heidelberg,  où  il  se 
livra  à  de  fortes  études  classiques  et  théologiques.  Luther,  qui  était 
venu  en  1518  à  Heidelberg  pour  y  soutenir  une  discussion,  enthousiasma 
tellement  le  jeune  Bucer,  que  depuis  ce  jour  il  devint  un  des  fervents 
adhérents  du  moine  saxon.  Sa  position  au  couvent  étant  devenue  par 
là  intolérable,  il  chercha  à  quitter  l'ordre  et  put  obtenir  du  pape  d'être 
mis  aurangdespretresseculiers.il  passa  tour  à  tour  de  la  cour  du  comte 
palatin  Frédéric,  dont  il  avait  été  le  chapelain,  à  lacurede  Landstuhl, 
que  lui  procura  son  ami  Sickingen,  et  enfin  à  Wissembourg.  Chassé  de 
cette  dernière  ville  par  la  guerre,  il  dut  se  réfugier  sous  l'aile  protec- 
trice de  l'Eglise  de  Strasbourg.  Sa  position  y  devint  de  plus  en  plus 
assurée  :  il  tint  d'abord  dans  sa  maison  des  réunions  bibliques,  qui  atti- 
rèrent une  foule  d'auditeurs.  Bientôt  il  fut  reconnu  citoyen  de  la  ville 
et  put  prêcher  dans  la  cathédrale.  En  1524  il  devint  le  premier  pasteur 
delà  paroisse  des  jardiniers  dite  de  Saint-Aurélie,  et  bientôt  il  fut  l'âme 
de  l'Eglise  évangéhque  de  Strasbourg.  On  sait  qu'en  1524,  à  la  suite  de 
l'agitation  provoquée  par  Carlstadt,  éclata  la  funeste  dissension  entre 
Luther  et  les  théologiens  de  la  tendance  zwinglienne,  au  nombre  desquels 
se  trouvait  Bucer.  Il  avait  exposé  en  toute  franchise  ses  vues  larges  et 
libérales  au  colloque  de  Berne  en  1528  et  au  colloque  de  Marbourg  en 
1529,  et  ne  cachait  passes  sympathies  pour  les  réformateurs  suisses.  Mais 
sa  nature  pacifique  et  son  désir  de  conciliation  le  portaient  à  travailler 
en  vue  d'une  union  entre  l'Allemagne  et  la  Suisse.  Comme  on  avait 
écarté  les  Strasbourgeois  de  la  coopération  à  la  confession  d'Augsbourg, 
Bucer  rédigea  avec  ses  collègues  la  Tetrapolitana,  qui  s'exprimait 
dans  l'article  de  la  sainte  cène  d'une  manière  moins  radicale.  Dès  lors 
Bucer  s'engagea  dans  la  voie  de  la  médiation  :  il  fit  des  efforts  incroya- 
bles, tâchait  de  calmer  et  Luther  et  les  prédicateurs  suisses,  que  Luther 
traitait  souvent  d'une  manière  peu  chrétienne,  et  parvint  enfin  à  ame- 


BUGEE  —  HUCHANAX  4.V.» 

ncr  un  colloque  à  Casse!  en  1535,  ci  enfin  es  1536  la  concorde  comme 
sous  le  nom  <lc  Wittemherger  Conoardie.  Au  moyen  d'une  distinction 

subtile  entre  indignes  ei  impies,  Bucer  sut  contenter  Luther,  qui  tenait 
à  une  présence  réelle  du  Christ  dans  le  sacrement,  même  pour  les  im- 
pies. On  a  souvent  calomnié  Bucer  à  cause  de  ces  concessions,  qui  pour- 
tant lui  étaient  dictées  par  le  seul  intérêt  de  la  paix  de  l'Eglise,  lue 
lois  engagé  dans  la  voie  delà  médiation,  Bucer  voulut  la  suivre  partout. 
Mais  il  ne  réussH  pas  toujours  :  les  catholiques  opposèrent  wm^  résis- 
tance opiniâtre.  Lorsqu'on  voulut]  imposer  à  Strasbourg  le  fameux 
Intérim,  Bucer  à  son  tour  résista.  Dans  la  situation  critique  où  était 
le  magistrat  vis-à-vis  de  L'empereur,  il  dut  commander  le  silence  aux 
récriminations  des  pasteurs.  Bucer  fut  forcé  de  quitter  la  ville  et  se 
retira  en  Angleterre  où  l'avait  appelé  l'archevêque  Oanmer.  Il  fut 
nommé  par  Edouard  VI  professeur  de  théologie  à  Cambridge  et  écrivit 
encore  un  grand  ouvrage  :  De  Regno  Christi,  publié  après  sa  mort. 
.Mais  le  pauvre  exilé  ne  sut  trouver  le  repos  que  lorsque,  le  28  février 
loôl,  Dieu  mit  fin  à  cette  vie  de  travail  et  de  dévoùment.  Les  écrits  de 
Bucer  sont  nombreux  :  le  pasteur  Conrad  Hubert  voulut  en  publier 
une  édition  en  dix  volumes,  mais  il  mourut,  et  un  volume  contenant 
des  écrits  latins  de  Bucer,  et  connu  sous  le  nom  de  7'omus  unglicanus, 
fut  le  seul  qui  parût.  —  La  vie  de  Bucer  a  été  traitée  avec  le  plus 
d'érudition  et  d'exactitude  par  M.  Baum,  dans  son  beau  livre  :  Capito 
und  Bntzer,  Elberfcld,  1860.  A.  Couevoisier. 

BUGHANAN  (Claudius)  [17G6-I8I5J,  missionnaire  célèbre,  né  de 
parents  pieux  mais  pauvres,  étudia  à  Glasgow  et,  après  avoir  mené 
pendant  trois  ans  une  vie  d'aventures  et  de  désordres  à  Londres,  se 
convertit,  suivit  les  cours  de  théologie  à  l'université  de  Cambridge  et 
partit  en  1796,  on  qualité  de  chapelain  de  la  Compagnie  des  Indes,  pour 
Calcutta.  Il  eut  à  lutter  contre  des  difficultés  de  tout  genre,  parmi  les- 
quelles l'indifférence  religieuse  des  directeurs  et  des  agents  de  la  Com- 
pagnie était  la  plus  grave.  Pourtant,  grâce  à  la  protection  du  gouver- 
neur, lord  Mornington  (plus  tard  Wellington),  il  put  fonder  un  collège 
des  langues  orientales  (pie  devaient  fréquenter  tous  les  Anglais  qui 
aspiraient  à  remplir  des  fonctions  publiques  en  Inde.  Il  y  ajouta  un 
établissement  destiné  à  doter  ce  pays  d'une  bonne  traduction  de  la  Bible 
en  persan  et  en  hindoustani,  œuvre  à  laquelle  Buchanan  lui-môme  colla- 
bora activement.  Parles  mémoires  qu'il  ne  cessait  d'envoyer  dans  la 
mère-patrie  et  les  concours  qu'il  fonda  sur  les  meilleurs  moyens  d'ou- 
vrir à  la  religion  et  à  la  civilisation  chrétiennes  la  vaste  péninsule, 
il  contribua  plus  qu'aucun  autre  à  réveiller  le  zèle  pour  la  mission 
parmi  les  Hindous.  Au  retour  d'un  voyage  entrepris  sur  la  côte  de 
Malabar,  pendant  lequel  il  avait  pu  juger  par  ses  propres  yeux  des 
horreurs  dont  le  brahmanisme  se  rendait  coupable  sous  l'égide  du 
pavillon  britannique,  se  heurtant  contre  les  nouveaux  obstacles  (pie  lui 
créa  lord  Minto.  le  successeur  de  Wellington,  Buchanan  se  décida  à 
revenir  en  Angleterre  1 1806),  où,  par  l'action  qu'il  exerça  sur  l'opinion 
publique  el  sur  le  parlement,  par  ses  démarches  personnelles,  ses  ser- 
mon- et  les  articles  insérés  dans  la  revue,  l'Etoilt  de  VOrient,  il  servit 


460  BUCHANAN  —  BUDDÉE 

plus  puissamment  la  cause  de  la  mission  dans  l'Inde  qu'il  n'eût  pu  le 
l'aire  à  Calcutta,  aux  prises  avec  le  mauvais  vouloir  de  la  Compagnie. 
Epuisé  par  tant  d'efforts,  le  noble  missionnaire  mourut  à  l'âge  de  qua- 
rante-huit ans.  —  Voyez  sa  biographie  dans  le  Basler  Magasin,  1829. 

BUCHEZ  (Philippe-Joseph-Benjamin)  [1796-18661  eut  un  double  rôle 
pendant  la  période  d'environ  trente  années  qui  sépare  la  Restauration 
de  la  République  de  1848  ;  il  l'ut  eu  même  temps  publiciste  et  homme 
politique.  Signalé  vers  1820  comme  un  des  fondateurs  de  la  charbon- 
nerie  française,  arrêté  comme  conspirateur,  il  n'échappe  à  la  condam- 
nation à  mort  dont  il  est  menacé,  qu'à  la  minorité  de  faveur  ;  puis, 
ayant  donné  quelques  années  exclusivement  à  l'étude,  il  coopère  à  la 
rédaction  du  Producteur  avec  Enfantin  en  1826,  fonde  à  son  tour  une 
revue  comme  chef  d'école,  fait  partie  de  l'Assemblée  constituante  et  ren- 
tre enfin  dans  la  vie  privée  après  avoir  occupé  le  fauteuil,  une  dernière 
fois,  comme  président,  lors  de  l'attentat  du  15  mai.  Auguste  Comte, 
en  1827,  avait  quitté  le  Producteur  au  moment  où  la  doctrine  de  Saint- 
Simon,  tendant  au  mysticisme,  tentait  de  devenir  une  religion.  Bûchez 
s'éloigna  deux  ans  après,  parce  qu'il  ne  trouvait  pas  ses  collaborateurs 
assez  chrétiens,  au  sens  catholique,  et  il  fonda  ce  qu'on  a  appelé  le 
néo-catholicisme.  C'est  un  essai  de  conciliation  entre  ce  qui  semble 
s'exclure,  le  catholicisme  et  la  démocratie,  l'idée  du  progrès  et  la  révé- 
lation. La  morale,  disait-il,  doit  servir  de  critère  à  tous  les  jugements, 
en  histoire  et  en  philosophie.  Or,  cette  morale,  proposée  à  l'homme 
en  vue  du  but  social  qui  nous  est  assigné  par  le  créateur,  doit  néces- 
sairement descendre  d'un  enseignement  divin  primitif,  d'une  révélation. 
L'instruction  donnée  au  premier  homme  a  dû  comprendre  tout  ce  qui 
était  nécessaire  pour  déposer  en  lui  le  germe  de  son  développement 
futur,  sous  le  triple  rapport  moral,  intellectuel  et  physique.  Le  pre- 
mier langage  a  donc  été  la  parole  morale,  enseignement  de  Dieu  lui- 
même.  Mais  que  devient  le  progrès  dans  ce  système?  Le  progrès  con- 
siste précisément  à  déterminer  le  nombre  et  la  suite  des  révélations. 
L'inventeur  du  néo-catholicisme  en  compte  quatre,  c'est-à-dire  quatre 
âges  de  l'humanité  :  les  révélations  adamique,  noachique  ou  antédilu- 
vienne, brahmanique  ou  égyptienne,  et  enfin  chrétienne.  Des  disciples 
de  Bûchez,  Corbon,  Frédéric  Morin,  Jules  Bastide,  ont  développé  ce 
point  de  vue  dans  leurs  livres.  Bûchez  lui-même  exposa  la  doctrine  en 
détail  dans  deux  ouvrages,  Y  Introduction  à  la  science  de  V  histoire  ou 
Science  du  développement  de  l'humanité  (Vans,  1833  et  1842,2  vol.  in-8°), 
et  Y  Essai  d'un  traité  complet  de  philosophie  au  point  de  vue  du  catholi- 
cisme et  du  progrès  (1840,  3  vol.  in-8°).  L' Histoire  parlementai?^  de  la 
Révolution  française  (1833-1838)  fut  écrite  sous  une  semblable  inspira- 
tion, en  collaboration  avec  Roux,  écrivain  de  la  même  école.  Enlin  le 
néo-catholicisme  eut  pour  organe  Y  Européen,  revue  philosophique, 
fondée  en  1831,  qui  continua  de  paraître,  malgré  quelques  interrup- 
tions, jusqu'en  1848.  •  J.  Akboux. 

BUDDÉE  ou  Buddœus  (Jean-François)  [1667-1729],  théologien  luthé- 
rien distingué,  professa  la  philosophie  à  Halle  et  la  théologie  à  Iéna. 
Eruclit,  pieux,   universellement   estimé,    il  avait  le  talent  de  grouper 


BUDDEE  —  BUFEON  4G1 

avec  ordre  et  d'exposer  clairement  les  nombreux  matériaux  de  toutes 
les  branches  de  la  théologie  qu'il  avait  amassés.  Grâce  à  son  esprit 
conciliant,  il  occupa  une  position  intermédiaire  au  milieu  des  partis 
de  son  temps,  et  ne  sut  entièrement  satisfaire  ni  les  orthodoxes,  ni 
les  piétistes,  ni  les  wolliens.  En  préconisant  la  tractation  biblique  et 
historique  du  dogme,  il  a  rendu  un  grand  service  à  son  siècle  et  pré- 
paré la  révolution  mie  devait  voir  s'accomplir  le  siècle  suivant.  Buddée 
a  laissé  plus  de  cent  écrits,  parmi  lesquels  nous  nous  bornerons  à 
nommer,  outre  les  articles  fournis  auxActa  eruditorum  et  au  grand 
Dictionnaire  historique,  imprimé  à  Leipzig,  1709  ss.,  les  Institut 'iones 
theoL  moralis,  Leipz.,  1711  (trad.  en  allem.,  1719);  une Historia  eccles. 
1.  /"..  Halle,  1715,  4  vol.;  les  Institutiones  tiieol.  dogmaticœ,  LeÀpz.,  1723; 
des  Thèses  de  Atheismo  et  superstitions,  1716,  dirigées  entre  autres 
contre  Spinoza  ;  une  encyclopédie  théologique,  sous  le  titre  Isagoge 
historica  ad  theul.  universam,  1727,  etc,  etc.  Buddée  a  donné  lui-même 
une  nomenclature  complète  de  ses  écrits  dans  une  Notitia,  publiée  à 
Iéna  en  1728. 

BUDÉ  ou  Budœus  (Guillaume)  [1467-1540],  érudit  et  humaniste  cé- 
lèbre, protégé  par  Louis  XII  et  François  Ier,  qui  le  nommèrent  à  des 
charges  importantes,  contribua  à  la  fondation  du  Collège  royal  (au- 
jourd'hui Collège  de  France)  et  à  l'affranchissement  de  toutes  les 
sciences  du  joug  de  la  scolastique.  Secrètement  favorable  à  la  Réforme, 
il  était  trop  prudent  pour  vouloir  se  compromettre  en  sa  faveur;  il  ne 
s'éleva  pas  moins,  dans  plusieurs  de  ses  écrits,  contre  la  corruption 
du  clergé  et  de  la  papauté,  et,  dans  son  traité  De  transita,  Hellenismi 
ad  Chris tt'anismum  (libritres  ad  Franciscum  regem,  Paris,  1535,  in-fol.), 
il  établit  que  la  vraie  sagesse  était  fondée  non  dans  la  connaissance 
des  lettres  classiques,  mais  dans  la  pratique  de  la  doctrine  du  Christ. 
Quelques  années  après  sa  mo>%  sa  veuve  et  ses  enfants,  soupçonnés 
de  calvinisme,  se  réfugièrent  à  Genève.  Son  fils  Louis  y  professa  les 
langues  orientales  et  publia  une  traduction  française  des  Psaumes,  des 
Proverbes  et  de  quelques  autres  écrits  de  l'Ancien  Testament  (Genève, 
1551).  Un  autre  de  ses  fils,  Jean,  remplit  plusieurs  missions  impor- 
tantes auprès  des  princes  allemands  et  des  cantons  protestants  de  la 
Suisse,  eu  qualité  d'ambassadeur  du  Conseil  genevois.  Les  œuvres 
complètes  de  Guillaume  Budé  ont  été  publiées  à  Bàle,  1557,  en  4  volu- 
mes in-4°.  —  Voyez  Rebité,  G.  Budé,  Paris,  1846. 

BUFFON  (Georges-Louis  Leclerc,  comte  de),  né  à  Montbard,  en 
Bourgogne,  le  7  septembre  1707,  mort  à  Paris  le  1(3  avril  1788,  se 
proposait  Lorsque,  en  1731),  il  devint  intendant  du  Jardin  du  Koi, 
d'écrire  L'histoire  de  la  nature,  et  de  lui  élever  un  monument,  un 
temple  digne  d'elle.  L'histoire  du  globe  en  effet,  la  science  delà  terre, 
n'était  alors  qu'un  chaos  où  tout  se  trouvait  confondu,  faits  et  hypo- 
thèses, observations  et  conjectures.  Il  sut  démêler  toutes  ces  choses, 
avec  un  succès  qu'on  s'explique  en  se  rappelant  qu'il  définissait  le 
génie  «  une  plus  grande  aptitude  à  la  patience  », attirer,  dans  son  siècle, 
sur  ses  études  d'histoire  naturelle  générale  et  particulière  l'attention 
de  tous  1rs  hommes  instruits,  et  créer  tout  exprès  un 


462  BUFFON  —  BUGENHAGEN 

dans  la  langue,  quand  il  voulut  parler  des  grandes  transformations  du 
globe  ou  décrire  les  mœurs  des  animaux.  Ni  Voltaire,  ni  les  rédacteurs 
de  Y  Encyclopédie,  bien  que  leur  influence  tût  très-grande  au  dix- 
huitième  siècle,  ne  surent  faire  de  Billion,  ennemi,  par  disposition 
naturelle,  des  associations  et  des  cénacles,  un  philosophe  de  leur  école. 
Conduit  par  le  sujet  môme  qu'il  traitait  à  faire  connaître  au  public  ses 
vues  sur  le  monde  et  l'homme,  il  les  exposa  dans  ses  deux  meilleurs 
ouvrages,  en  savant  qui  n'a  ni  respect  aveugle  pour  la  tradition  ni  goût 
pour  le  scepticisme  et  l'incrédulité.  Dans  sa  Théorie  de  la  Terre,  consi- 
dérant qu'on  trouve  des  coquilles  jusque  sur  le  sommet  des  hautes 
montagnes,  que  les  matières  qui  composent  notre  globe  sont  constam- 
ment disposées  en  couches  parallèles  et  horizontales,  et  que  les  angles 
saillants  d'une  montagne  correspondent  toujours  avec  les  angles  ren- 
trants de  la  voisine,  il  explique  tous  ces  faits  par  la  seule  action  des 
eaux,  et  il  enconclutque  notre  terre  actuelle  a  été  un  fond  de  mer.  Dans 
les  Epoques  de  la  Nature,  il  montre  que  l'histoire  du  globe  a  ses  âges 
et  ses  révolutions  comme  l'histoire  de  l'homme.  Il  y  a  eu  sept  époques 
depuis  le  temps  où,  par  l'action  du  feu,  la  masse  du  globe  était  en  fusion 
et  même  en  vapeur,  jusqu'au  momentoù,  la  matière  une  fois  consolidée, 
la  séparation  des  continents  s'étant  enfin  accomplie,  la  puissance  de 
l'homme  a  secondé  celle  delà  nature.  L'écrivain  a  pris  soin  lui-même, 
en  commençant  son  livre,  de  mettre  sa  théorie  d'accord  avec  le  récit  de 
la  Genèse.  Malgré  tout,  malgré  les  plus  grandes  précautions  de  style, 
les  affirmations  les  plus  nettes  touchant  la  puissance  supérieure  à 
laquelle  se  trouvent  subordonnées  toutes  les  forces  de  la  nature,  les 
causes  finales  qui  nous  ramènent  toujours  à  la  cause  première  et 
suprême,  et  Y liomo  duplex,  «  une  âme  qui  commande,  un  corps  qui 
obéit  tout  autant  qu'il  le  peut,  »  dernier  mot  de  sa  psychologie,  Buffon 
n'échappa  que  difficilement  à  la  persécution  théologique.  Ces  deux 
ouvrages,  la  Théorie  delà  Te?Teet  les  Epoques,  furent  dénoncés  et  il  dut 
se  réfugier  à  Montbard  (1779-1780).  Le  roi,  pendant  ce  temps,  ayant 
parlé  en  sa  faveur,  la  faculté  de  théologie  voulut  bien,  sans  prononcer 
une  condamnation,  se  contenter  de  déclarer  qu'elle  considérait  les 
Epoques  de  la  Nature  de  Buffon  comme  une  erreur  de  sa  vieillesse. 
Mais  ce  livre  est  resté,  pour  les  savants  du  dix-huitième  siècle  et  du 
dix-neuvième,  moins  sévères,  le  chef-d'œuvre  de  l'auteur.  —  Voyez  : 
Bachaumont,  Mémoires,  1780;  Condorcet,  Eloges  des  Académiciens , 
1799,  5  vol.  in-8°  ;  Héraut  de  Séchelles,  Voyage  à  Montbard,  an  IX, 
in-8°  ;  Cuvier,  Histoire  naturelle  de  Buffon,  avec  notice  sur  sa  vie  et  ses 
ouvrages,  1825-1826  ;  Flourens,  Buffon,  Hist.  de  ses  ouvrages  et  de  ses 
idées,  1850.  J.  Arboux. 

BUGENHAGEN  (Jean),  un  des  premiers  et  des  plus  utiles  collabora- 
teurs de  Luther,  était  originaire  de  la  Poméranie,  d'où  le  nom  de 
Pomeranus  sous  lequel  il  est  fréquemment  cité  au  seizième  siècle.  Il 
naquit  en  1485,  à  Wollin,  étudia  à  l'université  de  Greifswalde  la 
littérature  et  la  théologie,  dirigea  pendant  quelque  temps  l'école  de 
Treptow,  fut  lecteur  dans  un  couvent,  écrivit  dès  1818  une  Histoire  de 
la   Poméranie  (publiée  seulement  en  1728,  in-i°).  En  1520,  il  lut  le 


BUGENHAGEN  -   BULGARIE  463 

traité  de  Luther.  De  la  Captivité  babylonienne  de  V Eglise;  sa  première 
impression  tut  que  Fauteur  était  le  plus  dangereux  des  hérétiques; 
une  leetun"  plus  attentive  le  confirma  dans  L'opinion  qu'antérieure- 
ment déjà  il  s'était  faite  que  l'Eglise  était  en  décadence  el  que  pour  la 
relever  il  fallait  revenir  à  L'Evangile.  11  se  rendit  à  Wittemberg  pour 
entendre  les  réformateurs,  qui  ne  tardèrent  pas  à  se  l'associer.  11 
commença1  par  expliquer  U>s  Psaumes  à  quelques-uns  de  ses  compa- 
triotes: ces  Leçons  parurent  en  1524,  avec  des  préfaces  de  Luther  et  de 
Mélanchthon.  En  1523  Bugenhagen  devint  pasteur  à  Wittemberg; 
depuis  lors  il  prit  part  à  tout  ce  qui  servit  au  développement  de  la 
Réforme.  Disciple  fidèle  de  Luther,  il  défenditsa  doctrine  sur  la  sainte 
cène  contre  les  Suisses,  avant  que  Luther  lui-même  prit  part  à  la 
querelle.  Après  avoir  assisté  le  réformateur  dans  sa  traduction  de  la 
Bible,  il  en  publia  une  version  en  bas  allemand  (le  Nouveau  Testa- 
ment en  1525,  Wittemberg;  l'Ecriture  entière  en  1533,  Lubeck).  On 
rencontre  Bugenhagen  dans  toutes  les  conférences  qui  eurent  lieu  à 
cette  époque,  soit  entre  les  Etats  évangéliques,soit  entre  les  luthériens 
et  les  zwingliens.  Son  principal  mérite  est  d'avoir  constitué  le  protes- 
tantisme dans  plusieurs  contrées  du  Nord;  il  a  possédé  à  un  haut 
degré  le  talent  de  l'organisation.  En  1528,  il  fut  appelé  à  Brunswick 
et  à  Hambourg,  en  1529  à  Lubeck,  en  1535  en  Poméranie,  en  1537 
dans  le  Danemark  où  il  resta  près  de  cinq  ans;  en  1542  il  revint  à 
Brunswick,  d'où  il  se  rendit  à  Hildesheim.  Partout  il  fit  des  tournées 
pour  visiter  les  Eglises  et  les  écoles  ;  les  règlements  ecclésiastiques"" 
qu'il  rédigea  pour  ces  pays  et  ces  villes,  ou  qui  furent  écrits  d'après 
ses  principes,  montrent  avec  quelle  intelligence  des  besoins  du  peuple, 
avec  quel  sens  pratique,  avec  quelle  modération  il  a  su  organiser  les 
Eglises;  ses  idées  sur  la  direction  supérieure,  sur  les  fonctions  des 
ministres,  sur  le  culte,  sur  la  discipline,  sur  les  soins  à  donner  aux 
pauvres,  sur  l'instruction  religieuse  de  la  jeunesse,  seraient  utiles  à 
bien  des  égards  encore  aujourd'hui;  elles  furent  adoptées  alors  par 
plusieurs  villes  avec  lesquelles  Bugenhagen  n'était  pas  en  relation 
personnelle.  Il  prononça  le  sermon  lors  des  funérailles  de  Luther. 
Pendant  le  siège  de  Wittemberg,  il  resta  dans  la  ville,  continuant  de 
prêcher  pour  encourager  les  habitants  à  la  persévérance.  Après  le 
rétablissement  de  la  paix,  quand  éclatèrent  les  querelles  entre  Flacius 
et  Mélanchthon,  il  fut  du  côté  de  ce  dernier,  crut  devoir  accepter 
l'Intérim  de  Leipzig,  mais  ne  se  mêla  plus  de  controverses.  Il  mourut 
en  1558.  —  Voyez  :  sa  Biographie  par  Zietz,  Leipzig,  1834;  Jaeger,  Die 
Bedeutung  der  Bug.  Kirchenordn.  fur  die  EntwickL  der  d.  Kirche,  dans 
les  Stud.  m ni  Krii.,  1853.  Ch.  Schmidt. 

BULGARIE.  On  donne  le  nom  de  Bulgarie  à  une  vaste  région  de  la 
Turquie  d'Europe  comprise,  pour  la  plus  grand*;  partie,  dans  le 
vilayetdeTormaoudu  Danube.  Mais  la  race  bulgare,  d'une  part,  n'est  pas 
seule  en  possession  de  ce  territoire;  de  l'autre,  elle  le  déborde  de  tous 
côtés.  Les  Bulgares  sont  un  peuple  mixte  formé  par  la  fusion  de 
Mongols  el  de  Huns  et  qui  a  beaucoup  de  sang  tartare  dans  les 
veines.  Ces!  une  grande  erreur  que  d'en  taire  des  Slaves;  ils  ont 


464  BULGARIE 

sans  doute  avec  le  temps  été  mélangés  avec  des  éléments  slaves  ;  mais 
ils   ont   reçu   au   moins  autant  de  sang  grec;   ils  ont  été  slavisés, 
mais  leur  origine  est  toute  différente.  On  varie  beaucoup  sur  le  chiffre 
de  la  population.  Le  consul  Engelhardt  évalue   le  nombre  des  Bul- 
gares à  4,500,000,  dont  3,500,000  dans  la  Bulgarie  propre  ;  le  reste 
répandu  dans  les  autres  provinces  européennes  de  l'empire.  Sax  ré- 
duit le  chiffre  total  à  1,500,000  et  compte  de  plus  en  Bulgarie  500,000 
Turcs,  80  à  100,000  Tartares,  70  à  90,000  Tcherkesses,    60  à  70,000 
Albanais,  35  à  40,000  Roumains,  20  à  25,000  Zigeunes,  10,000  Juifs, 
10,000  Arméniens  non  unis,  10,000  Russes,  8,000  Grecs,  5,000  Serbes 
et  1,000  Allemands.  Les  autres  appréciations,  assez  nombreuses,  mais 
toutes  assez   vagues,  flottent  entre  les  chiffres  de  Sax  et  ceux  d'En- 
gelhardt.  Il  y  a  lieu,  du  reste,  de  se  méfier  de  toutes  les  évaluations, 
les   préoccupations   politiques  portant  les  uns  à  grossir,   les  autres  à 
diminuer  l'importance  de  l'élément  bulgare.  — Les  Bulgares,  venus  de 
l'Asie,  furent  longtemps  la  terreur  de  l'empire  byzantin.  Les  incursions 
de  leurs  hordes  barbares  portaient  la  désolation  jusque  sous  les  murs 
de  Constantinople,  et  tous  les  efforts  des  empereurs  ne  réussissaient 
pas  à  les  refouler.  Longtemps  ils  se  montrèrent  réfractaires  à  l'in- 
fluence du  christianisme.  Le  prêtre  grec  Methodius  réussit  cependant  à 
les  convertir  vers  le  milieu  du  neuvième  siècle.  Ils  se  rattachèrent  alors 
ecclésiastiquement  au  siège  patriarcal  de  Constantinople.  Mais  dès  866 
ils  s'en  séparèrent  pour  se  rapprocher  du  pape  Jean  VIII  et  de  l'Eglise 
de  Rome.  Cette  union  avec  l'Occident  ne  dura  que  quelques  années. 
Les  Bulgares  rentrèrent  dans  la  dépendance  spirituelle  de  Byzance  et 
pendant  dix  siècles,  à  travers  toutes  les  vicissitudes  politiques,  dans 
le  temps  de  l'empire  bulgare,  comme  pendant  la  domination  des  Grecs 
puis  des   Turcs,  ils   demeurèrent  indissolublement    attachés    à  leur 
métropole  religieuse.  Et  cependant  ils  n'avaient  pas  à  s'en  louer  outre 
mesure.    Trop  souvent,  dit-on,  le  patriarche  a  considéré  la  Bulgarie 
comme  terre  conquise  et  ses  évêchés  comme  de  grands  fiefs,  qu'il  dis- 
tribuait à  ses  créatures,  ou  même,  si  l'on  en  croit  certains  rapports, 
qu'il  vendait  au  plus  offrant.  Sans  vouloir  décider  ce  qu'il  avait  de 
fondé  dans  ses  accusations,  nous  devons  bien  reconnaître  que  l'état 
religieux  et  moral  de  l'Eglise  bulgare  laissait  beaucoup  à  désirer.  Son 
clergé,  dont  tous  les  chefs  et  beaucoup  de  membres   étaient  grecs, 
montrait  une  grande  indifférence  pour  les  intérêts  spirituels  du  pays  et 
paraissait  surtout  préoccupé  de  jouir  des  avantages  matériels  de   sa 
situation.  Aussi  lorsque  l'agitation  slave  commença  à  travailler  le  pays, 
de  nombreuses   protestations  s'élevèrent  contre  cet  état  de  choses. 
L'Eglise  romaine  parut  d'abord  devoir  en  tirer  avantage.  On  fit  grand 
bruit  vers  1860  de  l'entrée  des  Bulgares   dans  l'Eglise  occidentale  ; 
en  1861,  un  prêtre  bulgare,  Joseph  Sokolski,  fut  consacré  patriarche 
des   Bulgares   unis  ;  mais   ce   mouvement,  dont  on   se   promettait  de 
grandes  choses,  avorta  misérablement.  Les  populations,  sincèrement 
attachées  à  l'Eglise  orthodoxe,  malgré  tous  ses  abus,  refusèrent  de 
suivre  les  agitateurs,  et  au  bout  de  quelque  temps  Sokolski  lui-même 
renonça  à  sa  tentative  et  rentra  dans  le  clergé  grec.  Les  tendances  à 


BULGARIE  —  BULLE  465 

l'émancipation  prirent  alors  une  autre  direction,  et  Ton  chercha  à 
obtenir  de  la  Porte  l'érection  de  la  Bulgarie  en  un  patriarcat  distinct 
de  Constantinople.  Ces  démarches  aboutirent  en  mars  1870;  un  tirman 

détacha  la  Bulgarie  de  Constantinople  et  en  fit  un  exarchat  distinct. 
Le  prêtre  Authimios  fut  consacré  en  mai  1872  exarque  des  Bulgares, 
avec  cinq  évêchés  suffra gants.  Les  dissentiments  qui  avaient  éclaté  entra 
le  sultan  et  le  patriarche  avaient  facilité  cette  solution  ;  mais  lorsque 
la  paix  eut  été  rétablie  entre  l'Eglise  grecque  et  le  pouvoir  civil,  les 
réclamations  du  patriarche  rencontrèrent  un  écho  qu'elles  n'avaient 
pas  trouvé  au  temps  de  sa  disgrâce,  et  le  sultan  chercha  à  revenir  sur 
les  concessions  qu'il  avait  faites  aux  Bulgares;  ceux-ci  s'appuyèrent 
alors  sur  l'influence  russe  ;  de  là  des  tiraillements  qui  durent  encore  et 
dont  les  événements  politiques  qui  se  déroulent  actuellement  amène- 
ront peut-être  la  fin.  —  Bibliographie  :  Behm  und  Wagner,  Die  Bevœl- 
herung  der  Erde,  111  et  IV,  1875-76  ;  Edw.  Stamford,  Mémoire  sur  la 
répartition  des  races  dans  la  péninsule  illyrique,  1877  ;  Schaifarik,  Slavische 
Alterthùmer ;  Ubicini,  Lettres  sur  la  Turquie  ;  Jirecek,  Histoire  des  Bul- 
gares, etc.  .  E.  vaucher. 

BULGARIS  (Eugène)  naquit  en  1716,  à  Corl'ou,  où  il  reçut  les  pre- 
miers éléments  de  la  science  sous  la  direction  de  Jérémie  Cavadios.  Il 
continua  ses  études  à  Janina,  où  il  eut  pour  maîtres  Methodios  An- 
thrakitis.  Ce  fut  dans  cette  dernière  ville  qu'il  prit  les  ordres.  Il  passa 
ensuite  àPadoue,  où  il  étudia  les  sciences  philologiques  et  la  théologie." 
Après  avoir  terminé  ses  études,  il  dirigea  des  écoles  à. Janina,  à  Cozane, 
au  Mont-Athos  (de  1753  à  1759),  puis  à  Constantinople,  tout  en  ensei- 
gnant avec  la  plus  grande  distinction.  Partout  il  eut  à  lutter  contre 
les  intrigues  que  lui  attira  l'indépendance  de  ses  idées  :  ce  qui  le 
décida  à  se  transporter  en  Allemagne  en  1763  pour  publiera  Leipzig 
ses  ouvrages.  Il  fut  appelé  par  l'impératrice  Catherine  II  à  Saint-Pé- 
tersbourg et  il  fut  élevé  au  siège  archiépiscopal  de  Slaviniè  et  de 
Cherson  en  1776.  Kn  1779  il  se  démit  de  son  siège  en  faveur  de 
Mcéphore  Théotokis,  et  étant  allé  à  Saint-Pétersbourg,  il  se  retira  au 
monastère  de  Saint-Alexandre-Nevski,oùil  composa  plusieurs  ouvrages. 
C'est  dans  ce  monastère  qu'il  mourut  le  10  juin  1806.  Bulgaris  était 
un  homme  d'une  science  très-étendue;  il  était  philosophe,  philologue, 
mathématicien  et  théologien  également  renommé.  Voici  les  principaux 
de  ses  nombreux  ouvrages  :  Logique  (Leipz.,  1768)  ;  Métaphysique 
(Venise,  1805)  ;  Un  petit  livre  contre  les  Latins  (Constant.,  1796  et  1848)  ; 
Histoire  du  premier  siècle  de  V  Eglise  (Leipz. ,  1805)  ;  Théologie  scolastique 
(elle  n'est  pas  publiée)  ;  Théologie  dogmatique,  revue  et  publiée  par 
Athan.  Parios  en  1806.  Le  manuscrit  du  même  ouvrage  a  été  publié 
à  Venise  (1872),  par  A.  Lontopoulos,  sous  le  titre  :  &eokoyw.h  Eùy.  xoO 
BouXfàfCU);.  —  Voyez  :  Biographie  de  l'archevêque  Eug.  Bulgaris,  par 
A.-P.  Vretos,  Athènes,  L860  :  A.  Gondas,  Bîc.  icapaXXyjXot,  t.  II, 
Athènes,  1870;  A.  Dimitrakopoulos,  OpôéàoÇoç  EXXaç,  Leipz.,  1872; 
Sathas,  £oeX\yj   v./.y;  (\>:)S/^[iz,  Athènes,  1868.  I.  Moshakis. 

BULLE,  probablement  de  l'italien  bollare,  apposer  un  sceau,  se  dit 
des  lettres  officielles  publiées  par  le  pape  et  expédiées  par  la  chancel- 
it.  30 


466  BULLE 

lerie  romaine  dans  la  forme  la  plus   solennelle.  Les  communications 
sur  des  affaires  de  moindre  importance  s'appellent  brefs  (breois,  brève). 
Les  brefs  sont  expédiés  en  papier,  sans  préface  ni  préambule,  en  ca- 
ractères nets  et  lisibles,  en  général  sans  abréviations,  tandis  que  les 
bulles  sont  toujours  envoyées  en  parchemin  et  rédigées  en  caractères 
gothiques,  avec  les  abréviations  en  usage.  Les  sceaux  de  plomb  pen- 
dent à  un  cordon  de  chanvre  pour  les  affaires  de  justice,  et  à  un  cordon 
de  soie  rouge  et  jaune  pour  les  affaires  de  grâce.  Ils  portent  l'empreinte 
de  l'apôtre   Pierre  jetant  un  filet  depuis   sa   barque.   Les  anciennes 
bulles  avaient  sur  la  première  page  le  nom  du  pape,  sur  la  seconde 
le  mot  papa;  depuis  Léon   IX  (1049),   qui  n'a  fait  que  rétablir  un 
usage  de  Paul  Ier  (757),  elles  portent  les  têtes  des  apôtres  saint  Paul  et 
saint  Pierre,  avec  les  initiales  S.   P.  A.  —  S.   P.  E.  (Sanctus  Pauhis 
Apostolus,  Sanctus  Petrus  Epùcopus),  et  sur  le  revers  le  nom  du  pape 
avec  le  millésime.  On  appelle  demi-bulles  les  lettres  pontificales  expé- 
diées dans  l'intervalle  de  l'élection  du  pape  à  son  couronnement, 
parce  qu'on  n'y  applique  que  l'empreinte  des  deux  apôtres.  A  l'imi- 
tation des  empereurs  d'Crient,  les  papes  se  servaient  parfois  dans  des 
circonstances  exceptionnelles  de  sceaux  d'or  au  lieu  de  sceaux  en  plomb, 
d'où  le  nom  de  bulles  d'or.  Les  bulles  sont  toujours  rédigées  en  latin  et 
accompignées,  selon  les  besoins,  d'une  traduction  en  grec  ou  enitalien. 
Le  bref  commence  avec  le  nom  du  pape,  son  chiffre   et  une  formule 
de  salutation  ;  il  se  termine  par  la  simple  indication  du  lieu  et  de  la 
date.  Dans  la  bulle,  au  contraire,  le  chiffre  du  pape  est  remplacé  par  le 
titre  Episcopus  Servus  Servorum  Dei  et  la  date  indiquée  en  calendes, 
nones,   ides  et   par  l'année  du  règne  du  pape.  Les  bulles  consistoriales 
portent,   outre  la   signature   du  pape  (d'ordinaire  ajoutée  par  le  ré- 
dacteur lui-même),  celles  des  cardinaux,  tandis  que  les  brefs  ne  sont 
signés  que  par  les  secrétaires  spécialement  commis  à  ce  soin.  La  chan- 
cellerie expédie  les  premières,  la  daterie  ou  secrétariat  apostolique  les 
secondes.  Cette  expédition  est  tantôt  gratuite,  tantôt   soumise  à  une 
taxe  déterminée.  Il  est  facile  de  reconnaître  l'authenticité  d'une  bulle, 
d'après  les  règles  particulières   que  chaque  époque  a  observées  pour 
leur  rédaction.  On  les  désigne  d'ordinaire  d'après  les  mots  par  lesquels 
elles  commencent.  On  en  distingue  deux  catégories,  les  bulles  doctrinales 
(par  exemple,  celle  de  Léon  X  contre  Luther,  dite  Exsurge,  Domine,  et 
la  bulle  Umgenitus  contre  le  livre  du  P.  Quesnel),  et  les  bulles  d'ex- 
communication (par  exemple,  celles  dites  Clericislaicos  et  Ausculta  fih 
contre  Philippe  le  Bel).  Parmi  ces  dernières,  il  convient  de  faire  une 
place  à  part  à  la  bulle  In  cœna  Domini  ou  Bulla  J*.vis  sanctœ,  qui  ren- 
ferme la  sentence  de  condamnation  dont  sont  frappés,  par  contumace, 
ceux  qui  se  sont  rendus  coupables  de  désobéissance  impénitente  vis-à- 
vis  du  saint-siége.  Lecture  de  cette  bulle  était  donnée  aux  grandes 
fêtes  de  l'Eglise,  en  particulier  le  Jeudi  saint  (dïes  indulgentiœ,  et  par 
conséquent  aussi  de  condamnation  pour  les  impénitents).  Cet  usage,  qui 
remonte  au  douzième  siècle,  supprimé  par  Clément  XIV  en  l'année  1770, 
s'est  maintenu  jusqu'à  nos  jours.  Depuis  le  seizième  siècle,  ce  sont  les 
protestants  surtout  qui  sont  l'objet  de  cette  solennelle  excommunication , 


BULLE  —  BULLTNGER  107 

conjointement  avec  les  autres  hérétiques  et  schismatiques,  avec  ceux 
qui  en  appellent  des  décrets  «lu  pape  à  un  futur  concile  œcuménique, 

avec  les  pirates,  les  usuriers,  les  princes  qui  frappent  leurs  peuples  de 
nouveaux  impôts  non  consentis  par  le  pape,  les  falsificateurs  de  lettres 
.apostoliques,  etc.,  etc.  —  On  appelle  bullairss  les  recueils  des  bulles 
«les  papes.  Il  en  existe  un  certain  nombre.  Le  plus  ancien  est  celui  de 
Laertius  Chérubin i.  pour  la  période  écoulée  entre  Léon  Ier  et  Sixte- 
ouint  (440-1585),  Home.  1586;  2e  édition,  1617,  ,3  vol.  in-fol.  Son  fils, 
Angelius-Maria  Cherubini,  y  ajouta  un  quatrièmejvolume  qui  va  jusqu'à 
Innocent  \(  1644),  Home,  103i  ;  Angélus  a  Lantusca  et  Jean-Paul  de  Rome 
le  complétèrent  par  un  cinquième  volume  jusqu'à  Clément  X  (1670), 
Home,  I(')72.  Le  plus  complet  est  le  Bullarium  magnum,  imprimé  à  Rome 
de  1733  à  1748,  en  14  volumes  in-folio,  par  Gocquelin,  et  pourvu  d'un  sup- 
plément par  Barberi,  en  20  volumes  in-folio,  Rome,  1835-1860.  — 
Sources  :  Mabillon,  De  Re  diplomatica,  1.  II,  c.  xiv;  Gaet.  Moroni,  V, 
p.  277  ss.  ;  VI,  p.  115  ss.  ;  du  Fresne,  Glossar.  ad  voc.  brève,  bulla; 
Ferraris,  Prompta  bibliotli.,  ibid.;  Eisenschmidt,  Bas  rôm.  Bullarium , 
Neust.,1831,  2  vol. 

BULLINGER  (Henri)  naquit  à  Bremgarten  le  18  juillet  1504.  Il  fit  ses 
premières  études  à  Emmerich  et  à  Cologne,  où  il  apprit  à  connaître 
non-seulement  les  docteurs  du  moyen  âge,  mais  aussi  les  premiers 
écrits  de  Luther  et  l'antiquité  classique.  Lorsqu'il  fut  de  retour  dans  sa 
patrie,  qui  dans  l'intervalle  avait  subi  l'influence  réformatrice  de 
Zwingle,  il  devint  professeur  à  une  école  de  couvent  nouvellement 
fondée.  Son  enseignement  fut  tout  évangélique  et  ne  reposait  que  sur 
L'Ecriture  :  ce  qui  lui  attira  des  amis,  mais  aussi  des  ennemis.  Parmi 
les  premiers  se  trouvait  Zwingle  ;  Bullinger  resta  quelque  temps 
sous  l'influence  immédiate  du  réformateur  de  Zurich,  dont  il  partageait 
d'ailleurs  les  opinions  théologiques.  La  carrière  ecclésiastique,  qu'il 
voyait  si  dignement  représentée  par  des  hommes  tels  que  Zwingle  et 
QEcolampade,  l'attirait  de  plus  en  plus ,  il  ne  tarda  pas  à  se  faire 
recevoir  au  nombre  des  pasteurs  évangéliques  et  accepta  avec  joie  l'ap- 
pel que  lui  adressa  son  endroit  natal  Bremgarten  :  il  y  devint  pasteur 
le  Ie*  juin  1529.  Les  événements  funestes  qui  coûtèrent  la  vie  à  Zwin- 
gle forcèrent  aussi  Bullinger  d'abandonner  son  poste,  et  peu  après  la 
bataille  de  Cappel  (1541)  il  se  retira  de  nouveau  à  Zurich.  «  Zwingle 
est  ressuscité,  »  s'écriait  Myconius ,  après  les  premiers  sermons  de 
Bullinger  a  Zurich.  En  effet,  le  grand  réformateur  avait  trouvé  un 
successeur  digne  de  lui.  Après  avoir  été  nommé  autistes  (premier  pas- 
teur) de  Zurich,  il  défendit  vaillamment  la  cause  de  la  prédication 
évangéliqueet  déploya  une  étonnante  activité.  A  côté  de  ses  nombreuses 
prédications  et  de  sa  eure  d'âmes,  il  trouva  le  temps  de  s'occuper  de 
[a  grandi  querelle  théologique  qui  divisait  aîorsl'Eglise  de  laRéforme. 
On  sait  que  le  réformateur  de  Strasbourg,  Bucer,  fit  tous  ses  efforts 
pour  amener  une  entente  entre  les  frères  ennemis  :  quoique  Bullinger 
ait  été  dans  ses  opinions  touchant  l'eucharistie  peut-être  moins  radical 
que  Zwingle,  puisqu'il  admettait  une  présence  spirituelle  du  Christ 
pour  le  croyant,  les  tendances  conciliatrices  de  Bucer  ne  lurent  pas  de 


468  BULLINGER  —  BUNGENER 

son  goût.  Il  ne  se  réconcilia  jamais  avec  Luther,  et  en  1545  encore  il  lui 
envoya  une  réplique  énergique,  qui  mit  fin  à  cette  querelle  si  stérile 
et  si  funeste  pour  l'Eglise.  Ses  rapports  avec  Calvin  ne  furent  pas  tou- 
jours exempts  de  troubles:  au  Consensus  Tigurinw  (1529),  on  parvint  à 
s'entendre;  mais  lors  des  différends  entre  Calvin  et  Bolsec,  Bullinger 
ne  put  adopter  les  théories  extrêmes  de  Genève.  Cela  ne  l'empêcha 
pourtant  pas  de  donner  son  assentiment  aux  mesures  que  prit  Calvin 
contre  le  malheureux  Servet.  11  se  rapprocha  de  plus  en  plus  de  la 
théologie  de  Calvin,  surtout  depuis  l'arrivée  à  Zurich  de  Pierre-Martyr 
Vermilli.  Nous  en  avons  la  preuve  dans  la  position  qu'il  prit  contre  le 
fanatisme  de  Marbach  à  Strasbourg  en  faveur  du  réformé  Zanchi  et 
dans  sa  lutte  avec  le  luthérien  Brenz  au  sujet  de  l'ubiquité  de  la  per- 
sonne du  Christ.  C'est  vers  cette  époque  aussi  qu'il  composa  la  se- 
conde Confession  de  foi  helvétique,  son  chef-d'œuvre  (1564).  Ses  ouvrages 
se  distinguent  par  leur  clarté  et  leur  naturel.  Notons  entre  autres  l'appel 
aux  protestants  de  France  De  persemtione.  lors  des  massacres  de  la 
Saint-Barthélémy.  La  mort  mit  fin  à  cette  vie  si  belle  et  si  remplie  le 
17  septembre  1575.  —  Voyez  :  Simmler,  De  vita  et  obitu  Bullingeri; 
Hess,  Lebensgeschichte  Bullingers;  et  surtout  C.  Pestalozzi,  H.  Bullin- 
ger, Lebenund  ausgewœhlte  Schriften,  1858.  a.  Courvojsier. 

BUNDEHESCH.  Voyez  Perse. 

BUNGENER  (Félix)  [1814-1874],  littérateur,  controversiste  et  prédi- 
cateur genevois,  un  des  écrivains  les  plus  marquants  du  protestantisme 
de  langue  française  dans  ce  siècle.  —  i.  L'homme.  Bien  que  son  père, 
honnête  et  modeste  artisan,  fût  d'origine  allemande,  Bungener,  né  à 
Marseille,  n'avait  rien  de  germanique  clans  le  tempérament  ni  dans 
l'esprit;  c'était  un  vrai  lils  du  Midi  :  il  en  avait  l'accent,  l'ardeur  et  la 
verve,  que  tempérèrent  des  habitudes  cle  réflexion  et  de  gravité  prises 
dans  la  cité  de  Calvin.  Il  y  vint  accompagné  de  ses  parents,  pour  se 
préparer  à  la  théologie.  Chemin  faisant,  son  père  tomba  malade  et 
mourut  à  Chambéry,  où  il  fut  enterré,  comme  protestant,  dans  le  coin 
des  suppliciés.  Souvenir  douloureux  qui  se  grava  dans  l'àme  du  futur 
controversiste  !  Son  zèle  pour  l'étude  était  grand,  mais  bien  traversé 
par  l'obligation  de  donner  des  leçons  pour  vivre  et  soutenir  sa  mère, 
qu'il  soigna  avec  un  dévouement  filial  exemplaire.  Pendant  ses  années 
de  théologie,  en  1835,  il  subit  les  vives  impressions  du  jubilé  de  la 
Réformation  de  Genève.  En  1838,  il  alla  soutenir  à  la  faculté  de  Stras- 
bourg sa  thèse  sur  et  pour  la  peine  de  mort.  De  retour  à  Genève,  il  fut 
consacré  ministre,  s'y  maria,  s'y  fixa  tout  à  fait,  et  devint  bourgeois  de 
cette  cité  qu'il  aima  d'une  ardeur  qu'on  trouvait  passionnée.  11  en  avait 
fait  siens  l'héritage,  l'esprit  et  les  destins.  Aussitôt  après  cette  période 
de  préparation,  Bungener  s'adonne  à  la  littérature.  Nommé  régent  de 
la  classe  la  plus  élevée  du  collège  classique  de  Genève,  en  1843,  il 
trouve  à  côté  de  cette  besogne  officielle,  consciencieusement  remplie 
pendant  cinq  années,  le  moyen  de  donner  des  cours  publics  et  d'écrire 
sur  les  matières  qui  ont  de  tout  temps  exercé  son  talent,  la  critique  et 
la  controverse.  Mais  son  caractère  de  ministre,  ses  opinions  conserva- 
rices  en  politique  le  rendent  impopulaire  auprès  du  parti  radical  qui, 


BUNGENER  469 

arrivé  au  pouvoir  par  la  révolution  de  18Y7,  le  destitue  avec  d'autres 
professeurs  en  1848.  Un  autre  enseignement  indépendant  de  l'Etat  se 
présente  aussitôt  pour  lui.  celui  de  la  littérature  dans  des  cours  supé- 
rieurs destinés  aux  jeunes  tilles.  A  partir  de  L853  s'ouvre  une  troisième 
et  dernière  période  de  sa  vie,  où,  pendant  plus  de  vingt  années,  il 
porte  toute  son  ardeur  de  pensée  et  d'action  du  côté  des  intérêts  de 
l'Eglise.  Deux  circonstances  T y  poussent:  le  danger  que  court  la  Genève 
protestante,  attaquée  avec  audace  par  l'ultramontanisme  dans  cette 
même  année  1853  ;  et  le  développement  de  science  et  d'œuvre  qui  se 
produit  au  dedans  de  l'Eglise  réformée,  cantonnée  par  la  Révolution 
dans  le  domaine  spirituel,  et  qui  se  voit  obligée  de  regagner  par  un 
redoublement  de  zèle  l'estime  de  la  démocratie.  C'est  un  travail  auquel 
Bungener,  sans  être  pasteur  enotfice,  prend  une  grande  part  et  dont  il 
raconte  les  phases  dans  la  chronique  annuelle  de  la  collection  des 
Etreunes  religieuses,  depuis  1853  jusqu'à  sa  mort,  pendant  vingt-et-un, 
ans.  On  le  voit  d'ailleurs  soutenir  la  cause  générale  du  christianisme 
et  du  protestantisme  comme  prédicateur,  conférencier  et  publiciste.  Le 
mérite  et  le  succès  de  ses  ouvrages,  traduits  en  plusieurs  langues, 
étendent  au  loin  son  influence.  Dans  toutes  ces  occupations  il  apporte 
une  conscience  vigilante,  une  exactitude  exemplaire,  une  force  de 
travail  bien  rare,  secondée  par  une  robuste  santé.  Il  y  joignait  le  désin- 
téressement, la  simplicité,  même  l'austérité  des  mœurs,  sous  laquelle 
se  dérobait  aux  yeux  du  public  un  cœur  tendre.  On  put  le  voir,  lors~- 
qu'en  1863,  à  la  mort  d'une  de  ses  filles,  il  écrivit  Trois  jours  de  la 
mort  (Fun  père,  œuvre  singulièrement  touchante  et  édifiante,  qui  jaillit 
d'une  âme  déchirée  mais  consolée  par  l'Evangile,  et  qui  avec  cela  se 
trouve  être  un  petit  chef-d'œuvre  littéraire.  Toutefois  la  note  domi- 
nante est  bien  la  sévérité  morale.  Bungener  avait  le  culte  du  vrai,  mais 
une  façon  particulière  d'entendre  la  véracité.  Il  se  montrait,  dans  ses 
relations  comme  dans  sa  critique,  habituellement  un  censeur,  frappant 
de  sa  férule  non  pas  seulement  les  erreurs  et  les  faiblesses  du  temps, 
de  la  démocratie,  de  l'Eglise,  mais  encore  les  torts  de  ses  élèves  et 
même  de  ses  collègues.  Il  n'obtenait  pas  ainsi  la  popularité,  mais  aussi 
ne  la  recherchait-il  pas.  Ce  caractère  inspirait  moins  la  sympathie  qu'il 
ne  commandait  l'estime.  C'était  un  homme  de  devoir  et  d'action,  un 
homme  d'une  forte  individualité,  comme  le  protestantisme  seul  peut- 
être  en  sait  faire.  Et  si  dans  ses  écrits  Bungener  a  été  surtout  l'avocat 
•  t  L'organe  militant  du  protestantisme,  dans  sa  vie  il  a  offert  un  exem- 
plaire adouci  sans  doute  par  la  littérature  et  par  l'art,  mais  distinct 
encore  du  type  puritain  au  dix-neuvième  siècle.  C'est  au  milieu  de  ce 
labeur,  «pie  l'âge  n'avait  point  ralenti,  que  la  mort  vint  l'atteindre, 
dans  sa  soixantième  année,  le  14  juin  1871. 

II.  L'oeuvre.  Bungener  s'est  adonné  successivement  à  la  littérature 
proprement  dite  (critique  et  roman)  ;  à  la  controverse;  à  la  littérature 
religieuse  (biographies  «-t  sermons).  De  là  trois  séries  d'ouvrages,  que 
nous  allons  analyser.  —  1.  Roman.  Bungener  débuta  par  un  cours  devenu 
un  livre  sur  la  Poésie  moderne  (1839).  Vers  la  même  époque,  il  entre- 
prend  l'élude    du  dix-septième  siècle  et  bientôt  il  détache  de  ses  re- 


470  BUNGENER 

cherches  les  épisodes  suivants  :  Deux  soirées  à  l'hôtel  de  Rambouillet 
(les  improvisations  du  jeune  Bossuet  et  de  l'abbé  Cotin),  1839;  puis, 
en  1843,  Un  sermon  sous  Louis  XIV,  qui  fonda  sa  réputation.  C'était  un 
genre  nouveau,  où  se  mêlaient  l'histoire,  le  roman  et  la  théologie.  Dans 
un  récit  plein  de  mouvement,  de  verve  et  où  le  brillant  du  coloris  ne 
l'ait  jamais  tort  à  la  correction  et  à  la  précision  du  style,  on  voit  figurer 
tous  les  personnages  marquants  de  la  chaire  d'alors.  Le  but  de  l'auteur 
est  d'analyser  l'esprit  et  les  conditions  de  l'art  oratoire,  tel  que  le  con- 
çoivent le  catholicisme  et  le  protestantisme,  comparés  dans  des  entre- 
tiens auxquels  prennent  part  d'un  côté  Claude,  de  l'autre  Bossuet, 
Fénelon,  Bourdaloue.  Chez  celui-là,  fidélité  évangélique  et  conscience 
rehaussant  le  talent.  Chez  ceux-ci,  génie,  mais  accommodation  morale  et 
crainte  du  prince.  Le  sujet  est  heureux,  les  idées  abondantes  et  intéres- 
santes, les  dialogues  fins,  la  discussion  menée  avec  modération  et  bon  ton. 
Encouragé  par  le  succès  qui  avait  marqué  ce  début,  Bungener  aborda  le 
dix-huitième  siècle,  étudia  profondément  et  trouva  dans  ce  travail  la  ma- 
tière d'une  étude  critique  et  de  deux  nouveaux  romans,  composés  d'après 
les  mêmes  procédés  que  le  premier,  mais  dans  un  cadre  bien  plus  vaste 
et  sur  une  toile  bien  plus  chargée  de  personnages,  d'effets  et  de  couleurs. 
Les  trois  sermons  sous  Louis  XV  (3  vol.,  1849)  mêlent  intimement  la 
prédication  à  l'histoire  générale  du  temps.  Le  Sermon  à  la  cour  et  le 
Sermon  à  la  ville  sont  prêches  par  le  missionnaire  Bridaine  devant  le 
roi,  et  le  Sermon  au  désert  par  Paul  Babaut,  qui  consacre  son  fils  au 
plus  périlleux  ministère  devant  une  grande  assemblée  de  protestants. 
Ces  trois  tableaux  sont  enfermés  dans  le  cadre  du  roman  émouvant 
d'un  Cévenol,  perfidement  entraîné  au  catholicisme,  puis  repentant  et 
réhabilité.  Une  suite  de  scènes  intercalées  dans  le  drame  font  appa- 
raître la  cour  de  Louis  XY,  les  encyclopédistes,  les  jésuites,  mais  sur- 
tout (car  c'est  là  l'objet  de  prédilection  de  l'auteur  et  du  lecteur)  les 
souffrances  et  l'héroïsme  des  protestants,  les  prisonnières  de  la  tour 
de  Constance,  les  galériens,  les  supplices  du  ministre  Rochette  et  de 
l'infortuné  Calas,  Rabaut  enfin,  le  grand  pasteur.  Les  deux  autres  ou- 
vrages, Voltaire  et  son  siècle  (2  vol.,  1851)  et  Julien  ou  la  fin  d'un  siècle 
(4  vol.,  1854)  n'ont  pas  eu  le  même  succès  :  ils  reproduisent  en  les 
augmentant  les  défauts  littéraires  des  premiers,  et  ils  mêlent  l'amer- 
tume aux  jugements  déjà  sévères  de  l'historien.  Cette  aggravation  pro- 
vient des  impressions  produites  sur  l'auteur  par  la  révolution  de 
1848,  et  par  l'envahissement  de  l'ultramontanisme  qui  s'enhardit  en 
France  après  le  coup  d'Etat  de  1851  et  menace  Genève  en  1853.  — 
2.  Controverse.  Pendant  que  Bungener  était  encore  engagé  dans  la  pé- 
riode essentiellement  littéraire  de  sa  carrière,  on  annonçait  en  1845  la 
célébration  du  trois-centième  anniversaire  de  l'ouverture  du  concile  de 
Trente.  Cela  le  détermina  à  donner  un  corps  à  ses  précédentes  études 
sur  le  catholicisme.  Il  fit  donc  un  cours  sur  ce  sujet,  qui  devint  l'ou- 
vrage intitulé  Histoire  du  concile  de  Trente  (2  vol.,  1847).  A  l'aide  des 
deux  premiers  historiens  du  concile,  Sarpi,  l'adversaire,  Pallavicini, 
l'apologiste,  Bungener  retrace  l'historique  long  et  pénible  de  ses  prépa- 
ratifs, de  sa  convocation,  de  ses  suspensions,  de  ses  incidents  politiques 


BUNGENER  471 

et  ecclésiastiques,  des  débats  de  ses  vingt-cinq  sessions  et  de  ses  suites 
immédiates.  Chemin  Taisant,  i!  expose  et  discute  toutes  les  doctrines 
catholiques  définies  par  la  haute  assemblée  :  l'autorité,  la  tradition  et 
l'Ecriture,  les  sacrements  en  particulier,  L'épiscopat  et  son  droit  divin, 
la   papauté,    les   vœux  monastiques,   le  purgatoire,   etc.   Du  haut  de 
l'Ecriture,   de  l'histoire  el  de  la  raison,  il  l'ait  voir  l'incohérence  dans 
le  plan,  les  vices  dans  les  détails,  la  fragilité  dans  les  fondements  de 
cette  forteresse   de  Trente.  Après  L'agression  ultramontaine  de   1853, 
Bungener  conçoit    le  plan  d'une   sorte   de  «   cycle   d'œuvre  »  où  il 
opposera  successivement  à  Rome  la  Bible,  la  philosophie  morale,  l'his- 
toire. En  1859  parait  Rome  et  la  Mile, manuel  ducontroversiste  évangéli- 
que.  L'auteur  parcourt  tous  les  livres  du  Nouveau  Testament,  donne  un 
résumé  en  quelques  lignes  de  chaque  chapitre,  cite,  d'après  une  version 
éclectique   en   gros  caractères,  tous  les  passages  invoqués  de  part  et 
d'autre  par  la  controverse  traditionnelle,  les  l'ait  suivre  d'une  discus- 
sion imprimée  en  plus  petits  caractères.  Il  y  a  489  passages  annotés. 
Une  table  analytique  placée  à  la  fin  réunit  par  des  chiffres  tout  ce  qui 
se  tient  par  des  idées.    Cette  table  n'indique  pas  moins  de  134  sujets 
ou  questions  controversées.  Dans  l'ouvrage  suivant  :  Home  et  le  cœur 
humain,  études  sur  le  catholicisme  (1861)  Bungener  suit  le  jeu  des  passions 
du  cœur  humain,  du  «vieil  homme  »  dans  la  formation  tour  à  tour  de 
l'Eglise,  de  l'autorité,  de  la  tradition,  du  clergé,  du  culte,  de  la  doc- 
trine du  salut.    Dans  cette  besogne,  où  quelque  bien  n'est  pas  absent 
de  tant  de  mal,  il  montre,  agissant  à  la  t'ois,  le  servilisme  et  l'abdica- 
tion de  soi  chez  les  uns,  le  despotisme  chez  les  autres,  la  crainte  ou 
l'exploitation  de  la  Bible,  le  formalisme,  la  déification  de  l'homme,  et 
surtout,   dans   la  conception  du  salut,  une  secrète  aversion  pour  la 
grâce,   la    propre  justice,   l'illusion   morale  donnant  le  jour  à  trois 
sortes  d'altérations  qui  sont  la  casuistique,  la  confession  et  les  indul- 
gences. Pour  achever  sa  trilogie,  Bungener  avait  encore  à   faire  un 
livre  sur  Home  et  l histoire  depuis  longtemps  projeté,  mais  il  n'eut  pas 
le  temps  de   l'écrire.  Les  circonstances  lui  ont  dicté  deux  autres  ou- 
vrages qui  en  ont  tenu  lieu  :  Pape  et  concile  au  XIXti  siècle  (1870).   A 
l'approche   du   concile  du  Vatican,  Bungener  voulait  dire  ce  que  le 
nouveau  concile  ne  manquerait  pas  de  professer  et  faire  après  celui  de 
Trente,  ce  que  ces  trois  siècles  écoulés  avaient  produit  dans  l'Eglise 
catholique,   quelles   tendances,   quelles  doctrines,    quelles  influences- 
s'étaient  dessinées  et  fortifiées  dans  les  temps  modernes.  L'auteur  re-  ' 
trace  d'abord  le  système  papal  tel  que  le  formule  le  Syllabus,  il  énu- 
mère  les   résistances  paralysées,  les  sophismes  imaginés  en  face  de  la 
Bible  et  en  face  du  siècle  pour  justifier  cette  divinisation  de  l'Eglise, 
les   travestissements  de  l'histoire  du  passé,  les  promesses  fallacieuses 
faites  au  conservatisme  pour  se  l'attacher  dans  les  crises  de  l'avenir; 
puis  il  discute  et  réfute  les  prétentions  de  la  papauté  dans  Tordre  po- 
litique, mura!  et  intellectuel,  en  invoquant  l'argument  scripturaire  el 
l'argument    historique.   Il    montre   enfin   combien  Pie  IX  a   renchéri 
jusqu'en  1869  sur  l<-  concile  de  Trente,  qui  avait  été'  bien  plus  prudent 
ou  bien  moins  avancé,  et  comment  il  a  porté  le  marianisme  et  les  su- 


472  BUNGENER 

perstitions  à  leur  apogée.  Ce  qu'il  venait  de  faire  pour  les  prétentions 
modernes  de  la  papauté,  Bungener  allait  le  faire  pour  la  littérature 
catholique  contemporaine,  dans  un  dernier  ouvrage  :  Rome  et  le  vrai 
(1873).  Ce  qui  le  frappe  chez  tous  ses  organes,  légers  ou  graves,  c'est 
l'absence  du  vrai.  Elle  lui  parait  condamnée  au  faux.  Le  faux  est  sen- 
sible, selon  lui,  dans  la  double  attitude,  ou  flatteuse  ou  hostile,  qu'elle 
prend  vis-à-vis  de  la  Bible,  de  la  liberté  de  Jésus,  de  l'histoire,  cause 
de  mille  falsifications  ;  dans  la"  divinisation  du  .prêtre,  du  pape,  de 
l'Eglise,  enfin  dans  les  caractères  intrinsèques  de  cette  littérature,  es- 
prit de  coterie,  de  flatterie  mutuelle,  attaques  sans  mesure  des  adver- 
saires, affadissements  et  petitesses,  ou  violentes  amplifications.  A  côté 
de  ces  cinq  grands  ouvrages  les  opuscules  abondent.  Toutes  les  fois 
qu'un  déli  est  lancé  par  un  champion  ultramontain,  ou  qu'une  témé- 
raire nouveauté  se  fait  jour,  Bungener  se  lève  et  accourt,  sa  plume, 
comme  un  glaive,  à  la  main.  Bungener  eut  le  temps  de  voir  naître  à 
Genève,  en  1873,  à  la  voix  du  P.  Hyacinthe,  et  s'organiser  le  catholi- 
cisme libéral.  Mais  il  ne  croyait  guère  à  sa  durée  :  «  Une  rupture  avec 
Tultramontanisme,  écrivait-il,  sera  toujours,  quoi  qu'on  fasse,  une 
rupture  avec  l'Eglise  romaine,  une  entrée  sur  le  terrain  protestant. 
Mais  il  est  bon  que  l'illusion  de  nos  nouveaux  frères  subsiste.  »  — 
3.  Dans  le  domaine  de  la  Littérature  religieuse  proprement  dite,  nous 
nommons  d'abord  Saint  Paul,  sa  vie,  son  œuvre  et  ses  épîtres  (1867), 
étude  narrative  quant  à  la  forme,  et  apologétique  quant  au  but.  Bun- 
gener n'a  pas  la  prétention  de  traiter  scientifiquement  les  problèmes 
historiques  et  théologiques  soulevés  par  la  carrière  de  l'apôtre  des  Gen- 
tils. C'est  à  peine  s'il  nomme  Baur,  mais  il  donne  son  opinion  sur 
plusieurs  des  points  débattus,  et  cela  généralement  dans  le  sens  conser- 
vateur. Cette  même  intention  apologétique,  nous  la  trouvons  dans  Cal- 
vin, sa  vie ,  son  œuvre ,  ses  écrits  (Ï8Q3) ,  l'un  des  écrits  les  plus  faibles  de 
notre  auteur  au  point  de  vue  scientifique.  Lincoln,  sa  vie,  son  œuore,  sa 
mort  (1865)  est  un  récit  biographique  plein  de  vie  et  d'intérêt.  Mais 
dans  ce  genre  narratif  et  populaire  la  vraie  création  de  Bungener  ce  sont 
les  Souvenirs  de  Noël  (1859  ss.),  qui  transportent  les  jeunes  lecteurs 
dans  les  lieux  et  les  temps  les  plus  divers,  et  dans  la  société  des  plus 
nobles  types  protestants,  trois  petits  chefs-d'œuvre,  où  la  noblesse 
des  sentiments  est  relevée  par  la  forme  dramatique.  Bungener  n'avait 
point  officiellement  charge  de  prédicateur,  mais  néanmoins  il  a  beau- 
coup prêché.  Un  petit  nombre  seulement  de  ses  sermons  ont  vu  le  jour. 
Lui-même  n'a  publié  que  le  volume  intitulé  Christ  et  le  siècle  (1856). 
Il  y  détermine  les  rapports  qui  doivent  lier  actuellement  le  christia- 
nisme au  progrès,  aux  événements  et  aux  questions  sociales.  Le 
volume  des  Semions  publiés  après  sa  mort  (1875)  contient  principa- 
lement des  discours  pour  les  solennités  chrétiennes  et  quelques  homélies. 
On  y  sent,  outre  le  croyant  soumis  à  l'Evangile,  l'observateur  péné- 
trant des  ruses  du  cœur,  le  moraliste  à  la  fois  fin  et  grave.  Bungener 
n'était  point  un  orateur  populaire,  entraînant;  ses  sermons  étaient 
trop  écrits  peut-être;  c'est  pour  cela  qu'ils  gagnent  à  être  lus  et  qu'ils 
resteront.  —  Sources  :  Les  ouvrages  imprimés  de  Bungener,  dont  le 


BUNGENER  —  BUNSEN  473 

nombre,  en  y  comprenant  les  diverses  éditions  et  les  traductions, 
s'élève  à  plus  de  cent  cinquante  volumes;  beaucoup  de  manuscrits 
inédits;  des  articles  critiques  sur  ses  œuvres  dans  les  journaux;  les 
E (rennes  religieuses  de  1850 à  lKT'i  Félix  Bungener,  par  Jean  (iaberel, 
dans  le  volume  subséquent,  de  Tannée  L875.  A-  Bouvibb. 

BUNSEN  (Chrétien-Charles- Josias),  créé  chevalier  en  1857,  célèbre 
homme  d'Etal  et  savant,  naquit  à  Korbacli  (principauté  de  Waldeck), 
en  1791.  Son  père,  homme  d  une  rare  probité,  y  remplissait  les  modestes 
fonctions  de  greffier  de  la  justice,  après  avoir  servi  pendant  trente  ans 
dans  l'armée  hollandaise.  Le  jeune  Chrétien  fut  un  des  élèves  les  plus 
distingués  du  gymnase  de  sa  ville  natale.  En  1808  il  étudia  la  théologie  à 
Marbourg;  de  1809  à  1813,  la  philologie  à  Gœttingue  où  brillait  alors 
dans  tout  son  éclat  l'illustre  Heyne.  Il  y  gagna  sa  vie  tant  en  professant 
au  gymnase  qu'en  s'occupant  de  l'éducation  d'un  riche  Américain  du 
nom  d'Astor.  C'est  là  que  parut  son  premier  écrit  De  jure  Athénien- 
sium  hxreditario;  il  lui  valut,  outre  un  prix,  le  grade  de  docteur 
en  philosophie  que  lui  conféra,  en  1813,  la  faculté  de  Iéna.  Avide  de 
science,  préoccupé  dès  lors  d'apprendre  à  «  connaître  Dieu  en  tant 
qu'il  se  manifeste  en  1  nomme  par  le  langage  et  par  la  religion,  »  il 
visita  tour  à  tour  Vienne,  la  Hollande,  Copenhague,  Berlin  où  il  lit  la 
connaissance  de  Niebuhr,  Paris  où  il  étudia,  sous  la  direction  de  Syl- 
vestre de  Sacy,  l'arabe  et  le  persan.  Arrivé  à  Florence  en  1816,  il  ap- 
prit, à  son  grand  regret,  qu'il  lui  fallait  renoncer  au  voyage  en  Orient, 
qu'il  s'était  proposé  de  faire  avec  son  élève  Astor,  rappelé  en  Amé- 
rique. Sur  l'invitation  de  Niebuhr,  alors  ambassadeur  de  la  Prusse  à 
Rome,  il  se  rendit  dans  la  ville  éternelle;  il  y  occupa  pendant  vingt- 
et-un  ans  une  position  des  plus  enviées.  C'est  à  Rome  qu'il  épousa, 
en  1817,  une  Anglaise  de  grande  famille  et  fort  distinguée  d'esprit,  qui 
exerça  la  plus  heureuse  influence  sur  son  développement,  Frances 
Waddington.  Secrétaire  d'ambassade,  en  remplacement  de  Brandis 
(1818),  il  fut  nommé,  après  le  départ  de  Niebuhr  (1823),  chargé  d'af- 
faires de  la  Prusse  auprès  de  la  cour  papale  et  enlin,  en  1834,  ministre 
plénipotentiaire.  Il  dut  un  si  rapide  avancement  non-seulement  à  la 
protection  de  Niebuhr,  mais  encore  à  l'entrevue  qu'il  eut  à  Rome  (no- 
vembre 1822)  avec  le  roi  Frédéric-Guillaume  III,  que  captivèrent  au 
pins  haut  point  les  brillantes  qualités  du  jeune  secrétaire,  et  surtout 
a  issi  a  la  franchise  avec  laquelle  il  exposa  au  roi  ses  vues  liturgiques 
bien  différentes  des  siennes  propres.  En  1828,  il  s'y  lia  d'amitié  avec 
le  prince  héréditaire  de  Prusse  (plus  tard  Frédéric-Guillaume  IV),  ami- 
tié ({ni  subsista  malgré  de  profondes  divergences  d'opinions  au  sujet 
des  rapports  entre  l'Eglise  et  l'Etat.  Telle  fut  l'estime  dont  Bunsen 
jouit  a  Rome,  que  les  représentants  des  grandes  puissances  adoptèrent, 
en  1S:;2.  son  Mémorandum  relatif  aux.  réformes  à  introduire  dans  les 
Etats  du  pape.  L'activité  de  Bunsen  se  déploya  dans  les  directions  les 
plus  variées.  C'esl  a  son  initiative  que  l'on  dut  la  fondation  d'un  hôpi- 
tal protestant  a  Rome.  Il  prit  la  plus  vive  part  à  la  création  de  V  Institut 
archéologique,  œuvre  du  prince  héréditaire,  et  collabora  activement  au 
grand  ouvrage,  Beschreibung  der  Stade  Rom  qui  parut  a    Stuttgard 


474  BUNSEN 

(1830-1843),  et  aux  Basiliken  des  christl.  Rom  (Munich,  1843;  nouv. 
édit.,  1864;  éd.  française  par  Ramier,  î'rancf.,  1873),touten  s'occupant 
avec  passion  des  antiquités  étrusques  et  égyptiennes  auxquelles  l'initia 
l'illustre  Ghampollion  et  que  lui-même  lit  apprécier  à  Lepsius.  Pour- 
suivant d'ailleurs  ses  études  sur  le  culte  chrétien,  il  fit  paraître,  avec  le 
concours  de  R.  Rothe,  alors  prédicateur  attaché  à  l'ambassade  prus- 
sienne à  Rome,  différents  travaux  liturgiques  et  hymnologiques,  tels  que 
Versuch  eines  allgem.  evang.  Gesang  u.  Gebetbuches,  1833  (réédité  par  le 
Rauhe  Haus  en  1846).  Cependant  les  dissentiments  qui  éclatèrent  entre 
le  gouvernement  prussien  et  la  curie  romaine  au  sujet  des  mariages 
mixtes  (voy.  les  détails,  très-compliqués,  dans  la  Allgem.  deutsche  Bio- 
graphie 1876;  art.  Bunsen,  p.  543-4)  eurent  pour  résultat  non-seulement 
l' emprisonnement  du  fougueux  évoque  de  Cologne,  Droste  zu  Yischering, 
mais  encore  la  cessation  des  fonctions  de  Bunsen  à  Rome  (1er  avril  1838). 
—  Après  quelques  mois  de  loisirs,  passés  à  Munich,  auprès  de  Schil- 
ling et  de  Schubert,  et  en  Angleterre  où  il  reçut  un  accueil  enthou- 
siaste, l'illustre  homme  d'Etat  rentra  dans  la  vie  publique  en  acceptant 
les  fonctions  d'ambassadeur  à  Berne  (novembre  1839).  Il  y  prépara 
un  ouvrage  liturgique  qui  parut  en  1841  (Die Liturgie der  stillen  Wocher 
etc.)  et  un  autre  sur  Elisabeth  Fry  (Elis.  Fry  an  die  christl.  Frauen  u. 
Jungfr.  Beutsc/i/.,  édité  en  1842,  par  le  Rauhe  Haus),  éloquent  plai- 
doyer en  faveur  de  la  Mission  intérieure.  Mais  à  peine  monté  au  trône, 
Frédéric-Guillaume  IV  envoya  Bunsen  à  Londres  avec  la  mission  d'y 
travailler  à  la  réalisation  de- son  idée  favorite,  à  savoir,  la  fondation, 
à  Jérusalem,  d'un  évêché  anglo-prussien.  Bunsen  ne  réussitqu'à  demi. 
Il  obtint,  il  est  vrai,  que  le  parlement  décrétât  la  fondation  d'un 
évêché  anglican,  avec  mission  de  protéger  les  protestants  allemands 
de  Jérusalem;  mais  il  ne  fit  que  des  mécontents;  tandis  que  les 
puséystes  d'Angleterre  l'accusaient  de  vouloir  germaniser  l'Eglise 
épiscopale,  les  protestants  d'Allemagne  le  soupçonnaient  d'avoir  pour 
cette  dernière  une  secrète  prédilection.  Enfin,  sur  la  demande  expresse 
de  la  reine  Victoria,  Bunsen  fut  nommé  ambassadeur  de  la  Prusse  à 
Londres;  il  occupa  ce  poste  élevé  pendant  quinze  ans.  Mieux  encore 
qu'à  Rome,  Bunsen  put  y  utiliser  ses  riches  facultés,  tant  du  cœur  que  de 
l'esprit.  Diplomate  des  plus  distingués,  Bunsen  sut  remplir  aussi,  avec  la 
plus  grande  distinction,  ses  devoirs  de  chrétien  et  de  philanthrope.  Il 
fonda  entre  autres  àDalston,  près  de  Londres,  un  grand  hôpital  pour  ses 
compatriotes.  Sa  maison  fut  longtemps  comme  le  rendez-vous  de  tous 
les  artistes  et  savants  allemands  de  passage  en  Angleterre  ;  ils  trouvaient 
en  Bunsen  un  conseiller  éclairé,  un  protecteur  bienveillant.  C'est  lui 
qui  aida  entre  autres  le  célèbre  orientaliste  Max  Muller  à  faire  sa  bril- 
lante carrière.  Son  activité  littéraire,  elle  aussi,  prit  à  Londres  un  nouvel 
élan.  Pour  répondre  à  ceux  qui  le  soupçonnaient  de  pencher  pour  les 
rites  de  l'Eglise  anglicane,  il  exposa  ses  vues  ecclésiastiques  dans 
un  livre  (Die  Verfassung  der  Kirche  der  Zukunft,  Berlin,  1845),  où  il 
résume  lui-même  ses  convictions  à  ce  sujet  en  disant  que  «  ce  qui 
fera  vivre  l'Eglise  de  l'avenir,  ce  ne  sont  ni  les  titres  surannés,  ni 
les  formes  vieillies,  dénuées  de  force  et  de  vie,  ni  le  langage  scolas- 


BUNSEN  475 

tique,  mais  la  vie  morale,  l'activité  chrétienne  puisée  aux  sources 
vives  de  la  loi.  »  C'est  à  la  même  époque  que,  frappé  de  l'influence 
bienfaisante  qu'exerce  sur  la  vie  du    peuple  anglais  l'étude  de  la 

Bible,  il  lit  paraître  un  tableau  propre  à  faciliter  les  lectures  bi- 
bliques; il  s'en  vendit  10,000  exemplaires.  Il  reprit  également  avec 
une  nouvelle  ardeur  ses  travaux  sur  les  antiquités  égyptiennes  et  en 
publia  les  résultats  chez  IVrthes  de  1844 à  1857  (jEgyptens Stelle  in  der 
Weltgeschichte ;  édition  anglaise,  1847  à  1854,  supérieure  à  l'édition 
allemande).  L'ouvrage  comprend  cinq  livres.  Ier:0rigine  de  la  langue, 
de  l'écriture  et  de  la  religion  chez  les  Egyptiens;  IIe  et  IIIe  :  Histoire 
de  l'Egypte  depuis  les  temps  les  plus  reculés  jusqu'à  nos  jours.  Les 
deux  derniers  livres,  les  plus  importants  de  l'ouvrage,  sont  con- 
sacrés à  l'examen  de  Thistoire  de  l'Eglise  dans  ses  rapports  avec  les 
autres  peuples.  L'auteur  y  met  d'ailleurs  eu  relief  la  haute  signiiica- 
tion  de  l'Egypte  au  point  de  vue  religieux.  C'est  également  pendant 
son  séjour  en  Angleterre  que  Bunsen  publia  trois  importants  ouvrages 
relatifs  à  l'histoire  de  l'Eglise  chrétienne.  Les  deux  premiers  sont 
consacrés  à  l'épineuse  question  de  l'authenticité  des  épitres  attribuées 
au  Père  apostolique  saint  Ignace  {Die  3  œchten  und  die  ht  umvchten 
Brie  fa  des  Ignatïus  von  A>>/iochien,  et  Ignatius  von  Antwchien  und 
seine  Zeit,  Hamb.,  1847,  in-4°).  A  part  ses  recherches  sur  l'authen- 
ticité des  écrits  attribués1  à  ce  Père,  Bunsen  eut  le  mérite  de  bien 
mettre  en  relief  ses  tendances  tout  évangéliques  et  contraires  à- 
celles  qui  prédominèrent  plus  tard  dans  l'Eglise  romaine.  Ce  fut 
un  événement  littéraire  que  la  publication  de  l'ouvrage  Hippolyttis 
mil  kis  âge,  1852,  qui  fut  immédiatement  traduit  en  allemand. 
La  seconde  édition  anglaise  (1854),  beaucoup  plus  complète  que 
la  première,  ne  fut  malheureusement  point  traduite.  On  y  remarque  * 
surtout  la  seconde  partie  :  Reliquias  hterariae,  canonic;e,  liturgicae. 
Bunsen  prit  occasion  de  la  publication  d'un  manuscrit  ((P'Xo7ooz'j[j.zvx 
rt  7.2-z  -y.7Ùy;  £zizibr>  ï/.v;yzz)  découvert  au  Mont-Athos  et  publié  à 
Paris,  en  1851  (par  Miller,  qui  l'attribuait  à  Origène  et  qu'il  attribua, 
lui,  à  Hippolyte,  disciple  d'Irénée  et  évoque  de  Portus  Bomae,  sur  le 
Tibre,  au  troisième  siècle),  pour  établir  les  grands  principes  d'une 
saine  philosophie  de  l'histoire  et  pour  retracer  les  rites  ecclésiastiques 
pendant  les  premiers  siècles,  si  différents  de  ceux  de  l'Eglise  contem- 
poraine.  Pour  expliquer  l'accueil  enthousiaste  d'une  part,  fort  hostile 
de  l'autre,  qui  fut  l'ait  à  ce  livre  (il  fut  mis  à  Vindex),  nous  (itérons 
quelques  lignes  de  la  préface  de  l'édition  anglaise  ;  elles  serviront  en 
même  temps  à  caractériser  les  tendances  générales  de  l'auteur  :  «  Les 
attaques  contre  la  théologie  allemande  viennent  surtout  d'un  parti  qui 
«■>(  déjà  entré  ou  qui  entrera,  pour  peu  qu'il  soit  conséquent,  dans 
l'Eglise  romaine;  quels  que  puissent  être  le  sérieux  et  la  piété  per- 
sonnelle de  beaucoup  de  membres  de  ce  parti,  toutes  les  idées  chré- 
tiennes y  sonl  noyées  dans  un  formalisme  sacerdotal  el  dans  des  pré- 
tentions hiérarchiques  également  opposées  aux  documents  officiels  de 
l'Eglise  anglicane  et  aui  instincts  du  peuple.  »  Et  plus  loin  :  «  De 
<|eii\   choses    Tune  :  le  christianisme  est  vrai  ou  il  ne  Test  pas...  Mais 


476  BUNSEN 

si  le  christianisme  n'est  pas  vrai,  quelle  autorité  pourra  le  rendre 
vrai?  Et  s'il  est  vrai,  il  est  vrai  en  vertu  de  sa  vérité  propre,  et  il  n'est 
besoin  d'aucune  autorité  quelconque  pour  le  rendre  vrai.  Si  les 
évangiles  renferment  une  sagesse  inspirée,  ils  doivent  eux-mêmes 
inspirer  des  pensées  célestes  au  penseur  sérieux,  à  l'investigateur 
consciencieux;  nous  devons  donc  en  faire  librement  le  sujet  de  nos 
recherches.  Pour  que  l'Ecriture  soit  reçue  avec  une  pleine  con- 
viction comme  vraie,  il  faut  qu'elle  soit  à  l'unisson  de  la  raison; 
il  faut  donc  l'étudier  rationnellement...  »  —  Bunsen  fut  rappelé  de 
Londres  en  1854,  pour  avoir  trop  chaudement  plaidé  la  cause  de 
l'alliance  de  l'Allemagne  avec  l'Angleterre,  lors  de  la  guerre  de 
Crimée  ;  son  départ  fut  vivement  regretté  en  Angleterre.  Pour  lui,  il 
s'estima  heureux  de  pouvoir  s'occuper  plus  que  jamais  de  littérature  et 
de  science;  il  passa  les  dernières  années  de  sa  vie  à  Heidelberg,  puis 
à  Cannes  où  il  vit  mourir  ïocqueville,  et  enfin  à  Bonn  où  il  s'éteignit 
le  28  novembre  1860.  Nous  ne  signalerons  qu'en  passant  quelques 
productions  secondaires  qu'il  fit  paraître  pendant  cette  dernière  pé- 
riode de  sa  vie  (Préface  à  la  trad.  ail.  du  célèbre  sermon  de  Caird, 
sur  la  religion  dans  la  vie  de  tous  les  jours;  Préface  à  la  trad.  angl. 
du  roman  de  G.  Freytag  :  Soll  u.  liabtn;  article  Luther  dans  la  Bio- 
graphia  Britannica,  1857),  pour  dire  encore  un  mot  de  trois  ouvrages 
qu'il  avait  préparés  de  longue  main.  Dans  les  Zeichen  (1er  Zeit  (Briefe 
an  Freunde  ûber  die  Gewissensfreiheit,  etc.,  Leipz.,  1855,  2  vol.  in-8°  ; 
il  en  parut  trois  éditions  la  même  année),  Bunsen  s'attaque  à  la 
fois  à  Tévêque  de  Ketteler  et  à  l'intolérance  de  la  fraction  semi-catho- 
lique du  protestantisme  en  Allemagne.  La  franchise  de  son  langage 
lui  valut  de  chaudes  adhésions  et  d'ardentes  inimitiés  (voy.  Ev. 
Kchzig  de  Hengstenberg,  novembre  1855  et  janvier  1866;  Stahl  wider 
i?.,  Berlin,  1856;  Gott  in  der  Gescliichte  (oder  der  Fortschritt  des 
Glaubens  an  eine  sittl.  .Weltordwg,  3  vol.,  1857  et  1858)  est  un  essai 
de  philosophie  de  la  révélation.  L'auteur  y  suit  pas  à  pas  les  révé- 
lations successives  de  Dieu  dans  les  religions  de  tous  les  peuples, 
depuis  les  temps  les  plus  reculés  jusqu'à  nos  jours,  révélations  qui 
ont  atteint  leur  point  culminant  en  Jésus-Christ.  Son  dernier  livre 
enfin  [(Biùelwerck,  Leipz.,  1857  à  1870,  9  gr.  vol.  in-8°  ;  les  derniers 
publiés  par  MM.  Holtzmann  et  Kamphausen)  peut  être  considéré 
comme  le  résumé  de  tous  ses  travaux  antérieurs.  Son  but,  Bunsen 
le  fait  connaitre  lui-même  en  disant  que,  par  sa  traduction  biblique 
et  les  commentaires  dont  il  l'accompagnait,  il  espérait  prouver 
aux  esprits  cultivés  qu'une  étude  indépendante  et  sérieuse  de  la 
Bible,  loin  de  troubler  la  foi  du  chrétien,  sert  au  contraire  à  l'affer- 
mir. Son  plan  général,  Bunsen  le  formule  ainsi  :  établir  les  faits  bi- 
bliques ;  en  rechercher  le  lien  historique  ;  en  montrer  le  sens  profond 
et  éternel.  Nous  nous  bornerons  à  cette  analyse  sommaire  d'un  livre 
dans  lequel  on  peut  relever  mainte  erreur,  mais  qui  n'en  fait  pas  moins 
le  plus  grand  honneur  au  savoir  et  à  la  piété  de  l'auteur.  — L'amitié 
occupa  une  large  place  dans  la  vie  de  Bunsen.  Une  foule  d'hommes 
illustres  tinrent  à  honneur  de  visiter  le  noble  vieillard  pendant  son 


BUNSEN  —  BUXYAX  477 

séjour  à  Heidelberg.  Le  roi  de  Prusse  lui-même  n'eut  de  repos  que 
lorsque,  à  l'occasion  de  la  séance  tenue  à  Berlin,  en  1837,  par  V  Alliance 
évangélique,  son  vieil  ami  se  l'ut  décidé  à  passer  trois  semaines  dans 
son  château.  La  mort  de  Bunsen  fut  le  digne  couronnement  d'une  belle 
vie.  «  .le  vais  mourir  et  je  souhaite  de  mourir.  Je  me  rappelle  au  sou- 
venir de  tout  homme  de  bien,  et  je  le  prie  de  se  souvenir  de  moi  avec 
bienveillance.  J'offre  ma  bénédiction,  la  bénédiction  d'un  vieillard,  à 
quiconque  la  désire.  Je  meurs  en  paix,  avec  tout  le  monde.  Ceux  qui 

vivent  en  Christ,  qui  vivent  en  l'aimant,  ceux-là  sont  siens Christ 

est  le  Fils  de  Dieu,  et  nous  ne  sommes  ses  enfants  que  quand  l'esprit 
d'amour  qui  était  en  Christ  est  en  nous  »  (voy.  liev.  ehr.,  18(50,  p.  776; 
Bœhring, Bunsen' s Bibelwerk  nach  seinerBed.  fur  die  Gegemvart,  1861, 
p.  10  ss.  ;  Gelzer,  Prot.  Monatsblaetter,  janvier  1861).  Telles  furent  ses 
dernières  paroles.  En  lui,  «  l'Allemagne  perdit  un  grand  citoyen,  la 
science  un  de  ses  plus  éminents  représentants  et  l'Eglise  un  chrétien 
fervent  mort  en  confessant  sa  foi  au  Christ  »  (de  Pressensé)  ;  Bunsen 
fut  ((  sûrement  l'un  des  hommes  les  plus  éminents  de  l'Europe  » 
(Colani,  lîev.  de  th.,  VI,  316).  Bunsen  fut  nommé  tour  à  tour  docteur 
en  droit  par  les  universités  d'Oxford  et  d'Edimbourg  (1839  et  1853), 
membre  de  l'Académie  de  Berlin  (1857),  membre  correspondant  de 
l'Académie  des  inscriptions  et  belles-lettres  (1859),  etc.,  etc.  11  eut 
douze  enfants,  dont  huit  sont  encore  en  vie;  le  plus  célèbre,  George, 
né  à  Rome  en  182i,  est  député  au  parlement  allemand.  —  Voyez,  outre* 
les  écrits  déjà  cités,  la  Correspondance  de  Bunsen  avec  Frédéric- 
Guillaume  IV.  par  L.  Rancke,  Leipz.,  1873;  sa  Biographie,  publiée  par 
sa  veuve  morte  à  Carlsruhe,  avril  1876,  édit.  anglaise:  A  Memoir  of 
Baron  Bunsen,  etc.,  London,  1868,  en  ail.  par  Nippold  :  B.  aus  seinen 
Briefen,  etc.,  geschildert,  Leipz.,  1868  à  1871,  3  vol.;  la  thèse 
de  M.  G.  Bonet  :  Bunsen.  Un  prophète  des  temps  modernes,  Strasb., 
1867;  l'article  Bunsen,  dans  la  Heul-Encykl.  de  Herzog;  Unsere  Zeit, 
1861,  p.  337  à  377,  par  Abecken  ;  et  surtout  Allgem.  deutsche  Biographie, 
Leipz.,  1876,  14e  livr.,  p.  541  à  552,  art.  de  R.  Pauli. 

Ad.  Sch^effek. 
BUNYAN  (John),  l'allégoriste  puritain,  naquit  en  1628,  à  Elstow,  près 
Bedford.  Son  père  était  un  pauvre  chaudronnier,  et  lui-même  exerça  long- 
temps cet  humble  métier.  11  a  raconté,  dans  une  autobiographie  admi- 
rable. Thistoirede  son  âme.  11  dépeint  les  égarements  de  sa  jeunesse  sous 
des  couleurs  évidemment  trop  sombres,  mais  qui  rendent  avec  un  relief 
merveilleux  les  luttes  morales  qu'il  eut  à  traverser  pour  arriver  à  la 
foi.  Après  avoir  servi  quelque  temps  dans  l'armée  du  parlement  et  pris 
part  au  siège  de  Leicester,  il  se  maria.  Sa  femme  lui  apportait  pour 
unique  dot  deux  livres  de  piété  qui  contribuèrent  à  l'éclairer.  Les  con- 
versations de  quelques  femmes  pieuses  et  l'influence  du  ministre  bap- 
tiste  Gifford  achevèrent  cette  œuvre,  qui  fut  traversée  par  des  crises 
terribles  de  tentation  dont  le  récit  donne  un  charme  émouvant  au 
Grâce  abounding.  La  piété  éveilla  dans  l'àme  de  Bunyan  de  grandes 
(acuités  qui  y  dormaient  sous  les  voiles  épais  d'une  nature  primitive  et 
grossière.  11  s'unit  à  la  société  baptiste  de  Bedford,  qui,  en  1656,  le 


478  BUNYAN 

«  mit  solennellement  à  part  pour  le  ministère  de  la  Parole.  »  À  défaut 
de  culture  intellectuelle,  Bunyan  avait  une  expérience  chrétienne  pro- 
fonde servie  par  des  dons  naturels  de  premier  ordre  et  éclairée  par  une 
étude  continuelle  de  la  Bible.  Aussi  le  succès  de  sa  prédication  fut-il 
immense  ;  de  toutes  parts  on  accourait  pour  entendre  la  parole  éner- 
gique et  originale  du  chaudronnier  devenu  prédicateur.  La  renommée 
dont  il  jouissait  lui  valut  l'honneur  d'être  Tune  des  premières  victimes 
du  système  de  compression  religieuse  que  ramena  la  restauration  des 
Stuarts.  Accusé  de  présider  des  réunions  illicites  et  de  s'abstenir  de 
suivre  le  culte  divin  de  l'Eglise  établie,  il  fut  condamné  à  la  prison(1660), 
et  il  y  demeura' plus  de  douze  ans.  La  liberté  lui  fut  souvent  offerte,  à 
la  condition  qu'il  promettrait  de  ne  plus  prêcher,  mais  il  refusa  tou- 
jours d'y  consentir.  Du  fond  de  sa  prison,  il  continua  son  ministère,  et 
il  en  reprit  le  cours  avec  un  zèle  renouvelé  dès  que  la  liberté  lui  eut  été 
rendue.  Sa  fidélité  et  sa  fermeté  pendant  la  persécution  lui  conquirent 
une  grande  influence  au  milieu  de  ses  frères  non-conformistes.  Le  res- 
pect qu'il  inspirait  lui  valut  le  surnom  d'èvêque  Bunyan.  Il  exerçait  en 
effet  une  sorte  d'épiscopat  moral  qui  s'étendait  bien  au-delà  de  la  ville 
de  Bedford,  centre  ordinaire  de  son  activité.  Fermement  attaché  aux 
principes  de  son  Eglise,  il  repoussait  le  baptême  des  petits  enfants, 
mais  il  avait  plus  de  largeur  d'esprit  que  la  plupart  de  ses   coreli- 
gionnaires et  combattit,  par  ses  écrits  et  par  son  exemple,  les  vues  de 
ceux  qui  refusaient  de  communier  avec  les  pédobaptistes.  La  publica- 
tion du  Pilgrims  Proyress,  qui  eut  lieu  en  1678,  et  celle  de  plusieurs 
de  ses  traités  populaires  lui  valurent  une  véritable  renommée.  On  vou- 
lut l'entendre  à  Londres,  où  sa  forte  et  naïve  éloquence  attira  des  mul- 
titudes ;  plus  de  douze  cents  personnes  se  réunissaient  à  sept  heures 
par  une  matinée  d'hiver  pour  l'entendre  avant  de  se  rendre  au  travail. 
Ce  n'étaient  pas  seulement  les  simples  quiprenaientplaisir  à  l'écouter; 
le  docteur  Owen  répondait  au  roi  Charles  II  qui  s'étonnait  qu'un  homme 
aussi  savant  aimât  à  s'asseoir  au  pied  de  la  chaire  d'un  chaudronnier 
illettré  :  «  Sire,  je  donnerais  volontiers  toute  ma  science  pour  prêcher 
aussi  bien   que  ce  chaudronnier.  »  Il  mourut  (1688)  comme  il   avait 
vécu,  en  faisant  du  bien.  Il  contracta  la  maladie  qui  l'emporta  en  faisant 
un  voyage  à  cheval  sous  la  pluie  pour  réconcilier  un  père  avec  son  fils. 
—  Bunyan  a  composé  un  assez  grand  nombre  d'ouvrages,  sermons, 
traités  théologiques  et  pratiques,  poésies,  etc.  Mais  il  est  surtout  connu 
comme  l'auteur  d'œuvres  d'allégorie  religieuse  qui  lui  ont  conquis  une 
place  éminente  dans  la  littérature  de  l'Angleterre  et  une  place  unique 
dans  la  littérature  religieuse  de  tous  les  pays  protestants.  Son  chef- 
d'œuvre,  le  Pilgrim*  Progress,  est  le  livre  de  piété  probablement  le 
plus  lu  après  la  Bible.  Le  nombre  des  éditions  qu'on  en  a  publiées  en 
Angleterre  est  incalculable.  Il  a  été  traduit  en  presque  toutes  les  lan- 
gues écrites,  et  c'est  toujours  le  premier  livre  que  les  missionnaires 
évangéliques  traduisent  après  la  Bible  dans  les  langues  dont  ils  ont  fixé 
la  grammaire.  De  nombreuses  éditions  en  ont  paru  en  français  :  les  unes 
faites  par  des  mains  protestantes   et  reproduisant  assez  fidèlement 
l'original  (Neufchàtel,  1716;  Bàle,  1728;  Halle,  1752;  Colmar,  1821; 


BUNYAN  —  BUEE  479 

Guèrnesey;  Valence,  L825  ;  Londres,  L831  ;  Toulouse,  L852;Pàris;  1863; 
Bruxelles,  etc.  )  :  les  autres  faites  par  des  catholiques  el  ayant  subi  des 
modifications  qui  l'adaptent  tant  bien  que  mal  au  dogme  catholique 
(Paris.  1772,  1793;  Toulouse,  178:};  Lyon  et  Paris,  1820,  L824; 
Paris,  1821).  Ce  livre  a  (railleurs  été  abrégé,  modifié,  rajeuni,  imité  de 
toutes  les  façons;  on  Ta  mis  en  vers  et  même  en  musique,  et  la  littéra- 
ture qui  en  est  issue  formerait  un  catalogue  des  plus  étendus  et  des 
plus  curieux.  Le  succès  populaire  a  devancé  l'arrêt  de  la  critique  litté- 
raire, qui  n'a  eu  qu'à  le  constater  et  en  expliquer  les  causes.  William 
Gowper,  Walter  Scott,  Southey,  Coleridge  ont  salué  en  Bûnyan  Tune 
des  gloires  des  lettres  anglaises,  et  de  nos  jours  Macaulay  a  dit  de  lui  : 
«  Bunyan  est  aussi  décidément  le  prince  des  allégoristes  que  Démo- 
sthènes  est  le  prince  des  orateurs  et  Shakespeare  le  prince  des  dra- 
maturges. »  M.  Taine  dit  de  son  côté  :  «  Il  a  l'abondance,  le  naturel, 
l'aisance,  la  netteté  d'Homère.  »  — Plusieurs  éditions  complètes  des 
œuvres  de  Bunyan  ont  paru  en  Angleterre;  la  plus  estimée  paraît  celle 
d'Otfor.  Parmi  les  innombrables  écrits  dont  la  vie  et  l'œuvre  de  Bunyan 
ont  été  le  sujet,  nous  mentionnerons  Philip,  Life  of  Bunyan;  Offor, 
Memoir  of  Bunyan  ;  Tulloch,  English  Presbyterianism  and  its   leaders. 

Matth.  Lelièvre. 

BURCHARD.  Parmi  les  nombreux  personnages  qui  ont  porté  ce  nom 
nous  citerons  :  1°  Burchard  (saint),  premier  évèque  de  Wùrtzbourg,  en 
Franconie,  mort  vers  754,  anglais  d'origine  et  compagnon  de  Boniface, 
l'apôtre  de  la  Germanie.  Le  moine  Egihvord  a  écrit  sa  Vie,  que  l'on 
trouve  dans  le  recueil  biographique  de  Surius.  —  2°  Burchard, 
évèque  de  Worms,  mort  en  1020,  auteur  du  Liber  decretorum  collecta 
en  20  volumes,  recueil  de  canons  des  plus  importants  en  ce  qui 
concerne  la  discipline  et  l'organisation  de  l'Eglise  (édit.  de  Co- 
logne, 1543  et  1560;  édit.  de  Paris,  1549  et  1853.  —  3°  Burchard 
(Jean),  évèque  de  Citta-di-Castello,  mort  en  1505,  à  qui  l'on  doit  le 
curieux  Diarium  ou  Journal,  dont  la  première  partie  embrasse  le  pon- 
tificat d'Innocent  VIII,  et  la  seconde  celui  d'Alexandre  VI. 

BURCKHARDT  (Jean-Louis),  né  à  Lausanne  en  1784,  mort  au  Caire 
en  1817,  est  célèbre  par  les  voyages  qu'il  entreprit,  au  nom  de  la 
Société  africaine  de  Londres,  en  Egypte,  en  Nubie,  en  Arabie  et  en 
Palestine  (1810-16).  Grâce  à  sa  connaissance  de  la  langue  et  de  la 
religion  des  musulmans,  il  put  se  faire  passer  pour  un  marchand  arabe 
et  profiter  des  facilités  que  lui  procura  son  déguisement.  Son  Journal 
de  voyages  fut  d'abord  publié  en  anglais  par  Leake  (Travels  in  Syria 
ami  the  Eoly  Land,  Lond.,  1822),  puis  en  allemand  par  Gesenius 
(Reisen  in  Syrien  u.  Palœstina,  Weimar,  1823,  2  vol.).  Il  se  distingue 
par  l'exactitude  des  observations,  la  simplicité  et  la  fidélité  des  des- 
criptions et  la  nouveauté  des  recherches,  particulièrement  en  ce  qui 
concerne  les  provinces  situées  au  delà  du  Jourdain  (voy.  l'article 
Palestine). 

BURE  (Idelette  do,  femme  de  Jean  Calvin,  l'illustre  réformateur. 
Elle  avait  eu  pour  premier  mari  Jean  Storder,  de  Liège,  un  des  chefs 
de  la  secte  dv>  anabaptistes  que  le  ministère  de  Calvin  lui-môme  avai 


480  BURE  —  BURGONDES 

converti,  comme  nous  l'apprend  Théodore  de  Bèze.  Retirée  à  Stras- 
bourg, en  1540,  elle  y  vivait  vouée  à  l'éducation  de  ses  enfants,  lorsque 
Calvin,  attiré  par  le  renom  de  ses  vertus,  rechercha  la  main  d'une 
compagne  capable  d 'affronter  avec  lui  tous  les  périls  et  la  mort  même 
(lettre  de  Calvin  à  Farel,  7  avril  1549).  Le  mariage  eut  lieu  en  sep- 
tembre 1540.  Forcé  peu  de  temps  après  de  se  rendre  aux  diètes  de 
Worms  et  de  Ratisbonne,  le  réformateur  devait  s'y  trouver  cruelle- 
ment éprouvé  en  recevant  la  nouvelle  que  la  peste  frappait  les  amis 
qu'il  avait  laissés  derrière  lui  et  menaçait  sa  propre  famille.  Rentré  à 
Genève,  où  il  était  rappelé  malgré  lui,  il  n'y  resta  pas  longtemps  seul. 
Le  jour  même  de  son  retour,  13  septembre  1541,  les  Conseils  de  la 
ville  délibéraient  qu'un  messager  d'Etat  irait  chercher  Idelette  de  Bure 
à  Strasbourg  pour  qu'elle  vînt  partager  la  maison  affectée  au  logement 
officiel  de  son  mari.  Tout  ce  qu'on  sait  d'elle,  c'est  qu'elle  fut  la  digne 
femme  d'un  tel  époux,  son  aide  et  son  soutien  dans  les  infirmités  de  la 
santé  et  dans  les  dangers  de  sa  vie  militante  ;  qu'elle  se.  dépensa  dans 
la  visite  des  pauvres,  la  consolation  des  affligés,  l'accueil  fraternel  des 
étrangers.  Elle  avait  eu,  la  seconde  année  de  son  mariage,  en  juil- 
let 1542,  un  fils  qui  lui  avait  été  bientôt  ravi  et  dont  la  mort  avait,  on 
le  voit  par  une  lettre  de  Calvin  à  Viret  (19  août  1542),  accablé  le  mal- 
heureux couple  d'une  amère  douleur,  à  peine  allégée  par  les  témoi- 
gnages de  sympathie  des  Eglises  de  Lausanne  et  de  Genève.  Deux  autres 
épreuves  de  même  nature  étaient  encore  venues  l'affliger,  en  1544  et 
en  1548.  De  tels  coups  répétés  avaient  ébranlé  une  santé  naturellement 
frêle  :  il  en  résulta  une  langueur  habituelle  qui  s'accuse  tristement 
dans  la  correspondance  de  Calvin.  Malgré  les  soins  vigilants  d'un 
médecin  ami,  Benoit  Textor,  la  fièvre  qui  la  minait  faisait  de  rapides 
progrès.  Bèze,Hotman,  des  Gallars,  Laurent  de  Normandie  accourent, 
prévoyant  l'issue  fatale.  La  chère  malade  ne  jugea  même  pas  néces- 
saire de  recommander  les  enfants  de  son  premier  mari  à  celui  qu'elle 
allait  quitter  et  qu'elle  connaissait  si  bien.  Sa  mort  fut  pleine  de  séré- 
nité. Calvin  était  présent,  l'assistant  de  sa  foi  et  de  ses  prières.  Elle 
était  calme  et  s'endormit  du  dernier  sommeil  le  29  mars  1549.  Dès  le 
31,  Viret  adressait  à  Calvin  ses  fraternelles  et  pieuses  condoléances 
(Calvini  opéra,  t.  XIII,  p.  226,  note).  «  J'ai  perdu,  écrivait  celui-ci, 
l'excellente  compagne  de  ma  vie,...  aide  précieuse,  jamais  occupée 
d'elle-même,  jamais  peine  ou  obstacle!...  Tu  sais  si  mon  cœur  est 
tendre,  pour  ne  pas  dire  faible.  Je  suis  prêt  à  succomber,  si  je  ne  fai- 
sais un  violent  effort  sur  moi-même  »  (10  avril  1549).  — Voir  la  notice 
consacrée  à  Idelette  de  Bure  par  M.  Jules  Bonnet,  qui  a  su  tirer  de 
l'ombre  cette  humble  et  touchante  figure,  et  à  qui  nous  avons  em- 
prunté cette  succincte  esquisse  biographique.  Ch.  Kead. 

BURGONDES  (Les),  peuplade  germanique,  avaient  émigré  vers  le 
quatrième  siècle  après  Jésus- Christ  des  bords  de  la  mer  Baltique  vers 
le  Rhin  inférieur,  dont  Valentinien  Ier  leur  confia  la  garde.  Lors  de  l'in- 
vasion des  Huns,  ils  remontèrent  le  Rhin  et  s'établirent  en  Savoie,  du 
consentement  d'Aétius.  Leur  contact  avec  le  monde  gallo-romain 
amena  leur  conversion   au  catholicisme  (413).  De  la  Savoie  ils  éten- 


BURGONDES  481 

dirent  leur  domination  sur  les  vallées  du  Rhône  et  de  la  Saône;  leur 
royaume  se  trouva  de  la  sorti'  resserré  entre  les  empires  ariens  des 
Visigoths  de  !a  France  méridionale  et  des  OstrogOths  d'Italie.  Après  la 
mort  du  roi  catholique  Gundioch   (vers  174),  la  Bourgogne  fut  par- 
tagée entre  les  quatre  lils  de  ce  prince.  Godemar,    Chilpéric,  Gonde- 
baud  et  Godegisèle,  dont  le  second  seul  était  catholique;  les  trois  autres 
étaient  ariens.  Vers  la  même  époque,  le  roi  visigoth  Euric,  connu  par 
son  zèle  pour  l'arianisme,  envoya  chez  les  Burgondes,  qui  subissaient 
sa  suprématie  morale,  des  missionnaires  pour  les  détacher  du  catholi- 
cisme. Ceux-ci  réussirent  à  se  créer  un  parti  parmi  la  population  bur- 
gonde;  ils  eurent  moins  de  succès  auprès  des  Gallo-Romains,  et  ne 
tardèrent  pas  à  rencontrer  une  résistance  énergique  de  la  part  del'épis- 
pat,  à  la  tète  duquel  se  trouvait  l'évêque  de  Lyon,  Prudent,  dont  la 
femme  de  Chilpéric  soutenait  les  efforts.  Peu  de  temps  après,  Chilpéric 
fut  vaincu  par Gondebaud  et  mis  à  mort  avec  ses  lils.  De  ses  deux  lilles 
Fune,Chrona,  entra  dans  un  cloître; l'autre,  Clotilde,  fut  reléguée  par 
son  oncle  à  Genève.  Les  émissaires  de  Clovis  ne  devaient  pas  tarder  à 
l'y  découvrir.  Le  parti  arien  profita  de  son  triomphe  pour  persécuter 
les  évèques  catholiques.  Gondebaud  cependant,  par  crainte  de  Clovis, 
et  grâce  à  l'influence  que  Févèque  de  Vienne,  Avite,  sut  prendre  sur 
lui,  ne  persévéra  pas  dans  cette  voie; il  s'efforça  de  modérer  Fardeur 
des  ariens  et  de  gagner  la  population  gallo-romaine  par  une  adminis- 
tration équitable.  Avite,  le  représentant  de  cette  politique  d'apaisé-" 
ment,  crut  consolider  le  pouvoir  de  Gondebaud  en  écrivant  à  Clovis 
une  lettre  de  félicitations  à  l'occasion  deson  baptême;  il  y  appelait  son 
souverain  le  «  soldat  de  Clovis  »,  et  célébrait  la  victoire  du  chef  franc 
comme   le  triomphe  de  l'Eglise  même.  Peut-être  espérait-il   amener 
Clovis  à  une  entente  amicale  avec  Gondebaud  et,  d'accord  avec  saint 
Rémy,  comptait-il  sur  l'influence  pacifique  de  Clovis  pour  décider  son 
maître  à  accepter  la  foi  catholique.  L'ambition  des  Francs  et  la  haine 
que  Clotilde,  devenue  la  femme  de  Clovis,  portait  au  meurtrier  de  son 
père,  mirent  à  néant  les  plans  d'Avite.  Secondé  par  le  parti  que  Clo- 
tilde  possédait  parmi   les   catholiques  de  Bourgogne,  allié  à  l'arien 
Godegisèle  qui  était  jaloux  de  son  frère  et  à  l'arien  Théodoric,  roi  des 
Ostrogoths,  Clovis  battit  Gondebaud  à   Dijon  et  l'obligea  à  lui  payei 
tribut  (500) .  Malgré  la  modération  dont  Gondebaud  fit  preuve  en  ma- 
tière ecclésiastique  jusqu'à  la  fin  de  son  règne  (517)  et  l'habileté  avec 
laquelle  son  lils  Sigismond,  converti  par  Avite,  s'efforça  de  contenter  les 
deux  partis  hostiles  (par  exemple  au  concile  d'Epaunum  ou  Evionnay, 
dans  le  Valais,  convoqué  par  lui  dans  la  première  année  de  son  règne 
dans  le  but  de  réorganiser  l'Eglise,  où  prévalurent  les  idées  modérées 
d'Avite  sur  l'opportunité  de  laisser  mourir  L'arianisme  sans  le  perse» 
cuter,  tout  m  évitant  de  se  souiller  à  son  contact  en  faisant  servir  au 
culte  catholique  les  vases  sacrés  et  les  basiliques  profanés  parles  héré- 
tiques),   les    lils   de   Clovis   achevèrent,    à    l'instigation    de   Clotilde, 
L'œuvre  commencée  par  leuT  père.  Trahi  à  la  fois  par  te  parti  catho- 
lique de  Clotilde  et  par  les  Burgondes  ariens  qui  lui  reprochaient  son 
abjuration,  Sigismond  fut  battu  à  Autun  et  livré  à  Clodomir  qui  le  fit 
n  31 


4S2  BURGONDES  —  BURNET 

mettre  à  mort  (523-524).  Plus  tard,  son  frère,  l'arien  Godemar,  qui  dans 
l'intervalle  avait  tenté  une  restauration  de  l'arianisme,  fut  pris  par 
Glotaire  et  Childebert  et  enfermé  dans  une  tour,  où  il  mourut 
(532-534).  La  Bourgogne  désormais  fit  partie  du  domaine  des  Francs; 
l'arianisme  ne  tarda  pas  à  en  disparaître.  —  Voyez  :  Revillout,  De  Va- 
rianisme  des  'peuples  germaniques,  Paris,  1850.  A.  Jundt. 

BURIDAN  (Jean),  né  à  Béthune,  disciple  d'Occam,  fut  recteur  de 
l'université  de  Paris  en  1327  et  mourut  après  1358.  11  est  un  des  repré- 
sentants de  ce  nominal isme  qui,  tout  en  restant  soumis  à  l'autorité  de 
l'Eglise,  tendait  à  isoler  la  philosophie  de  la  théologie  et  qui,  tout  en 
honorant  Aristote  comme  le  maître  par  excellence,  tenait  compte  des 
autres  systèmes  et  penchait  vers  le  scepticisme.  Buridan  s'interdit  les 
questions  théologiques;  c'est  par  ses  recherches  sur  la  liberté  de  l'âme 
qu'il  est  devenu  célèbre.  Il  examine  si  la  volonté,  dans  des  circon- 
stances identiques,  peut  se  porter  tantôt  vers  une  résolution  et  tantôt 
vers  une  autre  ;  il  démontre  que  la  raison  ne  pourrait  expliquer  une 
telle  diversité  ;  mais  il  préfère  suivre  l'avis  des  philosophes  et  des  saints 
qui  croient  à  la  liberté  :  Anima  est  libertas  et  habet  eam  sicut  et  suam 
essentiam  ab  ipso  Deo  {In  Eth.,  X,  q.  4).  Mais  s'il  rejette  le  détermi- 
nisme, il  ne  se  range  pas  complètement  à  l'indifférentisme  de  Duns 
Scot  ;  il  reconnaît  que  l'intelligence  et  la  liberté  se  pénètrent  récipro- 
quement; l'intelligence  fournit  des  motifs  plus  ou  moins  justes  et  sûrs, 
mais  la  décision  appartient  à  la  volonté.  C'est  la  première  partie  de  sa 
démonstration  qui  a  suggéré  la  fable  de  l'âne  mourant  de  faim  entre 
deux  boisseaux  d'avoine  qui  le  sollicitent  également,  et  Tennemann, 
d'après  des  citations  incomplètes  de  Tiedemann,  a  présenté  notre  phi- 
losophe comme  un  déterministe.  Toutefois,  Buridan  admet,  avec 
Aristote,  que  l'activité  suprême  de  l'âme,  c'est  la  connaissance  de 
Dieu,  et  par  là  il  donne  à  l'intellect  la  prééminence  sur  la  volonté.  Cet 
exemple  suffit  pour  montrer  ce  qu'il  y  a  d'indécis  au  fond  de  sa  pensée. 
—  OEuvres  publiées  par  J.  Dullard,  Paris,  1516. 

BURMANN  (François)  [1632-1679],  fils  d'un  pasteur  réformé  du  Pa- 
latinat,  réfugié  pour  cause  de  religion  à  Leyde,  en  Hollande,  exerça  à 
Utrecht  les  fonctions  de  professeur  et  de  pasteur.  Il  a  laissé  un  certain 
nombre  de  commentaires  bibliques,  de  traités  de  controverse  (entre 
autres  une  dissertation  De  moralitate  sabbathi  hebdomadalis),  et  un  ou- 
vrage plus  important,  Synopsis  theoloyiœet  speciatim  œconomiœ  fœderum 
Dei  (2  vol.  in-4°),  dans  lequel  il  s'élève  contre  le  système  de  la  pré- 
destination absolue  et  établit  que  la  chute  d'Adam  a  été  complètement 
volontaire  et  spontanée,  Dieu  lui  ayant  donné  les  forces  nécessaires 
pour  le  maintenir  dans  l'obéissance.  En  démontrant  que  le  péché  a  sa 
source  non  dans  l'intelligence,  mais  dans  la  volonté,  Burmann  a  net- 
tement rompu  avec  les  théories  scolastiques  de  son  temps  et  préparé 
la  voie  à  une  conception  plus  biblique  de  l'économie  du  salut. 

BURNET  (Gilbert),  célèbre  évêque  de  Salisbury,  naquit  à  Edim- 
bourg, le  13  septembre  1643.  «  Son  père,  dit  M.  Guizot  dans  sa  Notice 
•m,r  Burnet,  était  un  royaliste  modéré  ;  sa  mère,  zélée  presbytérienne  ; 
le  lord  Wartoun,  son  oncle,  l'un   des  plus  ardents  adversaires  de 


BURNET  —  BURNIER  483 

Charles  IMlapprit  ainsi,  dès  son  enfance, à  entendre  tous  les  langages, 
peut-être  même  à  sympathiser  tour  à  tour  avec  les  desseins  et  les  sen- 
timents  les  plus  divers.  »  Le  jeune  Burnet,  après  avoir  suivi  un  cours 
de  droit  à  l'université  d'Aherdeen,  se  destina  à  l'état  ecclésiastique.  II 
étudia  avec  une  grande  ardeur  les  diverses  branches  de  la  théologie, 
visita  suc<essi\einent  l'Angleterre,  la  France  et  la  Hollande,  et,  de  ré- 
unir dans  son  pays,  fut  nommé  sutïragant  de  la  cure  de  Salton  (Ecosse). 
En  1660,  il  lut  appelé  à  Glasgow  pour  y  occuper  une  chaire  de  théo- 
logie et  publia,  cette  même  année,  des  Dialogues  entre  un  conformiste  et 
•m  n<m-emformùte,  dans   lesquels  il   s'élevait  contre  le  luxe  qui  ré- 
gnait en  Ecosse.  Cet  opuscule  souleva  bien  des  contradictions  et  con- 
tribua peut-être,  avec  la  conduite  ecclésiastique  tenue  par  Burnet,  à 
rendre  à  celui-ci  le  séjour  de  Glasgow  bien  difficile.  Burnet,  en  effet, 
avait  réussi   à  mécontenter   à  la  fois  les  presbytériens   par  son   zèle 
pour  le  système  épiscopal,  et  les  épiscopaux  par  sa  tolérance  pour  les 
presbytériens.  En  1072,  il  se  démit  de  sa  chaire  de  Glasgow  et  se  fixa  à 
Londres  où  il  se  fit  une  grande  réputation  par  ses  sermons.  A  Tavéne- 
ment  de  Jacques  II,  en  1085,  Burnet  dut  quitter  l'Angleterre;  il  parcou- 
rut la  France  et  l'Italie  et  s'arrêta  quelque  temps  en  Hollande  où  il 
devint  le  chapelain  du  prince  d'Orange.  Il  mit  toute  son  activité  et  toute 
son  iniîuence  au  service  du  stathouder  qui,  devenu  Guillaume  III  d'An- 
gleterre,  le  nomma  évoque  de  Salisbury  (1089).  Les  dernières  années 
le  Burnet  furent  très-calmes  ;  il  mourut  d'une  fluxion  de  poitrine  le' 
17  mars  171o.  C'était  un  homme  d'un  vaste  savoir,  mais  d'un  caractère 
iif  a  paru  manquer  parfois   de  consistance.  Ses  ouvrages  sont  très- 
iiombreux.  On  peut  citer  parmi  les  principaux  :  un  Recueil  de  Saumons 
1*578-1700,  3  vol.  in-8°)  ;  une  Histoire  de  la  Réformation  de  V Eglise 
'(' Angleterre  faite  en   collaboration   des  docteurs  Loyal  et   Tillotson 
(Londres,  1079,  1(581 ,  1715,  3  vol.  in-fol.)  ;  Histoire  de  mon   temps 
17^i-173i,  2  vol.  in-fol.);  un  certain  nombre  d'écrits  de  controverse 
contre  les  catholiques,  ainsi  :  Examen  des  méthodes  du  clergé  de  France 
pour  la  conversion  des  helvétiques  (1082),  divers  écrits  de  morale,  de  poli- 
tique et  de  littérature.  —  Voyez  :  Moréri,  Dictionnaire  universel,  t.  II, 
p.  38o;  Chaufepié,  Nouveau  Dictionnaire,  t.  II;  Bibltotheca  britannica, 
t.  111,  p.  173.  A.  Gary. 

BURNIEE,  (Louis)  est  né  à  Lutry  (Vaud),  le  27  janvier  179o.  Il  n'avait 
<pie  six  ou  sept  ans,  lorsque,  sur  une  demande  pressante  de  sa  mère, 
il  songea  à  se  consacrer  au  ministère  évangélique.  «  Dès  lors,  dit-il,  je 
nai  jamais  eu  la  pensée  que  je  pusse  être  autre  chose  que  ministre.  » 
Après  avoir  fait  à  Lausanne  de  très-bonnes  études,  il  fut  consacré  en 
1817  «•!  exerça  la  charge  pastorale  dans  diverses  localités  du  canton  de 
Vaud.  Les  premières  années  de  son  ministère  coïncidèrent  avec  l'appa- 
rition de  la  dissidence.    Quoiqu'il  demeurât  bon   national,  il   tendit 
lient   la  main   d'association   à   ses  frères  séparés,  et  travailla 
avec  eux  a  la  traduction  du  Nouveau  Testament  et  à  direrses  oeuvres 
tission  ci  d'évangélisatioffc.  Dès  1831  cependant,  Burnier  se  con- 
.  i  le  défenseur  de  la  séparation  de  l'Eglise  et  de  l'Etat.  11  fonda 
.^si veinent  la  fiecie  britannique  religieuse  (1829-1830),  et  la   I)is- 


484  BURNIER  —  BURNOUF 

cussion  publique  su?'  la  liberté  religieuse  et  le  gouvernement  de  V Eglise 
(1830),  et  dans  ces  deux  journaux  plaida  non-seulement  la  liberté, 
mais  encore  l'égalité  des  cultes.  Nommé  membre  de  la  commission 
chargée  par  le  Conseil  d'Etat  de  la  révision  des  ordonnances  ecclésias- 
tiques, il  demanda,  sans  succès,  une  nouvelle  organisation  de  l'Eglise 
sur  la  base  de  la  participation  des  laïques  à  son  gouvernement.  Le 
14  décembre  1839,  le  grand  Conseil  abolit  la  confession  helvétique,  et 
la  remplaça  par  un  jury  de  doctrine,  sorte  de  tribunal  chargé  de  juger 
de  la  doctrine  des  pasteurs.  Comme  Burnier  ne  pouvait  accepter  cette 
loi,  et  qu'il  lui  répugnait  de  toucher  un  salaire  de  l'Etat  et  de  le  com- 
battre, il  donna  en  1841  sa  démission  de  pasteur  officiel,  tout  en  dé- 
clarant demeurer  membre  de  l'Eglise  nationale  opprimée.  En  1845,  il 
salua  avec  joie  la  grande  démission  des  pasteurs  vaudois,  et  fut  l'un 
des  fondateurs  de  l'Eglise  libre.  Burnier  est  mort  le  14  janvier  1873.  — 
La  fertilité  de  Burnier  comme  écrivain  a  été  grande.  Outre  ses  Etudes 
élémentaires  et  progressives  de  la  Parole   de  Dieu  en  quatre  volumes 
in-8°  (2e  édition,  Paris,  1862),  ses  Instructions  et  Exhortations  pastorales 
(1  vol.  in-8°,  Lausanne,  1843),  ses  Esquisses  évangéliques  (1  vol.  in-12, 
1858),  il  a  publié  en  trois  volumes  (Histoire  littéraire  de  l'éducation, 
2  vol.  in-8°,  1864;  Cours  élémentaire  de  pédagogie,  1865)  les  excellentes 
leçons   sur  l'éducation  qu'il   donna  pendant  plusieurs   années  dans 
l'école  supérieure  de  Morges,  à  l'organisation  de  laquelle  il  concourut. 
11  faudrait  citer  encore  des  notices  biographiques,  des  traductions  et  de 
nombreuses  brochures  ou  articles  de  journaux  qui  témoignent  de  l'in- 
cessante activité  de  son  esprit  (voy.  le  catalogue  de  ses  écrits,  Chrétien 
évangélique,  1873,  p.  315,  316).  Mais  l'œuvre  à  laquelle  il  a  donné  le 
meilleur  de  sa  vie,  c'est  la   traduction  du  Nouveau  Testament,   dite 
version  suisse,  dont  il   se  constitua  aussi  le  défenseur  (La  version  du 
JV.  T.  dite  de  Lausanne,  son  histoire  et  ses  critiques,  1866  ;  Les  mots  du 
N.  T.  dans  les  vers.  comp.  d'Osterv.  et  de  Laus.,  1871).  Burnier  ne  fut 
pas  un  prédicateur  brillant,  mais  ses  sermons  étaient  solides.  Il  a  tou- 
jours professé  un  grand  attachement  à  la  Bible  entière.  11  croyait  fer- 
mement  à    son    inspiration    verbale.    Très-hostile   à  l'antinomisme, 
il  insistait  avec  non  moins  de  force  sur  la  gratuité  du  salut.  La  der- 
nière parole  qu'il  prononça,  et  qui  exprime  bien  la  pensée  de  toute  sa 
vie,  est  celle-ci  :  Il  faut  être  saint  (voy.  Chrét.   év.,  1873,  p.  313-323, 
563-565).  Louis   Ruffet. 

BURNOUF  (Eugène),  né  à  Paris  le  8  avril  1801,  mort  le  28  mai  1852, 
3st  un  des  hommes  qui  ont  fait  faire  les  plus  grands  progrès  à  la  con- 
naissance des  religions  anciennes  dans  la  première  moitié  de  ce  siècle. 
Dans  son  Essai  sur  le  pâli  ou  langue  sacrée  de  la  presqu'île  au  delà  du 
Gange,  publié  de  concert  avec  Chr.  Lassen  en  1826,  il  démontra  d'une 
manière  complète  et  définitive  que  cet  idiome,  employé  comme  langue 
sacrée  et  savante  pour  la  religion  de  Bouddha  à  Ceylan,  au  Birman,  à 
Siam,  etc.,  est  un  dérivé  du  sanscrit,  et  restitua  par  là  une  des  prin- 
cipales sources  de  l'étude  de  cette  grande  évolution.  Mais  son  principal 
titre  de  gloire  est  la  découverte  de  la  langue  zende  {Commentaire  sur  le 
Yaçna,  1833),  dont  les  textes  étaient  restés  jusqu'alors  indéchiffrables. 


BURNOUF  —  BTJSCB  485 

Grâce  à  sa  connaissance  approfondie  du  sanscrit  et  s'aidant  de  tra- 
ductions sanscrite  et  pehlvie,  il  reconstitua  d'une  façon  absolument 
scientifique  la  langue  sacrée  du  zoroastrisme.  Cette  découverte,  menée 
à  bout  avec  une  sûreté  de  méthode  rare  et  une  persévérance  infati- 
gable, est  digne  d'être  mise  à  côté  du  déchiffrement  des  hiéroglyphes 
d'Egypte  el  des  inscriptions  cunéiformes  de  la  Mésopotamie;  Burnouf 
toucha  du  reste  avec  succès  à  l'un  des  côtés  de  cette  dernière  question 
en  interprétant  des  inscriptions  cunéiformes  du  système  persépolitain 
écrites  dans  un  dialecte  appartenant  à  la  même  souche  que  le  zend.  Le 
second  travail  capital  de  Burnouf,  celui  qui  doit  être  placé  à  côté  du 
Commentaire  sur  le  Yaçna,  est  Y  Introduction  à  l'Histoire  du  Bouddhisme 
indien  (1844),  fruit  du  dépouillement  de  quatre-vingt-huit  ouvrages 
bouddhiques  en  sanscrit  procurés  par  M.  Hodgson,  qui  permettaient 
de  saisir  dans  sa  forme  originale  une  des  principales  religions  du 
monde.  Ces  travaux  ont  livré  au  monde  moderne  le  secret  de  deux  des 
principaux  événements  de  l'histoire  de  l'humanité  qui  n'étaient  par- 
venus jusqu'à  nous  que  sous  une  forme  absolument  défectueuse.  — 
Voyez  la  Notice  sur  les  travaux  de  M.  Eugène  Burnouf,  par  M.  Barthé- 
lémy Saint-Hilaire,  mise  en  tête  de  la  réédition  de  son  Introduction  au 
Bouddhisme  (Paris,  1870).  Maurice  Vernes. 

BURY  (Arthur;,  théologien  anglais,  connu  surtout  par  le  rôle  qu'il 
joua  dans  la  tentative  faite  par  Guillaume  III  pour  réunir  en  une  seule 
Kulise  les  différentes  sectes  de  l'Angleterre.  11  composa,  à  cet  effet, 
pendant  qu'il  était  principal  du  collège  d'Excester,  à  Oxford,  un  livre 
fameux  intitulé  :  The  niked  Gospel  (1691).  Il  y  soutenait  que  l'Evan- 
gile ayant  été  considérablement  altéré  par  des  additions  postérieures, 
il  fallait  le  rétablir  dans  son  intégrité  primitive  et  n'y  admettre 
que  les  préceptes  absolument  nécessaires  au  salut,  c'est-à-dire  ceux 
qui  nous  sont  enseignés  d'autre  part  par  la  loi  naturelle.  La  divi- 
nité de  Jésus-Christ  n'est  pas  de  ceux-là  et  on  peut  la  négliger  sans 
inconvénient.  Ce  malencontreux  essai  de  conciliation  souleva  un 
cri  de  réprobation.  Le  livre  fut  condamné  au  feu,  le  19  mai  1(390,  et 
l'auteur  chassé  de  l'université.  Accusé  de  socinianisme  par  Jurieu  dans 
sa  Religion  du  Latitudinaire,  Bury  répondit  par  le  Latitudinarius  or- 
tl/odoxus  ou  Vindicix  liber tatis  christianx  Ecclesix  anglicanx  contra 
ineptias  et  calumnias  P.  Jurieu  (Londres,  1699).  Jurieu  était  traité  de 
odiorum  professor,  malignitatù  diabolicx  prof  essor .  Bury  trouva  pourtant 
un  certain  nombre  de  partisans  chez  les  latitudinaires  de  Hollande. 

BUS  (César  de),  né  à  Cavaillon  en  loii,  mort  à  Avignon  en  1607, 
après  une  jeunesse  fort  dissipée,  entra  dans  l'état  ecclésiastique  et  fut 
chanoine  de  Cavaillon.  Il  fonda  la  congrégation  des  prêtres  de  la  Doc- 
trine chrétienne,  nommés  Doctrinaires,  et  celle  des  Ursulines,  destinée 
comme  la  première,  à  l'enseignement  (voy.  ces  articles).  11  reste  de 
César  de  Bus  des  Instructions  familières,  Paris,  1665,  in-12  (voy.  J.  de 
Beau  vais,  Il  Ut.  de  la  Vie  de  César  de  /Jus). 

BUSCH  (Jean)  [1399-1479],  originaire  de  Zwoll,  en/Hollande,  s'acquit 

une  grande  renommée  par  le  zèle  infatigable,  la  fermeté  et  1<-  tact  avec 

esquels  il  s'occupa  de  la  réforme  des  couvents  dont   les  seigneurs  de 


486  BUSCH   -  BUTLER 

la  Frise,  de  la  Westphalie  et  de  la  Saxe  le  chargèrent,  et  qu'il  accom- 
plit avec  succès,  malgré  la  résistance,  parfois  armée,  des  moines  et 
des  nonnes.  On  a  de  Busch  une  Chronique  du  couvent  de  Wmèesheim 
dont  il  était  chanoine,  et  un  traité  De  reformatione  monasteriorum  quo- 
rumdam  Saxonùe  libri  IV,  imprimé  dans  les  écrits  de  Leibnitz, 
édit.  de  Brunswick,  t.  II,  p.  476  ss. 

BUSCHING  (Antoine-Frédéric),  savant  géographe,  né  à  Stadthagen 
en  1724,  précepteur  du  comte  de  Lynar  à  Kœstritz,  professeur  de 
philosophie  à  Gœttingue,  pasteur  luthérien  à  Saint-Pétersbourg,  direc- 
teur d'un  gymnase  et  membre  du  consistoire  supérieur  à  Berlin,  mort 
en  1793.  Par  ses  tendances,  il  se  rattache  au  piétisme  ;  par  son  esprit 
large,  conciliant,  ouvert  à  toutes  les  recherches,  il  mérita  la  considé- 
ration de  tous  les  partis.  Bùsching  a  laissé  un  grand  nombre  d'ou- 
vrages, des  biographies  (Beitrœge  zur  Lebensgesch.  denkwùrd.  Personen, 
1789),  des  commentaires,  une  théologie  biblique  (Epitome  theol., 
1756),  mais  surtout  des  traités  de  géographie.  Ss.  Nouvelle  description 
du  globe  ou  Géographie  universelle  (Hamb.,  1754-92,  11  vol.  in-8°),  si 
complète  et  si  exacte,  valut  à  Fauteur  une  juste  renommée.  La  partie 
consacrée  à  la  Palestine  renferme  un  nombre  considérable  de  maté- 
riaux destinés  à  faciliter  l'intelligence  des  textes  bibliques. 

BUSENBAUM  (Herman)  [1600-1668],  jésuite  allemand,  recteur  des 
collèges  de  Hildesheim  et  de  Munster.  Il  est  fameux  par  son  ouvrage 
intitulé  :  Medulla  theologiœ  moralis  facili  ac  perspicua  methodo  résolvent 
casus  conscientiœ ,  ex  variis  probatisque  authoribus  concinnata  (Munster, 
1650,  in-12).  Ce  livre,  souvent  remanié  dans  la  suite  par  les  confrères 
de  Fauteur,  reproduit  sur  la  morale  sociale  et  politique  les  principes 
de  Sanchez,  si  connu  depuis  les  Provinciales.  Un  an  après  la  mort  de 
Busenbaum,  sa  Théologie  morale,  véritable  vade-mecum  clés  séminaires 
de  la  Société  de  Jésus,  en  était  à  sa  vingt-troisième  édition.  Le  P.  La- 
croix en  lit  plus  tard,  avec  des  additions,  des  commentaires  et  un 
index,  huit  volumes  in-8°  (Cologne,  1716).  Le  P.  Montausan  l'augmenta 
à  son  tour  et  la  donna  en  deux  volumes  in-folio  (Lyon,  1729),  édition 
reproduite  en  1740  et  1757  sous  la  fausse  rubrique  de  Cologne  et 
recommandée  par  les  critiques  du  Journal  de  Trévoux.  On  était  alors 
à  l'époque  de  l'attentat  de  Damiens.  Le  parlement  de  Toulouse  s'émut 
d'une  doctrine  qui  n'allait  à  rien  moins  qu'à  établir  que,  si  un  citoyen 
proscrit  par  un  prince  ne  peut  être  mis  à  mort  que  dans  le  territoire 
soumis  à  sa  juridiction,  un  prince  proscrit  par  le  pape  peut  l'être  sur 
toute  la  terre,  parce  que  le  pape  est  souverain  universel.  Un  arrêt 
ordonna  de  brûler  le  livre.  Le  parlement  de  Paris  le  condamna  aussi 
en  1761.  Les  jésuites,  chez  qui  on  avait  saisi  l'ouvrage  au  séminaire 
d'Albi,  en  désavouèrent  la  doctrine  et  déclarèrent  qu'ils  ignoraient  le 
lieu  d'impression  et  l'éditeur  ;  ce  qui  n'empêcha  pas  le  P.  Zaccaria, 
jésuite  italien,  d'en  publier  aussitôt  l'apologie  et  de  le  faire  réim- 
primer à  Venise  (1761,  3  vol.  in-fol.).  On  en  a  donné  une  autre  édition 
à  Ingolstadt  en  1768,  et  une  dernière  à  Rome  en  1844  (2  vol.  in-fol.) . 

BUTLER  (Joseph),  philosophe  et  théologien  anglais,  naquit  à  Wantage 
(Berkshire),  en  1692,  dans  une  famille  presbytérienne,  se  rattacha  vers 


BUTLER  487 

l'âge  de  vingt-et-un  ans  à  l'Elise  anglicane,  devint  successivement 
pasteur  de  campagne,  chapelain  de  cour,  prébendaire  de  Rochester, 
évoque  de  Bristol  el  doyen  de  Saint-Paul  de  Londres  et  mourut  en  17ôv2, 
deux  ans  après  avoir  été  promu  à  L'évéché  de  Durham,  le  plus  riche 
de  tous  Les  siégea  épiscopaux  de  l'Eglise  anglicane.  Accusé  dans  certains 
écrits  anonymes  d'être  mort  dans  la  communion  de  F  Eglise  de  Home, 
il  tut  aisément  vengé  de  cette  absurde  imputation  par  la  réfutation 
aussi  énergique  que  loyale  qu'en  lit  l'archevêque  Secker,  l'un  de  ses 
plus  anciens  et  de  ses  plus  intimes  amis.  Butler  était  un  penseur  pro- 
fond et  un  dialecticien  consommé.  Encore  étudiant  à  l'académie  libre 
de  Newkesbury,  il  avait  eu  avec  le  Dr  Samuel  Clarke,  auteur  d'un 
traité  célèbre  sur  Y  Existence  de  Dieu,  une  correspondance  au  sujet  de 
quelques-uns  des  arguments  à  priori  employés  par  Clarke  pour  démontrer 
les  attributs  divins,  et  cette  correspondance  fut  trouvée  si  intéressante 
qu'elle  a  depuis  figuré  en  appendice  dans  toutes  les  rééditions  de  ce 
traité.  Butler  a  publié  des  Sermons  (1726)  sur  diverses  questions  de  morale 
et  un  ouvrage  étendu  intitulé  :  Analogie  de  la  religion  naturelle  et  révé- 
lée avec  la  constitution  et  le  cours  de  la  nature  (1736).  Gomme  moraliste, 
Butler  appartient  à  la  même  école  queShaftesbury,Hutcheson  et  Smith, 
c'est-à-dire  à  celle  qui  cherche  dans  les  instincts  de  la  nature  humaine 
le  principe  de  détermination  de  nos  devoirs.  11  occupe  pourtant  dans 
cette  école  une  place  à  part,  par  le  soin  qu'il  met  à  constater  chez 
nous,  à  côté  des  tendances  qui  sont  ou  personnelles  ou  sociales,  l'exis- 
tence d'une  faculté  morale  à  laquelle  appartiennent  le  discerne- 
ment du  bien  et  du  mal  et  le  gouvernement  de  notre  vie  entière. 
L'apologétique  de  Butler  est  dans  un  rapport  étroit  avec  sa  morale  : 
comme  il  a  montré,  dans  ses  Sermons,  que  la  vertu  consiste  à  suivre 
la  nature,  il  établit  dans  son  livre  de  V  Analogie  que  l'homme  religieux, 
le  chrétien,  qui  vit  en  vue  de  la  vie  à  venir,  suit  les  plus  sûres  indica- 
tions qu'on  peut  tirer  de  l'expérience  de  la  vie  présente.  Ce  livre  est 
un  essai  d'application  de  la  méthode  baconienne  (l'expérience  inter- 
prétée par  la  raison)  à  la  preuve  de  la  religion.  Notre  auteur  distingue 
la  religion  naturelle  et  la  religion  révélée  :  la  première  affirme  Dieu 
comme  l'auteur  et  le  conservateur  de  l'ordre  moral  ;  la  seconde  le  pré- 
sente, dans  les  personnes  du  Fils  et  du  Saint-Esprit,  comme  le  répara- 
teur de  ce  même  ordre  moral  compromis  par  la  chute  de  l'humanité. 
Des  devoirs  positifs  découlent  de  l'une  comme  de  l'autre,  et  ce  que  veut 
Butler,  c'est,  non  pas  démontrer  spéculativement  les  dogmes  de  la  re- 
ligion soit  naturelle,  soit  révélée,  mais  les  élever  à  ce  degré  de  proba- 
bilité qui,  dans  les  questions  pratiques,  suffit  pour  déterminer  la  con- 
duite d'un  homme  raisonnable.  Pour  cela  il  considère  les  affirmations 
religieuses  (vie  à  venir,  rétributions  futures,  révélation,  rédemption) 
comme  autant  d'affirmations  de  faits  susceptibles  d'être  prouvées  par 
('argument  analogique.  Cet  argument  consiste  à  conclure  de  faits  positifs 
immédiatement  connus  à  d'autres  faits  que  l'expérience  n'atteint  pas 
et  qui  ont  avec  les  premiers  quelque  ressemblance,  quelq ne  analogie 
évidente.  Ainsi  il  est  certain  que  chaque  période  de  notre  vie  terrestre, 
envisagée  par  rapport  à  celles  qui  la  suivent,  est  une  période  d'épreu- 


488  BUTLER 

ves  et  de  préparation   :  telle  l'enfance  par  rapport  à  la  jeunesse,  la 
jeunesse  par  rapport  à  l'âge  mûr;  il  n'y  a  donc  rien  d'incroyable, 
rien  que  de  conforme  à  la  nature  des  choses  à  ce  qu'il   en   soit  de 
môme  de  l'ensemble  de  notre  vie  terrestre  par  rapport  à  notre  exis- 
tence future.  Ainsi  encore,  dans  le  système  de  la  religion  révélée,  la 
doctrine  centrale  est  celle  de  l'existence  d'un  médiateur  entre  Dieu 
et  riiomme  venant  réparer  les  fautes  de  ce  dernier  et  le  soustraire 
aux  conséquences  de  sa  chute  ;  pour  justifier  cette  doctrine,  Butler  en 
signale  les  analogies  avec  ce  qui  se  passe  dans  la  vie  ordinaire,  où  si 
souvent  l'homme  est  auprès  de  son  semblable  l'instrument  des  miséri- 
cordes divines.  Telle  est  l'argumentation  de  tout  l'ouvrage.  Sa  conclu- 
sion est  toute  pratique  :  puisque  la  religion  est  probable,  puisqu'à  tout 
le  moins  il  est  possible  qu'elle  soit  vraie,  il  est  de  la  prudence  la  plus 
élémentaire  d'en  remplir  fidèlement  toutes  les  obligations.  Cette  apo- 
logie, unique  en  son  genre,  a  porté  coup  parce  qu'elle  était  en  rapport 
intime  avec  les  besoins  des  esprits  à  l'époque  où  elle  parut.  On  sait 
dans  quel  discrédit,  dans  quel  mépris  était  tombée  la  religion,  en  An- 
gleterre, au  commencement  du  dix-huitième  siècle.  Butler  la  repré- 
senta comme  respectable  et  ses  preuves  comme  dignes    de  considéra- 
tion. Aux  déistes  inconséquents  et  frivoles  de  l'école  de  Bolingbroke,  il 
montra  que  la  croyance  au  Dieu  de  la  nature  est  solidaire  et  insépara- 
ble de  la  croyance  au  Dieu  de  la  conscience,  et  que  celle-ci  à  son  tour 
conduit  à  la  croyance  au  Dieu  de  l'Evangile.  Il  justifia  comme  prudente 
et  raisonnable  la  conduite  de  l'homme  religieux.  Par  rapport  à  son 
temps  et  a  ce  but  tout  pratique  qu'il  se  proposait,  il  réussit  pleinement. 
—  Œuvres  de  Joseph   Butler,  éditées  par  Samuel   Halifax,  évêque  de 
Gloucester,  Oxford,  1849 ;  traduction  française  de  VA  nalogie,  Paris,  1821 
(très-mauvaise).  Voyez  Jouffroy,  Cours  de  droit  naturel,  vol.  II;  Dic- 
tion, des  se.  philos,  de  Frank,  art.  Butler.  J.  de  Visme. 

BUTLEPi  (Alban),  né  à  Appletre  dans  le  comté  de  Northampton, 
en  1710,  fut  envoyé  à  l'âge  de  huit  ans  au  collège  anglais  de  Douai.  Il 
y  devint  successivement  professeur  de  philosophie  et  de  théologie. 
L'ouvrage  qui  a  établi  sa  réputation  est  intitulé  :  Lives  of  the  Fathers, 
Martyrs  and  other principal  Saints  (5  vol.  in-4°).  Pendant  un  séjour  qu'il 
fit  en  Angleterre,  il  devint  chapelain  du  duc  de  Norfolk  et  précepteur  de 
son  lils  qu'il  accompagna  dans  an  voyage  en  Flandre  et  à  Paris.  Plus 
tard  il  fut  nommé  principal  du  collège  anglais  de  Saint-Omer,  et 
mourut  dans  cette  ville,  le  15  mai  1773.  On  a  aussi  de  lui  :  Letters  on 
the  History  of  the  Popes,  published  by  M.  Archibald  Bower.  C'est  un 
essai  de  réfutation  cle  Y  Histoire  des  Papes  d'Archibald  Bower,  qui  avait 
écrit  cet  ouvrage  après  être  sorti  du  catholicisme. 

BUTLER  (Charles),  neveu  d' Alban  Butler,  né  à  Londres  en  1750, 
mort  en  1832,  fut  élevé  au  collège  cle  Douai.  A  son  retour  en  Angle- 
terre, il  se  voua  au  barreau  et  fut  le  premier  avocat  catholique  qui 
profita  des  dispositions  libérales  de  Georges  III  en  1791.  La  plupart  des 
ouvrages  qu'il  a  écrits  concernent  des  sujets  religieux.  Ainsi  il  con- 
tinua la  Vie  des  Saints  de  son  oncle,  et  publia  des  Horx  biblicx  où  il 
s'attache  à  comparer  avec  la  Bible  les  traditions  religieuses  des  diffé- 


BUTLER  —   BUXTORF  480 

fente  peuples.  11  se  plaça  à  la  tête  du  parti  catholique  modéré  et  essaya 
de  l'aire  prévaloir  des  Idées  de  conciliation  dans  son  célèbre  Appel  aux 
protestants  de  la  Grande-Bretagne  et  d'Irlande.  Sa  conduite  lui  attira  la 
considération  générale.    ■ 

BUTTLAR  (Eve>,  jeune  et  belle  Hessoise,  née  en  1670,  mariée  à  dix- 
sept  ans  à  un  réfugié  français,  de  Vésias,  précepteur  et  maître  de 
danse  à  la  cour  d'Eisenach,  mena  pendant  dix.  ans  une  vie  de  plai- 
sirs et  de  dissipation  mondaine.  Réveillée  en  1097  par  l'influence 
du  piétisme,  elle  quitta  son  mari  et  se  mit  à  tenir  des  réunions 
religieuses  où,  sous  le  masque  d'une  sainteté  supérieure,  ne  tardè- 
rent pas  à  se  commettre  les  désordres  de  mœurs  les  plus  révoltants. 
L'aimable  et  séduisante  inspirée  fonda  en  1702  la  Société  chrétienne 
et  philadelphique,  dans  laquelle  elle  se  faisait  aduler  sous  les  noms  de 
«  Porte  du  Paradis,  Nouvelle  Jérusalem,  Sagesse  venue  du  ciel,  seconde 
Eve,  Saint-Esprit,  »  et,  dans  l'attente  de  l'avènement  prochain  du  règne 
millénaire,  prêcha  l'abolition  du  mariage,  la  communauté  des  biens, 
la  déchéance  de  l'Eglise,  l'obéissance  passive  aux  ordres  de  la  nou- 
velle prophétesse.  Traquée  par  l'autorité  civile,  qui  ne  pouvait  tolérer 
de  pareils  scandales,  la  secte,  après  avoir  trouvé  un  asile  éphémère 
dans  le  comté  de  Wittgenstein  et  à  Lude,  près  de  Pyrmont,  dut  se 
dissoudre  en  1706.  Eve  de  Buttlar  alla  s'établir  à  Altona  avec  un  de 
ses  nombreux  amants  spirituels,  rentra  dans  l'Eglise  luthérienne,  et 
mourut  vers  1717. 

BUXTORF,  célèbre  famille  de  savants.  —  I.  Buxtorf  (Jean) ,  né  le 
25  décembre  1564,  à  Camen,  en  Westphalie,  étudia  à  Marbourg, 
Herborn,  où  Piscator  l'instruisit  dans  la  langue  hébraïque,  Heidelberg, 
Bàle,  Zurich  et  Genève,  et  devint  en  1591  professeur  de  langue 
hébraïque  à  Bàle,  où  son  mariage  avec  une  petite-fille  deCcelio  Secundo 
Curione  le  iixa  définitivement,  et  où  il  mourut  de  la  peste  le  13  sep- 
tembre 1629.  Il  fut  père  d'une  nombreuse  famille  d'où  sont  sorties 
plusieurs  générations  d'hébraïsants  distingués,  qui  ont  occupé  pendant 
près  d'un  siècle  et  demi  la  chaire  d'hébreu  de  l'université  de  Bàle. 
Buxtorf  s'était  voué  avec  passion  à  l'étude  de  l'hébreu,  rassemblant 
de  toutes  parts  des  livres  en  cette  langue  (sa  belle  bibliothèque, 
augmentée  par  ses  descendants,  fut  acquise  en  1705  par  la  ville  de 
Bàle),  entretenant  une  vaste  correspondance  avec  des  savants  de 
tout  pays  et  avec  plusieurs  rabbins  (8  vol.  in-fol.  et  1  vol.  in-4°  de 
lettrés  originales  adressées  aux  Buxtorf,  principalement  à  J.  Buxtorf 
fils,  sont  dans  la  bibliothèque  de  Bàle) ,  logeant  même  chez  lui 
des  juifs  instruits;  aussi  devint-il  le  premier  hébraïsant  de  son 
temps,  l'initiateur  dans  la  connaissance  de  la  littérature  rabbi- 
nique,  et  le  maître  de  qui  releva  pendant  le  dix-septième  siècle  la 
théologie  protestante  pour  tout  ce  qui  concerne  l'Ancien  Testament. 
Nous  citerons  ses  principaux  ouvrages,  tous  imprimés  originairement 
à  Baie  :  ses  lectures  rabbiniques  lui  fournirent  la  matière  d'un  traité 
d'archéologie  religieuse  des  Juifs,  intitulé:  Synagoga  judaica  (en 
allrin.,  1603,  souvent  réimprimé  jusqu'en  1729;  traduit  en  lat.  et  en 
holl.i,  et  de  son  traité  De  abbreviaturis hebraieis  (suivi  d'une  étude  sur 


490  BUXTORF 

le  Talmud  et  d'une  bibliothèque  rabbinique,  £613  et  plusieurs  l'ois 
depuis,  jusqu'en  1708).  Ses  ouvrages  grammaticaux  et  lexicographi- 
ques  sont  fort  dépendants  de  la  tradition  des  rabbins,  mais  la  clarté 
de  l'exposition  et  leur  méthode  très-pratique  leur  acquirent  une 
influence  prolongée,  de  sorte  qu'ils  marauèrent  une  étape  dans 
l'histoire  des  études  hébraïques  entre  Reuchlin  et  Pagninus  d'une 
part  et  les  philologues  du  dix-huitième  siècle  de  l'autre  ;  Prœcepta 
grammaticie  hebraicx  (1605,  in-8°;  très-souvent  réimprimé  sous  le 
titre  à'Fpitome  gram.  hebr.  jusqu'en  1710);  Thésaurus  grammaticw 
Imguse  kebr.,  1609,  in-8°;  cet  ouvrage  capital  eut  plusieurs  éditions 
dont  la  dernière  est  de  1663  ;  Lexicon  hebrœo-chaldaicum ,  1607,  in-8°, 
dont  on  compte  une  douzaine  d'éditions  jusqu'en  1735;  Manuale  hebr. 
etchald.  (qui  est  un  extrait  du  précédent,  1612,  in-12;  souvent 
réimprimé);  Lexicon  chald.-,  talmud.  et  rabbinicum,  1639,  in-fol.  Cet 
ouvrage,  fruit  de  vingt  années  de  travail  assidu  de  Buxtorf  père,  et  de 
dix  de  son  fils  qui  le  publia,  n'est  pas  seulement  un  lexique  de  toute 
la  littérature  talmudique  et  rabbinique,  mais  encore  une  sorte  de 
dictionnaire  encyclopédique  dans  ce  domaine  ;  malgré  ses  imperfec- 
tions, il  est  resté  sans  rival  jusqu'à  nos  temps,  où  il  subit  même  une 
réimpression  (revue  par  B.  Fischer,  Leipz.,  1866-74,  in-4°),  tandis  que 
le  rabbin  J.  Lévy  publiait  un  travail  original  analogue  (Leipz.,  1866- 
68,  2  vol.  in-4°)  ;  Concordantiœ  Bibliorum  hebraicœ,  1632,  in-fol.;  cette 
œuvre  utile,  achevée  et  publiée  par  son  fils,  est  bien  supérieure  aux 
travaux  antérieurs  de  Nathan  et  de  Calasio  ;  elle  a  été  réimprimée 
récemment  par  B.  Baer  (Berlin,  1862-63,  in-4°)  ;  Fûrst  en  a  livré  un 
remaniement  excellent  (Leipz.,  1840,  in-fol.).  En  1612  Buxtorf  avait 
déjà  donné  avec  l'aide  d'un  rabbin  une  édition  de  la  Bible  hébraïque 
soigneusement  revue  ;  sur  cette  base  il  publia  sa  grande  Bible  rabbi-. 
nique  (Biblia  sacra  hebraïca  et  chaïdaica  cum  Masora,  etc.,  1618-20, 
4  tomes  in-fol.),  qui,  outre  un  texte  minutieusement  établi,  contient 
les  paraphrases  chaldaïques,  les  commentaires  des  principaux  rabbins, 
etc.  En  même  temps  il  publiait  un  ouvrage  fondamental  pour  la 
connaissance  de  la  massore  (Tiberias  seu  Commentarius  masorethicus, 
1620,in-4°  et  in-fol.;  nouv.  éd.,  revue  et  fort  augmentée  par  son  fils  et 
publiée  par  son  petit-fils,  1665,  in-4°);  Buxtorf  s'efforçait  entre  autres 
d'y  prouver  l'antiquité  des  voyelles  et  des  accents  de  l'Ancien  Testa- 
ment, pour  en  déduire  la  certitude  et  la  pureté  du  texte  sacré;  opinion 
que  Louis  Cappel  attaqua  dans  son  Arcanum  punctationis  revelatum, 
1624,  et  que  Buxtorf  le  fils  défendit,  à  défaut  de  son  père,  alors  que 
cette  question  était  devenue  le  sujet  d'une  longue  et  ardente  polémique. 
—  Sources  sur  Buxtorf  père  :  D.  Tossanus,  J.  Buxtorfii  senioris  vita 
et  mors,  Basil.,  1630,  in-4°  (reprod.  dans  H.  Witten,  Mémorise  philoso- 
phorum,  Francf.,  1677,  dec.  III,  p.  306-324);  J.  Baldovius,  Oratio  de 
/.  Buxtorfii  laboribus,  Helmst.,  1639,  in-4°;  Buxtorf-Falkeisen,  Joh. 
Buxtorf  Vater,  erkannt  aus  seinem  Briefivechsel,  Basel.,  1860,  in-8°.; 
Bnicker,  Ehrentempel,  1747,  t.  I;  Harzheim,  Bibliotheca  coloniens., 
1747;  Steinschneider,  Bibliographisches  Handbuch  fur.  hebr.  Sprach- 
kunde,    1859.  —  Les  auteurs  suivants  sont  à  consulter  sur  Buxtorf  père 


BUXTORF  191 

el  ses  descendants  :  Hailer,  Bibl.  i.  Scàw.  GeadL,  t.  II,  n.  570-5;  F  relier, 
Tkealrum  virorum  d<»c/.:  Nieéron,  Mémoires,  t.  XXXI;  Zedler,  Lexûxm, 
t.  IV:  Leu,  ScÂweitL  Lexicon,t.  IV,  el  Holzhalb,  Supplem^  t.  I; 
(Herzog),  Athenx  Rcurïcx,  1778;  Rosenmùlier,  Handbuch  <l.  bibl. 
Kritik;  Meyer,  Geêcà,  d.  Scàrifteràherumg,  t.  III;  Bertheau  dans 
V Encyclopédie  de  tierzog,  t.  II;  Siegfried  dans  A llyem.  Deutsche  Bm- 
grepÀïe,  t.  III,  Leipz.,  1870. 

IL  Buxtorf  (Jean),fUs  du  précédent,  naquit  à  Bâle,  le  13  août  1590, 
apprit  de  très-bonne  heure  le  latin,  le  grec  et  l'hébreu,  lit  ses  études 
à  Bâle,  à  Heidelberg  et  à  Dordrecht,  et  les  compléta  par  des  voyages 
en  Hollande,  en  Angleterre  et  en  France;  après  avoir  exercé  le  minis- 
tère pastoral  à  Baie  depuis  1624,  il  remplaça  en  1630  son  père  dans  la 
chaire  de  langue  hébraïque,   à   laquelle   il  joignit   en  1647  celle  de 
dogmatique    que    Ton   créa    pour  le    retenir    à   Bâle;  il    échangea 
en  1654  cette  dernière  contre  celle  d'exégèse  de  l'Ancien  Testament. 
Il   mourut   dans   cette   ville  le   17  août  1664,  laissant  de  ses  quatre 
mariages  deux  fils,  dont  le  second  continua  à  Bâle  les  traditions  stu- 
dieuses de  sa  famille.  Son  érudition  rabbinique  et  sa  connaissance  de 
Thébreu  lirent  de  Buxtorf  un  digne  successeur  de  son   père,  dont  il 
mena  à  bonne  fin  plusieurs  travaux  inachevés  et  de  plusieurs  ouvrages 
duquel  il  publia  de  nouvelles  éditions  augmentées.  Il  prit  une  part 
importante  aux  polémiques  théologiques  de  son  temps  dans  lesquelles, 
comme  le  dit  M.  Siegfried,    il  mit  une  érudition   profonde   et  une 
grande  pénétration  au  service  d'une  cause  insoutenable  :  la  doctrine 
de  son  père  sur  l'antiquité  des  voyelles  hébraïques  avait  été  attaquée 
en  1624  par  Louis  Cappel  ;  Buxtorf  le  fils  y  répondit  d'abord  sur  un 
point  spécial  [Disscrtatio  de  literarum  heor.  genuina   antiquitate,  1643, 
in-i°),  cherchant  à  prouver  que  les  caractères  hébraïques  ordinaires 
dits  carrés  étaient  plus  anciens  que  ceux   dits   samaritains;  Cappel 
répliqua  {Diatribe  de  veris  et  antiquis  Ebrxorum  literis,Amst.,  1645,  in- 
12).  Buxtorf  s'attaqua  alors  au  point  essentiel  de  la  dispute  (Tractatus 
de  punctorum  vocalium  et  accentuum  origine,  antiquitate  et  autoritate, 
1648,  in-4°)  dans  le  but  de  démontrer  que  l'autorité  divine  et  l'inspi- 
ration du  texte  de  l'Ancien  Testament  n'avaient  pas  trait  seulement 
aux  consonnes,  mais  aussi   aux  voyelles,  doctrine  qui  fut  vivement 
discutée  et  qui  prévalut  quelque  temps  officiellement  dans  les  Eglises 
réformées   de   la   Suisse,  grâce   à  la   Formula  consensus  de  1675.  La 
réplique  de  Cappel  ne  parut  qu'en  1689,  longtemps  après  la  mort  des 
deux  adversaires.  Mais  Cappel,  dans  un  ouvrage  de   longue  haleine, 
fruit  d'un  travail  de  trente-six  ans  {Critica  sacra,  Paris,  1650,  in-fol.), 
avait  porté  le  débat  sur  un  sujet  encore  plus  important;  suivant  avec 
plus  de  mesure  la   voie  ouverte  par  Jean  Morin,  Cappel,  prenant  le 
texte    hébreu  dans   son   ensemble,   et  non  plus   seulement   dans   les 
voyelles,  prouvait  qu'il  n'avait  point   été   miraculeusement   préservé 
dans  son  intégrité,  comme  l'orthodoxie  le  voulait,  mais  (pie,  comme 
tout  autre  texte  ancien,  il  avait  subi  des  altérations  de  détail  auxquelles 
la  science  devait  chercher  à  remédier.   Buxtorf  lui  répondit   avec 
érudition  et  souvent  avec  succès  sur  des  points  secondaires,  mais  en 


492  BUXTORF  —  BUZENVAL 

somme  insuffisamment  dans  son  ouvrage  capital  (Antzcritica,  seu  vindicùe 
veritatis  hebraicœ,  1653,  in-4°).  Parmi  les  autres  ouvrages  de  Buxtorf 
nous  citerons  encore  :  Lexicon  chald.  et  syr.,  1622,  in-4°;  Maimomdis 
Doctor  perplexorum  ex  hebr.  in  lat.  translatus,  1629,  in-4°  ;  Liber  Cosri, 
hebr.  et  lot.,  1660,  in-4°  ;  enfin  deux  recueils  de  dissertations  diverses: 
Exercitationes  ad  histGriam.  Arcse  fœderis,  etc.,  1659,  in-4°  ;  Disse?*ta- 
tiones  p/iiloloyico-t/ieologicx,  1662,  in-4°.  —  Sources  :  Outre  celles 
indiquées  pour  son  père  :L.  Gernler,  Oratio  pa?'entalis  Joli.  Buxtorfii, 
Basil.,  1665,  in-4°;  Schelhorn  (Amœnitates  literariœ,  t.  XIV,  Francf., 
1731)  a  publié  plusieurs  lettres  de  lui. 

III.  Buxtorf  (Jean-Jacques),  fils  du  précédent,  naquit  à  Bàle,  le 
4  septembre  1645,  et  fut  instruit  dans  les  lettres  hébraïques  par  son 
père,  dont  la  succession  comme  professeur  d'hébreu  lui  fut  assurée 
déjà  du  vivant  de  ce  dernier  ;  fort  apprécié  des  savants  ses  contem- 
porains, il  est  moins  connu  de  la  postérité,  n'ayant  publié  qu'une 
nouvelle  édition  de  la  Tiberias  et  de  la  Synagoga  judaica  de  son  grand- 
père;  il  mourut  le  1er  avril  1704.  —  Sources  :  Outre  celles  citées  plus 
haut  :  S.  Werenfels,  Vita  Jo.  Jac.  Buxtorfii,  Basil.,  1705,in-4°  (repro- 
duite dans  les  diverses  éditionsde  ses  Opuscula  theologica  philos.,  etc.). 

IV.  Buxtorf  (Jean),  neveu  du  précédent  et  petit-fils  de  Jean  Bux- 
torf II  ;  né  le  8  janvier  1663,  il  succéda  à  son  oncle  dans  la  chaire 
d'hébreu  et  mourut  le  19  juin  1732.  Outre  plusieurs  ouvrages  de 
moindre  importance,  il  publia  un  choix  intéressant  de  lettres  de  divers 
savants  à  Jean  Buxtorf  le  père  et  le  fils  (Catalectaphïlologico-theologica, 
1707,  in-8°),  publication  dont  il  avait  promis  une  suite  qui  est  restée 
inédite.  A.  Bebnus. 

BUZENVAL  (Paul  Çhoart,  sieur  de).  Entré  en  1583  clans  la  carrière 
diplomatique,  il  fut,  en  1585,  accrédité,  à  titre  d'ambassadeur,  auprès 
de  la  reine  d'Angleterre.  De  1592  à  1607,  il  résida  au  même  titre  dans 
les  Provinces-Unies.  Au  moment  où  il  désirait  rentrer  en  France, 
Henri  IV  (Bec.  de  ses  lettres,  in-4°,  t.  VII,  p.  20)  écrivit  aux  Etats-Géné- 
raux desdites  provinces  :  «  Très-chers  et  bons  amys ,  la  procédure 

et  la  sincérité  du  sieur  de  Buzenval  nous  estant  cognues,  nous  esti- 
mons que  pendant  qu'il  a  résidé  de  nostre  part  près  de  vous,  vous 
n'aurés  eu  que  tout  subject  d'en  demourer  très-contents  et  satisfaits.  » 
De  Buzenval  ne  put  pas  revoir  sa  patrie  :  le  31  août  1607,  il  rendit  le 
dernier  soupir,  à  La  Haye,  dans  l'hôtel  de  la  princesse  douairière  d'O- 
range, Louise  de  Goligny.  Cette  excellente  princesse  présida,  à  vrai 
dire,  aux  solennités  funéraires.  Le  deuil  fut  général  en  Hollande.  «  La 
chrétienté,  s'écria  Casaubon,  en  apprenant  la  mort  de  Buzenval,  a 
perdu  en  lui  un  homme  habile,  qui  avait  une  grande  pratique  des 
affaires.  Le  roi  a  perdu  un  fidèle  ministre,  l'Eglise  de  Dieu  un  homme 
excellent  et  très-zélé  pour  la  pure  religion,  et  moi  un  ami  qui  ne  m'é- 
tait pas  attaché  par  de  faibles  liens,  à  savoir  une  conformité  de  piété 
et  l'amour  des  lettres.  »  Une  étroite  amitié  unissait  de  Buzenval  à  Du- 
plessis-Mornay.  Une  volumineuse  correspondance,  qui  s'étend  de  1583 
à  1607,  atteste  non-seulement  la  vigueur  d'intelligence  et  la  sagesse 
avec  lesquelles  ces  deux  hommes  recommandables  maniaient  les  affaires 


BUZENVAL  —  BYBLOS  493 

politiques,  mais  aussi  l'élévation  de  sentiments  qui  présidait  à  leurs 
intimes  relations.  Un  intérêt  saisissant  s'attache  à  la  lecture  de  la  plu- 
part de  leurs  lettres.  Duplessis-Mornay  s'y  montre,  comme  ailleurs, 
sous  les  principaux  aspects  de  son  noble  caractère.  Moins  générale- 
ment connu  «pie  ce  grand  homme,  de  Buzenval  s'y  révèle  comme  un 
négociateur  expérimenté,  plein  de  déférence  pour  les  conseils  de  son 
illustre  ami.  et  surtout  comme  un  homme  de  cœur  et  de  dévouement; 
témoin,  entre  tant  d'autres,  ce  passage  d'une  lettre  adressée  par  lui, 
vers  la  lin  de  sa  carrière,  à  madame  de  Mornay  :  «  Je  ne  puis  rien  of- 
frir à  M.  Duplessis,  car  tout  ce  qui  est  en  moi  est  sien  ;  mais  si,  par 
adventure,  il  a  voit  oublié  la  puissance  qu'il  a  sur  moi  ou  que  sa  dis- 
crétion ne  lui  permit  d'en  user  aussi  librement  qu'il  peut,  faictes-moi 
cet  honneur,  madame,  de  le  lui  ramentevoir  et  de  me  commander 
en  quoi  il  se  voudra  servir  de  moi;  »  témoin  encore  la  lettre,  si  pro- 
fondément sympathique,  du  1er  novembre  1605,  que  reçut  de  lui  Du- 
plessis-Mornay, alors  qu'un  immense  deuil  de  famille  déchirait  son 
cœur  et  celui  de  sa  digne  compagne.  On  peut  peindre  d'un  trait  de 
Buzenval,  en  disant  de  lui  :  que  si  sa  vie  publique  fut  celle  d'un  homme 
d'Etat  distingué,  sa  vie  privée  fut  celle  d'un  homme  doué  de  ces 
grandes  qualités  du  cœur,  que  rehausse  et  féconde,  dans  leur  expan- 
sion, le  sentiment  religieux.  —  Voir  :  1°  Lettres  de  M.  de  Buzenval, 
ambassadeur  en  Hollande,  2  vol.  in-f°,  Bibl.  nat.,  mss.  f.  fr.,  vol. 
7112.  7143;  2°  Négociât,  du  président  Jeannin;  lettres  des  3,  11,  2i  sep- 
tembre 1607  de  Jeannin  et  de  Russy  au  roi,  sur  la  mort  et  les  obsèques 
de  Buzenval  ;  3°  Rec.des  lettres  de  Henri IV,  7  vol.  in-4°;  4°  Mémoires  et 
correspondance  de  Duplessis- Mornay,  in-8°  ;  5°  de  Thou,  Hist.  univ., 
t.  VIII,  p.  783  ss.;  t.  IX,  p.  199  ;  t.  X,  p.  214  ;  6°  M.  Yreede,  Lettres  et 
négociât,  de  Paul  Choart,  sT  de  Buzenval,  etc.,  Leyde,  1846,  in-8°  ; 
7°  Haag,  Fr.  prot.,  v°  Choart.  J-  Delaborde, 

BYBLOS,   anciennement   Gebal  (Guba-lu  des  inscriptions  cunéi- 
formes). Byblos  est  une  altération  de  l'époque  grecque,  mais  l'ancien 
nom  a  persisté  jusqu'aujourd'hui  sous  la  forme  Gebeil.  Byblos  était 
célèbre  par  son  temple  de  Baaltis  et  par  le  souvenir  d'Adonis.  C'était 
une  sorte  de  ville  sainte,  un  lieu  de  pèlerinage  où  l'on  se  rendait  de 
très-loin.  M.  Movers  a  même  soutenu  (pie  les  Giblites  n'étaient  pas  des 
Phéniciens  purs,  mais  bien  un  mélange  de  populations  où  l'élément 
hébreu  prédominait.  L'inscription  dont  il  sera  question  plus  loin  sem- 
ble confirmer,  dans  une  certaine  mesure,  cette  théorie;  le  style  se  rap- 
proche plus  de  l'hébreu  que  celui  des  inscriptions  phéniciennes  ordi- 
naires. La  Bible  mentionne  les  Giblites  comme  d'habiles  constructeurs 
(1  Bois  Y,  32;  Ezech.  XX Vil,  9).  Salomon  les  employa.  M.  Renan,  lors 
de  sa  mission  en  Phénicie,  a  mis  au  jour  une  partie  de  l'ancien  temple 
de  Baaltis,  ainsi  (pie  des  bas-reliefs  (h;  style  égyptien,  qu'accompa- 
gnai!  un  fragment  d'inscription   hiéroglyphique  f  \fiss.  de  Phénicie, 
p.  153-180).  Plus  récemment  encore,  et  à  quelques  mètres  de  là,  on  a 
déterré  une  inscription  phénicienne  de  la  plus  haute  importance  qui  a 
été  publiée  depuis  par  .M.  de  Vogué  (Stèlede  Yehawmelek,  Paris.  LÔapr. 
Nat,  1875). C'est  la  stèle  dédicatoire  du  temple  de  Byblos,  par  Yehaw- 


494  BYBLOS  —  BYKON 

melek,  roi  de  Byblos,  fils  de  Yahdibaal,  petit-fils  d'Urimelek  (?),roi  de 
Byblos,  à  la  Baalat  de  Byblos.  Ce  temple  est  certainement  celui  qui  est 
ligure  sur  deux  monnaies  frappées  sous  Macrin,  et  qui  est  attribué  par 
Fauteur  du  De  Dea  Syria  à  Vénus  et  Adonis,  et  par  Plutarque  à  Isis  et 
Osiris.  La  Baalat  Gebal,  «  la  dame  de  Byblos,  »  n'est  autre  que  la 
déesse  Baaltis  des  auteurs  grecs.  L'inscription  est  surmontée  d'un  bas- 
relief  de  style  égyptien  qui  la  représente  sous  les  traits  d' lsis  ou  d'Athor. 
Byblos  a  été  la  patrie  de  Philon  de  Byblos,  qui  nous  a  conservé  les 
fragments  de  la  mythologie  phénicienne  de  San-Choniaton.  U  après  ce 
dernier,  Byblos  était  la  ville  la  plus  ancienne  du  monde  et  avait  été 
fondée  par  Baalkronos.  Tous  ces  renseignements  nous  permettent  d'ap- 
précier le  caractère  antique  et  sacré  de  Byblos,  mais  laissent  encore 
planer  bien  des  doutes  sur  son  histoire.  Ph.  Beegee. 

BYNiEUS  (Antoine),  théologien  hollandais,  né  à  Utrecht  le  0  août 
1654,  étudia  sous  la  direction  du  philologue  J.-G.  Graevius  et  de  l'hé- 
braïsant  Leusden  ;  après  avoir  été  pasteur  quelques  années,  il  devint 
en  1694  professeur  de  théologie  et  de  langues  orientales  à  Deventer, 
où  il  mourut  le  8  novembre  1698. 11  s'occupa  principalement  de  ques- 
tions d'archéologie  sacrée,  et  publia  entre  autres  trois  ouvrages  dont 
on  vante  l'érudition  :  1°  De  calceis  Hebrœorum  (Dordrecht,  1682,  in-12; 
nouv.  éd.  augm.,  ib.,  1695,  in-4p),  savant  traité  sur  la  chaussure  des 
Hébreux,  reproduit  dans  Ugolini  Thésaurus,  t.  XXIX;  2°  De  natali 
Jesu  Christi,  Amst.,  1689,  in-4°,  dans  lequel  il  étudie  toutes  les  cir- 
constances de  la  naissance  et  de  la  circoncision  cle  Jésus  ;  3°  De  morte 
Jesu  Christi,  Amst.,  1691-98,  3  vol.  in-4°;  recherches  érudites  sur 
l'histoire  de  la  passion,  qui  avaient  paru  d'abord  en  hollandais.  — 
Sources:  Nicéron,  Jimoz'm,  t.  VII;  Paquot,  Mémoires  pour  Fhist,  littér. 
des  Pays-Bas,  éd.  in-fol.,  I,  p.  369.  A.  Bernus. 

BYRON  (Georges  Gordon,  lord)  fut  dans  la  littérature  anglaise,  au 
commencement  de  notre  siècle,  le  plus  grand  de  ces  écrivains  et  de 
ces  poètes  qu'on  avait  désignés  d'abord  sous  le  nom  de  mélancoliques 
et  qui  finirent  par  devenir  les  désespérés.  Vers  1792,  à  la  suite  d'une 
réaction  contre  la  littérature  classique,  apparaissait  l'école  moderne 
anglaise.  En  même  temps  que  les  écrivains  en  prose,  s'inspirant  avec 
Walter  Scott  du  moyen  âge  et  s 'engageant  dans  une  voie  nouvelle, 
se  faisaient  romantiques,  la  poésie  subissait  une  transformation  sembla- 
ble, et  l'école  des  lacs  (LaJce  school)  depuis  Cowper  et  Burns  jus- 
qu'aux plus  récents  restaurateurs  de  ballades,  Coleridge,  "Wordsworth, 
Thomas  Moore,  Beattie,  parcourait  la  série  entière  des  rêveries  et  des 
idées  mélancoliques.  Byron,  qui  les  a  imités  à  ses  débuts,  ne  tarda  pas 
à  sortir  du  cadre  un  peu  étroit  dans  lequel  ils  s'enfermaient  et  à  puiser 
une  nouvelle  inspiration  dans  les  littératures  étrangères.  11  eut  au  plus 
haut  degré  ce  qu'on  a  appelé  la  maladie  du  siècle,  Y  ennui,  et  le  dégoût 
de  la  vie  sociale.  Chateaubriand  fait  remarquer  que  le  public  connais- 
sait son  René  avant  Childe-Harold.  Mais  si  Manfred ,  Childe-Harold, 
sont,  comme  Obermann,  des  frères  de  René,  ils  font  surtout  partie 
d'une  famille  qui  remonte,  en  passant  par  Ossian  et  Werther,  jusqu'à 
Bernardin  de  Saint-Pierre  et  à  J,-J.  Bousseau,  c'est-à-dire  jusqu'aux 


BYRON  495 

Etudes  de  la  naturel  aux  Rèverks  du  promeneur  solitaire.  Tous  ceux  qui 
se  rattachent  à  cette  famille  «Tespiits  ont  un  trait  commun  :  au  lieu  de 
s'effacer,  à  l'exemple  de  Shakespeare  ou  <le  Corneille,  devant  leurs 
créations,  ils  se  mettent  eu\-inèmes  en  scène,  vivant  clans  leurs  héros, 
et  ces  héros  sont  ordinairement  desrévoltés  plus  grands  que  la  société 
qui  les  repousse,  des  infortunés  qui  savent  se  mettre  par  la  volonté  et 
la  force   morale,   mais  non  sans  souffrir   cruellement,  au-dessus  de 
leur  malheur.  Faut-il,  en  présence  de  certains  égarements  étranges  et 
profonds,  répéter  ce  qu'un  pape  disait  de  Benvenuto  Cellini  convaincu 
de  meurtre,  que  k  les  hommes  uniques  dans  leur  art  ne  doivent  pas 
être  soumis  aux.  lois  »?  La  société  anglaise  des  vingt  premières  années 
du  dix-neuvième  siècle  ne  le  pensait  pas,  et  il  faut  avouer  que  la  vie 
de  Byron  eût  semblé  peu  édifiante,  même  à  des  juges  moins  sévères 
que  les  torys  et  les  méthodistes  de  son  temps.  —Né  en  1788,  à  Londres, 
il  publie  déjà  à  dix-sept  ans,  en  1805,  un  premier  recueil  de  poésies, 
ses  Hours  of  idleness  (Heiwes  d'oisioeté),  et  comme  la  critique  a  mal 
accueilli  cet  essai,  il  se  venge  en  écrivant  bientôt  après  sa   satire  En- 
qlish  bords  and  Scotch -revieiver s,  qui  le  fait  connaître.  En  1811,  après 
un  voyage  de  deux  années,  ayant  visité  le  Portugal,  l'Espagne,  F  Italie, 
la  Grèce,  il  donne  au  public,  avec  le  plus  grand  succès,  les  deux  pre- 
miers chants  du  Pèlerinage  de  Childe-Harold.  «  Je  m'éveillai  un  matin, 
dit-il.  et  je  me  trouvai  fameux.  »  Mais  c'est  alors  aussi  que  les  fautes 
commencent.  Une  vie  de  débauche,  l'admiration  hautement  exprimée 
pour  Napoléon,  odieux  alors  à  toute  la  nation  anglaise,  un  mariage 
bientôt  suivi  de  séparation  (pour  incompatibilité  d'humeur,  disait-on 
autrefois,  et  on  vient  de  dire  plus  récemment,  mais  sans  preuves,  pour 
révoltante  immoralité  du  mari),  enfin  l'adieu  définitif  qu'il  dit  à  sa 
patrie  en  avril  1816,  tout  se  réunit  pour  le  rendre  impopulaire  et  le 
pousser  à  la  révolte  contre  une  société  qui  l'accable  de  ses  injures  et 
qui  le  calomnie.  A  Genève,  de  fréquents  entretiens  avec  Shelley,  poète 
rêveur  et  matérialiste  que  son  athéisme,  ses  idées  antisociales  touchant 
l'absolue  démocratie  et  le  partage  des  propriétés  ont  également  con- 
duit à  s'exiler,  augmentent  encore  sa  mélancolie  et  donnent  à  ses  ré- 
flexions une  couleur  chaque  jour  plus  sombre.  «  J'étais  à  demi  fou, 
a-t-il  écrit,  quand  je  composai  le  troisième  chant  de  Childe-Harold, 
entre  la  métaphysique,  les  montagnes,  les  lacs,  un  désir  inextingui- 
ble,   une   souffrance  inexprimable  et   le   souvenir  de    mes    propres 
égarements.  »  Autant  l'Angleterre   de  ce  temps-là,  rigoriste   et  puri- 
taine, avec  sa  tendance  naturelle  à  la  vie  active,  aux  mœurs  sévères, 
au  respect  de  la  religion,  devait  inspirer  d'éloignement  à  un  poète  de 
ce  caractère,  autant  l'Italie,  avec  sa  vie  oisive,  ses  mœurs  relâchées, 
sa  recherche  passionnée  du  bonheur  présent  et  des  jouissances,  devait 
l'attirer  et  lui  plaire.  En  effet,  c'est  à  Venise,  à  Fisc,  à  Havenne  qu'il 
donne  encore  au  public  Manfred,  inférieur,  si  l'on  se  place  à  un  pointde 
vi;c  philosophique,  au  Faust  de  Goethe,  mais,  au  moral,  plus  grand  et 
plus  fort  que  lui,  le  quatrième  chant  de  Childe-Harold,  et  enfin  l)on 
Juan,  le  poème  préféré,  l'arme  de  guerre  du  révolté  contre  la  société 
en  général,  et  surtout  contre  cette  société  anglaise  coupable  de  tyrannie 


496  BYRON 

et  d'hypocrisie  qui  lui  a  imposé  l'exil  et  qui  sacrifie  tout  au  cant,  «  pé- 
ché criant  dans  ce  siècle  menteur  et  double  d'égoïstes  déprédateurs.  » 
Puis,  cela  fait,  fatigué  de  tout,  môme  d'écrire,  curieux  de  nouvelles 
émotions  et  voulant  se  retremper  dans  la  vie  active,  il  se  rend  en 
Grèce  pour  répondre  à  l'appel  des  partisans  de  la  révolution  et  ter- 
mine sa  vie  à  Missolonghi,  le  19  avril  1824.  Les  amis  de  Byron  pen- 
saient et  ses  admirateurs  aujourd'hui  se  plaisent  à  répéter  que,  s'il  eût 
vécu,  une  sorte  de  régénération  et  de  vita  nuova  aurait  commencé 
pour  lui  à  la  révolution  grecque.  L'un  de  ses  biographes  français  (Lord 
Byron,  Histoire  d'un  homme,  par  M.  de  Lescure,  Paris,  1866),  com- 
mettant un  singulier  oubli  des  vrais  principes  et  du  sens  moral,  fait 
même  remonter,  pour  son  poète,  ce  goût  et  cet  essai  de  vie  nouvelle 
jusqu'en  1820  et  en  1821,  date  de  sa  querelle  et  de  son  procès  avec  le 
comte  Guiccioli.  Mais  ce  Byron  transformé  n'a  jamais  existé  que  dans 
l'imagination  de  ces  amis  du  poète.  L'homme  vrai,  avec  ses  exagéra- 
tions voulues,  pour  étonner  le  public  anglais  qui  le  prit  au  mot,  avec 
sa  douleur  étudiée,  sa  fièvre  due  autant,  pour  dire  le  moins,  à  la  dis- 
sipation qu'à  une  maladie  naturelle  de  l'âme,  -c'est  Lara,  le  Corsaire, 
Manfred ,  Childe-Harold ,  Don  Juan ,  l'être  humain  malheureux,  en 
proie  au  spleen,  exilé,  sceptique,  révolté.  11  est  cependant  permis  de 
croire  que  tout  n'était  pas  affecté  dans  cette  douleur.  On  s'est  de- 
mandé quelles  pouvaient  être  les  causes  de  cette  maladie,  qui  a  été 
assez  longue,  assez  générale  pour  être  appelée  un  peu  plus  tard  la  ma- 
ladie du  siècle.  C'est,  a  répondu  M.  Taine,  qu'au  dix-huitième  siècle 
la  foi  avait  disparu  et  qu'on  n'avait  pas  encore  une  foi  nouvelle  ;  c'est 
que  la  démocratie  excitait  nos  ambitions  sans  les  satisfaire  et  que 
la  philosophie  éveillait  notre  besoin  de  savoir  sans  le  contenter.  La 
désespérance  a  été  peut-être  une  maladie  pour  quelques  esprits,  mais 
elle  a  été,  pour  le  plus  grand  nombre  de  ceux  qui  ont  prétendu  l'é- 
prouver, une  mode.  Pour  Victor  Hugo,  dans  ses  Odes,  le  poète  était  tou- 
jours «  l'auguste  infortuné  que  son  âme  dévore  ».  Lamartine  et 
Alfred  de  Musset  furent  byronniens  à  leur  début.  En  Angleterre,  en 
France,  les  étudiants  et  les  jeunes  poètes  devenaient  presque  tous,  à 
leurs  propres  yeux  ou  devant  le  public,  des  malades  destinés  à  une 
mort  prochaine,  des  poitrinaires,  de  sombres  infortunés  qui  ne  pou- 
vaient même  plus  se  soulager  par  des  larmes,  et,  conséquence  fâcheuse, 
il  s'établissait  dans  leur  pensée  une  association  absurde  entre  la  vi- 
gueur intellectuelle  et  la  dépravation  morale.  Ce  fut,  en  effet,  une 
maladie,  mais  on  peut  constater  aujourd'hui  qu'elle  a  presque  en- 
tièrement disparu.  —  Voyez  :  Thomas  Moore,  Mémoires,  1828,  5  vol.; 
Medvvin,  Co?ivcrsations  de  lord  Byron,  1825,  2  vol.  ;  Macaulay,  Essais 
littéraires  ;  Chateaubriand ,  Littérature  anglaise;  Philarète  Chasles, 
Etudes  sur  la  litt.  et  les  mœurs  de  l'Angl.  au  dix-neuv.  siècle;  Taine, 
Hist.  de  la  litt.  angL,  1866,  4  vol.  ;  B.  Laroche,  trad.  des  Œuvres  com- 
plètes de  lord  Byron,  Paris,  1847  ;  Edm.  de  Guérie,  Byron  et  set  der- 
niers critiques,  Revue  chrétienne,  XXII,  p.  535  ss.,  avec  le  récit  de  la 
controverse  qui  s'est  élevée  au  sujet  de  la  moralité  de  Byron  par 
suite  des  révélations  faites  par  lady  Byron  à  madame  Beecher-Stowe. 

J.  Aeboux. 


BYZANOE  —  CABALE  497 

BYZANCE.  Voyez  Constanfinople. 

BZOVIUS  (Abraham),  dominicain  polonais  (1567-1637).  Dont''  (Tune 
facilité  prodigieuse,  il  fut  tour  à  tour  professeur  de  philosophie  et  de 
théologie  en  Italie,  prédicateur  et  prieur  de  son  ordre  à  Cracovie,  puis 
historiographe  quasi-officiel  de  l'Eglise.  Il  lit  imprimer  un  nombre  in- 
croyable  de  volumineuses  compilations,  dont  la  plus  curieuse  est  son 
Pontifes  romanus,  seude  praestantia,  officio}autQritate,  virtutibus,  felici- 
t'itr,  rébus  prasclare  gestis  summoiitm  pontificum  a  D.  Petro  usque  ad  Pent- 
ium V  commentarius  (Cologne,  1619,  in-l'ol.),  réimprimé  dans  le  premier 
volume  de  Roccaberti,  Bibl.  Pontif.  Un  Abrégé  de  l'Histoire  ecclésiasti- 
que tiré  des  Annales  de  Baronius  le  lit  désigner  pour  continuer  ce  grand 
ouvrage.  11  en  rédigea  neuf  volumes  (XIII  à  XXI),  qui  vont  de  1198 
à  1o(k>  (Cologne,  1(316-30,  in-fol.).  Michel  Hercule  le  continua  jus- 
qu'en 1572.  Bzovius  mit  autant  de  zèle,  mais  moins  d'habileté  que  son 
prédécesseur,  à  défendre  les  doctrines  ultramontaines.  Les  injures  dont 
il  poursuivit  la  mémoire  de  l'empereur  Louis  V  de  Bavière  à  cause  de 
ses  démêlés  avec  les  papes  Jean  XXII  et  Clément  VI,  effaçant  son  nom 
de  la  liste  des  empereurs  et  mettant  aux  trente-trois  ans  de  son  règne 
(1314-1347)  Y  empire  vacant,  lui  attirèrent  des  poursuites  de  la  part  de 
Télecteur  de  Bavière  qui  le  força  à  se  rétracter  publiquement.  Sa  par- 
tialité choquante  en  faveur  de  son  ordre,  qui  fit  dire  qu'il  écrivait 
plutôt  l'histoire  des  dominicains  que  celle  de  l'Eglise,  souleva  contre 
lui  les  cordeliers  et  après  eux  les  jésuites  qui  mirent  tout  en  œuvre - 
pour  l'empêcher  d'insérer  dans  ses  annales  le  travail  de  Fra  Paolo  sur 
le  concile  de  Trente.  Du  reste  Bzovius  semble  aussi  dépourvu  de  sens 
critique  que  d'impartialité,  et  si  jamais  l'érudition  de  Bayle  fut  oi- 
seuse, c'est  dans  la  notice  considérable  qu'il  lui  a  consacrée. 


CABALE.  La  théosophie  juive  appelée  la  Cabale  se  donne  pour  une 
révélation  communiquée  par  Dieu  à  Abraham,  selon  les  uns,  à  Adam, 
selon  d'autres,  et  transmise  ensuite  par  une  chaîne  non  interrompue 
d'initiés.  C'est  de  là  que  vient  le  nom  par  lequel  on  la  désigne,  le 
mot  hébreu  Cabbala  signifiant  tradition,  ou  ce  qui  se  conserve  par 
tradition,  du  verbe  cabal  qui,  au  pihel  qibbel,  a  le  sens  de  recevoir  par 
transmission.  Cette  légende  mise  de  côté,  on  peut  regarder  comme 
certain  que  les  spéculations  philosophiques  qui  composent  la  Cabale 
commencèrent  à  se  former  pendant  le  siècle  antérieur  à  l'ère  chré- 
tienne, et  ne  furent  enseignées  pendant  longtemps  que  de  vive  voix  et 
sous  h-  sceau  du  secret,  à  un  petit  nombre  de  disciples.  Il  est  fait  men- 
tion en  ell.'L  dans  la  Mischna  de  la  Maassé  Bereschith,  interprétation 
allégorique  du  récit  de  la  création  dans  le  premier  chapitre  de  la  Ge- 
nèse, et  de  la  ftfaassé  Mercaba,  interprétation  également  allégorique 
de  la  vision  du  chariot,  rapportée  au  chapitre  premier  d'Ezéchiel  (c'est 
le  thème  et  la  base  même  delà  Cabale),  etily  enestparlécomme  d'une 
doctrine  secrète,  qu'il  n'est  permis  d'expliquer  qu'à  une  ou  deux  pér- 
il 32 


41)8  CABALE 

sonnes  seulement,  et  encore  après  s'être  assuré  de  leur  caractère  et  de 
leur  intelligence  (C/w/jifja,  11,  2).  On  sait  d'un  autre  côté  que,  dans 
le  courant  du  siècle  antérieur  à  r avènement  du  christianisme,  il  s'é- 
leva dans  la  Judée  des  plaintes  sur  l'abus  qu'on  faisait  du  premier  cha- 
pitre de  la  Genèse  et  du  premier  d'Ezéchiel,  et  que,  pour  mettre  un 
terme  à  des  explications  qu'on  regardait  sans  doute  comme  dangereuses 
pour  les  opinions  reçues,  on  prit  le  parti  d'interdire  la  lecture  de  ces 
deux  passages  de  la  Bible  à  quiconque  n'avait  pas  atteint  l'âge  de  rai- 
son (trente  ans).  Ces  plaintes  se  rapportaient  évidemment  à  la  Cabale 
naissante,  et  la  mesure  qu'on  prit  avait  pour  but  d'en  arrêter  ou  du 
moins  d'en  rendre  plus  difficile  la  propagation.  —  La  plus  ancienne 
exposition  par  écrit  qui  soit  connue  de  cette théosophie,  se  trouve  dans 
un  petit  ouvrage  d'une  douzaine  de  pages  à  peine,  portant  le  titre  de 
Sépher  Jetzira  (Livre  de  la  création).  La  langue  en  est  un  hébreu  qui 
est  tout  à  fait  analogue  à  celui  de  la  Mischna.  Cette  circonstance  sem- 
ble une  preuve  décisive  que  cet  opuscule  fut  composé  de  la  fin  du 
second  siècle  avant  Jésus-Christ  au  commencement  du  troisième  de 
l'ère  chrétienne.  On  l'attribue  d'ordinaire  à  Akiba  (mis  à  mort  en  135); 
mais  il  est  difficile  de  croire  que  ce  rigide  et  fougueux  docteur  de  la 
Loi  ait  été  d'un  caractère  à  se  plaire  à  la  culture  d'abstractions  spécu- 
latives telles  que  celles  dont  le  Sépher  Jetzira  est  rempli.  Cet  écrit  se 
compose  d'une  série  d'affirmations,  dont  le  maître  donnait  sans  doute 
l'explication  à  ses  disciples  dans  des  leçons  orales,  mais  qui  ne  seraient 
pour  nous  que  des  énigmes  indéchiffrables,  si  nous  n'avions  pour  nous 
guider  d'un  côté  les  commentaires  qu'on  en  a  faits  et  d'autres  ouvrages 
plus  développés  dans  lesquels  des  cabalistes  postérieurs  ont  exposé 
la  doctrine  de  leur  école,  et  d'un  autre  côté  les  systèmes,  fort  nom- 
breux d'ailleurs,  dans  lesquels,  en  d'autres  temps  et  d'autres  lieux,  on  a 
présenté  avec  plus  de  clarté  des  conceptions  du  même  genre.  Cette  théo- 
sophie appartient  en  effet  à  la  famille  des  systèmes  philosophiques  qui, 
identifiant  les  lois  qui  régissent  le  monde  {or do  et  connexio  rerum)  avec 
les  règles  logiques  d'après  lesquelles  s'enchaînent  les  conceptions  de  l'es- 
prithumain  (ordoet  connexio  idearum),  veulent  expliquer  tout  ce  qui  existe 
par  une  évolution  de  l'Être,  et  d'après  lesquels  il  n'existe  que  l'Être  et 
ses  diverses  manifestations,  Deus  et  modi  essendi  Dei,  selon  l'expression 
de  Spinosa.  Avec  ces  secours  on  peut  espérer  de  saisir,  sinon  peut-être 
le  sens  de  tous  les  détails,  du  moins  la  marche  générale  des  doctrines 
de  la  Cabale.  Le  Sépher  Jetzira  se  divise  en  deux  parties.  La  première 
porte  ce  titre  spécial  :  Les  trente-deux  voies  de  la  sagesse.  Elle  a  pour 
but  de  décrire  l'évolution  de  l'Être  (de  Dieu)  en  lui-même,  c'est-à-dire 
de  montrer  comment  l'Être,  qui  n'est  pas  cependantencore  l'être,  mais 
qui  est  ce  qui  peut  le  devenir,  prend  conscience  de  lui-même,  ou,  dans 
un  langage  plus  conforme  à  ce  genre  de  systèmes,  comment  l'Être  vir- 
tuel passe  à  l'état  d'Être  réel,   ou  bien  encore,  comment  l'indéterminé 
(en  hébreu  a  in,  niliil)  arrive  à  se  déterminer  comme  principe  unique 
de  tout  ce  qui  peut  et  doit  exister  (le  Zohar  fait  remarquer  que  «  Dieu 
en  soi  n'est  rien  de  déterminé  et  qu'il  est  même  en  dehors  de  ce  que 
dans  le  langage  humain  on  appelle  quelque  chose  »).  La  seconde  partie 


CABALE  499 

porte  plus  particulièrement  le  litre  de  Sépher  Jetzira  (Livre  de  la  créa- 
tion ,el  c'est  en  effel  ici  que  commence  ce  que  dans  le  langage  vulgaire 
on  appelle  la  création,  c'est-à-dire  la  série  des  manifestations  de  Dieu. 
il  3  est  question  de  l'évolution  de  l'Être  en  dehors  de  lui-même,  si  on 
peut  ainsi  dire,  puisque  dans  le  système  il  n'y  a  rien  en  dehors  de  l'Etre 
ou  de  Dieu  ;  ou,  en  d'autres  termes,  on  y  décrit  comment  s'opèrent  les 
manifestations  de  Dieu,  sous  les  formes  diverses  des  êtres  et  des  choses 
dont  L'ensemble  compose  l'univers,  autant  dans  le  monde  intelligible 
que  dans  le  monde  sensible.  L'Être,  une  fois  qu'il  a  pris  possession  de 
lui-même  par  les  trente-deux  voies  de  la  sagesse,  se  manifeste  d'abord 
comme  pensée  et  comme  parole.  Gomme  pensée  (les  dix  séphiroth, 
decem  enumerationcs,  symbole  de  l'abstrait),  il  est  l'intelligible  en 
général,  c'est-à-dire  la  conception  de  l'ensemble  de  tout  ce  qui  peut 
être  :  et  comme  parole  (les  vingt-deux  lettres  de  l'alphabet  hébreu,  élé- 
ments du  langage),  il  est  non  plus  seulement  la  conception  d'ensemble 
de  toutes  les  idées  générales,  mais  ces  idées  générales  elles-mêmes, 
se  distinguant  les  unes  des  autres  par  des  caractères  spéciaux,  c'est-à- 
dire  par  des  noms  qui  expriment  ces  caractères  divers  et  qui  sont 
formés  de  combinaisons  diverses  des  lettres  de  l'alphabet.  Il  y  a  évidem- 
ment ici  deux  manières  d'être,  sinon  entièrement  différentes,  du  moins 
distinctes.  La  Cabale  les  séparera  plus  tard  l'une  de  l'autre,  et  en  fera 
deux  phases  successives,  non  quant  au  temps,  mais  quant  à  l'ordre 
Logique,  de  l'évolution  descendante  de  l'Être.  Mais  confondues  ou 
séparées,  elles  sont  en  somme  l'équivalent  de  ce  qu'on  appelle  dans  le 
langage  platonicien  (qui  sur  ce  point  est  aussi  celui  de  Philon),  le 
monde  intelligible  ou  suprasensible.  Puis  ces  conceptions  idéales,  re- 
présentées dans  leur  généralité  abstraite  par  les  dix  séphiroth,  et  dans 
leurs  déterminations  en  idées  de  genre  par  les  vingt-deux  lettres  de  l'al- 
phabet, se  reproduisent  à  leur  tour,  à  un  degré  inférieur  de  l'existence, 
sous  la  forme  de  ce  que  dans  la  philosophie  platonicienne  on  désigne 
sous  le  nom  de  monde  sensible,  c'est-à-dire  sous  les  formes  infiniment 
variées  des  êtres  individuels  et  des  choses  particulières.  L'évolution 
de  l'Être  s'arrête  ici  ;  au-dessous  de  cemodus  essendi  Dei,  de  cette  forme 
d'existence  du  principe  de  vie,  il  ne  peut  y  en  avoir  d'autres.  On  com- 
prend en  eiïètque,  dans  un  système  qui  considère  l'ensemble  de  tout  ce 
qui  existe  comme  une  série  descendante  de  déterminations  de  plus  en 
plus  précises  de  ce  principe,  l'évolution  de  l'Être  ait  atteint  sa  der- 
nière limite  quand  elle  est  arrivée  à  ce  qu'il  y  a  de  plus  précis,  de 
plus  étroitement  déterminé,  savoir  les  êtres  individuels  et  les  choses 
particulières.  —  Telle  est  cette  théosophie  dans  le  Sépher  Jetzira.  En 
un  certain  sens,  ce  n'est  encore  qu'une  ébauche.  Le  principe,  la  mé- 
thode et  le  cadre  en  sont  déjà  clairement  indiqués;  mais  il  y 
manque  bien  des  traits  qu'on  s'attendrait  à  y  trouver,  entre  autres 
L'importante  question  de  la  destinée  humaine  qui  n'y  est  pas  même 
touchée.  Ces  détails  et  bien  d'autres  encore  y  furentajoutés  plus  tard, 
probablement  peu  à  peu;  ils  se  présentent  dans  l'exposition  bien  plus 
développée  qui  est  laite  de  ce  système  dans  l'ouvrage  connu  sous  le 
nom  do  Zohar  d'éclat,  la  lumière;,  titre  qui  dérive  certainement  de 


500  CABALE 

Daniel  XII,  3.  Sous  sa  forme  actuelle,  le  Zohar  est  un  recueil  de  dix- 
neuf  ouvrages,  désignés  chacun  par  un  titre  spécial,  dus  à  des  auteurs 
différents  et  probablement  de  diverses  époques,  retouchés  peut-être  à 
plusieurs  reprises,  et  n'ayant  entre  eux  d'autre  lien  que  la  doctrine 
qui  en  fait  le  fond  commun.  On  l'attribue  à  Simon  ben  Jochaï,  disciple 
d'Akiba;  mais  il  est  de  beaucoup  postérieur  au  Sépher.  Jetzira;  on  en 
a  pour  preuve  la  langue  dans  laquelle  il  est  écrit  et  qui  est  celle  des  rab- 
bins du  moyen  âge.  Dans  le  Zohar,  c'est  toujours,  comme  dans  le  Sépher 
Jetzira,  l'être  qui,  absolument  indéterminé  dans  le  principe,  se  déter- 
mine d'abord  lui-même  et  se  manifeste  ensuite  en  des  modes  d'exis- 
tence décroissants,  semblable  (comparaison  fréquemment  employée 
par  les  cabalistes)  à  une  lumière  dont  l'éclat  diminue  à  mesure  qu'elle 
s'éloigne  davantage  de  son  foyer,  ou  encore  (comparaison  moins 
familière  toutefois  aux  adhérents  de  ce  système)  à  des  forces  éma- 
nant les  unes  des  autres,  mais  s'affaiblissant  graduellement  et  dans 
la  même  proportion  qu'elles  sont  plus  loin  de  leur  point  de  départ. 
Mais  tandis  que,  dans  le  Sépher  Jetzira,  la  décroissance  dans  les 
modes  d'existence  ou  de  manifestation  de  l'Être  s'opère  en  trois  mo- 
ments, le  Zohar,  serrant  de  plus  près  le  principe  général  de  son 
système,  dédouble  le  second,  qui,  dans  le  Sépher  Jetzira,  se  com- 
pose de  la  pensée  et  de  la  parole,  et  nous  parle  de  quatre  mondes  dif- 
férents et  successifs.  C'est  d'abord  le  monde  des  émanations  ('olam 
etsiloth,  du  verbe  catsul,  qui  au  pihel  'etsil  signifie  emanare  ex 
alto  et  se  ab  Mo  separare  certo  modo),  c'est-à-dire  le  travail  intérieur  par 
lequel  le  possible  (a in ,  nihii)  devient  réel  (les  trente-deux  voies  de  la 
sagesse  du  Sépher  Jetzira).  C'est  ensuite  le  monde  de  la  création 
(olam  beria,  du  verbe  bara,  qui  au  pihel  signifie  sortir  de  soi-même, 
excidit),  c'est-à-dire  le  mouvement  par  lequel  l'Être,  sortant  de  son 
isolement,  se  manifeste  comme  esprit  en  général,  sans  qu'il  s*y  révèle 
encore  la  moindre  trace  d'individualité;  le  Zohar  désigne  ce 
monde  comme  le  «  pavillon  qui  sert  de  voile  au  point  indivisible  et 
qui,  pour  être  d'une  lumière  moins  pure  que  le  point,  était  encore  trop 
pur  pour  être  regardé  ».  Le  troisième  monde  est  celui  de  la  formation 
('olam  jetzira,  du  verbe  jatsar,  fingere,  façonner,  qui  au  pihel  a  le 
sens  passif  de  formari),  c'est-à-dire  le  monde  des  esprits  purs,  des 
êtres  intelligibles,  ou  le  mouvement  par  lequel  l'esprit  général  se  mani- 
feste ou  se  décompose  en  une  foule  d'esprits  individuels,  distincts  les 
uns  des  autres.  Enfin,  le  quatrième  monde  est  celui  de  la  production 
('olam  assija,  du  verbe  assa,  faire,  au  pihel  conficere),  c'est-à-dire 
l'univers  ou  le  monde  sensible.  Le  Sépher  Jetzira  avait  décrit  comment 
se  fait  l'évolution  de  l'Etre,  «  par  un  mouvement  qui  descend  tou- 
jours, ))  depuis  le  plus  haut  degré  de  l'existence  jusqu'au  plus  bas  ;  il 
n'avait  pas  parlé  de  ce  qui  arrive  ensuite,  soit  que  la  Cabale  n'eût  point 
encore  porté  là-dessus  ses  méditations,  soit  qu'on  n'eût  pas  jugé  con- 
venable d'en  faire  mention.  Le  Zohar  nous  apprend  que  le  mouvement 
d'expansion  de  l'Être  est  suivi  d'un  mouvement  de  concentration  en 
lui-même.  Ce  mouvement  de  concentration  esi  même  le  but  définitif 
de  toutes  choses.  Les  âmes  (les  esprits  purs),  tombées  du  monde  de  la 


CABALE  501 

formation  dans  celui  de  la  production,  rentreront  dans  leur  patrie 
primitive,  quand  elles  auront  développé  toutes  les  perfections  dont 
elles  portent  en  elles-mêmes  le  germe  indestructible.  Si  elles  ne 
peuvent  accomplir  cette  tâche  dans  une  première  existence  terrestre, 
elles  en  recommenceront  une  seconde,  et  après  celle-ci,  d'autres 
encore,  jusqu'à  ce  qu'elles  aient  acquis  toutes  les  vertus  qui  leur  sont 
nécessaires.  C'est  ce  qui  est  appelé  le  monde  ou  le  cercle  de  la  trans- 
migration. Cette  idée  n'est  pas  mentionnée  dans  le  Sépher  Jetzira; 
Philon  ne  s'en  l'ait  qu'une  idée  vague  et  incertaine,  mais  elle  occupe 
une  place  importante  dans  la  théosophie  de  Plotin  (elle  se  retrouve 
dans  les  Triades  bardiques,  qui  la  tenaient,  sans  le  moindre  doute, 
d'Origène).  Ce  ne  sont  pas  seulement  les  âmes  humaines  qui,  après 
être  tombées  dans  ce  bas  monde,  doivent  remonter  au  point  d'où  elles 
sont  parties,  et  delà  plus  haut  encore,  dans  l'àme  universelle,  et  enfin 
dans  le  sein  du  principe  premier;  tout  est  destiné  à  rentrer  dans  le 
nom  ineffable.  Samaël  lui-même  (le  prince  des  mauvais  esprits) 
retrouvera  son  nom  et  sa  nature  d'ange.  De  ce  nom  mystique,  la  pre- 
mière moitié  disparaîtra  (sam,  qui  signifie  poison),  et  il  ne  lui  restera 
plus  que  la  seconde  partie  (el,  qui  signifie  puissant,  ange,  Dieu).  Cette 
réabsorption  de  l'Être  en  lui-même  est  l'expression  de  la  doctrine  du 
rétablissement  final;  c'est  le  couronnement  de  la  théosophie  de  la 
Cabale.—  Ce  développement  delà  doctrine  cabalistique,  continué  depuis 
le  Sépher  Jetzira  jusqu'au  Zohar,  fut  bien  certainement  en  grande* 
partie  le  résultat  d'un  travail  intérieur  qui  s'accomplit  dans  le  sein  de 
cette  école;  mais  on  ne  saurait  douter  qu'il  n'ait  été  produit  aussi  en 
partie  par  quelque  influence  de  la  théosophie  judéo-alexandrine.  Le 
philonisme,  en  particulier,  semble  avoir  été  largement  mis  à  contri- 
bution. La  psychologie  du  Zoha?-  présente  une  ressemblance  frappante 
avec  celle  de  Philon.  Dans  l'une  et  dans  l'autre,  l'intelligence  de 
l'homme  (vojç)  est  faite  à  l'image  de  Dieu,  et  dérive  du  principe  pre- 
mier, directement,  sans  l'intervention  d'aucun  intermédiaire  ;  et  dans 
l'une  et  dans  l'autre,  c'est  à  cette  circonstance  qu'elle  doit  de  posséder 
la  liberté  morale  et  l'immortalité.  La  préexistence  des  âmes,  leur  chute 
dans  le  monde  sensible  et  dans  la  prison  du  corps,  la  nécessité  pour 
elles  d'un  relèvement  sont  desdoctrines  communes  à  la  Cabale  du  Zohar 
et  à  la  théosophie  judéo-alexandrine  tout  entière.  Enfin,  la  légitimité, 
disons  mieux,  la  nécessité  d'une  interprétation  allégorique  des  saintes 
Ecritures  se  fonde  pour  l'une  et  pour  l'autre  sur  les  mêmes  considéra- 
tions, et  ces  considérations  ne  se  trouvent  alors  nulle  autre  part.  «  Les 
récits  de  la  Loi,  dit  le  Zohar,  sont  le  vêtement  de  la  Loi.  Malheur 
à  celui  qui  prend  ce  vêtement  pour  la  Loi  elle-même.  Il  y  a  des  com- 
mandements qu'on  pourrait  appeler  le  corps  de  la  Loi;  les  récits  défaits 
vulgaires  qui  s'y  mêlent  sont  les  vêtements  dont  le  corps  est  recouvert. 
Les  simples  ne  prennent  garde  qu'aux  vêtements  ou  aux  récits  de  la 
Loi;  ils  ne  voient  pas  ce  qui  est  caché  sous  ces  vêtements.  Les  hommes 
plus  éclairés  font  attention,  non  au  vêtement,  mais  au  corps  qu'il  en- 
veloppe. Enfin  les  sages,  les  serviteurs  du  roi  suprême,  ceux  qui 
habitent  les  hauteurs  du  Sinaï,  ne  sont  occupés  (pie  de  l'âme,  qui  est 


502  CABALE 

la  base  de  tout  le  reste,  qui  est  la  Loi  elle-même.  »  Aristobule  (Eusèbe, 
Prsepar.  evang.,  VIII,  10)  et  Philon  (De  opif.  rnundi,  §§  14  et  56;  De 
Abrah.,  §§  1-12 ;  De  co?igressu,  §§8-31  ;  Deprœmiis et pœnis, §11,  etc.  ;  édit. 
de  Leipzig,  1828),  s'expriment  sur  ce  sujet  en  des  termes  presque  iden- 
tiques. Ce  n'est  pas  à  dire  sans  doute  que  la  Cabale  ait  eu  besoin  des  le- 
çons et  de  l'exemple  de  la  tliéosophie  judéo-alexandrine  pour  se  mettre  à 
interpréter  allégoriquement  l'Ecriture  sainte.  Ce  serait  une  erreur  pro- 
fonde. Cette  méthode  d'interprétation  a  été  pratiquée  à  la  fois  et  dès  le 
principe  parles  deux  écoles.  Mais  il  pourrait  bien  se  faire  que  les  caba- 
listes  aient  appris  des  judéo-alexandrins  à  la  justifier  et  à  la  légitimer 
aux  yeux  de  la  raison.  S'il  y  a  eu  des  emprunts  ou,  si  l'on  aime  mieux, 
des  imitations,  onnesaurait  s'en  étonner.  La  Cabale  et  la  théosophie  ju- 
déo-alexandrine sont  deux  mouvements  philosophiques  parallèles  et  cor- 
respondants. L'un  a  été  dans  la  Judée  exactement  ce  que  l'autre  a  été 
à  Alexandrie.  Ils  vont  dans  le  même  sens;  ils  se  sont  produits  l'un  et 
l'autre  sous  la  pression  des  mêmes  besoins  de  l'intelligence  et  du  sen- 
timent religieux,  et  en  grande  partie  par  réaction  contre  la  réglemen- 
tation à  outrance  qui  était  l'œuvre  des  écoles  pharisiennes.  Il  convient 
sans  doute  de  tenir  compte  de  l'action  de  la  philosophie  grecque  sur 
la  formation  de  la  théosophie  judéo-alexandrine,  quoiqu'il  ne  soit  pas 
prouvé  que  cette  philosophie  ait  été  entièrement  inconnue  à  l'auteur 
du  Sépher  Jetzira  (comparez  les  trois  termes  pas  lesquels  se  termine  le 
%  1  du  chap.  I  de  la  seconde  partie  de  ce  livre  avec  Métaph.  d'Aristote, 
liv.  XII,  eh.  7;  M.  Franck  tient  cependant  ces  trois  termes  pour  une 
interpolation);  mais  d'un  côté  il  faut  bien  reconnaître  que,  s'il  n'y  avait 
pas  eu  dans  la  classe  éclairée  des  juifs  d'Alexandrie  une  certaine  ten- 
dance philosophique,  le  platonisme  n'aurait  pas  exercé  sur  elle  une 
bien  profonde  impression;  et  d'un  autre  côté,  on  ne  saurait  admettre 
que  la  théosophie  judéo-alexandrine  soit  exclusivement  le  produit  de 
la  philosophie  grecque.  La  théorie  des  êtres  intermédiaires  entre  Dieu 
et  le  monde  (la  sagesse  de  la  Sapience,  les  vertus  divines  d'Aristobule, 
le  Logos  de  Philon),  théorie  qui  est  le  point  central  de  cette  théoso- 
phie, lui  vint  incontestablement  des  écoles  palestiniennes.  Du  moment 
que,  pour  prévenir  les  fausses  notions  qu'auraient  pu  donner  de  la 
nature  spirituelle  de  Dieu,  les  théophanies,  les  anthropomorphismes 
et  les  anthropopathies  qui  abondent  dans  l'Ancien  Testament,  comme 
d'ailleurs  dans  tous  les  documents  religieux  des  âges  primitifs,  on  eut 
substitué  à  l'action  immédiate  de  Dieu  celle  d'agents  divins  dérivés  et 
subordonnés,  la  voie  fut  ouverte  à  la  doctrine  de  l'émanation  et  à  celle 
de  l'évolution  du  principe  premier  qui  n'en  est  qu'une  conception  à  la 
fois  plus  simple  et  plus  logique.  Il  ne  fallait,  pour  y  entrer  résolument, 
qu'un  esprit  spéculatif,  et  les  esprits  de  ce  genre  ne  manquent  jamais 
dans  les  temps  et  dans  les  lieux  où  le  sentiment  religieux  domine  exclu- 
sivement. Ces  êtres  divins  subordonnés  et  agents  du  principe  premier 
devinrent,  dans  la  Judée,  les  séphiroths  de  la  Cabale,  tandis  qu'à 
Alexandrie  ils  furent  identifiés  avec  le  monde  intelligible  de  Platon 
(comme  aussi  avec  les  dieux  fils  de  Dieu  du  Timée  de  ce  philosophe). 
La  Cabale  (et  en  même  temps  l'essénisme,  qui  offre  des  analogies  mani- 


CABALE  —  CADÈS  503 

festes  avec  elle)  et  la  théosophie  judéo-alexandrine  eurent  certainement 
une  même  origine;  < * 1 1 * -^  sortirent,  l'une  aussi  bien  que  L'autre,  d 
travail  religieux  et  moral  qui  s'accomplit  parmi  les  juifs  dans  les  deux 
siècles  au t ('rieurs  à  l'avènement  «lu  christianisme,  avec  cette  différent 
toutefois  que  la  connaissance  plus  approfondie  que  les  théosophei 
judéo-alexandrins  eurent  [de  la  philosophie  grecque  leur  permit  de 
rattacher  leurs  spéculations  à  des  systèmes  bien  connus,  ce  qui  nous 
en  rend  l'intelligence  plus  facile,  taudis  <jue  les  cabalistes  ne  purent 
exposer  leurs  doctrines  que  sous  la  forme  lyrique  et  métaphorique, 
propre  à  leur  langue  et  à  leur  race  et  fort  éloignée  de  nos  habitudes 
dYsprit.  de  sorte  tpie  l'étrangeté  du  fond  s'augmente  encore  deTétran- 
geté  du  langage.  Toutes  les  théosophies  donnent  dans  la  théurgie  et  la 
magie.  Ce  travers  est  dans  la  nature  même  des  choses.  Quiconque,  en 
effet,  se  flatte  de  posséder  la  connaissance  parfaite  des  secrets  de  Dieu 
est  invinciblement  enclin  à  s'attribuer  une  puissance  réelle  sur   ses 
œuvres.  La  Cabale  n'a  pas  fait  exception  à  cette  règle  générale.  Mais 
il  n'y  a  pas  lieu  d'insister  ici  sur  ces  superstitions.  Il  suffit  de  faire 
remarquer  que  plusieurs  de  ses  doctrines  y  conduisaient  inévitable- 
ment. C'est  ainsi  que,  en  considérant  l'homme  comme  un  abrégé  de 
l'univers  (microcosme),  elle  admettait  qu'il  y  a  des  rapports   directs 
entre   les  différentes  parties  du  corps  humain  et  les  différents  corps 
célestes,  et  que  par  là  se  trouvait  légitimée  la  croyance  à  l'astrologie 
judiciaire.  Quant  aux  procédés  artiiiciels,  désignés  par  les  noms   de 
thémoura,   guématria  et  notaricon,  procédés  dont  les  cabalistes  juifs  se 
sont  servis  parfois,  sinon  pour  chercher  dans  l'Ecriture  sainte  des  sens 
cachés  différents  du  sens  littéral,  du  moins  pour  justifier  et  faire  valoir 
ceux  qu'ils  s'imaginaient  y  avoir  découverts,  ce  n'est  qu'un  détail  sans 
importance  réelle  dans  le  système  et  l'histoire  de  la  Cabale;  l'emploi 
de   ces  procédés  bizarres   n'a    pas    été    exclusivement    propre    aux 
adeptes   de   cette  théosophie;   on  peut  d'ailleurs  s'en  faire  une   idée 
exacte  par  ce  qui  en  est  dit  dans  l'a  Palestine,  par  Munk,  p.  520  et  521,  et 
dans  Y  Encyclopédie  de  Herzog,  t.  VII,  p.  204  et  205.  — Sur  les  princi- 
paux adhérents  de  cette  théosophie   parmi  les  juifs,  on  peut  consulter 
Y  Encyclopédie  de  Herzog,  t.  VII,  p.  203,  et  parmi  les  chrétiens,  ibid., 
t.  VII,  p.  205  et  206.  La  Bibliotheca  judaica  de  J.  Fùrst,  t.  1,  p.  16,  27- 
29  et  93,  et  t.  III,  p.  160  et  329-335,    donne   une  liste  complète  des 
diverses  éditions  du  Séphêt  Jetzira  et  du  Zohar,  et  l'indication  d'un 
grand  nombre  d'ouvrages  sur  la  Cabale.  M.  Nicolas. 

CABANIS.  Voyez  Sensualisme. 

CADÈS  [Qèdèch,  \\y.zr,:,  Kiîzzzz],  résidence  royale  sous  les  Ca- 
nanéens i.Jos.  XII,  22),  ville  lévitique,  fortifiée  et  investie  du  droit 
d'asile  (Jos.  XX.  7;  XXI.  32;  2  Rois  XV,  2!)  ;  1  Ckron.  VI,  61),  était 
située  dans  la  tribu  de  Nephtali  (Jos.  XIX,  37:  Jug.  IV.  6),  près  de- 
frontières  de  Tyr.  et  lit  partie  plus  tard  de  la  Galilée  il  Sffach.  Xi.  63; 

Josèphe.     \ntnp.  V.   I,   1S;  XIII,  5,  «  :   B.  J.,  II,   18.    Il  C'est  sans  dbllte 

la  même  localité  que  le  Kfàcç  -q  Ne?8iXi  de  Tobie  I.  2.  --  Il  y  arail  en 

Palestine  deux  autres  villes  dé  Ce  nom  :    Tune  au    sud    de   la   tribu   d, 
Juda  (Jos.  XV.  23  .   l'autre  dans  la  tribu  d'hsaehar  '1  Chron.  VI.  :i7  . 


504  CAEN  —  CÀHORS 

CAEN.  La  Réforme  avait  déjà  jeté  de  profondes  racines  dans  celte 
ville  en  1558,  cai%  au  mois  de  décembre  de  la  môme  année,  on  y 
signale  la  présence  du  pasteur  Paumier,  et,  au  mois  de  mai  de  Tannée 
suivante,  celle  du  pasteur  Jean  Voisinet,  tous  les  deux  envoyés  de 
Genève.  Deux  ans  après,  les  réformés  s'assemblent  publiquement  au 
tripot  de  la  halle  au  blé  (aujourd'hui  cour  de  F  Ancienne-Halle),  puis 
aux  grandes  écoles,  dans  le  quartier  Saint-Sauveur,  et  enfin  dans  un 
local  du  quartier  Saint-Jean.  Sous  redit  de  Nantes,  l'Eglise  de  Caen 
devint  le  chef-lieu  de  F  un  des  six  colloques  de  la  province  synodale 
de  Normandie  et  reçut  une  illustration  particulière  de  deux  de  ses 
pasteurs  :  Bochart  et  du  Bosc.  Le  premier  jouissait  d'une  réputation 
européenne  comme  orientaliste;  le  second,  au  dire  de  Louis  XIV,  était 
l'homme  le  plus  éloquent  de  son  royaume.  Sur  la  fin  de  l'année  1684, 
on  fit  un  procès  à  l'Eglise  de  Caen,  qui  était  accusée  d'avoir  admis  des 
relaps  à  la  sainte  cène.  Ses  trois  pasteurs,  du  Bosc,  Morin  et  Guille- 
bert,  furent  arrêtés  et  traduits  devant  le  parlement  de  Rouen,  qui  les 
condamna,  le  6  juin  1685,  à  400  livres  d'amende,  à  l'interdiction  du 
ministère  et  au  bannissement.  Le  temple  de  Caen  dut  être  démoli,  et, 
comme  il  avait  été  fermé  dès  l'arrestation  des  ministres,  les  protes- 
tants de  l'Eglise  se  réunirent  jusqu'au  moment  de  la  révocation  de 
Ledit  de  Nantes  à  Vendes,  paroisse  de  Saint- Waast,  située  entre  Caen 
et  Bayeux.  Durant  la  période  du  Désert ,  les  protestants  de  Caen  furent 
visités  par  le  prédicant  Israël  Lecourt  (1693)  et  le  pasteur  Gautier 
(1749).  Ce  dernier  lit  tous  ses  efforts,  en  1752,  pour  reconstituer 
l'Eglise,  mais  sans  pouvoir  y  parvenir,  le  terrain  n'étant  pas  suffi- 
samment prêt.  Ce  ne  fut  qu'en  1777  qu'un  consistoire  y  fut  établi. 
Après  la  loi  de  germinal  an  X,  Caen  devint  le  chef-lieu  d'un  consis- 
toire pour  les  protestants  des  trois  départements  du  Calvados,  de 
l'Orne  et  de  la  Manche.  Cette  ville  en  comptait  500  en  1870.  — Voyez  : 
France  protestante,  IX,  379;  Bullet.  de  la  Soc.  de  Vhist.  du  prot.  franc., 
1855,  p.  473;  1862,  p.  1;  1864,  p.  339;  F.  Waddington,  Le  Protest, 
en  Normandie  dep.  la  révoc.  de  Védit  de  Nantes.  E-  Aknaud. 

CAGLI0STR0  (Alexandre,  comte  de),  ou  plutôt  Joseph  Balsamo, 
aventurier  d'origine  italienne,  exploita  dans  une;  large  mesure  la  cré- 
dulité d'une  société  sans  convictions.  Son  existence  se  termina  en 
1795,  à  Rome,  dans  une  prison  de  l'inquisition.  Il  pratiquait  le  mes- 
mérisme,  opérait  des  cures  merveilleuses,  faisait  de  l'or,  composait  un 
élixir  vital,  évoquait  les  esprits,  découvrait  l'avenir,  tout  cela  en  recou- 
rant à  ce  qu'il  appelait  l'agent  universel.  Sa  doctrine,  mélange  incohé- 
rent de  rêveries  théurgïques,  était  confiée  aux  initiés  de  la  loge  égyp- 
tienne, une  branche  nouvelle  de  franc-maçonnerie  qu'il  avait  fondée. 
En  1791  parut  une  biographie  (Compendio  délia  vita)  de  Balsamo,  qui 
paraît  avoir  été  rédigée  d'après  les  documents  de  son  procès.  Elle  fut 
traduite  en  français  la  même  année. 

CAHORS  (Divona  Cadurcorurn,Cadurcum,  Cadurx,  Caurs),  évêché.On 
en  attribue  la  fondation  à  saint  Genou  {Genulfus  :  AA .  SS.,  17  janv.),  qu 
fut  envoyé  en  Gaule  par  le  pape  saint  Sixte  II,  vers  257,  et  qui  a  donné 
son  nom  à  une  abbaye  du  diocèse  de  Bourges;  mais  cet  évêque  est  aussi 


CAHORS  —  CAINITES  5Q5 

douteux  que  ceux  qui  le  suivent.  On  ne  trouve  d'évêques  de  Gahors  qu'à 
la  fin  du  quatrième  siècle  (saint  Florent,  vers  370).  Cahors  s'enorgueil- 
lit de  posséder  le  saint  suaire  que  Charlemagne  a  donné  à  son  église. 
La  cathédrale  de  Saint-Etienne  (onzième siècle)  est  bâtie  dans  le  même 
style  byzantin  ([ne  Saint-Front.  Jean  XX11  était  originaire  du  diocèse 
de  Cahors;  ce  pape,  bienfaiteur  du  Ouercy  et  qui  a  multiplié  les  évê- 
ehés  dans  sa  patrie,  fonda  en  1331  l'université  de  Cahors,  qui  subsista 
jusqu'en  1751.  —  Voyez  :  de  la  Croix,  Séries epist.  Cadurc,  in-4°,  1617  4 
Vidal,  Ilisi.  desév,  de  Cahors,  1664,in-8°;  Galiia,\. 

CAIGNONCLE  (Michelle  de),  jeune  femme,  victime  des  atroces  per- 
sécutions religieuses  exercées,  en  1551,  dans  le  Hainaut,  et  qui  de- 
meura jusqu'à  sa  dernière  heure  l'un  des  types  les  plus  purs  de  la 
piété  el  de  la  charité  chrétiennes.  «  Cette  damoiselle  de  bonne  maison 
a  Valenciennes,  rapporte  Crespin  (ffist.  des  mart.,  in-f°,  éd.  de  1608, 
f°  192),  estant  condamnée  à  la  mort,  assavoir  d'estre  bruslée  toute 
vive,  avec  d'autres  pour  une  mesme  cause,  ainsi  qu'on  la  menoit  au 
supplice,  exhortoit  les  autres  à  estre  constans,  et  monstrant  au  doigt 
les  juges  qui  les  avoient  condamnez  et  qui  estoient  aux  fenestres  pour 
regarder  leur  supplice  :  Voyez-vous  ceux-là,  dit-elle,  ils  ont  bien 
d'autres  tourmens  que  nous,  car  ils  ont  un  bourreau  en  leur  cons- 
cience; mais  nous,  en  souffrant  pour  Jésus-Christ,  nous  avons  repos  ei 
certitude  de  nostre  salut.  Estant  au  lieu  du  supplice,  plusieurs  povres, 
qui  avoient  reçu  soulagement  de  ceste  bonne  créature,  lamentoient  sa 
mort;  mais  elle  les  consoloit  autant  qu'il  lui  estoit  permis.  Entre 
autres  il  y  eut  une  povre  femme  laquelle  s'écriant  dit  :  Hélas!  madamoi- 
selle,  vous  ne  nous  donnerez  plus  l'aumosne.  Elle  luy  dit  :  Si,  feray  ; 
tenez,  voilà  mes  pantoufles,  je  n'en  ay  plus  que  faire.  Ceste  constance 
estonna  tous  les  spectateurs  et  effraya  \es  ennemis,  car  Dieu  la  luy 
garda  entière  jusques  au  dernier  soupir.  » 

CAIN  (Qain,  LXX,  Kair,  c'est-à-dire  celui  qui  est  acquis,  de  Qounfl 
acquérir)  est  le  premier-né  d'Adam.  En  lui  donnant  ce  nom,  sa  mère 
espérait  que  le  salut  était  proche.  Les  traditions  juives  sur  Caïn,  surtout 
celle  qui  le  fait  descendre  de  Sammaël  (Satan),  par  une  fausse  inter- 
prétation de  1  Jean  III,  12,  n'ont  aucune  valeur  scientifique.  D'après 
Gen.  IV,  Caïn  tua  par  jalousie  son  frère  (H)abel,  s'enfuit  dans  le  pays 
de  Xod  (pays  de  la  fuite),  y  propagea  l'agriculture  et  jeta  les  fondements 
de  la  première  ville,  qu'il  nomma  Hanoch  (consécration),  d'après  son 
fils  aine.  La  préférence  accordée  par  Jéhova  au  sacrifice  d'Abel 
s'explique  par  la  supériorité  attribuée  aux  sacrifices  sanglants,  comme 
exprimant  mieux  la  corrélation  entre  les  idées  dépêché  et  de  punition. 
Exilé  de  sa  famille  et  de  sa  patrie,  Caïn  fut  condamné  à  une  vie 
orrante,  et  Dieu,  pour  le  protéger  contro  la  loi  du  talion,  lui  imprima 
un  signe  (ôth)  visible,  niais  non  corporel,  dont  on  ne  saurait  plus 
aujourd'hui  préciser  la  nature. 

CAINITES.  1°  Descendants  de  Caïn  et  dont  la  Genèse  donne  la  gé- 
néalogie jusqu'à  la  sixième  génération  (IV,  17-24).  Ces  noms,  dont 
L'étymologie  est  incertaine,  se  retrouvent  en  partie  dans  la  généalogie 
des  Séthites  (Lamech,  Hénoch).  L'auteur  de  la  Genèse  montre  quec^ 


506  CAINITES  —  CAIUS 

hommes  marchèrent  dignement  sur  les  traces  de  leur  ancêtre.  Lamech 
introduisit  la  polygamie,  en  prenant  deux  femmes,  et  célébra  par  un 
chant  sanguinaire  la  vengeance  de  Caïn  et  la  sienne.  Ce  chant,  le 
morceau  poétique  le  plus  ancien  de  la  Bible  (IV,  23-24),  présente  déjà 
tous  les  caractères  de  la  poésie  postérieure:  le  rhythme,  l'assonance,  le 
parallélisme,  la  construction  strophique  (trois  dystiques),  et  remploi 
d'expressions  plus  relevées.  Il  est  provoqué  par  l'orgueil  excité  par 
les  inventions  des  fils  de  Caïn.  Jabal,  en  effet,  régularisa  la  vie  nomade. 
Jubal  inventa  les  instruments  à  cordes  (kînor)  et  à  vent  (ougâb),  et 
Thubal-Caïn  travailla  les  instruments  tranchants  (lâtach,  marteler 
pour  aiguiser)  en  airain  et  en  fer.  —  2°  Gnostiques  antinomistes  du 
deuxième  siècle.  Caïn  est  pour  eux  le  représentant  du  principe 
spirituel  le  plus  élevé.  Dans  leur  haine  contre  l'Ancien  Testament,  ils 
déifient  ceux  que  ce  dernier  condamne,  et  en  font  des  représentants 
de  la  Sophia.  Les  apôtres  sont  des  êtres  inférieurs,  mais  Judas  Iscarioth 
possède  la  véritable  gnose,  parce  qu'il  a  amené  lamortde  Jésus-Christ. 
Pour  détruire  l'œuvre  du  Démiurge,  ils  se  livraient  à  toutes  sortes  de 
turpitudes  et  les  plaçaient  sous  l'invocation  des  anges.  Leurs  doctrines 
étaient  renfermées  dans  Y  Evangile  de  Judas  et  dans  Y  Ascension  de  saint 
Paul  (voy.  Iren.,  lib.  3,  c.  31;  Epiph.,  flœres.,  c.  38;  Tertullien, 
de  Prœscnpt.,  c.  33-37).  E.  Scherdlin. 

CAIPHE.  Voyez  Anne. 

CAIUS  (Faîoç).  Ce  nom,  d'origine  latine,  se  trouve  quatre  fois  dans 
le  Nouveau  Testament,  trois  fois  dans  le  cercle  des  amis  de  Paul,  une 
fois  dans  celui  des  amis  de  Jean.  Dans  quel  rapport  ont  été  les  per- 
sonnes qui  l'ont  porté?  Y  en  a-t-il  eu  quatre, trois  ou  seulement  deux? 
C'est  ce  que  le  manque  de  renseignements  ne  permet  pas  de  décider. 
Nous  rencontrons  d'abord  un  Caius  macédonien  dans  la  compagnie  de 
Paul  à  Ephèse  (Act.  XIX,  29).  Quelques  mois  plus  tard,  parmi  les  amis 
de  l'apôtre  qui  le  suivent  de  Macédoine  en  Asie,  se  trouve  un  autre 
Caius  désigné  comme  originaire  de  Derbe  (XX,  4),  à  moins  qu'il  n'y  ait 
ici  une  erreur  dans  le  texte  et  que  l'épithète  Derbien  ne  doive  se 
joindre  à  Timothée,  auquel  cas  ce  second  Caius  pourrait  être  identifié 
avec  le  précédent.  La  première  épître  aux  Corinthiens  (I,  15)  et  l'épître 
aux  Romains  (XVI,  23)  mentionnent  un  autre  chrétien  du  même  nom 
qui  fut  à  Corinthe  l'hôte  de  saint  Paul  et  réunissait  une  assemblée 
chrétienne  dans  sa  maison.  Enfin  la  troisième  épitre  attribuée  à  saint 
Jean  est  adressée  à  un  quatrième  Caius  qui  vivait  probablement  dans 
l'Asie-Mineure.  Ce  nom  était  très- répandu. 

CAIUS  (Pos'îoq),  «  homme  d'église,  »  ainsi  que  l'appelle  Eusèbe 
(II,  25),  vivait  à  Rome  au  temps  de  Zéphyrin  (198-217),  et  dans  son 
ouvrage  contre  Proclus,  chef  des  montanistes,  il  fit  le  premier  mention 
des  «  trophées  »  des  apôtres,  au  Vatican  et  sur  la  voie  d'Ostie  (voy. 
aussi  Eus.,  III,  28).  Photius  (cod.  48)  croit  savoir  que  le  livre  cité  par 
Eusèbe  (V,  28),  qui  est  dirigé  contre  les  artémoniens  et  que  Théo- 
doret  appelle  le  Petit  Labyrinthe,  est  du  presbytre  romain  Caius, 
et  M.  de  Rossi  (Bull..  IV,  p.  81)  se  rattache  à  cet  avis.  Raur  a  soup- 
çonné Caius  d'être  l'auteur  des  Philosophoumena.   Lisez    la   disser- 


CAIUS  —  CAJETAN  507 

tation    du   P.   de  Smedt   sur  Gains,  dans   ses  Disserl.  selectœ,    187G. 

CAIUS  (Saint)  [TaToç],  fut  évêque  de  Home  de  283  à  296,  et  lut  en- 
terré au  cimetière  de  Calliste.  Les  documents  de  son  histoire  sont  in- 
certains. Le  Livre  des  papes  nous  dit  qu'il  mourut  martyr,  et  toute  sa 
légende  paraît  se  rattacher  aux  Actes  fabuleux  de  sainte  Suzanne  (.1.1. 
.s\s'.,  1\  avril),  que  Ton  donne  comme  la  nièce  de  Caius.  Mais  tous  les 
anciens  monuments  le  nomment  confesseur  et  non  martyr.  La  tradition 
monumentale  de  Rome  établit  d'ailleurs  entre  Suzanne  et  Caius  une 
relation  manifeste:  le  titulus  Suzanne,  à  Rome,  portait  aussi  le  nom 
d'église  de  Caius,  tifulus  Gaii.  —  Voyez  :  Lipsius,  CàronoL,  1869, 
p.  240;  de  Rossi,  Jhdletino,  1870,  p.  96;  Duchesne,  Et.  sur  le  Liber 
Pont  if.,  1877,  p.  1(5;  Irico,  Mem.  degli  otti  di  S.  Cojo  papa,  Casale, 
1768,  in-8°.  M.  de  Rossi  vient  de  retrouver  l'épitaphe  de  Caius  {Bull., 
1876,  p.  87);  elle  ne  donne  pas  à  cet  évêque  le  titre  de  martyr;  elle 
place  sa  déposition  au  10  des  calendes  de  mai.  Elle  va  paraître  dans  le 
troisième  volume  de  la  Roma  Sotterranea.  S.  Bergek. 

CAJETAN  (Jacques  de  Yio,  et  plus  tard  Thomas,  en  l'honneur  de 
saint  Thomas)  naquit  en  1469  à  Gaëte,  d'où  lui  vint  par  corruption  le 
nom  de  Cajetan.  A  seize  ans  il  entra  dans  l'ordre  des  dominicains, 
contre  la  volonté  de  ses  parents.  11  était  doué  d'une  intelligence  claire, 
d'une  mémoire  excellente  et  de  grandes  dispositions  à  l'éloquence. 
A  vingt-six  ans  il  acquit  à  Padoue  le  grade  de  docteur  en  théologie,  et 
fut  bientôt  après  professeur  de  métaphysique.  En  1494  il  fut  envoyé  à 
Ferrare  pour  des  affaires  de  son  ordre,  et  là  il  disputa  publiquement 
avec  Pic  de  la  Mirandole,  et  avec  tant  de  succès  qu'il  fut  tenu  pour 
un  des  premiers  théologiens  de  son  temps.  Sa  piété,  son  dévouement 
au  saint-siége,  l'austérité  de  sa  vie  et  de  son  caractère  le  firent  nom- 
mer procureur  de  son  ordre  à  Rome;  en  1508  il  devint  général  des 
dominicains,  et  en  1517  Léon  X  l'éleva  au  cardinalat  et  lui  donna  l'ar- 
chevêché de  Palerme.  Il  fut  le  plus  zélé  champion  du  pouvoir  su- 
prême et  absolu,  nous  pourrions  dire  de  l'infaillibilité  du  pape. 
Lorsqu'en  1511  Louis  XII  convoqua  le  concile  de  Pise  auquel  Jules.  II 
opposa  (1512)  le  synode  de  Latran,  Cajetan  prit  la  défense  du  pontife 
et  lit,  entre  autres,  cette  déclaration  significative  que  «  l'Eglise  est  la 
servante  née  du  pape  ».  Sur  Tordre  de  la  Sorbonne,  il  fut  réfuté  par 
Jacques  Almain,  qui  défendit  les  droits  del'épiscopat.  Cajetan  prit  une 
part  active  à  l'élection  de  l'empereur  Charles-Quint  et  plus  tard  à 
celle  du  pape  Adrien  VI;  il  mourut  en  1534,  honoré  de  la  confiance  de 
Clément  VIL  —  C'est  surtout  à  sa  rencontre  avec  Luther,  à  Augsbourg 
(octobre  15i8),  que  Cajetan  doit  sa  célébrité.  Il  avait  été  envoyé  à  la 
diète  assemblée  dans  cette  ville,  comme  légat  a  latere,  avec  la  mis- 
sion, entre  autres,  d'obtenir  de  gré  ou  de  force  la  rétractation  du  ré- 
formateur. Luther  l'aborda  avec  une  humilité  excessive,  lui  prodiguant 
les  plus  grandes  marques  de  respect;  le  cardinal,  de  son  côté,  se  mon- 
tra paternel  «  t  bienveillant.  Mais  comme  le  moine  de  Wittemberg  re- 
fusa de  se  rétracter  s'il  n'était  convaincu  par  des  textes  de  l'Ecriture,  le 
cardinal  devint  violent,  impérieux  et  pérora  à  perdre  haleine  (Decies 
fere  cœpi  ut  loquerer,  toties  rursus  tonabat  et  solus  reynabat.  De  Wette, 


508  CAJETAN  —  CALAS 

Luthers  Briefe,  vol.  I,  p.  148).  Luther  à  son  tour  éleva  la  voix  et  ou- 
blia les  égards  qu'il  devait  à  un  prince  de  l'Eglise  {etegoclamarecœpi... 
satis  irreverenter  fervens  erupi...  Ibid.).  Cajetan  lui  dit  :  «  Frère,  frère, 
hier  tu  étais  convenable;  aujourd'hui  c'est  tout  le  contraire  !  »  et  il  le 
congédia  en  s'écriant  :  «  Va,  rétracte-toi,  ou  ne  reparais  plus  sous  mes 
yeux.  »  Le  cardinal,  rapporte  Myconius,  dit  alors  à  Staupitz  :  «  Je  ne 
veux  plus  parler  à  cette  bête  allemande,  car  elle  a  dans  la  tête  des 
yeux  profonds  et  des  spéculations  surprenantes.  »  Cajetan  eût  été  prêt 
à  faire  des  concessions  sur  «  la  nécessité  de  la  foi  dans  les  sacrements,» 
mais  il  fut  inflexible  sur  un  second  point  :  «  le  trésor  des  indulgen- 
ces, »  ce  qui  fit' dire  à  Staupitz  :  «  On  voit  bien  qu'à  Rome  on  tient 
plus  à  l'argent  qu'à  la  foi.  »  Voir  sur  cette  affaire  ;  Acta  Augustana, 
1518,  dans  H.  Schmidt,  Lûtheri  Opéra  latzna,  vol.  II,  p.  340  ss.  «  Le 
cardinal  Cajetan,  dit  Sarpi  (Eût.  Conc.  Tria1.,  1.  I,  p.  13),  n'était  pas 
riiomme  propre  à  instruire  la  cause  de  Luther.  C'était  un  scolastique 
et  un  zélé  défenseur  de  Thomas  d'Aquin,  et  ses  connaissances  n'al- 
laient pas  jusqu'aux  Ecritures.  En  outre  il  était  dominicain,  et  cet 
ordre  tout  entier  se  trouvait  blessé  par  l'affaire  de  Tetzel.  Plus  tard 
on  se  repentit  à  Rome  de  l'avoir  employé.  On  lui  reprocha  d'avoir 
traité  Luther  avec  trop  de  dureté  et  d'insultes,  et  de  ne  l'avoir  pas 
adouci  par  la  promesse  d'un  évêché  ou  d'un  chapeau  de  cardinal.  » 
Cependant  sa  dispute  avec  Luther  parait  avoir  exercé  une  certaine 
influence  sur  Cajetan.  Ayant  reconnu  la  supériorité  du  réformateur 
dans  la  connaissance  de  l'Ecriture,  il  se  mit  à  étudier  les  livres  saints, 
s'aidant,  pour  l'Ancien  Testament,  d'interprètes  juifs,  et  d'Erasme 
pour  le  Nouveau.  Il  voulut  améliorer  la  Vulgate  par  une  traduction 
strictement  littérale.  D'un  autre  côté  il  s'affranchit  de  la  tradition  de 
l'Eglise,  pensant  qu'on  pouvait  interpréter  les  Ecritures  sans  s'asser- 
vir aux  Pères  (Contra  torrentem  SS.  Patrum).  Ses  œuvres  complètes 
ont  été  publiées  à  Lyon  en  1639;  maison  a  atténué  les  passages  qui 
pouvaient  donner  ombrage  à  Rome.  On.  Pfender. 

CALAS  (Jean),  marchand  d'indiennes  à  Toulouse,  naquit  à  la  Caba- 
rède,  près  de  Castres,  en  1698.  11  épousa  en  1731  Anne-Rose  Cabibel, 
Anglaise  de  naissance,  mais  qui  descendait  de  Français  réfugiés.  Leur 
famille  se  composait  de  six  enfants  :  Marc- Antoine,  Jean-Pierre,  Donat- 
Louis,  Anne-Rose,  Anne  (Nanette)et  Jean-Louis  Donat,  etd'une  servante 
bonne  catholique,  Jeanne  Viguier,  que  ni  menaces  ni  promesses  ne 
purent  jamais  décider  à  accuser  ses  maîtres.  Marc-Antoine,  qui  avait 
quelque  talent  oratoire,  voulut  se  faire  avocat;  mais,  pour  cela,  il  lui 
fallait  un  certificat  de  catholicité.  Il  essaya,  mais  en  vain,  de  l'obtenir 
par  ruse  et,  plus  scrupuleux  que  son  frère  Louis,  ne  voulut  point  l'a- 
cheter au  prix  d'une  hypocrite  abjuration.  Toutes  les  autres  profes- 
sions pour  lesquelles  il  se  sentait  du  goût  lui  étaient  fermées  par  quel- 
que Déclaration  du  roi.  Il  voulut  alors  devenir  l'associé  de  son  père 
qui  n'y  consentit  point,  craignant  de  donner  des  pouvoirs  trop  éten- 
dus à  un  fils  chez  qui  des  goûts  dangereux  de  jeu  et  d'oisiveté  se  décla- 
raient toujours  davantage.  Ainsi  le  jour  de  sa  mort  il  le  passa  presque 
entièrement  au  billard  et  au  jeu  de  paume  et,  au  moment  de  sa  mort, 


CALAS  509 

il  portait  dans  ses  poches  dos  vers  et  des  chansons  obscènes.  Son  ca- 
ractère s'aigrit.  L'idée  du  suicide  s'empara  de  son  esprit  malade.  II 
songea  un  instant  à  étudier  la  théologie  à  Genève;  l'un  de  ses  amis  lui 
ayant  lait  observer  que  «  tout  métier  qui  t'ait  pendre  son  homme  ne 
vaut  rien  »,  il  répondit  :  «  Eh  bien!  je  pense  à  une  autre  chose,  que 
j'exécuterai.  »11  tint  parole.  Le  13  octobre  1761  la  boutique  de  J.  Calas 
se  ferma  à  l'heure  accoutumée.  Un  ami  de  la  famille,  Fr.-Alex.  Gaubert- 
Lavaysse,  lils  d'un  célèbre  avocat,  fut  retenu  à  souper.  C'était  un  doux 
et  bon  jeune  homme,  que  l'imagination  populaire  ne  tarda  pas  àtrans- 
former  en  «  sacrificateur  de  religion».  Au  dessert,  Marc-Antoine  sortit. 
«  Je  brûle,  »  dit-il  à  la  servante,  selon  le  récit  de  madame  Calas.  Un 
peu  plus  tard,  quand  M.Lavaysse  descendit  à  son  tour,  pour  se  retirer, 
on  trouva  Marc-Antoine  pendu  dans  le  magasin  de  son  père.  Celui-ci 
accourut,  épouvanté,  puis  sa  femme;  on  essaya  en  vain  de  ranimer  le 
malheureux.  Pierre  sortit  éperdu  pour  aller,  dit-il  plus  tard,  demander 
conseil  partout.  Son  père  le  rappela  en  lui  disant  :  «  Ne  va  pas  répan- 
dre le  bruit  que  ton  frère  s'est  défait  lui-même;  sauve  au  moins  l'hon- 
neur de  ta  misérable  famille.  »  Se  rappelant  la  barbare  législation  du 
temps,  il  voyait  déjà  le  cadavre  de  son  fds,  absolument  nu,  traîné  à 
travers  les  rues  sur  une  claie,  le  visage  contre  terre,  aux  huées  de  la  po- 
pulace; son  sentiment  paternel  lui  lit  perdre  de  vue  les  terribles  soup- 
çons auxquels  il  allait  s'exposer.  On  se  donna  le  mot  pour  soutenir 
qu'on  avait  trouvé  Marc-Antoine  non  pas  pendu,  mais  étendu  sans  vie, 
sur  le  plancher  du  magasin.  Cependant  les  capitouls  accoururent  sur 
les  lieux.  Ils  se  disposaient  à  se  retirer,  convaincus  qu'il  y  avait  eu 
suicide,  lorsqu'une  voix,  partie  de  la  foule,  accusa  Jean  Calas  d'avoir 
assassiné  son  lils,  parce  qu'il  allait  abjurer.  Cela  suffit  aux  capitouls 
pour  faire  jeter  dans  les  prisons  de  l'hôtel-de-ville  non  seulement  les 
parents  de  Marc-Antoine  et  son  frère  Pierre,  mais  encore  Lavaysse  et 
Jeanne  Viguier.  Ce  fut,  pour  le  parlement  de  Toulouse,  une  magnifique 
occasion  de  faire  preuve  de  zèle;  il  n'eut  garde  de  la  manquer.  11  fut 
d'ailleurs  admirablement  secondé  par  l'archevêque,  qui  fulmina  contre 
les  accusés  un  monitoire  à  charge.  Lu,  dans  les  églises,  avec  un  cérémo- 
nial effrayant,  ce  formidable  document  menaçait  de  l'excommunication 
tous  ceux  qui,  ayant  à  révéler  n'importe  quoi  à  la  charge  des  Calas,  se 
tairaient.  Ce  monitoire  n'eut  guère  d'autre  résultat  que  de  surexciter  les 
plus  mauvaises  passions;  il  lit  moins  de  tort  aux  Calas  que  la  déclara- 
tion de  l'apostat  Louis  Calas,  qui  ne  craignit  pas  de  soutenir  que  les 
protestants  sont  obligés  d'étrangler,  de  leurs  propres  mains,  leurs 
enfants  devenus  infidèles  à  leur  foi  :  abominable  calomnie  que,  sur  la 
demande  de  l'avocat  des  Calas,  la  vénérable  Compagnie  de  Genève 
et  puis  Paul  Habaut  (dans  sa  Calomnie  confondue,  au  Désert,  1 7(52) 
mirent  à  néant.  Aussitôt  Marc-Antoine  passa  pour  un  martyr,  un 
saint.  Il  fut  décidé  qu'on  le  ferait  reposer  en  terre  bénite.  «  Une  cin- 
quantaine de  prêtres,  toute  la  confrérie  des  pénitents  blancs,  une 
foule  de  peuple,  portant  cierges  et  bannières  et  marchant  en  pro- 
cession, firent  la  levée  du  corps  et  le  conduisirent  à  la  cathédrale.  » 
Dès  lors  l'issue  du  procès  était  facile  à  prévoir.  Les  capitouls  ayant 


510  CALAS 

décidé  que  les  Calas  seraient  appliqués  à  la  "question  ordinaire  et  extra- 
ordinaire, le  parlement,  sur  l'appel  des  condamnés,  évoqua  l'affaire. 
Un  seul  membre  de  cette  assemblée  osa  prendre  hautement  en  main  la 
défense  des  opprimés  :  M.  de  la  Salle.  Le  9  mars  1762,  et  malgré  la 
lumineuse  défense  de  l'avocat  Sudre,  Galas  fut  condamné  à  être  roué 
vif.  L'arrêt  portait  :  1°  que  Jean  Calas  subirait  la  question  ordinaire 
et  extraordinaire  ;  2°  qu'étant  en  chemise,  tête  et  pieds  nus,  il  serait 
conduit  devant  la  porte  principale  de  la  cathédrale  où  l'exécuteur  de  la 
haute  justice  lui  ferait  faire  amende  honorable;  3°  que  l'exécuteur,  sur  la 
place  Saint-Georges,  lui  «  rompra  et  brisera  bras,  jambes,  cuisses  et 
reins;  »  4°  qu'il  le  portera  sur  une  roue  et  l'y  couchera  le  visage  tourné 
vers  le  ciel  «  pour  y  donner  de  la  terreur  aux  méchants,  tout  autant  qu'il 
plaira  à  Dieu  de  lui  donner  vie.  »  Cette  sentence  fut  exécutée  à  la  lettre 
le  lendemain.  Pendant  sa  longue  agonie,  Calas  ne  proféra  pas  un  mur- 
mure ;  il  soutint  jusqu'au  bout  qu'il  mourait  innocent.  Pressé  de  nommer 
ses  complices  :  «  Hélas,  dit-il,  où  il  n'y  a  pas  de  crime,  peut-il  y  avoir 
des  complices?»  La  foule  émue,  oubliant  son  fanatisme,  pleura  sa  mort, 
tandis  que  le  capitoul  David,  le  plus  furieux  de  ses  adversaires,  s'achar- 
nait en  vain  à  lui  arracher  un  aveu.  Les  autres  victimes  furent  relâchées, 
sauf  Pierre  Calas,  qu'on  enferma  dans  un  couvent  pour  le  convertir. 
Ses  deux  sœurs  furent  également  placées  dans  un  couvent,  bien  qu'elles 
eussent  été  absentes  de  la  maison  le  13  octobre  1761.  Cependant  Pierre 
parvint  à  s'échapper.  Il  se  sauva  à  Genève,  où  se  trouvait  depuis  quel- 
ques mois  son  frère  Donat.  Voltaire,  après  avoir  interrogé  les  deux 
jeunes  gens,  résolut  de  réhabiliter  la  mémoire  de  leur  père.  Déployant 
un  zèle  extraordinaire,  il  réussit  non-seulement  à  soulever  l'opinion  de 
la  France  et  même  de  toute  l'Europe  contre  le  parlement  de  Toulouse, 
mais  encore  à  faire  casser  la  sentence  de  mort  du  supplicié  et  à  faire 
obtenir  à  sa  famille  toutes  les  réparations  possibles.  Elie  de  Beaumont, 
Mariette  et  Loiseau  de  Mauléon  tirent  de  leur  mieux  pour  le  seconder  ; 
J. -J.Rousseau  lui  aussi  éleva  sa  voix  en  faveur  des  Calas.  Le  7  mars  1763, 
le  Grand  Conseil  se  prononça,  à  l'unanimité  des   quatre-vingt-quatre 
membres  présents,  pour  la  cassation  du  procès.  La  reine  se  fit  pré- 
senter madame  Calas  et  ses  filles  et  leur  lit  le  plus  gracieux  accueil.  Le 
9  mars  1765  enfin,  un  tribunal,  composé  de  quarante  maîtres  des  re- 
quêtes, à  l'unanimité  réhabilita  les  accusés  et  la  mémoire  de  Jean  Calas, 
ordonna  que  leurs  noms  fussent  effacés  des  registres  et  des  écrous,  les 
laissant  d'ailleurs  libres  de  réclamer  des  dommages-intérêts  auprès  de  qui 
de  droit.  Voltaire  reçut  la  grande  nouvelle  avec  des  transports  de  joie. 
11  n'eut  de  repos  que  quand  il  eut  réussi  encore  à  mettre  à  l'abri  du 
besoin  madame  Calas,  qui  mourut  à  Paris,  en  1792.  Nanette  Galas  épousa 
le  chapelain  de  l'ambassade  de  Hollande  à  Paris,  Duvoisin.  Grimm 
décrit  avec  enthousiasme  sa  grâce  touchante  et  naïve  ;  la  sœur  Anne- 
Julie  Fraisse,  qu'une  lettre  de  cachet  lui  avait  donnée  pour  supérieure 
au  couvent  des  visitandines,  devint  son  amie,  tout  en  se  désolant  sans 
cesse  de  n'avoir  pu  la  convertir.  Le  fils  de  Nanette,  Alexandre  Duvoisin, 
fut  secrétaire  de  Joseph  Bonaparte  et  auteur  dramatique  ;  il  mourut  en 
1832.  —  Voyez,  outre  quelques  articles  dans  le  Bulletin  du  Pr.  et  l'ar- 


CALAS  —  CALCUTTA  511 

ticle  Calas  dans  la  France  prot^  Jeun  Cala*,  par  Ath.  Coquerel  fils, 
±  éd.,  1869,  ouvrage  aussi  complet  qu'impartial,  qui  fait  d'ailleurs  con- 
naître toute  la  littérature  relative  à  la  question.  A,)-  Sch-œsffhe. 

CALASANZA,  fondateur  de  l'ordre  des  Piari&tes  (voy.  cet  article). 

CALATRAVA  est  un  bourg  d'Espagne,  situé  à  quelque  distance  de  la 
(iuadiana.  au  sud  de  Ciudad-Keal  (Monde).  Il  a  été  illustré  par  Tordre 
militaire  de  ce  nom.  L'histoire  de  l'origine  de  cet  ordre  mérite  d'être 
brièvement  rappelée.  Connue  autrefois  sous  le  nom  d'Oreto,  la  ville 
l'ut  prise  en  1013  par  Suleiman.  En  H'iGAlphonse  VIII  s'en  empara  et 
en  confia  la  défense  aux  Templiers.  Mais  ceux-ci  ne  se  sentaient  pas 
les  forces  nécessaires  pour  résister  avec  succès  aux  Maures  et  ils  ren- 
dirent la  ville  au  roi  don  Sanche  III  en  1157.  Le  prince  déclara  qu'il 
ferai!  don  de  la  cité  à  celui  qui  se  croirait  assez  fort  pour  la  défendre. 
Ce  fut  un  moine  obscur  de  Tordre  de  Citeaux,  don  Didace  Velasquez, 
religieux  de  l'abbaye  de  Notre-Dame  de  Titero,  qui,  ancien  chevalier, 
sut  engager  son  abbé  don  Raimond  à  ne  pas  laisser  la  ville  devenir  la 
proie  des  mécréants.  Don  Raimond  consentit;  grâce  au  secours  de  l'ar- 
chevêque de  Tolède,  il  prit  possession  de  la  ville,  et  sut  la  maintenir 
contre  toutes  les  incursions  des  Maures  de  l'Andalousie.  Le  chapitre 
général  de  Tordre  de  Citeaux  donna  une  règle  au  nouvel  ordre,  qui  co- 
lonisa tout  le  pays  environnant,  et  devint  une  sentinelle  avancée  de  la 
chrétienté.  Mais  bientôt  l'esprit  militaire  ne  voulut  plus  se  plier  aux 
exigences  monastiques.  A  la  mort  de  Raimond  en  1163,  les  cheva- 
liers se  détachèrent  des  moines  de  Citeaux,  et  obtinrent  du  pape 
Alexandre  ill  une  bulle  qui  autorisait  leur  constitution  nouvelle  et  in- 
dépendante. De  longues  et  incessantes  luttes  contre  les  infidèles  et  des 
schismes  au  sein  de  Tordre  marquent  son  histoire,  jusqu'à  ce  que,  à 
la  mort  de  don  Garzias  Lopez  de  Padilla,  le  vingt-neuvième  et  dernier 
grand-maître,  Innocent  VIII  se  réserva  la  nomination  aux  honneurs  de 
la  grande-maitrise,  qu'il  conféra  au  roi  Ferdinand  en  1480.  Le  pape 
Adrien  VI  réunit  cette  dignité  ainsi  que  les  grandes-maîtrises  des  ordres 
de  San-Iago  (Saint-Jacques  de  TEpée)  et  d'Alcantara  à  la  couronne 
d'Espagne  qu'il  dota  par  ce  moyen  d'un  revenu  considérable.  Ayant 
obtenu  en  1540  du  pape  Paul  III  le  droit  de  se  marier,  les  chevaliers  ne. 
prêtèrent  plus  que  les  serments  de  pauvreté,  de  chasteté  conjugale  et 
d'obéissance.  A  partir  de  1652  ils  promirent  encore  de  défendre  et  de 
soutenir  l'immaculée  conception  de  la  Vierge.  Au  dix-huitième  siècle 
Tordre  de  Calatrava  possédait  56  commanderies,  10  prieurés,  8  cou- 
vents de  femmes  et  6i  bourgs  et  villages  répartis  en  cinq  districts. 
L'habit  de  cérémonie  était  un  manteau  blanc  sur  lequel  il  y  avait  du 
côté  gauche  une  croix  rouge  fleurdelisée.  Eug.  Steen. 

CALCUTTA.  La  métropole  de  Tlndeanglaiseestunevilletoute moderne. 
Gfi  a'esl  qu'en  1686  que  les  conquérants,  trouvant  la  place  favorable, 
commencèrent  à  bâtir  une  ville  dans  les  terrains  marécageux  des  bords 
de  L'Hoogly.  La  rite  nouvelle  acquit  bientôt  assez  d'importance  pour 
devenir  dès  1707  le  siège  d'un  gouvernement  provincial,  et  en  1772  la 
capitale  de  toutes  Les  p  ^sessions  anglaises  de  L'Hindoustan.  Son  nom 
vient  du  village  de  Kaly-Ghats  ou  Caly-Cutta,  les  quais  de  la  déesse 


512  CALCUTTA  —  CALDERON 

Kali,  situé  autrefois  à  remplacement  où  s'élève  aujourd'hui  la  ville. 
L'accroissement  de  la  population  a  été  énorme,  surtout  depuis  le  com- 
mencement de  ce  siècle,  et  le  recensement  de  1871  attribue  à  Calcutta  et 
à  ses  faubourgs  une  population  de  892,429  âmes.  Quoique  la  ville  soit 
d'origine  européenne,  l'énorme  majorité  de  ses  habitants  se  rattachent 
aux  anciens  peuples  de  la  péninsule.  Les  Anglais  (militaires  non  com- 
pris) n'y  sont  pas  au  nombre  de  plus  de  8,320  personnes.  Les  Euro- 
péens d'autres  nationalités,  Portugais  pour  la  plupart,  ne  sont  pas 
plus  de  5  à  6,000.  Si  Ton  y  ajoute  un  millier  d'Arméniens,  2,000  Chinois 
et  4  à  500  Juifs,  il  restera  encore  environ  870,000  Hindous.  Au  point 
de  vue  religieux,  on  évalue  le  nombre  de  mahométansàunpeu  plus  du 
quart,  les  autres  sont  brahmanistes  ou  bouddhistes.  Les  païens  ont 
dans  la  ville  un  fort  grand  nombre  de  temples  et  de  pagodes  ;  mais  pos- 
térieurs aux  beaux  temps  de  l'Inde  indépendante,  tous  sont  des  con- 
structions d'importance  médiocre.  Il  en  est  de  même  des  mosquées 
rnahométanes.  L'établissement  religieux  le  plus  important  des  musul- 
mans est  la  médresseh,  sorte  d'université  de  l'Islam  fondée  en  1781  et 
entretenue  par  le  gouvernement  anglais.  Les  chrétiens  des  dénomina- 
tions les  plus  diverses  y  sont  représentés  par  des  communautés  ou  au 
moins  par  des  missionnaires.  L'Eglise  anglicane  y  a,  depuis  1814,  un 
évêque  métropolitain  des  Indes.  Il  est  assisté  d'un  archidiacre  et  de  onze 
pasteurs  urbains  desservant  la  cathédrale  de  Saint-Paul  et  les  églises  de 
la  Mission,  de  Saint-Jean,  de  Saint-Jacques,  de  Fort-William,  de  Hor- 
vrah,  de  Saint-André  et  de  Saint-Pierre.  La  Société  pour  la  propagation  de 
l'Evangile  dans  les  pays  étrangers  entretient  cinq  missionnaires  avec 
deux  églises.  La  Société  des  missions  de  l'Eglise  anglicane  a  neuf  mis- 
sionnaires et  quatre  églises.  Ces  deux  Sociétés  se  rattachent  à  l'évêque 
de  Calcutta,  qui  préside  également  à  la  direction  du  Bishop's  Collège,  sé- 
minaire important  fondé  en  1820.  La  Société  des  missions  de  Londres  a 
cinq  établissements,  les  baptistes  en  ont  quatre,  l'Eglise  établie  d'Ecosse 
un,  l'Eglise  libred'Ecosseun,  les  méthodistes  calvinistes  du  pays  de  Galles 
un,  etc.  L'Eglise  catholique  a  un  vicaire  apostolique  à  Calcutta  depuis 
îe  18  avril  1834.  Jusqu'en  1856  le  Bengale  entier  fut  compris  dans  son 
diocèse.  Depuis  lors  il  a  été  démembré  en  trois  vicariats.  Les  principaux 
établissements  catholiques  sont  la  cathédrale  de  Saint-Paul,  les  églises 
de  Saint-Xavier,  de  Saint-Jean,  du  Sacré-Cœur-de- Jésus,  de  Saint-Pa- 
trick, de  Notre-Dame-de-Bon- Voyage  dans  le  faubourg  d'Horvrah,  à  Saint- 
Thomas,  de  Nostra-Sennora  das  Dores,  ces  deux  derniers  portugais,  le 
couvent  de  Lorette,  le  collège  Saint-Xavier,  etc.  — Bibliographie  :  The 
Clergy  List  for  1876;  Grundemann,  Mission  s  Atlas;  Rapports  et  jour- 
naux de  Missions,  passirn.  E.  Vaucher. 

CALDERON  DE  LA  BARCA  (Pedro).  Cet  illustre  poète  dramatique 
naquit  à  Madrid  le  17  janvier  1600.  Il  perdit  son  père  de  bonne  heure, 
et  ce  fut  sa  mère,  doua  Ana  Gonzalez  de  Henao  y  Riano,  qui  se  char- 
gea seule  de  son  éducation  et  le  destina  à  la  carrière  ecclésiastique. 
Après  avoir  fait  ses  études  élémentaires  au  Colegio  Impérial,  le  plus 
important  institut  de  la  Société  de  Jésus  en  Espagne ,  il  passa  à  Sala- 
snanque,  où  il  s'adonna  à  la  philosophie,  aux  mathématiques  et  à  la 


CALDERON  —  CALEB  513 

jurisprudence.  De  retour  à  Madrid  en  1619,  il  entra  au  service  d'un 
grand  seigneur,  probablement  le   duc  d'Albe.   Peu   d'années   après 
(1625),  nous  le  voyons  embrasser  la  carrière  militaire  et  servir  dans 
les  années  de  Sa  Majesté  Catholique  en  Italie  et  en  Flandre.  A  son  re- 
tour en  Espagne,  il  fut  chargé  par  le  roi  Philippe  IV  de  la  composition 
de  comédies  destinées  à  faire  l'ornement  des  l'êtes  splendides  de  la 
cour  de  Madrid,  dont  la  mise  en  œuvre  était  la  préoccupation  princi- 
pale de  ce  souverain  léger  et  fastueux.  Cette  distinction  prouve  que  la 
réputation  de  Calderon  comme  poëte  dramatique   était  déjà  établie, 
bien  qu'il  n'eût  encore  écrit  que  quelques  drames.  En  1641,  Calderon 
reprend  les  armes  pour  combattre  les  Catalans  révoltés.  La  paix  faite, 
nous  le  retrouvons  à  la  cour,  et  c'est  à  partir  de  cette  époque  qu'il 
s'adonna  exclusivement  aux  lettres,  et  en  particulier  à  la  composition 
de  ces  comedias  qui  l'ont  rendu  célèbre.  Comme  d'autres  poètes  de 
son  temps,  Calderon  comprit  bientôt  que  la  laveur  du  public  s'étein- 
drait dès  qu'il  ne  produirait  plus,  et  qu'il  se  trouverait  alors  sans  res- 
sources. Aussi  se  tourna-t-il,  comme  son  prédécesseur  Lope  de  Vega, 
vers  l'Eglise,  dont  il  avait  déjà  reçu  longtemps  auparavant  les  pre- 
miers ordres,  et  qui  l'ordonna  prêtre  en  1651.   Il  occupa   dès  lors 
diverses  charges  ecclésiastiques,  soit  à  Tolède,  soit  à  Madrid,    san. 
renoncer  pour  cela  au  théâtre.  C'est  à  partir  de  cette  époque  qu'il 
composa  aussi  ses  Autos  sacr amentales,  drames  religieux   destinés  à 
glorifier  le  "mystère  de  l'Eucharistie  et  qui  se  représentaient  le  jour  de" 
la  Fête-Dieu.  Calderon  mourut  à  Madrid  le  25  mai  1681 .  —  Les  Comedias 
de  Calderon.  qui  ont  été  souvent  imprimées,  se  trouvent  dans  la  Bi- 
hliotheca  de  autores  espanoles  de  Rivadeneyra  (éd.  de  D.  Juan  Eugenio 
Hartzenbusch).   L'édition  la  plus  connue  des  Autos  sacramentales  est 
celle  de  Juan  Fernandez  de  Apontes  (6  vol.,  Madrid,  1760).  La  biogra- 
phie la  plus  complète  de  Calderon  se  trouve  dans  le  Catatogo  del    tea- 
tro   antigue  espanol,   publié  par  D.   Cayetano  Alberto   de  la  Barrera 
(Madrid,  1860).  Morel-Fatio. 

CALEB  (Kàlëb),  fils  de  Jéphunné,  l'un  des  chefs  de  la  tribu  de 
Juda  (Nombr.  XIII,  6;  XXXIV,  19),  joua  un  rôle  important  lors  de  la 
conquête  de  la  Palestine.  Chargé  par  Moïse  de  la  mission  d'éclairer  le 
pays,  il  se  montra  partisan  de  l'attaque  immédiate,  ce  qui  lui  valut, 
seul  avec  Josué  parmi  les  Israélites  qui  avaient  quitté  l'Egypte,  de  péné- 
trer dans  la  terre  promise  (Nombr.  XIV,  24  ;  XXVI,  65  ;  Deutér.  I,  36  ; 
1  Mach.  II,  56).  Il  reçut  à  titre  de  propriété  la  ville  de  Hébron  comme 
prix  de  ses  exploits  contre  les  redoutables  Enacites  (Jos.  XIV,  16  ss.; 
XV,  13  ss.;  Jug.  I,  12  ss.);  il  dut  la  céder  plus  tard  aux  Lévites,  mais  il 
garda  tout  le  districtqui  l'avoisine  (Jos.  XXI,  11  ss.;  1  Sam.  XXX,  14). 
Dans  un  certain  nombre  de  passages  (Nombr.  XXXII,  12;  Jos.  XIV, 
6,  etc.),  Caleb  est  appelé  un  Kenizien,  ce  qui  ne  peut  s'expliquer  que 
par  le  mélange  intime  qui  se  produisit  après  la  conquête  entre  la  por- 
tion de  la  tribu  de  Juda  à  la  tête  de  laquelle  se  trouvaient  Caleb  et  ses 
descendants,  et  la  tribu  des  Keniziens  au  milieu  de  laquelle  elle  s'éta- 
blit. —  Voyez:  Bertheau,  Comment,  z.  Buch  der  Richter^  p.  20  ss.; 
Ewald,  Getch.  des  Volkes  Israël,  II,  p.  288  ss. 

il.  33 


514  CALENDES  —  CALENDRIER 

CALENDES  (calenche,  du  verbe  grec  xaXetf,  appeler)  ou  premier 
jour  du  mois,  se  dit  des  conférences  que  les  curés  et  les  prêtres  fai- 
saient sur  leurs  devoirs  au  commencement  de  chaque  mois,  usage  qui 
parait  remonter  au  neuvième  siècle.  Au  treizième  siècle,  des  congréga- 
tions se  formèrent  en  Allemagne  (au  couvent  d'Ottberg,  en  1220),  en 
Hongrie  et  en  France,  sous  le  nom  de  f?'atrescalendarii,  dont  les  mem- 
bres se  réunissaient  le  premier  de  chaque  mois,  dans  le  but  de  fixer 
les  fêtes  et  les  exercices  religieux  (bonnes  œuvres,  jeûnes,  aumônes) 
qui  devaient  être  observés  pendant  le  courant  du  mois.  C'étaient  des 
sociétés  de  secours  mutuels,  composées  de  laïques  et  de  clercs,  sous  la 
surveillance  de  .l'évoque  du  diocèse:  leur  intérêt  se  concentrait  parti- 
culièrement sur  les  obsèques  et  les  messes  des  morts  à  instituer  en 
faveur  de  leurs  membres.  Chacune  de  ces  réunions  mensuelles  se  ter- 
minait par  un  joyeux  banquet,  dont  les  frais  étaient  couverts  par  les 
fonds  demeurés  sans  emploi.  A  mesure  que  les  associations  s'enrichi- 
rent, les  calendes  dégénérèrent  en  véritables  orgies  et  fournirent  une 
ample  matière  à  la  satire  populaire.  La  déformation  mit  fin  à  ces  abus, 
mais  certaines  sociétés  portant  ce  nom  se  sont  conservées  jusqu'à  nos 
jours  dans  le  diocèse, de  Cologne  et  dans  le  duché  de  Brunswick.  — 
Voyez  Feller,  Oratio  de  fratribus  calendariis,  Francof.,  1692. 

CALENDRIER  CHRÉTIEN.  L'étude  mathématique  de  l'établissement 
du  calendrier  pourra  être  abordée  avec  plus  de  profit  à  l'article  Chro- 
nologie chrétienne;  nous  nous  bornerons  à  traiter  ici    la  partie   reli- 
gieuse de  notre  sujet,  et  nous  rechercherons  les  traces  que  la  piété  et 
la  superstition  ont  laissées  dans  ce  document  de  la  vie  de  l'Eglise  qui 
est  le  calendrier.  —  I.  Origine.  Les  Romains  appelaient  fastes  ce  que 
nous  désignons  aujourd'hui  du  nom  de  calendrier.  Le  calendarium  était 
chez  eux  le  livre  de  comptes  dans  lequel,  aux  calendes  de  chaque 
mois,  le  père  de  famille  faisait  le  calcul  de  ses  revenus.  Le  plus  ancien 
calendrier  où  l'on  observe  l'influence  du  christianisme  est  contenu 
dans  le  manuel  des  habitants  de  Rome  auquel  on  a  donné  le   nom  de 
Chronographe  de  354.  11  a  été  en  dernier  lieu  l'objet  d'une  remar- 
quable étude  de  M.  Mommsen  (ûb.  d.  Chronogr.  v.  354,  1850,  in-4°, 
extrait  des  Abhandl.  de  l'Académie  de  Leipzig,  vol.  I,  p.  549),  et  il  est 
imprimé  dans  le  Corpus  des  inscriptions  latines  (Berlin,  1863,  vol.  I, 
p.  332).  Ce  célèbre  monument,  qui  est  signé  du  calligraphe  Philocalus, 
n'est  autre  chose  que  «  le  calendrier  civil  officiel  de  l'empire  romain 
tel  qu'il  était  après  que  le  paganisme  eut  cessé  d'être  la  religion  de 
l'Etat  et  avant  que  le  christianisme  eût  pris  cette  place.  »  Les  jours 
attribués  autrefois  au  culte  des  dieux  ne  figurent  plus   que   comme 
jours  fériés,  et  sans  caractère  religieux  ;  les  jeux  ont  gardé  leur  place  ; 
à  côté  de  la  semaine  romaine  de  huit  jours,  est  marquée  la  semaine 
chrétienne  de  sept  jours.  Au  même  moment,  l'Eglise  de  Rome  possé- 
dait déjà  son  feriale,  le  tableau  de  ses  fêtes,  c'est  la  depositio  episcopo- 
rum  et  martyrum,  sorte  de  martyrologe  où  l'on  trouve,  à  côté  des  dates 
de  l'inhumation  des  saints  romains    (trois  noms   seulement  appar- 
tiennent à  l'Eglise  d'Afrique) ,  la  fête  de  Noël,  la  translation  de  saint 
Pierre  et  de  saint  Paul,  et  le  natale  Pétri  de  catedra,   au   même  jour 


CALENDEIEE  CHRÉTIEN  515 

{±2  févr.)  où  Rome  célébrait  encore  la  cara  aognaéio,  les  caràtm,  fête 
païenne  dont  les  cérémonies  se  sont  confondues  pendant  des  siècles 
avec  la  célébration  de  la  Chaire  de  saint  Pierre  (voy.  Fêtes  chrétienne*)* 
Ce  vénérable  document,  dont  la  composition  première  remonte  à 
l'an  336,  est  insère  dans  le  Chronographe  et  publié,  entre  autres  au- 
teurs, par  Hommsen  dans  le  mémoire  cité.  L'Eglise  de  Carthage  nous  a 
légué  un  document  semblable,  remontant  au  quatrième  on  au  cinquième 
siècle  (Mabillon,  Analecta,  172:>,  p.  i().*>).  W.  Wright  a  publié  en  1865 
un  Ancient  Syriccn  Martyrology ,  qui  date  de  Tan  412  et  est  traduit 
du  grec.  Mais  le  monument  le  plus  important  de  l'ancienne  histoire  du 
calendrier  est  le  taterculus  de  Polémée  Silvius,  dédié  à  l'évêque  saint 
EucherdeLyon  et  qui  date  de  Tan  448.  Mommsen  l'a  imprimé  dans  son 
Corpus  en  regard  de  l'ouvrage  de  Philocalus.  L'auteur  a  eu  évidemment 
sous  les  yeux  un  calendrier  fort  semblable  à  celui  de  Tan  354  ;  il  en  a 
effacé  avec  le  plus  grand  soin  tout  ce  qui  rappelait  la  religion  païenne. 
Nous  trouvons  ici,  à  côté  des  natales  des  empereurs  et  au  milieu  de 
quelques  restes  des  fêtes  romaines,  les  anniversaires  de  saint  Vincent, 
de  saint  Laurent,  de  saint  Hippolyte,de  saint  Etienne  et  de  saint  Tite,la 
déposition  de  saint  Pierre  et  de  saint  Paul  (22  févr.),  la  passion  de  Jésus- 
Christ  et  sa  résurrection  (25  et  27  mars),  et  le  natalis  Domini  corporali* 
(25  déo.  au  même  jour  où  le  calendrier  de  354  marquait  encore  la 
victoire  du  soleil  sur  l'hiver  :  natalis  invîcti  (voy.  Noël).  Il  n'entre  point 
dans  notre  dessein  d'énumérer  ici  tous  les  anciens  calendriers  qui  ont  été 
conservés.  Nous  devons  néanmoins  faire  remarquer  que  l'un  des  plus 
anciens  monuments  de  ce  genre  qui  soient  exclusivement  chrétiens  est 
le  fragment  de  calendrier  gothique  que  A.  Mai  a  publié  dans  sa  Biblio- 
t liera  nova  (V,  p.  66).  L'un  des  plus  célèbres  parmi  ces  vieux  docu- 
ments de  la  liturgie  est  le  calendrier  romain  publié  par  le  P.  Fronton 
(Paris,  1<J52,  in-8°),  et  qui  est  plutôt  un  capitulare  evangeliorum  mar- 
quant les  stations  et  les  évangiles  pour  les  fêtes  romaines,  et  remontant 
au  commencement  du  huitième  siècle.  De  volumineux  commentaires 
ont  été  consacrés,  en  1744,  par  d'Anfora,  Mazzochi  et  Sabbatini,  au 
vieux  calendrier  napolitain,  antérieur  à  Tan  850,  écrit  en  grec  sur  une 
table  de  marbre.  — IL  Moyen  Age.  Celui  cjui  voudrait  étudier  l'histoire 
du  calendrier  devrait  se  souvenir  avant  tout  que  ces  anciens  monuments 
de  la  Liturgie  portent  la  trace  des  coutumes  propres  à  chaque  Eglise; 
il  devrait  donc,  dans  l'Eglise  latine  elle-même,  distinguer  avec  soin 
les  calendriers  de  l'Eglise  romaine,  de  l'Eglise  franque,  de  l'Eglise 
anglo-saxonne,  etc.  Gomme  dit  le  savant  Père  de  Buck,  «  il  faudrait 
mettre  à  part  tous  les  calendriers  dont  le  fond  n'est  pas  le  calendrier 
romain,  quoique  bien  peu  aient  échappé  à  son  influence.  Tels  sont  les 
calendriers  du  rite  ambrosien  de  Milan,  du  rite  de  Verceil,  du  rite 
nio/arab"  d'Espagne,  les  anciens  calendriers  des  Eglises  des  Gaules. 
huiv  certain-,  *  alendriers  d'origine  romaine,  et  surtout  dans  les  livres 
liturgiques  proprement  dits,  la  distribution  des  dimanches  de  l'année 

iiivcii!  tn— dillëivnte  dans  les  divers  manuscrits.  Cette  différence, 

.qui  t£t  très-caraeléristiqiie.  |K)iirrait  servir  comme  premier  terme  de 

parâi&on  et  <\r  clas>ilicalion.  L<-^  ftfeg  des  papes,  ajoutées  par  saint 


516  CALENDRIER  CHRETIEN 

Grégoire  VII,  seraient  un  autre  signe  de  distinction.  Les  fêtes  de  saint 
Bernard,  de  saint  François,  de  saint  Dominique  et  de  saint  Louis  en 
fourniraient  une  troisième.  Puis  viendraient  les  saints  locaux,  qui 
prouvent  souvent  qu'un  calendrier  a  passé  d'Angleterre  en  France,  de 
France  en  Allemagne,  etc.  Pour  déterminer  l'antiquité  des  calendriers, 
on  a  donné  un  grand  nombre  de  règles.  Qu'il  nous  suffise  de  rappeler 
que  la  brièveté  du  texte,  l'absence  ouïe  petit  nombre  de  simples  commé- 
moraisons  de  fêtes  durant  le  carême,  de  vigiles  et  d'octaves,  le  mot  natalis 
réservé  aux  l'êtes  des  martyrs,  et  celui  de  depositio  aux  fêtes  des  confes- 
seurs, enlin  l'omission  des  mots  sanctusetbeatus,  sont  autant  désignes 
d'une  antiquité  plus  ou  moins  reculée.  »  On  trouve  des  calendriers  en 
tête  des  missels,  des  bréviaires  et  de  presque  tous  les  livres  liturgiques 
du  moyen  âge.  M.  Piper  (Karls  des  Grossen  Kalendarium  u.  Ostertafel, 
Berlin,  1858,  in-8°)  a  publié  le  beau  calendrier  qui  se  voit  dans  l'Evan- 
géliaire  de  Gharlemagne  ;  il  a  décrit  en  même  temps  les  plus  anciens 
monuments  analogues  de  l'Eglise  franque.  Le  même  auteur  a  réuni 
dans  une  autre  publication  les  calendriers  anglo-saxons  et  le  remar- 
quable calendrier  figuré  qui  se  trouvait  dans  le  manuscrit,  aujourd'hui 
brûlé,  du  Hortus  Deliciarum  de  l'abbesse  Herrade  {Die  Kal.  d.  Angel- 
sachsen,  das  Martyr ologium  der  Herradv.  Landsperg,  Berl.,  1862,  in-8°). 
On  trouverait  encore,  dans  nos  dépôts,  de  vénérables  documents  de  la 
vieille  liturgie  gallicane  qui  ont  échappé  aux  recherches  de  cet  auteur. 
M.  Hampson,  dans  un  ouvrage  fort  utile,  mais  écrit  avec  trop  de  préci- 
pitation, a  imprimé  avec  un  commentaire  fort  ample  un  certain  nombre 
d'anciens  calendriers  anglais  (Medii  œvi  Kalendarium ,  Londres, 
s.  d„  in-8°).  En  dernier  lieu,  le  savant  évêqueForbes  (f  1875)  a  publié 
l'ouvrage  intitulé  :  Kalendars  of  Scottish  saints,  1872.  Les  calendriers 
du  moyen  âge  sont  toujours  des  calendriers  perpétuels  ;  ils  donnent,  à 
côté  des  jours  des  calendes,  le  nombre  d'or,  parfois  aussi  le  jour  du 
mois  indiqué  par  un  alphabet  complet,  le  nombre  d'or  accompagné 
quelquefois  de  l'heure  de  la  nouvelle  lune  (voy.  l'explication  de  tous 
ces  termes  à  l'article  Chronologie  chrétienne),  les  saints,  qui  varient  avec 
les  Eglises  et  qui  sont  d'ordinaire  d'autant  plus  rares  que  le  calendrier 
est  plus  ancien,  et  les  fêtes  fixes,  ainsi  que  diverses  notions  astronomiques. 
Ils  sont  ordinairement  suivis  d'un  comput  pascal  (voy.  Pâques).  Gomme 
spécimen. d'un  splendide  ouvrage  de  ce  genre,  nous  pouvons  citer  les 
belles  Heures  d'Anne  de  Bretagne,  imprimées  en  fac-similé  par  Gurmer 
(2  vol.  in-4°,  1861).  Les  calendriers  anciens  en  langue  vulgaire  sont  peu 
nombreux  ;  les  livres  d'Heures  du  quinzième  siècle  en  montrent  un 
grand  nombre,  mais  on  n'en  connaît  point  d'allemands  qui  soient  an- 
térieurs au  quatorzième  siècle  ;  ceux  du  treizième  siècle,  en  français, 
sont  rares  ;  nous  en  indiquerons  ici  quelques-uns  :  Arsenal,  B.  L.  F. ,  283, 
de  l'an  1268;  Bibl.  nat.,  fr.  786  et  1802  (treizième  siècle).  Comparez  la 
publication  insuffisante  de  M.  Moland  {Revue  archéoL,  nouv.  série, 
V,  p.  89).  M.  P.  Meyer  a  publié  dans  la  Romania  (janvier  1877)  un  calen- 
drier bourguignon  du  commencement  du  quatorzième  siècle;  on 
en  voit  unjxanco-angiais  dans  Hampson.  On  doit  faire  mention  ici  des 
Computs  ou  traités  du  calendrier;  on  trouve  à  la  Bibliothèque   natio- 


CALENDRIER  CHRETIEN  517 

nale  (fr.  U2)  un  beau  comput  en  vers  français,  de  Tan  1285.  Au  bas 
des  pages  du  calendrier,  nous  lisons  souvent  certains  vers  mnémo- 
niques, qui  étaient  tort  utiles  pour  retenir  les  dates  des  saints;  le 
nombre  des  syllabes  y  marque  la  date  du  jour  :  on  les  appelle 
cisiojanus.  Ils  varient  à  l'infini.  On  a  même  imprimé,  en  1550,  un 
eisiojanus  protestant.  Le  cisiojanus  du  calendrier  de  Paris  commence 
ainsi  :  Cisi.  ge.  janus  epi.  sibi  guil.  dat  et  hyl.  fe.  mau.  mar.jul.;Prisca 
fab.  ag.  vincenti  paulus  iulique  bal.  On  reconnaît  ici  la  Circoncision, 
la  sainte  Geneviève,  l'Epiphanie,  etc.  Voici  le  cisiojanus  français  : 
«  En  janvier  que  les  roys  venus  sont,  Glaume  dit,  Fremin  morfont; 
Anthoine,  seb.,  ag.,  Vincent  boit,  Fol  doit  plus  qu'on  ne  lui  doit. 
A  Chandeleur  Agathe  vient,  à  Paris  y  m'en  souvient,  et  Julien  de 
Poissy,  Pierre,  Mathias  aussi...  »  —  III.  Eléments  superstitieux.  Dès 
l'an  354,  on  rencontre  dans  le  Chro?iographe  un  calendrier  astrologique 
où  nous  trouvons,  avec  les  influences  des  planètes,  l'origine  des  noms 
des  jours  de  la  semaine.  A  chaque  heure  est  attaché  le  nom  d'un  astre; 
les  jours  portent  le  nom  de  la  planète  qui  préside  à  leur  première 
heure,  en  comptant  à  partir  du  samedi,  au  lever  du  soleil  ;  Mars  et 
Saturne  sont  nuisibles,  Jupiter  et  Vénus  sont  bons,  Mercure,  le  soleil  et 
la  lune  sont  communs.  Ce  système  est  égyptien,  mais  dans  le  grand 
calendrier  de  354,  nous  trouvons  déjà,  notés  avec  soin,  ces  jours 
égyptiens  qui  se  perpétuent  à  travers  les  calendriers  du  moyen  âge,  où 
ils  sont  marqués  par  un  D,  et  parfois  accompagnés  de  l'heure  péril- 
leuse. On  a  pu  dire  qu'ils  sont  «  la  trace  du  combat  que  la  superstition 
a  longtemps  livré  à  la  foi  ».  On  trouve  dans  beaucoup  de  calendriers  les 
jours  égyptiens  marqués  dans  des  vers  assez  barbares  que  l'on  a  attri- 
bués à  Bède  : 

Si  tenebree  segyptus  graio  serraone  vocantur... 

ou  encore  : 

Prima  dies  mensis  et  septima  truncat  ut  ensis... 

Cette  superstition  n'a  rien  d'égyptien,  son  origine  est  toute  romaine  et 
ne  remonte  qu'au  temps  des  empereurs(Mommsen,  Corpus,  I,  p.  374  ; 
voy.  aussi  les  travaux  imparfaits  de  Court  de  Gébelin,  Le  Monde  Pri- 
mitif, 1773  ss.,  vol.  III,  et  de  M.  Loi seleu r,  Soc.  des  Antiquaires,  1872, 
p.  198).  Les  jours  périlleux  ou  maleurés,  auxquels  s'attachait  l'ignorance 
populaire,  ont  varié  cent  fois.  M.  Meyer  en  a  publié  plusieurs  listes 
{Jahrb.  f.  roman,  te.  engl.  Liter.,  Leipzig,  18G0,  p.  47;  voy.  aussi 
M.  Bonnardot,  Soc.  des  Anciens  Textes,  1876,  p.  73  ss.).  Voyez  aussi 
les  curieux  pronostics  contenus  dans  un  almanach  du  dixième  siècle 
(Hou chérie,  Rev.  des  langues  rom.,  1872,  p.  133).  Dans  quelques  ma- 
nuscrits, nous  trouvons  la  recommandation  du  vendredi  :  «  Au  jour  du 
vendredi  occit  Gain  Abel  son  frère...  »  A  cet  égard,  le  calendrier  nous 
montre  le  tableau  de  la  vie  populaire  mêlée  à  la  vie  de  l'Eglise.  — 
IV.  Almanachs.  On  peut  dire  que  le  plus  ancien  calendrier  a  été  im- 
primé à  Mayence  en  1456;  ce  sont  les  Conjunctiones  dont  la  Bibliothèque 
nationale  possède  un  fragment.  Mais  les  vrais  almanachs  n'apparaissent 
qu'en  1477  avec  la  Pronoiticatio  de  Jean  Laet,  et  avec  la  Prono&ticatio 


518  CALENDRIER  CHRETIEN 

de  Termite  alsacien  Jean  de  Lichtenberg  (1492,  Mayence),  à  laquelle 
Luther  n'a  pas  dédaigné  d'écrire  une  préface  (1527).  En  1475,  le  cé- 
lèbre astronome  Jean  de  Kœnigsberg,  dit  Regiomontanus,  avait  publié 
son  savant  Calendarium.  Ce  n'est  toutefois  qu'après  le  milieu  du 
seizième  siècle  qu'on  trouve  des  calendriers  établis  pour  une  année 
déterminée,  avec  les  fêtes  mobiles  et  les  jours  de  la  semaine.  Le  véri- 
table modèle  de  tous  les  almanachs  -  est  le  Compost  et  Kalendrier  des 
bergiers  (Paris,  1493),  cent  fois  imprimé  et  imité.  La  Bibliothèque  na- 
tionale en  possède  un  admirable  exemplaire  sur  vélin.  On  y  trouve 
l'hygiène,  l'astronomie,  la  morale,  et  jusqu'au  «  combat  de  deux 
hommes  d'armes  et  d'une  femme  contre  un  limaçon.  »  On  peut  voir 
aussi  le  [Calendrier  des  bergères,  pour  les  dames.  Le  médecin  provençal 
Michel  de  Nostredame,  dans  les  prédictions  duquel  on  a  cru  voir  la 
Saint-Barthélémy  annoncée  (Lyon,  1555,  etc.),  Mathieu  Lansbert,  per- 
sonnage fort  mystérieux  (Liège,  1636),  n'ont  fait  qu'imiter  le  Calen- 
drier des  bergers,  duquel  découle  toute  cette  misérable  litttér attire  qui 
ne  fait  que  commenter  le  vieil  adage  : 

Ungues  Mercurio,  barbam  Jove,  Cypride  crines. 

(voy.  Warzée,  Rech.  sur  les  Almanachs  belges,  1852,  extrait  du  Biblio- 
phile Belge;  Ch.  Nisard,  Les  Livres  populaires,  2e  édit.,  I  ;  Brunet,  Ma- 
nuel du  Libraire,  5e  édit.,  etc.).  —  V.  Les  Calendriers  protestants.  Dès 
ses  premiers  jours,  la  Réforme  s'est  appliquée  à  détourner  l'attention 
du  peuple  de  la  superstition  vers  la  piété.  L' Almanach  spirituel  et  per- 
pétuel, nécessaire  à  tout  homme  sensuel  et  temporel,  que  l'on  peut  croire 
imprimé  chez  P.  de  Wingle  vers  1533,  ne  contient  pas  de  calendrier, 
mais  il  renferme  des  préceptes  et  des  versets  de  la  Bible  (in-32, 16  ff.). 
En  1550,  un  théologien  de  Wittemberg,  Paul  Eber,  publie  dans  cette 
ville  le  Calendarium  lus toricum,  savant  ouvrage  où  l'on  trouve  des  éphé- 
mérides  bien  choisies,  mais  où  un  certain  nombre  de  saints  ont  con- 
servé leur  place.  Le  Calendrier  historial,  que  nous  trouvons,  par  exemple, 
en  tète  du  Psautier  (Genève,  1566,  in-32,  caract.  civilité),  et,  un  peu 
différent,  à  la  suite  de  la  Bible  (F.  Estienne,  1567,  in-8°),  en  est  une 
imitation.  M.  Fick  a  réimprimé,  en  1866,  un  curieux  almanach  de 
Genève  pour  l'an  1573  ;  c'est  encore  un  calendrier  perpétuel,  mais 
déjà  il  est  disposé  pour  l'année  indiquée  ;  à  côté  des  jours  de  cène 
à  Genève,  il  donne  encore  seize  fêtes  de  la  Vierge  et  des  saints,  et 
les  Quatre-Temps.  On  voit  par  là  combien  a  été  persistante,  même 
dans  l'Eglise  calviniste,  la  commémoration  des  saints,  dont  plusieurs 
sont  encore  célébrés  dans  les  Etats  protestants  de  l'Allemagne.  Depuis 
la  Réforme,  les  calendriers  allemands  ont  tous  conservé  la  liste  des 
saints,  retouchée  arbitrairement  et  variant  sans  règle  ni  raison.  Un  pro- 
fesseur de  Berlin,  M.  Piper,  a  essayé  d'introduire  un  ordre  et  une 
pensée  dans  ce  que  l'on  a  appelé  le  Calendrier  Evangélique  ;  il  a  publié, 
de  1850  à  1869,  une  série  d'almanachs  (Evang.  Kalender),  où  des  disser- 
tations sur  la  liturgie  se  joignent  à  la  biographie  des  personnages  dont 
les  noms  ont  été  conservés.  Cette  tentative  n'a  pas  été  encouragée  par 
le  sentiment  populaire.  Une  semblable  entreprise  a  été  tentée  par  deux 


CALENDRIER  —  CALICE  519 

almanachs  moraux  et  religieux  publiés  en  Alsace,  le  Guter  Bote  (1852) 
etYAlmanach  des  Familles  (depuis  1852;  aujourd'hui  à  Nancy).  Nous 
ne  manquerons  pas  de  nommer  ici  YAlmanaek  des  Bons  Conseilt  (de- 
puis 1826),  qui  mente  sou  nom.  Dans  l'Eglise  anglicane,  la  liste  des 
saints  du  calendrier  a  été  révisée  en  1662;  les  plus  récents  éditeurs  du 
Prayer-Book  ont  pris  sur  eux  d'effacer  les  noms  de  tous  les  saints  qui 
ne  se  trouvent  pas  dans  la  Bible,  mais  la  grande  édition  de  ce  livre 
liturgique,  laite  en  1819  par  les  soins  de  YEcclesiastical  History  So- 
ciety, a  rétabli  le  calendrier  officiel  de  l'Eglise  d'Angleterre.  —  VI.  Ca- 
lendriers orientaux.  Ne  pouvant  entrer  ici  dans  leur  étude,  nous  nous 
bornons  à  renvoyer  le  lecteur  aux  dissertations  d'Assemani  dans  ses 
Kaiendaria  Ecclesùe  umversas  (Home,  175o,  0  vol.  in-'±°;  voir  notre 
Enct/cl.,  I,  p.  648),  du  P.  Martinov  {AA.  SS.,  oct.,  XI),  et  du  P.  de 
Huek,  dans  la  Bibl.  de  la  Comp.  de  Jésus  de  deBacker,  2eédit.,  III,  1876, 
p.  383,  ainsi  qu'à  Y Iatroductio  ad  Hisl.  Eccl.  du  P.  de  Smedt,  Gand, 

1876,  p.  195.  —  Sources  :  Il  n'existe  aucun  traité  complet  du  calendrier  : 
au  reste  aucun  livre  ne  pourrait  remplacer  à  cet  égard  l'étude  des  ma- 
nuscrits. On  consultera  avec  avantage  le  Glossaire  des  Dates,  publié  dans 
l'Introduction  de  Y  Art  de  vérifier  les  Dates  et  dans  la  Paléographie  de 
M.  deWailly  (Paris,  1838,  in-4°,  I),  et  celui  que  donne  Grotefend  (Handb. 
d.  ChronoL,  Hanovre,  1872,  in-4°)  ;  voy.  surtout  de  Buck,  Rech.  sur  les 
Calendriers  ecclésiastiques,  dans  les  Précis  historiques  des  Pères  jésuites, 

1877,  janvier-mars;  Piper,  Kirchenrechnung,  1841,  in-4°  ;  le  même, 
art.  Kalender  dans  Herzog,  vol.  VII.  S.  Berger. 

CALICE  (xor^piGVj  calix),  en  terme  de  liturgie,  est  un  vase  sacré  qui 
sert  lors  de  la  célébration  delà  sainte  cène.  A  l'origine  ces  vases  étaient 
t lès-grands,  en  verre,  en  bois  ou  en  métal,  garnis  de  deux  anses  par 
lesquelles  les  diacres  les  retenaient  en  les  passant  aux  fidèles.  Decrainte 
d'en  répandre  le  contenu j  l'usage  s'introduisit,  vers  la  lin  du  huitième 
siècle,  de  munir  le  calice  d'un  tuyau  ou  chalumeau  {calamus,  arundo, 
fistula  eucharistie,  canna),  par  le  moyen  duquel  les  fidèles  buvaient  le 
sang  précieux  de  l'eucharistie.  Les  conciles  de  Londres  (1175)  et  de 
Rouen  (1189)  défendirent  l'emploi  de  calices  autres  que  ceux  en  argent 
ou  en  or.  Leur  poids  variait.  On  en  trouve  dans  les  trésors  et  les  sacris- 
ties de  plusieurs  églises  qui  sont  d'un  volume  si  considérable  que 
l'on  n'a  jamais  dû  s'en  servir  :  ce  sont  des  dons  faits  par  des  princes 
pour  servir  d'ornement.  L'évêque  seul  a  le  droit  de  consacrer  les  cali- 
ces. Le  sang  de  Jésus-Christ  étant  déjà  contenu  dans  son  corps,  offert 
aux  fidèles  dans  l'hostie,  l'Eglise  jugea  utile  de  restreindre  aux  seuls 
prêtres,  comme  les  successeurs  des  apôtres,  l'invitation  de  Jésus-Christ  : 
\V.i~i  ï'z  zj-.zj  r.xr.zz  iMaltli.  XXVI,  27).  Ce  n'est  qu'au  commencement 
du  treizième  siècle  que  lut  consommé  le  rapt  du  calice  (voyez  l'article 
Cène)t  contre  lequel  protestèrent  les  hussites  et  que  confirmèrent  les 
conciles  de  Constance  et  de  Trente,  ad  vitanda  pericula  et  scan- 
dala  (sess,  2i,  can,  ï),  bien  que  celui  de  Baie,  pour  désarmer 
les  calixtins,  enl  décrété  que  le  calice  pouvait  être  accordé  am  laïque*, 
tuaderitibui  causa  rationalibus.  Luther  rétablit  la  communion  sous  ics 
deux  espèces  lors  de  la  referme  du  culte  à  Wittemberg  en   1523  (voy* 


520  CALICE  —  CALIXTE  II 

Sermon  vom  hoéhwvrd.  Sahrament  des  Leichnams  Chrisii,  1519,  etConf. 
August,  pars  II,  1).  Son  exemple  fut  suivi  par  les  autres  Eglises  de  la 
Réforme.  Zwingle  prescrivit  le  retour  aux  calices  en  bois,  usage  qui 
s'est  conservé  dans  la  plupart  des  Eglises  de  la  Suisse.  D'après  le  rite 
réformé,  infiniment  plus  rationnel,  le  calice  passe  de  main  en  main, 
tandis  que,  dans  les  communautés  luthériennes,  c'est  le  pasteur  offi- 
ciant qui  le  présente  à  chaque  fidèle.  Dans  l'Eglise  grecque  le  pain  est 
trempé  dans  le  vin  et  offert  sur  une  cuiller  aux  communiants.  Cet 
usage,  pratiqué  en  Occident  pour  les  communions  de  malades,  ne  s'y 
est  pas  maintenu  (voy.  Dongthœus,  De  calicibus  eucharisticis  veter. 
christianorum,  Brém.,  1694  ;  Spittler,  Gesch.  des  Kelchs  im  Abendm., 
Lemgo,  1780).  —  Dans  la  Bible,  le  mot  de  calice  est  souvent  employé 
dans  un  sens  métaphorique  pour  désigner  la  destinée  bonne  ou  mau- 
vaise (cette  dernière  plus  fréquemment)  réservée  aux  hommes  :  les 
bienfaits  de  Dieu  sont  comparés  à  un  breuvage  doux  et  agréable  et  pour 
lequel  on  le  bénit  (coupe  de  bénédiction,  d'actions  de  grâce,  de  satiété, 
etc.),  et  ses  châtiments  à  un  breuvage  amer  qu'il  faut  avaler  (Ps.  X,  7; 
XV,  5;  LXIV,  9;  CXV,  13;  Jérém.  XVI,  7;  XXV,  15;  Matth.  XX,  22; 
XXVI,  39;  Luc  XI,  39;  1  Cor.  X,  16;  XI,  25). 

CALIXTE  Ier.  pape.  Voyez  Calliste. 

CALIXTE  II  (1119-1124).  Gélase  II  étant  mort  à  Cluny,  les  cardinaux 
présents  en  ce  lieu  élurent  l'archevêque  de  Vienne,  Guy  de  Bourgogne, 
adversaire  déclaré  de  l'empereur  dont  il  était  parent  éloigné  ;  acclamé 
par  les  Romains,  l'élu  fut  reconnu  par  les  évoques  allemands  réunis  à 
Tribur.  Aussitôt  le  pape  se  préoccupa  de  mettre  fin  à  la  querelle  des 
investitures  ;  il  convoqua  un  concile  à  Reims  pour  le  mois  d'octobre, 
il  envoya  des  ambassadeurs  à  Henri  V,  et  se  disposa  à  aller  au  devant 
de  lui.  L'évêque  de  Châlons  et  l'abbé  de  Cluny  rencontrèrent  l'em- 
pereur à  Strasbourg.  «  Si  vous  voulez  avoir  la  paix,  sire  roi,  lui  dit 
l'évêque,  il  vous  faut  renoncer  absolument  à  l'investiture  des  évêchés 
«t  des  abbayes.  Mais  sachez  que  votre  autorité  n'en  sera  point  dimi- 
nuée, car  pour  moi,  qui  suis  évêque  au  royaume  de  France,  je  n'ai  reçu 
aucune  investiture  de  la  main  du  roi,  et  pourtant  je  lui  rends  les  devoirs 
d'un  fidèle  vassal.  »  «  Eh!  s'écria  l'empereur,  c'est  tout  ce  que  je  de- 
mande. »  Henri  V  était  sur  le  point  d'accepter  la  paix  sur  ces  bases,  il 
avait  même  promis  d'abandonner  l'investiture,  mais  au  dernier  mo- 
ment les  négociations  furent  rompues,  et  le  concile,  renouvelant  les 
anciens  décrets  contre  ce  qu'on  appelait  la  simonie,  interdit  absolument 
«  toute  investiture  des  évêchés  et  des  abbayes  par  la  main  laïque  »,  et 
excommunia  solennellement  Henri  V  et  l'antipape  Bordinho  (Gré- 
goire VIII),  qui  occupait  encore  Rome.  Cependant,  quittant  la  France, 
Calixte  s'en  va  chasser  l'antipape;  Burdinus  est  saisi  et  traîné  ignomi- 
nieusement sur  un  chameau  à  travers  les  rues  de  Rome  ;  puis  on  l'en- 
voya mourir  (1125)  en  prison.  Le  pape,  vainqueur,  humilia  la  noblesse 
romaine,  et  fit  raser  les  tours  menaçantes  du  seigneur  Cencius.  Mais  la 
nation  allemande  était  lasse  de  la  lutte,  et  à  la  diète  de  Wurtzbourg  les 
Etats  demandèrent  à  l'empereur  de  se  soumettre.  Henri  V  obéit.  Le 
concordat  de  Worms,  signé  le  23  septembre  1122,  mit  fin  à  la  querelle. 


CALIXTE  II  —  CALIXTE  III  521 

Le  pape  y  accordait  à  l'empereur  l'investiture  des  iiefs  royaux  «  par 
le  sceptre  »,  et  l'empereur  «  abandonnait  à  Dieu,  aux  saints  apôtres 
Pierre  et  Paul  et  à  la  sainte  Eglise  catholique  toute  investiture  par  la 
crosse  et  l'anneau,  et  il  permettait  que  dans  toutes  les  Eglises  de  son 
empire  l'élection  se  fit  canoniquement  et  que  l'élu  fût  consacré  libre- 
ment ».  Telle  fut  la  fin  de  la  querelle  des  investitures.  —  On  lira  dans 
Watterich  la  vie  de  Calixte  par  Pandulphe  d'Alatri  et  par  Boson,  et  le 
récit  du  concile  de  Reims  rédigé  par  un  témoin  oculaire,  Hesson  l'éco- 
làtre.  —  Voyez  :  Baluze,  MiscelL,  I,  137,  éd.  Mansi;  Papencordt, 
p.  244;  Gregorovius,  IV;  Raumer,  Hohenst.,  I,  195,  3e  éd.;  Robert, 
/;'/.  sur  les  actes  de  Cal.  11,  P.,  1874,  in-8°.  s-  Berger. 

CALIXTE  III,  antipape.  Voyez  Alexandre  III. 

CALIXTE  III.  Alfonse  Borgia,  cardinal-évôque  de  Valence,  élu  pape 
à  1  âge  de  soixante-dix-liuit  ans,  le 8  avril  1455,  couronné  le  20,  déploie 
tout  d'abord  un  grand  zèle  pour  la  croisade,  envoie  des  prédicateurs 
par  toute  l'Europe  pour  réveiller  l'ardeur  religieuse  et  guerrière  des 
chrétiens;  la  victoire  de  Belgrade  suivie  de  la  retraite  de  Mahomet  II 
ne  donne  pas  les  heureux  résultats  qu'on  avait  espérés.  Le  grand 
Hunyad  et  Jean  Capistrano  meurent  en  1456,  la  flotte  pontificale  en- 
voyée dans  les  mers  de  Grèce  reste  inactive  et  le  pape  lui-même, 
délaissant  les  intérêts  de  la  chrétienté,  consacre  tous  ses  soins  à  la 
grandeur  de  sa  famille.  Rome  assiste  sous  Calixte  III  à  tous  les  scan- 
dales du  népotisme  :  deux  des  neveux  de  Calixte  (Rodrigue  Lenzuoli, 
le  futur  Alexandre  VI,  était  du  nombre)  sont  créés  cardinaux  et 
pourvus  des  charges  les  plus  lucratives;  un  troisième,  Pierre,  est 
nommé  duc  de  Spolète,  général  des  troupes  du  saint-siége,  gouver- 
neur de  Saint-Ange  et  préfet  de  Rome  ;  s'il  n'eût  dépendu  que  de  lui, 
Calixte  lui  eût  donné  la  couronne  de  Naples.  En  effet,  à  la  mort  d'Al- 
fonse,  sans  tenir  compte  des  bulles  pontificales  qui  assuraient  la  suc- 
cession aux  enfants  mâles  de  ce  prince  et  qu'Eugène  IV  avait  publiées 
sur  les  instances  de  Borgia  lui-même,  celui-ci  déclare  le  royaume 
dévolu  au  saint-siége  et  invite  les  prétendants  à  se  pourvoir  devant  les 
tribunaux  ecclésiastiques  ;  en  même  temps  il  essaie  de  gagner  Sforza 
qui  refuse  de  trahir  la  maison  d'Aragon  et  d'en  partager  les  dépouilles 
avec  le  neveu  du  pape.  Calixte  tint  bon  néanmoins  et  se  disposait  à 
faire  la  guerre  à  Ferdinand  lorsque  la  mort  le  surprit,  le  6  août  1458. 
Calixte,  indifférent  sinon  hostile  aux  lettres  et  aux  arts,  vendit  ou 
donna  la  plus  grande  partie  de  la  bibliothèque  fondée  par  Nicolas  V 
(on  achetait  pour  des  carlins  des  livres  qui  avaient  coûté  des  florins 
d'on,  découragea  les  savants  et  les  artistes,  abandonna  les  travaux 
commencés  sous  son  prédécesseur.  Son  pontificat  n'est  marqué  que 
par  la  restauration  de  Santa-Prisca  sur  l'Aventin  et  la  réparation  du  mur 
d'enceinte.  L'acte  le  plus  honorable  auquel  Calixte  III  ait  attaché  son  nom, 
ce  fut  le  procès  de  réhabilitation  de  Jeanne  d'Arc.  Dès  après  son  entrée 
à  Rouen,  Charles  VII  avait  ordonné  une  enquête  sur  le  procès  «moyen- 
nant lequel  les  Anglais  avaient  fait  mourir  Jeanne  iniquement  et  très- 
cruellement  (1449)  »  :  d'Kstouteville,  légat  et  archevêque  de  Rouen,  qui 
était  chargé  au  nom  du  pape  de  réconcilier  la  France  et  l'Angleterre, 


522  CALIXTE  III  —  CALIXTE 

ouvrit  d'office  l'instruction  ;  mais  pour  commencer  le  procès  il  fallait 
obtenir  l'autorisation  de  la  cour  de  Rome,  et  pour  décider  celle-ci  il 
fallait  lui  permettre  de  faire  justice  sans  qu'elle  parût  prendre  parti 
contre  les  Anglais;  Charles  VII  s'efface,  met  en  avant  Ja  famille  de 
Jeanne  dont  la  requête  est  accueillie  par  Galixte  III;  celui-ci,  par  un 
rescrit  apostolique  daté  du  11  juin  1455,  ordonne  la  révision  du  pro- 
cès et  en  confie  le  soin  à  l'archevêque  de  Rouen,  aux  évêques  de  Paris 
et  de  Coutances  assistés  d'un  inquisiteur.  Dès  après  la  mort  deCalixte 
des  désordres  éclatent  à  Rome  :  ses  favoris  sont  arrêtés  ou  mis  à  mort, 
son  neveu  Pierre,  obligé  de  s'enfuir  à  Civita-Vecchia  ;  le  soir  de  l'élec- 
tion de  Pie  II,  toute  la  ville  illumina,  tant  elle  était  heureuse  d'être  débar- 
rassée des  Catalans.  Malheureusement,  Calixte  III  laissa  son  immense 
fortune  à  son  neveu  Rodrigue.  —  Voyez  :  Platina  ap.  Muratori,  B.  1. 
Scriptores,  XXV,  961-966;  Filelfo,  Epist.  XIII,  1,  et  Vespasiano  fioren- 
tino. 

CALIXTE  (George)  [1586-1656],  un  des  théologiens  les  plus  distingués 
de  l'Allemagne  au  dix-septième  siècle,  continua  dans  l'Eglise  luthé- 
rienne les  traditions  de  Mélanchthon  et  prépara  la  réforme  de  Spener. 
Originaire  du  Schleswig,  élevé  par  son  père,  qui  avait  suivi  les  leçons 
du  prxceptor  Germanise,  dans  la  haine  d'un  confessionalisme  étroit, 
nourri  au  gymnase  de  Flensbourg  et  à  l'université  de  Helmsta3dt 
d'études  philologiques  et  philosophiques  solides,  grâce  aux  leçons  de 
l'humaniste  Jean  Gaselius  et  de  CornéliusMartini,  l'aristotélicien,  Calixte 
compléta  son  éducation  scientifique  par  des  voyages  en  Angleterre,  en 
Hollande,  en  Italie  et  en  France,  visitant  les  savants  et  les  bibliothèques 
et  élargissant  l'horizon  de  sa  pensée  dans  le  commerce  avec  des 
hommes  éminents  appartenant  à  toutes  les  communions.  De  retour  à 
Helmstaedt,  il  fut  appelé  en  1614  à  y  enseigner  la  théologie.  Rien  qu'at- 
taché de  cœur  au  luthéranisme,  il  avait  acquis  la  conviction  que  les 
doctrines  fondamentales  du  christianisme  étaient  professées  dans  toutes 
les  Eglises  chrétiennes,  et  que  dès  lors  rien  ne  devait  s'opposer  au 
rapprochement  mutuel  de  leurs  membres.  C'est  surtout  à  partir  de 
1629  que  Calixte  développa  cette  tendance  irénique,  en  exhortant  les 
diverses  communions  à  reconnaître  que  les  vérités  nécessaires  au  salut 
étaient  contenues  dans  le  symbole  apostolique  et  dans  les  écrits  des 
docteurs  et  des  Pères  des  cinq  premiers  siècles,  et  en  les  sollicitant  à  se 
confédérer  en  vue  d'une  fusion  future  de  toutes  les  Eglises  particulières 
(voy.  entre  autres  le  Proœmium  au  traité  de  saint  Augustin  De  doctrina 
christiana  et  au  C ommonitorium  de  Vincens  de  Lérins,  Helm.,  1629,  la 
Disputaliode  auctoriiate  antîquitatis  ecclesiasticœ,  1639,  et  le  Desiderium 
et  \studium  concordiœ  ecclesiasticœ,  1650).  Cet  appel  à  la  concorde,  au 
milieu  d'un  siècle  où  l'étroitesse  et  l'intolérance  dogmatiques  régnaient 
encore  en  souveraines,  devait  rencontrer  une  vive  opposition.  La  part 
que  prit  Calixte  au  colloque  de  Thorn  (1645),  où,  repoussé  par  les  luthé- 
riens, il  se  joignit  aux  réformés,  fut  le  signal  d'une  attaque  générale  de  sa 
doctrine  et  de  celle  de  ses  disciples,  flétrie  sous  le  nom  déjà  odieux  aux 
luthériens  de  syncrétisme  (voy.  cet  article).  Ses  principaux  adversaires 
étaient  le  prédicateur  Statius  Rucher  de  Hanovre,  qui  accusa  Calixte  de 


CALIXTi:  523 

crypto-papisme [Crypto-Papismus novae theologix  Helmsfadiensis,  llamb., 
1640),  Hoc  de  Hoënegg  et  Jacob  Weller,  de  Dresde,  Dannhauer,  de 
Strasbourg,  et  Abraham  Calov,  depuis  1650  professeur  et  surintendant 
général  à  Wittemberg  ;  mais  ils  ne  surent  point  donner  à  leurs  at- 
taques le  caractère  d'une  lutte  de  principes,  se  bornant  à  des  escar- 
mouches  stériles,  comme  par  exemple  de  reprocher  à  Calixte  de  n'avoir 
pas  mi  découvrir  la  doctrine  de  la  Trinité  dans  l'Ancien  Testament, 
d'avoir  négligé  en  parlant  des  fruits  de  la  foi  les  termes  consacrés,  et 
d'appuyer  inconsidérément  les  doctrines  chrétiennes  par  des  arguments 
tirés  de  la  philosophie  et  des  autres  religions,  ce  qui  constitue  essen- 
tiellement à  leurs  yeux  le  crime  de  syncrétisme.  C'està  tort  aussi  qu'ils 
accusaient  Calixte  de  se  complaire  dans  le  vague  et  dans  l'indifférence 
en  matière  de  dogme.  Si,  dans  sa  carrière,  il  a  principalement  pour- 
suivi un  but  irénique,  il  n'a  pas  cessé  néanmoins  d'entretenir  une 
polémique  vigoureuse  contre  les  erreurs  des  Eglises  particulières  qui 
lui  semblaient  un  obstacle  à  l'union  qu'il  rêvait.  C'est  ainsi  qu'il 
démasque  avec  une  franchise  impitoyable  les  hérésies  de  l'Eglise  catho- 
lique (voy.  surtout  De  ponttfictô  missœ  sacrificio,  1614  ;  De  religiow 
adoratione  dispui.,  1023;  De  conjugio  clericorum,  1631;  De  visibili 
ecclesiastica  monarc/n'a,  1643;  De  primatu  Rom.  Pont.,  1650,  etc.).  11 
combat  de  même  la  doctrine  de  la  prédestination  des  réformés,  celle 
de  l'ubiquité  et  du  péché  originel  des  luthériens  stricts.  Les  contro- 
verses dans  lesquelles  Calixte  fut  engagé,  et  qui  constituent  le  côté 
principal  de  son  activité  littéraire,  n'absorbèrent  pas  cependant  tout 
son  temps.  Parmi  les  autres  écrits,  qui  dénotent  mieux  peut-être  encore 
que  ses  traités  de  polémique  la  pénétration  de  son  esprit  et  la  largeur 
féconde  de  ses  vues,  nous  citerons  son  Apparatits  théologiens  (1628), 
dans  lequel  il  énumère  les  connaissances  que  doit  posséder  celui  qui 
aspire  au  titre  de  théologien ,  et  la  méthode  qu'il  doit  suivre  clans  ses 
études;  sa  Theologia  mora/z^ (1634),  où,  tout  en  traitant  d'une  manière 
séparée  les  matières  qui  constituent  la  morale  chrétienne,  il  montre 
son  lien  intime  avec  la  dogmatique,  et  en  particulier  avec  la  soté- 
riologie  d'où  elle  découle;  ses  commentaires  sur  l'Ancien  et  sur  le 
Nouveau  Testament  (Lucubrationes  ad  quorundam  V.  T.  librorwn  intel- 
ligentiam  facientes,  édit.  par  son  fils,  Helmst.,  1665  ;  Expositiones  lite- 
raies,  Concordai  evangeliorum,  etc.),  ainsi  que  ses  monographies  sur 
les  principaux  articles  de  la  dogmatique  qui  dénotent,  dans  la  partie 
historique,  des  connaissances  et  une  intuition  du  développement  orga- 
nique du  dogme  très-rare  à  cette  époque.  Le  côté  faible  de  la  théologie 
de  Calixte,  c'est,  d'une  part,  sa  théodicée,  et  le  rapport  peu  heureux 
qu'il  établit  entre  les  manifestations  naturelles  et  la  révélation  surna- 
turelle de  Dieu,  entre  les  lumières  de  la  raison  et  celles  que  nous  rece- 
vons par  la  loi  (voy.  surtout  Epitome  theqlogiœ,  L619),  et,  d'autre  part, 
L'autorité  qu  il  attribue,  à  côté  de  la  Bible,  au  symbole  des  apôtres  età 
la  tradition  de  l'Eglise  qui  n  est  le  commentaire,  mais  qu'il  limite 
d'une  manière  arbitraire  aux  cinq  premiers  siècles  (Z)e  auctoritate  Scrtp» 
taré  .s.,  1654).  —  Sources  :  Frédéric-Ulrich  Calixte  (1622-1701)  a  pré- 
paré  une  édition  complète  des  œuvres  de  son   père  qu'il   n'a  pas 


524  CALIXTE  —  CALLISTE 

achevée;  mais  il  en  a  donné  une  description  intéressante  dans  son 
Catalogus  operum  CalixtL  De  nombreux  manuscrits  se  trouvent  dans  les 
bibliothèques  de  Wolfenbùttel,  de  Gœttingue,  de  Darmstadt  et  de 
Hambourg.  Voyez  surCalixte  :  Moller,  Cimbrialiterata,  III,  p.  121-210; 
H.  Schmid,  Gesch.  der  synkret.  Streitigk.in  der  ZeitdesG.  Calixt,  Erl., 
1846;  Gass,  Calixt  u.  der  Synkret.,  Bresl.,  1846;  Baur,  Ueberden  Cha- 
rakter  u.  die  gesch.  Bedeutung  des  Calixt.  Synkret.,  Theol.  Jahrb.,  Vil, 
H.  2,  p.  163  ss.  ;  Henke,  Calixtus  u.  seine  Zeit,  Halle,  1853-56, 
2  vol.  ;  id. ,  Calixtus  Briefwechsel,  Halle,  1833  ;  Iena,  1835  ;  Marb. ,  1840. 

F.    LlCHTENBERGER. 

CALIXTINS.  Voyez  Bohème. 

CALLENBERG  (Jean-Henri),  né  le  12  janvier  1694,  dans  le  duché  de 
Gotha,  lit  ses  études  à  Halle,  où  il  devint  en  1727  professeur  extraor- 
dinaire de  philologie  et  en  1735  professeur  ordinaire,  enfin  en  1739 
professeur  ordinaire  de  théologie  et  de  langues  orientales.  Sous  l'in- 
fluence  de  Francke,  il  s'intéressa  de  bonne  heure  à  l'œuvre  des  mis- 
sions et  fonda  en  1728  un  établissement  à  Halle  pour  travailler  à  la 
conversion  des  juifs;  il  y  recevait  des  prosélytes,  envoyait  des  mission- 
naires en  divers  pays  et  faisait  imprimer  dans  la  typographie  orien- 
tale qu'il  avait  organisée  un  grand  nombre  de  petits  ouvrages  en  hé- 
breu et  diverses  autres  langues  pour  les  distribuer  aux  juifs.  Il  s'occupa 
aussi  de  l'évangélisation  des  mahométans  et  publia  à  leur  intention 
des  traités  en  arabe.  Callenberg  mourut  le  16  juillet  1760;  son  institut 
lui  survécut  jusqu'en  1791,  où  il  fut  réuni  aux  fondations  de  Francke. 
Dreyhaupt  (Beschreibung  des  Saalkreises ,  Halle,  1749-51,  in-fol.,  II, 
p.  46)  donne  des  détails  sur  les  instituts  de  Callenberg  et  les  ouvrages 
qui  y  ont  été  imprimés  dans  les  commencements.  Callenberg  lui- 
même  a  rendu  compte  de  son  œuvre  dans  plusieurs  ouvrages  ;  il  en  a 
composé  aussi  quelques-uns  sur  la  littérature  arabe ,  etc.  On  en  trou- 
vera l'indication  dans  Dreyhaupt,  1.  c,  p.  44  et  600;-  Moser,  Beytrag 
zueinem  Lexicon  der  evang.  Theologen,  1740;  Adelung,  Fortsetzung  zu 
Jœchers  Lexicon,  Leipz.,  1784,  t.  1;  Meusel,  Lexicon  der  verstorbenen 
Teulschen  Schrifsteller,  t.  II,  18Q3.  A.  Bernus. 

CALLISTE  (Saint)  fut  évêque  de  Rome  de  217  à  222.  A-t-il  été 
martyr?  Ses  Actes,  produit  sans  valeur  (A A.  SS.,  14  oct.,  VI),  racon- 
tent qu'il  fut  précipité  d'une  fenêtre,  au  Transtévère,  et  en  effet  nous 
savons  qu'il  fut  enterré  près  de  là,  sur  la  voie  Aurélienne,  au  cimetière 
de  Calepodius.  M.  de  Rossi  (Rom a  Sott.,  II,  51)  et  des  auteurs  sérieux 
(Moretto,  De  S.  Callisti  ejusq.  basilica  S.  Mariœ  trans  Tib.,  Rome, 
1752,  2  vol.  in-fol.  )  acceptent  ce  récit,  mais  d'autres  croient  que 
Calliste  n'a  mérité  le  titre  de  confesseur  que  par  son  exil  en  Sardaigne 
(  Lipsius,  Chronol.,  1869,  p.  176  ss.).  Or  le  livre  des  Philosophoumena, 
publié  en  1851  par  M.  Miller,  a  répandu  contre  cet  évêque  les  accusa- 
tions les  plus  graves.  Ce  livre,  qui  paraît  l'œuvre  d'Hippolyte  (voy.  ce 
nom),  compétiteur  de  Calliste,  nous  dit  que  cet  homme  était  esclave; 
ayant  trompé  la  confiance  de  son  maître  et  ayant  dissipé  les  épargnes 
que  lui  avaient  confiées  les  fidèles,  il  s'en  alla  insulter  les  juifs  pour 
mériter  le  nom  de  martyr  et  se  fit  condamner  aux  mines  de  Sardaigne. 


CALLISTE  525 

Avant  su  obtenir  sa  grâce,  Calliste  fut  de  nouveau  exilé  par  l'évêque 
Victor;   mais  sous   Zéphyrin,    nous   le   retrouvons  dans    une   haute 
position.  L'évêque,  nous  est-il  dit,  a  Le  préposa  au  cimetière  »,  c'est-à- 
dire  qu'il  le  lit  diacre  et  syndic  des  iidèles,  qui,  comme  corporation, 
avaient  le  droit,  d'après  les  lois,  de  posséder  un  cimetière  collégial  : 
en  effet,  le  plus  beau  cimetière  de  la  Home  souterraine   (voy.   Cata- 
combes) a  conservé  son  nom.  Après  Zéphyrin,  Calliste  est  élu  pape,  et 
on  lui  reproche  toutes  les  hérésies.  Obligé  de  condamner    Sabellius 
dont  il  partage  les  erreurs,  il  mêle  à  la  doctrine  de  cet  hérétique  celle 
de  Théodote;  il  dit  «  qu'il  peut  remettre  à  tous  leurs  péchés».  Il  décida 
«que  si  un  évoque  péchait,  même  mortellement,  il  ne  devait  pas  être 
déposé  »  ;  de  son  temps,  on  commença  à  voir  des  évêques  bigames  et 
trigames;  il  permit  aux  femmes  d'avoir  un  amant.  L'école  des  callis- 
tiens  subsista  et  garda  le  nom  de  son   chef.  «  Ces  hommes,  s'écrie 
l'accusateur,  tentèrent  de  s'appeler  l'Eglise  catholique  »    (Refut.omn. 
H;vr.,  éd.  Duncker,  II,  11  s.)  Ces  accusations  capitales  contre  l'hon- 
neur et  l'orthodoxie  d'un  des  plus  vénérés  parmi  les  évêques  de  Rome, 
oubliées  pendant  de  longs  siècles,  avaient  pourtant  laissé  quelque 
trace  :  dans  le  premier  texte  du  Livre  des  Papes,  en  530,  nous  trouvons 
le  nom  de  Calliste  parmi  ceux  des  hérétiques  condamnés  par  Silvestre; 
une  fausse  décrétai e  lui  attribue  l'opinion  mentionnée  plus  haut  sur  la 
déposition  des   prêtres  ;  Théodoret  cite  un  certain  Calliste  parmi  les 
sabelliens  et  Tertullien  parait  faire  allusion  à   son  faux  martyre.  Il 
est  vrai  que  l'on  a  retrouvé  la  source  apocryphe  où  le  Liber  Pontificalis 
a  puisé  ses  accusations  contre  Calliste.  M.  de  Bunsen  (Hippol.  u  seine 
Zeit,    Leipz.,    1852;  2e    édit.   angl.,    Londres,    1854),   et  après  lui 
Wordsworth  (1853),  Baur  (Jahrb.,  1853  s.),  Volkmar   (1855),  M.  de 
Pressensé  (Rev.  chrét.,  1856)  ont  abondé  dans  le  sens  de  l'accusation. 
D'autre  part  Dcellinger  (Hipp.  u.  KalL,  Ratisb.,  1853),  l'abbé  Cruice 
(El.  sur  les  Philosophoumena,  Paris,  1853),  l'abbé  Le  Hir  (Et.  reliy.  des 
PP.  Jésuites,  1865)  et  Armellini  (De  Prisca  Refut.  ffœr.,  Rome,  1862) 
ont  embrassé  la  défense  de  l'évêque  de  Rome  dans  des  travaux  d'une 
grande  érudition,  auxquels  M.  de  Rossi,  dans  une  étude  digne  de  ce 
maitre  (Bulletino  di  Archeologia  cristiana,  IV,  1866,    in-4°,  Rome),  a 
mis  le  couronnement.  Les  auteurs  catholiques  ont  soutenu   que  la 
haute  estime  où  fut  tenu   Calliste  ne  permettait  pas   d'admettre  les 
accusations  passionnées  qu'un  rival   a  portées  contre  ses  mœurs;  le 
concubinat  qu'il  permit  aux  femmes  nobles,  ont-ils  dit,  n'était  que  la 
bénédiction,  par  l'Eglise,  du  mariage  des  femmes  de  qualité  avec  des 
affranchis,  union  qui  n'était  pas  reconnue  par  la  loi  ;    quant  à  la 
rémission  des  péchés,  c'est  le  montanisme  seul  qui  l'a  contestée,  et 
lorsque  l'adversaire  de  Calliste  parle  de  prêtres  bigames,  il  ne  peut 
parler  que  des  mariages  conclus  avant  les  ordres  reçus.  On  reproche  à 
L'évêque   de  Rome   d'avoir   penché  vers  le  sabellianisme,    mais   son 
jugement  sur   la  Monarchie  divine  est  devenu,  de  par  le  concile  de 
Nicée,  la  foi  de  l'Eglise.  Telle  est  l'apologie  ;  elle  a  été  fournie,  sur 
certains  [joints,  avec  autorité  ;  et  néanmoins  elle  laisse  bien  des  doutes 
dans  l'esprit.  M.  de  Rossi  n'a  pu    soutenir   sa   thèse   qu'au    moyen 


526  CALLISTE  —  CALMET 

d'hypothèses  dans  lesquelles  la  critique  ne  le  suivra  pas  toujours,  et 
surtout  nous  ne  pouvons  croire  que  le  pontificat  de  Zéphyrin  et  de 
Calliste  ne  nous  mette  en  présence  d'une  période  de  grand  relâche- 
ment dans  la  discipline  de  L'Eglise.  Ce  n'est  qu'ainsi  que  nous 
expliquons  la  réaction  du  montanisme,  autre  excès  provoqué  par  ceux 
qui  ont  diminué  la  sévérité  des  lois  de  l'Eglise.  s. Berger. 

CALMET  (Augustin),  historien  et  exégète  bénédictin;  né  le  26  fé- 
vrier 1672,  à  Mesnil-la-Horgne  en  Lorraine,  il  fut  admis  en  1688  dans 
l'ordre  des  bénédictins  (congrégation  de  Saint- Vannes),  et  fit  ses  étu- 
des dans  leur  abbaye  de  Munster  en  Alsace,  où  il  apprit  l'hébreu 
d'un  pasteur  protestant  de  cette  ville;  employé  d'abord  à  l'enseigne- 
ment dans  l'abbaye  de  Moyen-Moutier,  puis  sous-prieur  dans  celle  de 
Munster,  Cahnet  poursuivait  avec  ardeur  ses  études  sur  la  Bible,  de 
sorte  qu'il  fut  envoyé  dès  1706  à  Paris  pour  y  terminer  le  grand  com- 
mentaire qu'il  avait  entrepris  et  en  surveiller  l'impression  ;  après  avoir 
rempli    plusieurs  charges  importantes  dans  sa  congrégation,  il  fut 
nommé  en  1728  abbé  de  Senones  en  Lorraine,  et  y  mourut  le  25  oc- 
tobre 1757,  sans  avoir  jamais  voulu  accepter  l'épiscopat  qu'on  lui  of- 
frait. Calmet  fut  un  travailleur  infatigable  et  le  nombre  de  ses  ouvrages, 
dont  plusieurs  sont  très-volumineux,  est  considérable;  il  est  vrai  qu'il  fut 
secondé  par  plusieurs  de  ses  confrères.  Gomme  historien,  il  entreprit 
une  Histoire  universelle  sacrée  et  profane   (Strasb.,   1735-71,  17   vol. 
in-4°,  dont  il  n'écrivit  lui-même  que  les  huit  premiers)  ;  on  fait  plus 
de  cas  de  ses  travaux  sur  l'histoire  lorraine,  en  particulier  de  son 
Histoire  ecclés.  et  civile  de  la  Lorraine  (2e  éd.,  Nancy,  1745-57,  7  vol. 
in-fol.)  et  de  sa  Bibliothèque  Lorraine  ou  hist.  des  hommes  illustres  qui 
ont  fleuri  en  Lorraine  (Nancy ,  1751,  in-fol.,  qui  forme  aussi  le  t.  IV  de 
l'ouvrage  précédent).  Mais  ce  sont  ses  ouvrages  sur  la  Bible  qui  ont 
surtout  à  fixer  notre  attention  :  Commentaire  littéral  sur  tous  les  livres 
de  VAnc.  et  du  Nouv.  Test.  (Paris,  1707-16,  23  vol.  in-4°;  2e  éd.,  1714- 
20,  26  vol.  in-4°  ;  3e  éd.  rev.  et  corr.,  Paris,  1724-26,  8  vol.  in-fol.  ;  une 
trad.  lat.  fut  imprimée  plusieurs  fois  en  Italie  et  en  Allemagne).  Ce 
commentaire  a  joui  d'une  grande  autorité  parmi  les  catholiques,  mal- 
gré les  vives  critiques  par  lesquelles  Fourmont  et  R.  Simon  saluèrent 
l'apparition  de  son  premier  volume,  et,  sous  la  forme   abrégée  que 
Rondet  lui  a  donnée  tout  en  le  fondant  avec  les  travaux  de  Carrières  et 
de  Vence  (Paris,  1748-50,  14  vol.  in-4°;  4e  éd.,  Paris,  1820-  24,  25  vol. 
in-8°),  il  est  encore  consulté  de  nos  jours.  L'ouvrage  de  Calmet  con- 
tient le  texte  de  la  Vulgate  accompagné  de  la  traduction  française  de 
Lemaistre  de  Sacy  modifiée  par  endroits  ;  dans  le  commentaire,  qui 
est  avant  tout  une  compilation  des  principaux  exégètes  catholiques  et 
même  protestants,  Calmet,  renonçant  avec  raison  aux  allégories  mys- 
tiques, s'attache  à  rechercher  le  sens  grammatical  et  historique,  et  le  fait 
souvent  avec  bon  sens,   mais  souvent  aussi  avec  trop  de  longueur, 
avec  peu  de  précision  et  de  profondeur,  et  avec  une  connaissance  in- 
suffisante des  langues  originales.  Une  dissertation  spéciale  est  consa- 
crée à  chaque  livre  de  la  Bible,  comme  aussi  à  certaines  questions  de 
critique,  d'histoire  ou  d'archéologie,  et  c'était  peut-être  la  meilleure 


OALMET  —  CALOT  527 

partie  de  l'ouvrage,  quoique  là  aussi  il  y  eût  bien  des  longueurs  et 
peu  d'esprit  critique.  Ces  dissertations,  revues  et  augmentées  de  tout 
tin  volume,  ont  été  publiées  à  part  :  Dissertations  qui  peuvent  servir 
de  prolégomènes  de  rEcritmre  sainte  (Paris,  1720,  3  vol.  in-4°,  plu- 
sieurs l'ois  réimprimées,  et  traduites  eu  anglais,  eu  hollandais,  eu  ita- 
lien, eu  latin  et  eu  allemand);  dans  la  Bible  de  Rondet  (dite  de  Vencé) 
citée  ci-dessus,  Galmeta  ajouté  dix.  nouvelles  dissertations  qui  if  ont  pas 
paru  à  part.  Dictionnaire  hist.,crit..  ckroHol.,  géogr.  et  littéral  delà  Bible 
(Paris,  1722-28,  ï  vol.  in-fol;  2e  éd.,  Paris,  1730,  4  vol.in-fol.;  Genève, 
17:H).  I  vol.  in-4°  ;  Toulouse,  1783,  0  vol.  in-8°;  Paris,  1845-46,  dansl'^w- 
cpclop.  Migne,  4  vol.  in-4°.  Ces  trois  dernières  éditions  sont  sans  figures). 
Ge  dictionnaire  a  été  traduit  en  latin,  en  hollandais,  en  allemand  et 
en  anglais  ;  dans  cette  dernière  langue  il  fut  remanié  et  considéra- 
blement augmenté  par  Gli.  Taylor  (1797,  in-4°;  9e  éd.,  Londres,  1845, 
5  vol.  in-4°).  Cet  ouvrage  de  Galmet,  tiré  en  partie  de  son  commentaire 
et  de  ses  dissertations,  résume  tout  ce  que  les  recherches  historiques, 
archéologiques  et  géographiques  de  l'époque  fournissaient  pour  l'ex- 
plication de  la  Bible,  et  a  été  fort  utile;  mais  c'est  en  même  temps  celui 
de  tous  les  ouvrages  de  l'auteur  que  les  travaux  modernes  ont  effacé 
davantage.  La  Bibliothèque  sacrée,  qui  est  en  tête,  offre  une  bonne  bi- 
bliographie des  éditions  de  la  Bible  et  des  ouvrages  servant  à  l'expli- 
quer, résumé  de  la  Bibliotheca  sacra  du  P.  Lelong.  Histoire  sainte  de 
/'Ane.  et  du  Noue.  Test,  et  des  Juifs,  pour  servir  d'introduction  à  Vlust. 
etclés.  de  Vabbé  Fleury  (Paris,  1716,  2  vol.  in-4°  ;  1770,  5  vol.  in-4°). 
Elle  va  de  la  création  du  monde  à  la  destruction  de  Jérusalem  par  les 
Romains.  Nous  passons  sous  silence  plusieursouvrages  moins  importants. 
Pour  résumer  notre  jugement,  nous  dirons  que  Galmet  a  été  surtout 
un  compilateur  érudit,  mais  que  le  sens  critique  lui  manque  ;  et  nous 
ajouterons  que  Voltaire,  qui  le  connut  personnellement,  et  qui  s'est 
beaucoup  servi  de  ses  travaux  exégétiques  comme  de  son  Histoire  uni- 
verselle, eût  peut-être  moins  méconnu  la  Bible  s'il  eût  dû  ses  connais- 
sances bibliques  à  un  guide  moins  attaché  aux  opinions  tradition- 
nelles. —  Sources  :  (Dom  Fange),  Vie  du  P.  Aug.  Calme t,  avec 
mi  catal.  raisonné  de  ses  ouvrages,  Senones,  1762,  in-8°;  trad.  en 
ital.  et  annoté  par  B.  Passionei,  Roma,  1770,  in-4°;  Maggiolo,  Eloge 
fiistor.de  Dom  Cal  met,  Nancy,  1839,in-8°;  et  Mémoire  sur  la  correspon- 
dance inédite  de  Dom  Calmet,  Paris,  1863,  in-8°  ;  Digot,  Notice  biogr.  et 
lit  ter.  sur  D.  Calmet,  Nancy,  1860,  in-8°;  Guillaume,  Documents  inédits 
sur  les  correspondances  de  D.  Calmet  et  de  D.  Fange,  Nancy,  1873-74, 
in-8°:  de  Ba/.elaire,  Cal/net  et  la  congrég.  de  S. -Vannes  (dans  le  Corres- 
pondant,  10  et  25  mars  1845)  ;  Calmet,  Bibliothèque  Lorraine;  Rathlef, 
k.  jetzlebender  Gelehrten,  1,  p.  66;  Strodtmaun,  Beytrœge  zur  Ilist. 
iler  (ielalirtlieii,  V,  p.  200.  A.  Berni  s. 

CALOV  (Abraham),  un  des  représentants  les  plus  illustres  de  l'ortho- 
doxie Luthérienne  du  dix-septième  siècle,  naquit  en  1612,  à  Mohrungeu 
(Prusse  orientale);  il  lit  ses  études  à  L'université  de  Kœnigsberg  et 
s'exerça  dès  l'âge  de  vingt-et-un  ans  à  la  polémique  théologique.  Il 
KiccessiTement  de  Rostock  à  Kœnigsberg.  à  Dantzig  et  enfin  à 


528  CALOV  —  CALVAIRE 

Wittemberg,  où  il  devint  bientôt  «  surintendant  général  »  et  primarius. 
11  y  déploya  une  grande  activité  :  à  côté  de  ses  cours,  qui  attiraient 
une  foule  d'étudiants,  il  ne  cessait  de  lancer  contre  ses  adversaires 
brochure  sur  brochure,  et  d'exposer  dans  nombre  d'ouvrages  son 
orthodoxie  luthérienne.  Sa  vie  de  famille  fut  très-agitée  :  il  vit  mourir 
cinq  épouses  et  treize  enfants.  A  l'âge  de  soixante-douze  ans  il  se  maria 
encore  avec  la  fille  du  théologien  Quenstedt.  Deux  ans  après  il  mourut, 
en  1686.  Son  nom  est  devenu  le  symbole  de  cette  orthodoxie  froide  et 
acérée,  qui  ne  se  nourrit  que  de  formules  et  de  distinctions  et  que  n'a 
jamais  pénétrée  le  souffle  brûlant  de  la  vie  religieuse.  Son  adversaire 
principal  futCalixte  et  son  école:  c'est  contre  ce  syncrétisme  si  abhorré 
qu'il  composa  en  1665  une  nouvelle  confession  de  foi,  le  Consensus 
repetitus  fidei  verxlutheranœ.  Il  s'attaqua  aussi  aux  jésuites  établis  dans 
les  environs  de  Wittemberg,  au  socinianisme,  à  l'arminianisme,  etc. 
C'est  contre  Grotius  qu'il  composa  son  grand  ouvrage  exégétique,  la 
Biblia  illustrata.  Mais  l'œuvre  de  sa  vie  fut  le  Systema  locorum  theolo- 
gicorwn  (1655-1677,  12  tomes).  Le  premier  il  réunit  les  articles  épars 
de  la  dogmatique  luthérienne  et  en  ht  un  système. 

CALVAIRE  (Goulgâthâ,  roXyoOa,  xpaviov,  xpavtou  t6t:cç,  calvaria, 
calvarium,  lieu  du  crâne),  endroit  élevé  situé  en  dehors  des  murs  de 
Jérusalem  (Matth.  XXVII,  33  ;  Jean  XIX,  17  ;  cf.  Hébr.  XIII,  12)  où  se  fai- 
saient les  exécutions,  d'où  lui  est  venu  son  nom,  et  non  pas  de  sa  forme 
semblable  à  celle  d'un  crâne  ou,  comme  le  veulent  quelques  Pères 
(Jérôme,  In  Matth.,  XXVII,  33;  Augustin,  Civit.  Dei,  XVI,  32),  parce  que 
la  tète  d'Adam  y  serait  enterrée.  11  est  impossible  de  déterminer  de 
quel  côté  de  la  ville  se  trouvait  le  Calvaire.  La  tradition  qui  le  place 
au  nord-ouest  de  la  colline  de  Sion,  à  l'endroit  où  s'élève  aujourd'hui, 
dans  r enceinte  de  la  ville,  l'église  du  Saint-Sépulcre  érigée  parl'impé- 
ratrice  Hélène  et  l'empereur  Constantin,  et  souvent  décrit  parles  pèle- 
rins et  les  touristes,  ne  repose  sur  aucun  fondement  historique.  Il  n'est 
pas  admissible  que  le  lieu  d'exécution  se  soit  trouvé  si  près  de  la  ville, 
d'autant  plus  que  son  élévation,  au  point  de  vue  stratégique,  n'expli- 
querait pas  qu'on  l'eût  laissé,  au  temps  de  Jésus-Christ,  en  dehors  de 
l'enceinte  (voy.  l'article  Jérusalem).  —  On  appelle  calvaires  des  cru- 
cifix et  des  chapelles  élevés  sur  un  tertre,  près  d'une  ville,  et  offrant 
aux  fidèles  qui  s'y  rendent  en  pèlerinage,  à  l'époque  du  carême,  les 
images  de  la  Passion.  Généralement  les  crucifix  sont  au  nombre  de 
trois  (Jésus  et  les  deux  malfaiteurs).  Le  long  de  la  voie  qui  y  conduit 
(via  crucis,  calvarii),  se  trouvent  échelonnées  de  petites  chapelles  avec 
des  images  représentant  les  principales  scènes  de  la  Passion.  On  les 
appelle  des  stations.  Leur  nombre  est  d'ordinaire  de  quatorze:  la  con- 
damnation par  Pilate,  l'imposition  de  la  croix,  la  première  défaillance 
de  Jésus,  la  rencontre  avec  sa  mère,  la  présentation  du  suaire  de  sainte 
Véronique,  la  seconde  défaillance,  les  iilles  de  Jérusalem  se  lamen- 
tant, la  troisième  défaillance,  le  partage  des  vêtements,  la  crucifixion, 
la  mort,  la  descente  delà  croix,  l'ensevelissement.  On  attribue  l'établis- 
sement de  ces  calvaires  aux  franciscains,  dans  le  but  d'offrir  une  com- 
pensation aux  fidèles  qui  ne  pouvaient  entreprendre  le  pèlerinage  en 


CALVARISTES  —  CALVIN  529 

Terre-Sainte.  Divers  papes  leur  ont  attribué  des  indulgences  plénières. 

CALVARISTES  ou  prêtres  du  Calvaire  association  fondéeen  1633 par 

Hubert  Charpentier  sur  le  mont  Betkaram,  et,  dans  le  diocèse  d'Auch, 

à  Notre-Dame-de-Garaison,   dont  le   pèlerinage  était  très-fréquenté. 

Hubert  Charpentier  se  proposait  surtout  d'honorer  la  Passion  de 
Jésus-Christ  et  de  reconquérir  à  la  loi  catholique  le  Béarn.  Louis  XIII 
lui  avant  permis  d'établir  une  résidence  au  Mont-Valérien,  près  de 
Paris,  l'association  de  la  Propagation  de  la  Foi  instituée  pour  la  con- 
version des  protestants  s'unit  à  la  congrégation  du  Calvaire,  qui  fut 
autorisée  en  1650  par  lettres  patentes  du  roi.  Plus  tard  les  prêtres  de 
Betharam  et  du  Mont-Valérien  s'étant  réunis,  et  les  curés  de  Paris 
avant  été  admis  dans  leur  association,  on  vit  les  paroisses  de  Paris  se 
rendre  en  procession  pendant  la  semaine  des  Rogations  au  Mont-Valérien, 
qui  prit  le  nom  de  colline  du  Calvaire. 

CALVIN  (Jean),  le  plus  grand  réformateur  de  langue  française  et 
le  théologien  le  plus  éminent  du  seizième  siècle.  —  I.  Le  Réformateur. 
Calvin  naquit  à  Noyon  en  Picardie,  le  10  juillet  1509.  Sa  famille  appar- 
tenait à  la  moyenne  bourgeoisie  :  il  se  désigne  lui-même  comme  étant 
unus  de  plèbe  komuncio.  Son  grand-père  était  tonnelier  à  Pont-PEvêque, 
petite  ville  de  Normandie.  Son  père,  Gérard  Chauvin,  ou  Cauvyn,  était 
parvenu  par    sa   persévérance  et  son   savoir-faire  à  conquérir  une 
position  honorable  ;  il  était  secrétaire  épiscopal,  procureur  fiscal  du 
comté  et  syndic  du  chapitre  de  la  cathédrale  de  Noyon.  Jean  fit  sa 
première  éducation  dans  sa  ville  natale,  en   la  compagnie  des  enfants 
de  la  maison  de  Mommor.  Il  paya  plus  tard  sa  dette  de  reconnaissance 
à  cette  noble  famille  en  dédiant  son  premier  ouvrage  {De  Clementiâ)  à 
l'un  de  ses  condisciples  d'enfance,  Claude  de  Hangest,  abbé  de  Saint- 
Eloy   de  Noyon.   Au  mois  d'août  1523,  il  fut  envoyé  à  Paris,  où  il 
étudia  pendant  quatre  ou  cinq  ans  :  d'abord  au  collège  de  La  Marche, 
sous  l'habile  direction  du  savant  latiniste  Mathurin  Cordier,  et  peu 
après  au  collège  de  Montaigu,  dont  l'austère  discipline  allait  si  bien  à 
son   tempérament.  Ardent  au  travail,  d'une  aptitude   merveilleuse  à 
tout  saisir,  d'une  sévérité  de  mœurs  inflexible  pour  les  autres  comme 
pour  lui-même   (ses   camarades   l'avaient  surnommé  Y  accusatif),  il 
montrait  déjà  sur  les  bancs  de  l'école  quelques-uns  des  traits  qui,  en 
se  développant,  devaient  dessiner  la    forte  physionomie  du  réforma- 
teur. Son  père  l'avait  destiné  à  la  théologie,  et  dans  ce  but  il   lui  fit 
accorder  le  bénéfice  de  la  chapelle  de  la  Gésine  en  la  cathédrale  de 
Noyon  (1521)  et  plus  tard  (1527)  la  cure  de  Marteville  qui  fut  échangée, 
en  1529,  avec   celle  de  Pont-1'Evêque.  Mais   «  puis  après,  dit  Calvin 
lui-même   dans    la   préface   de   son   Commentaire  sur    les   Psaumes, 
d'autant  qu'il   considérait    que   la  science   des  loix   communément 
enrichit  ceux   qui   la  suyvent,  ceste   espérance  luy  fait  incontinent 
changer  d'avis.  Ainsi  cela  fut  cause  qu'on  me  retira  de  Tétude  de 
philosophie,  et  que  je  fus  mis  à  apprendre  les  loix.  »  Il  suivit  d'abord, 
à  Bourges,  les  Leçons  du  Milanais  André  Alciat,  puis  à  Orléans,  celles 
de  Pierre   de  l'Estoile.  Il  lit  dans  ces  universités,  de  1528  à  15:{(),srs 
deux  premières  années  de  droit  qui  le  menèrent  à  la  licence;  mais  il 
n.  34 


330  CALVIN 

ne  fit  la  troisième  et  dernière  année,  qui  était  nécessaire  pour  l'obten- 
tion du  doctorat,  que  de  mai   1532  à  juin  1533,  à  Orléans.  Noua  le 
sa\ons,  grâce  à  la  découverte  toute  récente  de  deux  actes  notariés   à 
la  date  de  mai  et  de  juin  1533,  dans  lesquels  il  intervint  en  qualité 
de   «    substitut  annuel  du  procureur  de  la  nation  de    Picardie,   de 
l'université  d'Orléans  ».Dans  le  cours  de  ses  études  de  jurisprudence, 
il  perdit  son  père,  le  26  mai  1531  ;  et  cet  événement  lui  permit  sans 
doute  de  suivre  sa  pente  naturelle,  laquelle  le  portait  de  préférence 
d'un  autre  côté.  Son  début  dans  la  carrière  des  lettres  fut  encoura- 
geant. La  remarquable  préface  qu'il  mit,  en  mars  1531,  à  un  ouvrage 
de  l'un  de  ses  amis,  Nicolas  Duchemin  (Antapologia,  etc.),    révélait 
déjà,  en  effet,  les  qualités  de  premier  ordre  qui  distinguent  son  style 
latin  :  concision ,  élégance  et  mâle  vigueur.  On  y  trouve  aussi,  dans  un 
sujet  foncièrement  juridique  et  classique,  une  élévation  de  sentiments, 
un  pur  amour  de  la  vérité  en  matière  de  sciences,  qui  étonnent  chez 
un  écrivain  de   vingt-deux  ans.  Dans  les  universités  de  Bourges  et 
d'Orléans,   il  se  lia  de  la  plus  étroite  amitié  avec  plusieurs  jeunes 
gens  studieux  et  estimables;  et  nous  relevons  ce  fait  parce  qu'il  prouve 
qu'à  cette  époque  de  sa  vie  Calvin  était  très-sociable.  Il  écrivait,  à 
l'âge  de  trente  ans  :  Cum  innumeros  aliquando  amicos  in  Galliahabuerim.1.. 
Parmi  ces  amis,  dont  sa  conversion  aux  idées  nouvelles  le  sépara  sans 
retour,  il  faut  nommer  François   Daniel,  d'Orléans,  auquel  il  adressa 
les  premières  lettres  qui  nous   soient  restées  de   lui,  et  qui  devint 
bailli,  avocat  au  présidial  et  conseiller  du  roi  ;  et  Nicolas  Duchemin, 
chez  lequel  il  logea  quelque  temps  dans  sa  maison    de  la  rue    du 
Pommier,  et  qui  était  chanoine  de  Saint- Vrain-de-Jargeau.  Peu  après 
la  mort   de    son   père,  il   se  fixa  à  Paris,   qui   était    déjà,   comme 
aujourd'hui,  le  centre  intellectuel  de  la   France;  et  son  ambition  se 
borna  à  se  faire  un  nom  parmi  les  humanistes.  A  cette  fin  il  publia,  à 
ses   frais  (avril  1532),  «  un  docte  et  singulièrement  beau  Commentaire 
sur  le  livre  de  Sénèque  touchant  la  vertu  de  clémence  »  (Bèze,  Vie  de  Calvin, 
1565).  S'il  choisit  ce  traité,  ce  ne  fut  point  pour  exciter  la  sympathie  ou 
la  pitié  de  François  Ier  en  faveur  des  évangéliques  persécutés;  rien 
absolument  n'autorise  à  lui  prêter  cette  intention  :    il   fit  ce  choix 
parce  que  Sénèque  était  pour  lui  vir  eximix  éruditions  et  insignis  fa- 
cundiœ  et  qu'il  voyait  en  lui  alterum  Ciceronem.  Il  faisait  œuvre  de 
littérateur  et  non   d'évangéliste.  —  A  Orléans  comme  à  Bourges,  il  eut 
certainement  l'occasion  de  voir  et  d'entendre  des  partisans  des  idées 
nouvelles  :  ses  relations  avec  l'évangélique  Melchior  Wolmar,   son 
professeur  de  grec,  étaient  continuelles,  et  il  vivait   dans  l'intimité 
(vêtus  nostra  familiaritas)  avec  son  cousin  Pierre-Robert  Olivetan,  qui, 
nous  semble-t-il,  se  réfugia  à  Strasbourg,  en  avril   1528,  pour  fuir  la 
persécution.  Ces  universités  se  distinguaient,  d'ailleurs,  avantageuse- 
ment de  celle  de  Toulouse  :  on  y  comptait  parmi  les  élèves  beaucoup 
d'Allemands  pour  qui  la  lutte  soutenue  par  Luther  contre  le  clergé 
était  la  grande  affaire.  Rien  ne  prouve  cependant  qu'à  cette  époque  le 
jeune  étudiant  eût  embrassé,  môme  secrètement,  ces  croyances  pour 
lesquelles  mouraient  déjà  nos  martyrs.  Quelques  mots  mal  compris  de 


CALVIN  531 

ses  premières  lettres  ou  quelques  lettres  maladroitement  antidatées  out 
induit  en  erreur  la  plupart  de  ses  récents  biographes.  Sa  conversion, 
dont  il  parle  lui-même  comme  avant  été  «  subite  »,  ne  dut  avoir  lieu 
que  dans  les  premiers  mois  de  1534.  Et  encore  ne  croyons-nuiis  pas 
qu'il  ait  alors  prêché  Ouvertement  la  foi  nouvelle,  à  ses  risques  et 
périls.  11  ne  le  fera  qu'après  sa  sortie  de  France,  par  la  publication  de 
son  Institution  chrétienne,  .Nous  insistons  sur  ce  point  parce  qu'il  a  son 
importance  et  qu'il  nous  parait  clairement  démontré  depuis  la  belle 
publication  de  la  Correspondance  des  Réformateurs,  par  A.-L.  Hermin- 
jard,  Nous  ne  pouvons  ici  fournir  toutes  nos  preuves.  Rappelons 
seulement  que,  pour  la  première  fois,  Calvin,  dans  une  lettre  écrite 
d'Àngoulême  (ex  Acropoh),  vers  le  mois  de  mars  1534,  nous  fait 
entendre  une  note  qui  n'avait  encore  résonné  dans  aucune  des  douze 
lettres  antérieures  que  nous  connaissons  de  lui.  Dans  ces  lettres,  les 
élans  religieux,  le  langage  de  la  charité  chrétienne  font  complètement 
défaut.  Ici  au  contraire,  il  déclare  que  la  tranquillité  dont  il  jouit  lui  a 
été  ((  donnée  par  la  main  de  Dieu.  Reposons-nous  sur  lui,  ajoute-t-il, 
il  aura  soin  de  nous  »  (Hœc  omnia  manus  Domini,  cui  si  nos  commit- 
timus,  ipse  erit  sollicitusnostrî).  Aussi  bien,  tout  ce  qui  vient  de  nous  être 
révélé  de  lui  pendant  les  années  1532  et  1533  (Bulletin  du  Prot.  fr., 
avril  1877)  est  venu  confirmer  notre  opinion  déjà  faite  sur  ce  point. 
Un  jeune  homme  si  profondément  enfoncé  dans  les  études  du  droit  ne 
devait  pas,  ne  pouvait  pas  s'occuper  beaucoup  des  questions  reli- 
gieuses; tout  au  moins  sa  conversion  aux  idées  nouvelles  n'était 
certainement  pas  accomplie.  Avant  le  commencement  de  1534,  il 
pouvait  avoir  senti  se  relâcher  les  liens  qui  l'attachaient  au  catholi- 
cisme, mais  il  n'avait  pas  encore  pensé  à  les  briser.  Le  discours  même 
qu'il  rédigea  pour  le  compte  du  recteur  Nicolas  Cop,  et  qui  fut 
prononcé  par  celui-ci,  le  1er  novembre  1533,  devant  l'université  de 
Paris,  sentait  évidemment  l'hérésie,  car  il  roule  sur  la  foi  justifiante; 
mais  le  jeune  littérateur  devra  faire  de  grands  progrès  dans  la  con- 
naissance de  la  vérité  évangélique  pour  devenir  le  réformateur  que 
l'on  sait.  Cop,  averti  qu'il  allait  être  emprisonné,  se  réfugia  à  Bâle. 
«  Calvin  aussi,  pour  la  familiarité  qu'il  avoit  eu  avec  le  dit  Cop,  fut 
contreint  de  sortir  de  Paris,  estant  recerché  jusques  là,  que  le  bailly 
Morin  alla  en  sa  chambre  au  collège  de  Fortet,  où  il  se  tenoit  pensant 
le  constituer  prisonnier;  mais  ne  le  trouvant  pas,  saisit  tout  ce  que  il 
peut  de  ses  livres  et  papiers  :  entre  lesquels  estans  plusieurs  lettres  de 
ses  amis,  tant  d'Orléans  que  (railleurs,  on  tascha  de  leur  en  faire 
fascherie  ;  toutesfois  Dieu  voulut  que  cela  ne  vint  à  effect  »  (Rèze,  Vie 
de  Calvin,  1565).  Bèze  ajoute  qu'  «  il  fut  envoyé  en  cour  pourchasser 
quelque  provision,  là  où  il  fut  recognu  et  très-bien  recueilli  de  wwx 
qui  a\oyent  quelque  droite  affection  et  jugement  en  ces  affaires.  » 
Ailleurs,  il  affirme  que,  dans  cette  circonstance,  la  reine  de  Navarre 
l'accueillit  avec  beaucoup  de  considération  (Vita  Calmai,  1575).  Calvin 
étira  ensuite  en  Saintonge  chez  un  ami,  Louis  du  Tillet,  curé  de 
Claix  et  chanoine  d'ÀngOttiême.  Ce  fut  là,  comme  dans  un  «  nid  pai- 
sible »,  que  tout  entier  à  l'étude  de  la  Bible  et  des  Pères  de  L'Eglise,  il 


532  •  CALVIN 

arriva  à  rompre  les  derniers  liens  qui  le  retenaient  dans  le  catholicisme. 
11  n'avait  pourtant  pas  encore  éprouvé  qu'une  libre  profession  de  ses 
croyances  était  impossible  dans  son  pays.  Aussi  le  voyage  qu'il  fit 
à  Nérac,  avant  de  quitter  Angoulême,  peut-il  être  l'indice  d'une 
certaine  inquiétude,  du  besoin  qu'il  avait  de  s'éclairer  encore.  Qu'on 
serait  heureux  de  savoir  ce  que  se  dirent  ces  deux  hommes,  dont  l'un 
avait  été  le  timide  précurseur  de  la  Réforme  en  France,  et  dont  l'autre 
en  sera  le  puissant  organisateur  !  Mais  Bèze  se  contente  d'indiquer  cetle 
conversation  par  ces  laconiques  paroles  :  «  Le  bon  vieillard  fut 
fort  aise  de  voir  Calvin,  et  conférer  avec  lui  »  (Vie  de  Calvin,  1565). 
Calvin  n'hésita  plus  :  il  sacrifia  volontairement  le  brillant  avenir  qui 
l'attendait  sans  doute  dans  la  carrière  qu'il  abandonnait.  Le  lundi 
4  mai  1534,  il  résigna,  à  No  von,  sa  chapelle  de  la  Gésine  et  sa  cure  de 
Pont-1'Evêque.  Il  parait  toutefois,  d'après  Le  Vasseur,  qu'il  reçut  pour 
ce  double  désistement  une  compensation  en  argent.  Quant  à  ses  autres 
pérégrinations  jusqu'au  mois  d'octobre  1534,  il  est  impossible  d'en 
indiquer  la  série  avec  certitude.  En  quittant  Noyon,  il  dut  s'arrêter 
plus  ou  moins  longtemps  à  Poitiers,  où  le  jurisconsulte  Pierre  de  La 
Place  l'entendit  «  parler  magnifiquement  de  la  connaissance  de  Dieu  » 
(Bavle,  art.  La  Place),-  et  dans  la  ville  d'Orléans,  d'où  est  datée  la 
première  préface  de  la  Psychopannychia,  son  deuxième  ouvrage  (au 
moins  dans  sa  forme  primitive).  C'est  peut-être  à  ce  moment  qu'il 
faut  placer  les  prédications  qu'il  auraitfaites,  d'après  Bèze,  à  Lignières, 
dans  le  voisinage  de  Bourges  {Vie  de  Calvin,  1565).  Toutefois,  s'il  a 
réellement  prêché  en  1534,  on  peut  affirmer  qu'il  usait  d'une  grande 
réserve  en  exposant  la  doctrine  de  l'Evangile.  Le  témoignage  d'un 
homme  qui  fut  son  ami,  son  compagnon,  pendant  cette  même  année, 
est  assez  péremptoire  pour  que  nous  devions  contrôler  les  récits 
fantaisistes  dans  lesquels  tant  de  ses  historiens  se  sont  complu.  Du 
Tillet,  qui  était  revenu  au  catholicisme,  écrivait  le  1er  décembre  1538, 
à  Calvin  lui-même  :  «  C'est  devant  ceulx  à  la  plus  grand  part  des- 
quels vous  sçavez  que  votre  doctrine  est  agréable,  non  pas  ailleurs, 
que  vous  la  maintenez;  car  vous  avez  abandonné  vostre  nation  pour 
oe  que  vous  ne  l'y  avez  osé  divulguer  et  maintenir  publiquement.  » 
Si  l'on  objectait  la  science  scripturaire  qu'il  montre  dans  le  traité 
polémique  qui  sera  plus  tard  désigné  sous  le  nom  de Psychopannychia, 
et  l'impossibilité  où  il  a  dû  se  trouver  d'acquérir  cette  science  en  si 
peu  de  temps,  cette  objection  se  retournerait  contre  ceux  qui  la  fe- 
raient. Car  il  est  aujourd'hui  prouvé  que  cet  ouvrage  n'a  été  publié 
qu'en  1542  (à  Strasbourg),  malgré  les  deux  préfaces  datées  d'Orléans, 
1534, et  deBàle,  1536  (Calvini  Opéra,  édit.  Reuss,  etc.,  2e partie,  p.  39). 
Son  premier  travail,  qu'il  soumit  à  Capiton  et  à  Bucer,  n'était,  de  son 
propre  aveu,  qu'un  «  amas  de  notes  sans  plan  bien  ordonné,  un  brouil- 
lon informe  où  il  avait  jeté  ses  pensées  pêle-mêle.  »  Et  ses  amis  de 
Strasbourg  lui  conseillèrent  d'attendre,  avant  de  le  mettre  sous  presse, 
qu'il  eût  ((  une  connaissance  plus  intime  de  toutes  les  saintes  Ecritures, 
et  que  ses  débuts  théologiques  fussent  plus  dignes  de  lui.  »  Or,  comme 
l'œuvre  imprimée  est  certainement  d'un  théologien  qui  n'est  plus  no- 


CALVIN  533 

vice,  mais  qui  a  plutôt  le  sentiment  de  sa  force,  nous  devons  nous  dire 
que  nous  avons  là  un  livre  nouveau  et  non  le  brouillon  primitif;   lui- 
même  lui  donne  ce  nom  :  novum  librum,  sic  enim  appellare  licet.  Et  ce 
livre  nouveau,  il  L'achevait  en' même  temps  qu'il  mettait  la  dernière 
main  à  son  institution  chrétienne.  —  Une  fois  converti  aux  idées  nou- 
velles, Calvin  les   propagea  avec  ardeur  autour  de  lui,  quoiqu'il  le 
lit  avec  prudence.    Il  ne   craignit  pas  de  se  mettre  en  avant  pour  les 
détendre  contre  ceux  qui  pouvaient  en  ternir  la  pureté.  La  petite  com- 
munauté évangélique  qui  tenait  à  Paris  ses  réunions  secrètes  comprit 
quelle  importante  recrue  elle  venait  de  faire.  Ce  fut  là  que,  dans  cette 
même  année  1534,  il  rencontra  pour  la  première  fois  Michel  Servet, 
lequel  venait  de  publier  deux  livres  contre  la  Trinité  (1531,  1532). 
<(  Calvin  ne  refusa  point,  dit  Bèze,  de  conférer  aveclui  pour  le  convaincre 
et  redarguer  par  la  parole  de  Dieu.  Pour  ce  faict  fut  accordé  qu'ils  se 
trou\  eroyent  tous  deux  à  une  heure  nommée  en  une  certaine  maison 
de  la  rue  Saint-Antoine,  ce  que  Calvin  fit,  combien  qu'il  y  eustdu  dan- 
ger pour  sapersonne  ;  mais  ledit  Servet  ne  comparut,  quoyqu'on  l'atten- 
dist  longtemps  »  (Vie  de  Calvin,  1565).  La  lutte  que  Servet  refusa  à  ce 
moment  s'engagea  dix-neuf  ans  plus  tard  à  Genève,  pour  le  malheur  de 
l'un  et   de  l'autre.  Le  18  octobre  1534,  des  placards  contre  la  messe 
furent  affichés  dans  Paris,  Orléans  et  jusque  sur  la  porte  de  la  chambre 
à  coucher  du  roi  qui  était  alors  à  Blois.  Ce  violent  pamphlet  qui  pro- 
voqua une  persécution  sanglante  était  l'œuvre  d'Antoine  Marcourt,  col- 
lègue de  Farel  à  Neuchâtel.  Calvin  partit  de  France  à  cette  époque,  et 
peut-être  à  l'occasion  de  ces  placards.  Il  se  retira  à  Strasbourg,  puis  à 
Bàle.  Dans  cette  dernière  ville,  tout  entier  à  l'étude,  caché  sous  le  pseu- 
donyme de  Lucanius,  anagramme  de  son  nom,  il  travailla  à  avancer 
l'œuvre  de  Dieu,  mais  par  ses  écrits  seulement,  car  il  se  sentait  plus  homme 
de  cabinet  qu'homme  d'action  :  c'était  la  plume  à  la  main  qu'il  voulait 
prendre  sa  part  du  combatengagé  contre  l'erreur  et  la  corruption.  Il  s'oc- 
cupait en  particulier  d'achever  la  composition  d'un  «  petit  livret  »,  es- 
pèce de  catéchisme  qu'il  destinait  à  ses  compatriotes,  lorsqu'il  apprit 
qu'alin  d'excuser  envers  les  princes  protestants  d'Allemagne  les  bûchers 
qu'on  allumait  pour  les  évangéliques  français,  on  faisait  passer  ces  der- 
niers pour  anabaptistes  et  séditieux.  Indigné  d'une  si  atroce  calomnie, 
il  met  comme  préface  à  son  livre  une  épitre  à  François  Ier,  dans  laquelle 
il  le  conjure  d'examiner  sérieusement  la  doctrine  professée  par  ses  frères 
qui  périssent  journellement  dans  les  flammes.  Jusqu'ici   leur  cause  a 
été  jugée  mais  non  instruite.  Il  réfute  ensuite  les  arguments  que   les 
prêtres  allèguent  pour  nier  la  légitimité  de  l'Eglise  réformée,  et  il  ter- 
mine eu  exprimant   l'espoir  que  le   ressentiment   du    monarque  fera 
place  à   la   bienveillance.    Cette  admirable  épitre  est   datée  de  Bâle, 
23  août  1535,  el  elle  esl  en  latin,  comme  le  reste  de  l'ouvrage  avec 
lequel  elle  forme  corps.  Le  latin  était  la  langue  la  plus  universellement 
connue  au  seizième  siècle,  et  Fauteur  devait  l'employer  préférable  ment 
à  la  française,  car  il  voulait  que  son  ouvrage  lût  lu  avant  tout,  d'après 
sa  propre  déclaration,  par  ceux  auprès  desquels  on  avait  noirci  ses  co- 
religionnaires martyrs.  L'Institution  chrétienne  sortit  de  presse  au  mois 


534  CALVIN 

de  mars  1536.  L'ouvrage  n'avait  que  six  chapitres;  mais  on  y  trouve 
déjà  en  germe,  comme  dogme  et  comme  discipline,  toutes  les  idées  qui 
formeront  plus  tard  l'ensemble  du  système  calviniste  :  la  foi  du  nouveau 
converti  avait  rencontré  du  premier  coup  sa  formule  définitive.  Calvin 
pensa  un  instant  à  donner  une  traduction  française  de  son  Institution, 
mais  il  ne  réalisa  pas  immédiatement  ce  projet  :  des  travaux  de  tous 
genres  réclamèrent  toute  son  activité  au  poste  nouveau  où  Dieu  le  plaça. 
Lui-même  d'ailleurs  n'était  pas  très-content  de  son  œuvre  :  dans  la  pré- 
face de  la  seconde  édition  latine  (Strasbourg,  1er  août  1539),  il  dit  qu'il 
s'était  acquitté  de  sa  tâche  légèrement  (leviter...  defunctus  eram).  La 
première  traduction  française  parut  en  1541  ;  elle  était  faite  d'après 
l'édition  latine  de  1539,  qui  avait  dix-sept  chapitres.  11  y  eut  dix  édi- 
tions latines  du  vivant  de  l'auteur;  l'édition  définitive  fut  celle  de 
Genève  (1559)  ;  elle  avait  quatre-vingts  chapitres.  Quant  à  la  traduction 
française,  elle  eut  au  moins  quatorze  éditions  avant  la  mortde  l'auteur; 
mais  à  part  la  première,  qui  est  faite  par  Calvin,  et  où  celui-ci  se  montre 
véritablement  l'un  des  créateurs  de  notre  langue,  par  la  façon  magis- 
trale dont  il  l'assouplit  et  la  force  à  exprimer  des  pensées  qu'elle 
n'avait  jamais  reproduites  auparavant,  à  part,  disons-nous,  l'édition  de 
1 541 ,  toutes  les  autres  laissent  beaucoup  à  désirer  :  l'auteur  n'a  pas  dû  les 
voir  même  en  épreuve,  car  il  y  a  bien  des  contre-sens  et  des  non-sens. 
Calvin  ne  révéla  à  personne,  à  Bàle,  le  grand  projet  qui  l'occupait;  et 
personne  ne  soupçonna  dans  ce  paisible  et  studieux  étranger  qui  s'en- 
veloppait d'ombre  et  de  mystère,  l'auteur  d'un  livre  qui  devait  être 
l'œuvre  capitale  du  siècle,  et  qui,  même  dans  sa  forme  primitive,  dépas- 
sait déjà  en  profondeur  et  en  puissance  dialectique  les  quatre  ou  cinq 
grandes  expositions  des  vérités  chrétiennes  dont  la  Réforme  avait  doté 
la  naissante  Eglise.  Cette  même  raison  de  timide  réserve  lui  fit  sans 
doute  quitter  Bàle  «  incontinent  après  »  la  publication  de  son  ouvrage. 
Sous  le  nom  de  Charles  d'Ëspevilîe,  il  partit  pour  faire  un  voyage  en 
Italie.  Il  voulut  saluer,  ne  fût-ce  que  de  loin,  comme  le  dit  de  Bèze,  cette 
terre  illustre  vers  laquelle  tous  les  amis  de  l'antiquité  classique  tournaient 
leurs  regards  avec  amour  (Vita  Calv.,  1575).  Il  fit  ce  voyage  en  com- 
pagnie du  chanoine  du  Tillet  avec  lequel  il  avait  quitté  la  France  et 
qui  portait  son  nom  seigneurial  de  M.  de  Hautmont.  Ils  s'arrêtèrent  à 
Ferrare.  Là  Calvin  eut  avec  la  princesse  Renée  de  France  des  entretiens 
intimes  sur  la  religion,  et  il  gagna  entièrement  sa  confiance.  Mais  rien 
ne  prouve  qu'il  ait  manifesté  ses  opinions  en  pleine  cour  :  il  y  a  plutôt 
de  bonnes  raisons  pour  affirmer  le  contraire.  Au  reste,  durant  ce  voyage 
dans  la  péninsule,  il  composa  en  latin  deux  épitres  adressées  à  deux  de 
ses  amis  de  France,  Nicolas  Duchemin  et  Gérard  Roussel,  qui  avaient  été 
élevés  aux  honneurs  de  l'Eglise  :  le  premier  remplissait  depuis  deux  ans 
au  Mans  les  importantes  fonctions  d'official;  le  second  était  devenu 
évoque.  Ces  épitres  furent  publiées  à  Bàle  en  mars  1537,  sous  ce  titre 
général  :  Epistolœ  duœ  de  rébus  hoc  sœculo  cognitu  apprime  necessariis. 
Dans  la  première,  il  montre  qu'il  faut  fuir  l'idolâtrie  et  garder  la  pu- 
reté delà  religion  chrétienne  ;  dan  sla  seconde,  qu'il  est  du  devoir  d'un 
chrétien  et  d'un  honnête  homme  de  se  démettre  des  fonctions  dusacer 


CALVIN  53ô 

doce  en  l'Eglise  romaine.  —  Après  avoir  séjourné  quelque  temps  &  Fer- 
rare,  les  deux  voyageurs  repassèrent  les  monts.  Arrivés  à  Hàle,  ils  se  sé- 
parèrent: duTiflel  alla  à  Neuchâtel,  puis  à  Genève,  et  Calvin  revint  une 
dernière  lois  dans  sa  ville  natale  poura  donner  quelque  ordre  à  ses  af- 
faires »  (juin  1530).  Il  pouvait  impunément  retourner  à  Noyon,  car  un 
édit  de  François  Ier,  daté  de  Lyon,  Le  31  mai,  venait  d'être  promulgué, 
par  Lequel  le  roi  pardonnait  «  à  tons  hérétiques  »,  voire  même  aux 
«  sacramentaires  et  relaps  »,  pourvu  qu'ils  vinssent  abjurer  «  dedans  six 
mois  ».  il  déeida  son  frère  Antoine  à  partir  avec  lui;  sa  sœur  Marie  le 
rejoignit  plus  tard.  La  guerre  qui  venait  d'éclater  lui  fermant  «  le  droit 
chemin  pour  aller  à  Strasbourg  »,  il  dut  passer  par  Genève  pour  re- 
tourner à  Baie,  il  arriva  sur  les  bords  du  Léman  dans  la  seconde  moitié 
de  juillet,  lut  reconnu  par  du  Tillet  qui  en  donna  avis  à'Farel,et  malgré 
sa  répugnance  il  se  rendit  à  la  véhémente  adjuration  de  Tardent  Dau- 
phinois, «  comme  si  Dieu  Teust  saisi  alors  du  ciel  par  un  coup  violent 
de  sa  main  »,  dit-il  lui-même  (préf.  Ps.)  :  il  promit  de  rester  dans  cette 
cité  où  l'attendaient  tant  de  tribulations,  mais  dont  il  devait  faire  la  mé- 
tropole de  la  Kéformation  française.  Le  Français  (Me  Gallus,  comme  le 
désigne  le  registre  du  Conseil  du  5  septembre  1536)  donnait  à  Saint- 
Pierre  des  leçons  de  théologie,  probablement  en  latin  à  cause  des  nom- 
breux réfugiés  de  tous  pays  qui  affluaient  déjà  dans  la  ville  hospitalière; 
et  vers  la  fin  de  Tannée  il  se  chargea  en  outre  des  fonctions  pastorales. 
1  1  ne  tarda  pas  à  conquérir  de  l'ascendant  sur  ses  collègues.  Les 
discours  qu'il  prononça  à  la  célèbre  dispute  de  Lausanne  (1-8  oc- 
tobre 1536)  et  au  synode  de  Berne  (16-18  octobre)  firent  comprendre 
à  tous  qu'un  maitre  s'était  révélé.  Le  1er  janvier  1537,  un  mé- 
moire sur  le  gouvernement  de  l'Eglise  fut  présenté  par  les  pasteurs 
au  Conseil  de  Genève  :  il  avait  été  certainement  rédigé  par  Calvin,  car 
le  fond  des  idées  est  à  lui,  comme  le  style.  L'auteur  de  Y  Institution 
dut  saisir  avec  empressement  l'occasion  de  faire  passer  dans  la  prati- 
que le  système  dogmatique  et  disciplinaire  qu'il  avait  exposé  dans  son 
ouvrage,  il  voulait  en  particulier  obtenir  1  usage  de  l'excommunication 
et  faire  imposer  à  tous  les  citoyens  une  adhésion  directe  et  explicite  à 
la  confession  de  foi.  il  publia  bientôt  dans  ce  but  un  Catéchisme  en 
français  (dont  il  n'existe  plus  un  seul  exemplaire);  le  catéchisme  en 
latin  parut  en  mars  1538.  Il  n'y  avait  pour  lui  d'Eglise  chrétienne  vrai- 
ment digne  de  ce  nom  qu'avec  une  semblable  discipline.  La  requête 
ne  fut  pas  agréée  (novembre  1537).  Les  vieux  Genevois  indépendants 
<pi"on  flétrit  plus  tard  du  nom  de  Libertins  repoussèrent  le  joug  sous 
Lequel  Les  «  nouveaux  venus  »  prétendaient  les  courber.  Les  Conseils 
décident,  le  \  janvier  1538,  que  la  sainte  cène  ne  sera  refusée  à  per- 
sonne.  Et  la  raison  comme  l'intérêt  de  la  lutte  que  les  pasteurs  soutin- 
rent, depuis  ce  moment,  contre  la  nation  avec  une  ténacité  inflexible, 
consistera  précisément  dans  ces  prétentions  contraires  du  corps  politique 
et  du  corps  pastoral.  L'antagonisme  ne  cessa  que  vers  1555,  par  la  des- 
truction de  Tun  des  partis*  Le  3  février  153S.  Les  quatre  syndics  qui  furent 
portés  au  pouvoir  par  le  murage  populaire  étaient  des  adversaires  dé- 
clarésde  Fareletde  Calvin;  le  Lendemain,  le  renouvellement  du  Petit 


536  CALVIN 

Conseil  s'opéra  dans  le  même  sens.  Un  conflit  ne  tarda  pas  à  éclater.  Le 
11  mars,  les  Conseils,  sans  consulter  les  pasteurs,  adoptent  le  mode  de 
célébration  de  la  cène  pratiqué  par  l'Eglise  bernoise  (avec  du  pain 
sans  levain),  et  ils  défendent  à  Farel  et  à  Calvin  de  se  mêler  des  affaires 
du  gouvernement.  Ceux-ci  n'auraient  pas  eu  sans  doute  l'idée  de  ré- 
sister, à  ce  moment  du  moins,  sur  l'admission  de  tous  à  la  sainte  table; 
car,  le  25  mars,  en  partant  pour  le  synode  de  Lausanne,  ils  avaient 
annoncé  aux  magistrats  qu'ils  étaient  «  prêts  à  obéir  aux  commande- 
ments ».  Mais  ils  refusent,  le  18  avril,  d'administrer  la  cène  à  la  mode 
de  Berne  :  ils  auraient  voulu  sur  ce  point  une  entente  préalable  entre 
les  magistrats  et  les   pasteurs,  et  l'affaire   des  cérémonies  bernoises 
adoptées  par  les  Conseils  proprio  motu  fit  déborder  la  coupe.  Leur  col- 
lègue, Elie  Coraud,  qui  avait  blâmé  dans  ses  prédications  les  actes  du 
pouvoir  civil,  fut  mis  en  prison  (20  avril),  et  défense  fut  faite  à  Farel 
et  à  Calvin  de  prêcher  s'ils  ne  voulaient  pas  se  soumettre.  Bravant  cette 
défense,  ils  occupent  la  chaire,  le  premier  à  Saint-Gervais,  le  seconda 
Saint-Pierre,  et  se  retirent  sans  avoir  distribué  le  sacrement  :  ils  esti- 
ment que  les  dissensions  civiles  auraient  fait  de  cet  acte  une  profana- 
tion (22  avril).  Ils  sont  bannis  de  la  ville  par  le  Conseil  général,  ainsi 
que  leur  collègue  Coraud  (23  avril).  «  Eh  bien  !  s'écria  Calvin  quand 
le  sautier  vint  lui  enjoindre  de  quitter  Genève  dans  trois  jours.  A  la 
bonne  heure!  si  nous  eussions  servy  les  hommes,  nous  fussions  mal 
récompensés  ;  mais  nous  servons  ung  grand  maystre,  qui  nous  récom- 
pensera. »  Les  magistrats  de  Berne  et  les  Eglises  de  la  Suisse  firent  de 
solennelles  démarches  pour  que  l'arrêt  de  bannissement  fût  levé  ;  ce  fut 
en  vain  :  la  sentence  fut  confirmée  par  le  peuple  en  Conseil  général, 
le  16  mai.  Forcé  de  prendre  le  chemin  de  l'exil,  Calvin  s'arrêta  quel- 
que temps  à  Berne,  à  Zurich,  à  Baie,  et  se  fixa  à  Strasbourg  dès  les 
premiers  jours  de  septembre  1538.  Il  y  donna  chaque  matin  une  leçon 
publique  sur  les  épîtres  de  saint  Paul,  et  organisa  une  petite  Eglise 
(Ecclesiola)  de  réfugiés  français,  espagnols  ou  italiens,  que  la  persécu- 
tion avait  jetés  dans  la  ville  impériale.  Dans  ce  milieu  si  bien  préparé 
à  tous  les  sacrifices,  il  appliqua  sans  la  moindre  opposition  l'austère 
discipline  dont  Genève  n'avait  point  voulu.  Sa  gêne  fut  extrême,  les 
premiers  temps;  mais  il  ne  voulut  pas  accepter  l'offre  d'argent  que  lui 
fit  son  ancien  protecteur  du  Tillet,  qui  était  retourné  au  catholicisme; 
il  préféra  vendre  ses  livres  pour  vivre  :  «  J'espère  bien,  lui  écrit-il  avec 
dignité,  que  nostre  Seigneur  m'en  donnera  d'autres  au  besoing»  (20  oc- 
tobre). Bientôt  cependant  le  Conseil  de  la  ville  s'occupa  de  fixer  son 
traitement,  et  plus  tard  lui  accorda  le  droit  de  bourgeoisie.  Il  épousa  à 
Strasbourg  (septembre  1540),  à  l'instigation  de  ses  amis,  la  veuve  de 
l'anabaptiste  Storder,  la  vertueuse  Idelette  de  Bure,  qui  lui  donna  près 
de  neuf  ans  de  bonheur  domestique.  Les  magistrats  l'adjoignirent  à 
d'autres  députés  qu'ils  envoyaient  en  mission  en  Allemagne.  Il  assista 
à  Worms  (novembre  1540)  et  à  Ratisbonne  (avril  1541),  aux  conféren- 
ces qui  s'ouvrirent  entre  les  réformés  et  les  représentants  autorisés  de 
l'Eglise  romaine;  mais  cette  suprême  tentative  pour  éviter  un  déchire- 
ment échoua  comme  les  autres.  Aussi  bien,  il  ne  se  croyait  pas  dégagé 


CALVIN  Ô37 

par  l'exil  des  lions  qui  Punissaient  à  l'Eglise  de  Genève  où  Pavait  ap- 
pelé une  vocation  divine.  A  peine  installé  à  Strasbourg,  il  avait  écrit  à 
ces  «  bien-aimés frères  »  une  lettre  pastorale  dans  laquelle  s'épanche 
toute  la  tendresse  de  son  cœur  à  leur  égard.  Il  sait  par  quelles  épreu- 
ves et  quels  dangers  ils  continuent  à  passer,  et  il  leur  prêche  l'hu- 
milité, La  pénitence  et  la  confiance  en  Dieu  (Ie*  octobre  1538).  Et  quand 
le  cardinal  Sadolet  adressa  de  Carpentras  (18  mars  1539)  une  lettre 
fort  habile  aux  Genevois  pour  les  engager  à  revenir  au  catholicisme4, 
ce  fut  lui  qui  répondit  (1er  septembre)  :  il  maintint  «  la  vérité  de  Dieu 
contre  ce  renard  »,  suivant  l'expression  de  Bèze,  et  il  le  fit  avec  tant 
de  puissance,  que  Sadolet  se  tut,  n'ayant  rien  à  répliquer.  Luther 
goûta  fort  cette  manière  franche  et  vive  d'imposer  silence  à  des  ad- 
versaires qui  étaient  les  siens  :  «  Voilà,  dit-il,  un  écrit  qui  a  des  mains 
et  des  pieds.  Je  me  réjouis  de  ce  que  Dieu  suscite  de  tels  hommes.  Ils 
continueront  ce  que  j'ai  commencé  contre  l'Antéchrist,  et  avec  l'aide  de 
Dieu,  ils  l'achèveront.  »  Le  réformateur  allemand  ne  croyait  peut-être 
pas  si  bien  dire.  —  A  la  suite  d'une  révolution  intérieure  survenue  à 
Genève  en  mai  1540,  on  fit  entrevoir  à  Calvin  la  possibilité  de  rentrer 
dans  cette  Eglise  dont  il  disait  qu'il  se  sentait  «obligé  à  toujours  de  luy 
tenir  l'oy  et  loyauté  ».  Ses  adversaires  politiques  furent  écartés  du  pou- 
voir, et  le  21  septembre  le  Conseil  décida  de  le  faire  revenir.  Calvin 
hésita  longtemps  :  «  Pourquoi,  écrit-il  à  Farel,  me  replongerais-je  dans 
ce  gouffre  dévorant?  Vu  le  tempérament  de  la  plupart  des  Genevois,  je 
ne  pourrai  pas  les  supporter  et  ils  ne  pourront  pas  davantage  s'ac- 
coutumer à  moi.  »  Il  versa  d'abondantes  larmes  avant  de  se  décider. 
Mais  les  sollicitations  pressantes  et  multipliées  de  Berne,  de  Bâle,  de 
Zurich,  de  Genève,  et  les  «  tonnerres  »  de  Farel  triomphent  enfin  de 
sa  résistance.  Il  revint  à  ce  poste  de  péril.  Toutefois,  dès  son  arrivée, 
il  exigea  du  Conseil  (13  septembre  1541)  qu'on  procédât  sans  retard  à 
la  rédaction  &"  ordonnances  ecclésiastiques.  Ces  ordonnances  établirent 
le  consistoire,  véritable  tribunal  de  doctrine  et  de  mœurs,  composé 
mi-partie  de  laïques  et  d'ecclésiastiques,  qui  devait  veiller  sur  la  foi  et 
sur  la  conduite  de  chacun  jusque  dans  l'intimité  du  foyer,  et  qui  dispo- 
sait à  son  gré  de  l'admonition  privée,  de  la  censure  publique,  et  plus 
tard  même  de  l'excommunication.  Le  Conseil  toutefois  se  réserva  le 
droit  d'infliger,  s'il  y  avait  lieu,  les  châtiments  corporels  ou  pécuniaires. 
Disons  à  ce  sujet  qu'il  n'y  a  jamais  eu  à  Genève,  même  dans  les 
jours  de  la  plus  haute  influence  de  Calvin,  ce  qu'on  pourrait  appeler 
une  théocratie.  Il  n'obtint  jamais,  par  exemple,  même  en  155G,  qu'on 
lit  sortir  de  la  ville  tous  les  habitants  exclus  de  la  cène  et  qui  ne  se; 
mettraient  pas  en  mesure  d'y  être  admis  de  nouveau.  Sans  doute  les 
ministres,  plutôt  que  les  laïques,  furent  toujours  les  personnages  im- 
portants du  consistoire  :  aux  yeux  du  réformateur,  il  y  avait  dans  la 
Bible  toute  une  législation  concernant  la  doctrine  et  les  mœurs  divi- 
nemenl  imposée  à  la  société,  et  c'était  aux  ministres,  considérés  connue 
«  la  bouche  du  Seigneur  »,  à  lixer  cette  législation.  Sans  doute  encore 
l'influence  extraordinaire  que  posséda  Calvin  depuis  son  rappel  à 
Genève,  son  génie  d'organisation  dont  il  donnait  chaque  jour  de  non- 


538  CALVIN 

velles  preuves,  ses  vastes  connaissances  dans  lesbranehes  diverses  de  la 
jurisprudence  lui  assurèrent  le  premier  rang  dans  les  commissions  qui 
furent  nommées  par  le  Conseil  pour  s'occuper  de  la  législation  civile 
et  politique  :  des  brouillons  écrits  de  sa  main  attestent  l'importance 
de  ses  travaux  à  cet  égard  (Calu.  opéra,  édit.  Reuss,  etc.,X,  125-146). 
11  fut  même  déchargé  de  tous  les  sermons  de  la  semaine  (septembre 
1542)  pour  qu'il  eût  plus  de  liberté  de  vaquer  à  cette  tâche;  et  le 
Conseil  le  gratifia,  deux  mois  plus  tard,  d'un  tonneau  de  vin  pour  les 
peines  qu'il  prenait  pour  la  ville.  Mais  l'Etat  ne  fut  jamais  sous  la  dé- 
pendance de  l'Eglise  ;  le  magistrat,  au  contraire,  exerça  sur  l'Eglise,  à 
beaucoup  d'égards,  un  pouvoir  qui  nous  paraîtrait  excessif  aujourd'hui. 
Après  tout,  ce  n'est  point  l'Etat  que  Calvin  a  voulu  enchaîner,  c'est 
l'individu;  et  il  est  inexact  de  prétendre  qu'il  a  exercé  à  Genève,  dans 
le  domaine  politique  comme  dans  le  domaine  religieux,  un  pouvoir 
sans  contrôle.  Et  il  le  savait  bien,  lui  qui,  en  1553,  disait  des  magis- 
trats :  ((  Ils  en  sont  venus  à  un  tel  degré  d'aveuglement  et  de  folie, 
que  tout  ce  que  je  leur  dis  devient  suspect,  à  tel  point  que  si  je  disais 
qu'il  fait  jour  à  midi,  ils  commenceraient  aussitôt  à  en  douter.  » 
Comme  le  plus  obscur  des  citoyens,  il  devait,  avant  de  publier  un 
écrit,  le  faire  examiner  par  une  commission  du  Conseil,  et  quelque- 
fois l'impression  n'en  était  autorisée  que  si  quelques  mots  trop 
injurieux  étaient  biliés.  A  plusieurs  reprises  môme  il  dut  comparaître 
devant  le  magistrat  pour  recevoir  des  admonitions  au  sujet  de  ses  pré- 
dications qui  avaient  provoqué  du  mécontentement.  Il  eut  assez  d'in- 
fluence toutefois  pour  faire  partir  de  Genève  ou  forcer  au  silence  tous 
ceux  qui  avaient  en  critique  sacrée  ou  en  dogmatique  des  opinions 
différentes  des  siennes,  ou  qui  blâmaient,  même  discrètement,  la  direc- 
tion qu'il  cherchait  à  imprimer  à  l'Etat.  Le  savant  et  pieux  Sébas- 
tien Castalion,  qui  avait  émis  des  doutes  sur  l'inspiration  du  Cantique 
des  cantiques  et  sur  la  réalité  de  la  descente  de  Jésus  aux  enfers,  fut 
contraint  à  s'éloigner  (1544)  ;  et  retiré  à  Bàle,  il  y  vécut  clans  une 
gêne  voisine  de  la  misère.  Pierre  Ameaux,  fabricant  de  cartes,  un  rê- 
veur mystique  et  nullement  matérialiste,  qui  avait  ((  mesdit  et  blas- 
phémé du  seigneur  Calvin  »,  fut  jeté  en  prison  (1546),  et  il  dut  faire 
le  tour  de  la  ville  «  en  chemise,  teste  nue,  une  torche  allumée  en  sa 
main,  et  venir  ensuite  devant  le  tribunal  crier  mercy  à  Dieu  et  à  la  jus- 
tice, genoulx  en  terre,  »  et  confesser  avoir  mal  et  méchamment  parlé.  Le 
pasteur  de  Jussy,  Henri  de  La  Mare,  jugé  son  complice,  fut  déposé.  Le 
médecin  français  Jérôme  Bolsec,  qui  niait  la  prédestination,  fut  banni 
(1551);  et  il  serait  plus  cligne  d'intérêt,  si,  pour  se  venger,  il  n'avait 
publié  d'ignobles  calomnies  contre  le  réformateur  et  contre  Bèze. 
L'année  suivante  (1552),  le"  Genevois  Jean  Trolliet,  qui  avait  tenu 
quelque  propos  malsonnant  contre  l'auteur  de  Y  Institution,  dut  recon- 
naître sa  faute  et  se  taire  désormais.  Les  évangéliques  italiens,  à  peine 
échappés  aux  inquisiteurs  de  Rome  et  qui  s'étaient  flattés  de  trouver  un 
refuge  à  Genève,  ne  furent  pas  même  épargnés,  car  ils  n'étaient  pas  trini- 
taires.  Alciat,  Blandrata,  Gribaldi,  Gentilis,  essuyèrent  pour  leur  indé- 
pendance chrétienne  de  cruelles  vexations  de  la  part  du  consistoire. 


CALVIN  539 

GFentilis,  en  particulier,  entendit  prononcer  contre  lui  une  condamna- 
tion à  mort  <|ui  fut  incontinent  commuée  en  un  bannissement  perpétuel 
après  amende  honorable  en  public  (1558).  Mais  il  n'échappa  au  dernier 
supplice,  à  Genève,  que  pour  le  subir  huit  ans  après,  à  Berne,  pour 
crime  d'hérésie  (1566).  Les  libres  penseurs  lurent  naturellement  moins 
supportés  que  les  libres  croyants.  Jacques  Gruet,  esprit  inquiet  et  fo- 
lâtre, qui  avait  été  eu  relation  avec  Le  célèbre  humaniste  Etienne  Dolet, 
brûlé  vit'  à  Paris  en  1546,  pour  outrage  à  la  religion,  déposa  un  jour 
dans  la  chaire  de  Saint-Pierre  un  billet  en  patois  savoyard  contenant 
((  plusieurs  parolles  villaines  et  infâmes  contre  les  ministres  de  la  pa- 
rolle  de  Dieu.  »  Il  fut  mis  en  prison  ;  et  comme  on  trouva  chez  lui  des 
feuilles  de  papier  sur  lesquelles,  pour  essayer  sa  plume  peut-être,  il 
avait  griffonné  des  phrases  qui  le  tirent  accuser  d1  «  impiété  »  et  de 
et  rébellion  »,  sans  qu'il  y  eût  pourtant  des  raisons  suffisantes,  il  eut 
la  tête  tranchée  (juillet  1547);  et  deux  ans  et  demi  plus  tard,  un  livre 
de  treize  feuillets  écrits  de  sa  main,  qui  fut  trouvé  dans  les  combles 
de  sa  maison,   et   qui   contenait   réellement  des   attaques  grossières 
contre  la   religion   de  Christ,  dut  subir  un  procès  en  règle  :  il  fut 
lacéré  et  brûlé   par  la  main  du   bourreau   «   pour   ses  énormités  » 
(mai  1550).  ■ — Mais  la  condamnation  la  plus  odieuse  et  qui  pèse  le  plus 
lourdement  sur  la  mémoire  de  Calvin,  c'est  celle  de  xMichel  Servet.  Ce 
médecin  espagnol  qui  le  premier,  paraît  il,  soupçonna  la  circulation 
du  sang,  avait  étudié  avec  passion  la  plupart  des  sciences  et  particu- 
lièrement la  théologie.  Pour  lui,  la  Réforme  s'était  arrêtée  à  moitié  che- 
min, et  il  se  crut  appelé  à  lui  faire  accomplir  sa  dernière  évolution,  et 
à  rétablir  ainsi  le  christianisme  dans  sa  pureté  primitive.  Le  titre  du 
nouvel  ouvrage  (Chràtianismirestitutio)  qu'il  publia  au  printemps  de  1 553 
sous  le  pseudonyme  de  Villeneuve,  son  lieu  d'origine,  disait  nettement 
son  ambition  à  cet  égard,  et  semblait  s'annoncer  comme  la  contre-par- 
tie de  Y  Institution  chrétienne  de  Calvin.  Aussi  entier,  aussi  dogmatique 
en  fait  de  croyance  que  son  implacable  rival,  il  voulait  vider  avec  lui 
non  une  question  de  liberté,  mais  une  question  de  théologie.  Le  duel 
qu'il  esquiva  à  Paris,  en  1534,  et  qu'il  avait  repris  durant  plusieurs 
années  par  correspondance,  devait  être  sans  merci  :  Il  faut,  disait-il 
dans  une  de  ses  requêtes  au  Conseil  de  Genève,  il  faut  que  «  la  cause 
soyt  diffinie  pas  mort  de  luy  ou  de  moy.  »  Mais  son  illusion  étaitgrande 
d'espérer  que  ce  ne  serait  pas  lui  qui  serait  la  victime,  même  dans  le 
cas  où  il  aurait  appris  quelque  chose  de  la  lutte  que  sa  détention  avait 
suscitée  entre  Calvin  et  les  Libertins.  Son  système,  il  est  vrai,  avait  à 
sa  base  la  révélation  surnaturelle,  les  faits  miraculeux  du  christianisme 
officiel  :  mais  sur  plusieurs  points,  notamment  sur  le  dogme  de  la  Tri- 
nité et  le  baptême  des  enfants,  il  renversait  ce  que,  dans  l'Eglise  évan- 
gélique  comme  dans  l'Eglise  de  Rome,  on  s'accordait  à  regarder  comme 
les  vérités  essentielles  et  fondamentales  de  la  foi  chrétienne.  On  pou- 
vait même  induire  de  certaines  de  ses  déclarations  (pic sa  pensée  conli- 
nait   parfois   au   panthéisme.  Le  malheureux  devait  donc  fatalement 
succomber.  Aussi  pouvons-nous  invoquer  en  faveur  de  Calvin  le  béné- 
fice  des  circonstances  atténuantes,  lorsque  nous  le  voyons  s'acharner 


540  CALVIN 

contre  l'hérétique  dès  que  celui-ci  fut  découvert  à  Genève  (13  août  1553), 
après  s'être  échappé  des  prisons  inquisitoriales  de  Vienne.  Il  mit  sa 
gloire  à  réaliser  l'ancienne  menace  qu'il  avait  déjà  faite,  en  1546,  de 
ne  pas  le  laisser  «  sortir  vivant  »  de  la  ville.  L'aberration  du  réformateur 
sur  ce  point  est  celle  du  seizième  siècle  tout  entier;  car  tous  les  peuples, 
à  cette  rude  époque,  avaient  écrit  dans  leur  code  la  peine  du  feu  con- 
tre le  blasphème  et  l'hérésie  ;  et  les  réformés  comme  les  catholiques  se 
croyaient  chargés  de  défendre  ce  qu'ils  appelaient  l'honneur  de  Dieu. 
Mais  quand  nous  le  voyons  dénoncer  son  adversaire  à  l'Inquisition  par 
son  ami  de  Trie,  et  faire  passer  aux  mains  du  redoutable  Ory,  comme 
pièces  de  conviction,  les  nombreuses  lettres  confidentielles  qu'il  avait 
reçues  en  divers  temps  de  Servet  et  qui  permirent  au  tribunal  de  Vienne 
d'intenter  un  procès  à  ce  dernier,  nous  n'avons  pas  le  courage  de  dé- 
fendre le  réformateur.  «  Etait-il  donc  chargé  de  la  police  des  consciences 
dans  les  contrées  catholiques  ?  »  dirons-nous  avec  A.  Roget.  Peut-être 
nourrissait-il  l'espoir  d'attendrir  par  cette  dénonciation  le  terrible  in- 
quisiteur préposé  aussi  au  procès  des  cinq  étudiants  français  détenus 
à  Lyon,  pour  la  délivrance  desquels  il  faisait  alors  de  si  actives  démar- 
ches (la  première  lettre  de  Trie  à  Arneys  est  datée  du  26  février  1553). 
Dans  ce  cas,  il  aurait  fait  un  mauvais  calcul,  car  les  cinq  évangéliques 
montèrent  sur  le  bûcher  trois  mois  après  (16  mai).  Quoi  qu'il  en  soit, 
l'auteur  de  la  Restitution  du  christianisme,  après  deux  mois  et  demi  de 
détention  et  de  souffrances  dans  les  prisons  de  Genève,  fut  condamné 
au  feu  avec  son  livre,  et  il  mourut  sur  la  place  de  Champel  avec  l'hé- 
roïsme des  martyrs,  pardonnant  à  ses  accusateurs  et  à  ses  juges,  et 
répétant  cette  parole  d'humilité  et  de  foi:  «  Jésus,  Fils  du  Dieu  éternel, 
aie  pitié  de  moi  !  »  (27  octobre  1553).  S'il  avait  consenti  à  dire  : 
«  Jésus,  Fils  éternel  de  Dieu...,  »  il  aurait  pu  échapper  au  supplice.  11 
préféra  la  mort  à  ce  qui  était  pour  lui  un  mensonge.  Les  villes  suisses, 
consultées,  avaient  répondu  aux  Genevois  «  de  mettre  le  méchant  hors 
d'état  de  répandre  son  poison  ».  Elles  saisirent  avec  empressement 
l'occasion  qui  leur  était  offerte  de  repousser  par  un  argument  défait  le 
reproche  qu'on  leur  faisait  à  l'étranger  d'accueillir  l'hérésie.  C'est  une 
tache  sur  la  Réforme,  une  tache  que  «  tous  les  Ilots  de  l'Océan  et  tous 
les  parfums  de  l'Arabie,  suivant  le  mot  du  poète  anglais,  sont  impuis- 
sants à  laver,  car  c'est  une  tache  de  sang.  »  Rolsec lui-même  applaudit. 
Quelques  nobles  cœurs  seulement  protestèrent:  le  Sicilien  Camille  Renato, 
dans  une  pièce  de  vers  où  il  invite  Calvin  en  termes  émus  et  éloquents 
à  «  apprendre  à  conserver  les  hommes  et  à  tuer  les  erreurs»  ;  Castalion, 
dans  un  livre  célèbre  qu'il  inspira,  s'il  ne  le  composa  pas  lui-même;  et 
Nicolas  Zurkinden,  magistrat  bernois,  qui  écrit  à  Calvin  lui-même  ces 
mémorables  paroles:  «  Le  temps  ne  viendra  jamais  d'une  parfaite  unité 
dans  les  opinions,  et  si  nous  prétendions  réserver  l'exercice  de  la  cha- 
rité pour  le  jour  de  cet  universel  accord,  je  crains  bien  qu'elle  ne 
trouvât  jamais  d'emploi.  L'homme  est  d'ailleurs  ainsi  fait  qu'il  cède 
plus  sûrement  à  la  persuasion  qu'à  la  force,  et  tel  s'est  roidi  devant  le 
bourreau  qui  n'eût  pas  résisté  au  langage  de  la  douceur.  »  Il  faudra 
plus  de  trois  siècles  pour  que  ces  paroles  vraiment  évangéliques  soient 


CALVIN  54! 

comprises  même  des  meilleurs.  —  L'ascendant  de  Calvin  fut  depuis  lors 
à  peu  près  irrésistible.  Cette  même  année  1553,  il  lit  un  suprême  effort 
pourque  la  toute-puissance  disciplinaire  lût  enfin  attribuée  au  consistoire. 
Rendons-lui,  d'ailleurs,  cette  justice  que  cette  réglementation  draco- 
nienne était  pour  tous:  elle  frappait  tous  les  fronts  indistinctement,  les 
plus  illustres,  les  plus  haut  placés,  comme  les  plus  humbles.  11  Pavait 
déjà  dit  dans  son  Institution  de  1536  :  «Il  faut  que  les  dispensateurs  de 
la  parole  divine  forcent  tous  les  grands  de  ce  monde  à  s'incliner  devant 
la  majesté  de  Dieu;  qu'ils  commandent  à  tous;  qu'ils  épargnent  les  brebis 
et  exterminent  les  loups;  qu'ils  lient,  délient,  foudroient,  le  tout  selon 
la  parole  de  Dieu.  »  Bonnivard  avait  été  cité  à  comparaître  (1541)  pour 
avoir,  un  soir,  en  attendant  que  le  souper  fût  prêt,  joué  aux  dés  un 
quarteron  de  vin  avec  Clément  Marot.  Un  riche  marchand,    François 
Favre,  qui  avait  jadis  conduit  les  galères  genevoises  destinées  à  l'atta- 
que de  Chillon,  avait  aussi  été  amené  sur  la  sellette  pour  cause  de 
libertinage  (1546)  ;  et  son  gendre,  Ami  Perrin,  capitaine  général  de 
la  république,  sa  lille,  femme  de  Perrin,  et  son  fils  Gaspard  avec  une 
vingtaine  des  premiers  de  la  ville,  parmi  lesquels  le  syndic   Corne, 
alors  président  du  consistoire,  avaient  subi  quelques  jours  de  prison 
pour  avoir  pris  part  à  une  danse  aux  tambourins  au  logis  d'Ant.  Lect. 
((  Quand  il  y  aurait  dans  la  maison  des  Favre,  écrivait  à  ce  sujet  Cal- 
vin à  Farel,  autant  de  diadèmes  qu'il  y  a  de  têtes  à  l'envers  (furiosa 
capita),  cela  ne  saurait  empêcher  que  le  Seigneur  ne  demeure  victo- 
rieux. »  La  victoire  lui  resta  du  moins  à  lui.  Pendant  que  s'instruisait 
le  procès  du  docteur  espagnol,  le  Conseil,  contrairement  à  une  déci- 
sion antérieure  du  consistoire,  avait  permis  à  Ph.  Berthelier  de  commu- 
nier, «s'il  se  sent  net  en  sa  conscience,  »  dit  le  protocole;  mais  Calvin, 
le  dimanche  3  septembre,  dans  le  temple  de  Saint-Pierre,  sur  la  fin  de 
son  sermon,  «  proteste  que  sa  vie  en  respondroit  présentement  plustôt 
que  de  bailler  la  cène  à  ceux  à  qui  elle  estoit  défendue  »  (  Vie  de  Cal- 
vin, 1565) .  Berthelier,  du  reste,  ne  se  présenta  point.  Après  une  passa- 
gère réconciliation  entre  les  deux  partis,  la  lutte  continua  plus  ardente 
que  jamais.  Calvin  aurait  préféré  quitter  Genève  plutôt  que  de  céder 
sur  ce  point  capital.  Et  grâce  au  concours  de  plusieurs  centaines  de 
réfugiés  presque  tous  français,  qui  avaient  été  admis  à  la  bourgeoisie 
(il  y  avait  eu  1,360  admissions  de  1548  à  1554),  et  qui  formaient  au- 
tour du  réformateur  comme  une  phalange  fidèle,  il  resta  finalement 
maître  du  champ   de  bataille.   Les   Genevois  choisirent  parmi   ses 
amis  les  quatre  syndics  de  1555;  et  comme  le  parti  national  des  Li- 
bertins tenta,  sans  succès,   une  prise   d'armes  nocturne  contre  les 
réfugiés,  le  16  mai  de  cette  même  année,  quatre  de  leurs  chefs  eurent 
la  tête  tranchée,  soixante  et  un  furent  impitoyablement  condamnés  à 
l'exil  et  à  de  fortes  amendes  comme  rebelles,  et  la  peine  de  mort  fut 
prononcée  contre  qui  proposerait  leur  rappel.  Dès  ce  moment  donc  la 
royauté  morale  du  réformateur  ne  rencontra  presque  point  d'opposition. 
Ce  ne  fut  pourtant  pas  par  son  vote  qu'il  exerça  cette  espèce  de  royauté, 
car  il  ne  se  lit  recevoir  bourgeois  de  Genève  qu'en   1560,  et  encore 
fallut-il  que  le  magistrat  lui  suggérât  cette  démarche;  il  l'exerça  parce 


542  CALVIN 

que  ses  amis  appelaient  «  la  majesté  de  son  caractère  ».  Il  avait  mis 
vingt  ans  à  pétrir  de  sa  forte  main  cette  population  frivole  et  si  aisé- 
ment'ameutée;  mais  il  parvint  à  la  marquer  de  son  empreinte;  et 
cette  empreinte  fut  si  profonde  qu'aujourd'hui  encore,  après  trois 
siècles,  elle  n'est  pas  complètement  effacée.  A  l'exemple  de  Luther,  de 
Zwingle,  de  Sturm,  d'OEcolampade,  il  fit  de  l'instruction  un  auxiliaire 
puissant  de  la  Réforme.  Libre  désormais  de  porter  toute  sa  sollicitude 
de  ce  côté,  il  fonda,  le5  juin  1559,  cette  académie  à  la  tête  de  laquelle  il 
plaça  Théodore  de  Bèze,  et  qui,  si  rapidement  illustre,  est  devenue  la 
gloire  la  plus  incontestée,  la  plus  pure  de  Genève.  On  compta  par  milliers 
des  hommes  de  toute  condition  et  de  tout  âge  qui,  accourus  de  tous  les 
points  de  l'Europe  pour  écouter  les  prédications  et  les  leçons  du  réfor- 
mateur, s'en  retournaient  bientôt  dans  leur  pays  d'origine,  enflammés 
de  foi  et  de  prosélytisme,  et,  bravant  tous  les  périls,  se  mettaient  à 
l'œuvre  sainte  avec  là  vocation  du  martyre.  C'était  à  lui,  après  Dieu, 
qu'ils  regardaient,  de  lui  qu'ils  réclamaient  les  encouragements  et  les 
conseils  ;  et  quand  ils  devaient  souffrir  et  mourir  pour  la  cause  de  l'E- 
vangile, c'était  encore  une  missive  adhortatoire  écrite  de  sa  main  qui 
les  fortifiait  dans  les  tortures  des  prisons  et  au  moment  du  supplice.  Ils 
savaient  avec  quelle  brûlante  sympathie  il  cherchait  à  soulager  leur 
misère  :  il  fallait  d'une  façon  ou  d'une  autre  que  des  secours  leur  arri- 
vassent, «  quand  je  devrois,  dit-il,  y  engager  teste  et  pieds  » .  Ils  l'aimaient, 
ils  le  vénéraient  comme  un  père.  Aussi  comprend-on  sa  hère  réplique  à 
des  adversaires  qui  tournaient  en  opprobre  le  fait  que  Dieu  ne  lui  eut 
pas  donné  des  enfants:  «  N'ai-je  pas  des  milliers  d'enfants  dans  le 
monde  chrétien  ?  » —  Qui  dira  l'ardeur,  la  persévérance,  la  virile  tendresse 
déployées  par  Calvin  dans  cette  immense  propagande  religieuse  dont  il 
fut  l'àme  jusqu'à  son  dernier  soupir?  Qui  dira  cet  apostolat  presque  uni- 
versel qu'il  exerça  plus  d'un  quart  de  siècle  auprès  de  tous  ceux,  grands 
ou  petits,  rois,  princes,  seigneurs,  savants,  simples  fidèles  ou  prison- 
niers obscurs,  qui  le  considéraient  comme  leur  guide  spirituel?  Il  faut 
le  demander  surtout  à  ses  lettres  intimes  dont  de  pieuses  mains  ont 
publié  ou  publient  en  ce  moment  le  vaste  recueil.  Aussi  bien,  ce  n'est 
pas  à  Genève  que  se  présentent  à  nous,  sous  leur  plus  favorable  aspect, 
les  grandes  parties  de  la  personne  et  de  l'œuvre  de  Calvin.  Dans  les 
murs  étroits  de  la  remuante  cité,  sans  cesse  aux  prises  avec  des  intérêts 
mesquins,  il  s'amoindrit  à  nos  yeux;  ses  qualités  maitresses  sont  voilées 
par  ces  contestations  puériles  où  son  inflexibilité  dogmatique  et  sa  polé- 
mique à  outrance,  les  susceptibilités  de  son  amour-propre  et  son  irrita- 
bilité nerveuse  sont  trop  en  vue.  Il  ne  se  révèle  à  nous  dans  toute  la 
grandeur  de  son  génie  que  sur  ce  théâtre  plus  vaste  qui  s'étend  des 
Pyrénées  et  des  bords  de  l'Océan  aux  contrées  septentrionales  de 
l'Europe.  Et  s'il  reste  à  Genève,  malgré  les  oppositions,  les  tracasseries 
incessantes  dont  il  fut  harcelé,  à  Genève  que  jamais  il  n'aima,  c'est  que, 
dans  sa  conviction,  il  ne  pouvait  trouver  ailleurs  un  coin  déterre  qui  pût 
servir  de  forteresse  à  la  Réforme  et  qui  fût  plus  propice  au  développe- 
ment de  son  œuvre.  Rien  que  sur  le  sol  français,  plus  de  2,000  Eglises 
furent,  de  son  vivant,  «  dressées  »  par  lui  ou  par  ses  disciples.  On 


CALYIX  541 

peste  miment  confondu  devant  une  activité  si  dévorante  et  une  si 
prodigieuse  capacité  de  travail.  Cette  correspondance  quotidienne  à 
laquelle  tout  antre  n  aurait  pu  suffire,  ne  lui  prenait  que  ses  loisirs. 
Il  réservait  tout  son  temps  à  ses  fonctions  de  pasteur  et  de  pro- 
fesseur de  théologie,  à  ses  prédications,  à  la  rédaction  d'écrits  innom- 
brables. On  a  conservé  de  lui  2,025  sermons  manuscrits,  et  la  collection 
de  ses  ouvrages  comprend  dix  volumes  in-folio.  C'était  «un  arc  toujours 
tendu  »,  selon  la  juste  expression  d'un  contemporain.  Ses  délassements 
étaient  rares  et  (Tune  simplicité  antique.  «  Quelquefois,  ditBèze,  quand 
cela  venoit  à  propos  et  en  compagnie  familière,  il  se  récréoit  au  palet, 
à  la  clef,  ou  autre  tel  jeu  licite  par  les  loix  et  non  défendu  en  ceste  ré- 
publique; mais  encore  c'estoit  bien  peu  souvent,  et  plustost  à  fin- 
citation  de  ses  familiers  amis,  que  de  son  propre  mouvement  » 
(  Vie  de  Calvin,  1565).  «  Ce  qui  rend  ses  labeurs  plus  admirables,  dit 
encore  son  illustre  biographe,  c'est  qu'il  avoit  un  corps  si  débile  de 
nature,  tant  atténué  de  veilles  et  de  sobriété  par  trop  grande,  et  qui 
plus  est  sujet  à  tant  de  maladies,  que  tout  homme  qui  le  voyoit 
n'eust  peu  penser  qu'il  eust  peu  vivre  tant  soit  peu  »  {ibid.). 
Ce  lutteur  infatigable,  ce  prodigieux  travailleur  ne  connut  le  repos 
qu'après  qu'il  eut  achevé  son  œuvre,  quand  Genève  fut  devenue  par 
ses  soins  ((  la  ville  située  sur  la  montagne  »,  éclairant  le  monde  de  sa 
fécondante  lumière.  Il  mit  longtemps  à  mourir.  Le  30  mars  1564,  il 
siégea  pour  la  dernière  fois  au  consistoire  ;  rentré  chez  lui,  rue  des 
Chanoines,  il  n'en  sortit  plus.  Le  27  avril,  le  Conseil,  apprenant  qu'il 
est  «  pressé  de  maladies  jusqu'à  la  mort,  décide  qu'il  ira  le  trouver  en 
son  logis  pour  entendre  ce  qu'il  voudra  dire,  et  après,  luy  présenter 
toute  bonne  affection  et  amitié  pour  les  agréables  services  qu'il  a  faits 
à  la  seigneurie  et  qu'il  s'est  acquitté  fidèlement  de  sa  charge  ».  Calvin, 
recevant  chez  lui  cette  visite  officielle,  remercie  d'abord  les  membres  du 
Conseil  «  de  ce  qu'ils  l'ont  supporté  en  ses  affections  trop  véhémentes 
esquelles  il  se  desplait  et  en  ses  vices,  et  de  ce  quetousjours  ils  luy  ont 
monstre  te4  signe  d'amitié  qu'ils  ne  pouvoient  mieulx  faire  ».  Puis  il  les 
exhorte  à  mériter  toujours  plus  la  bénédiction  divine.  «  Et  cela  faisant, 
combien  que  nous  soions  comme  pendans  d'un  fil,  Dieu  continuera 
comme  du  passé  à  nous  garder  ainsi  que  desja  nous  avons  expérimenté 
qu'il  nous  a  saulvés  en  plusieurs  sortes.  »  «  Finalement,  ajoute  le  se- 
crétaire du  Conseil  dans  le  protocole  de  ce  jour,  après  avoir  derechef 
prié  d'estre  excusé  en  ses  infirmités,  prenant  en  gré  son  petit  labeur, 
il  a  prié  ce  bon  Dieu  qu'il  nous  conduise  et  gouverne  tousjours,  aug- 
mente ses  grâces  sur  nous  et  les  fasse  valoir  pour  notre  salut  et  celui 
de  tout  ce  pauvre  peuple.  »  Le  lendemain  28  avril,  ses  adieux  à  ses 
collègues  furent  des  plus  touchants  :  «  J'ai  eu  beaucoup  d'infirmités 
que  vous  aviez  à  supporter,  leur  dit-il  (nous  citons  quelques  lignes  des 
notes  prises  par  le  ministre  Jean  Pinaut),  et  même  tout  ce  que  j'ai  fait 
n'a  rien  valu.  Les  méchants  s'empareront  de  ce  mot,  mais  je  le  répète, 
tout  ce  que  j'ai  fait  n'a  rien  valu  ;  je  suis  une  misérable  créature  !  .Uais 
je  puis  din;  que  j1ai  eu  la  bonne  volonté,  et  mes  vices  m'ont  toujours 
déplu  ;  et  la  racine  de  la  crainte  de  Dieu  a  été  dans  mon  cœur;  et  vous 


544  CALVIN 

pouvez  dire  cela,  que  l'affection  a  été  bonne  ;  et  je  prie  que  le  mal  me 
soit  pardonné  ;  mais  s'il  y  a  du  bien,  que  vous  vous  y  conformiez  et  le 
suiviez.  »I1  expira  le  samedi  27  mai,  vers  huit  heures  du  soir,  «  Voilà,  dit 
Bèze,  comme  en  un  mesme  instant  ce  jour-là  le  soleil  se  coucha;  et  la  plus 
grande  lumière  qui  fust  en  ce  monde  pour  l'adresse  de  l'Eglise  de  Dieu 
fut  retirée  au  ciel...  La  nuict  suivante  et  le  jour  aussi,  il  y  eut  de  grands 
pleurs  par  la  ville.  Car  le  corps  d'icelle  regrettoit  le  prophète  du  Sei- 
gneur; Je  povre  troupeau  de  l'Eglise  pleuroit  le  départ  de  son  fidèle 
pasteur  ;  l'escole  se  lamentoit  de  son  vray  docteur  et  maistre  ;  et  tous 
en  général  pleuroyent  leur  vrai  père  et  consolateur  après  Dieu  »  (  Vie  de 
Calvin,  lo6o.)  Farel,  son  plus  intime  ami  avec  Viret,  et  qui,  dans  les 
moments  difficiles,  était  toujours  accouru  de  Neuchâtel  à  Genève  pour 
le  soutenir  devant  les  Conseils  ou  le  peuple,  épancha  sa  douleur  dans 
une  lettre  qu'il  adressa,  le  6  juin,  au  pasteur  Fabri  de  Thonon  :  «  Oh  ! 
que  ne  suis- je  en  son  lieu  retiré,  et  que  lui,  tant  utile,  tant  servant, 
n'est  en  santé  ici,  longuement,  servant  les  Eglises  de  notre  Seigneur! 
Lequel  soit  béni  et  loué  que,  de  sa  grâce,  là. où  je  n'y  avais  jamais 
pensé,  me  l'a  fait  rencontrer,  et  contre  ce  qu'il  avait  délibéré,  l'a  fait 
arrêter  à  Genève  et  s'en  est  servi  là  !  Oh  !  qu'il  a  couru  heureusement  une 
belle  course  !  Le  Seigneur  fasse  que  nous  tous  courions  selon  les  grâces 
qu'il  nous  fait,  comme  Calvin  a  fait!  »  Le  lendemain  dimanche,  sur  les 
deux  heures  après  midi,  son  corps  fut  porté  au  cimetière  commun  de 
Plainpalais,  «  sans  pompe  ni  appareil  quelconques,  »  dit  Bèze  ;  nul 
monument  ne  marque  la  place  où  il  fut  inhumé  ;  et  quatre  jours  après 
sa  mort  on  inscrivit  sur  le  registre  du  consistoire  ces  mots  d'une  élo- 
quente simplicité  :  «  Calvin  est  allé  à  Dieu  le  27  mai  de  la  présente 
année.  »  En  esquissant  à  grands  traits  la  biographie  du  réformateur  de 
Genève,  nous  n'avons  eu  qu'un  souci  :  l'exactitude  historique.  Nous 
nous  sommes  tenu  à  égale  distance  des  écrivains  qui  ont  tourné  cette 
biographie  en  pamphlet,  décidés  qu'ils  étaient  à  tout  noircir,  quand 
cen'était  pas  à  tout  falsifier,  et  de  ceux  qui,  au  pôle  opposé,  ont  cherché 
à  tout  excuser,  quand  ce  n'était  pas  à  tout  applaudir.  A  l'encontre  des 
derniers,  nous  répétons  le  mot  que  disait  déjà,  de  son  temps,  l'un  de 
ses  plus  ardents  admirateurs  :  «  C'était  un  homme,  mais  non  pas  un 
ange.  »  A  l'encontre  des  premiers,  qui  veulent  en  faire  un  monstre  d'ini- 
quité, nous  dirons  :  «  C'était  un  homme,  etnon  pas  un  démon.  »  C'était 
un  homme  qui,  par  sa  foi  et  son  incorruptible  amour  pour  la  vérité, , 
a  changé  la  face  d'une  partie  du  monde.  Et  si,  dans  «  la  belle  course  » 
qu'il  a  courue,  selon  la  juste  expression  de  Farel,  il  a  souvent  bronché, 
que  ses  fautes  inséparables  des  temps  troublés  où  il  vécut  soient,  en 
partie  du  moins,  rachetées  par  ses  rares  vertus.  L'œuvre  sainte  qu'il  a 
eu  pour  mission  de  fonder  et  dont  le  glorieux  développement  se  pour- 
suit sous  nos  yeux  dans  la   moitié  du  protestantisme,   lui   assigne   à 
jamais  une  place  parmi  ces  grands  serviteurs  de  Dieu  qui,  par  leur  vie 
d'immolation  et  leurs  écrits,  ont  le  plus  contribué  à  l'avancement  de 
son  règne  ici-bas.  —  A  consulter  :  Th.  de   Bèze,  ses   trois   Vies  de 
Calvin,  1564,  1565,  lo75;  A.-L.  Herminjard,  Correspondance  des  né- 
formateurs  dans  les  pays  de  langue  française,  I,  II,  III,  IV;  Calvini 


CALVIN  545 

Opéra,  édit.  Banni,  Ctlnitz  él  Reuss  (15  volumes  ont  déjà  paru); 
A.  Roget,  Hist.  du  peuple  de  Genève  (3  volumes  ont  paru)  ;  L'Eglise  ci 
VEtat  à  Genève  du  rimai  de  Calvin;  Galwie.  suisse,  t.  1,  p.  313-328; 
J.  Bonnet,  Lettres  françaises  de  Calvin,  2  vol.;  Récits  du  seizième 
siècle;  les  frères  Haag,  La  France  prot.;  L.  Vulliemin,  Hist.  de  la 
Réformation  île  la  Suisse:  Le  Chroniqueur,'  Hist.  de  la  Confédération 
suisse,  art.  Calvin,  dans  le  t.  II;  Bulletin  de  VHist.  du  Prot.  fr., 
passim  ;  Kampschulte,  Johann  Calvin,  seine  Kirche  vnd  der  Staat  in 
Genf;  Merle  d'Aubigné,  Hist.  de  la  Réf.  au  temps  de  Calvin;  P.  Henri, 
Das  Leben  Johann  Calvins  ;  Gaberel,i//s£.  de  VEql.  de  Genève  ;  Galifï'e, 
Notice  sur  C  air  in;  Bungener,  Calvin  ;  Ern.  Stœhelin,  Calvin,  2  vol.; 
A.  Savons,  Etudes  sur  les  Réformateurs  ;  Guizot,  Saint  Louis  et  Calvin, 
Le  Lien,  186()-I870;  Albert  Rilliet,  Lettre  à  M.  Merle  d'Aubigné  sur 
deux  points  obscurs  de  la  vie  de  Calvin;  Etrennes  chrétiennes,  Genève, 
1871;  Hoff,  Vie  de  Calvin;  Journal  de  Genève,  2  juillet  1874,  30  octob. 
1875,  30  décemb.  1876;  Alfred  Franklin,  Vie  de  J.  Calvin,  etc.,  etc. 

Charles  Dardier. 
II.  Le  Théologien.  Voici  les  traits  principaux  du  système  dogmatique  àe, 
Calvin  :  —  1 .  La  connaissance  de  Dieu,  créateur  et  conservateur  du  monde, 
estinnée  à  renne;  mais  elle  a  été  obscurcie  par  le  péché.  Dieu  s'est  égale- 
ment révélé  dans  Y  univers;  malheureusement,  dans  notre  obstination 
inexcusable,  nous  fermons  les  yeux  à  la  lumière  qui  brille  dans  ses 
œuvres,  et  nous  attribuons  au  hasard  les  événements  extraordinaires 
dont  nous  sommes  témoins.  Le  paganisme  représente  l'abandon  par 
l'humanité  de  cette  double  manifestation  de  Dieu.  Dans  un  autre  ordre 
d'idées,  Calvin  affirme  que  la  révélation  divine  dans  la  nature  est  im- 
parfaite et  insuffisante  pour  nous  conduire  à  la  vérité.  Dieu  s'est  encore 
révélé  dans  Y  Ecriture.  Il   s'est  fait  connaître  aux  patriarches  et  aux 
prophètes,   et  la  certitude  qu'il  a  fait  naitre  en  eux  quant  à  l'origine* 
divine   de    ce    qu'ils  entendaient,  était  supérieure  à    tout  raisonne- 
ment humain.  La  même  certitude  s'éveille  encore  en  nous  à  la  lecture 
de  la  Bible  :  son  autorité  ne  dépend  pas  du  témoignage  extérieur  de 
l'Eglise,  mais  du  témoignage  intérieur  du  Saint-Esprit.  La  perception 
de  cette  voix  de  l'esprit  est  un  «  privilège  dont  Dieu  honore  ses  seuls 
élus.  »  D'autres  «  preuves  humaines  et  secondaires  »  corroborent  cette 
autorité  collective  des  livres  saints.  Qu'on  n'oppose  pas  l'illumination 
intérieure  del'Esprit  à  la  doctrine  des  Ecritures,  car  l'Esprit  ne  saurait 
tenir  un  double  langage:  c'est  par  la  lecture  de  la  Bible  que  nousrecon- 
naitrons  si  nous  avons  l'Esprit  ou  non,  car  «  le  Seigneur  a  uni  entre 
elles  par  un  lien  réciproque  la  certitude  de  la  parole  écrite  et  celle  de 
PEsprit.  »  L'Esprit  est  le  seul  interprète  autorisé  de  la  Bible  :  aussi  ren- 
controns-nous chez  Calvin  une  exégèse  éminemment  dogmatique,  basée 
sur  le  principe  de  «  l'analogie  de  la  foi  »,  ou  de  l'unité  de  l'enseigne- 
ment scriptural iv.  L'Ecriture  parle  très-rarement  de  la   substance  de 
Dieu  :  elle  nous  le  fait  connaître  «  non  tel  qu'il  est  en  lui-même,  mais 
tel  qu'il  est  vis-à-vis  de  nous.  »  «  Le  Saint-Esprit  n'a  pas  eu  pour  but 
de]  satisfaire  chez  nous  une  vainc  curiosité  :  tout,  dans  ses  oracles,  a 
pour  but  L'édification.  »  Le  dogme  de  la  Trinité  est  conforme;  selon 
h.  35 


546  CALVIN 

Calvin,  à  Ja  doctrine  des  Ecritures.  Dès  1530,  Calvin  a  enseigné  qu'il 
existe  en  Dieu  une  substance  unique  et  trois  personnes  ou  «  subsis 
tances  »,  appelées  aussi  par  lui  «  propriétés  »,  non  qu'il  eût  incliné 
vers  le  sabellianisme,  mais  pour  bien  accentuer  le  caractère  parti- 
culier de  chacune  des  trois  personnes.  Lors  de  ses  démêlés  avec 
Caroli  (1337),  il  protesta  contre  V usage  obligatoire  de  la  terminologie 
des  anciens  symboles  ;  plus  tard,  sa  lutte  contre  les  antitrinitaires  lui 
fit  regarder  cette  latitude  comme  dangereuse  et  l'amena  à  exiger  l'em- 
ploi des  expressions  consacrées.  La  perversité  du  diable  et  de  ses  anges 
provient  d'une  chute  et  n'est  pas  attribuable  au  Créateur.  Ailleurs 
cependant  Calvin  l'ait  dépendre  la  persévérance  de  certains  anges  dans 
le  bien  et  la  chute  des  démons  de  la  prédestination  éternelle  de  Dieu, 
et  il  nomme  Satan  «  l'esprit  qui  a  été  tait  pour  combattre  la  gloire  de 
Dieu  et  le  salut  des  hommes.  »  Les  démons,  comme  les  bons  anges, 
sont  les  ministres  de  Dieu,  «  sans  la  volonté  et  le  consentement  duquel 
ils  ne  peuvent  rien  l'aire.  Satan  est  si  bien  tenu  enchaîné  par  le  frein 
de  la  puissance  divine,  qu'il  obéit,  qu'il  le  veuille  ou  non,  à  son  Créa- 
teur, car  il  est  contraint  de  prêter  ses  services .  à  tout  acte  auquel  Dieu 
le  pousse.  »  Uhomme  a  été  créé  à  l'image  de  Dieu,  c'est-à-dire  «  il  a 
été  revêtu  de  la  sagesse  et  de  la  vérité,  delà  justice  et  de  la  sainteté  ;ila 
possédé  la  lumière  de  l'intelligence,  la  rectitude  parfaite  du  cœur  et  de 
la  volonté,  et  la  domination  de  la  raison  sur  la  nature  physique,  portant 
elle-même  l'empreinte  de  la  gloire  intérieure.  »  Mais  Dieu  lui  a  refusé 
le  don  de  la  persévérance  dans  le  bien,  qui  eût  exclu  toute  possibilité 
de  pécher;  avec  la  connaissance  du  bien  et  du  mal,  il  lui  a  donné  le 
libre  arbitre.  Dans  un  autre  ordre  d'idées,  Calvin  appelle  la  volonté 
d'Adam  non-seulement  «  flexible  dans  l'un  et  dans  l'autre  sens  »,  mais 
encore  «  caduque  »;  Dieu  l'a  donnée  à  l'homme  «  pour  tirer  de  sa 
chute  la  matière  de  sa  propre  gloire.  »  De  même,  il  explique  la  facilité 
de  la  chute  d'Adam  par  le  fait  que  Dieu  lui  a  refuse  la  constance  dans 
le  bien.  «  La  providence  de  Dieu  n'est  pas  seulement  sa  prescience, 
mais  encore  son  activité  infinie,  par  laquelle  il  gouverne  le  ciel,  la 
terre,  ainsi  que  les  résolutions  et  les  volontés  des  hommes,  et  les  mène 
au  but  qu'il  leur  a  fixé.  »  Elle  est  à  la  fois  générale  et  spéciale;  de 
plus,  elle  est  immuable.  Calvin  se  défend  contre  le  reproche  d'ensei- 
gner le  fatalisme  des  stoïciens  :  c'est  au  Dieu  personnel  qu'il  attribue 
le  gouvernement  de  l'univers,  et  non  à  la  «  nécessité  qui  résulte  de 
l'enchaînement  sans  fin  des  causes  naturelles  ».  La  volonté  de  Dieu 
est  «  la  cause  suprême  et  première  de  toutes  choses  ».  Mais  au-dessous 
d'elle  agissent  des  «  causes  inférieures  »  qu'il  nous  importe  de  ne  pas 
négliger;  l'idée  de  l'activité  infinie  de  Dieu  ne  nous  dispense  pas  d'être 
reconnaissants  envers  nos  bienfaiteurs,  d'attribuer  à  notre  imprudence 
les  pertes  que  nous  faisons,  et  d'user  de  remèdes  contre  les  maux  qui 
nous  affligent.  La  doctrine  de  la  providence  divine  est  destinée  à  donner 
aux  fidèles  une  grande  tranquillité  d'esprit,  car  ils  se  savent  toujours 
entre  les  mains  de  Dieu,  et  une  profonde  humilité  dans  leurs  juge- 
ments :  «  Puisque  Dieu  s'attribue  un  droit  de  gouverner  le  monde  qui 
nous  est  inconnu,  notre  devoir  est  de  nous  soumettre  à  son  pouvoir,  de 


CALVIN  547 

manière  que  sa  volonté  soit  pour  nous  la  règle  unique  de  justice,  et  la 
cause  souverainement  juste  de  toutes  choses.  »  La  providence  de  Dieu 

embrasse  les  bons  et  les  méchants,  par  lesquels  Dieu  manifeste  égale- 
ment sa  puissance.  Dieu  n  Vu  est  pas  pour  cela  Fauteur  du  mal,  car  «  il 
se  sert  de  la  matière  du  mal,  qui  réside  dans  l'homme  mauvais,  selon 
son  bon  plaisir,  de  même  que  le  soleil  produit  l'odeur  fétide  du  cadavre 
sans  que  la  pureté  de  ses  rayons  en  soit  altérée.  »  L'Ecriture  elle-même 
enseigne  que  Dieu  obscurcit  les  esprits  et  endurcit  les  coeurs*  qu'il 
crée  la  lumière  et  les  ténèbres  et  forme  le  bien  et  le  mal  (Es.  XLV, 
7;  Amos  III,  0).  Ce  qui  est  contraire  à  la  volonté  de  Dieu  expri- 
mée dans  la  Loi,  n'en  est  donc  pas  moins  conforme  à  cette  volonté, 
car  elle  est  simple  en  elle-même,  et  c'est  notre  intelligence  bornée 
qui  seule  peut  trouver  une  contradiction  entre  les  diverses  manières 
suivant  lesquelles  se  manifeste  la  sagesse  de  Dieu  (Eph.  III,  10). 
—  2.  L'œuvre  entière  de  la  création  a  été  viciée  par  la  chute  d'Adam. 
C'est  par  une  désobéissance  volontaire  que  le  premier  homme  est 
tombé.  Dans  un  autre  ordre  d'idées,  ce  péché  est  représenté  comme 
ayant  son  principe  dans  la  prédestination  éternelle  de  Dieu.  «  Dieu  n'a 
pas  seulement  prévu  la  chute  du  premier  homme,  il  l'a  ordonnée  par 
un  décret  de  sa  volonté.  »  Juxtaposant  les  deux  points  de  vue  sans 
les  concilier,  Calvin  s'exprime  ainsi  :  te  L'homme  tombe  en  vertu  d'une 
décision  de  la  providence  divine;  mais  il  tombe  par  sa  faute.  »  L'image 
de  Dieu  a  été  profondément  corrompue  dans  l'homme,  mais  non 
anéantie,  par  le  péché.  L'aveuglement  de  l'intelligence,  l'impuissance 
de  la  volonté,  l'impureté  du  cœur  ont  remplacé  les  trésors  spirituels 
qu'Adam  avait  possédés  dans  son  «union  avec  Dieu  ».  Adam  a  entraîné 
dans  sa  ruine  tous  ses  descendants.  «  Avant  de  naître,  nous  sommes 
souillés  et  condamnables  aux  yeux  de  Dieu,  car  nous  provenons  d'une 
semence  impure.  La  nature  entière  de  l'homme  est  une  semence  de 
péché  ;  l'homme  tout  entier  n'est  que  concupiscence.  »  Par  suite  de  ce 
péché,  la  colère  divine  pèse  sur  nous,  non  à  cause  du  délit  d'autrui, 
mais  à  cause  du  vice  de  notre  propre  nature,  lequel  mérite  d'être  puni. 
Quant  au  mode  de  cette  transmission  héréditaire,  il  suffit  de  savoir  qu'A- 
dam a  perdu  pour  lui  et  pour  toute  sa  race  les  biens  dont  Dieu  avait  gra- 
tifié dans  sa  personne  la  nature  humaine  entière,  et  que  le  péché  d'Adam 
s'est  transmis  à  toute  sa  race  «  parce  que  Dieu  l'a  bien  voulu  ainsi  ». 
S'il  y  a  eu  de  tout  temps  des  hommes  non  régénérés  qui  se  sont 
distingués  par  «  une  certaine  pureté  d'âme,  »  c'est  que,  «  dans  cette» 
corruption  de  la  nature  humaine,  qui  n'est  pas  absolue,  il  y  a  une  place 
pour  la  grâce  de  Dieu,  non  pour  purifier  complètement  cette  nature, 
mais  pour  y  cohabiter  (avec  le  mal).  Dieu  réprime  par  le  frein  de  sa 
grâce  la  rébellion  des  réprouvés,  autant  que  cela  est  utile  à  la  conser- 
vation ne  runivers.  »  Le  mal  n'est  pas  une  «propriété  substantielle'  »  de 
notre  être,  mais  une  «  qualité  qui  s'y  est  ajoutée».  Il  nous  reste  encore 
de  notre  splendeur  première  comme  des  «  ruines  informes  ».  L'intel- 
ligence, avec  la  l'acuité  de  distinguer  le  bien  et  le  mal,  et  la  volonté 
n'ont  pas  été  anéanties,  mais  seulement  affaiblies  et  corrompues,  Nou 
ne  pouvons  plus  ni  penser  ni  désirer  rien  de  bon  :   il  nous  peste  tout 


548      •  CALVIN 

au  plus  T aptitude  à  la  «  justice  civile  ».   «  L'intelligence  des   choses 

célestes,  »  la  connaissance  de  Dieu  et  de  sa  volonté,  nous  a  été  enlevée  ; 

les  philosophes,  sans  doute,  ont  conservé  une  «  saveur  exiguë  de  la 
divinité  »,  mais  qui  est  aussi  insuffisante  pour  les  conduire  à  la  vérité, 
que  le  sont  les  -éclairs  pour  guider  le  voyageur  égaré  au  milieu  des 

énèbres.  L'homme  a  conservé  «  l'intelligence  des  choses  terrestres  », 
ou  l'aptitude  à  la  politique,  aux  arts  mécaniques  et  aux  disciplines 
libérales,  dont  Calvin  a  fait  un  splendide  éloge.  La  présence  de  fous  et 
d'idiots  dans  le  monde  montre  jusqu'où  la  faute  d'Adam  aurait  en- 
traîné l'humanité  entière  si  Dieu  n'était  intervenu  dans  sa  clémence 
pour  circonscrire  le  mal.  Privée  de  sa  liberté,  la  volonté  est  entraînée 
«  nécessairement  »  vers  le  péché.  Cette  nécessité  n'en  est  pas  moins 
«  volontaire  »,  car  c'est  en  vertu  de  sa  liberté  que  la  volonté  s'est  faite 
esclave.  Nous  ne  pouvons  même  pas  soupirer  après  la  délivrance  :  c'est 
Dieu  qui  commence  en  nous  l'œuvre  de  la  conversion  en  éveillant  le 
désir  de  la  justice  ;  il  la  continue  en  déterminant  notre  volonté  vers  le 
bien,  sans  aucune  préparation  ni  coopération  de  notre  part.  Les  exhor- 
tations et  les  remontrances  ecclésiastiques  n'en  deviennent  pas  pour 
cela  mutiles,  car  c'est  par  ces  moyens  extérieurs  que  l'Esprit  agit  dans 
le  cœur  des  hommes  pour  convertir  les  uns  et  convaincre  les  autres 
de  la  légitimité  de  leur  condamnation  par  le  témoignage  de  leur  con- 
science. Christ,  en  effet,  n'en  a  pas  moins  prêché  larepentance,  tout  en 
enseignant  que  personne  ne  peut  venir  à  lui  si  le  Père  ne  l'attire.  Seul, 
un  médiateur  envoyé  par  Dieu  peut  nous  apprendre  que  malgré  la 
voix  de  notre  conscience,  qui  nous  condamne,  Dieu  est  disposé  à  nous 
pardonner.  Ce  médiateur,  c'est  Christ,  dont  la  venue  future,  promise 
à  Abraham,  a  été  l'objet  de  la  foi  d'Israël,  et  dont  l'œuvre  rédemptrice 
a  été  la  substance  de  toutes  les  expiations  de  l'Ancien  Testament.  La 
venue  de  Christ  a  aboli  toutes  les  cérémonies  par  lesquelles  sa  mort 
et  sa  résurrection  étaient  préfigurées  au  peuple  d'Israël.  Elle  n'a  pas 
aboli  la  loi  morale,  à  l'accomplissement  de  laquelle  Dieu  avait  attaché 
ses  récompenses  :  non  que  nous  soyons  autorisés  à  conclure  du  nombre 
de  ses  préceptes  à  l'étendue  de  notre  liberté,  car  ce  n'est  pas  à  notre 
faiblesse  que  Dieu  a  pu  demander  la  mesure  de  la  règle  suprême  de 
justice  qu'il  a  donnée  dans  la  loi.  Pareillement  Dieu  ne  s'est  pas  joué, 
des  hommes  quand  il  a  subordonné  ses  promesses  à  des  conditions 
qu'ils  ne  pouvaient  remplir  :  il  a  voulu  leur  apprendre  par  là  que  ses 
promesses  sont  pour  eux  sans  effet,  à  moins  qu'ils  ne  cherchent  leur 
refuge  en  sa  bonté  gratuite,  clans  la  foi  au  Sauveur.  La  loi  écrite  a  dans 
l'économie  du  salut  une  triple  utilité.  D'abord  elle  nous  fait  connaître 
nos  péchés  et  sentir  la  malédiction  divine.  En  cela  elle  est  d'accord 
avec  la  loi  de  notre  conscience.  En  outre  elle  nous  retient  par  la  crainte 
du  châtiment,  et  elle  nous  prépare  à  la  conversion  en  domptant  notre 
rébellion.  Enfin  les  fidèles,  qui  ont  la  loi  divine  inscrite  dans  le  cœur, 
mais  qui  ne  sont  pas  délivrés  des  tentations  et  de  la  paresse  de  la  chair, 
trouvent  en  elle  des  enseignements  et  des  exhortations  toujours  néces- 
saires. L'Ancien  et  le  Nouveau  Testament  ne  diffèrent  point  «  quant  à 
la  substance  »  ;  sous  ce  rapport  ils  sont  «une  seule  et  même  alliance  » 


CALVIN  549 

Ils  diffèrent  «quant au  mode  de  l'administration  »,  ou  quant  à  la  forme 
de  l'économie  divine.  «  Si  même  l'homme  était  resté   sans  péché,   il 
aurait  eu  besoin  d'un  médiateur  pour  pénétrer  jusqu'à   Dieu,  à  cause 
de  l'humilité  de  sa  condition  terrestre;  »  à  plus  forte  raison  après  le 
péché.  Ce  médiateur  a    été  nécessairement  homme  et  Dieu.  »  Christ, 
s'il  n'avait  été  (pie  Dieu,  n'eût  pu  souffrir  la  mort;   s'il  n'avait  été 
qu'homme,    il   n'eût  pu  la  vaincre.    »  Lui  refuser  Tune   des    deux 
natures,  c'est  anéantir  toute  son  œuvre.  «  C'est  par  un  décret  éternel 
de  Dieu  que   l'œuvre  rédemptrice  de  Christ  a  été  attachée  à  son  in- 
carnation :  »  ainsi  se  trouve  écartée  toute  question  oiseuse  sur  la  néces- 
site de  l'incarnation,  si  même  l'homme  n'avait  pas  péché  (Osiandre). 
Christ  a  été  exempt  du  péché  originel  «  non  parce  qu'il  a  été  engendré 
par   sa   mère   seule,  mais  parce  qu'il    a  été   sanctifié  par  le  Saint- 
Esprit,    afin   que   sa  génération  fût  aussi  pure  qu'elle  eût  été. avant 
la  chute  d'Adam.  »   L'union    des  deux  natures  en  lui  est  si  étroite 
que  l'Ecriture  attribue  quelquefois,   au  nom  de  l'unité  indissoluble 
de   la   personne  de  Christ,  par  la  «  communication  des  idiomes  »,  à 
l'une   des  natures  ce   qui    n'appartient  en  réalité  qu'à  l'autre  (Act. 
XX,  28;   1  Cor.  II,  8;  Jean  III,  13).  Christ  restera  notre  médiateur 
jusqu'après  le  jugement.  En  cette  qualité  il  occupe  un  rang  intermé- 
diaire entre  Dieu  et  les  hommes.  Alors  Dieu  cessera  d'être  «  le  chef  de 
Christ  »,  et  «  la  divinité  de  Christ,  couverte  jusqu'alors  du  vohVde 
son  humanité,  resplendira  de  nouveau  par  elle-même.  »  Comme  mé- 
diateur, Christ  a  été  chargé  par  le  Père  des  fonctions  de  prophète,  de 
roi  et  de  sacrificateur.  Il  est  le  révélateur  de  la  sagesse  suprême,  le  roi 
de  l'Eglise  et  de  chaque  iidèle,  et  i]  est  lui-même  la  victime   qu'il  a 
offerte  à  Dieu  comme  sacrificateur.  Il  a   effacé  notre  culpabilité  par 
son   obéissance  parfaite  au  Père  depuis  son  entrée  dans   le  monde 
jusqu'à  sa  mort,  moment  suprême  de  son  obéissance.  «  Rien  n'était 
cependant    accompli   si    Christ  était  mort  seulement  de   mort  phy- 
sique. Pour  calmer  la  colère  de  Dieu,  il  devait  encore  lutter  contre  les 
cohortes  infernales  et  éprouver  l'horreur  de  la  mort  éternelle  qu'éprou- 
vent les  scélérats,  avec  cette  différence  toutefois  qu'elle  ne  pouvait  le 
rétenir.  Il  devait    soutenir  un  jugement  invisible  et  incompréhensi- 
ble devant  le  tribunal  de  Dieu  et  arriver  à  clouter  de  son  propre  salut 
dans  le  sentiment  de  l'abandon  du  Père.  »  C'est  là  la  descente  aux  en- 
fers du  symbole  apostolique;  elle  a  commencé  à  Gethsémané.  Le  pas- 
sage 1  Pierre  III,  1(.)  enseigne  cependant  que  les  élus  et  les  réprouvés 
qui  sont  morts  avant  l'ère  chrétienne,  ont  éprouvé  un   «  sentiment 
commun  de  la  mort  de  Christ»;  les  uns  se  sont  emparés  avidementdes 
fruits  de  cette  mort;  les  autres  ont  senti  avec  une  évidence  plus  grande 
qu'ils   étaient   exclus   de  tout  salut.  «  Tout  le  mérite  de   la  mort  de 
Christ  réside  dans  le  bon  plaisir  de  Dieu,  »  qui  a  voulu  que  cette  mort 
lût  méritoire.  —  &  Sans  l'Esprit,  Christ  et  son  œuvré  objective  nous 
sont  «  inutiles».  La  promesse  du  salut,  quisanslui  uefrapperail  que  nos 
oreilles  ou  «  demeurerai!  logée  au  sommet  de  notre  cerveau  ».  pénètre 
tgrâce  a  lui  dans  notre  cœur  avec  toutes  ses  conséquences.  L'œuvre  de 
'Esprit  en  nous  est  la  foi,  qui  consiste  dans  «  la  connaissance  certaine 


550  CALVIN 

de  la  volonté  bienveillante  de  Dieu  envers  nous,  connaissance  fondée 
sur  la  vérité  de  la  promesse  gratuite  en  Christ,  et  révélée  à  notre  esprit 
et  scellée  dans  notre  cœur  par  le  Saint-Esprit.  Les  réprouvés  éprou- 
vent quelquefois  (d'après  Matth.  XIII,  5)  un  sentiment  de  foi  semblable 
à  celui  des  élus;  l'Esprit,  par  son  «  opération  inférieure  »,  peut  leur 
communiquer  une  «  foi  caduque  et  temporaire  »  jointe  au  désir  d'un 
amour  mutuel  entre  eux  et  Dieu,  afin  de  les  rendre  «  plus  inexcusa- 
bles »  et  d'exciter  par  leur  chute  inattendue  les  élus  à  la  vigilance. 
L'œuvre  de  la  foi  en  nous  est  la  régénération.  Considérée  dans  son 
principe  objectif,  cette  vie  nouvelle  est  contenue  tout  entière  dans  la 
foi,  qui  justifie  et  sanctifie.  Considérée  dans  sa  réalisation  subjective, 
en  tant  qu'état  intérieur  de  l'âme,  elle  est  contenue  dans  la  pénitence, 
qui  est  «  une  vraie  conversion  de  notre  cœur  à  Dieu,  partant  d'une 
crainte  sincère  et  sérieuse  de  Dieu,  et  consistant  dans  la  mortification 
delachairetdansla  sanctification  de  l'esprit;  elle  est,  en  un  mot,  la  ré- 
génération, par  laquelle  l'image  de  Dieu  est  rétablie  en  nous.  »  La  foi 
et  la  pénitence  ne  sont  donc  qu'un  seul  et  même  fait,  la  régénération, 
envisagé  à  deux  points  de  vue  différents  mais  inséparables,  de  ma- 
nière cependant  que  le  premier  moment  de  la  pénitence  (le  repentir, 
auquel  Calvin  donne  aussi  parfois  le  nom  de  pénitence)  est  un  effet 
de  la  foi,  car,  pour  changer  notre  rébellion  en  repentir,  la  prédication 
de  la  colère  de  Dieu  ne  suffit  pas  :  il  faut  l'annonce  et  l'acceptation  sub- 
jective de  la  promesse  divine  sous  l'influence  de  l'Esprit,  c'est-à-dire 
la  foi.  La  pénitence  ne  doit  jamais  cesser  chez  les  fidèles,  car  ils  ont 
toujours  besoin  de  pardon.  L'homme  est  justifié  par  la  foi,  quand  il 
est  déclaré  juste  par  une  sentence  divine,  non  en  vertu  du  mérite  de 
ses  œuvres,  mais  en  vertu  de  la  justice  de  Christ  qu'il  a  saisie  par  la 
foi,  et  qui  lui  est  imputée  gratuitement.  Aucune  de  nos  œuvres  n'étant 
absolument  bonne,  même  après  la  conversion,  et  ne  pouvant  subsister 
devant  Dieu  sans  pardon,  c'est  par  la  foi  seule  que  nous  sommes  jus- 
tifiés, quoique  le  mot  «  seule  »  ne  se  trouve  point  dans  l'Ecriture.  Cette 
justification  est  gratuite  :  «  Dieu  trouve  en  lui  seul  le  mobile  qui  le 
pousse  à  sauver  l'homme.  »  Inséparable  de  l'amour,  car  l'Esprit  qui 
la  produit  est  l'Esprit  de  sanctification,  la  foi  ne  puise  pas  dans  la  cha- 
rité sa  vertu  justifiante  :  bien  au  contraire,  elle  est  active  par  la  cha- 
rité parce  qu'elle  justifie.  La  miséricorde  du  Père  est  la  «  cause  ef- 
ficiente »  du  salut,  l'obéissance  de  Christ  en  est  la  «  cause  matérielle  », 
et  la  foi  en  est  la  g  cause  formelle  ou  instrumentale  ».  Si  l'Ecriture 
attribue  parfois  le  salut  aux  bonnes  œuvres,  elle  ne  fait  qu'appeler  ce 
qui  précède  le  don  de  la  vie  éternelle  la  cause  de  cette  vie;  Dieu  mène 
en  effet  les  fidèles  à  la  vie  éternelle  par  le  chemin  des  bonnes  œuvres, 
qui  sont  des  «  causes  inférieures  »  qui  le  décident  à  ajouter  de  nou- 
velles grâces  à  celles  qu'il  a  déjà  accordées.  La  sanctification  est  inti- 
mement unie  à  la  justification.  Par  l'obéissance  nous  nous  élevons  peu 
à  peu  à  la  sainteté,  qui  est  le  «  trait  d'union  »  entre  Dieu  et  nous.  La 
forme  de  cette  vie  nouvelle  est  la  liberté  chrétienne.  «  Notre  conscience 
n'est  plus  soumise  au  joug  de  la  loi  ;  nous  obéissons  de  plein  gré  à  la 
volonté  de  Dieu  gravée  dans  nos  cœurs  par  le  Saint-Esprit  ;  enfin  nous 


CALVIN  551 

ne  sommes  plus   tenus  dans  notre  conscience  à  l'observation  des 
«  choses  indifférentes  »,  et,  tout  en  évitant  de  scandaliser  les  faibles, 
nous  savons  résister  à  ceux  qui  voudraient  restreindre  notre  liberté, 
sous  prétexte  qu'elle  leur  est  un  scandale.  La  prière  sert  à  entretenir 
cette  fie  de  sanctîficatioi  :  elle  est  un  sacrifice  d'adoration,  en  même 
temps  |  qu'une  communion  directe  avec  Dieu,  par  laquelle  nous  pé- 
nétrons dans  le  sanctuaire  du  ciel,  et,  admis  en  présencede  Dieu,  nous 
t'interpellons  sur  ses  promesses.  »  Si  l'expérience  intérieure  enseigne 
que  la  loi  est  un  don  gratuit  de  Dieu,  l'expérience  extérieure  montre 
qu'elle  n'est  point  donnée  à  tous  les  hommes.  «  Dans  cette  diversité 
se  manifeste  la  profondeur  admirable  du  jugement  divin,  car  il  n'est 
pas  douteux  qu'elle  ne  provienne  du  décret  de  l'élection  éternelle  de 
Dieu.    Nous  appelons   prédesti?iation    l'éternel  décret  de  Dieu,   par 
lequel  il  a  déterminé  lui-même  ce  qu'il  voulait  qu'il  advint  de  chaque 
homme.  Les  uns  ont  été  créés  pour  la  vie,  en  vertu  de  la  miséricorde 
gratuite  de  Dieu  ;  les  autres,  pour  la  mort  éternelle,  par  suite  d'un 
jugement  juste,  mais   incompréhensible.  Notre  salut  dépend  du  bon 
vouloir  de  Dieu  s  (Rom.  XI,  5).  L'utilité  de  cette  doctrine  est  que 
nous  ne  serons  persuadés  jusqu'à  l'évidence  de  la  gratuité  parfaite  de 
notre  salut,  que  lorsque  nous  aurons  connu  qu'il  a  été  résolu  d'é^ 
■terni  té.  11  ne  faut  pas    craindre    d'aborder  cette  doctrine,  puisque 
Dieu  a  jugé  bon  de  nous  en  parler;  mais  «  sachons  cesser  d'interroger 
quand  Dieu  cesse  d'enseigner  ».   L'élection  divine  se  rapporte  à  la 
fois  aux  individus  et  aux  peuples  ;  l'élection  spéciale  est  cependant 
le  fondement  de  l'élection  générale,  car  c'est  en  vue  des  individus 
qu'il  a  élus  que   Dieu  déclare  élire  le  peuple  auquel   ils  appartien- 
nent,  par  exemple  la  race  d'Abraham.  Christ  est  le  centre  de  l'élec- 
tion éternelle.  C'est  en  lui,  en  tant  que  membres  de  son  corps,  que 
les  lidèles  de  l'ancienne  et  de  la  nouvelle  alliance  ont  été  élus,  car 
c'est  en  lui  seul  que  Dieu  a  pu  les  aimer.  Loin  d'avoir  son  principe 
dans  la    prescience    de   Dieu,   la    prédestination    est    elle-même   la 
cause   de    la  prescience.   L'action   de  Dieu   en  nous  n'est  pas  une 
simple   ((  permission   »,  car  Dieu  est  la   «   nécessité  des  choses   ». 
Oue  Ton  ne  demande  pas  à  Dieu  de  quel  droit  il  fait  des  réprouvés  les 
vases  de  sa  colère  :  qui  es-tu,  ô  homme,   pour  entrer  en  discussion 
avec  Dieu?  «  La  volonté  de   Dieu  est  si  bien  la  règle  suprême  de  la 
justice,  que  tout  ce  qu'elle  veut  doit  être  considéré  comme  juste  par 
(••la  seul  qu'elle  le  veut.  Nous  ne  nous  représentons  pas  Dieu  comme 
un  être  purement  arbitraire,  doué  de  puissance  absolue,  sans  obéir  à 
aucune  loi  :  seulement,  il  est  à  lui-même  sa  propre  loi.  »  11  n'y  a  pas 
d'injustice  à  ce  (pie  ceux  qui  sont  pétris  de  la  «  masse  corrompue  » 
soient  livrés  par  son  jugement  éternel  à  une  mort,  vers  laquelle  ils  se 
sentent  entrainés  par  leur  propre  nature.  C'est  en  vertu  du  «  décret 
admirable  »  de   Dieu  que   le  péché  d'Adam  est  devenu  héréditaire, 
i  décret  horrible  »,  mais  qu'on  ne  peut  nier,  car  il  serait  insensé  d'at- 
tribuer la  transmission  du  péché  à  la  seule  nature.  Bien  plus,  «.  c'est 
en  vertu  de  la  prédestination  divine  qu'Adam  est  tombé.  Ce  serait,  en 
effet,  une  vaine  iiction  quede  s'imaginer  que  Dieu  a  créé  sa  plus  noble 


552  CALVIN 

créature  en  vue  d'un  but  indéterminé,  ou  bien  qu'Adam  s'est  créé 
lui-même  sa  destinée  par  le  libre  arbitre  :  que  deviendrait  la  toute- 
puissance  de  Dieu,  par  laquelle  il  gouverne  toutes  choses  suivant  son 
décret  mystérieux  et  absolu  ?  »  Dieu  a  créé  toutes  choses  «  en  vue  de 
lui-même  ».  Les  élus  glorifient  son  nom  par  leur  entrée  dans  la  vie,  les 
réprouvés  le  glorifient  par  leur  mort.  En  pardonnant  à  quelques-uns, 
Dieu  manifeste  sa  miséricorde  ;  en  ne  pardonnant  pas  à  tous,  il  mani- 
feste sa  justice.  L'exemple  de  saint  Paul  montre  qu'on  peut  prêcher  la 
doctrine  de  la  prédestination  aux  fidèles,  tout  en  les  exhortant  au 
bien.  Cependant,  pour  porter  de  bons  fruits,  elle  doit  être  prêchée 
avec  prudence,  et  non  de  manière  à  amener  l'inertie  religieuse  et 
morale  chez  les  auditeurs.  «  Gomme  nous  ignorons  qui  appartient  au 
nombre  des  élus,  nous  devons  désirer  que  tous  nos  frères  soient  sau- 
vés, et  conformer  à  ce  désir  notre  conduite  envers  eux.  »  L'élection 
éternelle  se  manifeste  dans  la  vie  individuelle  par  la  vocation,  ou  par 
l'illumination  efficace,  irrésistible  du  Saint-Esprit,  qui  produit  en  nous 
la  foi.  C'est  à  ses  effets,  «  signes  postérieurs  »  du  salut,  que  nous  la 
reconnaissons,  en  comparant  notre  état  intérieur  à  la  norme  des  Ecri- 
tures. Par  la  vocation  universelle,  qui  est  la  prédication  de  sa  parole, 
Dieu  invite  tous  les  hommes  à  venir  à  lui,  vocation  inefficace  pour  le 
grand  nombre  et  qu'il  n'adresse  aux  réprouvés  que  «.dans  le  but  de 
les  faire  mourir  par  elle  et  d'en  tirer  la  matière  d'une  condamnation 
plus  grave.  »  La  vocation  spéciale  rend  la  vocation  universelle  efficace; 
elle  seule  communique  le  don  de  l'Esprit,  par  lequel  la  parole  prê- 
chée descend  dans  les  cœurs.  A  cette  vocation  est  joint  le  don  de  la 
persévérance,  qui  fait  que  les  élus  ne  peuvent  plus  périr.  —  4.  Les 
fidèles  se  trouvent  placés  par  la  dispensation  divine  au  sein  de  la  so- 
ciété des  chrétiens  ou  de  Y  Eglise  visible,  instituée  par  Dieu  «  pour 
les  nourrir  et  les  élever  dans  la  vraie  foi,  et  pour  les  gouverner  jus- 
qu'à ce  qu'ils  soient  devenus  semblables  aux  anges,  étant  dépouillés  de 
leur  chair  mortelle.  »  A  vrai  dire,  l'Eglise  de  Dieu  est  invisible  ;  Dieu 
seul  la  connaît.  Elle  a  pour  fondement  l'élection  cachée  de  Dieu  et  se 
compose  de  la  totalité  des  élus  qui  ont  vécu  et  qui  vivent  en  ce  mo- 
ment. L'Eglise  invisible  est  le  corps  de  Christ  ;  elle  est  une  et  univer- 
selle; en  elle  se  réalise  la  communion  des  saints.  Cachée  au  sein  de 
l'Eglise  visible,  elle  n'est  perçue  avec  certitude  que  par  la  foi.  Cepen- 
dant, comme  il  nous  est  utile  de  reconnaître  à  certains  signes  exté- 
rieurs la  présence  de  la  société  des  élus,  Dieu,  s'accommodant  à  notre 
faiblesse,  nous  permet  de  donner  le  nom  de  corps  de  Christ  à  «  l'as- 
semblée des  chrétiens  dans  laquelle  l'on  prêche  et  l'on  écoute  avec 
sincérité  la  parole  divine,  où  l'on  administre  les  sacrements  conformé- 
ment à  leur  institution,  et  où  l'exemple  d'une  vie  pure  se  joint  à  la 
profession  de  la  foi  chrétienne.  »  Partout  où  se  manifestent  ces  signes, 
nous  devons  être  certains  qu'il  y  a  là  «  une  certaine  Eglise  »,  c'est-à- 
dire  un  nombre  plus  ou  moins  grand  d'élus,  car  ces  signes  ne  peuvent 
exister  nulle  part  d'une  manière  durable  sans  porter  leurs  fruits.  Dieu 
nous  permet  donc  d'appeler  «  par  un  jugement  de  charité  »  l'Eglise 
visible  la  véritable  Eglise  des  saints,  malgré  le  nombre  des  réprouvés 


CALVIN  Sô3 

qui  peuvent  s'y  trouver.  Les  prérogatives  de  l'Eglise  invisible;  passent 
de  eette  manière  à  l'Eglise  visible.  Rompre  avec  Tune  des  commu- 
nautés qui  la  composent,  c'est  rompre  avec  F  Eglise  entière,  et  parce 
que  l'Eglise  est  le  fondement  de  la  vérité  (1  Tim.  111,  15),  c'est  renier 
Dieu  et  Jésus-Christ  L'Eglise  ne  peut  se  tromper  dans  les  choses  né- 
cessaires au  salut,  car  elle  a  abdiqué  toute  sagesse  propre  pour  se 
laisser  instruire  par  l'Esprit,  au  moyen  de  la  parole  divine.  L'autorité 
dogmatique  de  l'Eglise  est  intimement  unie  à  celle  de  la  parole  de 
Dieu.  L'Église  n'a  pas  le  droit  de  produire  de  nouveaux  dogmes;  ses 
ministres  doivent  s'en  tenir  fidèlement  à  l'enseignement  des  Ecritures. 
S'il  surgit  quelque  divergence  d'interprétation,  qu'un  certain  nombre 
de  ministres  se  réunissent  en  synode,  et  «  présentent,  après  une  dis- 
cussion équitable,  une  délinition  puisée  dans  l'Ecriture,  qui  préserve 
le  peuple  de  toute  hésitation  et  ferme  la  bouche  aux  hommes  méchants 
et  cupides.  »  Les  décrets  des  anciens  conciles  ne  sont  pas  à  rejeter,  si 
ces  assemblées  «  ont  été  présidées  par  Christ  et  dirigées  par  son  Es- 
prit »,  ainsi  que  l'ont  été  les  quatre  premiers  conciles  œcuméniques, 
«  que  nous  vénérons  comme  sacro-saints,  car  leurs  décisions  ne  con- 
tiennent que  la  pure  et  véritable  interprétation  de  l'Ecriture,  accom- 
modée à  la  destruction  des  ennemis  de  la  religion.  »  Le  devoir  de 
maintenir  dans  l'Eglise  l'unité  de  la  foi  et  de  la  vie  religieuse,  n'exclut 
pas  celui  de  supporter  patiemment  l'imperfection  morale  de  nos 
frères  et  les  différences  d'opinion  qui  peuvent  exister  chez  eux  sur 
quelques  points  secondaires  de  doctrine,  tout  en  exigeant  d'eux  l'ac- 
complissement général  des  devoirs  chrétiens,  et  l'acceptation  des  véri- 
tés essentielles  de  la  religion,  telles  que  l'unité  de  Dieu,  la  divinité  de 
Christ  Fils  de  Dieu,  la  gratuité  du  salut.  Sans  doute  l'Eglise  est  appelée 
sainte,  mais  c'est  parce  que  Christ  la  sanctifie  continuellement  ;  sa 
sainteté  n'est  que  virtuelle,  car  c'est  par  la  rémission  des  péchés  que 
nous  sommes  devenus  et  que  nous  restons  ses  membres.  Cette  rémis- 
sion s'opère  dans  l'Eglise  par  l'entremise  des  ministres,  à  qui  Dieu  a 
confié,  avec  le  pouvoir  des  clefs,  le  soin  de  «confirmer  les  consciences 
pieuses  dans  l'espoir  du  pardon  des  péchés,  soit  publiquement,  soit 
en  particulier.  »  Dieu  a  institué  en  effet  le  ministère  ecclésiastique  avec 
ses  charismes  spéciaux,  pour  servir  d'organe  humain  à  l'action  que 
FEsprit  exerce  dans  l'Eglise  au  moyen  de  l'Evangile.  Le  ministère  est 
le  lien  le  plus  solide  de  l'unité  de  l'Eglise.  Ses  prérogatives  sont  : 
la  prédication  de  la  parole  de  Dieu,,  l'administration  des  sacrements, 
l'exercice  de  la  discipline  ecclésiastique.  Le  ministre  tient  ses  fonctions 
d'une  double  vocation  divine,  consistant  dans  son  élection  éternelle 
•  t  dans  le  don  des  aptitudes  particulières  (pie  réclame  sa  charge;  et 
d'une  vocation  humaine,  qui  est  son  acceptation  par  la  communauté 
ecclésiastique  dont  il  va  devenir  le  chef,  assemblée  sous  la  présidence 
de  quelques  pasteurs.  Pour  que  le  nom  'de  corps  de  Christ,  appliqué 
à  l'Eglise  visible,  ne  soit  pas  en  contradiction  flagrante  avec  son  appa- 
rence extérieure,  il  faut  qu'elle  bannisse  autant  que  possible  de  son  sein 
toute  souillure  morale  au  moyen  (Tune  discipline  rigoureuse,  qui  est  le 
«  nerf  »  de  la  vie  ecclésiastique.  Si  chaque  fidèle  a  le  devoir  de  repren- 


554  CALVIN" 

dre  son  frère  à  l'occasion,  c'est  aux  pasteurs  et  aux  anciens  qu'incombe 
la  charge  de  veiller  constamment  à  la  sanctification  de  l'Eglise.  Ce  serait 
insulter  Christ  que  de  conserver  sciemment  des  membres  corrompus 
dans  l'Eglise,  son  corps  ;  ce  serait  en  outre  exposer  les  fidèles  à  la 
contagion  d'un  exemple  pernicieux,  et  fermer  aux  pécheurs  eux- 
mêmes  la  voie  de  l'amélioration  par  une  indulgence  déplacée.  Les 
«  péchés  cachés  »  ne  doivent  être  repris  publiquement  que  si  la 
réprimande  privée  et  celle  devant  témoins  sont  restées  sans  effet. 
Les  ((  péchés  publics  »  au  contraire  doivent  être  repris  publique- 
ment, puisque  le  scandale  a  été  public,  et,  selon  leur  gravité,  punis 
d'une  exclusion  temporaire  de  la  sainte  cène.  Cette  peine  ne  doit  être 
prononcée  qu'avec  l'assentiment  de  la  communauté.  En  cas  de  déso- 
béissance prolongée,  il  ne  reste  à  l'Eglise  qu'à  abandonner  le  pécheur 
au  jugement  de  Dieu,  sans  cesser  d'espérer  sa  conversion  et  de  prier 
pour  lui,  car  elle  n'a  condamné  que  ses  actes  et  non  sa  personne. 
«  Un  pareil  jugement  de  l'Eglise  est  la  promulgation  de  la  propre 
sentence  de  Dieu,  »  car  ce  que  les  fidèles  ont  décidé  ici-bas  confor- 
mément à  la  parole  divine,  est  ratifié  dans  le  ciel.  «  Le  sacrement 
est  un  signe  extérieur  par  lequel  Dieu  confirme  à  nos  consciences 
les  promesses  de  sa  bienveillance  envers  nous  pour  soutenir  la, fai- 
blesse de  notre  foi,  et  par  lequel  à  notre  tour  nous  attestons  notre 
piété  envers  lui  tant  en  sa  présence  qu'en  celle  des  anges  et  des  hom- 
mes. »  11  faut  distinguer  dans  le  sacrement  la  promesse  divine  ou  la 
réalité  intérieure,  du  signe  extérieur.  «  Dieu  donne  réellement  par  le 
sacrement  ce  que  le  signe  représente;  il  est  donc  fidèle  et  véridique  : 
seulement  il  n'abandonne  point  pour  cela  au  signe  extérieur  son  propre 
rôle,  qui  est  d'être  le  principe  de  toute  grâce  spirituelle.  »  Le  sacre- 
ment ne  possède  aucune  vertu  propre,  qui  ferait  de  lui  la  cause  du 
salut  ;  toute  son  efficacité  dépend  de  l'action  du  Saint-Esprit.  «  C'est 
par  la  foi  qu'il  faut  saisir  la  parole  divine  renfermée  dans  le  signe 
visible».  Aussi  les  réprouvés  ne  perçoivent-ils  ((qu'une  figure  vaine  et 
inutile.  »  Et  cependant  la  réalité  du  sacrement  n'est  pas  anéantie  pour 
cela  en  elle-même  ;  la  faute  en  est  à  l'homme  s'il  reçoit  d'une  manière 
charnelle  la  grâce  qui  lui  est  offerte  d'une  manière  spirituelle.  L'An- 
cien Testament  a  eu  ses  sacrements,  identiques  à  ceux  du  Nouveau 
quant  à  la  substance  qui  est  Christ  des  deux  parts  (1  Cor.  X,  3),  mais 
non  quant  au  degré  suivant  lequel  la  grâce  de  l'Esprit  s'y  est  manifestée. 
Le  baptême  est  «  le  signe  de  notre  entrée  dans  l'Eglise  et  de  notre  im- 
plantation dans  le  corps  de  Christ.  »  Il  est  la  garantie  visible  de  notre 
purification  par  l'aspersion  du  sang  de  Christ,  la  garantie  de  notre 
mort  et  de  notre  résurrection  avec  Christ,  et  par  conséquent  celle  de 
notre  union  parfaite  avec  le  Seigneur  et  de  notre  participation  à  tous  ses 
biens.  Il  ne  contient  pas  seulement  la  rémission  de  nos  péchés  passés, 
si  bien  qu'il  faudrait,  ou  le  retarder  jusqu'au  moment  de  la  mort, 
ou  le  renouveler  fréquemment,  à  moins  d'attribuer  la  rémission  des 
péchés  nouveaux  à  la  seule  pénitence,  élevée  à  la  hauteur  d'un  sa- 
crement complémentaire  du  baptême  ;  son  efficacité  s'étend  sur 
les  péchés  commis  pendant  toute  la  vie,  car  son  souvenir  nous  ren- 


CALVIN 

dra   toujours  la  certitude  du  pardon  gratuit  de  Dieu.  De   cette   ma- 
nière  il  est  Lui-même  le  vrai  sacrement  de  la  pénitence.  Vis-à-vis  des 
tidèles,  le  baptême  est  un  témoignage  de  notre  foi  en  la  miséricorde 
gratuite  de  Dieu,  et  de  notre  intention  de  vivre  avec  nos  frères  d'une 
même  fie   dans   le  sein  de   l'Eglise.  Les  ministres  seuls  ont  le   droit 
d'administrer  le  baptême.  L'ondoiement  est  une  «  usurpation  »  que 
rien  ne  justifie,  car  celui  qui  meurt  sans  baptême  n'est  pas  damné 
pour  cela,  puisque  le  principe  du  salut  est  l'élection  éternelle.  Dieu 
déclare  dans  l'Ecriture  qu'il  adopte  nos  enfants  dès  avant  leur  nais- 
sance  :  les  enfants  des  fidèles  ne  deviennent  donc  pas  enfants  de  Dieu 
parle  baptême;  ils  sont  bien  plutôt  baptisés  parce  qu'ils  sont  déjà 
membres  du  corps  de  Christ  avant  de  naître.  A  ce  titre,  le  baptême 
leur  est  dû,  car,  puisqu'ils  possèdent  la  réalité  intérieure  du  sacre- 
ment, ils  ont  le  droit  d'en  recevoir  aussi  le  signe  extérieur.  L'exemple 
de  Jean-Baptiste  et  de  Jésus  prouve  que  l'œuvre  de  Dieu  dans  les  pe- 
tits enfants  est  réelle,  quoiqu'elle  dépasse  notre  entendement.  Les  en- 
fants que  Dieu  a  élus  possèdent  «la  semence  de  la  foi  et  delà  pénitence  » 
en  vertu  dune  opération  mystérieuse  de  l'Esprit.  «  Le  pain  et  le  vin 
de  la  cène  sont  des  signes  qui  représentent  la  nourriture  invisible  que 
nous  recevons  de  la  chair  et  du  sang  de  Christ.  »  Le  rôle  principal 
du  sacrement  n'est  pas  de  nous  offrir  simplement  le  corps  de  Christ,  mais 
plutôt  de  conlirmer  la  promesse  que  Christ  a  faite  de  nous  donner  son 
corps  et  son  sang  comme  notre  vraie  nourriture  pour  la  vie  éternelle, 
d'être  pour  nous  le  pain  de  vie.  «  Le  sacrement  nous  garantit  que  ce 
corps  et  ce  sang  nous  sont  aussi  réellement  offerts  que  si  Christ  était  lui- 
même  présent  au  milieu  de  nous  sous  une  forme  visible  et  palpable.  » 
La  manducation  du  corps  de  Christ  a  lieu  par  la  foi  ;  elle  n'est  pas  la 
simple  foi,  mais  le  fruit  de  la  foi,  «  la  participation  à  Christ.  »  Elle  ne 
se  borne  pas  à  la  communication  de  son  Esprit  :  «  quand  la  Parole 
vivifiante  a  habité  dans  notre  chair,  elle  a  rendu  cette  chair  elle-même 
vivifiante  pour  nous,  alin  que  la  vie  parvienne  par  elle  jusqu'à  nous. 
Christ  a  montré  ainsi  que  la  plénitude  de  la  vie  habite  dans  son  huma- 
nité, aMn  que  quiconque  entre  en  communion  avec  sa  chair  et  son 
sang  reçoive  la  vie.  La  chair  de  Christ  est  semblable  à  une  fontaine 
inépuisable,  qui  fait  couler  jusqu'à  nous  la  vie  jaillissant  du  fond  de 
la  divinité.  »  Le  corps  incorruptible  de  Christ  est  fini,  <(  suivant  la 
manière  d'être  perpétuelle  du  corps  humain  ;  »  il  est  contenu  «  lo- 
calement »  dans  le  ciel.  <c  Le  lien  de  notre  union  avec  lui  est  l'Esprit, 
dont  les  rayons  nous  transmettent  la  vertu  de  ce  corps,  comme  les 
rayons  du  soleil  communiquent  la  chaleur  solaire  à  la  terre.  »  Notre 
participation  au  corps  du  Seigneur  est  spirituelle  et  non  matérielle; 
elle  n'en  est  pas  moins  réelle  et  substantielle,  car  l'Esprit  immatériel 
de  Dieu  est  la  réalité  suprême.   Les  réprouvés  ne  reçoivent  que  les 
signes  extérieurs;  mais  ils  n'en  mangent  et  n'en  boivent  pas  moins  leur 
condamnation,  car  «  ils  insultent  à  la  majesté  du  sacrement  et  signent 
leur  propre  sentence  alors  qu'ils  reconnaissent  par  leur  présence  que 
leur  salut  est  renfermé  dans  ces  éléments  consacrés  dont  ils  s'appro- 
chent sans  une  étincelle  de  toi  ni  de  charité.  »  Vis-à-vis  de  nos  frères, 


556  CALVIN 

la  célébration  de  la  cène  est  une  profession  solennelle  de  notre  foi  en 
l'efficacité  de  la  mort  de  Christ,  et  de  plus,  «  le  lien  de  la  charité  »  qui 
nous  unit  à  eux,  car  nous  sommes  devenus  avec  eux  les  membres  d'un 
même  corps,  qui  est  Christ.  —  5.  A  côté  du  pouvoir  ecclésiastique, 
chargé  du  gouvernement  de  «  l'homme  intérieur  »,  Dieu  a  institué  le 
pouvoir  politique,  pour  gouverner  «  l'homme  extérieur  »  et  le  conte- 
nir dans  les  limites  de  la  «  justice  civile.  »  Les  deux  pouvoirs  sont 
également  d'origine  divine.  Pour  être  distincts,  ils  ne  sont  pas  sans 
rapports  réciproques.  D'un  côté,  c'est  bien  au  milieu  des  circonstances 
de  la  vie  terrestre  que  le  règne  de  Christ  doit  commencer  en  nous.  De 
l'autre,  c'est  à  l'Etat  qu'il  appartient  de  «  protéger  le  culte  extérieur 
de  Dieu,  de  défendre  la  saine  doctrine  de  la  piété  et  l'existence  de 
l'Eglise  ».  Ses  représentants  punissent  toute  atteinte  à  leur  propre 
majesté  :  devraient-ils  laisser  impunies  les  atteintes  à  la  majesté 
de  Celui  de  qui  ils  tiennent  leur  autorité  ici-bas?  «  Quiconque  al- 
lumera que  le  contenu  des  Ecritures  est  fiction  sera  traîné  au  sup- 
plice. Jl  est  du  devoir  du  magistrat  de  punir  par  le  glaive  et  par 
d'autres  châtiments  ceux  qui,  après  avoir  renié  leur  foi,  sollicitent  les 
autres  à  une  semblable  apostasie.  »  Toute  mansuétude  à  leur  égard 
serait  la  pire  des  cruautés.  En  effet,  la  contagion  physique  ne  met 
en  danger  que  le  corps;  la  contagion  de  l'impiété  peut  jeter  les 
âmes  dans  la  mort  éternelle.  Il  faut  donc  user  de  violence  pour  ra- 
mener dans  le  droit  chemin  les  âmes  qui  se  seraient  laissé  égarer. 
«  C'est  avec  raison  que  saint  Augustin  a  dit  :  ïl  est  utile  que  les  hommes 
soient  amenés  à  la  foi  contre  leur  gré.  »  La  fidélité  à  la  parole  de 
Dieu  constitue  seule  les  martyrs  ;  les  victimes  de  la  justice  civile 
pour  crime  d'hérésie  sont  des  «  blasphémateurs  »  et  des«  monstres  ». 
L'Etat  le  plus  heureux  est  «  celui  dans  lequel  la  liberté  est  consti- 
tuée d'une  manière  régulière  et  durable,  et  renfermée  dans  les  limites 
d'une  juste  modération.  »  Cet  idéal  est  le  plus  facilement  atteint  «dans 
un  gouvernement  aristocratique  ou  dans  l'alliance  de  l'aristocratie  et 
de  la  république,  car  il  est  plus  sûr  que  plusieurs  tiennent  le  gouver- 
nail ;  ils  pourront  s'instruire  réciproquement.  »  Les  rois  et  les  magis- 
trats sont  «  les  ministres  et  les  vicaires  de  Dieu,  les  pères  de  la  patrie;  » 
leur  charge  est  une  «  vocation  sainte  et  légitime  »,  qui  les  revêt  d'une 
«  autorité  divine  ».  L'administration  politique  les  regarde  seuls.  «  Les 
simples  particuliers  doivent  s'abstenir  de  toute  ingérence  dans  les 
affaires  publiques  et  de  toute  usurpation  du  rôle  du  magistrat.  »  Les 
dépositaires  du  pouvoir  politique,  quels  qu'ils  soient,  ont  également 
droit  au  respect  et  à  l'obéissance  des  hommes.  «  Même  dans  le  plus 
misérable  et  le  plus  indigne  des  hommes,  s'il  est  revêtu  du  pouvoir 
extérieur,  réside  la  puissance  divine  que  le  Seigneur  a  conférée  à  ses 
ministres.  Les  bons  rois  ont  été  donnés  par  Dieu  pour  être  des  mani- 
festations vivantes  de  sa  bienveillance  ;  les  rois  injustes  ont  été  suscités 
par  lui  pour  punir  l'iniquité  du  peuple,  afin  d'exercer  les  hommes  à 
L'humilité  par  le  souvenir  de  leurs  fautes,  et  afin  de  leur  enseigner  à 
implorer  sou  secours,  car  lui  seul  tient  dans  sa  main  les  cœurs  des 
rois  et  les  destinées  des  royaumes.  »  Si  Dieu  seul  a  le  droit  de  punir 


CALVIN  -  CAMALDULES  557 

les  tyrans,  et  les  magistrats  populaires,  institués  par  lui  pour  être  les 
tuteurs  des  rois  et  pour  modérer  leurs  eaprices,  tels  que  les  trois  ordres 
réunis  dans  leurs  assemblées  souveraines,  peuvent  s'opposer,  en  vertu 
de  leurs  fonctions,  à  la  licence  des  rois.»  Cependant  l'obéissance  aux 
autorités  ne  doit  pas  nous  détourner  de  l'obéissance  à  Dieu.  «  Dieu  n'a 
pas  renoncé  à  ses  droits  royaux  quand  il  a  établi  des  rois  sur  le  genre 
humain.  Si  nous  sommes  soumis  aux  rois,  c'est  en  Dieu,  le  Roi  des  rois,  » 
—  Consulter  :  Kœstlin,  Calvin  s  Institutio  nach  Form  u.  Inhalt  in  ihrer 
(/esc/t.  Entwickelung,   dans  les  Theol.  Stud.,  u.  Krit.,  1808,    I   et  3- 


*ner, 

Gesch  d.  prot.  ThcoL,  Munich,  1867,  374  ss.  ;  Kampschulte,  J.  Calvin  s. 
Kirche  u.  s.  Staat  in  Genf,  Leipz.,  1869,  I,  251  ss.  ;  Lobstein,  Die Ethik 
Calvin  s,  Strasb.,  1877.  A.  Jundt. 

CAMALDULES  {Camaldulani,  Camaldolitœ,  Camalduenses) ,  ordre  re- 
ligieux fondé  par  saint  Romuald  (950-1027)  à  Campus  Maldoli,  dans 
une  vallée  sauvage  de  l'Apennin,  à  douze  lieues  de  Florence,  en'oppo- 
sition  avec  la  vie  monastique  moins  sévère  des  bénédictins.  Parmi  les 
nombreux  groupes  d'anachorètes  réunis  par  le  zèle  catholique  de  Ro- 
muald (voy.  cet  article),  celui  de  Camaldoli  conserva  le  plus  fidèle- 
ment les  traditions  d'austérité  du  célèbre  anachorète  de  Ravenne  dont 
le  biographe,  Pierre  Damiani,  abbé  de  Fonte  Avellana  (f  1072)  ne 
contribua  pas  peu  à  exalter  la  mémoire  et  à  propager  les  principes  La 
première  règle  écrite  de  l'ordre  (Holsten,  Cod.  regularum  monast.  II 
192  ss.)ne  date  que  de  1102.  Elle  tempère  les  premières  prescription's'qui 
imposaient  aux  camaidules  l'isolement  absolu,  sauf  pour  les  exercices 
spirituels,  consistant  surtout  en  prières  psalmodiées  sur  un  ton  mono- 
tone, des  jeûnes  fréquents,  l'abstention  de  l'usage  de  la  viande  et  du 
vin.  Les  religieux  portaient  l'habit  blanc.  Le  prieur  de  Camaldoli  qui 
était  en  même  temps  le  supérieur  de  l'ordre,  avait  le  titre  de  major 
Des  couvents  de  femmes  furent  fondés  d'après  la  même  rèMe  Dès  le 
treizième  siècle  des  changements  importants  s'introduisirent  dans  la 
constitution  de  l'ordre.  Les  cénobies  de  Saint-Michel  et  de  Saint-Matthieu 
de  Murano,  près  de  Venise,  bientôt  célèbres  par  leurs  richesses  sub- 
stituèrent la  vie  en  commun  des  moines  à  l'isolement  des  anachorètes 
et  alternèrent,  pour  l'élection  du  major,  avec  les  congrégations  organi- 
sées sur  le  type  primitif.  Un  retour  dans  le  sens  de  l'ascétisme  origi- 
nel fut  tenté  par  Ambroise  de  Portico  et  approuvé  par  le  ^  " 
Eugène  IV  (1131),  et  par  Justiniani,  prieur  de  Camaldoli,  sous  Léon  X 
(1520).  Ces  réformes  provoquèrent  le  détachement  de  plusieurs  bran- 
ches de  l'ordre  qui  se  constituèrent  d'une  manière  indépendante  En 
1529,  le  siège  principal  futtransféré  au  couvent  de  San-Salvadore  près 
de  Pérouse.  Partiellement  dissous  et  rétabli  au  milieu  des  orales  1* 
sévirent  sur  les  congrégations  religieuses  à  la  /indu  dix-huitième  siècle1 
Tordre  de-  eainal. Iules  s*est  maintenu  jusqu'à  nos  jours  •  Ia  nana  (\-\ 
goire  XVI  lui  appartenait.  Le  principal  couvent  en  France  était  situé 
près  de  Grosbois,  non  loin  de  Roissy-Saint-Léger,  à  quelques  lieues  de 


558  CAMALDULES  —  CAMBRAI 

Paris.  —  Voyez  :  P.  Damiani,  Romualdi  vila,  dans  ses  Opéra,  II,  205  ss.  ; 
Mabillon,  A  A.  SS.  ord.  Bened.  sœc.  VI ,  I,  247  ss.  ;  Hélyot,  dans  son 
Histoire  des  Ordres  religieux,  V,  247  ss.,a  donné  une  nomenclature  des 
écrivains  de  Tordre;  Guido  de  Grandis,  Dissert,  camalduenses,  Lucq., 
1707;  Mitarelli,  Annales  camalduenses  Ord.  S.  Bened.,  Venise,  1758. 
Le  P.  Ziegelbaur  a  également  donné  une  Notice  des  écrivains  de  cet 
ordre,  Venise,  1750. 

CAMBRAI  (Cameracum),  archevêché.  Sans  nous  arrêter  à  la  lé- 
gende de  saint  Diogène,  produit  du  seizième  siècle,  nous  dirons  que 
Tévêché  de  Cambrai  et  d' Arras  fut  fondé,  vers  500.  par  saint  Vaast 
(voy.  Arras),  mais  que  le  véritable  apôtre  du  Cambrésis  fut  saint  Géry 
{Gaugericus,  580-619).  Cet  évêque  fonda  sur  le  Mont-des-Bœufs  le 
monastère  de  Saint-Médard  et  Saint-Loup,  dont  l'église  prit  ensuite  le 
nom  de  Saint-Géry  jusqu'à  ce  que  ce  vocable  eût  été  donné,  en  1545,  à 
l'ancienne  église  de  Saint- Vaast.  Saint  Aubert  (633-669)  couvrit  son 
diocèse  de  couvents.  Saint  Landelin,  son  fils  spirituel,  était  un  noble 
franc  qui,  après  une  vie  coupable,  fonda  Lobbes,  Aine,  Wallers  et  Cres- 
pin;  Ghislain,  disciple  de  saint  Aubert  et  moine  de  Saint-Basile, 
transforma  en  monastère  la  solitude  d'Ursigondus,  aujourd'hui 
Saint-Ghislain;  Saint- Vaast  d' Arras,  la  Celle,  Maubeuge,  Marchiennes, 
Hautmont,  Soignies,  Mons,  se  réclament  aussi  du  nom  deSaint-Aubert. 
Gérard  le  Grand  (1012-1049)  fut  un  grand  évoque;  parent  d'Adalbéron 
de  Reims  qui  l'avait  élevé,  il  fit  composer  par  Fulbert  (de  Chartres?) 
la  vie  de  saint  Aubert  (Surius,  13  décembre),  il  fit  écrire  la  vie  de 
saint  Géry  (Ghesquière,  II)  par  un  chanoine  de  Cambrai,  par  lequel 
l'évêque  fit  rédiger  ensuite  les  fameux  Gestaepiscoporumcameracensium 
(Pertz,  Scr.,  VII),  célèbre  monument  historique  qui  fut  continué 
sous  ses  successeurs,  et  dont  il  faut  rapprocher  les  Annales  de  Cam- 
brai, œuvre  de  Lambert  de  Waterlos,  qui  a  raconté  les  tumultes  qui 
suivirent  l'élection  de  Pierre  d'Alsace  (1167,  Pertz,  Scr.,  XVI).  Ce  der- 
nier évêque,  fils  du  comte  de  Flandre,  ne  fut  jamais  consacré;  il  se  démit 
en  1177  del'épiscopat  pour  épouser  la  comtesse  de  Nevers.  Saint  Liébert, 
parent  et  successeur  de  Gérard  le  Grand,  fonda  en  1064,  au  retour 
d'un  pèlerinage  où  il  n'avait  pu  arriver  jusqu'en  Terre-Sainte,'  le 
monastère  du  Saint-Sépulcre.  On  cite  encore,  parmi  les  évêques  de 
Cambrai,  Odoard,  auteur  sacré  (f  1113),  Robert  de  Genève,  qui  fut  l'an- 
tipape Clément  VIII,  Pierre  d'Ailly.  En  1559,  Cambrai,  qui  avait  été 
suffragantde  Reims,  puis,  après  1169,  de  Cologne,  fut  érigé  en  archevê- 
ché pour  Maximilien  de  Berghes,  mais  en  même  temps  son  diocèse, 
qui  avait  déjà  en  1093  perflu  Arras  (ce  fut,  avec  Saint-Omer  qui  n'existe 
plus,  son  seul  évêché  suffragant),  fut  diminué  des  archidiaconés  de 
Bruxelles  et  d'Anvers.  L'archevêque  était  prince  du  Saint-Empire, 
duc  de  Cambrai,  comte  de  Cambrésis.  En  1801  Cambrai  perdit  son  ar- 
chevêché et  fut  soumis  à  Paris  ;  en  1842  il  fut  rétabli  en  son  ancienne 
dignité.  Il  n'est  pas  nécessaire  de  rappeler  que  Dubois  y  a  occupé  le 
siège  deFénelon.  La  belle  église  cathédrale  de  Notre-Dame,  rebâtie  par 
Villart  de  Honnecourt  et  consacrée  en  1182,  achevée  en  1472,  fut 
en  1796  vendue  comme  bien  national;  le  clocher,  seul  épargné,  tomba 


CAMBRAI  —  CAMBRIDGE  559 

en  1809.  On  y  conservait  l'image  de  la  Vierge,  attribuée  à  suint  Luc. 
On  a  donné  en  1804  son  titre  de  cathédrale  à  l'église  abbatiale  du 
Saint-Sépulcre,  qui  n'est  remarquable  que  parle  tombeau  deFénelon.  — 

Voyez  :  Galtia  c*rv,  III;  Fisquet,  Cambrai,  1809,  in-8°;  Le  Glay,  Came?: 
Christian.,  Lille.  1849,  in-'*0;  Ghesquière,  Acte  SS.  Belgii,  Watten- 
hach.  GeseA.  fweUen9fr  édit.,  1874,  II,  p.  118.  s.  Berger. 

CAMBRÉSIS.  Pendant  plusieurs  années,  les  partisans  des  doctrines 
de  la  Réforme,  qui  habitaient  le  Canibrésis,  se  réunirent  an  Cateau, 
capitale  de  ce  petit  comté,  pour  lire  les  saintes  Ecritures;  mais  quand 
l'édit  de  janvier  1862  eut  permis  de  les  prêcher,  ils  allèrent  à  ceux  qui 
se  tenaient  sur  terre  française  (le  Canibrésis  était  alors  un  fief  de  l'em- 
pire d'Allemagne).  LTévêque  de  Cambrai,  leur  suzerain  temporel  et 
spirituel,  le  leur  défendit  plusieurs  fois,  mais  ce  fut  sans  succès.  Deux 
ans  après,  le  ministre  Pinchedit  donna  à  Honnechy  une  prédication  à 
laquelle  assistèrent  plusieurs  bourgeois  du  Cateau  qui,  pour  ce  fait, 
furent  condamnés  au  bannissement.  Leurs  coreligionnaires  n'en  conti- 
nuèrent pas  moins,  mais  plus  secrètement,  de  se  rendre  aux  diverses 
assemblées  qui  se  tenaient  à  Crespy  en  Laonais,  à  Tupigny  en  Ver- 
mandois  et  à  Chauny  en  Picardie.  En  1506,  le  prêtre  converti  Jacques 
Grégoire,  qui  était  venu  «  souvent  faire  les  prières  ecclésiastiques  » 
à  Saint-Souplet  en  Cambrésis,  y  fut  arrêté  et  conduit  au  Cateau.  Le 
bailli  de  Cambrai,  envoyé  par  les  vicaires  de  l'évêque,  pour  lors  à  la 
diète  d'Augsbourg,  réclama  le  prisonnier,  mais  il  ne  l'obtint  qu'après' 
plusieurs  démarches.  Le  25  août  de  cette  même  année,  les  évangé- 
liques  du  Cateau,  ayant  appris  que  toutes  les  images  des  églises  catho- 
liques avaient  été  abattues  dans  plusieurs  villes  et  villages  du  Brabant, 
firent  de  même  chez  eux  sous  la  conduite  de  Philippe,  ministre  de 
Tupigny,  qui  prêcha  à  cette  occasion  dans  l'église  de  Saint-Martin 
devant  une  foule  immense.  L'évêque  renouvela  ses  anciennes  défenses, 
mais  les  évangéliques,  désormais  en  grande  majorité  au  Cateau, 
résistèrent  à  ses  ordres  et  se  séparèrent  de  son  obéissance.  Vivement 
irrité,  l'évêque  fit  prendre  d'assaut  la  ville  par  le  comte  de  Mansfeld 
i2i  mars  1507).  Le  pasteur  Philippe  et  un  prêcheur  furent  pendus 
sans  autre  forme  de  procès,  et  après  eux  un  grand  nombre  d'évangé- 
liques,  qu'on  jugea  fort  sommairement.  A  dater  de  cette  époque,  le 
protestantisme  disparut  du  Cateau.  En  1508,  le  prince  d'Orange 
tenta  bien  de  prendre  la  ville  de  force,  mais  il  échoua.  Les  protestants 
actuels  du  Cateau  (1870),  au  nombre  de  441,  sont  des  étrangers,  établis 
dans  le  pays  depuis  assez  longtemps.  Le  culte  réformé  a  été  inauguré 
parmi  eux  le  14  janvier  1855,  et  leur  Eglise*,  qui  se  rattache  au  con- 
sistoire  de  Lille,  a  été  reconnue  par  l'Etat  en  1867.—  Ch.-L.  Frossard, 
La  /{''/orme  dans  le  Cambrésis.  E.  Arnaud. 

CAMBRIDGE,  capitale  du  comté  de  Cambridge  en  Angleterre,  ville 
essePtieUemcot  universitaire,  située  à  82  kilomètres  nord-est  de;  Lon- 
dres et  bâtie  sur  laCam,  qu'on  y  traverse  au  moyen  d'un  très-beau 
pont  de  fer.  L'université  de  Cambridge  est  regardée  comme  la  plus 
ancienne  du  royaume  britannique;  on  l'ait  remonter  sa  fondation  à 
Sigebert,  roi  d'Est-Anglie,  vers  le  milieu  du  septième  siècle;  elle  fui 


560  CAMBRIDGE 

organisée  par  Edouard  Ier,  puis  par  Elisabeth  en  1571.  Elle  se  compose 
de  dix-sept  établissements,  collèges  ou  halls,  unis  les  uns  aux  autres 
par  des  jardins  et  formant  un  ensemble  assez  considérable.  C'est  une 
sorte   de  fédération  dont  chaque  membre  a  ses  statuts  particuliers  et 
est  soumis  en  même  temps  à  des  lois  générales.  Voici  la  liste  des  dix- 
sept  collèges,  avec  la  date  de  leur  fondation  :  1°  St-Peters-College,  fondé 
en  1257  par  Hugii  N.  Balsham,  évêque   d'Ely;  la  chapelle  renferme 
de  très-beaux  vitraux  représentant  la  Passion.  2°  C lare-Hall,  fondé  en 
1320  par  lady  Elisabeth,  sœur  de  Gilbert,  comte  de  Clare,  reconstruit, 
après  incendie,  en  1638.  3°  Pemùroke-College,  fondé  en  1317  par  Marie 
de    Saint-Paul,  veuve   d'Aymon    de    Valence,   comte  de  Pembroke. 
4°  Gonville  et  Caïus-College,  appelé  aussi  Gonville-Hall,  fondé  en  1348 
par  Edmond  Gonville,  et  agrandi  en  1558  par  le  docteur  John  Caïus. 
5°  Trinity-HaU,  fondé  en   1350   par  l'évêque   de  Norwich,  William 
Bateman,  consacré  plus  spécialement  à  l'étude  de  la  législation  civile. 
6°  Corpus  Christi-College,  fondé  en  1351  par  deux  guilds  ou  corpora- 
tions, Gilda  Corporn  Christi  et  Gilda  Beatœ  Marix  Virgim's.  7°  Kings- 
College,  fondé  en  1441  par  Henri  VI ,  possède  une  chapelle  que  Ton 
regarde  comme  un  des  spécimens  les  plus  parfaits  de  l'architecture 
ogivale  en  Angleterre.  8°  Queens-College,  fondé  en  1446  par  la  reine 
Marguerite   d'Anjou,   femme  de   Henri  VI,   et    agrandi  en  1465   par 
Elisabeth  Widville,   femme   d'Edouard  IV.     9°    St-Catherines-Hall, 
fondé  en  1473  par  le  docteur  Robert  Wodelarke.  10°  Jésus- Collège, 
fondé  en  1496  par  John  Alcock,  évêque  d'Ely.  11°  Christ" s- Collège, 
fondé  en  1456  par  Henri  VI  sous  le  nom  de  God's  House,  mais  recon- 
stitué en  1505  par  Marguerite,  comtesse  de  Richmond,  et  Derby,  mère 
de  Henri  VII.  On  montre  dans  le  jardin  un  mûrier  planté  par  Milton. 
12°  Si-John  s-College,  fondé  en  1511  par  la  comtesse  de  Richmond; 
c'est  le  plus  important  après  celui  de  Trinity-College.  13°  Magdalene- 
College,  fondé  en  1519  par  Thomas  Baron  Audley.  14°  Trinity-College, 
fondé  en  1546  par  Henri  VIII  ;  c'est  le  plus  riche  de  tous  ;  le  maître  en 
est  nommé  directement  par  la  couronne  ;  son  logement  sert  de  rési- 
dence au  souverain  quand  il  visite  Cambridge.  15°  Emmanuel- Collège 
fondé  en  1584  par  sir  Walter  Wildmay,  chancelier  de  l'Echiquier  et 
conseiller  privé  sous  le  règne  d'Elisabeth.  16°  Sidney-Sitssex-College, 
fondé   en   1598   par  une   comtesse   de   Sussex.  17°  Doivning-College, 
servant  uniquement  aux  étudiants  en  droit  et  en  médecine,  fondé  par 
sir  Downing,  baronet,  et  ouvert  seulement  en  1821. —  De  ces  divers 
établissements  sont  sortis  quelques-uns  des  hommes  les   plus  illus- 
tres de  l'Angleterre  :  l'archevêque  Tillotson,  William   Pitt,  William 
Harvey,  Nicolas  Bacon,  l'archevêque  Cranmer,  l'astronome  Flamsteed, 
le  poëte  Coleridge,  Milton,  Byron,  Newton,  Olivier  Cromwell,  etc.  Le 
nombre  des  étudiants  varie  entre  4,000  et  5,000.  Chaque  collège  a  sa 
bibliothèque  particulière  ;  mais  il  faut  mentionner  surtout  la  grande 
bibliothèque  de  l'université,  qui  comprend  170,000  volumes  environ 
et  plus  de  4,000  manuscrits,  entre  autres  un  Nouveau  Testament  du 
troisième  ou  quatrième  siècle,  donné  par  Théodore  de  Bèze.  On  a  fait 
à  l'université  de  Cambridge  la  réputation  d'étudier  surtout  les  mathé- 


CAMBRIDGE  —  CAMERON  561 

matiques  et  de  négliger  les  autres  sciences.  Cependant  la  critique 
théologique  est  loin  d'y  avoir  été  inconnue,  et  c'est  à  Cambridge 
qu'ont  paru  quelques-uns  de  ces  Essays  qui  ont  tellement  émotionné 
l'Angleterre  religieuse,  il  y  a  quelques  années (voirTarticle Essays  and 

Rewietvs).  a.  Gary. 

CAMERARIUS  (Joachim),  célèbre  humaniste  allemand,  né  à  Bamberg 
en  L500,  mort  en  157't,  était  issu  d'une  famille  dont  le  premier  nom 
était  Liebhard,  et  qui  avait  reçu  le  surnom  de  Camerarius,  parce  que 
plusieurs  de  ses  membres  avaient  été  chambellans.  Il  se  lit  de  bonne 
heure  connaître  par  des  ouvrages  pleins  d'érudition,  enseigna  le  grec 
et  le  latin  à  Erfurt  (1521),  à  Wittemberg  (1522),  à  Nuremberg  (1526), 
et  réorganisa  les  universités  de  ïubingue  (1535)  et  de  Leipzig  (1541).  Il 
embrassa  la  Réforme  dès  1521  et  se  lia  étroitement  avec  Mélanchthon. 
Esprit  modéré,  conciliant,  sobre,  plein  de  grâce  et  d'urbanité  comme 
orateur  et  comme  écrivain,  Camerarius  sut  unir  un  culte  passionné  pour 
L'antiquité  à  une  foi  sincère  en  l'Evangile.  Il  fut  chargé  par  le  sénat  de 
Nuremberg  de  plusieurs  missions  importantes,  et  jouit  d'un  grand  crédit 
auprès  des  princes  de  son  temps,  même  auprès  de  ceux  qui  ne  par- 
tageaient pas  ses  vues  religieuses.  C'est  sur  les  notes  prises  par  ce 
savant  délégué,  lors  de  la  lecture  de  la  réfutation  que  les  théologiens 
catholiques  avaient  présentée  de  la  confession  d'Augsbourg.  que  Mé- 
lanchthon rédigea  son  Apologie.  Depuis  1530  jusqu'à  sa  mort,  Camera- 
rius assista  à  toutes  les  diètes  et  à  tous  les  colloques  importants  :  avec 
Mélanchthon  il  porta  la  principale  responsabilité  des  Intérims  d'Augs- 
bourg et  de  Leipzig.  Ses  principaux  écrits  sont:  VitaPh.  Melanchthonis, 
Leipz.,  1556,  in-8°;  Historica  narratio  de  fratrumorthodoxorum Ecclesiis 
in  Bokemia,  Moravia  et  Polonia,  Francf.,  1625;  Catechesis,  seu  initia 
doctrine  in  Ecclesia  Christi,  Leipz.,  1563;  flistoriœ  Jesu  Christi  sum- 
malim  relata  expositio,  Leipz.,  1566;  Sententix  et  sapientia  Siracidx  no- 
tatio  figurarum  sermonis  inlibris  Ev.  et apostolis  script.,  Leipz.,  1569  •  on 
lui  doit  des  traductions  estimées  d'Homère,  d'Hérodote,  de  Xénophon, 
dAristote,  de  Sophocle,  de  Thucydide,  de  Démosthène  et  d'autres 
auteurs^  grecs  énumérés  dans  Fabricius,  Biblioth.  grœca,  X1ÎI,  495  ss. 
CAMÉRON  (Archibald),  célèbre  prédicateur  écossais,  né  à  Falkland, 
dans  le  comté  de  Fife.  Lorsque  Charles  II  publia  l'édit  de  suprématie 
qui,  tout  en  admettant  la  liberté  religieuse,  restreignait  les  privilèges 
accordés  aux  protestants  et  allait  même  jusqu'à  porter  atteinte  à  la 
liberté  de  leur  conscience,  Caméron  provoqua  chez  un  grand  nombre 
de  ses  coreligionnaires  une  résistance  énergique  contre  le  nouvel  ordre 
de  choses.  Les  caméroniens  tinrent  des  assemblées  religieuses  en  plein 
air,  connues  sous  le  nom  de  conventieutes,  déclarèrent  Charles  II  déchu  de 
ses  droits  à  la  couronne  et  proclamèrent  le  gouvernement  républicain. 
Caméron  n'hésita  pas  à  prendre  les  armes,  mais  il  périt  dans  une  escar- 
mouche et  sa  tête  lut  exposée  à  Edimbourg  au  bout  d'une  hallebarde. 
Le  fanatisme  farouche  de  la  secte  des  caméroniens  a  été  très-bien  dé- 
peint par  Walter  Scott  dans  ses  Puritains  d'Ecosse. 

CAMÉRON   (Jean) ,  célèbre  théologien  protestant,  né  à  Glasgow  en 
1580  et  mort  a  Montauban  en  1626.  Il  quitta   vers  1600  sa  ville  na- 
II.  36 


562  CAMERON 

taie  où  il  enseignait  la  langue  grecque,  et  vint  en  France,  où  il  fut 
d'abord  professeur  de  grec  et  de  latin  au  collège  de  Bergerac,  puis  on 
l'appela  peu  de  temps  après  à  une  chaire  de  philosophie  à  Sedan.  En 
1604,  il  devint  précepteur  des  fils  de  Softrey  de  Calignon,  chancelier 
de  Navarre,  et  les  accompagna  aux  universités  de  Genève  et  de  Heidel- 
berg.  Lui-même  y  étudia  la  théologie.  En  1608,  il  était  appelé  comme 
pasteur  à  Bordeaux.  Lors  des  troubles  de  la  régence  et  de  l'émotion 
produite,  de  ville  en  ville,  par  l'attitude  que  venait  de  prendre  l'assem- 
blée de  Nimes,  en  1615,  il  fut  d'avis  que  l'Eglise  de  Bordeaux  suspen- 
dit son  exercice,  et,  en  présence  des  divisions  que  la  décision  consis- 
toriale  lit  éclater  sur  ce  point,  il  se  retira  avec  son  collègue  Primerose, 
forçant  ainsi  la  main  aux  opposants,  et  faisant,  de  la  suspension,  un  fait 
accompli.  Le  consistoire,  mené  par  lui  et  par  Primerose,  voulut,  après 
le  rétablissement  de  la  paix,  faire  un  mauvais  parti  aux  opposants  :  de 
là  conflit,  appel  au  parlement,  excommunication,  puis  appel  comme 
d'abus  et  condamnation  de  Caméron  ;  en  un  mot,  toute  une  grosse 
affaire  qui  accusait  surtout  l'empiétement  du  consistoire  et  des  mi- 
nistres dans  une  question  du  ressort  administratif  et  politique.  Le 
synode  d'Alais  ne  pouvait  pas  ne  pas  louer  cet  excès  de  zèle,  mais  il 
se  refusa  à  en  payer  les  frais.  En  1618,  la  chaire  de  théologie  de  Sau- 
mur  venant  à  vaquer  par  le  décès  de  Gomar,  Caméron  la  disputa  à  La 
Coste,  ministre  de  Dijon,  dans  un  examen  solennel  qui  eut  lieu  le 
8  août,  au  synode  du  Mans ,  devant  toutes  les  sommités  des  Eglises  et 
en  présence  de  Duplessis-Mornay  et  du  vieux  Du  Moulin.  La  Coste 
échoua  d'une  manière  complète;  Caméron  s'en  tira  avec  honneur 
et  donna  entièrement  tort  aux  préventions  que  la  province  de  Poitou 
avait  d'abord  montrées  contre  lui.  Le  17  août,  il  fut  proclamé  publi- 
quement. Il  était  à  peine  installé  que  l'Eglise  de  Bordeaux  le  redeman- 
dait (juin  1619),  et  il  fallut  que  Duplessis-Mornay  écrivit  au  consistoire 
pour  lui  représenter  combien  l'enseignement  du  nouveau  professeur 
était  nécessaire  à  l'Académie  ;  il  fallut  même  que  le  synode  national 
d'Alais  fit  intervenir  son  autorité  pour  le  maintenir  dans  sa  chaire, 
contre  l'opposition  de  son  ancienne  Eglise.  Cependant  les  idées  que 
Caméron  nourrissait  sur  la  grâce  et  le  libre  arbitre,  la  théorie  de 
Yuniversalisme  hypothétique,  que  son  disciple  Amyraut  devait  déve- 
lopper plus  tard,  suscitaient  déjà  un  antagonisme  qui  était  destiné  à 
prendre  de  grandes  proportions.  Le  18  avril  1620,  Caméron  eut  avec 
Tilénus,  à  l'Isle,  près  d'Orléans,  une  conférence  amicale  qui,  selon 
l'ordinaire,  ne  fut  pas  un  moyen  de  pacification.  Ces  difficultés  théo- 
logiques et  la  disgrâce  de  Duplessis-Mornay ,  à  qui  le  gouvernement  de 
Saumur  venait  d'être  retiré  parla  cour,  amenèrent  Caméron  à  quitter 
sa  chaire  et  à  retourner  en  Angleterre,  où  le  roi  Jacques  Ier  le  nomma 
principal  du  collège  de  Glasgow  et  professeur  de  théologie  ;  mais  il  n'y 
demeura  pas  longtemps,  n'ayant  pas  lieu  de  s'y  trouver  bien.  Repas- 
sant la  Manche,  il  alla  à  Saumur,  où,  à  défaut  de  sa  chaire,  que  lui 
fermait  l'autorité,  il  donna  des  leçons  particulières,  et  il  reçut  du 
synode  de  Charenton,  en  1623,  une  indemnité  qui  lui  permit  d'at- 
tendre la  levée  de  l'interdit.  L'année  suivante,  il  était  appelé  à  pro- 


CAMÉRON  —  CAMISARDS 

fesser  la  théologie  à  L'Académie  de  Montauban,  qui  ne  se  montra  pas 

effrayée  de  ses  doctrines.  Il  y  arrivait  dans  un  moment  où  l'état  de 
guerre  partageai!  les  esprits:  ayant  pris  rang  avec  les  prudents  et  les 
modérés,  il  l'ut  en  butte  à  la  violence  des  exaltés  qui  te  forcèrent*  - 

retirer  à  Moissae.  Quand  la  tranquillité  se  fut  rétablie,  quelques  mois 
après,  il  revint  à  .Montauban  et  ne  tarda  pas  à  succomber  aux  ('motions 
et  aux  fatigues,  à  Page  de  quarante  ans.Claméron  fut  un  théologien  émi- 

nent.  et  singulièrement  avancé  pour  la  période  où  il  a  vécu  ;  on  enpeut 
juger  par  l'opinion  qu'il  soutenait,  que  la  «Réforme  avait  besoin  d'ut 
reforme  nouvelle  »;  et  par  cette  autre,  «  qu'il  est  possible  de  se  sauver 
dans  l'Eglise  romaine.  »  Le  synode  national  de  Castres  accorda  à  ses 
enfants  et  à  sa  veuve  une  petite  pension  «  en  tesmoignage  d'honneur  a 
sa  mémoire  ». —  Sa  bibliographie  comprend  douze  articles,  parmi  les- 
quels il  faut  citer  ses  Thèses  de  gratta  et  libero  arbitvio  disputâtes  (Sau- 
mur,  1618,  in-8°)  ;  Thèses  XLII  theologicx  de  necessitate  satisfaction 
Christi  pro  peccatis  (Saumur,  1620,  in-fol.)  ;  Arnica  collatio  de  gratiir  ! 
voluntalis  humanœ  concursu  in  vocatione,  etc.  (Rouen,  1622,  in-8")  ; 
Sept  sermons,  sur  Jean  YI  (Saumur,  1624,  in-8°)  ;  Prœlectiones  théolo- 
gien (Saumur,  1626-28,  publ.  par  L.  Cappel  en  3  vol.).  On  a  aussi  de 
lui,  comme  ouvrages  posthumes  :  Of  the  sovereign  judge  of  confr •■>- 
versies  in  matters  of  religion  (Oxford,  1628,  in-8°)  ;  et  Myrotheticùnn, 
evangelicum,  etc.  (Saumur,  1677,  in-4°),  recueil  de  savantes  et  judi- 
cieuses remarques  sur  le  Nouveau  Testament,  que  Richard  Simon 
qualifie  de  «  doctes  éclaircissements  ».  Oh.  Read. 

CAMISARDS.  Les  atrocités  commises  par  l'intendant  Baville  conî 
les  protestants  du  Languedoc  donnèrent  naissance  à  la  guerre  dite  des 
camisards,  terme  qui  vient  vraisemblablement  de  l'ancien  mot  cavmsade, 
attaque  de  nuit.  L'un  des  plus  cruels  agents  de  Baville,  François  de 
Langlade  du  Ghaila,  archiprétre  des  Cévennes,  prieur  de  Laval  et 
ancien  missionnaire  à  Siam,  nommé,  sur  sa  recommandation,  inspec- 
teur des  missions  du  Gévaudan,  avait  fait  de  son  presbytère  du  Ponî- 
de-Montvert  une  véritable  prison  où  il  torturait  à  plaisir  ses  victimes. 
«  Tantôt,  dit  le  véridique  Antoine  Court,  il  leur  arrachait  avec  des 
pinces  le  poil  de  la  barbe  ou  des  sourcils,  tantôt  il  leur  mettait  des 
charbons  ardents  dans  les  rnains,  qu'il  fermait  et  pressait  ensuite  avec 
violence  jusqu'à  ce  que  les  charbons  fussent  éteints;  souvent  il  leur 
revêtait  tous  les  doigts  des  deux  mains  avec  du  coton  imbibé  d'huile 
ou  de  graisse,  qu'il  allumait  ensuite  et  faisait  brûler  jusqu'à  ce  que 
les  doigts  fussent  ouverts  ou  rougis  par  les  flammes  jusqu'aux  os.  » 
Ayant  fait  arrêter,  au  mois  de  juillet  de  l'année  1702,  une  troupe 
de  protestants  fugitifs  qui  se  rendaient  à  Genève,  il  les  enferma  dan  ï 
des  ceps  comme  des  animaux  et  requiteontre  eux  la  sévère  application 
des  édits.  Désireux  de  les  arracher  à  une  condamnation  certaine,  une 
bande  de  quarante  ou  cinquante  protestants  de  leurs  parents  ou  de  leurs 
amis,  conduits  par  le  petit  prophète  Séguier,  envahissent  !;i  maison 
de  l'abbé  qui.  ripostant  par  une  décharge  demousqueterie,  tue  un  de-. 
assaillants.  Ceux-ci,  ne  mettant  dès  lors  plus  de  bornes  à  leur  fureur, 
percent  de  mille  coups  du  Chaila  (2i  juillet  1702).  Ainsi  commença  la 


504  CAMISARDS 

guerre  des  camisards.  Le  comte  de  Broglie,  lieutenant  général  pour 
le  roi  en  Languedoc,  instruit  de  cet  événement,  monta  avec  ses  sol- 
dats dans  lesCévennes,  mais  il  fut  impuissant  à  se  saisir  des  meurtriers. 
Son  lieutenant  Poul,  plus  heureux  que  lui,  les  battit  dans  la  plaine  de 
Font-Morte   et  fit  prisonnier  leur  chef  Séguier,  qu'on  brûla  vif  au  Pont 
de  Mont-Vert.   Un  ancien  soldat,  nommé  Laporte,  devenu  maître  de 
forges  près  du  Collet-de-Dèze,  le  remplaça.  Pendant  ce   temps  cinq 
nouvelles  troupes  se  formèrent  sous  les  cinq  chefs  suivants  :  Roland, 
neveu  de  Laporte  et,  comme  lui,  ancien  soldat  ;  Castanet,  garde  fores- 
tier; Jeany,  ancien  maréchal  des  logis;  Couderc,  un  des  prisonniers 
réchappes  de  du  Chaila;  Cavalier  enfin,  jeune  boulanger,  réfugié  à 
Genève,  qui  quitta  cette  ville  pour  venir  au  secours  de  ses  frères  et  ne 
tarda  pas  à  faire  sa  jonction  avec  la  troupe  de  Roland,   dont  il  fut 
nommé  le  chef  suprême.  Outre  Roland,  Cavalier  eut  sous  ses  ordres 
Ravanel  et  Catinat,  qui  se  rendirent  bientôt  célèbres  comme  le  premier. 
Il  serait  trop  long  de  raconter  leurs  faits  d'armes.  Nous  dirons  seule- 
ment qu'ils  battirent  le  duc  de  Rroglie  ou  ses  officiers  dans  un  grand 
nombre    de  rencontres,  notamment  dans    le  bois   de    Yaquières,   à 
Saint-Corne,  au  Mas  de  Calvi,  au  Val  de  Bane,  à  Vagnas.  Dans  ce  der- 
nier lieu  les  camisards  furent  successivement  vainqueurs  et  vaincus. 
Les  insuccès  du   duc  Broglie  le  firent  remplacer  par   le   maréchal 
de  Montrevel  (15  février  1703),  qui,  plus  habile  que  son  prédécesseur, 
battit  les  camisards  près  de  Nîmes,  à  la  tour  de  Belot,  à  Pompignan  ; 
mais  comme  il  se  signala  par  une  grande  cruauté,  au  point  de  mas- 
sacrer des  populations  entières  et  de  réduire  en  désert  par  F  incendie 
soixante-dix  villages  ou  hameaux,   il  ne  fit  qu'exaspérer  ses  adver- 
saires, qui  remportèrent  sur  lui  une  victoire  signalée  aux  Devoirs  de 
Martignargue.  Disgracié  pour  ce  fait,  il  fut  remplacé  par  le  maréchal 
de  Villars;  mais,  avant  de  quitter  le  Languedoc,  il  prit  près  de  Bois- 
sières  une  revanche  éclatante  de  sa  dernière  défaite.  Villars  essaya  des 
voies  de  douceur  et,  grâce  à  l'intervention  de  l'honnête  baron  d'Aiga- 
liers,   il  persuada    Cavalier,  qui  était   découragé  du  désastre  de  ses 
camisards  à  Boissières,  de  faire  sa  soumission.  Le  jeune  chef  partit  de 
Nîmes  le  21  juin  1704,  muni   d'un  brevet  de  colonel,  mais  quarante 
seulement  de  ses  compagnons  consentirent  à  partager  sa   nouvelle 
fortune,  vu  qu'il  n'avait  pas  stipulé  dans  son  traité  avec  Villars  que  les 
protestants  jouiraient  à  l'avenir  d'une  entière  liberté  de  conscience. 
Roland,  Catinat  et  Ravanel  continuèrent  la  lutte,  mais  le  premier,  vendu 
par  un  traître  et  surpris  peu  après,  mourut  les  armes  à  la  main.  Quant 
à  Catinat,  battu  près  de  Marnége  en  Vannage,  il  se  rendit  et  obtint  la 
permission  de  passer  en  Suisse.  Ravanel  fut  aussi  défait  près  de  Ners, 
mais  il  ne  cessa  pas  les  hostilités.  A  la  fin,    trahi,  ainsi  que  Catinat, 
qui  était  rentré  en  France,  ils  furent  l'un  et  l'autre  brûlés  vifs  à  Nîmes 
(22  avril  1705).  Un  grand   nombre  de   camisards  périrent  avec   eux 
sur  l'échafaud.  Malgré  ces  supplices,  quelques  autres  chefs  continuè- 
rent à  lutter  dans  les  Cévennes,  notamment  Claris  et  Montbonneux. 
D'autres,  comme  Billard,  Dupont  et  Mazel,  qui  s'étaient  expatriés  en 
Suisse,  rentrèrent  en  France  à  la  suggestion  des  puissances  alliées  et, 


CAMISAEDS  —  CAMPANBLLA  565 

soulevant  le  Vivarais,  battirent  les  troupes  royales  à  Sa int-For'tunat  et  à 
Saint-Pierreville.  Le  due  de  Roquelaure,  commandant  militaire  du 

Languedoc,  comprenant  le  péril  de  la  situation,  réunit  0,000  soldats 
et  atteignit  les  camisards  sur  les  montagnes  des  Isserlets.  près  de  Yer- 
noux  (8  juillet  1709).  Il  les  défit,  mais  sans  pouvoir  les  écraser.  Une 
seconde  rencontre,  qui  eut  lieu  quelques  jours  après  (11)  juillet)  à 
Pontréal,  proche  de  Chalencin,  paroisse  de  Saint-Jean-Chambie,  fut 
également  fatale  aux  camisards  et  termina  la  lutte.  Dupont  avait  été 
tué  dans  la  première  rencontre.  Quanta  Billard  et  Mazel,  ils  tombèrent 
peu  après  entre  les  mains  de  leurs  ennemis.  Le  premier  fut  tué  au 
moment  où  il  cherchait  à  fuir.  Le  second,  plus  heureux,  alla  rejoindre 
Claris  et  Montbonneux  et  leur  persuada  de  tenter  un  nouveau  soulève- 
ment (novembre  1709). Ils  ne  produisirent  que  de  l'agitation  et  provo- 
quèrent de  nouveaux  supplices.  Il  en  fut  de  môme  des  tentatives  de 
Chambon  en  Vivarais.  Un  an  plus  tard,  Mazel  fut  tué  sur  les  toits  d'une 
maison  au  Mas  de  Couteau,  àunquartdelieued'Uzès(17  octobre  1710). 
Claris,  qui  raccompagnait,  fut  arrêté  et  conduit  à  Montpellier,  où  il 
mourut  sur  la  roue  avec  une  admirable  constance.  Chambon,  également 
arrêté,  fut  pendu  dans  la  même  ville  (13  novembre  1710).  L'année 
d'après,  quelques  chefs  camisards,  excités  par  les  puissances  alliées,  s'agi- 
tèrent encore,  manifestant  l'intention  de  se  soulever  au  premier  appel  ; 
mais  la  chute  du  ministère  anglais,  la  paix  d'Utrecht  et  l'envoi  en  Lan- 
guedoc d'agents  du  gouvernement  plus  conciliants  arrêtèrent  le  mal  dans 
sa  racine.  Ainsi  finit  lalutte  des  camisards  :  elle  avait  duré,  avec  des  in- 
tervalles de  calme,  neuf  années  (1702-1711).  S'il  fallait  remonter  à  la 
source  de  l'énergie  indomptable  de  ces  hommes  extraordinaires,  nous 
dirions  qu'elle  résidait  tout  entière  dans  l'inspiration  des  prophètes  qui 
les  dirigeaient.  Ceux-ci  parlaient  au  nom  de  Dieu  et  ils  étaient  obéis 
comme  tels.  Cavalier  lui-même  était  prophète,  et  il  dut  à  cela  d'être 
préféré  à  Roland.  Organisés  théocratiquement,  ils  s'appelaient  entre 
eux  enfants  de  Dieu,  peuple  de  Dieu,  troupeau  de  l'Eternel,  et  leurs 
chefs  portaient  les  noms  de  frère  Cavalier,  frère  Roland,  etc.  Ils  exer- 
cèrent, il  est  vrai,  de  cruelles  représailles  à  la  façon  des  Israélites,  qu'ils 
cherchaient  à  imiter,  mais  ils  ne  furent  ni  assassins  ni  voleurs,  et  châ- 
tièrent sévèrement  ceux  d'entre  eux  qui  se  rendirent  coupables  de 
meurtre  ou  de  larcin  sans  nécessité.  Quant  à  leurs  mœurs,  elles  furent 
toujours  pures.  —  Voyez  :  Ant.  Court,  Hist.  des  troubles  des  Cévennes  ou 
de  la  guerre  des  Camisards,  Yillefranche,  1700,  3  vol.  in-12;  Louvre- 
leuil,  Le  fanatisme  renouvelé,  1704-1717, 4  vol.  in-12;  Brueys,  Iltst.  du 
fanatisme,  1709-1713,  4  vol.  in-12;  Fléchier,  Lettres  choisies,  Lyon, 
17.').*),  2  vol.  in-12;  Mison,  Théâtre  sacré  des  Cévennes,  Londres,  1709: 
de  La  Baume,  Hist.  de  la  révolte  des  fanatiques  (ms.);  Ernest  Albv,  Les 
Camisards  ;  Puaux,  Vie  de  Jean  Cavalier.  E.  Arnaud. 

CAMPANELLA  (Thomas),  né  dans  la  Calabre  en  1568,  entra  dès 
Page  de  quinze  ans  dans  Tordre  des  dominicains  et  étudia  toutes  les 
sciences.  11  combattit  Taristotélisme,  en  se  rattachant  à  la  doctrine  de 
Telesio  (Philosophia  senstbus  demonstrata,  in-4°,  1590);  mais  elle  lui 
parut  bientôt  insuffisante.  Les  projets  de  transformation  sociale  et  poli- 


566  CAMPANELLA  —  CAMPBELLITES 

tique  qu'il  nourrissait  inspirèrent  des  inquiétudes  à  l'autorité  espagnole, 
(jui  lui  fit  plusieurs  fois  subir  la  petite  et  la  grande  question.  Après 
vingt-sept  années  de  captivité,  il  fut  réclamé,  au  nom  de  l'inquisition, 
par  Urbain  VIII,  qui  lui  rendit  la  liberté;  mais  le  séjour  de  Rome  ne 
lui  oiirant  pas  de  sécurité,  il  se  réfugia  en  France  (1634)  où  Richelieu 
lui  accorda  une  pension  ;  il  mourut  à  Paris  en  1639.  Ses  idées  se  trou- 
vent condensées  dans  les  Unive?'salis  philosopluse  seu  metaphysicarum 
rerum  juxta  propria  dogmaia  parles  très  (1638).  Il  est  le  précurseur  de 
Locke  dans  la  manière  dont  il  explique  la  connaissance  sensible,  par 
les  seules  impressions  des  objets  et  sans  que  notre  intelligence  y  apporte 
quelque  élément,  toutes  nos  sciences  ne  nous  faisant  connaître  que  les 
phénomènes  des  choses.  Mais  il  est  aussi  précurseur  de  Descartes,  en  ce 
qu'il  pose  comme  principe  de  la  science  supérieure  cette  pensée  de 
saint  Augustin  :  Mihi  certissimum  est  quod  ego  sum.  Or  le  sens  intime 
constate  que  nous  pouvons,  que  nous  savons  et  que  nous  voulons  ou 
aimons;  ces  trois  activités  sont  les  primalitates ,  les  qualités  fonda- 
mentales de  tous  les  êtres,  même  de  ceux  que  nous  considérons  comme 
nanimés,  tels  que  les  minéraux.  Les  attributs  opposés,  impuissance, 
nintelligence,  volonté,  appartiennent  au  néant,  qui  ne  peut  exister  en 
lui-même,  mais  qui  est  attaché  aux  choses  et  les  circonscrit  ;  les  choses 
de  ce  monde  participent  toutes,  à  des  degrés  divers,  de  F  être  et  du 
non  être.  Elles  marquent  par  là  leur  dépendance  de  F  être  pur,  sans 
limites,  indéfinissable,  à  qui  nous  pouvons  cependant  attribuer  les  trois 
primalités  dans  leur  unité,  car  c'est  lui  qui  les  communique  à  tout  ce 
qui  existe.  Les  sciences  ne  nous  fournissent  que  les  phénomènes,  il 
nous  faut  rentrer  en  nous-mêmes  pour  trouver  l'être  et  nous  unir  à  lui 
dans  une  communion  mystique.  L'ordre  divin  doit  être  représenté  sur 
cette  terre  par  une  hiérarchie  dont  le  pape  est  le  chef  (Monarchia 
Messiœ,  1633).  Mais  Campanella  assigne  à  la  papauté  un  rôle  tout  nou- 
veau; dans  la  Civitas  solis  (publiée  en  1620  à  la  suite  de  Realis  philoso- 
phie epilogisticse  partes  IV)  Campanella  dépeint  un  état  idéal,  dont  le 
monarque  absolu  est  un  métaphysicien,  assisté  par  trois  ministres 
représentant  la  puissance,  la  sagesse,  l'amour,  et  par  une  multitude  de 
fonctionnaires;  dans  cette  organisation  parfaite,  il  n'y  a  pas  de  droits 
individuels;  la  propriété,  la  famille  sont  abolies;  Fauteur  se  flatte 
d'avoir  dépassé  la  République  de  Platon.  Campanella  avait  horreur  du 
protestantisme.  Son  Atheismus  triumphatus  seu  reduclio  ad  religionem 
per  scientiam  verïtatis  (1631)  parut  manquer  le  but  et  fut  surnommé 
l'Athéisme  vainqueur.  Ce  penseur  vaillant  et  infatigable  clôt  la  philoso- 
phie italienne  de  la  Renaissance,  il  en  réunit  les  tendances  diverses 
dans  son  vaste  système,  et  il  en  partage  le  défaut  principal,  l'effacement 
de  l'élément  éthique.  —  Voyez  :  Ferrari,  De  religiosis  Campanellse 
opinionibus,  Paris,  1840;  C.  Dareste,  Morus  et  Campanella,  1874. 

A.  Matter. 

CAMPBELLITES,  ou  Disciples  du  Christ,  secte  protestante  des  Etats- 
Unis.  Elle  tire  son  nom  d'Alexandre  Campbell,  ministre  presbytérien, 
élève  de  l'université  de  Glasgow  (Ecosse),  qui  par  sa  mère  était  de  des- 
cendance huguenote.  Il  émigra  en  Amérique  en  1809  et  s'établit  eu 


CAMPBELLITES  —  CAMPE  5C7 

Virginie.  Il  se  sépara  des  presbytériens,  poussé  par  la  conviction  que 
«  l'union  des  chrétiens  ne  peut  être  réaliâée  que  par  la  destruction  des 
confessions  de  foi,  el  que  l'Eglise  chrétienne  ne  doit  imposer  aucune 
autre  condition  d'admission  que  celles  qu'impose  le  Nouveau  Testa- 
ment lui-même.  »  Ce  i'ut  en  1810  que  Campbell  forma  une  nouvelle 
société  d'après  ce  principe.  Devenu  partisan  du  baptême  par  immersion, 
il  s'unit  momentanément  aux  baptistes.  mais  son  aversion  pour  les 
confessions  de  foi  le  lit  exclure  de  cette  Eglise  en  1827.  De  ce  moment 
date  L'organisation  distincte  des  Eglises  qui  se  rattachèrent  à  lui.  Doué 
d'une  gran  ;e  énergie  et  d'une  vive  intelligence,  Campbell  propagea 
son  système  avec  un  grand  succès,  tant  par  sa  parole  que  par  ses  écrits. 
Il  eut  souvent  recours  à  des  disputes  publiques  qui,  au  milieu  des 
colons  de  l'Ouest,  attiraient  d'immenses  foules  qui  appréciaient  fort 
ses  talents  de  polémiste  et  d'orateur.  Il  publia,  sous  le  titre  de  Christian 
System,  un  résumé  de  sa  théologie  qui  a  souvent  été  imprimé;  on  cite 
aussi  son  traité  sur  la  Rémission  du  péché.  Mais  ce  fut  surtout  par  les 
journaux  qu'il  rédigea,  le  Christian  Baptist  et  te  M  Mental  Harbinger, 
qu'il  exerça  une  grande  influence.  A  sa  mort,  en  1866,  le  nombre  de 
ses  partisans  dépassait  350,000,  répandus  surtout  dans  le  Kentucky, 
L'Ohio,  l'Indiana,  l'Illinois,  le  Missouri  et  la  Virginie.  Il  en  existe 
également  dans  les  provinces  britanniques  du  Nord  de  l'Amérique,  en 
Grande-Bretagne  et  en  Australie.  Onassure  qu'ils  sont  au  moins  500,000 
actuellement,  et  que  ce  chiffre  s'accroît  chaque  année  d'environ 
30,000  nouveaux  membres.  Ils  ont  vingt-six  collèges  dont  les  revenus 
dépassent  treize  millions  de  francs.  Ils  publient  onze  journaux  hebdo- 
madaires qui  ont  ensemble  50,000  lecteurs,  outre  quelques  publications 
mensuelles.  Les  Disciples,  d'accord  avec  leur  fondateur,  rejettent  toutes 
les  confessions  de  foi  et  déclarent  placer  la  Bible  seule  à  la  base  de  leur 
association.  A  défaut  de  credo  officiel,  ils  ont,  ce  qui  en  tient  lieu,  des 
principes  arrêtés  sur  la  doctrine  et  sur  la  discipline.  Leur  théologie 
est  celle  de  l'orthodoxie,  dont  ils  ne  diffèrent  que  sur  des  points  de 
peu  d'importance.  Leur  organisation  est  congrégationaliste  ;  ils  ont 
des  anciens,  des  diacres  et  des  évangélistes  ;  ces  derniers  constituent  un 
ministère  itinérant  et  sont  soutenus  par  les  contributions  volontaires  des 
fidèles.  Leurs  communautés  célèbrent  la  cène  tous  les  dimanches  et 
pratique**  le  baptême  par  immersion.  —  On  peut  consulter  sur  cette 
secte  intéressante,  outre  les  ouvrages  de  Campbell,  Jeter,  Cnmpôellism 
e.rantiiK-d ;  .Milligan,   Faith  and  Iteason,  etc.  Matth.  Lelièvre. 

CAMPE  (Joachim-Henri)  [1740-1818],  surnommé  le  /Jerquin  allemand, 
pédagogue  célèbre.  Originaire  du  Brunswick,  il  l'ut  d'abord  aumônier 
d'un  régiment  prussien,  mais,  ne  pouvant  supporter  le  spectacle  des 
horreurs  de  la  guerre,  il  quitta  cette  carrière  et  se  voua  à  l'éducation. 
11  dirigea  à  Dessau  le.  pkilmUhropùum  créé  par  liasedow,  puis  fonda  à 
Hambourg  ma  pensionnat  déjeunes  gens  qui  jouit  d'une  vogue  méritée. 
Campe  s'applique  «Tune  manière  exclusive  à  développer  la  raison  de 
tes  élèves,  tout  en  les  astreignant  à  un  régime  d'une  sévérité  presque 
puritaine.  Il  les  met  en  garde  contre  les  écarts  de  l'imagination,  etleur 
défend  tout  commerce  avec  les  beaux  esprits.  Il  traite  la  poésie  ((comme 


568  CAMPE  —  CAMPÈGE 

une  lanterne  allumée  en  plein  jour  ou  plutôt  comme  un  réverbère 
devant  lequel  aucun  homme  raisonnable  n'ôtera  son  chapeau.  »  Son 
idéal,  c'est  l'homme  pratique;  sa  morale  peut  se  résumer  dans  cet 
aphorisme  qu'il  aimait  à  inculquer  à  ses  élèves  :  «  Amasse  dans  ta 
jeunesse  autant  de  connaissances  utiles  que  possible  ;  tu  ne  sais  pas 
comment  et  où  elles  pourront  te  servir  un  jour.  »  Quant  à  la  religion, 
Campe  n'y  voit  qu'un  auxiliaire  utile  de  la  morale.  S'étant  retiré  en 
1805,  il  fonda  à  Brunswick  une  librairie  d'éducation  qui  eut  beaucoup 
de  succès  et  lui  procura  une  grande  aisance.  Ses  ouvrages,  écrits  dans 
un  style  châtié,  débarrassé  des  nombreux  termes  français  que  la 
langue  allemande  avait  adoptés,  se  distinguent  par  une  grande  sobriété 
de  vues  et  un  ton  moralisant  qui  n'échappe  pas  à  l'ennui  {Kinderbi- 
bliothek  ;  Sittenlehre  fur  Kinder;  Vœterliclur  Rath  an  meine  Tochter ; 
Die  Entdeckung  America  s;  Theophron,  etc.).  On  les  a  réunis  en  une 
collection  formant  trente-sept  petits  volumes  (1829-32).  Un  seul 
mérite  de  rester  populaire.  C'est  une  imitation  du  célèbre  roman  de 
Daniel  Defoë,  Robinson  Crusoé,  en  dialogues  (la  forme  préférée  de 
Campe),  qui  eut  plus  de  quarante  éditions. 

CAMPÈGE  (Laurent)  [1474-1539],  cardinal,  archevêque  de  Bologne, 
de  la  famille  des  Campeggi,  si  illustre  dans  l'Eglise  qu'elle  ne  comp- 
tait pas  moins  de  cinq  membres  parmi  les  Pères  du  concile  de  Trente, 
et  fils  de  Jean  Campège,  professeur  de  droit  à  Padoue.  Il  succéda  d'a- 
bord à  son  père  dans  sa  chaire  de  droit,  et  l'occupa  avec  un  égal  talent; 
mais  étant  devenu  veuf,  il  entra  dans  les  ordres.  Sa  vocation  précédente 
le  désignait  naturellement  pour  les  négociations.  Nommé  auditeur  de 
rote  par  Jules  II  et  évêque  de  Feltri,  il  remplit,  comme  nonce  ou  légat, 
les  missions  les  plus  délicates  dans  ces  moments  de  crise  pour  la  politi- 
que romaine  qui  marquèrent  les  premières  années  de  la  Réformation. 
11  faut  croire  que  la  souplesse  et  la  dextérité  de  ce  négociateur  consti- 
tuaient précisément  la  plus  insigne  des  maladresses,  dans  un  temps  où 
l'on  avait  affaire  à  des  convictions  plutôt  qu'à  des  intérêts.  Telle  fut 
sans  doute  la  cause  de  ses  échecs  successifs  en  Allemagne  où  il  fut  en- 
voyé par  Léon  X  pour  tâcher  de  ramener  Luther,  et  par  Clément  VII 
pour  unir  les  princes  contre  le  réformateur  à  la  diète  de  Nuremberg. 
Pour  donner  satisfaction  au  vœu  universel,  Campège  publia  en  1524 
un  projet  de  réforme  du  clergé  ;  mais,  plus  occupé  des  abus  du  bas 
clergé  que  des  vices  des  prélats,  il  ne  fit  qu'envenimer  le  mal  qu'il 
prétendait  guérir.  L'affaire  du  divorce  de  Henri  VIII,  avec  qui  il  était 
en  relations  amicales  et  dont  il  avait  même  reçu  l'évêché  de  Salisbury, 
semblait  offrir  un  terrain  plus  propice  à  sa  diplomatie.  Il  arriva  en  An- 
gleterre muni  de  pleins  pouvoirs  pour  terminer  le  différend;  mais 
d'une  part  le  pape,  sous  la  pression  de  Charles-Quint,  les  révoqua  pres- 
que aussitôt,  et  d'autre  part  le  légat  s'embarrassa  lui-même  dans  ses 
propres  habiletés.  Engageant  tour  à  tour  le  roi  à  renoncer  au  divorce, 
la  reine  à  s'y  résigner  d'elle-même,  et  le  pape  à  céder  pour  ne  pas 
perdre  davantage,  il  n'arriva  qu'à  précipiter  un  dénouement  vaine- 
ment retardé  un  instant,  et  tout  le  fruit  de  ses  efforts  fut  la  perte  de 
on  évêché  de  Salisbury.  Paul  III  le  nomma   archevêque  de  Bologne  et 


OAMPÈGB  —  CAMPENSIS  569 

gouverneur  de  Parme  et  de  Plaisance,  et  il  employa  à  Rome  au  servie*' 
du  saint-siége  su  longue  expérience  des  affaires.  Il  ne  reste  de  lui  que 
l'intéressant  recueil  de  ses  lettres,  insérées  dans  les  Epistolarwrnmiscelr 
lan.  lihri  X  (Bàle,  1555,  in-fol.). 

CAMPÈGE  (Thomas)  [1800-1564],  neveu  du  précédent,  auquel  il  fut 
associe  dans  ses  diverses  missions  et  qu'il  remplaça  dans  l'évèché  de 
Feltri.  Il  alla,  en  qualité  de  légat,  à  la  conférence  de  Worms  (1540), 
mais  il  ne  joua  un  rôle  important  qu'au  concile  de  Trente.  C'est  sur 
ses  instances  que  le  concile  prit  la  grave  résolution  de  ne  pas  séparer 
la  discussion  des  dogmes  de  celle  de  la  information.  On  a  de  Tho- 
mas Campège  un  assez  grand  nombre  de  traités  sur  des  points  intéres- 
sants de  discipline  ecclésiastique.  Tels  sont:  l'Autorité  et  la  puissance  du 
}>aj)t\  la  Simonie,  les  Mariages  des  catholiques  avec  les  hérétiques,  qu'il 
reconnaît  indissolubles,  sauf  l'opposition  formelle  du  pape,  le  Célibat 
du  clergé,  qu'il  maintient  avec  vigueur,  etc.  La  plus  importante  de  ses 
publications  est  son  traité  De  autoritate  SS.  Conciliorum  (Venise,  1561), 
précieux  document  pour  établir  quel  était  au  seizième  siècle  l'état  de 
la  question  de  la  suprématie  pontificale.  Campège  n'hésite  pas  à  pro- 
clamer le  pape  supérieur  au  concile,  dont  il  veut  que  les  décrets  n'aient 
d'autorité  que  publiés  ou  confirmés  par  lui;  mais  il  accorde  aux  cardi- 
naux et,  à  leur  défaut,  aux  princes  et  aux  évêques,  le  droit  de  le  con- 
voquer, si  le  pape  à  qui  il  appartient  de  le  réunir  se  refusait  à  le  faire.- 
Le  concile  ne  peut  rien  imposer  à  un  pape  qui  tombe  dans  le  désordre, 
mais  il  peut  défendre  de  lui  obéir  en  ce  qu'il  ordonnerait  de  préjudi- 
ciable à  l'Eglise.  L'auteur  va  jusqu'à  supposer  que  le  pape  devient 
hérétique,  cas  unique  où,  selon  lui,  il  peut  être  déposé  par  le  concile. 
Cette  seule  concession  est  un  curieux  point  de  repère  pour  juger  de  la 
distance  qui  sépare  ce  prélat,  tout  dévoué  pourtant  à  la  cour  de  Rome, 
de  nos  modernes  ultramontains.  P.Rouffet. 

CAMPENSIS  (Jean),  dont  le  nom  véritable  est  van  den  Carnpen, 
naquit  vers  1490  à  Carnpen  en  Hollande,  s'adonna  avec  beaucoup  de 
zèle  et  de  succès  à  l'étude  de  l'hébreu  dans  une  époque  où  elle  était 
encore  entourée  de  beaucoup  de  difficultés,  et  fut  un  des  premiers  à 
enseigner  cette  langue  dans  les  Pays-Bas.  Professeur  d'hébreu  dès 
1520  au  collège  des  trois  langues  que  Busleiden  avait  fondé  à  Louvain, 
il  suivit  vers  1531  un  appel  de  l'évêque  Tomicki  à  l'université  de 
Cracovie,  mais  n'y  resta  pas  longtemps,  voyagea  longuement  en  Alle- 
magne où  il  se  lia  avec  plusieurs  savants  distingués ,  entre  autres  avec 
Seli.  Muenster  à  Bàle,  séjourna  deux  ans  à  Venise  auprès  du  rabbin 
Elie  Levita  et  fut  accueilli  avec  une  grande  faveur  à  Borne  par  le  pape 
Paul  III.  Betournant  dans  sa  patrie  où  il  comptait  mettre  à  profit  ses 
connaissances  nouvelles,  il  mourut  de  la  peste  à  Fribourg  en  Brisgau 
le  7  septembre  1538.  Ses  publications,  qui  toutes  étaient  le  fruit  de 
son  enseignement  à  Louvain,  sont:  1°  un  Abrégé  de  grammaire  hé- 
brmqtie,  d'après  les  travaux  d'Elie  Levita  (Louvain,  1528,  in-4°,  plu- 
sieurs fois  réimprimé  à  Cracovie  et  à  Paris»;  2"  une  Paraphrase  latine 
des  Psaumes,  publiée  d'abord  à  Nuremberg,  1532,  in- 16,  qui  eut  un 
grand  succès  et  fut  reproduite  un  grand  nombre  de  fois  (souvent  con- 


570  CAMPENSIS  —  CAMUS 

jointemcnt  avec  une  traduction  anonyme  des  Psaumes  qui  est  de 
Zwingle),  et  fut  traduite  en  hollandais,  en  anglais,  en  allemand  et  en 
français;  en  cette  dernière  langue  par  Etienne  Dolet;  Tliéod.  deBèze 
publia  sa  Paraphrase  latine  des  Psaumes  pour  remplacer  celle  de 
Gampensis  ;  3°  une  paraphrase  semblable  de  YEcclésiaste,  jointe  à  plu- 
sieurs éditions  de  celle  des  Psaumes  (Paris,  1532,  etc.)-  11  est  incer- 
tain si  un  Commentaire  sur  les  èpîtres  aux  Romains  et  aux  Galates 
(Venise,  1534,  in-8°)  est  de  notre  auteur  ou  d'un  homonyme.  —  Sources  : 
Paquot,  Mémoires  pour  Vhist.  littér.  des  Pays-Bas,  éd.  in -fol.,  11,  p.  505; 
Panzer,  Gesch:  d.  JSurnberger  Ausgaben  der  Bibel,  p.  143;  Nève, 
Notice  sur  J.  Campensis  et  André  Gennep,  Louvain,  1845  (extr.  de 
Y  Annuaire  de  VUniv.  de  Louvain,  1845,  p.  185);  Nève,  Mémoire  sur  le 
collège  des  trois  langues  à  Louvain,  1856,  in-4°,  p.  235  et  314. 

A.  Beknus. 
CAMUS  (Jean-Pierre),  né  et  mort  à  Paris  (1582-1652).  Nommé  à 
vingt-six  ans  évêque  de  Belley  et  consacré  par  François  de  Sales,  il 
jouit  longtemps  de  l'intimité  de  ce  prélat  pour  qui  il  professait  une 
vénération  sans  bornes.  Leurs  relations  de  voisinage,  autant  que  son 
peu  d'ambition,  lui  firent  refuser  les  diocèses  plus  considérables  qu'on 
lui  offrit  souvent.  «  La  petite  femme  que  j'ai  épousée,  disait-il  avec  sa 
rondeur  toute  gauloise,  est  assez  belle  pour  un  Camus.  »  Six  ans  après 
la  mort  de  son  ami,  il  résigna  son  évêché  (1628)  et  reçut  de  Louis  XIII 
l'abbaye  d'Aulnay  en  Normandie.  Il  s'arracha  à  cette  solitude  pour 
remplir  à  Rouen  les  fonctions  de  vicaire  général,  à  la  prière  de  l'ar- 
chevêque de  Harlay;  puis  il  se  retira  à  l'hôpital  des  Incurables,  à 
Paris.  Il  y  mourut  au  moment  où  il  se  disposait  à  aller  occuper  à 
Arras  le  siège  épiscopal  qu'on  lui  avait  donné  malgré  lui.  Peu 
d'hommes  ont  joui  de  leur  temps  d'une  aussi  grande  renommée  pour 
tomber  ensuite  dans  un  aussi  profond  oubli.  Il  ne  mérita  pourtant  ni 
l'un  ni  l'autre.  Les  curieux  recueillent  soigneusement  aujourd'hui  le 
Rabat-joie  du  triomphe  monacal  et  sa  suite  (Lisle,  1634,  2  part.  in-8°)  ; 
la  Pauvreté  évangélique  et  la  Désappropriation  claustrale  (Besançon, 
1634,  in-8°)  ;  les  Deux  Hermit.es ,  V Antimoine  bien  préparé,  et  autres 
pamphlets  d'un  goût  équivoque,  mais  sur  la  portée  desquels  il  ne 
faudrait  pas  se  méprendre.  La  vie  et  les  écrits  de  Camus  sont  un  ré- 
pertoire inépuisable  d'anecdotes  piquantes  et  de  bons  mots  contre  les 
moines,  et  son  acharnement  contre  eux  égalait  son  irrévérence  pour 
leurs  défenseurs,  sans  en  excepter  Richelieu,  devant  qui  il  ne  réprimait 
pas  les  plus  mordantes  saillies.  Toutefois,  dans  cette  guerre  menée  avec 
plus  de  verve  que  de  discernement,  il  s'agissait  au  fond  de  tout  autre 
chose  que  de  remettre  à  neuf  les  vieilles  satires  du  moyen  âge  et  du 
Pantagruel.  En  arrivant  à  Belley,  il  avait  trouvé  son  diocèse  au  pouvoir 
des  religieux  de  tout  ordre,  évinçant  de  leur  charge  de  cure  d'àmes 
les  prêtres  séculiers.  Leur  enlever  la  direction  des  consciences,  tel  fut 
l'objet  de  cette  lutte.  Il  peint  sur  le  vif  ces  directeurs  qui  s'entre- 
mettent de  tout  sous  le  manteau  de  la  charité,  s'ingèrent  dans  les 
affaires  temporelles  de  ceux  qui  les  consultent  sur  les  spirituelles,  se 
plaignent  de  leur  pauvreté  en  cherchant  un  moyen  d'enrichir  la  corn- 


CAMUS  —   CANA  571 

munauté,  Louent  L'aumône  pour  qu'on  Leur  étonne  de  L'argent,  et  par 
suite  complaisants  jusqu'à  la  connivence,  n'ouï  rien  à  refuser  pour 
qu'on  ne  leur  refuse  rien.  Cette  étrange  perversion  de  l'œuvre  apos- 
tolique révoltait  la  candeur  de  Camus.  «  La  dévotion  aisée  »  eut  en  lui 
un  adversaire  infatigable,  et  il  avait  flétri  la  chose  avant  que  Pascal  lui 
eût  donné  son  nom.  .Néanmoins  il  ne  faudrait  pas  voir  dans  l'évêque 
de  Belley  la  vertu  pesante  d'un  janséniste  avant  l'heure.  Le  disciple 
de  François  de  Sales  n'était  rien  moins  que  cela,  comme  le  prouvent 
ses  renuma  spirituels.  Le  succès  d'Honoré  d'Urfé,  son  diocésain,  dont 
IfÀstrée était  «  le  bréviaire  des  courtisans  »,  lui  suggéra  de  composer, 
comme  contre-poison  à  la  lecture  des  romans  mondains,  une  série 
d'historiettes  où  la  vertu  est  aux  prises  avec  toutes  les  épreuves.  Il  lit 
preuve  en  ce  genre  d'une  fécondité  digne  des  feuilletonistes  de  nos  jours, 
et  il  put  dire  à  son  tour  de  ses  productions  :  «Elles  sont,  si  vous  voulez, 
le  bréviaire  des  halles,  mais  elles  ne  laissent  pas  de  plaire  au  public, 
et  elles  se  vendent  bien.  »  Du  reste,  ses  sujets  étaient  souvent  aussi 
émouvants  que  ses  titres  :  l'Amphithéâtre  sanglant,  le  Spectacle  d'hor- 
rein\  etc.  Le  bon  évêque  y  usa,  selon  le  mot  cruel  de  M.  de  Salvandy 
à  propos  du  théâtre  de  Victor  Hugo,  de  toutes  les  ressources  de  l'art 
seénique  et  de  l'art  romantique.  Le  tout  est  un  mélange  de  naïve 
malignité,  de  galanterie  quelque  peu  indécente,  de  sensualisme  et  de 
spiritualité,  en  un  style  moitié  moral,  moitié  burlesque  et  parfois 
éloquent  qui,  au  temps  de  EAstrée,  réussit  plus  peut-être  par  ses  dé- 
fauts que  par  ses  qualités.  Des  186  écrits  de  Camus,  dont  quelques- 
uns,  comme  Alexis  et  les  Diversités,  ont  six  et  onze  volumes,  deux 
seulement  ont  survécu  en  réalité  :  C  Esprit  de  saint  François  de  Sales 
(Paris,  1641,  b*  vol.  in-8°),  abrégé  et  réduit  à  un  volume  par  Collot,  et 
I Wfoi'sinement  des  protestants  de  V Eglise  romaine  (Paris,  1703,  in-12), 
publié  par  Kichard  Simon  avec  des  notes  intéressantes  de  l'éditeur. 
C'est  de  beaucoup  le  meilleur  de  ses  ouvrages.  p-  Rouffet. 

GANA  (de  Kaneh, roseau).  —  l°Nom  d'un  ruisseau  servant  de  fron- 
tière entre  le  territoire  d'Ephraïm  au  nord  et  celui  de  Manassé  au  midi,  et 
appelé  dans  le  livre  de  Josué  Nahal-Cana,  rivière  du  roseau  (Josué  XVI, 
8;  XV11,  9). —  2°  Ville  de  la  tribu  d'Asser  mentionnée  dans  Josué  XIX, 28. 
—  3°  Bourgade  de  Galilée,  où  Jésus,  d'après  le  quatrième  évangile, 
accomplit  dans  un  banquet  de  noces  le  miracle  de  l'eau  changéeen  vin 
(Jean  11, 1  ;  IV,  40).  On  a  cru  retrouver  son  emplacement  sur  le  chemin 
dta  Nazareth  à  Sepplioris,  à  peu  près  à  une  lieue  et  demie  de  cette  der- 
nière ville,  où  se  rencontre  une  localité  nommée  encore  aujourd'hui 
K e un  a.  Josèphe  à  plusieurs  reprises  parle  d'un  village  de  Cana  en 
Galilée  située  à  la  distance  d'une  marche  de  nuit  de  Tibériade  |  Vita, 
XVI.  17..  Faut-il  l'identifier  avec  le  Cana  du  quatrième  Evangile?  La 
chose  piuait  vraisemblable  sans  être  certaine.  Le  Talmud  mentionne 
aussi  une  bourgade  de  Galilée  nommée  Cana  (Juchasin.  f.  57  ;  ci  Othon, 
Lexic.  riibb..  p.  115).  Muant  à  la  distance  entre  Cana  et  Capernaùm,  les 
uns  l'évaluent  a  sept  ou  huit  lieues,  d'autres  à  quatre,  ("est  qu'actuel* 
lement  ni  la  place  de  Capernaùm  ni  celle  de  Cana  ne  sont  bien 
certaines. 


572  CANAAN  —  CANADA 

CANAAN.  Voyez  Palestine  et  Israël  (Histoire  du  peuple  cl1). 

CANADA.  Le  Canada  proprement  dit  a  été  colonisé  par  les  Français 
à  partir  de  1523  et  n'appartient  à  l'Angleterre  que  depuis  le  traité  de 
Paris  qui  mit  fin  à  la  guerre  de  Sept-Ansen  1763.  Le  reste  des  immenses 
possessions  britanniques  de  l'Amérique  du  Nord  appartient  depuis 
beaucoup  plus  longtemps  à  la  Grande-Bretagne.  La  population  s'en 
accroît  plus  rapidement  encore  que  celle  des  Etats-Unis.  On  l'évaluait 
en  1800  à  240,000  âmes  seulement.  Elle  atteignait,  d'après  le  recen- 
sement du  3  avril  1871,  3,602,321  habitants,  et,  avec  Terre-Neuve,  qui 
forme  une  division  particulière,  3,748,867.  La  population  se  répartit 
quant  à  l'origine  entre  les  principales  nationalités  suivantes:  1,082,940 
Français,  846,414  Irlandais,  706,369  Anglais,  549,946  Ecossais, 
202,991  Allemands,  etc.  Le  nombre  des  Indiens  est  évalué  en  1874  à 
94,163.  Au  point  de  vue  religieux,  on  compte  1,492,029  catholiques, 
544,998  presbytériens,  494 ,049  anglicans,  567,091  méthodistes,  239,343 
baptistes,  37,9351uthériens,  21,829  congrégationalistes,  65,857  membres 
de  communautés  diverses,  mennonites,  universalistes,  mormons,  chré- 
tiens bibliques,  etc.  5,575  personnes  ont  déclaré  n'appartenir  à  aucune 
religion.  Depuis  quelques  années  toutes  les  Eglises  sont  séparées  de 
l'Etat.  —  1.  Catholiques.  L'Eglise  romaine  domine  surtout  dans  les 
portions  habitées  par  les  Français  et  les  Irlandais.  Dans  le  Bas-Canada, 
■1,019, 850  personnes,  c'est-à-dire  85  pour  cent  de  la  population  adhèrent 
à  sa  foi.  Dans  les  autres  provinces,  l'élément  protestant  est  en  majorité. 
Les  Canadiens,  très-attachés  à  leur  Eglise,  sont  gouvernés  par  quatre 
archevêques  et  vingt-quatre  évêques  :  1°  Québec  (évôché  le  13  no- 
vembre 1670,  archevêché  le  12  juillet  1844)  ;  évêchés  suffragants  : 
Montréal  (1820),  Ottawa  (25  juin  1847),  Saint-Germain  de  Rimouski 
(15  janvier  1867),  Saint-Hyacinthe  (8  juin  1852),  Sherbrooke  (1874), 
Trois-Rivières  (8  juin  1852).  2°  Halifax  (vicariat  apostolique  en  1518, 
archevêché  le  4  mai  1852)  ;  évêchés  suffragants  :  Arichat  (27  septem- 
bre 1844),  Charlottetown  (23  novembre  1818),  Chattam  et  Miramicki 
(8  mai  1860),  Saint-John-Nouveau-Brunswick  (15  avril  1860) .  3°  Toronto 
(évêché  le  17  décembre  1841,  archevêché  le  21  mars  1870);  évêchés 
suffragants  :  Hamilton  (1856),  Kingston  (27  janvier  1826),  Sandwich 
(1856),  Canada  septentrional  (vicariat  apostolique  le  25  mars  1874). 
4°  Saint-Boniface  (évêché  le  4  juin  1847,  archevêché  le  22  septem- 
bre 1871);  évêchés  suffragants  :  Saint-Albert  (1868),  Mackenzie,  Akhelasta 
(vicariat  apostolique  en  mai  1852),  Iles  Vancouver  (29  juin  1873). 
Sièges  dépendant  immédiatement  du  saint-siége  :  Saint-John -Terre- 
Neuve  (vicariat  apostolique  en  1796,  évêché  le  4  juin  1847),  Harbour- 
Grace  (19  février  1856)  et  les  deux  préfectures  apostoliques  de  Placentia- 
Bay  et  de  Saint-Georges  dans  l'île  de  Terre-Neuve.  On  remarque  que 
ces  sièges  sont  presque  tous  d'origine  très-récente.  C'est  que  le  Canada 
est  comme  la  forteresse  du  catholicisme  dans  l'Amérique  du  Nord,  et 
qu'un  clergé  nombreux  est  nécessaire  pour  résister  aux  progrès  des 
protestants  et  pour  faire  de  nouvelles  conquêtes.  L'université  catho- 
lique de  Québec  forme  les  prêtres  nécessaires  au  service  du  pays.  Les 
couvents  de  femmes  sont  assez  nombreux  dans  le  pays  ;  mais  nous  n'y 


CANADA  —   CANDACE  573 

connaissons  pas  de  couvents  de  moines.  —  2.  Les  Presbytériens ,  en 
majorité  dans  le  Haut-Canada,  ne  forment  pins  qu'un  seul  corps  de- 
puis 1857.  Leur  organisation  reproduit  celle  de  l'Eglise  d'Ecosse.  Un 
certain  nombre  de  paroisses  sont  groupées  en  presbytères.  Les  18  pres- 
bytères se  partagent  entre  les  trois  synodes  du  Canada,  de  la  Nouvelle- 
Ecosse  et  du  Nouveau-Brunswick.  Au-dessus  des  synodes  est  l'assemblée 
générale  qui  se  réunit  une  fois  par  an.  Les  presbytériens  entretiennent 
2:>  stations  missionnaires  parmi  les  païens  du  pays.  —  3.  L'Eglise  an- 
glicane est  gouvernée  par  9  évoques  :  Montréal,  84  pasteurs;  Québec, 
89  pasteurs;  Toronto,  119  pasteurs;  Ontario,  81  pasteurs;  Huron, 
80  pasteurs;  Nouvelle-Ecosse,  82  pasteurs;  Fredericton,  03  pasteurs; 
Terre-Neuve,  59  pasteurs;  et  enfin  le  diocèse  missionnaire  de  Rupert's 
Land,  11  pasteurs  et  20  missionnaires  entretenus  par  les  Sociétés  de 
l'Eglise  anglicane  et  pour  la  propagation  de  l'Evangile.  —  4.  Les  Mé- 
thodistes ont  47  cercles  et  près  de  300  communautés  ;  les  Baptistes, 
environ  120  paroisses.  —  La  partie  septentrionale  de  l'Amérique  an- 
glaise forme  un  champ  démissions  très-étendu.  La  population  indienne 
qui  T habite  est  évangélisée  par  de^  missionnaires  protestants  et  catho- 
liques. Nous  y  relevons  38  stations  des  missions  de  l'Eglise  anglicane, 
10  delà  Société  pour  la  propagation  de  l'Evangile, 28  wesleyens,  23  de 
l'Eglise  presbytérienne  du  Canada,  2  des  méthodistes  épiscopaux,  1  du 
bureau  américain,  4  moraves,  30  catholiques  romains.  Mais  nous  ne 
pouvons  garantir  que  cette  liste  soit  complète.  Le  climat  et  les  condi- 
tions de  vie  des  indigènes  rendent  la  tâche  des  missionnaires  particu- 
lièrement difficile.  Cependant  des  résultats  considérables  ont  déjà  été 
obtenus  et  sont  une  garantie  des  succès  futurs.  —  Bibliographie  :  Sta- 
tistics  of Canada  (officiel),  1870;  Marshall,  The  Canadian  Dominion,  1871; 
The  Year-Bookand  Almanac  of  Canada  for  1870;  etc.       E.  Vaucher. 

CANAYE  (Jean)  [1594-1070].  Professeur  d'humanités,  recteur  de 
collège,  prédicateur,  et  enfin  poète,  mais  surtout  poëte  latin,  le 
P.  Canaye  est  moins  connu  par  ses  compilations  et  par  ses  vers  (Lu- 
dovici  XIII  triumphus  de  Rupella  capta,  Paris,  1028,  in-4°)  que  par 
l'usage  plaisant  que  Saint-Evremond,  son  ancien  élève  au  collège  de 
Clermont,  a  fait  de  son  personnage.  Le  P.  Canaye  était,  en  1054, 
supérieur  des  hôpitaux  de  l'armée  de  Flandre.  Saint-Evremond 
suppose  entre  le  maréchal  d'Hocqu incourt  et  l'aumônier  une  con- 
versation, vrais  propos  de  table,  qui  peint  au  vif  la  facilité  com- 
plaisante avec  laquelle  les  jésuites  passaient  condamnation  sur  les 
fautes  les  plus  grossières,  pourvu  que  tout  finit  au  détriment  des  jan- 
sénistes et  à  leur  propre  succès.  Puis,  se  trouvant  seul  avec  son  élève, 
le  P.  Canaye  avoue  louchant  cette  rivalité  que  l'ordre  veut  s'attirer  par 
l'indulgence  ceux  que  les  jansénistes  veulent  s'assujettir  par  la  rigueur. 

Ce  Q'esl  pas  que  les  uns  et  les  autres  n'ayent  dessein  de  sauver  les 
hommes  :  mais  chacun  veut  se  donner  du  crédit  en  les  sauvant;  et  à 
vous  parler  franchement,  l'intérêt  du  directeur  va  presque  toujours 
devant  le  salut  de  celui  qui  est  sous  la  direction.  » 

CANDACE  <  Iw.vsr/.v;,  Act.  VIII,  27),  nom  commun  des  reines  de 
l'Ethiopie  (Meroô,  Abyssinie)  qui  ont  gouverné  ce  pays  dans  les  pre- 


574  CANDACE  —  CANDLISH 

miers  siècles  de  l'ère  chrétienne  (Dio  Cassius,  LIV,  5;  Strabon,  XVII 
et  XVIII;  Pline,  H.  N.,  VI,  29,  qui  écrit  Candaoce.  Du  temps  d'Eusèbe, 
il  y  avait  encore  des  reines  d'Ethiopie  (H.E.,U,  1).  Nous  n'avons  donc 
ici  qu'un  titre  royal  semblable  au  titre  de  Pharaon,  que  Fauteur  des 
Actes  aura  pris  pour  un  nom  propre  et  dont  la  vraie  traduction  grecque 
aurait  été  gsKnXtaî,  regina.  D'après  une  tradition  éthiopienne,  en  elïet, 
la  souveraine  de  l'eunuque  baptisé  par  Philippe  se  serait  appelée  Ju- 
dith. Cet  eunuque,  d'après  Irénée  et  Eusèbe,  aurait  été  l'apôtre  de 
l'Ethiopie;  d'après  d'autres  traditions,  il  aurait  porté  l'Evangile  jus- 
qu'à l'ile  de  Ceylan,  où  il  aurait  subi  le  martyre. 

CANDLISH  (Robert  Smith),  célèbre  prédicateur  écossais,  naquit  le 
23  mars  1806,  à  Edimbourg,  mais  fut  élevé  à  Glasgow.  En  1823  il 
devint  étudiant  en  théologie  et,  ses  études  terminées,  fut  nommé  en 
1829  suffragant  du  docteur  Gavin  Gibb,  pasteur  dans  la  ville  de  Saint- 
Andrew.  Dès  cette  époque  sa  prédication  fut  remarquée  ;  aussi  en  1833, 
au  moment  où  il  s'offrait  pour  aller  évangéliser  le  Canada,  un  appel 
lui  fut  adressé  par  la  congrégation  de  Saint-George,  une  des  plus  im- 
portantes d'Edimbourg;  il  accepta,  et  l'année  suivante  il  devint  le 
pasteur  en  titre  de  cette  Eglise.  En  1839  il  siégea  à  l'assemblée  générale 
ou  synode;  la  Chambre  des  Lords  venait  de  déclarer  illégal  le  Veto 
Act  adopté  par  l'Eglise  d'Ecosse  pour  sauvegarder  l'indépendance  des 
fidèles  dans  la  grave  question  de  la  nomination  des  pasteurs,  et  le  parti 
des  modérés  proposait  qu'on  laissât  tomber  ledit  Acte  en  désuétude  ; 
le  Rév.  Candlish  s'y  opposa  énergiquement,  affirmant  que  dans  les 
questions  spirituelles  l'Eglise  n'a  pas  à  s'incliner  devant  les  pouvoirs 
civils.  Ce  discours  fut  la  révélation  d'un  talent  jusque  là  inconnu  :  le 
grand  prédicateur  était  en  même  temps  un  orateur  puissant  dans  les 
débats  politiques  et  ecclésiastiques.  Dès  lors  le  Rév.  Candlish  compte 
parmi  les  chefs  de  l'Eglise  et  son  nom  est  mêlé  à  toutes  les  négociations, 
à  toutes  les  luttes  qui  aboutissent  au  grand  acte  delà  Disruption  :  il  est 
un  de  ces  474  pasteurs  qui  en  mai  1843  se  séparèrent  de  l'Etat  et  fon- 
dèrent l'Eglise  libre  d'Ecosse.  Peu  de  temps  auparavant  il  avait  reçu 
du  collège  de  Princeton  le  titre  de  docteur.  Le  reste  de  sa  vie 
fut  consacré  aux  travaux  de  son  ministère,  à  l'administration  des  in- 
térêts de  la  nouvelle  Eglise  et  à  la  publication  de  divers  ouvrages; 
parmi  ceux-ci  on  connaît  surtout  les  Lectures  on  the  fatherhood  of  God 
et  On  theSonship  et  brotherhood of  believers . —  L'influence  exercée  par  le 
docteur  Candlish  a  été  considérable  ;  c'était  un  caractère  énergique,  un 
esprit  clair  et  logique;  sans  être  un  grand  théologien,  il  peut  être 
compté  parmi  les  penseurs  chrétiens;  ses  discours  sont  pleins  de 
substance,  la  doctrine  en  est  strictement  orthodoxe;  bien  qu'il  les  lût 
à  la  façon  des  prédicateurs  écossais,  ils  produisaient  une  grande  im- 
pression sur  l'auditoire.  Pendant  les  dernières  années  de  sa  vie  le 
docteur  Candlish  travailla,  sans  toutefois  réussir,  à  réunir  en  un  seul 
faisceau  les  diverses  Eglises  presbytériennes  indépendantes  de  l'Etat. 
Depuis  1861  sa  santé  était  ébranlée;  en  1871  et  1872  son  état  s'aggrava, 
il  put  encore  prêcher  quelquefois  à  Saint-George  pendant  l'hiver  de 
1872-73,  ce  furent  ses  derniers  efforts  :  il  mourut  le  19  octobre  1873. 


CAXDLISH  —  CANDOLLE  575 

—  Sources  :  In  memoriam  R.  S,  Candtish  />.  D.  Sermons  preached  in 
free  Si-George  s,  Edinb.,  1873;  Sermons  by  Ikt  laie  R.  S.  Candlis/i, 
unth  a  bhgrapkicai  préface ,  Edinb.,   L873.  F.  Dumas. 

CANDOLLE (Pyranms  de),  iils  de  Cosme  de  Candolle,  d'une  noble  fa- 
mille de  Provence,  né  à  Fréjus  en  L566,  avait  émigré  à  Genève  avec  son 
père,  qui  fut  reçu  habitant  en  1  T> 7 Y .  Lui-même  fut  admis  comme  bour- 
geois en  L994  ((  gratuitement,  eu  esgard  à  sa  bonne  volonté  et  service 
qu'il  a  t'ait  au  port  d'armes  (pendant  la  guerre  contre  le  duc  de  Sa- 
voie1, en  payant  0  seillots  de  cuir  bouilli  pour  la  défense  contre  le 
feu.  »  En  1591,  Pyramus  avait  épousé  Anne,  fille  d'Eustache  Vignon, 
Imprimeur,  et  ce  fut  probablement  cette  circonstance  qui  le  détermina 
à  se  vouer  à  l'exercice  de  Part  typographique.  Il  fonda  son  établisse- 
ment dans  le  village  de  Cologny.  En  1595,  il  entra  dans  le  Conseil  des 
Deux-Cents,  et,  la  même  année,  le  10  juin,  le  Petit  Conseil  lui  fait  des 
remontrances  «  pour  avoir  fait  imprimer,  sans  congé  de  la  seigneurie, 
les  Harangues  militaires  sur  la  Ligue,  lequel  livre  contient  plusieurs 
louanges  du  pape  et  des  invectives  contre  le  moderne  roy  de  France  » 
(Henri  IV).  Le  13  mars  1603,  le  Conseil  supprime  une  chanson  sur 
l'Escalade  que  Pyramus  de  Candolle  a  imprimée  sans  congé.  Quelques 
jours  auparavant,  il  avait  offert  de  se  rendre  à  ses  dépens  auprès  des 
Eglises  de  Guyenne  pour  solliciter  des  subsides  en  faveur  de  la  répu- 
blique, obérée  grâce  aux  dépenses  extraordinaires  qu'elle  avait  dû 
l'aire  à  la  suite  de  l'Escalade.  Mais,  les  ministres  ayant  présenté  des 
objections,  il  ne  paraît  pas  que  de  Candolle  ait  rempli  la  mission  qu'il 
avait  sollicitée.  En  1609,  Pyramus  fut  envoyé  en  France  avec  le  mandat 
de  défendre  les  intérêts  de  la  typographie  genevoise,  très-compromis 
par  la  prohibition  des  livres  imprimés  dans  la  métropole  des  hugue- 
nots. Il  fut  reçu  par  Henri  IV  et  obtint  de  ce  monarque  l'autorisation 
d'introduire  en  France  des  livres  qui  ne  traiteraient  pas  de  matières 
de  théologie  et  qui  porteraient  l'indication  :  Colonisa  Allobrogum.  La 
mort  d'Henri  IV,  survenue  l'année  suivante,  mit  à  néant  les  conces- 
sions que  Pyramus  avait  obtenues.  En  1617  Pyramus,  qui  avait  eu  avec 
le  gouvernement  genevois  des  difficultés  au  sujet  desquelles  nous  ne 
sommes  pas  renseignés,  se  retira  à  Yverdon,  sur  les  terres  de  Berne, 
où  il  établit  son  imprimerie;  s'il  faut  en  croire  Senebier,  il  y  aurait 
fondé  de  plus  une  forge  et  un  collège.  Nous  apprenons  par  une  com- 
munication faite  au  Conseil  de  Genève  en  1618  par  le  syndic  Sarasin 
que  Pyramus  avait  composé  un  mémoire  concernant  le  gouvernement 
genevois  qu'il  se  proposait  d'imprimer.  Le  titre  n'annonçait  pas  des 
intentions  bienveillantes  pour  les  autorités  de  Genève  :  Trois  livres 
d'oligarchie^  comprenant  le  mespris  des  lois  ecclésiastiques  et  politiques  et 
indeu  gouvernement  de  V Estât,  ensemble  trois  traictés  y  adjoints  de  l'en- 
vie, de  la  médisance  et  de  V ingratitude  avec  V apologie  et  défense  du  sieur 
de  Julians  (c'était  le  nom  que  prenait  l'auteur)  contre  les  calomnies  à 
luy  imposées  par  M.  de  Genève.  Le  Conseil  s'émut  de  cette  révélation  et 
fit  tant  par  ses  représentations  que  de  Candolle  consentit  à  ne  pas  pu- 
blier son  écrit.  La  rude  concurrence  que  se  faisaient  les  imprimeries 
de  Genève  et  rétablissement  d'Yverdon  donna  lieu  à  un  échange  de  let- 


576  CANDOLLE  —  CANISIUS 

très  entre  la  seigneurie  de  Genève  et  ses  hauts  alliés  de  Berne.  Nous 
signalerons,  entre  autres  ouvrages  sortis  des  presses  de  de  Gandolle,  les 
Œuvres  de  Tacite  (1609)  et  une  traduction  française  des  Economiques 
de  Xénophon,  docte  philosophe  et  valeureux  capitaine  athénien,  et  de  la 
Retraite  des  Dix  Mille  (1613).  Am.  Koget. 

CANISIUS  (Pierre),  jésuite,  de  Nimègue  (1521-1597).  Il  avait  fait  par- 
tie du  clergé  de  Cologne  avant  d'entrer,  à  vingt-cinq  ans,  dans  la  nou- 
velle Compagnie.  Professeur  de  théologie,  prédicateur  de  l'empereur 
Ferdinand,  et  au  concile  de  Trente  lieutenant  actif  de  Salmeron  et  de 
Lainez,  son  ingérence  constante  dans  la  politique  impériale  et  son  achar- 
nement contre  les  protestants  le  firent  surnommer,  par  allusion  à  son 
nom,  le  chien  d'Autriche.  Il  fut  le  premier  provincial  qu'ait  eu  la  So- 
ciété de  Jésus  en  Allemagne,  où  la  cour  de  Rome  le  chargea  aussi  de 
la  nonciature.  Il  mourut  àFribourg,  en  Suisse,  dans  le  collège  qu'il  y 
avait  fondé.  Outre  plusieurs  éditions  des  Pères  de  l'Eglise,  il  a  produit 
nombre  d'ouvrages  plus  étendus  que  profonds  où  l'on  retrouve  dès 
l'origine  l'esprit  même  de  son  ordre.  Tels  sont  ses  deux  volumes  de 
commentaires  De  verbi  Dei  com*uptelis,  contre  les  auteurs  des  Centu- 
ries de  Magdebourg  ;  De  Maria  Virgine  incompara bili  et  Dei  Génitrice 
libri  V,  etc.  Canisius  est  justement  célèbre  par  son  Catéchisme,  véri- 
table arsenal  de  la  doctrine  romaine.  Il  le  publia  d'abord  vers  1554,  en 
Autriche,  sans  indication  de  lieu,  ni  d'année,  ni  d'auteur,  sous  ce 
titre  :  Summa  doctrinœ  christianœ  per  quœstiones  trad.  et  in  usum  christ, 
pueritiœ  ?iunc  primum  édita.  C'est,  après  les  Exercitia  spiritualia 
d'Ignace,  le  plus  ancien  ouvrage  publié  par  les  jésuites.  A  partir  de 
l'édition  de  Cologne  (1566,  in- 12),  fort  différente  de  la  première,  il 
porta  le  nom  de  l'auteur.  Du  reste,  jusqu'à  l'édition  de  1618  (Paris, 
in-fol.),  Canisius  et,  après  lui,  ses  confrères,  ne  cessèrent  de  le  rema- 
nier et  de  le  compléter.  Le  titre  môme  subit  toutes  les  variations.  Au- 
cun ouvrage  peut-être,  la  Bible  exceptée,  n'a  eu  plus  de  réimpressions 
et  de  traductions  dans  toutes  les  langues  de  l'Europe.  Condensé  avec 
le  plus  grand  soin  en  un  abrégé  par  l'auteur,  sur  l'ordre  de  Ferdinand, 
puis  en  abrégé  de  l'abrégé,  il  fut  longtemps  en  usage  dans  tous  les 
collèges  de  la  Société.  La  traduction  française  du  catéchisme  complet 
a  été  donnée  pour  la  première  fois  par  l'abbé  Pelletier  :  le  Grand  Caté- 
chisme du  R.  P.  Canisius,  ou  précis  de  la  doctrine  chrétienne,  appuyé  de 
témoignages  nombreux  de  l'Ecriture  et  des  Pères  (Besançon-Paris,  1856- 
1858,  7  vol.  in-8°).  Il  faut  dire  que  trop  souvent  ces  Pères  sont  des  écri- 
vains relativement  récents,  Canisius  ayant  étendu  ses  compilations 
jusqu'aux  décrets  du  concile  de  Trente,  et  mettant  les  rêveries  de 
saint  Bernard  et  des  scolastiques  sur  le  même  rang  que  les  témoigna- 
ges de  l'Ecriture.  Son  plan  est  d'ailleurs  extrêmement  lucide.  Il  dis- 
pose sous  une  question  les  preuves  qui  correspondent  à  chacune  des 
assertions  émises  dans  la  réponse.  A  lire  ce  travail  d'ensemble,  l'im- 
pression qu'on  en  ressent  est  parfois  toute  contraire  à  celle  qu'il  avait 
dessein  de  produire.  Outre  les  contradictions  assez  fréquentes  des 
Pères,  il  est  curieux  de  constater  que  l'abondance  des  citations  d'au- 
teurs plus  récents  est  en  proportion  de  la  disette  d'autorités  anciennes,. 


CAN1SIUS  —  CANON  577 

quand  il  s'agit  de  doctrines  auxquelles  nous  reprochons  précisément 
leur  nouveauté.  Enfin,  on  y  suit  aisément,  dans  les  seuls  extraits  d'é- 
crivains du  moyen  âge  qui  les  réfutent,  la  trace  continue  des  préten- 
dues hérésies  qui  survivaient  à  tous  leurs  adversaires,  et  Ganisius  éta- 
blit ainsi,  sans  le  vouloir,  la  filiation  de  ces  protestants  qu'il  avait  en 
vue  de  confondre  comme  des  novateurs.  P.  Rouffet. 

CANISIUS  (Henri),  de  Nimègue,  neveu  du  précédent  (f  1610) . 
[]  professa  pendant  vingt-et-un  ans  le  droit  canon  à  Ingolstadt.  Erudit 
plutôt  qu'écrivain,  il  réunit  avec  autant  de  savoir  que  peu  de  critique 
une  immense  compilation,  pleine  d'erreurs  de  toutes  sortes,  dont  il 
faisait  imprimer  les  pièces  à  mesure  qu'il  les  découvrait,  et  qui  for- 
mait à  sa  mort  sept  volumes  in-4°.  Ce  sont  ses  Lectiones  antiquse  (Ingol- 
stadt, 1601-1608).  Il  mourut  avant  d'avoir  complété  son  recueil  par  les 
éclaircissements  et  les  notes  qu'il  avait  promis  d'y  ajouter.  Jacques 
Basnage  entreprit,  un  siècle  après,  ce  travail.  Il  combla  les  lacunes,  y 
joignit  des  variantes  et  des  remarques,  et  en  disposa  par  ordre  les  maté- 
riaux. Il  en  résulta  le  Thésaurus  monumentorum  ecclesiasticorum  et  liisto- 
ricorum,  sîve  lectiones  antiquse,  etc.,  cum  prœfat.  et  notis  Jac.  Basnage 
(Antuerpia^,  Amstelod.,  1725,  7  tomes  in-fol.).  L'éditeur  avait  usé  avec 
prolitdes  notes  du  savant  helléniste  Gapperonnier.  On  a  encore  de  Cani- 
sius  quelques  éditions  de  chroniques  anciennes,  et  une  série  d'ouvrages 
sur  le  droit  canon  recueillis  parYalère  André  (Louvain,  1044,  in-4°). 

CANON  DE  L'ANCIEN  TESTAMENT.  L'Ancien  Testament  est  passé  des 
juifs  aux  chrétiens  sous  deux  formes  différentes.  L'Ancien  Testament 
hébreu  propre  aux  juifs  de  la  Palestine  et  aussi,  sans  le  moindre 
doute,  à  ceux  de  la  Babylonie,  a  été  adopté  par  les  protestants  ;  l'Ancien 

Testament  grec,  connu  sous  le  nom  de  version  des  Septante,  et 
propre  aux  juifs  alexandrins  et  en  général  aux  juifs  hellénistes,  a 
été  reçu  par  l'Eglise  catholique;  l'Ancien  Testament  delà  Vulgate 
en  dérive  et  n'en  est  en  définitive  qu'une  traduction  latine,  retouchée, 
il  est  vrai,  à  plusieurs  reprises,  mais  seulement  dans  les  détails 
d'Eglise  orthodoxe  grecque  a  suivi  d'abord  la  Bible  hébraïque  et  en  est 
venue  ensuite  peu  à  peu  à  adopter  le  canon  des  Septante,  en  le  surchar- 
geant même  de  quelques  pseudépigraphes  qui  n'en  font  pas  partie  et 
qui  n'ont  pas  été  admis  dans  la  Vulgate.  Ed.  Reuss,  Hist.  du  Canon  cks 
saintes  Ecrit.,  p.  108,  210,  2L7  et  230-241).  Il  convient  d'examiner 
séparément  ces  deux  canons,  en  commençant  naturellement  par 
l'Ancien  Testament  hébreu,  dont  la  version  des  Septante  n'a  été  dans 
v  principe  qu'une  traduction  en  langue  grecque.  —  1°  L'Ancien  Testa- 
ment  hébreu  se  compose  de  vingt-huit  livres;  de  vingt-cinq,  selon 
d'autres,  qui  ne  comptent  les  deux  livres  de  Samuel  que  pour  les. 
deux  parliez  d'un  seul  et  même  livre,  et  de  même  pour  les  deux  livres 
des  Rois  et  pour  les  deux  livres  des  Chroniques;  enfin  de  vingt-deux, 
d'après  l'historien  juif  Josèphe  et  quelques  Pères  de  l'Eglise,  qui, 
voulant  fixer  les  écrits  de  l'Ancien  Testament  d'après  le  nombre  des 
lettres  de  L'alphabet  hébreu,  tiennent  Kuth  pour  un  supplément  des 
.luges,  les  lamentations  pour  une  suite  des  prophéties  de  Jérémie,  et 

eut-être  aussi  Esdras  et  Néhémie  (appelés  dans  la  Vulgate  le  premier 
i  r .  57 


578  CANON  DE  L'ANCIEN  TESTAMENT 

et  le  second  Esdras)  pour  les  deux  parties  d'un  même  ouvrage.  Ces 
vingt-huit  livres  sont  classés  en  trois  sections  et  disposés  dans  Tordre 
suivant  :  lre  Section  :  La  Loi,  en  hébreu  Thorah,  comprend  les  cinq 
livres  attribués  à  Moïse,  savoir  :  la  Genèse,  l'Exode,  le  Lévitique,  les 
Nombres  et  le  Deutéronome.  2°  Section  :  Les  Prophètes,  en  hébreu 
Nebiim.  Cette  section  est  divisée  en  deux  parties,  dont  la  première, 
sous  le  titre  de  Nébiim  Richonim  {prophetae priores)  renferme 
Josué,  les  Juges,  les  deux  livres  de  Samuel  et  les  deux  livres  des  Rois 
(ces  six  écrits  avaient  été  composés,  dans  l'opinion  des  juifs,  par  d'an- 
ciens prophètes),  et  la  seconde,  sous  le  titre  de  Nébiim  Akharonim 
(prophetx  posteriores),  contient  Esaïe,  Jérémie,  Ezéchiel  et  les  douze 
petits  prophètes  (considérés  comme  ne  formant  qu'un  seul  livre). 
3e  Section  ;  Les  Ecrits,  en  hébreu  Quetoubim  (les  hagiographes, 
écrits  saints)  :  ce  sont  les  Psaumes,  les  Proverbes,  Job,  le  Cantique  des 
cantiques,  Ruth,  les  Lamentations,  l'Ecclésiaste,  Esther  (ces  cinq 
derniers  désignés  sous  le  nom  des  cinq  rouleaux,  en  hébreu  Meghil- 
loth),  Daniel,  Esdras,  Néhémie  et  les  deux  livres  des  Chroniques 
(Paralipomènes) .  C'est  sous  cette  forme  que  l'Ancien  Testament  hé- 
breu nous  est  parvenu  et  qu'il  a  été  conservé  jusqu'à  ce  jour  par  les 
israélites.  Le  traducteur  grec  de  l'Ecclésiastique  (138  ans  environ 
av.  J.-C.)  nous  apprend  dans  sa  préface  que  l'ensemble  des  livres  hé- 
breux de  ses  coreligionnaires  se  compose  de  la  Loi,  des  Prophètes  et 
des  autres  livres  nationaux,  6  vs[j,oç,  cl  wpoçSjTat  x«l  t*  dft.Xor  mrrpia  £1- 
6/,'.a;  et  l'historien  juif  Josèphe  (Contra  Apionem,  I,  §  8)  confirme  ce 
témoignage,  en  décrivant  l'Ancien  Testament  comme  formé  de  trois 
parties,  dont  la  première  contenait  les  cinq  livres  de  Moïse,  la  seconde 
ceux  des  prophètes  et  la  troisième  des  hymnes  et  des  écrits  de  morale, 
auxquels  on  joignait  des  récits  de  ce  qui  s'était  passé  chez  les  juifs  de- 
puis Artaxerxès,fils  de  Xerxès.  Chacune  de  ces  trois  parties  se  compo- 
sait-elle des  mêmes  livres  que  dans  notre  canon  actuel  ?  C'est  certain 
pour  la  première,  qui  n'a  jamais  renfermé  que  les  cinq  livres  mo- 
saïques. On  n'en  saurait  douter  pour  la  seconde,  si  Josèphe  n'assurait 
qu'elle  renfermait  treize  livres  des  prophètes,  tandis  que  notre  Bible 
hébraïque  n'en  contient  aujourd'hui  que  dix.  Il  est  fâcheux  que 
l'historien  juif  n'ait  pas  donné  les  titres  de  ces  treize  écrits  des  pro- 
phètes ;  il  aurait  épargné  par  là  aux  critiques  modernes  bien  des  dis- 
cussions sans  résultat.  Mais  en  présence  du  respect  des  juifs  pour  leurs 
livres  sacrés,  respect  poussé  jusqu'à  la  superstition,  on  peut  admet- 
tre sans  le  moindre  scrupule  que  Josèphe,  dont  la  précision  n'est  pas 
la  vertu  dominante,  transporta  de  son  autorité  privée  dans  cette  se- 
conde partie  de  l'Ancien  Testament  hébreu  trois  écrits  qui  appartien- 
nent à  la  troisième  et  plaça  les  deux  livres  des  Chroniques  à  la  suite  des 
deux  livres  des  Rois,  dmis\es  prophetœ  priores,  et  Daniel  après  Ezéchiel, 
dans  les  prophetse  posteriores.  C'est  ce  qu'on  fait  aussi  dans  toutes  les 
traductions  protestantes.  Quant  à  la  troisième  section,  quoique  Josèphe 
assure  que  ses  coreligionnaires  n'avaient  pas  pour  quelques-uns  des 
livres  relativement  modernes  qui  s'y  trouvent  le  même  respect  que 
pour  ceux  d'un  âge  plus  reculé,  on  ne  saurait  admettre  que,  depuis  le 


CAXOX  DE  L'ANCIEN  TESTAMENT  579 

moment  où  le  recueil  hébreu  fut  clos,  on  y  ait  introduit  la  moindre 
modification  de  quelque  importance.  On  eu  a  la  preuve  dans  ce  t'ait 
que,  malgré  des  voii  autorisées  qui,  déjà  avant  l'ère  chrétienne,  sYle- 
vèrenl  dans  la  Judée  contre  deux  des  livres  de  cette  troisième  section 
il'Kt-t  Jésiaste  et  le  Cantique  des  cantiques),  la  synagogue  ne  se  crut  pas 
le  droit  de  les  éliminer  de  la  collection  des  livres  nationaux,  et  se  borna 
à  en  interdire  la  lecture  à  quiconque  îfavaitpas  atteint  l'âge  de  raison 
(trente  ans).  —  A  quelle  époque,  par  qui,  dans  quelles  intentions  et 
d'après  quels  principes,  les  différents  écrits  qui  composent  l'Ancien 
Testament  hébreu  furent-ils  réunis  en  un  corps  d'ouvrages,   dans 
Tord îv  et  sous  la  forme  qu'ils  ont  conservés  depuis?  Une  tradition 
juive   qui  ne  parait  pas  remonter  au  delà  du  moyen   âge,   attribue 
ce  travail  à  la  grande  synagogue  qu'Esdras  aurait  présidée  et  dont  il 
aurait  été  l'àme.  Rien  n'est  plus  contraire  à  la  réalité  des  choses,  puis- 
qu'il y  a  dans  l'Ancien  Testament  hébreu  bien  des  écrits  postérieurs 
à  ce  célèbre  docteur  de  la  Loi.  D'un  autre  côté,  quand  on  examine  de 
près  les  trois  sections  dont  il  se  compose,  et  qu'on  tient  compte  de  la 
place  assignée  à  chacune  d'elles  et  de  la  différence  de  valeur  qu'elles 
avaient   pour  les  juifs,   on  reste    convaincu  qu'elles  ne  sont  pas  de 
la   même   date  et  qu'elles  furent  formées  l'une  après  l'autre,   dans 
1  ordre  même  dans  lequel   elles  ont  été  rangées,  et  sous  l'empire  de 
circonstances  différentes.  Après  le  retour  de  la  captivité  de  Babylone,- 
rien  u'étàit  d'une  plus  pressante  nécessité  que  de  répandre  parmi  le 
peuple  une  connaissance  de  plus  en  plus  étendue  des  principes  et  des 
prescriptions  mosaïques  qui  allaient  devenir  eniin  l'unique  règle  des 
croyances  et  des  mœurs,  et  dont  la   plus  grande   partie  des  juifs 
n'avaient  certainement  encore  qu'une  idée  vague  et  insufiisante.  Le 
moyen  le  plus  efficace  d'y  réussir,  c'était,  après  avoir  réuni  les  cinq 
livres  de  Moïse  en  un  seul  volume,  d'en  faire  des  lectures  fréquentes 
et  régulières  à  la  foule  spécialement  rassemblée  dans  cette  intention. 
Ce  fut,  sans  le  moindre  doute,  sous  l'impression  de  ce  sentiment  que 
fut  formé  le  recueil  qui,  sous  le  nom  de  la  Loi,  est  resté  depuis  ce  mo- 
ment le   code  de   la  famille  d'Israël  tout   entière.  Qu'Esdras  en  ait 
conçu  la  pensée  et  présidé  lui-même  à  l'exécution  de  cette  collection, 
on  peut  le  croire  sans  peine,  quand  on  considère  qu'il  prit  la  plus 
grande  part  à  la  réorganisation  du  judaïsme  à  Jérusalem  et  que  son 
nom  tient  la  première  place  dans  la  plupart  des  traditions  juives  rela- 
tive à  ce  grand  événement.  Ce  fut  du  moins  à  ce  moment  que  le  Pen- 
tateuque    prit  la  forme  sous  laquelle  il  est  arrivé  jusqu'à  nous.  Ce 
recueil  n'existait  pas  avant  la  captivité  de  Babylone;  le  livre  de  la  Loi 
trouvé  dans  le  temple  par  le  souverain  sacrificateur  Milkija.  la  dix- 
huitième  année  dn  règne  de  Josias  (2  Rois  XXII,  8  ss.),  n'était  certai- 
nement qu'un  seul  de  ces  cinq  livres,  selon  toutes  les  vraisemblances 
le  Deutéronome  :  peu  après  le  retour  de  l'exil,  ce  recueil  était  connu  ; 
le  peuple  fut  convoqué  à  plusieurs  reprises  pour  en  entendre  la  lec- 
ture (Néhémie  VIII.  3,8,  18;  XIII,  1),  et  l'usage  de  le  lire  dans  1rs 
synagogues  hit  établi  alors  ou  bientôt  après.  Les  prophètes  avaient  été 
rs  de  Moïse;  ils  avaient  continué  son  œuvre  et  en  axaient 


580  CANON  DE  L'ANCIEN  TESTAMENT 

amené  le  triomphe.  Leurs   écrits  étaient  le  commentaire  et  l'explica- 
tion de   ceux  du  grand  législateur.  Il  était  dans  Tordre  des  choses 
qu'on   voulût  aussi  en  former  un  recueil.  Ce  second  volume  était  la 
suite  naturelle  du  livre  de  la  Loi.   Une  tradition  juive  assure  que, 
Antiochus  Epiphane  ayant  dépouillé  les  juifs  de  tous  les  exemplaires 
du  recueil  des  écrits   de  Moïse,  on   suppléa,  dans  les  synagogues, 
à  la   lecture,   devenue  impossible,  du   livre  de  la  Loi  par   celle  de 
morceaux  choisis  des  écrits  des  prophètes,  et  que  ce  fut  alors  qu'on 
en  fit  un  recueil.  On  ne  saurait  accorder  la  moindre  valeur  historique 
à  cette  tradition.  On  ne  comprend  pas  comment  tous  les  exemplaires 
du  livre  de  la  Loi  auraient  pu  être  confisqués,  et  on  comprend  moins 
encore  comment  l'autorité  qui  avait   supprimé  la  lecture  des  écrits 
de  Moïse  aurait  toléré  celle  d'autres  livres  sacrés.  Ajoutez  que  si  les 
écrits  des  prophètes  avaient  été  réunis  uniquement  dans  l'intention 
d'en  lire  des  morceaux  choisis  dans  les  synagogues,  on  se  serait  pro- 
bablement borné  à  une  collection  de  ces  morceaux  choisis.  La  tra- 
dition juive  dont  il  vient  d'être  question  pourrait  tout  au  plus  être 
invoquée  comme  un  témoignage  de  l'existence  de  la  seconde  section 
de  l'Ancien  Testament  hébreu  au  temps  d' Antiochus  Epiphane.  Mais 
on  en  trouve  un  bien  plus  authentique  dans  le  livre  qui  porte  le  nom 
de  Daniel  et  qui  est  de  cette  époque.  Il  y  est  parlé  de  livres  parmi  les- 
quels étaient  les  écrits  de  Jérémie  (Daniel  IX,  2).  Un  recueil  de  diffé- 
rents écrits  dont  ceux  de  Jérémie  faisaient  partie  ne  pouvait  être  qu'une 
collection  des  écrits  des  prophètes.  Ce  nouveau  recueil  remontait  cer- 
tainement plus  haut,  puisque  Fauteur  du  livre  de  Daniel  s'en  servait  et 
le  citait  comme  une  autorité  connue  et  incontestée.  C'est  sans  le  moin- 
dre doute  parce  qu'on  le  regardait  comme  le  complément  obligé  du 
livre  de  la  Loi,  que  s'établit  l'usage  de  faire  suivre,  dans  les  synago- 
gues, la  lecture  de  celui-ci  de  celle  de  passages  choisis  de  celui-là,  et  à 
la  manière  dont  il  en  est  parlé  dans  le  Nouveau  Testament  (Matth.  Y,  17; 
Luc  XYI,  16,  29,  31;  XXIII,  27,  44;  Jean  I,  46;  Actes  XIII,  14  et  15; 
XV,  31),  on  peut  juger  qu'il  datait  de  loin.  La  troisième  section  de 
l'Ancien  Testament  hébreu  ne  se  forma  que  lentement,  peu  à  peu,  par 
des  additions  successives.  Il  est  difficile  d'assigner  une  date  à  ses  pre- 
miers commencements,  et  plus  difficile  encore  de  déterminer  l'époque 
fixe  à  laquelle  elle  fut  achevée.  Il  est  probable  que  les  Psaumes,  ou 
pour  mieux  dire  les  différents  recueils  de  Psaumes  qu'on  avait  déjà 
sans  le  moindre  doute  vers  la  fin  du  troisième  siècle  avant  l'ère  chré- 
tienne (sur  la  formation  des  cinq  livres  des  Psaumes,  voy.  Ed.  Keuss, 
Le  Psautier,  p.  30-35)  furent  réunis  pour  composer  un  troisième  vo- 
lume, peu  de  temps  après  la  formation  de  celui  des  écrits  des  prophè- 
tes. On  tenait  ces  différentes  poésies  pour  l'œuvre  de  David,  et  David 
était  aussi  en  un  certain  sens  un  prophète.  Rien  de  plus  conforme  à  la 
nature  des  choses  que  de  leur  donner  une  place  à  la  suite  du  recueil 
précédent.  Peut-être  au  même  moment,  ou  du  moins  bientôt  après,  on 
jugea  convenable  d'y  joindre  trois  livres  qui  plus  tard  ne  parurent  pas 
à  tous  les  docteurs  juifs  avoir  un  droit  égal  à  une  place  dans  une  collec- 
tion d'écrits  sacrés,  mais  que  couvrit  certainement  le  nomdeSalomon, 


CANON  DE  L'ANCIEN  TESTAMENT  5S1 

à  qui  on  les  attribuait;  nous  voulons  parler  des  Proverbes,  de  l'Ecclé- 
siaste  et  du  Cantique  des  cantiques.  Ce  sont  vraisemblablement  ces 
trois  livres  et  les  Psaumes  que  veut  désigner Josèphe,  quand  il  dit  que, 
après  les  écrits  des  prophètes,  se  trouvent  dans  le  recueil  des  écrits  des 
juifs,  quatre  autres  livres  contenant  des  hymnes  et  des  préceptes  moraux 
(foutra  Apionem,  I,  §  8).  A  quelle  époque  iit-on  entrer  dans  cette  troi- 
sième section  les  livres  que  mentionne  encore  Josèphe  dans  le  même 
passage  et  qui,  composés  après  1* extinction  du  prophétisme,  ne  jouis- 
saient  pas  auprès  des  juifs,  à  ce  qu'il  assure,  du  même  crédit  et  de  la 
même  autorité  que  les  précédents?  Il  est  impossible  de  le  déterminer; 
on  ne  peut  même  savoir  s'ils  y  furent  introduits  tousà  la  fois,  ou  les  uns 
après  les  autres.  S'il  était  vrai,  comme  on  le  suppose,  non  sans  quel- 
que apparence  de  raison,  que  la  plupart  des  hymnes  qui  composent 
le  cinquième  livre  des  Psaumes  fussent  du  temps  des  Maccabécs,  il  fau- 
drait admettre  que  ce  cinquième  livre  ne  fut  ajouté  aux  quatre  précé- 
dents que  vers  le  milieu  du  siècle  antérieur  à  Père  chrétienne.  Ce  fut 
peut-être  alors  que  furent  introduits  dans  la  troisième  section  le  livre 
de  Daniel,  qui  est  du  temps  de  la  persécution  d'Antiochus  Epiphane, 
et  les  deux  livres  d'Esdras  et  de  Néhémie,  qui  sont  des  remaniements 
des  écrits  originaux  de  ces  deux  restaurateurs  de  la  nationalité  juive.  Au 
point  de  vue  de  l'idée  chrétienne  du  canon  de  l'Ancien  Testament,  la 
formation  de  cette  troisième  section,  de  quelque  manière  qu'on  essaie^ 
de  l'expliquer,  ne  laisse  pas  que  de  soulever  des  difficultés  insurmon- 
tables. On  se  demande  qui  donc  avait  autorité  pour  insérer  dans  la 
Bible  hébraïque  de  nouveaux  écrits,  des  écrits  dont  la  plupart  remon- 
tent à  peine  à  cent  cinquante  ans  avant  l'ère  chrétienne.  On  se  demande 
encore  pourquoi  on  choisit  les  écrits  qui  y  sont,  de  préférence  à  d'au- 
tres qui  avaient,  ce  semble,  autant  de  droit  d'y  être;  pourquoi  par 
exemple  on  n'y  a  mis  ni  l'Ecclésiastique,  quine  le  cède  presque  en  rien 
aux  Proverbes,  ni  le  premier  des  Maccabées,  qui  n'y  eût  pas  été  déplacé 
à  côté  des  livres  de  Néhémie  et  d'Esdras.  —  2°  L'Ancien  Testament  grec. 
Cette  traduction,  connue  sous  le  nom  de  version  des  Septante,  n'est  pas 
une  simple  reproduction  en  grec  de  l'Ancien  Testament  hébreu.  Elle 
contient  sans  doute  tous  les  livres  qui  en  font  partie  ;  mais  elle  en  ren- 
ferme huit  autres  qui  ne  sont  pas  dans  la  Bible  hébraïque,  en  outre 
d'un  autre  livre  d'Esdras  qui  est  unremaniementaugmentédeceluiqui 
se  trouve  dans  la  Bible  palestinienne  ;  et  de  plus,  Esther  et  Daniel  y  ont 
reçu  des  additions  considérables.  Elle  présente  cette  autre  différend 
qui,  quoique  moins  importante,  doit  cependant  être  signalée,  que, 
sauf  les  cinq  livres  de  la  Loi,  qui  sont  également  placés  en  tête  des 
deux  recueils,  tous  les  autres  livres  y  sont  disposés  dans  un  tout  autre 
ordre  que  dans  la  Bible  hébraïque.  Enfin  il  convient  d'ajouter  que,  en 
un  grand  nombre  de  passages,  la  version  des  Septante  diffère  du  texte 
hébreu  à  un  tel  degré  que  des  critiques  ont  pu  soutenir,  les  uns 
qu'elle  n'a  pas  été  faite  directement  sur  l'Ancien  Testament  palesti- 
nien, et  Les  autres  que  les  auteurs  de  cette  traduction  ont  eu  sous  les 
yeux  une  récension  de  la  Bible  hébraïque  différente  de  celle  que  nous 
possédons.  On  à  cherché  naturellement  à  s'expliquer  pourquoi  les 


582  CANON  DE  1/ ANCIEN  TESTAMENT 

juifs  alexandrins  ne  s'en  étaient  pas  tenus  à  l'Ancien  Testament  tel 
que  l'avaient  leurs  frères  de  la  Palestine,  et  y  avaient  introduit 
d'aussi  grandes  modifications  que  celles  dont  il  vient  d'être  parlé.  Mais 
on  n'a  pu  faire  que  de  vaines  conjectures,  par  cette  raison  bien  sim- 
ple que,  pour  résoudre  cette  question,  on  n'a  pas  une  seule  donnée 
historique  qui  puisse  servir  de  point  de  départ.  Il  est  cependant  quel- 
ques faits  qui,  s'ils  ne  peuvent  nous  donner  précisément  cette  expli- 
cation, sont  cependant  de  nature,  en  nous  ramenant  à  la  réalité  des 
choses,  à  nous  faire  comprendre  que  les  différences  qui  se  trouvent 
entre  la  Bible  des  juifs  alexandrins  et  celle  des  juifs  palestiniens,  n'ont 
pas  l'importance  que,  dans  l'état  actuel  de  nos  croyances  religieuses, 
nous  sommes  disposés  à  leur  attribuer.  Quand,  dans  les  premiers 
siècles  de  l'ère  chrétienne,  la  version  des  Septante  fut  mise  en  suspicion 
par  les  juifs  palestiniens,  ce  ne  fut  pas  parce  qu'elle  contenait  des 
livres  qui  n'étaient  pas  dans  leur  propre  recueil.  Cette  circonstance  pa- 
raît leur  avoir  été  passablement  indifférente;  du  moins  il  n'y  eut 
jamais  sur  ce  sujet  entre  les  juifs  de  la  Palestine  et  ceux  d'Alexandrie 
des  discussions  analogues  à  celles  qui  ont  eu  lieu,  qui  durent 
encore  entre  les  catholiques  et  les  protestants.  Ce  que  les  premiers 
reprochaient  à  cette  version,  c'était  d'être  inlidèle  et  de  prêter,  par 
plusieurs  passages  mal  traduits,  des  arguments  favorables  à  la  doctrine 
chrétienne.  En  réalité  ils  voyaient  avec  peine  que  cette  version,  géné- 
ralement employée  par  les  chrétiens  d'Orient,  le  fût  en  même  temps 
par  une  portion  notable  de  leurs  coreligionnaires.  Il  y  avait  là  une 
sorte  de  communauté  qui  leur  était  importune  et  désagréable.  Ils  au- 
raient voulu  que  le  culte  juif  fût  célébré  partout  dans  la  langue  de 
leurs  pères.  Us  travaillèrent  avec  autant  de  persévérance  que  d'ardeur 
à  exclure  de  la  synagogue  toute  version  grecque.  Us  finirent  par  y 
réussir  ;  depuis  longtemps  l'Ancien  Testament  hébreu  est  seul  en  usage 
parmi  tous  les  descendants  de  la  famille  d'Israël;  mais,  encore  au  mi- 
lieu du  sixième  siècle,  les  livres  de  la  Loi  se  lisaient  en  grec  dans  un 
certain  nombre  de  synagogues  (Codex,  novel.  146,  cap.  I,  §  1).  Les 
deux  fractions  du  judaïsme  avaient-elles  donc  chacune  un  canon  dif- 
férent? Ceux-là  seuls  peuvent  l'admettre  qui  s'imaginent  que  l'Ancien 
Testament  pris  dans  son  ensemble  était  pour  eux  la  règle  de  leurs 
croyances,  de  leur  conduite  et  de  leur  culte.  Mais  c'est  là  une  opinion 
complètement  erronée.  Le  mot  de  canon,  dans  le  sens  dans  lequel  les 
chrétiens  l'entendent  depuis  le  quatrième  siècle,  était  étranger  aux  juifs 
alexandrins  et  n'avait  pas  de  terme  correspondant  dans  la  langue  des 
juifs  de  la  Palestine.  S'il  avait  été  connu  des  premiers,  et  s'il  y  avait 
eu  un  terme  équivalent  chez  les  seconds,  ils  l'auraient  certainement 
appliqué  les  uns  et  les  autres,  non  à  tous  les  écrits  de  leur  recueil, 
mais  uniquement  aux  cinq  livres  mosaïques.  On  en  a  déjà  une 
preuve  suffisante  dans  le  nom  de  la  Loi  qu'ils  donnent  à  ces  cinq 
livres.  On  en  a  une  seconde  aussi  évidente  dans  le  fait  que  le  livre  de 
la  Loi  était  la  seule  partie  de  l'Ancien  Testament  qui  fût  lue  en  entier 
dans  les  synagogues  aussi  bien  dans  la  Palestine  qu'à  Alexandrie 
la  lecture  d'Esther  à  une  fête   nationale  n'avait  pas  d'autre  but  que 


CANON  DE  1/ ANCIEN  TESTAMENT  583 

dé  maintenir  le  souvenu'  d'un  événement  dans  Lequel  les  enfants 
d'Israël  voyaient  une  marque  éclatante  de  la  protection  divine).  Si  on 
ne  lisait  dans  les  synagogues,  et  encore  seulement  dans  les  assemblées 
du  sabhath.  et  non  dans  celles  des  autres  jours  de  la  semaine,  que  des 
morceaux  choisis  des  Prophètes,  c'est  qu'en  Israël  ou  ne  mettait  pas 
les  écrits  de  ces  hommes  de  Dieu  sur  la  même  ligne  que  ceux  de  Moïse. 
11  parait  même  que  l'usage  de  faire  suivre  la  lecture  de  la  Loi  de  celle  de 
morceaux  choisis  des  Prophètes  ne  s'établit  pas  de  longtemps  dans  les 
synagogues  d'Alexandrie.  Ce  qui  du  moins  est  certain,  c'est  que  la 
traduction  des  cinq  livres  de  Moïse  en  langue  grecque  se  fit  en  quel- 
que sorte  officiellement,  fut  considérée  comme  un  événement  consi- 
dérable, presque  comme  une  œuvre  inspirée  par  Dieu,  et  comme  tout 
ce  qui  l'ait  une  vive  et  profonde  impression  sur  l'esprit  des  contem- 
porains, donna  naissance  à  une  légende  qui  passa  des  juifs  alexandrins 
aux  chrétiens,  et  ne  cessa,  pendant  près  de  cinq  siècles,  de  prendre 
continuellement  de  nouveaux  accroissements.  Il  en  fut  autrement  pour 
les  écrits  de  la  seconde  et  de  la  troisième  section.  Ils  ne  furent  pas 
traduits  avec  cette  solennité;  le  soin  de  les  faire  passer  dans  la  langue 
grecque  fut  abandonné  à  quiconque  voulut  entreprendre  ce  travail.  Ces 
faits,  et  on  pourrait  les  fortifier  par  d'autres  conduisant  aux  mêmes 
conclusions,  supposent  nécessairement  que,  pour  les  juifs,  le  livre  de 
la  Loi  mis  à  part,  le  recueil  de  l'Ancien  Testament  était  une  sorte  de. 
bibliothèque  dans  laquelle  ils  avaient  réuni  leurs  écrits  nationaux. 
Ces  écrits  avaient  sans  doute,  à  leurs  yeux,  un  caractère  de  sainteté,  et 
portaient  l'empreinte  de  l'inspiration  divine;  mais,  pour  les  juifs,  tout 
ce  qui  appartenait  à  leur  race  était  saint  et  marqué  du  sceau  de  Dieu, 
il  faut  reconnaître  aussi  que  les  palestiniens  attachaient  plus  de  valeur 
que  les  alexandrins  aux  écrits  des  prophètes  qu'ils  tenaient  pour  des 
commentaires  antiques  et  vénérables  de  la  Loi,  dignes  par  cela  même 
d'être  mis  au-dessus  des  autres  livres  bibliques.  Mais  cette  différence, 
en  somme  de  peu  d'importance,  s'explique  par  cette  circonstance  que 
les  espérances  messianiques  s'étaient  affaiblies  au  milieu  de  la  paix  et  de 
la  prospérité  dont  les  juifs  jouirent  à  Alexandrie,  tandis  qu'elles  mon- 
tèrent au  plus  haut  degré  d'exaltation  parmi  les  juifs  de  la  Palestine, 
par  suite  des  malheurs  publics  qui  ne  cessèrent  de  les  frapper  depuis 
le  commencement  du  second  siècle  avant  l'ère  chrétienne  jusqu'à  la 
ruine  de  Jérusalem,  et  même  plus  tard. —  Maintenant  que  nous  avons 
établi  que.  sauf  le  livre  de  la  Loi,  l'Ancien  Testament  n'était  pas  pour 
les  juifs  un  canon  dans  le  sens  rigoureux  du  mot,  nous  pouvons 
aborder  la  question  de  la  différence  qui  se  remarque  entre  l'édition 
palestinienne  et  l'édition  alexandrine.  Transportée  du  terrain  des 
préoccupations  dogmatiques  sur  celui  de  la  réalité  historique,  elle  se 
trouve  débarrassée  de  toutes  les  difficultés  dont  des  opinions  préconçues 
rayaient  entourée.  Quelques  mots  suffisent  pour  en  donner  la  solu- 
tion. Kn  ajoutant  de  nouveaux,  écrits  au  recueil  qui  leur  •'■tait  venu  de 
la  Judée  <•(  en  eu  remaniant  quelques-uns  de  ceux  qui  en  faisaient 
partie,  les  juifs  alexandrins  usèrent  tout  simplement  du  même  droit 
que  ceux  de  leurs  coreligionnaires  de  la  Palestine  qui  avaient  refait  dans 


584  CANON  DE  L'ANCIEN  TESTAMENT 

les  Chroniques  les  livres  de  Samuel  et  des  Rois,  remanié  Esdras  et 
Néhémie  et  introduit  dans  la  troisième  section  de  leur  Ancien  Testa- 
ment ces  livres  et  probablement  d'autres  encore.  Les  juifs  de  la  Pales- 
tine avaient  jugé  convenable  de  faire  suivre  le  livre  de  la  Loi  d'un 
certain  nombre  d'ouvrages  dont  les  uns  se  rapportaient  à  l'histoire  de 
leur  nation  et  les  autres  étaient  dus  à  des  écrivains  de  leur  race,  et 
représentaient  les  sentiments,  les  croyances,  les  conceptions  de  leur 
génie  national.  Les  juifs  d'Alexandrie  possédaient  un  certain  nombre 
d'écrits  qui  avaient  été  composés  parmi  eux,  ou  qu'ils  s'étaient  ap- 
propriés en  les  traduisant  en  grec.  Ces  écrits  leur  semblaient  dénature, 
les  uns  à  instruire,  les  autres  à  édifier.  Ils  étaient  pour  eux  des  produits 
de  l'esprit  juif  au  môme  titre  que  les  Proverbes  et  l'Ecclésiaste,  que 
les  livres  de  Néhémie  et  d'Esdras.  Quelques-uns  complétaient  même  le 
recueil  des  historiens  de  leur  famille.  Il  leur  sembla  bon  d'en  enrichir 
leur  bibliothèque  nationale.  Au  point  de  vue  juif,  il  n'y  avait  pas  une 
seule  raison  qui  dût  les  en  empêcher;  et  l'événement  prouva  qu'ils  ne 
s'étaient  pas  trompés,  puisque  plus  tard  leurs  frères  de  la  Judée, 
quand  ils  eurent  connaissance  de  cette  seconde  édition  de  leur 
Bible,  n'eurent  rien  à  reprendre  à  ces  additions.  —  3°  Le  Canon  de 
l'Ancien  Testament  dans  l'Eglise  chrétienne.  Les  juifs  n'avaient  eu  que 
le  livre  de  la  Loi  pour  règle  religieuse,  morale  et  sociale.  L'Ancien 
Testament  tout  entier  devint  celle  des  chrétiens  (le  Nouveau  Testament 
n'existait  pas  encore  ou  n'était  pas  encore  répandu  parmi  eux),  soit 
qu'ils  s'en  rapportassent  à  la  déclaration  de  2  Timoth.  III,  16,  qu'ils 
prenaient  à  la  lettre  et  dans  son  sens  le  plus  explicite,  soit  qu'ils  se 
regardassent  comme  substitués  aux  juifs  dans  les  promesses  que  Dieu 
avait  faites  à  ceux-ci,  soit  enfin  qu'ils  vissent  l'annonce  de  la  venue 
de  Jésus-Christ  non-seulement  dans  la  Loi  et  dans  les  Prophètes,  mais 
encore  dans  tous  les  livres  de  l'Ancienne  Alliance.  Cet  Ancien  Testa- 
ment, devenu  pour  eux  une  Ecriture  sainte,  ils  ne  le  connurent  d'a- 
bord et  pendant  longtemps  que  par  la  version  des  Septante.  L'hébreu 
était  une  langue  morte  connue  seulement  des  érudits,  tandis  que  la 
langue  grecque  était  répandue  dans  tous  les  lieux  où  le  christianisme 
commença  à  se  répandre.  Quand  il  passa  dans  les  pays  de  langue 
latine,  il  se  fit  un  grand  nombre  de  traductions  de  l'Ecriture  sainte 
en  cette  langue,  mais  ce  fut  toujours  sur  la  version  des  Septante 
{VItala,  une  de  ces  traductions  latines,  fit  bientôt  oublier  toutes  les 
autres;  Augustin,  De  Doctrina  christiana,  II,  §§  11  et  15;  et  c'est  pour 
cela  que  Jérôme  la  désigne  sous  le  nom  de  :  Vulgata  et  communis 
cornm.  in  J es.  XIV  et  XLIX).  Les  savants  chrétiens  firent  remarquer,  il 
est  vrai,  que  tous  les  écrits  qui  ne  se  trouvent  pas  dans  le  texte  hébreu 
doivent  être  tenus  pour  apocryphes,  et  ne  peuvent  être  lus  que  pour 
l'édification  du  peuple,  et  non  comme  autorité  dogmatique  :  ad  tedifi- 
tationem  plebis,  non  ad  auctoritatem  ecclesiasticorum  dogmatum  confir- 
mandam  (Jérôme,  Prologus  galeatus  et  Prœfatio  in  libros  Salomonis). 
Mais  cette  distinction  échappait  à  l'intelligence  de  ceux  qui  ne  pouvaient 
comparer  l'Ancien  Testament  hébreu  et  l'Ancien  Testament  grec  ;  et 
c'était  incontestablement  l'immense  majorité.  Elle  ne  pouvait  même 


CANOX  DE  L'ANCIEN  TESTAMENT  585 

produire  qu'une  assez  faible  impression  sur  la  plupart  des  conduc- 
teurs des  Églises,  qui  inclinaient  naturellement  à  mettre  l'édification 
au-dessus  des  considérations  historiques  et  scientifiques.  Il  arriva  de  là 
que,  pour  la  grande  masse  des  fidèles,  l'Ancien  Testament  fut  ce  qu'il. 
est  dans  la  version  des  Septante.  Jusqu'au  seizième  siècle  la  détermi- 
nation du  canon  de  L'Ancien  Testament  resta  indécise.  Tous  les  con- 
cile-; ne  se  prononcèrent  pas  dans  le  même  sens  sur  cette  question. 
Tantôt  on  penchait  du  côté  de  l'Ancien  Testament  hébreu,  tantôt  on 
adoptait  l'Ancien  Testament  grec.  Les  protestants  s'étant  déclarés  pour 
le  premier,  l'Eglise  catholique  dut  se  prononcer  définitivement,  et  le 
8  avril  1546,  le  concile  de  Trente  déclara  la  Vulgate  version  authen- 
tique et  approuvée,  et  reconnut  pour  Ecriture  sainte  et  par  conséquent 
pour  écrits  inspirés  par  l'Esprit-Saint  tous  les  livres  faisant  partie 
de  cette  version,  reproduction,  sauf  quelques  modifications  de  détail, 
de  celle  des  Septante.  On  ne  saurait  douter  que  cette  décision  ne  fut 
prise  en  opposition  à  la  Réforme  naissante;  mais  il  faut  bien  recon- 
naître qu'une  Eglise  qui  donne  une  si  grande  importance  à  la  tradi- 
tion, était  tenue,  par  ses  principes  mômes,  à  sanctionner  un  Ancien 
Testament  qui,  depuis  des  siècles,  était  le  seul  qui  fût  connu  de  la 
grande  masse  des  chrétiens  de  l'Occident.  Dès  ce  moment,  la  question 
du  canon  devint  un  des  points  sur  lesquels  portèrent  les  controverses 
engagées  entre  les  deux  Eglises.  Les  catholiques  n'ont  plus  cessé  de- 
reprocher  aux  protestants  d'avoir  tronqué  la  Bible,  et  ceux-ci  d'accu- 
ser ceux-là  de  l'avoir  falsifiée,  en  y  mêlant  une  foule  d'éléments  étran- 
_  rs  et  impurs.  En  réalité,  les  accusations  sont  aussi  mal  fondées  d'un 
côté  que  de  l'autre  :  les  protestants  n'ont  rien  tronqué,  les  catholiques 
n'ont  rien  falsifié  ;  seulement  des  circonstances  historiques,  en  grande 
partie  indépendantes  de  leur  volonté,  ont  amené  les  uns  à  adopter 
L'Ancien  Testament  alexandrin,  et  les  autres  l'Ancien  Testament  pales- 
tinien. S'il  y  a  lieu  à  controverse,  elle  doit  porter  uniquement  sur  ce 
point  :  lequel  des  deux  recueils  est  préférable  à  l'autre.  Cette  question, 
nous  allons  dans  un  moment  la  voir  débattue  entre  les  protestants. 
Conformément  à  leur  principe  de  remonter  aux  documents  originaux, 
les  protestants  durent  s'en  référer  à  la  coutume  des  anciens  juifs  et  au 
témoignage  du  Nouveau  Testament.  Pour  être  entièrement  conséquents 
avec  eux-mêmes,  ils  auraient  du  recevoir  comme  Ecriture  sainte  de 
l'Ancien  Testament  uniquement  ce  qui  formait  en  réalité  le  canon  des 
juifs  palestiniens,  c'est-à-dire  la  Loi  et  les  Prophètes,  et  abandonner 
tout  le  reste,  sauf  les  Psaumes,  sanctionnés  en  quelque  sorte  par  le 
Nouveau  Testament  et  employés  dans  le  culte  des  anciens  juifs  et  dans 
celui  des  premiers  chrétiens.  Quelques-uns  y  pensèrent  et  étaient  déci- 
dés à  l'aire  de  larges  coupures  dans  les  hagiographes.  On  crut  devoir  se 
contenter  de  mettre  de  côté  les  apocryphes,  et  encore,  comme  quel* 
ques-uns  de  ces  livres  ont  une  valeur  réelle,  on  se  décida  à  les  impri- 
mer dans  les  traductions  de  la  Bible,  mais  à  part  et  précédés  d'un 
avertissement.  C'était  i[\w  inconséquence  manifeste,  plus  frappant» 
encore  que  la  première.  Elle  n'a  été  aperçue  par  Les  protestants  que 
fort  tard;  mais  enfin  elle  a  donné  lieu,  entre  les  orthodoxes  qui  se  sont 


586  CANON  DE  L'ANCIEN  TESTAMENT 

divisés  sur  ce  sujet  à  des  controverses  violentes  {alrorisnma  contro- 
versia  de  quœstione  utrum  in  ecclesiasticis  Bibliorum  interpretationi- 
bus  apocrypha  retinenda  an  omittenda  essent;  Grimm,  Insliluliones 
theologùe  dogmaticx  hislorico-c?'iticœ,  2e  édit. ,  p.  107).  En  1825,  les 
sociétés  anglaises  pour  la  propagation  des  saintes  Ecritures  décidèrent 
de  retrancher  les  apocryphes  de  leurs  éditions  de  la  Bible.  Leur  exem- 
ple a  été  suivi  par  la  Société  biblique  française  et  étrangère.  Le  débat 
lut  porté  en  Allemagne  en  1851.  Ph.-Fr.  Keerl  et  bien  d'autres  théolo- 
giens, partant  comme  lui  d'une  conception  étroite  de  la  révélation  et 
de  l'inspiration,  se  sont  appliqués  à  montrer  que  les  livres  apocryphes 
de  l'Ancien  Testament  ne  sont  pas  la  parole  de  Dieu  et  ne  doivent  pas 
par  conséquent  être  produits  à  côté  de  ceux  qui  ont  été  écrits  sous 
l'influence  du  Saint-Esprit  ;  qu'il  n'y  a  pas  seulement  inconvenance, 
mais  qu'il  y  a  un  danger  réel  à  les  mettre  entre  les  mains  des  fidèles  ; 
que  ces  livres  sont,  en  effet,  pleins  d'erreurs  et  de  superstitions  ;  que 
souvent  des  personnes  pieuses,  mais  peu  éclairées,  prennent  plus  de 
plaisir  à  leur  lecture  qu'à  celle  des  livres  canoniques,  et  qu'elles  sont 
entrainées  par  là  à  des  écarts  fâcheux  dans  leur  foi.  Hengstenberg, 
Stier  et  quelques  autres,  sans  mettre  les  apocryphes  sur  la  même  ligne 
que  les  canoniques,  firent  alors  observer,  non  sans  quelque  raison? 
que  si  l'on  cédait  aux  arguments  dirigés  contre  ces  livres,  et  qu'on 
en  interdit  la  lecture  sous  le  prétexte  qu'ils  ne  sont  pas  la  parole 
de  Dieu,  on  courrait  le  danger  de  voir  certains  écrits  canoniques 
(le  Cantique  des  cantiques  et  l'Ecclésiaste  par  exemple)  attaqués  et 
présentés  comme  indignes  de  faire  partie  des  saintes  Ecritures,  par  les 
mêmes  arguments  qu'on  fait  valoir  contre  les  apocryphes,  de  sorte 
que  les  coups  portés  à  ceux-ci  pourraient  bien  finir  par  atteindre  les 
autres.  Cette  observation  est,  sans  le  moindre  doute,  aussi  juste  que 
pertinente  ;  elle  paraît  très-propre  à  mettre  fin  aux  débats  soulevés  sur 
ce  point  ;  mais  elle  revient,  en  définitive,  à  cet  aveu  compromettant  : 
que,  pour  sauver  la  première  des  inconséquences  des  réformateurs 
que  nous  avons  signalées  sur  la  question  du  canon  de  l'Ancien  Testa- 
ment, il  faut  savoir  supporter  la  seconde.  Les  théologiens  allemands, 
qui  font  profession  de  sentiments  moins  étroits,  sont  restés  en  général 
indifférents  à  cette  controverse.  C'est  probablement  parce  qu'il  leur  a 
paru  difficile  de  tracer  une  ligne  de  démarcation  bien  fixe  entre  les 
deux  classes  d'écrits.  On  ne  saurait  méconnaître  en  effet  qu'il  est 
des  apocryphes,  par  exemple  le  premier  Maccabées,  la  Sapience  et 
l'Ecclésiastique,  qui  ont  autant  de  droit  à  une  place  dans  un  recueil 
de  livres  saints  qu'Esther,  dans  lequel  le  nom  de  Dieu  ne  se  ren- 
contre même  pas  une  seule  fois  et  dont  Luther  regrettait  l'existence, 
ou  encore  que  l'Ecclésiaste  et  le  Cantique  des  cantiques,  et  peut- 
être  aussi  quelques  autres  qui  peuvent  avoir  une  certaine  valeur 
historique,  mais  qui  semblent  peu  propres  à  l'instruction  morale  et  à 
l'édification.  Il  faut  bien  avouer  d'un  autre  côté  qu'il  est  d'autres 
apocryphes,  Tobie,  Judith,  Suzanne,  etc.,  sur  lesquels  les  arguments 
de  Keerl  tombent  de  tout  leur  poids.  Faudrait-il  faire  un  choix 
entre  eux,  en  les  jugeant  d'après  leur  valeur  propre,  introduire  les 


CAXOX  DU  NOUVEAU  TESTAMENT  587 

dans  le  canon  et  eu  exclure  à  jamais  les  autres?  .Mais  qui  ne 
voit  que  les  craintes  manifestées 'par  Eiengstenberg  se  réaliseront  aus- 
sitôt? On  voudra  aussi  juger  sur  leur  valeur  les  écrits  canoniques, 
conserver  ceux-ci  et  rejeter  ceux-là.  Et  ce  triage,  <|ui  le  fera?  qui  se 
croira  le  droil  de  le  l'aire?  Peut-être  aurait-il  été  possible  aux  premiers 
moments  de  la  Réformation,  quoique  même  alors,  on  if  en  saurait  douter, 
il  eût  été  plein  de  difficultés  et  de  dangers.  Aujourd'hui  il  n'y  faut  plus 
penser,  et  le  parti  le  plus  sage,  c'est  d'accepter  les  faits  accomplis,  et 
de  mettre  les  fidèles  en  état  de  juger  eux-mêmes,  non  plus  seulement 
par  un  avertissement  placé  en  tête  des  apocryphes,  comme  on  Ta  fait 
jusqu'ici,  mais  par  des  instructions  solides  sur  l'histoire  des  deux  édi- 
tions de  l'Ancien  Testament.  —  Bibliographie  :  sur  le  canon  de  l'An- 
cien Testament,  en  outre  des  ouvrages  déjà  cités,  les  Introductions 
à  l'Ancien  Testament;  Ewald,  Geschichte  des  Volks  Israël,  t.  VII, 
p.  403  ss.  ;  OEhler,  Kanon  des  Alt.  Test.,  dansla Real-Ency kl.  de  Herzog, 
t.  VII,  p.  2i3  ss.  ;  Frankel,  Ueber  palœstinisch  und  alexandrin.  Schrift- 
forschung,  Breslau,  1854,  in-4°;  Zunz,  Die  gottesdienstl.  Vortrœge  der 
Juden,  p.  44,  101  ss.  ;  J.  Delizsch,  De  inspirations  Scripturx  sacrée, 
p.  4-10,  14-18;  et  pour  la  polémique  sur  les  apocryphes  de  l'Ancien 
Testament  :  Bleek,  Ueber  die  Stellung  der  Apokriph.  des  Alt.  Testam.  im 
CÂristl.  Kanon.  1853,  t.  II,  p.  267  ss.  M.  Nicolas. 

CANON  DU  NOUVEAU  TESTAMENT.  Le  recueil  des  vingt-sept  livres. 
qui  composent  le  Nouveau  Testament  forme  la  seconde  partie  de  la 
Bible.  Le?»  mots  zrjM^r,,  testamentum,  signifiaient  proprement  tout 
d'abord  l'alliance  mosaïque  ou  chrétienne  (Matth.  XXVI,  28  ;  2  Cor. 
III,  0).  Aussi  l'expression  entière  pour  indiquer  les  documents  eux- 
mêmes  était,  dans  l'origine  :  Ta  -f,q  XQLkaixq  ou  y.aivyjç  ciaO^ç  fiiêXfo 
(Euseb.,  H.  E.,  IV,  26,  13;  V,  16,  3;  III,  25,  1).  L'expression  s'est 
abrégée,  et,  à  partir  du  troisième  siècle,  le  nom  de  l'alliance  s'applique 
au  recueil  des  livres  qui  la  renferment  (Tertull.,  adv.  Mar.,  IV,  1). 
Quant  au  terme  de  canon,  donné  à  l'ensemble  des  écrits  bibliques,  il 
date  à  peu  près  de  la  même  époque.  Du  moins  on  ne  le  rencontre  pas 
dans  ce  sens  avant  Origène.  Les  juifs  ne  le  connaissaient  pas;  ils  appe- 
laient «  écrits  publics  »  ceux  que  nous  appelons  canoniques  parce 
qu'ils  étaient  lus  dans  les  synagogues,  par  opposition  à  ceux  qui  ne  de- 
vaient pas  être  lus  publiquement  et  qu'ils  nommaient  pour  cette  raison 
guenouzim,  apocryphes.  Le  mot  grec  de  xovuv,  signifiant  roseau, 
règle,  mesure,  fut  de  très-bonne  heure  pris  métaphoriquement  (Gai. 
VI.  16;  Pliil.  III,  16).  On  rencontre  souvent  chez  les  premiers  écri- 
vains ecclésiastiques  l'expression  générale  de  «  canon  de  la  vérité,  ou 
de  la  foi  »,  et  rien  dès  lors  ne  peut  paraître  plus  naturel  que  ce  mot, 
comme  celui  de  testament,  se  soit  étendu  de  la  vérité  divine  aux  livres 
qui  la  révèlent.  Cependant  cela  ne  s'est  pas  fait  spontanément  et  sans 
préparation,  bs  grammairiens  d'Alexandrie  avaient  déjà  créé  la  notion 
de  canonique  dans  l'ordre  littéraire  (Quint,  Inst.  rlu-t.,  X,  1,  54).  Ils 
appliquaient  ce  terme  à  l'ensemble  de  la  littérature  classique,  au  cata- 
logue de  tons  les  chefs-d'œuvre  en  chaque  genre  qui  faisaient,  autorité 
et  servaient  de  modèles.  Ils  avaient  ainsi  dressé  le  canon  de  la  poésie 


588  CANON  DU  NOUVEAU  TESTAMENT 

épique,  celui  de  la  poésie  lyrique  ou  tragique,  etc.  C'est  Origène  pro- 
bablement qui  transporta  dans  Tordre  religieux  cette  expression  née 
dans  Tordre  littéraire  et  dans  Técole.  Mais  elle  ne  devient  officielle 
qu'à  partir  du  concile  de  Laodicée  (360),  où  apparaissent  à  peu  près 
définies  les  notions  de  canonique  et  d'apocryphe  (Acla  concilù, 
can.  59).  Désormais,  pour  l'Eglise  chrétienne,  le  canon  du  Nouveau 
Testament  fut  l'ensemble  des  écrits  inspirés  par  l'Esprit  de  Dieu  et 
rédigés  par  les  apôtres  ou  des  hommes  apostoliques.  D'où  sait-on  qu'il 
n'y  a  dans  le  canon  que  des  écrits  divinement  inspirés?  En  d'autres 
termes  quelle  est  la  valeur  de  la  notion  théologique  que  ce  mot  exprime? 
fl  est  évident  que  la  formation  du  canon  est  l'œuvre  de  l'Eglise,  et  que 
la  valeur  de  cette  œuvre  reste  proportionnée  à  l'autorité  de  l'Eglise 
elle-même.  Elle  ne  saurait  être  absolue  qu'à  la  condition  d'être  l'effet 
direct  d'une  inspiration  absolue.  Ce  n'est  que  dans  la  théorie  catho- 
lique de  l'infaillibilité  de  l'Eglise  que  l'autorité  absolue  du  canon  bi- 
blique trouve  une  base  certaine.  Cette  base,  le  protestantisme  Ta  ren- 
versée en  opposant  l'Ecriture  à  la  tradition,  la  Bible  à  l'Eglise.  En 
vain  les  réformateurs  en  ont-ils  appelé  au  témoignage  intérieur  du 
Saint-Esprit  dans  l'âme  des  fidèles  ;  on  sait  combien  ce  témoignage 
est  variable  et  comment  Luther  s'est  exprimé  sur  quelques-uns  des 
livres  canonisés.  En  vain  de  nos  jours  Técole  de  la  théopneustie  abso- 
lue a-t-elle  invoqué  un  décret  providentiel  (Gaussen,  Le  Canon  des 
saintes  Ecritures,  t.  II,  p.  26).  On  peut  bien  admettre  sans  doute  ici, 
comme  dans  tout  le  reste  de  la  vie  de  l'Eglise,  la  direction  de  la  Pro- 
vidence. Mais  comment  cette  Providence,  qui  n'a  pas  empêché  l'Eglise 
d'errer  et  de  faillir  en  d'autres  domaines,  aurait-elle  prévenu  toute  in- 
certitude et  toute  erreur  en  celui-ci?  La  collection  des  écrits  sacrés  ne 
s'est  faite  ni  en  une  seule  fois  ni  en  un  seul  jour.  Ce  fut  une  œuvre 
qui  dura  des  siècles,  et  où  nous  trouvons  souvent  la  trace  des  tendances 
diverses  et  des  luttes  nombreuses  de  la  chrétienté  primitive.  C'est  dire 
que  la  formation  du  canon  a  une  longue  et  difficile  histoire  où  Ton  peut 
marquer  des  périodes  distinctes.  On  le  voit  naître,  sans  doute,  spon- 
tanément des  besoins  et  des  habitudes  de  l'Eglise  dans  ses  commence- 
ments. Mais  il  se  forma  d'abord  plusieurs  noyaux  distincts.  Chaque  secte, 
chaque  parti  eut  son  canon  ;  puis,  vers  la  fin  du  second  siècle,  quand 
se  dégagent  des  agitations  premières  l'idée  et  la  réalité  d'une  Eglise  ca- 
tholique, alors  aussi  apparaît  un  canon  biblique  universel.  Les  limites  en 
restent  encore  flottantes.  Bien  des  écrits  secondaires  sont  tantôt  admis, 
tantôt  rejetés,  et  de  grandes  et  longues  discussions  s'élèvent  sur  quel- 
ques-uns. Ce  n'est  qu'après  les  grands  conciles  et  les  Pères  de  l'Eglise 
du  quatrième  siècle  qu'une  sorte  d'unanimité  relative  s'établit.  La 
question  des  apocryphes  n'a  même  jamais  été  définitivement  réglée. 
Elle  fut  encore  passionnément  débattue  entre  les  protestants  et  les  ca- 
tholiques aux  seizième  et  dix-septième  siècles;  et,  de  nos  jours  enfin,  il 
s'est  formé  sous  le  nom  d'isagogique  toute  une  science  théologique 
particulière  dont  les  livres  du  canon  et  leur  histoire  sont  Tobjet. 

I.  Première  période.  Les  Origines.    L'Eglise   chrétienne  a  existé 
avant  le  canon  du  Nouveau  Testament,  et  même  elle  est  restée  un  assez 


CANON  DU  NOUVEAU  TESTAMENT  589 

long  temps  sans  en  sentir  La  nécessité.  Attendant  à  bref  délai  le  retour 
glorieux  du  Christ,  les  premiers  chrétiens  ne  pouvaient  avoir  ni  l'idée 
ni   le   besoin  d'écritures  sacrées  spéciales.  L'Ancien  Testament  qu'ilà 
avaient  en  commun  avec  les  juifs  leur  servait  d'autorité;  et  quant  aux 
préceptes  et  aux  promesses  de  Jésus,  une  tradition  très-vivante  et  soi- 
gneusemenl  entretenue  dans  chaque  communauté  suffisait  à  les  con- 
server.  Jusque  vers  le  milieu  du  second  siècle  cette  tradition  aposto- 
lique était  préférée  même  aux  écrits  qui  circulaient  déjà.  Ainsi  Papias, 
évèqne  de  ilierapolis,  recherchait  surtout  les  dires  des  apôtres  rap- 
portés par  ceux  qui  les  avaient  connus;  «  car,  dit-il,  je  ne  croyais  pas 
retirer  de  la  lecture  des  livres  un  aussi  grand  profit  que  de  la  tradition 
vivante    et   persistante   »   (~x  r.xpx  Zu)7rt;  (pwvffc  xa!  [/.evouffrja.    Ëuseb., 
//.  F.,  III,  39).-  Ou  peut  même  dire  que  les  écrits  ne  prirent  l'autorité 
et  la  place  de  cette  tradition  qu'autant  qu'ils  parurent  la  représenter 
fidèlement,  et  capables  de  la  conserver  et  de  la  préserver  des  altéra- 
tions qui  la  menaçaient.  Quand  les  destinées  de  l'Eglise   semblèrent 
devoir  se  prolonger  sur  la  terre,  on  en  vint  naturellement  à  penser 
que  l'ancienne  alliance  ayant  ses  documents,  la  nouvelle  devait  éga- 
lement avoir  les  siens.  Le  fait  générateur  du  canon  du  Nouveau  Tes- 
tament, c'est  l'existence  antérieure  de   celui  de  l'Ancien.  Des  juifs, 
les  chrétiens  avaient  reçu  la  notion  d'Ecritures  divines.  Dans  les  livres 
du  Nouveau  Testament  ceux  de  l'ancienne  alliance  sont  cités  comme 
écritures  sacrées  lyçayziaytau.  (Rom.  1,2),  ou  simplement  comme  l'Ecri- 
ture: r,  Ypaç^s  ou  encore  avec  cette  formule  absolue  :  yérfpamxai  (1  Cor. 
I.  31  ;  2  Cor.  VIII,  lo  ;  Matth.  IV,  36,  etc.).  La  notion  est  donc  toute 
prête  et  l'Eglise  ne  fera  que  la  transporter  quelques  années  plus  tard 
aux  écrits  apostoliques.  Comment  se  fit  ce  transfert  et  quelles  causes  y 
concoururent,  voilà  ce  que  le  manque  de  documents  ne  permet  pas  de  dire 
d'une  façon  très-précise.  Les  lettres  et  les  autres  écrits  des  apôtres  ou  de 
leurs  disciples  furent  tous  des  écrits  de  circonstances  ;  provoqués  par  des 
besoins  particuliers,  ils  ne  visaient  qu'à  les  satisfaire.  Mais  il  est  évi- 
dent que  l'autorité  de  leurs  auteurs  leur  donnait  un  grand  crédit.  Bien 
que  l'inspiration  fût  l'apanage  de  tous  les  vrais  croyants,  l'apostolat 
n'en  était  pas  moins  le  grand  pouvoir  directeur  de  l'Eglise.  C'est  aux 
apôtres  qu'on  s'en  réfère  dans  les  débats  sur  la  circoncision  (Act.  XV). 
C'est  dans  sa  qualité  d'apôtre  que  Paul  trouve  le  droit  et  l'autorité  de 
parler  aux  Calâtes  comme  il  le  fait.  Dans  la  fondation  et  l'organisation 
du  royaume  de  Dieu  sur  la  terre,  les  apôtres  sont  placés  à  côté  des  pro- 
phètes (Eph.  III,  5).  L'écrit  de  l'apôtre  remplaçait  donc  sa  présence 
pour  ceux  à  qui  il  était  adressé  ;  et  il  est  dès  lors  naturel  de  penser  que 
les  communautés  chrétiennes  qui  recevaient  les  lettres  de  Paul,  par 
exemple,  les  aient  soigneusement  conservées.  Quelques-unes  de  ces  let- 
tres étaient  même  des  lettres  encycliques,  comme  celles  de  Pierre,  de 
Jacques  ou  de  Jean.  Les  copies  durent  être  nombreuses  et  devaient 
circuler   un    peu    partout.   Le    grand   nombre  d'épitres  ou  d'évan- 
giles apocryphes,  qu'on  voit  naître  dès  la  lin  du  périmer  siècle  OU  le 
commencement  du  second,  prouve  le  crédit  dont  jouissaient  des  écrits 
ornés  d'un  nom  apostolique.  La  lecture  publique  des  écrits  sacrés  fut 


590  CANON  DU  NOUVEAU  TESTAMENT 

dès  le  principe  un  élément  essentiel  du  culte  chrétien.  C'est  ce  que 
l'on  appelle  Yanagnose.  Sans  doute,  comme  dans  les  synagogues, 
on  n'y  lisait  d'abord  que  des  parties  de  l'Ancien  Testament.  11  ne 
faut  pas  trop  presser  les  passages  où  Paul  recommande  solennelle- 
ment la  lecture  de  ses  lettres  (1  Thess.  V,  27;  Coloss.  IV,  16  ;  cf.  Apoc. 
II,  7,  il;  XXII,  18).  Il  peut  n'être  question  là  que  d'une  lecture 
extraordinaire.  Comme  nous  savons  cependantque,  du  temps  de  Justin 
Martyr,  les  écrits  des  apôtres  étaient  lus  à  côté  de  ceux  des  prophètes, 
il  est  naturel  de  penser  que  l'habitude  dut  commencer  d'assez  bonne 
heure.  Ce  fait  est  Tune  des  causes  les  plus  importantes  de  la 
prompte  formation  d'un  recueil  sacré  (Just.  Mart.,  Apol.,  I,  67).  A 
quel  moment  trouvons-nous  pour  la  première  fois  un  livre  du  Nouveau 
Testament  cité  comme  Ecriture  sacrée?  On  ne  peut  s'arrêter  au  passage 
de  2  Pierre  III,  15-17,  où  il  est  question  d'une  collection  déjà  faite  des 
épîtres  de  Paul,  ni  à  la  citation,  dans  1  Tim.  V,  18,  de  LucX,  7,  puisque 
ces  faits  sont  de  graves  arguments  contre  l'origine  apostolique  de  ces 
lettres.  Mais  à  la  lin  du  premier  siècle,  dans  l'épître  de  Barnabas,  on 
trouve  un  passage  de  Matthieu  cité  avec  la  formule  consacrée.  «  //  est 
écrit  .-Il  y  a  beaucoup  d'appelés,  mais  peu  d'élus»  (Barn.,i?/>.,  chap.IV). 
Telle  est  l'humble  et  première  révélation  de  l'existence  d'un  canon  du 
Nouveau  Testament.  Cette  donnée  grossit  quand  on  l'entoure  des  cita- 
tions le  plus  souvent  anonymes  que  Ton  recueille  dans  les  épitres  de 
Clément  Romain,  de  Polycarpe  et  d'Ignace  (Clém.,  Epist.  ad  Cor.,  I, 
47;  Polyc,  Epist.  ad  PhiL,  3;  Ignat.,  ad  Ephes.,  12;  ad  Philad., 
8,  5,  etc.).  L'envahissement  du  gnosticisme,  l'apparition  d'une  foule 
d'écrits  apocryphes,  la  tradition  qui  s'affaiblissait  en  vieillissant,  le 
sentiment  instinctif  de  l'insuffisance  de  toute  autre  base  pour  l'enseigne- 
ment religieux  poussaient  l'Eglise  à  rechercher  et  à  réunir  les  docu- 
ments authentiques  de  la  doctrine  des  apôtres.  Mais  il  n'y  eut  alors  ni 
décision  officielle,  ni  collection  unique.  Ce  n'étaient  pas  les  livres  qui 
servaient  à  juger  la  tradition  ;  c'était  la  tradition  vivante  encore  qui 
était  la  norme  d'après  laquelle  on  jugeait  les  livres.  Or  cette  tradition 
était  loin  d'être  partout  la  même.  Les  grandes  polémiques  de  l'âge 
apostolique  entre  les  judéo-chrétiens  et  les  pagano-chrétiens  devaient 
être  un  grand  obstacle  à  la  formation  d'un  canon  partout  identique. 
Ce  dernier  ne  devait  apparaître  que  lorsque  la  conciliation  se  serait 
opérée  et  que  l'éloignement  aurait  entouré  la  tête  de  tous  les  apôtres 
de  la  même  auréole  et  du  même  prestige.  Dans  le  principe  chaque 
Eglise,  chaque  secte,  chaque  individu  se  formait  sa  collection  libre- 
ment, suivant  ses  idées  particulières  ou  son  tempérament.  Les  judéo- 
chrétiens,  par  exemple,  qui  avaient  si  violemment  attaqué  saint  Paul, 
ne  pouvaient  pas  accepter  l'autorité  de  ses  épîtres.  Papias  laisse  tout 
à  fait  de  côté  les  écrits  de  cet  apôtre  et  ceux  de  saint  Luc  ;  il  est  dou- 
teux qu'irait  connu  le  quatrième  évangile.  D'après  Eusèbe,  il  ne  se 
serait  servi;  que  des  deux  premiers,  delà  première  épître  de  Pierre,  de- 
la  première  de  Jean  et  de  l'Apocalypse  (Euseb.,  H.  E.,  III,  39;  André, 
évêque  de  Cappad.  au  cinquième  siècle,  Comment,  in  Apocalyp.,  préf.). 
Peut-on  même  parler  d'un  canon  de  Papias?  On  sait  qu'il  mettait  les 


CANON  DU  NOUVEAU  TESTAMENT  :>91 

livres  fort  au-dessous  de  la  tradition  orale  et  qu'il  a  parlé  avec  une 
surprenante  Liberté  dos  écrits  de  Matthieu  et  de  Marc.  Hégésippe,  un 
peu  plus  jeune  que  Papias,  est  au  môme  point  de  vue.  Tour  lui.  l'Ancien 

Testament  est  toujours  la  grande  et  véritable  Ecriture  divine.  II  se  sert 
en  outre  d'un    évangile   selon   les   Hébreux:   qui    n'était  sans  doute 
qu'une  version  de  Matthieu,  et  parait  avoir  accueilli  L'évangile  de  Luc, 
malgré  la  tendance  panlinienne  de  ce  dernier.  Il  rejetait  l'autorité  des 
épîtres  de  Paul,  dont  il  jugeait  la  doctrine  contraire  à  l'Ancien  Testa- 
ment et  aux  paroles  de  Jésus. Il  faut  ajouter  qu'il  ne  la  comprenait  guère 
(Euseb.,  7/./:'.,  IV,  22;  II,  23,10.)  Voyez  le  curieux  passage  d'un  évêque 
monophysite  du  sixième  siècle  rapporté  par  Photius,  dans  sa  Biblioth. 
cofl  ,  2o2  :  «  Cependant  Hégésippe,  homme  antique  et  apostolique, 
obéissant  à  je  ne  sais  quelle  inspiration,  écarte  la  parole  de  1  Cor.  II,  9 
et  déclare  que  ceux  qui  disent  de  telles  choses  mentent  contre  les  di- 
vines Ecritures  et  contre  le  Seigneur  Jésus  qui  a  dit  :  Bienheureux  les 
yeux  qui  voient  ce  que  vous  voyez,  etc.  »  Une  faut  donc  pas  s'étonner 
de  la  résistance  des  Ebionites  et  des  Nazaréens  à  l'esprit  de  saint  Paul, 
contre  lequel  vers  le  milieu  du  second  siècle  fut  dirigé  le  fameux  ro- 
man des  Homélies  Clémentines.  Ce  qui  est  plus  digne  d'attention,  c'est 
devoir  pénétrer  jusque  dans  ces  cercles  les  évangiles  de  Luc  et  de  Jean 
dont  l'auteur  des  Homélies  se  sert  sans  scrupule,  prouvant  ainsi  qu'ils 
étaient  déjà  depuis  longtemps  accueillis  et  vénérés  dans  la  majorité  de  ^ 
l'Eglise.  Les  hérétiques  gnostiques  devancèrent  les  orthodoxes  dans  la 
commentation  des  écrits  apostoliques.  Il  y  avait  donc  au  commence- 
ment du  second  siècle  des  écrits  canoniques  auxquels  ils  cherchaient 
à  adapter  leurs  doctrines.  C'est  ce  qu'affirment  Tertullien  et  Irénée  : 
Scripturas  guident  confitenlur,  dit  ce  dernier,  interpretationes   vero  con- 
vertunt.  Tertullien  également  dit  de  Valentin  :  Integro  instrumente  uti 
videtur  (Adv.  Haer.,  III,  12;  etPrœscr.,  c.  38).  Ces  faits  étaient  certai- 
nement vrais  des  gnostiques  de  leur  temps  ;  l'étaient-ils  de  Basilide  et 
de  Valentin  eux-mêmes?  On  en  doute  encore.  Cérinthe  et  Karpocrate, 
gnostiques  judaïsants,  n'admettaient  guère  que  l'Apocalypse  et  l'évan- 
gile des  Hébreux  ou  de  Matthieu  mutilé  ;  ils  repoussaient  les  épitres  de 
Paul  (Epiph.,  Hxr.,  XXVIII,  S  ;  XXX,  14;  XXVII,  2,  8  ;  Irén.,  Adv.' 
Hxr..  \.  2S  s.  :  Philosophoumena,  VII,  32).  Les  Pères  de  l'Eglise  parlent 
d'un  évangile  de  Basilide  qui  était  sans  doute  un  ouvrage  apocryphe,  et 
il  parait  bien  avoir  commet  même  commenté  des  évangiles  canoniques. 
Valentin.  d'après  Tertullien  et  les  Philosophoumena,  se  serait  servi  de  nos 
quatre  évangiles  en  les  accommodant  par  de  subtiles  interprétations  à  sa 
do<  trine.  Un  de  ses  disciples,  qui  vivait  vers  Tan  160,  avait  même  com- 
posé  un  commentaire  sur  l'évangile  de  Jean,  dont  Origène  et  Clément 
d'Alexandrie  ont  reproduit  quelques  lignes.  Les  valentiniens  connais- 
saient et  citaient   également  les  épîtres  de  Paul.  C'est  dans  la  gnose 
marcionite  que   la    tendance  antijudaïsante  trouve  son    expression 
extrême.  Le  système  de  Marcion  l'aitpendantanx  Homélies  Clémentines; 
a  l'exclusion  violente  de  saint  Paul,  ce  gnostique  répond  parcelle  des 
la  condamnation  de  l'Ancien  Testament.  Testullien  l'ac- 
cuse d'avoir  violemment  lacéré  le  canon  ecclésiastique.  C'est  peut-être 


592  CANOX  DU  NOUVEAU  TESTAMENT 

îrop  dire;  le  canon  ofiiciel  n'existait  pas  encore.  Marcion  se  lit  un 
recueil  canonique  à  sa  guise,  usant  d'une  liberté  qui  parut  scanda- 
leuse. Sans  doute  son  choix  ne  fut  dirigé  que  par  ses  idées  dogmatiques. 
Mais  nous  sommes  dans  un  temps  où  c'était  la  dogmatique  qui  faisait 
le  canon,  et  non  le  canon  la  dogmatique.  Marcion  avait  un  recueil 
de  dix  lettres  de  Paul  rangées  dans  cet  ordre  :  Galates,  1  et  2  Co- 
rinthiens, Romains  (moins  les  ch.  XV  et XVI),  1  et  2  Thessaloniciens, 
Fépitre  aux  Ephésiens  sous  le  nom  d'épilre  aux  Laodicéens,  Colos- 
siens,  Philippiens  et  Philémon.  Les  épitres  pastorales  et  l'épître 
aux  Hébreux  étaient  exclues.  Marcion  s'était  fait  également  un  évan- 
gile qu'il  appelait  l'évangile  de  Christ  et  qui  n'était  pas  autre  chose  au 
fond  que  l'écrit  de  Luc  débarrassé  de  tout  ce  qui  pouvait  faire  croire 
h  une  subordination  du  christianisme  au  judaïsme.  Son  canon  compre- 
nait ainsi  deux  parties,  V Evangile  et  V Apôtre  (TcsjayycXbv,  b  k-i'zSi.zz 
ou  tg  à-sr:éA'.y.sv).  Ce  n'est  pas  qu'il  n'ait  connu  les  autres  livres  du 
Nouveau  Testament  ;  il  les  repoussait  parce  qu'il  y  trouvait  la  doctrine 
du  Christ  altérée.  On  ne  doit  pas  s'étonner  qu'il  ait  choisi  l'Evangile  de 
Luc  plutôt  que  celui  de  Jean.  Il  a  rejeté  ce  dernier  parce  qu'il  portait 
3e  nom  d'un  apôtre  juif,  et  parce  que,  malgré  son  spiritualisme,  il 
rattachait  encore  trop  étroitement  la  nouvelle  alliance  à  l'ancienne 
(sources  àconsulter  sur  le  canon  de  Marcion  :  Tertull.,  Adv.  Marcionem, 
surtout  les  livres  IV  et  V  ;  De  carne  Christi,  surtout  II  et  III;  Irénée, 
Adv.  ffœr. ,  1, 27, 2  ;  III,  2  ;  III,  12;  Epiph. ,  Hœres.,  XLII;  et  dans  les  œuvres 
d'Origène  le  Dialogus  Adamantiiet  Megetlù  de  recta  fide). Cependant,  de 
même  qu'à  travers  toute  cette  agitation  confuse  et  toutes  ces  hérésies,  l'E- 
glise tendait  en  repoussant  les  sectes  à  se  constituer  et  à  s'affirmer  comme 
Eglise  une  et  universelle,  de  môme  on  voit  se  dégager  progressivement 
de  tout  l'arbitraire  des  pères  orthodoxes  comme  des  docteurs  héré- 
tiques la  notion  et  les  grandes  lignes  d'un  canon  ecclésiastique.  Justin 
Martyr  (130-160)  représente  ce  moment  de  transition.  Chez  lui,  pour 
ïa  première  fois,  nous  trouvons  l'autorité  de  la  tradition  orale  subor- 
donnée à  celle  des  écrits  apostoliques  ;  les  évangiles  sont  la  source  suf- 
Msante  de  la  connaissance  de  la  vie  de  Jésus.  licite  sans  doute  des  écrits 
déclarés  plus  tard  apocryphes,  mais  il  ne  faut  pas  douter  qu'il  n'en- 
tende par  les  évangiles  provenant  d'apôtres  ou  de  compagnons  d'apô- 
tres, et  lus  chaque  dimanche  dans  le  culte  chrétien,  nos  quatre  évan- 
giles actuels  (ApoL,  I,  33,  67;  Dial.  c.  Tryph.,  c.  103).  Beaucoup  plus 
embarrassée  est  l'attitude  de  Justin  vis-à-vis  de  Paul.  Evidemment  il  a 
gardé  quelque  chose  des  préjugés  de  Papias  et  d'Hégésippe  contre 
l'apôtre  des  Gentils;  il  connait  ses  lettres,  il  les  a  lues  et  en  a  profité; 
mais  il  semble  hésiter  à  en  reconnaître  explicitement  l'autorité  cano- 
nique. D'ailleurs  on  constate  la  même  rareté  de  citations  pour  les 
Actes  des  apôtres  et  les  épitres  catholiques,  qu'il  admettait  fort  bien 
cependant.  Quant  à  l'Apocalypse,  il  la  tenait  pour  un  livre  inspiré  au 
même  titre  que  les  écrits  des  anciens  prophètes  et  l'attribuait  ouverte- 
ment à  saint  Jean  (Dial.  c.  J\,  81).  A  peu  près  au  même  point  que 
lustin  Martyr,  nous  trouvons  Méliton  de  Sardes,  son  contemporain. 
Parmi  ses  nombreux  ouvrages  dont  parle  Eusèbe,  il  y  en  avait  un  sur 


CANON  DU  NOUVEAU  TESTAMENT  593 

L'Apocalypse  de  Jean ,  qu'il  assimilail  comme  Justin ,  aux  écrits  des 
anciens  prophètes.  C'est  qu'à  cette  époque  encore  les  livres  de 
L'Ancien  Testament  étaient  placés  bien  au-dessus  de  ceux  des  apôtres, 
et  que  L'inspiration  était  surtout  reconnue  sous  la  forme  prophétique. 

Telle  est  la  cause  de  la  précoce  fortune  de  l'Apocalypse  dans  l'Eglise. 
Les  caractères  qui  la  compromirent  plus  tard  la  recommandaient  alors. 
Ainsi,  vers  le  milieu  du  second  siècle,  nous  voyons  apparaître  les  linéa- 
ments encore  incertains  du  Nouveau  Testament.  L'Apocalypse  étant 
rangée  à  La  suite  des  prophètes,  deux  volumes  se  formaient  dans  les 
Eglises  :  le  volume  des  évangiles  (to  euarfjfeXfov)  et  le  volume  des  épîtres 
(5  ancoffTsXoç).  Le  premier  commence  généralement  à  s'imposer,  bien 
qu'à  coté  de  quelques-uns  ou  de  tous  nos  évangiles  actuels,  il  en  ren- 
fermât d'autres,  plus  tard  écartés.  Le  second  avait  une  position  évi- 
demment inférieure,  et  ce  n'est  guère  qu'à  la  fin  du  second  siècle  que 
la  parité  s'établira  entre  eux  et  que,  de  leur  union  en  un  seul  tout,  naîtra 
le  recueil  traditionnel  du  Nouveau  Testament. 

11.  Deuxième  période.  Canon  de  l'ancienne  Eglise  catholique.  On  sail 
que  l'ancienne  Eglise  catholique  fut  le  résultat  de  la  conciliation  progres- 
sive et  de  plus  en  plus  générale  entre  les  judéo  et  les  pagano-chrétiens.  Une 
célèbre  école  moderne,  l'école  de  Tubingue,  veut  que  cette  conciliation 
ne  se  soit  faite  que  dans  la  dernière  moitié  du  second  siècle.  Mais  un< 
exacte  interprétation  des  faits  historiques  montre  que  ce  catholicisme 
primitif  que  nous  voyons  triompher  vers  Tan  100,  avait  déjà  derrière 
lui  une  tradition,  et,  quand  on  en  recherche  le  principe,  on  est  obligé 
de  remonter  jusqu'au  temps  des  apôtres,  il  est  évident,  en  effet,  quel- 
que graves  qu'aient  été  les  conflits  entre  saint  Paul  et  les  Douze,  que 
leur  théologie,  avec  toutes  ses  divergences,  avait  le  même  point  de  départ, 
qu'ils  avaient  une  sorte  de  terrain  neutre  et  commun  sur  lequel  ils  se 
-ont  rencontrés  et  sont  restés  unis  (Gai.  II,  7-10;  1  Cor.  XV,  1-11).  On 
peut  trouver  la  notion  d'une  Eglise  catholique  dans  les  chapitres  XL 
XII  et  XIV  de  la  première  épitre  aux  Corinthiens,  où,  dans  la  variété 
des  dons,  des  ministères  et  même  des  hérésies,  saint  Paul  fait  éclater 
l'unité  essentielle  du  corps  de  Christ.  La  notion  est  encore  plus  nette- 
ment formulée  dans  les  épitres  aux  Kphésiens  et  aux  Colossiens,  où  les 
apôtres  sont  mentionnes  ensemble  sans  distinction  aucune  comme  fon- 
dement de  L'Eglise,  où  celle-ci  est  comparée  à  un  organisme  gran- 
dissant par  une  venu  intérieure  qui  déploie  harmonieusement  au 
dehors  son  incomparable  richesse  (Éph.  Il,  20;  III,  5;  Col.  1,  20),  où 
toute  barrière  enfin  est  levée  entre  les  juifs  et  les  païens,  unis  dans  la 
formation  d'un  peuple  nouveau  (Eplî.  111,6;  il,  14-19;  Col.  1,  20;  [|. 
\\  :  et'.  1  Tini.  III.  loi.  (ie  principe  n'a  cessé  de  s'affirmer  et  dese  déve- 
lopper dans  la  suite.  Les  écrits  de  Luc,  qui  tombent  certainement  aux 
environs  de  L'an  80,  en  sont  tout  pénétrés.  La  notion  d'uneEglise catho- 
lique domine  en  particulier  les  Actes  des  apôtres  tout  entiers.  Quinze 
ans  plus  tard,  nous  la  retrouvons  dans  l'épitre  de  Clément  Romain  et 
dans  celle  qui  a  été  attribuée  à  Barnabas.  Elle  remplit  les  lettres 
d'Ignace  d'Antioche,  qui,  même  dan-  la  supposition  de  leur  inauthen- 
ticité, restent  toujours  des  documents  du  second  siècle.  Polycarpe.  un 
ii.  :>>h 


594  CANON  DU  NOUVEAU  TESTAMENT 

peu  plus  tard,  en  est  le  plus  illustre  représentant.  Aussi,  dans  tous  les 
écrits  de  ces  pères  apostoliques ,  trouvons-nous  le  nom  de  Paul  et 
celui  de  Pierre  associés  dans  la  même  vénération  et  in  unis  de  la  même 
autorité.  La  grande  route  où  marchait  la  majorité  de  l'Eglise,  passait 
entre  l'hérésie  de  Marcion  et  celle  des  Homélies  Clémentines.  Vers  le 
milieu  du  second  siècle,  nous  ne  rencontrons  aucun  rapprochement 
entre  des  tendances  jusque-là  hostiles ,  aucun  traité  de  paix  en 
quelque  sorte  officiel.  Le  catholicisme  qui  triomphe  alors,  n'est  point 
le  résultat  d'un  nouveau  compromis,  mais  bien  celui  d'un  long 
et  laborieux  développement  d'un  antique  principe  que  les  hérésies 
et  les  dissidences  avaient  pu  voiler,  mais  non  détruire,  et  qui,  à 
la  longue,  devait  triompher  d'elles.  Aussi  ne  faut-il  pas  s'étonner 
de  rencontrer  les  preuves  nombreuses  d'un  canon  ecclésiastique  où 
sont  pacifiquement  réunis  les  écrits  de  Paul  et  des  autres  apôtres, 
dans  le  Martyre  de  saint  Polycarpe  (156),  dans  la  Lettre  des  Eglises 
de  Vienne  et  de  Lyon  (177),  dans  l'épitreà  Diognète,  dans  l'apologie  de 
Théophile  d'Antioche  (170-180),  etc.  Non-seulement  un  noyau  cano- 
nique, ferme  et  universel,  apparaît  dans  tous  ces  ouvrages  ;  mais  encore 
la  notion  de  l'inspiration  et  de  l'autorité  des  écrits  de  la  nouvelle  al- 
liance s'y  précise  et  s'y  achève.  Le  type  d'un  canon  sacré,  dès  le 
commencement,  nous  l'avons  vu,  était  celui  de  l'Ancien  Testament; 
c'est  vers  ce  type  absolu  quetendait  dans  saformation  progressive  le  nou- 
veau canon  de  l'Eglise.  Vers  la  fin  du  second  siècle,  cette  notion  idéale 
est  atteinte  ;  il  y  a  maintenant  parité.  Aux  apôtres  sont  attribuées  la 
même  inspiration  et  la  même  autorité  qu'aux  prophètes.  Les  citations 
qu'on  fait  des  uns  et  des  autres  sont  également  présentées  comme  des 
oracles  du  Saint-Esprit  (Epist.  ad  Diog.,  c.  11  et  12;  Théophile,  Ad 
Autolyc,  III,  11;  II,  31).  De  cette  même  époque,  il  existe  un  document 
plus  important  encore.  C'est  un  catalogue  anonyme  représentant 
l'état  général  des  choses  à  Rome  et  en  Occident,  et  connu  depuis  le 
milieu  du  dix-huitième  siècle,  sous  le  titre  de  Fragment  de  Muratori, 
du  nom  du  savant  qui  le  découvrit  en  1740  dans  la  Bibliothèque  de 
Milan  (Muratori,  Anîiquitates  medii  œvi,t.  111,  Mediolan.,  1740;  sur 
ce  fragment,  voy.  Wieseler,  Sludien  und  Kritik.,  1847,  fasc.  IV; 
Credner,  Geshcichte  des  N.  T.  Canons,  p.  146  ss.  ;  M.  Laurent,  N.  Ttli- 
clie  Studien,  Gotha,  1866;  Hilgenfeld,  Einleit.  in  das  N.  T.,  Leip- 
zig, 1875,  etc.).  La  date  de  ce  catalogue  est  approximativement  fixée 
par  la  remarque  dont  est  accompagné  le  Pasteur  d'Hermas  qui,  dit 
l'auteur,  fut  composé  récemment  et  de  notre  temps  à  Rome,  sousl'épis- 
copat  de  Pius  {nuperrime  temporibus  nostris  in  urbe  Eoma,  sedente 
cathedra  urbis  Ro?nie  Ecclesiœ  Pio  epîscopo,  fratre  ejus).  L'épiscopat 
de  Pius  tombe  certainement  avant  l'année  155  (de  140  à  155  environ). 
Si  l'on  songe,  d'un  autre  côté,  qu'Irénée  déjà  et  Clément  d'Alexandrie 
tenaient  le  Pasteur  d'Hermas  pour  écriture  sacrée,  on  voit  que  ce 
fragment  ne  peut  pas  être  postérieur  à  l'an  180.  Le  texte  latin,  qui  n'est 
probablement  que  la  traduction  d'un  original  grec,  nous  est  arrivé 
extraordinairement  corrompu,  et  sa  restitution  a  donné  lieu  à  de  lon- 
gues polémiques.  Le  sens  a  fini  pourtant  par  être  assez  unanimement 


CANOK   DU  NOUVEAU  TESTAMENT  595 

déterminé,  e1  L'on  peut  en  déduire  sans  crainte  d'erreur  les  conclusions 
suivantes.  La  notion  tics  écrits  sacrés  de  la  nouvelle  alliance  en  ressort 
achevée  el  complète  avec  ses  deux  éléments  constitutif  s  :  l'un  intérieur, 
la  tradition  orthodoxe  établie;  l'autre  extérieur,  l'origine  apostolique 
des  livres.  Les  écrits  mis  faussement  sous  le  nom  d'un  apôtre  en  faveur 
d'une  hérésie,  sont  distingués  et  exclus.  Ceux  d'un  âge  récent,  comme  le 
ur  d'Hermas,  peuvent  être  lusprivément,  niais  ne  sauraient  préten- 
dre aux  honneurs  de  la  lecture  publique  réservée  aux.  seuls  écrits  des 
apôtres  ci  des  prophètes.  L'ensemble  des  livres  du  Nouveau  Testament 
i  il  divisé  en  deux  grandes  parties,  comme  nous  l'avons  vu  dans  la  col- 
lection de  Marcion,  et  comme  cela  est  général  chez  Clément  d'Alexan- 
drie, Irénée  et  Tertullien.  La  première  partie  s'appelle  V Evangile,  et 
comprend  quatre  livres:  ceux  de  Matthieu,  de  Marc  (ces  deux  premiers 
manquent  par  la  coupure  du  fragment,  mais  évidemment  se  trouvaient 
en  tète),  de  Luc    et  de  Jean.  La  seconde  partie,  qui  se  nommait   les 
Apôtres,  comprend:  1°  les  Actes  des   apôtres;  2°  les  treize  lettres  de 
Paul:  o1'  une  ou  deux  épitres   de  Jean,  une  épitre  de  Jude;  4°  deux 
Apocalypses,  celle  de  Jean  et  celle  de  Pierre,  qu'acceptait  aussi  Clément 
d'Alexandrie.  11  est  assez  étonnant  par  contre  que  les  deux  épîtres  de 
Pierre,  la  première  aussi  bien  que  la  seconde,  et  celle  de  Jacques  n'ob- 
tiennent aucune  mention.  Deux  autres  épitres  attribuées  à  saint  Paul, 
une  aux.  Laodicéens  et  l'autre  aux  Alexandrins  (épitre  aux  Hébreux?)-, 
sont  expressément  condamnées  comme  entachées  de  gnose  marcionite. 
Si  le  canon  de  Muratori  nous  donne  le  recueil  officiel  de  l'Eglise  de 
Rome  à  la  fin  du  second  siècle,  la  version  syriaque  qu'on  nomme  la 
Peschito,  et  qui  remonte  à  peu  près  à  la  même  époque,  nous  donne  celui 
des  Eglises  de  Syrie.  L'épitre  aux  Hébreux,  non  mentionnée  dans  le 
premier  et  généralement  suspecte  à  l'Occident  à  cette  date,  y  a  trouvé 
place,  mais  non  comme  épitre  de  Paul.  En  revanche,  l'Apocalypse  de 
Jean  est  absente.  Les  trois  épitres  catholiques  de  Jacques,  de  Pierre  et 
de  Jean  s'y  rencontrent.  Des  petites  épitres  de  Jean,  de  celle  de  Jude, 
de  la  seconde  de  Pierre,  nulle  trace.  Pour  achever  le  tableau  de  cette 
époque,  il  faut  joindre  à  ces  documents  anonymes  et  plus  ou  inoins 
officiels,  le  témoignage  d'Irénée  (f202)  pour  les  Eglises  des  Gaules,  celui 
de  Clément  d'Alexandrie  pour  l'Egypte,  et  celui  de  Tertullien  (f  220) 
pour  l'Afrique  proconsulaire.  Nous  trouvons  chez  eux,  chez  le  dernier 
surtout,  la  première  ébauche  d'une  théorie  du  canon  ecclésiastique, 
dont  le  principe  et  le  critère  est  l'origine  apostolique  garantie  par  la 
tradition  unanime  des  diverses  Eglises.  Cette  origine  d'un  écrit  en  garantit 
MMi  tour  l'inspiration   divine  et  en    fonde  l'autorité  (Tertull.,  De 
Praeser.  hœret.,  cliap.  -J2,  36,  37;  Adv.  Marcion.,  IV,  5.  Si  constat  id 
lod prîtes,  id  prius  quod  ab  initia,  id  ah  initia  quod  ab  apostoiis, 
pariter  utique  constabù  id  esse  ab  apostoiis  traditum  quod  apud  Ecclesî§.s 
apostoIorumfuen'tsacrosanctum.Cl.  ïren.,  Adv.  Hier.,  111.  l,etc).  Cepen- 
dant l'étal  réel  des  choses  ne  répond  pas  encore  à  la  théorie,  soit  que 
le  critère  ne  lût  pas  toujours  appliqué,  comme  en  ce  qui  concerne  le 
Pasteur  d'Hermas,  soit  que  la  tradition  ecclésiastique  elle-même  fût  sur 
plusieurs  points  muette  ou  incertaine,  comme  pour  répitre  aux  Hé- 


596  CANON  DU  NOUVEAU  TESTAMENT 

breux.  Des  deux  parties  fort  distinctes  encore  qui  composaient  le  canon 
(to  euaffiXiov,  5'.  ûbroaroXoi  ou  h  à-ï?S/.o;,  instrumcntum  evangelicum, 
instrumentum.  apostolicwn),  la  première  seule  était  arrêtée.  Le  quaternaire 
évangélique  est  désormais  bien  iixé.  Ce  nombre  même  de  quatre  est 
devenu  déjà  une  sorte  de  dogme  que  l'esprit  subtil  d' Irénée  et  de 
Tertullien  essaie  d'expliquer  par  les  plus  étranges  analogies.  Quant  à  la 
seconde  partie,  il  y  a  unanimité  sur  les  treize  épîtres  de  Paul,  sur  les 
Actes  des  apôtres  et  les  premières  épîtres  catholiques  de  Jean  et  de 
Pierre.  Plus  loin,  nous  rencontrons  les  jugements  les  plus  divers  et  sou- 
vent les  plus  contradictoires.  Ainsi,  tandis  que  Clément  d'Alexandrie  tient 
répitre  aux  Hébreux  pour  une  lettre  de  Paul,  traduite  de  l'hébreu  en 
grec  par  saint  Luc,  Irénée  la  repousse  et  Tertullien  ne  sait  qu'en  pen- 
ser. Les  traces  de  l'épitre  de  saint  Jacques  sont  nulles  chez  Tertullien, 
douteuses  chez  Irénée,  positives  chez  Clément  d'Alexandrie.  Le  Pasteur 
d'Hermas,  cité  comme  écriture  sainte  par  ces  deux  derniers,  est  flétri  par 
Tertullien  de  l'épithète  pastor  mœchorum.  En  outre  Clément  d'Alexan- 
dre accepte  comme  écrits  apostoliques  les  lettres  de  Barnabas,  de 
Clément  Romain,  l'Apocalypse  et  la  prédication  de  Pierre,  etc.  On  voit 
combien  les  limites  du  canon  étaient  encore  indécises  et  flottantes. 
Remarquons  en  effet  que,  parmi  les  causes  qui  concouraient  à  l'établir, 
on  ne  trouve  à  cette  époque  ni  décision  officielle  de  l'autorité  ecclésias- 
tique, ni  recherche  historique  impartiale  ;  mais  en  première  ligne  la 
coutume  traditionnelle  variant  de  province  à  province,  l'exemple  des 
grandes  Eglises  s'imposant  aux  plus  petites,  une  tradition  dogmatique 
enfin  qui  faisait  aisément  accueillir  les  livres  qui  lui  paraissaient  favo- 
rables et  rejeter  non  moins  aisément  ceux  qui  lui  étaient  contraires. 
Cela  apparait  en  toute  évidence  quand  ou  suit  l'histoire  des  destinées  si 
variables  de  l'Apocalypse.  Tandis  qu'Irénée  et  Tertullien  la  vénèrent, 
la  Peschito  la  néglige,  Cajus,  un  prêtre  de  l'Eglise  de  Rome,  la  regarde 
comme  l'œuvre  malfaisante  de  Cérinthe.  Un  peu  plus  tard,  Denys 
d'Alexandrie  et  Eusèbe  suivront  une  voie  moyenne  entre  les  témoignages 
qui  la  recommandent  et  les  préjugés  dogmatiques  qui  la  rendent  sus- 
pecte, en  s'efforçant  de  prouver  qu'elle  est  l'œuvre  de  Jean,  le  pres- 
bytre  d'Ephèse.  Mettre  fin  à  ces  fluctuations,  séparer  ce  qui  était  cano- 
nique de  ce  qui  ne  l'était  pas,  fut  l'ambition  et  l'effort  d'Origène.  Sa 
tentative  peut  être  considérée  comme  le  premier  essai  d'une  recherche 
et  d'une  discussion  scientifique  sur  la  nature  et  la  composition  du 
canon  du  Nouveau  Testament.  Mais  comme  telle,  elle  est  éminemment 
personnelle,  et  représente  la  critique  individualiste  succédant  à  la  tra- 
dition un  peu  confuse  des  temps  passés  et  appelant  les  décisions  officielles 
des  grands  conciles  de  l'âge  suivant.  Eusèbe  a  réuni  les  conclusions 
d'Origène  au  livre  VI,  25,  de  son  Histoire  ecclésiastique.  Le  théologien 
d'Alexandrie  divise,  en  somme,  les  livres  en  question  en  deux  classes  : 
i°  les  écrits  authentiques  des  apôtres  (yv^ia),  sur  lesquels  règne  un  accord 
unanime;  2°  les  écrits  contestés  et  contestables  (^foxa  ou  à{jLçt6aXXs|jLevà), 
parmi  lesquels  sont  la  seconde  de  Pierre,  l'épitre  de  Jacques,  celle  de 
Jude,  la  seconde  et  la  troisième  de  Jean;  et  aussi  des  écrits  non  aposto 
ltques.  mais  pleins  encore  de  l'Esprit  divin  et  dont  l'autorité  est  fort 


CANON  DU  NOUVEAU  TESTAMENT  597 

grande,  comme  Le  Pasteur  (T /fermas,  scriptura  dioinitus  inspirât  a,  l'é- 
pître  de  Barnabas,  L'évangile  des  Hébreux,  etc.  On  voit  que  La  critique 
d'Origène,  malgré  ses  recherches,  n'avait  guère  fait  que  constater  l'exis 
tence  des  difficultés  sans  1rs  résoudre.  Dans  la  stichométrie  latine  qui 
nous  a  été  conservée  à  la  fin  du  Codex  Clanomontanus  (Bibliothèque  na- 
tionaleà  Paris),  on  trouve  les  écrits  canoniques  rangés  dans  un  ordre  assez 
curieux.  Aucun  n'y  manque  de  ceux  que  l'Eglise  a  définitivement  consa- 
crés. Mais  l'épitre  aux  Hébreux  est  appelée  épitre  de  Barnabas.  A  côté  de 
l'Apocalypse  de  Jean  se  trouvent  encore  l'Apocalypse  de  Pierre  et  le 
Pasteur  d'Hermas,  et  à  côté  des  Actes  des  apôtres,  les  Actes  de  Paul. 
III.  Troisième  période.  Le  Canon  des  Eglises  d'Orient  et  d'Occident, 
quatrième  ci  cinquième  siècles.  Des  faits  constatés  jusqu'ici,  on  peut 
déduire  une  règle  générale  qui  se  vérifie  toujours  et  partout:  c'est  que 
le  dogme  du  canon  marche  du  même  pas  que  le  dogme  de  l'Eglise. 
L'un  fonde  l'autre  et  tous  deux  tendent  à  devenir  absolus  par  un  progrès 
parallèle.  Le  même  mouvement  qui  poussait  l'Eglise  à  écarter  les  hé- 
résies, à  se  constituer  dans  sa  hiérarchie  et  dans  son  unité,  à  définir 
enfin  son  infaillibilité,  tendait  également  à  expulser  du  canon  les  livres 
apocryphes,  à  classer  définitivement  ceux  qui  étaient  contestés  et  à 
établir  enfin  le  recueil  officiel.  Un  pas  décisif,  en  ce  sens,  est  fait  au 
quatrième  siècle;  mais  le  terme  idéal  n'est  pas  encore  atteint.  Si  une 
grande  centralisation  s'opère   dans  l'Eglise,  ce  travail  n'aboutit  pas 
encore  à  l'unité  ;  il  ne  réussit  qu'à  constituer  deux  grandes  Eglises  ca- 
tholiques, celle  d'Orient  et  celle  d'Occident,  fort  distinctes  déjà  de  tem- 
pérament, de   tradition  et  de  doctrine.    La  même  diversité   se  fera 
sentir  dans  la  fixation  d'un  canon  scripturaire.  On  peut  même  dire 
que  le  dualisme,  sur  ce  point  comme  sur  les  autres,  a  persisté  jusqu'à 
nos   jours.  Au  commencement  du   quatrième   siècle,    nous  rencon- 
trons tout   d'abord   le   nom  d'Eusèbe,   évêque   de   Césarée  (f  340). 
Doué   d'un  véritable   instinct    historique,    ce    savant  théologien    en 
est   sur  le   canon   du  Nouveau    Testament  à    peu    près    au    même 
point   qu'Origène   et   se   trouve    dans  le   même  embarras.    Comme 
ce  dernier,  il  divise  les    livres  qui   avaient  cours   dans   l'Eglise  en 
trois  classes  :  1°  ceux  que   tout    le   monde   accepte  (ôjAoXoyoùjAeva)  ; 
2°  ceux  qui  sont  contestés  (avTtA£yç{i,eva) ;  3°  ceux  qui  sont  décidément 
illégitimes  et  condamnables  (vdOa).  Malheureusement,  quand  on  serre 
de  près  les  textes  d'Eusèbe,  on  s'aperçoit  bien  vite  que  cette  classifi- 
cation n'a  rien  d'absolu.  Plusieurs  écrits  sont  placés  dans  deux  classes 
différentes,  comme  l'Apocalypse,  l'épitre  aux  Hébreux  ou   celle   de 
Clément   Romain ,    preuve  évidente   que  les    limites   n'avaient  rien 
d'arrêté.  En  vain  Eusèbe,  pour  sortir  de  ces  incertitudes,  a-t-il  scru- 
puleusement interrogé  tous  les  écrivains  antérieurs;  leur  témoignage 
et  la  tradition  ecclésiastique  n'ont  fait  qu'augmenter  son  embarras  par 
leurs  divergences  et  leurs  contradictions  (Euseb.,  //.  £\,  III,  2o  ;  cf.  III, 
31;  III,  3;  II,  23;  VI,  13;  III,  16;  III,  38,    etc.).  Mais  si  l'historien 
hésite  et  nous  révèle   ingénument  l'état  confus  des  choses,   l 'évêque 
était  obligé  de  trancher  les  difficultés.  Les  nécessités  de  L'enseignemenl 
pratique,  la  paix  intérieure  et  L'ordre  de  l'Eglise  contraignaient  les 
hommes  qui  la  dirigeaient  à  promulguer  pour  la  masse  des  fidèles  un 


598  CANON  DU  NOUVEAU  TESTAMENT 

canon  arrêté.  Ce  sont  ces  mesures  ecclésiastiques  que  nous  allons  voir 
se  produire  et  qui  constituent  la  plus  grande  partie  de  l'histoire  du 
canon  à  cette  époque.  Aux  recherches  des  historiens  et  à  la  fluctuation 
des  opinions  individuelles  succèdent  les  décisions  pratiques  des  évêques 
et  des  synodes.  Eusèbe  lui-même  fut  mis  en  demeure  de  se  prononcer. 
En  332  il  reçut  de  l'empereur  Constantin  Tordre  de  lui  faire  copier 
et  de  lui  envoyer  à  Constantinople  cinquante  exemplaires  des  saintes 
Ecritures  soigneusement  écrits  sur  parchemin.  Eusèbe  s'acquitta  de 
cette  tâche  et  envoya  les  manuscrits  qui  devinrent  le  type  de  ce  que 
Ton  a  appelé  plus  tard  le  canon  byzantin.  Quels  livres  du  Nouveau 
Testament  furent  accueillis  dans  ces  exemplaires  qui  prenaient  ipso 
facto   un  caractère  officiel    et  devaient   avoir  une   grande   autorité  ? 
Eusèbe  ne  le  dit  pas.  Mais,  de  la  coutume  postérieure  de  l'Eglise  de 
Byzance,on  peut  conjecturer  qu'ils  renfermaient  tous  nos  livres  actuels 
moins  l'Apocalypse.  Ce  canon  de  Byzance  est  aussi  celui  que  Cyrille  de 
Jérusalem  (f  386)  a  déterminé  et  recommandé  officiellement  dans  ses 
catéchèses  (Cateçh.,  IV,  20).  Les  sept  épîtres  catholiques  y  sont  placées 
avant  celles  de  Paul.  Pour  les  autres  livres  contestés  en  usage  encore 
dans  l'Eglise,  ils  doivent  rester  en  dehors  et  à  un  rang  secondaire, 
Grégoire  de  rsaziance  (-j-  389)   a  dressé  également  et  mis  en  vers  le 
catalogue  des  écrits  sacrés  pour  servir  de  direction  aux  fidèles.  L'Apo- 
calypse en  est  exclue.  Dans  tout  le  reste,  il  concorde  avec  les  précé- 
dents, sauf  que  les  épîtres  de  Paul  viennent  ici  avant  les  épîtres  catho- 
liques (Carmen,  33).  Au  nom  de  Grégoire  de  Naziance  il  faut  joindre 
celui  de  son  ami  Amphilochius  d'Iconie,  à  qui  l'on  attribue  une  liste 
semblable  trouvée  dans  les  ïambes  à  Séleucus,  imprimés  le  plus  sou- 
vent à  la  suite  des  poëmes  de  Grégoire.  La  liste  est  la  même,  mais 
l'auteur  éprouve  encore  le  besoin  de  défendre  l'épitre  aux  Hébreux  ; 
il  hésite  sur  les  quatre  petites  épîtres  catholiques  et  sur  l'Apocalypse. 
Plus   courageux   et  plus  net  est  Athanase,  patriarche  d'Alexandrie 
(f  373).  Dans  un  mandement  épiscopal  de  l'an  365,  il  a  voulu  séparer 
et  clore  d'une  façon  définitive  le  canon  du  Nouveau  Testament.  11  y  a 
mis  tous  les  livres  que  nous  y  lisons  aujourd'hui,  y  compris  l'Apoca- 
lypse, malgré  la  défaveur  où  elle  était  tombée  en  Orient,  et,  à  côté  de 
ce  recueil  divin,  il  a  réuni  comme  livres  d'édification  les  autres  écrits 
dont  on  se  servait  et  qu'on  pouvait  lire  dans  l'Eglise  (Epist.festaîù,  39). 
Enfin  le  synode  de  Laodicée  (360),  si  les  Actes  de  ce  concile  sont  au- 
thentiques, se  serait  aussi  occupé  de  fixer  le  canon  du  Nouveau  Testa- 
ment. Il  aurait  sanctionné  celui  de  Cyrille  de  Jérusalem  et  interdit  dans 
l'usage  ecclésiastique  tous  livres  autres  que  les  canoniques  (Canons,  o9 
et  60).  Tels  furent  en  Orient  les  résultats  des  prescriptions  ecclésiasti- 
ques. Les  écrits  qui  devaient  rester  canoniques  étaient  bien  définitive- 
ment séparés  des  apocryphes,  qui  étaient  relégués  à  un  rang  inférieur 
et  formaient  une  sorte  de  canon  secondaire.  La  place  de  l'Apocalypse 
de  saint  Jean  seule  restait  incertaine,  mais  l'autorité  d' Athanase  devait 
finir  par  l'emporter;  on  trouve  cependant  des  contestations  sur  ce 
point  jusqu'au  neuvième  siècle.  Le  patriarche  Nicéphore  (f  828)  met- 
tait encore  l'Apocalypse  de  Jean   hors  du  canon.   L'Eglise  de   Syrie 


CANON  DU  NOUVEAU  TESTAMENT  595 

gardait    son    indépendance   à  l'égard   de  ce    canon   byzantin.  L'au- 
torité de   la  Peschito  était   pour  elle  décisive.  On  sait  que  cette  an- 
tique version  n'avait  que  les  trois  grandes  ('pitres  catholiques  et  omet- 
tait l'Apocalypse.  Sans  doute  saint  Ephrem  a  connu  et  cité  les  livres 
omis  dans  la  Peschito,  mais  saint  Jean-Chrysostôme  et  Théodore  de 
Mopsueste  (*j-  1-29)  restent  fidèles  à  l'ancienne  tradition.  La  critique  de 
l'école  d'Antioche  non-seulement  suspectait  rApocalypso,  mais  encore 
L'épitre  de  Jacques  et  les  quatre  petites  épîtres  catholiques.  L'ancien 
canon  de  la  Peschito  s'est  maintenu  chez  les  nestoriens,  tandis  que 
l'Eglise  d'Arménie  a  accepté  a  peu  près  le  canon  d'Athanase  et  que 
l'Eglise  copte  a  gardé  toujours  un  certain  nombre  d'apocryphes  à  côté 
des  livres  canoniques.  L'Eglise  d'Occident,  qui  avait  moins  de  science 
et  de   ressources  théologiques    que  l'Eglise  grecque,  était  peut-être 
plus  capable  que  cette  dernière  de  résoudre  la  question  du  canon  par 
des  décisions  disciplinaires.  Les  esprits  y  étaient  moins  indépendants 
et  l'administration  plus  puissante.  Constatons  d'abord  une  différence 
générale  dans  la  tradition  :  l'Apocalypse,  qui  soulevait  tant  de  doutes 
en  Orient,  n'excitait  pas  la  môme  répulsion  dans  les  Eglises  latines  ; 
par  contre  l'épitre  aux  Hébreux,  ajoutée  au  recueil  grec  au  commen- 
cement du  troisième  siècle,  était  difficilement  acceptée  en  Italie,  en 
Afrique  et  en  Gaule.  Le  volume  des  épîtres  de  Paul  était  clos  depuis 
longtemps  et  il  paraissait  difficile  d'y  introduire  une  nouvelle  lettre. 
anonyme    (Jérôme,  in  haï,    3,  G;   in    Mullh.,  26"  ;    Calai.,  51);  cf.  in 
Zach.,  c.  8,  etc.).  Cependant,  de  même  que  l'Apocalypse  triompha  en 
Orient  par  l'autorité  d'Athanase,  l'épitre  aux  Hébreux  finit  par  se  faire 
admettre  en  Occident,  grâce  à  l'exemple  des  Eglises  grecques  et  à  l'au- 
torité de  saint  Augustin.  Saint  Jérôme  (f  420),  le  plus  savant  des  Pères 
de  l'Eglise  latine,  prend  ici  une  place  analogue  à  celle  u'Eusèbe  en 
Orient.  Il  n'ignore  pas  les  incertitudes  qui  planent  sur  l'Apocalypse  et 
sur  l'épitre  aux  Hébreux.  Il  rapporte  que  plusieurs  ne  jugeaient  pas 
l'épitre  à  Philémon  digne  de  trouver  place  dans  le  canon  des  Ecritures 
saintes.  Il  y  reçoit  bien  les  sept  épitres  catholiques,  mais  la  seconde  de 
Pierre  lui  parait  douteuse  et  il  attribue  les  deux  dernières  de  Jean  au 
presbytre  d'Ephèse.  Mais  enfin  il  s'arrête  à  la  tradition  dominante  de 
son  temps  et  arrive  à  dresser  un  catalogue  concordant  avec  celui  d'A- 
thanase, sauf  à  placer  les  Actes  des  apôtres  et  les  épitres  catholiques 
après  les  lettres   de  Paul  (Mpist.  Il,  ad  Paulinum).  Saint  Augustin, 
moins  savant  que  Jérôme, a  eu  beaucoup  moins  d'hésitation.  Le  besoin 
d'en  finir  avec  ces  incertitudes,  l'intérêt  de  la  théorie  dogmatique,  le 
souci  de  la  discipline  [et  de  l'unité  étaient  chez  lui  bien  plus  impérieux. 
S'il   prouve  en  maint  endroit  qu'il  n'ignore  pas  l'état  historique  des 
questions,  il  exprime  avec  plus  de  force  encore  la  nécessité  de  donner 
à  l'Eglise  chrétienne  une  règle  précise.  Il  comptera  donc  simplement 
les  témoignages  et  dans  les  cas  douteux  tiendra  pour  certain  l'avis  du 
plus  grand  nombre  et   l^  fera  sanctionner  par  les  synodes,  (l'est  ainsi 
qu'en   l'an  ->lX\  le  concile  d'Ilippone,  dont  les  actes  ont  été  peut-être 
remaniés,  el  en  tous  cas  celui  de  Cartilage,  tenu  quatre  ans  plus  tard 
sous  L'influence  directe  d'Augustin,  décidèrent  qu'on  ne  lirait  dans  le 


«00  CANON  DU  NOUVEAU  TESTAMENT 

culte  sous  le  nom  d'Ecritures  divines  que  les  livres  canoniques.  Lne 
liste  de  ces  livres  fut  jointe  à  ce  décret  contenant  les  quatre  évangiles, 
les  Actes,  treize  épitres  de  Paul,  une  quatorzième  aux  Hébreux,  deux 
de  Pierre,  trois  de  Jean,  une  de  Jacques,  une  de  Jude  et  V Apocalypse. 
Enfin  on  décidait  que  l'Eglise  de  Rome  serait  consultée  sur  ce  cata- 
logue. Les  Africains  n'étaient  pas  les  seuls  à  demander  qu'on  sortit 
d'une  situation   confuse.   Un   peu    plus  tard,    l'un    des   plus  grands  . 
évoques  de  la  Gaule,  Exupère  de  Toulouse,  s'adressait  au  pape  pour 
avoir  sa  décision.  Après  s'être  fait  beaucoup  prier,  l'évêque  de  Rome 
Innocent  Ier  (405)  envoya  une  liste  qui  s'accordait  avec  celle  de  Car- 
tilage, mais  en  modifiant  la  série  des  livres.  Le  même  état  de  choses 
est  constaté  par  le  fameux  décret  De  librù  recipiendis  et  nonrecipiendis, 
qui  porte  dans  sa  triple  forme  les  noms  des  trois  papes  Damase  (-j-  384), 
Gélase  (f  496)  et  Hormisdas  (f  523).  Le  canon  de  l'Eglise  Occidentale 
se  trouve  ainsi  lixé  en  harmonie  avec  celui  d'Athanase,  mais  avec  ces 
deux  différences  que  les  épitres  de  Paul  y  sont  placées  avant  les  épi- 
tres catholiques,  et  les  Actes  des  apôtres  après  les   épitres  de  Paul  ; 
d'ailleurs  l'ordre  des  livres  a  varié  encore  durant  tout  le  moyen  âge. 
Les  plus  anciens  manuscrits  du  Nouveau  Testament  qui  nous  soient 
parvenus  datent  de  cette  période,  et  portent  la  trace  des  incertitudes 
(jui  régnaient  encore.  Le  Cortex  Sinaïticus  nous  offre  les  livres  cano- 
niques dans  l'ordre  suivant  :  1°  les  quatre  évangiles;  2°  les  épitres  de 
Paul,  les  Hébreux  intercalés  entre  les  épitres  aux  Eglises  et  les  épitres 
à  Timothée,  Tite  et  Philémon  ;  3°  les  Actes  des  apôtres  et  enfin  les 
épitres  catholiques  avec  l'Apocalypse  de  Jean;  mais  nous  y  trouvons 
encore  l'épitre   de   Barnabas,  le  Pasteur  d'Hermas,  et  peut-être  les 
feuilles  qui  manquent  contenaient-elles  l'Apocalypse  de  Pierre.  VA- 
lexandrinus  reproduit  exactement  le  catalogue  d'Athanase  en  y  ajoutant 
les  deux  lettres  de  Clément.  Le  Vatîcanus,  autant  que  nous  en  pouvons 
juger  par  l'état  incomplet  du  manuscrit,  suivait  le  même   ordre   et 
contenait  les  mêmes  livres  ;  le  Claromontanus,  codex  des  épitres   de 
Paul,  n'a  pas  l'épitre  aux  Hébreux;  il  ne  la  mentionne  qu'après  la 
slichométrie  latine  et  comme  un  appendice.  Bien  qu'en  général  on 
fasse  remonter  à  cette  période  la  fixation  du  canon  du  Nouveau  Testa- 
ment,   il   ne  saurait  donc   être  question,  même  alors,  d'une   décision 
œcuménique  et  absoluequi  aurait  mis  fin  à  tout  doute  et  àtoute  variation 
postérieure.  Si  l'on  voit  se  dégager  dès  à  présent,  en  Orient  et  en  Occi- 
dent, le  canon  biblique  tel  qu'il  est  resté  dans  la  suite,  ce  ne  fut  le 
résultat  ni  de  la  recherche  scientifique,  ni  même  d'une  théorie  dogma- 
tique logiquement  appliquée,  mais   simplement  l'effet  général  de  la 
tradition  et  des  mesures  disciplinaires  prises  par  les  principaux  évê- 
ques  et  quelques  conciles.  Encore  ne  faut-il  pas  oublier  qu'il  n'y  eut 
eut  pas   décision   unique  et   que  le  dogme   du  canon,  établi  dans  son 
centre,  n'était  pas  défini  dans  ses  limites.  11  reste  flottant  en  Orient  et 
en  Occident  à  travers  tout  le  moyen  âge.  Cassiodore  (f  562),  dans  un 
Traité  sur  les  saintes  Ecritures   écrit  pour  l'éducation  de  ses  moines 
du  couvent  de  Viviers,  donne  trois  catalogues    différents   des  livres 
saints  également  adoptés,  selon  lui,  dans  l'Eglise,  et,  trait  caractéris- 


CANON  i)V  NOUVEAU  TESTAMENT  00<L 

tique,  ne  prend  pas  la  peine  d'expliquer  ou  d'aplanir  les  divergences. 

Le  concile  de  Constantinople  (692)  s'occupa  implicitement  du  canon 
biblique  en  rappelant  les  autorités  en  cette  matière,  parmi  lesquelles  il 
énumèro  les  canons  dits  apostoliques,  les  synodes  de  Laodicée  et  de 
Carthage,  les  Pères  de  l'Eglise,  Athanase  et  Amphilochius,  sans  paraître 
se  douter  des  différences  on  des  contradictions  qui  les  séparent.  Le 
moine  égyptien  Cosmas  (ndopleuste  (535)  repoussait  non-seulement 
l'Apocalypse,  mais  encore  les  sept  épitres  catholiques  comme  d'origine 
douteuse.  Anastase,  dit  le  Si  n  aï  te,  rejetait  encore  l'Apocalypse;  Jean 
Damascène  vToï)  l'acceptait,  mais  avec  elle  les  canons  apostoliques  et 
peut-être  les  deux,  épitres  de  Clément  Romain.  Un  demi-siècle  plu^ 
tard,  Nicéphore  de  Constantinople  insérait  dans  s'a  Chronograp/tie  uu 
catalogue  du  Nouveau  Testament  ne  comprenant  que  vingt-six  livres 
d'Apocalypse  en  moins),  plus  un  appendice  formé  d'un  assez  grand 
nombre  d'antilégomènes.  En  Occident,  le  Vulgate,  qui  devient  la  tra- 
duction généralement  usitée,  faisait  loi  dans  l'Eglise.  Cependant  on 
retrouve  des  traces  assez  nombreuses  des  anciens  doutes  sur  l'origine 
pauliniennede  répitre  aux  Hébreux,  qui  persistent  pour  reparaître  avec 
force  au  seizième  siècle  dans  les  écrits  d'Erasme  et  du  cardinal  Cajétan. 
La  place  de  cette  épitre  dans  le  canon  reste  incertaine  dans  les  ma- 
nuscrits ;  tantôt  on  la  trouve  après  les  grandes  épitres  de  Paul,  tantôt 
après  les  épitres  dites  pastorales;  quelquefois  elle  est  absente.  En  re-. 
vanche,  le  moyen  âge  latin  a  connu  et  accepté  une  quinzième  épitre 
de  Paul,  aux  Laodicéens,  qui  était  placée  tantôt  après  l'épitre  aux  Ga- 
lates,  tantôt  après  l'épitre  à  Philémon  (voy.  Reuss,  Histoire  du  Canon 
des  saintes  Ecritures,  p.  271).  En  1439,  à  l'occasion  du  concile  de 
Florence,  le  pape  Eugène  IV  publia  une  bulle  relative  au  canon, 
laquelle  peut  être  considérée  comme  le  premier  acte  solennel  de 
ce  genre  émané  du  saint-siége.  Cette  bulle,  à  la  vérité,  ne  fait 
point  partie  des  actes  du  Concile,  aussi  plus  tard  a-t-on  pu  ew 
contester  l'autorité.  En  réalité,  une  assez  grande  liberté  régnait 
encore  sur  la  question  du  canon.  L'Eglise  catholique,  dont  l'en- 
seignement reposait  bien  plus  sur  l'autorité  de  la  tradition  dogma- 
tique que  sur  celle  des  livres,  n'avait  pas  encore  un  grand  intérêt  et 
n'éprouvait  pas  un  vif  besoin  de  la  trancher.  Ce  ne  fut  que  plus  tard, 
dans  les  discussions  soulevées  par  les  réformateurs,  qu'elle  fut  obligée 
de  la  résoudre  nettement  et  d'autorité.  Le  concile  de  Trente  (1545)  mit 
lin  à  tous  les  débats  en  rétablissant  l'égalité  parfaite  des  vingt-sept 
livres  du  Nouveau  Testament,  en  les  classant  dans  l'ordre  qu'ils  ont 
encore  et  en  élevant  l'autorité  de  la  Vulgate  au  niveau  de  celle  des 
textes  originaux.  Ce  n'est  qu'à  ce  moment  qu'il  peut  être  question 
d'une  clôture  officielle  et  définitive  du  canon,  du  moins  pour  l'Occi- 
dent. L'Eglise  grecque  n'y  arriva  qu'un  peu  plus  tard  et  de  la  même  ma- 
nière, au  synode  de  Jérusalem  (li>72),  dont  les  conclusions  concordent 
avec  celles  du  concile  de  Trente.  Mais,  au  moment  mêmeoù  les  autorité  s 
officielles  fermaient  la  question  du  recueil  canonique  avec  force  ana- 
thèmes  contre  les  récalcitrants,  la  Réforme  protestante  d'abord  et  Ij 
critique  historique  ensuite  qui  en  est  issue,  allaient  la  rouvrir. 


■603  CANON  DU  NOUVEAU  TESTAMENT 

IV.  Quatrième  PÉRIODE.  Histoire  critiqua  du  canon  du  Monceau  Testa- 
ment. La  Réforme  a  eu  pour  les  destinées  du  canon  biblique  deux  con- 
séquences à  peu  près  contraires.  D'abord,  comme  elle  en  a  fait  la  source 
et  la  règle  unique  de  la  vérité,  elle  a  eu  pour  effet  de  donner  au  dogme 
théologique  du  canon  une  importance  beaucoup  plus  grande;  elle  en  a 
consacré  l'autorité  souveraine  par  la  théorie  de  la  théopneustie  abso- 
lue, et  Ta,  pourainsi  parler,  divinisé.  Mais,  d'un  autre  côté,  en  l'oppo- 
sant d'une  façon  absolue  à  l'Eglise  et  à  la  tradition,  elle  lui  a  enlevé  sa 
base  historique  et  séculaire  eta  ouvert  la  porte  aux  appréciations  subjec- 
tives et  à  la  critique.  Plus  les  réformateurs  exaltaient  le  rôle  et  l'auto- 
rité des  écrits  sacrés,  plus  il  était  nécessaire  de  savoir  quels  étaient  ces 
écrits  et  de  les  distinguer  de  ceux  qui  ne  peuvent  prétendre  à  ce  haut 
caractère.  A  quel  critère  les  reconnaîtra-t-on  ?  Faudra-t-il  sur  ce  point 
capital  s'en  remettre  à  l'autorité  de  l'Eglise  ou  de  la  tradition  qu'on 
récuse  en  tout  le  reste?  Ni  Luther,  ni  Zwingle,  ni  Calvin  n'ont  voulu 
y  consentir,  et  sur  ce  point  les  témoignages  des  Pères  cle  la  Réforme  sont 
unanimes.  La  confession  de  foi  helvétique  même  regarde  comme  un 
blasphème  cle  dire  que  l'Ecriture,  pour  avoir  son  autorité,  a  besoin 
d'être  garantie  par  l'Eglise  (Calvin,  Inst.  Christ.,  liv.  I,  ch.  7;  Zwingle, 
Opéra,  édit.  Scli.,  p.  195;  Conf.  Helvetica  prior,  art.  1,  etc.).  Dès  lors 
il  fallut  chercher  un  autre  critère  aux  livres  canoniques.  Calvin  l'a 
trouvé  dans  le  témoignage  intérieur  du  Saint-Esprit  ;  Luther,  dans  la 
doctrine  essentielle  de  la  justification  par  la  foi,  mesure  à  laquelle  il 
faut  juger  tous  les  livres.  Ce  critère  interne  ou  dogmatique  n'a  rien 
d'absolu  et  laisse  une  assez  grande  liberté  dont  les  réformateurs  usent 
sans  scrupule.  A  ce  premier  moment  les  termes  de  Parole  de  Dieu  et 
d'Ecriture  étaient  loin  de  coïncider  entièrement.  On  sait  comment 
Luther  s'exprime  sur  les  épitres  de  Jacques  ;  il  a  condamné 
l'Apocalypse  (Vorrede  auf  das  JSf.  T.,  1522).  Zwingle  a  rejeté  égale- 
ment ce  dernier  livre  et  Calvin  conteste  assez  nettement  que  l'épitre 
aux  Hébreux  soit  de  Paul  ou  que  la  seconde  de  Pierre  soit  authentique, 
il  semble  que  les  Eglises  réformées  dussent,  sur  ce  nouveau  principe, 
dresser  un  nouveau  recueil  canonique.  Cependant  il  n'en  a  rien  été. 
Quelques  confessions  de  foi,  comme  celle  de  La  Rochelle,  donnent  bien 
une  énumération  précise  des  livres  sacrés  ;  mais,  pour  le  Nouveau 
Testament  du  moins,  elle  concorde  avec  celle  du  concile  de  Trente. 
La  plupart  des  autres  Eglises  acceptent  ouvertement  et  simplement  les 
écrits  canoniques  reçus  jusqu'à  elles  dans  la  chrétienté.  Le  principe 
posé  par  les  réformateurs  était  trop  révolutionnaire  ;  il  parut  dange- 
reux et  on  le  mitigea  bientôt  en  faisant  une  place  à  côté  de  lui  au  prin- 
cipe contraire  de  l'autorité  de  la  tradition  (Gallicana  confessio,  art.  ÏV  ; 
Anglicana  conf.,  art.  VI;  Belgica  conf.,  art.  IV).  La  question  du  canon 
n'a  pas  eu  dans  l'Eglise  luthérienne  la  gravité  critique  qu'elle  a  prise 
dans  les  Eglises  calvinistes.  Plus  l'autorité  de  l'Ecriture  était  pour 
celles-ci  le  fondement  unique  et  exclusif  de  leur  foi  et  de  leur  piété, 
plus  il  importait  de  l'assurer  contre  les  entreprises  de  la  critique  indivi- 
duelle. Le  principe  conservateur  l'emporta  sur  le  principe  révolution- 
naire de  Calvin.  A  la  fin  du   seizième  et  au  dix-septième  siècle,  les 


CANON   DU  NOUVEAU  TESTAMENT  608 

théologiens  réformés  parlent  bien  encore  de  L'autorité  directe  de  l'Ecri- 
tureet  du  témoignage  intérieur  du  Saint-Esprit,  au  moins  dans  leurs 
controverses  avec  les  catholiques;  mais  d'un  coté  les  confessions  de 
foi,  et  de  L'autre  le  dogme  de  L'inspiration  littérale  qui  alla  jusqu'à 
diviniser  les  points-voyelles  du  texte  hébreu  (Consensus  helveticus, 
L675)  rendaient  L'application  de  ce  principe  tout  à  l'ait  illusoire.  Cepen- 
dant il  n'en  restait  pas  moins  là,  au  centre  même  de  la  théologie 
des  Eglises  protestantes,  une  contradiction  interne  que  les  exagéra- 
tions d'une  orthodoxie  logique  et  abstraite  rendaient  chaque  jour 
pins  intolérable  et  qui  devait  donner  naissance  à  une  critique  plus 
libre.  On  la  voit  poindre  chez  Hugo  Grotius  et  les  théologiens  de 
Saumur.  Mais  c'est  à  un  théologien  catholique,  à  Richard  Simon 
(-;-  171:2).  que  revient  l'honneur  d'avoir  inauguré  la  véritable  science 
critique  des  écrits  sacrés  par  son  Histoire  critique  du  Vieux  Testa- 
ment, son  Histoire  critique  du  texte  du  Nouveau  Testament  et 
celle  des  Versions  du  Nouveau  Testament.  L'Eglise  catholique,  dont 
l'enseignement  dogmatique  n'est  pas  exclusivement  fondé  sur  l'Ecri- 
ture, remblait  d'abord  laisser  plus  de  liberté  au  savant  oratorien 
qui  essayait  d'ailleurs  de  se  faire  pardonner  ses  recherches  historiques 
en  les  tournant  contre  le  principe  protestant.  Mais  elle  entrevit  bientôt 
la  portée  et  les  conséquences  générales  de  cette  critique  ;  elle  la  con- 
damna, et  Richard  Simon  n'eut  pas  de  successeur.  C'est  en  Allemagne 
que  ses  travaux,  vulgarisés  et  continués  par  Jean-Salomon  Semler 
(f  1791),  créèrent  le  grand  mouvement  de  critique  historique  delà 
théologie  moderne.  Pour  Semler,  le  canon  ne  fut  plus  qu'un  catalogue 
de  livres  dont  l'histoire  seule  était  chargée  d'expliquer  la  formation  et 

_ine.  En  même  temps  le  dogme  de  l'inspiration,  sous  l'action  du 
rationalisme  du  dix-huitième  siècle,  se  dissolvait  et  se  transformait. 
La  question  du  canon  biblique,  en  descendant  de  la  sphère  dogmatique 
sur  le  terrain  de  l'histoire  où  désormais  elle  s'est  trouvée  posée  et  dis- 
cutée, se  résolvait  en  une  série  fort  longue  de  questions  particulières. 
D'abord,  pour  chacun  des  livres  du  Nouveau  Testament,  se  posaient  di- 
verses questions  d'authenticité,  de  valeur  et  de  signification.  Ensuite 
venait  l'histoire  du  recueil  tout  entier  avec  celle  des  causes  qui  l'avaient 
produit  et  des  fluctuations  de  l'ancienne  Eglise.  Dans  l'enseignement 
théologique,  VIsagogique  ou   V Introduction  critique  aux  livres  sacrés 

ut  nue  place  considérable  avec  deux  parties  plus  ou  moins  dis- 
tincte :  introduction  critique  à  chaque  livre  et  introduction  critique 
au  canon  tout  entier.  Michaëlis  écrivit  la  première  Introduction 
littéraire  et  historique  complète;  aux  écrits  du  .Nouveau  Testament, 
dont  la  première  édition  (Gœttingue,  L750)  n'était  qu'un  volume  de 
B36  pages,  et  dont  La  dernière  (1788)  en  comptait  quatre  d'égale 
grosseur.   Puis   vinrent,   avec  des  points  de  vue  divers,  les   Fntro~ 

ions  critiques  d'Ëichorn  (1804),  de  Hug  (1808),  de  Bertholdt 
1812-1819  .  de  de  Wette  (1817).  Schleiermacher,  dans  son  petit  écrit 
intitulé  Kurze  Darstellung  des  tàeoL  Stud.  (§  25)  et  dans  ses  Leçons 
iur  V Introduction  au  Nouveau  Testament  publiées  après  sa  mort,  es- 
saya de  marquer  dans  l'organisme  des  sciences  théologiques  la  place 


604  CANON  DU  NOUVEAU  TESTAMENT 

de  Y hagrgique  ou  de  la  science  du  canon,  et  de  définir  la  tâche  qu'elle 
avait  à  remplir.  Il  ne  s'agit  plus  de  constituer  une  autorité  indiscuta- 
ble où  la  dogmatique  pourra  puiser  ses  théorèmes;  il  s'agit  d'appren- 
dre à  connaître  l'origine  et  la  valeur  des  documents  qui  nous  restent 
de  l'époque  primitive,  créatrice  et  normative  du  christianisme.  V  In- 
troduction critique  dès  lors  a  pour  but  de  placer  le  lecteur  actuel  des 
écrits  sacrés  dans  la  position  même  de  ceux  à  qui  ces  écrits  étaient 
adressés  et  qui  les  lisaient  pour  la  première  fois.  Pour  la  dogmatique 
moderne,  le  canon  biblique  n'est  plus  l'organe  absolu  de  la  vérité, 
mais  seulement  le  moyen  de  la  connaître.  Certains  critiques,  comme  Gue- 
ricke  (1828  et  1854),  Thiersch  (1845)  en  Allemagne, Gaussen  en  France, 
essayèrent  bien  de  faire  revivre  l'ancien  dogme  et  de  défendre  la 
pleine  authenticité  et  la  théopneustie  absolue  du  Nouveau  Testament. 
Leurs  écrits,  qui  ne  sont  point  sans  mérite,  n'ont  pu  arrêter  l'évolution 
de  la  critique  sacrée  qui  tend  de  plus  en  plus  à  n'être  qu'une  critique 
historique.  Les  travaux  de  Baur  et  de  l'école  de  Tubingue  ont  pris  ici 
une  importance  capitale.  Baur  a  rompu  le  lien  de  la  gerbe  sacrée  et  il  en 
a  disséminé  les  éléments  dans  le  développement  ecclésiastique  et  dog- 
matique des  deux  premiers  siècles  dont  ils  ont  été  les  principaux  facteurs 
et  dont  ils  restent  les  documents,  Dès  ce  moment  Y  Introduction  critique 
aux  livres  du  Nouveau  Testament  s'est  transformée  une  fois  de  plus 
et  elle  est  devenue  l'histoire  même  de  ces  écrits.  Cette  transformation 
apparaît  complète  déjà  clans  l'ouvrage  de  M.  Reuss,  dont  le  titre  à  lui 
seul  était  tout  un  programme  :Die  Geschichte  der  h.  Schriften  des  A7.  T. 
(1842),  qui  s'est  imposé  depuis  lors,  comme  forme  du  moins,  à  la 
science.  Raconter  l'origine  et  les  destinées  variables  de  chacun  des 
livres  du  Nouveau  Testament,  puis  celles  du  recueil  tout  entier;  faire 
l'histoire  de  son  texte,  soit  dans  les  langues  originales,  soit  dans  les 
versions  par  lesquelles  il  est  passé,  et  enfin  celle  de  sa  propagation 
dans  le  monde  et  des  interprétations  auxquelles  il  a  donné  lieu  :  voilà 
la  tâche  de  cette  science  particulière,  tâche  aujourd'hui  bien  près 
d'être  remplie.  —  Littérature  générale.  Les  sources  de  la  science  cri- 
tique du  Nouveau  Testament  se  trouvent  dans  les  écrits  des  Pères  des 
cinq  premiers  siècles.  On  a  fait  plusieurs  compilations  des  pas- 
sages qui  ont  trait  à  l'histoire  du  canon  ou  à  l'explication  du 
texte  Augusti,  Chrestomathia  patristica,  ad  usum  eorum  qui  historiam 
christianam  accuratius  discere  cupiunt,  Lips.,  1812  2  vol.  ;  J.  Royards, 
Chrestomathia  patristica,  Traj.,  1831,  pars  I;  J.-C.  Orelli,  Selecta  Pa- 
trum  Eccles.  capita,  ad  exegesin  sacrant pertinentia,  Tur.,  1820-24  :  Lard- 
ner,  Credibility  of  tke  gospel  History,  1764-67,  4  vol.  ;  Joli.  Kirchhofer, 
Quellensammlung  zur  Geschichte  des  N.  T.  Canons,  Zurich,  1844. 
Dans  ses  commencements,  Y Isagogique  ne  s'occupe  guère  que  des 
règles  d'interprétation  et  n'est  que  de  l'herméneutique.  Tels  sont  les 
premiers  écrits  en  ce  genre  qui  nous  sont  parvenus  :  Adrianus  (cin- 
quième ou  sixième  siècle) ,  Isagoge  sacrarum  litterarum,  et  antiquissimo- 
rum  Grxcorum  in  prophetas  fragmenta;  Oper.  Dav.  Hœschelii  ex  ma- 
nusci^ptis  codicibus  édita,  Aug.  Vind.,  1602;  M.  Tychonius,  Liber 
regularum    VII  ad  investigandam  et  inveniendam  S.  Scripturam ;  Cas- 


CANON  DU  NOUVEAU  TESTAMENT  005 

siodorus  (560),  De  Institution?,  divinarum  litterarum,  Paris,  1600;  Eu- 
cherius  (de  Lyon),  De  formulis  spiritualis  inteUigentix  liber  ad  Vera- 
nium;  Junilius  (d'Afrique,  sixième  siècle),  De  partibus  divinse  fegis 
libri  duo  ad  Primasium  episcop.,  apud  Gallandii,  Bibl.  PP.;  Isidore 
de  Séville,  Liber  (ivoirin,  in  V.  et  X.  T.  iniiiationis;  Raban-Maur, 
De  institutions  clericorum;  Hainion,  évêque  de  Hàlberstadt  (853),  Histo- 
ria  sacra;  etc.  En  général,  pour  l'histoire  de  la  Bible  au  moyeu  âge, 
voir  :  Ed.  Reuss,  Fragments  littéraires  et  critiques  sur  l'histoire 
de  la  Bible  française,  dans  la  Revue  de  Théol.  de  Strasbourg,  lre  série. 
11  suffit  de  rappeler  ici  :  Nicolas  de  Lyra,  Postillœ  perpe&uœ  s.  commen- 
tariu  lireria  in  universà  biblia;  Santés  Pagninus,  Isagoge  ad  sacras  litteras, 
Lugd.,  1536;  A.-B.  Carlstadt,  De  canonicis  scripturis  libellas,  Wittenb., 
1520,  réédité  par  Credner,  Zur  Geschichle  des  Canons,  p.  291  s?.; 
Sixtus  de  Sienne,  dominicain,  Ribliotheca  sancta,  Yenet.,  J5CC;  André 
Rivet,  Isagoge  s.  lntroductio  generalis  ad  SS.  V.  etN.  T.,  Lugd.  Batav., 
1027;  .1.  de  La  Haye,  Prolegomena  in  V.  et  N.  T.,  dans  sa.  Bib lia  maxima, 
1660;  Michel  Walther,  Officina  biblica  noviter  adaperta,  Lips.,  1636; 
Heidegger,  Enchiridion  biblicum,  Tiguri,  1681;  B.  Lamy,  Apparatus bi- 
blicus,  Lugd.,  1696;  Ellies  du  Pin,  Xouv.  Biblioth.  des  auteurs  ecclésias- 
tiques, dissertation  préliminaire,  Paris,  1693  ;  Rich.  Simon,  Histoire  criti- 
que du  texte  du  X.  T.,  Paris,  1689;  Histoire  critique  des  versions  du  X. 
T.,  ibid,,  1690;  Histoire  critique  des  principaux  commentateurs  du  N. 
T..  1693.  Nouvelles  observations  sur  le  texte  et  les  versions  du  Nouveau 
Testament,  1695;  Disquisitiones  critic<r,  Lond.,  1684,  et  plusieurs  autres 
traités  de  controverse  ;  J.  Leclerc,  Sentiments  de  quelques  théolog.  de 
Hollande  (contre R.  Simon),  Amsterdam,  1685;  Historia  Ecclesiœ duorum 
primorum  sxculor.,  Amstelod.,  1716  ;  DomCalmet,  Comment,  littéralsur 
la  Bible,  Paris,  1707-24;  A.  Calovius,  Criticus  sacer Biblicus,  Vit.,  1673  ; 
A.  Pfeiffer,  Ci  itica  sacra,  Lugd.,  1680;  Brian  Walton,  Appaiatus  bibli- 
cus chronologico-topographico-philologicus,  appendice  à  la  Polyglotte  de 
Londres,  imprimé  à  part  à  Zurich,  1673  ;  Semler,  Abhandlungen  von 
freier  Untersuchung  des  Canons,  Halle,  1771  ;  J.-D.  Michaëlis,  Einleitung 
in  die  gœttliclien  Schriften  des  X.  T.,  Gœttingue,  1750;  4e  éd.,  1788; 
traduit  en  fr.  par  Chenevière,  Genève,  1822;  H.-C.-A.  Hœnlcin,  Hand- 
buch  der  Einleitung  in  die  Schriften  des  N.  T.,  Erl.,  1794;  J.-E.-Ch. 
Schmidt,  Historisch-kritische  Einleitung  ins  N.  /'.  ;  J.-G.  Eichhorn, 
Einleitung  ins  N.  T.,  Gœtt.,  1804;  L.  Bertholdt,  Einleitung  in  die 
sœmmtlichen  kanon.  und  opocr.  Schriftendes  A.  und  N.  T.  1812,  1819; 
H. -A.  Schott,  Isagoge  historico-cr itica  in  libros  X.  T.,  1830;  de  Wette, 
Lehrbuch  der  hist.  krit,  Einleitung  in  die  liibel  A,  undN.  T.,  lre  édit., 
1<S17:  7  édit.,  1852;  Schleiermacher,  Einleitung  ins  X.  T.,  aus  Nach- 
lasse,  1845;  J.-L.  Hug,  Einleitung  in  die  Schriften  des  X.  T.,  1808 
et  1826;  J.-M.-A.  Scholz,  Einleitung  in  dieheil.  Schriften  des  A.  und  X. 
T.,  1845;  J.-B.  Glaire,  Introduction  hist.  et  rrit.  aux  Unes  de  l'A.  <•!  du. 
X.  T..  Paris,  1843;  \\ .  Steiger,  Introduction  générale  aux  livres  du  Y. 
T.,  Genève,  1837,  édit.  par  A.  Bost  ;  J.-E.  Cellerier.  Essai  (l'une  Inlrc- 
duction  critique  au  N.  T.,  Genève,  1823  ;  ft.-E.-F.  Guerike,  lltstor. 
krilische  Einleitung  in  dos  X.  T.,  1843;    K.-A.  Credner,    Einleitung  in 


600  CANON  —  CANONISATION 

das  N.  T.,  1836;  Zur  Geschichte  des  Canons,  1847;  Geschichte  des  N. 
T.  Canons,  her.ggben.  von  Yolkmar,  1800;  Ed.  Reuss,  Die  Geschichte 
der  heil.  Schriften  N.  T.,  lre  édit.,  1842;  4e  édit.,  1864;  Histoire  du 
Canon  des  saintes  Ecritures,  Strasb.,  1864  ;  Gaussen,Ze  Canon  des  saintes 
Ecritures,  Lausanne,  1860  ;  Théopneustie  ou  inspiration  plénière  des 
saintes  Ecritures,  2e  édit.,  Paris,  1842  ;  F.  Bloek,  Einleitung  in  das  N.  T., 
1862;  A.  Maier,  Einleitung  in  die  Schriften  des  N.  T.,  Freiburg,  1852; 
F.  Reithmayer,  Einleitung  in  die  kan.  Bûcher  des  N.  T.,  Regensb., 
1852;  Schneckenburger,  Beitrœge  zur  Einleitung  ins  N.  T.,  1832; 
H,  Olsbausen , Nachweis dersEchtheit der  sœmmtlichen  Schriften desN.  T. , 
1832;  C.-G.  Neudecker,  Lehrbuch  der  hist.  krit.  Einleit.  in  das  N.  T., 
Leipz.,  1840;  Michel  Nicolas,  Etudes  critiques  sur  la  Bible.  Nouveau 
Testament,  Paris,  1863  ;  S.  Davidson,  An  Introduction  to  the  study  of 
the  JS.  T.  critical,  exegetical  and  theological,  London,  1868;  Ed.  Reuss, 
La  Bible,  traduction  nouvelle  avec  introductions  et  commentaires, 
Paris,  1874  ss.  Voir  enfin,  pour  une  bibliographie  plus  complète  : 
WÎDer, Uandbuch  der  theologischen  Litteratur,  2  vol.,  3e  édit.,  Leipzig, 
1838.  .  A.  Sabatiek. 

CANONICAT.  Voyez  Chanoines. 

CANONISATION.  Ce  mot  signifie  proprement  insérer  clans  le  canon  àt 
la  messe,  c'est-à-dire,  selon  l'étymologie  du  mot,  dans  la  partie  de  la 
liturgie  qu'il  est  de  règle  invariable  (xavcov)  de  prononcer  textuelle- 
ment toute  Tannée,  et  qui  renferme,  outre  ce  que  Ton  appelle  la  Mé- 
moire des  vivants  et  la  Mémoire  des  morts,  en  faveur  de  qui  Ton  inter- 
cède, rénumération  des  saints  et  des  esprits  glorifiés  aux  mérites  et 
aux  prières  desquels  le  prêtre  recommande  les  fidèles.  On  sait  que  cha- 
que Eglise  honore  plus  particulièrement  tel  saint  ou  tel  patron  ;  d'où  il 
suit  qu'outre  les  intercesseurs  revendiqués  par  toutes  les  Eglises,  comme 
la  Vierge,  les  archanges  et  les  apôtres,  chaque  congrégation  peut  avoir  sa 
liste  préférée  de  saints  invoqués  au  canon.  11  arriva  plus  d'une  fois 
dans  les  anciens  âges  que  de  la  Mémoire  des  morts,  un  nom  passât  au 
catalogue  voisin,  surtout  quand  il  s'agissait  de  quelque  puissant  protec- 
teur d'une  Eglise  particulière.  C'est  ainsi  que  les  premières  dynasties 
françaises  et  les  évêques  de  leur  temps  comptèrent  tant  de  saints,  et 
que,  de  tous  les  saints  vénérés  en  Bretagne,  à  peine  deux  ou  trois  ont 
une  canonisation  plus  authentique  que  cette  ancienne  coutume  d'in- 
sérer un  nom  au  canon,  sans  autre  formalité  que  le  bon  vouloir  d'un 
évoque  et  parfois  même  d'un  simple  officiant.  Les  archevêques  métro- 
politains et  les  primats  exercèrent  longtemps  ce  droit  sans  conteste.  La 
première  canonisation  prononcée  par  un  pape  est  celle  d'un  saint 
Suvlbert,  par  Léon  III,  en  804,  ou,  selon  d'autres,  celle  de  saint  Uldric, 
évêque  d' Augsbourg,  par  Jean  XV,  en  983  ;  mais  ce  ne  fut  que  longtemps 
après  que  ce  droit  fut  réservé  exclusivement  au  saint-siége.  Alexan- 
dre III  (1159-1181),  insistant  sur  ce  que  nul  ne  peut  être  vénéré  comme 
saint  sans  l'autorité  de  l'Eglise  romaine,  se  plaignait  amèrement  de  ce 
que  quelques-uns  rendaient  un  culte  à  un  homme  qui  avait  été  tué  dans 
l'ivresse,  ce  qui  montre  que  J'abus  était  loin  d'être  anéanti.  Pendant 
longtemps  les  papes  prononcèrent  les  canonisations  dans  les  conciles 


CANONISATION  —  CANONS  607 

ou  dans  des  assemblées  distinctes  des  réunions  pour  le  service  divin  : 
depuis  celle  de  Thomas  Beckel  (1172),  ils  le  liront  en  lisant  le  canon  de  la 
messe.  11  si'  tonna  peu  à  peu  sur  ce  sujet  un  cérémonial  extrêmement 
compliqué,  rédigé  dès  1348 et  imprimé  sons  Léon  X.  Le  cardinal  Lam- 
bertini,  depuis  Benoit  XIV.  a  donné  tous  les  détails  de  la  procédure  et 
des  rites  qui  préparent  la  canonisation  dans  son  ouvrage  intitulé:  De 
beatificatione  servorum  Dei,  et  canonizatione  beatorum.  La  canonisation 
est  pour  ainsi  dire  le  troisième  et  dernier  degré  (Tune  série  d'honneurs 
rendus  à  la  mémoire  d'un  saint  personnage.  Le  premier  est  de  le  dé- 
clarer vénérable^  après  quoi  Ton  ne  peut  plus  douter  qu'il  ne  soit  ait 
nombre  des  élus,  et  le  second  est  de  le  déclarer  bienheureux.  La 
béatification  autorise  déjà  à  lui  rendre  un  culte  religieux,  et  la  canonisa- 
tion la  complète  à  un  intervalle  plus  ou  inoins  éloigné.  Les  canonistes 
deLEgUse  romaine  ne  doutent  pas  que  ces  diverses  procédures  ne  soient 
entourées  de  toutes  les  garanties  désirables  pour  ne  canoniser  qu'à  bon 
escient.  11  est  à  regretter  que  le  respect  des  droits  acquis  n'ait  pas 
permis  de  réviser  les  titres  antérieurs  à  ces  minutieux  règlements,  les 
précautions  actuelles  ne  supprimant  pas  l'effet  toujours  subsistant  des 
nombreux  abus  du  passé.  P.  Rouffet. 

CANONS  APOSTOLIQUES.  Ce  nom  est  traditionnellement  donné  à  un  re- 
cueil de  lois  ou  de  règles  formant  une  espèce  de  code  disciplinaire 
destiné  à  régler  le  choix,  l'institution,  les  fonctions  et  la  vie  du  clergé, 
de  l'ancienne  Eglise.  Les  laïques  n'y  figurent  que  tout  à  fait  subsidiai- 
rement.  La  simple  lecture  suffit  pour  montrer  que  cette  collection  ne  doit 
son  origine  qu'au  hasard,  pour  ainsi  dire.  Il  serait  difficile  d'y  recon- 
naîtreun  ensemble  méthodique  ou  systématique,  et  surtout  quelque  peu 
complet,  de  préceptes  sur  la  matière.  Nés  du  besoin  du  moment,  ces 
articles  doivent  avoir  été  rédigés  à  des  époques  très-différentes  et  sous 
des  conditions  très-diverses.  On  y  voit  que  l'organisation  de  l'Eglise  est 
déjà  une  chose  accomplie;  ce  n'est  pas  là  ce  dont  ils  s'occupent,  leur 
but  est  plutôt  de  l'affermir  et  de  îa  garantir  contre  certains  désordres 
provenant  des  abus  ou  des  vices  des  hommes.  On  y  voit  une  société 
religieuse  qui  est  moins  dans  le  cas  de  se  défendre  contre  un  ennemi 
du  dehors,  que  contre  les  dangers  et  les  dérèglements  qui  surgissent 
dans  son  propre  sein  et  au  milieu  des  membres  du  clergé  même.  On 
y  voit  la  hiérarchie  déjà  développée  à  tous  ses  degrés,  depuis  le  métro- 
politain, l'évêque,  le  presbytre  et  le  diacre  jusqu'aux  ordres  inférieurs 
•  le-  sous-diacres,  des  chantres  et  des  lecteurs.  Les  points  principaux  qui 
tout  l'objet  de  ces  dispositions  sont  :  la  consécration  des  éveques  et 
des  clercs,  les  conditions  de  leur  élection  et  les  irrégularités  qui  em- 
pêchent  leur  admission  ;  le  maintien  de  la  discipline  et  la  répression 

vices  parmi  les  membres  du  clergé;  le  mariage  <\e>  prêtres  et  le 
célibat;  les  formes  judiciaires  à  suivre  à  leur  égard;  l'excommunica- 
tion -.  les  biens  de  l'Eglise  et  leur  administration  ;  la  réunion  des  synodes  : 

•app  irts  avec  l'autorité  séculière;  les  hérétiques  :  les  pénitents  ;  les 
objets  du  culte  ;  l'administration  du  baptême  ;  les  oblations;  les  jeûnes  : 
l'époque  de  la  fête  de  Pâques;  le  canon  de  la  Bible;  les  pseudépigra- 
phes  et  les  livrer  défendus. —  Primitivement  ces  canons  formaient  un 


608  CANONS  —  CANOVA 

appendice  du  huitième  livre  des  Constitutions  apostoliques  (voy.  cet 
article).  Ils  étaient  originairement  au  nombre  de  50.  Dans  les  éditions 
ordinaires  on  en  trouve  85.  Mais  les  35  derniers  canons  ne  sont  qu'une 
addition  postérieure,  et  l'Eglise  d'Occident  ne  les  a  jamais  reconnus 
comme  authentiques.  Le  nom  de  canons  apostoliques  indique  suffi- 
samment que  dans  les  premiers  temps  où  ces  règlements  vinrent  à  être 
connus  dans  l'Eglise,  l'opinion  reçue  les  faisait  remonter  aux  apôtres. 
Mais  la  divergence  qui  se  manifesta  dès  le  commencement  entre  l'Eglise 
d'Occident  et  l'Eglise  d'Orient  sur  l'authenticité  d'une  partie  du  re- 
cueil, montre  que  l'on  n'était  pas  bien  fixé  sur  l'origine  de  ces  articles 
en  général.  Aussi,  en  494,  un  concile  romain  sous  Gélase  déclara  apo- 
cryphe tout  le  livre  désigné  sous  le  nom  du  Droit  apostolique,  sans 
qu'on  sache  quelles  furent  les  raisons  qui  amenèrent  cette  décision,  qui 
cependant  n'empêcha  pas  Denys  le  Petit  de  traduire  en  latin  les  50  pre- 
miers canons  comme  authentiques.  Ce  recueil  devint  ainsi  le  premier 
fondement  du  droit  et  de  la  législation  canonique  de  l'Eglise  romaine. 
L'Eglise  d'Orient  de  son  côté  accorda  une  entière  autorité  aux  85  ca- 
nons qui  peu  à  peu  avaient  été  réunissons  le  nom  des  apôtres.  Le  con- 
cile du  Trullus,  que  Justinien  II  convoqua  en  692  et  qui  prit  son  nom 
de  la  salle  du  palais  impérial  de  Byzance  où  il  s'assembla,  sanctionna 
solennellement  cette  tradition  de  l'origine  et  de  l'autorité  apostolique 
de  ces  85  canons.  Le  savant  ministre  de  Gharenton,  Jean  Daillé,  fut  le 
premier  à  soutenir! 'inauthenticité  des  canons  apostoliques,  forgés  selon 
lui  par  un  faussaire  du  cinquième  siècle.  Beveridge  chercha  à  prouver 
qu'ils  étaient  sortis  des  décisions  des  synodes  du  deuxième  et  du 
troisième  siècle,  et  que  dès  cette  époque  ils  furent  réunis  en  un 
code  destiné  à  servir  de  règlement  disciplinaire  commun  aux  Eglises 
d'alors.  Mais  il  est  établi  aujourd'hui  qu'il  n'existe  pas  de  trace  cer- 
taine de  l'existence  de  la  collection,  antérieurement  au  décret  du  pape 
Gélase  en  494.  Quelques-uns  de  ces  canons  peuvent  remonter  plus  haut, 
mais  il  est  sur  que  la  plupart  n'appartiennent  qu'à  des  synodes  du 
quatrième  siècle.  — Voyez:  Eichhorn,  Grundsxtze  des   Kirchenrechts, 

1831,  I,  p.  63;  Bickell,  Gesck.  des  Kirchenrechts,  Giessen ,  1843,  p.  5; 
Krabbe,  Diss.  de  codice  canonum  qui  Apostj/or.  nomine  circumferuntur , 
Gott.,  1829;  Richter,  Lehrb.  des  A'irchewechts,  von  Dove,  Leipz.,  1867, 
p.  50;  Drey,  Neue  Unters.  ûh  die  Conslitut.  u.  Kanones  der  Ap.,  Tub., 

1832.  Le  texte  fut  publié  entre  autres  par  Cotelier,  Patrum  quitemporîb. 
Apost.  floruer.  Opéra,  Amst.,  1724,  I;  Bruns,  Canones  Ap.  et  ConciL,  1, 
Berol.,  1839;  Lagarde,  Reliquias ;  Pitra,  Juris  eccl.  Grœcor.  hist.  et 
monum.,  Rom.,  1864,  I.  E.  Cunitz. 

CANONS  DE  L'ÉGLISE.  Voyez  Décrétâtes. 

CANOVA  (Antoine)  [175.-1822],  sculpteur  vénitien,  sut  allier  avec 
bonheur  l'imitation  de  la  nature  avec  les  beautés  empruntées  à  l'art 
antique.  11  purifia  la  sculpture  du  sentimentalisme  affecté  et  prétentieux 
dans  lequel  elle  était  tombée  au  dix-huitième  siècle.  Canova  a  traité  de 
préférence  des  sujets  pris  dans  la  mythologie  grecque.  Sa  Madeleine, 
n'étaient  les  emblèmes  chrétiens  dont  elle  est  entourée,  rentre  dans  la 
même  catégorie.  Il  excellait  à  reproduire  dans  le  marbre  l'élégance, 


CAXOVA  -  CANTIQUE  DES  CANTIQUES  G09 

le  poli  et  le  moelleux  des  formes  féminines.  Les  figures  décoratives 
du  mausolée  «le  Clément  XIII,  dans  la  basilique  <le  Saint-Pierre,  el 
de  celui  de  Clément  V/I  ,  dans  L'église  des  Saints-  Apôtres,  manquent  de 
vigueur.  La  statue  de  Washington  qu'il  lit  pour  le  sénat  de  la  Caroline, 
comme  ses  Gladiateurs  romains  et  sou  Persée,  dans  le  musée  du  Vati- 
can, a  quelque  chose  de  théâtral.  Canova  vivait  à  Rome  depuis  1771), 
L'ami  el  l'hôte  des  papes.  Bonaparte  l'appela  plusieurs  t'ois  à  Paris  et 
L'Institut  le  nomma  membre  associé.  —  Voyez  sa  Biograpliie  par  le 
comte  de  Cicognara,  Venise,  182o,  et  l'ouvrage  de  Quatremère  de  Quincy. 
Histoire  di'  la  vie  et  des  ouvrages  de  Canova,  Paris,  182'a-35. 

CANSTEIN  (Charles-Hildebrand,  baron  de)  [1007-1719],  disciple  zélé 
de  Spener,  descendait  d'une  des  plus  anciennes  familles  nobles  de  la 
.Marche  brandebourgeoise.  Après  avoir  étudié  le  droit  à  Francfort-sur- 
l'Oder  et  essayé  de  la  vie  de  la  cour  et  de  l'armée,  il  se  retira  dans  la 
vie  privée  pour  se  vouer  exclusivement  à  la  propagation  de  la  Bible, 
dont  le  piétisme  venait  de  remettre  la  lecture  en  honneur.  Intimement 
lié  avec  Francke,  qui  appréciait  sa  piété  profonde  et  ses  connaissances 
solides,  Canstein  fonda  à  Halle  en  1710  un  Etablissement  biblique  des- 
tiné à  répandre  les  saintes  Ecritures  à  bas  prix  parmi  le  peuple. 
Les  fonds  furent  réunis  au  moyen  de  souscriptions  et  les  frais  dimi- 
nués par  l'usage  de  caractères  stéréotypes.  La  première  édition  du 
Nouveau  Testament  (texte  de  Luther  révisé  avec  soin),  in-12,  parut, 
en  1712,  et  fut  suivie,  du  vivant  seul  de  Canstein,  de  vingt-sept  autres, 
s'élevant  ensemble  à  100,000  exemplaires.  La  Bible  complète,  im- 
primée à  la  fois  dans  le  petit  format  in-12  et  dans  le  grand  in-8%  eut, 
dans  le  même  intervalle ,  seize  éditions  et  40,000  exemplaires.  A  la 
mort  de  Canstein,  son  établissement  biblique,  tout  en  conservant  le 
nom  de  son  fondateur,  fut  réuni  aux  autres  branches  des  fondations 
pieuses  de  Halle,  et  augmenté  d'une  imprimerie  et  d'un  dépôt  spécial. 
Aujourd'hui  il  fournit  plus  de  50,000  exemplaires  par  an.  Outre  la  Bible 
allemande,  on  imprime  à  Halle  des  traductions  en  langue  bohémienne 
et  polonaise.  Canstein  a  publié  aussi  une  Harmonie  et  Commentaire  des 
quatre  Evangiles,  1718,;  2e  édit.,  1727,  in-fol.  —  Voyez  :  Francke, 
Memoria  Cansteiniana,  1722;  Lange,  Biogr.  Canstein  s,  dans  l'édition 
publiée  par  lui  en  1740  d'une  biographie  de  Spener  par  Canstein;  Nie- 
meyer,  Gesch.  der  Canst.  Bibelanstalt  seit  tarer  Grûndung  bis  auf  diet 
gegenw.  Zeit,  Halle,  1827  ;  Bertram,  Gesch.  der  Canst.  Bibelanstalt, 
Halle,  1863  ;  Herzog,  Ucal-Encykl,  11. 

CANTIQUE  DES  CANTIQUES  [dur  ha-chirim],  c'est-à-dire  le  plus 
beau  des  cantiques;  l'un  des  livres  poétiques  des  Hébreux,  la  première 
des  cinq  Meghillôth.  II  se  lit  à  Pâques  dans  les  synagogues,  par  suite  de 
l'interprétation  traditionnelle  des  Juifs  qui  identifie  la  jeune  fille 
dont  il  est  question  dans  ce  livre  avec  la  nation  israélite  et  explique  le 
début  comme  une  allusion  à  la  sortie  d'Egypte.  Cet  ouvrage  fut  de  tout 
temps  une  croix  pour  les  interprètes.  Expliqué  allégoriquement  par  les 
rabbins,  qui  y  voyaient  l'histoire  du  peuple  d'Israël  depuis  la  sortie 
d'Egypte,  ou  même  depuis  Abraham  (Âben-Ezra)  jusqu'à  la  ruine  de 
Jérusalem  par  Nabukodonosor,  et,  depuis  Origène,  par  la  plupart  des 

h.  m 


610  CANTIQUE  DES  CANTIQUES 

Pères  de  l'Eglise,  des  scolastiques  et  des  réformateurs,  qui  y  voyaient 
l'union  de  Târne,  delà  partie  fidèle  du  peuple  d'Israël  avant  Jésus-Christ 
ou  de  l'Eglise  chrétienne  avec  Dieu  ou  avec  Jésus-Christ;  objetjde  scan- 
dale pour  ceux  qui  ne  pouvaient  souscrire  à  l'interprétation  allégorique 
(Théodore  de  Mopsueste,  Séb.  Châtillon,  Grotius,  Episcopius,  Richard 
Simon,  Leclerc,  Semler,  J.^D.  Michaëlis)  ;  considéré  comme  un  assem- 
blage d'un  plus  ou  moins  grand  nombre  de  chants  d'amour  sans  lien 
entre  eux  par  Richard  Simon,  Herder,  Eiclihorn,  Bleek,  etc.,  ce  livre  ne 
commença  à  être  compris  que  le  jour  où  le  pasteur  allemand  J.  C.  Ja- 
cobi  émit  l'idée -que  la  jeune  femme  du  Cantique  aimait  un  autre  que 
Salomon  (Das  durcheine  leichte  und  ungekùnstelte  Erklœrung  vonseinen 
Vorwùrfen  gerettete  Bohelied,  1771).  Cette  idée  fut  adoptée  et  appliquée 
d'une  manière  de  plus  en  plus  exacte  par  Fr.  von  Ammon,  Staeudlin, 
Umbreit  (1820)  et  Ewald  (1826).  L'interprétation  d'Ewald  est  la  meil- 
leure qui  ait  été  proposée  jusqu'ici.  Elle  présente  cependant  quel- 
ques difficultés  très-sérieuses.  Pour  échapper  à  ces  difficultés,  Bcetcher, 
Hitzig,  M.  Renan  ont  supposé,  contre  toute  vraisemblance,  que  le  ber- 
ger aimé  de  la  jeune  tille,  *et  même  quelques  autres  personnages  pa- 
raissent plusieurs  fois  sur  la  scène,  dans  le  palais  de  Salomon  ;  et  elles 
ont  paru  si  graves  à  Delitzsch  qu'il  a  repoussé  comme  insoutenable 
Y  hypothèse  du  berger  (1851).  Mais  l'hypothèse  contraire  (que  la  jeune  fille 
aime  Salomon)  offre  des  difficultés  bien  plus  considérables  encore, 
tandis  qu'il  suffit  d'apporter  quelques  modifications  à  l'interpréta- 
tion d'Ewald  pour  l'élever  au-dessus  des  objections  qu'on  lui  oppose. 
—  Voici  donc  comment  nous  comprenons  le  Cantique  des  cantiques.  C'est 
un  drame  en  cinq  actes,  qui  montre  comment  une  jeune  tille  du  village 
deSulem  (ou  Sunem),  danslenordde  la  Palestine,  amenée  dans  leharem 
de  Salomon,  sut  se  faire  respecter  de  ce  monarque,  demeura  fidèle  au 
jeune  berger  qu'elle  aimait,  et  obtint  enfin,  par  sa  résistance  courageuse 
et  prolongée,  d'être  renvoyée  auprès  de  ses  parents.  Les  deux  premiers 
actes  et  le  quatrième  se  terminent,  et  les  deux  autres  commencent  de  la 
même  manière.  Le  premier  acte  s'étend  jusqu'à  II,  7  ;  le  deuxième  de 
là  à  III,  5  ;  le  troisième  de  là  à  V,  1  ;  le  quatrième  de  là  à  VIII,  4  ;  le 
cinquième  embrasse  les  dix  derniers  versets.  Au  premier  acte,  on 
voit  Salomon  dans  son  harem,  au  milieu  de  ses  aimées,  qui  lui  témoi- 
gnent leur  amour  dans  des  chants  voluptueux.  Une  jeune  fille 
qu'elles  nomment  la  Sulammùe  (VII,  1),  et  qui  y  a  été  introduite 
par  surprise,  comme  on  l'apprend  plus  tard  (VI,  11,  12),  s'étonne 
d'abord  d'être  l'objet  des  caresses  du  roi  (v.  2a),  puis  comprend 
tout  à  coup  où  elle  se  trouve  (v.  4  ab),  et  pour  décourager  les 
entreprises  de  Salomon,  déprécie  sa  beauté  qu'elle  voit  admirée  de 
ses  compagnes,  et  déclare  que  son  cœur  n'est  pas  libre,  qu'elle  aime 
un  berger  de  son  pays  (v.  5  7).  Les  aimées  se  moquent  de  sa  naï- 
veté. Salomon  affecte  de  ne  pas  comprendre  et  loue  sa  beauté;  mais 
à  tous  les  compliments  de  Salomon  elle  répond  clairement  qu'elle  en 
aime  un  autre,  et  supplie  les  jeunes  femmes  qui  l'entourent  de  ne  pas 
chercher  à  éveiller  dans  son  cœur  un  amour  impossible.  Le  deuxième 
acte  consiste  en  un  monologue  de  la  Sulammite,  qui  raconte  un  souvenir 


CANTIQUE  DES  CNATIQUES  611 

de  sa  vie.  Ce  récit  est  destinée  montrer  la  profondeur  et  la  pureté  de  son 
amour.  Un  matin  de  printemps,  celui  qu'elle  aime  était  venu  l'inviter 
à  une  promenade  matinale;  mais  obligée  par  ses  frères  d'aller  garder 
les  vignes,  elle  n'avait  pu  accepter,  et  lavait  seulement  assuré  de  son 
amour  en  rengageant  indirectement  à  revenir  le  soir.  Le  soir  il  n'était 
sans  doute  pas  revenu,  et  la  jeune  fille  inquiète  avait  rêvé  pendant  la 
nuit  qu'elle  se  levait  pour  le  chercher  par  la  ville,  qu'elle  le  trouvait  et 
I  "amenait  (détail  d'une  exquise  délicatesse)  dans  la  chambre  de  sa  mère. 
Après  un  tel  récit  les  aimées  doivent  comprendre  combien  ilest  inutile 
d'essayer  d'éveiller  en  son  cœur  un  autre  amour.  Le  troisième  acte 
représente  le  mariage  de  Salomon,  non  avec  la  Sulammite,  comme 
Tout  cru  tous  les  interprètes,  excepté  Hitzig  (dont  l'opinion  n'est  du 
reste  pas  beaucoup  meilleure),  mais  avec  une  princesse  qui  vient  à 
lui  de  la  région  du  Liban  (IV,  S) ,  peut-être  avec  la  fille  de  Hiram,  roi  de 
Tyr,  que  Salomon  épousa  en  effet,  d'après  certains  historiens  phéni- 
ciens et  grecs   cités   par  Tatien  (Discows  aux  Gi*ecs,  37)  et  Clément 
d'Alexandrie  (Strom.,  I,  21),  et  dont  le  psaume  XLV  est  l'épithalame. 
Salomon  lui  adresse  sur  sa  beauté  la  plupart  des  louanges  qu'il  a  déjà 
adressées  ou  qu'il  adressera  à  la  Sulammite  dans  le  premier  acte  et 
dans  celui  qui  suivra.  Ces  répétitions,  qui  seraient  un  grave  défaut  lit- 
téraire s'il  s'agissait  de  la  même  personne,  contribuent  au  contraire  à  la 
beauté  et  à  la  profondeur  morale  de  l'ouvrage:  elles  montrent  combien 
est  vil  et  méprisable  l'amour  sensuel  et  polygame,  qui  prodigue  indif- 
féremment les  mêmes  flatteries  à  des  femmes  différentes.  Le  quatrième 
acte  est  l'acte  décisif,  et  c'est  pour  cela  qu'il  est  un  peu  plus  long  que  les 
autres.  Il  décrit  une  seconde  tentative  de  Salomon,  de  ce  même  Salomon 
qui  avait  «  soixante  reines,  quatre-vingts  concubines  et  des  aimées  sans 
nombre,  (VI,  8)  »  et  qui  venait  à  peine  d'épouser  une  nouvelle  princesse, 
pour  triompher  de  la  résistance  de  la  Sulammite. L'acte  s'ouvre  par  un 
récit  delà  jeune  fille,  qui  raconte  un  rêve  qu'elle  a  fait  :  elle  a  entendu 
la  voix  de  son  bien-aimé,  est  sortie  pour  le  chercher  par  la  ville.  Sur 
une  question  des  aimées  qui  l'écoutent,  elle  fait  une  description  enthou- 
siaste de  la  beauté  de  son  ami  et  déclare  qu'elle  lui  appartient,  comme 
il  lui  appartient  aussi  à  elle-même.  A  ce  moment  Salomon  entre  en 
scène   et  lui   répète   à  peu  près  les  mêmes  louanges  qu'il  adressait 
naguère  à  sa  nouvelle  épouse  (VI,   4-7;    cf.  IV,  1-3);  il  la  proclame 
plus  belle  <pie  toutes  les  femmes  de  son  sérail,  et  cela  de  leur  propre 
aveu  (v.  8-10).  La  jeune  fille,  volontairement  inattentive  aux  paroles 
du  roi,  rappelle  que  c'est  contre  son  gré  qu'elle  a  été  amenée  dans  le 
palais  (v.  11  et  12)  et  veut  s'en  aller.  Le  chœur  des  aimées  la  rappelle 
(VII,  1).  Les  quelques  pas  qu'elle  fait  pour  revenir  offrent  à  Salomon 
nouvelle  matière  à  compliments;  il  s'enhardit  au  point  de  prononcer 
des  paroles  inconvenantes  et  obscènes.   Mais  la   noble  jeune  tille  lui 
soupe  la  parole (VII,  10).  Salomon  définitivement  vaincu  se  retire,  et  la 
Sulammite  exhale  librement  son  amour  et  appelle  son  ami  absent. 
Convaincu  enfin  de  l'inutilité  de  ses  efforts,  le  roi  met  la  Sulammite  en 
liberté,  et  nous  la  voyons,  au   cinquième  et  dernier   acte,  revenir  à  la 
maison  paternelle,  appuyée  sur  le  bras  de  son  bien-aimé.   Au  momein 


612  CANTIQUE  DES  CANTIQUES 

où  ils  arrivent  à  la  porte,  ses  frères  s'entretiennent  ensemble  de  leur 
autre  jeune  sœur  et  manifestent  l'intention  de  la  récompenser  magni- 
fiquement si  elle  est  vertueuse,  mais  de  la  garder  soigneusement  si  elle 
ne  Test  pas.  La  Sulammitese  présente  tout  à  coup  devant  eux  et  déclare 
qu'elle  a  résisté  à  toutes  les  entreprises  de  Salomon.  Son  amant  la  prie 
déchanter  et  elle  répète  en  les  abrégeant  et  en  les  modifiant  un  peu  les 
paroles  par  lesquelles  elle  l'avait  indirectement  engagé  à  revenir  le  soir, 
le  jour  où  il  était  venu  l'inviter  à  une  promenade  matinale  qu'elle  n'avait 
pu  accepter  (cf.  II,  17). — Tel  est,  à  mon  avis,le  contenu  de  ce  drame  hau- 
tement moral,  puisqu'il  est  la  glorification  de  l'amour  pur,  désintéressé, 
fidèle,  et  puisqu'il   flétrit  énergiquement  le  vice  et  la  polygamie.  Les 
expressions  inconvenantes  qu'il  renferme  sont  mises  dans  la  bouche  de 
Salomon,  c'est-à-dire  du  séducteur,  et  ne  compromettent  pas  plus  la 
moralité  de  l'ouvrage  que  les  mots  :  «  Mangeons  et  buvons,  car  demain 
nous  mourrons  »  ne  prouvent  l'immoralité  d'Esaïe  ou  de  saint  Paul. 
Outre  de  nombreux  détails,  notre  interprétation  diffère  de  celle  d'Ewald 
principalement  en  ce  qui  concerne  le  troisième  acte.  Il  n'est  pas  admis- 
sible que  Salomon  ait  été  assez  insensé,  dans  l'intention  dupoëte,  pour 
vouloir  épouser  malgré  elle  une  jeune  fille  qui  lui  a  déclaré  nettement  dès 
le  premier  acte  qu'elle  en  aimait  un  autre,  et  pour  faire  tout  préparer  en 
conséquence.  On  ne  comprend  pas  non  plus  pourquoi  la  Sulammite 
aurait  été  emmenée  hors  du  palais  pour  y  être  aussitôt  ramenée  en 
grande  pompe.  Cette  erreur  en  a  produit  une  autre.  Comme  à  la  fin  de 
l'acte  l'épouse  répond  manifestement  aux  désirs  de  son  époux  (IY,  16) 
et  que  la  marche  générale  du  poëme  ne  permet  cependant  pas  de  sup- 
poser que  la  Sulammite  parle  ainsi  à  Salomon,  Ewald  a  été  conduit  à 
l'opinion   la  plus  étrange  :  il  met  tout  ce  dialogue  entre  l'époux  et 
l'épouse.  (IV,  8-V,  1)  dans  la  bouche  de  la  seule  Sulammite,  qui  répéte- 
rait dans  une  sorte  de  rêverie  des  paroles  qu'elle  croirait  entendre  pro- 
noncer par  son  ami  absent,  qui  lui  répondrait  elle-même  avec  amour 
et  se  livrerait  en  imagination  à  ses  désirs.  On  comprend  que,  plutôt  que 
d'admettre  une  telle  invraisemblance,  Hitzig, M.Renan,  etc.,  aient  pré- 
féré supposer  que  le  berger  paraissait  sur  la  scène  après  le  départ  de 
Salomon  et  tenait  directement  à  la  Sulammite  ces  discours  amoureux 
auxquels  elle  répond  si  tendrement.  Mais  cette   supposition  n'est  pas 
moins  invraisemblable  que  la  première   :   comment  croire  que   le 
berger  vienne  embrasser  sa  fiancée  dans  le  palais  de  Salomon  et  entre 
par  une  porte  au  moment  même  où  le  roi  sort  par  l'autre?  Non,  c'est 
bien    Salomon   qui   continue  à  exprimer  son   amour  à  sa  nouvelle 
épouse,  laquelle  se  soumet  à  ses  désirs.  L'épouse  du  troisième  acte  ne 
peut  donc  pas  être  la  Sulammite.  Delitzsch,  dont  l'opinion  a  été  adoptée 
par  Zœckler,  soutient  que  la  Sulammite  aime  Salomon,  qui  l'épouse  au 
troisième  acte  et  finit  par  être  converti  par  elle  à  la  monogamie.  Mais 
la  fausseté  de  cette  interprétation  éclate  à  chaque  pas.  Comment  croire 
que  dès  la  fin  du  premier  acte  (qui  n'est  pas  long)  cette  pure  et  fière 
jeune  fille  se  déclare  «  malade  d'amour  »  pour  Salomon,  qui  est  là  et 
qui   l'embrasse   en   présence   des   autres  aimées  ;    qu'elle  persiste  à 
prendre  Salomon  pour  un  berger  (I,  7),  même  après  son  mariage 


CANTIQUE  DES  CANTIQUES  613 

(VI,  2-3),  et  à  1»'  dépeindre  comme  sautant  sur  les  monts  et  les  collines 
(deuxième  acte)  et  venant,  peu  après  son  mariage,  frapper  à  sa  porte, 
la  chevelure  humide  de  rosée  (début  du  quatrième  acte);  qu'elle  quitte 
le  harem  pour  y  être  ramenée  aussitôt  en  grande  pompe,  au  troi- 
sième acte:  qu'elle  jette  des  regards  terribles  et  qui  le  troublent  à  celui 
qu'elle  aime  si  tendrement  (IV,  5),  et  qu'elle  lui  rende  tout  son  amour 
(lès  que  celui-ci  lui  a  tenu  un  langage  d  une  obscénité  révoltante?  Que 
signifient  les  allusions  du  dernier  acte  (VIII,  (>,  7,  10),  si  claires 
dans  l'hypothèse  du  berger,  etqui  résumentsi  bien  le  but  de  l'ouvrage, 
puisque  la  jeune  femme  n'a  eu  ni  offres  brillantes  à  refuser,  ni  tenta- 
tives audacieuses  à  repousser?  Enfin,  quel  dénouement  invraisem- 
blable !  Tout  le  monde  savait  bien  que  Salomon  était  mort  sur  le  trône 
en  polygame  invétéré  et  n'avait  pas  renoncé  à  toutes  "ses  autres  femmes 
pour  aller  vivre  au  village  avec  la  seule  Sulammite.  M.  Godet,  adoptant 
l'interprétation  d'Ewald  avec  quelques  modifications  qui  n'ont  pas 
pour  effet  de  l'améliorer,  a  essayé  d'y  faire  rentrer,  ou,  pour  mieux 
dire,  d'y  superposer  l'interprétation  allégorique  et  morale.  Au  lieu  de 
Salomon,  c'est  le  berger  qui  est  le  type  de  Jéhovah  :  Dieu  n'est-il  pas 
nommé  fréquemment  dans  l'Ecriture  le  Berger  d'Israël  ou  des  fidèles? 
La  Sulammite  représente  l'Israël  selon  l'esprit,  qui  aime  Jéhova,  mais 
que  Salomon,  personnification  de  la  royauté,  cherche  à  éblouir,  à 
fasciner,  comme  il  a  déjà  fasciné  l'Israël  charnel,  représenté  par 
les  aimées  ou  filles  de  Jérusalem.  Les  frères  de  la  Sulammite  sont  les 
maîtres  que  Dieu  avait  donnés  à  Israël  avant  l'institution  de  la 
royauté  :  Samuel,  les  sacrificateurs,  les  lévites.  Le  poëte,  qui  n'est 
autre  que  Salomon,  d'après  M.  Godet,  a  voulu  exhorter  Israël  à 
ne  pas  se  laisser  séduire  par  l'éclat  et  les  brillantes  promesses  de 
la  royauté,  mais  à  demeurer  fidèle  à  Jéhova.  La  Sulammite  captive 
dans  le  palais  de  Salomon  représente  aussi  l'âme  fidèle  enfermée 
dans  la  prison  du  corps  et  aspirant  vers  Dieu.  Nous  regrettons 
de  ne  pouvoir  signaler  ici  les  nombreux  points  vulnérables  de 
cette  ingénieuse  hypothèse.  Comme  toutes  les  interprétations  allé- 
goriques, elle  vient  se  briser  contre  une  foule  de  textes  qu'elle  ne 
saurait  expliquer  raisonnablement.  Comment  imaginer  que  le  person- 
nage à  qui  la  jeune  fille  dit  des  paroles  comme  I,  7  ;  II.  17  ;  VII,  12  ; 
VII 1,  4,  etc.,  soit  la  personnification  de  Dieu  ?  Il  n'est  pas  probable  que 
Salomon  soit  l'auteur  d'un  poëmeoù  il  joue  un  rôle  si  peu  honorable; 
mais  ce  poème  est  certainement  fort  ancien,  quoique  plusieurs  critiques 
en  aient  placé  la  composition  pendant  ou  après  l'exil  (Eichhorn, 
Hosenmuller,  Umbreit,  Kœster,  Gesenius,  etc.),  ou  même  sous  la  domi- 
nation grecque  (Hartmann,  Graetz),  à  cause  de  certaines  particularités 
de  style  h  principalement  à  cause  des  mots  pardès  (IV,  13)  et 
appiryôn  (III,  l.)),  qu'on  a  dérivés,  le  premier  de  la  langue  perse, 
l<  second  du  grec  yopsTov,  par  lequel  les  Septante  l'onttraduit.  .Mais  de 
ces  deux  étymologies  la  première  est  douteuse  et  la  seconde  sans  vrai- 
semblance. La  puissance  de  l'inspiration  poétique,  les  traits  sous  les- 
quels <-st  dépeint  lé  règne  de  Salomon  et  qui  diffèrent,  <in  certains 
•nts,  des  liyres  historiques,  en  particulier  la  mention  de  la  ville  de 


614        CANTIQUE  DES  CANTIQUES  —  CANTORBÉRY 

Thirtsa  en  parallèle  avec  Jérusalem  (VI,  4),  indiquent  que  ce  drame  dut 
être  écrit  peu  de  temps  après  la  mort  de  Salomon,  probablement  dans 
le  royaume  des  Dix  Tribus  (Ewald,  Hitzig,  Renan,  etc.).  L'auteur 
des  neuf  premiers  chapitres  des  Proverbes,  qui  vivait  vraisemblable- 
ment environ  deux  siècles  plus  tard,  paraît  l'avoir  connu  et  lui  avoir 
emprunté  quelques  traits  pour  peindre  l'amour  conjugal  (V,  15  ss., 
cf.  Cant.  IV,  15)  et  l'amour  adultère  (VII,  17,  cf.  Cant.  IV,  14;  —  V,  3, 
cf.  Cant.  IV,  11)  ;  ce  qui  indique  sans  doute  qu'il  ne  l'entendait  point 
dans  un  sens  figuré.  Quand  il  fut,  longtemps  après,  admis  au  nombre 
des  écrits  sacrés,'  il  est  à  peu  près  certain  qu'on  n'en  comprenait  plus 
le  vrai  sens  et  qu'on  l'interprétait  allégoriquement.  LeTalmud  raconte 
qu'au  premier  siècle  de  notre  ère,  quelques  rabbins  ayant  émis  des  doutes 
sur  son  caractère  sacré  et  sur  celui  de  l'Ecclésiaste,  une  assemblée  de 
soixante-douze  docteurs  de  la  Loi,  réunie  à  Jabné,  vers  l'an  90,  décida 
que  ces  deux  livres  souillaient  les  mains,  c'est-à-dire  rendaient  impures 
les  mains  de  ceux  qui  voulaient  les  toucher,  en  un  mot  étaient  sacrés 
aussi  bien  que  tous  les  autres.  C'est  en  cette  circonstance  que  R.  Akiba 
s'écria  :  «  Le  monde  entier  n'est  pas  digne  du  jour  où  il  reçut  le 
Cantique  des  cantiques;  car  tous  les  Ketoubîm  sont  saints,  mais  le 
Cantique  des  cantiques  est  sacro-saint  »  (voy.  Delitzsch,  Commentai* 
zum  H.  L.,  1875,  Introd.,  p.  14  et  15).  Il  était  cependant  interdit  aux 
Juifs  de  le  lire  avant  l'âge  de  trente  ans  ;  mais  comme  le  premier  cha- 
pitre de  la  Genèse,  le  commencement  et  la  fin  des  prophéties  d*Ezé- 
chiel  étaient  frappés  de  la  même  interdiction,  il  est  probable  qu'elle 
n'avait  pas  été  inspirée  par  la  crainte  de  livrer  des  peintures  trop  pas- 
sionnées en  pâture  à  de  jeunes  imaginations,  mais  plutôt  par  la  pensée 
qu'avant  cet  âge  peu  d'hommes  eussent  été  capables  de  pénétrer  les 
mystères  renfermés  dans  ces  diverses  portions  de  l'Ecriture  (voy.  saint 
Jérôme,  Prsef.  ad  Ezech.).  On  trouvera  la  liste  des  nombreux  ouvrages 
publiés  sur  ce  livre  dans  les  diverses  Introductions  à  l'Ancien  Testa- 
ment et  dans  les  Commentaires,  surtout  dans  celui  de  Zœckler.  Voici 
les  plus  importants  :  Umbreit,  Lied  der  Liebe,  1820;  Erinnerung  an  das 
Hohe  Lied,  1839;  Ewald,  Das  H.  L.,  1826;  Dichter  des  Alt  en  Bundes, 
1866  ;  Hitzig,  Das  H.  L.,  1855  ;  Renan,  Le  Cantique  des  Cantiques,  1860  ; 
Godet,  Etudes  bibliques,  lre  partie  :  Ancien  Testament,  2e  éd.,  1873; 
Delitzsch,  Das  H.  Z.,1851;  Comment *ar  zum  H.  Z.,1875;  Zœckler,  Com. 
zum  H.  L.,  1868.  Les  deux  ouvrages  les  plus  récents  sont  celui  du  pro- 
fesseur catholique  Bernhard  Schaefer,  Das  H.  L.,  Munster,  1876,  qui 
défend  l'interprétation  ecclésiastique,  et  celui  de  Kasmpf,  Das  H.  L., 
Prague,  1877.  Ch.  Bruston. 

CANTIQUES.  Voyez  Chant  d'Eglise. 

CANTORBÉRY,  capitale  du  comté  de  Kent  en  Angleterre,  à  soixante- 
dix  kilomètres  Est  de  Londres,  est  le  siège  d'un  archevêché  dont  le 
titulaire  est  primat  d1  Angleterre.  Cette  ville,  une  des  plus  anciennes 
de  la  Grande-Bretagne,  a  joué  dans  l'histoire  de  ce  pays  un  rôle  assez 
important.  Ce  fut  sous  le  règne  d'Ethelbert,  en  k597,  que  le  christia- 
nisme y  fut  introduit  par  le  moine  Augustin  devenu  plus  tard  saint 
Austin.  Souvent  ravagée,  pillée  et  brûlée,  elle  se  releva  toujours  de  ses 


CANTORBÉBÏ  —  CANUT  IV  615 

ruines  et  vit  enfin  se  fixer  sa  prospérité  Lorsque,  sous  le  règne  d'Eli- 
sabeth, L'émigration  protestante  française  y  apporta  un  certain 
nombre  d'industries,  entre  autres  celle  de  la  soie.  Aujourd'hui  c'est 
encore  une  cité  industrieuse  où  Ton  trouve  des  manufactures  impor- 
tantes de  coton,  de  soie,  de  mousselines,  etc.  Elle  renferme  plusieurs 
édifices  remarquables,  mais  surtout  une  cathédrale  splendide  qui, 
après  avoir  subi  mille  vicissitudes,  a  été  l'objet  de  restaurations  consi- 
dérables et  offre  tous  les  styles  d'architecture  qui  caractérisent  les 
époques  écoulées  du  onzième  au  seizième  siècle.  C'est  dans  cette  cathé- 
drale que,  Le  21)  décembre  1170,  les  sicaires  du  roi  Henri  II  assassi- 
nèrent l'archevêque  Thomas  Becket.  L'archevêque  de  Cantorbéry, 
premier  pair  du  rovaume  après  les  princes  du  sang,  a  un  revenu  de 
'±80.000  francs. 

CANUS  (Melchior  Cano,  dit)  [1523-1560]  fut  un  des  plus  célèbres 
parmi  les  dogmaticiens  catholiques  du  seizième  siècle.  Né  à  Tarançon 
(Castille),  il  entra  dans  l'ordre  des  dominicains  et  professa  le  thomisme 
avec  éclat  à  Valladolid,oùilseposa  en  adversaire  de  l'illustre  Carranza, 
à  Alcala,  puis  à  Salamanque,  où  il  succéda  à  son  maître  Francisco  da 
Vittoria  et  enseigna  aux  côtés  de  Domingo  da  Soto,  son  ami.  Comme 
ce  dernier,  Canus  assista  au  concile  de  Trente;  il  fut  nommé  évêque 
des  Canaries  et  mourut  provincial  de  Castille.  L'œuvre  capitale  de 
Melchior  Cano  ne  parut  qu'après  sa  mort.  Ce  sont  les  célèbres. 
Loti  ///?o/o#?W(Salam.,  1563,  in-f°)  qui  comprennent  toute  la  théo- 
rie des  sources  de  la  doctrine  catholique  en  douze  livres.  L'Ecriture, 
l'autorité  de  l'Eglise,  la  tradition,  la  légende,  paraissent  tour  à  tour 
devant  son  tribunal,  et  sa  méthode  est  encore  la  scolastique.  Ce 
n'est  pourtant  pas  lui  qui  est  l'inventeur  du  mot  fameuxqu'ila  répété, 
et  dans  lequel  l'Ecriture  est  comparée  à  ce  nez  de  cire  que  chacun 
tord  à  son  gré.  Canus  a  de  grandes  sévérités  pour  la  légende,  il  ne 
craint  pas  d'appeler  l'auteur  de  la  célèbre  Léyende  Dorée,  pourtant 
dominicain  comme  lui,  «  bouche  de  fer  et  cœur  de  plomb.  »  Il  osa 
s'opposer  avec  acharnement,  au  nom  de  la  vieille  doctrine  catholique, 
à  l'ordre  naissant  des  jésuites,  auquel  il  eutla  hardiesse  d'appliquer  le 
nom  d1 Antéchrist.  Vis-à-vis  du  pape  lui-même,  le  dominicain  espagnol 
eut  certaines  libertés.  —  Les  œuvres  de  Canus  ont  été  imprimées  en 
dernier  lieu  à  Bassano,  par  Hyac.  Serry,  177(>,  in-4°. 

CANUT  IV,  second  iils  naturel  de  Suénon,  roi  de  Danemark,  avait 
donné  pendant  les  règnes  de  son  père  et  de  son  frère  aine  des  preuves 
d'une  piété  ardente  et  d'un  dévouement  sans  réserve  au  siégedeRome. 
Pour  s'affranchir  de  la  suprématie  d'Adalbert,  archevêque  de  Brème, 
H  de  L'influence  allemande.  Suénon  avait  engagé  avec  la  cour  de  Rome 
d.-  négo<  lations  auxquelles  Grégoire  V  répondit  favorablement  parce 
qu'il  espérait  trouver  dans  les  Etats  du  Nord  mi  appui  contre  l'empe- 
reur Henri  IV.  Canut  IV  alla  beaucoup  plus  loin,  ('leva  L'épiscopat  au 
rang  de  la  première  noblesse,  choisit  parmi  ses  membres  ses  juges  et 
ses  ministres,  soumit  à  sa  juridiction  exclusive  les  crimes  commis  par 
tes  prêtres  <'t  par  Les  moines  et  substitua  an  welirgeld  et  à  l'exil  les  pé- 

nitences  ecclésiastiques.  Ascète  rigide,  ne  vivant  que  de  légumes  et 


616  CANUT  IV  —  CANZ 

d'eau,  il  voulut  imposer  le  célibat  au  clergé  et  détruire  parla  force  les 
derniers  vestiges  du  paganisme  expirant.  Dévot  superstitieux  et  fana- 
tique, il  sut  pourtant  introduire  dans  ses  Etats  des  réformes  salutaires, 
adoucir  le  sort  rigoureux  des  nombreux  esclaves  chrétiens  anglo-saxons, 
jusqu'alors  traités  comme  un  vil  bétail,  et  favorisa  l'agriculture.  Dès  la 
première  année  de  son  règne,  en  1080,  il  entreprit  une  croisade  contre 
les  populations  païennes  de  la  Livonie,  mais  ses  victoires  n'aboutirent 
à  aucun  résultat  durable.  Le  peuple  avait  supporté  avec  impatience  les 
atteintes  portées  à  ses  antiques  coutumes  et  les  empiétements  rapides 
du  clergé,  bien  que  ce  christianisme  tout  extérieur  et  sacerdotal  n'eût 
eu  qu'une  bien  faible  action  sur  les  cœurs.  Mais  lorsque  Canut, 
poussé  par  les  exhortations  du  clergé,  voulut  introduire  la  dime,  les 
populations  accablées  d'impôts  se  révoltèrent.  Au  moment  où  le  roi  se 
préparait  à  s'embarquer  pour  défendre  contre  Guillaume  le  Conqué- 
rant les  droits  de  son  parent  Harold,  les  intrigues  et  l'or  du  roi  nor- 
mand semèrent  la  désunion  dans  les  rangs  des  coalisés  et  le  roi  de 
Norwége  refusa  de  marcher.  Canut  irrité  frappa  ses  alliés  infidèles 
d'une  forte  amende.  Comme  il  en  proposait  la  remise  contre  l'éta- 
blissement de  la  dîme,  ses  propres  sujets  se  soulevèrent,  firent  périr  les 
officiers  du  fisc  et  massacrèrent  le  roi  à  Odensée,  sur  les  marches  de 
l'autel,  dans  cette  même  église  Saint- Alban  qu'il  avait  fait  construire 
alors  qu'il  n'était  encore  que  prince  royal  (1086).  Sa  veuve,  fille  du 
comte  de  Flandre,  se  réfugia  dans  son  pays  natal  avec  son  fils,  laissant 
le  trône  à  Olaf,  troisième  fils  de  Suénon.  Ce  fils  de  Canut,  Charles, 
devenu  comte,  périt  assassiné  comme  son  père,  dans  l'église  de  Bruges 
en  1127.  Une  famine,  qui  sévit  sous  Olaf,  fut  considérée  comme  une 
punition  du  ciel  par  le  clergé,  dont  la  gratitude  fit  canoniser  Canut 
et  transforma  en  patron  du  Danemark  un  prince  dont  le  martyre 
profita  plus  à  Rome  qu'à  l'Evangile,  et  dont  la  piété  «  avait  plus  de 
flamme  que  de  lumière  ».  —  Voir  :  OElnothus  Cant,  De  vita  et  passione 
6'.,  1633,  in-4°;  Sysholm,  Programma  de  C,  1771,  in-8°  ;  Bircherod, 
K.  Knud  des   Heiligen   Historié,  1773.  A.  Paumier. 

CANZ  (Israël-Gottlieb),  né  en  1690,  professeur  de  théologie  à 
Tubingue,  fut  le  premier  qui  essaya  de  concilier  la  philosophie  de 
Wolff  avec  la  dogmatique  protestante.  Son  traité  Philosophiœ  leibnit- 
zianœ  et  wolftanx  usus  in  theologia  (1728)  fut  d'abord  interdît  à 
Tubingue  ;  mais  les  disciples  de  Wolff,  Reinbeck,  Bilfinger,  Ribow, 
etc.,  jouirent  bientôt  d'une  considération  qui  fit  lever  cette  défense. 
Canz  ne  songeait  pas  à  devenir  un  novateur  ;  il  n'aurait  rien  voulu 
publier  qui  fût  contraire  aux  saintes  Ecritures  ni  aux  livres  symboliques. 
Mais  il  estimait  que  vouloir  subordonner. la  vérité  obtenue  par  l'effort 
de  la  raison  à  la  vérité  révélée,  ce  serait  comme  si  l'on  prétendait  que 
l'eau  obtenue  en  creusant  la  terre  fût  la  servante  de  l'eau  tombée  direc- 
tement du  ciel.  Les  mystères  de  la  foi  ont  une  origine  surnaturelle  qui 
dépasse  le  domaine  de  la  raison  ;  mais  en  eux-mêmes  ils  ne  sont  pas 
contre  la  raison.  La  métaphysique,  avec  sa  forme  démonstrative,  est 
donc  utile  pour  fortifier  la  croyance  à  ces  mystères.  Toutefois,  malgré 
la  piété  de  l'auteur,  une  telle  méthode  tendait  à  conformer  la  doctrine 


OANZ  —  CAPHTHOR  617 

chrétienne  à  la  philosophie  régnante.  LeCompendiumtheologiae  parions, 

17."^,  paru!  lai  hic.  Du  reste,  le  premier  moment  une  fois  passé, 
L'influence  «le  Cani  ne  fut  pas  considérable.  11  mourut  en  1753.  — 
Voyez  l'art.  II  olff;  J.-J.  Moser,  Beitrag  zu  einem  Lexiconjetzt  lebender 
Theologen,  p.  LIS;  Boeck,  Gesch.  der  Umversttœt  Tubingen,  p.  L69. 

CAPERNAUM.  Le  nom  de  cette  ville  de  Galilée,  qui  fut  le  point  de 
départ  delà  prédication  évangélique,  n'est  pas  toujours  écrit  de  même. 
Le  plus  grand  nombre  des  manuscrits  du  Nouveau  Testament  donnent  le 
nom  de  kx-zpxzùj..  Les  plus  anciens  et  les  meilleurs  écrivent  Ka«papvaou{A 
ou  Kaçepvaoûpi  ;  Ptolémée,  Ka-apvao  j;j.  ;  en  hébreu  K  a  p  h  a  r  nachum, 
qu'Origène  traduisit  «  ville  de  consolation  »,  Jérôme,  «  ville  d'agré- 
ment »,  et  quelques  exégètes  modernes,  entre  autres  Wiseler,  ce  ville 
du  consolateur».  Toutes  ces  interprétations  sont  fort  invraisemblables. 
Les  mots  hébreux  signifient  simplement  village  de  Nahum,  qu'il  faille 
penser  au  prophète  galiléen  qui,  dit-on,  y  aurait  eu  son  tombeau,  ou  à 
un  autre  personnage  inconnu  du  même  nom.  Le  t'ait  est  que  Gapernaùm 
n'est  mentionné  nulle-part  dans  l'Ancien  Testament.  Peut-être  n'a-t-il 
été  bâti  qu'après  le  retour  de  l'exil.  A  l'époque  de  Jésus,  c'était  une 
ville  florissante,  aux  limites  des  territoires  deZabulon  et  de  Nephthali, 
sur  le  rivage  occidental  de  la  mer  de  Génézareth  (TrapaOaAsbs'.a, 
Matth.  IV,  13  ;  Jean  VI,  17),  non  loin  du  point  où  le  Jourdain  y  entre  et 
sur  la  route  commerciale  qui  allait  de  Damas  à  la  Méditerranée.  Cette- 
situation  y  avait  amené  l'établissement  d'une  douane  importante  et 
d'une  population  païenne  fort  nombreuse.  Les  environs  de  Gapernaùm 
n'étaient  pas  moins  favorisés.  La  culture  d'une  plaine  fertile,  arrosée 
par  des  sources  abondantes  dont  Josèphe  parle  souvent,  la  pêche  dans 
le  lac  occupaient  et  enrichissaient  les  habitants.  Ce  coin  de  la  Galilée, 
situé  à  l'ouest  et  au  nord  du  lac,  fut  le  théâtre  de  la  première  activité 
de  Jésus.  C'est  au  sein  de  cette  population  mêlée  qu'il  trouva  ses  pre- 
miers disciples;  c'est  dans  la  synagogue  de  la  ville,  sur  les  collines 
d'alentour  ou  sur  ce  rivage  du  lac  qu'il  se  fit  le  plus  souvent  enten- 
dre. La  dévastation  qui  a  passé  sur  tout  ce  canton  a  été  si  grande 
qu'on  n'y  retrouve  pas  même  des  vestiges  certains  de  cette  vie  du 
passé.  Eusèbe,  Jérôme  parlent  encore  de  Gapernaùm,  qu'ils  désignent 
tantôt  comme  une  ville,  tantôt  comme  un  village.  Ëpiphane  raconte  même 
qu'un  juif  converti,  nommé  Joseph,  obtint  de  Constantin  la  permission  d'y 
bâtir  une  basilique.  Ausixième  siècle, on  y  montrait  encore  lamaisonde 
saint  Pierre.  Mais  ni  les  vagues  indications  des  Pères  de  l'Eglise,  ni  les 
renseignements  plus  incertains  encore  de  quelques  pèlerins  du  moyen 
âge  ne  peuvent  nous  aider  à  la  retrouver.  Les  voyageurs  modernes  ont 
cru  découvrir  les  ruines  de  Gapernaùm  en  deux  endroits,  à  une  distance 
d'une  lieue  l'un  de  l'autre,  entre  lesquels  leurs  avis  se  sont  partagés. 
Les  uns  tiennent  pour  Tel  1-Hu  m  (Pocoeke,  Karl  Ritter,  Renan,  Ewald); 
les  autres  pour  Khan -Mini  eh  (le  franciscain  Quaresmus  au  dix- 
septième  siècle,  Robin  son,  Sepp,  etc.).  Guillaume  de  Tyr  parle  d'un 
autre  Gapernaùm,  port  sur  la  Méditerranée,  à  quelque  distance  de  Tyr. 

a.  Babatibb. 

CAPHTHOR  (Caphthôr;  Jér.  XL VII,  \;  Amos  IX,  7),  la  véritable 


618  CAPHTHOR  —  CAPISTRAN 

patrie  des  Philistins,  et  dont  les  habitants,  originaires  de  l'Egypte, 
sont  nommés  Caphthorim.  D'après Gen.X,  14,  les  Philistins  ne  seraient 
pas  les  descendants  des  Caphthorim,  mais  des  Casluchim,  leurs  proches 
parents,  ce  qui  serait  en  contradiction  apparente  avec  les  passages  ci- 
tés plus  haut.  Les  deux  indications  se  concilient  si  Ton  admet  que  les 
Philistins  qui,  dans  l'origine,  étaient  une  colonie  de  Casluchim,  établie 
sur  la  lisière  sud-est  de  la  Méditerranée,  entre  Gazzah  et  Pélusium, 
furent  renforcés  par  des  immigrants  de  Caphthor  et  agrandirent  leur 
territoire  en  expulsant  les  Haviens  (Deut.  II,  23;  Jos.  XIII,  3).  La  situa- 
tion de  Caphthor  n'est,  il  est  vrai,  indiquée  nulle  part  avec  précision; 
cependant,  d'après  Jér.  XL VII,  4,  c'était  une  ile.  Les  anciens  tra- 
ducteurs (LXX,  les  Chaldéens,  Vulgate)  y  ont  vu  la  Cappadoce,  c'est-à- 
dire  cette  province  de  l'Asie-Mineure  qui  s'étendait  primitivement  jus- 
qu'au Pont-Euxin.  Mais  la  parenté  linguistique  entre  les  Cappadociens 
et  les  Sémites  ne  saurait  être  démontrée  scientifiquement.  D'après  une 
ancienne  monnaie  phénicienne  (Lévy,  Phœnizische  Mùnzen),  Caphthor 
serait  l'ile  de  Chypre;  cette  hypothèse  repose  sur  une  erreur  absolue 
(Gesen,  Monum.  phœnicicd).  Caphthor  ne  saurait  donc  être  que  l'île  de 
Crète  (Ezéch.  XXV,  16;  Soph.  II,  5).  Cette  opinion  est  prouvée  par 

I  Sam.  XXX,  14  ;  2  Sam.  VIII,  18  ;  XV,  18  ;  XX,  7,  23.  A  l'époque  de  David 
et  de  Salomon  les  Créthi  et  les  Pléthi  (plat-hébreu  pour  Pelichthim) 
composent  la  garde  royaie.  Les  deux  parties  du  peuple  philistin,  les 
Caphthorim  et  les  Pelichthim,  se  fondirent  peu  à  peu  et  îe  premier 
des  deux  noms  disparut  dans  l'histoire  (voy.  Philistins). 

CAPISTRAN  (Jean  de).  Descendant  d'un  des  compagnons  de  Louis 
d'Anjou,  roi  de  Naples,  il  tira  son  nom  de  la  petite  ville  des  Abruzzes, 
où  il  naquit  en  1385.  Sa  première  carrière  fut  celle  du  droit  qu'il  étu- 
dia et  professa  ensuite  à  Pérouse,  où  son  mariage  l'avait  fixé.  Chargé 
de  négocier  la  paix  entre  cette  cité  et  le  roi  Ladislas,  il  fut  accusé 
d'avoir  favorisé  le  monarque  et  emprisonné  au  château  de  Bruffa,  où 
il  apprit  bientôt  la  mort  de  sa  femme.  Ces  revers  le  détachèrent  du 
monde.  Il  paya  sa  liberté  de  la  plus  grande  partie  de  ses  biens,  et  entra 
chez  les  franciscains.  Prédicateur  puissant,  réformateur  de  son  ordre, 
négociateur  habile,  il  fut  employé  dans  diverses  nonciatures  par  tous 
les  papes  de  son  temps.  Son  rôle  fut  considérable  au  concile  de  Flo- 
rence, quand  on  y  traita  de  la  réunion  des  grecs  aux  latins.  Mais  sa 
mission  la  plus  importante  fut  celle  dont  il  se  chargea,  en  qualité  de 
légat,  contre  les  hussites  de  Bohême,  de  Moravie,  de  Hongrie  et  de 
Pologne.  Il  remporta  contre  ces  précurseurs  de  la  Réforme  des  succès 
où  le  bras  séculier  aida  singulièrement  son  zèle  de  convertisseur.  Dans 
la  fameuse  guerre  d'Huniade  contre  Mahomet  II,  il  fut  le  prédicateur 
et  Tàme  de  cette  nouvelle  croisade,  s'enferma  dans  Belgrade  avec  le 
héros  hongrois  et  partagea  avec  lui  la  gloire  de  sa  délivrance  (1456). 

II  succomba  la  même  année  à  ses  fatigues.  Benoit  XIII  le  canonisa  en 
1724.  De  ses  nombreux  ouvrages  sur  le  droit,  la  théologie,  la  discipline 
et  la  casuistique,  un  seul  mérite  d'être  noté.  Dans  les  disputes  qui 
s'élevèrent  à  propos  de  la  translation  à  Florence  du  concile  de  Bâle,  il 
se  rangea  avec  éclat  dans  le  parti  qui  travaillait  déjà  à  élever  l'autorité 


CAPISTRAX  -  CAPITULÀIEES  619 

du  [tape  contre  celle  du  concile,  par  son  écrit  :  De  papx  et  conrilii sive 
Ecclesiœ  autoritate  (Venise.  1580,  in-4°).  Les  pins  grandes  audaces  de 
Capistran  n'approchent  pourtant  que  <le  loin  de  la  théorie  qui  a  fini 
par  prévaloir  dans  L'Eglise  romaine. 

CAPITON  (Wolfgang  Kœpfel),  l'un  des  trois  grands  réformateurs  de 
Strasbourg,  naquit  à  llagnenan  en  Alsace  en  H78.  Son  père  l'avait 
destiné  à  la  médecine,  mais  le  jeune  Kœpfel  ne  tarda  pas  à  embrasser 
la  carrière  théologique.  Il  lit  ses  études  à  Fribourg,  et  en  1512  il  fut 
appelé  par  l'évêque  de  Spire  à  Bruchsal.  C'est  là  qu'il  apprit  à  connaî- 
tre OEcolampade.  Mais  ce  fut  surtout  à  Bàle,  où  il  avait  été  appelé  par 
l'évêque,  qu'il  fut  entraîné  dans  le  mouvement  réformateur,  quoique 
sa  nature  timide  et  craintive  arrêtât  en  lui  le  développement  rapide  de 
ces  idées.  Il  s'était  déjà  rendu  célèbre  par  sa  grammaire  hébraïque 
(1516,  éd.  compl.  1518  et  1525)  et  par  quelques  autres  travaux  de  théo- 
logie, et  ces  mérites  lui  valurent  la  place  de  prédicateur  à  la  cour  de 
l'archevêque  de  31ayence.  Mais  il  ne  put  se  sentir  à  Taise  auprès  d'un 
prélat  qui  pratiquait  la  vente  des  indulgences,  et  mu  peut-être  aussi 
parles  reproches  que  lui  avait  faits  Luther,  il  quitta  son  poste  et  accepta 
la  prévôté  de  Saint-Thomas  à  Strasbourg  (1523).  Dans  cette  ville  la 
Réformation  avait  trouvé  en  Matthieu  Zell un  défenseur  intrépide;  l'at- 
titude de  ce  prédicateur  courageux  déplut  au  timide  Capiton,  qui  ren- 
gagea même  à  quitter  la  ville.  La  réponse  énergique  de  Zell  lit  de. 
Capiton  un  défenseur  zélé  et  intrépide  de  la  vérité.  Ses  opinions 
théologiques  étaient  celles  de  Bucer,  qu'il  assista  sans  cesse  dans  son 
ouvre  de  conciliation.  La  peste  l'enleva  déjà  en  1541.  Il  avait  été  le 
premier  prédicateur  évangélique  de  l'église  Saint-Pierre  le  Jeune.  La 
liste  des  œuvres  de  Capiton  se  trouve  clans  l'ouvrage  de  M.  Baum,  Ca- 
ptto  n,ul  Bucer  (Elberfeld,  1860).  Nous  avons  de  lui  quelques  ouvrages 
exégétiques  sur  Habacuc,  Osée,  beaucoup  de  brochures  théologiques, 
une  vie  d'UEcolampade,  etc. 

CAPITULAIRES.  Le  terme  de  capilularia  (ou  simplement  capitula)  peut 
désigner  d'après  son  étymologie,  et  a  en  effet  servi  à  désigner  toutes 
sortes  d'écrits  divisés  en  petits  chapitres  :  d'habitude  cependant  on  ne 
l'applique  qu'aux  actes  législatifs  et  administratifs  émanés  des  rois 
francs  des  deux  premières  races,  et  plus  spécialement  aux  ordonnances 
d'intérêt  public  de  Charlemagne  et  de  ses  premiers  successeurs,  rédi- 
gées d'ordinaire  avec  le  concours  des  grands  ecclésiastiques  et  laïques, 
et  promulguées  le  plus  souvent  dans  les  assemblées  nationales  des 
Francs.  Nos  collections  usuelles  de  capitulaires  contiennent,  il  est  vrai, 
une  multitude  «le  pièces  qui  n'ont  guère  ou  pas  du  tout  le  caractère  de 
lois,  et  qu'on  y  a  fait  entrer  soit  à  cause  de  leur  titre  officiel  de  capitu- 
laires, soit  à  cause;  de  leur  analogie  avec  des  monuments  qui  portent  ce 
nom  ;  mais  leur  Importance  est  secondaire  en  comparaison  de  celledes 
actes  législatifs  proprement  dits.  Aussi  nous  bornons-nous  à  indiquer 
qn  on  y  rencontre  des  notes  et  des  avant-projets,  des  rapports  et  des 
avis,  do  pétitions  et  des  formules  de  tout  genre,  des  traités  de  paix,  et 
des  prières  publiques,  des  instructions  données  aux  ambassadeurs  OU  à 
d'autres  fonctionnaires,  des  lettres  encycliques  des  rois  on  des  misse', 


620  CAPITDLAIRES 

des  décisions  sur  les  matières  les  plus  diverses  et  des  règlements  admi- 
nistratifs ou  même  purement  domestiques  (comme  par  exemple  le  fa- 
meux Capitulais  de  villis  de  Charlemagne,  relatif  à  l'exploitation  des 
terres  du  domaine  royal)  :  les  capitulaires  que  nous  aurons  principale- 
ment en  vue  dans  les  lignes  suivantes  sont  les  capitulaires  d'ordre  lé- 
gislatif, contenant  les  uns  des  additions  et  des  modifications  aux  anciens 
codes  nationaux  et  personnels  (leges)  des  différents  peuples  germani- 
ques réunis  dans  la  monarchie  franque,  les  autres  des  prescriptions 
nouvelles,  applicables  au  territoire  entier  de  l'empire.  Dans  l'un  comme 
dans  l'autre  cas,  l'autorité  législative  était  exercée  exclusivement  par  le 
souverain,  roi  ou  empereur;  c'est  lui  qui  ordonne  et  défend,  lui  qui 
réclame  pour  ses  prescriptions  l'obéissance  de  tous  et  à  perpétuité; 
quelquefois  il  se  sert,  pour  les  désigner,  des  anciennes  expressions  ro- 
maines d'edictum,  de  constitutio,  de  decretum.  Sans  doute  il  les  promul- 
guait généralement  dans  le  placite,  après  délibération  avec  ses  lidèles, 
et  les  changements  apportés  aux  lois  nationales  étaient  même  accompa- 
gnés de  formalités  plus  compliquées  encore,  parce  qu'on  soumettait  les 
nouvelles  dispositions  aux  assemblées  comtales,  pour  les  y  faire  corro- 
borer par  les  signatures  des  scabins  :  mais,  en  dépit  de  la  célèbre  dé- 
claration de  Charles  le  Chauve  :  Lex  consensu  populi  fit  et  constitutione 
régis  (Fdictum  pistense,  864,  c.  6),  le  consensus  populaire,  celui  du  placite 
même,  ne  jouaient  qu'un  rôle  fort  subordonné  dans  la  confection  des 
lois.  Jamais  ni  les  grands  ni  le  peuple  n'ont  eu  le  droit  de  vote;  l'adhé- 
sion qu'on  leur  demandait  avait  pour  but  de  constater  à  la  fois  la  pu- 
blication de  Pacte  par  le  roi  et  l'engagement  de  lui  obéir  pris  par  les 
sujets;  elle  n'était  donc  en  lin  de  compte,  du  temps  de  Charlemagne  sur- 
tout, qu'une  forme  de  notification  plus  solennelle,  et  l'on  s'en  passait  à 
l'occasion,  en  faisant  simplement  expédier  par  le  chancelier  des  copies 
du  nouveau  capitulaire  aux  fonctionnaires  publics,  missi,  évêques  ou 
comtes,  avec  ordre  de  les  publier  dans  leurs  circonscriptions  respecti- 
ves. Plus  tard  le  pouvoir  royal  a  eu  davantage  à  compter  avec  les  grands, 
et  nous  savons  que  plus  d'un  édit  de  Charles  le  Chauve  lui  a  été  imposé 
par  les  seigneurs;  mais  même  alors  la  vieille  théorie  persista,  et  d'après 
les  termes  des  capitulaires  le  roi  était  toujours  censé  légiférer  seul, 
quelquefois  sans  mention  aucune  d'un  assentiment  quelconque.  —  La 
nature  extrêmement  complexe  des  capitulaires,  la  variété  des  matières 
dont  ils  s'occupent,  la  diversité  de  leur  mode  de  promulgation,  en  ren- 
dent fort  difficile  le  classement  méthodique.  Au  neuvième  siècle  Ansé- 
gise  les  distinguait  d'après  leur  caractère  ecclésiastique  ou  laïque;  Ma- 
bly  opposait  les  capitulaires  législatifs  aux  règlements  provisionnels  ; 
de  nos  jours  on  a  insisté  sur  la  différence  entre  les  capitularia  specialia 
et  les  capitularia  generalia,  selon  qu'ils  se  rattachaient  aux  leges  parti- 
culières ou  s'appliquaient  à  tout  l'empire;  mais  toutes  ces  distinctions 
sont  plus  ou  moins  factices  :  une  foule  de  capitulaires  se  rapportent  à 
la  fois  au  temporel  et  au  spirituel;  il  n'est  pas  toujours  facile  de  séparer 
ce  qui  est  permanent  de  ce  qui  est  de  circonstance;  il  y  a  des  capitulai- 
res généraux  qui  revendiquent  pour  eux-mêmes  la  qualification  de  lex, 
11  n'est  guère  plus  aisé  d'analyser  leur  contenu  et  de  déterminer  leur 


CAPITULAIRES  621 

portée  juridique.  Guizot  a  essayé  de  Le  faire  {Histoire  de  la  civilisation 
en  France^  t.  11.  llh  en  répartissant  les  capitulaires  de  chaque  règne 
carlovingien,  article  par  article,  entre  huit  catégories  de  dispositions, 
et  esi  arrive  ainsi  à  des  résultats  d'une  exactitude  en  apparence  mathé- 
matique,   établissant  par  exemple  que,  sur  1,151  articles  émanés  de 
Charlemagne,  il  yen  a  87  de  législation  morale,  273  de  législation  poli- 
tique, 130  de  législation  pénale.  110  de  législation  civile,  85  de  législa- 
tion religieuse,  305  de  législation  canonique,  73  de  législation  domesti- 
que,  'ri  de  législation  de  circonstance;  mais,  sans  compter  que  ses 
chiffres  ne  concordent  pas  toujours  entre  eux  (l'exemple  même  que 
nous  venons  de  citer  en  est  la  preuve),  ils  ont  été  obtenus  au  moyen 
d'appréciations  souvent  fort  arbitraires,  et  peuvent  servir  tout  au  plus 
à  donner  une  idée  approchante  de  l'importance  relative  des  différents 
éléments  dont  se  composent  les  monuments  législatifs  de  chaque  prince. 
Mieux  vaut  par  conséquent  s'en  tenir  à  un  jugement  plus  général,  in- 
sister tout  d'abord  sur  l'inanité  de  l'opinion  vulgaire  qui  voit  dans  la* 
capitulaires,  dans  ceux  de  Charlemagne  principalement,  une  législation 
complète,  constater  que  le  droit  privé,  civil  et  criminel,  n'y  est  guère 
représenté  que  par  les  additions  aux  leges,  tandis  que  la  majorité  des 
chapitres  est  relative  soit  aux  affaires  ecclésiastiques,  soit  à  l'adminis- 
tration et  à  la  police,  et  ajouter,  comme  indice  des  mœurs  du  temps, 
qu'une  foule  desimpies  conseils  ou  préceptes  moraux  s'y  rencontrent  à 
côté  des  prescriptions  législatives  ou  réglementaires  proprement  dites. 
Les  capitulaires  qui,  sans  être  jamais  officiellement  recueillis,  ont  gardé 
de  l'autorité  en  Allemagne  jusqu'au  treizième  siècle,  en  France  jusqu'au 
quatorzième,  en  Italie  plus  longtemps  encore,  nous  sont  parvenus  soit 
isolément,  soit  avec  les  canons  d'Eglise  ou  les  codes  de  lois  où  on  les 
avait  insérés,  soit  enfin  clans  une  collection  d'origine  privée  datant  de 
la  première  moitié  du  neuvième  siècle.  Entreprise  en  827  par  Anségise, 
abbé  de  Fontenelle  ou  Saint-Wandrille,  qui  réunit  méthodiquement  en 
quatre  livres  les  capitulaires  parvenus  à  sa  connaissance  de  Charlema- 
gne et  des  premières  années  de  Louis  le  Débonnaire  (jusqu'à  la  fin  de 
l'année  826),  elle  fut  augmentée  vers  842  d'un  cinquième,  d'un  sixième 
et  d'un  septième  livre  par  le  diacre  de  Mayence,  Benoit  Lévite,  celui-là 
même  dans  lequel  on  a  voulu  voir  l'auteur  ou  le  compilateur  des 
fausses  décrétâtes,  et  comprend  en  outre  quatre  appendices  sans  nom 
d'éditeur.  Le  recueil  d'Ânségise  était  regardé  dès  829  comme  ayant  la 
valeur  d'une  collection  officielle,  et  il  mérite  en  effet  toute  confiance; 
dans  la  continuation  de  Benoit  au  contraire  les  capitulaires  authenti- 
ques sont  noyés  dans  une  foule  d'actes  étrangers  aux  carlovingiens 
(extraits  de  la  Bible,  du  Code  théodosien,  des  lois  barbares,  des  œu- 
vres d'Ambroise,  Augustin,  Prosper,  Grégoire,  Isidore,  des  histoires 
ecclésiastiques  de  Butin.  Cassiodore,  Bède,  de  la  collection  des  canons 
de  Denys,  des  épîtres  de  Boniface,  des  livres  de  Théodulfe  et  de  Jouas 
d'I  Irléans,  des  conciles  carlovingiens,  etc.);  néanmoins  on  la  trouve  éga- 
lement invoquée  comme  code  officiel,  en  Gaule  du  moins,  sous  le  règne 
de  Charles  le  Chauve.  Les  premiers  recueils  de  capitulaires  turent  publiés 
parAmerpach(15'*5),du  Tillet (1548) ,Herold  (1557),  Pithou  (1588),  Lin- 


C22  CAPITULAIRES  —  CAPPADOCE 

denbrog  (1613)  ;  puis,  en  1677,  Etienne  Baluze,  mettant  en  œuvre  les 
nouveaux  matériaux  recueillis  par  Baronius,par  Canisius,  par  Goldast, 
par  Sirmond,  par  Labbe  et  par  lui-môme,  en  donnait  en  deux  volumes 
in-folio,  sous  le  titre  de  Capitularia  regum  Francorum,  une  collection 
plus  complète  et  plus  fidèle,  disposée  par  ordre  chronologique  (sauf 
pour  la  compilation  d'Anségise  et  de  Benoit),  accompagnée  des  codes 
nationaux,  des  collections  de  formules  et  de  diverses  autres  pièces,  et 
précédée  d'une  préface  dont  certaines  parties  se  lisent  encore  avec 
fruit.  Son  édition,  reproduite  en  1780  par  Pierre  de  Chiniac,  a  passé 
dans  le  Corpus,  juris  germanici  antiqui  de  Georgisch  (1738)  et  dans  celui 
de  Walter  (1824),  dans  le  Barbarorum  leges  antiquœ  de  Ganciani 
(1781  ss:),  pour  une  notable  partie  aussi  dans  le  Recueil  des  historiens 
des  Gaules  et  de  la  France  de  Bouquet  (t.  IV  à  VII)  ;  elle  a  fait  autorité 
jusqu'à  celle  que  Pertz  a  donnée,  avec  le  soin  accoutumé,  dans  les  M o- 
numenta  Germanùv  historica^  aux  t.  I  et  II  des  Leges  (1835-1837;.  Lais- 
sant de  côté  les  lois  nationales,  les  chartes  et  les  épîtres,  qui  ont  trouvé 
ou  trouveront  place  dans  d'autres  volumes  de  la  collection,  l'illustre 
éditeur  a  au  tome  I,  qui  débute  par  une  préface  destinée  principale- 
ment à  apprécier  les  manuscrits  mis  à  contribution,  inséré  les  capitu- 
laires  authentiques  (dont  beaucoup  d'inédits)  des  rois  mérovingiens, 
deCarloman,  de  Pépin,  de  Gharlemagne,  de  Louis  le  Débonnaire  et  des 
rois  ou  empereurs  francs  carlovingiens  subséquents,  en  les  rangeant 
par  ordre  chronologique  (la  collection  d'Anségise  à  Tannée  827)  ;  il  a 
rejeté  dans  la  seconde  partie  du  tome  II,  dont  la  première  partie  com- 
prend les  constitutions  impériales  depuis  l'extinction  des  carlovingiens 
jusqu'à  la  mort  de  Henri  VII,  lescapitulaires  inauthentiques,  et  dans  le 
nombre  toute  la  collection  de  Benoit,  qu'il  a  fait  précéder  d'une  dis- 
sertation (sujette  à  réserves)  deKnust,  sur  l'œuvre  du  diacre  de  Mayence 
et  plus  spécialement  sur  les  sources  employées  par  lui.  Pas  plus  que 
Baluze,  Pertz  n'a  pu  d'ailleurs  épuiser  la  matière  :  déjà  au  tome  II  des 
Leges  on  trouve  quelques  capitulaires  mérovingiens  et  carlovingiens 
découverts  depuis  la  publication  du  tome  I  ;  d'autres  ont  été  signalés 
depuis  de  différents  côtés.  L'importance  des  capitulaires  pour  l'histoire 
législative,  administrative  et  même  politique  de  l'époque  carlovingienne 
les  ayant  naturellement  désignés  à  F  étude  de  tous  les  érudits  qui  se 
sont  occupés  des  antiquités  nationales  de  la  France,  de  l'Allemagne  et 
de  l'Italie,  il  ne  saurait  être  question  d'énumérer  ici  même  les  princi- 
paux parmi  les  écrivains  qui  en  ont  traité  ;  nous  nous  contentons  par 
conséquent  de  rappeler  les  préfaces  des  recueils  de  Baluze  et  de  Pertz, 
de  signaler  une  dissertation  récente  de  M.  Boretius  (Beitrœge  zur  Capi- 
tularienkritik,  1874)  et  de  renvoyer,  pour  plus  amples  détails  relative- 
ment à  la  teneur  et  à  la  confection  des  capitulaires,  à  la  Deutsche  Ver- 
fassungsgeschichte  de  M.  Waitz  (  t.  III,  1860,  p.  503  à  520)  et  à  un 
article  de  M.  Fustel  de  Goulanges  dans  la  Revue  historique  de  janvier- 
février  1877.  Auguste  Himly. 

CAPPADOCE,  district  de  l' Asie-Mineure,  séparé  au  sud  de  la  Cilicie 
et  de  la  Syrie  parleTaurus,  au  nord  par  une  chaîne  de  montagnes  pa- 
rallèle de  la  province  du  Pont,   borné  à  l'ouest  par  la  Lycaonie  et  la 


CAPPADOCE  —  CAPPEL  02) 

Galatie,  à  l'est  par  l'Arménie.  Pays  de  prairies,  bien  arrosé,  adonné  à 
l'élève  du  bétail  et  des  chevaux,  laCappadoce  c'était  pas  d'une  grande 
fertilité.  Ses  habitants,  de  race  aryenne,  ne  jouissaient  pas  d'une  bonne 
réputation.  Leur  lâcheté  et  leur  mauvaise  foi  étaient  devenues  prover- 
biales (xannuo&oxÉÇew)  comme  leur  prononciation  défectueuse.  Tibère 
lit  assassiner  Archélaûs,  le  dernier  roi  de  Cappadoce,  que  Pompée 
avait  placé  sur  le  trône,  et  réduisit  le  pays  en  province  romaine  (Pline, 
37,  11:  Strabon.  12.  534;  Josèphe,  Antiq.,  XVI,  3,  2;  Tacite,  Annales, 
2,  12).  Des  Juifs  s'étaient  établis  dans  la  Cappadoce  sous  la  domination 
svrienne;  par  eux  le  christianisme  s'y  introduisit  de  bonne  heure 
(Actes  11.  9;  I  Pierre  I,  1). 

CAPPEL  (Jacques),  pasteur  et  professeur  à  Sedan.  La  famille  des  Cap- 
pel  est  une  famille  illustre  dans  les  annales  du  protestantisme  français: 
elle  a  donné  aux  Eglises  et  à  la  théologie  réformées  des  pasteurs  dé- 
voués et  surtout  des  savants  célèbres.  On  trouvera  l'histoire  très-dra- 
matique de  cette  famille  dans  Y  écrit  DeCappellorum  gente,  inséré  dans  le 
grand  ouvrage  Annotata  et  CommentariïinV.  T.  (Amst.,  1689,  in-fol.), 
édité  par  Jacques  Cappel,  fils  du  grand  Louis  Cappel  et  neveu  de 
Jacques  Cappel  dont  il  est  ici  question.  MM.  Haag  {Finance  protestante) 
ont  donné  avec  une  grande  clarté  le  résumé  du  De  Cappellorum  gente 
dans  leur  notice  biographique  sur  les  Cappel.  Le  père  de  Jacques  Cap- 
pel et  de  Louis  Cappel,  Jacques  Cappel,  embrassa  la  Réforme  :  savant 
jurisconsulte,  il  fut  pendant  cinq  ans,  de  1505  à  1570,  conseiller  au 
parlement  de  Rennes.  Dépossédé  de  son  emploi  à  cause  de  ses  con- 
victions religieuses,  il  se  retira  dans  son  domaine  du  Tilloy,  en  Brie, 
puis  se  réfugia  à  Sedan.  Il  était  désigné  pour  faire  partie  de  la  chambre 
mi-partie,  établie  près  le  parlement  de  Paris  (édit  de  1566).  Non 
seulement  il  ne  put  pas  être  mis  en  possession  de  cet  office,  mais  il  eut 
à  subir  de  cruelles  persécutions  et  ne  trouva  de  nouveau  un  refuge 
qu'à  Sedan,  où  il  mourut  en  1586.  Sa  veuve,  pleine  d'anxiété  pour  ses 
enfants,  eut  la  faiblesse,  pour  leur  conserver  leurs  biens,  de  retourner 
à  l'Eglise  catholique  :  elle  eut  un  tel  remords  et  un  tel  chagrin  de 
cet  acte  qu'elle  en  mourut.  L'existence  des  enfants  fut  singulièrement 
agitée  et  douloureuse.  Jacques  Cappel,  l'aîné,  né  à  Rennes  en  1570, 
fut  le  protecteur  de  ses  frères  et  de  ses  sœurs,  surtout  de  son  frère 
Louis,  il  se  lit  recevoir  ministre  à  Sedan,  puis  il  fut  le  pasteur  de  l'Eglise 
qu'il  put  établir,  d'après  les  édits,  dans  son  iief  du  Tilloy.  En  1599 
il  fut  appelé  comme  pasteur  et  professeur  à  Sedan.  Il  exerça  cette 
charge  jusqu'à  sa  mort  (septembre  1621).  L'indication  de  ses  nom- 
breux écrits,  imprimés  et  manuscrits,  se  trouve  à  la  fin  du  De  Cappel- 
lontm  gente  ;  voir  aussi  la  notice  bibliographique  de  la  France  pro- 
testante, Sedan  eut,  parmi  les  académies  protestantes,  une  physionomie 
spéciale.  Cette  école,  comme  celle  de  Bfontauban,  s'attacha  àconserver 
rigoureusement  le  dogme  orthodoxe  et  à  combattre  avec  zèle  l'Eglise 
catholique.  Sedan  fut  avant  tout  l'école  de  la  controverse,  et  tous  ses 
théologiens  éminents  nous  ont  laissé  des  traités  nombreux  contre 
l'Eglise  romaine.  Jacques  Cappel  lut  sans  doute  un  philosophe,  un 
antiquaire,    un   historien,  un   exégète  et   même   un  dogmatiste  dis- 


624  CAPPEL 

tin  gué,  mais  il  fut  surtout  un  eontroversiste.  Il  faut  citer,  dans  le 
domaine  de  la  controverse,  Les  livres  de  Babel  ou  Histoire  du  siège 
romain  (Sedan,  1616)  contre  Ferrier,  après  son  apostasie;  Apologie 
pour  les  Eglises  réformées  (1611)  et  Instruction  chrétienne  (1619),  contre 
le  P.  Cotton  ;  Catéchisme  confirmant  par  l'Ecriture  la  confession  de 
foy,  etc.  (1622).  Comme  antiquaire,  on  cite  le  remarquable  ouvrage 
De  mensuris  lib.  III  (1607).  Ses  écrits  d'exégèse  sont  imprimés  dans  la 
grande  édition,  déjà  citée,  de  son  neveu  ;  ils  roulent  sur  toutes  les  par- 
ties de  la  Bible  :  la  plupart  se  trouvent  aussi  imprimés  dans  les  Critict 
sacri  d'Angleterre  (Lond.,  1660).  Comme  historien,  il  faut  citer  de 
Jacques  Cappel  :  Historia  sacra  et  exotica  ab  Adamo  usque  ad  Augus- 
tum  (Sedan,  1613)  ;  une  Compendiosa  in  apostolicam  historiam  chrono- 
logica  tabula;  et  en  manuscrit,  signalées  par  son  neveu,  une  Histoire 
juive,  une  Histoire  romaine,  une  Histoire  du  Christ  et  de  ses  Apôtres. 
Enfin,  comme  dogmatiste,  on  trouve  dans  le  Thésaurus  theologix  Se- 
dunensis  plusieurs  thèses  dogmatiques  de  Jacques  Cappel,  en  particu- 
lier De  prœdestinatione,  D?  libero  arbitrio,  etc.  A-  Viguié. 

CAPPEL  (Louis),  pasteur  et  professeur  à  Saumur,  le  fondateur  de  la 
critique  biblique,  né  le  15  octobre  1585  et  mort  le  18  juin  1658.  C'est 
au  milieu  des  fureurs  de  la  Ligue  qu'il  vit  le  jour.  La  famille  persécutée 
fuyait  vers  Sedan,  quand,  à  Saint-Elier,  village  à  cinq  lieues  de  Sedan, 
la  mère  mit  au  monde  Louis  Cappel.  Le  pauvre  enfant,  dès  sa  nais- 
sance, faillit  périr  sous  les  coups  d'une  bande  de  ligueurs  :  il  ne  fut 
sauvé  que  par  la  commisération  d'un  des  hommes  de  la  troupe.  Il 
perdit  son  père  en  1586.  Ce  fut  le  frère  aîné  qui  veilla  sur  lui  avec  une 
paternelle  sollicitude,  la  mère,  comme  on  sait,  ayant  eu  la  faiblesse  de 
retourner  au  catholicisme  pour  recouvrer  les  biens  de  ses  enfants  et 
étant  bientôt  après  morte  de  repentir  et  de  chagrin.  Louis  Cappel  lit 
son  éducation  complète  sous  la  direction  de  son  frère  Jacques,  et  jus- 
qu'à vingt  ans  il  étudia  à  Sedan,  ville  qu'il  n'avait  pas  quittée,  sauf  un 
court  séjour  au  Tilloy.  Le  duc  de  Bouillon  lui  confia  à  vingt  ans  l'édu- 
cation de  sa  fille.  A  vingt-quatre  ans,  à  la  recommandation  de  Caméron, 
il  entra  au  service  de  l'Eglise  de  Bordeaux.  Cette  Eglise  lui  fournit  les 
moyens  de  compléter  ses  connaissances  théologiques  en  visitant  pen- 
dant quatre  ans  les  principales  universités  étrangères.  Il  demeura  deux 
ans  à  Oxford,  où  il  se  livra  avec  ardeur  à  l'étude  de  la  langue  arabe, 
et  des  langues  sémitiques  en  général.  Il  employa  les  deux  autres  années 
à  visiter  les  universités  de  l'Allemagne  et  de  la  Hollande.  De  retour  à 
Bordeaux,  il  fut  appelé  à  Saumur  comme  professeur.  L'Eglise  de  Bor- 
deaux comprit  qu'elle  ne  devait  pas  le  retenir.  Il  prit  possession  de  sa 
chaire  de  professeur  en  1614  :  pendant  un  certain  temps  il  essaya  de 
remplir  aussi  à  Sedan  les  fonctions  de  pasteur.  De  1614  à  1633  il  garda 
la  chaire  d'hébreu,  de  1633  à  1658  celle  de  théologie.  Longue  et  belle 
carrière  de  professeur.  Sa  vie  ne  fut  pas  toutefois  sans  tourments  :  il 
eut  fort  à  souffrir  des  attaques  de  ses  adversaires  et  une  grande  dou- 
leur lui  fut  réservée  dans  sa  famille,  celle  de  voir  son  fils  aine  Jean 
retourner  au  catholicisme.  —  Cappel  est  un  savant  de  premier  ordre, 
aussi  remarquable  par  la  profondeur  de  ses  recherches  que  par  l'indé- 


(APPEL  G25 

pendance  de  sa  pensée.  Sa  science  immense  est  aujourd'hui  reconnue 
et  louée  de  tous  :  pendant  sa  vie  il  fut  loué  surtout  des  catholiques, 
qui  ne  craignaient  pas  de  l'entendre  émettre  des  thèses  hardies  sur 
l'Ecriture  sainte  :  parmi  les  siens,  les  plus  grands  savants  peuvent  être 
cités  comme  ses  admirateurs  :  Casauhon,  Vossius,  Grotius,  Bochart,  etc. 
Mais  il  fut  violemment  attaqué  par  certains  protestants  dont  il  choquait 
les  Opinions  el  les  préjugés.  Son  indépendance  d'esprit  est  complète, 
il  n'est  arrêté  par  aucune   crainte   humaine,    il  est   vraiment   de  sa 
famille,  cette  famille  qui  avait  tout  bravé  pour  demeurer  fidèle  à  ses 
convictions  :  lui  aussi,  dans  le  domaine  de  l'activité  théologique,  il  ne 
connaîtra  ni  peur  ni  honte,  et  dira  simplement  et  noblement  les  résul- 
tats de  ses  profondes  recherches.  Louis  Cappel,  avec  ses  collègues  et 
amis  Moyse  Amyraut  et  Josué  de  La  Place,  contribua  grandement  à 
l'éclat  de  l'école  de  Saumur.  La  tendance  libérale  acquit  une  puissance 
extraordinaire  de  ces  trois  illustres  professeurs,  de  l'accord  de  leurs 
vues,  de  l'amitié  qui  les  unissait,  de  la  gloire  de  chacun  d'eux  dans 
son  domaine  spécial.  —  Louis  Cappel  s'est  distingué  dans  toutes  les  bran- 
ches de  la  théologie,  mais  il  faut  avant  toutes  choses  mettre  en  relief 
la  science,  dont  il  est  le  père  et  le  maître,  et  qu'il  a  fondée  par  les 
deux  grands  ouvrages  dont  il  va  être  parlé.  Le  premier  de  ces  ouvrages 
parut  sous  ce  titre  :  Arcanum  punctationis  revelatum,  sive  de  punctorum 
vocaliiiïïi  et  accentuant  apud  Hebrœos  vera  et  genuina  antiquitate  (Lug-  ; 
duni  Batav. ,  1624,  in-4°;  se  trouve  aussi  dans  la  réimpression  géné- 
rale des  œuvres  de  Louis  Cappel  par  son  fils  Jacques  :  Comment,  et 
notx  crtticx  m  Vet.  7'.,  Amstelod.,  lb'87,  in-fol.).  Dansce  traité  il  y  a  deux 
parties,  une  partie  positive  et  une  partie  négative.  Dans  la  partie  posi- 
tive Cappel  établit  que  les  points-voyelles,  les  accents  et  les  autres 
signes  diacritiques,  qui  accompagnent  le  texte  hébreu  de  l'Ancien  Tes- 
tament, ne  font  pas  partie  essentielle  du  texte  et  ont  été  ajoutés  plus 
tard  par  les  masorèthes,  environ  cinq  siècles  après  Jésus-Christ.  Il  fonde 
sa  thèse  sur  les  faits  suivants  :   que  les   rabbins  admettent  la  nou- 
veauté des  points- voyelles,  que  le  texte  de  la  Loi  employé  dans  les 
synagogues   ne   porte  point  ces  signes  diacritiques,  que  le   Talmud 
n'en   fait  point  mention ,   que  les  citations   de   l'Ancien   Testament 
dans  Philon,  dans  Josèphe   et  les  Pères,  ainsi   que  des  passages  de 
vieilles  traductions  grecques  et  de  paraphrases  chaldaïques  montrent 
que  les  textes  en  usage  n'étaient  pas  ponctués,  que  certaines  étran- 
getés   de   ponctuation  indiquent   que  ces   signes   sont  d'une  époque 
OÙ  la  langue  hébraïque  n'était  point  parlée,  etc.,  etc.  Dans  la  seconde 
partie,  négative,  de  son  ouvrage,  Cappel  réfute  les  arguments  de  ceux 
qui  revendiquent  l'antiquité  et  la  divinité  des  points-voyelles.  Cappel 
avait  envoyé  son  ouvrage  manuscrit  à  Buxtori  pouravoir  son  sentiment 
et  son  ap]  robation.  Buxtorf,  dominé  par  le  préjugé  dogmatique,  ren- 
\o\;i    le  livre  en   reconnaissant  la  valeur  des  arguments  et  le  sérieux 
des  recherches,  mais  en  signalant  le  danger  de  pareilles  doctrines,  qui 
devaient  «''branler  la  foi  en  l'autorité  littérale  de  la  Bible.  Cappel,  il  est 
vrai,   pour  dissiper    les   préoccupations   dogmatiques,    protestait,  au 
commencement  et  à  la  fin  de  son  livre,  de  son  respect  pour  rKcriture, 
m.  40 


626  CAPPEL 

et  il  était  parfaitement  sincère.  Il  ne  se  laissa  pas  décourager  par 
Buxtorf,  il  envoya  son  livre  au  savant  orientaliste  Erpénius,  qui,  dans 
l'admiration  de  ces  recherches,  se  chargea  des  frais  de  la  publication. 
Ce  fut  Buxtorf  le  fils  qui  répondit  au  livre  de  Cappel;  il  est  toujours 
dominé  par  les  préoccupations  dogmatiques,  mais  il  adoucit  sensible- 
ment r opinion  plus  absolue  de  son  père  et  en  somme  fait  des  conces- 
sions à  Cappel.  Cappel  répliqua  au  professeur  deBàle  par  un  nouveau 
livre  :  Arcani  punctationis  vindiciœ;  on  le  retrouve  aussi  dans  les 
Comment,  et  noix  criticx.  Il  faut  regretter  clans  les  deux,  écrits  des 
personnalités  blessantes;  il  est  juste  de  dire  que  Buxtorf  avait  le  pre- 
mier donné  ce  triste  exemple.  —  Le  second  grand  ouvrage  critique  de 
L.  Cappel  est  la  Critica  sacra,  sive  de  variis  quœ  in  sacrîs  V.  T. 
libris  occurrunt  lectionibus  lib.  VI  (Lutetiœ,  1650,  in-fol.).  C'est  le  fruit 
de  trente-six  années  de  travail.  Ce  livre  fonde  la  critique  du  texte  de 
l'Ancien  Testament,  et  on  peut  dire  de  la  Bible,  car  la  critique  du 
texte  du  Nouveau  Testament  est  abordée  aussi. La  Critica  sacra  a  pour 
but  de  montrer  que  le  texte  des  écrits  bibliques  n'est  pas  absolument 
pur,  qu'il  a  été  altéré  par  les  copistes,  et  qu'il  est  possible  de  rétablir 
scientifiquement  le  texte  primitif.  Profusion  de  faits,  de  leçons  diffé- 
rentes, de  variantes  apportés  à  l'appui  ;  comparaison  de  notre  texte 
actuel  avec  les  citations  faites  dans  le  Nouveau,  avec  les  manuscrits 
juifs,  avec  la  version  des  Septante,  les  paraphrases  chaldaïques,  les 
versions  grecques,  la  Vulgate,  etc.,  et  la  conclusion  est  que  le  texte 
actuel  n'est  pas  de  tous  points  identique  avec  le  texte  primitif,  mais 
que  les  variantes  n'ébranlent  pas  l'autorité  de  l'Ecriture  et  ne  touchent 
pas  aux  choses  quœ  ad  /idem  et  mores  pertinent .  Cette  conclusion  heur- 
tait de  front  les  opinions  orthodoxes  de  l'époque.  L'impression  du 
livre  fut  arrêtée  pendant  des  années  de  par  l'opposition  décidée  des 
protestants.  Le  lils  de  Cappel,  passé  au  catholicisme,  Jean  Cappel, 
obtint  que  le  livre  pût  paraître  à  Paris,  en  1650,  grâce  à  l'intervention 
du  P.  Petau,  du  P.  Mersenne  et  du  P.  Morin.  Louis  Cappel  eut  à  défen- 
dre ses  vues  clans  des  ouvrages  spéciaux,  surtout  contre  Arnold  Boot, 
Usserius  et  Buxtorf  le  fils.  En  1675,  les  théologiens  orthodoxes  de  la 
Suisse  publièrent  contre  les  vues  de  L.  Cappel  en  particulier,  et  contre 
le  libéralisme  de  Saumur  en  général,  la  fameuse  Formula  consensus  Ec- 
clesiarum  helveticarum  reformatarum,  que  Schweizer  appelle  très-jus- 
tement la  Formula  antisalmariensis.  Louis  Cappel,  à  part  ces  deux 
ouvrages  capitaux,  publia  bien  d'autres  traités  sur  l'Ancien  Testament, et 
notamment  Animadve?*siones  ad  novam Davidis  Lyram,  contre  Gomar,  sur 
les  règles  de  la  poésie  hébraïque  et  Diatriba  de  veris  et  antiquis  Ebrxorum 
litteris,  contre  Buxtorf;  il  soutient  que  les  caractères  samaritains  étaient 
les  véritables  caractères  hébreux  primitifs,  et  que  les  caractères  carrés 
actuels,  d'origine  chaldéenne, datent  d'Esdras.  Les  travaux  exégétiques 
de  Louis  Cappel  embrassent  à  peu  près  tous  les  livres  de  l'Ancien  et  du 
Nouveau  Testament.  Ces  commentaires  visent  tout  d'abord  le  sens  gram- 
matical, littéral,  mais  les  dissertations  théologiques,  ingénieuses,  souvent 
hardies,  n'y  manquent  pas.  Les  commentaires  de  l'Ancien  Testament 
sont  imprimés  clans  la  célèbre  édition  faite  par  son  fils  :  Commentarii 


CAPPEL  —  CAPRATU  627 

ïV.T.   \; d  '  ■!    L,  1689). Les commen  irleNouveau 

unenl  ont  été  publiés  à  Genève  (1632)  :  Spicilegium  seu  notas 
in  \.  T.  Tous  se  trouvent  dans  les  Critki  soeri  {JLondmi,  1(>00,2  vol.  in- 
fol).  Les  commentaires  sur  le  Nouveau  Testament  son!  v  aimenl  ren 
quables  par  Le  sens  historique  et  l'esprit  libéral.  Toute  notre  interprétation 
moderne  est  en  germe  dans  cessavants  travaux  (voir en  particulier  ses 
idées  sur  Les  citations  de  r Ancien  Testament  dans  le  Nouveau  Testa- 
ment sur  les  types,  rinterprétation  allégorique,  etc.).  —  Comme  traité 
théologique  proprement  dit,  le  grand  recueil  Syntagma  thesium  theolog. 
in  Academia  salmuricnsi  variis  temporibus  éUsputatarum,  contient  de 
nombreuses  thèses  de  Louis  Cappel.  Il  a  dit  son  sentiment  sur  le  grand 
sujet  de  discussion  de  l'époque,  l'élection  et  la  prédestination;  il  est 
plus  net  et  plus  hardi  qu'Amyraut  et  tire  plus  correctement  les  conclu- 
sions de  ses  prémisses  :  au  fond  ce  sont  les  sentiments  des  chrétiens 
que  Dieu  appelle  au  salut  qui  constituent  l'élection  (voir  le  Recueil  défi 
thèses,  part,  1,  p.  144;  part.  II,  p.  102,  108,  116  et  119).  Le  même 
esprit  moral,  éthique,  anime  ses  autres  dissertations,  notamment  ses 
dissertations  sur  le  sabbat,  sur  l'état  des  âmes  après  la  mort  (Syntagma, 
part.  II,  p.  263  et  243),  ainsi  que  son  écrit  apologétique  publié  à  part  : 
Le  pivot  de  la  foi  et  de  la  religion,  ou  preuve  de  la  divinité  contre  les 
athées  et  prophanes  par  la  raison  et  le  témoignage  des  saintes  Ecritures 
desquelles  la  divinité  est  démontrée  par  elles-mêmes  (Saumur,  1643).  Ce 
qui  frappe  donc  dans  le  père  de  la  critique  sacrée,  c'est  sans  doute 
avant  tout  sa  vaste  science,  sa  profonde  érudition ,  son  intelligence 
parfaite  des  langues  anciennes  et  des  textes  sacrés,  mais  c'est  aussi  son 
sens  théologique  et  philosophique,  l'impulsion  que,  dans  ce  domaine 
théologique  il  donna  à  la  science  protestante.  Il  eut  cette  gloire  d'avoir, 
dans  Fliistoire  du  texte  et  dans  les  sciences  philologiques  et  critiques, 
substitué  le  fait  au  préjugé  dogmatique,  la  méthode  d'observation  à  Y  à 
priori,  et,  dans  le  domaine  théologique  proprement  dit,  d'avoir,  avec 
ses  illustres  collègues  Amyraut  et  La  Place,  mis  en  relief  l'élément  pra- 
tique, éthique,  religieux,  à  la  place  de  l'élément  purement  formel  et 
métaphysique.  Nous  avons  indiqué  les  principaux  ouvrages  deL'M 
Cappel.  La  liste  complète  de  ses  écrits  imprimés  et  manuscrits  setr:>  i: 
flans  la  grande  édition  donnée  par  son  lils  Jacques  et  dans  la  notice 
bibliographie) ne  de  MM.  Haag.  —  Voir,  au  sujet  de  Louis  Cappel,  les 
histoires  générales  de  la  critique  et  de  l'exégèse  et  notamment:  Meyer, 
Gesthichte  der Schrifterkl.  seit  der  Wiederherst.  der  Wùsensch.;  l'article 
de  la  France  protest.,  Y  article  de  M.Bertheaudans  YEncycl.de  Herzog, 
ei  la  savante  étude  de  M.Michel  Nicolas,  Revue  de  théol.  de  Strasbourg, 
VIII,  p.  257.  a.  viguié. 

CAPRARA  (Jean-Baptiste),  né  à  Bologne  en  1733.  Entré  de  bonne 
eure  dans  les  ordres,  il  fut  envoyé  avant  l'âge  de  vingt-cinq  ans  comme 
vice-légat  à  Ravenne,  par  Benoit  XIV,  son  compatriote.  Clément  XIII  et 
Pie  VI  Le  nommèrent  successivement  nonce  à  Cologne,  à  Lucerne  et  à 
Vienne,  poste;  difficile  au  temps  de  Joseph  11  et  où  il  se  distingua  par 
sa  bienfaisance  autant  que  par  son  habileté.  Cardinal  en  1792  etévéque 
d'iësi  en  1800,  le  succès  de  ses  nonciatures  le  lit  désigner  par  Pie  VII 


628  OAPEARA  —  CAPUCINS 

légat  a  lafere  près  le  gouvernement  français,  pour  traiter  du  Concordat. 
On  sait  de  quelle  manière  il  s'acquitta  de  cette  mission.  Il  présida, 
le  18  avril  1802,  à  la  cérémonie  qui  inaugura  à  Notre-Dame  le  rétablis- 
sement officiel  du  culte.  Nommé  archevêque  de  Milan,  il  y  sacra  Na- 
poléon roi  d'Italie  le  28  mai  1805.  Il  gouverna  cette  Eglise  jusqu'à  sa 
mort  sans  que  sa  bonne  entente  avec  le  gouvernement  s'altérât  un  instant. 
Un  décret  de  Napoléon  ordonna  son  inhumation  dans  l'église  Sainte- 
Geneviève  (juillet  1810). 

CAPUGIÉS  {Capuciati),  fanatiques  du  treizième  siècle  qui  prirent  pour 
marque  de  leur,  association  un  capuchon  blanc  auquel  pendait  une 
petite  lame  de  plomb.  Leur  mission  était,  suivant  les  uns,  de  purger 
l'Eglise  des  hérétiques  et  des  abus,  afin  de  rétablir  l'unité  et  la  liberté 
originelles;  suivant  les  autres,  de  forcer  par  les  armes  ceux  qui  se 
faisaient  la  guerre  à  vivre  en  paix.  Les  capuciés  se  disaient  disciples 
d'un  certain  Durand,  bûcheron  ou  charpentier  d'Auvergne,  qui, 
vers  1182,  publia  que  la  Vierge  lui  ayant  apparu,  lui  avait  donné  son 
image  et  celle  de  son  Fils,  avec  cette  inscription  :  Agneau  de  Dieu,  qui 
effacez  les  péchés  du  monde,  donnez-nous  la  paix;  qu'elle  lui  avait 
ordonné  de  former  une  association  dont  les  membres  s'obligeraient 
par  serment  à  conserver  la  paix  entre  eux,  et  forceraient  les  autres  à 
l'observer.  Ces  fanatiques  se  répandirent  surtout  en  Bourgogne  et  dans 
le  Berry,  entrèrent  en  conflit  avec  les  autorités,  et  ayant  commis  des 
excès,  furent  battus  et  dispersés  par  les  seigneurs  et  les  évêques  qui 
avaient  fait  marcher  des  troupes  contre  eux. 

CAPUCINES  ou  Filles  de  la  Passion,  instituées  à  Naples  en  1538,  par 
Marie-Laurence  Longa.  Soumises  à  la  règle  de  Sainte-Claire,  elles 
portaient  un  long  capuchon  qu'elles  déposèrent  dans  la  suite.  L'ordre 
se  répandit  bientôt  en  Italie,  en  France  (couvent  à  Paris  en  1606),  en 
Suisse,  etc.  Elles  se  dévouèrent  à  Milan,  pendant  la  peste,  sous  la  di- 
rection de  Charles  de  Borromée. 

CAPUCINS,  religieux  de  la  plus  étroite  observance  de  l'ordre  des 
franciscains,  ainsi  nommés  à  cause  du  grand  capuce  ou  capuchon 
pointu,  attaché  à  leur  robe  brune  d'étoffé  grossière.  A  l'origine,  ils 
n'avaient  pas  d'autre  but  que  de  reproduire  d'une  manière  plus  exacte 
le  costume  et  le  genre  de  vie  de  saint  François  d'Assise.  Ils  devinrent 
dans  la  suite  les  plus  actifs,  les  plus  nombreux  et  les  plus  populaires 
p  édicateurs  des  classes  inférieures.  En  1527,  Matthieu  de  Bassi  ou 
Baschi  et  Louis  deFossombrone,  grâce  à  la  protection  que  leur  accorda 
Clément  VII,  obtinrent  l'autorisation  de  se  détacher  de  l'ordre  des 
franciscains  pour  suivre  une  règle  plus  sévère.  Ils  prescrivirent,  sinon 
la  vie  solitaire,  du  moins  la  vie  conventuelle  réduite  aux  plus  étroites 
dimensions  (au  plus  douze  moines),  le  retour  à  la  pauvreté  absolue 
et  aux  exercices  ascétiques  les  plus  pénibles.  Les  frères  devaient  porter 
la  barbe  longue,  ne  se  couvrir  que  de  vêtements  grossiers,  marcher 
nu-pieds,  ne  jamais  faire  de  provisions  pour  plus  de  trois  jours,  ne 
point  toucher  cle  l'argent,  dire  les  messes  gratuitement,  consacrer  deux 
heures  par  jour  aux  prières  silencieuses,  se  flageller  régulièrement.  La 
première  congrégation  générale  eut  lieu  en  1529,  et  à  partir  de  ce 


CAPUCINS  —  CARACALLA  629 

momenl  l'ordre  se  répandit  rapidement.  Dès  1536,  muni  de  l'approba- 
tion de  Paul  III,  il  échangea  le  nom  de  Fratres  minores  eremitse  sous 
lequel  il  était  connu  d'abord,  contre  celui  de  Capûcini,  sobriquet  que 
lui  avait  donné  le  peuple.  Depuis  le  scandale  provoqué  par  Bernard 
Ochino  (voy.  cet  article),  qui  en  L543  quitta  l'ordre  avec  éclat,  les 
capucins  redoublèrent  de  soumission  humble  et  servile,  faisant  du  re- 
noncement à  toute  jouissance  et  à  toute  culture,  du  dénuement  absolu 
imposé  à  l'esprit  et  au  corps  un  idéal  qui,  dans  la  pratique,  s'est 
traduit  fréquemment  sous  les  formes  les  plus  laides  et  les  plus  repous- 
santes. En  1573,  sous  Charles  IX,  les  capucins  se  sont  introduits  en 
France;  en  1592,  en  Allemagne;  en  1606,  en  Espagne,  où  ils  ont  lar- 
gement concouru  aux  missions  d'Amérique,  d'Afrique  et  d'Asie.  Depuis 
1619  les  dernières  restrictions  qui  pesaient  sur  leur  ordre  ont  été 
levées:  les  capucins  sont  autorisés  à  avoir  à  leur  tête  un  général  parti- 
culier et  à  marcher  derrière  leur  propre  croix  dans  les  processions.  

Voyez:  J.  de  Terranova,  De  origine Fratrum  Capucin.  S.  Franc,  1573  ; 
Boverius,  Annales  Ord.  Minor.  S.  Franc,  qui  Capuc  vocantur,  Lugdun. , 
1632,  2  vol.  ;  Hélyot,  Hist.  des  ordres  monast.,  t.  VII,  c.  24. 

CARACALLA,  empereur  romain  dont  le  véritable  nom  était  Bassianus 
Severus.  Son  nom  de  Caracalla  lui  vient  de  la  caracalle,  long  manteau 
gaulois,  qu'il  affectionnait  et  dont  il  introduisit  l'usage  à  Rome.  Né  à 
Lyon  en  188,  il  fut  fait  césar  par  son  père,  l'empereur  Septime-Sévère 
à  l'âge  de  huit  ans,  et  fut  appelé  par  lui  Marc-Aurèle  Antonin.  Les 
médailles  que  nous  possédons  de  Caracalla  portent  en  effet  ces  mots  : 
Antoninus  Pius  Aug.  Il  succéda  à  son  père  en   211  (964   de  Rome1, 
conjointement  avec  Géta,  son  frère,  qu'il  haïssait  et  qu'il  lit  assassiner 
Tannée   suivante.  Caracalla  égala  en  cruauté   Caliguïa   et  Néron,  et 
trouva  moyen  de  les  surpasser  en  folie.  Dion  évalue  à  vingt  mille  le 
nombre  de  ses  victimes.  Il  prend  successivement  pour  modèles  Sylla, 
Alexandre  et  Achille,  fait  tuer  le  plus  cher  de  ses  affranchis  pour  avoir 
un  Patrocle  à  pleurer;  il  corrompt  les  soldats  et   dépense   pour  eux 
280  millions  de  sesterces  par  an.  C'est  surtout  dans  ses    expéditions 
militaires  qu'éclatent  sa  cruauté  et  sa  folie.  En  Germanie,  il  achète  à 
prix  d'or  le  droit  de  se  dire  vainqueur;  à  Antioche,  il  fait  charger  de 
chaines  Âbgar,  le  roi  d'Edesse,  après  l'avoir  invité  à  venir  le  trouver. 
Il  se  rend  à  Alexandrie,  comme  pour  adorer  le  dieu  Sérapis,  et  fait  mas- 
sacrer la  population  par  ses  soldats  pendant  plusieurs  jours  et  plusieurs 
nuits;  il  marche  contre  les  Parthes,  revient  à  Rome  sans  les  avoir  vus 
et  se  l'ail  décerner  le  triomphe  avec  le  nom  de  Parthique*  Macrin,  préfet 
du  prétoire,  l'assassina  le  18  avril  217.  Caracalla  méprisait  les  lettres. 
snii  plus  grand  plaisir  était  de  conduire  des  chars  au  cirque,  déguisé 
en  cocher.  Après  sa  mort,  un  sénatus-consulte  le  mit,  suivant  l'usage. 
au  ranu  do  dieux.  Caracalla  accorda  le  droit  de  cité  à  tous  les  homme  i 
libres  de  l'empire.  Ce  fut,  avec  l'admissionfdes  Egyptiens  dans  le  sénat, 
le  seul  acte  important  de  son  règne.  11  ne  s'occupa  point  des  chrétiens. 
Les  pires  empereurs  ne  furent  pas  les  plus  acharnés  contre  la  religion 
naissante,  el  celle-ci  ne  fut  point  troublée  sous  son  règne.  La  persécu- 
tion qui  é<  laîa  vers  2!1  en  Afrique,  et  qui  nous  a  valu   une  admirable 


630  CARACALLA  —  GARACCIOLI 

lettre  apologétique  de  Tertullien  (Lettre  à  Scapula)  ne  fut  que  la  conti- 
nuation de  la  persécution  de  l'empereur  Sévère. 

CARACCIOLI  (Galéas),  marquis  de  Vico,  naquit  àNaples  en  loi/.  Issu 
d'une  des  plus  anciennes  familles  du  royaume,  il  vécut  à  la  cour  de  r em- 
pereur en  qualité  de  gentilhomme  de  sa  chambre  et  épousa  en  1537  Vic- 
toria Caraffa  de  Nocera.  Il  demeura  avec  elle  jusqu'en  1551  et  en  eut 
quatre  enfants.  Introduit  dans  la  société  de  Valdès,  deM.-A.Flaminius, 
de  Bernardin  de  Sienne,  de  Pierre  Martyr,  il  se  convertit  à  l'Evangile, 
abandonna  sa  vie  mondaine,  et  lorsque  Pierre  Martyr  dut  s'enfuir,  il  se 
rendit  auprès  de  lui  à  Strasbourg,  pour  le  consulter  sur  ses  devoirs 
de  chrétien.  Pleinement  convaincu  de  la  nécessité  de  manifester  sa  foi, 
il  fut,  à  son  retour  à  Naples,  rejeté  par  des  coreligionnaires  lâches  et 
poltrons,  et  après  avoir  vainement  essayé  de  convaincre  Donna  Vitto- 
ria,  en  1551,  il  s'exila  volontairement  pour  échapper  à  l'inquisition. 
Prenant  pour  prétexte  sa  charge  auprès  de  Charles-Quint,  il  passa  quel- 
que temps  à  la  cour  à  Augsbourg,  mais  lorsque  la  cour  se  transféra 
dans  les  Pays-Bas,  Garaccioli  se  réfugia  à  Genève,  où  il  se  mit  sou»  la 
direction  spirituelle  de  Calvin,  qui  l'aima  et  l'honora  jusqu'à  sa 
mort  (Calvin,  Comm.  1  Co?\,  dédicace).  A  Bàle  il  se  lia  avec  le 
comte  Martinenghi  de  Brescia,  et  de  concert  avec  d'autres  réfugiés 
italiens,  ils  fondèrent  à  Genève  l'Eglise  italienne  dont  le  comte 
fut  le  premier  pasteur  et  Garaccioli  diacre.  Sa  famille,  irritée  dans  son 
orgueil,  usa  de  tous  les  moyens  pour  l'ébranler.  Il  eut  des  entrevues 
pénibles  avec  son  père,  à  Vérone  (1553)  et  à  Mantoue  (1555),  lorsque 
son  grand-oncle  Paul  IV,  J.-P.  Caraffa,  lui  offrit  de  vivre  en  pleine 
liberté  avec  sa  famille,  dans  les  terres  des  Vénitiens.  Il  revit  ses  enfants 
à  Lésina,  son  épouse  à  Vico  (1558)  ;  son  cœur  de  père  et  d'époux  fut 
déchiré,  mais  il  demeura  inébranlable  dans  sa  foi,  et  lorsque  sa  femme 
lui  eut  refusé  les  devoirs  conjugaux  et  de  venir  librement  habiter 
Genève  avec  lui,  il  n'hésita  plus  et  se  sépara  d'elle  pour  toujours.  De 
retour  à  Genève,  il  en  obtint  la  bourgeoisie,  et  après  un  procès  peu  légal 
(les  lois  n'ayant  pas  prévu  son  cas),  Galéas,  approuvé  des  principaux 
théologiens  réformés  qui  s'appuyaient  sur  1  Cor.  VII,  13,  15,  envoya  à 
Donna  Vittoria  la  lettre  de  divorce  et  se  remaria  avec  Anna  Framery, 
de  Rouen  (1560).  La  rédaction  de  la  lettre  de  divorce  fut  confiée  à  la 
discrétion  de  Calvin.  Galéas,  membre  du  Petit  Conseil,  puis  du  Consis- 
toire et  du  Grand  Conseil,  vécut  dès  lors  dans  une  pauvreté  honorable, 
jouissant  d'une  grande  considération  dans  la  communauté  italienne  et 
dans  la  ville.  Il  fut  en  relation  avec  les  principaux  réformés  italiens  et 
avec  Renée  de  France.  Tourmenté  par  un  asthme  cruel  et  par  les  décla- 
mations intempestives  d'un  sien  parent,  moine  prédicateur  qui  fut 
chassé  de  la  ville,  Galéas  mourut  le  7  mai  1586.  Sa  femme  ne  tarda  pas 
à  le  suivre,  laissant  son  avoir  au  collège,  aux  réfugiés  français  et  italiens 
et  quelques  legs  particuliers  à  Théodore  de  Bèze,  à  P.  Diodati,  à  J.  Col- 
iadon.  —  Sources  :  Nicolas  Balbani,  lîistoria  délia  vita  di  Galeazzo  Ca- 
racciolo,  marchese,  Genève,  1587  ;  Florence,  1875,  publiée  par  E.  Combe  ; 
J.  Bonnet* Lettres  françaises,  II,  207-208;  Heyer,  Note  sur  G.  Carac- 
ciolo,  Genève,  1854;  Registres  du  Conseil  de  Genève,  années  1551,  1559- 
1560,  etc.  P.  Long. 


OÀRÀCCIOLI  031 

CARACCIOLI  (Antonio.,  panégyriste  de  Paul  IV  et  de  l'inquisition 
(1556),  écrivit  pour  cette  dernière  un  Compendium  hasreticorum  d'une 
valeur  historique  égale  à  celle  du  rapport  de  l'évêque  Théatin,  à  Clé- 
ment Vil.  Ce  Compendium,  dont  L'original  se  trouve  dans  le  British 
Muséum  de  Londres  et  dans  la  Casatanensis  de  Home,  passe  en  revue 
les  principales  villes  de  l'Italie,  taisant  rémunération  des  plus  fameux 
hérétiques  (Morone  de  Modène,  Soranzo  de  Bergame,  Vergérius, 
1>.  Celso,  Bertoli,  protégé  par  le  cardinalPolo  et  la  marquise  de  Pescarr» 
Pierre  Martyr,  Flaminius,  Tremellius,  Martinengo,  Ochinus,  Vittona 
Colonna,  Renée  de  France,  le  due  de  Palliano,  Paleario>  etc.,  etc.)  et 
nous  indiquant  avec  horreur  le  grand  nombre  des  adhérents  de  la 
Réforme.  Le  Compendium  démontre  clairement  que  sans  l'inquisition 
L'Italie  aurait  eu,  elle  aussi,  une  glorieuse  et  féconde  Réformation.  — 
Sources  :  Compendium  haereticorum,  publié  dans  la  Rivista  Cristiana, 
avril  1876. 

CARACCIOLI  (Jean-Antoine),  évêque  de  Troyes,  et  l'un  de  ceux  qui, 
eu  adhérant  à  la  Réforme,  entendirent  conserver  à  leur  profit  le  système 
épiscopal.  Il  était  né  à  Melphe,  au  commencement  du  seizième  siècle, 
et   lils   de  Jean  Caraccioli,  prince  de  Melphe,  maréchal  de  France, 
originaire  d'une  ancienne  famille  du  royaume  de  Naples.  Ayant  reçu 
une  éducation  soignée,  il  songea  à  entrer  à  la  cour  de  François  Ier ; 
mais  rebuté  bientôt  par  les  charges  que  cette  vie  imposait,  il  se  retira- 
en  Provence,  au  désert  de  laSte-Baume;  puis  il  prit  l'habit  de  chartreux, 
et  un  peu  plus  tard,  en  1538,  il  entra  chez  les  chanoines  réguliers  de 
Saint-Victor,  dont,  en  1543,  il   était  nommé  abbé.  Sa  conduite,  en 
cette  qualité, ne  fut  rien  moins  qu'édiiiante,  mais  il  montra  de  l'habileté, 
et  Paiis  lui  dut  de  faire  bonne  contenance  lors  de  l'arrivée  de  Charles- 
Quint.  Au  mois  de   décembre  lool ,  il  obtenait  i'évêché  de  Troyes, 
avec  licence  de  garder  sa  barbe  longue.  Malheureusement  il  était  sans 
doute  redevable  de  tant  de  faveur  à  ses  complaisances  pour  Diane  de 
Poitiers.  Quoi  qu'il  en  soit,  Caraccioli,  en  confessant  du  moins  avec 
sincérité  (pie  «  sa  vie  n'estoit  point  réformée  ne  telle  qu'elle  debvoit 
estre,  »  se  montra  contraire  aux  grands  abus  de  l'Eglise  romaine,  «  la 
messe  exceptée  ;  »  il  attira  la  foule  à  ses  sermons  et  forma  ainsi  le 
premier  noyau  du  troupeau  évangélique  Troyen.  Forcé  de  se  rétracter  en 
lôôi,  il  lut  remplacé  par  le  ministre  Poncelet,  de  Meaux,  jusqu'à  la  per- 
sécution  de  1557.  Etant  allé  à  Rome,  cette  même  année,  peut-être  pour 
y  solliciter  un  chapeau  de  cardinal,  Caraccioli,  qui  paraît  y  avoir  échoué, 
passa  à  son  retour  par  Genève,  où  il  conféra  avec  Calvin  et  Bèze  et 
sentil  se  réveiller  son  penchant  pour  la  Réforme.  Toutefois  il  restait 
indécis    et    figura  encore  comme   prélat   catholique   au   colloque  de 
Poiss\  ;  mais  il  y  satisfit  Bèze  par  sa  courageuse  hardiesse,  et  revenu  à 
Troyes,  "1  se  prononça  enfin  ouvertement,  et   proposa  au  consistoire 
de  le  confirmer,  s'il  le  jugeait  bon,  dans  sa  charge  d'êvôque.  Cette 
ntion  rencontrant  des  opposants,  Calvin  fut  consulté.  Une  la  blâma 
pas  formellement,  et  comme  Bèze  et   Pierre  Martyr  avaient  émis,  vu 
Les  circonstances, et  tout  en  réservant  le  principe, un  avis  relattvemen 
iavorable  à  la  demande  de  Caraccioli,  il  lut  élu  par  le  consistoire  et 


G32  CARACCIOLI  —  CARACTERE 

réunit  en  sa  personne  les  deux  titres  d'évêque  et  de  ministre  du  saint 
Evangile.  Cet  état  de  choses  devait  fort  alarmer  les  évoques  catho- 
liques, qu'il  avait  scandalisés  en  se  mariant  (dit  la  Biographie  Feller), 
et  qui  finirent  par  obtenir  sa  destitution  ;  mais  on   lui  accorda  un 
dédommagement  pécuniaire.  Après  la  bataille  de  Dreux,  du  sort  de 
laquelle  Catherine  de  Médicis  avait  fait  dépendre  celui  de  la  religion, 
l'attitude  du  prince  de  Melphe  parut  très-équivoque.  Il  tint  à  être 
chargé  de  négocier,  afin  d'aviser  à  ses  propres  intérêts,  en  conjurant 
les  représailles  dont  il  était  menacé  et  en  se  faisant  autoriser  à  gagner 
sa  retraite  de  Chàteauneuf-sur-Loire.  Il  s'engagea  sous  main  à  prati- 
quer selon  les  vues  de  la  cour  certains  chefs  du  parti  protestant,  tels 
que  Clermont  d'Amboise  et  Grammont.  Retiré  à  Chàteauneuf,  il  y 
mourut  à  la  fin  de  1569.  Etait-il  rentré  dans  le  giron  de  l'Eglise  ca- 
tholique? Quelques-uns  Font  affirmé,  mais  sans  fondement.  Le  fait  de 
son  inhumation  dans  l'église  paroissiale  ne  prouve  rien.  Il  y  a  plus 
d'une  tache  dans  l'oraison  funèbre  qu'on  put  faire  de  Caraccioli.  Ses 
mœurs  furent  en  contradiction  avec  ses  talents,  ses  errements  avec  ses 
lumières.   Si  cependant  il    s'était  rencontré  un  plus  grand  nombre 
d'évêques  comme  lui,  une  Réforme  gallicane,  Réforme  mitigée  et  ana- 
logue à   celle   d'Angleterre,  aurait   peut-être  eu  plus  de  chance  de 
s'établir  en  France  que  le  radicalisme  calviniste  de  Genève.  La  Saint- 
Barthélémy,  la  Ligue  et   l'abjuration  de  Henri  IV,  la  révocation  de 
l'édit  de  Nantes  enfin,  ces  pages  néfastes  de  notre  histoire,  en  eussent 
peut-être  été  effacées  à  l'avance.  Et,  qui  sait?  les  causes  et  les  effets 
mêmes  de  notre  Révolution  française  (laquelle  procéda  plus  qu'on  ne 
pense  des  antécédents  religieux  de  la  nation),  s'en  fussent  peut-être 
trouvés  singulièrement  atténués,  pour  le  bien  de  notre  pauvre  huma- 
nité. Sed  aliter  visum  est!  Ch.  Read. 

CARACCIOLI  (Louis-Antoine),  né  et  mort  à  Paris  (1721-1803).  Il 
descendait  d'une  branche  de  l'illustre  maison  napolitaine  de  ce  nom, 
établie  depuis  longtemps  en  France  et  ruinée  par  la  catastrophe  de 
Law.  Après  des  études  distinguées,  il  entra  en  1739  dans  la  congréga- 
tion de  l'Oratoire,  et  visita  l'Italie,  où  son  nom  et  ses  talents  le  firent 
bien  accueillir,  surtout  des  souverains  pontifes.  Il  passa  ensuite 
quelques  années  comme  précepteur  en  Pologne  et  revint  en  France 
où  il  composa  pour  vivre  une  foule  de  biographies  et  de  traités  de 
morale  assez  médiocres,  malgré  leur  succès.  Il  écrivit,  entre  autres, 
la  vie  des  deux  premiers  généraux  de  l'Oratoire,  le  cardinal  de 
Bérulle  et  le  P.  de  Gondren.  Celui  de  ses  ouvrages  qui  fit  le  plus  de 
bruit  est  le  recueil  des  Lettres  de  Clément  XIV  (Paris,  1775,  2  vol.  ; 
1776,  3  vol.  in-12).  On  l'accusa  de  les  avoir  composées  lui-même,  et 
malgré  la  publication  de  l'original  italien  qu'il  se  hâta  de  produire, 
on  les  lui  attribua  longtemps.  Privé  par  la  révolution  des  diverses 
pensions  qui  le  soutenaient,  il  reçut,  en  1795,  de  la  Convention,  un 
secours  annuel  de  2,000  livres,  et  mourut  huit  ans  après  dans  un  état 
voisin  du  dénuement. 

CARACTÈRE.  Chaque  homme  apporte  en  naissant  un  tempérament 
physique,  des  facultés  et  des  prédispositions  intellectuelles  ou  morales, 


CARACTÈRE  030 

qui  s'allient  ensemble  dans  des  proportions  particulières  et  forment 
ainsi  iinc  combinaison  à  laquelle  nulle  autre  n'est  exactement  pareille. 
Il  suit  de  là  que  chacun  de  nous  entre  dans  la  vie,  prédéterminé  à  une 
certaine  manière  de  sentir, de  penser  et  de  vouloir.  C'est  comme  si  son 
être  avait  été  moulé  dans  une  forme  spéciale  et  frappé  (Tune  marque 
dictinctive  :  c'est  son  caractère  naturel.  Le  croisement  des  hérédités, 
le  climat,  l'éducation,  le  milieu  social  et  religieux  tendent  à  former  à 
la  longue  les  individus  sur  un  même  type  général  et  vague,  en  effa- 
çant les  distinctions  individuelles  trop  accusées  (caractère  national, 
européen,  etc.).  Plusieurs,  par  faiblesse  de  volonté  ou  par  manque  de 
principes,  s'abandonnent  à  leurs  inclinations  naturelles  et  aux  influences 
environnantes;  ils  ont  le  caractère  que  leur  font  l'hérédité  et  les  cir- 
constances. On  dit  souvent  de  ceux-là  qu'ils  sont  sans  caractère,  sans 
doute  parce  que  celui  qu'ils  ont  n'est  pas  à  eux.  Mais  l'homme  n'est 
point  tout  entier  enfermé  dans  ce  déterminisme.  Il  est  appelé  à  prendre 
possession  de  sa  nature  pour  la  spiritualiser,  et  à  faire  servir  les  in- 
fluences extérieures  elles-mêmes  à  la  formation  et  à  l'affranchissement 
de  sa  personnalité.  Il  doit  se  donner  à  soi-même  son  propre  caractère. 
Il  ne  saurait  assurément  se  reconstruire  de  toutes  pièces,  créer  en  soi  des 
facultés  et  un  tempérament  absolument  nouveaux.  Dans  ce  sens,  il  est 
certain  qu'on  n'a  pas  le  caractère  qu'on  veut.  D'ailleurs  la  variété  des 
caractères  individuels  n'est  ni  un  accident,  ni  un  désordre,  ni  une . 
transition  passagère;  elle  est  un  bien,  voulu  de  Dieu:  c'est  elle  qui 
fait  la  richesse  et  la  puissance  de  l'espèce.  Le  devoir  de  l'individu  est 
donc,  non  pas  d'effacer  son  "caractère  propre,  mais  de  le  maintenir 
au  contraire  et  de  le  développer  comme  la  forme  particulière  sous 
laquelle  il  est  chargé  de  réaliser  le  bien.  Cela  ne  veut  pas  dire  qu'il 
n'y  ait  rien  à  détruire  dans  notre  caractère  naturel.  Il  en  serait  ainsi  si 
le  développement  de  l'humanité  était  normal.  Mais,  l'espèce  humaine 
étant  dans  un  état  de  déchéance,  l'hérédité  mêle  des  éléments  mauvais 
aux  éléments  constitutifs  qu'elle  transmet,  et  le  milieu  social  et 
physique  exerce  souvent  une  influence  corruptrice.  «  Ce  qui  est  né  de 
la  chair  est  chair.  »  De  là  la  nécessité  d'une  nouvelle  naissance.  Mais  la 
régénération  qu'opère  Jésus-Christ  laisse  subsister  l'individualité  avec 
ses  traits  particuliers;  pour  mieux  dire,  en  délivrant  celle-ci  de  tout 
ce  qui  la  déforme  et  la  corrompt,  elle  la  reconstitue  dans  sa  divine 
originalité.  Il  suffit  de  se  rappeler  les  caractères  si  fortement  trempés 
et  si  nettement  distincts  d'un  saint  Pierre,  d'un  saint  Jean,  d'un  saint 
Jacques,  d'un  saint  Paul  pour  comprendre  que  l'idéal  de  l'Eglise,  la 
perfection  du  royaume  de  Dieu,  ce  n'est  pas  l'effacement  des  diver- 
sités  individuelles,  c'est  bien  plutôt  l'harmonie  de  personnalités 
libres  et  grandes,  ayant  chacune  leur  caractère  propre  et  leur  rôle,  et 
se  complétant  les  unes  les  autres  en  Christ.  La  transformation  du 
caractère  naturel  en  un  caractère  chrétien  est  l'œuvre  de  toute  la  vie  : 
elle  se  confond  avec  Ja  sanctification,  dont  h;  but  n'est  pas  seulement 
d'accomplir  la  multitude  des  actes  saints  qui  si;  proposent  à  la  volonté, 
mais  de  former  un  caractère  saint.  Ajoutons  en  Unissant  que  l'on  parle 
souvent  du  caractère  chrétien  en  général  pour  désigner  l'ensemble  des 


634  CARACTERE  —   CARAITES 

vertus  chrétiennes,  considérées  comme  formant  un  tout  organique  et 
vivant  :  c'est  en  effet,  par  excellence  et  idéalement,  la  marque  dis- 
tinctive  du  chrétien.  —  Voir  sur  le  sujet  :  Rothe,  Theologische  Et  lu' h, 
III,  §§  629-634,  687;  IV,  §§  991-1003;  Ad.  Wultke,  GhristL  Sittenkkre, 
I,  §  137;  II,  p.  882;  Ed.  de  Hartmann,  Philosophie  de  l'Inconscient, 
trad.  par  0.  Noie»,  I,  p.  287-291;  II,  p.  321-336.  Ch.  Bois. 

CARAITES,  secte  juive  dont  les  derniers  vestiges  subsistent  encore 
aujourd'hui.  D'après  l'étymologie  ordinaire,  basée  sur  leurs  tendances 
dogmatiques,  les  caraïtes  tirent  leur  nom  du  verbe  hébreu qârâ  (lire), 
et  les  qeràim  seraient  les  juifs  attachés  uniquement  au  texte  biblique. 
Il  est  toutefois  pour  le  moins  étrange  que  les  Juifs  ignorent  cette  étyrno- 
logie  et  que  le  Talmud  ne  parle  pas  d'eux  sous  ce  nom.  L'étymologie 
moderne,  tirée  de  l'arabe  :  korâm,  le  lecteur,  c'est-à-dire  le  lecteur 
de  la  Bible,  titre  qu'ils  s'attribuent  eux-mêmes,  semble  plus  judicieuse. 
L'origine  des  caraïtes  est  tout  aussi  incertaine  et  obscure.  Ils  ne  des- 
cendent pas  des  sadducéens  proprement  dits  (Néander),  quoiqu'ils 
rejettent,  comme  eux,  la  tradition  orale  ;  ce  sont  les  disciples  des 
écoles  grecques  établies  en  Syrie  et  en  Palestine  sous  le  règne  des 
Séleucides,  et  les  adversaires  les  plus  acharnés  des  pharisiens.  Long- 
temps isolés  dans  leur  lutte  contre  les  rabbinites,  ils  se  recrutaient 
parmi  les  mécontents,  opposant  aux  doctrines  des  rabbins,  comme 
principe  fondamental,  le  rejet  absolu  de  toute  tradition  non  ren- 
fermée dans  l'Ancien  Testament  ou  pouvant  en  être  tirée  logiquement. 
Cette  opposition  philosophique,  religieuse  et  politique  tout  à  la  fois, 
s'accentua  davantage  après  la  destruction  de  Jérusalem,  qui  rallia  aux 
mécontents  une  foule  de  sadducéens.  Etablis  d'abord  en  Palestine 
sans  autre  lien  commun  qu'une  communion  d'idées  religieuses,  ces 
esprits  libéraux  se  répandirent  en  Palestine  et  dans  les  pays  environ- 
nants. Leur  opposition  aux  rabbinites  devint  plus  vive  à  mesure  que 
ces  derniers  exagéraient  leurs  principes,  mais  ce  n'est  qu'au  huitième 
siècle  et  grâce  à  l'appui  que  leur  prêta  l'Islam  que  nous  voyons  appa- 
raître, sous  le  nom  de  caraïtes,  une  communauté  indépendante 
dirigée  par  l'ancien  rabbin  Anan  et  son  lils  Saùl  (Paul).  La  conversion 
de  ces  deux  hommes  et  l'appui  qu'ils  trouvèrent  auprès  du  calife 
Abu-Giafar-al-Mansor  (734)  contribuèrent  puissamment  à  la  constitu- 
tion de  la  secte.  Animés  d'un  ardent  prosélytisme,  les  caraïtes  se 
répandirent  rapidement  en  Syrie,  en  Palestine  et  en  Babylonie,  et  y 
fondèrent  des  communautés  nombreuses  et  ardentes.  Ils  s'organisèrent 
sous  la  direction  d'un  patriarche  (nâsi)  dont  le  siège  fut  d'abord 
Jérusalem  et  plus  tard  Al-Kàhirah  (le  Caire)  ;  leurs  historiens  nous  ont 
conservé  la  liste  complète  des  vingt-trois  titulaires  du  patriarcat  pen- 
dant près  de  neuf  cents  ans.  Après  la  destruction  de  Jérusalem  (1100), 
les  caraïtes  émigrèrent;  les  uns  s'établirent  dans  le  califat  d'Alep, 
d'autres  dans  l'empire  romain  d'Orient,  d'autres  en  Egypte,  dans  les 
Etats  barbaresques,  où  ils  vécurent  en  véritables  nomades,  et  même  en 
Espagne,  où  leur  influence  littéraire  manqua  faire  crouler  l'autorité 
des  rabbinites.  Chassés  de  la  Castille,  ils  revinrent  vers  l'Orient  et 
fondèrent,    dès  le  treizième  siècle,   en    Crimée,   dans  l'Ukraine,   en 


CARA1TES  035 

Pologne,  en  Lithuanie,  de  nombreuses  colonies  <jui  se  sont  mainte- 
nues jusqu'à  nos  jours.  Ils  ont  en  outre  des  communautés  à  Constan- 
tinople,  à  Baktschesirai,  où  ils  possèdent  une  admirable  synagogue,  à 

Dschufukalé,  colonie  de  plus  de  doux  cents  familles,  en  Moldavie,  en 
Valachie  et  en  Gallicie.  ("est  dans  ce  dernier  pays  que,  d'après  les 
relation,  les  pins  récentes,  ils  sont  le  mieux  organisés  dans  les  colonies 
de  Luzk,  Ilalicz.  Prosz  et  de  Krosnoï-Ostrow  ;  ils  y  jouissent  de  grandes 
immunités  et  sont  délivrés  des  lourds  impôts  qui  pèsent  sur  les  Juifs, 
grâce  à  une  charte,  souvent  confirmée  et  remontant  au  roi  Etienne  de 
Hongrie  (1578).  Ils  doivent  la  considération  dont  ils  jouissent  de  la 
part  do^  gouvernants  et  des  chrétiens,  au  milieu  desquels  ils  vivent, 
à  leur  honnêteté  et  surtout  à  leur  abstention  de  toute  affaire  de  lucre; 
jamais  un  earaïte  n'a  paru  devant  un  tribunal  du  pays.  C'est  dire  en 
même  temps  que  les  juifs  leur  vouent,  aujourd'hui  comme  dans  les 
commencements  de  la  secte,  la  haine  la  plus  profonde  et  refusent  abso- 
lument de  les  admettre  à  leur  table.  —  Les  doctrines  des  caraïtes,  basées 
uniquement  sur  les  Ecritures,  avec  le  rejet  absolu  de  toute  tradition 
orale  rabbinique,  peuvent  se  résumer  dans  les  points  suivants  :  Le 
monde  est  l'œuvre  d'un  créateur  éternel,  unique  et  personnel,  qui  a 
envoyé  Moïse  auquel  il  a  donné  sa  loi.  Cette  dernière,  claire  par  elle- 
même,  n'a  besoin  d'aucune  addition  humaine,  car  le  texte  n'aurait 
pas  de  sens,  s'il  n'était  pas  transparent.  Dieu  a  inspiré  les  prophètes, 
et  leur  a  ordonné  d'enseigner  la  résurrection.  Il  n'abandonne  pas 
les  hommes  ,  mais  les  améliore  graduellement  par  la  souffrance , 
jusqu'à  ce  qu'ils  soient  dignes  d'être  sauvés  par Messiah,  fils  de  David. 
Quant  aux  autres  doctrines  de  l'Ancien  Testament,  les  caraïtes  les 
admettent  et  les  professent  dans  leur  teneur  littérale.  Quant  aux  rites 
aussi,  ils  se  distinguent  des  rabbinites,  ils  n'admettent  qu'une  seule 
nouvelle  lune,  fixée  d'après  l'apparition  de  la  lune,  rejettent  les 
doubles  jours  de  fête,  ne  se  servent  pas  des  tchillin  (bandes  recou- 
vertes du  texte  de  la  loi),  sont  plus  sévères  dans  l'observation  stricte 
des  lois  sur  le  sabbat,  les  purifications,  les  morts,  le  divorce,  qu'ils 
n'autorisent  qu'en  cas  d'adultère,  sur  le  mariage  à  des  degrés  prohi- 
bés. Depuis  la  dispersion,  le  patriarcat  a  perdu  peu  à  peu  toute  in- 
fluence et  n'existe  plus  aujourd'hui.  Les  communautés  s'administrent 
isolément  ;  chacune  d'elles  a  à  sa  tête  un  chacham  (rabbin)  qui  bénit 
les  enfants  (le  trentième  jour  après  la  naissance)  et  les  mariages,  assiste 

aourants,  dit  les  prières  publiques  et  fait  en  même  temps  l'office 
criticateur  (schochèt).  Tout  en  se  maintenant,  les  caraïtes,  que 

Locuments  officiels  autrichiens  appellent  aujourd'hui  caraïmes  ou 
caraïmiteSj  ont  bien  perdu  de  leur  ancienne  splendeur  et  surtout  de 
leur  productivité  littéraire.  Il  est  d'autant  plus  important  de  signaler 
en  terminant,  parmi  les  nombreux  et  brillants  écrivains  de  la  secte, 
les  DOms  suivants  :  David-ben-Boàs (950) ,  Commentaire  sur  toutel'Ecri- 

:  Hadazî-Habêl  de  Jérusalem  (1140)  qui,  dans  son  livre  Eschkôl- 
ffakôphêr,  a  donné  une  histoire  de  la  secte  el  de  ses  doctrines  ;  Jacob- 
ben-Rûben,  qui  a  écrit  un  Commentaire  biblique  très-important  ; 
Ahâron-ben-Josèph   (1294),  Commentaire  sur  le  Pentateuque ;  Ahàron- 


£tf  CARAÏTES  —  CAE0AS80NXE 

ben-Eliàhû  (1350),  dont  l'ouvrage,  Gan-Eden,  sommaire  des  loi 
religieuses  et  civiles,  est  devenu  le  code  de  la  secte.  Les  deux  ouvrages 
modernes  les  plus  importants  concernant  les  caraïtes  remontent  au 
dix-septième  siècle.  Samuel-ben-David  (1641)  a  écrit  des  relations  de 
voyages  faits  au  milieu  des  communautés  caraïtes,  et  Mardochaï 
(1099),  auquel  nous  devons  beaucoup  de  détails,  a  écrit  l'histoire  la 
plus  complète  de  la  secte  qui  emprunte  une  importance  particulière  à 
la  lutte  séculaire  et  presque  victorieuse  qu'elle  a  livrée  au  rabbinisme. 
—  Sources  :  Dictionnaire  de  Bayle  ;  Reland,  Antiquitates  sacrx;  Bur, 
Geschichte  der-jùdischen  Secten;  Graëz,  Geschichte  der  Juden;  Triegland, 
Diatrib.  de  secta  Karaït.  E-  scherdlin. 

GARAMUEL  (Juan  Caramuele  di  Lobkowitz),  célèbre  cistercien,  né 
à  Madrid  en  1606,  mourut  en  1682,  évêque  de  Vigevano.  Moins  remar- 
quable par  ses  nombreux  écrits  que  par  les  hautes  dignités  ecclésias- 
tiques dont  il  fut  tour  à  tour  ou  à  la  fois  revêtu  et  par  son  rôle  militaire 
pendant  la  guerre  de  Trente  Ans,  il  a  laissé  ce  souvenir  d'un  raisonneur 
habile  et  d'un  homme  d'une  érudition  plus  étendue  que  solide.  — 
Voyez  N.  Antonio,  Bibl.  hispana,  I;  Tadisi,  Mem.  délia  cita  di  Giov. 
Caramuele,    Venise,    1760,  in-4°. 

CARAVAGE  (Michelangelo  Amerighi  da  Caravaggio)  [1569-1609], 
peintre  milanais,  formé  sans  maître,  caractère  passionné  et  sauvage, 
inaugure  la  réaction  contre  l'idéalisme  religieux  des  siècles  précé- 
dents. Sa  peinture  réaliste  copie  d'une  manière  saisissante  la  nature, 
dans  ses  aspects  les  plus  repoussants  mais  non  les  moins  tragiques.  11 
excelle  à  représenter  les  scènes  lugubres,  comme  la  mort,  le  crime, 
la  misère  et  la  perversion  en  leurs  types  extrêmes.  Ses  ligures  sau- 
vages, laides,  grimaçantes  portent,  même  dans  les  sujets  religieux, 
l'empreinte  de  la  vulgarité.  Caravage  est  par  excellence  le  peintre  des 
vagabonds  et  des  bohémiennes.  Ses  cadavres  ont  un  grand  style.  Le 
coloris  de  ses  tableaux  est  chaud,  hardi,  audacieux;  le  relief  des  con- 
tours est  bien  accusé;  les  ombres  ou  les  clairs-obscurs  sont  traversés 
d'éclairs  fauves  qui  font  ressortir  la  laideur  horrible  des  haillons  et 
des  plaies.  Caravage  a  peint  sur  fresques  Y  Histoire  de  saint  Matthieu 
dans  l'église  San-Luigi  de'  Francesi  à  Home,  la  Sépulture  du  Christ 
au-dessus  d'un  maître-autel  du  Vatican,  la  Mort  de  la  Vierge  au 
Louvre.  Ses  personnages  manquent  de  noblesse,  mais  non  de  vérité. 
Ge  n'est  pas  le  souffle  religieux  qui  les  anime;  mais  ils  reproduisent 
avec  un  art  consommé  l'impression  navrante  que  laisse  le  spectacle 
des  grandes  infortunes  humaines. 

CARCASSQNNE  (Carcasso)  ne  fut  évêché  que  depuis  la  fin  du  sixième 
siècle.  Jusqu'au  temps  de  Pépin,  l'évêque  de  Carcassonne  ne  prit 
point  part  aux  synodes  de  Gaule,  mais  d'Espagne,  laSeptima.nie  appar- 
tenant aux  Goths,puis  aux  Sarrasins.  L'histoire  de  saint  Hilaire,  dont  on 
l'ait  le  premier  évêque  de  cette  ville,  et  que  l'on  suppose  fondateur  de 
l'abbaye  qui  porte  son  nom,  est  bien  douteuse,  moins  encore  toutefois 
que  la  légende  d'après  laquelle  l'Evangile  a  été  prêché  à  Car- 
cassonne par  saint  Crescent,  disciple  de  saint  Paul.  On  cite  parmi  les 
évêques saint  Gimer(931)  et  Guy,  abbédes  Vauxde  Cernay  (1210-1223). 


CARCASSOXXE  —  CAUDEL  637 

Le  15  août  1209,  La  ville  l'ut  prise  sur  les  Albigeois;  ses  habitants,  qui 
avaient  chassé  en  1^2i)7  Béranger,  leur  évéque,  e  sortirent  nus  de  ta 
ville,  sans  rien  emporter  que  leurs  péchés  »  :  ainsi  parle  Pierre  des 
Vaux  de  Cernay.  L'ancienne  abbaye  de  Notre-Dame  de  Saint-Sauveur, 
contemporaine  de  Charles  le  Chauve,  fut  détruite  dans  l'incendie. 
L'église  de  Saint-Nazaire  et  Saint-Celse,  construite  au  quatorzième 
siècle,  et  qui  avait  autrefois  un  chapitre  soumis  à  la  règle  de  Saint- 
Augustin,  a  remplacé  en  1802,  connue  cathédrale,  celle  de  Saint-Vin- 
cent, antique  et  bel  édilice  mêlé  de  roman  et  de  gothique  (onzième  au 
quatorzième  siècle».  Narbonne  est  la  métropole  de  Carcassonne.  — 
Voyez  Gallia,  VI;  Bouges,  Hist.  de  C,  Paris,  1741,  in-4°;  Mahul, 
Cartel.  </>■  C,  6  vol.  in-4°,  Paris,  1837-72. 

CARCïïEMICÏÏ  [Karkemich],  ville  foniliée  importante,  au  confluent 
de  l'Euphrate  et  du  Ghaboras,  à  égale  distance  d'Antioche  et  de 
Sélcucie,  le  Cercusium,  Circesïum,  Circessum  des  Grecs  (Amm.  3Iarc, 
23,  5;  Zosim.,  3,  12;  Procop.,  2,  5),  le  Xacojpa  de  Ptolémée  (5,  18),' 
est  célèbre  par  la  sanglante  et  décisive  défaite  que  le  roi  de  Babylone 
Nabuchodonosor  y  lit  essuyer  au  roi  d'Egypte  Nécho,  la  quatrième 
année  du  règne  de  Jéhojakim,  fils  de  Josias,  roi  de  Juda  (Jérém.  XLYI 
2;  cf.  Es.  X.  9;  2  Chron.  XXXV,  20). 

CARDAN  (Jérôme),  né  à  Paris  en  1501,  professa  les  mathématiques 
et  la  médecine,  luttant  contre  la  misère  par  la  publication  de  nombreux 
écrits.  En  1570,  il  se  retira  à  Home,  où  il  obtint  le  titre  d'associé  du 
collège  médical  avec  une  pension  du  pape,  et  mourut  en  157().  Bizarre, 
d'une  vanité  excessive  et  s'attribuant,  dans  son  autobiographie,  tous 
les  dérèglements,  il  se  vante  d'avoir,  comme  Socrate,  un  démon 
familier  et  le  pouvoir  de  tomber  en  extase  quand  il  le  veut,  de  recevoir 
des  avertissements  par  voie  de  songes  ;  il  prône  l'astrologie  judiciaire, 
les  amulettes,  la  magie.  Sa  doctrine,  exposée  notamment  dans  le  De 
subtilitate  libri  XXI,  est  un  singulier  mélange  de  néoplatonisme  et 
d'averrhoïsme.  Le  mouvement  et  la  vie  de  tous  les  êtres  ont  leur 
source  dans  Pâme  du  inonde,  puissance  unique  et  universelle,  qu'il  ne 
parait  pas  distinguer  de  la  divinité;  il  proclame  l'identité  de  l'homme 
avec  Dieu  :  Intellectum  sic  Dca  esse  adeptum  ut  nos  prorsus  unvm  cum  eo 
esse  mtueamur  (De  utilitate  ex  adv.,  Il,  c.  5).  L'esprit  peut  être  consi- 
déré soit  au  point  de  vue  de  son  essence,  et  dans  ce  cas  il  est  absolu 
éternel,  ue  connaissant  que  l'universel,  soit  dans  ses  manifestations, 
dans  ses  individualisations,  et  c'est  à  ce  titre  quel'homme  possède  des 
facultés  personnelles.  L'àmc  est  immortelle,  mais  cette  vérité  est  inu- 
Lile,  langereuse  même;  étrange  réserve  qui  fait  supposer  qu'à  ses 
yeux  l'immortalité  n'est  que  la  continuité  du  principe  de  toute  vie. 

Les  œuvres  de  Cardan  ont  été  publiées  en  dix  volumes  (1663). Voyez 

l'art,  de  M.  Frank,  dans   le  Diction,  des  se. philos.;  Rixner  u.  Siber 
Ijcjirn  u.  Lehrmeinungen  berùhmter  Pht/siker des  16«.  17 Jahr h.    1829. 

CARDEL  (Jean),  réfugié  protestant,  né  à  Tours  en  1635,  qui,  pour  se 
soustrai  e  aux  persécutions  par  lesquelles  on  préluda  à  la  révocation 
de  l'édif  de  Nantes,  alla  en  1(>7'p  établir  à  Manheim  une  grande  manu- 
lac!  ire  de  soie  qu'il  porta  au  plus  haut  degré  de  prospérité  et  de 


638  CARDZL  —  CARDINAL 

richesse.  Cette  fortune  commerciale  lit  ombrage  au  gouvernement  de 
Louis  XIV  :  sa  perte  fut  résolue.  On  l'attira  en  France  et  on  le  prit  au 
piège,  pour  le  conduire  au  donjon  de  Yincennes  (25  novembre  1685). 
Vainement  l'électeur,  le  roi  Guillaume  et  les  Etats-Généraux:  élevèrent- 
ils  leur  voix  :  on  répondit  que  Cardel  était  mort.  Il  avait  résisté  à  toutes 
les  offres  qu'on  lui  faisait  pour  qu'il  changeât  de  religion  et  vînt  se 
fixer  en  France  ;  il  avait  bravé  les  menaces  et  les  tortures  ;  les  larmes 
mêmes  de  sa  mère,  les  supplications  de  ses  amis  le  trouvèrent  inébran- 
lable. Transféré  dans  un  cachot  fangeux  de  la  Bastille,  en  août  1690, 
il  y  séjourna  jusqu'en  1705,  le  corps  chargé  de  soixante-trois  livres 
de  fer,  et  il  n'y  succomba  qu'après  trente  années  de  cette  horrible 
captivité.  Il  avait  là,  pour  compagnons  d'infortune,  Farie  de  Garlin, 
conseiller  du  Béarn,  La  Mas,  etc.,  enfin  Braconneau,  qui  mit  lin  à  ses 
jours  par  un  coup  de  couteau,  le  18  février  1691.  Jean  Carde!  a,  certes, 
mérité  que  son  nom  fût  inscrit  en  lettres  d'or  dans  le  martyrologe  des 
réformés  de  France. 

GÀRDEL  (Paul),  sieur  du  Noyer,  fils  d'un  avocat  rouennais,  ministre 
à  Grosménil,  près  de  Rouen.  La  révocation  de  l'édit  de  Nantes  le  força 
de  se  réfugier  en  Angleterre.  Puis  il  alla  en  Hollande,  où  il  conçut, 
avec  Cottin,  le  projet  de  rentrer  en  France  pour  y  prêcher  sous  la  croix. 
À  peine  arrivé  à  Paris,  en  1088,  il  fut  vendu  à  la  police  par  une  femme 
de  service,  et  surpris  comme  dallait  avec  le  médecin  Bernier  porter  ses 
consolations  à  une  malade.  Tous  deux  furent  jetés  dans  le  donjon  de 
Vincennes,  et  transférés,  en  1691,  à  la  Bastille  où  ils  se  trouvèrent  ren- 
fermés avec  Blisson,  le  médecin  Bonpaillard,  sieur  dePavillois,  Bouais 
<et  sa  femme,  impliqués  dans  la  même  affaire.  Après  avoir  enduré 
toutes  les  tortures  plutôt  que  d'abjurer,  Cardel  fut  transféré  aux  iles 
Sainte-Marguerite  en  1694,  et  mourut  subitement  le  13  juin  1715. 

CARDINAL.  Ce  titre,  appliqué  d'abord  à  certains  officiers  de  la 
cour  de  Théodose  et  à  divers  fonctionnaires  de  l'empire,  s'est  étendu 
aux  prêtres  titulaires  des  principales  églises  et  aux  diacres  chargés  des 
chapelles  de  moindre  importance,  pour  les  distinguer  des  ecclésiastiques 
qui  ne  les  desservaient  qu'en  passant.  C'est  ainsi  que  l'évêché  de 
Troyes  avait  treize  curés  nommés  sacerdotes  cardinales,  et  que  Thibaud, 
évoque  do  Soissons,  appelle  dans  une  charte  le  curé  de  Saint-Jean-des- 
Vignes  presbyter  cardinales  ipsius  loci.  Au  concile  de  Rome  de  823, 
Léon  IV  désigne  certains  prêtres  sous  le  nom  de  presbyteri  cardinales, 
et  leurs  églises  sous  celui  de  parochiœ  cardinales.  Il  en  est  de  même  des 
diacres.  On  comprend  ainsi  que,  dans  l'origine,  les  cardinaux  étaient 
inférieurs  aux  évêques,  qu'une  non-résidence  illégitime  leur  faisait 
perdre  leur  titre,  et  que,  promus  à  l'épiscopat,  ils  laissaient  leur  cardi- 
nalat vacant.  Mais,  conseillers  naturels  de  l'évêque  de  Rome,  ses  car- 
dinaux s'élevèrent  avec  lui  et  ils  ne  tardèrent  pas  à  prendre  le  pas  sur 
tous  les  dignitaires  du  dehors.  Leur  titre  se  restreignit  d'abord  aux 
seuls  curés  de  Rome  et  à  sept  prélats  voisins.  Plus  tard,  l'importance 
croissante  de  cette  fonction  amena  un  grave  changement  dans  la  ma- 
nière d'en  distribuer  les  titres.  Alexandre  III,  le  premier,  nomma  car- 
dinaux deux  évêques  étrangers,  et  il  devint  bientôt  de  règle  que  tout 


CARDINAL  —  CARÊME  639 

archevêque,  évêque,  prêtre  ou  diacre,  élevé  à  cette  dignité,  prendrait 
le  titre  d'une  des  églises  de  Rome.  Ainsi  Charles  Borromée,  créé  cardi- 
nal-diacre du  titre  de  Saint-Vitè,  l'échangea  après  son  ordination  pour 
celui  de  cardinal-prêtre  de  Sainte-Praxède,  et  le  doyen  actuel  des  car- 
dinaux-prêtres est  Philippe  de  Àngelis,  archevêque  de  Fermo.  il  est 
difficile  de  constater  le  moment  précis  où  le  collégedes  cardinaux  a  été 
ex<  lusivement  en  possession  d'élire  le  pape,  car  cet  empiétement  de  la 
cour  romaine  a  subi,  comme  tant  d'autres,  un  sorte  de  iluxet  de  reflux 
qui  ne  laisse  constater  qu'après  un  long  intervalle  les  progrès  accomplis. 
11  n*est  pas  douteux  toutefois  qu'Hildebrand  n'ait  puissamment  aidé  à 
celle  révolution  intérieure.  En  1058,  il  profita  de  ce  que  les  événements 
politiques  fermaient  les  portes  de  Rome  à  la  cour  pontificale  pour  faire 
«dii-e  .Nicolas  II  à  Sienne  par  les  seuls  cardinaux.  Dès  lors  il  ne  resta 
guère  au  clergé  et  au  peuple  que  le  vain  privilège  de  confirmer  par 
leur  consentement  la  nomination  des  pontifes.  En  1059,  le  canon  I  du 
concile  de  Rome  légalisa  cette  usurpation  en  disposant  «  que  l'élection 
du  pape  serait  à  l'avenir  principalement  au  pouvoir  des  cardinaux,  et 
que  le  pape  élu  serait  intronisé  du  consentement  des  ordres  religieux, 
des  clercs  et  des  laïques.  »  L'élection  de  Grégoire  VII  consacra  l'inno- 
vation. En  1179,  le  troisième  concile  de  Latran  fit  le  dernier  pas  et, 
écartant  toute  intervention  du  clergé  et  du  peuple,  il  remit  l'élection 
du  pontife  aux  seuls  cardinaux  réunis  en  conclave.  Depuis,  les  décrets 
de  Grégoire  X,  de  Clément  V  et  de  Pie  IV  ont  réglementé  dans  ses  plus 
minces  détails  le  nouvel  ordre  de  choses.  Innocent  IV,  au  concile  de 
Lyon  (1443),  attribua  aux  cardinaux  le  chapeau  rouge,  Boniface  VIII  la 
pourpre  et  Urbain  VIII  le  titre  d'Eminence,  en  1630.  Un  cardinal  envoyé 
en  légation  s'appelle  légat  a  latere.  Le  nombre  des  cardinaux  a  singu- 
lièrement varié.  Sixte-Quint,  par  sa  bulle  du  3  décembre  1686,  Ta  fixé 
à  70,  dont  6  cardinaux-évèques,  savoir  les  évoques  d'Ostie,  de  Porto, 
d'Albano,  de  Sabine,  de  Frescatiet  de  Palestrina,  50  cardinaux-prêtres 
et  1  i  cardinaux-diacres.  Par  suite  de  morts  récentes,  le  Sacré-Collège 
ne  comptait,  au  commencement  de  1877,  que  5  évêques,  41  prêtres  et 
10  diacres.  Les  doyens  de  chacun  de  ces  trois  ordres  gouvernent 
UEglise  après  la  mort  du  pape  jusqu'à  l'élection  et  au  couronnement 
de  son  successeur.  Des  écrivains  ultramontains  se  sont  plu  à  comparer 
le  pape  et  les  cardinaux  à  Moïse  entouré  des  70  juges  qu'il  institua  sur 
Israël  :  on  voit  que  c'est  remonter  encore  j)lus  haut  que  saint  Pierre. 
—  Voyez:  Ducange,  Glossa?'.;  Frison,  G  allia  purpurata;  Bellarmin, 
Contr.,  t.  IL,  lib.  I,  16;  Henri  de  Sponde,  Suite  de  Baronnes,  aux 
années  1254,  1304  et  1362;  Aubery,  11ht.  des  Cardinaux,  etc. 

P.  KOUFFET. 

CARÊME  (autrefois  quaresme,  de  quadragesima),  jeûne  de  quarante 
jours  qui  sert  de  préparation  à  la  fête  de  Pâques.  L'origine  de  cet 
usage  est  fort  ancienne.  Les  Pères  la  font  remonter  aux  temps  apos- 
toliques, en  invoquant  à  l'appui  l'exemple  de  Moïse  sur  le  mont 
Sinaï  (Ex.  XXXIV,  28),  de  Jésus-Christ  avant  sa  tentation  dans  le  désert 
Matth.  IV,  t  et  parall.),  et  même  les  quarante  heures  que  le  Christ  a 
passées  dans  le  tombeau.    Le  concile   de  Nicée   en  325  (can.  3,  disU 


640  CAREME 

XYII1),  et  celui  de  Laodicée  de  l'an  365  (can.  8,  dist.  III),  en  par- 
lent comme  d'un  usage  observé  dans  toute  l'Eglise.  Jérôme  affirme  : 
Nos  unant  quadragesimam  secundum  traditionem  apostolorum,  toto  nobis 
orbe  congruo,  jejunamus  (Epist.  XX Vil),  et  Léon  Ier  déclare  :  Apostolica 
institut  ioquadragintadierumjejunioimpjleatur  (Sermo  XLIII,  de  guadra- 
gesima,  VI).  Dans  la  pratique  nous  voyons  toutefois  régner  une  grande 
diversité.  Irénée,  cité  par  Eusèbe  (Hist.  eccl.,  V,  24),  dit  que,  de  son 
temps,  les  uns  croyaient  qu'ils  devaient  jeûner  un  jour,  les  autres 
deux,  ceux-ci  plusieurs  jours,  ceux-là  quarante.  Au  quatrième  siècle, 
à  Rome,  le  carême  ne  durait  que  trois  semaines;  en  Illyrie,  en  Achaïe, 
à  Alexandrie,  par  contre,  il  embrassait  sept  semaines  (Socrate,  V,  21  ; 
Sozomène,  VU,  19).  Comme  on  ne  devait  pas  jeûner  le  dimanche, 
les  six  semaines  du  carême  ne  donnaient  que  trente-six  jours  ;  à  partir 
du  cinquième  siècle,  on  empiéta  sur  la  semaine  précédente  et  Ton 
plaça  le  point  de  départ  du  carême  au  mercredi  des  cendres  (caput 
jejuniï).  L'Eglise  grecque  commence  le  carême  une  semaine  plus  tôt 
que  l'Eglise  latine  ;  mais  elle  ne  jeûne  pas  les  samedis,  excepté  le 
samedi  de  la  semaine  sainte.  Les  anciens  moines  latins  faisaient  trois 
carêmes  de  quarante  jours  chacun  :  le  principal  avant  Pâques,  l'autre 
avant  Ncëi  (on  l'appelait  le  carême  de  la  Saint- Martin),  le  troisième  de 
Saint-Jean-Baptiste,  après  la  Pentecôte.  —  Les  anciennes  prescriptions 
touchant  la  célébration  du  carême  étaient  fort  sévères.  Le  concile  de 
Tolède  (635)  ordonne  que  ceux  qui,  sans  nécessité,  auront  mangé  de 
la  viande  en  carême,  n'en  mangeront  point  pendant  toute  l'année  et 
ne  communieront  point  à  Pâques.  Ceux  que  leur  grand  âge  ou  la  maladie 
obligent  à  en  manger,  ne  le  feront  que  par  permission  de  révoque. 
Insensiblement  la  discipline  de  l'Eglise  se  relâcha  sur  la  rigueur  ,du 
carême.  Dans  les  premiers  temps,  le  jeûne,  même  dans  l'Occident, 
consistait  à  s'abstenir  de  viande,  de  poisson,  d'œufs,  de  laitage,  d'huile, 
de  vin,  et  à  ne  faire  qu'un  seul  repas  après  les  vêpres  ou  vers  le  soir. 
Seule,  l'Eglise  grecque  aujourd'hui  n'autorise  que  l'usage  du  pain  et 
de  l'eau,  des  fruits  secs  et  des  légumes.  Dans  l'Eglise  latine,  lesévêques 
peuvent  donner  aux  fidèles  la  permission  de  manger  des  œufs,  du 
lard,  du  beurre,  du  poisson,  et  un  mandement  annuel  détermine  les 
conditions  du  carême;  on  obtient  aussi  la  dispense  du  maigre,  excepté 
pour  le  mercredi,  le  vendredi  et  le  samedi.  L'usage  des  aliments  gras 
n'est  d'ailleurs  autorisé  que  pour  un  seul  repas  de  la  journée.  L'argent 
des  dispenses  accordées  pendant  le  carême  fut  autrefois  employé  aux 
constructions  religieuses.  Durant  ce  temps  de  pénitence,  on  ne  marie 
pas  ;  les  autels,  les  statues,  les  tableaux,  se  couvrent  de  voiles.  Dès 
l'origine,  on  joignit  au  jeûne  du  carême  la  continence,  l'abstinence  des 
jeux,  des  divertissements  et  des  procès.  Jadis  les  tribunaux  étaient 
fermés  pendant  tout  le  carême  ou  pendant  une  partie  de  ce  temps, 
et  les  châtiments  corporels  étaient  suspendus.  Seule  parmi  les  Eglises 
protestantes,  l'Eglise  anglicane  a  conservé  l'usage  du  carême.  — Voyez  : 
Thomassin,  Traité  luslor.  et  polit,  du  jeûne,  Paris,  1680  ;  Beveridge,  Notes 
sur  les  canons  des  apôtres,  liv.  III;  Ducange,  Glossariunt,  s.  v.  Quadra- 
qcsima;  Liemke,  Die  Quadragesinialfasten  der  Kirc/ie,  Mùnchen,  1853. 


OAREY  -  CARINTHIE  C4I. 

GAREY  (William),  missionnaire,  né  à  Paulersbury,  en  Angleterre 
en  1761,  mon  en  1834  dans  l'Inde.  Amenée  l'Evangile  parun  sermon 
de  Scott  le  commentateur,  il  se  voua  au  ministère  dans  l'Eglise  ban- 
liste;  puis,  poussé  par  une  vocation  irrésistible,  il  fonda  en  17(.b>  la 
Société  des  Missions  baptistes,  dont  il  fut  le  premier  missionnaire.  Ses 
débuts  dans  l'Inde  furent  difficiles,  à  cause  du  mauvais  vouloir  du 
gouvernement  el  de  la  tiédeur  des  Eglises  d'Angleterre.  Mais  Carev 
vainquit  ces  difficultés  à  force  de  dévouement  et  d'énergie.  Ses  apti- 
tudes extraordinaires  pour  les  langues  tirent  de  lui  un  orientaliste  de 
première  force,  et  le  gouvernement  l'appela  à  enseigner  le  bengali  le 
mahratta  et  le  sanscrit  dans  son  collège  de  Calcutta.  Il  publia  la  gram- 
maire de  quelques-unes  des  langues  de  l'Inde  et  mena  de  front  plu- 
sieurs traductions  de  la  Bible  dans  ces  langues.  Quand  il  mourut  les 
presses  de  la  mission  qu'il  dirigeait  à  Serampore  avaient  imprimé 
213,000  exemplaires  de  l'Ecriture  sainte  en  quarante  idiomes  diffé- 
rents. —  Voir  sur  Carey  :  sa  Vie,  par  son  fils;  VHist.  de  la  Soc.  miss, 
bapt.  de  F.  Cox;  Great  Missionaries,  by  Andrew  Thomson. 

CARINTHIE.  LaCarinthie,  en  allemand  Kœmthen,  est  aujourd'hui 
Tune  des  provinces  allemandes  de  la  monarchie  autrichienne.  Sous  la 
domination  romaine,  elle  faisait  partie  du  Norique.  Lors  de  l'invasion 
des  barbares,  elle  tomba  entre  les  mains  de  tribus  slaves,  qui  en  for- 
mèrent un  duché.  Les  populations  du  pays,  tant  conquérants  que  * 
peuple  conquis,  étaient  encore  païennes.  Les  évèques  de  Passau  et  de 
Saltzbourg,  et  surtout  saint  Virgile,  y  firent  annoncer  l'Evangile,  que 
les  basses  classes  reçurent  volontiers,  mais  auquel  la  noblesse  se  mon- 
tra violemment  opposée.  La  Carinthie  ayant  été  incorporée  à  l'em- 
pire carlovingien,  le  margrave  Gérold,  l'un  des  compagnons  de  Char- 
lemagne,  extermina  la  noblesse  païenne  et  le  christianisme  fut  dès  lors 
définitivement  établi  dans  le  pays.  Après  le  démembrement  de  l'em- 
pire d'Occident,  la  Carinthie  fut  successivement  rattachée  à  la  Bavière 

la  Bohème,  au  Tyrol  et  enfin,  depuis  1335,  à  l'Autriche,  à  qui  elle 
n'a  cessé  d'appartenir  depuis  lors,  sauf  de  1809  à  1813.  Au  quinzième 
siècle,  elle  eut  à  résister  à  l'invasion  des  Turcs  et  réussit  à  en  triom- 
pher. La  Réformation  trouva  de  nombreux  adhérents  en  Carinthie.  En 
i:i:i:>  le  pays  était  presque  entièrement  luthérien.  A  la  fin  du  seizième 
siècle,  l'évêque  se  plaint  que  le  vingtième  à  peine  de  la  population  est 
resté  fidèle  à  l'Eglise  catholique.  Mais  là  aussi  les  jésuites  travaillaient 
à  la  contre-réformation.  Pendant  longtemps  on  prépara  le  terrain  et 
lorsqu'on  se  crut  eu  mesure,  un  édit  impérial  ordonna,  en  1601  à 
tous  les  luthériens  de  la  Carinthie  de  se  convertir  ou  d'émigrer  dans 
les  sii  semaines.  L'empereur  Ferdinand  11  acheva  ce  que  cet  édit  avait 
commencé,  et  depuis  la,  fin  de  la  guerre  de  Trente-Ans,  la  Carinthie 
peut  être  considérée  comme  une  province  exclusivement  catholique 
Sur  337,694  habitants (1869),  on  ne  compte  (pie  l(i  à  1,700  luthériens 
13  réformés  et  quelques  grecs.  Le  chef  de  l'Eglise  catholique  de  Ca- 
rinthie est  le  prince  évêquede  Gurk,qui  réside  à  Klagenfurth;  il  esl 
assisté  d'un  chapitre  composé  d'un  prieur,  d'un  doyen  et  de  six  cha- 
noines, et  d'un  consistoire  composé  des  membres  du  chapitre  et  de 


642  OARINTHIE  —  CARLSTADT 

cinq'conseillers.  On  trouve  à  Klagenfurth  une  école  diocésaine  de  théo- 
logie avec  sept  professeurs,  un  grand  séminaire  et  un  petit  séminaire. 
Le  diocèse  renferme  douze  abbayes  et  prieurés  auxquels  sont  attachés  des 
bénéfices.  Le  clergé  séculier  est  réparti  dans  vingt-quatre  décanats.  Il 
faut  aussi  remarquer  cinq  couvents  d'hommes  et  neuf  maisons  religieuses 
de  femmes.  La  Carinthie  est  un  des  pays  de  l'Europe  où  le  catholicisme 
est  le  plus  fanatique  et  le  moins  éclairé.  E.  Vaucher. 

CARITH  [Krith,  Kérith],  rivière  de  Palestine  célèbre  par  le  séjour 
que  fit  sur  ses  bords  le  prophète  Elie  (I  Rois  XVII,  3-5).  L'indication 
topographique' qui  en  accompagne  la  mention  est  obscure,  et  a  permis 
aux  uns  de  la  chercher  à  Test  du  Jourdain,  au-dessous  de  Bethsan 
(Eusèbe,  Jérôme  et  quelques  interprètes  modernes),  aux  autres  de 
la  placer  à  l'ouest  du  fleuve,  aux  environs  de  Phasselis  (Josèphe, 
Reland,  etc.). 

CARLETON  (Georges),  théologien  anglais,  né  en  1559  à  Norham, 
dans  le  Northumberland,  mort  en  1628.  Ce  fut  grâce  à  la  protection 
du  célèbre  Bernard  Gilpin,  désigné  par  les  Anglais  sous  le  nom  d'A- 
pôtre  du  Nord,  que  Georges  Carleton  put  faire  ses  études  à  l'uni- 
versité d'Oxford.  En  1618.il  fut  nommé  évêque  de  Landoff  et  envoyé 
avec  trois  autres  théologiens  anglais  au  synode  de  Dordrecht,  où  il 
défendit  la  cause  de  l'épiscopat.  L'année  suivante,  1619,  il  fut  nommé 
évêque  de  Chichester,  où  il  resta  jusqu'à  sa  mort.  Il  a  laissé  un  assez 
grand  nombre  d'ouvrages,  dans  lesquels  il  se  montre  grand  partisan 
de  la  doctrine  de  Calvin  sur  la  prédestination. 

CARLO WITZ  (Christophe  de),  un  des  plus  grands  hommes  d'Etat  de 
l'Allemagne  au  temps  de  la  Réforme.  Né  le  13  décembre  1507,  d'une 
ancienne  famille  de  la  Saxe,  il  se  montra  très-précoce;  à  l'âge  de 
douze  ans  il  était  à  l'université,  où  il  étudia  surtout  les  classiques  latins 
et  grecs.  A  Bàle  il  fut  disciple  d'Erasme,  et  à  l'école  de  droit  de  Dôle 
(Franche-Comté)  il  apprit  le  français.  A  vingt-trois  ans  il  entra  dans  les 
affaires,  au  service  du  duc  George  de  Saxe,  qu'il  accompagna  en  1530 
à  la  diète  d'Augsbourg.Ufutle  principal  conseiller  de  Maurice  de  Saxe, 
surtout  pour  les  affaires  religieuses.  C'est  Carlowitz  qui  négocia  avec 
Granvelle  l'alliance  entre  Maurice  et  Charles-Quint,  si  funeste  aux  protes- 
tants dans  la  guerre  de  Smalkalde;  aussi  a-t-on  mis  en  doute  la  sincérité 
de  sa  foi.  Cependant  il  défendit  les  intérêts  protestants  dans  les  négo- 
ciations qui  amenèrent  la  convention  de  Passau.  Il  travailla  avec  Mélan- 
chthon  à  Y  Intérim  de  Leipzig  et,  après  la  mort  de  Maurice,  il  garda  sa 
position  influente  sous  l'électeur  Auguste.  En  1555  il  prit  part  à  la 
diète  d'Augsbourg  oùfut  faite  la  paix  de  Religion.  En  1568  il  fut  appelé 
avec  Camerarius  à  Vienne,  par  l'empereur  Maximilien  II,  pour  faire 
une  agende  conforme  à  la  confession  d'Augsbourg.  Dans  les  dernières 
années  de  sa  vie,  il  se  retira  de  plus  en  plus  des  affaires  et  vécut  dans 
ses  terres,  en  Bohême.  Il  y  mourut  en  1578.  Carlowitz  était  un  homme 
pieux  et  bienveillant,  charitable  et  désintéressé. 

CARLSTADT,  c'est-à-dire  André  Bodenstein,  né  à  Carlstadt,  petit 
endroit  de  la  Franconie,  doit  sa  célébrité  historique  au  rôle  qu'il  joua 
dans  le  mouvement  religieux  du  commencement  du  seizième  siècle. 


CAKLSTADT  643 

Homme  honnête  et  ne  manquant  pas  de  science,  mais  emporté, 
extravagant  et  ne  gardant  aucune  mesure,  il  eut  le  malheur  d'entrer 
en  collision  avec  Luther  et  «l'allumer,  en  soulevant  les  premières  dis- 
cussions sur  la  sainte  cène,  le  i'uuesie  hrandonde  discorde  qui  sépara  les 
deux  Eglises  confessionnelles  issues  de  la  Rét'ormation.  11  suivit  la  car- 
rière académique  et  se  livra  au\étudesscolastiques,  telles  qu'elles  se  tai- 
saient alors  à  l'université  de  Wittenberg,  où  il  arriva  bientôt  après  sa  Ion- 
dation  par  l'électeur  Frédéric  Le  Sage,  enlo02. 11  prit  les  grades  usités  et 
parvint  en  lô  10  à  celui  de  docteur  en  théologie;  il  obtint  un  professorat  en 
1515.  Il  avait  enseigné  pendant  des  années  sans  même  avoir  encore  vu 
une  Bible.  Zélépartisan  d'Aristote, il  se  montra  opposé  à  Taugustinianisme 
deLuther,  devenu  son  collègue  en  iol2.  Néanmoins  ilne  put  passe  sous- 
traire à  la  longue  à  l'influence  puissante  que  l'esprit  religieux  du  futur 
réformateur  exerçait  sur  tout  son  entourage.  Ce  fut  probablement  l'im- 
pulsion reçue  de  Luther  qui  mena  Carlstadt  à  la  lecture  des  auteurs 
mystiques  dont  les  idées  le  fascinèrent  de  plus  en  plus.  Aussi  prit-il 
fait  et  cause  pour  les  fameuses  thèses  que  Luther  publia  contre  les 
indulgences  et  se  vit-il  ainsientrainédans la  controverse  avec  le  docteur 
Eck  d'Ingolstadt.  Mais  il  ne  sut  pas  tenir  tète  à  ce  rude  antagoniste  lors 
de  la  grande  dispute  de  Leipzig  en  1319,  où  du  reste  chaque  parti 
s'attribua  la  victoire.  Ces  faits  eurent  leur  retentissement  jusqu'à  Rome. 
La  bulle  d'excommunication  lancée  contre  Luther  vint  aussi  frapper 
Carlstadt,  ce  qui  ne  lit  qu'augmenter  son  ardeur  pour  la  cause  qu'il  avait 
embrassée,  bien  qu'il  fût  loin  de  partager  toutes  les  opinions  de  Luther. 
Les  réformateurs,  en  opposant  aux  défenseurs  des  vieilles  traditions  de 
l'Eglise  l'autorité  des  saintes  Ecritures,  furent  nécessairement  conduits 
à  développer  et  à  établir  par  des  recherches  scientifiques  le  principe 
scripturaire.  Carlstadt  a  le  mérite  d'avoir  été  le  premier  à  en  faire  l'ob- 
jet d'un  traité  spécial.  Son  Libellas  de  canonicis  scripturis  (Witt.,  1520) 
restera,  au  point  de  vue  de  l'histoire  de  la  théologie,  la  plus  intéressante 
de  ses  nombreuses  publications.  Mais  il  faut  dire  qu'il  montra  là  même 
combien  peu  il  sut  comprendre  le  principe  qu'il  était  appelé  à  défendre. 
A  peine  s'il  se  permet  un  jugement  indépendant  sur  quelques  points 
de  détail.  La  tradition  des  Pères  de  l'Eglise  constitue  pour  lui  la  preuve 
décisive  de  la  canonicité  de  chaque  livre  biblique.  11  est  vrai  que  c'était 
déjà  un  antagonisme  secret  contre  Luther,  qui  le  poussait  à  cette  théorie. 
Loin  de  savoir  comprendre  et  apprécier  l'esprit  de  liberté  et  d'indé- 
pendance avec  lequel  Luther  jugeait  certains  écrits  bibliques,  il  attaqua 
ouvertement  la  manière  dont  celui-ci  avait  osé  se  prononcer  sur  le 
caractère  et  la  valeur  de  l'épitre  de  Jacques.  Luther  ne  releva  pas  le 
gant  que  son  collègue  lui  avait  jeté  (Credner,  ZurGesckkhte  dcsKanons, 
p.  .21)1  ;  Reuss,  Histoire  du  Canon,  p.  280).  Mais  Carlstadt  ne  se  sentait 
pas  bien  à  son  aise  a  WiUenberg.  Il  avait  aussi  laissé  tomber  certains 
propos  dirigés  contre  Mélanchthon,  et  ce  fut  avec  empressement  qu'il 
suivit  une  invitation  deChristiern  11,  à  venir  travailler  à  la  propagation 
des  nouvelles  idées  en  Danemark.  Son  séjour  cependant  n'y  l'ut  que 
très-court  et  il  revint  à  Wittenberg.  Alors,  vers  la  lin  de  1520,  com- 
mença l'époque  la  plus  importante  de  sa  vie.  —  Luther  se  trouvait  dans 


644  CARLSTADT 

la  retraite  de  la  Wartbourg.  On  n'avait  encore  presque  rien  changé 
aux  formes  du  culte,  pour  les  mettre  en  harmonie  avec  les  doctrines 
qu'on  prêchait  du  haut  de   la  chaire.  La  pratique  extérieure  était  en 
contradiction  manifeste   avec  la  théorie.  Les  moines  du  couvent  de 
Luther,  les  augustins,  crurent  le  moment  venu  pour  procéder  à  des 
réformes  plus  décisives.  Ils  proclamèrent  la  nullité  des  vœux  qu'ils 
avaient  prononcés;  ils  cessèrent  de  célébrer  la  messe.  L'électeur  s'ef- 
fraya de  ces  hardiesses;  il  invita  l'université  à  dire  son  avis.  Carlstadt 
émit  l'opinion  qu'aucun  changement  ne  devait  être   entrepris   sans 
qu'on  eût  consulté  l'assemblée  des  fidèles.  Mais  ceux  des  moines  qui 
avaient  quitté  le  couvent  nourrissaient  l'agitation  des  esprits.  Carlstadt 
étant  mis  en  demeure  de  dire  la  messe  en  sa  qualité  de  chanoine,  fort 
de  l'assentiment  de  Mélanchthon  et  d'autres  collègues,  et  soutenu  par 
les  applaudissements  de  la  multitude,  se  contenta  de  distribuer  la  cène 
conformément  aux  paroles  de  l'institution  du  Seigneur.  Mais  le  mouve- 
ment ne  s'arrêta   pas  là.  On  éloigna  tumultuairement  des  églises  les 
autels  et  les  images.  Carlstadt  en  même  temps  proposa  d'autres  réformes 
qui  touchaient  aux  intérêts  de  l'ordre  civil.  Tous  les  biens  des  Eglises 
devaient  être  réunis  en  un  fonds  destiné  à  subvenir  aux  besoins  des 
pauvres,  et  la  mendicité  devait  être  abolie.  En  outre  il  prit  aussi  le 
parti  de  se  marier  et  épousa  la  fille  d'un  gentilhomme  pauvre  des 
environs.  Enfin  l'arrivée  de  quelques  enthousiastes,  les  prophètes  de 
Zvvickau,  à  la  tête  desquels  se  trouvaient  Thomas  Mùnzer  et  Nicolas 
Storch,l' entraîna  à  des  égarements  tout  à  fait  révolutionnaires.  Il  pro- 
clama l'inutilité  de  toutes  les  sciences  humaines  et  ferma  l'école  publi- 
que. La  ville  se  trouvait  dans  un  désordre  qui  allait  toujours  en  aug- 
mentant, la  paix  publique  était  menacée.  L'électeur  hésitait  d'intervenir. 
A  ce  moment,  le  6  mars  1522,  Luther  arriva  de  la   Wartbourg  pour 
sauver  la  bonne  cause.  On  avait,  il  est   vrai,  trop  longtemps  différé 
l'introduction  des  réformes  qui  découlaient  des   principes  qu'il  avait 
prêches;  mais  les  esprits  fanatisés  n'observaient  plus  de  mesure.  Le 
réformateur  monta  en  chaire  pour  s'adresser  au  peuple  et  pour  lui, 
exposer  avec  une  éloquence  victorieuse  combien  on  avait  procédé  con- 
trairement à  tout  principe  d'ordre  et  combien,  au  nom  de  la  liberté, 
on  s'était  laissé  entraîner  à  ériger  la  pire  des  tyrannies.  Carlstadt,  tout 
en  ressentant  profondément  sa  défaite,  essaya  de  reprendre  ses  fonc- 
tions de  professeur,  mais  ne  réussit  pas  à  retrouver  la  clarté  et  la  tran- 
quillité d'esprit  nécessaires.  Il  entra  en  correspondance  avec  Th.  Mùnzer, 
dont  il  ne  partageait    que  trop   les  idées   mystiques   et   révolution- 
naires. Il   commença  à  publier  une    série    d'écrits   qui   enseignaient 
le  renoncement  aux  vanités  de  ce  monde.  Il  déposa  son  titre  de  docteur 
et  s'appela  «  un  nouveau  laïc  »,    échangeant  son  costume  de  prêtre 
contre  l'habit  gris  et  le  chapeau  de  feutre  du  paysan  ;  il  partagea  son 
temps  entre  ses  occupations  littéraires  et  les  travaux  des  champs  ;  enfin 
il  se  fit  élire  pasteur  à  Orlamùnde  parle  suffrage  des  habitants.  Th.  Mùn- 
zer occupait  dans  le  voisinage  la  cure  d'Allstœdt  et  s'y  livrait  à  des  pu- 
blications pleines  de  verve,  mais  aussi    d'une  violence  sans  bornes 
contre  Luther  et  contre  les  princes  régnants,  et  destinées  à  amener  ie 


CARLSTADT  645 

renversement  de  tout  Tordre  de  choses  établi.  Luther  résolut  de  s'y 
rendre  pour  apaisée  les  esprits  agités.  11  eut  à  Iéna  une  explication  avec 
Carlstadtqui  repoussa  l'accusation  d'avoir  participé  aux  menées  révolu- 
tionnaires de  Miinzer.Les  reproches  réciproques  aboutirent  à  une  rup- 
ture entre  les  deux  hommes  (en  août  1524).  Carlstadt  dirigea  contre 
Luther  quelques  écrits  qui  montrent  l'excès  de  fanatisme  auquel  il  se 
laissa  aller  :  Le  royaume  des  chrétiens,  dit-il,  ne  connaît  pas  d'autorité 
mondaine;  tout  ce  qui  est  opposé  à  Dieu  doit  trouver  sa  fin  par  la  vio- 
lence {Ob  man  gemach  fahren  u.  des  Aergernisses  der Schwachen  verschonen 
soll  in  Sachen  sa  Gottis  W'illen  angehen,  1524).  Une  autre  brochure  de 
cette  époque  est  digne  de'remarque,  parce  qu'elle  inaugura  les  déplo- 
rables discussions  sur  la  sainte  cène:  Ob  die  Okrenbeichte  oder  der  Glaub 
allein  oderwas  denMenschen  zu  wirdiger  Ewpfahung  des  h.  Sacrant,  ge- 
sc hic kt  mach  ?  Là  Carlstadt  avança  pour  la  première  fois  sa  thèse  que 
Jésus-Christ  en  disant  :  «  Ceci  est  mon  corps,  »  ne  désigna  pas  le  pain  de 
la  communion,  mais  sa  propre  personne.  Quoiqu'il  se  séparât  deMûnzer 
sur  la  question  du  droit  de  réforme  appartenant  à  tout  chrétien,  qu'il 
voulait  savoir  limité  aux  choses  du  culte  à  l'exclusion  des  institutions 
politiques  et  sociales,  il  se  vit  banni  delà  Saxe  (18  septembre  1524),  et 
à  partir  de  là  fut  obligé  démener  une  vie  errante.  A  Strasbourg  il  diri- 
gea de  nouveaux  pamphlets  contre  Luther  sur  la  question  de  la  sainte 
cène.  11  commença  en  outre  à  attaquer  la  doctrine  du  baptême,  * 
et  Luther  l'accuse  d'avoir  parlé  du  baptême  des  enfants  comme  d'un 
bain  de  chien  {balneum  caninum).  Obligé  de  quitter  Strasbourg,  il 
alla  à  Rottenbourg  en  Souabe  et  chercha  à  se  mettre  en  rapport  avec 
les  paysans  insurgés  de  ces  contrées.  Mais  il  fut  accueilli  avec  méfiance 
et  jugea  prudent  de  se  retirer  de  ces  hordes  égarées.  Se  trouvant  dans 
un  complet  isolement  et  sans  ressources,  il  ne  vit  d'autre  salut  que  de 
s'adresser  à  Luther  pour  obtenir  par  son  intercession  la  permission  de 
rentrer  en  Saxe.  Il  se  résigna  à  une  rétractation  publique  de  ses  opi- 
nions, et  après  avoir  dû  promettre  de  ne  pas  prêcher  ni  écrire, 
il  obtint  de  pouvoir  s'établir  dans  les  environs  de  Wittenberg,  pour 
y  vivre  en  paysan  et  s'y  livrer  à  un  petit  trafic  de  pains  d'épices  et 
d'eau-de-vie.  —  Les  discussions  qui  éclatèrent  entre  Luther  et  les  ré- 
formateurs de  la  Suisse  lui  firent  reprendre  l'espoir  de  se  relever 
de  sa  misère  et  de  se  réhabiliter  dans  l'opinion  publique.  Il  entra  en 
correspondance  avec  quelques  sectaires  dont  les  idées  se  rapprochaient 
des  siennes,  et  il  quitta  la  Saxe  pour  trouver  un  refuge  dans  le  Holstein 
et  dans  la  Frise  orientale,  où  les  anabaptistes  et  d'autres  adhérents  de 
l'opposition  religieuse  vivaient  en  toute  liberté.  Lorsque  le  landgrave 
Philippe  de  Hesse  convoqua  (en  septembre  1529)  le  colloque  de  Mar- 
bourg  pour  essayer  de  rapprocher  Luther  et  Zwingle,  Carlstadt  lit  des 
démarches  pour  y  être  admis,  mais  sans  résultat.  Il  revint  à  Strasbourg 
e(  obtint  de  Bucer  et  de  Capiton  une  recommandation  pour  Zurich. 
Zwingle  l'accueillit  avec  bienveillance  et  lui  procura  une  place  de 
diacre.  Enfin,  après  avoir  encore  plusieurs  fois  changé  de  résidence  et 
après  avoir  fourni  des  garanties  d'un  esprit  plus  calme  et  moins  aven- 
tureux que  par  le  passé,  il  réussit,  par  l'intermédiaire  de  Bullinger,  à 


646  CARLSTADT  —  CARMEL 

se  faire  appeler  à  Bâle  (1534)  comme  prédicateur  et  comme  professeur 
de  théologie.  Le  fougueux  iconoclaste,  le  nouveau,  laïc  d'autrefois,  de- 
vint un  paisible  partisan  de  la  doctrine  de  Zwingle,  jusqu'à  ce  que  la 
peste  l'enlevât  en  1541.  Il  ne  lit  plus  imprimer  que  quelques  pro- 
positions qu'il  dut  soutenir  pour  entrer  en  possession  de  sa  chaire  à 
Bâle.  On  compte  quatre-vingt-sept  écrits  sortis  de  sa  plume  féconde, 
jusqu'en  1525.  —  Il  existe  une  littérature  assez  riche  sur  la  vie  et  la 
doctrine  de  Carlstadt,  mais  il  n'a  pas  souvent  trouvé  un  jugement 
équitable.  Voici  quelques-unes  des  publications  les  plus  importantes 
sur  son  compte  :  Alberus,  Wider  die  verfîuchte  Lehre  der  Carlstœdter, 
Neubrandenb.,  1565;  Gerdesii,  Scrinium  antiq.,  P.  I;  Kœhler,  Le- 
bensbeschr.  deutscher  Gelehrten,  I;  Fûsslin,  A.  Bodensteins  sonst  Carlst. 
Lebensgesch.,  1776;  Erbkam,  Gesch.  der  prol.  Sekten,  1848,  p.  174; 
M.  Gœbel,  A.  Bodenst.  v.  Carlst.  nach  s.  Charakter,  Theol.  Stud.  u. 
Krit.y  1841,  p,  100;  Dieckhofî,  Die  evang.  Abendmahhlehre  im  Reform. 
Zeitaït.,  I,  299;  Jseger,  Andr.  Bodenst.  v.  Carlst.,  Stuttgard,  1856.  Une 
énumération  de  ses  écrits  se  trouve  dans  :  Rotermund,  Erneuertes 
AndenJc.  der  Mœnner  der  Ref.,l,  p.  62,  et  Riederer,  Abhandl.  aus  d. 
Kirch.  Bûcher  u.  Gelehrt.  gesch.,  p.  473.  Ed.   Cunitz, 

CARMEL[Karmêl,Kapji,Y]Xoç,  Kàpp^Xiov  cpoq,  Josèphe,  Antiq.,  XIII, 
15,  4;  Carmelus,  Tacite,  Hist.,  II,  78],  chaîne  de  montagnes  qui  se 
rattache  aux  collines  galiléennes  et  par  elles  au  Liban.  Elle  s'étend 
du  sud-est  au  nord-ouest  vers  l'embouchure  du  Kischon,  formant  au 
côté  sud  de  la  baie  de  Ptolémaïs  (Ay.y.o),  à  trois  lieues  de  cette  ville, 
un  promontoire  élevé  de  1,200  pieds  qui  se  jette  par  une  pente  rapide 
dans  la  mer.  La  chaîne  du  Carmel  sépare  la  plaine  de  Jesréel  de  celle 
du  littoral  méridional.  Elle  formait  au  temps  de  Josué  (XII,  22;  XIX,  26) 
la  frontière  entre  les  tribus  d'Asser  et  d'Issachar,  et  plus  tard  celle 
entre  la  Galilée  et  le  pays  de  Tyr  (Josèphe,  B.  </.,  III,  3,  1).  De  pierre 
calcaire  très-dure,  bien  arrosée,  riante,  très-fertile,  elle  était  renommée 
par  ses  bois  magnifiques  (Antiq.,  VII,  6,;  Es.  XXXV,  2;  Jérém.  XL VI, 
18;  Amos  I,  9;  Mich.  V,  14),  ses  prés  savoureux  (Jérém.  L,  1;  Es. 
XXXIII,  9;  Nah.  I,  4)  et  même  ses  vignes  (2  Ghron.  XXVI,  10).  Une 
autre  particularité  du  Carmel,  c'étaient  ses  grottes.  On  en  compte  près 
de  2,000,  surtout  du  côté  de  la  mer.  Elles  ont  servi,  de  tout  temps, 
d'asile  aux  ermites  et  aux  proscrits  (Amos  IX,  3;  1  Rois  XVIII,  19  ss.; 
2  Rois  II,  25;  IV,  25).  On  montre  encore  aujourd'hui  celle  qu'Elie  doit 
avoir  habitée.  Un  couvent  a  été  élevé  sur  son  emplacement  à  une  alti- 
tude de  582  pieds  au-dessus  du  niveau  de  la  mer.  Fondé  vers  1180 
par  des  moines  déchaux,  qui  reçurent  le  nom  de  Carmes,  il  était 
tout  entier,  creusé  dans  le  roc.  Un  second  couvent  a  été  érigé 
sur  le  mont  Carmel  au  commencement  du  quatorzième  siècle, 
transformé  en  un  hôpital  pour  les  pestiférés  en  1799,  détruit  par  les 
Turcs,  et  reconstruit  en  1827  au  moyen  de  souscriptions  recueillies 
par  le  moine  Jean-Baptiste,  le  dernier  des  survivants  de  l'ancien 
monastère.  —  Voyez:  Reland,  Palœstina,  p.  327-330;  Schubert,  Reise 
in  s  Morgenland,  II,  209-221;  Ritter,  Erdkununde,  XVI,  1,  p.  705-722; 
Arnold,  Palœstina,  p.  21  ss.;  etc.  —Le  nom  de  Carmel  est  aussi  porté 


CARMEL  —  OARMES  047 

par  une  ville  de  la  tribu  do  Juda  (Jos,  XV,  55;  1  Sam.  XV,  12;  XXV, 
5;  XXVII,  3),  située,  d'après  Eusèbe,  à  dix  lieues  de  llébron  et  dont 
il  reste  de  nombreuses  ruines  tant  de  L'époque  des  Romains  que  de 
celle  des  Sarrasins. 

CARMÉLITES,  congrégation  de  religieuses  qui  suivent  la  règle  des 
carmes.  Introduite  en  France  au  milieu  du  quinzième  siècle,  elle  n'ac- 
quit une  importance  véritable  que  depuis  la  réforme  ae  sainte  Thérèse 
en  1562,  et  l'adoption  de  cette  réforme  par  le  cardinal  de  Bérulle 
(voy.  ee  nom).  Un  certain  nombre  de  dames  du  grand  monde,  et 
parmi  elles  mademoiselle  de  La  Vallière,  entrèrent  dans  cet  ordre,  qui 
possédait  à  Paris  un  couvent  célèbre,  situé  rue  Saint-Jacques. 

CARMES,  ordre  religieux  qui  tire  son  nom  et  son  origine  du  mont 
Garmel,  en  Palestine.  Un  prêtre  calabrais,  Berthold,  fonda,  vers  1180, 
sur  cette  montagne  un  refuge  pour  les  prêtres  pèlerins  qui  erraient 
sans  abri.  Sous  son  successeur,  Brocard,  le  patriarche  de  Jérusalem, 
Albert,  petit-lils  de  Pierre  l'Ermite,  donna  en  1209  à  cette  congréga- 
tion de  religieux  une  règle  en  seize  articles,  qui  leur  imposait  T isole- 
ment de  la  vie  cellulaire  avec  un  oratoire  commun,  des  exercices  spi- 
rituels sévères,  la  pauvreté,  le  travail  manuel,  les  jeûnes,  le  silence. 
Elle  reçut  en  1224  la  sanction  du  pape  Honorius  III.  Lorsqu'après 
l'insuccès  des  croisades  la  Palestine  retomba  sous  le  joug  des  musul- 
mans, les  carmes  se  répandirent  dans  diverses  contrées  de  l'Europe, 
dans  Tile  de  Chypre  (1238),  en  Sicile,  en  Angleterre  (1240),  dans  le* 
Midi  de  la  France  (1244),  à  Paris,  sous  saint  Louis,  leur  fervent  pro- 
tecteur (1254).  En  même  temps  leur  règle  fut,  au  concile  de  Lyon  (1245), 
considérablement  mitigée  et  appropriée  aux  besoins  de  l'Occident. 
L'ordre  des  carmes  devint  très-populaire  à  cause  de  son  origine  qu'il 
faisait  remonter,  ainsi  que  sa  règle,  jusqu'au  prophète  Elie,  et  du  zèle 
fanatique  de  ses  membres  pour  les  missions  dans  les  campagnes;  il 
devança  les  moines  mendiants  qu'il  prétendait  surpasser  en  austérité, 
et  ne  contribua  pas  peu  à  répandre  la  dévotion  à  la  Vierge  dont  les  carmes 
se  disaient  les  serviteurs  préférés.  Simon  Stock,  carme  anglais  et  géné- 
ral de  son  ordre  (f  1265),  déclara  avoir  reçu  de  la  Vierge,  dans  une 
vision,  le  scapulaire,  comme  une  marque  de  sa  protection  envers  tous 
ceux  qui  le  porteraient  et  qui  garderaient  la  virginité,  la  continence  ou 
la  chasteté  conjugale,  selon  leur  état.  Le  scapulaire  consiste  dans  deux 
petits  morceaux  d'étoile  bénite,  avec  l'image  de  la  Vierge,  portés  sous 
le  vêtement  et  joints  ensemble  au  moyen  d'un  cordon  passé  autour  du 
cou.  La  Vierge  s'engage  à  délivrer  du  purgatoire  tous  ceux  qui  le 
p<  .itéraient.  L'habit  descarmes  subit  plusieurs  modifications,  comme  aussi 
leur  règle.  Ils  portaient  une  robe  brune  ou  noire  avec  une  chape  ou  un 
manteau  blanc,  traversé  par  des  barres  de  couleur  brune,  en  souvenir 
du  char  de  feu  qui  avait  emporté  Elie.  Comme  les  franciscains  et  les  domi- 
nicains, ils  eurent  leur  tiers-ordre,  autorisé  par  une  bulle  de  Sixte  1\  en 
1476.  La  règle  de  ce  tiers-ordre,  modifiée  plusieurs  lois  par  les  généraux 
des  carmes,  s'est  étendue  de  façon  à  englober  les  laïques  qui  entrent 
ei  religion  san^  changer  leur  costume,  pourvu  qu'il  soit  de  couleur 
sombre.  Le  tiers-ordre  se  recrute  principalement  dans  les  campagnes, 


648  CARMES   —  CARNIOLE 

tandis  que  les  classes  plus  élevées  le  remplacent  par  l' affiliation  aux 
jésuites.  La  popularité  dont  ont  joui  les  carmes,  surtout  au  dix-septième 
siècle,  et  leur  ambition  d'offrir  le  type  idéal  de  la  vie  monastique,  leur 
ont  valu  des  attaques  passionnées  de  la  part  des  autres  ordres  jaloux 
-de  leur  influence,  en  particulier  de  celui  des  jésuites.  Le  docteur  de 
Launoy,  dans  une  Dissertatio  de  Sim.  Stochiïviso(PdiY.,  1653),  a  soutenu 
que  la  vision  de  Stock  était  une  imposture,  que  les  bulles  des  papes 
citées  en  sa  laveur  sont  des  bulles  supposées,  et  que  les  carmes  n'ont 
commencé  à  porter  le  scapulaire  que  longtemps  après  la  date  de  la 
vision  prétendue.  De  son  côté,  le  bollandiste  Papebroch  (A  A.  SS., 
8  avril,  t.  I,  p.  775  ss.)  a  fait  justice  de  la  prétendue  filiation  que  les 
carmes  établissent  entre  leur  ordre  et  le  prophète  Elie  ou  même  les 
premiers  anachorètes  chrétiens.  Le  P,Rardouin  (f  1729),  renchérissant 
encore  sur  cette  thèse,  dépensa  beaucoup  d'érudition  pour  montrer 
que  les  carmes  n'avaient  pas  d'autre  Carmel  pour  berceau  que  la  mon- 
tagne Sainte-Geneviève  à  Paris.  Pour  mettre  lin  à  ces  disputes,  le  pape 
Innocent  XII  dut  imposer  silence  aux  deux  partis  (1698).— Voyez  :  Hélyot, 
Hist.  des  ord?*es  relig.,  I,  p.  347  ss.  ;  J.-B.  de  Lézana,  Annal,  sacri,  pro- 
phetici  et  Eliani  Ord.  B.  V.  Mariœ  de  monte  Carmeli,  Rome,  1645-56, 
4  vol.  in- fol.  ;  le  P.  Philippe,  Histor.  Carmel.  compendium,  Lyon,  1656, 
in-8°;  Theologia  Carmel.,  Rome,  1665,  in-fol.  ;  Baronius,  Annal. 
ann.  1181;  H.  de  Sponde,  Annal.  Baron,  continuât.,  ann.  1205. 

CARMES  DÉCHAUSSÉS  {Carmelitœ  excalceati  ou  discaïceati),  ainsi 
nommés  parce  que  leur  règle  leur  imposait  de  marcher  nu-pieds.  Leur 
congrégation  a  été  fondée  en  Espagne,  en  1562,  par  sainte  Thérèse  et 
par  Jean  de  la  Croix,  d'après  les  principes  d'un  mysticisme  ardent  et 
d'un  sombre  ascétisme,  que  l'on  retrouve  dans  les  écrits  de  ces  deux 
fanatiques  espagnols  (voy.  leurs  noms).  Cet  ordre,  approuvé  par  Pie  V 
et  confirmé  par  Grégoire  XIII,  se  répandit  avec  une  telle  rapidité  et  lit 
de  si  nombreux  prosélytes  qu'en  1600  on  dut  le  diviser  en  deux  con- 
grégations avec  deux  généraux,  celle  d'Espagne  et  celle  d'Italie  ou  de 
Saint-Elie,  qui  comprend  toutes  les  provinces  en  dehors  de  l'Espagne, 
Les  carmes  déchaussés  s'établirent  en  France  sous  le  règne  de  Louis  XIII, 
et  y  conquirent  promptement  une  popularité  très-grande.  C'est  d'eux 
que,  de  nos  jours,  sortit  le  P.  Hyacinthe  Loyson,  l'illustre  prédicateur 
de  Notre-Dame,  qui  déposa  le  froc  en  1872.  —  Voyez  :  H.  de  Sponde, 
Annal.,  ann.  1568  et  1580;  le  P.Isidore  de  Saint- Joseph,  Hist.  des 
Carmes  déchaux;  le  P.  Jérôme  de  Saint-Joseph,  Hist.  de  la  réforme  des 
Carmes. 

CARNAVAL  (étymologie  incertaine  :  carnelevamen,  caro  vale,  etc.), 
temps  de  réjouissance  qui  précède  le  carême,  commence  le  6  janvier, 
jour  de  l'Epiphanie,  et  finit  le  mardi,  veille  du  mercredi  des  cendres. 
Cet  usage  est  un  reste  des  fêtes  populaires  des  anciens  païens  et  de  celles 
de  nos  pères,  telles  que  les  Bacchanales,  les  Lupercales,  les  Saturnales, 
la  fête  des  Fous,  de  l'Ane,  etc.  Depuis  Chrysostôme  jusqu'à,  nos  jours, 
les  prédicateurs  se  sont  plaint  des  abus  qui  en  résultent. 

CARNIOLE,  province  autrichienne,  466,334  habitants  (1869): 
465,472  catholiques,  278  grecs  unis,  294  grecs  non  unis,  250  protes- 


CARNIOLE  —  CARPIN  64<J 

tants.  La  population  est  en  grande  majorité  d'origine  slave;  il  n'y  a 
guère  que  32,000  Allemands.  D'après  la  légende,  le  christianisme  fut 
prêché  en  Carniole,  dès  le  commencement  du  second  siècle,  par  Fortu- 
natus,  diacre  de  révoque  d'Àquilée,  Hermagoras.  Quoi  qu'il  en  soit,  le 
paganisme  avait  déjà  disparu  de  la  Carniole  au  temps  de  Charlemagne. 
Réunie  à  la  Garinthie  en  1232,  elle  en  partagea  dès  lors  les  destinées 
politiques.  Le  luthéranisme  y  fut  prêché,  dès  1531,  par  Primus  Tru- 
ber,  chanoine  de  Laybach,  et  rencontra  bientôt  de  nombreux  adhé- 
rents. Expulsé  du  pays,  Truber  se  retira  en  Wurtemberg,  où  il  publia 
les  premières  Bibles  slaves.  A  la  fin  du  seizième  siècle,  le  pays  pouvait 
être  considéré  comme  protestant;  la  ville  de  Laybach  avait,  en  1597, 
neuf  pasteurs  luthériens.  Les  violences  de  la  contre-réformation  vin- 
rent durement  frapper  la  Carniole.  L'édit  de  1001  (voy.  Carinthie) 
força  les  habitants  à  une  émigration  en  masse.  A  Laybach,  six  pères  de 
famille  seulement  rentrèrent  dans  F  Eglise  catholique.  Les  autres  pré- 
férèrent l'exil  à  l'infidélité  et  se  retirèrent  en  Bohême,  en  Allemagne 
et  en  Hongrie.  Une  révolte  des  paysans  restés  protestants  fut  durement 
réprimée  en  1637,  et,  depuis  lors,  le  protestantisme  en  a  disparu.  Cepen- 
dant une  nouvelle  église  protestante  a  été  construite  à  Laybach  en  1852 
par  les  soins  de  l'Association  de  Gustave-Adolphe.  Le  prince-évêque 
de  Laybach  gouverne  le  diocèse  de  la  Carniole.  Le  chapitre  de  la  cathé- 
drale se  compose  d'un  prieur,  d'un  doyen  et  de  neuf  chanoines.  Le 
consistoire  se  compose  des  membres  du  chapitre  et  de  treize  conseil- 
lers. Il  y  a  à  Laybach  une  école  diocésaine  de  théologie,  avec  six  pro- 
fesseurs et  deux  séminaires;  à  Rudolplizell,  un  chapitre  avec  un  prieur 
et  quatre  chanoines.  Les  paroisses  sont  réparties  dans  vingt  décanats. 
Les  couvents  d'hommes  sont  au  nombre  de  cinq;  les  maisons  de  reli- 
gieuses au  nombre  de  trois.  E.  Vaucher. 

CAR0LINS  (Livres).  Voyez  Livres  carolim. 

CARPENTRAS  [Carpentoracte]  (Vaucluse),  évêché  suffragant  d'Arles, 
puis,  à  partir  de  1475,  d'Avignon,  supprimé  en  1801.  Ses  évêques  de- 
meuraient à  Venasque  (Vindasca),  petit  bourg  qui  parait  avoir  eu  des 
évêques  avant  Carpentras.  L'histoire  religieuse  de  ces  deux  villes 
avant  la  lin  du  cinauième  siècle  est  fort  incertaine  ;  vers  536,  saint 
Siffroy,  moine  de  Lérins,  était  évêque  de  Venasque  :  on  lui  attribue 
la  fondation  de  l'église  de  Saint-Antoine  à  Carpentras.  Jacques  Sadolet 
occupa  le  siège  de  Carpentras  de  1517  à  1540  (Gallia  christ  iana,  I; 
Courtet,  Dict.  de  Vaucluse,  1877). 

CARPIN  (Jean  du  Plan),  religieux  italien  du  treizième  siècle,  des 
frères  mineurs  de  l'ordre  de  Saint-François,  voyagea  de  1246  à  1247 
*'ii  Tartarie,  où  Innocent  IV  l'avait  envoyé  en  qualité  de  légat.  La  naïve 
crédulité  avec  laquelle  il  consigna  dans  sa  relation  tout  ce  qu'il  avait 
vud'étrange  pour  un  moine  latin  ne  contribua  pas  peu  aux  tables  qui 
eurenl  < mus  durant  le  moyen  âge  sur  ces  lointaines  régions.  La  fa- 
meuse légende  du  prêtre  Jean,  chef  religieux  ci  politique  d'une  com- 
munauté chrétienne  opprimée  par  les  infidèles  cl  attendant  toujours  de 
l'Occident  sa  délivrance,  remonte  jusqu'à  lui.  Sa  mission  terminée, 
Carpin  se  consacra  a  L'évangélisation  du  Nord,  et  prêcha,  dit-on,  jus- 


650  CARPIN  —  CARPOCRATE 

qu'en  Danemark  et  en  Norwége.  Sa  relation  fut  imprimée  pour  la 
première  fois  à  Venise,  en  1537.  On  en  a  fait  en  1634  un  abrégé  réim- 
primé à  La  Haye,  en  1729  et  1735,  dans  la  Collection  des  voyages  en 
Asie  de  Benjamin  de  Tudèle,  Carpin,  Rubruquis,  etc.  C'était,  jusqu'à 
ces  derniers  temps,  le  seul  extrait  qui  en  eût  été  donné  en  français.  En 
1839,  M.  Davezac  a  publié,  pour  la  collection  des  mémoires  de  la 
Société  géographique,  la  première  édition  complète  de  la  Relation 
des  Mongols  ou  Tar tares,  par  le  frère  Jean  du  Flan  de  Carpin,  etc., 
d'après  les  manuscrits  de  Leyde,  de  Paris  et  de  Londres  (Paris,  in-4°). 
CARPOCRATE,  célèbre  gnostique,  vivait  à  Alexandrie,  au  milieu  du 
deuxième  siècle,  sous  le  règne  d'Adrien.  11  revêtit  les  idées  platoni- 
ciennes de  formes  empruntées  au  christianisme  et  enseigna  un  antino- 
misme  qui  aboutit  aux  plus  dangereux  égarements.  Les  âmes,  d'après 
lui,  ont  existé  de  toute  éternité  dans  la  périphérie  de  la  Monade  divine, 
qui,  dans  les  cercles  toujours  plus  vastes  qu'elle  a  tracés  autour  d'elle, 
a  rencontré  la  matière  à  laquelle  se  sont  unis  les  àyysXs'.  jwxjpoicoioc, 
déchus  de  leur  pureté  primitive.  Le  royaume  du  monde,  qui  n'a  point 
conservé  le  souvenir  de  sa  divine  origine,  s'est  constitué  dans  l'iso- 
lement et  dans  l'indépendance  du  principe  divin,  parquant  les  hommes 
et  les  divisant  au  moyen  des  barrières  factices  qu'élèvent  entre  eux  la 
propriété,  le  mariage,  les  institutions  politiques  et  religieuses  avec  leur 
caractère  essentiellement  national,  c'est-à-dire  particulariste.  Par  une 
fausse  interprétation  de  Rom.  VII,  7,  Carpocrate  oppose  aux  lois  des 
hommes  qui  ont  provoqué  le  péché,  la  nature,  qui  représente  ce  qui 
subsiste  de  leur  condition  primitive.  Pour  atteindre  à  la  -pwsiç  [j.Gvao'ayj, 
il  faut  vivre  y.atà  çuaiv,  sans  souci  des  traditions  et  des  conventions 
sociales.  Dans  sa  réaction  aveugle  contre  le  légalisme,  Carpocrate  va 
jusqu'à  accuser  Moïse,  qui  a  réprimé  dans  le  Décalogue  la  convoitise 
du  bien  du  prochain,  d'être  l'auteur  du  vol  et  de  l'adultère.  Les  phi- 
losophes païens,  Pythagore,  Platon,  Aristote,  ont  réagi  contre  cette 
tendance.  A  leur  famille  appartient  aussi  le  juif  Jésus,  fils  de  Joseph. 
Il  est  un  homme  comme  nous,  mais  son  âme  plus  pure  s'est  souvenue 
de  ce  qu'elle  avait  vu  auprès  de  Dieu  dans  l'existence  antérieure.  C'est 
pour  cela  que  la  Monade  céleste  l'aima  et  lui  envoya,  lors  clu  baptême, 
la  force  d'échapper  aux  démiurges  et  d'offrir  au  monde  le  salut,  qui 
consiste  à  suivre  son  exemple  en  s' unissant  comme  lui  à  Dieu,  en 
brisant  le  joug  de  la  loi  et  en  combattant  la  souffrance  par  la  vertu  de 
guérir  les  maladies  et  de  triompher  de  la  puissance  de  la  matière  que 
nous  pouvons  obtenir  à  un  degré  encore  plus  grand  que  lui.  Celui  qui 
reste  esclave  des  puissances  inférieures  est  condamné,  par  la  loi  de  la 
métempsychose,  à  traîner  une  existence  misérable  de  corps  en  corps, 
de  planète  en  planète;  mais  celui  qui  s'unit  à  la  Monade,  retourne  à 
elle  au  sein  de  la  félicité  glorieuse  de  la  périphérie  divine.  Le  système 
de  Carpocrate  a  été  développé  par  son  fils  Epiphane,  qui  mourut  à 
l'âge  de  dix-sept  ans,  après  avoir  dissipé  les  plus  beaux  dons  dans  la 
débauche.  Ses  adhérents,  lui  élevèrent  un  temple  dans  l'ile  de  Cépha- 
lénie  et  lui  accordèrent  les  honneurs  divins.  Les  carpocratiens  se  ré- 
pandirent dans  toutes  les  contrées  méditerranéennes.  Ils  se  livraient, 


CARPOCRATE  —  CARPZOV  6&J 

dans  leurs  agapes,  aux  débauches  imputées  par  les  païens  à  tous  les 
chrétiens,  pratiquaient  les  arts  magiques,  fcélébraieni  des  rites  tout 
païens  auxquels  ils  avaient  adapté  la  terminologie  chrétienne,  asso- 
ciant à  l'image  «lu  Christ,  dont  ils  se  disaient  redevables  à  Pilate,  les 
bustes  des  dieux  et  des  sages  de  la  Grèce. —  hviice  (Adv.  A»res.,I,2&)ct 
Clément  d'Alexandrie  {Strom.>l[\,  p.  521  ss.)  ont  fourniles  renseigne- 
ments les  plus  complets  que  nous  possédions  sur  cette  secte.  Clément  a 
inséré  dans  ses  Stromates  des  fragments  d'un  traité  de  morale  d'Epi- 
pliane.  -iz\  z-./.T.zzJrr,;.  Voyez  aussi  Hippolyte,  Yj,v;yzz.  VII,  32;  Epi- 
plianc  Hares.,  27  ;  Théodoret,  Hivres.  fabui,  1, 5;  Tertullien,  De  Script,, 
18;  Eusèbe,  IV,  8;  Fuldner,  De  Carpocratianis,  dans  Ilgeris  Histor. 
iheuL  Adkandl.,  Leipz.,  1824,  p.  180  ss.;  Gesenius,  De  inscriptione 
j)/t<i'nicio-(/?';i'ca  in  Cyrenaica  nuper  reperta  ad  Carpocratianorwn  hiv- 
resi/t  pertinente,  Hahe,  1825,  dans  lequel  opuscule  le  savant  orientaliste 
analyse  deux  inscriptions  trouvées  dans  la  Cyrénaïque  qui  établissent 
que  les  tendances  carpocratiennes  y  étaient  encore  vivaces  au  sixième 
siècle;  Neander,  Kirchengesch.,  I,  p.  509  ss.,  etc. 

CARPZOV,  famille  originaire  du  Brandebourg,  qui  occupe  une  place 
importante  dans  le  mouvement  intellectuel  de  l'Allemagne  par  la 
science  et  l'orthodoxie  luthérienne  des  quinze  savants  plus  ou  moins 
marquants  qu'elle  a  fournis  à  la  jurisprudence  et  à  la  théologie  dans  le 
dix-septième  et  le  dix-huitième  siècle  (voy.  sur  la  famille  dans  son. 
ensemble  :  Dreyhaupt,  Beschreibung  desSaalkreises,  Halle,  1749-51,  t.  Il  ; 
Menés  Gelehrtes  Europa,  t.  XIV,  p.  290;  (Conversations- Lexicon  de  Brock- 
haus,  12  éd.,  t.  IV:  les  principaux  savants  qui  en  sont  sortis  ont  chacun 
leur  article  dans  Y  Encyclopédie  de  Ersch  et  Gruber,  et  dans  YAllge- 
meine  Deutsche  Biographie,  t.  IV;  les  théologiens,  dans  l'Encyclopédie 
de  Herzog).  —  Nous  mentionnerons  les  suivants  :  1.  Benoit  Cabpzoy 
(1593-1666),  jurisconsulte  célèbre  et  professeur  de  droit  ecclésiastique, 
dont  la  Jurisprudentia  ecclesiastica  (Leipz.,  1649)  a  développé  scientifi- 
quement le  système  épiscopal  luthérien,  d'après  lequel  les  droits  et 
prérogatives  des  anciens  évoques  sont  considérés  comme  dévolus  au 
prince  temporel.  —2.  Jean-Benoit  I,  son  frère,  né  en  1607  et  mort  le 
22  octobre  1657,  pasteur  et  professeur  de  théologie  à  Leipzig,  a  publié 
entre  autres,  sous  le  titre  de  Ilodegeticum  (Leipz.,  1656,  in-8°),  un  traité 
d'homilétique  estimé  de  son  temps,  et  peut  être  considéré  comme  le  créa- 
teur de  la  symbolique  par  son  ouvrage  posthume  :  Isagogc  inlibrosEccle- 
siarum  lutkerûnarum  $t/mèùlicos  (Lips.,  1665,  in-4°).  —  3.  Jean- 
Benoit  II,  fils  du  précédent,  né  à  Leipzig  le  21  avril  1639,  professeur  de 
morale  dans  cette  ville  en  1665,  d'hébreu  en  1668,  de  théologie  en  1684, 
y  mourut  le  23  mars  1699;  il  fut  un  adversaire  déclaré  du  piétisme, 
e  qui  l'entraîna  à  de  très-vives  polémiques;  élève  de  Buxtorf,  il  cou- 
naissai!  bien  l'hébreu  et  publia  dans  ce  domaine,  outre  quelques  tra- 
vaux originaux  de  peu  d'étendue  (ses  dissertations  ont  été  réunies: 
Disputatwnes  academicœ,  etc.,  Lips..  1699.  in-4°),  de  nouvelles  éditions 
daJtu  regium  Hebrseorum  de  Schickard  (1674),  des  Horx  hebr.  et  tal- 
mud.  m  l\  Evangel.  de  Lightfoot  (167">  et  1684,  in-4°),  du  Pugio  fidei 
adv.  Mawos  et  Judxoi   de   Raimond  Martin  (Lips.,  1687,   in-foL),  du 


652  CARPZOV 

Comment  arius  in  minores  prophetas  de  Tarnov  (1688,  in-4°).  Voyez  sur 
lui  :  Pipping,  Sacer  decadum  Septenarius  (Lips.,  1705,  p.  703-784).  — 
4.  Jean-Benoit  III  (1670-1733),  fils  du  précédent,  pasteur  à  Leipzig  et 
professeur  extraordinaire  de  langue  hébraïque,  publia  quelques  disserta- 
tions, et  le  Collegium  rabbinico-biblicum  in  lib.  Ruth  (Lips. ,  1703,  in-4°), 
de  son  père.  —  5.  Jean-Benoit  IV,  fils  du  précédent,  né  le  20  mai  1720 
à  Leipzig,  fut  dès  1748  professeur  de  grec  et  de  théologie  à  Helmstœdt, 
où  il  mourut  le  28  avril  1803,  après  y  avoir  représenté  le  luthéranisme 
strict,  au  nom  duquel  il  combattit  le  rationalisme  de  son  collègue 
W.-A.  Tellerparson  Liber  doctrinalis  theologiœ  purioris  ut  Ma  in  Acad. 
Helmst.  docetur  (Brunswick,  1768).  Ses  travaux  exégétiques  sur  les 
épitres  {Romains,  1756;  Epîtres  cathol.,  1790;  Galates,  1794  ;  Hébreux, 
1795)  sont  estimés  surtoutpour  les  connaissances  philologiques  de  l'au- 
teur, connaissances  quibrillent  tout  spécialement  dans  ses  Sacras  Exer- 
citationes  in  epistolam  ad  Hebrœos  ex  Philone  (Helmst.,  1750,  in-8°)  et 
dans  de  nombreux  ouvrages  théologiques  et  philologiques.  Voyez  sur 
lui  :  Saxius,  Onomasticon  (t.  VIII,  p.  55);  Neues  Gel.  Europa  (t.  XIV, 
p.  290)  ;  Meusel,  Gelehrtes  Teutschland  (t.  I).  —  6.  Samuel-Benoit,  fils 
de  Jean-Benoît  I  (1647-1707),  pasteur  à  Dresde,  devint  par  l'influence 
de  son  frère,  Jean -Benoît  II,  un  adversaire  du  piétisme,  quoiqu'il  eût 
d'abord  été  un  ami  de  Spener;  il  laissa  après  lui  beaucoup  de  sermons 
imprimés,  une  réputation  de  prédicateur  de  talent,  et  un  fils  qui  doit 
nous  arrêter  davantage.  —  7.  Jean-Gottlob  Carpzov,  né  à  Dresde  le 
26  septembre  1679,  étudia  à  Wittenberg,  Leipzig  et  Altdorf,  voyagea 
en  Angleterre  et  en  Hollande,  exerça  le  ministère  évangélique  dès  1704  à 
Dresde,  et  dès  1708  à  Leipzig,  où  ilfut  en  même  temps  (1713)  professeur 
extraordinaire  de  théologie,  puis  (1719)  professeur  ordinaire  de  langues 
orientales;  appelé  en  1730  comme  premier  pasteur  et  surintendant  à 
Lubeck,  il  s'y  montra  d'un  luthéranisme  violent  et  persécuteur  contre 
les  réformés  et  les  frères  moraves,et  y  mourut  le  7  avril  1767.  Carpzov 
occupe  dans  l'histoire  de  la  critique  biblique,  par  ses  deux  ouvrages 
principaux,  une  place  importante,  soit  comme  représentant  principal  de 
l'orthodoxie  luthérienne  en  ces  matières,  soit  comme  résumant  avec  une 
grande  érudition  tous  les  travaux  publiés  jusqu'alors  sur  l'Ancien  Testa- 
ment dont  il  rend  fidèlement  compte,  soit  enfin  pour  avoir  embrassé  plus 
complètement  que  ses  prédécesseurs  l'ensemble  des  recherches  qui 
constituent  de  nos  jours  Y  Introduction  à  l'Ancien  Testament.  Avec  un 
dogmatisme  très-arrêté  il  soutint  l'inspiration  littérale,  le  canon  divin  et 
l'incorruptibilité  du  texte  de  l'Ancien  Testament,  et  fut  au  dix-huitième 
siècle  le  principal  adversaire  de  la  tendance  critique  d'un  Louis  Cappel 
et  d'un  Richard  Simon,  auxquels  il  ne  laisse  rien  passer  et  dont  il 
réussit  à  arrêter  pendant  plus  d'un  clemi-siècle  l'influence  sur  la  théo- 
logie protestante  ;  il  faut  cependant  lui  reconnaître  le  mérite  d'avoir 
obligé  la  critique  biblique  à  plus  de  circonspection  et  à  une  étude  plus 
minutieuse  pour  arriver  à  se  former  une  idée  de  l'origine  des  livres  de 
l'Ancien  Testament.  Nous  citerons  de  lui  son  Introductio  ad  libros  ca- 
nonicos  Bibliorum  Vet.  Testamenti  omnes  (Leipz.,  1714-21,  3  vol.  in-4°; 
2e  édit,  1731  ;  3eédit.,  1741  ;  ces  deux  dern.  édit.  sans  changements), 


CARPZOV  —  CARRANZA  653 

dans  laquelle  il  étudie  les  uns  après  les  autres  chacun  des  livres  his- 
toriques, poétiques  et  prophétiques  de  r Ancien  Testament,  examinant 
leur  titre,  leur  auteur,  leur  contenu,  leur  but,  le  temps  de  leur  com- 
position, etc.,  et  appuyant  en  tous  points  les  opinions  traditionnelles 
par  la  réfutation  des  novateurs,  le  tout  terminé  par  une  ample  indi- 
cation des  commentaires  publiés  sur  chaque  livre  ;  dans  la  préface  du 
troisième  volume  l'auteur  répond  aux  critiques  que  les  Mémoires  de 
Trévoux  avaient  faites  du  premier  volume.  Dans  sa  Critica  sac?*a  Vet.  Tes- 
tament/ (Lips.,  1748,  in-'t"  ;  2e  édit.  revue  et  augm.,  1748,  in-4°)  Carpzov 
complète  l'ouvrage  précédent  en  exposant  dans  une  première  partie 
tout  ce  qui  concerne  le  texte  de  l'Ancien  Testament  dans  sonensembleet 
les  travaux  dont  il  a  été  l'objet,  et  en  examinant  dans  la  seconde  les  ver- 
sions;  la  troisième  partie  devaitêtre  consacrée  aux  livres  apocryphes  et 
pseudépigraphes,  mais  l'auteur  l'a  remplacée  par  une  réfutation  d'un 
ouvrage  de  l'anglais  G.  Whiston,  qui  soutenait  que  le  texte  hébreu  avait 
été  corrompu  par  les  Juifs;  cette  partie  fut  traduite  en  anglais  (Lond., 
1749,  in-8).  Carpzov  avait  eu  l'intention  de  faire  pour  le  Nouveau 
Testament  un  travail  semblable  à  celui  qu'il  avait  publié  sur  l'Ancien 
dans  ces  deux  ouvrages;  il  y  renonça  d'autant  plus  facilement  qu'il 
avait  trouvé  en  J.-W.  Rumpseus  un  disciple  fidèle  qui  chercha  à  s'ins- 
pirer de  ses  sentiments,  sinon  de  son  érudition,  dans  sa  Commentatio 
critica  in  libros  J\ovi  Testament i  in  génère,  cum  prœfatione  J.  67.  Carp- 
zovii  (Lips.,  1730,  in-4"),  mais  qui  mourut  avant  d'achever  l'introduc- 
tion spéciale  à  chaque  livre  qu'il  avait  promise.  Sous  le  titre  d'Appa- 
ra tus  historico-criticus  Antiquitatum  sacri  codicis  et l  gentis hebrœx (Lips., 
1748,  in-4°)  Carpzov  donna  un  commentaire  érudit  de  l'archéologie 
hébraïque  que  Thomas  Godwin  avait  publiée  en  anglais  sous  le  titre  de 
Muses  and  Aaron  (Lond.,  1614,  in-4°).  —  Sources  :  Moser,  Lexîcon  d. 
jetztleb.  Theologen,  p.  144  et  792;  Gœtten,  Gelehrtes  Europa,  t.  I, 
p.  101  et 843;  Meusel,  Lexicon  d.verstorb.  teutschen,  Schriftsteller ,  t.  II; 
Adelung,  Supplem.  zu  Jœchers  Lexicon,  t.  II;  Siegfried,  dans  Allgem. 
Deutsche  Biographie,  i.  IV  ;  Meyer,  Gesch.  d,  Schrifterklxrung,  t.  IV; 
Rosenmùller,  ffandbuch,  t.  I.  a.  Bernus. 

CARRANZA  (Bartolomeo),  l'illustre  et  infortuné  archevêque  de 
Tolède,  naquit  en  1503,  à  Miranda,  ville  du  royaume  de  Navarre. 
Dominicain  et  inquisiteur,  il  travailla  avec  un  zèle  passionné  à  la 
répression  de  toutes  les  tendances  hostiles  à  l'autorité  du  saint- 
siège,  qu'il  plaçait  sans  hésitation  au-dessus  de  celle  des  conciles  (voy. 
les  Quatre  controverses,  en  tête  de  la  lre  édition  du  livre:  /Somme  de  tous 
les  Conciles,  et  l'édition  de  1081).  Il  professa  avec  éclat  la  théologie 
dans  le  collège  de  Saint- Grégoire  à  Valladolid  et  joua  un  rôle  impor- 
tant au  concile  de  Trente.  L'ardeur  avec  laquelle  il  travailla,  sous  les 
auspices  de  Philippe  II  ei  de  Marie  Tudor,  à  la  restauration  du  catholi- 
cisme  en  Angleterre,  lui  gagna  les  sympathies  du  pape  et  du  roi.  En 
1558  il  monta  sur  le  siège  de  l'archevêché  de  Tolède  et  obtint  la  haute 
dignité  de  primat  des  Espagnes.  Ce  fut  le  commencement  de  ses 
malheurs.  Désigné  à  l'attention  du  grand-inquisiteur  D.  Ferdinand  de 
Vahles,   archevêque  de  Séville,  par  les  aveux  de  personnes  suspectes 


654  CARRANZA 

d'hérésie  et  par  son  attitude  étrange  au  lit  de  mort  de  l'empereur 
Charles  V,  il  fut  arrêté  et  jeté  dans  les  prisons  de  l'inquisition.  Son 
procès,  évoqué  à  Rome  par  le  pape  Pie  V  en  1567,  dura  jusqu'à  1576. 
Le  16  mars,  Grégoire  XIII  prononça  la  sentence.  Carranza,  déclaré  tiès- 
suspect  (en  gran  mariera  sospechoso)  d'hérésie,  devait  abjurer  seize 
propositions  scandaleuses,  se  soumettre  à  diverses  pénitences,  et  être 
suspendu  pour  cinq  ans  et  au-delà  de  ses  fonctions.  Bientôt  après,  le 
2  mai,  l'infortuné  prélat  expirait  au  couvent  de  la  Minerve,  non  sans 
protester  de  son  innocence.  La  plupart  des  historiens  admettent  que 
le  procès  n'eut  d'autre  causeque  la  jalousie  des  adversaires  de  Carranza. 
Didier  de  Castejon,  dans  son  histoire  de  Y  Eglise  de  Tolède,  Salazar  de 
Mendoza,  auteur  d'une  Vie  de  Carranza,  Llorente,  dans  son  Histoire 
critique  de  V Inquisition  d'Espagne,  et  l'auteur  de  [a  Notice  sur  le  procès 
de  Carranza,  dans  la  Collection  de  documents  inédits  pour  V histoire  d'Es- 
pagne (t.  V,  p.  389),  sont  d'accord  sur  ce  point.  Mais  Ad.  de  Castro, 
dans  son  Histoire  des  protestants  d'Espagne  (1851),  a  prouvé  que  les 
propositions  condamnées  se  trouvent  dans  les  écrits  de  Carranza,  et  un 
examen  plus  approfondi  montre  qu'elles  font  partie  d'un  système  qui, 
sans  être  conforme  aux  doctrines  de  Luther,  s'écarte  en  plus  d'un 
point  des  enseignements  de  l'Eglise  catholique.  C'est  que  Carranza 
avait  obtenu  en  1539,  lors  d'une  réunion  du  chapitre  général  de  son 
ordre,  Je  droit  de  lire  les  écrits  des  hérétiques.  Il  s'était  à  son  insu  pé- 
nétré de  leurs  idées.  Si  Melchior  Cano,  son  rival  et  son  adversaire,  fut 
un  partisan  zélé  de  la  scolastique  et  un  ennemi  déclaré  de  toute  inno- 
vation, Carranza  approuvait  les  vues  d'Erasme  de  Rotterdam  et  prêchait 
la  nécessité  d'une  réforme  dans  son  traité  sur  la  Résidence  des  évêques 
(Venise,  1547  et  1562)  et  dans  son  célèbre  discours  tenu  au  concile  de 
Trente,  le  premier  dimanche  du  carême  de  1546,  sur  le  texte  :  «  Sei- 
gneur, est-ce  qu'en  ce  temps  tu  restitueras  le  royaume  d'Israël?  »  Les 
Commentaires  sur  le  Catéchisme,  publiés  en  1558  et  dédiés  à  Philippe  II, 
furent  écrits  dans  le  but  avoué  de  combattre  l'ignorance  des  masses  et 
l' influence  pernicieuse  des  hérésies  par  une  instruction  solide  et  va- 
riée, puisée  à  la  source  de  l'Eglise  et  des  saintes  Ecritures.  Dans  ce 
livre  que  Réginald  Pôle  et  d'autres  prélats  illustres  ont  loué,  et  auquel 
la  congrégation  de  Y  Index  du  concile  de  Trente  n'a  pas  refusé  son  ap- 
probation en  1563,  l'auteur  enseigne  que  le  chrétien  est  justifié  par  la 
foi  en  la  mort  de  Jésus-Christ  ;  foi  capable  de  vaincre  les  terreurs  du 
sépulcre  et  de  l'enfer.  Ce  fut  cette  doctrine  qu'il  apporta  au  grand  em- 
pereur comme  suprême  consolation.  Même  dans  son  livre  le  plus  ré- 
pandu :  La  Somme  de  tous  les  Conciles,  publié  pour  la  première  fois  eu 
1546,  revu  et  corrigé  par  François  Sylvius  en  1639,  par  François  Jan- 
sens  Elinge  en  1668  et  1681,  et  dans  les  premières  années  du  dix- 
neuvième  siècle  par  le  bénédictin  Schramm,  Carranza  ne  se  borne  pas 
à  donner  un  résumé  des  décisions  des  assemblées  chrétiennes,  mais  il 
s'applique  à  réveiller  la  conscience  de  la  misère  des  temps  présents  par 
le  souvenir  de  la  gloire  passée.  En  un  mot  Carranza  se  rattache  à  ce 
groupe  d'hommes  éminents  qui,  au  seizième  siècle,  ont  pensé  réfor- 
mer l'Eglise  par  un  retour  aux  lois  du  passé,  et  la   théologie  par  un 


CARRANZA  —  CARTÉSIANISME  6*2 

retour  aux  saintes  Ecritures,  sans  se   séparer  de   l'unité  catholique  H 

tout  en  restant  soumis   au v  décisions  du  saint-siège,  comme  à    la  su-  ' 
préme  autorité  en  matière  de  dogme,  eug.  Stern. 

CARRON  Ç6ui-Toassaint4ulien),  prêtre  philanthrope,  né  à  Rennes  en 
I7t)0.  Kiev»'  par  sa  mère  en  vue  du  sacerdoce  et  ordonné  prêtre  avant 
l'âge,  il  manifesta,  dès  ses  premières  fonctions  de  vicaire  dans  une 
paroisse  de  Hennés,  le  zèle  ardent  et  les  qualités  spéciales  qui  tirent 
de  lui  un  véritable  apôtre  de  bienfaisance.  La  Révolution  l'enleva  aux 
œuvres  charitables  qu'il  avait  déjà  organisées  dans  sa  patrie.  Empri- 
sonne comme  réfraetaire,  puis  exilé,  il  se  réfugia  à  Jersey,  où  sa  cha- 
rité ingénieuse  trouvâtes  ressources  nécessaires  aux  secours  temporels 
et  spirituels  des  émigrés  et  à  l'instruction  de  leurs  enfants.  Cette  sorte 
de  colonie  de  réfugiés  ayant  dû  passer  à  Londres,  l'abbé  Carron  y 
transporta  ses  écoles  et  ses  institutions  bienfaisantes,  qu'il  augmenta 
d'hospices  et  d'un  séminaire.  Il  ne  quitta  ce  champ  d'activité  qu'à  la 
Restauration  pour  prendre,  à  la  demande  de  Louis  XVIII,  la  direction 
de  Y  Institut  royal  de  Marie-Thérèse,  maison  entretenue  par  la  liste  ci- 
vile en  faveur  de  jeunes  personnes  dont  les  familles  avaient  été  ruinées 
par  suite  de  leur  fidélité  à  la  cause  du  roi.  L'abbé  Carron  montra  à 
Paris  comme  à  Londres  un  dévouement  infatigable  à  toutes  les  misères 
et  mourut  en  1821,  entouré  de  la  vénération  universelle.  Lamennais, 
qui  vécut  assez  longtemps  dans  la  même  maison  et  qui  lui  vouait  une 
admiration  profonde,  s'était  proposé  d'écrire  sa  vie,  dessein  que  les 
luttes  qui  l'absorbèrent  dans  la  suite  l'empêchèrent  sans  doute  de  réa- 
!  ser.  Malgré  ses  travaux  incessants,  l'abbé  Carron  ne  composa  pas 
moins  de  trente  ouvrages,  dont  quelques-uns  ont  plusieurs  volumes, 
sur  des  sujets  d'édification  et  de  morale.  Trois  sont  restés  en  manu- 
scrit. Rédigés  avec  un  style  quelque  peu  négligé,  mais  dans  un  esprit 
de  piété  pratique  absolument  étranger  aux  exagérations  de  la  faction 
ultramontaine,  ils  furent  accueillis  avec  faveur  par  les  contemporains. 
Citons  les  Réflexions  chrétiennes  pour  tous  les  jours  de  l'année  (Winches- 
ter, 1790,  in-12),  souvent  réimprimées  à  Paris  et  à  Londres  sous  le 
titre  de  Pensées  chrétiennes  ;  les  Pensées  ecclésiastiques,  et  les  Confesseurs 
de  la  foi  en  France  à,  la  fin  du  dix-huitième  siènln  (Paris,  1820,  4  vol. 
:n-S");  c'est  le  plus  remarquable   de  s*  --■..  L'abbé  CLrrOfi  a 

lossi  écrit  Le  Modèle  des  prêttec  oi  »r:dres,  1803, 

in-12).  i\  Uouffet. 

CARTÉSIANISME.  René  Desca  „■??,  .,e  en  Touraine  l'an  1596,  fut 
élevé  an  collège  des  jésuitesà  la  Flèche;  après  avoir  servi  dans  l'armée 
de  Maurice  de. Nassau,  puis  dans  celle  de  Tilly,  il  parcourut  une  grande 
parti»'  de  L'Allemagne  et  se  retira  (1629)  en  Hollande  pour  s'y  vouer 
j»|ii<  libreim  ut  a  la  méditation.  En  1037  il  publia  Je  Discours  êe  I"  mé- 
thode, que  complétèrent  les  Principes  (lOVi)  et  les  Méditations  mé- 
taphysiques (1647).  Sur  l'invitation  de  la  reine  Christine  de  Suède,  il 
-r  rendit  en  1649  à  Stockholm,  où  il  mourut  le  11  lévrier  KSJO,  Des- 
cartes  commence  par  énumérer  tous  les  motifs  que  nous  avons  pour 
doutei-  de  la  vérité  de  nos  connaissances,  et  il  semble  adopter  la 
maxime  de  Sanchez  (Quoi  nihil  scitur,  UJ81)  :  Quo  magis  coyito,  magn 


656  CARTESIANISME 

dubito.  Toutefois  il  a  eu  soin  de  distinguer  entre  la  philosophie  et  la 
théologie.  En  matière  religieuse,  il  est  un  ferme  croyant;  il  accomplit 
le  pèlerinage  de  Lorette  pour  un  vœu  fait  à  la  Vierge  ;  il  supprime  soie 
Traité  delà  lumière,  quand  il  apprend  la  condamnation  de  Galilée,  non 
qu'il  ait  renoncé  au  système  de  Copernic,  car  il  constate  que  la  déci- 
sion des  inquisiteurs  n'est  confirmée  ni  par  le  pape  ni  par  un  concile; 
mais  par  prudence,  il  s'enveloppe  désormais  d'obscurité  quand  il  traite 
du  système  du  monde  ;  etBossuetdit  de  lui  :  «  Descartes  a  toujours  craint 
d'être  noté  par  l'Eglise,  et  il  prenait  pour  cela  des  précautions  qui  al- 
laient jusqu'à  l'excès.»  En  philosophie  ce  doute  méthodique  rencontre 
une  vérité  inébranlable,  obtenue  sans  raisonnement,  par  une  simple 
•inspection  de  l 'esprit  :  si  je  doute,  je  pense,  c'est-à-dire  je  suis  ;  ce  qui 
chez  saint  Augustin  n'était  qu'une  réflexion  entre  plusieurs,  se  trouve 
constituer  le  fondement  de  la  philosophie.  Cette  première  notion  ayant 
pour  caractère  d'être  évidente,  l'évidence  est  le  critère  de  la  vérité* 
substitué  au  principe  d'autorité  accepté  par  la  philosophie  scolastique; 
ce  que  je  conçois  clairement  et  distinctement  est  vrai,  et  la  raison  seule 
est  juge  de  l'évidence  des  choses.  Or  nous  discernons  clairement  dans 
notre  esprit  l'idée  d'un  être  parfait,  existant  par  lui-même,  substance 
indépendante  ;  idée  qui  n'est  pas  notre  œuvre  personnelle  ;  elle  est 
donc  imprimée  à  notre  esprit  par  l'être  infini,  c'est-à-dire  par  Dieu, 
créateur  universel.  Du  reste,  Descartes  ne  s'arrête  pas  à  approfondir 
l'idée  de  Dieu;  il  l'accepte  de  la  tradition  chrétienne;  comme  pour  les 
jésuites,  ses  maîtres,  la  liberté  divine  est  pour  lui  une  liberté  d'indiffé- 
rence :  Dieu  aurait  pu  rendre  possibles  les  choses  qu'il  a  voulu  rendre 
impossibles;  mais  il  ne  développe  pas  les  conséquences  de  cette  no- 
tion. Du  moins  il  tire  de  l'existence  de  Dieu  un  second  critère  :  1» 
véracité  de  l'être  parfait,  qui  ne  veut  pas  nous  tromper,  Dès  lors  les 
notions  que  nos  sens  nous  suggèrent  ne  sont  pas  des  illusions,  elles 
correspondent  à  une  réalité  objective,  le  monde,  dont  l'existence 
est  une  création  incessante  de  Dieu,  qui  est  la  vraie  cause  comme  i! 
est  la  vraie  substance,  les  êtres  créés  n'agissant  que  par  son  action 
continue.  La  philosophie  n'a  pas  à  s'enquérir  des  causes  finales,  la 
capacité  de  notre  esprit  étant  trop  médiocre  pour  les  discerner  ;  elle 
cherche  surtout  l'explication  mécanique  et  mathématique  des  phé- 
nomènes de  la  nature.  Dans  le  monde  nous  distinguons  deux  sortes 
de  substances  opposées  :  les  corps,  dont  l'attribut  intelligible  et  essen- 
tiel est  l'étendue,  tous  les  mouvements  matériels,  tant  physiques  que 
physiologiques,  n'étant  que  l'étendue  modifiée  diversement,  et  les 
esprits,  dont  l'attribut  essentiel  est  la  pensée,  la  continuité  des  phé- 
nomènes de  conscience.  Dans  l'homme,  le  corps  exerce  une  action 
sur  l'âme  et  réciproquement,  mais  l'assistance  divine  est  nécessaire 
pour  ces  communications.  Nos  idées  sont  les  unes  innées  ou  néces- 
saires, les  autres  acquises.  Nos  erreurs  viennent  de  ce  que  la  volonté 
intervient  dansla  formation  de  nos  jugements;  l'entendement  ne  déter- 
mine la  volonté  qu'avec  le  consentement  de  la  volonté  qui  est  abso- 
lument libre.  On  a  reproché  à  ce  système  que  les  différents  termes  n'en 
sont  pas  assez  justifiés  ni  coordonnés  ;  que  la  psychologie  en  est  faible. 


CARTÉSIANISME  6oT 

et  les  éléments  éthiques  presque  absents  :  l'évidence  est  mal  définie, 
et  les  Idées  innées  indiquées  vaguement  ;  on  passe  trop  brusquement 
d'un  simple  phénomène  de  conscience  à  la  notion  ontologique  de' la 
substance  pensante,  et  de  l'idée  de  l'être  existant  par  lui-même  au 
Dieu  des  chrétiens;  ainsi  cette  doctrine  se  présente  avec  l'apparence 
d'une  hypothèse  ou  d'un  emprunt  l'ait  à  la  tradition;  enfin  l'élément 
rationaliste  y  prédomine,  préparant  les  voies  à  l'idéalisme  panthéis- 
tique.  Mais  il  faut  reconnaître  (piécette  philosophie,  dans  sa  claire  et  géo- 
métrique ordonnance,  répondait  aux  aspirations  de  cette  période  du 
dix-septième  siècle  et  qu'elle  a  exercé  une  action  qui  peut  être  com- 
parée à  celte  de  Richelieu  dans  l'ordre  politique;  Descartes  ne  veut  pas 
seulement  rompre  avec  le  moyen  âge,  mais  avec  le  mouvement  im- 
pétueux de  la  pensée  au  seizième  siècle;  il  surmonte  le  scepticisme;  il 
résiste  au  «  flot  d'épicuriens  »,  et  oppose  au  Dieu-nature  des  matéria- 
listes le  Dieu-pensée;  il  complète  la  méthode  de  Bacon,  toute  consacrée 
à  l'étude  des  phénomènes  sensibles;  il  marque  fortement  le  lien  intime 
qui  unit  l'âme  à  Dieu  ;  et  par-dessus  tout  il  ramène  la  philosophie  à 
son  vrai  foyer,  la  science  de  l'esprit.  Cette  doctrine  excita  dès  l'abord 
un  vif  intérêt.  En  France,  elle  rencontra  de  nombreuses  adhésions;  le 
duc  de  Luynes  traduisit  en  français  les  méditations;  Rohaut  institua 
des  conférences  qui  furent  suivies  par  l'élite  de  la  société  parisienne; 
l'influence  que  cette  philosophie  exerça  sur  la  littérature  fut  considé- 
rable. Plusieurs  ordres  religieux  l'adoptèrent,  notamment  l'Oratoire 
(Bérulle,  Malebranche,  le  P.  Poisson)  et  Port-Royal  (Arnauld,  Nicole)  ; 
dans  les  autres  congrégations  elle  compta  des  disciples  éminents  (le 
P,  Mersenne,  le  P.  Bossu,  etc.).  Mais  les  jésuites  lui  firent  opposition  ; 
la  doctrine  de  la  transsubstantiation  était  en  péril;  à  leur  sollicitation, 
le  saint-siége  défendit  l'impression  et  la  lecture  des  écrits  de  Descartes 
(1663).  La  Sorbonne  demanda  un  arrêt  de  prohibition  au  parlement, 
et  comme  ce  corps  hésitait, par  suite  d'un  arrêt  burlesque  imaginé  par 
Boileau,  ce  fut  le  conseil  du  roi  qui  proscrivit  en  France  l'enseignement 
de  cette  philosophie  (1671)  ;  l'archevêque  de  Harlay  fit  fermer  le  cours 
de  Sylvain  Régis  ;  dom  Lamy  fut  interdit  de  l'enseignement  et  de  la 
prédication  ;  le  P.  André,  jésuite  mais  cartésien,  fut  mis  à  la  Bastille  ; 
l'Oratoire  fut  obligé  de  soumettre  son  enseignement  à  une  révision.  Il 
est  vrai  que  plusieurs  cartésiens  s'étaient  avancés  dans  une  voie  qui 
aboutissait  au  panthéisme  :  le  médecin  Delaforge  enseignait  que  les 
rapports  de  l'àme  et  du  corps  sont  indépendants  de  notre  volonté  et 
causés  par  Dieu  seul  (Traité de  l'nme  et  deson  unir»)  arec  le  corps  d'après 
1rs  principes  de  Desc.,  1666)  ;  Régis  soutenait  qu'il  faut  rapportera  Dieu 
les  actes  que  par  illusion  nous  rapportons  à  nous-mêmes;  Malebranche 
voyait  tout  en  Dieu  et  constatait  que  Dieu  fait  tout  en  nous.  Toutefois 
un  cartésianisme  mitigé,  représenté  surtout  par  deux  hommes  supé- 
rieur-. Bossuel  et  l'énelon,  lit  tomber  en  désuétude  les  arrêts  de  pro- 
scription, et  les  j.'siiitcs  eux-mêmes  finirent  par  l'adopter.  Mais  au 
dix-huitième  siècle,  cette  philosophie  tomba  dans  un  discrédit  com- 
plet; ce  qui  amena  sa  chute,  ce  ne  furent  pas  les  critiques  de  Huet 
(Censvra  philosopha  cart.,  1081)  ;  Traité  de  la  faiblesse  de  l esprit  humain, 
ii.  4-2 


6  58  CARTESIANISME 

1723),  mais  d'une  part  le  dogmatisme  immobiliste  des  cartésiens,  pour 
qui  la  parole  du  maître  était  devenue  une  nouvelle  autorité,  et  d'autre 
part  Terreur  de  l'hypothèse  des  tourbillons,  qui  dut  faire  place  à  la 
théorie  de  l'attraction  découverte  par  Newton.  Quelques  voix  au  sein  du 
clergé  (Gerdil)  protestèrent  contre  cet  oubli  «  du  père  de  la  nouvelle 
philosophie».  En  Hollande,  un  professeur  de  théologie  à  Leyde, Heida- 
.nus,  avait  été  un  des  premiers  disciples  de  Descartes;  des  professeurs  de 
philosophie,  de  Rary,  Herbrot,  Geulinx,  le  théologien  Christ.  Wittich 
(Theologia  pacifica,  1671)  suivirent  la  même  voie.  A  l'université 
d'Utrecht,  le  philosophe  Rhegius,  le  théologien  F.  Burmann  profes- 
sèrent aussi  le  cartésianisme  ;  mais  le  recteur  G.  Voet  accusa  Descartes 
d'athéisme,  et  celui-ci  dut  recourir  à  l'ambassadeur  de  France  pour 
obtenir  que  la  procédure  fût  arrêtée  ;  la  cause  du  cartésianisme  fut  con- 
fondue avec  celle  de  la  doctrine  de  Cocceius  ;  toutes  deux  furent  con- 
damnées par  l'université.  Les  Etats  et  le  synode  intervinrent  (1656)  ; 
les  cartésiens  étaient  suspects  au  parti  orangiste,  et  en  1676 l'enseigne- 
ment de  la  philosophie  cartésienne  fut  interdit.  On  incriminait  :  le 
doute  posé  comme  point  de  départ  pour  la  recherche  de  la  vérité,  l'af- 
firmation que  la  certitude  philosophique  égale,  en  son  domaine,  celle  de 
la  révélation,  que  la  liberté  de  l'homme  est  assez  complète  pour  qu'il 
puisse  de  lui-même  dompter  ses  passions  ;  puis  l'occasionalisme  en- 
seigné par  Geulinx,  qui,  après  avoir  professé  pendant  douze  ans  à 
Louvain,  était  devenu  protestant  et  semblait  dépasser  les  limites  du 
théisme  chrétien  en  affirmant  que  Dieu  produit  dans  notre  corps  les 
actes  correspondant  aux  pensées  de  l'esprit  et  réciproquement  ;  et  la 
hardiesse  avec  laquelle B.  Bekker  contestait,  au  nom  de  la  philosophie, 
la  puissance  des  démons  et  introduisait  dans  F  exégèse  le  procédé  de 
l'accommodation  ;  enfin  la  doctrine  de  Spinoza,  qui  apparaissait  comme 
le  continuateur  légitime  de  Descartes.  Mais  ces  rigueurs  n'empêchèrent 
pas  le  cartésianisme  d'acquérir  des  adhérents  et  d'exercer  une  in- 
fluence sur  la  théologie  ;  par  exemple,  chez  Van  Til  (Compend.  theoL, 
1704).  H. -A.  Rœll,  cartésien,  un  des  précurseurs  du  rationalisme,  put 
conserver  sa  chaire  de  théologie  à  Utrecht  jusqu'à  sa  mort  (1718).  Les 
théologiens  se  préoccupèrent  toujours  davantage  de  la  clarté,  de  la 
simplicité  en  matière  de  dogme.  En  Angleterre,  Hobbes  avait  combattu 
la  doctrine  des  idées  innées;  les  professeurs  de  Cambridge,  Henri  Morus 
et  Samuel  Parker,  censurèrent  la  Physique,  dont  Ant.  Legrand  prenait 
la  défense  (Apologia  pro  Cart.,  1672).  Locke  rejeta  pareillement  les 
idées  innées,  mais  il  suivit  pour  l'étude  de  l'esprit  humain  la  voie  ou- 
verte par  Descartes.  En  Allemagne,  l'université  réformée  de  Duisburg 
accueillit  la  philosophie  nouvelle;  Clauberg,  professeur  de  théologie. 
y  enseignait  que  nous  sommes  à  l'égard  de  Dieu  ce  que  nos  pensées 
sont  à  l'égard  de  notre  esprit;  H.  Hulsius  voulait  que  notre  foi  reposât 
sur  une  démonstration  rationnelle  et  non  sur  un  témoignage  du  Saint- 
Esprit.  Mais  dans  les  universités  luthériennes,  le  cartésianisme  fut  com- 
battu; il  n'y  exerça  pas  d'action  notable;  c'était  à  la  philosophie  de 
Leibnitz  et  de  Wolf  que  ce  rôle  était  réservé.  De  nos  jours  M.  Cousin  a 
relevé  la  gloire  de  Descartes  avec  un  chaleureux  patriotisme.  —  Voyez 


CAUTMACE—  OARTULAIRi:  6Ô9 

Dainuoii.  La  philosophie  en  France  au  dix-septième  siècle,  ^  vol.,  1846; 
Fr.  Houillier.  Histoire  de  la  révolution  cartésienne,  :>•  éd.,  1868. 

A.  Mat  ri: r. 

CARTHAGE  (Kar/r.^ov.  Cartkago),   colonie   phénicienne  l'ondée  par 
la  princesse  tyrienne  Elissar  ou   Klissa,  sur  remplacement  de  l'an- 
cienne ville  sidonienne  de  Kamhé.  La  nouvelle  colonie  reçut  le  nom 
de  KirùUk-Hadeshât  (ville  nouvelle), que  Ton  prononce  ordinairement 
Kartk-Hadshàt.  Après  avoir   été    réduite  en  cendres,   à  la   suite   des 
guerres  puniques,  Carthage  avait  été  rebâtie,  conformément  au  projet 
de  F  empereur  Auguste,  et  était  devenue  la  capitale  de  l'Afrique  pro- 
consulaire. Au  moment  où  le  christianisme  y  pénétra,  c'était  un  àêé 
centres  les  plus  considérables  de  l'empire  romain;  on  y  comptait  envi- 
ron 400.000  habitants.  Il  n'est  pas  étonnant  que  l'Eglise  d'Afrique 
(voir  cet  article)  en  ait  fait  sa  métropole  et  y  ait  tenu  plusieurs  conciles 
importants  où  se  discutèrent  toutes  les  questions  dogmatiques  et  ecclé- 
siastiques qui  agitèrent  la  chrétienté  des  premiers  siècles.  En  251  on 
s'y  occupe  des  lapsi  et  Ton  décide  qu'on  ne  refuserait  pas  la  réconci- 
lation  à  ceux  qui  auraient  fait  preuve  d'un  véritable  repentir.  En  255 
il  s'agit  de  la  validité  du  baptême  donné  par  les  hérétiques;  un  concile 
composé  de   trente-deux  évêques   de   l'Afrique  proconsulaire  décide 
qu'on  ne  peut  être  légitimement  baptisé  hors  de  l'Eglise.  Le  pape 
Etienne  se  refusant  à  admettre  cette  décision,  nouveau  concile  en  2o6- 
auquel  assistent  quatre-vingt-cinq  évêques  et  qui  est  connu  sous  le  nom 
de  grand  concile  de  Carthage  ;  mais  le  siège  de  Rome  n'en  persiste  pas 
moins  dans  son  opinion.  En  348,  concile  très-important  qu'on  appelle 
communément  le  premier  de  Carthage  et  qui  s'occupe  du  schisme  des 
dénotâtes  (voir  cet  article).  En  398,  autre  concile  où  assistèrent  deux 
cent  quatorze  évêques  et  où  furent  rédigés  cent  quatre  canons  célèbres 
qui  portent  le  nom  de  Statuts  anciens  de  l'Eglise.  En  410,  concile  qui 
met  lin  à  l'hérésie  des  donatistes.  En  412,  il6,  417,  418,  conciles  suc- 
cessifs qui  s'occupent  de  l'hérésie  de  Pelage  et  de  Célestius.   Neuf 
canons  du  concile   de   418   prononcent  l'anathème   contre  ceux  qui 
disent  qu'Adam  a  été' créé  mortel;  contre  ceux  qui  nient  la  nécessité 
du  baptême  pour  les  enfants  nouveau-nés  et  contre  ceux  qui  préten- 
dent que  la  grâce  de  Dieu,  qui  nous  justifie  par  Jésus-Christ,  ne  sert 
que  pour  la  rémission  des  péchés  déjà  commis  et  non  pour  nous  aider 
à  n "en  plus  commettre.  D'autres  conciles  moins  importants  se  réunirent 
;i  Carthage,  même  sous  la  domination  des  Vandales,  et  la  ville  déclina 
rapidement  jusqu'au  moment   où  les  Arabes  s'en  emparèrent  et  la 
drtriii>iivnt  de  tond  en  comble.  Aujourd'hui  il  ne  reste  de  Carthage 
que  quelques  débris  informes.  A.  Gary. 

CARTULAIRE  {cartuloriinn.  chartularitm).  On  donne  ce  nom  :  1°  aux 
volumes  dans  lesquels  sont  recueillis  ou  transcrits  les  contrats  de  vente, 
d'achat,  d'échange,  les  privilèges,  immunités  et  autres  chartes  ou 
titres  des  églises,  des  monastères  et  des  chapitres;  le  plus  ancien  car- 
tulaire  que  l'on  connaisse  est  celui  de  l'abbaye  de  Saint-Bertin,  rédigé 
au  dixième  siècle  par  le  moine  Folquin;  2°  aux  officiers  du  clergé 
chargés  de  garder  les  chartes,* les  codicilles,  les  livres  de  compte,  les 


660  CARTULAIRE  —  CAS  RESERVES 

instructions  des  divers  fonctionnaires  de  l'Eglise.  Cette  charge  était 
assez  considérable.  Le  cartulaire  de  l'Eglise  de  Gonstantinople  {carto- 
phylax)  présidait,  au  nom  du  patriarche,  aux  jugements  ecclésiasti- 
ques, et  était  nommé  la,  bouche  et  la  main  du  patriarche;  il  tenait  le 
registre  de  l'état  civil,  et,  dans  les  cérémonies  publiques,  tenait  et 
menait  le  cheval  de  l'empereur.  De  même,  celui  de  Rome  présidait,  à 
la  place  du  pape,  aux  jugements  ecclésiastiques  (voy.  Balsamon,  Du 
Droit  des  Grecs,  1.  VII,  act.  13  et  14  du  sixième  concile  ;  Ducange,  Glossa- 
rium,  etc.). 

CARUS  (Fr. -Auguste),  né  en  1770,  pasteur,  puis  professeur  de  phi- 
losophie à  Leipzig,  mort  en  1807.  Ses  œuvres  en  sept  volumes  furent 
publiées  en  1808;  on  y  remarqua  surtout  la  Psychologie  ;  quoique  Fau- 
teur eût  adopté  les  principes  de  Kant,,  son  étude  de  l'àme  était  le  fruit 
d'observations  poursuivies  avec  sagacité.  La  Philosophie  générale  de  la 
religion  eut  peu  de  succès  ;  les  idées  de  Kant,  de  Fichte,  de  Jacobi  et  de 
Schleiermacher  s'y  trouvaient  juxtaposées  sans  être  réunies  dans  une 
pensée  dominante. 

CARUS  (Charles-Gustave),  fils  d'un  teinturier  de  Leipzig,  né  en  1789, 
professeur  d'anatomie  comparée  à  Leipzig,  puis  médecin  à  Dresde, 
appartenait,  avec  Schelver,  Kieser,  Nées  von  Esenbeck,  à  cette  fraction 
de  l'école  de  Schelling  qui  apportait  à  l'étude  de  la  physiologie  les 
préoccupations  du  système  de  l'identité.  Dans  ses  Leçons  de  psychologie 
(1831),  il  se  prononça  pour  l'animisme;  dans  la  Psyché  (1846),  il 
appela  l'attention  des  penseurs  sur  la  vie  inconsciente  de  l'âme.  Un 
dernier  écrit,  Nature  et  idée  ou  le  Devenir  et  sa  loi  (ISQÏ),  présente  la 
création  comme  une  manifestation  nécessaire  de  Dieu,  une  émanation, 
un  déploiement  de  l'idée  absolue,  par  lequel  le  néant  primitif,  passant 
par  les  degrés  successifs  de  l'éther,  de  la  matière  cosmique,  de  la  sub- 
stance organique,  s'élève  jusqu'à  la  vie  spirituelle  de  l'homme. 

CAS  DE  CONSCIENCE.  Voyez  Casuistique. 

CAS  RÉSERVÉS  {Casus  reservati).  On  désigne  sous  ce  nom  certains 
péchés  graves,  mortels,  entièrement  consommés,  certains,  commis  par 
des  personnes  qui  ont  atteint  l'âge  de  raison,  dont  le  pape,  les  évêques, 
les  généraux  ou  les  provinciaux  des  ordres  religieux  se  sont  réservé 
l'absolution,  afin  de  faire  sentir  davantage  aux  pécheurs  la  gravité  de 
leur  faute  et  d'en  augmenter  par  là  le  regret  et  le  repentir.  Si  quis 
dixerit,  episcopos  non  habere  jus  reseruandi  sibi  casus,  nisi  quoad  exter- 
narn  politiam,  atque  ideo  casuum  reservationem  non  prohibere,  quominus 
sacerdos  a  reservatis  vere  absolvat : anathema  sit  (Conc.  Trid.,sess.  XIV, 
c,  7  et  11  de  Pœnitentia).  Les  cas  particuliers  n'ont  été  déterminés  que 
peu  à  peu.  En  thèse  générale,  les  papes  ne  se  sont  réservé  que  les 
péchés  mortels  qui  entraînent  l'excommunication.  Ils  sont  énumérés, 
en  majeure  partie,  dans  la  bulle  In  cœna  Dommi,  et  comprennent  sur- 
tout les  empiétements  dont  les  princes  se  rendent  coupables  dans  le 
domaine  spirituel.  Aux  évêques  est  réservé  le  droit  d  absoudre  pour 
les  grossiers  péchés  de  la  chair,  les  meurtres,  la  violation  du  secret  du 
confessionnal  de  la  part  des  prêtres;  le  concile  de  Trente  (sessio  XXIV, 
c.  ().  de  reform.)  leur  a  de  plus  accordé  le  pouvoir  d'absoudre  in  foro 


CAS  RESERVES  —  CASAUBON  661 

> 

cùnscientiaej  par  eux-mêmes  ou  par  leurs  délégués,  de  tous  les  cas  ré- 
servés au  siège  apostolique,  si  ces  cas  sont  restés  secrets.  Ils  reçoivent 
de  plus  tous  les  cinq  ans  le  pouvoir  d'absoudre  de  tous  les  cas  réservés 
au  pape,  notamment  dans  les  Etats  non  catholiques,  de  L'hérésie,  de 
L'apostasie,  du  schisme,  également  in  foro  conscientix .  Les  supérieurs 
des  ordres  religieux  absolvent  des  violations  des  vœux  monastiques 
connue  aussi  de  tous  les  crimes  commis  par  les  religieux  placés  sous 
leurs  ordres.  Enfin  tout  prêtre  peut,  à  l'article  de  la  mort,  absoudre 
de  tous  les  cas  réservés,  sans  exception  aucune (Conc.  Trid.,  sessioWY, 
c.  7).  —  Voyez  :  Thomassin,  Vêtus  ac  nova  Èccles.  discipl.,\,  1.  il,  c.  13, 
11;  Ferraris,  Bibl.  canon.,  s.  v.  Reservatio  casnmn,  etc. 

CASAS  (Barthélémy  de  las),  missionnaire  espagnol,  né  à  Séville  en 
li7i,  mort  à  Madrid  en  1506.  Il  consacra  sa  vie  à  prêcher  l'Evangile 
aux  Indiens  de  l'Amérique  et  à  défendre  leur  cause  auprès  du  gouver- 
nement de  son  pays.  Révolté  par  les  mauvais  traitements  que  les  con- 
quérants du  Nouveau-Monde  infligeaient  aux  indigènes,  il  assiégea  de  ses 
persévérantes  protestations  le  gouvernement  de  la  métropole,  et  ht 
lui-même  neuf  fois  le  voyage  d'Amérique  en  Espagne  pour  obtenir 
justice.  11  obtint  à  la  lin  du  pape  Paul  III  une  bulle  qui  défendait  de 
réduire  les  Indiens  en  esclavage,  et  de  Charles-Quint  une  loi  qui 
adoucissait  leur  sort.  Las  Casas  publia  une  vingtaine  d'ouvrages,  la 
plupart  consacrés  à  la  défense  de  ses  protégés,  les  Indiens.  Sesœuvres* . 
ont  été  réunies  plusieurs  fois  (Séville,  1552);  on  en  a  une  édition 
française  par  J.-A.  Llorente  (Paris,  2  vol.,  1822),  avec  un  récit  détaillé 
de  sa  vie. 

CASAUBON  (Isaac),  l'un  des  plus  grands  humanistes  du  seizième 
siècle,  né  à  Genève  le  18  février  1559  (nouv.  style),  mort  à  Londres  le 
1er  juillet  1614.  Son  père,  Arnaud  Casaubon,  qui  était  originaire  de 
Montfort-en-Clialosse,  diocèse  de  Dax,  en  Gascogne,  avait  été  reçu 
habitant  de  Genève  le  11  janvier  1557,  et  avait  exercé,  à  partir  de 
1561,  les  fonctions  pastorales  à  Crest,  en  Dauphiné.  Sa  mère,  Jeanne- 
Mergine  Rousseau ,  se  fixa  après  son  veuvage  (1586)  à  Bourdeaux , 
en  Dauphiné ,  dont  elle  était  sans  doute  originaire ,  et  où  elle 
mourut  en  1607.  Il  fut  agréé  par  le  conseil  professeur  de  grec  à 
l'académie  de  Genève,  «  suyvant  l'advis  de  tous  les  ministres  et  profes- 
seurs »,  le  5  juin  1582.  Le  8  septembre  1583,  il  épousa  à  Saint-Pierre 
Marie  Prolyot,  tille  d'un  maitre-chirurgien  ,  Pierre  Prolyot,  alors 
décédé,  Il  la  perdit  le  27  mai  1585;  et  il  se  remaria  le  2ri  avril  1586 
avec  Florence  Ëstienne,  fille  du  célèbre  imprimeur  Henri  Estienne,  qui 
lui  donna  dix-huit  enfants  ;  il  en  avait  eu  déjà  un  de  sa  première 
femme.  La  nécessité,  le  désir  bien  légitime  d'assurer  une  bonne  édu- 
cation à  sa  nombreuse  famille  lui  litaccepter  lachairedegrecetde  belles- 
Lettres  que  lui  offrirent  les  consuls  de  Montpellier.  H  arriva  dans  cette 
ville  à  la  lin  de  1596.  On  lui  lit  un  accueil  triomphal;  mais  on  oe  tint 
pas  les  brillantes  promesses  qui  lui  avaient  été  laites;  et  pour  sortir  de 
la  gêne  qui  le  tourmentait,  il  répondit  aux  avances  gracieuses  «le 
Henri  IV,  qui  l'appelait  comme  professeur  à  l'université  de  Paris.  Il 
arriva  dans  la  capitale  le  6  mars   1600*   Quelques  semaines  plus  tard. 


662  CAS  AU  BON 

il  ne  put  refuser  d'être  l'un  des  commissaires    protestants    dans   la 
célèbre  conférence    de  Fontainebleau  entre  Du  Perron  et  Duplessis- 
Mornay,   misérable   intrigue  de  cour   dont  le   roi,  étalant  une.  joie 
indécente,  disait  six  jours   après  :  J'y  ai  faict  merveilles-   Casaubon 
reconnut  loyalement  que  quelques  citations  des  Pères  faites  par  Mornay 
dans  son  Institution  de  V Eucharistie  étaient  inexactes.  Cela  suffit  pour 
qu'il  fût  exposé  aux  soupçons  et  même  aux  calomnies  de  ses  coreligion- 
naires. Il  resta  pourtant  ferme  dans  sa  foi,  malgré  les  obsessions  inces- 
santes, cruellement  indiscrètes  ou  persécutrices  dont  l'assaillirent  Du  Per- 
ron et  le  roi  lui-même,  surtout  après  qu'il  eut  été  gratifié  de  la  place  de 
bibliothécaire  (1604).  Quand  son  fils  aîné  eut  été  gagné  par  les  cajoleries 
des  jésuites  et  l'appât  d'une  pension  de  200écus  d'or,  il  s'écria:  «0  Satanx 
insidiasî  qui  non  po tuer e  nie  impellere  ut  imagines  adorarem,  ut  doctri- 
nam  diabolorum  amplecterer,   H  filium  natu  maximum  mihi    corripue- 
runt  et  cor?*uperunt.  Fsvvv^aTa  kyiow,  qui  vos  movit,    ut  hanc  fraudem 
adversus  me  excogitaretis  !  »  Celui  qui  appelait  les  jésuites  race  de  vipères 
et  leur  doctrine  une  doctrine  de  démons  n'avait  certes  aucune  tendresse 
pour  le  catholicisme,  et  il  n'en  eut  jamais.  Seulement,  il  repoussait  les 
dogmes  les  plus  rigides  du  calvinisme,  en  particulier  la  prédestination, 
dont  il  disait:  «Il  est  malaisé  de  ne  tirer  la  conséquence,  Deus  est  author 
mali.  »  Il  censurait  aussi  la  discipline  draconienne  sanctionnée  par  les 
synodes  :  «  Pour  nostre  police  ecclésiastique,  elle  ne  me  semble  pas 
accorder  avec  l'antiquité.  »  Homme  de  conciliation  et  de  paix,  il  se 
trouva  jeté,  malgré  lui,  comme  ses  amis  Charles  Perrot,  pasteur  de 
Genève,  et  le  Hollandais  Uytenbogaert,  dans  les  luttes  de  ce  rude  sei- 
zième siècle  dont  les  opinions  étaient  tout  d'une  pièce  et  les  instincts 
si  batailleurs  ;  et  il  eut  à  subir  tribulations  de  tout  genre,  froissements 
et  souffrances.  A  la  mort  du  roi,  il  ne  se  souvint  que  de  ses  bienfaits. 
«  Ma  perte  est  si  grande,  écrit-il  à  son  ami  de  Hollande  (26  mai  1610) 
ut   videar    posse   dicere,  omnes    mihi    candidos    occidisse    soles;  amisi 
enim   quod  nunquam  ouo'èv  oveipctç    sum   recuperatus .    »    Appelé   par 
Jacques  Ier,  il  partit  pour  Londres  en  octobre  1610,  et  reçut  de  ce  roi 
un  accueil  si  flatteur,  si  généreux,  qu'il  se  fit  naturaliser  anglais  dès  le 
3  janvier  1611.  Une  étrange  et  horrible  maladie  (une  tumeur  mons- 
trueuse dans  la  vessie)  l'enleva  à  ses  études  le  1er  juillet  1614.  Il  fut 
enseveli  à  ^Vestminster.  Critique  de  premier  ordre,  il  a  excellé  dans 
l'art  de  commenter  les  textes  antiques.  Ses  éditions  de  Diogène  Laërce, 
de  Polyen,  de  Strabon,  d'Athénée,  de  Suétone,  sont  encore  des  modèles 
du  genre.  Il  a  aussi  travaillé  sur   Théocrite,    sur  Théophraste ,  sur 
Polybe,  sur  Denis  d'Halicarnasse,  Dicéarque,  Pline  le  Jeune,  Apulée, 
Perse,  Aristote,  Dion  Chrysostôme,  sur  le  Nouveau  Testament,  sur 
Grégoire  de  Nysse.  Ces  ouvrages  font  connaître  le  savant  que  l'admi- 
ration unanime  de  ses  contemporains  a  placé  au  premier  rang.  Mais 
l'homme  tout  entier  ne  nous  a  été  révélé  que  dans  ces  derniers  temps 
par  la  publication  de  ses  Ephémérides.  Ce  journal  intime  nous  peint 
au  vif  et  jour  par  jour,  en  traits  aussi  nobles  que  touchants,  l'exquise 
sensibilité  de  son  âme,  sa  foi  profonde,  ses  tentations  et  ses  combats, 
son  humilité,  sa  résignation  dans  l'épreuve,  son  indestructible  con- 


CASAUBON  —  CASELIUS  66$ 

fiance  en  Dieu,  et  aussi  (pourquoi  ne  le  dirions-nous  pas?)  les  chagrins- 
domestiques  qui  lui  venaient  parfois  de  1  humeur  contredisante  de  sa 
chère  Florence.  Domine,  fateor  ita  maritam  esse  meam,  ut  quœ  alleva- 
tioni  et  auxilio  esse  débet ,  su  mterdum  studiis  )iostris  impedimentum 
(Ephem.,  ï\  di'c  15(.>7>.  Ce  dernier  ouvrage  lui  assurera  toujours  autan* 
d'amis  qu'il  aura  de  lecteurs. —  [s.  Casauboni  Fpistolœ,  publ.  parRaphaë. 
Thorius,  La  Haye.  1038,  in-8"  de  8i8  p.;  Praestantium  ac  erudit.  viro- 
rum  Epistolx  ecd.  et  theoL,  Amsterdam,  1660,  in-4°  de  901  p.,  v.  sur- 
tout, p.  .*)^ï  ss.j  l'entretien  de  Casaubon  avec  Uytenbogaert,  à  Paris, 
en  1010 ;  .1.  Kussell,  Ephemerides  ls.  Cas.  cuni  prxfatione  et  notis, 
Oxford,  1850,  c2  vol.  in-8°  de  plus  de  1500  p.;  Haag,  Fr.  prot.,  III; 
Bulletin,  du  prof.  fr.}  II;  Théoph.  Dufour,  V Intermédiaire,  n°  du 
10  février  1800;  A.  Germain,  /s.  Casaubon  à  Montpellier,  broch.  in-4°, 
1871;  Cellérier,  La  seule  chose  nécessaire,  recueil  mensuel,  Harlem, 
1857,  p.  07  à  87.  Ch.  Dardier. 

CASAUBON  (Méric),  né  à  Genève  le  14  août  1599,  fut  envoyé  en  1008 
à  Sedan  où  il  fut  élevé  jusqu'au  départ  de  son  père  pour  l'Angleterre, 
en  1010.  Il  fut  admis  eu  1014  à  l'université  d'Oxford,  où  il  fit  de  rapi- 
des progrès,  et  en  1021  il  prenait  le  grade  de  maitre  es  arts.  Son  dé- 
but, la  même  année,  fut  une  remarquable  apologie  de  son  père  contre 
les  calomnies  de  divers  écrivains  catholiques,  qui  lui  mérita  la  faveur 
de  Jacques  Ier.  Un  second  mémoire  fut  encore  écrit  par  lui,  au  désir* 
du  roi,  qui  le  fit  traduire  en  français  et  en  anglais.  Il  fut  nommé  bien- 
tôt à  la  cure  de  Bledow  et  devint  prébendaire  de  Cantorbéry  et  recteur 
d'Ickham.  Déjà  bachelier  en  théologie,  il  fut  fait  docteur  en  1030.  La 
guerre  civile  vint  le  priver  de  tous  ses  bénéfices;  il  n'était  rien 
moins  qu'heureux  lorsque  Cromwell  lui  offrit,  en  1049,  d'écrire  une 
histoire  impartiale  de  la  guerre  qui  venait  de  renverser  la  royauté.  Il 
refusa,  et  Cromwell,  sans  lui  en  vouloir,  lui  lit  d'autres  avances  qu'il 
déclina  également  par  loyauté.  La  Restauration  lui  fit  recouvrer  ses 
avantages.  Il  mourut  le  14  juillet  1074,  laissant  un  nom  honoré  pour 
sa  science  et  pour  son  caractère.  Un  de  ses  fils,  Jean,  a  exercé  comme 
chirurgien  à  Cantorbéry.  —  Sa  bibliographie  comprend  trente-neuf 
articles,  principalement  d'érudition,  qu'on  trouve  dans  >a  France pro- 
testante. 

CASELIUS  (Jean),  né  à  Gœttingue  en  1533,  un  des  humanistes  les  plus 
distingués  de  l'Allemagne,  eut  pour  maîtres  Mélanchthon  etJ.Camera- 
rius,  puis  à  Florence  Pierre  Victor,  qui  avait  rétabli  la  connaissance 
exacte  du  péripatétisnie,  et  à  Bologne  l'archéologue  Ch.  Sigonius.  Profes- 
seur à  Rostock  jusqu'en  1589,  puis  à  Helmsta^dt,  il  vit  son  influence 
combattue  par  les  ramistes,  qui  considéraient  l'étude  approfondie  de 
L'antiquité  païenne  comme  dangereuse  pour  la  jeunesse.  L'université 
de  Helmsta^dt  était  divisée  sur  l'opportunité  de  signer  la  Formule  de 
Concorde,  à  cause  du  dogme  de  l'ubiquité  de  la  nature  humaine  du 
Christ,  et  la  philosophie  aristotélicienne  avait  été,  selon  l'usage;  de  cette 
époque,  mêlée  au  débat.  En  1589,  Dan.  Hoffmann,  qui  avait  passé  de 
L'enseignement  de  la  dialectique  à  celui  de  la  théologie,  professa,  dans 
une  disputation  (Propositiones  de  Deo  et  Chrtsto  opposite  pontifiais  et 


664  CASELIUS  -  CASIMIR 

omnibus cauponantibus  verbum  De}),  que  la  raison  est  naturellement  op- 
posée à  Dieu  et  que  la  philosophie  nous  rend  hostiles  à  la  théologie. 
L'attaque  était  dirigée  contre  les  aristotéliciens  et  contre  les  caséliens. 
Sans  entrer  dans  la  discussion  théologique,  Caselius  demandait,  avec 
modération,  qu'on  reconnût  bonas  literas  et  logicen  et  philosophiam... 
s.literarumcultoribus  ornamento  esse,  utiles  et  necessarias.  Hoffmann  su- 
bit une  disgrâce  momentanée;  mais  lorsqu'il  fut  rétabli  dans  sa  chaire, 
la  situation  de  Caselius  devint  pénible.  Il  gémissait  de  voir  arriver  une 
nouvelle  période  de  barbarie.  Il  trouvait  du  moins  une  consolation 
dans  l'amitié  des  principaux  savants  de  l'Europe,  entre  autres  de 
J.  Scaliger  et  de  Casaubon,  et  dans  l'attachement  de  quelques  élèves, 
parmi  lesquels  le  plus  distingué  fut  Calixte.  Il  mourut  en  1613.  Ses 
œuvres  philosophiques  n'ont  pas  été  publiées.  —  Voyez  E.  Henke. 
G.  Calixt  u.  seine  Zeit,  1833,  I,  p.  50-73. 

CASIMIR,  le  troisième  des  treize  enfants  de  Casimir  III,  roi  de  Pologne, 
né  le  5  octobre  1458,  reçut  une  éducation  digne  de  son  rang,  mais 
témoigna  de  bonne  heure  un  penchant  prononcé  pour  la  vie  religieuse. 
Les  écrivains  catholiques  ont  cherché  dans  la  piété  filiale  et  le  dévoû- 
ment  pour  l'Eglise  une  excuse  pour  l'expédition  malheureuse  qu'il 
entreprit  contre  Mathias  Corvin,  roi  de  Hongrie,  à  l'instigation  de  ses 
sujets  révoltés.  Quoiqu'il  en  soit,  après  l'échec  de  sa  courte  campagne 

la  suite  delà  paix  conclue  avec  Mathias  par  l'intermédiaire  du  pape 
Sixte  IV,  le  grand-duc  Casimir  se  retira  dans  le  château  de  Dobski, 
et  vécut  désormais  dans  les  pratiques  de  la  piété  ascétique  la  plus 
rigoureuse  et  d'une  dévotion  superstitieuse,  interrompue  seu- 
lement par  des  visites  aux  pauvres  et  aux  malades  et  par  des 
distributions  fréquentes  d'aumônes,  dont  la  plus  grande  partie 
allait  aux  couvents  et  aux  églises.  Insensible  aux  appels  de  son  père  et 
de  sa  famille,  il  vécut  et  mourut  loin  de  la  cour,  après  avoir  refusé 
toutes  les  charges  laïques  et  ecclésiastiques  qui  lui  furent  successive- 
ment offertes.  Sa  biographie  est  toute  remplie  du  récit  de  ses  actes  de 
piété  et  des  miracles  accomplis  sur  son  tombeau  à  Vilna,où  il  mourut 
le  4  mars  1483  et  où  l'on  a  retrouvé  un  long  poëme  qu'il  composa  en 
l'honneur  de  la  Vierge.  Bientôt  canonisé  par  la  cour  de  Rome,  il  passa 
pendant  des  siècles  pour  le  patron  de  l'orthodoxie  catholique  contre 
les  hérétiques,  et  les  Polonais  vinrent  en  foule  chercher  dans  l'attou- 
chement de  ses  reliques  la  guérison  de  leurs  maladies.  —  Voyez 
AA.SS.,  1er  mars,  IV;Ferreri,  Vita  C,  1520,  in-4°. 

CASIMIR  (le  duc  Jean),  lils  de  l'électeur  palatin  Frédéric  III,  dit  le 
Pieux.  Ce  prince  aimait  à  rappeler  «  que  ledit  duc  Casimir  avoit  esté, 
quelque  espace  de  temps,  nourry  en  France  et  y  receu  beaucoup  de 
gracieusetés  et  honneur»  (Bibl.  nat.,  mss.  f.  fr.,  vol.  6619).  Tout  jeune 
qu'il  était,  sous  Henri  II,  il  y  avait  été  bienveillamment  accueilli  par 
quelques-uns  des  principaux  représentants  du  protestantisme  avec  les- 
quels il  était  resté  en  relations  depuis  son  retour  en  Allemagne  (voyez 
ses  lettres  au  prince  de  Portien  et  à  Renée  de  France.  Bibl.  nat.,  mss. 
f.  fr.,  vol.  3196,  3218).  Dans  le  cours  delà  seconde  guerre  de  religion, 
Casimir  fut  autorisé  par  son  père  à  se  rendre  en  France,  à  la  tête  d'un 


CASIMIR  665 

petit  corps  de  troupes,  pour  y  secourir  le  prince  de  Coudé  et  les  autres 
chefs  protestants.  Le  r  janvier  1568  ( Bibl.  nat.,  mss.  f.  fr.,  vol.  15544) • 
il  écrivait  au  maréchal  de  Vieilleville  :  «  Pour  préserver  la  couronne  de 
France  d'une  extrême  et  totale  ruyne,  je  me"  suis  armé  contre  ceulx 
<] ii i  empeschent  par  leurs  mauvais  conseils  et  practiques  que  le  roy 
ne  puisse  déclarer  sa  clémence  naturelle  et  affection  de  père  envers 
ses  pauvres  subjeetz  et  qui  le  contrainent  par  leurs  autoritez  d'obéir 
plus  à  leurs  affections  débordées  qu'à  la  volonté  de  son  Dieu.  »  Fré- 
déric III,  de  son  côté,  disait,  quelques  jours  plus  tard  (lettre  au  duc  de 
Wurtemberg  du  13  février  1568,  Bibl.  nat., -mss.  f.  fr.,  vol.  15544, 
f°292)  :  ((  Mon  iilzle  duc  J. -Casimir  n'a  eu  congé  de  moy  pour  faire  ce 
voyage,  en  aultre  intention  que  pour  le  bien  de  la  dignité  royalle  et 
des  fidèles  subjeetz,  aussi  pour  obvier  et  empeseber,  de  son  possible, 
à  toutes  sortes  de  mauvais  conseils  qui,  à  mon  regret,  s'effectuent 
journellement,  scaichant  bien  qu'il  est  bien  délibéré  de  se  laisser 
■esmouvoir  ny  employer  à  aultre  eftect  ;  parquoy  je  ne  luy  ay  peu 
reffuser  la  license  comme  à  ung  jeune  prince  ebrestien  sur  une  telle 
intention  chrestienne »  (voir,  dans  le  même  sens,  la  déclaration  adressée, 
le  C  décembre  15()7,  à  l'empereur  par  Frédéric  III  et  Casimir,  Bibl.  nat., 
mss.  f.  fr.,  vol.  6619,  fos  189  à  198).  Le  véridique  de  Lanoue  nous 
fait  connaître  (Disc,  polit,  et  mt7#.,Basle,  1587,  p.  745  à  748)  les  circon- 
stances dans  lesquelles  le  duc  Casimir,  qu'il  qualifie  de  «  prince  doué 
de  vertus  ebrestiennes,  et  auquel  ceulx  de  la  religion  sont  fort  obligés  », 
opéra  en  Lorraine  sa  jonction  avec  l'armée  protestante,  et  il  retrace 
en  ternies  saisissants  le  désintéressement  et  l'esprit  de  sacrifice  dont 
les  chefs  et  les  soldats  de  cette  armée  firent  preuve  envers  les  Alle- 
mands, auxquels  il  s'agissait  de  fournir  une  solde.  «  Tant  M.  le  prince 
de  Coudé,  dit-il,  que  M.  l'admirai  déployèrent  tout  leur  art,  crédit  et 
éloquence,  pour  persuader  un  chacun  de  départir  des  moyens  qu'il 
avait  pour  ceste  contribution  si  nécessaire.  Eux-mesmes  monstrèrent 
exemple  les  premiers,  donnant  leur  propre  vaisselle  d'argent.  Les 
ministres  en  leurs  prédications  exhortèrent  à  cest  office,  et  les  plus 
affectionnez  capitaines  y  préparèrent  aussi  leurs  gens.  On  vidune  dispo- 
sition très-grande  en  plusieurs  delà  noblesse  de  s'en  acquitter  loyau- 
ment.  Mais  quand  il  fut  question  de  presser  les  disciples  de  la  picorée 
qui  ont  ceste  propriété  de  sçavoir  vaillamment  prendre  et  laschement 
donner,  là  fut  l'effort  du  combat  :  toutesfois,  moitié  par  amour,  moitié 
par  crainte,  ils  s'en  acquittèrent  beaucoup  mieux  qu'on  ne  cuidoit. 
Et  ceste  libéralité  fut  si  générale  que,  jusques  aux  goujats  des  soldats, 
chacun  bailla  :  de  manière  qu'à  la  fin  on  réputoit  à  déshonneur 
d'avoir  peu  contribué...  Somme,  le  tout  ramassé  on  trouva,  tant  en 
ce  qui  estolt  monnoyéqu'en  vaisselle  et  chaînes  d'or,  plus  de  quatre- 
vingts  mille  livres.;  qui  vindrent  si  à  poinct  que  sans  cela  difficilement 
eût-on  appaisé  les  reitres...  N'est-ce  pas  là  un  acte  digne  d'esbahisse- 
ment,  de  voir  une  année  point  payée  et  despourvue  de   moyens,  qui 

estimoil    comme  un    prodige  de  se  dessaisir  des  petites  c noditez 

quelle  avoil  pour  subvenir  à  ses  nécessitez,  ne  les  espargner  pour  en 
accommoder  d'autres  qui  par  avanture  ne  leur  en  scavoient  guère  de 


M6  CASIMIR  —  OASSANDRE 

gré  ?»  A  la  conclusion  de  la  paix,  le  duc  Casimir  quitta  la  France. 
♦Il  y  rentra  avec  ses  troupes,  en  1575,  en  exécution  d'un  traité  passé 
avec  les  chefs  protestants,  et  n'en  sortit  qu'en  1576.  Cette  fois  son 
attitude  vis-à-vis  du  protestantisme  français  fut  moins  franche  qu'au- 
paravant ;  plus  tard  il  sembla  même  incliner  plutôt  à  le  desservir  quà 
sympathiser  avec  lui.  Sa  conduite,  en  dernier  lieu,  a  pu  autoriser  un 
écrivain  à  dire  (Le  Laboureur,  Addit.  aux  mém.  de  Castelnau,  t.  II, 
p.  539)  :  que  le  duc  Casimir  «  partit  de  France  gorgé  de  biens  et  de 
butin,  et  par  conséquent  avec  un  grand  fonds  de  réputation  pour 
l'Allemagne,  parce  que  les  armes  et  la  milice  y  sont  plus  mercenaires 
que  justes,  et  que  la  guerre  s'y  fait  avec  plus  de  passion,  par  l'intérêt 
du  gain  que  par  celuy  d'aucun  prétexte.  »  —  Vovez  :  1°  Lettres  du  duc 
Casimir  (Bibl.  nat.,  mss.  tir.,  vol.  3196,  3218/6619,  15544  ;  2° Bran- 
tôme, édit.  Lud.  Lai.,  t.  I,p.  323  à  326;  3°  de  Thou, Hist.  univ.,  in-4°, 
t.  IV,  5,  6,  7,  8;  4°  Mém.  de  Castelnau  et  Addit.  de  Le  Laboureur, 
in-f°,  t.  II,  p.  538  à  546  ;  5°  Mém.  de  Claude  Haton  ;  6°  pmsim,  Kluckhohn, 
Briefe  Friedrich  des  Frommen,  1868.  j.  Delaborde. 

CASLUIM  [Kaslouhim,  Gen.  X,  14  ;  1  Chron.  1,  12  ;  X«opiuv«% 
XcffXwvisijjJ,  colonie  égyptienne  dont  la  situation  topographique 
est  difficile  à  déterminer.  La  plupart  des  savants  se  rattachent  à 
l'opinion  de  Bochart  {PhaL,  4,  31),  qui  la  place  en  Colchide,  les  habi- 
tants de  ce  pays  étant,  d'après  Hérodote,  Diodore  de  Sicile,  Ammien 
Marcellin,  etc.,  d'origine  égyptienne. 

CASSANDRE  (Georges),  de  Bruges  (1515-1566).  Aussi  savant  que 
modeste  et  désintéressé,  jamais  théologien  ne  travailla  avec  autant  de 
bonne  volonté  et  si  peu  de  succès  à  réconcilier  l'Eglise  romaine  et  la 
Réforme.  Au  lieu  de  rapprocher  les  adversaires,  sa  controverse,  qui  sou- 
tenait que  chacun  avait  tort  en  partie  et  en  partie  raison,  ne  réussissait,  à 
force  d'impartialité,  qu'à  envenimer  le  différend  ;  ilindisposait  l'un  sans 
plaire  à  l'autre  et  fournissait,  sans  le  vouloir,  des  armes  à  tous  deux. 
En  prouvant  que  l'on  s'en  prenait  avec  justice  à  la  puissance  exorbi- 
tante du  pape,  aux  scandale?  des  indulgences,  aux  superstitions  du 
culte  des  saints  et  des  reliques,  il  blessait  l'Eglise  romaine;  tandis 
qu'en  reprochant  aux  réformateurs  de  ne  pas  borner  leurs  attaques 
aux  excès  les  plus  criants,  il  témoignait  que  le  fond  même  de  leur  ré- 
novation, le  salut  par  la  foi  et  l'affranchissement  de  la  conscience, 
était  pour  lui  lettre  close.  Les  dissidents  n'admettaient  pas  qu'il  ré- 
clamât uniquement  quelques  réformes,  alors  qu'il  s'agissait  de  la  ré- 
forme du  système  entier  ;  et  les  catholiques,  en  haine  de  cette  réforme 
radicale,  ne  consentaient  même  pas  à  lui  accorder  la  suppression  des 
abus.  Ainsi,  dès  son  premier  ouvrage,  De  offtcio  piiveri  in  hoc  dissidio 
religionis  (Bàle,  1561,  in-8°),  il  fut  vivement  attaqué  d'un  côté  par 
Calvin  et  de  Bèze,  et  de  l'autre  par  Hessels,  docteur  de  Louvain,  et 
Robert  Cenalis,  évêque  d'Avranches.  11  composa,  sur  la  demande  de 
l'empereur  Ferdinand,  sa  fameuse  Consultatif)  de  articulis  fidei  inter 
papistas  et  protestantes  controversis,  examen  des  articles  de  la  confes- 
sion d'Augsbourg,  où  il  désigne  ceux  sur  lesquels  les  deux  commu- 
nions sont  en  contradiction  absolue  et  ceux  sur  lesquels  un  accommo- 


CASSANDRE  —  CASSIEN  667 

dément  ne  sérail  pas  impossible.  Les  œuvres  de  Cassandre  ont  été 
recueillies  pour  la  première  l'ois  par  Descordes  en  un  volume  in-folio 
(Paris,  1616).  On  y  trouve,  outre  117  lettres,  nombre  d'études  théolo- 
giques  ou  littéraires,  un  savant  ouvrage  sur  la  Liturg ie  où  il  attribue 
une  origine  relativement  récente  à  L'institution  des  messes  privées,  et 
enfin  un  traite  sur  la  Cène  dont  le  titre  seul  décèle  la  tournure  d'esprit 
de  son  auteur  :  «  De  sacra  commtmione  Christian»  pojmli  in  utraque 
;  sit  »<•  èjus  restitwtio  ùatkelicis  hommibus  optanda  etiamsi  jure  éi- 
vino  non  simpliciter  necm&ria  habeatwr  :  De  la  sainte  communion  du 
peuple  chrétien  sous  Tune  et  l'autre  espèce  ;  les  catholiques  doivent- 
11s  en  désirer  le  rétablissement,  quoique  de  droit  divin  elle  ne  soit  pas 
tenue  comme  absolument  nécessaire?  »  Incapable  d'attribuer  à  la 
bonne  foi  timide  de  Cassandre  sa  réserve  et  sa  circonspection,  le  fou- 
gueux Hessels  l'accusa  de  viser  à  former,  entre  les  protestants  et  les 
catholiques,  un  tiers  parti  dont  il  serait  le  chef.  Cassandre  s'en  dé- 
fendit avec  autant  de  force  qu'en  comportait  son  humeur  pacifique  et 
il  tomba  à  la  fin,  comme  nous  voyons  tomber  ses  descendants  les  ca- 
tholiques libéraux,  du  côté  de  Rome  où  il  avait  toujours  penché. 

CASSEL  (le  Colloque  de).  Ce  colloque  fut  organisé  par  le  landgrave 
Guillaume  de  Hesse  (1er  —  9  juin  1661)  entre  les  théologiens  réformés 
de  Marbourg  et  les  théologiens  luthériens  de  Rinteln.  Les  luthériens 
étaient  Pierre  Musaeus  et  Jean  Henichen,  qui  appartenaient  à  la  ten- 
dance modérée  de  Calixte;  les  réformés,  Sébastien  Curtius  et  Jean 
Heim,  tous  deux  calvinistes  décidés.  Le  but  du  colloque  était  de  réta- 
blir une  entente  entre  luthériens  et  réformés,  pour  que  «  utraque  pars 
aller/ us  mentent,  et  in  quibus  inter  se  convertirent  vel  dissentirent, 
plane  pleneque  perciperet,  inde  controversiœ  status  rite  formaretur, 
et  cujus  momenH  qusestip  sit,  an  fundamentum  fidei  concernât  neene 
dispiceretur.  denique  de  re  ipso,  placida  collatio  in  timoré  Dei  imii- 
tueretur,  ac  si  convenire  in  omnibus  non  possent,  saltem  fraterna 
ipsos  pax  et  concordia  mutuaque  tolerantia  sanciretur.  »  Des 
deux  parts,  on  apporta  au  colloque  un  esprit  modéré  et  conci- 
liant. On  traita  de  la  cène,  du  baptême,  de  la  prédestination,  des 
deux  natures  du  Christ.  Les  luthériens  concédèrent  l'usage  du  pain  à 
la  communion,  le  changement  de  l'exorcisme  en  prière  contre  Satan  ; 
dans  les  quatre  points,  on  reconnut  qu'on  s'accordait  sur  le  fond 
est  ntiel  de  La  doctrine,  et  que  les  divergences  n'étaient  qu'à  la  sur- 
face sans  entamer  le  fond.  Mais  dans  ce  temps  de  surexcitation  des 
esprits  et  de  passion  théologique,  cet  essai  de  conciliation  ne  pouvait 
qu'augmenter  L'irritation  et  envenimer  encore  les  disputes. 

CASSIEN  (Jean),  le  premier  organisateur  du  monachisme  en  Occi- 
dent. Son  origine  est  inconnue,  mais  son  nom  et  sa  manière  d'écrire  font 
supposer  qu'il  était  occidental.  Il  fut  admis  de  bonne  heure  dans  un 
;ouveni  près  de  Betbléhem.  Kn  390  il  entrepritavec  l'abbé  de  cette  mai- 
son, Germanus,  un  voyage  en  Egypte,  pour  visiter  les  cénobites  et  les 
anachorètes  du  désert.  Après  y  avoir  passé  sept  ans,  ils  y  revinreni  une 
seconde  fois  jusqu'en  i00.  In  peu  plus  tard  on  lés  rencontre  à  Constan- 
tinople,  Cassien  comme  diacre  [de  Chrysostome.  En  i05,  après  le  ban- 


'668  CASSIEN  —  CASSIN 

nissement  de  ce  dernier,  ils  se  rendirent  à  Rome,  pour  solliciter  l'in- 
tercession d'Innocent  Ier  en  faveur  de  l'illustre  exilé.  On  ignore  les  dé- 
tails de  leur  démarche.  Cassien  resta  désormais  en  Occident.  Vers  410  il 
fonda  deux  couvents  près  de  Marseille,  l'un  pour  des  hommes,  l'autre 
pour  des  femmes.  Ses  deux  principaux  ouvrages  sont  destinés  à  re- 
commander et  à  régler  la  vie  monastique.  Dans  l'un,  De  cœnobiorum 
instituas  libri  XII,  adressé  à  Castor,  évèque  d'Apt,  Cassien  expose 
des  préceptes  sur  le  costume,  la  nourriture,  les  occupations,  les  exer- 
cices spirituels  des  religieux,  et  montre  ensuite  comment,  selon  lui, 
ce  genre  de  vie  est  le  seul  qui  permette  de  triompher  des  vices.  L'au- 
tre, Collationes  Patrum,  contient  les  souvenirs  de  ses  voyages  en  Egypte 
et  de  ses  entretiens  avec  les  pères  du  désert,  sur  la  perfection  ascétique 
et  sur  les  moyens  d'y  parvenir.  C'est  dans  la  treizième  de  ces  collations 
que  Cassien  exprime  les  opinions  à  cause  desquelles  on  le  considère 
comme  le  premier  auteur  du  semipélagianisme  (voy.  cet  article).  Lors 
de  la  querelle  nestorienne,  il  écrivit  en  430,  à  la  demande  de  l'archi- 
diacre romain  Léon  (plus  tard  pape,  Léon  Ier),  sept  livres  De  incamatione 
advenus  Nestorium;  dans  cet  ouvrage  il  met,  comme  l'avait  fait  Cyrille 
d'Alexandrie,  la  doctrine  de  Nestorius  en  rapport  avec  celle  de  Pelage. 
Il  mourut  peu  après  432.  LepapeGélase  rangea  ses  ouvrages  au  nombre 
des  apocrypka,  c'est-à-dire  de  ceux  qui  étaient  suspects  d'hérésie.  La 
meilleure  édition  de  ses  œuvres  est  celle  d'Alard  Gazaeus  (Gazet), 
Douai,  1616,  3  vol.  in-8°  ;  plus  compl.  Arras,  1628,  in-f°.  — ■  Voyez  : 
Hist.  lit.  de  la  Finance,  t.  II,  p.  215  ss.  ;  Wiggers,  DeJohanne  Cassiano, 
3  p.,  Rostock,  1824,  in-4°;  le  même,  Darstellung  des  Augustinismus  und 
Pelagianismus,  t.  IL  Cn.  Schmilt. 

CASSIEN  (Jules).  Voyez  Docétisme. 

CASSIN  (Mont,  Monte- Casino),  le  célèbre  couvent  qui  devint  la  sou- 
che de  l'ordre  des  bénédictins,  dans  un  des  plus  beaux  sites,  au 
sommet  d'une  montagne  qui  domine  lavillede  S. -Germano  (Casinam), 
dans  la  terre  de  Labour,  entre  Rome  et  Naples.  Avec  ses  tours  et  ses 
murs  il  présente  plutôt  l'aspect  d'une  forteresse  du  moyen  âge  que 
d'un  monastère.  L'église  et  les  autres  constructions  datent  du  dix- 
septième  siècle  et  neportent  plus  rien  du  cachet  des  siècles  antérieurs. 
La  colonnade  qui  forme  l'entrée  est  ornée  des  statues  colossales  de  saint 
Benoît  et  de  sa  sœur,  sainte  Scholastique,  ainsi  que  d'autres  personna- 
ges. Les  portes  en  bronze  de  l'église  sont  venues  de  Constantinople, 
elles  remontent  au  onzième  siècle  et  portent  une  inscription  qui  énu- 
mère  les  dates  les  plus  importantes  de  l'histoire  de  l'abbaye.  La  biblio- 
thèque renferme  des  trésors  en  fait  d'anciens  manuscrits  et  de  chartes 
des  rois  lombards.  Plus  de  treize  siècles  se  sont  écoulés  depuis  que  le 
fondateur  de  la  vie  monacale  en  Occident,  saint  Benoît,  vint  établir  sa 
demeure  dans  cette  splendide  solitude  (529)  et  élever  une  chapelle  sur 
les  ruines  d'un  temple  d'Apollon,  à  ce  que  rapporte  la  tradition.  Ce 
fut  là  qu'il  traça  la  règle  qui  servit  de  modèle  à  la  plupart  des  ordres 
monastiques.  Les  annales  de  l'ordre  de  Saint-Benoît  puisent  une  bonne 
partie  de  leur  éclat  dans  celles  du  Mont-Cassin.  Plusieurs  papes,  nombre 
d'évêques  et  des  saints  par  centaines  sortirent  de  cette  abbaye.  Les 


CASSIN    (Mont-)  GM 

richesses  qui  bientôt  vinrent  s'y  accumuler  et  les  vastes  domaines  dont 
elle  Eut  dotée  ne  lui  portèrent  guère  bonheur.  Source  de  relâchement, 
de  dissolution  et  de  décadence  pour  Tordre,  ils  attirèrent  plus  d'une 
t'ois  la  rapacité  des  barbares  lors  de  leurs  incursions  en  Italie.  Néan- 
moins L'amour  des  études  et  des  lettres,  cette  gloire  de  Tordre  des  bé- 
nédictins, conserva  toujours  un  refuge  parmi  les  moines  du  Mont-Cas- 
sin.  Trente-sept  ans  à  peine  après  la  mort  de  saint  Benoit  (543),  son 
couvent  tut  saccagé  pour  la  première  fois  par  les  Lombards  (pour  la 
suite  de  ces  faits  nous  pouvons  à  peu  près  nous  laisser  guider  par  les 
indications  de T inscription  susmentionnée).  Les  moines  dans  leur  fuite 
purent  emporter  quelques-uns  de  leurs  objets  les  plus  précieux.  Ils  fu- 
rent accueillis  à  Home  par  le  pape  Pelage  II  et  s'y  lixèrent  jusqu'en  720, 
où  l'abbé  Pétronax  releva,  avec  Taide  de  Grégoire  II,  les  ruines  de 
l'ancien  monastère.  Dans  Tintervalle,  Tordre,  sous  la  protection  des 
papes,  avait  étendu  sa  mission  civilisatrice  jusque  sur  les  bords  de  la 
mer  du  Nord  et  dans  les  Iles  Britanniques.  Ce  fut  à  l'impulsion  de 
Grégoire  le  Grand  que  Tabbé  saint  Augustin  partit  à  la  tète  de  qua- 
rante bénédictins  et  devint  Tapôtre  des  Anglo-Saxons  et  archevêque  de 
Canterbury.  La  plupart  des  biens  furent  restitués  au  couvent  du  Mont- 
Cassin,  de  nouveaux  privilèges  furent  ajoutés  aux  anciens.  Quelques 
hommes  distingués  contribuèrent  à  y  favoriser  le  goût  des  études.  Le 
diacre  Paul  ^Yarnefrid,  que  Charlemagne  appela  auprès  de  lui  pour 
l'aider  à  répandre  quelques  lumières  parmi  le  clergé  de  son  empire, 
revint  finir  ses  jours  au  Mont-Cassin,  dont  il  fut  une  des  illustrations 
(Daim,  Paul  Diaconas,  1870).  Mais  ce  temps,  pendant  lequel  Téclat 
du  Mont-Cassin  brillait  au  milieu  des  ténèbres  d'un  monde  qui  me- 
naçait de  retomber  dans  la  barbarie,  ne  dura  guère.  En  884  les  Sar- 
rasins vinrent  piller  et  dévaster  la  riche  abbaye,  et  elle  demeura  de 
nouveau  abandonnée  jusqu'au  milieu  du  dixième  siècle.  Les  moines 
retirés  à  Teano  et  ensuite  à  Capoue  se  laissèrent  aller  à  un  relâche- 
ment de  discipline  toujours  croissant.  Aligerne  devint  le  troisième 
fondateur  de  Tabbaye,  l'empereur  Othon  Ier  lui  accorda  sa  puissante 
protection  ;  mais  déjà  le  successeur  d'Aligerne,  Tabbé  Manso  (986) 
s'abandonna  aux  plaisirs  de  ce  monde,  la  discipline  et  les  mœurs  re- 
tombèrent dans  une  profonde  décadence.  Ce  ne  fut  que  Tabbé  Dési- 
dérius,  le  successeur  au  siège  pontifical  et  le  continuateur  de  l'œuvre 
de  Grégoire  VII,  qui  par  son  énergie  parvint  aussi  à  ramener  un  meil- 
leur ordre  de  choses  à  Monte-Casino  (1058-1087).  Il  restaura  les  édifices 
et  reconstitua  les  biens,  le  pape  Alexandre  II  vint  lui-même  consacrer 
l'église,  le  nombre  desmoines  augmenta  de  nouveau,  les  études  mêmes 
rentrèrent  dans  les  murs  du  monastère,  du  moins  autant  que  l'esprit 
et  les  troubles  de  ces  temps  !•'  permettaient.  L'abbé  Brunon,  qui  plus 
tard  devint  évêque  de  Segni  dllO),  se  fit  un  nom  comme  exégète  et 
plus  encore  comme  biographe  du  pape  Léon  IX.  Le  moine  Jean  de 
Gaète  sortitdu  Mont-Cassin  pour,  devenir  cardinal  et  monter  ensuite  sur 
le  saint-siége,  où,  sous  le  nom  deGélasell,  il  continua  la  lutte  des  papes 
contre  l'empereur  Henri  V.  Une  autre  gloire  de  Tabbaye  fut  le  biblio- 
thécaire Pierre  le  Diacre,  qui  par  ses  écrits,  tels  que  son   Chronicon 


670  CASSIN  —  CASSIODORE 

casinense  et  son  De  Viris  iUustribus  Casinensibus,  chercha  à  relever 
Téclat  de  la  fondation  de  saint  Benoit.  Mais  l'affluence  de  nouvelles 
richesses  amena  une  nouvelle  époque  de  décadence.  L'empereur  Fré- 
déric II,  dans  ses  guerres  avec  les  papes,  profita  de  la  situation  du 
couvent  pour  en  faire  une  citadelle  et  pour  y  mettre  une  garnison  ; 
les  moines  s'enfuirent,  à  l'exception  de  quelques-uns  (1239).  Après 
une  vingtaine  d'années  seulement  les  choses  rentrèrent  dans  l'ancien 
ordre.  Le  pape  Urbain  IV  appela  un  abbé  de  Cluny  pour  réformer  le 
vieux  cloitre.  Mais  ce  fut  en  vain.  Les  vastes  domaines  devinrent  un 
objet  de  convoitise  même  pour  les  papes.  Boniface  VIII  jeta  l'abbé  An- 
gelario  dans  les  fers.  Jean  XXII  remit  les  intérêts  temporels  et  spirituels 
à  un  administrateur  pris  en  dehors  du  couvent,  tout  en  élevant  l'abbaye 
au  rang  d'évêché  (1321).  Les  malheurs  qui  frappèrent  l'Italie  à  cette 
époque  n'épargnèrent  pas  le  Mont-Cassin.  Et  de  plus  un  tremblement 
de  terre  vint  renverser  tous  les  édifices  en  1349.  Toutes  les  maisons 
de  Saint-Benoit  concoururent  à  les  relever.  Enlin  en  1649  Benoit  XIII 
leur  donna  l'aspect  qu'ils  ont  encore  aujourd'hui. Les  guerres  de  la  Ré- 
volution furent  désastreuses  pour  l'abbaye.  Les  généraux  et  les  armées 
de  la  République  française  ne  manquèrent  pas  de  lui  faire  leurs  fu- 
nestes visites.  Dès  1799,  quand  Ghampionnet  vint  occuper  Naples  et 
créer  la  République  parthénopéenne,  de  lourdes  contributions  de 
guerre  lui  furent  imposées.  Elle  n'échappa  pas  non  plus  au  pillage.  Et 
quand  Joseph  Bonaparte  arriva  en  1805,  l'ordre  de  Saint-Benoit  et 
l'abbaye  du  Mont-Cassin  subirent  le  sort  de  tous  les  ordres  monastiques 
et  de  leurs  couvents  en  Italie.  Leur  suppression  fut  décrétée  et  leurs 
biens  furent  réunis  au  domaine  de  la  couronne.  La  bibliothèque  resta 
à  sa  place  et  la  garde  en  fut  confiée  aux  anciens  religieux.  Pie  YII  eut 
soin  de  rétablir  l'abbaye  par  le  concordat  qu'il  négocia  avec  le  roi 
Ferdinand.  Dans  ces  derniers  temps  une  vingtaine  de  moines  vivaient 
à  Monte-Casino  et  y  dirigeaient  un  petit  collège,  un  séminaire  épisco- 
pal  et  une  imprimerie.  Parmi  eux  F  raja  Frangipane  et  surtout  Luigi 
ïosti  sont  généralement  connus  dans  le  monde  savant,  et  leurs  ouvrages 
scientifiques  ont  fait  revivre  les  meilleures  traditions  de  l'antique  ab- 
baye.— Léo  Ostiensis  et  Petrus  Diaconus,  Chronica  monasterii  Casùiensis 
(edit.  Muratori,  Script,  rer.  itaL,  IV;  Wattenbach,  dans  Pertz,  Monum. 
script.,  VII)  ;  Angélus  de  Nuce,  Chronica  Casinensis,  1668  (Muratori, 
Script.,  IV);  Petrus  Diaconus,  Liber  illustr.  viror.  Casin.  archist.  (éd. 
Marus,  Rom.,  1655  ;  Murât.,  Scr.,  VI)  ;  Necrologiwn  Casin.  (éd.  Gat- 
tula  in  ejuscl.  Hist.  Casin.,  M.  Cas.,  733)  ;  L.  ïosti,  Storia  délia  Badia 
di  Monte  Cassino,  3  vol.,  Napol.,  1843,  in-8°  ;  Caravita,  1  codici  e  le 
arti  a  Monte  Cassino,  3  vol.,  M.  Cas.,  1869;  Bibliotheca  Casinensis  s. 
Codd.  mss.  Casin.  cura  et  stud.  monachor .  aff.  M.  Casini,  2  vol.,  ex 
typ.  Casin.,  1873,  in-fol.  E.  Cunitz. 

CASSIODORE  {Marcus  Aurelius  Cassiodorus  Senator),  ministre  célèbre 
de  Théodoric  le  Grand,  roi  des  Goths,et  de  ses  successeurs,  naquit 
vers  477,  dans  le  Bruttium,  probablement  à  Squillace,  d'une  famille 
qui  avait  occupé  de  hauts  emplois  dans  les  derniers  temps  de  l'em- 
pire. Questeur  dès  l'âge  de  vingt  ans,  secrétaire  privé  de  Théodoric  et 


CÀSSIÛDORE  071 

remplissant  auprès  de  lui  les  fonctions  d'an  véritable  ministre  de  l'in- 
térieur, consul  et  à  trois  reprises  préfet  du  prétoire,  il  travailla  sans  re- 
lâche à  la  conciliation  entre  les  Goths  et  les  Romains,  qui  était  le  but 
de  la  politique  de  son  maître.  Quand  le  roi,  égaré  par  ses  courtisans, 
se  mil  à  persécuter  ses  plus  fidèles  serviteurs,  Symmaque  et  Boèce 
(voyez  ces  noms  ,  qui  étaient  en  même  temps  les  amis  de  Sénateur  Cas- 
siodore,  celui-ci  sut  se  retirer  à  temps  de  la  cour  et  éviter  l'orage.  Il  y 
rentra  peu  après,  en  525,  et  y  resta  jusqu'en  540  environ,  époque  où 
il  se  retira  dans  le  monastère  de  Viviers  (Vivarium)  qu'il  avait  lui- 
même  établi  dans  ses  propriétés  du  Jïruttium.  C'est  là  qu'il  se  livra 
jusqu'à  un  âge  très-avancé  (il  écrivait  encore  à  quatre-vingt-treize  ans) 
à  une  activité  littéraire  des  plus  variées,  excitant  le  zèle  de  ses  moines 
et  dirigeant  leurs  travaux..  Ses  Institutiones  divinarum  et  lœcularium 
h  ctionum  (ou  litterarum)  sont  un  plan  général  d'études.  Le  premier 
livre,  divisé  en  trente-trois  chapitres,  autant  que  la  vie  du  Christ 
comptait  d'années,  est  consacré  à  la  théologie  et  à  l'histoire  ecclésias- 
tique à  laquelle  il  donne  une  grande  place;  le  second  livre  passe  rapide- 
ment en  revue  les  sept  arts  libéraux.  Son  Commenta?ium  in Psalmos  est 
un  ouvrage  volumineux,  composé  à  l'imitation  des  Enarrationes  in  Psal- 
mos de  saint  Augustin  et  dans  lequel  il  explique  les  psaumes  aux  points  de 
vue  littéraire,  historique,  moral,  mystique  et  symbolique,  non  sans 
beaucoup  de  subtilité  et  de  pédantisme.  Il  a  accordé  une  grande  place 
dans  ces  commentaires  à  la  recherche  des  types  prophétiques  dans 
l'Ancien  Testament.  Cet  ouvrage  a  été  très-répandu  au  moyen  âge, 
ainsi  que  le  dernier  en  date  de  ses  écrits,  le  traité  De  anima,  où  il 
expose  à  un  ami,  sous  une  forme  agréable,  simple  et  facile  à  saisir,  les 
théories  de  la  philosophie  chrétienne  sur  l'âme.  Les  Complexiones  in 
epistolas  et  Acta  aposfolorum  et  Apoealypsin  ont  été  (peu  répandues. 
UHisforia  tripartita  qui  lui  est  quelquefois  attribuée  n'est  pas  en  réa- 
lité son  œuvre.  C'est  une  mauvaise  compilation  des  trois  histoires  ec- 
clésiastiques de  Socrate,  Sozomène  et  Théodoret,  continuateurs  d'Eu- 
sèbe.  qui  fut  exécutée  sur  la  demande  de  Cassiodore  par  un  de  ses 
amis,  Epiphane.  Le  De  orthographia  est  également  de  peu  de  valeur. 
Les  écrits  historiques  de  Cassiodore  ont  été  importants;  malheureuse- 
ment il  ne  nous  en  reste  que  peu  de  chose.  Il  avait  composé  une  His- 
toire des  Goths  en  douze  livres  qui  est  perdue,  mais  qui  a  servi  de 
source  a  VHistoria  Gothorum  de  Jordanis  (vulgo  Jornandès),  et  un  pa- 
négyrique sur  les  Rois  et  Reines  des  Goths  dont  on  croit  avoir  quelques 
fragments  (cf.  Memorie  delV  Accademia  di  Torino,  sér.  II,  2,  8,  p.  169  . 
Sa  Chronique  s'est  conservée;  mais  bien  qu'elle  remonte  à  l'origine  du 
monde,  elle  est  très-courte  et  n'a  d'autre  but  que  de  donner  la  liste  des 
consuls.  Les  notes  qui  accompagnent  cette  liste  n'ont  qu'un  médiocre 
intérêt.  Heureusement  le  grand  recueil  des  lettres  de  Cassiodore,  Varia- 
?ntm  libri  XII,  nous  est  parvenu  en  entier.  C'est  le  recueil  de  tous  les 
actes  qu'il  avait  écrits,  soit  au  nom  du  roi  comme  questeur  et  comme 
magister  officier um, soit  en  son  propre  nom  comme  préfet  du  prétoire. 
Cette  collection  est  des  plus  précieuses  pour  l'histoire  du  sixième  siècle 
et  pour  la  connaissance  de  la  législation  et  de  l'administration  sous  la 


672  CASSIODORE  —  CASTALION 

domination  gothique.  Sénateur  Cassiodore  mourut  presque  centenaire 
*  entre  570  et  580. C'était  un  esprit  encyclopédique,  à  tendances  éminem- 
ment pratiques.  Dépourvu  d'originalité,  il  n'a  guère  fait  que  des  com- 
pilations ;  mais  il  apportait  dans  toutes  ses  œuvres  la  clarté  et  la  mé- 
thode qui  avaient  fait  de  lui  un  excellent  administrateur,  et  il  a  exercé, 
comme  vulgarisateur,  une  grande  influence.  La  meilleure  édition  de  ses 
œuvres  est  encore  celle  de  D.  Garet  (Rouen,  1679,  2  vol.  in-f°,  et  Venise. 
1729).  Sa  Chronique  a  été  publiée  et  étudiée  par  M.  Mommsen  dans  les 
Abhandlungen  der  Kœnigl.Sxchs.  Gesellschaft  der  Wmensckaften, phiL 
hùt.  Klasse,Rà:  [\\.—  V oyez  sur  Cassiodore  :A.  Thorbecke,  Cassiodorus 
Senator,  Heidelberg;  A.Franz,  Cassiodoms  Senator,  Breslau,  1872; 
Ebert,  Geschichte  der  Christlich-lateinischen  Literatur,  t.  I,  p.  473-490; 
J.  Ciampi,  /  Cassiodori  nel  V  e  nel  VI  secolo,  Imola,  1876. 

GrABEIEL  MOXOD. 

CASTALION  (Sébastien).  Son  vrai  nom,  sous  lequel  il  a  publié  sa 
Bible  française,   était  Chateillon,  et  comme  il  était  né  en  1515  à  Châ- 
tillon  en  Bresse,  c'était  à  la  fois  le  nom  de  sa  famille  et  celui  de  son  lieu 
natal.  Il  lui  donna  la  forme  latine  de  Casteillon;  mais  quelqu'un,  par 
méprise,  l'ayant  appelé  un  jour  Castalion,  il  adopta  ce  nouveau  nom, 
qui  lui  rappelait  la  fontaine   Castalie,  consacrée  aux  muses,  au  culte 
desquelles  il  était  alors  voué,  faisant  des  vers  et  aimant  à  les  lire.  Plus 
tard  il  eut  regret  de  ce  changement.  Ses  parents  étaient  pauvres.  Iln'en 
réussit  pas  moins  à  satisfaire  son  goût  pour  l'étude.  Chargé  d'accom- 
pagner comme  précepteur  trois  jeunes  Lyonnais  à  l'université,  il  en 
suivit  lui-même   les  cours  et  se  perfectionna  dans  la  connaissance  des 
langues  anciennes  ;   non  content   de  bien  savoir  le  latin  et  le  grec,  il 
voulut  aussi  apprendre  l'hébreu.  En  1540,  il  demeura  pendant  quel- 
ques jours  à  Strasbourg  chez  Calvin,  qui,  frappé  de  son  savoir  et  de 
ses  sentiments  pieux,  l'engagea,  après  son  rappel  à  Genève,  à  accepter 
le  poste  de  régent  dans  le  collège  de  cette  ville.  11  s'y  acquit  l'estime  de 
tous,  et  les  ministres  faisaient  un  tel  cas  de  lui  qu'ils  avaient  résolu  à 
l'unanimité,  ainsi  que  Calvin  l'atteste,  de  lui  confier  la  charge  de  pas- 
teur, ut  nostro  omnium  consensu  jamad  munus  pastorale  destinatus  esset. 
Il  n'en  rencontra  pas  moins  une  vive  opposition  de  leur  part  quand  il 
se  présenta  pour  la  place  de  chapelain  de  l'hôpital  des  pestiférés.  Cas- 
teillon avait  pris  l'habitude  de  s'exprimer  avec  une  grande  liberté  sur 
les  matières  de  religion  ;  il  avait,   en  particulier,  témoigné  des  doutes 
sur  ce  qu'il  fallait  entendre  par  la  descente  de  Jésus  aux  enfers  et  parlé 
du  Cantique  de  Salomon  en   termes  peu  révérencieux.  Sa  demande 
ayant  été  soumise  au  Conseil,  les  ministres  firent  savoir  à  celui-ci,  dans 
sa  séance   du  14  janvier  1544,  par  l'organe  de  Calvin,  que,  quelque 
savant  qu'il  fût,  il  ne  leur  paraissait  pas,  à  cause  de  cela,  propre  au  mi- 
nistère. Casteillon,  profondément  blessé,  se  décida  à  quitter  Genève. 
Il  obtint  des  ministres  un  certificat,  signé  par  Calvin,  où  il  est  dit  que 
c'est  volontairement  qu'il   s'est  démis   de  l'emploi  de  régent  après 
l'avoir  rempli  à  leur  entière  satisfaction,    et  que  les  opinions  émises 
par  lui  sur  les  deux  points  cités  sont  le  seul  motif  qui  ait  empêché  son 
admission  dans  le  corps  pastoral.  Calvin,  fort  inquiet  sur  ce  qu'il  allait 


CASTALION  G73 

devenir,  lui  remit  en  outre,  à  son  départ,  des  lettres  de  recommanda- 
tion et  écrivit  plusieurs  l'ois  à  Yiivt  pour  le  prier  de  cherchera  lui  être 
utile.  Casteillon  se  fixa  à  Halo  et  y  lit  imprimer  dès  Tannée  suivante,  en 
1545, sous  Le  titre  de  Dialogorum  sacrorum  libri quatuor •,  des  entretiens 
sur  Thistoire  sainte,  dont  les  trois  premières  parties,  comprenant  l'Ancien 
Testament,  avaient  déjà  été  publiées  à  Lyon  en  15'tO  et  à   Genève  en 
1543.  Il   avertit  dans  la  préface  que  cet  ouvrage  étant  destiné  aux  en- 
tants, il  s'est  appliqué  dans  le  premier  livre  à  écrire  en  un  latin  qu'ils 
pussent  aisément  comprendre,  et  que  ce  n'est  que  dans  les  livres  sui- 
vants qu'il  s'est  permis  de   donner  un  peu  d'élégance  à  son  style.  La 
dernière  édition  de  ces  dialogues  est  celle  de  Francfort,  1767.  Casteil- 
lon avait  résolu  de  traduire  la  Bible  en  latin  et  en  français.  Les  cinq 
livres  de  Moïse,  Moses  latinus  ex  hebrxo  factus,  parurent  àBàleen  1546, 
le  Psalterium  reliquaque  sacrarum  literarum  carmina  et  precationes  en 
1547,  la  Bible  entière,  Biblia  sacra  latina,  en  1551,  et  la  version  fran- 
çaise, avec  des  annotations  sur  les  passages  difficiles,  en  1555.  Il  dédia 
l'une  de  ces  traductions  au  roi  d'Angleterre  Edouard  VI,  l'autre  au  roi 
de  France  Henri  II,  peut-être  pour  avoir  l'occasion  de  plaider  auprès 
d'eux  la  cause  de  la  liberté  de  conscience,  ce  qu'il  a  fait  en  termes 
excellents.    Il  la   plaida  aussi  en  plusieurs  écrits  avec  un  grand  bon 
sens  et  une  grande  énergie,  après  que  Michel  Servet  eut  péri  à  Genève 
sur  un  bûcher,  contre  Calvin  et  Bèze,  qui  soutenaient  qu'il  est  licite  * 
aux  magistrats  de  punir  les  hérétiques  :  «  Tuer  un  homme,  dit-il  dans 
l'un  d'eux,  ce  n'est  pas  protéger  une  doctrine;  c'est  seulement  tuer 
un  homme.  Quand  les  Genevois  ont  tué  Servet,  ils  n'ont  pas  défendu 
une  doctrine  ;  ils  ont  tué  un  homme.  Maintenir  une  doctrine  n'est  pas 
l'affaire  du  magistrat  (car  quel  rapport  y  a-t-il  entre  une  doctrine  et  le 
glaive'?);  c'est  l'affaire  du  docteur.  Mais  protéger  le  docteur,  comme 
il  protège  le  laboureur,  l'ouvrier,  le  médecin  et  les  autres,  contre  le 
tort  qu'on  leur  veut  faire,  voilà  ce  qui  regarde  le  magistrat.  C'est  pour- 
quoi, si  Servet  avait  voulu  tuer  Calvin,  le  magistrat  aurait  eu  raison 
de  défendre  Calvin.  Mais  Servet  ayant  combattu  avec  des  arguments  et 
des  écrits,  c'est  avec  des  arguments  et  des  écrits  qu'il  devait  être  re- 
poussé »  (Contra   libellum  Calvini  in  quo  ostendere  conatur  flœreticos 
jure  gladii  coercendos  esse,    1554,  art.  77).  Les  réformateurs  afiirmant 
en  ce  temps-là  comme  les  inquisiteurs  que  le  devoir  des  magistrats  est 
de  châtier  les  hérétiques,  parler  ainsi  c'était  s'élever  au-dessus  de  son 
siècle.  A  son  arrivée  à  Bàle,  Casteillon  avait  eu  à  lutter  contre  de  sé- 
rieuses difficultés  pour  pourvoir  aux  besoins  de  sa  famille.  Il  y  vécut 
toujours  dans  la  pauvreté,  et  Montaigne  dit  de  lui  et  d'un  autre  savant 
son  contemporain,  «qu'ils  sont  morts  en  état  de  n'avoir  pas  leur  soûl  à 
manger»  [Essais,  livre  I,  cli.  xxxiv).Ses  traductions,  poursuivies  pen- 
dant tant  d'années,  n'étaient  rien  moins  qu'un  travail  rémunérateur. 
11  avait  d'ailleurs  été  précédé  à  Bàle  par  le  bruit  de  ses  différends  avec 
les  ministres  de  Genève  ;  on  s'y  déliait  de  lui,  et  ce  n'estque  quand  la 
publication  de  sa  version  latine  de  la  Bible  eut  fait  connaître  sa  valeur. 
qu"il  y  lut  attaché,  en  1552,  à  L'université  comme  professeur  de  grec. 
Dans  les  noies  jointes  à  cette   version  il  continuait  à  user  de  la  liberté 
u.  '.:i 


674  CASTALION 

de  discussion  qu'il  avait  revendiquée  alors  qu'il  était  régent  ;  et  il  se 
trouvait  maintenant,  bien  plus  qu'à  cette  époque,  en  désaccord  avec 
la  doctrine  enseignée  par  Calvin.  On  peut  voir  en  quoi  il  se  séparait 
surtout  de  lui  par  ses  Entretiens  sur  la  prédestination  et  l'élection,  écrits 
seulement,  paraît-il,  pour  être  prêtés  à  des  amis,  mais  qui  ont  été  im- 
primés après  sa  mort  (Dialogi  IV,  de  Prœdestinatione ;  de  Electione; 
de  liber o  Arbitrio;  de  Fide,  Aresdorffii,  1578) .  Calvin,  déjà  irrité  de 
l'attitude  qu'il  avait  prise  vis-à-vis  de  lui  après  la  condamnation  de 
Servet,  le  fut  davantage  encore  quand  Casteillon  se  posa  comme  ad- 
versaire de  sa  théologie.  Il  le  traita  de  brouillon,  sans  le  nommer,  sur 
le  titre  d'un  opuscule  destiné  à  le  combattre  :  Brevis  responsio  ad 
diluendas  nebulonis  cujusdam  calumnias  quibus  doctrinam  de  scterna  Dei 
prœdestinatione  fœdare  conatus  est  (1554).  Trois  ans  après,  il  le  désigna 
de  même  en  tête  d'un  autre  écrit  :  Calumniœ  nebulonis  cujusdam,  quibus 
odio  gravare  conatus  est  doctrinam  J.  Calvini  de  occulta  Dei  providentia, 
et  J.  Calvini  ad  easdem  responsio  (1557).  Bèze,  de  quatre  ans  plus  jeune 
que  Casteillon,  prit  part  aussi  à  cette  nouvelle  querelle.  C'est  lui  sur- 
tout qu'il  avait  en  vue  dans  le  livre  qu'il  publia  alors  contre  ceux  qu'il 
accusait  «  de  vouloir  renverser  la  prédestination  éternelle  de  Dieu, 
fondement  unique  de  notre  salut  :  Ad  s  y cop  liant arum  quorunclam  ca- 
lumnias quibus  unicum  salutis  nostrœ  fundamentum ,  id  est  œternam  Dei 
prxdettinationem,  evertere  mtuntur  (1557).  Les  versions  de  Casteillon 
n'étaient  pas  les  premiers  essais  de  traduction  des  saintes  Ecritures 
faits  à  cette  époque.  On  connaît  les  travaux  d'Erasme,  d'Osiander,  de 
Le  Fèvre  d'Etaples.  Robert  Olivétan  avait  fait  paraître  en  1535  à  Neu- 
châtel  la  Bible  entière  traduite  par  lui  en  français.  Calvin  en  avait  donné 
une  édition  revue  en  1545,  et  il  ne  cessait  pas  de  rechercher  dans  ses 
commentaires  le  vrai  sens  du  texte  original.  Bèze  publia  en  1556  une 
traduction  latine  du  Nouveau  Testament.  Il  y  joignit  des  notes,  Annota- 
tiones  in  quibus  ratio  interprétations  redditur,  qu'on  a  aussi  imprimées 
séparément.  En  les  comparant  avec  celles  du  professeur  de  Bâle,  on 
reconnaît  aisément,  comme  nous  le  savons  du  reste  déjà,  que  ce 
n'étaient  pas  seulement  des  versions  faites  d'après  des  principes  diffé- 
rents, mais  deux  théologies,  à  plusieurs  égards  opposées  l'une  à  l'autre, 
qui  se  trouvaient  en  présence.  Casteillon  avait  dès  1557  pris  la  plume 
pour  justifier  ses  deux  traductions  et  critiquer  celle  de  Bèze  ;  sa  Defen- 
sio  marum  translationum  Bibliorum  et  maxime  Novi  Fœderis  ne  parut 
cependant  qu'en  1562.  Bèze  lui  répondit  en  1563,  et  voici  ce  qu'il  dit, 
l'année  suivante,  dans  sa  Vie  de  Calvin,  de  sa  réponse  intitulée  : 
Responsio  ad  defensiones  et  reprehensiones  S.  Castellionis,  quibus  suam 
N.  T.  interpretationem  defendere  adv.  Bezam,  et  ejus  versionem  vicissim 
reprehendere  conatus  est  :  «  Cette  mienne  réponse,  dédiée  aux  pasteurs 
de  l'Eglise  de  Bâle,  fut  cause  qu'icelui  Chateillon  fut  appelé  par 
l 'Eglise  et  puis  par  la  Seigneurie,  et  lui  fut  enjoint  de  répondre  à  ce 
dont  je  le  chargeais,  et  que  je  m'offrais  lui  prouver  par  ses  écrits; 
mais  peu  de  jours  après,  la  mort  le  délivra  de  cette  peine.  «  Casteillon 
est  mort,  en  effet,  le  29  décembre  1563,  cinq  mois  avant  Calvin.  On  a 
mprimé  en  1578,  sous  le  titre  de  Defensio  et  avec  la  suscription  :   Ad 


CASTALION  675 

tmthorern  libri  cui  tituius  est  :  Calumniae  nebulonis,  une  longue  lettre 
commencée  en  mai  et  terminée  en  septembre  1558,  qui  ne  l'avait 
pas  été  de  son  vivant.  Il  y  répond  d'abord  à  Calvin,  auquel  elle  est 
adressée,    puis    à    Bèze,    repoussant   leurs   inculpations,    dont   quel- 

-unes  l'attaquaient  dans  son  honneur,  avec  autant  de  calme 
que  de  fermeté.  C'est  à  elles  et  à  l'accueil  qui  leur  avait  été  fait  à 
Baie,  qu'il  attribue  la  pauvreté  dans  laquelle  il  a  vécu  pendant  tout 
le  temps  qu'il  a  employé  à  ces  traductions  des  livres  saints,  qui, 
dit-il,  «  lui  ont  attiré  la  haipe  et  l'envie  de  ceux  dont  elles  auraient 
dû  lui  assurer  l'affection.  »  Plus  loin,  il  leur  demande  de  permettre 
qu'il  ne  soit  pas  de  leur  avis  sur  quelques  points  diversement  en- 
visagés par  les  théologiens  :  «  Laissez-moi  la  liberté  de  professer  ma 
foi,  comme  vous  désirez  qu'on  vous  laisse  et  comme  je  vous  laisse, 
moi,  la  liberté  de  professer  la  vôtre.  Ne  prétendez  pas  en  toute 
occasion  que  ceux  qui  diffèrent  de  vous  s'opposent  à  la  vérité,  et  ne  les 
tenez  pas  pour  des  blasphémateurs;  car  un  grand  nombre  d'hommes 
pieux  sont  en  désaccord  avec  vous  sur  beaucoup  de  choses.  II  n'en 
est  pas  ainsi  de  moi,  qui,  d'accord  avec  vous  sur  l'ensemble  de  la 
religion  du  Christ  et  désirant  la  soutenir  avec  vous  selon  mon  pouvoir, 
n'en  diffère  qu'au  sujet  de  quelques  interprétations  sur  lesquelles 
beaucoup  de  gens  pieux  ne  s'entendent  pas  avec  vous.  Que  ce  soient 
les  uns  ou  les  autres  qui  se  trompent,  il  n'en  faut  pas  moins  nous 
aimer  les  uns  les  autres.  »  Sous  le  rapport  de  la  langue,  la  Bible  latine 
de  Casteillon  a  été  autant  louée  que  critiquée.  «  Le  défaut  qui  y  a  été 
condamné  le  plus  généralement,  dit  Bayle,  est  l'affectation  de  ne  se 
servir  que  des  termes  de  la  bonne  latinité.  C'est  ce  qui  a  fait  qu'il  dit 

"s  au  lieu  d' Angélus,  et  lotio  au  lieu  de  baptismus,  et  respublica  au 
lieu  frecclesia,  et  collegium  au  lieu  de  synagoga.  »  Il  en  résulte  des 
disparates  de  style  qui  rebutent  et,  par  suite  des  idées  qu'on  attache 
ordinairement  aux  mots  dont  il  fait  un  nouvel  usage,  une  confusion 
des  plus  pénibles.  Aussi  renonça-t-il  dans  l'édition  de  1556,  d'après  le 
conseil  de  ses  amis,  à  plusieurs  de  ces  mots  et  reprit-il  ceux  de  bap- 
tisma,  baptizare,  angélus,  qu'il  avait  rejetés.  Quand  il  n'entend  pas  un 
passage,  il  en  avertit  le  lecteur  en  marge  par  ces  mots  :  Hune  locum 
non  intelligo,  Genèse,  VI,  4b',  par  exemple,  et  cette  note  marginale  est 
assez  fréquente.  La  dernière  étition  de  la  Bible  latine  de  Casteillon 
est  celle  de  Leipzig,  1766.  Le  Nouveau  Testament  a  été  réimprimé 
plusieurs  fois  pendant  le  dix-huitième  siècle.  Les  Annotatwnes  l'ont  été 
en  1738  par  les  soins  de  Bunemann,  auquel  on  doit  aussi  un  Index 
latinitatis  selectœ,  vulgo  neglectx,  merito  et  falso  suspecfœ,  ex  Sebastiani 
Castellwnis  interprétation*  S.  Codicis  (Lipsiai,  1735).  Sa  version  fran- 
çaise de  la  Bible  n'a  eu  qu'une  seule  édition.  Il  dit  dans  V Avertisse- 
ment qu'ayant  principalement  égard  aux  idiots  (aux  ignorants),  «  il  a 
usé  d'un  langage  commun  et  simple,  et  le  plus  entendible  qu'il  lui  a 
été  possible.  Et  pour  cette  cause,  ajoute-t-il,  au  lieu  d'user  de  mots 
grecs  et  latins  qui  ne  sont  pas  entendus  du  simple  peuple,  j'ai 
quelquefois  usé  des  mots  français  quand  j'en  ai  pu  trouver;  sinon  j'en 
ai   forgé  sur  les  français  par  nécessité,  et  les  ai  forgés  tels  qu 'on  les 


676  CASTALION 

pourra  aisément  entendre  quand   on   aura  une  fois  ouï  que  c'est, 
comme  serait  es  sacrifices  ce  mot  brûlage,  lequel  mot  j'ai  mis  au  lieu 
de  holocauste,  sachant  qu'un  idiot  n'entend  ni  ne  peut  de  longtemps 
entendre  ce  que  veut  dire  holocauste;  mais  si  on  lui  dit  que  brûlage 
est  un  sacrifice  auquel  on  brûle  ce  qu'on  sacrifie,  il  retiendra  bientôt 
ve  mot  par  la  vertu  du  mot  brûler,  lequel  il  entend  déjà.  »  On  aurait 
pu  répondre  à  Casteillon  qu'il  est  peut-être  plus  difficile  d'associer  au 
mot  de  brûlage  l'idée  de  sacrifice  qui  n'y  est  pas  contenue,  que  de  se 
souvenir  qu'un  holocauste  est  un  sacrifice  par  le  feu.  Les  autres  mots 
qu'il  a  exclus  de  sa  version  française,  parce  qu'ils  sont  empruntés  au 
grec   ou   au  latin,  comme  circoncire,  catéchiser,   cène,  baptême,  etc., 
n'ont  pas  été  remplacés  par  lui  plus  heureusement.  En  les  rejetant,  il 
n'a  pas   eu  l'intention   de  condamner  ceux  qui  s'en  servent;  «  car 
moi-même,  dit-il,  en  use  bien  souvent  en  temps  et  lieu;  ains  le  fais 
pour  éviter  certains  abus  qui  se  sont  eouvés  et  se  couvent  journelle- 
ment sous  tels  mots  inconnus,  et  si  (pourtant)  ne  le  fais  pas  partout, 
sachant  que  toute  chose  nouvelle,  quelque  droite  qu'elle  soit,  ne  peut 
être  reçue  du  premier  coup,  et  que  tel  en  souffrira  bien  deux  ou  trois, 
qui  n'en  souffrira  pas  dix  ou  douze.  »  Mais  ce  ne  sont  pas  seulement 
les  essais  de  ce  genre  qui  ont  paru  inacceptables  ;  ce  sont  aussi  des 
expressions  étranges,  comme  flairement  pour  odorat    (1  Corinthiens 
XII,  17),  songemalices  pour  inventeurs  de  méchancetés  (Romains  I,  30), 
enfantons  pour  petits  enfants  (1  Jean  IV,  3),  et  celle-ci  que  l'on  cite 
souvent,  parce  que  Bèze  et  Henri  Estienne  l'ont  relevée  :  Miséricorde  fait 
la  figue  au  jugement  (Jacques  II,  13).  Peut-être  auraient-ils  dû  dire  que 
Casteillon  en  donne  en  marge  cette  explication  :  «  Miséricorde  est  sûre 
par  innocence  contre  punition,  »  ce  qui  se  rapproche  plus  du  sens 
admis  aujourd'hui  que  l'interprétation  de  Calvin  :  «  Miséricorde  se 
glorifie  à  rencontre  de  condamnation.  »  Mais  bien  loin  de  lui  rendre 
cette  justice,  Henri  Estienne  le  juge  avec  une  extrême  sévérité  :  «  Au 
lieu,  dit-il,  de  chercher  les  plus  graves  mots  et  manières  de  parler, 
pour  appliquer  un  tel  sujet  (traduire  la  Bible  en  français),  on  voit 
évidemment   que  cet  homme  s'est  étudié  à   chercher  les  mots  de 
gueux,  ou  pour  le  moins  tels  qu'ils  fissent  amuser  les  lecteurs  à  rire, 
au  lieu  de  s'amuser  à  considérer  le  sens  du  passage  »  (Apologie  pour 
Hérodote,  livre  I,  chap.  xiv).  Bèze  assure  que  «  les  Poitevins  eux- 
mêmes,   dont  le  jargon   est  le   plus  grossier  de  tous  les  jargons  de 
France,  ne  peuvent  supporter  le  sien  »  (Responsio  ad  Seb.  Castellionis 
Defensiones  et  reprehensiones,  p.  3).  Il  ne  faut  pas  s'étonner  après  cela 
que  Jacques  Lenfant  ait  cru  pouvoir  dire,  en  1718,  dans  sa  Préface 
générale  sur  le  Nouveau  Testament  :  «  On  ne  parlera  pas  ici  de  la  ridi- 
cule version  de  Chateillon.  »  Casteillon,  trop  hardi  à  forger  des  mots, 
n'a  assurément  pas  réussi  par  sa  version,  comme  Luther  par  la  sienne, 
à  fixer  pour  longtemps  la  langue  de  son  pays  ;  mais  il  la  savait  aussi 
bien  que  personne,  et  quelle  étude  prolongée  et  approfondie  n'a-t-il 
pas  dû  en  faire  pour  traduire  en  cette  langue  des  écrits  aussi  variés 
que  ceux  contenus  dans  la  Bible!  Il  est  rare,  il  est  vrai,  quand  on  lit 
de  suite  quelques  pages  de  sa  traduction  française,  qu'on  ne  rencontre 


CASTALION  —  CASTELL  677 

pas  des  termes  bizarres  qui  ne  pouvaient  pas  se  faire  aecepter  ;  mais 
l'impression  d'ensemble  qu'on  on  reçoit  n'est  pas  ce  qu'on  pourrait 
supposer.  Casteillon  ne  se  faisait  d'ailleurs  aucune  illusion  sur  l'im- 
perfection de  son  œuvre,  et  il  prend  congé  de  ses  lecteurs  en  leur 
disant  :  «  Que  s'il  vient  une  autre  translation  qui  soit  meilleure,  j'es- 
père que  cette-ci  ne  sera  pas  marrie  de  lui  faire  place.  »  Rien  n'est 
moins  fondé  que  le  reproche  que  Henri  Estienne  lui  a  adressé,  d'avoir 
manqué  de  sérieux  dans  l'accomplissement  de  la  tâche  qu'il  s'était 
donnée.  Les  lignes  suivantes,  empruntées  à  un  morceau  intitulé  :  Le 
moyen  pou?-  entendre  la  sainte  Ecriture,  ne  sauraient  laisser  aucun 
doute  sur  ses  sentiments  et  sur  le  but  qu'il  avait  en  vue  :  «  Je  conseille 
à  tous  ceux  qui  se  veulent  appliquer  à  l'Ecriture  et  à  connaître  la 
volonté  de  Dieu,  qu'ils  le  fassent  par  le  moyen  qu'il  se  peut  et  doit 
faire.  Premièrement,  qu'ils  croient  ce  qui  y  est  écrit;  car  s'ils  ne  le 
croient,  ils  ne  l'entendront  pas,  ains  tiendront  les  saintes  Ecritures 
pour  non  saintes.  Puis  après,  ce  qui  est  le  fruit  de  la  foi,  qu'ils  assu- 
jettissent leur  volonté  à  celle  de  Dieu,  étant  tout  prêts  à  faire  tout  ce 
qu'il  commandera,  doux  ou  amer,  léger  ou  pesant,  sans  aucunement 
y  contredire,  ou  même  contrepenser.  Car  la  foi,  par  laquelle  il  nous 
faut  être  sauvés,  et  sans  laquelle  on  ne  peut  plaire  à  Dieu,  est  de  telle 
nature  que  non-seulement  elle  obtient  à  l'homme,  par  le  mérite  de  la 
mort  de  Christ,  pardon  de  ses  péchés  passés,  mais  aussi  par  sa  résur-v 
rection  le  rend  juste,  et  en  lui  moyennant  un  nouvel  esprit,  l'ôte  à  la 
sujétion  du  diable  et  l'asservit  à  Dieu.  »  Ce  style  n'est  certes  pas  infé- 
rieur à  celui  des  bons  écrivains  du  seizième  siècle.  On  trouvera  dans 
la  France  Protestante  la  liste  des  nombreux  ouvrages  de  Casteillon.  Il 
a  déclaré  ne  pas  être  l'auteur  du  Conseil  à  la  France  désolée,  que  Bèze 
lui  attribue  et  qui  fut  condamné  par  le  synode  national  de  Lyon  en 
1563.  Son  livre  De  hœreticis,  an  suit  persequendi,  publié  sous  le  pseu- 
donyme de  Martinus  Bellius,  est  une  collection  d'opuscules  sur  la 
tolérance,  à  laquelle  il  a  mis  une  préface.  Il  convient  de  citer  encore 
ses  traductions  en  latin  et  en  français  de  la  Théologie  germanique,  sous 
le  nom  de  Joannes  Theophilus,  et  celle  en  latin  des  Dialogues  de  Ber- 
nard Ochin.  Quelques-uns  de  ses  ouvrages  posthumes  ont  sans  doute 
été  publiés  par  son  fils  Frédéric,  le  dernier  de  ses  huit  enfants,  né 
quelques  jours  avant  sa  mort,  qui  fut,  comme  lui,  professeur  à  l'uni- 
versité de  Bàle.  —  Voyez  Richard  Simon  et  l'article  Castalùm  dans  le 
Dictionnaire  de  Ravie,  pour  l'appréciation  de  ses  deux  versions  de  la 
Bible.  H.  Luttkroth. 

CASTELL  (Edmond),  né  en  1606  à  llatley  (comté  de  Cambridge),  lit 
ses  études  à  Cambridge,  où,  vers  la  fin  de  sa  carrière  (1666),  il  devint 
professeur  d'arabe,  et  mourut  en  1685  à  Higham-Gobion  (comté  de 
Bedford),  dont  il  était  recteur.  Connaissant  mieux  les  langues  orientales 
que  personne  de  son  temps,  il  l'ut  un  des  principaux  collaborateurs  de 
Wallon  pour  la  publication  de  sa  Bible  polyglotte  (Londres,  1657, 
6  vol.  in-fol.).  Pour  compléter  ce  grand  ouvrage,  il  composa  son  Lexi- 
con  heptaglotton  (Londres,  1669,  -J  vol.  Ln-foL),  auquel  il  consacra  dix- 
sept  ans  d'un  travail  assidu,  qui  lui  coûta  la  vue  et  toute  sa  fortune 


678  OASTELL  —  CASTELNAU 

Castell  a,  dans  cet  ouvrage,  fondu  en  un  seul  dictionnaire  harmonique 
des  langues  sémitiques  (plus  le  persan,  qui  est  traité  à  part)  tous  les 
matériaux  lexicographiques  amassés  par  les  orientalistes  antérieurs  sur 
l'hébreu,  le  chaldéen,  le  syriaque,  le  samaritain,  l'éthiopien  et  l'arabe, 
et  y  a  joint  les  importants  résultats  de  ses  propres  recherches;  il  a 
fourni  ainsi  pour  l'étude  comparée  des  langues  sémitiques  un  ouvrage 
qui  n'a  point  été  dépassé  encore  dans  son  ensemble.  La  partie  syriaque 
a  été  réimprimée  à  part  par  J.-D.  Michaëlis,  qui  y  a  joint  quelques 
notes  (Gœtting.,  1788,  in-4°),  et  la  partie  hébraïque  par  un  disciple 
de  ce  dernier,  J'.-F.-L.  Trier  (Gœtting.,  1790,  2  vol.  in-4°),  pour  servir 
de  texte  aux  observations  lexicographiques  de  Michaëlis  (Supplementa 
ad  Lexica  hebraica,  Gœtting.,  1785-92,  2  vol.  in-4°).  —  Sources  :  Kippis, 
Biographia  brilannica,  t.  111;- Biographie  universelle,  nouv.  éd.,  t.  VII; 
Meyer,  Gesch.  cl.  Schrifterklœrung,  t.  III  ;  Rosenmûller,  Handbuch  f.  d. 
Literalur  d.  bibl.  Krilik.,  t.  III,  p.  341  ;  Wolf,  Histoiia  lexicorum  hebr., 
p.  164.  A.  Bernus. 

CASTELNAU  (Pierre  de),  religieux  de  Cîteaux  et  archidiacre  de 
Maguelone,  fut  envoyé  par  Innocent  III  dans  le  Midi  de  la  France,  avec 
la  qualité  de  légat  extraordinaire,  pour  rechercher  les  hérétiques  albi- 
geois et  les  livrer  au  bras  séculier.  11  était  accompagné  de  Ramier, 
également  moine  de  Cîteaux,  et  de  Dominique,  fondateur  de  l'ordre 
des  Frères  Prêcheurs.  Ces  inquisiteurs  rencontrèrent  une  vive  résis- 
tance, et  Castelnau  finit  par  être  massacré  sur  les  terres  de  Raymond .VI, 
comte  de  Toulouse  (1208),  au  moment  où  il  venait  d'enjoindre  à  ce 
prince  d'abandonner  la  cause  des  albigeois  ;  ce  meurtre  fit  excommu- 
nier Raymond  et  amena  la  guerre  des  albigeois. 

CASTELNAU  (Michel  de),  seigneur  de  Mauvissière  (1520-1592).  Peu 
de  personnages  ont  fait  plus  d'honneur  à  ce  parti  modéré,  loyal,  éga- 
lement attaché  à  la  royauté  légitime  et  au  catholicisme,  au  dévouement 
duquel  Henri  IV  dut  sa  couronne  bien  plus  qu'à  son  abjuration.  A 
partir  de  la  paix  de  Cateau-Cambrésis,  Castelnau  fut  de  toutes  les  né- 
gociations de  ce  temps,  et,  jusqu'à  la  cinquième  guerre  civile,  de 
toutes  les  campagnes  contre  les  huguenots  qui  le  firent  même  une  fois 
prisonnier.  Il  fut  cinq  fois  ambassadeur  en  Angleterre  et  en  Ecosse, 
sans  compter  ses  ambassades  en  Allemagne,  en  Savoie  et  à  Rome,  où 
il  eut  à  agir  dans  la  conjoncture  délicate  de  la  réunion  du  conclave  qui 
nomma  Pie  IV.  Les  Guises,  premiers  auteurs  de  sa  fortune,  essayèrent 
en  vain  de  le  lier  à  leur  parti.  Sa  fidélité  à  la  maison  de  France  lui 
avait  coûté  presque  tous  ses  biens  quand  Henri  IV  lui  donna  un  com- 
mandement. Castelnau  partagea  les  périls  du  Béarnais  sans  avoir  part 
à  sa  fortune,  car  il  mourut  à  Joinville  un  an  avant  l'entrée  du  roi  dans 
Paris.  Pendant  sa  dernière  légation  en  Angleterre,  de  1574  à  1584,  il 
avait  écrit  ses  Mémoires,  aussi  précieux  par  leurs  renseignements  que 
par  l'impartialité  du  récit.  Ils  vont  de  1559  à  la  paix  de  Saint-Germain 
(août  1570).  Publiés  pour  la  première  fois  en  1621  par  Jacques  de  Cas- 
telnau, son  fils,  et  depuis,  à  deux  reprises  différentes,  avec  des  com- 
mentaires et  des  pièces  justificatives,  ils  ont  été  insérés  en  dernier  lieu 
dans  la  Collection  universelle  des  Mémoires  particuliers  relatifs  à  l'his- 


CASTELXAU  -  CASTRES  (570 

tuin  de  Frtmce.  L'édition  la  pins  belle  L't  la  plus  complète  de  Gastetaaa 
est  celle  de  Jean  Godefroy  (Bruxelles,  I73i,  3  vol.  in-l'ol.,  iig.). 

CASTRES  [Castrum]  (Tarn)  es*  appelée  dans  ia  chronique  de  Simon 
de  Montfort  Villa  S.  ntiï  de  Cas/ris.  en  l'honneur  des  reliques  d 

saint  Vincent,  martyr  de  Saragosse,  qui  y  lurent  apportées  de  Va- 
lence en  Espagne  par  le  moine  Audaldus,  vers  858.  Aimoin  de  Sainl- 
Ciermain-de^-1'ivs  en  a  raconté  la  translation  en  deux  livres,  en  vers. 
La  chronique  des  évéques  d'Àlby  et  des  abbés  de  Castres  rapporte 
qu'en  647  Robert,  Anselin  et  Daniel,  chevaliers,  se  bâtirent  des  cellules 
en  ce  lieu  (d'Acàery,  SpiciL,  VU).  Leur  église,  consacrée  à  saint 
Benoit,  lut  dévastée  par  les  calvinistes  ;  celle  de  Saint- Vincent,  élevée 
par  l 'abbé  Rigaud  (874-688  .  tut  donnée  en  1258  aux  frères  prêcheurs. 
En  1317,  Jean  XXII  érigea  r église  de  Saint-Benoit  et  Saint- Vincent 
en  cathédrale,  et  l'évèehé  fut  rattaché  à  Bourges,  puis  à  Alby  ;  il  fut 
supprimé  en  1801  (Borel,  Antiq.  de  C,  1G49,  in-8°  ;2'éd.,  1868,in-12j. 

II.  Le  premier  réformateur  de  Castres  fut  le  cordelier  Marciï  (1532), 
qui  fut  emprisonné  dans  la  suite  à  Toulouse  et  y  «  scella  heu- 
reusement de  son  sang,  dit  Bèze,  la  doctrine  de  vérité  qu'il  av;>i: 
annoncée.  »  Ses  succès  assurèrent  l'avenir  de  l'Eglise  de  Castres,  car, 
dès  Tannée  1542,  elle  était  organisée  et  desservie  par  le  pasteur  de 
lfanna.  Mais  elle  prit  surtout  de  l'extension  en  avril  1560,  sous  le  mi- 
nistère «  d'un  homme  de  bien  et  docte  personnage,  nommé  Geoffroy  le 
Brun,  »  qui,  succombant  bientôt  sous  le  poids  de  sa  charge,  dut  aller 
chercher  des  collaborateurs  à  Genève  au  mois  d'octobre  de  la  même 
année.  En  son  absence  1" Eglise  fut  évangélisée  par  La  Vallée,  venu  de 
Toulon^'.  Ses  assemblées,  dénoncées  à  cetteépoque,  furent  suspendues 
par  L'arrivée  du  procureur  général  de  Toulouse,  qui  lit  jeter  en  prison 
quelques  luthériens.  Un  édit  du  mois  de  février  1561,  ordonnant  leur 
mise  en  Liberté,  ranima  le  courage  de  l'Eglise  qui,  desservie  par  le 
pasteur  Pierre  de  l'Hostau,  envoyé  de  Genève  par  Lebrun,  prit  de  tels 
développements  que  la  ville  presque  tout  entière  se  déclara  pour  la 
Réforme  et  livra  ses  églises  aux  nouveaux  apôtres;  mais  l'édit  de  jan- 
vier 1502.  qui  ne  permettait  l'exercice  de  la  religion  réformée  que  dans 
les  faubourgs  des  villes,  obligea  les  évangéliques  de  Castres  à  tenir 
leurs  assemblées  en  dehors  des  murs.  Pendant  les  guerres  de  religion, 
cette  ville  lui  presque  toujours  au  pouvoir  des  réformés,  qui  y  fondè- 
rent un  collège  important  (1577)  et  obtinrent  une  chambre  de  justice 
mi-partie  (4S9S).  Pendant  les  nouveaux  troubles  religieux  du  dix- 
septième  siècle,  Castres  épousa  le  parti  du  duc  de  Rohan  :  ce  dont  la 
cour  lui  conserva  rancune,  car,  dès  1663,  elle  expulsait  ses  cinq  pas- 
teurs sous  un  faux  prétexte  ets  en  1(570,  transférai!  sa  chambre  de  jus- 
tice à  Casteinaudary.  Euliu,  le  18  décembre  1684,  le  Conseil  d'Etatsup- 
primait  complètement  l'Eglise,  ressortissant  à  cette  époque  au  colloque 
de  l'Albigeois  et  à  la  province  synodale  du  Haut  Languedoc  et  Haute 
Guienne.  Pendant  la  période  du  Désert,  L'Eglise  de  Castres  demeura 
longtemps  sans  pasteur,  tout  comme  las  autres  Eglises  du  Haut  Lan- 
guedoc. Le  prédicateur  .Michel  Piala  réorganisa  les  unes  et  les  b  tires 
en  17:}:;  et  devint  leur  pasteur  en  175^.  Corteis  leur  donna  aussi  ses 


€80  CASTRES  —  CASUEL 

soins  pendant  quelque  temps.  Après  eux,  vinrent  les  pasteurs  Dunières, 
Olivier,  Sicard  et  de  Barmond.  La  loi  de  germinal  an  X  fit  de  Castres 
le  chef-lieu  d'un  consistoire  important.  En  1870,  l'Eglise  comptait 
1,200  protestants.  E.Arnaud. 

CASÛEL  (casualia,  accidentiœ,  jura  stolœ),   honoraires  ou  rétribu- 
tions accordées  aux  ecclésiastiques  pour  les  diverses  fonctions  de  leur 
ministère,  telles  que  baptêmes,  bans  de  mariage,  bénédictions  nuptiales, 
prières  pour  les  accouchées,  funérailles,  certificats  de  première  com- 
munion, extraits  des  registres  paroissiaux,  messes  privées,  etc.  L'an- 
cienne Eglise,  fidèle  au  précepte  de  Jésus-Christ  :  Gratis  accepistis,  gra- 
tis date  (Matth.  X,  8),  ne  connaissait  pas  le  casuel,  qui  était  sévèrement 
condamné,  comme  un  acte  de  simonie,  par  les  synodes  et  les  conciles. 
Toutefois,  «  l'ouvrier  étant  digne  de  son  salaire  »  (Matth.  X,  10;  cf. 
1  Cor.  IX,  Il  ss.),  on  s'habitua  à  considérer  le  casuel,  non  comme  le 
prix  (inestimable  d'ailleurs)  du  bienfait  spirituel  reçu,  mais  comme  la 
juste  rémunération  de  la  fonction  exercée  par  le  ministre  du  culte.  11 
fut  permis  aux  prêtres  d'accepter  les  dons,  spontanément  offerts  par  les 
fidèles,  pour  les  fonctions  exercées  dans  l'étendue  de  leur  paroisse,  à  la 
condition  expresse  de  ne  jamais  les  recevoir  avant  l'accomplissement 
de  l'acte  religieux.  Mais  cette  autorisation,  qu'il  était  impossible  dans 
la  pratique  de  refuser,  donna  lieu  à  de  criants  abus.  Innocent  III,  au 
concile  de  Latran  de  1215,  se  plaint  amèrement  de  ce  que  les  prêtres 
«  exigent  et  extorquent  »  l'argent  aux  fidèles,  lors  des  funérailles  et 
des  bénédictions  nuptiales,  et  vont  jusqu'à  refuser  le  secours  de  leur 
ministère  si  le  casuel  n'est  pas  payé.  En  conséquence  il  ordonne  de 
revenir  à  la  coutume  antérieure  :  Quapropter  super  his  pravas  exactiones 
fieri  prohibemus,  et  pias  consuetudines  prœcipimus  observari,  statuentes, 
ut  libère  conferantur  ecclesiastica  sacramenta  (can.  42,  X,  de  simonia). 
Mais  l'habitude,  la  nécessité,  parfois  aussi  la  cupidité  du  clergé  furent 
les  plus  fortes.  Les  fidèles  continuèrent  à  payer,  les  ministres  du  culte 
à  percevoir  les  taxes  prescrites.  Les  prescriptions  varient  à  l'infini  et, 
en  dépit  des  efforts  qui  ont  été  tentés,  l'Eglise  n'a  jamais  réussi  à  fixer 
d'une  manière  uniforme  les  droits  du  casuel.  Le  concile  de  Trente, 
après  quelques  hésitations,  a  maintenu  ces  règles,  mais  il  a  ordonné 
que  les  sacrements  de  la  cène,  de  l' extrême-onction  et  de  l'ordination 
fussent  administrés  gratuitement  (sessio  XXI,  c.  1,  de  reform.;  XXIY, 
c.  18,  de  reform.).  La  Réformation,  de  son  côté,  a  également  reconnu 
les  droits  des  ministres  du  culte  au  casuel,  principalement  dans  les  pays 
luthériens,   dont  les  constitutions,   à  la  suite  d'un  accord  intervenu 
entre  l'Etat  et  l'Eglise,  règlent  la  matière  avec  la  plus  grande  diversité. 
Reconnaissons  pourtant  que  des  efforts  considérables  sont  faits  de  nos 
jours,  même  en  Allemagne,  pour  abolir  le  caractère  obligatoire  du  ca- 
suel, cause  inévitable  de  froissements  et  de  scandales,  aussi  contraire  à 
l'efficacité  de  la  cérémonie  religieuse  qu'à. la  dignité  de  celui  qui  y  pré- 
side. D'après  la  loi  organique  du  18  germinal  an  X,  en  France,  les 
fonctions  pastorales  sont  gratuites,  dans  ce  sens  que  le  pasteur  ne  peut 
exiger  aucune  rémunération  des  fidèles  auxquels  il  prête  son  ministère, 
bien  qu'il  soit  autorisé  à  accepter  les  dons  que  les  fidèles  peuvent  lui 


CASUEL  —  CASUISTIQUE  681 

offrir  Librement  comme  un  témoignage  de  leur  reconnaissance.  On  sait 
que  Rome  u'a  jamais  reconnu  ni  observé  cette  loi,  à  laquelle  les  Egli- 
ses protestantes  se  sont  tout  naturellement  soumises.  —  Voyez  :  Tlio- 
massin,  Vêtus  ac  nova  Ecries,  discipl.,  III,  1. 1;  Stelzer,  De  jurions  stolae, 
Altorf,  17(H);  Tittmann,  Ueb.  die  Fixinmg  der  Stolgebûhren,  Leipz., 
1831;  Bergier,  Diction,  théol.,  s.  v.  Casuel. 

CASUISTIQUE.  On  entend  par  là  cette  partie  de  la  morale  qui  étudie 
les  »as  de  conscience  et  en  donne  la  solution.  En  un  sens,  tout  le 
monde  fait  de  la  casuistique  :  quel  est  en  ce  moment  mon  devoir, 
quel  serait-il  si  telle  situation  se  présentait?  Ce  sont,  en  vérité,  des  cas 
de  conscience,  et  la  vie  de  l'honnête  homme,  du  chrétien  se  passe  aies 
résoudre.  Or,  la  solution  n'apparaît  pas  toujours  avec  évidence  et  fa- 
cilité; quelquefois  le  devoir  se  cache,  ou  semble  se  montrer  dans  des 
directions  opposées.  Dans  un  tel  embarras  (c'est  pour  ces  problèmes 
délicats  et  complexes  qu'on  a  réservé  le  nom  de  cas  de  conscience) 
on  conçoit  que  les  conseils  des  sages  et  des  expérimentés  soient  re- 
cherchés. Aussi,  partout  où  des  hommes  ont  reçu  ou  se  sont  donné  à 
eux-mêmes  la  charge  d'enseigner  aux  autres  la  morale,  ils  ont  été  en- 
traînés plus  ou  moins  à  étudier  les  cas  difficiles  et  à  en  indiquer  la  so- 
lution. C'est  ce  que  tirent,  par  exemple,  les  philosophes  de  l'antiquité 
classique  (Havet,  Le  christianisme  et  ses  origines,  t.  II,  p.  102).  Le  Tal- 
mud  présente  un  développement  de  casuistique  qui  a  presque  tous  les  v 
fâcheux  caractères  qui  distinguèrent  plus  tard  cette  science:  on  y  voit 
une  multitude  de  cas  imaginés  et  résolus;  l'autorité  des  docteurs  mise 
à  la  place  de  la  loi  divine  et  de  la  conscience,  et  les  contradictions  des 
rabbins  servant  à  légitimer  le  relâchement  moral  (probabilisme).  Les 
évangiles  eux-mêmes  ne  sont  pas  sans  nous  offrir  quelques  exemples 
de  casuistique.  Ce  sont  bien  des  questions  de  ce  genre  qu'on  pose  à 
Jésus-Christ  (Matth.  XXII,  17),  que  Jésus-Christ  pose  aux  pharisiens 
(Luc  XIV,  3),  qu'il  discute  avec  Pierre  (Matth.  XVII,  25-27).  —Des  cir- 
constances particulières  amenèrent  au  sein  du  christianisme  un  déve- 
loppement considérable  de  casuistique.  D'abord,  sans  doute,  le  carac- 
tère si  profondément  moral  de  cette  religion  :  elle  ne  se  contente  pas 
de  l'acceptation  de  certaines  doctrines  ou  de  la  pratique  de  certains 
rites  ;  elle  exige  de  ses  fidèles  une  vie  d'obéissance  à  la  volonté  de 
Dieu.  Il  importe  donc  au  premier  chef  que  le  fidèle  sache  toujours 
quelle  est  cette  volonté  divine.  Il  est  vrai  que  l'enfant  de  Dieu,  «  con- 
duit par  l'Esprit  de  Dieu  »,  possède  en  lui-même  une  lumière  qui  dis- 
sipe les  indécisions  et  une  impulsion  intérieure  qui  poj*te  au  vrai  et  au 
bien  dans  chaque  cas  particulier.  Mais  tant  que  le  Saint-Esprit  n'oc- 
cupe pas  lame  tout  entière,  il  y  a  place  pour  l'incertitude  dans  la 
conscience  morale  du  croyant.  Il  y  eut  dès  les  commencements  dans 
l'Eglise  chrétienne  des  hommes  ayant  reçu  le  don  et  la  charge  de  gui- 
der leurs  frères.  11  était  naturel  qu'on  demandât  à  ces  chrétiens,  choisis 
parmi  les  pins  éclairés  et  les  plus  pieux,  des  conseils  pour  les  cas  em- 
barrassante qui  se  produisaient  souvent  au  sein  (Tune  société  toute  pé- 
nétrée des  usages  et  des  corruptions  du  paganisme.  Nous  voyons  sainl 
Paul  obligé  de  traiter  de  ces  questions  de  détail  et  de  pratique  dans  sa 


682  CASUISTIQUE 

correspondance  avec  les  Eglises  (1  Cor.  Vil,  -VIII,  XI;  2  Cor.  VI,  etc.). 
Et  plus  tard,  il  suffit  d'ouvrir  les  écrits  d'un  Tertullien,  d'un  Augustin 
pour  constater  la  place  considérable  que  les  docteurs  de  l'Eglise  durent 
donner  à  l'étude  et  à  la  solution  de  ces  délicats  et  urgents  problèmes. 
A  mesure  que  la  ferveur  et  la  spiritualité  s'affaiblissaient  dans  les  âmes, 
que  la  fidélité  chrétienne  devenait  une  conformité  extérieure  à  la  loi 
plus  qu'une  inspiration  et  un  amour,  le  besoin  de  ces  décisions  et  de  ces 
conseils  des  maîtres  se  faisait  sentir  davantage.  Il  y  eut  d'autres  actions: 
l'Eglise  chrétienne  institua  une  discipline,  sanctionnée  par  des  pénalités. 
On  dut  indiquer  quelles  seraient  les  fautes  qui  tomberaient  sous  le 
jugement  ecclésiastique,  et  quelle  serait  pour  chacune  d'elles  la  peine 
infligée.  Ce  fut  l'origine  des  libri  pœnitentiales,  dont  on  voit  déjà  une 
trace  au  milieu  du  troisième  siècle  dans  l'Eglise  d'Afrique  (Cypr., 
Epist.  2,  liber  de  lapsis).  Les  décisions  des  conciles,  les  anciennes 
coutumes ,  le  droit  canonique ,  composaient ,  avec  les  apprécia- 
tions personnelles  des  auteurs,  la  matière  de  ces  ouvrages.  A  cette 
influence  de  la  discipline  ecclésiastique  se  joignit  celle  de  la  confes- 
sion, qui  entrait  chaque  jour  davantage  dans  les  habitudes  des  fidèles. 
Il  fallait  offrir  aux  prêtres  un  guide  pour  l'appréciation  des  fautes  etl'ap- 
plication  des  pénitences.  On  multiplia  donc  et  on  développa  ces  libri 
pœnitentiales ,  dont  le  point  de  vue  était  nécessairement  et  de  plus  en 
plus  casuistique.  Ce  fut  bien  autre  chose  quand  la  confession  auricu- 
laire fut  érigée  en  loi  de  l'Eglise  (1215).  On  se  mit  dès  lors  à  composer 
des  ouvrages  où  tous  les  cas  possibles  étaient  énumérés  sous  de  cer- 
taines rubriques  et  suivant  un  certain  ordre  (  assez  ordinairement 
alphabétique),  et  où  l'an  indiquait,  pour  chacun  de  ces  cas,  non-seu- 
lement le  jugement  à  prononcer,  la  pénitence  à  infliger,  mais  les 
conseils  à  donner  pour  l'avenir.  C'est  l'avènement  de  la  casuistique 
proprement  dite.  Raymond  de  Pennaforte,  au  treizième  siècle,  est  le 
premier  qui  ait  fait  un  travail  de  ce  genre  (Summa  de  casibus  pœniten- 
tialibus).  Il  eut  un  grand  succès  et  fut  imité  dans  les  siècles  suivants 
par  beaucoup  d'autres,  dont  les  summœ  sont  le  plus  souvent  désignées 
par  le  nom  de  la  ville  où  naquit  l'auteur.  Ainsi  YAstesana  (1330),  la 
Pisana  (1338),  la  Pacifica  (1470),  YAngelica  de  Angélus  de  Clavasio 
(1486),  brûlée  par  Luther  avec  la  bulle  du  pape,  etc.  Il  faut  dire  que 
cette  façon  de  traiter  la  morale  rentrait  assez  dans  la  méthode  générale 
des  scolastiques,  habiles  à  distinguer,  accoutumés  à  considérer  toutes 
les  suppositions  possibles  ou  impossibles,  curieux  de  problèmes  au 
point  d'en  imaginer  pour  la  seule  satisfaction  de  les  résoudre.  Lorsqu'ils 
font  de  la  morale  dans  leurs  écrits,  ils  ne  savent  pas  le  faire  sans  accu- 
muler les  distinctions,  les  cas  difficiles  et  les  solutions.  Ils  ont  contribué 
pour  leur  grande  part  au  développement  de  la  casuistique  ;  ils  lui  ont 
donné  une  forme  plus  rigoureuse,  plus  scientifique.  Quand  la  scolastique 
a  décliné,  au  quatorzième  siècle,  on  dirait  qu'elle  a  passé  sa  vigueur  à 
la  casuistique,  qui  entre  alors  dans  sa  belle  période.  Il  arriva  naturel- 
lement que  les  casuistes  ne  donnèrent  pas  toujours  la  même  solution 
auxjnêmes  cas  de  conscience.  La  diversité  s'accroissait  avec  le  nombre 
des  auteurs.  On  commença  par  donner  la  prépondérance  à  l'avis  des 


CASUISTIQUE  (Î83 

docteurs  les  plus  autorisés;  on  (init  par  établir  ce  principe:  Du  mo- 
ment qu'une  opinion  a  été  proposée  par  an  auteur,  elle  est  probable, 
et  Ton  peut  j  conformer  sa  conduite,  fût-on  (.railleurs  convaincu  en 

son  esprit  que  cette  opinion  es!  fausse  et  mauvaise.  C'était  le  prohabi- 
lisuie  (voy.  ce  mot).  —  Les  jésuites  parurent.  Préoccupés  de  s'emparer 
de  la  direction  des  àuies,  ils  voulurent  se  mettre  en  état  d'offrir  les 
directeurs  spirituels  Les  plus  capables  de  dénouer  les  questions  déli- 
cates qui  se  posent  au  confessionnal,  les  plus  habiles  à  tranquilliser  les 
consciences  inquiètes,  les  plus  fertiles  en  ressources  pour  éviter  toute 
gêne  et  (ont  renoncement  aux  pécheurs.  Ils  trouvèrent  dans  la  casuis- 
tique un  instrument  admirablement  adapté  à  leur  but.  Ils  s'en  servi- 
rent avec  tant  de  génie  qu'elle  devint  en  quelque  sorte  leur  propriété 
exclusive;  ils  surent  y  faire  un  emploi  si  ingénieux  et  si  hardi  du  pro- 
babilisme  ;  ils  y  ajoutèrent  si  heureusement  leur  théorie  de  l'intention 
et  celle  des  réserves  mentales  qu'il  n'y  eut  plus  de  difficulté  qui  put 
arrêter   ni    leurs    directeurs    ni   leurs    pénitents.  11    serait  long   de 
citer  leurs  auteurs,  même  en  se  bornant  aux  plus  distingués  (Mariana, 
Suarez,  Sanchez,  Molina,  Escobar,  Filliucci,  Bauny,  Perrin,  ces  deux 
derniers  français,  Busenbaum,  etc.).  Entre  les  mains  des  jésuites,  la 
casuistique  a  produit  tous  les  mauvais  fruits  dont  elle  est  capable. 
Elle    divise  la  vie   morale  et  religieuse  en  une  multitude  de  détails 
sans    lien  intime  et  profond  :  pas  d'inspiration,    pas  d'amour  pour, 
le  bien   et  pour- Dieu;    rien  qui   rappelle   la  liberté   de  l'enfant   de 
Dieu,  heureux   de   témoigner   à   son   Père  céleste   sa    gratitude   par 
son  obéissance;  mais,  en  revanche,  un  esprit  légal  et  processif,  des 
prodiges   de    ruse    et    de   linesse   pour  obéir  le  moins   possible,    et 
même  pour  ne  pas  obéir  du  tout,  pour  satisfaire  toutes  ses  passions 
en   pleine   sécurité  de   conscience.    Cette    casuistique    se     comptait 
dans  les  cas   exceptionnels,   comme   s'ils  formaient  la.  plus  grande 
partie  de  l'existence.  Elle  prend  plaisir  à  supposer  les  situations  les 
plus  scabreuses,   à  discuter  froidement  les  fautes  les  plus  épouvan- 
tables; elle  va  jusqu'à  en  imaginer  qui  sont  à  la  fois  horribles  et  impos- 
sibles. Le  triomphe  de  ces  docteurs  est  de  trouver  pour  ces  cas-là  des 
solutions  qui  autorisent  tout.  Ils  y  mettent  une  sorte  d'amour  de  l'art, 
un  étrange  dileltantisme.  La  plupart  étaient  d'excellents  hommes,  mais 
leur  doctrine  était  infâme.  Jamais  on  n'avait  vu  un  instrument  pareil 
de  scepticisme  moral  et  de  corruption.  Les  jésuites  s'attirèrent  la  flé- 
trissure   retentissante   que   leur     infligea   Pascal    (voy.    Provinciales: 
Nicole,   Essais  de  morale,   Instiitctions  théol.  et  morales;  vingt  écrits 
d'Arnauld  ;  Perrault.  La  morale  des  jésuites,  Ti  vol.,  etc.).  —  La  Réfor- 
mation s'était  place»-  dés  le  début  sur  un  tout  autre  terrain.  En  procla- 
mant le  salut  par  la  loi.  en  attribuant  lo-uvre  de  la  régénération  mo- 
rale à  la  grâce  et  au  Saint-Esprit,  en  mettant  l'accent  sur  l'amour  de 
Dieu,  les  réformateurs  avaient  fait  dépendre  la  fidélité  chrétienne  de 
la  disposition  des  cœurs.  Ils  furent  pourtant  entraînés  à  résoudre  des 
questions   particulières  d'une   solution   difficile.  Luther  fut  consulté 
plus  d'une  fois.  .Mélanchthon  toucha  à  quelques-uns  de  ces  sujets  dans 
des  écrits  spéciaux (ChrùtUcfie  Berathschlagvngen  und  Bedenken,  édités 


684  CASUISTIQUE  —  CATACOMBES 

par  Pezel  en  1600),  dans  ses  Lettres  et  dans  ses  Consilia.  Ceux  qui  vin- 
rent après  lui  dans  l'Eglise  luthérienne  jusqu'au  dix-huitième  siècle, 
ne  traitèrent  guère  de  la  morale  qu'en  examinant  des  cas  de  conscience, 
mais  ils  le  firent  dans  un  autre  esprit,  avec  d'autres  moyens  que  les 
casuistes  catholiques  et  par  réaction  contre  eux  ;  ils  tiraient  leurs  solu- 
tions des  enseignements  de  l'Ecriture  et  des  leçons  de  l'expérience 
chrétienne  (Balduin,  Tractatus  luculentus  posthumus,  édité  en  1628  par 
la  faculté  de  Wittenberg  ;  L.  Dunte,  Decisiones  1006  casuum  conscien- 
tiœ,  1643,  etc.).  On  réunit,  en  1664,  les  solutions  données  par  Luther 
et  par  la  faculté  de  Wittenberg  à  des  questions  de  morale,  de  doctrine 
et  de  droit  ecclésiastique  (Consilia  theologica  Witebergensia  ;  cf.  Dede- 
kenn,  Thésaurus  consiliorum  et  decisionum,  3,  in-fol.,  1623).  Les  Theo- 
logische  Bedenken  du  dix-huitième  siècle ,  en  particulier  ceux  de 
Spenér  et  de  Baumgarten,  doivent  être  rangés,  à  bien  des  égards,  parmi 
les  ouvrages  de  casuistique  (pour  la  bibliogr.  voir  Walch,  Biblioth. 
Theoï.,  II,  p.  1128  ss.).  Les  calvinistes  eurent  leurs  traités  ^de  morale 
casuistique,  avant  même  les  luthériens;  mais  ils  y  furent  moins  fé- 
conds et  plus  sévères  (Perkins,  Analomia  sacra  humanœ  conscientùe, 
casus  cotiscien/iœ,  1603;  Alsted,  Amesius,  etc.;  voy.  Walch,  ibid., 
p.  1132  ss.).  La  casuistique  n'était  pas  destinée  à  se  développer  sur 
le  sol  du  protestantisme  ;  elle  n'y  eut  qu'un  moment  une  apparence  de 
fécondité  ;  mais  ce  qu'elle  produisit  alors  ne  saurait  être  comparé,  ni 
pour  la  quantité  ni  pour  la  qualité,  à  ce  que  nous  a  offert  le  catholi- 
cisme. De  nos  jours,  la  casuistique  continue  à  constituer,  dans  cette 
dernière  communion,  une  partie  essentielle  de  la  morale  ecclésiastique, 
mais  on  assure  que  les  jésuites  eux-mêmes  y  apportent  plus  de  mesure 
et  de  moralité.  Chez  les  protestants,  on  est  universellement  d'accord 
que  la  tentative  de  décider  à  l'avance  des  cas  de  conscience  ne  saurait 
aboutir  à  des,  résultats  utiles,  et  repose  d'ailleurs  sur  une  conception 
inférieure  de  la  moralité  chrétienne.  Il  y  a  parfois  sans  doute  des 
situations  confuses  où  il  est  plus  difficile,  comme  on  l'a  dit,  de  con- 
naître son  devoir  que  de  le  faire.  Mais  nul  ne  peut  décider  dans  ces 
cas  extraordinaires  à  la  place  et  pour  le  compte  de  celui  qui  est  per- 
sonnellement engagé.  Quant  aux  moralistes  chrétiens,  leur  tâche  n'est 
pas  de  munir  leurs  disciples  de  décisions  toutes  faites,  mais  de  les  met- 
tre en  état  de  décider  eux-mêmes.  —  Voyez  Sta?udlin,  Gesch.  d.  Sitten- 
lehre,  p.  448,  etc.  ;  de  Wette,  ibid.,  p.  207-208  ;  H.  Merz,  Bas  System  der 
christl.  Sittenlehre,  p.  73,  77-79;  Ad.  Wuttke,  Christl.  Sittenlehre,  I, 
passim  ;  J.  Simon,  Le  devoir,  IV,  ch.  I.  Ch.  Bois. 

CATACOMBES,  nom  d'un  cimetière  souterrain  des  environs  de  Rome, 
appliqué  à  tous  les  autres,  même  à  ceux  de  Chiusi,  deNaples,  de  Sicile; 
par  généralisation  abusive,  excavations  qui  n'ont  rien  de  commun  avec 
les  sépultures.  Les  nécropoles  de  Rome  sont  les  plus  importantes.  Con- 
fondues à  tort  avec  des  carrières  de  pierre  ou  de  sable,  elles  se  distin- 
guent des  arénaires  par  la  netteté  de  leurs  coupes,  l'étroitesse  de  leurs  ga- 
leries, la  régularité  de  leurs  plans.  Taillées  dans  le  tuf  granulaire,  elles 
évitent  la  pouzzolane  trop  friable  et  les  roches  trop  dures.  Leurs  origi- 
nes sont  grecques  ou  orientales.  Il  y  a   des  nécropoles  souterraines  en 


CATACOMBES  685 

Sicile.  Les  juifs  ensevelissaient  dans  le  roc.  A  Rome  ils  ont  creusé  de 
grandes  catacombes  presque  identiques  à  celles  des  chrétiens.  Ceux-ci 

ont  été  leurs  imitateurs.  Les  Etrusques  se  servaient  aussi  de  grottes  ; 
mais  ils  ne  les  reliaient  point  par  des  galeries  illimitées.  L'invention  de  ce 
mode  ne  provint  pas  de  la  nécessité  de  cacher  les  rites  mortuaires,  car  il  est 

démontré  :   1°  que  dans  les  deux  premiers  siècles  les  sépultures  des 
chrétiens  ne  subirent  aucune  entrave  légale,   les  familles  riches  prê- 
tant aux.  coreligionnaires  leurs  propres  caveaux  et  les  areœ  attenantes; 
2°  qu'au  troisième  siècle,  c'est  l'abri  des  collèges  funéraires  qui  fournit 
à  l'Eglise  sa  seule  existence  légale.  Le  respect  des  anciens  pour  les  sé- 
pultures favorisait  ces  associations.  L'énorme  travail  des  excavations 
n'aurait  pu  échapper  à  la  police  romaine.  Le  xoi(Jt.iQ?^piov ou  dormitorium 
collectif  devenait  le  depositorium  des  croyants,  en  attendant  le  réveil 
de  la  résurrection.  11   était  bien   l'image  de  la  fraternité  chrétienne.  • 
Des  rues  souterraines,  bordées  de   couchettes  étroites   (loci),   taillées 
horizontalement   dans   le    tuf,   reliaient  ces  millions  de   sépultures 
étagées  en  plusieurs  rangs,  de  chaque  côté.  Le   riche  y  sommeillait 
auprès  du  pauvre,  distinguant  sa  tombe  seulement  par  quelques  déco- 
rations,  ou  la  creusant  plus  grande,    en  forme  de  caveau,  d'arcoso- 
lium,  niche  voûtée.  La  tabula  de  marbre  ou  de  tuile  fermait  l'ouver- 
ture ;  elle  était  gravée  ou  peinte  d'un  titulus.  Les  cubicula  ouverts  aux 
côtés  de  Yambulacre  étaient  destinés  soit  aux  familles  nombreuses,  soit* 
aux  personnes  illustres  par  leur  rang  ou  leur  foi.  Clarissimi ou  martyres 
avaient  ainsi  une  place  réservée,  mais  dans  le  requietorîum  commun. 
On  superposait  les  étages  de  galeries  jusqu'à  vingt-cinq  mètres  de  pro- 
fondeur, choisissant  les  plateaux  secs,  le  long  des  routes,  se  limitant  aux 
terrains  concédés,  observant  les  règlements  relatifs  à  la  distance  de  la 
ville.  On  estime  leur  étendue  à  un  millier  de  kilomètres  en  plusieurs 
groupes.  Une  partie  en  reste  obstruée  de  matériaux  accumulés  par  les 
anciens.  Voici  les  cimetières  les  plus  accessibles:  celui  de  Galliste,  en- 
globant  ceux  de  Sotère,  Balbine,  Lucine,  étudiés   par  M.  de  Rossi  ; 
celui  de  Saint-Sébastien,  dévasté  ;  ceux  des  juifs,  de  Mithra,  de  Pré- 
textât, de  Sainte-Agnès,  de  Saint-Cyriaque, de Domitilla ou Nérée et  Achil- 
lée,  décrit  par  Bosio,  ainsi  que  ceux  de  Pierre  etMarcellin,de  Priscille, 
de  Pontien  ;  ceux  de  Theason,  de  Generosa,  etc.  Il  y  a  des  traces  d'une 
nécropole  sur  la  Via  Ostiensis,  où  dut  être  enseveli  saint   Paul,  mais 
seulement  des  traditions  en  faveur  d'un  cimetière  sous  forme  de  cata- 
combes au  Vatican,   où  l'on  prétend  que  saint  Pierre  repose.  Sur  une 
épitaphe  de  LINVS,  qui  y  aurait  été  vue  au  dix-septième  siècle,  il  reste 
des  obscurités.  Les  tombes  des  papes,  visibles  encore,  sont  sur  la  Via 
Ippia,  dans  le  cimetière  auquel  fut  préposé  Galliste.  Creusées  à  l'usage 
de  sépultures,  les  cryptes  reçurent  la  visite  des  parents  et  amis  qui  célé- 
braient, par  des  agapes  et  des  réminiscences,  L'anniversaire  de  leurs  dé- 
funts, et  celle  des  fidèles  qui,  surtout  à  partir  de  la  persécution  de  Diocté- 
tien, y  cherchèrent  le  souvenirdes  martyrs.  Bientôt  on  bâtit  au-dessus 
des  memorix,  petits  oratoires  qui  furent  l'origine  des  grandes  basili- 
ques. En  temps  de  persécution,   les  catacombes   ne  servirent   que 
momentanément  de  refuge  à  un  petit  nombre  de  fidèles,  non  d'habi- 


68G  CATACOMBES 

tation  prolongée.  Quand  on  y  célébra  des  services  religieux,  ce  fut 
pour  peu  de  personnes  à  la  fois,  vu  Tétroitesse  des  lieux,  leur  éloigne- 
ment  et  la  difficulté  d'y  avoir  accès  incognito.  La  décomposition  des 
cadavres,  derrière  de  minces  tuiles,  e£t  rendu  malsaines  des  réunions 
nombreuses,  fréquentes  ou  prolongées.  Les  lucemaires  n1y  amenèrent 
un  peu  d'air  et  de  lumière  que  sous  les  empereurs  chrétiens.  Valérien 
enleva  un  instant  aux  chrétiens  la  propriété  de  leurs  sépultures.  Gallien 
leur  en  rendit  l'usage.  Sous  Dioclétien,  on  dut  se  ménager  des  échap- 
pées sur  les  arénaires  voisins,  murer  les  tombes  des  martyrs,  pour  les 
sauver  de  la  profanation.  Il  y  eut  confiscation  partielle  des  nécropoles, 
de  303  à  306.  Sous  Miltiade,  restitution  définitive.  A  partir  de  Cons- 
tantin, les  papes  se  faisant  ensevelir  dans  les  basiliques  extra  muros, 
au-dessus  des  cryptes,  beaucoup  de  fidèles  se  construisirent  des  tombes 
à  fleur  de  terre.  Après  Julien  l'Apostat,  il  se  fit  environ  moitié  des 
sépultures  d'après  chacun  des  deux  usages.  Le  pape  Damase ,  qui 
ramena  le  zèle  vers  les  catacombes,  enrichit  les  principales  cryptes 
d'inscriptions  en  vers.  Puis  l'exploitation  en  fut  abandonnée  aux  fos- 
sores  qui  y  vendirent  des  places  aux  dévots  désireux  de  reposer  le  plus 
près  possible  des  saints,  au  risque  de  mutiler  leurs  tombes.  Ainsi  jus- 
qu'en 410,  où  le  sac  de  Rome  et  les  invasions  barbares  rendirent  dan- 
gereuse la  sortie  des  murs.  La  cité  dépeuplée  put  tolérer  les  inhuma- 
tions inlra  muros.  Des  restaurations  furent  faites  du  sixième  au  neuvième 
siècle.  Au  huitième ,  les  dévastations  lombardes  décidèrent  quelques 
papes  à  transporter  dans  les  basiliques,  à  l'intérieur  de  la  ville,  les 
restes  des  saints  les  plus  vénérés.  Aussi  ne  retrouve-t-on  plus  aux  cata- 
combes, ni  leurs  tombes  intactes,  ni  leurs  épitaphes.  Au  moyen  âge 
l'oubli  se  fait.  A  peine  quelques  itinéraires  de  pèlerins,  qui  aident  à 
retrouver  la  trace  des  cimetières  et  des  tombes  célèbres.  Au  quinzième 
siècle  quelques  visites  fortuites,  avant  les  recherches  de  Jean  Lheureux 
(Macarius)  et  de  Bosio,  leur  grand  explorateur  (de  1593  à  1600),  qui  les 
a  décrites  dans  sa  Borna  sotterranea.  Au  dix-huitième  siècle  les  cher- 
cheurs de  reliques  et  les  antiquaires  collectionneurs  les  pillèrent  à  loisir. 
Notre  âge  les  étudie  dans  un  intérêt  artistique  et  historique,  copiant  les 
monuments  et  recueillant  les  épitaphes.  M.  J.-B.  de  Rossi  en  est  le  fouil- 
leur  le  mieux  qualifié,  fervent  catholique,  mais  critique  sérieux.  En  s'ai- 
dant  des  anciens  itinéraires,  des  études  topographiques  et  de  la  confron- 
tation des  textes,  on  peut  porter  quelque  lumière  dans  les  catacombes. 
Essayons  un  aperçu  sur  les  symboles  et  objets  qu'on  y  a  trouvés,  sur 
les  fresques,  les  sculptures,  les  inscriptions  qu'elles  ont  contenues. 
—  Symboles.  Voici  leur  indication  par  ordre  de  dates.  La  colombe,  image 
de  l'esprit,  ordinairement  de  celui  du  défunt.  Avec  un  rameau  d'oli- 
vier, c'est  l'âme  dans  la  paix.  L'ancre  d'espérance  était  souvent  une 
allusion  à  la  croix,  par  la  disposition  de  ses  barres,  ainsi  que  le  tri- 
dent, les  mâts  de  navire,  la  lettre  T.  Le  poisson  désigna  le  Christ, 
son  nom  grec  I^ç  contenant  les  initiales  des  mots  "ItqjoîJç  Xptc-cr. 
Beou  uêôç,  crtoTYjp.  Le  dauphin,  poisson  ami  de  l'homme,  d'après  les 
idées  antiques,  prit  cette  acception  religieuse  dès  le  troisième  siècle. 
L'agneau  fut  l'image  du  chrétien,  pendant  sa  vie  surtout.  Le  paon 


CATACOMBES  087 

rappela  r incorruptibilité,  le  renouvellement.  Le  cheval  el  Le  lièvre, 

coureurs  dans  la  lice:  la  couronne  ou  la  palme,  prix  de  La  course  et  de 
la  victoire  spirituelle.  L'arche  et  le  navire,  allusion  aux  tempêtes  mo- 
rales et  à  L'Église  où  on  les  traverse  sans  périr.  Au  quatrième  siècle, 
se  montre,  sur  Le  Labarum  de  Constantin,  le  monogramme  du  Christ, 
formé  de  la  combinaison  des  deux  premières  lettres  de  son  nom  X 
(ch  grec)  et  P  (r).  Les  divers  entre-croisements  de  ces  lettres  en  fai- 
saient souvent  (les  allusions  à  la  croix.  La  confrontation  de  monuments 
datés  prouve  que,  du  quatrième  au  cinquième  siècle,  on  est  passé 
lentement  de  l'emploi  des  monogrammes  à  celui  de  la  croix.  Pas  un 
seul  crucifix  dans  l'iconographie  de  l'âge  des  sépultures  souterraines, 
mais  des  façons  d'y  faire  penser,  par  le  rapprochement  du  poisson  et 
de  L'ancre,  du  dauphin  et  du  trident.  Le  symbole;  pas  le  fait  brutal; 
encore  moins  le  culte  de  l'instrument  matériel.  Parmi  les  symboles,  il 
faut  encore  noter -l'amphore,  cette  image  du  corps  fragile,  dans  lequel 
est  contenu  Le  parfum  de  l'esprit  ;  le  vase  est  la  coupe  des  grâces  spi- 
rituelles. H  y  a  aussi  des  emblèmes  de  métier,  entre  autres  la  trousse 
d'un  chirurgien.  Les  lampes  de  terre  cuite  avec  sujets  chrétiens  sont 
presque  toutes  du  quatrième  au  sixième  siècle;  un  petit  nombre  du 
troisième.  Les  fioles  de  verre  qu'on  a  prises  pour  des  ampoules  de 
sang  n'étaient  pas  toutes  du  temps  des  persécutions;  elles  ont  contenu 
probablement  des  parfums  ou  peut-être  du  vin  eucharistique.  Cer- 
taines tasses  à  ligures  dorées,  la  plupart  du  quatrième  siècle,  étaient 
d'un  usage  privé,  ou  à  destination  des  agapes.  Quant  aux  instruments 

ipplice,.ils  sont  pour  la  plupart  des  outils  vulgaires,  sans  emploi 
certain  à  cette  destination.  —  Peintures.  Des  fresques  décorent  beau- 
coup de  cryptes,  soit  à  la  voûte,  soit  sur  les  parois.  Les  plus  anciennes, 
du  deuxième  siècle  probablement,  sont  des  représentations  symboli- 
ques, paraboliques  ou  typiques  pour  la  plupart.  Dans  l'ambulacre  de 
Domililla.  une  vigne  dont  les  sarments  partent  d'un  seul  cep  et  cou- 
verte de  fruits  ;  c'est  l'Eglise  où  vendangent  les  anges  de  Dieu,  où 
voltigent  les  âmes,  ces  colombes  célestes  ;  un  Daniel  dans  la  fosse  aux 
lions,  type  de  l'Eglise  persécutée,  mais  non  dévorée;  une  agape  dans 
la  forme  primitive,  les  convives  y  étant  étendus  à  moitié  sur  un  tricK- 
iiiinn.  devant  une  table  où  sont  le  pain  et  YV/h'jz  symbolique,  tandis 
qu'un  personnage  apporte  la  coupe  eucharistique.  Dans  le  cimetière 
de  Priscilla,  une  orante  arrivant  au  paradis  mter  sanctos,  ou  une  Su- 
sanne  type  de  L'Eglise  calomniée,  mais  triomphante  par  la  foi;  une 
Marie,  jeune  mère,  sans  prétention  hiératique,  portant  sur  ses  genoux 

mi  divin,  et  en  face  de  laquelle  Esaïe  se  tient  debout,  montrant 
I  i  toile  prophétique,  la  lumière  des  nations  réalisée  dans  le  nouveau-né. 
meuere  de  Prétextai,  comme  à  celui  de  Lucine,  I"  Bon  Berger, 
jeûna  et  gracieux,  portant  sur  ses  épaules  la  brebis  égarée  (le  défunt 
peut-être),  et  T  introduisant  an  bercail  du  royaume  des  cieux.  Là  encore 
L'allégorie  des  quatre  saisons,  en  guirlande  de  fleurs,  d'épis  moissonnés, 
de  pampres  fructueux,  d'oliviers  pacifiques.  A  Lucine  surtout,  Le  sym- 
bolisme sacramentel,  dans  Levasedelait,  cette  nourriture  des  faibles,  el 
dans  le  poisson  mystique  qui,  vivant  dans  les  ondes  baptismales,  porte 


688  CATACOMBES 

sur  son  dos  une  corbeille  de  pains,  au  milieu  desquels  se  distingue  un 
vase  de  vin.  Un  peu  plus  loin,  un  baptême  du  Christ,  au  Jourdain, 
avec  la  miraculeuse  colombe.  Au  troisième  siècle,  le  cimetière  de  Cal- 
liste  nous  fournit  un  déroulement  plus  complet  du  symbolisme  des 
deux  sacrements  évangéliques.  Le  baptême  a  ses  racines  dans  l'Ancien 
Testament;  rélément  en  est  Tonde  jaillissante  de  la  roche  mystique, 
sous  la  verge  de  Moïse.  Cette  eau  forme  un  fleuve  où  nage  le  chrétien, 
ce  diminutif  de  l\Mç  sacré,  du  Christ.  Le  pêcheur  d'âmes  jette  sa 
ligne  et  le  recueille.  Le  néophyte  reçoit  le  baptême  proprement  dit,  de 
la  main  d'un  prêtre  vêtu  comme  les  philosophes  du  temps;  celui-ci  se 
tient  sur  la  rive,  tandis  que  le  récipiendaire  est  immergé  jusqu'à  mi- 
jambes,  recevant  l'aspersion  et  l'imposition  des  mains.  Désormais  for- 
tifié, le  néophyte  peut,  comme  le  paralytique  de  Béthesda,  emporter 
son  lit  et  marcher.  L'eau  jaillissante  du  puits  de  Jacob  où  sera  abreu- 
vée la  Samaritaine,  c'est  le  livre  de  vie  que  déroule  un  docteur  de 
l'Eglise.  L'eucharistie,  de  même,  part  de  l'ancienne  alliance,  par  une 
allusion  au  sacrifice  d'Abraham.  Le  prêtre  se  tient  auprès  du  trépied 
où  sont  posés  des  pains  et  r/Ô^ç,  tandis  qu'une  orante  (l'âme 
croyante) ,  rend  grâces  à  Dieu  des  biens  reçus,  offrant  sa  prière  en  oblation. 
A  côté,  les  disciples  s'installent,  à  la  mode  romaine,  autour  de  la  table  ; 
ils  s'appuient  à  l'aise  sur  les  coussins  du  ùnclinium,  pour  se  repaître 
des  pains  multipliés  dans  les  corbeilles  et  du  poisson  mystique.  C'est 
l'agape,  et  c'est  aussi  l'eucharistie.  Voici  enfin  la  conséquence  de  la 
participation  aux  deux  sacrements  :  qui  a  été  baptisé,  qui  a  mangé  la 
chair  du  Seigneur  et  bu  son  sang  a  la  vie  éternelle.  Lazare  sort  de  son 
tombeau  ;  il  marche  à  la  voix  du  Seigneur  qui  le  touche  de  la  verge  de 
son  pouvoir.  Jonas  passe  par  le  monstre,  comme  le  chrétien  traverse 
la  mort  pour  en  sortir.  Le  croyant  affronte  la  tempête  sur  la  barque  de 
l'Eglise;  pourvu  qu'il  prie,  le  secours  divin  le  saisira  par  les  cheveux 
au  moment  critique.  Nouveau  Noé,  il  peut,  de  cette  arche,  voir  passer 
le  déluge  :  la  colombe  céleste  lui  apportera  le  rameau  d'olivier.  Du 
troisième  siècle  nous  avons  encore  le  jugement  d'un  chrétien,  exemple 
unique;  les  trois  jeunes  gens  traversant  la  fournaise,  comme  l'Eglise, 
sans  être  consumés.  Aucune  scène  d'horreur  ni  de  martyre.  On  em- 
prunte au  paganisme  quelques  sujets  :  Orphée,  que  les  livres  sibyllins 
présentent  comme  l'ancêtre  de  Moïse,  devient  le  type  du  Christ  ;  Psyché, 
âme  inspirée  par  l'amour  divin,  est,  comme  les  fleurs  dont  elle  est 
entourée,  le  type  du  renouvellement  des  saisons  et  de  la  vie.  De  même 
(en  deux  sculptures),  Ulysse,  attaché  à  son  mât  et  bravant  les  sirènes 
est  le  type  du  chrétien  résistant  aux  tentations,  dans  la  barque  de 
l'Eglise  dont  le  mât  symbolise  la  croix.  Orantes,  Bons  Bergers,  Moïse 
frappant  la  roche,  Jonas  jeté  à  l'eau  et  vomi  par  le  dragon  sous  la 
tonnelle  du  repos  éternel,  sujets  cent  fois  répétés  dans  les  peintures  du 
troisième  siècle.  Vers  la  fin,  l'apocryphe  Tobie  fait  son  apparition.  Au 
quatrième  siècle  la  peinture  nous  fournit  des  représentations  de  l'ado 
ration  des  mages,  où  Marie  occupe  un  siège  d'honneur,  et  des  groupes 
où  le  Christ  enseigne  les  apôtres.  Dès  la  lin,  le  Sauveur  porte  l'auréole 
simple.  Le  cinquième  siècle  nous  montre  cet  attribut  sur  la  têted 


CATACOMBES  689 

saints;  pas  une  seule  t'ois  sur  celle  de  .Marie  (dans  les  catacombes  pro- 
prement dites).  Plus  tard  les  tètes  de  Christ,  avec  auréole  cruciforme 


•me, 
se  multiplient,  sans  qu  un  type  permaiienl  puisse  faire  croire  à  la  tra- 
dition d'un  portrait.  Le  byzantinisme,  en  envahissant  l'art,  amène 
L'imagerie  hiératique,  parfaitement  visible  du  cinquième  au  neuvième 

siècle,  aux  cimetières  de  Callisle,  de  f.enerosa,  de  Pontien.  Pendant  la 
période  des  inhumations  souterraines,  très-distincte  de  celle  des  déco- 
rations par  ex-voto  et  par  dévotion  pieuse,  la  peinture  chrétienne  n'est 
qu'une  continuation  dégénérée  «les  traditions  classiques.  Ce  n'est  pas 
un  art  nouveau,  ni  même  renouvelé.  Mais  des  sujets  en  accord  avec  la 
religion  chrétienne  ont  été  exprimés  par  les  moyens  familiers  à  tous 
les  décorateurs  de  l'antiquité,  et  dans  le  style  propre  à  chaque  époque 
Etant  données  les  mœurs  du  monde  ancien,  qui  comportaient  l'appli- 
cation de  l'art  décoratif  à  tous  les  détails  de  la  vie  privée,  et  notamment 
aux   sépultures,  rien  ne  doit  surprendre  dans  le  fait  que  des  idées 
religieuses  ont  été  exprimées  par  le  pinceau,  puis  par  le  ciseau.  Qu'au- 
raient pu  représenter  d'autre  ces  chrétiens  qui  avaient  renoncé  aux 
fables  illustrées  par  les  artistes  païens?  Au  reste  la  déeoration  devait 
glisser  dans  l'imagerie,  et  celle-ci  dans  l'idolâtrie,  par  des  transitions 
lentes.  —  Sculptures.  Souvent  les  riches  étaient  déposés  dans  des  sarco- 
phages, et  non  dans  des  niches.  On  sculptait  ces  cercueils  de  pierre 
La  plus  belle  collection  de  ces  monuments  est  au  musée  chrétien  de 
Latran,  à  Rome.  Beaucoup  d'entre  eux  du  reste  proviennent  des  basi- 
liques, mais  ils  sont  la  reproduction  ou  la  continuation  de  ceux  qu'on 
a  exhumés  des  catacombes.  En  sculpture,  le  deuxième  et  le  troisième 
siècle  ne  tirent  guère  que  des  emprunts  à  l'iconographie  païenne  dans 
Tordre  des  scènes  maritimes  et  des  allégories  cosmiques.  Le  Bon  Bercer 
est  presque  leur  seule  création  originale.  En  effet  la  sculpture,  art  cou 
teux,  ne  dut  guère  être  employée  par  l'Eglise  qu'après  son  triomphe" 
alors  qu'elle  put  afficher  sa  foi,  et  (pie  les  sculpteurs,  dans  leurs  ate- 
liers,  purent  impunément  exposer  des  sujets  chrétiens.  Or,  au  quatrième 
siècle,  l'art  était  en  décadence.  La  composition  des  sujets  est  plus  sou 
vent  ingénieuse  qu'aisée  et  naturelle.  Les  plus  heureusement  rendus 
sont  :  la  résurrection  de  Lazare  et  Jouas,  expression   constante   des 
espérances  de  vie,  bien  à  sa  place  sur  le  tombeau  descrovants-  dis 
scènes  pastorales  et  même  quatre  ou  cinq  statuettes  du  Bon  Berger 
paraboles  d'un  caractère  évangélique;  les  brebis  suivent  leur  pasteur' 
.•Iles  [«.ut  signe  de  le  connaître,  elles  entendent  sa  voix,  recherchent 
ses  caresses,  broutent  les  branches  de  l'arbre  de  vie.  s'abritent 
le  toit  de  son  bercail,  donnent  leur  lait  aux  bergers,  ou  reposent  s  r 
l'épaule  de  celui  qui  les  a  sauvées;  des  scènes  champêtres,  comme  la 
vendange  dans  la  vigne  du  Seigneur,  et  le  pressoir  d'où  s'exprime  ||! 
vin.  cet  élément  eucharistique;  des  orantes  représentant  des  personnes 
ensevelies,  ou  types  de  la  Susanne  triomphante  ;  des  agapes  a  peu  nrès 
dans  le  même  goût  que  celles  des  peintures.  Puis  viennent  de  grand  >s 
compositions  ou  les  sujets  se  multiplient  et  s'entremêlent  sans  res  >  •  >t 
pour  la  loi  de  l'unité,  faciles  à   relier  néanmoins.  Voici,  [Kir  exemple 
Jésus  ressuscitant  Lazare,  tandis  que  Phémorrhoïsse  bais,,  ses  mains  ou 


690  CATACOMBES 

son  vêtement.  A  côté  il  prédit  son  reniement  à  Pierre  qui  proteste  de 
sa  fidélité.  Quelle  est  cette  main  venue  du  ciel?  Elle  tend  les  tables  de 
la  loi  à  Moïse,  puis  elle  arrête  Abraham  qui  va  sacrifier  Isaac.  Celui-ci 
est  devant  un  petit  autel  sur  lequel  est  un  vase  dans  lequel  Pilate  va 
se  laver  les  mains.  Isaac  est  donc  le  type  du  Christ,  dans  son  sacrifice. 
Sur  le  même  marbre  encore,  Moïse  montre  aux  Israélites  l'eau  jaillis- 
sante ;  Daniel  prie  dans  la  fosse  aux  lions,  tandis  qu'Habacuc  lui  pré- 
sente le  pain  venu  du  ciel.  Job  lit  et  discute  avec  ses  amis.  Jésus  guérit 
T aveugle-né,  puis  multiplie  les  poissons  et  les  pains  entre  les  mains  de 
ses  disciples.  Tout  cela  accumulé  en  deux  étages  de  bas-reliefs,  sur  un 
cercueil  de  six  pieds  de  long.  Le  célèbre  sarcophage  de  Junius  Bassus 
(de  Tan  359)  représente  un  sacrifice  d'Abraham,  une  captivité  de  Pierre 
et  une  autre  de  Paul,  une  comparution  de  Jésus  devant  Pilate,  un  Job 
en  face  de  ses  amis  et  de  sa  femme,  une  tentation  d'Adam  et  d'Eve,  une 
entrée  de  Jésus  à  Jérusalem,  un  Daniel  dans  la  fosse,  sans  compter  les 
miracles  de  l'agneau  de  Dieu.  Au  centre  surtout  il  faut  noter  un  Christ 
triomphant,  dans  le  ciel,  après  son  ascension,  parlant  à  Paul  et  passant 
à  Pierre  le  livre  de  la  loi  nouvelle.  C'est  un  acheminement  vers  les 
anthropomorphismes  du  commencement  du  cinquième  siècle,  où  Dieu 
le  Père  lui-même  est  représenté  recevant  les  offrandes  de  Caïn  et 
d'Abel,  ou  surprenant  nos  premiers  parents  après  la  chute,  ou  appa- 
raissant à  Moïse  qui  se  déchausse  par  respect.  Si,  aux  sujets  déjà  cités, 
on  ajoute  la  guérison  du  paralytique,  les  trois  jeunes  gens  dans  la 
fournaise,  des  nativités  avec  adoration  des  bergers  ou  des  mages, 
des  baptêmes,  le  miracle  de  Cana,  des  résurrections  diverses,  le  passage 
de  la  mer  Rouge,  le  char  d'Elie,  on  aura  le  cycle  des  sujets  ordinaire- 
ment exprimés,  à  Rome  du  moins,  pendant  le  quatrième  siècle.  Au 
cinquième,  outre  les  anthropomorphismes  mentionnés  plus  haut, 
apparaît  une  représentation  de  la  Trinité  sous  figure  humaine,  avec 
participation  du  Fils  à  la  création.  En  même  temps,  voici  poindre  la 
primauté  de  Pierre.  Plusieurs  marbres  de  cette  époque  laissent  deviner 
qu'un  Moïse  contre  qui  les  Juifs  sont  révoltés,  et  qui,  pour  les  apaiser, 
fait  jaillir  l'eau  de  la  roche,  pourrait  bien  n'être  que  le  type  de  Pierre 
amené  captif,  et  pourtant  armé  de  la  verge  miraculeuse  qui  désaltère 
les  âmes.  Ainsi,  à  mesure  que  s'altère  la  spiritualité  première,  et  que 
se  complique  la  pensée  dogmatique,  grandissent  les  prétentions  auto- 
ritaires :  deux  verres  dorés  indiquent  Pierre,  sous  la  ligure  de  Moïse. 
—  Epitapkes.  On  les  a  rangées  par  catégories  :  rangs  de  dates;  classifi- 
cations sociales  ou  ecclésiastiques,  évêques,  prêtres,  diacres,  vierges, 
néophytes,  fossoyeurs,  parents,  amis,  etc.  ;  ordre  de  matières,  dogma- 
tiques, éloges  de  martyrs,  etc.  Notons  ce  qui  a  une  portée  religieuse, 
en  suivant  l'ordre  chronologique.  Une  seule  épitaphe  du  premier 
siècle  (an  71)  ;  elle  est  sans  importance.  De  même  de  celles  de  107  et 
de  111.  H  en  est  d'autres  sans  date  précise,  mais  que  leur  paléogra- 
phie, leur  provenance,  la  simplicité  de  leur  texte  font  assigner  au 
deuxième  siècle  :  Telle  à  son  époux  tel;  tel  à  son  épouse  très-douce  ;  des 
parents  à  leur  fils  très-cher.  Un  simple  nom,  parfois  les  trois  noms 
classiques.   Un   terme   d'affection   à   côté  d'un   symbole  de  foi.  Au 


CATACOMBES  691 

troisième  siècle,  mention  de  deux  affranchis,  l'esclavage  n'étant  pas 
même  indiqué.  Les  textes  s'allongent;  Page  esl  marqué,  on  note 'le 
moment  de  la  déposition.  Des  prêtres  sont  indiqués  par  [es  deux 
lettres  II  p.  L'un  d'eus  esl  en  même  .temps  médecin,  d'autres  exor- 
cistes. Les  épitaphes  des  papes  sont  Laconiques  :  intéros  évoque  * 
Faèianus  évêgue,  martyr;  Cornélius  martgr,  évêque;  Lutins  ;  Eutychien 
èvêque;  rien  antre  sur  la  tabula  de  leurs  loci  simplement  maçonnés  dans 
le  roc.  Leur  éloge  n'a  été  ajouté  (pie  par  Damase,  dans  la  seconde  moitié 
du  quatrième  siècle.  Leurs  caveaux  n'ont  été  transformés  en  chapelles 

«pian  cinquième  siècle,  ou  décorés  de  peintures  qu'au  neuvième. 

Relativement  à  l'état  des  âmes  après  la  mort,  on  débute  par  l'affirma- 
tion   sereine   :    Paix  avec  toi,  en  paix,  il  dort,  vis  en  Dieu,  sorti  du 

.  entré  en  paix.  On  continue  par  le  vœu  :  Que  tu  vives  en  Dieu,  que 
tu  vires  en  paix,  que  tu  vives  éternellement,  l'esprit  de  tel  du,, s  le  bien 
entre  les  saints,  avec  les  saints,  à  l'esprit  saint  de  tel,  dans  le  Seigneur  et  en 
C krist  Ja  paix  du  Seigneur  et  de  Christ  avec  tel,que  tu  vives  dans  V  esprit  saint 
rafraîchie  avec  les  esprits  saints,  rafraîchis-toi  bien.  Que  le  Seiqneur 
prenne  son  esprit  en  rafraîchissement,  Dieu  Christ  rafraîchisse  ton 
esprit,  que  Dieu  rafraîchisse  vos  esprits  saints,  sois  rafraîchie  dans  le  bien 

On  passe  à  la  prière  :  0  Dieu,  rafraîchis  l'âme  de On  termine  par 

un  recours  aux  saints  :  Que  saint  Hipp'olyte  te  rafraîchisse,  que  Janvier 
Agapet,  Félicissime  rafraîchissent Ces  dernières  formules  sont  proba- 
blement du  quatrième  siècle.  Au  reste,  pas  de  purgatoire,  le  refrigerium 
étant,  d'après  Tertullien,  comme  d'après  ces  formules,  un  lieu  et  un 
temps  d'attente  heureux  (tn  bono),  entre  la  mort  et  la  résurrection.  Des 
graphites  inscrits  par  des  visiteurs  sur  les  murs  des  cryptes  de  martyrs 
célèbres,  ne  montrent  que  trop  cette  transition  du  vœu  à  la  prière  et 
de  la  eoniiance  en  Dieu  à  celle  en  ses  saints.  C'est  le  chemin  franchi 
du  troisième  au  quatrième  siècle.  Au  quatrième  siècle  on  dit:  Il  repose 
il  reposera,  puis  :  qu  il  repose  en  paix,  que  ton  esprit  repose  bien.  Enfin 
arrive  la  double  prière  pour  les  morts  et  des  morts  pour  les  vivants  : 
En  paix  et  prie  pour  nous,  prie  pour  tes  parents,  pour  ta  sœur;  qu'en 

/,  on  prie  pour  que  ce  saint  et  innocent  esprit  soit  élevé  auprès  de 
Dieu.  Pas  de  doute  sur  la  divinité  du  Sauveur  :  Vis  en  notre  Seigneur 
Jes/'s.  vis  en  Christ  Dieu,  tel  en  Christ,  son  âme  rendue  à  Christ  Vie* 
torïa  m  paix  et  en  Christ,  dans  la  paix  du  Seigneur,  toutes  formules 
multipliées  pendant  les  querelles  de  Tarianisme.  Et  encore  :Le  vrai  Christ 
(reçoive)  ton  esprit  en  paix,  et  prie  pour  nous;  dans  tes  prières,  demande 

nous,  car  nous  te  sneons  en  Christ  (ce  dernier  mot  indiqué  par  le 
monogramme  constantinien).  En  paix  au  nom  de  Christ.  Les  épitaohes 
d'ecclésiastiques  citent  des  diacres  mariés,  des  prêtres  pères  de  famille 
(notamment  de  :>Si),  \\\)~,  172),  quelques  évêques  mariés  ou  pères,  dés 
vierges  de  Dieu,  vierges  -aérées,  saintes.  Surtout  du  quatrième  au  cin- 
quième siècle,  la  chasteté  est  célébrée,  quoique  le  mariage  reste  honoré 
Lu  somme  l'épigraphie,  comme  l'art  des  catacombes,  confirment! 
en  les  précisant,  l<-s  données  de  l'histoire  sur  le'  développement 
<!  ■  dogme  i-i  des  mœurs  ecclésiastiques.  —  Bibliographie  :  Hagio- 
ylypta  Macarii,  édités  par  le  P.   Garrucci,  i    vol.  in-8°,  Paris,  chefe 


692  CATACOMBES  —  CATÉCHÉTIQUE 

Toulouse,  1856;  Bosio,  Borna  sotterranea,  éditée  par  Severano,  1  vol. 
in-fol.,  Rome,  1634;  réédité  et  grossi  en  latin  par  Aringhi,  2  vol., 
Rome,  1651,  et  Paris,  1  vol.,  1659,  in-4°  ;  commenté  par  Bottari,  en 
italien,  Rome,  1737  ;  Fabretti,  Lnscriptiones,  chap.  8,  Rome,  1700  ;  Bol- 
detti,  Osservazioni  sui  sacri  cemeteri,  1  vol.  in-4°,  Rome,  1720;  Lupi, 
Epitaphia  Severœ,  Païenne,  1734;  d'Agincourt,  Bist.de  l'art,  peinture, 
Paris,  1823;  Raoul  Rochette,  Mémoires  à  VAcad.  des  lnscript.,  t.  XIII,  et 
Tableau  des  Catac,  Paris,  1831  ;Marchi,  A?rhitectura  délia  Borna  sotter- 
ranea  cristiana,  Roma,  1845;  Perret,  Catac.  de  Rome,Q  vol.  in-fol., 
Paris,  1852-56  ;  J.-B.  de  Rossi,  Inscriptiones  christianx,  Roma,l  vol.  in-4°, 
1857;  Roma  sotterranea,  2  vol.  in-4°,  Roma,  1864-67;  un  3e  vol.  en 
voie  de  publication;  Bullettino  di  Arch.  crist.,  1863-77;  Liverani,  Le 
Catacombe  di  Chiusi,  Siena,  1  vol.,  1872;  Home  souterraine,  résumé  de 
Notlicote  par  Allard,  Paris,  1872;  Martigny,  Dictionnaire  des  antiquités 
chrétiennes,  Paris,  1865;  Pitra,  Spicileyium  solesmense  ;  Marriott,  The 
testimony  of  Catacombs;  Garrucci,  Vetri,  Roma,  1838;  Storia  delVArte, 
en  voie  de  publication  à  Prato;  Edmond  Le  Blant,  Inscriptions  chré- 
tiennes de  la  Gaule.  Le  même  publie  en  ce  moment  les  Sarcophages 
d'Arles.  Knlin  l'ouvrage  du  signataire  de  cet  article,  en  voie  de  publi- 
cation :  Les  Catacombes  de  Rome,  histoire  de  l'art  et  des  croyances  dans 
les  premiers  siècles  de  V Eglise,  2  vol.  in-4°,  avec  100  planches,  Paris, 
chez  Morel  et  Cie.  Th.  Kollee. 

CATÉCHÉTIQUE  ou  science  de  la  catéchisation.  Cette  branche  de  la 
théologie  pratique  s'occupe  de  tout  ce  qui  a  rapport  à  l'instruction  des 
catéchumènes. — I.  Histoire.  Après  avoir  cherché  quelle  direction  nous 
trouvons  dans  le  Nouveau  Testament  sur  l'instruction  des  catéchumè- 
nes, nous  montrerons  comment  l'Eglise  a  compris  et  réalisé,  aux  di- 
verses époques,  cette  tache  et  quelles  sont  les  méthodes  qui  prévalent 
aujourd'hui.  Il  faut  commencer  par  dire  un  mot  de  la  méthode  que 
suit  Jésus-Christ  dans  son  enseignement.  Or  on  peut  affirmer  que  si 
personne  n'a  parlé  avec  plus  d'autorité  que  Jésus-Christ  (Matth.  VII,  29). 
personne  n'a  moins  que  lui  employé  la  méthode  d'autorité,  c'est-à-dire 
celle  qui  consiste  à  imposer  la  vérité.  Ce  n'est  pas  que  Jésus-Christ  ait 
enseigné  dans  l'esprit  de  Socrate,  comme  le  soutenait  le  rationalisme 
du  siècle  dernier.  La  méthode  de  Socrate  consistait  à  tirer  de  l'homme 
ce  qui  est  en  l'homme,  Jésus-Christ  au  contraire  affirme  des  choses 
que  nul  ne  peut  savoir  par  lui-même,  par  la  seule  inspiration  de  la 
nature,  et  il  les  révèle  comme  Fils  de  Dieu,  comme  les  ayant  apprises 
de  son  Père,  comme  étant  Celui  qui  est  venu  d'en  haut.  Mais  ces  véri- 
tés, tout  en  étant  supérieures  à  l'homme  et  en  le  dominant  toujours, 
doivent  devenir  en  lui  des  convictions  ;  il  faut  donc  qu'elles  trouvent 
en  lui  un  point  d'appui,  qu'elles  entrent  dans  la  substance  même  de 
sa  vie  spirituelle  ;  et  c'est  là  le  but  que  Jésus-Christ  se  propose  dans 
l'éducation  de  ses  apôtres,  qu'il  amène  graduellement  et  sans  les  vio- 
lenter jamais  à  une  foi  consciente  et  personnelle.  C'est  ainsi  qu'au  lieu 
de  révéler  dès  le  début  de  son  ministère  sa  dignité  divine  et  l'œuvre  de 
rédemption  qu'il  devait  accomplir  par  sa  mort,  il  y  prépare  l'esprit  de 
ses  apôtres  qui  ne  comprendront  que  plus  tard,  les  uns  après  quelques 


OATECHÉTIQUE  G93 

mois,  comme  Pierre  (Matth.  XVI),  les  autres  après  sa  résurrection, 
comme  Thomas  (Jean  XX),  les  autres  après  la  descente  du  Saint-Esprit, 

la  vraie  nature  de  sa  personne  et  dé  sou  œuvre.  Il  est  clair  que  cette 
lente  préparation  des  apôtres  était  un  fait  unique  tendant  à  un  but 
spécial.  Cependant  on  peut  affirmer  qu'il  y  a  là  un  exemple  éternel  de 
la  manière  dont  les  âmes  doivent  à  toutes  les  époques  être  amenées 
à  l'intelligence  de  la  vérité.  Le  mot  de  catéchumène  ne  se  trouve  pas 
dans  le  Nouveau  Testament  avec  le  sens  que  nous  lui  donnons.  Karr^/io) 
(de  y.x~x  et  v/î<«>),  retentir,  résonner, désigne  un  enseignement  de  vive 
voix,  mais  s'étend  aussi  à  une  tradition  plus  éloignée  (1  Cor.  XI, 
19;  Rom.  II,  18;  Act.  XVIII,  25;  Galat.  VI,  6;  Act.  XXI,  21,  24; 
Luc  1,4).  Le  Nouveau  Testament  nous  fournit  quelques  exemples  de 
l'enseignement  sommaire  qui  était  donné  aux  prosélytes  avant  qu'ils 
reçussent  le  baptême.  Quelquefois  il  était  très-court,  comme  dans  l'his- 
toire de  l'eunuque  Ethiopien  (Act.  VIII,  36)  et  du  geôlier  de  Philippes 
(Act.  XVJ,  33).  Le  passage  Hébr.  Y,  12  semble  faire  allusion  aux  pre- 
miers principes  d'un  enseignement  catéchétique  qui  aurait  porté  sur 
«  la  repentance  des  œuvres  mortes,  la  foi  en  Dieu,  la  doctrine  des 
baptêmes,  l'imposition  des  mains  (?),  la  résurrection  des  morts  et  le 
jugement  éternel.  »  Cependant  il  est  difficile  de  voir  là  un  plan  systé- 
matique.—  Dans  les  trois  premiers  siècles,  nous  rencontrons  fort  peu  dp 
traces  de  la  méthode  usitée  dans  la  catéchisation.  Ce  n'est  qu'au  qua- 
trième siècle  que  nous  trouvons  sur  ce  point  un  ordre  arrêté,  mais  qui 
pouvait  être  d'origine  (bien  antérieure,  et  que  nous  allons  essayer  d'ex- 
poser brièvement.  Les  prosélytes  pouvaient  naturellement  être  des 
juifs,  des  païens  ou  des  hérétiques,  et  de  culture  et  de  situation  bien 
différentes.  Ils  se  présentaient  à  l'évêque  ou  simplement  à  un  presbytre 
et  étaient  admis  au  rang  de  catéchumènes;  l'évêque  leur  imposait  les 
mains  ou  faisait  sur  eux  le  signe  de  la  croix  (Augustin,  Conf.,  I,  11, 
De  peccat.  merù.,  II,  2(3;  1  Conc.  Arelat.,  c.  6.;  Conc.  Elib.,  c.  3); 
les  conciles  prescrivaient  souvent  des  conditions  d'enquête  morale 
avant  l'admission  au  catéchuménat;  cependant  nous  voyons  (pie  saint 
Martin,  dans  sa  mission  en  Gaule,  acceptait  immédiatement  comme 
catéchumènes  ceux  qui  venaient  à  lui  par  grandes  troupes,  catervatim 
(Sulpicius,  Vita,  II,  5).  A  partir  du  moment  de  leur  admission  ai* 
catéchuménat,  ils  étaient  reconnus  comme  chrétiens,  mais  non  pas 
encore  comme  «  fidèles  »  (1  Conc.  Constant.,  c.  7;  Cod.  Théod.,  XVI, 
tit.  vu,  De  apostat.,  leg.  2),  et  ils  étaient  soumis  à  une  instruction  spé- 
ciale. Les  historiens  ne  sont  pas  d'accord  sur  la  signification  exacte  des 
catégories  entre  lesquelles  les  catéchumènes  étaient  classés.  Suicer  et 
Basnage  ne  reconnaissent  que  deux  grandes  divisions,  les  audientes  (les 
simples  auditeurs)  el  les  compétentes  (ceux  qui  réclamaient  le  baptême, 
après  avoir  achevé  leur  préparation).  Bingham  admet  :  1°  une 
première  classe,  les  s§o>0ou|icvot,  ceux  qui  n'étaient  pas  encore 
admis  dans  l'enceinte  des  églises  ;  mais  celte  classe  existait-elle  vrai- 
ment? Cela  est  fort  douteux.  2°  Bingham  admet  ensuite  les  audientes 
OU  y:/.zz<<>[j.z/z:,  classe  dont  l'existence  est  incontestable.  Il  est  déjà 
parlé  des  audientes  dans    Tertullien  (De  pamùentia,    c.    6)  et    dans 


694  CATECHETIQUE 

Cyprien  (Epist.  13  à  34).  Les  audienles  pouvaient  assister  à  la  lecture 
des  Ecritures,  aux  prières,  à  la  prédication,  et  une  place  leur  était 
réservée  dans  les  églises;  c'était  probablement  le  narthez  ou  por- 
tique. Ils  devaient  se  retirer  quand  commençait  la  XewoupYfe  propre- 
ment dite,  c'est-à-dire  le  service  dont  la  communion  était  le  cou- 
ronnement (missa  catechumenorum) .  Ils  ne  pouvaient  par  conséquent 
entendre  réciter  le  Credo  et  Yoraison  dominicale,  lesquels  étaient 
réservés  pour  les  seuls  fidèles  (Chrysost.,  Hom.  XIX  in  Matth.).  La  dis- 
ciplina a?*cani  le  leur  interdisait.  Cette  préoccupation  de  ne  point  livrer 
les  symboles  de  la  foi  entre  les  mains  de  ceux  qui  n'étaient  pas  encore 
baptisés,  si  étrange  qu'elle  nous  paraisse,  était  alors  universelle  ;  on  le 
voit  chez  l'historien  Sozomène  (Hist.  eccl.,  I,  20),  qui  hésite  à  insérer 
dans  son  histoire  le  symbole  de  Nicée  de  peur  qu'il  ne  tombe  entre 
les  mains  de  ceux  qui  étaient  encore  catéchumènes.  C'est  de  là  que 
provient  sans  doute  l'habitude  encore  prévalente  dans  l'Eglise  latine 
d'Occident  de  prononcer  à  voix  basse  l'oraison  dominicale.  On  peut 
croire  que  les  audientes  correspondent  aux  rudes  pour  lesquels  a  écrit 
saint  Augustin,  dans  son  De  catechizandis  rudibus,  ou  aux  dkeXéorepot 
des  canonistes  grecs»  Quant  à  la  durée  de  leur  stage,  elle  n'était  évi- 
demment pas  uniforme;  certains  conciles  parlent  de  deux  ans;  les 
constitutions  apostoliques  (VIII,  32),  de  trois  ans.  Une  grave  chute 
morale  pouvait  prolonger  ce  temps  quelquefois  même  jusqu'à 
l'heure  de  la  mort.  3°  Certains  savants  pensent  que  les  genu- 
flectentes  ou  prostraii  (yovuvcXivovxeç)  formaient  une  classe  spéciale 
de  catéchumènes,  composée  de  ceux  qui  auraient  été  admis  à  assister 
à  toutes  les  prières.  On  ne  peut  pas  le  prouver  ;  il  est  certain  en 
tous  cas  que  des  fidèles,  en  état  de  chute,  étaient  replacés  parmi  les 
genuflectentes  jusqu'au  moment  de  leur  réconciliation  publique  avec 
l'Eglise.  4°  Ces  diverses  étapes  parcourues,  les  catéchumènes  décla- 
raient qu'ils  voulaient  recevoir  le  baptême,  et  devenaient  des  compé- 
tentes (auvai-couvTeç).  Cette  démarche  était  faite  en  général  au  com- 
mencement du  jeûne  du  carême,  et  pendant  le  carême  l'instruction 
était  plus  complète  et  plus  précise  (Cyril.  Hieros.,  Calech.,  I,  5; 
Hieron.,  Epist.  61  ad  Pammachum).  On  leur  expliquait  les  grands 
articles  de  la  foi,  la  nature  des  sacrements,  la  discipline  péniten- 
tielle  de  l'Eglise,  comme  nous  le  voyons  dans  les  leçons  catéché- 
tiques  de  Cyrille  de  Jérusalem.  Ces  quarante  jours  étaient  marqués 
par  des  jeûnes  et  des  prières  spéciales  (Constit.  Apost.,  VIII,  5; 
4.  Conc.  Carthag.,  c.  85;  Tertull.,  De  bapt.,  c.  20);  ceux  qui  étaient 
mariés  devaient  garder  une  stricte  continence  (August.,  De  ficle  et 
oper.,  V,  8).  Ceux  qui  avaient  achevé  le  cycle  devenaient  les  perfec- 
tiores  (TeAsiwxepcO-  On  leur  apprenait  le  symbole  et  la  prière  do- 
minicale; la  date  où  cela  avait  lieu  variait  suivant  les  Eglises;  à 
Jérusalem  c'était  le  second  dimanche  de  carême,  en  Afrique  le  qua- 
trième (Cyril.,  Cateck.,  III;  August.,  Serm.,  213).  C'était  alors  que  le 
catéchumène  pouvait,  s'il  le  voulait,  quitter  son  ancien  nom  et  en 
prendre  un  nouveau  (Socrat.,  H.  E.,  VII,  21).  lis  étaient  ainsi  amenés 
au  baptême  (voir  ce  mot).  S'ils  étaient,  par  leur  faute,  morts  sans  avoir 


OATÉOHÉTIQUE  G<J5 

encore  wvu  le  baptême,  ils  étaient  enterrés  sans  que  dea  prières  fussent 
prononcées  ;  mais  Chrysostôme  dit  que  leurs  amis  pouvaient  offrir  des 

aumônes  à  leur  intention  (Chrysost.,  Hom.  3  i»  Philipp,).  Si  le  caté- 
chumène mourait  par  accident  OU  comme  martyr,  on  considérait  sa 
bonne  volonté  ou  son  sacrifice  comme  équivalent  au  baptême.  Rien  ne 

prouve  que  ceux  <pii  instruisaient  les  catéchumènes  aient  jamais  formé 
un  ordre  à  part:  les  catéchistes  pouvaient  être  évêques,  presbytres  ou 

diacres.  Dans  les  constitutions  apostoliques  on  leur  donne  aussi  le  nom 
de  vouTéXo-pi  (Il,  37),  par  une  image  bien  naturelle  et  souvent  usité* 
alors.  Dans  deux  écrits  surtout  nous  voyons  exposée  assez  au  loup; 
la  méthode  que  Ton  suivait  dans  l'instruction  des  catéchumènes,  mé- 
thode qui  devait  du  reste  varier  beaucoup  selon  leur  degré  d'instruc- 
tion et  leur  capacité.  Augustin,  dans  son  De  eatechizandis  rudibus, 
expose  d'abord  l'histoire  sainte,  puis  il  parle  de  la  résurrection  et  du 
jugement  d'après  les  œuvres;  il  développe  le  sens  allégorique  de 
l'Ecriture,  les  types  de  la  loi,  et  en  vient  aux  évangiles  et  à  la  loi 
du  Christ.  Cyrille  de  Jérusalem,  dans  ses  Catéchèses,  suit  un  plan 
plus  régulier,  il  parle  de  Dieu,  de  Jésus- Christ,  de  la  naissance  sur- 
naturelle de  Jésus,  de  la  croix,  de  la  sépulture,  de  la  résurrection, 
<le  l'ascension  du  Christ,  du  jugement  à  venir,  du  Saint-Esprit,  de 
l'âme,  du  corps,  des  viandes,  de  la  résurrection  universelle,  des 
saintes  Ecritures.  L'enseignement  catéchétique  le  plus  brillant  de 
l'ancienne  Eglise  semble  avoir  été  celui  d'Origène  à  Alexandrie.  L'u- 
sage toujours  plus  répandu  du  baptême  des  enfants  devait  modifier 
rapidement  rancit1!)  catéchuménat.  Les  parrains  récitèrent  pour  eux  le 
symbole  et  le  notre  Père.  Les  païens  qui  furent  introduits  dans  l'Eglise 
en  grandes  niasses  au  moment  de  l'invasion  des  barbares  ne  semblent 
pas  avoir  été  l'objet  d'un  enseignement  sérieux.  Le  baptême  leur  était 
souvent  imposé  par. la  force.  Le  confessionnal  remplaça  la  catéchi- 
satiou.  Des  manuels  étaient  employés  pour  préparer  les  âmes  à  la 
communion  par  la  pénitence  ;  on  y  exposait  le  décalogue,  le  symbole, 
l'oraison  dominicale  (voir  Gerson,  De  paradis  ad  Ckrùtum  irahendis). 
La  Réformation  donna  une  très-grande  impulsion  à  la  catéchisation, 
dont  l'Eglise  catholique  ne  s'occupait  presque  plus  :  apud  adversarzos 
nulla  prorsus  est  xon^Yjfftç  puerorum  (Apol.  Conf.  Aug.,  Mil,  41).  Les 
ordonnances  ecclésiastiques  de  Wittenberg  (1533),  du  Wurtemberg 
(1553),  etc.,  insistent  sur  ce  point  avec  beaucoup  de  force.  On  con- 
naît les  pages  éloquentes  et  familières  dans  lesquelles  Luther  recom- 
mande l'étude  du  catéchisme.  «  Moi,  dit-il,  qui  suis  un  docteur  en 
théologie  et  un  prédicateur,  et  qui  n'ai  pas  honte  de  me  croire 
avancé  dans  la  science  et  dans  l'expérience  que  tons  ces  esprits  altiers 
et  téméraires,  je  fais  comme  les  petits  enfants.  Le  matin  et  dans  les 
moments  libres  de  la  journée  je  récite  mot  par  mot  mon  catéchisme  : 
tes  dix  commandements,  le  symbole,  l'oraison,  les  psaumes...  J'ai 
beau  faire,  je  reste  un  petit  enfant,  un  pauvre  catéchumène,  et  je  m'y 
résigne  de  grand   cœur   „  (ayant-propos  du   grand  catéchisme).  Le 

catéchisme  de  Luther  expose  :  1"  les  dix  commandements  (sans  le 
sommaire  de  la  loi).   On  peut   remarquer  à  ce  sujet   que  la  division 


096  CATECHÉT1QUE 

luthérienne  des  dix  commandements,  conforme  à  celle  de  l'an- 
cienne Eglise,  n'est  pas  la  môme  que  celle  de  l'Eglise  réformée. 
Luther  réunit  les  deux  premiers  commandements  en  un  seul  et  dé- 
double le  dixième,  relatif  à  la  convoitise.  2°  Le  symbole  des  apôtres 
ou  articles  de  la  foi  chrétienne;  cette  exposition  est  très-brève  et 
Luther  en  donne  la  raison  à  propos  de  ce  qui  est  relatif  à  Jésus- 
Christ,  «  Nous  ne  développerons  pas  séparément  chacune  de  ces 
parties,  parce  que  nous  prêchons  à  des  enfants  et  que  d'ailleurs  ces 
choses  doivent  être  traitées  dans  les  sermons  de  toute  Tannée...  Tout 
l'Evangile  que  nous  annonçons  se  rapporte  à  cet  article,  car  c'est  celui 
duquel  dépendent  notre  salut  et  notre  félicité,  et  il  est  si  riche  et  si 
étendu  qu'il  ne  sera  jamais  épuisé,  etc.  »  3°  L'oraison  dominicale 
considérée  comme  modèle  et  résumé  de  toutes  les  prières.  4°  Le  bap- 
tême. 5°  La  cène  (à  la  suite  de  l'exposition  du  sacrement  se  trouve  une 
exhortation  à  la  confession).  Le  petit  catéchisme  de  Luther  suit  le 
même  plan  que  le  grand,  mais  l'expose  d'une  manière  très-abrégée. 
Le  catéchisme  de  Calvin  parut  en  lo45,  en  français  et  en  latin  (Le 
catéchisme  de  l'Eglise  de  Genève,  c'est-à-dire  le  formulaire  d'instruire  les 
enfants  en  la  chrestienté,  faict  en  manière  de  dialogue  ou  le  ministre 
interroge  et  l'enfant  respond).  Cette  méthode  d'enseigner  par  demandes 
et  par  réponses  a  été  accusée  de  sécheresse.  Cependant  on  ne  peut 
étudier  de  près  cette  œuvre  magistrale  du  grand  réformateur  sans  re- 
connaître le  génie  qui  s'y  manifeste.  Il  est  impossible  de  condenser 
la  pensée  en  moins  de  mots ,  d'aller  plus  droit  au  cœur  même  des 
questions,  de  les  exposer  plus  nettement.  La  distribution  des  matières 
est  la  suivante  :  1°  Après  avoir  demandé  à  l'enfant  quelle  est  la  prin- 
cipale fin  de  la  vie  humaine,  et  montré  qu'elle  gît  en  la  connaissance 
de  Dieu,  et  que  cette  connaissance  n'est  réelle  qu'en  Jésus-Christ, 
l'auteur  passe  au  symbole  de  la  foi  qui  vient  ainsi  en  première  ligne  et 
non  après  le  décalogue,  comme  chez  Luther.  Cette  application  du  sym- 
bole est  beaucoup  plus  développée  que  dans  le  catéchisme  luthérien  et 
elle  est  des  plus  remarquables.  On  est  frappé  du  soin  avec  lequel  Cal- 
vin, tout  en  touchant  le  vif  des  doctrines,  y  évite  les  questions  trop 
théologiques  et  les  controverses  proprement  dites.  2°  Après  le  sym- 
bole vient  la  loi,  qui  est  amenée  ici  logiquement,  car  «  la  foi  est  la 
racine  d'où  les  œuvres  sont  produites  »  et  la  loi  nous  montre  ce  que 
doivent  être  ces  œuvres.  Le  décalogue  est  exposé,  et  il  est  suivi  du 
sommaire  de  la  loi.  3°  Tient  ensuite  la  prière,  dont  l'homme  sent  d'au- 
tant ph;s  le  besoin  qu'il  ne  peut  par  lui-même  accomplir  la  loi  ; 
cependant  Calvin,  mettant  toujours  Dieu  à  la  première  place,  voit  avant 
tout  dans  la  prière  la  manière  de  l'honorer.  Après  avoir  montré  ce 
qu'est  la  prière,  l'auteur  expose  l'oraison  dominicale.  4°  La  partie 
qui  suit  a  pour  titre  les  sacrements,  mais  il  vaudrait  mieux  l'appeler  les 
moyens  de  grâce,  car  elle  commence  par  montrer  l'utilité  de  la  parole 
de  Dieu,  du  ministère,  des  saintes  assemblées  des  fidèles,  et  c'est  ainsi 
qu'elle  arrive  à  parler  des  sacrements  proprement  dits,  c'est-à-dire  du 
baptême  et  de  la  cène.  Le  catéchisme  de  Calvin  eut  tout  de  suite  une 
grande  rotoriétée  11  devint  en  France  celui  des  Eglises  réformées.  On 


CATÉCHÉTIQUE  G97 

le  divisa  en  52  ou  55  sections,  dont  chacune  devait  être  expliquée  l'un 
des  dimanches  de  l'année.  Dès   le  commencement  du  dix-septième 

siècle,  on  le  voit  publié  avec  l'adjonction  de  commentaires  assez  éten- 
dus; nous  citerons  parmi  les  plus  remarquables  ceux  de  liai  ha  ni,  de 
Bourgoing  et  de  Abraham  Du  Pan.  Notons  aussi  les  sermons  tort  nom- 
breux prêches  sur  le  catéchisme,  et  souvent  par  les  plus  éminents  des 
théologiens  protestants  de  notre  Eglise  au  dix-septième  siècle.  Lorsque 
la  révocation  de  ledit  de  Nantes  survint,  ce  fut  naturellement  à  Yé- 
tranger  que  parurent  les  catéchismes  réformés  en  langue  française. 
Celui  <pii  supplanta  bientôt  tous  les  autres,  fut  le  catéchisme  d'Ostér- 
vald,  ((ni  fut  publié  à  Neuchàtel  en  1702.  Son  plan  ne  diffère  pas 
sensiblement  de  celui  de  Calvin  :  il  traite  d'abord  des  vérités,  en- 
suite des  devoirs  du  chrétien.  On  y  sent  déjà  l'influence  d  une  ortho- 
doxie très-adoucie.  Chez  les  réformés  allemands,  dans  une  partie  de 
la  Suisse,  en  Hollande,  en  Hongrie,  c'est  le  catéchisme  de  Heidelberg 
qui  obtint  la  plus  grande  vogue,  et  il  la  méritait  parla  richesse  du  fond, 
par  Fonction  et  la  beauté  du  langage.  Sa  première  demande  est  célèbre: 
((Quelle  est  ton  unique  consolation  dans  la  vie  et  dans  la  mort?  C'est  la 
pensée  que  j'appartiens  à  Jésus-Christ,  mon  Sauveur  et  mon  Maître,  etc.  » 
Le  catéchisme  de  Heidelberg  fut  composé,  à  la  demande  du  prince 
palatin  Frédéric  III,  par  les  théologiens  Gaspard  Olevianus  et  Zacharie 
Ursinus.  C'est  par  erreur  qu'on  l'a  souvent  attribué  exclusivement  à 
ce  dernier.  11  parait  bien  que  la  rédaction  dernière  est  due  à  Olevianus, 
dont  on  retrouve  dans  ce  livre  le  style  populaire,  plein  de  largeur  et 
d'onction.  Il  parut  pour  la  première  fois  en  lo()3sous  le  titre  de  :  Cate- 
chismus  oder  christlicher  Uiiderricht,  mie  er  in  d'en  Kirehen  und  Schulen 
(1er  Kwfùrst  lichen  Pfah  getrieben  wird.  Il  fit  partie  dès  lors  des  livres 
symboliques  de  l'Eglise  réformée  allemande.  L'Eglise  anglicane,  dans 
son  Common  Prayer  Book,  contient  un  catéchisme  ou  ((instruction  que 
toute  personne  doit  apprendre  avant  d'être  présentée  à  l'évèque  pour 
être  confirmée.  »  Ce  catéchisme  est  très-court.  L'enfant,  après  avoir 
cité  son  nom,  rappelle  que  ce  nom  lui  a  été  donné  par  ses  parrain  et 
marraine,  lesquels  ont  promis  trois  choses  en  son  nom  :  i°  qu'il  re- 
noncerait au  diable,  au  monde,  etc.  ;  2°  qu'il  croirait  tous  les  articles 
de  la  lui  chrétienne;  3°  qu'il  garderait  les  commandements  de  Dieu. 
Suit  l'exposition  du  symbole,  des  commandements,  puis  celle  du  som- 
maire delà  loi,  de  l'oraison  dominicale  et  des  deux  sacrements.  Les  pres- 
bytériens ont  le  célèbre  catéchisme  de  Westminster,  ainsi  nommé  parce 
qu'il  fut  rédigé  par  la  fameuse  assemblée  de  théologiens  anglicans  et 
presbytériens  convoquée  par  le  parlement  anglais  à  Westminster  en 
1643  etqui  siégea  jusqu'en  1648.  Après  avoir  publié  la  Westminster  Con- 
fesiionoffaith,  elle  publia  deux  catéchismes,  l'un  pour  les  pasteurs,  l'autre 
pour  le  peuple.  Le  grand  catéchisme  de  Westminster  a  été  évidemment 
rédigé  d'après  le  remarquable  Compendium  theologiœ  du  théologien  bà- 
lois  Johann  Wolleb  (1626).  Le  Shorter  Catechism  est  l'un  des  livres  les 
plus  populaires  de  la  chrétienté.  11  rappelle  beaucoup  le  catéchisme  de 
Calvin  et  débute  à  peu  près  de  la  même  manière:  Mans  chief  end  /.s  ta 
ylorify  God  ami  lu  enjoy  him  for  ecer.  La  doctrine  de  la  prédestination 


698  CATECHETIQUE 

y  est  adoucie,  et  le  decretum  reprobationis  si  durement  exposé  dans  la 
confession  de  foi  n'y  est  pas  même  mentionné.  Comme  on  le  voit,  dans 
les  Eglises  issues  de  la  Réformation,  le  catéchisme  était  devenu  une 
espèce  de  dogmatique  populaire.  On  renseignait  comme  tel  chaque 
dimanche,  et  dans  l'Eglise  réformée  en  particulier,  cette  instruction  se 
faisait  avec  le  plus  grand  soin.  On  n'a  pour  s'en  convaincre  qu'à  lire 
les  très-remarquables  Sermons  sur  le  Catéchisme  des  Eglises  réformées 
prêches  à  Charenton  par  M.  Daillé  (Genève,  1701  ;  quelques-uns  man- 
quant dans  le  manuscrit  de  Daillé,  ont  été  remplacés  par  des  sermons 
de  Jean  Mestrezàt).—  L'Eglise  catholique  romaine  sentit  le  besoin  de  ré- 
sister au  protestantisme  sur  le  terrain  de  la  catéchisation  aussi  bien  que 
sur  celui  de  la  prédication .  Ce  qu'elle  produisit  en  ce  genre  de  plus 
remarquable  au  seizième  siècle,  ce  sont  les  deux  catéchismes  du  P.  jé- 
suite Pierre  Canisius,  qu'il  avait  rédigés  sur  la  demande  de  l'empereur 
Ferdinand  avec  le  dessein  de  les  opposer  à  ceux  de  Luther.  Le  Cate- 
chismus  major  ou  Summa  doctrinx  christianœ  parut  en  1554,  et  le  Cate- 
chismus  parvus  en  1556.  Ces  deux  ouvrages,  le  dernier  surtout,  ont  eu 
une  vogue  extraordinaire  et  ont  servi  à  l'instruction  religieuse  des 
écoles  populaires  de  toute  l'Allemagne  catholique  jusque  dans  la  seconde 
moitié  du  dix-huitième  siècle,  où  ils  furent  remplacés  par  le  catéchisme 
romain.  C'est  ce  dernier  ou  Catechismus  ex  decreto  Concilii  Trident mi 
ad  parochos  PU  Quinti  Pont.  Max.  jussu  editus  (première  édition,  1506) 
qui  est  le  catéchisme  officiel  de  l'Eglise  catholique  romaine.  Chaque 
évêque  demeure  toutefois  libre  d'éditer  un  catéchisme  pour  son  dio- 
cèse, sous  réserve  de  sa  conformité  avec  le  catéchisme  officiel.  Le  plan 
du  catéchisme  romain  est  le  suivant  :  1°  la  foi  :  explication  des  douze 
articles  du  symbole  des  apôtres  ;  2°  la  grâce  :  la  grâce  sanctifiante,  la 
grâce  actuelle,  les  moyens  de  grâce,  les  sacrements  et  les  choses  sacra- 
mentelles; 3°  les  commandements  de  Dieu  et  l'observation  de  ces  com- 
mandements: le  décalogue,  le  sommaire  de  la  loi,  les  cinq  commande- 
ments de  l'Eglise;  4°  la  prière  :  oraison  dominicale,  salutation  angé- 
lique,  cérémonie,  etc.,  etc.  Le  grand  mouvement  catéchétique  inspiré 
par  la  Réforme  fut  repris  au  dix-huitième  siècle  sous  l'impulsion  de 
Spener  et  de  Francke.  Ils  contribuèrent  à  enlever  à  la  catéchisation  le 
caractère  dogmatique  que  le  dix-septième  siècle  surtout  lui  avait  donné 
et  firent  une  place  plus  grande  à  la  méthode  psychologique  et  à  l'étude 
historique  de  la  Bible.  Malheureusement  cette  réforme  salutaire  fut 
compromise  par  le  rationalisme  du  dix-huitième  siècle,  qui  vit  avant 
tout  clans  la  catéchétique  une  méthode  d'instruction  morale  et  reli- 
gieuse beaucoup  plus  qu'une  communication  de  la  vérité  révélée.  En 
Allemagne,  dans  les  Pays-Bas,  dans  la  Suisse  française  ces  effets  se 
firent  sentir  et  l'on  en  voit  l'influence  dans  les  éditions  posthumes  et 
successives  du  catéchisme  du  pieux  Ostervald.  Le  réveil  qui  s'est 
opéré  au  siècle  actuel  dans  la  plupart  des  pays  protestants  n'a  guère 
profité  jusqu'ici  à  la  catéchisation.  Le  service  du  catéchisme  a  été  de 
plus  en  plus  remplacé  par  l'école  du  dimanche  et  les  manuels  catéphé- 
tiques  par  la  Bible  elle-même  ou  par  des  extraits  des  récits  bibliques. 
Il  en  est  résulté  certainement  dans  la  jeunesse  une  connaissance  plus 


CÀTÊCHÉTIQUE  ,;0l) 

étendue  des  saintes  Ecritures,  el  tes  écoles  du  dimanche  ont  puissam- 
ment contribué  à  développer  faction  des  laïques.  Cependant  on  peut 
se  demander  si  elles  n'ont  pas  nui  au  développement  du  sentiment 
ecclésiastique  et  à  la  connaissance  de  la  doctrine  proprement  dite. 
C'est  dans  l'instruction  particulière  des  catéchumènes  en  vue  de  la 
préparation  à  la  communion  que  s'est  réfugiée  aujourd'hui  la  catéché- 
tique.  Un  très-grand  nombre  de  catéchismes  ont  été  édiles  à  notre 
époque  pour  ce  bul  spécial.  Nous  ne  pouvons  même  songer  à  en  indi- 
quer les  auteurs.  Citons  seulement  pour  la  France  et  la  Suisse  française 
les  noms  de  Cellérier,  Nkmtandon,  Fontanès,  Archinard,  Coulin,  Tour- 
mer,  Oemole,  Viguet,  Heymond,  Bernard,  Bahut,  etc.,  etc.  Ce  qui  carac- 
térise la  plupart  des  catéchismes  les  plus  récents,  c'est  un  changement 
de  méthode:  au  lieu  d'exposer  simplement,  comme  Calvin  et  ses  suc- 
cesseurs, la  foi,  la  loi  et  les  moyens  de  grâce,  ils  insistent  sur  le  côté 
historique  de  la  révélation,  et  beaucoup  d'entre  eux  développent  un 
plan  dans  le  genre  du  suivant  :  religion  naturelle,  nécessité  d'une 
révélation,  la  révélation  primitive,  la  révélation  patriarcale,  la  révé- 
lation mosaïque,  la  loi  et  la  prophétie,  Jésus-Christ,  sa  personne,  son 
oeuvre;  le  Saint-Esprit,  la  vie  chrétienne,  explication  de  la  loi,  devoirs 
du  chrétien  envers  Dieu,  envers  le  prochain,  envers  lui-même;  l'Eglise, 
les  moyens  de  grâce,  les  sacrements,  etc.;  le  jugement  dernier,  etc.  Ce 
plan,  qui  aspire  à  être  plus  rationnel  et  plus  logique  que  celui  des 
catéchismes  de  Luther  et  de  Calvin,  est  en  réalité  celui  d'une  dogma- 
tique populaire.  Mais  c'est  précisément  le  caractère  populaire  qui  lui 
manque  trop  souvent.  -—  L'Eglise  d'Orient  n'a  pas  donnéàlacatéchisa- 
tion  tout  le  développement  nécessaire.  Cependant  nous  ne  comprenons 
pas  l'assertion  de  Palmer  qui  prétend  (Herzog,  Real-Ennjklopxdie, 
art.  Catechetik)  qu'elle  ne  possède  pas  de  catéchismes,  Elle  en  a  au 
contraire  de  nombreux,  dont  le  plus  connu  est  celui  de  Platon.  Il  a 
été  traduit  en  français  sous  le  titre  de  Catéchisme  détaillé  de  l'Eglise 
catholique  orthodoxe  d'Orient,  examiné  et  approuvé  par  le  saint  synode 
de  Russie  (Paris,  Klincksieck).  Voici  l'indication  du  plan  :  1°  La  Foi. 
De  la  religion,  de  la  révélation  divine,  de  la  tradition  sacrée  et  de  la 
sainte  Ecriture,  exposition  du  symbole  de  Nicée  (contenant,  outre  les 
vérités  de  la  foi,  toutcequi  concerne  l'Eglise  et  les  sacrements.  2°  L'Es- 
pérance. Sous  ce  chef,  on  range  la  prière,  l'explication  de  l'oraison 
dominicale  et  celle  des  neuf  béatitudes.  3P  La  Charité.  Dans  cette 
dernière  section  se  trouve  l'explication  dudécalogue. — Pourtoutcc  qui 
concerne  la  catéchétkjue  et  son  histoire,  nous  recommanderons,  outre 
les  articles  relatifs  à  ce  sujet  dans  V Encyclopédie  de  Herzog,  l'ouvrage 
de  Palmer  et  surtout  le  beau  et  grand  travail  de  Zezschwitz  (System  der 
ckristlich  kirchKchen  Katecketik,  .">  vol.).  Eu».  Bbbsibb. 

11.  THÉORIE.  —  1.  But.  Pour  bien  préciser  la  méthode  à  suivre  dans 

l'instruction  des  catéchumènes,  il  faut  déterminer  le  but  à  atteindre.  Ce 
bul  est  triple  pour  le  catéchiste  :  1"  il  doit  enseigner  aux  enfants  les 
grands  faits  et  les  doctrines  capitales  de  la  religion  chrétienne;  2°  les 

attirer  a  Clirisl  et  par  Christ  les  introduire  dans  la  vie  chrétienne  :  '■)"  les 
préparer  a  entrer  dans  l'Eglise  en  connaissance  de  cause  et  à  participer 


700  CATÉCHÉTIQUE 

dignement  à  la  sainte  cène.  Ce  dernier  but  n'est  que  la  résultante  des 
deux  autres.  L'objet  principal  des  efforts  du  pasteur  dans  l'instruction 
catéchétique  est  de  donner  à  ses  élèves  une  connaissance  saine  et  pré- 
cise des  vérités  chrétiennes,  et  surtout  de  les  amener  à  connaître,  à  aimer 
et  à  suivre  Jésus-Christ  comme  leur  Sauveur  et  leur  Maitre.  «  L'objet  de 
l'instruction,  dit  Vmet  (Théologie  pastorale,  p.  284),  n'est  pas  seulement 
d'apprendre  aux  enfants  leur  religion,  mais  de  fonder  en  eux  une  vie. 
C'est  une  instruction  sans  doute,  mais  c'est  encore  plus  une  initiation 
au  mystère  sacré  de  la  vie  chrétienne.  »  —  2.  Eléments.  Le  but  de  l'in- 
struction étant  déterminé,  les  éléments  qui  doivent  former  cette  instruc- 
tion le  seront  aussi  en  même  temps.  Les  instructions  catéchétiques 
sont  et  doivent  rester  des  leçons,  mais  des  leçons  qui  ne  sont  pas  seule- 
ment destinées  à  éclairer  l'intelligence  et  enrichir  la  mémoire,  mais  qui 
s'adressent  aussi  à  la  conscience  et  au  cœur  et  veulent  mettre  en  mou- 
vement la  volonté.  Plusieurs  catéchètes  ont  proposé  de  donner  à  cet 
enseignement  le  caractère  et  la  solennité  d'un  culte.  Leur  intention  est 
bonne,  mais  leur  dessein  est  irréalisable.  Le  lieu,  les  circonstances,  le 
nombre  souvent  restreint  des  élèves,  l'absence  de  certains  éléments 
essentiels  au  culte,  y  mettraient  obstacle;  d'ailleurs,  les  enfants  ris- 
queraient d'apporter  aux  leçons  ainsi  organisées  cette  disposition  à  la 
somnolence  qu'ils  apportent  si  naturellement  aux  services  religieux.  Il  ne 
faut  pas  oublier  enfin  que  la  mission  du  catéchiste  est  d'instruire,  d'é- 
lever dans  ces  jeunes  esprits  l'édiiice  des  croyances  chrétiennes.  L'E- 
glise est  bien  à  la  fois  une  société  et  une  école,  mais  c'est  avant  tout 
sous  ce  second  aspect  qu'elle  se  présente  dans  l'instruction  des  catéchu- 
mènes; ils  sont  là  vraiment  à  l'école,  à  l'école  de  Jésus-Christ  et  de  son 
Eglise.  Il  est  évident  d'ailleurs  que  le  pasteur  doit  s'efforcer  de  rendre 
ses  leçons  aussi  édifiantes,  aussi  vivantes  que  possible,  et  de  les  rappro- 
cher ainsi  d'un  acte  d'adoration.  Ce  qui  n'importe  pas  moins,  c'est 
d'en  faire  une  action  à  laquelle  les  jeunes  gens  participent  directement 
par  leurs  réponses  aux  interrogations.  Rien  n'est  plus  fastidieux  et 
plus  impuissant  sur  l'esprit  des  auditeurs  de  cet  âge  qu'une  longue 
leçon  dans  laquelle  le  pasteur  parle  toujours  comme  ex  cathedra,  tandis 
que  le  catéchumène  demeure  silencieux.  L'idéal  serait  d'unir  la  ferveur 
et  le  sérieux  d'un  culte  à  la  clarté  d'une  leçon  et  à  la  vivacité  d'un  en- 
tretien. Voici  dès  lors  quels  sont  les  éléments  qui  doivent  composer  une 
bonne  leçon  catéchétique  :  a)  la  prière,  précédant  et  terminant  l'instruc- 
tion; elle  doit  être  très-courte  et  très-spéciale,  ayant  en  vue  la  conver- 
sion des  élèves  et  le  sentiment  de  la  présence  de  Dieu  dans  les  leçons  ; 
b)lalecture  d'une  portion  de  l'Ecriture  sainte  qui  soitle  plus  appropriée 
au  sujet  qui  sera  traité;  cette  lecture  sera  faite  avec  profit  tour  à  tour 
par  le  pRsteur  et  les  catéchumènes;  c)  l'interrogation  sur  le  sujet  de  la 
leçon  précédente,  ou  sur  les  passages  bibliques  que  l'on  a  donné  à 
apprendre;  d)  la  leçon  proprement  dite,  soit  qu'elle  consiste  dans 
l'explication  du  catéchisme,  soit  qu'elle  réside  dans  une  exposition 
personnelle  et  continue  des  vérités  chrétiennes.  Quelques  pasteurs  ajou- 
tent à  ces  éléments  essentiels  le  chant  ou  la  lecture  d'un  cantique;  d'au- 
tres terminent  par  un  récit  court  et  animé,  emprunté  à  l'histoire  de 


CATÉCHÉTIQUE  701 

l'Eglise  et  surtout  de  la  Réformation.  —  3.  Temps  et  durée  de  l'instruc- 
tion. Ainsi  conçu,  renseignement  catéchétique  ne  doit  pas  être  fait  d'une 

manière  hâtive:  ici  comme  partout,  le  temps  est  la  condition  (Insuccès. 
Pour  être  sérieuses  et  efficaces,  les  instructions  religieuses  <lu  pasteur 
devraient  être  longuement  préparées  par  l'enseignement  religieux  de 
la  famille  et  de  l'école.  Quand  il  se  présente  comme  catéchumène,  l'en- 
fant devrait  avoir  une  certaine  connaissance  historique  et  même  doc- 
trinale de  la  religion.  Il  faut  que,  dans  nos  écoles  en  particulier,  l'en- 
seignement religieux  reprenne  sa  place  et  que  les  instituteurs  ne  se 
contentent  pas  de  faire  apprendre  et  réciter  à  leurs  élèves  l'histoire 
sainte  ou  les  versets  de  l'Ancien  et  du  Nouveau  Testament  donnés 
par  l'Ecole  du  dimanche,  mais  qu'ils  leur  enseignent  aussi  le  caté- 
chisme, au  moins  le  catéchisme  élémentaire.   Même  avec  cette  indis- 
pensable préparation,  il  serait  bon  que  les  catéchumènes  suivissent  les 
instructions  pendant  deux,  années  au  moins.  Ces  deux  années  en  réalité 
n'en  t'ont  qu'une,  puisque  dans  la  plupart  des  Eglises  réformées  les 
leçons  vont  du  mois  d'octobre  à  Pâques  ou  tout  au  plus  à  la  Pentecôte. 
Autant  que  possible,  il  faut  donner  deux  leçons  par  semaine,  dont 
la  longueur  doit  être  strictement  limitée  (d'une  heure  à  une  heure  et 
demie   au  plus).  Dans  les  grandes  villes  ces  conditions   d'un  solide 
enseignement  catéchétique  rencontrent  de  fréquents   obstacles,  dont 
les    deux   principaux   sont   les  nécessités   de  l'apprentissage  ou   des* 
études  universitaires  et  la  mauvaise  volonté  ou   l'ignorance  des  pa- 
rents. Il  est  permis  de  céder  quelquefois,  mais  il  faut  lutter  toujours 
avec  douceur  et  énergie  pour  maintenir  la  règle  établie;  le  pasteur 
ferme  et  zélé  a  presque  toujours  le  dernier  mot.  Tel  catéchumène  qui 
au  bout  de  la  première  année  est  resté  ignorant  ou  insouciant,  à  la  tin 
de   la   seconde   se   montre  vivement   intéressé  aux  instructions  reli- 
gieuses, quelquefois   réveillé   dans   sa   conscience   et   désireux  de   se 
donner  à  Dieu  dans  la  foi  en  Jésus-Christ.  —  4.  Bases  de  l' enseigne- 
ment. Quelle  doit  être  la  base  de  l'instruction  catéchétique?  A  quelles 
sources  faut-il  puiser  les  leçons  données  aux  élèves?  Deux  réponses 
ont  été  faites  à  cette  question.  Les  uns  ont  dit  :  Mettez  la  Bible  seule 
entre  les  mains  de  vos  catéchumènes;  lisez-la  avec  eux,   faites-la-leur 
lire  et  apprendre  par  cœur,  expliquez-en  les  parties  centrales;  n'est-ce 
pas  là  le  meilleur  cours  de  religion,  le  plus  populaire,  le  plus  chrétien, 
le  plus  biblique*  Et  ils  ont  ajouté  :  délaissez  donc  une  fois  pour  toutes 
l'usage  suranné  du  catéchisme.  Le  catéchisme  présente  la  vérité  divine 
analysée,  disséquée,  brisée,  réduite  en  formules  abstraites;  il  est  comme 
un  herbier  savant,  riche  peut-être,  où  les  fleurs  sont  couchées, classées, 
numérotées,  mais  mortes.  La  Bible  au  contraire,  c'est  la  nature  vivante, 
où  les  faits,  les  doctrines,  les  préceptes  se  présentent  à  nous  dans  nue 
divine  contusion,  et  aussi  dans  une  admirable   unité.   Ils  ajoutent:   Le 
catéchisme,  c'est  une  œuvre  faite  en  dehors  de  la  personnalité  du  pas- 
teur: c'est  la  pensée  d'autrui,  la  pensée  de  l'Eglise  qui  devient  ainsi 
une  barrière  et  un  frein  pour  la  liberté  pastorale.  Dans  la  bible  se  ren- 
contre le  champ  le  plus  vaste  et  le  plus  magnifique  que  le  catéchète 
puisse  parcourir  sans  entraves.  Tout  ce  qu'il  <!oii  enseigner  à  sesélè- 


702  CATÉCHÉTIQUE 

ves  y  est  renfermé  sous  une  forme  vivante  et  variée.  En  prenant  la 
Bible  seule  pour  guide  et  pour  règle,  il  entre  dans  le  plan  de  Dieu  et  il 
carde  toute  son  initiative  et  toute  sa  personnalité.  11  y  a  une  grande 
part  de  vérité  dans  ce  système  d'instruction.  Pour  un  pasteur  évangéli- 
que,  la  Bible  sera  toujours  à  la  fois  la  matière,  le  modèle  et  l'inspiration 
d'un  bon  cours  de  religion.  C'est  par  elle  qu'il  faut  commencer,  c'est  à 
elle  qu'il  faut  sans  cesse  revenir.  La  faire  connaître,  la  faire  aimer  est 
bien  l'idéal  du  catéchiste.  Un  enseignement  duquel  on  ne  pourrait  pas 
dire  qu'il  est  biblique  serait  un  enseignement  impuissant  et  infidèle. 
Mais  cela  dit,  il  est  permis  de  ne  pas  accepter  la  sentence  d'excommu- 
nication prononcée  par  quelques-uns  contre  les  catéchismes  et  les  ma- 
nuels de  religion  pénétrés  de  cet  esprit  biblique  et  évangélique.  Voici 
les  raisons  qu'on  peut  invoquer  en  leur  faveur  :  1°  L'usage  des  caté- 
chismes remonte  à  une  très-haute  antiquité  dans  l'histoire  de  l'Eglise 
et  il  est  devenu  de  bonne  heure  à  peu  près  universel  dans  les  Eglises 
issues  de  la  Réformation.  Sans  être  asservi  à  la  tradition,  il  est  juste 
d'en  tenir  compte.  2°  L'emploi  d'un  bon  catéchisme  n'exclut  pas  l'u- 
sage simultané  et  constant  de  l'Ecriture  sainte,  mais  le  nécessite  au 
contraire  par  les  faits  et  les  passages  bibliques  auxquels  le  catéchisme 
doit  toujours  renvoyer.  3°  L'objection  faite  contre  le  catéchisme,  à  sa- 
voir qu'il  est  une  barrière  mise  par  l'Eglise  à  la  liberté  du  pasteur, 
peut  se  changer  en  raison  favorable.  Le  pasteur  n'est-il  pas  le  serviteur 
de  l'Eglise?  N'est-ce  pas  en  son  nom  qu'il  doit  enseigner?  Dès  lors 
l'Eglise  n'a-t-elle  pas  le  droit  de  régler  cet  enseignement  par  ses  repré- 
sentants autorisés  en  lui  assignant  pour  base  un  catéchisme  déterminé? 
Dans  ces  limites  la  spontanéité  du  catéchiste,  la  variété  de  ses  dons  et  la 
diversité  de  ses  vues  sur  des  points  secondaires,  trouveront  large- 
ment à  s'exercer.  4°  Si  le  catéchisme  risque  d'enlever  à  la  vérité  évan- 
gélique sa  fraîcheur  et  son  unité,  n'est-ce  pas  là  aussi  l'écueil  perma- 
nent de  tout  enseignement  religieux,  quelle  qu'en  soit  la  forme,  de  la 
prédication  elle-même?  Il  nous  faut  toujours  traduire  la  pensée  divine 
dans  une  langue  humaine,  c'est-à-dire  la  morceler,  l'abaisser  et  plus 
ou  moins  l'altérer.  5°  La  raison  décisive  pour  l'emploi  du  catéchisme, 
c'est  qu'il  correspond  à  la  nécessité  de  renseignement,  qui  est  de  dégager 
de  la  Bible  les  faits  les  plus  importants  et  les  doctrines  les  plus  fonda- 
mentales pour  les  faire  connaître  aux  jeunes  gens  dans  leur  suite  et 
dans  leur  enchainement  naturel.  L'esprit  de  l'homme  ne  se  repose  que 
daus  la  lumière  et  dans  l'ordre,  et  l'esprit  de  l'enfant  a  les  mêmes 
besoins.  Cela  est  si  vrai  que  les  adversaires  des  catéchismes  et  des  ma- 
nuels de  religion  sont  infai-  iblement  amenés  à  en  faire  un  tôt  ou  tard. 
La  conclusion  est  qu'il  faut  que  le  catéchiste  combine  les  deux  mé- 
thodes :  lire,  faire  lire  et  apprendre  la  Bible  à  ses  élèves;  imprégner, 
pénétrer  de  son  esprit  toutes  ses  leçons,  et  en  même  temps  mettre  un 
catéchisme  entre  les  mains  l  es  enfants.  —  5.  Caractères  d'un  bon  caté- 
chisme. Voici  les  plus  essentiels  :  1°  Un  bon  catéchisme  doit  être  éminem- 
ment biblique  par  l'esprit  et  par  la  forme:  par  l'esprit,  en  mettant  en 
relief  les  grands  faits  et  les  vérités  fondamentales  exprimées  dans  la 
Bible;  par  la  forme,  en  appuyant  toutes  ses  affirmations  par  des  passages 


CATÉCHÉTIQUB  703 

bibliques  bien  choisis.  2°  Comme  lu  religion  chrétienne  a  revêtu,  par  la 

volonté  de  Dieu,  une  Corme  historique,  il  faut  que  le  catéchisme  suive 
un  plan  historique  el  progressif  correspondant.  3°  Gomme  il  importe 
(  ependant,  surtout  à  l'époque  d'incertitude  et  d'indétermination  dogma- 
tique où  nous  vivons,  de  graver  profondément  les  principes  évangéliques 
dans  l'esprit  des  catéchumènes,  un  bon  catéchisme  doit  articuler  net- 
tement les  doctrines  vitales  et  les  grands  préceptes  de  la  religion  chré- 
tienne. En   restant  historique  par  la  division,  il  doit  être  doctrinal  et. 
pratique  dans  L'exposition.  V'  Comme  un  catéchisme  ne  doit  pas  être 
une   œuvre  uniquement  personnelle,  mais  aussi  une  œuvre  collective 
et  ecclésiastique,  il  nous  parait  convenable  et  même  nécessaire  qu'il 
soit   adopté  et  recommandé  par  les  corps  constitués  de  l'Eglise  (côn- 
es, synodes);  qu'il  mette  en  relief  les  principes  de  la  Réformation 
et  de  la   communion  protestante  dont  il  relève,  et  enfin  que,  dans  le 
cours  de  son  exposition,  il  mentionne  les  documents  principaux  de  la 
foi  et  de  la  liturgie  de  cette  Eglise  :  décalogue,  oraison  dominicale, 
symbole  dit  des  apôtres,  confession  des  péchés,  confession  ou  profes- 
sion de  foi,  liturgie  de  la   sainte  cène  et  de  la  première  communion. 
S   Ajoutons  enfin,  seulement  pour  mémoire,  que  l'idéal  du  catéchisme 
évangélique,  c'est  d'unir  la  brièveté  à  la  clarté,  la  précision  à  l'édi- 
fication. On  a  souvent  discuté  la  question  de  savoir  si  un  catéchisme 
doit  nécessairement  suivre  l'ancien  usage  de  demandes  et  de  réponses, 
ou  supprimer  les  demandes  et  procéder  par  une  exposition  continue.' 
L'ancienne   manière   nous   semble  préférable   pour  les   enfants  peu 
lettrés  :  la  seconde  peut  être  appliquée  aux  catéchumènes  qui  ont  reçu 
une   culture   plus   étendue  et  qui   peuvent  faire  des  rédactions.  Mais 
quelle  que  soit  la  forme  adoptée,  on  ne  saurait  trop  recommander  rem- 
ploi de  la  méthode  dite  socratique,  qui  a   sans  cesse   recours  aux   in- 
terrogations. Evidemment,  la  principale  tâche  du  pasteur  qui  instruit 
est  d'exposer;  mais,   après  avoir  exposé  et  même  en  exposant  il  doit 
beaucoup  interroger  et  s'efforcer  de  faire  sortir  la  réponse  de  la  con- 
science et  de   l'intelligence  de  ses  jeunes   auditeurs.  Cette  méthode 
force  le  catéchumène  à  prendre  à  la  leçon  une  part  active  ;  elle  met 
i  la  réflexion  et,  par  suite,  contribue  à  fixer  plus  profondément 
dan-  son  esprit  ce  qu'il  a  concouru  lui-même  à  trouver  ou  ce  qu'il  a 
reconnu  vrai.  Toutefois  gardons-nous  de  l'excès  et  ne  faisons  pas  ce 
qu'on  lit  à  une  certaine  époque  en  Allemagne,  où  tout  le  monde  se 
mit  a  80cratiser;  nous  ne  devons  jamais  oublier  que  le   christianisme 
est  une  religion  révélée,  positive,  iju'on  n'invente   pas,  qu'il  y  a  là  de 
que  l'œil  n'a  point  vues,  que  I  oreille  n'a  point  entendues 
et  qui  ne  sont  pas  montées  au   coeur  de  l'homme.  »  L'art  de  l'interro- 
gation est  d'ailleurs  uw  art  délicat,  et  à  certains  égards  difficile,  qui 
réclame   a  la  fois  des  dons  spéciaux  d'esprit  et  de  parole  :   clarté,  pré- 
cision, vivacité,  simplicité,  et  des  dons  du  cœur  :  affection,  douceur, 
patience  et    fermeté.  Le  catéchiste  doit  bannir  soigneusement  de  ses 
interrogations  et  de  ses  leçons   les  termes  d'école,   les -locutions  abs- 
traite-, les  phrases  obscures  et  embarrassées;  il  doit  recourir  autant 
que  possible  aux  images,  aux  comparaisons,  aux  récits  empruntés  à  la 


704  CATÉCHÉTIQUE 

aature,  à  la  famille,  à  l'histoire;  il  doit  ne  perdre  jamais  de  vue  les  réa- 
lîtés  de  la  vie  terrestre  et  de  la  vie  chrétienne,  auxquelles  il  doit  initier 
ses  élèves.  11  faut  aussi  qu'il  use  de  bonté,  de  douceur  et  de  support, 
surtout  avec  ceux  qui  sont  lents  et  timides  ;  qu'il  ne  désespère  de  la 
conversion   et  du   salut  d'aucun   d'eux,   et  qu'il  se  garde  de  l'esprit 
d'irritation  ou  de  moquerie.  Enfin,  à  l'exemple  de  son  divin  Maître, 
l'éducateur  chrétien   visera   surtout  la   conscience  et  le  cœur  de  ses 
enfants  et,  quand  il  aura  déposé  en  eux  la  semence  de  la  Parole  en  l'ar- 
rosant de  ses  prières,  il   attendra  avec  patience  et  confiance,  sans 
se  décourager  ni  s'enorgueillir,  l'époque,   quelquefois  lointaine,   où 
cette   semence  lèvera  et    fructifiera.   Deux   moyens  supplémentaires 
peuvent  être  employés  par  le  catéchiste,  dont  l'expérience  a  constaté 
^'efficacité.  Le    premier  consiste  dans   une  série  de  méditations  spé- 
ciales faites  dans  le  temple  ou  dans  une  salle  quelconque  et  destinées 
aux  catéchumènes  et  à  leurs  parents.  Ces  méditations  doivent  rouler  sur 
un  sujet  suivi  et  important  qui  peut  intéresser  la  jeunesse  (par  exemple 
la  vie  du  jeune  chrétien  dans  le  cercle  de  la  famille,  de  la  société,  de 
l'Eglise  ;  la  biographie  des    grands  hommes   de  l'Eglise  et  des  réfor- 
mateurs, etc.).  Elles  serviront  à  compléter  les  leçons  catéchétiques,  et 
mettront  en  relief  l'élément  de  rectification  proprement  dite  ;   elles 
donneront  aussi  au  pasteur  l'occasion  d'intéresser  les  parents  à  l'éduca- 
tion religieuse  de  leurs  entants  et  de  leur  adresser  de  sérieux  et  pressants 
appels.  Le  second  moyen,  c'est  de  donner  dans  les  dernières  semaines 
à  tous  les  catéchumènes  réunis  une  série  de  leçons  supplémentaires, 
dans  lesquelles,  laissant  de  côté  le  catéchisme  et  les  rédactions,  le  pasteur 
les  interroge  et  refait  en  quelque  sorte  le  cours  dans  ce  qu'il  a  d'es- 
sentiel, en  employant  la  méthode  régressive,  c'est-à-dire  en  partant  de 
l'idée  de   la   premiers  communion   pour   remonter  à  la  doctrine  de 
l'Eglise,  puis   à   celle  du  péché  et  de  la  rédemption.  —  6°  Plan   d'un 
cours  d'instruction  religieuse.  D'après  ce  qui  précède,  nous  ne  croyons 
pas  devoir   adopter   complètement  le  plan  des  anciens  catéchismes. 
Nous  écartons,  sans  en  méconnaître  futilité  relative  et  la  légitimité 
historique,  la  division  du  moyen  âge  et  de  la  Réforme  (la  foi,  la  loi, 
îa  prière  et  les  sacrements)  et  celle  du  dix-huitième  siècle  dont  le  caté- 
chisme d'Ostervald  est  le  type  (histoire,  doctrine,  morale).  Nous  ne 
pouvons  adopter  non   plus   le  plan  exclusivement  historique   qui  se 
contente  de  suivre  la  marche  et  les  destinées  du  royaume  de  Dieu 
sur  la  terre,  il  nous  semble  qu'il  est  conforme  à  l'essence  de  la  religion 
chrétienne,  qui  est  la  religion  de  l'union  de  l'homme  avec  Dieu,  la 
religion  de  la  rédemption  de  l'homme  par  Dieu,   de  prendre  pour 
bases  d'un  cours  de  religion  la  doctrine  de  Dieu  et  celle  de  l'homme  et 
pour  centre  vivant  le  fait  de  la  rédemption  ou  du  salut  par  Jésus-Christ, 
en  le  considérant  tour  à  tour  dans  sa  préparation,  dans  son  accomplis- 
sement, dans  son  application,  dans  sa  propagation  et  dans  son  entier 
achèvement;  et  voici  alors  le  plan  général  que  l'on  pourrait  suivre. 
C'est  à  peu  près  le  plan  suivi   par  Tailleur  de  cet  article  dans  son 
Manuel  de  religion  chrétienne.  Il  va  sans  dire  que  ce  programme  peut 
et  dans  certains  cas  doit  être  raccourci  pour  des  instructions  moins 


CATECHETIQUE  —  CATHARES  705 

étendues  et  des  catéchumènes  peu  cultivés.  Introduction  :  religion, 
révélation,  Ecriture  sainte.  1.  Dieu  et  r homme  :  de  l'existence  et  des 
perfections  de  Dieu,  création,  providence;  nature  et  vocation  de 
L'homme;  liberté  et  loi  morale;  chute;  existence,  manifestation  et 
conséquences  du  péché  (emploi  du  décalogue  et  de  la  confession  des 
péchés);  besoins  de  l'homme  pécheur.  11.  La  préparation  du  salut  : 
première  promesse  et  ses  suites;  choix  d'Abraham  et  du  peuple  élu; 
Moïse  et  son  œuvre;  le  décalogue;  les  lois  cérémonielles;les  prophètes; 
coup  d'œil  sur  l'état  du  monde  juif  et  païen  à  la  naissance  du  Christ. 
111.  L'accomplissement  du  salut  :  naissance,  enfance  et  jeunesse  de 
Jésus  ;  prédication  de  Jean-Baptiste  ;  baptême  et  tentation  de  Jésus  ; 
son  enseignement  (paraboles,  entretiens,  discours);  ses  miracles; 
ses  souffrances  et  sa  mort  ;  sa  résurrection  et  son  ascension  ;  nature 
de  Jésus-Christ;  divinité  et  étendue  de  son  œuvre  (relire  le  symbole 
dit  des  apôtres).  1Y  (pouvant  être  retranché  ou  diminué).  La  propa- 
gation du  salut:  le  Saint-Esprit  et  la  première  Pentecôte;  autorité 
des  apôtres;  fondation  de  l'Eglise  ;  sa  mission,  ses  grâces;  l'Eglise 
au  temps  des  apôtres  ;  l'Eglise  sous  la  croix  aux  deuxième  et  troisième 
siècles;  l'Eglise  conquérante,  de  Constantin  à  Charlemagne ;  l'Eglise 
au  moyen  âge;  catholicisme,  papauté;  les  réformateurs  avant  la  Ré- 
forme; la  Réformation  au  seizième  siècle,  ses  héros,  ses  résultats,  ses 
principes;  l'Eglise  depuis  la  Réformation;  les  grandes  Eglises  de  lav 
chrétienté  ;  l'Eglise  réformée  de  France,  ses  destinées,  ses  principes, 
son  organisation.  V.  L 'appropriation  du  salut  :  la  grâce  divine  et  le 
Saint-Esprit;  la  conversion  :  a)  repentance,  foi,  b)  doctrine  de  la  justi- 
fication par  la  foi  ;  la  sanctification  ou  la  vie  chrétienne,  ses  caractè- 
res, ses  privilèges,  son  but;  devoirs  du  chrétien  (envers  Dieu,  envers  les 
hommes,  envers  nous-mêmes)  ;  les  moyens  de  grâce  du  chrétien  :  a)  la 
Parole  de  Dieu,  b»)  la  prière  (oraison  dominicale),  c)  le  culte,  d)  les 
sacrements  (baptême,  sainte  cène,  première  communion,  liturgie). 
VI.  La  consommation  du  salut  :  état  des  rachetés  après  la  mort;  retour 
du  Christ,  résurrection  des  morts,  jugement  dernier;  la  mort  éter- 
nelle et  la  vie  éternelle  ;  conclusion.  N.  Kecolin. 

CATHARES.  Il  est  constaté  aujourd'hui  que  la  secte  dualiste  des  cathares 
(xaÔapot,  les  purs)  est  indépendante  de  celles  des  manichéens  et  des  pau- 
liciens,  et  qu'elle  a  eu  son  origine,  au  onzième  siècle,  parmi  les  Slaves, 
probablement  parmi  ceux  de  la  Macédoine.  Elle  se  répandit  très-vite 
dans  les  autres  pays  de  langue  slave,  et  de  là  d'une  part  en  Italie  et  dans 
le  Midi  de  la  France,  et  de  l'autre  en  Allemagne,  dans  la  France  du 
Nord  et  en  Flandre.  Dans  ces  dernières  contrées  elle  ne  fonda  pas 
des  étabtissementsaussi  considérables  que  dans  celles  du  Sud.  A  l'époque 
de  sa  plus  grande  puissance,  dans  la  seconde  moitié  du  douzième 
siècle  et  au  commencement  du  treizième,  elle  avait  des  évêchés  en  Macé- 
doine, en  Bulgarie,  en  Thrace,  en  Bosnie,  en  Dalmatie,  en  Italie,  dans  la 
France  méridionale;  elle  avait  des  écoles,  des  docteurs,  des  versions  de 
la  bible  des  livres  théologiques  et  liturgiques;  des  populations  entières 
lui  étaient  dévouées,  elle  était  protégée  par  des  princes,  grâce  à  la  cor- 
ruption qu'on  reprochait  au  clergé  catholique.  Jusqu'à  l'avènement 

II.  45 


06  CATHARES 

d 'Innocent  III  elle  résista  à  tous  les  efforts  faits  dans  le  but  de  la  combattre  ; 
pour  l'exterminer,  ce  pape  ordonna  la  croisade,  saint  Dominique  fonda 
Tordre  des  Frères  Prêcheurs,  et  la  cour  de  Rome  imagina  successivement 
le  vaste  système  de  l'inquisition.  En  Italie  les  cathares  disparurent  dès 
le  quatorzième  siècle  ;  en  France,  où  depuis  les  croisades  on  les  appe- 
lait boulgres  (bulgares)  ou  poblicans  (pauliciens),  leur  force  fut  brisée 
par  la  croisade  contre  les  albigeois;  en  1244,  leurs  derniers  défenseurs, 
retirés  au  château  de  Montségur,  furent  obligés  de  se  rendre,  après  une 
défense  héroïque;  plus  de  deux  cents  d'entre  eux,  chevaliers  et  évêques, 
furent  brûlés  vifs.  Néanmoins,  pendant  longtemps  encore  les  inquisi- 
teurs trouvèrent  à  condamner  des  cathares  isolés.  C'est  dans  quelques 
pays  slaves  que  la  secte  parait  avoir  duré  le  plus  longtemps.  Le  principe 
fondamental  de  la  doctrine  des  cathares  est  le  dualisme,  l'opposition 
d'un  être  bon  et  d'un  être  mauvais.  Sur  la  nature  de  ce  dernier  la  secte 
se  divisait  en  deux  branches,  dont  l'une  professait  le  dualisme  absolu, 
tandis  que  l'autre  essayait  de  le  mitiger  pour  échapper  à  la  nécessité 
d'admettre  deux  dieux.  L'une  et  l'autre  expliquaient  à  leur  façon  les 
livres  du  Nouveau  Testament,  en  employant  l'interprétation  allégo- 
rique ;  elles  se  servaient  en  outre  de  quelques  ouvrages  apocryphes.  Yoici 
les  points  les  plus  essentiels  du  premier  des  deux  systèmes.  Les  deux 
principes,  le  bon  et  le  mauvais,  sont  également  éternels  ;  chacun  des 
deux  a  son  monde  à  lui  ;  le  bon  est  le  créateur  des  esprits  et  de  leur 
séjour  céleste  ;  à  l'autre  appartient  la  matière,  cause  du  mal  physique 
et  du  mal  moral.  Le  monde  visible  et  le  corps  humain  sont  l'œuvre 
du  principe  mauvais,  l'àme  seule  vient  du  Dieu  bon  ;  celui-ci  s'est  révélé 
dans  le  Nouveau  Testament  ;  le  Jéhovah  de  l'Ancien  est  le  mauvais  Dieu, 
il  a  donné  la  loi  pour  retenir  les  hommes  sous  son  pouvoir.  Pour  expli- 
quer comment  les  âmes,  créatures  du  Dieu  bon  et  participant  de  sa 
bonté,  sont  tombées  sous  la  domination  de  son  adversaire,  les  cathares 
recourent  à  un  mythe  :  le  Dieu  mauvais,  jaloux  de  voir  le  Dieu  bon 
régner  sur  un  peuple  saint  et  heureux,  pénétra  dans  le  ciel,  prit  la 
figure  d'un  ange  et  réussit  ainsi  à  se  faire  aimer  des  âmes  célestes;  il 
leur  persuada  de  le  suivre  sur  la  terre,  où  il  leur  promit  des  délices 
plus  grandes  que  celles  dont  elles  jouissaient  ;  il  les  fascina  au  point 
qu'il  put  même,  sans  les  rebuter,  leur  parler  des  misères  qui  les  atten- 
daient ici-bas  ;  elles  consentirent  à  rester  avec  lui.  La  chute  a  donc  eu 
lieu  clans  le  ciel;  lésâmes  humaines  sont  des  esprits  qui  ont  péché  dans 
une  existence  antérieure.  Dieu  a  permis  leur  descente  sur  la  terre,  qui  doit 
être  pour  eux  un  lieu  de  châtiment  et  de  pénitence.  Mais  créées  bonnes, 
les  âmes  ne  sauraient  périr  ;  elles  sont  destinées  par  leur  nature  même 
à  revenir  à  leur  origine.  Pour  les  sauver,  Dieu  envoya  Jésus,  un  de  ses 
anges  les  plus  parfaits;  il  vint  sur  la  terre,  revêtu  d'un  corps  céleste; 
esprit  pur,  il  n'entra  pas  en  contact  avec  la  matière;  ce  n'est  qu'en 
apparence  qu'il  eut  un  corps  semblable  au  nôtre.  Sa  mission  a  consisté 
à  rappeler  aux  hommes  leur  vraie  nature  et  à  leur  enseigner  comment 
ils  peuvent  revenir  plus  promptement  au  Dieu  bon.  Jean-Baptiste  a  été 
un  des  agents  du  Dieu  mauvais,  chargé  d'opposer  au  baptême  de  l'es- 
prit  le  baptême  matériel  au  moyen  de  l'eau.  La  Vierge,  au  contraire. 


CATHARES  707 

a  été  un  esprit  céleste;  Jésus  étant  le  Verbe,  elle  l'a  conçu  par  rouie. 
Le  retour  des  âmes  au  ciel  étant  nécessaire,  mais  ce  retour  n'étant  pos- 
sible que  par  Jésus,  les  cathares  admettent  que  les  âmes  de  ceux  qui 

sont  morts  avant  la  venue  du  Sauveur  ont  traversé  une  série  de  corps 
d'hommes  et  même  d'animaux  ;  cette  transmigration  continue  jusqu'au 

moment  OÙ  Ton  se  t'ait  admettre  dans  la  secte,  car  elle  seule  garantit 
le  saint.  Après  la  mort  les  initiés  remontent  dans  le  domaine  du  Dieu 
bon;  ceux  qui  ue  le  sont  pas  reprennent  un  nouveau  corps  jusqu'à  ce 
qu'ils  aient  achevé  leur  pénitence.  D'après  les  cathares,  qui  professaient 
le  dualisme  mitigé,  l'antagonisme  entre  le  bien  et  le  mal  n'est  paséter- 
nel;  le  principe  mauvais,  créature  de  Dieu,  a  commencé  par  être  bon  et 
ne  s'est  séparé  de  Dieu  que  par  orgueil.  Il  est  le  diable,  il  a  formé  le 
monde  et  les  premiers  hommes;  ceux-ci  toutefois  reçoivent  des  âmes 
(•('lestes,  et  transmettent  cette  nature  meilleure  aux  âmes  de  leurs  des- 
cendants. Pour  empêcher  les  hommes  de  revenir  à  Dieu,  le  diable  leur 
donne  la  loi  par  Moïse  ;  Jésus  vient  comme  Sauveur  de  ceux  qui  accep- 
tent sa  doctrine,  mais  ce  Jésus  n'a  pas  non  plus  de  corps  matériel.  Le 
retour  des  âmes  n'est  pas   une   nécessité,  car  elles  jouissent  du  libre 
arbitre;  il  y  aura  donc  un  jugement  final.  Ce  système  se  retrouve,  avec 
quelques  modifications  dans  la  doctrine  des  bogomiles  de  la  Thrace.  Malgré 
ces  différences,  les  deux  branches  de  la  secte  étaient  d'accord  dans  leurs 
principes  moraux  et  dans  ceux  sur  le  culte  et  sur  l'organisation.  Leur 
morale   était  rigoureusement    ascétique;  les   péchés,  tous  considérés 
comme  mortels,  étaient  les  suivants  :  l'amour  des  biens  terrestres;  le 
commerce  avec  des  hommes  mondains  dans  toute  autre  intention  que 
de  les  convertir  à  la  secte  ;  le  mensonge  ;  l'homicide,  la  guerre  et  l'exer- 
cice du  droit  du  glaive  ;  l'usage  de  tuer  un  animal  autre  qu'un  reptile 
(on  ignore  si  cette  opinion  était  commune  aux  deux  branches,  chez  les 
dualistes  absolus  elle  se  fondait  sur  la  doctrine  de  la  métempsychose)  ; 
l'usage  de  toute  nourriture  animale  ;  le  commerce  charnel  d'un  sexe 
avec  l'autre,  même  le  mariage  ;  l'union  des  deux  premiers  hommes  a 
été  le  vrai  péché  originel.  Le  pardon  des  péchés  et  la  délivrance  du  pouvoir 
du  principe  mauvais  s'obtiennent   par  l'entrée  dans  l'Eglise  cathare, 
hors   laquelle   le   salut   n'est  pas  possible.  L'admission  se  faisait  par 
un  acte  symbolique,  qui  devait  représenter  le  baptême  de  l'esprit  et  qui 
s'appelait  consolamentum ;  par  cet  acte,  accompli  par  l'imposition  des 
mains,  l'esprit  consolateur  était  censé  descendre  sur  l'homme  et  s'unir 
avec  lui  pour  le  préserver  du  mal.  Après  avoir  reçu  le   consolamentum 
on  devenait  pur  ou  parfait;  en  France  le  peuple  appelait  les  parfaits  les 
bonshommes;  les  adversaires  leur  réservaient  spécialement  lenomd'hé- 
rétiques.  Les  parfaits  étaient  les  docteurs  et  ministres  de  la  secte;  ils 
avaient  seuls  le   droit  de  conférer  le  consolamentum,  étaient  tenus  de 
s'abstenir  de  toute  souillure  par  la   matière,  de  ne  posséder  aucun 
bien  et  de  vivre  dans  le  célibat.  Ils  parcouraient  les  pays,  toujours  au 
nombre  de  deux,  et  présidaient  les  réunions  religieuses.  .Les  femmes 
pariait.  lient  de  l'éducation  des  jeunes  filles.  Ceuxqui  n'étaient 

pas  parfaits  formaient  la  classe  nombreuse  des  croyants,  auxquels  étaient 
permis  le  mariage,  le  commerce,  le  métier  des  armes,  etc.  Mais  celte 


708  CATHARES  —  CATHÉDRALE 

permission  ne  leur  était  accordée  qu'à  condition  pour  eux  de  se  faire 
donner  le  consolamentum  avant  la  mort  ;  mourir  inconsolé,  c'était  mourir 
sans  espoir  de  salut  immédiat.  Pour  avoir  une  bonne  fin,  les  croyants 
faisaient  avec  les  parfaits  un  pacte,  convenenza,  par  lequel  ils  s'enga- 
geaient à  recevoir,  en  cas  de  danger  de  mort,  le  consolamentum  et  de 
suivre,  s'ils  ne  mouraient  pas,  les  règles  sévères  de  la  secte.  Pour 
empêcher  que  l'ettet  du  baptême  spirituel  ne  fût  détruit  par  une  rechute 
dans  le  péché,  certains  cathares  se  laissaient  mourir  de  faim;  on  appe- 
lait cela  se  mettre  in  endura.  Le  culte  cathare  était  extrêmement  simple. 
Là  où  la  secte,  était  puissante,  elle  avait  des  oratoires,  mais  sans  croix, 
sans  images,  sans  cloches,  on  n'y  voyait  qu'une  table,  couverte  d'une 
nappe  blanche,  sur  laquelle  était  posé  un  Nouveau  Testament,  ouvert 
au  premier  chapitre  de  l'évangile  de  saint  Jean.  Les  services  commen- 
çaient par  la  lecture  d'un  passage  biblique,  que  le  ministre  expliquait 
ensuite  dans  le  sens  cathare.  Cette  prédication  était  suivie  d'un  acte 
que  les  auteurs  catholiques  ont  appelé  l1 adoration  des  hérétiques,  mais 
qui  doit  porter  à  plus  juste  titre  le  nom  de  bénédiction.  L'assistance  se 
mettait  à  genoux,  le  ministre  et  les  parfaits  présents  la  bénissaient,  elle 
ne  les  adorait  pas.  Le  culte  se  terminait  par  l'oraison  dominicale, 
récitée  par  toute  l'assemblée  ;  c'était  la  seule  prière  que  les  cathares 
croyaient  permise.  La  sainte  cène  était  remplacée  par  une  bénédiction 
du  pain  lors  de  chaque  repas  auquel  assistait  un  parfait  ;  le  pain  était 
rompu  en  morceaux,  que  les  croyants  conservaient  pour  en  manger  jour- 
nellement quelques  miettes  ;  parfois  aussi  des  messagers  apportaient 
aux  croyants  de  ce  pain  bénit  qu'on  appelait  le  pain  de  Dieu  ou  de 
la  sainte  oraison.  On  avait  enfin  la  coutume  de  faire  à  de  certaines  épo- 
ques une  confession  générale  des  péchés,  à  laquelle  on  donnait  le  nom 
Cl  appareillamentum  ;  pour  les  parfaits  cette  confession  pouvait  entraî- 
ner la  nécessité  d'une  reconsolatio ,  pour  les  croyants  des  jeûnes  ou 
d'autres  pénitences.  On  célébrait  les  fêtes  de  Noël,  de  Pâques  et  de 
Pentecôte  ;  un  auteur  allemand  parle  d'une  fête  dite  Malilosa  et  obser- 
vée en  automne;  on  n'a  pas  encore  pu  découvrir  le  sens  de  ce  mot. 
Chaque  parfait  pouvait  remplir  les  fonctions  de  ministre  ou  de  prêtre; 
en  outre  les  cathares  avaient  des  évêques  et  des  diacres  ;  les  évêques  étaient 
assistés  chacun  d'un  films  majorai  d'un  filius  minor,  dont  les  attributions 
ne  sont  pas  clairement  définies.  L'Eglise  était  divisée  en  diocèses;  dans 
des  circonstances  importantes  les  évêques  se  réunissaient  en  synodes. 
Quelques  écrivains  parlent  d'un  pape  cathare;  mais  aucun  témoignage 
authentique  ne  constate  l'existence  d'un  chef  supérieur  de  la  secte.  — 
Voyez  :  C.  Schmidt,  Histoire  et  doctrine  de  la  secte  des  Cathares  ou  Albi- 
geois, 2  vol.,  Paris,  1848;  et  le  curieux  rituel  cathare  publié  par  Cunitz, 
d'après  un  manuscrit  de  Lyon,  clans  les  Beitnvge  zu  den  theologischen 
Wissenscliaften,  herausgegeben  von  Reuss  und  Cunitz,  Iéna,  1852. 

Ck.  Schmidt. 
CATHÉDRALE  (de  cathedra,  siège  ou  trône  épiscopal)  désigne  l'église 
où  est  placé  le  trône  de  révoque  ou  archevêque  du  diocèse.  Primi- 
tivement la  cathedra  était  placée  au  fond  de  l'abside  (cathédrale  de 
Torcello,  près  Venise),  comme  le  siège  du  juge  dans  la  basilique  antique. 


CATHÉDRALE  —  CATHERINE  DE  GÊNES  700 

L'évéque  entouré  de  son  clergé,  placé  ainsi  derrière  l'autel,  <|ni 
n'était  qu'une  simple  table,  voyait  L'officiant  en  lace.  Si  un  évêque 
invité  par  un  abbé  officiait  dans  l'église  abbatiale,  on  y  plaçait  une 
cathedra,  et  pour  ce  jour-là  elle  devenait  une  cathédrale.  Pendant  long- 
temps ces  édifices  avaient,  en  outre  du  caractère  divin,  celui  d'un 
tribunal  sacré.  Ce  n'est  que  vers  la  lin  du  douzième  siècle  que  les  ca- 
thédrales devinrent  les  plus  grands  monuments  ecclésiastiques  ;  pendant 
le  siècle  précédent,  en  France  du  moins,  les  abbayes  occupaient  le 
premier  rang.  L'apparence  architectonique de  la  cathédrale  varie  extrê- 
mement d'un  style  à  l'autre:  au  treizième  siècle  le  type  idéal  en  France 
comportait  jusqu'à  sept  tours.  Le  grand  nombre  de  cathédrales  que 
Ton  reconstruisit  alors  dans  le  style  ogival  et  leur  richesse  extraordi- 
naire ne  s'expliquent  que  par  l'appui  que  l'épiscopat  trouva  alors  dans 
la  monarchie  grandissante  et  dans  le  concours  prodigieux  des  foules 
protestant  contre  la  féodalité;  la  cathédrale  devint  comme  le  monument 
national  ou  municipal  par  excellence,  et  son  iconographie  fut  le  l^vre 
de  la  foule  (voyez  Viollet-le-I)uc,  Dict.  raisonné  de  Varchit.  française  du 
onzième  au  seizième  siècle).  En  Italie  et  en  Allemagne  les  cathédrales 
s'appellent  souvent  dômes,  par  exemple  le  dôme  de  Milan,  le  dôme  de 
Cologne;  dans  quelques  parties  de  l'Allemagne  elles  prennent  le  nom 
de  munster  (de  nionasterium). 

CATHERINE  D'ALEXANDRIE  (Sainte),  vierge  et  martyre,  honorée 
par  les  grres  sous  le  nom  d'AsixaÔapiva,-  c'est-à-dire  toujours  pare. 
D'après  la  légende,  elle  était  d'origine  royale,  résista  aux  instances  im- 
pudiques de  l'empereur  Maximin,  confondit  une  assemblée  de  philo- 
sophes païens  réunis  pour  la  réfuter,  et  périt  au  milieu  des  tortures 
dans  l'année  307.  Son  culte  pourtant  ne  commença  à  se  répandre  qu'à 
la  tin  du  huitième  siècle,  alors  que  son  corps,  trouvé  par  des  chrétiens 
d'Egypte,  fut  solennellement  enseveli  dans  le  couvent  fondé  par  l'im- 
pératrice Hélène  sur  le  mont  Sinaï.  L'Eglise  latine  célèbre  sa  fête 
le  26  novembre.  On  la  représente  appuyée  sur  une  roue  à  demi  rompue 
et  teinte  de  sang.  Elle  devint  la  patronne  des  écoles  de  filles  et  des  élèves 
de  philosophie. 

CATHERINE  DEB0L0GNE  (Sainte),  née  F  an  1413,  morte  le  9  mars  1463, 
était  d'une  ancienne  famille  de  Fcrrare,  où  elle  fut  élevée  et  où  elle 
entra  chez  les  sœurs  de  Sainte-Claire  dont  elle  devint  i'abbesse.  On 
lui  attribuait  le  don  de  la  prophétie  et  celui  des  miracles.  Clément  Vil 
la  béatifia,  et  Clément  VIII  fit  inscrire  son  nom  dans  le  martyrologe 
romain  en  loî)2.  En  Kill  et  en  1536  on  publia  sous  son  nom  à  Bologne, 
et  en  1583  à  Venise,  un  livre  intitulé  :  Reveîationes  Catharmœ  Bono- 
niensi  factx  dont  le  contenu  est  une  suite  de  légendes  plus  merveil- 
leuses les  unes  que  les  autres.  Catherine  a  composé  plusieurs  ouvrages 
en  latin  et  en  italien,  parmi  lesquels  le  plus  connu  est  le  Livre  de*  sept 
armes  spirituelles. 

CATHERINE  DE  GÊNES  (Sainte),  née  Tan  1448,  morte  le  Ki  sep- 
tembre 1510,  était  fille  de  Jacques  de  Fiesque,  vice-roi  de  Naples.  On 
la  maria  contre  son  gré  à  un  jeune  seigneur  qui  la  lit  beaucoup  souf- 
frir par  sou  inconduite,  mais  qu'elle  convertit  sur  son  lit  de  mort  après 


710  CATHERINE  DE  GÊNES  —  CATHERINE  DE  SIENNE 

dix  ans  de  mariage.  Devenue  veuve,  elle  consacra  le  reste  de  sa  vie  au 
soulagement  des  pauvres  et  des  malades.  Elle  donna  de  grandes 
preuves  de  son  dévouement  pendant  la  peste  qui  ravagea  Gènes 
en  1497  et  en  1501.  La  légende  lui  attribue  un  grand  nombre  de  mi- 
racles. Clément  XII  Ta  canonisée  en  1737,  et  Benoît  XIV  inséra  son 
nom  dans  le  martyrologe  romain  à  la  date  du  22  mars.  Catherine  a 
laissé  un  Traité  du  purgatoire,  un  Dialogue  entre  lame  et  le  corps  sur 
le  pur  amour  pour  Dieu.  Le  P.  Marabotti  a  publié  une  Vie  de  Cathe- 
rine de  Gênes  en  1551,  traduite  en  français  par  J.  Desmarets  (Paris, 
1661). 

CATHERINE  DE  RICCI  (Sainte),  née  à  Florence  Fan  1519,  morte 
Tan  1590,  d'une  famille  noble  de  Toscane.  A  l'âge  de  treize  ans  elle  se 
consacra  à  Dieu  dans  le  monastère  du  Prat,  de  Tordre  des  dominicains, 
où  elle  se  distingua  par  une  charité  ardente,  une  profonde  humilité  et 
les  austérités  les  plus  rudes.  Prieure  depuis  F  âge  de  vingt-cinq  ans, 
elle  fut  en  relations  avec  un  grand  nombre  de  princes,  de  cardinaux, 
d'évêques  et  de  saints  personnages,  parmi  lesquels  nous  ne  nomme- 
rons que  Philippe  de  Néri,  le  fondateur  de  Fordre  clés  oratoriens.  La 
légende  lui  attribue  des  miracles,  des  prophéties,  des  extases  et  des 
visions.  Benoît  XIV  la  canonisa;  sa  fête  a  lieu  le  13  février.  Plusieurs 
auteurs  ont  écrit  sa  vie:  les  PP.  Séraphin  Razzi,  Philippe  Guidi,  son 
confesseur,  Calteri,  évêque  de  Fiesole.  En  1848,  César  Guasti  a  publié 
Cinquante  lettere  inédite  di  S.  Caterinx  de  Ricci. 

CATHERINE  DE  SUÈDE  (Sainte),  née  vers  Fan  1330,  morte  le 
24  mars  1381,  était  fille  d'Alphonse,  prince  suédois,  et  de  sainte  Bri- 
gitte. Elle  fut  mariée  contre  son  gré  à  Fun  des  grands  seigneurs  du 
royaume  ;  après  la  mort  de  son  époux  elle  entreprit,  avec  sa  mère, 
plusieurs  voyages  de  piété,  et  se  livra  aux  pratiques  les  plus  austères. 
Elle  dirigea  le  monastère  deWartzsten,  où  elle  établit  la  règle  de  Saint- 
Sauveur.  Elle  fut  canonisée  en  1474.  Sa  fête,  célébrée  d'abord  le 
24  mars,  fut  remise  par  Léon  X  au  25  juin. 

CATHERINE  DE  SIENNE  (Sainte),  née  Fan  1347,  morte  le  29  avril 
1380.  Elle  était  fille  d'un  teinturier.  Dès  l'âge  de  sept  ans  elle  lit  vœu 
de  virginité,  se  fiança  avec  Jésus-Christ  qui,  disait-elle,  lui  donna  son 
cœur  en  échange  du  sien,  et,  bien  que  contrariée  par  ses  parents  qui 
avaient  arrangé  pour  elle  un  mariage  avantageux,  elle  entra  à  l'âge  de 
vingt  ans  dans  l'institution  des  sœurs  de  Saint-Dominique;  elle  y  eut 
des  visions  qui  lui  donnèrent  bientôt  une  grande  célébrité,  et  com- 
posa des  écrits  mystiques  qui  furent  très-recherchés.  Les  austérités 
auxquelles  elle  se  livra  dépassèrent  toutes  les  bornes  ;  elle  portait  un 
cilice  avec  une  ceinture  garnie  de  pointes  en  fer,  couchait  sur  le  sol, 
observa  pendant  trois  ans  un  silence  complet  et  employait  la  plus 
grande  partie  de  ses  jours  et  de  ses  nuits  à  des  exercices  de  dévotion. 
On  assurait  même  qu'elle  ne  se  nourrissait  plus  qu'avec  l'hostie  de  la 
cène.  La  peste  de  1374  lui  fournit  l'occasion  d'exercer  son  admirable 
charité  ;  ses  prières  obtinrent  la  guérison  et  la  conversion  d'un  grand 
nombre  de  personnes.  Catherine  joua  un  rôle  important  dans  le  schisme 
qui  éclata  en  1378,  à  l'occasion  de  la  concurrence  d'Urbain  VI  et  de 


CATHERINE  DE  SIENNE  —  CATHERINE  DE  MEDICIS  711 

Clémenl  VU:  elle  s'était  déclarée  pour  Le  parti  (TUrbaifl  :  c'est  elle  aussi 
qui  réconcilia  Grégoire  XI  avec  Florence  el  le  détermina  à  retourner 
d'Avignon  à  Rome.  Pie  11  la  canonisa  en  1461,  et  on  célèbre  sa  fête  le 

30  avril.  On  a  d'elle  des  traités  de  dévotion,  des  lettres  el  des  poésies 
remarquables  par  L'élégance  et  la  pureté  du  style.  L'édition  la  plus 
exacte  et  la  plus  complète  de  ses  œuvres  est  celle  de  Jérôme  Gigli,  sous 
ce  titre  :  Opère  délia  serafica  santa  Catarina  (Sienne  et  Lucques,  1707- 
1713,  \  vol.  in-4°).  Ou  y  remarque  six  Dialogues  sur  la  providence  de 
Dieu,  un  Discours  sur  l'Annonciation  de  la  Vierge,  et  un  recueil  de 
364  Lettres.  Chavin  de  Malana  écrit  sa  Vie  en  185Ô,  et  Hase  lui  aassigné 
une  place  d'honneur  dans  ses  Nouveaux  prophètes  (Leipz.,  1851,2e  édit.  9 
1870).  La  vie  de  Catherine  de  Sienne  offre  ce  phénomène  extraordi- 
naire d'une  simple  fille  du  peuple, presque  adorée  par  un  ordre  religieux 
puissant  et  par  l'Italie  tout  entière.  —  Voyez:  AA.  SS.  April.,  t.  III, 
p.  853  ss.  ;  Fabricius,  Bibl.  med.  etinf.  Lat.,  I,  p.  363  ss.  ;  Martene, 
Ampl.  col.,  I,  p.  1237  ss. 

CATHERINE  D'ARAGON,  fille  de  Ferdinand  V,  roi  d'Aragon,  et  d'Isa- 
belle, reine  de  Castille,  épousa  en  1501  Arthur,  (ils  aîné  de  Henri  VII, 
roi  d'Angleterre.  Devenue  veuve,  elle  fut  en  1509  remariée,  avec  dispense 
du  pape  Jules  II,  au  frère  de  son  premier  époux,  qui  régna  sous  le  nom 
de  Henri  VIII,  et  eut  de  ce  prince  trois  fils  et  deux  filles  qui  moururent 
de  bonne  heure,  sauf  celle  qui  fut  reine  sous  le  nom  de  Marie.  La  dévo- 
tion de  Catherine  était  extrême.  Bien  qu'elle  fût  d'une  constitution 
faible  et  maladive,  elle  consacrait  six  heures  par  jour  aux  exercices  reli- 
gieux, pratiquait  les  jeûnes,  se  confessait  deux  fois  par  semaine,  portait 
un  cilice  sous  ses  vêtements  de  reine,  préférait  à  tout  la  retraite  et  la 
lecture  des  vies  des  saints.  L'incompatibilité  d'humeur  entre  elle  et 
son  mari  était  complète.  Après  dix-huit  ans  de  mariage,  Henri  VIII, 
devant  renoncer  à  avoir  des  enfants  de  Catherine  et  étant  passionné- 
ment épris  d'Anne  de  Boleyn,  demanda  la  dissolution  de  son  mariage. 
Le  pape  ne  voulut  point  y  consentir;  Catherine  résista  plusieurs  années, 
mais  elle  n'en  finit  pas  moins  par  être  répudiée  (1533).  Le  divorce  fut 
prononcé  par  Cranmer,  archevêque  de  Cantorbéry,  muni  de  l'appro- 
bation d'une  foule  de  sommités  théologiques  et  juridiques,  et  Cathe- 
rine se  vit  confinée  dans  le  château  de  Kimbolton  où  elle  mourut  en 
1536.  I  >n  sait  le  rôle  que  ce  divorce  a  joué  dans  l'histoire  delà  réforme 
en  Angleterre. 

CATHERINE  DE  MÉDICIS.  Vnu  seule  passion,  la  soif  du  pouvoir,  et 
l'absence  complète  de  sens  moral  expliquent  le  rôle  de  cette  reine  trop 
célèbre,  italienne  de  naissance,  qui  fit  tant  de  mal  à  son  pays  d'adop- 
tion, principalement  aux  protestants  français.  Cette  passion,  qui  ne 
connut  point  de  bornes,  Catherine  chercha  a  la  satisfaire  par  des 
moyens  également  méprisables  :  1  écrasement  de  ses  ennemis  les  uns 
par  les  autres  et  ses  tentatives  de  corruption  auprès  d'eux.  Quelques 
faits  justifieront  cette  assertion.  Nommée  régente  de  son  fils  Fran- 
çois II,  la  ivin.'-nKMT  se  voit  en  présence  de  deux  partis  puissants 
qui  menacent  d'annihiler  son  autorité,  le,  Guises  et  les  Bourbons  :  elle 
se  sauve   loin  des   premiers  à  Saint-Germain  et  retient  les  seconds 


712         CATHERINE  DE  MEDICIS  —  CATHOLICISME 

captifs  à  Paris  par  les  charmes  de  deux  de  ses  plus  séduisantes  filles 
d'honneur,  mesdemoiselles  de  Limeuil  et  de  Renet  (1569).  La  conjuration 
avortée  d'Amboise  dirigée  contre  le  duc  de  Guise  fortifie  puissamment 
son  parti  :  aussitôt  Catherine  se  jette  dans  les  bras  du  prince  de  Coudé, 
dont  elle  lève  la  sentence  de  mort  (1561).  Après  la  victoire  de  Dreux, 
la  reine-mère  craint  que  l'ambition  du  duc  de  Guise,  qui  Ta  remportée, 
ne  connaisse  plus  de  frein  :  elle  se  hâte  de  mettre  des  entraves  à  la 
prise  de  la  ville  d'Orléans,  qu'il  assiège  et,  heureuse  de  son  assassinat, 
accorde  la  paix  aux  huguenots  (1563).  Cependant  ces  derniers  gagnent 
du  terrain.  Ils  fondent  un  grand  nombre  d'églises,  font  venir 
des  pasteurs  de  Genève,  tiennent  des  synodes,  Condé  et  Coligny 
leurs  chefs  grandissent  dans  la  faveur  publique;  c'est  le  moment  de 
les  abattre.  Catherine  fait  venir  dans  ce  but  6,000  Suisses  (1568).  11 
en  fut  ainsi  pendant  les  autres  guerres  de  religion  qui  suivirent.  La 
reine-mère  les  provoquait  dès  que  les  huguenots  étaient  forts,  et  elle 
y  mettait  fin  quand  les  Guises  devenaient  trop  exigeants.  La  Saint-Bar- 
thélémy elle-même  ne  s'explique  pas  autrement.  C'est  l'ascendant  con- 
sidérable que  Coligny  avait  pris  sur  Charles  IX  qui  porta  Catherine, 
reléguée  pour  le  moment  dans  l'ombre,  à  tramer  sa  perte  et  celle  de 
tout  son  parti  (1572).  Les  courtisans  italiens,  qui  l'entouraient,  en- 
traient tout  à  fait  dans  ses  vues  et  prenaient  un  plaisir  extrême  à  ces 
luttes  fratricides,  qui  les  débarrassaient  de  tous  leurs  rivaux  et  créaient 
des  vides,  bientôt  remplis  par  leurs  créatures.  Depuis  le  retour 
d'Henri  111  de  Pologne  (1574),  la  reine-mère,  soit  qu'elle  se  fit  vieille, 
soit  qu'elle  fût  méprisée  de  tous,  n'eut  plus  aucune  influence.  L'assas- 
sinat du  duc  de  Guise  par  son  fils  la  frappa  de  terreur  et  elle  mourut 
deux  jours  après,  à  l'âge  de  soixante-et-onze  ans  (5  janvier  1589).  Elle 
s'était  survécu,  et  sa  mort  ne  produisit  aucune  impression.  Un  histo- 
rien de  l'époque  raconte  qu'elle  fut  jetée  comme  une  charogne  dans 
un  bateau  et  inhumée  dans  un  coin  obscur.  Les  prédicateurs  catholi- 
ques se  demandèrent  même  en  chaire  si  l'Eglise  devait  prier  pour  celle 
qui  avait  fait  encore  plus  de  mal  que  de  bien.  —  Voyez  les  histoires 
de  Jean  de  Serres,  la  Popelinière,  Davila,  d'Aubigné,  de  Thon, 
Mézeray,  etc.  e.  Aenaud. 

CATHOLICISME  (Principe  du).  Le  christianisme  se  présente  au 
monde,  à  son  origine,  comme  ayant  pour  objet  la  réconciliation,  par 
le  Christ,  de  Dieu  avec  les  hommes.  Les  conséquences  de  ce  principe 
s'aflirmant  en  face  des  religions  anciennes  sont  faciles  à  saisir.  Voici  les 
principales.  Dans  la  société  religieuse,  plus  d'intermédiaires  entre  les 
hommes  et  la  divinité,  en  un  mot  plus  de  sacerdoce.  Dans  le  culte, 
plus  de  sacrifice  expiatoire.  Dans  le  dogme,  plus  de  distinction  entre 
une  doctrine  ésotérique,  qui  serait  pour  les  seuls  initiés,  et  une  doctrine 
exotérique,  qui  serait  pour  le  vulgaire.  Dans  la  morale,  plus  de  léga- 
lisme et  plus  de  distinction  artificielle  entre  le  sacré  et  le  profane,  ni 
dans  l'ordre  des  personnes  ni  dans  l'ordre  des  choses.  Dieu  demande  au 
même  titre  l'obéissance  de  tous  les  hommes  et  de  l'homme  tout  entier. 
Considérons  maintenant  le  christianisme  tel  que  le  représente  la  so- 
ciété religieuse  qui,  sous  le  nom  d'Eglise  catholique  (ou  universelle), 


CATHOLICISME  718 

domine  dans  le  monde'occidental.  Quoi  contraste  entre  le  christianisme 
d'alors  et  le  christianisme  primitif  !  L'Eglise  n'est  plus  cette  société  dont 
chaque  membre  est  appelé  un  sacrificateur  et  un  roi  ;  elle  est  une  monar- 
chie visible.  Un  évêque,  Tévêque  de  Rome,  y  concentre  en  sa  personne 
ïa  sacrificature  et  la  royauté,  aussibienque  le  pouvoir  enseignant.  Au- 
dessous  de  lui  nous  apercevons  toute  une  hiérarchie  qui  constitue  avec 
lui  entre  les  fidèles  et  le  Christ  un  intermédiaire  obligé,  sans  parler  de  la 
hiérarchie  céleste  de  la  Vierge  et  des  saints.  Dans  le  culte  nous  retrou- 
vons, avec  le  prêtre,  le  sacrifice  expiatoire  renouvelé  par  celui-ci,  au 
profit  de  tous.  Dans  le  dogme,  nous  retrouvons  Tésotérisme  :  le  clergé 
seul  lit  et  interprète  l'Ecriture  sainte.  Dans  la  morale,  nous  retrouvons 
le   légalisme   et   une  distinction  artificielle  entre  le  sacré  et  le  profane 
dans  Tordre  des   personnes  et  dans  Tordre  des   choses.  Il  y  a   des 
hommes    qui    s'appellent  les   religieux  par   excellence.  Il  y   a    des 
états  simplement  légitimes  ;  il  y  en  a  d'autres  qui  sont  saints.  La  sain- 
teté des  uns  supplée  à  Tétat  relativement  profane  des  autres.  Ajoutons 
à  tout  cela  la  prétention  hautement  affichée  par  TEglise  de  concentrer 
entre  ses  mainstout  pouvoir,  aussi  bien  temporel  que  spirituel,  et  le  con- 
traste étrange  qu'offre  la  politique  d'un  Grégoire  VII  avec  cette  parole 
du  Christ  :  Mon  royaume  n'est  pas  de  ce  monde.  —  Avant  de  nous 
demander  quel  est  le  principe  de  cette  déviation,  essayons  de  marquer 
brièvement  par  quels  degrés   successifs  le   christianisme  primitif  est  * 
devenu,  dans  le  monde  occidental,   le   catholicisme.  Déjà  dans  l'âge 
apostolique  nous  voyons  un  effort  de  Tesprit  juif  tendant  à  étouffer 
Tesprit  chrétien  dans  son  germe.  Des  chrétiens  issus  du  judaïsme  élèvent 
la  prétention  d'assujettir  aux  prescriptions  de  leur  loi  les  chrétiens  issus 
du  paganisme.  Cette  prétention  vient  échouer,  à  l'assemblée  dite  concile 
de  Jérusalem,  devant  la  personnalité  de  saint  Paul  et  le  résultat  de  son 
œuvre  missionnaire.  Bientôt  Tesprit  juif  revient  à  la  charge  sous  une 
autre  forme.  Au  début  Tévêque  était  considéré,  dans  chaque  église  par- 
ticulière, comme    identique  à  l'ancien  (Actes  XX,  28;  cf.  XX,  17). 
Bientôt  les  deux  charges  sont  distinguées  ;  puis  la  charge  de  Tévêque 
est    considérée    comme    supérieure   à   celle     de    l'ancien,   et    enfin 
P évêque  est  considéré   comme  représentant,  dans  TEglise,  l'autorité 
apostolique   elle-même.    Cette  théorie  est  formulée  pour  la  première 
fois  par  Cyprien,  au    troisième   siècle.  En   même  temps  que  l'auto- 
rité  épiscopale,    se  constituait  une   certaine  primauté    des    évêques 
de    ville  à   l'égard  des  évêques  de   campagne.    Cyprien,    qui   résiste 
d'ailleurs   avec    tant    de    force   aux   prétentions   qu'élève,    déjà    de 
son  temps,  Tévêque  de  Rome  à  l'égard  des  autres  évêques,  exerce 
de  t'ait  une  véritable  primauté  sur  les  évêques  de  sa  province.  Paral- 
lèlement à   ce   courant  sacerdotal  se  développe,  dans  TEglise,  une 
tendance  marquée  à  donner  une  grande  force  à  la  tradition  orale,  en 
même  temps  qu'à  constituer  son  unité  doctrinale  sur  des  bases  Légales. 
On  commence  à  chercher  le  critère  de;  Tapostolicité  (Tune  tradition 
dans  T  unanimité  des  évêques  à  la  reconnaître.  A  cet  égard  les  livres  de 
Tertullien,  Deprxscriptionibus  contra haereticosy  et  de  Cyprien,  De  unîtate 
Ecclesix,  font  époque.  Il  convient  également  de  remarquer  que  la  per- 


714  CATHOLICISME 

sédition  qui  sévit  sur  l'Eglise  des  trois  premiers  siècles,  et  qui  était  pour 
sa  sainteté  une  si  puissante  sauvegarde,  tendait,  d'un  autre  côté,  à  la 
pousser  vers  un  ascétisme  que  favorisait  d'ailleurs  sa  réaction  contre 
le  gnosticisme.  On  sait,  en  effet,  que  l'un  des  caractères  du  gnosticisme 
était  d'opposer  à  l'excès  la  loi  et  la  grâce  pour  exalter  celle-ci.  Tels 
sont  les  principaux  éléments  de  déviation  que  nous  trouvons  déjà  dans 
l'Eglise,  si  glorieuse  d'ailleurs,  des  trois  premiers  siècles.  Dans  la 
période  suivante,  qui  va  de  Constantin  à  Charlemagne  (312  à  800), 
ces  éléments  se  fortifient,  se  développent,  et  d'autres  éléments  viennent 
s'y  ajouter.  La  persécution  cesse.  L'autorité  de  l'épiscopat  se  constitue 
par  l'institution  des  conciles  œcuméniques.  La  protection  du  pouvoir 
civil  et  d'un  autre  côté  l'accession  à  l'Eglise  de  multitudes  ignorantes 
et  grossières  viennent  encore  fortifier  sa  hiérarchie.  L'institution  des 
cinq  patriarches  se  fixe.  L'autorité  de  l'évoque  de  Rome  s'accentue. 
La  doctrine  de  l'autorité  de  l'Eglise  et  de  la  tradition  orale  reçoit  avec 
Augustin  et  Vincent  de  Lérins  (cinquième  siècle)  de  nouveaux  déve- 
loppements. Augustin  écrit  ces  mots  significatifs  :  Ego  vero  Evangelio 
non  crederem  nài  me  Ecclesix  catholicse  commoveret  auctoritas.  Vincent 
de  Lérins  pose  dans  son  C  ommonitorium  le  fameux  critère  du  :  Quod 
semper,  quod  uhique,  quod  ab  omnibus  creditum  est.  Surtout  il  reconnaît 
à  la  hiérarchie  le  droit  non-seulement  de  désigner,  parmi  les  traditions 
qu'elle  trouve  sur  son  chemin,  celles  qui  sont  apostoliques,  mais  de  ra- 
tifier les  développements  qu'ont  pu  prendre  dans  le  cours  des  temps  les 
traditions  apostoliques.  C'est  par  là  qu'il  dépasse  Tertullien  et  Cyprien. 
On  conçoit  que  cette  doctrine  pouvait  mener  loin.  L'importance  du 
rite  dans  le  culte  s'accentue.  Les  sacrements  augmentent  en  nombre  et 
prennent  plus  d'importance.  Un  élément  nouveau  et  considérable  de 
déviation  entre  en  ligne.  A  la  réaction  judaïque  qui  s'était  manifestée 
surtout  par  la  constitution  de  la  hiérarchie,  vient  s'allier  une  réaction 
païenne  qui  se  manifeste  surtout  par  la  constitution  d'une  hiérarchie 
extra-terrestre  et  la  vénération  de  nombreux  simulacres.  Les  dieux 
vaincus  du  paganisme  renaissent  sous  des  noms  chrétiens.  Ajoutons  que 
la  discipline  prend  en  face  des  multitudes  qui  ont  envahi  l'Eglise,  un 
caractère  légal.  Un  lien  purement  extérieur  ;avec  l'institution  ecclé- 
siastique tient  lieu  de  la  foi  éprouvée  des  premiers  chrétiens.  Des 
pénitences  matérielles  tiennent  lieu  des  pénitences  morales.  En  même 
temps  qu'elle  devient  légale,  la  discipline  se  relâche.  Par  une  sorte  de 
compensation, l'ascétisme  grandit  d'un  autre  côté:  le  monachisme,  né 
dans  la  période  précédente,  se  développe.  11  y  a  dans  l'Eglise  deux 
morales.  Un  fait  domine,  au  point  de  vue  du  développement  du  catho- 
licisme proprement  dit,  la  période  suivante,  qui  va  de  Charlemagne  à 
la  Réforme  (800-1517).  C'est  le  fait  de  la  pleine  formation  de  la  papauté. 
Ce  fait  se  consomme  sous  la  puissante  influence  de  Grégoire  VII.  Pour 
lui,  l'évêque  de  Rome  est  «.  le  vicaire  de  Jésus-Christ  sur  la  terre.  Il  y 
tient  la  place  du  vrai  Dieu.  »  «  Lui  seul  peut  déposer  et  rétablir  les 
évêques.  »  «  Lui  seul  peut  déposer  les  empereurs.  »  Il  n'est  plus  seu- 
lement le  symbole  de  l'unité  de  l'Eglise,  il  en  concentre  en  lui-même  et 
l'unité  et  les  pouvoirs.  Ces  pouvoirs  s'étendent  sur  toutes  les  sphères  de 


CATHOLICISME  715 

la  vie  humaine,  tant  sociale  qu'individuelle.  Ce  système  n'existe  pas 

seulement  à  l'état  de  théorie;  il  l'ut  appliqué. Il  y  eut  deux  siècles  dans 
L'histoire,  île  Grégoire  Vil  à  Boniface  \  111,  en  passant  par  Innocent  111, 
du  onzième  au  treizième  siècle,  durant  lesquels  toute  puissance  spiri- 
tuelle et  toute  puissance  temporelle  était  considérée  comme  absolu- 
ment dépendante  de  L'Eglise,  et  où  L'Eglise  c'était  l'évêqut  de  Home. 
C'est  le  temps  où  la  doctrine  de  la  transsubstantiation  triomphe,  et  où 
parla  même  la  hiérarchie  dispose  de  .lésus-Christ  et  de  son  sacrifice. 
C'est  le  temps  où  le  pape  impose  à  l'empereur  Henri  IV  à  la  face  du 
monde,  les  plus  humiliantes  pénitences.  C'est  le  temps  de  lascolastique, 
des  grandes  cathédrales  et  des  croisades.  Dès  lors  le  système  catholique 
est  complet  Le  concile  de  Trente  ne  fera  plus  qu'en  rassembler  les 
éléments  pour  les  besoins  de  la  lutte  de  l'Eglise  contre  la  Réforme  et 
lorsque,  trois  siècles  plus  tard,  le  concile  du  Vatican  proclamera  l'in- 
faillibilité propre  del'évêque  de  Rome,  il  ne  fera  que  définir  un  pouvoir 
dont  celui-ci  aura  usé  depuis  longtemps.  Tels  sont,  ce  nous  semble,  les 
principaux  jalons,  non  de  l'histoire  de  l'Eglise  chrétienne,  mais  des  dé- 
viations successives  qui  ont  abouti  à  cette  grande  déviation  du  chris- 
tianisme primitif  qui  s'appelle  le  catholicisme.  —  Essayons  maintenant 
de  marquer  le  principe  qui  domine  tout  le  système.  Le  christianisme 
en  lui-même,  avons-nous  dit,  a  pour  objet  le  rétablissement  du  rapport 
normal  qui  doit  exister  entre  Dieu  et  les  hommes.  Or  ce  raDport  est 
à  la  fois  individuel  et  social,  il  unit  l'homme  à  Dieu;  il  unit  aussi  les 
hommes  à  Dieu,  et  par  là  même  il  les  unit  les  uns  aux  autres.  Nous 
concevons  ces  deux  éléments  coexistant  dans  une  sorte  d'équilibre 
au  sein  de  l'Eglise,  et  représentés  chacun  par  une  tendance  spéciale. 
La  première  de  ces  tendances,  qui  pourrait  s'appeler  la  tendance  ca- 
tholique, aurait  pour  mission  de  rappeler  la  solidarité  qui  unit  les 
chrétiens  dans  la  suite  des  temps  et  dans  l'espace.  Elle  accentuerait  le 
rôle  pédagogique  de  l'Eglise  à  l'égard  de  ses  membres,  elle  rappel- 
lerait que  le  Christ  est  venu  sur  la  terre,  non-seulement  pour  y  appor- 
ter le  salut  à  des  individus,  mais  pour  y  fonder  un  royaume.  La  seconde 
de  ces  tendances,  qui  pourrait  s'appeler  la  tendance  protestante,  aurait 
pour  mission  de  veiller  avec  un  soin  jaloux  au  respect  de  la  conscience 
individuelle,  d'écarter  tout  ce  qui  tendrait  à  y  porter  ombrage,  en 
particulier  tout  ce  qui  tendrait  à  transformer  le  respect  du  passé  en 
une  soumission  au  passé,  le  rôle  pédagogique  de  l'Eglise  en  une  mé- 
diation. Mais  nous  concevons  aussi  que  L'une  de  ces  tendances  vienne 
à  prédominer  dans  l'Eglise.  Supposons  que  ce  soit  celle  qui  repré- 
sente L'élément  individuel  du  christianisme;  qu'arrivera-t-il?  Le  chris- 
tianisme sera  mutilé.  Le  rôle  pédagogique  de  rKgïise  sera  méconnu, le 
chrétien  sera  livré  à  l'isolement;  l'amour  chrétien  recevra  une  atteinte 
profonde.  Supposons  au  contraire  que  la  tendance  qui  prédomine 
soit  celle  qui  représente  l'élément  social  du  christianisme;  qu'arri- 
vera-t-ill  L'action  pédagogique  de  l'Eglise  sera  exagérée,  cette  action 
deviendra  un»'  médiation, toujours  nécessaire.  Le  caractère  de  la  foi  et 
de  L'obéissance  s'abaissera  par  là  même.  Cette  foi  et  cette  obéissance, 
ayant  pour  objet  immédiat,  non  plus  le  Dieu  invisible,  mais  une  hié- 


716  CATHOLICISME 

rarchie  visible,  prendront  un  caractère  légal,  matériel  en  quelque  sorte, 
et  nous  concevons  un  moment  où  cette  foi  et  cette  obéissance  n'auront 
plus  en  définitive  qu'un  seul  objet,  qui  garantira  et  comprendra 
tous  les  autres,  savoir  l'Eglise.  Eli  bien!  le  catholicisme  romain  n'est 
pas  autre  chose  que  cette  seconde  supposition  réalisée  dans  les  faits. 
11  se  réduit,  comme  système  spécial,  à  ceci  :  l'élément  social  du  chris- 
tianisme empiétant  sur  son  élément  individuel,  et  cela  jusqu'à  l'absor- 
ber ;  en  d'autres  termes  il  a  pour  principe  la  souveraineté  médiatrice 
de  l'Eglise  (c'est-à-dire  ici  de  la  hiérarchie  romaine),  notamment  en 
matière  d'autorité,  en  matière  de  salut,  en  matière  de  morale.  Nous 
disons  souveraineté  médiatrice.  En  efi'et,  l'Eglise  ne  prétend  pas  par- 
ler, sauver,  ordonner  en  son  propre  nom;  elle  prétend  représenter  sur 
la  terre  Jésus-Christ.  Nous  disons  pourtant  souveraineté,  car  elle  pré- 
tend exercer  un  pouvoir,  et  ce  pouvoir  est  absolu.  Nous  disons  souve- 
raineté en  matière  d'autorité.  C'est  l'Eglise,  en  effet,  qui  non-seule- 
ment transmet  aux  fidèles  l'Ecriture,  mais  qui  en  fixe  le  contenu  par 
les  décrets  de  ses  conciles,  et  en  détermine  le  sens  par  sa  traduction 
officielle  (la  Vulgate)  et  par  son  interprétation.  C'est  elle  aussi  qui  dé- 
finit la  tradition  orale.  Or  si  dans  ses  décrets  (voir  les  canaris  du  concile 
de  Trente,  session  IV)  elle  attribue  une  égale  valeur  à  la  tradition 
écrite  ou  à  l'Ecriture  sainte  et  à  la  tradition  orale,  il  arrivera  néces- 
sairement que  dans  la  pratique  la  tradition  orale,  dont  l'Eglise  dispose, 
primera  l'Ecriture,  de  sorte  que  l'autorité  religieuse  sera  en  fait  tout 
entière  entre  les  mains  de  l'Eglise.  Nous  disons  souveraineté  en  matière 
de  salut.  Assurément,  pour  l'Eglise  catholique,  c'est  Dieu  qui  sauve, 
par  Jésus-Christ.  Mais  l'appropriation  de  ce  salut  ne  peut  s'opérer, 
pour  l'homme,  qu'en  vertu  de  la  médiation  de  l'Eglise.  Nous  disons 
plus;  en  un  sens  l'Eglise  dispose  du  salut  lui-même,  puisqu'il  faut, 
d'après  elle,  que  le  sacrifice  expiatoire  du  Christ  soit  renouvelé  pour 
être  applicable  au  fidèle,  et  qu'il  n'est  renouvelé  que  par  la  parole  du 
prêtre.  Voilà  pourquoi,  pour  le  dire  en  passant,  en  dépit  des  Augustin 
et  des  Thomas  d'Aquin,  qui  accentuèrent  avec  tant  de  force  la  corrup- 
tion humaine  et  l'œuvre  de  la  grâce  dans  le  salut,  ce  fut,  en  définitive, 
le  semipélagianisme  qui  triompha.  L'Eglise,  avec  Augustin  lui-même, 
avait  attribué  à  l'humanité,  personnifiée  par  la  hiérarchie,  une  trop 
grande  puissance  pour  pouvoir  lui  refuser,  d'une  manière  générale,  la 
puissance  de  se  sauver  en  quelque  mesure  par  elle-même.  Nous  avons 
dit  aussi  :  souveraineté  en  matière  de  morale.  Le  terme  n'est  point 
exagéré.  Qui  donc  fixe  les  actes  de  pénitence  que  doit  accomplir  le 
fidèle  pour  rester  en  état  de  grâce,  qui  donc  taxe  d'orgueil  l'acte  par 
lequel  une  conscience  revendique  sa  liberté,  qui  donc  fait  de  l'obéis- 
sance passive  l'objet  d'un  conseil  de  perfection,  si  ce  n'est  l'Eglise? 
Qui  donc  est  infaillible  en  matière  de  mœurs,  si  ce  n'est  l'Eglise  en- 
core, parlant  par  la  bouche  de  l'évêque  de  Rome?  Voilà  bien,  n'est-il 
pas  vrai,  l'élément  social  du  christianisme,  prédominant,  nous  dirons 
plus,  élevé  à  l'absolu.  Voilà  bien  aussi  le  principe  dont  nous  retrouvons 
l'empreinte  sur  toutes  les  parties  du  système  catholique  proprement  dit. 
Ajoutons  que  la  piété  catholique,   si  grande  par  certains  côtés,  nous 


CATHOLICISME  —  CATHOLIQUES  ALLEMANDS     717 

apparaît  revêtue  du  même  caractère.  Le  catholique  pieux  ne  conçoit  pas 
la  grâce  divine  en  dehors  de  l'Eglise.  L'obéissance  à  l'Eglise  comprend 

pour  lui  toutes  les  vertus;  et  rappelons  que,  pour  le  simple  iidèle 
comme  pour  le  théologien,  l'Eglise  ce  n'est  pasla  société,  visible  ou  invi- 
sible, de  ceux  qui  croient  en  Jésus-Christ,  c'est  une  société,  bien  mieux, 
c'est  une  hiérarchie  donnée;  de  telle  sorte  qu'en  pratique  comme  en 
théorie,  cette  grande  société  religieuse,  qui  a  pris  le  titre  de  catholique 
ou  d'universelle,  est.  malgré  sa  largeur  apparente,  la  plus  haute  et  la 
plus  implacable  représentation  de  l'esprit  sectaire.  —  Nous  renvoyons 
pour  la  littérature  de  notre  sujet  à  l'article  Symbolique,     r.  Hollard. 

CATHOLIQUE  (EgKse).  Voyez  Eglise  catholique. 

CATHOLIQUES  ALLEMANDS  (Deutsch-Katholiken).  Cette  désignation 
ne  s'applique  pas  en  Allemagne,  comme  on  pourrait  le  supposer  au  pre- 
mier abord,  à  des  catholiques  demeurés  membres  de  leur  Eglise,  qui 
auraient  poursuivi  un  but  analogue  à  celui  des  gallicans  français  et 
défendu,  vis-à-vis  de  l'absolutisme  romain,  avec  leurs  franchises  natio- 
nales, les  droits  de  l'épiscopat,  mais  à  des  sectaires  qui  rompirent 
en  18ii  avec  le  catholicisme  traditionnel  pour  former  des  associations 
indépendantes  sur  de  nouvelles  bases  rituelles  et  dogmatiques.  Le  mot 
«.  catholique  »  fut  pris  par  eux  dans  son  sens  étymologique  d'universel, 
commun  à  toutes  les  sectes  chrétiennes;  eux-mêmes  se  nommèrent 
quelquefois  «  catholiques -chrétiens  »  (Christ  -Katholiken).  La  cause 
première,  profonde  de  ce  schisme  doit  être  cherchée  dans  les  principes 
constitutifs  de  l'Eglise  catholique,  son  antagonisme  toujours  plus  vio- 
lent contre  la  société  moderne,  l'alliance  toujours  plus  étroite  qu'elle  a 
contractée  depuis  1815  avec  les  fauteurs  de  la  réaction  politique.  L'oc- 
casion immédiate  en  fut  fournie  par  l'exposition  de  la  Sainte  Tunique 
organisée  dans  la  cathédrale  de  Trêves,  sous  les  auspices  de  l'évêque 
Arnold i  (18  août -6  octobre  1844).  La  distribution  d'indulgences  réser- 
vée aux  pèlerins  et  prêchée  avec  grand  fracas  dans  toutes  les  chaires 
de  la  catholicité  excita  le  courroux  de  Jean  Ronge,  prêtre  silésien, 
récemment  suspendu,  à  cause  d'une  brochure  anti-ultramontaine,  par 
l'évêque  de  Breslau,  Mgr  de  Diepenbrock,  des  fonctions  pastorales  qu'il 
exerçait  à  Grottkau,  dans  le  district  d'Oppeln  (30  janvier  1843),  et  relé- 
gué en  qualité  d'instituteur  primaire  à  Laurahiitte,  sur  la  frontière 
polonaise.  La  lettre  qu'il  écrivit  à  Mgr  Arnoldi,  datée  du  1er  octobre  1844 
et  publiée  le  15  du  même  mois  dans  les  Feuilles  patriotiques  de 
Saxe,  produisit  une  immense  sensation  dans  le  monde  catholique  et 
protestant,  politique  et  religieux.  Elle  fut  bientôt  suivie  d'autres  bro- 
chures polémiques  qui  reçurent  un  aussi  favorable  accueil  :  une  lettre 
au  bas  clergé  où  il  l'invitait  à  rompre  avec  la  curie  romaine  pour  fon- 
der une  Eglise  véritablement  nationale,  un  appel  aux  laïques  catholiques. 
Ronge  avait  à  peine  lancé  son  cartel  à  l'évêque  de  Trêves  qu'il  s'était 
mis  à  parcourir  la  Silésie  pour  y  répandre  ses  idées  réformatrices  : 
ses  pérégrinations  ne  tardèrent  pas  à  se  transformer  en  une  M'aie  mar- 
che triomphale,  plus  encore  a  cause  de  la  maladresse  et  du  fanatisme 
de  ses  adversaires  qu'en  raison  de  son  éloquence  el  de  son  sérieux  moral. 
Adresses  pompeuses,  bibles  d'apparat,  coupes  commémoratives,  listes 


718  CATHOLIQUES  ALLEMANDS 

de  souscriptions  couvertes  d'abondantes  signatures,  tout  se  réunit  pour 
satisfaire  son  besoin  immodéré  d'éloges  et  lui  assurer  une  brillante 
situation  pécuniaire.  L'excommunication  majeure  dont  le  frappa,  le 
4  décembre  1844,  le  chapitre  de  Breslau  ne  servit  qu'à  surexciter  l'en- 
thousiasme de  ses  adhérents.  Une  assemblée  d'environ  60  laïques 
catholiques.,  tenue  le  15  décembre  1844  à  Breslau,  sous  la  présidence 
d'un  jurisconsulte  distingué,  le  professeur  de  droit  canonique  Regen- 
brecht,  se  décida  au  schisme  après  avoir  constaté  la  stérilité  au  sein 
de  l'Eglise  catholique  de  toute  tentative  de  réforme.  Le  4  février  1845 
se  constitua  dans  la  capitale  de  la  Silésie  une  communauté  indépen- 
dante qui  prit  le  nom  de  «  catholique  allemande  »  (deutsch-katholische 
Gemeindé),  s'éleva  bientôt  à  1,200  membres  et  choisit  Ronge  pour  son 
directeur  spirituel.  Le  9  du  même  mois  elle  publia  sur  les  points  les 
plus  importants  de  la  dogmatique,  du  rituel,  de  l'organisation  ecclé- 
siastique une  profession  de  foi  confirmée  six  semaines  après  au  synode 
général  de  Leipzig  (23-26  mars) .  îl  suffisait  de  ce  premier  document 
pour  que  le  schisme  avec  la  cour  de  Rome  fût  consommé  d'une  manière 
irrévocable.  La  liberté  de  conscience  y  était  proclamée  en  termes  quel- 
que peu  déclamatoires.  L'Ecriture  devenait  la  règle  souveraine  de  la  foi, 
mais  aucune  autorité  extérieure  traditionnelle  ne  pouvait  en  gêner  Tin- 
terprétation.  Aux  formules  de  la  théologie  orthodoxe  se  substituait  une 
déclaration  religieuse  conçue  dans  un  esprit  très-large,  très-pratique  : 
<(  Je  crois  à  Dieu  le  Père  qui  a  créé  le  monde  par  sa  parole  toute-puis- 
sante et  le  gouverne  avec  amour,  sagesse,  justice;  à  Jésus-Christ  notre 
Sauveur  qui  nous  délivre,  par  son  enseignement,  sa  vie,  sa  mort,  de  la 
servitude  du  péché;  à  l'action  du  Saint-Esprit  sur  la  terre,  à  l'Eglise 
chrétienne  immaculée,  universelle,  à  la  communion  des  saints,  à  la  vie 
éternelle.  »  Le  baptême  et  la  sainte  cène  étaient  seuls  conservés  comme 
sacrements;  celle-ci,  en  tant  que  simple  repas  commémoratif,  devait 
être  administrée  sous  les  deux  espèces.  Ronge  maintenait  également  au 
sein  de  la  nouvelle  Eglise  le  baptême  des  enfants  et  la  confirmation, 
mais  proscrivait  comme  autant  de  superstitions  et  d'erreurs  :  la  pri- 
mauté du  pape,  la  hiérarchie  du  clergé,  le  célibat  des  prêtres,  l'invo- 
cation des  saints,  l'adoration  des  images  et  des  reliques,  les  jeûnes  obli- 
gatoires, les  pèlerinages,  les  indulgences.  Le  Christ  était  proclamé 
l'unique  médiateur  entre  Dieu  et  les  hommes.  Il  n'était  mis  aux  ma- 
riages mixtes  d'autres  entraves  que  celles  reconnues  par  la  législation 
civile.  Aux  «  catholiques  allemands  »  incombait  comme  premier  de- 
voir la  manifestation  de  leur  foi  par  leur  charité  et  leurs  bonnes 
œuvres.  Le  culte  consistait  essentiellement  dans  l'édification,  l'ins- 
truction des  fidèles.  L'usage  de  la  langue  latine  y  était  supprimé  ; 
chaque  communauté  jouissait  d'une  latitude  assez  étendue  pour  l'ac- 
commoder aux  circonstances  temporaires  et  locales.  Les  modifications 
opérées  par  Ronge  dans  le  domaine  liturgique  ne  furent  que  très-légères  ; 
le  nouveau  réformateur  usa  d'une  extrême  prudence  à  cet  égard  et 
se  contenta  de  restreindre  la  pompe  extérieure  du  culte.  Le  concile 
de  Leipzig  adopta  pour  l'organisation  de  l'Eglise  «  catholique  alle- 
mande »  le  système  presbytérien  et  démocratique.  Les  néophytes  du- 


CATHOLIQUES  ALLEMANDS  710 

rcut.  avant  d'être  admis  dans  son  sein,  prendre  un  engagement  écrit  et 

signer  sa  confession  de  loi.  Les  paroisses  étaient  remises  en  possession 
dn  droit  antique    d'élire  leur  conseil  d'anciens    et    leur    pasteur.  Les 

premiers  n'étaient  nommés  que  pour  une  année  aux  approches  de  la 

Pentecôte.  A  leur  première  réunion  ils  choisissaient  du  milieu  d'eux 
une  commission  executive,  investie  de  pleins  pouvoirs  pour  tout  ce 
qui  concernait  l'administration,  du  droit  d'introduction  et  de  préavis 
pour  toutes  les  autres  questions,  même  celles  qui  se  rapportaient  au 
dogme,  à  la  cure  d'âmes  et  que  l'ensemble  du  conseil  tranchait  à  la 
majorité  des  voix.  Le  pasteur  assistait  aux  délibérations,  mais  ne  pou- 
vait intervenir  qu'avec  voix  consultative.  La  paroisse  conservait  tou- 
jours le  droit  de  référendum.  Les  décisions  prises  par  une  communauté 
n'engageaient  point  ses  voisines;  chacune  agissait  dans  sa  sphère  avec 
une  complète  indépendance  et  n'obéissait  «  qu'à  sa  connaissance  plus 
ou  moins  exacte  des  besoins  de  l'époque,  à  son  interprétation  particu- 
lière et  progressive  de  F  Ecriture  ».  Le  synode  général,  qui  se  réunis- 
sait au  moins  une  fois  tous  les  cinq  ans,  était  composé  pour  un  tiers 
d'ecclésiastiques,  pour  les  deux  tiers  de  laïques.  Ses  décrets  n'obte- 
naient force  de  loi  que  s'ils  étaient  acceptés  par  la  majorité  des  pa- 
roisses. —  Quelques  semaines  avant  que  les  pamphlets  de  Ronge  mis- 
sent en  feu  l'Allemagne  entière,  un  mouvement  d'une  nature  plus 
discrète,  quoique  tout  aussi  préjudiciable  dans  ses  conséquences  pour  ' 
l'Eglise  romaine,  s'était  produit  dans  la  province  de  Posen.  Le  princi- 
pal instigateur  en  était  un  jeune  prêtre  de  la  paroisse  de  Schneidemùhl 
^district  de  Bromberg),  né  le  12  mai  1813  dans  une  pauvre  famille  de 
paysans,  à  Werlubien,  dans  la  province  de  Prusse  (district  de  Marien- 
werder)  :  le  vicaire  Jean  Czersky.  Ses  vues  étaient  beaucoup  moins  am- 
bitieuses, ses  horizons  moins  étendus  que  ceux  de  son  collègue.  Au 
commencement  il  ne  songeait  qu'à  protester  contre  les  excommunica- 
tions lancées  par  son  supérieur,  le  doyen  Busse,  pendant  le  conflit  des 
«  mariages  mixtes  »,  et  à  mettre  un  terme  à  une  situation  devenue  in- 
tolérable. La  confession  de  foi  qu'il  rédigea  le  19  octobre  1844  au  nom 
de  ses  adhérents  de  Schneidemùhl  et  transmit  le  27  du  môme  mois  au 
président  du  gouvernement  do  Bromberg  pour  lui  demander  la  re- 
connaissance de  la  nouvelle  communauté  et  une  répartition  propor- 
tionnelle des  revenus  ecclésiastiques  ne  déviait  de  la  tradition  .ortho- 
doxe sur  aucun  point  essentiel.  La  sainte  Ecriture  et  le  symbole  de  Nicée 
y  étaient  proclamés  la  règle  unique  et  certaine  de  la  foi  dans  le  sens 
tout  au  moins  selon  lequel  les  interprètent  les  chrétiens  pieux  et 
éclairés.  Les  sept  sacrements  étaient  maintenus  dans  leur  intégrité 
ne  la  source  véritable  du  salut,  la  messe  déi  larée  une  institution 
utile  à  la  fois  pour  les  vivants  et  pour  les  morts.  Peu  importait,  avec 
cette  direction  générale  de  la  pensée,  que  Czersky  eût  changé  dan.,  sa 
profession  de  loi  quelques  termes  afin  d'atténuer  les  superstitions  les 
plus  choquantes,  qu'il  dissimulât,  par  exemple,  la  confession  auriculaire 
sous  le  nom  de  pénitence  et  l'extrême-onction  sous  celui  de  prépara- 
lion  à  la  mort,  ou  bien  qu'il  prouvât  le  purgatoire  par  une  subtile  in- 
terprétation du  passage  johannique  :  «  il  y  a  plusieurs  dem    ires  dans 


720  CATHOLIQUES  ALLEMANDS 

la  maison  de  mon  Père,  »  et  par  eonséquent  plusieurs  degrés  de  perfec- 
tion. La  distribution  de  la  cène  sous  les  deux  espèces  ne  portait  aucun 
préjudice  à  la  doctrine  romaine  de  la  transsubstantiation  ;  les  fidèles 
continuaient  à  recevoir  sous  les  apparences  du  pain  et  du  vin  la  véri- 
table chair  et  le  véritable  sang  du  Christ.  La  seule  réforme  pratique 
introduite  par  Czersky  était  la  suppression  de  la  langue  latine  dans  le 
culte.  Sur  tous  les  autres  articles  abolis  dans  la  profession  de  Breslau  : 
confession   auriculaire,  exorcisme  lors   du   baptême,   adoration   des 
saints  et  des  reliques,  pèlerinages,  il  gardait  un  étrange  silence.  Le 
seul  obstacle  sérieux  à  une  future  réconciliation  avec  Rome  provenait 
du  domaine  ecclésiastique.  Czersky  condamnait  nettement  la  primauté 
du  pape  et  reconnaissait  Christ  pour  seul  intermédiaire  entre  Dieu  et 
rhumanité.  La  communauté  schismatique  de  Schneidemùhl  ne  prit 
point  le  nom  de  «  catholique  allemande  »,  mais  de  «  catholique  chré- 
tienne »,  afin  de  gagner  les  sympathies  des  Polonais  fixés  dans  les  pro- 
vinces orientales  de  la  Prusse.  Son  inauguration  coïncida  jour  pour 
jour  avec  le  mariage  de  son  conducteur  spirituel  ;  Czersky  s'était  en 
effet  fiancé  avec  une  jeune  Polonaise  pendant  qu'il  n'était  encore  que 
simple  chanoine  du  chapitre  de  Posen,  et  avait  renoncé  à  son  bénéfice 
plutôt  que  de  faillir  à  sa  promesse  conjugale.  La  confession  de  Schnei- 
demùhl, malgré  le  scandale  qu'elle  produisit  dans  les  sphères  ultra- 
montaines,  témoignait  encore  chez  son  auteur  d'une  extrême  timidité 
intellectuelle  et  ne  reflétait  qu'à  trop  d'égards  l'étroitesse,  l'ignorance, 
l'opiniâtre  conservatisme  religieux  des  populations  slaves.  Czersky,  qui 
n'ayait  reçu  au  séminaire  de  Posen  qu'une  éducation  des  plus  incom- 
plètes, y  trahissait  une  regrettable  ignorance  théologique,  un  anxieux 
effroi  de  l'hérésie.  «Qu'on  me  comprenne  bien,  disait-il  dans  une  apo- 
logie publiée  quelques  semaines  après  son  mariage,  je  répudie  les  er- 
reurs de  la  hiérarchie  romaine,  mais  je  ne  veux  devenir  ni  luthérien  ni. 
calviniste  ;  je  reste  prêtre  et  chrétien  catholique  selon  les  paroles  de 
l'Ecriture  et  les  commandements  du  Sauveur  et  de  ses  apôtres.  »  —  Le 
mouvement  suscité  par  Ronge  se  propagea  comme  une  trainée  de  feu 
à  travers  l'Allemagne  entière;  après  deux  années  de  progrès  continu,  il 
atteignit  son  apogée  à  la  fin  de  1846  où  il  ne  comprit  pas  moins  de 
298  associations  qui  adoptèrent  à  la  presque  unanimité  les  hardies 
réformes,  le  radicalisme   dogmatique  exposés  dans  la  confession   de 
Breslau.  La  Silésie,  où  un  bas  clergé  instruit  luttait  avec  une  heureuse 
ténacité  pour  le  maintien  des  traditions  libérales,  offrait  pour  les  expé- 
riences des  novateurs  un  terrain  propice  ;  ils  ne  tardèrent  pas  à  y  pos- 
séder la  majorité,  tout  au  moins  dans  les  centres  de  population  les  plus 
considérables  (Breslau,  Liegnitz,  Oppeln,  Gœrlitz,  Glogau,  Freistadt). 
Leur  propagande  rencontra  également  un  favorable  accueil  soit  dans  le 
royaume  soit  dans  la  province  de  Saxe,  où  une  faible  minorité  catholi- 
que s'était  imbue  des  idées  rationalistes  qui  prédominaient  au  sein  de 
l'Eglise  protestante.  Du  15  au  20  février  naquirent  presque  simultané- 
ment les  communautés  de  Dresde,  de  Leipzig,  d'Annaberg  que  suivi- 
rent bientôt  celles  de  Magdebourg,  Chemnitz,  Bautzen,  Plauen,  Glau- 
chau,  Oschatz.  Le  reste  de  l'Allemagne  du  Nord  leur  demeura  fermé,  à 


CATHOLIQUES  ALLEMANDS  721 

l'exception  de  quelques  villes  (Brème,  Lubeck,  Brunswick,  Hildesheim 

dans  le  Hanovre,  Ludwigslust  et  WismardansleMecklëmbourg)  :  encore 
ces  maigres  communautés  n'eurent-elles  qu'une  existence  factice,  éphé- 
mère.  Les  vicissitudes  des  catholiques  allemands  lurent  tout  aussi 
diverses  dans  te  Sud.  Si  après  des  progrès  rapides  ils  parvinrent 
à  se  maintenir  dans  la  Hesse  électorale,  les  grands-duchés  de  Bade 
(Heidelberg,  Fribourg  en  Brisgau,  Mannheim),  de  Hesse-Darmstadt 
(Worms,  Offenbach,  Mayence),  de  Nassau  (Wiesbaden),  ils  ne  trouvè- 
rent dans  le  Wurtemberg  qu'un  pénible  accès:  dans  le  Palatinat  bava- 
rois la  communauté  de  Neustadt  sur  la  Hardt  fut  dissoute  quelques 
semaines  après  sa  fondation  par  l'ordre  du  gouvernement.  La  po- 
sition de  Czersky  vis-à-vis  de  Rome  était  trop  ambiguë  pour  qu'il 
put  aspirer  en  dehors  de  sa  province  à  un  crédit  considérable.  Parmi 
les  communautés  importantes  Berlin  fut  la  seule  qui  adoptât  son  sym- 
bole, le  surpassât  même  en  orthodoxie  ;  à  Hamm,  à  Elberfeld,  dans 
tout  rOuestde  l'Allemagne,  il  ne  parvint  à  organiser  que  de  rares  et  ché- 
tives  associations,  lors  même  qu'il  les  décorait  du  nom  pompeux  de 
catholiques  chrétiennes  apostoliques.  L'ultramontanisme  avait  jeté  dans 
la  Westphalie  et  la  province  du  Rhin  de  trop  vigoureuses  racines  pour 
en  être  extirpé  aisément  malgré  le  scandale  de  la  tunique  de  Trêves,  le 
fanatisme  de  Mgr  de  Droste-Vischering,  les  imprudences  de  Mgr  Ar- 
noldi.  Ce  fut  dans  la  petite  bourgeoisie  que  le  catholicisme  allemand 
recruta  ses  plus  nombreux  adeptes  ;  un  fort  appoint  lui  fut  également 
fourni  par  le  corps  scolaire  très-aigri  à  cette  époque  contre  les  auto- 
rités ecclésiastiques  et  civiles.  Les  municipalités  de  Dresde,  de  Berlin, 
de  Leipzig  et  d'autres  grandes  villes  qui  étaient  demeurées  sous  la 
réaction  les  derniers  asiles  du  libéralisme  et  se  voyaient  sans  cesse 
menacées  dans  l'exercice  de  leurs  prérogatives,  se  vengèrent  de  l'arbi- 
traire et  des  dénis  de  justice  dont  elles  étaient  les  victimes,  en  prenant 
éciat  parti  pour  les  nouveaux  sectaires,  en  leur  accordant  des 
subsides,  en  leur  ouvrant  des  lieux  de  culte.  Outre  Ronge  et  Czersky, 
il  convient  de  citer  parmi  les  chefs  les  plus  remarquables  du  mouve- 
ment Antoine  Theiner,  de  Breslau,  le  père  du  célèbre  historien,  lui- 
même  exégète  très-distingué  dont  l'adhésion  fit  grand  bruit  dans 
toute  l'Allemagne,  Henri  Schreiber,  professeur  de  morale  et  de  dogma- 
tique à  l'université  de  Fribourg  en  Brisgau,  le  jurisconsulte  Brugger 
d'Heidelberg,  des  républicains  éclairés  et  sincères,  tels  que  Franz 
Wigard  de  Dresde  et  Mans  Kuehler  d'Heidelberg,  un  agitateur  démo- 
cratique comme  Robert  Blum  de  Leipzig.  Leurs  espérances  furent  par- 
tagées par  des  penseurs^el  des  écrivains  protestants, fatigués  du  régime 
orthodoxe,  mais  que  leurs  connaissances  historiques  et  leur  expérience 
du  passé  auraient  dûrendre  plus  circonspects.  Paulus,  le  vieux  profes- 
seur rationaliste  d'Heidelberg,  crut  en  toute  bonne  toi  à  la  vitalité  du 
catholicisme  allemand  et  le  proclama  son  héritier  légitime;  Gervinus 
lui  prédit  des  destinées  plus  glorieuses  encore  et  salua  en  lui  la  reli- 
gion de  1  avenir  (La  Mission  du  catholicisme  allemand;  Le  clergé 
protestant  et  les  catholiques  allemands,  Heidelb.,  1845).  —  Si  le  catho- 
licisme allemand  provoqua  lors  de  son  apparition  des  sympathies 
n  46 


722  CATHOLIQUES  ALLEMANDS 

enthousiastes,  il  se  heurta  d'un  autre  côté  contre  des  liâmes  tenaces 
redoutables.  La  hiérarchie  romaine,  pour  la  croisade  qu'elle  organisa 
immédiatement  contre  lui,  rencontra  de  fidèles  alliés  chez  les  conser- 
vateurs protestants  qui  s'efforçaient  d'étouffer  au  sein  de  leur  propre 
Eglise  un  mouvement  tout  semblable  et  proscrivaient  toute  aspiration 
à  l'indépendance    comme  dangereuse.  Afin  d'obtenir   plus  aisément 
l'appui  du  bras  séculier,  ils  insistèrent  moins  sur  les  hérésies  théolo- 
giques de   leurs  adversaires   que  sur  leur  radicalisme  politique,  leur 
reprochant  de  saper  les  bases  de  l'Eglise,  de  la  religion,  de  la  société 
civile.  Leurs  accusations  ne  furent  que  trop  complaisamment  accueillies 
par   des  hommes   d'Etat   méticuleux,   pusillanimes,  hostiles  à  toute 
extension  de  la  liberté  religieuse,  qui  se  refusaient  à  reconnaître  toute 
confession  autre  que  celles  de  Trente  et  d'Augsbourg,  auxquels  toute 
nouvelle  association  inspirait  une  défiance  invincible.  La  situation  des 
catholiques  allemands  fut  dès  le  début  très-difficile  sur  toute  l'éten- 
due de  la  confédération  germanique.  Dans  la  Saxe  royale  ils  durent,  en 
vertu  de  l'ordonnance  du  26  mars  1845,  s'adresser  au  pasteur  de  leur 
district  pour  tout  ce  qui  concernait  la  cure  d'âmes,  tous  les  actes  litur- 
giques sauf  la  confession  et  la   cène.    En  Prusse  l'usage  des  églises 
évangéliques  leur  fut  enlevé  malgré  le  vote  favorable  de  plusieurs  mu- 
nicipalités,  par  l'édit  du  17  mai  1845,  ou  tout  au  moins  elle  fut  en- 
tourée de  restrictions  dont  l'ensemble  équivalait  à  un  refus  :  ils  étaient 
en  effet  obligés  de  s'adresser  successivement  aux  patrons,  aux  prési- 
dents des  consistoires,  aux  présidents   supérieurs  de  province  qui  le 
plus  souvent  étaient  choisis  dans  les  rangs  du  parti  orthodoxe  et  féodal  • 
les  directeurs  spirituels  des  nouvelles  communautés  furent  dépouillés 
de  tout  caractère  ecclésiastique  ;   les  actes  accomplis  par  leur  minis- 
tère ne  possédèrent  aucune  valeur  légale.  La  Hesse  électorale  et  le 
Wurtemberg  adoptèrent  des  mesures  conçues  dans  le  même  esprit 
mais   plus   rigoureuses   encore.  Dans   le   grand-duché    de  Bade   les* 
catholiques  allemands  furent  privés  des   droits   civils.  En  Autriche 
en  Prusse,  en  Bavière,  ils  ne  purent  pas  porter  leur  véritable  nom  et 
se  virent  assigner  celui  de  dissidents;  dans  le  premier  de  ces  pavs 
l'émigration  même  leur  fut  interdite.  — Le  mauvais  vouloir  des  gouver- 
nements et  leur  politique  répressive  n'auraient  pas  suffi  pour  para- 
lyser une  manifestation  aussi  vivace  à  ses  débuts,  sans  les  querelles 
intestines  auxquelles  s'abandonnèrent  ses  propres  adeptes  avec  une  ai- 
greur toujours  croissante.  Aussitôt  après  la  promulgation  des  décrets 
du  synode  de  1845,  Gzerky  s'était  élevé  contre  le  radicalisme  religieux 
de  Ronge  et  avait  exclu  de  son  Eglise  par  une  énergique  circulaire  tous 
ceux  qui  niaient  la  divinité  métaphysique  de  Jésus-Christ.  Les  catholi- 
ques allemands,  qui  partageaient  ses  vues,  s'étaient  réunis  du  22  au 
24  juillet  1847  à  Sclmeidemuhl,  afin  de  protester  contre  l'œuvre  accom- 
plie à  Leipzig  et  de  rédiger  une  nouvelle  confession  de  foi,  bientôt 
suivie  d'une  troisième  qu'ils  qualifièrent  eux-mêmes  de  biblique  mais 
qui  présentait  avec  celle  de  Trente  de  nombreuses  et  regrettables  ana- 
logies sur  plusieurs  points  essentiels.  Aux  dissentiments  dogmatiques 
se  joignirent  bientôt  les  rivalités  de  personnes.  Theiner,  quis'étaitasso- 


CATHOLIQUES  ALLEMANDS  723 

cié  dans  Le  commencement  aux  projets  de  Ronge  et  avait  donné  par 
son  talent  et  son  caractère  à  la  communauté  de  Breslau  une  féconde 

impulsion,  fut  bientôt  froissé  par  L'ambition,  la  légèreté,  le  charlata- 
nisme de  son  collaborateur  et  se  démit  de  ses  fonctions   pastorales,  au 
risque  d'anéantir  en  Silésie  les  premiers  résultats  de  ses  réformes.  Le 
Comité  directeur  de    Leipzig  déploya,    pour  mettre   fin  à  une  aussi 
fâcheuse  zizanie,  une  activité  aussi  louable  que  stérile.  Une  entrevue 
ménagée   à   Rawietz   entre  Ronge  et  Czersky   oll'rit   la  caricature  de 
cclic  de  Marbourg  entre  Zwingle  et  Luther.  Un  synode  général  convo- 
qué le  25  mai  1847  à  Berlin,  et  auquel  assistèrent  les  représentants  de 
142  communautés,  ne  servit  qu'à  constater  l'universalité,  la  profondeur 
du  schisme.  Le  catholicisme  allemand,  après  avoir  suivi  depuis  sa  nais- 
sance une  marche  ascensionnelle,  traversa  en  1847  une  période  de  sta- 
gnation pour  s'acheminer  bientôt  vers  une  ruine  complète.  La  révolu- 
tion de  1848.  au  lieu  de  le  galvaniser  par  l'adjonction  de  nouvelles 
recrues,  l'ouverture  d'un  champ  d'action  plus  considérable,  le  fit  dégé- 
nérer toujours  plus  en  une  association  démocratique  dépourvue  de 
tout  esprit  religieux.  Ses  chefs  profitèrent,  il  est  vrai,  de  l'entière  liberté 
qui  leur  était  garantie  par  les  Droits  Fondamentaux  pour  répandre  leurs 
idées  dans  des  villes  dont  l'accès  leur  avait  été  interdit  jusqu'alors.  A 
Munich  ils  obtinrent  un  réel  succès,  grâce  à  l'activité  de  leurs  conclue-^ 
teurs  spirituels,    le  professeur  Kreutzer  et  l'abbé  Dummhof;  à  Vienne 
au  contraire,  malgré  les  efforts  des  abbés  Paulo  et  Huschberger,  la  pro- 
pagande révolutionnaire  de  Robert  Blum,  l'élément  ouvrier  sur  l'appui 
duquel  ils  comptaient  pour  leur  réussite  se  montra  indifférent  ou  même 
hostile.  Depuis  le  triomphe  des  principes  démocratiques  au  parlement 
de  Francfort,  Ronge  affecta  toujours  davantage  les  allures  d'un  tribun 
et  parcourut  l'Allemagne  en  tous  sens  pour  y  prêcher  ses  théories  sub- 
versives. Plusieurs  livres  et  journaux  publiés  à  cette  époque,  tels  que 
l'Eglise  Catholique  chrétienne  de  Rauch,  le  Manuel  de  la  Religion  chré- 
tienne de  Schell,  le  Catéchisme  de  la  Religion  chrétienne    raisonnable 
d'Héribert  Rau,  donnent  une  faible  idée  de  l'élévation  morale,  des  con- 
naissances scientifiques   de  leurs  auteurs.  Les  rares  conquêtes  qu'avec 
laide  des   circonstances   politiques  opéra    le   catholicisme  allemand 
furent  plus  que  compensées  par  la  défection  d'anciens  et  solides  adeptes, 
la  lutte  toujours  plus  acharnée  qui  se  poursuivit  entre  des  fractions 
toujours  plus  nombreuses.  Un  de  ses  premiers  et  plus  sérieux  initia- 
teurs,   le   canoniste  Regenbrecht,  suivit  l'exemple   de  Theiner   et   se 
condamna  volontairement  à  la  retraite.  Epouvantées  par  les  excès  de 
Ronge,  les  communautés  de  Dantzig,  de  Leipzig,  de  Darnistadt  se  déga« 
nt  de  toute  solidarité  avec  lui  et  s'abstinrent  de  toute  action  sur  le 
terrain  politique.  Celle  de  Posen,  restée  conservatrice  sous  l'influence 
de  Czersky,  expulsa  son  pasteur  Dow  iat  qui  prétendait  la  transformer  en 
un  club  socialiste  et  qui  rentra,  après  ses  mésaventures,  dans  le  giron  de 
l'Eglise  romaine.  Un  autre  de  ses  collègues,  le  pasteur  de  Krefeld  Wan- 
gemûUer  se  convertit  au  protestantisme  après  avoir  consigné  le  résul- 
tat de  ses  expériences  dans  une  pittoresque  brochure.  —  Les  pourparlers 
les  .1  ■  <-  des  Lumières  Doués  par  Ronge,  favorablement  accueillis 


724  CATHOLIQUES  ALLEMANDS 

par  le  pasteur  Schwetschke  de  Halle,  n'offrirent  qu'un  palliatif  insuffisant 
contre  la  dissolution  dont  étaient  menacées  Tune  et  Y  autre  sectes.  Lavie 
ne  naît  pas  du  contact  de  deux  cadavres.  L'alliance  ébauchée  en  1847 
à  Halle,  différée  lors  des  agitationsde  1848,  fut  reprise  le  20  février  1850 
à  Darmstadtpour  être  définitivement  consommée  dans  un  synode  géné- 
ral qui  s'ouvrit  le  22  mai  de  la  même  année  à  Leipzig,  mais  ne  tarda 
pas  à  se  transporter  à  Kœthen  devant  les  dispositions  menaçantes  de  la 
police  saxonne.  L'union  fut  complètesur  le  terrain  des  principes,  quoi- 
que les  deux  contractants  se  réservassent  leur  autonomie  sur  divers 
points  d'une  importance  secondaire.  Ces  légères  divergences  elles-mêmes 
disparurent  dans  une  nouvelle  assemblée  tenue  le  16  et  le'17  juin  1859 
à  Gotha,  après  une  longue  période  de  compression  de  la  part  des  gou- 
vernements. Les  anciennes  dénominations  furent  supprimées  pour 
faire  place  à  celle  de  libres  communautés  religieuses.  Leur  base  fut  le 
libre  examen  pratiqué  dans  toute  sa  largeur,  leur  but  le  développement 
de  la  vie  spirituelle.  La  direction  suprême  fut  confiée  dans  l'intervalle 
des  synodes  à  un  comité  de  cinq  membres  nommés  pour  trois  ans.  Les 
communautés  de  l'Allemagne  du  Nord,  de  la  Silésie,  de  l'Allemagne 
du  Sud  formèrent  au  sein  de  l'association  générale  des  groupes  plus 
intimement  unis,  annuellement  représentés  dans  des  synodes  provin- 
ciaux. Chaque  communauté  fut  tenue  de  se  conformer  aux  décisions 
constitutives  du  synode,  mais  garda  une  complète  indépendance  pour 
le  dogme,  la  liturgie,  l'élection  de  ses  anciens  et  de  son  pasteur.  Le 
catholicisme  allemand  ne  possédait  pas*en  lui  la  vitalité  nécessaire 
pour  résister  à  l'orage  qui  s'abattit  sur  lui  en  1850  après  le  triomphe 
de  la  réaction.  Déjà  en  1849  la  profession  publique  en  avait  été  interdite 
en  Autriche  comme  incompatible  avec  la  fidélité  à  la  maison  de  Habs- 
bourg ;  depuis  1850  il  ne  jouit  en  Bavière  que  d'une  tolérance  provi- 
soire singulièrement  restreinte.  En  Prusse,  en  Saxe,  les  réunions  de 
ses  adeptes  furent  soumises  à  la  surveillance  de  la  police  ou  fermées 
comme  dangereuses,  ses  pasteurs  entravés  dansTexercice  deleur  minis- 
tère ou  condamnés  à  l'exil,  leurs  enfants  obligés  de  suivre  l'enseignement 
religieux  des  ecclésiastiques  protestants  et  de  recevoir  d'eux  la  confir- 
mation. Leur  situation  ne  s'améliora  qu'en  1859,  en  Prusse  avec  la 
proclamation  de  la  régence,  dans  l'Allemagne  du  Sud  avec  l'abolition 
des  concordats  et  l'inauguration  d'une  politique  plus  ferme  vis-à-vis 
de  l'ultramontanisme.  Encore  furent-ils  exposés  depuis  cette  époque  à 
de  perpétuelles  tracasseries,  entre  autres  sous  l'administration  de 
M.  deMùlher.  En  même  temps  à  l'enthousiasme  despremiers  joursavait 
succédé  dans  leur  propre  sein  une  absence  presque  complète  de  vie 
spirituelle.  Les  conducteurs  firent  toujours  plus  défaut  aux  Eglises,  moins 
encore  à  cause  de  la  situation  précaire  à  laquelle  ils  étaient  condam- 
nés que  par  manque  de  sérieux  moral,  de  culture  scientifique.  Après 
avoir  assisté  à  une  de  leurs  prédications,  on  se  rappelle  instinctivement 
le  mot  cruel  de  Joseph  deJMaistre  sur  le  pasteur  protestant  :  «  Un  monsieur 
habillé  de  noir  qui  dit  de  bonnes  choses.  »  Des  premiers  chefs  du  mou- 
vement, Czersky,  qui  s'était  dissimulé  pendant  les  troubles  de  1848,  avait 
«repris  obscurément  ses  fonctions  dans  son  ancienne  paroisse  de  Schnei- 


CATHOLIQUES  (Vieux-)  725 

demûhl.  Ronge,  après  s'être  fait  envoyer  au  parlement  de  Francfort  par 
nu  district  de  Silésie  e(  y  avoir  joué  un  rôle  humiliant  pour  sa  vanité, 
avait  passé  à  Paris  et  à  Londres  ses  années  d'exil  ;  en  1801  il  revint  en 
Allemagne  el  prit  sa  résidence  à  Francfort-sur-le-Mein,  toujours  avide 
de  déclamations,  toujours  affilié  à  la  propagande  révolutionnaire.  Depuis 
1880  le  catholicisme  allemand  a  vu  l'extinction  de  plus  de  200  de  ses 
communautés,  soit  par  des  mesures  de  compression  extérieure,  soit  à 
cause  de  Ja  lassitude  de  ses  propres  adeptes.  Quelques-unes  ont  opéré 
leur  soumission  vis-à-vis  de  l'Eglise  romaine;  d'autres,  et  dans  le 
nombre  celles  qui  contenaient  les  éléments  religieux  les  plus  solides, 
les  plus  vivaces  (Dresde.  Mannheim),  se  sont  converties  en  masse  au 
protestantisme.  Ce  dernier  phénomène  s'est  surtout  produit  dans  les 
pays  qui,  comme  le  grand-duché  de  Bade,  sont  entrés  pleinement 
dans  les  voies  du  libéralisme  religieux.  Eniin  les  associations  qui 
sont  restées  fidèles  aux  principes  de  Ronge  mènent  une  existence 
misérable  et  consument  le  reste  de  leurs  forces  dans  des  querelles  ratio- 
nalistes, des  compétitions  de  personnes  (Berlin,  Dantzig,  Breslau,  Magde- 
bourg).  L'apparition  du  Vieux-Catholicisme  n'a  pu  les  ramener  de  leurs 
égarements,  leur  communiquer  une  salutaire  ferveur.  Ronge  lui  a  re- 
proché dans  un  véhément  pamphlet  la  prudence  de  sa  méthode,  ses 
ménagements  à  l'égard  du  pouvoir  civil,  et  a  pris  vis-à-vis  de  lui  dès  le 
congrès  de  Munich  (1871)  une  position  hostile.  En  1870,  on  comptait 
en  Allemagne  104  communautés  religieuses  libres  :  75  en  Prusse  dont 
31  en  Silésie,  17  dans  la  province  de  Saxe,  10  dans  celle  de  Prusse, 
5  dans  le  Brandebourg,  3  dans  la  province  de  Posen,2dansla  Westpha- 
lie,  le  Hanovre,  les  provinces  du  Rhin  et  de  Nassau,  1  en  Poméranie; 
13  dans  le  grand-duché  de  Hesse-Darmsladt  ;  4  dans  le  royaume  de 
Saxe  et  les  principautés  d'Anhalt;  3  dans  le  grand-duché  de  Bade  et 
I'-  Wurtemberg,  2  dans  les  villes  libres.  D'après  les  dernières  données 
statistiques,  le  nombre  des  catholiques  allemands  s'élèverait  en  Prusseà 
10,920,  à  3,000  environ  dans  le  grand-duché  de  Hesse-Darmstadt,  à  1 ,300 
en  Saxe,  à  1,000  dans  le  grand-duché  de  Bade.  —  Sources  :  Kampe,  Le 
principe  constitutif  du  catholicisme  allemand,  Tub.,  1850;  Histoire 
des  mouvements  religieux  dans  l'époque  moderne,  Leipzig,  1852-1860, 
4  vol.;  Brockhaus,  Konversations-Lexicon,  11e  et  12e  éditions,  1805, 
1876;  Meyer,  hon><rsalions-Lexicon,  1875;  E.  Strœhlin,  Le  catho- 
licisme allemand^  dans  le  Disciple  de  Jésus-Christ,  1873. 

E.  Strœhlin. 

CATHOLIQUES  (Vieux-),  dénomination  adoptée  en  Allemagne  et  en 
Suisse  par  les  catholiques  qui  prétendent  demeurer  dans  la  commu- 
nion de  leur  Eglise,  tout  en  repoussant  les  décrets  du  concile  de  1870. 
L'Allemagne  catholique  était  appelée  par  son  passé  à  prendre  l'ini- 
tiative d'une  énergique  résistance  contre  les  usurpations  de  la  curie 
romaine.  Pins  que  dans  les  pays  latins  il  s'était  maintenu  chez  ses 
laïques  une  piété  sérieuse,  éclairée,  hostile  au  fanatisme  comme  aux 
superstitions  jésuitiques  ;  les  traditions  tout  à  la  fois  évangéliques  el 
libérales  de  Wessemberg  s'étaient  conservées  chez  plusieurs  membres 
du  bas  clergé,  surtout  dans  le  diocèse  de  Constance  et  la  Forêt-Noire, 


726  CATHOLIQUES  (Vieux-) 

la  science  théologique  possédait  à  Bonn,  à  Munich,  à  Fribourg,  à  Bres- 
lau  des  sanctuaires  justement  renommés.  Quelques-uns  des  évêques 
allemands  et  autrichiens  (Mgrs  Hefele  de  Rottembourg,  Rauscher  de 
Vienne,  Schwarzemberg  de  Prague)  s'étaient  fait  remarquer  au  der- 
nier concile  parla  solidité  de  leurs  connaissances,  la  franchise  de  leur 
ingage  ;  d'autres  (Mgrs  Ketteler  de  Mayence,  Melchers  de  Cologne, 
^cherr  de  Munich,  Dinkel  d'Augsbourg),  malgré  leur  dévouement  per- 
sonnel pour  le  saint-père,  n'avaient  pas  dissimulé  à  la  majorité  ultra- 
montaine  le  schisme  profond,  persistant  que  susciterait  dans  leur 
patrie  la  proclamation  de  l'infaillibilité  papale.  Les  uns  et  les  autres, 
avant  de  quitter  Rome,  avaient  signé  la  protestation  par  laquelle,  après 
le  vote  du  13  juillet  1870,  la  minorité  expliquait  sa  retraite  :  l'opinion 
publique  salua  les  prémisses  d'une  opposition  ferme  et  loyale  dans  un 
document  destiné  à  masquer  la  prochaine  capitulation  de  ses  auteurs. 
Quelques  semaines  après  être  revenus  dans  leurs  diocèses,  les  prélats 
germaniques  se  réunirent  à  Fulda,  auprès  du  tombeau  de  saint  Boniface, 
afin  de  s'entendre  pour  une  action  commune.  Le  résultat  de  leurs  déli- 
bérations fut  la  lettre  pastorale  du  10  septembre  1870,  par  laquelle  ils 
annonçaient  leur  soumission  aux  décrets  du  Vatican  après  en  avoir 
reconnu  la  pleine  légitimité  et  rétracté  les  objections  qu'ils  avaient 
formulées  contre  eux  pendant  la  durée  du  concile.  Le  clergé  inférieur 
et  les  laïques  étaient  tenus  de  faire  preuve  de  la  même  souplesse  et  de 
s'incliner  avec  une  obéissance  passive  devant  les'  ordres  de  leurs  chefs 
spirituels.  Les  quelques  évêques  qui  ne  s'étaient  pas  rendus  à  Fulda  se 
hâtèrent  d'envoyer  leur  adhésion  au  mandement  de  leurs  collègues;  le 
dernier  signataire  fut  Mgr  de  Hefele,  qui  avait  quelques  mois  aupara- 
vant si  fort  excité  le  courroux  des  infaillibilistes  par  sa  brochure  sur  le 
pape  Honorius,  sa  mâle  et  vigoureuse  éloquence,  et  qui  aujourd'hui, 
pour  sauvegarder  une  unité  mensongère,  se  résignait  au  sacrifice  de 
ses  convictions  religieuses  et  scientifiques.  Loin  d'user  de  leurs  droits 
légitimes  pour  combattre  un  dogme  funeste  et  de  maintenir  leur  indé- 
pendance vis-à-vis  de  la  curie  romaine,  il  ne  s'en  trouva  parmi  les 
évêques  germaniques  aucun  qui  fût  assez  délicat  pour  mettre  par  sa 
démission  un  terme  à  un  conflit  douloureux  entre  ses  croyances  per- 
sonnelles et  la  décision  de  l'autorité  supérieure,  comme  l'avaient 
fait  Wessemberg  et  l'archevêque  de  Breslau  Seldnitsky.  Tous  opé- 
rèrent leur  volte-face  avec  une  singulière  aisance  et  affirmèrent  le 
lendemain  ce  qu'ils  niaient  encore  la  veille.  Après  la  déclaration  de 
Fulda,  le  Vatican  se  flatta  d'avoir  cause  gagnée.  Les  gouvernements 
laïques  montraient  en  effet  vis-à-vis  de  ses  nouvelles  prétentions 
une  étrange  faiblesse  :  le  cabinet  de  Berlin  avait  depuis  1850  abdiqué 
ses  droits  sur  l'Eglise  catholique  et  continuait  avec  M.  de  Mùhler 
les  errements  de  Frédéric-Guillaume  IV  ;  à  la  politique  nette  et 
prévoyante  du  prince  de  Hohenlohe  (circulaire  du  9  avril  1869) 
avaient  succédé  à  Munich  les  subtilités  doctrinaires,  les  tergiver- 
sations pratiques  de  M.  de  Lutz;  Mgr  de  Hefele  s'était  entendu 
avec  le  ministre  wurtembergeois  des  cultes,  M.  de  Mittnacht,  sur 
la   teneur  de  la  pastorale  par  laquelle  il  justifiait  sa  palinodie  ;  M.  de 


CATHOLIQUES  (Vieux-»  727 

Daiwigk  était  dans  le  grand-duché  de  Hesse*Darmstadl  le  complaisant 
sri. le  de  Mgr  de  Ketteler;  seuls,  les  hommes  d'Etat  badois  perse* 
viraient  dans  la  voie  libérale  qui  leuf  avait  si  bien  réussi  depuis  le 
rejet  du  concordat  (9  avril  1860).  Le  bas  clergé,  façonné  comme 
une  cire  molle  dans  les  séminaires  des  jésuites,  avait  perdu  dès  sa 
jeunesse  toute  autonomie  spirituelle  et  se  sentait  terrorisé  par  Fépis- 
eopat:  le  peuple  des  campagnes  était  fanatisé  par  ses  pasteurs;  les 
laïques  cultivés  des  grandes  villes  contemplaient  tout  débat  théologique 
avec  une  superbe  indifférence.  Les  seuls  adversaires  qui  pussent  encore 
entraver  la  curie  dans  l'exécution  de  ses  desseins,  étaient  les- profes- 
seurs des  facultés  catholiques,  mais  elle  avait  appris  à  les  dédaigner 
depuis  la  soumission  successive  de  Hermès  (1839*1840),  de  Gùnther 
(1859),  de  Baltzer  (18(30),  l'échec  de  Frohschammer  et  son  passage  de 
la  théologie  à  la  philosophie  (1853).  Ce  furent  eux  cependant  qui,  dès 
avant  l'ouverture  du  concile,  en  signalèrent  dans  la  presse  l'illégalité, 
en  révélèrent  au  fur  et  a  mesure  les  violences,  combattirent  l'ultra- 
montanisme  avec  toutes  les  armes  que  leur  fournissaient  une  piété,  un 
patriotisme  aussi  nobles  que  sincères,  une  vaste  et  solide  érudition, 
une  dialectique  acérée.  Citons  entre  tous  ces  écrits  qui  produisirent  au 
moment  où  ils  parurent  une  si  vive  et  si  légitime  sensation  et  dont 
quelques-uns  n'ont  rien  perdu  aujourd'hui  de  leur  valeur  :  les  Lettres 
sur  le  Concile  de  Ouirinus  à  la  Gazette  cF  Augsbourg  (Munich,  1871)  ;  Le  v 
Pope  et  le  Concile,  par  Janus  (inspiré  par  Dcellinger,  rédigé  par  Huher, 
Munich,  1870)  ;  les  Voix  de  V Eglise  catholique  sur  les  questions  ecclé- 
siastiques contemporaines,  par  Huber ,  Liano ,  Friederich,  Reinkens; 
Quelques  mots  sur  V Adresse  infaillibiliste  et  le  Nouvel  ordre  du  jour 
du  Concile,  par  Dcellinger  (Munich,  1870);  la  Puissance  des  Popes 
romains,  Mémoire  sur  la  position  de  l'Etat  vis-à-vis  des  décrets  de  la 
constitution  papale  du  18  juillet  1870;  les  Rapports  des  Papes,  des 
Conciles  et  desEvêques,  par  Frédéric  de  Schulte  (Prague,  1871).— Ce  fut 
également  d'un  milieu  universitaire  que  quelques  jours  après  le  vote 
du  18  juillet  1870  partit  la  première  attaque  contre  le  nouveau  dogme. 
Un  professeur  du  séminaire  de  Braunsberg,  dans  la  Prusse  Orientale, 
avantageusement  connu  pour  ses  travaux  apologétiques  et  philosophi- 
ques dans  le  monde  des  théologiens,  l'abbé  Frédéric  Michelis,  adressa 
par  la  voie  de  la  presse  à  Pie  IX  une  lettre  où  il  l'accusait  de  pré- 
varication et  d'hérésie.  Quelques  semaines  plus  tard,  quarante-cinq 
professeurs  de  Munich  auxquels  s'étaient  joints  plusieurs  de  leurs  col- 
lègues catholiques  de  Bonn,  de  Fribourg,  de  Giessen,  de  Breslau,  en- 
voyèrent au  gouvernement  bavarois,  à  l'instigation  de  Friederich  et 
de  Dcellinger,  une  protestation  solennelle  contre  la  valeur  normative  des 
décrets  conciliaires.  A  la  fin  d'août  les  chefs  du  mouvement  opposi- 
tionnel  contre  le  Vatican  tinrent  à  Nuremberg  une  réunion  intime  dont 
ils  ne  livrèrent  à  la  publicité  les  résultats  qu'après  un  laps  de  tempe 
assez  considérable,  afin  de  ne  pas  enrayer  plusieurs  membres  encore 
timides  et  hésitants  du  bas  clergé,  d'accorder  un  dernier  délai  aux 
prélats  secrètement  anti-infaillibilistes.  Parmi  les  noms  des  signataires 
on  remarquait  ceu*  de  Dcellinger,  de  Huber.  de  Friederich  de  Munich, 


728  CATHOLIQUES  (Vieux-) 

de  Dittrich  et  de  Michelis  de  Braunsberg,  de  Reinkens,  de  Baltzer  et 
de  Weber  de  Breslau,  de  Knoodt  de  Bonn,  de  Schulte  de  Prague.  Loin 
d'obtempérer,  ne  fût-ce  que  dans  une  modeste  proportion,  aux  vœux 
des  pétitionnaires,  les  évêques  qui  avaient  naguère  siégé  à  Rome  sur 
les  bancs  de  la  minorité,  ne  songeaient  qu'à  effacer  par  leur  servilité 
actuelle  le  souvenir  de  leur  indépendance  première.   Tous  ceux  qui 
donnaient  un  enseignement  académique  furent  tenus,  sous  peine  de 
perdre  la  missio  canonica,  d'apposer  leur  signature  au  bas  de  déclara- 
tions uniformes  en  vertu  desquelles  ils  reconnaissaient  l'excellence  de 
l'infaillibilité  pontificale,  la  légalité  du  concile,  Ces  mesures  de  terro- 
risation  ne  produisirent  les  effets  qu'en  attendaient  leurs  auteurs  que 
iur  un  très-petit  nombre  d'opposants  :    le  professeur  Dieringer   de 
Bonn,   l'abbé  Haneberg  de  Saint -Boniface,  l'un  des  ecclésiastiques 
les    plus  instruits  et  les  plus  aimés  de  Munich.    Tous  les  autres, 
auxquels  s'associèrent  bientôt  les  professeurs    de    Bonn ,    Langen , 
Reusch    et    Hilgers,    persévérèrent    dans  leurs    opinions    avec    une 
courageuse    franchise.    L'archevêque     de   Munich    ayant  une    der- 
nière fois   (4  janvier  1871)  ordonné   à  M.  de  Dœliinger  de   se  sou- 
mettre  sans  réserve  aucune,  celui-ci  répondit  le  20  mars  par   un 
mémorandum  célèbre,  publié  dans  la  Gazette  d'Augsbourg,  qu'il  rejetait 
l'infaillibilité  pontificale  à  la  fois  «  comme  chrétien,  comme  théologien, 
comme  historien,  comme  citoyen  du  nouvel    empire  germanique  : 
a)  comme  chrétien,  puisqu'elle  était  en  contradiction  directe  avec  tout 
l'esprit  de  l'Evangile,  les  déclarations  les  plus  nettes  de  Jésus  et  des 
apôtres;  elle  aspire  en  effet  à  l'établissement  d'une  souveraineté  tem- 
porelle que  Jésus  a  expressément  refusée,  à  une  domination  sur  les 
différentes  Eglises  dont  saint  Pierre  n'a  voulu  ni  pour  lui-même  ni  pour 
ses  successeurs;  b)  comme  théologien,  puisque  le  nouveau  dogme  est 
incompatible  avec  les  traditions  authentiques  de  l'Eglise  à  travers  les 
siècles;  c)  comme  historien,  puisqu'en  cette   qualité  il  savait  que  les 
efforts  persistants  des  papes  pour  la  réalisation  de  la  monarchie  univer- 
selle avaient  coulé  à  l'Europe  des  flots  de  sang,  amené  sur  de  nom- 
breuses contrées  la  dévastation  et  la   ruine,   porté  à  l'harmonieux 
organisme  de   l'ancienne  Eglise  un   coup   mortel,   suscité,    nourri, 
entretenu  dans  son  sein  les  abus  les  plus  regrettables  ;  d)  comme  citoyen 
de  l'empire  germanique  enfin,  puisque,  par  la  prétention  de  subor- 
donner à  la  papauté  les  monarques,  les  Etats  et  tout  l'ordre  politique, 
par  la  position  exclusive  revendiquée  pour  le  clergé,  le  nouveau  dogme 
fournissait  une  ample  matière  à  des  controverses  aussi  longues  que 
pernicieuses  entre  l'Etat  et  l'Eglise,  les  prêtres  et  les  laïques.  »  Ces  dé- 
clarations si  fermes  et  si  nettes  provoquèrent  pour  le  dimanche  des 
Rameaux  une  pastorale  de  l'archevêque  de  Munich,  uniquement  di- 
rigée contre  leur  auteur.  Mgr  de  Scherz  déclinait  l'offre  d'une  joute 
scientifique  à  laquelle  il  était  convié  et  refusait  à  son  adversaire  la  per- 
mission de  prouver  devant  une  assemblée  d 'évêques  et  de  théologiens 
que  ((  les  décrets  votés  dans  la  quatrième  session  du  concile  se  trou- 
vaient dans  une  complète  divergence  avec  l'Ecriture  sainte  telle  que 
l'avaient  toujours  interprétée  les  Pères,  la  tradition,  l'histoire  véridi- 


CATHOLIQUES  (Vieux-)  720 

que,  que  tout  au  contraire  cette  dernière  avait  été  défigurée  chez  les 
coryphées  ultramontains  par  L'introduction  de  documents  interpolés 
ou  légendaires,  qu'en  conséquence  les  dernières  décisions  de  la  curie  ne 
concordaient  nullement  avec  l'ancienne  jurisprudence  canonique.  »  Le 
docteur  Huber  signala  le  16  avril,  dans  une  mordante  brochure,  la  re- 
traite précipitée  de  Mgr  de  Scherz,  mais  celui-ci  se  consola  de  sa  décon- 
venue en  lançant  le  17  l'excommunication  majeure  contre  l'hérétique 
septuagénaire  qui  plus  qu'aucun  autre  avait  maintenu  au  dix-neuvième 
siècle  la  renommée  scientifique  du  catholicisme.  Déjà  en  date  du  3  avril, 
il  avait  interdit  aux  séminaristes  de  suivre  ses  cours  ainsi  que  ceux  de 
son  collègue  l'abbé  Friederich.  La  querelle  commençait  à  sortir  du 
cercle  étroit  des  théologiens  pour  s'imposer  au  grand  public.  Le  10  avril 
avait  été  tenue  au  Muséum,  sous  la  présidence  du  premier  chambellan 
de  Louis  II,  le  comte  de  Moy,  une  très-nombreuse  réunion  à  laquelle 
avaient  participé  des  laïques  appartenant  à  toutes  les  professions,  toutes 
les  classes  de  la  société,  et  qui  avait  décidé  l'envoi  au  gouvernement 
d'une  adresse  pour  le  mettre  en  garde  contre  les  dangers  politiques  et 
civils  qui  découlaient  directement  de  la  tolérance  du  nouveau  dogme. 
Les  signataires  (plus  de  8,000)  prirent  à  cette  occasion  pour  la  première 
t'ois  le  titre  de  Vieux-Catholiques,  afin  qu'il  ne  planât  aucun  doute  sur 
leur  fidélité  à  la  tradition,  leur  horreur  du  schisme.  Encouragés  par  le 
succès  des  Bavarois,  les  libéraux  rhénans  provoquèrent  dans  le  môme 
but,  le  14  août,  à  Kœnigswinter,  une  assemblée  qui  remplit  de  joie  ses 
organisateurs.  Les  desiderata  des  vieux-catholiques  vis-à-vis  de  l'Etat, 
juridiquement  formulés  par  M.  de  Schulte  avec  l'assentiment  de 
Doellinger,  peuvent  se  résumer  dans  les  neuf  points  suivants:  «  1°  L'Etat 
déclarera  solennellement  qu'il  ne  reconnaît  plus  comme  la  véritable 
Eglise  catholique  celle  qui  adhère  au  dogme  du  18  juillet  1870;  2°  il 
refusera  à  ce  dogme  tout  effet  sur  le  terrain  de  l'Etat  et  de  la  commune, 
dans  le  domaine  politique  et  civil  ;  3°  il  repoussera  par  tous  les  moyens 
qui  sont  en  son  pouvoir  toute  tentative,  de  quelque  part  qu'elle  vienne, 
d'introduire  clans  la  vie  civile  les  nouvelles  maximes  politiques  de  la 
papauté  ;  4°  il  ne  souffrira  pas  l'oppression  des  vrais  catholiques  par 
les  évêques  favorables  au  nouveau  dogme  et  menacera  les  persécu- 
teurs de  la  séquestration  des  revenus  qui  proviennent  d'une  source 
gouvernementale,  à  quelque  personne  et  quelque  institution  qu'ils 
soient  destinés;  5°  il  introduira  des  registres  civils  pour  les  nais- 
sances, les  mariages  et  les  décès,  rendra  le  mariage  civil  obligatoire, 
imposera  par  signature  et  par  serment  le  rejet  de  l'infaillibilité  aux 
députes  comme  à  tous  les  fonctionnaires  catholiques  ;  ()"  il  protégera 
dans  leur  fortune  ecclésiastique  les  patrons  et  les  communautés  qui 
seront  restés  fidèles  à  la  véritable  Eglise  catholique;  7°  il  éloignera  des 
emplois  dont  il  dispose  tout  ecclésiastique  infaillibilité;  8"  il  ne  nom- 
mera quedes  ecclésiastiques  qui  ne  reconnaissent  pas  le  nouveau  dogme 
aux  charges  el  aux  bénéfices  pour  lesquels  il  possède  un  droit  de  nomi- 
nation ou  de  présentation; (.)"  il  repoussera  énergiquement  toute  incursion 
des  prêtres  el  des  évéques  infaillibilistes  dans  le  domaine  de  la  vie 
civile.     Ces  desiderata  deM.de  Schulte,  qui  une  année  après  servirent 


730  CATHOLIQUES  (Vieux-) 

de  base  aux  délibérations  du  congrès  de  Munich,  ont  depuis  lors  reçu 
une  ample  satisfaction  par  les  lois  successivement  votées  dans  les  par- 
lements de  Carlsruhe,  de  Darmstadt,  de  Berlin.  [ —  Malgré  ces  différents 
travaux,  en  dépit  des  nombreuses   brochures   scientifiques   et  polé- 
miques contre  le  Vatican  signées  de  noms  illustres,  d'une  nouvelle 
assemblée  populaire  qui  fut  tenue  le  21  mai  1871  à  Munich  et  aboutit 
à  Tenvoi  d'une  adresse   aux  catholiques  d'Allemagne  rédigée  par  le 
docteur  Hubei%  le  mouvement  anti-infaillibiliste  semblait  au  bout  d'une 
année  sinon  s'épuiser,  tout  au  moins  se  réduire  aux  proportions  d'une 
joute  académique.  Les  laïques,  dansleur  immense  majorité,  persistaient 
dans    leur    apathie    spirituelle,   leur   dédaigneuse  indifférence.   Les 
membres  du  bas  clergé,  qui  étaient  in  petto  favorables  aux  réformes, 
n'osaient  le  déclarer  publiquement,  de  peur  d'être  excommuniés  par 
leurs  évêques.  Au   bout  d'une   année  il  n'en  restait  que  neuf  qui 
eussent  persévéré  dans  leur   opposition.  Tous  furent  suspendus  de 
leurs  fonctions  par  leurs  évêques  respectifs.  Ni  le  cabinet  de  Berlin 
ni  celui  de  Munich  ne  prêtèrent  aux  anathèmes  de  l'Eglise  le  con- 
cours du  bras  séculier.  Sur  les  pressantes  injonctions  du  prince  de 
Bismarck,  M.  de  Mùlher  se  vit   contraint,  dans  les   derniers   mois 
de   son   ministère,   d'interdire   aux    évêques  toute   immixtion   dans 
les  universités  de  leurs  diocèses  :   les  professeurs   censurés  par  eux 
ainsi  que  le  chapelain  Wollmann  purent  poursuivre  en  toute  liberté 
leur  enseignement  anti-infaillibiliste.  Les  jésuites  n'en  conservèrent 
pas  moins  à  la  cour  d'influents  protecteurs.  Ils  possédaient  au  sein 
même  du  cabinet  bavarois  un  champion   dévoué  dans   la  personne 
du  ministre  des  affaires  étrangères,  le  comte  Bray,  qui  s'opposa  éner- 
giquement  à  l'adoption  de  toute  mesure  propre  à  sauvegarder  les  droits 
de  l'Etat.  Lorsque,  le  25  juin  1870,  un  des  signataires  de  l'adresse  du 
Casino,  le  professeur  Zengger,  se  trouva  en  danger  de  mort,  le  curé  de 
sa  paroisse,  après  lui  avoir  vainement   demandé  de  se  rétracter,  lui 
refusa  l' extrême-onction  qui  lui  fut  donnée  par  l'abbé  Friederich;  un 
autre  vieux-catholique,  le  professeur  Messmer,  entendit  sa  confession; 
20,000  personnes  l'accompagnèrent  à  sa  dernière   demeure.  Mgr  de 
Scherz,  aussitôt  qu'il  en  fut  informé,  excommunia  l'abbé  Messmer  et 
destitua  l'abbé  Friederich  de  son  bénéfice  à  l'église  de  la  cour,  sans  que 
le  ministre  des  cultes,  M.  de  Lutz,  osât  protester  contre  cette  audacieuse 
usurpation.  En  1871,  malgré  la  présentation  unanime  de  la  faculté  de 
théologie  et  du  sénat,  le  même  ministre  refusa  d'appuyer  auprès  du 
roi  la  nomination  en  qualité  de  professeur  ordinaire  du  jeune  et  déjà 
célèbre  théologien.  M.  de  Dœllinger  possédait  seul  la  puissance  néces- 
saire pour  que  l'excommunication  de   son  archevêque,  loin  de  lui 
causer  le  moindre  détriment  personnel,  lui  attirât  de  nouvelles  dis- 
tinctions. Louis  II,  avec  lequel  il  est  demeuré  dans  d'étroites  relations 
t  qui  professe  pour  son  caractère  la  plus  haute  estime,  le  maintint 
dans  ses  fonctions  de  prévôt  de  Saint-Cajetan,  malgré  toutes  les  intri- 
gues ultramontaines,  et  le  nomma  en  1870   membre  du  chapitre  de 
((  l'ordre  de  Maximilien  pour  l'art  et  la  science  ».  Le  21  juillet  ses 
collègues,  par  54  voix  sur  G3,  le  choisirent  pour  leur  recteur   afin 


CATHOLIQUES  (Vieux-)  731 

qu'il  présidai  au  jubilé  séculaire  de  l'université;  eu  1875  il  est  devenu 
président  perpétuel  de  l'Académie  des  sciences.  Les  chef  s  des  vieux- 
catholiques  eux-mêmes  contribuèrent  peut-être  à  refroidir  le  zèle  dé 

leurs  adeptes  par  leurs  allures  diplomatiques,  leur  excessive  prudence, 
leur  refus  persistant  d'autoriser  la  création  de  communautés  distinctes, 

lorsque  dans  la  première  heure  d'enthousiasme  elles  auraient  surgi 
de  toute  part,  même  dans  des  localités  devenues  indifférentes  ou  hos- 
tiles. Les  seules  (jui  se  fondèrent  furent  eelles  de  MeringetdeKattowicz, 
parce  que  dans  l'une  et  l'autre  paroisse  la  presque  totalité  des  habi- 
tantsse  rangea  ouvertement  sous  la  bannière  du  curéanti-infaillibiliste. 
Les  comités  d'action  institués  en  Bavière  et  sur  les  bords  du  Rhin  ne 
rendirent  pas,  faute  d'une  solide  organisation  intérieure,  tous  les 
services  qu'on  aurait  été  en  droit  d'espérer.  Cette  timidité  qui  nous 
surprend  au  premier  abord  chez  les  promoteurs  d'une  évolution  pro- 
gressive, s'explique  par  leurs  antécédents  personnels.  Tous  avaient 
été  jusqu'au  dernier  concile  des  catholiques  stricts  sur  l'esprit  desquels 
L unité  extérieure  de  l'Eglise  avait  produit  une  impression  ineffaçable, 
auxquels  aucune  perspective  ne  répugnait  plus  que  celle  d'un  schisme. 
M.  de  Dœllinger,  qui  avait  été  longtemps  le  patriarche  vénéré  du 
catholicisme  germanique,  avait  témoigné  en  toute  circonstance  de  sa 
haine  profonde  pour  l'hérésie:  dans  ses  discours  à  la  chambre  haute 
de  Munich  (4845-1849,  1808-1870)  et  au  parlement  de  Francfort;  dans 
ses  brochures  contre  Bunsen  au  sujet  du  conflit  des  mariages  mixtes 
(4837)  et  pour  la  génuflexion  des  soldats  protestants  devant  l'hostie 
(4843)  :  dans  ses  ouvrages  sur la  Re formation  en  A llemagne  (1846-1848;, 
Luther  | 1853),  /' Eglise  et  les  Eglises  (4864).  Huber  etFriederich  s'étaient 
toujours  montrés  ses  fidèles  disciples  et  n'avaient  pas  suivi  Froh- 
schammer  dans  sa  révolte.  L'abbé  Michelis  avait  siégé  à  la  seconde 
chambre  de  Prusse  sur  les  bancs  ultramontains  (1808-1869)  ;  M.  de 
Schulte  avait  longtemps  rempli  les  fonctions  de  conseiller  juridique  de 
l'archevêque  de  Prague  et  figuré  au  premier  rang  parmi  les  défenseurs 
du  concordat  autrichien  (18  août  1855).  Dans  unesituation  qui  commen- 
çait à  devenir  critique,  il  était  urgent  de  frapper  un  coup  décisif  pour 
prévenir  un  désastre.  Les  conférences  d'Heidelberg  (5  et  0  août  1871 
vinrent  en  temps  opportun  pour  ranimer  les  esprits  quelque  peu 
abattus,  préparer  le  congrès  qui  se  tint  du  20  au  24  septembre  à 
Munich,  dans  le  palais  de  cristal,  devant  une  foule  aussi  nombreuse 
que  sympathique  (6,00Q  auditeurs).  Le  président  fut  M.  de  Sehuite, 
qui  s'acquitta  de  ses  fonctions  avec  une  supérioritési  marquée  qu'il  en 
fut  investi  dans  tous  les  congrès  suivants,  y  compris  le  dernier,  celui  de 
Breslau  (24-24  septembre  1876);  la  majorité  ne  se  départit  point  dans  le« 
débats  de  sa  prudence  accoutumée  et  s'efforça  visiblement  de  conserver 
dans  son  intégrité  cette  Eglise  idéale  qui,  dans  ta  pensée  de  ses  princi- 
paux docteurs,  aurait  subsisté  jusqu'au  votedu  1 S  juillet  1870,  d'écartet 
toute  résolution  qui  aurait  ressemblé  à  une  rupture  avec  le  passé,  les 
principes  du  catholicisme.  Les  réformes  plus  vigoureuses  auxquelles 
auraient  incliné  les  délégués  suisses  et  autrichiens  furent  ajournées 
connue  intempestives  jusqu'au  prochain  réveil  de  l'opinion  publique. 


732  CATHOLIQUES  (Vieux-)  ( 

Et  cependant  la  puissance  de  l'esprit  moderne  était  si  forte  qu'en  dépit 
de  leurs  craintes,  de  leurs  calculs  diplomatiques,  ces  novateurs  malgré 
eux  émirent  une  déclaration  aussi  hardie  par  sa  portée  que  féconde 
par  ses  conséquences  :  «  Les  décrets  d'un  concile  œcuménique  ne 
sont  valables  que  dans  la  mesure  où  ils  ne  contredisent  aucune  donnée 
certaine  de  la  science,  où  ils  concordent  avec  les  besoins  religieux 
nettement  exprimés  de  l'Eglise  universelle.  »  M.  de  Dœllinger  travailla 
pendant  le  cours  des  séances  à  la  réalisation  de  son  rêve  favori  d'une 
réconciliation  avec  l'Eglise  grecque;  MM.  Huber,  Reinkenset  quelques 
autres  de  leurs  collègues  insistèrent  dans  un  sympathique  langage  sur 
la  nécessité  d'un  rapprochement  graduel  vers  le  protestantisme,  mais 
d'autre  part  ils  s'abstinrent  soigneusement  de  toute  attaque,  même 
légère,  contre  la  dogmatique  traditionnelle  et  bornèrent  leurs  vœux 
à  des  améliorations  pratiques:  éducation  solide  et  nationale  des  futurs 
prêtres,  protection  du  bas  clergé  contre  l'arbitraire  des  évêques,  sau- 
vegarde des  intérêts  matériels  et  spirituels  des  vieux-catholiques. 
Quelques-uns  de  leurs  postulats,  celui  entre  autres  qui  réclamait  l'expul- 
sion des  jésuites,  reçurent  du  Reichstag,  avec  l'ouverture  des  hostilités 
entre  l'Etat  et  l'Eglise  romaine  et  leur  âpreté  croissante,  une  satisfac- 
tion aussi  rapide  qu'inespérée  (loi  du  4  juillet  1872).  Le  congrès  de 
Munich,  en  dépit  de  tous  les  atermoiements,  prit  deux  décisions  im- 
portantes. Il  statua  en  premier  lieu,  malgré  la  persévérante  opposition 
de  Dœllinger,  qu'il  serait  procédé  à  la  création  de  paroisses  distinctes, 
organisé  une  cure  d'àmes  régulière  dans  toutes  les  communautés  où 
le  besoin  s'en  ferait  sentir.  L'alliance  fraternelle  conclue  avec  les  jan- 
sénistes hollandais  et  leur  représentant  l'évêque  de  Deventer  permit 
aux  vieux-catholiques  de  confirmer  leurs  enfants,  de  consacrer  leurs 
prêtres  suivant  les  règles  canoniques,  quoique  tous  les  évêques  alle- 
mands se  fussent  courbés  devant  les  ordres  de  Pie  IX  et  les  eussent 
excommuniés  comme  hérétiques.  Les  bienfaisants  effets  du  premier  de 
ces  votes  ne  se  firent  pas  attendre  :  avant  la  fin  de  1871  il  s'était 
constitué  plusieurs  communautés  vieilles-catholiques  florissantes,  soit 
en  Bavière  (Munich,  Passau,  Kempten),  soit  sur  les  bords  du  Rhin  (Fri- 
bourg,  Heidelberg,  Kaiserslautern,  Bonn,  Cologne,  Elberfeld).  Dans 
la  plupart  des  cas  elles  furent  reconnues  par  le  gouvernement  et 
obtinrent  la  jouissance  d'une  église;  cependant  M.  de  Lutz,qui  se  com- 
plaisait à  la  tribune  et  dans  la  presse  à  de  subtiles  discussions  juridiques 
avec  les  ultramontains,  s'efforça  de  regagner  leurs  bonnes  grâces  par 
ses  pratiques  administratives,  les  obstacles  de  tout  genre  qu'il  suscita 
à  ses  adversaires.  A  Simbach  par  exemple,  dans  la  Basse-Bavière,  où 
la  majorité  de  la  paroisse  s'était  prononcée  contre  l'infaillibilité,  il  refusa 
l'église  sous  le  prétexte  que  le  curé  persévérait  dans  l'opinion  contraire. 
Le  clergé  conserva  partout  sa  suprématie  sur  l'école,  sauf  dans  quelques 
villes  où  les  enfants  qui  appartenaient  à  des  familles  libérales  furent 
dispensés  de  suivre  un  enseignement  qui  blessait  leur  conscience; 
encore  ne  jouirent-ils  de  cette  immunité  que  pour  les  gymnases  et  les 
autres  établissements  d'instruction  secondaire.  En  Prusse  M.  Falk  com- 
battit avec  une  vigueur  tout  autre  les  empiétements  hiérarchiques.  Les 


CATHOLIQUES  (Vieux-)  733 

vieux-catholiques  avaient  obtenu  à  Cologne  Le  simultanéum  pour  mie 
église  affectée  au  service  de  La  garnison:  celle  de  Pantaléon;  l'aumônier 

militaire  Mgr  Namzanowski,  qui  y  interdit  le  culte  romain,  comme  si 
elle  eût  été  profanée,  aussitôt  après  la  célébration  delà  première  messe 
par  le  curé  vieux-catholique  Tangermann,  lut  cité  devant  un  tribunal 
disciplinaire  et  suspendu  de  ses  fonctions.  Les  vieux-catholiques  de 
Wiesbaden  lurent  exemptés  de  toute  contribution  pour  le  culte  infail- 
libiliste  parmi  décret  ministériel  du  19  mars  1872,  qui  lit  loi  pour  tous 
les  cas  subséquents  du  même  ordre;  ceux  de  Kattowicz  furent  autorisés 
à  se  constituer  en  communauté  distincte.  D'autre  part,  afin  de  tenir  la 
balance  égale  entre  les  deux  partis,  M.  Falk  dispensa  les  enfants  ultra- 
montains  de  Braunsberg  de  suivre  les  leçons  de  1* hérétique  chapelain 
Wollmann.  Ainsi  se  forma  peu  à  peu  par  la  force  des  choses  une  pro- 
cédure toute  empirique  :  en  thèse  générale  la  prétention  de  M.  de  Schulte, 
d'après  laquelle  l'Etat  devait  reconnaître  les  vieux-catholiques,  en 
dépit  de  leur  infime  minorité,  comme  les  seuls  héritiers  légitimes  de 
l'Eglise  qui  existait  avant  le  décret  du  18  juillet  1870,  était  tout  aussi 
inadmissible  que  celle  des  ultramontains  d'expulser  leurs  adversaires. 
Les  hommes  d'Etat  allemands  gardèrent  la  neutralité  aussi  longtemps 
que  le  conflit  resta  sur  le  terrain  du  dogme,  et  n'intervinrent  que 
lorsque  leurs  droits  coururent  de  la  part  de  la  [hiérarchie  romaine  un 
sérieux  péril. —  Départ  et  d'autre  la  lutte  s'accentua  avec  l'année  1872. 
Les  ultramontains  redoublent  de  violence  pour  maintenir  le  clergé 
sous  le  joug,  les  laïques  dans  leur  indifférence  ou  leur  aveugle  soumis- 
sion. Les  événements  parurent  leur  donner  gain  de  cause.  Le  bas 
peuple,  fanatisé  par  d'habiles  agitateurs,  contraignit  dans  les  campagnes 
de  la  Bavière  deux  curés  vieux-catholiques  à  la  retraite,  quoique  la 
majorité  leur  demeurât  acquise  dans  leurs  paroisses  ;  dans  plusieurs 
villes  de  la  province  rhénane  il  se  porta  à  des  excès  assez  graves  pour 
nécessiter  l'intervention  de  la  force  armée.  D'autre  part  les  chefs  de 
l'opposition,  Dœllinger,  Friederich,  Huber,  Michelis,  Reinkens,  dé- 
ployèrent une  extrême  ardeur  et  se  multiplièrent  soit  dans  des  confé- 
rences scientifiques  partout  suivies  par  de  nombreux  auditeurs,  soit 
dans  des  synodes  provinciaux  successivement  tenus  à  Kaiserslautern, 
à  Aschati'enbourg,  à  Bonn  (17  mars  1872).  L'archevêque  d'Utrecht, 
Ifgr  Henri  Loos,  entreprit  en  juillet  de  la  même  année  pour  la  confir- 
mation des  enfants  de  son  nouveau  diocèse,  malgré  son  grand  âge,  une 
tournée  pastorale  qui  eut  de  très-heureuses  conséquences  et  provoqua 
en  plusieurs  endroits  de  véritables  ovations.  Ces  divers  travaux  prépa- 
ratoires reçurent  leur  couronnement  au  deuxième  congrès  général  qui 
fut  tenu  à  Cologne,  dans  l'antique  salle  du  Gurzenich,du20  au  2'i  sep- 
tembre 1872.  Les  séances  furent  principalement  consacrées  a  l'examen 
dequestions  administratives  et  politico-ecclésiastiques.  Et  tout  d'abord 
L'assemblée  confirma  solennellement  les  déclarations  de  Munich  d'après 
Lesquelles  le  concile  du  Vatican  n'avait  pas  seulement  changé  le  contenu 
objectif  du  dogme,  mais  la  qualité  essentielle  <lu  docteur,  et  avait  en 
conséquence  provoqué  la  création  d'une  Eglise  schismatique  ultramon- 
taine.  Les  évéques  qui  s'étaient  rendus  complices  <!<•  cette  révolution 


734  CATHOLIQUES  (Vieux-) 

avaient  perdu  toute  autorité  sur  les  membres  demeurés  tidèles  à  l'an- 
cienne Eglise.  L'Etat  tout  au  contraire  était  tenu  de  protéger  ces  derniers 
dans  l'exercice  de  leurs  droits  ecclésiastiques,  de  reconnaître  leurs 
évêques  et  leurs  pasteurs,  de  placer  leurs  communautés  sur  un  pied 
d'égalité  complet  avec  les  autres  corporations  légales,  de  les  exempter 
de  tout  impôt  destiné  au  culte  ultramontain,  de  leur  garantir  le  simul- 
tanéum  pour  les  Eglises,  une  part  proportionnelle  dans  les  revenus 
communs,  d'inscrire  à  son  budget  une  somme  suffisante  pour  la  dota- 
tion d'un  clergé  national,  l'entretien  de  son  culte.  Relativement  à  l'or- 
ganisation intérieure,  les  membres  du  congrès  décrétèrent  en  principe 
l'élection  d'un  évêque  qui.  conformément  aux  canons  de   l'ancienne 
Eglise,  serait  accomplie  d'un  commun  accord  par  le  clergé  et  le  peuple; 
la  fondation  de  paroisses  ou  d'associations   vieilles-catholiques  dans 
toutes  les  localités  où  le  besoin  s'en  ferait  sentir.  Ils  adoptèrent  en 
outre  une  série  de  mesures  propres  à  l'allégement  de  la  crise  actuelle, 
telles  que  la  validité  des  sacrements  distribués  sans  l'autorisation  épis- 
copale,  l'abolition  pour   l'exercice  des  fonctions  pastorales  de  toute 
restriction  diocésaine,  et  en  thèse  générale  dans  les  cas  d'urgence  de 
toute  prescription  liturgique,  la  légalité  des  mariages  contractés  devant 
deux  témoins  malgré  l'absence  d'un  prêtre  ou  la  violation  d'une  des 
formalités  maintenues  jusqu'à  nos  jours  par  le  saint-siége,  la  faculté  de 
se  servir  pour  la  célébration  du  culte  des  chapelles  protestantes.  Les 
archevêques  d'Utrecht  et  d'Arménie  continueraient  à  exercer  leur  juridk  - 
tion  jusqu'à  l'élection  d'un  titulaire  particulier  pour  l'Allemagne.  Si  la 
majorité  de  l'assemblée,  avec  sa  prudence  ordinaire,  résolut  de  différer 
jusqu'à  une  époque  plus  favorable  des  réformes  qui  semblaient  urgentes, 
telles  que  l'abolition  de  la  messe  en  langue  latine,  du  célibat  des  prêtres 
ou  la  confession  obligatoire,  si  elle  se  crut  dans  l'obligation  de  condam- 
ner en  termes  sévères  soit  le  récent  mariage  du  P.  Hyacinthe  (août  1872), 
soit  les  tendances  rationalistes,  les  procédés  quelque  peu  révolution- 
naires du  curé  de  Vienne,  Aloys  Anton,  elle  marqua  cependant  avec 
éclat  par  la  bouche  d'un  de  ses  chefs  les  plus  autorisés,  l'abbé  Friede- 
rich,  l'esprit  véritablement  libéral  qui  l'animait.  «  Nous  sommes,  dit-il, 
poussés  dans  les  voies  du  progrès  par  le  mauvais  vouloir  des  évêques. 
Le  mouvement  vieux-catholique   a  franchi  les   barrières  qu'il  s'était 
posées  lors  de  ses  débuts  et  ne  combat  pas  seulement  aujourd'hui  l' in- 
faillibilité, mais  tout  le  système  papal,  un  système  uniquement  basé 
sur  l'imposture,  qui  fleurit  depuis  un  millier  d'années  et  n'a  fait,  avec 
le  vote  du  18  juillet  1870,  qu'atteindre  son  apogée.  »  La  timidité  du 
congrès  dans  les  questions  dogmatiques  fut  corrigée  par  la  netteté  avec 
laquelle,  en  réponse  aux  agitations  de  la  démagogie  ultramontaine,  il 
affirma  ses  sentiments  nationaux  et  patriotiques,  la  vigueur  avec  la- 
quelle il  s'éleva  contre  ces  abus  de  la  chaire  qu'avait  déjà  réprimés  le 
Reichstag  sur  la  proposition  de  M.  de  Lutz  (loi  du  10  décembre  1871). 
L'année  suivante,  le  4  juillet  1873,  la  vitalité  du  mouvement  vieux-ca- 
tholique fut  attestée  par  l'élection  de  l'évêque  à  laquelle  procédèrent  à 
Cologne  les  prêtres  anti-infaillibilistes,  les  délégués  des  différentes  pa- 
roisses. Leur  choix  tomba  sur  un  de  leurs  théologiens  les  plus  instruits, 


CATHOLIQUES  (Tieui-)  7:55 

de  leurs  hommes  d'Etat  les  plus  clairvoyants  et  Les  plus  habiles,  Lan- 
cieu  professeur  d'histoire  ecclésiastique  à  l'université  de  Breslau, 
Joseph-Hubert  Reinkens.  Le  Douve!  élu,  après  avoir  été  consacré  le 
11  aoûl  delà  même  année,  à  Rotterdam,  par  L'évéque  janséniste  de 

Deventer,  l'ut  successivement  reconnu  par  la  Prusse  (7  octobre  1873), 
rands-duchés  de  Bade  et  de  Hesse-Darmstadt.  La  Bavière  se  com- 
plut, comme  à  son  ordinaire,  dans  une  position  équivoque. La  seconde 
chambre  se  refusa  à  une  faible  majorité,  sur  le  préavis  d'une  commis- 
sion présidée  par  le  jurisconsulte  de  Poëzl,  de  prendre  une  mesure 
semblable  à  celle  de  tous  les  autres  parlements  germaniques,  mais 
d'autre  part  le  gouvernement,  malgré  les  instances  de  l'évéque  d'Augs- 
bourg,  n'empêcha  pas  Mgr  Reinkens  d'accomplir  chaque  année  son 
voyage   de  confirmation  et  se  tira  (rembarras  en  feignant  d'ignorer 
sa  présence.  L'organisation  communale  et  synodale  fut  arrêtée  la  même 
année  dans  ses  grandes  lignes  au  congrès  de  Constance  (11-H  septem- 
bre 1873).  Les  auteurs  s'efforcèrent  avec  une  incontestable  habileté  de 
concilier  les  principes  de  l'autonomie  paroissiale,  de  la  représentation 
laïque  avec  la  prééminence  qui  dans  tout  système  catholique  appartient 
au  clergé.  Au  sommet  de  la  hiérarchie  fut  placé  l'évéque  élu  par  le 
svnode,  immédiatement  au-dessous  de  lui  un  vicaire  général  comme 
son  mandataire   personnel,  et  une  délégation  synodale  composée  de 
quatre  ecclésiastiques  et  de  cinq  laïques.  Le  synode  lui-même,  dont 
font  partie  tous  les  prêtres  et  tous  les  délégués  des  paroisses  (un  pour 
200  électeurs),  est  convoqué  annuellement  par  Tévêque  qui  préside  à 
ses  délibérations.  Les  projets  d'arrêtés  sont  présentés  par  la  délégation 
synodale;  les  amendements,  pour  entrer  en  délibération,  doivent  être 
signée  par  douze  membres  au  minimum  ;  les  pétitions,  les  propositions 
individuelles  transmises  à  la  présidence  quatorze  jours  avant  l'ouver- 
ture de  la  session.  Les  décisions  se  prennent  à  la  majorité  absolue; 
cependant  l'exécution  de  celles  qui  n'obtiennent  pas  les  deux  tiers  des 
voix  peut  être  ajournée  jusqu'au  prochain  synode,  qui  les  soumet  à  un 
nouvel  examen.  Chaque  paroisse,  pour  ce  qui  concerne  la  cure  d'âmes, 
est  confiée  immédiatement  à  un  curé,  médiatement  à  l'évéque;  pour 
tout  le  reste  elle   ressort  à  un   comité  directeur.   Celui-ci,    dont  les 
membres  varient  de  six  à  dix-huit,  fixe  le  budget  et  administre  la  for- 
tune de  ses  mandataires,  les  représente  au  dehors  et  correspond  avei 
les  autres  paroisses,  s'occupe  des  secours  pour  les  pauvres,  veille  au 
bon  ordre  du  culte.  Le  président  est  choisi  chaque  année  par  ses  col- 
Lègues.  L'assemblée  paroissiale  formée  par  tous  les  catholiques  qui  se 
sont  fait  inscrire  auprès  du  conseil  et  jouissent  de  leurs  droits  civils, 
nomme  le  curé.  I.-  conseil,  les  délégués  au  synode,  approuve  le  budget. 
détermine  le  chiffre  de  la  contribution  ecclésiastique.  Les  curés  élus 
pai  elle  sont  confirmés  par  l'évéque  et  ne  peuvent  être  déposés  qu'a- 
près une  enquête  ordonnée  et  conduite  par  le  synode. —  Lu  vertu  dr  ces 
déc  sions,  !«•  premier  svnode  régulier  des  vieux-catholiques  se  réunit  à 
Bonn  du  -21  au  :2(.»  mai  1874,  <-t  fut  fréquenté  par  trente  délégués  e<  i  lé- 
iques,  <  inquante-neuf  laïques.  La  même  sagesse,  qui  dés  l'origine 
;,\    |   présidé  à  tout  !<'  mouvement,  inspira  ses  délibérations.  Il  fut 


736  CATHOLIQUES  (Vieux-) 

établi  en  thèse  générale  qu'aucune  réforme  ne  pourrait  être  introduite 
dans  une  communauté  avant  d'avoir  été  adoptée  par  le  synode  ;  toute 
modilication  qui  serait  opérée  arbitrairement  soit  par  une  paroisse; 
isolée,  soit  par  un  seul  prêtre,  fut  proscrite  avec  une  extrême  rigueur. 
Les  vieux-catholiques,  qui  ne  redoutent  rien  autant  qu'un  désaccord 
avec  l'autorité  civile,  évitent  avec  une  anxieuse  sollicitude  toute  mesure 
intempestive,  toute  exagération  démocratique  qui  rappellerait  celles  de 
Ronge  ;  ils  voient  clans  cette  marche  ferme  et  prudente  leur  meilleure 
garantie  de  succès,  dans  l'œcuménicité  de  leurs  décisions  leur  diffé- 
rence caractéristique  avec  le  protestantisme.  La  confession  auriculaire,, 
l'obligation  des  jeûnes  n'en  furent  pas  moins  supprimés  d'un  commun 
accord  par  le  premier  synode  ;  de  sérieux  avertissements  adressés  aux 
prêtres  pour  qu'ils  administrent  les  sacrements  dans  un  esprit  véri- 
tablement évangélique  et  mettent  en  garde  leurs  adhérents  contre  les 
indulgences,  le  culte  des  images  et  d'autres  pratiques  superstitieuses  ; 
une  commission  chargée  de  la  préparation  d'un  rituel  en  langue  alle- 
mande, d'un  catéchisme,  d'une  histoire  biblique.  Les  deux  premiers 
volumes,  à  la  rédaction  desquels  l'abbé  Friederich  prit  une  part  prépon- 
dérante, parurent  en  1876;  pour  l'enseignement  religieux  dans  les  écoles, 
les  vieux-catholiques  se  servent  provisoirement  des  ouvrages  de  Wes- 
semberg,  de  Van  Ess.  La  question  délicate,  embrouillée,   des  biens 
ecclésiastiques  fut  abordée  par  eux  dans  le  quatrième  congrès  qui  se 
tint  du  6  au  9  septembre  1874,  à  Fribourg  en  Brisgau,  afin  d'établir 
juridiquement  les  droits  de  leurs  adeptes  ;  celle  du  célibat  des  prêtres 
que  rejettent  en  théorie  tous  leurs  canonistes  et  leurs  théologiens  sé- 
rieux (Dœllinger,  Friederich,  Schulte,  Reinkens),  mais  qui  avait  été 
encore  ajournée  pour  des  motifs  d'opportunité  au  dernier  synode  de 
Bonn  (7-8  juin   1876),  reçut   une   solution  provisoire  au  congrès  de 
Breslau  (21-24  septembre  1876).  Les  délégués  décidèrent  de  s'informer 
de  l'opinion  des  divers  gouvernements  germaniques  à  cet  égard,  de 
provoquer  un  vote  individuel  de  la  part  des  prêtres,  un  vote  collectif 
de  la  part  des  paroisses.  La  messe  en  langue  latine  y  fut  également 
supprimée.  Dans  le  domaine  pratique,  le  congrès  de  Fribourg  vota  la 
création  d'une  caisse  centrale  pour  des  conférences  anti-ultramontaines, 
celui  de  Breslau  l'organisation  de  subsides  pour  les  étudiants  vieux- 
catholiques. —  Les  vieux-catholiques,  depuis  leurs  premières  manifesta- 
tions, n'ont  cessé  de  faire  en  Allemagne  de  solides  et  constants  progrès 
malgré  leur  lenteur  apparente.  En  1876,  d'après  le  dernier  rapport 
statistique  présenté  au  congrès  de  Bonn,  ils  comptaient  en  Prusse  35, 
en  Bavière  32,  dans  le  Wurtemberg  1,  dans  le  grand-duché  de  Bade  44, 
dans  celui  de  Hesse-Darmstadt  5,  dans  celui  d'Oldenbourg  (principauté 
de  Birkenleld)  2  paroisses  régulièrement  constituées.  Dans  ces  divers 
pays  le  nombre  de  leurs  adeptes  s'élève  respectivement  :  en  Prusse  à 
20*524  (accroissement  depuis  1875  :  1,259)  ;  Cologne,  3,500  ;  Bonn,  750; 
Cret'eld,  1,200;  Dortmund,  1,200;  Essen,  1,200;  Wiesbaden,  1,500; 
Kœnigsberg,  1,200;  Breslau,  2,136;  Kattowicz,  1,020;  Neisse,  490;  en 
Bavière,  10,567  (accroissement  depuis  1875:38'));   Munich,  3,000; 
Kempten,  1,024;  Mering,  1,400;  Passau,  450;  Straubing,  250;  Nurem- 


CATHOLIQUES  (Vieux-)  737 

berg,  oOO;  dans  la  Bavière  Rhénane  :  Kaiserslautern,  161  ;  Deux-Ponts, 
'h)~  :  dans  le  grand-duché  de  Bade,  1 7,203  (accroissement  depuis  1875: 
2,240)  :  Constance,  2,000;  Fribourg,  200;  Carlsruhe,  1,104  ;  Heidel- 
berg,  924 ;  Mannheim,  750;  dans  celui  de  Hesse-Darmstadt,  1,012 
(accroissement  depuis 1875  :358):  Offenbach,  626;  dans  celui  d'Olden- 
bourg, 2\\)  (accroissement  depuis  1875  :  56);  en  Wurtemberg,  223 
(accroissement  :  126)  ;  communauté  de  Stuttgard,  223.  Le  terrain  le  plus 
favorable  pour  l'extension  du  vieux-catholicisme  a  été  le  grand-duché 
de  Bade,  où  la  majorité  des  catholiques  depuis  Wessemberg  s'était 
toujours  montrée  hostile  au  Vatican,  et  où  depuis  les  réformes  de  18G0 
l'ultramontànisme  avait  successivement  perdu  tout  appui  législatif.  Les 
progrès  ont  été  surtout  sensibles  dans  le  district  de  Constance  et  la 
Forêt-Noire,  où  à  diverses  reprises  des  paroisses  entières  se  sont  pro- 
noncées en  bloc  contre  l'infaillibilité.  Si  en  Bavière  le  mouvement  de- 
meure stationnaire,  si  en  particulier  Dœllinger  et  Friederich  se  sont  vus 
contraints  de  suspendre  leur  enseignement  en  présence  du  mauvais 
vouloir  de  M.  de  Lutz,  des  excommunications  de  l'archevêque,  il  a 
opéré  des  conquêtes  aussi  sérieuses  qu'inattendues  dans  des  provinces 
jusqu'alors  inféodées  au  jésuitisme  (la  Haute-Silésie,les  bords  du  Hhin), 
grâce  surtout  à  la  persévérante  activité  de  deux  prêtres,  MM.  Knoodt 
de  Bonn  et  Weber  de  Breslau.  Le  nombre  des  ecclésiastiques  qui  ont 
fait  profession  publique  de  vieux-catholicisme  s'élève  aujourd'hui  à  60 
(Prusse,  25;  Bade,  22;  Bavière,  11;  liesse,  2);  il  a  doublé  depuis 
Tentrée  en  fonctions  de  Mgr  Beinkens.  9  étudiants  suivent  les  cours  de 
la  faculté  vieille-catholique  de  Bonn  sous  la  direction  des  professeurs 
Keuseh  et  Langen.  Dans  la  presse  le  vieux-catholicisme  possède  comme 
organes  spéciaux  :  le  Mercure  allemand,  rédigé  par  le  professeur  Hir- 
schwalder  de  Munich;  le  Messager  Vieux-Cotholique;  la  Gazette  de 
Bonn;  en  outre  ses  idées  trouvent  un  sympathique  écho  dans  toute  la 
presse  libérale,  entre  autres  les  Gazettes  de  Cologne  et  d1 Augsbourg. 
Outre  les  vieux-catholiques  proprement  dits,  l'équité  exige  que  parmi  les 
partisans  d'une  évolution  progressive  au  sein  du  catholicisme  soient 
comptés  des  milliers  de  laïques  qui  acceptent  volontiers  les  lois  ecclé- 
siastiques votées  par  les  chambres  de  Berlin,  de  Carlsruhe,  de  Darm- 
stadt,  dont  quelques-uns  même  figurent  parmi  leurs  plus  ardents  pro- 
moteurs, leurs  défenseurs  les  plus  éloquents  et  les  plus  infatigables  : 
citons  parmi  ces  catholique*  d'Etat  i  Staatskatholiken),  pour  ne  choisir  que 
deux  noms,  le  président  du  Beichstag,  M.  de  Forckenbeck,  celui  de  la 
chambre  des  seigneurs  de  Prusse,  le  duc  de  Batibor.  —  Les  vieux-ca- 
tholiques ne  peuvent  qu'être  satisfaits  de  leurs  rapports  avec  les  autres 
confessions  chrétiennes.  M.  de  Dœllinger,  qui  en  1873  avait,  sous  le  titre 
significatif  «le  Réunion  des  Eglises,  publié  un  (h;  ses  meilleurs  écrits  et 
organisé  dans  le  même  but  à  Bonn  des  conférences  périodiques,  n'a  pu 
s'entendre,  il  est  vrai,  sur  le Filioque  et  d'autres  subtilités  théologiques 
avec  les  délégués  des  Eglises  grecque  et  anglicane,  mais  cette  contro- 
verse n'a  point  altéré  leur  estime,  leur  affection  réciproques.  Les 
évéques  d'Ely, de  Lincoln  n'ont  cessé  de  suivre  avec  un  sérieux  intérêt 
L'émancipation  religieuse  vis-à-vis  (le  Rome,  dont  le  chanoine  octogé- 
n.  47 


738  CATHOLIQUES  (Vieux-) 

naire  demeure  le  plus  illustre  représentant.  Les  protestants  orthodoxes 
ont  dès  le  début  montré  une  froideur  voisine  de  la  malveillance  (con- 
férences de  Berlin,  7-11  octobre  1871  ;  d'Erlangen,  juin  1872;  de  Halle, 
30  septembre  -  4  octobre  1872);  dans  les  chambres  prussiennes  et  le 
Reichstag,  les  membres  de  F  extrême  droite  et  du  parti  de  la  Croix  ont 
fait,  depuis  la  loi  sur  l'inspection  des  écoles  (11  mars  1872),  cause  com- 
mune avec  les  ultramontains.  Les  protestants  libéraux,  tout  au  contraire , 
bien  qu'ils  n'approuvent  pas  les  timidités  dogmatiques  des  vieux-ca- 
tholiques et  qu'ils  aient  la  conscience  très-nette  des  divergences  qui 
subsistent  entre  eux,  se  sont  associés  avec  joie  à  leur  énergique  protes- 
tation contre  Rome  et  ont  salué  en  eux  des  alliés  venus  d'autres  ré- 
gions mais  animés  du  même  esprit. Le  congrès  de  Darmstadt  (4-5  octo- 
bre 1871)  prit  contre  les  jésuites  une  position  toute  semblable  à  celle 
du  congrès  de  Munich.  M.  Bluntschli  se  rendit  en  hôte  sympathique 
au  congrès  de  Cologne,  M.  Holtzmaim  à  ceux  de  Constance  et  de  Fri- 
bourg.  Sans  parler  du  manque  de  prêtres,  les  vieux-catholiques  alle- 
mands ont  été  au  début  entravés  dans  leur  action  par  une  législation 
politique  déjà  ancienne,  toute  favorable  au  Vatican.  Une  ère  nouvelle 
s'ouvrit  pour  eux  en  Prusse  avec  les  lois  de  mai  1873,  complétées  par 
celle  du  7  juin  1876  sur  les  biens  ecclésiastiques;  adversaires  et 
partisans  de  l'infaillibilité  jouissent  pour  les  édifices  religieux  du 
simultanéum,  pour  les  biens  paroissiaux  et  les  fondations  pieuses 
d'une  part  proportionnelle  au  nombre  de  leurs  adhérents.  L'évêque 
vieux-catholique  est  inscrit  au  budget  des  cultes  pour  une  dotation 
annuelle  de  60,000  francs.  La  situation  des  vieux-catholiques  est 
encore  plus  propice  dans  le  grand- duché  de  Bade  où,  le  11  fé- 
vrier 1873,  le  ministre  Jolly,  à  la  requête  du  conseil  municipal  de 
Constance,  leur  avait  accordé  pour  une  église  le  simultanéum,  le  27  du 
même  mois  son  usage  exclusif  après  une  protestation  illégale  des  ultra- 
montains. En  mai  1872  fut  promulguée  la  loi  des  vieux-catholiques 
qui  établit  une  complète  égalité  entre  les  deux  partis  pour  la  jouissance 
des  biens  et  des  bâtiments  communaux.  Les  paroisses  détachées  de 
Rome  purent  s'organiser  en  toute  indépendance,  assurées  qu'elles  étaient 
.de  la  conservation  de  leurs  revenus  ;  les  curés,  après  leur  adhésion 
publique  au  mouvement,  n'en  gardèrent  pas  moins  leurs  bénéfices.  La 
libre  disposition  de  la  fortune  ecclésiastique  appartint  dans  chaque  pa- 
roisse à  la  majorité  ;  cependant  il  fut  toujours  réservé  à  la  minorité  la 
portion  à  laquelle  elle  avait  droit.  En  Bavière  tout  au  contraire  les  vieux- 
catholiques  demeurent  condamnés  à  une  situation  précaire  à  cause 
du  mauvais  vouloir  et  de  la  politique  ambiguë  du  gouvernement. 
M.  de  Lutz  leur  refuse  obstinément  le  simultanéum,  même  dans  les  cas 
où  le  prescrirait  l'équité  la  plus  élémentaire.  A  Munich  où,  en  vertu  de 
leur  nombre,  ils  auraient  droit  à  plusieurs  églises,  ils  se  voient  réduits 
à  l'usage  d'une  petite  chapelle  au-delà  de  l'Isar;  à  Wurzbourg,  où  le 
sénat  académique  leur  a  octroyé  en  1872  la  chapelle  de  l'université,  ils 
attendent  encore  l'autorisation  du  ministre;  à  Simbach,  où  ils  possè- 
dent cependant  la  majorité,  ils  ont  été  obligés  de  construire  à  leurs 
propres  frais  un  édifice   pour  leur  culte.  La  seconde  chambre  leur  a 


CATHOLKJUKS  (Tien**)  739 

refus,',  à   mit1   faible  majorité  il   est    vrai,   (nui   suicide.  Mgr  Keinkens 
n'es!  pas  encore  officiellement  racorni»,  ses  voyages  ntàssionnaifres  ne 
voni  que  tolérés,   tes   décisions  prises  à  .Munich  et  dans  les  congrès 
suivants  restent  pour  tOOl  le  royaume  nulles  et  non  avenues.   Cepen- 
dant leur  loi  dans  l'excellence  de  leur  cause  ne  semble  point   refroidie 
par    d'aussi  nombreux,   d'aussi    persistants  obstacles,    à  eu  juger  par 
l'entrain,   la  confiance  de   leur    dernière    réunion  à  Munich    (décem- 
bre ISTin.  —  Si  le  vieux-cathol'u  isiue  peut  considérer  Y  Allemagne  comme 
sa  \éi-itable   patrie,  il   à  rencontré  en  Suisse  un  sol  tout  aussi  favo- 
rable   pour   la   propagation   de  ses    idées*    La  lutte   y  fut  provoquée, 
comme  au-delà  du  lllrin.  par  le  fanatisme  des  évèques,   leurs  exorbi- 
tantes prétentions  vis-à-vis  du  pouvoir  civil.  Si  celui  de  Goire,  tout  en 
proclamant  l'infaillibilité,  se  tint  dans  les  limites  (Tune  modération  re- 
lative, si  ceux  de  Sion  et  de  Fribourg  bénéficièrent  de  la  faiblesse  des 
tommes  d'Etat  avec  lesquels  ils  se  trouvaient  en  rapport,  celui    de 
Saint-Gai  1  s'engagea  avec  îe    gouvernement  de  ce   canton    dans   une 
série  de  graves  conflits;  celui  de  Bàle,  Mgr  Lâchât,  se  complut  dans  la 
violation  des   lois    auxquelles  lors  de   son  installation    il  avait  juré 
obéissance   et  lança  l'anathème    contre  des   prêtres   universellement 
respectés  (MM.  Egli  et  Herzog  de  Lucerne,  Gschwind   de   Starrhirch 
dans  le  canton  de  Soleure),  dont  le  seul  tort  consistait  à  rejeter  le  nou-  , 
veau  dogme  pour  rester  fidèles  à  leurs  convictions.  Quelques  laïques 
instruitset  courageux,  qui  depuis  longtemps  s'efforçaient  d'opposer  une 
digue  aux  progrès  de  l'ultramontanisme,  et  parmi  lesquels  il  convient 
de  citer  au  premier  rang  M.  Relier  d'Argovie,  prirent  l'initiative  de  la 
résistance  contre  le  Vatican  et  déployèrent  dans  cette  amvrejiatriotique 
autant  de  tact  (pie  d'énergie.  Les  congrès  de  Soleure  (18  septembre  1871;. 
d'Olten  il"-  décembre  1872,  31  août  1873,  14  juin  1873,  7-8 juin  187(5), 
de  Berne  (44  juin    1874)  posèrent  les   bases  de  la  nouvelle  organisa- 
tion ecclésiastique,  accomplirent  de  nombreuses  réformes  et  répon- 
dirent par  leur  libéralisme  aux  besoins  religieux  des  populations.  Nous 
mentionnerons  parmi  les  innovations  les  plus  heureuses  l'abolition  du 
célibat  des  prêtres,  de  la  confession  auriculaire,  de  la  messe  en  langue  la- 
tine; l'élection  des  curés  par  les  paroisses: l'introduction  d'un  nouveau 
rituel  pour  le  servicedivin  rédigé  par  l'abbé  Michaud  i  !<S7«))  et  d'un  ma- 
nuel pour  l'enseignement  religieux  dans  les  écoles,  commun  aux  catholi- 
et  aux  réformés  (Mamtelde  Martig,  1875).  En  Allemagne  les  chefs  du 
mouvement  ont  attaché  une  extrême  importance  à  l'unité  de  leurœuvre, 
à  sou  développement  harmonieux  et  graduel,  à  son  excellence  juridi- 
que et  théologique; en  Suisse  la  crise  a  revêtu  un  caractère  fout  démo- 
cratique et  les  paroisses  jouissent  pour  leur  organisation  intérieure  d'une 
complète  autonomie.  L'ce*  uménicité  indispensable  à  toute  évolution  qui 
revendique  le  titre  de  catholique  u'a  point  cependant  été  sacrifiée,  tout 

au  contraire,  il  a  été  élevé  COBtre  les  fantaisies  individuelles  une  solide 

barrière  par  L'élection  d'un  évêque  (Olten?,  o-0  juin  1876).  Le  choix  des 
délégués  tomba  sur  un  prêtre  aussi  recommanda-blé  par  son  talent  que 
par  son  caractère,  M.  Edouard  Herzog,  curé  à  Berne,  pour  la  consécra 

tion  duquel  Mgriteinkens  >«■  rendit  le  18  octobre  de  la  môme  année  dan 


740  CATHOLIQUES  (Vieux-) 

la  petite  ville  argovienne  de  Rheinfelden.  11  a  été  pourvu  au  commen- 
cement de  Tannée  académique  (1874-1875)  aux  intérêts  scientifiques 
de  la  nouvelle  Eglise  par  l'adjonction  à  l'université  de  Berne  d'une 
faculté  de  théologie  vieille-catholique  à  laquelle  ont  été  successivement 
appelés  MM,  Hirschwalder,  Gœrgens,  Gareis,  Herzog,  Michaud  ;  ce  der- 
nier remplit  en  outre  les  fonctions  de  vicaire  général  pour  les  cantons 
de  langue  française.  Dans  la  Suisse  romande,  Genève   a  été  jusqu'à 
présent  le  foyer  le  plus  actif  du   mouvement,  le  principal  théâtre  des 
réformes.  Un  prêtre  ambitieux  et  intrigant,  M.  Gaspard  Mermilliod,  curé 
de  Genève,  évêque  in  partibus  d'Hébron,  s'était  arrogé,  au  mépris  de  la 
loi  et  avec  la  connivence  du  gouvernement  dirigé  par  M.  James  Fazv, 
d'exorbitantes  prérogatives  et  ne  rêvait  rien  moins,  après  la  proclama- 
tion de  l'infaillibilité,  que  la  célébration  de  la  messe  dans  la  cathédrale 
de  Saint-Pierre,   la  restauration   d'un   évêché  dans  la  république  de 
Calvin.  Sa  foi  trop  audacieuse  dans  le  succès,  l'intempérance  de  son 
zèle  déchirèrent  la  trame  patiemment,  artificieusement  ourdie  par  ses 
maitres,  les  jésuites.  Le  20  septembre  1872  le  Conseil  d'Etat,  présidé 
par  M.  Carteret,  le  suspendit  de  ses  fonctions  soit  comme  curé  soit 
comme  vicaire  épiscopal  pour   avoir  exercé  des  fonctions  pour  les- 
quelles il  n'était  pas  autorisé,  travaillé  au  démembrement  du  diocèse 
de  Lausanne  tel  qu'il  avait  été  institué  par  la  bulle  de  1819.  M.  Mermil- 
liod refusa  de  se  soumettre  (lettre  du  28  septembre),  fut  soutenu  dans 
sa  résistance  par  tout  son  clergé  (lettre  du  5  octobre)  et  accepta  de 
Pie  IX  pour  la  Suisse  la  charge  de  vicaire  apostolique.  Le  Conseil  fé- 
déral punit  de  l'exil  cette  nouvelle  usurpation  (arrêtdu!7  février  1873). 
Une  nouvelle  ère  s'ouvrit  avec  la  loi  du  19  mars  1873,  qui  rendit  aux 
vieux-catholiques  le  droit  d'élire  leurs  pasteurs.  Les  libéraux  profitèrent 
de  l'abstention  des  ultramontains  pour  choisir  trois  curés  qui  leur  fussent 
sympathiques,  entre  autres  M.  Hyacinthe  Loyson,  dont  les  conférences 
sur  la  Réforme  catholique  venaient  de  produire  une  immense  sensation 
et  avaient  été  applaudies  par  des  milliers  d'auditeurs.  Depuis  cette 
époque  le  mouvement  s'est  propagé  dans  les  campagnes;  il  existe  au- 
jourd'hui dans  le  canton  de  Genève  quatorze  paroisses  libérales.  Comme 
dans  tout  le  reste  de  la  Suisse,  les  novateurs  placent  leur  espoir  dans  la 
jeunesse,  les  enfants  confirmés  ou  instruits  dans  les  écoles.  Cinq  années 
de  lutte   ont   prouvé   sa  puissance  et  il  se  montre  aujourd'hui  aussi 
vivace  qu'au  début,  malgré  les  intrigues  et  les  violences  des  ultramon- 
tains, la  démission  du  P.  Hyacinthe  (août  1874),  les  crises  insépara- 
bles de  toute  évolution  religieuse.  Son  triomphe  doit  être  attribué  dans 
une  large  mesure  au  dévouement  et  à  la  persévérance  de  ses  chefs,  à  la 
prédominance  de  l'élément  laïque.  Dans  la  Suisse  les  principes  catho- 
liques chrétiens  (c'est  le  nom  adopté  par  les  vieux-catholiques)  l'ont  em- 
porté dans  la  ville  de  Zurich  et  se  déploient  avec  une  énergie,  un 
succès   toujours  croissants  dans  les  cantons  d'Argovie  et  de  Soleure. 
Dans  le  canton  de  Berne  ils  progressent  lentement,  mais  sûrement  dans 
le  Jura,  malgré  le  fanatisme  des  ultramontains,  l'ignorance  et  la  paresse 
spirituelle  des  populations,  les  mesures  brutales  du  pouvoir  exécutif. 
Voici   les  derniers  chiffres  statistiques  présentés  au   svnode  d'Olten  : 


CATHOLIQUES  (Vieux-)  —  CATIXAT  741 

Berne,  34  paroisses, 22.600  membres,  36  ecclésiastiques;  Soleure, 8 pa- 
roisses, 8. 770  m.,  \  ceci.;  Lucerne,  3  sociétés,  1.250 m.;  Saint-Gall, 
3  sociétés,  3.950  m.  :  Baie  (ville),  1  paroisse,  fc.OOOm.  ;  Bàle  (campagne), 

2  sociétés,  070  in.;   Zurich,   1  paroisse.  S. 000  ni.,  2   eccl.  ;  Argovie, 

S  paroisses,  7.200  m., 7  eccl.;  Neuchatel,  1  paroisse  (Chaux-de-Fonds), 
2.000  m.,  1  ceci.;  Genève,  i't  paroisses,  11.940  m.,  15  eccl.—  Dans  le 
reste  de  l'Europe  les  espérances  de  réveil  qu'on  avait  pu  concevoir  au 
lendemain  du  dogme  du  18  juillet  1S70  se  sont  promptement  démen- 
ties. Le  curé  de  Vienne,  Aloys  Anton,  a  échoué  dans  sa  bizarre  combi- 
naison du  joséphisme  et  du  catholicisme  allemand.  Sa  communauté 
(fondée  le  11  février  1872)  subsiste  encore  et  se  fait  régulièrement  repré- 
senter dans  les  congrès  germaniques,  mais  elle  n'est  pas  reconnue  par 
l'Etat  et  ne  possède  aucune  Eglise.  Le  ministre  des  cultes  M.  Stremayr, 
malgré  sa  réputation  de  libéralisme,  s'est  montré  comme  tous  les  doc- 
trinaires un  complaisant  fauteur  du  clergé  et  a  étouffé  en  germe  toute 
nouvelle  association  religieuse  en  lui  refusant  le  titre  de  catholique 
(loi  du  21  mars  1874).  En  France  la  tentative  isolée  de  l'abbé  Mi- 
chaud  n'a  pas  trouvé  d'écho  ;  nous  ne  savons  de  quel  effet  pratique 
seront  suivies  les  récentes  conférences  du  P.  Hyacinthe  (avril  1877). 
L'Italie  a  fait  preuvedela  même  indifférence,  du  même  scepticisme  que 
les  autres  pays  latins.  Le  comité  vieux-catholique  qui  s'était  constitué 
à  Rome  le  7  mai  1872  n'a  pas  recruté  d'adhérents  et  ne  posséderait 
que  de  faibles  perspectives  de  succès,  s'il  fallait  en  croire  le  rapport 
présenté  au  congrès  de  Fribourg  par  un  de  ses  membres  les  plus  sé- 
rieux, le  marquis  Guemeri  Gonzaga.  —  Sources  :  Comptes-rendus  sté- 
i  m  graphiques  des  congrès  vieux-catholiques  en  Suisse  et  en  Allemagne; 
Bnukhaus,  Conversationslexicon,!,  1875, 12" édition;  WolfgangMenzel, 
L'injustice  de  Rome,  Stuttgard,  1871;  Les  intrigves  récentes  des  jésuites 
en  Allemagne,  Stuttgard,  1873;  Nippold,  Origines  et  Etendue  du  mou- 
vement vieux-catholique,  ses  chances  adverses  et  favorables;  Le  Catho- 
licisme et  V Etat  modei'ne,  Berlin,  1873.  E.  Stkœhlin. 

CATINÀT.  Ce  célèbre  cam isard,  dont  le  vrai  nom  était  Abdias  More], 
naquit  au  Cayla,  près  d'Aigues-Mortes,  et  dut  son  surnom  de  Catinat 
à  l'admiration  qu'il  professait  pour  cet  illustre  général,  sous  qui  il  avait 
servi  en  Italie.  Il  débuta  par  l'assassinat  du  baron  de  Saint-Cosme, 
qui  avait  commis  d'atroces  exécutions  contre  les  protestants.  Pour- 
suivi pour  ce  crime,  il  rejoignit  Cavalier,  qui  le  nomma  son  lieutenant 
(septembre  1702).  Il  se  signala  au  sanglant  combat  de  Vaquières 
(5  septembre),  se  saisit  de  la  ville  de  Sauve  à  la  faveur  d'un  déguise- 
ment de  lieutenant-colonel,  mit  en  déroute,  aidé  de  Havanel,  le  duc 
de  Broglie  au  Val-de-Bane  (12  janvier  1703),  et  culbuta  dans  le 
Gardon  à  Barn  le  chevalier  de  Saint-Chaptes.  Sentant  le  besoin  de 
posséder  quelque  cavalerie,  Cavalier  l'envoya  ensuite  dans  la  Ca- 
margue, d'où  il  ramena  200  chevaux.  .Mais  il  échoua  dans  son  expé- 
dition du  Rouergue.  Quand  Cavalier  eut  traité  avec  Villars,il  ne  voulut 
point  se  soumettre  et  se  lit  battre  à  Marnège  en  Vannage.  Découragé, 
il  se  rendit  et  passa  en  Suisse  (8  octobre  1703),  d'où  il  revint  au  bout 
de  deux  mois.  Sa  tête  ayant  été  mise  à  prix  parBerwick,  le 20 avril  170*j, 


742  CATINAT  —  CATURCE 

il  fut  arrêté  dès  le  lendemain  dans  la  campagne  de  Nimes.  Soumis  à 
la  torture,  il  lit  de  coupables  révélations  et  l'ut  condamné  à  être  brûlé 
vif,  11  mourut  en  désespéré,  tandis  que  son  compagnon  Havane! 
expirait  en  chantant  des  psaumes,  d'où  Ton  peut  inférer  que  la  gloire 
de  Dieu  n'avait  pas  été  le  mobile  de  ses  actions. 

CATROU  (François),  jésuite  (1659-1737).  Après  quelques  années  de 
prédication,  il  renonça  à  la  chaire  pour  se  livrer  à  la  littérature.  Il  donna 
une  traduction,  ou  plutôt  un  travestissement  de  Virgile  justement 
oublié,  et  une  Histoire  générale  de  l'empire  du  Mogol,  d'après  les  mé- 
moires portugais  de  Manouchi,  qui  eut  plusieurs  éditions  et  une  tra- 
duction en  italien.  Il  fit,  en  collaboration  avec  le  P.  Rouillé,  une 
Histoire  romaine  (Paris,  1725-48,  21  vol.  in-4°,  lig.).  Le  P.  Routh  en 
lit  le  dernier  volume,  qui  ne  va  guère  au-delà  de  Claude.  Elle  fut 
traduite  en  anglais  et  en  italien,  mais  le  style  en  est  aussi  pompeux 
que  l'érudition  pleine  de  fatras,  et  elle  n'a  plus  de  valeur  que  par  les 
gravures  dont  elle  est  illustrée.  L'ouvrage  où  il  montra  le  plus  de  verve, 
mais  aussi  de  partialité,  estl' Histoire  des  anabaptistes,  leur  doctrine,  etc. 
(Paris,  1695),  qu'il  fondit  en  1733  dans  son  Histoire  du  fanatisme  des 
religions  protestantes,  de  Vanabaptisme,  du  davidisme,  du  quaherisine 
(Paris,  3  vol.  in-12).  Catrou  mérite  une  notice  par  sa  collaboration  au 
Journal  de  Trévoux  :  il  commença  en  1701  ce  recueil  célèbre  et  y 
travailla  douze  ans. 

CATURCE  (Jean  de),  martyr  protestant,  natif  de  Limoux,  où  il  fut 
brûlé  vif  comme  hérétique  en  1532.  Crespin  l'a  inscrit  dans  son  Livre 
d'or.  ((  Homme  d'excellent  savoir,  tant  en  sa  profession  qu'es  saintes 
lettres  »,  il  professait  le  droit  à  l'Université  de  Toulouse.  Se  trouvant 
dans  sa  ville  natale,  le  jour  de  la  Toussaint  1531,  il  fit  une  exhortation 
et  fut  cause  qu'à  souper,  au  lieu  du  cri  païen  :  Le  roy  boit!  On  adopta 
de  dire  :  Que  Christ  règne  en  nos  cœurs!  Ensuite,  au  lieu  des  propos  et 
jeux  licencieux  auxquels  on  avait  coutume  de  se  livrer  après  boire, 
on  conversa  sur  l'Ecriture.  Dénoncé  comme  novateur,  il  fut  arrêté  en 
janvier  1532,  et  comme  il  embarrassa  les  juges  en  justifiant  et  mainte- 
nant tout  «  ce  qu'il  avait  sur  le  cœur  »,  voulant  un  débat  public  «  avec 
gens  savants  »,  on  lui  demanda  seulement  de  se  rétracter  sur  trois 
points,  et  de  déclarer  aux  écoliers  qu'il  avait  failli,  moyennant  quoi  on 
le  relâcherait.  Après  un  moment  d'hésitalion,  il  tint  ferme,  et  fut 
condamné  comme  hérétique.  Le  supplice  eut  lieu  au  mois  de  juin, 
place  Saint-Etienne,  et  l'on  y  mit  le  temps.  La  dégradation  prit  environ 
trois  heures,  que  Gaturce  employa  bien,  citant  l'Ecriture  en  témoi- 
gnage contre  ses  bourreaux  et  la  mettant  en  évidence  devant  les 
écoliers.  Un  jacobin,  chargé  du  sermon  de  circonstance,  ayant  pris 
malencontreusement  pour  texte  le  quatrième  chapitre  de  l'épitre  de 
Paul  à  Timothée  :  «  Mais  l'Esprit  dit  expressément,  etc.  »  et  s'étant 
arrêté  aux  premiers  mots,  pour  l'écourter  et  le  commenter  à  sa  guise  : 
«  Suivez!  suivez  donc!  »  lui  dit  Caturce  à  haute  et  intelligible  voix. 
Mais  comme  notre  jacobin  n'avait  garde  de  e  faire  et  restait  muet,  il 
poursuivit  lui-même  la  citation  :  «  Etant  entraînés  par  l'hypocrisie 
d'imposteurs  marqués  de  flétrissure  en  leur  propre  conscience,  qui 


CATUROE  —  CAUMOXT  LA  FORCE  743 

proscrivent  le  mariais  et  l'usage  d'aliments,  etc.  »  On  juge  quel  fut 
l'eue!  d'une  telle  prédication  but  les  auditeurs.  Reconduit  an  palais  pour 
y  recevoir  sa  sentence,  il  y  tut  revêtu  d'un  san-benito  et  mené  au  bûcher, 
«  ne  cessant  jusquesau  dernier  soupir  de  louer  et  glorifier  Dieu,  et  d'ex- 
horter le  peuple  à  la  connaissance  d'iceluy.  »  Sa  mort  porta  de  grands 
lruits  d'édification,  u  spécialement  vers  les  escholiers.  » 

CAUCHON  (Pierre),  évéque  de  Beauvais,  puis  de  Lisieux,  tristement 
fameux  par  le  rôle  qu'il  joua  dans  le  procès  de  Jeanne  d'Arc.  Chassé 
de  Beauvais  en  1429,  par  ses  propres  diocésains,  à  cause  de  son  atta- 
chement au  parti  anglais  et  bourguignon,  il  lit  bien  voir  qu'il  ne 
renonçait  que  de  force  à  son  siège  quand  Jeanne  d'Arc  lut  prise  à 
Compiègne,  dans  les  limites  de  son  ancienne  juridiction.  L'ardeur 
avec  laquelle  il  réclama  le  droit  de  la  juger  n'eut  d'égale  que  celle 
qu'il  mit  à  la  condamner.  Le  siège  de  Rouen  où  l'héroïne  fut  conduite 
étant  vacant,  il  se  ht  déléguer  par  le  chapitre  pour  exercer  les  droits 
épiscopaux,  c'est-à-dire  pour  présider  les  six  évèques  et  les  docteurs 
qui  remplirent  sous  lui  les  fonctions  de  juges  et  d'assesseurs.  Ce  n'est 
pas  ici  le  lieu  d'entrer  dans  les  détails  d'un  procès  dans  lequel 
Cauchon.  selon  le  témoignage  d'un  greffier,  essaya  de  falsilier  jus- 
qu'aux réponses  de  L'accusée.  Après  avoir  condamné  l'héroïne  à  une 
prison  perpétuelle,  au  pain  et  à  l'eau,  il  n'eut  pas  honte  de  renchérir 
par  un  second  jugement  sur  la  première  sentence  en  la  livrant  «  au 
bras  séculier  »  pour  être  brûlée  vive.  Il  mourut  subitement  douze  ans 
après  i  1443).  Le  roi  d'Angleterre  l'avait  garanti  contre  toute  condam- 
nation du  saint-siège.  Aussi  Calixte  111  l'excommunia-t-il  un  peu  tard, 
après  sa  mort.  On  exhuma  ses  restes  pour  les  jeter  à  la  voirie;  mais 
les  exé  nations  des  contemporains  avaient  devancé  plus  vite  celles  de 
la  postérité. 

CAUMONT  LA  FORGE.  François  de  Caumont,  seigneur  de  La  Force, 
en  Périgord,  né  en  1524,  fut  du  nombre  «  des  gens  de  la  religion  que  la 
maison  de  Guise  attira  à  Paris,  sous  le  prétexte  du  mariage  du  roi  de 
Navarre,  pour  exécuter  contre  eux  le  détestable  massacre  de  la  Saint- 
Barthélémy  ».  Ainsi  s'exprime,  dans  ses  Mémoires,  celui  de  ses  lils  que  cet 
odieux  événement  ht  orphelin  et  qui,  miraculeusement  sauvé  lui-même, 
est  devenu  maréchal  de  France  et  a  illustré  dans  l'histoire  le  nom  de 
cette  famille.  Ils  étaient  logés  rue  de  Seine.  Avertis  par  un  serviteur 
dévoué-,  qui  avait  passé  l'eau  à  l'a  liage,  ils  croient  d'abord  (pie  le  roi 
n'est  pas  consentant  et  veulent  aller  se  ranger  autour  de  sa  personne; 
bientôt  désabusés,  ils  s'enferment  en  leur  logis,  et  attendent  de  pied 
ferme  a  la  grâce  de  Dieu,  lies  assassins  arrivent  aux  cris  de  :  Tue!  tue! 
et  commencent  par  piller,  puis  vont  procéder  au  meurtre,  quand  le 
capitaine  ouvre  l'oreille  à  une  promesse  de  rançon  et  accoutre  >e> 
victimes  en  égorgeurs  pour  les  préserver  :  croii  blanche  au  chapeau, 
bras  droil  nu  jusqu'à  l'épaule.  Mais  les  deux  mille  écus  promis  tar- 
daient à  venir;  La  Force  veut  rester  fidèle  à  sa  parole  et  refuse  da 
fuir.  Le  soir  même  du  jour  où  il  allait  être  libéré  et  sauvé.  Coconas  le 
vient  chercher,  comme  pour  le  conduire  au  <\\w  d'Anjou  ;  bientôt,  arrivés 
au  fond  de  la  me  des  Petits-Champs,  ils  sont  massacrés  et  dépouillés  sui 


744  CAUMONT  LA  FORCE 

place.  Mais,  en  voyant  tomber  son   père  au  premier  coup,  Jacques- 
Nompar,  âgé  alors  de  quatorze  ans,  avait  eu  l'inspiration  de  se  laisser 
tomber  aussi  et  de  faire  le  mort.  Des  voisins  s'étant  ensuite  approchés 
et  montrant  quelque  commisération,  il  souleva  sa  tête  et  dit  tout  bas  à 
l'un  deux  :  «  Je  ne  suis  pas  mort.  Je  vous  prie,  sauvez-moi  la  vie  !  » 
L'homme  lui  mit  la  main  sur  la  tête,  disant  :  «  Ne  bougez  !  ils  sont 
encore  là.  »  Et  étant  revenu  peu  après,  il  le  fait  lever,  le  couvre  de  son 
mauvais  manteau  et  remmène.  C'était  un  marqueur  du  jeu  de  paume 
de  la  rue  Verdelet.  L'enfant  est  d'abord  caché  par  lui,  puis  conduit 
de  grand  matin,  avec  toutes  sortes  de  précautions  et  de  difficultés,  à 
l'arsenal  où  sa  tante,  madame  de  Brisambourg,  le  reçoit  tout  émue  et 
le  met  dans  le  cabinet  du  maréchal  de  Biron.  L'arsenal  n'était  pas 
lieu  de  sûreté,  des  soupçons  motivent  une  alerte  vive,  et  il  n'échappe 
aux  recherches  que  parce  qu'on  l'a  dissimulé,  dans  la  chambre  des 
iilles,  entre  deux  lits  d'enfants,  sous  un  monceau  de  vertugadins.  Tous 
les  dangers  étaient  loin  d'être  conjurés  :  il  fallait  en  courir  de  nou- 
veaux pour  échapper  à  celui  de  rester  à  Paris.  Coniié  à  Jean  de  Dur- 
fort,  il  parvint,  après   huit  jours   de  transes  continuelles,  jusqu'au 
château  de  Castelnaut,  où  son  oncle  Geoffroi  s'était  retiré.  De  pareilles 
épreuves  ne  furent  pas  mises  en  oubli  par  le  jeune  huguenot.  C'est  en 
vain  que  Henri  III,  pour  s'assurer  de  lui  et  de  ses  biens,  le  plaça  sous 
la  tutelle  d'un  catholique  zélé,  le  comte  de  La  Yauguyon.  Dès  qu'il  fut 
en  état  de  porter  les  armes  et  de  combattre  la  Ligue,  cette  queue  gro- 
tesque de  la  Saint-Barthélémy,  il  se  hâta  de  se  ranger  sous  le  drapeau 
du  roi  de  Navarre  et  débuta  au  siège  de  Marmande,  en  1577  ;  il  était  à 
la  prise  de  Cahors,  en  1580,  et  obtint  bientôt  le  gouvernement  de  Sainte- 
Foy  et  de  Bergerac.  La  fermeté  de  ses  avis  plut  au  prince,  lors  des 
avances  faites  par  Henri  III  en  1585;  on  n'y  répondit  pas,  on  ne  dé- 
sarma pas  non  plus,  et  la  suite  montra  qu'on  avait  eu  raison.  Il  montra 
successivement  sa  valeur  à  Castets,  à  Marans,  au  combat  d'Anthogni, 
enfin  à  Coutras,  où  il  mérita   d'être    fait  gouverneur  de   la  Basse- 
Guienne.  Il  refoula  les  ligueurs  à  La  Linde  (1587).  Quand  les  deux 
rois  se  furent  réunis  contre  la  Ligue,  il  couvrit  le  siège  de  Pontoise, 
et,  en  1589,  combattit  à  Arques,  où  il  se  signala  exceptionnellement, 
culbutant,  avec  120  hommes,  plus  de  2,000  lances  ennemies,  et  ayant 
trois  chevaux  tués  sous  lui  et  deux  blessés.  Le  brevet  de  capitaine  de 
cent  hommes  d'armes  fut  sa  récompense.  Il  fut  à  Ivry  et  au  siège  de 
Paris  (1590),  à  ceux  de  Chartres  et  de  Noyon  (1591),  à  celui  de  Rouen 
(1592).  En  1593,  il  reçut  le  gouvernement  du  Béarn  et  la  vice-royauté 
de  Navarre.  En  1594,  il  était  au  sacre  de  Henri  IV,  à  Chartres,  et  à  son 
entrée  dans  Paris.  L'année  suivante,  il  combattit  à  Laon  et  à  Fontaine- 
Française,  et,  en  1596,  à  LaFère.  Enfin,  en  1597,  il  contribua  à  la 
reprise  d'Amiens,  et  fut  chargé,  en  1599,  de  faire  exécuter  l'édit  de 
Nantes  en  Béarn  et  en  Guienne,  tâche  malaisée  dont  il  sut  venir  à  bout. 
Il  fut  mandé  à  Lyon  pour  l'expédition  de  Savoie,  et  c'est  à  lui  que  le 
vieux  Théodore  de  Bèze  dut    sa  célèbre  entrevue  avec  le  roi.  Cette 
époque  de  sa  carrière  fut  profondément  troublée  par  le  procès  et  la 
condamnation  du  maréchal  de  Biron,  qui  était  son  beau-frère.  Henri  IV, 


OAUMONT  LA  FORCE  745 

supplié  par  lui,  fut  inexorable,  mais  plein  d'égards  pour  sa  personne, 
et  il  lui  pardonna  d'avoir,  quatre  ans  plus  tard,  vengé  la  mort  de  son 
parent  sur  l'homme  qui  L'avait  trompé  et  vendu.  Fidèle  à  son  souve- 
rain. La  Force  s'entremit  toujours  pour  L'apaiser  dans  ses  ressenti- 
ments et  maintenir  soit  Bouillon,  soit  Kohan,  dans  ses  bonnes  grâces. 
11  se  trouvait  dans  le  carrosse  royal,  au  jour  fatal  où  Ravaillac  lit  son 
œuvre  maudite.  11  devait,  le  lendemain,  prêter  serment  comme  maré- 
chal de  France  et  partir  pour  l'expédition  contre  L'Espagne.  On  lui 
donna  ordre  de  quitter  la  cour  et  de  retourner  en  Béarn  pour  y  faire 
reconnaître  le  nouveau  roi,  observer  la  frontière  et  rassurer  les  hugue- 
nots alarmés.  Sa  conduite,  dans  les  temps  agités,  fut  prudente  et  éner- 
gique à  la  lois.  Il  eut  à  modérer  ses  coreligionnaires,  en  luttant  contre 
les  intrigues  des  évêques  béarnais  ;  puis  à  manœuvrer,  sans  rien  com- 
promettre, au  milieu  des  hostilités  déclarées  par  Gondé  et  des  délibé- 
rations des  assemblées  politiques  de  Sainte-Foy  et  de  Grenoble.  L'avé- 
nement  de  Luynes,  en  î()17,  fut  pour  lui  une  menace  sérieuse.  En  effet, 
le  favori  de  Louis  XIII,  intéressé  à  le  ruiner,  essaya  d'abord  de  perdre 
Fun  de  ses  fils  (Montpouillan)  qui  avait  une  charge  de  cour  et  était 
aimé  du  roi  ;  n'y  ayant  pas  réussi,  il  souleva  la  question  de  la  main- 
levée des  biens  ecclésiastiques  du  Béarn,  sachant  bien  que  La  Force  ne 
pouvait  que  s'opposer  à  Fédit  et  se  perdre  ainsi  auprès  du  roi.  La  résis- 
tance ayant  éclaté  à  Pau  et  ailleurs,  La  Force  fut  mandé  à  Bordeaux  par 
Louis  XIII;  il  usa  de  son  inlluence  pour  amener  le  parlement  à  enre- 
gistrer Fédit  et  à  empêcher  ainsi  les  malheurs  que  pouvait  entraîner 
Farrivée  du  roi  à  Pau.  C'était  trop  tard  :  le  15  octobre  1020,  Louis 
entrait  à  Pau  et  les  deux  provinces  étaient  traitées  en  pays  conquis. 
La  Force  ne  fut  pourtant  pas  arrêté,  il  fut  même  conservé;  mais  il 
n'était  plus  que  Fombre  d'un  gouverneur.  Il  lui  fallait  bientôt  pourvoir 
à  sa  propre  sûreté,  en  levant  des  troupes.  Sommé  de  désarmer,  il  dut 
se  retirer  précipitamment,  en  mai  1621,  devant  d'Epernon  qui  venait 
pour  le  déposséder.  Il  organisa  aussitôt  la  défense  en  Guienne,  mais 
eut  à  subir  des  défections  et  des  défaillances  qui  le  contraignirent  à  se 
réfugier  dans  Montauban,  avec  ses  lils.  Il  eut  à  y  lutter  contre  des  pré- 
ventions et  des  soupçons  que  le  ministre  Charnier  l'aida  à  dissiper; 
mais  quand  il  eut  gagné  la  confiance  des  Montalbanais,  il  put  agir 
puissamment  dans  leur  intérêt.  La  ville  lui  dut  de  repousser  L'armée 
royale  et  d  échapper  ainsi  aux  dures  conséquences  d'une  défaite.  Ce 
succès  ayant  relevé  les  courages,  les  huguenots  reprirent  des  forces  en 
Guienne.  La  prise  de  Tonneins  assurait  le  passage  de  la  Garonne,  mais 
on  ne  put  parvenir  à  le  garder.  Enfermé  dans  Sainte-Foy,  La  Force, 
que  le  parlement  de  Bordeaux  venait  de  condamner  à  mort  comme 
criminel  de  lèse-majesté,  était  résolu  à  s'ensevelir  sous  les  ruines  de 
cette  place,  Lorsque  des  conditions  inespérées  lui  furent  faites.  Le  roi 
lui  accordait  le  bâton  de  maréchal  et  200,000  écus.  Ses  tils  et  ses  amis 
étaient  rétablis  dans  leurs  charges  et  emplois.  Il  se  retira  alors  dans 
son  château  de  La  Boulaye  en  Normandie.  On  le  chargea,  en  1625, 
d'aller  en  Picardie,  préparer  cette  province  a  une  attaque  que  Calais 
semblait  devoir  attendre  de  Spinola.  Il  demeura  étranger  à  la  prise 


740  CAUMONT  LA  FOECE  —  CAUS 

d'armes  de  1629,  qu'il  avait  blâmée.  Mis  bientôt  par  Richelieu  à  la  tête 
de  l'armée  destinée  à  couvrir  les  frontières  de  la  Bresse,  il  entra  en 
Piémont  en  1630,  força  Pignerol  et  Saluées,  enleva  divers  châteaux  et 
débloqua  Casai,  en  battant  les  Espagnols  au  pont  de  Carignan,  le 
6  août.  A  peine  de  retour  à  Paris,  il  recevait  ordre  de  rassembler  une 
armée  en  Champagne  et  de  mettre  à  la  raison  Gaston  d'Orléans  et  le 
duc  de  Lorraine.  Ces  nouveaux  et  signalés  services  lui  valurent  la 
charge  de  grand-maître  de  la  garde-robe.  Une  nouvelle  campagne  fut 
nécessaire  contre  le  duc  de  Lorraine  et  le  força  à  marcher  de  victoire 
en  victoire  jusqu'au  Luxembourg  et  à  Heidelberg.  Tant  de  fatigues,  et 
le  chagrin  que  causa  au  vieux  soldat  la  mort  d'un  petit-fils,  tué  sous  ses 
yeux  par  trahison,  lui  rendaient  quelque  repos  nécessaire;  il  n'en 
obtint  pas  la  permission  sans  peine.  L'année  d'après  (1036)  on  avait 
de  nouveau  recours  à  lui  pour  assister  le  duc  d'Orléans  de  ses  conseils. 
En  1637,  il  fut  créé  duc  et  pair.  En  1638,  opposé  à  Piccolomini,  il  le 
battit  à  Zonafques.  Ce  fut  sa  dernière  campagne.  Après  soixante  ans 
de  guerre,  il  alla  définitivement  se  reposer  dans  son  château  de  La 
Force,  et  s'y  occupa  à  écrire  ses  Mémoires,  publiés  en  1843  par  le 
marquis  de  La  Grange  (Paris,  4  vol.  in-8°).  11  mourut,  le  10  mai  1652, 
au  milieu  des  troubles  de  la  Fronde.  11  avait  été  marié. trois  fois  : 
1°  en  1577,  à  Charlotte  de  Gontaut,  tille  du  maréchal  de  Biron  ;2°  à  une 
fille  de  Duplessis-Mornay,  veuve  de  Jacques  desNouhesde  laTabarière; 
3°  à  Elisabeth  de  Clermont-Gallerande,  veuve  de  Gédéon  de  Botzlaër. 
Il  n'eut  d'enfants  que  de  sa  première  femme,  dix  iils  et  deux  filles  : 
son  fils  aine,  Armand,  eut  une  lille,  Charlotte,  qui  épousa  en  1553 
l'illustre  Turenne,  et  mourut  sans  enfants  en  1666.  Son  second  fils, 
Henri-Nompar,  marquis  de  Caste! naut,  épousa  en  1602  Marguerite- 
Escodéca  de  Boisse,  et  eut  neuf  enfants,  dont  l'aîné  supporta  héroïque- 
ment, ainsi  que  sa  femme  (Suzanne  de  Béringhen),  les  persécutions 
auxquelles  ils  furent  en  butte  lors  de  la  révocation  de  l'édit  de  Nantes; 
Jean,  marquis  de  Montpouillan  ;  François,  marquis  de  Castelmoron, 
marié  à  Marguerite  de  Vicose.  Charles  Kead. 

CAUS  (Salomon  de).  Lorsqu'ils  rédigeaient,  en  1852,  le  tome  III  de 
leur  grand  et  précieux  ouvrage,  les  frères  Haag  se  décidèrent,  d'après  de 
simples  conjectures,  mais  logiquement  déduites,  à  compter  Salomon 
de  Caus  comme  un  des  noms  de  la  France  protestante.  On  n'avait  alors 
aucune  notion  quelconque  sur  la  date  et  le  lieu  de  sa  naissance  ou  de  sa 
mort.  Son  nom  de  Salomon,  les  livres  publiés  par  lui,  étaient  les  seuls 
indices  acquis  à  l'histoire;  il  leur  fallut  prendre  la  peine  de  réfuter  une 
historiette  faisant  de  notre  ingénieur  un  fou,  dont  la  présence  à  Bi- 
cêtre  en  1641  était  bien  et  dûment  établie...  par  un  document,  fabriqué 
en  1834,  qui  a  partout  popularisé  ce  mensonge  fait  à  plaisir.  La  décou- 
verte que  nous  avons  faite  et  annoncée,  en  1856,  des  registres  de  Cha- 
renton  (Bull,  de  la  Soc.  cVHist.  du  Protest,  franc.,  IV,  629;  cf.  XI,  301, 
406)  donna  pleinement  raison  à  la  sagacité  de  MM.  Haag.  Dans  le  môme 
registre  où  nous  avions  trouvé  l'acte  d'inhumation  de  Salomon  de 
Brosse  (voir  ci-dessus)  nous  devions  rencontrer  celui  de  Salomon  de 
Caus;  nous  y  avons,  en  effet,  non  sans  peine,  déchifïré  une  minute  ainsi 


.CAUS  747 

conçue:  e  Salomon  de  Caus,  ingénieur  du  roi,  a  esté  enterféà  la  Trinité, 
le  samedy,  dernier  jour  de  febvrier  (1626),  assiste'*  de  deux  archers  du 
guet  ■•  Ainsi  s'est  trouvée  authentiquemenl  anéantie  la  fable  déjà  atta- 
que» par  MM.  Haag,  mais  de  nombreuses  productions  graphiques,  dra- 
matiques, etc.  l'ont  si  souvent  exploitée  et  colportée  partout,  que  la 
vérité  court  grand  risque  d'être  longtemps  encore  éclipsée  par  cette 
bourde  ridicule  qui  court  les  livres  et  journaux  depuis  tantôt  qua- 
rante  ans.  Deux  autres  actes,  relatifs  à  un  Isaac  de  Caus,  architecte, 
natif  de  Dieppe,  mort  à  Paris  en  1648,  et  à  un  Jacques  de  Caus.  mar- 
chand à  Dieppe,  mort  en  1658,  donnent  lieu  de  croire  que  Salomon 
était  aussi  Dicppois.  Isaac,  connu  par  un  livre  d'art  hydraulique  pu- 
blié à  Londres  en  16*44  (Nouvelle  invention  de  lever  l'eau,  etc.),  était 
vraisemblablement  son  parent,  non  son  iils ,  comme  le  prétendent  à 
tori  quelques  biographes,  mais  peut-être  un  frère  ou  un  neveu.  En 
effet,  Salomon,  d'après  la  légende  de  son  portrait  conservé  à  Heide1- 
berg.  étant  né  en  1576,  n'avait  que  quatorze  ans  de  plus  qu'Isaac. 
Après  avoir  complété  ses  études  par  un  voyage  en  Italie,  Salomon  passa 
en  Angleterre  et  donna  à  Londres  des  leçons  de  perspective.  Attaché 
trois  ans  plus  tard  au  service  du  prince  de  Galles,  il  embellit  les  jar- 
dins du  palais  de  Hichmond  de  plusieurs  inventions  mécaniques,  dont 
il  a  donné  les  dessins  dans  son  célèbre  Traité  sur  lesForces  mouvantes» 
Après  la  mort  du  jeune  prince  (1612),  il  suivit  à  Heidelberg  la  prin- 

•  Elisabeth,  mariée  en  1613  au  prince  palatin  Frédéric  Y,  qui  litde 
lui  son  ingénieur  et  architecte.  Il  donna  les  plans  de  plusieurs  parties 
du  magnifique  château  dont  il  ne  reste  que  des  ruines  admirables;  il 
les  avait  traités  avec  beaucoup  d'indépendance  et  de  goût  et  avec  une 
grande  richesse  d'imagination.  11  perdit  sans  doute  sa  situation,  lors- 
que Frédéric  V.  trahi  par  la  fortune  (1020),  dut  chercher  un  refuge  en 
Hollande.  Nous  le  retrouvons  à  Paris  en  mars  1021,  qualifié  dès  lors 
ingénieur  du  roi,  et  obtenant  de  l'édilité  parisienne  l'application  d'un 
système  proposé  par  lui  pour  le«  nettoyementdes  boues  et  immondices 
do  rues  et  places  publiques  ».  Ce  système  était  un  moyen  nouveau 
pour  élever  les  eaux  de  la  Seine  et  les  faire  servir  à  l'assainissement 
de  la  capitale.  Les  pompes  Notre-Dame  et  de  la  Samaritaine  ne  furent 
établies  qu'une  cinquantaine  d'années  plus  tard.  Encouragé  par  les 
bonnes  dispositions  de  Richelieu  à  son  égard,  il  fit  paraître  en  Ki^'j 
un  excellent  trait*'  des  Horloges  solaires  et  une  seconde  édition  de  celui 
des  Forces  mouvantes.  l\  préparait  aussi  .la  traduction  d'un  Vitruve 
«  mis  à  notre  usage  ».  Mais  on  ne  sait  ce  qui  en  est  advenu,  et  on 
ignore  quels  furent  les  travaux  de  Salomon  de  Gaus  dans  cette  dernière 
période  de  son  existence.  Ce  n'était  pas  une  raison  suffisante  pour  en 

une  intéressante  victime  du  cardinal  qui  avait  été  son  protecteur. 
el  pour  h-  montrer  grimaçant  et  furieux  dans  un  cabanon  de  fou  à  Bicétre, 
Salomon  de  Caus  a  signé  de  Cauls  la  dédicace  de  sa  Perspective.  8 
préfaces  nous  le  font  connaître  comme  ami  (\^>  lettres  et  de  la  musir 
que,  citant  Du  Bartas,  «  excellent  poète  »,  rappelant  les  psaumes  el 
u>aiit  de  cette  formule  des  huguenots  :  <r  A  Dieu  soit  honneur  el 
gloire  éternellement!  »  Son  Institution  harmonique  (1615)  a  une  dé- 


748  CAUS  —  CAUSE 

dicace  ainsi  terminée.  C'est  dans  ses  liaisons  des  Forces  mouvantes  (1615 
et  1624)  qu'en  traitant  de  «  l'eau  élevée  à  l'aide  du  feu  »,  il  s'est 
donné  des  titres  anticipés  à  l'honneur  de  cette  grande  découverte  qui 
devait,  en  se  développant,  renouveler  la  face  de  la  terre  :  la  force 
d'expansion  de  la  vapeur.  Chakles  Read. 

CAUSE,  CAUSALITÉ.  Un  des  principes  élémentaires  de  la  pensée, 
e'est  l'idée  que  tout  fait  qui  surgit  a  une  cause.  Comme  les  événements 
qui  s'accomplissent  en  ce  monde  sont  fort  divers,  selon  qu'ils  appar- 
tiennent à  des  sphères  différentes  de  l'ordre  physique  ou  spirituel, 
leur  causation  est  pareillement  diverse,  et  l'idée  de  cause  est  susceptible 
de  bien  des  nuances,  qui  sont  indiquées  par  les  mots:  condition,  force, 
principe,  raison,  mobile,  motif,  etc.  Toutefois  la  notion  de  cause  de- 
meure très-précise,  intelligible  pour  tous  les  esprits  églaement;  elle 
signifie  :  ce  qui  fait  qu'un  événement  a  lieu  ;  dans  notre  pensée  à  tous, 
d'une  manière  consciente  ou  inconsciente,  elle  se  compose  de  deux 
éléments  réciproquement  complémentaires.  D'une  part  l'effet  est 
distinct  de  la  cause  ;  ce  qui  est  produit  n'est  pas  la  même  chose  que 
ce  qui  produit.  Et  cependant  il  y  a  un  rapport  entre  la  cause  et  l'effet, 
rapport  qui  explique  la  production  de  l'effet;  quoique  la  succession 
des  jours  et  des  nuits  soit  constante,  on  n'a  jamais  été  tenté  de  consi- 
dérer la  lumière  comme  un  effet  des  ténèbres,  et  si  l'argument  :  Post 
hoc,  ergo  propter  hoc,  a  inspiré  bien  des  erreurs,  c'est  qu'outre  la  suc- 
cession des  phénomènes  l'esprit  humain  avait  conjecturé  quelque  autre 
relation  entre  eux;  car  une  certaine  cause  ne  produit  pas  un  effet 
quelconque,  mais  un  effet  déterminé.  Dans  ces  termes  l'idée  de  cause 
est  d'un  usage  journalier,  si  habituel  que  nous  ne  nous  rendons  pas 
compte  de  l'importance  de  son  rôle  dans  la  formation  de  nos  connais- 
sances, et  il  nous  faut  y  réfléchir  pour  reconnaître  que,  si  ce  principe 
disparaissait,  notre  vie  intellectuelle  ne  serait  plus  qu'un  kaléidoscope 
bizarre.  Nous  mesurons  les  progrès  de  la  pensée  humaine  aux  appli- 
cations plus  nombreuses  et  plus  certaines  qu'elle  peut  faire  de  ce 
principe;  nous  aspirons  à  savoir  le  pourquoi  de  toutes  choses.  Il  est 
vrai,  la  recherche  des  causes  n'est  pas  facile,  à  cause  de  la  complexité 
des  phénomènes  ;  rien  n'est  isolé  en  ce  monde,  chaque  événement 
résulte  du  concours  d'une  multitude  de  causes  et  devient  la  cause  par- 
tielle d'un  nombre  indéfini  de  faits  nouveaux,  les  êtres  particuliers  qui 
existent  simultanément  sont  réciproquement  causes  des  changements 
qui  se  produisent  en  eux.  Mais  la  difficulté  qui  résulte  de  cet  enchevê- 
trement ne  rebute  pas  notre  soif  de  connaître  ;  au  moyen  de  l'obser- 
vation, de  l'expérimentation,  nous  corrigeons  les  relations  de  causalité 
que  nous  avions  d'abord  improvisées,  et  peu  à  peu  nous  arrivons  à 
constituer  la  science,  c'est-à-dire  l'explication  des  effets  par  leurs  causes. 
—  La  question  de  la  légitimité  de  ce  principe  se  confond  avec  celle  de 
son  origine.  Nous  devons  à  Maine  de  Biran  de  connaître  que  la  notion 
de  cause  est  éveillée  en  nous  par  une  expérience  intime  et  primor- 
diale :  du  moment  où  nous  avons  le  sentiment  de  notre  existence,  nous 
avons  aussi  le  sentiment  que  nous  agissons,  que  nous  sommes  cause, 
soit  d'une  manière  toute  interne  et  spirituelle,  en  pensant,  en  voulant, 


CAUSE,  CAUSALITE  749 

soit  en  imprimant  dos  mouvements  à  nos  muscles,  de  manière  à  pro- 
duire des  effets  dans  le  monde  extérieur.  Ce  n'est  pas  seulement  l'a- 
nalyse psychologique  qui  nous  révèle  cette  genèse  ;  elle  est  confirmée 

par  ce  que  nous  voyous  chez  nos  entants,  qui  croient  d'abord  (jue  les 
pierres,  les  plantes  sont  les  causes  volontaires  des  peines  ou  des  plaisirs 
qu'ils  ressentent,  et  c'est  un  progrès  de  leur  part  quand  ils  distinguent 
entre  les  êtres  personnels  et  les  êtres  inanimés;  évidemment  ils  ont 
conclu,  par  analogie,  de  la  causalité  dont  ils  avaient  le  sentiment  in- 
time à  la  causalité  des  objets  qui  les  entouraient,  et  il  leur  a  fallu  sup- 
primer dans  leurs  naïves  conceptions  l'élément  intentionnel  pour 
arriver  à  l'idée  de  simple  l'orée.  Toutefois  Maine  de  Biran  a  méconnu 
le  vrai  caractère  du  principe  de  causalité;  il  croyait  que  nous  l'obte- 
nons par  voie  d'induction,  en  appliquant  à  tous  les  faits  ce  qu'une 
expérience  intime  nous  a  appris.  L'expérience,  si  constante  qu'on  la 
conçoive,  ne  nous  fournit  que  des  notions  contingentes,  c'est-à-dire 
éventuelles;  l'induction  peut  étendre,  généraliser  une  telle  notion; 
mais  il  y  a  une  grande  différence  entre  de  telles  notions  générales  et 
les  idées  nécessaires.  Or  le  principe  de  causalité  estime  idée  nécessaire; 
non-seulement  nous  l'appliquons  à  tous  les  faits,  en  quelque  lieu  qu'ils 
se  passent,  sur  cette  terre  comme  dans  les  régions  les  plus  éloignées 
du  firmament,  dans  n'importe  quelle  portion  du  temps,  dans  le  passé 
le  plus  reculé  comme  dans  l'avenir  le  plus  indéfini,  mais  nous  l'appli- 
quons spontanément;  nous  n'avons  pas  besoin  de  nous  le  remémorer; 
la  réllexion  n'en  augmente  ni  n'en  diminue  le  rôle,  elle  ne  peut  que 
le  constater;  aucun  effort  de  notre  esprit  ne  nous  permet  de  concevoir 
un  phénomène  naissant  spontanément  du  néant  sans  être  provoqué 
par  quelque  chose  d'antérieur.  C'est  donc  une  loi  fondamentale  de 
notre  esprit,  une  condition  de  la  pensée,  un  élément  constitutif  de 
notre  intelligence.  On  peut  le  ramener  sous  un  principe  plus  général, 
celui  de  la  raison  suffisante,  qui  se  divise  en  deux  branches:  de  même 
que  nous  ne  pouvons  légitimement  prononcer  une  affirmation  sans 
une  raison  qui  nous  détermine  (principium  cognoscendi),  de  même  un 
fait  ne  peut  avoir  lieu  sans  une  cause  déterminante  {principium  essendi). 
Mais  le  principe  de  causalité  n'a  pas  besoin  d'une  telle  déduction  pour 
exercer  son  empire,  et  nous  affirmons  tout  ensemble  son  origine  et  sa 
légitimité  en  disantqu'ilasa  source  dans  la  raison,  c'est  un  principe  de 
la  raison,  une  idée  a  priori.  Si  nous  avons  tout  à  l'heure  considéré  la 
notion  de  cause  comme  provoquée  par  l'expérience  personnelle,  nous 
avons  voulu  seulement  signaler  la  forme  expérimentale  sous  laquelle 
elle  apparaît  d'abord,  mais  sans  affirmer  pour  cela  (pie  la  notion  soit 
réellement  antérieure  au  principe.  On  sait  (pie  chaque  idée  à  priori  est 
éveillé*;  en  nous  par  les  circonstances  dans  lesquelles  nous  nous  trou- 
vons placés;  elle  n'en  conserve  pas  moins  son  caractère  de  nécessité 
et  de  certitude  universelle.  Il  en  est  de  même  pour  le  principe  :  Nihil 
fit  si/a-  causa,  —  La  vérité  de  ce  principe  a  été  contestée,  notamment  par 
Hume.  Aux  yeux  du  philosophe  écossais  (Essais  sur  l'entend.,  VU), 
nous  constatons  seulement  que  tel  fait  est  ordinairement  suivi  de  tel 
autre,  d'où  nous  attendons  le  second,  quand  le  premier  se  manifeste. 


750  CAUSE,  CAUSALITÉ 

mais  cette  succession  ne  nous  autorise  pas  à  statuer  chez  le   premier 
un  pouvoir  de  produire  le  second.  Ce  que  nous  appelons  relation  de 
cause  et  d'effet  n'est  donc  que  le  fruit  de  F  habitude  ou  de  F  association 
des  idées.  «  On  objecte  que  la   réflexion   nous  conduit  à  croire   que 
nous  avons  en  nous  une  force  par  laquelle  nous  faisons  obéir  les  or- 
ganes du  corps  aux  volontés  de  l'esprit  ;  mais  comme  nous  ignorons 
par  quel  moyen  l'esprit  agit  sur  le  corps,  avons-nous  le  droit  de  con- 
clure que  l'esprit  est  une  force  réelle?  Réduits  à  l'expérience,  nous  ne 
savons  que  ceci  :  il  y  a  fréquemment  coexistence  ou  succession  des 
mômes  phénomènes.  »  Hume  était,  dans  une  certaine  mesure,  autorisé 
à  ce  mode  de  raisonnement  par  la  manière  défectueuse  dont  Locke 
avait  fondé  l'idée  de  cause,  quand  il  en  trouvait  l'origine  dans  l'expé- 
rience extérieure  :  nous  voyons  les  corps  se  modifier  réciproquement, 
donc  ils  ont  un  pouvoir,  une  action  les    uns  sur  les  autres.  11  faut 
encore  reconnaître  que  Hume  a  justement  insisté  sur  un  fait  important  : 
nous  ne  connaissons  pas  la  manière  dont  les  divers  êtres  exercent  leur 
action  les  uns  sur  les  autres;  non    seulement  pour  les  rapports  du 
corps  et  de  l'âme,  mais  pour  les  rapports  beaucoup  plus  simples  des 
molécules   entre   elles,  la  causation  proprement  dite  nous   échappe, 
elle  est  invérifiable;  aucune  expérience   ne  nous   a   révélé   ce   fond 
intime  des  opérations  des  substances;  nous  n'avons  pu  saisir  que  la 
connexité  constante  de  certains  phénomènes  antérieurs  avec  des  phé- 
nomènes consécutifs.  Mais  cette  ignorance  des  dernières  intimités  de 
l'opération  ne  nous  autorise  pas  à  nier  ce  que  M.  Cl.  Bernard  appelle 
le  déterminisme  des  phénomènes,  chaque  phénomène  ayant  ses  con- 
ditions déterminées,  son  déterminisme  propre  ;  et  qu'est-ce  au  fond 
que  ce  déterminisme,  sinon  la  causalité?  Nous  ignorons,  dit  Hume, 
quels  rapports  existent  entre  le  corps  et  l'esprit;  mais  l'esprit  nous 
apparaît  déjà  comme  une  force  réelle  dans  ses  actes  internes,  alors 
qu'il  n'est  pas  question  de  ses  rapports  avec  une  substance  étrangère. 
Bien  plus  le  monde  externe  est  seulement  connu  de  nous  en  tant  que 
cause  des  sensations  que  nous  éprouvons;  supprimez  la  causalité  et 
vous  ne  savez  plus  rien  de  l'univers.  Ce  scepticisme  a  donc  pu  un 
instant  ébranler  la  croyance  universelle,  mais  pour  la  fortifier  par  une 
étude  plus  approfondie  de  son  bon  droit.  Kant,  de  son  côté,  a  voulu 
restreindre  singulièrement  la  portée  de  ce  principe,  en  le  considérant 
comme  une  loi  purement  subjective  de  notre  esprit,  une  forme  de 
notre  entendement,  à  laquelle  nous  soumettons  les   objets  de  notre 
expérience  sensible,  mais  sans  que  nous  puissions  savoir  s'il  existe 
une  telle  relation  entre  les  objets,  s'il  y  a  des  causes  clans  ce  monde. 
Il  en  faisait  de  même  pour  les  notions  du  temps,  de  l'espace,  pour 
toutes  les  conditions  essentielles  de  l'existence  ;  de  la  sorte  la  nature 
devenait  un. a?  indéchiffrable,  et  Jacobi  a  pu  dire  avec  raison,  au  sujet 
de  la  possibilité  des  impressions  sensibles  :  «  On  ne  peut,  sans  admettre 
la  croyance  habituelle,  entrer  dans  le  système  de  Kant,  ni  y  demeurer 
en  la  maintenant;  car,  quoiqu'il  soit  contraire  à  l'esprit  de  ce  système 
d'affirmer  que  les  objets  fassent  impression  sur  l'âme  et  produisent 
ainsi  des  représentations,  on  ne  conçoit  pas  comment  la  philosophie 


CAUSE,  CAUSALITE  751 

kantienne,  sans  celte  croyance,  peut  commencer  (puisque   l'intelli- 
gence reste  vide  sans  les  matériaux   qui  provoquent  son  activité),  ni 
comment  elle  peut  être  enseignée  »  {BeU.  zudem  Oespr.  ùber  Idéal,  u. 
.  Aussi  le  criticisme  a  exercé  en  ce  point  la  même  influence  que 

le  scepticisme  de  ilmne.  —  Le  principe  de  causalité  ne  trouve  pas  sa 
représentation  exacte,  sa  réalisation  dans  les  faits  que  nous  constatons 
journellement;  nous  ne  rencontrons  que  des  causes  qui  sont  elles- 
mêmes  des  effets,  qui  ne  sont  causes  que  dans  un  sens  tivs-restivinl. 
transmissions  plutôt  que  causes.  La  pensée   nous  l'ait  donc  concevoir, 
à  l'origine  de  cet  univers,  une  cause  qui  le  soit  vraiment  et  purement. 
On  a  dit  quelquefois  :  «  Si  le  principe  de  causalité  est  absolument  vrai, 
il  exclut  Tidée  d'une  cause  première  ;  appliqué  à  la  rigueur,  il  conduit 
à  un  résultat  inadmissible,  à  une  série  infinie  d'effets  et  de  (anses;  le 
principe  de  causalité  doit  se  limiter  pour  rester  debout.  »  H  est  plus 
juste  de  dire  :  le  principe  de  causalité  étant  vrai,  il  faut  rappliquer 
dans  sa  rigueur;  un  enchaînement  d'etiets  et  de  causes,  si  long  qu'on 
veuille  le  concevoir,  ne  constitue  en  réalité  qu'un  seul  effet,  qui  ré- 
clame une  cause  agissant  par  elle-même,  ayant  en  elle-même  la  raison 
de  l'existence  de  la  chaîne.  Telle  est  la  preuve  de  l'existence  de  Dieu 
nommée  argument  cosmologique.  Saint  Paul  y  l'ait  appel  dans  Rom.  I, 
11).  Saint  Augustin  lui  donne  de  magnifiques  développements  dans  ses 
Confessw)is,X,ti:  «  J'interrogeai  la  mer  et  les  abîmes,  et  ils  me  répon- 
dirent :  Nous  ne  sommes  pas  ton  Dieu;  cherche  au-dessus  de  nous... 
Et  je  dis  aux  vents,  à  l'air,  au  ciel,  au  soleil,  à  la  lune,  aux  étoiles  : 
Dites-moi  quelque  chose  de  Lui.  Et  ils  crièrent  d'une  voix  forte  :  Il  nous 
a  faits.  »  Depuis  lors  cette  argumentation  a  été  usitée  dans  la  théologie. 
Leibnitz,  en  voulant  tirer  de  l'argument  puisqu'il  ne  comporte,  savoir 
l'existence  de  l'être  absolument  nécessaire,  Ta  fait  un  peu  dévier  de 
son  sens  primitif  :  «  Les  choses  bornées,  comme  tout  ce  que   nous 
voyons  et  expérimentons,  sont  contingentes  et  n'ont  rien  en  elles  qui 
rende  leur  existence  nécessaire.  Il  faut  donc  chercher  la  raison  de 
l'existence  du  monde,  qui  est  l'assemblage  entier  des  choses  contin- 
gentes, et  il  faut  la  chercher  dans  la  substance  qui  porte  la  raison  de 
son   existence  avec  elle,  et  laquelle  par    conséquent   est  nécessaire  » 
(Théod.,  1,  7).  Kant,  exagérant  la  déviation,  expose  ainsi  l'argument  : 
Si  quelque  chose  existe,  il  doit  exister  un  être  absolument   nécessaire 
et  qui  ne  peut  être  quel'ens  realisswium.  Or  la  notion  de  Vens  realiasî- 
rtiu.iit  est  tirée  non  de  l'expérience,  mais  de  la  pensée:  d'où  Kant  con- 
clut que  L'argument  cosmologique  se  confond  avec  l'ontologique.  Mais 
l'argument  cosmologique,  maintenu  dans  ses  justes  limites,  ne  prouve 
p.is  [a  nécessité  au  moyen  de  la  contingence,  n'affirme  pas  que   les 
doses  de  ce  monde  réclament  un  auteur  qui  soit  infini,  réunissant  en 
lui  toutes   les  perfections;  elles  réclament  seulement  un  auteur  qui  soit 
la  raison  suffisante  de  ce  qui  se  passe  dans  l'univers.  Jacobi,  de  son 
côté,  objecte  :  «  Pour  <pic  l'existence  de  Dieu  pût  être  démontrée,  il 
faudrait  qu'elle  put  être  déduite  d'un  principe  qui  serait  la  raison  d'être 
de  Dieu  et  qui  dès  lors  serait  antérieur  ou  supérieur  a  Dieu  »    Von  dei) 
gœttl.  Ding.\  C'est  tout  simplement  confondre  le  principe  de  cou- 


752  CAUSE,  CAUSALITE 

naissance  avec  le  principe  d'essence.  L'argument  cosmologique  bien 
conçu  est  irès-rigoureux  en  même  temps  que  populaire  (Yoy.  Kahnis, 
Dogmatik,\). — Enappliquantle  principe  de  causalité  à  Dieu  lui-même, 
on  a  dit  que  Dieu  est  causa  sui ;  il  est  ce  qu'il  veut  être  (voy.  Fart. 
Aséité).  —  Ce  principe  a  également  été  employé  dans  l'étude  des  perfec- 
tions divines.  La  scolastique,  surlespasde  Denys  l'Aréopagite,  formula 
les  trois  méthodes,  très  vlas  eminentiœ,  negationis,  causalitatis,  la  troi- 
sième inférant  les  attributs  divins  qui  expliquent  l'existence  du  monde. 
—  Affirmer  l'existence  d'une  cause  première,  ce  n'est  pas  nier  l'exis- 
tence de  causes  secondes,  douées  d'une  vertu  propre,  d'une  indépen- 
dance accordée  et  mesurée  par  le  Créateur.  En  tant  que  libres  et  res- 
ponsables, nous  sommes  dans  une  sphère  subordonnée   des   causes 
premières  ;  et  dans  la  nature  nous  constatons  divers  degrésd'une  aptitude 
des  êtres  à  exécuter  spontanément  les  actes  conformes  à  leur  nature, 
utiles  à  leur  conservation  ou  à  leur  développement,  depuis  les  vertébrés 
les  plus  riches  jusqu'aux  molécules  qui  semblent  inertes.  Descartes  ne 
tint  pas  compte  des  causes  secondes;  Malebranche  combattit  leur  effi- 
cacité ;  Leibnitz  eut  le  mérite  de  les  rétablir  en  introduisant  l'idée  de 
force  dans  la  métaphysique  et  la  physique.  Du  moment  où  l'on  rejetait 
l'existence  des  causes  secondes,  il  fallait  ou  bien  dire,  avec  Spinoza,  que 
les  choses  créées  ne  sont  que  de  purs  modes  de  la  substance  divine, 
c'est-à-dire  éliminer  la  causalité,  ou  bien  ne  reconnaître  qu'une  seule 
et  même  cause  de  tous  les  mouvements,  qui  interviendrait  jusque  dans 
les  rapports  intimes  de  notre  àme  avec  notre  corps,  Dieu,  à  l'occasion 
des  mouvements  du  corps,  faisant  naitre  dans  l'âme  les  phénomènes 
qui  y  correspondent  et  réciproquement,  «  II  est  vrai  que  notre  bras  se 
remue  quand  nous  le  voulons,  et  qu'ainsi  nous  sommes  la  cause  natu- 
relle du  mouvement  de  notre  bras.  Mais  les  causes  naturelles  ne  sont  point 
de  véritables  causes,  ce  ne  sont  que  des  causes  occasionnelles,  qui  n'a- 
gissent que  par  la  force  et  l'efiicace  de  la  volonté  de  Dieu  »  (Malebr., 
Recherche  de  la  v.,  VI,  II,  3).  Cette  doctrine,  que  Descartes  avait  prépa- 
rée, fut  peu  à  peu  développée  par  Clauberg,  Malebranche,  Régis   et 
surtout  Geulinx;  elle   s'autorisait   de   la  distinction   radicale   qu'on 
statuait  entre  la  substance  pensante  et  la  substance  étendue.  L'occa- 
sionalisme  a  partagé  le  sort  de  la  philosophie   cartésienne.   Pour  ceux 
qui  reconnaissent  l'existence  de  causes  secondes,  la  question  de  leur 
subordination  à  la  cause  première  constitue  un  des  chapitres  les  plus 
intéressants  de  la  doctrine  de  la  Providence.  —  Cetintérêt  redouble,  si 
l'on  considère  que  la  causalité  peut  être  encore  envisagée  à  un  autre 
point  de  vue.   Quand  nous  demandons  le  pourquoi  d'un  l'ait,  notre 
question   peut  recevoir  une  double  réponse,  soit  qu'elle  indique  la 
cause  efficiente,  l'action  antérieure  qui  a  produit  l'effet,  ou  la  cause 
finale,  le  but  en  vue  duquel  l'action  a  été  exercée;  et  quand  nous  de- 
mandons à  un  être  intelligent  la  raison  de  son  activité,  c'est  ladeuxième 
réponse  que  d'ordinaire  nous  attendons.  La  fin  que  nous  nous  propo- 
sons d'atteindre  détermine  le  moyen  que  nous  emploierons,  elle  est 
cause  de  ce  moyen  ;  l'effet  est  cause  de  sa  cause,  non  qu'il  ait  pu  agir 
avant  d'être  réalisé,  mais  il  existait  déjà,  sous  une  forme  idéale,  dans 


CAUSE,  CAUSALITE  753 

la  pensée  de  celui  qui  a  disposé  les  moyens,  dette  (inalité  ne  se  con- 
state pas  seulement  dans  les  oeuvres  de  l'homme,  mais  aussi  dans  les 
actes   intelligents  ou  instinctifs  des  animaux;  dans  L'organisation  des 
êtres  vivants,  dans  la  structure  et  la  fonction  de  leurs  diverses  parti.-. 
dous  retrouvons  une  coordination  de  moyens  disposés  en  vue  d'un  ré- 
sultat qui  est  la  vie  de  ces  êtres.  En  général,  nous  remarquons  dans  la 
nature  des  coïncidences  constantes  et  bienfaisantes  de  phénomènes,  qui 
demandent  à  être  expliquées  et  qui  ne  le  peuvent  être  par  le  seul  jeu 
des  diverses  causes  efficientes,  mais  qui  le  sont  par  le  résultat  auquel 
elles  aboutissent.  La  nature  est  donc  soumise  à  l'empire  de  la  finalité, 
c'est-à-dire  d'une  pensée  qui  s'est  proposé  des  buts,  et  si  elle  est  une, 
un  but  suprême.  La  finalité  n'est  pas  une  loi  de  l'esprit,  une  condition 
nécessaire  de  la  pensée,  un  à  priori  que  nous  appliquions  à  tous  les 
phénomènes  indistinctement;  c'est  un  caractère  delà  nature,  que  nous 
pouvons   connaître  au  moyen  de  l'observation  et  de   l'induction.  La 
constatation  de  ce  l'ait  est  l'objet  de  la  physicothéologie.  Cette  science, 
qui  commençait  avec   Socrate,  reçut  une  puissante  impulsion  de  la 
philosophie  d'Arîstote,  aux  yeux  de  (fui  le  but  était  la  cause  dominante 
et  constituait  la  vraie  essence  des  choses;  Cicéron  lui  consacra  de  belles 
pages  dans  son  De  naturel  Deor.  (Il,  37)  ;  elle  inspira  à  Fénelon  la  pre- 
mière partie  de  son  Traité  de  l'existence  de  Dieu  et  à  Derham  ses  dis- 
cours {Physicothéologie,  1714).  Au  siècle  dernier,  des  écrits  tels  (pie 
Lliydrothéologiede  Fabricius(1741),  la  testacéothéologieet  lalithothéo- 
logie  de  Lesser  (17o7),  au  commencement  de  ce  siècle  les  traités  pro- 
voqués par  le  comte  de  Bridgewater  jetèrent  sur  les  études  téléologi- 
ques   quelque  discrédit  par  l'esprit  trop  utilitaire  qui  les  dominait. 
Elles  étaient  vengées  parles  travaux  de  Reimarus  (Relig.natw\,  1754?), 
Ch.  Bonnet  (Gontempl.  de  la  nat.,  1704),  Paley  (Natural  t/ie<>L,  1802). 
Ceux  (iui  ne  veulent  reconnaître  dans  la  nature  que  le  jeu  des  forces 
efficientes  sont  embarrassés  pour  expliquer  Tordre  qui  règne  dans  l'u- 
nivers, le  concours  si  ingénieux  des  diverses  parties  de  chacun  de  nos 
organes.  Aussi  le  système  du  mécanisme  fait-il  place  depuis  quelque 
temps  à  une  théorie  nouvelle,  celle  d'un  instinct,  d'une  force  aveugle, 
qui  inciterait  la  matière  à  s'organiser  de  manière  à  atteindre  le  même 
résultat  que  si  elle  avait  été  organisée  par  un  être  pensant;  mais  l'hypo- 
thèse d'une  telle  force  aveugle  et  si  intelligente  constitue  plutôt  un  in- 
sondable problème  qu'une  explication.  Nous  renvoyons  pour  toutes  les 
questions  de  cet  ordre  à  l'ouvrage  de  M.  Janet,  Les  causes  finales,  1870. 
Voyez   aussi   Koestlin,  Gotl  in  der  Natur,  2  vol.,  1852,  et    Ueber  di 
ZulaessigkeitdesZweckbegriffs  inderNutU7*wtsê.,  1854.  —  Enfin  les  divers 
modes  de  la  causalité  ont  été  employés  au  dix-septième  siècle  comme 
principe  de  systématisation  pour  les  dogmes  delà  théologie  luthérienne. 
Aristote  avait  distingué  quatre  sortes  de  causes  :  l'efficiente,  la  formelle. 
la  matérielle  (élément  ou  matière  dont  une  chose  est  faite)  et  la  finale 
(idée  ou  plan  préconçu  dans  la  pensée  de  l'auteur);  et  Calvin  avait  en  u- 
méré  ilmtU.,  III,  14,  17)  quatre  causes  de  notre  salut  :  l'efficiente, 
savoir  la  miséricordede  Dieu;  la  matérielle,  Christ  avec  son- obéissance  ; 
l'instrumentale,  la  foi;  la  finale,  diémontrer  la  justice  de  Dieu  et  glorifier 

48 


754  CAUSE  —  CAVALIER 

sa  bonté.  La  méthode  causale  étendit  ce  oro°  '<lé  à  tout  renseignement 
chrétien;  chaque  dogme  fut  découpé  et  rangé  sous  quatre  rubriques; 
par  exemple  Baier  (Compend.  theoL  fomL^i%Wl)  :  Juslificationis  causa: 
1°  efficiens  principalis,  subdivisée  en  impulsiva  interna  et  externa;  puis 
impulsiva  minus  principalis  ;  t°formalis,  'ic.  La  pesanteur  formaliste  de 
ce  procédé  obscurcissait  les  dogmes  plutôt  qu'elle  ne  les  élucidait.  Mais 
si  l'exécution  était  maladroite,  il  y  avait  au  fond  une  pensée  légitime, 
la  recherche  des  causes  et  la  démonstration  de  leur  enchaînement,  pen- 
sée dont  la  science  religieuse  doit  plus  que  jamais  s'inspirer  pour 
remplir  sa  mission.  —  Voyez,  pour  la  question  générale,  les  traités  de 
métaphysique;  J.-H.  Fichte,  Ontologie ,  1836,  p.  413-466;  et  pour  les 
applications,  les  articles  Dieu,  Providence.  A.  Matter. 

CAUSES  MAJEURES,  appelées  ainsi  à  cause  de  la  gravité  de  la  ma- 
tière ou  de  l'importance  des  personnes  qui  y  sont  intéressées.  Les 
causes  majeures  sont  réservées  au  pape.  Barbosa  {In  tract,  de  offic.  et 
potest.  episcop.,  Alieg.,  50)  les  définit  ainsi  :  Causse  omnes  majores  ad 
sedem  apostolicam  referuntur  :  porro  causœ  majores  censëntur  quœs- 
tiones  quœ  spectant  ad  articulos  fidei  intellig endos,  ad  canonicos  libros 
discernendos,  ad  sensum  sacrarum  litterarum  declarandum  approban- 
durnque,  ad  interpretanda  quœ  dubia  sunt  vel  obscura  in  controversiis 
fidei,  in  jure  canonico  vel  divino;  item  ad  declarandum  quœ  ad  sacra- 
menta  pertinent,  videlicet  ad  materiam,  formam  et  ministrum.  Autrefois, 
en  France,  on  entendait  par  causes  majeures  les  actions  criminelles  in- 
tentées contre  les  évêques,  et  on  prétendait  que  ces  causes  devaient 
être  jugées  en  première  instance  par  le  concile  provincial,  prétention 
que  la  curie  romaine  n'a  jamais  reconnue  (voy.  Glaire,  Diction,  univ. 
des  sciences  ecclés.). 

CAVAILLON  [Cabellio]  (Vaucluse),  évêché  sufïragant  d'Avignon,  et 
d'Arles  avant  1475,  supprimé  en  1801.  En  1250,  Innocent  IV  en  dédia 
la  cathédrale  à  Notre-Dame  ;  néanmoins  cette  église  a  conservé  comme 
deuxième  patron  saint  Urain  (Veranus  :  sa  vie  dans  Labbe,  Bibl.,  II), 
qui  fut  évéque  en  585  et  qui  est  révéré  le  11  novembre.  Il  faut  encore 
nommer  Philippe  de  Gabassole,  célèbre  cardinal,  originaire  de  Cavail- 
lon,  ami  de  Pétrarque  et  administrateur  éclairé  (1334-72).  —  Voyez 
Gallia,  I  ;  Courtet,  Dictionn.  de  Vaucluse,  1877. 

CAVALIER.  Cet  homme  extraordinaire,  «un  des  plus  rares  caractères 
que  l'histoire  nous  ait  transmis,  »  au  jugement  de  Malesherbes,  fut  le 
principal  chef  de  l'insurrection  camisarde.  Il  naquit  à  Ribaute,  près 
d'Anduze,  en  1680,  et  mourut  à  Chelsea  en  1740.  Il  avait  été  d'abord 
valet  de  ferme,  puis  boulanger,  et  devint  bientôt,  à  la  tête  de  sa  bande, 
le  capitaine  le  plus  audacieux  et  le  plus  habile  qui  fût  jamais.  Réfugié 
à  Genève  en  1701  à  la  suite  de  deux  procès,  l'un  civil,  l'autre  criminel, 
qui  lui  furent  intentés  pour  cause  de  religion,  il  rentra  au  bout  d'un 
an  dans  les  Cévennes,  qui  étaient  désolées  par  les  persécutions  de 
l'abbé  du  Chaila.  Peu  après,  vingt  jeunes  gens  de  Ribaute,  gagnés  par 
ses  exhortations,  l'élisent  pour  leur  chef,  et  il  entreprend  avec  eux 
cette  lutte  héroïque,  qui  a  immortalisé  son  nom  et  dont  voici  les  prin- 
cipaux faits  :  défaite  du  capitaine  Viial  dans  les  bois  d'Alais,  destruc- 


CAVALIER  -  CAVOUR  755 

tion  presque  complète  des  troupes  du  Lieutenant  Montarnaud  et  du 
capitaine  Bernard  dans  les  bois  de  Vaquières  (S  décembre  1702),  d'un 
détachement  de  milices  à€endims  et  d'une  compagnie  de  fusiliers  a 
Saint-Cosme  ;   prise  du  château   de   Servas,   défaite  de  la  garnison 

d'Alais  aux  portes  de  cette  ville  (Noël  1702),  désarmement  de  la  garni- 
son et  des  habitants  de  Sauve  (27  décembre),  expédition  malheureuse 

ea  Vivarais,   suivie   coup   sur   coup    d'une    victoire   et  d'une  défaite 
complète   à    Vagnas   (200    camisards   périrent  dans  cette  dernière, 
10  février    1703),   défense   héroïque  de  la  tour  de   Belot  près   Alais 
(300  camisards  y  furent  brûlés),  représailles  terribles  exercées  dans  la 
plaine  (incendie  de  plusieurs  bourgs  et  d'un  grand  nombre  d'églises, 
égorgemeai  de  catholiques),  à  la  suite  de  la  complète  dévastation  des 
hautes  Cévennes  par  le  maréchal  de  Montrevel  (septembre  et  octo- 
bre 1703),  défaite  de  la  garnison  de  Nîmes  à  Nages  (13  novembre  1703), 
destruction  de  plusieurs  bandes  de  soldats  florentins  convertis  en  pil- 
lards, victoire  éclatante  aux  Devoirs  de  Martignargues,  combat  héroïque 
durant  sept  heures  dans  les  environs  de  Nîmes,  où  les  camisards  luttent 
cinq  contre  un  et  laissent  400  des  leurs  sur  le  carreau.  Au  dire  du 
maréchal  de  Villars,  Cavalier,  dans  cette  sanglante  journée,  «  se  com- 
porta comme  l'aurait  pu  faire  un  grand  général  »  (16  avril  1704).  Ce  fut 
le  dernier  fait  d'armes  du  chef  camisard.  Découragé  par  ce  désastre,  il 
traita  avec  Villars  (16  mai),  moyennant  un  brevet  de  colonel  et  une 
pension  de  1,200  livres,  et  la  formation  d'un  régiment  de  camisards  à 
destination  de  l'Espagne.  Mais  quarante  seulement  de  ses  anciens  com-' 
pagnonsse  rendirent  à  son  appel.  Surveillé  de  près,  Cavalier  fut  envoyé 
successivement  à  Lyon  (21  juin  1704),  à  Mâcon  et  en  dernier  lieu  à 
Neuf-Brisac,  d'où  il  gagna  prudemment  la  Suisse  (1er  septembre).  Il  servit 
ensuite  le  duc  de  Savoie  comme  colonel  d'un  régiment  de  réfugiés. 
Passant  après  cela  sous  les  drapeaux  de  l'Angleterre,  il  fut  battu  en 
Espagne  avec  l'armée  anglaise  (1706),  puis  il  rejoignit  à  Nice  le  prince 
Eugène  qui  échoua  dans  sa  tentative  sur  la  Provence.  Retiré  en  Angle- 
terre, il  se  maria  avec  la  fille  aînée  de  madame  du  Noyer,  et  mourut 
major  général  et  gouverneur  de  Jersey.  Il  a  laissé  des  Mémoires  peu 
exacts  parce  qu'ils  furent   dictés  de  souvenir.  —  Pour  les  sources, 
voyez  Camisards.  E.  Aknaud. 

CAVE  (Guillaume),  théologien  anglais,  né  à  Pickwell  dans  le  comté 
de  Leicester,  le  30  décembre  1637,  mort  à  Windsor,  le  13  août  1713.  Il 
entra  en  1653  au  collège  Saint-Jean  de  Cambridge,  et  après  avoir  exercé 
les  fonctions  de  vicaire  dans  différentes  cures,  fut  nommé  chanoine 
d'Oxford.  On  a  de  lui  divers  ouvrages  concernant  surtout  l'histoire 
ecclésiastique  :  Primitive  christianity,  or  the  religion  of  the  ancient 
ckrùtians  in  the  f/'rs/  âges  of  the  (ïos/jel  (Londres,  1672,  in-8°)  ;  Talmlie 
ccclesiasticie  (Londres,  167']-.  in-8°),  et  Scriptorum  ecclesiasticorum  his- 
toria  literarta  (Londres,  1688  et  1689,  2  vol.  in-fol.),  oeuvre  impor- 
tante à  laquelle  surtout  Cave  doit  sa  réputation. 

CAVOUR  (Camillo  Beuso  di)  [1810-1861].  Les  différentes  phases  de 
sa  vie  politique  n'eurent  qu'une  influence  très-légère  sur  ses  idées  po- 
litico-religieuses. Malgré  la  rapide  succession  de  laits  capitaux  pour  le 


756  CAYOUR 

petit  royaume  de  Sardaigne  (1849-1861),  malgré  les  changements  ra- 
pides survenus  dans  la   situation   politique  de  la  presqu'ile   et  dans 
ses  rapports  avec  le  saint-siége,  Cavour  demeura  l'inébranlable  et  ar- 
dent défenseur  de  toutes  les  libertés  civiles  et  religieuses.  Croyant  à 
une  idée  iixe,   celle  de  Roger  Williams  :  «  l'Eglise   libre   dans  l'Etat 
libre,  »  il  veut  la  liberté  pour  tous,  même  pour  les  jésuites;  car  il  est 
convaincu  qu'ils  seraient  moins  nuisibles  s'ils  étaient  plus  libres.  En- 
nemi naturel  de  tout  privilège,  il  s'élève  (en  1850)  contre  le  for  ecclé- 
siastique et  le  droit  d'asile  dont  l'abolition  était  réclamée  par  le  comte 
Siccardi,  interprète  de  l'opinion  publique;  et  il  invite  le  parlement  à 
adopter  la  loi  sans  s'occuper  de  la  désapprobation  du  «pape.  En  1851, 
dans  le  même  esprit  de  liberté,  il  soutient  que   l'instruction  théologi- 
que dans  les  séminaires  doit  être  abandonnée  au  clergé   sans  l'ingé- 
rence du  gouvernement,  qui  n'a  pas  plus  le  droit  d'être  théologien  que 
les  évêques  n'ont  celui  d'être  gouverneurs.  11  croit  que  lorsque  le 
clergé  aura  joui  de  la  liberté,  il  aimera  la  constitution  libérale  et  qu'il 
cherchera  son  avantage  propre  dans  la  pratique  delà  liberté.  En  1852, 
il  retourna  ses  armes  contre  le   clergé   dans  la  question   du   mariage 
civil,  qu'il  considérait  comme  le  premier  pas  vers  la  séparation  des 
deux  pouvoirs.  En  1855,  malgré  les  anathèmesde  Rome  et  les  attaques 
virulentes  du  parti  clérical,  la   loi  sur  V incarner at ion    des  biens  ecclé- 
siastiques fut  adoptée  par  le  parlement  et  par  le  sénat.  Cette  loi,  qui  mit 
en  péril  le  ministère  de  Cavour,   demandait  à  l'Eglise  de  pourvoir   à 
l'entretien  des  paroisses  pauvres  et  diminuait  le  passif  du  budget  de  la 
somme  d'un  million  ;  elle  exigeait  en  outre  la  suppression  de  tous  les 
établissements  religieux  qui  ne  s'occupaient  ni  de  prédication,  ni  d'é- 
ducation, ni  des  œuvres  de  charité.  Le  but  de  la  loi  n'était  pas  de  con- 
fisquer les  biens  de  l'Eglise  au  proiit   de  l'Etat,  mais  de  fonder  une 
caisse  ecclésiastique  pour  la  juste  distribution  des  revenus  de  l'Eglise 
parmi  les  membres  du  clergé  les  plus  pauvres.  Pour  Cavour,  les  cor- 
porations religieuses,  généralement  hostiles  au  mouvement  libéral  mo- 
derne,  sont  des  entraves  au   libre   développement  économique  des 
nations,  car  elles  empêchent  la  circulation  et  l'exploitation  rationnelles 
de  richesses  immenses,  infructueuses  à  cause  de  leur  immobilité.  Les 
nations  les   plus  prospères  sont  celles  qui  ont  aboli  le  monachisme, 
et  la  religion  qui  le  soutient  avec  un  glaive  spirituel  est  une  mauvaise 
religion.  Les  mesures  libérales  doiventêtre  appliquées  même  àl'Eglise. 
En  1861,  le  royaume  d'Italie  est  fondé  et  la  question  de  Rome  s'impose 
tout  naturellement  à  l'esprit  de  Cavour.  Voici  ses  idées  sur  la  question  : 
le  pouvoir  temporel  ne  garantit  plus  le  pape,  qui  ne  vit  politiquement 
qu'à  force  de  concordats  qui  compromettent  son  autorité  spirituelle. 
Rome  doit  être  la  capitale  civile  du  royaume  d'Italie  et  la  capitale  spi- 
rituelle du  catholicisme,  grâce  à  une  renonciation,  tacite  même,  du  pou- 
voir temporel,  de  la  part  du  pape  ;  du  côté  de  l'Etat,  par  une  liberté 
illimitée  accordée  au  pape  et  au  clergé  :  ainsi  le  pouvoir  politique  et 
l'autorité  religieuse  concourront  au  progrès  de  la  civilisation.  Point  de 
coercition,  ni  morale  ni  matérielle;  la  liberté  rayonnera  de  Rome  sur 
l'univers,  et  les  peuples  ne  la  considérant  plus  comme  leur  ennemie, 


CAVOUR  -  CAYET  757 

lui  redonneront  leur  vénération  et  leur  culte.  C'est  ridée  poétique  de 
Dante  et  deManzoni,  le  rêve  philosophique  de  Rosmini  et  de  Gioberti. 
La  forme  définitive  de  la  domination  romaine  spirituelle  sera  une  fédé- 
ration  d'évêques  régie  par  un  chef  électif;  c'est-à-dire   la  première 
forme  républicaine  et   parlementaire  de  L'Eglise  chrétienne.  Les  évo- 
ques et  le  bas  clergé  qu'ils  oppriment  sans  cesse,  ayant  pins  de  liberté, 
s'occuperont    des    libertés  civiles  et  les   répandront  parmi  le    peuple. 
Bref,  il  faudrait  détruire  tons  les  obstacles  qui  empêchent  d'équilibrer 
les  forces  des  deux  pouvoirs  hostiles,  l'Eglise  et  l'Etat,  pour  qu'une  vie 
puissante  et  féconde  pût  circuler  dans  la  nation.  Si  Rome  refusela 
liberté  et  la  conciliation,  il  faut  agir  avec  beaucoup  de  prudence  et  de 
modération,  temporiser  longtemps  ;  mais  si  elle  n'accepte  pas  les  senti- 
ments de  la  nation,  il  faudra  un  jour  détruire  sa  puissance   temporelle 
comme  contraire  au  progrès.  Cavour  était  sage  lorsqu'il  conseillait  la 
modération,  mais  il  construisait  une  immense  utopielorsqu'il  élaborait 
son  système  de  conciliation  avec  Rome.  Il  est  difficile  de  connaître  les 
sentiments  intimes  de  Cavour  vis-à-vis  de  la  religion.  Catholique  et  ami 
de  toutes  les  réformes  libérales  modernes,  il  est  de  l'école  de  Lacordaire, 
de  Montalembert,  et  après  avoir  entendu  à  Paris  l'abbé  Cœur  qui  défen- 
dait la  foi  et  la  liberté,  il  écrivait  à  son  ami  Santa-Rosa:  «  Quand  ces 
doctrines  auront  été  accueillies  par  l'Eglise,  je  te  promets  de  devenir 
un  catholique  fervent  comme  toi.  »  11  ne  s'occupait  pas  de  la  partie 
positive  de  la  religion  et  professait  une  indifférence  superbe  à  l'égard 
du  dogme.  Pour  lui,  comme  pour  la  plupart  des  politiques,  la  religion 
est  utile  pour  la  vie  d'une  nation  et  pour  sa  constitution  morale.  — 
Voyez  :  Discorsi  Porlamentari  di  Cavour,  Florence,  1862  ;  Treitschke, 
Der  Graf  von  Cavour,  trad.,  Florence,  1873;  A.  Yera,  77  Cavour  c  libéra 
Chiesa  in  lîbero  Statu,  Naples,  1871;  Artom  et  A.  Blanc,  Œuvre  parle* 
mentaire  du  comte  de  Cavour,  Paris,  1862.  P.    Long. 

CAYET  (Pierre-Victor-Palma)  [1525-1610].  Né  à  Montrichard  en 
Touraine,  d'une  famille  pauvre  qui  embrassa  la  Réforme,  il  étudia  à 
Genève  et  fut  nommé  ministre  à  Poitiers,  puis  à  Montreuil-Bonnin, 
près  de  cette  ville,  chez  de  la  Noue,  et  enfin  prédicateur  de  la  sœur  de 
Henri  IV,  Catherine  de  Bourbon,  qui  l'amena  avec  elle  à  Paris  après 
l'entrée  du  roi  (1593).  Le  treizième  synode  général  (juin  1594)  le  dé- 
posa pour  avoir  composé  deux  écrits  scandaleux  sur  les  péchés  du 
sixième  commandement,  accusation  dont  il  inséra  longtemps  après, 
dans  sa  Chronologie  novenaire,  une  justification  .'maladroite  ;  et  «  là- 
dessus,  dit  Agrippa  d'Aubigné,  étant  déjetté,  il  passa  en  l'autre  religion, 
où  il  fut  bien  venu  de  la  Sorbonne,  mais  des  jésuites  assez  mal.  »  Le 
clergé  lui  fournit  aussitôt  une  pension  et  un  logement  à  Saint-Martm- 
des- Champs;  il  eut,  dès  1596,  la  charge  de  professeur  d'hébreu  au 
collège  de  Navarre,  et  de  «  lecteur  royal  aux  langues  orientales  »,  le 
bonnet  de  docteur  en  1600  et  enfin  la  prêtrise.  Encouragé  par  les  féli- 
citations de  Clément  VIII  qui  ne  dédaigna  pas  de  lui  écrire,  il  publia 
contre  ses  anciens  coreligionnaires  une  foule  de  Remontrances,  Admo- 
nitions et  autres  écrits  profondément  oubliés.  Il  provoqua  le  célèbre 
Dumoulin  à  une  discussion  verbale  dont  il  éluda  ensuite  de  signer  le 


758  CAYET  —  CÉCILE 

compte  rendu.  Il  eut  plus  de  profit  à  quitter  la  théologie  pour  l'his- 
toire, et  il  est  surtout  connu  aujourd'hui  par  sa  Chronologie  novenaire 
contenant  l'histoire  de  la  guerre,  de  1589  jusqu'à  la  paix  de  Vei^vins 
(Paris,  1608,  3  vol.  in-8°),  et  par  sa  Chronologie  septénaire  de  V Histoire 
de  la  paix  entre  les  rois  de  France  et  d'Espagne,  de  1598  à  1004  (Paris, 
1609,  in-8°).  Ces  deux  ouvrages,  auxquels  fait  suite  \e  Mercure  François 
d'Eusèbe  Renaudot,  ont  été  reproduits  dans  la  Collection  des  Mémoires 
relatifs  à  l'Histoire  de  France.  Cayet  a  traduit  de  l'allemand  V Histoire 
prodigieuse  et  lamentable  du  docteur  Faust,  avec  sa  mort  épouvantable 
(Paris,  1603,  in-12;  Rouen,  1604,  in-12,  4e  édition),  livre  aussi  rare 
que  curieux,  malgré  ses  nombreuses  réimpressions.  —  Voyez  d' Aubigné, 
Hist.  univ.,  ann.  1595  ;  Maimbourg,  préf.  deYHist.  de  la  Ligue;  Nicéron, 

t.  XXXV.  P.    ÈOUFFET. 

CÉCILE  (Sainte),  vierge  et  martyre  romaine.  Ses  Actes  nous  disent 
qu'elle  appartenait  à  une  famille  sénatoriale  (on  veut  aujourd'hui 
qu'elle  ait  été  des  Caecilii).  Son  père  la  donna  en  mariage  à  un  jeune 
patricien,  nommé  Valérien.  Le  jour  de  son  mariage,  elle  conduisit  son 
mari  au  pape  Urbain,  qui  le  baptisa  ainsi  que  son  frère  Tiburtius  ;  les 
nouveaux  chrétiens  subirent  aussitôt  le  martyre.  Quant  à  Cécile,  le 
préfet  de  Rome  tenta  d'abord  de  l'étouffer  dans  le  calclarium  de  sa 
maison;  puis  il  la  livra  au  bourreau  qui,  l'ayant  frappée  de  trois  coups, 
la  laissa  mourante  sur  le  sol.  Elle  expira  le  matin  du  troisième  jour, 
après  avoir  recommandé  ses  pauvres  au  pape,  et  lui  avoir  fait  don  de 
sa  maison  (c'est  aujourd'hui  Sainte-Cécile  de  domo).  Urbain  l'ensevelit 
«  parmi  les  évêques  ses  collègues  et  les  martyrs,  au  lieu  où  Ton  a  dé- 
posé les  saints  confesseurs.  »  En  817,  nous  dit  un  document  confirmé 
par  le  Livre  des  Papes,  Pascal  Ier,  guidé  par  un  songe,  découvrit  le 
corps  de  sainte  Cécile  au  cimetière  de  Saint-Sixte,  et  le  transporta 
dans  l'église  élevée  à  son  nom,  et  en  1599,  Sfondrati,  cardinal  de 
Sainte- Cécile,  retrouva  le  corps  de  la  sainte  tel  qu'il  était  au  moment 
de  sa  mort,  et  dans  la  position  gracieuse  où  l'a  sculptée  Maderno. 
Baronius  et  Bosio  ont  décrit  l'invention  de  cette  dépouille  en  témoins 
oculaires.  Néanmoins,  l'histoire  de  sainte  Cécile  n'avait  trouvé  qu'in- 
crédulité auprès  de  la  critique.  Un  mot  de  Fortunat,  qui  la  fait  vivre 
en  Sicile,  le  silence  des  anciens  documents,  les  contradictions  de  ses 
Actes,  dont  les  auteurs,  comme  dit  Tillemont,  «  n'ont  pas  reçu  l'amour 
de  la  vérité,  »  avaient  mal  disposé  les  historiens.  Mais  voici  qu'en  1854, 
tandis  qu'il  fouillait  le  cimetière  de  Saint-Calliste,  M.  de  Rossi  décou- 
vrit auprès  d'un  portrait  de  saint  Urbain,  datant  du  dixième  siècle, 
l'image  d'une  vierge  orante,  remontant  au  septième  siècle,  placée  près 
d'un  tombeau  ouvert,  et  paraissant  représenter  sainte  Cécile.  Une 
inscription  presque  effacée  semble  avoir  conservé  son  nom,  et  M.  de 
Rossi  croit  avoir  trouvé  dans  les  graffiti  mêmes  de  la  chapelle  le 
souvenir  de  la  translation  de  ses  restes  que  fit  le  pape  Pascal.  Cette 
importante  découverte  ramena  l'attention  sur  les  Actes  de  sainte  Cécile, 
que  Ton  veut  aujourd'hui  sauver  en  quelque  mesure,  en  distinguant 
du  pape  Urbain,  dont  la  date  ne  concorde  pas  avec  l'an  178  où  l'on 
met  le  martyre  de  la  sainte,  un  évêque  suburbain  du  même  nom.  On 


CÉCILE  —  CKDROX  759 

s'est  aussi  convaincu  que  remplacement  du  cimetière  de  Calliste  appar- 
tenait aux  CaeciiH.  Ce  serait  donc  à  vrai  dire  la  sainte  <|ui  aurai!  reçu 
les  évêques  de  Rome  dans  son  tombeau.  .Mais  d'où  vient  que  sainte 
Cécile,  à  la  renommée  de  laquelle  nous  devons  la  peinture  admirable 
de  Raphaël  et  tant  d'oeuvres  célèbres,  soit  devenue  la  patronne  des 
musiciens?  Le  t'ait  s'explique  par  un  mot  mal  compris  de  sa  Légende: 
(  antièîts  erganis,  C&ctiia  Domino decccntabat  :  mais  ici  les  o?y/<7tt<7  sont 
la  musique  profane  du  jour  de  s,>s  noces.  —  Voyez  les  Actes  publiés 
d'après  Métaphraste  par  Surins  <±2  nov.i  et.  d'après  les  mss.  par  l>o>io 
.  Pass,  S.  C;>'<\,  Home,  1600,  in-'i°>  et  Laderehi  (S.  Cm.  Acta, 
Rome,  17:2:2);  Tillemont,  III  ;deRossi,Za  limita  sêtterranea,  II;  Spencer 
Northcote  et  Brownlow,  Rome  souten-aine, traé.  parP.  Allard.  ^°  édit., 
Paris,  187'i.  in-8°.  p.  224;  dom  Gttéranger,  Sainte  Cécile  et  in  Société 
romaine  aux  (leur  premiers  siècles,  Paris,  1874,  gr.  in-S°. 

S.  Bebq.be. 

CÉDARÉNIENS  rKëdàr.  BénëKédàr\  peuple  nomade  d'Arabie 
(Jér.  II,  10;  XLIX,  28;  Ps.  CXX),  que  la  Geoèse  (XXV,  13;  cl'.  Ezéch. 
XXVII.  21)  lait  descendre  de  Cédar,  lils  d'ismaël.  Ils  taisaient  le  com- 
merce avec  les  produits  de  leurs  troupeaux  (Es.  XLII,  11;  LX,  7;  Cant. 
!.  5)  et  étaient  célèbres  par  l'habileté  de  leurs  archers  (Es.  XXI,  16  ss.)« 
Eusèbe,  Jérôme,  d'accord  avec  Pline  (5,  12:),  les  placent  dans  l'Ara- 
bie Déserte,  dans  le  voisinage  des  Xabathéens,  tandis  que  Théodoret, 
au  contraire,  les  fait  voyager  du  côté  de  Babylone. 

CÉDRÉNUS  1v£ccy;v:çj  (Georges),  auteur  d'une  sorte  de  chronique 
ou  d'histoire  universelle,  qui  s'étend  depuis  le  commencement  du 
monde  jusqu'à  l'an  1059  de  Jésus-Christ  \zriyb\z  foropiôv).  On  n'a  aucun 
détail  sur  la  vie  de  cet  auteur,  car  il  n'est  cité  nulle  part.  Xylander  a 
mis  une  préface  à  la  tête  de  la  belle  édition  qu'il  a  publiée  de  cette 
chronique  et  de  l'histoire  de  Jean  Scylitza,  avec  des  notes  de  J.  Goar 
et  un  glossaire  de  Ch.-A.  Fabrot,  en  1647  (2  vol.  in-fol.).  Dans  cette 
préface  il  conjecture  d'après  plusieurs  passages  de  son  livre  que  Cé- 
drénus  a  été,  au  onzième  siècle,  prêtre  ou  même  moine  grec;  mais  il 
n'a  à  cet  égard  aucune  donnée  certaine.  L'ouvrage  de  Cédrénus,  copié 
surtout  sur  celui  de  Georges  Syncelle  jusqu'à  Dioctétien,  puis  sur  celui 
de  Tbéophaneet  JeanTzetzis,  complète  Zonaras  en  beaucoup  de  points; 
mais  ce  n'est  qu'une  compilation  sans  critique  et  sans  jugement.  Il  ne 
laisse  pas  cependant  d'avoir  quelque  importance  pour  l'histoire  du 
Bas-Empire. 

CÉDRON  (Kidron,  obscur,  trouble  ;  Ksâpwv,  Jean  XYIII,  1  ;yi;.[izo'zz; 
Kedpcwoç,  Joseph. •.  Àrttiq.,  VIII,  1,  o),  torrent  près  de  Jérusalem,  qui 
coule  dans  un  lit  étroit  et  profond  entre  la  ville  et  la  montagne  des 
Oliviers  par  la  vallée  du  même  nom.  Aptes  un  cours  très-sinueux  de 
six  à  sept  tieties,  il  se  jette  dans  la  niiT  Morte  par  un  ravin  escarpé.  H 
n'a  de  Tean  qu'après  de  tories  ou  de  kongnes  pluies;  en  hiver,  il  dé- 
borde parfois.  11  est  question  du  (iédron  dans  l'histoire  du  roi  David 
(-1  Sa,,,.  XV.  33;  1  Mois  XV,  *3;  2  hois  XXIII,  |,  (i,  12).  Plus  tard  il 
servit  d'écoalemenl  au  van--  i\c>  victimes  sacrifiées  dans  le  temple, 
peut-être  même  d'égoul  collecteur  des  immondices  de  la  ville. 


TCO  CEILLIER   —  CELESTIN  III 

CEILLIER  (Rémi)  [1688-1761],  de  Bar-le-Buc,  confrère  de  D.  Calmet 
dans  la  congrégation  de  Saint- Vannes,  où  il  entra  à  l'âge  de  dix-sept 
ans,  et  dont  il  devint  président;  il  se  livra  à  l'étude  des  Pères  tandis 
que  Calmet  se  consacrait  à  celle  de  l'Ecriture.  Son  premier  livre 
fut  Y  Apologie  de  la  Morale  des  Pères  (Paris,  1718,  in-4°).  L'érudition 
un  peu  difiuse,  mais  pleine  d'exactitude,  dont  il  y  lit  preuve  se 
retrouve  dans  son  grand  ouvrage  :  Histoire  générale,  des  auteurs  sacrés 
et  ecclésiastiques  (Paris,  1729-1763,  23  vol.  in-4°).  Le  dernier  volume, 
publié  après  sa  mort,  va  de  Pierre  Lombard  à  Guillaume  d'Auvergne. 
Un  24e  tome  de  tables  facilite  les  recherches  clans  cette  œuvre  im- 
mense, comparable  à  Y  Histoire  littéraire  de  la  France  pour  le  dévelop- 
pement des  appréciations  raisonnées  sur  chaque  écrivain.  L'abbé 
Dupin,  son  contemporain,  publia  de  son  côté  un  ouvrage  semblable, 
sa  Bibliothèque  des  auteurs  ecclésiastiques.  Mais  la  vitesse  avec  laquelle 
il  composait,,  en  même  temps  qu'une  foule  d'autres  écrits,  un  travail 
où  les  erreurs  sont  si  difficiles  à  éviter,  lui  fait  perdre  en  exactitude 
ce  qu'il  gagne  en  rapidité  et  même  en  intérêt;  et,  pour  être  moins 
lourd  que  Calmet,  il  n'en  reste  pas  moins  inférieur  au  bénédictin  qui 
avait  fait  de  son  histoire  l'œuvre  presque  unique  de  sa  vie. 

CELESTIN  Ier  (Saint),  pape  de  422  à  432,  consacra  tous  ses  efforts  à 
la  lutte  contre  le  nestorianisme,  et  bien  que  le  promoteur  de  cette 
hérésie  n'eût  rien  négligé  pour  gagner  le  pape  à  sa  cause,  il 
réunit  à  Rome,  en  430,  un  synode  qui  déclara  Nestorius  hérétique,  et 
il  approuva  le  terme  de  Ôsotoxoç.  Il  prépara  avec  sagesse  la  réunion  du 
concile  d'Ephèse,  auquel  il  députa,  comme  légats,  les  évêques  Arca- 
dius  et  Projectus  et  le  prêtre  Philippe,  leur  recommandant  de  ne  pas 
se  mêler  aux  débats,  mais  de  les  juger.  Célestin  est  l'auteur  delà  mis- 
sion de  Saint-Germain  l'Auxerrois  en  Grande-Bretagne,  il  désigna  Pal- 
ladius  comme  premier  évêque  des  Scots.  —  Voyez  Hefele,  2e  édit.,  II; 
Mansi,  IV  et  V;  les  lettres  du  pape  dans  Coustant. 

CÉLESTIN  II  (1143-44)  fut  un  pape  impuissant.  Il  régna  au  milieu 
des  querelles  delà  papauté  avec  la  ville  de  Rome.  Son  nom  était  Guido 
de  Castello,  il  était  originaire  de  l'Ombrie.  —  Voyez  Watterich,  II,  276  ; 
Certini,  Vita  di  Cel.  JI,  Foligno,  1716,  in-4°. 

CÉLESTIN  III  (1191-1198)  était  romain  ;  il  se  nommait  Giacinto  di 
Bobone  et  était  des  Orsini.  Aussitôt  monté  sur  le  trône,  il  accomplit  la 
promesse  de  Clément  III,  son  prédécesseur,  en  couronnant  Henri  VI 
(15  avril  1191)  ;  mais,  au  jour  et  à  l'heure,  l'empereur  dut  acquitter  le 
prix  du  service  rendu,  en  prêtant  la  main  à  une  trahison.  Clément  III 
s'était  lié  envers  les  Romains  par  un  traité  formel  :  «  Vous  nous  livrerez 
les  murs  de  Tusculum  pour  être  détruits,  et  vous  ne  les  relèverez  ja- 
mais ;  vous  en  garderez  pour  vous  et  pour  l'Eglise  romaine  tous  les 
biens.  Si  jusqu'au  1er  janvier  Tusculum  n'est  point  entre  nos  mains, 
vous  en  excommunierez  les  habitants...  »  Le  16  avril,  la  garnison  al- 
lemande qui  protégeait  Tusculum  le  livra  aux  Romains,  et  la  malheu- 
reuse ville,  patrie  de  cette  triste  famille  dont  le  gouvernement  s'appela 
la  pornocratie,  fut  détruite  jusqu'au  sol.  Les  échappés  du  massacre 
s'établirent  sur  le   penchant  de  la  montagne,  au   lieu  dit  Frascata  (les 


CÉLESTIN   III  —  CÉLESTINS  7G1 

Buissons),  qui  est  aujourd'hui  Frascati.  Mais  l'empereur  et  le  pape 
portent  la  responsabilité  de  cei  acte  de  violence  e1  de  barbarie  :  au 
peste  ils  en  furent  punis,  car  les  Romains,  que  rien  nie  retenait  désor- 
mais, ne  tardèrent  pas  un  an  à  (dire  un  summus  senator,  un  chef  de  la 
république.  Innocent  III  fut  élu  le  jour  même  de  la  mort  de  Célestin. 
—  Voyez  Watterich,  11;  de  Reumont,  I,  &62  ;  Papencordt,  p.  279  ;  Gre- 
gorovius,  IV,  582  ;  Tœche,  Eeinrich  VI,  1867. 

CÉLESTIN  IV  (Goffredo  Castiglione,  milanais)  fut  élu  à  la  mort  de 
Grégoire  IX.  le  1er  novembre  1241.  Ce  vieillard  maladif  mourut  après 
dix-sept  jours.  11  est  probable  (pie  les  cardinaux  qui  mirent  Innocent  IV 
à  sa  place,  ne  l'avaient  choisi  (pie  pour  gagner  du  temps.  —  Voyez 
V.  Castiglione,  Col.  IV,  Turin,  1661. 

CÉLESTIN  IV,  antipape  (1124).  Voyez  Honorius  II. 

CÉLESTIN  V  (Saint).  A  la  mort  de  Nicolas  IV,  on  ne  put  réunir  les 
Orsini  et  les  Colonna  pour  l'élection  de  son  successeur;  Rome  était 
dans  l'anarchie.  Enfin,  ne  pouvant  s'entendre,  les  cardinaux  allèrent 
chercher  d'un  commun  accord  (5  juin  1294)  un  pieux  ermite  des 
Abruzzes,  Piero  del  monte  Murrone.  La  vie  de  ce  saint  homme  semble 
une  légende  plutôt  qu'une  histoire.  Onzième  lils  d'un  pauvre  cultiva- 
teur;, Pierre,  d'abord  bénédictin,  s'était  retiré  sur  une  montagne  où  il 
avait  fondé  un  couvent  consacré  au  Saint-Esprit  et  un  ordre  qui  plus 
tard  prit  son  nom,  et  auquel  il  donna  les  principes  des  franciscains 
spirituels.  A  Lyon,  devant  Grégoire  X,  il  avait  suspendu  son  froc  à  un 
rayon  de  soleil.  Au  premier  moment,  il  voulut  s'enfuir,  mais  les  moines, 
en  le  voyant,  crurent  être  au  temps  de  l'Evangile  éternel  annoncé  par 
Joachim  de  Flores,  on  le  força  d'accepter:  il  entra  dans  Aquila  sur  un 
àne  tenu  à  la  bride  par  deux  rois.  Dès  lors  les  uns  s'en  firent  un  ins- 
trument et  les  autres  une  risée.  Benoit  Cajétan,  qui  devait  être  Boni- 
face  VIII,  se  montra  son  plus  cruel  ennemi.  Le  pape  se  cacha  dans 
l'obscurité  «  comme  le  coq  de  bruyères  qui  cache  sa  tête  pour  échap- 
per aux  chasseurs.  »  Malgré  les  instances  du  peuple,  ameuté  par  les 
célestins,  le  pape,  après  avoir  lu  une  bulle  qu'on  lui  avait  dictée  et  qui 
déclarait  valable  l'abdication  d'un  pape  faite  pour  de  bonnes  raisons, 
abdiqua  le  13  décembre  1294.  Cette  renonciation  volontaire  est  la  seule 
que  présente  l'histoire  de  la  papauté.  Déposant  la  pourpre,  le  pauvre 
ermite  voulut  regagner  sa  cellule,  mais  son  successeur  lui  fit  voir  qu'un 
pape  n'est  pas  libre  de  rentrer  dans  la  retraite.  On  lui  donna  la  chasse, 
on  l'enfermaàFumone,  dans  une  étroite  prison,  où  il  mourut  le  12  mai 
1290.  Les  célestins  ont  assuré  qu'il  avaitété  empoisonné  par  Boniface  VIII. 
Il  fut  canonisé  en  1313.  —  Il  faut  lire,  dans  les  A  A.  SS.,  19  mai,  IV,  le 
poème  sur  sa  vie,  de  Jacques  Stefaneschi,  sa  biographie  traduite  de 
Lelio  Mari  no,  général  des  célestins  en  1519,  et  celle  que  Pierre  d'Ailly 
composa  sur  la  demande  des  célestins  de  Paris.  Voyez  aussi  Gilles  Co- 
lonna, De  renunciatione  papœ,  dans  Roccaberti,  Bibl.  ponttficia,  Rome, 
1695  ss.,  in-f°,  II;  Spinelli,  Vita  di  S.  Pietro  del  Morone,  Rome,  1664, 
in-4°;  Barcellini,  Industrie  indefesa  di  S.  Cet.  V,  Milan,  1761,  in-8°  ; 
Gregorovius,  V  ;  de  Reumont,  II,  615.  B.  Bsbgeb. 

CÉLESTINS.  ordre  religieux,  issu  d'une  réforme  des  bernardins,  et 


762  CELESTINS  —  CÉLIBAT 

institué  par  Pierre  de  Mouron  vers  1254.  Retiré  sur  la  montagne  dont 
il  prit  le  nom,  puis  sur  le  mont  de  Majella,  près  de  Sulmone,  dans  la 
Pouille,  ce  saint  personnage  y  établit  une  communauté  dont  les  règles 
furent  approuvées  par  Urbain  IV  en  1264,  puis  confirmées  par  Gré- 
goire X  en  1274,  au  second  concile  général  de  Lyon.  Ses  membres 
s'appelaient  alors  ermites  de  Saint-Damien,  et  ils  étaient  rattachés  aux 
bénédictins.  L'élévation  de  leur  fondateur  au  saint-siége  sous  le  nom 
de  Célestin  V  leur  valut  leur  indépendance  et  leur  dénomination  de 
célestins.  Boniface  VIII,  qui  avait  eu  l'art  d'amener  Célestin  à  abdiquer, 
s'empressa  de  confirmer  leurs  privilèges.  Philippe  le  Bel  les  introduisit 
en  France  en  1300,  au  nombre  de  douze,  et  leur  donna  deux  monas- 
tères. Ils  ne  tardèrent  pas  à  s'y  propager,  sans  toutefois  se  rendre  trop 
à  charge  à  la  nation,  car  ils  furent  peut-être,  sous  l'ancien  régime, 
l'ordre  le  plus  populaire.  Ils  avaient  en  France,  au  dix-huitième  siècle, 
vingt-et-un  monastères .  Parmi  les  constitutions  des  ordres  religieux, 
celle  des  célestins  offre  un  type  curieux  de  ces  sortes  de  républiques 
où  la  pondération  des  pouvoirs  était  le  but  suprême,  pour  éviter,  sous 
une  règle  commune,  l'anarchie  comme  le  despotisme.  Ainsi,  leur  supé- 
rieur général,  toujours  surveillé  par  le  chapitre  universel  tenu  chaque 
année  à  Salmone,  était  nommé  tous  les  trois  ans,  et  dès  1323  ils  lui 
enlevèrent  la  faculté  d'être  réélu  avant  neuf  ans  écoulés.  Les  provinces 
jouissaient  d'une  grande  indépendance.  Elles  élisaient  leur  provincial 
et  leurs  définiteurs  qui,  à  leur  tour,  choisissaient  les  prieurs,  l'élection 
descendant  ainsi  de  degré  en  degré  jusqu'aux  derniers  emplois.  La 
province  pouvait  même  amender  ses  constitutions,  et  celle  de  France 
usa  de  ce  droit  en  1667.  On  voit  que  cette  organisation  se  rapproche 
d'autant  plus  de  celle  de  l'Oratoire  qu'elle  s'éloigne  davantage  de  celle 
des  jésuites.  —  Il  ne  faut  pas  confondre  avec  les  célestins  les  frères  mi- 
neurs célestins,  religieux  franciscains  qui,  ne  pouvant  obtenir  une  ré- 
forme de  leur  ordre,  en  sortirent  pour  se  livrer  aune  vie  plus  austère. 
Célestin  V  leur  permit  cette  rupture  et  leur  donna  aussi  son  nom.  Mais, 
peu  après  l'abdication  de  ce  pontife,  Boniface  VIII  les  persécuta  comme 
schismatiques  et  hérétiques,  et  ils  s'éteignirent  obscurément  vers  1315. 

CÉLESTIUS.  Voyez  Pélagianisine. 

CÉLIBAT  (cœli  beatitudo  !),  «  état  de  virginité  auquel  s'engagent  ceux 
qui  aspirent  aux  charges  de  l'Eglise  ou  à  la  vie  monastique.  »  Les  prê- 
tres païens  pouvaient  se  marier.  De  même,  la  loi  de  Moïse  ne  défendait 
aux  lévites  que  l'union  avec  une  prostituée,  une  femme  déshonorée 
ou  divorcée  et,  aux  grands-prêtres,  le  mariage  avec  une  veuve 
(Lév.XXI,7,  8,  14,  15).  Le  Nouveau  Testament  ne  contient  aucune  res- 
triction de  ce  genre.  Les  apôtres  étaient  mariés,  du  moins  en  partie 
(Matth.  VIII,  14;  1  Cor.  IX,  5);  ils  recommandaient  le  mariage  aux 
chefs  des  communautés  (  1  Tim.  III,  1),  tout  en  proclamant  que,  dans 
certaines  circonstances,  le  célibat  présente  plus  d'avantages  que  le 
mariage  (1  Cor.  VII,  38).  C'est  de  cette  dernière  considération  que 
découla  de  bonne  heure,  dans  l'Eglise,  l'opinion  de  la  valeur  supé- 
rieure du  célibat  (Hermas,  lib.  I,  vis.  II,  3  ;  Ignace,  ad  Polycarp.,  c.  V). 
Elle  aboutit  au  mépris  même  de  l'union  conjugale  (Origène,  ItiNume?: 


CELIBAT  763 

komiL,  VI;  Jérôme,  ad  Jovtnwn.,  L  i),  bien  < j m*  L'Eglise,  dans  sa 
lutte  contre  le  gnosticisme,  ait  combattu  L'erreur  que  le  M<;ge  du  mal 

était  dans  la  chair  et  dans  les  inclinations  charnelles.  Dès  le  second 
siècle.  BOUS  rencontrons  des  exemples  fréquents  de  vœux  volontaires 
de  célibat,  ainsi  que  ta  prescription  de  la  continence  avant  L'exercice 
des  touchons  sacrées.  Au  commencement  du  quatrième  siècle  plu- 
sieurs conciles  rendent  des  ordonnances  formelles  dans  ce  sens  (CotlG. 
Neo-cxsar.,  a.  M\.  c.  1);  Cent.  Ancyn ///.,  a.  314,  c.  Si.  En  thèse  géné- 
rale, les  célibataires  étaient  préférés  aux.  hommes  mariés  pour  la  col- 
lation des  charges  ecclésiastiques,  mais  le  mariage  n'était  pas  positi- 
vement détendu  aux  clercs.  Tertullien,  Hilaire  de  Poitiers,  Grégoire  de 
Nysse,  avaient  été  mariés,  bien  que  ce  dernier  représente  son  mariage 
comme  le  résultat  d'une  erreur  de  jeunesse.  Par  contre,  l'évèque  de 
Borne  Strieras  déclara,  en  385  {ad  Himerium  Tw?yae&mnsemre]).l,  c.  7), 
que  dans  l'Ancien  Testament  le  mariage  des  prêtres  avait  été  auto- 
risé, parce  que  tous  les  prêtres  appartenaient  à  une  seule  et  même  tribu; 
mais  que,  depuis  que  cette  restriction  avait  été  abolie,  la  licence  de  se 
marier  avait  perdu  sa  valeur,  que  les  obscœniv  eupiditatea  inséparables 
de  l'union  conjugale  devaient  être  considérées  comme  un  obstacle  à 
l'exercice  des  fonctions  sacerdotales.  Il  érigea,  en  conséquence,  en 
règle,  le  renoncement  au  mariage,  qui,  jusque-là,  avait  été  volontaire 
dans  son  diocèse.  La  même  opinion  se  trouve  exprimée  dans  les 
décrétâtes  d'Innocent  Ier  (404-405),  de  Léon  Ie"  (446-458)  et  de  la 
plupart  des  conciles  postérieurs  {C&ne.  Carthog.,  II,  a.  390,  c.  2; 
Conc.  Carthag.,  Y,  a.  401,  c.  3,  etc.).  Mais  si  l'Italie,  l'Espagne  et 
L'Afrique  se  soumirent  à  celte  règle,  les  pays  où  dominait  la  race  ger- 
manique continuaient  à  la  violer.  L'interdiction  de  se  marier  ne  s'ap- 
pliquait d'ailleurs  à  l'origine  qu'aux  é vécues;  successivement,  surtout 
depuis  le  cinquième  siècle,  elle  s'étendit  aux  prêtres,  aux  diacres,  aux 
sous-diacres,  à  ceux  d'entre  eux  du  moins  qui  voulaient  prendre 
femme  après  l'ordination.  Les  clercs  inférieurs,  par  contre,  étaient 
autorisés  à  contracter  une  union  ;  mais  ils  ne  devaient  pas  épouser  une 
veuve  ni  convoler  en  secondes  noces.  La  législation  civile  confirma  ces 
décisions,  en  statuant  que  des  personnes  mariées  ne  pouvaient  pas 
être  promues  à  l'épiscopat,  que  le  mariage  des  clercs  devait  être  con- 
sidéré comme  nul  et  leurs  enfants  comme  illégitimes  (Cod.  Theod.,  de 
epùcopèi  <'L  cie/-ici.s,  li,  2;  Cod.  Justin.,  I,  3,  etc.).  11  convient  d'ajouter 
toutefois  (pie  le  grand  nombre  même  des  ordonnances  rendues  sur 
cette  matière  prouve  combien  vives  étaient  les  résistances  du  clergé. 
Ce  n"est  qu'au  milieu  du  onzième  siècle,  grâce  à  l'influence  décisive 
de  Grégoire  VII,  que  le  dogme  du  célibat  des  prêtres  triompha.  11 
enllamma  la  haine  du  peuple  contre  les  clercs  mariés, flétrit  leur  union 
comme  une  foriiiciiiit).  et  autorisa  ainsi  l'opinion  postérieure  qu'à  tout 
prendre  le  concubinat  des  prêtres  était  préférable  à  leur  mariage.  Le 
synode  de  Latran  de  lOT't  prononce  l'excommunication  contre  tout 
prêtre  marié  qui  dit  la  messe,  comme  aussi  contre  tout  laïque  qui 
remit  l'hostie  de  sa  main.  Urbain  II  décida  en  1069  que  tout  prêtre 
qui  se  mariait    perdrait    sa    charge    et  ses    bénéfices.  Les    conciles   de 


764  CÉLÏBAT 

Reims  (1119)  et  de  Latran  (1123)  décrétèrent  que  de  pareilles  unions 
devaient  être  dissoutes,  et  les  coupables  enfermés  dans  des  péniten- 
ciers. Tous  les  docteurs  du  moyen  âge  partagèrent  ces  vues.  Le  con- 
cile de  Trente  (sessio  XXIV,  de  sacram.  matrim.,  can.  9),  à  son  tour, 
confirma  ces  décisions.  Il  rappelle  aussi  que  tout  clerc  entré  dans  les 
ordres  mineurs  perd  sa  charge  s'il  se  marie;  s'il  est  marié  en  y  entrant, 
il  doit  faire  vœu  de  chasteté  perpétuelle,  et  sa  femme,  dans  le  cas 
où  il  aspirerait  aux  charges  supérieures,  doit  prendre  le  voile  et  entrer 
dans  un  couvent.  Il  faut  chercher  le  vrai  motif  du  célibat  imposé  par 
l'Eglise  romaine  aux  prêtres,  d'une  part  dans  la  valeur  supérieure 
qu'elle  lui  attribue,  ce  qui  implique  nécessairement  que  la  sanctifica- 
tion véritable  dans  le  mariage  est  impossible  {Conc.  Trid.,  sess.  XXIV, 
can.  10)  ;  d'autre  part,  l'Eglise  juge  nécessaire  d'isoler  le  clergé  de  la 
famille  et  de  la  société  civile  pour  en  faire  un  instrument  docile  du 
saint-siége  et  de  la  hiérarchie.  «  Non  liber 'ari potest  Fcclesia,  a  dit  Gré- 
goire VU  (Epist.,  lib.  III,  p.  l),aservitute  laicorum,nisi  liberentur  clerici 
ab  tixoribus.  »  Mais  l'expérience  a  prouvé  que  le  célibat  des  prêtres  ne 
favorise  en  aucune  manière  la  virginité  et  la  chasteté.  Il  n'est  que  trop 
souvent  la  source  de  défaillances  et  de  scandales  qui  ne  tournent  pas 
à  l'honneur  de  l'Eglise.  Au  lieu  de  s'élever  par  le  célibat  à  la  vita 
angelica,  les  malheureuses  victimes  de  l'aveuglement  fanatique  de 
Grégoire  VII  et  de  ses  successeurs  sont  exposées  à  tomber  dans  les 
excès  de  la  bestialité  la  plus  grossière.  Il  est  inutile  d'énumérer  ici  les 
plaintes  incessantes  qui  se  sont  élevées,  depuis  les  premiers  siècles  de 
l'Eglise  jusqu'à  nos  jours,  sur  l'immoralité  du  clergé.  Et  pourtant 
Rome  s'est  toujours  opposée  à  abolir  la  règle  du  célibat,  qui  après 
tout  n'est  pas  une  question  de  dogme,  mais  une  affaire  de  discipline. 
Dans  les  pays  où  l'influence  des  idées  catholiques  domine,  comme  en 
Espagne,  en  France,  en  Autriche,  la  législation  même  civile,  en  vertu 
du  caractère  indélébile  du  sacerdoce,  ne  permet  pas  au  prêtre,  qui  se 
sépare  de  l'Eglise,  de  se  marier  et  ne  reconnaît  pas  ses  enfants  comme 
légitimes.  —  Les  Eglises  protestantes,  dès  le  début  (1518),  affranchi- 
rent leurs  conducteurs  de  l'obligation  du  célibat  qu'ils  ne  trouvaient 
ni  prescrit  dans  l'Ecriture  ni  justifié  par  la  nature  dés  fonctions 
sacrées.  Nul  n'a  parlé  en  termes  plus  élevés  de  la  sainteté  du  mariage 
que  Luther;  nul  n'a  condamné  plus  justement  le  célibat  que  Mélan- 
chthon,  lorsqu'il  dit:  «  Una  est  vera  et  sola  causa  tuendi  cœlibatus,  ut 
opes  commodius  administrentur  et  splendor  or  diras  retineatur.  »  Les  argu- 
ments de  l'Eglise  catholique  sont  réfutés  avec  un  grand  soin  dans  les 
diverses  confessions  de  foi  de  la  Réforme  (Conf.  August.,  art.  11  et  23; 
Apol.,  art.  VI;  Art.  Smalc,  III,  11  ;  Confess.  Helvet.,  I,  art.  37;  Angli- 
cana,  art.  1,  34,  etc.). — L'Eglise  grecque,  se  fondant  à  tort  suri  Tim.  III,  2, 
ne  choisit  ses  prêtres  que  parmi  les  hommes  mariés,  tandis  qu'elle  im- 
pose le  célibat  aux  moines,  aux  évêques,  aux  métropolitains  et  aux  pa- 
triarches, qui  sortent  habituellement  des  couvents.  Les  prêtres  grecs  ne 
peuvent  point  épouser  de  veuves,  ni  se  remarier,  ni  même,  à  la  mort  de 
leurs  femmes,  à  de  très-rares  exceptions  près,  conserver  leurs  fonctions. 
Il  faut  rappeler  aussi  que  l'Eglise  catholique,  par  une  heureuse  inconsé- 


CELIBAT   —  CELLARIUS  7G5 

quence,  tolère  le  mariage  des  prêtres  chez  les  maronites  el  les  grecs  unis, 
qui  reconnaissent  la  suprématie  du  siège  de  Rome.  —  Voyez  L'article  de 
Jacobson,dans  la  Real~Eneykl.de  Herzog,  ainsi  que  les  grands  ouvrages 
de  Baur,  de  Marheinecke  el  de  Hase  sur  la  Symbolique  el  la  Polémique. 

CELLARIUS.  Kellner  (Jean),  théologien  luthérien,  naquit  en  Bohême 
en  L496;  élève  de  Reuchlin,  il  enseigna  l'hébreu,  mais  peu  de  temps, 
à  Louvain,  à  Mayence,  à  Tubingue,  à  Heidelberg  (1518),  à  Leipzig 
(1519),  el  publia  une  introduction  à  L'étude  «le  L'alphabet  hébraïque 
qui  ne  témoigne  pas  d'une  connaissance  bien  approfondie  de  cette 
Langue.  A  Leipzig  Gellarius  assista  à  la  dispute  de  Luther  avec  Eck  et 
en  publia  une  relation,  qu'il  eut  à  détendre  ensuite  dans  divers  opus- 
cules. Après  quelques  hésitations  il  se  déclara  ouvertement  pour  Luther 
en  décembre  1520  et  fut  un  des  premiers  prédicateurs  de  la  Réforme  ;  en 
septembre  1529  il  devint  pasteur  à  Francfort,  puis  à  Dresde  en  1539; 
il  mourut  le  21  avril  1312  dans  cette  dernière  ville,  dont  il  fut  le 
premier  superintendant  luthérien.  De  ses  ouvrages  nous  mentionnerons  : 
Isagogicon  in  fiebrœas  litteras,  Hageno»,  1519,  in-4°;  Ad  Capitonem 
Epistola  de  vera  série  théologien'  disputationis  Lipsiacx,  Lips.,  1519, 
in-4°.  —  Sources  :  C.  Schlegel,  Lebensbeschreibung  der  Dresdener  Superin- 
tendenten,  1697;  L.  Geiger,  Das  Studiurh  der  hebr.  Sprache  in  Deut- 
schland,  1870,  p.  107;  Steinschneider,  Bibliogr.  Handbuch  ub.die  hebr. 
Sprachkunde,  1859,  p.  33. 

CELLARIUS,  proprement  Keller  (Christophe) ,  philologue  alle- 
mand, né  le  22  novembre  1638  à  Smalcalden  et  mort  à  Halle  le 
4  juin  1707.  Après  de  fortes  études  faites  à  Iéna  et  à  Giessen,  Gellarius 
fut  successivement  professeur  au  gymnase  de  Weissenfels,  et  recteur 
des  gymnases  de  Weimar,  de  Zeist  et  de  Mersebourg,  où  ses  talents 
pédagogiques  rendirent  des  services  éminents;  lors  de  la  création  de 
l'université  de  Halle,  en  1093,  il  y  fut  appelé  comme  professeur  d'élo- 
quence et  d'histoire  ancienne.  Erudit  consommé  et  travailleur  infati- 
gable, Gellarius  publia  de  bonnes  éditions  d'un  grand  nombre  d'au- 
teurs latins,  et  plusieurs  ouvrages,  fort  appréciés  dans  le  temps,  relatifs 
à  la  langue  latine,  des  manuels  d'histoire  et  de  géographie;  on  consulte 
encore  son  grand  traité  de  géographie  ancienne  (Notifia  orbis  antiqui, 
Lips.,  1701-0,  2  vol.  in-4°;  nouv.  éd.  revue,  1731).  Les  langues  orien- 
tales avaient  attiré  de  bonne  heure  notre  auteur,  qui  montra  la  connais- 
sance approfondie  qu'il  en  possédait  dans  ses  courts  mais  remarquables 
travaux,  grammaticaux  sur  l'arabe,  l'hébreu,  le  rabbinique,  le  ehaldéen, 
le  syriaque  et  le  samaritain;  il  publia  aussi  des  fragments  de  la  version 
syriaque  de  l'Ancien  et  du  Nouveau  Testament  avec  une  traduction 
très-iidèle,  des  notes  et  un  glossaire  (1682)  ;  un  ouvrage  semblable  sur 
la  version  samaritaine  du  Pentateuque,  accompagné  d'une  grammaire 
et  d'un  Lexique  (Horœ  samariùanœ,  Cizae,  1()82,  in-4°)  a  été  jusqu'à 
notre  siècle  la  principale  ressource  pour  l'étude  de  cet  idiome.  Les 
recherches  de  Gellarius  sur  L'histoire  et  La  doctrine  des  Samaritains  ont 
aussi  fait  époque  :  Collée tanea  historié  samaritanx,  Cizae,  1688,  in-4Q; 
Epistolae  samaritanae  ad  Ludolfum,  ib.,  ÎOSS,  in-4°;  De gentis  samari- 
tanx  kistoria  et  caerimoniis,  Haie,  1694,  in-4°  (réimpr.  1699  et  1707, 


766  CELLARIUS  —  CELLERIER 

ainsi  que  dans  ses  Dissertationes  acad.  et  dans  Ugolini  thésaurus,  t.  XXII). 
Les  principales  publications  de  Cellarius  relatives  aux  langues  orientales 
se  trouvent  quelquefois  réunies  sous  le  titre  de  Philologicarum  lucubra- 
tionum  sylloge,  Iéna,  1083,  in-4°.  J.-G.  Walch  a  réimprimé  un  certain 
nombre  de  dissertations  de  Cellarius  sous  le  titre  de  Cellariï  disserta- 
tiones académies  (Lips.,  1712,  in-8°),  avec  une  notice  sur  Fauteur  et  la 
liste  de  ses  nombreux  ouvrages;  il  réunit  aussi  ses  discours  (Orationes 
academicœ,  Lips.,  1714)  et  un  choix  de  ses  lettres  et  préfaces  (Lips.,  1715). 
—  Sources  :  Walch,  notice  citée;  A. -H.  Francke,  Leichenpredigt  auf  Cella- 
riwn,  Hal.,  1707;  J.  Burkhardi  Epistola  ad  Strumum  de  Cellarii  obitu, 
Hal.,  1707;  G.  Ludovici  Historia  scholarum,  Lips.,  1709,  t.  II,  p.  1; 
Clarmund,  Lebensbeschreihungen ,  Wittemb.,  1713,  t.  X;  J.-P.  de 
Ludewig,  Opuscula  oratoria,  Hal.,  1721,  p.  308;  Nicéron,  Mémoires, 
t.  V  (la  liste  des  ouvrages  est  plus  exacte  dans  la  trad.  allem.,  t.  Y); 
Hirsching,  Hist.  litter.  Handbuck,  Leipz.,  1794,  t.  I;  Bohn,  De  fatis 
studiilinguarum oriental. , Iéna,  1769;  Meyer,  Gesch.der  Schrifterldœrung, 
t.  III;  H.  Keil,  Oratio  de  Chr.  Cellarii  vita  et  studiis,  Hal.,  1875,  in-4°. 

A.  Beenus. 
CELLÉRIER  (Jean-Isaac-Samuel)  [1753-1844],  pasteur  et  prédicateur 
genevois,  naquit  à  Crans,  près  de  Nyon,  dans  le  pays  de  Yaud,  d'une 
famille  d'agriculteurs.  Son  enfance  s'écoula  dans  le  calme  de  la  vie  des 
champs,  en  face  des  splendides  paysages  d'une  des  plus  belles  contrées 
du  monde.  Ses  premières  impressions,  qui  semblent  avoir  laissé  une 
trace  ineffaçable  dans  le  développement  de  son  individualité,  furent 
celles  de  la  piété  domestique,  associées  à  un  vif  sentiment  de  la  nature. 
Il  vint  à  l'âge  de  treize  ans  au  collège  de  Genève,  où  il  fit  des  études  distin- 
guées. De  bonne  heure  il  se  fit  remarquer  par  unegrande  clarté  d'intelli- 
gence, une  exquise  sensibilité,  une  consciencieuse  application.  Les  scien- 
ces morales  et  les  études  littéraires  eurent  bientôt  gagné  toutes  ses  sympa- 
thies et  devinrent  ses  travaux  de  prédilection.  Seul,  éloigné  de  sa  famille, 
luttant  contre  la  gêne,  obligé  de  se  suffire  à  lui-même  et  de  gagner  son 
pain  en  donnant  des  leçons  en  dehors  de  ses  heures  d'étude,  il  fit  durant 
ces  années  l'apprentissage  d'une  vie  austère,  indépendante  etforte.  Entré 
à  l'auditoire  de  théologie  pour  se  préparer  au  saint  ministère,  il  ne 
tarda  pas  à  montrer  des  aptitudes  spéciales  pour  la  prédication,  et  l'on 
cite  de  lui  plus  d'un  de  ces  traits  de  précoces  succès  dont  les  maitres 
de  la  chaire  ont  fourni  tant  d'exemples.  Il  fut  consacré  en  1776,  en 
vertu  d'une  dispense  d'âge  :  il  n'avait  pas  atteint  vingt-trois  ans.  Les 
années  qui  suivirent  furent  pour  lui  traversées  par  des  épreuves  de 
famille  et  de  santé,  par  divers  voyages  et  un  séjour  de  quelque  durée  à 
l'étranger.  Il  les  employa  néanmoins  à  se  perfectionner  dans  l'art  delà 
prédication  en  s'y  exerçant  toutes  les  fois  que  l'occasion  lui  en  était 
offerte,  et  en  profitant  des  conseils  et  des  directions  de  ceux  qui  étaient 
considérés  alors  comme  des  maîtres.  C'est  ainsi  qu'à  Paris  il  entra  en 
relation  avec  l'abbé  Fauchet  et  par  son  entremise  avec  les  pères  de 
l'Oratoire,  dont  les  entretiens  élargirent  pour  lui  le  champ  de  l'éloquence 
chrétienne.  Revenu  dans  sa  patrie,  il  fut  appelé,  en  1783,  à  occuperun 
poste  de  pasteur  dans  la  paroisse  de  Satigny,  qu'il  ne  quitta  plus  depuis 


CELLERIER  767 

lors,  et  dans  Laquelle,  pendant  trente-et-un  ans,  ses  dons  remarquables, 
mis  au  service  d'une  fidélité,  d'un  dévouement,  d'un  zèle  exemplaires, 
firent  de  lui  l'un  des  types  les  plus  purs  et  les  plus  élevés,  les  plus 
sympathiques  ci  les  plus  complets,  du  vrai  pasteur  évangélique.  Son 
ministère,  qui  embrasse  la  période  troublée  de  17S:>  à  1814,  lut  fré- 
quemment aux  prises  avec  des  difficultés  exceptionnelles,  dans  les- 
quelles il  se  montra  toujours  à  la  hauteur  des  devoirs  Les  plus  solen- 
nels, tour  à  tour,  et  les  plus  délicats.  Sa  réputation  de  prédicateur, 
qui  grandissait  tous  les  jouis,  attirait  de  loin  de  nombreux  auditeurs 
dans  son  enlise  de  campagne,  et  il  était  en  outre  souvent  appelé  dans 
ks  chaires  de  la  ville,  où  sa  présence  prenait  occasionnellement 
l'importance  d'un  événement.  En  1814,  il  se  vit  contraint  par  l'état 
de  sa  santé,  toujours  chancelante,  de  donner  sa  démission,  et  après 
quelques  années  passées  encore  au  milieu  de  sis  anciens  paroissiens,  il 
vint  linirses  jours  à  Genève  dans  la  solitude  et  le  recueillement,  entouré 
delà  vénération  de  sa  famille,  de  ses  amis,  de  ses  concitoyens.  Il  atteignit 
ainsi  l'âge  exceptionnel  de  quatre-vingt-onze  ans,  et  fut  transporté  après  sa 
mort  dans  le  cimetière  de  son  ancienne  paroisse,  où  ses  restes  mortels  sont 
aujourd'hui  déposésau  pied  du  mûr  de  son  église,  recouverts  d'unepierre 
tumulaire  <pii.  par  sa  volonté,  ne  porte  pas  même  son  nom. — Sur  quatre 
cent  quatre-vingts  sermons  sortis  de  sa  plume,  Cellérier  en  avait  publié 
cent  quarante-et-un  de  son  vivant;  vingt-trois  l'ont  été  depuis  sa  mort; 
les  autres  sont  déposés  en  manuscrits  à  la  bibliothèque  de  la  compagnie 
des  pasteurs  de  Genève.  Ce  n'est  qu'après  son  ministère  deSatigny,  en, 
1818,  que  Cellérier  publia  un  premier  volume  de  sermons,  Discours 
familiers  d'un  pasteur  de  campagne,  in-S°),  et  il  n'avait  eu  en  vue,  dans  le 
choix  qu'il  en  fit,  que  les  intérêts  de  son  ancienne  paroisse.  Encouragé 
par  le  succès  et  pressé  par  de  nombreuses  demandes,  il  publia  ensuite 
successivement  trois  volumes  de  Sermons  et  prières  pour  les  solennités  chré- 
tiennes et  les  dimanches  ordinaires  (Genève,  1819,  et  2eéclit.,  1824,  in-8°)  ; 
deux  volumes  d'Homélies  (Genève,  1825,  in-8°)  ;  deux  volumes  de  Nou- 
veaux discours  familiers  d'un  pasteur  de  campagne  (1827, in-8°)  .Les  éditeurs 
du  volume  posthume  :  Sermons,  Homélies,  Discours  familiers  et  Prières 
(Paris,  1845,  in-8°,  435  pages),  ont  fait  leur  choix,  clans  le  nombre  des 
discours  qu'il  avait  lui-même  mis  à  part  comme  prêts  pour  la  publica- 
tion, et  se  sont  conformés  aux  désignations  qu'il  avait  précédemment 
adoptées.  On  a  encore  de  lui  un  Catéchisme  ou  cours  d'instruction  religieuse, 
volume  de  4G0  pages,  ((fruit  de  sa  vieillesse,  »  comme  il  le  dit  lui-même, 
et  résumé  de  sa  longue  expérience,  publié  en  1845  par  deux  amis  aux- 
quels il  avait  conlié  ce  soin  :  MM.  Coulin  et  Barde  pères,  et  un  volume  de 
Pensées  pieuses  extraites  de  ses  divers  ouvrages.  Nous  ne  mentionnons  la 
publication  faite  par  lui,  conjointement  avec  M.  Gaussen,  de  la  confession 
de  foi  helvétique,  et  celle  faite  après  sa  mort  d'une  profession  de  foi 
Individuelle,  trouvée  dans  ses  papiers,  que  pour  rappeler  ces  paroles 
écrites  en  tête  de  la  dernière  et  qui  déterminent  bien  le  caractère  de 
son  orthodoxie  :  «  Je  ne  mets  de  prix  à  une  vérité  de  doctrine,  que  >i 
elle  peut  contribuer  à  la  sainteté  pratique.  »  —  La  prédication  de  Cellérier 
se  distingue  par  un  ensemble  de  qualités  faites  pour  Lui  assurer  une 


768  CELLÉRIER 

place  dans  le  petit  nombre  des  productions  de  ce  genre  qui  semblent 
destinées  à  triompher  du  temps.  Si  on  y  rencontre  peu  de  pensées 
très-nouvelles  et  de  mouvements  oratoires  très-entrainants,  on  y 
reconnaît  d'autre  part  à  chaque  page  ce  caractère  de  perfection 
relative,  qui  fait  les  oeuvres  classiques  :  une  grande  clarté  de  plan  et 
de  style,  un  admirable  talent  d'exposition,  une  profonde  connaissance 
du  cœur  humain,  un  choix  de  détails,  une  noblesse  sans  déclamation, 
une  familiarité  sans  vulgarité,  une  convenance  enfin,  une  grâce,  une 
poésie  même  d'expression  qui  ne  se  démentent  jamais.  Nous  ne  con- 
naissons pas  de  prédicateur  qui  possède  à  un  plus  haut  degré,  et  surtout 
d'une  manière  plus  égale  et  plus  continue,  ce  caractère  rare  mais 
essentiel  de  la  prédication  évangélique  :  l'onction,  ce  je  ne  sais  quoi 
d'intime  et  de  pénétrant  qui  va  droit  du  cœur  au  cœur,  de  l'âme  à 
l'âme.  Ce  n'est  pas  ici  le  souffle  de  Borée  se  déchaînant  pour  arracher 
au  pécheur  le  manteau  de  ses  illusions  et  de  sa  propre  justice;  avec 
Cellérier  ce  triste  manteau  semble  devoir  tomber  de  lui-même  sous  la 
douce  influence  de  ce  soleil  d'en  haut  qui  porte  dans  ses  rayons  la 
santé,  le  relèvement,  la  lumière  et  la  vie.  Nul  prédicateur  n'est  plus 
fidèle  dans  la  doctrine,  nul  n'en  fait  moins  étalage,  s'adressant  toujours 
au  cœur  et  à  la  conscience.  Nul  n'est  plus  fidèle  dans  la  morale,  nul 
ne  joint  plus  de  grâce  à  son  austérité.  Nul  enfin  ne  semble  avoir  plus 
constamment  obéi  à  cette  pensée  intime  :  rendre  l'Evangile  aimable. 
On  se  tromperait  néanmoins  en  se  figurant  que  la  douceur  et  l'onction 
de  Cellérier  excluaient  les  impressions  profondes  chez  ses  auditeurs. 
Le  témoignage  des  contemporains  atteste  au  contraire  que  l'action  de 
sa  personne  et  l'accent  dont  il  revêtait  sa  parole,  comme  il  arrive  chez 
tous  les  vrais  orateurs,  allaient  remuer  les  âmes  au  plus  avant  et  lui 
faisaient  atteindre  occasionnellement  aux  plus  grands  effets  de  l'élo- 
quence. «  J'en  ai  sangloté  hier  toute  la  soirée,  »  disait  une  jeune 
paysanne,  le  lendemain  d'une  de  ses  prédications.  Strictement  orthodoxe 
dans  ses  convictions,  Cellérier  n'était  point  un  théologien,  à  moins 
qu'on  ne  prenne  cette  épithète  dans  le  sens  où  la  pieuse  antiquité 
l'avait  appliquée  à  saint  Jean.  Et  s'il  crut  devoir,  pour  la  défense  des 
doctrines  qui  lui  étaient  plus  chères  que  la  vie,  prendre  part  occasion- 
nellement aux  débats  théologiques  qui  agitèrent  l'Eglise  de  Genève  au 
commencement  du  siècle,  il  en  sortit  bientôt,  disant  n'y  avoir  «  guère 
aperçu  que  des  sujets  de  s'affliger,  d'oublier,  de  pardonner.  »  Peu  de  vies 
ont  été  aussi  fidèlement  employées,  bien  peu  se  sont  terminées  dans 
une  sérénité  plus  grande,  dans  une  plus  intime  anticipation  des  dou- 
ceurs de  la  communion  avec  Dieu,  la  vraie  récompense  du  serviteur 
fidèle.  «  Mon  Dieu,  te  voir  !...  »  fut  la  parole  dans  laquelle  s'exhala  son 
dernier  souffle.  Et  on  peut  dire  que  toute  sa  vie  terrestre  se  résumait 
dans  ce  mot  qui  est  déjà  celui  de  la  vie  du  ciel.  —  Il  existe  en  tête  du  vo- 
lume de  discours  publié  après  la  mort  de  Cellérier  une  notice  étendue 
et  fort  remarquable  due  à  la  plume  de  M.  le  professeur  Diodati. 
MM.  Gaussen  et  Cellérier  fils  ont  aussi  consacré  à  la  mémoire  du  pasteur 
de  Satigny  des  écrits  du  plus  haut  intérêt,  mais  devenus  aujourd'hui 
très-rares.  F.  Coulin. 


OBLLÉRIEE  709 

GELLÉRIER  (Jacob-Elisée)  [1785-1862],  pasteur  el  théologien  gene- 
vois. Uniqueenfant  du  pasteur  J.-I. -S.  Cellérier,  il  grandità  la  campagne 
sous  l'influence  d'une  douce  éducation  domestique  et  du  spectacle  de 
l'un  des  plus  pieux  ministères  qu'ait  comptés  l'Eglise  protestante.  De 
sou  enfance  il  conserva  toujours  une  disposition  poétique  et  contem- 
plative, l'amour  de  la  nature,  de  la  simplicité  et  des  petites  gens.  Il  lit 
unies  à  L'académie  de  Genève,  en  même  temps  que  S.  Vincent  et 
F.  Guizot,  avec  lesquels  il  prit  part  aux  exercices  (Tune  société  pour 
l'avancement  des  études.  Il  l'ut  consacre  ministre  en  1808,  devint  plus 
tard  L'auxiliaire  et  le  successeur  de  son  père  à  Satigny,  où  leur  commun 
ministère  frappa  madame  de  Staël,  qui  le  dépeignit  dans  Y  Allemagne 
(46    partie,  ch.    IV).    Deux  ans   après,    il   concourait   pour  la   chaire 
d'hébreu  dans  la  faculté  de  Genève,  où  il  entrait  en  1816.  Il  y  enseigna 
pendant  trente-huit  années  la  critique  sacrée,  ies  antiquités  bibliques, 
l'exégèse  de  l'Ancien  Testament  d'abord,  jusqu'en  1825,  du  Nouveau 
depuis,  jusqu'à  sa  retraite  en  1854.  Il  consacra  à  cette  besogne  du  pro- 
fessorat et  à  plusieurs  autres  que  lui  coniiaient  l'Académie  ou  l'Eglise 
(rectorat,  présidence  delà  compagnie  des  pasteurs),  toutes  les  forces 
d'une  conscience  vigilante  et,  en  dépit  d'une  santé  délicate,  les  mena 
heureusement  à  bout,  grâce  à  un  emploi  méthodiquement  réglé  de  son 
temps  et  à  une  constante  discipline  de  soi-même.  Cette  vie  paisible,  long- 
temps sans  épreuves  au  foyer,  s'acheva  dans  une  retraite  laborieuse  et 
surtout  pieuse  au  milieu  de  la  vénération  générale.  —  Cellérier  était  vrai- 
ment une  individualité  chrétienne  d'élite.  Professeur,  il  donnait  l'exem-  ■ 
pie  de  l'obéissance  scrupuleuse  au  devoir  et  se  montrait  un  vrai  père 
pour  les  étudiants.  Pendant  une  longue  suite  d'années,  il  leur  adressa  à 
l'ouverture  des  cours  des  discours  pastoraux  qui  ont  été  en  bon  nombre 
imprimés  et  dont  six  ont  pour  titre  commun  :  Le  serviteur  de  Jésus- 
Christ.  Conducteur  de  l'Eglise,  même  après  avoir  quitté  le  pastorat,  il  ne 
cessa  de  s'intéresser  activement  à  ses  destinées.  En  1817,  il  travaillait, 
dans  les  meilleures  intentions,  au  règlement  du  3  mai,  qui  prescrivait  la 
réserve  et  la  paix  aux  prédicateurs  du  réveil  et  à  leurs  adversaires,  mais 
devait  produire  l'elict  contraire.  Plus  tard  il  collaborait  au  Protestant  de 
Genève,  qui  représentait  l'Eglise  nationale  et  l'ancien  libéralisme  supra- 
naturaliste  en  face  de  l'orthodoxie  et  de  l'Eglise  libre;  en  1835  il  con- 
courait à  la  version  du  Nouveau  Testament  et  à  la  célébration  du  troi- 
sième jubilé  de  la  Réformation.  Après  la  constitution  de  1847,  il  prit  une 
part  prépondérante  aux  efforts  que  fit  la  compagnie  des  pasteurs  pour 
multiplier  les  œuvres  d'évangélisation  et  de  propagande  religieuse  et 
regagner  ainsi  la  democratiehostile.il  remonta  dans  les  chaires  pour  y 
prêcher  des  méditations  empreintes  d'une  profonde  expérience  morale 
sui  la  Vie  intérieure,  qu'il  publia  en  1852.  Enfin,  en   vrai  patriote,  il 
s'occupa  beaucoup  de  l'histoire  de  son  pays.  Déjà,  au  jubilé  de  1835,  il 
composail  pour  la  jeunesse  un  tableau  animé  de  la  Réformation  sous  le 
:  Histoire  d'autrefois.  Puis,  dans  [es  Mémoires  de  la  Société  d'histoire, 
les  Etrennes  religieuses,  le  Bulletin  de  la  Société  de  l'histoire  du  prote 
tantisme  français,  il  publia  diverses  études,  parmi  lesquelles  noie,  ne- 
mentionnerons  que  la  Vie  de  ('hurles  Pu-rot,  pasteur  libéral  el  charita- 

6.0 

II.  ,J 


770  CELLÉRIER 

ble  de  la  fin  du  seizième  siècle,  et  V Esquisse  dune  histoire  abrégée  de 
V Académie  fondée  par  Calvin,  qui,  dans  sa  totalité  dumoins,?nevitlejour 
qu'après  samort  en  1872,  éditée  par  V  auteur  de  cet  article.  Comme  homme 
religieux,  Cellérier  se  trouvait  dans  une  position  intermédiaire  entre  le 
réveil  et 1' ancien  libéralisme,  rapproché  de  l'un  par  le  caractère  de  sa 
piété,  cle  Vautre  par  ses  idées  théologiques.  Humble  autant  que  pacifi- 
que, il  était  préoccupé  avant  tout  de  se  perfectionner  soi-même  et  de 
croître  dans  la  communion  de  Dieu.   Une  ligne  de   son  testament  le 
peint  bien  :  «  11  s'est  efforcé,  dit-il,  de  vivre  et  de  se  préparer  à  mourir 
dans  cette  religion  large,  raisonnée,  psychologique   surtout,  en  même 
temps  qu'évangélique  et  vivante,  qui,  ennemie  des  phrases  et  des  for- 
mules   se  rattache  à  deux  idées,  misère  de  l'homme,  vie  par  et  en 
Christ,  et  se  résume  en  deux  sentiments,  humilité  de  l'homme  pécheur, 
amour  du  Sauveur  et  du  monde  invisible.  »  -  Comme  théologien, 
Cellérier  eut  deux  visées:  la  première,  faire  connaître  à  son  milieu  de 
lan-ue  française  la  science  allemande,  initier  et  pousser  le  jeune  cierge 
à  cette  étude  :  c'est  ce  qu'il  fit  par  de  nombreuses  recensions  dans  les 
Mélanges  de  religion,  dans  Religion  et  Christianisme  de  son  ami  b.  Vin- 
cent  dans  le  Protestant  de  Genève,  etc.,  par  ses  cours  et  ses  ouvrages; 
la   seconde,   combattre  les   idées   théopneustiques,  appuyées  par  le 
réveil  tout  en  maintenant  fermement  la  foi  à  l'inspiration  et  a  l  au- 
torité  des  Ecritures.  Voici  la   liste   chronologique   de   ses  ouvrages. 
En  1820,  les  Eléments  de  la  grammaire  hébraïque,  suivis  des  principes 
de  la  syntaxe  hébraïque,  traduits  librement  de  l'allemand,  de  W.  bese- 
mus   C'était  la  première  grammaire  hébraïque  en  français.  11  en  em- 
pruntait la  substance  aux  Allemands,  mais  la  présentait  revêtue  de 
clarté  et  de  simplicité.   Cet  ouvrage,    depuis   longtemps   épuise,   a 
fait  place  à  la   grammaire  de  Preiswerk.    En  1823,   Essai   dune   in- 
troduction critique  au  Nouveau  Testament,  ou  analyse  raisonnée  de  l  ou- 
vrage intitulé  :  Einleitung  in  die   Schriften  des  Neuen  Testaments,  de 
J  -L  Hug,  professeur  à  Fribourg  en  Brisgau  (Genève,  m-8°,  5^24  pages). 
C;est  à  un  professeur  catholique   et  par  conséquent  conservateur  que 
Cellérier  recourait,    «  n'osant,  disait-il  (ce  qui  peint  l'époque  autant 
que  l'homme),  faire  de  la  critique  qu'en  se  cachant  à  l'abri  d  un  nom 
distingué.  »  11  croit  devoir  justifier  la  critique  sacrée,  en  montrer  la 
légitimité  et  l'utilité,    et  faire  voir  qu'elle  a  gagné  sa  cause.  Cet  ou- 
vrage n'étant  pas  original,  nous  nous  dispensons  de  l'analyser.  Lais- 
sons aussi  deux  opuscules  ultérieurs  :  DeF origine  authentique  et  divine 
de  V  ancien  Testament  (1826) ,  De  V origine  authentique  et  divine  du  Nouveau 
Testament  (1829),  sermons  accompagnés  de  notes,  ou  la  critique  taite 
en  chaire  est  mise  au  service  et  dans  la  dépendance  de  l'apologétique. 
En  1832,  Cellérier  publie  un  ouvrage  étendu,  qui  fait  le  pendant  du 
précédent  :  Introduction  à  la  lecture  des  livres  saints  de  l'Anaen  Testa- 
ment   à    l'usage  des    hommes  religieux   et  éclairés  (in-8°,  547  pages) 
Après  avoir  établi  le  droit  et  le  caractère  de  la  «  critique  pieuse  »,  il 
-ilite    dans  la  première  partie,  du  Pentateuque,  au  sujet  duquel  il  se 
pose  ces  quatre  questions  :  authenticité,  intégrité,  crédibilité,  divinité, 
qu'il  résout  affirmativement.  Dans  une  seconde  partie,  il  passe  en  îe- 


CELLERIER  771 

vue  un  à  un  les  hagiogvaphes  et  les  prophètes,  en  les  caractérisant  au 
point  de  vue  littéraire  et  édifiant  plus encore  qu'au  point  de  vue  histori- 
que et  critique;  il  admet  toutes  les  authenticités  qui  sont  contestées. 
Dans  une  troisième  partie,  il  présente  sur  l'Ancien  Testament  pris  dans 
son  ensemble  (Us  considérations  de  deux  sortes, les  unes  apologétiques, 
tendant  à  montrer  la  beauté,  l'harmonie  et  la  divinité  du  livre,  les  autres 
herméneutiques,  destinées  à  combattre  diverses  erreurs  sur  son  expli- 
cation el  sou  usage  pratique.  En  1837,  VFsprttdela  législation  mosaïque 
(8  vol.  in-8°).  Cellérier  suit  encore  ici  un  maître  de  la  science  alle- 
mande, Ifichaëlis,  l'auteur  du  Droit  mosaïque  «  L'ouvrage  n'en  est  ni 
la  traduction  ni  l'abrégé;  c'est  un  produit  de  son  école.  »  Il  trace  d'a- 
bord deux  tableaux  :  dispositions  du  peuple  hébreu,  état  de  la  Pales- 
tine; puis  il  envisage  le  gouvernement  théocratique,  les  lois  dans  leur 
rapport  et  leur  accommodation  au  caractère  du  peuple,  au  sol,  à  l'in- 
dépendance nationale,  au  bonheur  public,  au  développement  du  mo- 
nothéisme, de  la  moralité,  de  la  civilisation  des  Hébreux,  à  la  prépa- 
ration du  christianisme.  La  valeur  historique  de  cet  ouvrage,  qui  est 
d'ailleurs  d'une  lecture  instructive  et  agréable,  est  compromise  par  les 
préoccupations  apologétiques  fia  législation  y  est  considérée  moins 
comme  le  fruit  lentement  mûri  de  l'esprit  religieux  et  national  des 
Hébreux,  que  comme  la  conception  savamment  calculée  d'un  civilisa- 
teur inspiré,  comme  une  œuvre  artificielle  et  surnaturelle  tout  ensem- 
ble. L'idée  religieuse  et  symbolique  qui  pénètre  tout  dans  le  mosaïsme 
n'est  point  mise  assez  fortement  à  la  première  place.  C'est  que  Cellé- 
rier  voulait  recommander  à  un  public  plus  curieux  de  civilisation  que 
de  religion,  la  législation  de  .Moïse  comme  un  beau  spécimen  de  ce  que 
peut  faire  la  sagesse  d'un  organe  de  la  divinité  pour  l'éducation  géné- 
rale d'un  peuple.  On  comprend  qu'une  telle  conception  de  ce  sujet 
n'est  pas  suffisamment  historique  et  théologique.  Treize  ans  s'écou- 
lent pendant  lesquels  Cellérier  ne  publie  rien  d'important.  Vers  la  fin 
de  cette  époque  les  esprits  commençaient  à  fermenter;  l'attention  se 
dirigeait  de  plus  en  plus  vers  le  grand  mouvement  de  la  théologie  al 
lemande  que  suivait  attentivement  le  journal  La  Réformation  au  dix- 
neuvième  siècle  publié  à  Genève.  Cellérier  avait  beaucoup  attendu  pour 
donner  son  premier  et  unique  commentaire  sur  YEpître  de  saint  Jac- 
ques  (1850,  in-8°,  200  pages).  Dans  l'avant-propos,  il  caractérise  ce 
qu'il  appelle  l'exégèse  pratique,  «  celle  qui  met  en  lumière  la  pensée 
de  l'écrivain  par  ses  rapports  avec  l'expérience  et  la  vie.  »  Cette  épitre 
était  un  des  objets  de  prédilection  de  Cellérier;  nul  ne  pouvait  être  un 
interprète  plus  sympathique  d'un  moraliste  inspiré,  profond,  sage  et 
pittoresque  comme  saint  Jacques.  Quant  à  la  grosse  question  de  l'oppo- 
sition entre  Paul  et  Jacques,  Cellérier  se  tient  à  égale  distance  de  ceux 
qui  la  nient  et  de  ceux  qui  l'exagèrent,  et  il  établit  l'harmonie  générale 
et  supérieure  des  apôtres.  Il  avait,  annoncé  la  publication  de  ses  cours 
sur  les  deux  épitres  aux  Corinthiens;  nous  regrettons  qu'il  ne  l'ail 
faite,  car  c'est  là  surtout  qu'il  développait  le  plus  abondamment 
a  l'exégèse  du  sentiment  »,  celle  qui  cherche  le  cœur  de  l'écrivain  sons 
•a  doctrir  .  lions  et  d<  s  «  motions  sous  -  elle 


772  CELLE1UER  —  OELSE 

idées.  Nous  regrettons  aussi  qu'il  n'ait  pas  imprimé  ses  cours  sur  V En- 
cyclopédie  et   V archéologie  bibliques,  qui  ont  été  autographiés  par  ses 
élèves.   Enfin,  en   1852,  paraissait  le   Manuel  d'herméneutique  (in-8°, 
381  pages),  le  plus  original  et  le  plus  important  des  ouvrages  de  Cellérier. 
Dans  T introduction  il  traite  successivement  de  la  nature,  de  l'histoire, 
de  la  division  de  cette  science  qui  iixe  les  principes  de  l'interprétation 
des  livres  saints.  Puis  viennent  cinq  parties  dans  lesquelles  sont  étu- 
diées successivement  les  règles  qui  se  rapportent  aux  diverses  applica- 
tions et  espèces  de  la  science:  herméneutique  psychologique  (conditions 
que  doit  réaliser  un  bon  interprète),  historique  (circonstances  de  l'auteur 
et  del'écrit),  scripturaire  (analogie  de  la  foi,  esprit  de  laBible  et  de  chaque 
auteur),  dogmatique  (preuves  et  nature  de  l'inspiration)  ;  le  tout  avec  une 
foule  de  subdivisions.  L'exposition  est  claire,  sobre  et  judicieuse,  mais 
un  peu  trop  émiettée.  La  partie  dogmatique  est  la  plus  considérable  et 
la  plus  délicate.  Pour  en  apprécier  les  idées,  il  faut  se  rappeler  qu'au 
moment  où  Cellérier  écrivait,  la  rupture  du  nouveau  libéralisme  avec 
l'orthodoxie   se  produisait.  L'herméneutique  antérieure  de  Cellérier, 
à  la  fois  conservatrice  quant  aux  résultats  et  libérale  quant  à  la  mé- 
thode, se   voyait  dépassée;   après  avoir  longtemps  paru  hardie,  elle 
se  trouvait  timide  et  Tétait;  elle  tenait  à  se  défendre  de  toute  conni- 
vence avec  la  guerre  qui  commençait  à  se  livrer  contre  l'autorité.  Cel- 
lérier sentait  bien  ce  que  sa  position  avait  de  particulier.  D'un  côté 
donc,  il  continue  à  repousser  les  idées  théopneustiques,  de  l'autre,  il 
défend  l'inspiration  divine  des  écrivains  sacrés.  Il  reste  ainsi  jusqu'au 
bout  un  supranaturaliste  libéral.  En  résumé,  si   les  ouvrages  de  Cel- 
lérier  ne  sont  pas  fort  originaux  quant  à  la   substance,  ils  le  sont 
(juant  à  la  manière,  surtout  quant  à  l'esprit.  L'influence  de  sa  per- 
sonnalité et  de  ses  cours  fut  assez  grande.  A  une  époque  où  faisaient 
grand  bruit  les  querelles  dogmatiques  et  les  passions  ecclésiastiques, 
il  imprima  aux  études  bibliques  sérieuses  et  indépendantes  une  im- 
pulsion qui  s'est  prolongée  chez  ses  nombreux  élèves.  Il  se  qualifiait 
lui-même  «  d'homme  de  transition  »  et  il  comparait  son  enseigne- 
ment à  «  une  pierre  à  aiguiser  ».  Il  a  eu  à  la  vérité  des  disciples  plus 
tranchants  que  lui,  mais  nous  en  connaissons  peu  chez  lesquels  on 
rencontre,  avec  une  liberté  d'esprit  plus  notable  pour  son  temps,  un 
plus  sincère  amour  de  la  Bible  et  un  mélange  plus  heureux  de  cul- 
ture, de  sagesse  et   de   piété.  —  Outre  ses  ouvrages   et  ses  articles 
dans  divers  journaux  et  revues,  voir  Notice  sur  le  professeur  J .-E .  Cel- 
lérier. par  Th.  Heyer,  secrétaire  de  la  Société  d'histoire  et  d'archéo- 
logie de  Genève,  1803,  et  Le. professeur  Cellérier,  deux  articles  du  pasteur 
L.  Choisy  dans  le  Chrétien  evangélique  de  1863.  A.  Bouvier. 

CELSE.  Le  premier  ouvrage  composé,  dans  le  monde  gréco-latin, 
contre  la  vérité  de  la  religion  chrétienne  est  d'un  philosophe  grec  du 
nom  de  Celse.  Origène,  qui  en  a  lait  une  réfutation  étendue,  en  donne 
l'auteur  pour  un  épicurien.  C'est  une  erreur  manifeste.  Dans  cet  écrit, 
Celse  parle  toujours  en  platonicien,  jamais  en  épicurien  ;  Origène  en 
convient  lui-même;  il  prétend,  il  est  vrai,  que  ce  platonisme  n'est 
qu'une  feinte  imaginée  pour  couvrir  ses  intentions  perfides  et  s'insi- 


OBLSB  773 

nuer dans  l'esprit  du  lecteur  [Contra  Cehum,  1.  Si:  mais  cette  expli- 
cation De  s'appuie  sur  rien  (Redepenning,  $,  t.  II.  n.  132-138  . 
Cel  ouvrage  fui  composé  à  un  moment  où  les  chréti< 
coup  d'une  violei                                 Maro-Àurèle,  163-183),  en  17S, 

ne  des  i  >rt  plausibles  en  faveur  de 

cette  date    Ceisus  '  Wakres   Wort,    p.   .  .11  ne  faudrait  pas  en 

dure  que  Cels  ilu  s'en  rendre  complice  et  provoquer  contre 

eux  de  nouvelles  rigueurs.il  nous  apprend  lui-même  dans  quel  d< 
il  entreprit  de  combattre  le  christianisme.  Ce  ne  fut  que  pour  guérir 
de  leurs  illusions  de  pauvres  et  malheureux  ignorants,  et  ouvrir  leurs 
yeux  à  la  vérité  (Contra  Celsum,  I.  9;  V.  65;  VI,  37;  VII,  II).  I 
vérité  à  laquelle  il  se  propose  de  les  ramener,  c'est,  non  le  paganisme 
vulgaire  et  officiel,  mais  cette  doctrine  de  Dieu  et  des  êtres  divins 
intermédiaires  entre  lui  et  les  hommes,  que  les  platoniciens  des  pre- 
miers siècles  de  notre  ère  en  donnent  pour  le  sens  caché,  et  qui  fut  la 
religion  de  toutes  celles  des  écoles  philosophiques  de  cette  époque 
qui  prétendaient  se  rattacher  à  Platon.  Celse  en  patrie  fort  souvent 
dans  son  ouvrage  contre  le  christianism  ..  I.  6  et (.)  :  II.  17;  Y,  6 

et  2.v">.  .  .  ■[  la  représente  à  plusieurs  reprises  comme  bien  supé- 
rieure aux  doctrines  chrétiennes  (Ml.,  VII,  68;  VIII,  2,9-15).  Il  n'a 
pas  d'autre  but  que  de  convertir  les  chrétiens  à  cette  espèce  de  reli- 
gion philosophique.  S'il  commence  par  une  réfutation  du  christia- 
nism  qu'il  fallait  d'abord  ébranler  la  confiance  des  chrétiens 

en  leurs  propres  croyances,  et  c'est  ce  qu'il  voulut  l'aire  dans  l'écrit' 
auquel  Origène  repondit,  et  auquel  Celse  avait  donné  pour  titre:  «  Dis- 
cours de  vérité,  s  'AXr/rr,:  Xcyoç,  indiquant  par  là  qu'il  se  proposait  d'y 
montrer  ce  que  valent  en  réalité  les  documents  sacrés  et  les  doctrines 
de  l'Eglise  chrétienne.  Ce  «  Discours  de  vérité  »  devait  être  suivi  d'un 
autre,  dans  lequel  il  aurait  exposé  à  ceux  des  chrétiens  qui,  ébranlés 
dans  leur  foi,  lui  auraient  témoigné  quelque  confiance,  les  principes 
qui  doivent  diriger  la  conduite  des  hommes  (ibid.,  VIII,  76).  Il  ne 
parait  pas  que  le  second  «  Discours  de  vérité»  ait  été  jamais  composé; 
du  moins  Origène  ne  le  connaissait  pas,  et  aucun  écrivain  de  l'anti- 
quité stique  n'en  parle.  Probablement  le  premier,  s'il  se  ré- 
pandit parmi  les  chrétiens  (et  il  ne  l'avait  écrit  que  pour  eux),  les 
révolta  plus  qu'il  ne  les  convainquit,  et  Celse  dut  renoncer  a  l'espoir 
de  les  convertir  à  sa  religion  platonicienne.  —  On  ne  s'explique 
pas  i  quel  aveuglement  le  philosophe  platonicien  ne 
comprit  pas  que  -  ours  de  vérité  •  ne  pouvait  que  lui  aliéner 
ceux  dont  il  comptait  gagner  la  confiance.  Le  ton  en  gant,  mo- 
queur, ironique,  blessant  au  suprême  degré  pour  les  chrétiens  qui  y 
sont  presque  partout  tr  ignorants  et  de  pauvres  gens  sans  intelli- 
.  Muant  au  fond,  rincipalement  dans  la  première  partie 
qui  est  a  la  fois  la  plus  importante  et  la  plus  étendue,  nu  acte  d'accu- 
sation vans  merci,  pour  ne  pas  dire  un  libelle  diffamatoire  contre  le 
fondateur  du  christianisme.  Celse  y  a  recueilli  tous  les  contes  injurieux 
et  tout  tplications  malveillantes  que  Les  juifs  avaient  imaginés 
ur  la  pers            I  renseignement  de  Jésus.  C'est,  il  es  vr?i,   I 


774  CELSE 

bouche  d'un  juif  qu'il  met  ce  réquisitoire  outrageant  (ibid.,  I,  28;  II, 
79)  ;  mais  il  en  endosse  la  responsabilité,  non  seulement  en  insérant  ces 
injures  dans  son  écrit,  mais  encore  en  les  faisant  suivre  de  discussions 
de  nombreux  passages  des  évangiles  (ibid.,  III,  1  ;  V,  65),  desquelles  il 
résulterait  que  le  père  de  la  religion  chrétienne  n'aurait  été,  pour  me 
servir  des  expressions  d'Origène  (ibid.,  III.  1),  qu'un   imposteur  qui 
aurait  voulu,  par  des  manœuvres  frauduleuses  et  de  faux  miracles,  se 
faire  passer  pour  le  Messie  annoncé  par  les  prophètes,  et  qui  n'aurait 
eu  ni  la  capacité  ni  le  courage  de  soutenir  ce  rôle  avec  dignité.  Evi- 
demment Gelse  mettait  Jésus  sur  la  même  ligne  que  cet  Alexandre  de 
Paphlagonie,  dont,  sur  sa  demande,  son  ami  Lucien  avait  démasqué 
les  impostures.  Les  néoplatoniciens,  qui  combattirent  plus  tard  le  chris- 
tianisme, furent  à  la  fois  plus  clairvoyants  et  plus  habiles,  en  recon- 
naissant un  sage  en  Jésus  qu'ils  mettaient  ainsi  hors  de  cause,  et  en 
s'en  prenant  uniquement  à  ses  disciples  qu'ils  accusaient  d'avoir  mal 
compris  la  doctrine  de  leur  maître  et  de  l'avoir  dénaturée.  Ce  n'est 
pas  que  Celse  ne  signale  çà  et  là  dans  les  discours  du  fondateur  de  la 
religion  chrétienne  quelques  paroles  remarquables  et  quelques  pré- 
ceptes élevés  ;  mais  il  lui  en  enlève  aussitôt  tout  l'honneur  en  assurant 
que  ce  sont  des  emprunts  faits  à  Platon,  sans  s'inquiéter  le  moins  du 
monde  d'expliquer  comment  le  prophète  de  Nazareth,  dont  il  rabaisse 
à  plaisir  le  caractère  et  l'intelligence,  s'était  trouvé  en  état  de  puiser  à 
cette  source  de  sagesse.  Dans  la  seconde  partie  de  son  «  Discours  de 
vérité  »  il  attaque  au  nom  de  la  raison  la  plupart  des  doctrines  chré- 
tiennes, entre  autres  celles  de  la  création  (ibid,,   VI,  47-65),  du  diable 
{ibid.,  VI,  42)  et  de  la  résurrection  de  la  chair  [ibid.,  VII,  32-35;  VIII, 
13).  Enfin,  dans  la  troisième  partie,  il  essaie  de  montrer  aux  chrétiens 
que  les  principes  d'après  lesquels  ils  affectent  de  former  un  peuple 
séparé  et  distinct  de  tout  le  reste  des  citoyens  romains  et  se  refusent 
de  prendre  part  aux  charges  et  aux  devoirs  de  la  vie  commune,  ainsi 
qu'aux  actes  du  culte  public  qui  ne  sont  en  définitive  que  des  fêtes 
nationales  et  n'engagent  en  rien  la  conscience,  ne  peuvent  se  justifier 
devant  la  raison,  et  leur  sont  préjudiciables  à  eux-mêmes,  en  leur 
donnant  l'apparence  d'être  toujours  en  révolte  contre  les  lois  de  l'Etat 
et  en  attirant  sur  eux  les  rigueurs  de  l'administration  romaine  (ibid., 
VIII,  17,  21,  24,  28).  —  Ce  qui  s'explique  encore  moins,  c'est  que 
cet  ennemi  déclaré  du  christianisme  en  avait  fait  une  étude  appro- 
fondie, sans  en  avoir  en  aucune  façon  saisi  l'esprit  qui  le  caractérise. 
Son  «  Discours  de  vérité  »  nous  apprend  qu'il  connaissait  les  évan- 
giles jusque  dans  leurs  moindres  détails;  que  plusieurs  des  autres  livres 
de  l'Ancien  et  du  Nouveau  Testament  lui  étaient  familiers;  qu'il  était 
au  courant  de  la  polémique  des  juifs  avec  les  chrétiens;  qu'il  n'igno- 
rait pas  les  dissentiments  qui  s'étaient  produits  dans  l'Eglise  primitive 
entre  Pierre  et  Paul,  et  plus  tard  entre  la  «  grande  Eglise  »  dxzy£^(]Ey.- 
vXr^ia)  et  de  nombreuses  sectes  rivales,  et  bien  d'autres   faits  que 
l'Eglise  laissait  volontiers  dans  l'ombre.  Toutes  ces  choses  étaient  tel- 
lement étrangères  aux  païens,  même  aux  plus   instruits,  qu'on   est 
presque  tenté  de  supposer  qu'il  avait  vécu  parmi  les  chrétiens,  qu'il 


CELSE  —  CÈNE  775 

avait  même  été  un  des  leurs,  et  que  quelque  blessure  faite  à  sa  vanité 
l'avait  jeté  dans  le  parti  des  philosophes  platonisants  de  cette  époque 
et  lui  avait  nus  la  plumé  à  la  main  contre  d'anciens  coreligionnaires 
(Schoeil,  Hiêtoire  de  la  littérature  grecque,  "2"  édit.,  t.  V.  (>.  in:;  et  L04). 

C'est    là  toutefois   une   hypothèse  gratuite.  Le    a  Discours   de    vérité  )) 

!ie  contient  pas  un  seul  mot  qui  puisse  le  faire  prendre  pour  un  acte 
de  vengeance.  11  faut  chercher  ailleurs  les  causes  de  l'antipathie  de 
Gelse  pour  le  christianisme.  On  ne  peut,  ce  semble,  les  trouver  que 
dans  sa  nature  intellectuelle  el  morale,  et  surtout  dans  les  préjugés 
qu'il  devait  à  son  éducation  (voy.  Neander,  G  esc  h.  der  chrtitl.  Kirche, 
t.  [,  p.  173-175).  Les  passades  du  «  Discours  de  vérité  »  cités  par  Ori- 
gènexmf  été  recueillis  par  C.-K.  Jachmann  dans  son  De  Celso  philosophe* , 
1836,  in-4°,  et  par  M.  Th.  Keim  (traduits  en  allemand  et  ordonnés  de 
manière  à  rétablir  autant  que  possible  récrit  de  Gelse)  dans  Celsus, 
Wahrcs  Wort,  Zurich,  1871),  in-8°.  Pour  la  bibliographie,  on  peut 
renvoyer  à  ce  dernier  ouvrage,  dans  lequel  sont  discutées  toutes  les 
opinions  précédemment  émises  sur  la  personne  et  le  discours  de  Gelse. 

M.  Nicolas. 

CELTES.  Voyez  Gaule  (Religion  de  L'ancienne). 

CENCHRÉE  (Keyxpe^,  Act.  XVIII,  18).  Gorinthe  avait  deux  ports  : 
l'un  sur  la  mer  Ionienne,  Aé^atov,  Léchée,  par  où  se  faisait  le  com- 
merce avec  T Italie;  l'autre  sur  la  mer  Egée,  Cenchrée,  qui  mettait 
Gorinthe  en  relation  avec  l'Orient.  La  distance  entre  Corinthe  et  Cen- 
chrée, d'après  Strabon,  était  de  soixante-dix  stades  (sept  kilomètres' 
environ).  Avant  de  s'y  embarquer  pour  son  dernier  voyage  à  Jérusalem, 
Paul,  à  cause  d'un  vœu,  s'y  fit  raser  la  tète.  A  tort,  on  a  trouvé  étrange 
cet  acte  de  Paul  et,  pour  l'en  décharger,  quelques  exégètes  l'ont  attribué 
à  Aquilas  qui  l'accompagnait,  ce  qu'à  la  rigueur  permet  la  construction 
de  la  phrase  grecque,  mais  ce  qui  n'est  pas  vraisemblable  (Act.  XY11I, 
18-19).  Il  y  avait  à  ce  moment-là  déjà  une  petite  communauté  chrétienne 
à  laquelle  appartenait  la  diaconesse  Phébée  (Rom.  XVI,  1). 

CENDRES  (Mercredi  des).  Les  cendres  sont  le  symbole  de  la  péni- 
tence. Dans  les  calamités  publiques  comme  dans  les  deuils  privés,  les 
Hébreux  mettaient  de  la  cendre  sur  leurs  têtes.  Les  pénitents,  dans  les 
premiers  siècles  du  christianisme,  devaient  se  présenter  à  la  porte  de 
l'église,  revêtus  de  cilices  et  couverts  de  cendres.  Le  concile  de  Béné- 
vent  de  l'an  1091  ordonne  à  tous  les  lidèles  de  recevoir  les  cendres  le 
premier  jour  du  carême,  qu'il  appelle  dies  cineris  et  cilicii.  Après  que 
les  rameaux  bénits  de  l'année  précédente  ont  été  brûlés,  leurs  cendres 
sont  placées  dans  un  vase  sur  l'autel;  puis  le  prêtre  officiant,  après 
avoir  récité  les  psaumes  pénitentiaux  et  d'autres  prières,  les  bénit,  en 
impose  sur  la  tète  du  clergé  et  du  peuple  agenouillé,  en  prononçant 
mto,  homo,  quia  pulvis  es,  et  in  pulverem  reverteris 
(Gen.  111,  19).  L'Eglise  vent  ainsi  inspirer  aux  lidèles  l'esprit  de  péni- 
tence et  d'humiliation  dans  lequel  ils  doivent  passer  le  temps  du  carême 
(V0>*.  cet  article). 

CÈNE  (Sainte).  —  I. DOCTRINE  BIBLIQUE.  -Nous  avons  quatre  relations 
de  l'institution  de  la  cène  (Matth.  XXVI,  c2o>2(.);  Marc  XIV,  22-25;  Luc_ 


77G  CENE 

XXII,  14-20;  1  Cor.  XI,  23-33);  entre  elles  il  n'y  a  que  des  différences 
de  détail,  pour  le  fond  elles  s'accordent  entièrement.  Celles  des  deux 
premiers  évangiles  sont  presque  identiques*  et  sont  sans  doute  l'ex- 
pression de  la  tradition  générale  de  l'Eglise;  celles  de  Luc  et  de  Paul 
ont  évidemment  une   origine  commune,  dont  toute  la  certitude  est 
indiquée  par  ces  mots  :   «  J'ai  reçu  du  Seigneur  ce  que  je  vous  ai 
aussi   transmis,    lyt»)   rtapsXaêov   a.izb   io'ù   Kupfou    o   %oà  Tuapécor/a   Oj/tv 
(1  Cor.  XI,  23).  La  préposition  cko  n'indique  pas  formellement  un 
enseignement  direct  comme  le  ferait  mieux  rcapa  ou  utuo,  et  on  pour- 
rait admettre  que  l'apôtre  ait  en  vue  une  instruction  transmise  par 
l'un  des  premiers  témoins  (cf.  Luc  I,  2).  Mais  il  est  plus  naturel  de 
comparer  ce  passage  à  Galates  I,  11,  12,  où  Paul  déclare  que  l'Evan- 
gile  qu'il  annonce  il  ne  l'a  reçu  d'aucun  homme  cùoi  yàp  sytoTrapà 
àvOpw-o'j   rcapéXaSov),    mais   «  par  révélation    de  Jésus-Christ  ».    S'il 
était  donc  absolument  nécessaire  de  choisir,  ce  serait  aux  récits  de 
Luc  et  de  Paul  que  devrait  être  donnée  la  préférence.  Mais  les  évan- 
giles, ici  comme  partout,  sont  très-concis,  et  ne  donnent  que  des  ré- 
sumés des  paroles  de  Jésus-Christ;  ils  peuvent  être  également  exacts 
sans  être  identiques,  et  le  plus  souvent  il  est  facile  de  réunir  les  diffé- 
rents éléments  qu'ils  renferment.  Le  quatrième  évangile  ne  contient 
pas  l'institution  de  la  cène,  qui  était  bien  connue  lorsqu'il  a  été  écrit  ; 
mais  il  rapporte  ce  qui  s'est  passé  le  dernier  soir  que  le  Seigneur  a 
passé  avec  ses  disciples  et  renferme  plusieurs  discours  qui  sont  en 
relation  plus    ou  moins  directe  avec  la   cène  (Jean  VI,  X1II-XVII).  — 
Les  synoptiques  semblent  indiquer  que  Jésus  a  institué  la  cène  et  célé- 
bré la  pâque  le  jour  même  de  la  fête  ;  mais  le  récit  de  Jean  montre 
que  c'est  la  veille  seulement.  D'abord  il  commence  par  ces  mots  : 
«  avant  la  fête  de  pàque  »  (XII,  1)  ;  puis  il  mentionne  le  dernier  repas 
du  Seigneur  avec  ses  disciples,  <m  disant  simplement  :  «  un  repas 
ayant  eu  lieu  »  (XII,  2).  Il  dit  ensuite  positivement  que  ce  jour,  qui, 
suivant  la  coutume  des  Juifs,  avait  déjà  commencé  la  veille  après  le 
coucher  du  soleil,  était  celui  de  «la  préparation  de  la  pâque  »  (XIX,  14), 
et  que  les  Juifs  n'entraient  point  dans  le  prétoire  de  peur  de  se  souiller 
et  de  ne  pouvoir  pas  manger  la  pàque  (XVIII,  28).  De  plus  le  jour  de 
la  fête  de  pàque  toute  activité  devait  être  suspendue  (Lévit.  XXIII,  7) 
et  on  ne  peut  admettre  que  les  Juifs  aient  i'aitce  jour-là  tout  ce  qui  a  eu 
lieu  lors  de  la  condamnation  et  de  la  mort  de  Jésus-Christ.  Pour  réta- 
blir  l'accord  entre  le    quatrième   évangile  et  les  synoptiques,  on  a 
essayé  de  donner  une  autre  portée  aux  passages  que  nous  venons  de 
citer,  ce  qui  ne  peut  se  faire  sans  s'éloigner  de   leur  sens  naturel. 
On  a  aussi  supposé  que  les  Juifs  avaient,  selon  une  coutume  qui  s'est 
établie  depuis,  retardé  le  jour  de  la  fête,  qui  aurait  été  reporté  du  ven- 
dredi au  samedi  alin  de  n'avoir  pas  deux  jours  fériés  de  suite.  On  en 
verrait  un  indice  dans  ces  mots  :  «  le  jour  où  il  fallait  (èv  fj  ëîei)  sa- 
crifier la  pàque  arriva  »  (Luc  XXlï,  7).  Cette  hypothèse,  qui  lèverait 
toute  difficulté,  n'est  pas  suffisamment  établie.  Mais,  en  considérant 
de  plus  près  les  synoptiques,  on. voit  qu'ils  ne  sont  pas  nécessaire- 
ment en  contradiction  avec  Jean.  Luc  dit  que  «  le  jour  où  il  fallait 


(MINE  777 

sacrifier  La  pàque  arriva  ».  Celle  journée,  14  du  mois  de  nisan,  com- 
mençai légalement  le  soir  du  13  ;  el  c'est  vers  la  fin  de  ce  jour  que 
doit  se  placer  le  moment  où  les  disciples  eurent  à  chercher  une  chambre 
pour  faire  tous  les  préparatifs  nécessaires  à  la  célébration  de  la  pàque. 
G  est  aioi's  que  Jésus,  sachant  que  le  moment  de  sa  mort  allait  arriver, 
et    usant   de   sa    Liberté  ordinaire    vis-à-vis  de  la  lettre  de   la   loi, 
voulut  célébrer  la  pàque  de  suite.  C'est  là  ce  qu'il  explique  d'abord 
au  maître  de  la  maison  :  «  Mon  temps  est  proche  »  (Matth.  XXVI,  18), 
puis  à  ses  disciples  :  a. rai  ardemment  désiré  manger  cette  pàque  avec 
vous  avant  de  souffrir  »  (Luc  XXII,  15).  Quoi  qu'il  en  soit  de  ce  point 
qui  est  encore  controversé,  c'est  le  jeudi  soir,  dans  u o  repas  pascal,  que 
Jésus-Christ  a  institué  la  sainte  cène.   Il  commença  par   tourner  les 
pensées  de  ses  disciples  vers  sa  mort  prochaine  et  leur  montrer  qu'elle 
était  voulue  de  Dieu  et  annoncée  par  les  Ecritures  (Matth.  XXVI,  2i; 
Marc  XIV,  '21  ;  cf.  Jean  XIII,  1).  Il  exprima  en  même  temps  la  pro- 
tonde douleur   (pie  lui    causait  la  trahison  de  l'un  d'entre  eux;  et 
voyant  <pie  ce  dernier  appel  était  infructueux,  il  le  fit  sortir  (Jean  XIII,  27; 
Matth.  XXVI,   25);  L'exclusion  de  Judas  ressort  encore  du  fait  qu'il 
s'éloigna  aussitôt  après  avoir  reçu  le  morceau  trempé  (Jean  XIII,  27) 
et  que  la   cène  ne   lut  donnée  qu'à  la  lin  du  repas  (Luc  XXII,  20; 
1  Cor.  XI,  25).  —  Le  Seigneur,  après  avoir  rendu  grâces,  prit  un  pain  et 
le  rompit,  comme  le  faisait  le  père  de  famille  dans  le  repas  pascal.  Le 
fait  est  mentionné  avec  le  même  terme  (sy.Xa-s)   dans  chacune   des, 
relations  de  l'institution  de  la  cène;  saint  Paul  y  montre  un  signe  de 
l'unité  des  chrétiens  :  «  Parce  qu'il  y  a  un  seul  pain,  nous  qui  sommes 
plusieurs,  nous  ne  sommes  qu'un  seul  corps  »  (1  Cor.  X,  17);  et  la 
fraction  (xXdwtç)  du  pain  fait  tellement  partie  du  symbolisme  de  la 
cène  qu'elle  semble  avoir  été  employée  d'abord  habituellement  pour 
la  désigner   (Act.  II,  42;  XX,  7;  1  Cor.  X,  16).  Jésus  distribua  en- 
suite le   pain  en    disant  :  «   Prenez,   mangez,   ceci   est  mon    corps 
qui   est   donné   (i    Cor.    XI,   2i    remplace    donne    par  rompt/ ;  mais 
cette   leçon   est  incertaine,   et  n'a    d'ailleurs    aucune    importance) 
pour  vous.  »  En   présentant  son   corps   séparé   du  sang,  il   montre 
([ne  c'est  essentiellement  sa  mort  qu'il  a  en  vue,  et  en  le  donnant 
comme  nourriture  il  se  compare  lui-même  à  l'agneau  pascal  (cf.  Jean 
l,  20;  XIX,  .')())  et  établit  comme  une  pàque  nouvelle  (cf.  1  Cor.  V,  7). 
Après  li>  souper,  il  prit  la  coupe,  et  ayant  rendu  grâces,  il  la  leur 
donna  en  disant  :  «  Huvez-en  tous,  car  ceci  est  mon  sang,  le  sang  de  la 
nouvelle  alliance  qui  est  répandu  pour  plusieurs  pour  la  rémission  de 
leurs  péchés.  »  Ce  second  acte  n'est  pas  la  simple  continuation  du  pre- 
mier,  car  il  est  précédé  d'une  action  de  grâces  nouvelle  ;  il  n'en  est  pas 
non  plu.,  larépétition  sou  i  une  forme  différente,  car  il  rappelle  d'abord 
!'■  sang  de  l'agneau  pascal   et  la  délivrance  dont  il  a  été  h;  moyen 
(Exode  XH,  21-28),  puis  aussi  l'alliance  conclue  entre  Dieu  et  son  peuple. 

et  l'aspersion  de  sang  qui  en  a  été  le  sceau,  et  par  laquelle  le  culte  mo- 
saïque a  été  inauguré  (Exode  XXIV,  5-8).  ("était  là  aussi  un  souvenir 
bien  conservé  'le-/  les  Israélites  (cf.  Zach.  IX,  11;  Pà.  L,  5).  Jésus 
annonce  ainsi  qu'il  va  inaugurer  la  nouvelle  alliance,  l'alliance  éter- 


778  GÈNE 

nelle  si  souvent  annoncée  par  les  prophètes  (Jér.  XXI,  31;  Esaïe 
LV,  3;  Ezéch.  XVI,  66,  etc.;  cf.  Hébr.  XIII,  20),  et  qu'elle  sera  scellée 
par  son  sang,  et  aussi  par  Pacte  nouveau  qu'il  établit,  car  il  dit  : 
«  Cette  coupe  est  la  nouvelle  alliance  en  mon  sang  »  (Luc  XXIII,  26; 
1  Cor.  XI,  25).  Il  ajoute  que  ce  sang  est  répandu  pour  la  rémission  des 
péchés  «  pour  plusieurs  »  (xepl  tcoXXôv,  Matth.,  Marc),  rappelant  les 
promesses  de  salut  faites  à  plusieurs  (Esaïe  LUI,  11;  Matth.  XX, 
28,  etc.),  et  dit  aussi  «  pour  vous  »  (ùrÀp  ôjjuov,  Luc  XXII,  20),  indi- 
quant que  ce  sont  ses  disciples  seuls  qui  y  participent  en  effet.  En 
donnant  la  coupe,  le  Seigneur  dit  :  «  Buvez-en  tous  »  (Matth.),  pour 
montrer  que  tous  ses  disciples  doivent  y  avoir  part  ;  et  il  ajoute  : 
«  Faites  ceci  en  mémoire  de  moi  toutes  les  fois  que  vous  en  boirez,  » 
pour  indiquer  qu'il  établit  une  institution  permanente,  qui  doit,  dit 
saint  Paul,  subsister  «  jusqu'à  ce  qu'il  vienne  »  (1  Cor.  XI,  25,  26).  — 
La  sainte  cène  place  l'Eglise  en  présence  de  la  mort  de  Jésus-Christ  ; 
elle  rappelle  et  atteste  le  caractère  expiatoire  de  son  sacrifice  ;  elle  en 
est  comme  la  suite,  et  donne  aux  fidèles  un  moyen  d'avoir  part  plus 
directement  à  ses  effets.  Dans  les  sacrifices  de  l'Ancien  Testament  on 
doit  considérer,  outre  le  choix  et  la  mort  de  la  victime,  deux  actes 
également  importants,  l'emploi  de  son  corps  qui  était  ou  consumé  en- 
tièrement sur  l'autel  ou  en  partie  mangé  par  les  prêtres  ou  les  fidèles  ; 
puis  l'emploi  du  sang  qui  était  répandu  en  aspersions.  Jésus-Christ  a 
voulu  donner  à  son  Eglise  quelque  chose  d'analogue,  mais  de  plus 
significatif  et  plus  efficace.  11  est  lui-même  la  victime,  l'agneau  de  Dieu 
qui  ôte  réellement  les  péchés.  Il  a  offert  sa  vie  une  seule  fois  (cf.  Hébr. 
IX,  28)  et  il  donne  à  tous  ses  disciples  son  corps  qui  a  été  rompu 
pour  eux,  et  son  sang  qui  a  été  répandu  pour  sceller  la  nouvelle 
alliance.  Mais  il  n'est  pas  nécessaire  qu'ils  reçoivent  matériellement 
son  corps  et  son  sang,  ce  qui  serait  impossible  ;  aussi  il  leur  distribue 
le  pain  et  le  vin  qui  doivent  produire  sur  ceux  qui  les  reçoivent  les 
mômes  effets  que  s'ils  étaient  effectivement  nourris  de  lui.  C'est  là  ce 
qui  est  expliqué  par  saint  Paul  lorsqu'il  dit  que  la  coupe  et  le  pain 
sont  la  communion  du  sang  et  du  corps  du  Christ  (I  Cor.  X,  16-21). 
Cette  expression  xcivawfo  est  employée  pour  désigner  la  communi- 
cation du  Saint-Esprit  (2  Cor.  XIII,  13)  et  la  participation  aux  souffran- 
ces du  Christ  (Philip.  III,  10),  elle  indique  toujours  une  participation 
effective.  Chez  les  Juifs  ceux  qui  mangent  des  victimes  ont  communion 
avec  l'autel  (obyji  y.owmo\  tgO  (foffiaomîpfoo  eîal,  1  Cor.  X,  18),  c'est-à-dire 
s'approprient  l'efficacité  du  sacrifice.  De  même  ceux  qui  mangent 
des  choses  sacrifiées  aux  idoles  prennent  aussi  part  au  culte  des  dé- 
mons et  les  chrétiens  ne  doivent  pas  avoir  communion  avec  les  dé- 
mons (-/.o'.vcovoj;  twv  oai|j.ovtû)v  yive^Oai,  1  Cor.  X,  20).  Ce  n'est  pas  par 
l'effet  de  quelque  vertu  renfermée  dans  la  chair,  car  il  est  permis 
d'user  de  toute  viande  sans  s'informer  d'où  elle  provient;  mais  celui 
qui  est  averti  que  ce  qu'il  mange  a  été  sacrifié  aux  idoles  doit  s'en 
abstenir  (1  Cor.  XI,  27,  28).  L'apôtre  établit  donc  que  celui  qui  prend 
part  volontairement  au  repas  d'un  sacrifice  participe  par  là  à  ses  effets. 
Et  s'il  en  est  ainsi  pour  «  l'Israël  selon  la  chair  »,  c'est-à-dire  pour 


CÈNE  779 

ceux  qui  n'ont  que  l'ombre  de  ce  dont  les  chrétiens  possèdent  la 
réalité;  combien  plus  ceux-ci  seront-ils  sûrs  de  trouver  dans  la  cène 
une  communion  réelle  avec  Jésus-Christ.  Cette  certitude  ne  provient 
pas  essentiellement  des  sentiments  de  ceux  qui  communient,  mais 
la  coupe  et  le  pain  qui  sont  la  communion  du  sang  el  du  corps 
du  Seigneur.  —  Ceci  permet  de  préciser  la  portée  «In  mot  est  dans  les 
paroles  de  l'institution  :  S  Ceci  est  mon  corps,  ceci  esj  mon  sang.  )> 
On  voit  dès  l'abord  qu'il  ne  peut  être  question  d'une  simple  représen- 
tation. 11  Tant  remarquer  aussi  que  lorsque  Jésus-Christ  emploie  cette 
expression,  il  dit  :Je  suis  le  bon  berger,  le  chemin,  la  lumière,  etc.,  etc.  ; 
il  indique  toujours  non  une  figure,  mais  une  réalité  d'un  ordre  supé- 
rieur: de  même  dans  la  vvnc  il  ne  donne  pas  des  images  OU  des  sym- 
boles, mais  une  communication  deseôets  de  sa  mort  plus  effective  que 
celle  qui  aurait  été  produite  par  son  propre  corps  et  son  propre  sang 
s'il  avait  jugé  utile  de  les  donner.  C'est  ce  que  démontrent  encore  ces 
expressions  :  «  discerner  le  corps  du  Seigneur  »,  «  coupable  du  corps 
et  du  sang  du  Seigneur  »  (1  Cor.  X),  qui  ne  peuvent  s'expliquer  que 
s'il  s'agit  de  quelque  chose  de  bien  réel.  Cette  réalité  ne  peut  être  de 
Tordre  physique,  puisque  d'une  part  il  serait  impossible  de  la  con- 
stater, et  que  d'une  autre  il  n'y  a  ni  dans  les  paroles  du  Seigneur  ni 
dans  celles  de  ses  disciples  aucune  trace  des'  explications  qu'aurait 
exigées  une  idée  semblable.  De  plus  on  serait  conduit  par  là  à  l'aire 
de  la  cène  elle-même  une  sorte  de  sacriiiee  non  sanglant,  notion 
:* 'tellement  contradictoire  et  entièrement  contraire  à  l'enseigne-, 
ment  apostolique.  On  ne  peut  pas  non  plus  supposer  une  communi- 
cation directe  du  corps  glorifié  de  Jésus-Christ,  car  ce  point  de  vue 
aussi  est  étranger  à  l'Ecriture  et  en  contradic  tion  avec  le  symbolisme 
de  la  cène,  qui  ne  nous  place  pas  en  présence  d'un  corps  spirituel  dans 
lequel  il  n'y  aurait  plus  à  distinguerai  chair  ni  sang  (cf.  ICor.  XY,4ri:-50), 
mais  montre  un  corps  rompu  et  un  sang  répandu.  —  La  sainte  cène  est 
donc  un  des  moyens  par  lesquels  les  effets  de  la  mort  du  Christ  sont 
réellement  communiqués.  Mais  elle  est  aussi  en  rapport  direct  avec 
sa  résurrection  et  sa  vie.  Il  faut  considérer  que  Jésus-Christ  a  rarement 
parlé  de  sa  mort  sans  mentionner  également  sa  résurrection,  et  (pie  les 
apôtres  de  même  montrent  fréquemment  la  connexité  et  L'importance 
('•-aie  de  ces  deux  faits  pour  la  vie  chrétienne;  (Rom.  IV,  25;  VI,  5,  8; 
2  Tim.  Il,  11,  etc.).  Jésus,  en  instituant  la  cène,  a  annoncé  à  ses  dis- 
ciples sa  résurrection  et  leur  réunion  avec  lui  dans  le  royaume  de  Dieu 
(Matth.  XXVI,  29,  etc.;  cf.  Jean  XIV,  2,  3,  etc.);  il  leur  a  parlé  du 
moment  où  la  pâque  serait  accomplie  (eorç  oxou  ïCÀYjpwôîj,  Luc  XXII,  l(i) 
dans  ce  royaume.  Ce  corps  rompu  qu'il  donne,  c'est  un  corps  qui  doit 
:  essusciter  ;  rien  n'indique  que  ce  soit  un  moyen  direct  de  résurrection  ; 
mais  c'en  est  certainement  un  gage  et  un  moyen  indirect  pour  ceux 
qui  sont  ainsi  unis  à  Christ,  source  de  toute  vie  (Jean  VI,  57;  XIV, 
I!),  et..i.  Le  pain  et  le  vin  envisagés  comme  aliments  représentent  la 
plénitude  de  la  vie  du  Christ  communiquée  aux  siens.  Cette  vie  doil  se 
substituer  à  la  leur,  comme  le  montre  souvent  saint  Paul  en  apportant 
le  témoignage  de  son  expérience  personnelle  (Gai.  11,  20,  etc.)  et  comme 


780  CENE 

le  Sauveur  l'a  enseigné  de  plusieurs  manières.  Il  est  le  vrai  cep  qui 
communique  la  vie  aux  sarments  (Jean  XV,  1-8)  ;  il  est  le  pain  de 
vie;  celui  qui  mange  sa  chair  et  qui  boit  son  sang  a  la  vie  éternelle,  et 
il  le  ressuscitera  au  dernier  jour.  Ces  paroles  et  les  autres  analogues 
(Jean  VI,  32-51)  ne  peuvent  se  rapporter  directement  à  la  cène,  qui 
n'était  pas  encore  instituée  lorsqu'elles  furent  prononcées  ;  mais  cet 
acte  est  un  des  moyens  de  réaliser  ce  qu'elles  indiquent  et  de  sceller 
cette  union  intime  par  laquelle  il  est  dit  que  «  nous  sommes  de  son 
corps,  de  sa  chair  et  de  ses  os  »  (Eph.  V,  30).  La  cène  doit  aussi  res- 
serrer l'union  des  fidèles  entre  eux,  elle  n'est  pas  un  acte  individuel, 
mais  elle  est  donnée  à  l'Eglise  entière,  qui  est  elle-même  «  le  corps  du 
Christ  ».  Il  faut  remarquer  de  combien  d'appels  à  l'amour  et  à  l'union 
son  institution  fut  accompagnée  (Luc  XXII,  22-27  ;  Jean  XIII,  14;  XV, 
12;  XVII,  21  ;  etc.).  La  cène  n'est  destinée  qu'aux  disciples  de  Jésus- 
Christ  (1  Cor.XI,  27-32).  Ilsdoivent,  avant  d'y  prendre  part,  examiner 
s'ils  le  sont  bien  réellement,  s'ils  peuvent  comprendre  ce  qui  leur  est 
donné  et  «  discerner  le  corps  du  Seigneur  ».  Autrement  ils  mange- 
raient et  boiraient  un  jugement  contre  eux-mêmes  (v.  29),  c'est-à-dire 
que  ce  jugement  serait  pour  eux  la  conséquence  directe  et  spéciale  de 
leur  communion.  Ce  n'est  pas  de  la  condamnation  éternelle  qu'ils  sont 
menacés,  mais  d'un  châtiment  temporel  qui,  pour  plusieurs  membres 
de  l'Eglise  de  Corinthe,  avait  été  la  maladie  ou  la  mort  (v.  30).  Ces 
punitions  sont  dispensées  par  Dieu  dans  des  vues  miséricordieuses 
«  afin  que  nous  ne  soyons  plus  condamnés  avec  le  monde  »  (v.  32). 
Ainsi  la  cène  rapproche  de  nous  la  mort  de  Jésus-Christ;  nous  rece- 
vons son  corps  et  son  sang  comme  s'il  venait  d'être  immolé.  C'est  lui- 
même  qui  nous  invite  à  les  recevoir,  qui  par  ce  moyen  nous  donne 
l'assurance  de  la  rémission  des  péchés,  nous  communique  sa  vie  et  nous 
donne  un  prochain  rendez-vous  dans  l'éternité.  Ed.  Monnibe. 

II.  Doctrine  catholique.  —  1.  Les  trois  premiers  siècles.  L'Eglise, 
durant  cette  période,  flotte  entre  la  conception  spirituaiiste  et  la  con- 
ception matérialiste  de  la  cène,  ou,  pour  parler  plus  exactement,  elle  ne 
les  distingue  pas  nettement  et  ne  les  soumet  pas  à  l'analyse  de  la  ré- 
flexion critique.  On  peut  toutefois  démêler  déjà  les  deux  courants. 
Ignace  (ad  Rom.,  7  ;  adSmyrn.,  7),  Justin  (ApoL,  I,  06)  et  Irénée  (IV,  18) 
insistent  sur  l'union  mystique  du  Logos  avec  le  pain  et  le  vin,  qui  de- 
viennent ainsi  des  éléments  célestes  sans  cesser  d'être  du  pain  et  du  vin, 
de  mêmeque  notre  corps,  lorsqu'il  a  revêtu  l'immortalité,  n'a  pas  cessé 
d'être  notre  corps.  Ils  polémisent  contre  les  docètes  et  les  gnostiques  qui 
nient  la  réalité  du  corps  du  Christ  dans  la  cène,  parce  qu'ils  méprisent 
la  matière  du  pain  et  du  vin  qui  le  renferme.  Le  réaliste  Tertullien, 
par  contre,  est  porté  à  ne  voir  dans  l'eucharistie  qu'une  figura  corporis 
Christi(Adv.  Marc.,l,  14  ;  IV,  40)  et  un  mémorial  de  sa  mort  (De  anim., 
c.  17),  bien  que  dans  d'autres  passages  (De  resurr1.,  c.  8  ;  De  pudic, 
c.  9)  il  représente  la  cène  comme  un  opimitate  dominici  corporis  vesci, 
un  de  Deo  saginari,  etc.  On  trouve  les  mêmes  fluctuations  chez  Cyprien 
(Ep.,  63  ;  cf.  57),  qui  relève,  en  outre,  la  belle  et  féconde  idée  de  la 
communio  sanctorum  :  «  Quo  et  ipso  sacramenlo  populus  noster  ostenditur 


CÈNE  781 

adunatus,  nt  quemadmodum  grana  multa  in  unum  collecta  et  commolita 
et  commixta  panem  unum  faciunt,  sic  in  Chrùto,  quiestpanis  cœlestis, 
unumsciamus  esse  corpus,  eut  conjunc tus  sit  noster  numerus  et  adunatus  » 
(Ep.,  63).  L'école  d'Alexandrie  devait  incliner  vers  la  conception  spi- 

ritualiste.  Clémenl  appelle  la  cène  un  tu{ji,6oXov  fj.uffiixov,  et  l'élément 
mystique  il  le  place  moins  dans  le  pain  et  dans  le  vin  «pie  dans  l'union 
de  l'esprit  de  L'homme  avec  le  Logos  {ILciSaY-j  11,  %\  cf.  i,  6).  Quant  à 
Origène,  il  s'élève  avec  vigueur  contre  ceux  qui,  s'attachant  à  lu  lettre 

qui  tue  et  non  à  l'esprit  qui  vivifie,  voudraient  faire  de  la  cène  un 
opus  operatum.  Le  pain  du  Seigneur  n'est  utile  qu'à  celui  qui  s'en 
nourrit  avec  un  esprit  sans  tache  et  une  conscience  pure  (Opp.,  III, 
p.  4J)S  ss.)  :  «  Non  enim  panem  illum  visibilem,  quem  tembat  in  mani- 
bus,  corpus  suum  dicebat  Deus  verbum,  sed  verbum,  in  cujus  mysterio 
fueratpanis  ille  frangendusyi  {Opp.,  II,  p.  22o).  Le  pain  véritable,  c'est 
la  parole  de  justice  dont  les  âmes  sont  rassasiées,  et  le  breuvage, 
c'est  la  parole  de  la  connaissance.  Ce  n'est  pas  ce  qui  entre  dans  la 
bouche  qui  purifie  l'homme,  comme  les  simples  le  croient.  Le  pain  de 
la  communion  en  lui-même  n'est  pas  différent  des  autres  aliments. 
Manger  ou  ne  pas  manger  de  ce  pain  n'ajoute  et  n'enlève  rien  à  la  vie 
de  l'âme  :  ce  qui  produit  cet  effet,  c'est  la  bonne  ou  mauvaise  disposi- 
tion du  cœur.  Nous  rencontrons  déjà  chez  les  Pères  apostoliques  l'idée 
d'un  sacrifice,  associée  à  celle  de  la  cène;  seulement  ce  n'est  pas  le 
sacrifice  expiatoire  du  Christ  qui  se  renouvelle  quotidiennement,  mais 
un  sacrifice  d'actions  de  grâces  offert  par  les  chrétiens,  et  figuré  par 
leurs  prières,  leurs  aumônes  et  leurs  dons  :  de  là  les  expressions  fré- 
quemment employées  de  oblatio,  oôpa,  eùXoY^a,  eù^aptsiÉa,  ôuaiaar 
Tr(:-.:v.  ducrCa,  iupoar<popa.  Ces  oblations  on  les  faisait  aussi  pro  defunctis, 
pro  natalitiis  annua  die  (Tertullien ,  .De  cor.  mil.,  3;  cf.  De  exltort. 
cast.,  11;  De  monog.,  10;  De  orat.,  14).  Cyprien,  le  premier,  poussé 
par  ses  tendances  hiérarchiques,  applique  l'idée  du  sacrifice  non  à 
la  communauté  mais  au  prêtre,  «  qui  vice  Christi  fungitur,  id  quod 
Christus  fecit  imitatur,  et  sacrifkium  verum  et  plénum  tune  offert  in 
ecclesia  Deo  Patrie  (Ep.,  03),  bien  qu'il  s'agisse  ici  non  d'une  répé- 
tition, mais  d'une  simple  imitation  du  sacrifice  du  Christ.  Ajoutons 
encore  que,  durant  cette  période,  à  l'exception  des  hydroparastates 
(aquarii,  Epiph.,  Hseres.,  46,  2),  tous  les  chrétiens  se  servaient  de 
vin  et  de  pain;  on  mêlait  le  vin  avec  de  l'eau  (xpa^a),  pour  figurer 
l'union  du  r^z'yj.y.  de  Dieu  avec  le  nvetyia  de  l'homme  (Clément, 
Ilai&aY»»  H>2).  Les  artotyrites  ajoutaient  au  pain  du  fromage  (Epiphane, 
livres.,  49,  2;  Augustin,  de  Hxres.,  28).  Déjà  se  manifeste  la  crainte 
superstitieuse  de  répandre  quelques  gouttes  du  calice  :  «  Calicis  aut 
's  nostri  aliquid  decuti  in  terram  anxie  patimur  »  (Tertullien,  De  cor. 
mil.,  3;-cf.  Origène,  In  Exod.  hom.,  XIII,  3),  comme  aussi  la  croyance 
dans  la  vertu  de  guérison  (çàpjAOXov  àtavadaç,  ôvt(3otov  tou  [jmj  àrço- 
OaveTv),  attachée  aux  symboles  eucharistiques.  La  coutume  d'admi- 
nistrer la  cène  aux  enfants  est  également  liée  à  l'attente  d'effets 
magiques.  On  pensait  même  ne  pas  pouvoir  les  faire  communier  trop 
tôt.  Cyprien  nous  dit  qu'aux  enfants  qui  n'étaient  pas  encore  en  état 


782  CENE 

de  manger  le  pain,  on  faisait  seulement  boire  le  vin.  Ces  vues  erro- 
nées étaient  favorisées  par  la  séparation  devenue  nécessaire  entre  la 
cène  et  les  agapes,  la  conservation  du  pain  bénit,  l'habitude  de  faire 
humer  la  liqueur  sacrée  avec  un  tube,  un  chalumeau,  les  communions  de 
malades,  comme  aussi  par  le  goût  prononcé  de  l'époque  pour  le  mer- 
veilleux. Voyez  Marheinecke,  SS.  Patrum  de  prœsentia  Christi  in 
cœna  Domini  sententia  triplex,  Heidelb.,  1832;  Dœllinger,  Die  Lehre  von 
der  Eucharistie  in  den  S  ersten  Jakrh.,  May.,  1826;  Hœfling,  Die  Lehre 
der  œltest.  Kirche  vom  Opfer  ira  Leben  u.  Cultus  der  Christen,  Erl.,  1851, 
Otto,  Das  Abendmahlopfer  der  olten  Kirche,  Gotha,  1868.  —  2.  Les 
Pères  de  V Eglise.  Les  progrès  de  la  hiérarchie,  la  pompe  croissante  du 
culte  et,  par-dessus  tout,  les  atteintes  portées  au  spiritualisme  chrétien 
par  les  croyances  superstitieuses  et  les  conceptions  magiques  qui 
s'étaient  frayé  une  voie  dans  l'Eglise,  expliquent  les  modifications  que 
subirent,  durant  cette  période,  le  dogme  et  le  rite  de  la  cène.  Déjà 
nous  rencontrons,  pour  la  définir,  des  expressions  singulièrement 
hardies  -(XaTpda  âvai^axTOç,  ôusia  tgu  îXa^ou,  ispcjpYia,  [a|t4Xtj4»i<;  tôv 
cq".2c-[j^T(07,  etc.).  L'idée  dominante  est  celle  de  la  consubstantialité  du 
corps  et  du  sang  du  Christ  d'une  part,  et  des  éléments  visibles  du  pain 
et  du  vin  de  l'autre.  Toutefois  de  nombreux  indices  font  voir  qu'il 
ne  sera  pas  possible  à  l'esprit  chrétien,  une  fois  dévoyé,  de  s'arrêter 
sur  la  pente  où  il  est  engagé  :  le  besoin  de  clarté  et  de  logique  est  tel, 
soit  chez  les  docteurs  qui  sont  chargés  de  formuler  et  de  justifier  le 
dogme,  soit  chez  les  masses  qui  ne  peuvent  pas  saisir  l'idée  subtile  et 
équivoque  de  la  consubstantialité,  que  Ton  entrevoit  déjà  se  dégager 
nettement  des  hésitations  et  des  scrupules  qui  l'enveloppent  encore  le 
terme  fatal  de  l'évolution,  à  savoir  la  théorie  de  la  transsubstantiation. 
Ajoutons  qu'il  n'est  pas  toujours  facile,  dans  les  textes  des  Pères,  de 
faire  la  part  del'idée  et  celle  delà  forme  emphatique  dont  ils  la  revêtent. 
Au  fond,  la  rhétorique  a  joué  un  rôle  plus  considérable  que  l'on  ne 
pense  dans  l'histoire  du  développement  et  de  la  fixation  de  notre  dogme. 
Cyrille  de  Jérusalem,  pour  expliquer  le  mystère  de  la  cène,  rappelle 
le  changement  analogue  de  l'eau  en  vin  aux  noces  de  Cana  (Cat.,  XXII, 
§  6).  Nous  devenons  un  même  corps  et  un  même  sang  avec  Christ,  en 
ce  sens  que  le  corps  et  le  sang  du  Christ  passent  véritablement  dans 
nos  membres  (cjjjcrwaot  %cà  cùvaifAOt  Xpiaxoîj  y^iizooipoi  Yevéfxeôa,  Cat., 
XXIII).  Grégoire  de  Nysse  établit  un  parallèle  entre  la  conservation 
physique  de  l'homme  par  les  aliments  physiques,  et  la  nourriture  à  la 
fois  corporelle  et  spirituelle  que  la  jouissance  du  corps  et  du  sang  du 
Christ  dans  la  cène  nous  offre,  et  qui  est  le  contre-poison  efficace  opposé 
à  la  mortalité  produite  par  le  péché  (Cat.,  XXXVII).  D'après  Chryso- 
stôme,  finstitution  de  la  cène  est  le  témoignage  le  plus  éclatant  de 
l'amour  du  Sauveur  pour  les  hommes,  parce  que,  en  elle,  il  ne  s'est 
pas  seulement  montré  à  eux,  mais  qu'il  leur  a  permis  de  le  toucher  et 
de  se  nourrir  de  lui  {Opp.,  VIII,  p.  292).  Il  enseigne,  lui  aussi,  une 
union  corporelle  avec  Christ  :  'Avac/jps'.  èauxov  i/jptfv ,  v.oa  où  T/j  xforst 
[j,ovov,  «XX  '  aùttp  Tiù  îupayjAaTt  (jôjxa  r^y.z  auxou  xaTaffKe'jaÇst  [Opp.,  IX, 
p.  257),  et  ajoute  d'une  manière  significative  :  «  Si  nous  étions  des 


CÈNE  7*3 

êtres  incorporels.  Christ  nous  nourrirait  au  moyen  d'aliments  incor- 
porels (à<Hi>[Aorca)  ;  mais  puisque  notre  âme  est  unie  au  corps,  Dieu 
nous  offre  h*  acicOrjToîç  ta  voirrra.  »  11  est  vrai  de  dire  que  la  conception 
symbolique  trouve  encore  des  partisans  décidés,  tels  que  Eusèbe  de 
qui  dit  formellement  que  les  chrétiens  sont  appelés  à  célébrer 
Le  souvenir  de  la  mort  du  Christ  par  les  symboles  de  sou  corps  et  de 
son  sang (Demonstr.  evang.,  I,  10);  Grégoire  de  Nazianze,  qui  n'hi 
pas  à  appeler  le  pain  et  le  vin  des  signes  et  «les  types  (av-ri-ruira),  et 
surtout  Théodoret  (Opp.,  IV,  p.  L26),  qui  distingue  nettement  entre 
la  figure  que  nous  voyons  et  l'union  mystique  qui  est  L'œuvre  de  la 
—  L'Eglise  latine  suit  le  même  courant  que  l'Eglise  grecque,  Ili- 
laire  dit  sans  détours  du  Christ  :  «  Naturam  enfui*  sux  ad  natunun 
«ternitatis  sub  sacramento  riobis  communicandae  carnis  admiscuit  »  (De 
trinit.,  VIII,  13).  Ambroisc  voit  dans  la  cène  le  pain  vivant  descendu 
du  ciel,  c'est-à-dire  Christ  lui-même.  Si  déjà,  dans  l'Ancien  Testament, 
les  prophètes  ont  pu  transformer  Les  éléments  par  la  vertu  toute-puis- 
sante de  Dieu,  à  combien  plus  forte  raison  ce  changement  ne  doit-il 
pas  s'accomplir  dans  le  sacrement  de  la  cène?  «  Quod si  tantum  valait 
sermo  Elue,  ut  igitem  de  cœlo  promeret,  non  valebit  Christi  sermo,  ut 
species  mutei  elementorum  »  (De  initiand.  myster.,  VIII  et  IX).  De  même 
Tidée  d'un  renouvellement  du  sacrifice  de  Jésus-Christ  gagne  insensi- 
blement du  terrain.  On  la  rencontre  chez  la  plupart  des  Pères,  mais 
nulle  part  aussi  explicitement  que  chez  Grégoire  Ier  (Mor.,  lib.  XXII,  26), 
qui  désigne  la  cène  comme  un  quotidianum  immolationis  sacrificium,  et, 
la  met  en  relation  avec  les  messes  dites  pour  sauver  les  morts  du 
purgatoire.  Par  contre  saint  Augustin  s'élève  avec  force  contre  le 
capernaïtique  (Jean  VI,  33)  donné  aux  paroles  de  l'institution  de  la 
cène.  A  ses  yeux  la  signification  symbolique  des  éléments  du  pain  et 
du  vin  ne  t'ait  aucun  doute  :  «  Eujura  est  ergo,  praecipiens  passioni 
dominiez  communicandum  et  suavité?*  atque  utiliter  recondendum  in 
memoria,  quod  pro  nobis  ca.ro  ejus  crucifixa  et  vulnerata  sit  »  (De  civit. 
Dei,  XXI,  25).  Relativement  au  corps  du  Christ  il  dit  :  «  Ego  Domini 
corpus  ita  in  cœlo  esse  credo,  ut  crat  in  terra,  quando  ascendit  in  cœlum  » 
(Ep.,  146).  Il  déclare  que  c'est  une  servilis  infirmitas  de  prendre  les 
signes  pour  la  chose  signifiée,  que  celui  qui  ne  possède  pas  le  Christ 
dans  son  cœur  ne  peut  se  vanter  de  manger  sa  chair  et  de  boire  son 
sang,  quand  bien  même  il  mange  et  boit  le  sacrement;  il  définit  les 
sacrements  du  Nouveau  Testament,  en  opposition  avec  les  cérémonies 
de  L'Ancien,  «  factu  facillima,  intelleclu  augustissima,  observations  cas- 
tissima,  »  qu'il  faut  honorer  «  non  carnnli  servitute,  sed  spiritali  liber- 
tate  »  (De  doctr.  christ.,  III,  (.)).  L'objet  du  sacrement  est  le  corps  spi- 
rituel du  Christ  1;  le  pain  et  le  vin,  et  ce  corps  spirituel  i 
l'union  des  fidèles  entre  eux.  :  «  Hune  cibum  et  putum  vult  intelltgi 
wcietatem  corporis  et  membrorum  suoi^um,  quod  est  Ecclesia  »  (Ct 
adv.  ïegis,  11,9).  Le  pape  Gélase,  de  son  côté,  repousse  formellement 
Tidée  de  la  transsubstantiation.  Par  h;  sacremenl  de  la  crue  «  divinm 
efficimur  participes  naturœ,  et  tamen  esse %non  des.:  antia  vel 
natw 


784  CÈNE 

p.  703).  —  3.  Le  moyen  âge.  Bien  qu'au  début  de  cette  période  nous 
rencontrions  encore  des  expressions  qui  peuvent  se  rapporter  à  une 
conception  figurée   de  la    cène,  la  langue   liturgique,   officiellement 
adoptée  dans  l'Eglise,  favorisa  de  plus  en  plus  la  doctrine  de  la  trans- 
substantiation qui  répondait  si  bien  à  la  grossièreté  des  conceptions  et 
au  caractère  superstitieux  de  la  piété  de  ce  temps.  L'abbé  de  Corbie, 
Paschase  Radbert,  dans  un  écrit  adressé  vers  Tan  830  à  Charles  le 
Chauve  sous  le  titre  de  Liber  de  corpore  et  sanguine  Domini  (chez  Mar- 
tène  et  Durand,  IX,  col.  367470),  s'appuyant  sur  la  toute-puissance 
de  Dieu,  enseigna  que  par  la  consécration  du  prêtre  la  substance  du 
pain    et   du    vin    «    Christi  in  carnern   ipsius   ac   sanguinem   divinitus 
irons fertur  »  (II,  2),  de  telle  manière  que  les  signes  extérieurs  de  la 
substance   matérielle  (forme,    couleur,   goût)   subsistent  dans  le  but 
d'exercer  la  foi  comme  aussi  de  ménager  la  débilité  des  sens,  bien 
que  parfois  le  vrai  corps  du  Christ  sous  la  forme  de  l'agneau,  sem- 
blable   à  un  petit  enfant  gisant   sur  l'autel,   avec  la   couleur  de  la 
chair,  et  des  taches  de  sang  véritables,  soit  apparu  aux  communiants 
pour  raffermir  la  foi  des  faibles  ou  récompenser  celle  des  forts.  Cette 
doctrine,  qui   s'appuyait  d'ailleurs   sur  une  multitude  de  légendes, 
fut  accueillie  avec  empressement  par  un  clergé  ignorant  et  des  popu- 
lations barbares.   Elle  fut   combattue  néanmoins  par  Raban  Maur, 
abbé  de   Fulda  (Ep.    ad  Eeribanum,  chez  Massillon,    Veter.  Analect. 
éd.  2,  p.  17,  dont  l'authenticité  a  été  contestée  par  Mùnscher  et  Neander), 
qui  déclare  que  le  sacrement  se  compose  d'éléments  visibles  et  corpo- 
rels  qui   partagent  le   sort  de  toute  la  matière,  selon   la  parole   du 
Seigneur,  que  tout  ce  qui  entre  dans  la  bouche  va  dans  le  ventre  et  est 
jeté  aux  lieux  secrets  :  par  Ratramne  (De  corpore  et  sanguine  Domini  ad 
Carol.  Calvum,éd.  de  J.  Boileau,  Paris,  1686,  et  chez  Schrœckh,  XXIII, 
p.  445  ss.),  qui  distingue  dans  la  cène  entre  l'acte  visible  et  l'acte 
invisible,  la  figura  et  la  veritas,  et  insiste  sur  l'idée  du  mystère  dont  le 
propre  est  précisément  de   détourner  l'attention  des  signes  visibles 
vers  les  réalités  invisibles.  S'il  y  a  une   conversio   du  pain  et  du  vin 
dans  le  corps  et  le  sang  du  Christ,  c'est  une  conversio  tout  idéale  qui 
s'opère  dans  l'esprit  du  communiant  alors  qu'il  s'élève  du  domaine 
profane  dans  le  domaine  de  la  foi  ;  enfin  par  Scot  Erigène  (De  Euclia- 
ristia,  que  la  plupart  des  savants  attribuent  aujourd'hui  à  Ratramne), 
qui  ne  considère  le  sacrement  que  comme  un  signe  de  la  toute-présence 
de  Dieu.   Malgré  cette   opposition   des  esprits   les   plus  distingués  du 
temps,  la  doctrine  de  Radbert  s'imposa  de  plus  en  plus  à  la  croyance 
générale.  Vers  le  milieu  du  onzième  siècle,  elle  était  déjà  si  universel- 
lement reçue  comme  la  seule  orthodoxe  que,  lorsque  Bérenger,  chanoine 
de  Tours,  dans  une  lettre  à  Lanfranc  (Liber  de  sacra  cœna  ad  Lanfr., 
éd.  d'Achéry,  chez  Mansi,  XIX,  768;  éd.  de  Vischer,  1834,  d'ap.  le 
mss.  découv.  par  Lessing,  1770),  osa  l'attaquer,  il  se  vit  condamné  et 
obligé,  aux  synodes  de  Verceil  et  de  Rome  (1050-1079),  de  se  rétracter. 
Les  expressions  dont  s'était  servi  son  plus  ardent  adversaire,  le  car- 
dinal Humbert  de  Langre:;  (panent   et  vinum,  quœ  in  altari  ponuntur, 
post  consecrationem  non  solum  sacramentum,  sed  etiam  verum  corpus  et 


CÈNE  785 

sanguinem  Domini  nosiri  Jesu  Christiessefet  sensu îli ter ^  non  solum  sacra- 
mento,  sed  in  veritate  manibus  sacwdotum  tractari,  frangi  et  fidelium 
dentiàus  atteri)  ne  laissaient  subsister  aucune  équivoque  :  désormais 
c'était  le  matérialisme  le  plus  grossier  qui  triomphait.  Le  quatrième 
concile  de  Latran,  présidé  par  innocent  111  (1215),  érigea  la  transsub- 
stantiation en  dogme.  Ce  pape  lui-même  enseignait  (De  mysteriis 
missm,  IV,  17)  que  non-seulement  les  caractères  accidentels,  mais 
même  les  propriétés  naturelles  subsistaient  après  le  changement  de 
substance:  «  paneitatem,  quœ satiando  famem  expellit,  et  vineitatem,quœ 
satiando  sttim  expellit.  »  11  ne  resta  plus  aux  docteurs  scolastiques  qu'à 
trancher  certaines  difficultés  secondaires  auxquelles  s'appliqua  leur 
art  subtil  avec  une  persévérance  et  une  habileté  dignes  d'une;  meil- 
leure cause.  Le  corps  du  Christ  est-il  rompu  en  même  temps  que  le 
paint  Secundum  speciem  sacramentatem,  répond  Thomas  d'Aquin 
(Summa,  p.  III.  q.  7o,  art.  0  et  7),  car  lui-même  est  incorruptibile  et 
impassibile.  Tout  le  corps  du  Christ  réside-t-il  dans  chaque  parcelle  de 
Thostie  ou  chaque  morceau  de  pâte  correspond-il  à  un  «  morceau  de 
chair  »  équivalent?  «  Au  moment  même,  dit  Pierre  Lombard,  où  Thostie 
se  brise,  Christ  est  tout  entier  dans  chacun  des  fragments,  et  si  ces 
fragments  s'émiettent,  il  est  tout  entier  dans  chacune  des  miettes  et  des 
parcelles.  Que  devient  la  substance  du  pain  et  du  vin,  au  moment  où 
les  paroles  du  prêtre  l'expulsent  pour  faire  place àla  substance  divine? 
Elle  rentre  dans  le  néant  ou  se  dissout  pour  retourner  dans  les  élé- 
ments primitifs  qui  la  constituaient.  Les  souris,  les  chiens  ou  les  porcs, 
en  rongeant  ou  en  dévorant  une  hostie  consacrée  qui  tombe  à  terre, 
rongent-ils  ou  dévorent-ils  le  corps  du  Christ?  Pierre  Lombard  (Sen- 
tent., IV,  dist.  13)  émet  quelques  doutes  discrets  à  cet  égard:  «  Quid 
ergo  sumit  mus  vel  quid  manducat?  Deus  novit  hoc.  »  Mais  Alexandre  de 
Haies  (Summa,  p.  IV,  q.  45,  art.  1,  2)  ne  recule  pas  devant  l'affir- 
mative. Si  un  homme  pécheur  peut  recevoir  le  corps  du  Christ,  com- 
ment un  animal  innocent  ne  le  pourrait-il  pas  bien  plutôt?  C'est  aussi 
l'opinion  de  Thomas  d'Aquin  (Summa,  p.  III,  q.  80,  art.  3).  Mais 
Innocent  III  enseigne  que,  quand  le  sacrement  est  rongé  par  une  souris 
ou  dévoré  par  le  feu,  un  nouveau  miracle  s'opère  sur-le-champ,  et 
([Lie  la  chair  divine  se  transforme  de  rechef  instantanément,  et  dispa- 
rait sans  être  ni  rongée  ni  brûlée.  Le  pain  n'estil  changé  qu'en  corps, 
et  non  pas  aussi  dans  l'âme  du  Christ,  dans  sa  divinité,  dans  la  sainte 
Trinité  elle-même?  Cela  semble  probable  à  Thomas  d'Aquin  (p.  III, 
q.  76,  art.  1),  en  vertu  de  l'union  intime  de  l'âme  et  du  corps,  comme 
aussi  des  deux  natures  en  Christ  et  des  trois  personnes  dans  la  Trinité. 
La  transformation  s'opère-t-elle  successivement  ou  instantanément' 
Tous  les  docteurs  soutiennent  cette  dernière  alternative.  Malgré  la 
pluralité  des  hosties,  un  seul  corps  est-il  présent,  si  bien  que  sur  tous 
les  autels  à  la  fois  le  même  Christ  est  sacrifié?  «Sic  ergo  constat , ensei- 
gne saint  Anselme  (Tract,  de  COrp.  et  sang.  Dont.,  p.  Il,  c.  i),  îfl  divenis 
lacis  uiid  horae  momento  esse posse corpus  Ckristi,  se<l  tegecreatricisnaturae, 
non  crtatae.  Tous  Les  scolastiques  partagent  cette  opinion.  Le  même 
corps  du  Christ  est  présent  à  la  lois  dans  tons  les  pays,  dans  tous  les 
[i.  B0 


786  CENE 

lieux,  dans  toutes  les  églises,  sur  tous  les  autels,  partout  où  l'hostie  est 
offerte  et  reçue.  —  L'adoration  de  l'hostie  était  le  corollaire  obligé  du 
dogme  promulgué  par  le  quatrième  concile  de  Latran.  Aussi  voyons- 
nous  au  treizième  siècle  s'établir  la  coutume  de  se  prosterner  au  son 
de  la  clochette  devant  l'hostie,  au  moment  où  le  prêtre,  relevant  dans 
ses  mains,  la  présente  au  culte  du  peuple.  On  attribue  l'origine  de 
cette  coutume  au  cardinal  Guido,  ancien  abbé  de  Giteaux,  qui  imagina 
aussi  de  faire  accompagner  d'une  sonnette  dans  les  routes  le  viatique, 
c'est-à-dire  l'hostie  portée  aux  malades,  afin  que  les  passants  prévenus 
pussent  s'agenouiller  devant  leur  Dieu.  L'introduction  de  la  Fête-Dieu 
(fête  du  corps  de  Dieu)  ordonnée  par  Urbain  IV,  en  se  fondant  sur  les 
visions  des  religieuses  d'un  couvent  de  Liège  (1264),  et  par  Clément  V 
(1311)  au  synode  de  Vienne,  acheva  de  populariser  le  dogme  de  la 
transsubstantiation.  11  se  compléta  par  celui  de  la  concomitance  (Scien- 
dum,  quod  aliquid  Christi  est  in  hoc  sacramento  dupliciter,  Uno  modo 
quasi  ex  vi  sacramenti ,  alio  modo  ex  naturali  concomitantia ,  Thom. 
Aquin.,  p.  III,  q.  76,  art.  1),  d'après  lequel,  le  Christ  tout  entier  étant 
présent  dans  chaque  parcelle  de  l'hostie,  son  sang  est  déjà  goûté  avec 
son  corps  dont  il  est  le  compagnon  (concomitans)  inséparable.  Ce  dogme 
permit  d'enlever  le  calice  aux  laïques  pour  en  réserver  l'usage  aux 
prêtres  seuls,  afin  de  rehausser  leur  prestige,  comme  aussi  de  prévenir 
la  profanation  qui  résulterait  des  gouttes  de  vin  répandues  sur  le  sol. 
Ernulphe,  évêque  de  Rochester,  dit  :  «  Nous  trempons  la  chair  du  Sei- 
gneur dans  le  sang  du  Seigneur,  de  peur  que  nous  ne  péchions,  soit 
en  l'offrant,  soit  en  le  recevant.  Car  il  arrive  souvent  que  des  hommes 
barbus  et  ayant  de  longues  moustaches,  imbibent  leurs  poils  de  liquide 
avant  d'y  toucher...  Quel  prêtre  sera  assez  adroit  pour  administrer  le 
sacrement  sans  en  rien  répandre?  »  (Epistola  II  ad  Lambertum,  dans 
le  Spicilegium  d'Achéry,  III,  p.  470).  C'est  à  partir  du  douzième  siècle 
que  le  rapt  du  calice,  approuvé  par  tous  les  scolastiques,  se  généralisa, 
sans  pourtant  réussir  à  vaincre  les  oppositions  locales  qui  se  ravivèrent 
en  Bohême  au  quinzième  siècle  et  provoquèrent  la  guerre  des  hussites 
et  les  décisions  du  concile  de  Constance  (1415),  partiellement  infir- 
mées par  celles  du  concile  de  Bàle,  d'après  lesquelles  :  «  suadentibus 
causis  ?\itionabilibus ,  facultatem  communicandi  populum  sub  utraque 
spp.cie  potesl  concedere  et  elargiri))  (chez  Mansi,  XXX,  col.  695).  Malgré 
cette  concession  temporaire  faite  aux  utraquistes,  le  concile  de  Bâle  main- 
tint la  doctrine  antérieure  :  <i  Nullatenus  ambiyendum  est,  quod  non  sub 
specie  panis  caro  tantum,  nec  sub  specie  vini  sanguis  tantum,  sed  sub 
qualibet  specie  est  integer  totus  Christus  »  (Mansi,  XXIX,  col.  158).  — 
L'idée  du  sacrifice  journellement  renouvelé  du  Christ  est  dans  un  rap- 
port étroit  avec  celle  de  la  transsubstantiation.  «  Et  semel,  dit  Pierre 
Lombard  (Sent.,  IV,  12),  Christus  mortuus  in  cruce  est  ibique  immolatus 
est  in  semetipso,  quotidie  autem  immolatur  in  sacramento,  quia  in  sacra- 
mento recordatio  fit  illius  quod  factum  est  semel.  »  L'expiation  de  nos 
péchés  se  consomme  quotidiennement  à  l'autel  par  un  nouveau  sacri- 
fice du  Christ  (Thomas  d'Aquin,  Summa,  p.  III,  q.  83,  art.  1  ss.). 
Grâce  à  cette  conviction  que  nous  trouvons  développée  sous  une  grande 


CÈNE  787 

variété  de  formes,  le  sacrifice  de  la  misse  (voy.  cet  article)  devint  le 
centre  du  culte  catholique  el  entoura  le  sacerdoce  (Tune  auréole  nou- 
velle. Il  convient  (rajouter,  tout  en  déplorant  l'erreur  monstrueuse 

et  l'idolâtrie  grossière  dont  l'Eglise  se  rendit  ainsi  coupable,  que  bien 

des  àmespieuses  trouvèrent,  dans  le  dogme  delà  présence  réelle  et  dans 
l'union  mystique  avec  le  Sauveur  renouvelant  chaque  jour  son  sacrifice 
d'amour,  une  source  puissante  d'édification.  Le  mysticisme  d'un  Bo- 
naventure,  d'un  Tauler,  d'un  Thomas  a  Kempis  se  chargea  d'idéaliser 
les  conceptions  abstraites  et  subtiles  des  scolastiques,  comme  aussi  les 
représentations  grossières  et  matérialistes  de  la  foule.  La  poésie  qui, 
pour  eux,  se  dégageait  de  ce  dogme  leur  lit  illusion  sur  les  graves  pé- 
rils qu'il  taisait  courir  à  la  foi,  et  leur  humilité  ne  vit  pas  ce  qu'il 
cachait  au  fond  de  prétention  sacrilège.  C'est  exactement  la  situation 
d'âme  dans  laquelle  se  trouvent  de  nos  jours  un  grand  nombre  de 
catholiques  sincères  et  convaincus.  Le  concile  de  Trente  s'est  borné  à 
enregistrer  les  décisions  des  conciles  antérieurs  sur  la  doctrine  de  la 
cène,  sans  leur  faire  subir  le  moindre  changement  :  «  Denuo  koesanctn 
synodus  déclarât,  per  consecrationem  panis  et  vini  conversionem  fieri  totus 
substantif  panis  in  substantinm  corporis  Christi,  ettotius  substantix  vin/ 
in  substantiam  snnguinis  ejus,  qux  conversio  convenienter  et  proprie  <t 
sancta  catholica  Ecclesia  transsubstantiatio  est  appellata  »  (Conc.  Trid., 
sess.  XIII,  can.  4  ;  cf.  Cat.  rom.,  II,  4,  37;  Bellarmin,  Gontrov.  de  sacrant. 
euchar.,  III,  18-24).  Les  manuels  qui  servent  de  base  à  l'enseignement 
des  séminaires  exposent  encore  aujourd'hui,  jusque  dans  leurs  détails 
les  plus  puérils  et  les  plus  répugnants,  les  commentaires  que  les  doc- 
teurs scolastiques  ont  donnés  du  dogme  promulgué  par  le  quatrième 
concile  de  Latran. 

III.  Doctrine  grecque.  L'Eglise  grecque  se  sépara  de  l'Eglise  la- 
tine, lorsque  celle-ci  introduisit,  à  partir  du  neuvième  siècle,  l'usage  du 
pain  sans  levain  qu'elle  lui  reprochait  comme  un  abandon  du  chris- 
tianisme apostolique.  Parmi  les  docteurs  grecs,  les  uns  penchaient 
plutôt  vers  la  doctrine  de  la  consubstantiation,  les  autres  vers  celle  de 
la  transsubstantiation.  En  thèse  générale,  ils  se  servaient  des  expres- 
sions iJ.z-z-s'.v.sQz'.  et  ^xaSaXXs^ôa'.,  sous  lesquelles  ils  entendaient 
moins  un  changement  de  substance  qu'une  participation  du  pain  et 
du  vin  aux  propriétés  du  corps  et  du  sang  de  Jésus-Christ.  Il  faut 
dire  pourtant  que,  dans  les  temps  plus  récents  (et  en  particulier 
dans  la  opâo&éjoç  b\uokoyut  de  Mogilas  de  Tan  1643),  l'Eglise  grecque 
a  incliné  vers  l'idée  de  la  transsubstantiation  proprement  dite  (jxexou 
ziuiz'.z).  Par  contre,  elle  conserva  la  célébration  de  la  cène  sous  les 
deux  espèces  pour  les  laïques  comme  pour  les  prêtres,  et  n'a  jamais 
consenti  à  remplacer  le  pain  par  l'hostie.  La  part  d'eau  mêlée  au  vin 
est  plus  forte  dans  l'Eglise  grecque  que  dans  l'Eglise  latine;  il  y  a 
même,  chez  les  Orientaux,  un  double  mélange,  avant  la  consécration 
avec  de  l'eau  froide,  après  la  distribution  du  calice  avec  de  l'eau 
chaude.  — Voyez  :  Steitz,  Pie  Abendmahhlehre  der  griech.  Kirche  in 
ihrer  qesch.  Entwickelu.iuj,  dans  les  Jaltrb.  /'.  deutsche  TheoL,  1864, 
H.  i,  et  1865,  II.  1  et  3. 


788  CÈNE 

IV.   Doctrine  protestante.  Les  réformateurs  s'élevèrent  d'un 
commun  accord  contre  la  messe  envisagée  comme  un  sacrifice,  parce 
que  Jésus-Christ  nous  a  réconciliés  par  un  seul  sacrilice  avec  Dieu  ;  ils 
protestèrent  contre  la  doctrine  de  la  transsubstantiation,  inventée  pour 
glorifier  le  sacerdoce,  sans  être  aucunement  fondée  dans  la  Bible  ;  ils 
restituèrent  le  calice  à  la  communauté,  conformément  à  l'institution 
même  du  Seigneur.  Mais  les  divergences  se  produisirent  lorsqu'il  s'agit 
de  formuler  la  doctrine  de  la  cène,  et  il  advint  que  ce  repas,  qui  était 
destiné  à  exprimer  sous  la  forme  la  plus  saisissante  l'union  fraternelle 
des  membres  du  corps  du  Christ,  provoqua  dans  les   Eglises  séparées 
de  Rome  un  schisme  nouveau  qui  les  affaiblit  en  les  divisant  dans  des 
luttes  absolument  stériles.  11  n'est  pas  toujours  facile,  dans  l'histoire 
de  ces  controverses,  de  faire  la  part  de  l'influence  exercée  par  le  mi- 
lieu, l'éducation,  les  circonstances  particulières  et  celle  de  l'obstina- 
tion volontaire  à  se  cantonner  dans  des  hypothèses  et  des  formules 
une  fois  adoptées.  Pour  juger  équitablement   ces  conflits   entre   les 
concessions  que  la   fidélité  interdit  et  les  sacrifices   que    la   charité 
commande,  il   ne  faut  pas   oublier   que  ce  qui  paraît  indifférent  ou 
d'importance  secondaire  à  nos  yeux  était  fondamental  aux  yeux  de  nos 
pères.  Là  où  nous   sommes  tentés   de  ne  voir   qu'une  question   de 
nuances  sans  rapport  avec  l'idée  même  du  salut,  une  divergence  dans 
des  formules  abstraites  dont  aucune  ne  satisfait  pleinement  l'intelli- 
gence, ils   apercevaient  un  désaccord   entre  deux  conceptions  radi- 
calement opposées  et  dont  les  conséquences  s'étendaient  sur  tout  le 
domaine  du  dogme  et  de  la  vie  chrétienne.  Nous  ne  pouvons  songer  à 
exposer  ici  le  détail  même  des   controverses  dont  la  doctrine  de  la 
cène  a  été  l'objet  au  seizième  siècle,  ni  énumérer  toutes  les  opinions 
des  partis,  ou  intermédiaires  ou  excentriques,  qui  se  produisirent  dans 
le  cours  des  débats.  Il  faut  nous   borner  à  retracer  succinctement  la 
physionomie   originale   des  trois  principaux   types   de   doctrine.    — 
1.  L Eglise  luthérienne,  plus  conservatrice,  maintenant  en  matière  de 
dogme  et  de  rite  tout  ce  qu'elle  ne  jugeait  pas  directement  contraire  à 
renseignement  de  l'Ecriture,  s'arrêta  à  une  conception  destinée  à  sau- 
vegarder  à   la   fois,  selon  elle,  la  vérité   scripturaire,   l'intégrité   du 
ce  mystère  de  l'autel  »  et  la  relation  intime  entre  le  domaine  spirituel 
et  le  domaine  corporel.  Dans  la  crainte  de  tomber  dans  le  subjectivisme, 
elle  se  rattacha  à  une  idée  toute  catholique  du  sacrement  et  se  montra 
impuissante  à  élever  une  barrière  contre  le  opus  operatum.  Luther  n'ar- 
riva que  peu  à  peu  à  donner  à  sa  pensée  une  formule  précise.  Dans 
son  Sermon vom  hochwùrdigen  Sacraient  (1519),  il  se  servit  encore  du 
terme  de  transsubstantiation.  Puis  il  fut  tenté  de  se  ranger  du  côté  de 
la  conception  symbolique,  ainsi  que  le  montre  sa  lettre  aux  chrétiens 
de  Strasbourg  (de  Wette,  Luthers  Briefe,  II,  p.  577).  A  mesure  que  cette 
manière  de  voir  plus  spiritualiste  trouva  des  adhérents,  tant  parmi  les 
autres  réformateurs  que  parmi  les  sectaires  et  les  illuminés,  qui,  par 
leurs  exagérations,  lui  paraissaient  gravement  compromettre  l'œuvre 
de  la  Réformation,  il  s'éleva,  dans  des  écrits  de  plus  en  plus  passionnés, 
contre  ceux  qui  enseignaient  «  es  sei  im  Sacrament  des  Âltars  schlecht 


CENE  780 

n.  ri  tel  Brodu.  W'rin  »  (voy.  I  om  Anbeten  des  Sacram.,  lo2)}  ;  Sermon  von 
dent  Sacra///,  des  Leibs  a.  Bluts  Christ  i\  1526;  Grosses  Bekenntniss,  1528). 
Luther  fonde  sa  théorie  tout  d'abord  sur  le  sens  littéral  des  paroles 
de  l'institution,  si  claires,  dit-il,  «  qu'un  enfant  comprend  ce  que  Jésus 
nous  offre  ».  C'est  ainsi  qu'au  colloque  de  Marbourg  (1529),  il  écrivit 
sur  la  table,  devant  la  place  où  il  était  assis,  ces  mots  :  Hoc  est  corpus 
meum,  assurant  que  si  Dieu  lui  ordonnait  de  manger  des  pommes 
sauvages  ou  du  fumier,  il  en  mangerait.  En  conformité  avec  cette 
interprétation  littérale,  Luther  enseignait  la  présence  réelle  du  corps 
du  Christ  dans  le  pain  (consubstantialité).  Un  objet  peut  être  présent 
de  différentes  manières  en  un  lieu,  localiter,  définitive,  repletive.  La 
manière  dont  Christ  est  présent  dans  le  pain  dépasse  notre  raison  et 
ne  peut  être  embrassée  que  par  la  foi.  Toutefois  Luther  ne  recule, 
pour  expliquer  ee  mystère,  ni  devant  la  comparaison  que  le  corps  du 
Christ  est  dans  le  pain,  comme  le  glaive  dans  le  fourreau,  ni  devant 
l'affirmation  que  ce  que  le  pain  produit  et  subit,  le  corps  du  Christ  le 
produit  et  le  subit  à  son  tour  :  il  est  «  rompu,  distribué,  mangé  et 
broyé  par  les  dents,  propter  unionem  sacramentalem  ».  Ce  n'est  que 
dans  ses  derniers  écrits  que  Luther  fut  amené  à  formuler  la  toute- 
présence  (ubiquitas)  du  corps  du  Christ  et  la  communication  des 
attributs  de  sa  nature  divine  aux  propriétés  de  la  nature  humaine 
(communicatio  idiomatum),  comme  la  conséquence  logique  de  sa  doc- 
trine. Le  corps  du  Christ  devant  être  présent  dans  chaque  hostie, 
il  est  en  effet  nécessaire  d'admettre  sa  toute-présence,  en  vertu  de' 
laquelle  il  communique  sa  vraie  chair  et  son  véritable  sang,  in,  cum 
et  sub  les  symboles  extérieurs,  considérés  non  comme  de  simples  signa, 
mais  comme  les  véhicula  et  média  collativa,  offerts  indistinctement 
à  tous  les  communiants,  aux  fidèles  comme  aux  infidèles,  aux  pre- 
miers ad  veniam  peccatorum,  aux  seconds  ad  damnationem.  Cette 
doctrine  est  exposée  sous  sa  forme  la  plus  sommaire  dans  la  Con- 
fession d 'Augsbourg  (art.  X)  :  «  De  cœna  Domini  docent,quod  coj'pus  et 
sanguis  Christi  vere  adsint  et  distribuantur  vescentibus  in  cœna  Domini, 
et  improbant  secus  docentes.  »  Les  Articuli  Smalcaldi  (art.  YI)  ajoutent  : 
«  Et  non  tantum  clari  et  surni  a  piis,  sed  etiam  ab  impiis  christianis  ». 
Le  Catechismus  major  (pars  V)  dit  :  «  Est  verum  corpus  et  sanguis  Domini 
nostri  fesu  Christi  in  et  sub  pane  et  vino  per  verbum  Christi  no  bis  chris- 
tianis ad  manducandum  et  bibendum  institutum  et  mandatum  ».  Enfin  la 
For  mule  de  Concorde  s'efforce  à  la  fois  de  préciser  le  dogme  et  de 
réprouver  l'usage  de  certaines  expressions  exagérées  dont  Luther  lui- 
même  et  ses  adhérents  les  plus  fanatiques  s'étaient  servis.  Christ  est 
<  uiporellement  présent  dans  la  cène.  «  Quemadmodum  in  Christo  duœ 
distinctx  et  non  mutât  se  naturae  ii/separabiliter  sunt  unit x,  ita  in  sacra 
cœna  duos  tliversas  substantias,  panern  videlicet  naturalem  et  verum 
naturale  corpus  Christi,  in  instituta  sacramenti  administratione  hic  in 
terris  simul  esse  prœsentia  »  (pars  VII).  ?séan moins  la  Formule  de  Con- 
çorde  rejette  une  capernaïticamanducatio,  en  vertu  de  laquelle  le  corps 
du  Chrisl  serait  déchiré  par  les  dents  et  digéré  comme  1rs  autres  ali- 
ments par  l'estomac.  Elle  enseigne  une  vera  se/1  supernaturalis  mon- 


790  CENE 

ducatio  du  corps  du  Christ,  qui  est  un  mystère  que  la  raison  ne  peut 
comprendre,  mais  auquel  la  foi  doit  se  soumettre.  C'est  dans  cette 
juxtaposition  de  deux  termes  contraires  et  dans  cette  confusion  volon- 
taire entre  le  domaine  matériel  et  le  domaine  spirituel  que  le  dogme 
luthérien  s'est  maintenu  à  travers  les  controverses  ardentes  et  passion- 
nées de  la  seconde  moitié  du  seizième  et  du  dix-septième  siècle.  Les 
dogmatistes  postérieurs,  avec  la  subtilité  qui  les  caractérise,  distinguè- 
rent dans  la  cène  entre  :  1°  la  materia,  qui  est  :  a)  terrestrts  (partis 
azymus  et  vinum  album),  b)  cœlestis,  a)  corpus  et  sanguis  Christi, 
(3)  gratta  divina;  2°  la  forma,  qui  est  :  à)  interna  (unio  sacramentalis) , 
b)  externa,  a)  consecratio,  (3)  distributio,  y)  sumptio;  3°  la  finis  (fructus), 
qui  est  :  a)  ultimus  (salus  œterna),  b)  intermedius,  a)  recordatio  et  com- 
memoratio  mortis  Christi,  quse  fide  peragitur,  g)  obsignatio  promissions 
de  remisstone  peccatorum  et  fidei  confirmation)  insitio  nostra  in  Christum 
et  spiritualis  nutritio  ad  vitam,  S)  dilectio  mutua  communicantium. 
L'abandon  de  la  conception  luthérienne,  en  vertu  de  sa  contradiction 
interne,  était  inévitable.  Nous  le  voyons  se  préparer  dès  l'origine,  soit 
par  une  tendance  naturelle  à  la  conciliation/ que  l'on  rencontre  déjà 
chez  Mélanchthon  et  qui  engendra  le  cryptocalvinisme,  soit  par  la 
répugnance  spéculative  contre  l'idée  deYubiquitas  et  de  la  communicatio 
idiomatum,  qui  finirent,  depuis  le  dernier  siècle,  par  être  repoussées 
presque  universellement.  Il  faut,  en  effet,  reconnaître  que  la  doctrine 
de  la  consubstantiation  ne  saurait  se  maintenir  avec  la  donnée  d'une 
simple prœsmtia  Christi  oper a tiva,  telle  que  l'enseignent  la  plupart  des 
dogmatistes  luthériens  modernes  et  telle  que  la  conçoivent  presque 
tous  ceux  qui  regardent  néanmoins  l'union  avec  les  réformés,  et 
même  la  communion  avec  eux,  comme  un  péché  et  comme  une 
trahison  de  la  foi  chrétienne.  Sous  prétexte  d'observer  un  juste  mi- 
lieu entre  le  matérialisme  catholique  (la  manducatio  capernditica) 
et  l'idéalisme  réformé  (la  communio  spiritualis),  les  luthériens  se 
retranchent  derrière  des  expressions  (manducatio  supernaturalis,  com- 
munio sacramentalis,  en  allemand  sakramentierlich,  geist-leiblich)  aussi 
étrangères  à  l'Ecriture  que  dépourvues  d'un  sens  précis.  A  côté  des 
mystères  de  la  foi,  ils  créent,  d'une  manière  tout  à  fait  arbitraire, 
un  mystère  de  l'autel,  dans  une  obéissance  aveugle  à  la  lettre  des  pa- 
roles bibliques,  qui  en  méconnaît  et  en  altère  gravement  l'esprit  ;  ils 
introduisent  Yopus  operatum  dans  l'acte  qui  doit  être  l'acte  volontaire 
et  spontané  par  excellence  de  la  vie  et  du  culte  chrétiens.  Le  idéalisme 
prétendu  dont  se  targuent  volontiers  les  défenseurs  du  dogme  luthé- 
rien ne  se  soutient  pas  davantage.  Nous  admettons  une  correspondance 
intime  entre  l'esprit  et  le  corps,  mais  à  la  condition  expresse  de  statuer 
dans  la  cène  une  action  de  l'esprit  du  Christ  et  du  chrétien  sur  le 
domaine  corporel,  et  non  une  action  du  corps  du  Christ  sur  le  corps  et 
sur  l'esprit  du  chrétien.  Le  vrai  nom  du  réalisme  luthérien,  c'est  le 
matérialisme,  tandis  que  dans  la  cène  ce  sont  les  réalités  les  plus  hautes, 
nous  voulons  dire  les  réalités  spirituelles  qui  deviennent  sensibles  et  qui 
aspirent  à  prendre  un  corps,  en  transformant  à  leur  image  l'être  tout 
entier  du  fidèle.  —  2.  Calvin,  et  les  Eglises  réformées  qui  se  constitué- 


OBNB  791 

rent  d'après  son  type  doctrinal,  prirent»  en  ce  qui  concerne  la  cène,  une 
position  intermédiaire*  A  Leurs  yeux  le  repas  eucharistique  est  moins 
un  simple  signe^  une  commémoration  toute  subjective,  qu'il!)  gage  et  un 
sceau  de  la  grâce  divine  communiquée  aux  crovants.  Eu\  seul»  s'unissent 

parce  sacrement  avec  Jésus-Christ,  dont  le  corps  glorifié  demeure  dans 
le  ciel  d'où  il  agit  d'une  manière  miraculeuse,  avec  la  puissance  dyna- 
mique qui  lui  est  propre,  sur  l'âme  des  communiants.  «  Nos  âmes  ne 
sont  pas  moins  repeues  de  la  chair  et  du  sang  de  Jésus-Christ,  que  le 
pain  et  le  vin  entretiennent  la  vie  des  corps...  Que  s'il  semble  in- 
croyable que  la  chair  de  Jésus-Christ  estant  eslongnée  de  nous  par  une 
si  longue  distance,  pensons  que  L'esprit  unit  vrayement  les  choses  qui 
sont  séparées  de  lieu.  Or  Jésus-Christ  nous  testifie  et  scelle  en  la  cène 
ceste  participation  de  sa  chair  et  de  son  sang,  par  laquelle  il  l'ait  des- 
couler sa  vie  en  nous,  tout  ainsi  que  s'il  entroit  en  nos  os  et  en  nos 
moelles.  Et  ne  nous  y  présente  pas  un  signe  vuide  et  frustatoire...  com- 
bien qu'il  n'y  ait  que  les  seuls  fidèles  qui  participent  à  ce  convive  spi- 
rituel »  (Instit.,  IV,  17,  10).  «  Or  nous  ne  repaissons  pas  moins  la  foy 
par  ceste  participation  du  corps  que  ceux  qui  pensent  retirer  Jésus- 
Christ  du  ciel.  Cependant  je  confesse  franchement  que  je  rejette  la  mix- 
tion qu'ils  veulent  faire  de  la  chair  de  Jésus-Christ  avec  nos  âmes, 
comme  si  elle  descouloit  par  un  alambic:  pour  ce  qu'il  nous  doit  suf- 
fire que  Jésus-Christ  inspire  vie  à  nos  âmes  delà  substance  de  sa  chair: 
mesme  que  sa  chair  distille  sa  vie  en  nous,  combien  qu'elle  n'y  entre 
pas  »  I//W..  IV,  17,  32).  Calvin  repousse  tout  à  la  fois  une  présence 
purement  spirituelle  du  Christ  et  une  présence  locale  de  son  corps  sur 
l'autel  ou  pendant  la  célébration  de  la  cène  sous  les  espèces  du  pain  et 
du  vin.  Sa  chair  vivifiante,  bien  que  restant  dans  le  ciel,  transfuse  en 
nous  sa  vigueur.  On  comprend  la  défiance  avec  laquelle  cette  opinion 
fut  accueillie  par  les  zwingliens,  qui  ne  pouvaient  se  représenter  cette 
action  dynamique  du  corps  glorifié  du  Christ  sur  nos  âmes,  mais  sur- 
tout par  les  luthériens,  qui  y  constataient  l'abandon  de  la  présence  réelle 
du  corps  du  Christ  dans  la  cène  et  jugeaient  dangereux  de  faire  dé- 
pendre la  réalité  du  mystère  sacramentel  de  la  foi  des  communiants. 
En  réalité,  grâce  à  cette  concession  capitale,  le  dogme  calviniste  se 
rapprochait  infiniment  plus  du  dogme  zwinglien  que  du  dogme  luthé- 
rien. Peu  importe  au  fond  cette  représentation  fantastique  du  corps  du 
Christ  agissant  du  haut  du  ciel  sur  le  communiant,  qui  subtilise  le  miracle 
et  lui  enlève  ce  qui  choque  particulièrement  la  raison  clans  le  dogme  de 
la  transsubstantiation  et  dans  celui  de  la  consubstantiation  ;  l'essentiel, 
c'est  de  faire  dépendre  de  la  foi  seule  la  réalité  et  les  bienfaits  spirituels 
de  la  communion.  Ajoutons  que  la  plupart  des  confessions  de  foi  réfor- 
mées, à  T  instar  du  Consensus  Tigurinus,  n°21  (cf.  Confess.  Gallic.^  art.  36  : 
Conf.H*lvet.,\\.c.t\  \C<mft  Bêl§ie.,25;C(mf.  lnglic.,M  \Conf.3tt*., 
21;  Catéc/i.  de  fleidelberg,  q.  70,  etc.),  insistent  sur  l'idée  d'un  «  vrai 
repas  spirituel  »  dans  la  cène,  tout  en  écartant  avec  non  moins  de  soin 
l'idée  de  la  consubstantiation.  La  cène  n'est  pas  un  symbole  \idc;Jésus- 
Christv  nourrit  nos  âmes,  bien  qu'il  soitdans  le  ciel  et  nous  sur  la  terre. 
—  H.  Zwingle,  en  opposition  plus  directe  avec  la  doctrine  catholique 


792  CENE 

(Fpichîfesis,  1523;  Apologia,  1523  ;  ChristenL  Ynleitung ,1523) ,  et  plus 
tard  avec  la  doctrine  luthérienne  (Klare  Underrichtung  vont  nachtmal 
Christi,  1526;  Arnica  exegesis  i.  e.  expositio  Eucharistie  negotii  ad 
M.  Lutherum,  1527), insiste  sur  l'idée  que  le  pain  et  le  vin  ne  sont  que 
des  signes,  des  symboles  du  corps  et  du  sang  du  Christ,  et  le  repas 
eucharistique  un  mémorial  (ritus  mnemonicus;  einWidergedechtnuss  des 
lydens  Ghristi).  Le  mot  kazi  ne  peut  être  traduit  que  par  signifie.  Jésus- 
Christ  ne  pouvait  offrir  à  ses  disciples  ni  son  corps  terrestre,  ni  son 
corps  glorifié.  N'étaient-ils  pas  habitués  d'ailleurs  à  son  langage  allé- 
gorique ?  Ne  leur  a-t-il  pas  dit  aussi  :  «  Je  suis  la  porte,  »  «  Je  suis  le 
cep,  »  «  Je  suis  le  pain  vivant,  »  etc.  ?  C'est  la  foi  en  lui  qui  nous  sauve 
et  non  une  manducation  corporelle  :  In  jn  vertruwen  macht  heil,  u.  jn 
easen,  sehen,  empfinden  nit  »  (Klare  Under.,  p.  441).  Ce  n'est  pas  que 
Zwingle  méconnaisse  l'importance  de  l'union,  de  la  communion  spi- 
rituelle avec  Christ.  11  serait  facile  de  citer  de  nombreux  passages  où 
il  appelle  la  cène  «  la  nourriture  de  l'âme  chrétienne  »  que  lui  pré- 
sente Jésus-Christ,  son  hôte  :  «  In  hoc  se  in  cibum  prxbuit,  ut  ejus  ali- 
mento  in  virwn  perfectum  plense  setatis  suse  augesceremus  »  (Epichir., 
III,  115)  ;  il  ne  permet  pas  que  l'on  suppose  qu'il  attribue  hac  in  re  ali- 
quid  humanœ  actioni  (ibid.)  ;  il  montre  que  la  force  que  le  chrétien 
puise  dans  ce  repas  consiste  en  ceci  qu'  «il  fait  passer  la  vie  du  Christ 
dans  la  sienne  propre  ».  Seulement  le  réformateur  de  Zurich  relève  de 
préférence  ce  que  le  sacrement  de  la  cène  est,  moins  pour  l'individu 
que  pour  l'Eglise,  à  savoir  un  gage,  un  témoignage  permanent  des 
bienfaits  que  lui  a  assurés  la  mort  rédemptrice  du  Christ.  Ce  dernier 
point  de  vue  est  aussi  celui  des  doctrines  socinienne,  arminienne  et  ra- 
tionaliste, avec  lesquelles  on  a  eu  d'ailleurs  grand  tort  d'identifier  la 
doctrine  de  Zwingle.  La  ressemblance  est  plus  apparente  que  réelle. 
Zwingle  n'affaiblit  et  n'amoindrit  en  aucune  façon  l'action  de  la  per- 
sonne de  Jésus-Christ  dans  l'œuvre  du  salut;  il  reconnaît  et  défend  les 
droits  d'un  sain  mysticisme  en  matière  religieuse,  et  ce  n'est  pas  à  sa 
conception  de  la  cène  que  peut  s'appliquer  la  qualification  de  «  signe 
vuide  et  frustatoire  ».  Il  ne  faut  pas  prêtera  la  théologie  très-orthodoxe 
et  à  la  piété  très-intime  et  très-vivante  d'un  des  plus  vaillants  cham- 
pions de  la  foi  protestante  au  seizième  siècle  la  sécheresse  et  les  défail- 
lances religieuses  des  siècles  postérieurs.  Mieux  vaut  encore,  avec  les 
libres-penseurs,  affranchis  de  tout  respect  de  la  coutume,  déserter  la 
table  de  la  communion;  mieux  vaut,  avec  les  quakers  et  d'autres  sec- 
taires, déclarer  que  ceux  qui  sont  intérieurement  unis  avec  Christ  n'ont 
pas  besoin  de  fortifier  leur  foi  par  la  participation  à  un  repas  purement 
symbolique,  que  de  ne  conserver  la  cène  que  comme  un  vénérable 
usage  et  un  froid  mémorial,  auquel  ne  correspond  aucune  grâce  spiri- 
tuelle. —  C'est  dans  la  tradition  de  Zwingle  bien  comprise  et  largement 
développée  que  le  protestantisme  de  nos  jours  puisera  les  meilleurs 
éléments  d'une  reconstruction  du  dogme  de  la  cène.  L'hypothèse  inter- 
médiaire et  insoutenable  de  Calvin  est  de  plus  en  plus  abandonnée,  et 
ceux-là  mêmes  qui,  en  Allemagne,  en  Angleterre  et  en  France,  cherchent 
à  faire  revivre  la  conception  luthérienne  répugnent  à  ses  formules  pré- 


CÈNE  793 

cises  etàses  conséquences  logiques.  Toute  restauration  dans  cotte  direc- 
tion est  à  l'avance  frappée  «le  stérilité.  Pour  unir  les  chrétiens  autour 
de  la  table  de  communion,  il  faudra  établir  que  les  textes  bibliques, 
non  moins  que  la  pensée  et  le  sentiment  religieux  bien  compris,  nous 
portent  à  considérer  la  cène  comme  l'acte  le  plus  élevé  du  culte  où  le 
chrétien,  uni  par  les  liens  de  l'amour  à  ses  frères,  reçoit,  dans  la  com- 
munion avec  son  Sauveur,  une  mesure  de  plus  en  plus  abondante  de 
l'Esprit  divin  pour  fortifier  sa  foi,  purifier  son  cœur,  affermir  sa  volonté. 
Les  conséquences  pratiques,  en  ce  qui  concerne  la  fréquence  et  Tordre 
de  la  célébration  de  ce  rite,  sont  faciles  à  tirer  :  1°  Où  la  vie  religieuse 
revêl  un  caractère  très-intense  et  très-intime,  en  particulier  dans  les 
communautés  de  professants  peu  nombreuses,  la  cène  sera  célébrée 
plus  fréquemment;  il  serait  dangereux,  d'en  faire  le  centre  et  le  pivot 
du  culte  dans  les  Eglises  dites  de  multitude  qui  se  composent  d'audi- 
teurs plutôt  que  de  croyants  :  la  superstition  ou  le  formalisme  en  alté- 
reraient infailliblement  la  haute  spiritualité.  2°  Le  rite  réformé  est,  de 
tous  points,  plus  conforme  à  l'institution,  à  l'idée  et  au  but  pratique 
de  la  cène  que  le  rite  luthérien  ;  le  pain,  mieux  que  l'hostie,  rappelle 
I  al  i ment  qui  journellement  nous  nourrit  ;  Jésus-Christ  lui-même  n'a  pas, 
comme  font  le  prêtre  catholique  et  le  pasteur  luthérien,  mis  les  es- 
pèces consacrées  dans  la  bouche  des  communiants,  en  répétante  chacun 
la  même  formule  :  c'est  aux  lidèles,  rangés  debout  autour  de  la  table 
de  communion,  qu'il  appartient  de  rompre  le  pain  entre  eux  et  de  se 
passer  la  coupe,  en  observant  la  seule  règle  qu'ait  tracée  l'apôtre 
saint  Paul  :  «  Que  toutes  choses  se  fassent  avec  bienséance,  avec 
ordre,  et  pour  l'édification  »  (1  Cor.  XIV,  40,  26).  3°  Les  communions 
publiques  sont  la  règle.  On  ne  saurait  recommander  les  communions 
privées,  telles  du  moins  qu'elles  sont  célébrées,  qu'à  titre  d'exception, 
en  cas  d'empêchement  majeur  de  participer  au  repas  eucharistique  et 
comme  un  prolongement  en  esprit  de  la  cène  commune.  Après  cela, 
il  n'est  pas  interdit  de  croire  qu'un  jour  sans  doute  viendra  où,  selon 
la  belle  pensée  de  Yinet,  la  cène  cessera  d'être  un  repas,  chaque  repas 
étant  devenu  une  cène.  «  Si  pour  l'édification  commune,  si  pour  donner 
un  appui  à  la  faiblesse  on  a  choisi  des  jours  et  des  lieux  pour  accom- 
plir d'une  façon  plus  solennelle  ce  mode  de  commémoration,  l'idée 
sublime  et  simple  de  Jésus-Christ  reste  et  doit  rester;  c'est  que  chaque 
repas  doit  être  une  commémoration  de  ce  festin  sanglant  et  miséricor- 
dieux  que  nous  a  offert,  au  dernier  jour  de  sa  vie  terrestre,  le  fils  de 
Dieu  et  de  l'homme.  11  ne  tient  qu'à  nous,  chaque  fois  que  nous  nous 
asseyons  à  la  table  que  la  bonté  de  Dieu  veut  bien  nous  couvrir,  d'y 
célébrer  tacitement  ou  expressément  la  cène;  et  au  vrai,  quel  est  le  chré- 
tien qui,  en  bénissant  de  cœur  les  mets  dont  sa  table  est  couverte,  ne 
bénisse  le  pain  de  vie  dont  ils  lui  présentent  l'emblème,  et  ne  s'unisse 
à  son  Sauveur  crucifixié  aussi  bien  que  dans  ce  festin  solennel  dressé 
sous  la  voûte  des  temples?  0  1  Yinet,  Lettres  sur  le  Sabbat,  1877.)  — 
Sources  :  outre  les  ouvrages  déjà  cités,  Scheibel,  Das  Abendmahl  des 
Herrri)  Bresl.,  1823;  Ebrard,  Das  Dogma  vom  heil.  Abendm.  u.  seine 
Geschichte,  Frankf.,  1845-46,  ^  vol.;  Kahnis,  Die  Lehre  vom  Abendm,, 


794  CÈNE  —  CENSURE 

Leipz.,  1851  ;  Rûckert,  Das  Abendm.,  sein  Wesen  u.  seine  Gesch.  in 
der  alten  Kirche,  Leipz.,  1856;  ainsi  que  les  principaux  ouvrages  do 
dogmatique.  Parmi  les  articles  de  moindre  étendue  nous  signalerons 
Keim,  Das  Nachtmahl  im  Sinn  des  Stifters  (Jahrb.  f.  deutsche  TheoL, 
1859,  H.  1);  Richter,  Das  Wesen  des  heil.  Abendm.  (Slud.  u.  Krit., 
1863,  H.  2);  Martensen,  Ueber  das  Abendm.  (Evang.  réf.  Kirchen- 
zeitung,  1863,  n°  41-44);  Herzog,  La  sainte  Cène  {Chrétien  Evangél., 
VI,  p.  281  ss.);  A.  Matter,  De  la  sainte  Cène  dans  ses  rapports  avec 
la  vie  chrétienne  (Revue  théol.  de  Montauban,  II,  p.  50  ss.);  Steeg,  His- 
toire de  l'Eucharistie,  Bord.,  1872.  F.  Lichtenberger. 
CÉNOBITES.  Voyez  Moines. 

CENSURE,  en  terme  d'Eglise,  sert  quelquefois  à  désigner  la  flétris- 
sure imprimée  par  un  concile,  un  pape,  un  évêque  ou  une  faculté  de 
théologie,  aux  propositions  jugées  condamnables,  avec  la  note  qui  en 
marque  le  caractère  répréhensible.  Il  y  a  note  ou  qualification  flétris- 
sante quand  un  ouvrage  est  condamné  dans  son  ensemble  in  globo  , 
ou  lorsque  quelques-unes  des  propositions  qu'il  renferme  sont  décla- 
rées à  tort  ou  à  raison   impies,  blasphématoires,  hérétiques,  scanda- 
leuses. En  1542,  par  exemple,  on  voit  la  faculté  de  Paris  censurer 
comme  hérétique  Y  Institution  chrétienne  que   Calvin  vient  de  faire 
imprimer  à  Bàle.  Mais  ce  n'est  là  qu'une  acception  particulière  du  mot. 
Chez  les  Romains,  la  censure,  envisagée  comme  institution,  avait  pour 
but  la  correction  des  mœurs.  C'est  le  sens  véritable.  On  la  définit,  en 
droit  canonique,  une  peine  par  laquelle  un  chrétien,   en  punition  d'une 
faute   considérable,  est  privé  de  l'usage  de  quelques  biens  spirituels.  De 
plus,  elle  est  dite  médicinale  parce  que  l'Eglise  en  l'infligeant  se  pro- 
pose d'obtenir  l'amendement  du  coupable,  tandis  que  d'autres  peines, 
l'irrégularité,  la  déposition,  la  dégradation,  qui  n'ont  que  sa  punition 
pour  objet,  sont  appelées  vindicatives.  —  L'Eglise  a-t-elle  le  droit  de  faire 
et  d'appliquer  des  peines,  d'exercer  la  répression?  C'est  une  première 
et  grave  question.  Un  certain  pouvoir  en  cette  matière  semble,  dès  le 
commencement,  avoir  été  conféré  à  l'Eglise  par  les  apôtres  eux-mêmes. 
«  Ce  qui  contribua  le  plus,  écrit  Mosheim,  à  conserver  du  moins  en 
apparence  la  sainteté  de  l'Eglise,  ce  fut  le  droit  d'exclure  de  son  sein 
et   de  toute  participation   aux  rites  sacrés  les  coupables  de  quelque 
grande  faute.    »   Les  catholiques   sans  hésiter,    notamment   Suarez 
(De  censuris,  disp.  I,  sect.  1),  déclarent  hérétiques  ceux  qui  refusent 
d'admettre  que  l'Eglise  étant  une  société  véritable,  peut  priver  des 
biens  spirituels  ceux  de  ses  membres  qui  se  montrent  désobéissants  à 
ses  lois.  Cette  doctrine,  disent-ils,  est  contenue  dans  le  Nouveau  Testa- 
ment, et  ressort  clairement  de  Jean  XX,  21,  Luc  X,  16,  et  surtout  Mat- 
thieu XVIII,  15  à  18  :  ((  Si  ton  frère  a  péché,  va  et  reprends-le  seul  à 
seul...  S'il  refuse  d'entendre  même  l'Eglise,  qu'il  soitpour  toi  comme 
un  gentil  et  un  péager.  »  Saint  Paul  à  son  tour  retranche  du  nombre 
des  fidèles  et  livre  à  Satan  l'incestueux  de  Corinthe  (1  Cor.  V,  1  à  6), 
et  plusieurs  fois  ailleurs  (1  Cor.  IV,  21  ;  X,  6  ;  2  Thessal.  III,  14  ;  1  Tim. 
V,  19)  il  recommande  d'éviter  toute  communication  avec  ceuxqui  per- 
sévèrent dans  la  désobéissance.  Une  fois  le  principe  admis,  et  il  faut  re- 


CENSURE  795 

marquer  que  ce  ne  fut  qu'assez  tard,  le  mot  censure  ne  se  trouvant 
employé  au  sens  exact  qu'on  lui  donne  aujourd'hui  qu'à  partir  des 

Décrétâtes*  le  droit, sur  Dette  hase,  arrive  à  se  lixer  et  se  compléter  peu 
à  peu  par  les  décrets  des  papes  cl  parles  canons  des  conciles.  Les  peines 
ainsi  adoptées  et  infligées  <pie  Ton  comprend  habituellement  sous  la 
dénomination  de  censures,  sont  au  nombre  de  trois  :  Y  excommunica- 
tion, la  première  et  la  plus  grave  parce  qu'elle  livre  à  Satan;  la  sus- 
pense totale  ou  partielle,  qui  n'est  pas  toujours  personnelle  comme 
l'excommunication,  mais  peut  être  infligée  à  des  communautés  entiè- 
res, à  des  collèges  OU  à  (les  chapitres  en  tant  que  formant  un  corps 
moral;  et  enfin  Y  interdit,  qui  n'est  jamais  personnel,  puisqu'il  consiste 
à  ôter  à  toute  une  ville,  à  tout  un  peuple,  à  tout  un  royaume  l'usage 
des  choses  saintes  (voy.  les  mots  Excommunication,  Interdit,  Suspense). 
Divisées  ainsi  d'abord  en  trois  espèces,  on  les  subdivise  en  censures 
latic  tend  nti.r  et  ferendx  scntentiie.  Les  premières,  latx  sententix,  sont 
encourues  au  for  delà  conscience,  par  la  seule  perpétration  de  la  faute, 
ipso  facto  ;  mais  il  faut  qu'ensuite,  au  for  extérieur,  quand  le  juge  vent 
la  prononcer,  il  cite  à  son  tribunal  le  coupable,  aiin  que  celui-ci  puisse 
prouver  son  innocence.  C'est  la  citatio  ad  dicendum  quare  non  inciderit 
in  censurant.,  ou  quare  non  debeat  declarari  censuratus.  Alors  seulement 
la  sentence  déclaratoire  peut  être  prononcée.  Les  censures  ferendx  sen- 
tentiie, au  contraire,  ne  sont  pas  encourues  par  le  seul  fait;  il  faut  qu'une 
sentence  soit  prononcée,  non  pas  déclaratoire,  ce  qui  n'a  de  réelle 
utilité  que  dans  le  premier  cas,  maiscondamnatoire,  et  cela  suflit.  Sup- 
posons maintenant  qu'un  acte  appelant  application  de  l'une  des  trois 
censures,  soit  commis.  Si  le  péché  est  extérieur  (Ecclesia  de  internis 
non  judicat),  s'il  est  consommé,  s'il  est  défendu  par  un  précepte  ecclé- 
siastique, s'il  est  considérable,  s'il  est  scandaleux  et  trouble  de  quelque 
manière  la  police  extérieure  de  l'Eglise,  s'il  n'a  pas  été  suffisamment 
réparé,  s'il  est  constant  et  bien  prouve,  une  censure  ou  même  plusieurs 
à  la  fois  peuvent  être  prononcées.  Par  qui?  Par  le  pape  seul  ou  par  un 
concile  général  s'il  s'agit  de  frapper  soit  toute  l'Eglise,  soit  un  souve- 
rain ;  par  les  congrégations  des  cardinaux,  celles  des  évêques  et  des 
réguliers,  des  conciles  provinciaux  ;  par  les  légats,  prélats  réguliers  et 
séculiers  ayant  juridiction  au  for  extérieur,  les  vicaires  généraux  en 
l'absence  de  leur  évêque;  tous  agissant  dans  le  cercle  de  leurs  attribu- 
tions. Le  confesseur,  le  curé,  qui  n'ont  juridiction  qu'au  l'or  intérieur, 
les  abbesses  qui  n'ont  pas  le  pouvoir  des  clefs,  ne  peuvent  porter  des 
censures.  Cependant  ceux-là  mêmes  qui  ont  le  pouvoir  de  les  porter 
ne  doivent  s'en  servir  qu'avec  la  plus  grande  réserve.  L'Eglise,  qui 
veut  paraître  clémente  envers  ses  enfants  et  les  traiter  en  mère  (mourut 
priusquam  ferait),  l'ait  à  tout  dépositaire  de  sa  puissance  un  devoir 
d'adresser  à  celui  qu'il  va  frapper  une  munition  préalable  dite  moni- 
tion  canonique,  soit  unique  et  péremptoire,  soit  réitérée  jusqu'à  trois 
fois  à  des  intervalles  de  deux  jouis  selon  quelques-uns.  de  huit  jours 
selon  d'autres,  Si  le  coupable,  après  un  troisième  avertissement,  n'a 

pas  été   rainent'1  à  une  conduite  plus   régulière,  la  censure   produit  ses 

effets,  c'est-à-dire  qu'il  se  trouve  privé  de  quelques-uns  des  biens  spi- 


796  CENSURE 

rituels,  qui  sont,  suivant  les  canonistes,  les  uns  purement  intérieurs, 
tels  que  la  foi,  l'espérance,  la  charité,  la  grâce;  les  autres  purement 
extérieurs,  par  exemple,  les  relations  et  les  diverses  actions  du  com- 
merce ordinaire  de  la  vie  sociale  ;  les  autres  mixtes,  sacrements,  messe, 
offices  divins,  suffrage  de  l'Eglise,  indulgences.  Et  cela,  pour  un 
temps  indéterminé  !  En  effet,  tandis  que  les  autres  peines  sont  toujours 
infligées  soit  à  perpétuité,  soit  pour  un  temps,  la  censure,  qui  est  mé- 
dicinale, se  distingue  en  ceci  des  vraies  peines,  qu'elle  est  toujours  in- 
fligée donec  corrigatur.  Pour  qu'elle  cesse,  il  faut  que  l'absolution  soit 
donnée  par  le  supérieur  légitime. —  Un  pareil  système  de  répression  peut 
facilement  conduire  ceux  qui  l'emploient  à  l'exagération  et  àl'excès  de 
pouvoirs.  Quelque  prélat  trop  zélé,  jugeant  seul,  sans  recours,  pourrait 
rendre  une  sentence  injuste.  Aussi  voyons- nous  établi  de  bonne  heure 
le  recours  au  juge  laïque,  c'est-à-dire  l'appel  comme  d'abus  devant  les 
cours  et  parlements  (voy.  Journal  du  Palais,  arrêt  du  30  décembre  1669 
contre  l'évêque  d'Amiens,  qui  avait  excommunié  le  doyen  de  l'Eglise 
de  Roye  pour  avoir  refusé  de  quitter  l'étole  pendant  que  l'évêque  fai- 
sait sa  visite  dans  cette  Eglise,  et  plus  tard,  arrêt  du  26  janvier  1707 
contre  l'archevêque  d'Aix  qui  venait  d'excommunier  le  supérieur 
d'une  communauté  pour  avoir  reçu  des  novices,  sans  son  consente- 
ment). L'ecclésiastique  dont  la  censure  a  été  déclarée  abusive,  rentre 
dans  ses  fonctions  de  plein  droit.  — Après  ces  observations  sur  l'abus 
de  la  censure,  il  reste  à  faire  sur  l'usage  même  de  cette  peine  une 
objection  essentielle  et  décisive  :  c'est  que  l'Eglise  étant  principale- 
ment une  société  spirituelle,  ne  doit  exercer  qu'une  autorité  de  per- 
suasion. Il  y  a  dans  l'Etat  moderne  assez  de  tribunaux  et  déjuges  pour 
que  l'Eglise  puisse  s'épargner  l'embarras,  sous  couleur  de  direction 
spirituelle,  d'infliger  ces  lourdes  peines,  l'excommunication,  l'interdit, 
qui  atteignent  profondément  l'individu,  la  ville  ou  le  pays  frappés 
dans  leurs  intérêts  matériels.  Le  vieux  système  tout  entier  repose  sur 
une  erreur  du  moyen  âge  à  présent  reconnue,  l'infaillibilité  de  l'Eglise, 
et  la  subordination  dans  le  monde  de  la  puissance  temporelle  à  la 
puissance  spirituelle,  comme  en  nous  du  corps  à  l'âme.  La  vanité  des 
prétentions  de  l'Eglise  romaine  sur  ce  point,  nous  le  voyons  par  l'his- 
toire, a  paru  par  leur  excès  même.  Marsile  de  Padoue,  l'un  des  pre- 
miers qui  osèrent  nier  le  pouvoir  coërcitif  de  l'Eglise,  ne  voulant  lui 
accorder  qu'une  autorité  de  persuasion,  est  condamné  par  Jean  XXII. 
Les  décrétales,  le  concile  de  Latran  sous  Alexandre  III  adoptent  ce  ju- 
gement et  prennent  de  semblables  décisions.  Le  concile  de  Trente  va 
plus  loin  :  il  recommande  aux  juges  ecclésiastiques  d'infliger,  avant 
toute  censure,  des  peines  purement  temporelles  :  «  Liceat  in  causis 
cwiltbus  ad  forum  ecclesiasticum  quomodolibet  pertinentibus,  contra  quos- 
cumque  etiam  laïcos,  per  multas  pecuniarias,  per  captionem  pignorum, 
sive  etiam  per  privationem  beneficioimm,  aliaque  juris  remédia  proce- 
dere  et  causas  definire  »  (Concil.  Trident. ,  decr.  de  Refonn.,  sess.  25, 
cap.  3).  Enfin  Benoît  XIV,  dans  son  bref  Ad  assiduas  (1755),  et  Pie  VI, 
dans  sa  bulle  Auctortm  fidei,  réclament  encore  pour  l'Eglise  un  pou- 
voir absolu,  souverain,  indépendant  de  toute  autorité  séculière.  Mais 


rKNSUUK  7(.)7 

il  n'y  a  là  qu'une  injustifiable  prétention;  la  réalité  est  bien  différente. 
On  inscrit  en  t'ai t ,  parmi  Les  libertés  de  l'Eglise  gallicane,  le  privilège 
pour  les  rois  de  France  de  oe  pouvoir  être  frappés  de  censures.  Saint 
Louis  a  déjà  fait  admettre  que  sa  chapelle  ne  pourra  jamais  être  mise  en 

interdit.  Autrefois  on  exigeai!  des  pénitents  qu'ils  Vinssent   eux-mêmes 

à  Rome  implorer  L'absolution,  déclarant,  «  suspecte  d'hérésie  et  justi- 
ciable de  l'inquisition,  ceux  qui  méprisent  si  fort  i 'absolution  des  censures 
encourues  qu'ils  passent  un  an  entier  sans  la  demander;  »  mais  de  nos 
jours  on  voit  soit  des  souverains,  soit  des  particuliers,  vivre  en  paix  sans 
même  essayer  de  taire  rapporter  la  sentence  d'excommunication  qui 
les  a  atteints.  Le  hou  sens  éclairé  par  L'histoire  qui  nous  montre  l'Eu- 
rope, aux.  jours  de  La  domination  absolue  de  l'Eglise,  troublée  sans  cesse 
et  désolée  par  les  excommunications  et  les  interdits,  a  été  plus  tort  que 
les  canonistes  et  a  résolu  la  question  de  droit  malgré  les  docteurs.  Les 
partisans  du  pouvoir  coercitif  de  l'Eglise  en  sont  réduits  à  écrire,  ce 
qu'ils  auraient,  on  le  comprend,  beaucoup  de  peine  à  prouver,  qu'en 
tout  cas  a  Dieu  appesantit  souvent  son  bras  vengeur  sur  ceux  que  l'E- 
glise a  retranchés  de  sa  communion,  et  comme  on  l'apprend  par 
l'histoire,  fait  toujours  périr  misérablement  ceux  qui  se  sont  obstiné- 
ment moqués  de  l'excommunication.  »  —  Voyez  :  Sacrosancta  Concilia, 
coll.  in-t'ol.,  t.  XIV:  Antiquœ  collectiones decretalium,  1  vol.  in-t'ol.,  1609; 
Durand  de  Maillane,  Instituées  du  Droit  canonique,  trad.  en  français  de 
J.-P.  Lancelot,  avec  YBistoire  du  Droit  canon,  Lyon,  1770,  10  vol. 
in-12;  id.,  Dictionnaire  de  Dr.  can.^Lyon,  1776,  o  vol.  in-4°r;J.  Strem- 
ler,  Des  peines  ecclésiastiques,  des  appels  et  des  congrégations  romaines, 
Paris,    1860.  1  vol.  in-8°.  J.    Akboux. 


FIN    J)U    TOME     II. 


ERRATA 


Pagf 

.  Ligne,       Au  lieu  de:          Lisez: 

85 

39 

Rome              Alexandrie 

— 

41 

Supprimer    depuis  :   Le  texte  grec. 
—  5e  ch'apitre. 

86 

26 

Ajouter  :  les  dernières  éditions  sont 
celles  de  Millier  (1869)  H.  de  Geb- 
hardt  et  Harnack  {Patres  apost., 
I,  1875),  et  de  Hilgenfeld  (1877), 
qui  a  pu  le  premier  mettre  à  profit 
le  texte  découvert  par  Bryennius. 

93 

19 

Ajouter  :  K.  Werner,  G.  Barth, 
Calw,  1865-69,  3  vol. 

97 

38 

Ajouter  :  les  articles  de  M.  Loise- 
leur  dans  le  Temps  (1873,  14  août 
et  les  numéros  suivants). 

137 

25 

Montpelar          Montpelas 

183 

43 

Ajouter  :  celle  de  Lelewel,  Bruxel- 
les, 1852. 

189 

11 

Mien                   Niem 

192 

29 

Lubiaco              Subiaco 

194 

4 

Gemblon            Gembloux 

204 

21 

4'tpovLxvj                 •l'epevtxïj 

207 

39 

Sahr                    Sayn 

211 

19 

Bixdorf               Bixdorf 

217 

38 

Bantzau             Rantzau 

220 

14 

Jelter                 Zelter 

230 

19 

Haraglia             Sbaraglia 

236 

16 

t.  111(1850)      t.  111(1849). 

— 

17 

au  point            au  point  de  vue 

— 

40 

1684                    1584 

240 

9 

Ajouter  :  Hauréau,    Rev.  des  Deux- 
Mondes,  15janv.  1869. 

48 

8 

20,  23                  20,  33 

291 

37 

1700                    1710 

292 

35 

iasinorum           latinornm 

292 

46 

1691                     1690 

Page. 

293 

317 

320 

340 
341 


359 
365 

385 


412 
415 

424 
425 

459 

462 

469 
472 
516 

524 
529 

573 

636 


1        Kucznyski 
11        Bloudus 

6  Mensel 

7  pars  II,  III 
25        Léessies 

10 et  13  Caudenbey 


Ligne   A  u  lieu  de  :      Lises  : 

Kuczynski 
Blondus 
Meusel 

pars   II,   tom.   III. 
Liessies 
Caudenberg 
de  Buch  de  Buck 

Tinuebrœck       Tinnebrœck 
Chaperon  Chaponnière 

Vicecomes  Visconti 

Bouquin  Bouquet 

au  21e  vol.        au  23e  vol.  publié  en 
1877  par   MM.   de 
Wailly,  Delisle   et 
Jourdain. 
Ajouter  :  Ch.  Schmidt,  S.  Br.,  1874. 
Ajouter    :    Pressel,    Anecdota    Bren- 

tiana,  Tnb.,  1868. 
Borne  Paris 

ou  au 

plus  tard  frère  de 

Wellington         Mornington 
Ajouter  :  Correspondance  de  Buffon, 

Paris,  1860,  2  vol. 
1847  1846 

trois  vrais 

le  nombre  d'or    la    lettre     domini- 

•  cale. 
Cullisti  Callisto 

petite  ville  de   commune    des    envi- 
Normandie         rons  de  Noyon. 
1857.  1875. 

di  Lobkowitz     y  Lobkowitz 
ce  souvenir        le  souvenir 


32 
45 
41 

1 
35 
29 

39 
20 


TABLE   DES   MATIÈRES 


Baader  (François).  . 
Baal  .  v.   Phénicie. 
Baalbek,  v.  Balbeck. 
Baasa    .  .  


Babel  (tour  de) 

Babolein  (saint) 

Babylas  (saint) 

Babylone 

Bacchides 

Bach   (Jean-Sébastien).  -  .  .  . 

Bacon  (Roger) 

Bacon  (François) 

Bade  (colloque  de) 

Bade  (histoire  religieuse).  .  .  . 
Bade  (statistique  religieuse).  . 

Baduel   (Claude) 

Bahrdt  (Charles-Frédéric).  .  . 

Baier  (Jean-Guillaume) 

Bains  chez  les  Hébreux.  .   .  , 

Baius  (Michel) 

Balaam 

Balac,  v.  Balaam. 

Balbeck 

Balde  (Jacques) 

Baie  (concile  de) 

Baie   (réformât ion   et   confes- 
sion de) 

Baie  (Eglise  française  de).  .  .  . 
Bâle (statistique religieuse).  .  . 

Balguy  (Jean) 

Ballanche  (Pierre-Simon).  .  .  . 
Ballerini  (Pierre  et  Jérôme).  , 

Balmes  (Jaime) 

Balsamon  (Théodore) 

Balthasar 

Baltus  f Jean-François) 

Baluze    (Etienne) 

Ban  de  la  Roche 

Banaias 

Bangor 

Banier  (Antoine) 

Bannez 

Baptême 

Baptisme 

Baptistère 

Barabbas 

Barac 

Barbarigo  (Grégoire) 

Barbe  (sainte) 

Barbeyrac  (Jean) 

Barbier  (Josué) 

Barckhausen(Conrad-Henri  ►. 

Barclay  (Robert) 

Barcochébas 

Barcos  (Martin  de) 

Bardesane 


5 

3 
4 
4 

18 
18 
21 
23 
24 
25 

h 

29 
30 
30 
31 
32 


32 

34 
35 

39 
41 
43 
44 
45 
46 
47 
47 
48 
48 
48 
49 
52 
52 
53 
53 
53 
72 
75 
77 
77 
77 
77 
77 
79 
7'.) 
79 

80 

81 
8] 


Ha  ri  (concile  de) 81 

Barjésus 82 

Barlaam 82 

Barletta  (Gabriel) 82 

Barmen 83 

Barnabas .  .  83 

Barnabas  (épître  de) 85 

Barnabites 86 

Barnaud  (Nicolas) 87 

Barnès  (Robert) 88 

Barneveld  (Jean  Van  Olden).  .  88 

Baronius   (César) 90 

Barri  (Godefroy  de),  v.  Amboise. 

Barruel  (Augustin) 91 

Barsumas 91 

Barsumas  (Thomas) 92 

Barth   (Chrétien- Gottlob).   .  .  92 

Barthélémy 93 

Barthélémy   de  Bologne.  ...  93 

Barthélémy  des  Martyrs.  ...  93 

Barthélémy  (la  Saint) 94 

Bartholmess   (Christian  -  Jean- 
Guillaume) 97 

Bartholomée,  v.  Barthélémy. 

Bartholomites -98 

Bartimée 98 

Bartoli  (Daniel) 98 

Barton  (Elisabeth) 99 

Baruch 99 

Basan 100 

Basedow  (Jean-Bernard).  ...  100 

Bashuysen  (Henri-Jacques  van).  102 

Basile  le  Grand 102 

Basile,  archevêque 105 

Basile,   évêque 105 

Basilides 105 

Basiliens 107 

Basilique,  v.  Architecture  chré- 
tienne. 

Basin  (Thomas) 107 

Basnage  (Benjamin) 107 

Basnage  (Jacques) 108 

Bassoutos 110 

Bathanée,  v.  Basan. 

Bathilde  (sainte) 113 

Bath-Kol,  v.  Talmud. 

Baudin  (Charles) 113 

Baudouin  (François) 111 

Bauer  (Georges-Laurent).  ...  116 
Baume  chez  (es Hébreux,  x.llis- 

toire  naturelle  '/<■  la  Bible. 
Baumgarten    (Sigismond- Jac- 
ques)   116 

Baumgarten  -  Crusius    (  Louis  - 

Frédéric  othon) in 

Baur 117 


800 


TABLE   DES   MATIÈRES 


Bausset  (Louis-François  de).  . 

Hautain  (Louis) 

Bavière  (histoire  religieuse).  . 

Bavière  (statistique  religieuse) . 

Baxter  (Richard) 

Bayeux 

Bayle  (Pierre) 

Bayonne 

Bazas. 

Béarn  (Eglises  du) 

Béatification 

Béatitude 

Beattie  (James) 

Beaucaire  (François  de  Péguil- 
lon) \ 

Beaumont     (François    de), 
v.  Adrets. 

Beaumont  (Christophe  de).  .  . 

Beauregard 

Beausobre  (Isaac  de) 

Beauvais 

Beauvais  (Marie  de) 

Bec  (abbaye  du) 

Bécan  (Martin) 

Beck  (Jacques-Christophe).  .  . 

Becket  (Thomas) 

Beda 

Bedan 

Bède 

Béelphégor,    v.  Baal. 

Béelzébub ............ 

Béer 

Béeroth 

Beethoven  (Louis  van) 

Béguards  et  Béguines 

Bekker  (Balthazar) 

Bel,  v.  Baal. 

Belgique  (histoire  religieuse). 

Belgique     (statistique     ecclé- 
siastique)  

Bélial 

Bellarmin 

Belley  (Ain) 

Bellini   (Giovanni) 

Béloutchistan  (statistique  reli- 
gieuse)  

Belsunce     de     Castel    Moron 
(Henri  -  François  -  Xavier  de) . 

Benadad 

Benaja,  v.  Banaias. 

Benedicite . 

Bénédictins  (ordre  des),  v.  Be- 
noît de  Nursie. 

Bénédictines,     v.    Scholastique 
(sainte). 

Bénédiction 

Bénéfices  ecclésiastiques.  .  .  . 

Bénévent 

Bénezet  (saint) 

Bénezet  (Antoine) 

Bénezet  (François) 


130 
131 
133 
137 
139 
140 
141 
143 
144 
144 
146 
146 
146 

147 


148 
148 
149 
151 
152 
152 
125 
153 
153 
154 
155 
155 

156 
157 
157 
157 
159 
161 

161 

164 
165 
165 
167 
167 

168 

168 
169 

169 


169 
172 
177 
177 

178 
179 


Bengel  ( Jean-Albert ).  . 

Bénigne  (saint) 

Bénitier,  v.  Eau  bénite. 

Benjamin 

Benjamin  de  Tudèle.  . 
Bennon  d'Einsiedeln.  . 
Bennon  (saint) 


II  (saint). 

III 

IV 

V 

VI. 


Benoit 
Benoît 
Benoît 
Benoît 
Benoît 
Benoît 

Benoît  Vil 

Benoît   VIII. 

Benoît  IX: 

Benoît   X 

Benoît  XI  (saint) 

Benoît  XII 

Benoît  XIII  (antipape) 

Benoît    XIII    (Vincenzo-Maiïa 

Orsini  de  Gravina) 

Benoît  XIV.  (Prospero  Lamber- 

tin'i) 

Benoît  de  Nursie 

Benoît  d'Aniane 

Benoît  Levita 

Benoît  (René) 

Benoît  (Elie) 

Benoît  (le  Père) 

Bentham  (Jérémie) 

Bentley  (Richard) 

Bérauld   (Michel) 

Bérauld  (Pierre) 

Bérauld  (Nicolas) 

Bérée 

Bérenger  de  Tours 

Bérenger  (Laurent-Pierre).  .  . 

Bérénice 

Bergerac  (Eglise  de) 

Bergier   (Nicolas-Sylvestre).  . 

Bergius  (Jean) 

Berington  (Joseph ) 

Berkeley  (Georges) 

Berlebourg  (Bible  de). 

Berlin 

Bernard  de  Clair  vaux 

Bernard  de  Menthon 

Bernard  deHildesheim 

Bernard  de  Tiron 

Bernard  (Claude) 

Bernard  (Samuel) 

Bernard  (Jacques) , 

Bernardin  de  Sienne  (saint).  . 
Bernardin     de     Saint-  Pierre 

(Jacques-Henri) 

Bernardins 

Berne  (histoire  et  statistique 

religieuse) 

Bernières-Louvigny  (Jean  de). 
Bernis  (cardinal  de) 


179 
182 

183 
183 
183 
184 
184 
184 
184 
185 
185 
185 
185 
185 
186 
186 
186 
187 
188 

189 

190 
192 
195 
196 
196 
197 
199 
199 
199 
200 
201 
201 
202 
202 
204 
204 
205 
206 
206 
207 
207 
207 
208 
220 
225 
226 
227 
227 
227 
229 
230 

230 
231 

233 
234 
234 


TABLE    DES   MATIÈRES 


SOI 


Bernon 235 

Bernon  (ou  Bernard) 235 

Bernstein  (Georges-Henri).  .  .  235 

Béroalde  (Matthieu) 236 

Bérose 2§6 

Berquin  (Louis  de) 238 

Berruyer  (Joseph-Isaac).  ...  240 

Berry  (Eglise  du) 24] 

Bersabee 244 

Berthe  (sainte) 

Berthier  (Guillaume-François,).  245 

Berthold 245 

Berthold,  le  franciscain.  .  .  .  245 

Bertholdt  (Léonard) 246 

BertholoT  (François) 246 

Berlin    (saint) 247 

Bérulle  ^  Pierre  de) 24"3 

Berylle 248 

Berzellai 248 

Besancon 248 

Beschitzi  (Elie) 249 

Besold  (Christophe) 249 

Bessarion  (Jean  ou  Basile).  .  .  S>n 

Bethabara 251 

Béthanie 251 

Béthel 251 

Béthesda 252 

Bethhoron 253 

Bethléhem <2>3 

Bethléhem,   évêché 254 

Bethléhémitès 254 

Bethphagé 255 

Bethsabé,  v.  David. 

Bethsaïde 255 

Bethsamès 256 

Bethsan 256 

Bethsur 257 

Béthulie 257 

Beveridge  (Guillaume) 257 

Bèze  (Théodore  de) 258 

Béziers 273 

Bibiane   (sainte) 273 

Bible 273 

Bibliander  (Théodore).  .  .  .  .  287 

Bibliographie  théologique.  .  .  287 
Bichat,  v.  Sensualisme. 

Bicheteau    (Abel) 294 

Bickell  (Jean-Guillaume).  .  .  .  295 

Biddle    (Jean) 295 

Biel  (Gabriel) 296 

Bien 296 

Biens  ecclésiastiques 298 

i  ligamie,  \.  Mariage. 

Biltinger  (George-Bernard  i.  .  .  306 

Billican 306 

Billuart  (Charles-René) 306 

Binet  (Etienne) 306 

Bingham   (Joseph) 307 

Bitaubé  (Paul-  Jérémie) 308 

Bithynie 308 

Blair  I Hugues; 300 


lUaise  (saint) 300 

Blandine  (sainte) 3Î0 

Blandrata  (George) âïo 

Blasphème 311 

Blastares  (Matthieu) :;I2 

Blaurer  (Ambroise) 312 

Bleek  (Frédéric) 313 

Blessig  (Jean-Laurent) 313 

Blois 314 

Blois  (Louis  de) :;l  | 

Blondel  (David) 31*4 

Blount  (Jean) 317 

Blumhardt  (Chrétien-Gottlieb).  317 

Bochart  (René) 318 

Bochart  (Samuel) 318 

Bode (Christophe- Auguste).  .  .  310 

Bodin  (Jean) 320 

Boece 320 

Bœhme  (Jacques) 321 

Bœhmer  (Juste-Henning).  .  .  .  324 

Bogatzky  (Charles-Henri  de).  .  325 

Bogomiles 325 

Bohème 326 

Boileau  (Jacques) 337 

Boisgelin   (Jean  de  Dieu-Ray- 
mond de  Cucé) 338 

Boismont  (Nicolas  Thyrel  de).  339 
Boissard    (Georges-David-Fré- 
déric)   330 

Bolivie  (statistique  ecclésiasti- 
que)   339 

Bollandistes 340 

Bologne 34.2 

Bolsec  (Jérôme- Hermès).  .  .  .  342 

Bona  (Jean) '.  343 

Bonalcl    (  Louis  -  Gabriel  -  Am  - 

broise,  vicomte  de) 344 

Bonaventure 345 

Bongars    (Jacques) 347 

Bonheur,  v.  Félicité. 

Boniface 348 

Boniface.  Ier  (saint) 352 

Boniface  II 352 

Boniface  111 353 

Boniface  IV 353 

Boniface  V 353 

Boniface  VI 353 

Boniface  VII 353 

poniface  VIII 353 

Boniface  IX,  v.  Clément  VII. 

lion. jour  (les  frères) :>:>('> 

Bonn,  v.  Universités  ail  mandes. 

Bonneehose  iKmilede) 356 

Bonnet  (Charles) :;.")7 

Bonnivarq1  (François  de).  •  •  .  358 

Bonose 359 

lions  ( Martin) :;;>«.» 

Booz 300 

Boquin  (Jean) 300 

Bora  (Catherine  de) :;<',<) 

Borborites 3B1 


802 


TABLE    DES   MATIÈRES 


Bordas-Demoulin 361 

Bordeaux 362 

Bordelum 363 

Borelistes 363 

Borgia  (François  de) 363 

Borri  (Joseph-François) 364 

Borromée  (Charles  de) 364 

Borr ornée  (Frédéric  1er).  ....  365 

Bosio  (Antoine) 366 

Bosra,  v.  Bostra. 

Bossuet  (Jacques-Bénigne).  .  .  366 

Bost   (Paul-^fwz-Isaac-David).  373 

Boston 374 

Bostra 376 

Boucard(Françoîs  ou  Jacques  de)  378 

Boucher  (Jean) 378 

Bouddhisme,  v.Inde. 

Bouhours  (Dominique) 379 

Bouillon  (Godefroi  de)  .    ....  380 

Bouillon  (Henri  de) 381 

Boukharie(statistique  religieuse)382 

Boulainvilliers(Henri ,  comte  de)  383 

Boulanger  (Nicolas- Antoine)    .  383 
Boulogne,  v.  Thérouanne. 

Boulogne  (Etienne-Antoine).   .  383 

Bouquet  (Dom  Martin).  ....  385 

Bouquin  (Pierre) 385 

Bourbon  (Antoine  de) 386 

Bourbon  (Catherine  de) 387 

Bourbon    (Louis   de) 388 

Bourbon  (Henri  de) 389 

Bourbonnais    (Eglises  du).  .  .  391 

Bourdaloue  (Louis) 392 

Bourgeois  (Loys) 395 

Bourges 396 

Bourgogne  (Eglises  de) 396 

Bourgoing  (François).  .....  399 

Bourignon  (Antoinette)  ....  399 

Boursier  (Laurent-François)    .  401 

Bouterweck  (Frédéric).  \  .   .  .  401 

Bower  (Archibald) 4  402 

Boyer  (Jacques) 402 

Boy  le  (Robert) 403 

Bradwardina  (Thomas  de).  .  .  403 
Brahmanisme,  v.  Inde. 

Bramante  (Donato) 404 

Bramhall    (Jean) 405 

Brandebourg  (réformation   de 

la  Marche  de) 405 

Brant  (Sébastien) 411 

Breckling  (Frédéric) 412 

Bref,  v.  Bulle. 

Breithaupt(Joachim-Justus).  .  412 

Breitinger    (Jean-Jacques).  .  .  413 

Brème  (la  réformation  de).  .  .  413 

Brenz  (Jean) 414 

Brésil  (statistique  religieuse).  415 

Bresse    (Eglises  de  la),  .      .  .  417 

Bretagne  (Eglises  de)  ....  .  418 
Bretons  (le  christianisme  chez 

les),  v.  Culdéens. 


Bretschneider(Charles-Gottlieb)  419 

Bréviaire 420 

Brial  (Dom  Michel-Jean- Joseph)  423 

Brice  (saint) 423 

Briconnet  (Guillaume).  ....  423 

Bridaine  (le  Père). 429 

Bridel    (Louis) 431 

Brie  (Eglises  de  la) 432 

Briet  (Philippe) 433 

Brieuc  (saint) 433 

Brigitte,  d'Irlande 434 

Brigitte,  de  Suède 434 

Brill   (Jacques) 435 

Briquemault(François  de  Beau- 

vais,  seigneur  de) 435 

Britanniques  (Iles) 436 

Britto  (Jean  de) 442 

Brocard 442 

Broglie     (Maurice-Jean-Made- 
leine de) 442 

Broglie    (Albertine    de    Staël, 

duchesse  de) 443 

Bromley  (Thomas) 444 

Brosse  (Salomon  de) 445 

Broussais,  v.  Sensualisme. 

Brousson  (Claude) 446 

Browne   (Robert) 447 

Bruch  (Jean-Frédéric) 448 

Brueys  (David- Augustin  de).  .  449 

Brumoy  (Pierre) 450 

Brunellesco  (Philippodi  ser).  .  .450 

Bruno,  archevêque 451 

Bruno,  martyr 452 

Bruno  (saint) 453 

Bruno  d'Asti  (saint) 453 

Bruno  (Giordano) 454 

Brunswick  (la  réformation  du 

duché  de) 454 

Bruxelles  (statistique  ecclésias- 
tique)   456 

Bruys  (Pierre  de) 456 

Bruys  (François) 457 

Bucer   (Martin) 458 

Buchanan  (Claudius) 459 

Bûchez    (Philippe-Joseph-Ben- 
jamin)   460 

Buddée  (Jean-François) 460 

Budé   (Guillaume) 461 

Buffon  (Georges-Louis  Leclerc, 

.  comte  de) 461 

Bugenhagen  (Jean) .  462 

Bulgarie 463 

Bulgaris  (Eugène) .  465 

Bulle 465 

Bullinger   (Henri) 467 

Bundehesch,  v.  Perse. 

Bungener   (Félix) 468 

Bunsen    (  Chrétien-Charles-Jo  - 

siàs) 473 

Bunyan  (John).  . 477 

Burchard 479 


TABLE    DKS  MATIÈRES 


803 


Burckhardt  (Jean-Louis).  .  .  . 

Bure  (Idelette  de) 

Burgendes  (les) 

Burmann  (François) 

Burnel  (Gilbert) 

Buriner  (Louis) 

Burnouf  (Eugène) 

Bury  (Arthur 

Bus  (César  de) 

Busch  (Jean) 

Busching  (Antoine-Frédéric),  . 

Butler  (Joseph) 

Huiler  (Aiban) 

Butler  (Charles) 

Buttlar  (Eve) 

Buxtorf 

Buzenval  (Paul  Choart,  sieur 

de) 

Byblos 

Byna'us  (Antoine) 

Byron  (Georges  Gordon,  lord). 
Byzance,  v.  Cunstantinople. 
Bzovius  (Abraham). 


Cabale 

Cabanis,  v.  Sensualisme. 

Cadès 

Caen 

Cagliostro  (Alexandre,  comte 

de) 

Cahors  

Caignoncle  (Michelle  de).  .  .  . 

Gain 

Cahutes 

Caïphe,  v.  An  tic. 

Caius 

Caius 

Caius  (saint). 

Cajetan 

Calas  (Jean) 

Calasanza,  v.  tiaristes. 

Calatrava 

Calcutta 

Calderon  de  la  Barca  (Pedro). 

Caleb 

Calendes 

Calendrier  chrétien 

Calice 

Calixte  Ier,  v.  Callistc. 

Calixte  II 

Calixte     III     (antipape),    v. 

Alexandre  III. 

Calixte  III 

Calixte  (George) 

Calixtins,  v.  \'>>>hnne. 
Callenberg  (Jean-Henri).  .  .  . 

Calliste  (sainl  | 

Calmet  |  Augustin  | 

Caloy  (Abraham) 


179 
479 

480 
482 
482 

183 

184 
485 

185 
485 
4S0 

is; 
488 
488 
489 
489 

492 
493 
494 
194 

497 


497 

503 
504 


504 
504 
505 
505 
505 

506 
506 
507 
507 

508 

511 
511 
512 
513 
514 
514 
519 


520 


521 
522 


52  1 
524 
526 

.V.'7 


Calvaire 

Calvaristes 

Calvin  (Jean) 

Camaldules 

Cambrai 

Cambrésis 

Cambridge 

Cameranus  (Joacbim) 

Caméron  (Archibald) 

Caméron  (Jean) 

Camisards 

Campanella  (Thomas) 

Campbellites 

Campe  (Joachim-Henri).   .  .  . 

Campège  (Laurent) 

Campège  (Thomas) 

Campensis  (Jean) 

Camus  (Jean-Pierre) 

Cana •  •  • 

Canaan,  v.  Palestine  et  JsrOèL 

Canada 

Canaye  (Jean) 

Candace 

Cancllish  (Robert  Smith).  .  .  . 
Candolle  (Pyramus  de).   .  .  . 

Canisius  (Pierre) 

Canisius  (Henri) 

Canon  de  F  Ancien  Testament. 
Canon  du  Nouveau  Testament. 
Canonicat,  v.  Chanoines. 

Canonisation 

Canons  apostoliques 

Canons  de  l'Eglise 

Canova  (Antoine). 

Canstein  (Charles-Hildebrand , 

baron  de) 

Cantique  des  Cantiques .... 
Cantiques,  v.  Chant  d'église. 

Cantorbéry 

Canus  (Melchior  Cano,  dit)  .  . 

Canut  IV 

Canz  (Israël-Gottlieb) 

Capernaùm 

Caphthor 

Capistran  (Jean  de) 

Capiton  (Wolfgang  Kœpfel).  . 

Capitulâmes 

Cappadoce 

Cappel  (Jacques) 

Cappel  (Louis).  .  .  .• 

Caprara  (Jean-Baptiste).  .  .  . 

Capuciés 

Capucines 

Capucins 

Caracalla 

Caraccioli  (Galéas) 

Caraccioli  (Antonio) 

Caraccioli  (Jean-Antoine)  .  .  . 
Caraccioli  (Louis-Antoine).  .  . 
Caractère 

('.'irait  es 


528 
529 
529 
557 
558 

559 
561 

561 
501 
563 
565 
566 
567 
568 
509 
569 
570 
571 

572 

573 
573 
574 
575 
576 
577 
577 
587 

606 
607 
608 
608 

609 

609 

614 
615 
615 
616 
617 
617 
018 
619 
619 
622 
623 
624 
627 

628 

628 
628 
629 
630 
631 
031 
632 
633 
634 


804 


TABLE    DES   MATIÈRES 


Caramuel 

Caravage . 

Carcassonne 

Carchemich 

Cardan  (Jérôme) 

Cardel  (Jean) 

Cardel  (Paul) , 

Cardinal '..... 

Carême , 

Carey  (William) 

Carinthie 

Carith 

Carleton  (Georges) 

Carlowitz  (Christophe  de)  .  .  . 

Carlstadt  .  .  .  . 

Carmel 

Carmélites . 

Carmes 

Carmes  déchaussés 

Carnaval 

Carniole 

Carolins  (livres),  v.  Livres  ca- 
rolins. 

Carpentras  

Carpin  (Jean  du  Plan) 

Carpocrate . 

Carpzov 

Carranza  (Bartolomeo)  .  .  .  . 
Carron  (Gui-Toussaint- Julien) . 

Cartésianisme 

Carthage 

Cartulaire 

Carus  (Fr.-Auguste) 

Carus  (Charles-Gustave).  .  .  . 
Cas  de  conscience, y.  Casuistique. 

Cas  réservés 

Casas  (Barthélémy  de  las).  .  . 

Casaubon  (Isaac) 

Casaubon  (Méric) 

Caselius  (Jean) 

Casimir 

Casimir  (le  duc  Jean) 

Casluim 

Cassandre  (Georges).  ...... 

Cassel  (le  colloque  de) 

Cassien  (Jean) 

Cassien  (Jules),  v.  Docétisme. 

Cassin  (Mont-) 

Cassiodore 

Castalion  (Sébastien) 

Castell  (Edmond) 

Castelnau  (Pierre  de) 

Castelnau  (Michel  de) 

Castres.  . 

Casuel 

Casuistique 

Catacombes 


636 

036 

636 

637 

637 

637 

638 

638 

039 

641 

641 

642 

642 

642 

642 

646 

647 

047 

648 

648 

648 


649 
649 
650 
651 
653 
655 
655 
659 
659 
660 
660 

660 

661 

661 

663 

663 

664 

664 

666 

666 

667, 

667 

668 
670 
672 
677 
678 
678 
679 
680 
681 
684 


Catéchétique 

692 

Cathares  .  .  .  .  

705 

Cathédrale .  .  .  . 

708 

Catherine  d1Alexandrie(sainte) 

709 

Catherine  dé  Bologne  (sainte) 

709 

Catherine  de  Gênes  (sainte).  . 

709 

Catherine  de  Ricci  (sainte)    .  . 

710 

Catherine  de  Suède  (sainte).  .  . 

710 

Catherine  de  Sienne  (sainte).  . 

710 

Catherine  d'Aragon „ 

711 

Catherine  de  Médicis 

711 

Catholicisme  (principe  du).  .  . 

712 

Catholique  (Eglise),  v.  Église 

catholique. 

Catholiques  allemands.      .  .  . 

717 

Catholiques  (Vieux-) 

725 

Catinat 

741 

Catrou  (François) 

742 

Caturce  (Jean  de) 

742 

Cauchon    (Pierre) 

743 

Caumont  La  Force . 

743 

Caus  (Salomon   de) 

746 

Cause,    causalité 

748 

Causes  majeures 

754 

Cavaillon 

754 

Cavalier 

754 

Cave  (Guillaume) 

755 

Cavour  (Camillo  Beuso  di).  .  . 

i  55 

Cayet  (Pierre-Victor-Palma).  . 

/  5  / 

Cécile    (sainte) 

758 

Cédaréniens 

759 

Cédrénus 

759 

Cédron 

759 

Ceillier   (Rémi) 

760 

Célestin   Ie' 

760 

Célestin    II 

760 

Célestin  III 

760 

Célestin   IV 

761 

Célestin  IV(antipape),  v.  Hono- 

rius  II. 

Célestin  V 

761 

Célestins 

761 

Célestius,  v.  Pélagianisme. 

Célibat 

762 

Cellarius  (Jean) 

765 

Cellarius  (Christophe) 

765 

Cellérier  (Jean-Isaac-Samuel). 

766 

Cellérier  (Jacob-Elisée) ] 

769 

Celse 

772 

Celtes,  v.  Gaule  (religion    de 

l'ancienne). 

Cenchrée 

77:» 

Cendres  (mercredi  des) 

775 

Cène    (sainte) 

775 

Cénobites,  v.  Moines. 

Censure. 

794 

Pailâ. —  l'y  p.  Tolmer    et  Tsirlor  Joseph,  43,  rue  du  Four-Saint-Germain. 


SCIENCES 
Il        REL         O 

STUD1ES 


La  Bibliothèque 

Université  d'Ottawa 

Échéance 


The  Library 

University  of  Ottawa 

Date  due 


P.EJ 

3  AOU 

MORISl 


B. 

1993 

SET 


Wr^ 


J~$ 


CL     BL       00  31 
.E5     1877    VCG2 

I    l  )2 


ENCYCLOPEDIE 


U  D'  /  OF  OTTAWA 


COLL  ROW  MODULE  SHELF   BOX  POS    C 
333    05      03       01      16    02    8 


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