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HARVARD
COLLEGE
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HISTOIRE
DE FRANCE
TOME HUITIEME
II
ERNEST LAVISSE
HISTOIRE
DE FRANCE,
DEPUIS LES OR1GINES JUSQU'A LA REVOLUTION
MM. BAYET. BLOCH. CARRE, COVILLB, KLBINCLAUSZ,
LANGLOIS. LEMONSIBR, LUGHAIKE, MARJEJOL, PET1T-DUTAILL18, PUSTER,
REBELLIAU. SAGNAC, DE SAINT-LEGER, VIDAL DE LA BLACBE.
TOME HUITIEME
II
Le regne de Louis XV (1718-177«)
PARIS
II KR AI HI E IIACIIETTE ET C.
"0, BOULEVARD S A I 3 T-fiER M A l » , 1 8
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HAIWARD
UNIVERSiTY
LIBRARY
MAY 21 1970
Ton» droit* de traduction, de reproduction et d'adaptation rtien^s pour tou* pays.
Copyright by Hache tto & C° 1911.
LIVRE PREMIER
LA REGENCE ET LE MINISTERE
DU DU C DE BOURBON
CHAPITRE PREMIER
LE GOUVERNEMENT DÜLIBERATIF DES
CCNSEILS 4
I. LI TESTAMENT DB LOUIS XIV. — II. ^ORGANISATION DES CONSEILS
(1715). — ni. l'ceuvre des conseils, LE gonseil de finance et LE duc de NOAILLES
(1715-1718). — iv. l'araissement DU PARLEMENT DE PARIS (1718). — V. LA RUINE des
CONSEILS (1718-1720).
/. — LE TESTAMENT DE LOUIS XIV
LE testament de Louis XIV fut prösentö au Parlement de Paris ls testambht
le 2 septembre 1715, lendemain de la mort du Roi. II 6tablissait, DB L0ÜIS xrK
comme on a vu au precädent volume, un Conseil de R6gence. Ce
Conseil comprenait le duc d'Orläans, le duc de Bourbon, pour le
jour oü ce prince, qui avait vingt-trois ans, en aurait vingt-quatre,
le duc du Maine et le comte de Toulouse, bätards du Roi dlfunt, les
i- Socrces. Recaeil giniral den anciennes lots francaise* (Isambert), Paris, 1822-1827,
t. XXI (Deklaration da i5 septembre 1715; Reglement du 22 decembre i~i5). Remonlrance» da
Parlament de Paris aa XVIU* siMe, p. p. Flammermont et Tourneux, Paris, 1888-1898 (col-
lectioo des Documenta inedits), 3 vol., t. I. Documenls relalifs aux rapporl» du clergi acec
I* Royaale' de 1706 a 178g, p. p. Mentioo, Paris, igo.1, 2 vol., t. 1. Boulafnrilliers (De), Hii-
loire de fanden goavernemenl de la France, La Haye et Amsterdam, 1727, 3 vol. in-12. £ tat
de la France, Londres, 1787, 6 vol. in-12. Solnt-Simon, AHmoire* complet* et aathenliques
sur le neck de Loais XIV et la Rigcnce, p. p. Cherucl, Paris, 1878, 20 vol. 1. XII, X1I1.
XIV, XV, XVI et XV1I. a L'edition de Saint-Simon des • Grands Ecrivalns de la France »
P p. De Boislisle) s'arr&tc actuelleraent a l'annee 1711. Buvat, Journal de la Rigenec, p. p.
Campardon, Paris, 1860, 2 vol., t. I. Staat de Launay (Mme de), Memoire», coli. Petitot,
1. LXXVI1. Marais (Mathieu). Journal el Memoire*... sur la Mgence et le regne de Louis XV
1715-17^), p.p. De Lescure, Paris, i863-i868, 4vol.,t.I. Duclos. hUmoires «erreM,coU.Micbaud
et Pouj., 2« serie, t. X. Noailles, Mimoires. coli. Petitot, t. L XXI II. Villars, Mimoires,
Paris, 1884-1892. 5 vol., t. IV (Societe de l'Hist. de France), Duchesse d'Orleans, princasse
< 1 >
vi». 2. i
ETORLäANS.
La Regence. LIVRB PRBMIER
maröchaux de Villeroy, d'Huxelles, de Tallard, d'Harcourt, les
ministres ou secrötaires d'ßtat en fonction. Le Conseil devait pour-
voir k toute vacance parmi ses membres. Le duc d'Orlöans pr^sidait,
mais navait de suffrage pr6pond6rant qu'en cas de partage 6gal des
voix. Le Conseil avait droit de d61ib6rer sur toutes les affaires, et de
nommer ä tous emplois ou commissions, depuis les dignites d^vßques
ou darchevßques, jusqu'aux plus bas grades de Tarnte, jusqu'aux
petits Offices de finance et de judicature. II 6tait impossible au
R6gent de s msurger contre le Conseil ; car le testament donnait au
duc du Maine, avec la surintendance de T6ducation du Roi, le
commandement des troupes de la Maison.
Ainsi Louis XIV, qui ne pouvait avoir oublte le testament de
Louis XIII et ce qu'il en advint, essaya pourtant de se survivre en
disposant de Tavenir; et par une singulare incons&juence, lui,
Tinstaurateur de la pleine autoritä monarchique, il prötendait insti-
tuer un regime oü le chef de Tfitat 6tait dominö par Toligarchie dun
Conseil.
le duc du maine Deux adversaires se trouvent alors en prösence, le duc du Maine
et le düc et le duc d'Orl6ans. Le premier s'appuie sur « la vieille Cour », cest-
""" ä-dire sur le parti de Mme de Maintenon, sur les Ultramontains, le
palatine, Correspondance (Trad. P. Brunei), Paris, i863. 2 vol. Forbonnais (Veron de\
Recherchesel considirations sur lesfinances de France, depuis Pannie 1595 jusqu'ä rannte 1711,
BÄIe, 1758, 2 vol. in -4°. Boisguilbert, Detail de la France (ficonomistcs financiers du
xviii* siecle, p. p. E. Dafre, Paris, i843, dana la « Collection des principaux economistes »,
p. p. Blanqui, Rossi et H. Say, t. I).
Oüvrages a consulter. Lemontey, Hisloire de la Bigence el de la minorili de Louis XV,
jusqu'au minislere da Cardinal de Fleury, Paris, 1883, 2 vol., t. I. Lacretelle, Hisloire de
France pendanl le XVIII 9 siecle, Paris, 1812, 6 vol., 3« ed., t. I. Jobez, La France sous
Louis XV, Paris, 1864-1878, 6 vol., 3 ed., t. I. Michelet, Hisloire de France, t. XIV. De
Carne, La Monarchie francaise aa XVIII 9 siede, nouv. ed., Paris, 1864. Lu$ay (De), Des
origines da pouooir minisliriel en France. Les Secrilaires dElal depuis leur Institution
jusqu'ä la morl de Louis XV, Paris, 1881. Lavergne (De), Les economistes francais du
XVIII* siecle (Abbe de Saint-Pierre), Paris, 1870. Picot (M.-J.-P.), Mimoires pour servir ä
Phisloire eccUsiaslique pendanl le XVIII 9 siecle, Paris, i853-i857, Paris, 1893, 7 vol., t I.
Rocquain. L'espril reaolutionnaire avant la Bivolulion (1715-1789), Paris, 1878. Aubertin,
L'espril public aa XVIII 9 siecle, Paris, 1873, 2* ed. Vignon (E.-J.-M.), tludes hisloriques
sur tadminislralion des ooies publiques en France aux XVII 9 el XVIII 9 siecles, Paris, 1862-
1880, 4 v °l » t- II. Bailly (A.), Hisloire financiere de la France, Paris, 1880, 2 vol. Levasseur,
Recherches hisloriques sur le syslime de Law, Paris, i854- Courtois (Alpb.), Hisloire des
Banqaes en France, Paris, 1881, 2* ed. Valtry, Le disordre des finance* el les exces de la
Spekulation ä la fin da regne de Louis XIV et au commencemenl da regne de Louis XV,
Paris, 1880. Clamageran, Hisloire de Timpöl en France, Paris, i866-i876, 3 vol., t. III. Hou-
ques-Fourcade, Les Impöls sur le revenu en France au XVIII 9 siecle, Hisloire du Dixieme el
du Cinquanlikme, Paris, 1889. Paulire (Christian), La ■ Taiüe tarifie • de fi6M de Saint-
Pierre el t Administration de la laille, Paris, igo3, in-8*. Marion, L'impöt sur le revenu au
XVIII 9 siecle, principalemenl en Guyenne, Paris, 1901. A. Dubois, Precis de r hisloire des
doctrines economiques, t. 1, Paris, 1908, in-8*. Baudrillart (Alf.), Philippe V el la Cour de
France, Paris, 1890, 4 vol., t. II. Wiesener, Le Bigenl, Vabbi Dubois el les Anglais, dapres
les sources brilanniqaes, Paris, 1891.3 vol. P Clement, Porlrails hisloriques (Legardedes
Sceaux D'Argensoo), Paris, i8B5 Sainte-Beuve, Nouoeaux Lundis, t. X, 1868 (Louis XV
et le Marechal de Noailles). Baudrillart (H.), Hisloire du laxe prioi el public, depuis l'anli-
quüi jusqu'ä nos joars, Paris, 1878-1881, 4 vol., t IV.
< 2 >
CBAP. PRIMÄR
Le Gouvernement deliberatif des Conseils.
Pape ei l'Espagne. Le second a pour lui la Sympathie des Jans6-
nistes, par consequent du Parlement, celle des Pairs, et, en g6n£ral,
de tous les mäcontents du dernier regne, et des jeunes; il s'appuie,
au dehors, sur George I M d'Angleterre.
Le Regent 1 , trfcs intelligent, tres instruit, capable de parier en cabactbbb
connaisseur politique et finance, musique et peinture, chimie, m6de- Dü RgCBN7 -
eine, ou m^canique, etait däbauchö, indifferent au bien et au mal, sans
ambition, sans haines, sans le « ressort » que ces sentiments inspi-
rent, « incapable de suite dans rien », inapplique*, timide « ä Fexces ».
Abandonnä ä lui-m£me, il aurait sans doute subi le regime du testa-
ment; mais il etait le chef d'une cabale qui ne pouvait permettre
qu'il s y resignät. Son ami, le duc de Saint-Simon, et son ancien pr6-
cepteur, Fabb6 Dubois, le d£ciderent ä agir.
Le 2 septembre 1715, le Parlement, « garni des Pairs », s'assembla. süance du
Le testament fut ouvert et lu. Le duc (TOrl^ans, d'une voix basse, * sbptbmbbe ms
hösitante et troubl6e, d6clara ne pouvoir gouverner avec un Conseil Äl PARL£MENT -
de Rägence quil nanrait pas choisi. Le duc du Maine, qui avait
plus peur encore que le Regent, soutint quil ne pouvait prendre la
charge de l'6ducation du Roi s'il n'avait le Commandern ent de la
Mai son. Ils en vinrent ä se quereller sur le degrä de conßance que
leur aurait t6moign6e le feu roi; ils furent ä ce point ridicules
qu'on les pria de sortir pour aller conünuer leur dispute dans une
chambre voisine. Quand le duc d'Orleans rentra, il avait pris de
l'assurance. II dit navoir pu s'entendre avec son adversaire, promit
au Parlement de lui rendre le droit de remontrances , et annonga
retablissement d'un gouvernement oü des conseils particuliers pren-
draient la place des secr&aires dfitat. On Tapplaudit; le Premier
President recueillit les opinions; un anrät d£clara le duc d'Orleans
Regent de France, avec le droit de constituer ä son gr£ le Conseil
de R6gence et les Conseils qu'il jugerait n^cessaires, d'aecorder ä
qui bon lui semblerait charges, emplois, bänefiecs et graces. Le duc
du Maine serait surintendant de l^ducation du Roi; mais le Rlgent
aurait le commandement de la Maison railitaire.
Le 12 septembre, le petit Roi, — il avait cinq ans, — alla tenir un siAses
lit de justice. Pour que la d6cision du 2 septembre föt valable, il DD " sbptembbb.
fallait en effet que Louis XV la validAt. II s'assit, ayant ä ses pieds A ™mnt
le duc de Tresmes, ä sa droite le duc de Villeroy, son gouverneur,
et ä sa gauche sa gouvernante, Mme de Ventadour, assis sur des
tabourets, au bas des degr6s du tröne; deux massiers et six heVauts
s'agenouillerent. Le chancelier Voysin parla de l'accablement oü la
t. Volr Hitloire de France, t VIII, i, p. 444.
i 3 >
La Rdgence* livre Premier
mort de Louis XIV avait jet£ tout le monde ; il loua les vertus de
Louis XV et l'esprit sublime du R6gent. Le Premier Präsident, qui
avait intrigu6 pour le duc du Maine, proclama le Regent « Tange
tut61aire de rfitat » ; les gens du Roi prirent leurs conclusions, et
l'annulation du testament fut döfinitivement prononc6e.
//. — [.'ORGANISATION DES CON SEILS (171 5)
d&clarations T\ ES döclaralions du 15 septembre annoncärent une sortc de
du is sbptembrb xJ Evolution dans le gou verneinen t : en consäquence de la pro-
n,Sm messe faite dans la s6ance du 2 septembre, les Cours souveraines
recouvrörent le droit de remontrances ; le Chancelier, le Contröleur
G6n6ral et les secrötaires dEtat füren t remplac6s par des Conseils.
Le Contröleur G6n6ral Desmaretz fut mis ä T6cart sans compen-
sation. Le chancelier Voysin qui avait, par avance, r6v616 au Regent
la teneur du testament, fut pourvu d'une place au Conseil de R^gence.
Quant aux secr&aires d'ßtat, propriötaires de leurs charges, ils
demeurärent näcessairement en possession de leur titre de proprio.
On aurait pu rembourser leurs « brevets de retenue », par lesquels le
Roi avait fix6 les sommes qu'auraient & leur payer leurs successeurs ;
mais on ne remboursa que le brevet du secnHaire d'fitat des affaires
6trang&res, Torcy, k qui on versa 800000 livres. Le secr&aire d'fitat
charg6 des affaires de la religion prätendue r£form6e, La Vrilli&re,
le secrätaire d'filat de la Maison du Roi et de la Marine, Pontchar-
train, le secr6taire d'fitat de la guerre, qui 6tait le Chancelier Voysin,
firent donc de leur titre sans fonction ce qu'ils voulurent. La Vrilliöre
le conserva; Pontchartrain le passa ä son fils, Maurepas, alors äg6 de
quatorze ans; Voysin le c£da pour 400000 livres au conseiller d'Elat
d'Armenonville. Les dötenteurs de titres de secrötaires d'Elat esp6-
raient voir un jour avorter le nouveau regime, et remettre alors en
vie ce que Saint-Simon appelle « la carcasse inanimöe » de leurs
charges.
l'anglomanie. Rien n'ätait plus opposö ä Tesprit du gouvernement de Louis XIV
que le regime des conseils. On voulait en effet faire du nouveau,
faire le contraire. On 6tait las du regime d'autorilö, qui avait 616
cause de tant de mis&res. Mais que meltre ä la place? L'opposition
avait fait bien des projets, et m£me bien des r£ves, dans les dernteres
ann6es de Louis XIV. Les Francis enviaient au peuple anglais ses
überlas politiques : « C'est chose inconcevable, 6crivait de Paris Lord
Stairs, Tambassadeur d'Angleterre, combien ils dötestent ici leur
condilion, et raffolent de la nötre ». Mais personne n'avait la con-
1 4 >
CBAP. PftlMIIA
Le Gouvernement ditibiratif des Conseils.
ception pr£cise de ce que pourrait 6tre chez nous une repr&entation
nationale. Lcs Etats g6n6raux, comme toutes les anciennes institu-
tions de la France, ötaient bien oubltäs. Les probl&mes de l'organi-
sation politique n'avaient pas encore et6 discutäs dans le public;
rien n'ötait pröt pour une grandc r£forme.
Ce qu'on va essayer, c est d'appliquer des id6es 6closes dans
l'entourage du duc de Bourgogne, et dont Saint-Simon a 6t6 un des
prineipaux inspirateurs : briser les secr&aires d'£tat, ces « marteaux
de lfitat » t qui avaient mis « la noblesse en poudre », appeler la
haute noblesse ä partieiper au gouvernement par le moyen de con-
seils dont le personnel serait aristoeratique. Chose singulare; ce
regime ressemblait fort ä celui de l'Espagne, oü il avait produit de si
mauvais effets. II ne convenait gu&re ä la France, et l'ambassadeur
d'Espagne ä Paris, Cellamare, vit tout de suile qu'il n y röussirait
pas. « Les Fran$ais, dit-il, ont habill6 leur gouvernement ä Tespa-
gnole ; mais la golille • leur ira aussi mal que la cravate nous allait
mal ä nous-mgmes au d6but. »
Les Conseils instituäs en vertu de la Deklaration du 15 septembre
furent au nombre de sept.
Le a Conscil gänöral de R£gence », prösidö par le Regent, a
« pour objet toute l'ätendue du gouvernement ». Devant lui sont
portöes u les matteres qui auront £t£ rögläes » dans les autres Con-
seils, appeläs « particuliers », afin qu'il puisse concilier « les vues
difförentes ».
Le « Conseil des Affaires du dedans du royaume », connalt des
affaires administratives et contentieuses des pays d'öleclions.
Le « Conseil de Conscience » est charg6 des r&glements sur la
diseipline eccl&iastique, veille au maintien des droits de la Cou-
ronne, conföre les b£n66ces, prononce sur les disputes thlologiques
soulevtas dans les universitös, sur les £lections aux b£n6fices sou-
mises ä l'approbation du Roi; il surveille les communaut6s s£culi6rcs
et r£guli6rcs.
Le « Conseil de Guerre » dölivre leurs pouvoirs et leurs « provi-
sions » aux martchaux de France, lieulcnants g6n6raux, brigadiers,
gouverneurs, lieutenants du Roi ; il dressc l^tat des officiers & placer
et a remplaccr, conlrölo lcs march^s de vivres et de fourrages, el les
transports, les approvisionncmenls d'armes et rhabillement; il a la
complabilil6 de la guerre, pourvoit h la soldc, aux envois de fonds,
et rögle tous les comptes des forlificalions.
Le « Conseil de Marine » a la direction des travaux d'ötablis-
L IMITAT ION
DE LESPAGNB.
ATTR1BVT10NS
DES CONSEILS.
1. La Golillc etait une captre de collel cmpc«e que portaieot les EapagooK uue partie
raraclehalique de leur costime.
5 >
La Rigence.
L1VRE PREMIER
sement, d'agrandissement, de defense ei d'entretien des ports, des
havres, rades et arsenaux maritimes. II pourvoit ä la süretö des cötes
et des navires de commerce, protege les nägociants et assure le main-
tien de leurs privil&ges. II protege les Lieux saints, procfcde au rachat
et aux 6changes d'esclaves, d61ib6re sur la marine du Levant et du
Ponant, sur les galäres, les consulats et les colonies.
Le « Conseil de Finance » traite des brevets de la taille, de
toutes les impositions ou döcharges d'impositions, et il examme les
baux des fermes.
Le « Conseil des Affaires 6trang£res » dirige la diplomatie.
En outre, un « Conseil de Commerce », institu6 le dernier, par
une Deklaration du 14 döcembre 1715, a pour attributions « tout ce
qui concerne le commerce intärieur et ext£rieur et les manufacturcs
du royaume ».
PEHSONNEL
DU CONSEIL
DE REGENCE,
DBS AUTRES
CONSEILS.
Le duc d'Ortäans fit entrer au Conseil de Rigence le duc de
Bourbon, bien que le testament Ten 6cartAt comme trop jeune; puis
« plusieurs personnages que leur 6tat, dit Saint-Simon, ne permet-
tait pas den exclure », le duc du Maine, le comte de Toulouse, le
mar&hal de Villeroy, le mar6chal d'Harcourt. II y appela, comme on
a dit, le chancelier Voysin, Torcy, dont il jugeait ne pouvoir se
passer. II erat qu'il y avait int6r£t pour lui, et sans doute pour
rßtat, ä garder dans le regime nouveau des hommes qui, comme
Torcy, savaient les affaires. II leur adjoignit son ami personnel,
Saint-Simon, le maröchal de Besons, et un ancien 6v6que de Troyes,
Chavigny. La Vrilltere et Pontchartrain assist&rent aux säances du
Conseil, comme seerötaires, sans voix d6lib6rative.
Sauf Desmaretz, tous les derniers ministres de Louis XIV fai-
saient partie du Conseil g£n6ral de R6gence.
Les au t res Conseils devant comprendre chaeun dix membres, le
Regent put satisfaire nombre de convoitises. II donna la pr£sidcnce
du Conseil du dedans au duc d'Antin, celle du Conseil des affaires
6trang6res au marächal d'Huxelles, celle du Conseil de guerre au
mar6chal de Villars, celle du Conseil de marine au comte de Tou-
louse, celle du Conseil de finance au duc de Noailles. II fit du car-
dinal de Noailles, oncle du duc, le chef du Conseil de conscience,
ce qui 6tait provoquer une räaetion contre Tancienne politique reli-
gieuse; car Noailles 6tait Thomme des Jans£nistes, si durement
trait6s sous le dernier rögne 1 . Des Jansönistes marquants, l'abbä
Pucelle, l'abb6 Dorsanne, entrfcrent au Conseil de conscience. Le
t. Voir Huloirt de France, t. VIII, 1, pp 324 et *uiv.
6 >
Le Gouvernement deUbiratif des Conseils.
Regent ouvrit le Conseil de guerre au duc de Guiche, aux marquis
de Biron, de L6vis, de Puys6gur et de Joffreville, et celui de marine
aux marquis de Coätlogon et d'O.
Partout k cöt6 des gens d'6p6e, il mit des gens de robe : dans
les Conseils de guerre et de marine, les intendants Le Blanc,
Saint-Contest, Bonrepos, Vauvr6; dans le Conseil de finance, les
conseillers d'fitat Rouill6 du Coudray et Le Pelletier des Forts, les
maltres des requätes Gilbert des Voisins et d'Ormesson, le präsident
aux enqu&tes Dodun.
Voilä donc en präsence les deux noblesses, la noblesse de robe
et la noblesse d'6p6e, et aussi le regime ancien que repräsentent les
ci-devant ministres, les secrätaires d'£tat, les intendants, et le regime
nouveau que repräsentent les grands seigneurs. L'antagonisme £tait
certain. Les gens de robe, qui savaient leur valeur et la m6diocrit6
de leurs nobles coü&gues, n'entendirent pas se laisser primer par
eux. Ils contestfcrent la pr6s6ance k qui n'6tait pas au moins prince
ou duc. Ils refusörent de « rapporter » debout, au Conseil de R£gence,
k moins que tous les non princes ou non ducs ne se tinssent aussi
debout Le Regent dut chercher des 6chappatoires pour ne pas avoir
k se prononcer sur leurs prätentions
GENS DB ROBB.
III. — V (EU VRE DES CONSEILS, LE CONSEIL DE
FINANCE ET LE DUC DE NOAILLES (1715-1718).
L 'OEUVRE des Conseils n'est pas sans int6r£t. Le Conseil du
dedans a organise* le corps des Ponts et Chauss6es, qui a rendu
de si grands Services au xvni« siecle. II Ta composä de vingt et un ing6-
nieurs, qu'il a plac6s sous l'autoritä de trois inspecteurs, d'un inspec-
teur g6n6rai premier ingänieur, et d'un Dirccteur General, le marquis
de Beringhen. Le Directeur centralisait la correspondance des ing£-
nieurs et des intendants, faisait dresser les devis de travaux, les ötats
de d6penses, visait les certificats de räception de travaux. On a vu
au volume pr6c£dent T6tat des routes et des ponts '. Leur delabrement
venait de l'insuffisance d'ing£nieurs et du manque d'argent. Les
ponts construits au moyen Age tombaicnt en ruines. En 1714
s'lcroule celui de Charenton, en 1716 ceux de Blois et de Saumur,
en 1719 celui de Pirmil, k Nantes. Le Corps des Ponts et Chauss6es
rel&vera le pont de Blois, le pont de Pirmil, rcstaurera les ponts de
Charenton, de Chftteau-Thierry, de Toulouse, construira le pont du
LE CONSBIL DO
DBDANS.
LES PONTS
BT CHAOSSiBS.
1. Voir üisloire de France, t. VIII, 1, p. i5o.
La Rigence.
LIYRB PRBMIlft
C0NSB1L
DE CONSCIENCE.
AGITATION
JANS&N1STE.
Rhone, & Lyon; il dirigera les premiers essais d'une route de Cler-
mont-Ferrand & Montpellier, rectifiera la route de Bordeaux k
Bayonne, ölargira le canal de Briare.
Le Conseil de conscience fut celui qui attira le plus l'attention
du public.
Les Jans6nistes, qui avaient soutenu le duc d'Orl6ans contre
le duc du Maine par haine des Ultramontains, avaient applaudi
au choix fait du Cardinal de Noailles pour präsider ce Conseil. ils
entreprirent de l'entratner plus loin qu'il n'aurait voulu aller. Le
Cardinal envoya k Rome deux agents pour n£gocier une entente;
mais la Facult6 de Theologie de Paris ouvrit les hostilit£s en
döclarant la Bulle Unigenitus « enrcgistr£e, mais non accept£e » 1 . Les
6v£ques opposants de Mirepoix, de Sens, de Montpellier et de Bou-
logne soutinrent qu'elle renversait les fondements de la morale
chr6tienne, et ils exp6di6rent au Pape un huissier du Chätelet qui,
au Vatican m&me, et « parlant & sa personne », lui remit un appel
contre la Bulle sign6 devant notaires (1717). Des chanoines, des
cur6s, des religieuses en appetärent aux Parlements des excommu-
nications que leurs £v£ques avaient prononcäes contre eux. Les
magistrats bretons donn&rent le signal de la guerre contre les J6suites,
en leur ordonnant de faire la d£claration de leurs biens. Des bro-
chures excitaient les Jansönistes ä se conf6d6rer. Le Conseil de con-
science 6tait saisi d'une requGte oü Ton demandait la reconstruclion
de Port-Royal aux d6pens des J6suites; Noailles retirait ä la Cora-
pagnie le droit de pröcher, de confesser, möme de faire des cat6-
chismes et Ton chantait dans Paris :
La grAce effleace a pris le dessus.
Les cnfants d'Ignace ne confessent plus :
Ils sont chus dans la riviere,
Laire lanla,
Ils sont chus dans la riviere :
Ha! qu'ils sont bien lä!
Lairc lanla.
Fatigu6 de tant de bruit, le R6gent, par une döclaration du
7 octobre 1717, fit injonetion aux Parlements de poursuivre et de
punir les auteurs de « livres, libellcs, ou m6moires ». A ce moment, le
cardinal de Noailles, dont la nägociation avec le Saint-Si&ge n'avait
pas reussi, se retira du Conseil de conscience, et publia im appel de
la Constitution, que, sans oser d'abord le rendre public, il avait con-
sign6 sur les registres de son seerötariat. Aussilöt « appel6rent »,
comme lui, le chapitre de Nolre-Dame, presque tous les cur6s de
1. Voir Uiitoire de France, t. VIII, pp. 3a8, 339 et 33i.
( 8 >
cbap. PBcrntn Le Gouvernement diliberatif des Conseils.
Paris ei du diocese, des communautes s6culieres et r6guli&res, et
une foule d'eccläsiastiques, dont les noms furent proclam6s. dit Saint-
Simon, avec le bruit et le fracas que Ton peut « se repräsenter ».
Pendant que se rallumait ainsi la querelle jans£niste, le Conseil les protbstanis.
de Conscience conlinuait les rigueurs contre les protestants. Les
deTenses de vendre leurs biens leur furent renouveläes. Dans les
environs de Montauban et ä Anduze, des dragons surprirent des
assemblöes od Ton chantait des psaumes, operfcrent de nombreuses
arrestations, et les magistrats condamnerent les d£linquants soit aux
gal&res, soit ä la delention perpetuelle. Cependant Noailles avait eu
quelques vell&t£s liberales envers les protestants; peut-Gtre avait-il
un instant song6 k revenir sur la rövocation de T6dit de Nantes. II a
du moins indiqu6 cette id6c dans un rapport du 17 juin 1717.
Le Conseil de finance se trouva aux prises avec les plus terri- Situation
bles difficult&s. A la mort de Louis XIV, il y avait en tout et pour tout piNANcrtsB
sept k huit cent mille livres dans la caisse des Fermes generales, pour BN mt '
acquitter les arrerages du pass6, et fournir, k TH6tel de Ville, des
payements de quarante mille £cus par jour. Les revenus de l'exer-
cice elant £valu£s ä cent soixante-cinq millions, et diverses depenses
speciales ou des remises d'impöts en absorbant quatre-vingt-seize,
le Tresor ne disposait que de soixante-neuf millions pour faire face ä
une defense g^nörale de cent quarante-sept millions, ce qui dätermi-
nait un deficit de soixante-dix-huit millions. Pour comble de misere,
des soixante-neuf millions qui restaient ä encaisser, cinq seu lernen t
6taient libres; le reste 6tait absorbö par des anticipations. Sur les
revenus de 1716, huit ou dix millions seulemcnt paraissaient dispo-
nibles; presque la moiti£ des revenus de 1717 £tait aussi d6pens£e.
Pour vivre, le gouvernement se trouvait r6duit k emprunter quelques
millions ä des financiers.
Au total, le Conseil de Finance devait faire face aux charges la dbtte.
suivantes :
Billets de toute espece, 6numer6s dans la
Deklaration du 1 er avril 1716 596 696 959 livres.
Sommes depensöes par anlicipation 137 222259 —
Sommes dues aux fournisseurs de la Cour,
aux pensionnaires de lfitat, aux cräanciers du
munitionnaire Fargäs dont les fournitures
n'avaient pas 6t6 pay6es, etc 185 000 000 —
Rentes constitu^es (86009 310 1.), corres-
pondant k un capital d'environ 2000000000 —
Gages des Offices, et augmentations de gages
correspondant k un capital de 542063078 —
< 9 >
La Rege nee.
LIYRE PREMIER
CONSEJLLäß.
LE DOC
DE NOAILLES.
C'ötait quelque chose comme trois railliards et demi de livres de
dettes, soit plus de 10 milliards de notre temps.
la banqubroute Le duc de Saint-Simon conseilla de däclarer le Roi quitte des
dettes, c'est-ä-dire de faire simplement banqueroute. Les eräanciers
du Roi, disait-il, sont des financiers, des roturiers enrichis, et la
plus grande partie des trois Ordres doit pr6f6rer la banqueroute ä
une augmentation des impöts. Toute lhistoire antärieure explique
que Saint-Simon ait pu avoir cette id6e. Ceux qui la repouss&rent la
consid6raient plutöt comme dangereuse que comme d6shonn£te, et
les banqueroutes partielles, döcidäes bientöt par le Conseil de
finance, 6quivalurent a peu pr&s ä une banqueroute gön6rale.
Le chef nominal du Conseil 6tait le mar6chal de Villeroy; le
pr6sident effectif, et le prineipal inspirateur, le duc de Noailles.
L'inexp6rience de ses coll&gues et aussi lexp^rience consommäe de
Rouillä du Coudray, son conseiller de tous les jours, firent de lui le
prineipal financier de la R6gence.
Trfcs ambitieux, Noailles avait 6pous6 par calcul une ni&ce de
Mme de Maintenon. Spirituel et beau diseur, il « ensorcela » d'abord
tout le monde; mais, s'il y eut quelques bonnes parties dans son
administration, il ne fit guöre que manoeuvrer la vieillc machine et
couvrir de formes nouvelles les pratiques anciennes.
La premi&re Operation du Conseil de finance fut la revision
des effets royaux, laiss6s dans la circulation par le dernier gouver-
nement, parmi lesquels les billets de I'Extraordinaire des Guerres,
de la Marine et de F Artillerie, donn6s au pair par les trfeoriers et
les payeurs charges de la däpense, ou escompt6s ä perte, par ordre
du Roi, dans les besoins les plus urgents. On savait que beaueoup
faisaient double emploi; il fallait donc d6terminer avec certitude la
nature de chaeun d'eux, en m6me temps qu'ßtablir la somme totale
ä laquelle ils s'61evaient. Le Conseil, le 7 d6cembre 1715, confia Top6-
raüon de la vörification, le Visa, comme on disait, ä quelques-uns de
ses membres et ä des mattres des requ&tes. Les assignations de toute
nature et les ordonnances sur le Tresor ant&rieures au 1 er septembre
durent Ätre apport6es dans le d6lai d'un mois devant ces commis-
saires. II serait pourvu a la liquidation ou r6duction de ces effets, et
proc6d6 ä leur conversion en d'autres, qui prendraient le nom de
billets dfitat et porteraient intäröt & 4 p. 100.
Avant Topöration du Visa, il circulait cinq cent quatre-vingt-seize
millions d'effets royaux; aprös, ils furent repr6sent6s par cent quatre-
vingt-dix millions de billets d'ßtat. Les porteurs ainsi r^duils n'eu-
renl möme pas la consolation de possöder une valeur sftre, car le
remboursement ne leur 6tant que promis, et non assurö, les billets
LA REVISION
DES EFFETS
ROYAUX.
RESULTATS.
< XO >
cbap. ramm
Le Gouvernement dilib&ratif des Conseils.
baissörent de 40 p. 100. Ce fui une premi&re banqueroute partielle.
11 est vrai qu eile ne dut pas Ätre tr6s sensible, vu l'6norme döpräcia-
iioD que subissaieni d6ja auparavant les billets dEtat.
Une autre maniöre de banqueroute fut la suppression de ious les
oflices, dont le prix n'avait 616 vers6 par les d&enteurs que partiel-
lement : Offices de courliers, chargeurs, botieleurs de foin, mesu-
reurs de grains ei de farines, gourmets sur les vins, planchöieurs,
contröleurs de porcs, inspecteurs de veaux, inspecteurs ei lan-
gueyeurs de porcs, aulneurs de ioiles, etc. Louis XIV en avait
vendu pour soixante-dix-sepl millions a deux mille quatre cent
soixante et une personnes, qui se irouv^rent ainsi en parüe dlpouil-
I6es. Le public applaudit a la döconvenue des vaniteux qui s'6taient
crus officiers et cessaient de Y&lre, et il ne s'inquiöta pas du man-
quement aux engagements pris par le Roi.
Sept intendants de financc et six intendants de commerce furent
supprim6s, et Ton räduisit arbitrairement les gages des Offices cr&s
depuis 1689, bien que la jouissance en eüt £t6 vendue ä prix d'argent
et qu'il n'apparttnt pas & l'une des parties contraetantes de changer
ä son gr6 les Conventions 1
SUPPRESSIOXS
D'OFFICES.
L'op6ration la plus grave du Conseil de finance fut la eräation chambre
d'une Chambre de justice : Operation traditionnelle, agrlable a la DE justice (m$).
noblesse et ä la magistrature, toutes deux ennemies de la finance et
du faste des « publicains ».
La Chambre de justice s'installa aux Grands-Augustins, le
14 mars 1716. Elle 6iait compos6e de deux präsidents ä mortier,
MM. de Lamoignon et Portail, d'un procureur g6n6ral ä la Chambre
des Comptes, M. Fourqueux, de six maltres des requötes, dix con-
seillers au Parlement, huit mattres des comptes et quatre conseillers
& la Cour des Aides. Elle proc6da de la fa^on la plus explditive. Elle
dressa l'6tat de tous ceux qui, depuis vingt-cinq ans, avaient eu
quelque intäröt dans les emprunts, les fournitures, les fermes et les
taxes; eile les convoqua, ä reffet de däclarer la valeur de leurs biens
meubles et immeubles, 6dictant les peines les plus s£v£res contre les
dlclarations fausses ou seulement inexaetes, et oflrant des primes
auxd£nonciateurs; eile prononga la confiscation des deux septiömes
i. Ao meine moment fut piise une louahle mesure. L'usage de?» ecriturcs en partie
double, introdnit en France par les Italiens, depuis longtemps adopte par le commerce et
pralique arec Colbert dans la comptabilite du Tresor, fut applique a la Restion des fonds
publica, dans tous les pays d'clections. Les receveurs generaux et les recereurs des tailles
furent astreints 4 envoyer tous les quiuze jours au Conseil des flnances la copie de leur
li vre-journal ; ce qui donnait le moyen de prevenir les dätournements de fonds et la fraude
dans la comptabtlttft.
« ii >
La R&gence.
L1VRE PRBlimi
LA TBMBOB
DBS PÜBUCAISS
C0NDAMNAT10NS
BT BXEMPTIONS.
SOPPBBSSION
DB LA CHAMBRE.
näiwcrtos
DB RESTES.
environ des biens döclarös; eile usa de la torture, condarana au
carcan, k la prison, m£me k mort.
Devant la Chambre les dclateurs pullulenl. Samuel Bernard
n'ächappe aux poursuites que sur Intervention du Regent; on
d£nonce et on poursuil le financier Bourvalais; on incarcere les
notaires qui re$oivent en depöt Targent des financiers et refusent de
d^noncer leurs clients; on poursuil quiconque achete quelque chose
aux traitanls. II y a des gens qui, pris de panique, se suieident ou
essayent de se suieider. Au mois d'avril 1716, un homme d'affaires du
Marais, souvre le venire parce quil est cit6 ä la Chambre de justice;
en septembre, le traitant Gruet, condamng k Gtre expos6 au pilori,
cherche ä se pendre dans sa prison ; en octobre, un abbe* de Bran-
caccio, qui a trente mille livres de rentes et craint qu'on ne lui
demande d oü vient sa forlune, se jette k la Seine ; en octobre encore,
le receveur des francs-fiefs d'Orl£ans, ayant re^u ordre de l'intendant
d'avoir k rendre ses comptes k la Chambre, se noye dans un puils.
La Chambre de justice condamna quatre mille quatre cent dix
particuliers ä restituer 219478391 livres; mais, suivant la tradition
encore, beaueoup obtinrent par faveur des reduetions, et lfitat ne
recouvra pas m6me une centaine de millions. Un partisan, taxe k
douze cent mille livres, recut dun grand seigneur TofTre de le tirer
d'aflaire moyennant trois cent mille : « Vous venez trop tard, Mon-
sieur le Comte, r£pondit-il, je viens de faire march6 avec Mme la
Comtesse pour cent cinquanle mille ».
L'opinion publique s'indigna de ces scandales et revira. On
plaignit Paparel, tresorier de la gendarmerie, condamne" ä la d6ten-
tion perp6tuclle, et son fils räduit k la misere, tandis qu'un capitaine
des gardes du Regent, le marquis de La Fare, enrichi de leurs
däpouilles, menait grande vie avec des filles d'Op^ra; on plaignit le
faussaire Le Normand, que son geölier, pour quelques sous, laissait
souffleter par tout venant; on fletril la Parabere, mattresse du Regent,
qui speculait sur les arröls des juges; on se rövolta ä lidöe que des
agenls subalternes des ßnances fussent pendus en Limousin pour
dilapidation, tandis que de plus haut placäs se tiraient d'aflaire avec
de l'argent. La Chambre des Comptes de Paris, les Parlements de
Grenoble, de üijon, d'Aix et de Toulouse s'associerent aux protes-
tations du public. Puis, les industries de luxe, alimentees par le luxe
des traitants, se plaignirent. Noailles, cflrayä, fit rendre une ordon-
nance qui supprima la Chambre de justice en mars 1717.
Conform6ment k la tradition, toujours, le Conseil de finance
8>n 6tait pris aux rentes, au moins k Celles qui 6taient constitu£es
sur les recettes gene>ales. Comme, en 1713, les rentes sur l'Hölcl
< 12 >
CTAP. PREMIER
Le Gouvernement dilibiratif des ConseiU.
de Ville avaient 616 r6duites du denier vingt au denier vingt-cinq,
c'est-ä-dire converties de 5 k 4 p. 100, le Gouvernement fit observer
aux possesseurs de rentes constitu6es sur les recettes g6n6rales quils
devaient bien s'attendre k une r6duction, ie taux de leurs rentes au
denier douze 6tant d6sormais excessif, et il les r6duisit au denier
vingt-cinq. En outre, les rentes acquises depuis 1702 autrement
qu'en esp6ces subirent une r6duction sur le capital, r6duction qui
alla jusqu'ä lamoiti6 pour Celles qui avaient 616 acquises enli6rement
en papier. Le b6neficc total pour l'ßtat fut de vingt-qualre millions
et demi sur !e capital, et de plus de trois millions sur les arr6rages.
Noailles hesita, paratt-il,quelque temps ä pratiquer la refonte des
monnaies, mais il y fut contraint par la necessit6. Le 13 aoüt 1715,
Louis XIV avait prorais de laisser les monnaies sur un pied fixe et
immuable; et, le 12 octobre suivant, le R6gent avait renouvel6 cet
engagement. Or, en d6cembre, un 6dit annon$a une refonte nouvelle.
Les particuliers durent porter louis et 6cus aux hötels des monnaies;
les louis, qui valaient quatorze livres, furent regus pour seize, et les
6cus de trois livres et demie pour quatre. L'fitat devait frapper des
louis et des 6cus nouveaux, du m£me poids, dont il fixait la valeur k
vingt et k cinq livres. Le num6raire frangais s'61evant ä un milliard
ou douze cents millions, le Conseil se promettait un b6n6fice consid6-
rable. Mais le public ne porta k la refonte que le tiers des espfcces, et
le Tr6sor gagna tout au plus 90 millions. Puis les faux-monnayeurs
redoubl6rent d , activit6, et le commerce, troubl6 de toutes fa<;ons,
perdit dix fois plus que ne gagna le Tresor.
Noailles fit au moins un eflort pour substituer la laille propor-
tionnelle k la taille arbitraire dont Boisguilbert et Vauban avaient
montr6 tous les vices. II invita le public ä donner son opinion sur la
r6 forme, et il 6lablit une commission, un « Bureau de räverie », —
comme on lappela, — pour examincr les mömoires qui proposeraient
les moyens de « diminuer les charges de l'£tal, de faciliter lc com-
merce, de procurer le soulagement du peuple et l'avantage du
royaume». II vint des mömoires du comte de Boulainvilliers, de
Tabb6 de Saint-Picrre, d'un ancien officier de marine du nom de
Henaut et de beaueoup dautres. La plupart reprenaient les id6es de
Boisguilbert et de Vauban, et tous concluaient k l'ötablissemenl
dune imposition proporlionnelle sur le revenu.
Un essai d'imposition proportionnelle fut fait k Lisieux, en vertu
d'un arröt du Conseil du 27 d6cembre 1717; il r6ussit tr6s bien. Un
autre eut m£me succ^s k Evreux, en 1718. Pour asseoir l'imposition
on elablit cetle r£gle que chaque mötier ou profession payerait
une somme d6termin6e, que cette somme serait r6partie entre les
REFONTE
DBS MONNAIES.
LE - BUBE AU DE
EBV BRIE •.
ESSAI
DIU POSITION
rROPOR-
TIONNBLLE.
i3
La Rege nee.
LlVIlt PRBMIIB
SVPPBESSIOS
/>£/ ÜIXIEME.
laillables exer$ant le mutier ou la profession, que chaque individu
serait tax6, soit en raison de ses produits, soit en raison du nombre de
ses employ£s. Dans la g6n6raliL6 de Paris, l'imposition dchoua ; les
paysans räsisterent parce qu'on ne se conlenla pas de les imposer
pour leur culture; on voulut les laxer pour le mutier que beaueoup
d'entre eux y ajoutaient. Le conseil ne jugea pas utile de faire une
application gänärale de l'imposition proportionnelle, ei se d6sint6ressa
des villes oü eile avait räussi. Mais, dans la g6n6ralit6 de La Rochelle,
il exp£rimenta un autre Systeme qui rappelait la Dirne royale : par
arrÄt du 20 juin 1718 il fit lever une dlme en nature sur les produiU
de la terre, et une redevance en argent sur les bön6fices tires du
b4tail et du m6tier. Les 6valuations des produits et des b6nefices
provoquörent de telles protestations que la räforme fut aban-
donnöe.
Louis XIV avait promis de supprimer le Dixi&me. Pour Ätrc con-
säquent avec la doctrine de la proportionnalitä des charges, on aurait
du le maintenir. On apprähenda de m6contenter les nobles, et un
6dit du 17 aoüt 1717 döclara le dixi&me supprim6 ä partir de jan-
vier 1718. En somme, le Conseil de finance n'avait rien r6form6;
il avait pratiquä les banqueroutes partielles. Par une 6conomie rigou-
reuse, des diminutions de pensions et des suppressions d'ofßces,
Noailles avait un peu relev6 les finances. La dette consolid6e, pour
73 millions de rente annuelle, 6tait encore de 1 825 millions, la dette
flottante de 343 millions. En persistant dans le programme d'£cono-
mies du duc de Noailles, on pouvait entrevoir le temps oü lfitat sor-
lirait de ses embarras. Mais cette politique prudente et ä loinlaine
6ch<tance n'6tait faite pour plaire ni au Regent, ni ä l'opinion.
IV. — L'ABAISSEAfENT DU PARLEAIENT DE PARIS
U7'*).
*ESS<*Vl'FSlliS
DE LA mo.SÜE.
PELT-ßTRE les Conseils auraient-ils disparu plus tot, si le Par-
lement de Paris ne leur avait pas fait une Opposition que ne
voulurent toterer ni le Regent, ni les deux hommes qui s'appr&taient
ä recueillir la succession de ces Conseils, Dubois et Law.
Au Parlement, aprös le long silence que lui avait impos£
Louis XIV, le Rogen t avait rendu la parole par une promesse faite
dans la stance du 2 septembre 1715, et par la döclaration du 15 du
mftme mois. Le Parlcment n'avait rien oubli£ de ses droits ni de ses
pnHentions. Justement parurent alors les Memoires de Mme de Mot-
teville et ceux du cardinal de Retz qui raviverent le Souvenir de la
< 14 >
CHAP. PRIMIIB
Le Gouvernement deliberatif des Conseils.
RBMONTRANCBS
DO PARLEMENT.
derni&re R6gence, oü le Parlement avait, un moment, tenu töte au
Roi. Ces M6moires a tournfcrent toutes les tÄtes ». On voulut y recon-
naltre les contemporains. De l'6tranger Law on Gl un Ma zarin, un
Broussel du Premier President, un Beaufort du duc de Villeroy, et,
du parti du duc du Maine, une Fronde nouvelle; enfm la faiblesse du
Regent rappelait celle d'Anne d'Autriche.
En septembre 1717, le Parlement ßt des remontrances sur divers
6dits bursaux et, sur la proposition du pr6sident Lambert, par cent
vingt-cinq voix contre cinquante, il däcida de demander communi-
cation des 6tats de revenus et d&penses du Roi depuis Touverture
de la R6gence. Le Regent commen^a par se fftcher; mais bientftt il
entra en pourparlers avec les magistrats, et appela au Palais-Royal
les commissaires qu'ils avaient nommäs pour v6rifier les 6dits.
Les commissaires s'assirent autour d'une grande table oü pr6si- parlbmentaires
dait le Regent ayant k sa droite le Chancelier, k sa gauche le Premier Aü mms-royal.
President. Le duc de Noailles 6tait 1& avec ses registres. Le Regent
s'exprima « avec beaucoup de grftce et de politesse », promettant de
donner k ces Messieurs « tant d'6claircissements qu'ils voudraient »;
Ton ne pouvait, ajoutait-il, juger sainement ses 6dits sans connattre
la Situation iaiss£e par le döfunt Roi. Puis Noailles exposa T6tat des
dettes, et prouva, pi&ces en main, qu 1 il 6tait forc6 de « grappiller »
de tous cöt£s. A la ßn ce fut, entre le Regent et les Parlementaires,
comme un « combat d'honn6tet£s et de civilitgs ». A vrai dire, le
Parlement avait gain de cause, puisqu'on lui donnait communication
des affaires d'fitat.
Pour se döbarrasser de cette Opposition et de ce contröle, le
Rogen t voulut mettre k la töte de la magistrature un homme capable
de la dompter. D'Aguesseau, chancelier depuis la mort de Voysin
(1717), homme d'esprit, cultivä, pieux, paisible, n'6tait pas propre
k cette besognc. En janvier 1718, on lui enleva les Sceaux pour les
remettre au lieutenant de police, d'Argenson.
D'Argenson f avait fait de la lieutenance de police une sorte de
ministere\ et, de la police, « une inquisition transcendante », dit Saint-
Simon. qui donne de lui ce portrait :
• Avec une figure effrayante, qui retracait celle de» trois juges de» enfers,
il s'£gayait de tout avec supe>iorite d'esprit et avait mis un tel ordre dana cette
i. Argenson (Marc -Rene, marquia <f). ne en i65o. mort en 1791. laissa deux fils ; —
flene-Louis, marquis d'Argenson, ne le 18 octobre 1694. mort le 26 janvier 17&7, devait
etre Intendant du Ilainaut (17» et secre Loire d'Etat den Affaires etran«eres (1744-1747); —
Marc- Pierre, comte d'Argenson. ne le 16 noüt 1696, mort le sa aout 1764« devait etre Heute*
nant-general de polirr (1700). conseiller d Etat (172V. «ecretaire d'Etat de la guerre (174a-
17G7); — de Marc Louis d'Argenson devait naltre Marc-Antoine-Rene, qui fut marqui» de
Paulmy <i7»-i7&7).
x Voir Histoirt de Franct. t. VIII, 1, p. \Co.
i i5 >
LE GARDE DES
SCBAOX
D'ARGENSON.
LE CHANCELIER
D'AGÜBSSEAO
La Regence.
livhi rammt
DT AUGES SOS BT
LE PABLEUENT.
BEFOSTE
DES MOSSAIBS.
Lt GH AS ÜB
OF PO SU WS DU
PARLEHEST,
LE TOS DBS
BJUIOSTIUSCBS.
innombrable multitudede Paris, qu'il n*y avait nul habitant, dont, jour par jour,
il ne sot la conduite et les habitudes, avec un discernement exquis pour appe-
santir ou alleger sa main, ä chaque aftaire qui se presentait, penchant toujours
aux partis lcs plus doui, avec l'art de faire trembler les plus innocents devant
lui; courageux, hardi, audacieux dans les Erneutes, et, par la, maltre du peuple.... •
D'Argenson s'etait assurä des amili£s solides & la Cour, en
cachanl au feu Roi cerlaines aventures des fils de grande maison.
11 avail une revanche ä prendre contrc le Parlemenl. La Chambre
de justice, composäe en partie de Parlementaires, avait failli le
a d6cr6ter », sous prätexte de mal versation ; plusieurs de ses agents
avaient etö arrötes. ü'ailleurs, il avait le tempe>ament anti-parlcmen-
laire, 6tant« royal et fiscal », « ennemi des longueurs inutiles ». En
m^rne teraps que garde des sceaux, il devint pr£sidcnt du Conseil de
finance. Noailles, en effet, dut quitter cette prösidence; il subordonnait
de rälablissement de Tordre financier au maintien d'une stricte 6co-
lnomie, tandis que l'ficossais Law, qu'on retrouvera bientöt, devenu
chef d'une banque d'escompte et dune Compagnie d'Occident, affir-
niait pouvoir libcrer lßtat de ses dettes, pourvu qu'on lui permlt
d'appliquer aux finances dßtat les methodesqui faisaientle succesde
sa banque et de sa compagnie. Le Regent se prononga dans le sens
de Law, et donna la directiondes finances ä d'Argenson, donll'incom-
peHence en cette partie 6tait notoire, mais qui devait laisser libre
carriere ä Law.
D'Argenson proceda ä une nouvelle refonte des monnaies.
Un editde mai 1718 prescrivit la fabrication de nouveaux louis
et de nouveaux exus; les louis devaient valoir trente-six livresaulieu
de dix-huil, et les ecus six livres au lieu de quatre livres dix sous.
Ledit ajoutait que quiconque apporterait du numerairea THölel des
Monnaies, et y joindrait, en billets d'Etat, une somme ögale aux
deux cinquiemes de son numöraire, scrait rembourse du tout en nou-
vclles especes.
Le Parlemenl, qui se sentait menacö par d'Argcnson et qui
d'aillcurs d<Mcstait Law, saisit l'occasion pour prendre contrc les
deux loflensive. Leklit de mai n'avant <Re portö qu'ä la Cour des
monnaies, il s'assembla tuinultuairement et nomma des commis-
saires qui conclurentä la convocation de toutes les cours souveraines
et deinanderent que Ton consultal sur la refonte des monnaies les
six corps des marchands et les principaux banquiers. La Chambre
des Comples, la Cour des Aides, la Cour des Monnaies parlaient
d'aller deliberer avec le Parlemenl.
()n peut juger du bruit qu auraient fait ces corps r^unis, par le
ton des remontrances arrölces, le 17 juin, dans le Parlemenl. Ledit
16
Le Gouvernement dilibiratif des ConseiU.
de refonte y est qualifte de « spoliation » ; les däpenses de chaque
pariiculier vont augmenter, disent-elles, « avec le prix des denräes » ;
l'ätranger va faire sur nous des b6n£fices « immenses », car le Fran-
$ais, en recevant vingt-cinq livres, « valeur reelle du marc d'argent,
devra rendre k un prftteur 6tranger soixante livres pour s'acquitter » ;
tout au contraire, Tötranger remboursera chez nous ses dettes « au
tiers de ce quil aura re$u ». Trois jours apr&s, le Parlement döfendit
aux particuliers d'exposer, de livrer ou de recevoir les esp&ces de
nouvelle refonte, les däciarant illegales, puisqu'il n 'avait pas enre-
gisträ T6dit de mai. Le Regent mit alors dans la bouche du Roi une r&ponsk du roi
severe räponse :
• Les lois n'ont besoin que de la volonte Beule du souverain pour Ätre loig.
Leur enregistrement dang les cours n'ajoule rien au pouvoir du legislateur.
C'est seulement un acte d'obelssance indispensable dont les cours doivent tenir
et Üennent sans doute ä honneur de donner l'exemple aux autres suJets. »
Mais le Parlement räpliqua par des remontrances et rendit, le
12 aoüt, un arrGt interdisant a tous 6trangers de s'immiscer « direc-
tement ou indirectement » dans le « maniement et administration des
deniers royaux ». Et il fit instrumenter contre Law, qui alla se r6fu-
gier au Palais-Royal.
II fallut bien recourir au grand moyen, le lit de justice. Le ut de justice
26 aoüt, le Parlement fut mandä aux Tuileries, oü habitait le Roi. ooHAOürmt.
II y alla k pied, espörant sans doute Imouvoir la foule; mais les
gardes du corps, les gendarmes, les chevau-l£gers, les mousque-
taires noirs entouraient les Tuileries.
Le lit de justice avait un double objet. II s'agissait de casser les
arräts du Parlement sur les 6dits de finances, et de donner satisfaction
aux requötes des princes du sang et des pairs qui protestaient contre
les prärogatives attribuäes aux tegitimäs 1 . Un 6dit de juillet 1717
avait d6jä d£pouill6 ces princes du droit de succession a la Cou-
ronne ; le Regent prgtendait les ramener au rang que leur assignait
la date d'6rection de leur pairie, et ne conserver le droit de pr6-
s£ance, k titre personnel et viager, qu'au comte de Toulouse, chef du
Conseil de Marine, et gäneralemenl aim6.
D'Argenson pr6senta les 6dits au Parlement, qui les enregistra de
lexpr&s commandement de Sa Majest6. Quand les magistrats, dit
Saint-Simon, virent en face d'eux leur ennemi « revfttu des ornements
de la premi&re place de la Robe » les effa^ant tous, et leur faisant
« le$on publique et forte », ils deHournfcrent leurs regards « de dessus
i Voir Histoirt de France, t VIII, 1. p. 470
« 17 >
viu. 2. 2
La Rigence. livrb premiu
cet homme qui imposait si fort ä leur morgue,... rendus stupides par
les siens, qu'ils ne pouvaient soutenir ». Revenus au Palais, ilshasar-
derent une proteslation contre tout ce qui s'etait pass6 au Hl de
justice. La r6ponse du gouvernement fut larreslation d'un president
et de deux conseillers qui furent envoy^s aux lies Sainte-Marguerite.
Le Parlement se tut pour un temps.
UOPINION
PUBLIQUE ET
LBS CONSEILS.
ONB LETTRE
DB DÜBOIS.
V. — LA RUINE DES CONSEILS (17 18-1720)
GEPENDANT le travail 6tant s6rieux et aride dans los conseils,
les seigneurs commcngaient k les döserter, et, les affaires tral-
nant en longueur, les conseils devenaient impopulaires. On s'aperce-
vait d'ailleurs qu'il fallait, dans chaque Conseil, la prödominance
d'une volonte. Le präsident du Conseil de finance en venait k exposer
seul les questions importantes ; le pr6sident du Conseil des affaires
elrangeres prenait seul connaissance des döpöches du dehors. Peu
k peu, le Regent cessa de porler devant le Conseil de RSgence les
deliberations sur la guerre, les finances ou la polilique extßrieure.
Les präsidcnts des Conseils avaient leurs jours marqu6s pour lui
rendre compte du detail de leurs d6partements, el jouaient aupres de
lui le röle de ces secrätaires d'Etat qu'on avait prätendu supprimer.
La röforme de seplembre 1715 menacait ruine. Saint-Simon deTendit
les Conseils aupres du Regent, lui montranl qu'ä « faire et däfaire »
son gouvernement ne pouvait gagner « le respect et la conßance »,
ni des Francais, ni des ölrangers; mais il jugeait lui-meme qu'ils
6taient condamnös : celui de marine est de venu, disait-il, « fort
vide el tres inulile » ; celui de conscience « ne peut plus subsister » ;
celui du dedans « ne tient qu'ä un bouton »; celui de guerre est
« une peHaudiere ».
L'abb6 Dubois ßt le proces aux Conseils dans une lettre au
Regent, oü il donne contre eux diverses raisons :
« Je n'examine pas la theorie des Conseils. Elle fut, vous le savez, l'objet
idolatre des esprits crem de la vieille Cour. Hurailies de leur nullite dans la
fin du dernier regne, ils engendrerent ce Systeme sur les reveries de M. de
Carabrai. Mais je songe ä vous, je songe & votre interöt. Le Roi deviendra
raajeur. Ne doutez pas qu'on ne l'engage ä faire revivre la maniere de gou-
verner du feu Roi, si commode, si absolue, et que les nouveaux 6tablissemens
ont fait regretter. Vous aurez Paffront de voir detruire votre ouvrage... Sup-
primez donc les Conseils, si vous voulez 6tre toujours necessaire, et hätez-
vous de remplacer de grands seigneurs, qui deviendraient vos rivaux, par de
simples seerätaires d'£tat qui, sans credit et sans famille, resteront forcement
vos crealures » (aoüt 1718).
< 18 >
OUP. PBIM1BR
Le Gouvernement diübiratif des Conseils.
Les Conseils trouv&rent un avocat aupr&s du public; I'abb6 de
Saint-Pierre, en avril 1718, publia son Discours sur la Polysy-
nodie, qui fit grand bruit; car, pour louer le regime d61ib£ratif, il
s'en prit ä l'absolutisme de Louis XIV et ä la tyrannie des secrätaires
d'fitat, ces « vizirs ». Les d6bris de la vieille Cour, Mme de Main-
tenon, le marächal de Villeroy, s'6murent. L'Acad^mie frangaise qui,
depuis soixante ans, äpuisait les formules de louanges en l'honneur
de Louis XIV, s'indigna qu'un de ses membres appelat le feu roi
non plus Louis le Grand, mais Louis le Puissant, et Louis le Redou-
table. Le cardinal de Polignac dönonga Tabb6 ä la Compagnie, qui
prononga contre lui l'exclusion.
II fallait une occasion pour rätablir les secr6taires dfitat. Le
cardinal de Noailles la fit nattre en donnant sa dömission de p resident
du Conseil de conscience le 16 septembre 1718; ce Conseil fut dissous;
ceux des affaires ötrang&res, de guerre et du dedans le furent huit
jours apr&s. L'abb6 üubois devint alors secr6taire d'Etat des affaires
6trang&res par commission, la Charge de ce d6partement demeurant
supprimöe. Le Blanc dirigea le minist&re de la guerre par commis-
sion aussi, le titulaire de la charge 6tant toujours D'Armenonville.
La Vrilltere « releva » sa charge de seerötaire dfitat de la religion
pr6tendue r6form6e, Maurepas celle de seerötaire dfitat de la Maison
du Roi.
Le Conseil de R6gence subsista jusqu'en 1723, oü Ton rötablit
l'ancien Conseil d'en haut. Par 6gard pour le comte de Toulouse, le
Conseil de marine fut consent jusqu'en mai 1723. Le Conseil de
finance disparut aprös la chute de Law et le Etablissement d6finitif
du contröle g6n6ral; ou, du moins, un nouveau Conseil instituö
en 1722 ne fit que restaurer lancien Conseil du temps de Colbert.
La m£me ann6e, le « Bureau du commerce » rempla$a le Conseil de
commerce, dissous ä la suite du proc&s intent6 a son präsident, le
duc de La Force, pour crime d'aecaparement de denräes. Le Bureau
du commerce fut composö de vingt-deux membres, dont huit d6l6gu6s
des nlgociants du royaume, et deux d616gu6s de la Fenne g£n£rale.
Ainsi, Ton revint au regime de Louis XIV. L'essai de lempärer
le pouvoir royal et d'associer au gouvernement des gens d'6p6e et des
gens de robe, r6unis dans des Conseils de gouvernement, n'avait pas
räussi. Les causes de l'6chec furent diverses et nombreuses : incapa-
cite de beaueoup de ceux qu'on y associa ; incompatibilitä d'humeur
entre les deux catägories de conseillers, entre r£p6e et la robe ; indif-
Krence du public, apr&s l'engouement des premiers jours ; mädioere
bonne volonte du Rogen t; Opposition des hommes qui voulaient, par
interötpersonnel, le Etablissement des ministöres;enfin, insuffisance
DEFENSE
DBS CONSEILS
PAR VABBä
DE SAINT-PIERRB.
DISSOLUTION
DE PLÜSIBÜRS
CONSEILS.
RESTAURATION
DBS SBCRBTAIRBS
ITETAT.
PBRSISTANCB
DB CBRTAINS
CONSEILS.
CONCLOSION SUR
LES CONSEILS.
«9
La RSgence. uyhb premuui
d'uoe räforrae qui ne donnait pas le regime repr&enftatif ni ne per-
meitait un contröle sörieux du gouvernement. En somme, l'id6e
vague qu'il y avait ä faire du nouveau s'ttait produite ä la fin du
rögne de Louis XIV, alors qu'6taient apparues dairement, par taut
de signes graves et inquiltants, les coDs6quences de rabsoluüsme
royal. A cette id6e, on avait youlu donner quelque satisfaction ; puis,
bien vite, on l'avait abandonn^e. Louis XV rägneradoncsur le modele
de Louis XTV. Mais d6jä le regime ötait condbmn6 par beauooup
d'esprits. Pour lui rendre I'ancienne &tveur, il aurait fallu que le
successeur de Louis XIV füt le monarque parfait; encore cela peut-
Gtre n'aurait-il pas suffi.
< 10 >
CHAPTTRE II
LE SYSTEME DE LAW 1
I. LIS ANTtaftDENTO DI LAW. — II. LA BAltQUB GfaftRALB (1116-1118)
IT LA GOMPAONIB DOCCIDENT (1111-1119). — Ul. LA BANQÜE ROTALI (1118-1120), LA
OntPAttNR DBS INDES IT SA FUSION AVEC LA BANQUI ROTALI (1119-1120). — IT. LE8
▼IOLKfGII DI LAW ET LA FIN DU 8TSTEMB. — V. LIS RESULTATS DU 8T8TIMI. — Tl. LA
LIQUIDATION PAR LI VISA (1121-1122).
/. — LES ANT&C&DENTS DE LAW
LAW lient une place considärable dans Thistoire de la R6gence. law (tai-n»).
II a remu6 plus d'int&röts et de passions qu'aucun de ses
contemporains; il a pass6 successivement pour un bienfaiieur de
rhumanitä et pour un ennemi public.
Fils d'un orftvre d'fidimbourg, que les Operations de change et SBS ohicinbs.
d'escompte avaient enrichi, il se disait, par sa m&re, alli6 k la maison
ducale d'Argyll. II avait re$u une 6ducation distingu6e et, tout jeune,
monträ des aptitudes singuli&res pour les choses de finances. II 6tait
« plus beau », dit Michelet, « qu'il n'est säant ä un homme de l'6tre »,
i. Sotmcss. Isambert, Borat, Saint-Siraon, Law, deja cit*s.
Do Haulchamp, HUtoire du Systeme des Finances wous la minoriti de Louis XV, pendant
les annies HI9 et I7S0, La Haye, 1789, 6 vol. Du meme : HUtoire einträte et par tic altere dm
Visa, La Haye, 1748, 4 vol. in-12. Barbier (Avocat), Chroniqae de la Rigence et da regne de
Louis XV 00 Journal, Paris, 1857. 8 toI., et edit p. p. de La VilleglUe dans la 80c. de l*hlst
de France, 1849-1866, 4 vol. Daclos, (Eueres compleles, Paris, 1821, 3 vol., t. III (AMmoirat
•eereU sur fc regne de Louis XIV, la Rigence et le regne de Louis XV). Monfle d'ABgerTille,
Vieprioie de Louis XV, Londres, 1788, 4 vol., t. I.
Outrages ä consulter. Lemontey, Lacretelle, Jober, Michelet, Bailly, Clamageran,
Ceextois, Vuitry, et surtout Lerasseur, deja cttes.
Cochut, Law, son Systeme et son ipoque (W*-#7M), Paris, 1868. Thiers (Ad.), Bisloire de
Law et de son Systeme, Paris, i858 (art. de r ■ Encyclop£die progressive •, 1828). Clement, Por-
troik hisioriques (Jean Law), deja cit*. Daire, Notiee historique (Bconomistes da mu» sieete).
Janze (Mme de), Les financiers d'aulrefois, Paris, 1888. Du Fresne de Francherille, Hietoire
4e\ la t eompagnie des Indes (t. III de VHistoire ginirale et particuliere des finances, 1788-17401
3 vol.). Bonnassieux, Les grandes compagnks de commerce, Paris, 189a. Weber (Henry)* La
compagnie francaise des indes, Paris, igo5. Sainte-Beuvc, Nouveaux Lundis, t IX (Journal
de Matbien Marals).
« ai >
La R&gence
LIVBE PREMIER
SBS AVBNTURBS.
S&JOÖR
BN HOLLANDS.
&TÜDES
BT VOTAGBS.
LBS tOteS
DB LAW.
grand, bien fait, le front haut, le regard trfcs doux, la bouche sou-
riante, la parole söducirice.
A Londres, oü il se rendit k la mori de son p6re, en 1691 f il mena
la vie de fötes, eut des intrigues amoureuses, dissipa son bien, iua
un homme en duel, fut arr6t6, condamnä k mort, gracte, ressaisi sur
les instances des parents de sa victime, et mis k la Tour d'oü il
s'ävada pour gagner la Hollande en 1695.
II s'6tait sans doute int6ress6 aux d£buts de la banque d T Angle«
terre, qui fut cr66e k Londres en 1694, tandis qu'il y s6journait. A
Amsterdam, il 6tudia k fond la fameuse banque, vieille d'un siöcle
d6j&, et dont le möcanisme 6tait cependant encoreä peu pr&sinconnu
en Europe. II acquit des nolions pr6cises sur le capital, les produits,
les ressources de cettc banque, les comptes que les particuliers
avaient avec eile, la distribution de ses fonds, l'ordre quelle mettait
dans ses registres et ses bureaux, et toute la forme de son adminis-
tralion.
II se mit k jouer sur tous les effets publics d'Europe, et refit trfcs
vite sa fortune. En m6me temps, d'ailleurs, il pratiquait k la mode du
temps d'autres jeux, la « Bassette », le « Pharaon »; m&me il fut
accus6 d'y räussir en trichant.
Continuant d'6tudier et d'observer, il acquit, sur les causes et
sur la distribution de la richesse, des connaissances tr&s 6tendues,
k un moment oü personne ne pcnsait qu'il y eüt \k mati&re k une
science. Peu k peu, il se crut appel6 k remplir quelque part le röle
d'un röformateur. II visita Venise, Gönes, Florence, Naples et Rome.
II retourna en ficosse en 1700, au moment oü Ton essayait de recon-
stituer k fidimbourg une banque dont les premiers essais n'avaient
pas r6ussi. II pr6senta au Parlement d'ßcosse un memoire, les Con&i-
dirations sur le numiraire et le commerce (1700).
Le point de d6part de tout son systfcme est dans cet 6crit. (Test
l'usage de la monnaie, dit-il, qui a tir6 les hommes de la vie barbare,
et ce sont les progrfcs de cet usage qui marquent les 6tapes de la civi-
lisation. Sans monnaie, il n'y a pas de commerce, et, plus on augmen-
tera la quantit6 de la monnaie, plus on multipliera les 6changes.
(Test gräce k leur numöraire que les Hollandais « fönt le monopole
du commerce de transport, m£me au pr6judice des Anglais ». Plus
le num6raire se meut rapidement, plus il rend de Services, car une
möme somme, en passant dans la caisse de dix nägociants, les enri-
chit ä tour de röle, et cnrichit du möme coup la nation; au Heu que,
si eile reste entre les mains d'un seul, eile ne sert k rien. Or la mon-
naie n'est autre chose que la mesure avec laquelle on övalue les
marchandises. L'or 6tant rare, et Targent trop lourd pour les grands
c aa »
PREMIER SiJOÜR
A PARIS.
n Le aysthme de Law.
maniements, on peut leur pr6f6rer une monnaie de transpori facile,
repr&entant de grosses sommes sous un peiit volume, la monnaie
de papier. La Hollande et l'Angleterre doivent l'immense d6veloppe-
meni de leur industrie et de leur commerce ä l'abondance de leur
monnaie de papier. La sup6riorit6 du papier sur Tor et l'argent vient
justement de ce qu'il na pas de valeur intrins&que, tandis que les
m&aux, 6tant eux-mßmes des marchandises, ne remplissent que par
abus le röle de moyens d'6change.
En consäquence, Law propose au Parlement d'ficosse d'6tablir
une banque territoriale qui prlparerait le r&gne du papier.
Ce Parlement ayant repouss6 son projet, il se retourna vers TAn-
gleterre, qui ne lui fit pas meilleur accueil. II se remit ä voyager, et
arriva en France en 1708. II « tailla » le Pharaon « chez la Duclos,
tragädienne en vogue, chez Pokson, rue Dauphine, et ä lhötel de
Gesvres, rue des Poulies ». II n'apportait pas moins de cent mille
livres en or, chaque fois qu'il devait tailler; et, samain ne pouvant
contenir la quantitä d'or qu'il voulait « masser », il se servait de
jetons, dont chacun faisait bon pour dix-huit louis.
II entra en relations avec le duc d'Orläans, qui aimait les esprits
inventifs, et se fit präsenter par lui au contröleur g£n£ral Desmaretz.
II avait eu d&ja des entrevues avec celui-ci quand le lieutenant de
police, d'Argenson, l'expulsa comme trop bon joueur.
Law alla porter ses plans ä la Savoie et ä TEmpereur, qui les retour a rares.
d£daign6rent. A la mort de Louis XIV, il pensa pouvoir compter sur
la bienveillance du duc d'Orteans, et revint en France. La France,
dont le träsor 6tait vide, et qui n'avait encore guöre fait lexp^rience des
banques, 6tait le pays oü il avait le plus de chance de räussir. II 6tait
r&olu a y essayer une grande nouveautä. A Venise, Barcelone, Gßnes,
Nuremberg, Amsterdam, Rotterdam, Stockholm, Copenhague, Lon-
dres, fidimbourg et Vienne, il y avait des banques, soit de däpöt,
qui 6mettaient des billets au porteur contre d£pdt de m6taux pr£-
cieux; soit de circulation, qui 6mettaient des billets faisant office de
monnaie, sans 6tre repr6sent6s exactement par une encaisse äquiva-
lente; la banque Palmstruch, a Stockholm, en 6mettait pour une
somme trfcs sup6rieure & son encaisse. Tous ces Etablissements Staient
comraandites par des particuliers ; c'Etaient des compagnies. L'ori-
ginalite de Law fut d'avoir voulu cr£er une banque commanditee par
1 Etat. Sa doctrine est exposäe dans les « Consid^rations » dont il vient
d'fttre parte, dans deux « Mämoires sur les Banques », publikes
en 1715, dans quinze « Lettres » adress^es au Regent, trois lettres
« Sur le nouveau systfcmc des finances » et un « Memoire sur l'usage
des Monnaies » publiös en 1720.
LES iCRITf
DB LAW.
23
PROJET DE
BANQUE ITäTAT.
La Regence. liyhe pRsinni
En 1716, Law präsente le projet d'une banque d'fitat au Conseil.
D'apres ce projet, Ttätat sera le seul d£positaire de l'argentdes parti-
euliers, le seul banquier, le seul commercant de France. 11 creera
des valeurs ä cours legal, mettra le credit ä la portee de ioul le
monde, suscitera de grandes entreprises, d£veloppera partout le
travail et la richesse. II remboursera la dette publique et toutes les
charges; il abolira les impöts, car l'fitat vivra des beneÜces de la
banque, et Tusure disparattra; le däcri de l'argent en reduira sans
cesse l'int6rel.
Le projet fut repousse* en avril 1716. Une des objections fut que,
bon pour les Anglais, chez qui la Monarchie 6tait contrölle par un
Parlement, il serait dangereux en France, oü le Gouvernement, par
toutes sortes de raisons, serait tent6 d'abuser de l'argent d6pos6
dans les caisses. L'opposition etait d'ailleurs conduite par le duc
de Noailles, qui craignait en Law un rival.
//. — LA BANQUE G&N&RALE ET LA COMPAGNIE
DOCCIDENT {1716-1719)
LA BANQUE
GäNÖRALB
LAW descendit ä des prelentions plus modestes. II obtint, le
2 mai 1716, des lettres patentes qui creaient la Banque g£n£-
rale, compagnie financiere au capital de 6 millions. Law 6mettait
douze cents actions ä 5000 livres; il appelait le capital par quart;
chaque quart devait etre verse* 25 p. 100 en especes, et 75 p. 100
en billets d'£tat. Law promettait ainsi de retirer de la circulatien
pour 4 millions 500000 livres d'un papier fort decrte, puisque ces
billets perdaient environ 75 p. 100, et la Banque raffermissait le
credit avant raeme de commencer aucune Operation. Au reste les
actionnaires neurent ä verser que le premier quart, c est-ä-dire en
especes 375 000 livres, et, en billets d'fitat, 1 125 000 livres.
La Banque generale fut dirigee par Law habilement et honnele-
par la banque. m ent; la comptabilitä y fut rigoureuse; parmi les collaborateurs de
Law 6tait le Lyonnais Barröme. La banque avangait des fonds aux
commercants et escomptait leurs lettres de change; eile encaissait et
payait au lieu et place des particuliers, moyennant un droit de cinq
sous par mille £cus; eile Emettait des billets payables en 6cus de
Banque, c'est-fc-dire en especes, du poids et du titre qu'avaient
les ecus le jour de sa creation. Elle protegeait les ndgociants
contre les brusques changements des monnaies et contre Tusure.
Le privilege dont eile jouissait, pour vingt ans, empÄchait qu'aucun
Etablissement semblable lui fit concurrence. A Torigine, eile n'inter-
< 24 >
SERVICES RBNDUS
n Le systäme de Law.
disait pas aux nägociants d>'6meUpe des effiets au porteur, sous
leur propre Signatare. Ce fut seulement en 4717, au mois de mai,
que, sous prätexte d'intöröt public, un ödit prononga cetie inier-
diction.
Un des premiers effets des Operations de la Banque g6n£rale le commerce
fut Factivite donnöe ä nos Behanges avec T6tranger. « On ne pouvait Atranger.
rien faire de plus utile que la Banque g£n£ra4e, 6crit le duc de Noailles
le 7 däcembre 1716; ä peine les meilleures maisons d' Amsterdam
pouvaient-elles tirer auparavant deux mille 6cus par semaine sur la
France ; et ces traites pourraient ä präsent etre port£es pour la Banque
ä cent mille 6eus par semaine ». Forbonnais 6crit de son cöt£ :
« Lorsque les etrangers purent compter sur la nature du payement
quils avaient ä faire, ils consommärent nos denräes, valeur en
Banque; le change remonta ä notre profit et se soutint par les habiles
Operations du directeur. Les nögociants recommeneärent leurs sp£-
culations; les manufactures travaillärent. »
Ce grand succ&s encouragea Law ä prendre l'offensive contre le
Conseil de finance et ä s acheminer vers la r£alisation de son projet
primiüf.
Ordre fut donn6, en octobre 1716, aux receveurs des tailles et de"pot en banque
Mtres impöts, de faire leurs envois d'argent sur Paris en billets de DBS m^nus
la Banque, et d'aequitter ä vue les billets qui leur seraient präsentes; püblics.
et, le 10 avril suivant, ä tous comptables de recevoir les billets de la
Banque pour le payement des impöts et d'aequitter ä vue ces billets
en argent et sans escompte. Sous Tapparence d'une simplification
dans les recettes d'fitat, on faisait de la Banque le d£pöt de tous les
revenus publics. On marchait, dit un contemporain, « vers la for-
tune ideale » que Law rÄvait pour sa Banque.
Ce ne fut pas toutefois sans rencontrer d'opposition de la part
des receveurs, möcontents de perdre le b£nefice de leurs lettres de
change sur Paris « La plupart des receveurs, 6crivait Noailles, ont
eu beaueoup d'äloignement pour Texecution dun ordre qui les mettait
hors d'£tat de se servir des deniers de leur maniement et d'en tirer
les profits quils etaient accoutura£s d'y faire, au grand pr£judice du
Roi. » Les receveurs g£n£raux des fermes a Bordeaux et a Lyon
forent deslitu£s.
La Banque g£n£rale fonetionnait depuis un peu plus dun an, law entrbprend
quand Law entreprit de diriger, a cöt£ d'elle, tme grande compagnie le grand
de commerce. Louis XIV avait conc£d£ Texploitation de la Loui- commerce.
siane au financier Crozat. Celui-ci ayant renonc£ k son privilöge,
le Conseil des tinances roifrit ä Law, a la condition quil emploierait
* a5 >
La Rigence. livbe pbbmikb
deux millions ä coloniser. Law accepta, et des leitres patentes 6ta-
blissant la compagnie d'Occident parurent & la fin d'aoüt 1717. Le
traitä pour le commerce des peaux de castor du Canada vint &
expirer et Law en obtint le renouvellement pour son compte. II
fut, d&s lors, en 6tat dexploiter presque toute l'Amcrique septen-
trionale, avec un privilege de vingt-cinq ans, qui lui fut concldä le
6 septembre 1717.
la compagnib La Compagnie d'Occident, que le public appela Compagnie du
DocciDENT. Mississipi. fut une sociale au capital de 100 millions repr6sent6 par
200000 acüons de 500 livres. Chaque action dut elre pay6e en billets
d'£tat pour la totalis de sa valeur, c'est-ä-dire que, pour mettre en
train la colonisation de la Louisiane, les creanciers de 1 Etat devinrent
actionnaires de la Compagnie. Law, delenteur des billets, en reee-
vait les int&rGts, au taux de 4 p. 100, ä charge de les distribuer
comme dividendes aux actionnaires. II 6tait seulement stipulä que
les intör&ts de la premiere ann£e, soit quatre millions, resteraient ä
la Compagnie.
Mais, s'il rendait service & lfitat en absorbant une nouvelle et
plus grosse quanlitä de son papier d£cri6, Law placait la Compagnie
du Mississipi dans une Situation tres difficile. Coloniser la Louisiane,
mettre en valeur son territoire, exploiter ses mines et derelopper
son commerce, ces entreprises eussent exig6 du temps et des capi-
taux consid&rables. Or Law ne disposait que des quatre millions
d'int6r£ls de la premiere annee. II chercha d'autres objets dexploita-
tion d'oü il püt tirer b6n^fice; le bau des tabacs venant ä expirer, il
l'obtiut pour neuf ans, le 4 septembre 1718. II en donnait ä lfitat
4 millions par an, bien que le traitanl auquel il succ6dait n en eüt
payd que $ millions; mais la vente du tabac s'elendait; de grandes
plantations se faisaient cn Louisiane et il y avait lieu d'espärer un
accroissement considerable de ce trafic.
m masqdk Pour soutenir sa Compagnie, Law compta surtout sur sa Banque.
ktia C03IPACNI6 Los acüons de la Compagnie döclaröes marchandises que chacun
AssocitKs. pouvait vendre ou acheter passerent bientöt de mains en mains,
ot furent Tobjet dune Spekulation k outrance ! . La Banque y gagna,
ot les deux cr£ations de Law, la Banque g£n£rale et la Compagnie
d'Occident, so complötant, on commenc.a de voir apparattre le « Sys-
teme ».
i. Pour relever la valeur des actions de la C u d'Occident, Law fmagina d'en acheter un
rcrtaln nombro llvrable dans six mois; et il donna de fortes primes ouz vendeurs. Ces
primod etaient des especes d'arrhes, remises au vendeur comme le b6n£flce dun march6
qu'il rontractait, et l'assurance de l'engagement. pris par l'acbeteur, de paver les actions
au'ou devait lul livrer. Des lors on se mit a faire des marchls de cette nature, et cela
onna plus d'activite aux affaires de la Compagnie.
i 16 >
caup. n
Le systkme de Law.
II est interessant de constater que les actions de la Compagnie
d'Occident 6taient « au porteur », tandis que les actions de la Banque
g6n6rale 6taient « nominatives ». Pour la premiöre fois apparais-
saient en France des titres « au porteur ». Autre fait curieux et nou-
veau : la Compagnie d'Occident 6tait gouvern£e par une Assembl6e
gän6rale d'actionnaires, convoqu6e tous les ans,Gumoisded6cembre.
II fallait posslder au moins cinquante actions pour y steger, et tout
d&enteur d'un nombre d actions plus considärable y disposait d au-
tant de voix qu'il avait de fois cinquante actions. L'administration
courante des int6r6ts communs Itait confi6e k trois directeurs; le
Roi les avait nommäs pour la premtere fois, mais ils devaient, dans la
suite, &tre 61us par l'Assembläe g£n6rale de trois en trois ans. Law
fut un des trois directeurs.
TITRES
Aü PORTEUR.
ASSEHBL&B
D'ACTIONNAIRES.
Cependant, de grandes jalousies se manifestörent contre Law uopposition
dans le monde financier, surtout dans le Conseil de Finance, oü le a law.
Garde des sceaux d'Argenson devint un de ses plus redoutables dargenson
adversaires. La hardiesse de Law faisait craindre d'ailleurs qu'il ne PAIUS
conduistt la France aux abtmes. Des hommes d'affaires de premier
ordre, les frfcres Paris, se mirent ä la täte des opposants et formörent
une compagnie que Ton appela l'Anti-Syst6me. Sous le nom du valet
de chambre de D'Argenson, Aymard Lambert, ilss'&aient fait adjuger
les Fermes g£n6rales, c'est-ä-dire le droit d'exploiter pendanl six ans la
perception des aides, traites et gabelles, la majeure partie des impöts
indirects; ils transftr&rent leur droit ä une soctetä par actions
le 16 septembre 1718.
Au reste, ils se contentaienl de copier Law. Leurs actions sont
6mises ä 1000 livres, tandis que Celles de la Compagnie d'Occident
Tont 6t6 k 500 livres; il y en a 100000, au lieu de 200000; mais le
capilal de l'Anti-Systöme est exaetement de lOOmillions comme celui
de la Compagnie d'Occident. Les Pöris instituent enfin, comme Law,
une Assemblle g£n6rale d'actionnaires, qui fixe des dividendes et
dont fönt partie les porteurs d'au moins 50 actions.
L'Anti-Systeme fit une coneurrence terrible & la Compagnie concurrrncb de
d'Occident. Ses actions assuraient un revenu de 12 ä 15 p. 100; vantisysteme.
Celles de la Compagnie ne donnaient que les \ p. 100 provenant du
Tresor 1 . Le produit des Fermes 6tait d'aillcurs plus certain que
celui d'une colonisation lointaine; et enfin les PAris groupaient dans
un int6rÄt commun toute lancienne maltöte, les fermiers g£n£raux
i II t'agU de l'lnte>et dee billet* d'EUt, conreHU en reote 4 p. 100 ei rtquM eo pajrement
lore de lemiasion des actions de U Compagnie d'Occident.
« 17 >
LAW
ADJÜDICATAIEB
DBS FBRMBS.
La Rigence.
utbi
6t leur personnel, une foule d'agents, de späculateurs et d'int£ress£s.
En m6me lemps que la Compagnie d'Occident, ils menacaient la
Banque de Law; et Ton reconnaissait leur main dans des retraits
d'or consid^rables et pr6cipit6s.
Law voulut ä toiit prix se d6barrasser de ces opposants et concur-
rents. Le bail des fermes leur ayant 6t6 adjugä pour 48 millioos
500 000 livres, il le 6t casser en o (Tränt lui-mßme ä l'Etat 52 millions et
il devint ainsi adjudicataire des Fermes, le 27 aoüt 1719. Les action-
naires de la Compagnie dissoute et tous les gens d'affaires qu'elle
faisait vi vre se jetörent sur les souscriptions nouvelles 6mises par Law.
üäCLARATION DU
4 DäCBMBRM Uli.
AGIOTAGE
OFFICIBL,
BOBBAOX DANS
LES PBOVJNCBS.
III. — LA BANQUE ROY ALE (1718-1720), LA COM-
PAGNIE DES INDES ET SA FUSION AVEC LA BANQUE
(77/9-/720)
Ace moment Law 6tait parvenu & faire de la Banque g6n6rale une
Banque Royale. Une d^claration du Roi du 4 dteembre 1718
avait ordonnl le remboursement des actionnaires de la Banque;
ils furent rembours^s en argenl des titres acquis par eux avec des
billets d'fitat. Le Roi devint seul propri&aire des actions de la
Banque, dont Law fut nomm6 directeur. Les billets de banque ne
furent plus fabriquös qu'en vertu d'arr£ts du Conseil; ils furent
libell6s payables « en 6cus de banque » \ ou « en livres tournois ».
Mais, puisque le Conseil peut d6cider ä son gr6 de la fabrication
des billets, il y a danger que le nombre nen devienne illimitä. D'autra
part, les billets pouvant 6tre pay6s en livres tournois, valeur essen-
tiellement changeante, la monnaie de banque n'est plus fixe, et Ton
vä entrer en plein agiotage. Le Roi payant en argent des actions
pay6es räcemment en billets d'fitat, c'cst-ä-dire trois fois plus eher
qu'elles n'ont coüt£, les Princes, les Grands et le public escomptent
la hausse de ces titres et jouentsur eux; puis, comme les capitaux de
la Banque sont employ6s & l'achat des actions d'une compagnie de
commerce, la hausse sur les actions de la Compagnie s'effectue
comme sur celles de la Banque.
Paris s'enfi6vra et la fifcvre gagna la pro vi nee. On erta des
comptoirs ou bureaux de banque, ä Lyon, ä La Rochelle, ä Tours,
& Orleans, & Amicns. Mais on eut soin de nen pas £tablir dans les
villes de Parlements, de peur dy faire nattre des oppositions dange-
reuses. Les comptoirs ne furent pas des succursales de la Banque
Royale; on n'y ouvrit aueun compte courant, on n'y escompta aueun
1 Tour U dtflnitioo, volr plus haut p. a£.
a8 >
Le sysfeme de Law.
effet de commerce. On se conientaii d'y rembourser des billets ou
d'en mettre en circulation.
A peine devenue royale, la Banque emprunta cinquante millions,
en 4mettant des billets, qui devinrent effets royaux; Operation 6ton-
nante, si Ton songe que le Tresor aurait eu grand'peine k se procurer
un million par 6dit enregisträ au Parlement. Mais d6j& Law enire
dans la voie dangereuse, oü il ne pouvait gu&re ne pas s'engager, oü
il ne pouvait pas ne pas se perdre. A partir du 1 er j an vier 1719, il fut
interdit k Paris, et, ä partir du 1 er mars suivant, dans les villes pos-
sMant des comptoirs, d'effectuer aucun paiement en monnaie de
billon au-dessus de 6 livres, et en esp&ces d'argent au-dessus de
100 livres. La Banque Royale voulait rendre les billets de banque
plus n6cessaires, en forcer la circulation, en multiplier le nombre,
tvilir ainsi les esp&ces. Le public ne s'en inquteta pas d'abord. Les
Parisiens, craignant d'6tre embarrass6s de leurs espöces, couraienl
k U Banque et suppliaient les coramis de les leur 6changer contre des
billets. Un plaisant aurait dit un jour ä ces affol6s : « Eh! messieurs,
ne craignez pas que votre argent vous reste, on vous le prendra
tont »
Tandis que la Banque g6n£rale n'avait 6mis que pour 12 mil-
üons de billets, la Banque Royale en 6mit, d&s les trois premiers
mois, pour 71 millions. Elle va devenir l'instrument d'un gouverne-
ment ob6r£, et, au lieu de favoriser la production de richesses reelles,
par le d6veloppement du credit, eile fabriquera des richesses factices.
BILLETS
SUBSTITUTS
AUX BSPECES.
La Banque Royale fonctionnait depuis quatre mois, quand Law
donna au Systeme une extension nouvelle. II se fit c6der en mai 1719
les privil^ges de la Compagnie des Indes Orientales, des Compagnies
de Chine, d'Afrique, de Guin6e et de Saint-Domingue. Une fois en
poasemon de leurs marchandises et de leurs navires, il pr6tendit
fiure le n6goce dans les mers orientales, aux tles de Madagascar, de
Boorbon ou de France, en Chine, en Mongolie, au Japon, dans les
sere du Sud et sur les cötes d'Afrique, tout aussi bien que dans le
Nouveau-Monde. Investi du monopole de tout le commerce maritime
firangais, il donna k sa Compagnie d*Occident un nom plus com-
pfthensif : il en fit la Compagnie des Indes en mai 1719.
Pour acquitter les dettes qu'il avait endossles des anciennes com-
pagnies, et remettre en 6tat leurs entreprises ruinäes, Law cr6a
50000 actions de 500 livres, qu'il appcla actions des Indes. Elles
n'auraienfr du lui donner que 25 millions, mais il en tira 2 millions
et demi en plus, en exigeant de tout acheteur une prime de
10 pour 100, sous le pr&exte que les actions de l'Occident d6pas-
MONOPOLS
DU COMMERCE
MARITIME.
< »9
La Rigenee.
L1VBB PREMIER
C0MB1NAIS0NS
POUR EXCITER
AU JEU.
LAW
SURINTENDANT
DES MONNAIES.
ACTIONS
DES MONNAIES.
saient le pair, et que Celles des Indes devaieni n6cessairement
alteindre le mönie niveau. D'ailleurs il trouva le moyen de faire
monter tous ses litres ensemble. II pr6vint le public par un arröt du
20 juin 1719 que, les demandes d'actions des Indes s'61evant ä plus
de cinquante millions, il n'en serait d61ivr6 qu'aux porteurs d'actions
d'Occident. Pour obtenir une action des Indes il fallut präsenter
quatre actions d'Occident, ce qui 6t donner k celles-ci le nom de
« m&res », et aux autres celui de « filles ». Une fois les « filles » dis-
tribu6es, la hausse continua : les späculateurs qui avaient r6alis6 un
premier b6n6fice redevinrent acheteurs, dans lespoir de gagner
encore.
Law d6ploya une habilet6 extraordinaire k surexciter la fi&vre
du jeu; il 6blouit les imaginations par la vision de fortunes rapides
et prodigieuses. En n'appelant que des versements successifs et
faibles, il permit ä la masse du public de jouer sur ses fonds, et de
former avec son papier des combinaisons k perte de vue 1 . L'acqu6-
reur d'une action des Indes n'6tait tenu de verser immödiatement
que la prime de cinquante francs, et le vingti&me du prix de laction,
soit 25 francs. Peu importaient les versements futurs, si en quelques
ours laction doublait ou triplait.
Cependant, il fallait que Law prot6ge&t la caisse de la Banque
contre des demandes de remboursement en argent auxquelles eile
eüt 6t6 incapable de räpondre. II fit donc c6der k la Compagnie des
Indes le privilfcge de la fabrication des monnaies, le 25 juillet 1719, et
devint surintendant des Monnaies. Das lors, il pourra fixer k son gr6
l'6tat 16gal des espfcces, et soutenir son papier, en changeant le poids
et le titre des pi&ces d'or ou d'argent. De trop nombreux pr£c£dents
d'opörations de ce genre ly autorisaient.
Ayant promis au Roi 50 millions, pour prix de son privil&ge
mon6taire, Law 6mit 50 000 « actions des Monnaies » ; mais, comme,
au prix de 500 livres, elles n'auraient produit que 25 millions, il
exigea des acqu6reurs une prime de 500 livres par action, en donnant
pour raison que les actions d'Occident et des Indes valaient d6jä
1 000 livres. Puis, pour empftcher le public d'ötablir des diff&rences
entre les titres £mis, il voulut que l'acqu6reur d'une « action des
Monnaies » justifiät de la possession de quatre « rubres » ou actions
d'Occident, et d'une « fille » ou action des Indes. Les actions des
Monnaies devinrent ainsi des « petites-filles ».
i. Une des combinaisons les plus usitees fut le pret sur titres. Beaucoup de porteurs
d'actions les deposerent a la Banque, en gage d'emprunts, qu'ils contractaient en blllets
pour acquerir de nouveaux titres. Rien ne contribua tant a multiplier outre mesure les
Emissions de billets, auxquelles Law, desireux de pousser indefiniment a la hausse de
1 action, ne se pretait que trop facilement.
< 3o >
CHAP. II
Le systhme de Law.
PBODÜIT
DBS ACTIONS.
De lä, nouvelle pouss6e sur louies les valeurs du Systeme, poub du papibb.
L'hötel Mazarin oü sifcge la Compagnie, rue Vivienne, regorge de
souscripteurs ; jour et nuit « leur phalange serröe s'avance vers le
bureau d'6change, commeune colonne compacte », qui brave la faim
et la soif. Pour le papier, les Francis en sont venus ä dgdaigner
Tor, l'argent, la propri6t6. « Toutes les totes 6taient tourn£es », dit
Saint-Simon, « et les eHrangers enviaient notre bonheur, et n'ou-
bliaient ricn pour y avoir part. Les Anglais eux-m&mes, si habiles,
si consomm6s en banques, en compagnies, en commerce, sy lais-
särcnt prendre, et s'cn repentirent. » Achetöcs 1000 livres en juillet,
les actions en valaient 5000 en aoüt, 10000 en octobre; elles attei-
gnirent ainsi vingt fois leur valeur nominale de 500 francs, quarante
fois leur valeur argent. Par une cons6quence naturelle, tout le papier
du gouvernement se mit ä monter; les billets d'tätat gagnörent le
pair, et märae le d6pass6rent.
Cependant, quels produits les actions offraient-elles aux action-
naires? Dans une assemblle qui se tint en juillet 1719, Law dgclara
qu'ä partir du 1" janvier 1720, il serait distribuö aux aclionnaires
deux dividendes par an de 6 p. 100, soit 12 p. 100 de leur capital,
ou 60 livres par action. Or, d'apr&s ses revenus en rentes, ses pre-
miers b6n6fices de commerce et ses gains sur la ferme des tabacs,
la Compagnie ne pouvait röpondre que de 3 p. 100. II escomptait
donc döjä le produit de la fabrication des monnaies, qu'il övaluait ä
6 millions, et celui d'oplrations commerciales, ä peine engag£es, au
S6n£gal, en Louisiane, & Madagascar et aux Indes. II escomptait
surtout les b£n£flces considörables qu'il pensait tirer des Fermes
gönlrales, qui lui avaient 6t6 adjugöes par larröt du 27 aoüt 1719. De
fait, il ne tarda pas a y introduire d'utiles modiöcations; il remit la
r£gic des Fermes & 30 directeurs, de capacitö et de moraütä reconnues ;
il supprima les sous-fenniers, petitstyransd6test6sdescontribuables,
et put esp&rer ainsi, pour ses actionnaires, un surcrolt de revenu.
Law 6lait un perp£tuel entrepreneur de nouveautes. Däpositaire rbmboorsbmbst
de la richesse mötallique des Framjais, mattre de leur commerce, et DB *-* obttb.
d'unc partie de leurs impöts, il entreprit de rembourser la dette
publique. La multiplicitö des valeurs en papier faisant baisser lc taux
de Tint£r6t, et les particuliers en profitant pour payer leurs dettes, il
crutque l'£tat pouvait aussi rembourser les siennes, ou plutöt offrir
ä ses cr£anciers un placement d'un attrail plus puissant que la rente.
• La rente, disait-il, a ceite commodit6 qu'ellc ne prend ricn, ni sur notre
temps, ni sur nos soins. Mais eile a aussi cet inconvenient qu'elle ne saurait
augmenter conirae les biens d'industric. Les actions partieipent de la coramo-
diU des rentes et des avantages de l'industrie. Occupea d'aflaires, ou plus
« 3i >
OMISSION
DACTIONS.
NOOVBLLES.
La Regerice. uvrb nnoa
importantes, ou plus agreables, les rentiere, devenusactionnaires, pourront se
reposer du soin de faire valoir leura fonds sur la Gompagnie. IIa jouiront trau-
quiilement du fruit de tout le travail qui se fait dans le royaume, dans le com-
merce, dans la banque et dans la flnance •.
C'6tait un s6duisant prospectus, et, tout de suiie, Law se mit a
Toeuvre.
II calcule qu'en 6mettant 240000 actions nouvellesau prixatteint
par celles qu'il a d6jä £mises, c'est-a-dire 5000 livres, il peut em-
prunter 1 200 millions, et il doit pröter au Roi cette somme, destinäe
ä äteindre la plus grosse part de la dette publique. II n'exigera des
souscripteurs ni « mores », ni « filles », ni « petites-filles », car il est
däsormais superflu d'exciter Tengouement du public.
Trois Emissions sont faites, le 13 septembre, le 28 septembre, le
20 oclobre; mais, au Heu de 240000 actions, Law en £met 300000,
et il fait rägulariser lop6ration par un arr6t du Conseil, en donnant
cette raison que la dette en rentes et le prix des offlces qull veut
rembourser peuvent 6tre 6valu6s ä 1 500 millions. Les actions 6taient
payables en dix paiements 6gaux de 500 livres. L'empressement fut
prodigieux ä se disputer ces titres qui, dans l'opinion g6n£rale,
conduisaient droit a la fortune.
Law acheva de mettre la main sur l'fitat. Les receveurs g6n£-
raux furent supprim6s, et leur « finance » rembours6e. L'argent
des receveurs des tailles devait ötre directement vers6 au Trösor.
A ne plus payer aux receveurs g6n6raux la remise des cinq
deniers pour livre et Tint^rßt de leurs avances, le Roi gagna plu-
sieurs millions .
law achetb sbs n es i V rai que les actions atteignaient 10 ä 12000 livres, et
proprbs actions. comme jj devenait impossible de maintenir un dividende raisonnable
ä un capital aussi 61ev6, nombre de gens songörent a rtfaliser. Mais
Law 6tait r6solu ä ne pas laisser tomber les cours; il fit acheter,
vendre et acheter encore ses propres actions. Puis il fixa arbitraire-
ment Tint6r6t des titres. Des 624000 actions jetäes sur le march6, il
dgfalquait celles qui appartenaient ä l'ßtat et & la Compagnie, comme
ne devant toucher aucun int£r6t, soit 200 000; il räpartit entre les
424000 autres le revenu de la Compagnie, qu'il estimait ä 91 mil-
lions, savoir : rente pay6e par Pßtat, 48 millions; b6n6(ices sur les
Fermes g6n6rales, 12 millions; sur les monnaies, 12 millions; sur le
commerce, 12 millions; sur le tabac, 6 millions; sur les recettes g£n6-
rales, 1 million; et il promit 200 livres ä chaque action.
Gcla se passait le 30 däcembre 1719; le 5 janvier 1720, Law fit
rötablir pour lui le Contröle g6n6ral. II s'ötait, & ce dessein, converti
du protestantisme au catholicisme. Alors les actions, que Ton dtei-
SÜPPRBSSION
DBS RBCBVBÜRS
GäNäRAUX.
BAÜSSB FOLLB.
« 3a >
caup. n
Le systhme de Law.
gnait toutes, sous le nom de « Mississipi », montörent au prix fabu-
leux de 15000 ei de 18000 livres. Law fui f dit Saint- Simon, « assi£g£
chez lui de suppliants ei de soupirants qui lui demandaieni des
actions; il vii forcer sa porie, enirer par ses fenätres, tomber dans
son cabinei par sa chemin6e ».
Le 22 fövrier 1720, il röunit la Banque & la Compagnie. Quon
se repr£sente alors la Situation. La Banque esi un Service financier
public; la Compagnie a le recouvremeni des imposiiions; elles soni
plac£es l'une ei l'auire sous l'autorit6 et la surveillance du Contrö-
leur g£n6ral . La surveillance est ävidemment illusoire, et Law esi le
mattre de iouie la foriune publique. Personne ne r6siste plus; d'Ar-
genson lui-m6me se soumei; les plus grandes dames foni la cour ä
Mme Law; sonfils esi adrais au ballet du Roi; sa fille esi honor£e des
aiieniions du Nonce. II s'6lablit en France, comme pour ioujours y
rester. II a acquis les hötels de Mazarin, de Rambouillet, la ierre de
Guermande en Brie, Celles de Roissy, de Domfroni, de Saint-Ger-
main, de Mercoeur, d'Effiat, de Tancarville. Mais l'immense pöril
cach6 sous ceiie faniasmagorie allait bientöt apparalire ä tous les
yeux.
SITUATION
DE LAW.
IV. — LES VIOLENCES DE LAW ET LA FIN DU
SYSTEME
UNE bourse formte pour la n£gociation des valeurs se ienaii dans
la peiiie nie Quincampoix, proche la nie des Lombards, au
cenire du quartier le plus commergant de Paris. De vieille date, la
rue Quincampoix Itait habit£e par des banquiers et des Juifs ; au
commencement du si&cle, eile llait devenue le marchä des papiers
cr6£s pour soutenir la guerre de la Succession d'Espagne. Dfcs que
Law eui 6mis ses premi&res actions, eile fui le rendez-vous des ache-
ieurs ei des vendeurs. Toutes les maisons, morcel&s en bureaux,
se lou&rent k des prix fous; il y eui des compioirs dans les caves,
dans de miserables öchoppes, jusque sur les ioits. Une Strange
cohue s'y porta : gentilshomraes, robins, bourgeois, gens du peuple,
moines et docieurs de Sorbonne, späculateurs, filles, dupes ei fri-
pons, gens de tous pays, Parisiens, Gascons, Dauphinois, Savoyards,
Anglais, Hollandais, Allemands s'y heurt&rent, durant des mois, au
milieu des cris, des rires et des injures. Pour surveiller ce tumulte,
il fallut installer, ious les maiins, des pclotons de soldats aux deux
bouts de la rue; pour emp6cher des enrag£s de passer \ä les nuits, il
fallut £tablir des grilles qui fermaieni la rue ä neuf heures du soir
ei ne l'ouvraient qua six heures du maiin.
33
LA HOt
QUINCAMPOIX.
V!!l. t.
La Regence.
LIVRE PRIMUS
SPäCULATlON Ä
LA BAISSE.
R&ALISATIONS.
PROSCRIPTION
DBS M&TAÖX
PR&CIBÜX.
LS PRIX DBS
ACTIONS FIXÜ.
Ce fut dans ce march6 de la nie Quincampoix quop6ra rin6vi-
table et terrible ennemi de Law, le « r6aliseur ». Des princes du
sang donn^rent Texemple. Le prince de Conti amena des fourgons ä
l'hötel Mazarin,donna tout son papier et emporta Umillions d'esp&ces.
Le duc de Bourbon prit, ä son tour, dit-on, plus de 20 millioas
d'espäces. Une panique se däclara. La spöculation se mit ä la
baisse.
Alors Law fit la guerre aux adversaires du papier, les m6taux
präcieux. Par arröt du 27 fövrier 1720, il fut d6fendu aux particuliers
de garder chez eux plus de 500 livres en or ou en argent sous peine
de confiscation et d'amende. On ordonna des visites domiciliaires et
eecouragea les d6nonciations. Largent d£pos6 chez les notaires ou
dans les caisses publiques, comme la Caisse des Consignations, fut
saisi et remplacö par du papier. En vertu de la D6claration du
18 fövrier 1720, les orftvres ne purent vendre aucun ouvrage d'or
exc6dant le poids dune once, ni aucune ptece d'argenterie pour la
table , ils furent räduits ä ne plus fabriquer que des croix pour arche-
vfcques, 6v6ques, abb6s ou abbesses, et pour Chevaliers des ordres du
Roi, des chaincs d'or pour les montres, et des vases sacr6s. Comme
le dit Saint-Simon, l'Etat entreprit cette chose surprenante de per-
suader aux Francis « que depuis Abraham, qui paya comptant la
s6pulture de Sarah », on 6tait rest6 « dans l'illusion et Terreur la plus
grossere sur la monnaie et les m6taux dont on la fait ». Beaucoup
de gens ob&rent, firent porter leur num6raire ä la Banque ; mais un
plus grand nombre exporta le sien ou le cacha, et la circulation
mätallique diminua dans d'6normes proportions.
Engag6 dans une lulte contre l'impossible, Law en arriva ä vou-
loir imposer aux actions un prix d6termin£, et le fixa ä 9 000 livres,
le 5 mars 1720. II annon$a qu'un bureau serait ouvert ä la Banque
pour changer ä volonte une action contre neuf mille livres de billets,
ou neuf mille livres de billets contre une action. Ayant assur6 par
ses 6dits la valeur des billets, il estimait fixer le sort des actions en
les liant aux billets ; mais il ne fit que discräditer les billets comme
les actions.
Pour sauver le billet, il continua sa campagne contre la mon-
naie m6tallique. Sous le prätexte de faire baisser le prix des denräes,
de soutenir le cr&iit, de faciliter la circulation, d augmenter le com-
merce, une Deklaration du il mars annon$a que la monnaie d'or
cesserait d'avoir cours le 1 er mai, et la monnaie d'argent ä la fin
de lanndc. Mais il £tait insensä de prötendre donner une valeur
immuable ä l'action, plus insensä encore de vouloir ramener la con-
fiance au papier-monnaie par la proscription du num£raire; c'est
< 34 >
cbap. n
Le Systeme de Law.
avec raison que Ton a comparä ces efforis d6sespe>6s de Law aux
mouvements convulsifs d'un bomme qui se noie.
Law ferma la nie Quincampoix le 22 mars, corame ei les späcu-
laieurs devaient, sur son ordre, cesser de sp6culer. Acheteurs et ven-
deurs, apr&s s'6tre assembtes dabord nie Vivienne, aux alentours de
la Banque, pour n6gocier leur papier jusque sous le sabre des archers,
prirent l'habitude de se räunir place des Victoires. Law se r6signa ä
ne plus les inqui&er. On ötablit des tentes pour l'agiotage, dautres
pour les jeux de caries et les loteries de bijoux, d'autres pour les
repas et les rafralchissements, d'autres pour des marchands de
meubles. Le monde 6l6gant se donna rendez-vous place des Vic-
toires, pour jouer ou samuser ä regarder. Comme le Chancelier,
dont l'hötel elait place des Victoires, se trouvait incommode par
le tapage, un grand seigneur, le prince de Carignan, proprietaire de
Thötel de Soissons situe" lä oü s'öleve aujourd'hui la Bourse du
Commerce, Gt rendre une ordonnance par laquelle, sous prätexte
d'assurer la police de l'agiotage, furent interdites toutes les Opera-
tions de bourse faites ailleurs que dans les jardins de cet hötel. Le
prince 6tablit 7 ä 800 petites baraques, « propres et peintes » , dil
Barbier, ayant chacune une porte et une fenötre, « avec un num6ro
au-dessus de la porte »; il les loua ä des banquiers, changeurs, sp£-
calateurs, qui en Grent des bureaux; le tout devait lui rapporter,
paratt-il, 500000 livres par an. Mais il ne devait pas longlemps tou-
cher ce joii denier 1 .
Law gardait encore des esp^rances. II entreprit de coloniscr de
force la Louisiane. La Compagnie des Indes repandit ä profusion des
rtclames, oü eile d6crivait des montagnes remplies de melaux pr£-
cieux, des sauvages prßts ä troquer des lingots <Tor et d'argent contre
de vulgaires marchandises d'Europe, des femmes Natchez travaillant
la soie, des roches d'6meraude däcouvertes dans 1' Arkansas. Law
chercha des Colons en Suisse, en Allemagne, en Italie, fonda avec
ceux qu'il irouva 40 villages ä raison de 20 familles par village, et
conc6da ä chaque famille 280 arpents de terre. En France, il trouva
quelques volontaires; mais il proc£da surtout par enrölements forc^s
de vagabonds ramass£s dans les rues de Paris, ou de malfaiteurs
tires des prisons. II les mariait avec des filles ; de ces malheureuses,
il y en eut qui se firent tuer plutöt que de s'embarquer. Puis les
höpitaux fournirent desenfants trouv£s des deux sexes. On vit partir,
LA PLACE
DBS VICTOIRES
BT V HOTEL
DB SOISSONS.
KäCLAMBS
POUR
LA LOUISIANE.
ENRÜLBHENTS
FORCiS.
i- Des lors, il ne fut plus permis de negocier des papiers public*, si ce n'est par l'entre-
mlte d'agents de cnange dont les Offices, par arret du 3o aoüt, avaienl 616 IransJormes en
commissloQs. II n'y cut plus de bourse legale ni de bourse toleree. Pour passer leurs mar-
che«, lea agents de change eiaieni obliges de se donner rendez-vous a leurs bureaux •
35
La Rigence.
UVRE PREMISa
IMPOSSIBlLHä
DBNRAYEB
LA BAISSE.
LA D&FIANCE.
pour Rouen ou La Rochelle, les filles sur des charrettes, les gar$ons
k pied et enchatnäs deux k deux. Des curls donnferent la liste des
« fain£ants » de leurs paroisses aux archers recruteurs. Le lieutenant
de police mit la main sur les compagnons et apprentis qui ne pr6-
sentaient pas un certiGcat hebdomadaire d61ivr6 par les jur6s des
communautös d'artisans ou par les mattres des m£tiers, constatant
qu'ils etaient employ&s. On prit k certaines familles un gar$on sur
trois, et jusqu'ä deux filles sur trois, de pauvres petites filles de neuf
k dix ans, pour les expedier k la Louisiane. En 1720 furent institu6es
deux compagnies sp6cialcs de recruteurs de colonisation, que le
public appelait, k cause de la bandouliäre oü ils suspendaient leur
mousqueton, les Bandouliers du Mississipi. On rapporte que, moyen-
nant quelque argent donn6 k ces miserables, il fut possible de faire
arröter et expedier au loin un ennemi. Ces horreurs soulev&rent
Tindignation publique.
Mais les signes de la fin se succ6daient. Un arröt du 21 mai 1720
ramena subitement le prix des actions k 8 000 livres, et annonga que,
du 1 er juillet au 1 er döcembre, elles seraient r£duites k 5000 livres ä
raison de cinq cents livres par mois. Les billets devaient perdre, en
m£me temps, la moitiö de leur valeur nominale. A ces nouvelles, le
Parlement fit des remoctrances; le public s'exasp^ra; les vitres de
l'hötel Mazarin furent bris^es k coups de pierres. Pris de peur, et
redoutant une s£dition, le Regent fit demander k Law sa d&nission
de Contröleur g6n6ral. C'6tait le 29 mai. Deux jours aprfcs, sur Tinter-
vention du duc de Bourbon et des amis de Law, qui redoutaient de
voir les actions et les billets baisser plus vite sans lui qu'avec lui, le
Rögent revint sur la ddcision qu'il avait prise; et Law reprit le pou-
voir, non plus, il est vrai, avec le titre de Contröleur g6n£ral, mais avec
ceux de Conseiller d'fitat d'£p£e, dlntendant g£n6ral du Commerce,
de Directeur de la Banque. Le 3 juin, il faisait dresser par la Compa-
gnie le bilan de la Situation; il r£voquait la defense de garder chez
soi plus de cinq cents livres de num6raire, renongait k r^duire pro-
gressivement les actions, essayait de diminuer le nombre des billets.
La baisse continuait toujours.
La foule des porteurs de billets s'entassait aux portes de la
Banque afin de changer des billets de 100 livres contre dix billets
de 10 livres, que des commissaires remboursaient en esp&ces, deux
fois la semaine, le mercredi et le samedi, jours de marche. Pour
aborder la caisse de la Banque, on entrait dans l'hötel Mazarin du
cöt6 de la nie Vivienne; on traversait un jardin, « on passait par une
enfilade de sept k huit toises, entre le mur et une barricade de bois.
Les ouvriers robustes, pour prendre un rang meilleur, se mettaient
36
CHAP. II
Le systhme de Law.
sur la barricade, et, de lä, se langaient ä corps perdii sur les 6paules
de la foule. Les faibles tombaient, £taient fouläs, öcras£s. » Le 3 juin
1720, il y eut, ä la Banque, deux hommes et deux femmes 6touff6s,
et des 6p£es tir£es du 16 au 17, quinze personnes 6toufT£es; le
3 juillet, trois femmes et deux hommes; ce jour-lä les portes de
lhötel 6tant attaquöes ä coups de pierres, des soldats en sortirent,
la balonnette au bout du fusil, et plusieurs personnes furent encore
tu£es ou blessäes. Un arrßt autorisa la Banque ä ne plus payer en
argen t que 10 livres ä une mgme personne; alors les demandes se
multipli&rent; la rue Vivienne se remplit, le 17 juillet, d'environ
15 000 individus; avant cinq heures, on y compta quinze personnes
6touff6es. La foule, sur des brancards, porta les cadavres devant le
Palais-Royal, au Louvre, et devant la maison de Law, dont toutes
les vitres furent bris6es. Quelques heures plus tard, Law, assailli
dans son carrosse, ne fut sauv6 que par la vitesse de ses chevaux.
Duclos s'6tonne, avec raison, que le Regent et Law, d£test£s comme
ls l'6taient, n'aient pas alors p6ri tragiquement.
En mdme temps s6vissait la hausse des denräes qui prgtaient au
jeu de l'accaparement. Le pain, les l£gumes, la viande, la volaille,
la chandelle, le beurre, la cire et le cafe £taient hors de prix. Le
pain se vendit 4 sous et m£me 5 sous la livre; le beurre, 25 sous; le
caf6, 50 sous; la viande, 15 sous; une poule, 3 livres. Et tous ces
pnx doivent 6tre, semble-t-il, quadruples pour correspondre ä ceuxde
nos jours. Law fit acheter et däbiter des boeufs, afin d'6valuer le prix
de revient, et il taxa en consöquence les bouchers de Paris; il auto.
risa ceux de la campagne ä apporter leurs viandes aux halles; mais
l'approvisionnement se fit mal, parce que les marchands ne voulurent
plus 6tre payös en billets.
&MEÜTB
DANS LA HUB.
HAUSSE
DES DBNRäES.
11 en fallut bien venir ä la banqueroute. Law tenta, d accord la banqoeroütb.
avec le Gouvernement, de la räaliser en la dissimulant. 11 fit prä-
senter au Parlement un arrdt du Conseil qui retirait de la circulation
1 200 millions de billets, en 6tablissant pour les n£gociants un compte
en banque de 600 millions, et en astreignant la Compagnie des
Indes ä racheter 600 millions de billets, sur promesse d'une garantie
perp&uelle de ses privil&ges. Le Parlement refusa Tenregistrement,
et fut exilö ä Pontoise, le 21 juillet 1720. L'arröt n en fut pas moins
publik et mis ä ex£cution; mais le compte en banque ne s^leva pas
au-dessus de 200 millions, et la Compagnie ne put placer les actions
quelle pr£tendait £mettre pour retirer des billets. D'autres combi-
naisons £chou&rent.
Law se retira alors dans sa terre de Guermande. Le 10 octobre, la rum dblaw.
< 3 7
La R&gence.
LXVRI PRBMm
le Gouvernement fit annoncer au public que la fabrication des billeis
d6passait infiniment ce qu'avaient autoris£ les arr6ts du Conseil, et
que les billets cesseraient d'ötre re§us en payement, k partir du
1 er novembre. Law demanda des passeports, et, dans une chaise de
poste de Mme de Prie, partit pour Bruxelles. Quand il passa ä Valcn-
ciennes, Tintendant de Maubeuge, fils de DWrgenson, Farröta et fit
demander ä Paris ce qu'il devait faire. Ordre lui fut donn£ de laisser
aller le fugitif qui franchit la fronti&re en däcembre 1720.
Cet aventurier n'avait du moins pas song6 k s'enrichir. Sa pro-
bite fut räv£l£e aux yeux de ses ennemis, quand ils eurent en mains
les Ecritures de la Compagnie des Indes. II avait apporte en France
1600000 livres; il s'enfuit avec quelques louis.
LA BANQUE
DISCRÜDITÜB.
V. — LES RESULTATS Du SYSTEME
RESTE k relever les r£sultats du Systeme, et k en exposer la liqui-
dation.
Law a initi6 la France k la pratique des spEculations de bourse,
oü les Anglais et les Hollandais etaient d£jä experts. Sa Banque
g6n6rale a rendu de grands Services, mais il ne l'a pas in venire, eile
n'Etait qu'une imitation des banques de Londres et d'Amsterdam.
Sans le Systeme, la France aurait pu acquErir peu k peu les institu-
tions de credit dont jouissaient les ötrangers; au Heu qu'apr&s la
ruine du Systeme le nom de Banque est demeurä, chez eile, pendant
longtemps, un objet d'öpouvante. L'erreur de Law est qu'il a cru
pouvoir imposer ses vues sur le credit et les causes de la produetion
des richesses par la force d'un gouvernement absolu, tandis que,
dans une institution de credit, les transactions doivent gtre libres, et
les comptes publiquement discutes. II a pensä que le Regent avait tout
inter&t k bien diriger la banque d'£tat, et les profusions du Regent
Tont en partie ruin^e. II n'existait en France aueun corps qui püt
modärer les exc&s du pouvoir, et Saint-Simon a ainsi jug6 du
Systeme : « Tout bon, dit-il, que püt £tre cet Etablissement dans une
^publique, ou dans une monarchie teile que TAngleterre, dont les
finances se gouveraent absolument par ceux-lä seuls qui n'en four-
nissent qu'autant et comme il leur platt; mais dans un Etat 16ger,
changeant, plus qu'absolu, tel qifest la France, la solidite y man-
quait näcessairement, par consequentla confiance ».
Si dösastreux qu'aient öte, k la fin, les r6sultats de son Systeme,
Law en eräant une richessc plus mobile, a rendu Service k l'agricul-
btlb commerce. inre ^ ^ Industrie ©t au commerce. II a favorisE löcoulement des
< 38 >
L'AGRICDLTÜRE,
L INDUSTRIE
V
CHAP. II
Le systkme de Law.
produits et provoquä sur tous la hausse des prix. Les cultivateurs
endettes ont pu se lib6rer plus facilement, et leurs b6n6fices les ont
encourag6s k mettre de nouvelles terres en culture. La Banque a
ranim6 Industrie par son credit; de tous cötes, les fabriques sont
devenues plus actives. Les agioteurs millionnaires ont contribu6 par
leurs profusions k la prosp6rit6 du commerce de luxe. Les magasins
de la nie Saint-Honorö qui approvisionnaient la France et l'ltranger
d'^toffes riches furent trbs prosp&res.
Malgr6 les apparences, Law tendait au regime de la liberte
commerciale. S'il fit de lfitat un commergant, ce ne fut pas par hos-
tilite contre le commerce libre, ce fut pour procurer de plus gros
b6n6fices k ses actionnaires. II autorisa, par l'arrgt du 28 octobre 1719,
le libre commerce des blas k Hnterieur. II supprima les droits qui
ggnaient l'introduction des soies en France, diflerents droits sur les
boissons, les huiles et savons, et aussi des ofCces 6tablis aux quais
et march6s de Paris; il diminua les droits sur la houille d'Angleterre.
Aux Antilles, il ötablit le regime de la vente libre des Sucres ; « les
tles » prosplrörent; la Martinique, qui ne possädait, audöbutdu siöcto,
que 15 000 n&gres, en employa apräs lui, au temps de Fleury, jusqu'A
72000. Enfin les entreprises de la Louisiane ne furent pas steriles.
La Compagnie des Indes n'importait guere, en 1716, que 6 millions
de marchandises ; d&s 1720, ses importations monterent k 12 millions,
et ses exportations ä 9. En 1719, sa flotte passa de 16 k 30 vaisseaux.
La prosp£rit£ du port de Lorient commence en ce temps-lä. N6
sous Richelieu, Lorient n'6tait, au temps de Colbert, qu'une bour-
gade. Law en fit le centre de son commerce maritime. Des magasins,
des ateliers, des 6difices y furent construits. En 1730, Lorient aura
14 000 habitants et comptera parmi nos principales places de com-
merce.
Les travaux publics regurent en mfcme temps, dans toute la
France, une impulsion nouvelle. On a vu d£jä Tceuvre des Ponts et
Chauss6es dans les provinces. A Paris, le quai du Louvre et la place
da Palais-Royal s'61argissent ; les nies de Bourgogne, de Babylone
et des Brodeurs sont prolongäes; on pose les fondations dun nouvel
Hotel des Monnaies.
Mais, d'autre part, le Systeme amena une laide crise morale. Ce
fut pour beaucoup de consciences une £preuve trop forte que de
voir la richesse courant les rues et s'offrant k tout le monde. On a
calculä qu'un million de familles s'cngag&rent dans les affaires du
Systeme. Des Talets s'enrichirent subitement; des cochers dcscen-
dirent du si6ge dans la voiture ; des cuisiniers devinrent maltres de
maison. Dans la foule qui s'ätoufTait aux guichets, nimporte qui
LA L1BBBT&
COMMERCIALE.
LORIEST.
LES TRAVAUX
PUBLICS.
CRISE MORALE
BT SOCIALE.
39
La Regence.
LIVRI PRIMIEB
FOLIES DU LUIS.
LE LUXE
DE LA TABLE.
bousculait les geniilshommes. C'6tait l'£galit6 dans la cohue. II fal-
lait, pour passer avant les autres, 6tre au moins prince, comme
Bourbon et Conti, qui s'enrichirent scandaleusement de la ruine des
petits. Des Alles nobles 6pous£rent des gens sans aveu ; une La Val-
li&re par exemple, un sieur Panier, enrichi de la veille. Des gentils-
hommes se vendirent k des « Mississipiens », en promettant d^pouser
leurs Alles. Un comte d'Evreux regut 2 millions pour se fiancer ä une
enfant de onze ans, Alle d'un ancien laquais; un marquis d'Oise, au
prix de 20000 francs de rente, prit Tengagement döpouser la Alle
d'un sieur Andrö, bien qu'elle n'eüt encore que deux ans; apr&s le
mariage, on devait lui compter quatre millions de dot.
L'hiver de 1720 est restä longtemps cel&bre ä Paris, pour l'6clat
des vßtements, la prodigalitä des tissus d argent et d'or, des velours,
des Stoffes brod^es, des dentelles, et surtout des bijoux, des perles et
des diamants 6tal6s dans les räceptions, les th6ätres et les promenades
publiques. Malgrö Tarröt somptuaire du 4 fövrier 1720, qui interdisait
de porter des diamants, perles ou pierres pr6cieuses, « un grand
nombre de personnes de tous 6tats » employaient ä en acheter une
part considärable de leur fortune. Dans les maisons riches, Tor et
l'argent remplac&rent le cuivre et Tötain. On cisela des vases de
nuit en or.
Ce fut un temps de grandes mangeries. Jamais la consommation
de viande navait 6t6 si consid£rable ä Paris; en une semaine on y
mangeait plus de 800 boeufs, quatre fois autant de moutons et de
veaux, et, en plus, la volaille et le gibier. Pendant le carSme de 1720,
la consommation de la viande atteignit des proportions inouYes. Le
clerg6 fulmina contre la violation des präceptes dabstinence; le lieu-
tenant de police At des ordonnances pour forcer la population ä faire
maigre ; et les tribunaux en vinrent ä prononcer la peine des galäres
contre des soldats qui transportaient en fraude les victuailles inter-
dites. Tandis qu'avant la Regence, au dire de Duclos, on ne rencon-
trait de cuisiniers que dans les plus riches maisons, et que « plus de
la moitiö de la magistrature ne se servait que de cuisini&res », les
cuisiniers pulluterent. Toutes les habitudes furent boulevers£es :
« Quantitä de Services, de fonctions, dit encore Duclos, jadis reserves aux
femmes, sont exercäs par des hommes, ce qui enleve ä la campagne la plus belle
jeunesse, augmente dans la ville le nombre des faineanls et des Alles que la
misere livre ä la debauche. •
Et T^crivain conclut :
• Si Henri III disait, de Paris, rapo Iroppo grosso, que dirait-il, aujourd'hui
• que cettc capitale est le vampire du royaume?»
< 4o »
chap. ii Le systkme de Law.
Dans cette folie g6ne>ale, la criminalite augmenta dune maniere la crimisalits.
efTrayante. De grands seigneurs se firent accapareurs, escrocs et
voleurs. Un petit-fils du prince de Ligne, descendant des Montmo-
rency, parent du Regent, le comte de Hörn, et le comte de Mill, un
Pi6montais, tuerent de onze coups de baionnette, dans un cabaret de
la nie Quincampoix, un malheureux Mississipien pour lui voler son
portefeuille. Bien que toute la noblesse des Pays-Bas interc£d&t
pour le comte de Hörn, il fut roue* vif, en place de Greve.
II se commet une douzaine de meurtres durant le mois de
mars 1720 : on assassine une femme pour lui Voler 300000 livres; on
la coupe en morceaux qui, mis en sac, sont abandonn£s dans un
carrosse de louage. On coupe en morceaux le valet de chambre du
comte de Busca. En avril, dans une seule semaine, sept corps
d'hommcs et de femmes assassin6s et jet6s ä la riviere sont retrouvls
ä Saint-Cloud. En dlcembre, un Joseph L6vi assassine un de ses
coreligionnaires pour voler 4 millions en especes et en pierreries;
il tue aussi la femme de sa victime, et lui coupe le doigt qui portait
un diamant.
II est impossiblc de coraprendre un des caracteres du xvin e siecle, . lbs Pamphlets.
qui fut Tirrespect, si Ton ne sait pas qu'il s'ouvre, apres les ruines et
d6sastres de la fin de Louis XIV, par ccs dösordres de la Regence.
Des placards et des caricatures circulerent, oü les plus grands
noms de France elaient marquls d'une fletrissurc m£rit£e. Qu and les
agioteurs selablirent k la place Vendöme, on ecrivit et afficha que
c 6tait le camp de Conde : M. le Duc y etait g£ne>alissime, et le duc
d'Eströes g£neral; le duc de Guiche commandait les troupes auxi-
liaires; le duc de Chaulnes 6lait lieutenant g£ne>al; le duc d*Antin y
Intendant; le duc de La Force, trlsorier; le marquis de Lasse\ grand
pre\öt; le prince de L£on, greffier; Tabbt 1 de Coätlogon, aumönier; et
Law, raedecin empirique. De grandes dames £taienl vivandteres ä la
suite des regiments : Mmo de Vcrrüe, du r£giment de Lasse; Mme de
Prie, du r£giment de Cond£; Mme de Locmaria, du rrgiment de
Lambert; Mme de Parabere, du rtgiment d'Orl£ans; Mme de Sabran,
du rtgiment de Livry; Mmes de Monastcrel, de Gie\ de Nesle, de f
Polignac et de Saint-Pierre n'avaient pas d'attaches pröcises, et pour
cause.
Le th&Hre aussi s'amusa. Dans les « Aventures de la nie Quin- le thbatrb.
campoix »>, un procureur trouvait moyen de voler son voleur, et une
femme faisait passer un billet denlerrement pour une action des
Indes. Dans « Cartouche ou les voleurs », dont le succes fut consi-
dlrable, on reconnut le duc d'Antin, qui sp^cula sur les Stoffes; le
maröchal ci'Estrees, qui fit main basse sur le cafe et le chocolat; et
< Ai >
LIYRI P
La Regence.
le duc de La Force, qui tint des magasins secrets dans le couvent des
Vieux-Augustins, et les remplit, dit-on, de suif et de graisse.
LE VISA.
INJUSTICB
do pnocüoä
COMMISSION
POUR R&PARTIR
LES DBTTES
DE LA COMPAGNIE.
VI. — LA LIQUIDATION PAR LE VISA (1721-1722)
LA liquidation financiere du Systeme se Gt malhonn6Lement. II
sembla tout naturel de faire rendre gorge aux Mis&issipiens. Le
Gouvernement d6cida de soumettre ä un Visa tous les d&enieurs
d'effets provenant du Systeme, et m£me les dätenteurs de contrats
de rente. II interdit ä tout Francis de sortir de France avant deux
mois.
Le Gouvernement oubliait quil avait us£ et abus6 de la Banque
et de la Compagnie des Indes. Depuis que la Banque 6tait devenue
Banque royale et que la Compagnie avait pris ä son compte 1 500 mü-
lions de dettes de l'ßtat, il y avait entre elles et IE tat une solidariW
6troite. Lfitat avait ouvert des bureaux d'achat pour les actions, et
poussö la somme des billets 6mis de 1 200 millions ä plus de 2 mil-
liards 700 millions. Cependant le nouveau contröleur g£neral, Le Pel-
letier de La Houssaye, rejeta toute la responsabilitö sur la Compagnie,
qui avait demand£ ä se charger de l'administration de la Banque, et
le 24 janvier 1721 les actionnaires furent condamnes par le Conseil
de Rägence ä subir les consöquences de fautes dont on savait fort
bien qu'ils n'6taient pas coupables.
En vertu d arröts du 26 janvier, des commissaires furent nomm£s
pour assurer une räpartition (kjuitable des dettes de la Banque entre
les actionnaires de la Compagnie, et distinguer, parmi eux, les
hommes de bonne foi des agioteurs. Les commissaires furent pour
la plupart des ennemis de Law et de la Compagnie. A leur täte se
placa landen chef de l'Anti-Syst&me, PAris du Verney. Depouillee de
tous ses privilöges, la Compagnie dut leur remettre un 6tat d&ailM
de ses dettes, de ses cr£ances et de »es Emissions d'actions, el les
particuliers durent leur präsenter toutes actions, tous billets, quit-
tances ou contrats dcmcurös en leur possession. Une arm£e de
2000 commis fonctionna sous lcurs ordrcs au Louvre, dms6e en
54 bureaux.
Les commissaires trouverent la Banque en tr£s bon ordre, les
comptes ä jour, les rteultats clairs, m£me dans les affaires les plus
compüquees. Cet ordre ra^rac facilita leur travail. Le a0 juin 1721,
ils arrtMerent les regislres, et prirent leurs räsolutions. Le Conseil
d&larant que le Roi ne pouvait donner, par an, plus de 40 millions
a ses crtanciers, et que la Compagnie ne pouvait payer les difi-
< 4a >
CMAP. II
Le Systeme de Law.
CAT&GORIBS
DB CREANCIERS.
ARBITRAIRK
DU VISA.
dendes que de 50000 actions, ils d6cid6rent de ramener les dettes de
rßtat ei de la Compagnie ä la somme dont Tun et lautre pouvaient
disposer.
En yue de la banqueroute ainsi pr6par6e, les cräanciers de l'fitat
ou de la Compagnie farent r6partis en cinq catägories : en premi&re
ligne ceux qui avaient achetä des actions avec des r6c6piss6s du
Tresor, ou acceptä des billets de banque et des rentes, en behänge
de valeurs 6mises par rfitat; — ceux-lä, 6tant des actionnaires
forc6s, ne devaient rien perdre; en seconde ligne ceux qui avaient
re$u de particuliers des billets ou des actions, ä titre de rembourse-
ment; ils perdirent un sixiäme de leur capital. Les trois derni&res
categories subirent une diminution progressive ; la cinquiäme perdit
les dix-neuf vingttemes de ce qui lui ötait du : eile comprenait la
masse des gens qui ne pouvaient justifier de l'origine de leurs biens,
et qui furent suspectus de les devoir ä la sp£culation pure.
En somme, l'op&ation du Visa aboutissait ä une taxe sur des
categories de personnes. Ces cat6gories furent arbitrairement 6ta-
Uies. Paris du Verney se garda bien de toucher ä M. le Duc, häritier
probable de la R6gence, et aux agioteurs de haute marque, comme
Conti ou d'Antin. Parmi les grands seigneurs, le proefcs ne fut fait
qu au duc de La Force, qui avait sp^cule par des pr6te-noms, et fut
admonestä par le Parlement. Mais 185 personnes furent d6signöes,
par un arrät du Conseil du 29 juillet 1722, pour subir, sous forme
de capitation extraordinaire, une taxe de 187 millions. C'ätaient des
«gens de rien », devenus tout ä coup « trop riches », des « sangsues
gorgäes de richesses ».
Au reste Top6ration du Visa fut incompl&tc. Des accapareurs
d'esp&ces firent passer ä T6tranger ce qu'ils possödaient; ils y passfc-
rent eux-mömes. D'autres s'abstinrent de rien präsenter ä la värifi-
cation, aimant mieux perdre leurs titres que cTencourir une taxation
arbilraire. Sur les 3 ou 4 milliards que repr^sentaient, dit-on, les
effets en circulation, ii ne vint au Visa quo 2 milliards 222 millions,
qui furent präsentes par 511000 chefs de famille. Les commissaires
les räduisirent ä une valeur totale de 1 milliard 700 millions; en sorte
que l'fitat fit une banqueroute de 522 millions, dont le poids retomba
sur ces familles.
La Compagnie des Indes dut aussi faire sa banqueroute. De
125000 actions soumises au Visa, 69000 furent annuläes, et les D * " compagnie
56000 qui subsist&rent furent atlribuöes aux cat£gories daction-
naires qu il plut ä du Verney de däterminer.
Le Gouvernement se radoucit alors ä Tegard de la Compagnie.
Comme il lui devait une rente de 3 millions pour les 100 millions de
< 43 >
BANQUEROUTE
DE L'ETAT.
BANQUEROUTE
I
La Rigence. ura* primibb
billets d ßtat qu'elle avait retires de la circulation, lors de Immission
de ses premi&res actions, il s'acquitta de sa delte en lui attribuani la
ferme du domaine d'Occident, c'est-ä-dire de l'impdt de 3 pour 100
le\6 sur les raarchandises venues d'Am^rique, qui pouvait rapporter
1 million, et celle des tabacs qui valait 6 millions par an. Tout comple
fait, la laxe sur les millionnaires, la rßduction de la valeur des con-
trats, et la diminution du nombre des actions, produisaient k l'fitat
un gain d'environ 848 millions. 11 se chargea d'ailleurs du payement
des dettes subsistantes, c'est-ä-dire d'un inte>el de 47 millions par
an, 31 millions en rente perp6tuelle a 2 1/2 pour 100, et 16 millions en
rente viag^rc ä 4 pour 100.
AüTODAFä. Le dernier Episode du Systeme et du Visa fut un autodafe. Dans
une cage de fer de 18 pieds de long sur 8 pieds de large, on entassa
des billets de banque, des actions, des actes de notaires, des contrats
et des registrcs de liquidation; on brüla tout publiquement, et ainsi
disparurent les preuves d£taill£cs des violences commises dans le Visa.
Le Rögent aurait pu sortir d'embarras, apr6s la chute du Sys-
teme, sans recourir ä la banqueroute et ä la spoliation. Une Conven-
tion pouvait intervenir entre la Banque, la Compagnie des Indes
et leurs cröanciers; ißtat aurait reconnu la Banque; il aurait garanti
les chiflres fix£s par eile. Mais il (Hait dans les traditions de d6nouer
violemmcnt les crises financieres. La Monarchie, qui n'a jamais su
se donner des finances r£gulieres, pour salisfaire ä tous ses besoins,
s'etait habitule ä vivre d'exp&lients et de banqueroutes.
c 44 »
CHAP1TRE III
VABBE DUBOIS'
1. LA PBYSIOlfOMIE DE DUBOIS. — II. LA TRIPLEALL1ANCE (1116-1717). —
m. LA QUADRUPLE ALLIANCE ET LBS DECX CONSPIRATIOlfS DE LA DUCBES8I DU MAINE
IT DES BRETONS (1111-1720). — IV. LE RA PPR OCH EM EXT DE LA FRANCE ET DE
L'eSPAGNB (1722). — V. LA POLIT1QUE MOUlflSTE DE DUBOIS (1720-1721). - Tl. LA HS
U DUBOIS ET DU DUC D'ORLEANS (1723).
/. — LA PHYSIONOMIE DE DUBOIS
TOUTE la Ftegence est, pour ainsi dire, domin£e par deux pcrson.
nages trfcs singuliers, Law et Tabbö Dubois.
Personne peut-6tre n'a 6t6 plus maltraitö par Saint-Simon que
Dubois, cet homme « fort du commun », « de la lie du peuple », et
qui s'est 61ev6 « ä force de grec et de latin, de belles-lettres et de bei
esprit »... « Tous les vices combattaient en lui ä qui en derneure-
rait le mattre. 11s y faisaient un bruit et un combat continuel entre
l. hocRCES. Saint-Simon (i. XIII, XIV, XV, XVII, XVIII et XIX), Buvat, Villars (t. IV),
Moafle d'Angenrille, deja cites.
Recueil hislorique dactes, nigocialions, mimoires el Irailez depuis la paix dUtrecht jusquau
xcond congres de Cambrag incluswemenl, par M. Rousset, ai vol., La Haye. 1728-1755, t. 1
et II. Lamberty (de), Mimoires pour servir ä Thisloire du XVI II* siede, contenant les nigocia-
lions, trailet, risolutions, et au l res documenls authentiques eoncernanl les affaires dEtal, a* ed..
Amsterdam, 1795-1740, i4 vol., t. IX, X, XI. Mimoires secrels el correspondance inidite du. car-
iinml Dubois, premier minislre sous la regence du duc d' Orleans, recueillis, mis en ordre et
tagmentis dun pricis de la paix dUlrechl, par L. de Sevelioges, Paris, i8i4* a vol. Albe-
roni (J.-M.), Lettres intimes adressies au comte J. Rocca, publikes dapres le manuscril du
College de Saint-Lazare-Albironi, par Emile Bourgeois, Paris, 1893. Memoires of the life
•nd adminislralion of sir Robert Walpole, 1798, 3 vol., t. I. Argenson (M rt d'), Journal el
Mimoires (1697 1757), p. p. E.-J.-B. Rathery. Paris, 1859-1867, 9 vol., t. 1 et 111. Staal de
Laanay (Mme de), Mimoires, coli. Petitot, t. LXXVI1. Bervrick (marcchal de), Mimoires,
coli. Petitot, t. LXVI. Chansonnier hislorique du XVIW siede (Recueil Clairambault-Mau-
rcpas). p. p. E. Raonie, Paris, 1879-1884, 10 vol. La Regence, Paris, 1789-1880, 4 vol.
Ocvraoes a consulter : Lemontey, Lacretelle, Jober, Micnelet, Wiesener, Baudril-
lard (Alf.), Aubertin, Rocquain, Perey (Le prisident Hinaut) deja cites.
E. Bourgeois, Manuel hislorique de politique itrangire, t. I, Paris, 1898. Flassan (de), His-
loirt ginirale et raisonnie de la diplomatie francaise, Paris et Strasbourg, 1811, 3* edit., 7 vol.
Le droit public dt tBurope fondi sur les traitis conclus jusquen Vannie #740, s. 1., 1746, 2 vol.
< 45 >
tAmoignagbs
sur dubois.
La Rigence.
UVRI PREMIER
ORIGINBS
DB DÜB01S.
SOS PORTRAIT.
eux. L'avarice, la döbauche, l'ambition ätaient ses dieux; la perfidie,
la flatterie, les servages, ses moyens; l'impiötä parfaite, son repos; et
1'opinion que la probitö et Fhonnötetä sont des chim&res dont on se
pare et qui n'ont de r6alit6 dans personne, son principe, en consä-
quence duquel tous les moyens lui 6taient bons. »
Ce tämoignage porte la trace de pr£jug£s et de rancunes aristo-
cratiques. D autres le contredisent : la Princesse Palatine, m6re du
Regent, entretint avec Dubois une correspondance de quinze ans, oü
Ton voit qu'elle faisait grand cas de lui, et Fänelon t&noigna &
l'abbö Dubois son amiti£ et son estime.
N6 d'un mödecin de Brive en 1656, Dubois vint faire a Paris sa
Philosophie au College de Saint-Michel. Le principal du colläge le
d£signa au präcepteur du jeune duc de Chart res, M. de Saint-Lau-
rent, comme capable de le seconder dans ses fonctions. Dubois
devint sous-pr6cepteur du prince en 1683, puis präcepteur en titre
quatre ans plus tard. Averti par Mme de Maintenon du dessein
qu'avait Louis XIV de marier le duc de Chartres avec sa fille natu-
relle, Mlle de Blois, il präpara habilement cette affaire qui se conclut
en 1692. II conserva une grande influence sur son 61&ve et le suivit
jusqu'aux armees, ce qui porta ombrage ä nombre de gens, et lui
valut des avanies. On le raillait sur son « envie de plaire ». Mais
Dubois laissait causer les envieux : « Conform&nent ä la routine de
ces messieurs, dit-il, on me reproche de n'ötrc pas fils d'un duc et
pair; ce qu'ils appellent £tre n6 dans la boue ».
Ce petit homme maigre, ä perruque blonde, au teint plomb6,
aux yeux pergants et malins, seduisait par une physionomie cares-
sante. Bien qu'il begayät un peu, il 6tait un causeur endiablä, 6tin-
celant de verve, ä table surtout, oü il ne mangeait ni ne buvait. II
avait un esprit extraordinairement lucide, une facilit£ de travail sur-
(Mably). Coie, L'Espagne soas les rois de la maison de Boarbon depuis Philippe V jasqa'ä
la morl de Charles III {1700-9788), trad. Muriel, Paris, 1827, 6 vol. t. I a III. Seühac (de),
JJAbbi Dubois, premier min ist re de Louis XV, Paris, 186a. Bliard (le Pere P.), Dubois cor-
dinal et premier ministre (i656-i7a3), Paris, t. I, 1901. Cheruel, Saint-Simon et Fabbi Dabei*
(Revue historique, t. I, 1876). Lord Mahon (Stanhope), Hislory of England front thepeaoe of
Utrecht lo Ihe peace of Versailles (I718-f783), 7 vol., i838-i853, t. I et II. Lecky, Hislory of
England in Ihe eighleenth centary, 1878-1890, 8 vol. Weber, Die Quadrupel-Allianz vom Jahn
1718, Vienne, 1887. Legrelle, La diplomalie francaise et la suecession (TEspagne (1 $59-171$),
Paris, 1888-1893, 4 vol., t. III et IV. Campardon, Priface du Journal de Buoal. Carne(de), Lee
Etats de Bretagne et radmhistration de celte province jusquen 1789, Paris, 18G8 et 1875, s*6d.,
a vol. in -8, t. II. La Borderie (de), La conspiralion de Pontcallec (Revue de Bretagne et de
Vendee, t. III, jan vier i858). Boutry (M.), ünecrialure da cardinal Dubois, Inlrigaes et missions
du cardinal de Tencin, d'apres les Archive« du ministere des Affaires etrangeres, 190». Funck-
Brcntano (Frantz), Ligendes et archioes de la Bastille (Mlle de Launay), Parte, 189B. Ras*
band, La uisite de Pierre le Grand ä Paris (Revue politique et litteraire, t LH, 189t, »• sein.).
Recueil des Instructions donnies aux ambassadeurs et ministres de France (Rassle), t. VIII-DL
Introduction, Paris, 1890. Wassileff (Mathieu), Bussisch-franzcesische Politik, fW»-#7#7, t. 111.
D'Haussonville, La visile du Tsar Pierre-le- Grand, 1717 (Revue des Deux Mondes, l5 OC-
tobre 1896.) Sainte-Beuve, Nouoeaux Landis, t. X (Louis XV et le marechal de NoattlesV
< 46 >
onAP.ni
UAbbi Duboit,
prenante, une volonte obstin6e. Nul scrupule ne le gönait. A la
cour de Monsieur, dans la compagnie d'un Chevalier de Lorraine
ou d'un marquis d'Effiat, il v6cut la vie libertine. II 6tait Irös
avide; n6 miserable, il se composera, du fruit de ses abbayes et
du traitement de ses charges, un revenu de 630000 livres, a peu
prös deux millions d'aujourd'hui. Tr6s ambitieux, pröt ä jouer
tous les röles en vue de parvenir, moiti6 Gil-Blas et moitiä
Frontin, il fut plus babile et plus fort que tous ceux qui lui dispu-
taient Tinfluence. II devint ce quil voulut : conseiller d'fitat, secr6-
taire dßtat, acadämicien, archevßque, cardinal, premier ministre,
maltre de la France.
//. — LA TRIPLE-ALLIANCE (1716-1 717)
G'EST par Dubois que fut dirigöe la politique extörieure de la
R6gence. Au moment oü il se mit a Toeuvre, la paix 6tait mal
assuräe. Philippe V d&estait le Regent, quil accusait, non sans raison,
davoir voulu se substituer a luisur le tröne d'Espagne. II maintenait
ses droits ä la couronne de France, et il 6tait rösolu ä les faire valoir,
si le petit roi venait ä mourir. Pour satisfaire aux engagements pris
envers TEurope, il aurait tenu s6par£s les deux royaumes, en don-
nant l'une des deux couronnes ä Tun de ses fils. Et puis Philippe V
n 'avait renoncä qua regret aux parties de la succession quil avait
fallu c£der ä l'Empereur. Enßn il 6tait poussä aux aventures par sa
seconde femme et par Alberoni, son principal ministre. Sa femme
Elisabeth Farn&se, ni&ce de Fran^ois, duc de Parme, et de Cosme,
grand duc de Toscane, voulait assurer ä ses enfants la reversibiUtt
de ces deux fitats. Italien comme la reine, petit abW, amenä par
Vendftme en Espagne, favori de la princesse des Ursins, Alberoni
avait inspii-6 le manage d'filisabeth. Pour seconder l'ambition de la
Reine, il voulait chasser d'Italie les Autrichiens, ou tout au moins
leur reprendre le Milanais, les pr^sides de Toscane et le royaume de
Naples, anciennes possessions d'Espagne. Les Bourbons d'Espagne
mena^aient ainsi ä la fois la France et l'Autriche. Tr&s Gnergique-
ment, Alberoni travaillait ä mettre 1' Espagne en force; il r£organi-
sait les fmances, lärmen et la marine. II comprit que, dans les con-
flits futurs, il aurait besoin de I'amiti6 de l'Angleterre; Philippe V,
malgrä sa r^pugnance de dävot ä traiter avec des he><Hiqucs, signa, le
14 dlcembre 1715, avec les Anglais un IraiU* de commerce qui renou-
velait les clauses non appliqu£es encore du traitä d'Utrecht, en par-
ticulier celle qui leur permettait d'cnvoyer tous les ans aux colonies
« 47 »
PfflUPPg'V.
äUSASBTB
FARNE SB BT
ALB&RONL
La Rigenee. "▼»■ rauma
espagnoles d'Amörique un vaisseau charg6 de marchandises et d y
faire la traite des nfcgres ! .
ALLiANcs anglo- Mais le roi George I er d' Angle terrc avait des raisons de ne pas se
äütrichibnnb. brouiller avec TEmpereur. Charles VI avait refus£ & Rastadt de
garantir la succession d'Angleterre dans la maison de Hanovre, et le
Prötendant, Jacques Stuart, avait un parti ä la cour de Vienne.
Puis, en 1715, George avait achet6 Bröme et Verden au Danemark
qui avait conquis ces villes sur la Su&de Fannie pr6c6dente ; il s'6tait
par la grandement fortiflä dans son 6lectorat, commandant tout le
pays entre le Weser et l'Elbe; mais, pour devenir tranquille posses-
seur de Bröme et de Verden, il lui fallait Tinvestiture imperiale. De
son cöt6, PEmpereur, menacö par l'Espagne, ne voulait pas se faire
ennemi du roi George. Le 25 mai 1716, les deux princes se garan-
tirent r6ciproquement leurs possessions.
difficultes Le Regent h6sita sur la conduite ä tenir. George I er lui avait
d'une aluancb fait des avances avant la mort de Louis XIV. II avait appris que le
FBANco-ANGLAisB. TO i j e France avait test6 contre son neveu; il apprähendait une
r6gence de Philippe V, et soupgonnait les princes 16gitim6s d'6tre les
amis du Pr^tendant ; il avait donc, par l'intermädiaire de lord Stairs,
son ambassadeur, li6 partie avec le duc d'Orläans contre le duc du
Maine. Mais l'opinion frangaise tenait ferme pour le Prötendant contre
le successeur de ce Guillaume d'Orange, que la France avait tant
d6test6. Elle voulait l'alliance espagnole, ne se r£signant pas ä l'idäe
que tant d'argent et de sang frangais aient pu 6tre d6pens£s en pure
perte. C^tait l'opinion de D'Huxelles et de Torcy qui soutenaient que
l'alliance espagnole devait ötre le fondement de la politique frangaise.
Devenu rögent, le duc d'Orläans n'osa braver l'opinion ; il tol6ra le
rasserablement, ä Boulogne, au Havre et k Dieppe, d'hommes et de
munitions destin6s a une insurrection jacobite. II permitau Pr6ten-
dant de traverser la France et Paris, pour aller s'embarquer &
Dunkerque, le 16 däcembre 1715. D'ailleurs, en Angleterre, le projet
d'entente se heurtait ä de grandes räsistances. Les ministres ne vou-
laient pas, disaient-ils, jouer leur fortune et leur töte en n6gociant
une alliance frangaise.
menacbs L'insurrection soulev6e en ficosse avorta, et le Prätendant, en
db vanglbtbrre. re venant ä Thospitalit6 de la France, mit le Regent dans Tembarras.
L'ambassadeur Stairs räclama, en avril 1716, le renvoi du Pr6ten-
dant, l'expulsion de ses partisans, et insista pour que le nouveau
canal de Mardick füt mis en tel 6tat qu'il ne püt laisser passer que de
pctits navires. Un des griefs de l'Angleterre contre la France 6tait
l. Voir Hui. de France, t. VIII, i, p. 187.
1 48 >
otap. m L'Abbi Dubois.
que le gouveroement frangais entreprenait de substituer Mardick ä
Dunkerque, dont le port avait 6t6 d6truit, conformäment ä une stipu-
lation du traitt d'Utrecht.
Cependant les raisons snbsistaient pour le R6gent de se protäger Arbitrage
contre l'Espagne. Le rapprochement avec TAngleterre se fit par de la Hollands.
l'interm&liaire de la Hollande, qui 6tait sortie mäcontente de la guerre
de Succession. Au prix d'une dette Enorme eile n'avait obtenu que
d'augmenter son inuiile ei coüieuse « barrifcre ». Elle voulait, pour
se refaire, le maintien de la paix, et se trouvait ainsi propre ä la
fonction de m&Hatrice. L'ambassadeur de France ä La Hayc, ChA-
teauneuf, fut donc chargg de n6gocier avec le Pensionnaire; il assura
quo le roi de Prance d6sirait conclure une alliance defensive avec le
roi d'Angieterre pour le maintien des traitls faits ä Utrecht, et parti-
culi&rement pour garantir Tordre de succession aux couronnes de
France et d'Angieterre. II ajouta qu'au sujet du Prälendant et de
Mardick, il serait facile de calmer les susceptibilites des Anglais, la
France 6tant pröte & faire tout ce qui serait compatible avec sa
dignitä. II exprimait enfin le d6sir de voir la Hollande s'adjoindre
k Talliance projetee. Les propositions de ChÄteauneuf furent bien
accueillies en mai 1716.
C'ätait un succös que d'avoir l'appui de la Hollande; mais le dubois
gouvernement fran^ais sentit, sous les protestations de bonne volonte * la uatb.
des ministres anglais, l'intention de tralner les choses en longueur.
Le Regent resolut d'agir directement et secrötement auprös du roi
d'Angieterre par le moyen de 1'abM Dubois, conseiller d'Etat depuis
le 2 jan vier, et en relations personnelles avec le ministre Stanhope.
Comme George I er devaii faire avec Stanhope un voyage en Hanovre,
Dubois cfccida d'aller l'attendre au passage en Hollande. Se donnant
pour un malade en voyage et pour un amateur de livres et de tableaux,
il arrive & La Haye en juillet 1716, se fait reconnattre de ChÄteauneuf,
en l'abordant dans les öcuries de l'ambassade, obtient des entrevues
avec Stanhope, auquel il remet deux lettres, Fune pourle roi d'Angle-
terre et l'autre pour lui.
Stanhope demanda que le Pr^tendant quitt&t la France, avant
tous pourparlers, et il repr&enta la difficultö de faire du traitö
d'Utrecht la base d'une alliance franco-anglaise, le roi George 6tant
Fallit de l'Empereur, et l'Empereur n'ayant pas reconnu ce traitt.
Dubois räussit & faire tomber en partie ses pröventions et Celles de
George, qu il ne vit pas, mais qui fut mis au courant de la n6gocia-
tion. Comme l'abb6 n'avait pas les pouvoirs nöcessaires pour trai-
ter, il alla les demander ä Paris, et rejoignit le roi d'Angieterre ä
Hanovre.
< 49 >
viii. 2. *
La Rigence.
uvai ratmn
DDBOIS
A BANOVRK.
LA TRIPLB
ALUANCB
(4 JASVIBR IHT)<
Installö le 19 aoüt dans la m6me maison que Stanhope, il nägocia
du matin au soir, « en robe de chambre et en bonnet de nuit ». Celle
nögociaüon 6tait bien son oeuvre personnelle; car, aupr&s du Regent,
les partisans de l'ancienne politique travaillaient contre lui. Heureu-
sement poor Dubois, Stanhope avait des raisons d'ötre accommo-
dant. Tandis que les Danois avaient enlev6 k la Su&de les territoires
de Br6me et de Verden, le tsar Pierre avait pr£t6 secours k son
neveu, le duc de Mecklembourg, pour r6duire sa noblesse k Fob&s-
sance, et en avait profit£ pour occuper le Mecklembourg. R6concili6
avec Charles XII, il avait, avec lui, projet6 derenverser George I er et
de lui substituer le Pr6tendant. Du Mecklembourg, il mena$ait le
Hanovre et les duchäs de Bröme et de Verden. George craignit que
je Regent ne s'alliAt avec le tsar qui pr6cis6ment essayait de s'en-
tendre avec la France. Le roi d'Angleterre en vint donc k d&irer
l'alliance frangaise aussi vivement que le Regent l'alliance anglaise.
Dubois, aprto avoir fait une belle defense, consentit le renvoi du
Prätendant et la d6molition des fortiCcations de Mardick; de son
cöt6, Stanhope consentit la garantie des trait£s d'Utrecht. Cet accord
fut conclu le 10 octobre 1716. Dubois retourna a La Haye, gagna
l'adh6sion des Hollandais et signa avec eux et l'Angleterre une Triple-
Alliance, le 4 janvier 1717. 11 6crivit alors au Regent :
• Vous voüa höre de page, ei raoi hors de mes frayeurs.... Je m*estime tre*
• heureux d 'avoir ete honore de vos ordres dans une aflaire si essentielle k
• votre bonheur, et je vous suis plus redevable de m'avoir donne cette marque
« de l'honneur de votre conflance, que si vous m'aviez fait cardinal. •
wtcoNTBNTB' La Triple Alliance fut mal accueillie en France. Le R6gent qui
mbnt bn Francs, avait accordö lexpulsion du PrGtendant et la d6molition de Mardick
fut accus£ de sacrifier ä son int6r£t personnel les inl6r£ts de la Nation.
On oubliait qua la fin de la guerre de la Succession d'Espagne, le
salut öiait venu ä la France dune paix particuliöre avec l'Angleterre,
dont la condition sine qua non avait H6 le sacriCce de Dunkerque.
Or, les travaux faits ä Mardick avaient pour objet de rcprendre ce
qui avait 616 donn6. D'ailleurs, en donnant ä la France, isol6e au
döbut de la Rdgence et menacöe par Tentente anglo-espagnole,
l'appui de l'Angleterre et de la Hollande, le R6gent ne travaillail pas
seulemcnt pour lui. II assurait le repos ä son pays qui, aprös un r&gne
tout rempli de guerres ruincuses, avait besoin de paix 1 .
i. Dapre* Saint Simon vi D'Argenaoo, Dubois *e aeralt rendu aux Anglata. Or, nl le»
documcnts brilnnnique*. ni la correspondance de Duboi* ne permettent de le »uppoter.
L'Angleterre norait d nilleur* pa* brsoin il'acheter uo bommequi reeberchait bod alliaoee
arec ardeur. II +%i lntcr***ant de con»tatcr que Dubois. au contraire, caaajra dache ter
Stanhope. II a Ter»« de l'argent en Anglctcrre et en Holland«.
5o >
. III
UAbbi Dubois.
A peine le Regent avait-il conclu la Triple-Alliance que le tsar
ciitreprit de lui montrer Tutilitö dune alliance russe, rempla$ant pour
la France l'ancienne alliance suädoise; il se faisait fort d'entratner ä
sa suite la Prusse et la Pologne. 11 vint ä Paris, en juin 1717, et son
ministre, Kourakine, entra en pourparlers avec le pr6sident du
Conseil des Affaires ätrangfcres. Mais le Regent et Dubois, voyant les
Russes et les Anglais en hostilitä dans la Basse-Allemagne et sur la
Baltique, pens£rent qu'une alliance russe ötait inconciliable avec la
Triple-Alliance. Ils considärerent que, celle-ci rompue, ils se retrouve-
raient isol6s en präsence de l'Angleterre et de TAutriche, sans cesser
d'avoir lEspagne pour ennemie. Ils se contentörent d'offrir leur
mädiation aux Russes et aux Su6dois, pour amener une paix qui
devait 6tre sign£e ä Nystadt en 1721.
PROJETS
D'ALUANCB
RUSSE-
HI. — LA QUADRUPLE-ALLIANCE ET LES DEUX
CONSPIRATIONS DE LA DUCHESSE DU MAINE ET DES
BRETONS (1717-1720)
REVENU de la Haye ä Paris, et entrö au Conseil des Affaires
6trang&res le 26 mars 1717, Dubois passa en Angleterre, au
mois de septembre 1717, pour nögocier une extension de la Triple-
Alliance. II s'agissait d'amener l'Empereur et le roi d'Espagne lui-
m£me ä la politique de la paix g6n6rale, toujours sur la base d'Utrecht.
A Londres, Dubois, re$u comme un ami de la nation, courut les
bals, les chasses et les concerts, s'assit ä des banquets de 800 cou-
verts, eut des indigestions, la fifcvre, la goutte, fut mis au traitement
du lait et enCn tenu au lit. Remis sur pied, il renonga ä gagner
l'estime des hommes par sa vaillance ä table ; il 6tait mädiocre man-
geur et buveur. II fit venir de Paris des Stoffes et des modöles de
robes et une grande poup6e, pour montrer aux dames comment se
portaient chez nous les robes, les coiffures et les manteaux; il
assortit les nuances des Stoffes au teint de chacune, ä l'air du visage
et & la taille; il discuta la longueut* des queues de robe et l'article des
doublures.
Pendant les Conferences de Londres, PEspagne commit de
grandes imprudences. Elle aurait du pr^voir le rapprochement de la
Triple-Alliance et de l'Empereur, et se rapprocber elle-möme, au
plus vite, de Charles VI, pour ne pas demeurcr isoläe ; eile aurait du
tout au moins ne rien faire qui füt une provocation ä l'6gard de
l'Autriche. Albäroni le comprenait; mais il fut oblig6 de servir la
passion du Roi et de la Reine, obstinäs dans leurs projets sur Tltalie.
Au mois de mai 1717, le grand inquisiteur d'Espagne ayant 6tA
DUBOIS
EN ASGLETBRRE.
RUPTURE BNTRB
VESPAGNE
ET LEMPEREUK
5l
La Rigence.
UVRE PftBMIBa
CONVENTIONS
Du it JV1LLBT
na.
QUADRUPLE-
ALUANCB
(t AOÜT Uli).
LA DUCHESSE
DU MAINE.
LS COMPLOT.
arr£L6 en Milanais comme sujet rebelle de l'Empereur, qui conti-
nuait ä porter le titre de roi d'Espagne, le gouvernement espagnol
däbarqua des iroupes en Sardaigne et prit possession de ttle le
32 aoüt 1717. L'Empereur n'avait pas de na vires pour chasser les
Espagnols; mais, comme il nägociait d6jä avec George 1" un accord
sur les bases de celui de La Haye, il d6nonca k la Triple-Alliance
f agression de l'Espagne. Stanhope et Dubois präpar&rent un accom-
modement, qui serait regte selon les termes dune Convention arr£t6e
en juillet 1718 : la couronne d'Espagne devait 6tre garaniie k Phi-
lippe V, et la succession de Toscane et de Panne au fils atn6 d'filisa-
beth Farnese; Victor- Amed^e de Savoie c£derait la Sicile k l'Empe-
reur et recevrait en öchange la Sardaigne. Mais l'Espagne voulait
Parme et la Toscane tout de suite, et refusait de restituer la Sardaigne.
Elle occupa m6me la Sicile, en juillet 1718. Alors l'Empereur adhera
k la Triple-Alliance par le traitö de Londres du 2 aoüt 1718.
II renoncait k la couronne dEspagne ä condition que Philippe V
ne prcHendrait rien sur les Pays-Bas; il proposait d'6changer avec
le duc de Savoie la Sardaigne contre la Sicile; les fils dfilisabeth
Farn&se auraient la Toscane et Parme, des que la succession en
serait ouverte; et, comme c'6taient des fiefs imp6riaux, TEmpereiir
leur en donnerait Tinvestitore. A quelques jours de lä, le 11 aoüt,
l'amiral Byng, qui avait pour Instructions de s'opposer k tout d6bar-
quement des Espagnols en Italie ou en Sicile, rencontrant une flotte
espagnole en vue de Syracuse et du cap Passaro, la d6truisit. Au
m£mc moment, le Rogen t, mis au courant dune conspiration trampe
contre lui par la duchesse du Maine, de concert avec l'ambassadeur
d'Espagne, se familiarisait avec l'idäe de däclarer la guerre k
l'Espagne. Dubois devint secr&aire d'Etat des Affaires 6trangferes
par commission en septembre 1718.
Le duc du Maine, 6vinc£ par le Regent le 2 septembre 1715, et
ramcn6 le 26 aoüt 1718 du rang de prince au rang de pair, 6tait
homme k tout subir. Mais la duchesse, B£n6dicte. petite-fille da Grand
Cond6, se chargea de venger son mari. Toute petite, presque naine,
charmante, eile avait dlsolö le duc par le möpris qu'elle faisait de lui,
par ses dlpenses, ses caprices et sa vanite. Elle tenait k Sceanx une
cour de seignenrs oisifs qui r^vaient dun rüle politiqiie, de gens de
lettres, de libellistes et de petita po6tes qui chansonnaient tantdt le
Regent* lantöt sa fille, Mme de Berry. Chef de la faction de I'ancienne
Cour, la duchesse voulut Her partie avec Philippe V, qu'elle regar-
dait comme rhlrilicr de Louis XIV; eile fut l'inspiratrice du complot
que Ton d^signe par le nom de Cellamare.
Ce complot rcssemble k un roman. Le j&uilc Tournemine pr6-
5a
cbap. m LAbbi Duboti.
sente k la duchesse un aventurier de Liege, le baron de Walef, qui
s'oflre k faire pour eile un voyage d'Espagne. La duchesse le Charge
de s'informer des intentions de Philippe V, et eile lui remet cent louis
d'or et une lettre de creance. Walef se rend aupres d'Alberoni, et lui
soumet le plan dun partage des royaumes de France, d'Espagne et
de Sicile, pour le cas oü Louis XV viendrait k mourir.
Mais la duchesse veut correspondre directement avec Alb6roni. la duchbssb
Pourcela, il faut recourirä Tambassadeur d'Espagne, Cellamare. Elle etvambassadbu*
se met en relations avec lui par le comte de Laval et par un certain cellamarb,
marquis de Pompadour, homme sans ressources, en quele de moyens
de fortune. Elle regoit la visite de lambassadeur dans sa maison de
F Arsenal, et lui remet des mämoires oü sont exposäes les raisons
qui devaient d&erminer Philippe V k s'allier k la France contre
PEmpereur et l'Angleterre. Cellamare se contente de faire connaftre
k Altaroni, le 25 mai 1718, l'entrevue de T Arsenal. Mais quand la
Quadruple- Alliance est conclue, en aoüt 1718, Albe>oni cherche k
tirer parti des intrigues de France. Dans de nouvelles entrevues k
r Arsenal, on parle d'agiter lopinion contre le Regent, de r6clamer
la convocation des Etats g6ne>aux, et d'ötablir une autre forme de
Regence.
Un certain abb£ Brigault conseille la duchesse dans sa corres- labbe" brigaült.
pondance avec Madrid. II rödige des memoires, et corrige les 6crits
qu*elle envoie en Espagne : une requele des Fransais au Roi Catho-
lique, demandant la convocation des Etats g6n6raux ; une lettre que
Philippe V 6crirait k Louis XV; une circulaire qu'il adresserait aux
Parlements de France; un manifeste pour ordonner la convocation
des Etats gänöraux. On espärait que Philippe V renverrait lettre,
circulaire et manifeste avec sa signature.
Mais Philippe sentit bien qu'il ne pouvait prendre la R6gence vubs
pour lui, ni mßme la faire passer au duc de Bourbon ou au prince de DB phiuppe y.
Conti, encore moins aux bAtards. II s'arräta k la combinaison de
faire un Conseil de R6gence oü siögeraient les princes du sang,
m6me les bAtards, avec un certain nombre de grands personnages.
Le bruit courut alors que le Regent allait Ätre enlev6 et que
6000 faux-sauniers, assembles dans le voisinage de Paris, ttaient
prÄts pour un coup de main. Mais il n'y eut jamais de p^ril seVieux.
Les hommes les plus hostiles au Regent, comme Villars et Tesse\
n'&aient pas disposes k s'aventurer; et, dans l'armäe, seuls le lieute-
nant-g6n6ral Saint-Geniez-Navailles et le comte d'Aydie sengagerent
nettement avec l'Espagne.
A Londres, pendant son ambassade, Dubois avait £te" informe' du
complot, d6s le mois de juillet 1718, par Stanhope. II averüt le
< 53 >
La Regence.
uvri ramni
CONSPIRATIOS
DtiCOUVBHTE.
ABBESTATION
DU DUC ET DB
LA DÜCHESSB
DU MAINE.
B1DJCÜLE
Dl COUPLOT.
JUSTIFICAT10N
DB LA CONDOITB
DU BEGBNT.
Regent. Un employ6 de la bibliothfeque du Roi, Buvat, dont F Ven-
ture avait 6t6 reconnue sur un memoire cnvoyä par Cellamare k
Londres, fut obligö, pour öviter un chAtiment, de tenir le gou-
vernement au courant du iravail de copiste que les conjurös lui
conliaient.
Lorsqu'il fut devenu secr&aire d'£tat des Affaires ötrang&res,
Dubois surveilla mieux que jamais Cellamare. Le 25 novembre,
l'ambassadeur fran^ais en Espagne, Saint-Aignan, l'avertissait que
Philippe V projetait de porter en France la guerre civile, qu'il devait
emmener avec lui son fils le prince des Asluries, en laissant le gou-
vernement de P Espagne k une junte. Alors, le 5 d&embre 1718,
Dubois fait arröter, k Poitiers, TabM Porto-Carrero et le fils du
marquis de Mont61£on, qui portaient en Espagne les d6p£ches de
Cellamare. Le 13 däcembre, les papiers de l'ambassadeur sont saisis
et lui gard6 ä vue; Tabb6 Brigault, puis le duc et la duchesse du
Maine sont arr6l6s.
Le duc du Maine fut mis en route pour Doullens, entre un lieu-
tenant des gardes du corps et un brigadier des mousquetaires.
• Le silence fut peu interrompu dans le carrosse, dit Saint-Simon. Par d,
par la, M. du Maine, disait qu'il 6tait... tree attacb6 au Roi, qu'ü ne l'6tait pas
moins k M. le duc d 'Orleans... et qu'il etait bien malheureux que son Altesse
Royale donnat creance ä ses ennemis... tout ccla par hoquets, et parmi forte
soupirs; de temps en temps, des eignes de croix et des marmottages, baa
comme des prieres, et des plongeons de sa part ä chaque eglise ou ä cbaque
croix par oü ils passaient •
La duchesse avait re^u de trfcs haut M. d'Ancenis* capitaine des
gardes du corps. Elle fut conduite au chAteau de Dijon, y demeura
cinq mois, s'ennuyant & pörir, fut transteräe k Chalon-sur-Saöne, ne
s y ennuya pas moins, et finit par faire des aveux et sa soumission
pour recouvrer sa libert^.
On emprisonna k la Bastille, avec l'abbl Brigault, Pompadour,
Laval, Mal6zieux, secr^taire des commandements de la duchesse«
Mlle de Launay, une de ses filles d'honneur, le cardinal de Polignac,
le marquis de Boisdavy et d'autres encore. Quand on eut obtenu de
tous des aveux par £crit, on les mit en liberl6. Ce n'ötaient pas des
gens & craindre, et tout ce complot n'£tait que ridicule. Mais
l'Espagne en fut d£consid<We.
Dubois publia les papiers de la conspiration On s'indigna contre
la d£loyaute de l'ambassadeur Cellamare. Tout le Conseil de R6gence
prit parli pour la pruerre contre l'Espagne, et Torcy lui-m6me approuv*
la politique du Regent, forc6 ä faire la guerre, pour se döfendre,
mais, en m£me temps, pour assurer la paix de l'Europe.
54 )
<bap. m
VAbbi Dubois.
Apr&s une inutile tentative de conciliation faite par la Quadruple- güerbb contrb
Alliance aupr&s de Philippe V, l'Angleterre, qui avait d£jä ouvert les lbspagnb (/zi#).
hostilit£s contre les Espagnols ä Syracuse, leur däclara la guerre le
28 döcembre 1718, et la France fit de möme, le 9 janvier 1719. Phi-
lippe V publia des manifestes que condamnörent les Parlements, et
les hostilit£s s'ouvrirent.
Alb£roni essaya une double diversion en organisant une expödition
en ficosse, et en encourageant un soulevement en Bretagne. Une flotte
partit de Cadix, sous le commandcment du comte d'Ormond, avec un
corps de döbarquement de 5 000 hommes, que le Pr&endant, appel6
d'Italie, devait rejoindre. Mais une tempäte s'61eva dans le golfe de
Biscaye le 7 mars; les navires espagnols furent däsemparös ou dis-
perses. Deux frägates seulement arriv&rent & destination le 16 avril.
Les Fran$ais, sous le commandement de Berwick, franchirent
la Bidassoa, le 21 avril. Le 27, prenant le nora de Philippe de France,
le roi d'Espagne lan<ja une däclaration oü il invitait l'armöe d'inva-
sion ä se joindre ä ses troupes. Les Parlements par des arrets, et
Louis XV par une lettre ä Berwick lui r£pliqu&rent. Les principales
forces de l'Espagnc se trouvant en Sicile, Berwick ne rencontra nulle
part de räsistance särieuse. II occupa le port du Passage, y brüla des
ca vires, des arsenaux, des magasins; il prit Fontarabie le 18 juin,
Saint-S6bastien le 19 aotit. Pendant quil assiägeait cette derni&re
ville, un corps d6tach6 de son arm£e alla, pour faire plaisir aux
Anglais, brüler des navires espagnols ä Santona. Le Guipuzcoa 6tait
conquis. Philippe V, qui 6tait venu ä Pampelune, avait maintes fois
cherch6 & se rendre dans le camp de Berwick. II croyait qu'un petit-
Öls de Louis XIV se pr&entant ä des Francis serait acclamä par eux.
Comme Berwick n'avait pas le matäriel qu'il aurait fallu pour
assiäger Pampelune, U revint en France, afin de passer en Cata-
logne. 11 sempara d'Urgel le 12 octobre et investit Rosas; mais, ne
recevant pas d artillerie, il se retira en Roussillon pour p rendre ses
quartiere d'hiver, & port^e de la Catalogne, oü une insurrection
contre l'Espagne 6tait toujours possible.
La diversion de Bretagne ne r£ussit pas mieux que celle d'ficosse. consnration
Les Etats de Bretagne avaienl refusö, en 1717, de voter le don db mubtagnb
gratuit. Ils reprochaient au gouverneur de Montesquiou de violer
les essentiels privil&ges de la pro vi nee, le libre vote des impöls, et de
rompre ainsi le contrat qui les liait ä la France. Les ßtals avaient 6i&
dissous et plusieurs genlilshommes et conseillers au Parlement exilta.
En 1718, ils avaient consenti le don gratuit; mais le R6gent voulant
r£tablir une taxe sur les boissons, qu'il avait supprim£e, la noblesse
refusa obstin&nent de la voter. Bien que le clergö et le tiers consen-
4 55 >
La Regence. "vre prxmiui
tissent & l'accepter, la noblesse soutint que son refus faisait loi, que
l'unanimitä des ordres 6tait requise pour le vote des impöts, et que
la perception de la taxe serait illegale. Le Parlement de Rennes
adressa des remontrances au R6gent le 20 aoüt. Mais c'ätait le
moment oü le jeune roi, en lit de justice, interdisait au Parlement de
Paris Tusage des remontrances. La noblesse bretonne n'obtint qu'une
dure räponse. Elle fit alors d^poser une protestatio^ au greife du Par-
lement, et cette compagnie, le 7 septembre, interdit toute lev6e de
deniers sans consentement des Etats. Le lendemain, soixante-trois
gentilshommes furent exilös, et Montesquiou signifia aux Etats, de la
part du Roi, que, si quelqu'un osait s'opposer & l'ex6cution des arrtts
du Gonseil, la punition ne se ferait pas attendre. Pluaieurs membres
de la noblesse furent arr6t6s; d'autres r£digerent un acte d'association
pour la defense des libertes de la province. Cette piöce fut colportöe
par Mmes de Kankoen et de Bonnamour, qui däclaraient infame et
d6grad6 de la noblesse tout gentilhomme qui refusait de la signer.
laubilly et Au mois d'avril 1719, une conspiration s'organisa dans une
MäLAc-HBRviBUx assemblto tenue ä l'abbaye de Lanvaux, ä quatre lieues au nord
(nf9) - d'Auray. M. de Lambilly proposa de demander l'appui de l'Espagne.
Une seule voix se rangea k son avis; il n'en prit pas moins sur lui
d'envoyer ä Philippe V, & la fin de mai 1719, un messager nomm£
Mölac-Hervieux, qui se donna comme d6put£ de la noblesse bre-
tonne. Philippe promit des troupes aux Bretons et donna en juin 1719
30000 livres & Melac pour acheter des armes.
Organisation Les r6volt6s Bretons se präparfcrent ä la guerre contre le roi de
muTAiRE. France; ils nommerent les chefs de leur future arm6e : Cou6 de
Salarum, commissaireg6n£ral, Le Gouvello de Keranträ, marächal de
camp, de Lambilly, intendant et träsorier g£n£ral. Les 6v£chfe de Bre-
tagne £taient des subdivisions militaires dont les chefs formaient une
sorte de conseil de guerre. Devant ce conseil parut Mölac-Hervieux,
arrivant d'Espagne avec des propositions de Philippe V qui furent
acceptäes. La Bretagne devait mettre sur pied 12 000 fantassins et
2000 ca valiers, et l'Espagne fournir qualre bataillons, de l'argent et
un gänöral. Au lieu de faire tout de suite la guerre de partisans, oü
ils auraient eu chance de lutter sans trop grand d&avantage, les
chefs bretons, la plupart danciens officiers, youlurent pratiquer la
guerre m£thodique, et ils attendirent les troupes d'Espagne. Mais
l'escadre espagnole fut bloqu6e par les Anglais, ä La Corogne, et les
transports immobilisäs en septembre 1719.
chambrb Royalb De Santander, un Francais avertit le R6gent des mouvements
db Nantes espagnols; de Nantes, lc subd616gu6 Mellier, mis au courant pair un
{octobrb ni9). tra i lre? r6v61a la conspiration. Ce fut alors une däbandade. Quelques
< 56 >
chap. m
V Abbe Dubois.
seigneurs compromis sembarquerent ä Lokmariaker et gagn6rent
l'Espagne; dautres furent arr6t£s et traduits devant une chambre
royale, tribunal exceptionnel cr66 ä Nantes pour les juger en octo-
bre 1719. C'ätaient MM. de Pontcallec, de Montlouis, Le Moyne de
Talhouät et du Couödic, pauvres gens dont la defense fut trfcs faible,
et qui ne surent expliquer ni la cause, ni le but de leur rävolte. Ils
furent condamnös ä mort et ex6cut£s devant le chäteau le 26 mars
1720. Seize autres furent ex6cut6s en effigie; ils s'etaient rtfugtesä
Madrid et ä Parme.
IV. — LE RAPPROCHEMENT DE LA FRANCE ET DE
L'ESPAGNE (1722)
PAR tous ces 6v6nements, la politique espagnole 6tait condamnöe.
Alb6roni, quand il vit le territoire espagnol envahi et les com-
plots de France d6jou6s, essaya de traiter avec TEmpereur et les
Anglais; mais les alltäs s'etaient engag£s ä faire de sa disgrftce la
prerai6rc condition de la paix. Philippe V lui donna Tordre de sortir
du royaume en novembre 1719.
L ambassadeur d'Espagne ä La Haye, de Beretti-Landi, annon$a
le 16 fövrier 1720 aux pl6nipotentiaires de l'Empereur, du roi de
France et du roi d'Angleterre, ladhesion de son mattre & la Qua-
druple-Alliance. L acte en fut passe ä La Haye le 20 mai.
D6s lors les dispositions du Regent et de Dubois changerent ä
legard de l'Espagne; du rapprochement auquel ils lavaient con-
trainte, ils tAchärent de faire une alliance intime. L'ambassadeur de
Philippe V ä Paris, Patricio Laules, continua quelque temps de lui
representer que la France ruinäe par le Systeme, d6chir£e par les dis-
cordes religieuses, 6tait mure pour le d^membrement; mais, ä Madrid,
le marquis de Maulevrier et labbö de Mornay remirent les choses
au point. Le 27 mars 1721, fut signö entre les rois de France et
d'Espagne un traitä d'alliance defensive, avec garantie röciproquc de
leurs possessions. L'Espagne recouvrait les placcs conquises par
Berwick; la France lui promettait d'appuyer ses pr^tcntions sur la
Toscane, Panne et Plaisance, et m6me de s'employer aupres des
Anglais pour obtenir la restitution de Gibraltar. Les Anglais ne vou-
lurent rien entendre sur Gibraltar, mais ils consentirent ä proc^der
avec la France et l'Espagne ä la Formation dune nouvelle Triple-
Alliance, le 13 juin 1721.
Philippe V se ralliait k Tidde de l'alliance intime. II proposa le
double manage de sa fille unique, l'infante Marie-Anne- Victoire, avec
DISGRACB
VALBEFOSl.
ÄLLUNCB
FKANCO-
BSPAGNOLB
(*7 MARS HSi).
«5 7
La Regence,
L1VRI PBEM1BR
MARIAGBS
DE LOUIS XV
BT DU PRINCB
DES ASTURIES.
LETTRE
DE PHILIPPE V
A SA FILLE.
AMBASSADB
ITOSSOtfE
BT DB
SAINT-SIMON.
Louis XV, et de son fils afn6, l'infant don Luis, avec Mlle de Mont-
pensier, fille du Regent. Le Regent accueillit lout de suite cette pro-
position.
Un matin, raconte Saint-Simon, il annonga au Roi la grande nou-
velle. Louis XV — il avait alors onze ans — pleura & Tid6e de prendre
pour femme une enfant de trois ans. Son präcepteur Fleury eut
beaucoup de peine ä le faire consentir. Le Conseil de Rögence se ünt
dans l'apr&s-midi.
v Assis tous en place, dit Saint-Simon, tous les yeux se porterent sur le
Roi qui avait les yeux rouges et gros, et avait l'air fort serieux. II y eut quel-
ques moments de silence, pendant lesquels M. le duc d'Orleans passa les yeux
sur toute la compagnie, qui paraissait en grande expectation ; puis les arretant
sur le Roi, il lui demanda s'il trouvait bon qu'il fit part au Conseil de son
manage. Le Roi repondit un oui sec en assez basse note, mais qui fut entendu
des quatre ou cinq plus proches de chaque cote, etaussitöt M. le duc d'Orleans
declara le mariage et la prochaine venue de Pinfante, ajoutant tout de suite la
convenance et l'importance de l'alliance, et de resserrer par eile l'union si
necessaire des deux branches royales, si proches, apres les fächeuses conjonc-
tures qui les avaient refroidies. II fut court, mais nerveux, car il parlait &
merveiüe... •
Le jour m6me une d6p6che partait pour Madrid annongant le
consentement du Roi 1 .
Philippe V, au re$u de la nouvelle, fit chanter un Te Deum II
6crivit ä sa fille, l'enfant de trois ans :
• Je ne veux pas que vous appreniez par un autre que par moi-meme, ma
tres chere Alle, que vous 6tes reine de France. J'ai cru ne pouvoir mieux vous
placer que dans votre meme maison, et dans un si beau royaume. Je crois que
vous en serez contente. Pour moi, je suis si transporte de joie de voir cette
grande aflaire conclue que je ne puis vous l'exprimer, vous aimant avec toute
la tendresse que vous ne sauriez vous imaginer. Donnez ä vos freres cette
bonne nouvelle, et embrassez-les bien pour moi. Je vous embrasse aussi de
tout mon coeur * ».
Les dämarches officielles furent faites tout de suite. Le duc
d'Ossone se rendit ä Paris, et le duc de Saint-Simon en Espagne.
L^change de Tlnfante et de Mlle de Montpensier eut lieu sur la
Bidassoa. II fallut arracher Tlnfante des bras de la duchesse de Mon-
tellano, sa gouvernante. Arriv^e ä Paris, eile fut saluäe avec Thabi-
tuelle solennitä par les harangues des corps constituäs.
i. Le Regent ntlendit de dix h douze jours avant de declarer le mariage de sa Alle
avec le prince des Asturies, sentant bicn quelles jalousies il allait soulever contre sa
peraonne et sa maison.
a. Les Als de Philippe V etaient au nombre de quatre. Les deux alnes, don Luis et don
Ferdinand etaient nes de la feue Reine Marie-Louise, et avaient, le premier dix ans, le
second neuf ans; les deux autres, fils d'Elisahcth Farnese, etaient don Carlos et don Phi-
lippe, le premier age de cinq ans, le second dun an.
58 )
chap. in UAbbi Dubois.
Teile fut la politique de la Rägence, oü Dubois eut la plus conclusion
grande part. Le principe en fut l'alliance anglaise. L'Angleterre cn S0R *** poutiqob
tira son profit; le danger d'une restauration jacobite fut 6carte par le BXTäRisuBB.
dissentiment entre la France et l'Espagne. Aussi les adversaires de
Dubois lui reprocherent-ils d'avoir sacrifte l'Espagne ä l'Angleterre.
o Sa politique, a dit Saint-Simon, montrait toute notre servitude
« pour l'Angleterre et notre aveuglement sur nos inl£r6ts les plus
« gvidents. /> Dubois ne mörite pas ces reproches. Des ambitions et
des int6r£ts personnels menagaient la paix de l'Europe; le Präten-
dant voulait devenir roi d'Angleterre, le roi d'Espagne maintenir
ses droits ä la couronne de France, et l'Empereur supplanter le roi
d'Espagne; la reine d'Espagne avait des enfants ä mettre sur des
trönes; un ministre, ätranger au pays qu'il gouvernait, prötcndait ä
un grand röle sur le th£Atre d'Europe. Par toutes ces causes, la guerre
paraissait certaine. Dubois et le Regent se sont döfendus contre
Philippe V, Elisabeth Farnese et Albe>oni ; leur accord avec l'Angle-
terre, la Hollande et l'Empereur a tout de suite 6louff6 la guerre com-
menc6e. Aussitöt apres que l'Espagne eut 6te* röduite ä merci, ils se
r6concilierent avec eile, resserrerent l'alliance par de nouveaux liens
tres dtroits entre Bourbons de France et Bourbons d'Espagne; m£me
ils pröparerent l'ötablissemcnt de la maison de France-Espagne en
Italic, tout en gardant l'alliance anglaise, qui devait durer jusqu'en
1742, et maintenir, sauf pendant une courte guerre, de 1733 ä 1735,
la paix de l'Europe, si bienfaisante ä la France. II ne serable pas
qu'il y eüt mieux ä faire que ce qui fut fait. Dubois fut un tres
habile ministre des Affaires 6lrangeres, dans cette pe>iode, d'ailleurs
mldiocrement interessante, de la politique europöenne.
V. — LA POLITIQUE MOLIN1STE DE DUBOIS {1720-1721)
GE fut aussi Dubois qui dirigea la politique eccl6siastique de la dcbois vbot
Regence. II avait ses raisons pour s'y intöresser, espörant par STRB cardinal.
lä gagner la dignit6 de cardinal qui acheverait et consoliderait sa
fortune. Lord Stairs devina son ambition, et en avisa Stanhope. Le
ministre anglais sourait le cas au cabinet de Vienne, et bientöt, entre
l'Autriche et l'Angleterre, il y eut partie li6e pour assurer le chapeau
au nägociateur de la Quadruple-Alliance. Stairs mit alors Dubois au
courant, et demanda au Regent d'intervenir ä Rome. Mais le Regent
refusa, ne voulant pas, dit-il, que son secreHaire d'Etat devlnt moins
dependant envers lui.
Dubois pensa que les Jösuites pouvaient lui venir en aide, et fit
< 59 >
La Hegence.
LIYBE PREMim
IL EST FAIT
ARCHBVEQÜB
DE CAMBRAI.
V « ACCOMMODB-
MBST* DB WO.
savoir k Rome, par son envoyä, le P. Lafitteau, qu'il 6tait en mesure
de mettre le Regent en bon accord avec les J6suites et le Saint-
Siöge. A Rome, pour lui tendre un ptege et le d6consid6rer s'il
acceptait, on se döclara prßt k lui donner le « chapeau » que Tod
enl&verait k Noailles, l'archevßque jans6niste de Paris. Mais il
r6pondit qu'on ne pouvait öter k Parchevöque la dignit£ que le pr61at
devait k la « nomination » du Roi.
L'Angleterre fit un nouvel effort. Le 2t octobre 1719, le roi
George demanda personnellement au Regent d'appuyer Dubois k
Rome, et, le 29 novembre, le Regent dScida enfin d'6crire k C16-
ment XI. Mais le Pape ne se laissa pas convaincre ; et l'affaire parais-
sait trös compromise quand l'ambassadeur imperial k Londres, Pen-
tenriedter, ful transförä k Paris. A peine installä dans son nouveau
poste, il prätendit reprendre en sous-ceuvre l'affaire du chapeau, et,
a la nouvelle que le cardinal de La Tr&noille, archevÄque de Cam-
brai, venait de mourir k Rome, il alla trouver le Regent et lui
demanda pour Dubois le stege de Cambrai. Comme le R6gent ne
faisait pas d'objections, il 6crivit k Stanhope; le roi d'Angleterre
6crivit au R6gent, fit valoir une fois de plus les importants Services de
Dubois. Le 4 fevrier 1720, Dubois fut nomm6 archevöque de Cambrai.
II portait le petit collet, et on l'appelait l'abb6 parce qu'il poss6-
dait des abbayes; mais il n'avait pas re$u les ordres. II fallut qu'il
se fit administrer coup sur coup le sous-diaconat, le diaconat et la
prätrise. Un de ses neveux, chanoine de Saint-Honorä, lui apprit k
dire la messe, qu'il dit le jour de son sacre pour la premiäre fois.
Le sacre, c6l£br6 le 9 juin 1720, dans l^glise du Val-de-Grftce, fut
magnifique. Le Regent s'y trouva avec « toute la France ». Le pr61at
cons£crateur fut le cardinal de Rohan ; ses assistants furent T&vöque de
Nantes, de Tressan, et Massillon, £v£que de Clermont. On a reproch6
k Massillon la complaisance dont il fit preuve k l'6gard de Dubois;
mais Saint-Simon explique qu'un homme « aussi mince » ne pouvait
moins faire qu'un prölat de grande maison, comme Rohan. Aprös la
c6r£monie, un repas süperbe fut servi au Palais-Royal. Dubois s'assit
au milieu de la table d'honneur, en face du marächal de Villeroy,
ayant autour de lui les cardinaux de Rohan, de Bissy et de Gesvres,
le nonce du Pape, un envoyä de l'Empereur, les maröchaux de Ber-
wick, d'Esträes et de Tallard, et nombre de pr&ats, d'abbäs et de
gentilshommes. Massillon s'ötait d£shonor6 en noble compagnie.
Le nouvel archevGque, pensant toujours au « chapeau », essaya
de r£concilier les Jansönistes et les Molinistes. II dätermina les chefs
du parti de la Constitution, les cardinaux de Rohan et de Bissy, k
nägocier avec le cardinal de Noailles, toujours considörä comme chef
6o
gbap. m
L'Abli Dubois.
des opposants, et k formuler avec lui un « corps de doctrine » accep-
table pour les Jans6nistes et les Constitutionnaires. Le texte en fut
arr£t6 avec le concours du P. Latour, g£n£ral de FOratoire, et dun
6v6que de Bayonne, du nom de Dreuiilet, connu pour l'influence
quil avait sur Noailles; il 6tait assez vague pour que chacun y
trouvAt Fexpression de ses sentiments. A force de caresses, on gagna
k la cause de 1' « accommodement » le plus z£16 des Constitution-
naires, Languet de Gergy, 6v6que de Soissons. On y gagna les
J&uites; la plupart des 6v£ques suivirent. Noailles avait donn6, par
6crit, son approbation; il 6crivit un mandement d'adhlsion k la
Bulle Unigenüas, mais refusa de le publier avant que füt enregisträe
une D6claration du Roi sur V « accommodement ».
La D£claration parut le 4 aoüt. Elle apprit au public que des
explications avaient 6t6 £chang6es entre cardinaux, archevöques et
6v6ques, dans un « esprit de Concorde et de charit6 ». Elle ordonna
d'accepter la Bulle, d6fendit de rien 6crire, « soutenir ou däbiter »
contre eile, m6me d'en appeler au futur concile. Le Parlement de
Paris 6tant en exil k Pontoise, comme on a vu, depuis le 20 juillet ',
eile fut envoy6e au Parlement de Flandre qui l'enregistra. Mais
Noailles ne se contenta pas d'un enregistrement de cour provinciale,
et la D6claration fut portäe k Pontoise. Elle y rencontra de telles
räsistances que le gouvernement dut la retirer. Dubois la pr£senta
au Grand Conseil, qui la repoussa. Le Regent se rendit alors au Grand
Conseil, le 23 septembre, « avec tous les princes du sang », dit Bar-
bier, des « marächaux de France » et des « ducs et pairs », trente-cinq
personnes qu'il comptait faire voter. Comme il ne trouva en s£ance que
dix-huit conseillers ou präsidents, on ne put lui r6sister. On lui fit,
pour la forme, des objections; il y räpondit « savamment »; et la
Declaration fut enregisträe, « k la pluralitä des voix ». Noailles s'en-
t£ta; il n'y avait pour lui d'enregistrement valable qu'au Parlement
de Paris. II 6tait d ailleurs assailli de scrupules et regrettait les enga-
gements qu'il avait pris. La Declaration revint donc devant le Parle-
ment qui, vigoureusement travaill6 par les Jansänistes, la rejeta
comme devant amener la ruine de l^glise gallicane; mais, sur la
menace d'6tre exil6s k Blois, et de voir leur ressort diminue par la
eräation de deux cours rivales, k Tours et k Poitiers, les magistrats
enregisirörent enfin, le 4 d&embre 1720.
Noailles publia alors son mandement; mais aussitdt les Jans6-
nistes le traiterent de ren£gat. Les passions s'enflammfcrent ; des listes
d'appelants au futur concile circulfcrent; dans Tune d'elles on lisait :
Da CLA RATION
IMPOSANT
LA BULLE
ÜNICENITUS ».
Dtscnäorr
DO CARDINAL
DB NOAILLES.
i. Voir plus baut, p. 36.
< 61
La Rigence*
LIVRI PREMTIR
BAB1LBT&
DBDUBOIS.
« Le Roi est mattre de nos biens et de nos personnes ; il ne Test pas
« de nos consciences ».
sokeicitatios Les appelants paraissant de nouveau pers6cut6s, le gros public
dbs jans&nistbs. se dlclara pour eux. On raconle qu'une servante, rencontrant un
prötre constitutionnaire qui portait le viatique a un malade, s'age-
nouilla et s'^cria : « O mon Dieu I je vous adore, quoique vous soyez
entre les mains d'un h6r6tiquel » Les Jansänistes n'ötaient pas moins
exalt6s en province qu'ä Paris, comme ratteste ce dialogue entre un
chanoine de Marseille, au temps oü la peste ravage la ville 1 , et une
supärieure de couvent suspectäe de jans6nisme : « C'est ä vous, dit
le chanoine, que M. FEvöque attribue les fteaux qui affligent son
dioc&se » ; Tabbesse räplique : « Ainsi les pa'iens accusaient autrefois
les chr6tiens de tous les maux de TEmpire, parce quils n'adoraient
pas leurs idoles ».
Mais Dubois, ayant accordä les chefs des deux partis, devenait
tr&s fort contre les opposants. II fit condamner, par arr6t du Conseil,
lappel qu'en 1717 les GvGques de Mirepoix, Senez, Montpellier et
Boulogne, avaient interjete de la Bulle au futur concile, et que la
Sorbonne avait approuvä; il annula les actes d'appel des chapitres,
et rendit les supärieurs des communaut6s responsables des r£sis-
tances de leurs inferieurs. II surveilla lui-mßme de prös les B6n6-
dictins et les Pfcres de TOratoire; il distribua des lettres de cachet,
provoqua des mäcontentements et des col&res, mais parvint ä r6ta-
blir la paix pour un moment. Et il se crut en droit de compter sur la
reconnaissance de la Cour de Rome.
Rome refusa pourtant le « chapeau » tout le temps que v6cut
Clement XI. Quand le pape mourut en 1721, Dubois se d£mena pour
obtenir T6Iection d'un pontife plus docile. Par Tentremise de Lafit-
teau, il n6gocia avec les cardinaux Gualterio et Albani; il envoya
30000 6cus au cardinal de Rohan, pour se cr^er des partisans, fit
partir pour le conclave les cardinaux frangais de Bissy, de Polignac
et de Mailly, enfin envoya un homme de confiance, l'abbö de Tencin,
chez le cardinal Conti, qui 6tait un des papables, pour lui promettre
l'appui des Fransais sous la condition qu'il donnerait la pourpre a
Dubois. Conti prorait et signa sa promesse. Une fois pape, sous le
nom d'Innocent XIII, il tarda ä s'exScuter. Dubois faisait FindiffÄ-
rent; il 6crivait ä Tencin : « II n'y a point de coiffure qui me paraisse
MARCHANDAGBS
AVBC ROMB.
l. Un navire de commerce, venant de SaTda, avait aborde a Marseille le i5 mal 1790, et y
avait apporte la peste. Une morlalite efTroyable avait sevi; les gens aises s'enfuyaient, les
autres etaient menaces de famine. La peste atteignit les villes yoislnes, Arles et Toulon.
Le Gevaudan fut contamine, le Dauphine menace. L'eveque Belzunce, preist constitution-
naire, attribuait la p*ste a la colere divine, cncourue par l'existence du Jansenisme s
Marseille.
6a >
CM AP. m
LAbbi Dubois.
aujourd'hui plus extravagante qu'un chapeau de Cardinal ».... Mais
il ajoutait : « La rage et la noirceur de ceux qui nous traversent me
mettent en fureur ». Cependant il envoya encore 100 000 livres pour
la famille du Pape, Familie « pauvre », dii Tencin, « glorieuse et
affamöe ».
Enfin Dubois est fait Cardinal, et, le 25 juin 1721 , le duc dubois cardinal
d'Orteans le präsente au Roi comme le prölat auquel Sa Majestö doit V° tN * 7it )-
la tranquillitä de son Etat et de rfiglise de France.
De cette promotion, comme du sacre, comme de loutes les choses
qui se passaient ä cette Strange 6poque, Paris s'amusait. On chantait :
Que cbacun se rejouisse !
Admirons Sa Sa in tele 1
Qui transforme en fcrevisse
Ce vilain crapaud crotte.
Apres un si beau miracle
Son Infailiibilite
Ne doit plus trouver d'obstacle
Dans aucune Faculte.
VI. — LA FINDE DUBOIS ET DU DUC D'ORLÄANS {172S)
DUBOIS, sans s'ömouvoir, poursuivit son chemin. Cardinal comme
l'avaient 6t6 Richelieu et Mazarin, il voulut devenir, comme
eux, premier ministre, c'est-ä-dire placer les ministres et secrötaires
d'ßtat, ses coll6gues, sous son autoritö, donner une orientation uni-
forme ä l'administration, faire « converger », comme il disait, toutes
les parties du Gouvernement « vers un point fixe ». II crul utile
d'entrer d'abord au Conseil de R6gence, qui subsistait toujours dans
sa forme premifcre. Mais, pour ne soulever aucun d£bat qui lui füt
personnel au sujet du rang qu'il prätendaity tenir, il commenga par y
introduire le cardinal de Rohan. Rohan räclama la pr6s£ance sur les
ducset pairs et sur les mar£chaux; ceux-ci se retirfcrent, et le chan-
celier d'Aguesseau les suivit. Comme le Conseil ne comprenait plus
que des princes, ä qui les cardinaux ne disputaient pas le rang,
Dubois y entra.
L'ambkion qu'il avait d'ötre premier ministre fut secondäe par le
Regent. L'äpoque de la majorit£ du Roi approchait, et le Regent ne
pensait pouvoir conserver son autoritä une fois le Roi majeur, que
par l'interm&liaire d'un homme ä lui. Peut-Gtre craignait-il de heurter
Topinion, en restaurant pour lui-mßme les fonctions de premier
ministre. Dubois lui remit un memoire oü il exposait que, s'il 6tait
n&essaire de laisser ä chacun des secnHaires d'£tat leurs attributions
< 63 1
DUBOIS
PREMIER
MINISTRE.
La Rigcnce.
IJVRE PREMIER.
DÜBOIS BNTRB
A UACAD&MIB,
PRÄSIDE
UASSBMBL&E
DU CLERGA.
MORT DB DÜBOIS.
HORT DU DÜC
ÜORLÜANS.
particulteres, il ne l'6tait pas moins de concerter avec eux journelle-
ment les r&olutions de son Aliesse Royale et d^viter « les incon-
vänients d'un gou verneinen t partagö ». Le 22 aoöt 1722, des lettres
patenies firent Dubois premier ministre. Le Regent conservait la
prösidence du Conseil de R6gence; il devait präsider aussi les
Conseils des d6p6ches ei des finances, r&ablis sous la forme oü ils
Itaient avant la Rägence; il conservait la signature des ötats et
ordonnances de fonds.
Quand le Roi devint majeur le 16 forcier 1723, le dnc d'Orl&ns
Iui remit ses pouvoirs; Dubois fut confirmä dans les siens, et, en
sa faveur, Louis XV örigea de nouveau en charge le secrötariat
d'Etat des Affaires 6trang&res. Le Conseil de R6gence disparut, et &
sa place fut rätabli Fanden Conseil d'en haut, oü si6g6rent le Roi,
les ducs d'Orlöans ei de Charires, le duc de Bourbon, Dubois et le
präcepteur du Roi, Fleury.
Dubois eut encore Thonneur d'entrer ä l'Acad&nie. Le jour
oü il y fut regu, l^vöque de Soissons, Languet, lui dit en parlant
de la Compagnie : « Formte sous les auspices du Cardinal Premier
Minisire, eile en voit avec plaisir reparattre l'image, et eile se flaue
de voir bientöt, dans la m£me dignitä, les m6mes prodiges. Elle se
flaue de irouver en vous un second Richelieu. » Enfin il präsida
l'assembtee du Clcrgä de France, qui en fut si fifcre, qu'elle vota
8 millions de Don gratuit.
C'est en cette pleine gloire que la mort s'annonga. On sut dans
la Ville que le m£decin La Peyronie appelä aupr&s du cardinal
malade, avait diagnostiqu6 un abcös dans la vessie. On chanta des
couplets grossiers :
Monsieur de La Peyronie,
Visitant le Cardinal,
Dit : C'est ä la vessie
Que Son fiminence a mal!
Dubois mourut le 10 aoüt 1723, ag6 de soixante-six ans. Le duc
d'Orl&ns fut d£clar6 Premier Ministre; mais il 6tait devenu de plus
en plus indifferent k toutes choses; les plaisirs l'avaient us& Le
2 däcembre, il mourut d'apoplexie.
c 64 >
CHAP1TRE IV
LA COUR, LES MCEURS, L'ART ET LA
MODE PENDANT LA RÜGENCE*
I. LA COUR IT L18 M0BDR8.— II. LI8 ART3 CT LM MODU.
/. — LA COUR ET LES MCE URS
UN grand changement s'est produit dans la vie de Cour, au d6but
de la R6gence. La Cour a cess6 d'habiter Versailles. Pour ob&r
ä l'ordre de Louis XIV mourant*, le petit Roi avait 6i& conduit ä
Vincennes; puis le Regent fit pr^parer le palais des Tuileries pour
le recevoir. Le !•' janvier 1716, Louis XV s'y installa. Le Regent
pensait par lä plaire aux Parisiens et aux courüsans; il croyait aussi
i. Souacss. Saint-Slmon (t. XII, XIII, XVI et XVII), Burat (L II), Staal de Launay,
Mathieu Marals, Ducbesse d'Orieans, deja ciles.
Poor Voltaire et Montesquieu, roir la bibliographie au chapllre m du llrre II.
Ovnueu a consultbr. Lemontey, Micbelet, Jobez (t. 11), Baudrillart (H.), Wiesener«
Perey (U President Hinaalt), deja cites.
Franklin, La oi* de Paris »out la Mgencc, Paris, 1897 (La Vie privee daulrefoi», t. XXI).
A. de Gallier, La vie de prooince aa XVllh »iecle; le» femme» t le» motur», le» u»age» % Paria,
1877. Goncourt (B. et J. de), La femme au XVlll* »iecle, Paris, 1877- &** memes. Portrait»
MftflMt du XVlll* siecle, Paris, 1879. Desnoiresterres, Le» cour» galante», Paris 1860-1864,
4 toI. Jullien (Ad.), La comidle ä la Cour; le» thtdtre» de »ocUli pendanl le dernier »iecle.
La dach»»»» du Maine et le» gründe» nuits de Sceaux, Paris, s. d. Campardon, VAeadimk
rogale de mutiqae au XVlll* »iecle, Paris, i883. Lescure (de), Le» malfresset du Regent,
Paris, 1890. Feuillet de Concbes, Le» Salon» de conoenation au XVlll* »iecle, Paris, 18B8.
Soury, Etade» de peychologie. Portrait» du XVlll* »iecle, Paris, 1870. Perey et Maugras. Urne
femme du monde au XVlll* »iecle. La jeunetee de Mme JEpinau, Paris, 188a. Glraud, La
martchale de Vittar» (Seances et travsux de l'Academie des Sciences moraleset politiques«
t. CXIV, 1880). Sainte-Beure, Caueerie» du lundi, t I. i85i (Adrienne Lecouvreuri. Marquiset,
La dache»* de Fallarg (1697-1783), Paris, 1907. F. Masson, La jeuneeee de Mme de Teneln et
Im Begence (Revue des Dem Mondes, 1* ferrier 1908). Saint-Rent-Taillaodier. Maoriet alt
Saxe, Paria, 1870. Heulbard, La fbire Saint- Laurent, ton hieloire et »e» »pect acte», Paris. 1878*
Lerasseur, Hieloire de» c/otttt onerieret et de rindastrie en France aoanl M9, a* ed., Paria,
19011908,3 toI. Rambaud. La uislle de Pierre le Grand ä Pari» (Rerue poliUque et litteraire,
t LH, 1898, a* sem.). Recueil de» inttraction» donnie» aux ambaeeadeur» et minutrm da
France. AttttJe, p. p. Rambaud, t. VIIMX. Introduction, Paris, 1890, in-8.
So« lss Akts. Abecedario de P.-J. Marielte et aulre» note» inidile» de cet amaleur »ur k$
art» et le» ariitle», Paris, 1861-1860. Blanc (Cbarles), Hieloire de» peinlre» de loule» le» tfeoltt;
KcoU francaiee, Paria, 186a, 8 vol., t. II. Goncourt (B. et J. de), LAri au XVUP tUcJt,
CHANGEMENT
DANS LA VIE
DE COOB.
< 65 >
vni. S.
La Rigence.
UTRE PRKMIER
LOÜiS XV,
SA BBAUT&.
SON 4DUCATI0N.
qu en faisant de Paris le si6ge du Gouvernement il rendrait le travail
des administrations plus facile. Plus tard, Dubois jugea au contraire
quil valait mieux ienir le Gouvernement 61oign6 du Parlement et des
agitations de Paris ; peut-6tre aussi pensa-t-il devoir 6viter k Louis XV,
qui grandissait, le spectacle de la vie du Regent. Au mois de juin
1722, le Roi retourna ä Versailles.
Durant sept ans, il ny eut donc, k dire vrai, plus de Cour de
France. Le Roi 6tait aux Tuileries, le duc d'Orl&ns au Palais-Royal,
les grands seigneurs chez eux, diss6min6s dans Paris. Les grands
recherchaient les plaisirs communs ä tout le monde, le th6Atre, les
bals, et se plaisaient k la vie de la Ville. Ils 6taient comme 6man-
cip6s; au m6me temps, 1'organisation des Conseils leur donnait
Tillusion qu'ils tenaient plus de place dans rEtat.
Le jeune Roi 6tait parfaitement beau. II a, dit Madame, de
grands yeux tr&s noirs et de longs cils qui frisent, un joli teint, une
charmante petite bouche, une longue et abondante chevelure, de
petites joues rouges, une taille droite et bien prise, une trfcs jolie
main, de jolis pieds. Sa dämarche est fifcre. On remarque qu'il met
son chapeau comme le feu Roi. II danse bien. Adroit k tout ce qu'il
fait, il commence d6ja ä tirer des faisans et des perdrut; il a une
grande passion pour le tir.
Ce bei enfant 6tait ador£ par tout le royaume. Dans les ruines
et les scandales de la R6gence, ce fut une consolation que d'esp^rer
en hii. En 1721, aprös une grave mala die, sa gu6rison fut ffetöe par
des feux de joie, des bals en plein air, des banquets, des illumina-
tions et des Te Deum. La foule s'amassa sous ses fenttres, et l'appela
par des acclamations.
Comme presque tous les rois, Louis XV fut mal 61ev6. Sa gou-
vernante, Mme de Ventadour, autrefois galante, devenue devote,
ob&ssait k ses caprices, Tinitiait aux pratiques de r&iquette, et
l'habituait ä se regarder comme un Ätre & pari. Son gouverneur, le
* ed. Pari», 1881-1888, a vol. Alexandre (Are.), Bietoire de Tort Moorutif, da XVI* **cl*>
d nee joure, Pari«, i8qs. Da meine, HUtoire popalaire da Ja peinture : Bcote franeaiee, Paria*
■. d. (189I). Mareel (Pierre), La peinture franfaiee au dibet da XVIU* siede (1Ä9CM721)» Paria,
ifofl. Hevard, Dietionnaire dB Tarnt ublemtrd et de la dfeoraffon, Paris, 1886-1889, 4 voL
Caemptaui (de)» Le Meuble, Paris, i885, a vol., t. II. Dussteax, Le cbaieam de VcreaWee,
Varia, ittii, a vol. De Julienoe, Abrigi de la nie d\A. Watteau, Parier 1795. Da Garfne»
La uh e?A. Watteau, peintre de flguree et de pay saget. (Dana les Goacourt, L'arl au
MVW eieete, t I). Mantz (Paul), Antoine Watteau, Paria, 189a, Joes (VirgüeV Watteau*
manu* du XVttl* eiecU, Paris, 18& * ed. (Societe du Mercure deFranoe). Saailles (Gabriel),
Watteau (colleo. des Grands ArUates), Paria, s. d. Dargeniy (£.), Antoine Watteau (collec.
daa ArtkUi« celebras), Paris, 1891. C. Gabillot, Watteau. Pater et Laueret, Paris, im-
L. de Kourcaud, Antoine Watteau (Revue de l Artenden et moderne, mal 1901). Dupleasia.
(GaoftfeH), Lee Aadran (eollec. des Artistea celebres), Paria, lgg^Quichaeat, üutoire dacae-
ttumen France, Paris, 1874.
a. Volr HUtoirt de France, t V1JJ, 1, pp. 473 et 474*
66 )
CHAP. IY
La Cour et les Mceurs.
vieux Villeroy, frivole et fat, engou6 de ses titres et de ses habits,
lui enseignait la politesse et les maniöres de Cour. Yrai type de cour-
tisan, on lui a prfct6 ce mot : « II faut tenir le pot de chambre aux
miuistres, tant qu'ils sont en place, et le leur verser sur la tete,
quand ils n'y sont plus ». Son amour pour le Roi se manifestait d'une
fa$on singulare; il se donnait lair de le protIger contre les inten-
tions r6gicides du Regent. II assistait k tous les repas de l'enfant,
goütait k tout ce qu'il buvait ou mangeait, et enfermait dans un
buffet, dont il avait seul la clef, le pain et leau des repas. Un jour
que le R6gent voulut servir ä l'enfant son caf6 k la cr6me, Villeroy
renversa la tasse, comme par m6garde, et en fit apporter une autre *.
L'öducation intellectuelle de Louis XV fut k peu prfcs nulle. II avait
peu de goüt pour l'6tude, et on craignait de lui fatiguer Tesprit. Son
pr6cepteur, Fleury, personnagc insinuant et souple, ambitieux sur-
tout de gagner le coeur du mattre, faisait k peu prfcs tout ce qu'il vou-
lait. Quand il venait le trouver, pour lui donner sa le$on de latin, il
apportait, dit le marquis d'Argenson, un Quinte-Curce et un jeu de
cartes, et le livre demeurait ouvert longtemps k la m6me page. Pour
Louis XV majeur, le Regent et Dubois firent composer des mlmoires
sur la politique, la guerre et lesfinances. S'il les a lus,il a düsurtout
y goüter la dömonstration de la puissance illimitte des rois.
Sur le caractöre du jeune Roi t les tämoignages sont presque tous son cjuucrkim.
s6v&res. « II s'amuse, dit Marais, k faire des malices k toutes sortes
de gens, coupant les cravates, les chemises, les habits, arrachant les
perruques et les Cannes, et donnant quelquefois de bons coups aux
jeunes seigneurs qui Tapprochent. » On raconte qu'il prenait plaisir
k dgorger des oiseaux; qu'un jour il tua une biche apprivoisäe qui
le caressait; qu'il n'aimait personne. Pourtant il paratt avoir eu de
l'affection pour Fleury et pour le Regent, dont il pleura la mort.
Saint-Simon le d6peint « trfcs glorieux, trte sensible, trts susceptible
li-dessus, oii rien ne lui ächappait, sans le montrer ». Au reste, cet
enfant, mal 61ev6, mal instruit, est d£j& ennuy6, blas6, indolent. Sous
le charme des apparences, il est une personne inqui6tante.
Le R6gent continue au Palais- Royal la vie qu'il menait k Saint-
Cloud, ä la fin du dernier r6gne, une vie 6picurienne k la fagon des
Venddme. II a pour soci6t6 ceux qu'on appelle les « rouäs » * : Ganillac,
i. A la solle cTune altercatlon qu'H eot arce Dubols, Villeroy fut elolgne de la Cour, le
is eoot 17a. Cest alora qoe le preeepteor da Roi. Flearr, qat avait proenfo an goar e r n e w
de Her sa fortune a la sienne, quitt« sabitement Versailles et alla coueber a Basvtlle, chex
le president de Lamoignon, son ami. Louis XV fut alors si desole qu'on courut chereber
Pkrary, qai rerint aassltol.
3. Le 00m de « roue » paralt venir de la Tieille expressioa « boa rompa », signtfiant bat
compagnon. Par maniere de raillerie, le Regent aorait donne au mal le sans de • boa a
< 67 >
LBS tiOütt.
La Rigence.
UVRI PR
££5 DAMBS.
de grandes manteres et spirituel; D'Effiat, mauvaise langue, «fort
glorieux, sans äme », dit Saint-Simon, Noc6, qui dut sa faveur ä
un sans-göne aflect6 ei ä une brusquerie qui singeait la Franchise; le
Präsident Maison, esprit fort; Noailles, qui se fait vicieux pour se
mettre au ton de la maison; Brancas, un impie qui se convertira;
De Broglie, raffin6 d'impiet£, grand mattre en intrigues; La Fare,
Biron, Nancr6, Simiane, etc.
Puis les dames : Mme.de Paraböre, de qui la Palatine dit que
son fils l'aimait « parce qu'elle buvait comme un trou », et ne lui
coütait « pas un cheveu » ; Mmes d'Averne, de Phalaris et de Sabran
qui furent les rivales de la Paraböre. Mme de Tencin prätendit ä la
m6me faveur, dit-on; eile 6tait toute fine et spirituelle, d61icate et
douce, mais le R6gent ne put se faire ä ses airs d'ancienne chanoi-
nesse ; eile se jeta dans la litt6rature, agiota, et tint un salon oü Ton
d6fendit la bulle Unigenilus. Mme du Deffand, une des grandes
beaut£s du temps, fit la conquöte du Regent au bal de FOp6ra ; eile
ne le garda pas longtemps, bien qu'elle eüt le ton qu'il aimait dans
la conversation, le trait hardi, la riposte prompte et brillante; eile
demeura du moins dans la familiaritä du Prince, avec Mmes de L£on
et de Gesvres, de Flavacourt, de Nicolai, de Sessac, de Brossay, de
Verrüe, des Portes et de Mouchy.
Parmi ces grandes dames, trottinaient les « petites souris »,
MUes Uz6e, Le Roy, Emilie, et la fameuse Desmares, filles d'Op6ra.
La duchesse de Berry 1 ne faisait rien pour d£mentir les vilains
bruits qui couraient sur eile. La Grange-Chancel a 6crit contre eile
et le Regent des vers atroces, et Saint-Simon, dont la femme fut
cependant dame d'honneur de la duchesse, a parte d'elle comme
d'une miserable. Elle 6tait charmante et d6traqu6e, orgueilleuse ä
vouloir se faire adorer. Un soir, ä une repr£sentation A'CEdipe, —
rincestueux OEdipe, — eile remplit lamphith^dtre de dames, de gen-
tilshommes et de gardes, et se plaga sous un dais avec des airs
d'idole. De temps en temps, eile allait s'enfermer chez les Carm6-
lites du faubourg Saint-Jacques, suivait tous les offices, m£me ceux
de nuit, jeönait et s'abtmait dans la prtere; aprös quoi, eile allait
reprendre sa vie au Luxembourg.
La fete se faisait au Palais-Royal, au Luxembourg, a Asnfcres,
du PALAIS.R07AL. & j a Muette, mais surtout au Palais-Royal. Ici, ä partir de six heures
du soir, s'installaient dans Tantichambre deux de ces laquais hercu-
I6ens qu'on appelait alors « Mirebalais » ; ils tenaient la porte close
rooer »; ses courtisans aaraient acceptä le sobriquet pour se distfoguer de leurs valels
qu'il s appelatent ■ pendards », ou « bons a pendre ».
i. Voir Histoire de France, t VUI, 1, p. IM-
< 68 >
LA DUCHBSSB
DB BBRRY.
SOÜPBBS
FAMILLB
cbap. nr La Cour et les Moeurs.
aux imporiuns. Les convives faisaient la cuisine eux-m6mes dans des
ustensiles d'argent, ou du moins aidaient les cuisiniers. Mme de
Parab^re excellait ä faire une Omelette, et le Regent cuisinait selon
des recettes qu'il avait rapportees d'Espagne.
Dans les soupers, on se donnait des noras de guerre. La Fare
devenait « le Poupart » ; Canillac « la Caillette triste » ; Brancas « la
Caillette gaie »; de Broglie « le Brouillon », Parabfcre « le petit Cor-
beau noir » ; Sabran « TAloyau » ; Mme de Berry « la princesse Jouf-
flotte ». Les conversations ötaient une perp^tuelle raillerie, qui ne
rcspectait ni religion, ni morale, ni rien. Mme de Sabran disait :
« Lors de la cröation, Dieu fit deux pates; de l'une il tiraleshommes,
de Tautre les laquais et les princes ». Ce grand monde se rendait
justice en se m£prisant soi-m£me et en pröparant sa ruine.
A l'exception de laduchesse de Berry, lafamille du duc d'Orleans
v6cut ä r6cart ! . Sa möre, la Princesse Palatine, continua de chasser, du rbgbnt.
d'£lever des animaux et d^crire, juge s6v6re de toutes les laides
choses qu'elle voyait, indulgente ä son fils qu'elleadorait. Elle mourut
en d6cembre 1722. La duchesse d'Orleans, belle, vertueuse et molle,
ne s'indignait ni mörae ne paraissait s Stornier de la vie du Regent.
On disait du duc de Chartres, leur fils ain£, qu'il röunissait les tares
que se partageaient les autres Princes du Sang : la bosse du prince
de Conti, la voix rauque du duc de Bourbon, la sauvagerie de M. de
Charolais. La seconde fille du Regent se fit religieuse; ce fut
l'abbesse de Chelles, qui se donna toute au Janslnisme, ä lart
i. La famille d'Orleans comprenait alors : Charlotte-Elisabeth de Baviere (la Palatino),
•econde femme de Philippe, duc d'Orleans, roort en 1701, et mere du Regent; nee a
Heidelberg en i65a, eile mourut a Saint-Cloud le 8 decembre 1733. — Philippe, duc de
Chartres, puls duc d'Orleans et Regent, ne a Saint-Cloud le a aoot 1Ö74 (mort a Versailles
le 8 decembre 1738), avait epouse en 1693 Mlle de Blols, fille legitimee de Louis XIV et
de Mme de Montespan. De ce mariage, il avait scpt cnfants :
I. Louis, ne a Versailles le 4 aoot 1703, mort a Paris le 4 fevrier 1783.
II. Marie-Louise-Elisabeth, duchesse de Berry (1696-1719).
III. Louise- Adelaide, abbesse de Chelles.
IV. Charlotte-Aglae, duchesse de Modene.
V. Louise-Elisabeth (Mlle de Montpensier), reine d'Espagne en 172a.
VI. Philippine-Elisabeth (Mlle de Beaujolais).
VII. Louise-Diane, princesse de Conti.
La famille de Conde (branche alnee), dont il est aussi question ci-dessus, comprenait :
Louis-Henri de Conde, duc de Bourbon, ne le 18 aoot 1693, mort a Chantillv le 37 jan-
vier 1740, marie en premieres noces a Marie-Anne de Bourbon, fille de Franc,ois-Louis,
prince de Conti, na pas d'enfants au temps de la Regence.
Charles, comte de Charolais, ne a Chantilly le 19 juin 1700 (meurt en 1760).
Louis, comte de Clermont, ne le i5 juin 1709, abbe de Salnt-Germain-des-Pres (meurt
en 1771).
Marie-Anne-Gabrielle-Eleonore, abbesse des Champs, nee en 1690.
Louise-Elisabeth, mariee en 1713 a Louis-Armand de Bourbon, prince de Conti.
La branche cadette de Conde etalt representee par :
Louis-Armand de Bourbon, prince de Conti, ne le 10 novembre 1696, marie a Louise-
Elisabeth de Bourbon, a eu d'elle un fils, Louis-Francois, ne en 1717, qui mourra en 177*.
LsS-mtme meurt le 4 mal 1737.
< 69 >
La Rigence.
LIVBE PBEMIER
et k la science; une fois par semaine, le Regent allait eniendre les
sermons qu'elle lui faisait. MUe de Valois se compromit avec le duc
de Richelieu; Mlle de Montpensier, marine au prince des Asturies,
et Mlle de Beaujolais, fianc6e k don Carlos, fils aln6 de Philippe V
et d'filisabeth Farnfese, d6s£quilibr6es comme Mme de Berry, 6ton-
nörent l'Espagne par leurs caprices fous et d'6normes scandales.
bals de uopäRA. C'est la R6gence qui a invent6 les bals de l'Op6ra. Un neveu de
Turenne, le Chevalier de Bouillon, conseilla au R6gent d'6tablir dans
ce th6&tre un bal public, oü Ton entrerait, masquä ou non, k raison de
6 livres par t£te. On danserait sur un parquet. Cette bonne id6e valut
6000 livres de pension au « donneur da vis ». Les bals commencörent
en 1716. Ils eurent tant de succ&s qu'il fallut transformer la salle de
l'Acad6mie frangaise, au Louvre, en salle de bal, pour d6doubler
TOp^ra. Comme l'Opära communiquait avec le Palais-Royal, le
Regent y allait souvent. On raconte qu'un jour il s'y rendit d6guis6,
avec Dubois, qui, pour mieux assurer l'incognito, lui donnait de
grands coups de pied : « L'abb6, dit le prince en se retournant, tu
me däguises trop ». Le Regent avait une petite löge, oü il amenait
ses rou6s, dont la gaiet6 amusait les loges voisines. Un soir, dit
Saint-Simon, le duc de NoaiUes « compl&tement ivre » y commit
toutes sortes « d'indäcences »
Le grand monde fräquentait ces bals publics, oü il trouvait une
sociätä trfcs m£l6e. II aimait d'ailleurs le m6lange. Les barriöres crou-
laient, les rangs se confondaient. On vit M. de Bouillon et M. de
Lorges souper avec les chanteurs Th6venard et Dumesnil. De gran-
des dames aimörent Th6venard et l'acteur Baron.
LES SALONS.
LA DUCBESSB
DU MAINE
MADAUE
DB LAMBERT.
Comme dans la rue Quincampoix, comme dans les lieux de
plaisir, seigneurs et roturiers se rencontrfcrent dans les salons.
La vie de salons commence avec la Rigence. La duchesse du
Maine, avant et aprfcs sa captivit6, röunit ä Sceaux les gens de lettres
et d'esprit, parmi lesquels le pr6sident H6nault, Voltaire, la marquise
du Deffand. On y discute art et littärature, et la duchesse conduit la
manoeuvre; son salon s'appelle « les gaferes du bei esprit ».
Chez la marquise de Lambert, veuve d'un Iieutenant-g6n6ral des
armäes du Roi, fräquentaient Fontenelle et La Motte-Houdard, Mari-
vaux, qui dlbutait dans les lettres, le marquis d'Argenson, Trudaine,
le comte de P161o, la marlchale de Villars, Mme Dacier, I'actrice
Adrienne Lecouvreur, qui donnait au th6Atre le ton simple et noble,
et qui eut un c61öbre amour pour le marächal de Saxe. La maltresse
de la maison 6tait une honnöte femme, moraliste sans p4dantisme.
70
■GBAP. IT
La Cour et les Mceurt.
Son salon, qui rappelait un peu Drittel de Rambouillet, — la mar-
quise naquii en 1647, — £tait un lieu acad&nique, oü Ton pr6parait
des candidatures.
Le duc de Sully recevait le comle d'Argenson, PWlo, Voltaire, le
President de Lamoignon, ]'6v6que de Blois, M. de Caum artin, l'abbt
de Bussy, la trfes belle et honnöte Mme de Flammarens, Mme de
Gontaut, beautö moins severe. Le duc de Sully s'impr6gnait d'eaprit
en cette compagnie; il elait, disait-on, le flacon qui garde, bien que
Tide, le parfum de l'eau de senteur qu'il a contenue.
Tenir un salon et la table ouverte qui en faisait l'accompagne-
ment 6tait une facon de se distinguer, recherchäe m&ne par ceux qui
n'aTaient pas le moyen d'en faire les frais, comme il est arriv6 k cer-
taines victimes du Systeme. Le prince et la pnncesse de Leon n'ont
que 15000 francs de rente, mais regoivent tout Paris. Leur matin6e
se passe k « amuser les creanciers » et a t fournir des inventions k
un cuisinier qui doit faire quelque chose avec rien ».
Les principaux röles dans les salons de la R6gence sont tenus
par le President Henault, Voltaire et Montesquieu.
H6nault, n6 en 1685, fils de fermier g6n6ral, pr&ident de
chambre aux Enquttes du Parlement de Paris, auteur de trag&lieset
de com&lies mädiocres, de poesies legeres qui valaient mieux, raus*
sissait dans le monde par des talents divers. Comme dit Voltaire :
HOTBL
DB SULLY.
H&TBL DB LEON.
LE PRÄSIDENT
H&NAULT
(I6SS-1770).
Les femmes Pont pris fort souvent
Pour un Ignorant agreable,
Les geng en « us • pour un savant,
Et le Dieu joufflu de la table
Pour un connaisseur trfes gourmand.
L'Acad&nie lui donna en 1723 le fauteuil de Dubois. On vit plus tard
qu'il 6tait capable de travaux plus sörieux que ceux qui lui avaient
Talu cet bonneur.
Voltaire — de son vrai nom Francois-Marie Arouet — naquit a
Paris en 1694, d'un pere notaire, qui avait pour clients les ducs de
Saint-Simon et de Richelieu. Chez les J6suites du College Louis-4e-
Grand, Voltaire fut un trfcs bon 61Ave des pere$ Por6e et Tournemine,
et il fit de bellesconnaissances, parmi lesquelles les deux d'Argenson.
II voulut, de bonne heure, se faire une Imputation de poöte et une
place dans la sociätA brillante. II se fit introduire au Temple, chez les
Vendöme, fut re$u chez les Richelieu en Poitou et en Touraine,
chez Bolingbroke; celui-ci, ancien ministre de la reine Anne, exi!6
apre« larenement de George I er , s'6tait r6fugi£ en France. II 6tait Tami
des plus ceMebres 6crivains d'Angleterre, contempteur de toutes lee
VOLTAfBE
(1$$4-9T7$).
7*
La Rigence.
LIVRI PREMIER
MONTESQUIEU
LBTTEBS
FEKSANES (17Sf).
traditions religieuses, libre-penseur, ath6e. Voltaire däbuta par de
menues po&ies. Pour une satire contre la memoire de Louis XIV, il
fut mis k la Bastille. La il compose quelques chants d'une 6pop6e
nationale et philosophique, la Henriade y dont une premtere Edition
parut clandestinement en 1723. En 1718, il lut chez la duchesse du
Haine CEdipe. M6diocre 6pop6e d'ailleurs que la Henriade % et
m&iiocre trag6die qu'CEdipe; mais Voltaire les a sem6es dallusions
politiques et de sentences audacieuses sur la religion et sur les rois.
II commenga ainsi k se faire un public. Les amis de Bolingbroke
l'applaudirent; il ira bientöt les visiter en Angleterre.
Charles de Secondat, baron de La Bröde et de Montesquieu,
naquit prös de Bordeaux, en 1689, dans une famille parlementaire.
Enl716, il fut pr^sident ämortierau Parlement de Bordeaux. Ilavait
beaucoup de distinction dans le caractöre et dans la pens6e. Magis-
trat, la procedura l'intäressait peu, mais il aimait le droit. Toutefois
sa principale curiosit6 pendant sa jeunesse fut pour les sciences. II
lut ä l'Acad&nie de Bordeaux des m&noires sur le phänomöne de
l'6cho. II projeta une histoire physique de la Terre, pour laquelle il
demanda, en 1717, par circulaire, le concours de tous les savants. II
appliquait d6jä sa m6thode de noter les faits seien tifiques et de eher-
eher des causes physiques aux meeurs et coutumes des hommes.
Mais sans doute il n'avait pas la longue eträguliöre patience qu'il faut
k une carrifcre de savant. Sa verve et son activitä rappelaient un peu
Montaigne, son compatriote. Dans le monde oü il fräquentait beau-
coup, il prit le ton du libertinage £16gant qui 6tait alors k la mode,
et qui ne räpugnait pas ä son esprit. II 6tait observateur tr6s fin et
grand liseur.
En 1721, la venue k Paris d'un ambassadeur turc, M6h6met-
Effendi, mit les conversations sur les meeurs de T Orient. Montesquieu
imagina deux Persans en voyage, Usbeck et Rica, qui 6crivaient k
leurs amis demeuräs en Perse, pour les entretenir des choses d'Occi-
dent, et recevaient d'eux en retour des nouvelles d'Ispahan. Ce
furent les Lellres persanes. Des dätails sur l'Orient emprunt6s au
voyageur Chardin, des histoires de särail piquantes et voluptueuses
y alternent avec la satire des meeurs occidentales oü sont maltrait£s
lescourtisans, les nouvellistes parisiens, les 6rudits, les petits-mattres,
avec des remarques sur Tesprit des diflförentes nations, sur la d6ca-
dence de l'Espagne, les räformes du tsar Pierre le Grand, le Systeme
de Law, avec des r6Qexions sur Dieu, sur la tol6rance, sur le Pape,
« vieille idole qu'on encense par habitude », etc. Sous cette ironie
brillante, qui a ses moments de gravis, s'annoncait la philosophie du
siöcle.
7 a
CTAP. IT
La Cour et les Mceurs.
II. — LES ARTS ET LES MODES
LA transformation des arts, commenc£e dans les deroiöres ann6es
de Louis XIV \ se präcipita pendant la R6gence. Le « grand
goüt » est devenu d6cid6ment intolärable. Aux appartements k la
Louis XIV, la sociöte de la R6gence pröftre les boudoirs, les « cabi-
nets » ; eile ne voulait plus de ces salons solennels dont la hauteur
correspondait k deux 6tages, qui avaient deux rangs de crois6es, et
dont le plafond 6tait cinträ, plus d'immenses galeries ni descaliers
monumentaux. Dans les hötels princiers, le « salon de räception »
continue d'Ätre en honneur; mais, chez les particuliers et m6me chez
les princes, on fait d6sormais des salons moins vastcs, moins 61ev6s
de plafond, plus faciles ä chauffer, oü Ton peut recevoir dans Tinti-
mit6; ce sont des « salons d'hiver », des « salons de compagnie ». Les
premiers essais d'une nouvelle distribution des appartements se
firentau Palais Bourbon, en 1722. Auxornements solennels succfcdent
les däcorations de menuiserie, 16göres et vartees; aux Enormes bas-
reliefs surmontant les che minies, des glaces 16g6res et lumineuses.
Meissonier est le grand artiste d6corateur de ce moment. II
d6teste les lignes droites, les formes r6guli£res, carräes, rondes ou
ovales; il fait bomber les moulures et les corniches et rompt k
sym&rie des panneaux. II emploie k profusion les coquilles, les
nuages, les plantes, mdme les feuilles de chou. Cet orffevre ciseleur,
a trait6 le bois et le marbre aussi bien que les mätaux; ses consoles
sont « prodigieuses de difficult6s vaincues ».
La fa$on nouvelle des appartements appelait un mobilier nou-
veau; ici, le grand mattre est Cressent, 6b6niste, sculpteur et cise-
leur. Ses meubles n'ont plus l'aspect sävöre de ceux de Boule; k
l'6b6ne grave il substitue les bois de couleur; aux incrustations de
m£tal ou d'6cai)Ie, des placages de bois de rose ou d'amarante et des
ciselures en bronze d'une d&icieuse 16göret6. II avait un goüt pro-
nonc6 pour Tornementation « simiesque ». Le singe prenait sa
revanche du dödain que Louis XIV avait affect6 pour les magots,
comme il appelait les figures des mattres flamands.
La R6gence vit mourir en 1722 Gillot, ce spirituel peintre,
dessinateur et graveur, qui aimait k repräsenter les d6cors d'op&ra et
les scönes de com&iie italienne, k faire des culs-de-lampe ou des
troph£es avec des instrumenta de musique, des armes et des torches,
et k dessiner des tapisserics döcoröes de feuillages, de guirlandes et
go6t nouveaü
DANS
L'ARCBITBCTÜRB
BT LA
DÜCORATION.
MBISSONtBB
MOBIUBB
NOaVBAÜ.
CBBSSBNT.
HOBT DB GILLOT
BT DB WATTBAU.
i. Volr Hulolrt de France, Vlll, 1, pp. 4» et suto.
< ?3 >
La R&gence.
LI VRE
d'herbes folles. Watteau 1 , qui fut un moment son 616ve, l'avait pr6-
c6d6 (Tun an dans la mort. Le Regent l'avait nomm6 peintre du Roi,
avec le titre de « peintre des fötes galantes ». L'artiste qui peignit
avec de la « lumiöre port£e sur la toile » ces paysages admirables par
leurs horizons fuyant dans la brume 16g&re, par leurs perc6es de
lumi&re, la gr&ce de leurs fontaines, de leurs balustrades, de leurs
statues et de leurs grands vases, et qui peupla ce d6cor idöal, oü Ton
sent qu'il aurait fait du pur r6el s'il eüt voulu, de personnages 16gers
comme des ombres, vötus de soies roses, bleues ou jaunes, caress£es
par le soleil ; ce peintre des joies du beau monde et du monde des
th&tres, 6tait un malade mälancolique.
II avait, disent les fr&res de Goncourt, ses biographes, le « masque
inquiet, maigre et nerveux, le sourcil arqu6 et febrile; Pcöü noir,
grand, remuant; le nez long, d6charn6; la bouche triste, s6che, aigue
de contour, avec, des ailes du nez au coin des l&vres, un grand pli de
chair tiraillant la face ». Et, d'ann6e en ann6e, il maigrissait, « ses
longs doigts perdus dans ses amples manchettes; son habit plissä
sur sa poitrine osseuse, vieillard & trente ans; lesyeux enfoncäs, la
bouche serröe, le visage anguleux, ne gardant que son beau front
respectä des longues boucles d'une perruque ä la Louis XIV ».
Watteau avait trente-sept ans quand il mourut en 1721 *.
apparition du L'art du pastel apparut en France sous la Rägence. II ne serait
pastel. pag impossible de le rattacher ä Watteau, qui fit de si 616gants dessins
la rosalba. ^ j a g^g,!^ . ou m g me ä Lebrun et ä Largilltere, ä Vivien, Robert
de Nanteuil, Daniel Dumoustier ou Lagneau, qui pratiqu6rent les
crayons de couleur, au temps de Louis XIV, de Louis XIII ou de
Henri IV. Mais le v£ritable pastel fut importä d'Italie en 1720, par la
V6nitienne Rosalba Camera. II eut tout de suite un grand succös.
Les femmes se disputerent rhonneur d'avoir un portrait fait par la
Rosalba, qui fut admise ä l'Acad^mie de peinture. La Tour, tout
jeune encore, sous la R6gence, illustrera cet art nouveau.
cHANCBMBNT de La mode, comme l'art, avait commencä de changer dans les der-
modbs, coiffures n ^ ves annäes de Louis XIV.
bassbs. En 1714 ^ les dames ^ ä j a Cour ^ portaient de hautes coiffures
6chafaud6es. Deux Anglaises y parurent avec des coiffures basses,
i. Voir Ruloire de Franoe, VIII, 1, p. 6a&
a. Le Musee du Lourre possede son Embarqaemenl pour Cylhirt, son Gilles, au costame
de satin blanc, sa Finette jouant de la mandoline, son Indifftrent, son AtiembUe äan$ an
parcs Berlin, Posisdam, Dresde, Madrid, Londres et la Russie oni aussi des Watteau. Au
Palais-Royal de Berlin se trouTC, en deux morceaux, VBrueigne de Ger$aint, ravant-dernief
tableau du maltre.
< 7* >
OUP. IT
La Cour et les Moeurs.
qui firent scandale ; mais le vieux Roi les trouva de son goüt, et les
Francaises se coiflferent k l'anglaise; sur quatre gtages de cornettes,
elles en supprim&rent trois. De Versailles, la coiffure basse passa &
Paris, doü eile se räpandit dans toute la France. Les dames por-
t&rent les cheveux courls, coup6s, comme on disaii, k trois doigts de
la Wie; elles y attach&rent leur cornette avec des 6pingles irhs en
arrifcre, se frisfcrent en grosses boucles comme les hommes, et mirent
dans les cheveux un bijou, une plume ou un petit bonnet ä plumes;
coiffure assez simple et 16g&re qu'on nomma « coiffure k la culbute ».
Comme eile ressemblait un peu ä celle des hommes, les dames
s'adressörent k des coiffeurs. Le sieur Frison fut lanc6 par Mme de
Prie et le sieur Dag6 par Mme de Ch&teauroux.
Les paniers ou jupes ballonn6es apparaissent k Paris en 1718,
quatre ans apr&s les coiffures basses, et ce fut la fin des modes solen-
nellesdu dernier rögne. Peut-6tre vinrent-ilsd'Angleterre; d£s 1711,
on portait k Londres des jupons k cerceaux, ressemblant un peu aux
vertugades du temps de Frangois I ,r ; k Paris, on donna quelque grftce
k cette mode bizarre.
II y eut des paniers « k gu6ridon », en forme d'entonnoir; des
paniers « k coupole », arrondis par le haut; des paniers « k bourrelets » t
6vasant le bas de la jupe; des paniers « k gondoles », qui faisaient
ressembler les femmes k des porteuses d eau ; des paniers « k coudes »,
appells ainsi parce qu'ä la hauteur des hanches ils offraient aux
coudes comme des points d'appui. II y eut aussi des paniers jans6-
nistes et des paniers molinistes; ceux-li, qu'on appelait des « considä-
rations », n'6taient que de courts jupons, doubl£s de crin et piquäs;
ceux-ci, de libre allure, donn&rent plus de majest£ aux grandes
femmes, amincirent les grosses, grossirent les minces; ei ce fut une
joie de sortir des « fourreaux » de l'ancienne mode pour entrer dans
ces cercles de baleines lägöres.
Naturellement cette mode amusa le public. Au th&tre, Arlequin,
devenu marchand de paniers, criait ä tue-tÄte : « J'ai des bannes, des
cerceaux, des volants, des matelas piqu6s; Jen ai de solides pour les
prüdes, de pliants pour les galantes, et de mixtes pour les personnes
du tiers 6tat ».
Avec les paniers, plus de paquets d^toffe ramassäe sur la
Croupe, mais des robes trfcs amples et flottantes, un corsage ajust6
sur la poitrine, trfcs däcollete, k manches plates, avec de larges
parements, des manches en forme d'entonnoir, ou « manches en
pagode ». Ces « n£glig6s », qu'on a appel£s une « ind6cence parta »,
mfelaient, « dans une confusion piquante, la recherche et l'abandon,
le luxe et la simplicitä ». Les Stoffes, — des soies couleur d'eau ou
LES PANIERS.
LES N&GLWtS.
7 5
La Rögence. utbi pbimub
couleurde feu, des gazes, des tissus impalpables de linde, — 6taient
dllicieuses.
costümbs Les hommes quitterent les amples vötements charg6s de den-
vbouues. telles et de rubans et les perruques immenses pour des habits plus
serräs, plus simples, des culottes en fourreau de pistolet, des houp-
pelandes ä grand collet pendant, des perruques aplaties sur le
crane, avec toupet bas, ou, comme on disait, « quatre cheveux par
devant ». Leur habit, ou justaucorps, portait des deux c6t£s, & partir
d'un bouton cousu sur les hanches, cinq ou six gros plis qu'on rem-
bourrait avec du crin ou du papier. On manifesta, par la couleur
des rubans, ses opinions; en 1715, les rubans blancs, rouges et
jaunes, r6v61aient un jans6niste, et les rubans noirs et rouges un
constitutionnahre. On appela « galons du Systeme » des galons en
or faux.
costümbs du not Quand l'ambassadeur turc, M6h6met-Effendi, vint k Paris en 1721,
et du b&gbnt. on \^ montra trois habits de Louis XV : un garni de perles et de
rubis; un autre, de perles et de diamants; le troisifcme, de trös beaux
diamants. L'ambassadeur admira deux rangs de perles grosses comme
des noix muscades, une « perle d'orphelin » absolument ronde, fort
brillante et non perc6e, et le fameux diamant « le Regent », trouvö au
sud de Golconde; il pesait brut quatre cent dix carats; la taille avait
demandö deux ans, coüt6 cent vingt-cinq mille livres, et le laissait a
cent trente-six carats.
Louis XV, pour recevoir l'ambassadebr, 6tait v6tu d'un habit
de velours couleur de feu, charg6 de pierreries, qu'on estimait plus
de vingt-cinq millions, et qui pesait de trente-cinq ä quarante livres;
il avait ä son chapeau une agrafe de gros diamants. Le m6me jour,
le Regent portait un justaucorps de velours bleu, tout brod6 d'or,
avec une grosse agrafe de diamants au chapeau, et les insignes du
Saint-Esprit et de la Toison d'Or, enrichis de diamants. Tous les sei-
gneurs 6taient superbement vMus.
,6
CHAPITRE V
LE MINISTE RE DU DUC DE BOURBON
(1723-1726)*
I. M0N8UUR LI DUC IT MADAMI DI PR1I. — II. L ADMINISTRATION DI
PARIS DU VBRNIY (1123-1726). — III. LA DBCLA RATION DI 1724 CONTRI LB8 PROTESTANT».
— IV. LA POUTIQUI IXTIRIEÜRI DU MINISTER! BOURBON. — V. LA DI8GRACE DB MON-
SIEUR LI DUC (1726).
/. — MONSIEUR LE DUC ET MADAME DE PRIE
QUAND le duc (TOrteans fut mort, le duc de Bourbon deraanda is ouc
le litre de Premier Ministre que Louis XV lui donna. Fleury, DE B0ÜM0H *
pr6cepteur du Roi, ne jugeait pas que le moment füt venu pour lui
de prendre le pouvoir, et le Duc £tait, parmi les Princes du Sang, le
seul en 6tat de l'exercer; les bä tarda s'en irouvaient 6cart£s ä tout
jamais, et ni le comte de Charolais, fr&re du Duc, ni le prince de
1. Sourcrs. Roasset, Lamberty, D'Argenson (t. I), Barbier (L I), Duclos, deja cites.
Henault (President), Mimoires, Paris, i855. Voltaire, GEuores, Paris, i8&>-i84o (Ed. Beu-
chet), 73 vol., Dotamment le Precis da titele de Louis XV (t XXI).
Ouvbaoes a coFfscLTSR. Lemontey, La cre teile (t. II), Michelet (t. XV et XVI), Jober
(t II), Rocquain, Bailly, Clamageran (t Hl)« Houques-Fourcade, Marion, de Janze, Coze,
Baudrillart (Alf.), Perey deja cites. Clement, Portrait» hisloriques (Les Freres Paris),
Paris, i856. Hey, Un Intendant deprooince ä la fin da XVIh stiele, 1696-1705 (Bull, de l'Aca-
demle delphinale, 4« serie, t. IX, Grenoble, 1895). Costes, Les institutions monitaires de ta
France avant et depuis /7#P, Paris, i885. Thirion, Mme de Prie, Paris, 1907. Delahante, Une
famille deßnance aa XV11I siecle, Paris, 1881, a vol. Inoenlalre des Archive* du Puy-de-D6me*
Serie C (TentaUves de maximum en Auvergne). Afanass!ev, Le commerce de» cireales en
France aa XVIII* stiele, traduetion Boyer, Paris, 1894. Gobelin, Hisloire des mitices prooin-
ciales (i$iS-i79i) % Paris, 188a. Broglie (Emmanuel de), Les portefeailles da President Boahier,
Paris, 1896. Armaille (Comtesse d*), La reine Marie Leekzinska, Paris, 1870. Raynal, Le
manage «Ton Bei (/7J/-/715), Paris, 1887. Gauthier- Villars, Le mariage de Louis XV, Paris,
1900 Nolhac (De), Louis XV et Marie Leainska, Paris, 1903. Green, Histoire du peuple anglais
(trad. Monod), Paris, 1888, a vol. Syveton, Une Cour et un avenlurier au XVlll* stiele : La
Baron de Ripperda a 9 apres les doeaments inidils des Archives imperiales de Vienne et de$
Archioes da minislere du Affaires itrangires de Paris, Paris, 1896. Rodriguez Villa, La
Bmbajada del baron de Ripperda en Viena (Boletin de la Real Academla de la Historie,
enero 1897). De S warte, Un Intendant secritaire dElal; Claude Le fifane, $a elf, m corree-
pondance, Dunkerque, 1900.
€ 77 >
La Rege nee.
UVRI PRBMIIB
LE MINISTäRE.
LA MARQÜ1SB
DB PRIB.
Conti, ni le fils du Regent, seulement Äg6 de vingt et un ans, ne pou-
vaient le lui disputer *.
II avait trente et un ans. II 6tait grand et d'assez belle tour-
nure, mais trös laid et de physionomie effrayante : il avait perdu un
oeil par aeeident de chasse. Ses maniöres 6taient hautaines et dures.
Le marquis d'Argenson, qui du temps de la R6gence avait v6cu
familiörement avec lui, le trouva « collet-mont6 », das qu'il fut
ministre. Sa fortune, grossie par le Systeme, lui permettait de mener
grand train; il donnait, k Chantilly, des chasses splendides; il n avait
jamais moins de cent personnes k sa table.
Inintelligent et incapable d aueunes vues politiques, il se montra
surtout occup6 de sa haine contre les Orleans. Sa grande inqui6-
tude £tait de voir Louis XV mourir, et le fils du Regent lui suceäder.
II garda les ministres qu'il trouva en fonetions : D'Armenonville,
garde des Sceaux, Dodun, contröleur g6n6ral, Fleuriau de Morville,
secr6taire d'ßtat des Affaires 6trang6res depuis la mort de Dubois,
La Vrilltere, seerätaire dfitat des Affaires de la religion prätendue
r6form6e, Maurepas, secr6taire d'£tat de la Maison du Roi et de la
Marine, Le Blanc, charg6 du secr6tariat d'£tat de la Guerre dont
l'office appartenait k D'Armenonville. Mais les ministres eurent un
röle subalterne, les grandes affaires etant r6serv6es au Conseil d'en
haut oü M. le Duc d6lib6rait avec Fleury, Villars, et un seul d'entre
les ministres, de Morville. Le jeune duc d'Orlöans, membre du
Conseil, n'y allait pas.
Fleury croyait qu'il gouvernerait sous le nora du Duc; mais il
eut ä compter avec Mrae de Prie. Elle ötait fille du financier Ber-
thelot de Pl6neuf, et eile avait 6pous6 un marquis ruin6, dont on
avait fait un ambassadeur k Turin. Elle avait tenu k la petite cour de
Savoie un grand «Hat de maison; mais la Chambre de justice ruina
son p&re, et les De Prie renoncörent k leur ambassade pour venir
chercher fortune k Paris en 1717.
La marquise 6tait n6e en 1698; eile avait des « yeux k la chi-
noise », vifs et gais, « un air de nymphe », des cheveux cendrös;
eile 6tait « la fleur des pois du siöcle », disait le marquis d*Argenson r
qui lui trouvait « des je ne sais quoi qui enlövent ». fitourdie quel-
quefois, mais fine, ambitieuse, eile gardait, quoiqu'eHe n'eut ni
croyances ni moeurs, toutes les apparences de la däcence et de la
modestie. Elle avait le goüt de la politique et se croyait faite pour
gouverner l'fitat. Aprfcs d'inutiles tentatives sur le Regent, elles'ätait
rabattae sur M. le Duc, dont eile devint la maitresse en 1751. Elle
l. Voir plus baut, p. 09.
78
t Le Ministere du Duc de Bourbon {m*-i7t$).
le poussa & prendre connaissance des affaires, le releva ä ses propres
yeux, mtone aux yeux du public. Quand il devint premier minisüre,
eile lui montra que, pour gouverner, il fallail se fahre servir par
d'autres gens que les « rou6s ». Elle fit de Paris Du Verney un « secrä-
taire des commandements » du duc ; et, avec ce titre vague, Du Ver-
ney disposa d'une trfcs grande autoritö. Elle 6carta du gouverne-
ment ses ennemis personnels, le comte d'Argenson ä qui eile enleva
la beutenance' de Police pour la donner ä un de ses parents, d'Om-
breval ; Le Blanc, ä qui eile enleva le d£partement de la Guerre pour
le donner au marquis de Breteuil. Du Verney se subordonna les
ministres, particulitrement le contröleur g6n£ral et le secr&aire
d'fttat de la Guerre. Le secnHaire d'£tat des Affaires 6trang6res, bien
qu'il eüt entr£e au Conseil d'en haut, dut subir son influence. Les
mesures projetees par Du Verney furent toutefois soumises au Con-
ti, et, & l'occasion, y furent combattues.
//. — L 9 ADMINISTRATION DE PARIS DU VERNEY
PARIS DU VERNEY est le troisiöme des frferes Paris. Origi- piais du rsiWBr.
naires du Dauphin6, oü leur p&re, k oe qu'on dit, avait tenu
auberge sur la grande route de Lyon ä Grenoble, dans la petite ville
de Moirans, les Paris commenc&rent leur fortune dans les fournitures
de vivres ä l'arm6e d'Italie, pendant la guerre de la ligue d'Augsbourg,
en 1702, ils fournirent l'arm6e de Flandre, oü ils firent des merveilles.
Du Verney est l'inspirateur et le chef de ses fr&res. II aime les
affaires pour elles-mtanes, pas seulement pour y gagner de 1'argenL
II manie des milliards, et laissera une fortune mädiocre. Probe, mais
ras6, mdl6 d&s sa jeunesse ä toutes les praüques des marchäs, il 6tait,
pour ses fournisseurs, un objet d'admiration.
La guerre de la Succession d'Espagne finie, il Tient h Paris, oü
il r6v&Ie un talent prodigieux de calculateur. II conduit les Opera-
tions du premier et du second Visa, dfeide souyerainement de la
fortune de ses concitoyens et s'attire ainsi de grandes haines. II est
accus* d'avoir fait passer d'änormes quantites de bl6 ä l^tranger, et
de ks avoir fait rentrer en France pour les rerendre ä des prix exor-
hitant8. Accusation absurde, de telks Operations ne pouvant se faire
sans une foule de complices.
II s occupa d'abord des monnaies. La disproportion qui existait ori*ATtoNs stm
entre la yaleur intrinseque et la raleur nominale des monnaies hri LBS * olil,,AiBS
paraissait expliquer la crise commerciale et le haut prix des mar- (
< 79 >
La Rigence.
urmi
TAÜI
DES DENlUtßS.
KOÜVBAÜX
HMMANIMMENTS
DBS MONNAIES.
chandises. 11 abaissa la valeur nominale des espöces et releva ainsi
leur titre. Par larr£t du 4 tevrier 1724, les louis passörent de 27 livres
ä 20 livres; les 6cus, de 6 livres 18 sous k 4 livres. La valeur intrin-
söque de la livre monta, par suite, en valeur d'aujourd'hui, de 82 Cen-
times k 1 fr. 25.
Ceite Operation coüia au Tresor une quarantaine de millions, el
jeia partout la panique. Contrairement aux prövisions de Du Verney,
et contrairement au bon sens, les prix, au lieu de baisser, s'61evörent
encore; alors les ouvriers se coalisörent pour obtenir des augmen-
tations de salaires. On royait bien que le rapport du titre et de la
valeur nominale des monnaies 6tait mieux proportionn6 que par le
passö; mais on redoutait que lßtat ne revtnt aux pratiques anciennes
et ne baiss&t le titre, apr&s l'avoir 61ev6.
Du Verney s'obstina. Pour mettre les salaires et le prix des
denräes d'accord avec la valeur nouvelle qu'il attribuait aux esptces,
il fit arrtter, emprisonner, sabrer des ouvriers räcalcitrants. II publia
des tarifs officiels sur les denröes, non k Paris, od il craignait de
compromettre les approvisionnements, mais dans les provinces : k
Libourne, par exemple, la viande fut tax£e k 9 sous la livre, et la
douzaine d'oeufs k 4 sous; une couple de poulets ne put se vendre
que 8 sous; les souliers de drap pour femme, 2 livres 10 sous; les
souliers de soie, 3 livres 10 sous; la journ6e d'un tonnetier, d'un
charpentier, d'un menuisier, d'un ma$on valut 15 sous, et celle d'un
manoeuvre 8 sous. En Auvergne, aux foires de Clermont, l'inten-
dant taxa toutes les Stoffes; k Ambert, le subd£l£gu6 averüt les mar-
chands qu'il ferait fermer leurs boutiques s'ils ne baissaient pas d'un
tiers le prix de leurs marchandises. Partout il y eut des rtsistances.
Les subd616gu£s du Velay et du Forez, c'est-ä-dire des g6n6ralit£s
de Montpellier et de Lyon, n'arrivörent pas k modifier les salaires;
les ouvriers et les journaliers s'enfuyaient dös qu'on voulait les taxer
au-dessous de 25 sous par jour.
On vit bientötque le public avait eu raison dese m£fier;c6dant
k l'opposition qu'il rencontrait, Du Verney op^ra en sens inverse et
diminua la valeur des esp&ces. En fövrier 1726, la livre descendit k
1 fr. 22; en mai, eile tomba ä 1 fr. 02. Des peines furent 6dict6es
contre ceux qui conservaient les anciennes monnaies, plus riches
en m6tal pr6cieux : on confisqua ces monnaies; en cas de räcidive,
on frappa dornendes doubles de leur valeur ceux qui les d£tenaient;
on bannit les dätenteurs; on condamna aux galöres les joailliers qui
dlformaient les monnaies pour les employer ä leurs ouvrages, et au
carcan quiconque les faisait fondre.
Tandis que ces remaniemenls de monnaies rendaient le
So
OBAF. V
Le MinUthre du Duc de Bourbon (I7i$-17H).
mercc plus difficile, Du Verney ientait dassurer 16quilibre du budget. Situation
Avec 204 millions de recettes, contre 208 ou 210 millions de däpenses, FiNANciäRB.
il aurait pu y parvenir, s il navait eu ä solder les anticipations des
ann6es pr6c£dentes. Mais, au 1 er janvier 1724, le deficit 6tait de
43 millions pour les arrärages des rentes payables en 1722 et 1723;
et en 1725, on devait encore 14 millions sur les arr&rages de 1723,
8 sur ceux de 1724; en outre le payement des gages 6tait en retard
dune trentaine de millions. De toute n&essitä, le moment 6tait
venu de pourvoir au remplacement du Dixteme, si imprudemment
supprimä en 1717. La guerre, alors imminente entre la ligue de
Hanovre et l'Espagne unie ä 1' Aufriebe 1 , for$ait le Gouvernement &
se procurer de nouvelles ressources.
A Tinstigation de Du Verney, le contröleur g6n6ral Dodun pro- projbt
posa donc de perceyoir, pendant douze ans, une taxe dun cinquan- DüciNQOAMmtn.
tiöme de tous les revenus des biens-fonds sans nulle exception, en
nature sur les produiis de la terre, en argent sur les autres produits.
11 invoqua l'exemple de la Hollande oü se levait un imp6t analogue;
il soutint que Ton en pouvait tirer 25 millions par an. Avec cette
ressource nouvelle, disait-il, on payerait toutes les dettes du Roi et
le erödit renaltrait. Le projet du Cinquantteme, pr6sent6 au Conseil
d'en haut le 5 juin 1725, n y fut pas vot£ sans ri&sistance. Villars le
combattit; ils proposa de doubler la capitation, et de faire des 6co-
nomies sur la Maison du Roi. Fleury quitta la s6ance pour ne pas
avoir ä se prononcer, et c'est en son absence que l'impftt fut vot6.
Une Deklaration du Roi en ordonna la lev6e, ä compter du !•* aoOrt
suivant; sous aueun prätexte, eile ne pourrait Gtre continufo au delfc
du i tr octobre 1737.
La Deklaration du Cinquantfcme, enregistrto en lit de justice au obstaclms
Parlament de Paris, le 8 juin, fut fort mal accueillie dans tout le AuciNQUAimän.
royaume. Les parlements de Bretagne et de Bourgogne en refus£-
rent renregistrement; celui de Bordeaux ne 1'efTectua qu'apr&s deux
mois de rösistance. Les tfvAques se plaignirent au Papc et lui deman-
d£rcnt dintervenir. La r6colle s'annoncait d'ailleurs comme devant
<Ure mauvaise; des pluies continuelles emp6chaient les btös de mürir;
la disettc menacait; le pain se vendait quatre sous la livre. Se
croyant plus menac£s par le nouvel impöt que par le Dixifcme, les
privilägiös encourageaient les populaüons & la rteislance. Les paysans
s'insurgferent partout; des fem m es, armtos de fourches, parcou-
rurent les campagnes, mena^ant de brüler quiconque percevrait ou
payerait le Cinquantiöme. Souvent on ne put trouver, dans les
i. Voir plas Iota, p. ftx
VIII. 5.
4 8i »
La Rigence.
UYRI PftSMtKft
CAOSßS
DB ViCBEC.
DBOIT DB JOYBÜX
AVäNBMBNT.
LA m CBINTÜRB
DB LA BBINB ..
MiSiBB Bit nn.
paroisses, d'adjudicataires ä qui remettre la percepiion de cet impöt.
II fut donc impossible, en 1725, d'appliquer la D6claration; on ne le
put qu'en 1726, apr&s la chute de M. le Duc. Encore fallut-il alors la
modifier. Od ne pergut le Cinquantiöme qu'en argent, sous forme de
räpartiüon et d'abonnement, et cet impöt qui devait, croyait-on, pro-
duire vingt-cinq millions, en produisit ä peine cinq.
Les difBcult6s pratiques du recouvrement dun impöt en nature
ont sans doute fait apprähender les- vexations des agents de lfitat;
mais la cause principale du soulfcvement contre le Cinquantiöme a 616
le retour dun impöt de surcrott, qui rappelait le Dixi&me. D'ailleurs,
le Cinquantiöme coKncidait avec une räcolte mauvaise. Le Gouverne-
ment qui avait proclamä l'abolition definitive du Dixi6me,paraissaitle
r6tablir, en le dissimulant sous unnom nouveau et une forme nouvelle.
Press6 par le besoin d'argent, Du Verney eut recours a un droit
de l'6poque fcodale, le droit de « confirmation » ou de « joyeux avtoe-
ment », que le Regent et Dubois avaient inten tionnellement n6glig6
de faire valoir, et auquel M. le Duc avait eu l'imprudence d'annoncer
qu'il renongait. Un 6dit de juin 1725 en d6cida la lev6e; une Instruc-
tion officielle en r£gla l'assietle; les seuls magistrats des cours sou-
veraines en forent exempt6s. Comme ce droit avait donn6 vingt
millions en 1643, il semblait devoir produire bien davantage. On ne
l'adjugea cependant que pour vingt-quatre millions ä des traitants.
Ils firent d'6normes b6n6fices, d autant plus que les ministres qui se
succ6d6rent au pouvoir leur accord&rent des d61ais invraisemblables.
Leurs comptes ne furent däfinitivement r6gl6s que cinquante ans
apr6s retablissement de la taxe, en 1773.
A 1 occasion du mariage de Louis XV, en 1725, un certain
nombre de maltrises de mötiers furent mises en vente au profit de la
Cou rönne. C'6tait un vieil usage, connu sous le nom de « droit de
ceinture de la Reine ». L'industrie 6tait si languissante que les mal-
trises trouv&rent difficilement acquäreurs. Le public chanta :
Pour la ceinture de la Reine,
Peuples, meltezvous ä la gtne,
Et Üchez de bien l'allonger;
Bourbon le borgne vous en prie,
Car il voudrait en mlnager
Une aune ou deux pour la De Prie.
La mis6re 6tait g6n6rale en cette annöe 1725. A Paris, au fau-
bourg Saint-Antoine, les ouvriers altaquaient les boutiques des bou-
langers, et le guet les dispersail. A Caen, l'intendant s'enfuyait devant
une populace affam6e; ä Rouen, des 6raeuliers seraparaient du duc
de Luxembourg, gouverneur de la province, qui ne leur dchappait
8a
chap. v Le Ministhre du Duc de Bourbon (47t$-i7i$).
qua grand'peine, se reTugiait dans le Vieux Ch&teau, et s'y metlait
en defense; ä Lisieux, on pillait les maisons. Un peu partout, les
parlements entretenaient l'agitation. Le peuple croyait ferme que les
ministres etaient des speculateurs qui empöchaient les producteurs
de grains damener leurs marchandises sur les marchäs. Une ordon-
nance prescrivit des achats de bl£s ä l'ätranger et, ä Paris, plusieurs
fois par semaine, des parlementaires sassemblerent chez le Premier
President, afin d'aviser aux partis ä prendre sur les subsistances. Ils
fixaient le prix du b\6 ; quand ils pouvaient disposer de grands appro-
visionnements, ils procedaient ä la r£partition entre les provinces. rbnsbignbmbnts
Du Verney eut id£e d'un Bureau destinä k renseigner le Contröleur sur lbs grains.
G6ne>al sur l'apparence des räcoltes, sur les prix des grains dans
tous les marchäs du royaume, sur leur abondance ou leur raretä
dans les pays ätrangers. Mais ses ennemis ä la Cour craignirent qu'il
ne devlnt trop puissant s'il acquerait une action continue sur 1 ali-
mentation publique, et ils eurent assez d'influence sur les membres
du Conseil pour faire ajourner la cr£ation du Bureau de renseigne-
ments.
La misere accrut le nombre des mendiants, au point qu'une fois ordonnance
de plus il fallut essayer des moyens lögislatifs contre la mendicitä. su * " **NDiciTi
Par ordonnance du 18 juillet 1724, les mendiants avaient £t6 divisäs (/7W) '
en deux classes : ceux qui ne pouvaient travailler, ceux qui ne le
voulaient pas. Les premiers seraient nourris dans les höpilaux; les
seconds seraient enröles pour le Service des ponts et chauss£es ou
employös ä divers mätiers qu'on installerait dans les höpitaux.
Attendu que le mendiant valide elait un perturbateur public, volant
le pain des infirmes et des vieillards, il serait marque* au bras de la
lettre M ä la premiere röcidive; k la seconde, il serait ftetri d'une
fleur de lys k l'äpaule et condamn6 aux galeres au moins pour
cinq ans.
La pönurie du Tresor rendit ces rigueurs inapplicables. Rlduits
ä ne donner aux mendiants que le pain et leau et ä les coucner sur
la paille, les administrateurs d'höpitaux favoriserent 1 Evasion de ces
miserables. Les troupes et la mar6chauss£e, prises de pitie\ refuserent
de les arröter. II fallut que le Gouvernement recruUt des archers en
Suisse pour cette besogne. La nouvelle force publique fut aussi hale
que, naguere, les bandouliers du Mississipi.
Une des meilleures idees de Du Verney fut de doter la monar- Organisation
chie d'une force nouvelle par l'institution des milices. Au moment dbsmiucms.
oü une alliance conclue entre Philippe V et l'Empereur fit appröhender
< 83 >
La Regence,
uni pmsMim
KLLK NB
MvssiT pas.
une guerre europ&nne, il imagina de constituer, par l'ordonnance du
27 fövrier 1726, une arm6e de seconde ligne, tirie du peuple, forte
de 60000 hommes, soumise ä un Service temporaire, mais conservant
pendant la paix Thabitude des armes.
L*id6e n'6tait pas neuve. Onavu que Louvois avait institu6 des
corps de milice en 1688, mais ils n'avaient pas dur6 longtemps. Ils ne
figurärent pas dans la guerre de la Succession d'Espagne. Ils repa-
rurent pendant la courte guerre de 1719; mais Institution n'avait
pas le caractfcre de rägularitä definitive que Paris Du Verney pr6-
tendit lui donner. La räpartition des miliciables se fit par provinces,
et chaque province fut divisäe en autant de cantons qu'elle fournissait
de compagnies. Tout homme non mari6, ayant seize ans au moins,
et quarante ans au plus, mesurant cinq pieds et reconnu en 6tat de
servir, put 6tre requis pour la milice. Le recrutement se fit par
tirage au sort en präsence d'officiers, de l'intendant ou de son reprß-
sentant, de gentilshommes et de commissaires des guerres. Les offi-
ciers miliciens furent payäs sur les fonds de la guerre; l'armement
dut 6tre fourni par les arsenaux, et les provinces neurent ä leur
charge que Thabillcment.
Mais, dans une soci6t6 fond6e sur le privil&ge et sur l'inlgalitö
des charges, le recrutement des milices ne pouvait s'effectuer de
fagon (^qui table; la classe des miliciables se rdduisait ä celle des
petites gens et presque exclusivement aux habitants des campagnes.
En d^pit de l'ordonnance qui däclarait quaueune paroisse ne pouvait
6tre dispens£e de contribuer aux milices, nombre de villes parvinrent
a s'y soustraire. A ce vice prfes, qui 6tait grave, les milices furent un
premier essai des armäes de räserve, et elles annonc&rent le svst&me
de la conscription.
///. — LA DÜCLARATION DE 1724 CONTRE LES
PROTESTANTS
APRfiS la mort de Louis XIV, les Protestant^ setaient repris ä
c616brer leur eulte, surtout en Languedoc, en Dauphin6, en
Guyenne, en Poitou. D&s la R^gence, il y avait eu des pers6cutions
contre eux; mais, sous le ministere de M. le Duc, plusieurs prölats
se plaignant qu'on n'appliquat pas les 6dits, d6clarations et ordon-
nanecs de Louis XIV, l'övftque de Nantes, de Tressan, fut chargä
de rddiger une loi g6n6rale conlre Th6r6sie. Ce fut la Deklaration du
W mai 1724.
Elle vise particulterement les assemblöes d'h6r6tiques, les p^6-
< 84 >
X
CflAP. T
Le Ministbre du Duc de Bourbon {1723-1726).
dicants, les mariages d'h6r6tiques, l'6ducation de leurs enfants. Tout
homme convaincu d'avoir assist6 ä une « assembläe illicite » devra
ötre puni des gal&res perpötuelles, toute femme de la attention per-
p6tuelle; les biens de lun et de l'autre seront confisquös. Les pr6-
dicants seront punis de mort. Nul ne pourra contracter manage
hors des solennites prescrites par les canons, a peine de nullit^ du
mariage. Les gens ayant professä la religion prötendue r^formöe, ou
ceux dont les parents l'auronl profess^e, seront astrein ts ä faire
baptiser leurs enfants par les cur£s, dans les vingt-quatre heures qui
suivent la naissance; les sages-femmes sont tenues de donner avis
des accouchements aux cur6s. II est enjoint aux parents suspects
<fh6r6sie d'envoyer leurs enfants aux cat6chismes jusqu'a quatorze
ans, aux Instructions qui se fönt les dimanches et fötes jusqu'ä vingt
ans et aux cur6s de veiller ä Instruction des dits enfants. II est
interdit, sous peine d'amendc, de faire Clever ses enfants ä l'6tranger.
II est prescht aux prötrcs catholiques de visiter les « nouveaux
convertis » quand ils sont malades, de les voir « en particulier et sans
t6moins », de les exhorter ä recevoir les sacrements de l'figlise, et au
cas oü, s'y 6tant refus6s, ils reviendraient ä la sant6, le Roi ordonne
k ses procureurs de les poursuivre, aux baillis et s£n6chaux de les
juger; ce sont des « relaps », et, du fait de leur apostasie, ils doivent
&tre bannis k perp£tuit6; leurs biens seront confisqu£s. Ces mesures
rappelaient les proc6d£s de la perslcution des protestants par
Louis XIV. Sur certains points, les rigueurs du xvn* si&cle furent
aggraväes. Louis XIV avait voulu que l'apostasie füt constat6e par
des officiers de justice qui s'enquäraient du fait cn interrogcant les
accus£s. Louis XV£tabliten 1724 que le faitserait tenu pourconstatö
par la seule däposition des prßtres.
LES NOUVEAUX
CONVBRTIS
ET LES RELAPS.
«' Voulons, dit-il, que le contenu au prexädent article (bannissement a per-
pätuite et confiscation des biens) soit exe-cutä, sans qu'il &oit besoin d'autre
preuve que le refus qui aura 4t6 fait par le malade des sacrements de l'figlise
offerts par les cure.s, vicaires ou autres ayant charge d 'Arnes.... sans qu'il soit
ntcessaire que les juges du lieu se soient transporte« dans la maison des dits
malades pour y dresser procös-verbal de leur refus,.... derogeant ä cet egard
aux däclarations des 29 avhl 1686 et 8 mars 1715.... •
L'incapacitä des religionnaires ä exercer des fonctions publiques les Protestant*
fut r6p6t6e une fois de plus : ecakt*s
• Ordonnons que nul de nos sujets ne pourra etre requ en aucune Charge
de judicature dans les cours, bailliages, senexhaussees, pr6vot£s et justices,
ni dans celles des bauts justiciers, me-me dans les places de maires et exhe-
vins et autres officiers des hötels de ville,.... dans Celles de greftlers. procu-
reurs, notaires, huissiers et sergents,.... et generalement dans aucun offlce
DES FONCTIONS
P&BUQLES.
85
r J >
La Mgence.
uvei ramm
ou fonction publique, soit en titre ou par commission, saus avoir une attesta-
üon du curt, en son absence du vicaire de la paroi8se,....de l'exercice actuel
qu'Us fönt de la Religion Catholique, Apostolique et Romaine
La pers£cution recommenga principalement dans le dioc&se de
Ntmes, dans celui d'Uzös, et en Dauphin^. Les Etats g6n6raux de
Hollande r6clam&rent en faveur de leurs coreligionnaires ; la Su6de
et la Prasse offrirent un refuge aux protestants frangais et Immigra-
tion recommenga.
LA QÜBSTION
DO MANAGE
du not.
LA RBCHBHCHB
VÜNB HBINB
DB FBANCB.
IV. — LA POLJTIQUE EXTERIEURS DU MINISTERS
BOURBOS; LE MARIAGE DU ROI
LA grande aflaire ext£rieure du ministöre Bourbon fut le mariage
de Louis XV; eile faillit raettre le feu ä l'Europe.
Quand M. le Duc arriva au minist&re, Tlnfante avait six ans. II
fallait laisser passer une dizaine d'annäes avant de la marier; mais
Louis XV aurait alors vingt-trois ans, et ceüt 6t6 attendrebien long-
temps. II eUait prudent de le marier au plus vite, pour sauvegarder
ses mceurs, et aussi pour avoir des heritiers directs de la Couronne.
Sil venait ä mourir sans laisser un dauphin, le duc d'Orl&ns succ6-
derait, et Tid6e que cela püt 6tre faisait horreur ä M. le Duc. D'ail-
leurs, les Bourbons d'Espagne ne manqueraient pas de repräsenter
leurs droits, et alors ce serait une grande crise. On regrettait donc 4
la Cour de France laccord intervenu en 1721 entre le Regent et
Philippe V, et Ton songeait ä s'en dägager, quand se produisirent en
Espagne des fails exlraordinaires.
Le 10 janvier 1724, Philippe V abdiqua la couronne par scrupule
de de>ot d£bile. Son fils Louis I er , le gendre du R6gent, lui succexia;
mais, aprös s^lrc £puis£ cn exercices violenls, ä la chasse et au jeu
de paume, il mourut subilemcnt le 31 aoüt, et Philippe V reprit la
couronne. La Olle du Regent, des lors, n'6lait plus qu'une reine
veuve, et l'Espagne se trouvait seule retirer un be'n^fice de l'arrange-
menl de 1721.
11 fut donc resolu dans le Conseil de romprc le mariage espagnol,
et de chercher une autre reine pour la France. Le secrätaire d'£tat
des Affaires ötrangeres, le comle de Morville, fit dresser une liste de
quatre-vingt-dix-neuf princesses ä marier; dix-sept furent retenues,
entre lesquelles serail fail le rhoix. On se präoccupa des präcautions
a prendre conlre le mtfeontenlcment de l'Espagne, el Ton csp£ra que f
par les bons offices du P. Bermudez. ronfesscur de Philippe V, on
ferail comprendrc au roi d'Espagne le danger qu'une Prolongation
86
chap v. Le Ministbre du Duc de Bourbon (17*3-17*6).
de c&ibat ferait courir ä Louis XV, si bien que, par raison de
conscience, il rappellerait sa Alle.
Le 29 octobre 1724, dans un conseil secret, le renvoi de l'Infante
fut d6cid6. On avait convenu d'attendre, avant d'informer la Cour
d'Espagne de cette rtsolution, que la nouvelle fiancäe füt choisie;
mais, le Roi ayant 6t6 pris d'un gros acc6s de fifcvre au mois de
tevrier 1725 apr&s une partie de chasse, ttd6e de sa mort sans han-
tier se reprtsenta. Alors on brusqua les choses. Tess£, ambassadeur
a Madrid, peu propre ä faire la d£sagr6able commission aupr6s de
Philippe V, ä cause du grand altacheraent qu'il avait pour ce prince,
fut rappele\ Ce fut l'abb£ de Livry, chargä d affaires ä Lisbonne, qui
alla präsenter au roi d'Espagne la lettre oü le roi de France essayait
de justiBer Taffront qu'il infligeait a son oncle. Le pr&ident H6nault
raconte que 1'abW entra dans le cabinet de Philippe V, « et, tout
tremblant, lui präsenta la lettre de son mattre. La Reine 6tait au
bout du cabinet occup^e ä travailler. Elle entendit tout a coup le Roi
frapper avec violence sur la table, en s'£criant : « Ahl le trattrel »
Elleaccourut... Le Roi lui donna la lettre en disant : «Tenez, ma-
dame, lisezl » La Reine lut; et puis, lui remeltant la lettre, eile
räpondit d'un grand sang-froid : « Eh bien ! II faut envoyer recevoir
Tlnfante. »
Aussilöl la nouvelle connue dans Madrid, les Espagnols entrörent
en fureur; ils promenerent par les rues, en l'outrageant, l'effigie de
Louis XV. Les Frangais craignirent pour leursürelä; sur la frontiere
des Pyr£n6es, les bergers des deux pays se menac&rent. Philippe V
ordonna, en mars 1725, & l'abbä de Livry et aux consuls de France,
ä la veuve de Louis I er et ä sa soeur, Mllc de Beaujolais, promise k
Don Carlos, de sortir d'Espagne.
L'Infante fut mise en route. Elle emportait les pierreries et les
prlsents qu'elle avait re^us, ä son arriv6e en France. On parvint,
paralt-il, a lui cacher la cause de son d6part; eile crut qu'elle allait
seulement faire une visite ä sa famille.
LB RENVOI
DE V INF ANTE.
COLBBB
DES ESPAGNOLS.
Parmi les jeuncs filles que le comte de Morville eslimait les plus
dignes du choix de Louis XV, figuraient deux filles du prince de
Galles. une fille du roi de Portugal, une princesse de Danemark, la
fille aln£c du duc de Lorraine, la fille du roi dlposs^dö de Pologne,
Stanislas Leczinski, la fille du tsar Pierre 1 er , une fille du roi de
Prusse, quatre autres princesses allemandes, enfin les propres soeurs
de M. le Duc, Mlles de Sens et de Vermandois. L'idöe dun manage
de Louis XV avec une demoiselle de Bourbon döplaisait ä Fleury.
D'aillcurs, le duc craignait qu'on nc lui impuUt tout lodieux du renvoi
PEOJET
DE MAEJJOE
ANGLAIS.
8 7
La Rigence.
LIVRI PREMIER
REFUS
DB GEORGE /«.
FROJBT DE
MARIAGE RUSSE.
de Tlnfante dfcs qu'on y verrait l'int6ret de sa maison. Fleury pensa
qu'un mariage avec une princesse d'Angleterre conviendrait le mieux,
bien qu'il irapliquät la volonte d'exclure a jamais le Prötendant du
tröne d'Angleterre. On chargea donc le comte de Broglie de pres-
seaiir George 1 er . C'6tait au momeni oü l'abbä de Livry gagnait
Madrid.
M. le Duc se croyait stir du succ&s. Le portraii du jeune Roi,
envoyä ä Londres, avait fait Sensation. Mais il est surprenant que ni
lui, ni l'entourage, naient compris que la religion serait un obstacle
insurmoniable ä lalliance projetäe; ils mettaient comme condition
que la princesse anglaise se convertirait au catholicisme, alors que
la dynastie de Hanovre occupait le tröne d'Angleterre en vertu de
sa qualitö d'h£r6tique. Le 17 mars, au moment oü parvenaient ä
Versailles les premieres d6pöches de Livry rendant compte de son
entrevue avec Philippe V, une lettre de Broglie apporta la nouvelle
du refus de George l* r , accompagne" de ses regrets, il est vrai.
Pendant que M. le Duc sirritait d'une mäsaventure qui fut
connue de toute l'Europe, il re$ut une offre singuliere : Kmp£ratrice
de Russie, Catherine I 1 *, lui proposa de marier Louis XV avec sa fiUe
Elisabeth, et de le marier lui-mdme avec Marie Leczinska. M. le Duc
serait devenu le candidat de la Russie ä la succession d* Auguste II en
Pologne. Mais on disait la princesse Elisabeth belle, intelligente et
dominatrice, et Mme de Prie, qui entendait conserver son influence
apres le mariage du Roi, fit en sorte que cette proposition füt
6cart6e*.
Cependant un agent secret, le sieur Lozillieres, ancien secrä-
marie leczinska. taj re d'ambassade ä Turin, avait parcouru l'Allemagne, sous le nom
de Chevalier de M6re\ prenant sur les princesses a marier des rensei-
gnements qu'il envoyaitä Versailles. Us'£tait präsente au chftteaudes
Leczinski, a Wissembourg, comme un artiste en voyage. II y avait
vu la fille de Stanislas, et avait fait sur eile un rapport. II louait sa
physionomie, son Instruction, sa pi£t6, sa charitä, sa douceur, sa
belle sant6 qui promettait la f6condit6. II est vrai qu'elle avait sept
ans de plus que le Roi, qu'elle n'6tait point belle, qu'6lev6e monas-
tiquement eile n'avait pas de monde, qu'elle 6tait pauvre, sans
alliances, sans credit en Europe. Mais une raison dltermina sans
doute M. le Duc et Mme de Prie : cette reine leur devrait une si belle
cou rönne inesp£ree qu'ils pourraient compter sur sa reconnaissance.
II paratt que Fleury refusa son avis sur le mariage ; le Roi donna
CBOIX DE
i. Le at mai 1736, le comtc de Morrille ecrivit au ministre de France * Saint-Petersbourg
poor excaaer la Cour d'avoir porte ailleurs le choix du Roi. II alleguait la difference des
reiigions.
« 88 >
CIAP. T
Le Mitliefere du Duc de Bourbon (47t$-i79$).
k'AFIAGE PAR
PROCUFBÜR
{15 AOUT 17S5).
DE STRASBOURG
son consentement, le 2 avril 1725, sans se montrer ni mäcontent, ni
empressä.
Dös qu'ils furent avis£s de la r6solution prise, Leczinski et sa
fille allörent s'6tablir ä Strasbourg, oü ils attendirent la venue des
ambassadeurs extraordinaires, MM. d'Antin et de Beauvau, d6\6-
gu£s pour demander la main de Marie Leczinska, et le duc d'Orlöans
qui, par procuration, devait l'6pouser. Le manage fut c616br6 le
15 aoüt, dans la cath6drale de Strasbourg, d6cor6e des tapisseries
de la Co u rönne. La Reine £tait vötue de brocart d'argent; le duc
d'Orlöans portait un manteau d^toffe d or; le cardinal de Rohan,
6v6que de Strasbourg, rayonnait au milieu de ses abb6s mitrös et de
ses chanoines-comtes. Des harangues furent prononc6es par Rohan,
les 6v6ques d' Angers et de Blois, le Premier President et le premier
Avocat-G£n6ral du Parlement de Paris.
Puis Ton se mit en route pour Fontainebleau, oü le Roi devait
se rendre. Arrivöe ä Metz, Marie Leczinska re^ut les 6chevins, la afontainbblbau,
compagnie des cadets formte de jeunes gens de grandes familles,
le Parlemenf, et toutes sortes de d6putations. L'Hdtel de Villelui offrit
des bottes de mirabelles et de framboises; les Juifs, deux coupes de
vermeil et un vasc de cristal de röche, enrichi de pierreries; ils la
compar&rentä Esther, ä Judith et ä la reine de Saba. Le peuple 6tait
dans l'enthousiasme; les cloches sonnaient ä toute vol6e; on chantait
des Te Deurn; les rues s'illuminörent.
Le voyage s'attrista dans les plaines de Champagne. Des pluies
continuelles avaient d6fonc6 les routes; on avait requis les paysans
pour les r6parer, partout oü devait passer la Reine; l'eau tombant
sur la terre remuöe les avait rendues pires. Des fondri&res s'6taient
creus&s; en plusieurs endroits, la Reine pensa se noyer; une fois,
on la retira de son carrosse ä force de bras. Le marquis d'Argenson,
qui la vue au passage ä S6zannc, raconte que les chevaux 6taient
sur les dents; on räquisitionnait les chevaux des paysans, jusqu'A dix
lieues k la ronde; « on les payait comme on pouvait, et on ne les
nourrissait point ». Un paysan a dit & D'Argenson que « les siens
n 'avaient rien mang6 depuis trois jours ».
Le Roi alla au-devant de la Reine, de Fontainebleau ä Moret; il
descendit de carrosse ä son approche; eile fit de möme, et, comme
eile voulait s'agenouiller devant lui, il Ten emp6cha, lembrassa, la fit
remonter en voiture et la conduisit au chäteau.
La France n'avait pas appris sans surprise le choix de Louis XV,
mais les grftces modestes de la Reine lui gagnörent les coeurs. Pour
quelque temps, Marie Leczinska fut populaire, bien que son mariage
ait At6 suivi de menaces de guerre.
ES CHAMPAGNE*
POPULARITE
OB LA REISE.
*9
La Rigence.
LIYRI PBBMim
mippbuda. Le manage, en eilet, vint tout ä point pour donner credit & un
aventurier du nom de Ripperda, Hollandais devenu Espagnol, Pro-
testant devenu catholique, qui repr&entail ä Vienne la Cour de
Madrid, et s'6tait mis cn töte de jouer les Alberoni. II avait propos6
ä l'Empereur de marier les archiduchesses Marie-TWr&se ei Marie-
Anne ä Don Carlos et ä Don Philippe. L'infant Ferdinand, disait-il,
seul Gls qui restät ä Philippe V de son premier mariage, 6taiL val6-
tudinaire et ne pouvait manquer de mourir sous peu; il laisserait le
tröne ä Carlos; et si Charles VI mourait sans enfants m&les, Carlos
deviendrait cmpereur, tandis que Philippe passerait des duch6s ita-
liens ä Madrid. L'Empereur avait accueilli ces combinaisons avec
indiflfcrence, et Ripperda avait du se contenter de lui proposer un
trail£ dalliance defensive. Apr&s le renvoi de l'Infante, il re$ut de
Madrid r ordre de conclure un trait6 coüte que coüte.
u UGÜK 11 fit aux Impöriaux des ofTres invraisemblables. II ne parlait
de riMNNß [im), de rien moins que de les aider ä reprendre l'Alsace, les Trois-ßvÄ-
ch6s, la Bourgogne, la Flandre. Sans penser que l'Espagne füt en
6tat de r6aliser ce programme, l'Autriche consenüt ä signer, le
30 avril 1725, un trail6 dalliance defensive et de commerce. Philippe V
et Charles VI renoncaient ä leurs pnHentions sur leurs Etats respec-
tifs. Philippe V reconnaissait et garantissait une loi de succession,
ou Pragmaiique sanclion, publice par Charles VI en 1713, et par
laquelle l'Empereur pr6tendait faire passer sa succession ä sa fille
Marie-Th6r£se, au dßtriment des filles de son pr6d£cesseur, Joseph I",
et en violation des dispositions de son p&re, qu'il avait, en 1711,
jure de respecter. Le roi d'Espagne reconnaissait encore une com-
pagnie de commerce que l'Empereur avait cr&e dans les Pays-Bas,
ä Oslende, le 19 döccmbre 1722; en outre, au prljudice de F Angle-
terre, de la Hollande, et de la France, il ouvrait tous ses ports aux
sujets autrichiens des Pays-Bas. II renoncait a 6tablir d avance Don
Carlos en Italie et ä envoyer des garnisons dans les duchda; il 6tait
moins exigeant ä l'£gard de l'Empereur qu'envers les puissances qui
nagulre £taient intervenues entre lui et l'Empereur. — Quant a
Charles VI il reconnaissait les droits de Don Carlos ä la succession
des duchtfs de Parme et de Toscane, oflfrait k l'Espagne ses bons
Offices et sa mediation pour l'aider a recouvrer Gibraltar et Minorque,
promettait de consentir ä ce que u l'une de ses filles » äpousAt un des
fils du roi d'Espagne, mais ainsi se röscrvait de marier a son gr6 sa
fille aln6e. Si Philippe V lirail pour l'instant un assez mince profit
du trait6, il pouvait se croire en etat de se passer des Francais. II eiait
persuadä que si une guerre europlenne venait ä £clatcr, Charles VI
lui conc&lerait les mariages donl rövait toujours Elisabeth Farnäse.
• 90 >
CBAP. V
Le Mirästkre du Duc de Bourbon [479$-m$).
Le Lrait6 de Vienne ne m&ritait pas le retentissement qu'on lui
donna, 6tant au fond une duperie. Nul n avait moins envie de faire
la guerre que TEmpereur, et Ripperda serait rest6 sans doule quelque
peu ridicule, s'il n'avait atteint lebut qu'ilpoursuivait par-de€sus tout,
assurer sa fortune personnelle. II devint duc et grand d'Espagne;
quand il reparut ä Madrid, il eut la haute main sur ladministration
in 16 ri eure de lEspagne aussi bien que sur sa politique 6trang6re.
Son entente avec lEmpereur eut ce r6sultat pröcis : faire com-
prendre ä la France et k TAngleterre qu une alliance austro-espa-
gnole risquait de leur enlever la primaut6 politique en Europe.
Elles signfcrent une conlre-alliance k Hanovre, oü elles regurent la
Prusse corame parlie conlractante, le3 sept. 1725. Les trois puissances
prenaient lengagement de s opposcr au mariage autrichien de Don
Carlos, k l'ätablissement de la Compagnie d'Ostende, et de maintenir
l'lquilibre europöen. Un an plus tard, la Hollande adhärail ä la ligue
de Hanovre; TEurope se trouvait partagäe en deux camps; la guerre
paraissait possible; la crlation de la milice, k cette date, est une
preuve qu'on le croyait.
LA UGOB
DB BANOVMM.
V. — LA D1SGRACE DE MONSIEUR LE DUC (1726).
GES actes furent les derniers du minist&re de M. le Duc. Depuis
le premier jour, il 6tait surveillö de pr6s dans toule sa conduite,
par Fleury. II essaya de s'appuyer sur la Reine pour r6sister k la
malveillance du vieux präceptcur. Marie Leczinska, qui savait com-
bien Fleury aimait le Roi, hösitait a intervenir dans cette aflfaire;
mais eile nc voulut pas parattre ingrate envers l'homme auquel eile
devait sa fortune. Mrae de Prie lui fit comprendre que le premier
ministre 6tait tenu en öchec par Fleury, et qu'il ne pouvait disposer
a son gr£ des grftces et des places, Fleury les obtenant toutes du Roi
pour ses amis k lui ; eile dit encore a la Reine que M. le Duc ne pouvait
jamais voir le Roiseul äseul, Fleury assislant k tous les enlreliens, et
la pria d'obtenir pour le prince des audiences particuli&res. La Reine y
consenlit et, un soir que Louis XV ötait avec Fleury, eile l'envoya prier
de venir chez eile. Le Roi y alla, mais trouva chez eile M. le Duc qui,
sous divers pr6textcs, rentretint d a (Tai res. Fleury, pendant ce temps,
attendait. Devinant ce qui se tramait, il öcrivit le lendemain au Roi
que ses Services devenant inutilcs, il sc retirait a sa campagne d'Issy.
Louis XV ordonna aussi tot a M. le Duc de rappeler le prälat qui
revint a Versailles. Sür de son credit, Fleury repr&senla au Duc et ä
la Reine la n£cessit6 qu'il y avait d^loigner Mme de Prie. M. le Duc
BtVAltTt
BHTBB FLBÜBT
BT LA BBINB.
EXIL
DB MONSIBO*
IE DUC
SM
La Regence. uvre pbemjer
ne se croyait pas cependant ä la veille dune disgr&ce. Louis XV, qui
avait d£cide de le renvoyer, le caressait, pour detourner ses soupgons.
Le 11 juin 1726, en partant pour la chasse, il lui laissa un billet qui
l'exilait ä Chantilly; il chargeait, en m6me temps, son pr6cepteur de
remettre k Marie Leczinska cet autre billet : « Je vous prie, Madame,
de faire tout ce que l'övßque de Frejus vous dira de ma part, comme
si c 6tait moi-möme ». La Reine en pleura.
mort de madame En aitendant que le ministere füt remanie\ les Paris furent exil6s.
de pbib (i7fj). j) u Verney s en alla en Champagne, et bientöt fut mis ä la Bastille.
Quant ä Mme de Prie, Maurepas Tinforma que le Roi l'exilait en
Normandie, dans son chäteau de Courb6pine, pres de Bernay. On
lui donnait dans son exil « son mari pour compagnie ». Elle s'ennuya
k p£rir. Elle y regut pourtant des gens de Cour, Mme du Deffand par
exemple, sa rivale en beautö et en galanterie; eile donna des bals,
et joua la com6die. La marquise eut bientöt assez de cette vie,
tomba malade et mourut le 7 octobre 1727. Elle avait ä peine vingt-
huit ans.
< 9 a »
LIVRE II
L'ÜPOQUE DE FLEURY ET DE
LA SUCCESSION D'AUTRICHE
CHAPITRE PREMIER
DU MINISTE RE DE FLEURY (1726-1743)*
I. LI CARACTtRE DI FLICHT. — II. L'aDMIFUBTRATION FINANCIERI IT
■CONOMIQUI : LI PILLETIER DI8 PORTS (1726-1730) IT ORRY (1130-1745). — III. Llf
AFFAIRES RIUOIEUSBS : LI JANSINI8MI IT LI8 PARLCMEIfTS. — IT. LA POLIT1QUI IXTI-
R TEURE CT LA OUIRRI. SL'CCES8I02t DI PO LOG ME ET SUCCESSION d'aUTRICHI (1726-1743).
— T. LI DECUN IT L^IMPOPCLARfTI DI FLEURT.
/. - LE CARACTtRE DE FLEURY
N£ k Lodfcve en 1653, fils d'un receveur des decimes et entr6 dans les antAcüdents
r£giise pour « allerer sa famille », Andrtf-Hercule de Fleury DE FLEWr -
se ponssa auprös du cardinal de ßonzi, grand aumönier de la Reine
Marie-TMrfcse, qui le protegea; en 1679, il devint aumönier de cette
princesse, et, en 1683, aumönier du Roi. Fort bei homme, il plut ä
i. Soitbce». D Arjrenson (t. I et III); Barbier <t. I et II); Henault, Moafle d'Angenrtlle
(l I et II), deja rite* I.irme* (De), Memoire» »ar la Coar de Loat* XV (1786-1768). publ. per
L. Dnssfteax et K. Roulie. Pari«. 1A80. 17 vol. in-8 <L IV. V et VIII). Lettre» du lieutenamt
ginirnl de poltet de Marvitle aa minütre Maurepa* ■ 17^3- 17 ',7), p. p A. de Boisli«le. Paris,
iflgft. Archive« nationales F. II : Tableaox röcapltulatifa du commerce eiterieur dresses par
le senrlce de la balance da commerce *ou* le minister« de Necker.
Ottrag*« a cohsulter. Mtebelet, Jobez <t. II et I1T, de Laeay. An bertin, Rocqualn,
Bailly. Clamageran. Honqoes-Fonrcade, Vignon (Administration de» totem pubUqua»\, da
Lavenrne, Armallle (Comtess« d\ Perey (Pre'eident HSnaaW, deja cites. Montyon (Da).
Particalariti» et Observation» »ar le» minist reu de» ßnanre» de France le» plus cütbres de MO
ä H91. Paris. 1813. Dictionnaire enraciopidique da Commerce, Paris, 1789, * vol. Tbirioa,
La oie prioee de* finanziert an XVIII* »ieele. Pari«, lftgfc. Lerassenr, La pcpalation fran-
coisf, Part*. 18B9, 3 vol., t. I. Rlollay. ßtade» economiqaes rar le XVlifr siech; le oacte de
famine, Paris, 1886. Boissonnade, Essai »ar r Organisation da travail en Poitou, depais le
< 9* »
Vßpoque de Fleury et de la Succession d'Autriche. litre h
Louis XIV; trfcs adroit, il se fit admettre dans les meilleures compa-
gnies et bien voir des dames. En 1698, il devint 6v6que de Fr6jus;
comme cet 6v6ch6 6tait situ6 k deux cenis lieues de Versailles, il se
disait, « 6v6que de Fr6jus, par l'indignation divine ».
commbnt L'ann6e qui pröcäda la raort de Louis XIV, il devint, par l'appui des
il arrivr J6suites, präeepteur du futur Louis XV. II fut pour son 6\kve le com-
ao pouvoir. plaisant que Ton sait. Lorsqu'il eut fait disgräcier le duc de Bourbon,
il persuada ä Louis XV qu'il £tait temps qu'il ftt son mutier de roi en
gouvernant par lui-mgme. II lui conseilia de supprimer la fonetion
de premier ministre et se contenta du titre de ministre d'ßtat, sans
se faire assigner un dlpartement minist6riel. Quatre jours apr&s le
renvoi de Bourbon, le 15 juin, Louis XV adressait aux intendants
et aux gouverneurs de provinces une circulaire oü il annon$ait sa
d6cision d'exercer le pouvoir en personne, comme Louis XIV. II
annongait aussi que « Tancien 6v6que de Fr6jus » assisterait toujours
aux Conseils. Ce fut par les Conseils, oü il fut pr6pond£rant, que
Fleury devint le seul mattre du gouvernement.
le consbil Au Conseil den Haut si6g&rent avec lui, comme par le pass6, le
dbn haut duc d'Orl6ans, le maröchal de Villars, le secr6taire d'£tat de Morville,
bt lbs MwisTRBS. et ^ eux nouveaux ye nus, les mar6chaux d'Huxelles et de Tallard. Les
döparteraents ministäriels furent autrement räpartis que sous M. le
Duc. Le Blanc reparut au seerätariat dfitat de la Guerre, oü il devait
mourir le 19 mai 1728; il y fut remplac6 alors par d'Angervilliers. Le
Contrdlo gänöral fut attribuä au conseiller d'Etat Le Pelletier des
Forts. Le Garde des Sceaux d'Armenonville, disgraci6 en aoüt 1727,
XI* siede jusqu'ä la Rivolution, Paris, 1900, a vol. Boy« (P.). Les travaux public» et h
regime des Coronet en Lorraine au XVIII» siede, Paris et Nancy, i90O(Bxtrait des Annales
de l'Est). Le Taconnoux (J.). Le rigime de la Corvie en Bretagne aa XVIII* siecle ( Extra K
des Annales de Bretagne). Funck Brentano (Frantz), Mandrin, capitaine geniral de*
Conlrebandiert de France, d'apres des docamenls nouveaux, Paris, 1906 (Premiere parUe :
Les fermes generales) Bonnassieux (P.), Les Grandes Compagnies de Commerce. Btude pour
servir ä Tilade de la colonisalion, Paris, 189a. Weber (Henry), La Compagnie francaise des
Indes (1604-1875), Paris, 1904. Masson (Paul). Histoire des Etablissements francais et du
Commerce barbaresqae, 1560-1593 (Algerie, Tunlaie, Tripolltalne, Maroc), Paris, 1908. Lacour-
Gayet, La Marine mililaire de la France sous le rtgne de Louis XV, Paris, 190a. Arnould,
De la balance, da commerce el des relations commerciales exlirieures de la France dane
loutes les parlies da globe, parliculiirement ä la fin da regne de Loais XIV el au moment de
la Revolution, Paris, l'An III« de la Republique. Jullian (Camllle), Histoire de Bordeaux
depuis les origines jusqu'en 1995, Bordeaux, i8g5. Malvexin (Th.), Histoire du Commerce de
Bordeaux depuis les origines jusqu'ä nos jours, Bordeaux, 189a, 3 yoL Julllany (Jules),
Essai sur le Commerce de Marseille, Marseille, Paris, 1843, 3 yoI. Garnsult (Emile), Le
Commerce Rochelais au XVI If siecle, d'apris les docamenls composant les anciennes archtoes
de la Chambre de Commerce de la Rochelle, Paris, 1888-1900, 5 vol. De Carne, La monarthie
francaise aa XVIII* siecle, Paris, 1869. Sicard (l'abbe), Landen Clergi de France, Paris,
1893-1894; t. I (Les eveques aoant la Revolution). Cabasse, Essais historiques sur Je Parfe-
ncnl de Provence, Paris, 1886, 3 vol., t III. Desnoiresterres, La comidie satiriqae au
XVIll* siecle, Paris, i885. De Goncourt, La duchesse de Ch&leauroux el ses saars, Paris,
1879. Bonhomme, Louis XV el sa famille, tapris des lettres et des documents inidits, Paris,
187&
< 94 >
CHAP. PRBMISR
Du Ministere de Fleury (17*6-1743).
fut remplacö dans ses fonctions, par le prösident ä mortier Chauvelin,
et, au m6me moment, de Morville le fut dans les siennes par le m6me
Chauvelin. Maurepas, et le corate de Saint-Florentin qui avait suc-
c6d6 ä son pöre La Vrilliöre en 1725, demeur&rent en place.
Fleury 6tait au pouvoir depuis deux mois, quand il fut fait Car-
dinal, le 20 aoüt 1726. II avait soixante-treize ans.
II eut l'esprit de ne pas garder rancune ä la Reine, et ne prit,
dans Tint&rieur des jeunes souverains, qu'une discrete autoritä
paternelle. II fut döfiant ä l'ögard des ministres ses subordonnes,
redoutant les lumieres superieures aux siennes, aimant les gens
ordinaires, avec qui il se sentait ä l'aise, surtout les flatteurs comrae
le Lieutenant de police He>ault et le Contröleur g6neral Orry. II
fera disgracier le secrötaire d'£tat des Affaires ötrangeres, Chauvelin,
dös quil lejugera capable de trop plaire au Roi. II fut tout-puissant;
les courtisans ne manquaient pas son petit coucher. Toute la Cour
s'y presse, dit D'Argenson, pour le voir öter « sa culotte », et la plier
« proprement », passer sa robe de chambre et sa chemise, peigner
« ses quatre cheveux blancs ».
Au reste Fleury prenait le pouvoir ä une heure favorable; la
nation fatiguee des secousses que lui avaient donnees le Systeme, le
Visa, le Cinquantieme et les alarmes de la politique ^trangere deman-
dait qu'on la laissdt tranquille. Or, Fleury desirait remuer le moins
possible.
COMMENT
GOÜTBKNB
FLEURY.
FLEURY
ET L'OPINION.
II. — V ADMINISTRATION FINANCIÜRE ET &CO-
NOMIQUE; LE PELLETIER DES FORTS (1726-1730) ET
ORRY {i 7 3o-i745)
Lß PELLETIER
DES FORTS.
DiCLARATlON
sun
LES MONNAIES.
DEUX contröleurs g£n£raux ont dirige, pendant le ministöre
Fleury, ladministration financiere et economique, Le Pelletier
des Forts et Orry.
Des Forts debuta bien. Une Deklaration du 15 juin 1726 fixa
d'une facon definitive la valeur des monnaies. Le prix du marc d'or
fut desorraais de 740 livres 9 s. Id., celui du marc d'argent de 51 1.
3 s. 3 d. ; la livre tournois valut 1 franc 2 Centimes de notre monnaie;
et en il fut ainsi jusqu'en 1785. Cette fixit6 des monnaies fut une
des principales causes de la prospe>it6 commerciale frangaise au
xvm - siecle.
Une Deklaration du 24 juin suivant ordonna que le Cinquantieme
serait payable exclusivement en argent; une autre, du 8 octobre, que oociNQüAimäMB.
les revenus eccl&iastiques seraient exempls de toutes impositions,
sans exception, ni reserves, quelque evenement qui püt arriver.
SOFPRESSION
95
Vßpoque de Fleury et de la Succession d'Autriche.
litbi n
FERNE GÜN&RALB
RBSTAÜBlB.
LB BAU CABUBR.
LB BAU
BOURGEOIS.
Touies deuz präparaient la supprcssion du Cinquanti&me qui fui
prononc£e le 7 juillei 1727. L'impöt devait cesser d'6tre pergu le
1 er janvier suivant. Son impopularitä et le peu de ressources qu'il
donnait d6terminaient Fleury ä le supprimer.
Onavu que les Fennes avaient 6t6 adjugäes ä Law en 1718, et
que la Compagnie des Indes les avait pergues par des rägisseurs.
Apr&s la chutede Law, Du Verney avait d6cid6 de maintenir le Systeme
de la regie, dont quarante flnanciers avaient assurä le fonctionnement.
En principe, la rägie valait mieux que la ferme; mais, par d6faut de
vigilance,lesr6gisseurs laissörent s'accumuler un arri6r6 consid&rable.
II est vrai que la r6gie n'6tait possible qu avec une administration
bien organisäe, et cette administration n'existait pas sous Fanden
regime. Fleury rätablit la fermc et transforma les rögisseurs en for-
miere g6n£raux.
Sans suffisamment se renseigner sur les produits que la rggie
avait Ur6s des grandes et petites gabelies, des douanes et traites,
des impöts sur les boissons, du contröle et domaine de France, Des
Forts, le 19 aoüt 1726, alTerma le tout pour la somme de 80 millions.
Or, le produit net ötait montö, en 1725, ä environ 92 millions et demi.
Mais, par suitc du däsordre de la comptabilitä, ce chiffre n'&ait pas
encore connu. PAris du Verney ne le croyait pas sup&rieur ä 87 mil-
lions; le contröleur g6n6ral Dodun levaluait ä 85. II 6tait inävitable
d'ailleurs que rßtat, en se dächargeant sur les fermiers des frais et
des incertitudes de la perception, sublt par lä m6mc une perte. Ainsi
fut pass£ le fameux bail Carlier qui fut tont de fois reprochä &
Fleury. Le sieur Carlier £tait le pröte-nom des adjudicataires. En six
ans, le produit brut de toutes ces fermes fut de 504760000 livres;
döduction faite des 480 millions de fermage payäs ä l'£tat, les fer-
miers eurent un b6n6fice de plus de 24 millions.
Pour recouvrer les taxes arrterSes, ce que l'on appelait « les
restes », un autre bail, le bail Bourgeois, de 461 millions, fut conclu
le 10 septembre avec les m6mes fermiers g£n6raux, qui gagnfcrent
encore, de ce cöt6, une quarantaine de millions. En 1726 a donc
commencl la grande fort une de ces fermiers, qui ne fera que grandir
au d6triment de l'fitat, et en contraste avec sa misfcre. Fleury fut
rendu responsable de cet abus. A sa mort, dans un pr£tendu testa-
ment, il disait ä Louis XV :
Je rccommande ä vos bontes
Mcs fermiers, vos enfants gAtös;
J'en ai fait, par leur opulence,
Quarante grands seigneurs de France;
11 faut, pour les gratifier,
Encore un bail du sieur Carlier.
< 96
chap. pamm
Du Minis the de Fleury (1796-174$).
En m£me temps, les cräanciers de l'£tat 6taient durement trait&s. bbtranchbmbnts
Le 19 novembre 1726 fut ordonnä « un retranchement » sur les renies SUR LBS *bntbs.
pcrpßtuelles et viag&res; c^tait, suivani la nature des renles ei leur
date, une banqueroute dun tiers, d'une moitiä, des trois cinquiemes,
parfois m£me des cinq sixiemes. Le prätexte donn6 fui que ces
rentes provenaient de papiers achetös ä vil prix. On esplrait räaliser
un profit de 27 millions sur les arrärages non pay6s, un profit de
14 millions sur les arre>ages payables ä lavenir. (lomme les gages
des officiers n'6taient pas menac6s et que les reniiers d6pouill£s
netaient gu6re que de petites gens, le Parlement fit des remontrances
benignes; mais la clameur publique fut assez forte pour que Fleury
en füt intimidö. II rejeta tout le tort sur le Contröleur gönöral, qui
ne toucha pas aux rentes införieures ä trois cents livres. Dautres
rentiers surent se faire exempter de la röduetion qui, en (in de
compte, ne d£passa pas cinq millions et demi de rente.
Quoique tr&s impopulaire, Des Forts demeura Contröleur gänöral lb bbnvoi
jusqu'en 1730; mais alors lc bruit courut que, pour späculer, il s^tait db lb pbllbtibr
fait remctlre des titres d6pos6s dans les caisses de la Compagnie des DBS F0 * TS '
Indes. Sa femme, disait-on, et son beau-frfcre, le conseiller dfitat
Lamoignon de Courson, 6taient ses complices, et les dätournements
op£rös montaient ä 5 ou 6 millions. Une nuit, on afficha ce placard
sur sa porte : « Mattre ä rouer, femme ä pendre, et commis k pilo-
rier! » Des Forts dut quittcr le Contröle g6n6ral en mars 1730.
Son successeur, Orry, avait servi dans l'armäe, puis 6tait devenu obby contb&lbub
maitre des requ6tes et successivement intendant de Perpignan, de
Soissons et de Lille. II s'ätait bien tir6 de ces fonetions, et Ton
pensait alors qu'un intendant de province devait faire un meilleur
Contröleur g6n6ral que les intendants des finances, formalistes et
bureaucrates. Orry avait trente-huit ans quand il prit le Contröle.
Grand, lourd, et sans usage du monde, il fit ä la Cour reffet d'un
« boeuf dans une alläe ». Quelqu'un lui reprochant d'ötre inabor-
dable, il räpondait : « Comment voulez-vous que je ne marque pas
d'humeur? Sur vingt personnes qui me fönt des demandes, il y en a
dix-neuf qui me prennent pour une böte ou pour un fripon! » II eut
le däfaut d'ötre mödioere, sans id6es, entölt dans la routine. On
peut lui reprocher aussi d'avoir 6t6, malgr6 ses airs rigides, « souple
de conduite » envers le Roi et les maltresses, pour lesquelles il
n'6pargnait pas Fargent. Mais il 6tait probe, exaet au travail, et il
aimait l'ßtat. Aussi Fleury remerciait-il Dieu de lui avoir « r6serv£ »
un tel homme.
Sous l'administration d'Orry, les fermiers g6n6 ix consenüi t,
pour le renouvellement de leurs baux, des prix pl ]
ciNiB4U
ÖTS rNDIRECTS.
97
Viu. 2.
L'£poque de Fleury et de la Succession d'Autriche. uvek q
IMPOTS DfRBCTS.
IE DIXIBMB.
bau de 1726, ils ne devaient payerque 80 millions; par celui de 1732,
ils en pay&rent 95 1 ; par celui de 1738, 99.
En mattere d'impöts directs, Orry pergut avec rigueur les droits
6tablis avant lui. II augmenta quelque peu les tailles qui, entre 1730
et 1742, pass&rent de 49 036 000 livres ä 60 069 000 livres ; il fit rentrer
les capitations de la Cour, toujours tr6s en retard, par exemple celle
du duc de Villeroy, qui devait quatre ann6es, soii 13 200 livres, et
celle du duc de Retz, qui en devait huit, soit 16 800 livres. A partir
de 1740, il obtint du Clerg6 que son don gratuit annuel, jusque-l& de
2 millions, füt de 3 millions 1/2.
Le Etablissement du Dixiäme fut la grande affaire de son admi-
nistration. Comme c'£tait la taxe qui se prötait le mieux aux däpenses
imprävues d'une guerre, la perception en fut ordonnäe par une
D6claration du 17 novembre quand la guerre 6clata en 1733; le
dirfcme fut pergu jusqu'ä la fin de 1736 et rätabli au d6but de la
guerre de la succession d'Autriche.
Le principe que le Dixiäme devait s'6tendre & toutes les classes
de la soci6t£ re$ut, dans la pratique, les mgmes temp&aments qu'en
1710 : rachat du Clerg6 par des dons gratuits, abonnement des pro-
vinces, des villes, des particuliers. Ne portant pas, comme le Cin-
quanti&me, sur les produits bruts, mais seulement sur le revenu, il
ne suscita point les mgmes r6sistances de la part des privil6gi6s, et
rentra beaucoup mieux. En 1733, il produisit une trentaine de mil-
lions; en 1749, 36 millions.
Pour ätablir la cote de chaque particulier, le Contröleur g£n6ral
bt contrölbürs. exigea les däclarations des propriätaires, des maires et des syndics,
ces derniers parlant au nom des villes ou des paroisses. Pour en
värifier l'exactitude, il les fit comparer aux produits que la dtme
d'£glise tirait des biens d6sign6s ; il fit d&ivrer ä ses agents les extraits
des baux, des contra ts de vente, des partages passes chez les
notaires. Comme le Contröleur g6n6ral pouvait quand m£me 6tre
trompä par des däclarations inexactes, il nomma des directeurs du
Dixteme, un par g6n6ralit6. Ces fonctionnaires eurent sous leurs
ordres des contröleurs ambulants qui examin&rent les d6clarations
sur place. Ils tariftrent, paroisse par paroisse, le produit moyen,
— toutes charges döfalquäes — de la mesure usuelle de chaque sorte
de terre, suivant la qualitä. II leur 6tait facile, en rapprochant ce tarif
des d6clarations individuelles, de contröler celles-ci. Quand les esti-
mations 6taient contestäes par les autoritäs, ils le mentionnaient sur
DtCLARATWNS
A
i. Les 4 millions produits par les droits sur les quats, hallet et marclies de Paria araient
ete distraits de la Fenne en 1780.
98
chap. pbemibr Du Ministöre de Fleury (17M-174S).
les d6clarations, laissant aux plaignants le loisir d'apporter des
<( arpentements » de leurs biens. Ils profitaient de leur passage dans
les paroisses pour proc6der avec les habitants les plus honorabies &
la division des terres en cat^gories : les bonnes, les m6diocres, les
mauvaises; ils distinguaient la nature des cultures* cörtales, vignes,
pr6s ou bois. Ils pouvaient toujours se faire präsenter les contrats de
location de chaque sorte de bien. Quoique cette Organisation füt fori
bien entendue, les difficult&s pratiques furent trfcs grandes; en beau-
coup dendroits, notammeni en Guyenne, on dui se borner, pour
aller plus vite, ä faire du Dixteme une simple annexe de la iaille; cei
imp6t fut ainsi d6natur£.
Le Dixiöme sur les produits du commerce s'appclait le Dixieme le Dixiäng
d'industrie. Comme il 6taitencore plus difficile d'appliquer cet impöt uindustme.
aux commer$ants qu'aux propri&aires de terres, Orry se montra ä leur
6gard aecommodant. Dans une correspondance qu'il entretint en 1741
et 1742 avec l'intendanl de Bordeaux, on voit qu'il ne savait trop sur
quoi se baser : « Je sens, dit-il, que le peu de certitude que Ton a de
la vraie Situation des n£gociants et commissionnaires jettera toujours
beaueoup de doute sur ce ä quoi on doit les imposer », et il conseille
de s'en rapporter ä « leur 6tat de vi vre ou leurs facultas connues; ..
et, en cas que ni Tun ni lautre de ces moyens ne püt guider, la cote
la plus 16g&re ä laquelle ils pourraient 6tre mis serait la mfeme somme
pour laquelle ils sont employ6s sur les röles de la capitation ». L'in-
tendanl parle de s'enqu&rir de la fortune de chaeun; mais le Contrft-
leur g£n6 ral lui r£pond :
• Je crains que ces perquisitions n'alarment le commerce; (Tailleurs vous ne
pourriez acquerir de certitude que sur de tres bona et tres gros marchands et
nlgociants qui se plaindraient toujours, et les medioeres ou les petita mar-
chands echapperaient ä vos recherches...
• Les difßcultes qui se präsenten t pour acquerir la connaissance des facultes
de ceux qui sont sujets a cette imposition sont si insurmontables que je ne puls
indiquer un parti geo^ral, parce que je pense qu'on n'en peut determiner aueun
que relativement ä la positlon des lieux, au commerce qui s'y fait, et meine au
genie des habitants. •
Orry inclinait donc ä transformer le Dixiöme d'industrie en une
contribution proportionnelle ä la Capitation; mais il se contentait
de donner ä ses subordonn6s des indications sur ses vues et leur
lais8ait les mains libres.
A Bordeaux encore, il eut ä se prononcer sur les räclamations
d'Anglais, Hollandais et Hanslates qui, soit en 1737, soit en 1743,
pr6tendirent se faire exon&rer du Dixteme d'industrie en leur qualito
d'6trangers. Mais ils furent imposäs au mSme titre que tous les mar-
chands et artisans.
« 99 >
BMPPUNTS.
RBCBTTES
ET DäPBNSBS.
Vipoque de Fleury et de la Succession d'Autricke. uvrb n
Orry d&iatura donc en Guyenne le Dixifcme d'industrie comme il
denaturait le dixieme sur les propri6t£s foncifcres. II se borna souvent
ä taxer les corporations de marchands ou d'artisans ä une somme
donn£e, en laissant ä la Corporation elle-mdme le soin de räpartir la
taxe ä sa guise entre ses membres.
Le Dixieme eut le deTaut de mänager les nögociants, tandis qu'il
pesait sur les proprtetaires et les cultivateurs. Le Clerg66taitexempt;
mais, pendant la guerre de Succession d'Autriche, il multiplia les
dons gratuits: 12 millions en 1742, 15 en 1745, 11 en 1747, 16 en 1748.
Sans parier des avances remboursables ä bref d61ai, qu'il
demanda tantöt aux fermiers g£ne>aux, tantöt aux receveurs g6n6-
raux, Orry contracta un cerlain nombre d'emprunts. II revint aux
emprunts sous forme d'offices cr66s; en 1730, par un 6dit de juin, il
rätablit des Offices supprim£s ä la mort de Louis XIV, et il en tira
34 millions. II fit revivre la v6nalit6 des Offices municipaux en
novembre 1733, et il en vendit pour 31 millions. Quatre ans plus
tard, il est vrai, les fonctions municipales redevinrent eiectives; ceux
qui lesavaient achetöcs, ou leurs häritiers, ne devaient £tre definitive-
ment remboursäs qu'en 1777 l . En 1733, 1737 et 1739, Orry crea des
rentes viag£res et organisa des loteries royales. En 1738, 1740,
1741 et 1742, il 6mit des rentes perpeHuelles sur les postes. Des cr6a-
tions de rentes et des loteries il aurait tir6 environ 100 millions.
Les recettes annuclles, au temps d'Orry, varient entre 230 et
240 millions, avec le produit du Dixterae ; entre 199 et 210 millions,
sans ce produit. Les depenses, qu'on ne peut 6valuer avec autant de
präcision, paraissent avoir 6t6 tögeremcnt införicures aux recettes
pendant les annöes de paix.
Ces räsultals sont dus en partie ä Tesprit d'äconomie du vieux
cardinal. Cette Economic, d'ailleurs, a ele* fort exage>6e. On a dit, en
le lui reprochant, qu'il avait sacrifie" la marine; le reprochc est
injuste. II n'a pas renoncö non plus aux d6penscs de luxe, puisque
Tentretien des maisons royales passe avec lui de 9 k 14 millions, et
ne tombe pas, en temps de guerre, au-dessous de 10 millions. Les
pensions donn6es par le Roi descendirent officiellement du chiffre de
19 millions, constat6 sous M. le Duc, ä celui de 6 millions, mais, au
vrai, elles demeurercnt h peu prfcs les mömes. II existe un 6tat de
complant oü Ton voit comment des personnes en credit, des ministres
en fonction, d'anciens ministres, des magistrats, regurent, en 1731,
sous forme d' « indemnitßs, gratifications, compensations », une
somme de 11 millions 477 000 livres. Par exemple, Chauvelin et
l. Voir Hi9l. dt France, t. V11I, 1, p. i56.
< IOO )
CHAP. PREMIER
Du Ministere de Fleury (tfH-1748).
Orry touchaient chacun 80500 livres; D'Aguesseau, 61000; Mau-
repas, 27 000; le procureur glnäral Joly de Fleury, 4000. S'il y eut
des victimes de la räduction des pensions, ce füren t les pensionnös
les moins appuyäs, vraisemblablement les plus dignes d'intäröt.
La prospöritä relative des finances ä cette öpoque a pour causes
la fixitä des monnaies, l'extension du r£seau des routes, qui ont rendu
les transactions commerciales plus süres, plus faciles, plus nom-
breuses, ei aussi les progrfes du commerce extörieur et de la marine
marchande. 11 en r£sulta une plus-value dans le produit des
fermes.
Un des actcs principaux d'Orry fut Instruction de 1738 sur la
construciion et Tentretien des routes et des chemins par la « corväe
royale ». On s'6tait, avant lui, toujours servi de la corväe pour ex6-
cuter des travaux urgents; mais le regime en 6tait arbitraire et irr6-
gulier. Orry le rägularisa.
L6tat des routes exigeait, comme on a vu, un grand effort; elles
ätaicnt souvent impraticables aux voitures. En Guyenne, les voyages
ne se faisaient gu6re qu'ä cheval. De Bordeaux ä Libourne, on allait
& cheval jusqu'ä la Dordogne; en hiver, on devait passer par le bec
d'Ambcz.
11 y avait cinq catlgories de routes ou de chemins : les grandes
routes conduisant de Paris aux ports de mer et aux fronti&res; les
routes reliant Paris et les capitales des provinces qui n'ltaicnt pas
travers6es par les grandes routes; les grands chemins entre les capi-
tales des provinces et les autres villes; les chemins royaux entre
villes non capitales; enfin les chemins de traverse. Orry rdpartit les
routes et les chemins en sections et les sections en ateliers.
Chaque atelier est attribu£ ä une paroisse du voisinage, dont il
ne doit pas 6tre distant de plus de trois Heues; la paroisse doit faire
les terrassements et transporter les matlriaux dans un nombre de
jours d6termin6. Les groupes de travailleurs arrivent sous la conduite
des maires ou syndics, apportant avec eux des vivres et des outils,
amenant des charrettes, des chevaux, des bceufs, des vaches et des
änes. On requiert les hommes de seize ä soixante ans, mais Ton accepte
que les femmes et les enfants remplacent les p&res de famille. L'ins-
truction d'Orry ne disant pas combien de jours de travail doit le
corv£ablc, les intendants en d£cident arbitrairement ; la dur£e varie
de huit k quarante jours par an. La surveillance des ateliers se
fait par des sous-ing6nieurs ou inspecteurs, munis de grands pou-
voirs; ils jugent sommairement les recalcitrants, les mulins, les
döfaillants. L'inspecteur des corv^es a le droit d' « emprisonner les
ouvriers mutins ou rebelles », sauf ä en r£f£rer au subd6l6gu6, qui
LB BON äTAT
DBS FINANCES.
LA COBViB
DBS CHEMINS.
LES ATELIERS
DB LA COBViB.
t 101 >
VEpoque de Fleury et de la Succession (TAutriche.
livri n
BXBMPTS
DE CORVEB.
RESULTATS
DB LA
RÄFORME 0ORRY.
V&COLE
DBS FONTS
BT CB AUS Sä ES.
prononce d6finitivement la peine encourue. Les sentences sonl ex6-
cutäes par la mar6chauss6e.
Le grand däfaut de la corv6e, c'est qu'elle 6tait imposäe surtout
aux pauvres gens. Ouire les privil£gi6s, nombre de roturiers par-
vinrent ä s'en faire dispenser : les anciens ofGciers de iroupe, les
possesseurs d'offices, les collecteurs des tailles, les employäs des
fermes, les gardes des eaux ei forßts, les gardes des haras, les
maitres des postes, les chirurgiens en exercice, les mattres d^coles
grotuites, les maitres de forges et de verreries, les ouvriers des pape-
teries et des p£piniöres royales et leurs gar$ons, les bergers et vachers
communs des villages, les päres des miliciens tombäs au sort, et
tous ceux qui disposaient de quelque appui auprfcs de l'administra-
tion. Cette foule d'exemptions rendit la corväe odieuse & ceux qui la
subissaient.
D'aprös une lettre de Trudaine ä lintendant de Rouen, on aurait
propos6 & Orry de substituer ä la corv6e un impöt en argent, et il
aurait sagement räpondu :
« J'aime mieux leur demander (aux corveables) des bras qu'ils ont que de
l'argent qu'ils n'ont pas; si cela se convertit en imposition, le produit yiendra
au tresor royal; je serai le premier ä trouver des destinations plus pressees ä
cet argen t; ou les chemins ne se feront pas, ou il faudra revenir aux corvees;
les ezemples de ce qui s'est passe, avant et depuis, par rapport aux fonds
tres modiques qui s'imposent pour les ouvrages d'art et les employes n'auto»
risent que trop cette crainte. »
Toutefois Tinstruction de 1738 a donn£ de bons räsultats. Les
intendants, dös le däbut, ont obtenu des corvees un travail d'une valeur
de 5 ä 6 millions par an. Les Ponts et Chauss6es disposaient, d'autre
part, de 2500000 livres. L'inlendant d'Auvergne, Trudaine, a ouvert
une route allant des confins du Bourbonnais & ceux du Languedoc,
par Riom, Clermont, Brioude; il l'a reltee ä la route de Limoges ä
Pontgibaud, k la route de Clermont ä Lyon par Thiers. II a fait cons-
truire la route de Clermont ä Aurillac. L'intendant de Guyenne,
Tourny, a tracö, de Libourne ä P6rigueux, une route destin6e ä se
prolonger vers Limoges et Paris. Les intendants de Touraine, de
Picardie, de Caen se sont montr£s particulifcrement exigeants ä
Tendroit des corveables; en Normandie, la corväe royale a eu pour
effet d'empÄcher quelque temps l'älevage des chevaux.
Trudaine, en 1743, devint Directeur g6n6ral des Ponts et
Chauss^es. II cr6a en 1747 Tficole des Ponts et Chaussäes, pour y
former le personnel capable d'entrctenir et de compteter le rtseau des
routes. Durant les trente dernifcres annäes du rögne de Louis XV, les
travaux des routes se multipliörent au point qu'en 1774 Hngtaieur
< 102 >
CBAP. PBEWKH
Du Minis thre de Fleury (MS-4T43).
Perronet 6valua le produit de la corv6e royale au double de ce qull
£tait au temps d'Orry. A la fin de rAncien Regime, les routes et les
chemins 6laient admir6s par les 6trangers. « Si les Francais, disait
Young, n'ont pas d'agriculture a nous montrer, ils ont de grandes
routes. »
En mattere de commerce et d'industrie, Orry est un colberüste
qui exagfcre le colbertisme. II met des droits excessifs sur les objets
de fabrication 6trang&re ou m£me leur oppose la prohibition pure
et simple. 11 proscrit les toiles peintes et les Stoffes de Chine, des
Indes et du Levant; en 1733, un de ses intendants, Lenain, rend en
Poitou une ordonnance de police qui frappe dornendes Enormes
quiconque en vend ou en achöte. II prohibe ou soumet ä des droits
considärables tous les tissus d'Angleterre et de Hollande. II 6Ublit
des manufactures privil6gi6es; par exemple une, de veloursde G6nes,
a Tours, en 1739; une autre, de petites Stoffes blanche? pour lexporta-
tion, ä Argen ton, la m6me ann6e ; une, de papier, a Angoulfeme en 1740.
II fixe par le menu tous les delails de la fabrication, tous les devoirs
des patrons et des ouvriers. Les draps de France prenant trop facile-
ment la poussiöre parce que les laines sont mal d6graiss6es, defense
est faitc aux dlgraisseurs d'employer la craie et le blanc d'Espagne ;
ils ne se serviront que de savon. Pour que les fabricants n'emploient
pas des laines tondues avant leur maturitl, la date de la tonte des
b£tes sera la Saint-Jean pour toute la France. Orry ne revient sur
cette d6cision qu'apr&s que les intendants lui ont objecto que la
maturite des laines est variable, suivant le climat ou la race
Les inspecteurs des manufactures se multiplient; il y en a de
g£n£raux pour l'ensemble des manufactures et de splciaux pour les
Stoffes de soie et de laine, pour les toiles, les tapisseries, les draps,
pour les bouteilles et les carafons; ces inspecteurs resident a Amiens,
Saint-Quentin, Limoges, Marseille, Saint-Gaudens, etc.
L'id6al ministeriel ötait de garantir ä chaque corps de mutier sa
sp£cialil6, d'assurer aux mattres leurs ouvriers, de fixer les ouvriers
aupr&sdesmattres,de regier toutletravail. Orry intervint, par exemple,
a Poitiers pour empteher les cardeurs et les peigneurs de fabriquerdes
draps comme les drapiers ; pour r£partir en communaut6s distinctesles
teinturiers du « grand teint », qui teignaient les laines en couleurs d'un
prix elev^, et les teinturiers du « petit teint », qui teignaient ä bas prix;
pourtant, au grand mäcontenteincnt des teinturiers, il autorisa les
bonnetiers et les drapiers a teindre les ouvrages de leur fabrication.
Pour que les patrons ne se debauchaasent pas les ouvriers par des
offres d'augmentation de salaire, il interdit aux ouvriers de quitter
PRINCIPE*
ACONOJJIQUBS
D'ORRY.
INTERVENTION
CONSTANTE
DB L'äTAT.
io3
L'Üpoque de Fleury et de la Succession (TAutriche. uyrb n
la crAfb
DB LYON {1744).
MA1TRES
MARCHANDS
BT MAITRßS
OUVßUEHS.
BBCLBMBNTS
DB I7S7
BT DB 1744.
les maltres « sans cause legitime » ; or, ce n'6tait pas une cause legi-
time qu'une augmentation de salaire, car, en 1730, le Conseil de
Commerce condamna ä Tarnende des fabricants de draps de Louviers
qui avaient augment£ ceux de leurs ouvriers. En 1734, il fut interdit
aux ouvriers du Languedoc de se coaliser en vue d'amener la hausse
des salaires. Les intendants fix&rent parfois la dur6e de la journäe de
travail, comme cela eut lieu ä Limoges en 1739, et le taux m6me des
salaires, comme cela se produisit ä Sedan en 1750. Tout naturellement,
Orry interdit Immigration aux ouvriers sous les peines les plus
säveres *.
II se trouva en pr6sence d'une gr6ve et d'une insurrection k
Lyon.
II y avait ä Lyon trois cat£gories de personnes appliqu6es k
Tindustrie et au commerce des ötofles de soie : les « maltres mar-
chands », les « mattres ouvriers » ou « maltres fabricants », les
compagnons et apprentis. Les « maltres marchands » avaient le droit
de fabriquer, mais ne fabriquaient pas eux-m&mes : disposant de gros
capitaux, ils achetaient la mati&re premi&re, passaient des traites
avec les « maltres ouvriers », leur fournissaient des dessins et leur
faisaient des avances. Certains occupaient jusqu'ä cent « maltres
ouvriers ». Dans la premi&re moiti6 du xviii* stecle, les maltres mar-
chands n'6taient gu£re que deux ä trois cents. Ils assuraient la
vente des produits fabriquäs. Les maltres ouvriers lissaient la soie
chez eux, avec des m£tiers leur appartenant. Ils 6taient trois k quatre
mille, travaillant les uns pour le compte des maltres marchands, les
autrcs pour leur propre compte. De trois k quatre mille compagnons
et presque autant d'apprentis ötaient nourris et log£s chez les maltres
ouvriers; les seuls compagnons 6taient pay£s.
Comme les maltres ouvriers, qui, pour acqu£rir la mattrise,
devaient payer un droit de trois cenls livres, n avaient d'ordinaire pas
d'argent devant eux, ils ne pouvaient que difficilement fabriquer et
vendre pour leur compte; ils etaient k la discrltion des maltres
marchands. En 1737 intervint un r^glement qui leur 6tait trfcs favo-
rable. II supprimait le droit de trois cenls livres et permettait & tous,
marchands et autres, de « fabriquer, et faire fabriquer,... soit pour
leur usage ou m£me pour en faire le commerce, toutes les Stoffes
dont la fabrique 6tait perraise,... de les vendre, acheter, troquer et
ächanger, tant en gros qu'en dötail ». C'ötait la suppression des privi-
i. Pour Taghcullure aus>i, le regime reglemenlalre est maintenu. La circulatlon &m
bles cnt soumise a de» nutorUntion*. La culture de In vigne nest pas libre : an culUr«-
leur ne peul pas planier une vigne *ons la permis«ion de lintcndant, auquel il doli proui
queaa lerre n'esl pas propre a une aulre culture. L'eveque de Poitlers ayant
en i-3a lauloriMÜon de planler des vignes dans sa lerre de Dissais, Orry U lol
< 104 >
chap. prkmibb Du Minister e de Fleury (1726-1743).
l&gesdes maltres marchands. Ceux-ci protest&rent aupr&s du Contrö-
leur g6n6ral et obtinrent qu'un nouveau projet füt mis ä l^tude. Ce
projet fut soumis ä une d6putation de maitres marchands et de
mattres ouvriers; ces derniers, qui avaient 616 d£sign6s par le prövöt
des marchands de Lyon, sans l'assentiment des autres maltres,
acceptfcrent le projet sans protestation.
Ainsi fut promulguä le r&glement du 19 juin 1744 : quiconque
voulait fabriquer ä son comple devait payer deux cents livres et ne
pouvait avoir que deux m6tiers; pour avoir le droit de faire fabriquer,
il fallait payer huit cents livres. Le r&glement fortifiait donc l'aristo-
cratie des entrepreneurs. II confinait les maitres ouvriers dans le
petit travail et les maigres b£n6fices.
II fut connu ä Lyon au d6but de juillet. Le m£contentement grMvb
couva durant un mois; puis les maitres ouvriers, et, ä leur suite, et insürrbction.
les compagnons s'attroup&rent et s'entendirent pour suspendre tout
travail tant que le rfeglement ne serait pas rapport6. Ils däcidfc-
rent d'infliger une amende de douze livres ä quiconque ne quitte-
rait pas son mutier, et une amende de vingt-quatre livres ä quiconque
prendrait le mutier abandonng par un autre. Le 5 aoüt, le guet ayant
arr6t6 quelques meneurs, on l'assaillit ä coups de pierres, et une
insurrection 6clata. Les chefs r6clam&rent du prävdt des marchands
la mise en libertä des prisonniers; le pr6vöt l'accorda. Le lendemain,
T6meute 6tait maltresse de la ville. Le pr^vöt fit publier ä son de
trompe une ordonnance däclarant que le nouveau r£glement serait
consid6rö comme non avenu, et que celui de 1737 serait remis en
vigueur. Les däsordres n'en continu£rent pas moins. Les 6meutiers
envahirent la maison de Tintendant pour le contraindre ä revötir de
son sceau l'ordonnance du prävöt, et pour s'emparer du sieur de
Vaucanson qu'ils savaient ötre ä l'Intendance, et qu'ils d&estaient
parce qu'il cherchait ä transformer le mutier ä tisser; ils lui repro-
chaient encore d'avoir r6dig6 le r£glement de 1744. Vaucanson s'en-
fuit d6guis6 en minime et regagna Paris. On se vengea sur un
mattre marchand de ses arais, dont on pilla la maison.
Les jours suivants, Nmeute s'apaisa. Le 10 aoüt, d'ailleurs, un u Repression.
arr£t du Conseil annulait le r&glement de 1744 et restaurait celui
de 1737. Mais le Roi envoya le comte de Lautrec ä Lyon avec des
troupes pour assurer la tranquillitö de ses sujets, et, quelques mois
apr&s, le 25 fövrier 1745, un nouvel arr£t du Conseil d^clara que le
r&glement de 1744 «Hait rätabli. Lautrec fit afficher que Sa Majest6
allait faire justice des instigateurs d'ämeutes; un ouvrier fut con-
damn6 ä mort et ex6cut6, deux autres aux gal^res ä perp6tuit6, deux
•ux galöres h temps, vingt ä des peines plus llg&res.
< io5 >
Utpoque de Fleury et de la Succession (TAutriche.
uybb a
LE COMMBRCB
MARITIME.
PROSP&RITÜ
DB LA MARINE
MARCHANDE.
LA COMPAGNIB
DBS INDES.
SON ADMINISTRA-
TION CENTRALE.
Sous la haute direclion du Contröleur g6n6ral, sous la direction
reelle du Bureau de Commerce \ le commerce exterieur se däveloppa
durant les vingt annies qui suivirenl la chuie du Systeme. En erteilt
la Compagnie des Indes, Law avait donn6 k la marine marchande et
aux entreprises coloniales une impulsion extraordinaire. Les Fran-
cais, pensail Voltaire, doivent k Law, non seulement leur Compagnie
des Indes, mais « l'intelligence du commerce ». II öcrivait en 1738 .
<i On enlend mieux le commerce en France, depuis vingt ans, qu'on
ne la connu depuis Pharamond jusqu'ä Louis XIV. »
En fait, vers 1730, le commerce francais oecupe en Espagne et au
Portugal $00 navires; en Italic et dans les Echelles du Levant, plus
de 700; aux Antilles, dans les lies k sucre, prfcs de 600. Le seul
port de La Rochelle expedie, pour la « traite », k la cdte de Guin6e,
35 navires. Dans son ensemble, y compris les bateaux destin^s au
cabotage, k la p£che cötiäre, k la p&che du hareng, de la morue, de la
baieine, la marine marchande francaise compte, en 1730, 5364 biti-
ments de tout tonnage, montäs par 41 900 hommes d Equipage. D'aprte
les tableaux räcapitulaüfs du commerce exterieur qui furent dress&
sous le premier ministere de Necker par le Service de la balance
du commerce, les Behanges de la France qui, en 1716, ne dApassaient
pas 80 millions, seraient passes en 1730 k 174 millions, en 1736 k
195 millions, en 1740 ä 293 millions, et en 1743 k 308 miliions. De 1716
k 1743, le commerce aurail presque quadruple.
Le commerce colonial se faisait par Tinterm6diaire de compa-
gnics et de ports privillgiäs.
La Compagnie des Indes a toujours son si&ge social ä Paris, nie
Vivienne. Elle a 6t6 r6organis6e par divers arrfcts ou ordonnances
de 4723 k 1731. De son ancienne administration, eile a conservi des
directeurs; mais, de vingl-quatre qu'ils ätaient au temps de Law, lee
directeurs ont 6te r6duits k douze puis k six; les assemblöes d'aetion-
i. Ud regleinen t du 39 mal 1780 a Institut le Conseil rogal du Commerce. 11 derait aa
reunir tous les qulnze jourv II se composalt du Rot, du due d'Orleans, da Garde das
Sceaux. de« secretaires d'Etat des Affaires etrangeres et de la Marine, da Coatrolaar
general et de quelques coaseillers d'Etat. Les secretaires d'Etat et le Contröleur g en eral
deraient y faire le rapport sur les matteres d'induslrie et de commerce eoncermaat ssor
deparlemenL Ce Consta ne se reunil que Ire« rarement, et eut peu d'aetion aar la eaaa-
merce. Le Bureau de Commerce, au conlraire, etabll par un arret du 22 juln 1723, foncUoooa
regulieranent et rendil des Services. II comprenait des conselllers d'Etat cholsts |
cetix qui avaient « le plus d'experience au fall du commerce • et les Intendant* da
merce il etait place *ous l'autorite du Contröleur general. Le Contröleur general La
tier de« Fort« avait ete President du Bureau. L'ancien Intendant des flnancea FaMa)
succeda. et Orry fit de lui une e«pece de directeur du Commerce; les Intendant! da ©
merce eorreapondalent av«*c Orry tantot directement, tantdt par rintermödiaire da
Qnand Fauon roounit, en mal 1744, ce fut Machault, le futur Contröleur general, qui devtel
Präsident du Durtau de Commerce (V. sur cette administration : A. Glrard, La
lion de la Compagnie det Indee, dans la Rev. d'Hist. mod., nov.-dee. 1906).
< 106 1
chap. prbmibr Du Minister e de Fleury (1726-174$).
naires doivent pourvoir aux vacances qui se produiseni parmi eux;
mais comme le Roi, qui les a d'abord nommEs, na pas fixE de limites
a leur mandat, ils sont investis de fonciions viagöres. Le Roi les
soumet au conlröle de irois inspecteurs tir6s de son Conseil ei de
deux syndics Elus par les assemblles d'actionnaires. Inspecteurs et
syndics doivent possEder chacun cinquante actions des Indes. Les
Services de la Compagnie se räpartissenl en six dEpartements dont
quatre ä Paris, un ä Lorient, un ä Nantes, ayant chacun ä sa töte un
directeur. En 1748, le Gouvernement modifiera quelque peu l'admi-
nislration de la Compagnie; les inspecteurs prendront le nom de
« commissaires » ; et comme, dans la guerre conlre TAngleterre, le
gouvernement aura recours a la bourse des actionnaires, ceux-ci
exigeront une plus grande part dans l'administration de leurs int£r6ts;
ils se feront concEder huit directeurs au lieu de six, et six syndics
au lieu de deux. Le Gouvernement continuera d'intervenir dans les
affaires de la Compagnie; ses commissaires assistent aux assem-
blEes dadministration; le Contröleur gen^ral peut prEsider ces
assembläes.
D'assez bonne heure, la Compagnie des Indes a limitE ses entre- Atendob
prises aux colonies et aux rEgions oü eile pensait faire le plus de du domaise
profit. En 1724, eile a renoncE au privilEge du commerce de Saint- de la compagnie.
Domingue; en 1730, ä celui du commerce de BerbErie, qui fut trans-
fcrE ä une compagnie de Marseille, la Compagnie Auriol; en 1731,
eile abandonnait aussi le commerce de la Louisiane. Elle ne conserve
en AmErique que le privil&ge de la traite du castor. Pour les ports
frangais qu'il platt au Roi de dEsigner, le commerce d'Am£rique,
exceptö le Canada, devient donc libre.
Le domaine que se r&erve la Compagnie comprend : le comptoir
de QuEbec, les deux concessions du S6n£gal et de la GuinEe, les
Etablissements des tles Mascareignes, File de France et File Bourbon,
les Etablissements de Finde, les comptoirs de Moka et de Canton
Les organes prineipaux de l'administration de la Compagnie dans Administration
ces divers pays sont des gouverneurs et des conseils. Le gouverneur, coloniales.
appelE aussi directeur, repräsente la Compagnie, et agit en son nom;
le conseil, assistant le gouverneur, dirige les employEs, assure la
police, rend la justice et d£cide de Femploi des troupes de la Com-
pagnie. Ces troupes sont distinetes de Celles du Roi ; la Compagnie
les recrute en France, ä FEtranger, m£me dans les colonies. — II y a
des diflferences entre les colonies : Finde, qui est dite « gouvernement
parfait », a un Gouverneur g6n£ral et un Conseil supErieur pour
Fensemble de son territoire, des gouverneurs particuliers et des
conseils provinciaux pour ses differentes provinces; les « gouverne-
< 107 »
Ußpoque de Fleury et de la Succession d'Autriche.
umi n
TIUF1C.
BäNtFICBS.
SITUATION
SOVS FLSOHT.
ments imparfaits », d'exploitation moins importante, oni des Gou-
verneurs g£n6raux et des Conseils sup6rieurs, mais pas de conseils
dans les provinccs, seulement des chefs de comptoirs ; ielles sont la
Louisiane, le S£n6gal, la Guin6e, la Berbärie. La Compagnie a enfin
des « comptoirs « ou « loges », qu'elle administre tantöt par des
gouverneurs assristös de conseils, tantöt par des chefs de comptoirs;
ainsi Moka et Canton. En Inde, le gouverneur g6n6ral de Pondichäry
tient sous son autoritä les gouverneurs ou directeurs de Chander-
nagor et de Mahö, de Karikal, de Yanaon, de Surate. Du Conseil sup6-
rieur de Pondichäry, relfcvent les conseils provinciaux dont les mem-
bres sont nomm6s par le Gouverneur g£n6ral; en tant que tribunal
le Conseil supörieur juge en appel les causes qu'ont jugöes en pre-
mi&re instance les conseils provinciaux.
Au S6n6gal et en Guin£e, la Compagnie des Indes ach&te des
nfcgres, des cuirs, de la gomme, de la cire, de la poudre dor, des
plumes d'autruche, des dents d'616phant, de l'ambre gris, de 1'indigo.
Elle est tenue k fournir par an 3000 n£gres aux lies frangaises
d'Amdrique. Dans les mers orientales eile ächzte k Mah6 le poivre,
pour le revendre en Europe, au Bengale ou en Chine. Elle tire de
Pondichäry les toiles de coton, blanches ou peintes; eile rassemble
dans les grands magasins de cette ville les objets de commerce des
Indes. Elle fait de Chandernagor un des principaux march£s de
TOrient pour les soieries et les produits de Birmanie. En Chine, ses
navires chargent du th6, des porcelaines, du bois de sampan, des
papiers peints, des 6ventails, du nankin, de la rhubarbe.
La Compagnie exp£die en Inde et en Extreme-Orient des vins,
des eaux-de-vie, des draps, des coraux de BerWrie, du fer, du
plomb, de la verrerie, toutes sortes de petite quincaillerie.
Elle röalise de plus importants b£n6fices sur les produits qu'elle
achtle en Orient que sur ceux qu'elle y vend. Sur les vins eile gagne,
il est vrai, 100 p. 100, sur les coraux, 200 p. 100; mais, en g6n£ral,
une cargaison d Europe ne lui rapporle pas au delä de 50 p. 100, au
lieu que ses b£n6ßces sur les articles orientaux, poivre, laques, mous-
selines, toiles ou cotons de Tlnde ou de la Chine sont, en moyenue,
de 200 p 100. Elle transporte ces marchandises a Lorient, od sexerce
le contröle des agents des fermes.
La pöriode de prosp<*rit6 de la Compagnie des Indes est le minis-
tfcrc Fleury. De 1725 k 1743. malgrä des charges grandissantes que
lui ont impos^es Tacquisition de Mah6 en 1727, et les frais de l'exp6-
dition confi6e a La Bourdonnais, son Wnöfice annuel passe de
3989 746 livres k 8003290livres. Ses actions demeurent k des cours
61ev6s, tant que la paix maritime n'csl pas troublde. Cot6es k 680 livres
108
CHAP. PREMIKB
Du Ministhre de Fleury (1726-174S).
en 1725, elles atteignent le cours de 1 330 livres en 1730, de 2085 livres
cn 1736, de 2316 livres en 1740.
Tandis que Lorient avait le monopole des Operations de la Com
pagnic des Indes, les autres ports s'enrichissaient ä exploiler TAm6-
riquc. Cötaient : Calais, Dieppe, Le Havre, Rouen, Honfleur, Saint-
Malo, Morlaix, Brest, Nantes, La Rochelle, Bordeaux, Bayonne,Cette
et Marseille. Ils exp&liaient en Louisiane, au Canada, ä Cayenne, aux
Antilles, des objets manufacturäs, des vins, des eaux-de-vie, des
vivres, des n6gres. Ils en liraient du sucre, du cate, du cacao, de
Tindigo, du camphre, du tabac, des cuirs, des bois pr^cieux. De jour
en jour, se döveloppait leur esprit d'entreprise. A Bordeaux, vers 1730,
tout le monde se mglait du « commerce des lies ». On voyait des
cordonniers, des artisans, et jusqu'ä des domestiques, devenir arma-
teurs, sans avoir un sou. Le trafic maritime, qui n'avait dabord 6t6
que de douze millions en 1717, devail atteindre, en 1741, cinquante-
trois millions. Le port ötait comme encombrä de navires. 11 allait se
former ä Bordeaux des dynasties commerciales, Celles des Gradis,
des Nayrac, des Bonnaffö.
Le sucre 6tait un des produits les plus r6mun6ratcurs des
colonies frangaises du Nouveau Monde. Tous les ans, le transport de
cette denräe oecupait de cinq ä six cents navires. Le sucre, dit un
memoire de 1733, donne plus de profit h la France que toutes les
mines du Plrou nen donnent ä l'Espagne. Les plantations de cannes
se multiplient ä Saint-Domingue; on d6friche avec ardeur et Ton
espfcre que la traite des noirs permettra de mettre tout le pays en
valeur. D autre part, nombre de raffineries s'6tablissent ä La Rochelle,
ä Bordeaux, ä Marseille. A Bordeaux, Tindustrie du sucre acquiert
et conserve durant tout le xvnr* si&cle une importance considärable.
Bordeaux fournit pour la plus grande part ä la consommation de la
France et de TEurope.
Les cafös ne commeneärent ä £trc Importes en quantit£ d'Amä-
rique en France qu'ä partir de 1738. Le caföier avait 61& introduit ä
Cayenne en 1722, k la Martinique en 1728. La Compagnie des Indes
ayant le monopole de la vente de ce produit, les cafcs am6ricains
durenl 6trc dabord transportäs dans quelques ports dösignös, ä
Marseille, Bordeaux, Bayonne, La Rochelle, Nantes, Saint-Malo,
Le Havre, Dunkerque; ils y entraient dans des entrepöts, et n'en
sortaient, pour 6t rc exportös ä T^tranger, que par permission des
commis de la Compagnie des Indes. Sur la consommation fran^aise,
la Compagnie, d'apr&s un räglcment de 1736, percevait un droit de
dix livres du cent pesant.
Si grande fut l'extension du commerce colonial et si fort laccrois-
LB COMMERCE
D' AM ti RIO ÜB.
LE SUCHE.
LE CAfi.
< 109
LEpoque de Fleury et de la Succession d'Autriche.
LITHB II
sement de la flotte marchande, qu'il devmt difficile de recruter la
marine de guerre , aussi le commerce 6tait-il mal prot6g£. Les ports
se plaignaient, et IE tat ne pouvait ou n'osait les protäger contre la
concurrence des contrebandiers d'Angleterre ou de Hollande.
LA M1SBHB
AU TEMPS
DE FLEUHY.
Malgrä les progres du commerce et le dlveloppement des manu-
factures, oü Ton voit bien que la France n'6tait pas incapable d'une
grande activitä Iconomique, la mis6re demeura grande dans la masse
du royaume. L'argent 6tait aux mains des sp£culateurs, des fermiers
g6n6raux, des banquiers, des courtisans. Les proGts du trafic ei de
l'industrie s'accumulaient dans les grandes villes et dans les ports.
Mais les ouvriers n'avaient que de maigres salaires; s'ils gagnaieot
13 ou 14 sous par jour & Abbeville, ils en gagnaient 8 en Poitou;
les femmes 6taient payäes en Poitou 3 ou 4 sous, les enfants 2 k
3 sous. Au prix oü 6tait le pain, raörae grassier, on se demande com-
ment ils vivaient. II y eut de terribles ann6es. La disette s6vit sur-
tout en 1739 et 1740. Aprös deux mauvaises r6coltes, des pluies
ravag&rent tout le centre de la France, depuis le Bordelais jusqu'au
Maine et ä l'Anjou, depuis l'Angoumois jusqu'au Berry. D'Argenson
qui, il est vrai, exag&re et toujours pousse au noir, a fait au Roi,
en 1739, un aflreux tableau de la mis&re en Touraine. Massillon, la
m6me ann6e, a d£peint ä Fleury PAuvcrgne d6vast£e, ses habitants
sans meubles, sans lits, sans pain. D'Argenson est alte jusqu'ä dire
que, de 1738 ä 1740, il 6tait mort de mis&re plus de Francis que n en
avaient tu6 toutes les guerres de Louis XIV.
En mai 1740, le peuple se souleva dans les march6s de Paris.
Le 18 septembrc, le Roi, passant par le faubourg Saint- Victor, enten-
dail crier : « Du pain! du pain! » Fleury, traversant la ville, fut arr£t£
quelques jours plus tard par des bandes de femmes qui saisirent aas
chevaux ä la bride, et hurl^rent qu'elles mouraient de faim. Ony,
qui sc savait « en ex^cration par tout le royaume », s'alanna, mais
ordonna quand mtane de presser la rentr^e des impöts. Le fisc con-
tmua ses habituelles rigueurs : penalitös atroces contre les contreban-
diers et les faux sauniere ; garnisaires ruineux, impos£s aux contri-
buables röcalcitrants; cmprisonnements, ventes de b&ail, ventes de
meubles, de fenfctres, de portes, de loquets de portes. DArgenson
impute ces barbaries au Contröleur gönöral qu'il traite de « bour-
reau ». Mais le vrai roupable, c'ötail le rögime financier, qui, malgri
d'intäressants essais de räforme, demeurait dätestable et compro-
metlait la monarchie.
c no i
GBAP. PREMIER
Du Mimstkre de Fleury (1726-174$).
III. — LES AFFAIRES REL1GIEUSES : LE JANS&-
NISME El' LES PARLEMENTS
LES querelies de religion, au temps de Fleury, ont une impor-
tance exceptionnelle; les Janstaistes, devenus de plus en plus
un parii politique, menacent ä la fois le haut clerg6, les Jteuites, le
Gouyernemeni lui-m6me.
Du cöt£ des Jans&iistes, se irouvaieni des pr&ats de moeurs pures
et de grande charit/6, Noailles, de Verthamon, 6v6que de P amiers,
de Bezons, £v£que de Carcassonne, Soanen, 6v6que de Senez. La
cause de l'autre camp a 6t6 compromise par de Ten ein, archevöque
d'Embrun, 1'ancien horarae de conüance de Dubois aupr6s de qui
l'avait poussä sa sceur, qui 6tait de Tentourage du Regent. D'Argenson
aecuse Tencin d'incesle et de simonie^Sur le fait de simonie, il est vrai
qu'en 1722, au Parlement, il fut convaineu d'avoir, par une Conven-
tion secrfcte, conserv6 les revenus d'un b£n£fice c6d6 par lui ä une
autre personne.
En 1726, T6v6que de Senez, ayant publik une Instruction pasto-
rale oü il rätraetait son adh£sion au « corps de doctrine » 6tabli
en 1720 l , Tencin le d6non$a ä TAssembl^e du Clerg6. Le Roi autorisa
larchevGque ä convoquerun concile provincial ä Embrun, pour juger
Soanen. L'6v£que fit signifier au concile ses räcusations coatre Tencin
le simoniaque. Le concile ne Ten döclara pas moins coupable, en 1727,
et le suspendit de ses fonetions. Sur Tappet qu'il fit au futur concile
g£n£ral, Soanen fut exil£, par lettre de cachet, ä Tabbaye de la
Chaise -Dieu, oü il devait mourir en 1740.
Le retentissement de ces 6venements fut Enorme. Tandis que les
Constituüonnaires comparaient le concile d'Embrun ä « l'exposition
du Saint-Sacrement » — le mot 6tait de Tencin — les Jansänistes
le qualifiaient de « brigandage ». Pour la masse du public, Soanen
6tait un martyr. Douze 6vgques, dont Noailles, adressörent au Roi
une lettre de prolestation. Cinquante avocats de Paris signörent une
consultation concluant ä la nullit^ des Operations du concile. Des
estampes montraient Soanen, la täte entouräe dun rayon de gloire,
et ses persöcuteurs assis sur les genoux des J6suites. Des saures
traitaient le concile de « sabbat ». Les Nouvelles eccMsiostiques,
organe des Jans6nistes, däfiaient les recherches de la police 6tant
prot£g£es par la complicitö universelle. Elles agirent autant sur l'opi-
nion qu'avaient fait nagu&re les Provinciales, et que feront, en 1762,
SOANEN
BT TENCIN.
LE CONCILE
D'EMBRUN.
PROTBSTATIONS
JANSäNISTBS.
l. ▼•ftr plus baut, p. 60-61.
< III >
Vipoque de Fleury et de la Succession JCAutriche. uvre ii v
D&FECTION
DB N0A1LLBS.
les Exlraits des assertions dangereuses, tir6s des livres de la Soci6t6
de J£sus.
Tout Paris passa au jansönisme : magistrats, professeurs,
bourgeois, menu peuple, femmes et petits enfanis. On insuliait les
Constitutionnaires; on d£clamait contreles Papes.
L'archevöque Noailles fit subitement d6fection, par un mande-
ment oü de nouveau il acceptait la Constitution. Son grand fige,
rafTaiblissement de ses facultas, les efforts de sa niöce, la mar6chale
de Gramont, les instances r£it6r6es de Fleury, enfin sa versatilitä
expliquaient sa conduite. Trente cur6s protest&rent; mais des 6v6ques
jansönistes et TUniversitä de Paris suivirent Texemple de Noailles,
persuad6s qu'ils allaient ainsi rendre la paix a Tfiglise. Apr&s qu'il
eut perdu ses chefs religieux, le jansänisme ne s'avoua pas vaincu ;
il devint presque exclusivement lai'que et s'exaspöra. Des Parisiens
insult&rent Noailles par ce placard : « Cent mille 6cus k qui retrouvera
Phonneur de TArchev6que! » Noailles 6tant mort — le 4 avril 1729, —
on composa cette Epitaphe :
Ci-git Louis Cahin-Caha
Qui devotement appela;
De oui, de non s'entortilla;
Puis dit ceci, puis dit cela ;
Perdit la töte et s'en alla.
u. db viNTiüiLLB. Le nouvel archevöque, de Vintimille, constitutionnaire ardent,
fut attaqu6 violemment. Son goüt pour la table lui valut le surnom
de « Ventremille » ; et, commc son prädöcesseur s'appclait « Antoine »,
on raconta que saint Antoine, en quittant ce monde, y avait laiss6
le dioc&se ä son compagnon. Vintimille interdit environ trois cents
prötres suspects de jansönisme; ce fut un tolle g6n6ral. Les curäs
n'os&rent plus lire ses mandements au pröne; d6s qu'on afGchait ces
mandements, ils ötaient couverts de boue. Dans les £glises, les pr6-
dicateurs 6taient interpell6s. Sur la porte du coll&gc Louis-le-Grand
on colla ce placard : « Les comädiens ordinaires du Pape donneront
ici les Fourberies dlgnace et Arlequin-Msuile ».
Le Roi adressa au Parlement de Paris, le 24 mars 1730, une
D6claration oü il 6tait enjoint une fois de plus ä tous les eccläsias-
tiques du royaume de recevoir purement et simplement la Constitu-
tion Unigeniius.
L'agitation redoubla; les magistrats enregistrfcrent la D6claration
en lit de justice, le 3 avril; mais, par arröt, ils ordonn&rent que les
curös suspendus par les 6v6ques continueraient lcurs fonctions. Ils
supprim&rcnt les mandements de Tencin, et admirent Pappel comme
dabus contre ceux de T6v6que de Laon; ils cit&rcnt m£me ä leur
DtCLABATlON
DU U UARS OSO.
LB PARLBMBNT.
< na >
au* prbmibr Du Ministhre de Fleury (1726-1743).
barre ce prälat, pour un mandement, et le minist&re n'ävita le scan-
dale qui en pouvait räsulter qu'en faisant supprimer le mandement
par anrät du Conseil. Les parlements de province imitörent celui de
Paris; le Parlement d'Aix en particulier prit parti pour les PP. de
TOratoire qu'attaquait lövöque Belzunce en les accusant de jans6-
nisme, et il fit lac6rer et brüler un mandement de l'archevöque
d'Arles qui contenait des attaques contre la magistrature. Chaque
jour quelque incident se produisait. Le Parlement de Paris ayant
stabil, dans un arr£t du 7 septembre 1731, quil n'appartenait pas aux
ministres de rfiglise de fixer les limites du pouvoir temporel, institu£
directement par Dieu, et que les canons de rßglise n'6taient des
lois qu'ä condition d'ßtre approuv6s par le So u verain, le Conseil
cassa l'arr£t et declara la Constitution Unigenitus « jugement de
lfiglise universelle ». Ordre fut donnä au Premier President Portail
d'empgcher toute d6lib£ration ä ce sujet. De 1&, col&re dans les Cham-
bres et demi-insurrection contre Portail. Fleury manda devant le
Roi une däputation du Parlement; Louis XV re$ut mal les magis-
trats; il leur declara que tout ce qu'ils avaient fait £tait nul, leur
interdit de discuter des limites de la puissance civile et de la puis-
sance eccl&iastique, et les mena$a, sils öludaient ses ordres, de les
traiter en rebelies. Pour un temps le silence se fit au Palais 1 . Mais
quelques prätres de l'6glise collögiale de Saint-Benolt, un eure de
Gien, et vingt et un curte de Paris ayant et£ traduits devant TOffi-
cial pour avoir refusö de publier un mandement oü l>irchev6que de
Paris condamnait les Nouvclles eccUsiastiquez, le Parlement reprit
la parole.
Des orateurs s'illustr&rent dans ces debats. L'abb£ Pucelle, qui l'abb* pucblle.
trailait la Constitution sur le ton de D6mosth6ne apostrophant Phi-
lippe de Mac6doine, devint l'idole de Paris. Au mois de mai 1732,
Louis XV, qui se trouvait ä Compi&gne, fit venir une däputation du
Parlement; il dit aux d£put6s : « Je vous ai fait savoir ma volonte, et
je veux qu'elle soit pleinement ex£cut£e. Je ne veux ni remontrances
ni räplique. Vous n'avez que trop merite mon indignation. Soyez plus
soumis et retournez ä vos fonetions. » Le Premier Präsident ayant
fait mine de parier, Louis XV lui cria : « Taisez-vous! » Portail n'osa
pas donner au Roi un discours que sa compagnie l'avait chargä de
lui remettre avant de se retirer; mais Pucelle savanca, plia le genou,
et d£posa un exemplaire du discours aux pieds du Roi, qui ordonna
de d&hirer ce papier. De retour ä Paris, Pucelle et un autre conseiller,
du nom de Titon, furent arr6t£s.
i. (Test alors que fut ferroe, avec de grandes precaulions militaires, le eimeiiere Saint-
Medard, le 39 janrter 1733, dont il sera questioo plus loln. p. n5.
c 1 1 3 >
VUJ. 2. 8
Vipoque de Fleury et de la Succession d'Autriche.
uvri n
FAIBLESSE AP RES
LES R1GVEURS.
riguburs contre Paris prit parti pour les magistrats; les quolibets et les chansons
les Magistrats. se multipli&rent. Pour protester contre l'emprisonnement de leurs
confröres, les magistrats cess&rent leurs fonctions. Par lettres patentes,
le Roi leur ordonna de les reprendre; ils rentrfcrent au Palais, mais
aussitöt arrötörent qu'un mandement oü Tarchevöque de Paris par-
lait de la Constitution comme d'un d6cret apostolique rendu par
rfiglise serait d6för6 au Procureur genäral.
De nouvelles an astations de magistrats furent op6r6es et une
nouvelle däputation appeläe k Compi&gne. « Je vous ai d6jä fait con-
nattre mon m6contentement, dit le Roi aux d6put6s; soyezplus cir-
conspects. Je veux bien encore suspendre les effets de ma colfcre. » Le
lendemain, 20 juin, tous les conseillers, sauf trois ou quatre, signfc-
rent les dömissions de leurs charges.
Dans ces conjonctures, Orry et Maurepas reprirent, dit-on, Tid6e
qui s^tait döjä pr6sent6e dans les Conseils du Roi, et qui devait
reparaltre k la fin du rägne, d'une r6forme totale de la magistrature.
Toutefois on se contenta de menaces k Tadresse des Parlementaires.
Pardonnant une fois de plus, Louis XV leur fit reprendre leurs demis-
sions, les rappela, et se contenta, par la Deklaration du 18 aoüt,
d'ordonner qu'ä Tavenir tout 6dit enregisträ en sa prösence füt mis
ä ex6cution le jour m&me de sa publication. II fit enregistrer cette
däclaration en lit de justice le 3 septembre. Un arrÄt du Parlement
ayant frappö de nullit^ cet enregistrement, le ministöre exila cent
trente-neuf juges; mais bientöt Fleury rappela les exil6s et mit la
Deklaration en surs6ance. Le gouvernement se perdait par cette alter-
native de rigueur et de faiblesse. Les opposants s'enhardissaient.
Un memoire qui fit grand bruit en 1732, le Judicium Francorum,
r&dita la grande thöorie des Parlementaires, k savoir que le Parle-
ment 6tait aussi ancien que la Couronne, qu'il repräsentait la Nation
m6me, et que le Roi ne pouvait faire de lois qu'avec son concours.
Le Parlement condamna le memoire par un arrdt du 13 aoüt 1732,
mais au fond il pensait comme Tauteur.
Les th6ories parlementaires ötaient d'autant plus dangereuses
que d6jä on commenQait k voir que le Roi 6tait incapable de gou-
verner. L'autoritä ne se faisait plus ob6ir. Les trois quarts du corps
de police, dit Barbier, 6taient infectäs de jans6nisme.
Fleury se d£consid£rait de plus en plus. Les Janslnistes Taccu-
saient de conspirer avec Rome contre les libertäs de l'£glise galli-
cane; il avait, disaient-ils, fait plus de mal avec la Constitution que
n'aurait pu en faire la famine ou la peste. Les Ultramontains lui
reprochaient de ne pas les d^fendre contre les Parlements qui suppri-
maient des mandements d'6v6ques. Ils s'indignörent qu'on laissÄt le
< 114 >
IMPOPÖLAR1T&
DB FLBURY.
CHAP. PREMIER
Du Ministhre de Fleury (1726-1743).
LB CIMETIERE
SAINT-MiDARD.
Parlement d'Aix condamner l'archevöque dArles pour un mande-
ment, et qu'on exilät ce prölat dans son abbaye de Samt-Vale>y-sur-
Mer. Ils bravaient la magistrature dans des theses de Sorbonne oü
ils 61evaient le pouvoir spirituel au-dessus du temporel. Entre les
deux partis, Fleury tergiversait. Le däsordre 6tait tel qu'on croyait
voir revenir le temps de la Ligue.
Tout ä coup se produisit un ph£nomene rare en France, une le diaorb paus.
crise de folie religieuse. Un diacre du nom de Paris ötaii mort
en 1727 avec une räputation de saintete\ On racontait qu'il n'avait
point voulu s'61ever ä la prötrise, s'en jugeant indigne, et qu'il 6tait
rest6 jusqu'ä deux ans sans communier, ne se croyant pas en 6 tat de
recevoir le sacrement. II avait toute sa vie partagö aux pauvres son
revenu, dix mille Francs par an, et il 6tait mort dans une baraque en
planches du faubourg Saint-Marceau. Les pauvres gens mirent ses
habits et ses me übles en morceaux pour se les partager comme des
reliques. II fut enterrä au cimeti&re de T6glise Saint-M6dard.
Bientöt on apprit que des malades, en se couchant sur son tom-
beau, retrouvaient la sante\ On publia les noms de malades gu6ris
de toutes sortes de maux, ulcere a la jambe, squire au ventre, c6cit£
consöcutive ä une petite vörole, surdit£, paralysie. Des tlmoins cer-
tiGaient les faits; on en dressait des proces-verbaux que signaient
des mödecins et des apotbicaires et que des notaires enregistraient.
Tout Paris se rua au cimetiere Saint-M6dard : grands seigneurs,
6v6ques, magistrats, pauvres diables. Comme il sy passait des scenes
Stranges, — des hommes et des femmes, une princesse de Conti, un
marquis de Legale, un Chevalier de Folard, y tombaient dans des
convulsions et des £pileptiques y öcumaient, la police, le 29 jan-
vier 1732, ferma le cimetiere.
Mais les miracles continuerent en cachette, dans des greniers ou
des caves. Des convulsionnaires en arriverent aux folies furieuses,
ä la fa$on de rinde ou du Thibet. Des femmes se faisaient donner
des coups violents sur le cr&ne ou dans la poitrine; on clouait des
hommes et des femmes sur des croix et on leur enfongait des 6p6es
dans le flanc. Les suppliciös proph£tisaient; les spectateurs chan-
taient des hymnes. Entre convulsionnaires, on se donnait le nom de
« freres » et de « soeurs ». On appelait « secours » les supplices qu'on
s'infligeait. Six cents filles r6clamaient le secours et 6 000 freres le
leur administraient. Les « secouristes » se divisaient en sectes : les
Figunstes, les Multipliants, les filistens. Le frfcre Augustin fut le
chef des Figuristes; il se couchait sur une table, dans la posture de
l'Agneau et se faisait adorer. Les Multipliants s'abouchaient la nuit.
Les Ehsten» reconnaissaient le prophete ßlie dans un pauvre prttre
SCENES 38
FANA11SME.
Il5
Ußpoque de Fleury et de la Succession d'Autriche.
LI VRE II
L'AFFAIRE
CADläßE
EN PROVENCE.
LlNPlÜTi.
du nom de Vaillant. Les miracles jans6nistes de Saint-M6dard ren-
dirent jaloux les Molinistes, qui crurent un moment avoir leur saint
en la personne d'un P&re Gourdan, ä qui la Vierge 6tait apparue; mais
le P6re Gourdan n'eut aucun suoc&s.
La Provence, en 1731, fut troubl6e par Taffaire Cadtere. Une
jeune mystique de ce nom, p&njtente d'un P&re Girard, qui la fit
entrer dans un couvent k Ollioules, tomba en des extases et se cou-
vrit des stigmates du Christ. Elle faisait des miracles. Un jour, eile
accusa le P&re de Tavoir s£duite. Le P&re la poursuivit en justice
devant le Pariement dAix; mais les sufTrages des juges se partag&rent
6galement, et les parties furent mises hors de cause. Le public prit
parti pour ou contre le Jösuite; le plus grand nombre se pronon$a
contre lui. Les magistrats favorables ä Girard furent insultes et
menaces dans les rues d\Aix. Des Jesuites furent brul6s en effigie a
Toulon; ä Marseille, le populaire essaya d'incendier lesmaisons des
P&res. Paris se passionna aussi; la Cadi&re y passa pour une h&roTfne.
On vendit des meubles, des habits, des tabati&res, des £ventails k la
Cadiere, et on chanta des chansons contre le Pfcre Girard.
La möme annäe, les Parisiens s'amusaient ä voir jouer au th6ätre
des marionnettes le Malade par complaisance, oü 6tait ridiculisö Lan-
guet, 6v6que de Soissons, qui venait de raconter les aust£rit6s et les
conversations avec J6sus de Marie Alacoque, morte en 1690 au cou-
vent de la Visitation k Paray-le-Monial. Les ceufsä lacoque s'appel&rent
d6sormais les « oeufs k la Soissons », et Marie Alacoque, la « m&re aux
ceufs ». Mais Languet publia, en 1729, la Vie de Sceur Marie Alacoque,
et ce livre präpara l'ätablissement d'un culte nouveau, celui du Sacr6-
Coeur de J6sus, qui fut autoris6 en 1765 par la Cour de Rome. D'autre
part, en 1731, la Femme docleur, oeuvre d un J6suite, imprimäe ä Paris,
ä Lyon, k Rennes, ä Rouen, k Arras et qu'on joua dans les couvents et
dans les s6minaires, fit rire aux d£pens des doctrines jans6nistes sur
la gräce. Ainsi toutes les manifestations religieuses 6taient tour ä tour
ridiculis6es. L'incr£dulit6 faisait des progres Enormes ä la Cour et
dans le beau monde. On prötait au marechal de Saxe ce propos : « Si
j'avais Tavantage en me battant contre les Tartares, je leur ferais
quartier; mais si je triomphais d'une arm6e de thöologiens, je les
exterminerais ». Et ce n'ötait pas seulement l'aristocratie qui per-
dait la foi. L'avocat Barbier, bourgeois eclairö, tolerant, mais pas du
tout r£volutionnaire, äcrivait : « Plus on creuse la mati&re, soit sur
les proph£ties, soit sur les anciens miracles de rfiglise, et plus on
voit lobscurite des unes et l'incertitude des autres qui se sont 6tablis
dans les lemps reculös avec aussi peu de fondement que ce qui se
passe aujourd'hui sous nos yeux ».
< 1 16 >
GH AP. PREMIER
Du Ministere de Fleury (1726-174$).
IV — LA POLITIQUE EXTÜR1EURE ET LA GUERRE.
SUCCESSION DE POLOGNE ET SUCCESSION D'AUTRICHE
(/ 726- 1 743) !
FLEURY voulut maintenir la paix de TEurope. Sa politique 6tait
de conserver l'alliance avec lAngletcrrc et de vivre en bonne
intelligence avec TEspagne et avec TAutriche. II eut, un des premiers,
Hd^e de rompre avec la tradition qui faisait de TAutriche rennemie
böräditaire de la France.
On peut dire que le Cardinal louvoya entre des menaces de
gucrre. Le roi d'Espagne esp6rait toujours la succession de France;
il voulait pour ses fils du second lit les duch6s ilaliens; il prgtendait
reprendre Gibraltar ä TAngleterrc. L'Empereur r6sistait ä laisser les
Espagnols s'ötablir dans les duch6s tant que ccux-ci ne seraient pas
vacants. D'autrc part, il inqui6tait, par sa compagnie d'Ostende et par
Tactivit6 commerciale de ses Pays-Bas, TAngleterre et la Hollande.
Le premier ministre d'Angleterre, Robert Walpole, qui 6tait pacifique,
et son fröre Horace, ambassadeur en France, s'entendaient trös bien
avec Fleury, mais Topinion publique anglaise 6tait passionn6e pour
intbntwns
DE FLEURY.
MENACES
DE GOEREE
GÖNÖRALE
1. Sodrces. Recueil historique d'actes, nigocialions el IraiUs, par M Rousset deja clte.
Reeaeil des Instructions donnies aux ambassadears et ministre* de France, Autriche, p. p.
Sorel, Paris, 18S4 (Introduction); — Baviere, p. p. Lebon, 1889 (Introduction); — Naples
et Panne, p. p J. Reinach vIntroduction)r — Pologne, p. p. L. Farges, 1888, 2 vol. (Intro-
duction), 1893, — Espagne p. p. A. Morcl-Fatio et H. Leonardon, Paris 1894-1899. 3 vol.
Correspondance de Louis XV et da Marechal de Noailles, p. p. C. Rousset, Paris, i865, 2 vol.
in-8. Fred6ric II, Histoire de mon temp* % t. II et III des OEuvre*, Berlin, i846 et suiv. Du
meine, Politische Correspondenz, Berlin, 1878 et suiv. Memoire* des ntgocialions da marquis
de Valori, ambassadeur de France ä la Cour de Berlin, Paris, 1820, 2 vol. Choiseul (Duc de),
Mimoires, Paris, 1904.
Ouvrages a consulter. Flassan, Coxe, deja cites. Himly, Histoire de la formalion territo-
riale des Etats de tEurope Centrale, Paris, 187«, 2 vol. Leger, Histoire de r Autriche- Hongrie,
Paris, 1879. Arneth (d f ), Geschichte Maria Theresia'*, Vienne, 1868-1879, 10 vol , t. 1 a III.
Die Kriege Friedrichs des Grossen. Hrsgg. vom Grossen Generalslabe, Abteilung für Kriegs
gesehichle, Berlin, 1890 et suiv. CEslerreichischer Erbfolgekrieg (publication des Archivesde
la Guerre d'Autriche), Vienne, 1896 et suiv., t V, 1901, p. p. Porges et Edlen von Rebrach.
Droysen, Geschichte der preassischen Politik, Berlin, i855-i8Ri. 5 vol. Koser, Kernig Friedrieh
der Grosse, 2' id., Stuttgart, 1904, 2 v. Dubois (P.), Fr^diric le Grand d'apr+s sacorrespon-
dance politique, Paris, 1902, Broglie (Duc de). Frtdiric II el Marie- The 4 rese, Paris, i883,
» vol. Du meme, Fridiric II el Louis XV, Paris, i885, 2 vol. Haussonville (d*). Histoire de
la riunion de la Lorraine ä la France, Paris, 1860, 4 vol., t. IV. Lavisse, Le Grand FrMirk
aoanl tavenemenl t Paris, 1893. Fournier, Origines de la praqmaliqae sanclion de Charles VI
(Hist. Z., t. XXXVIII, 1877). Wolf, La Pragmalique Sanclion. Paris 1849. Broglie (A. de),
L0 cardinal Fleury et la Pragmalique Sanclion (Rev. Hist., t. XX . Rathery, Le comle de PUlo,
Paris, 1876. Reaulx (Marquise de). Le roi Slanislas et Marie Lerzinska, Paris, 1895. P. Boje,
Le pere dune reine de France, Stanisla* Leczinski (Revue <lc Paris, 1" novembre 1900).
H Sage, Dom Philippe de Bourbon, Infant de Parme (1720-176."»-. Paris, 1904. Stryienski, Le
gendre de Louis XV : Dom Philippe, Infant <TE*pagne et Duc de Parme, Paris, 1904. Vandal,
Une ambassade francaise en Orient sous Louis XV; la mission da marquis de Vitleneuoe
(f7tt-f741), Paris, 1887. Major Z. La guerre de la succession d'Autriche. i* La Campagne de
Sütsie, Paria, 1901 ; — 2° La Campagne de 1741-1743, Paris ., 1904. Capitaine Sautai, Les Pri-
liminairc* de la guerre de la succession d'Autriche, Paris, 1907.
< 117 >
Vipoque de Fleury et de la Succession d'Autriche.
utbi n
UNS GOBKRS
tTOÜFF&B.
J
CHAÜVEUN.
P0L1TIQUE ANT1-
AÜTBICMBNNB.
les int£r£ts commerciaux et la grandeur maritime de l'Angleterre,
En ßvrier 1727, les Espagnols attaqu&rent Gibraltar. Si l'Em-
pereur les avait soutenus, comme ils le lui demand&rent, c 6tait de
nouveau une guerre europäenne. La diplomatie fransaise agit partout
avec grande prudence. D&s les premiers jours de son mimst&re, le
Cardinal avait fait assurer la Cour de Vienne de ses bonnes intentions,
Ibauchant ainsi un accord de la France et de l'Autriche. LEmpereur
ayant consenti ä nEgocier avec l'Angleterre et la Hollande, la n6go-
ciation se fit ä Paris, oü furent sign6s, le 31 mai 1727, les Prtlimi-
naires präparatoires dun congr&s qui devait s'ouvrir en France l'ann6e
d'apr&s. Fleury, d'autre part, nögociait avec TEspagne. Secr&tement,
il promit k Philippe V la succession de France, si le Roi venait &
mourir sans laisser de Dauphin. Philippe V, en juin 1727, fit cesser
l'investissement de Gibraltar et acceda aux pr61iminaires de Paris.
Le Congr&s pr6vu« oü devaient ötre r6solus tous les litiges, se r6unit &
Soissons Tann^e d'apr&s.
Mais, de ce congr&s, la guerre faillit sortir. L'Empereur se faisait
prier pour sacrifier aux Provinces-Unies sa compagnie d'Ostende.
En outre, il persistait ä ne pas permettre 1 Etablissement immödiat
des Espagnols dans les duchös; de nouveau, la guerre menaca
d'äclater entre l'Espagne et TAutriche. Dans ces conjonctures inter-
vint un homme presse de jouer un grand röle, Chauvelin. C'ötait un
savant magistrat du Parlement de Paris, allte aux Le Tellier, ami de
grandes familles, mais de vie laborieuse et simple; au demeurant
tr&s ambitieux et qui aspirait ä gouverner la France. 11 avait fait
agir tant d'influencos auprös du Rtfgent que « les pierres elles-m£mes »
rappelaient au prince le nom de Chauvelin. Le Rtfgent inort, il avait
prtfvu que le gouvernement de M. le Duc ne serait qu'un « feu de
paille », et s'tftait attachtf ä Fleury. Le Cardinal le fit gardc des
sceaux et sccretairc d'ßtat des Affaires tftrangfcres. Or Chauvelin
avait, sur la politique ä suivre, une toute autre opinion que celle de
Fleury. 11 tenait pour lalliance avec l'Espagne, pour la guerre avec
l'Autriche, ennemie htfrtfditairc, et n'eüt pas recultf devant un conflit
avec les puissances maritimes. Un parti de Cour avait les meines
senliments, qui tftaient trtfs dangereux. Chauvelin prtfsenta donc &
Fleury le projct, exptfditf de Madrid en aoüt i729, d'une alliance
entre la France et TEspagne. L'Espagne s'y faisait promcttrc Toccu-
pation immtfdiate de** duchtfs. Elle ne voulait accorder aux Anglais
aucune des satisfactions qu'ils reclamaient pour leur commerce, tant
qu'elle ne serait pas rentrtfc en possession de Gibraltar et de Minor-
que Accepler ce traittf , c'eüt tfttf provoqucr la coalition de l'Autriche
et des puissances maritimes contrc la France, comme au temps de la
u8
CHAP. PRBMI1R
Du Ministkre de Fleury (1726-1743).
succession d'Espagnc. Fleury, qui r6pugnait ä cette folie, aurait du
cong6dier Chauvelin, ou, tout au moins, lui imposcr sa volonte; mais
il n avait pas l'önergie nöcessaire pour concevoir cette räsolution et
pour s'y tenir. Plus que jamais il louvoya.
Par un trait6 conclu ä Säville, en novembre 1729, entre l'Espagne,
la France, l'Angleterre et la Hollande, l'Espagne restitua aux mar-
chands des trois pays les privil&ges qu'elle leur avait enlev£s pour
lesdonner aux sujets de l'Empereur par le trait6 de Vienne de 1725;
en öchange, eile fut autorisäe ä d6barquer six mille hommes en Italie
pour assurer ä Don Carlos, fils aln6 dElisabeth Famose, la posses-
sion des duch6s. Fleury contenia ainsi les partisans de l'alliance
espagnole. Mais l'Empereur s apprgte ä se d6fendre en Italie et l'Es-
pagne r6clame l'aide de l'Angleterre et de la France. Fleury fait des
promesses aux Espagnols, et, en möme temps, rassure les Autri-
chiens. II perd alors la fonction d'arbitre qu'il a tenue jusque-lä. II
avait un moyen de dösarmer l'Empereur; c'£tait de reconnattre la
Pragmatique par laquelle Charles VI voulait assurer son entiöre suc-
cession ä sa fille Marie-Th6r&se ; mais il ne voulut pas aller si loin ;
il nallait jamais jusqu'au bout des choses. Ce fut l'Angleterre qui
däcida l'Empereur ä la paix. Par le traitä de Vienne de mars 1731,
eile garantit la Pragmatique; en behänge, eile obtint pour l'Espagne
le consentement de l'Empereur ä l'occupation des duch6s, et, pour
eile, l'abolition de la Compagnie dOstende.
De toute cette politique, l'Angleterre avait tir6 de grands avan-
lages pour son commerce. Elle s'6tait montröe, de plus en plus, puis-
sance dirigeante. La conduite de Fleury avait 6t6 incertaine et molle.
Du moins, il contribua plus que personne ä öpargner ä l'Europe une
nouvelle grande guerre. Quelques jours apr&s la signature de la paix
de Vienne, le dernier des Farnfcse 6tant mort, Don Carlos entra en
possession de Parme; le grand-duc de Toscane le reconnut comme
son höritier. L'Espagne avait donc satisfaction. D'autre part, la nais-
sance d'un Dauphin en 1729 avait assurä en France la succession
directe; il n'y eut donc plus de prötentions espagnoles ä la Couronne
de France. On put croire la paix assuröe pour longtemps.
Mais, le 1 er fevrier 1733, mourut Auguste II, l'äecteur de Saxe,
roi de Pologne. La vacance de ce tröne £lectif ouvrit une crise euro-
p£enne. Depuis que la France, restant fid&le ä son vieux Systeme
d'alliance avec la Su&le, la Pologne et la Turquie, avait repoussä les
avances de la Russie 1 , cette puissance nouvelle s' 6tait alliöe avec
LE TRAlTt
DE VIENNE
(MARS 1731).
LäTAT APRES
LE TRAITB.
SUCCESSION
DB POLOGNE.
l. Voir plus baut, p. 56.
119 >
L'Epoque de Fleury et de la Succession d'Aulriche.
UVBB u
STANISLAS
LBCZINSK1 äLÜ
ET CHASS&.
D^CL ARATION
DE GUERRE
DE LA FRANCE
A LAUTR1CHE.
EXPEDITION
DE DAS ZIG.
l'Autriche. Un traite avait 6t6 conclu ä Vienne en aoüt 1726; Au-
iriche et Russie s'ötaient promis de s'entendre entre autres choses
sur les affaires polonaises. La Pologne 1 6tait depuis longtemps
menaeöe par ces deux puissants voisins et par un troisi&me, le roi de
Prusse. En attendant que vlnt l'heure d'un partage depuis long-
temps pr6vu, TAutriche et la Russie etaient naturellement räsolues
ä ne point laisser arriver au tröne de Pologne un client de la France.
Ensemble elles agreerent la candidature du fils d' Auguste II, Au-
guste III. Celui-ci avait gagne la Sympathie de TEmpereur par
l'adhäsion quil avait donn£e k la Pragmatique, adh6sion d'autant
plus pröcieuse ä l'Autriche qu'il etait un des mieux qualiftes pour
contester cet acte.
Or, la France avait son candidat, Stanislas Leczinski. Fleury vit
bien qu'une Intervention de la France dans la « Succession de
Pologne » serait une cause de guerre et de grande guerre; il aurait
voulu 6viter ce malheur. Mais la reine de France plaida la cause de
son p&re ; le Roi voulut relever la condition de son beau-p^re. Toute
lopinion se prononga pour Stanislas. On 6tait humili6 que le Roi
n'eüt 6pous6 qu'une « demoiselle » ; on voulait que la reine « de
France » füt « fille de roi ». Fleury se r£signa. L'ambassadeur de
France en Pologne depensa des millions pour gagner des suffrages
ä Stanislas qui, d£guis6 en marchand, traversa TAUemagne pour se
rendre k Varsovie. La Di6te d^lection — 60000 electeursä cheval —
lacclama; le 12 septembre, il fut proclamä roi; mais quelques milliers
de dissidents proclamörent Auguste douze jours apr&s. Vingt mille
Russes entrörent en Pologne. La Diöte d'ölection s'6tait dissoute;
aueune force ne se trouva pour arröter les Russes. Stanislas fut
oblig6 de se retirer ä Danzig.
Alors parla hauten France leparti de la guerre. II ne pouvait s'en
prendre k la Russie lointaine; il s en prit ä sa complice, TAutriche.
L'hommede la politiqueanü-autrichienne, Chauvelin, «escamota »la
paix au Cardinal; la guerre fut declaröcä l'Autriche enoctobre 1733.
Mais il fallait faire quelque chose pour secourir le roi Stanislas.
II ne pouvait ßtre question de faire traverser TAllemagne par une
arm6e. En transporter une ä Danzig eüt 6t6 une Operation tr&s diffi-
cile, et qui eüt eiTarouch6 les puissances maritimes. On däcida que
6000 hommes seulement seraient envoyös par mer ä Danzig, en quatre
convois. Le premier, de 1 500 hommes, arriva sous le commandementdu
g6ne>al de La Motto de La Peyrouse, le 10 mai 1734. La Peyrouse vit
les positions des Russes, leurs travaux de si&ge, Tinsuffisance ridicule
i. Voir Hitl. de France, t. VII, 2, p. 201 et suiv.
< 120 )
CBAP. PREMIER
Du Minister e de Fleury (I7t$'4743).
de ses Forces, et revint ä Copenhague. La France 6tait repr&entäe
dans cette ville par le comte de Pl£lo. Cet ambassadeur 6tait alors
menac6de disgr&ce pour avoir £crit « le diable » du minist&re auquel
il avait inutilemeni conseill<£ une exp6dition en Pologne par le conti-
nent. 11 6tait d'ailleurs un vaillant homme, qui voulut faire un coup
d'£clat et meriter une grande räcompense ou mourir. II dlcida La
Peyrouse ä retourner ä Danzig. La petite troupe, d6barqu£e le 24 mai
sous le fort de Weichselmünde, fut abim6e par le feu. Plälo toraba
cribläde balles. On raconta quil avait 6tä tu6 partes soldats frangais,
« enrag£s dalier ä une si mauvaise besogne ».
Danzig fut bombardäe. La täte de Stanislas 6tait mise & prix. II
sortit de la ville au d6but de juillet, d£guis6 en matelot, traversa le
camp russe et atteignit la fronti&re d'Allemagne. 11 a racon(6 son
Evasion ; Ton voit dans son r6cit quels furent jusqu'au bout son sang-
froid, sa bonne humeur et son courage.
La revanche fut prise sur PAutriche. L'octog6naire Berwick,
apr6s avoir occup6 la Lorraine, prit Kehl, ouvrit la tranchle devant
Philippsbourg, et fut tu6 par un boulet le 12 juin 1734. Son succes-
seur, d'Asfcld, entra dans la place le 18 juillet.
Pour combattre TAutriche en Italie, la France avait ais&nent
trouv6 deux alltes, le roi de Sardaigne et les Espagnols. Depuis
longtemps, le roi de Sardaigne invilait Louis XV ä intervenir contre
TAutnche. Par un traite du 26septembrc 1733, ils'engageaiU remettre
le duch£ de Savoie aux Francais, qui, de leur cdt6, lui promettaient
le Milanais, combinaison ä laquelle il avait 6t6 d6jä pcns£ et qui
devait aboutir en 1859. L'Espagne, par le traite de Madrid, le 25octo-
bre suivant, obtint Tassurance d'Ätre aid£e ä conqu£rir pour Don
Carlos, d6jä duc de Parme, le royaumc des Deux-Siciles. L'octogi-
naire Villars traversa le mont Cenis, rallia lärmte sarde ä Verceil,
prit Pavie, Novare, Milan et Pizzighetone. En moins de trois mois,
la Lombardie 6tait conquise ä Texception de Mantoue; le Roi de
Sardaigne prit le titre de duc de Milan. Aprös la mort de Villars,
survenue le 7 juillet 1734, de Coigny et de Broglie gagnärent les
batailles de Parme, le 29 juin, et de Guastalla, le 19 septembre. La
Cour de Madrid ordonna ä son g6n£ral, le duc de Montemar, de
conduire Don Carlos a Naples. Les Autrichiens vaincus a Bitonto ne
puren t döfendre Naples, et l'Infant s'y £tablit.
Chauvelin, se souvenant de Richelieu et de Mazarin, voulait
ruiner TAutriche dans la Pöninsulc en y organisant une sorte de
confcdöration d'fitats clients de la France Le vieux cardinal s inqui£-
tait et se dösolait; c*6tait chose comique de Tentendre se plaindre.
Mais Chauvelin rencontra un adversaire, le roi de Sardaigne.
äVASION
DB LBCZINSKI.
GÜBBBB
BS ALLBMAGNB
BT BS ITALIB.
PBOJETS
DBCHAUrBUN.
< 121 >
L'ßpoque de Fleury et de la Succession d'Autriche. u?be n
Charles-Emmanuel craignit qu'une fois les Autrichiens rejetes dans
le Tyrol, les Espagnols restassent trop puissants en face de lui. II
pr&uuinairbs multiplia les preuves de sa mauvaise volonte. Et TEmpereur donna
db la paix (MS). k Fleury le moyen de prendre sa revanche sur Chauvelin, en « esca-
motant » k celui-ci la guerre. II offrait au Cardinal de nögocier seul
k seul et en secret. II parlait de la rivalite des Bourbons et des
Habsbourg comme d'un conflit surannä. Un agent fran$ais, De La
Baune, partit pour Vienne, oü il s'aboucha avec les ministres Zinsen-
dorf et Bartenstein. Des präliminaires de paix furent ätablis le
3 octobre 1735. L'Autriche abandonnait les Deux-Siciles k l'Infant;
Tortone et Novare, avec les fiefs imp£riaux de Langhe en Montferrat au
roi de Sardaigne; eile c£dait k Stanislas Leczinski les duchäs de Bar
et de Lorraine qui, apr&s la mort de Stanislas, devaient revenir k la
France; le duc Fran^ois de Lorraine, fiancl k Marie-Th6r6se d'Au-
triche, devait 6tre indemnis£ avec la Toscane dont le duc allait
mourir sans post£rit6. L'Autriche recouvrerait la Lombardie sauf les
territoires c£d£s ä Charles-Emmanuel. La France reconnaissait la
Pragmatique Sanction.
C'gtaient lä des conditions tr&s acceptables pour la France ; mais
le cabinet de Vienne essaya de revenir sur les präliminaires, surtout
sur le mode de cession de la Lorraine. Le Cardinal, honteux de lui
mal räsister, invita Chauvelin ä nägocier k sa place en janvier 1736.
TRAiri Chauvelin disputa plus d'un an, et n'eut raison de TAutriche qu'en
db vibnnb (ms). j a menacan t de garder Kehl et Philippsbourg. Le duc de Lorraine
signa enfin, le 15 fövrier 1737, Tacte portant cession de son duchä.
Stanislas Leczinski avait d6j& abdiquö la couronne de Pologne; le roi
de Sardaigne avait souscrit aux pröliminaires; l'Espagne avait räcri-
minö, mais s'ötait r£sign6e. Le traitä de Vienne, ratifiant les prälimi-
naires, fut sign£ le 18 novembre 1738. C'6tait un grand succäs pour
la maison de Bourbon, qui s^tablissait en Italie avec Don Carlos, roi
des Deux-Siciles, et pour le royaume de France qui acquärait la
Lorraine. Depuis longtemps la France convoitait la Lorraine. Däsor-
mais TAlsace 6tait reliäe k la Champagne, et nos provinces de TEst
formaient une masse compacte.
djsgracb La disgr&ce de Chauvelin avait suivi de quelques jours la signa-
db cbaüvbun. t ure j e i a cess i on d e i a Lorraine par son duc. Chauvelin persistait
dans sa politique anti-autrichienne; il avait sa diplomatie k lui,
opposäe k celle du cardinal. II intriguait k la Cour oü il avait les sym-
pathies des compagnons de chasse de Louis XV, les famiüers des
« cabinets », les « Marmousets », D'ßpernon, De Gesvres, De La Tr6-
moille. La Cour se partageait en deux camps, celui du Cardinal, celui
de Chauvelin. Les ennemis de Chauvelin insinuaient qu'il encoura-
t 122 >
CBAP. PREMIER
Du Ministere de Fleury (1726-1743).
AMBLOT
DB CÜAILLOU.
POUTIQÜB
BN ORIBNT.
geait la rebellion des Jans6nistes et des Parlementaires, qu'il avait
entretenu une correspondance sccräte avec l'Espagne ei faisait des
profits illicites sur les appointemenis de ses subalternes et sur les
cadeaux destin^s aux Prangers. La vraie raison de sa disgräce fut le
juste mäcontentement du cardinal contre un ministre qui le trahissait.
Le 20 f&vrier 1737, une lettre de cachet exila Chauvelin ä Bourges.
Le nouveau secrötaire dfitat des Affaires etrangeres, Amelot de
Chaillou, ancien intendant des finances, une cr6ature de Maurepas,
avait quarante-huit ans. II nc risquait pas de porter ombrage ä
Fleury. Petit et b&gue, timide et m6ticuleux, il fut pour le Cardinal
un commis. Avec quelque culture littärairc, et des notions sur
les finances, il ne savait rien de la diplomatie. Le commis Pecquet
aurait pu le mettre au courant, mais fut incarc6r6 & la Bastille,
corame ami de Chauvelin. On fit revenir de Vienne un autre commis,
le S r du Theil, pour diriger Amelot et lui apprendre, disaient de
mauvais plaisants, ä distinguer la mer du Nord de celle du Sud.
Pourtant, pendant le minist&re d'Amelot, la diplomatie frangaise
remporla de grands succ&s en Orient. Le m6rite en rcvint ä M. de
Villeneuve, ambassadeur de France ä Constantinople. Apr&s qu'elle
eut annul6 Tinfluence frangaise en Polognc par l'exclusion de Lee-
zinski, la Russie poursuivant le plan de conqu6tes dont Pierre-Ie-
Grand lui avait 16gu6 Tambition, s'en 6tait prise aux Turcs, qui
avaient d'ailleurs fait passer des secours aux partisans de Stanislas.
Elle avait envoyä une arm6e devant Azow et annon$ait l'intention de
r6clamer le droit de navigation dans lamer Noire; eile avait persuadä
ä l'Autriche d'entrer en ligne avec eile. Amoindrie en Italic et en Alle-
magne, TAutriche esp£rait trouver des compensations en Orient; eile
offrit sa mädiation aux Turcs qui ne virent pas d'abord quelle agis-
sait en raison dun plan concerte avec la Russie. La France s'inqui6ta;
depuis les Capilulalions conclues en 1535 par l'ambassadeur de
Fran^ois I er , La Forest, la Turquie 6tait pour eile une esp&ce de colonie
oü eile exportait ses produits, et dont Marseille tirait sa prosp£rit£. La
coneurrence anglaise et hollandaise ly avait troubl£e au xvn e si&cle,
mais eile y avait repris la pr6pond6rance. Elle ne pouvait laisser les
Busses mettre des navires sur la mer Noire et s'emparer ainsi du
commerce de TOrient; enoutre eile avait intärfct ä maintenir Tint6-
grit£ du vieil allte, Tempire ottoman. Villeneuve devint le conseiller
trfcs 6cout£ du Sultan, apr6s que TAutriche eut envahi la Valachie,
pays tributaire de la Porte.
Comme les Russes avaient occup6 Azow, ce fut surtout aux Autri- rtumt
chiens que la Turquie eut affaire, en Bosnie, en Serbie, en Haute DSMBLGBdDB(i7H).
c ia3 •
L'Epoque de Fleury et de la Succession d'Autriche. uvri n
Bulgarie. Dans les campagnes de 1737 et 1738, ses troupes oppos&-
rent une räsistance qui surprit FEurope. En 1739, le Grand- Vizir
attaqua möme Beigrade, le boulevard de la Hongrie. L'Empereur
envoya un pl6nipotcntiaire au camp turc. Villeneuve, qui s'y trou-
vaii, joua naturellement le röle de m6diateur. II seconda si bien nos
alliäs que TAutriche leur c£da la Serbie, la Valachie, Orsova, et
m&me Beigrade. Le retour de l'ambassadeur de France k Constanti-
nople fut une esp&ce de triomphe.
Situation Le succös des Turcs aida la France k reconsti tuer la ligue des
bn 1740. fitats secondaires du Nord et de TOrient. Le 19 juillet 1740, la Suade,
par Tinterm^diaire de Villeneuve, conclut un traitä avec la Porte. Le
roi de Pologne parut möme vouloir se rapprocher de la France.
Le vieux Cardinal avait alors en Europe la röputation d'un
habile et heureux homme d'fitat. Le roi de Prusse Fr6d6ric II pense
qu'il a « relev£ et guöri » la France, et il loue « la p£n6tration et la
pr6voyance » des ministres frangais. Aprös les trait£s de Vienne et
de Beigrade, Louis XV semblait « le mattre et Tarbitre » de TEurope,
comme disait Barbier. D6sormais il ötait possible de se soustraire k
l'amiti6 de TAngleterre, qui, utile au temps de la R6gence, avait tou-
jours H6 onäreuse, et d'cnleveraux Anglais « la balance des affaires de
1 Europe ». La politique coloniale et maritime de TAngleterre 6tait de
plus en plus agressive. Les Anglais abusaient du « vaisseau de per-
mission », que TEspagne leur avait conc£d6 , pour inonder de leur con-
trebande les colonies espagnoles. Comme TEspagne essayait de s'y
opposer, les marchands anglais demand&rent au Parlement deTobliger
k renoncer au droit de visite. Le pacifique Walpole, pour garder le
ministäre, ob6it k leurs injonctions. L'Espagne ayant refus6 de c6der
son droit, TAngleterre lui d£clara la guerre en octobre 1739. Aubout
de quelques mois, les Anglais irrit£s que la guerre de course ne
d^cidät rienet ruinät leur commerce, mirent k la mer un armement
considörable k destination de TAmörique espagnole. Du Ferrol par-
tirent aussitöt douze vaisseaux espagnols, mais comme c^tait une
force insuffisante pour tenir les Anglais en respect, le gouvernement
fran$ais, k la fin d'aoöt 1740, expödia de Toulon en Am6rique une
escadre de douze vaisseaux, et de Brest, le 1 er septembre, quatorze
vaisseaux et cinq fr^gates. II publiait en möme temps un manifeste
oü il disait que sa dömonstration ne pouvait 6tre consid6r6e comme
une döclaration de guerre. Les Anglais furent un moment intimid£s.
Des temp£tes qui survinrent dans les mers d\Am6rique firent ajourner
dailleurs toute Operation.
i. Voir Hist. de France, t. VIII, i. p. 137.
CHAP. PREM1EB
Du Minister e de Fleury {172$-174S).
A peu de temps de 1&, en octobre 1740, mourut Tempereur
Charles VI, et la question fut de savoir ce qu'il adviendrait de sa
Pragmatique. Par cet acte, il avait r6gl6 que la succession des
royaumes et pnncipaut6s de la maison d'Autriche reviendrait ä sa
fille Marie-Th6r6se, et non ä ses ni6ces, les filles de l'Empereur
Joseph, ä qui eile aurait du apparlenir en vertu de dispositions
prises par son p6re Leopold I er . Charles avait fait renoncer ses deux
ni&ces ä leurs droits, lorsqu'elles 6pous6rent lune le princc 61ectoral
de Saxe, et Pautre le prince 61ectoral de Bavi6re. II avait fait accepter
la Pragmatique par les « 6tats » des diff6rents pays de la monarchie,
puis par toutes les puissances europeennes. Mais, sitöt qu'il fut mort,
les raaris de ses ni&ces, Auguste, devenu ölecteur de Saxe et roi de
Pologne, et Charles-Albert, devenu electcur de Bavi6re, r6clam6rent
la succession entiäre. D'autre pari, le roi de Sardaigne demanda le
Milanais; le roi d'Espagne, comme repr6sentant les droits de la
branche ain6c d'Autnche, la Hongrie et la Boh6me, qu'il ofTrait
d'ailleurs d'6changer contre le Milanais; et le roi de Prusse Fr6-
d6ric II, des duch6s sil6siens, en se fondant sur un contrat conclu
Fan 1537.
Le cardmal aurait mieux aim6 s'en tenir a l'engagement quil
avait pris de respecter la Pragmatique. II n'admit pas les pr6tentions
de l'6lecteur de Bavi6re ä la succession autrichienne. Le seul profit
qu'il eüt voulu tirer de la circonstance, c eüt 616 de distraire de la
succession la couronne imperiale, que convoitait le gendre de
Charles VI, Frangois de Lorraine, pour la faire donner au Bavarois.
Cela m£me lui paraissait dangereux; il y renon$a. Mais il ne prit pas
une attitude nette; il ne sut ni lenir simplement sa parole, ni faire
acheter ä Marie-Th6r6se l'appui ou la neutralit6 de la France. Et il
croyait devoir payer de bonnes paroles les divers candidals & la suc
cession, pour ne m6contenter personne. II joua un jeu subtil de petits
papiers.
Or, les esprits en France 6taient f6rus de la vieille passion contre
l'Autriche. L'occasion semblait trop belle d'an6antir lennemie de
Francis P r , de Henri IV, de Louis XIII et de Louis XIV. A la Cour,
Unit un parti de noblesse d6soeuvr6e rexlama la guerre. Le comle
de Belle-Isle en fut le chef. Petit-fils de Fouquet, Belle-Isle avait 616
tenu ä T6cart du vivant de Louis XIV; en credit aupr6s du R6gent,
il 6tait tombe en disgr&ce au temps de Mme de Prie; il avait retrouv6
la faveur par la protection dune tante, la duchesse de L6vis, amie
de Fleury. Son frfcre, le Chevalier de Belle-Isle, lui donnait des id6es
et mettait de la suite dans sa conduite. Le comte avait, ä cinquante-
six ans, la fougue d'un jeune homme. Ce grand maigre, tr6s alerte,
LA SUCCESSION
DAOTR1CHB
L'BMBAREAS
DU CARDINAL.
LES ANTI-AUTRI-
CHIENS.
BELLE-ISLE.
< ia5 )
LE CARDINAL
LOÜVOIB.
BBLLB-1SLE
PRANCFORT.
BBLLB-ISLB
BT FRED&RIC 11
UÜpoque de Fleury et de la Succession cTAutriche. livri n
de manteres nobles, beau parleur, groupait autour de lui toutc une
arm6e de clients; il passait pour une maniöre de grand homme.
Fleury s'6mut de la vivacitä des aliaques dirig6es contre lui par
Belle-Isle et ses amis. Lui qui continuait k croire qu'il n'y avait qu'un
parti k prendre, celui de « rester tranquilles », il commenga k laisser
entendre que les engagements pris au sujet de la Pragmatique
gtaient conditionnels, que la France respecterait les droits de tous,
mais qu'clle ötait libre d'agir selon ses interöts. II reprit Hd6e de
pousser le Bavarois k TEmpirc. Selon son habitude de vouloir con-
tenter tout le monde, il envoya Belle-Isle repräsenter la France k la
Diöte de Francfort, oü allait se faire l'&ection. Sans doute il n'6tait
pas fftch6 d'61oigner de la Cour le bruyant personnage.
Belle-Isle fit k Francfort en 1741 une entr6e triomphale. Devant
lui marchaient douze chevaux, tenus en main, douze voitures ä
quatre chevaux avec des couvertures de velours vert portant l'6cusson
de ses armes en bosse, et des bAtons de marächal de France entre-
lac6s de guirlandes d'or; cent cinquante valets de pied en livr6e
verte, avec culotte et veste £carlate, noeuds d'argent k l'6paule,
chapeaux galonn£s surmontäs de plumets verts des pages; vingt-
quatre seigneurs formant l'ambassade; le Chevalier de Belle-Isle;
De Blondel, envoy6 de France k la Cour 61ectorale de Mayence; le
Chevalier d'Harcourt. Belle-Isle montait un cheval süperbe, au
harnais ötincelant dor et de pierreries. II ne fut bientöt question ä
Francfort que des rSccptions de l'ambassadeur de France, de Fargent
qu'il faisait jeter au peuple, de ses laquais, de ses pages, courriers,
seerötaires, des cent personnes attach£es k sa cuisine et au service de
sa table. Pour föter la Saint-Louis, Belle-Isle döpensa en trois jours
plus de 60000 livres; en un an, il devait dissiper plus d'un million.
Cependant Fr6d6ric II, pröt avant tout le monde, avait envahi
la Sil6sie en däcembre 1740; au printemps d'apr&s, il entra dans
Breslau. Belle-Isle alla Ty trouver; il avait pouvoirde traiter avec lui;
mais Fleury, qui sc döfiait de ce jeune « fanfaron » de Fr6d£ric, avait
limit£ ce pouvoir. Belle-Isle devait assurer le Roi du prix qu'on atta-
chait ä son amitie et obtenir quil donn&t sa voix k T^lecteur de
Baviäre. II n'etait question ni d'alliance formelle ni de plan de cam-
pagne. Ces instruetions 6taient conformes k un projet de traitö qui
avait <H6 envoy6 de France k Fr6d6ric apr&s le döpart de Belle-Isle.
II n'y avait pas 6t6 dit mot d'une partieipation de la France k la
guerre. Mais Fredöric n'6tait pas homme k se contenter de si peu.
Aussi reprösenta-t-il qu'il ne s'engagerait pas k la legere; il 6tait
inquiet du cöt£ de la Russie,dont lesministres 6taient alors d6vou6s
k 1 Autriche, et il craignait tous ses voisins, Danemark, Hanovre,
126
CHAP. PR1M1BR
Du Ministkre de Fleury (1796-1743).
Saxe. II reprochait ä la France de ne s'ötre pas encore d6claröe,
m m6me pröparöe ä la guerre, de faire däpendre ses preparatifs mili-
taires de la conclusion d'un traite\ alors qu'il fallait faire Tinverse.
II parla de s'entendre avec Viennc, et il fit k une ligue avec la France
des conditions telles que Belle-Isle quitta Breslau le 2 mai, sans
avoir rien conclu. Fr6de>ic häsitait encore sur le parti ä prendre.
II nägociait avec les Anglais en möme temps qu'avec les Francis,
appelant les premiers « les totes les plus öpaisses » f et les seconds
« les gens les plus orgueilleux » de TEurope. Quand il vit qu'il n*y
avait rien k faire du cöt6 des Anglais, il se däcida pour une alliance
avec la France et renoua avec Belle-Isle. Un traite fut signö le
4 juin. Les conditions principales ätaient que la France soutiendrait
par ses armes l'61ecteur de Baviöre, de fagon qu'il püt tenir töte k
l'Autriche; qu'elle garantirait au roi de Prusse la possession de la
Basse-Sil6sie et de Breslau. Fr6d6ric renongait aux vieilles pr6ten-
tions de sa maison sur l'häritage de Berg et de Juliers en faveur de la
maison palatine de Sulzbach, diente de la France. II promettait de
voter pour l*61ecteur de Bavifere.
Quand ce traitä arriva k Versailles, il y eut grande Emotion.
Belle-Isle röclamait par lettres pressantes l'enträe en campagne. La
cour de France n'6tait pas si pressäe. Elle ne voulait pour le moment
que fournir de l'argent aux Bavarois et cnvoyer des troupes prendre
des quartiers d'hiver en Baviere et en Autriche, plus un corps sur la
Moselle. Fleury, qui s'6taft laiss6 peu k peu engager, entendait faire
le moins possible. Alors Belle-Isle, qui avait promis k Fr6d6ric la
mise en marche de trois grandes arm£es, vint ä Versailles sans
autorisation. Le 11 juillet, fut tenu un Conseil qui dura neuf heures;
on dit que Belle-Isle parla six heures ä lui seul. Deux autres jours
encore, on de1ibe>a. Belle-Isle travailla avec le Roi, avec Fleury, avec
le nouveau sccr6taire d'fitat de la guerre, Breteuil. II imposa son
avis. On d6cida que 30000 hommes seraient envoyäs en Westphalie,
pour inquiäter et contenir Tölecteur de Hanovre, roi d'Anglcterre, et
40 000 hommes en Bavterc. La premiere arm6e serait command£e
par Maillebois et la seconde par Belle-Isle. Les troupes se mirent en
marche k la mi-juillet.
Marie-Th6r6se, k ce moment, na que des ennemis. Elle a aflaire
k Tälecteur de Saxe et au roi de Sardaigne qui n'ont pas renoncä k
faire valoir leurs droits sur sa succession; au roi de Prusse; k
l'Espagne et k la Baviere qui se sont coalisöes avec la France par
traite conclu le 18 mai 1741 k Nymphenbourg, prfcs de Munich. Le
roi d'Espagne fait valoir sa qualite" de seul repräsentant de la descen-
dance masculine de Charles-Quint; il est>ere bien obtenir encore
LA GOERRB
DäClDtB
A VERSAILLES.
LES ENNEMIS DE
MAElE-THB'RäSB.
< 127
UJSpoque de Fleury et de la Succession d'Autriche. liyri n
d'autres Etablissements en Italie pour ses enfants. Enfin la France
est devenue la principale ennemie de Marie-Th6r&se.
marie-tiierese A la dtete de Presbourg, oü Marie-Th6r6se prit le manteau et
en hongrie. fo couronne de saint fitienne, le 25 juin 1741, les magnats de Hongrie
raccueillirent mald'abord, ne song&rent qu'ä röclamerleurs privilöges,
et ne lui permirent pas d'associer son mari Frangois de Lorraine ä
la royautä hongroise. Les d6lib6rations de la di&te dur&rent plusieurs
mois. Mais deux arm6es frangaises marchant contre l'Autriche, et
FAngleterre demeurant indäcise, Marie-Th6r&se proposa aux Hongrois
la lev6e en masse, qui fut vot6e d'enthousiasme en septembre 1741,
politiqde Un grand secours vint d'Angleterre k FAutriche. Les Anglais
de l'anglbtbrre. craignirent que TAllemagne, sous un empereur bavarois, ne füt k la
discrätion de la France. L'6lroite union de la France et de l'Espagne
semblait faire revenir le temps de la succession d'Espagne. D'ailleurs
l'Angleterre souhaitait une guerre gänärale qui lui permlt de s'em-
parer des colonies espagnoles et surtout des colonies frangaises, Le
traitö d' Utrecht avait enlev6 ä la France Terre-Neuve et l'Acadie,
mais lui avait laissä nie du Cap-Breton, pr&s de Terre-Neuve, et le
Saint-Laurent. Le Saint-Laurent, FOhio, le Mississipi ätaient des
voies par oü les colons frangais du Nord pouvaient communiquer
avec ceux de la Louisiane. Mais les colons anglais convoitaient le
cap Breton, rival de Terre-Neuve, et voulaient prendre poeition
entre le Canada et la Louisiane. Les sympathies de Walpole pour la
France lui 6taient reprochäes par l'opinion anglaise, comme une
espäce de trahison. Aussi, apr&s avoir promis ä Fleury de demeurer
neutre, il intervint en faveur de Marie-Th£r£se, qu'il räconcilia avec
le roi de Sardaigne, le 1 er fövrier 1742. Cependant, comme ü parais-
sait ne vouloir faire la guerre qu'ä demi, il fut renvers6 le 11 ffcvrier.
L'Angleterre allait fournir ä TAutriche des subsides, une armäe, et
combattre bientöt la France et l'Espagne.
campagnb Commandant de Tarmöe de Bavtere, Belle-Isle, au lieu de mar-
bn bohemb. eher sur Vienne, p6n6tra en Bohöme, aprös avoir laissä ä Lintz
un corps d6tach£, pour garder la Haute-Autriche. II prit Prague, oü
T6lecteur de Baviäre fut couronn6 roi, mais le marächal tomba
malade et quitta Tarm^e. II commit la faute d'y conserver des intel-
ligences, et de vouloir la diriger, de Francfort oü il 6tait retournÄ; ce
qui troubla la diseipline, et m6contenta son successeur, De Broglie.
Les troupes demeur6es sur le Danube furent bloqu£es par les Autri-
chiens, dans Lintz, qui capitula le 23 janvier 1742. C f 6tait de mauvais
augure pour lelecteur de Bavterc, qui fut £lu empereur k Francfort
le 24 janvier et prit le nom de Charles VII.
< 128 >
C1AP. PBEH1IR
Du Ministers de Fleury (17M74S).
Cependant le roi de Prusse suivait ses voies particuliöres. Au
Heu d'entrer en campagne pour soutenir les Fran$ais dans leurs Ope-
rations, il avait conclu avec Marie-Thäröse la Convention secr&te de
Klein-Schnellendorf, le 9 octobre 1741, qui lui donnait la Basse-
Sitesie pour prix de la cessation des hostilitös. Mais, craignant que
Marie-Th6rfcse ne se relevat trop vite, ce qui eüt mis sa conqu&te en
p£ril, il envahit la Moravie, la Boheme, et battit Charles de Lorraine
a Czaslau, le 10 mai 1742. On eut en France l'illusion de croire qu'il
allait devenir un allte efficace. II injuriait la reine de Hongrie, encou-
rageait Belle-Isle et de Broglie. C'6tait pour dissimuler ses n£go-
ciations avec rAutriche; sa victoire elle-m&me n'ätait qu'une phase
de ses n6gociations. A Breslau, le 11 juin 1742, Marie-Th6r&se lui
c£da la Siläsie haute et basse et la principautä de Glatz. De ses
alli6s, qui si mal conduisaient leurs affaires, il n 'avait eu eure. La
France demeura engagäe dans l'Empire pour la vaine gloire d'y sou-
tenir l'apparence d'empereur qu'ätait lölecteur de Baviöre.
La Situation militaire devint trfcs mauvaise en Boh&me. De Bro-
glie s'y empara d'Egra, le 20 avril 1742; mais les populations 6taient
autour de lui si hostiles que ses soldats ne pouvaient s'aventurer
hors de son camp. Toute Tarm6e fran$aise Gnit par &lre cernäe dans
Prague.
Belle-Isle 6tait retournä en Boheme, grandement diminu£ par
les revers, dont l'opinion le rendait responsable. II 6tait presque
tombä en disgrace. Le ministöre avait mis toutes les troupes sous le
commandement de De Broglie, Belle-Isle demeurant auprös de lui
ä titre de conseiller.
Pour aider la retraite de l'arm6e de Boheme, ordre fut donn6 a
Maillebois d'aller au-devant d'elle avec l'armle de Westphalie. Mail-
lebois s'avanca sur le haut Eger, mais ne voyant pas que Broglie et
Belle-Isle eussent Tid6e de marcher vers lui, il se replia vers la Bavi&re.
Maillebois fut disgraciä; de Broglie re^ut l'ordre d'aller le rem-
placcr ä la tdte de l'armöe, et Belle-Isle celui de sortir en hate de
Prague, et d^vacuer la Boheme. Im retraite de Prague fait honneur ä
Belle-Isle, qui la conduisit, mais par-dessus tout ä l'endurance des
soldats. Une nuit d'hiver, ii 000 hommes d'infanterie, 3000 cavaliere,
300 voitures et 6000 mulets sortirent, £chapp£rent ä Tennemi, et, avec
une rapiditl surprenante, mareherent vers Egra, quils atteignirent en
cinq jours, malgrä neige et verglas. La petite troupe d£cim£e, ayant
perdu ses transports, mais gard6 ses canons, rentra en France. Che-
vert, demeura dans Prague avec 4000 hommes 6puis4s de privations,
menacait les Autrichiens de mettre le feu aux quatre coins de la ville.
11 ne pouvait plus tenir; ses hommes avaient dävorö les chevaux, les
L'äLBCTBUR
DB BAV1BRB
äLO
BMPBBBOB (H49),
DäFBCTION
DB FBtDtBJC.
DB BBOCUB
BN BOUBMB.
BBTBAJTM
DB PBAGÜB.
1»9
VIU. 2.
'itpoqi
uvmm n
chiens, les chats et jusqu'aux rats. Le 2 janvier 1743, il obünt de
sortir avec tous les honneurs de la guerre.
US DBBNEäRBS
ANNäES
DO CARDWAL.
INTRIGÜBS
COHTRE LUI.
V. — LA MORT DE FLEÜRY
QUAND Belle-Isle ramena en France les restes de son armöe, le
Cardinal venait de mourir, le 29 janvier 1743 II 6taitnonag6-
naire. Depuis quatre ou cinq ans, on le disait tantdt mourant, tant6t
ä la veille de se retirer volontairement. Mais plus il se seniait envi6
et menac£, plus il sattachait ä sa place. Les courtisans prädisaieat
sa chute et nommaient son successeur, Tencin ou Maurepas, Ghau-
velin ou Belle-Isle. Un moment, on put croire que Louis XV aUaü
se däbarrasser du vieillard, sans le disgracier. Le Saint-Siöge devmt
vacant, par la mort de Clement XII, en 1740, et Fleury parut avoir
toute chance d'Gtre 61u pape. Louis XV projetait d6j&, disait-on, de
le conduire ä Marseille et de l'y embarquer; mais le conclave fit choix
<Tun Italien, Prosper Lambertini, qui prit le nom de Benolt XIV.
Deux ans avant sa mort, Fleury fut tr&s menacä par une mattresse
du Roi, Pauline de Nesle. Elle l'emp6chait, dit d'Argenson, de voir
Louis XV « plus d'un quart dheure par semaine ». Belle-Isle, qui
6tait alors tout-puissant, la secondait. Tout un parti se formait pour
faire entrer au Conseil, comme ministres dfitat ou ministres saus
däpartement, des amis des ultramontains et du clan d£vot des
Noailles, le cardinal de Tencin et le comte d'Argenson. Ils y entrfe-
rent le 25 aoüt 1742. Fleury, combattu par presque tous ses collö-
gues, etait soutenu seulement par Amelot, un incapabie, par Orry,
« un tyran ». « Cagneux comme un cheval us6 », il se maintenaii
malgrä tout. II surveillait la cabale adverse, caressait ses ennemis,
surtout le valet de chambre du Roi, Bachelier, qu'il soupQoanait4e
vouloir faire rappeler Chauvelin. II avait, dit le marquis d'Argenson,
« des ruses de vieux singe ». Jusqu'ä son deraier Souffle, il voulot
gouverner et gouverna.
c i3o i
CHAPITRE II
LA COUR, LA F AMILLE ROY ALE ET LES
PREMIÜRES MAITRESSES. LES MINIS TRES ET
LE ROI
1. LA FAM1LLB ROTALB '. LB ROI, LA RBUfB, LB DAUPHIN, MBSDAMBS; LB8
PBJÜGB8. — U. LE8 PRBMIERBS MAITBJSSBS : MB80AMB8 UE MAILLY, DB VHITIMILLE BT DB
CBATBAUBOUX.
/. — LA F AMILLE ROY ALE : LE ROI, LA REINE,
LE DAUPHIN, MESDAMES; LES PRINCES 1
LOUIS XV est « impän&rable et indtänissable », dit D'Argenson* nuiorrt do not
il a une u attitude impassible », ajoute le policier Mouhy. C'eat
d'abord qu'il est un timide; on dirait qu'il a « un sort sur la langue ».
Quelquefois il veut parier et ne peut. Dans ses räponses aux
harangues, les mots sortent päniblement; m£me aux pr&entations
des dames ä la cour, il est muet. Ses maitresses, les soeurs de Nesles,
i. Soumcas. D'Argenson (t. I, II, IV, V, VI, VII, VIII), Barbier (t. II et III),
[Duc de], (t I, III, IV, V, VI, VII, VIII, IX, XI et XX), Correspondance de Louis XV et du
mariehat de Noaittes; Moufle d'Angerville (t. II); VolUire (Pricu da regne), Henanlt,
Choteeul, deja cites.
Senac de Meilhan Le goaoernemenl, les maars ei les condilions en France avanl la Revo-
lution, Paris, 1861. Dufort, comte de Chererny, Mimoires, Paris, 1886. a rol.. t I. Journal
inedit da lieutenanl genital de poUoe Fegdeau de Mamille (17^), p p- P. d'Estree (pseudonyme
de Qaentio), Paris, 1897; Lettre* inidite* da roi Stanislas, dae de Lorraine et de Bar, ä Marie
Leczinska (1754-17$$), p. p. Pierre Boye, Paris, 1901. Monbarrey (Prince de), Memoire* oafa-
graphes. Paris, i8a&-i8a7, 3 vol.
Ounuois a coasm/nui. Lacretelle (t. III), Michel« t. Jobez (t. III), de Garne (La Monar-
chie francaise au XVIII 9 sieck), AuberUn, Bonhomme (Louis XV et sa famiüe), de Nolbac
(Louin XV et Marie Leczinska), Masson (Mme de Tencin), de Goncourt {La dachesse de CM-
kauroux), Perey (Le prtsident Hinaalt), Marquis« des Reaulx. Stryeaskl (Le Gendre eh
Laut» XV)- Dussieuz (Le chdteau de Versailles), deja cites. Taioe, Les OHgines de la Franm
contemporaine, t I : L Anden Regime, Paris, 1877; de Broc La France soms t Anden JttfB«*,
Paris, 1887-1889, 2 vol. Witt (Cornelia de), La Soditi francaise et la SocUM anglake am
XVIII* siede, Paris, 1864. Boutaric, Stade sur k caractere et la poliUque perscsmeMe 4*
Look X V, en tete de : Correspondance secrite inedite de Louis XV... aoec k tomle de Bragtk,
Teroier, etc., Paris, 1886, a vol. P. d'Estree, Un journalkte polkkr : k chooalkr ek Mauhg
< i3i >
Lßpoque de Fleury et de la Succession d'Autriche. liyri n
l'aideront ä vaincre « le sort »; mais il aimera toujours ceux qui
parlenl peu ou point et qui ne fönt pas de bruil. II sait gr6 &
Mme Amelot, femme du secrötaire d'ßtat, de l'extr6me embarras
qu'elle resseni en sa pr6sence; il la fait souper dans les « cabinets »,
ravi de trouver quelquun plus timide que lui. II n'aime pas les nou-
veaux visages; la crainte d'en voir lui a fait garder des ministres
plus longtemps qu'il n'aurait fallu.
sbs bizajwbribs. H a des mouvements d'humeur qui peuvent, si on les contrarie,
tourner en acc&s de fureur. II a aussi des bizarreries d'hypocon*
driaque comme son oncle Philippe V d'Espagne II parle frequem-
ment de maladies, d'opärations chirurgicales, de mort; il trouve une
sorte de jouissance ä demander aux vieillards et aux gens maladifs
oü ils comptent se faire enterrer. Un jour qu'il passe en voiture
avec Mme de Pompadour aupres d'un cimetiere, il fait arreler, et
envoie un 6cuyer voir s'il y a quelque tombe fratchement remuee. A
M. de Fontanieu qui saigne du nez, il dit froidement : « Prenez garde,
Monsieur, ä votre äge, c'est un avant-coureur de l'apoplexie ». Quand
Mme de Chateauroux tombe malade ä Reims, en 1744, il ne parle
plus que du tombeau qu'il conviendra de lui Clever. Au moment oü
le corps de Mme de Pompadour est empörte de Versailles, il se met
ä une fenötre, tire sa montre et calcule l'heure ä laquelle le convoi
arrivera ä Paris.
II a des id6es et des mots qui deconcertent. II s'amuse ä lire ä
ses mattresses les sermons de Bourdaloue. II aurait 6crit ä son homme
de confiance, Bertin, en 1758 : « Ne placez pas sur le Roi; on dit
que ce n'est pas sür ». De Luynes raconte qu'en apprenant la mort
de M. de Mailly, mari dune de ses mattresses, il alla l'annoncer ä la
Reine; comme le pauvre homme ne paraissait jamais ä la Cour, la
Reine demanda : « Quel Mailly? » Le Roi aurait repondu : « Le v6ri-
table. »
sa DävonoN. Louis XV ne manque jamais de faire sa priere matin et soir, et,
chaque jour, il entend la messe. II a, dit Moufle d'Angerville, un livre
d'heures « dont il ne leve pas les yeux, et le mouvement de ses levres
marque qu'il en articule chaque mot. II assiste a v6pres, au sermon,
au salut. Plein de veneration pour les ministres de la religion, il a
en horreur les indevots. » II suit les processions, s'agenouille dans la
(Rem« d'histoire litteraire de la France, t. IV. i5 avril 1897). Barthelemy (E. de), Mesdames
de France, fllles de Louis XV, Paris, 1870. Broglie (Emmanuel de}, Le fils de Louis XV; Louis,
daaphin de France (1799-1765), Paris, 1877, de Grandmaison (C), Mme Louise de France,
Paris, 1906 Lion, Le President Htnault, Paris, igo3. De Nolhac, Le voyage de Meft; chre~
niqae de la Cour de France, 1744 (Revue politique et litteraire, 3 et 10 novembre 1900).
Stryienski, La mere des trois demiers Boarbons, Marie-Josiphe de Saxe et la Cour de Louis XV,
Paris, 190a.
< i3a >
chap. n
La Cour.
nie sur le passage du viatique; mais ni la ptete ni la crainte de
Fenfer ne le preserverent d aucune sorte de vices.
Louis XV n'eut qu'une grande qualite, la bravoure. Au stege de
Menin, en 1744, il s'exposa comme un soldat, et dlna dans la tranchte.
Lann6e suivante, ä Fontenoi, la veille de la bataille, il chanta;
quand l'action fut engagäe, il se montra sens£ et ferme au milieu d'un
d&arroi qui pouvait tout perdre. En face de lennemi on eüt dit qu il
se transfigurait. II fut fier d'Gtre le premier roi de France qui, depuis
la bataille de Poitiers, se füt mesure" avec les Anglais.
Intelligent et sagace, il aurait fort bien pu gouverner par lui-
m&ne. II en avait manifeste l'intenlion lors de la disgrftce de
Bourbon, en 1726, et il la manifesta de nouveau apr^s la mort de
Fieury. II declara aux secrätaires dfitat quil travaillerait avec eux,
et ne mettrait personne entre eux et lui. Mais il ne tint pas sa pro-
messe et la France fut gouvern^e, comme dit Fr&teric II, par des
« rois subalternes », independants les uns des autres, et qui ne se
communiquaient pas leurs affaires, les secr^taires d'Etat.
SA BRAVOURE.
SES VBLUtlTtS
DE TRAVAIL.
Le Roi assistait r^gulierement au Conseil den haut, dont fai-
saient partie : le duc d'Orläans, qu on n'y voyait jamais; le cardmal
de Tencin, de qui la soeur 6tait devenue l'Amphitryonne des 6crivains
et des philosophes; le duc de Noailles, Fanden membre du conseil de
rägence et präsident du conseil des Gnances, devenu marächal de
France aprös la prise de Philipsbourg; les secretaires d'Etat de la
Guerre, de la Marine et des Affaires ötrangeres; le Contrtleur g6n6ral
Orry '. II n'y avait aucun accord entre ceshommes. Ils sejalousaient.
Le cardinal de Tencin avait esptfre" la succession du cardinal Fieury.
Noailles essayait de s6duire le Roi en lui prSchant des maximes ä la
Louis XIV; il se donnait des airs de premier ministre; c'ltait, disait
le marquis d'Argenson, un « inspecteur importun », qui, n*6tant
« mattre de rien », « se melait de tout ». Maurepas cachait maintes
qualites sörieuses sous ses airs de frivolitä. Comme il avait Paris dans
son däpartement de secrätaire d'Etat et qu'il y exercait la haute
police, il amusait le Roi par des nouvelles, des cancans et des chan-
sons. II avait des liaisons avec la famille royale et avec les d6vots.
Les d'Argenson, qui tenaient deux secrätariats d'Etat, d6tenaient une
i Au secrttariat de la Guerre, Breteuil a succ6d6 a Augcrvilliers en 1740, et le eomto
d'Argenson ä Breteuil en 17481 Maurepas a garde le secre 1 tariat de la Marine, ei Amelot
celui de« Affaires ötrangeres, oü il sera remplad par le marquis d'Argenson en 1744. —
Ni le chancelier d'Aguesseau, qui avait repris les sceauz apres la disgrice de Chauvelin,
nl Saint-FlorenUn, secretaire d'Etat des aflTaires de la religion reTonnee, n 'avait entree an
Conseil d'en baut. — Sur le Conseil d'en haut, les ministres et les secretairea d'Etat, voir
But. dt France, VII, 1, p. i5o.
LE CONSEIL
PEN BAUT.
« t33 >
mm
VEpoque de Fleury et de la Succession d'Autriche.
uvhi n
LB uCOMITE»
LS « SBCRBT
DU ROI:
grande part d'autoritö dans le gouvernement, et l'auraient voulue
plus grande encore. Pour faire marcher ensemble ces personnages, il
eüt fallu la ferme volonte du maitre. Louis XV ne se donna pas la
peine de cette volonte. II savait les ambitions et les intrigues de ses
ministres; sans doute, il les mäprisait. Chacun continuait donc ä ne
soccuper que de ses affaires et de ses intäröts. Le Conseil oü ils se
räunissaient 6tait un « conseil pour rire ».
Lorsqu'Amelot, en 1744, se fut d6mis du secr&ariat d'fitat des
Affaires 6trangöres, le Roi eut la vell£it6 de se r&erver la directum
des relations exterieures. II annon$a qu'il recevrait lui-m6me les
ambassadeurs et que deux commis rädigeraient les d6p£ches en son
nom. Mais il se lassa vite de ce travail, qui retomba sur le « comitä »„
On appelait ainsi un Conseil qui avait 6tä ötabli au temps du Cardinal
pour pr6parer l'£tude des questions. Le comitö se r6unissait chez le
cardinal de Tencin ; Maurepas et Noailles en faisaient partie. D'aprös
le marquis d'Argenson, c'6tait une p£taudi6re :
« On n'y aurait pas entendu Dieu tonner. Le marecbal de Noailles s'y pre-
nait auz crins avec tout ce qui lui disputait quelque chose; il frappait des
pieds, faisait yoler son chapeau par la chambre... Monsieur de Maurepas ffla-
pissait et riait de tout, et donnait des epigrammes pour des maximes d'Etat
indubitables. Le cardinal de Tencin recourait ä Moreri * & chaque notion des
plus communes qu'il ignorait, ce qui revenait souvent. »
Au reste, le Roi rätablit les choses dans l'6tat oü elles ätaient
avant la d&nission d'Amelot. L'annäe ne s'£tait pas 6coul6e quand il
donna au marquis d'Argenson le secr&ariat des Affaires 6trang6res.
Louis XV avait Tair de se d6sint6resser absolument de ses affaires.
Mme de Tencin 6crivait, en 1743, ä propos du Conseil den haut :
• Ceux qui voudraient s'y occuper serieusement sont obligea d*y renoncer
pour le peu d'interel que le Roi a l'air d*y prendre. On dirait qu'il n'est pas du
tout question de ses affaires. II a ete accou turne & envisager Celles du royaume
comme lui etant personnellement ötrangeres. >
Mme de Tencin se trompait. Le Roi s'intäressait ä ses affaires,
mais a part lui, en cachette. Une des plus grandes bizarreries de ce
personnage Strange, c'est qu'il se donna une police secr&te et qu'il
eut pour les Affaires 6trangöres des agents particuliers. II avait un
secret, « le secret du Roi ». Mais il ne faisait rien des renseignements
qui lui parvenaient; il laissait commettre des erreurs et des fautes
qu'il voyait telles. Sans doute il <Hait paralysä par la timiditä, par la
i. Le Diclionnairt historique de Moreri avait ete public pour la premiere fois en 1078, en
un vol. in-f°. II avait et* ensuite corrige et accru dans des editions successives; Celle de
1783 avait 6 vol. in-f*. La derniere, celle de 1759, est en 10 vol. in-f*. Elle est encore tre»
utile aujourdhui.
< 1 34 >
chap. n
La Cour.
paresse, et par l'ennui. L'ennui, ont dit les Goncourt, « frappe
d'impuissance les dons heureux de sa natura; il räduit son intelli-
gence ä lesprit, et il fait son esprit mordant, sceptique et sterile; il
vieülit, d£sarme et 6teint sa volonte; il 6touffe sa conscience ».
Presque oranger au gou verneinen t, Louis XV partageait son
temps entre ses plaisirs. II chassait avec fr&tesie, courait le cerf au
moins trois fois la semaine, le chevreuil et le sanglier entre temps.
En 1738, il prit, dit Luynes, cent dix cerfs avec une meute, quatre-
vingt-dix-huit avec une autre, et il forma une troisieme meute.
« Le Roi, dit d'Argenson, fait v£ritablement un travail de chien pour ses
ehiens; des le commencement de rannte, il arrange tout ce que les animaux
feront jusqu'ä la fin. 11 a cinq ou six equipages de ehiens. >
II s'oecupait ä combiner la force de chasse et de marche des
meutes. II calcule avec le plus grand soin leurs däplacements sur le
calendrier et sur la carte.
« On pretend, ajoute d'Argenson, que Sa Majeste menerait les financeg et
Tordre de la guerre ä bien moins de travail que tout ceci. •
Mais on 6tait habituä ä voir le Roi ne s'interesser qua ce tra-
vail, si un jour il ne chassait pas, on disait : « Le Roi ne fait rien
aujourd'hui ».
De bonne heure il a aim6 la table, le vin, et ces parties des rendez-
vous de chasse, oü de petites tables, montees par une trappe au moyen
dun ntecanisme, apportaient les mets et les boissons aux convives
qui se passaient de valets. Un jour qu'il se pr&enta chez la Reine
aprös une de ces orgies, il fut mal regu par eile.
LES PLAISIRS :
LA CHASSB.
LA TABLE.
La Reine, qui netait pas belle, avait de la gr&ce. Un 16ger accent la rbinb-
6tranger donnait du charme & sa voix. Tr6s bonne, eile donnait
chaque annee aux pauvres les 100 000 livres dont eile disposait, et
m6mc eile vendait ses bijoux pour payer ses charites. Quand il le
fallait, eile prenait le grand air; raais eile gardait, de la vie modeste
quelle avait men6e naguere, un train bourgeois et mesquin. D'mtel-
ligence m6diocre, eile faisait des lectures s6rieuses qu'elle ne com-
prenait pas toujours. Elle exagärait les pratiques de la religion.
Mediocre musicienne, eile ennuyait Louis XV ä jouer du clavecin,
de la vielle et de la guitare. Le Roi trouvait ridicules les essais de
peinture dont eile avait la candeur de lui faire hommage.
Le couple royal fit assez longtemps bon menage; de 1727 ä 1737 lbs dix bnfants.
naquirent dix enfants. Mais cette fecondite fatigua la Reine et la
vieillit. Comme eile nötait pas coquette, eile ne se dlfendit pas; eile
eut Fair d'avoir vingt ans de plus que son mari qui la deUaissa. II fal-
* i35 >
L&poque de Fleury et de la Succession (TAutriche. utri n
LA REINE
SANS CREDIT.
LA BONNE CHERE.
LES SOIR&BS.
lut alors quelle s'habituftt au regime des maltresses, tantöt mal-
traitäe, comme par « I'infernale duchesse de Ch&teauroux », tantöt
m£nag£e, comme par Madame de Pompadour, & propos de laquelle
eile dira ; « Puisquil faut absolument que le Roi ait une maitresse,
j'aime mieux celle-lä qu'une autre ».
Depuis que le Roi la dedaignait, eile elait sans credit ä la Cour.
Essayait-elle de recommander un officier au secrätaire d'fitat de la
Guerre, celui-ci la renvoyait ä Fleury, qui « se renfrognait » Si eile
se plaignait au Roi, eile s'attirait cette reponse : « Que ne m'imitez-
vous, Madame? Jamais je ne demande rien ä ces gens-lä ».
Marie Leczinska se consolait par des plaisirs m£diocres. Elle
disaii, en plaisantant : « Que faire quand on s'ennuie? II faut bien
se donuer des indigestions; c'est toujours lä une occupation. » Elle
faisait de petils soupers avec Mmes de Villars et d'Armagnac. Son
dtner, en son particulier, ötait de vingt-neuf plats, « sans compter
le fruit », et plus abondant au grand couvert. Elle mangeait « avec
räflexion » ; et le marquis de Flamarens, grand louvetier, qui passait
pour le plus fort mangeur de France, venait assister ä ses repas.
Le soir, eile allait chez quelque dame du palais, surtout chez
les duchesses de Villars et de Luynes, ou bien recevait chez eile.
Pauvres röunions, k en croire le comte de Cheverny. II y venait les
« dames Valides de la Cour », Mmes de Mazarin, d'Egmont, de
Nivernais, le duc de Luynes, le cardinal de Rohan, de vieux cour-
tisans, quelques officiers des gardes du corps, quelques capitaines
des gardes, ceux-ci souvent & contre-coeur. On jouait le cavagnol
de sept k neuf heures. Le lecteur Moncrif däbitait des vers; le
Präsident H£nault, des vers aussi et des chansons. Ce petit cercle
prit une couleur politique. Lä se rencontraient le Dauphin et ses
soeurs, les dävols, les Constitutionnaires, et des hommes politiques,
comme Maurepas, Tencin et le comte d'Argenson, qui, par leur
assiduite chez la mere, se faisaient valoir aupres des enfanls.
LE DAUPHIN
/7IM7M).
Des dix enfants de Marie Leczinska surv£curent un fils et six
filles : le Dauphin Louis, Mesdames Elisabeth et Henriette, soeurs
jumelles, Madame Adelaide, Madame Victoire, Madame Sophie,
Madame Louise, que Louis XV appelait « Madame Derniere ».
La naissance du Dauphin, le 4 septembre 1729, fut accueillie
avec enthousiasme. Paris eut des fctes splendides; Louis XV vint y
entendre un Te Dewn, soupa k THölel de Ville et Ot jeter au peuple,
en pieces d'or ou dargent plus de trente mille livres. Samuel Ber-
nard ouvrit sa maison k tout venant et fit couler le vin k flots; il
depensa de cinquante k soixante mille livres. Pendant huit jours,
i36
CHAP. II
La Cour.
des bandes d'ouvriers et de hareng&res partirent pour Versailles, au
son des violons, et allärent s'amasser dans la cour de marbre, pour y
crier : Vive le Roi !
Le Dauphin eut pour präcepteur un prälat moliniste, Boyer. II
6tudia le droit public, la diplomatie, et, choses nouvelles dans l'6du-
calion princiöre, l'agriculture et la litt£rature anglaise. Son gouver-
neur, Ch&tillon, austöre et d6vot, encouragea son inclination ä la d6vo-
tion ötroite. Le prince aimait k ce point la musique d'6glise qu*on
lui faisait la räputation de chanter vöpres & la journäe. On disait
aussi qu'il s'enfermait pour se donner la discipline et räciter son
br6viaire.
II 6tait naturellement Tennemi — jusquä Thorreur — des idäes
nouvelles et des äcrivains qui les röpandaient. II dätestait la conduite
de son p&re et tömoignait son aversion aux mattresses. II se tenait ä
T^cart autant qu'il pouvait et avait l'air de conspirer.
Le Dauphin öpousa, le 23 fövrier 1745, Marie-Th6rfcse-Antoinette
d'Espagne, qui mourut en 1746, apr&s avoir accouch6 d'une fille ; il se
remaria le 10 janvier 1747. Marie-Josephe de Saxe, la seconde Dau-
phine, 6tait assez jolie, pas trfcs intelligente, tr&s pieuse, pas tr&s
aimable; eile ne prit pas dempire sur son mari. Elle fut la möre de
Louis XVI, de Louis XVIII et de Charles X.
De Mesdames, la seule qui se maria fut l'alnäe, Louise-Elisabeth.
Elle 6pousa en 1739 Don Philippe d'Espagne, qui devint duc de
Panne, pauvre seigneur vivant dans un palais d£labre; eile nelaima
pas et ne fut pas aim6e par luL La seconde, Henriette, eut son
roman d'amour. Elle aima le duc de Chartres, fils du duc d'Orltans,
mais le Roi ne permit pas qu'elle l'lpous&t. Quand le jeune prince
vint lui annoncer quil allait se marier avec MUe de Conti, eile lui
pouhaita tout le bonheur possible. On a racontä qu'en apprenant que
la duchesse de Chartres se conduisait mal et que le duc ätait malheu-
reux, eile tomba malade d*un mal dont eile mourut. Mme Adelaide,
la troisteme fille, 6tait le contraire d'une m£lancolique. A onze ans,
eile parlait d aller en guerre contre les Anglais, de dormir, comme
Judith, avec leurs g6n6raux pour les assassiner, et ramener les
ennemis vaincusauxpiedsde « Papa-Roi ». Elle 6taittrfcs intelligente,
parlait l'italien et Tanglais, ötudiait les math&natiques, construisait
des horloges. Elle jouait du clavecin, du violon, du cor, de la guim-
barde. L'6tiquette la gönait, et la ftchait; eile avait de libres allures,
au point qu'elle se compromit avec un garde du corps. Elle se servait,
pour qualifier ceux qu'elle n aimait pas, de mots ä ne pas redire. Le
Roi l'appelait « MmeTorchon ». Les trois dernifcres Mesdames avaient
6tA 61ev6es ä l'abbaye de Fontevrault ; Victoire, qui suit partout Ad6-
SA Pt&Ti.
LBS DBUI
DAOPBINBS.
MBSDAMBS
DB FRANCS.
.3 7
L&poque de Fleury et de la Succession d % Autriche
LivKi n
SBNTIMBNTS
PATERNBLS
DU ROI.
laude comme un chien suit son maltre, est nonchalante et molle, et
se plalt k table, comme la Reine, sa möre; Sophie regarde de cöt6
comme les li&vres; est timide, effarouchöe, le bruit du tonnerre
l'affole; Louise, toute petite, espiögle, cavaliöre passionnäe, a pour-
tant des inclinations devotes, et mourra au Carmel. D'ailleurs, Mes-
dames sont toutes de pieuses personnes.
Le Roi les aimait; il avait plaisir, quand elles ötaient petites, ä
les voir chez elles. II leur faisait « cent caresses » et elles l'adoraient.
Comme il se piquait de talents culinaires, il leur portait des « ragoüts »
accommod6s de ses mains, pour les manger en famille. « La tendresse
du Roi pour ses enfants, 6crira en 1750 Mme de Pompadour, est
incroyable, et ils y röpondent de tout leur coeur. » Louis XV se
d&acha de son fils quand il erat le voir devenir le chef d'une Opposi-
tion; mais, si le Dauphin tombait malade, le sentiment paternel repre-
nait vite le dessus. Dös que Mesdames furent des jeunes filles, elles
menörent une vie de reprösentation. Quand le Roi 6tait ä Versailles,
elles allaient chez lui tous les jours en habit de Cour pour l'accom-
pagner ä la messe. La messe dite, elles revenaient chez elles changer
de costume, et attendaient l'heure du dlner oü elles devaient encore
« reprösenter ». Elles reprenaient la robe de Cour, pourse trouverau
d£bott£ du Roi et enfin au jeu de la Reine. Une « dame de semaine »
se plaignant k Mme Adelaide d'Gtre habilläe et döshabillöe quatre fois
par jour, et de n'avoir pas un quart d'heure dont eile püt disposer, la
princesse röpliqua : « Vous en 6tcs quitte pour vous reposer une
semaine; mais moi, qui fais ce Service toute l'annäe, permettez que
je garde ma piti6 pour moi-m6me ».
Mesdames 6taient, comme leur fröre, les ennemies des favorites
et les protectrices du parti dövot. Madame Adelaide 6tait le chef de
ce qu'on pourrait appeler le parti de la famille.
LBS PBINCBS
DU SANG.
Les princes du sang sont demeuräs sans credit durant tout le
rtgne. Les d'Orlöans se tiennentä l'6cart. Louis, fils du R6gent,aprös
avoir perdu sa femme, tombe en m61ancolie, se retire & l'abbaye de
Sainte-Genevi&ve et se soumet k de telles aust6rit6s qu'il en perd
Tesprit; il meurt en 1752. Son fils, Louis-Philippe, aprfes avoir pris
pari ä quelques campagnes, ira mener k Bagnolet l'exiatence d'un
grand seigneur lettre. Le prince de Cond6, M. le duc, achöve sa vie
dans une espöee dexil k Chantilly. Le prince de Conti, sp£culateur
qui sdtait signalö au temps du Systeme par sa cupidit6, Lieutenant-
g6n6ral en 1736, g£n6ralissime desarmöes de France et d'Espagne
en Italie, en 1744, et chargä dun commandement aux Pays-Bas,
en 1746, sera mis k löcart par Mme de Pompadour; il prendra parti
i38
CHAP. II
La Cour.
pour les Parlementaires, et Louis XV l'appellera : « Mon cousin
l'avocat ». Le prince de Dombes, fils du duc du Maine, est des plus
effac6s. Le duc de Penthtevre, fils du comte de Toulouse, devient
amiral de France en 1734, grand veneur et gouverneur de Bretagne
cn 1737; il parattra aux arm6es, pour ensuite vivre dans la retraite.
Sa fille £pousera Louis- Philippe d* Orleans; eile sera la mfcre du roi
Louis-Philippe I er .
//. — LES PREMIERES MAITRESSES; MESDAMES
DE MAILLY, DE VINTIMILLE ET DE CHATEAUROUX
L'fiRE des mattresses, qui devaient 6tre k la Cour et dans le gou-
vernement de bien plus importantes personnes qu'elles n'avaient
6t6 au temps de Louis XIV, commen$a discrötement en 1733 Que le
Roi prlt une mattresse, cela ne pouvait 6tre un objet de scandale pour
ses sujets. « Sur vingt seigneurs de la Cour, dit l'avocat Barbier, il y
en a quinze qui ne vivent point avec leurs femmes, et qui ont des
mattresses. Rien n'est m^me si commun ä Paris, entre particuliers;
il est donc ridicule de vouloir que le Roi, qui est bien le maltre, soit
de pire condition que ses sujels et que tous les rois ses pr6d6ces-
seurs. » Les courtisans entreprirent donc de « d6niaiser » Louis XV.
Mme de Mailly, fille du marquis de Nesle, femme du comte Louis-
Alexandre de Mailly, dame du palais de la Reine, se pr6ta au jeu.
Elle avait trente ans, des yeux noirs et hardis, de Tentrain ; dans les
soupers du Roi, eile tenait töte aux hommes le verre en main. Elle
ne coüta pas trös eher k son amant. Chauvelin lui donna quelque
argent pris sur les fonds de son minist&re. Aprfcs qu'il eöt 6t£ dis
gracte, les Iib6ralit6s devinrent plus rares. Le vieux cardinal n'avait
fait au Roi, k propos de ce premier d6sordre, que des remontrances
assez douces; mais il entendait bien ne pas financer pour plaire k la
dame. Quand Mme de Mailly traitait le Roi, eile empruntait des flam-
beaux d'argent pour la table et des jetons pour le jeu. On disait
qu'elle portait des chemises troudes. Quand eile quittera la Cour,
eile aura, au dire de Luyües, pour plus de 600000 iivres de dettes
Elle obtint du moins les distinetions qui dösignaient au public une
favorite. Elle se promena dans les voitures du Roi, lui offrit le pied
de cerf au retour des chasses, s'assit k c6t6 de lui dans les soupers
des cabinets, eut une place en vue au jeu et k la chapelle. Elle prit
m&me une certaine influence, du jour oü sa sceur, Pauline de Nesle,
lui eut d6montr6 la n6cessit6 davoir un parti k la Cour. Elle fit
nommer Belle-Isle ambassadeur extraordinaire et ptenipotentiaire k
la di^te de Francfort et lui obtint une mission auprös des älecteurs ei
ONE THiORJB
DE BARBIEB.
MADAME
DE MAILLY.
,5 9
MADAME
DB VINTtMILLB.
UEpoque de Fleury et de la Suc cessio n d'Autriche. livri q
des princes d'Empire ; il y eut comme partie ltee enlre eile et Belle-
Isle. Une fois la guerre engag6e en Allemagne, le secr&aire dfitat
de la guerre, Breteuil, fit assez de cas d'elle pour rinstruire au jour
le jour des 6v6nements, comme il en instruisait Fleury.
Mme de Mailly s^tait donn6 une rivale en la personne de cette
sceur Pauline; eile Favait pr6sent6e le 22 septembre 1738 au Roi, qui
s^prit d'elle, tout en gardant sa premtere maltresse. Pauline 6tait
une grande fille laide, hardie, spirituelle, qui avait annonc6, d&s le
couvent, que le Roi Taimerait et qu'elle gouvernerait la France et
TEurope. Le Roi la maria ä un M. du Luc, marquis de Vintimille,
petit-neveu de TarchevÄque de Paris, la dota de 200 000 livres, et lui
donna l'expectative d'une place de dame du palais de la Dauphine,
avec 6 000 livres de pension et un logement ä Versailles. Elle fut la
forte töte de sa famille et la premiäre mattresse politique. Elle äcrivit
& Louis XV plus de deux mille lettres en deux ans et forma le projet,
que reprendra plus tard la duchesse de Chateauroux, de tirer le 'Roi
de son apathie, et de lui apprendre ä vouloir. Elle seconda Belle-Isle
dans sa politique anti-autrichienne et complota le renvoi du cardinal
Fleury, qui la gönait. Mais, apr&s avoir mis au monde un Gls, eile
mourut, le 9 septembre 1741.
Le Roi fut trös 6mu de cette mort. II ne mangea ni le soir de la
mort, ni le lcndemain; il se laissa entralner ä la chasse, mais sans
dire un mot ä qui que ce füt. II semblait, dit le duc de Luynes, que
les « r^flexions de religion » amenassent en lui « un grand combat ».
Peu ä peu, Mme de Mailly le ressaisit. Pour distraire cet ennuyä, eile
sadjoignit ses trois jeunes soeurs, Mmes de Flavacourt, de Laura-
guais et de La Tournelle. II ne paratt pas que Mme de Flavacourt
soit devenue la mailresse du Roi ; Mme de Lauraguais, au contraire,
l'aurait s6duit par sa gatt6 et ses plaisanteries. « Grosse vilaine »,
courte et vulgaire, dit D'Argenson, eile s'amusait aux ridicules
des gens, appelait Saint-Florentin « le cochon de lait », Orry
« le hörisson », le comte d'Argenson « le veau qui tette », et Mau-
repas, « le chat qui Gle ». On la crut un moment ä la veille d'6tre
mattresse en titre; mais cet honneur 6tait r^servö a Mme de la
Tournelle.
Mme de La Tournelle avait un teint 6blouissant, de grands yeux
db chateauboüx bruns, des lfcvres charnues et rouges, une d6marche 616gante et
souple, de la majestä. Conßante en la puissance de sa beaut6, eile
rösolut de devenir la maitresse du Roi ä des conditions qu'elle dicte-
rait. Le duc de Richelieu offrit de la servir; il composa les lettres
damour qu eile et lc Roi 6chang6rent, et il traita de la capitulation
de la dame comme il eüt fait pour une place de guerre. Elle ne vou-
MBSDAMBS
DB FLAVACOURT
BT DB
LAURAGUAIS.
LA DOCHBSSB
A.
< 140 >
gbap. n La Cour.
lait entendre parier ni du petit logement,ni des soupers 6conomiques
de Mme de Mailly. II lui fallait une maison montäe, un carrosse k
six chevaux, un brevet de duchesse et des rentes considerables. Elle
exigea le reuvoi de sa soeur. Elle eut tout ce qu'elle voulut; le
10 novembre 1742, eile parut k l'Op£ra, dans la splendeur d'une
« maltresse d^claröe ». Quelques jours auparavant, Mme de Mailly
avait 6t6 chass^e de Versailles.
Le Parlement de Paris enregistra les lettres patentes qui fai-
saient don k Mme de La Tournelle du duch6 de Chftteauroux, dune
valeur de 80000 livres de rente. Des crieurs distribuerent ces lettres
dans les rues, et le public put lire, au prtambule, que la g6n6rositö
du Roi r^compensait les rares vertus de Mme de La Tournelle et son
attachement pour la Reine. On s'amusa de cette cascade d'amours
dans une m£me famille :
L'une est presque en oubli, l'autre presque en poussiere;
La troisieme est en pied ; la quatrieme attend,
Pour faire place ä la derniere.
Choisir une famille entiere
Est-ce Gtre infldele ou constant?
A la mort de Fleury, la duchesse de Chftteauroux fut persuadöe r&lb poutiqob
de jouer un röle politique par le duc de Richelieu et par son associle f* mammb
en intrigue, Mme de Tencin. Le duc avait alors quarante-sept ans. DB ch * tea uboüx.
11 brillait de ]'6clat de son nom, de sa figure, de sa richesse et de sa
bravoure. Aucun scrupule d'aucune sorte ne g6nait son ambition.
Mme de Tencin et Richelieu entreprirent donc de r6veiller le Roi de
son assoupissement par le moyen de la favorite, qui serait pour eux
un Instrument de rögne. Mme de Chftteauroux enlra dans leurs vues
avec emportement; le Roi ne l'entendit plus parier que paix et
guerre, ministres et parlements, int6r£t des peuples et grandeur de
l'fitat. Surpris, il se plaignait : « Vous me tuez, Madame! » Elle
r^pondait : « Tant mieux, Sire, il faut qu'un roi ressuscite! » Le Roi
ressuscita, en effct, mais Mme de Chftteauroux n'eut pas k se louer
de rävänemcnt.
Le 4 mai 1744, Louis XV partit pour l'armäe de Flandre; la maladib
duchesse courut ä Lille, oü les soldats la chansonn&rent. Les Imp6- db lovis xv
riaux 6tant entr6s en Alsace, au mois de juillet 1744, Louis XV * mbtz (nu)
partit pour Strasbourg; Mraes de Chftteauroux et de Lauraguais
l'accompagnaient; mais k Metz, il tomba malade, le 4 aoüt, et se
trouva presque tout de suite en danger de mort. La France enttere
en fut boulevers6e. « On priait, on pleurait dans les 6glises; on
assi6geait la poste pour avoir des nouvelles; on se portait au
< 141 >
Lipoque de Fleury et de la Succession cTAutriche.
utai n
JU CCCJUtttV.
devant des courriers. » Le 12 aoüt, le Chirurgien La Peyronie dtalara
que le Roi n en avait plus pour deux jours ei il fallut songer aax
derniers sacrements; mais l'ävdque de Soissons, Fitz- James, ne
voulut porter le viatique au mourant que si la « concubine » quittait
la Tille. La duchesse regut Tordre de s'61oigner. Pour lui 6pargner
les insultes, le gouverneur de Metz la fit monter dans un carrosse
ä ses armes, stores baiss6s. A Bar-le-Duc, on l'accabla d'outrages,
od lui jeta de la boue; ä La Fert6-sous-Jouarre, eile faillit 6tre
assotnnxta.
Louis XV cependant 6tait revenu ä la sant6; il avait regu avec
attendrissement la Reine accourue ä Metz, et lui avait demand£
pardon dm humiliations qu'il lui avait fait subir. Quant au Dauphin
auquol il avait donn6 Tordre de ne pas d6passer Ch&lons, et qui avait
pous^ jusqu'A Metz, il le regut mal, croyant voir dans l'empresee-
uient de son fils Timpatience de lui succäder. II exila le gouverneur
du Dauphin, ChAtillon, pour avoir trop librement parte et s'ötre cru
trop tot « maire du palais ».
La nouvelle que le Roi 6tait sauvö fut accueillie par des trans-
ports de joie dans tout le royaume. A Paris, le courrier qui Tappor-
tait fut « entourö, carcssö et presque 6touff6 par le peuple. On baisait
*«8 bottos et son cheval. Des gens qui ne se connaissaient pas, se
oriaient, du plus loin qu'ils se voyaient : Le Roi est gu6ri! Ils se
ftMicitaiont et s'embrassaient. II n'y eut pas une soctetä Partisans qui
uo (tt chanter un Te Deum. Paris semblait « une eneeinte immense
ploino de fous ». Quand le Roi, au retour, rentra dans sa capitale,
oo fUt comme un « triomphe d'empereur romain ».
Opondant Mme de Ch&teauroux sut bientöt que le Roi 6tait
inoonaolable do l'avoir perdue. Elle acheta une maison de campagne
* ^<MiMi'4fcH'X ^ putoaux, oü ollo le revit; eile exigea une renträe en grfice 6clatante.
Main, lo H dAcombro 1744, eile mourut; ses partisans crurent qu'elle
avait AW ompoinonnGo et soupgonnärent, sans raison, Maurepas, que
t\m »avait jaloux du erödit des mattresses et engagg dans le parti de
la ftuuillo, Main la place de mattresse du Roi ne devait pas demeurer
hmgtoimw vaoante; la marquise de Pompadour va succ6der k la
\U*vW*o do ChAteauroux.
KHK
< 14& >
CHAPITRE III
LA POLITIQUE ET LA GUERRE, DE LA
MORT DE FLEURY A LA PAIX D f AIX-LA-CHA-
PELLE (17 43- 1748V
I. LA POUTIQUB IT LA QUERAB OONTUf BJITALB ; LB MABQUIB D'ABGBKtON ;
LE MARECBAL DE SAU. — II. LA GUBHRB MARITIME; LB COMTE DE MAUBXPA8; LA BOUft-
DONNAI8 BT OUPLBIX. — 111. LA PAIX d'AIX-LA-CHAPBLLB BT ^EVOLUTION DE L'OPINION
PUBLIQUE (1748).
/. - LA POLITIQUE ET LA GUERRE CONTINEN-
TALE; LE MARQUIS D'ARGENSON; LE MARÜCHAL DE
SAXE
APRfiS la capitulation de Chevert k Prague, de Broglie, avec
l'armöe doot le commandement avait 6L6 enlev£ k Maillebois,
descendit par la Naab sur le Danube, pour irouver une route de
retraite vers le Rhin; mais les Autrichiens, sous le commandement
de Charles de Lorraine, frfcre de Frangois, l'6poux de Marie-Thlr&se,
l'avaient emp6ch6 de däpasser Donauwörth. Les Anglais venaient
COAUTIOH
COttTHB
LA FRANCE.
1. Sovrcbs. RecaeU historiqaa d'acte», negociathns et traite», per M. Rousset; RecaeÜda»
Instructions donnea» aax ambassadears et minislres da France... ; Frederic II, Hisloire da
mon lemps, et Correspondance, deja cites. Walpole (Horace), Letten, p. p. Yonge, Londres,
1860, a vol. Voltaire, CEaores, t. XII (Poeme de Fontenoy). Les Francaia dem» finde. Journal
tAnandarangappoulH. Extraits traduita du tamoal, per M. Vinson, Paria, i8g3 (pubUcalktn
de PEcole des languea Orientale»).
Ouvraobb a cotfSULTER. D'Arneth. Gore, duc de Broglie, Fridiric II et Marie-Thireae, —
Freaaric II et Louis XV, Droysen, Koser, Kriege Friedrich* de» Grossen; CEsterrekhiachar
Erbfolgekrieg Leger, Saint-Rene TaJUandier. Weber, deja cites. Lacour-Geyet, Umarsm
mditaire de la France sous le regne de Loais XV, Paris, igoa, In-«. Pajol (Comte), Les gaarra»
sous Loais XV, Paris, 1881-1891, 5 vol. Bernhard! (de), Friedrich der Grosse, ab Feldherr*
Berlin, 1881, a vol. D'Espagnac, Bisloire de Maurice, comte da Saxe, Paris, 1775; Pexay (Mar-
quis de), Hisloire de» campagnes da M. la Marachal da Maillebois en Halte, pendant la» amnea»
II '45 et i746, Paris, 1775, 8 vol. et atlas. Broglie (Dac de), La »ecret da Bai, corraspondamet
tacrela da Loais XV avec so» agent» diplomatique» (I7SS-I774), Paris. 1878. 9 vol. Du messe,
Maaiice da Saxa ei la marqui» d'Argenson, Paris, 1893, a vol. La paus d'Aix-ia-Chapella, Paria,
189a Zevort, Le »Marquis d'Argenson et la minislere da» Affaires ilrangeres da li mao 1744
au Wjano 1747, Paris, 1879. Rouaset (Camille), La Comte de Gisors (17&-17S8), Paris. 1889.
Colin, Le» Campagnes da marechal da Saxe • 1" parüe. Lärmte aa prinlemps da 1744, Paris,
1901, 1 vol. Loais XV et le» Jaeobitaa (Le projet de debarquemeni ea Aagleterre de 17(8
a 17U). Pichot, Hisloire da Charit»- kUoaard, Paris, i845-i8*6\ 1 vol. Leftvre-Pontaüa, La
« 143 >
VEpoque de Fleury et de la Succession d'Autriche. urai n
cfaiüeurs d'entrer en ligne sur le continent sans declarer la guerre;
ils avaient r6solu de se joindre aux Autrichiens pour accabler de
Broglie et porter ensuite la guerre en France. Le successeur de
Walpole, Carteret, qui obtenait en mai 1743 la promesse dun con-
tingent de Hollande, et qui allait räconcilier en juin Marie-Th£rese
et Frecteric, reconstituait contre la Franoe et l'Espagne la Grande
Alliance de 1701. Une arm6e d'Anglais, de Hanovriens, de Hollan-
dais, conduite par lord Stairs, passa donc des Pays-Bas en Allemagne;
eile devait operer sa jonction avec Charles de Lorraine dans le Pala-
tinat bavarois, marcher sur Broglie, l'aneantir, revenir sur TAlsace.
Elle eut bientöt comme general en chef le roi George II. Le mar&»
sutaiu* chal de Noailles, avec 60000 hommes, courut au devant de George
ixMTTtHGSH, e i ] e joignit au pied du Spessart, ä Dettingen. 11 y fut vaincu
le 27 juin 1743. Les alli6s se trouverent alors dans la Situation de
Marlborough, au lendemain de la bataille d'Hochsledt; leur indäci-
sion seule preserva la France d'une invasion. La division s'6tait mise
entre les chefs de cette armee disparate, auxquels George 11 ne sut
pas imposer son autorite\
Noailles et de Broglie, repliäs sous Strasbourg, ne songerent plus
qua prot6ger l'Alsace. Ainsi r Allemagne 6tait evacu£e par les troupes
ttsunos frangaises. M6me Charles VII, qui avait £te 61u empereur en jan-
stv rtsAMMKiNT vier 1742, fut r&luit, aprös que la Baviere eöt 6t6 evacuee par de Bro-
ior chahlks yil gjj e< ^ signer avec Marie-Th6r6se une Convention de neutralite, od
il consentit loccupation de ses fitats jusqu'ä la paix. Des lors, dans
quel int6r£t, pour quoi et pour qui la France allait-elle combattre?
La seule Angleterre avait interel k ce que cette guerre continuAt.
ins THAiris Dans ces conjonctures, Noailles conseilla de garder la defensive
m ir<mjvjr du cötä de r Allemagne, de ny intervenir que par des subvenüons
#f MtKANcrotT, aux princes qui voudraient se liguer contre Marie-The>ese, de tourner
toutes nos forces contre les Pays-Bas, de les conque>ir et, en m6me
temps, de preparer la chute de la dynastie de Hanovre en favorisant
mlsslon da marquit d'ßguiües, 1745- 1746 (Nouvelle revue retrospective, 1887). Macaulay, Essais
d'hlstoirs et de Ulliratart, trad. p. G. Guizot, Paris, 1882. Moris, Operations milUaires dam Im
Alps* et les Apennins, pendanl la guerre de saccesston d'Autriche, 1886. Arven, Las gnerres
des Alpes (1749-9746), Paris, 1898, 2 vol. Vitzthum d'EckstaxU, Maurice, comte de Saxe t ei
Narie-Jostphe de Saxe, daaphine de France, Leipzig, 1867. Barchou de Penhoen, Histoire de
la conquite et de la fondalion de TEmpire anglais dans rinde, Paris, 18^1, 6 vol. Chabaud-
Arnault, Histoire des flottes militaires, Paris, 1889. L Administration da Comte de Maarepas
(Rovue maritime et coloniale, t. 110). Seeley (J.-R.). L'expansion de l Angleterre, tradait de
lan^lals par J.-B. Baille et Alfred Rambaud, Paris, 1901. Malleson, Histoire des Francais
dans Finde, depuis la fondalion de Pondichlry jusqu'ä la prise de cette oille {§674-9769), trad.
p. Le Paffe. Paris, 1874. gr. in-8. Hamont (Tibulle), Dapleix, dTapris sa correspondance
intdite, Paris, 1881. Coltru, Dupleix, ses jAans poliliques, sa disgräce, Paris, 1901. Herpin,
Mahi dt la BourdonnaU et la Compagnie des Indes, Saiot-Brieuc, 1906. Nazelle (M H de),
Dapleix et la difense de Pondichirg (1748), Paris. 1908.
i 144 »
chap. in La Politique et la Ouerre, de 474$ ä 474$.
une descente en Ängleterre du jeune Charles-£douard, fils de
Jacques III. Mais, le 15 novembre 1743, Marie-Th6r&se conchit k
Worms un traitg d'alliance avec le roi d' Ängleterre, le roi de Sar-
daigne et 161ecteur de Saxe. Elle se proposait d'enlever la couronne
imperiale k Charles VII, la Sil6sie k Fr6d6ric II, l'Alsace, la Lorraine
et les Trois £v£ch6s k la France. La France conclut, de son cöt6, la
ligue de Francfort avec la Prusse, la Suöde et l'filecteur palatin, le
5 avril 1744. Elle s'engageait k maintenir Charles VII, k lui rendre
ses 6tats, et garantissait la Silesie k Fr&iäric. Tout son effort ne s'en
porta pas moins d'abord sur la Flandre, oü enträrent deux armäes :
l'une, avec Noailles, Gt la guerre de si&ges, et prit succcssivement
Courtrai, Menin, Ypres et Furnes; l'autre, sous les ordres d'un nou-
veau gönäral, le comte Maurice de Saxe, couvrit les siöges. Mais,
tout & coup, Charles de Lorraine franchit le Rhin, et tandis que les
troupes charg^es de dgfendre l'Alsace luttaient d6sesp6r6ment sous
les ordres de Coigny, Noailles et le Roi, qui 6taient en Flandre, allörent
au secours de TAlsace. C'est k ce moment Ik que Louis XV tomba
malade k Metz.
Cependant le roi de Prusse, avait repris les armes, envahi la
Boheme et mena$ait Vienne. En consäquence, Charles de Lorraine
4vacua TAlsace et se porta au secours de la Bohöme. Noailles aurait
pu le poursuivre, et seconder Fr6d£ric; mais il se contenta d'occuper
Fribourg en Brisgau et de r&ablir Charles VII dans ses fitats Mri-
ditaires. D'oü colöre de Fr6d6ric, qui, scul aux prises avec les Autri-
chiens, dut sortir de Bohdme et se retirer en Saxe oü ses ennemis le
suivirent.
C'est sur ces entrefaites, en novembre 1744, que le secr&ariat
d'ßtat des Affaires 6trang£res fut donnS au marquis d'Argenson, fr*re
du secr&aire d'ßtat de la Guerre. II avait 6t6 conseiller au Parle-
ment de Paris, mattre des requGtes, conseiller dßtat, intendant de
Hainaut et de Flandre ; il 6tait depuis six mois conseiller au Conseil
royal des ßnances. II s'^tait toujours pouss£ auprfcs des gens qui
d^tenaient le pouvoir. Travailleur acharnä, fort instruit, homme ä
projets, bon 6crivain, grand faiseur de mämoires, il avait un moment
inspiri confiance k Fleury, qui lavait nomm£ ambassadeur en Por-
tugal. Mis k T6cart pour ses liaisons avec Chauvelin, il avait du
ajourner ses vis^es jusqu k la mort du Cardinal. Aprfcs qu'Amelot
eut donn6 sa d6mission le 23 avril 1744, — le roi de Prusse faisant de
sa retraite la condition d'une alliance avec la France *, — et aprfcs
i. La duchease de Ctaateauroux ne pouvait d'ailleuni »ouffrir Amelot, qui etail lami de
Maurepas.
ABMäES
FRANCAISES
ES FLANDRE.
PREWiMCfl
BN BOHEME.
LE MARQUIS
ü ARGEN SON
AUX AFFAIRES
&TRANGERBS.
1/|5
Vlll. 2.
10
L'ttpoque de Fleury et de la Succession d* Autricke, urmt n
SBS PREJUGES
ASTI>
AUTMJCHIESS.
LA BA VIERE
SOUMISE
A VACTMCHB.
LES IDEBS
D* 0AMGMNSOX.
que Louis XV cut renoncö, comme on a vu, & diriger lui-m6me la
diplomatie, le marquis d'Argenson fut choisi pour diriger les rela-
tions exte>ieures, ä cause de la bonne opinion qu'on avait de son
esprit et de ses connaissances, mais aussi parce que rancien ambas-
sadeur ä Constantinople, de Villeneuve, refusa cette fonction, alld-
guant son äge et ses infirmites. Le marquis faisait avec son fr&re,
homrae du monde et homme de cour, le plus complet contraste. Rüde
et trivial, on Tappelait d'Argenson la Bitt. II etait au reste honn£te
homme, d6vou6 au Roi et ä l'ßtat, persuadg quil etait appel6 ä faire
le bonheur de la France. Mais il navait pas le sens pratique, et
il meltait dans la polilique du sentiment. On disait qu'il avait l'air
de tomber de la R£publique de Piaton dans les bureaux du
ministere.
D'Argenson ötait un des ennemis les plus v6h£mcnts de la puis-
sance autrichienne; il desapprouvait lofTensive aux Pays-Bas, et il
aurail voulu que la France aflermtt Frederic II en Silösie, pourassurer
lafTaiblissement d6finitif de TAutriche.
Charles VII £tant mort au debut de 1745, d'Argenson entreprit
de porter ä l'Empire l'6lecteur de Saxe Auguste III. C'eüt 6t£ pour-
tant faire un coup de mattre que de se rallier ä Marie-Th6r&se, ei
daider son mari ä se faire ölire empereur. II y avait m£me urgence
ä prendre ce parti, le roi de Prusse pouvant gagner de vitesse le
cabinet de Versailles. Marie-The>6se d£sirait par-dessus tout traiter
avec la France; eile lui aurait cede la moitiä des Pays-Bas pour avoir
les mains libres contrc la Prusse. D'ailleurs, les choses tournaient biea
pour eile. Auguste III refusa la candidature ä l'Empire et promit
raemesa voix ä Francis de Lorraine. Le fils de Charles VII, Maximi-
lien-Joseph, des qu'une arm£e autrichienne eut envahi ses £tats, fit
de mdme par le traitä de Füssen, le 22 avril 1745. La politique de
d'Argenson £tait bien compromise.
Ce fut une aulrc id£c de d'Argenson que l'alliance espagnole
e*tait « un boulel » qu'on sYtait « mis au pied ». Par un trait£ sign6 k
Fontainebleau le 25 octobrc 1743, la France avait en effet resaerri
ses liens avec l'Espagne. En fagon de reprtfsailles contre le roi de
Sardaigne, qui eiait devenu h Worms lallte de TAu triebe et de TEa-
pagne. eile avail promis aux Espagnols d assurer le Milanais k don
Philippe et d'obliger l'Angleterre h reslituer Gibraltar, engagemenU
graves et deraisonnables. On pouvait craindre qu'filisabeth Farntee
reprochÄt au gouvernement francais toute Operation hors d'Italie,
comme s'il n'eüt eu aulre chose & faire que de conquexir un duchi k
son fils Philippe. D'Argenson avait raison de se preoecuper des obli-
galions de Fontainebleau. Mais il fut söduit, comme Favait 4t6 Chau-
« 146
chap. tu La Politique et la Guerre, de 4743 ä 1748.
velin, par l'id6e de faire des Etats d'Italie une conf6d£ration et de
rejeter les Autrichiens au delä des Alpes, entreprise irr6alisable saus
le concours du duc de Savoie qui ne lc donnerait certainement pas f . plans
Enfin une des imaginations de d'Argenson fut de croire qu'il 6tait SUR litalib.
de la grandeur du Roi de professer le d6sint6ressement. II fit savoir
ä l'Europe que Louis XV ne voulait faire aucune conquete, et l'Europe
se moqua de lui.
La campagne de 1745 fut marquöe par un grand fait d'armes, oü Maurice de saxb.
s'illustra le comte Maurice de Saxe. Fils naturel d'AugusteII,electeur
de Saxe et roi de Pologne, et d'une Suödoise, Aurore de Koenigsmark,
ne en 1696, il avait tout enfant accompagnä »on p&rc dans ses cam-
pagnes contre Louis XIV et contre Charles XII. II avait assistg au
sifcge de Lille en 1706, et, l'annöe d'apr&s, ä la bataille de Malplaquet,
puis servi sous les ordres de Pierre le Grand au si&ge de Riga en 1710,
et, l'ann^e suivante, sous ceux de son p£re; il avait, ä quinze ans,
commandö un r£gimenl en Pomäranie. II n'avait pu, ä son grand
regret, combaltre sous le Prince Eugöne, contre les Turcs A l'Äge
de vingl-quatre ans, il vint chercher fortune en France, oü on le Gt
maröchal de camp (1720). Moitie suödois, moiti6 allemand, avcc le
lemp£rament dun aventurier et l'öducation d'un rettre, il s'affina ä
Paris dans les soci6l6s joyeuses, mais y conserva une allure de bar-
bare; on l'y appelait le sanglicr. Entre tcmps, il lludiait les malhöma-
liques, la möcanique, Tart des fortifications. Un taclicien c£l£bre, le
Chevalier de Folard, ayant assistö aux exercices de son rlgiraent, pr6dit
que ce jeune homme serait un grand capitaine. Lieutenant g£n6ral
des armöesdu Roi en 1734, Maurice se disüngua ä lassaut de Prague
en 1741, et, deuxans plus tard, aida Noailles ä couvrir l'Alsace.
Grand, vigoureux, Fcbü bleu, vif, ombragä d'£normes sourcils,
il avait « un air de courage et de belle humeur ». Passionnö pour
le th6atre et les ferames, il emmenait partout avec lui un monde
d'artistes. Son amour pour Adrienne Lecouvreur et sa passion non
salisfaile pour Mine Favart sont clltbres et peu honorables pour lui.
Comme homme de guerre, il rappclle Charles XII ou Vendöme.
Entratneur de soldats, il menait les Fran^ais « san* pr^caulion ni
detail », « a la tartarc ».
En 1744, Maurice de Saxe 6tait demeurö en Flandre sur la d£feo- bataille
sive. En avril 1715, il prit ses mesures pour s'emparer de Tournai. II m fohtbsot
disposait de 70000 hommes*; il se rendit ä Valenciennes el distribua (/7a **
i. V. plu» haut, p. tai-m.
i Cet offecUf avait 6U» obteou cn coovoquant le« milice*. et en le§ traosformant en
Croupe« da Ilgoc.
< «47 »
LA COLONNB
ANGLA1SE.
LA JOIE
BS FRANCE.
LEpoque de Fleury et de la Succession d*Autriche. uvbb n
son arm6e de la Sambre k la Lys, de Maubeuge ä Warneton. Puis il
ramena sa gauche vcrs Lille et Orchies, son centre et sa droite vers
Quievram, descendit l'Escaut sur les deux rives, et, dans la nuit du
30 avril au 1" mai, ouvrit la tranchäe devant la place. Louis XV £tait
venu le rejoindre. Cependant 50000 Anglo-Hollandais, commandäs
par le duc de Cumberland, s'ltaient concenträs ä Soignies, sur la
Senne sup6rieure. Maurice laissa 20 000 hommes devant Tournai,
et, s^tendant dans la direction de Leuze, attendit. La veille de la
bataille, le 10 mai, il vit quon l'attaquerait, non par la routede Leuze,
la plus courte pourtant, mais au Sud-Est par celle de Mons, de fagon
ä l'aborder dans le voisinage de l'Escaut. II ötablit son arm6e dans
une position triangulaire ayant a droite Antoing, sur l'Escaut, au
centre Fontenoy, ä gauche le bois de Barry. II commanda d'&ever
dans la nuit des redoutes sur ces trois points. II voulait faire de Fon-
tenoy la clef de sa position. Mais si, ä droite de ce village, on avait
construit des ouvrages suffisants pour fermer l'acc&s d' Antoing, ä
gauche, on n'avait rien fait.
Les Hollandais attaquörent Antoing, les Anglais Fontenoy; cette
double attaque fut repouss£e. Les Anglais organisörent alors une
colonne de vingt mille hommes, qui se porta du cdt6 od il n'y avait
pas de redoutes, entre Fontenoy et le bois de Barry. Les premiöres
troupes fran$aises qui essay&rent de 1'arrÄter furent repoussäes. Mais
plus la colonne avan$ait, plus eile 6tait exposöe ä une attaque sur ses
derri&res; eile dut bientdt s'arröter et former le carrö. En m6me
temps, Taile frangaise fut renforcäe par l'arriväe du corps de
Lowendal, et Maurice de Saxe ordonna l'attaque g£n6rale. Un offi-
cier, — peut-6tre lc capitaine du regiment de Touraine, nomm6 Isnard,
fit pointer contre le carr6 huit pi&ces de canon qui mirent en d£sordre
les rangs ennemis; alors la Maison du Roi se jeta sur les Anglais
avec cette « furie fran^aise », dit Voltaire, « ä qui rien ne r6siste ». La
colonne se replia, laissant derri&re eile 9000 morts. La victoire de
Fontenoy ne fut donc pas, comme on l'a dit « mal gagnfo » ; eile fut le
räsultat (Tun emploi judicieux de la fortification rapide et derartillerie.
La nouvelle de la victoire de Fontenoy fut accueillie en France
avec enthousiasrae, surtout ä cause de la part que le Roi avait prise &
la bataille et de la figure qu il y avait faite. On sut qu'ä Tapproche de
l'ennemi, il s'Stait refus6 ä retourner en arrifcre; qu'il avait suivi les
mouvements des troupes, sans se soucier des boulets qui tombaient
autour de lui, sourd aux priores de ceux qui le priaient de se retirer;
qu'apr&s la victoire il avait serr6 dans ses bras le g6n£ral vainqueur,
Klicit6 les soldats sur le champ de bataille. — Tournai se renditle
1 er juillet; puis, durant le mois d'aoüt, Gand, Alost, Bruges, Aude-
14Ö
CHAP. III
La Politique et la Guerre, de 1743 ä 474$.
narde, Ostende, et, Ie 5 septembre, Nieuport capitulörent. Voltaire
composa un poöme sur Fontenoy, et toutes les grandes dames lui
demandörent d'y glorifier leurs amis; il Gcrivit le Temple de la Gloire,
apothäose de Louis XV transformö en Trajan.
En Italie, comme en Flandre, les armes fran$aises furent heu-
reuses. D£jä, en 1744, les Autrichiens et leurs alliös ptemontais
avaient subi deux däfaites k Velletri et k Coni. En 1745, G6nes ayant
pris parti contre lAutriche livra passage aux Frangais, qui descen-
dirent dans le Montferrat sous le commandement de Maillebois. Unis
aux troupes espagnoles venues de Bologne et de Modäne, ils s'empa-
r6rent d'Acqui, de Tortone, battirent les Ptämontais k Bassignano le
27 septembre, prirent Asti, Valenza, Casal. Ils auraient fait capituler
Alexandrie, si d'Argenson ne se füt engag6 avec la Savoie dans des
nggociations qui retard&rent les Operations militaires.
La möme annäe 1745 le Prätendant fit en Ecosse une diversion
utile. II occupa Edimbourg et vainquit une arm6e anglaise k Preston-
Pans, le 2octobre. En France, il fut question de lesecourir. Richelieu
devait Commander une expädition pour laquelle des troupes auraient
6t6 d6tach6es de l'armäe de Flandre ; il avait en poche un manifeste
au peuple anglais £crit par Voltaire. Mais il fallait tenir le projet
secret; les baTardages de Richelieu le firent abandonner. Charles-
Edouard, d'ailleurs, une fois de plus vainqueur k Falkirk, le 28 jan-
vier 1746, subit k Culloden, le 16 avril suivant, une d6faite qui ruina
toutes les esp&rances du parti jacobite.
suects
BN ITALIE (H45).
LE PRäTBNDANT
BN ANGLBTBRRB.
L'annäe 1746 commen$a aux Pays-Bas par un grand coupde sur-
prise. Maurice de Saxe se trouvait k Gand. II paraissait, vu la mau-
vaise saison, ne songer qu'ä sedivertir. Avec son directeur de th6&tre,
Favart, il avait organis£ des repr&entations k son quartier g£n£ral; il
avait fait venir d'Angleterre des coqs de combat, et, tous les jours, les
faisait se battre devant lui. Le duc de Cumberland avait quittä la
Flandre. Personne, k Versailles, sauf le secr6taire d'Ctat de la Guerre.
ne soup$onnait que Maurice pr£parät une campagne. Le 28 janvier,
il quitte Gand et fait marcher ses troupes dans six directions diflfc-
rentes. La concentration eui Heu devant Bruxelles avant que du
dehors on püt songer k secourir la place. Le gouverneur Kaunitz fut
k ce point surpris qu'il ne prit aueune disposition pour se dtfendre»
N^tant pas m6me sür de la solidüö de sa garnison, il se demandait
s'il Gvacuerait la ville, quand une brigade frangaise occupa le fau-
bourg de Laenken. II fit arborer le drapeau blanc et se rendit k dis-
erätion, le 21 tevrier.
Les Frangais trouvörent k Bruxelles cinquante drapeaux et Pori-
PRISB
DB BRUXELLES
{1744).
i49
'CMf*
L'Epoque de Fleury et de la Succession d'Autriche. litm u
* flamme prise k Pavie par les Espagnols. Maurice revint k Paris ; les
SAXE - populations Tacclam^rent sur son passage; les Parisiens le re^urent
comme un h6ros, et Louis XV lembrassa sur les deux joues. Quand
il parut k TOp£ra, entourö de son 6tat-major. le direcleur le re^ut
comme s il eüt 616 le Roi ou un prince du sang. Mlle de Metz qui,
dans Y Armide de Quinault, repräsenlait la Gloire, lui tendit une cou-
ronne de lauriers.
Lc succ&s aux Pays-Bas et en Italie demeura sans effets parce
* que la Prusse, la Savoie et la Hollande tour k tour dup&rent la Diplo-
matie de d 'Argen son.
Vainqueur des Autrichiens k Freiberg en Sil6sie le 4 juin 1745,
Fr£d«hric, qui itait oblig6 de m6nager ses finances et ne deman-
dait qua vendre, au prix de la Sitesie, sa voix k lAutriche pour
IVHection k l'Empire de Francis duc de Lorraine, entra en n6go-
ciations avec George II, et signa avec lui, k Hanovre, le 26 aoüt,
une Convention qui impliquait cet arrangement. D'Argenson n'en
soupconna pas la portäe. Le roi d'Angleterre pressa Marie-Th6r6se de
r^pondre aux avances de Fr6d6ric; eile räsista; mais Fr6d6ric, pour-
suivant la guerre, Temporla encore sur les Autrichiens k Sohr, en
Boheme, le 30 septembre, sur les Saxons k Kesseldorf, prös de Dresde,
le li dt v cembre. Alors la reine de Hongrie, dont les Etats höräditaires
ne suftisaient plus aux charges de la guerre, consentit k se rappro-
cher de la Prusse. Par le trait6 de Dresde, le 25 däcembre, eile signait
la cesston definitive de la Sil6sie, et Fr6d6ric reconnaissait Fran$ois
do Lorraine comme Empereur. D'Argenson ne s'lmut pas; il crut
nu^me que le Roi-philosophe allail präparer la paix. Mais Fr6d6ric
»uivit la guerre en dilettante, jugca les coups et s'amusa. Quant k
Marie-Thi^se, qui avait 6tö r^duite k c6der la Sil6sie, eile esplrait
trouver une compensation dans la guerre continu£e contre la France.
En Italie, aprts Bassignano, les Espagnols ayant quittö les
Franzi* pour aller ocruper Parme et Plaisance et envahir le Mila-
nai*» les troupes frangnises avaicnt bloqu6 Alexandrie. Mais le mar-
qui* d*Arg*nson, moins pr^occupö de cette Operation que de « former,
conutt* il disatt, une ^publique et association 6ternclle des puis-
*auw« Ualiques, comme il y en a une germanique, une batavique, une
IwMUque », fit oflfrir au roi de Sardaigne la plus grosse part du
Mtlauai* avec Milan, pr6cis6ment ce que TEspagne r6clamait pour Don
Philippe A Don Philippe on attribucrait, outre Parme, le Cr&nonais
*l la partie du Mantouan situöe entre le Pö et l'Oglio; Venise rece-
\wnI l* iwle du Mantouan, GSnes, tout le littoral de la M6diterran6e,
ju*qu * la Provence, et Francis de Lorraine, la Toscane. Mais
< i5o >
CHAP. III
La Politique et la Guerre, de 1743 ä 1748.
Charles-Emmanuel commenga par demander que la France lui promtt
de lui payer les subsides que jusque-lä il avait re^us de l'Angleterre.
Puis, quand il eut obtenu cet engagement par le traitä de Turin, le
25 däcembre 1745, il exigea l'adh6sion de l'Espagne aux arrange-
ments projet£s. Or l'Espagne s'indigna que la France eüt n£goci6
ces aecords sans la consulter; les ofßciers de l'arm6e cspagnole
insullörcnt les ofßciers francais; la rupture de l'alliance franco-
cspagnole parul imminente. Ccpendant d'Argcnson, maintenant ses
resolutions, fit signer ä Paris, le 17 döcembrc 1746, au grand mäcon-
tentement de son fr&re, le seerötaire dfitat de la Guerre, un armis-
tice avec le roi de Sardaigne. Un 6v£nement inesp&rä, l'adh£sion de
l'Espagne au trai(6 de Turin, lui parut un moment pouvoir tout
concilier; mais le roi de Sardaigne, qui croyait ä l'hoslilitä irr^duc-
tible de l'Espagne et qui appröhendait la chute d'Alexandrie, se
pr£parait d£j&, si des secours lui venaient d'Autriche, ä rompre
l'armislice.
Du cöl6 de la Hollande, les fautes furent plus graves encore.
Maitre de la Belgiquc, Louis XV tenait la Räpublique ä merci. Les
Etats gön£raux, sc croyant h la veille dune invasion fran^aise, d6ci-
d&rent d'envoyer ä Versailles un plänipotentiaire charg£ de parier de
la paix. Ce pl6nipotentiaire, le baron de Wassenaer, avait longtemps
rösidä ä Paris. Quand on le vit arriver & Versailles, tout le monde
crut qu'il venait pour traiter de la soumission de la Hollande. Aux
prises avec le Pr6tendant, l'Angleterre ne pouvait assister la R6pu-
blique, qu'il semblait facile d'arracher ä l'alliance anglaise Mais
d'Argenson ne regut pas l'ambassadeur hollandais comme le raessager
dune puissance inquiöte; il vit en lui un nägociateur qui pouvait
temoigner devant l'Europe de la puret6 des intentions de la France.
Wassenaer admira qu'il n'y eüt, ä Paris, ni dame, ni 6v6que, ni chat
qui se privat de parier politique. II s'extasia sur les nobles prineipes
de la diplomatie fran^aise et son loyal däsintlressement. Bref, il tira
du ministre la promesse d'une £vacuation des Pays-Bas, dune cession
nouvelle de places de barri&re, du däsarmement de Dunkerque. En
retour, il ofTrait toutes sortes de choses dont il ne lui appartenait pas
de disposer : la Gueldre autrichienne et le Limbourg pour l'filecteur
palatin, alli6 de la France, la Toscane pour Don Philippe, et, pour la
France, diverses positions occup£es en Am£rique par les Anglais. Le
Conseil du Roi se scandalisa cnfin de ces pourparlcrs, qui furent
rompus. Mais les Hollandais avaient immobilis£, pour un temps, les
troupes frangaises, sous le prätexte d'une paix g£n£rale qu'il n'6tait
pas en leur pouvoir de nous procurer.
Cependant, en Italie, Tapproche d'une forte armta autrichienne
ERREUR
DB CONDÜITE
A LEG ARD
DB LA HOLLANDS.
i5i
Ultpoque de Fleury et de la Succession (TAutriche.
UVB! n
NOUVELLES
FAOTBS
BN IT AUE.
INVASION
EN PROVENCE
RE PO US SEE.
MAURICE
BT LES PRINCBS.
rendue disponible par la paix de Dresde, fit que le roi de Sardaigne
entra de nouveau en campagne. II attaqua et fit capituler la garnison
frangaise d'Asti. Les Espagnols 6vacu6rent le Milanais et Panne,
et, au lieu de se replier sur les Francis pour d&endre avec eux le
Pi6mont et le Montferrat en s'appuyant sur Genes, ils prätendirent
disputer le Parmesan aux Autrichiens, et comme le gouvernement
frangais, pour flatter Famour-propre espagnol, avait subordonn6
Maillebois ä Don Philippe, celui-ci appela Maillebois k Plaisance et
y livra bataille le 10 juin. L'armöe franco-espagnole fut vaincue et
reprit le chemin de France par la Ligurie, sans essayer de däfendre
Gönes; cette ville attaquöe par les Autrichiens et la flotte anglaise,
ouvrit le 6 septembre ses portes aux Autrichiens qui la trait&rent
cruellement. Le 17 septembre, les Franco-Espagnols 6vacuaient
Tltalie, suivis par les Austro-Sardes, qui passaient la fronti&re. La
Situation 6tait grave. Le roi d'Espagne Philippe V 6tait mort le
9 juillet, ce qui d6barrassait la France des ambitions et des intrigues
d'&lisabeth Farn&se; mais le nouveau roi d'Espagne, Ferdinand VI,
neveu du roi de Sardaigne, n'allait-il pas k son tour faire d6feo
tion?
Belle-lsle fut envoyä en Provence. II releva le moral de l'armäe.
Le 2 Kvrier 1747, il surprit les ennemis pr&s d'Antibes et les rejeta
au delä du Var. II pensa rentrer en Italic Gönes, qui s'6tait d6bar-
rassäe des Autrichiens par un soulävement, le 10 d6cembre 1746,
6tait de nouveau investie ; il y fit passer des secours. Pour achever
de d6gager les Gänois, il songeait k une diversion du cöt6 de
Turin; mais l'Espagne s'y opposa. Pourtant le frfcre du Mar6chal,
le Chevalier de Belle-lsle tenta Tinvasion du Pi&nont. II se heurta,
au col de r Assiette, entre Exiles et F6nestrelles, k des forüfications
solides; les Francis furent repouss£s le 19 juillet 1747, apr&s un
combat qui leur coüta quatre k cinq mille hommes, avec leur g£n6ral.
Du moins l'ennemi avait levö le siöge de G£nes.
Aux Pays-Bas, astreint k respecter le territoire hollandais, et,
pour ainsi dire, a pi&iner sur place, Maurice de Saxe 6tait, par sur-
crol t, aux prises avec les princes du sang qui s'6tonnaient qu'il com-
mandat en chef. Conti, Clermont, Chartres, Penthi&vre et Dombes
auraient voulu chaeun un commandement indgpendant, pour avoir
occasion de se signaler. Conti demandait une arm6e sur le Rhin,
sous prätexte que Marie-Th6r6se pouvait soulever contre nous l'Alle-
magne occidentale. Clermont, abb£ de Saint-Germain-des-Pr6s, seul
prince de la maison de Cond6 qui alors eüt des qualitäs militaires, avait
obtenu du Pape la permission de servir; les soldats Taimaient pour
son entrain, sa belle humeur, sa bravoure, et ses amis lui attribuaient
c i5a >
GBAP. Ul
La Politique et la Guerre, de 174$ ä 1748.
ALLIAMCE
AVBC LA SAXE.
de grands talents, il supportait impatiemment l'autoritäde Maurice;
de lä une longue quereile entre lui et son chef .
Toujours alarmäs pour leurs frontteres, les Hollandais avaient bataills
demandä des secours ä TAutriche. Celle-ci envoya aux Pays-Bas de baocooxvw.
50000 hommes qui, franchissant la Meuse, all&rent camper entre
Tongres et Liöge. A leur töte 6tait le prince Charles de Lorraine.
Maurice de Saxe lui livra bataille ä Raucotfx, le 11 octobre 1746. La
veille il a vait fait annoncer la victoire par Mme Favart, sur son th6&tre.
Le meilleur rösultat de la bataille fut de donner au vainqueur la
libertö de seconder le marquis d' Argcnson dans une negociation avec
la Saxe. D'Argenson attachait un grand prix ä rompre Talliance de la
Saxe et de TAutrichc, parce que la Saxe aidait FAutriche ä maintenir
son influence dans TAllemagne du Nord. Le comte de Loss, ministre
de Saxe a Paris, ayant propos£ de marier au Dauphin, qui 6tait
devenu veuf, la fille de son mattre, la niöce de Maurice, Marie-Josephe,
Maurice y poussa de toutes ses Forces, et fit aboutir le projet. Une
alliance avec la Saxe fut donc conclue. Ce fut lacte le plus heureux
du ministöre d'Argenson.
Maurice obiint alors que l'armöe du Rhin, au Heu de stationner
en face du Palatinat, vlnt manoeuvrer en Hainaut, pour lui prfctcr
appui. II obtint surtout d'avoir les mains libres du cöt6 de la Hollande.
La Räpublique avait de nouveau essayä d'entrer en pourparlers
avec la France aprös la campagne de 1746, et propos£ d'ouvrir des
conf6rences ä Bräda. La France avait acceptö. Deux ptönipoten-
tiaires hollandais s'^taient abouchäs avec deux pl6nipotentaires fran-
$ais; mais les Hollandais demandörent et obtinrent qu'on admtt un
Anglais, et l'Anglais qu'on admft un Autrichien, lequcl r£clama un
agent du roi de Sardaigne. Par le nombre des pl£nipotentiaires, les
conförences mena^aient de devcnir un congr&s et d'empächer les
Fransais de profiter de leurs avantages. Le temps favorable ä une
reprise des hostilitäs approchant, le 17 avril 1747, la France rompit
les Conferences, et Louis XV d6clara aux fitats g£n6raux de Hollande
que, puisqu'ils s'obstinaient a rester les ennemis de la France, une
armöe fran^aise allait entrer sur leur territoire, et s'y nantir de places
fortes quelle garderait jusqu'ä parfait accommodement. Maurice fit
capituler les citadelles qui bordaient TEscaut, et, du 30 avril au
17 mai, se rendit mattre du fleuve jusqu'ä la mer. Ces 6v£ncments
d6terminörent aussitöt en Hollande le rätablissement du stathou-
d£rat; Guillaume IV de Nassau fut proclam£ stathouder le 1 er mai.
On crut alors, en France et en Europe, que Maurice allait attaquer
Maastricht; les alltes, command6s par Cumberland, s'avancörent
sur la Meuse pour döfendrc la place. Maurice estimait avoir intlrftt
i i53 >
CONFiRBSCBS
POÜB LA PAIX
BATAILLB
DB LAOFBLDT.
Pill SB DB
BBRG-OP-ZOOM.
Ltpoque de Fleury et de la Succession (TAutriche. uwmm n
fi les y laisser se morfondre ; mais Louis XV 6tant all6 & rannte voulul
quon marchät ä lenoemi. Le 2 juilletl747, Maurice trouva Cumber-
land retranchä ä Laufeidt, sur la rive gauche de la Meuse, dans une
position formidable. II donna de sa personne, enleva Laufeidt mais
6prouva de grandes pertes. Les Anglais s'6tanl reform£s derri&re la
Meuse, il ne put investir Maastricht. Toutefois un corps frangais occupa
Berg-op-Zoom le 16 septembre. Cumberland se replia sur La Haye.
Les prädicateurs y annongaient l'invasion prochaine des « papistes ».
//. - LA GÜERRE MARITIME : LE COMTE DE MAU-
REPAS, LA BOURDONNAIS ET DUPLEJX
iTAT
DB LA MARINB
DB CüBRRB
BN FRANCS.
MINISTäRB
MAU RB PAS.
PENDANT que la guerre conünentale mettait aux prises presquc
tous les Etats du continenl, les puissances maritimes se combat-
taient sur mer. La France avait döclarö la guerre ä PAngleterre le
15 mars 1744, et eile avait repris contre cette puissance le duel sus-
pendu par la paix d'Utrecht. Au moment oü s'engagörent les hosr|-
lit6s, la marine francaise s'6tait releväc de l^tat de ruine oü Louis XIV
l'avait laissöe. Villars, 6tant gouverneur de Provence, a fait de cet
6tat en 1715 une triste peinture; il raconte qu'il ne vit & Toulon que
trente navires qui n'avaient poinl d'6quipages, et quarante gal&res &
Marseille, dont aueune ne pouvait tenir la mer. Les choses empi-
rfcrent en 1716, le Conseil de la Marine ayant abaiss£ le budgei de
12 a 8 millions. II se r6servait de räclamer des fonds extraordi*
naircs, si une guerre eclatait. Or, en 1719, quand la France 6t la
guerre ä Philippe V, il lui fallut demander & l'Angleterre de Irans-
porter ses troupes sur les cötes d'Espagne.
La m£me ann6e, Law cröait, il est vrai, sa Compagnie des Indes,
et donnait l'essor au commerce maritime frangais. Pour prottger ce
commerce, il fallait avoir une marine de guerre; et le comte de Tou-
louse ßt adopter au Regent un projet de restauration maritime.
En 1721, trente vaisseaux 6taient en voie de construetion. L'alliance
anglaise, conclue par Dubois et maintenue par Fleury, n'ltait pes
faite pour pousser la France ä häter la r6fection de sa marine de
guerre; mais il est inexaet que Fleury l'ait systematiquement empt-
ch6e. Le Cardinal n'a rien fait pour la marine, mais a laiss£ faire Mao*
repas, qui fut le meilleur ministre de la Marine qu'ait eu Louis XV.
Maurepas Halt entrö en fonrtions cn 1723, ä l'Äge de vingt-deux
ans, sans exp^rience. II n avait pas l'ötofle dun grand ministre;
mais il <Hait aclif et agile, prenait volontiere l'avis des gens du mttier,
comprenait vite, se remuait pour attirer des ressources k son dlper»
1 54 »
cbap. m
La Politique et la Guerre, de 1743 ä 1748.
tcmcnt. Apr&s s'Ätre fait attribuer, sous le minist&re du duc de
Bourbon, 12 millions par an, il nc disposa plus, au tcmps de Fleury,
que de 9 millions, mais ccs 9 millions furent appliqu£s aux seulcs
däpcnses courantes. Pour l'armement des navires, Maurepas se faisait
conc6der des fonds supplämentaires qui augmentaient singuli&re-
ment ses ressources. Cest ainsi quil put däpenser, en 1739, en
pleine paix, 19 millions, en 1740 15 millions, en 1744 19 millions
cncore. II aurail voulu qu'on lui donndt 20 millions par an.
En 1727, il visita les ports, et ce voyage fut le pr&ude des tra-
vaux qu'il y Gt exlcuter. A Bayonne, il enferma 1 Adour entre deux
murs de 8 mätres pour lui donner un plus grand tirant d'eau et
cr6er un port de refuge; k Brest, il chargea l'ing&iieur Choquet de
Lindu de reparer les quais, de construire des magasins et des cales;
ä Cherbourg, il fit construire un bassin, deux jel6es, une 6cluse; ä
Toulon, il 6tablit une machine ä m&ter et des forges pour la fabrica-
tion des ancres.
11 fut d6cid6 en 1728 que le norabre des vaisseaux de guerre
serait de 54, et que, ce chifTre une fois atleint, on conlinuerait de
construire pour rem place r les navires qui disparattraient. Maurepas
dcnna une grande activitö aux constructions. En 1730, il y eut k flot
51 bdtiments de haut bord; en 1731,54; quand s'ouvrit la guerre
contre les Anglais, plus de 60. Bien qu'ayant perdu, au cours de la
guerre de la Succession, 40 vaisseaux, la France se trouvera, en 1748,
lors de la paix d'Aix-la-Chapelle, en avoir encore 45 ou 50 en 6tat de
naviguer. Maurepas avait en outre, k cette date, 19 frugales lög&res
et 10 navires en construclion. Pr6cis£ment en 1748 il profitera de la
mort du Chevalier d'Orläans, fils naturel du Regent, g£n£ral des
gal£res, pour supprimer les gal£res dont les derni&res Operations
avaient dömontrö Iinutilü6.
Pour surveiller les constructions navales, Maurepas nomma
inspecteur g£n£ral de la marine Duhamel du Monceau, membre de
l'Acadömic des Sciences, et auleur d'ouvrages techniques sur la
marine Duhamel rendil les plus grands Services en perfectionnant
la coupe et la confection des voiles et le travail de la corderie, en
assurant la conscrvalion des bois. II fit «Hablir k Paris, en 1741, une
6colc de constructions navales.
Maurepas aurait voulu, comme Colbert, que les officiers de marine
ne fussent pas seulement des « manccuvriers », mais qif ils eussent
des connaissances scientifiques. II fit armer des navires sp£cialement
pour les exercer aux travaux de g£ographie et d'hydrographie sur les
cötcs de la France et sur divers points du globe. II mit k leur disposi-
tion les cartes que publiait l'ingtaieur hydrographe Jacques Beilin.
TRAVAUX
DANS LES PORTS.
CONSTRUCTiOM
DE VAISSEAUX.
LINSPECTEUR
DUHAMEL.
iDUCATtOH
DES OmOBMS.
l5 r *
» >
L'ßpoque de Fleury et de la Succession <FAutriche.
L1VRE u
^ADMINISTRATION
DE LA MARINE.
SUPERIORITE
DE LA MARINE
ANGLAISB.
II fit donner aus gardes marines une Instruction plus solide. Sur le
conseil d'un praticien de valeur, le Chirurgien Dupuy, il fonda dans
les ports des £coles de m6decine.
II transforma Tadministration de la marine. A l'administration
centrale, il 6tablit huit bureaux ayant chacun k sa töte un premier
commis. Dans les arsenaux, il enleva la surveillance aux « officiers
militaires » qui s'en etaient emparäs au temps du comte de Toulouse
et du marächal dEstrees, pour la rendre k des officiers sp6ciaux; il
s'effor$a d'assurer l'indöpendance ä ces « officiers-6crivains », sur les
navires oü ils s'embarquaient. C f 6tait revenir aux traditions de
Colbert et de Seignelay ! , mais aussi raviver la guerre entre « T6p^e »
et « la plume ». Ce fut une guerre de tous les jours.
Malgr6 ce rel&vement, la marine frangaise demeura trös au-des
sous de la marine anglaise. Tandisque, de 1740 k 1750, la France ne
disposa que de 88 vaisseaux, l'Angleterre en mit successivement en
ligne 226. En outre, en Anglelerre, tout le monde comprit que la
lutte entre la France et l'Angleterre se döciderait au Nouveau-
Monde et dans Finde, et que l'avantage serait k qui aurait la marine
la plus puissante; en France, la marine ne comptait guöre au regard
de Tarm6e de terre.
DäFAITES
NAVALES
EN OCCWBNT.
GUERRE
BN ORIENT.
LBS DEBÜTS
DE MÄHE DE
LA BOURDONNAIS.
La grande guerre maritime ne souvrit qu'en 1744. Cette annäe-
lä, le lieutenant gönäral de Court et Tamiral espagnol Navarro, ayant
uni leurs escadres, livr&rent k l'amiral anglais Matthews, en vue de
Toulon, une bataille qui demeura indäcise. En 1745, les Anglais
d'Am6rique lev&rent quatre ä cinq mille hommes, arm&rent des trans-
ports, et, avec le secours du commodore Warren, qui leur amena de
Londres quatre vaisseaux, s'emparfcrent de Louisbourg, le 26 juin.
En 1746, ce furent les cötes mßraes de France que menac&rent les
Anglais; ils enlev&rent les lies de L6rins et d6barqu6rent k Lorient;
ä Lorient, du moins, ils ne firent que parattre et disparaltre. L'annäe
suivante, le marquis de la Jonqui&re fut vaincu k la hauteur du cap
Finist&re par 1 amiral Anson, le 14 mai; et l'Etandutae le fut a son
tour par l'amiral Hawke, le 25 octobre, ä 80 lieues plus au nord.
Le principal intöröt de la guerre maritime 6tait dans les mers
orientales et en Inde, oü op6rfcrent du cöt6 de la France Mah6 de
La Bourdonnais et Dupleix.
Mah6 de La Bourdonnais naquit k Saint-Malo en 1699, dans une
famille d'armateurs. II fut embarquö d&s Tenfance; & vingt ans il 6tait
lieutenant de vaisseau au Service de la Compagnie des Indes. Comme
1. Voir HUt. de France, VII, 2, p. a4&-a64-
l56
chap. ui La Politique et la Guerre, de 4748 ä 174$.
ceüe-ci avait cr6e un Etablissement ä Mahe\ sur la cöte de Malabar,
et en avait äle* d6poss£däe par un prince indigene, eile fit en 1725 une
exp£dition pour reprendre ce poste, el La Bourdonnais s y distingua.
Dix ans plus tard, les direcleurs de la Compagnie le nommaient
gouverneur des lies de France et de Bourbon. II fut un des meilleurs
hommes de mer de son temps, mais avec de grands däfauts; Ires
personnel, il naimait une entreprise que si eile lui appartenait tout
entiere. Corsaire plutöt qu'amiral, d'humeur violente, il ressemble
peu au personnage qua peint Bejrnardin de Saint-Pierre.
II comprit que 1'lle de France 6tait une excellente « relache » ius de francb
sur la route du Cap ä Ceylan, et pouvait devenir comme« la clef » de BT ,LB *ourbon.
THindoustan. D'un port qui s'y trouvait au Nord-Ouest, il fit Port-
Louis, une place de premier ordre. II cr£a des chantiers, des arsenaux,
des magasins, des höpitaux, installa des batteries, construisit des
navires; il recruta des ouvriers, organisa une police, traca des routes.
A Bourbon, il aida au de*veloppement de la culture du cafeier, de la
canne ä sucre, de l'indigotier. II donna Timpulsion au commerce avec
Surate, Moka et la Perse.
En 1740, les directeurs de la Compagnie et le Ministere Tappe- propositwns db
lerent ä Paris. Ils furent d'accord pour lui reprocher des proc6d6s LA bourdonnais.
despotiques qui lui faisaient une foule d ennemis; il oflrit sa d&nis-
sion, mais on la refusa. Maurepas le consulta sur ce qu'il convien-
drait de faire en Orient, sll y avait rupture avec TAngleterre. II pro-
posa d'organiser une croisiere dans le d£troit de Malacca pour inter-
cepter le commerce des Anglais avec rExtrGme-Oricnt. Maurepas
approuva, mais ne voulut pas engager la marine du Roi dans Yop6~
ration; or, les directeurs, s'ent6tant a croire que la guerre ne se
ferait pas en Orient, se refuserent ä faire les frais de la croisiere.
On prit un moyen terme. La Bourdonnais requl du gouvernement une
commission de capitaine de frägate de la marine royale, et la Com-
pagnie lui confia cinq vaisseaux armäs en guerre, 1 200 marins et
500 soldats pour en user suivant les circonstances. Les äquipages
6taient d'une valeur m&liocre. Quittant Lorient pour regagner la mer
des Indes, le 5 avril 1741, il dut employer tout le temps de la traversee
ä les former. A peine de retour ä Port-Louis, il apprit que Mähe* eHait
assi£g£e par les Mahrattes, qu'excitaient les Anglais, reprit la mer,
et delivra la ville le 4 däcembre.
Mais le Gouvernement francais se persuadant alors que les Com-
pagnies de commerce, frangaise et anglaise, concluraient une Conven-
tion de neutralite, regretta d'avoir laisse* La Bourdonnais se präparer
ä la guerre. II lui donna Tordre de däsarmer ses navires et de les
renvoyer en France. La Bourdonnais ob£it ä regret. Pourle consoler,
< 157 >
LEpoque de Fleury et de la Succession d'Autriche.
UVRE II
LA BOURDONNAIS
APPElt
PAR DUPLEIX.
le Contröleur g6n6ral Orry lui 6crivit qu'au cas oü il arriverait
« quelque chose k Dupleix », alors Gouverneur g6n6ral de Finde, on
lui r6servait ä lui-mßme la « commission » de Gouverneur g6n6ral.
Or, en 1745, une flotte anglaise fut mise en route pour linde;
ä cette nouvelle, Dupleix, pour se d£fendre, fit appel au concours
de La Bourdonnais. De France, oü Ton comprenait enfin que la
guerre allait £tre portöe dans les mers de linde, le Gouvernement
envoya une escadre de cinq navires, armös en guerre ; ils arriv&rent
ä Port-Louis oü La Bourdonnais en prit le commandement. De son
cöt6, il arma neuf navires qui avaient et£ abandonn6s comme hors de
Service et les envoya ä Madagascar pour y embarquer des vivres le
22 mai ; les ayant ralliäs, il fit voile vers linde. Arriv6 en vue de Mah6,
il apprit que la flotte anglaise, sous le commandement du commodore
Peylon, 6tait ä N6gapatam, ä peu pr£s ögale ä la sienne, pour le
nombre des troupes, supärieure pour Tartillerie ; il la rechercha mais,
quand il l'attaqua, le 6 juillet, d&s le d6but de Faction, il eut un
navire d£mät6 et trois autres d6sempar£s, il est vrai que Peyton,
ayant une voie d'eau ä Tun de ses bälimenls, se d£roba vers le Sud.
La Bourdonnais alla mouiller ä Pondich6ry, et se trouva \ä en pr6-
sence de Dupleix.
LES DEBÜTS
DE DUPLEIX.
GOUVERNEUR DE
CHANDERNAGOR
ET MARCHAND.
Dupleix est n6 ä Landrecies, le l er janvier 1697, d'un pfcre fermier
de la ferme du tabac, qui le destina au commerce. A vingt-quatre ans,
en 1721, il £tait ä Pondichery conseiller au Conseilqui si6geait dans
cette ville et commissaire g£n6ral des troupes. 11 travailla sous la
direction d'un vieux commergant, le Gouverneur g6n6ral Lenoir, qui lui
faisait rödiger des d6p£ches aux souverains indig&nes et au Conseil
de la Compagnie.
En 1730, il devint gouverneur de Chandernagor. Ses fonctions
consistaient ä expedier pour le compte de la Compagnie deux car-
gaisons par an; il s'en acquitta avec conscience. Mais son activus
se däploya surtout ä faire en son nom personnel ce qu'on appelait
« le commerce d'Inde en Inde », c'est-ä-dire entre les ports de
Finde et les contröes en deqk du cap de Bonne-Esp6rance, com-
merce qui ne portait que sur les marchandises indig&nes, la Compa-
gnie se r6servant la vente des marchandises d'Europe. La Compa-
gnie, qui payait misärablement ses employ^s, leur permeltait de
s'indemniser par ce « commerce d'Inde en Inde ». Avec son ütre de
gouverneur, Dupleix trouva tout l'argent dont il avait besoin pour
armer des navires. Les membres du Conseil de Chandernagor, des
employ£s de la Compagnie, des marchands et des banquiers de difife-
rentes villes de Finde, des Francais, des Armeniens, des Hindous, des
( i5ö >
^M*m*H*^*a.-aj*:-*iA
CHAP« HI
La Politique et la Guerre, de 1743 ä 474$.
Hollandais, m6me des Anglais, furent ses associEs, ses bailleurs de
Fonds, ses agents. II noua surtout des relations avec les Philippines,
Bassora, Djedda, et, par son initiative, mit en mouvement tout un
moode de nEgociants et de späculateurs. Dupleix navait alors d'aulre
ambition que de s'enrichir, pour rentrer en France, fortune faite.
Mais il avait fait de grandes pertes quand, en 1742, nomm6 Gouver-
neur g£n£ral de linde, il quitta Chandernagor pour Pondichöry.
Dans ce poste le plus 61ev6 de la hiErarchie, il ötait une sorte de
vice-roi. II prEsidait le Conseil sup&rieur, qui disposait des fonds de
la Compagnie, nommait et surveillait ses agents, däcidait de la poli-
tique ä suivre ä l'Egard des indigänes et des Etrangers. « Comman-
dant genEral des forts et Etablissements frangais de linde », il pou-
vait user ä son gr6 des forces militaires de la Compagnie. La Compa-
gnie navait en Inde que huit compagnies de trois cents hommes;
mais, k ce noyau d'Europ6ens, Dupleix ajouta des milices indigönes.
Au moment oü il devint Gouverneur gEnöral, TEmpire des
Mogols, qui, sous le commandement d'Aureng-Zeb, avaient subjuguö
au xvu* si&cle presque tout l'Hindoustan, 6lait en pleine dissolution.
Les Mahrattes, tribus belliqueuses du Dlcan septentrional, apr&s
avoir secouE le joug d'Aureng-Zeb, avaient Organist des principautls
ind^f endantes depuis le Gange jusqu'ä lextr&me sud, et r£sist£ ä
toutes les altaques des Mogols. Les Sicks, confedEration guerrifcre
du Pendjab, avaient, d'autre part, cr& un grand Etat entre TAfgha-
nistan et la vallEe du Gange. Puis une invasion de Persans, sur-
venue en 1739, avait enlevE aux Mogols une partie du Sindh; une
invasion d'Afghans devait bientöt ra vager les provinces du Nord. Si
les gouvernements du Bengale, de TOrissa, du Behar, du Radjpou-
tana avaient encore une Organisation r£guli&re, ceux de l'Oudh et
du Decan Etaient devenus indEpendants. Les gouverneurs de pro-
vinces ou soubabs avaient tendance ä se soustraire ä l'autorit6 de
TEmpereur, et les nababs, ä celle des soubabs. Ce morcellement du
territoire et de TautoritE devail servir la politique des EuropEens.
Les Portugais, qui navaient conserv6 en Inde que Goa, n y for-
maient aucun projet d'agrandissement. Les Hollandais possEdaient
des territoires considErables, Ceylan et Tarchipel de la Sonde; mais
ils avaient perdu leur prestige, depuis qu'ils n'avaient plus d'impor-
tance politique en Europe.
La Compagnie anglaise et la Compagnie francjaise des Indes res-
taient seules en prEsence. La premtere occupait trois positions impor-
tantes : Bombay, Calcutta, Madras, dont eile avait fait des chefs-lieux
de pr&idences, el un certain nombre de comptoirs öchelonnäs sur les
cötes. Chaque pri&idencc avait un Gouverneur assistE d'un Conseil,
GODVERNELR
CäsäRAL
DB LINDE
DISSOL07ION
DB L'EMPIRB
DBS MOGOLS.
LA COMPAGNIE
ANGLAISE
DES INDES.
c i5g
UEpoque de Fleury et de la Suc cessio n d'Autriche. litbi n
/NPBR10B17B
DE LA COMPAGNIB
FHANCAISB.
rOLITIQVR
A L'&GARU
DBS VHINCBS
INUIGKNBS.
I.A hOUBOONNAlS
KT IHJN.BIX
BN mtiSBNCB.
toNntr
AMR* LA PfUSB
im HAMAS.
comme les gouvernements de la Compagnie francaise. La Compagnie
anglaise 6tait trfcs combattue en Angleierre k cause de son privilege,
mais eile 6tait dirig6e par les plus habiles marchands ei les finan-
ciers les plus expe'riment&s, et eile trouvait ious les capitaux dont eile
avait besoin ä un taux mod6re\ Elle n'avait aucune id6e de conque>ir
l'Hindoustan, mais, en Hindoustan comme en Am£rique, eile se
trouvait engagöe contre les Fransais. Madras, Bombay, Calcutta
6taient les rivales de Mah6, Chandernagor, Pondich6ry, comme la
Nouvelle-Angleterre et la Virginie £taient Celles du Canada. La Com*
pagnie anglaise 6tait absolument indäpendante du Gouvernement;
mais Topinion anglaise, la flotte de guerre anglaise ne pouvaient
manquer de la soutenir.
Soumise k des Directeurs ä vie, qu'avait nommes le Roi, sou-
mise au contröle de commissaires royaux, oblig£e de recourir k des
subventions royales, mal soutenue par l'opinion qui se präoccupait
plus de la guerre en Europe que de colonies, ne pouvant guere
compter sur les flottes du Roi, la Compagnie frangaise 6tait inf6-
rieure en force k sa concurrente.
Avant Dupleix, cependant, le Gouverneur gen6ral Dumas avait
engag6 la Compagnie dansles affaires intärieures de Tlnde, etcherchä
k lui donner une puissance territoriale. En 1739, il avait d6fendu le
roi de Tanjore contre les Mahrattes, ä la condition qu'il concäd&t
Karikal k la Compagnie en pleine propri6te\ II eut Fingänieuse id6e
de se faire prince hindou; pour cela il fit intervenir auprös du Mogol
le nabab du Carnatic, dont la Compagnie d6pendait imm6diatement
puisqu'elle occupait des comptoirs sur son territoire; le Mogol avait
nommä Dumas Nabab et Mansebdar, ou commandant de cavalerie.
C est k l'exemple de Dumas que Dupleix, qui n'6tait d'abord qu*un
administrateur et un commergant, devint un diplomate et un poli-
tique. 11 porta dans des combinaisons nouvelles son esprit d'entre-
prise et d'audace.
Quand Dupleix vit que la guerre contre l'Angleteire 6tait immi-
nente, comme le nabab du Carnatic Anaverdi-Kan interdisait aux
Europäens den venir aux mains, il proposa aux gouverneurs anglais
de demeurer neutres; apres qu'ils s'y furent refusäs, il protesta
aupr&s du nabab de son d6sir de paix. II n'en avait pas moins demandä
secours ä La Bourdonnais et il attendait la flotte de 1'Ile de France.
Des que La Bourdonnais eut aborde* ä Pondichery, Dupleix lui
exposa ses projets contre les Anglais. II däsirait l'attaque de Madras,
voisine genante de Pondich6ry, mais pensait qu'il 6tait necessaire
de se d6barrasser d'abord de 1 escadre de Peyton. La Bourdonnais
reprit la mer, joignit Peyton devant Trincomal6et k Negapatam, mais
160
chap. in La Politique et In Guerre de ms ä 1748.
ne put l'amener & combat tre, de nouveau , ii le laissa 6chapper et Dupleix
s'en plaignit am&rement. La Bourdonnais fut soromä par le Conseil
supörieur de choisir entre la « recherche » de Peyton et l'attaque
imm6diate de Madras. Mais il n'entendait pas 6t re command6 par des
marchands. C'6tait un orgueilleux personnage, qui jouait le potentat;
il faisait sonner les trompettes et battre la grosse caisse au moment
de ses repas. II se däcida pourtant ä l'attaque de Madras, qu'il prit
le 21 septembre 1746; mais ce fut alors que se produisit le conflit
entre lui et Dupleix. Le jour mdme oü la ville se rendil, il 6crivit au
Gouverneur g6näral : « J'ai maintenant trois partis ä prendre : faire
de Madras une colonie fran§aise; raser la place ; traiter de sa rangon ».
Et il ajoutait que ce dernier parti lui semblait le meilleur. Dupleix
en jugeait aulrement. Le nabab Anaverdi-Kan pr&endant faire res-
pecter la paix aussi bien par la France que par l'Angleterre, et s'ätant
indign6 de l'attaque de Madras, le Gouverneur g6n6ral, pour l'em-
pöcher de se joindre aux Anglais, avait pris l'engagement de lui
remettre la ville. II en avisa La Bourdonnais, l'informant d'ailleurs
qu'il n'avait pas sp6cifi6 au nabab en quel £tat il lui donnerait la ville;
en consöquence il conseillait ä La Bourdonnais d'en raser les däfenses,
Pour bien marquer son intenlion de ne pas laisser Madras aux Anglais,
il annon$a qu'il allait substituer au Conseil anglais de la Prisidence un
Conseil provincial frangais, qu'il invita La Bourdonnais k pr£sider.
C^tait afGrmer le droit du Gouvernement Gönöral sur une conqu&te
faite en Inde; mais La Bourdonnais se plaignit qu'on empi£t&t sur
ses pouvoirs de chef d'escadre, dans une ville prise par lui.
Cependant, investi par le contröleur g6n£ral Orry de pouvoirs la bourdonnais
purement militaires, il n'avait pas le droit de disposer de Madras. traetb
Lautoril6 qu'il avait sur la flotte ne lui permettait pas d'annuler les ^^JJ^J^
pouvoirs permanents donn£s par le Roi et la Compagnie au Gouver- DB maoras.
neur g6n6ral. Le Conseil Sup^ricur, qui avait en main sa lettre du
21 septembre, et une autre 6crite deux jours apr&s, oü il disait que
les Anglais ätaient ä sa discr6tion, et qu'il pouvait faire de la ville
ce qu'il voulait, envbya des commissaires prendre possession de
Madras en son nom. Ils devaient aussi constituer le nouveau conseil
provincial. C'6taient le major-g£nöral des troupes de la Compagnie,
de Bury, le conseiller faisant fonction de procureur g6n£ral dans le
Conseil, Bruyfcre, l'ing6nieur Paradis, les conseillers d'Epr^mesnil,
Barth61emy et Dulaurens. II y eut altercation entre eux et La Bour-
donnais. Nomm6 commandant de la ville et du fort, d'Epr&ne&nil
proposa de mettre en arrestation l'amiral; ses collfcgues hlsitörent;
La Bourdonnais fit alors arröter plusieurs d'entre eux, et les autres
s'enfuirent. Les pourparlers reprirent toutefois entre Dupleix et La
< iGi >
Till. 2. 11
IL EST RAPPELE
EN FRANCE.
SON PROCES.
U&poque de Fleury et de la Succession JCAutriche. uva* u
Bourdonnais ; mais, un ouragan ayant, dans la nuii du 13 au 14 octobre,
dispersa la flotte de Tamiral, celui-ci, de sa propre autoritö, le
19 octobre, signa avec le gouverneur anglais Morse un trait£ qui
fixait la rangon de la place ä onze millions de livres.
II se rendit ä File de France oü il trouva un nouveau gouverneur
qui lui transmit Tordre de la Compagnie d'avoir ä rentrer en France.
II passa aux Antilles oü il s'embarqua sur un navire bollandais k
destination de TEurope. Le navire ayant abordä en Angleterre, La
Bourdonnais fut reconnu ä Falmouth et fait prisonnier. Comme la
Compagnie des Indes Taccusait de trahison, il obtint de se rendre k
Versailles, oü, suivant le marquis d'Argenson, il se fit un parti ä
force d'argent. II aurail apportd avec lui d'immenses richesses, et le
bruit courait quil allait acheter les ministres; ceux-ci däcidöreni
de le faire arrßter, et il ful mis ä la Bastille. Trois ans plus tard, les
m&noires apolog&iques du prisonnier 6crits, disait-on, sur des mou-
choirs avec de Tencre faite de suie et de marc de caf6, lui conquer-
ront Topinion publique, au point que, le 3 fövrier 1751, la Chambre
de r Arsenal, charg6e de le juger, sera contrainte par Topinion k
l'acquitter. La client&le de la Compagnie des Indes n'en conservera
pas moins la conviction qu'il s'6tait vendu a TAngleterre 1 .
DEFENSE
DE MADRAS PAR
D'EPREMESNIL.
DEFENSE
DE PONDICI1ERY
PAR DUPLEIX.
Apr&s le d6part de La Bourdonnais, les Francis se trouvent
aux prises avec Anaverdi-Kan et les Anglais. Une armäe du nabab,
sous les ordres de son fils, vient assi6ger, dans Madras, la poign6e
d'hommes que commande le nouveau gouverneur, d'Eprämesnil;
Celui-ci fait une sortie et met la cavalerie ennemie en däroute k
coups de canon. L'ingenieur Paradis, accouru de Pondichäry au
secours de Madras, ä la töte de six cents hommes, Joint dix mille
hommes d'infanterie du nabab ä Saint-Thom6, les aborde k la
ba'ionnette et les disperse.
Dupleix essaya de profiter de ces succes pour chasser les Anglais
de Saint-David, position immädiatement au sud de Pondich^ry ; mais,
n'6tant soutenu ni par la Compagnie ni par le Gouvernement, il
6choua trois fois dans son entreprise. L" Angleterre envoya en Inde
l'amiral Boscawen avec trente navires et huit mille hommes de d6bar-
quement; aussitöt les Anglais prirent Toffensive contre Dupleix. Le
18 aotit 1748, la flotte anglaise et une arm6e anglo-hindoue allörent
i. II n'existepas de preuvc pe rem p Loire que La Bourdonnais ail recu de l'argent des
Anglais pour mettre Madras a rancon ; mais sans invoquer l'opinion de Dupleix, aux yeux
de qui le feit n'est pas douleux, il y eut contre Tamiral bien des indlees aecusatenrs. En
1762, les membres du Conseil de Madras Lemoignerenl d'ailleurs aupres des Directeors de
la Compagnie anglaise des Indes que La Bourdonnais avait recu la promesse öcrite d*un
million de francs en plus des onze millions stipules pour la rancon de la Tille.
< 162 >
CHAP. III
La PoUtique et la Guerre de 1743 ä 1743.
mettre le sifcge devant Pondichäry. Dupleix se döfendit admirable-
ment. II s'improvisa g6n6ral, ingänieur, artilleur. 11 commen$a par
disputer pied & pied aux ass&geants les approches de la ville, puiß
brüla les arbres pour leur öter tout abri, fit rentrer dans la ville les
canons des forts avancäs, s'y enferma. II opposa alors batierie k bat-
terie; ses canons forc&rent les na vires anglais ä prendre le large. U
savait donner du courage aux Cafres ei tirer parii des Cipayes. II eut
pour auxiliaires Paradis, qui p6ritdans une sortieret le futur conqu6-
rant du Decan, le marquis de Bussy-Castelnau. Les Anglais se
lass&rent de sa räsistance; le 14 octobre, ils firent un dernier effort
en bombardant la ville : en douze heures ils y jet&rent vingt mille
projectiles; puis ils se retirärent.
Demeurä mattre de Pondich6ry et de Madras, Dupleix projetait
de nouveau d'attaquer Saint-David. Ses succfcs et la Imputation qu'il
acquörait en Inde devaient l'amener ä donner plus d'ampleur k sa
politique; il recevait les fclicitations des nababs et du Grand Mogol.
Mais la nouvelle lui vint de France que la paix ätait signäe avec
TAngleterre, et qu'aprös tout ce qu'il avait fait pour chasser les
Anglais du Carnatic, toutes les choses seraient remises en l'6tat oü
elles ötaient avant la guerre.
LA NOUVELLE
DE LA PAIX.
III. — LA PAIX D'AIX-LA-CH APELLE ET L'OPI-
NION PUBLIQUE EN FRANCE (1748)
Amesure que se prolongeait une guerre dont on ne pr6voyail pas
Tissue, l'opinion s'6tait de plus en plus prononc£e contre le
marquis d'Argenson qui ne savait pas y mettre un terme. De Br6da,
pendant qu'il y 6tait pl6nipotentiaire, Brülard de Puysieulx Tavait
accusö de mollesse et de timidite ; ä la Cour, Maurice de Saxe et les
Noailles s'acharnaient contre lui; le premier commis des Affaires
Itrangäres, labb6 de La Ville, eut avec son ministre des altercations,
oü il lui reprochait ses mönagements ä l'6gard des Provinces-Unies.
Se sentant en päril, il eut Tid6e bizarre de demander appui au roi de
Prusse. Mais Fr6d6ric n'ötait pas pour se mettre en peine des embar-
ras d'autrui; il räpondit qull n'avait pas de raison de se raöler des
« affaires de France ». D'Argenson fut renvoyä le 10 janvier 1747.
Sa disgräce n'6tonna que lui ; il ne s'en consola jamais. On lui donna
pour successeur un des diplomates qui l'avaient le plus däcriö, le
marquis de Puysieulx, nagu&re militaire et marfchal de camp, petit
homme assez au fait de la Cour, mais peu instruit et cachant son
insuflisance sous un « air de finesse » qui en imposait; c'6tait un
client de la maltresse nouvelle, Mme de Pompadour.
DfSGRACE
DU MARQUIS
D'ARGENSON
l63 >
Vßpoque de Fleury et de la Succession d'Autriche. uvre n
t'AlX KiCLAUtt.
MFFicviTis Le parii de la paix allait grossissant. La guerre coütait eher.
FiNANciäRES. Malgr6 le danger qu'il y avait ä ätablir de nouveaux impöls, vu la
mis6re g6närale et lattitude des Parlements, il fallut eräer en 1746
un impöt de deux sols pour livre additionnels au dixi&me; en 1747,
un autre de deux sols pour livre sur la capitation; en 1748, des droits
sur le suif, la chandelle, les papiers et cartons, etc. L'impöt du cen-
ti6me denier, que tout acquäreur d'immeubles devait payer au Roi,
fut 6tendu aux actes translatifs de biens « r6put6s » immeubles, tels
que les rentes, offices, etc. Ces nouveaux impöts servaient g6n6rale-
ment de gages k des emprunts. Toute la foule des moyens extraordi-
naires, Emissions de rentes, loteries, cröations d'offices, d6fila rapide-
ment, et le moment allait venir oü cette ruineuse ressource s'6puiserait.
L'opinion publique räclamait la paix, sans se pr6occuper des
conditions, nulle paix ne pouvant ötre pire, disait-on, que le mal prä-
sent. La conquöte des Pays-Bas, la prise de Berg-op-Zoom et l'inva-
sion de la Hollande mettaient d'ailleurs la France en 6tat de pouvoir
proposer la paix aux puissances. Les Anglais la däsiraient aussi.
Maurice de Saxe et le duc de Cumberland ätaient d£j& enträs en
pourparlers. Les ministres anglais d6sign&rent le comte de Sandwich
comme pl6nipotentiaire; Sandwich et Puysieulx, qui s'6taient connus
k Bröda, convinrent qu'il y avait lieu de convoquer un congrös qui se
tiendrait ä Aix-la-Chapelie.
D6sign6s en janvier 1748, les pl6nipotentiaires ne se räunirent
qu'en avril. C'£laient, pour la France, un Italien, le comte de Saint-
Söverin d'Aragon, 01s d'un ancien min ist re du duc de Parme, favori
du prince de Conti, personnage avisö et rompu k l'intrigue , pour
TAngleterre, Sandwich; pour Tlmpäratrice Marie-Th6rfcse, le comte
de Kaunitz; pour TEspagne, Don Jacques Massonas de Lima y Sotlo
Major; pour la Sardaigne, le chevalier Ossorio; pour la Hollande, le
comte de Bentinck et le Baron de Wassenaer.
Saint-S6verin arriva ä Aix-Ia-Chapelle avec des instrucüons qui
lui recommandaient d'en finir au plus vite. II 6tait k l'aise, puisquil
iti t Anat*TKHH*. p 0t | V ait disposer des conqu6tes faites par la France, et ne demandait
rinn do plus que le rätablissement de l'6tat avant la guerre. Les puis-
niinces pouvaient d'autant moins croire k ce d6sint6ressement que la
cumpagne aux Pays-Bas paraissait bien s annoncer pour la France.
Maurice de Saxe investissait Maastricht le 15 avril 1748.
Saint-S6verin regut les avances de TAutriche et de TAngleterre,
L' Antriebe n'avait trouvä que d6convenues dans l'alliance anglaise.
Loh Anglais l'avaient amenäe en 1742 ä se räconcilier avec le roi de
Sfirdnigne qui lui avait pris Tortone et Novare; ils trouvaient mainte-
nont naturel qu'elle reconnüt la possession de la Siläsie au roi de
cosonks ovvbrt
A AIX-U-
(UAI'KUK {IUI).
ACCOhh KNI'HK
I 4 MANCH
164
CHAP. III
La Politique et la Guerre de 174$ ä 1748.
Prusse. L'Autriche se demandait si chaque traitä r6clam6 par ses alli6s
devait lui coüter une province, et si une ennemie comme la France
no serait pas de meilleure composilion qu'une amie comme l'Angle-
terre. Mais en France le pr6jug6 contre TAutriche durait. Louis XV,
en disgraciant d'Argenson, n'avait pas d£savou6 la politique de ce
ministre. Comme d'Argenson, Puysieulx faisait grand 6lat de l'alliance
avec le roi de Prusse. Sainl-S6verin, au contraire, penchait vers
TAutriche, et il aurait volontiers conchi avec eile un accord parti-
culier, s'il n'avait craint les lenteurs de la chancelleric de Vienne.
D aillcurs c'est TAngleterre que la France avait lo plus d'intär&t a
d6sarmer, parce qu'elle pouvait espärer d'elle des restitutions en
Am6rique, et parce que la guerre sur mer ruinait le commerce
frangais. Saint-S6verin conclut donc, le 30 avril, avec Sandwich
une entente oü se trouvaient inscrites les conditions de la paix g6n6-
rale, que chacun des contractants soumettrait ä ses alli6s. Si ceux-
ci ne les acceptaient pas, la France et l'Angleterre traiteraient s6par6-
ment
Les conditions consenties entre l'Angleterre et la France 6taient
la restilution r6ciproque des conqu&tes dans les deux mondes el le
maintien de T6tat territorial cr66 en Italie et en Allemagne. La France
perdait les conqu6tes de Maurice de Saxe, el Madras, mais eile r6cu-
p6rait en Am&rique le Cap Breton et Louisbourg. Elle reconnaissait
la succession protestante en Anglelerre, et s'engageait ä äloigner le
Prätendant, conformSment au traitä d'Utrecht. L'Autriche devait
c6der ä l'infant Don Philippe, le fils d'£lisabeth Farn&se et le gendre
de Louis XV, Parme et Plaisance, garantir au roi de Sardaigne la
partie du Milanais situäe ä l'ouest du Tessin, du lac Majeur au Pö,
c est-ä-dire le Vigävanasque, une partie du Pavesan, le comtg d\An-
ghiera , eile devait renoncer ä la Sil£sie.
11 ne fut pas facile de faire accepter ces conditions & rimplra-
trice Marie-Thörfcse. Elle avait, il est vrai, satisfaction sur un point :
la Pragmatique serait confirm6e, et les puissances contractantes
reconnaitraient comme empereur Frangois de Lorraine, qui avait 6t£
61u ä Francfort, en Septem bre 1745; mais, ce qu'elle redoutait le
plus, c'£tait qu'un acte nouveau consacrät les traitös ant£rieurs qui
la d£pouillaient. Aussi protesla-t-elle contre Tentente anglo-frangaise;
mais ayant, ä grand'peine, support^ le poids de la guerre avec l'aide
dalli^s, eile ne pouvait demeurer seule en armes, et se r6signa. Le
25 mai, Kaunitz adhörait ä l'entente franco-anglaise. L'Espagne ne
se däcida que le 28 juin.
Personnc ne fut content de la paix, si ce n'est la Hollande. Rlduits
aux dernteres extr6mit6s, les Hollandais s'extasi6rent sur la modöra-
LBS CONDITIONS
DB LA PAIX.
ADHÄSION
DB VAOTR1CUB
M&COSTBSTB-
MBNTS.
l65
LOP IN ION
EN FRANCE.
MFOCHURBS
ET ESTAMPBS
SATIMQVES.
UÜpoque de Fleury et de la Succession d 'Autriche. uvas n
tion de Louis XV. L'Espagne s'indigna que la France eüt une fois de
plus d6cid6 de ses int6r£ts sans la prövenir. Le roi de Sardaigne se
d£clara sacrifiä, sous prätexte quil n'obtenait que des avantages
insignifiants. Marie-Th6r£se conserva le regret trte vif de la Sil&ie.
Elle annonga quelle prendrait sa revanche, düt-eUe y perdre son
« cotillon ». En Angleterre, les plaintes des marchands et des colo-
niaux furent tr&s vives.
En France, oü Ton 6tait las dp cette guerre ruineuse et sans
issue, il y eut d'abord un raouvement de joie. On courait chez ses
amis, au spectacle et sur les promenades, pour apprendre des dätails.
A Bordeaux, quand arriva le courrier qui apportait la nourelle de
la paix, les cohues daflfam£s qui asstegaient les boulangeries se
mirent ä danser en criant : « La paix est faite! » Mais la rgflexion
vint vite. On comprit que cette paix avait 6t6 achetöe par d'dnormes
sacrifices. Tout le monde pensa ce que Maurice de Saxe 6criYit, des
Pays-Bas ä Maurepas le 15 mai 1748 :
« Je ne suis qu'un bavard en fait de politique, et, si la partie militaire m'obtige
quelquefois d'en parier, je ne vous donne pas mes opinions pour bien bonnes ;
ce que je crois savoir et vous assurer est que les ennemis, en quelque nombre
qu'Us viennent, ne peuvent plus penltrer en ce pays-ci, et qu'il me fache de le
rendre, car c'est, en v6rite, un bon morceau; et nous nous en repenürons des
que nous aurons oublie notre mal präsent. -
On plaignit le Marechal d^tre emp6ch6 par la paix de marcher
tambour batlant sur Nim&gue et de venger Louis XIV par rhumilia-
tion de la Hollande '. Le populaire disait : « Böte comme la paix! »
On däbita le conte des quatre chats : Louis XV aurait vuen rfcve quatre
chats qui se battaient, Tun maigre, lautre gras, le troistöme borgne,
et le dernier aveugle ; quelqu'un lui aurait expliquö ce rdve : « Le chat
maigre esl volre peuple; le chat gras est le corps des financiers; le
chat borgne est votre Conseil; le chat aveugle est Votre Majestl qui
ne veut rien voir ». Les Parisiens se disputörent la brochure :Letcinq
plaies de la France, qui Haien t la Constitution, les Convulsions, le
i. Bien de« critiques cependanl avaient ete faite« du Marechal de Saxe. O» l'araftt
de prolonger la guerre afin dt eonserver son comrnandcment, de piller le* ennemis, da
partager les beneflces des entrepreneurs, de faire des Pays-Bas une »orte da Peran, paw
lui et ses creatures. Si tant est quil y eut du vrai dans tout cela, le Marechal en fut poai
par le Mcrifice de toutes ses conquetes, et n>nt d'autre consoiation que d'etre procIaaaA la
prämier cepiteine du siecle, et de receroir de Louis XV le domaine de Cbambord. le Utre
de Marechal general porte naguere par Turenne, cent mille ecus de revenos, une artillerfta
prise sur 1'enneml. un regiment d'uhlen* pour sa garde II mena a Chanbord I'extsteaoe
dun grand seigneur. 11 s y fit construire un t heitre pour i floo speetateurs; II eat daa dqat-
pages de chasse admirable*, jusqu'a 4oo cbevaux dans ses eeuries; 11 acbeta des teataraa
des Gobelin«, des tahlcaux, des eroaux de Pelitot, des feTences de Paltsay. II vtcttt avae
des lilles d Opera, et s'usn daos des exces que son ige ne lui permettait plos. Ob apprit
tont a coup sa mort: il avait cinquante-quatre ans. Le duc de Luynes raeonte quil mounrt
dune • flevre conUoue, arec un eogoreemcnt de la bile dans le foie • (vfio).
I
166
chap. m La Politique et la Guerre de 1743 ä 174$.
Systeme de Law, le minist&re Fleury et la paix cTAix-la-Chapelle
Us admirfcrent Festampe des quatrc Nations, oü Louis XV, garrottä
parles puissances, 6tait fouettä par la reine de Hongrie; FAngleterre
applaudissail, et la Hollande disait . « II rendra tout ».
L'exäcution de l'engagement pris par Louis XV d'61oigner le arrestatios
Pretcndant r6volta toute Fopinion. Le prince, & qui fut insinu6e Foffre ÜD p**tbndant.
d'une retraite en Suisse,ne voulut rien entendre. Ilse plaisait ä Paris,
oü il 6tait fort en vue et trös populaire. Quand il entrait ä FOp6ra,
ou ä la Comödie-Fran^aise, toute la salle se levait. Des Anglais et des
Anglaises faisaient le voyage pour venir Fy admirer Or, ce fut pr&-
cis6ment ä la porte de TOpära que, le 10 d6cembre 1748, des officiers
et des sergents aux gardes, en habits bourgeois, l'empoign&rent
comme il descendait de carrosse, lui enlev&rent son 6p6e qu'il voulait
tirer, le garrott&rent avec des cordons de soie, et le port&rent comme
un corps morl au carrosse qui le conduisit ä Vincennes. Charles-
Edouard criait qu'on ne lui aurait pas fait un pareil outrage au
Maroc. Cette vilaine action provoqua un sentiment de honte et de
d£goüt. Sur les murs de Versailles on äcrivit : « II est roi dans les
fers; quötes-vous sur le tröne? »
167
CHAPITRE IV
LA VIE INTELLECTUELLE, DEPUIS LA
RÜGEN CE JUSQU'AU MILIEU DU SI&CLE
I. LES 1DSES PHILOSOPHIQUIS KT POLITIQUES. — IL LB SCIBlfCtS. —
m. L'SRUDITION. — IV. LIS LETTRES. — V. LES ABTS. — Tl. LES SALONS.
/. — LES ID&ES PHILOSOPH1QUES ET POLITIQUES 1
CAJUCTERES
CtSERAVX
DE LA PEM10DE
AVEC la R£gence a commenc6, dans le domaine des id6es philoso-
phiques ei politiques, des scieaces, des lettres et des arte, un
mouveraent g6n6ral des esprits, varte, libre, sans intentions pr6cises,
et comme une recherche joyeuse de nouveautäs. Vers 1750, de grands
livres comme YEsprit des Loi&, le premier volume de YHistoire natu-
relle de Buffon, surtout le premier volume de YEncyclope'die et la for-
i. Sources. D'Argenson et Barbier, deja cites. Voltaire, Lettres Philosophiques (au tXXXVII
des CEuores* et ed. Laoson, L I, 1909). Montesquieu, De f Esprit des Lots (CEuores complties*
t. III, IV, V, VI), Baron de Montesquieu, Milanges inidits de Montesquieu* Bordeaux et
Paris, 189a; Id., Deux opuscutes de Montesquieu* Bordeaux et Paris, 1891; Id., Vogages de
Montesquieu, 2 rol., Bordeaux, 1894; Id.. Pensieset fragments de Montesquieu* Bordeaux, 1899.
OtnrnAOBs a consultbr. Aubertio, E. de Broglie (Portefeuilles de Bouhier)* Jobes (i. 1
et IV), Micbelet, Rocquain, de Witt (La Sociili francaise et la Sociili anglaise au
XVUP siecle), deja cites.
Bersot, Stades sur le XVII h siecle* Paris, i855, 2 rol. in-ia. Brunetiere, Stades erift-
ques sur Vhtstoire de la liltirature francaise* 3* s6rie, 5* ed. Paris, 1904, in la (l'abbe Pre-
roat). Desnoiresterres, Voltaire et la SociiU au XVIIP siecle, Paris, 1887-187*, 8 rol. In- 11.
Faguet, XV IIP stiele ; itudes littiraires, Paris, 1890. In-ia. Janet, Une aeadimie poäiiqmm
$r>us le cardtnal Fleury (S4ances et traraux de l'Academie des sciences morales et potiUqsa«,
i805, 4« trimeatre, t. IV). Sorel, Montesquieu* Paris, 1887, in-ia. Texte, Jean-Jacques B o uss o a m
et Us origines du Cosmopolitisme Ulliraire* Paris, 1895, in-ia. Barkhausen, Montesquieu* wem
idies et ses ctuvres. d'apris les papiers de La Bride* Paris, 1907. Id., L' Esprit des Loiset Im
arthioes de La Bride* Bordeaux. 1904. Vien, Montesquieu, sa oie et ses atuores, Paria, 1878,
Brünettere, Montesquieu, R. des D. M., 1" aout 1887. Sainte-Beure. Causeries du Lmndi* L VII
(Montesquieu), t. XV (l'abbe de Sainl-Pierre). G. Lanson. Voltaire* Paria, Hacbetie, 1908
(colloction des Grands Ecrivains franceis). Id., Voltaire et les Lettres philosophiques (Warum
de Paris. 1« aout 1908). Cb. Colli ns, Voltaire in England, Londres. 1906. See. Las idms
politiques de Voltaire. Rerue Historique, t. XCV1II (1908). H. Harrisse, L'abbi Privost, hi*~
loire de sa uie et de ses ctavres* Paris. 1896. Leslie Stephen, Enghsh thought in the XVI It*
Century, a* ed.. Londre*. 1881, a vol. Bastitle, J. Locke, ses thiohes politiques et teur üt/ti
en Anglelerre, Paris, 1907.
168
CHAP. IV
La Vie intellectueüe*
LE CLUB DB
LBNTRBSQL.
mation du parti des philosophes, marquent le commencement d'une
Periode nouvcllc oü s'organise la lutte contre les instilutions, idäes et
croyances de lWncien regime
Pour les id£es politiques et philosophiques, la France se mit &
lecole de TAngleterre. Les premiers signes de cette conversion auz
idäes anglaises apparurent dans une soci£t6 de th6oriciens poli-
tiques, fond6e en 1724 par l'abb6 Alary, präeepteur des enfants de
France. Install6e dans un appartement de la place Vendöme, eile
regut le nom de Club de l'Enlresol. Le club compta d'abord une
vingtaine de membres, qui sc r6unissaient une Ibis par semaine, le
samedi soir, de cinq ä huit heures. Durant T6t6, ils tenaient leurs
söances sur les terrasses du jardin des Tuileries ou dans une all£e
6cart£e. Ils recevaienl les gazettes de France et de Hollande et les
« papiers anglais ». Au club, ils buvaient du th6, de lalimonade et
des liqueurs. C'6tait comme « un cafö d'honnttes gens ».
Chacune des conförences 6tait divis6e en trois exercices d'une tbavaüxdcclüb.
heure : lecture et discussion dextraits des gazettes; communication
des correspondances entretenues ä T^tranger; lecture de mämoires
politiques. MM. de Balleroy et deChampeaux donnaientdes mämoires
sur Thistoire des trait£s; M. de Vertillac sur les gouvernements
« mixtes » de la Suisse et de la Pologne. M. de PI6I0 dut ä ses recher-
ches sur les formes de gouvernemenl l'ambassade de Danemark.
M. Pallu, mattre des requßtes, lisait des (Hudes sur les finances;
M. d'Oby, une histoire des Etats g6n6raux et des Parlements M. de
Saint Contest le fils, une histoire contemporaine partant du trait6 de
Ryswyk; M. de la Fautrifcre, une histoire des finances et du com-
merce. Le marquis d'Argenson, outre qu'il rädigeait les exlraits des
gazettes lus au d6but des säances, composait sur le droit public des
dissertations, oü Ton sentait une vocation de philosophe et de ministre.
Mais le grand lecteur du club 6tait son doyen, Tabb6 de Saint-
Pierre, homme excellent, 6pris du bien public, inäpuisablement
tecond en syst&mes. II avait accompagn6 ä Utrecht, en 4712, un des
nägociateurs fran$ais; tömoin des difficultls de toutes sortes qui
retardaient la conclusion des trail6s, il composa les trois volumes
d'un Projet de paix perpttuelle. En punition d'un Discours sur la
polysynodie, öcrit en 1718, oü il critiquait vivement le gouvernement
de Louis XIV, il avait H6 exclu de TAcad&nie fran$aise. Cependant
les pouvoirs publics furent indulgents pour ses Berits, qui parais-
saient « les röves d'un homme de bien ». Cest, dit-on, l'abb6 de Saint-
Pierre qui a cr66 le mot « bienfaisance ». milosophib
Par lui, la philosophie politique de TEntresol se rattache ä poutiqüe
Fänelon, ä la petite cour du duc de Bourgogne, ä Vauban, ä Bois- de l'bntbbsol
L'ABBB
DE SAINT-PIBBBB
(/IM-/74J).
169
Lßpoque de Fleury et de la Succession (TAutriche. uvm« n
guilbert, a Boulamvilliers. Elle procede en möme temps des Anglais.
Le club complait parmi ses membres l'ficossais Ramsay, disciple d'ail-
leurs de Föneion, qui lavait converii au catholicisme 1 . Bolingbroke
frequentait aussi l'Entresol. Les Anglais s'y sentaient chezeox. L'am-
bassadeur Horace Walpole, apres la disgrace de M. le Duc, en 1726, y
fit une conförence sur 1 intöröt qu'avaient la France et l'Angleterre a
garder leur alliance röcemment conclue.
Dispersion L Entresol ne v6cut pas longtemps. Apres l'avoir prot£ge\ Fleury
de lentresol en yin i & \ e trouver gönant. Labbö Alary s'en faisait « une espece de
trophee »; ses confreres, tres entouräs dans le monde, dissertaient
volontiere surla politique et l'administration. Le Cardinal dii un jour
a Fabbö : « On sc meiede trop de choses ä lEntresol, et des etrangers
m£mes'en plaignent ». L'abta de Saint-Pierre laccablai t de memoires
ä tout propos. Enfin, Alary ayant imaginö de complimenter la Reine
a propos de l'exp&lition de PI6I0 ä Danzig, on park de le remplacer
aupres des enfants de France. Alary le prit de tres haut, on luiretira
le prtceptorat et lEntresol fut dispersa en 1731.
les refijgibs La propagande en faveur des id6es anglaises ne souffrii pas de la
dm ix>ndrbs dispantion du club. Les protestants francais a Londres, en Hollande
er de hollandb. ou en ßrandebourg, essayaient de mettre la France en communica-
tion avec lesprit des pays oü ils etaient r6fugi6s. A Londres, la
taverne de « l'Arc-en-ciel » re*unissait des savants, des theologiens,
rhistorien Thoiras, et des journalistes qui rädigeaient des p6rio-
diques Armand de la Chapelle collaboraitä la Bibliolh&quc roisonnät
des savants de FEurope; Desmaizcaux publia des oeurres inädites
de Clarke, de Newton et de Locke Le Clerc dirigea trois « biblio-
theques » successives, de 1686 ä 1727; il fut le dernier continuaieur
des NouvelUs de la ^publique des Lettres, dont Bayle avait 616 le
preroier öditeur. Partisans de Bacon, de Locke et de Newton, ces
publicistes critiquaient la philosophie de Descartes. Ils faisaient con-
nattre les theories anglaises sur le gouvernement. Rapin Thoiras
publia en 1724 une Hisloire d Anglelerre en francais. Une Bibliothtqae
anglaise parut ä Amsterdam, de 1717 ä 1728. Enfin, les rtfugife tra-
duisaient, ä leur appantion, les principales ceuvres litteraires, comme
le Gulliver et le Robinson Crusoi.
voltajbb Ü autre part, les 6crivains francais les plus distingues visit&reut
bn anglmtbrrb r Anglelerre. Voltaire y debarqua en mai 1726, apres une fAcheuse
(aH-nw). aventure. Le chevalier de Rohan-Chabot lavait plaisanU sur son nom :
« Comment vous appeloz-vous döcidement? Est ce Mons Arouet, ou
Mons de Voltaire? — M. le chevalier, röpondit Voltaire, il vaut mieuz
i. On relrouvc linnpirnlioii de Fenelon tian* neu Voyaget de Cgru* et
Mophiqae Mur h Gouvernement civil.
CHAP. IV
La Vie intellectuelle.
VOLTAIRE
faire un nom que de tratner celui qu'on a re$u. » Or, un jour qu'il
dlnait chez le duc de Sully, on le demande a la porte de l'hötel. II
descend et se trouve en presence de « irois messieurs gamis de Cannes »,
« qui lui r6galent les gpaules et les bras gaillardement ». Le Chevalier
regardait « ce frottement » d'une boutique en face, et criait aux trois
messieurs : « Ne lui donnez pointsur la töte, il en peut encore sortir
quelque chose debon ». Voltaire se plaignit ä ses protecteurs, le duc
de Sully, Mme de Prie, le duc d'Orl&ns, Maurepas. Mais les grands
dont il 6tait Tarni n'oubliaient point son origine, et ne se souciaient
pas de le däfendre contre un horame de leur rang. II prit des le^ons
d'escrime, provoqua Rohan et fut mis ä la Bastille. C'est en sortant
de prison qu'il partit pour l'Angleterre, bien pr6par6 ä aimer les
institutions et Tesprit d'un pays libre.
Pendant prfcs de trois ans que dura son s6jour, il apprit la langue
anglaise, qu'il finit par 6crire parfaitement, et connut les plus illustres BT LKS ^BtvAixs
6crivains anglais. 11 dut ä Pope, le plus classique et le plus 6I6gant anglais.
des po6tes d'Angleterre, l'id6e de ses Discours sur rhomme. II aima
la fantaisie et l'ironie de Swift, l'6rudition critique et rävolutionnaire
de Bolingbroke. II ötudia les tragödies classiques d' Addison, Celles
de Dryden, et surtout les drames de Shakespeare. II admira que des
äcrivains fussent employ6s au service de TEtat comme Prior, po£te
et philosophe, qui re$ut une mission diplomatique en France. Quand
Newton mourut, en 1727, Voltaire fut t£moin des honneurs qu'on
rendit a ce grand homme en röcompense de son g6nie. Höte du
« marchand » Falkener, qui devint plus tard ambassadeur en Turquie,
il comprit l'injustice du prejug^ qui faisait m£priser en France le
commerce.
Son esprit, dont la curiositö <Hait si vive, s'enrichit et s'61argit. II
fit une enquöte sur le newtonisme ; il apprit la philosophie anglaise, qui
convenait mieux a son esprit net et pratique que celle de Descartes
et de Leibniz, philosophes « entratnös par cet esprit systlmatique qui
aveugle les plus grands hommes ». II lut Bacon « le pfcre de la philo-
sophie exp6rimentale ». II se fit surtout le disciple de Locke. Ce phi-
losophe avait publik des Leiires sur la toUrancc, un Essai sur
VEntendcmenl humain et un livre sur la Ralionalite du christianisme.
Dans YEssai sur rEnlendemenl, paru en 1690, il ruinait la thforie des
idäes innres, et enseignait que toutes les id£es naissent de la Sensa-
tion et de la röflexion, et que T6tude de Väme doit se passer de la
m£taphysique.
Les philosophes anglais 6taient, en ce qui concerne la religion,
divis6s en deux camps : les croyants et les simples d£istes; mais
ceux-ci gardaient un esprit religieux et chrGtien. Locke croyait en
EDUCATION
PH1LOSOPHIQCK
DB VOLTAIRE.
LE DEISMB
RELWIECX
DES ASGLAIS.
< I^I )
LEpoque de Fleury et de la Succession d'Autriche. livri n
Dieu, cause n6cessaire du monde, reconnaissait en Jesus-Christ le
Messie, et regrettait que Tficriture sainte, 6clatante de ve>ite\ eüt
6te obscurcie de mysteres par le pgdantisme th6ologique. En 1730,
Tindel publia Le christianisme aussi vieux que la cvialion, ou r£van-
gile comme reproduction de la religion naturelle. Parmi les ortho-
doxes, Berkeley s'illustra par son Systeme d'id6alisme absolu, Clarke,
disciple de Newton, däfenseur du libre-arbitre et de l'immortalite* de
läme, fut « auteur d'un livre assez peu entendu, mais estim6, sur
l'existence de Dieu, et d'un autre plus intelligible, mais assez m6prise\
sur la ve>it6 de la religion chräüenne ».
Ces derniers mots sont de Voltaire qu'amusait le spectacle de
cette vie intellectuelle intense et pleine de contradictions. II n'a certes
pas appris en Angleterre le scepticisme, que professaient en France
Bayle, Fontenelle et la sociäte* du Temple. D'autre part l'influence
de r Angleterre ne fut pas assez forte sur lui pour lui Commander ce
respect de l'esprit religieux que professaient les deistes anglais. Mais
ses sentiments et ses id6es furent öclaires et fortifiös par son sejour
en Angleterre, et par ses 6tudes philosophiques sur Bacon, sur Locke
et sur le newtonisme, qu'il appelle « la grande nouveaute* anglaise ».
lbs lbttrbs De retour ä Paris en fövrier 1729, Voltaire r6v61a 1' Angleterre aux
philosophiques Francis. Grimm a dit qu'en France, au commencement du
V 7SS )- xvin e siecle, on croyait que tout ce qui n'6tait pas Francais « man-
geait du foin et marchait ä quatre pattes ». Or, au milieu du siecle,
npmbre de Francis savaient l'anglais et admiraient l'Angleterre,
disciples en cela, pour une grande part, de Voltaire, qui, en 1733,
publia ses Lei tres philosophiques, ou plutöt ses Lellres sur les Anglais.
II y met en Opposition les deux soci6t£s franc.aise et anglaise, & la
grande confusion de la premiere. L'Angleterre est le pays de la tol£-
rance et de la liberte de penser : « Un Anglais, comme homme
libre, va au ciel par le chemin qu'il lui platt ». Les abus dont soufifre
la France n'y sont pas connus : « Un homme, parce qu'il est noble
ou prötre, n'est point exempt de payer certaines taxes; tous les
impöts sont reglos par la Chambre des Communes qui, n'6tant que
la seconde par son rang, est la premiere par son credit. » Point de
laxe arbitraire : « Le paysan n'a point les pieds meurtris par les
sabots; il mange du pain blanc, il est bien v&tu, il ne craint point
d'augmenter le nombre de ses bestiaux, ni de couvrir son toit de
tuiles de peur que Ton ne hausse ses impöts l'annöe d'apres. » II
melait a ces consid£rations et comparaisons des impertinences contre
la religion, et des plaisanteries sur tous sujets, par exemple sur Tim-
mortalitö de l'äme. II citait la phrase oü Locke insinue que l'&me
pourrait bien elre materielle : « Nous ne serons peut-Gtre jamais
< 17a >
CHAP. IV
La Vie intellectuelle
capablcs de connaltre si un 6tre purement mat£riel pense ou non », et
il ajoutait : « La raison humaine est si peu capable de dgmontrer par
elle-m6me l'immortalitä de Fäme, quela religion a 616 obligäe denous
la v6v6ler ». Les Lettres philosophiques furent condamnöes ä la
« brülure » en juin 1734. Voltaire dut alors se räfugier ä Cirey, prfcs
de Chaumont, chez son amie la marquise du Chätelet. La, il se trou-
vait ä portäe de la fronti&re lorraine. II demeura en correspondance
avec ses amis d'Angleterre, d£dia son Brutus ä Bolingbroke, Zaire ä
Falkener. II imita dans le Brutus, en 1730, dans la Mort de Cäsar en
1735, le ton des tirades shakespeariennes et d6clama contre la tyran-
nie. II se fit le grand propagateur en France du newtonisme.
Au m£me temps, un romancier et journaüste, l'abb£ Pr6vost,
entretenait le public des moeurs de TAngleterre, oü il passa quatre
annäes, de 1727 ä 1731. II dut sa c616brit6 ä un roman, Manon Les-
caut, paru en 1731; mais la majeure partic de ses ceuvres, Memoire*
et aventures d'un homme de qualiti qui s'est reiiri du monde; Clevc-
land, däcrivent et vantent TAngleterre, Londres et ses cafös, qui
« sont corame le sifege de la libert6 anglaise », les combats de boxe,
la libert6, Tesprit de tolörance. u Les Anglais ont reconnu que la
contrainte est un attentat contre Tesprit de rfivangile; ils savent que
le coeur des hommes est le domaine de Dieu. » Revenu en France,
Prävost fonda un Journal, Le Pour et Contre, sorte de revue encyclo-
p&lique, oü il promettait d'inslrer chaque fois « quelque particularitä
interessante touchant le g6nie des Anglais et de traduire m£me quel-
quefois les plus belies seines de leurs pi&ces de theatre » Le Journal
dura de 1733 & 1740. Prävost traduisit des oeuvres philosophiques ou
romanesques anglaises, par exemple les romans de Richardson,
Pamela, Ciarisse, Grandisson, dont le pathötique etla v6rit6 devaient
6mouvoir Diderot, Rousseau et leur gönäration.
VABBE PRäVOS7
<J697-i76$).
Le plus grand 6crivain et penseur politique de cette p£riode (ut votages
Tauteur des Lettres persanes. Montesquieu avait Fambition d'entrer DB Montesquieu.
dans la carri&re diplomatique, « n'6tant pas plus böte qu'un autre »,
disait-il. De 1728 & 1732, il voyagea pour s'instruire des raceurs et des
coutumes des nations. Accompagnant un ambassadeur de George II,
lord Waldegrave, qui 6tait lami de sa famille, il alla en Autriche, oü
il fräquenta de grands personnages, comme le prince Eug&ne et Stah-
renberg. A Venise, il rencontra des aventuriers c£l&bres, Law et le
comte de Bonneval. En Lombardie, il fut re^u par les Borrom6es, a
Turin, par Victor-Emmanuel; ä Rome, il connut le Pore Cerati, qui
demeura son correspondant. Rien n'ötait indifferent ä son esprit
curieux; il prenait des notes sur le commerce, l'industrfe, Tagri-
. 7 3
MONTESQUIEU
BN ANGLETERRE
(OCT. 17 tl
AOÖT 1731).
LBS • CONSIDi-
RATIONS SLR
LA GRANDEUR
DBS ROMAINS ».
L . BSFRtT
DBS LOIS ».
L'ßpoque de Fleury et de la Succession d'Autriche. uvaa n
culture, les travaux publics, sur les mines, les constructions navales,
sur le servage en Hongrie, les oeuvres d'art en ltalie. Lorsqu'il d£bar-
qua en Angleterre, il 6tait bien pr£par6 pour faire les comparaisons.
II se sentit lä respirer plus librement que partout ailleurs.
• L* Angleterre, dit-il dang ses notes, est ä present le plus hbre pars qui soit
au monde ; je n'en excepte aucune republique - je Tappelle libre, parce que le Prince
n'a le pouvoir de faire aucun tort imaginable ä qui que ce soit, par la raison
que son pouvoir est contröle et borne par un acte.... Quand un nomine, en
Angleterre, aurait autant d'ennemis qu'U a de cheveux sur la ttte, U ne lui en
arriverait rien. •
II y avait, dans Tadmiration des Francis pour 1' Angleterre, une
exag£ration dont les Anglais eux-m6mes samusaient : « Nous pou-
vons £tre dupes de la politique fran$aise, disait Walpole; mais les
Fran^ais sont dix fois plus sots que nous, d'Ätre les dupes de noe
vertus ». Montesquieu ne Tut point tant dupe. II vit trös bien que le
monde politique 6tait Irös corrompu : « L'argent est ici souverai-
nement estimö, a-Uil dit; l'honneur et la vertu, peu ». Mais il se
complut au spectacle d'une nation libre, oü tout le monde avait une
opinion politique, si bien que Ton voyait des couvreurs se faire apporter
« la gazette sur les toits pour la lire ».
Au retour d'Angleterre, Montesquieu avait pris le parti d'dtae,
comme il a dit, « un 6crivain politique ». II s'essaya par les Conside-
rations sur les causes de la grandeur des Romains et de leur dica-
dence, qui | arurent en 1734. (Test une oeuvre d'insuffisante critique;
Montesquieu accepte les r6cits 16gendaires des premiers temps de
Rome; il ne s'occupe pas de l'organisation financtere de l'Etat el ne
soupgonne pas l'importance de la religion dans la cite antique. II
refait, ä l'exemple de Bossuet, l'analyse des vertus romaines, et il
imite le ton sentencieux de Tacite et de Florus. Les Conside'raiions
ont un peu l'aspect d'un morceau d'apparat classique. On y trouve
du moins des r6flexions profondes et penetrantes, et comme une Emo-
tion sinceTe et grave devant la grandeur romaine.
Les Conside'raiions sont une sorte de chapitre detache* du Iris
grandlivre qui parut en 1748, LEsprit des Lois. Montesquieu appelle
« esprit des lois » les rapports que les lois ont ou doivent avoir «vec
la Constitution de chaque gouvernement, les moeurs, le climat, la
religion, le commerce, etc. « Les lois », en eflet, dit-il, « sont les rap-
ports näcessaires qui d^rivent de la nature des choses ». II expoeeces
diflförentes relations en une s£rie de livres pour ainsi dire paralleles,
car ils ne se commandent ni ne senchatnent les uns avec les autrea.
L'ouvrage est un recueil d'observations et de r£flexions faites pea-
dant vingt ans sur les hommes et les choses, class4es aprto ooup es
"7*
chap. it La Vie intellectuelle.
brefs alinäas, et reli6es avec une difficultä que Ton sent. Mais, si l'in-
tention et le dessein de l'auteur sont obscurs, les conteraporains retin-
rent les thäories de Montesquieu sur les trois gouvernements et sur
leurs pnncipes > l'honneur dans la monarchie, la crainte dans le des-
potisme, la vertu — c'est-ä-dire Famour de la patrie, la pratique de
i'6galit£, de la frugalitä — dans la röpublique. Ils retinrent aussi la
description du caractere des Anglais et l'äloge de leur Constitution,
que Montesquieu pr£sentait comrae l'idäal dune monarchie liberale
et aristocratique : royaute soutenue et contenue par des corps inter-
mädiaires, noblesse, clerg6, magistraturc; deux chambres reprGsen-
tant l'une les priviI6gi£s, lautre le reste de la nation; le roi servi par
des ministres responsables, inviolable et arm£ du droit de velo. 11s
applaudirent a ses protestations contre l'esclavage et contre la tor-
ture, ä ses idöes sur la totörance, et sur la n£cessit£ de l'äducation
par l'Etat dans le gouvernement räpubücain. Et ce fut une grande
nouveaut£ que d'avoir oppos6 ä la conception chrätienne et eccl£-
siastique, que Bossuet avait exprim£e magnifiquement dans le Dis-
cours sur rHistoirt universelle, une philosophie laicis^e de l'histoire,
oü Tactivit6 humaine sencadre dans la nature, et oü sont indiquäes
les relations de Thistoire politique avec l'histoire naturelle.
L'Espril des Lois fut attaquä par les Jans6nistes et par les automt*
J6suites, et d£nonc6 & TAssembl^e du clergä. II eut vingt-deux DB Montesquieu.
editions en dix-huit mois et fut traduit dans toutes les langues.
Pendant toute la ßn du sitele, on en publiera des critiques et des
analyscs raisonn£es; Condorcet le coramentera. Peu d'hommes de
la Revolution auront le m6me id6al que Montesquieu; tous invoque-
ront avec respect son autorit£, et lui emprunteront des citations et
des exemples. Les « philosophes », tout en le critiquant quelquefois
avec une grande vivacitä, le reconnattront comme leur mattre. Maisil
se distinguait de la plupart d'entre eux par Tesprit de mod&ration qui
lui 6tait naturel et quil estiraait convenir au l£gislateur. II ne fron-
dait pas outre mesure la religion; s6v&re pour « lesdövots », il etait
« charmö de se croire immortel comme Dieu lui-mfcme ». Bon citoyen,
il aimait le gouvernement sous lequel il etait n6, mais sans le craindre,
ni croire qu'il fut immuable. II avait dans le caractöre certains traits
antiqucs, le so in de sa dignit£, l'urbanitä, le culte de lamili^ la
mesure dans ses ambitions, l'6galit6 dame, le goüt des loisirs et de
l'ätude, dans la paix des champs. Son s6jour pr6för6 6tait son domaine
de La Br&de, od il surveillait la culture de ses champs et de ses
vignes. Un portrait qu'il a laiss£ de lui donne a penser que ce Fran-
cis du xvnr si&cle, spirituel et särieux, se proposa Cic6ron pour
modele.
< 175 »
VEpoque de Fleury et de la Succession d'Autriche.
uyri n
IE
CARTäSIANISMB.
LB NBWTONISMB.
11. — LES SCIENCES K
JUSQUE vers 1730, la physique de Descartes partagea la c£l6brit6
de sa philosophie. La soci6t£ polie croyait aux trois 616ments,
terrestre, Celeste et solaire, aux tourbillons 6th6r£s qui emportaient
les planstes sans qu'elles eussent un mouvement propre. Les dames
6tudiaient Tastronomie dans les Entret iens sur la pluraliti de$ mondes
du cartösien Fontenelle *, qui atteignit au temps de Fleury Ie comble de
sa renomm&e. 11 vulgarisait la science dans les E log es qu'il faisait de
ses confrores en sa qualitä de secrätaire perpätuel de l'Acad6mie des
sciences. Ses portraits d'acadämiciens sont tr&s vivants. Les thäories
scientifiques les plus £lev6es, les deductions les plus subtiles sont
exposöee par lui exactement, clairement, sur un ton simple et grave.
II faisait aimer la science parce qu'il l'aimait en v6rit6. Qu eile füt
cultiväe par les modernes, alors que les anciens l'avaient k peu pr&s
ignoräe, cela lui semblait une grande preuve de la sup£riorit6 des
modernes. La libert£ de son esprit, qui ne respeetait pas plus l'anti-
quit6 ohr&ienne que la pa'tenne, lui valut le titre que Voltaire lui
däcerna de « ministre de la philosophie ». Fontenelle, au reste,
donna l'exemple de la faillibilitö de la philosophie par sa fid£lit6 au
Systeme cartösien de la construetion du monde.
Cependant, le newtonisme entrait en ligne; Voltaire Texpose
dans les Lettres philosophiques :
• Un Francais qui arrive ä Londres, dit-il, trouve les choses bien changees,
en philosophie comme en tout le reste ; il a laisse le monde plein, et il le trouve
vide. A Paris, on voit l'univers composä de tourbillons en maliere subtile; ä
Londres, on ne voit rien de tout cela. Chez nous, c'est la pression de la lune
qui cause le flux de la mer; chez les Anglais, c'est la mer qui gravite vers la
lune. Chez vos cartesiens, tout se fait par une impulsion qu'on ne comprend
1. Sources Fontenelle, CEuure* completes, Paris, i8a5, 5 vol. in-8. Voltaire, CEuores,
t XXXVII (Essai sur la nature du feu); t. XXXVIII (Elements de la philosophie de Newton ;
Doutes sur la mesure des forces motrices).
Ouvrages a consulter. Desnoiresterres (Voltaire et la SocUte'), Faguet {XVIU* siede),
Jobez (L IV), Michelet (t. XVI), deja cites. Bertrand (Joseph), L'AcadimU des sciences et les
acadimiciens de 1666 ä 1199, Paris, 1869. M. Cantor, Vorlesungen über die Geschichte der Ma-
thematik, *• ed., Leipzig, 1901, au t. III. Marie, HUtoire des sciences malhimatique» et phg-
siques, Paris, 1886, au t. VII. Mach, Die Mechanik in ihrer Enlwickelang historisch' kritisch
dargestellt, 4 # ed., Leipzig, 1901. Lange, Geschichte des Materialismus, and kritik seiner Bedeu-
tung in der Gegenwart, 6« 6d., Leipzig, 1898. Couraot, Considiralions sur la marehe de» idies...
dans les temps modernes, 2 vol., Paris, 1872. Tannery, Les sciences en Europe, 1715-1789, au t.
VII de 1' « Hlstoire Ginirale da IV siede ä nos jours ». Loridan, Voyages de» astronomes
francais ä la recherche de la figure de la Terre et de ses dimensions. Lille, 1800. Maigron, Fon-
tenelle, Thomme, rceuvre, tinfluence, Paris, 1906. Sainte-Bcuve, Causeries duLandi, t III (Fon-
tenelle) et XIV (Maupertuis). Dubois-Reyraond, Voltaire physicien (Revue des cours acienll-
fiques..., 1868). G. Pellissier, Voltaire philosophe, Paris, 1908. L. Bloch, La philosophie ae
Newton, Paris, 1908.
2. Voir au precedent volume, p. 3y6.
* iy6 >
CHAP. IY
La Vie intellectuelle.
guere; chez M Newton, c'est une attraction dont on ne comprend pas mieux
la cause. A Paris, vous vous flgurez la terre faite comme une boule; ä Londres,
eile est aplatie des deux cotes. La lumiere, pour un cartesien, existe dans
Fair; pour un newtonien, eile vient du soleil en six minutes et demie. Voila de
seYieuses contrarias. -
Newton elendait aux rapports des corps Celestes entre eux la loi
qui fait peser les corps vers le centre de la terre et il enseignait que
tout se passe dans TUnivers comme si les corps Celestes s'attiraient
en raison directe de leur masse et en raison inverse du carr6 de Ieurs
distances. Ainsi les tourbillons devenaient inutiles pour expliquer
le cours des astres.
L'Acad6mie des sciences tint ferme pour les tourbillons. Mais
des newtoniens s y d6clar&rent. Ils etudiaient une des questions sou-
levöes par la doctrine de la gravitation universelle, la question de la
ßgure de la terre. Newton soutenait que la terre £tait renftee ä l'equa-
teur et aplatie aux pöles. Les cart£siens le niaient, en sappuyant sur
des observations g^odesiques faites en France. Ils avaient pour eux
l'autoritä du directeur de FObservatoire, Jacques Cassini, le fils de
Dominique. L'Academie däcida en 1735 d'envoyer une exp6dition
scientifique au P6rou, pour me surer quelques degres voisins de
lßquateur et les comparer aux mesures döjä relevßes entre les Pyr6-
n6es et Dunkerque. Les newtoniens object&rent que les r&ultats ne
seraicnt pas concluants, si Ton nenvoyait en m6me temps une autre
mission mesurer le degre le plus voisin du cercle polaire qu'il serait
possible d'atteindre. Parmi eux se distinguait Pierre-Louis Moreau
de Maupertuis, n6 ä Saint-Malo 1 , qui avait servi aux mousquetaires,
puis s'ätait adonn£ aux math£matiques. II avait fait, lui aussi, en 1728,
un voyage en Angleterre, oü il avait (H6 admis ä la Soci6t6 Royale de
Londres. II fut de la mission qui voyagea vers le pole, en 1736. Le
res ul tat des calculs des deux missions d£montra l'aplatissement de
la terre aux pöles
Maupertuis s'attribua la gloire de la d&ouverte; il se ßt peindre
et gravcr, coifte d'un bonnetde peau d'ours, tenant dans ses mains le
globc et l'aplatissant aux pöles. II devint du jourau lendemain Thomme
a la mode que les salons se disputaient. Un de ses compagnons de
mission, Clairaut', devint «»galcment c£l6bre. N6 en 1713, enfant pro-
dige, il avait Hfi admis ä l'Acad£mie des sciences en 1731, ä Tage de
dix-huit ans. II fut le plus consid£rable newtonien de France. 11 con-
firma le newtonisme par sa Theorie de la figure de la Terre. La cause
de rette « philosophie » nouvellefut gagn6e lorsque Voltaire leut expli-
QUESTiON
DB LA FORME
DB LA TBRRB.
EXPEDITIONS
Du PBROÜ
BT DU PÖLB.
MAVPBRTDIS
BT CLAIRAUT.
i Maupertut*. ne en 1696, e*t mort en 1759.
2. Clnircut, nc eo i7i3, est mort en 1766.
177 >
viu. 2.
12
Lßpoque de Fleury et de la Succession d'Autriche
livre n
LB TRAVAIL
SCIBNTIFIQUE
AU XVIII* SIBCLE.
VOLTAIRE H0MME
DE SCIENCE.
SON TRAVAIL.
qu6e au public dans les Elements de la philo&ophie de Newton, un des
plus beaux livres de vulgarisation que Ton ait 6cnts.
Les mathämaticiens Maupertuis et Clairaut furent, avec d'Alem-
bert que Ton retrouvera au chapitre de TEncyclopödie, dans la pre-
mi&re moitiö du xvm e stecle, les plus grands savants frangais. Les
autres sciences, physique, chimie, histoire naturelle *, ne firent que
de m&Iiocres progr&s. D'ailleurs, dans toute TEurope, cette päriode
est bien införieure ä la grande p£riode cr£atrice du xvn* si&cle. Les
savants ne sont gu&re occup6s qua dävelopper les cons6quences des
grands principes alors ötablis. G'est une suite defforts individuels ; ä
la fin du stecle, les gänies reparaftront pour coordonner le travail.
Mais, dans toute FEurope, la curiositä de la science est r6pandue,
C'est le temps glorieux de TUniversitä de Bäle, oü s'illustrfcrent, dans
les mathämatiques, les Bernouilli et surtout Euler, le grand mathä-
maticien du si&cle. Les Acadömies nouvelles de P6tersbourg et de
Berlin, celle-ci surtout, aprfcs Tav^nement du Grand Fr6d6ric, com-
menc&rent de rivaliser avec la Soci6t6 royale de Londres et avec
l'Acadämie des sciences de Paris. Celle-ci fut tr&s active; par ses
<( missions », par ses concoursetles prixqu'elle donnait, eile provoqua
le travail et Tencouragea. C'est aux sciences qu'allaient l'estime
et le respect.
Aussi les plus illustres 6crivains voulurent 6tre des savants.
Montesquieu a d£but6 par des dissertations scientifiques. Avant de
penser ä VEsprit des lois, il avait projetö une Histoire physique de la
Terre. Voltaire d£laissa un moment les lettres pour les sciences.
Ce fut au temps de son söjour ä Cirey chez la marquise du Ch&telet.
La marquise 6tait la plus savante des femmes du temps, coquette d'ail-
leurs, et qui avait men6 joyeuse vie pendant la R£gence. Le roi de
Prusse l'appelait V6nus-Newton et Mme de Bouffiers a fait d'elle ce
portrait :
Tout lui plait, tout convient a son vaste g£nie,
Les livres, les bijoux, les compas, les pompons,
Les vers, les diamants, le biribi, l'optique,
L*a)gebrc, les soupers, le latin, les jupons,
Lopera, les proces, le bal et la physique.
Elle passait les nuits au travail, ne dormant que deux heures.
Voltaire l'imitait. II « sc cassait la töte contre Newton ». La marquise
lui abandonna une galcrie dont il fit un laboratoire; il y rassembla des
livres et des instrumenta; il y eut des pr6parateurs; il n'en sortait que
i. Lei deux premiers volumen seulement de V Histoire naturelle de Buffon ont paru en
1749- La publicatioQ ne sera termiDee qu'en 1789
178
chap. iv La Vie intellectuelle.
pour souper; encorc arrivait-il que le souper füt servi devant les
machines et les sph&res. Voltaire ötudiait aussi la chimie. II con-
courut pour un prix de TAcad^mie des sciences sur la question de la
nature du feu. II se fit expedier des thermom&tres, des barom&tres,
des terrines räfractaires, v6cut au miheu des fourneaux et des forges,
pesant le fer rouge et le Ter refroidi. Sa dissertation, bien quelle
n'ait pas obtenu le prix, qui fut donn6 ä des antinewtoniens, n'ätait
pas sans valeur. II savait observer, il 6tait plus et mieux que ce que
disait uu de ses contemporains, qui l'appelait le « premier homme du
monde pour 6crire ce que les autres out pens6 ».
De savants amis lui couseillaient de laisser la po6sie pour la lL bbtoobnb aux
science. II eut un moment Tambition de succ&ler k Fontenelle II ebllbs^lbttbbs.
sentait le besoin dune Situation officielle qui le protäge&t contre les
cnnemis qu'il avait oflfens6s par ses moqueries, et contre ceux qu'in-
quiätait son esprit irrespectueux. Malgrg le succ&s de la Henriade et
de ses trag6dies, il n'6tait pas de l'Acadömie Fran$aise, oü l'empgchait
d'entrer Taversion du Roi. L'Acad^mie des Sciences lui aurait donnä
du prestige, et il essaya de tous les moyens d'y parvenir. Habile
homme d'affaires, il & 6tait enrichi par des sp6culations heureuses,
comme les fournitures de vivres adjug6es aux fr&res Paris, et les
entreprises de cargaisons exp£di£es en Am6rique. II pröta de l'argent
k de grands personnages et ä des membres de l'Acadämie. Mais,
apr&s qu'il eut publik, en 1741, ses Doutes sur la mesure des forcet
motrices et sur leur nature , oü se trouvent des vues justes sur une
question qui avait divis6 Newton et Leibniz, Voltaire quitta la partie,
sentant qu'il ne la gagnerait pas. Sa döception le rendit tout entier
aux lettres. II disait k d'Argental : « La superioritä qu\ine physique
s6che et abstreite a usurpde sur les belles-lettres commence k m'in-
digner... J'ai aimö la physique tant qu'elle na point voulu dominer
sur la poösie; ä präsent qu'elle 6crase tous les arts, je ne veux plus
la regarder que comme un tyran de mauvaise compagnie. »
111. — L'ÜRUDITION 1
PENDANT que se manifestait ainsi la curiosit6 publique pour les lks BisioicriNs
recherches et d6couvertes des sciences mathämatiques et physi- bt vACAoiMiB
ques, l'6rudition fran^aise persäv&rait dans son travail trois fois s6cu- ots iNSCMfTi0NS '
i. Sources Les divers ecrits deja ciies dans ce cbapitre et notamment les ceovres de
Bernard de Montfaucon : LAnliquiU expliquee, Paris« 1719-1724, i5 vol iü-f; Le» monumentt
de la monarehie francaise, Paris, 1739-1733, 5 vol. in-f*. Lettres de» BintWctfan* du la ConoH-
gation de Sainlliaur {(705 tut), p. p. E. Gigas, Paris, 1898, a vol
Ouvraoib a coitSüLTBR. AuberUo, V Esprit public au XVIII* »UeU, deja eile Babelon, Le
t i 79 >
LA BIBUOTHBQÜB
DU ROI.
L'ABBE BIGNON.
LES
- MISSION h AIRES '»,
Vipoque de Fleury et de la Succession cTAutriche. uvmi n
laire 1 . Religieux et laiques continuerent ä rivaliser de z&e; mais
l'Acad6mie des lnscriptions commen^ait ä prävaloir sur la Congrdga-
lion de Saint-Maur; l'abbayede Saint-Germain des Präs 6taitcn effei
tomböe en d&adence, depuis quelle fut gouvernle par le prince abb6
de Clermont, celui que ses malheurs ä la guerre firent appeler « le
g6n£ral des B6n6dictins ».
Le goüt des collections d'antiquitäs de toutes sortes fut plus vif
que jamais. Le Roi 6tait le plus granddescollectionneurs. Les collec-
tions royales furent administr£es ä partir de 1718 par le savant abbö
Bignon 2 , « bibliolh^cairc du Roi », et membre de l'Acadlmie des
lnscriptions. A sa requäte, le R6gent fit trän sporter la Biblioth&que
de la petite maison de la nie Vivienne ä l'Hötel de Nevers, oü eile est
encore. Laccroissement des locaux permit le d6veloppement des col-
lections; le Roi acquit les manuscrits de Colbert, de Delamare, de
Baluze, ceux du president de Mesmes, le cabinet d'estampes de
Beringhem, les grandes collections de Lancelot et de Sallier, en
somme des milliers de volumes et de pieces rares.
Des « missionnaires » furent envoyös au Levant pour rechercher
des m&laüles et des inscriptions. GrAce aux subsides fournis par
Maurepas, lui-m6me grand amateur d'antiquitös, Tabb6 de Fourmont
recueillit en Gr&ce une moisson d'inscriptions; l'abb6 Sevin r6unit
plus de six cents manuscrits de langues orientales. A Constantinople,
Fäcole des « jeuncs de langue » fut etablie pour copieret traduire les
ouvrages turcs, arabes et persans. Les directeurs de la Compagnie
des Indes recherchaient les livres indous; les ambassadeura de
France, de la Bastie et de Froulay en Italie, de Bonnac en Suisse,
PI6I0 dans le Nord, furent les utiles auxiliaires du Roi. Des aebats
6taient faits ä Madrid, Londres, La Haye, aux foires de Leipzig el de
Francfort, ä Venise et ä P£tersbourg. Quand Bignon quitta sa Charge
en 1741, les collections royales etaient doublees.
Des hommes publics et des particuliers reunirent aussi d'impor-
cabinel des anliquen ä la Bibliolheque nationale, Paris, 1897-1889. 4 portefeuillea in-fV Boitsier
(Gaston), Un saoant da XVIII» stecle, Jean-Francoi* Signier, anttqaaire, d'mpres M corrrspom-
dance intdite (Hevuc des Deux Mondes. 1" avril 1871^. Broglie (Emmanuel da), La soeUU dt
rabbaye de Saint-Germain-desHre's aa XVII h siede. Bernard de Monlfaacon al Jat Bammrdimm
(1115-175$), P«ria, 1891, arol. Omont (Henri), Bernard de Monlfaacon, so famBss st sm pro-
mieres annies (Annale« da Midi, ifya, 1). Geffroy. U Charles XII de Voltaire el le Chartas XII
da misloire (Revue des Deax Mondes, i5 novembre 1869). Maury (Alfred), Les Acmdimim
damlrsfou. L'anciennc Acadimie des lnscriptions et Belle*- Lettre** Parte, thm% Moood (G-),
Da progres de* Hades historiqnes en France depuis le XVI* siecle (Rerae hlstorique. Intro-
doction da t. I. 1&76V. Rocheblave. Essai sar le comle de Gay las, Paria, 1889. Sainte»
Beava, Camsarias da lundi, t. VI (L'Historien Rollin,. Ferte (H.), Holtim, so ose, ses anmwt* «f
rünsmrnM de som temps, Paris, 1902. Braunscbwig (M.). Labbi Dmbos etmovosoor dela crtlkjm
am XVIIh siede* Paris. 1904.
1. Volr Histoirt de France* t. VII, 2, p. 161-171. et VIII. 1, p. 4o3.
2. L'abbt Bignon est ne en i689, mort en 1743.
180
CBAP. IT
La Vie intellectuelle.
tanles collections. Maurepas ornait d'antiques son cabinet de travail, lbs collbcttons
et, ä loccasion, courait en chaise de poste pour recueillir une piöce -MW*« a pams.
curieuse ou pour dessiner, k Frejus, des ruiaes romaines. Le secr6-
taire perp^tuel de l'Acad6raie Franchise, Gros de Boze, possesseur
dun cabinet d'antiquit6s, devint garde des antiquitös du Roi, qu'il
fit transförer, en 1741, de Versailles k Paris, pour les mettre k la
pori6edes travailleurs. Sonami, lecomtedeCaylus, commengait vers
le m6me temps une collection d'antiques. Le medecin Mahudel fut un
numismate, un amateur d'estampes, de portraits, de statuettes de
bronze; il acquitdouze collections particulieresquil r&initä lasienne,
pour c6der le tout au Roi en 1735. II en fut de m6me des collections
d'histoire naturelle, de livres et de raanuscrits du duc d'Esträes.
Ce goüt des collections se repandit alors dans les provinces. les
Toute ville de quelque importance eut ses a cabinets » de curiositfe. collbctionnburs
A Lyon, M. de La Tourette, präsident dela Cour desMonnaies, acquit bnprovincb.
une Imputation pour le choix de ses livres et la beaute de leurs reliures.
A Bordeaux, le conseiller Jean-Jacques Bei 16gua k TAcad6mie de
cette ville sa bibliotheque, avec la clause quelle füt accessible k tous.
M. de Valbonnais, president de la Chambre des Comptes, k Grenoble,
reunit des objets dart, et le marquis de Caumont, ä Avignon, des
marbres antiques, däbris des monuments romains de Provence. Le
Nimois S^guier, numismate, antiquaire, botaniste, accompagna Fhis-
torien i tauen Maffei en Angletcrre, en Allemagne, en Italic; il entre-
tenait correspondance avcc tous les savants du monde.
La plus belle bibüothöque du Midi fut fondee dans la premi&re
moitiä du xvm* siecle par un personnage original, Dom Malachie
dinquimbert, ancien dominicain, devenu trappiste; le Pape Cle-
ment XII le fit archev6que in partibus de Th^odosie, et Louis XV le
nomma ev£que de Carpentras en 1735. Dom Malachie apporta de Rome
plus de quatre mille volumes precieux. Passant k Aix, il acheta aux
heriüers du president de Mazauges les 16 000 volumes que laissait ce
collectionneur. II negocia l'aflaire en secret, de peur de soulever
la Jalousie des magistrats de la ville, chargea ses richesses sur douze
voitures et se mit en route pour Carpentras. Bien lui en prit dalier
vilc, car on courut apres lui; par bonheur, on ne le rejoignit que
(juand il eut franchi la Durance, et se trouva sur les terres du Pape.
II rassembla dans un vastc hötcl 20 000 volumes, plus de 700 manu-
scrits, un m^daillier de 4000 piöces, des tableaux, des antiques, et
rendit public ce beau depöt.
DOM MALACHIE
aiNQÜlMBBRT
(tm-nsi).
Dans toutes ces collections travaillerent nombrederudits, qui
tircrcnt des publications considörables.
181
VEpoque de Fleury et de la Succession dCAutriche.
UVRE n
les tbavaüx Les Congr6gations religieuses, et par-dessus tout les B6n£dictins,
des bün&dictins. continuörent leurs travaux commenc&s au sifccle pr£c6dent et en entre-
prirent dautres, tr6s consid&rables. Le Recueil des Histonens des
Gaules et de la France, destinä ä röunir les sources historiographiques
de la France depuis les origines, est commenc£ par le bibliothäcaire
de Saint Germain des Pr6s, Dom Bouquet * : il publie huit volumes, ä
partir de 1737. Dautres Bönödictins continueront la publication,
et, apr&s la Revolution, Dom Brial, devenu membre de rinstitut,
transmettra ä lAcademie des Inscriptions la direction du Recueil.
VHistoire UtUraire de la France, entreprise parallele ä la pr^cedente,
se compose dune sörie d^tudes historiques et critiques sur les
principales oeuvres de notre litterature : neuf volumes ont paru
sous la direction de Dom Rivet, de 1733 ä 1750; les B6n6dictins,
puis TAcademie des Inscriptions, poursuivront la publication jusqu'ä
nos jours. EnGn, pour Thistoire ecclösiastique de la France, Tceuvre
plusieurs fois projet£e et abandonnöe au xvu e si&cle est reprise par
Dom Denis de Sainte-Marthe : le premier volume de la Gallia chris-
liana parait en 1715. La Involution interrompra la besogne presque
achev6e, au tome XIII. Les trois volumes ajoutäs de 1856 ä 1865 par
M. Hauräau ont complätö ce pröcieux recueil*.
La plus consid&rable entreprise desB6nädictinsfutla publication
des histoires des principales provinces de France. Les membres de la
Congr£gation se partagerenl la besogne, en se groupant d'ordinaire
& deux pour chaque province. Ainsi furent publikes les histoires de
Languedoc, de Bourgogne, de Bretagne 8 . D'autres provinces furent
6tudi6es, notamment la Picardie, par Dom Grenier, la Touraine, par
Dom Housseau, le Poitou, par Dom Fonteneau, la Normandie, par
Dom Toussaint-Duplessis; mais leurs histoires sont restees ina-
chev£es.
Un Wn6dictin, homme d'esprit supörieur, domina tous les
6rudits de son temps : c'est D. Bernard de Montfaucon*. Issu d'une
famille noble du Languedoc, il avait servi, comme volontaire, dans
rannte de Turenne en 1673 et 1674; puis il &ait enträ au monastere
Point du tout mystique, gai, imp&ueux, batailleur, spirituel et fin, il
fut un des plus grands travailleurs du stecle. II connaissait Tantiquite
i. Dom Bouquet, n£ en i685, est raort en 1754.
2. Sur ces trois oavrages, voir aussi t. VII, 2, p. 167.
3. Hisloire ginirale da Languedoc, par D. Devic et D. Vaissete, 5 vol. ln-f\ 1780-1745. -
Hutoire gintrale et particaliere de Boargogne, par D. Plancher et D. Merle, { vol. in-f*,
1788-1781. - Hutoire de Bretagne, par D. Taillandier et D. Morice, 2 toI. in-l\ 1750-1756. -
On peilt joindre a ces trois ouvrages YHistoire de la mite de Paris, par D. Felibien, 5 vol.
in-f*. 1725. - Un Benidictin de la congregalion de Sainl-Vanne, Dom Calmet, composa
egalement YHistoire ecctisiastique et civile de la Lorraine, i, toI. in-f*, 1728.
V Montfaucon, ne en i655, est mort en 17^1.
LBÜRS HISTOIRES
PROVINCIALBS.
D. BERNARD
DE UONTPACCOH
< t82 >
CHAP. IV
La Vie intellectuette.
profane et les plus anciens öcrivains eccl£siastiques, savait Fhöbreu,
Je syriaque et le copte. II traduisit le livre de Philon sur/a Vieconlem-
plalive, et publia une PaUographie grecque, pendanl du Traili de
Diplomatique de Mabillon. Son grand ouvrage fut VAnliquite expli-
quee, paru en 1719 : sorte de repertoire detousles monuments figuräs
de l'antiquitä connus en son temps. L'ouvrage avait des lacunes
regrettables. Par exemple, D. Bernard ne crut pas devoir reproduire
les monuments 6gyptiens, pour ce motif singulier que « les figures
de l'Egypte ölaient trop bizarres pour prendre place ä la töte des
antiquitcs ». II n'en donna pas moins un nouvel elan ä l'ätude de Tan-
tiquite classique. En 1725, alors qu'il atteignait sa soixante-dixiöme
annee, Montfaucon adressa une circulaire ä tous les savants de l'Eu-
rope pour la publication des Monuments de la Monarchie frangaise. II
pensait que lhistoire de la France, corarae Celles des Grecs et des
Romains, pouvait ßtre £clairee par les monuments; que la « Tapis-
serie de Bayeux » 6tait un document, tout comme les chroniques,
sur la conquftte de TAngleterre. II aurait voulu faire connattre au
public les costumes, les c£r6monies, les drapeaux, les machines de
guerre, les ödifices de tous les siecles anterieurs. 11 fut aide par la
plupart des erudits et collectionneurs, surtout par ceux qui corap-
taient voir publier des piöces de leurs cabinets. Mais la mort rempi-
cha d'achever la publication. Tel quel, son travail avait une valeur
consid6rable,car rien desemblable n'existait auparavant. Mais quand
on le publia, en 1733, il eut peu de succes. Le public dädaignait le
moyen äge, quil ne comprenait plus. On s'etonna que Montfaucon fit
l'^loge des cathädrales gothiques, r£pul£es laides et barbares.
Les Jesuites poursuivirent de leur cötö la publication des Acta
sanctorum, jusqu'ä la suppression de leur congregation : cinquante-
trois volumesavaient alors paru. Les Dominicains publierent les Berits
des membres de leur ordre 1 ; un Oratorien, le P. Lelong, donna, en
1719, le plus grand recueil bibliographique qui existe sur l'histoire
nationale 1 .
Mais la compagnie qui reunit de beaueoup le plus grand nom-
bre d'crudits fut lAcademie des Inscriptions*. Destinöe ä lorigine
uniquement ä com poser les devises des m6dailles royalee, eile avait
eu son Organisation modifiee par le röglement du 16 juillet 1704.
Elle nentreprit rien de notable avant 1715; aprfcs, sous la directionde
l'abb4 Bignon, eile commenca de grandes publications collectives,
AUTBBS OBDBBS
BBUGIBUI.
LACADBMtB OBS
iNscrnrnoNs.
1. Seriplores ordinu Prmdtcatoram reeentili, a vol. in f*, 1719-1721.
3. Bibliolhtque hitloriqae de la France, retdite« el completee par Ferret de FonUtte,
5 vol. in-f*. 176&-177Ä.
8. Voir au vol. prtc4deot, p.406.
i83
UEpoque de Fleury et de la Succession cTAutriche. uvre n
analoglies ä Celles des B6n6dictins. Elle publia dans ses Mimoires,
qui commenc&rent k paraltre en 1717, une s6rie d'6tudes originales
sur les sujets les plus divers.
le recdejl des Le chancelier Pontchartrain avait congu le projet de recueillir
ORDOMANCBs. dans une grande collection touies les ordonnances des rois de
France, et il en avait confi6 la publication k trois avocats, parmi
lesquels Eus&be de Laurtere. Aprfcs rapparition du premier volume
en 1723, un membre de l'Acadämie, Secousse, se chargea de la
continuation , quatorze volumes ont paru dans le cours du xvnT si&cle
sous le patronage de la compagnie.
la table La publication des principaux documents d'archives concernant
des diplSmes. l'histoire de France ötait une des ambitions de TAcadömie. Elle ne
put la satisfaire, ä cause de 1 ampleur de cette entreprise, du moins
la Table chronologique des diplömes, fut publice par trois de ses
membres : Secousse, Br6quigny et Lacurne de Sainte-Palaye *.
travaük Aux publications collectives, il faut ajouter les travaux personnels
PARTicuLiBRs des d e membres de TAcadömie. Ces travaux furent consid6rables. Lacurne
academicibns. j e Sainte-Palaye continua les 6tudes de Ducange sur le moyen Äge,
dans ses Mimoires sur l'ancienne chevalerie et dans son Dictionnaire
de rancien iangage frangais, publik seulement de nos jours*. Le
Präsident Bouhier a donn6 des Remarques criliques sur les icrils de
Ciciron. L'abb6 Lebeuf (Scrivit une Hisloire de la ville et du diocise
de Paris qui a paru digne d'une r66dition en notre temps*.
f-RERET. Nicolas Fröret 4 , secrötaire perpötuel de l'Acadämie, critiqua d'une
intelligence vive et trfcs libre les id£es regues sur lantiquite. En
mythologie grecque, il ruina döfinitivement l'opinion qui ne voyait,
dans les legendes grecques ou romaines,qu'unealt6ration des tradi-
tions de TEcriture. Sur la question de l'origine des P61ages, il fit
une rüde guerre ä un avocat nomm6 Gibert, qui pr6tendait faire des-
cendre ce peuple des Syriens, en partant de Thypoth^se que Japet
aleul de Deucalion, 6tait le möme que Japhet, 61s de No6. Dans son
6tude sur les Cimmöriens, parue en 1745, il montra Tordre suivant
lequel s'ötaient opöröes les migrations asiatiques, marchant du Pont-
Euxin vers le Danube. II entrevit la parentä des langues indo-
europöennes.
Ainsi, pendant tout le cours du xvin e si&cle, l'Acad&nie des Ins-
i. Table chronologique des diplömes, chartes, titres et acte* imprimis concernant Thistoire de
France, 3 vol. in-f*, 1769-1783.
a. Mimoires sur rancienne chevalerie francaise, 3 vol. in-f , 1759-1787. — Dictionnaire de
rancien Iangage francais, publie par Favre, 10 vol. in-4«, 1875-1882.
3. Histotre de la ville et de tout le diocese de Parts, 10 vol. in-f». 1754-65; nouv. *d. par
Augier et Bournon, i885
4 . Nie Freret, ne en 1688, est mort en 1749.
< 184 >
chap. iv La Vie inteUectueUe.
criptions contribua au däveloppement des ätudes d'6rudition. Elle
appelait k eile Teüte des 6rudits, frangais et £trangers. Elle pourra,
apr6s la Revolution, poursuivre la grande ceuvre des B6n6dictins.
Les institutions et les coutumes de la France continu&rent d'Ätre travaüx sur
£tudi6es par des 6rudits. Delamare ßt le TraiU de la police '. Bourdot l*s institutions.
de Richebourg pubha le Nouveau Coulumier giniral*. De savants
commentaires sur les lextes lägislatifs de toute sorte qui composaient
le droit fran^ais illustr&rent d'Aguesseau Boncerf Hanrion de Pansey.
Leurs 6tudes präparaient le travail des juristes qui bientöt devaient
r&liger nos codes modernes.
Dans ce grand et admirable travail de l^rudition francaise, vhistoirb
patiente, ingänieuse et claire, apparaissent deux nouveautäs : This- bcclesiastique
toire ecctesiasüque est d61aiss6e; l'£glise ne semble plus s'Gtre int£- abandosn&b.
ressäe k ses origines etä son d£velopperaent historique, depuis que la
rävocation de l'£dit de Nantes lui a procura la victoire. D'ailleurs,
eile sait que les 6tudes critiques poussles k fond mettent la foi en
peril. L'autre nouveaute c'est que l'6rudition se mGle pour ainsi dire
ä la vie gänärale, et quelle a ses räpercussions dans la politique.
Tr&s vive fut la curiosit6 des choses anciennes. Le public s'int£- la curiositü
ressa ä des dissertations sur les lois de Tancienne Rome, corame la DBS
Loi des Douze Tables et la Lot Sempronia, et sur les institutions CH0SES B0MAlSBS '
militaires romaines. VAnliquili expliqude de Montfaucon, oü les
textes latins 6taient traduits, expliqua en effet l'antiquitä aux lecteurs
qui furent nombreux; les dix-huit cents exemplaires de la premtere
Edition furent vendus en deux mois, et les deux mille de la seconde
en moins d'un an . Quelquefois les savants faisaient des rapprochements
entre le pass£ lointain et le präsent. Un b£n6dictin, D. Vijicent Thuillier,
et un ingönieur militaire savantet c£l£bre, le Chevalier de Folard, s'as-
soci&rent pour traduire et commenter Polybe. Dans le comnientaire,
le chevalier critiqua T6tat social de la France et fit des portraifcs sati-
riques de g£n£raux frangais, morts ou vivants; aussi Timpression du
livre fut-elle suspendue, — eile s acheva en Hollande, — et le chevalier
menacä de la Bastille. Mais ce fut indirectement, d'une raanifcre diffuse
pour ainsi dire, que Tantiquit6 agit sur les esprits. On admira
Romc dans VHistoire des rivolulions de la ^publique romaine de
Vertot, surtout dans YHisloire romaine de Rollin s , qui fut, au
wm* siöcle, un livre classique, et dans les Consideralions de Mon-
tesquieu. Ces livres pr6par6rent le retour au goüt de l'antique et
i. TraiU de la police, par Delamare et Leclerc du Brillet, 4 vol. in-f*, 170&-1758.
2. 4 vol en 8 tomes in-f*», 1704.
3 Vertot, Hieloire des rtoolations de la ripubliqae romaine \ 1719, 10 vol in-12. — Rollio,
Hisloire romaine, continuee par Crevier, 17&-42, 8 vol. in-12.
( l85 >
iTUDB
DBS ORIGINES
NATIONALES.
UÜpoque de Fleury et de la Succession d'Autriche.
urai n
mirent dans les esprits cette chimere dune röpublique ä la romaine
qui 6gara des revolulionnaires.
Dautre pari, la critique se porta sur nos origines nationales.
Freret, pour avoir demontrö quc les Gaulois et les Francs n^taicnt
pas de m6me race ', fut un moraent mis ä la Bastille. Le comte Henri
de Boulainvilliers se servit de cette demonstration pour 6tablir une
theorie aristocratique dans YHisioire du Gouvernement de la France,
qui parut en 1727. Dapres lui,la noblesse descendait de la race con-
que>anle des Francs, ce qui expliquait ses privileges et ses droits. II d6-
crivaitlcsanciennesinstitutionset regrettaitles Etats g£ne>aux.L'abbe*
Dubospresenta, en 1743, une theorie toute contraire dans son Hitloire
critique de l Etablissement de la monarchie francaise dans les Gaules. II
sou tint que les Francs n'a vaien t pas conquis la Gaule, oü ils elaien t entr£s
en vertu d'une alliance conclue avec les eile's gauloises conf6d£r6es;
les nobles n'<Haient donc pas les descendants d'une race conquerante.
Montesquieu prit parti dans le debat ä la ßn de son Esprit des Lois.
L'histoire de l'e>udition au xvni* siecle te*moigne donc d'une
grande activite intellectuelle, en partie desinte>ess£e, en partie tournee
vers la pratique. II y a correlation entre les recherches sur les origines
humaines et les recherches des physiciens sur les origines des choses.
Historiens et physiciens avairnt ggalement linquielude de savoir et
de comprendre, la largeur des id£es, la passion de la ve>it6.
LES CARACTBBBS
KOUVEAUX
DE LA
UTTE BATORB.
IV. - LES LETTRES. POESIE. PROSE. TH&ATREK
LE xviii« siöcle na pas produit une esth&ique nouvelle. II est
demeurä docile aux doctrines classiques et obeissant aux lois
des genres. Voltaire recommandait de « ne pas dire de mal de
Nicolas », c'est-a-dirc de Boileau, parce que « cela porte malheur ».
l. Dans son Uimoire sar torigine des Francais, publik en 1718.
a! Socuces. Barbier (t. II;, Dufort de Cheverny, Favart {Mimoirts et
Henault, deja cit^ti. Clairon (Mlle), Mimoirtt, Edition Barriere, Paris, 18(6. D«
(Marquise), Correspondance eomplett... acte »et amis, le pritidenl II inaall, Mtonleaamkm,
btrt, Voltaire, Ilorace Walpole, Paris. 1866. 2 vol. Grimm, Diderot, Rajrnal «4 I
Correspondance lilliraire, philosophiqae et criliqae {1747-1793), Paris, 1877-1882, 16 toI. (au
tomes I et II).
OuviiAGES a consultvr. Font (Faoarl), Jullien (Let grandet nuits de Sceaux), deja die«.
Bapst. Essai »ar rhitloire da IhiAlrt, Paris, 18W. Du BIed, La Comidis dt socUH sm
XVlll* siiclt, Paris. 1898. Cousin (Jules). Le Comle de Clermonl, sa eour et ses ataOratiii,
Paris. 1867. a vol. Jullien, Les spectaleurs sur le IhiAlrt. Paris, 1876. E. Ganderai, Lm
condition des comidiens au XVI 11* siMe (Rev. des Deux Mondes, oct. 18&7). fUrtnt «-B«M*a«
Causertes du Lundi, t. I (Adrienne Lecouvrcur) ; Noaveaux Lundls, t. IU (La dacbaa»«
du Maine), t. VII (Mlle Colle), t. XI (Mlle de Clermont). Jusserand, Shakespeare en Frames,
Parts, 189B
Lanaon, Huloire de ta Ulliralurt francaise, 9* ed , Paris, Hacbette, 1906. Id., Vottstn {Mtjß
« 186 >
CHAP. IV
La Vie intellectuelle.
Mais le lemps et les mceurs deTorment peu k peu l'idöal toujours res-
pectö des classiques. Dejä la quereile des anciens et des modernes
avait dcsabusä beaucoup d'esprits du « prejugä grossier de Fanti-
quitä », comme avait dit Perrault '. Marivaux a publik en 1714 une
Made iraveslie. Voltaire, dans Candide, d6clare qu'il s'est niortellc-
ment ennuy6 ä la lecture de ce po&me v6n6rable et le compare ä « ces
mödailles rouillees qui ne peuvent 6tre de commerce ». La « raison »
se tourne toute vers l'avenir. Le mot « progr&s » n'est pas encore en
usagc ; mais l'idfe qu'il exprime hante Tesprit des 6crivains. Les lettres
sont invitees ä contribuer ä ce progres en travaillant pour la soci6t6,
ou, comme on disait avec un ton de respect, pour « Institution so-
ciale ».II Taut que m&me la poösie tragique, meme la poesie lyrique
apprennent ä se rendre uliles, ä servir. D'ailleurs, est-ce qu'on a
besoin d'une poesie? La po6sie, avait dit Newton, est une « niaiserie
ingenieuse »; et les g6ometres demandaient : Une trag6die, qu'est-ce
que cela prouve? Tout le monde, en eflct, röclamait des raisons et
des preuves. La guerre ötait d£clar6e ä l'irrationnel, ä « Tabsurde ».
Par lä, on entendait ä peu pr6s tout ce qui futlongtemps aim6, admirä
ou craint, toute la religion, toute la politique.
A ce combat seraient impropres les armures amples et solennelles tbansfobmation
d'autrefois; il y fautun 6quipement leger. La « periode » est abandon-
nee, cette longue periode, oü des conjonctions, des relatifs marquaient
la marche grave de Tid6e. La nouvelle phrase, courte et vive, ana-
lyse clairement les id6es; eile aiguise les argumenls en traits. La
proprielö des termes et Tordre paraissent 6tre les qualites essentielles
du style. Mais on garde la tradition de T616gance, et Ton est puriste,
au point que le vocabulaire s appauvrit *. Les grands öducateurs du
temps, les J6suites, enseignaient le choix heureux des tours et des
mots, et leurs 61fcves ötaient deUicats sur le detail.
Le penchant des esprits va vers Tironie spirituelle. Ironie pru-
dente, car les Parlements naiment pas les plaisanteries, et « mon
chateau de la Bastille », comme disait le Roi, est toujours debout. On
aura donc de Tesprit pour combattre, et de Tesprit pour £viter les
coups. On en raettra mi peu partout, pour plaire aux autres et pour
DO STYLE.
LIBOS1B
B7 VBSMtTi
LA SBNSIBIUTB
eitel. Id., Nioeüe de la Chaussie..., Paris, 18&7 Bru neuere, Mannt i histonqae de la UMra-
ture franeaiu, Paris, 190a. Id., Stades crtliques, a« et 9» series (Marivaux, l'abM ?[*"*]>,
Larroumel, Marivaux, sa ole et $e$ auoree, Parts, 188». Lebrelon, Le roman au XVllr ««f'f»
Paris, 1898. Schröter. Un romander francale au XVM siecle. tabbi Pr4oo*t Paris, 189*.
Maurice Paleolo«ue, Vauoenarguet, Paris, 1890. Llntilhac, Le Sage, Paris, 1898. Lloo, Lm
ragtdiee et le$ theories dramaliques de Voltaire. Pari», 1895. Bernard (Abbe), Le eermon am
XVIII* sitcle, Paris, lqoi. MarUno, LOrienl dam la lilUrature frone*** am XVII 9 et am
XVI //• stielet, Paris, 1906.
1. Voir ao precedent volume, p. 412-430.
2. Voirfb/d, p 4iaet4i&
c 187 »
CURI0S1T&
UNIVERSELLE.
IMMORALITÜ.
U&poque de Fleury et de la Succession d'Autriche. livre u
samuser soi-m6me. On a tani besoin de s'amuser, apräs la contrainte
du si&cle d'avant. Montesquieu a d6montr6 dans les Lettres persanes
quil n'y a pas « deux esp&ces d'hommes, ceux qui s'amusent et ceux
qui pensent », et qu'on peut penser en amüsant. Mais d6jä s'annonce,
en contraste, une disposition toute nouvelle. En m6me iemps que de
la raison et de lesprit, on veut avoir du coeur. Le mot « sensible »
est apparu dans les derniers temps du grand regne; Louis XIV lui-
m6me Temploya; au xviii* stecle, il est sur iouies les lfrvres. Ces
ötres raisonnables et « philosophiques » voudront, k des moments,
« perdre la raison », devenir « fous », et ces rieurs, pleurer, et m£me
<c s'6vanouir » k la vue des personnes « touchantes » que leur offri-
ront le thäätre et les romans.
Enfin les esprits du xvm* si&cle sont disperses par leur curiosite
k travers les sujets les plus divers, philosophie, sciences, g6ographie,
et k travers des pays dont le nom 6tait k peine connu des classiques
du xviT siöcle. D6}k sannoncent « les citoyens de Tunivers ». Si, k
ces traits divers, on ajoute que les moeurs sont, depuis la R6gence,
ouvertement libidineuses, et qu'il y a pour les polissonneries l'applau-
dissement assur6 d'un grand public, on a rassemble' la pbysionomie
du xvm e si&cle, jusqu'au jour oü commencera, avec Jean-Jacques
Rousseau et d'autres, la räaction de la vertu et du s6rieux.
LA POESIE.
LA HENRIADE.
LES LYRIQUES.
La poäsie fut tr&s mödiocre. Pour les äcrivains en vers, le rythme,
qu'ils ne sentent pas,semble n'ötre plus qu'une Convention, un usage
consacr6. Ils se contentent d'orner leurs alexandrins monotones par
« ces beautäs de detail, ces expressions heureuses, qui sont TAme
de la po6sie », comme disait Voltaire. II faut cependant remarquer
que plusieurs versificateurs surent joliment manier le vers libre dans
leurs petites pi&ces galantes.
Le fameux po&me öpique de Voltaire, la Henriade, est un recueil
de « beautös » littöraires, oü manquent l'invention dramatique et la
vie. Publik en 1723, revu et enrichi pendant le sejour de Tauteur en
Angleterre, ce po&me plut par la nouveautä des d£tails, par la des-
cription de la balonnette, de la bombe, par celle des d6couvertes de
Newton, et aussi par la fermctä toute latine de certains vers. On y
sent que Voltaire a £t£ fort en vers latins chez les J6suites.
Des poetes lyriques multiplterent les ödes, ils se bornaient k
traiter des lieux com ra uns de moralc en des vers abstraits et chargäs
d'allßgories, ou ä paraphraser pompeusement les psaumes et les pro-
ph&tes. Le plus illustre fut Jean-Baptiste Rousseau ', qui choisit, sans
i. Jean-Baptiste Rousseau, nc en 1671, est mort en 1741
< 188 >
cHAP . iy La Vie intellectuelle.
vocation naturelle, le lyrisme; il organisait de beaux d6sordres dans
ses ödes, suivant le pröcepte de Boileau. On ne peut, d'ailleurs, lui
refuser de Tampleur et de Tharmonie. Le goüt 6tait demeurä telle-
ment classique que Jean-Baptiste fut tenu pour le prince des lyriques
et r66dite jusque vers 1820.
On ölabora quantit6 de poemes didactiques. Louis Racine, « petit les didactjqübs.
fils d'un grand pfcre », comme a dit Voltaire, ßt sur la Religion de
tristes vers jans&iistes. A Voltaire seul le genre didactique n'a pas
£te fatal; il a trouv6 le moyen d'avoir de Tesprit dans ses Discours
sur CHomme.
Des esprits ingänieux s'avis&rent que la science pouvait fournir poäs/s
des thöraes nouveaux ä la po6sie. La cosmogonie de Newton a heu- scibstifiqde.
reusement inspirö Voltaire dans une ßpttre ä Madame du Chatelet
en 1736. Apr&s lui, Malfilätre c6l6brera dans une ode le Systeme de
Copernic, le soleil fixe au milieu des planstes. Mais ce sont lä des
tentatives de po&tes en quöte de po6sie, et qui rappellent les vers
astronomiques des alexandrins. Malfilatre et les autres n'ont fait que
pressen tir la po6sie de la science.
Mais les po&tes de ce temps ont excell6 dans les petits genres oü po&sie famiuehe
il faut seulement de Tesprit et du tour : l^pttre, la satire, souvent etl^c^re.
mise en dialogue ou en conte, le conte, le madrigal, lidylle galante,
les imitations des 6l6giaques latins, r^pigramme, oü triomphe le
tr&s spirituel Piron 1 . Ici encore, ici comme partout, se retrouve Vol-
taire. 11 varie ä l'infini le cadre de ces courtes piöces; tantöt c'est un
monologue, tantöt un songe, tantöt une scöne Orientale. II d6cnt
avec complaisance tout ce qui embellit la vie : les fötes, les jolis
meubles, les porcelaines, « le superflu, chose si n6cessaire », et
aussi les sentiments mesurös et d£licats, ramitte, la r6signation ä
vieillir et le plaisir que donnent les lettres. VEpttre ä Horact
serait le chef-d'ceuvre de cette poäsie öpicurienne, si quelques stances
ä Mme du Chatelet, äcrites en 1741, sur l'amour et Tamitie, l'6pltre
des Tu et des Vous ä MUe de Livry, et le madrigal ä la princesse
Ulrique de Prusse n etaient encore plus exquis.
Dans la prose, il faut ranger ä part un £crivain de g6nie, qui fut la prose.
connu seulement de quelques contemporains, et par des fragments *, saint-simon.
c'est le duc de Saint-Simon. Retir6 de la Cour depuis la raort du
Regent, Saint-Simon revöcut, avec ses Souvenirs et des notes prises
par lui et le Journal de Dangeau, sa vie entre les annäes 1699 et 1722.
II est le grand tömoin de la fin du rögne de Louis XIV, tömoin mal-
l Piron, nd cn 1689, est mort cn 1773
a. La premierc cdition compleie des Memoire« est de 1820.
< 189 >
L'lipoque de Fleury et de la Succession <TAutriche.
uvms n
LA PROSB
veillant, entlll d'idles peu nombreuses parmi lesquelles il y en a
de ridiculcs, Iris capable d'inexaclitudes, et, bien qu'il föt honnlle
homme, d'erreurs qui ressemblent ä des mensonges passionnels;
tlmoin dont il faut donc se mlfier. Mais il a, de ses « regards
clandestins », observl les gestes, les mines, les seines petites et
grandes, les tragiques surtout. II a, de ses « regards asslnls » percl
ä travers les masques jusqu'ä des Arnes. Aucun lerivain fran^ais ne
donne un sentiment plus rialiste de la vie. De mime que, lorsqu'il
observail, un lumulte de sentiments et d'images se produisait dans
son espril, son style est un tumulte de periodes embarrassles, oü
Iclatent des images et des expressions par lui inventles. Ha« lerit
ä la diable pour l'immortalitl ». II disait de lui-mlme : « Je ne suis
pas un sujet acadlmique ». C'est pourquoi il n'est pas de son teraps.
Publiee au xviii* siegle, sa prose aurait paru d'un autre dge.
Entre les lerivains de celte plriode, qui füren t trls nombreux et
de voLTAtRB bt quj gcrivent tous du mime style, les deux plus grands se distinguent :
de MONTBSQuiEU. Vo ltaire, par Tabondance, la llglretl, Taisance, la finesse, la gräcc,
les images rapides et amüsantes, et le mouvement endiabll; Mon-
tesquieu par la finesse aussi, et les vives images couries, par une
certaine prlciositl, mais surtout par la concision, par la gravitl et
par des traits de polsie oü s'entrevoit l'homme qui fit un jour une
belle invocation aux Muses : « Vierges du mont Piere... je cours une
longue carrilre, je suis accable* de tristesse et d'ennui. Divines muscs,
je sens que vous m'inspirez non pas ce qu'on chante ä Tempi sur les
chalumeaux ou ce qu'on rempele ä Dolos sur la lyre; vous voulez que
je parle ä la raison; eile est le plus parfait, le plus noble et le plus
exquis de nos scns ».
vhistoirb. La politique et l'histoire sont les sujets des principales oeuvres
en prose de la plriode. La plupart de ces oeuvres onl 616 dejä eitles;
il y faut ajouter YHisloire de Charles XII de Voltaire, qui fut tentl
par ce personnage Ipiquc el tragique, et fit ceuvre d'historien par le
soin qu'il mit a recueillir les tlmoignages lerits etoraux; en mime
temps il donna un modele de narration historique. VHisloire de
Charles XII parut en 1731. Duclos * lerivit une Histoire de Louis XI,
qui n'a plus d'intlrlt aujourd'bui, et des Considiralions sur les
meeurs de ce siecle, dont le succes fut grand, et qui sont un document
curieux.
les Genres Les vieux genres nobles survivaient. Mais ni Moquence reli-
NOBLBS. gieuse ni llloquence judiciairc ne produisirent de grandes oeuvres.
i. Le duc de Saint-Simon, ne en 1670, est raorl en 1756.
2. Duclos, n$ en 170^. est mort en 1773.
190
CH*p. ir La Vie intetlectuelle.
Le seul predicateur glorieux Tut Massillon ', eveque de Clermoot,
donl les sermons füren! publies en 1745, trois ans apres sa mort.
Massillon, harmonieux, elegant, abondanl, donnait plus de place a la
morale qu'ä la doctrine. Par la et par une cerlaine « sensibilite », il
plul aux philosophes, nomine leur plaisait Fenelon. — Le chancelier
d'Aguesseau * a laissö des Mercuriales, des Instructions el des Plai- fagcxsseau.
doyers ecrits avec soin; raais il parle une langue oratoire, convenue
el ennuyeuse. II a du sa renommee ä la dignite de son caraclere
plutot qu'ä son tnlent, k sa fidelild aux opioions gallicanes plutol qu'a
la force de sa pensee.
Luc de Ciapiers, marquis de Vauvenargues, elait un oflicier Sans vauvenakgübs.
forlune, qui revint malade de la retraite de Boheme, en 1743, sollicita
un emploi dans les ambassades, ne l'obtint pas, essaya de se faire un
nom dans les lellres, recut les encouragements de Voltaire, el mourut
a l'age de trente-deux ans. ü'elail une belle Arne, eprise de « pas-
sions nobles », aimant la nature, amoureuse de la gloire, melanco-
lique el sotitaire. II disait « qu'i) y a des momenls de force, des
moments d'elevaüon, de passion el d'enthousiasme oü l'amc peut se
suffire el dedaigner tont secours, ivre de sa propre grandeur ».
Quelques lettre», une Introduction d Fhialoire de tetpril humain, des
Riftexiomt et Maximet onl assurc lentement, maissuroment, sa repu-
lalion. Bien qu'il eüt l'csprit tres libre, il n'avait pas en la raison
la conßance satisfaile et bornee de ses contemporains. II savail que
» les grandes pensces viennenl du coeur », qu'«on nc fait pas beau-
coup de grandes choses par conseil », el se demandait si l'eloquence
ne vaul pas mieux que le savoir.
Los romans conlinuerent d'ctre a la mode. Marivaux* doit sa cele-
britc au theatre; mais il fut appreciö comrae romancier. 11 a ecrit la
Vie de Marianne, donl les onze premieres parlies parurent de 1731
a 1741, el le Payian Parvenü, qui parul de 1735 a 1736. Le style
el l'analysc des senliments sont de l'ecole u precieuse •, et pourlant
ce delicat ecrivain a decril la vie familiere avec un rcalismc tout
moderne. Par la, il a quelquc rcsscmblance avec Le Sage, qui Con-
tinus a compliquci' de peripetics romanesques la derni6re parlie de
son Oil Blas parue cn 1733, et le Bachelier de Salamam/ue, public
l'annee d'apres.
L'abbe Prevost 1 etait predestine h ecrire des avenlures, etant LAui niTOST.
lui-meme aventurier : eleve des Jcsuilcs, dcserleur de l'elat eccle-
LBHOMAtt.
mamvacx
KT LE SAG».
nt at in 166«. mort rn 17S1.
1* tu iWN. mort cd itCjj.
4 eil ne en 1097. mort «n ffo.
' IO< '
LES CONTBS
LA LITTÜRATÜBE
GALANTE.
L'Epoque de Fleury et de la Succession d' Autricke, uvbm h
siastique auquel il £tait destinä, soldat, revenu chez les J6suites,
de nouveau soldat, r6fugiö chez les B6n6dictins de Saint-Maur, col-
lajborateuräla Gallia Chrisliana, ordonn6 prÄtre, pr6dicateur, curieux
des pays ätrangers — on a vu son s6jour en Angleterre — , homme
de lettres pour gagner sa vie, ä la fin aumönier du prince de Conti,
frappä d'apoplcxie, tenu pour mort, et, ä ce qu'on raconte, tu6 par
le couteau d'un Operateur qui procäda trop tot a l'autopsie
du pauvre bomme. L'abb£ porta dans le roman la sensibilit£ dun
homme qui avait connu les passions. II raconta les agitations de sa
propre vie dans les huit volumes, publies de 1728 ä 1756, des Mimoire&el
aventures (Tun homme de qualitd. 11 interessa nombre de lecteurs,
parmi lesquels il faut citer Jean-Jacques Rousseau, ä de sombres et
longues histoires comme celle de Cleveland, racont6e en quatre
volumes, qui parurent en 1732. Son chef-d'ceuvre futla brfeve Histoire
de Manon Lescaut et du Chevalier Desgrieux, publice en 1733, his-
toire d'amour, joliment ecrite, d'un style simple etd'un ton si triste et
si path6tique, qu'elle fit couler les larmes des personnes « sensibles ».
Cependant, le goüt public se porta iL vers les oeuvres courtes et
vives. On aimait l 1 all6gorie des apologues, les dialogues brefs ä dis-
cussions vives, les fac6ties oü des personnages, avec un grand s6rieux,
se ridiculisent eux-mßmes, et les contes surtoul. Apr&s les contes d£li-
cieux de Hamilton, publi6s en 1730, on lut les contes grivois de Ct6-
billon fils et de Voisenon, qui exposaient les mauvaises moeurs de la
bonne compagnie. Duclos jugeait ainsi ces moeurs : « On se platt, on
se prend ; comme on s'est pris sans s'aimer, on se säpare sans se
hair ». II d6non$ait cette « espece d'ath&sme en amour » r l^goüsme
et la vanitä des pelites maUresses, et la s^cheresse de coeur des
amants quittant une femme « comme un effet qui devait rentrer dans
le commerce ».
Voltaire inaugura par Le monde comme il va, par Zadig et par
Micr omegas la longue särie de ses contes, oü peut-Ätre pas une des
id6es du temps n'a 616 omise. D'amusants personnages s'y meuvent
dans des aventures invraisemblables. Voltaire y donne toute sa Phi-
losophie claire, simple, courte, ironique, irrespectueuse, humanitaire,
sans illusions d'ailleurs sur la valeur de l'homme.
lbtheatrb. Peut-6tre la plus grande passion litteraire de ce temps fut-elle
B ui!SSim aikiR P ° UF k th6Ätre ' en vers ou en P ros e. La trag^die continua d'Gtre le
genre noble par excellence ; mais on sentait le besoin de renouveler
le genre. Lamotte-Houdart r6ussit ä surprendre les spectateurs par
lapparat de quelques seines et surtout ä les attendrir par son Inis
de Castro, en 1723. Dans les Discours qu'il joignit ä Edition de ses
« 192 >
atr - " La Vie inteüectaelie.
oeuvres, en 1130, il iudique des moyens de rajeunir la Iragedie : mul-
liplier Ics personnages, metlre les evenements en speclacle plutöt
qu'en recil, varier la peinlure de l'amour par la couleur localc; il
crilique les iinitcs el recommande l'emploi de la prosc.
Voltaire imilait la Iragedie de Racine; corame lui, il incarnait
des passions dans des personnes celebres : en Me'rope, l'amour
malernel, et, co Orosmane, la Jalousie. II imilait aussi le style de
Racine, mais il ecrivail trop vite ses Iragedics; il acbeva en dix jours
Zaire, oü il prctendail exprirner « ce que l'amour a de plus touchant
et de plus furicux ». Puis il fit du theAtre un moyen de propagande
pour ses idees, plaida contre la lyrannie et pour la lolerance dans
Brutus et dans Makomet; l'art passait ainsi au second plan. Vol-
taire Tut un dramaturge habile, clair, avec du patheüque et de
l'eloquence, mais sana originalste ni puissance creatrice.
Comme on a vu, il a fait conoaltre Shakespeare en France 1 . voltajkm
11 en a Iraduit des fragments; il a donne a TOrosmane de Zaire 'f shakbsfbamm.
quelque parenle avec Othello et introduil l'ombre de Ninus dans
Se'miramu. Mais bientöt il s'olTusqua de l'admiration que quclques-
uns lemoignaient au gcnie du grand poete- II dit d'Hamlel qu' •• on
croirait que cet ouvrage esl le fruit de l'imaginaüon d'un sauvage
ivre n. A la fin de sa vie, il plaidera, dans une lettre ä l'Academie,
pour Corneille, Racine et Molierc, contra ce « saltimbanque qui a
des saillics heureuses et qui fait des contorsions ».
Un des rajeunissements employes par Voltaire dans la Iragedie fut la modm
le choix de milieux exotiques. Zaire se passe en pays musulman, d* i'sxonsm.
ce qui permet de faire voir sur In scene un <• melange de plumets
el dn turbans »; Atzire, au Perou; VOrphtlin de la Chine, dans la
Chine de Gengis -Khan. L'Orienl etait alors le decor prefere des ima-
ginations, un Orient d'opera-comique, terre de m6tamorphoses, de
prodigesetd'amoum brulantos. Onen avaitpris le gout dans les Mille
el un? Nuits traduiles par Galland en 1701, et dans les Mille el un
Jours, traduits par Pctis de la Croix en i"710. Ce fut, dans la littera-
lun* francaiso, une invasion de Turcs, de Perses, de Chinois el d'ln-
diens. Lc theatre donnait Arttquin dam nie de Ceylon, Arleqain
Grand-Mogol, Soliman 11 on les trois Sullanea. Montesquieu, apres
avoir empruntö a l'Orienl la Retion des Lettre» Persanes, l'ctudia un
peu plus sericusement dans YEtprtt de» Lot». Les philosophes y
rherch^rent des exemples de dcspolisme. et aussi des exemples de
tolerance religieuse. Le rfefilc amüsant de lous ccs peuples differant
. 9 3,
LA COM&DIB.
MARIVAUX.
LA SENS1B1LIT&.
LA CHAUSSÜB.
ISÜpoque de Fleury et de la Succession cTAutriche. liyre ii
par le costume, Ies usages et les croyances, donnait l'id£e d'un monde
plus vaste et plus vari6, et faisait consid&er avec une curiositä bien-
veillante « toutes ces petites nuances qui distinguent les atomes
appeläs hommes », selon Fexpression de Voltaire.
La com6die fut renouveläe par l'esprit de Marivaux, dont le
th£Atre est Pceuvre la plus originale qu'ait produite l'art dramatique
au xvra 6 siöcle. Ses meilleures com6dies, Arlequin poli par lamour,
la Surprise de Vamour, la Double inconstance, le Jeu de l'amour et
du Hasard, les Fausses Confidences, Yfipreuve, furent jou6es de 1720
k 1740. Marivaux cherche moins k peindre des caract&res et les moeurs
de la soctetö reelle qua faire paraftre en des intrigues simples, un
peu romanesques, en des milieux jolis et vagues, par la bouche de
personnages aux noms öllgants et rares — Araminte, Herminie,
Sylvia, — les nuances les plus d61icates de l'amour; par lä, il a
m6rit6 d'ötre rapproch6 de Racine. Lui-möme expliquait son dessein
en se d&endant du reproche de monotonie :
« J'ai guette dans le cceur humain toutes les niches düTerentes oü peut se
cacher l'amour, lorsqu'il craint de se montrer, et chacune de mes comedies a
pour objet de le faire sortir d'une de ces niches... Dans mes pieces, c'est
tantot un amour ignore des deux amants, tan tot un amour qu'iis sentent et
qu'iis veulent se cacher Tun ä l'autre, tantot un amour timide qui n'ose se
däclarer; tantot enfln un amour incertain et comme indecis, un amour k demi ne
pour ainsi dire, dont üs se doutent sans 6tre bien sürs, et qu'ils epient au dedans
d'eux-mömes, avant de lui laisser prendre 1-essor. »
Ainsi l'amour nest plus un « moyen » de la comädie, propre k
r6v6ler les caract&res des personnages; il en est le sujet m£me.
Marivaux Panalyse avec une teile finesse que Voltaire Taccuse de
« peser des oeufs de mouche dans des toiles d'araign6e », mais sa
d61icatesse est exquise. La gräce un peu mani£r6e du siegle est en
lui comme en Watteau.
D'autres 6crivains continuaient la tradition de la comädie de
caract&res; mais döjä, en 1732, Destouches 1 , l'auteur du Glorieux,
se vante « d'avoir pris un ton qui a paru nouveau » m6me aprfcs
Moliöre; il a, en des seines pathätiques, mis « la vertu dans un si
beau jour qu'elle s'attire l'estime et la v6n£ration publiques ». La
Chaussee s'inspira de la « sensibilitä » k la mode : il cr6a la com6die
larmoyante, oü il prenait des sujets tragiques non plus dans l'histoire
des princes antiques, mais dans la vie bourgeoise. II n'avait ni talent
ni style; nöanmoins, ses pieces, le Präjugdä la mode, en 1735, Mola-
i. Destouches, ne en 1680, est mort en 1754.
€ 194 >
cup. t* La Vie. intcllcctue.Ue.
nide, en 1741, obtinrent an succes immense. Voltaire, suivant lecou-
rant, ecrivit dans le meme Ion VEnfanl prodigut et Nanine. Ainsi
s'annoncaieut le thcalre de Diderot et ses idees qui ne devaient,
d'aitleurs, etre appliquees qu'au xix' siecle '.
La pasaion du theatre se manifeste, au xvin* siecle, par le grand
nombrc de scenes perticulieres. II n'y avait guere de reception mon-
daine oü la moilie de la compagnie ne mon tat sur les planches devant
lautre moitie. Les Colleges des Jesultes et les riches couvents fai-
aaient jouer leurs eleves. En 1753, les magistrats exiles ä Bourges
avaient deux troupes, qui, pendantquinze mois, donneren! la plupart
des pieces du repertoire. A Sceaux, la duchesse du Maine trans forma
en salle de speetacle une galerie de son chateau. Voltaire joua
en 1750, sur ce theatre, Home sauuee, dont la duchesse lui avait
dünne l'idee; il y lint le röle de Ciceron. Un mois avant la mort de la
duchesse, en decembre 1752, il cerivait : « Mettez-moi loujours aux
pieds de Mme la duchesse du Maine. C'est une aroe predestinee ; eile
aime la comedie, et quaod eile sera malade, je vous conseille de lui
administrer quelque piece au lieu de l'extreme-oncLion. On meurt
comme on a vecu. » Le duc de Charlres jouait la comedie avec la du-
chesse a SainL-Cloud. Maurice de Saxe a conduit cn campagne la
troupe de Favart. Chez les Brancas jouerenl les Forcalquier, les Pont-
de-Vcylc et le president Henault. Tous les amis de Mme du Defland,
les Du Chalet, les d'Usse, les Mirepoix, les Luxembourg, sont
montes sur le theatre. Naturcllement, les fioanciers imitaienl et
quclquefois surpassaient les grands seigneurs. La Popeliniere fit
representer dans son chateau de Passy des comedies dont il etait
i. Paar donnar plns de Turiel* et de veritt aoi eetne» inniqut» et *u aetne* coai-
aue», od apporta beancoup da aoln aai coataine* el aux decon. La ertaleur de l'Opcra-
ne. Favart. dana one acene de la comedie i'Aeajoa. repreaentee rn 1744, se moqoe
teure de lnm*dle*. qui »'*D*ubUienl de euinaaeB en teilt d'arjtent et ee colflaient de
:bapeaui t panarhea. de« ai-lricn. qui prenaieol la rnbe de tnur pour jouer avre plua da
dlirnile le« Heroine* anlique*; de la poudr* «nr la tele d Aboe r. d Au«u»le ou d Electre.
" oulut qua *a femne, la grande actrice. rompll avee I« traditio**. • Ha lamm«, diHl,
1' la pmnltrt en France qui all au le rmirmi- de *r meltre romme on dolt elre... daaa
lim rl Hailiimnt •■ Elle y parul babillee dune robe de laiae, une croli d or n co«,
tbeTtui plil» et «an* poudre. chaue*6* de «bot«, La auree* fut grand. I'ne aulr»
.pour jouer So/um* f J. alle flt »enir od coalume de ConitanUnople. Ulle Clairoa parat
üra« nu- dau Elac/n el wulint tont™ VolUlre que le* «m lra«iqua* ne doHreat paa
reelle* avec ™pbi«. un camarade Le Kalo, dan* lUrphth* de la Chine. uorUit im
que rajrcr cramotat et dt, rju'll nen*alt *tre Orientale.
ne untre rt-olullon «e III nur la aeene. On la debarratu den lunr. oü • eucraleal daa
•lateiira. geDtiltbomme« et Bnaaciar*. qui o^ntienl le Jeu. roadaleol a peo pr*a Impoa
: la mlee en «c*n« et le iteat. «0 Uutiienl aou
; le parlerre. el provoquaieDl daa loeldent* e
paaser. Uoe eulrt loi». um maaaagar aa pul •
criat : • Place au (acteur • :
. . 9 5,
LA TROUFB
DB CLBBMONT.
LBS PAJLADBS.
L'£poque de Fleury et de la Succession d'Autriche. uvai o
l'auteur; sa femme, fille d'actrice, jouait & merveille. Son thl&tre 6tait
machinä comme un opöra.
De toutes les troupes d'amateurs, la plus curieuse fut celle du
rince-abb£ de Clermont. II avait renoncä aux arm6es depuis qu'on
Iui avait refusä le commandement du sifcge de Berg-op-Zoom ;
il conduisii ses aides de camp dans sa maison de Berny, pour leur
faire jouer la com£die. Entourä de libertins comme lui et de filles de
th&tre, spirituel, point du tout lettre, ignorant l'orthographe, mais
6pris de litterature, il se donna des airs d'auteur. Quand son fournis-
aeur thäätral, le sieur Colte, 6crivit Barbarin ou le Fourbe puni, il
laissa dire que c'6tait « la pi&ce du prince ». Ses frfcres et ses cousins
lui reprochaient de se commettre avec des gens de plume. Pour se
venger de cette impertinence, Duclos et d'Alembert le firent entrer k
l'Acad6mie Francaise.
Le triomphe du th&Mre de Clermont fut un genre nouveau, la
« parade ». Des grands seigneurs, Maurepas, Caylus, le comte
d'Argenson et le Chevalier d'Orteans avaient pris goöt aux parades
des faires Saint-Germain et Saint-Laurent. C0II6 imagina d'cn com-
poser pour la scfcne. Cötaient des bouffonneries semblables ä Celles
de nos cafös-concerts. Des grandes dames s'amusaient ä s'habiller en
maltresses de cafös, et des grands seigneurs, vÄtus d'une veste ei
coiflfes d'un bonnet blanc, ä s'entendre appeler « Gar^on ». Ce fut,
d'ailleurs, le moment oü des dames s'avisärent de transformer leurs
salons en « cafes ».
V. — LES ARTS 1
lbs rinioDBs f~\^ a vu » Pendant les derateres ann6es de Louis XIV et surtout au
ob labt yj temps de la R6gence, Tart se tranformer, Watteau rompre
du xvuh siäCLB. ayec j es traditions, un nouveau style nattre en architecture, en pein-
ture et dans les modes. Ce style r£gne depuis la fin de la Rlgence
l. Sources. Procis-verbaux de TAcadimie royale de peinlure et de sculpture. pablles par Da
MonUtgloo, aux t V et VI, Paris. i883-i886. Correspondance dt» dirttleurs de T Acadimie da
France ä Home acte les $urinlendanl$ de» Bdtimenls, publiee par De Montaiglon et Guiffrey,
t. VI a X, Paris, 1896-1900. Memoire» inidils sur la vte et le» ouorages des membres de fAea-
dimie royale de peintare et de sculplare, publies par Dussieux, Soulie, etc., 9 vol.. Paris 18&4.
Mariette, Abeeedario et autres nole* inidiles de eel amaleur »ur les arte et Ist artisles, publik
par De Cbeoevieres et De Montaiglon, Paris. i85i-i86o, 6 vol. Abbe Du Boa, Mflexion» cri-
tiqmes sur la potsie et la peinlure, 1" ed., a vol., Paris, 1719. Le P. Andre, Essai sur le Beau.
i"ea\, Paris. 1749
Boffrand. Livre datchilecture..., Paris, 1745. J.-F. Blondel, Arehiteeture francaise. oarecueU
de plan»... des fglises, maisons royale», palais, Hotels,.. . bdtis par les pias ce'lebres archi-
fcc/«#,4 rol.. Paris, i7&2i76ft. Id., Distribution des maisons de plalsance, 2 vol., Paris, 17». Id.,
Discoar» tar Ux necessüi dt .Vfade de tarchilecture. Paris, 1747. Patte, Monuments trio4§ am
Fra.Ks en ihonneur de Loau IV, Paris, 17«. Livre-journal de Lazare Daoamx, pubüe par
< 196 >
CHAP. IV
La Vie intellectueUe.
jusque vers le milieu du si&clc, oü les artistes fran^ais retourneront
au goüt de l'antique et seront encourag6s par Diderot et par Rousseau
k Tamour de la nature et de la vertu. (Test entre ces deux dates qu'il
faut studier ce qu'on appelle Tart xvnF si&cle, ou mieux lart Louis XV.
Depuis le temps de Louis XIV et de Colbert, la direction des Arts
n'a pas chang6; ils sont administrös par un Directeur des bAtiments;
ce titre a remplac6 celui de surintendant g£n6ral *. Le Directeur ne reteve
que du Roi ; il a sous ses ordres un premier commis, des trösoriers,
des intendants, des contröleurs, un premier peintre et un premier
architecte du Roi. II fait les commandes, accorde les pensions et les
logements d'artistes au Louvre; de lui dopenden t les Acad6mies de
peinture et d architecture et TAcad6mie de France ä Rome, oii les
6l6ves « travaillent pour le Roi ».
L'Acadlmie de peinture et de sculpture continue ä enseigner,
k distribuer des räcompenses et ä choisir les 61&ves pour l'ficole de
Rome. Ses membres, acad6miciens ou agr66s, sont seuls admis aux
expositions ofßcielles. L'Acadämie d'architecture, dößnitivement
organisäe en 1717, est un corps enseignant comme TAcad6mie de
peinture et de sculpture. Ces Acad6mies conservent la doctrine clas-
sique, fondäe sur la double imitation de l'antiquitä grecque et
romaine et de l'art italien des xvi 6 et xvn 6 si&cles. Raphaäl, Carrache
LA DIRECTION
DES ARTS.
LES ACAD&UIBS,
LA DOCTRINE.
Courajod (avec une ample inlroduction), Paris, a vol. M. Fenaille. tlal giniral des lapiue-
rie* de la manufaclure de* Gobelin» depui* son origine jasqa'ä nos jour». — XV III* siede,
2 vol., Paris, 1904-1907.
Ouvrages a consulter. Ch. Blanc, Bisloire des peinlres de loules les ecoles, tcole francaise,
3 vol., Paris, 186a (A consulter avec precaution). E.et J. de Goncourt, Lart du XVIII* stick,
3* ed.. 2 vol., Paris, i88o-83. Andre Fontaine, Les doctrine* d'art en France... de Poassin ä
Diderot, Paris, 1909. Lady Dilke, French painters of Ihe XVI II* Century, Londres, 1900, Id ,
French architects and sculplors..., Londres, 1900. Id., French fumilart and decoration...,
Londres, 1902. Id., French engraoers and draughlsmen..., Londres, 1903. Gonse, La sculpture
francaUe depuis le XIV* siecle, Paris, 1894, Id., Les chef »-dauere de* mueees de France, la
Peinture, Paris, 1900, la Sculpture, Paris, 1004. Courajod, Lecons professees ä I tcole da
Louore, publiees parH. Lemonnier et A. Michel, t. III, Paris, 1903. Havard, Dictionnaire de
rameublemenl et de la decoration, 4 vol., Paris, s. d. Bouilhet, Lorßvrerie francaise, Paris,
1906. Molinier, Ilistoire de* arts induslriels. Le mobilier aux XVII* et XVII h tiecle*, Paris,
1899; Dussieux, Le chdteau de Versailles, t. II, Paris, 1886. De Nolhac. Le chdteau de Ver-
sailles sous Louis XV, Paris, 1898. De Champeaux, L'art decoratif dans le oieux Paris, Paria,
1898. Guiffrey, Bisloire de la tapisserie, Tours, 1886. Vogt, La porcelaine, Paris, i8o3. Lefebure,
Broderie el dentelle*, Paris, 1887. A. Michel, Le* arts en Europe (au xviu* slecle). dans
V Bisloire ginirale, publ. sous la direct. de Lavisse et Rambaud, t. Vll. Le Chevallier-
Chevignard, Bist, de la porcelaine de Score*, Paris, 1909.
Mantz, Francoi* Boucher, Lemoyne et Natoire, Paris, 1880. De Nolhac, Naltier. Paris, 1904.
A. Michel, Francoi* Boucher, Paris, 1886. G. Kahn, F. Boucher, Paris, 1904. Ed. Pilon,
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La Tour, Paris, 1887. Tourneux, La Tour, Paris, 1904. Rocheblave, Les Cochin, Paris, 1898. Id ,
Pigalle el son art (Revue de l'Art ancien et moderne, nov. 1902). Roserot, Bouchardon, Paris,
1894. et dans la Gaz. de*B.-A., 1897-1906.
1. Le duc d'Antin, directeur a la mort de Louis XIV, Test demeure jusqu'en 17Ä. Set
succcsseurs füren t Philibert Orry, de 1786 a 1745; Lenormant de Tournehem, oncle de
Mme de Pompadour, de 1745 a 1754; Polssoo de Vandieres, frere de Urne de Pompadour,
de 1754 a 1775.
197
LBS NOWELLES
INFLUBNCBS.
DOCTRJNBS BT
GOÜTS OPPOS&S.
Ußpoque de Fleury et de la Succession d* Autricke, uvhb n
et Poussin demeurent les grands mattres et modales. Les sujets
donnes pour les « morceaux de r£ception » ou pour le concours
des prix de Rome sont toujours pris dans la Bible ou dans l'antiquitä
pa'ienne, la grande peinture est encore la peinture d'histoire, profane
ou sacree 1 .
En 1748 est fondee « Tficole royale des Steves prot£g6s », oü des
boursiers du Roi se preparent ä rAcademic de Rome. Ils devaient
lire ou entendre lire YHistoire universelle de Bossuet, YHistoire
ancienne de Rollin, YHistoire des Juifs du P. Galmet, des extraits
d'H6rodote, de Thucydide, de Xenophon, de Tacite, de Tite Live,
Homere, Virgile, Ovide et les auteurs qui ont 6crit sur la Fable.
Quand ils avaient trouvö un trait d'histoire offrant « un beau sujet
pour la peinture ou la sculpture », ils devaient en faire des esquisses.
II semble donc que rien n'ait changä depuis le temps de Louis XIV
et de Le Brun; mais c'est une apparence.
L'autorite s'est affaiblie dans Tart, comme dans tout le reste; celle
du Directeur et des Academies nest guere plus que nominale. Les
moeurs ont prodigieusement change; avec la discipline, se sont 6va-
nouies la majestö et la gravite. On veut de la fantaisie, delajoie,deIa
volupt6. Un nouveau public d'amateurs s'est form6, fermiers g6n6raux,
parlementaires, grands seigneurs, d'humeurlibre, d'espriteclectique,
qui pr6ferent Tart vibrant et lumineux de Titien et de V6ronese, ou
celui de Rubens, ou Tart familier et realiste des Pays-Bas, m6me de
Rembrandt, ä la gravis sereine de Raphael et ä la correction froide
des Carrache. Or, les artistes vivent en relations 6troites avec les
amateurs, desquels ils dependent plus encore que du Directeur des
batiments, fonctionnaire d'un fitat appauvri et qui s'intäresse fort
peu aux arts. Ils sont, d'ailleurs, me16s au monde beaucoup plus que
ne le furent leurs pr6d6cesseurs du xvn e siecle. Ils trouvent des inspi-
rations dans les fetes aimees par la Cour et par la Ville. Leur Imagi-
nation est seduite par Tart brillant et « lubrique » de l'Opera, par le
d^cor, le cos turne et l'appareil eclatant de la mise en scene de ce
theatre de sensations. Les plus grands peintres ont travaille pour
rOpera. Larchitecte däcorateur, Tltalien Servandoni imagina un
spectacle nouveau, une sorte de diorama mßle de musique, arrangä
pour faire valoir la beaut£ des costumes et des decors, les adresses
de la machinerie et les lumieres.
Ainsi s'est forme, sous la direction classique officielle, un art en
Opposition avec le classicisme, et, bien que persiste une doctrine
arr£t6e, un art libre et de fantaisie. Cependant les theoriciens ne
i. Sur les Academies et la doctrine, voir Hist. de Fr., t. VII, 2, p. 89-93.
198
cbap. iv La Vie intellectuelle.
cessent de prScher le retour aux traditions saines. Les deux tendances
oppos6es se rencontreni dans les « salons » du temps, c'est-&-dire
dans les expositions, inauguräes au temps de Louis XIV, en 1673
probablement, et qui, interrompues en 1704, reprises trente ans
apr&s, devinrent bientöt bisannuelles. Les livrets de ces salons
montrent que la plus grande place est restäe k la peinture et k la
sculpture acad&niques; mais le nombre s'accrott rögulterement des
sujets familiers, räalistes, galants, auxquels va la Sympathie du public.
Le succ&s de Tart nouveau est plus sensible naturellement dans les
expositions des jeunes, qui se fönt k la place Dauphine et attirent la
foule, que dans les « salons » officiels r6serv6s aux membres de TAca-
d6mie. Dailleurs, il ne faudrait pas se laisser prendre aux titres
des oeuvres; les motifc antiques ne sont plus trait6s avec la gra-
vi t6 d'autrefois. Ils donnent pr6texte k de brillants däcors darchi-
tecture et k des costumes öclatants; les personnages ont l'616gance
et la d£sinvolture des marquis et marquises du temps. L'histoire
ancienne — la Bible aussi bien que la mytbologie — est traitta en
« seines galantes ».
Les architectes en röputation furent Robert de Cotte, Boffrand, VARCHrrscTunB ;
Gabriel et Blondel 1 . L'architecture exprime nettement les deux la Tradition
directions de Tart. Dans les trait6s d'architecture, trfcs nombreux, classique.
parmi lesquels il s'en trouve de Boffrand et de Blondel, prävaut la
pure doctrine classique. On y invoque l'autoritö de Vitruve et de ses
disciples italiens, Vignole et Palladio, on y prescrit lemploi des
ordresetdes proportionscomme l'avaientpratiquö les purs classiques;
on y parle de « la saine architecture ». La doctrine classique, on
s'applique k la suivre dans la construetion des monuments publics;
les portails des äglises, celui de Saint- Roch, celui des Petits-Pöres,
celui de FOraUire, celui de Saint-Thomas d'Aquin, achcv6s en 1736,
en 1740, en 1745, auraient aussi bien pu 6tre 61ev6s par Le Mercier
ou par Mansart; on y trouve en effet les colonnades, les frontons, les
entablements, d'aspect sage et froid. Et d6jä le portail de Saint-
Sulpice, bAti de 1733 k 1745 sur les dessins de Servandoni, annonce
le retour au classicisme; du moins, les partisans de Tancienne doc-
trine s'empressent de le proclamer. Lorsqu'il fut question, en 1750,
de cr6er la place Louis XV, aujourd'bui place de la Concorde, les
projets pr6sent6s pour les construetions qui devaient l'encadrer
sdoignerent ä peine du style Louis XIV. Le projet de Gabriel,
i. Robert de Cotte a vecu de i656 a 1735; Boffrand, de 1667 & »754; Gabriel, de i«g§ • 17**;
Blondel, de 1706 a 1774.
< 199 >
LEpoque de Fleury et de la Succession d'Autriche.
LIYRE II
DISPARITION
DU STYLE
LOUIS XIV.
qui fut adoptä, est inspirä de la colonnade du Louvre. La conception
ckssique se reirouve dans rficole militaire, qui est aussi de Gabriel.
Le grand ouvrage de Blondel, YArchitecture frangaise, n'est guöre
autre chose qu'une apologie de l'art de Louis XIV 6tudi6 ä la
lumtöre des principes classiques.
Au contraire, dans Tarchitecture priv6e, toute trace du style
Louis XIV a disparu. Les chAteaux et les hötels prennent un aspect
moins solennel : plus de corps de logis en saillie; plus d'ailes avancöes;
une döcoration ext6rieure aplatie et comme coll6e ä la muraille, quel-
quefois un avant-corps sur la fa$ade, en saillie 16g£re, avec pilastres
et fronton ; un air de simplicitä 616gante. Mais ce sont les intärieurs
surtout qui sont chang6s. La transformation, commencöe dans les
premi&res ann6es du si&cle 1 , s'achäve. Auparavant, « on donnait
tout ä Text^rieur, ä la magniGcence... et Ion ignorait l'art de se
loger commodäment et pour soi ». Maintenant, on ne veut plus de
pi&ces qui se commandent les unes les autres; on manage de
petites galeries, de petits escaliers, cachäs quelquefois dans la
profondeur des murailles. Les jolis boudoirs, les « cabinets »
se multiplient. M6me le ch&teau de Versailles est profondöment
remaniö.
En möme temps qu'ils recherchaient le confortable, les archi-
tectesenlevaientäla d6coration intörieure ses formes rigides. BofTrand
döcore Thötel Soubise, — aujourd'hui Palais des Archives nationales,
— Thötel de Samuel Bernard, le ch&teau de Cramayel-en-Brie. A
Thötel Soubise, les motifs de feuilles et d'attributs, les sujets tir6s
des fables de La Fontaine sont de vraies merveilles. Les m6mes
fantaisies se retrouvent dans les chaires, les tribunes d'orgue, les
v gloires », les baldaquins, les grilles des 6glises; ici larchitecte
Oppenord arrive quelquefois au ridicule*; il imagine des ch6rubins
qui jouent avec des mitres, des figures £plor6es qui clignent de Toeil
comme pour monlrer que leur douleur n'est pas vraie. Ce furent les
exc&s d'un style, que ceux qui ne Taimaient pas appelaient le « style
rocaille ». Des classiques rcproch&rent aux artistes de « torturer »
les choses, d'assouplir la mattere « sous leur main triomphante »
de forcer les corniches des marbres les plus durs ä se pröter ä des
<c bizarreries ingönieuses », de refuser auxbalcons et aux rampes « le
droit de passer droit leur chemin ». Mais le style rocaille ne commit
pas en France les m6mes exc&s qu'en d'autres pays; m6me, il
fut souvent dölicieux. La d6coration des appartements du Dauphin
au chäteau de Versailles, refaits en 1747, comme celle du cabinet
l. Voir plus haut, p. 73.
3. Oppenord est ne en 187a, mort en 174a.
( 200 >
™*p " La Vie intellectuelie.
du Boi, executee en 1755 el 1756, sonl d'une elegance exquise '.
Meissonier*, ■ le grand Meissonier », donne dans ses traites mbissonimr
ou recueils d'archilecture, de mobilier ou d'orfevrerie, de» modeles («»-'«•) btlms
sans nombrc aux fabricants et aux ouvriers. Les ouvriers d'alors sont WVMEHS VMT -
de vrais arlisles : Caycux est habile aux ornements de corniches et
aux « chules » de fleurs; La Joue degage d'un panneau des chevaux
echappes, des dragons ou des molifs de chasse. Dans le mobilier
travaillent avec Cressent, Vassö, Cremer el OEben. C'est le lemps de la
grande vogue des meubles de Cresscnt,commodes, chiffonniers, secre-
taires, meubles en bois de rase avec dispositions en artles, en damier
ou en losanges, meubles en cilronnier encadres de filels blancs, meu-
bles en bois teints formant mosaTque, toujours avec des form es souples
el des angles arrondis.
Deux nouveaut.es euren! alors grand succes, l'acajou et le vernis vacajov kt le
Martin. En 1120, un medecin de Londres, M. Gibsons, se fait faire rntmmum.
un bureau en acajou, pour uliliser des billes de bois qui ont serri de
lesl sur un navire; la couleur rouge el la variete des veines fonl la
fortune de l'acajou. Cornme la modc etait aux laques de Chine et du
Japon, les ebenistes envoyaienl des meubles en Orient pour les faire
laquer; mais les freres Martin demanderent a fabriqucr eux-mcmes
des laques, et un arret du Conseil, en 1744, leur en donna le privi-
lege pour vingt ans. Alors les lambris, les meubles, les plafonds,
les carrosses, les chaises ä porteur furent vcrnisses. La passion du
vernis est teile qu'a Versailles on en recouvre d'admirables lambris
en marquelerie executes naguere par Boulle. Les freres Marlin furent
appeles a l'elranger; c'esl a Potsdam, dans les collecÜons du grand
Frederic, qu'il faul aujourd'hui chercher les plus beaux modeles de
leurs decors.
Le mobilier du temps charme par son aspecl de riebesse, d'ile- momiusm bi
gance, de legerete, de grflee un peu ■ precicuse ». Les memoires de CÄ *™« OSMMS.
Luynes decrivent la chambre de la Dauphine, a la dalc de 1745. Le
lil elait d'une «Hoffe cramoisic, tissee de fleurs d'or el de dauphins
d'argenl: les fauteuiN, les labourets, les ecrans et les chaises, d'eloffe
semblable. A l'hotel d'Evreux, Mme de Pompadour tendit son grand
salon de lapisserics des Gobelins, enradrees dans une menuiserie
d'arl; chaeun des rideaux de ses fenetres avail coüte de cinq a six
i. Leiedilloneqd M Mnt »ucesde de ift»! 1 1760 du Dielion narre tatSitttlarr de d'Arftar
permeltent de con «taler l'IntroducltoD lue«— Ire de nouveaute* Tont ee qui Cancern* le
con-Onictlon demeure mim ehnngenenl . mal* de« chapitm »out «jouie» pour la decoralloo.
I.r» edlleur* iIIhdL . Od ■ teltemeul modlfi* le» cbemintc* at le» uuobrta, »l le» plan« de»
), BMrtta 17«. Volr plu» haut, p. -jt
Du PRESIDBNT
HENAULT.
CISELEURS
ET ORFEVRES.
BRODERIES
ET DBNTELLES.
L'Epoque de Fleury et de la Succession (TAutriche. livrb u
mille livres. Sur Y IS tat des meubles de la comädienne Desmares,
dress6 en 1746, figurent des Upisseries de cuir argentl, des tentures
de velours d'Utrecht garnies de galons d'or, des portiöres des Gobe-
lins, des lits « k la romaine » et des tapis de Turquie. La Desmares
avait des sophas en bois dor6, des « chaises & la Reine », des tables en
palissandre, en marbre de breche, en albätre, en falence de Dein et
en porcelaine du Japon ou de Chine ; des toilettes en porcelaine de
Chine et en vermeil; une commode dor6e d'or moulu avec dessus de
marbre de Sicile; un clavecin et une pendule en marqueterie; des
tableaux de Desportes; son propre portrait peint par Coypel; des
m6daillons; des estampes, des 6crans de tapisserie, des falences, des
bronzes, des figurines en porcelaine de Saxe, mille brimbohons de
luxe et d'art, Souvenirs d'amis illustres.
Le präsident H6nault avait deux salons communiquant par une
baie ä colonnes, dont Tun pouvait 6tre accommod6 en sc&ne pour
jouer la comädie. Le moins grand 6tait d6cor6 de boiseries oü les
tableaux alternaient avec les glaces; le plus grand avait huit glaces
garnissant des trumeaux, huit tableaux au-dessus des glaces, et deux
autres encore, au-dessus des portes. Les porti&res 6taient en damas
cramoisi; un lustre en cristal de Boh&me pendait au plafond. Avec
cela, des consoles en bois sculpte et dor6, des fauteuils, des chaises,
des tabourets, des berg&res en bois dor6, une pendule de Mathieu
dans sa botte, des figures de Saxe et des porcelaines de vieux Chine,
L'art des ciseleurs et des orftvres donna de jolis bibelots —
bottiers de montres, tabatteres, pommes de canne, manches de cou-
teau — et des ceuvres de grand luxe 1 . Thomas Germain ex6cuta des
« toilettes » pour les reines et les grandes dames, des vaisselles pour
les rois, des orf&vreries pour les chapelles. Roettiers fit un Service de
vaisselle pour la Dauphine en 1745, et, quatre ans plus tard, un
grand surtout pour Tfilecteur de Cologne, — une triple chasse au
cerf, au loup et au sanglier. — Philippe Caffieri a cisete les bordures
dor6es des grands miroirs que Louis XV envoya au Sultan en 1742.
Presque autant que le bijou, la broderie et la dentelle 6taient
ceuvres d'art. Dans les habits, la broderie employait Tor et Targent
en fils, en grains et en paillettes, et la soie torse ou plate. M6me
de petits rubans comme ceux qui servent de signets dans les livres
ötaient brodäs. La broderie passa des habits aux meubles et aux
carrosses. La dentelle orna les däshabilles galants, les dessus de lit,
les garnitures de draps ou d'oreillers : dentelles d'Alen$on dont les
fonds ä mailles ätaient en bride tortillöe ; dentelles de Valenciennes,
i. Les hommes portaient alors des bagues, des bouclcs a leurs souliers, des botte* et des
etuis d'or ou d'argent dans toules leurs poches. Cette mode enrichissait les ourrters dari.
< 202 >
CHAP. Pf
La Vis inlellectuelle.
sans relief , recherch£es pour les d£shabill6s ; denielles de Chanlilly,
un des plus jolis produits de Hle-de-France.
La fabrication de la falence ei de la porcelaine fut une indus- fajbncbs
Irie trfcs prosp&re. Les faüenciers de Rouen ex£cutaient sur leurs BT porcblainbs.
plats des seines de l'Ancien Testament, des motifs mythologiques ou
simplement des bordures d6coratives; ils faisaient des vases de
cheminäe, des fontaines et des brocs ä eidre. Ceux de Strasbourg
donn&rent le ton dans tout TEst; ceux de Marseille travaill&rent dans
le goüt de Strasbourg, mais avec un coloris plus pAle et un dessin
plus recherchä.
Vers 1740, on s'inqui6ta en France des progrfcs que la fabri-
cation aecomplissait en Saze et en Angleterre; en Saxe, Boettcher
avait trouvä le secret de la porcelaine dure et commencä la fortune
de la c&fcbre manufacture de Meissen. Une soci6t6 privil6gi6e se
forma donc ä Vincennes, sous le nom du S r Adam, avec protection
et subsides du Roi; eile eut le peintre Bachelier pour directeur artis-
tique ; le chimiste Heilot y chercha les couleurs du grand feu et le
c6ramiste Gravant la perfection des blancs dans les vases orn£s de
reliefs et dans les groupes en biseuit. Vincennes produisit surtout
des fleurs en porcelaine sur feuillage de bronze. Mme de Pompadour
encouragea la fabrique de Vincennes, mais surtout celle de S&vres,
fondäe en 1760, et qui bientöt luttera avec succös contre ses rivales
de l'6tranger.
On peut distinguer dans la peinture de ce temps quatre genres :
la peinture galante, la peinture acadlmique, la peinture de portraits,
la peinture rtSaliste et bourgeoise. Beaucoup d'artistes, d'ailleurs,
travaillärent en plusieurs genres.
Watteau eut pour continuateurs Lancret et Pater*. Ces deux
peintres « galants » avaient dans l'imagination plus de fantaisie
que de po£sie; leur art se rapproche, plus que celui de Watteau,
de la vie reelle. Leurs bals 616gants et leurs bergeries furent trfcs
admir6es.
Les peintres acad£miques 6taient nombreux et ßconds. De Troy
peignit, de 1722 ä 1752, cent soixante toiles. Van Loo* a peint, dans
le cheeur de Notre-Dame des Victoires, sept tableaux de six m&tres
sur cinq. La superficie du plafond cTHercuie, de Lemoyne*, k
Versailles, qui est d'ailleurs une chose admirable, est de plus de cent
mölres carr&*. Les sujets ordinaires de ces toiles sont pris dans This-
i . Lancret est ne en 1690 et mort en 1743 : Pater est ne en i6g5 et mort en 17%.
a. De Troy est n6 en .■*•* *t mort en 178a ; Van Loo est n6 en 1706 et mort en 176&.
3. Lemoyne est ni en tt mort en 1787.
LES GENRES
DB PEINTÜRE.
PEINTURE
GALANTE.
PEINTURE
ACADEMIQCE.
*>3
UKpoque de Fleury et de la Succession d'Autriche. livre n
toire, la mythologie ou la po£sie, grecques ou romaines, comme V£n£c
et Anchise, de Van Loo, les Aventures de PsycM, de Natoire, et
le Vuicain et V4nus, de Boucher, k Thötel de Soubise ; ou bien dans
Fhistoire chrätienne, comme le Jdsus sortant du tombeau et les
scenes de la Vie de saint August in, de Van Loo encore, qui sont k
Notre-Dame des Victoires. Le plus souvent, les tableauz destin£s auz
6glises ne sont que des variations profanes sur des th&mes religieux;
la Sainte Vierge y est mi&vre autant que pudique; les saints ressem-
blent ä des Hector ou ä des Ulysse, et les anges, joufflus et poteläs,
k des amours ou ä de petits gänies antiques. Les peintres acad6-
miques peignirent aussi des seines de la vie 616gante : de Troy un
Ddjeuner d'huitres; Van Loo, un Dejeuner de chassc, et puis des
bergeries et des portraits, et puis et surtout des dessus de portes,
des lambris, comme on en voit k Thötel de Soubise et ä la Biblio-
th&que nationale. Leur art est facile, charmant et superficiel.
lbs portraits. Les portraits eurent une grande vogue. Rigaud et Largilli&re f ,
survivants du temps de Louis XIV, en continu&rent la tradition
grave, mais assouplie par les changements des modes et des physio-
nomies, Nattier*, plus jeune qu'eux, aime la peinture all6gorique; il
peint Mme de Maison-Rouge en V6nus attelant des pigeons & un
char; Mme Geoffrin en nymphe d6v6tue; Mme de Chäteauroux en
d6esse de la Force, une torche dans une main, une 6p6e dans lautre,
les 6paules et la gorge sortant nues d'une cuirasse autour laquelle
est nou6e une peau de tigre. D'ailleurs Nattier savait tr&s bien
trouver et exprimer la v6rit6 physique et morale de ses personnages.
qubntin la tour. Tout diflferent fut Quentin La Tour 8 . 11 n avait pas re$u d'6duca-
tion r6guli£re; son p&re, musicien de T6glise coll6giale de Saint-
Quentin, l'avait envoyä k Paris sans argent. Lors des fßtes du sacre,
en 1722, il se faufila aupr&s de Tambassadeur d'Angleterre, dont il fit le
Portrait, et qu'il suivit k Londres, oü il 6tudia les portraits de Van Dyck
et ceux du Hollandais Peter Lely, qui avait peint des centaines de
ladies. La Tour est un röaliste. Une seule fois, peut 6tre, il a d£ploy6
une mise en sc&nc autour d'un portrait; sa Pompadour est assise
dans un fauteuil, tenant un cahier de musique et s'appuyant k une
table, oü sont rang£s des volumes, au dos desquels sont Berits les
titres : Esprit des Lois, Henriade, Pastor fido, Encycloptdie, Pierres
gravies. Presque tous les personnages de La Tour sont pr&entös
tels qu'ils 6taient dans la vie de tous les jours : Marie Leczinska en
coslume ordinaire, la main sur l'äventail; Rousseau assis sur une
i. Rigaud est n£ en 1659 et mort en 1743; Largilliere est ne en i656 et mort en 1746
2. Nattier est n6 en i685 et mort cn 1766.
3. Quentin La Tour est ne en 1704. et mort en 1788.
< 204 >
cbap. iv La Vie intellectuelle.
chaise vulgaire. La Tour s'est peint lui-mSme en chemise de nuit avec
sa casaque de travail et sans perruque. Ses personnages, c est tout ce
qui comptaiten son temps : Roi, Reine, Dauphin, favorite, marächal
de Saxe, philosophes, danseurs, danseuses. II les a peints en pleine
lumtere, avec nettete, avec präcision. Cette peinture admirablement
vraie a pourtant comme un charme vaporeux qu'elle doit k la d61i-
catesse de la main si fine de l'artiste et k l'emploi du pastel, qui se
pnHe k Texöcution 16g&re et comme fluide.
Le peintre qui repräsente le mieux Tart du xvm # si&cle est Fran- rnAsgois
$ois Boucher *. II a fait de la peinture acad&mique, et, par exemple, un bovcheb.
Evilmirodach, fds de Nabuchodonosor, dÜivranl Joachim des chatnes
dans lesquelles son p&re le reienail\ mais c'6tait un sacritice k l'usage
traditionnel et aux prix de l'Acadämie. II pr£f£rait la mythologie : le
Soleil chassant la Nuit, peint au plafond de la Salle du Conseil k Fon-
lainebleau, V4nus commandant ä Vulcain des armes pour£nde, V&nus
appuyie sur Cupidon pour entrer au bain, la Naissance de Vinus,
Diane sortant du bain. Comme on aimait les amours, il en a mis par-
tout, un Amour uisiteur, un Amour moissonneur; ses ÜUmenls, ses
Saisons, ses Genies sont encore des amours. II est aussi le peintre des
bergers et des berg&res, vStusde satin bleu ou blanc et poudräs, et qui
vivent dans des paysages d'un bleu verdätre oü des pigeons se bec-
qu&tent. Mais Boucher nous a laissö aussi des sc&nes de la vie mon-
daine, de belles dames vßtues de fourrures, des femmes k leur toilette,
et de vrais paysans, et de vrais paysages, ceux des environs de
Beauvais. II a dessinö les Cris de Paris. II s'est essayä k des chinoi-
series et il a bross£ des d6cors de th6ätre. Tout ce qu'aimait son temps
se retrouve dans son ceuvre, y compris le libertinage sensu el, qui
plaisait au Montesquieu des Letlres persanes, k Voltaire, et surtout
k Diderot, bien que celui-ci füt Thomme de la vertu. Si Ton place
les oeuvres de Boucher dans les milieux auxquels elles furent desti-
n6es, ces pi&ces k demi hautes lambrissäes et peintes de couleurs trfcs
pdles, oü les panneaux se profilent en moulures capricieuses, oü la
menuiserie d'art prodigue ses coquilles et les fleurs de ses guirlandes,
oü lignes et sculptures se dötachent en or mat sur fonds blancs,
bleute, verts d'eau, lilas, rosös, on voit quel exact t£moin de son
temps est cet artiste spirituel, 616gant, voluptueux, et qui aimait la
grande vie.
11 est encore de son temps par son abondance, sa facilite, sa rapi-
dit6 qui ne lui permirent pas de chercher le fond des choses. II peint
trop et trop vite, comme beaucoup d'äcrivains ses contemporains
i. Boucher est nl en 1708 et mort en 1770.
« ao5 >
CUARDIH.
Vipoque de Fleury et de la Succession cTAutriche. urai n
ont öcrit trop vite et trop. Boucher a laissö dix mille dessins, mille
tableaux ou esquisses. Gomment aurait-il pu 6tudier la nature, m6diter
et rfcver sur eile? II nest donc pas un peinlre « vrai » : « Cei homme
a tout, except6 la v£rite », disait Diderot, qui pourtant avait rendu
justice k ses m&ites : « Quelles couleurs! quelle vari6t6! quelle
richesse dobjets et did6es ».
Chardin 1 est le grand artiste de ce moment du siöcle. Fils d'ouvrier,
il a travaill6 dans quelques ateliers de peintres en vue, mais il nest
en r6alit6 l'61&ve de personne. II est un exact et perspicace amateur
de la nature ; il a peint les natures morles, des poissons encore gluants
de Teau de mer, une raie pendue au croc, des gibiers, des fruits;
peut-Älre n'est-il surpassä en ce genre que par RembrandL Mais il
est surtout le peintre des seines de la vie modeste et reelle : une AfeVe
laborieuse, qui montre k broder ä sa fille; une m&re qui, devant la
soupe fumante, r£cite le Benedicite, que r6p£tent deux charmants
vrais enfants. une Pouruoycusc qui rentre du marchö et va poser son
paquet sur la table. Ses int&ieurs sont ceux de la petite bourgeoisie;
les murs sont & peine d6cor£s et les meubles tout simples; mais cette
simplicitö est releväe par le goüt d&icat et la distinetion qui se retrou-
vent dans toutes les choses du temps. Chardin est « peut-6tre, disait
Diderot, un des premiers coloristes de la peinture ». A soixante-dixans,
il se mit au pastel. II s'est peint, coifte d'un bonnet blanc ä visiere
verte; par-dessus de grosses besicles, il regarde. La lumtere joue sur
le front, les pommettes et le bout du nez pinc6 par les besicles. La
figure est large, puissante, fermement modelte, r6Q6chie, fine. Le
grand m6rite de Chardin, comme celui de La Tour» c'estla v£rit6. II
a travaillä comme all n'y avait eu d'acad&nie ni ä Paris, ni ä Rome.
Ce fut un grand m6rite encore que le sentiment si profond qu'il eut
de la po£sie intime et de la purete morale que reelle la vie humble.
Chardin s'inspirait de la « muse silencieuse et seerfete », dont parle
Diderot ; eile lui sugg6ra ce retour ä la nature, au särieux, ä la vertu.
LA SCLLPTCBB.
LES COÜSTOÜ
La sculpture 6tait trfcs appr6ci£e au xvin* si&cle; les commandes
du Roi, des riches particuliers et des 6glises abondaient. Le public,
6pris de pittoresque, aimait la vari6t6 des matteres employ6es par les
artistes — le marbre, le bronze et la terre cuite, — et la liberte et
l'6clat de leur style.
Neveux et disciples de Coysevox, les deux Coustou', Nicolas et
Guillaume ont gardö les traditions de Tart de Louis XIV, en y intro-
i. Chardin est ne en 1699 ct morl cn 1779-
a. Nicolas Couttou est ne en 1Ö08 et mort en 1738; GuilUume Coustou est ne en 1677 et
mort en 1746.
c ao6 >
CHAP. vr
La Vie inteüectuelle.
duisant de la souplesse, du mouvement ei de la « sensibilitö ». La
sculpture du xvnT siöcle tendait k une sorte d'allure passionnöe,
comme on le voit par les Cheuaux du Soleil de Robert le Lorrain,
ä lhötel de Rohan, et par les Cheuaux de Marly, de Guillaume
Coustou, aujourd'hui ä l'enträe des Champs-£lys6es.
Bouchardon * a sculptö et gravö, fait des monuments en m6me
temps que des bustes, publik une suite d'esiampes, les Cris de
Paris, donnä des modöles de monnaies royales, illustre des livres.
II avait Tinstinct de la vöritö et l'amour de la forme humaine vivante.
II a fait un trös curieuz effort pour concilier la nature et la tradition
classique. On le voit, dans ses dessins präparatoires, observateur
scrupuleux de la nature; mais, dös qu'il les fait passer dans le
marbre, il interpröte ses figures et les idäalise. Pour la statue
6questre du Roi, destin6e ä la place Louis XV et que dätruisit la
Revolution — il n'en reste qu'une räduction — il avait ötudiö le
cheval en ses moindres details et dessin6 au vrai, d'aprös le modöle,
des femmes, qui se transformörent aux quatre angles du pildestal en
Vertus, figures elegantes et fines, mais conventionnelles. Son oeuvre
principale est la Fontaine de la rue de Grenelle, grande compositum
architecturale et sculpturale, bien ordonnöe, avec de gracicux mor-
ceaux, un peu froide. II ötait, parmi les artistes de son temps, sörieux
et grave ; c 'est pourquoi peut-ötre ce sculpteur de mörite fut jug6
bomme de genie par ses contemporains. Ceux-ci, bien qu'ils aimassent
la fantaisie, le joli et le mani£r6, respectaient Tidöal classique auquel
ils allaient retourner. On pourrait dire qu'ils avaient des id£es oppo-
s£es ä leurs goüts.
Pigalle appartient surtout ä la seconde partie du sifccle. En lui se
retrouvent les deux tendances. II est semi-classique dans le Mercure
aiiachant ses talonnUres, qui fut son morceau de räception k l'Aca-
demie, et dans le groupe de YAmour et FAmitU sculpt6 pour Mme de
Pompadour; mais il se platt au sensuel des formes alanguies et
coulantes. II est, du reste, un artiste capable, comme on verra plus
tard, de monuments de solennelle allure.
Comme en peinture, la grande vogue en sculpture fut aux por-
traits. S'ils £taient reunis, les bustes composeraient une galerie de la
soci6t£ du temps. Les sculpteurs portraitistes sont des rdalistes. Ils
repr&entent les hommes avec un air d'aisance d£gag6e, les femmes
avec un sourire de grftce spirituelle, et traitent avec une souplesse
exquise les costumes, les perruques, les chevelures boucläes, tous les
accessoires. Le grand sculpteur en bustes fut J.-B. Lemoyne*; ses
i. Bouchnrdon i»«t n^ en 169R et mort en 176a.
2. J -B. Lemoyne est n6 en 1704 et mort en 1778.
BOUCHARDON.
PIGALLE.
LES BUSTES.
^07
L'Epoque de Fleury et de la Succession d'Autriche.
uvrb n
LA SCÜLPTÜRB
DäCORATIVE.
LA GRAVÜRE.
portraiis de Louis XV, de Mlle Clairon, de Cr6billon, etc., sont d'une
souplesse de travail, d'une intensiv de vie, d'une vivacite d'expres-
sion, qui rappellenl les portraits de La Tour.
J.-B. Le Moyne est aussi l'auteur d'un tombeau de Mignard,
dont les däbris sont ä Töglise Saint-Roch k Paris; la ßlle de Mignard,
Madame de Fouquifcres, y est vßtue d'une robe chiffonnäe, qui ne con-
vientguöre äsa douleur, et ses bras süperbes se tordent sans qu'elle
perde rien de sa gräce. C'est de la sculpture döcorative et ornenia-
niste. Ce genre fut pratiqu6 par les Adam et surtout par les Slodtz,
une famille flamande; le plus cälöbre des Slodtz, Ren6-Michel Slodtz 1
— dit Michel- Ange — fut le maitre de Houdon. Les Slodtz ontsculpte
des chaires oü sautillent les Vertus thöologales, des monuments
fun6raires m61odramatiques et pittoresques. De Michel-Ange Slodtz
est le tombeau du cur6 Languet de Gergy, k Saint Sulpice; le cur6
est 6tendu sur un sarcophage : un squelette, le Temps avec la fauz
et le sablier symboliques, Tange de la religion, des marbres jaunes,
rouges, noirs et blancs chatoient en un style d'op£ra.
La gravure fut aussi un art tr&s aim6. Tantöt eile continue,
comme avec les Drevet de Lyon, la tradition classique des beauz
portraits historiques; Pierre-Imbert Drevet 1 a grav6 un admirable
Bossuet. Mais, le plus souvent, le graveur interpröte les oeuvres des
peintres — l'estampe a popularisä Watteau et Boucher — , ou bien il
dessine et repräsente les seines de la vie contemporaine. Charles
Nicolas Cochin 8 , fils du graveur de l'oeuvre de Watteau, a d£but£
en 1736 par Le feu d'artifice liri ä Rome pour la naissance du Grand
Dauphin. En 1739, il est entrö aux Menüs Plaisirs du Roi; temoin de
la vie de la Cour, il a grav6 les c6r6monies et fetes officielles. Des
graveurs comme Eisen et Gravelot ont illustre quantitä de livres,
burin6 des frontispices, des fleurons, des culs-de-lampe, et des invi-
tations, des programmes, des billets de th6ätre, des annonces, des
catalogues.
Ces artistes ressemblent aux 6crivains leurs contemporains par
leur imagination riante, aimable et gracieuse. Ils dessinaient comme
on 6crivait, d un crayon facile, aiguis6, un peu sec. Leur oeuvre, si
abondante, räv&le aux historiens les aspects divers de la vie au
xviii 6 stecle. C'est peut-6tre la gravure et Illustration des livres qui
donnent le mieux Yidte de cette soctete 61£gante, sensuelle, libertine
et qui, si 16gfcrement, jouissait de la vie.
i. R.-M. Slodtz est ne en 1705 et mort en 1764.
a. P.-I. Drevet est ne en 1697 et mort en 1739.
8. Ch.-N. Cochin est ne en 1698 et mort en 1769 (?).
< 208 >
CHAP. IV
La Vie intellectuelle.
La musique i tient une place importante dans la vie intellectuelle
de la nation. Le goüt musical sest notablement d£velopp6 depuis
que les cantates et les sonates ont 6t6 importees d'Italie; malgrg la
boutade de Fontenelle — « Sonate, que me veux-tu? » — la musique
pure, sans atteindre k la popularite de Top^ra*, commence k compter
des amateurs passionnös. Les exp6riences d'acoustique et les divers
systömes d' Harmonie provoquent, parmi les savants et les thäoricfens,
de vives controverses. A lapparition de toute oeuvre marquante, les
esthätiques diff&rentes se formulent dans de grandes « querelles »
musicales, od des Icrivains et des philosophes bataillent aux cdtes
des rousiciens.
Jean-Philippe Raraeau s domine toute cette öpoque. Son p&re,
l'organiste Jean Rameau, dirigea sa vocation musicale par une 6du-
caiion attentive et s6v£re. Rameau quitta le College des J6suites au
sortir de la quatriöme, fit en 1701 un trfcs court voyage en Italie, puis
mena pendant vingt ans une existence errante ä travers la France,
exergant son mutier d'organiste k Avignon, k Clermont-Ferrand, k
Paris, k Dijon, ä Lyon. Au d6but de 1723, il se fixe däfinitivement k
Paris.
C'est surtout comme thäoricien qu'il se fit d'abord connaltre, et il
pr6f£ra toujours sa räputation de savant k sa gloire d'artiste. II publia
en 1722 un TraiU de F Harmonie riduite ä ses principe* naturels, qui
fit grande impression parmi les savants et les philosophes. Jusqu'A
la fin de sa vie, il ne cessa d"6crire pour däfendre ses id6es et pour
Computer ou perfectionner son « Systeme ». Ce systfcme, r6sum6 par
d'Alembert en 1752 dans ses Elimcnls de musique tMorique et praiique
suivant les principes de M. Rameau, porte bien la marque de Tesprit
du stecle; il substitue la raison et Texp6rience aux traditions incoh£-
rentes de Tancienne thäorie musicale. Par le principe de la « basse
fondamentale » et du « renversement » des accords, Tharmonie se
trouve k la fois enrichie et simpliftee. Aussi Rameau re$ut-il d % un de
ses contemporains ce compliment qu'il 6tait « aussi grand philosopbe
que grand musicien ».
Avant d'arriver h Paris, Rameau n'avait encore compos6 que son
Premier livre de PUces de Clavecin, paru en 1706, quelques cantates
i- Ouvrages a consulter Cbouquet. Histoire de la musique dramatique en France* Paris,
1&73. D'Indy, Luili, Destomches, Rameau (Minerva, 1909). Lalor. Ph. Ramtau, Paria, ifoS.
L. de la Laurencie. Rameau, Paris, 1906. Font. E**ai sur Favarl. Toulouse, 189t. Pougin,
Rouaeau musicien. Pari«, 1901. Id., Monsigny et son temps, Paris, 1909. E. Dacier, Une dtM-
seusm sous Louis XV, Stile Saite', Paris, 1909.
2. Parmi les predecesseurs Immediats de Rameau dans le genre de l'opera, il faot eiler
Destouches, qui, en 1735, donoe en collaboration avec Lalande le ballet des ÄMmtnts,
Mouret, « le musicien des Graces •, et Monteclair, dont I opera bibllque de JephU
d'un an la premlere reprtsciitation öVRippolyle et Aricie.
3. II est ne ä Dijon en i683, et mort en 1764.
LA MUSIQUE.
BAMEAU.
SON (RUVRB
THäOMQUB.
SOS (EWHE
VARTISTB.
209
viii. 2.
14
UEpoque de Fleury et de la Succession d'Autriche.
livre n
L'INVASION
1TALIBNNB.
LES PARADES
DB ROUSSEAU.
et peut-Stre quelques pieces d'orgue. A Paris, ilaurait voulu däbuter ä
FOp6ra ; mais il dut se contenter d'abord de travailler pour les thöätres
qui jouaient aux foires cälebresdeSaint-GermainetdeSaint-Laurent.
La protection du financier La Popelintere lui permit enfin de trouver
un librettiste; en 1733, ä Tage de cinquante ans, il d£butait ä l'Opära
par Hippolyte ei Aricie. L'harmonie savante de sa musique, Torigi-
nalitö de ses mälodies, la nouveaute de Instrumentation d£chatn&-
rent contre lui le parti des vieux Lullisles. Un instant d£courag6, il
continua la lutte par les Indes galantes, Castor et Pollux, Dar-
danus; il conquit la faveur royale avec La Princesse de Navarre jou6e
en 1745, et donna la mßme ann£e Piatee, qui est un väritable op6ra-
comique avant la lettre. En vingt-trois ans, il composa pr&s dune
trentaine d'operas ou de ballets. Rameau, sans guere modifier le
cadre ni les formes de l'opära de Lulli, la renouvelö par la richesse
de son invention tour ä tour gracieuse et vigoureuse. II est un des
plus grands musiciens de la France.
Lullistes et Ramistes se röconcili&rent pour däfendre la musique
frangaise contre Tinvasion 6trang6re. En 1752, des acteurs italiens
jouerent ä Paris la Serva padrona de Pergolese et quelques autres
« op£ras-bouffons ». Cette musique lagere produisit un tel effet que
Paris en oublia pour u« temps le Parlement et le Jansänisme.
Rousseau et les Encyclop£distes intervinrent dans la querelle
qui s^leva. Rousseau öcrivit en 1753 sa Lettre sur la musique frangaise ;
il y döclare que la langue frangaise n'ayant ni mesure, ni m£lodie,
les Francis « n'ont point de musique, et n'en peuvent avoir », et que
le chant frangais n'est qu'un aboiement continuel. Dans son Essai sur
lOrigine des Langues, il attribue la m&me incapacite' aux Allemands
et aux Anglais, pour la m&me cause, et cela trois ans aprös la mort
de Säbastien Bach, et au moment ou Haendel payait par des chefs-
d'oeuvre lhospitalite* que lui donnait l'Angleterre. Rousseau ne
croyait pas m&me les Francis capables d'imitation. Cela n'empgcha
pas qu'ayant composä avant cette polömiquc le Deuin de Village % et,
ne voulant pas avoir perdu sa peine, il le fit repräsenter. Les chants
simples et expressifs du Deuin eurent un grand succes; Rousseau
s'ätait donc donne" ä lui-möme un dömenti. Au reste, ce n'6tait pas
sans raison qu'il reprochait ä l'Opöra frangais sa mythologie surannäe,
ses ballets conventionnels, son orcheslre trop bruyant et qu'il
röclamait des oeuvres musicales plus humaines et plus tou-
chantes. Les Encyclop6distes ont 6mis dans cette discussion bcau-
coup d'idöes tres penetrantes qui annoncent le drame lyrique
moderne ; mais ils ont m&onnu la valeur et le pouvoir de la musique
symphonique.
< 210 >
chap. iv La Vie intellectuelle.
Les däfenseurs de la musique frangaise se rangeaient au thöätre bxpülsioh
sous la löge du Roi; c'£tait le « coin du Roi ». Les partisans des * des Italiens.
Italiens formaient en face d'eux le « coin de la Reine »; les deux
« coins » ne cessaient d'6changer pamphlets et invectives. II fallut
rinierveniion royale pour mettre fin ä la lutte ; au comraen-
cement de l'ann6e 1754, Manuelli et sa troupe furent expuls6s
de France.
Rameau n'eüt pas de rivaux rentables dans le genre de l'ope>a. lopbra-comiqüe.
II faut pourtant mentionner parmi ses contemporains Mondonville,
dont lop£ra de Titon ei tAurore, jou6 en 1753, fut däfendu avec
acharnement par le « Coin du Roi », et Philidor, Tauteur Üßrne-
linde, jou6 en 1761 ; mais ce dernier s'exerga surtout dans Top^ra-
coraique. Ce genre mixte, caract6ris6 par l'allernance du parle et de
la musique, a son origine dans les com6dies en chansons que Ton
jouail au theätre de la Foire. D'abord forc6 de d£fendre son existence
contre Top6ra, la comädie frangaise et la com6die italienne, il se
developpa rapidement gräce au directeur du thöätre, Jean Monnet.
Avec les Troqueurs de Vad£, musique de Dauvergne, jou6s en 1753,
Topöra-comique frangais se trouve definitivement etabli. En 1762
le nouveau thä&tre sinstalle ä THötel de Bourgogne, oü Philidor,
Gossec, Monsigny et Grötry, s'inspirant ä la fois de Fop6ra frangais
et des intermödes Italiens, vont donner des oeuvres charmantes, d'un
caract&re tout nouveau et, selon le goüt du temps, touchantes autant
que spirituelles. Le Deserteur de Monsigny, en 1769, est le type du
genre. Aprfcs la mort de Rameau, Topära-cornique semblera l'unique
expresssion de la musique frangaise, jusqu'au moment ou Gluck
viendra s^tablir en France 1 .
,. Au meme temps. lart de la danse mit, lui aussi. aux prises le 1*"™^*]**%*
francais. En 17a« P«nit a lOpera la dansense Camargo. D une Tieille *»'"• «« i?Xffu
a Ten crolre. complalt un archeveque, un eveque et un card.nal, eile ara it fall J£«ImU
sur los theatres de Bruxelles et % de Rouen. Agee de seize ans point belle de visage, , elto
avait le* pieds, les jambea, la taille, les bras et Je* mams d une forme parfa iU u et. de plus
une vigueur. une fougue et un »mprevu qui flrent qu'aussitot le public 1 i« 01 *^- *" e
ZnMitE™ ia danse 2oble et convenue dont Mlle Salle etait 1. muse, une danjie lant£
siste que ses adrersaires appelerent . gigotage .. Elle osa raccourclr se< ^^ a " n B <£
mettre les amateurs en etat de mieux juger de ses pas; ce qui mit •«P^»'« I J;
nistes et les Molinistes du parterre, ceux-la tenant pour la june longue. et ceux-c powlB
jupe courte. Elle deplut aux traditionnalistes par son entrain, et la noöveauM _auda-
eleu« de son jeu; eile proToqua la Jalousie des autres danseuse* par le •P^unt J StSKÄ?
mettre, meme dans les menuets. Durant ringt-cinq ans sa reputation *^»£™a«a?avL
Son cordonnier fit fortune, par la vogue quelle lu» donna. II n etait polnt de femme t la
mode qui ne vortut etre Chaussee a la Camargo.
< an >
Ußpoque de Fleury et de la Suc cessio n d'Autriche. uyrb ii
LB PELE-MELB
DBS SALONS.
MADAME
DU DEFFAND.
IV. — LES SALONS 1
TOUT ce moude intellectuel, si vivant et divers, philosophes, 6cri-
vains, politiques, savants, gens de lettres, artistes se rencontrait
dans les salons avec des grands seigneurs, des magistrats, des finan-
ciers et. d'illustres £trangers de passage ä Paris.
Les premiers salons k la mode furent ceux de Mme du Deffand
et de Mme de Ten ein. La marquise du Deffand ', dune famille noble
de Bourgogne, avait 6t6 mari6e jeune ä un mari quelle n'aimait pas,
et de qui eile se s6para. Elle mena une vie galante dans la compagnie
du Regent et de la duchesse du Maine, et se fit une grande röputation
d'esprit. Elle tint salon nie de Beaune de 1730 ä 1747, puis s'installa
au couvent de Saint-Joseph, dans un bdtiment voisin de l'hötel de
Brienne, oü se trouve aujourd'hui Thötel du ministre de la Guerre.
C'ötait un usage du temps que les femmes de qualitä, veuves ou
s6par6es de leur mari, habitassent les parties « profanes » des cou-
vents pour y jouir des agröments d'une demi-retraite.
Elle 6tait curieuse de toutes les choses de Tesprit, d'un goüt sür,
dälicat, subtil, qui percevait le moindre ridicule, « enfant g&t£e »,
caustique et m6disante. Les plus c616bres de ses habitu6s furent les
deux d'Argenson, le prince et la princesse de Beauvau, les mar6-
chaux de Mirepoix et de Luxembourg, le prösident Hönault, qui fut
un temps son Chevalier servant, le prösident de Montesquieu, les
Brienne, les Choiseul, Maupertuis, d'Alembert, la tragödienne Clai-
ron. Les encyclop6distes ne fr6quentfcrent pas ce salon aristoeratique.
Rousseau y fut admis, mais ne s'y laissa point retenir : il haüssait en
Mme du Deffand sa passion pour le bel-esprit, pour « Timportance
i. Sources. Du Deffand (Correspondance): Dufort de Cheverny, Henault, Grimm (Cor-
respondance Uli.), The lelters of Horace Walpole, deja cites. Epinay (Mme d'), Mimoires,
Paris, 1864, a vol. Lespinasse (Mlle de), Letlres inidites, p. p. Bonnefon (Revue d'histoire
litterairede la France, t IV, i5 juillet 1897). Marmontel, Mimoires, Paris, Coli. Barriere, 18&7.
Rousseau (J.^J.), QEuorcs completes, Paris, 1826, 25 vol. Confessions, t XV, XVI, XVII. Vol-
taire, Correspondance (Ed. Garnier), Paris, 1880-1882. 18 vol. in -8.
Oüvraobs a cohsülter. Bersoi (ttudes sur le XVIll* siecle), Desnoiresterres {Voltaire et
la Sociili), Feuillet de Conches {Les Salons), de Goncourt {La femme, La dachesse deChdleaa-
roux), Perey {Le prisident Hinaalt et Mme du Deffand), Thirion(Vi> prioie des financiers),
deja cites. Campardon, La cheminie de Mme de La Poupeliniire, Paris, 1879. Ducros,
Diderot; Vhomme et Vicrivain, Paris, 1894. Lion (Henri), Un magist rat homme de letlres
au XVIII* siede; le prisident Hinault (1685-1770), Paris, ioo3. Maugras, Querelles de philo-
sophes : Voltaire et J.-J. Rousseau, Paris, 1886. Perey et Maugras, Une femme du monde aa
XVIII* siMe ; dernieres annies de Mme d'Epinay, son salon et ses amis, Paris, i883. Sainte-
Beuve, Lettres de la Marquise du Deffand (Causeries du lundi, t I, i85i); De Segur, Le
royaume de la rue Saint-Honori; Mme Geoffrin et sa fille, Paris, 1897. Scherer (E.), Mel-
chior Grimm, Paris, 1887. Streckeisen-Moultou, Jean- Jacques Rousseau, ses amis et ses
ennemis, Paris, i865. Tornezy, Un bureau d'esprit au XVIII* titele; e salon de Mme Geoffrin,
Paris, 1895. Masson, Mme de Tencin, Paris, 1909.
2. Mme du Deffand, est n6e en 1697, morte en 1789.
( 212 >
chap. iv La Vie inleüectuelle.
qu'elle donnait, soii en bien, soit en mal, aux moindres torche... qui
rapaissaicnt, son engouement outr6 pour ou contre toutes choses,
qui ne lui permettait de parier de rien qu'avec des convulsions;...
son invincible obstination ». Mme du Deffand parut samuser long-
temps au va-et-vient de ses räceptions et aux intrigues des älections
acad6miques; mais eile Bnit dans un incurable ennui. Elle a dit le
mal dont eile souflfrait : c'6tait « la privation du sentimenl avec
la douleur de ne pouvoir s'en passer ». Elle devint misanthrope :
u Hommes et femmes lui paraissaient des machines k ressort, qui
allaient, venaient, parlaient, riaient sans penser, sans r£fl6chir, sans
sentir; chacun jouait son röle par habitude ».
Mme de Tencin \ fille d'un conseiller au parlement de Grenoble, madamb
fut mise par sa famille dans un couvent de cette ville, que le cardinal DB tencin.
Le Camus navait pu que trfcs imparfaitement räformer. Les portes
mal closes laissaient sortir les religieuses et entrer les visiteurs.
Ccpendant Mme de Tencin ne se plut pas dans la maison, et, d'ail-
leurs, a ce que Ton raconte, de fficheuses aventures ne permirent
pas qu'elle y restät. Elle vint ä Paris; releväe de ses voeux k Rome,
eile usa de sa libertä pour s'amuser et faire ses affaires, car eile fut
autant ambitieuse qu'amoureuse. On lui attribue quantit6 d'utiles
amants au temps de la R6gence, ä commencer par le Rögent et le
cardinal Dubois. En 1717, eile mit au monde un fils, qu'elle fit porter
sur les marches de l'6glise de Saint-Jean-le-Rond, oü on l'aban-
donna; c'ötait le futur d'Alembert. Pendant la R6gence, eile s'enri-
chit k la faveur du systöme de Law, et eile präpara la fortune de son
fr&re, l'abbö de Tencin. Ce mödiocre et vilain personnage devint
archevgquc d'Embrun en 1721. La sceur eut un mauvais moment a
passer, quand un de ses amants se tua chez eile, laissant un testa-
ment oü il l'accusait de divers crimes; eile fut mise ä la Bastille, et
reconnue innocente, il est vrai. Elle avait alors plus que la quaran-
taine. Elle se fit, comme dit Saint-Simon, « le pilier et le rallietnent
de la saine doctrine, le centre de la petite £glise cach£e, si excelle-
ment orthodoxe », c'est-ä-dirc qu'elle prit parti contre les jans*-
nistes pour la « Constitution ». L'archevÄque d'Embrun se signala
dans la lutte f . Mme de Tencin, devenue presque la p£nitente du
vieux Flcury, correspondait avec Rome. Bref, Tencin devint en 1739,
cardinal, et, Tan d'aprös, archevöque de Lyon. II entra au Conseil
comme ministre d'£tat; Mme de Tencin esp6ra certainement qu'il
succöderait ä Fleury. On dit que, dautre part, eile pr6para Mme
d'Etioles k devenir Mme de Pompadour.
i- Mine de Tencin est nee en 1681, motte en 17^.
3. Voir plui haut, p. 14.
c ai3 >
L'£poque de Fleury et de la Succession d'Autriche. uvrb n
Cependant, eile gardait ses amis 6crivains et philosophes. Sa
maison de Passy et son appartement de la nie Saint-Honor6 furent
IWqueiites par Fontenelle, Bolingbrocke, Montesquieu, Marmontel,
Helv6tius et Marivaux. Dans les derniers temps, eile se donnait Tair
d'une « vieille indolente », pleine de bonhomie et de simplicitä; mais
eile demeurail une virtuose en Tart de la conversation, consacrant les
räputations d'esprit; eile savait « la fin du jeu en toutes choses ».
madame Elle prit pour associäe Mme Geoffrin 1 , sa voisinc de la nie
geoffrin. Saint-Honorä. Mme Geoffrin 6tait la femme d'un administrateur de la
Compagnie des glaces de Saint-Gobain, qu'elle avait 6pous6 en 1713,
ftg6e de quatorze ans, alors qu'il en avait quarante-huit. Le man
6tait dövöt; eile, trös spirituelle et tr£s libre. Mme de Tencin 1ms-
truisit ä son röle de maltresse de salon; eile lui donna ce conseil
essentiel : « Ne jamais rebuter un seul homrae, parce que, si neuf
sur dix se soucient de vous comme d'un sol, le dixiöme pourra devenir
un ami utile ». Quand Mme de Tencin mourut, en 1749, ses habitu6s
restörent k Mme Geoffrin, qui donna deux dtners par semaine : le
lundi pour les artistes, le mercredi pour les gens de lettres. Son mari
6tait präsent, silencieux, effacö ; on rapporte qu'un jour, comme on
ne le voyait pas k table, un des convives demanda : « Qu'est donc
devenu ce vieux monsieur, qui 6tait toujours au bout de la table et
qui ne disait rien? » Elle röpondit: « C'6tait mon mari. II est mort. »
Elle savait k merveille conduire une discussion, faire parier
chacun des sujets qui lui convenaient le mieux, tirer de TinWröt des
personnages ennuyeux, comme le bFave abb£ de Saint-Pierre, qui
lui disait : « Je ne suis, madame, qu'un instrument dont vous avez
bien jou6 ». D'un mot — « Allons, voilä qui est bien » — , eile arr&tait
les propos dangereux, et eile envoyait les amis trop turbulents « faire
leur sabbat ailleurs ». Elle contait bien, plagait des maximes, mais
eile savait 6couter et t£moignait aux hötes de marque « une coquet-
terie imperceptiblement flatteuse ».
Montesquieu fut un des premiers ä vanter le salon Geoffrin ; il
est vrai que, plus tard, apr&s un froissement d'amour-propre, il le
traita de « boutique », et appela Mme Geoffrin « harengöre du beau
monde » et « dame de charitö de la littärature », allusion aux
cadeaux que Mme Geoffrin aimait k faire ä ses amis. Voltaire ne
parut chez eile qu'ä de rares intervalles, mais Fontenelle demeura
jusqu'ä la mort son höte assidu. On voyait aussi chez eile Marivaux,
d'Alembert, Helv6tius, Grimm, Piron, Maupertuis, Burigny, de
l'Acadämie des lnscriptions, le comte de Caylus, Tamateur d'art et
i. Mme Geoffrin est nee cd 1699, morte en 1777.
< 214 >
CHAP. IV
La Vie intellectuelle.
antiquaire, qui conduisait chez eile la troupe des peinires et des
sculpteurs; puis des savants de tout pays, Hume, l'historien Gibbon,
et des ambassadeurs. Elle se fit peindre par Nattier en 1738, acheta
des marines de Joseph Vernet, se lia avec Carle Van Loo, quelle
allait voir toutes les semaines dans son atelier, et avec Latour et
Boucher. Quand le comte Poniatowski vint ä Paris en 1741, il fre-
quenta son salon et lui proniit de lui envoyer un jour ses enfants. Le
seul qui vint fut Stanislas-Auguste, en 1753; eile le traita comme un
fils; plus tard, quand il fut devenu roi de Pologne, eile Falla voir ä
Varsovie et se crut appeläe ä jouer un röle politique. Sa vanitä bour-
geoise fut flattee par lesavances de Catherine II, par la r6ception que
lui firent k Vienne Joseph 11 et Marie-Thdrfcse. Puis eile s'arrangea
une « vieillesse saine et gaie ».
Dans la seconde moiti6 du sifccle, quelques salons attireront
sp£cialement les philosophes : celui du baron d'Holbach, celui de
Mlle Quinault, et surtout celui de Mlle de Lespinasse.
D'Holbach ! 6tait un Allemand naturalis^, trfcs riche et trfcs g£n6-
reux. II donnait k dtner deux fois par semaine, ledimanche et le jeudi ;
il präsidait aux discussions les plus hardies sur l'histoire, la politique,
la mälaphysique ou la religion, et disait des choses « ä faire tomber le
tonnerre sur sa maison ». On l'appelait « lennemi personnel de Dieu ».
Chez Mlle Quinault* — une actrice qui avait quitt6 le th&Ure en
1741 — la conversation des diners roulait jusqu'au dessert sur des
banalit6s, les impöts nouveauxou les spectacles; mais ensuite, on con-
g6diait les valets, et on discutait sur la nature, sur les origines de la
pudeur, surtout sur la religion. C'est lä qu'un soir, k ce qu'on raconte,
Rousseau entendant bafouer Dieu par des ath6es, s'6criera : « Si
c'est une lachet^ que de souffrir qu'on dise du mal de son ami absent,
c'est un crime que de souffrir qu'on dise du mal de son Dieu, qui est
präsent. Et moi, messieurs, je crois en Dieu. »
Mlle de Lespinasse 8 , une fille adult&rine, fut d'abord demoiselle
de compagnie de Mme du Deffand, lorsque celle-ci, devenue aveugle,
eut besoin d'&tre aidäe dans ses räceptions. Elle ötait beaueoup plus
jeune que la dame, et des habitu6s de la maison la preWrfcrent. Elles
se brouillferent et se säparfcrent; Mlle de Lespinasse s'installa nie
Saint-Dominique. Nourrie de La Fontaine, de Racine et de Vol-
taire, eile lisait Plutarque et Tacite, mais aussi Sterne et Richardson.
C'6tait uneäme ardenle; teile musique « la rendait folle »; eile disait
« qu'il n'y a que la passion qui soit raisonnable », et encore : « II ny
LR BAKOH
U HOLBACH
HADEHOISELLE
QÜINAÜLT.
HADEHOISELLE
DE LESPIHASSE.
i. D'Holbach, ne en 1733, mort en 1789.
2. Nee en 1700, morte en 176.3.
3. Mlle de Lespinasse, nee en 1733, morte en 1776.
< 2I'J >
UEpoque de Fleury et de la Succession (TAutriche. liyre n
a que l'amour-passion et la bienfaisance qui me paraissent vaioir
la peine de vi vre *>. «La continuelle activite de son &tre se commu-
niquait ä son esprit. » Elle 6tait habile ä conduire ei animer la con-
versation, et capable de discuter elle-mÄme les problemes les plus
difSciles. Elle recevait surtout les philosophes; son salon, oü Ton
voyait les bustes de Voltaire et d'Alembert, sera le laboratoire de
TEncyclopädie.
&<loss D'autres salons durent leur c616brit6 ä l'6clat des r^ceptions
wi$ nsjisciBRS. qu'on y donnait. Les financiers £talaient leur richesse dans des ffetes &
ruiner un roi, comme fit le vieux Samuel Bernard, quand il maria sa
fille avec Mol6, präsident k raorlier; La Mosson, ä Montpellier, fit
d^filer en un repas cent quarante plats, et cent soixante especes de
desserts. La Porte fut illustre par son cuisinier; chez certains finan-
ciers, les dames trouvaient sous leurs serviettes des bijoux, ou m&me
des bourses pleines dor et des billeis ä vue sur la caisse des fermes.
At.uuJW i)|.?/.v, Mais il y avait des financieres, chez qui on causait. Mme Dupin,
fille naturelle de Samuel Bernard, femme d'un fermier general, rece-
vait des ducs, des ambassadeurs, des cordons bleus, des äcrivains,
et des femmes celebres par leur beaute, la princesse de Rohan, la
comtesse de Forcalquier, Mme de Mirepoix, Milady Hervey. Rous-
seau s6prit d'elle pour l'avoir vue k sa toilette, les bras nus et les
cheveux 6pars; ilelait le pr6cepteurde son fils, et corrigeait les ecrits
do son mari.
imihw w La financiere la plus entouräe fut Mme de la Popeliniere. Fille
m rsmixii*** do la comödienne Dancourt, eile avait £t£ d'abord la mattresse de
son mari, et ne s'en fit pas 6pouser sans peine. Elle avait eu recours
& Mino de Tencin, qui intgressa Fleury k ce mariage; quand on
ronouvola lo bau des fermes, en 1737, le cardinal exigea que le finan-
zier nNgularisAt sa liaison, et La Popeliniere s'executa. Mais plus tard,
le husard lui fit decouvrir le m£canisme d'une plaque de chemin6e
qui, on tournant, donnait acces ä son voisin, le duc de Richelieu. II
rouvoya »a femme.
4« vfAtv't't Lo» 1-a Popeliniere, qui donnaient beaucoup.de musique, mirent
\*h+ i*v |<\* ooncorU ä la mode. 11s h£bergeaient des musiciens de France et
m »v'*«'\*ita* d^liulto, montaient des ope>as; on voyait chez eux Rameau et Vau-
iWIhoii lo machi niste. Ils recevaient des « gens de tous 6tats », autant
4* tuauvaiso compagnie que de bonne. On appelait la maison « la
M^nagorio »,
... s , s , K nii l^uuulodosr^ceptionsdurerapendanttoutlesifecle. On les varia,
oh rtolui*il la dopense. Quelquefois, le salon devint un « cafe* »; on
tu*tnllmt do potites tablcs, les unes avec des jeux, les autres avec
\lo* Mit* ot dos sirops; la maitresse de maison ölait vßtue ä l'anglaise,
< ai6 >
chap. iv La Vie intellectuelle.
cT une robe simple, courte, d'un tabuer de mousseline et d'un fichu
pointu ; on soupait sans apparat, et Ion s'amusait ä toutes sortes de
divertissements, danse, pantomimes et proverbes.
Rousseau a tr&s bien defini les salons dans la Nouvelle Hdoise : viuportancb
DES SALONS.
• On y parle de tout, pour que cbacun ait quelque chose ä dire; on n'ap-
profondit point les questions, de peur d'ennuyer; on les propose comme en
passant; on les traite avec rapidite; la precision menc ä l'elegance... Le sage
raeme peut rapporter de ces entreticns des sujets dignes d'elre medites en
silence. »
Mais combien y avait-il de sages, qui, rcnträs chez eux aprös
les entretiens, raöditaient « en silence »? La plupart de ces causeurs
s'en tenaient ä la superficie des sujets. C^tait une mauvaise habitude
que de ne pas approfondir, de peur d'ennuyer; par lä, on se fagonnait
ä cette £l£gante 16g6ret6 d'esprit qui se trouvera prise au dlpourvu,
quand viendra la bise, ä la fin du stecle.
On a quelquefois dit des salons qu'ils ont eu leur grande partdans
la präparation de la Revolution fran^aise. (Test beaucoup trop dire ;
mais ils y ont contribu6 pourtant, et d'abord par cette habitude qulls
ont donnäe aux esprits de ne pas s'arröler au difGcile et ä lobscur,
et de croire que la raison prtfvaut n^cessairement contre l'absurde.
Puis une sorte d'opinion publique s y forma, qui se räpandit dans les
classes £clairees de la nation. Enfin on y sacrait des royautäs nou-
velles, celles de Tesprit, et toute cette activite intellectuelle faisait
entre Paris vivant et pensant, et Versailles oü s'ennuyait le monarque
dans la monolonic des plaisirs traditionnels, un contraste dangereux
pour Versailles.
217
L1VRE lll
L'gPOQUE DE MADAME DE
POMPADOUR, DE MACHAULT ET DU
DUC DE CHOISEUL
CHAPITRE PREMIER
L'HISTOIRE INTERIEURE DE 1745 A 1758 1
M**HCT*PIE DB MACULLT ({1*5-1151). — IT. LH BILLCT1 DI COKN
ET LE HEU.'» DES UCKEMIKT« (1151-1758). — T. L'AITBNTAT DI DAMIBKt I
DB MA1JUI.LT BT DU COHTB »'aBOBUMH (1157).
/. - MADAME DE POMPADOUR
LOUIS XVn'oyanl jamais gouverne, les periodcs de son regne sont
marqufes par Ica noms des pcrsonnes qui successivement con-
duisirent 1a politique du royaume. Apres Celles du Regent, du duc de
Bourbon et du cardinal Flcury , ce Tut la pöriodedc Hm« de Pompadour.
La favorite dont le regne devait durer vingt ans, naquit en I7tl. mammm trimm
i. Socuri». D'Argenaon, Barbier, dB I.uyne», Moullc d Ankert 11 lt. llcnaull. Dufort de
Cheverny. du IIiuihI. Chotteul, Senar. da Meilhao. deja eilt». Bernl» (de), Utmoirtt tl
/(HrM(iji5-i 7 Ml, p. p. Fr. Ma.non, Pari», 1*7«. 1 vol. In-". Pompadour ( Marquis* oV, Corrri-
;->r,d.inre... a.« ton |«rr. U. Poiinn. tl ton frtrt, il- de Vandirrt: Pari«. 11*7*, In*
Uimoirn du martcnal duc dt Richthta, Londres et Paria, 17CU-17UI. j* ed.. u vol. In-«.
Printe, de U«ne. IHmetrtt, ßruielle*. 1M11. In 13. Soulavle, ilfmoirti niatoriduei tl ante-
dottt dt la Cour dt Franc* ptndant la faetur dt la Matjuiit dt Vumpadaar. Pari*, iBuo, ln-8.
Chanionntrr hiiloriqat, l. VII. Pari», i9to. in 17
Otvajnt» a rasu-Lni. Jobci gl, lll tl |V;j de C-ame ;l.<i monarthi* franetim aa
XVIII- «irrin. Taine 1 Launen rrorme', tir-noireslerrc« , t'oflai'e tl la SotirMi. Alb. de
Brn){lie Haartet de Sa je tl It marqait dAryenton; La paix dAii-la-ChaptUt; LAItimna
aulrithitnnt). Clement iporlraih; Lei frere* Pari»). Thlriiio. Ilouf-*! <Lt Comlt dt Gliom
Sur In PArii.). Itapst (Hi'loirt da iMälrt). Jullku [La Cumtdu .1 la Cour), Duulcu {La
Chaltaa dt VtrmtBti), deja rite». Campardon. Urne dt Pompadour tl la Co.r dt Laut* XV
au niJieu da XVIII- tilttt. Pari», 1*67, ia-8. Ganeourt iE. et J. de;, Um* dt Ptmptdamr.
Paria, irf^. In u. Nolhac (de'., Lok« .Vi' tl Um, dt Pompadour. Pari». 1304, In-ia. I.ajtanntt
dt la Pompadour (Revue il« l'an», iS orlobre 1500 : VtJlairt tl la PomiMidour {Ütrao Lallst,
Ltlpoque de Madame de Pompadour.
LIVRE in
Son pöre, le sieur Poisson, 6tait commissaire aux vivres; sa möre,
c< belle k miracle », avait eu, entre autres amants, dit-on, le fermier
g6n6ral Le Norman t de Toumehem. Le Normant maria Jeanne-
Antoinette Poisson k un sous-traitant, son neveu, du m£me nom que
lui, auquel il donna le chäteau dEtioles. La jeune dame dßtioles
6tait, dit le lieuienant des chasses Leroy, « d'une taille au-dessus de
l'ordinaire, svelte, ais6e, souple, 616gante; son visage 6tait dun ovale
parfait, ses cheveux plutöt chätain clair que blonds »; « ses yeux
avaient un charme particulier, qu'ils devaient peut-6tre k l'incertitude
de leur couleur » ; c^taient des yeux gris. Elle avait « le nez parfai-
tement bien form6, la bouche charmante, les dents trfcs belies », un
« sourire d61icieux », « la plus belle peau du monde ». Le plus
c6l6bre portrait qui reste d'elle est un pastel de La Tour, le plus res-
serablant serait la Belle Jardiniire de Vanloo. Elle 6tait trfcs bonne
actrice sur les seines des salons, et jouait du clavecin k 6mouvoir
ceux qui l'entendaient. Elle avait de Tesprit ; ä £tioles, ou dans son
hötel de la rue Croix-des-Pelits-Champs, eile recevait les Philoso-
phes: Voltaire se plaisait chez eile.
Mme d'ßtioles entreprit de devenir la mattresse du Roi; eile lui fit
dire quelle l'aimait, voltigea auiour de lui, v6tue de rose, en pha6ton
« bleu », et inquteta beaueoup Mme de Chäteauroux. A la mort de
celle-ci, les coteries se disput&rentThonneur etle profitde fournir une
mattresse k Louis XV. Ce fut au moment du mariage du Dauphin,
en mars 1745, que Mme d'Etioles assura sa victoire. Le mois d'aprfcs,
eile prenait k Versailles Tappartement autrefois oecupä par Mme de
Mailly. Retiräe k Etioles, pendant la campagne de Fontenoy, eile regut
du Roi, en quelques semaines, jusqu'ä quatre-vingts lettres. D6clar6e
marquise de Pompadour, eile fut officiellement « pr6sent6e » k la
Cour en septembre. La Reine, sous le regard des curieux aecourus,
garda sa bonne gr&ce et sa politesse habituelles; mais rhostilitö de
la famille royale fut tr&s vive, et aussi celle de beaueoup de courti-
sans, föchös que la fonetion de favorite füt enleväe k la noblesse
et tombäl dans la roture financi&re. A Versailles et k Paris, on chanta
des chansons qu'on appella des « poissonnades ».
madaue (T6tait justement une des puissances de Mme de Pompadour que
de Pompadour et (Tötre une « financi&rc ». La « fmance », enrichie dans la misöre
ELLE DE VI EST
LA MAITRESSE
DU ROI.
i5 mars 1904), Sainte-Beuve, Causeries du Inndi, t. II, 1886 (Mme de Pompadour). Perey,
Un pelil neveu de Mazarin, le duc de Nioernais. Paris, 1890, in-8. Glasson. Le» conftitg du
Parlement et de la Cour en 1573 (Academie des Sciences morales et politiques, 14 sep-
tembre 1901), de Champeaux, Le Meuble, Paris. 2 vol., t. II: Leturcq, Nollce $ar Jacques
Guay % graoeur sur pierres fincs du roi Louis XV, Paris, l&fl. Funck-Brentano, Ligendes at
archioes de la Baslille (Latude), Paris, 1898. in-12. Welwerl (A.), tlude crWque sur la vie
secrete de Louis XV (Revue hislonque. Nov. et ddc. 1887.)
< 220 >
chap. phemier Histoire intirieure de 1745 ä 1758.
publique, toute brillante de luxe, courtisant les gens d'esprit et cour- sbs financibbs.
tis6c par eux, prävalait sur la noblesse ruin£e; eile avait soutenu
Mme d'Etioles, dans sa campagne d'amour. Paris du Verney, qui
avait employä Poisson dans ses bureaux, s'6tait toujours interessä a
sa fille. Or, il 6tait sorti de disgräce; la guerre de la succession
dAutriche avait fait de lui l'homme näcessaire. II 6tait munitionnaire,
« vivrier »; mais il pnHendait ötre, et ii 6tait en effet tout autre
chose; en ordonnant la marche des convois, il d6terminait celle des
arm£es; il voulait des g6n6raux qui fussent ä sa discr&ion. Ce
tt g6n6ral des farines », comme on Tappelait, 6tait secondä par son
fr&re, Paris de Montmartel, Tun des grands banquiers de l'Europe,
qui fournissait des fonds aux arm6es. Quand Du Verney rencon-
trait quelque r6sistance k ses vues, il se retirait ä son chäteau de
Plaisance, aaprös de Charenton; la caisse de Montmartel se fermait
aussitöt, et le contröleur g6n£ral ne savait plus comment subvenir
aux d6penses des troupes. Vers la fin de la guerre de la Succession
d'Autriche, Du Verney redevint ce qu'il avait 6t6 sous M. le Duc, le
conseiller et Tinspirateur du pouvoir. II fait, dit le marquis d'Argenson,
« tout louvrage politique, comme le militaire »; il « gouverne abso-
lumcnt trois d6partements du royaume : la finance, la guerre et les
affaires 6trang&res ». Le Contröleur G6n6ral et le secr&aire d'£tat
de la Guerre ötaient en effet dans sa d£pendance. Quant au secrä-
taire dßtat des Affaires 6trang&res, Puysieulx, appel6 au minisl&re en
janvier 1747, c'ltait sa cr&ture et celle de la marquise.
La marquise se fit la surintendante des plaisirs du Roi. Pour le thöatrb
amuser ce perp£tuel ennuy£, eile installa dans une galerie de Ver- *>b la marquise.
sailles un thlatre oü eile appela des acteurs et des chanteurs de la
Comädie-Francaise et de TOpära. Le directeur ötait le duc de La
Valli^re, le sous-directeur, Tacadömicicn Moncrif, et le secrätairc, qui
faisait fonction de Souffleur, l'abb£ de La Garde, biblioth&aire de
la marquise. Parmi les acteurs figurfcrent MM. de Nivernais, de
Duras, de Croissy; parmi les musiciens, MM. de Dampierre et de
Sourehes; parmi les danseurs, le duc de Beuvron et le prince de Hesse.
La premi&re pi&ce jou6e sur le thäätre des cabinets fut Le lb bmpertomb.
Manage fait et rompu, de Dufresny, le duc de Nivernais, dans un
röle de Gascon, eut Thonneur trfcs rare de faire rire le Roi. On
repr£senta ensuite le Michanl de Gresset, le Prijugi ä la mode de La
Chaussee, le* Trois Cousines de Dancourt, le Tartuffe, et des op&ras
oü la marquise, jouant tantöt Herminie dans le Tancride de Dan-
chet et Campra, tantöt une nymphe dans Acis et GalaMe de Cam-
pistron et Lulli, ämerveilla le Roi et le passionna par ces change-
< aai >
VEpoque de Madame de Pompadour.
utrb m
LES CHATEAUX.
BBLLBVÜB.
LES
DtPLACBHBSTS
Du ROI.
ments mömes de personnes et par ses talents d'actrice et de canta-
trice. Les repräsentations se donnaient devant un petit nombre
d'ölus; c'6tait une faveur d'y 6tre admis, et une plus grande encore
de monter sur la sc≠ les röles 6taient tr&s dispute.
Une des fagons qu'avait Louis XV de se distraire 6tait de se pro-
mener de chäteau en chAteau. La marquise l'accompagnait dans les
rösidences royales et dans les siennes. Elle s'6tait fait donner le chäteau
de Cr6cy, prfcs de Dreux, oü eile avait am6nag6 un « cabinet d'assem-
bl6e » de cinquante pieds de long sur vingt-six de large, tout d6cor6
de panneaux sculpt6s et de glaces. Les invitäs portaient l'uni forme de
Cr6cy, lhabit vert ä boutonniöres d'or, costume dessin6 par le Roi
lui-möme. Elle avait achete La Celle, appel6e aussi le Petit ChA-
teau, entre Saint-Cloud et Versailles. Elle y donna, dans un cadre
charmant, des fötes exquises; un soir de septembre 1748, pendant le
dtner du Roi, entrent tout ä coup des musiciens tenant en mains vio-
lons et violoncelles, musettes et hautbois. La marquise se l&ve et se
met ä chanter : « Venez! Suivez-moi tous! » Le Roi et les convives
la suivent et, dans les bosquets du parc, trouvent le duc d'Ayen sous
la figure du dieu Pan, M. de La Salle, costum6 en berger, et de petits
pierrots dansant un ballet.
La plus belle demeure de la marquise fut celle que le Roi lui fit
bätir, le chäteau de Bellevue. Construit sur un terrain sablonneux
qu'il fallut döfoncer jusqu'a cent vingt pieds pour poser les fonda-
tions, il coüta au moins deux millions et demi, et le public parla
mömedesix millions. L'appartement du Roi ötait d6cor6 par Van Loo,
celui de la marquise par Boucher, celui du Dauphin et de la Dau-
phine par Vernet. Oudry avait peint la salle ä manger, Van Loo le
salon; Pigalle avait sculptä les statues de la marquise et du Roi. 11
y avait un brimborion de thä&tre d6cor6 ä la chinoise par Boucher,
Oudry, Verbrecht et Caffieri.
Les continuelles all£es et venues de Louis XV d&oncertaient les
ministres, et le public s'irritait des d6penscs qu'elles occasionnaient.
« Le bien ne serait-il pas, disait le marquis d'Argenson, que nos rois
r6sidassent ä Paris, et ne d£couchassent que pour aller seuls, et sans
suite, dans quelques maisons de chasse? » Le Roi ne se souciait pas
d aller habiter dans le tumulte de Paris, et la royaute 6tait trop roya-
lement installäe a Versailles pour qu'il en püt d6m6nager; mais, h
Versailles, il s'ennuyail plus qu'ailleurs. Obligo d y s6journer durent
le cartme et de s'y trouver pour certaines cörämonies, comme pour les
rteeptions d'ambassadeurs, il s'en absenta le plus qu'il put. En fuyant
Versailles, il fuyait I'ltiquette, le travail, les ministres et la soci6t6 de
la Reine. Le marquis d'Argenson, en 1754, signale comme un fait
€ 222 )
chap. Premier Histoire Interieure de 1745 ä 17S8.
extraordinaire qu'il y doive passer huit jours de suite. Les grands
appariemenls qui avaient convenu ä la majestä de Louis XIV ne plai-
saient plus ä son successeur; m£mc pas celui qu'on lui avait r6cem-
ment amönagä. C est ä Trianon que Louis XV irouvaii l'installation
qui lui couvenait ; lä, se conformant au goüt du jour, il eut des vaches
de Hollande, une lailerie, des volares, des poulaillers, des serres et
im jardin botanique.
Par tous ces moyens, la Pompadour £tablit son empire. Comme lbs faqons
eile Tätendil ä la politique, sans que le paresseux Louis XV s'cn DE u *a*qoise.
oflensdt, — au contraire, — des cabales se formfcrent contre eile. De
1747 ä 1749, le bruit que le Roi se d£goütait delle courut souvent;
mais on apprenait bientöt que le parti adverse avait 6t6 gagnö par
des grdees et par « l'argent des Paris ». Les courtisans s'empressaient
ä sa toilette : « La toiletle de cette dame, 6crivait d'Argenson, est
aujourdhui une esp&ce de grande c6r£monie; on la compare au
fameux d6culott6 du cardinal Fleury ». Bien quelle ne füt pas le
moins du monde hautaine, — dans l'intimitä, eile 6tait quelquefois
un peu bourgeoise — la Pompadour marquait son rang de mattresse
par 1 6tiquette qu'elle faisait observer. Dans la chambre od eile rece-
vait ne se trouvait qu'un seul fauteuil, et on restait debout devant
eile. A la chapelle du chftteau, eile 6tait seule dans une tribune. Les
£trangers sont frapp^s de ses fagons imposantes. « Apr&s la ronde
des r6v6rences qu'on me fit faire, dit le prince de Ligne, chez tous
les individus de la famille royale, on me conduisit chez une espöee
de seconde reine qui en avait bien plus Fair que la premiöre. » II
ajoute : « Jai vu Mme de Pompadour avec lair de grandeur de
Mme de Montespan ».
La marquise devint comme un premier ministre et se d6barrassa son isflümsce
de ceux qui la ggnaient. Orry, pour avoir refusä sa signature ä des PourtQOM.
marcMs de fournitures conclus par les Paris, fut renvoyä en 1745.
En 1749 ce fut le tour de Maurepas, pour avoir touch6 quelques mots
au Roi du röle politique de la marquise. Louis XV r6p£ta lachose&sa
maltresse, qui feignit la crainle d'ötre empoisonn6e par ses ennemis,
comme on disait que l'avait £16 Mme de Chäteau roux. Maurepas,
dailleurs,6taitsoup£onn6 de coraposer quelques -unes de ces chansons
qui, rlpandues ä Versailles et ä Paris, atteignaient Mme de Pompa-
dour « au plus intime de sa vanil£ ou de ses faiblesses, jusque dans
les secrels de son corps, de sa sant6, de son templrament ». Au
minist&re restait un ami de Maurepas, le comte d'Argenson, qui avait
la confiance du Roi, et aussi l'appui des d6vots; la marquise Ha
partie avec le successeur d'Orry au contröle g6n6ral, Macbault. Dans
toutes les affaires du r6gne, on la retrouvera. Elle eut grande part
« 223 >
UEpoque de Madame de Pompadour. utri m
aux affaires ätrangöres; eile tint pour la magistrature conlre le
clerg6, pour les Philosophes contre les J6suites, et contre les J6suites
encore pour les Jans6nistes. Elle 6tait l'ennemie de l'ßglise, qui lui
tenait rigueur.
mädame Ce fut sans douie pour participer ä leur popularitä, autant que
de Pompadour bt p^ r penchant natural, qu'elle se fit lamie des gens de lettres et des
les philosophes. artistes Voltaire qui, en 1745, c&6bra ses amours avec Louis XV, fut,
par sa protection, choisi pour 6crire et faire jouer ä la Cour la
comädie-ballet de la Princesse de Navarre et le ballet du Tempte de
la Gloire\ il devint par eile historiographe de France, acad&nicien,
gentilhomme de la Chambre. Elle fit de son mieux pour dissiper
les präventions qu'avait Louis XV contre lui, mais n'y parvint jamais.
Quelque temps, Voltaire en voulut k la marquise, de s'6tre int6ress6e
k son rival, le vieux Crßbillon; mais, plus tard, il lui dädia son Tan-
cride, la vanta dans ses lettres, dans la Vision de Babouc, dans le
Pricis du stiele de Louis XV. Quand eile mourut, il Verrat : « Je
lui avais Obligation, je la pleure par reconnaissance »; il dit aussi :
« Aprös tout, eile 6tait des nötres ».
Montesquieu invoqua la protection de la marquise contre une
rgfutation de ¥ Esprit des Lois que publiait le fermier g6n6ral Dupin;
eile fit en sorte que l'ouvrage de Dupin füt supprim6. Elle pril en
amitiö Jean-Jacques Rousseau pour son Devin de village, qu'elle fit
repräsenter sur le thöätre de la Cour k Fontainebleau, et k Bellevue
oü eile y joua un röle. Jean-Jacques lui demeura, semble-t-il, recon-
naissant de sa bienveillance. Sil n'avait tenu qu'ä eile, YEncyloptdie
aurait 616 publice sans difficultä; mais eile ne put obtenir de d'Alem-
bert et de Diderot Tengagement de ne pas toucher aux matteres de
religion et d'autorite. Elle demanda au Roi une pension pour d'Alem-
bert, mais ne Tobtint pas ! .
mmtion* avec Mme de Pompadour n'a pas eu sur les arts linfluence qu'o* lui a
quelquefois attribuöe; le « style Pompadour » 6taii en plein Spanouis-
sement avant qu'elle devtnt la maltresse du Roi. Mais eile accueillait
avec une grAce particultere les artistes, et, bfttisseuse comme eile 6tait,
öprise du joli luxe des intärieurs. eile enrichissait les peintres et les
döcorateurs par des commandes. Ainsi fit eile ä T6gard de Boucher,
de Cochin le fils. Elle admit dans son intimite le graveur Guay qui
cxäcutait sur pierres fines des gravures dont eile donnait le sujet,
et La Tour, ä qui eile permettait, quand il faisait son portrait, de
quitter sa perruque, sa cravate et ses jarretteres.
Outre Cr6cy, La Celle et Bellevue, eile acquit et amänagea k
i. Voir plus loin, le cbapitre III du livre III.
< 224 >
LKS AHT1STBS.
CBAP. PRIMIEB
Histoire intirieure de 1745 ä 4758.
Paris Thötel de Pontchartrain, nie Neuve-des-Petits-Champs, et
Thötel d'ßvreux, aujourd'hui le palais de Tßlysäc, quelle paya
700000 livres, et oü eile d6pensa, en plus, pr6s d'un million; une
maison aux Moulineaux, au bas de Meudon ; le chaleau de Champs,
aux envirous de Meaux; ceux de Saint-Ouen, de la Garanciöre, de
S6vres. Partout eile rassemblait des objets d'art, tableaux, statues,
laques, pteces d'orf&verie, et un mobilier considerable que son mar-
chand, Duvaux, achetait ä l'öblniste Oeben. « Elle croit, 6crit en 1748
d'Argenson, s'amuser ä l'infini par les dätails de bätiments qu'aime
notre monarque. » Elle donna la direction des b&timents ä son fröre
Abel-Frangois Poisson, qui alla faire son 6ducation artistique dans
un voyage en ltalie. Abel Poisson, qui devint marquis de Vandiöres,
puis marquis de Marigny, s'acquitta bien de sa fonction.
Mme de Pompadour fut trös vite impopulaire. On lui reprocha
ses däpenses qui furent Enormes en effet : sept ou huit millions pour
ses bdtiments, quatre millions pour le th&Ure et les fttes, un million
pour un seul de ses voyages, celui du Havre oü eile alla mettre la
premifcre cheville du vaisseau Le Gracieux. Elle avait une maison de
quarante personnes, un Service de bouche, vaisselle d'argent et d'or,
£curies pleines. Elle faisait des pensions k des parents et k des cour-
tisans, dotait des filles pauvres et jouait gros jeu. On Taccusait de
trafiquer des places et des gräces, par exemple d'avoir re$u de
Dupleix cinquante mille livres pour le cordon qui lui fut donnö. Dans
une visite ä Paris, en 1750, menacäe par la foule, eile fut obligöe de
s'enfuir. Quand le Dauphin et la Dauphine allfcrent ä Notre-Dame
pour les actione de gräces, aprfcs la naissance de leur fils, ils enten-
dirent autour de leur voiture des propos comme celui-ci : « Qu'on
renvoiecette p qui gouverne le royaume et qui le fait p^rir! Si
nous la tenions, il n'en resterait bientöt rien pour en faire des
reliques ».
Son rfcgnc ne fut jamais tranquille; eile avait k se däfendre
contre les dames de haut vol qui voulaient lui prendre le Roi,
Mmes de La Mark, de Robecq, de PSrigord, de Forcalquier, de
Coislin, de Choiseul-Romanet, etc. Elle se däfendit träs bien contre
ces nobles personnes. Mais quand le Roi ne l'aima plus d'amour, eile
se garda bien de s'imposer; eile se rangea, se donna quelque air de
d£votion, et devint en 1756 damedu palais de la Reine. Pourvu qu'elle
ne füt pas menac^e dans sa qualitl de mattresse en titrc, eile U>16ra
les « petites mattresses ». En 1755, dans le quartier de landen Parc
aux Cerfs, une maison fut achet6e, oü le Roi se rendait en cachette;
il s'y faisait passer pour un seigneur polonais. Des filles s'y succA-
LB HARQölS
DB MARIGNY.
IMPOPÜLAR1TB
DB LA UARQUISB.
LB PARC
AOX CBRFS.
i aa5
viii. 2.
il
UEpoque de Madame de Pompadour.
UTRB III
LES DOLÖANCBS
DB MADAME
DB POMPADOUR.
dörent, Mesdemoiselles Trusson, Fouquet, Robert, Romans et autres.
U y avait aussi unc maison d'accouchement pourvue du n6cessaire.
Mme de Pompadour s'intäressait ä ce service des amours secrttes
du Roi.
Dans son extraordinairo fortune, cette femme ne fut pas heu-
reuse. Cette vie de fötes, de voyages, d'intrigues de toutes sortes,
dont le champ s'6tendait k lEurope entiöre, et Ia näcessitl d'amuser
toujours le Roi, qui ne lui permettait pas m6me d'ßtre malade,
l'gpuisaient. D6jä en 1749 eile Icrivait :
• La vie que je mene est terrible. A peine ai-je une minute a moi : repetitioo»
et representations; et deux fois la semaine voyages continuels, tant au Petit-
Chateau qu'ä La Muette, etc. Devoirs considerables et indispensables : Reine,
Dauphin, Dauphine gardant heureusement la chaise longue; trois Alles, deux
infantes l ;jugez s'il est possiblede respirer. Plaignez-moi et ne m'accusez pas. •
Avec quelques variantes, c'est ce qu'avait dit Mme de Maintenon.
//. — LE COMTE D'ARGENSON*
CHANGBMBSTS
MISISTÜRIELS.
PENDANT le gouvernement de Mme de Pompadour un secre-
taire d'fitat, le comtc d'Argenson, garda son indäpendance. La
disgrftce de Maure pas, loin de laffaiblir dans le Conseil, l'y fortifia;
grftce ä la faveur royale dont il jouit pleinement, personne ne sem-
blait pouvoir lui disputer la pr66minence. Le secrötariat d'fitat de la
i II s'agit ici des trois filles alnees, non mariees, de Louis XV, et de la dachesse de Panne
et de aa Alle. Mmes Henriette, Adelaide et Victoirc araient alore, la premiere ringt-deux
ans, la seconde dix-sept ans, la troisieme setze ans. La duchesse de Panne etaitM me Louise-
Elisabeth, a®ur jumelle de Mme Henriette; les memoires de Luynes la designent toujotfrs
sous le nom de Mme Infant«, et designent aa 811c Isabelle sous celui de : la petile Infant«.
La mere et la ÜUe etaient a la Cour depuis le 3i decembre 1748; elles devaient quitter
Versailles en octobre 1749, et s'embarquer a Antibes le i w novembre 1749.
a. Sources. Recueil giniral dt* ancienne* loi* francaues (Isambert), t. XXII; Bemoniranee*
du Par lerne nt de Pari* au AT///* stiele (Flammermont), t. II. D'Argenson, de Luynes,
Moufle d'Angerville t. II et 111), Henault, Du fort de Chererny, du Hausse!, Senac de
Meilhan, Soulavle (Mim. hi*l. ei aneedotet), dejä cites Voltaire, Lettre ä toceasion de Cimpöt
du oingtieme; Extrait du dicret de la Sacrie Congrigalion de t Inquisition de Borne ä teneontre
d'un libelli inlitaU : Lettre sur k Vingtieme; La ooix du Sage ei da peuple (CK u vre* eomplete*,
t. XXXIX).
Ouyiuoes a cowsulter. Jober (t. IV), de Carne (La monarvhie francaise), ftacqualo,
Ctanageran (t. III), de Lu^ay, Picot (Mimoires pour seroir ä rhutoirt eccU*ia*lique. t III).
Houques-Fourcndc, Clement {Portrait* hi*t.\ Campardon (Mme de Pompadour), de Goncourt
(Urne de Pompadour), Delahante (t. I), Gebelin, deja cites. Tuetey (Louis), Le* offteier* *om*
landen regime; Noble* et roturiert, Paria, 1908. Crouzas-Cretet (de), L'EgUse ei [Etat, om Ist
deux puissance* au XVIIP siecle (i71S-17S9), Paris. 1893. Marion, Machaull d'Arnouvilki
Stade *ur Thutoire dm Coniröle giniral de* Finance* de 1749 ä n$4, Paris, 1891. Id.. Limpot *mr
le rmenu aa XVI IP *iecle, principalement en Gayenne, Paris, 1901. Fournier de Flaix, Im
riforme de Cimpöt en France, Pari», 188&. t. 1. Caron, L' Administration de* Biat* de Bretagne,
de t4$S ä 1790, Paris, ifrj*- Maury (Alfred). Le* A**emblee* da Clergi de France (Her. des
Deux Mondes. if> fer.. i* r avhl et i5 sept. 1879 et i" aoüt i88o>; Roschacb, Uutoirt dt Lan-
guedoc (Continuatton de tHistoirt de Dom Vai**ele), t. X11I et XIV
< 226 >
CHAP. PREMIER
Histoire intirieure de 1745 ä 1758.
Marine a passö de Maurepas au conseiller d'fitat Rouill6. Du secr6-
tariat d'ßtat de la Maison du Roi, qui appartenait aussi ä Maurepas, le
comie d'Argenson a fait dätacher, pour se l'attribuer, le däparte-
meni de Paris, qu'on appelait le « poste d honneu r », parce qu'il com-
prenait la grande police. Les autres Services de ce secrötariat sont
passes ä Saint-Florentin.
Le comte d'Argenson 6tait digne de la confiance du Roi. Entr6
au secrötariat d'£tat de la Guerre dans un moment difücile, en 1743,
obligö de pourvoir aux Operations contre l'Autriche et l'Angleterre,
il avait, comme dit Bemis, « cr66 des armäes au Roi », en mettant sur
pied les milices provinciales, d'oü il avait tir£ les grenadiers royaux,
qui devinrent en 1749 les grenadiers de France, et furent assimiläs ä
1 armöe active. Tr6s vite les grenadiers ont 6gal6 les meilleures
iroupes; ils ont accoutumöle public ä ne pas d&daignerles milices,
et gagnl des partisans au Systeme du Service obligatoire et des
ärmeres nationales. Dans l'Assemblöe Constituante, on invoquera leur
exemple en faveur de la conscription ; ä l'Assemblee legislative Aubert
Dubayet dira de ces grenadiers qu'ils gtaient « l'honneur de nos
armöes ».
Aprfcs la paix d'Aix-la-Chapelle, par un 6dit de janvier 1751, le
comte d'Argenson a cr66 l'ßcole militaire, oü 500 jeunes gentils-
hommes furent 61ev6s gratuitement. En 1755, ä la mort du prince de
Dombes, fils du duc du Maine, et colonel-g6n£ral des Suisses et Gri-
sons, le comte d'Eu, son frfcre, lui succ£da dans cette charge, mais en
renon^ant ä la grande mattrise de l'artillerie dont il ätait titulaire. Le
secr6taire d'£tat de la Guerre, qui avait impos6 cette condition, sup-
prima la grande mattrise, mit sousses ordres directs toutes les troupes
dartillerie, conduisit les travaux des si&ges, commanda la fabrication
des poudres et la fönte des canons et disposa des arsenaux.
En raison des circonstances oü il devint secr^taire d'fitat de la
Guerre, et sans quil y eüt de sa part intention arrdtäe, le comte
d'Argenson recruta les otficiers parmi les roturiers comme parmi les
nobles. Apre« la paix d'Utrecht, la r6duction des effectifs, et par
cons£quent du corps des ofBciers, avait 616 si considärable qu'on
n'avait plus attribue* de grades qu'aux gentilshommes ; le 25 d6-
cembre 1718, le Conseil de la guerre voulut que ce füt la r£gle; mais,
au cours de la guerre de la Succession de Pologne, et plus encore
pendant la guerre de la Succession d'Autriche, il fallut revenir aux
roturiers. En 1734, dans les rägiments de Tarm6e d'Allemagne, et
surtout dans ceux de l'arm6e d'Italie, nombre dofficiers nobles avaient
donnö leur d£mission, faute de fortune pour soutenir leur emploi.
D'autre part, les gentilshommes riches ne tenaient pas toujours ä
VARGBNSON
SBCRÜTAIRE
Ott AT
DB LA GUERRE
OFF1C1RRS
ROTURIERS.
a*7
Vßpoque de Madame de Pompadour. uvat in
faire la guerre; beaucoup, d&s qu'ils avaient obtenu la croix de Saint-
Louis, se retiraient dans leurs terres. Le comte de Torcy dira en 1758
que « les provinces sont tapissäes de croix de Saint-Louis, de gens
qui n'ont pas plus de quarante ans, qui sont dans la force de Tage »,
qui pourraientencore « servir bien longtemps ». II lesappellera «gens
inutiles k rfitat, qui le ruinent et le däshonorenl ».
ils formest dans En 1755, au r^giment de Flandre-Infanterie, il y avait six capi-
vinfanterib taines d'origine roturifcre et autant au rägiment d'infanterie Royal-
lb tibrs Roussillon. Dans la cavalerie, Tinvasion roturi&re ötait moindre, mais
DB L* EFFECT IF
dbs officibrs encore appräciable ; on y voyail, k cdt6 de fils de magistrats de parle-
ments, de conseillers des chambres des comptes, de conseillers de
präsidiaux, des fils de n6gociants. Lc comte de Saint-Germain, futur
ministre de la Guerre, se plaignait en 1758 que le corps d'officiers
füt « remplideroturiers ». II exag£rait, mais, surla fin du ministere
d'Argenson, on peut, pour Tinfanterie tout au moins, 6valuer la Pro-
portion des officiers roturiers au tiers de Teffectif.
vargenson Comme « Ministre de Paris », d'Argenson entreprit de moraliser
misistre de paris. j a v iHe. II fit enlever des filles dans de mauvais lieux, des servanles
les ueutbs. 8ang pj ace ^ jgg ouvri^res, des gens sans aveu qui vivaient dans de
petites aubcrges, des pauvres errants et aussi de « petits gueux », fils
d'artisans; il voulait envoyer tout ce monde aux colonies. Ce fut un
soul&vement g6n6ral. De grands rassemblemenls se firent rue de
C16ry, k la Croix-Rouge, aux Quatre-Nations, k Saint-Roch. On barra
les rues de chalnes pour empöcher les charges de cavalerie ; on tua
des archers, on brisa les vitres du guet; les 6meutiers mena$aient
de piller les maisons, de s'emparer des caisses des financiers, et de
marcher sur Versailles. Les troubles dur&rent de d6cembre 1749 k
mai 1750. Le Parlement informa d'abord contre les archers, et en
« d6cr6ta » plusieurs; ceux-ci montr&rent les « ordres » du lieute-
nant de police; deux d'entre eux füren t quand m6me «admonestös »,
et un troisieme « bläme" ». Se retournant contre les ämeutiers, qui
d'ailleurs s'apaisaient, les magistrats en condamnerent cinq au gibet.
Le jour oü Ton dut pendre ces pauvres diables, le peuple cria gräce,
mais les troupes croiserent la ba'ionnette, et les condamnäs furent
exäcutös. « La premi&re fois que nous reverrons des s6ditions aurait-
on dit dans le populaire, consommons davantage nos entreprises;
brülons, massacrons, däfaisons-nous de nos mauvais magistrats... »
dargbnson Mme de Pompadour avait pour d'Argenson une « haine publique » ;
et la marquise. e \\ G \ ul reprochait d'essayer de la confiner dans la direction des plai-
sirs du Roi. D'Argenson, pour se dßfendre, s'appuya sur les amis de
la Reine et les dövots. D'ailleurs le Roi croyait ne pouvoir se passer
de lui. Louis XV, en 1754, fit dire k la marquise par Mme de Soubise,
< aa8 >
CHAP. PREMIER
Histoire Interieure de 1745 ä 1758.
qu'habituö au « travail » et aux « formes » du comte d'Argenson, il
d6sirait qu'on ne lc tourmentät plus k son sujet. Mme de Pompadour
dissimula et attendit
///. — VA DM INISTRATION FINANCIERE DE
MACHAULT (1745-1754)
DE grandes r£formes fiscales et sociales furent entreprises par
Machault d'Arnouville. Machault naquit en 1701 dune famille
de robc. II devint maltre des requätes en 1728, et, en 1743, intendant
de Hainaut, fonction que la guerre et le voisinage de la fronti&re
rendait difficile, et dont il s'acquitta bien. En 1745, il fut appel6 au
Contröle g£n£ral. Bien qu'il ne füt pas courlisan le moins du monde,
mais lr6s froid, sans agräment et sans gräce, et droit et probe, il
sacrifla aux n£cessit6s du moment et rechercha la faveur de Mme de
Pompadour. 11 avait des vues arr6t6es et pr6cises et une Energie tran-
quille k l'6gard des pr6jug6s. Machault, dit le marquis d'Argenson,
s'avance au travers de tout, comme « les 61agueurs d'all£es »; il ne
va qu' « k grands coups de faux »; il est ent6t£ comme une « töte de
fer ». Nullement th£oricien, trfcs pratique, il pense « qu'il faut dimi-
nuer les exempts (de tailles), soulager les taillables de quelques
millions; que les pays dfitats rendent moins au Roi que ceux d'61ec-
tions; qu'il faut connattre les produits d'aflaires par rlgic avant de
les aflermcr ä forfait; qu'il faut m£priser les financiers; que le Clerg6
est trop riche ».
En 1749, comme le bail gönöral des fermes devait 6tre renou-
vele Tann^e d'apr&s, il se präoccupa d'en tirer pour le Roi le meilleur
revenu possible. Les fermiers g6n6raux, au nombre de quarante, met-
taient en commun un capital de 60 millions, afin d'Glre en ötat d'assu-
rer toujours au Roi son revenu et de lui faire des avances. Lapport
de chacun ötait de 1500000 livres, et se d6composait en Croupe*
repräsentant les sommes fournies par des bailleurs de fonds. Le fer-
mier touchait, par an, une r£mun£ration de 24 000 livres pour droit
de präscnce, 4 200 livres par mois pour frais de bureau, et 1 500 livres
par mois quand il 6tait en tournlc; I'int6r6t de ses avances lui 6tait
pay£ ä raison de 10 p. 100 pour le premier million, et 6 p. 100 pour
le solde. Ce n'6taienl pas des profits excessifs, si Ton songe qu'un
fermier ötait responsable de la lev6e des impöts, ce qui n'allait pas
sans quelque risque; mais les fermiers trompaient le Roi sur le chiffre
total des rendements. On calcula que, pendant la durle du bail
Thibaut de la Rue, — celui qui touchait k sa fin, qui avait duri
« 229 >
MACHAULT
D'AMOUVILLE
(not-nu).
LBS PERMIEBS
GtNtKAUX.
VOPPOSITWN
AU CONTRÖLEOR
CENTRAL.
BESOINS
DE U&TAT.
VtDIT
DU VlNCTläME.
L'ßpoque de Madame de Pompadour. livrb in
six ans, selon la couiume, — les fermiers avaient gagne* 9 millions
par an, soit 54 millions. Machault fit une enqußte. Le principal fer-
mier, cclui qui tenait le portefeuille commun, Lallemant de Betz, lui
ayant donnä sur les bänäfices de la Compagnie des chiffres faux et
refusä de präsenter un 6tat vrai, il le suspendit, et, par le nouveau
bail, porta la ferme de 92 ä 101 millions.
Chaque renouvellement de bail mettait en mouvement une foule
de solliciteurs. Les places de fermiers gänäraux ätaient träs convoi-
täes; elles ätaient peu nombreuses, et, d'ordinaire, les titulaires les
conservaient; mais les sous-fermiers se multipliaient indäfiniment,
et les parts d'intäröt plus encore. Les solliciteurs allaient ä la Cour
par milliers; en 1749, k Compiegne, il fallut ätablir des tentes pour
les coucher. Machault se däfendit tant qu'il put contre les quäman-
deurs. Tout ce däsordre ätait si vieux, et tant de gens y avaient profit
qu'il nen vint pas k bout; il ameuta contre lui quantitä de mäcontents,
fut accusä de ne donner demploi qua ses amis et de se faire donner
des pots de vin par ceux qu'il favorisait. Mais le Contröleur gänäral
devait sattirer, par des mesures plus graves, des inimitiäs plus
redoutables.
En 1745, les revenus ordinaires ätaient infärieurs aux däpenses
d'environ 100 millions. Machault fit face aux näcessitäs de la guerre
par les expädients d'usage. emprunts, anticipations, affaires extra-
ordinaires. La paix de 1748 ne le tira pas d'embarras, car eile
Tobligea de supprimer le dixiäme, qui seul aurait permis d'acquitter
les dettes de r£tat, mais que le Roi avait promis d'abolir sitöt la
guerre finic. Le Contröleur usa d'un stratageme; il abolit le dixi&me
et präpara l'ätablissement du « vingtieme », qu'il entendait faire peser
äquitablement sur tous. Le regime des impöts lui semblait injuste,
parce qu'il n'ätait supportä que par le troisiäme ordre, et, dans cet
ordre m£me,par les pays d'älections plus que par les pays d'fitats. De
la capitation, on avait fait une taxe additionnelle dela taille; leClergä
s'en ötait rachetö ä bon compte. Le dixieme avait ätä läger aux
riches et aux gentilshommes. En 1734, « le roi des vins » du Borde-
lais, le präsident de Sägur, dont le revenu s'älevaitä 160000 livres,
däclara pour le paiement de cette contribution un revenu de 6 000.
Les däclarations des nobles ätaient därisoires, et Tadministration
n'osait pas procäder contre eux.
Dans les premiers jours de mai 1749, deux ädits furent signäs k
Marly : le premier ordonnait un emprunt pour l'acquittement des
dettes de guerre — Emission de 1 800 000 livres de rente 5 p. 100 — ; le
second ätablissait une imposition d'un vingtiäme sur tous les revenus
des particuliers sans distinction de naissance ni de qualitä; il attei-
< a3o >
CHAP. PREMIER
Histoire interieure de 1745 ä 1758.
gnait le revenu foncier — vingti&me des biens-fonds, — le rcvenu
mobilier — vingtifcnie des cr6ances, — le revenu des charges —
vingtiömc des offices, — les revenus commerciaux et industriels —
vingti&me dindustrie. Cette taxe devait gager lemprunt nouveau et
alimenter unc caisse speciale d'amortissement destin6e a rembourser
les dettes de Tßtat. Aux motifs invoqu&s pour le dixi&me en 1710,
1733, 1741, etqui furent r6p£t£s, d'autres 6taient ajoutes. Le Roidisait:
• Nous avons reconnu qu'independamment de l'obligation dans laquelle
nous nous irouvons de payer encore aujourd*hui les arrerages des dettes que
la necessitä des circonstances a accumulees pendani les guerres dont le regne
du feu roi, notre tres honore seigneur et bisaleul, a ete presque conünuellement
agite, ces dettes se sont tres considerablement accrues pendant les deux der-
nicrcs guerres que nous avons eues ä soutenir depuis l'annee 1133, et qu'elles
sont d'autant plus augmentees que, pour satisfaire aux differents besoins qui
se sont succede, nous avons prefere la voie des emprunts, a d*autres qui
auraient pu etre plus onereuses ä nos peuples; nous avons egalement reconnu
qu'il etait indispensable de pourvoir au paiement de ce qui reste du des
depenses de la guerre et de Celles dont eile a occasionne le retardement. Inde-
pendamment de toutes ces charges, tant anciennes que nouvellcs, la necessite
oü nous sommes de mettre notre marine en etat de favoriser le commerce de
nos sujets et de conserver un nombre de troupes süffisant pour assurer la
tranquillite de nos frontieres, et maintenir la paix, nous oblige encore a des
depenses extraordinaires, qu'exige de nous la protection que nous devoas a
nos sujets. •
Comme au temps d'Orry, l'administration v6rifia les ddclarations
des contribuablespar des contröleurs qui interrogfcrent les personnes
en etat deleur fournir des indications surles biens-fonds — notaires,
d£cimateurs, syndics, collecteurs, principaux habitants des paroisses;
— raais plus encore qu'autrefois les contröleurs eurent afTaire aux
dissimulations. Au reste, la contribution fut surtout supportee par les
proprtetaires, le d£veloppement de la richesse foncifcre 6tant de
beaucoup sup£rieur ä celui de la richesse mobilere. Et Tfitat admit
toutes sortes de temp£raments ä Tögard des profits du commerce et
de Tindustrie.
La grande nouveautä du vingtifcme c'cst qu'il 6tait, non pas un
exp^dicnl liraitä ä la dur6e d'unc guerre, mais un impöt d6finitif. On
lui reprocha moins « sa lourdeur » que « son universalis »; on
Teöt trouv6 sans doute « plus supportable », s'il eüt £16 « moins
juste ». Le Parlementavait refus6 d'enregistrer YMit sur le vingtteme;
il avait rappelt la promesse de supprimer le dixifcme, däplori la
mis£re du peuple, et laissä voir la crainte que le vingtieme ne devtnt
une imposition irrövocable et progressive.
» Limposition du dixieme, avait-il declar«, si eile ne subsisUit pas dans toute
son etendue, subsisterait du moins dans son esaence, et il serait toajoors
APPUCATtOS
DB LtütT.
OPPOSITION
DO PAMBMBNT.
t a3i )
DES ETATS
DE LANGUEDOC.
DBS ETATS
DE BRETAGNE.
VEpoque de Madame de Pompadour. livre iii
vrai de dire que tous les biens se trouveraient encore charges d'une imposilion
fixe et determinee, dont Taugmentation serait toujours a craindre, et qui pour-
rail devenir insensiblement un tribut irrevocable. •
Toutefois, sur l'ordre du Roi de procäder ä Tenregistrement
toute affaire cessante, le Parlement avait c&16.
Les premiöres grandes protestations vinrent des assembl£es des
pays d 1 Etats.
Quand Machault r6clama des Etats de Languedoc les röles du
dixifcme pour permettre ä l'intendant d'6tablir ceux du vingti&me, les
Etats invoqufcrent le testament du dernier comte de Toulouse, Ray-
mond VII, instituant pour son h6riti6re universelle sa lille Jeanne,
mari6e ä Alphonsede Poitiers, fr&re de Saint Louis; puis les d£cisions
des Etats g6n6raux de 1355 et divers 6dits royaux, le tout afin d'6ta-
blir le privilfcge qu'avait la province de consentir l'impöt. Mais
Machault n'admettait pas qu'un texte quelconque permtt ä des sujets
de discuter d'6gal ä 6gal avec le Roi leur maftre. II däclina m6me la
requöte de 1'archevGque de Toulouse, de La Roche-Aymon, qui
r£clamait pour les Etats le droit de nommer une commission ä reffet
d'administrer l'impöt du vingti&me concurremment avec l'intendant,
dussent les commissaires &tre ä l'avance d£sign£s par cet agent du
Roi. Les Etats mäcontents, ayant refusä de voter le don gratuit,
furent dissous en fövrier 1750; deux ans durant, le Languedoc fut
administr6 sans Etats, et le vingti&me per$u par l'intendant.
Les Bretons 6tablissaient leur droit de consentir l'impöt sur le
pacte conclu en 1532 avec Frangois I er au moment oü leur province
fut räunie ä la Couronne ' . Leurs Etats ätaient dominus par la noblesse.
Le vote se faisait par ordre, chacun des trois ordres ayant sa voix;
mais comme tous les nobles avaient droit de säance aux Etats, ils
imposaient, par leur nombre et leur violence, leurs volonte au
Clergö et au Tiers Etat. En octobre 1749 fut convoquäe une assem-
bl6e « extraordinaire ». Ces sortes d'assembläes 6tant moins nom-
breuses que les autres, les commissaires du Roi, l'intendant et le
Premier Präsident du Parlement de Bretagne, firent voter la remise ä
l'intendant des röles du dixi&me nöcessaires pour asseoir la nouvelle
taxe; mais, quand Tadministration voulut procöder äl'assiette, on lui
opposa de telles r6sistances qu'en novembre 1750, sur 400000 articles
que contenaient les röles du dixi&me, ä peine avait-elle pu recueillir
8000 d6claration$. En 1750, l'assembl£e ordinaire des Etats röclama
la suppression du vingtteme, ou le droit pour la province de s'abonner
ä raison d'une certaine somme qu'elle repartirait et l&verait elle-
l. Voir Hisl. de France, t. V, 1, pp. lty et i38, et t. VIII, a, pp. 56 et 56.
< a3a >
chap. Premier Histoire interieure de 1745 ä 1758.
mgme. Le duc de Chaulnes, gouverneur de la province et commis-
saire du Roi, eut de la peine ä faire voter les subsides ordinaires.
Deux ans plus tard, l'intendant nayant encore pu se faire remettre
quedes declarations informes etdontil etait impossible de faire usage,
les commissaires du Roi durent presenter aux fitats des röles du
vingtiäme en grande partie copi6s sur ceux du dixi&me. Les Etats
se montr^rent intraitables; ils 6taient d'ailleurs soulenus ä Versailles
par les ennemis de Machault et se croyaient sürs de ne pas fAcher
le Hoi.
Plus puissant qu'on ne lavait cru, Machault fit exiler les meneurs concbssions
de la r6sistance bretonne. 11 songea m£me ä räduire la reprösentation Dü R0L
dos nobles ä quarante-six membres, ce qui 6tait le chiffre de celle du
Tiers; mais il renonga ä une mesure qui aurait peut-£tre prcoquä
de grands troubles, et il pr^föra faire accepler, grAce ä quelques
menagements, l'etablissement du vingti&me. Le duc d'Aiguillon,
auquel le duc de Chaulnes, d6courag6 depuis la turbulente session
de 1752, venditsa charge de lieutenant gön£ral en 1753, s'y employa;
mais quand Machault quittera le contröle g^nexal, en 1754, son suc-
cesseur, de S6chellcs, reprendra en Bretagne et en Langucdoc le
Systeme des concessions, c'est-ä-dire des abonnements; Louis XV
c£dera devant la coalition des privil£gi6s.
Avec le Clerg£, Machault eut affaire a plus forte partie encore. la contmbution
II 6tait r6solu k obliger ce corps, dont il estimait les revenus ä Dü CLB ™*-
250 millions, ä contribuer tr£s largement aux charges publiques. Des
250 millions, il convenait de soustraire 30 millions appartenant au
Clergö « oranger », c'est-ä-dire au clergö des provinces r^unies ä la
Couronne depuis le xvi € si&cle, Trois-ßv£ch£s, Alsace, Franche-Comt6,
Artois, Roussillon, qui ne faisait pas corps avec celui de France,
netait pas repr£sent<$ aux assembtees quinquennales, et supportait
des impositions royales particulifcres «. II fallait aussi d^compter plus
de 60 millions döpensäs par les Colleges, les höpitaux et les Etablisse-
ments de charilö, plus le revenu des curös, soit 45 millions; mais
il restait encore 114 millions imposables. Pour le seul impöt du
vingtteme, Ffitat pouvait donc r^clamer 5500000 livres. Or, on
calculait que, depuis le döbut du stecle, le Clergä n avait contribuE
aux charges publiques que pour 182 millions, ce qui 6quivalait a
i. Sous le nom de - dons gratuits • le Clerge des Trols-Breches, de I' Alsace. de 1«
Franche-Comte. payait tantöt annuelleinent, tan tot une fois pour toutes. des sommes qai
representaient la capitation et le dixieme, mala il repartissait et percerait lui-meme cee
taies. En Roussillon, la contribution du Clerge etait quali0ee d' - abonnemeot •: en 17(6,
l'intendant du Roussillon lavait augmentoe de sa propre autorite. En Artois le Clerge
payait sa part des impositions rotees par les Etats; de meme en Cambresis, en Haloaut,
en Flandre.
< 233 >
Utäpoque de Madame de Pompadour.
uvrb m
MENS
DB MAINMORTE.
RESISTANCE
DU CLBRGE
ORANGER.
SSSKkllU.KR
DU CI.ERGt.
3655000 livres par an, moins du trentteme de ses revenus. Gertaine-
ment il pouvait payer davaniage. Calculant, comme Machault, que
le Roi pouvait Timposer sur un revenu d'au moins 100 mülions,
Tiniendant S6nac de Meilhan dira qu'il aurait fallu lui demander
20 millions par an. « Un prElat riche de 100000 livres de rentes en
aurait conservö & peu pr&s 80000, et rfitat 6tait sauvä. »
D'autre part, Machault, par un Edit d'aoüt 1749, renouvela Teffort
tant de fois fait pour arrßter Taccroissement des biens de mainmorte.
Dans le prEambulc de FEdit, il fit valoir FintErGt des familles frustrles
par des donatione au ClergE des hEritages « naturellement destinls ä
leur subsistance et ä leur conservation »; puis FintErGt de Ffitat, que
le droit pay6 au moment des amortissements n'indemnisait qu'insuf-
fisamment de la perte des droits sur la translationdespropri6L6s. Par
l'fidit m6me, il interdit aux gens de mainmorte d'acqu&rir quoi que
ce füt par achat, legs, ächange, ou donation sans s'6tre pourvus de
lettres patentes, et il subordonna la dälivrance de ces leitres ä des
enqu6tes conduites non seulement par les 6v£ques, mais par lesjuges
royaux et les officiers municipaux du pays oü devait se faire la fon-
dation. II fit ordonner aux procureurs g£n£raux de dresser des 6tats
de tous les Etablissements de mainmorte de leurs ressorts avec des
observations sur Futilit6 desdits Etablissements. II voului enfin que
les hEritiers des donateurs pussent revendiquer les biens irr£guli&re~
ment transmis au ClergE.
Pour diviser la rEsistance au vingti&me qu'il savait certaine,
Machault s'adressa d'abord au ClergE Stranger dont il esp&rait venir
ä bout assez ais&nent. S'il obtenait de lui des däclarations de biens
et le payement du vingti&me, un pr6c6dent 6tait cr66; mais les agents
du Clerg6 de France excit&rent leurs confr&res ä protester. L'6v6que
de Verdun invoqua Fexemple de saint Thomas de CantorWry, martyr
pour avoir dEfendu contre un roi d'Angleterre les libertäs et immunitös
le rfiglise :
« Ne mettez point, disait-il, en Opposition l'obeissance que nous devons au
Roi et celle que nous devons a notre conscience; car, dans lincompatibilite
de ces deux devoirs, le Roi lui-meme a trop de rcligion pour ne pas sentir
lequel des deux doit avoir la preference. >
Au mois de mai 1750 se reunit TassemblEe quinquennale du
ClcrgE. Avant que rien lui eüt 6t6 communiquE sur le nouvel impöt,
olle decida d'adresser au Roi des reprEsentations oü eile rappellerait
que les secours donnEs par Fßglise ä Fßtat avaient toujours 6t6
volontaires. Par prudence, le Gouvernement ne parla pas de viog-
titane; mais, le 17 aoöt, les commissaires du Roi annonc&rent que,
< a34 >
CHAP. PREMIER
HUtoire Interieure de 1745 ä 1759.
pour le paiement des dettes de l'Etat, il serait lev6 sur le Clerg6, en
sus du don gratuit, une contribution de 7 millions 500 mille livres,
payable en cinq ans, par portions egales de 1 500000 livres; le Clergd
procederait lui-m£me au recouvrement ; mais la röpartition serait faite
dapres des declarations de revenus et sous la surveillance du Roi.
La somme n^tait pas excessive; mais que le Roi ordonnat l'i Opposi-
tion dune certaine somme en vue d'un objet delermine, et qu'il en
surveillät la r6partition, c^tait une grande nouveaute et Tachemine-
ment vers letablissement du vingtieme.
L Assemblee refusa de faire la röpartition de la contribution, et,
le 10 septembre, eile vota des remontrances. Elle parla du p£ril que
les progr&s de la philosophie faisaient courir ä la religion, et demanda
au Roi de ne point attenter aux vieux droits de l'£gUse.
• Les ministres de la religion, dil-elle au Roi, ne vous demandent que la
conservation des immunites dans lesquelles plus de soixante de vos prgdeces-
seurs les ont constamment maintenus. Ils ne vous demandent que d'ltre traites
par le Fils aine de l'Eglise comme ils Tont toujours et6 par tous les princes
de l'univers catholique. Ils ne vous demandent que l'execution des engage-
menls que Votre Majest6 a pris au jour de sa consecration. Ils ne vous deman-
dent que la grace de revoir leurs eglises sans la douleur de les avoir trahies. •
Le Roi repondit ä TAssemblle par la mise en demeure de prendre
une deliberation positive sur la demande de ses commissaires.
Comme eile tergiversait, le secrätaire d'fitat Saint-Florentin fit
remettre au cardinal-prösident une lettre de cachet fixant la dissolu-
tion de TAssembl6e au 20 septembre, et ordonnant k ses membres de
retourner dans leurs dioc&ses pour y assurer l'ex6cution de la Deola-
ration du 17 aoüt. L'Assembl6e protesta et se söpara. Quelques eccl6-
siastiques, en petit nombre, se pröparfcrent cependant ä fournir des
declarations de leurs revenus; dautres lierent partie avec les courti-
sans bostiles au Contröleur g£n6ral.
Une vive pol£mique etaitengagee. Lavocat Bargeton, aumoment
oü se reunissait l'Assemblee du Clerg6, avait publik des Leitres, avec
löpigraphe Ne repugnate bono veslro, — « Ne refusez pas votre bien ».
— II disait que les prötrcs ötaient la partie lamoins utile dela Nation,
leur reprochait la depopulation du royaume, soutenait que les dons
ä 1 figlise provenaient d'une ptetö seduite ou mal entendue, et niait
qu'aucun droit humain put exempler le Clerg6 de la contribution
personnelle ou reelle aux charges de rfitat. Le li belle fit grand bruit.
D au Ire part, Voltaire supposa un decret del'Inquisition oü il £tait dit :
• L' Antichrist est venu; il a cnvoyc' plusieurs lettres circulaires a des
eveques de France, dans lesquelles il a eu l'audace de les traiter de Francais
et de sujets du Roi. Satan.... a debile un livre digne de lui... II t*efforce d*y
sss
RBMONTRANCBS.
LES ORDRBS
DU MOL
POLÄMIQCB;
INTERVENTION
DB VOLTAIRE.
235
Vtlpoque de Madame de Pompadour.
livre in
prouver que les ecclesiasliques fönt partie du corps de Pßtat, au lieu d'avouer
qu'ils en sont essentiellement les maitres ; il avance que ceux qui ont le tiers
du revenu de l'ßtat doivent au moins le tiers en contribution, ne se souvenant
plus que nos freres sont faits pour tout avoir et ne rien donner. Le susdit livre
en outre est notoirement rempli de maximes impies,.... de prejuges pernicieux
tendant mechamment ä affermir l'autoritä royale, ä faire circuler plus d'especes
dans le royaume de France, ä soulager les pauvres ecclesiastiques, jusqu'ä
present saintement opprimäs par les riches A ces causes, il a semble bon
au Saint-Esprit et ä nous de faire brüler le dit livre, en attendant que nous
puissions en faire autant de l'editeur. »
UBELLBS.
DEUX PARTIS
A LA COUR.
IJi RBCÜLADE
DJ ROI.
Libelles impertinents, traitös se>ieux et documentes se succ6-
daient : la Lettre d'un Türe d son correspondant de Conslanlinople
sur les difficultis de la langue frangaise; YAvis sincire aux prelals
ci-deuani assemblds; la Lettre dun saint ivique ä un archevique bien
intentionnd; YAvis au clerge'; La voix du prilre^ de l'abbe Constantin;
YAvis d'un docteur en Sorbonne sur la Diclaration du 17 aoüt 1750, de
l'abbe Gueret ; YExamen impartial des immunitis eccUsiastiques, de
Fabbe Chauvelin ; le Tratte' des droits de FlZtal et du prince sur les
biens possedes par le clerge', de l'abbe Mignot. Dans la polemique
co n Ire le Clerge, le bas Clerge elait epargne; möme on reclamait pour
lui un traitement sup6rieur aux « portions congrues » auxquelles
le roduisaient les riches b£n£ficiaires, et la diminution .des taxes qu'il
avait ä payer pour le don gratuit.
Cependant la Cour 6tait partagee entre deux partis. Mme de
Pompadour soutenait Machault; eile avait avec eile presque tout le
ministere, les raarechaux de Noailles et de Richelieu, Fabb6 de
Broglie, tous les financiers, et contre eile le comte d'Argenson,
toute la famille royale, tous les prelats, et, au premier rang, Tarche-
vßque de Paris, le cardinal de Tencin, Fanden evGque de Mirepoix,
Boyer, qui tenait la feuille des b6nöfices. Entre les deux partis, le Roi
maintenait l^quilibre. Le chancelier d'Aguesseau ayant donn£ sa
d6mission le 27 novembre 1750, en raison de son grand Äge et de ses
infirmites, Louis XV fit chancelier, le 10 decembre, Lamoignon de
Blancmesnil, grand ami des Jösuites; en m&me temps, il donna les
sceaux ä Machault, qui garda dailleurs le Contröle gene>al. Peu ä
peu, cependant, il se laissa circonvenir par Tencin et Boyer; il ecouta
les avis du nouveau Chancelier. Puis, au moment du jubilö qui se
celebra ä Rome en 1751, il eut une crise de deVotion; il se mit a
suivre les sermons du P. Griffet, qui dirigeait ä la Cour les exercices
präparatoires du jubile\ Le bruit courut que Mme de Pompadour
allait etre disgractee. II n'en fut rien; mais le Roi renonca k sou-
mettre le Clergi k Timpöt. Le 23 decembre 1751, un arrel du Con-
seil suspendit la levtfc de lannuitö de 1500000 livres. Loccasion de
< a36 >
chip. puKMun Hutoire intirieure de ins ä Kit,
cctle reculade ful l'aflaire de l'Höpital gcneral. Cette maison £tait
devenue un foyer de jansenisme militant; eile avait 616 reTormee
par une Deklaration du 2\ mara 1731, qui la soumetlail a l'autorite
de l'archeveque de Paris; le ParlcmenL avait refuse. I'enregislrement,
suspendu la justice, et fored le Gouvernement ä reuoncer a la Dekla-
ration. Le comte d'Argenson profita de ces c\6nemenls pour animer
Louis XV conlre les Parlementaircs. L'n rapprochemenl du pouvoir et
de l'Eglise cn fut la conse.quence. Machault quitta le controle gcneral
en 1731 pour devenir secretaire d'Etal de la marine, a la place de
Rouille, qui passa aux Affaires Etrangercs et, quand se reunit de
nouveau l'Assemblee du Clerge, cn 1735, le ftoi lui demanda simple-
menl le vote dun don gratuil.
IV, — LES BILLETS DE CONFESSION ET LE REFUS
DES SACREMEXTS (i 7 5 /•/ 7 58) '
PENDANT que se deroulait cette crise, la quereile enlre Moli- kbnouvellbhknt
nistes et Janslnistes se ranima et devint furieuse. °* *■* WetviiM.
Des 6veques constitutionDaires prescrivaient a leur clerge de
refuscr les sacrements aux suspecls de jansenisme, qui ne presen-
taienl pas un billet altestant qu'ils s'dtaicnt confesses & un prelre
soumisn la Bulle. Les Jans6uisles, considerantque le refus des sacre-
ments ötait une diffamation »jusliciable des tribunaux, denoncaienl
au Parlement les pretres qui refusaient de les leur administrer. Le
Parleinenl, pour qui l'usage des billets de confession 6tait une •■ Inno-
vation illegitime, •> poursuivait ces prelres.
Divers ineidents firent alors grand bruit. Bouettin, eure de Saint- iscibmmts mm im.
EUenne-du-Monl. avait cu affairc dejn deux fois nu Parlement pour
refus de sacremenl, quand, en 1752. il refusa la communion a un
vieux prelre jansenisle, Lemere. Le Parlement condamna le eure a
la in endo, el le somma d'administrer les sacrements a Lemere sous
Barbier H. Hl fl IVi, d* I.iirn« (I. II'. Mol
■Prrrh da Mitelt de Loali XV), drjt rltf*.
Ormnir, i comCim. Job« II. IV], de Curn-, Roro,naln.
Crrtnl. Maury (Lew AuembUei da ehrmt\ Marlon. da Gont
tivilunlion tu Franct. drpaii le Zt'll* "rrl« jatqaa not
Arn;. „nie; l>« parltmenh 'Rrvusdri eour» Iillrrair*«. I
minulnlion {ranral.e •»— Udü JTI'ff Ihm *-i «mm UIHn
Pirol. Vrmoirti paar awrtr .1 thiiloin ett ItHatlique pendanl
7 vol. II III n IV. Glutin, Lei Conßili du Parttmenl el dt
murale», >( «*pl 1901 .. Mcrtc ibM Elle). Le tleiyi fo» Tan
rlrrgi de Fronte; I. I la ri-eifuti atant
. dtja "1*.
\nl«'rlin CroiiHi-
■ourl. drj*
ntra. Maury. Dr la
jouri: .W'.i
urmtnt det idee. am
IV. 1I6;
l-ahoulavt. Itt CAd-
•Irr.. 1. II.
III rl IV, \*eH-,mfi\
le XVIII' 1
ieelt, Paria. 1*3-1*7
la Cour «1
: ':» (Atad. dm ae.
""• rtaime.
Paria, iBdd. Skard
SCBNBS
GROTBSQÜBS;
PASSIONS
VIOLBNTES.
IMPOPÜLAßfTE
DB L'BGUSE.
tSQCr&TUDBS
DU KOI.
UEpoque de Madame de Pompadour. uro* m
peine de saisie de son temporel. Le Conseil du Roi cassa l'arrftt; le
Parlement supplia le Roi de faire donner la communion au mourant;
mais le vieillard mourut sans sacrements. Dix mille personnes suivi-
rent son cercueil, et le Parlement rendit un däcret de prise de corps
contre Bouettin, qui s'enfuit.
Le cur6de Saint-Medard refusa les sacrements ä deux religieuses
de la communautä janslniste de Sainte-Agathe; il en mourut une. Le
clergä de la paroisse, inquiet des suites qu'il prävoyait, se sauva. Le
Parlement mit en cause Tarchev£que lui-m6me, le menaga de saisir
son temporel et le somma de faire administrer la religieuse survi-
vante; mais la religieuse guerit. Pour 6viler de nouveaux troubles,
Louis XV ordonna que la communaute de Sainte-Agathe se separat.
La querelle du Clerge et de la magistrature tournait au gro-
tesque. Des « porte-Dieu », prßtres charg£s de porter le viatique aux
malades, elaient somm6s par huissier davoir ä d61ivrer la commu-
nion; quand ilss'y refusaient, le Parlement les mandait au Palais et
les admonestait. Un huissier, signifiant ä un prttre un arr£l de la Cour
qui ordonna it de porter le viatique, inserait, dit-on, dans son exploit :
« Et faute de ce faire, le präsent tiendra lieu de viatique ». Mais, sous
ce ridicule, de violentes passions se demenaient.
La haine de l'Eglise et de la religion se repandait dans la foule.
DArgenson disait :
■ La perle de la religion ne doit pas etre attribuee a la philosophie
anglaise, qui n'a gagnc ä Paris qu'une centaine de pbilosopbes, mais a la
haine contre les pretres, qui va au dernier exces. A peine osent-ils se montrer
dans les rues sans etre hues. Les esprits se tournent au mecon ten lernen t et a
la desobeissance, et tout chcmine ä une grande revoluUon dans la religion et
dans le gouvernement. -
• La reforme de la religion, disait-il encore, sera bien autre chose que cetle
reforme grassiere, melee de superstition et de liberte, qui nous arriva d'AHe-
magne au seizieme siecle.... Comme notre nation et notre siecle sont bien
autrement eclaires, on ira jusqu'oü Ion doit aller, Ton bannira tont pretre, tout
sacerdoce, toute revelation, tout mystere.... •
II notait en 1753 :
■ On n'ose plus parier pour le Clerg<S dans les bonnes compagnies ; on est
nonni et regarde comme des familiers de l'Inquisiüon. Les pretres ont remarque
cette annee une diminuüon de plus dun tiers dans le nombre des commu-
nianU. Le College des Jesuites devient desert; cent vingt pensionnaires ont ete
retires a res moines si tares. On a observe aussi pendant le Caraaval. a Paris,
que jamais on n'avait vu tant de masques, au bah contrefaisant les ecclesias-
tiques, en eveques, abbes. moines. religieuses; enfln la baine contre le sacer-
doce et l'episcopat est portee au demier exces. •
Le Roi, si indifferent qu'il föt, se prtaccupait de ce grand desor-
dre. Laudace des Parlementaires croissait toujours; le plus grand
238
CHAP. PREMIER
Histoire intirieure de /745 ä 1758.
nombre des magistrats, et, parmi eux, l'abb6 de Chauvelin, Pasquier,
le pr6sident de Meinifcres, Rolland d'Erceville, Robert de Saint-Vin-
cent, ötaient des hommes d'opposition ä tout propos. Le Roi disait
un jour ä un courtisan, le duc de Gontaut :
« Ces Grandes Robes et le Clerg6 sont toujours aux couteaux Urea; ils me
dösolent par leurs querciles, mais je deteste bien plus les Grandes Robes.
Mon Clergc, au fond, m'est attache et fidele, les autres voudraient me mettre
en tutelie... Robert de Saint- Vincent est un boute-feu que je voudrais pouvoir
exiler; mais ce sera un train terrible... Le Regent a eu bien tort de leur rendre
le droit de remontrances, ils flniront par perdre l'£tat! •
Comme de Gontaut avail interrompu pour dire que de « petits
robins » n'Staient pas de force k 6branler TEtat, le Roi rcprit :
« Vous ne savez pas ce qu'ils fönt et ce qu'ils pensent, c'est une assem-
blee de republicains. En voilä, au reste, assez : les choses, comme elles sont,
dureront autant que moi. »
Le 22 fövrier 1753, Louis XV adressa au Parlement de Paris des
lettres patentes par lesquelles il ävoquait au Conseil toutes les affaires
concernant les sacrements. Le Parlement ne les enregistra pas, et, le
9 avril, il fit des remontrances oü il essaya de justificr sa rßsistancc :
« Pouvions-nous, dit-il, sans cesser d'6 tre fldeles, consentir ä une surseance
dont reffet ne serait qu'un deni de justice prejudiciable ä Vordre et au repos
public? •
Condamnant une fois de plus les doctrines ultramontaines, il
faisait au Roi cette d£claration :
- Si ceux qui abusent de votre nom pnHendent nous reduire ä ia cruelle
alternative d'encourir la disgrace de Votre Majestl. ou de trahir les devoirs que
nous impose un zele inviolable pour votre Service, qu'elles sachent que ce zele
ne connait point de bornes, et que nous sommes resolus a vous demeurer
fideles, jusqu'ä devenir les victimes de notre fldelitä. •
Ordre fut donn6 aux Chambres assembl6es d'enregistrer les
lettres d^vocation; les Chambres refusfcrent. Dans la nuit du 8 au
9 mai, des mousquetaires port&rent aux pr6sidents et conseillers
aux RequÄtes et aux Enqußtes des lettres de cachet leur ordonnant
de se rendre soit dans leurs terres, soit dans des villes 61oign6es les
unes des autres, qui leur ätaient assign6es pour lieux d'exil. Quatre
furent conduits au Mont-Saint-Michel, au chäteau de Harn, ä Pienre-
Encise, aux tles Sainte-Marguerite. La Grand'Chambre fut £pargn£e;
eile en eut honte, et protesta contre une exception qu'elle estimait
injurieuse; le 11 mai, eile fut rel6gu6e ä Pontoise.
Le ChÄtelet. les Cours des Aid es, les Cours des Comptes fflici-
terent la Grand'Chambre de sa conduite. Des diverses villes oü ils
REMONTRANCES
DU PARLEMENT
{AVRIL /75J).
DISPERSION
Du PARLEMENT
DE PARIS
(MAI HSi).
LES PARLEMBNTS
PROVWC1AUX.
a3o,
HAN' EL
DU I' AHLBUB NT
ÜB I'AHIS.
sivtiHir&s
CONTiM LKS
VI.THAM0NTA1NS
Ui.,4 ns&).
Vßpoque de Madame de Pompadour. uvhb in
ätaient relöguäs, les conseillers aux Enqu6tes et aux Requ6tes lui
adressörent m&noires sur mömoires pour Taffermir dans sa r6sis-
tance. Ceux que Ton avait exites ä Bourges, au nombre de trente,
en r6dig&rent un que d'Argenson qualifie de « tocsin säditieux »;
ils däclaraient que, si le Koi disposaii de 100000 hommes pour
soutenir ses ordres, ils avaient « le coeur et la volonte des peuples ».
Les parlements provinciaux se mirent de la partie; ceux de Bor-
deaux et de Toulouse « d6cr£t£rent » des curtfs qui refusaient les
sacrements; celui de Rouen condamna l'ävöque d'ßvreuxä BOOOlivres
dornende pour avoir interdit & ses cur6s de les administrer; celui
de Provence cassa un arr£t du Conseil qui avait cassä un jugement
rendu par lui contre T6v£que de Sisteron.
Le Gouvernement ne rösista pas longtemps; apr&s avoir transferä
la Grand'Chambre de Pontoise ä Soissons et constituä une Chambre
royale qui fut comme une faible ^bauche du futur Parlement Mau-
pcou, il rappela les exil6s. Dans une däclaration dat6e du 8 octobre,
il pnttendit imposer ä tous un silence absolu sur la Bulle :
• Nous avons reconnu dans tous les temps, disait-il, que le silence est le
raoyen le plus efllcace pour retablir l'ordre et la tranquillite publique... A ces
causes... ordonnons que le silence impose sur les maUeres qui ont fait l'objet
des dernieres divisions soit inviolablement observe... Enjoignons h notre Cour
de Parlement de proceder contre les contrevenants conformement aux Ordon-
nances... •
Mais le silence ne se fit pas. Une vieille fille de la paroisse de
Saint-filienne-du-Mont n'ayant pu fournir ä un « porte-Dieu » ni billet
de confession, ni renseignements sur son confesseur, les sacrements
lui furent refusös; le Parlement dlnonga le fait au Roi. Louis XV,
tout cn invitant les Parlementaires ä « la plus grande circonspection
relativement aux choses spirituelles », exila Tarchev^que de Paris
ä Conflans. Ce fut le signal de loutes sortes de proeddures contre
l'äpiscopat. En 1754, TarchevGque et les Gvöques de la province
d'Auch öcrivent au Roi pour se plaindre de la fa$on dont les parle-
ments appliquent la Deklaration; lc Parlement de Paris condamne
leur lettre et la fait brüler par le bourreau. En 1755, T6vGque de
Troyes, Poncet de La Rivi&re, refuse les sacrements ä deux per-
sonnes; le präsidial de Troyes le condamne ä 3 000 livres damende et
fait saisir ses meubles. Le Roi signifie au Parlement qu'il d6sap-
prouve « la chaleur » des juges; mais le Parlement soutient les juges,
et Louis XV exile T^vGque. Le Roi exile TarchevGque d'Aix, pour
refus de sacrements, et l'öv6que de Saint-Pons, de Gu6net, auteur des
fidflexions d'un ivique de Languedoc sur quelques arrtts du Parle-
ment de Toulouse. Le Parlement de Rennes saisit le tempore! de
< 2.|0 >
CHAP. PRIM1IR
Histoire Interieure de 1745 ä 1758.
nouveau
COXFLIT.
I'6v6que de Vannes, et faii vendre les meubles de l^vöque de
Nantes.
Le Parlement triomphait. II se croyait mattre de la discipline lb huomphe
cccl6siastique, et m6me de la foi; il citait ä sa barre des membres du DBS parlements.
Clerge, pour tous les actes de leur minist&re, pour des mandements,
des scrmons, des catechismes; il examinait des thöses de Sorbonne.
Enfin, k propos de poursuites engag^es contre le chapitre d'Orl&ns,
pour refus de sacrements, il d6clara, par un arrftt du 18 mars 1755,
que la Bulle navait ni le « caractere » ni les « effets » d'une « rögle
de foi »; qu'il y avait « abus » ä les lui attribuer; en cons£quence,
il enjoignit « k tous les eccläsiastiques, de quelque qualit£ ou dignitä »
qu'ils fussent, de « se renfermer » k ce sujet dans le silence general
et absolu prescrit par la Deklaration.
Louis XV ne pouvait laisser passer ce däsaveu quasi ofßciel de la
Constitution ; et, d'ailleurs, au moment oü une guerre s'annongait avec
lAnglelerre, iljugeait prudent de se m£nager les subsidesdu Clerg6-
Un arröt du Conseil du 4 avril cassa donc TarrÄt du Parlement, « en
ce que Ton y disait qu'il y avait abus de l'cxöcution de la Bulle, et en
ce que, sousle prötexte de faire observer la Deklaration, le Parlement
en avait 6tendu et interpret6 les dispositions contre les vues et inten-
tions du Boi ».
Sur ces entrefaites, TAssembl^e du Clerg6 se räunit, et le Roi
obtint d'elle, par un « vote unanime », un don gratuit de 16 millions. *>u clerge (nss).
II invita alors les 6v£ques k rechercher les moyens de ramener la paix
dans les esprits. L'Assembl6e se divisait en deux partis ä peu prfcs
6gaux : les feuillanls, ainsi appeles de ce quils se groupaient autour
du cardinal-präsident de La Rochefoucauld, rtScemment mis en pos-
session de la feuille des b£n6fices; les Ihialins^ tirant leur nom de
Tordre religieux auquel avait appartenu TävGque de Mirepoix, Boyer,
d6c£dö depuis peu. Les premiers £taient d'avis de ne refuser les
sacrements qu'aux röfractaires notoires et publics; les autres, de
maintenir les choses en T6tat. Tous protest&rcnt contre le recours
des fid^les aux Parlements, contre la pr£tention qu avaient les juges
laiques de prendre connaissance des refus de sacrements, contre
les peines dont ils frappaient les prßtres : amendes exorbitantes,
prison, bannissement perp£tuel. Ils convinrent enfin d'äcrire au Pape
pour lui demander conseil.
Une quereile survenue entre le Parlement de Paris et letJrand mvaut* bntkb
Conseil devait donner d'ailleurs quelque r^pit au Clerg6. Commission "*™ D f™j B 't
* * " _ __ W Fr DA mW rlflrlrf
administrative, instituöe plutöt pour exöcuter les volontes du Roi
que pour maintenir la stricte ex6cution des lois, pronon^ant sur les
arröts contradictoires rendus par les Parlements, le Grand Conseil,
ASSBMBUtB
BT LB PABLBMBHT
(1755 HSf),
< 2^1
VIII. 2.
16
VEpoque de Madame de Pompadour.
LIVRE III
KNCYCUQUR
M BKNOIT XIV
(OCT. HM).
dont les arr&ts ötaient exlcutoires dans toute la France, 6tait jalous6
et haK des Parlements x . Le Roi Svoquait devant lui les affaires qu il
avait interöt ä ne pas laisser juger par les juges ordinaires. Or,
en 1755, un ancien conseiller au Grand Conseil avait interjete devant
cette juridiction appel d'une sentence du ChÄtelet; son adversaire
voulait au contraire plaider devant le Parlement. Le Grand Conseil
ordonna au grefßer du Cbätelet de lui apporter les minutes du procfcs,
et le Parlement le lui interdit par un arröt. Cet arrGt fut cassö par
une D6claration du Roi, du 10 octobre. Le Parlement envoya ä Ver-
sailles une döputation, mais Louis XV ne tint aucun compte de ses
doläances. Durant des mois, Parlement et Grand Conseil se firent la
guorre ä coups d'arrßts. Le public s'int6ressait ä cette quereile et
s en arausait. Le 26 avril 1756, le Grand Conseil 6tant all6 ä Versailles
pour se plaindre du Parlement, le Roi le re$ut avec le c6r6monial
usitö pour cette cour; on se demanda s'il ne projetait pas de substi-
tucr aux parlements indociles son Grand Conseil.
L'ambassadeur de France ä Rome obtint du Pape, en octobre
1756, une encyclique destinee ä rätablir la paix religieuse. Le Pape
confirmait l'obligation d'ob&r ä la Constitution Unigenilus, mais
supprimait l'exigence du billet de confession ; le Clerg6 devait s'6clairer
sur les senliments des fid&les et ne refuscr les sacrements qu'aux gens
connus comme röfractaires ä la Constitution.
• Sont refractaires, disait le Pape, tous ceux qui, par sentence rendue par
un juge competent, ont et£ reconnus coupables d'avoir refuse ä la ConstituUon
le respect, l'obeissance et la soumission qui lui sont dus; tous ceux qui, en
jugement, se sont declares coupables d'une pareille obstination, et, en outre,
ceux qui, bien qu'ils n'aicnt pas doclare leur culpabilit6 en jugement, cepen-
dant, dans le temps möme oü ils s'appnHent a recevoir le saint viatique, pro-
fessent spontanäment leur d6sobeissance personnelle et perseverante ä Fendroit
de la Constitution.»
UNws Le 7 däcembre 1756, le Parlement de Paris « supprima » cette
vms pAHLMBSTs. sage encyclique, pour la raison qu'elle avait <He publice sans permis
d'imprimer et sans nom d'imprimeur, et il d£fendit aux 6v6ques de la
citer et de la publier. Tous les Parlements du royaume firent cause
commune avec lui. C^tail d ailleurs une thäoric de la magistrature
que les divers Parlements n'ötaient que des parties dun m6me tout,
des classes d'un seul et unique Parlement röparties entre les pro-
vinces pour la commoditö des justiciables. Le Parlement de Bordeaux
entraiten guerreavec (Intendant De Tourny; le Parlement de Rouen
faisail des remontrances contre le Grand Conseil, et le commandant
de la province, duc de Luxembourg, ötant alte les biffer sur les
i Volr Hut. de Fr , V, i, pp. ai4 et ai5.
< lt\1 >
chap. Premier Histoire Interieure de 1745 ä 1758.
registres, il menagait de suspendre la justice et de donner sa d£mis-
sion cn masse.
Cependant la guerre, d6jä engag£e sur mer avec les Anglais, les mors
allait commencer sur le contincnt. Le Gouvernement avait besoin de Mclarations du
faire enregistrer des ödits bursaux; il resolut de prendre des pr6cau- 15 D * CBMBRB /7W -
lions conlre la magistrature. Le 13 däcembre 1756, le Roi tint un lit
de justice, oü il fit lire trois d£clarations. Par la premi&re, il ordon-
nait de « respecter » la Bulle corame d£cision de l'ßglise et attribuait
aux tribunaux eccl&iastiques la connaissance du refus des sacre-
ments, en gardant au Parlement Pappel comme dabus; par la
seconde, il reconnaissait k la seule Grand'Chambre le droit de convo-
quer les autres Chambres, r6p6tait une fois de plus que l'enregistre-
ment aurait lieu näcessairement apr&s qu'il aurait 6t6 r£pondu aux
remontrances, et enfin interdisait d'interrompre le cours de la justice,
sous peine d'Gtre jug6 rebelle. Par la troisteme, il supprimait deux
chambres des Enqußtes sur trois, c'est-ä-dire soixante offices de
conseillers laiques. II fit enregistrer les däclarations sous ses yeux et
ordonna aux Chambres de se söparer.
Les EnquÄtes et les RequÄtes n'en demeur£rent pas moins
r6unies et donn&rent leurs d£missions en bloc « D£grad6s e( priväs »
de nos « fonetions essentielles », disaient les dömissionnaires, nous
sommes devenus incapables d'ötre « & l'avenir d'aucunc utilitä pour
le service du Roi et le bien du Royaume ». Seize membres de la
Grand'Chambre s'6tant aussi d£mis, le cours de la justice fut sus-
pendu ; les avocats et les procureurs cessärent leur service. Le peuple
so pronon$a pour le Parlement; Fagitation Tut Enorme k Paris et en
province; mais l'attentat de Damiens vint faire diversion.
Les dömissionnaires avis^rent alors le Premier Präsident que, rAconciuation.
« constern£s » par l'attentat, ils ötaient prfcts k donner au Roi des
« marques de leur fid61il£ ». Mme de Pompadour se mit k nlgocier
avec les prineipaux meneurs; le 26 janvier, eile re$ut le pr£sident de
Meini&res, qui avait r£dig6 un projet daecommodement oü il pröten-
dail m^nager Tautoritä du Roi et les intSröts de sa Compagnie; eile
ne d£cida rien avec lui, mais le pria de remettre son projet k PabW
de Bernis, qui venaitd'dtre fait ministre. Bernis conseilla la cl&nence
envers les magistrats, et, une fois de plus, Louis XV se d£partit de
sa rigueur; il fit rendre aux dämissionnaires leurs dömissions, et rap-
pela les exiI6s.
La lulte entre « la Couronne et le Grefle » ätait, pour un temps, la coüeonse
suspendue, mais devait recommencer fatalement. L'antique confusion ** l* oeeffe
de lßglise et de lßtat, et la question trfcs vieille aussi des relations
i a43 >
L'Üpoque de Madame de Pompadour.
utbb tu
de la Couronne avec Rome gtaient des causes permanentes de conflits ! .
Le Parlement contestait ä lEglise toute participaüon ä la puissance
publique, et däfendait contre la papautä l'indäpendance de la Cou-
ronne. Lorsque le Parlement se trouvait aux prises avec lfiglise de
France et avec Rome, le Roi se trouvait embarrassä. II aimait son
clergä, parce qu'il le savait fideJe, et parce qu'il recevait de lui des
subsides. II redoutait les diff&rends avec le Pape et mfcme ne se fai-
sait pas faute de recourir ä lautorit^ pontificale; mais il n'ltait, ni
ne pouvait Gtre ultramontain. De cet embarras, m£me un roi comme
Louis XIV avait souffert. Louis XV r6v61a sa faiblesse par une perp6-
tuelle alternative de rigueurs et de pardons. Aussi le Parlement
s'enhardissait de plus en plus. Or, le Parlement, tout en d6fendani
contre la Couronne m£me les droits de la Couronne dans sa lutte
avec les Ultramontains, produisait les siens, vieux, obscurs, toujours
contestes. II se donnait Tair dun protecteur de la Nation contre
l'arbitraire royautä; la Nation l'applaudissait, et eile esperait en lui.
Mais, comme il n'ätait pas au pouvoir d'ofßciers du Roi, acheteurs
de leurs ofßces, de repräsenter la Nation devant le Roi et de soutenir
jusqu'oü il aurait fallu leur Opposition, toute cette agitation, quils
renouvelaient k tout propos, demeurait sterile. Le Parlement n 6tait
capable que d'lbranler la monarchie.
ATTENTAT DB
DAMIBNS
(JANVJKR I7ST).
V. — LATTENTAT DE DAMIENS ET LA DISGRACE
DE MACHAULT ET DU COMTE DARGENSON (1757)*
GE fut le 5 jan vier 1757, ä six heures du soir, que le Roi, montant
en carrosse au chdteau de Versailles pour aller souper ä Trianon,
fut frapp£ au flanc dun coup de couteau. La blessure 6tait lagere,
mais on craignit que Tanne ne fut empoisonn£e; Louis XV se mit au
lit et se confessa. L'archevgque de Paris ordonna des priores de
quarante heures; les th£&tres furenl ferm£s; mais le public se montra
surtout curieux des details de Tattental. Le temps 6tait loin oü la
crainte de perdre le Roi consternait la France.
L'assassin, Damiens, ayant 6i6 gargon de salle chez les J6suites,
ceux-ci furent mis en cause dans des libelles. Le bruit courut ensuite
quil avait servi des Jans^nistes, des magistrats notamment, et ce fut
1. Volr HUI. de Fr., VII, 1, p. >>-.'b, sur le Conflil enlre !a Couronne et le Parlement. »ur
le Parlement et IBglfee. ibid., p. 39; et auir.
2. Socrcea. D'ArgenAoo (t. V). du Hausset. Henault. Moufle d'Angerrille (t. Uli, deji
cltes. Lettre» mMitex da poele Robbt de Beaaoenet, p. p. G. d'IIeillr. 1876. Piice» originale»
am proce» Damien», Paris, 1787. Ravaisson, Archiven de la Battille, t. XXI.
OuvRAOB« a coNsuLTER. Campardon, de Goncourt (Mme de Pompadour), deja eile*. DHeilly,
k Parlement la Cour el la Ville pendant le proeH Damien». Pari», 1876.
« *44 *
ch.ip. i-HisjiiH Histoire int&rieure de MS ä l'Si.
le tour des Jansenistes et du Parlement d'etre accuses de complicite.
Damiens n'elait qu'un des&quilibrc; il n'avait pas voulu tuer le Roi,
mais seulement le rappeler a ses devoirs. Le Gouvernement crul
cependant a une Konspiration, fil arrtler des ecclesiastiques, pour-
suivil des detentcurs d'ecritsseditieuxetdcs imprimeurs, envoya aux
ga leres des libraires et des colporleurs et baonil quelques ecrivains.
L'assassin subit le supplice de Ravaillac, le 28 mars 1757. Od lui
brüla la mai» droitc, on Iß tenailla ; od versa du plomb fondu dans ses
plaies; on l'ecartela. Pendant cinq quarts d'heure, il demeura vivant,
Ires courageux, sous les regards d' une foule immense qui emplissait
la place de Greve et garaissait les fenelres, les lucarnes et les toits.
Le Roi, se croyanl frappe a mort, avait ordonne au Dauphin de
presider le Conseil; il avait demande a la Reine pardoo de ses torts
envers eile. Les courtisans penserent que Mme de Pompadour etail
perdue. Machault sc presenta chez eile, en effet, pour lui donner a
entendre que le Roi desirait quelle s'eloignat; mais des amis de la
mnrquise lui conseillerent de demeurer. •< M. de Machault vous
Irahil ", lui aurait dit alors la marechale de Mirepoix, « II veut elre
le inaltrc; et, pour perdre la parlic, il vous suffil de la quitter ». La
murqufae allendil los evencnienls; le Roi, sitöt qu'il fut raseure, ne
pensn plus a la congedier. Mais Machault paya eher ce quo le parti
Pompadour appelailsa trahison; le Roi lui cerivit le i" fcvrieri757 :
• Les cirtonstancr* presentes moblinenl de vous redemander mes aceaux
el la demie*ion de votre Charge de secretaire d'ßlal de la Marine. Soyei lou-
jours HÜr de ma protection et de mon amitle. Si vous nvez des gracea a roe
dcniandcr pour von enfonU, vous pouvez le faire en lout temps. II convienl
que vous restiez quelque Irmp* a Arnouville. Je vous conserve votre pension
de vingt nulle livres et les honneurs de Garde des sceoui. -
Louis XV ne se scparail qn'ft rcgrel de Machault, qu'il aimait
pour son inlelliRenrc el sa capa<-itö. « Ils ont tant fait, ccrivait-il le
mrmi> joiir, qu ils m'ont Torf« 1 a n-nvoyer Machault, l'homme solon
mon rarur: je ne mVn ronsolerni jnmais. ■■
Kn mrmit temps que Machault. lomba le comle d Argenson. La
disgrflcp de Machault faisiiit de lui le minislre preponderant. II voulut,
pour Vlre toul puissant, subsliluer aupres du Roi a In marquise, dont
il < l lnit 1'ennemi, la mmlcsw dEaparbo«. « L'indrois est cnQn deeide,
nurnil-il iVril ii rotte dnme. lc Garde de« srenux c*l renvoye; vous
alle/ revrnir. ma chere amic. el noii« serons le« mal Ire« du tripot. ■
It a nie lauthenticite de reih- lellre; el pcul-olre fut-elle fabriquec;
mais, apres que Mme de Pompadour I'eul montreeau Roi.d'Argenson
fut rclegue a sn lerre dr-s Orme«.
Peul-etre bien, d'ailleurs, la princi pale raison du renvoi de deux
. »15 .
MSCKACK
DV COHTE
DMCMMSOM.
L'Epoque de Madame de Pompadour.
uvbe in
CHANGEMENTS
DANS
LE MINISTERS.
ministres fut-elle quc le Roi Louis XV, £pouvant6 de rattentat de
Damiens, crut bon deloigner du minist ere les hommes qui avaient
attirö sur eux le plus de haines : Machault, comme auieur du projet
du vingti&me, le comte d'Argenson comme chef du parti d£vot.
L'annäe 1757 vit encore, en juillet, le renvoi du seerötaire de
rfitat des Affaires etrangeres, Rouille\ Louis XV ne donna pas de
successeur a Machault comme Garde des sceaux, et tint lui-m£me les
sceaux jusqu'en octobre 1761; mais, ä la Marine, Machault fut rem-
place" par Peirenc de Moras; le comte d'Argenson le fut, ä la Guerre,
par le marquis de Paulmy, son neveu, qui c£da lui-möme la place
au marächal de Belle-Isle le 2 mars 1758. Le successeur de Rouill6
devait 6tre l'abbä de Bernis. Les ministres, disait le public, changent
comme les d^cors de TOp£ra. La duchesse d'Orlöans, chargeant
quelqu'un d'aller ä Versailles faire compliment a Tun d eux, ajoutait :
« Au moins sachez s'il y est encore ! »
246 >
v
CHAP1TRE II
LA GUERRE DE SEPT ANS 1
I. LE RENVBR8EMBNT DES ALLUNCE8. — II. LES OPERATIONS CONTINBN-
TALES DE LA GCERRE DE SEPT ANS; DEBÜTS DE CHOI8EUL (1756-1763). — III. LA GUERRE
MARITIME ET COLONUI.E; MONTGALM BT LALLY-TOLLEADAL (1756-1763). — IV. LE TRA1TB
DE PARIS.
/. — LE RENVERSEMENT DES ALLJANCES
CRIBFS
LA paix sign6e en 1748 entre l'Anglelerre et la France ne pouvait
durer; les Anglais la dlploraient. En 6change de r^vacuaÜon des DB l'angletebm
Pays-Bas, consenlie par Louis XV, ils avaient du d6bloquer Bordeaux COiSTRS u VÄUL
et Nantes, restituer le Cap Breton et Louisbourg, et ils regrettaienl
le march£. Dans les villes et les porls, Tesprit de guerre se räveilla,
i. Sources. D'Argenson (t. V et VII), Barbier (t. III et IV), Bernis (Mimoires et leltrc$);
Choiscul, Duclos {Mimoires), Senac de Meilhan, Soulavie {Mim. hui.), deja cites; Besen?»!
(de), Mimoires, Paris, 180&-1806, 4 vol.; Correspondance secrete inidile de Louis XV, p. p. Bou -
taric, 1866, 2 vol. Frederic II, OEuvres, Hisloire de la guerre de Sepl Ans, H$S; Hisloire de
mon temps; Politische Correspon dem, deja citees; Geschichte du Siebenjährigen Krieges, Berlin,
1837-1847, 6 vol. Frtderic II, Friedrichs des Grossen Anschauungen vom Kriege, in ihrer Ent-
wickelang von 1745-1766, dans Kriegsgeschichtliche Einseischriften (publicatioo de I' Etat Major
allemand, n* 37), Berlin, 1899. Levis (de), Letlrez [concemant la guerre du Canada], Montreal
et Quebec, 1889-1896, 1a vol. Journal et campagne du Canada (175$- (760), Montreal,' 1859. Mar-
ia nge (Generale de), aide de camp du prince Xavier de Saze, Correspondance (f 75f-f 7#f),
Paris, 1898. Prcussische und CEslerrtichische Akten zur Vorgeschichte des Siebenjsshngen
Krieges, p. p. von Volz et Kuntzel, Leipzig, 1899. Marechal de Broglie, Correspondance
avec le prince de Saxe, p. p. le duc de Broglie et J--J. Vernier, 4 vol., Paris, 1904-19(6- Briefe
Preussischer Soldaten, urkundliche Beitrage und Forschungen, Heft 2, Berlin, 1901. Retmtii
des inslruclions donnies aux ambassadears et ministres de France : Karges {Pologne), Geffroy
(Suede et Danemark), Rambaod {Rassie), Sorel {Autriche). Les derniers Jours de rAcadie
{MS- 17 St). Correspondance exlraite du porlefeuille de M. Le Coarlois de Surtaoilte [Heutenant
general des armees du Boi, aocien major des troupes de nie royale], p. p. do Boscq da
Beaumont, Paris, 1899. Saint-Germain (Comte de), Mimoires, Londree, 1779. Schütter,
Correspondance secrete entre le comte A. \V. Kaunllt-Rielberg, ambassadeur impirial ä Pmris r
et le baron Ignax de Koch, secritaire de rimpiralrice Marie-Thirese (1750-175 f), Paria, 1899.
Talleyrand (de), Memoires, p. p. de Broglie, Paris 1890-1899, 5 vol.; t. V(Cholaeul). Corrw-
pondence of W. Pitt wilh colonial Gooernors, p. p. Kim ball, New- York, 1906, a vol.
Ouvraoes a consulter. Arneth (d*), Aubertin, Boutaric {itudes sur la politique persom-
nelle de Louis XV), de Broglie (Le secret du Boi, L'Alliance autrichknne); Campardon
{XI me de Pompadour), de Carne {La monarchie francaise), Chaba od -A mault, Cousin, Gobelin,
* »47 >
Vipoque de Madame de Pompadour. "vai m
k lareprise de la concurrence francaise; les marchands r6clamerent
une politique m6me agressive, qui leur assurät partout les mains
libres. En Amerique, les Colons anglais 6taient resolus k la lutte k
fond contre les Colons francais.
anglais Au moment oü va commencer entre France et Angleterre la guerre
et francais p ur l a possession de l'Amenquedu Nord, les treize colonies, fondees
dans vam&riqüe p ar j es ^gi^g au XV n« et au xvm e siecles, se succedent sur la cöte
du nord. de p oc6an Atiantique entre le Canada francais et la Floride espa-
gnole. Elles sont enveloppees k TOuest parlespossessions francaises.
Du Canada, en effet, les Francais ont commence, des le xvir 5 siecle, la
penetration ä Tinterieur, dans la region des grands lacs. Ils ontfonde
des Etablissements sur le lac Superieur, le lac Ontario et le lac
Michigan. Du lac Michigan est parti en 1679 Cavelier de la Salle k
la recherche du Mississipi, dont on ne connaissait que le cours infe-
rieur decouvert par les Espagnols; en 1682, il a descendu le fleuve
jusqu'ä Tembouchure, et pris possession de la vaste vallee qu'en
Thonneur de Louis XIV il a nommee la Louisiane. Lorsqu'il mourut
en 1687, quelques centaines de colons francais vivaient sur le bas
Mississipi; en 1718 a ete fondee la villequ'en Thonneur de Philippe
d'Orlöans, regent de France, on a nommee la Nouvelle-Orleans.
de Goncourt ( A/m« de Pompadour), Green, Jobez (t. V, VI, VII), Koser, Lacour-Gayet, Lacre-
telle, Mallesson, Pajol (t. IV a VII), Perey (Duc de Niuernais), Rousset (Comte de Gisors),
dejä cites. Bourguet, itudes sur lapolilique ilrangere du duc deChoiseul, Paris, 1909. Boutry,
Choiseulä Borne; Lettre* et memoire* inidits (1754-1757), Paris, 1S95. Calmettes (Pierre), Choi-
seul et Voltaire, tfaprls les lettre* inidiles de Choiseul ä Voltaire, Paris 190a. De Cisternes,
Le duc de Richelieu, son aclion aux confirences d ' Aix-lq-Chapelle, sa retraile du pouvoir, Paris,
1898. Id., La campagne de Minorque, a"apris le Journal dtu commandeur Glandeoez. Paris, 1899.
Daubigny, Choiseul et la France doulre-mer apris le traiti. de Paris, Paris, 1892. Filon, Uamba*~
sade de Choiseul ä Vienne en 1757 et 1758, Paris, 1872. Napoleon I« r , Precis des Guerres de Frl-
diric II, Paris, 187a, 3 vol. Naude, Beilrmge zur Entstehungsgeschichte des, Siebenjmhrigen
Krieges, Leipzig, 1895-189U, 2 vol. Der Siebenjährige Krieg (publicaiion de l'Elat-Major aile-
mand), 4 vol., Berlin, 1901-1902. Harobaud (A.), Busses el Prussiens [pendant la] guerre de
Sepl Ans, Paris, 1896. Scharfer, Geschichte des Siebenjährigen Kriegs, Berlin, 1867-1874, 8 vol.
Soulange-Bodin, La diplomatie de Louis XV et lepacte de famille, Paris, 1894. Vandal, Louis XV
et Elisabeth de Parme, Paris, 1882. Waddington (Richard). Louis XV el le renversemenl des
alliances; Priliminaires de la guerre de Sepl Ans (1754-1756), Paris, 1896. La guerre de Sepl Ans,
hisloire diplomatique et mililaire, Paris, 1898-1908, 4 vol. Vasi, La guerre de Sept Ans, et Ram-
baud, L'Hindoastan, au t. VII de YHisloire ginirale da IV siecle ä nos jours, Heigel (Tb.),
Friedrich der Grosse und der Ursprung des Siebenjährigen Krieges (Neue gesehiehte Essays),
Munich, 1902. Bourdeau, Le grand Fridiric, 2 vol., Paris. 190a. General Bon na l, De Rosbach
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Berlin, 1906. Fleury de Saint-Charles. Un at lache" mililaire francais ä la eour de Russie (Revue
dhistoire diplomatique, t. XVII). Kuntzel, dans Forschungen zur Brandenb. und Preuss.
Gesch., t. XIV et XV, et Cahen, dans Rev. d'hist. mod. et contemp., avril 1909 (sur les memoire«
de Bernis). Gerber, Die Schlacht von Leulhen (Hist Studien, Heft XXVIII), Berlin, 1901.
Laubert, Die Schlacht bei Känersdorf, Berlin, 1900. Fave, Eludes sur le passe" el taoenir de
tartillerie, 6 vol., Paris, 1846-1871, au t IV. Mention, L'armie de VAncien R&gimc, Paris, 1900.
Ed. Desbriere et Sautai, La caualerie de 1740 ä 1789, Paris, 1906 Commandant E. Picard et
lieutcnant Jouan, L'artillerie francaise au XVIII* stiele, Paris, 1906. Lieutenant Dublanchy,
Une intendance darmee au XVIII* siecle, Paris, 1906. Sautai, Monlcalm «u combat de Carillon,
Paris, 1909. Casgrain, Wolfe and Monlcalm, Londres, 1906. Guenin, Monlcalm, Paris, 1898,
Bradley, The Fight with France for North America, Westminster, 1900.
c 248 >
CHAP. II
La Guerre de Sept Ans.
Ainsi, du Nord au Sud, du Saint-Laurent au Mississipi, qui, un
moment, a 6t6 nomine* le fleuve Saint-Louis, s'6tendait la domination
francaisc.
Tres vaste, cette domination n'6tait pas solide, les Francis
£tant bien moins nombreux en Ameriquc que les Anglais. On estime
a 00000 hommes la populaiion du Canada et ä deux millions celledes
treize colonies anglaises, vers le milieudu xvursifccle. Lapopulation
anglaise n'6tait pas homogene ; eile difförait, selon la provenance des
Colons et la nature des pays. Des puritains, qui avaient fui au
xvu« si&cle la perslcution anglicane, s'ötaient ötablis dans les quatre
colonies du Nord, dont lensemble composait ce qu'on nommait la
Nouvelle-Angleterre 1 . Ils cultivaient sous un climat froid des terres
pcu fertiles, et la peche ötait leur autre moyen de subsistance. Au
Sud de la Nouvelle-Angleterre, quatre colonies f 6taient composees
dement» divers : il s'y trouvait des Allemands luth6riens qui
avaient fui la perslcution, des prolestants irlandais, des quakers. La
£taient situees les deux plus grandes villes de l'Am&rique anglaise,
New-York et Philadelphie. Ces pays pratiquaient surtout la culture
du ble\ Enfin, dans les cinq colonies du Sud •, ä climat chaud et
terres fertiles, des gentilshommes anglais vivaient noblement sur des
domaines que des nfcgres cultivaient. Mais, si divers quils fussent,
ces colons anglais avaient entre eux cette ressemblance quils Itaient,
dans le cadre de leurs colonies, indlpendants et libres, faisant leurs
affaires eux-mftmes. Tous, ils avaient le meme intärfet ä disputer aux
Francis cette r6gion de TOuest, leur Hinterland. Les Colons du
Nord, ceux qui se trouvaient en contact imm6diat avec le Canada,
etaient les plus önergiques des colons anglais. Chez eux, point d'aris-
tocratie; ils vivaient pauvrement et rudement dans leurs villages,
instruits par des maftres d'6cole et des pasteurs, qui Itaient, avec les
juges, les principaux personnages des colonies. La sup£riorit6 num6-
rique des Anglais avait naturellement pour consäquence la sup^rio-
rit6 de leur force militaire. Cette force consistait, des deux cötes,
en troupes envoye>s de la m&ropole, mais aussi et surtout en
milices locales, colons anglais et francais elant astreints au service
de la milice. A eux seuls, les miliciens de la Nouvelle-Angle-
terre Itaient plus nombreux que les miliciens de Timmense colonie
francaisc.
Cette sup£riorit6 des Anglais fut renforcee, et cette inferioritedes
Francais aggraväe par la conduite des deux gouvernements. Tous les
COMPARA1SON
DBS FORCES.
LA CONDUiTB
DES DEUX
GOUVERNEMENTS.
1. New-Hampshire. Massachusetts, Rhode-Island, Connecticut.
2. New-York, New-Jersey, Pennsylvanie, Delaware.
3. Maryland, Virginia, Caroline du Nord. Caroline da Sud, Georgie.
»49
LEpoque de Madame de Pompadour.
litri in
LA QUESTION
DB L'ACADJB.
LÜTTB DANS
LA R&GION
DB VOHIO.
deux, il est vrai, pratiquaient ä l'ägard de leurs colonies la m£me
politique 6conomique. Ils prätendaient leur vendre leurs produits
manufactur6s et se röserver l'achat des produits naturels coloniaux.
Mßme, le gouvernement d'Angleterre £tait plus rigoureux que celui
de France. Dans la premi&re moiti£ du xviii* siöcle, il interdit des
industries qui tentent de s'6tablir dans les colonies d'Amärique; il
interdit aussi les relations commerciales avec des 6trangers; tout doit
aller en Angleterre et venir d'Angleterre ; mais, comme la mätropole
n'avait 6tabli qu'un tr&s insuffisant regime de douanes, la contre-
bande se faisait sur grande Schelle. Ce gouvernement commenga
par ne gu&re s'intäresser k des colonies qui ne lui rapportaient
rien, et les Colons anglais purent se plaindre, tout aulant que les
colons fran$ais, du d6dain de la mötropole. Mais 1' Angleterre
commen$ait ä devenir manufacturi&re, et son commerce se dävelop-
pait de plus en plus. Ses producteurs et ses marchands avaient,
pour faire valoir leurs intärfcts, la presse et le parlement. L'opinion
publique anglaise 6lait instruite des affaires coloniales. Puis, des
appels venaient des colonies am6ricaines; bientdt l'opinion deman-
dera la destruction de la puissance militaire et coloniale de la
France.
Le conflit s'annon^a, au lendemain de la paix d'Aix-la-Chapelle, ä
propos des limites de TAcadie, qui n'avaient öt6 pr6cis6es, ni k
Utrecht ni ä Aix-la Chapelle. Les hostilit6s commenc&rent sur le
territoire conteste, oü, des deux parts, on 61eva des forts. Ellesfurent
suspendues par des instructions venues de France et d' Angleterre;
mais la lutte sengagea särieusemcnt dans la rägion de TOhio. La £tait
le principal point strategique, le cours de TOhio 6tant le plus bref
chemin entre le Canada et la Louisiane
En 1753, le Virginien Trent fut chargä par le gouverneur de
la Virginie « de döloger les Francis, et, en cas de refus ou de r6sis-
tance, de tuer, dötruire ou faire prisonntere toute personne non
sujette du roi d'Angleterre qui chercherait & s*<Hablir sur la rivtere de
TOhio ». Le gouverneur du Canada, Duquesne, envoya une troupe,
commandge par Contrecoeur, expulser les traitants anglais des terri-
toires contestäs. Trent, trop faible, dut abandonner le fort qu'il
construisait au confluent de TAUeghany et de la Monongahela, et
qui, achev6 par Contrecoeur, devint le fort Duquesne. Mais, quelque
temps apr£s, le 28 mai 1754, un officier fran$ais, Jumonville, envoya
en parlemenlaire, 6tait surpris dans les bois et tu6 — sa qualit6 de
parlementaire n'avait pas 6t^ reconnue — par un d&achement de
Virginiens, renforcä de Peaux-Rouges, que Washington commandait.
Contrecoeur envoya aussitöt, sous le commandement du frfcre de
a5o
CHAP. 11
La Guerre de Sept Ans.
Jumonville, Villiers, une colonne, qui atteignit, cerna et fit capituler
les Anglais au fort de N£cessit6, en aval du fort Duquesne.
Alors les gouverneurs de Virginie et de Massachusets organisent
des corps de troupes et projettent sous leur propre responsabilit6 des
attaques conlre les forts ennemis. A Londres, la nouvelle de ces
evönements produisit « une assez grande Fermentation parmi les
nögociants ». Le ministäre, qui, jusque-lä, s'6tail montrg en somme
conciliant, c6dait au courant de l'opinion publique. Robinson,
rainistre des Affaires 6trangöres, disait & l'ambassadeur de France :
« Vous cn prenez ä votre aise... vous procödez en sürete sous l'autoritä
de votre roi; mais, il n'en est pas de m£me pour nous, et c'est la t£te
du duc de Newcastle et la mienne qui räpondront de tout ce que nous
faisons avec vous ». D6jä, en juillet 1754 le gouvernement anglais avait
autorisö les gouverneurs de Massachusets et de Nouvelle-ficosse
ä attaquer les forts fran^ais. En apprenant la capitulation du fort de
N6cessit6, il haussa le ton :
• Toute l'Amerique du Nord sera perdue, ecrit Newcastle, si nous tolerons
des procedes pareils ; il n'y a pas de guerre qui serait pire pour notre pays que
de supporter des faits semblables. La verite est que les Francais reclament
la possession de toute l*Amerique du Nord, excepte la lisiere du littoral, dans
laquellc ils voudraient resserrer toutes nos colooies; mais c'est ce que nous
ne pouvons ni ne voulons soufTrir. »
Au d6but d octobre 1754, la Cour de Londres envoyait en Arae-
rique, avec des renforts, le g6n£ral B raddock.
Ce nVtait pas encore la guerre : le cabinet anglais, et surtout le
duc de Newcastle souhaitaient la paix; mais ils entendaient obtenir
un W^lement de frontifcres, selon leurs « convenances ». Le cabinet
frangais ne comprit pas le p£ril. II ne sut ni maintenir la paix par
des roncessions, ni pr^parer la guerre; il demeura « dans la s£curit£ »
et « lassoupissement >». D'ailleurs le Roi « penchait pour les desseins
pacifiques >\ et la marquise de Pompadour faisait comme lui.
En Am6rique, les Colons anglais accusaient leurs voisins d'actes
atrores; des sociMs religieuses comme la Soctetf pourlapropagation
de Irtvangile publiaient ces accusations. Par inWrftt, par fanatisme,
les n^gociants anglais s'agitaient. Le roi George demanda, le 25 mars
1755. au Parlemcnt, qui laccorda, un subside dun million de hvres
Sterling « pour sauvegarder les justes droits et les possessions de sa
couronne en Am^rique ». La France s'obstinant ä ne pas prendre Tim-
tiative de la rupture, la cour de Londres voulut Ty contraindre. Au
moment oü Braddock tenait dans Alexandria, k lembouchure du
Potomac, un grandconseil de guerre et arrötait un plan g£n6raldat-
LES ID&BS
DE GUERRE
BN ANGLETERRB.
DISPOSITION* DO
GOUVERNEMENT
FRANCA1S.
LE DiEOT
DES BOSTIUTES.
a5i
V ATTENTAT
DE BOSCA WEN.
LA FRANCE
RES1GNEE
A LA GÜBRRB.
VEpoque de Madame de Pompadour. uvrb iu
taque contre les possessions franQaises, Tamiral Boscawcn regut
Tordre de se rendre sur la cöie d'Acadic, dy rallier les forces navales
en Station & Halifax, puis de s^tablir en croistere devant le port de
Louisbourg, afin d'intercepter les navires fran^ais destin£s pour cc
port, pour le golfe ou fleuve Saint-Laurent, ou pour Tun quelconque
des Etablissements frangais dans ces parages. « Si vous rencontrez
des vaisseaux de guerre frangais ou autres navires ayant k bord des
troupes ou munitions de guerre, disaient ses instructions, vous ferez
de votre mieux pour vous en rendre maftre. Dans le cas oü il vous
sera fait de la r6sistance, vous emploierez les moyens dont vous
disposez pour les capturer et les dätruire. »
L'occasion allait se präsenter d'appliquer ces instructions. L«
gros d'une escadre fran^aise partie de Brest avait pu gagner heu-
reusement Louisbourg et Qu6bec; mais trois vaisseaux 6gar6s,
Y Aleide, le Lys et le Royal Dauphin, donnfcrent dans l'escadre
anglaise, le 10 juin 1755, pr6s des bancs de Terre-Neuve. Les Anglais
cngag&rent le combat. Le commandant de Y Aleide « prit lui-m6me
le porte-voix et r6p6ta deux fois la möme question : Sommes-nous
en paix ou en guerre? » Du vaisseau anglais voisin, le Dunkerque, le
commandant « röpondit bien distinetement : « La paix! la paix! » Sur
cela on entendit trfcs distinetement sortir de sa bouche Fire (feu)! II
fut sur le champ ob&. » Le Royal Dauphin Echappa; mais Y Aleide et
le Lys durent capituler. Peu de temps apr&s, Hawke capturait
300 bateaux, d'une valeur de 30 millions.
En Europe, on crut k une rupture imm6diate, mais le Gouvernement
frangais ne s'y r£signait pas encore. Sans doute en apprenant Pentre-
prise de Boscawen, l'6motion fut profonde : « Le Roi, 6crit l'envoyä
prussien, avait Tair fort triste k son grand couvert ». Mais, mfcme
aprös que Rouill6 eut rappelt de Londres l'ambassadeur Maurepoix, le
cabinet frangais nögocia par lintermediaire d'officieux. Pour prouver
sa volonte de rester dans les termes du droit, Louis XV ordonna de
relächer Thomas Lyttleton, gouverneur de la Caroline du Sud, saisi
par une frEgate fran^aise en allant rejoindre son poste. II fallutcepen-
dant se rendre k l'Evidence; fin d£cembre 1755, le cabinet frangais se
resolut k Tin6vitable.
PROJET VUNE
DIVERSION
EX ALLE U ACNE.
La Cour de Versailles demanda aide k celle de Madrid, l'Espagne
<Hant le seul pays qui püt, par sa marine, lui 6tre d'un secours efficace
contre TAngleterre : eile n'obtint que le conseil de s'aecommoder avec
les Anglais. A la Cour, d'Argcnson, Belle-lsle et dautres pensaient
que ce serait jouer une partie inegale que de limiter la guerre k une
lutte sur mer et aux colonies, et qu'il fallait attaquer en Hanovre le
< asa >
CHAP. II
La Guerre de Sept Ans.
roi d'Angleterre, et, aux Pays-Bas, son alliee Marie-Th£rese : ni Tun
ni lautre n'etaient en 6 tat de defendre ces possessions, disaient-ils,
contre les forces francaises auxquelles on croyait que se joindraieni
Celles du roi de Prasse. « Si j'elais roi de France, avait dit Fräderic
au chevalicr de Latouche, je ferais marcher un corps de troupes
considerable en Westphalie pour le porter tout de suite dans T61ec-
torat de Hanovre, c'est le raoyen le plus sür de faire chanter ce... ».
— Venait ensuite une injure ä Tadresse du roi d'Angleterre. — Mais
Louis XV trouvait indigne de lui d'envahir les Pays-Bas, Marie-
Therese etant en train de se degagcr de l'alliance anglaise. D'autre
pari, la marquise de Pompadour craignait qu'une guerre sur terre
n eloignat d'cllc le Roi. Enfin Machault, jaloux de d'Argenson, vou-
lail reserver ä la marine toutes les ressources disponibles. Ce gou-
vernement divise etait incapable de choisir une politique.
LAngleterre, se sachant impuissante ä defendre les Pays-Bas et le
Hanovre, leur chercha des protecteurs. A Vienne, oü eile s adressa tout
da bor d, laccueil fut mauvais. Desinteressee dans la querelle des
puissances maritimes, Marie-Therese souhaitait d'y rester Prangere;
par honneur, cependant, eile aeeeptait de remplir les engagements
qu'elle avait pris en 1743 au traite de Worms envers le roi George,
pourvu que celui-ci rempllt les siens envers eile; mais, pour cela, il
aurait fallu quil envoyal des troupes anglaises sur le continent, et le
Parlement britannique ne Taurait pas permis; la negociation fut
rompue. En Hollande, le succes ne fut pas meilleur. En mai 1755, les
Hollandais representerent ä un envoyä d'Angleterre le mauvais «Hat
de leurs frontieres et le manque d'argent. Lenvoyä, qui n'avait pas
d'argent ä oflfrir, dut rembarquer.
Le cabinet britannique voulut tout au moins garantir le Hanovre;
le roi George, plus Allemand qu'Anglais, n'eüt point pardonnö ä ses
ministres la perte de son electorat. Mais TAngleterre ne pouvait rien
esperer des princes allemands, tant que la Prusse resterait hostile ä
TAngleterre, et il n'y avait rien h faire non plus avec le Danemark ni
avec la Suede. Restaitla Russie, c'etait un grand rfoervoird'hommes;
les consciences y etaient venales et d'un prix m6diocre. Depuis deux
ans, sir Hanbury Williams y ne>ociait; il räussit a conclure le traite
desirc, le 19-30 septembre 1755. Llmperatrice Elisabeth s'engageaitä
maintenir en Livonie, ä la disposition du roi d'Angleterre, un corps
de 55 000 hommes pour deTendre le Hanovre, et une flotte de 40 k
50 galeres. George verserait a son allie" une anmute 1 de 100000 livres
entemps depaix, de 500000 en cas de guerre.
Ce fut ce succes diplomatique de T Anglet erre qui, contre Tatterte
du cabinet anglais, döchalna la guerre europeenne, en provoquant un
NiGOCTATlOffS
ANCLAISBS
roun
LA PROTECTION
DU HANOVRE.
L'ALLIANCB
ANGLO-RUSSB.
*53
LEpoque de Madame de Pompadour. liyrb m
dispositions revirement du roi de Prasse. Fr6d6ric II, depuis la paix d\Aix-la-Ch8-
db frbderic ii pelle, j ugeait sa Situation fort pröcaire. II se savait entourä dennemis. 11
de lanclbterrb ava * 1 P u se conva * ncre de linimitte persistante deTAutriche, qui faisait
une guerre de chicanes elde pamphlets ä proposde Fex6cution de la paix
de Dresde. D'autre part, il 6tait en trös mauvais termes avec le roi
George ; il professait ä l^gard de son oncle des sentiments fort peu fami-
liaux, que sa plume et sa langue trahissaient avec une Igale indiscrä-
tion. Depuis 1750, il n'entretenait plus d'agent k Londres; il avait sol-
licitö le rappel de l'ambassadeur anglais k Berlin. Lorsque la Cour
de Londres eut refusö d'indemniser des sujets prussiens pour la
capture de leurs vaisseaux pendant la guerre pr6c6dente, Fr6d6ric
concentra prös du Hanovre une petite arm6e.
inquibtudes Mais il ölait tr&s inquiet du cöt6 de la Russie. Le chancelier
que lüi donnb Bestoujef conseillait ä la tsarine de dälruire la puissance prussienne,
la russie. q u j f a j sa jj ( bslacle aux progräs des Russes dans la r£gion baltique.
Le roi de Prusse savait la faiblesse de Torganisme moscovite et com-
parait Tarmee russe k un corps robuste sans töte; mais Thostilitö de
la Russie paralysait ses mouvements. Elle 6tait son « croquemitaine ».
lb roi de prusse A tant dennemis ou de malveillants, Fr6d6ricne pou vait opposer
et laluancb q ue la France, et il trouvait le contrepoids insuffisant. Admirable-
FRANSAisB. ment renseigne* par ses ambassadeurs k Paris, surtout par le perspi-
cace Knyphausen, il connaissait les misöres du cabinet frangais.
« Ce qui me frappe plus que tout cela, ecrivait-il, c'est la grande indifference
avec laquelle les rainistres de France regardent ces affaires, et la vivacitä trop
remarquable avec laquelle les ennemis de la France poursuivent leur plan pour
lasscr sa puissance et la mettre hors d'influence dans toutes les affaires de
l'Europe, sans que les susdits rainistres emploient aucun des moyens qu'il
faudrait pour prevenir toutes les suites facheuses qui resulteronL •
Le roi de Prusse 6tait donc d6cid6 ä ne pas se compromettre avec la
France. Aussi le conflit qui s'annonQait aux colonies Tavait inqui6t6 :
il chercha le moyen de Tempöcher de d£g6n6rer en une guerre oü il
pourrait £tre englobä, donna des conseils, proposa des plans et se
d£roba quand on lui parla d\v coop6rer. II voulait gagner du ternps
jusqu'au moment tr&s prochain oü Talliance avec la France expirerait.
II däfendait k Knyphausen de parier de renouvellement : le mieux
6tait de garder les mains libres.
lalliascbasglo- \ la nouvelle qu'un rapprocheraent anglo-russe ötait en nlgo-
prussiesnb. ciation, il pensa qu'il pourrait tourner T6v6nement k son profit, en se
rapprochant de TAngleterrc. Depuis quelque ternps, la Cour de
Londres changeait de sentiments ä son 6gard. Redoutant la r£pu-
gnance du Parlement ä voter des subsides, eile craignait de
recourir ä la Cooperation armäe de la Russie; mieux valait larendre
< ?54 >
CBAP. II
La Guerre de Sept Ans.
inutile en metlant le Hanovre ä Tabri de toule attaque par une
entente avec la Prusse; l'Angleterre garderait ainsi le b6n£fice de
lamitiö russe sans la payer trop eher. Des avances furent donc faiies
ä Fröd6ric, qui les accueillit avec empressement. Un traitö d'alliance
defensive fut conclu le 16 janvier 1756 ä Westminster : les deux puis-
sances s'engageaient ä maintenir la paix en Allemagne en s'opposant
ä l'enlr£e ou au passage d'arraöes 6trang&res.
Pour la premifcre fois depuis 1748, Fr6d6ric se jugeait en complöte
söcurilö. Par cette adjonetion ä l'alliance de PEtersbourg, il « muselait
Tours russe », sans s'exposer ä rien, et d£jouait les mauvaises inten-
iions de Marie-Th6r&se. Quant ä la France, il ne se dissimulait pas
que sa volte-face y d£chainerait la col&re; mais il croyait que la mau-
vaisc humeur passerait vite; les Francais coraprendraient que, sous
peine de ruine, il avait du se rapprocher de George II, et quel profit
auraient-ils retir6 de sa ruine? Au contraire, ami des bellig^rants, il
pouvait contribuer ä la paix par ses bons offices. Sans doute, la Cour
de Versailles devait renoncer ä l'invasion du Hanovre; mais, depuis
le Iraite anglo-russe, Tentreprise 6tait impraticable. D'aillcurs, le roi
de Prusse avait mänagä ä la France des compensations Eventuelles :
pour lui permettre d'entreprendre la conquöte des Pays-Bas aulri-
chiens, il les avait exclus, par unarticle secret du traite de Westminster,
de la neutralite que l'Angleterre et lui garanlissaient ä l'Allemagne.
Au^si avait-il tranquillement, dös le däbut des pourparlers avec le
roi George, annoncö en France qu'on lui faisait des ouvertures impor-
tantes et demand6 Tenvoi d'une personne avec qui causer.
11 se trompa sur les dispositions de la France. A Versailles, on
dEcouvrit peu ä peu les intentions du roi de Prusse. On afleeta d'abord
de ne pas s'en inquiöter. Comme le Roi ne pensait pas alors ä faire la
guerre sur le continent, il ne voulait point paraltre atlacher un trop
grand prix au renouvellement du traitö d'alliance avec la Prusse. On
ne se pressa pas d'envoyer ä Berlin la personne que demandait
Fr6d6ric; mais lorsque cette personne, le duc de Nivernais, apprit
de lui la conclusion du traitä de Westminster, le parti prussien ä la
cour de France eut beau conseiller au Roi d'aeeepter les choses
comme elles se presentaient, et de renouveler le traite en aeeeptant
la neutralite allemande; Louis XV se resolut ä prGter Toreille aux
propositions que la Cour de Vienne lui faisait parvenir en secret.
sicuniTi
DB PR&DäRIC.
LOUIS XV
S'ÄPPBBTB
A ROM PUB
AVBC LUI.
Depuis la paix d'Aix-la-Chapelle, le prineipal conseiller de
Marie-Thörfcse, Kaunitz, s'obstinait & la röconciliation de la France et
de l'Autriche. II jugeait que la seule ennemie de lAutriche 6tait la
Prusse, et que, pour reprendre la Sil6sie, le concours de la France
AVANCBS DB LA
COUR DB VIBNNB
A LA FBASCB.
< a55 >
LA POUTIQOB
DB KAUN1TZ
NäGOClATWNS
SBCRETES
RNTRE ACTMCHB
BT WASCE.
L'ttpoque de Madame de Pompadour. um m
etait indispensable. Envoye comrae ambassadeur k Paris au mois
d'octobre 1750, Kaunitz fui le plus seduisant des ambassadeurs.
Grand el beau, de mani£res nobles, et portant sa pemique en « lacets
d'amour », il fit Sensation k Versailles et k Paris, raena grand train,
re$ut les philosophes et les financiers et fit le liberal. II disait que les
querelies des grandes puissances avaient pour origine des intrigues
de roitelets, et qu'il suffirait de l'union de la France et de l'Autriche
pour imposer la paix k TEurope. II crut d'abord qu'il ne convaincrait
pas la Cour de France, et, au moment oü il quitta Paris, au debut de
rannte 1753, pour aller reprendre k Vienne la direction de la chan-
cellerie, il conseillait k Marie-Ther^se de se räsigner k la perte de la
Sil£sie et de se rapprocher de Frederic. II sembla alors aux agents
etrangers un champion d6vou6 de l'alliance anglaise.
Mais ce n 'etait qu'une attitude; en realite Kaunitz ne renon$ait
pas k ses desseins. II alla jusqu'ä l'id£e de gagner la France, au besoin,
par des sacrifices territoriaux. Si la guerre edatait, l'Imperatrice
etait expos^e k perdre dans la querelle ses domaines des Pays-Bas;
ne valait-il pas mieux les c6der pour acheter ä ce prix l'appui de
Louis XV et la reprise de la Sil6sie? Kaunitz exposa son plan dans une
Conference secr&te, tenue k Vienne en aoüt 1755, et les conclusions
en furent approuv£es. Un vaste plan politique s'y trouvait expose :
garder la neu traute dans la querelle entre les puissances maritimes et
employer toutes ses forces contre Frederic II; oflrir k la France
Tabandon des Pays-Bas au gendre de Louis XV, l'infant don Philippe,
en behänge des duchös italiens de ce prince, qui reviendraient k TAu-
triche; remettre immediatement auxautorites fran^aises Nieuportet
Ostende; promettre de soutenir la candidature du prince de Conti
au tröne de Pologne. Cetait de quoi seduire la France; TAutriche,
de son cöte, y trouverait, outre le recouvrement de la Siiesie, de
serieux avantages: eile diminuerait lmfluencc des Bourbons en
Italie, au profit de la sienne. Renoncer aux lofntains Pays-Bas pour
assurer la domination autrichienne en Italie, c'etait un avant-goöt
de la politique de Metternich.
La France accepterait-elle cette toute nouvelle politique? II
fallait compter avec le parti prussien de la Cour et avec la popularite
de Fr^deric parmi les philosophes. Starbemberg, qui avait succ6de k
Kaunitz comme ambassadeur en France, eut ordre de räväler au Roi
lout ce qu'onsavait k Vienne du « mystere de lintelligence secrete »,
qui se tramail en 1755 entre Londres et Berlin, et de prÄcher
l'alliance des maisons d'Autrichc et de Bourbon, « n'y ayant eu qu'une
aveugle animosite et des anciens prejuges qui se soient oppos^s
jusqu'ä present k un ouvrage aussi salutaire et aussi desirablc pourle
a56
CHAr " La Guerre de Sept Ans.
mainticn de la religion catholique et du repos de l'Europe ». Pour que
la n^gociation eüt les meilleures chances de succäs, on voulut ä
Vienne quelle füt trös seeröte. Starhemberg devait faire connattre
le plan arrötö ä Vienne, soit au prince de Conti intöressö au sucefcs de
1'aHairc, soit ä la marquise de Pompadour. Ce fut ä cette dernifcre que
Tainbassadeur prit le parti de sadresser, le 31 aoüt 1755; la favorite
accueillit avec plaisir Touverture et fit däsigner corame n£gociateur
un homme ä eile, labbö de Bernis.
Bernis avait alors quarante et un ans. Cadet de famille, abb£ bsams.
trös profane, petit poöte, il s^tait pouss6 dans le monde et il y avait
reussi. Cherche-fortune, il se crut un jour en droit dobtenir un
bönöfice, quil demanda au cardinal Fleury. « L'abbö, vous naurez
jaraais rien de mon vivant, » räpondit loctogenaire ; Bernis riposta "!
« Eh bien! Monseigneur, j'attendrai ». Les femmes, pour le venger,
se mirent en töte de le faire entrer ä l'Acadömie et y parvinrent; il
fut le premier de son temps ä qui la litterature servit de marche-
pied pour monter aux grandes places. Mme de Pompadour l'y aida.
Ambassadeur ä Venise, en 1752, il repräsenta le Roi avec une gra-
vitö douce, presque sacerdotale, de la souplesse, de Thabiletö, une
connaissance süffisante des affaires. II fut rappelö de Venise pour
causer avec Starhemberg.
11 a racontö dans ses Mimoircs qu'il vit le Roi sans avoir 616 pr&- lb point db vüb
venu de ce qu'on attendait de lui, et qu'il fit ressortir les inconv£nients DB loüisxv.
dun rapprochement avec TAutriche. « Je vois bien, aurait dit alors
le Roi, que vous 6tes comme les autres Tennemi de la reine de Hon-
grie. » Ces mots auraient 6clair6 Bernis sur la volonte de Louis XV;
en outre Mme de Pompadour lui aurait dit les griefs du Roi contre
Frederic; c'est apr&s avoir 616 ainsi instruit de tout, que Tabb6 se
scrait rencontr6 ä Rabiole, chez Mme de Pompadour, avec Starhem-
berg en septembre 1755. Mais Bernis a 6crit trfcs tard, et pour se
justifier, ses Mtmoires; il a voulu s'abriter denrtere la volonte du
mattre. En r6alit£, Louis XV, ä ce momcnt-lä, voulait la paix avec
TAutriche, mais non pas s'allier avec eile contre Fr6d6ric 11. 11
remercia Tlmptfratrice des intentions quelle manifestait; il protesla
que, pour sa pari, il n'avait « rien plus ä coeur que d^tablir dfcs ä
präsent sur des fondements solides uneunion constanteet inaltörable
entre les deux Cours ». II se dlclarait 6mu des rövälations autri-
chiennes sur Pattitude de la Prusse ; mais, « fidöle a sa parole, ä ses
engagements et aux lois de Thonneur, il ne pouvait, sans les preuves
les plus claires et sans les motifs les plus graves, non seulement
rompre avec ses alli6s, mais mßme soupconner leur bonne foi ni les
croire capablcs d'infid6lit6 ni de trahison ». S'il ne voulait pas se
Viii. 2 17
U&poque de Madame de Pompadour.
uvai m
REVIREMENT
DB LA FRANCS.
C0ST1NÜAT10S
däclarer contre la Prusse, il serait tr£s heureux que rimpäratrice,
dans son z6le pour la justice, voulüt bien se däclarer contre l'An-
gleterre et signer avec lui un traitä de garantie r6ciproque sur les
bases dAix-la-Chapelle.
Kaunitz vit bien quc la räponse fran^aise 6lait une däfaite ; mais
il ne se refusa pas ä discuter le plan quon lui soumettait, comptant que
l'occasion viendrait de reparier du sien. C'est alors que survint, eo
janvier 1756, le trait6 de Westminster.
On comprit en France que, si TAutriche, rebutäe par la France, se
joignait ä l'Angleterre, la guerre continentale 6tait fatale et serait
dangereuse. A part Belle-Isle, dont la fid61it6 ä l'ancienne politique
demeurait intransigeante, les ministres furent d'avis de reprendre les
propositions autrichiennes de septembre 1755. Le duc de Nivernais
fut rappelt de Berlin, et l'abb6 de Bernis, qui repr&entait la nouvelle
orientation, passa au premier plan.
Malgrä les dispositions favorables des deux gouvernements, les
despourparlers. pourparlers durörent trois mois. Louis XV acceptait de rompre avec
la Prusse, pourvu que rimpäratrice fit de m£mc ä l'6gard de l'Angle-
terre; Marie-Th6r&se ne voulait pas consentir ä l'engagement quon
lui demandait parce quelle entendait concentrer toutes ses forces
contre la Prusse. Apr&s r6sistance, la France consentit a ce que
TAutriche gardftt la neutralit6 ä l'6gard de l'Angleterre; mais la Cour
de Vienne pr6tendait obtenir, en behänge des sacrifices territoriaux
qu'elle offrait, une Cooperation arm£e contre Fr6d6ric II et le dömetn-
brement de la Prusse. Kaunitz 6crivait :
« Ce qui nous engage ou pourra jamais nous engager ä aecorder les avan-
tages, inestunables pour la monarchie francaise, que nous lui offroos aux Pays-
Bas... c'est uniquement la reprise de la Silesie et du comte de Giatx, ei surtout
un beaueoup plus grand afiaiblissement du roi de Prusse, indispensable a
notre tranquillite, qui en est la reeiproque et la condiUon «nie qod non. »
L'Autriche souhaitait aussi que la France s absttnt d attaquer le
Hanovre : le Danemark et les autres cours protestantes ne le tolire-
raient pas, et la Russie, en vertu du traite anglo-russe de 1755, inter-
viendrait pour proteger l'ilectorat. La Cour de Versailles consentait
a abandonner Fr6d£ric et ä concourir au besoin par une aide p6cu-
niaire ä la reprise de la Silesie ; mais eile ne voulait ni fournir des
troupes, ni admettre la ruine totale de Fr6d6ric. Quant au dlmem-
brement de la Prusse, £crivait Starhemberg, le «7 ftvrier 1756, « le
Roi ne se pröterait jamais ä cetle proposition ».
us premier Pour concilier ces points de vue presque opposäs, il fallait beau-
traitk C0U p j e temps. Kaunitz resolut de consacrer les r&ultats acquis
ÜB VERSAILLES • .
par un premier trailä quon ferait suivre le plus tot possible d'un
258
cuap. ii La Guerre de Sept Ana.
second. Le gouvernement de Louis XV, pressö de se signaler eo
Europe par une grande manifestation diplomatique, admitcetle id6e;
le 1" mai 1756, fut signä ä Jouy, dans la maison de plaisance de
Rouille, le traite d'alliance entre l'Autriche et la France, connu sous
lc nora de premicr traite de Versailles. LAutriche prenait l'enga-
gcmcnt cTobserver la neutralitä absolue dans le conflit soulevä entre
la France et TAngleterre; de son cöt6, la France promettait de res*
peeler to us les territoires appartenant ä Marie-Th6r&se, notamment les
Pays-Bas. Lesdeux puissances se garanüssaient r&iproquement leurs
possessions en Europe, et convenaient que si Tune d'elles £tait lobjet
d'unc agression quelconque, lautre lui porterait secours avec un corps
de 24 000 hommes.
Puls on continua de causer. la francb
SENG AGB DB PLUS
« Mme de Pompadour est enchantee, assure Starhemberg, de la concluaion EN PLUS contre
de cc qu'elle regarde comme son ouvrage, et m*a fait asaurer qu'elle ferait de LA PRUSS e,
sonmieux pour que nous ne restions pas en sibeau chemin. • — « Elle m'a fait
savoir que loutes les fois que je voudrais faire parvenir quelque chose direc-
tement au Roi, je pouvais lui demander un rendez-vous et qu'elle avait dejfc la
permission de me voir en parUculicr toutes les fois que je le voudrais. »
Le 13 mai, l'ambassadeur demande ä sa cour de marquer ä la
favorite sa reconnaissance des Services quelle a rendus :
• II est certain, ecrit-il & Kaunitz, que c'est h eile que nous devons tout, et
c'est d'elle que nous devons tout attendre dans Tavenir. Elle veut qu'on l'estime,
et eile le merite en effet. Je la verrai plus souvent et plus particulieremeat,
lorsque notre alliance ne sera plus un mystere, et je voudrais avoir pour ce
temps-lfc des choses ä lui dire qui la flattassent personnellement. •
Quant ä Bernis, il est plus enthousiaste encore que sa protec-
tricc ; il pousse ä Taventure dont il prttend dans ses Mimoirt* qu'il
a mesur^ tous les risques. Les ministres, m6me les plus hostiles au
döbut, donnent leur adhösion. Des g6n6ralit£s, on arrive aux prici-
sions. La France aeeepte Tinstallation de linfant don Philippe aux
Pays-Bas, mais eile prtfererait 6tre mise directement en possession
de'ces territoires; eile demande des places de sürete qu'on lui
remettra on exhange de ses avances p^euniaires ; ä ces conditions
eile se ralliera « au plus grand affaiblissement du roi de Prusae ».
LAutriche se fait un peu prier pour admettre Tabandon des Pays-
Bas : mais cest pour obtenir de la France un concours plus efficace.
L'on parle d6jä ä Versailles comme & Vienne du partage de 1«
monarchie prussienne.
Pendant qu'on s'aeheminait ainsi vers l'entente, Kaunitz agissait pounqn müsse.
k Saint-PStersbourg. En apprenant la signature du traiW anglo-
prussien de Westminster, le gouvernement ruase avait 6W fort irrit*.
< a5o, )
L'tipoque de Madame de Pompadour. uvre n
Quand Tambassadeur d'Angleterre aupres de la tsanne avait d£clar6
que l'adh^sion de la Prusse ä lalliance anglo-russe laissait k celle-ei
sa valeur primitive, eile avait protest6, le traitä de P6tersbourg ayant
6t6 conclu par eile en vue d'une guerre contre la Prusse. Sans rompre
avec FAngleterre, la Russie continua de pr6parer la guerre contre
Frädöric, et, lorsque Tambassadeur d'Autriche, Esterhazy, informa,
au mois d'avril, la Cour de Saint-Pötersbourg des pourparlers avec
la France, et deraanda si, le cas 6ch6ant, lAutriche pouvait compter
sur Taide de la Russie, la tsarine röpondit qu'elle 6tait dispos6e k une
triple alliance offensive, et mörae pröte k entrer en campagne. Ce n'elait
point laflaire de Kaunitz, qui voulait avoir le teraps de masser un
plus grand nombre de troupes en Boh&me et en Moravie et de pousser
plus avant les nögociations avec la France; mais c'6lait une chose
importante que Tassurance oü il 6tait du concours de la Russie.
De plus, la Cour de Vienne envisageait la Cooperation de l'älecteur
de Saxe, roi de Pologne, et celle de la Su&de.
FR/tOÜRIC ENTRE
EN CAMPAGNE.
SECOND TRA1T&
DE VERSAILLES.
L'initiative hardie de Fr6de>ic survint au milieu de ces nögocia-
tions. II avait connu, d6s la (in de 1755, le rapprochement de la France
et de lAutriche; mais il ne crut pas possible une alliance eflfective
entre les deux Cours. L'atlitude de la Russie le präoecupait davan-
tage. De toutes parts lui arriverent des nouvelles inqutetantes. II
cut communication d'une däp&che qui prouvait Tentente des deux
imperatrices. De Hollande, il apprit que Marie-Th6rese avait prid
la tsarine d'arrßlcr les pr6paratifs militaires qu'elle jugeait pr6ma-
turös : la paix n'ötait donc prolongäe que pour mieux pr6parer
la guerre. Alors Frädöric jugea que, si la coalition räussissait k
concerter ses plans, il ötait perdu. Apres avoir inutilement demandö
k Vienne des explications sur les armements autrichiens et la pro-
messe qu'il ne serait pas attaquä, il se resolut k prendre loffen-
sive. Le 28 aoüt 1756, entre 4 et 5 heures du soir, la garnison de
Potsdam clant rassemblee sur la place de parade du ch&teau, il monta
k cheval et se mit k la töte des troupes. Son objeetif 6tait la Saxe,
qu'il avait dejä occup6e dans la guerre pr6cedente. Les pr&extes et
mßme les raisons ne manquaient pas; il savait les nägociations
saxonnes avec ses ennemis; lärmte de T61ecteur-roi n'&ant pas pr&te,
le succes ötait certain. Quand la Cour de Vienne verrait son adversaire
k la frontiere de Bohöme, peut-ötre se montrerait-elle plus prudente.
Le 15 octobre, Frödöric faisait capitulcr l'arm6e saxonne k Pirna; il
laissa la libertö aux offleiers, mais incorpora les soldats dans son armöe.
L'occupation de la Saxe indigna d'autant plus la France que la
Dauphine ötait fille d'Auguste II I. A Versailles, se re forma sur-le-champ
< 260 >
CHAP. II
La Guerre de Sept Ans.
un parti de la guerre continentale, qui eut pour lui deux miuislres
de la Guerre, d'abord le comte d'Argenson, et, apr&s sa disgräce, le
maröchal de Belle-Isle. L'ambassade de Vienne passa aux mains d'un
Lorrain ä sympathies autrichicnnes, le comte de Stainville; Bernis
allait devenir secrötaire d'fitat des Affaires 6trangexes f ; Marie-Th6r6se
reclama laide promise par la France au traite de Versailles. Bernis
commencjait ä s'inquiäter; il aurait voulu qu'au moins la France ne
tombat pas dans la d£pendance de ses alliös ; mais il 6tait däbord6. Au
lieu des 24000 homraes prorais, le ministre de la Guerre en arma
45 000 « a cause de la Dauphine ». Un second traitä futsign6 ä Ver-
sailles avec TAutriche, le l €r mai 1757. Les contraetants y d£claraient
la nöccssitä « de röduire la puissance du roi de Prusse dans de telles
bornes qu'il ne soit plus en son pouvoir de troubler ä Tavenir la
tranquillitö publique ». La France s'engageait ä payer, outre les
24000 auxiliaires promis par le premier trait6, 6000 soldats alle-
mands; ä employer enAllemagne 105000 hommes de troupes fran-
Qaises, a payer ä l'impöratrice un subside de 12 millions de florins; a
continuer la guerre jusqu'ä ce que rAutricbe füt mise en possession
de la Sil£sie. En 6change, l'Autriche promellait ä la France la souve-
rainet£ de Chimay et de Beaumont, les villes de Mons, Ypres,
F'urnes, Ostende, Nieuport et le fort de Knoche; Ostende et Nieu-
port lui seraient remis aussitöt apr&s la ratification du traitl, et les
autres territoires apr&s que TAulriche aurait r6cup£r6 la Sil6sie. Le
reste des Pays-Bas et le Luxembourg seraient donn£s a l'Infant don
Philippe, en 6change des duch6s italiens, Parmc, Plaisance et Guas-
talla, qui feraient retour ä Timp^ratrice.
Sil n'y avait eu d'autre guerre que la guerre continentale, oneüt isicAuri
compris unealliance franco-autrichienne, oü les deux partiesauraient dans laluancb
trouv6 leur avantage. Encore la part de TAutrichc aurait-elle 6t6 la
plus belle, puisqu'elle aurait, apr&s vicloire, reprisla Sil£sie et acquis
lesduch^s italiens, pendantque la France n'aurait re^u qu'une partie
dos Pays-Bas, le reste revenant ä don Philippe. Mais, au moment oü
Louis XV s'engageait plus avant dans Talliance autrichienne, la
guerre avait commenc6 sur mer et aux colonies depuis trois ans
entre Anglais et Francis. Tandis que la France s'engageait ä ne pas
traiter avant que TAutriche eüt satisfaction du cöte* de la Prusse,
1'Autriche promettait seulement de s'cmployer a faire conserver
Minorque par la France et ä lui faire rendre la pleine disposition de
Dunkerque. 11 s'en fallait donc de beaueoup qu'il y eüt entre les
obligalions des deux alüls une exaete röciprocil£.
i. Bernis n eut la Charge de «eeretairr d'Etat quen jolo 17S7, mala II dirigealt eJfoeti-
▼ement les Affaires elrangeres depois pres de deux ans.
FRANCO-
AUTMCHlBNtiB.
< 261 >
LÜpoque de Madame de Pompadour.
lithi m
UiS
ttEUW&BANTS.
LKS NFFKCTIFS.
rnäü&iuc-
LB-CHAND.
II. - LES OPERATIONS CONTINENTALES DE LA
GUERRE DE SEPT ANS: D&BCJTS DE CHOISEUL (1756-
1 763).
LA guerre allait mettre aux prises presque toutes les puissances
de FEurope. L'objet principal en etait la destrucüoii de la puis-
sanco prussiennc. Diverses Conventions avaient 6t6 sign£es; k F£lec-
teur de Saxe, roi de Pologne, avait St£ promis le territoirc de Magde-
bourg; au roi de Sufale, la Pomtfranie; la Russiese r&servaitle pays
de Prusse ; Frödlric aurait et* r£duit au Brandebourg. Mis au ban de
('Empire, il eut contre lui toutc FAllemagne, exceptä le Brunswick,
la Hesse-Cassel et le Hanovre. Sa perte semblait certaine. De FAn-
gletcrre, le roi de Prusse ne pouvait pas attendre grand secours;
on y avait mal accueilli le traitö de Westm inster; on y 6tait
peu disposö ä donner des subsides, encore moins ä envoyer des
soldats; on voulait r6server Fargent et les hommes pour la guerre
maritime et pour la defense du territoire, que Fon croyait menac6
d'une descente frangaise.
Fr6döric, qui, depuis Fannie 1752, avait grandement accru ses
effectifs, arm£ ses forteresses, pr£par6 ses magasins, exercä des
troupes, se trouva en 1757 ä la töte d'une arm£e de 147000 hommes.
Mais les troupes autrichiennes atteignirent en 1758 Feffectif de
133000 hommes; la France avait promis d'entretenir 24 000 hommes
de troupes auxiliaires et une armäe de 105 000 hommes. L'armäe
russe comptait environ i 10 000 hommes. Si Fon ajoute & ces armäes
les troupes d'Empire, on voit que le roi de Prusse allait combattre ä
1 contre 3.
Frödöric avait des angoisses quil confiait ä ses familiers. II so
comparait & un cerf poursuivi par une meute, ou bien & Orph6e
döchirl par les M£nades, ou bien ä un chöne qui rösiste & la tempgte
et ä la foudrc. II donnait ses ordres pour le cas oü il serait fait pri-
sonnier ou tuö; mais, au fond, il a confiance en lui. II se sent en
possession de son g£nie et de sa mcthode. Sa m&hode, c'cst studier ä
fond la campagne ä faire, dresser ses plans apr&s examen de toutes
les dvcntualitfe possibles, les discuteravec ses g6n£raux, 6couter les
objcctions, accepter möme les contre-projets auxquels il ajoute sa
marque. Par ses concentrations rapides, il est toujours pr£t ä devancer
Fennemi; il est Fhommc des offensives audacieuses. Pour lui, la guerre
de forteresses n'est que secondaire; Fessentiel c'est la bataille. Sans
s'inquiöter de Finf&rioritö numörique, il cherche & couper Fennemi de
ses magasins et de sa base d Operations. Sur le champde bataille, oü
< 262 >
o*i>. H La Guerre de Sept Ans.
il pralique • l'ordre oblique », i) improvise des mouvemenls hardis,
sachant ce qu'il peut oscr avcc lel ou tcl advcrsaire, dont il connall le
lemperaraent. II a une belle artillerie pour engager la bataille, une
belle cavalerie, qui, sous les ordres de Ziethen el de SeydUtz, deux
des plus fameux cavaliers d'Europe, Charge - en mureille » ; son Infan-
terie est dressee aux feux de salve ä succession rapide. II a des gene-
raux eicellents, Winlerfeldl, Maurice de Dessau, le duc de Bevern,
Ferdinand de Brunswick. Enfin, il lient son annee bien en main. Au
debul de la guerre, eile esl compos£e moitie d'elrangers, moilie de
Prussicns ; peu a peu la proportion des indigenes s'accrotlra. La dis-
cipline esl exlremement rigoureuse, mais Frederic sail se faire aimer
du soldat; il s'interesse a lui, veille ä ses besoins et soit les mots
qu'il faul lui dire. L'armee aime fanatiqucmeiit * le vieux Fritz». Un
aulre fanatisme s'ajoute a celui-la : les soldats de Frederic, presque
lous prolestanls, croient combatlre pour leur foi contra la coaliUon
calholique de l'Autriche et de la France. Aucune autre arme« ne pou-
vait etre comparee a celle-la, non plus qu'aucun autre prince ou
general ä cel homme extraordinaire, qui portait dans sa tele la for-
tune de son Etat.
La France n'avail pas de grand nomine de guerre, ni de grand
minislre de la Guerre. La fortune de ses generaux döpendait souvent
drs faveurs el caprices de la Cour; Mme de Pompadour el Paris-
DuverncY procuraienl des commandemcnls en chef. Louis XV avait
son « secrel » pour la guerre comme pour les affaires etrangeres. Le
principal agenl de la diplomatie secrete, le comle de Broglie, adjoint
comme marechal general des logis au duc son fröre, correspondait
direclement avec le Roi. Les gGneraux en sous-ordre ecrivaient en
Cour, et recriminaienl contra leurs chefs. L'n jour, on entendit le
comle de Sa int -Germain dire, en montrant le quartier general du
dur de Broglie : • Voila lenneroi ! • Les generaux en chef se detes-
tnienl el sc jalousaient, jusqu'ä rfMrc capables de se trahir devant
l'ennemi. Des oflWers prötendnienl vivre en lemps de guerre avec
le luse auquel ils ^latent habilues en lemps de paix; un des gene 1 -
niux en chef. Richelieu, pillora scandaleusemenl le Honovre ;
lexcmple du pillnge etail donne de haut aux soldats. Enfln les troupes
elaicnt insiiffisnmmenl instruile*. l'armee mal oulülee, la cavalerie,
enclinr ä se ruiner par de belles charges infruetueuses. Les defauls
de rinslitiilion militaire et le d^sordre de l'Elal sc firenl seniir pen-
dant la malhcureuse guerre.
Les Busses sonl commandes par des generaux, qui, pour la
pluparl Prangers, ne sonl pas aimes du soldat, et craignent d'elre
desservis a la Cour, pleine d'intrigues, oü personne n'esl assure de
< a61 »
fahles sa
MIL1TAIKE
DB LA riUNCB.
L'Epoque de Madame de Pompadour.
LIVRK III
sod credit. Aucun d'cux n'est de grande valeur. Un des meilleurs,
Apraxine, avoue ne pas avoir les qualitös d'un g6n6ral en chef.
les autrichiens. Les Autrichiens s'ätaient depuis longtemps pr6par6s ä combattre
le roi de Prusse. Lorsque la guerre ful sur le point de commencer,
un comitä de pröparatifs militaires fut adjoint au conseil de la Guerre.
Les troupes 6taient bien armöes ; lartillerie, trds forte, avait 616 per-
fectionnee. Mais le commandement g6n6ral etait däfectueux, et les
jalousies entre gänäraux et les plaintes en Cour aussi fräquentes qu'en
France. Les g6n6raux 6taient en dösaccord sur la mäthode de la
guerre; les uns voulaient Toffensive et la bataille; les autres pr£fe-
raicnt la raarche prudente, la fortiücation en campagne, la perpltuelle
defensive. Daun, le principal des g6n6raux, ä qui une victoire sur
Fr6d6ric, au commencement de la campagne, donnera de Tautorit^,
tenait pour la seconde m&hode. L'essentiel pour lui 6tait de ne pas
£tre vaincu, de garder son arm6e. Ainsi sera perdue mainte occasion
de combattre avec la sup6riorit6 du nombre.
Les coalisäs ne se concert&rent jamais särieusement entre eux.
Les Francais agiront dans l'ouest, les Busses au nord-est, les Autri-
chiens au sud, en Saxe et en Siläsie. Fr6d6ric combattait ä 1 contre 3 ;
mais ces trois-lä, il ne les trouva jamais r£unis contre lui.
PAS DB CONCBRT
BNTRE
LES COALISES.
LA CAMPAGNE
DB 1757.
LA PRBMI&RB
D&FAtTE
DB FRÜDÜRIC.
SUCCßS
DE LA FRANCE;
CAPITÜLATION
DB CLOSTBR-
SBVBN.
Cependant la guerre commenga mal pour Fr6d6ric. Au prin-
temps de 1757, il envahit la Boheme, bat Charles de Lorraine devant
Prague, le 6 mai, et bloque dans la ville une partie de l'arm6e
vaincue; mais, les Autrichiens commandös par le mar6chal Daun
arrivant par la Moravie et le haut Elbe, il marche contre eux,
et se fait battre ä Kollin, le 18 juin. Les Prussiens lövent le stege
de Prague et reculent derrtere les monts des G6ants. C'ltait la pre-
mi&re fois que Fr6d6ric 6tait vaincu. Les Cours de Vienne et de Ver-
sailles se congratul&rent; Starheraberg 6crivit ä Kaunitz que le
Boi, les ministres, le public ätaient transportes de joie, et ne le
seraient pas davantage « si les armöes fran^aises eussent remportö
la victoire ».
Cependant deux arm6es fran^aises sont entröes en Allemagne :
l'une, sous le commandement de Soubise, a remontä le Mein et ralliä
& Wurtzbourg, lärmte de l'Empire command£e par Hildburghausen;
lautre, sous le commandement du maröchal d'Estr£es, s'est avanc6e
en Wcstphalie. Le 26 juillet, celle-ci bat ä Hastenbeck le duc de
Cumberland, fils de George II, qui commandait les forces röunies de
Hesse, de Brunswick et de Hanovrc. D'Estr£es, qui avait m£content6
Du Verney par des plaintes sur les subsistances, fut alors remplacä
par le duc Bichelieu; Du Verney conseilla d'occuper le Hanovre et
a64
cbap. ii La Guerre de Sept Ans.
toutc la rive gauche de TElbe. Minden, Hanovre, le Brunswick, la
Hesse-Cassel, les duch£s de Verden el de Bröme furenl occupäs cn
eflct par Richelieu. Cumberland se retira vers TElbe et se laissa
acculer sous le canon de Stade. II entra en nägociaüon k Closter-
Seven; par la capitulalion du 8 septembre 1757, il posa les armes,
en s'engageant k ne plus servir contre la France et ses alliös.
G'est le roi George qui avait ordonnä k son fils de capituler.
Dlsesperant de laide prussienne aprös Kollin, il voulait sauver son
electorat. 11 imagina que le traitä de Westminster, sign6 entre
l'Angleterre et la Prusse, nengageait pas le Hanovre; il songcait k
faire la paix en tant qu'61ecteur de Hanovre et priait le roi de Däne-
mark d'intervenir comme mldiateur, tout cela k l'insu de son minis-
t&re. Mais Fr6d£ric se plaignit au ministöre anglais, et les repr£senta-
tions des minist res au roi George füren t si vives qu'il d£savoua
le duc de Cumberland. Le cabinet britannique attendit l'occasion
d annoncer la rupture des engagements de Closter-Seven.
De son cötö, Fr6d6ric avait essay6 d'entrer en pourparlers avec la Situation
Frnnce. Apr&s la capitulation de Closter-Seven, il envoya mCme deux cmtiqüb bu noi
aides de camp causer avec Richelieu; mais il ny avait rien k faire du DE pno ^ SB -
cöte de la France, de plus en plus engagöe avec TAutriche. En sep-
tembre, les mauvaises nouvelles se succld&rcnt au camp de Fr6d6ric.
Le 6, il apprenait que, dans le pays de Prusse, les Russesavaient battu
son lieutenant Lehwaldt k Jägersdorf, et, quelques heures aprös, que
Winterfeldt, charg6 de la defense de la Sillsic, avait tft6 bless£ k
mort. Winterfeldt mourut le lendemain; son successcur, Bevern,
6vacuera la Silösie en octobre. Le 13 septembre, les Su6dois sont
entrös en Pomöranie. Richelieu est libre de se porter sur le Brande-
bourg ou sur Magdebourg; Soubise et Tamile d'Empire menacent la
Thuringe ou la Saxe. De quel cöt6 faire front? Frtfdöric se dlcide k
signer l'ordre de faire Ivacuer le pays de Prusse par ses troupes; il
se d^fendra en Saxe et en Brandebourg; mais, ne sachant oü il sera
attaquö, il vad'un poinl h un autre. En octobre, ildoitcourirä Berlin,
les Russes ayant fait une pointe jusqu'ä cette ville. « Mes ennemis
sont trop », disait-il. II avouait alors Terreur qu'il avait commise en
croyant, au moment d'entrer en campagne, que la France ne donnerait
k l'Aulriche qu'un appui moral; il n'avait jamais pensö avoir sur
les bras 150 000 Francais. II pnrlait de mourir « I'£p6e k la main »,
mais les faules de ses ennemis le sauv^rent. Les Russes, Thiver venu,
£vacu£rent presque toute la Prusse; les Sufrlois n'avanc&rent pas; les
Autrichiens (Haienttrös prudents; Richelieu pillait le Hanovre ; Tarmle
d' Mildburghausen et de Soubise commen^a une marche dhiver qui
devaitaboutir k un dlsastre.
< a65 >
Vipoque de Madame de Pompadour.
litrb m
rosbacb. Les troupes des « Cercles », fournies par l'Empire, en cons6quence
de la mise au ban de Fr6d6ric, 6taient des milices mldiocres, sans
cadres solides, sans discipline, inexp^rimentäes, sans convois orga-
nisls. A leur contact, lärmte de Soubise tomba dans la confusion;
eile perdit ses Iquipages; sans vivres, d6penaill6e, eile vivait de
maraude. Les deux g6n6raux auraient voulu ne pas combattre. Con-
formäment aux ordres regus de Versailles, Soubise se prgparait a
prendre ses quariiers dhiver : il songeait au si&ge de Magdebourg
pour le printemps. Fr6d6ric, qui däsirait avoir bataille, n'esp6rait
pas 6tre attaqu6; mais la cour de Vienne ordonna de combattre.
Hildburghausen et Soubise rencontrörent Fr6d6ric ä Rosbach, sur la
hve gauchede la Saale. L'armäe des premiers complait60 000 hommes ;
les Prussiens 6taient 20 000. Le 5 novembre, Fr6d6ric dirigea contre
les posiüons ennemies une attaque qui ne räussit pas; Imp6riaux et
Francis essay&rent alors de Tenvelopper. Pendant cette manoeuvre,
mal conduite par le g6n6ral imperial malgrä les avis de Soubise
et de Broglie, la cavalerie prussienne enfon$ait les Imp6riaux. Ce fut
une immense däroute, au milieu de laquelle tinrent seules les deux
brigades command6es par le comte de Saint-Germain, et le rägiment
de Piämont, qui aima mieux « crever » que de lacher pied. L'armäe
vaineue se dispersa pillant et saccageant.
lbuthen. bffbts Par la däfaite de cette arm6e, la Saxe se trouva d6gag6e. Fr&Wric
des vjctoirbs courut cn Sil6sie, oü les Autrichiens command£s par Charles de
Lorraine venaient de prendre Breslau. II attaqua l'ennemi ä Leuthen,
le 5 d£cembre. Ce fut la plus 6tonnante de ses victoires; il ßt
22 000 prisonniers et prit 131 canons, 51 drapeaux et 6tendards. Quinze
jours aprös, il rentrait dans Breslau; il reconquit toute la Sil&ie.
LefTet de cette victoire succ6dant ä celle de Rosbach fut Enorme. Les
passions religieuses et nationales s'enflamm&rent en AUemagne.
Fr6d6ric, d^fenseur de l'Allemagne et de l'ävang&isme — tout libre-
penseur qu il fut, il pers6cuta les catholiques de Sil&ie demeurfe
fidäles älAutriche, — fut Tobjet dun eulte enthousiaste. A Versailles,
Bernis parlait de se r^signer a la paix. A Vienne, Marie-Th6r6se, pen-
dant les r^eeptions du 1" janvier 1758, sc lamenta. A Londres, les
rictoires de Fr6d6ric rcsserrfcrent l'alliance compromise par la capi-
tulation de Closter-Seven. George II, violant cette capitulation, reGt
i'armöe de lElectorat ei lui donna pour g6n£ral Ferdinand de Bruns-
wick, pr£t6 par Fr£d£ri<\ Le roi de Prusse projetait, pour l'annäequi
s'ouvrait, une campagne d6cisive en Moravie et en Boheme.
Pourtant la Situation demeurait critique pour lui. Les Russes,
qui oecupaient encore une partie du pays de Prusse, pouvaient ae
< a66 >
CHAP. II
La Guerre de Sept Ans.
porter sur TOder ou la Spree et le prendre k revers. Marie-The>ese
ayanl r£clam6 de la France le corps auxiliaire de 24000 hommes
qu'elle avait promis, Louis XV s'engageait le 4 fevrier k les envoyer
en Boheme. Mais, en Angleterre, William Pitt&ait arrive* au pouvoir
en juin 1757. II allait pousser k fond la guerre contre la France. Fr£-
de>ic, par la Convention de Londres d'aoüt 1758, obtint que 1 'Angle-
terre lui paierait un subside de 670000 livres Sterling, et que TAngle-
terre et le Hanovre cntretiendraient une armäe de 55 000 hommes en
Allemagne. Plus encore que par Taide des Anglais, il fut secouru par
l'incapacitä de ses ennemis.
Russes, Autrichiens, Francais agirent chacun de leur cöte\ En
janvier, les Busses prirent Königsberg, puis envahirent le Brande-
bourg, oü ils assiegerent Küstrin. Frädlric, qui faisait campagne en
Moravie, oü il assiegeait Olmütz, laissa le siege pour courir en
Brandebourg. Les Autrichiens le laisserent aller. Le 25 aoüt, il livra
bataille aux Busses k Zorndorf. Ce fut une longue journee tres san-
glante et indäcise; mais les Busses se retirerent en Prusse. II
retourna vers les Autrichiens, qui avaient envahi la Saxe et mena-
gaient la Sil£sie; il se fit battre un jour, en octobre; mais il rejela
Tcnnemi en Boheme.
Pendant ce temps, les Francais faisaient la guerre dans l'Allemagne
occidentale. Le comte de Clermont avait succ£de k Bichelieu dans le
commandement de Tarmee de Hanovre. II trouva tous les Services en
pleine dcsorganisation, frappa des munitionnaires infideles, cassa des
officiers, mais demeura sans argen U sans charrois, avec des troupes
eparpillees en petits groupes, du Mein k Br£mc, et de Brömc au
Bhin. Ferdinand de Brunswick ayant franchi l'Aller et le Weser,
Clermont se replia vers TOuest, evacua Brunswick, Hanovre, Brenne,
ne put deTendre Minden, retrograda sur Dusseldorf, et repassa le
Rhin.
Ferdinand passa aussi le fleuvc et occupa le pays de Cleves. Le
23 juin, avec 40000 hommes, il battit les 70 000 hommes de Clermont,
a Crefeld. La retraite des Francais fut desastreuse; Clermont ne
garda « qu'une ombre d'armee ». II fut remplace" par le comte de
Contades, le plus ancien, mais non le meilleur des generaux de
l'arm^e. Contades, et Soubise, qui elait demeurä k la tele de lärme«
du Mein, eurent quelques succes, mais ils ne parvinrent pas k se
joindre ; k la fin de la campagne, ils se retirerent, Contades sur Wesel,
et Soubise sur Hanau. Brunswick, campe ä Munster, les surveillait.
BBSSERREMENT
DB UALUASCE
ANGLO-
PBUSSIENNB.
CAMPAGNE DE 175i.
FRBD&RIC
TIBST TETE
AÜX AUTMC HIESS
ET AÜX RUSSES.
CAMPAGSB
FRANgAlSB.
BATAILLE
DM CRBPBLD.
Cette annee, Bernis quitta le ministere des Affaires etran&eres.
La mauvaise fortune de la guerre et la p£nurie du treaor lavaient
D&PABT
DB BBRSIS.
267 >
Uipoque de Madame de Pompadour. "▼*« m
convaincu de la n6cessit6 de faire la paix, pour ächapper aux cons6-
quences d£sastreuses de Talliance autrichienne. II fit connaitre dans
un memoire son opinion au Roi, qui ne l'approuva pas; il parla alors
de se retirer, en proposant, pour le remplacer, le duc de Choiseul.
Louis XV, qui avait de Testime pour Bernis, le fit d'abord nommer
cardinal, puis, le 9octobre 1758, il accepta la dömission Offerte : « Je
consens k regret, lui disait-il, que vous remettiez les affaires entre
les mains du duc de Choiseul, que je pense en effet Ätre le seul en ce
moment qui y soit propre, ne voulant absolument pas changer le
systäme que j'ai adoptö, ni mßme qu'on m'en parle ». Bernis, apr&s
Tarrivöe de Choiseul, se retira dans son abbaye de Saint-M&iard de
Soissons, sur Tordre du Roi, donn6 par lettre du 13 däcembre, con-
formöment ä Fusage qu'un ministre quittant sa fonetion, s'äloignÄt
de la Cour pour un temps.
choiseul. Fils d'un grand chambellan du dernier duc de Lorraine, Stain-
villc avait un fröre major dans un r£giment de Croates; il gardait
un « vernis d'6tranger », et on lui trouvait des airs de seigneur
allemand. II döbuta dans ]'arm6e, s'y conduisit bravement et devint
colonel du rögiment de Navarre. Stainville 6tait petit et laid; il avait
le front large et dögarni, les cheveux roux, les yeux spirituels, le
nez retroussö, les tävres 6paisses, un maintien hardi. II se faisait des
ennemis par un ton de persiflage et d'impertinence polie, mais il
avait grand succes aupräs des femmes. Plein de confiance en lui, il
mettait « une diflerence infinie entre lui et les autres hommes ». II
s'assura la faveur de Mme de Pompadour en lui sacrifiant sa
parente, Mme de Choiseul-Romanet, pour qui le Roi avait un goüt
tr6s vif. Nomm6 ambassadeur a Rorae, oü il demeura de 1754 a 1757,
il choqua Benolt XIV par son luxe, mais le gagna aux vues du
Roi, et obtint le röglement de linlerminable question des sacrements.
Ambassadeur k Vienne en 1757, il conduisit les premteres n£gocia-
tions en vue d\in mariage entro larchiduchesse Maric-Antoinette et
l'höritier de la Couronne de France; c est a cette occasion qu on le
cr£a duc de Choiseul. II entretenait par sa correspondance des amittes
utiles. II se fit k Rome le commissionnaire de Mme de Pompadour
pour lachat des objets d'art et la combla de cadeaux rares. Une fois
minislre, il cut un train de maison prodigieux. A Versailles, et ä
Paris, il tenait table ouverte k 80 couverts. II faisait des dettes bien
qu'il eüt 800000 livres de revenu. Louis XV laimait pour la rapidite
de son travail et la clartö de son espril, qui rendaient les affaires
faciles. En m^nageant Mme de Pompadour, il eut tout le pouvoir;
il devint secnMaire dfilat de la Guerre en 1761, ä la mort de Belle-
Isle, et, la möme annöe, seerötaire d'Etat de la Marine.
( iGS >
CHAP. II
La Guerre de Sept Ans.
Choiseul, bien que partisan de l'alliance autrichienne, comprit
que la France ölait irop engagäe en Allemagne, et il voulut restreindre
les obligations du Roi envers Marie-Th6r6se, pour concentrer tous
les eflbrts de la France contre l'Angleterre. II conclut avec TAutriche
lc troisteme traitä de Versailles, sign6 cn mars 1759, et dal6 des 30 et
31 decembre de l'annäe d'avant. La France y obtint que l'arri£r6 de
subsides du ä TAutriche ne füt pay£ qu'apr&s la guerre. Elle n'eut
plus ä fournir les 24 000 horames qu'elle s'ätait engagäe ä envoyer en
Bohömc ; mais eile devait continuer ä entretenir 100 000 hommes sur
lc Hhin, payer ä l'Imp6ratrice 288000 florins par mois, payer des
subsides a la Suöde et au Danemark. Les clauses du trait6 pröc6dent,
relatives ä la Sil6sie, dune pari, et ä Ostende et Newport, d'autrc
pari, (Haient rcnouveläes. Mais il n'ölait plus question d'une cession
des Pays-Bas ä don Philippe; l'Impöratrice lui abandonnait seulement
ses droits ä la Eversion des duchäs Italiens. Ainsi disparaissait la
seule raison qui justifi&t Intervention de la France dans la guerre
continentale.
Les Frangais continu&rcnt, pendant les annäes suivantes, leur
guerre ä part dans Touest de l'Allemagne. En 1759, au mois d'avril,
Contades quitta Clfcves pour marcher vers le Hanovre, et Tarnte
du Mein, commandle par le duc de Broglie, entra en Hesse.
Ferdinand de Brunswick se porta contre de Broglie et fut vaineu
par lui, le 13 avril, ä Minden. Contades rejoignit de Broglie, et,
comme il £tait le plus ancien en grade, prit le commandement des
deux arm6cs röunies. Or, le duc ne pouvait souffrir qu'on le com-
manddt. 11 avait eu le mörite de r^tablir la diseipline dans son armöe,
oü les jeunes officiers nobles, qui correspondaienl avec Versailles, ne
se gflnaient point pour eritiquer ses Operations; mais c'ötait un
hautain personnage, ironique et amer, insupportable ä tout le monde.
A Minden, oü larmöe 6tait concentr£e, Contades et lui se quercllaient.
Brunswick, qui s'ltait retir6 au delä du Weser, reparut, mareba sur
Minden, et, le 1 er aoüt, ripara par une victoire son 6chec du mois
d'avril. Apr&s la däfaite, De Broglie aecusa Contades d'inertic, et
Contades aecusa De Broglie de trahison. La Cour donna raison ä
De Broglie, qui regut le commandement en chef.
L'ann6e 1760, le duc disposait de 130 000 hommes. Le gros de
son arm6e 6tait röuni sur le Mein; une röserve de trente et quel-
ques mille hommes. sur le Rhin, devait se tenir ä ses ordres; lc
comte de Saint-Gcrmain commandait ce corps. De Broglie et Saint-
Germain r£unis battirent Ferdinand de Brunswick ä Corbach, prfcs
de Cassel, le 16 juillet. Mais Saint-Germain avait aussi mauvais
caraetcre que le duc; lui aussi voulait Commander en chef; il se
LE TBOISläUB
TRAIT6
DE VERSAILLES.
CAMPAGNBS
FRANQAISBS
{1759-1769).
QUBREI.LE BNTRB
COSTADBS
BT DB BROGLIB.
QÜBRBLLE BSTBB
DB BROGLIB BT
SAINT-GERMAIN.
269
QUERELLE ENTRB
DE BROGLIE
ET SOÜBISE.
Vipoque de Madame de Pompadour.
plaignait ä Versailles de toute la conduite du duc et finit par d6clarer
qu'il « däserterait », pluiöt que de continuer & servir sous ses
ordres. II dut quitter Tarnte, tres regrettä des officiers et des sol-
dats. A la fin de la campagne, Ferdinand de Brunswick ayant eavoy6
son neveu asstäger Wesel, le marquis de Castries, d6tach6 par De Bro-
glie, le battit k Clostercamp, le 15 octobre. Ce fut dans la nuit qui
pr6c6da cette bataille que le Chevalier d'Assas et le sergent Dubois,
tomb6s dans une embuscado et sommös de se taire, sous peine
de mort, donn&rent Töveil au rggiment d'Auvergne et se firent tuer.
En 1761, l'annee oü Choiseul devintsecr&aired'fitatdela Guerre,
1'armee d'Allemagne Tut portöe k 160000 hommes. Soubise com-
manda sur le Rhin et De Broglie sur le Mein. De Broglie, surpris par
Brunswick cn fevrier, faillitperdreCassel, mais räparason 6chec. Les
deux generaux frangais se donnerent rendez-vous pour le 16 juillet
sur le Rhin. De Broglie, arriv6 un jour plus tot, n'attendit pas Sou-
bise pour attaquer Brunswick; il ne voulait sans douteni ötre com*
mand6 en chef par lui, ni partager avec lui l'honneur de la jourate.
II fut battu; Soubise ne lui porta point secours et il semble bien
que ce fut ä dessein. Les deux armäes rcgagnerent leurs postes du
Rhin et du Mein. Les deux g6n£raux s accuserent mutuellement en
Cour; cette fois De Broglie fut disgraciö. D'Esträes, qui lui succ6da,
laissa prendre Cassel et r£trograda sur le Rhin. Ce fut la fin des inu-
tiles Operations militaires en Allemagne.
LA RESISTANCE
DE FRE'DE'RIC
{1759-1761).
Al'Est, pendant ces troisannäes, Fnkle>ic, en grand p6ril tou jours,
tint töte k ses ennemis. Les Autrichiens et les Russes avaient enfin
rlsolu de se joindre dans la campagne de 1759. Les Russes, Com-
mander par Soltikof, arriv&rent en aoüt k Francfort-sur-rOder, et
firent leur jonction avec un corps autrichien. Le 12, Fr6d6ricles
attaqua ä Kunersdorf; ce fut une effroyable journle; Fr6d6ric, qui
avait prfes de 50 000 hommes engag6s, en perdit prfcs de 20000. Berlin
aurait 616 pris et leBrandebourgconquis,si les alliös l'avaient voulu;
mais Daun appela Soltikof en Sitesie; reconquärir la Silesie, c'&ait
Tid6e fixe autrichienne. Les Russes allerent jusqu'ä Glogau, atten-
dirent inutilement les Autrichiens et retourn&rent en Prusse. Daun
avait marcne" en Saxe, oü Tarm6e des Cercles opärait pour reprendre
Felectorat aux Prussiens ; il occupa Dresde en septembre. La Saxe 6tait
donc perdue pour Frödöric; mais il avait conservö Berlin et le Brande-
bourg, ä son grand ölonnement ; ce fut, dit-il, « le miracle de la maison
de Brandebourg ». L annee d'apres, en 1760, il connut de pires extr*-
mitös. Une arm6c autrichienne 6tait en Saxe; une autre en Silesie
et les Russes reparurent sur TOder; Fr&16ric se battit en Saxe, en
< 270 >
CHAP. II
La Guerre de Sept Ans.
Silösie; il aurait 6t6 cernä par les coalis6s, s'üs ne s'6taient pas aussi
mal concert6s que dans la campagne d'avant; les Russes encore
une fois reprirent le chemin du Nord. Mais, au mois d'octobre, des
iroupes russes ei autrichiennes se pr&ent&rent devant Berlin, qui,
6tant ville ouverte, capitula presque sans defense et fut pill£e ; aprds
quoi les Russes, Fr6d6ric approchant, se retirfcrent en Pologne. Fr6-
d6ric retourna en Saxe, oü, apr6s avoir battu les Autrichiens ä
Torgau, le 3 novembre, il prit ses quartiere dhiver. La campagne de
1761 sannonga comme la pr£c6dente: on se batüt en Saxe, en Sil6sie,
od les Russes reparurent; Russes et Autrichiens continu&rent a se
mal entendre; mais un corps russe conquit la Pomlranie, et Fr6d6ric,
dont lärmte 6tait 6puis6e et le tr6sor vide, se demandait en janvicr
5762 ce quil allait devenir.
Un nouveau miracle survint. La tsarine Elisabeth, qui avait, en
mars 1760, resserr6 l'alliance austro-russe, ne semblait pas moins
acharn6e ä la perte de Fr6d6ric que Timp^ratrice Marie-Th6rfcse. Elle
entendait garder le pays de Prusse, comme Marie-Th6r&se reprendre
la Silösie. Elle mourut le 5 janvier 1762. Son neveu, Pierre, lui suc-
c6da; AUemand de race et de cceur et admirateur passionn6 de Fr6-
d6ric, il lui rendit la Prusse par le trait6 du 5 mai 1762, et, le 19 juin,
fit alliance avec lui. II ne rggna pas longtemps; sa femme Catherine
le fit enfermer et assassiner. La nouvelle tsarine entendait bien ne pas
mettre la Russie au service de la Prusse, et eile rappela les troupes
que Pierre avait envoyäes a Fr&J6ric; mais eile respecta le traitä du
5 mai. Fröd6ric avait les mains libres contre les Autrichiens, lors-
qu'on commen$a ä parier de paix.
1^
>.)
LE EBVIBEUBST
RUSSE.
III. - LES OPERATIONS MARITIMES ET COLO-
NIALES : MOSTCALM ET LALLY-TOLLENDAL (1756-1763)
Ace moment-lä, la France avait subi de grands dösastres sur mer
et aux colonies.
Cependant, eile n'avait pas n6glig6 sa marine. Rouilte, qui, aprös
la disgräce de Maurepas en 1749, Tadministra jusqu'en 1754, fitcons-
truire trente-huit vaisseaux de ligne; il restaura les fortifications de
Louisbourg; il fonda une acad&nie de marine; sous son ministfere, fut
cr66 1 Etablissement de Ruelle, qui dispensa la France d'acheter des
canons ä l'6tranger. Lorsque Machault lui succöda en 1754, la guerre
avec l'Angleterre s'annon$ant, les crfclits de la marine furent
augmentäs ; au lieu de 17 ä 18millions qu avait eus Rouill6, Machault
disposa de plus de 30 millions de livres; il pressa les construcüons; en
LES MINISTEES
DB LA MAUSE.
271
VEpoque de Madame de Pompadour.
uvre in
LES OFFICIERS
DE MARINE.
1755, il put armer 45 vaisseaux de ligne ; 18 ötaient en consirucüon. Des
escadres se form^rent ä Brest, k Rochefort et k Toulon, et de grands
approvisionnements de munitions et de vivres furent concenträs dans
les ports; les succ&s de la campagne maritime de 1756 sont dus ä lad-
ministration de Machault. Mais, aprös sa disgr&ce se succ6d6rent le
marquis de Moras, honnöto et mädioere administrateur, qui resta au
ministöre defövricr 1757 k juin 1758; le lieutenant-gen^ral des arm6es
navales, de Massiac, qui, ne pouvant s'entendre avec lintendant des
arm6es navales, Le Normand de Mezy, qu'on lui avait adjoint pour
rassister, fut renvoyö le 1 er novembre; enfin le lieutenant de police
Berryer, sous l'administration duquel s'cffondra la marine. A la fin,
il suspendit les travaux des ports et vendit k des particuliers le mat6-
riel des arsenaux. Choiseul, son successeur, relfcvera la marine, mais
trop tard pour le sucefcs de la guerre engagöe.
vanarchie parmi La France manqua sur mer d'officiers g6n£raux. Durant tout
le rögne de Louis XV, on en trouve ä peine un qui ait vraiment de la
valeur, La Galissonni&re, et il meurt en 1756. II se rencontra de
braves capitaines, comme le Chevalier d'Epinay, le marquis de Bou-
lainvilliers, de L'Age, de Bouville, de La Motte-Piquct ; mais les chefs
d'escadre, L'Estaudu&re, Conflans, d'Achä, furent au-dessous de leur
tdche. Quant k la masse des ofßciers, eile 6tait divis6e contre eile-
m&me par Tesprit de corps. Le Roi ayant confi6 des commandements
k des capitaines de corsaires, une Jalousie furieuse s^leva contre ces
nouveaux venus, qu'on flötrissait du nom d' « officiers bleus » ; leurs
adversaires, les « officiers rouges » refusaient de servir avec eux en
sous-ordre. Le 27 avril 1756, Tofficier bleu Beaussier, commandant
Tescadre du Ganada, est attaquä, sur son vaisseau Le Hiros* par
deux vaisseaux anglais; MM. de Montalais et de La Rigaudi&re,
officiers rouges, assistent k Taction, sans rien faire pour le dögager.
On ouvre une enqußte sur leur conduile; mais les tämoins n'osent
parier; on les a avertis de bien peser leurs däpositions, etils savent
qu'il y vapour eux de la pendaison.
Ce fut enfin une cause capitale d'infßrioritö pour la France que
son principal eflbrt füt röclamö par la guerre continentale, oü l'Angle-
terre avait ä peine engag6 ses armes.
Ala marine frangaise, insuffisante et mal commandge, TAngleterre
opposa des forces considörables. En prövision de la guerre, le nombre
des vaisseaux de guerre avait 6t6 port6 de 291 k 345 entre 1752 et
1756; de 1756 k 1760, il montera ä 422. Cetle marine 6tait commandte
par des amiraux d'une röputation <Hablie, Byng, Boscawen, Hawke, et
eile eut la fortunc d'6tre dirigöe par le plus grand homme d'ßtat de
l'Angletcrre, William Pitt. Depuis qu'il 6tait entr6 ä la Chambre des
WILLIAM PITT.
< 27a >
«»»*■ n La Guerre de Sepi An».
Communes, Pitt s'etait revele passiorme pour la grandeur de
l'Augleterre; il avail ete l'adversaire des pacigques Walpole. La
grandeur de l'Angleterre, il la voulait etablir par la destruclion de la
puissance maritime de la France. L'Augleterre du xvnr siecle,
l'Angleterre parlementaire, l'ADglelerre marchande, TAngleterre
orgueilleuse, avidc d'argent et de gloire reunls, fut personnitiee par
lui. Uavait lateaacc volonte britannique, une grande force de travail,
le don de l'autoritö, une eloquencc nourrie de l'anüque, un peu
declamatoire, impressioonanle. Pitt coopera le plus lard poesibleala
guerre sur le Continent, et donna tous ses soins a la guerre de mer,
reclamanl et obtenant de gros subsides — de 1151 ä 1758, les depenses
s'accroissent de deux rnillioos de livres Sterling, — stimulaot les
chantiers, tenant les flottes en perpeluelle activile. II associa les colo-
nies a 1 aclion de la melropole et leur envoya des flottea et des troupes.
Deux ou trois aus sufliront pour assurer a l'Angleterre la victoire
et l'empire des mers.
La guerre commenca pourtant par une victoire francaise. Une la mss
escadre commandee par La Galiwonniere arrivait a Minorque le Dg pohtjuiuhi
11 aoul 1166, etdebarquait 12000 hommes, commandesparRichelieu. iJ0 "* nsn -
Le siege du fort Philippe, qui dominait Mahoo, commencait aussilöt.
Le 20, l'amiral Brng vinl atlaquer l'escadre francaise ; apres un long
combat il resolut de se relirer a Gibraltar pour v altendre des ren-
forls; il croyait lefort Philippe im prenable. Le 27 juin, par unassaut
de nuit, ce fort fut empörte. En Angleterre, la colere fut grande;
Byng fut condamne a mort malgre l'honnrable Intervention de Pitt,
et rxecule. La France celebra la conquele de Mabon comme une
grande victoire nationale.
L'annee d apres, en 1757, les Anglais commencaient l'atUque ie; ancims
des eotes de France. IIb oecupaient l'lle d'AU a l'emboucbure de ättaquent tu
la Charente; s'ils n'avaient manque d'audace, ils auraient detruit cdr»Jiw«4»«.
Rocheforl. En 1758, la flotte francaise de la ^editerranee fut bloquee
a Toulon; Pitt avail resolu d'operer un debarqucmcnl sur les cötes
de l'Atlantique, et ane flotte elait prete en avril dans les eaux de
Wighl; mais un temps defavorable et l'indecision des comraandants
fit manquer l'entreprise. Les Anglais brülerenl quelques vaisseam,
pillerent les faubourgs de Saint-Malo sans attaquer ta place el delnii-
sirent a Cherbourg les travaux commences d'un porl militaire. Leur
prineipal effort fut porle en Bretagne; 13000 hommes debarquereal
dann la baie de Sainl-Casl. Celle invasinn fu< repoussee par one
petite armee de soldats, de gardes-cötes, de nobles et de pavsans, que
le duc d'Aiguillon, • commandant - de Bretagne, avail rossembles.
Ainsi l'altaque conlre le sol francais ne reusaissait point a l'Angleterre.
DBSTHÜCTtON
DB LA FLOTTE
FRAttCAISB.
Vtpoque de Madame de Pompadour. uvai in
Mais l'attaque projetöe contre les lies Britanniques en 1759 allait
6lre fatale ä la France. Choiseul avait ordonnä les pr6paratifs dun
dlbarquement en Grande-Bretagne : Soubise devait partir de Nor-
mandie, Chevert de Flandre, et d'Aiguillon, avec le corps principal,
de Bretagne. Des troupes et des transports 6taient räunis, et les flottes
de Brest et de Toulon avaient regu leurs ordres; mais Pitt entoura
d'une chatne de vaisseaux la Grande-Bretagne et Hrlande, et orga-
nisa la döfense terrienne par des milices que laid&rent k lever les
villes, les compagnies et les particuliers; en juin, il jugeait les lies
Britanniques inattaquables. Alors le commodore Rodney alla bom-
barder le Havre, et Boscawen cingla vers Toulon. Boscawen ne put
emp£cher la flotte command6e par La Clue de sortir et de francbir le
dätroit de Gibraltar; mais il lattaqua k Lagos, sur la c6te portugaise,
et La Clue fut battu aprfcs une belle r6sistance, les 18 et 19 aoüt.
Cependant les projets de döbarquement n'6taient pas abandonnds
en France. La flotte de Brest, commandäe par Conflans, se dirigea
vers Quiberon pour y prendre les troupes de d Aiguillon; Conflans se
trouva en prösence de Pamiral Hawke, n'osa le combattre et se retira
vers la baie, oü il se heurta aux r6cifs des Cardinaux. Hawke Fat-
taqua; des vingt et un vaisseaux francais, deux furent coul£s, deux
brülls, deux jet6s ä la cöte, sept se räfugiörent dans la Vilaine, huit
ä Rochefort. La flotte de l'Atlantique 6tait räduite k l'impuissance
comme la flotte de la M^diterranee. La France avait perdu 29 vais-
seaux de Iigne et 35 frugales; sa flotte £tait r6duite k presque rien.
Elle n'ätait plus en 6tat de däfendre ses colonies.
U GÖBMB
BN AWtMQUET.
LBS ANGLAIS*
MMENNBNT
LOÜlSBOOlUk
En 1758, les dösastres avaient commencä dans l'Amlrique du Nord.
Pour sauver les colonies franQaises du continent d'Am&rique,
une Inergique intervention de la mätropole aurait H€ nlcessaire.
En 1757, les Anglais avaient arm6 12 000 hommes et 16 vaisseaux de
ligne. L'annöe d'apr&s, une flotte de plus de 40 vaisseaux de ligne et
de 100 transports fut envoy£e par la m&ropole; le g6n6ral Amherst
et le colonel Wolfe, que Pitt lui avait fait adjoindre, commandaient
14 000 hommes de troupes r6guli6res. Le l w juin, ils 6taient devant
Louisbourg. Ce poste avancö de la colonie fran$aise, sur la cöte sud-
est de File du Cap-Breton, avait re^u un renfort de 12 vaisseaux,
que Beaussier avait amen6s de Brest; mais il 6tait mal remparl,
pauvre en munitions et döfendu seulement par 3 000 reguliere. Apr&s
avoir forcö les Frangais d^vacuer la ligne du rivage, les Anglais
attaquörent la place; au milieu de juillet, ils arrivfcrent au glacis.
Le21, un vaisseau de Beaussier sauta, et deux autres s'enflamm&rent;
le reste fut captur6 apr6s que les 6quipages eurent 6t6 döbarqufe.
< 274 )
chap. n La Guerre de Sept Ans.
L'un aprös lautre, les bastions furent enleväs, et les Anglais entrörent,
le 27 juillet 1758, dans la ville en ruines.
Jusque-lä, sur le continent, les Canadiens avaient tenu bon.
Ils avaient gagn6 ä leur cause beaucoup d'lndiens, et les troupes
räguliöres, 6000 bommes, ätaient coromandees par un änergique
g6ne>al, Montcalm, qui, en 1756 et en 1757, avait remporte de
notables succ£s. Mais le Canada 6tait menacä de consomption, s'il
ötait abandonnl ä lui-m$me, chaque annee, il fallait lui apporter des
provisions, notamment des grains. La vie rencherit d'autant plus que
la levöe des milices nuisait au travail des cbamps. Vaudreuil, gouver-
ncur de la colonie, Äcrivait en avril 1757 : « II est mort beaucoup
d'Acadiens ; le nombre des malades est considärable, et ceux qui sont
convalescents ne peuvent se retablir par la mauvaise qualite des
aliments qu'ils prennent ». Les fournisseurs de vivres, les munition-
naires volaient autant et plus que partout ailleurs. Enfin Vaudreuil et
Montcalm ne s'entendaient pas . le gouverneur, d'humeurautoritaire,
tdtu, voulait fctre en fait, corame il 6tait en droit, le directeur des
Operations militaires. Montcalm, qui le jugeait incapable, obtissait
mal au gouverneur et m6me agissait sans prendre ses ordres. En
1758, Montcalm repoussa prös du fort Carillon, au nord du lac du
Saint-Sacrement, une armäe de Colons anglais, command£epar Aber-
cromby ; mais une colonne anglaise s'empara du fort de Frontenac
et captura la flottille du lac Ontario; une autret» arrivöe en novembre
devant le fort Duquesne, le trouva presque sans defenseurs, la plus
grande partie de la garnison ayant du se retirer, faute de vivres. Le
fort Duquesne se rendit, et les Anglais construisirent sur son empla-
ccment Pittsburg. Desormais, la Louisiane 6tait coupee du Canada.
En 1759, une grande expädition fut pr6par£e en Angleterre. Une
flotte, Commander par Saunders, transporta des troupes command6es
par Wolfe ; Pitt avait obtenu pour Wolfe 10000 hommes et20000tonnes
de provisions, et les ravitaillements avaient 6t6 pr^vus. Le 21 juin,
la flotte arriva devant Quebec. Cette attaque sur mer 6tait inat-
tendue, la navigation du Saint-Laurent 6tant tres difficile. Vaudreuil
et Montcalm avaient appris, seulement en avril, les projets des
Anglais; ils avaient eu peu de temps pour präparer la defense; ilc
avaient la sup£riorit6 du nombre, mais leurs 16000 hommes ätaient
pour la plupart des miliciens, et Montcalm se d&iait des milices qu'ü
ne jugeait bonnes que pour la döfensive. II craignait d'ailleurs, s'il
attaquait, un 6chec qui aurait compromis la defense de Quebec et von«
lait attendre la mauvaise saison, qui obligerait la flotte ennemie k se
retirer. Qu6bec est situ£ sur la rive gauche du fleuve; Wolfe occupa
en aval Tue d'Orteans et la rive droite, doü il bombarda. La ville
LB CANADA
BN P&RIL
LA FMISB
DB QUBSBC
(SBtT. §H9f.
27$
Vßpoque de Madame de Pompadour.
uvbi m
LECANADAPERDü.
EN 1NDE;
POLJTIQUB
DB DÜPLE1X.
supporta le bombardement et repoussa une attaque, le 31 juillet.
L'amiral Saunders parlaii de retraite, mais les Anglais tenterent un
dernier effort. Wolfe döcida de remonter le fleuve, pour aller däbar-
quer en amont, au bas du plateau d* Abraham qui domine la ville;
le 13 sepiembre, il escalada cetlc position, qu'il trouva mal gard£e.
II semble que Montcalm aurail pu attendre larriv6e de d£tachements
qui opäraient dans l'int&rieur, commandös par Bougainville, Bourla-
maque et le Chevalier de L6vis; mais il se jeta sur les Anglais; Wolfe
et lui furent tues dans la bataille, et les Frangais rejetäs dans la ville,
que Vaudreuil aflfole 6vacua. Quand Bougainville et L6vis arrivörent
devant Quebec, le commandant, ä la priöre des habitants, et avec
Tautorisation de Vaudreuil, avait capitulä (17 septembre).
Les Anglais avaient 6t6 tenus en öchec du cöt6 des Grands Lacs,
mais la prise de Quebec et la mort de Montcalm avaient d£cid6 du
gort de la colonie. En 1760, le Chevalier de L6vis ne räussit pas
ä reprendre Quebec; en 1760, Montreal se renditaux Anglais. Dautre
part, les Anglais prirent la Guadeloupe en 1759 et la Martinique en
1762. La France ne conservait en Amöriqueque laLouiaiane, Cayenne
et la moiti£ occidentale de Saint-Dominguc.
En Inde, de grands et singuliers 6v6nements, sur lesquels il faut
revenir, s'elaient accomplis depuis que la paix d'Aix-la-Chapelle y avait
arr6t6 les hoslilites. Dupleix avait saisi loccasion, qu'il attendait 1 ,
d'appliquer la politique de p6n6tration chcz les princes indigenes.
Contre le nabab du Carnatic, Anaverdi Kan, qui avait 6t6 lalli6 des
Anglais, se leva un comp<Hüeur, Chunda-Sahib, ami des Fran$ais.
D'autre part, le soubab du Decan, Nizam-cl-Moulouk, mourut en 1748,
apr&s avoir dösheritö son ßls atn6, Nazir, au profit de son petit-fils,
Murzapha. Nazir reclama la succession et chassa Murzapha; celui-ci
demanda laide de Dupleix. Or, le soubab du Decan £tait un des plus
grands princes de linde; sa capitale 6tait Haiderabad, et ses villes
principales Aurengabad, Golconde, Bangalore, Mangalore; il avait
de nombreux et de riches vassaux, et son autoritä s'6tendait jus-
qu'aux deux cötes de la Peninsule. Le nabab du Carnatic 6tait vassal
du soubab; Arcote <Hait sa capitale; parmi ses forteresses, Gingi et
Trichinopoli ötaient les plus consid&rables. II importait fort ä
Dupleix et a la Compagnie d'avoir pour alliös ces deux princes, les
principaux Etablissements francais 6tant situ6s sur la c6te du Car-
natic. Aussi, lorsque les deux pr6tendantseurent fait cause commune
entre eux, il fit cause commune avec eux. Le Conseil sup&ieur
de Pondichery conclut donc une Convention en vertu de laquelle
i. Voir, plus baut, p. i58-i63.
276
CHAP. II
La Guerre de Sept Ans.
saccks
ET MiCOMPTBS.
Chunda recevrait une Subvention de 300000 livres et un conüngent
de 400 Frangaiß et de 2 000 indig&nes arm6s k l'europäenne; il pro-
mettait de c£der k la Compagnie un territoire k l'ouest de Pondichäry.
En juillet 1749, la petite arm6e de la Compagnie se mit en
raarche vers Arcote. Elle 6tait command£e par d'Autheuil, sous les
ordres de qui servait le marquis de Bussy-Castelnau, un officier venu
en Inde avec La Bourdonnais. Elle rallia les douze cents hommee
que commandaient Murzapha et Chunda, et, aprös un combat, livrä
le 3 aoüt, et oü fut tu6 Anaverdi, entra dans Arcote. Apr6s quoi,
les deux princes allörent ä Pondich6ry saluer Dupleix, qui s'avan^a
au-devant d'eux en grand appareil, port6 en palanquin, escort£ de
soldats et d'616phants. Dupleix leur demanda de ne rien entreprendre
dans le Decan avant que la conqudte du Carnatic füt assuröe, et,
pour cela, d'aller assteger Trichinopoli, oü s'6tait r6fugi6 M6h6met-
Ali, fils d' Anaverdi. Mais ils prgferörent une fructueuse exp&lition
contre le rajah de Tandjaore, sur lequel ils prälevörent, en d^cembre
1749, une contribution de plusieurs millions. Pendant ce temps,
le soubab Nazir envahit le Carnatic avec une 6norme arm6e,
trois cent mille hommes, dit-on, parmi lesquels un contingent de
600 Anglais, commandä par le major Lawrence. II est vrai, cette
arm6e n'6tait pas solide, et le soubab 6tait un m6diocre homme de
guerre; un boulet qui passa prfcs de lui, lors d'une premi&re ren-
contre, Taffola; mais il eut la bonne fortune que son adversaire
Murzapha se rendtt k lui, et que Fannie adverse, d6sorganis6e par
une mutinerie des troupes frangaises, se repliät jusqu'A Pondichlry.
Ce fut un des moments oü Dupleix, qui, avec de si petits moyens,
osait de si grandes entreprises, d6sesp£ra de sa fortune.
II reprit confiance quand il sut que des nababs de Nazir £taient
prets k se rävolter contre leur chef. Une attaque de nuit, faite par
300 Francais, mit le d&ordre dans l'immense arm6e, qui s'enfuit. S00MÄM D0 '«rc**
M6h£met-Ali restait seul en face des Francis; le 1 er septembre 1759,
son camp fut attaqu6 par d'Autheuil et Bussy, qui s'en empartrent.
Le 11 septembre, Bussy assi6gea Ginghi, la plus forte forteresse du
Carnatic, — ä cinquante milles k l'ouest de PondicMry, — et que Ton
croyait imprenable, d6fendue comme eile 6tait par trois citadelles k pic ;
il la prit, le lendemain. Effray6 par ce fait d'armes, Nazir, qui s'ltatt
retir6 vers Arcote, aurait voulu nlgocier avec Dupleix; il pensait II
retourner au Decan; mais, le 15 novembre, il fut attaquA de nuit
par 565 Francis et 2000 cipayes. La bitte fut courte; Nazir fut
assassin6 par un de ses nababs, et Murzapha, qu'il trafnait prisonnier
avec lui, proclamä soubab. Bient6t apräs Murzapha 6tait introniflä
dans Pondich&ry; Dupleix, assis sur un tröne pareil, assistait k la
TRAITä AVEC
MURZAFHA.
« a 77
BÜSST AU DBCAN
BT CHBZ
LBS MAHBATTBS.
ORGANISATION
DU PROTBCTORAT.
Ußpoque de Madame de Pompadour. umi m
c£r6monie. Murzapha conföra k Dupleix le gouvernement du pays
au sud de la Kistna jusquau cap Comorin; il confirma la souverai-
nete de la Compagnie fran^aise sur le district de Mazulipatam, qu eile
avaii occupö pendant la guerre contre Nazir, sur celui de Yanaon,
oü eile avait fait röcemment un Etablissement, et il consentit k une
extension du territoire de Karikal. Dupleix, laiss6 libre de disposer
du Carnatic comme il l'entendrait, en donna Tinvestiture ä Chunda.
Mais Murzapha n^tait pas encore maftre du Decan, ni Chunda
en pleine possession du Carnatic oü M6h6met-Ali occupait toujours
Trichinopoli. Dupleix permit k Murzapha d'emmener avec lui au
Decan Bussy, avec un corps de 300 Frangais et de 1 800 cipayes et
une batterie d'artillerie. Bussy apparut alors dans toute sa valeur
d'homme de guerre et de politique; il avait appris vite ä connattre
rinde, dont il parlait a peu prfcs toutes les langues. L'entreprise fut
un moment compromise quand, en fövrier 1751, Murzapha fut assas-
sin6 par des nababs. II fallait tout de suite trouver un autre soubab;
Bussy choisit, d'accord avec les nababs, Salabut, fröre de Nazir. II
le conduisit en avril k Halderabad, en juin k Aurengabad; Salabut
confirma les concessions faites k la Compagnie par Murzapha. Comme
un peuple de guerriers ötabli au nord du Decan, les Mahrattes, avaient
envahi ce pays avec une grande arm£e, il porta la guerre chez eux.
Les Mahrattes r£trogradörent; a vingt milles de leur capitale, ils
furent attaqu£s dans leur camp, la nuit du 9 däcembre 1751, oü ils
consid£raient avec effroi une Eclipse de lune ; ils s'enfuirent en d6route.
Au commencement de l'annäe suivante, le pays des Mahrattes fut par
un traitä de paix soumis k l'autoritä de la Compagnie.
Ainsi, au jour le jour un empire se dessinait, couvrant une grande
partie de la päninsule indoue. Au däbut, Dupleix n'avait fait que
pröter des soldats et des canons k des princes; d'Autheuil et Bussy
6taient comme des mercenaires enträs pour un temps au Service de
Murzapha et de Chunda. Mais, aprfcs que Murzapha eut 616 intronis6
soubab a Pondich£ry, aprfcs que Chunda eut 616 investi du Carnatic
par Dupleix, apr£s les Conventions signäes avec les princes, c'Ätait
comme des protectorats qui s'organisaient. Au Decan, ce fut un pro-
tectorat en r£gle; Bussy demeura, aprfcs qu'il y eut instalte Salabut,
ä Aurengabad, et mit ses canons dans la citadelle. A mesure que
Dupleix suivait le progräs de cette fortune, il haussait ses ambitions.
11 eut un moment Y\d6e de faire attribuer k Salabut la soubabie du
Bengale pour Etendre au pays du Gange l'influence fran$aise. Bussy
lui 6crivait, le 1 er septembre 1751, qu'il n'avait qu'& Commander ä
Delhi pour y 6tre ob£i : « Tout ce que vous demanderez k Delhi
viendra incessamment » . Dupleix 6tant möcontent de Chunda, le nabab
< a^8 >
CHAP. II
La Guerre de Sept Ans.
ANGLA1SB.
du Carnaüc, ü parla de se faire lui-m£me nabab de ce pays. Bussy l'en-
couragcait dans ses projets; il lui 6crivait, le 23 septembre : « Je vous
reponds sur raa töte de vous faire nabab du Caraatic », et enfin, le
14 octobre : « L'aflaire du Carnalic vienl d'ßtre terrainöe. Le Divan m'a
promis \aparavana en votre nom, et, aprös vous ä la nation frangaise. »
Dupleix, sur la nouvelle que M6hemet Ali etait mort, annon^a a Bussy
qu'il allait se faire proclamer nabab, mais la nouvelle 6tait fausse;
Mehemet vivait encore et il avait l'appui des Anglais.
La Compagnie anglaise s'inquiätait de l'&iorme progres de la vopposmoK
Compagnie fran$aise. Le gouverneur de Madras, Saunders, et le major DB ** C0 *** GM *'
Lawrence commandant les troupes de linde, n'avaient reconnu ni
Murzapha ni Salabut comme soubabs du Decan, ni Chunda comme
nabab du Carnaüc. Contre Chunda, ils s'6taient faits les protecteurs
de M6h6met-Ali ; le 4 aoüt 1751, Saunders avait avis6 Dupleix que
Möh£met avait engag6 aux Anglais le royaume de Trichinopoli en
garantie de l'argent qu'il leur devait. Chunda, renforc6 par un corps
d'Europäens commandö par le Francis d'Autheuil, marchasur Trichi-
nopoli ; il battit un corps anglais envoy6 de Saint-David, mais ne put
lempöcher d'entrer dans la place. D'Autheuil, 6tant tombä malade, fut
reraplace par Law, un neveu du financier, qui bloqua la ville.
Dans ces conjonctures, un officier civil de la Compagnie anglaise,
Clive, qui avait pris part ä la defense de Madras contre La Bourdonnais
et obtenu de servir avec rang d'enseigne pendant le siöge de Pondi-
ch6ry, proposa ä Lawrence d'attaquer Arcote pendant que les forces
de Chunda Itaient occup£es devant Trichinopoli, et que les forces
frangaises se trouvaient ou devant cette ville ou avec Bussy dans le
Decan. Le 11 septembre 1751, Clive entra dans Arcote. Au printemps
de l*annee suivante, Lawrence, qui avait pris Clive pour second,
marcha vers Trichinopoli, qui resistait toujours. II p£n6tra dans la
ville, le 8 avril 1752, et, aprfcs une campagne de deux mois, fit pri-
sonnifcre rannte de Law. Chunda fut assassine\ et M6Mmet proclam*
nabab ; alors l'influence anglaise remplaga celle de la France dana le
Carnaüc. Lärmte de Law n'existant plus, celle de Bussy 6tant
retenue au Decan, il ne restait ä Dupleix que Pondichöry, Gingi et
les possessions de la cöte; pour les däfendre, il n avait point de
troupes. II fut donc oblig6 de demander du secours en France.
Or, il y avait entre lui et la Compagnie un dissentiment trte
grave. Peu ä peu, il avait 6W amenl ä faire des conquöles. Comme il
dira plus tard :
• Un cncbainement de circonsUnces, qu'on aurait eu de la peine a prt-
Toir, a cependant conduit au but que 1'on cherche depuis longtemps.... L*on a
gaisi les occasions qui se sont preieotees. •
IBS VICTOIRBS
de cur*
AO CAANAT1C.
CONFUT
BNTKB DÜPLBiX
BT LA COMPACNiB
FHAXCAISM.
*79
DUPLEIX ACCÜSE
BN FBANCB.
SA D1SGRACB.
L'jßpoque de Madame de Pompadour. uvai m
Mais la Compagnie l'avait vu avec grande inqui&ude suivre les
circonstances. Le 5 mai 1751, eile lui avait öcrit qu'elle aiten-
dait « avec la plus grande impatience » que la paix rägnAt « sur la
cdte de Coromandel » ; que « nul autre a vantage ne pouvait tenir lieu
de la paix »; que la paix seule « 6tait capable d'op^rer le bien du com-
merce, dont il devait s'occuper esseutiellement ». Le l ir fövrier 1752,
eile reprenait : « II est temps de borner l'6tendue de nos concessions
dans rinde ». Silhouette, commissaire du Roi pr&s la Compagnie,
pose en principe qu'il ne convient pas k la Compagnie de se rendre
« puissancc militaire ». 11 6crit, le 13 seplembre 1752 :
« On pr6fere gäneralement ici la paix ä des conqu6tes, ei les succes n'empt-
chent pas qu'on ne desire un etat moins brillant mais plus tranquille et plus
favorable au commerce. On ne veut plus se rendre une puissance politique
dans rinde; on ne veut que quelques Etablissements en petit nombre... et quel-
ques augmentations de dividendes. •
Dans un memoire au Contröleur gen6ral de juillet 1753, U
ajoutera :
• L'idee de donner la loi k tout le Decan, avec une poignee de Francais,
est une folie. •
Quand on connut en France le desastre de Trichinopoli, ungrand
mouvement se produisit contre Dupleix. Depuis longtemps on lui
reprochait son orgueil, son ambition, sa cupiditä aussi. II est vrai
qu'il aimait Targent; il accepta, de ses alliös, des presents et des
jaguirs, c'est-ä-dire des rentes et des pensions. Sa femme fut trös
avide ; fille d'un Chirurgien de la Compagnie, veuve d'un conseiller au
Conseil sup&rieur de Pondichöry, trös intelligente et au fait comme
personne des affaires et des moeurs de rinde, parlant des langues
indigenes, conseiltere de son mari, dont eile soignait les intördts en
France comme en Inde — en France eile envoyait des cadeaux k
Mme de Pompadour — IsmBegun Joanna», comme onTappelait, avait
des fagons de sou veraine. Elle recevait, comme son mari, des jaguirs :
aprös son intronisation, Murzapha donna k chacun des deux 6poux
des terres dont le revenu £tait de 240000 livres; apres son Installation
k Aurengabad, il investit la Begun d'une nababie. Dupleix et sa
femme n'etaient pas seuls, il est vrai, k s'enrichir; des conseillers au
Conseil supörieur firent des fortunes ; Bussy envoya en France beau-
coup d'argent pour acheter des terres. Mais ce fut a Dupleix surtout
qu'on s'en prit, lorsque les revers mirent son oeuvre en danger.
Pendant que les Compagnies anglaise et frangaise, ou plutöt les
miliiaires et les agents de ces Compagnies entraient en conflit, les
deux gouvernements de France et d'Angleterre ätaient encore k l'ötat
< a8o >
hat. m La Guerre de Sept An».
de paix. Ni Tun ni lautre n'entendait se laisser raener a la guerre par
les Angiais et les Francais de linde. Od negocia eatre Versailles et
Londres, et il futconvenu qii'un commissaire aoglais et un commissaire'
francaisse rendraient chaeun de soncoteen lade pour arreler lalulte
commencee et en prevenir le retour. Le commissaire francais fut
Godeheu, ancien membre du Conseil de Chandernagor, un des direc-
leursdc laCompagnic. Ilarriva muni d'une Instruction officielle et de
pouvoirs secrets. Dupleix, dont Godeheu etait 1'ami. le vit entrer a
Pondichery, le 2 aout 17ß-i, avec d'autant plus de joie que Godeheu
amenait des troupes avec lui. Mais, le 3 aofit 1754, Godeheu se fit recon-
naltreconunegouverneurpar les troupes et donner les des dela place ;le
14, Dupleix etait embarqu6 a destinalion delaFrauce.il y futd'abord
bien acueilli. Un revirement selail produit apres le depart de Godeheu ;
des memoire» de Dupleix, arrives sur ces entrefaites, avaieat ouvert les
yeux aux ministres, et meine des ordre« furent expedies en Inde pour
annuler les inslrucüons donnees a Godeheu ; mais ils arriverent trop
tard. Quand on sut ä Versailles que Godeheu arail traite avec les
Anglais, od aeeepta le fait aecompli. Dupleix ne put se faire rendre
justice. Sa fortune, quon avait confisquee, ne lui Tut pas rendue; il
n'obtinl pas la restitution de sommes qu'il arait avaneees a la Com-
pagnie ; ses creanciers le poursuiviront et sa maison fut vendue.
- J'ai BBcrifl* ma fortune, eerivait-il, et DU vie pour enrichlr ma uauon en
Acie.... Je me suis soumiB ä loutes les formen judlciaires, j'ai demande comme
le defilier creaacier ce qul m'etait du; mes aervicea eonl traite» de fable«. .. ■
II mourradans cettc misere, le lOnovembre 1764.
En decembre 1751, Godeheu avait signe avec le gouverneur
Saunders un traite conforme aux Instructions qu'il avait empörte«,
ob on lui prescrivail de ne pas garder des poasessions trop difikiles
a defendre. En vertu de ce traue 1 , la Gompagnie francaise ne devait
conserver que Pondichery, Karikal et un etablissement entre Nizam-
patnam et la riviere Gondecama. Les deux Compagnies, anglaise et
francaise, s'engageaienl a renoncer a toute • dignite ■ en Inde et a ne
plus so milier aux differends entre les princes indigenes: ainsi serait
etablin l'egalite entre les deux Compagnies; mais les sacrifices qu'y
faisail In France etnienl enormes, car c'etait eile qui possedait des
dignilt's indigenes, eile qui avait des allies, des proleges, le comman-
remcnl dun eropire. Un Anglais a dit avec raison : « On conviendra
que peu de nations ont fait a l'amour de la paix des sacrifices dune
iinjtorliinre oussi ronniderable », Au reale, ce traite devint bientot
caduc ; la guerre offizielle entre la Franc« et l'Angleterre aJlail bien tot
UlZpoque de Madame de Pompadour. uvai iu
UARXiviB de Aprös le depart de Dupleix, Godeheu ne resia en Inde que
lallt-tollbndal s j x mois ; il s'embarqua en tevrier 1755. Son successeur, Duval de
bn MDB. Leyrit, maintint Bussy dans le Decan, et lui-m6me empgcha les
Anglais de faire des progräs dans le Carnatic, oü ils pratiquaient,
malgr6 le traite Godeheu, l'immixtion dans les affaires indigenes.
Quand la guerre eut 6t6 d6clar6e, il räduisit les Anglais aux places de
Saint- David, Arcote, Madras et Trichinopoli. Mais alors arrivaen Inde
le comte de Lally-Tollendal, avec la qualitä de gouverneur g£n6ral
de Finde. Lally 6tait un Irlandais, qui avait servi le preHendant
Charles-Edouard. Pass6 au Service du roi de France, il avait £16
employe* ä des missions secr&tes. Dans l'armöe, il s'ätait distingu6
partout oü il avait combattu, ä Kehl, ä Philipsbourg, ä Dettingen et
ä Fontenoy. II 6lait soldat 6nergique, obstinö, insoucieux de l'obstacle.
« Mon devoir, dit-il un jour, est de prendre Saint-David, quoi qu'il
arrive, duss£-je me cramponner au sol avec mes ongles. » Et c'6tait
un imp&rieux, au geste cassant. Quand il eut affaire ä des administra-
teurs coloniaux, ä des sp^culateurs, ä des marchands, il se trouva
d£pays£, ne voyant partout que des speculateurs et des fripons. II ne
savait pas les affaires de linde, et ne comprit rien, ne voulut rien
comprendre aux moeurs indigenes. D'ailleurs, ses Instructions eHaient
contraires aux idöes de Dupleix et de Bussy : les exp^ditions loin
des edles lui ätaient interdites; il devait se contenter de prendre
Saint-David, Arcote, Madras; encore fallait-il qu'il brülftt ces villes
et les rasftt. On lui prescrivait aussi de remplacer dans son armäe
les porteurs par des beeufs et de faire porter aux soldats leurs vivres
et leurs bagages. On connaissait bien mal ä Versailles les conditions
de la guerre en Inde.
sbs pkbmi&rbs C'est en avril 1758 que Lally arriva ä Pondich6ry, escortä par
faütbs. une fl tt e q Ue d\Ach6 commandait — et qui ne devait servir ä peu prfcs
ä rien pendant la guerre. — II attaqua Saint-David, qu'il prit en juin
et qu'il detruisit. Puis il commit toutes sortes de fautes, dont la plus
grosse fut d'offenscr et de violenter les indigenes, « ces miserables
noirs », comme il disait. Apres Saint-David, il voulait prendre Madras;
pour se procurer de Targent, il alla faire dans le royaume de Tandjaore
une odieuse expldition, oü il mil en adjudication le pillage d'une
ville et fit fondre les statues d'or d'une pagode veri£r6e. II commit
une grande faute en rappelant Bussy du Decan; Bussy avait objecto
contre son rappel que l'occupation du Decan 6tait näcessaire pour
proteger les possessions franc.aises du Sud contre les Anglais, qui
ätaient devenus mattres du Bengale.
cuvb conqoiebt De graves e\6nements, en effet, s^taient pass&s depuis deux ans
lb bbngalb. <j ans ce tt e r£gion du Gange inferieur. Le Bengale 6tait une des plus
< 282 >
CBAP. II
La Guerre de Sept Ans.
considerables et une des plus indäpendantes soubabies de linde. La
Compagnie anglaise y possldait Calcutta et plusieurs factorerics,
parmi lesquelles Hougly, et la Compagnie fran^aise y avait Chander-
nagor. En juin 1756, le soubab Souradja-up-Daoula entra en guerre
co n Ire les Anglais, s'empara de Calcuita et y fit prisonniers
146 Anglais qu'il enferma dans un « trou noir » de quelques metres
carrös; 116 des prisonniers y moururent asphyxils. Pour les venger,
lc Conseil de Madras envoya Clive avec 900 Anglais et 1 500 cipayes.
Clive rcprit Calcutta et Hougly; puis il negocia avec le soubab et
signa avec lui, en ftvrier 1757, une alliance offensive et defensive, et
mit la main sur Chandernagor. Le soubab s'inqui£ta de ce succ&s
et sc retourna vers les Francais. Mais Clive debaucha un nabab
auquel il promit la soubabie, et qui trahit Souradja quand, avec
ses 3 000 hommes, Clive attaqua prös de Plassey les 3000 fantassins
et les 18000 cavaliers du soubab. Apres cette victoire, qui ne leur
avait pas coüt6 cent hommes, les Anglais oecuperent Mourchidabad,
capitale de la soubabie; la conqugte du Bengale leur £tait assuräe.
Tout de suite, ils entrerent dans le Carnatic, d'oü ils chasserent les
quelques troupes frangaises qui y ötaient demeur6es apres que Bussy
avait rejoint Lally.
Lally, avec laide de Bussy, s'empara d'Arcote et fit une tenta-
live sur Madras; mais il 6tait sans munitions, sans vivres, sans
argent; ses troupes, qu'il ne payait pas, se mutinaient; des soldals
passaient ä l'ennemi qui avait de quoi les nourrir. Apres un succös
remporl6 sur une sorlie des Anglais et deux assauts donnäs a la ville,
l'apparition d'unc flotte anglaise l'obligea ä se retirer sur Pondichöry
lc 17 flvrier 1759. Pendant ce terops, les Anglais obligeaient le
soubab du Decan, jusque-lä Talli6 docile de Bussy, ä aeeepter leur
protectorat; Bussy, envoyö par Lally vers le soubab, ne put le rega-
gner. II 6taii irrit6 de toutes les faules qu'il voyait commettre ä Lally,
qu'il appclait un « fou furieux ». Lally, de son cöt6, traitait mal son
second et lui attribuait les revers; parlant de Bussy et du gouverneur
de Pondiche>y, il äcrivait : « Si je vous avais envoya, il y a six mois,
ces deux hommes pieds et poings lies, cette colonie serait en 6tat de
defense ». II aecusait m£me Bussy d'Gtre, « comme MW^e », versa
dans l'art de la trahison. Comme il avait mis toul le monde contre
lui, il detestait et calomniait tout le monde.
La Situation de la colonie devint dösespe>£e, lorsque la flotte de
d'Achl, qui ne se sentait pas de force ä tenir la mer contre les Anglais,
s'eloigna en septembre 1759 pour ne plus revenir. Dans les premiers
mois de 1760, les troupes frangaises, d61abre>s, peu söres, firent
dinutiles tentatives sur Arcote et Trichinopoli et se retirfcrent,
iCBEC DEVANT
MANULS.
LAFKKTE
DE V
i a83 >
Vßpoque de Madame de Pompadour.
vaincues, sur Pondichäry. Les Anglais bloquerent la Tille oü la dis-
corde paralysa la defense. Lally et le Conseil supärieur echangtaent
des inj u res ; le general voulut empÄcher le gaspillage des subsistances;
les marchands firent des Erneutes; Lally ordonna de dresser des
gibets et des roues destin6s aux mutins. Apre« cinq mois de siege, il
capitula, en janvier 1763; les Anglais, traitant la ville comme les
Francis avaient trait£ Saint-David, la delruisirent. II ne restait k la
France en Inde que Mah6, qui capitula en fövrier.
lk rnocts A Paris, oü arrivaient k la fois les nouvelles des desastres de
ph lally, rinde et du Canada, Lally fut accuse de tous les crimes possibles. II
demanda aux Anglais la liberte sur parole pour aller se defendre. Le
ministere rövela sa correspondance k ceux qu'il avait accuses en
termes si violents; ils s'ameuterent contre lui. Bussy, Leyrit, des
conseillers de linde arriverent. Bussy, en termes moderes, d'ailleurs,
expliqua les desastres par les fautes commises. Les conseillers
publterent memoires contre m&noires; und'eux, Le Noir, alla jusqu'4
inventer un tarif des prix auxquels Lally avait vendu les villes
frangaises k l'Angleterre. Choiseul conseillait au g6ne>al de s'enfuir;
il voulut rester pour £tre juge\ II demanda k comparattre devant un
conseil de guerre, mais le Procureur göneral du Parlement le
reclama. Par lettres-patentes du 12 janvier 1763, le Roi ordonna que
le Parlement instruistt l'affaire « en tout ce qui aurait trait aux faits
de linde ». II esp^rait englober ainsi dans laccusation tous ceux qui
auraient meTait dans linde et peut-6tre sauver le glnäral; le Parle-
ment ne voulut juger que lui. Pendant dix-huit mois, le proces tratna
sans que Lally füt interroge. Les magistrats 6tudiaient les m6moires
ecrits contre les accuses; ils n'etaient pas en 6tat de comprendre les
affaires de linde, qu'ils ne connaissaient pas. On prätendit qu*il y en
avait qui prenaient les « cipayes » pour des pieces de monnaie. Le
conseiller Pasquier fut charg£ du rapport; il accusa Lally d'avoir
cause la perte de la colonie, 6nume>a des indices qui pouvaient le
faire accuser de trahison, notamment les n£gociations pour la reddi-
tion de Pondichery, qui lui semblaient un galimatias inexplicable; il
conclut que Taccus6 avait trahi « les int6r6ts du Roi ». Lally fut
condamnö, le 6 mai 1766, k avoir la töte tranchee. L'exlcution eut
lieu trois jours apres en place de Greve. La naissance et le rang du
condamne* lui donnaient le droit d'eire conduit au supplice dans son
carrosse drap6 de deuil; on le mit sur un tombereau et on le
hAtllonna. Le bourreau ne l'ayant däcapite* qu'4 demi de son coup de
liaclw, lui saisit les oreilles pour maintenir la töte, pendant que les
aidos sciaient le cou. Quelques hommes seulement, parmi lesquels
Voltaire, prirent la defense de ce malheureux, qui avait commis
c a84 >
<*"' " La Guerre de Sept Am.
bien des fautes, mais sur qui il etait trop commode de rejeter les
faules de tous et surtout du plus grand coupable, le Gouvernement,
qui 1 avait choisi, bien quimpropre ä une Wehe trop difficile, et qui
setait mis, par sa pohtique continentale, hors detat de secourir
1 Inde. L'opinion publique fut exprimee dans une vilaine lettre de
Mine Du Deffand ä Walpole : « Lally est mort comme un enrage....
Comme on eut peur qu il navalftt sa langue, on lui mit un bäillon...
On a 6te content de tout ce qui a rendu le supplice plus ignominieux,
du tombereau, des menotles, du bftillon. Le bourreau a rassurö le
conlesseur qui craignait d'Älre mordu.... Lally elait un grand fripon,
et, de plus, il <Hail fort dösagreable.... »
IV. — LE TRAIT& DE PARIS
CHOISBül
SiCOClB ÜNB
PAIX PABTJCO-
LIBRB ÄVBC
VANGLBTBRRB.
Choiseul n'avait pas cessö de negocier pour obtenir la paix. 11
essaya de traiter separ^ment avec rAngleterre; il accepla la m£dia-
tion que lui offrit Charles III, qui, en 1759, devint roi d'Espagne, ä
la mort de son fröre Ferdinand VI. II s'excusait auprfcs de la Cour de
Vienne; le 29 octobre, dans une lettre ä son cousin Choiseul-Praslin,
ambassadeur aupres de rimpe>atrice, il parlait le grand eflbrt qu'il
avait fait pour la campagne de 1759, sur terre et sur mer, et rappelait
nos « malheurs militaires ». « Jecrois, disait-il, qu'il est difficile qu'ils
puissont 6tre plus grands. » II regrettait que les « allies puissants »
do In France n'eussent pas mis « par leurs sucefcs du poids dans la
balance ». II confessait l'epuisement du royaume : « Notre credit,
qui faisait la grand e b ran che de notre puissance, est aneanti ». Le
Roi a fait « une espfcce de banqueroute »; pour payer les troupes au
mois de novembre, on a parle* en conseil d'envoyer k la Monnaie la
vaisselle du Roi et des particuliers. C^tait « un 6tat afTreux ». Or,
« il n'y a pas d'engagement qui tienne contre Timpossible ». Sans
doute, il ne voulait pas abandonner rimp^ratrice : « Nous ne ferons
pas la paix de terre sans eile, nous nous dötruirons d'annäe en annto
en sa faveur, mais il faut la prävenir que nous serons forces par les
circonstances a faire la paix avec rAngleterre, dös qu'il sera pos-
sible ».
Cette tentative d'une paix s6par6e avec rAngleterre et l'intimitö luttransigbancb
qui commencait a s'elablir entre la France et TEspagne dlplaisaient
a Vienne. A Londres, on prit trös mal rintervention de l'Espagne.
Apres quelques allees et venues d'agents et des conrersations en
Angleterre et en Hollande, rAngleterre, repoussant Pidee d'un traitö
oü le roi de Prusse ne serait pas compris, les nögociatioos fureat
db mr
a8S
VEpoque de Madame de Pompadour.
uvrb m
FRANCS
ET BSFAGNB.
LS FACTB
PB FAM1LLB.
interrompues au printemps de 1760. Elles reprirent k la fin de lann£e,
apr6s la mori de George III; cette fois il fut question dun congrös
gönäral, qui se tiendrait k Augsbourg, mais ce congr6s ne se r6unit
pas. Pittr6digea, en juillet 1761, un Ultimatum hautainet haineux.
Bussy 6tait alors ambassadeur de France k Londres; il expliqua k
Choiseul, dans une lettre d'aoüt 1761, la puissance de Pitt :
« Ce minislre est, comme vous le savez, l'idole du peuple, qui le regarde
comme le scul auteur de ses succes, et qui n'a pas la meme conßance dans les
autres membres du Conseil. La Cour et ses partisans sont Obligos d'avoir les
plus grands 6gards pour les fantaisies d'un peuple fougueux qu'il est tres dan-
gereux de contrarier jusqu'ä un certain point M. Pitt joint k la reputation de la
superiorite d'esprit et de talents celle de la probite la plus exaete ei du plus
singulier desinteressement... II n'est pas riche et ne se donne aueun mouve-
ment pour l'ötre. Simple dans ses moeurset danssa representation, il ne cherche
ni le faste ni Postentation. II ne fait sa cour ni ne la reeoit de personne.
Grands et petits, si Ton n'a pas h l'en trete nir d'aifaires, on n'est pas admis & le
voir cbez lui. II est tres eloquent, il a de la sürete et de la methode, mais
captieux, entortille et possedani toute la chicane d'un habile procureur. II est
courageux jusqu'a la temerite. II soulient ses idees avec feu et avec une opi-
nidtrete invincible, voulant subjuguer tout le monde par la tyrannie de ses opi-
nions. M. Pitt paralt n'avoir d'autre ambition que celle d'elever sa nation au
plus haut point de la gloire et d'abaisser la France jusqu'au plus bas degre de
1'humiliation. »
On nlgocia pourtant sur V Ultimatum anglais. La France et
l'Espagne agissaient deconcert; Bussy pr&enta les r&lamaüons de
l'Espagne, et appuya la demande qu'elle fit du droit de p£che k Tenre-
Neuve. Sur quoi Pitt, qui aurait mieux aim6, dit-il, donner aux
Espagnols « la tour de Londres », öcrivit k Bussy :
« Je dois vous dcclarer tres nettement au nom de S M. qu'elle ne sounVtra
point que les disputes de l'Espagne soient melees en facons quelconques dans
les negociations de la paix entre les deux Couronnes... En outre, on n'entend
pas que la France ait en aueun temps le droit de se meler de pareilles discus-
sions entre la Grande-Bretagne et l'Espagne. .
Choiseul fit alors parvenir a Charles III un memoire oü il mettait
en parallele la conduite de TAngleteiTe et celle de la France. C'est
dans ces circonstances que fut conclu le « pacte de famille ».
L'idäe d'une alliance entre Bourbons n'&ait pas nouvelle, puisque
les Bourbons de Versailles, de Madrid et d'Italie s'ltaient unis df}k
au temps de la succession de Pologne et de la succession d'Autriche;
mais Choiseul lui donna toute son ampleur. Par la Convention da
15 aoöt 176!, les rois de France et d'Espagne se garantissaient r6ci-
proquement leurs Etats et possessions; toute attaque contre Tun deux
obligerait lautre a Tassistance immldiatc; les contingenta Itaient
fixös, aueune paix ne pourrait 6tre signöe que d'un commun aecord.
286
chap. ii La Guerre de Sept Ana.
Les Bourbons de Panne et des Deux-Siciles seraient admis au pacte;
bientöt, en effel, Don Philippe de Panne et Ferdinand de Naples y
adhe>erent; il pourrait gtre 6tendu aux rois de Portugal et de Sar-
daigne. C'6tait une vaste conception : la France, l'Espagne et l'Italie
bourbonienne se seraient trouvöes alliees entre elles et avec l'Au-
triche, l'amie de la France; une grande ligue catholique se füt
opposöe aux ßtats protestants, la Prussc et l'Angleterre. Elle ne put
elre re*alisee en entier; ni le Portugal, ni la Sardaigne n'adhörerent ;
mais lessentiel de la combinaison, c'ätait l'&roite union de la France
et de l'Espagne, qui r&lisait l'esp6rance de Louis XIV. Plus tard,
au temps de la guerre d'indäpendance americaine, cette union rendra
de grands Services k la France; malheureusement, au moment oü Ton
elait, l'Espagne ne pouvait apporter un concours de forces süffisantes
ä la France vaincue et epuis^e. On lc vit bien, aprös que, le 1 er mai 1762,
l'Espagne eut däclarö la guerre k l'Angleterre.
A cette date, un grand 6v6nement s'&ait accompli en Angleterre. le nun*
Le credit de Pitt avait 6t6 ebranlö par l'avänement de George III, le DB * MS -
27 octobre 1760. Le nouveau roi n'aimait pas le grand ministre; Pitt,
qui continuaitäse montrer intransigeant avec Bussy, auquelil disait,
en aoüt 1761, que « l'heureux moment de la paix » ne lui semblait
pas encore venu, fut renvers6 le5 octobre 1761. Lord Bute, son suc-
cesseur, 6tait d'humeur moins intrai table; mais il fallait qu'il comptAt
avec l'opinion anglaise, avec le parti militaire, avec le parti des
marchands et du peuple dont Pitt 6tait l'idole. L'intervention de
l'Espagne fut un grand argument pour les partisans de la guerre,
loccasion s'oflrant de ruiner la marine et le commerce de l'Espagne
et d'attaquer les Indes espagnoles. En aoüt 1762, les Anglais avaient
conquis la Havane; pourquoi s'arröter en si beau chemin? Cependant,
le 3 novembre 1762, füren t sign£s les präliminaires de Fontainebleau,
qui devinrent, le 10 fövrier 1763, le traitö de Paris.
La France recouvrait la Martinique, la Guadeloupe et Belle-Isle
en 6change de Minorque restituee k l'Angleterre. Elle obtenait, sous
des conditions compliquäes, stipuläes en termes difficultueux, le droit
de peche k Terre-Neuve et les tlots de Saint-Pierrc et de Miquelon.
Elle c6dait son empire des Indes, oü eile ne gardait — et k condition
de n y pas lever de troupes — que les comptoirs de Chanderaagor,
Yanaon, Karikal, MaW, Pondichäry. Elle c6dait son empire d'Am6-
rique, les lies de la Dominique, de Saint-Vincent, de Tabago, de
Grenade et des Grenadines, le Canada, Tlle du Cap-Breton, les lies
du Sa int- Laurent, la valläe de TOhio, la rivegauchedu Mississipi. Pour
rccouvrer la Havane, l'Espagne c£da aux Anglais la Floride ; pour
i »87 >
L'Epoque de Madame de Pompadour. uvbi m
dedommager l'Espagne — ce fut le premier effet du pacte de famille,
— Ia France lui donna la Louisiane. Enfin eile c£da le Senegal, oü
eile ne garda que Tfle de Goree.
le traitö Quelques mois apres, lelo fevrier 1763, le traUe* d'Hubertsbourg
uuübertsboürg. ierminait la guerre continentale. Cette paix remettait les choses dans
l'eiat d'avant la guerre. Le roi de Prusse, qui avait recouvrä la
Pomeranie, ävacuee par la Suede, en vertu d'un traitä conclu k
Hambourg en mai 1762, garda la Silesie. Fr6deric et rAngleterre
etaient les vainqueurs de cette grande guerre.
La räsistance de Fr6de>ic, roi de 2500000 sujets, aux attaques de
tant d'ennemis, qui semblaient tellement plus puissants que lui, a
etonne le monde. La Force quil a revelöe est decuplee par Tadmi-
ration qu'il a partout inspiree. Cette admiration fut profonde en
Allemagne, oü le sentiment patriotique, qui, depuis si longtemps
avait souiTert si durement, s'exalta. Un protecteur de r Allemagne
s'annon$ait en la personne du roi de Prusse, bien plus redoutable
pour la France et pour tous les Etats habituls ä pecher dans les
eaux troubles d'Allemagne, que n'avait 616 l'Autriche. La guerre de
Sept Ans a fait la Prusse grande puissancc allemande et grande puis-
sance european ne. L'Angleterre est d£cid6ment la mattresse des mers;
la marine frangaise, qu'eile a deiruite, pourra renattre, mais quel
concours de circonstances aurait-il fallu pour que la France reprtt
ses empires perdus? Ces circonstances ne devaient pas se präsenter.
sentiment En France, le sentiment national a ei6 violemment ofFense* par
en france. tant de desastres, qui n'avaient pas möme laisse l'honneur sauf. On
applaudissait Fr£de>ic; on lc celebrait en vers et en prose; on faisait
des chansons sur les ministres qui conduisaient la politique, sur les
genäraux qui conduisaient les arm6es, des chansons gaies m6me
sur les dlsastres. C'cst qu'on se desinteressait des faits et gestes
d'un gouvernement et d'une Cour qui perdaient toute autoritö, tout
credit sur la nation. On n'en ressentait pas moins vivement la dimi-
nution de la France dans le monde. On pensait ce qu'ecrivit le car-
dinal de Bernis dans un jugement sur le röle des divers Etats, avant
et pendant la guerre : « Le nötre a 6i& extravagant et honteux ».
i a88 >
CHAPITRE III
LA PROPAGANDE PHILOSOPHIQUE
I. LA FORMATION DU PARTI PHIL080PHIQUB. l'ENCYCLOPEDIB. — II. LI
PATRIARCH! DB FERNEY. — 111. ROUSSEAU.
/. - LA FORMATION DU PARTI PHILOSOPHIQUE.
UENCYCLOPÜDIE
* T E milieu du sifccle, 6crit d'Alembert, paralt destin6 ä faire LEsnrr
JLi 6poque dans lhistoire de Tesprit huraain par la Involution philosophique.
qui semble se präparer dans les id6es. » Montesquieu publiait en effet
V Esprit des Lois en 1748; Buflbn, le premier volurae de son Histoire
Naturelle en 1749; Rousseau, le Discours sur les sciences et les arts
en!750; Diderot, le premier volume de YEncyclope'die en 1751. (Test
i. Sources. D'Argenson (t. VII), Barbier (t. III ei IV). Mme du Deffand, Dufort de Che-
verny, Mme d'Epinay, Grimm, Heoault, deja cites. D'Alcmbert, CEuores et Correspondance
intdite, p. p. Henry, Paris, 1886. Encycloptdie; Discours pHliminaire (t. I, Paris, 1751).
Diderot, CEuores compleles, Paris, 1975-1877, ao vol. Bacbaumont, Mimoires secretspoar stroir
ä r histoire de la re'publique des lettres depuis 176t jasqu'ä nos joars, Londres, 1777-1789, 36 toI.
(les sept premiers votumes). Rousseau (J--J-). OEavres (ed. de 1806) ei notamment Art. sur
Ticonomie polilique; Disc. sur les sciences et les arts; Disc. sar TinigaUli (i. II); Lettre sur
les speclacles (t. II) , V Emile (t. III, IV, V); le Conlral social (t. VI); Lettre ä Christ, de Beau-
mont et Lettres de la montagne (t VII); La noavelle Hilohe (t. VIII, IX et X); Les Confes-
sions (t. XV, XVI et XVII). Voltaire, OEavres. et notamment *. Correspondance, ed. Garnier;
les Quand; les Car; le Plaidoyer pour Ramponeaa; YBxlrail des senlimenh de Jean Meslkr;
le Sermon des Cinqaante (t. XL, ed. Beuchot); le Trailide la lolirance (t XLI); les Guebres
(t. IX); YHistoire da Parlement (t. XXII); le Dictionnaire philosophique (t XXVI a XXXU);
V Essai sar les meeurs, ed. Beuchot; Le Siede de Louis XIV, ed. Rebelliau et Mark»,
Paris, 1892. Longchamp et Wagniere, Mimoires sar Voltaire et ses ouvruges, a vol., Paris,
i$35. Lettres de Mmes de Graftgny, d'Epinay, Suard.... (sur leur sejour aopres de Voltaire),
publ. par Asse, Paris, 1878. MUe de Lespinasse, Lettres, p. p. Asse, Paris, 1876; ei Lettres
inidiles, p. p. Henry, Paris, 1887. Coodlllac, CEuores compleles, ai vol., Paris, i8ai-i8aa.
D'HoIbach, Systeme de la Notare, Paris, 1770, a vol. Palissot, CEaures, £ vol., 1788. L'AnnM
litte" raire, publ. par Freron, a partir de 1754. Lettres de quelques Jaifs... ä M. de Voltaire, pur
l'abbe Guenee, 1769.
Olvraobs a consclter. Aubertin, Texte, Rocquaio, La n son, Faguet, Desnoiresterres,
Lion. Bertrand, deja eiles. — Brunei, Les Philosophes et VAcadimie fruneuist, Paris, 1884.
Brochc, Une ipoque (Montesquieu, Rousseau, Locke), Paris, 190S. Rons tan, La* Philosophes
et la SocUti francaise au XVI Ih siecle, Paris, 1906 (abondante bibllographie pp. 439-Mg).
Lansoo, Voltaire, Paris, 1906 (indications bibllograpbiques). CbajnpioD, Voltaire, Etmdes
i 289 >
Viii. 2. 19
UÜpoque de Madame de Pompadour. ums in
alors que les « Philosophes » devinrent un parti consid6rable. Ils
6taient trfcs dififörents les uns des autres, partag6s en ath6es et en
d&stes, divis6s par des aniipathies et des jalousies personnelles ; mais
ilss'accordaientdansla confianceen la raison, l'amourde l'humanite.
le respect de la personne humaine et de ses droits naturels. Ils
croyaient ä la bont6 originelle de l'homme et ä sa perfectibilitä. Une
sorte doptimisme, d'ailleurs clairvoyant chez quelques-uns, et une
6tonnante facilitö d'cspörance leur donnaient Tid6e alors nouvelle du
progrfcs indäfini; enfin, ces ennemis des religions, gardant le don
de la foi et de l'enthousiasme, rövaient d'unir les hommes par les
lumi&res philosophiques comme par une religion nouvelle :
« O Nature, Souveraine de tous les etres, ecrit Diderot en conclusion au
Systeme de la Nature de d'Holbach, et vous, ses Alles adorables, vertu, raison,
verite, soyez ä jamais nos seules divinites; c'est a vous que sont dus
l'encens et les hommages de la tcrre. Montre-nous donc, ö Nature, ce que
Thomme doit faire pour obtenir le bonheur que tu lui fais desirer... Inspirez du
courage ä l'etre intelligent; donnez-lui de l'energie; qu'il ose enfin s'aimer,
s'estimer, sentir sa dignite; qu'il ose s'affranchir, qu'U soit heureux et libre,
qu'il ne soit jamais l'esclave que de vos lois; qu'il perfecUonne son sort, qu'il
cherisse ses semblables ; qu'il jouisse lui-meme, qu'il fasse jouir les autres. •
la m&thodb II n'y avait au xvm* stecle que deux ordres de connaissances qui
des philosophes. fussent constituäs en sciences, la thäologie et les mathömatiques.
Les Philosophes emprunt&rent leur mäthode aux math&natiques,
dont les calculs avaient produit de si grandes däcouvertes, et, tout
libres penseurs qu'ils fussent, ä la thäologie. De certains principes,
ils tirfcrent des cons6quences. La plupart dentre eux ignoraient
l'importance de Tobservation et de l'exp£rience et la puissance des
faits. Ils n'avouaient pas qu'il y eüt un inconnaissable; ils croyaient
qu'aucun mystöre n'est imp6n6trable ä la raison.
leur capitale Ils attendaient de la raison la d6couverte d'une science politique
brrbur. et sociale, qui 6tabürait une soci6t£ juste, fraternelle et heureuse.
crHiques, Paris, 1893. Brünettere, Etudes critiques, fr et 4* series (Voltaire et Rousseau),
Paris, 18S7. Maugras, Querelle* de philosophes, Voltaire et Rousseau, Paris, 1868.
Beaudoin, La oie et le* aaores de J.-J. Rousseau, a vol., Paris, 1891 (arte Bibliographie).
Chuquet, J.-J. Rousseau, Paris, 1893 (CoIIectlon des Grands Berirab» francais). BrMtf, Da
cametere inlellectael et morai de J.-J. Rousseau, Paris, 1906. E. Rod, L'Affaire J.-J. Rousseau,
Paris, 1906- J. Lemaltre, J -J Rousseau, Paris, 1907. Mornet, Le senttment de la nature. de
J.-J. Rousseau a Bernardin de Saint-Pierre, Paris, 1907. Ducros, Rousseau (f7tt- (757), Paris,
1908. Macdonald, La ligende de J.-J. Rousseau, trad. fran^alse. par Roth, Paris, 1909. Voir
aossi les « Anoales de la Societe J.-J. Rousseau », publlees a Geneve a paiiir de 1906.
Rosenkrantz, Diderot' s Leben und Werke, Leipzig, 1886. Ducros, Diderot, Paris, 1894*
J Morley, Diderot and Ihe Encyclopadists, Londres, 1886. a vol. Bertrand, DAlembert, Paris,
1889 Ducros, Les Rneuclopidistes, Paris, 1900. Perey et Maugras, Une femme du monde au
XVtll* siiete (Mme d'Epinay), Paris, 188& Asse, Mlle de Lespinasse et la marquist du Deffand,
Paris, 1877. Hatin, Ristoire politique et littiraire de ta presse, 8 rol., Paris, 1869. Lichtenberger,
Le socialisme au XVUh sieele, Paris, 1895. Cruppi, Un aooeal jomrnaliste au XVllf steck,
Unauet, Paris, 1896.
< 290 >
chap. in La Propagande philosophique.
11s se faisaient une id6e abstraite ei par irop simple de l'homme, et
leur science sociale concluait trop vito k des applications pratiques;
DHolbach dätinissait la raison « la connaissance du bonheur » et
des moyens d'y parvenir. Ils eurent cette illusion que de bonnes lois
suffiraient a cr6er lideale soci6te\ Diderot disait : « Si les lois sont
bonnes, les mcEurs sont bonnes », et Hehrätius : « Les vices d'un
peuple sont cach6s dans sa 16gislation; c'est la qu'il faut fouiller
pour arracher la racine de ses vices » ; et, encore : « C'est le bon
lägislateur qui fait le bon citoyen. » Ce fut leur capitale erreur, avec
leur hate d'aboutir et de conclure, qui a fait qu'aucun d'eux n'a laisal
un vrai monument philosophique.
Parmi les Philosophes, un seul a pris une place dans l'histoire condillac.
de la philosophie proprement dite, l'abbl de Condillac 1 , chef de lbtrait*
l'äcole sensualiste. 11 6tait un disciple de Locke, mais qui n'adoptait DBS sbnsations.
point toutes les doctrines du mattre. Dans son ouvrage le plus
connu, le TraM des Sensation*, paru en 1754, Condillac suppose
une slalue dou6e successivement de tous les sens, et il montre com-
ment les differentes sensations suffisent pour 6veiller en eile l'atten-
tion, la memoire, l'abstraction, les passions, etc. « Le moi de chaque
homme, dit-il, nest que la collection des sensations quil 6prouve et
de celles que la memoire lui rappelle; c'est tout a la fois la con-
science de ce qu'il est et le souvenir de ce qu'il a 616 ». Ainsi tout
Tesprit s'expliquerait, semble-t-il, par la Sensation transformäe. Mais
Condillac ajoute quil y a dans l'homme un principe intellectuel, et
que c'est un sujet unique, l'Ame, qui sent a l'occasion des mouve-
menls des organes. II croyait ä une morale inn6e, räpudiait les
th6ories trop audacieuses, et ne se m6lait point aux polemiquee de
son temps. Son Systeme säduisait par sa simplicit6, sa logique et sa
clarte\ Lui-m6mc estimait ces qualites par-dessus toutes les autres.
Th6oricien du langage, il pensait que les « signes » non seulement
aecompagnent les idees, mais servent k les former; que les d6nomi-
nations sont la condition des id£es abstraites, et, par la, du raison-
nement. II faut donc « se faire des idees pr&ises » et les « fixer par
des signes constants ». « Tout Tart de raisonner, dit-il, se r6duit Ji
l'art de bien parier ». II parlait clairement et purement. Devenu pr6-
cepteur du prince de Panne, Condillac 6crivit ä l'usage de son 6fare.
un Cours cTEtudes, oü Ton trouve des vues nouvelles et justes sur
le langage et la litterature. II distingue, dans les oeuvres, la liaison
des idees, qui dopend de la raison, laquelle est partout la m6me, le
caractere et le style, differents selon les climats et les nations, et
i. Cordillac (ätienne Bon not. abb6 de) est ne en 1714 et mort en 1760.
< »91 >
Vipoque de Madame de Pompadour.
UVRB Ig
UHOLBACH.
LE SYSTEMS
DB LA NATÜBE,
qu'ii faut estimer dans la mesure oü ils fönt valoir la liaison des
id£es. C'est la thöorie d'un logicien 6pris de la raison classique, mais
qui saii tenir compte des gänies variös des peuples.
Un livre du baron d'Holbach ', le Systime de la Nalure, paru en
1770, bien qu'il ne contienne aueune thäorie nouvelle, m&rite d'ätre cit6
corame le r6sum6 le plus complet des idees matörialistes du temps.
D'Holbach nie tout mystäre : « II n est et il ne peut rien y avoir hors
de Tenceinte qui renferme tous les ötres ». — « Les illusions spiritua-
listes sont des erreurs de physique. » — « Une substance spirituelle
qui se meut et qui agit implique contradiction. » L'homme moral
n'est qu'un aspect de Thomme physique, 6ph6m&re, jet6 dans Tim-
mensit6 du monde. A cet 6tre, la soci6t6 doit des lois oü I'int6r6t de
chaeun se confonde avec l'int£r£t de tous. « Le citoyen ne peut tenir
& la patrie, ä ses assoetäs, que par le lien du bien-Ätre; ce lien est-il
tranchä, il est remis cn libcrt£. » La morale ne peut ßtre fond£e sur
la volonte de Dieu, « despote farouche, qui est visiblement le prä-
texte et la source de tous les maux dont le genre humain est assailli
de toutes parts ».
la lüttb Tous les Philosophes n'approuvaient pas ces nögations violentes.
contbe vioLtsB. Mais ils s'unissaient tous pour lutter contre la th£ologie et contre
le clerg£. Ils revendiquaient la libertä de penser et d'öcrire contre
l'ßglise, pour la defense de laquelle les tribunaux soumettaient
ä une censure les livres, les brochures, m6me les präfaces des tragä-
dies, et, si souvent, ordonnaient la « brülure ». Ils attaquaient les
abus ecelösiastiques, et proGtaient du discr6dit oü 6tait tombäe
rfiglise qui räclamait sans cesse la protection de l'£tat,et quioubliait
de faire en elle-mömc les röformes n^cessaires.
Diderot et d'Alembert furent d'abord les chefs de cette Opposition.
Diderot *, (ils d'un coutelier de Langres, fut 61ev6 chez les Jäsuites
de sa ville natale, et il acheva ses £tudes classiques au coll&ge d'Har-
court ä Paris. A la sortie du coll&gc, il se trouva sans ressources,
entra chez un procureur, sous prätexte d'ötudier le droit, mais ne
s'engagea pas dans une profession röguli&re, afin de se donner entte-
rement ä la littörature. II apprit les math&natiques, l'anglais, l'italien,
composa pour vivre des sermons a tant la pi&ce, se fit präeepteur,
travailla pour les libraires et se procura parfois de Targent par des
expödients plus plaisants qu'honorables. Sa curiositä ätait univer-
selle. II traduisit des livres anglais, VHistoire de la Grice de Stanyan,
DIDEROT.
SBS (BÜVBBS.
1. D'Holbach est ne en 1723, et mort en 1789.
3. Diderot est ne en 1713, et mort en 1784.
39a >
cbap. in La Propagande philosophique.
YEssai sur le mirile et la vertu de Shaftesbury, un dictionnaire de
mödecine; il 6crivit un 61oge enthousiaste de Richardson, le c£l6bre
romancier, auteur de Ciarisse Harlowe, des Riflexions sur T4rence y
une dissertalion sur les SysUmes de musique des Anciens. Mais c'est
par des Pensies philosophiques, parues en 174fi, qu'il se signala. II y
faisait cetle döclaralion : « Je veux mourir dans la religion de mes
pöres... mais je ne peux convenir de l'infaillibilitä de l'ßglise que la
divinil6 des Ecritures ne me soit prouväe ». II alla bientöt beaucoup
plus loin; la Lettre sur les Aveugles ä fusage de ceux qui voienl,
parue en 1749, est un manifeste d'ath6isme; dans un livre intitulä
De l inlerprilation de la nature y publik en 1754, il explique le monde
par les transformations de la mati&re dou6e d'une force 6ternelle.
Diderot avail une endurance au travail et une exub£rance extra- son caractürb.
ordinaires. Tr&s robuste, « taill6 en porteur de chaises », avec un grand
front, des yeux vifs et des 16vres sensuelles, d£braill6 dans sa tenue
et dans ses propos, violent et bon, d6vou6, mais d'un z6le indiscret
dans ses amitiäs, il röpandait infatigablement sa verve, ses enlhou-
siasmes et ses id£es dans des conversations, dans des lettres, dans
des 6crits de toutes sortes, dialogues, contes, dissertalions. « La töte
dun Langrois, a-t-il dit, est sur ses äpaules comme un coq d'6glise
au haut d'un clocher : eile n'est jamais fixe dans un point; et, si eile
revient ä celui qu'elle a quittö, ce n'est pas pour s'y arröter. » II avait
une £loquence imp6tucuse et bavarde, une sensibilit6 prompte aux
larmes et ä l'admiralion :
• Je suis plus afTecte des charmes de la vertu que de la difformit* du vice.
S'il y a dans un ouvrage, dans un caractere, dans un tableau, dans une statue,
un bei endroit, c'est \k que mes yeux s'arrttent; je ne vois que cela; je ne me
souviens que de cela; le reste est presque oubli£. Que deviens-je lorsque tout
est beau! •
Capable de trouver des pensies profondes, il n^tait pas dans sa
nature, ni quelquefois dans ses desseins, de les d£velopper avec patience
et clartß. Cependant, c'est lui qu'on appelait par excellence « le phi-
losophe », moins pour ses ouvrages que pour son g£nie et pour son
role et son autorite dans le parti.
Avant tout, il fut Thomme de l'Encyclop&lie, oeuvre immense, uwis »s
qu'il congut, dirigea et aecomplit. Cctte publication ne devait Gtre ä ^^creu^iom.
l'origine qif une traduetion revue et augment£e de la Cyclopedia or
universal dictionary of the arts and science, publice en 1727, en
Angleterre, par Ephraim Chambers. Les libraires Bqasson ei Le
Breton, apr&s s'£tre adress£s ä divers savants, confterent l'entreprise
ä Diderot en 1745. 11 resolut de faire un räpertoire universal des con-
< 393 >
D'ALEMBERT.
SBS (EUVRES.
SON CARACTäRB.
Vipoque de Madame de Pompadour. utri iu
naissances humaines, qui serait aussi le manifeste d 1 un grand parti
philosophique, et il s'associa d'Alembert pour diriger avec Uli cet
Enorme travail.
Jean Le Rond, dit d'Alembert \ 6tait le fils naturel du Chevalier
Destouches et de Mme de Tencin. Abandonn6 par sa m&re, 6lev6 par
la femme d'un vitrier, mais pourvu par son pöre dune rente de
1200 livres, il fut instruit au College Mazarin, ätudia le droit, la
mgdecine et surtout les math&natiques. A vingt-trois ans, il fut
admis k TAcad^mie des Sciences. En 1743, il 6crivit un Traiti de
mtcanique dont on a dit qu'il renouvelait la science du mouvement.
Son livre sur la Cause des Vents, qui lui valut un prix ä TAcad^mie
de Berlin, sa Theorie de la pricession des iquinoxes, son Traiti sur la
risistance des fluides, ses Recherches sur diffirents points importanls
des systimes du monde, parues en 1754, le mirent au premier rang
des savants de son temps.
D'Alembert avait, dit Grimm *, « les yeux petits mais le regard vif,
la bouche grande, un sourire trfcs fin, un air d'amertume, et je ne sais
quoi d'impärieux », une habitude d'attention p6n6trante, un mouve-
ment inquiet dans les sourcils, un son de voix « si clair et si pergant
quon le soup$onnait beaucoup davoir 6t6 dispens6 par la nature de
faire ä la philosophie le sacrifice cruel qu'Orig&ne crut lui devoir ».
II poss6dait un fonds inäpuisable « d'id£es et d'anecdotes »; il n'6tait
point de mattere « qu'il n'eüt le secret de rendre interessante ». Par
moments, il faisait le « polisson » en imitant le jeu des acteurs de la
Com6die ou de l'Opära, et en bernant ses confr&res de TAcad6mie.
Aussi eut-il un grand succ&s dans les salons, surtout chez MUe de Les-
pinasse.
D'Alembert, qui se contentait d'un revenu de dix sept cents livres
de rente, pr£f6ra son indäpendance aux öftres de Catherine et de Fr6-
i. D'Alembert est ne en 1718, et mort en 1783.
2. Frederic-Melchior Grimm, ne a RaUsbonne en 1738, mort a Gotha en 1807. 1! vint en
France comme precepteur des enfants du comte de Schomberg. PresentA par J.-J. Rousseau
dans le monde des lettres, il devint l'ami de Diderot et l'amant de lfme d'Epinay, et se
brouilla comme eux arec Rousseau en 17S7. II se fit connaltre comme eriUque musical, par-
tisan de la musique italienne contre la musique francaise, et pubHa en 1758 le Petit Pro-
phite de Boehmischbrode. La meine an nee, il succeda a l'abbe Ravnal dans la redactioo
d'une Corrtspondance destinee a la duchesse de Saxe-Gotha et a d'autres prinoes allemands,
puis a rtmperatrice Catherine, et aux rois de Suede et de Pologne. Grimm renseignait les
sourerains etrangers sur la rie parisienne, moeure, modes, scandales, polillque, Hvres nou-
▼eaux; il sut les interesser et les rendre favorables aux ideea encvclopediquea. Diderot et
Mme d'Epinay füren t souvent ses collabora teure; Meister le remplaca en 1778. La Corrt^
pondancc, qui etait connue dans le public par des fragments, ne fut publice qu'en 1819.
Grimm est un critique tres bien informe, et Tun des etrangers etablis en France qui 00t le
mieux saisi l'esprit francais, et parle notre langue avec le plus d'elegance.
II termina sa rie dans les bonneurs : a la cour de Catherine en 1774*, choisi par la dlete
de Francfort comme minislre plenipotentiaire a la cour de Versailles en 1776, cree baroo
da Saint-Empire. II dut quitter Paris en 1790, et recutde Catherine les fooctions de mlnistre
ie Russie pres le cercle de la Basse-Saxe.
»94
cuap. in La Propagande philosophique.
deric II, qui lui proposaient, l'une, de diriger l'&lucation du grand-duc
Paul, lautre, de succäder & Maupertuis comme präsident de l'Aca-
d6mie de Berlin. Une fois encyclop&iiste et philosophe, il devint into-
lerant et sectaire; la passion antireligieuse enragea cette Arne froide.
II se chargea d'äcrire le Discours prt liminaire de Toeuvre. II y L b discocrs
ezplique 1 origine etla succession des connaissances humaines, classe prbliminajrb ob
les sciences et les arts, & l'exemple de Bacon, selon qu'ils d6pendent ^'^^LOPäofg.
surtout d'une des trois principales facultas, la memoire, la raison,
Timagination. II trace un tabieau des progräs de I'esprit humain
depuis linvention de l'imprimerie et Immigration en Occident des
savants du Bas-Empire. Cette präface excita Tadmiration des con-
temporains, et la m6rita comme le m6rite tout grand effort de syn-
th&se; mais le fond en a beaucoup vieilli, et la forme n'est pas
pour sauver loeuvre de l'oubü. D'Alembert est un 6crivain lourd et
sec, avec de I'emphase.
L'Encyclop6die, dont le travail dura vingt ann6es, comprend dix- lenseublb de
sept volumes de texte et onze volumes de planches, quatre volumes viNcrciopiDn.
de suppl6ments et deux volumes de tables. C'est naturellement une
oeuvre disparate. On y relfcve des disproportions choquantes, des
contradictions de detail, des lapsus. Elle s'est inspiräe de I'esprit
pratique des philosophes anglais, de Bacon et de Locke. Celui-ci avait
6crit « qu'il n'y a de connaissances vraiment dignes de ce nom que
celles qui conduisent ä quelque invention nouvelle et utile, qui
apprennent ä faire quelque chose mieux, plus vite et plus facilement
qu'auparavant ». Diderot donna la plus grande place ä des articles
sur les arts et mätiers, qu'il revisait lui-mdme; c'est la partie la plus
originale de loeuvre. II fut secondä par le Chevalier de Jaucourt, qui
ä lui seul 6crivit environ la moiti6 de l'Encyclop6die. II demanda la
collaboration de nombreux sp6cialistes comme Daubenton pour
l'histoire naturelle, Barth&s et Tronchin pour la m6decine, du
Marsais et Beauz6e pour la grammaire, Marmontel pour la liU6ra-
ture et Rousseau pour la musique. Au reste, tous les grands esprits
du temps furent appel6s ä r6diger des articles.
Dans les articles de doctrine, on 6vita d'abord les audaces trop sa boctiumm.
manifestes. Diderot et d'Alembert en sign&rent eux-m6mes de trfts
orthodoxes, firent appel ä des prGtres et confterent, par exemple, les
mots : Arne, Athie et Dien ä Tabb6 Yvon, d'ailleurs liberal. Les
auteurs usaient d'hypocrisie, lorsqu'ils exposaient avec force, de
fagon ä les bien faire valoir, des th£ses qu'ils d&laraient condamner.
Cepcndant, il 6tait impossible de se tromper sur Tesprit g6n6ral de
r oeu vre. Elle est pleine de tr&s vives critiques de toutes les softes
d abus, et les opinions sensualistes et mat&ialistes s'y firent jour de
< 19s >
UEpoque de Madame de Pompadour. uväb m
plus en plus. Aussi les Encyclopädistes parurent-ils comprometlants.
Montesquieu d6clina 1'oflre des articles Dimocratie et Despotismen
Buffon, qui donna en 1765 Tarticle Nature, n'aimait pas les Ency-
clopedistes; Voltaire, Duclos, Rousseau, Turgot se s6par6rent tour
ä tour du parti des « Cacouacs », ath6es, cyniques et bruyants.
uopposmoNA D'autre part, dfcs que parut le premier volume, en 1751, les Jan-
UENCYCLOPiDiBi sönistes et les J6suites saccordfcrent pour attaquer des 6crivains,
Premiers destructeurs de toute foi. II y eut des querelles graves. L'abb6 de
condamnation. p ra( j eSj q Ue Did ero i ava it enröl6 parmi ses collaborateurs, soutint
en Sorbonne une th6se oü, ä propos de la Chronologie de la Genäse,
il paraissait critiqucr les miracles. Le pr6sident de la th&se et le
prieur de la Sorbonne avaient-ils mis leur signature sur le livre sans
Tavoir lu, ou ne fut-il jug6 suspect qu'ä la r£flexion? L'abbö ne fut
d6nonc6 que plusieurs jours apr&s la soutenance. On insinua qu'il
assimilait les miracles du Christ aux eures d'Esculape et d'Apollonius
de Tyane, et que Diderot lui avait sugg£r6 des propositions scan-
dalcuses. La Sorbonne assembl6e condamna l'abbö de Prades sans
Tentendre par 82 voix contre 54, et le d6clara döchu de ses grades;
Tarchevßque de Paris obtint contre lui une lettre de cachet. Pour
öchapper & un arrßt de prise de corps rendu par le Parlement, Tabb6
s'enfuit en Allemagne. Diderot äcrivit en sa faveur une Apologie;
mais un arröt du Conseil, le 7 fövrier 1752, ordonna la destruetion
des deux volumes parus de l'Encyclopödie, attendu qu'ils ensei-
gnaient Tesprit de revolte contre Dieu, corrompaient les moeurs et
dötruisaient Tautorit^ royale. Diderot se mit un moment ä l'abri par
la fuite.
tbrgiversations Mais le Gouvernement ne persista pas longtemps dans ceWe ri-
Dü gueur. II se mit ä pratiquer, entre les deux partis, le jeu de bascule
Gouvernement. donl ü avail si souvent us6 k r<$g a rd des J6suites et des JansSnistes.
Un magistrat liböral, Lamoignon de Malesherbes, directeur de la
librairie de 1750 ä 1763, favorisait presque ouvertement les Philo-
sophes. C^tait, d'ailleurs, pour ceux-ci une protection que de parattre
un parti redou table. Ils faisaient leur propagande par des brochures,
et le public trouvait admirables tous les Berits que dönongaient les
mandements des 6v£ques. Enfin, la publication fut reprisc en
novembre 1753, et continua r£guli6rement jusqu'au tome VII, qui
parut en 1757. Dans l'intervalle, d'Alembert avait 616 rc$u & FAca-
d6mie Franchise, et cette ölection avait 616 une victoire des Philo-
sophes sur le parti devot.
mgueürs apres Mais alors Tattentat de Damiens rendit aux d&vots leur puis-
sance, et Ton s6vit contre les ouvrages « seditieux ». Le Parlement fit
aux öcrivains une guerre en rägle, oü il engloba les imprimeurs,
< 296 >
VATTENTAT
9B DAMIENS.
CHAP. III'
La Propagande philosophique ,
SOUVBLLB
relieurs et colporteurs de livres. C'est alors que fut condamn6 avec
6elat un livre dHelv&ius, intitulä YEspril, paru en 1758. Helv6-
tius, ancien fermier g6n6ral, protecteur g6n6reux des philosophes
et des gens de lettres, avait ramass6 en quatre dissertations les opi-
nionssouventexpos^esdevantluipar ses amis mat6rialistes et ath6es.
Son livre avait &\A publik avec privilöge du Roi ; peut-ötre le
censeur chargä de lexaminer ne Tavait-il pas lu. La Sorbonne
condamna V Esprit; le Conseil du Roi rävoqua le privilfcge; le Par-
lement rendit un anrät de brülure; le Pape fulmina un bref. Hel-
vätius se r^tracta, puis il s'en alla vivre en Prusse et dans les cours
allemandes.
Or, lavocat g6n6ral Omer Joly de Fleury avait d6nonc6 dans
sesröquisitoirescontre les livres, les progr6s des mauvaises doctrines, condamnation db
qui menagaientl'ordre social aulant que la religion, et qui gagnaient
toules les parties de l'fitat. « avec la rapid ite d'une maladie con-
tagieuse » ; il avait signal6 l'cxistence d'une sorle dassociation des
Philosophes, oböissantä un mot d'ordre et agissanl d'aprfcs des plans
arriH6s. Le Parlement institua une commission de thöologiens et
d'avocats chargös d'examincr TEncyclop6die; un arr£t du Conseil la
supprima de nouveau, le 8 mars 1759.
C£lait alors une grosse aßaire, oü plus d'un million 6tait
engag£; quatre mille souscriptcurs avaient vers6 chacun cent qua-
torze livres d'avance; Diderot avait pr£par6 un recueil de plus de
trois mille planches. Les int£ress£s reclam&rent. Les ministres lais-
serent subsister le privil&ge pour les volumcs de planches, corame si
les planches eussent gardö quelque valeur sans le texte qu'elles
devaient illustrer.
DWlembert, fatiguö par les persöcutions, s £tait retir£, malgrö les
instances de Diderot, qui assuma la Charge de terminer loeuvre.
Gr&ce ä la protection de Mme de Pompadour, de Choiseul et de
Malesherbes, TEncyclop^die s'acheva. Le Gouvernement feignit
d'ignorer qu'un ouvrage interdit par lui füt imprimä & Paris. Le
dernier volume du texte parut en 1765, et le dernier volume des
planches en 1772.
Cctte immense entreprise, qui enrichit trois ou quatre libraires,
laissa pauvre son principal ouvrier. Diderot äcrivaiten 1769 : « N'est-il
pas hien Strange que jaie travaillö trente ans pour les associ£s de
lEncyclop^die, que ma vie soit pass£e, qu'il leur reste deux millions
et que je n'aie pas un sol? A les entendre, je suis trop heu reuxd avoir
vrcu. » Du moins, il eut le m6rite davoir dirigä et terminä roeuvre
qui resumait les connaissances de son si&cle et davoir group6 autour
de lui un grand parti. 11 6tait admirä ä l'ötranger comme en France;
ACHEVBhIEST DB
vmuvnB.
INFLUENCB
DB DIDEROT.
a 97
LÜpoque de Madame de Pompadour. uvri ni
Catherine de Russie l'appela aupr&s d'elle. L'Encyclop£die n'a pas
suffi ä ractivit^ de Diderot. Une partie consid£rable de son oeuvre n'a
paru qu'aprfcs sa mort, et sa renommöe fut accrue par les ouvragespos-
thumes qui r6v61£rent toute la variätä et la profondeur de son g£nie :
des romans comme le Neveu de Rameau, ses fameux Salons oü il
cr6a la critique d'art, et des essais, le Supplimenl au voyage de
Bougainville, le Rive de d'Alembert 6crit en 1769, oü sa philosophie
de la nalure rencontre les hypothfcses qui ont plus tard guid6 la
science : Tunit^ de toutes les forces, — pesanteur, 61asticit£, attrac-
tion, 61ectricit6, — et m&me le transformisme.
//. — LE PATRIARCHE DE FERNE Y.
voltairb \ PRfiS T6chec de ses ambitions scientifiques, Voltaire 6tait
courtisan. ±\. revenu aux letlres et & la philosophie frondeuse qui lui avaient
donn6 la c6I6brit6. II avait fait repr6sentcr ä Lille, en 1741, Mahomet
ou le Fanatisme; Mahomet c^tait « Tartufe les armes & la main »,
inventant une religion pour s'asservir leshommes jusqu'ä obtenir
d , euxlecrime.MaiscommeVoltaireavaitcertainesvis6esetqu , ilaspirait
ä deshonneurs politiques, il se gardapendant quelques ann6esdepro-
voquer le scandale par des oeuvres trop hardies. Poussö par Richelieu
dansla faveur de Mme de ChÄteauroux, il devinl unemani&re de diplo-
mate, fit le voyage de La Haye, avec mission de brouiller les fitats
g£n6raux et le roi de Prusse, et, en 4743, celui de Potsdam, afin
d'amener Fröd^ric ä recommencer la guerre contre l'Autriche. Aprfcs
la mort de Mme de Ch&teauroux, il trouve une protectrice plus
d6vou6e encore en Mme de Pompadour, qui le produit ä la Cour.
II öcrit alors une cornödie-ballet, la Princesse de Navarre, et des
poömes officiels, comme la Bataille de Fontenoy, compose le Temple
de la Gloire, devient historiographe du Roi, gentilhomme de la
Chambre, membre de TAcademie Franchise en 1746, membre des
Acad6mies de Rome, de Saint-P6tersbourg, de Cortone et de Flo-
rence. II est en apparence au sommet de la faveur; mais il ne platt
pas & Louis XV, qui se m6fie de « ces gens-lä ». Toujours menacl,
sentant le danger, il va chez le roi Stanislas, & Lunäville; puis il
revient ä Paris; enfin, apr&s la mort de Mme du Ch&telet, survenue
en 1749, il c&dc aux appels de Fr6d6ric II, avec lequel il est depuis
treize ans en correspondance et en 6change d'admiration, et il d6cide
d aller en Prusse. Mais, & son regret, il ne fut pas charg6 de la
moindre mission diplomatique. Peul-6tre le gouvemement eüt-il 6t6
habile de se Tattacher par les grdees et les honneurs, dont il 6tait
< 298 >
CBAP. III
La Propagande philosophique.
avide. Voltaire, d6$u, reprenait peu ä peu sa liberte de pol£miste. 11
6crivit ses premiers conies saliriques, Le Monde comme il va % et
Zadig (1747).
11 arriva le 10 juillet 1750 & Potsdam, regut les insignes de cham-
bellan du roi de Prasse, et fut d'abord dans l'enchantement :
« Cent cinquante mille soldats victorieux, point de procureurs, ope>a,
comödie, philosophie, poesie, un he>os philosophe et poete, grandeur et graces,
grenadiers etmuses, trompettes et violons, repas de Piaton, socteM et libertt!
Qui le croirait? •
Mais, s'il savait donner un tour exquis ä la Batterie, il ötait
d'humeur trop vive et trop indiscröte pour faire un bon courtisan.
Daillcurs, il avait « la passion d'intriguer et de cabaler »>. 11 publia
la Diatribe du docteur Akakia contre Maupertuis, qui pr&idait l'Aca-
deraie de Berlin et irrita Fr6d6ric, qui fit brüler ce libelle. Les deux
« ermis » se brouillärent. Voltaire partit, ou plutät senfuit en 1753.
Pendant son säjour en Prusse, il avait achev£ en 1751 le Stiele
de Louis XIV et commencö XAbrigi de VHisloire Universelle, connu
plus tard sous le nora & Essai sur les Mceurs.
Pour le Stiele, Voltaire a utilis6 le souvenir de ses relations avec
les survivants du grand r&gne, lu tous les documents qu'il put se
procurer, et, par exemple, des m6moires inddits, comme ceux du
duc de Saint-Simon et de Louis XIV. II raconte d'abord l'histoire
politique et militaire du r6gne, puis les aneedotes sur le Roi et la
Cour. Viennent ensuite des chapitres sur le gouvernement intdrieur,
le commerce, l'industrie et les finances; sur les sciences, les lettres
et les arts, qui fönt, ä son avis, du si&cle de Louis XIV Tun des
quatre grands siöcles de la civilisation. A la fin, dans les chapitres
sur les affaires eccl&iastiques, il suggöre que, m£me aux äpoques
les plus brillantes de la pensle, la raison a toujours des progr&s ä
faire contre le fanatisme. L'ordre analytique, que Voltaire a pr£f£r6
ä l'ordre chronologique, n'est pas sans inconv£nient : mais il met en
lumi&re le dessein de l'historien philosophe : « ce n'est point simple-
ment les annales » du r&gne qu'il 6crit, « c'est plutöt l'histoire de
lesprit humain puisle dans le si&cle le plusglorieux ä l'espril humain ».
U Essai sur Fhisloire ginirale et sur les mceurs et üespril de»
nalions depuis Charlemagne jusqu'ä nos jours, qui parut en 1756, et
auquel s'ajouta plus tard une Introducüon sur les peuples de l'anti-
quite, est un ouvrage de vulgarisation; tous les peuples, et non seu-
lement ceux d'Europe, y ont trouv6 une place. Voltaire a inaugurt
ainsi lhistoire universelle et encyclopldique.
Devant ce chaos d'hommes et de faits, il diclare absurde la con-
VOLTAIBE
EN PRUSSE
LE S1ECLB
DB LOUIS XIV.
L'BSSAI
SÜB LBSMQWRS.
»99
L'ßpoque de Madame de Pompadour. utbi in
ception de la Providence, teile que la präsente Bossuet. Le hasard
est, a ses yeux, le maltre des £v£nements, et les plus peiites causes
dälerminent le sort des empires. Mais les grands hommes agissent
puissamment aussi dans Thisloire. Gräce ä cette puissance, on peut
croire ä un progr&s du bien-£tre et de la raison parmi les hommes.
Voltaire trouve dans YEssai y oü il a däpensä beaucoup d'intelligence,
d'innombrables prätextes ä philosophie voltalrienne; en m£me temps
qu'il s'indigne des sottises et des crimes du pass£, il multiplie les
allusionsau präsent. Aussi a-t-il jug6 prudent de dösavouer par-devant
notaires la premtere edition de l Essai.
les dülices A son retour de Prusse, n'osant pas s'aventurer en France, il erra
et ferney. pendant plus d'un an en Alsace et en Lorraine. II sentait le besoin
de s'assurer un asile : « 11 faut, disait-il, que des philosophes aient
deux ou trois trous sous terrc contre les chiens qui courent aprös
eux ». II ßnit par s'ätablir en Suisse, oü il acheta prfcs de Gen6ve,
en 1755, une propri6t6 qu'il appela les Dilices. Mais il offensait la
foi et Taust6rit6 genevoise; le « Magnifique Conseil » du petit fitat
Tinvita a supprimer le thädtre privä oü il jouait la tragädie. II acquit
alors en France les doraaincs de Tournay et de Ferney, tout pr&s de
la frontiäre, quil pouvait passer ä la moindre alerte.
A partir de 1760, il räsida d'ordinairc au chäteau de Ferney,
entourä d'un personnel nombreux de serviteurs et de secrötaires. Sa
niäce, Mme Denis, « une petile grosse femme toute ronde... laide et
bonne, criant, däcidanl, poliliquant, raisonnant, däraisonnant »,
mais sans trop de pretentions, qui adorait son oncle et Tamusait,
Taidait k recevoir les visileurs et les höles. La gloire de Voltaire
Tavait suivi dans sa retraite, oü se succädaient les Parisiens en renom
et les 6trangers de passage en Suisse, comme le prince de Brunswick,
le landgrave de Hesse, le prince de Ligne, des Italiens, des Russes,
surtout des Anglais.
Voltaire en nso. En 1760, il atteint soixanle-six ans. Dans la ßgure, encadr6e
d'une large perruquc, les saillies du nez et du menton ressortent d'une
fagon excessive; les yeux sont toujours brillants; le sourire exprime
l'habitude de la moquerie. Lui-möme a dit : « II est vrai que je ricane
beaucoup, cela fait du bien et soulient son homme dans la vieillesse ».
II porte une veste de basin, longue jusqu'aux genoux, des bas et des
souliers gris de fcr; le dimancheil metquelqucfoisunhabitmordor6,
une veste galonnäe d'or, des manchettes en dentelles jusqu'au bout
des doigts, « car avec cela, dit-il, on a l'air noble ». II avait d ailleurs
la vanitä de faire le seigneur. II a gardä son aclivitä mervcilleuse ;
tout en disant qu'il se meurt, il travaiile dix-huit et vingt hcures par
jour. II ecrivait en 1759 :
i 3oo >
chap. iii La Propagande philosophique.
« Je n'ai point cette raideur d'esprit des vieillards ; je suis flexible comrae
unc anguillc et vif comme un lezard, et travaillant toujours comme un 6cureuü.
Des qu'on me fait apercevoir d'une sottise, j'en mets vite une autre a la place. •
Voltaire continue ä jouer et & öcrire des traggdies : Olympie, le sss occupations
Triumvirat, les Gudbres, les lois de Mino*. II s occupe aussi des pro- multiples.
blemes 6conomiques ; il r£pare des roules, et en trace de nouvelles,
ötablit des ateliers d'horlogerie, vend ses produits ä Constanti-
nople et dans les Pays Barbaresques. II fabrique de la soie et fait
hommage a la du ch esse de Choiseul d'une paire de bas :
- Ce sont, dit-il, mes vers ä soie qui ont travaill6 ä les fabriquer chez moi ; ce
sont les premiers bas qu'on ait faits dans ce pays. Daignez les mettre, Madame,
une seule fois; montrez ensuite vos jambes ä qui vous voudrez, et si on n'avoue
pas que ma soie est plus forte et plus belle que celle de Provence et d'Italie,
je renonce au melier. Donnez-les ensuite ä une de vos femmes, üs lui dureront
un an. •
II cree un haras, et demande un 6talon de race au marquis de Voyer,
inlendant des 6curies du Roi :
• Mon sörail est prÄt, monsieur, il ne me manque plus que le sultan que
vous m'aviez promis. On a tant ecrit sur la population que je veux au moins
peuplcr le pays de Gex de chevaux, ne pouvant guere avoir Fhonneur de pro-
vi^ner mon espece. •
11 imagine des plans d'admirables fermes modeles; il de>eloppe la
prospörite" du village de Ferney par l'agriculture et par l'industrie,
comme il convient ä un bon seigneur. II sentend mieux que personne
aux placemcnts d'argent; il aime Targentet senrichit.
Mais il se tient au courant de la vie de Paris ; de Ferney il excite les sbs totes
Encyclopödistes a combattre la superstition qu'il appelle « l'Inf&me ». philosopüiqües.
II se donne avec ardeur ä la philosophie, puisqu'elle est devenue la
grande aflaire deson temps. Ses idöes ne sont nullement originales et
ne sordonnent pas en Systeme. Adversaire de toutes les religions, qu'il
confond injustement dans le m£me möpris superficiel et grassier,
et donl il altribue la naissance et la puissance uniquement ä la four-
berie des prelres et ä l'imbäcillitä des peuples, il professe la religion
« naturelle », et reste fermement dtiste. II croit en un Dieu r£mun6-
raleur et vengeur qui impose aux peuples une morale; ä l'origine,
c'cst Dieu <]ui a mis dans le coeur de l'homme « l'instinct qui nous fait
sentir la justice », et qui est la « loi naturelle », universelle et fixe
comme In raison. Elle apparatt peu ä peu aux consciences, et finira
par Temporter sur les pr6jug6s et les vices. Voltaire est au fond
optimiste et pratique. II est vrai que son roman de Candide, publik
en 1758, est un manifeste d'ironie contre loptimisme de Leibniz et contre
< 3ot >
L'Apoque de Madame de Pompadour.
uvai m
SES ID&ES
P0LIT3QUES.
le triste d6sordre qui subsiste dans le train del'univers; maisleconseil
qu'il a donnä, ä la fin de Candide, « de cultiver son jardin », et de ne
point se soucier du reste, il ne la pas suivi. Son pessimisme n'est pas
une opinion m6taphysique, — il avait le moins possible de ces sortes
d'opinions; — le sentiment qu'il avait de la faiblesse humaine
n'exciuait pas la confiance en la vie :
« Je vous ai donne des bras pour cultiver la terre (dit la Natüre aux hommes),
et une petite lueur de raison pour vous conduire ; j'ai mis dans vos coeurs un
germe de compassion pour vous aider les uns les aulres ä supporter la vie.
N'6touffez pas ce germe, ne le corrompez pas, apprenez qu'il est divin, et ne
substituez pas les miserables penseurs de l'ecole ä la voix de la nature. •
II s'61&ve souvent, corame d'ailleurs la plupart des philosophes
de ce temps, au ton religieux. II semble m6me vouloir fonder une
figlise nouvelle, dont la religion sera la v£rit6. II a dit un jour :
« Dieu benit notre Eglise naissante; les ecailles tombent des yeux; le regne
de la verit6 est proche. •
LA LÜTTE
En politique il souhaite de nombreuses r^formes : l'impöt pro-
portionnel et sans privil&ges, la räduction des arm6es, la suppression
des droits föodaux, la übertä individuelle, l'6ducation du peuple,
l'abolition du servage, l'abolition de la v6nalit6 des charges de jus-
tice, la suppression de la torture, le divorce, etc. Mais, pas plus
qu'un Systeme philosophique, il n'a construit un syst&me politique.
Tout comme il est rest6 d&ste, il reste conservateur. Pour un grand
terriloire, une monarchie mod6r6e lui paralt Gtre le meilleur des
gouvernements ; mais la monarchie comme eile s'est 6tablie en
France lui parat t bonne, si eile respecte les lois.
Voltaire n'a pas demand6 que l'£glise füt slparto de l'£tat. II
costrb viGUSE. souhaitait que le calholicisme füt « rtduit » ä la conditio« od se
trouvait en Angleterre l'anglicanisme, c'est-ä-dire une religion domi-
nante et non la religion exclusive. « II faul, disait-il, qu'il soit enfin
permis de prier Dieu ä sa mode comme de manger ä son goöt. »
II niait qu'un homme eüt le droit de dire ä un autre : « Crois ce
que je crois et ce que tu ne veux pas croire, ou tu p£riras ». A coo-
qu6rir la totärance, tout philosophe devait travailler « selon ses
forces ».
Plus que personne, il travailla contre l'figlise. Pollmiste, merveil-
leux journaliste, il organisait sa propagande. Son commissionnaire
Thtöriot court chez ceux dont il faut röchauffer le z&le ou gagner
l'appui. Damilaville, premier commis des vingti&nes, fait circuler
par tonte la France sous le cachet du contröleur g£n£ral la corres-
pondance et les pamphlets des Philosophes. De 1760 k 1768, il ne
3oa
CHAP. III
La Propagande philosophique.
se passe gu&re de jours oü Voltaire n'adresse quelque billet & Dami-
laville.
II a lrouv6 la lactique ä suivre. Plus de gros ouvrages, disait-il,
mais des brochures qu'on lance comme les flaches dun carquois,
sans que personne sache de quell es mains elles partent. Une bro-
chure est vile lue, et court de pays en pays, invisible & la police.
Point de melaphysique : « 11 est & la fois plus sür et plus agrtable de
jeter du ridicule et de Thorreur sur les disputes theologiques ». Et il
lournc en ridicule toute l'histoire sainte, le paradis terrestre, le ser-
pent, les aimables filles de Loth, l'arche de Noä. Ses 6crits les plus
retenlissants füren t le Sermon des cinquante et YExtraii des tenti-
ments de Jean Meslier, citri d'Elripignu.
Des copies du Sermon circulörent d&s 1760. C*6tait, dit Barbier,
un ouvrage 6pouvanlable.
• On suppose... qu'il se tient äGeneve une assemblee de cinquante gens de
lettrcs, qui tour ä tour fönt un discours dans cette assemblee, el que celui-ci
est de M. de Voltaire... Les deux premiers points sont une critique affreuse de
l'Ancien Testament, pour en demontrer la faussetl et l'impietl; etle troisicme
est de möme conlre le Nouveau Testament Si l'auteur etait connu, on ne lui
ferait pas faire de voyage autre pari qu'a la place de Greve, pour y ätre brüte. •
Labb6 Meslier, prÄtre champenois, aust&re demoeursetdouxaux
pauvres, avait 6crit un livre pour demander pardon & ses paroissiens
de les avoir toute sa vie trompgs en leur pröchant le catholicisme.
II y niait l'existence de Dieu et limmortalit^ de lame; il y condam-
nait le gouvernement monarchique et concluait au communisme.
Voltaire, qui connaissait le livre depuis trente ans, le trouvait long,
ennuyeux, rempli d'opinions d&estables. Mais il pensa qu'il en
pourrait tirer « un excellent catächisme de Beelz6buth ». II y puisa
en eflfet toutes sortes d'arguments contre Tancienne loi, la doctrine
chrctiennc et les miracles. Les Philosophes döclarfcrent que rfivan-
gile de Meslier convertirait un jour la terre, et d'Alembert proposa
cette epitaphe pour la tombe du cur6 :
• Ci-git un fort honnöte homme de prelre, eure de village, en Champagne,
qui, en mourant, a demande pardon ä Dieu d'avoir 616 chretien, et qui a prouve"
par lä que quatre-vingt-dix-neuf moutons et un Champenoiß ne fönt paa cent
bdtes. •
Voltaire multiplia ses « flöches » sans jamais Ipuiser son « car-
quois 9. Raillant et ricanant, il ne craignait pas de se rtp^ter. II fit
paraftre les Queslions de Zapala, traduiies par le sieur Tamponnel,
docleur en Sorbonne; la Canonisation de Saini-Cucufin y frire d*Ascoli,
ei son apparition au sieur A ueline, bourgeois de Troges, mise en lamiire
par le sieur Aveline lui-mtme; des contes en prose, CIngänu, la Prinr
LA TACTIQGE
LB SBRMON DBS
CINQUANTE (17$0).
VBXTRAtT
DES SBNTIMBNTS
{I76f).
AOTBBS iCKJTS.
c 3o3
Ußpoque de Madame de Pompadour. uvhi m
cesse de Babylone ; des contes en vers comme les Trois Emptreurs de
Chine en Sorbonne, des dialogues, des homölies el des tragldies
encore et ioujours. Au m£me temps, il 6crivit un Tratte' tur la loli-
rance et le Diclionnaire philosophique en huit volumes, qui fut suivi
du Diclionnaire philosophique porlalif. Le Diclionnaire est une ceuvre
de potemique, comme k peu prfcs toutes les oeuvres de Voltaire; les
anecdotes grivoises s'y mölent ä des dissertations s6rieuses. Voltaire
y a vers6 son Erudition, acquise par une immense lecture, mais sujette
a de nombreuses erreurs, dont ses adversaires, Nonotte et 1 abW
Gu6n6e, remplirent des recueils.
Ainsi le « patriarche de Ferney » 6tait peu ä peu de venu, ce que
ne faisait pas prävoir la prcmi&re moiti6 de sa vie, le chef des Philo-
sophes, par ses qualit6s, sa prodigieuse activitö, l'äclat de son esprit,
le don d'expliquer et de vulgariser les questions dont tout le monde
se präoccupait, son g6n£reux et sincfcre amour de l'humanitl, mais
aussi par ses d6fauts, la fächeuse rlpugnance ä s'attarder aux
choses obscures, l'inaptitude ä la r£flexion profonde, l'incapacite de
m6diter, la promptitude ä la pirouette et au rire.
prüdbncb Voltaire avait le talent d'6chapper aux magistrats, ä ceux de
et pkbcautioss Gen6ve comme ä ceux de France. II nc signait pas ses opuscules, et
de Voltaire. däsavouait ceux qu'on lui attribuait. II avertit lui-m6me, un jour,
le « Magnifique Conscil » de Gen£ve que le libraire Rey, d'Amster-
dam, exp6diait un lot de dictionnaires philosophiques et autres livres
pernicieux, qu'il reniait d'avance; pendant ce temps, dit-on, un lot
plus consid£rable arrivait chez un autre libraire. II se couvrait de
protecteurs illustres, Richelieu, Bernis, Choiseul. Mais les colpor-
teurs et les lecleurs de ses oeuvres interdites n'6chapp&rent pas Iou-
jours ä la justice. Lui-m&me fut deux ou trois fois dans des al armes
qui all&rent jusqu'ä l'afTolement; en 1755, quand parut ä Bale une
Edition de sa Pucelle, un laid et insupportable po£me; en 1764, apr&s
le supplice du Chevalier de la Barre, sur le bücher de qui le bour-
reau brüla lc Diclionnaire philosophique \ en 1765, quand l 1 Assembl6e
du Clergß condamna in globo les Berits des Philosophes.
Le philosophe redoubla de pr6cautions : il rebatit l'6glise de Fer-
ney; il va ä la messe tous les dimanches. En 1768, il fit ses Paques,
et adressa un petit sermon ä l'audiloirc : communion scandaleuse,
qui indigne l'^vöquc d'Annecy, au point qu'il en porte plainte ao
Roi. L'ann6e suivante, il feint d'ötrc moribond, se confesse, com-
munie, et fait constater cette manifestation de pi£t6 par un notaire.
D'Argenson lui 6crivait un jour : « Monsieur, faites comme moi, soyez
j6suite ». Voltaire navait pas besoin de ce conseil. 11 jouait sans
scrupules ces vilaines comedies.
< 3o4 >
cbap. m La Propagande philosophique.
Sa plus süre defense 6tait dans l'opinion publique. Sa popularitä
grandissait. Sa belle conduile dans les affaires de Calas et de Sirven,
dont on trouvera bientöt l'histoire, y avait contribuä. II somblait
au-dessus de tous lcs p6rils. En 1770, TAvocat gönäral S6guier, dans
un räquisitoire qui fit grand bruit, avouait et d6plorait la vicloire
de la philosophie :
• Les philosophes se sont Kleves, disait-il, en precepteurs du genre humain.
Liberty de penser, voilä leur cri, et ce cri s'est fait entendre d'une extremite du
monde ä l'autre. Leur objet etait de faire prendre un autre coors aux esprits
ßur les institutions civiles et religieuses et la revolution s'est pour ainsi dire
oper£e. •
La m&me ann6e, Mme Necker ouvrait une souscription pour
61cver une statue ä Voltaire. Dans quelques ann6es, Paris le reverra
et lui fera un triomphe.
SA POFÜLARITÜ.
III. — ROUSSEAU.
GEPENDANT un homme qui ne ressemblait pas ä Voltaire, qui
ne ressemblait ä personne, un homme tout ä part, qui avait une
foi h lui, des passions et des rgves, po&te, orateur, rh£teur, disputait
au patriarche de Ferney la gloire de r£gner sur les Arnes.
Jean- Jacques Rousseau naquit ä Genöve le 28 juin 1712, d'un
horloger sans fortune, Isaac Rousseau, et de Suzanne Bernard, fille
d'un minislre protestant. Sa mfcre mourut en le mettant au monde;
son pere lui donna une premifcre 6ducation bizarre; avec lui, Jean-
Jacques, Ag6 de sept ans, lisait des romans, sur lesquels le p&re et
le ßls s'atlcndrissaient des nuits entieres. 11 d6clama les anecdotes
h^roiques de Plutarque, se crut Grec ou Romain, et s'6prit de la
fibertä. Son temp6rament, präcocement 6veill6, troubla son Imagi-
nation qui 6Lait tr£s vive. Sa sensualitä se d£pensait en rGves, en
audaces soltes et en pratiques honteuses.
Isaac Rousseau, forc6 de quitter Genfcve, confia son fils au pas-
tour Lambercier. Jean-Jacques fut mis en apprentissage cbez un gref-
fier\ puis chez un graveur ; ses mattres le d6goütörent de ces meHiers.
Comrae il n avait point de famille, ni d'argent & employer, il survit sa
fnntaisie; ä seize ans, il s'enfuit de Gcnöve. Un bon cur6 lui donna
une recommandation pour une jeune damed'Annecy, Mme de Warens,
prolestanle convertie au catholicisme. Elle avait vingt-huit ans au
moment de leur rencontre, « un visage p6tri de gräces, de beatnc
yeux bleus pleins de douceur, un teint iblouissant », les cheveux
cendrös, « auxquels eile donnait un tour n6glig6 qui la rendait trte
3o5 >
VBNFANCB
DB KOÜSSBAÜ.
MADAMB
DB WAMBNS.
vni. 2.
VApoque de Madame de Pompadour.
uvrb m
17* VAQABOHDB.
piquante ». Elle se m&lait de politique, cherchait la fortune dans des
entreprises qui devaient finir par la ruiner. Rousseau l'aima comme
une charmante « maman ». Pour lui plaire, ii abjura, comme eile avait
fait, le protestaniisme.
II ne se fixa pas dabord auprös delle ; il vagabondait, mais il
revenait au bon logis; eile lui donnait, outre l'hospitalitä, des legons
de tenue, de morale et de musique. Puis il repartait pour de nouvelles
aventures. 11 fut laquais, vola un ruban präcieux et accusa du larcin
une servante innocente. 11 se lia avec des personnages ötranges, un
prestidigitateur, un archimandrite, se fit professeur de musique et
prit un pseudonyme sonore. 11 6tait toujours en route, voyageant k
pied le plus souvent; en 1732 il poussa jusqu'a Paris. Heureuxdans
la nature, habituä ä la pauvretä, tir6 du besoin quand il le voulait par
sa protectrice, il vivait en dehors des conditions habituelles de la vie.
Quand il eut vingt-deux ans, Mme de Warens lui offrit d'fttre
sa mattresse. II la prit sans d6sir, avec reconnaissance et comme par
n6cessit£ ; l'amour vint ensuite ; mais il accepta fort bien un partäge
de cette singulare mattresse avec le jardinier Claude Anet, dont il
estimait les vertus. Ainsi s'6tablit entre eux trois, comme il a dit lui-
m6me, « une sociätä peut-fttre sans exemple sur la terre ».
lms charmbttbs. Mme de Warens avait lou6 une petite maison dans la campagne
de ChamWry, les « Charmettes ». Jean-Jacques y passa deux ann6es
d'une vie d&icieuse, au milieu des fleurs, des bois, de paysages clairs
et tranquilles; il y lut beaucoup, avec l'ambition de tout apprendre,
mädita et röva. Mais au retour d'un voyage ä Montpellier, d61aiss6
pour un autre amant, il s'61oigna de Mme de Warens. Apr&s avoir
616 pr6cepteur a Lyon, — Uche dont il s'acquitta mal, — il revint k
Paris en 1741, pour y tenter la fortune.
II apportait une raäthode de nolation de la musique par des
chifTres; mais TAcad6mie des Sciences la jugea impraticable. Un
J6suite le präsenta ä quelques femmes de qualite, qui firent de lui le
secr6taire de l'ambassadeur de France ä Venise. II se brouilla vite
avec son chef, et rentra sans argent ä Paris. II composa un op£ra que
fit jouer en 1744 le formier g6n6ral de la Popclini&re, les Mute*
galantes. Chez ce financier, chez Mme d'Epinay, femme s6par6e d'un
autre fermier g6n£ral, il fit la connaissance des Philosophes, en parti-
culier de Diderot et de Duclos.
II vivait avec une servante laide et illetträe, Th6r&se Le Vasseur.
II eut d'elle cinq enfants, et les abandonna tous aux Enfants-Trouv6s.
II fit cette odieuse action sans scrupules, en homme habituä par
sa jeuncsse errante et pauvre ä user des Etablissements de charitA
publique. 11 se paya de mots, disant qu'il destinait ses enfants k
DäiüTS A PARIS.
TltiRSSB
LE VASSBOR
3o6
CHAP. III
La Propagande philosophique.
« devenir ouvriers ou paysans plutöt qu'aventuriers ou coureurs de
forlunc ». II se faisait croire qu'il se conduisait en citoyen de la
R£publique de Piaton.
Rousseau n'aimait pas la vie mondaine; il 6tait peuple et voulait
rester peuple; raais il se montrait volontiere dans le monde, Ger dy
6tre admis et d y faire une figure originale par son m6pris des con-
venances et des modes. II 6tait petit, de teint brun; des yeux pleins
de feu animaient sa physionomie. Sans 6tre beau, son visage intäres-
sait. Souvent rintimidation arrötait en lui la parole et contraignait
ses mani&res. Avec les femmes, « compliraenteur sans 6tre poli ou
au moins sans en avoir l'air », il laissait parattre son orgueil et sa
mölancolic, et s'attirait k tout le moins leur curiositö. Avec les
hommcs, des poussäes de sa conscience rompaient son silence. Quand
ses amis le contredisaient — ils le faisaient quelquefois exprös pour
Texciter — sa conversation, tr6s commune k Tordinaire, devenait
« sublime ou folle ».
Au reste, il sentait parfaitement que son 6tranget6 pouvait 6tre
un inoyen de succfcs, et il se composa avec soin un personnage :
ROUSSBAtf
DANS LE MONDS.
• Je commencai ma röforme par ma parure, je quittai la dorure et les bas
blancs, je pris une perruque ronde, je posai l'6p6e, je vendis ma montre... Ma
chambrc ne desemplissait pas de gens qui, sous divers pretextes, venaient
s'emparer de raon temps. Les femmes employaient mille ruses pour m 'avoir k
dincr. Plus je brusquais les gens, plus ils s'obstinaient. Bientöt il aurait fallu
nie montrer comme Polichinelle, a tont par personne. •
Jean-Jacques dätestait Tuniformit6 de moeurs que la mode 6ta-
blissait en France. Les autres philosophes louaient surtout la poli-
tique, la science, la tolärance des Anglais; lui, il admirait leur carac-
tere, et tout d'abord leur indäpendance morale : « Les Anglais....
ont conservä avec leur liberale privil&ge d'ätre cbacun en particulier
tel que la nature l'a forma ». II estimait leurs mani&res rüdes et leurs
instincts republicains : « C'est, disait-il, la seule nation d'hommes
qui roste parmi les troupeaux divers dont la terre est couverte ».
Sans doute, ce Protestant de Gen&ve avait des accointances
inorales avec les protestants d'Angleterre . Cette pr&Iisposition intime
etait fortifiöe par sesgoüts qui le rapprocbaient de rid6alismc anglais.
II croyait ä lunite du bien et du beau, imaginant de « belles mati-
nees » oü des compagnies brillantes et vertueuses se reposent dans
des paysages rianLs. II aimait, dans les Saisons de Thomson, l'amour
de la nature; dans V Essai sur VHomme, de Pope, l'6loge de la passion.
Du Robinson Crusoe de Daniel de Fo£, il tira peut-6tre quelques-unes
de ses th£ories sur l'lducation.
commbnt
il admirb
l'anglbtsrbb
307
UÜpoque de Madame de Pompadour.
urni m
CONCBPTWN
DB LHOitME
PRIMITIP.
LE POIST DE VÜE
DE ROUSSEAU.
L'homme natural, l'homme primilif, lui semblait l'6tre id6al, et le
retour k la vie primitive, la condition du bonheur de l'humanitä.
Avant lui, les missionnaires j6suites du Paraguay avaient 6crit des
Lettre* oü ils opposaient les vertus de leurs cat6chumenes aux vices
des civilises, et räpandu en Europe des pr6jug6s sur la sup6riorit6 de
l'homme sauvage. II y avait longtemps, d'ailleurs, que des utopistes
imaginaient un 6tat de nature afln de critiquer par comparaison la
soci6t6 de leur temps; et les historiens, en donoant une peinture
trop belle des cit6s antiques, encourageaient l'admiration et le regret
des temps passes. L/idee de Rousseau ne parut donc pas absurde.
Au reste, il ne soutenait pas que T£tat de nature eüt jamais existö
dans toute sa perfection, et il na pointpropos£ en exemplelesmoeurs
des sauvages. L'id6e « que la nature a fait l'homme heureux et bon,
mais que la sociätä le d6prave et le rend miserable » convenait & an
esprit moral et romanesque. II souflrait de sa propre corruption;
ne voulant pas en chercher la source dans son coeur, il en
trouvait l'explication dans son paradoxe; mais il ne croyait pas ä la
possibilitä du retour ä l'6tat primitif. II a dit dans ses Dialogues:
« La nature humaine ne retrograde pas, et jamais on ne remonte vers les
temps d'innocence et d'egalite, quand une fois on s'en est eloigne; c'est encore
un des principes sur lesquels il (Rousseau) a le plus insistt. Ainsi son objet ne
pouvait etre de ramener les peuples nombreux, ni les grands Etats, a leur
premiere simplicite, mais seulement d'arröter, s'il etait possible, le progres de
ceux dont la petitesse et la Situation les ont prlserves d'une marche aussi
rapide vers la perfection de la sociöte\ et vers les detenorations de Pespece. On
s'est obstine ä laccuser de vouloir detruire les sciences, les arts, les theatres,
les academics, et replonger l'univers dans sa premiere barbarie; et il a toujours
insiste, au contraire, sur la conservation des institutions existantes, soutenant
que leur destruetion ne ferait qu'oter les palliatifs en laissant les vices, et
substituer le brigandage ä la corruption. »
Teile est la thäorie qu'il imagine pour concilier ses rtves d'un
Äge d'or, ses räcriminations de solitaire qui sent mal ce qu'il doit
a la societ^, avec son bon sens qui le d&ourne des bouleversements
et des rövolutions.
Le point de vue auquel Rousseau se place dans ses ouvrages est
singulier; mais il a pris soin de Texpliquer k ses lecteurs. II ne s'in-
qui&te pas de däcouvrir la vdritä; il expose seulement des idäes, lais-
sant au public tfclairö le soin d en tirer le proßt possible. 11 6crit,
ä propos de P6tal de nature, dans le Discours sur üintgaliU :
« II ne faut pas prendre les recherches dans lesquelles on peut entrer dans
ce sujet pour des verites historiques, mais seulement pour des raisonnemenU
hypotbetiques et conditionnels, plus propres ä eclairer la nature des choses
qu'ä en montrer la vcritahle originc. »
3o8
"■**. 'B La Propaganda, pkilosophique.
Aux objections qu'on pourrait lui faire sur la hordiesse de ses
idees impraticables, il a repondu en ces termes :
• I'roposez ce. qui est faisable, ne cüsse-t-on de ine repeler. C'est comme
si l'on nie disail : PropoBez de faire ce qu'on fall, ou du moins, proposei
quelque bien qui a'allie avec le mal exislant. •
11 rcvendiquait ie droit d'ecrire ses pensees commc elles lui ve-
naient :
• Je diu euctcmenl ce qui ae passe dana mon espriU ■
II n'etail pas dupe de ses utopies, mais il n'en faisait pas la cri-
Uque. Par malheur, la plupart de ses contemporains ne se soqI pas
plus que lui doime cette peine.
Son premier grand succes ful un Bitcourt aar les seit nee s el les discovm
arlt, qu'il publia en 1150, pour repondre a la queslioo que l'Aca- sni> t-*ssciBncas
demie de Dijon avait mise au cooeours : « Le progres des sciences ST LBiAKTS '"**'•
et des arts a-t -il contribue a corrompre ou a epurer les maeursf •
Rousseau prit parti naturellemeut corjlre les arts et les sciences.
II soutint que, nes de la superstitioo, de la curiosite, du mensonge,
ils oot entretenu les viecs et les onl multiplies; qu'ils onl cree le
luxe, divise la soeiöte en oisifs et en pauvres, el qu'enfin la civili-
salion Unit entiere est corruptrice :
• Le luxe nonrril real pauvres de nos Tille«, et ea fait perir eent raille dans
nos campafniea. L'argenl qui circule entre les maina des riebe« et des artistes,
pour fournir a leurs superf!uiles, est perdu pour la subelsUnce du labouraur.
II Taut de* jus dann dos culsine* i voilä pourquoi tanl de malades maoquent de
bouillon. II Taut des liqueurs sur nos tables : volla pourquoi le pajaan ne bolt
que de l'eau. II faul de la poudre a dos perruquee : votta pourquoi taut de
pa; a* iib n'ont paa de paia. •
A ces dramaliques antitheses, il ajoulait des exemples tires de
Thistoirn ancienne; il rappelait la Trugalite des Romains ou des
Prrsefl de Cyrus, et prononcait des senlences. souveot justes :
• Le irout du faste ne s'aasocie ituere dans les meines Arnes avec celui de
l'bonnete. Non, iln'eslpas possibleque des esprila degrades par une mulülude
de soins faules »Wvent Jamals h rieu de Rrond: et, quaud ils en auraieol la
forte, le courafte leur manquerail. •
II traitait ces lieux communs avec I acrent de la conviction, et
se srntait a son aise Hans ces developpemenls nobles, abstraits, sans
preuves. sans intention precise.
l.e Diacourt ■ prit par-dessus les nues *, ecrit Diderot. L'effet svecis
produil est explique par Garat dans ses Memoire« : ■ Uoe voix qui m > oiscovks.
n'etait pas jeune, et qui etait pourtant toul a fait ioconnue, s'eleva,
noo du fond des deserts et des forets, mais du sein meme de ces
Ußpoque de Madame de Pompadour.
uvmi m
DISCOURS
SDR L'INiGAUTi
{17U).
RAILLEMES
DE VOLTAIRE.
soci6t6s, de ces acad6mies et de cette philosophie oü tant da
lumieres... faisaient nallre tant d'esperances..., et, au nom de la
v6rit6, c'est une accusation quelle intente... contre les lettres, les
arts, les seien ces, et la soci6t6 meine ». Le public, qui aimait toutes
ces choses, s'6tonna dßtre ainsi bravä, s'en 6 ton na, mais s'en 6mut
aussi; ä son « admiration » se joignit « une sorte de terreur ».
En 1755 pour un nouveau concours ouvert par l'Acadämie de
Dijon, il coraposa le Discours sur Forigine et les fondemenls de Clni-
galite parmi les hommes^ qui fit moins de bruit que le premier, mais
qui l'emportait de beaueoup par la force de la pensäe. C'est lä que
Rousseau a exposä le plus longuement sa legende sur l'ötat primitif
de l'humanite, oü 1'homme robuste, solitaire, portant dans son cceur
la pitte naturelle qui est le germe de toutes les vertus, vivail sans
querelies et sans passions. Mais le jour vint oü une premiere iniquitl
d6truisit le bonheur de ces premiers Ages :
« Le premier qui, ayant enclos un terrain, s'avisa de dire : Ceci est a mol,
et trouva des gens assez aveugles pour le croire, fut le vrai fondaleur de Im
societe civile. •
La eulture des terres, qui obligea de les partager, l'6change du fer
contre des denr6es, I'in6galit6 des forces, du travail, des besoins,
rendirent plus sensibles et firent permanentes les diflförences entre les
hommes. Rousseau voudrait que l'humanitä se füt arr£tee a 1'eHat
sauvage, lorsque l'agriculture ne faisait que de nattre, et que la tenre
eHait encore commune. D'ailleurs, il aurait jug6 vain l'effort pour
rätablir le communisme. Montesquieu aussi a vant6 l'6galit6 absolue
et le communisme dans son apologue des Troglodytes, sans que
cela iirfti pour lui. pratiquement, a conslquence. Mais Rousseau
6tait plus qu'aucun de ses contemporains capable de soulever les
passions contre le regime social. Lui, qui avait passe* par les plus
basses conditions, il 6tait, comme il le dit dans sa Lettre ä Mgr Chris-
tophe de Beaumonl, « celui qui g6mit sur les miseres du peuple et
qui les öprouve ».
Les autres Philosophes, gens sociables, qui saecommodaient
fort bien du präsent apr&s tout, et comptaient sur le progr&s pour
dätruire les abus, furent choqu6s par les paradoxes de Jean-Jacques.
• J'ai recu, Monsieur, lui ecrivait Voltaire, votre nouveau livre contre le genre
humain; je vous en remercie. Vous plairez aux hommes ä qui vous dites leurs
verites, mais vous ne les corrigerez pas. On ne peut peindre avec des couleurs
plus forles les horreurs de la societe humaine dont notre ignorance et notre
faiblesse se promettent tant de douceur. On n*a jamais employe tant d'esprit a
vouloir nous rendre beles; il prend envie de marcher ä qua Ire pattes quand oo
lit votre ouvrage. Cependant, comme il y a plus de soixante ans que j'ea «I
3io
cur. in La Propaganda philosophique.
perdu ITiabi tude, j« seiis malheu reusement qu'il m'est impoasible de la raprendra,
et Je lais«B celte allurc naturelle a ceux qui cn sunt plus dignea que vous «t
NIILOSOPHMS.
Ce fut la premiere escarmouche eotre ces deux homm.es; ils nenen
rompirent laut a fail cnviron trois ans plus tard. Rousseau etait ttms lbs otui
relournc h Geneve en juin 1154; bien accueilli, il y passa Tele. Pour
reprcndre ie litre de citoyen de Uuneve, il « ölait rentre dans le eulte
ötäbli dans son pays»,c'esl-a-dire qu'il s'rMailrefaitprotestant. I.'annee
suivante, Voltaire, qui Mail aux Delices, voulut introduire le»
spcclacles a Geneve, en däpit des pasleurs. Pour lui venir en aide,
d'Alembert ecrivil dans YEncyclopidie l'article Geneve, oü il souhaila
de voir celte ville fonder un theatre pour s'y former le goßt. Rous-
seau fit paraltre alors sa Lettre ä d'Alembert sur le» Spectacles, cri-
tique vöhemenle du theatre et de la corruption qu'il produit. II eut
gain de cause aupres des bourgeois de Geneve, el se fit de Voltaire
un ennemi declare.
De retouren France, Jean-Jacques e^aildevenul'hötedeMmed'Epi-
nay, qui avail foit disposer pour lui unc maison de jardinier, l'Ermi-
lage, ä colli de son chateau de la Chevrette. 11 passa la des jours
heureux, presque solitaire. dans la foröl de Honlniorency. II jouissait
de la nature comme autrefois aux Charmetles, mais avec une Iristesse
•' altirantc » oü il se plaisait, et des ravissementa pieux. II fut
bienlöt agite de sentimenls plus violents. II rencontra la belle-sceur
de Mmc d'Epinay, Sophie d'Houdetot, rongut pour eile la plus forte
[Mission de sa vir» et obtint des rendez-vous qui le jetaient dans un
Iroublo ardent. Eile-meme fut emue, mais demeura la fädele maltresse
de Sainl-Lambcrl. Rousseau estimait ce philosophe poele, et c'esla
peine s'il se sentail jaloux de lui. Son amour etail un transport qui
ne derangeait. point le regle de ses sentimenls; il resta juste, bien-
veillant et deferent envers son rival.
Mais il linit par se brouiller avec Mine d'Epinay. Elle devail aller
a lirncve, et souliaitait qu'il y allat avec eile. Rousseau vil dans
ce di'-sir une alleintc a son independance, et comme Grimm, Diderot
el d Holbach se permirenl de le desapprouver, il rompit avec eux el,
finalcmenl.avec le parli eneyelopedique. Dans le monde des Philoso-
phen, il devint un solilaire.
II quilla ]' Ermitage apres le dt'part de Mmc d'Epinay, le .
15 decembre 1757. Alors il loua une maisonnet le a Monllouis, pres de
Monlmorency, puis logea dans un pclit chateau que le marechal et la
inar^chale de Luxembourg mirenl a sa disposilion,
Les six annees qu'il passa a l'Ermilage et a Monlmorency, ae sms iNUMurrtL
promenant, lisant, ecrivanl, sans presque voir personoe, furent les
A MONTMOUttKT.
L'Epoque de Madame de Pompadour. uwmm m
plus fecondes de sa vie. Gependant, il soufFrait d'inßrmitäs nom-
breuses. Une Intention d'urine 6tait pour lui une gtae continuelle.
Vers trente ans, il avait 616 pris de bourdonnements d'oreille qui ne
disparurent jamais compl&tement; il avait des maux de gorge fr6-
quents; en 1758, il fut atteint d'une sorte d'enflure dans le bas-ventre.
Enfin, s'annongaient cd lui des symptömes de neurasthänie, au sens
m&iical du mot, et sa passion pour Mme d'Houdetot les aggravait
la noüvbllb Cette passion lui inspira le roman de la Nouuelle Hilolte. Julie,
hAloisb (wo), jeune Alle noble et vertueusc, aime Saint-Preux, son jeune pr6cep-
tcur, et devient sa maftresse. Plus tard, pour ob&r ä son pfcre, qui
na pas voulu la marier ä son amant par pr6jug6 nobiliaire, eile
6pouse M. de Wolmar. Alors, eile sent la grandeur et la saintetö du
mariago, et devient la plus sage et la plus fidele des femmes. Wolmar
a tant de conßance en eile, qu'il charge Saint-Preux d'61ever leurs
cnfants. Tous trois soutiennent leur effort de loyaut6 jusqu'äce qu'un
aeeident mortel sauve ä temps Julie d'une seconde chute. Ce livre est
frnouvant, tantöt par la peinture de Tamour, tantdt par la beautä du
consentement au devoir. Rousseau y est Eloquent dans les disserta-
tions sur le duel ou le suieide, po&ique et vrai quand il d6crit le
Löman, le Valais ou les vendanges dans le domaine de Ciarens. Les
femmes admirörent Rousseau pour les vertus qu'il donnait ä Julie,
nmante, £pouse et mfcre. Elles louaient « ä l'heure » YHeloite et ne la
littnientqu'en pleurant.
tiuu.K ou En m6me temps que ce roman, Rousseau avait compos£ le traitö
PK rriiwcATiON d'äducation le moins pratique, mais le plus abondant en id6es justes
iint) etfreondes que Ton ait 6crit, Yßmile. Son dessein 6tait de montrer
qu'uneöducation qui ne contraindrait pointla nature, c'est-ä-dire les
dispositions innres qualt&rent d'ordinaire l'habitude et l'opinion
toutes faites, conserverait ä l'homme sa bontä originelle et assurerait
son bonheur. II suppose qu'ßmilc est 61ev6 seul, par un pröeepteur
qui sc donnc ce soin par goüt d6sint6ress£. fimile est riche et noble;
il ne s'agit point de le preparer ä quelque profession, mais de faire
de lui un homme. Jusqu'ä douze ans, il exercera son corps et ses
sens; de douze ä quinzc ans, capable de r6Q6chir, il recevra Instruc-
tion; plus tard, quand son adolescence sera pr6te pour les graves
sontiments, on lui parlcra de la religion. II devra refaire en quelque
sorte les expäriences de l'humanitö; il attendra, pour s'initier ä des
connaissances, qu'il cn ait senti le besoin; il commencera d'apprendre
lnstronomie parce qu'il lui faudra retrouver son chemin dans la
(•umpagne, et la lecture, parce qu'il voudra lire un billet d'invitation.
Pendant longtemps, le pr^eepteur n'interviendra que pour disposer
les circonstances et pröparer la legon des choses. Emile ne sera
< 3ia >
cflAP. ra La Propagande philosophique.
jamais puni; il ne se soumettra jamais passivement ä l'enseignement
du maitre. Cette m£tbode a le d6faut d'Gtre fort longue et de n'habi-
tuer l'enfant ä aucune discipline; mais eile däveloppe l'attention, le
jugement et respecte la spontan6it6 de Tesprit auquel eile donne
confiance dans les v6rit6s qu'il acquiert. Emile, ayant 6prouv6 l'utilitl
de la science et la v^rite de la morale, ne sera point tentä par des
doutes sur leur valeur. D'ailleurs, cet id6al d'6ducation ne devait pas
sembler chimärique ä Jean-Jacques, qui s'6tait forma et instruit par
ses aventures et au hasard de la vie; c'ätait un peu sa propre exp£-
rience quil racontait.
Ce nouveau livre eut comme YHeloise un succ&s trfcs vif. Les
femraes que Rousseau y exhortait ä nourrir elles-m6mes leursenfants
se prirent denthousiasme pour leurs devoirs de mferes. Tenant le livre
en main, elles donnaient le sein aux nouveau-n6s; Ton en vit qui allai-
taient en plein thäfttre, aux applaudissements du public. De jeunes
nobles apprirent comme fimile des mötiers manuels.
Mais \ Emile inquteta les Pbilosophes par un de ses 6pisodes, la la profbsswn
Profession de foi du uicaire savoyard, qui est en röalitä celle de Jean- dbfoidü vicaire
Jacques. Le vicaire se däclare £mu par la saintetl de lßvangile. II savotard.
prolestc contre « Tesprit raison neu r et philosophique » qui « attache
ä la vie, eflfömine, avilit les Arnes, concentre toutes les passions dans
la bassesse de l'int6röt particulier », esprit plus funeste que le fana-
tisme mömc. C'ötait la condamnation des Encyclopädistes, qui ne
savaient que penser de cette apologie du sentiment religieux : « Je
vois Rousseau tourner autour d'une capuciniöre, oü il se fourrera
quelqu'un de ces matins », 6crivait Diderot. Mais, dans ce m£me
livre, Jean-Jacques niait la rövßlation, les miracles et le privil6ge
divin du christianisme. II £crivait :
• Je crois toutes les religions bonnes quand on y seit Dieu convenablemeoL
Le culte essentiel est celui du coeur. »
Averti que le Parlement allait procöder contre lui « en toule
rigueur » ä cause de ses impi6t6s, däcrötö de prise de corps, il senfuit,
In nuit du 8 au 9 juin 1762. Tout le monde se d&larait contre lui.
De plus en plus, il ölait solitaire.
Quelques semaines avant Yßmile, il avait publik le Contrat social. le contrat
La doctrine en est que la soci&6 r&ulte d'un pacte assurant la pro- social (wt).
trction mutuelle de ses membres, ä condition d'une « aliänation totale
de chaque associ£ avec tous ses droits ä toute la communaute »;
cliacun « met en commun sa personne et toute sa puissance sous la
supr^mc direclion de la volonte g6n6rale »; il devient « partie indi-
visible du tout ». « Comme il ny a pas un associ6 sur lequel oa
< 3i3 >
VilUTABLB
K)RTtE
DU « COSTKAT ..
L'Epoque de Madame de Pompadour* uvai m
B'acqutere le m£me droit qu on lui cede sur soi f on gagne l'equi-
valent de tout ce qu'on perd et plus de force pour conserver ce
qu'on a. »
11 suit de \k que tout gouvernement fonde par la force est illegi-
time. C'est la volonte generale qui est « le souverain ». Les
legislateurs ne fönt qu'6clairer ce souverain; les gouvernants ne
sont que ses deiegues, qui re$oivent commission dexercer la puis-
sance executive, parce qu'elle ne consiste qu'en actes particuliers.
Le gouvernement le plus parfait serait la democratie; mais il n'est
applicable que dans les etats trfcs petita, oü les citoyens se connais-
sent et peuvent se rassembler; d'ailleurs c'est le plus sujet aux agita-
tions intestines. II faut que le souverain choisisse la forme de gouver-
nement qui convient le mieux ä chaque pays. Une aristocratie, mais
eiective, est peut-ötre la meilleure de ces formes. En tout cas, il
importe que rien ne rompe l'unite sociale. La religion a trop souvent
cree un pouvoir religieux rival du pouvoir civil; ou bien, comme le
christianisme pur, eile inspire aux citoyens le detachement et la resi-
gnation : « Les vrais cbretiens sont faits pour etre esclaves; ils le
savent et ne s'en emeuvent guere; cette courte vie a trop peu de prix
ä leurs yeux ».
L'fitat a le droit d'imposer ä ses membres une religion qui les
oblige ä se montrer bons citoyens :
« II y a une profession de foi purement civile dont il appariient aux sou-
verains de fixer les articles, non pas precisement comme dogmes de religion,
mais comme sentiments de sociabilite sans lesquels il est impossible d'ttre bon
citoyen ni sujet Adele. -
Ainsi s'explique la conclusion draconienne :
• Que si quelqu'un, apres avoir reconnu publiquement ces memes dogmes, se
conduit comme ne les croyant pas, qu'il soit puni de mort; il a commis le plus
grand des crimes, il a menti devant les lois. »
Teiles sont les tbeories principales du Contrat social. Rousseau
a voulu donner ä son livre une apparence de deduction rigoureuse,
ä la Spinoza; mais le Conlrai n'est pas une abstraction pure. L'au-
teur pensait ä la ^publique de Gen^ve, sa patrie. Et puis, il subissait
l'influencede ses lectures; l'experience politique lui manquant pour
remplir tout son ouvrage de ses propres faits et gestes, comme il en
avait coutume, il se ressouvient de V Esprit des Lots et de Fhistoire
romainc; il parle cn conciloyen des legislateurs antiques. II faut
remarquer aussi que l'idee de la sou veraine te du peuple se trouve
frequemment dans les auteurs protestants; eile est dejä dans Jurieu;
on la trouve encore dans Burlamaqui, dont les Principe* de droit
i 3i4 >
CHAP. III
La Propagande philosophique.
polilique, parus en 1751, offrent de grandcs ressemblances avec le
Conirat social.
Cependant, Jean-Jacques, apres qu'il s'ltait enfui de Montmo- roussbaoa
rency, avait recommence* sa vie errante. 11 aurait voulu se retirer ä motibrs-travbbs.
Geneve; mais le Contrat et V Emile y furent inierdits. 11 s'6tablit ä
Motiers-Travcrs, dans le comt6 de Neuchätel, oü il passa trois ans.
Ce fuL un temps de pol&niques et de querelies; il röponditä l'arche-
vequc de Paris, qui avait lance* contre lui un mandement, par la Lettre
ä Mgr Christophe de Beaumont^ oü il fit la däclaration publique de
son retour ä l'figlise protestante :
• Je suis chr£Uen, et sinceremcnt chretien, selon la doctrine de l'Evangile. Je
suis chretien, non comme un disciple des pr6tres, mais comme un disciple de
Jesus-Christ. La forme du cuite est la police des religions, et c'est au souverain
quil appartient de regier la police de son pays. -
II communiait selon le rite calviniste; mais le Conseil de Geneve lettres db la
lui tenait rigueur. Le procureur g£n6ral Tronchin publia contre lui montagnb (/tu).
des Lettres tcriles de la Campagne ; il räpondit par les Lettres icrilet
de la Monlagne, oü il se fit le deTenseur des principes de la Refor-
mation contre les pasteurs, et dlmontra que le gouvernement de
Geneve 6tait ill6gitimement aux mains dune aristocratie. Toute la
Suisse s'agitait; Voltaire diffamait Jean-Jacques; les pasteurs vou-
laient Texcommunier ; celui de Motiers, Montmolin, excita contre
lui les paysans, qui un jour assaillirent sa maison ä coups de pierres.
Jean-Jacques s'enfuit le lendemain, 7 septembre 1765. La petite lle
Saint-Picrre, dans le lac de Bienne, lui servit d'asile pendant siz
seraaines; il y vöcut selon son id6al, seul et r£vant.
En janvier 1766, il se laissa persuader de suivre David Hume en
Angleterre, et habita la campagne, log6 au chdteau de Wootton, chez
un ami de Hume. Mais son bumeur ombrageuse d6g6n6rait en folie
de la persöcution. II crut qu'on tramait des complots autour de lui,
prit Hume en horreur et s'enfuit secretement de Wootton en 1767.
Revenu en France, il habita successivement Lyon, Grenoble, et enfin,
h partir de 1770, Paris, quil ne quitta que pour aller mourir chez le
marquis de Girardin, Tun de ses admirateurs, & Ermenonville, en
juillet 1778.
11 avait passe* ses dernieres an nee s dans unc chambre modeste et
claire de la nie PlAtriere, soign6 parThe>ese, copiant de la musique,
calme, herborisant et se promenant avec Bernardin de Saint-Pierre,
son ami et son disciple. Ses admirateurs le consultaient sur leur con-
duite : il leur donnait les conseils les plus mod6r6s, comme s'il eüt
röserve* pour lui seul ses paradoxes. II entreprit l'analyse et l'apologie
de sa vie, et il 6crivit les Confessions et les Dialogaes, ou Rouueaujuge
DERNIERES
ANHiMS
DB ROUSSEAU.
3i5
VEpoque de Madame de Pompadour.
uvms in
caractere
de rousseau.
de Jean-Jacques. De plus en plus, le dllire de la persfcution se r6v£-
lait. Cependant, il porlait en lui « la ressource de l'innocence et de la
resignation », et il öprouvait encore au speciacle de la campagne
« un mllange d'impression douce et triste » qui lui rappelait ses
rtvenes en Savoie ou dans File Saint-Pierre. Son deraier ouvrage,
les Rtveries d'un promeneur solitairt, contient des recits dune poesie
tantöt lyrique, tantöt familiäre.
les confessioss. Ses Confessions ne parurent qu'aprös sa mort. Mais il les avait
fait connaltre par des lectures faites dans l'hiver de 1770-1771 et par
des extraits. Elles sont le chef-d'oeuvre de Rousseau. II y a racont6
sa vie, sans doute avec quelques inexactitudes de detail, quelques
mirages du souvenir, et, tout en confessant ses fauteset ses tares, avec
une partialite* naturelle en sa faveur; mais il a merveilleusement ana-
lyse son propre caractere, et donn6 le modele de l'histoire d'une Arne :
« Je veux montrer ä mes semblables, a-t-il dit, un homme dans
toute la ve>ite" de la nature; et cet homme, ce sera moi ».
La « nature » de Jean-Jacques est tres complexe. II est u6 citoyen
dune räpublique; sans famille et pauvre, il a 6te 61ev6 hors cadres,
dans la venture; de la viennent en partie ses idees sur la politique ei
la soci6te\ II est ne* protestant, de lä cette präoccupation de lui-m6me
et cette attention aux p6ch6s intimes, ce trouble moral et cette reli-
giositä; de lä aussi, peut-ötre, comme on la dit, cette conception
dune primitive vie beureuse, qui ressemble ä celle du Paradis perdu.
II est ne plus sensible que personne, en ce temps de la sensibilite\
et ses propres miseres Tont fait compatissant aux miseres d'autrui.
« Quant & la sensibilit6 morale, a-t-il dit en parlant de lui-m6me, je
nai connu aucun homme qui en füt autant subjugue\ » Et puis, il
est un malade, tourinen t£ de maux divers, hypocondriaque; et par
moments, ce qui explique les bizarreries de sa conduite et de sa
pensäe, il touche ä la folie.
Doue* d'imagination et de raison oratoire, il savait communiquer
aux Arnes ses ämotions les plus douces et aussi les remuer par la force
pl£b£ienne de ses indignations, et par sa foi dans la bont£ humaine,
et par sa vertueuse et vehemente eloquence. « Rousseau na rien
decouvert, mais tout cnflamme* », dil Mme de Staei. II 6t une impres-
sion prodigieuse par la nouveaute* et u la magie de son style ». La
claire prose du temps etait abstreite, pauvre de mots et de figures.
Rousseau eut Tabondance, le mouvement, le don des images et des
traits, une proprio de termes qui va parfois jusqu'ä la vulgaris
voulue et, enfin, l'harmonie et le nombre. Son eloquence sent sou-
vent l'effort. On y trouve tantöt « une emphase ätudiee », tanUVi
« une sorte de rudesse et d'Apretä affect^e, mais önergique » ; mais
ROUSSEAU
BCR1VA1N
< 3i6 >
cmp. "i La Propagande philosophique .
eile est naturelle dans les descriptions, et dans l'expression des sen-
timents intimes. Rousseau ne s'6vertue pas ä faire de la peinture au
moyen des mots; mais il d6couvre devant son lecteur des paysages
de montagnes, de lacs et de foröts. Pour noter les nuances de ses
ravissements et de ses tristesses, il emploie un subtil et riche voca-
bulaire, qui servira plus tard ä Benjamin Constant, ä Balzac, ä Sainte-
Beuve romancier et critique, ä George Sand. Mais il garde toujours
une simplicitä virile, dont l'accent n'est pas encore celui de la
melancolie romantique.
C'est Rousseau pourtant qui a 6t6 le promoteur du romantisme.
II a conseillä aux hommes de fuir la societe\ de se reTugier dans le
sein de la nature, de chercher lindependance dans la solitude, de s*y
exalter par la röverie et par l'adoration. II a donne aux romanciers
et aux poetes l'exemple de remplir leurs ouvrages d eux-m6mes, et de
substituer ä la raison impersonnelle des classiques l'elude passionn£e
des sentiments individuels Goethe a fait ä Strasbourg des extraits
de Rousseau, avant d'exprimer les souffrances du jeune Werther,
auxquelles ressembleront Celles du Reni de Chateaubriand. Ber-
nard in de Saint-Pierre a note" en compagnie de Jean-Jacques des
colorations du ciel, et rcc,u de lui la doctrine de la Providence, et
Rernardin inspirera Chateaubriand dans Le G4nie du Christ ianisme,
et il commencera, par ses paysages des tropiques et des lies lointaines,
la Iitterature exoüque qu'illustrera Tauteur d'Atala. Enßn, les 6cri-
vains etrangers, surtout ceux de l'AUemagne, se fönt les imilateurs
de Jean-Jacques et, grftee & lui, les difförentes litteratures nationales,
ptfnetrees d'un möme esprit, formeront peu ä peu une Iitterature
curop<*cnne.
Jean-Jacques Rousseau, deleste' de quelques-uns de ceux qui le
connaissaient personnellement et qui voyaientde pres ses deTauts et
ses miseres, fut aime* ä la passion par la foule de ses contemporains.
Ses Berits etaient attendus avec une impatience extraordinaire et lus
avec une Emotion febrile, ßvidemment ce public 6tait pr£dispos£ ä
lentendre et ä le comprendre. On avait besoin d autre chose que de
moqueries, de rircs et de sarcasmes. Des Arnes ächappees des reli-
gions aspiraient ä un nouveau Credo qui donnftt une nouvelle dirce-
tion a la vie; la prädication de Jean-Jacques leur sembla dun pro-
phete et dun saint. II fut I'homme näcessaire & rhumanite\ Sa mort
laissa des inconsolables : « Rousseau, s'ecria Madame de Stacl. qu'il
eftt ete doux de te rattacher k la vie *>! Mais sa predication deviendra,
apres sa mort, plus puissante; en lui, plus quentout autre, la Revo-
lution saluera un « preeepteur du genre humain »>. Les orateurs le
prendront pour modele de leur eloquence 6chauflfee d'apostrophes et
ROUSSEAU ET LE
ROMANTISME.
L'ISFLÜBNCR
MORALB
DE ROUSSEAU.
3i 7
Ußpoque de Madame de Pompadour. urai m
de prosopopöes ; lc Contral social, que Marat commeniera sur les places
publique* ü la vcille de 1789, sera lßvangile des rävolutionnaires pro-
prementdits; llobespierre prendradans Rousseau lid6e de la religion
de rßtre su pro nie. Ces disciples tireront des idäes et des sentiments
du niaitre des consequences qu'il aurait d6savou6es certainement. Le
uialtre avait dit <( ce qui se passait dans sa töte », en dädaignant de
sen tenir au « faisable » ; c'eUait son droit d'6crivain philosopbe ; les
disciples, en voulant imposer a la r£alit6 concrfcte des coneeptions
pures et des r£ves commettront de terribles erreurs. Mais il fallait bien
que quelqu'uu opposdt ä des institutions, ä des id£es, ä des senti-
ments, n des moeurs, que tout le monde avouait caducs, les droits
pertnanents de la personne humainc et de Thumanit^. Lavoir fait
avee eelte passion, avec cette since>it6, cette öloquence de gänie,
eVsl la gloire particuliere de l'homme qui a voulu 6tre « celui qui
geuiit sur les nüs&res du peuple, et qui les öprouve ».
3i8
CHAPITRE IV
LA « DESTRUCTION » DES JÜSUITES;
LA PERSECUTION DES PROTESTANTS; LES
AFFAIRES CALAS, SIRVEN, LA BARRE.
I. — LA DESTRUCTION DBS JESUITES; LA REFORME DES COLLEGES. — U. LA
PERSECUTION DES PROTESTANTS. LES PROCES CALAS, SIRVEN ET LA BARRE.
/. — LADESTRUCTION DES J&SUITES; LA REFORME
DES COLLkGES*
AU moment oü la propagande philosopbique battait son plein, grands
des äpisodes, simultanes ou successifs, se produisirent qui incidbnts.
mircnt aux priscs les opinions et les passions contradictoires entre
lesquelles le pays 6taiL partagä, et prirent limportance d'6v6nements
historiqucs. Un des plus considärables, Texpulsion des J6suites, eut
pour cause un aeeident arrivä ä un membre de la compagnie.
i- Sources. Mimoires secrels (Bachaumont), Grimm, D'Alembert (Correspondance), Vol-
taire (GEuvres, et notamment la Correspondance), Besenval, Talleyrand, deja cites. Extraiis
des assertions dangereases et pernieieases en lous genres qae les soi-disans Jisaites ont... sou-
tenues, enseignies et pablitet, Paris, 1763. Compte-rendu des Conslilalions des Jisaites, par
M. Louis-Rene de Caradeuc de La Chalotai*. Nouvelle edition, s. 1., 1761. Seeond Compte-
Rendu sur Vappel comme (Tabus des Conslilalions desJisailes, par M. Louis-Rene de Cara-
deuc de La Chalotais. s. 1., 1761. D'Alembert, Sur la destmetion, broch., s. 1., 1765.
Fon teile (Chevalier de), Correspondanee, p. p. H. Carre, Paris, 1898. Miromesnil (Hue
<\r), Correspondance politiqae et administrative % p. p. P. le Verdier, Rotten et Paris, 1899-1908,
5 vol., I II (1761-1763). Georgel (l'abbe), Mimoire* pour servir ä thittoire des ivinemenls d*
la fin du XVIII* siMe, depais MO jasquen iiOt-HIO, Paria, 1817-1818, 6 vol.. t. I. Des
Cars (duc). Mimoires, Paris, 1890, a vol. Guyton de Morveao, Memoire sur tidacation po-
bltqur, 17^. Rolland d'Erceville, Plan diducalion, 1768. Diderot. Plan dune Universili, an
t III des (Eueres complites, ed. Assexat Guyot, Repertoire aniverstl et raisonni de juris-
prudence civile et criminelle, canonique et binifieiale, 17 vol.. Paris, 1784. Art. Colleges,
au t. III. Encgclopidie ou Dictionnaire raisonni des sciences, des arts et des mitiers, t. III
(Art. Colleges)
Ol-viuqeh acoxsdlter. Lacretelle, Michel et, Jobez ft. V et VI), Aobertin, Picot, Croosax-
Cretel, Hocquain, Sicard, Cabasse, Campardon, Bertrand (D'Alembert), Cruppi, Desnotoas-
terres. Perey [Duc de Nivernais), Texte, deja cites. Cretineau-Joly, Histoirt rtligiease, poti-
lique et littiraire de la Compagnie de Jesus, Paris, 1866, 8* ed., 6 vol., t V Saint-Priest
< 3ig >
L'Epoque de Madame de Pompadour. uvai m
FAtLUTE Le Pore La Valette 6tait parti pour les Antilles, en 1741, comme
dup. lavalette; xni&sionnairc; pour öteindre les dettes contract6es par la maison
vordre implique de vordre ä Saint-Pierre de la Martinique, et, sans doute aussi,
DANS VAFPAIRE
ob&ssant ä une vocation naturelle, il se mit ä faire de l'agriculture et
du commerce. Encouragö par le succös, il ätendit ses Operations;
mais une 6pid6mie enleva bon nombre des nfcgres qu'il employait k
des däfrichements, et, en 1755, il eut beaucoup ä souffrir des captures
de vaisseaux faites par les Anglais. Bref, il fut ruin6. Une maison
de Marseille, la maison Gouffre et Lioncy, sa crtanciöre pour
1500000 Iivres, fut entralnäe dans sa perte, döposa son bilan
en 1756, et attaqua, devant la juridiction consulaire, non les Jdsuites
de La Martinique, mais ceux de France, comme solidairement res-
ponsables. Elle gagna son procfcs. Les Pfcres en appelörent au Parle-
ment de Paris; c'ätait une grande imprudence; tout le Parlement
n'ötait pas jansäniste, mais les Jans&iistcs y donnaient le ton. II y
avait d'ailleurs accord pr66tabli entre le Jansänisme et le Parlement
qui, avant qu'on parldt de Jansenius, d&estait dans les J6suites
Tultramontanisme. Puis les magistrats 6taient ravis de montrer leur
puissance, en engageant cette lutte sans Fagräment ou m6me contre
l'agr&nent du Roi, et de recevoir l'applaudisscment du public. Leurs
traditions, leur esprit de corps, leurs opinions, leurs croyances, leur
intäröt se rencontraient dans cette affaire.
les jäsuiTEs Le 8 mai 1761, sur les conclusions de TAvocat gönlral Le Pelle-
coNDAMNis (/75/). jj er fe SainUFargcau, le Parlement condamna les J6suites : ils
devaient rembourser ses cräanccs ä la maison Gouffre et Lioncy et
lui verser, ä titre de dommages-int£r£ts, 50000 Iivres; defense
leur etait faite de se mßler ä l'avenir d'aucun genre de trafic. Au
Palais, la foule accueillit le prononcö du jugement avec des cris
d'enthousiasme ; les Jösuites presents furent couverts de hu6es, et le
(de) Hisloire de la chute des Jisuiles aa XVIII* titele (/75<M7#f), Paris, i8K. Bastard
d'Estang (de), Leu parlemenls de France, Paris, 1857, 2 vol., t. II. Dubedat, Hisloire du
Parlement de Toulouse, Paris, 1886, 2 vol., t. II. Marion, La Bretagne et le duc fAiguiÜon
(#755-/770), Paris, 1898. Pocqtiet (B.), Le pouooir absolu et respril provindal : Le dmc
d'Aiguillon et La Chalolais, Paris, 1900, 3 vol.
Compayre, Hisloire crilique de* doclrines de Nducation en France, Paris, 1881, a* ed.,
2 vol., t. II Sicard (l'abbe), Les iludes classiqaes avant la Rivolulion, Paris, 1887. Douarcbe
(A.), L'Universili et les Je"suites, Paris, 1888 Duruy (Albert), L'inslruction publique et la
Revolution, Paris, 1882. Lallemand, Hisloire de Tiducalion dans Tancien Oraloire de France*
Paris, 1889. ßeaurepaire (Cb. de), Recherche» sur r Instruction publique dans le diocise
de Roaen avant 1789, Rvreux, 1872. 3 vol., t. III Boissonnade et Bernard, Hisloire du
College et da lycee d'Angoulime (1516-U9R), Angouleme, 1896. Trancbau, Le College ei le
lycie d'Orleans Orleans, 1898. Delfour, Hisloire du Igcie de Paa, Paris, 1890; Les Jisuiles
ä Poiliers (1$04-i76t), Paris, 1901. Dtipuy, L'inslruction secondaire en Bretagne au XVIII 9
siede, Renne«, i883. Carre (G.), Lenseignemenl secondaire ä Troges, du mögen äge a la
Revolution, Paris, 1888 Gaullieur, Hisl. du College de Guyenne, Bordeaux, 1874. Malte», L'imetr.
publique dans les villes et les campagnes da comli Nanlais avant 1789, Nantes, 188a.
< 320 >
Chap. IV
Les Jfouites, les Protestant*.
Premier President et TAvocat gän&ral portäs en triomphe. Des
inconnus s'embrassaient, comrae si la France etit remporte une
grantle victoire.
Ce ne fut lä qu'une enträe de jeu. Bien que le passif de La Valette
ne sölevät qua deux millions, le Parlement rendit contre 1 Ordre un
arrel de saisie. Tous les cr£anciers des Jesuites firent aussitöt valoir
leurs droits; le chiffre des crlances montant ä cinq millions, TOrdre
parut insolvable.
Au cours du proces, le 17 avril, un conseiller de la Grand'Chambre, exambn
ardent janseniste, ambitieux de bruit et de renommee, ayant des dbs
liaisons ä la Cour et avec \Encyclop J die, l'abb6 de Chauvelin, « en sa constitutum
qualitö de chrötien, de citoyen, et de magistrat », avait denonce, aux 0BLAC0UFAGHl *
Chambres assembläes les Statuts et constitutions de la Sociei6 de
Jesus « comme contenant des cboses tres singulieres sur Tordre
public », et il en avait rexlame lexamen. La Cour avait ordonnö qu'il
en fQt döpose, sous trois jours, un exemplaire au greffe; les Jesuites
avaient obei. Leur proces avec la maison Lioncy termine\ le Roi
exigea du Parlement qu'il lui remlt les « Statuts et constitutions » ;
il voulait, disait-il, les faire examiner par son Conseil, et comptait
que son Parlement ne statuerait pas ä leur sujet. Les magistrats
remirent au Roi un exemplaire des Statuts, et, comme ils en avaient
un autre, ils continuerent de faire informer par les Gens du Roi.
Au d6but de juillet, TAvocat gäneral Omer Joly de Fleury
presenta et commenta en plusieurs säances les « Constitutions », et
demontraque, d'aprös ces textes, le Gen6ral de FOrdreelait au-dessus
des conciles, des papes, des evÄques, des rois et de la justice; nul
Jesuite ne pouvait, en mauere civile ou criminelle, räpondre aux
magistrats sans l'autorisation de ce chef ; et la puissance du person-
nage etait d'autant plus redoutable que des hommes de toutes condi-
tions, ccclösiastiques ou lalques, cölibataires ou gens maries, pou-
vaient saffilier ä TOrdre et lui apporter le secours de leurs relations
dans le monde. Omer Joly de Fleury insista sur le voeu d'obewsancc
des Jesuites et tira grand parti de ces paroles de saint Ignace :
RBQUISfTOMB
VOMBR JOLY.
« Laissons-nous surpasser par les autres relipieux dans la pratique des
jertnes, des veilles el l'austerite de la vie; mais soyons plus parfaits que tous
pour l'obcissancc... Celui qui veut s'oflfrir entierement ä Dieu, oulre sa volonte,
doit encorc lui sacrifler son esprit, son jugement; il doit non seulement vou-
loir ce que le superieur veut, mais encore penser comme lui. •
Sur les conclusions de l'Avocat g6neYal, il fut ordonn6 qu'une
commission examinerait les « Constitutions ». La chose etait k ce
point prövue que Chauvelin, norame, commissaire, se trouva presque
3a i
vm. 2.
21
BAFrOKT
DB LAMM*
OB CBAUVBUH.
L'Epoque de Madame de Pompadour.
uras in
LS PARLEMENT
ORDONNE
LA SOPPRESSION
DBS COLLEGES.
LE ROI ORDONNE
DE SÜRSBOIR.
LE HAUT CLERGE
PREND PARTI
FOÜR L'ORDRB.
aussitöt pröl ä lire le rappori. II avait eu pour collaborateurs l'abb6
Terray, conseiller ä la GrancTChambre comme lui, ei L'Averdy,
homme intögre ei grand travailleur, trös influent aux Enqu&tes, Jan-
s^ niste passionnä, doni la vie se passait ä rädiger des mömoires
contre les J6suites.
Chauvelin exposa qu un homme qui s'affiliait ä lOrdre ceasait
par lä möme d'Ätre sujei du Roi. II rappela les thtories des J6suites
sur le rägicide, et Tassassinat de Henri III par Jacques Clement, Paris
encouragä par eux ä la räsistance contre Henri IV, les conspirations
oü les Jäsuites avaient tremp6 en Angleterre, en Pologne, en Carin-
thie, en Carniole ei ä Venise; il (Woqua le Souvenir de ratieniaide
Damiens ei de la tentative d'assassiner le roi de Portugal en 1758;
il 6t allusion aux persäcutions contre les Jans^nistes.
Comprenani que cetie affaire donnait au Parlemeni un surcrott
d'autorite, le Gouvernement essaya de mettre le holä. II ordonna aux
supärieurs des maisons de Jesuites de remettre au greife du Conseil
tous leurs titres ei pi&ces, et le Roi dit au Premier Präsident ei
au Procureur genöral quil entendait que le Parlemeni suspendtt
iouie döcision; mais, le 6 aoüt 1761, sur la proposition de L'Averdy,
furent condamnäs au feu vingt-quatre ouvrages Berits par les Jesuites,
comme desirueiifs de la morale chr£tienne et aiientaioircs ä la süret6
des ciioyens, m6me des rois; il fut enjoint k tous £tudiants, s6mi-
naristes ou novices, installös dans les Colleges, pensions ou s6mi-
naires de la Soctetö, den sortir avant le 1" ociobre. Toui contre-
venani serait exclu de lout grade universitaire, de toui office public,
de toute Charge municipale.
Louis XV aurait du prendre un parti net : ou laisser faire le Par-
lemeni, ou casser les arrtts. Choiseul lui proposait cette alternative,
car plus le gouvernement, disait-il, hfciterait, plus les magistrats
s'engageraient a fond. Louis XV parut d'abord vouloir procMer par
rigueur; mais le Chancelier de Lamoignon l'amena ä iergiverser, par
crainte de voir le Parlemeni repousser une Emission de rentes via-
gfcres. Sans improuver les arrets, le Roi, par leiires patentes du
29 aoüt 1761, ordonna de surseoir un an ä Tex^cution; mais les juges,
en enregistranl les lettres patenies, le 7 sepiembre, se permirent de
raecourcir cedllai et fixfcrent au l* r avril 1762 lafermeiuredes Colleges.
Entre temps, les Jesuites protestaient de leur fid6lit£ k la Cou-
ronne, et le haut clerg6 prenait parti pour eux. Quarante-cinq A*G-
ques d^claraient qu'on ne pouvail rien leur reprocher, ni sur la con-
duite, ni sur les doctrines. Le seul övöque de Soissons, Fitz-James,
d6clara la SociM inutilo et dangereuse; encore 6tait-il le protecteur
de TOratoire, ordre rival des Jlsuites.
3aa
uuf 11 Lea Jiauitea, lea Protestant*.
ChoUeul envoya a Rorae le cardinal de Rochechouaii, pour faire
comprcndre au General que son aulorite etait incompaüble avec les
lois du royaume, el lui demander de uoramer un vicaire qui residat '
eQ France; il voulait une repousc immediate. La transaction qu'il
proposail tut repoussee. Alors lo Roi essaya de sauver les Jesuites
par un moyen -lerme. Dans une Deklaration du 9 mars 1762, il ordonna
quaucun ordre du General ne serait execuloire sans elre rcvelu de
« leltrcs d'aLLactie registre.es », et quc les Jesuites enscigncraieol les
qua Ire proposilions de 1682, moyennant quoi il annulait les proce-
dura dejä failes contre cux. II esperait que le Parlement accepterait
la Deklaration; uiais le Parlement nomma des commissaires pour
l'cxaniiner, nc les pressa pas de lui rendre comple, poursuivit ses
procedures el gagna ainsi le 1" avril 1762.
Alors l'arret ordonnanl la fenneture des etablissements des
Jesuites fut execute dans toul le ressort. Puis un arret du 6 aout 1762
supprima la sociale clle-meme. Ses biens furent mis sous sequestre
el les Peres disperses; defense fut faile a ceux-ci de porter l'habit de
l'Ordre et d'enlrctenir aueune correspondance ä l'eiranger. Pour
acquerir des grades universilaircs, possederdes bön^Gces et remplir
des offices publica, les ecoliers sortis des Colleges de Jesuites devront
prcU'r sermentdefidclite" au Roi et jurer le respecldes qualre articles
i)e 1682. Les Peres seront incapables d'exercer aueune fonclion
ecclesiaslique n'ils ne prelenl pas ce serment.
Le Parlement n resume, dans l'arret du 6 aoül, les raisoos de 1«
condamnation des Jesuites. II y avnit eu, dit-il, ■ abus relati vemeat n
la doctrine moralc et praliqur conslamment et perseve rammen t
enscignee *. La dile doctrine ciait declarce
• perverse, deoiruetive de tout principe de religion et mime de probite, inju-
neusr a la moralc chrttienne, pernideuae a la »oeiete civil«, seditieuse.
attenlatoire am droits el a la natura de ta pntauace rojale. a la iflreU-
meme de la persoone saerrV de» Muveraif», el a l'obeiastance <l« «ujeta.
propre Ji exciter les plua «rnnd« troublea dana le» f,UU, * fonner el *
entrrtenir la plua profonde cnrruplinn dans te weur de« hommes. •
Les redacieurs de l'nrtft avaienl fait, dans les consideranls, de
nombreux emprunts aux Eitrailt, parus en 1762, des ataerlion» dan-
gereuae* el pernicieuaea en taut genres que lea soi-ditanl Je'auilea onl
dan» laus le* lemp* el pene've'rammenl aoulenaet, enaetgnita el publice a
dann Ultra livrta, avec rappmbathn de leurs *upe"rieur* et gfne"raax.
Celle rompilalion nvait #te composee par le.» jansenislas Goujel,
Minard. Roussel de La Touret le presideut Rolland d'Erceville, qui fut
le bnilleur de fonds. On y avail rassemble, en mettant en regard des
textes latins um' traduetion franeaise. tout ce que des Pore* »wie»!
Mgqcutions
Ä KOMB.
MOTBN-TBMfB
DO KOI.
surrBMSsio/i
DB LOKDKE
fAKABBBT
DO rABLBMBNT
DB FAR1S
IMS BITHjUTS
Uttpoque de Madame de Pompadour.
uvre in
RBPUQÜB
AUX BXTRAITS.
LAFFA1RB
AU PARLEMBNT
DB TOULOUSE;
AU PARLE MENT
DB RENNES.
LA CHALOTAIS.
6crit de contraire ä l'autoritä des Rois, lout ce qu'il y avait d'im-
moral ou de risible chez leurs auteurs les plus vieillis. Le cat6-
chisme du Pore Pomey leur avait fourni, sur les joies du Paradis,
des dätails bizarres, dont les incredules faisaient gorge chaude.
En 1763, un auteur anonyme publia une Rdponse aux Extraiis
des Assertions, oü il releva sepl cent cinquante-huit falsiGcations,
altärations de textes, ou faules de traduction; mais la masse des
lecleurs ne se pröoccupa point de critique et accepta les Extraits
comrae indiscutables.
Le Parlement de Toulouse demanda un exemplaire des Extraiis
au Parlement de Paris le 5 mai 1762; le 22, il le regut; le 19 juin,
il condamna les maximes pernicieuses qui s'y trouvaient, et les fit
imprimer pour les r6pandre dans tout son ressort. Le seul rappro-
chement des dates montre que les Toulousains furent dans l'impossi-
bilit6 d'examiner attenti vement les textes ; ils jugörent sur la foi des
confrfcres de Paris, qui s'cn 6taient eux-m£mes rapportäs, sans plus
de critique, aux compilateurs.
Parmi les Parlements et Conseils souverains, ceux de Flandre ei
de Franche-Comt6, dWlsace et d'Artois furent seuls & ne pas vouloir
poursuivre les Jäsuites. En procädant contre la Soci6t6, d'autres
acquirent de la c616bril6, ceux de Bretagne et de Provence, par
exemple. Le Procureur g6n6ral au Parlement de Rennes, La Chalo-
tais, fut applaudi par les Philosophes pour avoir soutenu, dans ses
Comptes rendus des Consti tut Ions des Jisuites *, que « tout Etablisse-
ment religieux doit avoir pour but l'utilitö du genre humain », et
monträ que la Compagnie ne se conformait pasä cette r&gle. II humilia
les « Constitutions » par la comparaison qu'il en fit avec les « prin-
cipes de la loi naturelle ». II rcprit les arguments pr£sent6s au Parle-
ment de Paris et insista sur le fait que les J6suites n'admettent pas
« l'indäpendance absolue du Roi dans le temporel », et n'ont pas
« abandonn6 la doctrine du r£gicide ». De l'indäpendance du Roi,
disait-il, ils fönt « depuis un si6cle », une « question d'äcole » sur
laquelle se peut soutenir « le pour et le contre »; ce qui est « 6tre
criminels d'fitat, m£riter les peines dues aux säditieux, aux perturba-
teurs du repos public, aux rebelies ». Quant au r£gicide, les J6suites,
il est vrai, ne l'enseignent pas en France, « mais ils tiennent k un
corps et ä un regime » qui en a soutenu et en soutient la doctrine.
S'ils n'enseignent pas le crime, ils Itablissent comme « indubitables »
des « prineipes » qui y conduisent; « ils en fönt disparattre l'atrocitä
i. Le premier compte-rendu de La Chalotais fut fait au Parlement de Rennes, le« i, 3, 4,
5 decembre 1761, et le second lea 21-22 et 24 mai 1762.
< 3?4 '
CHAP. IV
Les Jesu iles, les Protestant*.
LE PARLEMENT
DB PROVISCB.
par des distinetions, et, dans l'occasion, laissent le fanatisme iirer les
consequences ».
Kn Provence, 1'afTaire donna Heu ä de singuliers 6pisodes oü
apparut la violence des passions parlementaires. Le Parlement d'Aix,
en enjoignant aux Jesuites, le 5 juin 1762, de produire leurs Consti-
tutions, avait prononce la confiscation de leurs biens, c'esl-ä-dire
prejugö son jugement definitif. Lc prösident d'figuilles prolesta
contre cet acte de prevarication. Apres qu'il eut prononce* la suppres-
sion de l'Ordre, le 28 janvier 1763, le Parlement bannit dßguilles
du royaume k perp£tuite, malgre que des leltres du Roi eussent
ordonnö de surseoir aux poursuites engagees contre lui. D'autres
Parlementaires, räputes convaineus de machinations contre lau-
torite, Thonneur et la sürete de la magistrature, furent pour
quinze ans interdits de leurs fonetions et d^possedes de leurs
cliargcs.
Le Parlement de Rouen condamna les Jesuites, lc 12 fcvrier 1762;
celui de Rennes, le 27 mai; le Conseil souverain du Roussillon, le
12 juin ; le Parlement de Bordeaux, le 18 aoüt; celui de Metz, le i 9r oc-
(obre; celui de Gre noble, au mois de janvier 1763; celui de Toulouse,
le 26 fövrier; celui de Pau, le 13 avril 1764.
Le Roi ne crut pas pouvoir resister ä la magistrature que soute-
nait lopinion generale. En fevrier 1763 fut reglee la procedura k amxilattesübe
suivre pour vendre les biens des Jesuites; les revenus des WneDces
unis k leurs maisons furent attribues au « Bureau des economats » t
par lcsquels le clcrge* subvenait k des oeuvres d'assistance et d'ensei-
gnemenl. Le Parlement de Paris, le 22 fövrier 1764, voulut exiger
des Peres qu'ils reconnussent pour impies les doctrines contenues
dans les Extraits des Assertions; comme ils refuserent, il les condam-
na, le 9 mars, ä quitler la France. Ce fut pour attenuer la rigueur
de cet arrel que le Roi rendit T6dit de novembre 1764 :
AL'TRBS
PARLBMESTS.
COSDAUSATIOS
• Voulons et nous plalt qu'k l'avenir la Society des Jesuites n'ait plus Heu
dans notre royaume, pays, terres et seigneuries de nolre oWissance; permet-
lant n6anm>>ins ä ceux qui ätaient dans la dite societe de vivre en particuliers
dans nos £tats, sous 1'au torite spirituelle des ordinaires des heiu, en se
conformant aux lois de notre royaume et se comportant en toutes choses
cwnme nos foons et fldeles sujets. Voulons en outre que toutes procedures
criminelles qui auraient ele commeneees a l'occasion de Tinstitut et SocietA
dos Jösuitcs, soit relativement k des ouvrages impriraes ou autrement, contre
quelques personnesque ce soit, et de quelque etat, qualit* et condition qu'eües
puissent dtre, circonstances et dependances, soient et demeurent steinte* et
assoupies, imposant sitence k cet effet a notre Procureur general. •
Cepcndant les Jesuites se döfendaient, et ils elaient deTendua
par des amis en de nombreux 6crits, tels que la Lettre icrite au Roi
us Jtscms
SB DintfDEST.
3a5
L'Epoque de Madame de Pompadour.
LTTRt in
LA IIAINB
DU JE SU 1TB.
LE HOLE
DE MADAME
DE POMPADOUR
ET DE CHOISBÜL.
par riuique D. P. sur taffaire des Jesuites, la brochure intitul6e Met
doutes sur les Jdsuites, les Mimoires presentes au Roi par deux magis-
trats du parlement d'Aix contre des arrits et arritis de leur compa-
gnie> YAppel ä la raison, le Nouvel Appel ä la raison des icrits et
li bei les publtes par la passion conire les Jisuiies de France, la Lettre
pastorale de M. VEvique de Lavaur au sujet dun uolume in-4° ayant
pour Iure : Extraits des assertions pernicieuses et dangercuses, etc.
la Lettre d'un komme de prouince ä un ami de Paris au sujet dune
nouvelle fourberie des soi-disant Jdsuites.
Les P&res arguaient que les griefs cent fois r6p6t£s contre eux
avaient 616 par eux cent fois r6fut6s. Leurs Constitutions qu'on d6non-
gait, disaient-ils, comme des pi6ces occultes nouvellement d6eou-
vertes, 6taient connues de tous. On leur reprochait surtout Tobäis-
sance ä un g6n6ral 6tranger; mais beaucoup d'autres ordres, ä qui
Ton n'en faisait pas reproche, avaient donn6 l'exemple avant eux.
Enfin c etait chose inique que de punir toute la Soci6t6 pour des
fautes qu avaient pu commettre quelques-uns de ses membres.
Mais les Parlements condamnerent tous les 6crits favorables &
la Soci6t6. La haine du J6suite devint une mode et une furie. Les
salons la prgchaient; on y parlait de Pascal comme dun saint; Jolj
de Fleury, Monclar, La Chalotais, L'Averdy, Chauvelin, 6taient
port6s aux nues. Des plaisanleries couraient les rues. On comparait
J6sus-Christ ä un pauvre capitaine r6form6 qui a perdu sa « com*
pagnie ». Les camelots de la foire Saint-Ovide, qui se tenait pr6s de
la place Vendöme, vendaient une Statuette en cire, habiU6e en J6suite,
avec une coquille d'escargot pour base; en tirant une ficelle, on fai-
sait rentrer le Jesuite dans sa coquille.
Si le Roi a consenti la « destruction » des J6suites, cest que
tout le monde a donn6 contre eux, Parlementaires, Philosophes,
courtisans. L'opinion ne leur 6tait d'ailleurs pas moins hostile ä
T6tranger, par exemple en Portugal et dans les ßtats bourboniens
d'Espagne, de Naples et de Parme, qu'en France. Est-il vrai que
Mme de Pompadour ait voulu, en prenant parti contre eux, se venger
de l'opposition qu'ils lui firent quand eile pnHendit devenir dame
d'honneur de la Reine? et que Choiscul l'ait assist6e pour lui plaire,
et pour flatter les Philosophes et les Parlements? II semble bien que
Choiseul etlamarquiseaient laisse faire les choses, et que tout au plus
ils y aient aid6. Le Parlement n'avait pas besoin d'fitre excite contre
des religieux dont il 6tait depuis longtemps l'adversaire et l'ennemi.
philosophes bt Les Philosophes et les Parlementaires avaient enscmble com-
pablbmbntairbs. battu contre TOrdre. Ceux-ci triomphaient, mais ceux-lä samusaient
< 3a6 >
chap. r?
Les Jesuites, les Protestant*.
aux depens de leurs alltes, qui se croyaient les grands vainqueurs.
D'Alembert, ecrivant ä Voltaire, disait des Parlements : « Ce sont les
exöcuteurs de la haute justice pour la philosophie, dout ils prennent
les ordres, saus le savoir ». Dans son 6crit Sur la Destruetion des
Jesuites, d'Alembert leur disait leur fait, par une comparaison entre
les Jesuites et les Jansänistes :
- Entre ces deux sectes, lune et l'autre mecnantes et pernicieuses, si Ton
etait forcä de eboisir, en leur supposant un meme degre de pouvoir, la societ£
qu'on vient d'expulser serait la moins tyrannique. Les Jesuites, gen» aecom-
modants, pourvu qu'on ne se declare pas leur ennemi, permettent assez qu'on
pense comme on voudra; les Jansenistes, sans egards comme sans lumieres,
veulent qu'on pense comme eux; s'ils etaient les maitres, ils exerceraient sur
les ouvrages, les esprits, les discours, les mosurs, l'inquisition la plus violente. •
A prösent que les Jesuites, troupes r6guli&res et disciplin6es,
etaient d£truits, d'Alembert pensait que la philosophie aurait raison
de ces << cosaques », de ces « pandours » de jansänistes.
Quant ä Voltaire, il raconlc, dans une lettre du 25 fövrier 1763,
quil a proc6d6 chez lui au jugement des J6suites :
- II y en avait trois chez moi, ces jours passes, avec une nombreuse com-
pagnie. Je m'otablis premier President, je leur fls preter serment de signer les
qua Ire propositions de 1682, de deteslcr la doctrine du regieide, du probabi-
lism»',... d'obeir au Roi plutotqu'au Pape...; apres quoi je prononcai : La Cour,
sans avoir e&rard ä tous les fatras qu'on vient d'ccrire contre vous, et a toutes
Ick sottises que vous avez ecrites depui* deux cent cinquante ans, vous declare
innocents de tout ce que les parlements disent contre vous aujourd'hui, et vous
declare coupables de ce qu'ils ne disent pas; eile vous condamne ä etre
lapid6s avec des pierres de Port-Royal, sur le tombeau d'Arnauld. •
Mais il ne präftrait pas les Jans6nistes aux Jesuites; il voulait
que Ton tint entre eux la « balance 6gale ». II ne faut, disait-il,
LS JUGBUEHT
DE VOLTAIRE.
JANSEMSTES
ET JESOtTES
oxterminer personne. Si les Jösuites sont des « viptres » et les Jan- mmtt '^ */?f
r r m*m LE* PHILOSOPHES.
senistes des « ours », il ne faut pas oublier que 1 on peut faire « des
bouillons de vip&res », et que les ours fournissent « des manchons ».
La lulle entre Jans6nistes et J6suites lui paraissait avoir cette utilitä
quo, pendant quils se battaient, les bonnes gens demeuraient trän-
quillrs. II disait: A präsent que les Jesuites etaient d£truits, quäl-
laienl faire les Jansenistes, et leurs amis les Parlementaires?
Les renards et les toups furent longteraps en guerre;
Les moutons respiraient. Des bergers diligents
Ont chasse. par arr6t, les renards de nos cbamps.
Les loups vont desoler la terre ;
Nos bergers semblent, entre nous,
Un peu daecord avec les loups.
Lo premier usage que fit le Parlement de sa victoire fut de
mettre la main sur les coll&ges d'oü les Jesuites avaient 6W expul-
< 3^7 >
LA RtFOMIE
DES COLLEGES.
UEpoque de Madame de Pompadour.
livrb m
s6s. Les J6suites avaient une centaine de Colleges, dont trente-huit
dans le seul ressort du Parlement de Paris. Comme toutes les con-
grögations ä qui les 6v6ques et les villes confiaient des Colleges, ils
avaient enseignä k peu pr&s sans contröle. Or, l'occasion se pr6sentait
pour lamagistratured'intervenir dans l'administration decesmaisons.
Les Parlements, qui jouissaient du droit de d616guer leurs procureurs
g6n6raux pour les visiter, se mirent k pr6parer les plans d'une*
r6 forme de l^ducation. De tous cöt£s, d'ailleurs, des municipalitäs
et des particuliers leur adressaient des m6moires & ce sujet.
bureaux En fcvrier 1763, un 6dit du Roi attribua ladirecüon des coll&ges
d Administration fr ^ es w Bureaux d'administration » :
DBS COLLEGES
(176$). « Dans les villes, oü il y a Parlement ou Conseil superieur, le Bureau sera
compose de l'Archeveque ou Eveque qui y prdsidera, de notre Premier Pre-
sident et notre Procureur General en la Cour, des deux premiers officiers
municipaux, de deux notables choisis par le Bureau et le principal du College,
et, en cas d'absence de l'Archeveque ou de l'fiveque, it sera remplace par un
ecclesiastique qu'il aura choisi, et qui se placera apres le Procureur General.
Dans les autres villes, le prcmicr de la justice royale ou seigneuriale, et celui
qui sera Charge du ministere public, auront le droit de seance au Bureau; et
l'ecclesiastique qui remplacera l'Archeveque ou rßveque, en cas d'absence,
prendra place apres celui qui presidcra. •
Les Bureaux d'administration nommeront les principaux et
les professeurs ; ils auront aussi le droit de les rävoqucr; ils
administreront les biens communs et arröteront les programmes den-
seignement.
On vit alors se produire un tr6s curieux effortpour röformer la
vieille 6ducation scolaire et Tapproprier aux besoins d'une soci&6
qui se transformait. Les Philosophes et les Parlementaires s'accord&-
rent pour la ntelamer. Les Philosophes reprochaient aux J6suites
d'ötre demeurös attachäs aux vieilles m&hodes, sans tenir compte
d'idäes et de möthodes nouvelles, que les Jans6nistes avaient appliqu6es
dans leurs petites äcoles*, et les Oratoriens, et möme les Universitds,
dans leurs Colleges. Les P&res enseignaient le latin par des gram-
maires öcrites en latin, et Ton parlait latin dans leurs classes. En depit
de Descartes et du cartäsianisme, ils enseignaient la scolastique.
Aucune place n'avait 6t6 faite par eux aux6tudes modernes. Voltaire,
dans le Diciionnaire philosophique, au mot Education, prÄte & un
conseiller de Parlement ce jugement sur l'education par les J6suites :
• Lorsquej'entraidansle monde, dit le Conseiller,... je nesavais ni si Fran-
cis I" avait <He fait prisonnier ä Pavie, ni oü est Pavie... Je ne connaissais ni
leg lois principales, ni les interöts de ma patrie; pas un mot de mathema-
tiques, pas un mot de saine philosophie. Je savais du latin et des sottises. •
l. Voir Hitloire de France, t. VII, 1, pp. 100 et 101.
c 3a8 >
CR/EFS CONTRE
LEDUCATION
DES JESUITES.
CHAP. IY
Les Jesuites, les Protestants.
DWlembert, dans YEncyclopidie, au mol College, accuse les
Jösuites cTavoir produit « une nu£e de versificateurs latins », et d'em-
ployer sept & huit ans & apprendre aux äcoliers ä parier pour ne
rien dire.
Les Parlementaires, de leur cdt6, ou, pour parier plus exacte-
ment, un certain nombre de Parlementaires men&rent une trfcs vive
campagne. Dans un Essai d'£ducation nationale ou plan d'iludes
pour lajeunesse, paru en 1763, le Procureur gönöral au Parlementde
Bretagne, La Chalotais, rcprocha aux Jesuites de dresser leurs616ves
par la scolastique aux querelies thlologiques, « Topprobre de la reli-
gion et de la raison ». Dans un Memoire sur Vtducalion publique, paru
cn 1764, un Avocat göneral au Parlement de Dijon, Guy ton de Mor-
veau, traita les exercices scolastiques d 1 « inepties pueriles », qui
preparent les jeunes esprits « ä Terreur par le dßlire de l'orgueil ».
Ces deux magistrats demandent qua Fetude, mise en honneur,
de la langue maternelle, « la plus necessaire dans le cours dela vie »,
s'ajoute celle d'autres langues Vivantes. Morveau voudrait qu'on
enseignut Titalien, l'anglais et l'allemand dans chaque « capitale de
province ». L'anglais, dit La Chalotais, est « devenu necessaire pour
les scicnces, et l'allemand pourla guerre ». Rolland d'Erceville, Pre-
sident au Parlement de Paris, montre, dans son Plan <T4ducation %
en 1768, combien la connaissance des langues Vivantes est indispen-
sable pour le commerce et les voyages.
Ces 6crivains rexlament l'introduction dans les £tudes de l'his-
toire generale, et en particulier de l'histoire moderne :
• Je voudrais, dit La Chalotais, qu'on composAt, pour l'usage des enfants,
de» histoires de toute nation, de tout siecle, et surtout des siecles derniers;
que celles-ci fussent plus detail tees, que m*me on les leur fit Iure avant Celles
des siecles plus reculls. •
Le Pr6sident Rolland d'Erceville demandait aussi qu'on donnÄt
aux enfants « une teinture » de la gex>graphie, en commen^ant par
leur faire connattre leur pays, et La Chalotais voulait qu'on intro-
duislt dans l'enseignement göographique les meeurs, les coutumes,
Tindustrie, l'agriculture et le commerce des diflfarents peuples. EnCn
legrand progrfes des sciences Iveillait Fidle qu'on prlparÄt les enfants
ä les connattre. En 1762, la municipalitö de La Fläche rlclame au
Parlement de Paris un enseignement dela physique oü les explriences
demontreront les prlceptes. La Chalotais recommandaitd'accoutumer
les enfants & voir des machines produisant ou facilitant le mouvement,
de leur faire remarquer les effets du levier, des roues, des poulies, de
la vis, du coin et des balances; de les instruire de faits astronomi-
ques, de la distance du soleil & la terre, etc.
ECRITS DE
PARLEMENTAIRES
SUR LES &TUDES.
ENSBIGNEMESTS
NOÜVEAÜX
R^C LAMES.
LANGUES
VIVANTES
El R1STOIRE.
GEOGRAPHIE,
iCONOMlE
POUTtQOE.
SCIENCES.
3*9
RECHERCHE
D'ÜN PERSONNEL
LAIQUE.
PROJET D'ÖCOLE
NORMALE.
tNSUFPJSANCE
DU PERSONNEL
LA1QÜB.
LEpoque de Madame de Pompadour. uvhe in
Pour tous ces enseignements, il fallait un personnel nouveau.
La Chalotais, Guyton de Morveau, Rolland repugnaient a le recruter
parmi des ecclesiastiques qui, renon$ant au monde, ne pouvaient,
disaient-ils, avoir des « vertus politiques ». Ils se d6fiaient surtout
des « räguliers », exceptä des Oratoriens, qui avaient largement
ouvert leurs maisons aux idäes modernes ' ; ils cherchaientdes laiques.
Guyton de Morveau se persuadait qu'il y avait ä Paris assez de gens
de lettres inoccupös pour fournir les coll&ges de professeurs. Maid,
somrae toute, la proportion des maitres laiques ne d6passapas dixsur
cent dans les Etablissements röorganis&s. La Chalotais avait prövu
qu'il y aurait surtout penurie pour les enseignements nouveaux,
mais il ne s'en 6tait pas inquiätä outre mesure :
« Je pense, dit-il dans le post-scriptum de son Essai sur V£ducation> que
l'objet des etudes etant une fois fixe, Sa Majeste pourroit faire composer des
livres classiques elementaires oü l'instruction fut faite relativement a Tage, et
a la portee des enfants, depuis six ou sept ans jusqu'a dix-sept ou dix-huit...
Un mot de Sa Majeste* sufflroit. II y a dans la Republique des Lettres beau-
coup plus de livres qu'il n'en faul pour composer, avant deux ans, tous ceux
qui seroient necessaires; et il y a, dans les Universites et dans les Academies,
plus de gens de lettres qu'il n'en faul pour bien faire ces ouvrages. »
La Chalotais pensait qu'avec ces ouvrages tous les maitres
seraient bons; il suffirait « qu'ils sussent bien lire ».
L'Universitß de Paris n'en proposa pas moins au Roi de faire du
collöge Louis-le-Grand une 6cole destinäe ä former des professeurs.
Le Roi consentit par lettres patentes du 21 novembre 1763. L'Univer-
sit£ recueillant Thöritage des Jösuites ä Paris, supprima un certain
nombre de leurs maisons et en appliqua les revenus ä former, ä
Louis-le-Grand, « une p6pini6re abondante de maitres ».
En attendant le personnel nouveau, il fallut recourir presque
partout aux prötres söculiers, et, par cons£quent, demander aux
6vGques leur collaboration. Les 6v6ques Taccord^rent, prirent m6me
ä leur charge bien des däpenses, et, par lä, s assurfcrent une grande
autoritä dans ladministralion des Colleges. Pr£sidents des bureaux
d'administration, ils £taient ä peu pr&s les maitres dans les villes oü
ne se trouvait pas un parlement : k Montpellier, M. de Malide; ä Lyon,
M. de Montazet; ä Pamiers, M. de Verthamon; ä Soissons, M. de
Fitz-James; ä Sens, le cardinal de Luynes furent les vrais directeurs
de Tenseignement.
i Sans sacrifier I'enseignement du latin, cette compagnie, qui dirigeait en France
frente Colleges, donnait au francais une grande importance. Elle foisait composer se*
eleves plus souvent en francais qu'en latin, leur donnait des prix de francais; eile avait
ete la premiere a organiser l'enseignement de la Geographie et de l'hisloire; eile donnait
dans ses programmes une large place aux sciences exaetes et aux sciencea naturelles.
< 33o >
CHAP IV
Les JesuiteSy les Protestant*.
Aussi se produisit-il des conflits entre 6v6ques ei Parlements. A
Angoulöme, par exemple, l'6v6que de Broglie fut longtemps aux
prises avec le Parlement de Paris. Appuyö sur le Bureau et sur le
corps de ville, il prätendait expulser les matires laiques. II ne parvint
pas ä faire nommer professeurs des eccl6siastiques de son choix;
mais, k son instigation, ia municipalit£ refusa louie Subvention au
College, qui ful ruin6.
Le clerg6 s£culier fournit de bons matires ä nombre de maisons.
Labbä Delille, qui devint plus tard professeur au College de France,
debuta comrae mattre de classe ölementaire au coll&ge de Beauvais.
L'abb6 Batteux, qui, lui aussi, enseigna au College de France, et
fut membre de l'Acadämie des Inscriplions et de l\Acad£mie frangaise,
fut professeur de rhötorique ä Reims; le th6ologien Bergier devint,
en 1767, prineipal du coll&ge de Besan$on; ä Dijon le College fut
illustre par un historien de la Bourgogne, Tabbö Court6p6e, par un
historien de la Fronde, l'abbä Mailly, et par un polämiste adversaire
de Voltaire, l'abb6 Clement.
Des eflbrts furent faits pour organiser les enseignements nou-
voaux. A Rouen et ä Bordeaux, on enseigna l'hydrographie ; k Bor-
deaux, Clermont, Besan^on, Reims, Arras, des professeurs splciaux
profess&rent les mathämatiques, la physique exp£rimentale et le dessin.
Quelques Colleges bretons ont tentö d'attribucr au frangais le m£me
rang qu aux langues morteset donn6 ä leurs 6l6ves des notions d'his-
loire et de göographie. Dans la deuxi&me ann6e de philosophie, ils
joignirent au cours de physique un cours de math£matiques; & la
physique generale ils substitu&rent la physique exp£rimentale
Dans tous les Etablissements, Tenseignement religieux garda la
place principale. Un arröt du Parlement de Paris du 27 janvier 1766
pivscrit la r6citation du cat£chisme, de l^pttre et de TEvangile du
dimanche. Au College d'Orlöans, tous les samedis, un cat6chisme est
fait dans toutes les classes; et, les veilles de ffetes, les professeurs
donnent des devoirs sur le myst&re du lendemain. A Angoulöme, les
rcoliers, internes et externes, sont tenus d assister, tous les jours, k
la messe de l'aumönier. Partout TAncien et le Nouveau Testament
sont comtnentäs en classe '.
Dans l'ensemble, les r£sultats de la röforme scolaire ne r6pon-
direnl pas aux esp£rances des r^formateurs. Plusieurs parlemen-
taires s y intäress&rent avec un tr&s grand zfcle, le pr6sident Rolland«
CONFLITS
A PROPOS
DBS COLLEGES
LES NOUVEAU X
MAITEES.
ESSAIS
D'BNSEIGXBMENTS
NOUVBAUX.
L'ENSBICNBMBNT
RBUGIEU7L
MiDlOCR* SUCCES
DE LA itfFOKMB.
i. Dan«« le* Colleges de Jesuites etaient donoees des repre'senUUoQ« tbeatrales oft le
public venait en foule, surtout a Paris. Ils furent renplace* par des tournois scolaires
Les rbetoricten* y cxposalent les regle* de ftloquence, prononcaient des harangoes, debl-
taient des ode*, expüquaient des textes. Od recompensait les plus Debiles par des noedailles
d'or et d argen t.
33 1
VEpoque de Madame de Pompadour. uvai ra
par exemple, qui fut jusqu'en 1789 une sorte de directeur de l'Ensei-
gnement secondaire dans le ressort du Parlement de Paris. Mais il
s'en fallait que les Parlements s'intäressassent särieusement k l*6du-
cation publique; la plupart des magistrats 6taient rebelies k toutes
nouveautäs. Le gouvernement intervint ä peine dans la r6 forme. Pour
cr6er des enseignemenls et les pourvoir du matöriel näcessaire, pour
r£tribuer les nouveaux malt res, l'argent manqua souvent. L'6duca-
tion a donc 6te" plutöt troubl£e que renouveläe apres « la destruction
des J6suites ». Mais des id6es jusles sur l'6ducation fureut produites,
et Ton commenca de comprendre que l'6ducation de la jeunesse
devait 6tre chose publique et nationale.
//. — LES PROTESTANTS. LES PROCES CALAS,
SIRVEN ET LA BARRE*
les MGüBUhs T ES Philosophes et les Parlementaires qui selaient un moment
contre J_j accordäs dans la lutte contrc les Jäsuites sc retrouv&rent aux
IMS PROTESTANT*. - , ,. , , ... ., .
pnses sur la question de la liberte de conscience.
Maltraitäs par le duc de Bourbon *, les protestants avaient un
moment respirä sous le ministere de Fleury; mais la pers6cution avait
i Sources. Rabaut (P.), Mfmoire, p. p. N. Weiss, Les protestants da Languedoc ei lemrt
persiculeurs en 1751 (Bull, de la Soc. hist du Protest fr., i8g5); Voltaire, Comspondemcm
(ed. Garnier), et t XL de Ted. Beucbot : Mimoire pour Donat Calas, pour son pire, sa mere
et ton frere{176t); Deklaration de Pierre Calas; Histoire d Elisabeth Canning et de Calas (17$f);
Histoire des Calas; Deklaration juridique de la servanle de Mme Calas; t. XL!, Traut de la
tolirance.
Ouyiuoes a coitscLTBR. Michelet (t XVII), Jobez (t. IV et VI), Desnoiresterres {Voltaire
ella SocUti), Rocqoaln, Faguet (XVUh «.), Dubedat, Cruppi {Lingual), deja cites. Coqne-
rel (Ch.-A.), Histoire des eglises da diserl, Paris, 1841, a rol. Hugues, Antoine Court ;
Histoire de la reslauration da proleslantisme en France aa XV1I1* stiele, Paris. 187a, s rol.
Arnaud, Histoire des protestants da Vioarais et da Velag, pags de Langaedoc, de la Riformm
ä la Revolution, 1888, a vol.. t. II. Du meine, Hutoire des protestants de Provence, da Com tat
Venaissin et de la principauli dOrange, Paris, 1884, a vol. t II. Coquerel (Artb.). Je+m
Calas et sa famille, Paris, 1869. Rabaut, Sirven, Etüde historique sur Tavenement du la told-
rance, Paris, 1891, a a ed Masmonteil, La ligislalion criminelle dans Tatuvre de Voltaire,
Paris, 1901 (these de droit). Haag (Eug. et Em.). La France protestants ou ritt dm
protestants francais qui se sonl fait an nom dans rhistoire, Paris, i846-i858, 10 vol.; nou-
velle ed., en cours de publ. Galabert, Le» Assemblers de protestants dans le Montalbanais)
en 1744 et 1745, dapres des documenls ine'dits (Bull, de la Soc. bist, du Prot, fr , iqoo).
Gelin, Les mariages aa FMsert et leurs conseqaences en Poiloa, en 174$ [Arret du Parle-
ment de Bordeaux^, (Bull, de la Soc. hist. du Prot fr.. 1894). Lods et Benott Somveamx
ichos de la tour de Consta nee trois lettre» intdites de Marie Durand [/75f-/7S#](Bull. de la
Soc. du Prot fr., 1908V, Lod«*, Le marechal de Richelieu persecuteur des protestants da
la Guyenne (f75J), Documenta (Bull. Prot. fr.. 1*99); Court de Gobelin et la reprisentatio*
des Eglises re'formles aapre* du gouvernement de Louis XV (176S-1766), JubiU cinquantenaire
de la Socie'te' de rhistoire du protestanlisme francais (Bull. Prot, fr., 1903). Maillard, Um
sgnode du D+xert en Poitou (HU), Documenta (Bull. Prot fr., 1893). Reuss, Un chapitre
de rhistoire de» persicution» religieu»es. Le elerge" catholtque et les enfanls illegitimes profaa-
lants et uraMile», en Alsace, au XVI II' titele et au dibul de la Revolution 'Bull. Prot, fr.,
1908) Teissier et Fonbruno-Berbinnti. Forcais et prisonnitres ä la suite de CAsstmbim de
iioutoules, 174a (Bull. Prot fr., lyoo).
a. Voir ci-dessus. pp 84 et 86.
< 33a >
chap. iv Les Jesuites, les Protestant*.
recommencö & pariir de 1732. Ce furent les rigueurs habituelles :
les ga leres pour les hommes et la rexlusion perpötuelle pour les
femmes qui fr&juentaient les assemblöes tenues « au däsert 1 », dans
des lieux 6carl6s t carrteres, foräts, cavernes, oü les religionnaires se
rendaient pour prier et entendre pröcher; le refus de considerer
comme legitimes les enfants des mariages qu'un prgtre catholique
n'avait pas consacrös; des amendes ruineuses frappant quiconque
nenvoyait pas ses enfants ä la messe ou au catgchisme; des enUve-
menU de jeunes filles religionnaires pour les faire Clever dans des
couvents. Le Gouvernement aurait voulu que les Protestants fissent
« valider » leurs mariages, et se serait content^, pour cela, dun
niariage b&iit dans une 6glise catholique par l'eau et le signe de la
croix; mais les prttres n'acceptaient pas ce compromis. Ils ne vou-
laient reconnattre pour mariös queceux quiavaientrecu le sacrement
selon les formes. En 1752, ü fallut de longues nlgociations entre le
duc de Richelieu, lieutenant gen£ral du Roi en Languedoc, Tinten-
dant du Languedoc, Saint-Priest, et l'6v6que d'Alais, de Montclus,
pour (|ue ce pr6lat inviUt ses cur£s ä ne plus donner le nom de
b&tards aux enfants des protestants.
Contre les pasteurs, l'uriique peine Itait la mort. Ils ne se lais- les fastsüss.
s£rent pas eflrayer. Antoine Court fonda k Lausanne, vers 1730, un
s£minaire protestant frangais, Vßcole des pasteurs du diseri y qui fut
entretenu par les dons des eglises reTormles, fran^aises et 6tran-
g&res. Le pasteur Durand prgcha en Vivarais, et fut pendu & Mont-
pellier, en 1732. Michel Viala fit, en 1735, une tourn£e dans le
haut Languedoc et la haute Guyenne, oü il rforganisa les 6glises.
Morel-Duvernet, arrGt* en 1739 et conduit & Tournon, essaya de
s'6vaderet fut lu£ h coups de fusil. En 1744, un Synode national se synods national
reunit « au d£sert » dans le bas Languedoc, le 18 aoüt, et il s'y fl*W4.
trouva dos pasteurs du haut et du bas Poitou, del'Aunis, de la Sain-
tonge. du Perigord, du hautet bas Languedoc, de la basse Guyenne,
des Oven n es, du Vivarais, du Velay, du Dauphin^, m£me de la Nor-
mandie. Le Synode arrela de präsenter respectueusement au Roi une
requ£te au nom de tous les protestants du royaume, pour y ju süßer
leurs « assembläes », leurs a mariages » et leurs « baptemes »; il
re*gla des questions de discipline et choisit les livres de piel£ dont on
devait user dans les öglises. 11 fit une manifestation de loyalisme,
lorsque la nouvelle lui arriva de la maladie de Louis XV k Metz :
« On s est jet6 & genoux, dit le proc£s-verbal des Dances, pour
i. Voir Hutotrt dt France, t VIII, i, pp. a^o-36&
< 333 >
L'Epoque de Madame de Pompadour.
uvas ni
EXECUTIONS
DB PASTEURS
FRANQOIS
ROCHETTE.
LB ROLB
DU CLERGB
CATHOLIQÜB.
demander ä Dieu, avec une ardente priöre, le rätablissement de
Sa Majestö »
Les annäes d'apräs, des exäcutions de pasteurs se succädörent
En 1745, le pasteur Roger, qui avait paru au Synode et venait de
prdcher en Dauphinä, fut pendu ä Grenoble, en 1746, le pasteur
Louis Ranc fut pendu ä Die ; en 1746, Mathieu Majal, et, en 1752, Fran-
cis Benezet le furent ä Montpellier. Le plus cölöbre de tous les pas-
teurs d'alors fut Francis Rochette. Parti de Lausanne, il s'ötait fait
consacrer dans le haut Languedoc, et il avait commencö d'exercer son
ministöre en Agänois. On l'appela dans le Quercy. Une nuit qu'il
allait baptiser un enfant, il fut pris pour un voleur et conduit devant
les juges consulaires de Caussade; interrogä sous la foi du serment,
il se reconnut pasteur. Trois « gentilshommes verriers 1 », les fröres
Grenier, ayant voulu l'enlever k ses juges, le tocsin de la ville sonna;
les paysans accoururent armäs de fourches. Rochette et les Grenier
furent amenäs ä Cahors, puis ä Toulouse oüle Parlement les jugeaet
les condamna en fövrier 1762. Rochette fut conduit, avec les Grenier,
töte nue, pieds nus, en chemise et la corde au cou, devant le grand
porche de Saint-ßtienne de Toulouse ; il s'y agenouilla, tenant en main
une torche de cire jaune. II devait demander « pardon ä Dieu, au Roi
et ä la justice », mais il ne pria Dieu que de pardonner ä ses juges. II
refusa la grdce qu on lui offrait k condition qu'il abjural, et fut pendu
au gibet sur la petite place des Salins. Les Grenier furent däcapitäs.
La principale responsabilitö de la persäcution revient au Clergö.
Repoussant la präsomption adraise dans la Däclaration de 1724 que
tous les sujets du Roi avaient embrassä la religion catholique et
romaine, les 6v6ques demandaient que les suspects d'h6r6sie, pour se
marier, fussent astreints ä präsenter, avec leur acte d'abjuration, des
certificats d'accomplissement du devoir pascal, et que ceux qui
vivaient conjugalement, sansavoir fait bänir leur union parun prötre
catholique, fussent poursuivis. Le Gouvernement fit droit k leurs
exigences. En 1739, plusieurs protestants du Vivarais, mariäs « au
däsert », sont dänoncös au präsidial de Nimes* « pour concubinage
notoire et scandaleux » ; le präsidial demande ä Saint-Florentin ce
qu'il doit faire, et le secrätaire dfitat räpond qu'on peut « procäder
criminellement ». En consäquence, les juges interdisent aux accusös
et ä leurs femmes de « cohabiter », et leur enjoignent de se präsenter
sous quinze jours devant Täväque diocäsain a reffet d'obtenir, s'ily
i. Dans quelques provinces, les gentilshommes pouvaient fabriquer le verre sans deroger,
et les roturicrs qui le fabriquaient pouvaient acquerir la noblesse. De la l'expreasion de
gentilshommes verriers.
a. Le siege presidial de NIrnes tenait alors les Grands Jours au VWarais.
< 334 >
OHAP. IT
Les Jesuites, les Protestant*.
a lieu, Kauterisation de se faire marier par les cur6s de leurs
paroisses. Les enlävements d'enfants se multiphent. Dans lesdioc&ses
de Die, Viviers, Uz&s, Apt, Ntmes, Dax, Cahors, Aix, les jeunes filles
sont enfermäes dans des couvents, parfois en si grand nombre qu on
ne peut les surveiller et qu'elles s'6vadent. On enlevail aussi les gar-
Qons afin de « rähabiliter » leurs baptgmes. A Nfmes et dans les
Cevcnnes, en 1751 ei en 1752, des dragons en conduisent de force
dans les £glises. U arrivait que des gar$ons de 13 k 14 ans se batlaient
avec les soldats. Mdmes violences enPoitou elen Normandie ; ä Caen
et a Saint-Lö, en 1744, des prgtres conduisaient les archers chez les
huguonots qui avaieni des enfants.
Bien que la conduite du Gouvernement ait souvent donnl satis-
faction aux 6vgques, il n'alla pas aussi loin que l'figlise aurait voulu
1c conduire. Saint- Florent in d6clarait, il est vrai, vouloir appliquer la
loi contre Th6r6sie : « La loi, disait-il, a 6t6 dict6e par des motifs
supöricurs, et ce serait renverser l'ouvrage de soixante ann6es que
dy porter la moindreatteinte » ; mais il n'usa pas de rigueur continue.
En temps de guerre, il devient trfcs circonspect. En 1744, la France
älant aux prises avec l'Angleterre et l'Autriche, il conseille k Tinten-
dant du Poitou de fermer les yeux sur ceux qui ne fönt pas baptiser
leurs enfants par les prgtres, sauf k les poursuivre « plus tard ».
« J'espere,'dit-il, que les Nouveaux Convertis, ne se voyant pas troubles dans
leurs exercices, ne a'assembleront pas avec des armes. Si cela arrivait, je ne
crois pas que vous deviez essayer de les dissiper sans dtre assure non seule-
ment d'avoir la sup6riorite, mais de la conserver en cas que l'orage se fortifMkt,
et «"est de quoi je doute fort. •
Corarae on lui signalait la pr6sence d'agents anglais dans les
(Avenues, oü il redoutait un soul&vement de protestants, il reprochait
k lintendant de Montauban ses rigueurs et lui enjoignait de contenir
« le zdlc dangereux des eccl£siastiques, des consuls et des anciens
catholiques ». A larchevfcque d\Aix, qui voulait des troupes pour
faire arröter des jeunes filles protestantes, il röpondait :
« Les circonslances ne paraissent pas convenables pour öter des nouoeUes
catholiques a leurs parents; et l'emploi des troupes a cette besogne, non seule -
mcnt les dätournerait de l'ordre de leur marche, mais serait dangereux pour
l'honneur de ces filles, pour la sörete des personnes, les biens et effets de leurs
p.irrnts, et enfin mdrae d'unsucces tres equivoque. •
Au reste, calculant ce quecoötait Tentretien de ces pensionnaires
[>ar force et de tous les prisonniers pour fait de religion, il craignait
les reproches du Contröleur g6n6ral toujours k court d'argent. A
Alais, Uz£s, Saint-Hippolyte, Nlmes, Montpellier, k la Tour de Cons-
ta nee k Aigues-Mortes, les prisons 6taient pleines. On arrfttait en
c 33S >
LA CONDÜITB
Du
GOUVERNEMENT.
IL CONSEILLE
LA MODERATION.
IJEpoque de Madame de Pompadour.
uvei m
INCONS&QÜBNCES
Du
GOUVERNEMENT.
&VOLÜTION
DE LOPINJON.
THB0R1RS
DE L'&GLISB.
Dauphinä, k Lyon, en Bourgogne les protestants qui voulaient 6mi-
grer; mais on les relachait pour ne pas avoir a les nourrir, ei ils
reiournaient chez eux oü la persöculion les reprenait.
Cependant, Saint-Florentin fut impitoyable pour les pasteurs.
« Rien, 6crit-il ä l'inlendant Lenain, ne peut faire plus dimpression
que le supplice dun prödicant »; et, bien quil se füt content^ de
demander aux simples religionnaires un catholicisme d'apparence, il
craignait de passer pour un ministre tolerant. 11 a f6licil6 lintendant
du Languedoc, Saint-Priest, d'avoir d6fendu dans sa province la vente
du Traue de la toUrance, de Voltaire.
Les populalions calholiques avaient longtemps soutenu le
Clergö dans la pers6cution; mais, au milieu du si&cle, se manifestfe-
rent des sentiments de räpugnance. Les soldats chargäs d'arrtter les
£migrants se d£goüt£rent de cette besogne; les offlciers mirent leur
poini d'honneur ä ne pas surprendre les religionnaires « au d6sert ».
Parti de Versailles avec Tordre dedissoudre, en Languedoc, lesassem-
bl6es d6fendues, Richelieu fit afficher dans la province que nulle
assembl6e ne serait toläröc, ne füt-elle que de quatre personnes,
et que tout mariage contractu au d6sert devait 6tre sur-le-champ
« r6habilit6 »; puis, dögoütö, lui aussi, de la pers£cution, en sentant
rinutilitä, il s'abstint de faire ex6cuter ses ordres. Des magistrats,
des intendants cess&rent d'appliquer rigoureusement la loi. Sans
reconnattre aux Huguenots leur «Hat civil, et sans les laisser libres
d'ouvrir des temples, on lol6ra leurs räunions au d6sert et dans des
maisons particuli&res. II circula des Berits sur la tolärance. Antoine
Court publia le Palriole francais el imparlial en 1753; le chevalier
de Beaumont, iAccord parfait dela nature, dela raison, de la rivi-
lalion et de la polilique sur la tolfrance, la niöme ann6e. D'autre part,
le mattre des requötes, Turgot, dans le Conciliateur ou Leltres d % un
eccUsiastique ä un mag islrat sur les affaires prisenies, conclut en 1754
ä Tätablissement dun mariage purement civil.
Mais rßglise n'admcttait pas ces temp£raments. En 1767, Mar-
montel, collaborateur de YEncyclope'die, dramaturge et romancier,
ayant publik un roman, Bdisaire, oü il pröchait la tolörance, la Sor-
bonne censura Touvrage, et Tarchevßque de Paris le condamna par
un mandement. De la censure de la Facult6 et du mandement, il
ressortaitque les deux puissances, la temporelle et la spirituelle, 6tant
unies 6troitement, le glaive devait 6tre mis au Service de la foi.
La facultö de thäologie däclarait :
• Le prince a recu le glaive materiel pour reprimer... non seulement les doc-
trines qui coupent les noeuds de la Society et provoquent a toute espfece de
crime, comme le matcrialisme, le deisme et l'atheisme, mais aussi tout ce qui
< 336 >
CHAP. IT
Lej Jesuites, les Protestant*
pcut Gbranler les fondements de la doctrine catholique, donner aiteinte ä la
purete de sa foi et ä la saintete de sa morale; il a le droit d'empöcher les
discours, les ecrits, les assemblees, les complots, et tous les moyens exterieara
par lesquels on voudrait attaquer U religion, räpandre des erreurs, et se faire
des partisans. •
Parmi les Philosophes qui combaiiircni rintol&rance religieuse,
Voltaire se mit au premier rang. II mil iout son esprit, sa passion
sincere pour la libert£ de penser, son horreur pour l'inhumanitö
dans les affaires Calas et Sirven.
Jean Calas et Anne-Rose Cabibel, safemme, 6taienl marchands
dindiennes ä Toulouse, dans la rue des Filatiers. Le mari avait
soixante-quatre ans, la femrae quarante-cinq. 11s avaient quatre tils :
Marc-Antoine, Pierre, Louis et Donat, et deux iilles : Rose et Anne.
Leur servanle, Jeanne Viguier, 6tait catholique. L'avant-dernier des
fils, Louis, converti au catholicisme, ayant quittö sa famille, avait
exigö de son p6re, conformäment aux 6dits, une pension. L'afn6, Marc-
Antoine, ötait un esprit meJancolique; graduä en droit, ilregrettait
que sa qualitö de protestant lui fermat le barreau; avec ses fröres, il
aidait ses parents dans leur commerce.
Un soir, le 13 octobre 1761, fut retcnu ä souper chez les Calas
un jcune protestant de Bordeaux, Lavaysse, quise destinaitau mutier
de pilote, et devait, sous peu, passer ä Saint-Domingue. Lerepaster-
min6, Marc-Antoine quitta la compagnie, ayant, disait-il, ä sortir.
Dcux hcures apr£s, Pierre Calas et Lavaysse, voulant sortir ä leur
tour, se trouvörent en prösence du corps de Marc-Antoine pendu ä
une porte. A leurs cris, la famille accourut; le corps fut detachä.
Les Calas se concertörent avec Lavaysse et la servanle pour dexlarer
que Marc-Antoine 6tait mort d'apoplexie; ils voulaient, par ce men-
songe, 6pargner ä la famille le scandale du suicide, etle proc&squ'on
eüt fait, selon la l£gislation du temps, au cadavre du suicidä avant
de le trainer par les rues sur une claie, la face vere la terre.
Dans la foule amassee devant la maison des huguenots courut
le soupron d'assassinat. Un officier de justice criminelle, le capitoul
David de ßeaudrigue, arriva chez les Calas; il ne proc&ia ä aucune
enqutHe sur place, ne se demanda pas comment Marc-Antoine, un
hommc de vingt-huit ans, avait pu se laisser 6trangler, sans que
ses habits ou son corps gardassent la trace d'une lutte. II Gt porter le
cadavre ä la maison de ville, oü il emmena les Calas, Lavaysse et
Jeanne Viguier. Tous, bien qu'ils eussent 6t6 emprisonnös s£par&-
ment, döclarfcrent que Marc-Antoine s'6tait pendu; mais le capitoul
ne voulut pas les croire. II prätendait leur faire avouer que Marc avait
eu le projet d'abjurer, et qu'ä cause de cela il avait 616 asaasaini. Le
ÄFF AI BBS CALAS
BT SIRVEN.
LA FAMILLE
CALAS.
MORT DB
MARr.ANTOISB
CALAS it76l\
L ARREST ATIOS
DES CALAS.
33?
viii. 2.
Lßpoque de Madame de Pompadour.
liybi m
CONDAMNATWN
DB JEAN CALAS.
Procureur du Roi demanda & l'autorilä eccl6siastique de faire lire au
pröne et aflicher dans les nies un « monitoire » ordonnant aux fid&les
de r6v61er ä la justice ou ä leurs cur6s ce qu'üs pouvaient savoir
au sujet de Marc-Antoine et de sa mort. Dans ce monitoire, cetie
mort 6tait attribu£e ä un crime.
funbbaillbs Marc-Antoine fut proclam6 martyr. On avait consent son corps
ob mabc-antoinb. d an s j a chaux vive et, un dimanche, quarante prÄtres allferent lecher-
cher au Capitole, et le portörent dans l'6glise des P6nitents blancs.
Un catafalque y 6tait dressä, surmonte dun squelette tenant d'une
main une palme, et, de lautre, un 6criteau avec cette inscription :
« Abjuration de l'här&sie, — Marc-Antoine Calas ». Toutes les confr£-
ries de la ville 6taient lä; parmi les pcnitents blancs, se trouvait le
fr6re converti du mort, Louis Calas.
Le 13 novembre 1761, le tribunal des capitouls, composä de
quatre juges et de trois assesseurs, jugea qu'avant « dire droit »
Calas p6re et sa femme et leur Gls Pierre seraient appliqu6s ä la tor-
ture, et que Lavaysse et Jeanne Viguier y seraient seulement « prä-
sentes ». Le Procureur du Roi et les accus6s appelörent simultan^-
ment de cette sentence, et laffaire fut ainsi porige au Parlement de
Toulouse.
II fut arr£t£ que Calas p6re serait jug£ le premier et seul. Sur
treize juges, sept opin&rent pour la mort; trois se rlserv&rent, voulant
attendre les räsultats de la torture; deux demand&rent que Ton v£ri-
fidt s'il 6tait mat6riellement possible que Marc-Antoine se füt pendu ;
un seul vota lacquittement Sept voix sur treize ne suffisaient pas
pour prononcer la mort; mais Tun des six juges qui ne l'avait pas
votöc, M. de Bojal, doyen des conseillers, se ravisa, et rarrftt de mort
devint exöcutoire le 9 mars 1762.
Jean Calas fut mis ä la torture, qui ne hü arracha pas d'aveu.
II fut conduit le 10 mars 1762 sur un chariot, en cheraise et pieds
nus, devant la cath£drale, pour y faire publiquement amende hono-
rable, puis, ä la place Saint-Georges oü etaitdressel^chafaud. L>x£-
cuteur le coucha sur la croix de Saint-Andr6, et lui rompit ä coups
de barre de fer les bras, les jambes et les rcins. Le vieillard criait :
u Je suis innocent! » Dans sa lente agonie, il paraissait prier. L'exäcu-
teur enroula sur une roue ce corps d£sarticul£, le visage tournö vers
le ciel, pour y vivre encore, comme avait ordonnä Fairst de la Cour,
« en peine et repentance » de son crime et « servir d'exemple et donner
la terreur aux möchants 1 ».
SONBX&CÜTION.
i. Les juges bannirent Pierre Calas, roirent Mme Calas et Larajrsse hört de proces, «t
acquitterent Jeanne Viguier, comme si Jean Calas eütete capable seul, 4 soUaate-quatra
ans, d'etroogler son Als dans la force de Tage.
< 338
CHAP. IV
Les Jesu iles, les Protestant*.
PRBMIBRBS
1MPRBSSI0NS
DB VOLTAIRE.
Un marchand de Marseille, de passage ä Toulouse lors de l'ex6-
cution de Calas, et qui, de lä, se rendit ä Genäve, s'arr&ta ä Ferney
pour raconter ä Voltaire le proc&s du malheureux, qu'il croyait inno-
ccnt. Voltaire s'informa; sur les premiers avis qu'il regut, il jugea
Calas coupable. En sa quaüt6 de philosophe, il naimait pas mieux
les protestants que les calholiqucs; le « fanatisme » des Genevois
Texasp6rait. II plaisanta sur le cas de Calas : « Ce saint r6form6,
dit-il, a pens6 6tre « fort superieur ä Abraham, car Abraham n'avait
fait qu'oböir », quand il pensa saeriGer son fils ä Dieu; au lieu que
Calas a tue, son fils « de son propre mouvement, et pour l'acquit de
sa conscience ». II disait encore : « Nous ne valons pas grand'chose,
mais les Huguenots sont pires que nous; et, de plus, ils dexlament
contre la Coraädie ».
Puis, il s'inqui&a et se mit ä senquärir; ayant appris que le
plus jeune des fils Calas s'etait enfui ä Genöve, il alla le voir et
Tinterrogea. II 6crivitä Mme Calas, pour lui demander si eile signerait
que son mari ötait mort innocent; eile se döclara pr£te ä le faire.
Alois l'enquGte s'ötendit, merveilleusement conduite par Voltaire,
qui, ayant plaidö toute sa vie, 6tait un proc6durier de premier ordre.
En f6vrier 1763, il 6crivait : « J'osc £tre sür de l'innocence de cette
famille, comrae de mon existence. »
Pour obtenir la Cassation del'arr6tde Toulouse, la r6habilitation
de la mömoire de Calas et des r£parations ä la veuvc et aux enfants, S ' AD * BSSB A toüt
Vollaire s'adressa au Chancelier Lamoignon, ä Mme de Pompa-
dour, a Choiseul, ä tout le monde. II aida Mme Calas ä se rendre ä
Paris, et il ^crivit ä son ami, le comtc d'Argental, conseiller au Par-
lement de Paris :
SON BNQUETB.
VOLTAIRE
• La veuvc Calas est ä Pari««, et dans le dessein de demander justice.
L'oserait-elle, si son mari eüt ete coupable? Si, malgre toutes les preuves que
j*ai, malprc les serments qu'on m'en a faits, cette femrae avait quelque chose ä
se reprocher, qu'on la punisse, mais si c'est, comme je le crois, la plus ver-
tuousc et la plus malheureuse ferame du monde, au nora du genre humain,
pro lege z-la! •
Ce fut devant le Conseil du Roi que Mme Calas porta son
appel. Le Parlement de Toulouse ayant refusä de dälivrer Textrait
de sa proeädure, le Conseil l'exigea au nom du Roi. Et Voltaire
s'tVria : « 11 y a donc une justice sur la terre! II y a donc enfin de
l'humanitö ! Les hommes ne sont donc pas tous de mächants coquins! »
Le Conseil cassa la sentence des capitouls et les arrÄts du Parle-
ment, le \ juin 1764. De soixante personnes, tant ministres que magis-
Irals <lont le Conseil 6tait, ce jour lä, compos£, vingt auraient voulu,
pour menager le Parlement de Toulouse, n'ordonner que la revision
HBVISiOtt
Du PROTtS
(n$4-n$t).
339
LEpoque de Madame de Pompadour.
um m
V AFFAIRS SIRVEN.
du procös ; mais tous les autres opinerent pour la Cassation pure et
simple. Le Roi renvoya le procäs au tribuual des Requßtes de l'Hötel,
qui, le 9 mars 1765, rendit un anrät delinitif rehabilitant la memoire
de Jean Calas, ei dechargeant de loute accusation sa veuve, son fils
Pierre, Lavaysse et Jeanne Viguier. Sur la demande de dommages-
interöts, le tribunal ne donna pas d'autre satisfaction aus Calas que
de les renvoyer k se pourvoi r ainsi qu'ils aviseraient; mais il arr&ta
d'6crire au Roi pour les recommander ä ses bont£s. Le Roi partagea
entre eux trente six mille livres. La rähabilitation fut complete. Les
Calas f urent regus par la Reine et par les ministres ; on courait sur
leur passage, on battait des mains, on pleurait; le dessinateur Car-
montel composa l'estampe de la famille Calas; une souscription
s'ouvrit en Angleterre pour les Calas. Et Voltaire, il devint plus
populaire que jamais.
En m£me temps que l'affaire Calas, se poursuivit laffaire Sirven.
Sirven yivait k Castres, de la profession de commissaire k terriers,
c'est-ä-dire quü 6tablissait, d apres les anciens titres, le montant des
droits revenant au seigneur lorsqu on refaisaii le terrier d'une sei-
gneurie. En 1760, une de ses filles, du nom d 1 Elisabeth, fut enleväe
sur la requele de l'6v6que de Castres, M. de Barral, qui la fit placer
dans un couvent, pour la raison quelle voulait se convertir au catho-
licisme. Au couvent, eile donna des signes de d6mence, et l^vßque
la fit rendre k ses parents. Elle devint alors tout k fait folle. Comme
les religieuses qui l'avaient gardee accusaient ses parents de la per-
secuter, Sirven quitta Castres pour Saint-Alby. La, sa fille se jeta
dans un puits, le 2 janvier 1762; la rumeur publique l'accusa de
Tavoir tuee. Le mädecin qui examina le cadavre conclut que, n ayant
d'eau ni dans les intestins ni dans le venire, eile ne s'6tait pas noy6e,
qu on l'avait donc jetee dans le puits morte, eHouffee probablement.
Un juge de Mazamet langa un däcret de prise de corps contre Sirven
et sa famille.
Le premier mouvement de Sirven fut de se livrer ä la justice,
mais des amis lui persuaderent de senfuir; il s'en alla k Geneve,
avec sa femme et ses trois filles. Le procureur fiscal ayant donn6 des
conclusions oü il d6clarait tous les Sirven convaincus d'assassinat,
le haut justicier de Mazamet, le 29 mars 1764, condamna comme
parricide le pere ä ötre rompu sur la roue et brftl6 vif, la mere k Gtre
pendue et 6trangl6e.
Des qu'ils etaient arriväs en Suisse, les Sirven avaient couru
en main la cause. C hez Voltaire, qui, encore une fois, fit une enqufcte; il se convainquit
de leur innocence, mais attendit, pour intervenir, la fin de raffaire
Calas. En 1766 seulement il publia son Avis au public sur les parri»
< 34o >
condamnation
dbs sirvbn.
VOLTAIRE PRBND
CR AP. IV
Les Jesuites, les Protestant*.
cides impulis aux Calas et aux Sirven. La nouvelle cause pas-
sionna moins le public que la pr£c6dente parce quc les Sirven
avaient la vie sauvc; mais, lc 31 aoüt 1767, Sirven se consütua pri-
sonnicr ä Mazamet. Un nouveau drame sannongait; il fui couri et
iinit bien. Le Parlement de Toulouse, devenu prudenl, d6fendit au
premier juge d'instruire de nouveau l'aflaire et subrogea ä sa place
un autre juge. La defense prouva la faussetö des l£moignages qui
avaient 616 produils au premier proc&s et la grossiöretä des erreors
commises par le m6decin. Le nouveau juge fut, dit Voltaire, « comme
lc diable obligä de reconnaltre la justice de Dieu ». 11 mit Sirven hors
d'instance. l'61argit et lui fit donner main-lev6e de ses biens qui
avaient <H6 saisis. Mais, comme on le relÄchait sans proclamer son
innocence, Sirven interjeta appel au Parlement de Toulouse, et
demanda vingt mille livres de dommages-int6r£ts. Le Parlement
reforma la sentence de 1764, condamna les consuls de Mazamet aux
depens, mais n'aecorda pas de dommages-int6r£ts.
L'ACQUITTBMBNT
(Ht7)
Calas et Sirven ölaient des huguenots, et cette qualit6 assuräment lb SACBiLäcs
pr6vint contre eux leurs juges; le Chevalier de La Barre fut victime otABBBViLLB{nu).
des senliments de l'ßglise et des magistrats h l'ögard des Philosophes
Sur un pont d' Abbe vi He, en 1765, des inconnus mutildrent, ä
coups de sabre, un crueifix; la population fut exasp£r6e par le Sach-
lage. LevÄque d'Amiens. M. de La Motte, au milieu dun immense
concotirs de fideJes, pieds nus et corde au cou, alla faire amende
honorable ä l'image sainte, et les cur£s lancerent des monitoires. On
ne d( ; couvrait pas de coupables; mais un mattre d'armes dlnonga des
jeunes gens qui s'6taient vantte, chez lui, de ne pas s>tre mis k
genoux et de n'avoir pas m£me Ate* leurs chapeaux devant la Pro-
cessi on du Saint-Sacrement : c*6taient MM. d'ßtalonde, Moisnel, de
La Barre et de Maillefeu, tous quatre mineurs. 11 se trouva qu'un
assesseur du Procureur du Roi ä Abbeville, Duval de Soicourt, 6tait
lennemi personnel de Tabbesse de W'illancourt, tante du Chevalier
de La Barre. On ajouta au fait dirr^vörence dont les jeunes gens
Itnient acrus^s le crime de sacrilege eoinmis au pont dWbbevillc.
Au cours de Tinterrogalnire devant la chambre criminelle de la
senexhauss^e de Ponthieu, La Barre avoua quil avait chante" des
chansons de corps de garde et lu de mauvais livres. le Portier de*
ChartrttiT* la Religieuse en chemise, le Tableau de ramour con-
jugaL le Dictionnaire philosophique et portal if de Voltaire. Le Pro-
cureur du Hoi Itait d'avis de faire mettre les trois jeunes gens dans
une mai<on de force sans les juger, par lettre de cachet; il en Gl la
proposition au Procureur g£n£ral pr&s le Parlement de Paris, Joly
LA BARBE
CONDAMfli
A ABBEVILLE
BT A FABIS.
34 1
L'lZpoque de Madame de Pompadour.
Livmt ai
i$i
de Fleury. Mais, au Parlement, loccasion parut bonne de frapper un
lecteur de Voltaire, et de punir en lui Tirrespect des Philosophes pour
toutes les choses sacräes. Ordre fut donc envoyä k Abbeville d'ins-
truire le procfcs. La Barre, jug6 k part, fut condamnö k mort pour
ses lectures, pour des chansons qu'il avait chantäes et pour linjure
faite k une proccssion. Le Chevalier en appcla au Parlement de Paris
oü le jugement fut confirmö. La Barre n avait pas €16 d6fendu, le
Parlement ayant inlerdit k Linguet, l'avocat, dimprimer le memoire
qu'il avait compos6 pour la defense. L'6v£que d'Amiens tenta gen6-
reusement de sauver le malheureux, mais le Roi refusa la grÄce.
Le 1 er juillet 1766, ä Abbeville, La Barre, portant sur le dos un pla-
card oü 6tait 6crit le mot Impie, fut conduit devant le porche de
l'6glise de Saint-Wulfran pour faire amende honorable et avoir la
langue coupöe. II fut ensuite d6capit6 sur la place du grand march6,
et son corps brül6 sur un bücher. En m6me temps fut brüte le
Dictionnaire philosophique. Des autres jeunes gens, un s'6tait enfui,
qui alla voir Voltaire, puis se räfugia en Russie. Les trois autres, que
Linguet avait defendus, furent relAchös.
jugement A la nouvelle de l'exäcution de La Barre, Voltaire 6crivit k
des philosophes d'Alembert : « Ce n'est plusle temps de plaisanter... Quoi! des Busiris
Sü * LBS en robe fönt p6rir, dans les plus horribles supplices, des enfants de
seize ans!.... Et la nation le souffre! » II disait encore : « Lhomme
estunanimal bien lache; ilvoit tranquillement dävorer son prochain,
et semble content, pourvu qu'on ne le dävore pas. II regarde ces
boucheries, avec le plaisir de la curiositä. » Voltaire s'en prit surtout
au conseiller Pasquier, qui, au Parlement, avait, disait-on, chargg
contre les Philosophes, instigateurs de sacriläges. C'6tait,selon lui,cct
« homme ä gros yeux », k « mufle de boeuf », et dont la langue Itait
« bonne k griller », qui avait persuadä k ses coll&gues de se faire
cannibales pour montrer qu'ils 6taient chr&iens. Mais Grimm et
Diderot conseillaient k Voltaire d^tre prudent. « La bdte feroce a
tremp£ sa langue dans le sang humain, ßcrivit Diderot, eile ne peut
plus s'en passer.... et n'ayant plus de Jdsuites k manger, eile va se
jeter sur les Philosophes ».
Les procös de Calas, de Sirven et de La Barre furent des £v£ne-
menls dans l'histoire de la France etaussi dans celle de l'Europe,car
rEuropes'y int£ressa, commc aux persäcutions contre les protestants.
Les Berits des Philosophes, r£pandus partout, oppos&rent au vieux
monde, k l'figlise et a l*Elat unis et inlolcrants, au fanatisme populaire 9
k la magistralure pedante et cruelle, au Systeme atroce des proo6*
dures et des peines, les id6es de tolerance, de liberlä et d'humanitA.
< 3,2 >
CHAPITRE V
LE MOUVEMENT ÜCONOMIQUE ET LES
F1NANCES, DE MAC HAU LT AU TRAITE DE
PARIS*
«
I. L'ECOLB DB GOURXAY; LA RBFORMS DU SYSTEME BEOLBMBlfTAMB BT
LA DE8TRUCTI0J« DB LA G0MPAGN1B DBS INDES. — D. L'ECOLB DB QUE8NAY, LA QUESTION
DRS GHAINS ET LB PR ET BN DU PACTB DB FAHIME. — III. LETAT DBS PINANCB8 AVANT BT
APRES LE TRAITE DB PARIS; SILHOUETTE, BERTIN, LAVERDY.
/. — L'ÄCOLE DE GOURNAY; LA RÜFORME DU
SYSTEME REGLEMENTAIRE ET LA DESTRUCTION
DE LA COMPAGN1E DES INDES
AU milieu du xvin* siöcle, le colbertisme, qui 6tait dans toute sa amus du regime
force*, fui altaqu6, comme le furent ioutes les sorles de puis- *&glembntai*b.
sancos. II tftait, (Tailleurs, devenu intolörable.
La legislalion industrielle el commerciale sencombrait de plus
i. Sources. D'Argensoo (t. IV et suiv.), Barbier (t III ei IV), MouOe d'Angerville (4. IV),
d^jd cites; Arnould, De la balance da commerce, Paris. 1791, 3 vol. el aUas. CoOeclhn
den princif)aux Economitle» (Da Ire), Paris, 1846, a vol. i. 1; Quesnay, Le droit naturel; Ana-
lyse du lableau iconomiqae; Maximen gMrale» da goaoernement iconomiqae d'am rogaume
ayricole; Art. extraits de l'Encyclopedie : Fermier»; Grain»; GEaore» economiqae» el philo-
sophique», ed. Oncken, Francfort-sur le-Mein, 1888; Art Ilomme» el Impuls, pabl. dans la
Rcv. d'Hist. des doctrines economiques, 1908 Dupont de Nemours, De rorigineei des progres
dune science nouuelle; abrigi de» principe* de Ttconomie poliliqae, 1768. Le Mercier de la
Hivicre, L'ordre naturel el essenliel des sociales poliliqae». 1767. Baudeau, Premiere infro-
durtinn ä la philonophie iconomiqae oa analyse de» Etat» polici», 1771. Forbonnais, EU»
mentx du commerce, Levde et Paris, 1754, a vol. Turgot, CEuvre», Paris, 1844. a vol., I. I *
Art. Foire» el marchis; Eloge de Gournay. Voltaire, ed. Beuchot, L XXXIV : L'homm$>
nur quarante icu». Moheau, Recherche» et con»idiration» »ar la populalion de la Fronet,
Paris, 177«.
Ouvrages a comsülter. Bleunard(t. II), Clsmageran (t. III), CX&mtnl (Portrait»; Silhouette),
Espinas, de Lavecgne, Delahante, Levasseur (Hittoire de» chtses oaoHcre»), de Lo^ay,
Montyon, Rouatan. Taine. Thirion, Tocqueville, deja cites. Gide et Bist, IlUtoire de» doc-
Irine* iconomique» depai» le» phyeiocrale» jaxqa'ä no» joar». Pari«, 1909. Afanasslev, Le coat-
merce den ccriale» en France aa XVIIh »iMe (trad. Boyer), Paris, 1894* D'Avenel, Buioir*
iconomique de la propriili, de» »alaire», de» denrie» el dt loa» le» prix en ginirat depai» tarn IJW
jutquen ran 1900, Paris, 1894-1898, 4 vol. Babeau. Le oillage »oa» tancien regime, Paria,
1H79, a« ed.; la oie rarale dan» TancUnne France, Paris, 1883. Biollay. kituaaa icom'miqme»
i 343 >
ü^poque de Madame de Pompadour. uvbb m
en plus. Lc moindre fabricant, pour ne pas tomber en faute, aurait
du &tre jurisconsulte. L'adminisLration prötendait vörifier la qualite
et Torigine des matteres premteres employöes, les proc6d6s de fabri-
cation, la dimension des Stoffes. D'innombrables agents, pour prot6ger
les consommateurs contre la mauvaise foi des producteurs, recher-
chaient, par exemplc, si les draps ^taient fabriquäs avec des laincs
de teile ou teile esp6ce, si les bas ötaient de filoselle et de fleuret ä
trois brins, si les bas pour hommes pesaient cinq onces, ceux pour
femmes trois onces. Des contröleurs apposaient des marques. Les
draps 6taient marqu6s jusqu'ä trois (bis, « en toile », cest-ä-dire k la
sortie du mutier, au retour du moulin k foulon, et ä la suite du der-
nier appröt; ils portaient un plomb indiquant leur qualitä.
Pour tout manquement, si 16ger füt-il, les fabricants risquaient
de du res p6nalit6s :
« J'ai vu, dii un inspecteur des manufactures, Roland de la Piatiere, dans un
Memoire de 1778, couper par morceaux, dans une seule matin6e, quatre-vingts,
quatre-vingt-dix el cent pieces d'etofles... J'ai vu, les memes jours, en con-
fisquer plus ou moins, avec amendes plus ou moins fortes;.. j'en ai vu attacher
au carcan, avec le nom du fabricant, et menacer celui-ci de l'y attacher lui-
meme, en cas de recidive. J'ai vu tout cela ä Rouen; et tout cela etait voulu
par les reglements, ou ordonne ministeriellement; et pourquoi? Uniquement
pour une mauere illegale, ou pour un tissage irregulier. J'ai vu faire des
sur le XVIII* stiele : Le pacle de famine, Paris, i885. Bire, La ligende du parte de famirte
(dans le Correspondant, 1889, t. CLVI). Boissonoade, Eludes sur les rapports de tEiai
et de la g ran de industrie aax XVII* et XVIII* siecles; Essai sur t Organisation du irawail
en Poilou, depu.it le XI* stiele jusqaä la Revolution (Memoires de la Societe des anUquaires
de l'Ouest, t. XXI et XXII de la 2* serie, 1898-1899). Du meine auteur : Le socialisme d'Elai
sous landen rigime (ouv. non encore publie, dont nous avons eu communicaHon). Bord,
Histoire du bU en France . le parte de famine, Paris, 1887. De Calonne, La oie agricole sous
Vancien regime dans le nord de la France, Paris, i885. Des Cüleuls, L' histoire et le regime de
la gründe industrie au XVII* et au XVIII* stiele*, Paris, 1898. Fournier de Flaix, La riforme
de Cimpöl en France, t. I : Les theories fiscales et les impöts en France et en Earope au XVII*
et au XVIII* siecles, Paris, 1886. Grimaud (Edouard), Lavoisier (174$- 179 4), dapres ses manu-
scrits, ses papiers defamille et dautres documenls inidils, Paris, 1899. Funck-Brentano, Man-
drin, capilainc giniral des contrebandiers de France, Paris, 1908. De Foville, La France
economique, Paris, 1889, a vol. Guyot (Yves), Quesnay el la Physiocratie, Paris, 1896. Huvelin,
Essai historique sur le droit des marchis el des foires, Paris, 1897. Kareiev, Les pagsans et
la question pagsanne en France dans le dernier quart du XVIII* stiele, Paris, 1899. Krug-
Basse, L'Alsace avant 1799, ou Hat de ses instilutions prooinciales et locales, Paris, 1877.
Labouchere, Oberkampf, Paris, 1878. Levasseur, La population franeaise, Paris, 1889-189«,
3 vol. Id., Des progres de TAgricutture franeaise dans la seconde moitii da XVIII* siede
(Rev d'econ pol., 1898). Lomenie (de) Les Mirabeau, Paris, 1879, 3 vol. Marion, Etat des
classes rarales au XVII I* sieele dans la gine'ralile' de Bordeaux, Paris, 190a. See, Les classes
rurales en Bretagne da XVI* sieele ä la Revolution, Paris, 1006. La Farge, L'Agriculture en
Limoustn au XVIII* stiele et Tlnlendance de Turgot. Ardascheff, Les intendanls de promnee
sous Louis XVI (trad. fr.), Paris, 1909. Martin, La gründe industrie en France sous le regne
de Louis XV, Paris, 1900. Id., Les associalions ouorieres au XVIII* siede (17*0-/791), Paris,
1900. PanseULaChambre de Commerce de Lyon au XVIII* siecle(Mem. de l'Acad.des sciencea...
de Lyon, t. XXIV, 1887). Bipert, Le marquis de Mirabeau, tarnt des hommes, ses theories
poltltques et economiques, Paris, 1901 Schelle, Vincent de Gournay, Paris, 1897. Id * Dupomt
de Nemours el Tecole physioeralique, Paris, 1888. Id., Turgot, Paris, 1909. Truchv, Le JiM-
ralume economique dans les aeuores de Quesnay (Rev. d'Econ. pol., 1899, t. XIII).
a. Voir plus baut, pp. io3et 104, et t. VII, 1, pp. 219 et suiv»; t. VI11, i, pp. a34-a35.
< 344 >
CHAP. V
Le Mouvement iconomique et les Finances.
MANUFACTURES
ROY ALES.
descentes cbez le* fabricauts, avec une bände de satellites, bouleverser leurs
a Leiters, repandre l'effroi dans leur faniille, couper une coalne sur le metier, et
pourquoi? Pour avoir fait des pannes en lainc, qu'on faisait en Angleterre, et
que les Anglais vendaient partout, meine en France, et cela, parce que les
reglcments de France ne faisaient mention que des pannes en poil. J'ai vu, sen-
tence en main, buissiers et cohortes poursuivre ä outrance, dans leur fortune
et dans leur personne, de malhcureux fabricants, pour avoir acbete leurs
maticres ici plutöt que lä, ä teile heure plutOt qu'ä teile autre. •
Aux embarras des reglcments s'ajoutaient les conflits entre corpe conflits bntrb
de metiers, chaeun pretendant fabriquer quelque produit räserve* h corps de metiers.
d autres, sans pour cela toterer qu'on fabriquat le sien.
Les manufactures royales conservaient leurs privileges pour des
raisons qui, longtemps, avaient paru justes : assurer la fabricalion
de bons produits, et soutenir ainsi l'industrie frangaise contre la
coneurrence etrangere, le travail libre etant juge* incapable de sc
tirer d'aflaire. Mais nombre de gens commen$aient de irouver sur-
prenanl qua cöte des privileges survivanl ä la destruetion de la
föodalite\ 1 Etat en 6tabltt, d'importance non moins grande, en faveur
d'individus ou de soeiätös.
Contre les abus de ce regime se forma un parti de reTorma- lbs economistbs.
teurs. II sc divisa en deux ecoles, lune commerciale, lautre agricole.
II chercha ses mattres en Hollande, en Angleterre ei en trouva quel-
ques-uns en France.
L'öcole commerciale eut Gournay 1 pour chef Fils d'un n£gociant
de Saint-Malo, ei n£gociant lui-m6me, Gournay avait, toui jeune,
visit^ FEspagne, Hambourg, rAnglctcrre et la Hollande. Dans ses
vovages, il s <Hait convaineu de Finef6cacite du protectionnisme. II
devint Intendant du commerce en 1751, ei membre du Bureau de
commerce. Ardent propagandisie de ses ide>s. il aecomplii ce prodige
(1 amencr les adminisiraleurs ä se defier des reglements et de les
rendre plus liberaux que le public ; il persuada aux inspec teurs des
manufactures de traiter les fabricants avec douceur Cest k lui qu'on
attribue la formule fameuse : « Laissez faire, laissez passer 1 ». II
enireprit des voyages dans le rovaume de 1753 ä 1756; il obtini
la fondation d'öcoles de dessin ä Nantes, ä Rouen, ä Saint-Malo. II
n'a publik que des traduetions douvrages anglais, notanftnent le
traitc de Child sur le commerce; mais il a expose" ses idees dans des
rapporls, des m6moireset des lettresconserves aux Archives nationales.
UBCOLE
COMMERCIALE
COURSAT.
i. Gournay est ne en 1713. et raort en I75<k
x Tont au plus Gournay permettatt-U a l'Etat dedistribuer aux fabncanU des gratifica-
tions et des prix, des marques d'nooneur II ne roulattpa* qu'on poursufvlt un ourrier pour
avoir fabnque une etoffe jugee Interieure, parce que tout fabricant, disait-il, ajoute quelque
choso ik la masse des richesses de l'Etat, parce que les consommateurs peurent preferer une
marchandise Interieure, mala peu coQteusc, 4 une marchandise parfaite, mala de grantf prix.
c 345 1
Etablissement
DB LA LIBERTE
/INDUSTRIELLE.
LBS TOJLBS
PBINTBS.
OBERKAMPF.
VEponue de Madame de Pompadour. uva« in
Le Bureau de commerce mit prudemmeni les maximes nouvelles
en pratique. II achemina la France vers la libert.6 äconomique par
toute une s6rie de mesures. II rEserva le titre de manufactures royales
aux Etablissements qui travaillaient vraiment pour le Roi, aux
Gobelins, ä la Compagnie des Glaces, ä la manufacture de Sfcvres,
ou aux fabriques qui justifiaient cette distinction par l'anciennete de
leurs Services ou la sup£riorit6 de leurs produits. II s'efforga de
gagner ä ses vues les intendants des provinces, le grand commerce
et la grande industrie. De fait, il y parvint. En 1757, on vit toutes les
fabriques du Languedoc tisscr les draps du Levant; et, dix ans plus
tard, les Van Robais qui, depuis plus dun siöcle, produisaient seuls
ä Abbeville les draps fins, se döcidörent ä renoncer ä leur monopole
et ä faire 161oge de la libertä.
Peu ä peu, l'fitat permit aux fabricants de varier leur outillage
et leurs produits, de faire face aux besoins multiples de la consomma-
tion, d'innover et de suivre les mouvements de la mode. En bien des
cas, les visites des inspecteurs et des gardes-jur6s devinrent de
simples forma litös.
Lancienne et la nouvelle 6cole se querellärent au sujet des toiles
peintes ou indiennes, dont la concurrence ätait si redout£e par les
fabricants desoieries et de lainages '. L'importation enätait interdite,
et il ätait interdit aussi dimprimer sur aucune toile des fleurs ou
autres figures. L'abbä Morellet äcrivit en 1758 ses Riflexions sur les
avantages de la libre fabrication et de Vusage des toiles peintes en
France. Ses arguments, qui lui venaient de Gournay, ne s'appli-
» quaient pas seulement ä la fabrication des indiennes. En th&se g£n6-
rale, il d£montrait la n£cessit£ de la libertE industrielle, pour le
fabricant comme pour le consommateur. II eut contre lui les tisseurs
de Rouen, Lyon, Tours, Amiens, mais pour lui les Philosophes, les
salons, le grand public, surtout les femmes. Le Bureau de commerce
et le Conseil autorisörent en 1759 la fabrication des toiles de coton
« Manches, peintes ou imprimEes, ä l'imitation de Celles des Indes »,
attendu l'utilitä d'une industrie qui pouvait donner aux pauvres des
habillements ä bon marche
L'expörience de la libertö röussit k merveille. La fabrication des
Stoffes imprimöes prospära dans les provinces qui avaient le plus
proteslE contre leur libre fabrication, en Normandie, en Picardie,
dans rile-de-France, dans le Lyonnais et le Beaujolais. Oberkampf,
graveur ä la manufacture Koechlin et Dollfus,ä Mulhouse, vint s'6ta-
blir prös de Paris, sur la Biövre. En 1761, il fabriqua trois mille
i Voir Hin. de France, t. VII, pp. 287, 891.
346 >
CHAP. V
Le Mouvement economique et les Finances.
six cents piöces d'indiennes. Pendant quarante ans, ses produits
abonderent sur nos marchös; c'ätaienl des elofles appelees siamoises
ou mignonneiies, mousselines k fond blanc, qu'on faisait venir de
Suisse, pour les decorer de bouquets de fleurs.
Dans toute lindustrie frangaise, on sent une sorte de renouvellc-
ment. Un arriH du Conseil, du 10 mai 1763, ayant donnö aux matt res
papetiers le droit de faire usage des machines et Instruments qui
leur paraitraient le plus convenables, les maltres de l'Angoumois, du
Gälinais, de l'Auvergne, distanc6s par l'Angleterre et la Hollande,
renouvel&rcnt leur materiel et leurs proc£d6s. De m&me, des maltres
tanneurs appliquerent les procödös de la tanneric britanniquc dans
des manufactures qu'ils fondfcrent ä Montauban et a Dunkerque
en 1749, ä Bayonne en 1750, ä Lectoure en 1752. Les chamoiseurs
avaient, depuis le dt'bul du stecle, en raison de l'ouverture du march6
espagnol, presque le monopole de Tachat des peaux ä la Plata,
comme ils lavaient, d'ailleurs, au Canada; vers le milieu du siöcle
ils concentrerent leur activite ä Niort, Blois, Chdtellerault, Lunöville,
(i renoble. Niort avait la specialite des gants de castor, de daim, de
chamois et celle des buffleteries pour la cavalerie. La fabrication
des verrcs et des cristaux prospera dans l'Argonne, ä Saintc-Mtfne-
hould, en Brie, ä Montmirail, dans les Trois-EvÄches, dans le Bor-
delais; de mÄme que les verriers avaient imitä Venise pour les glaces
et la verrerie de luxe, ils imiterent TAngleterre et la Boh&me pour la
verrerie usuelle. Les raffineries de Sucres coloniaux se d6velopp£rent *
dans presque tous les ports de commerce, a Bordeaux, Dunkerque,
Nantes, Roucn, la Rochelle, Marseille. Les fabriques de savon
se mullipli&rent plus rapidement encore. A Marseille, en un demi-
siecle, le nombre en passa de 7 a 50. La coutelleric de ChÄtellerault,
qui d^croissait, conserva cependant son renom, de 1750 ä 1768 il s'y
trouve encore 208 maltres couteliers dont les produits aliraentent les
foires de Beaucaire et de Bordeaux, de Bretagne, de Normandic, et
penelrent dans les lies du Nouvcau-Monde. La fabrique de Lyon
subit un prejudice du fait des droits que les Anglais et les Hollandais
mirent sur ses soieries; vers 1750, ces droits s'6levaient en Angleterre
jusqu'a 70 p. 100 de la valeur; les soieries lyonnaises n>n attei-
#nirent pas moins ä cetle 6poque la perfection du dessin et des
nuan<*es.
L'organisation du travail na pas 616 modifiee au xvni* siecle*;
mais on voit de plus en plus se former de grandes agglomerations
GBAND
DEVELOPPEMEST
DB L INDUSTRIE.
i. Voir HM. de France, t. VII, a, pp. a£6et a$7t et plus haut, p. 109.
2. Voir ibid.. t. VIII, 1, pp.
347
UÜpoque de Madame de Pompadour.
uvas m
agglomeratjoss ouvrteres. II y avait. k Lyon, quarante-huit mille personnes employtes
oüviukRBs. au travail de la soie; ä Marseille, deux mille; k Tours, six cents.
Les Van Robais cTAbbeville occupaient qualre mille ouvriers drapiere;
les Lebauche, de Sedan, cinq cents. En Languedoc, la fabricaüon
des draps du Levant comptait trenle mille ouvriers dont dix mille
dans les seules fabriques de Carcassonne, Saptes et Conques. M6mes
groupemenls dans les manufactures de tabacs ä Paris, au Havre,
ä Tonneins; dans Celles de verrerie, de c6ramique, de m6tallurgie.
La fabricaüon des glaces occupe, k Saint-Gobain, mille ä douze
cents ouvriers en 6t6, dix-huit cents ä deux mille en hiver, de six
cents ä mille au faubourg Saint- Antoine, ä Paris; les ioiles, coton-
nades et velours de coton, douze cents ouvriers k Sisteron, dix-huit
cents chez les La Foröt, ä Limoges, quinze cents dans le faubourg
Saint-Sever, ä Rouen.
La condition des ouvriers na pas changä. Ils continuent d'6tre
emprisonngs dans les r&glements corporatifs *. Les salaires ne se
sont pour ainsi dire pas 61ev6s. La manufacture de Beauvais paye
les plus habiles ouvriers de 2 k 3 livres par jour, et celle des
Gobelins 20 sous; mais les fabriques de soie, ä Tours, ne donnent
que 10 ou 12 sous; les ouvrieres dAbbeville ne gagnent que 4 sous
et demi, celies d'Aubusson de 2 k 5 sous 1 .
LIBBRTB
Du COMMERCE.
PRIVILEGES
C0MMBRCUUX.
Les ficonomistes ont demand6 la libertä du commerce comme
celle de Tindustrie. Ils ont attaquä les priviteges des foires et mar-
ch6s, deni£ k ladministration le droit d'en limiter le nombre etd'inter-
dire la vente de certaines marchandises ailleurs qu'en certains lieux :
- Qu'importe, disait Tun d'eux, que ce soit Pierre ou Jacques, le Maine ou
la Bretagne qui fabriquent teile ou teile marchandise, pourvu que l'fitat s'enri-
chisse et que les Francais vivent?... Qu'importe qu'une Stoffe soit vendue ä
Beaucaire ou dans le lieu de sa fabricaüon, pourvu que l'ouvrier regoive le
prix de son travail? Qu'importe qu'il se fasse un grand commerce, dans une
certaine ville et dans un certain moraent, si ce commerce momentane n'est
grand que par les causes memes qui genent le commerce et qui tendent ä le
diminuer dans tout autre temps et dans toute l'etendue de l'£tat? »
Or, chaque port de France avait, pour ainsi dire, sa sp£cialit6
ou plutdt ses privilöges d'arrivfe et de destination. Les vins du « pays
supäricur » devaient aboutir ä Bordeaux; les vins exp6di6s aux colo-
nies ne pouvaient 6lre embarquäs qu'ä Bordeaux ou k Nantes; les
relations avec le Levant s'effectuaicnt par Marseille, et le traßc de la
Compagnie des Indes passait nöcessairemcnt par Lorient
i. Voirplus haut, p. io3, et t. VIII, 1, p. 23i.
2. Ces chiffres sont relev^s dans un ouvrage manuscrit de M P. Boissonnade, Essai sur
thisloire et le rigime des manufactures royales aux XVII* et XVill* sieclss, I. III, eh. it.
348
CHAP. V
Le Mouvement economique et les Finances.
DBS INDES.
Cette Compagnie fut trait6e par les Economistes en ennemie d&cadbncb
mortelle. Elle avait, depuis Fleury, singulierement perdu de sa DB *•* compagnib
puissance, les guerres maritimes et coloniales layant en pariie
ruinee. De 1744 ä 1748, eile avait perdu, par capture ou naufrage,
29 navires. Voltaire esüme ä vingt-cinq millions la valeur des car-
gaisons perdues en 1745. En 1744 et en 1745 eile ne paya pas de
dividendes; ses actions, qui etaient cotees 2100 livres en 1743, tom-
bercnt ä 1348 en 1748. Apres la paix d'Aix-la-Chapelle le commerce
de la Compagnie avait eie gcne par linquietudc oü Ton etait de voir
les hostilites seperpeiuerenlndeparlapolitique de Dupleix. Laguerre
de Sept Ans lui lit perdre, outreses principaux territoires et comptoin»,
le commerce du castor et la fourniture des negres ä Saint-Domingue.
Ses bänefices commerciaux setaient nkluits ä presque rien; de 1759
ä 1763, en qua Ire ans, ils ne furent que de 560000 livres. Les actions
qui etaient rcraontees ä 1500 livres en 1756, tomberent ä 725 livres
en 17G2.
La paix sign£e, la Compagnie fit un grand effort. Elle s 6tait
ongag£c ä payer les döpenses oceasionnees par la guerre de 1'Inde,
70 millions; en 1765, le gouvernement Tautorisa a demander ä ses
actionnaires 400 livres par action, c'est-ä-dire, pouröOOOO actions,
20 millions, ä ämettre un emprunt sous forme de loterie dont le total
dos lots fut fix£ ä 477000 livres de rentes viageres, et en 1767, ä
emprunler 12 millions par obligations remboursables en cinq ans.
Ces emprunts furent couverts; le commerce reprit, et avec une teile
activite que les b^neTices atteignirent six millions. La Compagnie
espe>ait quen 1769, ses recettes seraient en equilibre avec ses
d^penses.
Mais, plus que la perte des colonies, plus qu'une dette accu-
mulee par deux guerres successives, les theories des ficonomistes
menacerent la Compagnie des Indes.
Le Systeme des compagnies, emprunte ä TAngleterre, avait,
disaient-ils, fait son temps; les compagnies, organisees pour « le bien
gene>al du royaume », avaienttourne contre leur objet; par leurs Pri-
vileges olles empechaient la concurrence de mettre« unjusteprix aux
produils », maintenaient le commerce et l'industrie dans une espece
de « servitude ». C'etait d'ailleurs la doctrine $e Montesquieu qui
avait proposä de transferer ä l'£tat les attributions des compagnies :
• l^i nature des grandes Compagnies, ecrivait-il dans YBspril de$ Lob, est
de donner aux richesses particulieres la force des richesses publique«; cette
force ne peut se trouver que dans les mains du Prince. •
Le 26 juin 1755, dans un memoire adresse* au Contröleur general
UN MiMOWB
DBOOURNAT.
< 349 >
U&poque de Madame de Pompadour. uw in
Moreau de Sechelles, Gournay proposa de « liquider le commerce
etlesdettcsde la Compagnie des Indes, de dcclarer le Lrafic de linde
ouvert ä tous ». Les frais des compagnies de commerce, disait-il,
sont proportionnellement plus grands que ceux des particuliers com-
mercant; il donnait comme raison de ce fail quelles faisaient des
depenses etrangeres k leur objet, cc qui etait vrai pour la Compagnie
des Indes, si on la faisait responsable de la polilique et des con-
quetes; que celie compagnie avait contractu des emprunts k un
taux onereux; que ses Directeurs se recrutaient par la brigue et la
faveur, ne s'occupaient pas assez des affaires communes, faisaient le
commerce pour leur propre compte. II pensait que Ton pouvait
rembourser la dette de la Compagnie en vendant ses vaisseaux et ses
magasins, et en transformant en rentes pcrpeluelles ä 4 p. 100, au
beneTice des creanciers, la rente servie par le Roi k la Compagnie, et
qui s'elevait en 1756 k 6300000 livres. II assurait que, loperation
terminee, Dunkerque et Marseille feraient aussitöt le commerce en
Inde. II concluait sur son projet :
« Cette pro position augmentera considerablement notre navigation, nos
manufactures, et la culture de nos terres; toutes ces choses sont la source des
richesses; elles se tiennent entre elles, et decoulent naturellement d'un com-
merce libre; on ne peut jamais se les promettre des commerces exclusifs. •
Quatorze ans plus tard, ce fut aussi la conclusion d'un rapport
demande par le Contröleur general k l'£conomiste Morellet. Un
banquier qui coramencait k faire parier de lui, Necker, partisan
du colbertisme, essaya vainement de defendre la Compagnie avec
laquolle il faisait des affaires; les ficonomistes eiaient parvenus
le Privilegs k mettre tout le monde conlre olle. Le privilege de la Compagnie des
Dgu coMPACStE Indes fut supprime par arret du Conseil le 13 aoüt 1769; les action-
sopprime (n$9). na j rcs abandonnerent leurs droits au Roi, qui accepta la cession
de leur actif et se chargea de leur passif. Le 3 septembre, le Parle-
ment fit des « represontations » au Roi, non pour protester contre
l*abolition de la Compagnie, mais pour rendre au moins justice k
r oeuvre quelle avait aecomplie, et que ses ennemis meconnaissaient:
• Cette Compagnie, dit-il, presente dans lc point de vue general de son exis-
tence lo magniflque projet de porter la gloire du nom francais et la puissance
de Votre MajesW jusqu'aux extremites du monde. Sa marine a fourni des sujets
disüngues a votre marine, ses vaisseaux ont toujours soutenu les droits de
souverainettt dont il a plu ä Votre Majeste lui confler la defense dans une
partie du monde. Les diffarentes secousses qu'elle a eprouvees ont cte occa-
sionnees moins par les variaüons de son commerce que par les guerres que
i'l : :tat a eti a supporter, la Situation fAcheuse des flnances de l£tat, etpeut-etre
reffet de Tautortte qui a toujours diriqc et souvent ordonae ses Operations. •
< 35o >
chap. v Le Mouvement iconomique et les Finances.
11 est vrai que le Gouvernement avail rendu la vie penible & la
Compagnie par sa politique, par ses guerres, et par l'autoritl qu'il
exer<;ait sur eile, et qu'elle avait surmontö de grandes difficultls, et
fait preuve de vitalite,; mais lexp^rience qui se fit apr&s sa suppres-
sion donna raison aux ficonomistes. En 1770, pour faire cesser toutes
rexriminations, on assembla des repräsentants des principales villes cu
royaume et on leur demanda s'il y avait lieu de rötablir la Compa-
gnie; ils röpondirent n6gativement. Le commerce des Indes Orien-
tales, qui, de 1725 ä 1769, n'avait donn6 qu'un r6sultat moyen de
huit millions de francs par an, une fois libre, prit un d£veloppement
considerable. La valeur moyenne des seules importations sur sept
annöes consöcutives s'äleva ä vingt millions deux cent quatre-vingt-
(luatorze raille livres.
II. — L'&COLE DE QUESNAY, LA QUESTION DES
GRAISS ET LE PRÜTENDU PACTE DE FAMJNE
PENDANT que certains ficonomistes travaillaient ä vivifier par la
libertg le commerce et l'industrie, d'autres enseignaient que « la
terre est Tunique source de toutes les richesses » et que « la eulture
de la terre produit tout ce qu'on peut dösircr ». On les appela les
« Physiocrates », c'esl-ä-dire ceux qui croient ä la puissance de la
nnture. Quesnay fut leur chef.
Füs d'un avocat au Parlement de Paris, n£ en 1694 en Ilc-de-
France, ä M6r£, prfcs Montfort-FAmaury, £lev6 dans un petit domaine
de famille, un jardinier lui apprend ä lire; un Chirurgien du pays
lui enseigne le latin, le grec, les sciences. II va travailler ä Paris
cinq ou six ans, y suit des cours de mädecine, de Chirurgie, Studie la
botanique, la philosophie, les mathämatiques, apprend ä dessiner
et a graver, devient un habile graveur, se fait recevoir Chirurgien de
l'Hötel-Dieu de Mantes et publie une 6tude sur la saign£e. Chirurgien
du Roi en 1737, seerätaire g£ne>al de TAcadömie de Chirurgie, il 6crit
la preTace remarquable des M6moires de cclte Acad^mic. Rendu par
la goutte incapable d'opärations , il se fait recevoir docteur en
mfalecine en 1744, devient preraier mexlecin ordinaire du Roi, II
oecupe unentresolau-dessusdel'appartcmcnt de Mme de Pompadour.
Louis XV avait de Taflection pour lui, et l'appelait le Penseur.
Quesnay a exposä les doctrines physioeratiques dans deux articles
de rEncyclop£die ! sur les Fermiers et les Grains, et dans deux traitfe
i. II nv&it en oulre prepare pour l*Encyclop6dle les articles tlomme* ei ImpdU, qu'il M
publia pas. Ils ooi ete edites dans la Revue dhisl. des doctr. economiques de 1906.
c 35 1 >
QUSSSAT
(t$94-f774).
SBS (EVTMS.
LEpoque de Madame de Pompadour. uvai ra
YAnalyse du Tableau iconomiqut et les Maximes gintrale* du gou-
vernement tconomique (Tun royaume agricole, publtes en 1760.
sa doctrinb. Un 6crit sur le Droit naturel, qui est de 1765, donne la
Philosophie du « penseur ». 11 croyait & un droit anterieur
et sup&rieur ä tout gouvernement : le « droit de Fhomme aux
choses propres ä sa jouissance, ind£termin6 dans Tordre de la nature
tanl quil n'est pas assurä par la possession actuelle, d6tennin6 dans
Tordre de la justice par une possession effective... acquise par le
travail, sans Usurpation sur le droit de possession d'autrui ».
II accordait a l'homme la liberte individuelle, la libert6 de
penser, la libertä du travail, la liberte du commerce et preecrivait
le respect de la proprtete\ l'6galit£ de tous devant la loi. Quesnay
6tait en ces doctrines d'accord avec Locke; mais Locke concluait
contre le pouvoir absolu, et Quesnay voulait seulement que ce pou-
voir respect&t le droit naturel. II nadmettait pas de « contreforces »
corame Clerg6, Noblesse, Parlements, qui n'etaient bonnes qu'4
produire « la discorde » ; il tenait pour le « Despot isme 6clair6 »,dont
il avait besoin d'ailleurs pour obtenir la räforme 6conomique que
seul un mattre absolu pouvait op£rer.
Le maltre, toutefois, devait renoncer a tout reglementer; les
räglements sur la circulation des grains £taient une cause de misfcre :
• Le principe de tout progres est l'exportation des denrees parce que la
vente ä l'etranger augmente les revenus; que raccroisaement des revenus
augmente la population; que raccroisaement de la Imputation augmcate la
consommation; qu'une plus grande consomxnation augmente de plus en plus
la culture, les revenus des terres et la population.
travail agricole Quesnay prätend 6tablir que le travail agricole est le seul pre-
seol pRODüCTiF. ductif, et que lindustrie « ne multiplic pas les richesses »* U loue sans
röserves Sully davoir « saisi les vrais principes du gouvernement 6co»
nomique du royaume en 6tablissant les richesses du roi, la puissance
de TElat, le bonhcur du peuple, sur les revenus des terres, c'est-4*
dire sur l'agriculture et sur Ic commerce extlrieur de ses produc-
tions ». Pour lui, les agriculteurs seuls forment la « classe produc-
pRivssTjoNs tivc ». 11 ränge au contraire dans la « classe sterile » tous les citoyens
contre a occup^s ä d autres travaux que ceux de l'agriculture », et regrette
LiNDusTRiB j fl p^^tion de FEtat ail assure aux manufactures d Enormes
BT LE COMMERCE. n ,..,,, .. *~«-
profits. II 6cnt en 1757 :
« Les manufactures nous ont plonges dans un luxe desordoane. La con-
sommation entretenue par le luxe... ne peut sc soutenir que par l'opulence; les
hommes peu favoriscs de la fortune ne peuvent s'y livrer qu'a leur prejudice
et au desavantage de l'£tat. •
< 35a >
CHAP. V
Le Mouvement economique et les Financct.
11 cstime que les gains des induslriels, comme ceux des com-
mergants, se fönt aux däpens des cultivateurs et de la masse du pays.
Les gains saccumulent dans les villes. « Les commergants parti-
cipent aux richesses des nations f mais les nations ne participent pas
aux richesses des commer^ants. Le n6gociant est oranger dans sa
patrie. » Quesnay demande qu'on rende lindustrie et le commerce
libres, afln que la concurrence fasse tomber au plus bas leurs b£n6-
fices; qu'on cesse de däpeupler les campagnes pour donner des
ouvriers ä lindustrie; de faire baisser le prix des blas pour que la
main-d'ceuvrc ouvriere soit moins ch6re qu'ä l'6tranger; il demande
que la classe productive soit libre de vendre ses produits au plus
haut prix possible.
La richesse ne dörivant que de la terre, les charges publiques ne
doivent peser que sur le revenu de la terre. Pour fixer ce revenu, on
döduira du produit brut des cultures la subsistance et la r6mun6-
ration des laboureurs, les frais d'entretien ou de renouvellement du
bötail et du maläriel agricole, ioutes les « avances » de l'agriculture,
parce que ces « avances », disent les Maxime* ginirale* du gouverne-
menl tconomique, doivent 6tre envisagäes comme « un immeuble qu'il
faut conservcr pr6cieusement pour la production de l'impöt, du
revenu et de la subsistance de tous les citoyens ».
Donc, point d'impöts qui ne portent exelusivement sur la rente du
sol, c'est-ä-dire sur le prix de fermage pay6 par les fermiers f sur les
portions derevenus pay6es partes m6tayers et les Colons, ou surce qui
restc au propri£taire eultivant lui-mfcme quand il a misä pari tous ses
frais. Les fermiers, mötayers, Colons ne payeront plus les impöts; le
propriötaire foncier les payera seul f . Les maisons ne seront pas impo-
söes, parce qu'elles s'usent et ne se reproduisent pas comme les fruits
de la terre. Plus d'impöts indirects, parce qu'ils p&sent sur les artisans
et les comraergants dont les gains ne sont que des « salaires », et dont
le travail ne laisse pas d'exc6dent, de « surplus », comme la produc-
tion agricole 1 . Ces impöts sont dailleurs aussi improduetifs que
LES
PHOFM&TA1RES
PAYBRON1
SEULS LIMPÖT.
1. Estimant que la production agricole s'eleve en Frence annuellement A 5 milliards,
Quesnay admet que la eiasit prodaetwe conserre 2 milliards pour aon entreUen, rentreliea
du hetnil, les semences, les engrais, etc., et qu'elle acbete A rindustrle pour i milliard
de produiU. Resten t a milliards qui, comme produit net, seront renes A la claaae pre-
prietnire et sou veraine; A cette classe TBtat reclamera an impol calcule sor le pied
dun tiers du produit net, ou dun donzleme du produit brat total, soit an pea plas da
6oo millions.
3. Lafflrmation de Quesnay rientde ce que, de son temps, on royaittoute ane categorie
d hommes, la Noblesse, le Clerge, Tirant des fermages ou prodait net des terre«, on ne
voynit pa* encore, comme de nos jonrs, une classe d'acUonnaires, Tirant de reotes senil
par I Industrie Le trarail agricole paralssalt seul lalsser tous les ans, ootre ses • raprises »,
un - exrddent ■• De lä cette opioion que les gens emplore* par lindustrie ne • produisent •
pas, m is< gagnent ». Q<ut* stirile, dit Qaesnajr; ttiptndiis, dira Turgot
353 >
vm. 2.
L'ßpoque de Madame de Pompadour.
uYftc in
ameuoration
dd sort des
cültjvatburs.
L'ERRBUR
DE QUESNAY.
LE MARQUIS
PE MI RABE AU.
vexatoires et se delruisent eux-m£mes par l'exces des frais de percep-
tion ; la seule gabeile perd ainsi 50 p. 100. La simplicite de Hmpbt
direct et unique diminuera la classe des financiers et des agenis
fiscaux; les fortunes financieres, si pernicieuses ä la societe\ ne pour-
ront plus se former.
Quesnay reclame l'amelioration du sort des cultivateurs pauvres
qui sont de beaucoup les plus nombreux. 11 distingue entre une
petite culture — pratiquee surtout dans lOuest et le Centre par des
paysans qui, dans de petits domaines, ne pouvant acheter de che-
vaux, labourent avec des boeufs, nont ni le betail ni les instruments
agricoles necessaires, renoncent par force ä toute amelioration de
leur exploitation, renoncent ä d6fricher les terres racultes, laissent de
nouvelles terres en friche tous les ans, — et une gründe culture, qui
se trouve surtout dans les pays du Nord; lä, dans de grandes fermes,
les chevaux remplacent les boeufs ; on fume fortement les champs,
on accumule un capital conside>able en betail, en instruments,
en b&timents, on ameliore, on d6friche, on paye aux propri&aires
de gros fermages. 11 faudrait que la petite culture disparüt; car,
dit Farticle sur les Grains, « le cultivateur qui ne peut faire les
depenses necessaires succombe, au lieu que dans les grandes
fermes exploitees par de riches laboureurs, il y a moins de d6-
pense pour l'entretien et la reparation des bdtiments, et ä proportion
beaucoup moins de frais et beaucoup plus de produit net dans les
grandes entreprises que dans le6 petites ».
Lä oü il ne se formerait pas de grandes fermes, les petites pro-
prietes se grouperaient pour diminuer les frais generaux d'exploitaüon.
Personne ne croit aujourd'hui que le travail agricole soit le seul
produclif; mais il est certain que, les produits agricoles tenant la
premiere place dans la consommation, et leurs prix variant suivant
leur abondance ou leur rare 16, lachat des produits industriels est
determin^ par Felat de l'agriculture. Les grandes erreurs de Quesnay
furent de croire que, l'inte>el particulier des negociants et l'intArtl
de la Nation etant oppos£s, il y avait danger ä developpcr le com-
merce, et que les proprietaires du sol devaient seuls supporter le
poids de l'impöt.
Les doctrines de Quesnay, cet « homme parti de la chanrae »,
comme dit Turgot, eurent de nombreux partisans. Le plus ceJ&bre
et le plus bruyant fut le marquis de Mirabeau & , le pere du grand
orateur de la Revolution. Ce marquis fut un fougueux polAmiste.
Dans un ouvrage de 1756, tAmi des Hommes ou TraiU sur lapopa-
l. Le marquis de Minbeau est oe en 1715 et mort en 1789.
c 35| >
chap. v Le Mouvement economique et les Finances.
iation, plein de diairibes contre le luxe, il avait fait l'apologie de
ragriculture, mais en soutenant que les progrös en ätaient paralys£s
par les Irop grands domaines : « Les gros brochets, disait-ii, d6peu-
plent la rivi&re; les gros proprtetaires 6touffent les petits ». Les
arliclcs publik par Quesnay, dans l'Encyclopädie, le rallterent ä la
grande cullure quil vanta dans sa Philosophie rurale, en 1763.
Comme le livre 6tait presque de ton religieux, Grimm lappela « le
Penlaleuque » de la « secte » Economique.
Dans ses Lellres sur les corvie*, en 1760, Mirabeau fait prävoir
Turgol. Par sa Thiorie de limpöt, la m£me ann£e, il attaque les
hommes et les choses avec une hardiesse inouKe. L'impöt, dit-il, doit
ötre un« tribut » consenti au souverain, non une « däpouille » arrach6e
aux sujets. Limpöt le plus juste et le plus avantageux ä Fßtat portera
sur le produit net du sol; l'assiette et le recouvrement des taxes
devront ötre attribuös ä des assembläes dfitats; enfin les impöts
indirects devenant inutiles, il faudra supprimer les fermes g6n6rales.
Aux yeux de Mirabeau, lar6g6ne>ation de la France doit m&me com
mcncer par la dcstruction des fermes :
- Quand l'ßtat, degrade et abattu, dit-il, se soumet aux conditions que ses
fermiers lui imposent, l'epuisement arrive ä son comble; les 6dits ne sont que
protexles d'exaction, et le peuple ne peut plus rien fournir de reel. Les coffres
du prince, perces de toutes parts, ne sont möme plus capables de servir
d'entrepots momentanes. La science des ressources a pris la place de la science
economique. On epuise les emprunts et les expedients; on vomit des creaUons
de charges; on engage, en un mot, l'ßtat, les sujets, le prince, la foi, la loi,
les moeurs, l'honneur.... L'exemple de tous les ages et de tous les empires en
est la preuve. Partout les fermiers publics ont achetä du prince la nation, et
detruit enfin la nation, le prince, et eux-memes. »
Les fermiers sollicitfcrent une lettre de cachet contre Mirabeau
qui fut incarc6r6 quelques jours ä Vincennes, et rel6gu6 ensuite en
sa terre de Bignon.
Apr^s Mirabeau, les plus c61fcbres disciples de Quesnay furent ovrosr
Dupont de Nemours et Le Mercier de la Rivfere. Dupont » n'avait DS nemooss.
onrore que vingt-trois ans quand il passa, en 1763, de la littärature
i"i l Economic politique; mais il tömoignait d^jä de tels talents que
Quesnay dit de lui : « II faut soigner ce jeune homme, car il parlera
quand nous serons morts ». Dupont fut plus tard Kami de Turgot,
1<* collaborateur de Vergennes et de Calonne, et Tun des esprits
los plus clairvoyants de l'Assemblta Constituante. En 1765« il com-
menca de r6diger le Journal de rAgricullure, du Commerce et des
Finances, et il soutint une vive pol&nique contre labte Baudeau, VASBi baüdeaü
i. Dupont de Nemours est ne en 1789 et roort en 1817.
< 355 >
UÄpoque de Madame de Pompadour.
litbe m
LB MBRCIBR
DB LA RIVltRB.
qui, dans les Ephimirides du citoycn ou Chronique de üesprit national,
combattait alors les ficonomistes. Baudeau se laissa convaincre par
Dupont; et quand celui-ci, en 1712, fut congediö par les proprietaires
du Journal de rAgriculture, comme trop liberal, il propagea les idees
de ses anciens adversaires dans les NouvellesEphämdrides iconomiques,
ou Bibliothtque raisonnee de Phistoire^ de la morale et de la polilique.
Le Mercier de la Rivi&re * eut son heure de c616brit£ en 1767,
quand il fit parattre V Ordre naturel et essentiel des sociiUs poliliques\
ses amis le placerent du coup sur le rang de Montesquieu. Ancien
conseiller au Parlement de Paris, ancien intendant de la Martinique,
administrateur et legiste distinguö, il fut, parmi les Physiocrates,
celui qui pröscnta les consöquences du Systeme de Quesnay sous la
forme la plus rigoureuse. II pretendit demontrer que le souverain ötait
co-propri6taire du sol avec les particuliers, et qu'en vertu de son
droit il en partageait avec eux le produit net; l'impöt representait
sa part.
ATTAQÜBS
CONTRB LBS
PHYSIOCRATES.
GRIMM.
ROÜSSBAÜ
BT MABL7.
VOLTAIRE
BT L'HOMMB
AUX QUARANTE
BCÜS.
Les ficonomistes, surtout les Physiocrates, furent attaqu6s et
railles, non seulement par les partisans du regime protecteur, comme
Forbonnais, qui les traitait de metaphysiciens, mais par les Philo-
sophes eux-mömes.
Grimm leur reproche leur orgueil, TobscuritÄ de leur langage,
l'ennui qui se degageait de leurs Berits. « Secte d'abord aussi humble
que la poussiere » dont ils sont sortis, ils ont pris, dit-il, un ton
« impörieux » et « arrogant » ; ils ont räpandu sur le royaume « une
teinte si sorabre », que si le « ciel nous eüt retir6 le Paraclet de
Ferney » — c'est-ä-dire Voltaire — nous en fussions infailliblement
« tombös dans le spieen, dans la jaunisse, dans la consomption, dans
un 6tat, en un mot, pire que la mort ». Et Grimm constate que plus
les ficonomistes se montrent « esprits communs et plats », plus le
nombre de leurs partisans s'aecrott.
II y eut antagonisme entre J.-J. Rousseau, Thistorien Mably, et
les Physiocrates. Rousseau multipliait les diatribes contre les rieh es;
Mably, dans les Doules proposis aux philosophes faonomisles sur
rordre nalurel el essentiel des soeiitis politiques, publtes en 1768,
reprochait a la proprio d'avoir delruit r6galit6 naturelle. Mais c'est
Voltaire qui a portö aux Physiocrates les coups les plus rüdes.
II ötait en relations avec les financiers de Paris, ennemis acharnes
des ficonomistes; il röpugnait aux vues systimatiques de Quesnay.
II attaqua Töcole dans YHomme aux quaranle icus.
i. Lcmercier de la Ri vifere est ne en 1720 et mort en 1794
< 356 >
chap. v Le Mouvement economique et les Finances.
« II parut, dit-il, plusieurs edits de quelques personnes qui, se trouvant de
loisir, gouvernent l'Etat au coin de leur feu. Lo preambule de ces cdits etait
quo la puissance legislatrice el executrice est n6c, de droit divin, co-proprie-
tairc de ma terre, et que je lui dois au moins la moitie de ce que je mange...
Les nouveaux ministres disaient encorc, dans leur pröambule, qu'on ne doit
taxer que les lerres, parce que tout vient de la terre, jusqu'a la pluie, et que,
par consequent, il n'y a que les fruits de la terre qui doivent payer l'impot.
Un de leurs huissiers vint chez moi, dans la derniere guerre ; ü me demanda
pour ma quote-part trois setiers de ble" et un sac de feves, le tout valant
20 ecus, pour soutenir la guerre.... Comrae je n'avais alors ni ble, ni feves, ni
argent, la puissance legislatrice et executrice me fit trainer en prison, et on (1t
ia guerre comme on put. En sortant de mon cachot, n'ayant que la peau sur les
os, j<> rencontrai un homme joufflu et vermeil dans un carrosse ä six chevaux;
il avait six laquais, et donnait ä chaeun d'eux, pour gages, le double de mon
revenu.... 11 m'avoua, pour me consoler, qu'il jouissait de 400 000 livres de
rentes. - Vous en payez donc 200 000 ä l'£tat, lui dis-je, pour soutenir la
guerre...; car moi, qui n'ai juste que mes 120 livres, il faut que j'en paye la
moitie? • — • Moi, dit-il, que je contribue au bien de IL tat! Vous voulez rire,
mon ami; j'ai berite d'un oncle qui avait gagne 8millions ä Cadix et ä Surate;
je n'ai pas un pouce de terre, tout mon bien est en contrats, en billets sur la
place; je ne dois rien ä l'£tat. C'est ä vous de donner la moitie de votre
subsistance, vous qui etes un seigneur terrien.... Payez mon ami; vous qui
jouissez en paix d'un revenu clair et net de quarante ecus. •
Au reste Voltaire condamnait aussi le regime que les Physio-
crates sc proposaient de d6truire. Sous la nouvelle finance, dit
FHomme aux quarante £cus, on m'enläve« tout d'un coup, nettement
et paisiblement, la moitiä de mon existence; mais j'ai peur qua bien
compler, on m'en eüt pris, sous l'ancienne, les trois quarts ».
Assuröment les Physiocrates ont repandu le goüt des choses agri- /- amoü* de
coles. Gouvernement et particuliers se sont int£ress£s ä a la cam- VAcncüvnma.
pagne ». Le Contröleur g£n6ral Bertin invite, en 1760, les intendants
ä provoquer la Formation de « SocitH£s d'Agriculture », fonde les
Cooles vetcrinaires d'Alfort et de Lyon, autorise la circulation des
grains dans l'int£rieurdu royaumc; lexportation, sous son minist&re,
doviont possible par des moyens detourn6s. II encourage les dessÄ-
chements de marais, les d£frichements de terrcs incultes, l'usage
dos baux ä long terme, qui permettent au fermier de recueillir les
fruits de son travail. II projette d'ouvrir des canaux en Bourgogne,
en Picardie, en Flandre. C'cst le moment oü Parmentier fait sa pro-
pagande cn faveur de la pomme de terre, oü Daubenton fait con-
naitre le mouton mörinos, oü TabW Tessier et Thouin commencent
dWrire un traitö d'agriculture. De grands personnages se fönt agro-
nomes, comme Choiseul, La Rochefoucauld, le marquis de Turbilly.
On vient de loin visiter la bergerie de Choiseul ä Chanteloup.
Tout ce mouvement en faveur de 1'agricuHure, les capitaux
< 35 7 >
LÜpoque de Madame de Pompadour.
urai in
HAUSSE
DBS PE0DÜ1TS.
HAUSSE
DBS TEERES.
engag6s, les facilitäs donn6es ä la circulation des produits, la multi-
plication des routes et des chemins et, d'autre pari, raecroissement
de la population, la diminution de valeur des m6taux prteieux, tme-
n&rent une hausse des denröes et, par cons£quent, des produits des
terres et des fermages *.
Lhectolitre de bl6 qui, en moyenne, avait valu 11 fr. de 1725 ä
1750, valut 13 fr. 25 de 1750 ä 1775; lhectolitre davoine qui, dans la
premi&re pöriode, avait valu 3 francs, en valut 4 dans la seconde;
Thectolitre d'orge passa de 4 fr. 80 ä 7 fr. 30. Pour produire plus de
grains, on d6fricha des terrains vagues, des landes, et, en bien des
pays, on d6boisa les coteaux. La viande haussa dans les mSmes pro-
portions que les c6r6ales; on aecrut donc le bötail. Les foins 6lant
devenus plus rares et ayant alors rench6ri, on multiplia les prairies
artificielles, surtout les luzernes qui 6taient d6jä tr&s räpandues dans
le Nord. L'616vation du prix des vins fit que les eultivateurs se
mirenl ä planter des vignes, mais les administrateurs renouvel&rent
la defense d'entreprendrecesplantations sans autorisaüon pr&dable*.
La grande masse des paysans demeurait fid&le aux vieilles pra-
tiques d'assolement biennal et triennal, ä la routine de l'outillage
traditionnel '; ils faisaient de plus grosses räcoltes en Itendant la
eulture.
Le prix des terres qui, durant les quarante derni&res ann6es da
r&gnc de Louis XIV, avait consid6rablement baissl — de 50 p. 100 au
dire de Boisguilbert — se releva. Un heetarede terre, qui, de 1701
ä 1725, aurail rapportö 11 francs de revenu et se serait vendu
265 francs, rapporta, de 1725 ä 1750, 13 fr. 75 et se vendit 344 francs;
de 1750 ä 1775, il rapporta 18 francs et se vendit 515 francs. Le prix
des fermages sY*leva donc; mais les fermages hauss&rent propor-
tionnellement plus que les denr&s, en sorte que les proprtetaires
firent plus de profit que les fermiers.
i. De tres impo Kants phenomenes, cocorc mal 6tudies, raecroissement de la population
et celui du numeraire, se produisaient alors. — Forbonnais esUme que la populatio« de la
France, u cause da la guerre de la succession d'Espagne et de la grande morlalite de
l'annee 1709, est descendue, au temps de la Regence, a 16 ou 17 millions d'ames. D'apres
Voltaire, qui exprime cette opinion dans les Remarqae* de t Essai sar les meturs, eile «uralt
•Itcint environ ao millions vers 1763. 1/abbe Expilly, dans aon Diclionnaire peoyrapftioac,
hislorique et politique des Gaules et de la France, paru en 1762, compte 30704367 habltaats*
•ans compter la population de Paris, ni cell« de la Lorraine, qui n'eat pas encora reuka;
en les ajoutant le total depasserail aa millions. II est impossible d'admetire ees predatooa;
mais raecroissement de la population est certain. — L'augmentation du numeraire aal doa
a lactivlte plus grande du travail dans les mines du Mexique, du Perou et de la
royaute de Buenos-Ayrcs.
a. Voir plus baut, pp. 10a et io3.
3. Voir plus baut, p. 104 (note). et Hisl. de France, t VIII, 1, p. aa4 et
358
CI1AP. V
Le Mouvement economique et les Finances.
Le sort de la masse des cullivateurs s'amöliora-t-il? Des histo- sort
ricns le soutiennent, et d'aulres le nient. Pour les uns, de 1750 a 1789, des
la vie rurale s'est transform6e, sous limpulsion des administrateurs, cvltivatbvrs.
des « Soci6t6s d'Agriculture », des Economistes, de l'esprit public.
Pour les autres, labsent&sme des grands seigneurs, et le poids de
limpöt, des corv6es et de la milice, auraient fait plus de mal que
par le passe. 11 semble quil y ait chez les uns et les autres une part
de \ent6, une plus grande part toulefois chez les premiers. Les
salaires des ouvriers agricoles ne se sont pas accrus en proportion
du prix des denräes, et, dans les temps de disette, qui reviennent
fröquemment, les salariös au jour le jour sont expos£s a la pleine
raisere. Dautre part, les profits de l'agriculture sont plus grands
pour les propriätaires que pour les fermiers; mais la condition des
formiere et des m6tayers est, en gänöral, bien meilleure. Les rap-
ports des intendants constatent un progres dans la plupart des pro-
vinces. En 1774, un economiste, Moheau, dans ses Recherche* et
considiralions sur la population de la France, atteste Tamllioration
de la vie rurale :
- On peut obscrver, dit-il, qa'il y a un moindre nombre de maisons com-
posees de torchis, que les nouvelles sont moins rcsserrees et mieux ae>ees,
que les lieux d'habitation bien situes ont gagnö en population ce que les
autres ont perdu....
• Lc paysan francais est mal vetu... La toile, vttement de beaucoup, ne les
pro Lege pas sufflsarament contre la rigueur des Saisons; mais depuis quelques
ann6es... il est un bien plus grand nombre de paysans qui portent des vtte-
ments de lainc...
• Dans l'ätat babituel de la consommation du peuple (c'est-a-dire en dehors
des disettes), on a pu observer que dans plusieurs provinces ou contrees, doat
les habitants se nourrissaient anciennement de pain de blä Sarrazin, d'orge ou
de seigle, I'espcce du pain est devenue meilleure. Nous ne pourrions assurer
s'il y a plus grand nombre d'hommes dans les aliments desquels entre la viande;
mais certainement il en est beaucoup plus qui boivent du Tin, excellente
boisson pour les pauvres, non seulement parce qu'elle est alimentaire, mais
paroe qu'ellc est aussi un tres bon antiputride. •
C/6tait une opinion universellement räpandue que la consom- pntwGä
mation du bl£ ötait infärieure ä la producüon, et que les disettes, S0B lbsoubttss.
provenaient, non de causes naturelles, mais de causes factices,
comme « la malice daueuns marchands et regrattiers 1 ». D'oü
cette habitude de consid6rer les Operations sur le bl6 comme des
cnlrcprises d'aecaparement, et les marchands de bl6 comme des
afTamcurs contre lesquels devait s£vir Tautorit^. Doü aussi l'inter-
vention de lfitat et la responsabilit6 quil prenait dans lc Service de
lalimentation publique.
i. Voir Hut. de France, t. VII, 1, pp. 21&-216, et t VIII, 1, pp.
359
LÜpoque de Madame de Pompadour. Lnrmi tu
Depuis le xvi # stecle, on avait ötabli des magasins publics de grains ;
il cn exislait ä Lille, ä Nancy, k Rennes, ä Bordeaux, k Lyon, dans la
banlieue de Paris. La R£gie des blas du Roi, c'est-ä-dire le Service
adrainistratifqui preparaitelsurveillait les Operations entreprises par
le Gouvernement sur les blös, avait des correspondants ä Marseille,
pour faire des achats en Italie et dans le Levant; eile ne leur imposait
aueun traite, leur demandait des renseignements, et se faisait sou-
mettre, chaque ann£e, par eux, des projets d'aehats. Les intendants
d'ailleurs, sur les rapports des subd61£gu6s, mettaient le Contröleur
g6n£ral au courant des promesses ou des r£sultats des r^coltes. Mais
les röserves attribu6es ä l'approvisionnement £ventuel de Paris 6taient
de soixante mille setiers seulement, et la ville en consommait,
paral t-il, annuellement un million;les r&erves n'auraient donc pu
la nourrir que durant trois semaines. Aussi le Parlement et le Bureau
de la ville, s'inqui6t^rent-ils souvent, et il arrivait que le Parlement
exp&liät ses huissiers en Brie, pour rlquisitionner le bl£.
Mais le Gouvernement £tait aecusä de faire des blnäfices sur ses
Operations, et, en 1753, le marquis d'Argenson, parlait d'un protit
d'un million par jour. De lä devait naltre l'histoire du Parte de famine.
En 1765, un sieur Malisset, gardien de la r£serve des grains, fit
observer k L'Averdy, alors Contröleur g6n£ral, que, si cette rfcsenre
demeurait longtemps en magasin, eile exigerait des frais de manu-
tention fort ölev£s. II proposa de renouveler lui-m6me, k ses risques
et p£rils, les approvisionnements, par des slries de ventes et d'aehats.
11 oflrit de se faire cautionner pour cette entreprise par trois finan-
ciers, Le Ray de Chaumont, Rousseau et Perruchot. L'Averdy estima
le marche avantageux pour lfitat, et un contrat valable pour dix ans,
portant le titre de « Soumission », fut sign£ le 28 aoüt 1765. Malisset
toucherait trente mille livres de gages annuels.
Tr£s honnöte homme, L'Averdy n'aurait jamais consenti k couvrir
et ses caotions d e son palronage les sp£culations malhonnötes d'une compagnie.
Mais Malisset avait escomptl une transformation du commerce des
grains dont le Contröleur g£n6ral ne soup^onnait pas qu'il püt tirer
parli. Voyant que les boulangers, constamment tromp^s dans leurs
achats de blös, se mettaient ä acheter, de pr£f£rence, des farines, il
üt construire des moulins, pour transformer en farines les grains du
Roi. II se croyait d'autant plus sür de räaliser des b£nefices que les
marchands de farines ötaient seulement tol£r6s k Paris. Or Malisset
signa avec ses caulions un acte de partage de b£n£fices chez an
notairc de Paris en 1767, et cette pi&ce tomba aux mains d'un certain
Le Pr6vost de ßeaumont, qui en parla comme d'un Parte de famine
conclu entre le Contröleur g£n£ral et des traitants. Pour Fem-
< 36o >
BRÜITS SÜR LßS
PROFITS Du ROI.
LA
« SOUMISSION »
DB LAVRRDT.
MALISSBT
H7$7).
M
chap. v Le Mouvement iconomique et les Finances.
p£cher de publier quelque libelle, le Gouvernement l'emprisonna en le prbtbndu
octobre 1769. Le Prövost refusa, dit-on, sa HberL6 plutöt que de pacte db famins.
sVngager ä garder le silence sur les Operations de Malisset, et
demeura cn prison vingt ans, d'abord & la Bastille, puis en diverses
prisons, en dernier Heu dans la maison de sanl6 Piquenot ä Bcrcy.
I)6s le döbut de sa captivitä, il öcrivit au Roi pour lui dire qu'on
Tavait trompö, en cr6ant des magasins de grains pour prövenir les
famines; (jue les achats et venlcs de grains au nom de Tfitat don-
naient « des millions, ou plutöt des milliards » ä des sp£culatcurs.
Outre Malisset et ses assoeiös, il denon^ait au Roi les min ist res
L'Averdy, Bertin, Maynon d'Invau, Choiseul, le lieutenant de police
Sartine, les intendants de finances Trudaine de Montigny, Boutin,
Langlois. On ne sait s'il fut de bonne foi 1 ; mais il est certain que
le plus heureux des assoeiös, de Malisset, Le Ray de Chaumont, ne
possödait, lorsqu'il mourut, qu'une pension de douze mille livres;
Rousseau et Perruchot moururent insolvables; et Malisset lui-m£me,
devenu fou, demeura d£biteur de cent quinze mille livres envers le
Tresor. II n Vsl pas possible que la compagnie dite du Pacte de famine
ail fait des gains considlrables.
///. - L'ATAT DES FINANCES AVANT ET APR&S LE
TRAlTt DE PARIS : SILHOUETTE, BERTIN, LAVERDY
GE fut un triste temps pour les Contrdleurs g6n6raux que celui les costrSlbors
des minisl£res de ßernis et de Choiseul et de la guerre de Sept gbnbrauxbt les
Ans». Une D&laration royale du 7 juillet 1756 ayant ordonn«* la lev^e pamlembsts.
d'un second vingti&me et la rr^ation de 1800000 livres de rentes
porp*Huclles, le Parlament de Paris et la Cour des Aides refus£rent
i. En 17«**, le 5 octobre, Le PreYo*t de, ßeanmont derint libre, en Tertu d'on ordre de
(iuiKnard de Saint Ph«^t, »erretaire d Etat da departemeot de Pari», et il denonc,a le
ronlrat de la societe Mali*«*! en 1790, »oil dana une broebure, Le Prisonnier <TFtat, Mit
dam les Revolution* de Parti, aous ce titre : HorribU contpiralton liguet ancitnntment enlre
le Minister*, la Police tl le Parlament eontre la Fronet enlüre, de^ouvtrtt tn JuiUel MS per
Jean-Charles Guillaume Le Prtvosl de Beaamon , aneien setrttaire da cltro4 de France, dilenm
vingt »ieux an» (pour Tingt an») tan» diclarajion de taute, pour tempteher de rtvtkr et
dSnoncer le parle infernal de Laverdu qut luiest tomhi dans les mains en etile mfme annce I7$i.
Le Contra t Maltas! fut reproduit par Manuel, dorn aa Police dfpotlte, el les proprieUlrea
du \i»niteur l'nivtrgel, Panrkoucke el Atfa««e, le donneren! dan« le Supplement qu'ila
publierenten 179a Le Monileur Vnioerstl ne comtnenca de parat Ire que le a' # novembre vfa*
maift le SuppUmenl reprit l'eipofte de« erenemenU a partir du 5 mal 17%. el le contra t
Mnli*«et fut public am date* dm i5 et 16 »epteflDbre 17*0- Qua od L'Averdy fut tradult
devnnl le tribunal r*»volutionnalre. I.e Prcvo«t *e presenta com nie U'rnoin. et reedita aoa
romon Mir le Pacte.
1. Au Contröle *e nuccederent Moreau de Secbelle» ( 17^-175»^:. de W< ra» \i7M-1727) et de
Boulogne {ifa-ifa).
« 3Gi »
SILHOUETTE.
EUPRUNT
SUR LA FERME
GENERALE.
LBS B&NtiFICES
DBS FERMIERS.
L'ßpoque de Madame de Pompadour. uvmiai
lenregistrement. Les parlements provinciaux les imiterent; le pubKe
les soutint; et, les magistrats procädant par d&nissions en mufn,
plusieurs füren t exii6s ou mis en prison. Le cours de la justice fat
suspendu ä Paris, Rouen, Bordeaux, durant plusieurs mois, k plu-
sieurs reprises.
L'arriväe aux affaires de M. de Silhouette, en 1759, fit Sensation.
Le nouveau Contröleur g6n6ral avait traduit YEssai sur r komme, de
Pope, en 1736, et diverses disserlalions de Bolingbroke et de
Warburton. II avait visitä l'Angleterre, 6crit sur la navigaüon et le
commerce, et s 6tait fait la Imputation dun homme ä id£es. Aussi
honnftte qu'instruit, il avait, par malheur, plus etudi6 les hommes
dans les livres que dans la vie reelle.
II r6gla la procedura des cotes doffice dans l'imposition de la
taille, essaya, comme tous les Contröleurs g£neraux, d'emptcher les
injustices dans la repartition des charges. II annula quantit6 de
dons et de pensions accordäs sans titres legitimes, r&erva un fonds
special pour r^compenser les Services rcndus ä Tfitat. II suspendit,
pour la dur^e de la guerre, et pour deux ans apres la paix, de
nombreuses exemplions de tailles. Enfin il attaqua de front les fer-
miers gäneraux, dont la richesse faisait conlraste avec la pänurie de
r£tat.
Le bail Henriet, conclu en 1755, röservait au Roi la moiti6 des
bän&ices de la ferme au-dessus de cent dix millions, prix du bail.
Silhouette imagina de vendre au public cette part de b6n6fice, et
de grcffcr sur loperation un emprunt dissimulö. II 6mit soixante-
douze raille actions de 1 000 livres, portant int6r6t ä 5 p. 100, rem-
boursables pendant les sixans du bail, ä raison de douze mille par an.
C 6tait un emprunt assez onöreux, car il revint ä 6 1/2 p. 100; mais
le public content de participer ä la ferme et d entrer au partage des
bönöfices, fournit volontiere les soixante-douze millions demand£s.
Silhouette, pour avoir ainsi r6alise\ comme par un coup de baguette,
un gros capital, passa quelque temps pour un tr&s habile homme.
Mais les fermiers g6n£raux furent irrites du proc6d6. On ne leur
enlevait rien, mais leurs b£n6fices devaient ttre livres h la publiciM,
leur gestion survcillöc de plus pres; quatre commissaires royaux
assistaient aux comites et aux comptes-rendus de la ferme.
Ce fut pr£cis6ment cc mfconlentement des fermiers qui valat
a Silhouette un momenl de grande popularite\
S^nac de Meilhan * a calculö les bönöfices des fermiers g6n6raux«
receveurs et financiers de toute sorte qui participaient ä la lev6e dei
i- Dar* *e* Con$idiralion$ $ur ies richtiges et le luxe, publ. en 1787, p.
< 362 >
m
chap. t Le Mouvement economique et les Finance* ,
impöts. D'aprfcs lui, de 1726 a 1776, 1719miIlions auraient (He partag^s
entre 1 400 personnes, dont quelques-unes avaient des parts Enormes;
chaque ann6e, un pctitnombre d'individus auraient accaparä et trans-
portö a Paris une trentaine de millions; les provinces en auraient 6t6
« dcssechees ». S6nac evalue la fortune de quelques financiers :
Samuel Bernard et Paris de Montmartel auraient gagng chacun
33 millions; Irois aulres, 10 millions chacun; cinq, 8 millions;
cinquanle, de 3 ä 6 millions. Et il conclut :
•< Voila, dans un nombre de 60 personnes, 336 millions de livres rassembles.
Les au teu rs qui ont le plus declamö contre les proflts de la finance n'ont peut-
£trc jamais imagine qu'ils pussent s'elever ä la somme immense que presente
cc tableau. »
On reprochait aussi aux fermiers les moyens quils employaient
pour assurer leur puissance. Us casaient la clientele des grands pour
sassurer leur appui; tenaient le Roi par la favorite sortie de lcurs
rangs; la noblesse d'6p6c et de robe recherchait leur alliancc pour
redorer sesblasons. Usaraienttrois ccnlmilleagentsdansleroyaume.
La condamnation en bloc des fermiers genäraux ötait une injus- imfopclamt*
tice. 11 se trouvait parmi eux, en majoritl, de fort honnetes gens, desfehuibhs.
laborieux, et qui, s'ils restaient longtemps en charge et ne fai-
saient pas de folles d6penses, s'enrichissaient par les b£n6fices que
leur assuraient les contrats legitimes et legaux conclus avec rfitat.
Plusicurs, par la culture de 1'esprit, se firent une place dans la
socielö distinguöe du temps, figurerent dans les salons des lettr£s et
des Philosophes, tinrent eux-m£mesdes salons 1 , füren t des M6cenes
pour les gens de lettres et surtout pour les artistes. 11 ne faut pas
oublier non plus que l'fitat aurait pu difficilement subsister, si, dans
les moments d'extrgme pänurie, qui revenaient souvent, il n'avait pas
616 aid6 et soutenu par « la finance » ; et cette aide n>tait pas sans
(langer pour ceux qui donnaient. Mais le public ne distinguait pas entre
les financiers. Sans prendre garde que la plupart des fermiers (Haient
riches de naissance, fils de magistrats, de notaires, de gros n6go-
ciants, il ne voulait voir que les parvenus, Haudry, fils de boulanger,
Perrinet, fils de marchand de vin, les Paris, fils de cabaretier, ßouret,
fils de laquais, qui deployaient d'ordinaire, le luxe le plus insolent.
D'ailleurs, il restait vrai que Tadministralion des fermes etait trts
duro, les impöts per^us avec une grande rigueur, et que lapplication
des r^glements sur la vente des produits et des marebandises
i- Voir plus haut, p. 216.
< 363 >
UÜpoque de Madame de Pompadour.
exasp^rait les mctiers et le commerce. Toutes ces raison», ai
il faut ajouter lenvie que produit toujours la richesse, e:
rimpopularit6 des fermiers. Dans les salons, on se moquait dV
jour qu'on demandait k Voltaire de conter une histoire de volcurs, il
commenga : « II y avait une fois un fermier g6n6ral... », ets'arrgta
dans le rire, Tapplaudissement de l'assistance. Le populaire souhaite
mal de mort k ces « pillards g6n6raux ». Un aventurier dauphinois,
Mandrin, qui s'6lait fait « capitaine g£n6ral des contrebandiers », ayant
6t6, aprfcs nombre d'exploits commis aux d£pens des receveurs et
autres agents des fermes, apr&s des combats et des victoires sur les
troupes röguli&res, rou6 vif k Valence en 1755, devint un h6ros popu-
laire « immol£ ä la vengeance » des fermiers. Le Gouvernement cädait
k la pression de l'opinion publique, comme on voit par les mesures
que prit Silhouette.
lbpkojbt La popularit£ de Silhouette ne fut pas de longue duräe. Les
DB* Subvention», ressources qu'il s'ötait procuräes n'avaient pas combl6 le deficit.
Dans un rapport qu'il präsenta au Conseil, il 6valua les d6penses
de l'annöe 1760 k 503 millions. 11 ne tenait pascompte des « anlicipa-
tions » qui 6taient de 100 millions, d'une cinquaniaine de millions
dus aux fermiers et aux receveurs glnäraux, des rescriptions ou
mandats de payement des receveurs g6nöraux qui d£passaient cent
millions. II calculait que les revenus ordinaires donneraient
286 millions, un fondextraordinaire 66 millions et demi, les actions des
fermes 72 millions; restait k trouver 78 millions et demi. En cons6-
quence il proposnit d ctablir une Subvention ginirale, c'est-Ä-dire un
enscmble d'impöts portnnt principalement sur les privil6gi£s et les
riches. II suspendait, pour la duräe de la guerre, le privil&ge de
« franc-sal6 », exemplion de gabelles dont jouissaient le Poitou,
l'Aunis, la Saintonge, PAngoumois, le Limousin, la Marche, TArtois,
la Flandre franraise et les villes de Boulogne et de Calais; il aug-
mentait de quatre sous pour livre les droits des fermes, surtaxait de
10 pour cent sur les Stoffes de luxe, doublait le droit de marque sur
Tor et sur largcnt, taxait los domestiques, les chevaux de luxe,
frappait d'un droit d'amortissement les parents des enfants qui
entraient en religion avant leur majorite, exigeaitdeseflibatairesune
triplc capitation, cn*ait enfin un troisiöme vingtifcmc. II ne put faire
acceplor ni la taxe sur les ctflibataircs, ni le droit d'amortissement
en raison de l'opposition qif y nurait faite le Clergö; mais les autres
projels formdrent le dispositif de lYdit de Subvention.
MPOPULARtri A l'annonre de ces impöts, qu'il fallut faire enregistrer en lil
du Projet. do jusüre le 20 sept. 1759, ce fut un tolle. « Ils ne taxent pas Tair
que nou* respirons, dit Mme du DeflTand; hors cela, je ne stehe
< 36; >
chap. v Le Mouvement iconomique et les Finances.
rien sur quoi ils ne portent ». Voltaire, qui avait prorais ä Silhouette
de lui donner « une niche » au temple de la Gloire, tout ä cöte de
Colbert, öcrivit :
• Nous avions un Controleur g6n£ral que nous ne connaissions que pour avoir
Lraduil en prosc quelques vers de Pope. II passait pour un aiglc, mais, en moins
de qualrc mois, l'aigle a'est change en oison. 11 a trouve le Beeret d'aneantir le
credit, au poinl que l'£tat a manque d'argent pour payer les troupes. •
Contraint par la nöccssitä, Silhouette annonga le 21 octobre qu'il la banqübkoütb.
suspendail pour un an tout remboursement de capitaux au Tr6sor discbacb
royal, qu il ne paierait plus ni les mandats de payement des receveurs 51UI B '
gönöraux, ni les lettres de change Ür6es des colonies; ä titre d'indem-
nitö il ofTrait un intörfct de 5 p. 100 pour les sommes non rembour-
s£es, mais les horames d affaires, les banquiers, les nlgociants
navaient pas de placements ä faire et avaient besoin d'6tre payes.
Cc fut une perturbation gön6ralc du commerce et de l'industrie.
Les journaux de Londres d6nonc6rent le Roi de France corame ban-
queroulier. A Paris, on fabriqua des habits et des eulottes « ä la
Silhouette », sans poches ni goussets; on donna le nom de Silhouette
ä cette sorte de dessin superficiel et vide, qui semble le portrait
d'une ombre. Silhouette fut disgracte le 21 novembre. Le seul Rous-
seau le complimenta : « Vous avez brav6 les cris des gagneurs
d'argent. En vous voyant 6craser ces miserables, je vous enviais
vofre place; en vous la voyant quitter, sans vous Gtre d&nenti, je
vous admire.... Les malädictions des fripons sont la gloire de
Thomme juste. »
Ce ne fut pas sans appr£hension que le lieutenant g^nöral de bbbtin {n$$-nu).
police Bertin consentit ä succ6der ä Silhouette le 23 novembre 1759.
Assez ignorant en finances, il gagna d abord lopinion par sa dou-
ceur et une tendance naturelle ä user de palliatifs. II retira les £dits
qui avaient provoqu6 le plus de col&res; mais il fallut bien qu'il
s'ingt'»niät ä ressaisir, par voie d6tourn£e, les ressources auxquelles
il renon^ait. A la Subvention ginirale il substitua, en ftvrier 1760,
u n troisi&me vingti&me, un doublement de la capitation des contri-
buables non soumis ä la taille, et la lev6e d'un sou pour livre d'aug-
rnentation sur les droits des fermes. II cr£a trois millions de rentes
viagi>res, fit porter ä la Monnaie la vaisselle d'argent ex£cut£e pour
le duc de Bourgogne, et autorisa les fabriques et les paroisses k j
faire porter une partie des vases saeräs; ce qui 6tait une fagon de leur
imposer ce sacrifice.
La guerre termin6e, la dette publique monta ä 1 713 millions«
et les sommes dues imm6diatement, la dette flottante, k 250 millions.
< 365 >
f
LEpoque de Madame de Pompadour. litreh
La d£tresse 6tait teile que le Contröleur g6n6ral ne faisait plus face
aux frais courants de ladministration. Les Parlements rappelaient
que les vingtiemes devaient disparaitrc avec la guerre; mais il 6tait
impossible de diminuer les impositions. Bertin supprima le troisieme
vingtteme et le doublement de la capitation, en avril 1763, maisil
cr6a un nouveau sou pour livre des droits des fermes, g6n6ralisa la
perception du centteme denier qui se payait ä toute mutaüon d'im-
meubles et s'6lendait aux irameubles fictifs comme les rentes et les
Offices; il prorogea pour six ans la lev6e du second vingti&me, qui
devait finir trois mois apr&s la paix, et, pour le rendre trfcs productif,
ordonna le dgnombrement et restimation de tous les biens-fonds du
royaume sans aucune exception. II projetait la confection d'un
cadastre qui püt servir ä une juste assiette des impöts.
souleveuest Le Parlement de Paris n'enregistra les 6dits de Bertin qu'en
des parlements. m <j e justice; les Parlements de Toulouse, Grenoble, Besan$on,
s'agitfcrent violemment; celui de Bordeaux traita les agents de per-
ception de concussionnaires. C'6taient, dit-il le 7 septembre 1763,
« une arm£e d'ennemis du repos public, n'ayant pour r&gle que les
mouvements d'une cupidit6 insatiable. » Ils avaient « accumul6 toutes
les richesses du royaume », et en avaient « forma par le secours de
I'impunitä et la protection de ceux qui entouraient le träne des
fortunes qu'il conviendrait de consid6rer comme les vraies caisses
d amortissement destinees par la Ioi au paiement des dettes de
rfitat » ; ce qui 6tait demander la confiscation des biens des financiers.
Les Gouverneurs avaient 6t6 charg6s de faire enregistrer les 6dits
en leur präsence; mais ä Grenoble Dumesnil, ä Toulouse Fitz-James
furent d6cr6t6s de prise de corps par les Parlements, et durent se
prot£ger par une garde permanente contre les huissiers et suppöts
de justice. A Rouen, le 18 aoüt, D'Harcourt döclarant qu'il assiste-
rait ä la delib^ration de la Cour sur la transcription des 6dits, le
Premier Präsident Miromesnil lui räpondit :
« La Cour ne peut se determiner ä concourir ä la ruine de la nation, ni souf-
frir qu'elle soit consommee par le renversement des lois et le triomphe des
oppresseurs publics. Toutes les transcriptions illegales que vous ferez executer
sur les registres seront regardees comme des voies de fait et des coups d'auto-
rite attentatoires ä la Constitution de la monarchie, et comme une offense au
Roi dont vous compromettcz la gloire et ä la nation dont vous opprimez la
liberte legitime. •
Sur ces paroles, les magistrats sortirent en corps, sauf Miromesnflt
le Procurcur gänöral et le greffier en chef, que des lettres de cachrt
contraignaient d'assister le Gouverneur. D'Harcourt fit transcrire las
£dits sur les registres; le Parlement ayant repris s£ance pour
< 366 >
CMAP. r
Le Mouvement economique et les Finances.
prononcer la nullit^ de Tenregistrement, d'Harcourt revint prendre
seance ; il fut accueilli par des hu6es, et se retira. Dix conseillers
furent exil£s; quatre-vingt-dix se dömirent de leurs charges.
Le Gouvernement recula une fois de plus devant les Parlements.
Une Deklaration du 21 novembre 1763 fixa comme terme extreme au
second vingtiäme le 1 er janvier 1768; eile annonga, pour la confection
(iu cadastrc, des r&glements que les cours värifieraienl; invita celles-
ci ä präsenter des m£moires sur les moyens de perfectionner et de
simplifier la räpartition et la perception de l'impöt, la comptabilitö
des finances, supprima le centteme denier sur les offices. Le Parle-
ment de Paris enregistra en stipulant que le cadastre respecterait
les immunites des biens nobles, et que les vingti&mes « seraient
pergus sur les röles actuels, dont les cotes ne pourraient Ätre aug-
mentöes », ce qui 6tait interdire de proportionner l'impöt aux progr&s
de la richesse publique. La victoire de la magistrature 6tait compl&te.
Sans doute pour d6sarmer le Parlement de Paris, le Roi, aprös
avoir retira le Contröle g£nöral ä Bertin, le 13 dtaembre 1763, le
donna au conseiller de LAverdy. II n'y avait pas d'exemple qu'un
conseiller füt devenu Contröleur g6n6ral, et, si malade que parüt
1 Etat, des parlementaires, flattös de ce choix, crurent quil avait
chance de se r£lablir. LAverdy passait pour un sage, et le bruit
courait qu'il allait proc^der ä des 6conomies et « retranchements ».
Lorsquil eut donnä, le 23 däcembre 1763, une ordonnance autorisant
provisoiremenl le transport et le commerce des grains de province
ä province, et, le 19 juillet 1764, rendu le commerce des grains libre
dans le royaume, et permis d'importer ou d'exporter, sauf ä payer
un 16ger droit, les Philosophes annonc&rent l'amälioration prochaine
du sort des paysans. On reconnut bientöt que le nouveau ministre
n'aimait ni les Philosophes, ni la philosophie, et quil avait trop
haute opinion de lui-m£me pour permettre aux particuliers de dis-
cutcr des choses publiques.
II n'ötablit aucune imposition nouvelle, mais il augmenta les
anciennes. II cröa une caisse des arrärages et une caisse des amor-
tissements; ä la premtere, qui 6tait charg6e d'acquitter les arrärages
des rentes et les int6r£ts des avances ou emprunts, il affecta le pro-
<luit des deux vingttemes et des sols pour livre, plus un droit de
mutation £gal ä un an de revenu sur toutes les mutations en ligne
collatörale des contrats de rente sur l'fitat; & la seconde, diverses
sommcs, que devait payer la caisse des arr&rages : 10 millions
par an jusqu'en 1767, 7 millions de 1768 ä 1769, 6 millions de 1770
ä 1771 et 3 millions de 1772 ä 1781; la caisse des amortissements fut
encorc alimentäe par une retenue annuelle de 1/10* sur tous les effets
VICTOIRE
DB LA
hiAGISTRATÜRB.
VAVBRDY.
ACCnOISSBMEST
DBS IMf&TS.
i 367
BT VOPINION.
LEpoque de Madame de Pompadour. utrx m
au porteur, les gages et augmentations de gages, autres que ceux
des officiers de justice et de police. Des lettres patentes annonc&rent
chaque annöe dans la suite, ramortissement dun nombre respectable
de niillions, mais de nouvelles dettes furent contractees. Ladminis-
tration de L'Averdy contribua ä produire les troubles de Bretagne,
dont i! sera question bientöt et qui furent si graves
les contrölburs Ainsi l'un apr&s l'autre les Contröleurs genöraux se d6menaient
ff ^™5 Ä .. ^lans l'inapossible. II leur fallait bien subvenir aux frais de la guerre et
acquitter les dettes qu'elle laissait. « Quand on a contre les Anglais,
disait Voltaire avec raison, une guerre si funeste, il faut que toutc la
nation combatte, ou que la moiti6 de la nation s'äpuise ä payer la
moitiä qui verse son sang pour eile. » Mais le mauvais regime politique,
le mauvais regime financier apparaissaientde plus en plus comme les
causes de la perp6tuelle dätresse. Les Parlements s'en prenaient ä la
monarchie absolue. Ils döclaraient que les sujets du Roi, 6taient
« des hommes libres, et non des esclaves » ; que la perception des
impositions n'est « legitime » que pour les « däpenses faites dans
l'int6r&t de l'fitat ». Ils montraient « un d61uge d'impöts » ravageant
impitoyablement les villes et les campagnes, et toute la France « en
proie ä la bursalitä ». Le public se passionnait pour la r6forme finan-
ci6re. Malgrä la defense portee, dans une Deklaration de mars 1764,
d'öcrire sur ces matteres, les eerits pullulerent. Une brochure d'un
conseiller au Parlement de Paris, Roussel de La Tour, intitulee
La Richesse de rEtat, et qui proposait le remplacement de toutes les
impositions par une capitation proportionnelle aux fortuncs, eut un
grand succes et provoqua de nombreuses approbations et de nom-
breuses critiques. Mais la plupart des äcrivains n'avaient pas de vues
pratiques; ils ne semblaient pas se douter qu'une reTorme fmanciere
ne se pouvait accomplir que par une räforme k fond de la soci6t6
frangaise, ä laquelle n'eussent pas consenti ces Parlementaires qui
mcnaient le branle avec un si grand bruit. Voltaire voyait bien qu*il
ne serait pas si ais6 de faire cette räforme. II öcrivait le 2 avril 1764 :
« Tout ce que je vois jette les semences d'une rövolution qui arrivera
368 i
immanquablement, et dont je n'aurai pas le plaisir d'dtre lc temoin. » i
i
GUEMBli79i't77t)
CHAP1TRE VI
LES DERNI&RES ANNÜES DU MINIST ERE
CHOISEUL (1763-1770)*
I. ADMINISTRATION MILITAIRC, MARITIME BT COLONIALC OB CHOISEUL. —
II IF.s AIF.URE3 DE BRETAGNE. — IU. CHUTE DE CHOISEUL.
I - ADMINISTRATION MILITAIRE, MARITIME
ET COLONIALE DE CHOISEUL
PENDANT que la monarchie se dlbattait contre de si grandcs ciioiseül
difficultös, un bei effort etait fait pour restaurer les forces de sBcnfrr.AiBE
terrc et de mer et pour vivifier le domaine colonial de la France. &6tat de la
Le merite en revient ä Choiseul. Le prineipal ministre, ayant ä '" """
(liriger la pohlique g£ne>ale et la Marine en möme temps que la
(iuerre, et netant pas un mililaire de profession, eut recours ä des
( ollaborateurs qu'il choisit tres bien. 11 trouva, dit Besen val, « mille
1. SouiicEs. Besenval (t. I), Moufle d'Angerville (t. III et IV), Talteyrand (t. V), deja citta;
Memoire* de Choiseul, p. p. F. Calmettes, Paris, 1904 Eneyeloptdie milhodique, partie : Art
mililaire. Paris, 1784« 4 vo ' Briquet, Code mililaire ou com pi tat km de* ordonnance* de* rot*
<ic France concernant le* gen* dt guerre, Paris, 1761. 8 vol. Guyot, Riptrloirt unioertel et
raisonn? de jarisprndence, Paris, 1784, 17 vol. Infanterie, Regiment* provinciaux, annees 176a
ä 1780 (Ilecueil d ordonnance*), s. L n. d. Gribeauval, Table des eon*truetion* dt* prineipamx
•itliraiis de rarttUerie, de 1764 a 1789, Paris. 1793.
UrvuAc.Ks a consültkr. Boutaric, Chabaad-Arnaiilt (RUtoire dt* Flotte* militairt*)* Fave
t IV, Jota* it. V), Lacour-Gayet, Mention. Tuetey (Lt* ofßeiersu Pajol (t V et VII),
Suzanne, «niaussonville (Hi*t de la rianion de la Lorraint), deja cites. Fave\ Hitloirt de
iartillene, Paris. i8^5. 2 vol. Hennebert, Gribeaaoal, Paris, 1896. Duruy (AJbert), Lärmte
loyale en t789, Pari». 1888. Coste, Lt* anciennt* troupt* dt la marine (1622-1792), Paris, 1898.
Lambert de Sninte-Croii, B**ai *ur Tadminutration de la marine (1699-1799), Paris, 189t.
Cbcvalier. Hntoire de la marine francaitt pendanl la gutrrt dt rindependance amiricame*
Paris, iKso Loir (Maurice), La Marine rogale en t7$9, Paris. 1892. Daubigny, Choiteal ei la
France d'oufre-mer apres le traiti de Pari*, Paris, 1893 Flammennont, Le Chancelier Maupeou
et ,M Parlament*, Paris, i883. Boy* (Pierre), StanUla* Leczintki et le troititmt traile' de Vienne,
2* edit . Nancy, 1880. Id., Le badget dt la protnnet dt Lorraint tl Barroi* *oa* lt regne dt
^lamslax, Nancy, 1896. Krug-Basse, HUloirt da Parkmtnl dt Lorraint tl Barroi*, Nancy.
i*99- Pfister, Hitloirt de Nancy, tome III, Paris, 1908.
< 369 >
viii. 2. 24
R&DUCT10N
DBS EFFECTIFS.
OFFICIERS
m r&forub's ».
LA SOBLESSE
PAL VRE.
L'fipoque de Madame de Pompadour. livre ih
secours dans Tenthousiasme qu'il inspira & plusieurs personnes
6clair6es, qui lui d6vou£rent et leurs soins et leurs veilles, autant
par attrait pour lui que par d6sir de servir leur pays ».
Dösqu'on eul signö les preliminaires de lapaixavccrAngleterrc,
Choiseul, par lordonnancc du 10 d6cembre 1762, commenga de
r£former Tarnte. II fallait bien faire des öconomies, mais il fallait
aussi que les effectifs pussent ölre, ä un moment donne, rapidement
accrus, et Tarm^e mise en 6tat d'entrer promptement en campagne.
II fut donc ordonnö qu'en cas de guerre les lev6es seraient versöes
dans les corps existants, sans qu'il fut cr66 de nouveaux 6tats-
majors.
En möme temps, on röduisit le nombre des officiers. Au d£but de
la guerre il avait fallu les mulliplier et accepter comme officiers
bcaucoup de roturiers. En 1763, Choiseul licencia des r£giments, et
ordonna aux colonels de chaque rögiment de congödier des officiers;
es roluriers furent sacrifies les premiers. II y eut parmi eux des
resistances. Un sieur Lantier, fils d'un riche nögociant de Marseille,
lieutenant au r£giment de Hle-dc-France, ayant 616 cong£di6 par le
colonel marquis de Grenolle, fit intervenir aupres de Choiseul
l'övöque d'Orleans et le mar6chal de camp de La IXoque. Choiseul se
serait laiss6 aller ä conserver Lantier, mais le colonel de Grenolle
6crivit :
• Le plus reel privilege qui reste a la noblesse est l'6tat militaire ; il est fait
pour eile; lorsque des sujets, faits pour un autre 6tat, occupent la place des
genlilshommes, c'est une contravention a la regle ötablie par le souverain...
Le militaire doil Ätre composä de la parlie la plus pure de la nation, des gens
faits pour avoir des sentiments. »
Le sieur Lantier ne resta pas au r6giment.
Mais des officiers nobles de la noblesse provinciale furent aussi
remerciäs. Des colonels perdirent les fonds qu'ils avaient emprunt£s
pour acheter un r6giment et des capitaines et des lieutenants le prix
de leurs charges. Beaucoup tombörent dans la mis6re. On leur don-
nait en compensation des pensions illusoires souvent, ä cause de
Tirr6gularit6 des paiements. Un capitaine de grenadiers 6crit ä
Choiseul en 1763 :
- Pour me soutenir je fus oblige de vendre mon epee ä monture d'argent,
ainsi que ma montre.... Je demande ä servir partout oü le ministre voudra me
faire la grace de m'employer. Je ne d£sire rien que de travailler pour avoir du
pain. •
Un chevalier du Muy, qui commande en Flandre, 6crit au ministre
au sujctd'un ancien capitaine :
i 370 >
CIIAP. VI
Les dernibres annies du Minister e ChoisettL
- Cct officier n'a pas de quoi acheter du pain qui fait sa seule nourriture....
Je viens de lui donncr 50 6cus pour passer une partie de l'hiver en lui disan
que c'etait une gratification de la Cour, afin de lui evitcr rhumiliation de le
recevoir de moi. 11 demande une des compagnies vacantes dans le regiment
provincial de Lille.... •
Un licutcnant-colonel re$oit de l'6v6que de Soissons, pour lui, sa
fem me et sa fille, trente livres de pain etdouze livres de viande par
semainc; les deux femmes n'oscnt pas aller ä la messe parce qu'elles
sont sans vötemenls.
Les officiers qui deraeurerent en activite eurent souvent bien de
la peinc, cu egard ä la hausse de toutes choses, ä s'equiper et ä vivre;
un lieutenant avait 900 livres d'appointemenls, un sous-lieutenant
600, et parfois ils etaient menaces de ne plus 6tre payes. En 1772 on
racontera que Tabb6 Terray a propos6 au Conseil de supprimer les
appointements des officiers. Tous elaicnt mecontents. La noblcsse
pauvre n'avait pas d'autre carriere ä suivre que le service du Roi,
et ce service la ruinait.
Le Gouvernement essaye de lui donner quelques satisfactions.
L'Ecole militaire cr6ee par le comte d'Argenson entretenait gratui-
tement 500 fils de gentilshommes '. Clioiseul convertit le College de La
Fleche, d'oü les J£suites avaient 616 expulsös en 1762, en une ecole
preparatoirc dont les 616 ves les plus distingues devaient elre appeles
ä rfecolc militaire de Paris, et il l'ouvrit auxfils des nobles. En vertu
de lordonnance du 7 avril 1764,onpouvait enlrer a La Fläche dchuit
h onze ans ; il y avait 250 places.
Clioiseul aurait voulu empÄchcr les colonels et las capitaines
d'exploilcr les regiments et les compagnies comme « des fermes »,
mais la « v6nalit6 » des grades rendait son projet en partie irrealisable.
Les colonels vendaient certains grades au plus offrant. Au debut de
la guerre de Sept Ans, on avait cr66 un grand nombre de compagnies
dans les regiments d'infanterie, et le colonel du regiment de Pi6mont
sYtait acquis une cel6brit6 ä vendre les compagnies et les lieutenances.
Un correspondant du Secr6taire d'fitat de la Guerre lui cerivait en
1758 (jue, dans ce regiment, les gradesse vendaient « comme la viande
de bouchcrie ». Les abus de la venalite, qu'avait naguere combattus
Louvois 1 , avaient tous repani.
Les colonels sortaient pour la plupart de la noblesse de Cour, et
commengaient a Commander des regiments & Tdgo de vingt-trois ans,
souvent plus jeunes. Durant la guerre de Sept Ans, rinexperience des
colonels et le train luxueux quils menaient avaient frapp6 tout le
LKS 4COl.ES
MIL1TAIRES.
COLOSBLS
BT CAPITAINES,
i. Voir plus haut, p. 337.
2. Voir Hisl. dt France, t. VT1, a, p. a33.
3 7 «
ADMINISTRATION
DBS REGIMENTS.
INSTRUCTION
DES OFFICIERS.
DISCIPLINB.
L'ßpoque de Madame de Pompadour. uvrk m
mondc. ßtant Secrätaire d'filat de la Guerre, Belle-Isle, par l'ordon-
nance du 22 mai 1759, avait ötabli que Ton ne pourrait plus 6tre
colonel qu'apr&s avoir servi sept ans, dont cinq comme capitaine.
Choiseul ne fit pas respecter l'ordonnance k la rigueur, mais c'est du
moins de son minist&re que date la disparition des « colonels k la
bavette ». 11 ne diminua pas le nombre des colonels, l'accrut plutöt,
pour se faire une client&le de noblesse ; car, k la fin du r&gne de
Louis XV, pour 163 rägiments il n'y avait pas moins de 8 k 900 colo-
nels pourvus, sinon d'emplois, du moins de commissions.
Par l'ordonnance du 10 däcembre 1762, Choiseul d6cida qu'aucun
rägimcnt ne porterait plus le nom de son colonel; que tous rece-
vraient des noms permanents, des noms de provinces. II donna part
dans ladministration des r£giments aux majors et aux capitaines-
trösoriers, nomm6s les uns et es autres par le Roi. Dans chaque r£gi-
ment l'argent de la solde et de la massefut remis au tresorier et vers6
en sa präsencc dans une caisse k trois serrures; le colonel, le major
et le tresorier ayant chacun leur clef, la caisse ne s'ouvrait que si
les trois personnages ou leurs repräsentants ötaient pr6sents. Pour
tous fonds d6pos6s ou pris dans la caisse, on ötablissait chaque
mois trois 6tats : Tun ötait envoye' au SecnHaircd'ßtat; le major en
prenait un autre; le tr6sorier conservait le troisi&me. La Cooperation
du colonel, du major et du tr6sorier fut le premier essai des conseils
d'administration des rtfgimcnts.
A l'ögard des capilaines, l'ordonnance du 10 d6cembre 1762
disposa :
• Les capitaines de tous les regiments de Pinfanterie francaise seront ä
l'avenir dächargäs du so in de faire les recrues, 1'intenlion du Roi e*tant de leur
faire fournir toutes celles dont ils auront besoin.... Sa MajesU fera pareille-
ment fournir a l'avenir rarmement... •
Les capitaines, qui perdaient les b6n6fices sur les leväes ou l'en-
tretien de leurs hommes, furent indemnisös par l'augmentation de
leurs appointements, ({ui 6taient d'abord de 1 700 livres et sont, dans
l'ordonnance de 1762, fixös k 2000 livres.
Choiseul exigea des officiers qu'ils fussent instruits. II fit ensei-
gner aux jeunes gentilshommes de l'öcole de La Fläche les langues
i'ran$aise et latine, l'histoire, la gäographie, les math6matiques, le
dessin, leecrime. II voulut qu'avant d'ötre officier on eüt la connais-
sance pratique du service du sous-officier et du Service du soldat,
qu'on cut servi comme cadet dans une conpagnie.
11 6tablit dans l'armäe une diseipline r6guli£re. Le colonel dut
r6sider aupres de son regiment, et fut plac6 sous la surveillance d'un
CHAP. VI
Les dernieres annees du Ministhre Choiseul
officicr g£n6ral qui, tous les six mois, rendait comple au Secrätaire
d'Etat « de la tenue, de Instruction et de la conduite militaire du
regiraent ». Le major dut remplir toute sa fonction, qui consistait
« dans la police, la discipline, La tenue el les cxercices »; il devail
aussi, sous peine d'Ätre casse\ informer le Secrßtaire d'Etat de la
Gucrre « des changements qu'on aurait introduits » dans le r6gi-
ment. 11 fui etabli par lofficier g6n6ral Charge des inspeclions un
« contröle de tous les ofßciers, contenant leurs noms, surnoms, les
lieux de leur naissance, le detail de leur Service, T^poque de leurs dif-
ferents grades, leurs blessures, leurs mceurs, leurs talents », et
aussi un etat des dettes du rägiment et des dettes personnelles de
chaque officier.
Les autres räformcs eurent surtout le soldat pour objet. Choiseul
confia le recrutement ä des sergcnts recruteurs, et paya directement
le prix des engagements. Par 1'ordonnancc du l w fövrier 1763
et par celle de mai 1766, il fut interdit d'admcttre des volontaires
au-dessous de seize ans en temps de paix, au-dessous de dix-huit en
tcmps de guerre et dadmettre personne au delä de cinquante ans.
Le soldat sera nourri, öquipö, arm6 par le Roi; les fonds seront
verses ä chaque regiment qui en rendra compte. C6tait supprimer
les entrepreneurs de fournitures et remplacer « Tentreprise » par la
« regie ». 11 fut ordonnö aux capitaines de s'assurer que les soldats
etaient bien nourris, sous peine de repression severe pour toute
n^gligencc ä ce sujet. L'ätat des uniformes des rägiments fut fix6, et
defense faitc aux colonels d'y introduire ou laisser introduire aucun
changcment.
La fabrication des armes, l'approvisionnement des magasins,
l'organisntion de la remonte, l'organisation des ambulances furent
reglös. Pour assurer l'instruction technique de TannSe, un certain
nombre de rägiments devaient Gtre conduits tous les ans au camp de
Compiegne, dont on voulait faire quelque chose danalogue aux camps
dinstruction de Fr6d6ric II. Une ordonnance du 1 er mai 1768 r£gle-
mcnta le service des places. La l£gislation militaire entra dans les
plus petits detail»; eile d6termina jusquä la maniere dont les soldats
devaient arranger leurs cheveux; il fut defendu aux cavaliers de
les tresser en qucues dämcsuröes et de se mettre & 7 ou 8 ä coiffer
un camarade.
La reforme de lartillerie fut un desprincipaux soins de Choiseul.
Ici le grand collaborateur ötait Gribeauval.
Jean-Baptiste Vaquette de Gribeauval, n£ en 1715, entr6 comme
volontaire dans le rägiment de Royal-Artilleric en 1732, capitaine du
corps des mineurs en 1752, envoye en mission en Prusse par le
RE CRITEHEKT
NOURRITÜRE
BT 1IAB1LLEMEST
DU SOLDAT.
CAMP
DE COMPIECSB.
RS FORME DB
LARTILLERIE.
GRJMEAWAL,
3 7 3
UEpoque de Madame de Pompadour.
uvre m
LES VALL1ERE.
comte d'Argenson k Teilet (T6tudier Tartillerie lägfcre des Prussiens,
lieutenant-coloncl en 1757, passa au service de Timpäratricc Marie-
Ther6se avec Tagrement de Louis XV, coop£ra en 1758 ä la prise de
Glatz en Sil6sie, et däfendit si bien Schweidnitz contre Fr£d6ric,
en 1762, que celui-ci n'y serait pas entr6 sans une explosion de
magasins k poudre qui mit la place hors d'ölat de soutenir un
assaut. La paix faite, Choiseul rappela Gribeauval, le fit marächal de
camp, inspecteur g6n6ral d'artillerie. Gribeauval proposa alors de
renouveler tout le mat£riel des canons.
En France regnait le Systeme Valli6re, qui devait son nom k
Jcan-Florent de Valltere, officier d artillerie d'assez grande notortete
au temps de Louis XIV 1 , directeur g£n6ral de Tartillerie en 1720.
Valliöre avait 6tabli Tuniformitö des calibres, et, par l'ordonnance
de 1732, regl6 {'Organisation du corps de rartillerie, de ses äcoles et
de ses exercices. Son fils, le marquis de Valliöre, directeur gönöral
de Tartillerie et du g£nie depuis 1747, ötait persuad6 qu'il n'y avait
rien k changer ä Tceuvre de son pere. Le Systeme remontait cepen-
dant k une 6poque oü les canons etaient surtout employös dans Tat-
taque et la defense des places. Or, les guerres räcentes avaient
prouvö que Tartillerie pouvait faire gagner des batailles; les Frangais
lui devaient d'avoir vaincu k Fontenoy et k Raucoux. Mais, pour
traf ner des canons partout oü donnent les troupes, il fallait les all6ger.
Gribeauval fit comprendrc que Tartillerie devait varier ses engins
en raison des besoins de la guerre et qu'il fallait cr6er un matöriel
distinct pour chacun des Services de campagne, de si&ge, de place,
ou de cöte. Pour allöger les pteces il les raccourcit, remplaga les
essieux en bois par des essieux en fer ; pour les rendre plus rapidement
mobiles, il augmenta la hauteur des roues de leurs avant-trains. Son
systfcme, adoptä en 1765, devait 6tre en usage jusqu'en 1825.
Sa rßforme renrontra des advcrsaires : Valli&re fils, lesäcrivains
militaires Saint-Auban et Dupuget, les acad6miciens de Tressan et
Buflbn qui soutenaient que raccourcir les pi&ces, c^tait en diminuer
la portöe, la justesse, la solidilö. Mais Texp£rience donna raison k
Gribeauval. Lors de la conquöte de la Corse, les artilleurs condui-
sirent sans peine leurs pi&ces sur des hauteurs escarp6es. Quand
Choiseul fut disgraetf. Gribeauval fut mis k T6cart; il reprendra sa
röformc sous Louis XVI.
Au xvn e si&cle, les fonderies des ports de Toulon, Rocheforl et
etmanüpactores Brest, Celles de Strasbourg, de Douai et de TArsenal de Paris etaient
de v&tat. lcsseules dont le Roi cüt Tcnttere proprio; partout ailleurs il se
ARTILLERIE
LAGERE.
LOPPOSITION.
FOSDERJES
i. Ne en 16Ö7, mort cn 17:19.
374 >
CHAr. VI
Les dernikres annies du Minister e Choiseul.
contenlait d'exercer unc certaine surveillance par ses agents. Au
xvur siecle, et surtout k partir du ministere Choiseul, l'fitat acquit
un assez grand nombre de manufaciures particulieres, en crea de
nouvelles, y introduisit les procödäs de fabrication les plus pcrfcc-
tionnös, et forma un remarquable personnel d'ouvricrs. Les manufac-
iures de Saint-fitienne, Charleville, Maubeuge, Klingenthal dcvinrent
Etablissements du Roi; et de möme les fonderies de canons de Ruelle,
Indret, Montcenis, Saint-Germain, Lyon et Perpignan, les fabriques
d'ancres et de poudres de Cosne et du Ripault.
Choiseul entra au ministere de la Marine en 1761 ; il en sorlit en
avril 1760, mais il fut remplacö par son cousin Choiseul- Praslin qui
demeura en communaute" d'idees avec lui.
Dans un Memoire prEsentö au Roi en 1765, Choiseul a donne Fetal
de la Marine au moment od il succEda k Berryer :
CHOISEUL
SECRETAIRE
ff ETAT
DE LA MAIUSB.
« (A Brest), le peu qui restait dans Ics magasins 4tait a l'encan ; Ton n'avait
pas de quoi ni radouber, ni öquiper les b&üments qui avaient echappc 1 au
combat de M. de Conflans. Le port de Toulon n'etait pas mieux que celui de
Brest depuis le combat de M. de La Clue; les vaisseaux etaient abandonnes,
les magasins vides; la marine devait partout et n'avait pas un sou de credit. •
Le Roi ne poss£dait plus que « 44 vaisseaux de ligne tant bons
que mauvais et 10 frlgates ». Choiseul demanda aux Etats du Lan-
^uedoc d'aider le Roi dans la reconstitution des Forces navales. Les
Elats dßeiderent d'offrir un vaisseau et voterent largent necessaire;
les Etats de Bourgogne, de Flandre, d'Artois, le Parlement de Bor-
deaux, le corps de villc et les six corps de m^tiers de Paris, la chambre
de commerce de Marseille, les fermiers g6n6raux, les receveurs ge*n6-
raux, les rögisseurs des postes, les Chevaliers de l'ordre du Saint-Esprit
suivirent cet exemple, voterent des fonds ou se cotiserent; le Clerg6
de France vota un million; de simples particuliers envoyaient leurs
oiTrandcs. Le tout fit, au dire de Choiseul, 14 millions, qui donnerent
quinze vaisseaux de ligne parmi lesquels le Languedoc, la Bourgogne,
le Marseillais, le Citoyen, le Saint-Esprit.
La conslruction de ces vaisseaux ramenala vie dans les chantiers
des arsenaux. Les erädits mis k la disposilion de Choiseul, d'abord
reduits de 20 ä 16 millions, furent relevös peu k peu jusqu'ä
26 millions et demi, chiffre de 1770.
Choiseul aurait voulu que la France füt toujours en e*tat d'ouvrir
les hostilitäs sur mer avec 80 vaisseaux de ligne, et 45 (Wgates.
Ouand il fut disgracie, 64 vaisseaux et SO fregates etaient prfcts k
< 375 >
LA FLOTTS
BECONSTtTCiE
UEpoque de Madame de Pompadour. uvrk in
prendre la mer. II tirait ses bois non seulement du royaume, mais
encore dltalie et de Turquie.
Aux trois arsenaux de Brest, Rochefort, Toulon, Choiseul ajouta
un arsenal ä Marseille en 1762, et Choiseul-Praslin un arsenal ä
Lorient en 1770, quand la Compagnie des Indes eut 6t6 supprimäe.
Bataillons Choiseul reprit Tid6e de Colbert sur Farm6e coloniale * et rem-
affect&s plaga les Compagnies franches qui, depuis Seignelay, faisaient sur
a la flotte j a fl ^ c « i e service de la mousqueterie », par des bataillons d'infan-
et aux colonies. ^.^ ^ rarmöe de terre qui furent affectes en mßme temps aux
colonies. 11 espärait etablir ainsi, disait-il, Tunion des deux arm£es
de terre et de mer ; mais les fanlassins ne se pröterent pas au service
des vaisseaux et souvent dßserterent. C^taient d'ailleurs presque tous
de mauvais soldats, dont les rägiments s^taient volontiers d£barras-
s6s. II 6tait tellement necessairc d'avoir une force permanente pour
däfendre les colonies et rgduire au minimum 1 emploi des troupes
royales que Choiseul organisa des milices coloniales *. Mais les Colons
« abhorraient » les milices; les plantations souffraient du service
qu'elles imposaient; les chambres d'agriculture des colonies protea-
t&rent contre l'inslitution, et une espfcce de r6volte 6clata ä Saint-
Domingue.
les categoribs Le personnel des officiers et agents de la Marine comprenait
d'officiers. quatre catägories : les officiers nobles attachös au service des vais-
seaux du Roi, recrutös parmi les « gardes de la marine » dont il y
avait des compagnies-6coles dans les ports de Brest, de Rochefort et
de Toulon, et formant ce qu'on appelait le « grand corps » ; les officiers
d artillerie enträs au service en qualit6 d'aides d'artillerie, presque
tous roturiers; les intendants de marine et les commissaires et ecri-
vains placäs sous leurs ordres; les officiers des ports soumis ä Pauto-
rit6 des commandants des porls et des intendants, occup6s ä la con-
slruction, au radoub, et sortant le plus souvent de la marine mar-
chandc. Des trois derni&res cat£gories nul ne pouvait arriver ä la
premtere. Choiseul, qui voyait dans le grand corps beaueoup dinca-
pables, aurait voulu supprimer les « gardes de la marine » et recruter
le grand corps parmi les officiers d'artillerie de marine, les officiers
des ports, m&me parmi les corsaires et les capitaines-marchands qui
s^laient distingu6s dans la derni&re guerre. Ce fut un soulövement
dans la noblesse, et Choiseul, d6sapprouv6 par le Roi, dut renoncer
au projet.
i. Voir Hisl. de France, t. VII, 2, p. 25g.
a. Celles qui avaient ete equipecs pendant la guerre de Sept Ans, furent licenciees en
1768, mais rctablies par une ordonnance du 20 mars 1764«
< 3^6 >
CHAP. VI
Les dernieres annees du Ministere Choiseul.
Les officiers de marine demandaient que leurexp£rience fütmise
a profit pour la pr£paraüon des forces navales. Choiseul leur donna
salisfaction au d£triment des bureaux. Tandis que Colbert les
avait exclus du « detail » des arsenaux ', il leur ouvrit les arsenaux.
L'arlillerie de marine, jusque-lä sous l'autoritö de Tintendanl de
marine, passa sous celle de Tofficier gönöral commandanl le port. Les
capitaincs de vaisseau qui, lorsqu'ils etaient dans les ports, d6pen-
daient auparavant de l'intendant, devinrent les subordonn£s directsdu
commandant. L'intendant n'eut plus depouvoir qu'en ce qui concer-
nait la << plume ». Le capitaine du port demeura bien sous ses ordres,
mais il fut tenu de rendre compte au commandant, jour par jour, de
IV tat des vaisseaux. Les intendants et tout le corps de la plume se
plaignirent; pour les consoler on leur fit porter Tuniforme et on leur
donna le titre <T « officiers d'administralion de la Marine ».
Les questions maritimes et navales furent serieusement 6tudi6es
au Lenips de Choiseul. Le vicomte Bigot de Morogues, commissaire
general de l'arlilleri», publia en 1763, en le dldiant au Secretaire
d'Etat, un ouvrage sur la Taciique navale; deux ans apres, Bourdä
de Villehuet publia Le Manoeuvrier, livre pratique dont Tautorit^ fut
grande sur les officiers qui prirent part a la guerre de Tindöpendance
amrricaine. LAcadtfmie de marine, association d'ofßciers de marine
et d'artülerie formöc ä Brest par Bigot de Morogues, officiellement
pourvue d'un r&glement par RouiU6, en 1752, röorganis^e en 1769
par Choiseul-Praslin, et placke comme toutes les grandes acadämies
sous la protection du Roi, aida ä la difTusion des Itudes nautiques.
Lhydrographie fut cnseign^e, non seulement a Paris [Mir Üigard de
Kerguette, un maitre en la mati&re, mais dans divers Colleges, a
Rouen, a La Rochelle, ä Toulouse. A cöt£ des ecolo6 d'hydrographie
qui, u Brest, a Rochefort, a Toulon, servaient aux « gardes de la
marine », Choiseul, en 1765, organisa des 6coles publiques d'hydro-
graphie.
(choiseul essaya d'organiser Tempire colonial de la France, en le
rq>renant aux Compagnies. Avant la suppression de la Compagnie
des Indes, il se fit donner par eile en 1763 Gor6e et les comptoirs de la
(iambie et Ouidah dans le golfe de Guin6e; il acheta Dakar. En 1767
il lui reprit les tles de France et de Bourbon avec leurs däpendances,
les Seychelles et Sainte-Marie de Madagascar. Apr&s la suppression,
les tUablissements frangais des Indes pass&rent sous le gouvernement
direct du Roi; il y eut au däpartement de la Marine un Bureau des
Indes.
i Voir Hut. de France, t. VII, a, p. aßa.
äruuES
NAOTIQÜBS.
ADMIS1STBATION
DES COLON1ES.
3 77
COLONISATIOS
OFFICISLLE.
PR&OCCUPATWN
i/ÜNB GUERRE
CONTRB
L'ANGLETERRE.
UEpoque de Madame de Pompadour.
uvai Ira
Lfitat Substitut aux compagnies * va sc charger du commerce
des n&gres, du ravitaillement des colonies et de la « peuplade ».
Choiseul remii en vigueur les ordonnances qui permettaient aux
artisans coloniaux de passer mattres apres dix ans de travail, aux
juifs et aux proteslants de pratiquer leur eulte. Suivant l'usagc. il üt
embarquer pour les colonies des jeunes gens de famille, dont on vou-
lait se döbarrasser, des gens sans aveu et des vagabonds 1 . Dexcel-
lentes mesures öconomiques furent prises. Les colonies eurent des
chambres de commerce et d'agriculture ; les ports furent agrandis
et fortifiös; Sainte-Lucie et Saint-Nicolas devinrent des ports francs-
Dans l'administration des colonies, comme dans celle de la marine
et de la guerre, la pensöe dominante de Choiseul fut de pröparer la
guerre conlre les Anglais; il espörait trouver une occasion dans le
conflitprävu entre TAngleterre et ses colonies d'Am6rique. 11 exp6diait
des agents secrets sur les cötes dAfrique et d'Amärique, aux Indes,
dans la Baltique, pour s'enquerir du commerce des Anglais et s'in-
former des points et du moment oü il serait opportun de les attaquer.
II voulait faire de la Martinique et de la Guadeloupe les bases des Ope-
rations militaires. II 6crivit au Boi en 1769 :
• Si Votre Majeste; avail la guerre avec les Anglais, il serait instant au moment
qu'on l'envisagerait de faire passer en Amerique vingt-quatre bataillons qui
trouveraient dans les ües ce qui leur serait nlcessaire, resteraient pendant toute
la guerre en Amerique, et seraient alimentes tant en vivres qu*en munitions
par les escadres de Votre Majestl. C'est d'apres ce plan que nous prtparons
les possessions de Votre Majeste dans cettc parUe du monde. •
Choiseul aurait voulu aussi qu'unic ä la France par le Pacte de
famille, TEspagnc prlt ses prlcautions en vue d'une guerre contre
lAngletcrre, et il öcrivait ä l'ambassadeur de France k Madrid :
• Vous devez insister chaque fois que vous en trouverez l'occasion sur la
necessite indispensable qu'il y a pour l'Espagnc de travailler a augmenter sa
puissance maritime el coloniale. •
1. II ne resta quune compaenie privil^iee. celle de Barbarie, qui arait le monopole du
commerce «ur la cdte septentrinnale dAfrique.
a. Un c*-ai de colonisation en r.uyane. en 17G4, finil par un desastre. Environg 000 Dianes,
tirts en majorite <lc lAcadic. furent dcbarqu*s 6 In Guvane, oü les negres manquaieot,
«ans que tien eüt öle preparc pour les recevoir. Ils furent jetes pele-mele sur une plage oft
il n'y avait ni maisons. ni magasins, ni höpitaux. et oü den Ren» non aeclimates ria-
quaient ilc perir. En quelques semaines, plus de la moitie de ce« malbeureux avalent
auecombe. et, en cinq moU. presque Ions Le desastre nVut pas en France le retentiaae-
ment qu'on pourrait crolre . il n'en servil pas rnoin* d n räumen t a tous les adrersaires da
la rolonitaünn ofucielle, a ceux qui pr6tcndaient que les noirs pouraient aeula rtsister
au climat des tropiques; el pmirtant. il «emble bien que ce« emigrants na furent pas
plus victimes du climat que de IcuYoyablc ineurie de leurs chefs.
3;8 )
CHA1». VI
Les dernieres annies du Minist&re Choiseul.
II. — LES AFFAIRES DE BRETAGNE*
GE ministre occupö de si grands soins l*6tait pour le moins autant
de petites choses et dintrigues diverses. C est la qu'il devait
trouver sa perte. II commenga de compromettre son credit dans les
affaires de Bretagne, si singuliöres, et oü Ton retrouve tant de
preuves du d6sordre gönöral et de la faibicsse du gouvernement
roval.
Kn 1753, d'Aiguillon avait 616 nomine « Coraraandant » de Bre-
tagne. Le duc de Penthtövre, gouverneur et lieutenant gönöral de
la province, ötait toujours absent de son gouvernement; le « com-
mandement » — qui ntHait pas une charge et ne s'exergait que par
commission — ötait donc la fonetion importante de la province.
Emmanuel-Armand Vignerot du Plessis de Richelieu, duc d'Ai-
guillon, 6tait fils d'Armand-Louis, comte d'Agenais, duc d'Aiguillon,
et d Anne-Charlotte de Crussol d'Uzös. Arriöre-petit-neveu d'une
dame de Combalet, ni6cc du cardinal de Richelieu, neveu du mar6-
chal de Richelieu, apparent6 ä Maurepas, il elait aussi neveu du
Secretaire d'Etat de Saint-Florentin, par sa femme, fille du comte
de Plelo, tuö ä Danlzig en 1734. II 6tait Elegant, de manidres
nobles, avec de la grace; d'esprit ordinairc, mais röflrchi et labo-
rieux; de caracl&re ferme; de grand orgueil, ambitieux de se
pousser au premier rang. Estim6 du Dauphin, il passait pour le
successeur probable de Choiseul, ce qui deplaisait au ministre et
rinquietait.
La Bretagne röunie k la couronnc la derntere des provinces
fran<;aises, et qui avait 6l£ aussi la dernierea recevoir des intendants,
CHOISLVL
ET LES
AFFAIRES
DB BBETAGSE,
LE DÜC
D'AIGUILLOS.
FARTtCULARtSUB
BRETON
i. Soi Rr.Fs. Correspondance Fon leite et Talleyrand (t. V}, deja cil*e. Rapport*... sar les
correspomlance* des agents diplomatique* 41 ränge r* en France avant ta Revolution, p. p.
.1 Flanimermont, Pari», 1896. «Jan« le* « Nouvelles archive* des m Issions scieiu iflques •,
t. VIII. La Chalotais (de), Mimoire*: le* deux premiers, s. I. n. d., 80 p. , le troisieme, s. I.
n d.. 71 p : le qua! Herne est intitule : SrxiVmt dtivloppement de ta reqaite qu'a fait imprimer
M de Calonne pris ä partie par tombrr de M. de La Chalotais, Londres, 1787. Linguet,
Memoire a rontnller et consaltation ponr Monsieur le dur d'Aiguillon, Paris, 1771». Moni-
hnrrey (Prlnrc de), Mtmoirts, Paris, 1835-1827, 3 vol. Procis instrait extraordinairement eontre
MM. de Caradeucde La Chalotais et de Caradeac, etc., id. de 17W, 3 vol. In-ia.
Oi -vrages a co^sclter. Crousaz-Cretet, Cnippi, Flammermont. Jobez (t. VK Rocqualn,
dn.i rite»». Ronneville de Marsanffy, Le Comte de Vergennes, son ambassade en Suede
(nrt-nu. Paris, 1898. Carne fde\ Les Etats de Bretagne, Pari*. 18«, 3 vol. Floquet,
Hixtoire du Parlement de Xormandie, Rouen, i8V>-43. 7 vol.. t. VI. (loncourt (Ed. et J. de),
La du Harri}, Paris, 1878. Vatel. Risloire de Mme du Barry. Paris, 1883-1888, 3 vol. Saint-
Andre Claude . Mme du Barry, cT apres les docamenls aulhentiques. Paris, 1908. Marion, La
lirelagne et le duc d'Aiguillon (t75S~t770), Paria, 1898. Pocqucl. Le pouvoir absolu et resprit
prouincial : Le duc d'Aiguillon et La Chalotais. Paris, igno, 3 vol.
3;o
UEpoque de Madame de Pompadour.
utre m
PREMIERS
ACTES
DB D'AIGUILLOS.
LE PROCUREUR
GENERAL
LA C1IAL0TAIS.
LE PARLEMEST
CONTRE
D'AIGUILLOS.
ISTERVEXTIOS
DU ROI.
s'6tait plusieurs fois r^voltäe 1 . Elle se pr6valait de son Acte d'union
de 1532, en vertu duquel aueune taxe ne pouvait ötre levee sur son
territoire sans avoir 616 au prealable consentie par ses Etats *. Les
nobles mettaient leur point (Thonncur ä deTendre les libertäs de leur
province contre les pratiques des fonetionnaires royaux; leur patrio-
tisme breton 6tait en parlie sincere, mais il s agissait aussi pour eux
de se soustraire aux cbarges communes. Le Parlement de Rennes
faisait cause commune avec les Etats dans la räsislance.
Si difficile que füt sa lache, d'Aiguillon räussit d'abord on ne
peut mieux. II se crea un parti dans la noblesse bre tonne. Aid6 de
l'intendant Le Bret, il fit 1 assiette et la repartition du vingtieme avec
une moderation et des menagements dont on lui sut gre ; il mul-
tiplia les grandes voies de communication, les « grands chemins »,
comme on disait, ameliora et adoucit nolablement le Systeme des cor-
v6es, s'inte>essa ä lassainissement de quelques grandes villes. Pen-
dant la guerrc de Sept Ans. en 1758, ä Saint-Cast, il sauva la province
dune invasion anglaise. 11 defendait, ä Toccasion, les Privileges de la
Bretagne aupres des ministres. Mais, durant le proces des Jesuites,
il demeura neutre, et cette neutralil6 le ßt soupconner de sympa-
thies pour les religieux proscrits; si bien qua Versailles et ä Paris
le parti Choiseul se mit ä le denoncer comme suppöt des Jesuites.
D Aiguillon eut la mauvaise fortune de se brouiller avec le
Procureur g£nöral au Parlement de Rennes, La Chalolais, pour
avoir voulu empächer — inutilement d'ailleurs — ce magistrat d'as-
surer sa survivance ä son fils, un incapable. Or, le proces des
J6suites avait illustre La Chalolais; les Philosophes le louaient;
Madame de Pompadour et Choiseul lui firent espörer le Contröle
g6n6ral. 11 Ha pour ainsi dire parlie avec ses protecteurs contre d'Ai-
guillon, en qui, outre ses griefs personn eis, il detestait un rival. La
Chalotais avait Torgueil de la robe; il 6tait ambitieux et violent.
Survinrent alors, en avril 1763, les mesures Gscales de Bertin,
puis la Deklaration du 21 novembre suivant 3 . Le 5 juin 1764, & propos
de l'enregistrement de cetle Deklaration, le Parlement de Rennes ßt
des remontrances oü il reprochait ä d'Aiguillon ses « grands che-
mins » et la röforme de la corvöe oü il voyait un acte de despotisme.
Louis XV fit mander a Versailles les prineipaux meneurs, de
Montreuil, de La Gascherie, de Kersalaün et La Chalotais lui-m&ne.
II leur dit :
i. Notamment en 167O, contre I'impöt du timbre (cf. II ist. de France, VII, 1, p. 3&2-3G6), «A
en 1719, contre une laxe sur les boissonü (V. plus baut, p. 53)
a. Voir II ist. de France. I. V, 1, p. 220.
3. Voir plus baut, p. 360.
38o
gup. ti Les dermeres annies du Minütere Choiteul.
• Je n'ai pu Toir Runs peino que, dana une occasion oü j'ai donnc a mon Par-
lemenl les plus grandes marque» de conllancc, et Oü )e ne devais attendre que
des tfmoignages de son zele et de sa reconnaissance, il ait ajoule par un
arrtt* compris, contre ta regle ordinaire, dans son arrct d'enregiatrement de
ma Declaration du 31 novcmbre dernier, des objets qui y etaienl loialement
drangen el qui De tcndent qu'a jeter des nuages nur une admloigtration dont
je suis aussi content que la province, ou m£me b elever des didlcultea qui
pourraientexciterdes dirisions entre nies sujets s'ils m'^taient molns allaeh£e.
Retournez dire a mon Parlemenl que je veux que cette aOaire o'ait aueune
KU PAH LEU EX 7.
Apres que la depulation se fut retirec, Louis XV relint La peksistaxci
Chalolais et lavertit de prendre garde asa couduitc ä l'avenir; il lui
rappela que sa qualite de Procureur general, d'bomnic du Roi, ■-■■—-—"—■—
l'obligeail particulierement ä rcspccler le Commandanl. •< Con-
duisez-vous, ajoula-t-il, avec plus de modüration, c'est moi qui vous
te dis. »
Les depules retouruerent a Rennes plus irrites qu'inlimides. Le
Parlemenl fit de nouvelles remonlrances ; et de nouveau une depula-
tion Cul appclce a Versailles. Mais cette fois, le Roi ful moius ferme
ä l'egard des magistrats: il ne leur dil rien pour defendre l'adminis-
tration du duc d Ajguillon.
Aux approches de la lenue d' Etats de 1764-1165, le nouveau texvb uetats
Contrölcur general, L'Averdy, ordonna la levöc en llrctagne de deux
sous pour livrc des droits des fermes, sans vouloir, comnie le lui
conscillait d'Aiguillon, attendre le consenlemcnl de l'assembtee.
II allt-guail que la levec des droits des fermes gcneralea ne regardait
pas les Elals, el qu'il pouvnil faire percevoir des sous pour livre
additionnels a ces droits, si la Declaration l'ordonnant elail enre-
gislrec par le Parlemenl de Rennes; or, eellecour venaii i\c l'enre-
gislrer. mais avec la pensce que les Etats feraient Opposition a
lenregislrcment. En eitel, des qu'ils furent asscmbles a Nantes, cd
oclobre 1701. les ßlals firent Opposition devant la Chambre des vaca-
tion», le Parlemenl elanl alors e*i vacances, et, le 16 oclobre, reite
chambre rendil nrret pour in l er dire la levee que le Parlemenl avail
permise. Le ('onseil du Roi ra*sa l'arrcl des V'acations, el inleniil
tont reemirs des Etats au Parlemenl. Mais les Parlemcntaires, revetius
de vacances en novernbre. interdirent lafficliage de l'arret du C.onscil
et suspendircnl lexeniee (le la justice ; puis ils se demirenl en
m.ii I7li5, sauf dotize. qui furenl perserutes par les tlemissionnaircs
il monaees il'clre exclu« de la magist rat ure, eux el leurs enfants jus-
qu'a la troisieinc generaÜon. Itennes etail en revolution. Avocats,
procureurs. Las ofticiers du Palais, clicnts des juges demis s'agi-
taienl. Libelles et carteatures allaient grond Irain.
LEpoque de Madame de Pompadour.
utrb m
AFFAIRE
DES BJLLETS
ANONYMES.
ARBESTATION
Des lettres anonymes injurieuses et mcnagantes pour le Roi lui-
mßme furent adress6es au Secr&aire d'fitat Saint-Florcntin '. Quel-
qu'un crut y reconnailre Töcriture de La Chalolais; lelieutenant.de
police de Sartine les soumit k Irois experts pour les comparer avec
des lettres du magist rat, et les experts conclurent k l'identitä des
tferilurcs. Le Procureur gcnlral ful mis en 6tat de surveillance.
II avait des relations avec un gentilhomme du nom de Kergu6zec,
de la chalotais. c hcf de Fopposition brelonnc et iraplacable ennemi du Commandant.
On aecusait aussi La Chalotais d'avoir pris part ä des conciliabules
oü furent dress£s les plans de resistance des nobles, durant les Etats
de 1764 ; mais cela ne suffisait pas pour le metlre en cause. II advint
alors quun subdel£gu6 de l'inlendant de Rennes, Audouard, ayant
fait incarc£rer un certain nombre de perturbateurs, fut pour cela
condamn6 par le tribunal de police, composö de procureurs au Par
lement, c'est-ä-dire hostile k l'intendant et au Commandant. Le Con-
seil du Roi cassa la sentence, et, comme Tententc de La Chalotais
avec les ennemis d'Audouard fut prouv£e. le minist&re fit arrtter le
Procureur genöral.
En m£me temps furent conduils dans diverses prisons d'autres
magistrals suspects qui, peu apr&s, furent r6unis au chAteau de
Saint-Malo avec La Chalotais. Celui-ci fut ensuite transförä ä Rennes.
Dans ses deux prisons, il travailla ä loisir ä des Mtmoires, qui
firent d'autant plus de bruit qu'il y d£non$ait les J6suites comme les
instigateurs de son arreslation. On a conl6 qu'il les äcrivit avec un
cure-dent et de Tencre faite de suie, de vinaigre et de sucre; en
r£alit£, il disposait de papier, de plumes et d'encre; il 6tait en com-
munication avec le dehors. Voltaire accr£dita la legende d'un cure-
dent qui « gravait pour Timmortalitö ».
Le duc d'Aiguillon n'avait 6t6 pour rien dans l'arrestation de
La Chalotais. II voyageait alors dans le midi de la France. Sans
qu'il füt consult£, des lettres patentes du 16 novembre constituerent
une commission de conscillers d'Ktat et de maftres des requ&tcs, afin
de suppiger le Parlement de Bretagne et d'instruire k Saint-Malo
le proeös des magistrals. D'Aiguillon mit comme condition k son
retour en Bretagne qu'un Parlement serait reconstituä, par lequel
les magistrats incarcörtfs seraient jug£s. Mais il eut l'imprudence
d engager des n^gociations pour recruter les nouveaux juges;
SA CAPTIVITE.
ATTITÜDE
DE D'AIGUILLON.
1. Voici le leite des billets anonymes : « Dis a ton maltrc, disait Tun, qua malgr© lui noos
chas*cruiis les douze J. F., et toi aussi »• Lautre etaitainsi con^u et Orthographie : « Tu es
J F. aulnnt quo les douze J. F. magistras qui ont echape a la d eroute generale. Raporte
cecy a Louis pour qu'il connaisse donc nos affaire, et puis ecris en son nom, mais
son su, belle epitres aux douze J. F. magistra ».
< 382 >
CHAT. VI
Les dernferes annees du Minis fere Choiseul.
les Parlementaires ne Ic lui pardonnerent pas. Apres sa rentröc a
Rcnnes, cn janviur 1766, il ful attaque avec furcur. On alla jusqu'ä
dire (juil avail pense ä faire decapiter La Chalotais dans la citadelle
do Saint-Malo.
Ccpcndanl le nouveau Parlemenl sc constitua; on l'appela par
derision lc « bailliagc d'Aiguillon ». Saisi du proces de La Chalotais
et consorls, il n'etail pas sür de Tappui du minislerc, qui sc deju-
geait si souvent. Ues magistrats sc recuserent sous pr£texte de
parente' ou d'inimities, et le Parlemenl ne se trouva plus cn nombre
jMnir j uger. En m£me temps, les autres Parlements proteslaient
conlre ces innovations. Le 3 fevricr, celui de Paris avail adressc au
Hui des rcpr&senlalions sur la commission de Sainl-Malo, tribunal
donl les membres, disait-il, n'elaient que les « mandalaires d'un
pouvoir arbilraire »; il les avait renouvelces dix jours apres, lors de
la Constitution du bailliage dAiguillon. Le Parlemenl de Rouen, par
des remontrances r^pandues ä profusion en Bretagne, traitait le
bailliage d'Aiguillon de « fantöme de Parlement ». Le mouvement de
protestalion pouvant s'elendre et lc bailliagc d'Aiguillon cn 6tre inli-
mide, Louis XV alh inopinement, le 3 mars, au Parlemenl de Paris,
et parla aux magistrals de teile fagon que la seance re^iit le nom de
Flagellalion :
• Ce qui s'e»*L passe dans mon Parlemenl de Rennes, dit-il. ne regarde pas
mos autres Parlements. J'en ai usö ä l'egard de cette cour comme il imporlait
ä mon autorite, et je ne dois de compte ä personne. En ma personne seule
röside la puissance souveraine; de moi seul mes cours tiennent leur eiistence
et l*mr autorite; ä moi seul apparUent le pouvoir legislalif, sans dependaneeet
sans partage...; l'ordre public tout entier ernane de moi, et les droits et les
intertHs de la nation, dont on ose faire un corp« s£par£ du monarque, sont
necessairemont unis dans mes mains, et ne reposent qu'en mes mains. •
Le lendemain, 4 mars, il ecrivait au Parlement de Rouen :
• J'ai In vos remontrances; ne m'cn adressez jamais de serablables; l'agita-
tion que vous supposez... parmi mes peuples... n'est que chez vous. Le scr-
ment que j'ai fait, non a la nation, comme vous osez le dire, mais ä Dieu seul,
m'ohlige de faire rentrer dans le devoir ceu\ qui s*en 6cartent. •
Mais peu apres il consentait k rappeler de Bretagne, sur sa
demande, le duc d'Aiguillon, et, lc 15 juillet, il rctablissait landen
Parlement de Bretagne. En novembre 1766, il dvoqua le proces ä son
Conscil. Aussitöt le Parlement de Paris protesta conlre l'usage de
cclle juridiction dexception. Le Roi eut peur d'un conflit; il eteignit
par lettres patentes du 21 decembre toute la procedura. En m6me
temps, il assignait aux aecuses, de son autorite propre, des lieux
d'exil. Mais les partis politiques et religieux continuerent de cälebrer
LE BAILLIAGE
D'AIGUILLON.
LA S&ANCE DB
FLAGELLATION •
IM ROI CMDM.
383
PEOCES
DE DA1GCJLL0S.
LETTHES
1/AB0L1TI0S.
UÜpoque de Madame de Pompadour. uvmi m
La Chalotais victime de la haine des ultramontains et de son patrio-
tisme breton. Les Philosophes, ä peine sortis de la guerre contre les
J6suites, applaudissaient Choiseul que Ton savait favorable & La Cha-
lotais. Le public voyait dans le sucefcs de d'Aiguillon la revanche des
J6suites.
A Rennes, les Parlementaires röinstallös sc mirent ä pers6culer
les juges, les avocats et les procurcurs qui n avaient pas, comme
eux, suspendu le Service, les officiers des juridictions infärieures qui
avaient continue de rendre la justice, Tingenieur Dorotte qui avait
portö tömoignage en faveur du Commandant, lors de la discussion
sur les grands chemins. Divers libelles reclanierent la mise en accu-
sation de d'Aiguillon, et le Parlement de Rennes ouvrit une enqutie
sur la mani6rc dont l'6dit contre les Jesuites avait 616 ex6cul6 par
lui; des commissaircs entendirent des temoins qui, gens de palais
pour la plupart, chargörent le Commandant, ou lout au moins son
subordonne, le subdelegue Audouard. D'Aiguillon fut accus6 non
seulement d'abus d'autorite, mais encorc d'avoir suborn6 des t6moins
contre La Chalotais et projct6 de Tempoisonner.
Le Commandant lui-m6mc reclamant des juges, il fut dccid6 au
Conseil, le 24 mars 1770, qu'il serait jug6 par le Parlement de Paris.
Comme il etait duc et pair, il rclevail, en effet, de cette Cour oü
siegeaientles pairs de France quand un des leurs etait en cause. Mais
le Parlement de Paris avait d6ja, a maintc reprise, dans ses remon-
trances, manifest6 sur « TAffaire de Bretagne » son opinion violem-
ment hostile au Commandant de la province.
Le proees s'ouvrit ä Versailles le \ avril. On prononga la nullit6
des procedures de Rennes et on recommen^a 1 Information Des
t6moins se contcnt6rent de citer des oui-dire; d'autrcs conlredircnt
h Paris leurs depositions de Rennes. Certains temoignages, en termes
identiques, sembl&rcnt des lecjons apprises. 11 y eut une dlposition
sensationnelle du conseiller Cornnlicr de Lucintere; il pr6tendit savoir
que d'Aiguillon etait all6 ä Saint-Malo une nuit de janvier 1766, pour
saboucher avec Lcnoir et Calonnc, membres de la commission
chargee de juger La Chalotais; la conversation de ces trois hommes
aurait <H6 surprise ; il en serait result6 que le Roi lui-möme avait
exige la t6te du Procureur guneral.
D'Aiguillon ne cessa jamais de demander que son proc6s suivlt
son cours: il voulait portcr plainte en subornation de i6moins; il
n'est donc pas vrai qu'il ait voulu se derober. Mais le Roi signa, le
27 juin 1770, des lcürcs patentes oü les proc6dures 6taient d6cla-
ives nulles et le silence impos6 a tous sur Faflaire. C'ötait. apr6s la
permission donnee a d'Aiguillon de sc d6mcttre de son gouverne-
< 384 >
cbap. vi Les dernieres annies du Minislere Choiseül.
meiil, une nouvelle reculadc du Roi. L'apaisement nc s'cnsuivit pas.
Le Parlemcnt rendit, le 2 juillet, larröt suivant :
<> La Cour, considdrant quc les leltres patentes du 27 juin sont des lettres
d'abolition, sous un nom deguise; qu'elles nc sontpoint conformes aux charges,
puisqu'cllcs döclarent que les accus6s n'ont tenu qu'une conduile irrcprochable,
tandis qu'au contra ire les informations conticnnent des commencements de
preuvcs gravesct multipliees de plusieurs delits... declare que le duc d'Aiguillon
est, et lo tiendra la dite Cour, pour inculpe de tous les faits contenus en la
plaintc du procureur general du Roi.... En consequence a ordonne et ordonne
quo le dit duc d'Aiguillon soit averti de nc point venir prendre sa seance en
»edle Cour et de s'abstenir de faire aueune fonetion de pairie jusqu'a ce que,
par un jugement rendu en la Cour des pairs, dans les formes et avec les
solennites prescrites par les lois et ordonnances du royaumc, quc rien nc peut
suppleer, ii soit plcinemenl purge des soupgons qui entachent son honneur. »
A la leclure de cet arröt, Condorcct öcrivit : « J'avoue que la
ha ine parlcmentairc est aussi cruclle que le despolisme niinisleriel ».
///. — CHUTE DE CHOISEUL !
AU moment oü le conflit devenait le plus aigu entre la royaulö choiseül
et les Parlemcnts, Choiseül dominait encore TEtat; il agissait mbnacA.
sur l'opinion par les salons et es gens de lettres. Mais il ötait pr£s
de sa chule. Sa conduite avait 6t6 trouble dans TafTaire de Bretagne.
11 avait par dessous main soutenu La Chalotais contre d'Aiguillon,
ol il avait <H6 quelque peu de connivence avec la noblessc. Or,
celle afTaire de Bretagne et Tagitation generale des parlcmentaires
avaient exende le Roi. Les Parlements, en effet, un moment intimidls
par la scance de flagellation, avaient recommencö ä correspondre
enlrc eux. Les adversaires de Choiseül persuaderent au Roi qu'il
excilait la magistrature. On raconte que la duchesse de Gramont, sa
.. Sot rces. Rapports des agents diplomatique* 4t rangen, Besenval (t- I). des Cars (t. I), du
Ih-frjiiiiJ, üufort de Chevcrny (t. I), Georgel (t. l\ du Hausset (Mimoires secrets), »foulte
«I An-nville {t. IV), Remonlrances du Parlemenl de Paris (t. III), Senac de Meilhan, deja
nlrs. Augeard, Mimoires secrels ii760-ti00\. Pari«, 1966. Journal de Hardy (B. N., msa fr.
•. -nhkX;.. Lettres de Marie- Anloinelle, p. p. de La Rochetterie et de ßeaueourt, Paria, i8g&-
i-V», • vol. Correspondance »ecrete entre Marie-Thirtse et le comte de Mercy-Argenteau, avec
h-s idtres de Marie Th^se et de Marie- Anloinelle, p. p. d'Arooth et Geffroy, Paris, 1876,
.; vol. LVhseroalear anglais (1777-177«), 4 vol. Moreau. Me* souoenirs, ParK 1898-1901. a vol.
Olviuces a comsitlter. De Broglte {Le teeret da Roi), de Carne (Les Etats de Bretagne),
Flnrmnermont (Maupeou), de Goncourt (La du Barry). Jober ft. V), Marion (La Bretagne et
lt- .:«.,• d'Aiguillon), Michelet (t. XVII), Perey (Le pre'sident lUnaall\ Rocquain. Vatel, Salnt-
Aniliv. «löja cites.
\u med, La Soeiili francaise aoanl et apres n$9 % Paris, 189a. De La Rochetterie,
lli<tuire de Marie- Anloinetle, Paris, 1890, a vol. Soury, Eludes de psgehologie ; Porlraitt
du XVI 11* siede, Paris. 1879. D« Nolhac, fitades sur la eour de France : Marie-Anloimelte,
hauphtne, Paris, 1898, a« ed. Maugras, La disgrace da duc et de la duchesse de Choiseül,
Pari«, i<ji>3.
c 385 >
viii. 2. 25
L'Epoque de Madame de Pompadour.
LIVBK fll
LE CHASCELIBR
MAUPEOU,
TERRAY CONTRE
CHOISEUL.
MADAME
DU BAHRT.
soeur, voyageant en Provence et en Languedoc, avait travatlte les
Parlements d'Aix et de Toulouse. II y eut & ce sujet une violente dis-
pute « en plein Compi&gne » entre Choiseul et le duc de Richelieu.
La chute prochaine du ministre ötait annoncee ä Paris et ä Vienne ;
on lui donnait pour successcur le duc d'Aiguillon.
Choiseul avait d'ailleurs, dans le minist&re m£me, des ennemis
dangereux : Maupeou et Terray.
Ren6-Nicolas de Maupeou 6tait devenu Chancelier aprös la
retraite de son p&re, en 1768. II avait alors cinquante-quatre ans.
C'6tait un petit homme poli, complimenteur, ä « langue dor6e », mais
autoritaire et dur, grand travailleur, hardi et constant dans ses
desseins, intrigant, trös ambitieux, et ä qui peut-6tre son ambition
inspira Tidäe de s'opposer ä Choiseul, en se faisant l'adversaire de la
magistrature, dont ilröprouvail, d'ailleurs, l'opposition ä laCouronne.
Le conseiller-clerc au Parlement, Terray, qu'il avait fait nommer
Contröleur g6n£ral le 22 däcembre 1769, se joignit ä lui; tous deux
reprochaient ä Choiseul ses grandes d6penses et aux Parlements
leur Opposition aux 6dits fiscaux m6me les plus justütes.
En 1770, Terray composa un memoire sur la r6organisation
militaire de 1763, oü il pr&endit 6tablir que Tarm6e, sans 6tre meil-
leure qu'autrefois, coütait plus; il le remit ä Choiseul. II soutint
devant le Roi que ses calculs 6taient exacts, et que si S. M. voulait
de l'argent, on ne pouvait d6sormais en trouver qu'en retranchant
les dßpcnses inutiles dans les d£partements de la Guerre, de la
Marine et des Affaires 6trang&res. Choiseul lut au Conseil et remit
au Roi des mömoires apolog&iques sur son administration; mais
Louis XV demeura persuade qu'il y avait du vrai dans les altögations
du Contröleur gänöral.
Enfin la nouvelle favorite, Mme du Barry, paratt avoir aid6 les
ennemis de Choiseul ä se döbarrasser de lui. Cötait la fille naturelle
d'une certaine Anne B6cu, dite Quantigny, qui avait 6pous6 ä Paris
un garde-magasin de la ferme g6n6rale. ßlev6e au couvent des dames
deSainte Aure,puis demoiselle de magasin chez Labille,un marchand
de modes nie Neuve-des-Petits-Champs, oü eile 6tait connue sous le
nom de Mlle l'Ange ou de Jeanne Vaubernier, amie de Mlle Labille
qui fut un peintre distinguö, mise en relations par eile avec des
peintres, des sculpteurs, des collectionneurs, eile avait connu dans
ce raonde un gentilhomme gascon enrichi dans les fournitures de
Tarm^c et de la flotte, Jean du Barry. Devenue sa mattresse, eile avait
tenu salon chez lui, nie de la Jussienne, oü eile recevait des gensde
lettreset de cour. Onditqu'elle eut pour amantsle duc de Richelieu, le
comte de Fitz-James, lc financier Sainte-Foy, le vicomle de Boisgelin.
386
ch»p. vi Les demieret annies du Ministire Choiseul.
Parmi ces artistes, ccs lettreselces viveurs, eile s'etait affine«. Jean
du Barry, qui avail deja lenle de donner pour matlresse a Louis XV
la lille dun porleur d'eau de Strasbourg, a et plusieurs autres »,
l'avail aussi preparee ä cet avenir. A Versailles, au printemps de 1768,
eile sc Irouva sur le passage du Roi, qui s'cpril d'elle. Apres la mort
de la Keine, survenue le 24 juin 1768, eile vit le Roi, tantot a Com-
piegne, tanlol a Versailles. Jean du Barry la maria alors ä son fröre
üuillaumc. II ne restait plus qua präsenter o la Cour la nouvelle
comtessc du Barry. Pour cela, il fallut Irouver une marraine; od
s'adressa ä la veuve du comle de Bearn, qui se preta au desir du Roi,
sur la promesse qu'on payerail ses dettes et qu'on prolegerait ses
fils qui elaient officiers de marine et de cavalcric. La presentation fut
faiie le 22 avril 1769.
Mine du Barry avail. des yeux bleus, dcmi-clos, encadres de sour-
r.ils bruns, une bouche delicieuse, des traits d'une finesse extreme,
des cheveux blond cendre, boucles et soyeux comme ceux d'un
enfunt. Kllc avail pris les manieres du monde el n'etait pas solle.
Tics Kaie, ses eclots de voix el de rire, el ses espiegleries, amusaienl
le Hui loujours ennuye. Bonne fille, eile ne s'interessait pas a la
[lolitique et n'avail ni haines ni raneunes.
Sans doute Choiseul, qui n'etait pas scrupuleux, el, ancien pro-
tege de Mme de Pompadour, n'avail pas le droit de l'elre, se serait
aecummode du capricc du Roi; mais les femmes de son parli lui
imnoserciit l'intransigeance. Les Choiseul fircnl a la matlresse une
guerre de chansons et de vaudevilles. applaudissaienl a la Bourbon-
nitisf, ä YApprcniissage d'une fille de mndes. a YApolMoMe du roi
IVlaud, aux Antcdotes secriles sur la comlesse du Barry publikes a
Londres pnr le gazetier Theveneau de Morande. Leur chansonnier
nllilre, le spirituel Chevalier de L'lsle, ridiculisa la matlresse dans les
thealres et le« carrefours.
Choiseul espöra Irouver une aide puissantecontre Mmedu Barry.
Des le leinps de son ambassade a Vienne. en 1737, il avait commence
de negoeier le mariagc du Dauphin avec l'archiduchesse d'Aulriche,
Marie-Anloinetle, qui n'elait alors qu'une enfanl; il avait repris le
proje! en 1765; le manage fut conclu en 1770. Persuade que t'alliance
nuirieliienne «Uail utile ä la France, et craignanl que Joseph 11,61s da
Marie-Therese. assoeid par eile a l'Empire, adinirateurde Frederic II,
nenlrainat l'Ailtrichc vers la Prusse, il vit dans re mariagc une
ni'casion d'alfrnnir A la fois son « Systeme » polilique et sa faveur.
L'archiduchesse quilta Vienne le 21 avril 1770. Quand eile passa a
-Strasbourg, ses futurs sujets lui donnercmt des fetes. Trois compa-
gnics de jeunes gens costumes cn Cent-Suisses firent la baie sur son
. 38; .
oppositio.s
DU PAKT!
CHOissa.
u uiomw
MARIE-
ANT01NBTTB
A LA cour.
LlZpoque de Madame de Pompadour. livbe in
passagc; trente-six petits bergers et bergfcres cos tu mos en person-
nages de Lancret lui olTrirent des fleurs. Puis ce füren t des danses
en plein air, des repr6sentations th&Urales, des choeurs, des sonneries
de cloches, des salves dartillerie, des illuminations, un feu d'artifice
sur rill. Le 13 mai, Louis XV et la Familie royale alteren t ä Compi&gne
recevoir la Dauphine, qui fit son entree le 16 a Versailles.
Elle Tut tout de suite admiree. Elle n'6tait pas rtgulierement
belle; eile avait le front un peu trop bomb6, les yeux un peu trop
saillants, la levre epaisse des Habsbourg; mais sa jeunesse — eile
avait quinze ans, — la fraicheur et la transparence de son teint, sa
chevelure blonde, sa dämarche £l£gante et souple, sa bonne humeur
et sa vivacitä faisaient d'elle un 6lre charmant. Elle prit d'abord en
amitiä Choiseul, en aversion Mmc du Barry. Elle etait reconnaissanle
au ministre qui avait fait sa fortune, et le croyait un homme sup6-
rieur. Elle le vit souvent chez Mesdames tantes, qui l'avaient d£test£,
mais le recevaient ä präsent en raison de la haine commune contre
Mme du Barry.
Choiseul espörait en oulre tirer parti pour sa popularitä de deux
heureux 6v6nements qui se produisirent pendant son ministöre : la
räunion de la Lorraine ä la France, oü il ne fut pour rien, puisqu'elle
Itaitla cons£quence du traitä de 1738 \ et l'acquisition de la Corse.
RBUNION
DB LA LORRAINE
(17S6).
ACQÜIS1TION
DE LA CORSE
(IM)
Le roi Stanislas mourut en fövricr 1766. II avait laissö introduire
dans son duch6 Tadministration frangaise, dont le prineipal person-
nage fut Tintendant La Galaizi&re, qui eut les mains rüdes. Stanislas
avait v6cu en bon seigneur, aecordant comme il pouvait son
confesseur etsamattresse, ami des Philosophes sans £treennemi des
Jtouites, liberal, « bienfaisant », fondateur d'une acadämie, grand
bAtisseur; il a embelli Lun£ville, et donnä k la ville de Nancy un des
plus beaux quartiers qu'il y ait au monde, späeimen exquis et ori-
ginal de l'art du xvin* stecle. Par lui fut pröparle la räunion dune
province longtemps dispute entre TAllemagne et la France, con-
voit^e par les rois de France depuis le xv # sifccle, annexöe par
morceaux, par moments oecup^e tout enti&re, et qui, apr&s avoir
beaueoup souflfert, allait devenir, eile la derni&re venue, une des
provinces les plus fran^aises du royaume de France.
La Corse avait 6t6 convoitße depuis des sifccles par les peuples
maritimes, Ph^nicicns, Phoc6ens, Carthaginois; puis Rome l'avait
conquise; les Byzantins l'avaient gard£e; Charlemagne l'avait annexle
& sor empire ; les Arabes l'avaient attaquöc. Elle s'etait mise sous la
l. Voirplus baut p. 122.
388
chap. vi Les dernieres annees du Minis tere ChoiseuL
protection du Saint-Stege; mais cllevivait en pleinc anarchie, cons6-
quonce de son eHal geographique et des moeurs de ses habitants. Les
deux principales cites maritimes de lltalic septentrionale, G&nes et
Pise, so la disputerent; G£nes prävalut sur sarivale, mais ne poss6da
jamais veritablement ce pays; les rövoltes, oü intervinrent des Pran-
gers, furenl perp6tuellcs. A partir du xvr 3 si&cle, les inlerventions de
la France se suceöderent. Au xvin« siegele, la France eul ä craindre
les menttesdcla Uollandeet de l'Angleterre ; les Hollandais soutinrent
im curieux aventurier allemand, Theodore de Neuhoff 1 , qui prit en
4730 le titre de roi de Corse. Une petite armöe frangaise le chassa de
lile en 1739. La France oblinl des Genois, par des aecords dont le
dernier est de 1764, le droit de tenir garnison dans plusieurs villes
de Corse; enfin, en mai 1768, G6nes vendit ä Louis XV ses droits de
suzerainetö sur Hie. Une rüde campagne contre les partisans de
lindöpendance, dont lechefätail Paoli, se tennina, l'annee daprös,
par la soumission de la Corse, oü Choiseul vit une compensatio!* de
la perle du Canada.
Ce fut la politique 6trangere de Choiseul qui causa sa perte.
II continua la politique de l'alliance de famille. Les rois d'Espagne
el de Naples et le duc de Parme ayant expulse les J£suitcs de leurs
<Hats, il projeta une dämarche desquatre Cours a Rome, pour obte-
nir la suppression de TOrdre. Le pape ayant prononce la döchtfance
du plus faible des alliös, le duc de Parme, Choiseul riposta en oecu-
pant Avignon, pendant que les Espagnols oecupaient Beneven l. En
Orient, il intervint pour sauver la Pologne, mais inefficacement J .
Toute sa pens£e £lail lourn£e contre TAngleterre.
Les conflils entre l'Angleterre et la France se multipliaient aux les qvbeelles
colonies : conflit ä propos dun archipel situö entre Saint-Domingue colonules.
el les lies Bahama ; conflit a propos de la p£che ä Terre-Neuve
et aux lies de Saint-Pierrc et Miquelon; conflit au Bengale, oü le
gouverneur anglais avait fait combler un foss6 creusä par les Fran-
cais a la limile de la factorerie de Chandernagor et laisse insulter
le pavillon franeais, ce pourquoi Choiseul demanda röparation.
Choiseul suivait avec attention les querelles coloniales, trfcs
frequentesaussi entre Anglais el Espagnols. Celle qui erlata ä propos
des lies Malouines, appele>s Falkland par le* Anglais, s'annonca trfcs
grave. Cet archipel avait 6le reconnu en 1763 par Bougainville, qui y
avait inslallr quelques familles acadiennes. Le roi d'Espagne
i. Voir A. l.e (Ilny. Theodore de Seuhoff, roi de Corse. Monaco, ijp;.
2. Voir plus loin, p. 4"6.
< 38y >
\
livre in
VEpoque de Madame de Pompadour.
Charles III Tayant revendiquö comme d£pendance de TAmärique
espagnole, la France le lui avait c6d6 en 1767 ; mais des Anglais,
d£barqu£s dans une des lies, y avaient fondä Port d'Egmont, et, le
gouverneur espagnol de Buenos Ayres ayant fait occuper cette place
en 1770, ils en r6clam&rent la restitution. Choiseul crut alors tenir
Toccasion dune guerre qu'il cherchait, peut-Ätre bien parce qu'elle
projet Taurait rendu indispensable au Roi. II 6crivit, le 7 juillet, k l'ambas-
de guerre avec gadeup d e France k Madrid, d'Ossun, qu'ilfaisait präsenter ä Londres
langleteree. un memoire sur l'aßairede Chandernagor, et que, si les Anglais refu-
saient la satisfaction demandöe, la France saurait bien se la procurer.
II demanda k l'ambassadcur ce que, de son cöt6, comptait faire
TEspagne. L'ambassadeur räpondit que Charles III et son ministre
Grimaldi d6siraient « infiniment la continuation de la paix », parce
qu'il leur fallait « au moins deux ans » pour ötre « en 6tat de faire la
guerre ». Le 20 aoüt, Choiseul rlpliqua :
• Ce que je vois de plus certain dans la reponse de M. de Grimaldi ä racs
Communications, c'est que PEspagne meurt de peur de tous les incidents qui
peuveni amener la guerre. -
RECUL
DB CHOISEUL.
SA DISGRACE.
Or, le m6me jour, une lettre de Grimaldi ä Fuent&s, ambassadeur
d'Espagne en France, prouvait que l'Espagne n'6tait pas si peureuse
et, le 27 aoüt, d'Ossun annongait ä Choiseul que les Espagnols se
präparaient k la guerre, et il donnait le detail de leurs armements.
Mais k ce moment, en France, la querelle du Gouvernement et des
Parlements 6tait k l'6tat aigu. Obtenir du Parlement de Paris qu'il
consenttt k enregistrer les 6dits fiscaux que la guerre rendrait n£ces-
saires parut k Choiseul chose impossible, et ce fut alors k lui de
temporiser. II recommanda ä Madrid de « tralner » les choses en
longueur, mgme de c£der. C'6tait trop tard. L'amour-propre espagnol
s'exaltait; d'Ossun öcrivit, le 3 octobre, que Grimaldi ne donnerait
jamais au roi le conseil de c£der, « par la crainte de se faire lapider
par les Espagnols ». Charles III 6tait si d£cid6 a la r6sistance que,
le 4 döcembre, Choiseul, dans une döp£che k d'Ossun, convenait
qu'il ne restait que « fort peu d'esp^rance de maintenir la paix *>.
Le29 novembre, il avait parl6 au Conseil des pr£paralifs de guerre
faits en Espagne et en Angletcrre. Louis XV l'avait interrompu et
renvoy£ la d<Uib£ration k une autre s^ance. Le 6 d£cembre, Terray
döclara au Conseil que le tr£sor iHait vide et la France sans credit;
de son cdt£, le 9, ChoNeul-Praslin, comme secnHaire d'ßtat de la
Marine, attaqua si vivement l'adminislration du Contrftleur g£nlral que
le Roi lcva la stfance. Louis XV avait k choisir entre Choiseul et ses
< I90 »
chap. vi Les dernihres annies du Minisfere Choiseul.
advcrsaires, Maupeou et Tcrray, entre une rcvanche contre Tennemi
exlerieur, l'Angleterre, et une guerre aux ennemis de Tintärieur, les
Parlements. II prit parli pour le Chancelier et le Contröleur gen£ral.
Le 21 decembre, il manda labbe de la Yille, premier commis des
Affaires (Hrangeres, pour lui faire rädiger une lettre oü il priait le roi
d'Espagne de faire tous les sacrißces ä la paix; le 23, il eut avec
Choiseul une explication, lui ordonna d'enjoindre ä d'Ossun de tout
faire pour amener l'Espagne ä subir les conditions de TAnglctcrre.
Le 24, il fit remettre au ministre ce billet :
• J'ordonne ä mon cousin, le duc de Choiseul, de remettre la demission de
sa chargc de Secretaire d'£tat et de Surintendant des Postes entre les mains du
duc de La Vrilliere, et de se retirer ä Chanteloup jusqu'a nouvel ordre de ma
pari. •
Ouand Choiseul quitta Versailles, on vit la foule courir ä son sa poruuMTt.
hötol, rue Grange-Bateli&re. Quand il partit pour Chanteloup, le
beau monde l'acclama des fenötres; le peuple suivit son carrosse
jusqu'a la barriere d'Enfer. On vendait son portrait dans les rues.
Les courtisans allerent le visiler dans sa retraile. D£daigneusement
le Roi röpondit ä ceux qui lui demandaient la permission d'aller ä
Chanleloup : « Faites comme vous voudrez ».
Ni Bernis ä Soissons, ni d'Argcnson aux Ormes, ni Machault
ä Arnouville, ni Maurepas ä Bourges, n'avaient provoquö de telles
demonslrations. C'est qu'aucun d'eux n'avait pouss6 dans tout le
royaumc, comme Choiseul, les ramifications d'un parti, ni prodigu6
laut de gräces. Aucun non plus n'6tait en etat de döployer comme lui
un luxe royal : chasse ä courre et ä pied, concerts et representations
thoAtrales, tournois poltiques, r£ceptions grandioses, personnel
domestique de quatre cents individus. Le « Roi-Choiseul » re^ut ä
sa Cour les Bouffiers, les Beauflremont, les Gontaut, les Lauzun, les
Bescnval, les Beauvau, les Du Chfttelet, les Castellane, Mmes de
Luxembourg, d'Enville et de Coigny, Mmes de Fleury, de Brionne
et de Simiane. Pour perpötuer la fiuYlitß de ses amis, il construisit
une <> pngode » ä scpttflages, et ilfitgraverleurs noms sur le marbre.
Au roste Choiseul fut, de beaueoup, le plus brillant ministre du
regne. II n'a pas droit au titre de grand homme dTitat, n'ayant pas
en de vues profondes, ni de Systeme suivi. Sa guerre contre l'Angle-
lorre, s'il avait röussi a Tengager, aurait «He une terrible a venture.
Mais il fut tres intelligent, tr£s actif, il eut une haute ide> de la
dignite nationale. II com prit la n£cessit6 de reconstituer les forces
mililaires et maritimes de la France, pour la relever de la decadence
oü eile ctail tombee apres la guerre de Sept Ans.
< 391 >
LI VRE IV
LES DERNIERES ANNEES DU
»
REGNE ( 1 770-1 774)
I. LE TRIUMVIRAT; LA DLSTRLCTION DE* PARLEMENTS. — II. LE DE CLIN
DE LINFLUEXCK PRANCAISE EN Et'ROPE. — Hl. LES FLNANCES , L'aNAHOIIIL DANS LE
MIMMtl'E. — IV. LA COUR; LA MUHT DU ROI.
/. — LE TRIUMVIRAT; LA DESTRUCTION DESPAR.
LE SIEN TS*
PAR la disgrAce de Choiseul, trois minist^res dcvinrent vacanls : rbmanibuents
ccux de la Guerre et des Affaires etrang&res qu'avait occupes le minist&iuels.
principal ministre, et celui de la Marine qu'avait dirigä Choiscul-
IVaslin. L'evenement arait et6 si subit que rien n'£tait prävu pour
donner des successeurs ä ceux qui partaient. Le duc d'Aiguillon
aurail volontiere pris le secretarial d'Etat de la Guerre, ce qu'expli-
quait son pass6 militaire, mais il ne se souciail pas des Affaires elran-
göres. Le chcf de la diplomalie secrete, le comte de Broglie, semblait
designß pour ce dlpartemcnt, et d'Aiguillon appuyait sa candidalure,
mais le prince de Conde, pour qui Louis XV avait une affeclion parti-
cultere, fit ecarter de Broglie des Affaires <Hrang&res et d'Aiguillon
de la Guerre; il craignait que le marächal de Broglie, s'il avait un
frere ministre, ne prtt trop d'ascendant sur l'armfo, et il obtint du
H01 qu'on fit sccnHaire d'Etat de la Guerre, le 4 janvier 1771, un
1. SorncEs. Rapports des agents diplomatique* ilrangers, Atisieard, Besenval (I. D, Bereit,
Grimm t VI11 et XI\ Hnrdv >t. I et U\ Moreau it. I». Mimoirt* serrets de la Rtpabliqoe des
h>ilrr< v.M. V. XIX, XXI. XXI \'\ Moreau i. l\ Nambert. Anriennes lots froncaises it XXIIi,
«Irj.i rit£*. Journal de nouvelle* du manjais d*Albertas iB. N.. m<* fr. o. a. 43*) et suir.).
P>ipiers <l Eprtmesnil. Papiers de Fitz-James 'B. N., ms» fr. 68a6-6834). Miromenoil. Elml
de hi ma.jtxtralure B. N.. m« fr. umiM). Bezoault. Histolre des Mnemenls arrivis en France
drpr.K h- mois de seplembre 1770 <B. N., m»» fr. 187351. Soulnvte. Memoire* da ministere da
dar ,i Ai-nullon, pair de France (redi«e* par le comte de Mira brau). Paris. 1790 et 1791.
3 # ril Du rnemp, Histoire de la decadeneede la monarchie francaise, Pari««. i8o3, 3 vol. et atlai.
OrvHAOEH a roxstLTER. Flammermont { S!auf*ou\. Floquet i VI), Jobei (t. VI), de Nolbac
(Marie Anloinette dauphine), Rocquaio, deja cites. Leu ouvrages sur madame da Barry,
iiidicjut's |>. 379.
i 393 >
Les dernieres annees du regne (1770-1774).
UVRB IT
LE TRIUMVIRAT.
LIT DE JUSTICE
DU 7 DäCBMBRE
MO.
EXIL DES
MAGISTRATS
{JAN VIER MI).
lieutcnant gtfnäral, inspecleur d'infanterie et Commandant du Dau-
phin^», lc marquis de Monleynard. II ne fut plus possible ä d'Aiguillon
d'ötre minislre qu'en dcmandant les Affaires ötrang&res ou la Marine.
Mais, la Marine semblant de trop peu d'importance pour un homme
comme lui, od l'attribua, en avril, ä uu ancien intendant de Besangon,
devenu conseiller d'ßtat, Bourgeois de Boynes; et, malgrö son incom-
pölence en diplomatie, dont ni le Roi ni lui-möme ne doutaient,
d'Aiguillon, soutenu par Richelieu et par Mme du Barry, oblint, le
6 juin, les Affaires 6trang£res.
Le ministere, compose de Maupeou, Tcrray, d'Aiguillon, Mon-
tcynard, Bourgeois de Boynes et La Vrilliöre, ne subit jusqu'ä la
mort de Louis XV qu'une modificalion, en janvier 1774 : Monteynard
s'etant d6mis, d'Aiguillon joignit la Gucrre aux Affaires 6trang£res.
Des six ministres, trois furent tout de suite au premier plan, Maupeou,
Terray et d'Aiguillon; on les appela les Triumvirs. L'un d'eux, le
Chancelier Maupeou, prit le pas sur les autres, quand il entreprit la
rßforme des Parlements.
Dös les derniers jours de Choiscul, la lutte s'ötait cngagäe.
Dans un lit de justice tenu le 3 seplembre, Maupeou s'etait fait
remettre les minules de toutes les procödures relatives ä l'affaire de
Bretagne, defense avait et6 faite au Parlement de Paris de s'en occuper
ä nouveau, mais le Parlement, le 6 seplembre, avant de prendre ses
vacanccs, avait fix6 au 3 decembre la döliberation sur cette defense.
Ce jour-lä, Maupeou dt^posa un edit interdisant aux Parlements
d'user des lermes A'unili, d'indivisibilite, ou de classes de la magis-
trature, — par lesquels ils prötendaient n'ötre qu'un seul et m6me
corps, — de correspondre entrc cux et de cesser leurs fonctions,
sous peine de forfaiture et de conGscalion d'offices. L'enregistrcment
ayant 6t6 refusä, le Roi l'avait ordonnc, le 7 döcembre, en lit de jus-
tice; mais le Parlement avait r&Iigö de nouvelles remontrances et
suspendu la justice en attendant qu'il y füt fait droit.
La disgrÄce de Choiseul, oü il auraitdü voirun avertissement, ne
le rendit pas plus prudent. Aprös avoir rc$u de nouvelles lettres de
jussion, le 3 janvier 1771, les magislrats rcprirent leur Service, mais
en Protestant qu'ils ne rcconnaitraient jamais ledit du 3 decembre;
puis, le 15 janvier, ils le suspcndirent de nouveau, et räpondirent aux
ordres du Roi par un refus formel d'oWissance. Alors, dans la nuit
du 19 au 20 janvier, des mousquetaires porUrent ä chaeun desmagis-
trats une lettre de cachet, lui enjoignant de döclarer par 6critsi, oui
ou non, il consentait ä reprendre le service. La plupart refus&rent;
puis, ceux m6mc qui avaient d'abord consenti d£clarörent ne pas vou-
loir sc söparer de leurs collögues. La nuit suivante, cent trente re$u-
< 394 >
LivnE IV
Les dernieres annees du rhgne (*77o-1774)
rcnl des letlres dexil, avec signification d'un arr£t du Conseil qui
portait confiscation de leurs charges '. Quelques-uns obtinrent de se
retirer dans leurs terres, les autres furent disperses en diff&rentes
pro vi neos.
Le Chancelier jusquau dernier moment avait espörä que la
Grand'Chambre se dötacherait, pour le moins en partic, des Enqu6tes
et des Requötes, et que des dissidents pourraient administrer la jus-
tice jusqu'ä ce qu'il eüt constituö une nouvelle cour. Trompe dans
son attente, il dut recourir k un expedienl grave. Le 23 janvier,
Louis XV fit appel au dßvouement du Conseil d'ßtat, c'est-ä-dire du
Conseil privö ou des parties \ et, le 24, le Chancelier installa ce
Conseil au Palais comme Parlement « par intörim ». Les Avocats
genöraux, le Procureur g£neral et les Substituts de la cour dissoute
re^urent lordre de faire leur service aupres du nouveau tribunal et
ob&rent. Les greffiers rßsisterent; Tun d'entre eux, le greffier cn chef
civil, Gilbert des Voisins, protesta contre les ordres du Roi, et sa
charge, qui valait pr6s d'un million, fut confisquöe. Quant aux pro-
curcurs et avocats, ils rcfus&rent d'exercer leurs fonetions; le Parle-
ment interimaire ne put donc pas fonetionner. Les conseillers d'fitat
venaientau Palais, tenaient audience quelques minules, et s'en allaient.
L'attentc de la grande reformc annonc6e präoecupait Topinion.
II s'agissait, en effet, de d^truire une instilution tr6s vieille, contem-
poraine de la monarchie, ä laquelle eile semblait li£e indissolublement
avec fonetion de contrepoids. L'affaire parut si grave que les
princes du sang eux-mömes, depuis si longtemps habituös et r6sign£s
au silence, y intervinrent. Le duc dOrl£ans, le prince de Cond£,
r6digörent un premier memoire qu'apres une vivo explication du Roi
avec le duc d'Orleans ils s'abstinrent de publier; puis un second,
qu'ils ne publi&rent pas non plus, le Roi leur ayant signifie par lettre
le döplaisir qu'il en aurait; mais leurs id6es transpir&rent. Les Princes
protestaient contre ces exils de magisirats et ces confiscaüons
d'offices, par lesqucls ötaient compromises « la proprio et la libertä
des sujets », et ils disaient :
PARLEMENT
INTERIMAIRE.
rROTESTATIONS
DES PRINCES.
- Ces actes fönt craiudreque l'acces du trone nc soil fenne ä toutc reclama-
lion et qu'un arbitraire absolu nc s'introduise dans le Gouvernement. •
i. Bien que ce fut un principe etabli pnr le* ordonnance« de ne prononcer de confis-
ration dofflees qu'apres forfaiture jupee, l'nrret du Conseil de janvier i77i,connsquaceux
du Parlement de Pari* et le* declara - vacanta ». Mais le** reclamaUons furent vir**
conlrc rette violation du droit de proprietr. et Maupeou ae dejuizea : un editdaTril 1771,
<!ont il «cra parle, aecorda aux anciens offleier« du Parlement un delai de aix moi«, qui
fut prolonge parla auitc, nour faire liquider leur« offices, avec interet de 5 p. 100 de leur
finanre jusquVi la liquidntion.
2. Voir Hill, de France, t. VII, 1, pp. i5a et i53.
395
Les dernieres annies du rkgne (l77Q-mu).
LIVRE IT
PROTESTATIONS
DES PARLEMENT S.
REMONTRANCES
DE LA COUR
DES AIDES.
LA GRASDB
REFORME.
ED1T DU
S3 FEVRIBR /77/.
D'aulre pari, en janvier, fövrier et mars, par arr6ts ou par remon-
trances, ou par Tun et par lautre moyen räunis, les Parlements de
Rouen, de Rennes, de Dijon, de Toulouse, d\Aix, de Bordeaux, de
Besan^on, de Grenoble se plaignirent et s'indign&rent. La mdme
pensäe se retrouve partout : c'esl « le pouvoir arbitraire » qui va
s'etablir. II ya longlemps qu'il exisle« en acte », disait le Parlement
de Rouen, et « chaque ordre de Tfilat en a successivement £prouv6
les effets meurtriers » ; mais voilä qu'il est « lassö de lutler sans cessc
contre la loi », et il « ose enfin s^riger en loi pour ^Carter ä jamais
tous les obstacles ».
Toutc la thäorie de la magistrature est cxprimöe dans les remon-
trances de la Cour des Aides que r£digea le Premier Präsident
Malesherbes, et qu'il fit adopter par sa compagnie, le 18 f6vrier :
• Notre silence nous ferait aecuser par loute la nation de trahison et de
lachet^.
• Les droits de cette nation sont les seuls que nous reclamons aujourd'hui....
« Les cours sont aujourd'hui les sculs protecteurs des faibles et des mal-
heureux; il n'existe plus depuis longlemps d'£tats generaux, et, dans la plus
grande parlie du royaume, d'£tats provinciaux; tous les corps, excepte les
Cours, sont reduits ä une obeissance muette et passive. Aucun particulier dans
les provinces n'oserait s'exposer a la vengeance d'un commandant, d'un com-
missaire du Conseil, et encore moins ä cellc d'un ministre de Votre Majestä.... •
A la fln, la Cour des Aides reparlait des Etats g£n£raux, qui
n'avaient pas et6 convoqußs depuis un si&cle et demi, et concluait :
« Jusqu'a ce jour au moins la reclamation des cours suppl£ait ä cclle des
Etats quoiqu'imparfaitcment; mais aujourd'hui l'unique ressource qu'on ait
laissee au peuple lui est enlevöc.
« Interrogez, Sirc, la nation elle-möme, puisqu'il n'y a plus quelle qui
puisse elre öcoutee de Votro Majcstö. •
Ces remontrances, que Maleshcrbes fit imprimer clandeslinement,
serßpandirentpartoutet devinrentle commun manifeste des opposants,
Lc Chancelier ne se laissa pas ämouvoir. Le 23 fövrier fut publik
un £dit qui devait transformer 1'adminislration de la justice. En pre-
mier lieu, le Roi, consideranl « que lVtendue excessive du ressort
de notre Parlement de Paris etait infiniment nuisible aux jusli-
ciables », cr£e dans cette ctenduc cinq Conseils supöricurs, ä Blois,
Chälons, Clcnnont-Fcrrand, Lyon et Poitiers. Le Conseil provincial
d'Arloisesl en outre transformöen Conseil superieur. Chaque Conseil
aura, dans son ressort, la connaissance de toutes les maliöres, civiles
et criminelles, qifavail le Parlement. Le Parlement de Paris est du
reste maintenu, pour juger toulcs les questions qui int6ressent la
couronne, et les pairs; il conserve renregistrement des lois et le droit
de remontrances.
396 >
livue iv Les dernferes annies du rbgnc {1770-1774).
Outrc lc demembrement du ressort de Paris, T&lit iotroduisait Abolition
deux innovalions considerables : de la v£nalit6
DES OFFICES
- Nous avons reconnu, disait le Roi, que la venalitö des Offices, introduitc et de la justice.
par lc malbcur des temps, etait un obstacle au choixdenos officiers, et eloignait
souvent de la magistralure ceux qui en etaient les plus dignes par leurs talents
et par leurs merites; quc nous devions ä nos sujels une justice prompte, pure
et gratuite, et quc lc plus leger mölange d'intercH nc pouvait qu'offenser la
delicalessc des magistrats cbarges de maintenir les droits inviolables de l*hon-
neur et de la propriete. •
En constfquence, les Offices des nouveaux magistrats etaient
d^clarös gratuits, et c£tait l'abolition de la vönalitä des Offices; les
magistrats, appointös par le Roi — six mille livres au premier prösi-
dent, quatre mille aux presidents et procureurs genäraux, trois mille
aux avocats generaux, deux mille aux conseillers — et pourvus de
linamovibilitö, de la noblesse personnelle avec tous ses Privileges, ne
percevraient aueun droit ä quelque titre que ce füt, sur les justi-
ciables ; et c^tait labolition de la venalit£ de la justice : deux grandes
reiorigüÄrdcpuis longtemps dösiröes. L'abolition de la vönalite des
cljlf^es surtout 6lait une veritablc revolution dans la societ6 fran-
faisc, oü « les officiers constituaient un ordre » tr£s puissant ! . Aussi
etail-il certain qu'ellc provoquerait une forte resistance.
Tout de suitc protest&rent les Parlements de Dijon, de Toulouse,
d'Aix, de Rouen, de Besan^on. lls repr£sentfcrent quela r£forme etait
trompeuse, que, par exemple, la gratuite de la justice n'existail pas,
puisque les epices et vacalions etaient conserv£es dans les tribunaux
införieurs, et que les greffiers, procureurs et huissiers, dont les Offices
demeuraient vßnaux, continueraient ä percevoir leurs droits. A Paris,
la Chambre des Comptes protesta lc 23 mars contre l'ödil; trois jours
aprts, le CliAlelet se joignit h eile.
Cependanl, Maupcou cherchant des magistrats pour son nou- le souveao
voau Parlemcnt de Paris, s'adrcssait h d'anciens conseillers, ä des pahlement.
membres du Grand Conscil et de la Cour des Aides, ä des mattres
des requ£tcs. Les remontrances de la Cour des Aides, dont il vient
d<Hre parl6, ayant alors paru, il supprima cette cour le 9 avril.
Finalemcnt, le Grand Conscil aeeepta de remplacer le Parlemcnt. Le
13 avril, il fut reuni h Versailles, dans la grande salle des gardes
du Corps oü le Roi lint un lit de justice; les princes du sang et
les pairs <Haienl convoqu6s. Lc Chancelier fit enregislrer Tedit de
suppression de la Cour des Aides et donna lecture «Tun autre edil qui
6lablissait les officiers du Grand Conseil « conseillers au Parlement
i. Voir Hi$l. de Prance, t. VII, i, p. 3Sg et *ulv.
< 3«)7 •
Les der rühr es annees du regne {1770-1774).
LIVHE IT
PAROLES DU ROI.
PARLEMENTS
PROVINCIAUX.
de Paris 1 ». Les proprtetaires des Offices supprimäs avaient im delai
de six mois pour produire leurs titres de proprio et demander qu'on
les remboursdt. Les nouveaux officiers 6taient däclaräs, comme les
anciens, « inamoviblcs », mais on leur concädait leurs Offices
« gratuitcmenl et sans finance * ». Ils 6taient au nombre de soixante-
quinze : un premier pr£sident, quatre prösidents, quinze conseillers
clercs, cinquanle-cinq conseillers laiqucs; ils devaient former une
grand'chambre et une chambre des enquötes; des conseillers tir6s
des deux chambres feraient le service de la Tournelle. Les pairs pro-
testerent contre T6dit qui n'en fut pas moins enregiströ, et Louis XV
dit aux magistrats :
« Vous venez d'entendre mes volontäs. Je vous ordonne de vous y con-
former et de commencer vos fonetions des lundi.
« Mon chancelier vous installera aujourd T hui.
« Je defends toule deliberation contraire a mes edits et toute demarche au
sujet des anciens officiers de mon Parlement.
« Je ne changerai jamais. •
Maupeou installa d'autorilö le Procureur g6n6ral Joly de Fleury,
et l'Avocat genöral S6guier, qui bientöt, d'ailleurs, quitterent la place;
il donna la premiere prösidence a l'intendant de Paris, Berthier de
Sauvigny, rallia les greffiers et une centainede procureurs; nQgxbre
d avocats se remirent ä plaider.
Les nouveaux juges entr^rent on fonetions. Ils n'avaient point
sans doutc, ä Paris, la consideration de leurs pr6d6ccsseurs; ils ne
portaient pas de grands noms, et ne comptaient gu6re dans le monde
des salons. Beaucoup £laient sans expörience. Mais, somme toute,
avec eux « la machine marcha ». On pouvait espörer remplacer les
inhabiles et les insignifiants par des exil6s qui se resigneraient ä se
soumeltre.
Maupeou avait cru pouvoir limiter la ^Organisation de la
magistrature au Parlement de Paris, mais Pattitude des Parlements
provinciaux ne le lui permit pas. Ils crurent que le Chancelier allait
etablir un Conseil supärieur dans chaque g6n6ralit£, qu'il leur enl6-
verait Tenregislremcnt des lois. Ils se däclarörent solidaires de leurs
confr&res de Paris.
Devant la n6cessit6, Maupeou se resolut sans peine k remplacer
les Parlements provinciaux par des Conseils supörieurs, de fagon ä ne
conserver le droit de verifier les lois et de faire des remontrances qu'au
i. Lc Grand Conseil devenant Parlement, cooserva une partie de ses altributions ant6-
rieures; le reste fut transfere partie au Conseil prive\ partie au tribuual des maltres des
requetes de 1 hötel.
2. En cas de vacance, la Cour devait designer trois candidats au cholx du Roi.
< 898 >
livre iv Les dernferes annees du rhgne {1770-1774).
seul Parlement de Paris; il soumit m£mc ce projet au Roi, mais
Louis XV laccueillit froidement et les autres minislres le com-
baltirent. Maupcou ne supprima que deux Parlements, qui fureni
rcmplacäs par des Conseils sup6rieurs : celui de Rouen, pour le
punir de Töclat de son Opposition, et celui de Douai, impopulaire
dans un pays oü Ton detestait les Parlementaires par aflection pour
les Jösuites. Les autres Parlements furent conserväs; mais les anciens
offices y furent, commc ä Paris, supprimäs, et leurs propri£taires
invites ä se faire « liquider » ; puis des offices « inamovibles » furent
distribußs « gratuitemcnt », et il fut interdit aux nouveaux officiers
de percevoir des epices et des vacations. Partout le nombre des
magistrats l'ut diminuä. L'opöration räussit tant bien que mal. A
Besancon, Maupeou Irouva dans Fanden Parlement presque tout le
personnel du nouveau. A Grenoble, un petit nombre — les plus riches
— refusa d'entrer dans la combinaison Maupeou. A Rennes, Dijon,
Toulouse, lopposition fut si forle qu'on exila nombre de magistrats
dans leurs terres : dix-septa Dijon, soixante-quinze a Rennes, quatre-
vingt-sept a Toulouse; le recrutement des nouvelles cours fut assez
difficile. A Bordeaux, le mar£chal de Richelieu, Commandant de
Guyenne, trouva cinquante officiers dispos6s a ob£ir au Roi, mais dut
en exiler une trentaine. En Provence, on les exila tous, etla Chambre
des Comples prit leur place.
Lopposition ä la r£forme de Maupeou groupa des 6l6ments divers. Opposition
La Noblesse prit parti pour les Parlements. (Test que les Parle- aristocratiqüb
ments se recrutaient de plus en plus parmi les nobles : nobles de robc
011 nobles d'6p£e. En certains pays, en Provence surtout, les
gentilshommes n'avaient jamais d6daign6 les offices de magislralure.
Des Parlements exigeaient des candidals aux offices quatre degr£s de
noblesse paternelle. Depuis la r£formation de la Noblesse faite au
temps de Colbert, les roturiers ötaient exclus du Parlement de Bre*
lagne. II y avait longtemps que les nobles de robe se donnaient des
airs de nobles d>p£e par l'habil, les manifcres et les meeurs lög^res.
En elargissant le foss£ entre eile et le Tiers d'oü eile 6tait sortie, en
se confondant avec la Noblesse autanl que possible, en prtftendant
que les offices de Parlements, comme les 6v6chös et les bauts grades
de larmee, ne pouvaient 6tre d^volus qu'a des nobles, la magistrature
s'exposait ä des p£rils qui devaient bien tot apparattre. Elle ne s>n
doutait pas; eile faisait de l'union n£cessaire de la noblesse et de
la magistrature une maxime de droit public et m£me de salut public.
Miromesnil, ancien Präsident et qui deviendra Garde des Sceaux,
condamnait la röforme de Meaupou en disant : « Dlcomposer les
* *99 >
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.:..• *\h:.- .*r~. i"<%'*~ ; Zr>.* ErLSrüi: _•* .!• nr^iaitc.: i La j:noiince an
>..r - < .",!.'.::..--.. L& •-..-..•r ■:* Ji n-eS F >".ra:-r»r :"-i: i^;ur La noblesse nor-
::.*:.':*- A.*ztss.z-\ ,:.*.- rrv«?«:;_.q.;rr ^ ^ai'^'.es Eta:s*t le Pariemenl,
*-*. ■;-■ *■-': p.^.f-O.'-c ■'{■■:* Js pM'-.r -^ M* r— ;u:ir a IVta; «ie pajs conquis.
L':-. J^.-.r^r..--^ r: Irs Osi-i-.ür.r «irden r»rreLt Ie< allies d'ane
iuh'i^Xxh\y»f: cjfii. Or: v.^.Iie öate. t«Ä:".Äfieai: Irurs itiees et pratiquail
I': ;rr Maxim*».
tA\tß'A',HH C ^t un'r ';h*>r^ cör>':^ qu>n rr.»rme teesp^que i'ancionne France
///: ukku.h'. y *--»\HSH\m n un reveil. et qu'on parlai 1 de löis fundamentales du
toyhtiTd*: . d'KtaU prorinciaux et i Etats treneraux. on invoquail les
'Jroit fc . nalurel* de I'homme. la liLerle individuelle, la lib-erti- poütique,
tfitrti*: l'rs Ui» : orie* du contrat social. On disait aussi beaueoup d'in-
jun: 8 !. On afficha des placard« traitant Maupeou de ** scelerat »». bon
a ■■• /***:art#-U-r . On le rnenara de mort. Les Conseils superieurs furenl
a<(it\,\S><*, deux ann^es durant. depigrammes. ödes et diatribes, pam-
phktft ' # t '•«dampe«». L«'**? ccrils sonl descompilationsoüles gensde loi
'h'*rch«Til d'rs argurnents ponr etablir les droits des Parlements: ou
\)U*n des disKM'tatJons de doctrinaires qui nient que le principe de la
royauti* ^oit en Dicu ; ou bien des protestations dindividus et de corps
uiisirAu'H au l'arW'menl; ou bien des attaques violentes et grosseres,
leg ClutnrrliereH par exemple. et le Maire du Palais. Le pamphlet qui
ftiil l<! [>lus t\c «ucces fut le Maupeouana ou Correspondance secrtlc el
familiäre du chanrelier Maupeou avec son cceur, Sorhouct, membre
innmovible de la rour des pairs de France. Cette correspondance
roinmenre d'iMre public« en 1771 par petites brochures. L'auteur est
im f<Trni<T ^< ; n<Tal, Augeard, qui avait dans ses entours des magis-
1. V1111 llmt. de France, t. VII, 1, p. iG^-
< '|00 >
LIVRE IV
Les dernüres annies du regne (4770-4774).
trats. Au temps oü le Chancelier se defense en efforis pour consti-
tuer son Parlement de Paris, il imagine des entretiens entre un rac-
coleur du nom de Sorhouet el le Chancelier lui-m£me. Sorhouel
demande des conseils ä son patron, lui soumel descas deconscience,
et, cherain faisant, attribue aux nouveaux juges toutes sories de tur-
pitudes.
Maupeou, pour se däfendre, eutl'appui du Roi, qui lui demeura
obstin6ment fidele, et celui de Mme du Barry, qu'ii flattait par ses
complaisances. Les Pbilosophes, surtout Voltaire, le souiinrent.
Voltaire dötestait les Parlements, persexu teurs des gens de lettres,
el <« bourreaux » de Calas et de La Barre. II applaudit ä la Evolution
de 1771, en demeurant insensible d'ailleurs aux th£ories des Parle-
mentaires sur la über 16 politique; il disail quil valait mieux obeir a
im beau lion qua deux cents rats de son esp&cc, et ä un roi absolu
qua une Oligarchie de robins. II exrivit : Les peuplcs aux Parle-
menls, les Senlimenls des six Conseils e'tablis par le Roi, VA vis
imporlanl d'un gentil komme ä loute la noblesse du royaume, la Be'ponse
aux remonlrances de la Cour des Aide 8, et la Letlre d'unjeune abbe.
II annon^ait les bienfaits de la r^forme judiciaire, 6voquait les ini-
quit£s de lancienne magistrature, et se moquait de ses proc&fcs
dopposition systömatique. « 11 pleut, disait-il, des remontrances.
On lit la premifcre, on parcourt la seconde, on baille ä la troisieme,
on ignore les dernifcres. »
II arriva que les dävots, les Rohan, le prince de Soubise, la
comtesse de Marsan, Farchev^que de Paris, Beaumont, le cardinal
de La Roche-Aymon firent campagne avec Voltaire. Ils d&estaient le
Parlement, ami des Jans^nistcs et des Gallicans, pers^cuteur des
Jesuites. L'archevöque de P^ris, d'autres pr£lats, c£lrt>r£rent la
messe du Saint-Esprit, la « messe rouge », devant les nouveaux tri-
bunaux. D'ailleurs, bien qu'il füt, en religion, un parfait seeptique,
le Chancelier leur donna des gages. La Roche-Aymon re^ut la feuille
des Wn^fices, quavait eue jusque-la Jarente, e>£que d'0rl£ans et
ami de Choiseul. Beaumont obtint, le 15 juin 1771, une Deklaration
du Roi qui amnistiait les prAtres bannis ou d6cr£t£s a I'occasion du
refus des sacrements. Le minist&re se mit ä poursuivre les Berits
qui r£clamaient la confiscation des biens dfiglise.
Les mAmes preoecupations inspir&rent Maupeou dans sa conduite
envers le Pape. Lo Parlement de Paris avait, par un arrft du
26 fövrier 1768, renouvete la defense ä tous archevgques, Ivtques
et particuliers de recevoir, faire lire, publier et imprimer aueuns
brefs, provisions et expöditions de la cour de Rome, sauf les brefs
concernant le for interieur et les dispenses de mariages, avant qu'ils
ALL1ES
DE MAUPEOU:
VOLTAIHE,
LES DEVOTS;
LMSJiSUtTES.
« 401
vui. 2.
Les dernieres annees du rkgne (1770-1774).
uthb :▼
P0URSU1TBS
COSTRB
LES ECRITS.
MODERATION
DE MAUPEOU.
UAPAISKMENT
SB FAIT.
n'eussent 6te pr6sent6s en la cour de Parlement. — Maupeou fit
publier, le 18janvier 1772, des lettres patentes, ordonnanl qu'ü serait
sursis ä Tarröt du Parlement.
Mais, ä ce moment, le ministere poursuivait ä Rome, de concert
avec lEspagne et Naples, l'eflbrt pour contraindre le Pape ä Tabolition
de l'ordre des J6suites. D'Aiguillon et la majorit£ des ministres, ä la
suile des repr6sentations des alliäs, se prononc&rent conlre les lettres
patentes, qui furent annuläes par la Deklaration du 8 mars 1772. {}uand
l'abolition de TOrdre fut prononc£e par Clement XIV, en juillet 1773 1 ,
le Chancelier craignit de voir sa r&'orme compromise : le clerg6 de
France s'agitait, parlait de faire appel de la d£cision du Pape ä un
Concile g6ne>al. Mais les ävöques pre76r6rent, en definitive, mönager
un gouvernement qui leur 6tait au fond tr&s favorable, et däciderent
de ne pas protester. L'alliance des d6vots et du Chancelier persista.
Maupeou et ses tribunaux se deTendirent contre les libelles. La
police poursuivait les auteurs, imprimeurs, ou distributeurs, sur-
veillait les promenades publiques et perquisitionnait chez les
libraires ou les particuliers. Des publicistes officiels glorifiaient,
r oeuvre de Maupeou ; on distribua leurs Berits par les rues et les magis-
trats nomm6s dans les Conseils supe>ieurs les emport&rent par bai-
lots; mais c^taient, le plus souvent, de mädioeres ouvrages.
Maupeou se garda de trop säv&res rigueurs ä T£gard des juges
exil6s. Sur soixante-quinze magistrats du Parlement de Bretagne,
une quarantaine obtinrent de quitter leur exil, sous pr£texte de
maladies ou d'afTaires dinte>öts: dautres rentr&rent chez eux sans
que le ministre les inqui6UM. Quand le commissaire charg6 de dis-
perser le Parlement de Provence vint demander ä Maupeou ses
instruetions, le ministre lui dit : « Faites venir une liste de leurs
maisons de campagne; faites regier les lieux d'exil de mani&re que
tout le monde soit content ». Dans le ressort de Paris, le Präsident
de Lamoignon, dabord assez rigoureusement traite\ obtint vite la
permission de retourner dans sa terre de BAville.
L'opposition desarma. Les Princes, exceptä Conti, reparurenl
h la Cour, et reconnurent au Parlement Tautorit6 de Cour des Pairs.
La plupart des membres des anciens Parlements se räsignaient
5 la liquidation de leurs Offices. D6s la fin de 1772, Maupeou les juge
si assagis qu'il ntfgocie avec eux pour les amener ä reprendre du
sorvico. Parmi les avocats, l'apaisement gagne tous les jours; plus
des deux tiers plaident devant les nouveaux juges. Les libelles se
i. Bicn qu'officiellement supprimä*, les J6suiles continuerent & iHre employis aux
miftsions dans les provinces, et mdme un des leurs, le P. Lenfant, pr£cha l'Avent de 1774
a Vernaillcs.
< 402 >
livre iv Les dernieres annies du regne {1770-1774).
fönt plus rares; Topinion publique se d6sint£resse de cette quereile
qui avail 6te si bruyante et avait paru si dangereuse. Les Parlemen-
laires s'avoucnt vaineus; le Procureur g6n6ral Joly de Fleury fait cet
aveu : « Le Chancelier avait tout prövu de ce qui est arrivä, et la
nalion a vu dun oeil tranquille Tan^antissement de la justice ». On
pouvait donc croirc que cette räforme 6tait d6finitive; le Roi avait
promis de sy tenir; il avait dit : « Je ne changerai jamais ».
La reforme de Maupeou plaisait ä Louis XV parce qu'elle aflfran- vurtinti
chissait la Couronnc du contrepoids du Greffe, et il est bien pro- DB u *b f0 ** E -
bable que la principale intention du Chancelier fut de parfaire la
monarchie absolue. Mais c'6tait une räforme utile en soi que le
ressort du Parlement de Paris, dont Tötendue avait de si graves et de
si coüteuxinconv6nients pour les justiciables, füt diminu6 par Tins-
titulion desConseils supörieurs. C'6tait un bienfait que l'abolition des
6pices. Sans doute, la justice ne deviendrait pas gratuite, d'abord,
les offices n'ötaient pas supprimös dans les tribunaux införieurs ; puis
il restait aux justiciables k payer les taxes des greffiers, huissiers et
procureurs, le papier timbrö: mais, somme toiite, les charges des plai-
deurs furent al!6g6es, et la dignilä de la magislrature 6tait int£ress6e
k la suppression de la vilaine pralique de la rötribution du juge par le
jusliciable. Enfin c'ötait une capitale r£forme que l'abolition de la
vönalitö et de Th6r6dit6 des Offices parlementaires, dont les inconv6-
nients et les vices surpassaient de beaueoup les avantages.
Maupeou avait d'autres projets : r£duire au n£cessaire le nombre
des juridictions inftricures, dont beaueoup furent supprim£cs par
lui, reviser la procedure civile, unifier les lois et coutumes, etc. Mais
la puissance du Chancelier ne devait pas survivre au prince, qui avait
pour ainsi dire fait cause commune avec lui.
//. - LE DiCLIN DE L'ISFLUENCE FRAXCAISE
EN EUROPE {r76g-i774)i
LA diminution de la puissance fran^aise, consöquence des fautes
commises, mais aussi de Tentröe en sc&ne de deux puissances
nouvelles, la Prusse et la Russie, fut r£v616e avec öclat dans les övSne-
i. Soprce«. Rapports des agentx diplomatique* Hrangers. Campan {t. I>, Georjjel (t. !),
Correxpondanre intdile de Louis XV 'ßoutaric, t. 1 et II), Correspondanct de Merty (t. I).
Recuetl des Instructions aux ambassadears 'Autriche; Pologne), Moufle dWnuerrille {t. IV),
Talleyrand <t I et IV», dejä cites. Favicr, Conjecturen raison n4es, 1773 (dan* Boutaric,
t II). Saint Priest {Memoire du Conseil da Rot, du 18 mai 1768). Rayneral (Memoire eile
par Sorel, L'Europe et la Revolution, t. I. p. naß). Campan (Mm«), Himoirts sar la oit priv4e
de Maric-Anloinelle, reine de France, Paris, i8a3, 2 vol t. I. Rriefivethsel zwischen Heinrieh
Prinz v. Preussen und Katharina II 0. Russland, p. p. Krauel. Berlin. 1908.
Oi vrages a comsultkr. Araeth {Gtschichte Maria Theresia'*, t. VIII). Bonoerille de Mar-
« /|o3 >
Les dernihres annies du regne (1770-1774).
LI TBE vi
PROJETS
DE PARTAGE
DE LA POLOGNE.
LES R&FORMES
DE STAN1SLAS
PONIATOWSKL
ments qui se produisirent en Orient, et dont le plus considärable fut
le dämembrement de la Pologne.
Depuis tr6s lontemps, puisqu'on trouve au moyen äge des projets
de partage de ce pays anarchique, Hndäpendance de la Pologne 6Lait
menac6e. Comme eile ne disposait pas de forces räguli&res, — au
temps d'Auguste III eile n'avait qu'une dizaine de mille hommes de
troupes permanentes, dont une centaine dartilleurs — eile ötait k la
discretion de ses voisins, qui intervenaient dans ses affaires, surtout
pour relection du roi 1 , et qui k plusieurs reprises violerent son ter.
ritoire. A la mort d'Auguste III, qui survint le 5 octobre 1763, la
France, qui avait renonce* k patroncr la candidature d'un prince fran-
$ais, aurait voulu faire 61ire le Als du roi däfunl, et TAutriche 6taR
daecord avec eile; mais Fre*d6ric II de Prusse et Catherine de Russie
conclurent en avril 1764 un trailö par lequel ils s'engageaient k suivre
en Pologne une politique concertee, et ä faire 6lire roi un ancien
amant de la tsarine, Stanislas Poniatowski, de la famille des Czarto-
riski. Stanislas, avec l'appui d'une armee russe qui parut dans les
faubourgs de Varsovie, fut 61u, le 7 septembre 1764. L'Autriche et la
France avaient laiss6 faire.
Cependanl le nouveau roi, conseillä par les Czartoriski, essaya de
röformer la Constitution polonaise. Dejä, dans la diele de « convoca-
tion » qui avait pr6c6de* la diele oü il fut 61 u, les Czartoriski avaient
fait instituer des « commissions » de la justice, des finances, des
affaires interieures et de la guerre, qui enlevaient Tadniinistration
aux grands officiers de la Couronne. Deux ans apres, les reTorma-
teurs sen prenaient au liberum velo, cause principale de l'anarchie
polonaise 2 . La Diete decr6la que, dans les di&ines oü 6taient elus
les d6put6s k la Diete, felection se ferait non plus a Tunanimit^, mais
k la majorite\ Elle dccrela aussi que, dans les Dieles, une majorite'
sufßrait pour le vote des impöts. La Prusse et la Russie, qui s'ötaient
engagäes k maintenir la Constitution polonaise, surveillaient et con-
tenaient ces efforls. L affaire des dissidents leur donna le moyen
d'inlervenir.
sangy (Le Chevalier de Vergcnnes, et Le comte de Vergennes el son ambassade en Sara», de
Broglie (Le secrel du Rot), Flammermont (Maupeou), Green (t. II), Jobez (t. VI). Nolhac
(Marie-Anloinelle Dauphine), Rocquain et Vatel, dejä cites. Geffroy, Gustave III et la coar
de France, Paris, 1867,2 vol. Rousseau (Francis), Eigne de Charles III d'Espagne (1759-1788),
2 vol. Sorel, L'Europe el la Revolution francaise. Paris, 1885-1904, 8 vol., t I. Du meine :
La queslion d' Orient au XVIII' siede, Paris, 1889. Pulaskl (Kazimierz), Zdxkjöw konfe-
deraeyi Barskiej. Teki Teodora Wessla, podskarbiego. Lwdw, 1906. Luninaki (Ernest), Ksmna
Tarakanowa a konfederaci Darscy, Lw6w, 1907. Lehtonen, Die Polnischen Prooinsen Rus*-
lands unler Katharina 11 in den Jahren /771-/7W, tradult du flnnois par Gustav Schmidt,
Berlin, 1907.
1. Voir plus haut, p 120, et t. VII, 2, pp 201 et suiv.
2. Voir, sur la Constitution de la Pologne, Hist. de France, t. VII, 2, pp. 199 et suiv.
< .'|04 >
LI VRE IV
Les der nitre* annies da regne {1770-1774).
Les dissidents, orthodoxes et protestants, 6taient en Pologne
exclusde la vie politique, etvivaient pour ainsi dire hors la loi. Les
orthodoxes ayant demandä la protection de Catherine II, et les
luthäriens celle de Fr6d6ric, la Hussie et la Prusse r6clam6rent
labolition des lois contre les dissidents. La Di&te de 1766 refusa, et,
en inSme temps, relablit le liberum veto. Mais l'annee d apres, la
Diele ful entouree par les troupes russes, et contraintc d'accorder
\\ ; galite politique aux dissidents. Alors les « patriotes » polonais,
formerent ä Bar la « conf6d6ration de la sainte religion catholique »;
011 sc battit dans diverses parlies de la Pologne : en Ukraine, les
paysans orthodoxes massacrfcrent leurs seigneurs catholiques; les
troupes russes prirent d'assaut Cracovie et möme poursuivirent des
Polonais jusqu'en territoire Türe, oü elles prirent la ville de Balla,
en 1768.
Ce fut Toccasion d'une guerre ouverte entre la Turquie et la
Russie. Depuis longtemps avaient commencä les enlreprises russes
en Turquie. LWngleterre, qui voulait ätendre son commerce & la fois
dans le Nord, au Levant et dans la raer Noire, s'elait entendue avec
la Tsarine et la laissait agir en Turquie. En 1769, unc arm£e russe
oceupa la Moldavie et dötruisit larmee turque ; en 1770, une flotte
partit de Cronstadt, passa par Londres oü eile se munit d'agres, de
piloles et d officiers, et alla d£truire la flotte ottomane, le Haoüt 1770,
a Tchesme, en face de Tfle de Chio.
Pendant ce temps, la guerre avait continuä en Pologne entre les
Russes et les confederes de Bar, incapablesd'une rfeistance s£rieuse,
et un revirement de la politique autrichienne avait aceru le p£ril de
la Pologne. L'Autriche, la guerre de Sept Ans a peine finie, avait
>oug(* ä se degagerde l'alliance avec la France; bientöt eile en vint
a une entente avec la Prusse. En aoüt 1769, Tempereur Joseph II et
le roi Frederic se rencontr&rent a Neisse, en Silfeie. Us convinrent
que la paix de l'Allemagne et de l'Europe dlpendait d'une entente
entre Vienne et Berlin; qu'il y avait lieu pour les deux puissances
d 'etabhr un « Systeme patriotique allemand », une « neu trabte alle-
mandc ». Us nc conclurent pas de lrait£ en regle, mais echangerent
par lettres cet engagement :
• Foi de roi et parole d'bonntte homme, si jamais le feu de la guerre se
-allume entre TAnglcterrc et la maison de Bourbon, Us maintiendront la paix
iHMircusemcnL retablie entre eux, et m£me en cas qu*une autre guerre sur-
viciino, dont nctuellement il est irapossible de prevoir la cause, Us observeronl
la plus exaete neutralile pour leurs possessions actuelles. »
Par cet engagement, les deux puissances jusque-lä ennemies
acharnecs s'aecordaient pour se HWrer de leurs anciennes obliga-
VAFFAIRB
DBS DISSIDENTS.
LA GUERHB
BUSSO-TURQUB
ENTESTB
DB VAOTMCHB
AVEC LA PRUSSE.
4o5
Les dernieres annees du regne {1770-1774).
LIVRE IT
INSÜFFISANTE
INTERVENTION
DB LA FRANCE.
LA DIPLOMATIE
DE U'AIGUULON.
tions, l'Aulriche avec la France, la Prusse avec l'Angleterre, dans 1c
cas d'une guerre — que la polilique de Choiseul rendait vraisem-
blable — entre TAngletcrre et la France. En m£me iemps, elles
ouvraienl la voie ä une polilique commune en Polognc. D6ja, en 1770,
les Autrichicns occupent un petit territoire polonais qui avait 616
jadis donnö en gage par la Hongrie ä la Pologne; au printemps de
Tannöe d'aprös, Fredäric fait en Pologne une razzia de quelques mil-
liers de filles pour repeupler la Pom6ranic.
La France n'avait rien fait de serieux pour £vitcr la ruine de la
Pologne. L ainbassadeur de France ä Constantinople, Vergennes,
avait agi pour mettre les Turcs en campagne contre la Russie; Choi-
seul s'ötait demandä un moment sil narröterait pas la flotte russe au
Pas de Calais ; mais il ne pouvait s'engager dans une guerre contre
la Russie au moment ou il pensait ä une guerre contre TAngleterre.
En 1768, les conföd6r6s de Bar sötaienl adressäs ä Louis XV; Tun
d'eux, Mokranowski, lui promettail que, s'il aecordait seulement
2 millions de subsides aux conföderäs, la Pologne se soutöverait et
mettrait sur pied plus de 100000 hommes. Choiseul fournit quelque
argent et envoya des agents qui devaient aider les conf6d6r6s de
leurs conseils. Un de ceux-ci, Dumouriez, passant par la Bavifcre,
en 1770, acheta ä Tßlecteur 22 000 fusils pour les Polonais. II trouva
l'armöe polonaise dans le plus grand dösordre, moins nombreuse
qu'on n'avait csp6r6 : 17 000 hommes au lieu de 40000, etdeschefs
qui gaspillaienl le temps en fötes.
Tel 6tait T6tat des affaires en Pologne et en Turquie, lorsque
d'Aiguillon arriva aux Affaires ötrangöres. Tout 6tait compromis, et
d'Aiguillon, homme de petits moyens, « sans vues et sans nerfs »,
n'ötait pas capable de remonter le courant. II n'avait d'ailleurs aueun
moyen d'agir, pas m&me de subsides ä distribuer en la quantit£ qu'il
aurait fallu. La diplomatie fran^aisc 6tait en plein däsarroi. Le Roi
demeurait partisan de l'alliance autrichienne. II continuait a prati-
quer une politique a lui, par les agents de son « secret ». A Varsovie,
depuis que son ambassadeur, marquis de Paulmy, avait H6 insultö
lors de Töleclion de Poniatowski, il n'y avait plus d'ambassadeur de
France. A Viennc, Tambassade de France resta vacante de mai 1770 ä
janvier 1772, oü fut cnvoyö en Autriche le prince Louis de Rohan. Le
Roi n'6tait renseignß sur les affaires d'Orient que par ses agents priv£s.
D'Aiguillon fit, des son arrivöe au ministöre, un coup d^clat contre
ceux-ci. Le comte de Rroglie fut exil£ a Ruffec; Dumouriez et
Favicr lurent mis a la Bastille; et le Roi abandonna sans mot dire ses
servitcurs pcrsonnels. Les choses n en allcrent du reste pas mieux
ensuite : d'Aiguillon lui-möme employa des agents secrets, cut une
* .'i<>6 >
■.
w
LA GUERRE
RVSSO-TURQUE.
livre iv Les dernikres annees du rhgne I177<M774).
polilique pcrsonnelle, qu'il cachail ä ses ambassadcurs. D'autres
minislres se m&laient de diplomatie ä tort et ä travers. C'6tait la
pleine anarchie.
Cependant, les er^nements se prccipitaienl en Pologne. Les con- DäPosmoN
l'ederes furent battus par Souwaroi' en 1771; Poniatowski fut deposö ou ROistanislas.
par les Polonais et le Iröne declare" vacant, ce qui accrut encore le
desordre. Eniin la coalilion fut conclue entre l'Autriche, la Prusse et
la Russie.
L'Autriche s'inqutelait du progres des Russes en Turquie. Elle l'autrichb
conclut, en juillet 1771, un traitö d'alliance defensive avec le sultan, fait suspbsdrb
vi fit suspendre la guerre pendant deux ans, par sa mediation. Le
roi de Prusse craignit alors une guerre auslro-russe, dans laquelle il
pourrait <Hre implique commc alliß de la Russie. II s'imagina de
dclourner lattenlion des deux puissances du cötö de la Pologne,
ei y oflrir a la Russie le dödommagemenl de sa renonciation aux
conqmHes en Turquie, et d'amener Marie-Therese ä l'idee du
partage.
I) Aiguillon, avis6 par le roi de Suede de ce qui se passait, mais le traitb"
sans rien savoir de prexis, essaya d'empöcher le partage en se rap- DE partacb
prochant de la Prusse. II crut pouvoir ranimer les defiances de nut5JANVmt77 *'
Frederic a lVgard de Marie-Therese, et il eut des pourparlers avec le
chargt^ daflaires de Prusse en France, dans l'automne de 1771. Pour
caeher cette nögociation ä la cour de Vicnne, d'Aiguillon accablait
Mercy de protestations d'attachement; mais Mercy lui fit avouer sa
tenlative de rapprochement avec Frederic, et s'autorisa du double
jeu de la France pour excuser sa propre duplicite. Comme, au dtfbut
de 1772, dAiguillon lui raanifestait quelque inquietude, il protesta de
la purete des intentions de TAutriche. D'autre pari, l'envoyä prussien
aflirmait le d£sinte>essemcnt de son maitre. Des deux cötös, on se
moqua de la France; et d'Aiguillon apprit enfin que, le 15 janvier 1772,
la Russie et la Prusse avaient conclu un lraite* pour le partage de la
Pologne, et que, le 19 fevrier suivant, l'Aulriche s^tait jointe ä elles.
Marie-Therese, en effet, s'eHait d£cidöe. Elle avait eu des scrupules,
ne comprenant pas, disait-elle, « une politique qui permet que, dans
le ras oü deux se servent de leur superiorit£ pour opprimer un inno-
cent, le troisieme puisse et doive les imiter, et comraettre la m£me
injustice ». Une fois rösignäe, eile soubaila la plus grosse pari, et
Fivderic admira « son bon appeHit ».
Pour maintenir le gouvernement Francis dans Tincertitudc role üb la
juMpi'au bout, Fambassadeur d Autriche avait fait jouer ä la Dau- dalphisb.
phine un röle singulier. II Favait pouss^e ä temoigner moins dVloi-
gneinenl a dAiguillon, qui en etait dcvenu moins defiant ä l'ggard
€ 407 >
Les dernikres annies du rtene {1770-1774).
LJTBB IT
couxumcATios
DU TRAITE
DE PART ACE
A LA FRANCE.
LE TRAITE
DE KAINABDJI
(1774).
de l'Autriche. II l'avait m6me pouss£e ä se rapprocher de Mme du
Barry, pour faire plaisir au Roi et l'amadouer; la Dauphine, malgrä
sa rßpugnance, adressa quelques paroles banales & la favorite.
Ce Tut le 20avril 1772 que Kauniiz invita Mercy ä communiquer
au gouvernement frangais la nouvelle du traitä de partage. Marie-
Thörtee 6tait inqui&te et T^crivait :
« Si le duc de Choiseul etait encore en place, il voudrait sans doute pro-
fiter de l'occasion pour nous enlever quelque partie des Pays-Bas oü nous ne
serions pas en etat de faire la plus legere resistance. »
Cependant eile indiquait les raisons qu'ily avait ä faire valoir pour
justifier l'Autriche aupräs de la France, et ces raisons furent donn6es
par Mercy :
« On pourrait, disait-elle, dire ä la France :
« Que c'est eile qui est la premicre cause de tous les evenements actuels
par les mouvements qu'elle s'est donncs pour exciter la Porte ä declarer la
guerre ä la Russie;... qu'elle ne s'est pas inquietee de tous les embarras, frais
et dangers que doit naturellement nous occasionner la guerre allumee dans
notre voisinage... ; que, voyant le danger dont, par le sucecs de la Russie et sa
liaison intime avec le roi de Prusse. nous etions menaces sans avoir d'aucun
cdte quelque secours efficacc a espdrer, nous avions du aviser par nous seuls
aux moyens de nous en tiror;... que c'eüt ete nous exposer de gaite de coeur
ä notre propre ruine que d'entrcprcndre une guerre difficile contre la Russie,
et de nous attirer par lä une attaque certaine de la part de la Prusse...; que
le ministerc francais... ayant fait suns notre partieipation l'acquisition impor-
tante de la Gorse et du cornte d'Avignon..., on aurait lieu d'etre surpris si,
apres n'avoir essuye de notre part ni obstacle ni reproche dans ces occasions,
il se croyait permis d'en user autrement ä notre egard en la presente cir-
constanec. »
II scmble que l'indiflförent Louis XV ne se soit pas 6mu outre mesure
de la communication de Mercy. Le 15 juin cet ambassadeur 6crit ä
rimpöratrice que le Roi Tr6s Chrötien envisage les 6v6nements de
Pologne « dun ceil d'6quit6 et de mod&ration », qui peut rassurer
l'Autriche sur la stabilite « de ses sentiments et de son attachement ä
l'AUiance... »
Le trait6 de partage attribuait ä TAutriche la Russie rouge, la
plus grosse part; ä la Prusse, la Prusse polonaise, moins Dantzig ei
Thorn; ä la Russie, la Lithuanie ä TEst de la Duna. En 1773, la Difcte,
cern6c par les troupes des trois puissances co-partageantes, se soumit
aux conditions du trait6.
En 1773, la guerre recommenQa entre la Russie et la Turquie.
L'armee russeätait passee sur la rive droite du Danube et menaQait
Constantinople : le sultan signa le traitö de Kalnardji, en juillet 1774.
II cedait a la Russie le droit de libre navigation sur la mer Noire, la
c 408 >
LIVRE IV
Les dernieres annies du rbgne (1 770-1774).
liberti de passer le Bosphore, la protection des chrätiens orthodoxes
dans toute la Turquie, et lui abandonnait Azof et Taganrog. Ainsi la
Turquie 6tait 6galement ouverte aux ambitions de la politique russe,
el Ton pouvait envisager l'hypoth&se du partage de son empire.
La politique frangaise trouva au moins en Su6de la consolation
dun succ&s. Le pays etait menace, comine la Pologne, par la Prusse
(jui voulait prendre aux Su6dois ce quils avaient encore de la Pom6-
ranie, et par la Russie, qui convoitaitla Finlande. Au trait6d'avril 1764,
Frederic II et Catherine avaient stipulä pour la Su&de en m^rae
temps que pour la Pologne. En 1769, ils s*6taient prorais d'agir par
la torce, si on tentait de changer la Constitution.
Le pouvoir en Su&de appartenait ä la Dtete, composle de qualre
ordres — noblesse, clergä, bourgeoisie, paysans — et ä un S£nat,
de seizc mcmbres, choisis parmi la haute noblesse. Le roi n'avait
dnutre pr6rogative qu'un double vote au Sönat, etvoixpr£pond£rante
en cas de partage des voix. Deux partis divisaient le pays, le parti
des u Chapeaux » f qui voulait accrottre la puissance du Staat et du
roi, et celui des « Bonnets », qui defendait lomnipotence de la Di&le
et les überlas publiques. Les Etats 6trangcrs intervenaient dans cette
quereile; la Russie et la Prusse soutenaient les Bonnets, et la France,
les Chapeaux.
Quand mourutleroi deSu&de Adolphe-Fr£d£ric, le42fevrier 4771,
(iustave III, son fils, se trouvait a Paris. II avait vingt-cinq ans.
Epris de gloire et de belies actions, il 6tait lidole des salons, oü il
laissa des regrets et de belies correspondantes, les corotesses
d E^mont, de Bouffiers, de La Marck. 11 avait su plaire ä la fois ä
Louis XV, a Mme du Barry, ä d'Aiguillon, aux Choiseul, aux Philo-
sophes. Pour relever son pouvoir en Sufcde, il demanda et obtint
des subsides. Enfin on lui donna un conseiller avis£, 1'ancien ambas-
sadeur en Turquie, Vergennes.
Vergennes avait mission de resserrer l'alliance franco-su£doise,
de fortifier le parti frangais dans la Difctc et de travailler a un accord
enlre la Su£de et le Dänemark. Neuf mois d'eflorls et une d^pense
de deux millions n'aboutirent Arien. Gustave HI £crivait : <« Jattends
en tremblant le moment oü les puissances voisines voudront pro-
fih»r de nos tro übles pour nous assujetiir ».
Cependant Vergennes, ob&ssant aux instructions de son ministre
et ä celles du Secret du Roi, d accord sur ce point, conseillait des
moyens dilatoires et recommandait la prudence. Mais Louis XV et
d 'Aiguillon consedlfcrent ä Gustave III un coup d'fitat k l'insu de
Vergennes, qui ne fut mis au courant qu en ferner 1772, six mois
LA SUBDE
MENACtE
PAR LA PRUSSE
ET LA RUSSIB;
SA COSSTITVTIOS.
AVENEMENT
DB GUSTAVE 111
(1771).
INSTRUCTIONS
DK VERGENNES.
LE COUP Dt ETAT
DE GUSTAVE HL
409
LA FRANCE
S0U7IENT
LA SÜEDE.
LA FRANCE
ET L'ESPAGNE.
Les dernferes annies du rhgne (1770-1774). livre it
avant la crise. Les 19, 20 et 21 aoüt, le coup d'ßtat s'accomplil. La
Di&te, puis le Senat, acceptent une nouvelle Constitution et jurent de
la respecter. D'apr&s cette Constitution, le roi, « seul responsable ä
Dieu et ä la Patrie », nomme les sänateurs, et il a le droit de convoquer
et de dissoudre la Dtetc. Le S£nat ne d£lib6re qu'ä titre consultatif
sur les affaires que lui soumet le roi ; la Diöte nc peut ni abroger les
lois existantes, ni en faire de nouvelles, sans le con&entenient du roi.
La Tsarine et Fredäric adress&rent ä Gustave des lettres niena-
$antes; Russes et Prussiens arm&rcnt, un projet de traitß d'alliance
entre Gustave III et Louis XV Tut rödigä, par lequel la France met-
tait ä la disposition de la Su&de 12000 hommes iTinfanlerie, de lartil-
lerie et une escadre. Gräce ä Vergennes, le Dänemark, qui avait pris
une atlitude menagante a la suggeslion de la Russie, se rapprocha de
la Su£de a la fin de 1772. D'Aiguillon obtint des Anglais une assurance
de neutralitä, et la Tsarine, occupöe en Pologne et en Turquie,
accepta le fait accompli.
Pendant que ces Svönements se succ&laient au Nord et ä
lEst, la France et TEspagne resscrraient leur alliance par leur action
commune contre les J6suites, et s'accordaient de plus en plus dans
la politique ä suivre ä l^gard de PAngletcrre. Elles espöraient une
revanche prochaine. Des hommes d'Etat, des diplomates, des publi-
cisles affirmaient alors que TAngleterre (Mail en d£cadence; quo les
marines röunics de France et d'Espagne pouvaient la vaincre; qu'elle
etait dömoralistfe par son regime parlemenlaire, dächiröe par les fac-
tions; que l'Ecosse, Tlrlande, les colons d'Amärique la dötestaient;
que TEtat anglais, « comme la Pologne », pouvait se dissoudre au
premicrchoc. Charles III et son ministre Grimaldi ötaient convaincus
que l'alliance frangaise leur permettrait de recouvrer Minorque,
Gibraltar, la Jamaique, la Floride. Le successeur de Fuentfcs ä
l'ambassade d'Espagne en France, le comte d'Aranda, arriv6 ä Paris
en septcmbre 1773, devait mölcr ä ces projets un plan d'annexion du
Portugal.
La ville de Roston ayanl, on 1773, donn6 le Signal de la rövolte
contre les Anglais, TEspagne et la France suivirent les 6v6nements
d'Ameriquc avec une attention passionnöe. Les cabinets de Versailles
et de Londres demeuraient en relations courtoises; mais la France
envoyait des missions semMes en Am^rique pour observer les
progres de 1a revolution, et s'appriHait ä nouer des relations avec les
domagogues anglais, notamment avec Wilkes. Depuis plusieurs
ann£es, les agents secrels de Louis XV ecrivaient des m&noiressur
1 '^ventualite d'une rupture avec TAngleterre, et les bureaux des
< 410 )
X
uviil iv Les demieres annees du regne (ft'O 1771).
AlTaires elrangeres, de la .Marine, de la Guerre preparaienl en secrel
les plans qui, au lemps de Louis XVI, reglcrcnl 1 Intervention dans
la guerre de l'lndependancc.
En attendant que la monarchie fran^aise prit cetle revanche, Ic uumilutiox de
discredil de la royauuS etail au comble. On ne lui Icnait pas ct-mple u """f*
des grands cliangcnienls survenus en Europe, de laveüomenl de
puissances nouvclles, la Pruss« et la Russie, ni dcla decadence pro-
fondc de la Pologne et de la Turquic, toutes choses quo ne pouvail
empeclier le gouverneinenl de la France. On vojait soulcniont <jue
1c vieux Systeme des alliam-cs Orientale» etait ruiue. On passait sa
culere sur l'alliance avec l'Autriche, qui avait geiic toute la poütique
Orientale de la France, el qui Tut en efTel unc dupcrie. En summe,
la France n'avait plus de credit dans Ic Lorant; son influence
sur les clats secondaires de 1'Allemagne n'exislait plus, ces etals se
trouvant desormais ü la discretiou de l'Autriche et de la Prusse. Et
comnie l'ccrivit un commis des AlTaires elrangcrcs, l opinion s'ctablit
■i chez toutes les nalions... qu'il n "y avuil plus en France ni force ni
ressourecs; l'cnvie, qui jusque-la avait cle" le mobile de la politique
de toules les cours u l'cgard de la Froncr, «legöncra en niepris. Le
caliincl de Versailles n'avait ni credit, ni influence dans aueune cour.
Au lieu d'ötre, eomme autrefois, le cenlre de toules lea gründe»
affaires, il i-n devinl le paisible speetalour; on ne coniplail meine plus
pour rien son suffrage el son improbation. «
Or la France, passionnee commc eile etail pour la gloire. et qui
aurail excusi'' bien dos faules du goiivernement Interieur, ne j>ar-
doima pas au Itoi ni aux Triumvirs s-m tiuniiliation,
///.- LES F/SASCESs L'ASARCNiE DASS LE MIS'ISTERE*
LE desordre et la pönurie des finanecs t'puisces par la guerre. par
la diplomalie. par le« pmdigaliWs» du Boi. par les ttepenses de
la Cour, et par la mauvaisc adniinistralion, lirent plus de mal ••nrorr
Auicrard. IlMnval I I . .!f^ Cur* I 1 . Or.mrn I X . HarJ* ft II , lt.'r„t*>*Janrt dt
M.iiy II. I <•[ ||i, Monm. I I , n<vria«ll i. | c t II , Senar, d>ji <-.l*» Trrr»r Afrmotrn
DlVHK.I- i cn-Milir. Illi.lKv. 'li..i..i>onn-1r /.' •ot;.ilnmr d ffaf . Tl.r.1 Uiri»«itT,
<:inm»M*f«n I. III, Bonnu-illr .Ic Mur-nnur. Kliinrnrnnonl II.»/*« . CVmrnt '/'cflrorl*
H,>l,,riour, . J,- Ucnroort La du Harry . Sainl-Andr* Mmt Ja Ha^v . Job« (t VI , de
-Volliar iUarit-Anlomtltt llaaphint . Hwiiualn. Sorrl. rii-jn eilen l)r MonlhtODl. p.irtitu-
tar,t,i ,1 »lurrtHifiAU mr Im mmittrr, c'f. finanet, OV Fnnrt ttt fJai frltbm dtpuh tttt
iiaqutn IJ9I [UUic Tiitbi , Parti, iHu. Iliin.a* F !, LaatnfraliU dt Tum au XVIIfuMn
MM
Les dernieres annees du regne (1770-1774).
UVRE IT
ä la monarchie quela quereile parlementaire etla mauvaise politique
ötrangere.
le contiwleür Lc Contrölcur g6ne>al Terray avait <Hö conseiller au Parlement,
general terray. e i^ pcndant des annees, chargö des remontrances sur les finances;
il connaissait mieux que personne le däpartement oü il entrait.
De sens droit et d'intelligence rapide, il saisissait en toute ques-
tion le point essenliel. GeLait un plaisir de lentendre parier des
matieres les plus difficilcs; il aurait fait comprendre ä un enfant de
six ans « le calcul diflerentiel et integral ». L'ätat des finances, la
recette et la döpense, la dette et les moyens de Feiernd re, tout cela,
quand il l'expliquait, paraissait simple comme « un compte de blan-
chisseuse ». Homme d'autorit6, pour lui les droits individuels ne
comptaient pas au regard des droits de PEtat; la fortune de chacun
netait qu'une parcelle de la fortune publique. D aspect dur, presque
effrayant, faisant peu de cas des hoimnes, il demeurait indifferent ä
la haine et aux insultes. Terray avait donc des qualites. Un jour,
ä lAsscmblee Constituante, Le Brun le compareraä Sully etäColbert.
Mais quel ministre aurait pu retablir les finances du royaume?
IMMINENCE
DÜNE
BANQUEHOUTE.
Lorsque Terray entra au Contrdle g£ne>al, il fit voir au Roi
que le d6ficit pr6vu pour Tann6e 1770 6tait de 63 millions, que la
dette arrieröe jexigible etaitde 110 millions; qu'en 1769 les « antici-
pations » avaient absorb£ 153 millions; Louis XV lui laissa les
mains libres pour apporter ä la Situation les remedes qu'il jugeraii
n£cessaires.
Des rentes viageres avaient ete constitu6es sous forme de « ton-
tines », c'est-ä-dire qu'au für et ä mesure des deces de porteurs la
part des survivants s'accroissait; Terray, par un arröt du 18 jan-
vier 1770, transforma les tanlines en simples rentes viageres, et
däsormais ce fut TEtat qui beneficia des d6ces. Par arr£t du 19 janvier,
il procäda ä des « retranchements » ou röductions sur les pensions
au-dessus de six cenls livres, en m£nageant toutefois selon la cou-
tume les personnes influentes. Le 19 fövrier il suspendit lepayement
des « rescriptions » des receveurs g6n£raux et celui des billets des
fermes pour lannöe courante. C'6tait deux cents millions d'effets
qu'il laissait impay£s. Analoguesä nos bons du Tresor, ces effets consli-
tuaient des placements temporaires que les capitalistes preT6raient aux
rentes; Terray ömit un empruntde 160 millions et les accepta ponr
Administration de l Intendant du Cluzei (17661783], Paris, 1894* Lom6oie (de), BeaamarcMts
et xon tempt, Paris, 1878, 2 vol. Lintilliac, Beaumarchais, Paris, 1897. Hallays, Beaammr-
chais, daos la collectiou « Les grands ecrivalns frtn^ais, » Paris, 1897.
< 412 >
v
LIVRE IV
Les dernieres annees du rbgne {1770-1774).
partie dans les versements. Les dätentcurs des effets devinrent cr&m-
ciers de TElat. Le public se räcria ', mais ä ceux qui lui reprochaient
de prendre leur argent dans leurspoches, le Contrdleurg6n6ralrepon-
dait : « Oü diablc voulez-vous donc que je le prenne? »
Les Parlements demanderent ä Terray de supprimer d'un coup
les « acquits de complant », c'est-ä-dire les ordonnances de defense,
signees du Roi, qui ne portaient pas mention de l'objet de la defense,
et qui devaient ötre aeeeptees sans examen par la Chambre des
Comptes. En supprimant ces « acquits de comptant » pcut-6tre
aurait-on pu £tablir lequilibre des recettes et des dEpenses; mais
autant valait rexlamer la suppression du pouvoir absolu puisque
c'oüt etö interdire au Hoi de puiser ä diserdtion dans le Tresor et
l'obligcr ä justifier toules ses depenses. Les acquits subsisterenl, et
Terray continua d'alimenter l'Etat par des expedients.
Le 15 juin 1771, un anrät du Conseil opere une rlduction d'un
quizieme sur les rentes perp6tuelles et d'un dixieme sur les rentes
viageres; et, comrae on crie ä la spoliation, Terray repond que, le
cours des rentes ayant baisse, rinleröt devait baisser aussi . En
levrier, mars et septembre, il ötablit des taxes sur l'amidon, sur les
papiers et cartons, sur les livres; en novembre il proroge le second
vingtieme 2 . Dans le pröambule de ledit de novembre il pr£te au Roi
ee langage :
• Nous ne doutons pas que nos sujets... ne supportent ces charges avec le
zMc dont ils ont donnä des preuvos on tant d'oecasions, et nous y complons
d'aulant plus que le prix des denrecs, une des causes de l'augmentalion de
nos depenses, a cn ra^mo temps bonific le produit des fonds de terre dans une
Proportion superieure ä celle de l*accroisscmcnt des impositions. •
D'ailleurs Terray voulait faire de? vingtifcmes une imposition
juste. On voit dans sa correspondance avec les intendantsqu'il pres-
crivait une repartition plus equilable; il faisait ressortir combien la
valeur des terres avait augment£ depuis leur Etablissement, indiquail
le moven de faire des d£nombrements nouveaux des tenres, et
d'aboutir a un impöt territorial. Dans la gen£ralit6 de Tours, il fit
operer la revision des cotes, et couvrit les dEpenses de ce travail
avec la seule augmentation annuelle des produits. Ailleurs, les
resultats obtenus furent bien plus consid£rables.
Terray essaya d'obtcnir des fermiers g£neraux des conditions
plus avantageuses pour l'£tat, en leur oflrant de supprimer les
« croupes » et les pensions dont ils 6taient grev6s. Les « croupes »
etaient les parts de b£nefice que les fermiers assuraient ä certaines
i. I. inqui/'iudc 4tait fondöe, ear malgre des remboanemenU effectoes par Tnrfot et
Nerkcr, vn 1781 il elait encorc dütomUlions sur les aoo qoe Terray s'etait abslenti depayor.
■j. Le «ccond vingtieme avait ete proroge juaqn'en 177a; en 1771, II la fat jaaqu'en 1761.
LES ACQUITS
DE COMPTAST
MAISTENVS.
EXPtiDlESTS
DIVERS.
PFOJET
DB SCPFRESSIOS
DES CAOCPES.
4i3
Les demieres annies du regne (1770-1774),
LI VRE IT
OPINIONS
DB TERRAY
EN MATläRE
tCONOMIQÜB.
personnes, soit pour avoir leurs faveurs, soit pour rimunärer des
capilaux pröt6s. Mais, s'etant fait adresser par les fermiers, confiden-
tiellcment, la liste des « Croupiers », la lecture du document lui enleva
tout espoir de donner suite ä ses id6es de röforme. Le Roi figuraii
en personne pour un quart dans Tentreprise du fermicr de La Haye,
pour un quarl aussi dans celle du fermier Saleur, pour une moitte
dans celle du fermicr Poujaud. La Dauphine participait aux b6n£fices
de M. de Borda pour une somme de 6000 livres; la comiesse de Pro-
vence et Mmes Adelaide et Sophie k ceux de M. Chalut de Verin,
chacune pour 6000 livres; Mme Victoire ä ceux de M. Bertin de
Blagny pour 6000 livres encore, qu'elle devait distribuer ä divers
prot£ges; M. de Mesjean faisait lenir 15000 livres ä Mme Louise;
M. d'Erigny 20000 livres ä Mme du Barry. Le bau des fermes fut
rcnouvelö le 2 janvier 1774; le prix ötait de 152 millions par an, ce
qui donnait au Roi 3 442918 livres de plus qu'en 1768.
Ces diverses Operations fournirent, en cinq ans, une ressource
supplömentaire de 180 millions; Terray justifiera, devant Louis XVI,
de l'emploi de 144, et, pour les 36 au t res, produira des acquits de
complant.
En mattere economique, Terray oscilla entre le parti de la r£gle-
mentation et celui de la libertö. A la prlsidence du Bureau du
commerce, il maintint Trudaine, adversaire de la räglementation ;
mais, sur la question des r&glements de fabrique et de police, il
demeura fidöle aux vieux errements; de inSme pour le commerce des
bl6s. En juillet 1770, le bl6 (Hant trös eher, ilen interdit l'cxportation,
quo L'Averdy avait permise; puis, le 23 döcembre, il fit rendre un
arröl qui rötablissait la libre circulation entre les provinces; mais,
en 1771, lc bl6 redevenant eher, il interdit de Texporter en Franche-
Comte, en Alsace, dans le Pays Messin, en Lorraine et Barrois, et de
le laisscr sortir par les ports de mer.
Comme ses pr6d6ccsseurs, il crut qu'en faisant des approvision-
nements de b\6 ä grands frais, il influerait sur le prix des subsis-
tances. Bien qu'il n'agit que dans l'inter6l public, il fut dönoncä
comme ölablissant lc monopole du commerce des grains au profit du
Roi. II aurait voulu que les intendants fissent comprendre aux popu-
lations que TElat nc spöculail pas sur la misfcre; le 28 septembre 1773,
il leur öcrivail :
« Je dois vous prevenir que le peuple, les bourgeois des villes, et m6me
les personnes distinguees, sont imbus de l'id^e fausse qu'il existe une com-
pagnie chargee eiclusivemcnt de rapprovisionnement du royaume et du com-
merce des grains. On aecuse cette prftendue compagnie d'ötre la cause, par le
monopole qu'elle exerce, du prix excessif des grains. De pareilles opinions
rendraient le Gouvernement odieux, si elles s'enracinaienU Vous savez que si
< 4i i »
LI VRE IV
Les dernieres annies du rkgne (1770-4774).
le Gouvernement a fait passer des grains dans les d afferentes provinces, c'etait
pour les faire vendre ä perle, et pour le soulagement des peuples. 11 est de
votre devoir de detromper ceux qui sont dans lerreur. •
Limpopularitß du Contröleur g6n6ral n'en allait pas moins crois-
sant. On lui reprochait ses moeurs. II avait des maltresses qu'il ne
payait pas, mais auxquelles il faisait faire des affaires. On Taccusait
dautre part de n'ölre lallte de Maupeou que par politique, inai? d'espä-
rer que le Chancelier serait eulbutö par d'Aiguillon, afin de devenir
lui-mönie Garde des Sceaux; on disait aussi quil r£vait un chapeau
de cardinal. On lappelait YEnfant Gältf parce qu'il « touchait ätout »,
le Grand Houssoir parce qu'il « atteignait parlout ». On fil sur lui
celte öpigramme :
En abbe voudriez-vous voir
Comme un vautour se d£guise?
Regardez bien ce Grand Houssoir
En casaque d'eglise.
Chaque jour, par inillc moyens,
Cette espece de moine,
Du bien de ses concitoyens
Grossit son patrimoine.
Quoi qu'il füt riche avant d'entrer au Contrölc g^neral, le
public croyait que c^tait lä qu'il s'cnrichissait. « 11 est, disait-on,
pire que la sangsue qui quitte du moins la peau quand eile esl pleine. »
11 faut lenir compte ä Terray de l'impossibilitö oü il fut de
rtfformer le Roi, la Cour, les moeurs, la societ6, et aussi des circons-
tances generalcs qui ötaient döplorablcs pour les finances. La guerre
turco-russe ruinait le commerce francais du Levant; les evenements
d'Xmorique g£naient les relations avec le Nouveau-Monde; une crisc
industrielle s^vissait. En un an, on compta k Paris 2500 faillites. De
mauvaises recolles sajout&rent. En 1773, des Erneutes 6clat6rent ä
Aix, Montpellier, Toulouse, Bordeaux, Limoges, dans une foule de
villcs et de bourgs. Les paysans afflufcrent dans les villes pour y
mondier. Ce fut « un cri g£n£ral et puissant » contre Terray, et Ton
put craindre, quelque temps, une Evolution.
Pour que rien ne manquat au dtfsordre g£n6ral, les ministres
conspiraient les uns contre les autres. Les Triumvirs, disait-on, s'en-
tendaionl « ä couteaux tirös ». D'Aiguillon reprochait a Maupeou de
Tavoir mal second6 lors de son proc&s. II entreprit de renverscr son
rival en dcHruisant son oeuvre. II entra en n6gociations avec les Par-
lementaires, surtout avec le pr£sident de Lamoignon, auquel il
soumil un projet de Parlement mixte, dont Lamoignon devait ttre
Premier President; une partie du nouveau personnel judiciair« serait
lUPOPULARlTt
DE TERRAY.
RiVAUTt
EffTRE MAUPEOU
BT VAIGU1LLON.
4t5
Les dernihres annies du rbgne (1770-1774)
um IT
BEAUMARCHAIS
ET UAFFAIRE
GOEZMAN.
remplacöe par d'anciens magislrats. Entre les Parlementaires intrai-
tablcs el le parti Maupeou, cTAiguillon essayait, en sommc, comme
feront, sous le r&gne suivant, Maurepas et Miromesnil, de former im
parti interm£diaire.
11 fut grandement aid6 dans sa lutte contre le Chancelier lorsque
Beaumarchais entra en campagne contre le Parlement Maupeou.
Caron de Beaumarchais, n£ ä Paris en 1732, avait pratiqu6 d'abord le
mutier d'horloger, qui 6tait celui de son p&re ; puis, ötant bon musicien,
harpiste et guitariste, il donna des legons aux filles du Roi. Introduit
dans le bcau monde, ambitieuxde faire fortune, douö pour les affaires,
il se lia avec Paris du Verney, qui lui fit place dans ses entreprises,
et il comraenga une grande fortune. A la mort de du Verney, en 1770,
Beaumarchais präsenla au lögataire universel de celui-ci une recon-
naissance de quinze mille livrcs, qui 6iaii un r6glement de comptes
fait avec du Verney peu de temps avant sa mort. Le lögataire, M. de
La Blache, döclara la piöce fausse. L'affaire 6tant venue au Parle-
ment de Paris, le rapporteur d6signe fut un certain Gogzman; Beau-
marchais, pour se le rendre favorable, envoya ä Mme Goäzman un
rouleau de cent louis et une montre ä r6p6tition, plus quinze louis
pour le sccr6taire du juge. II perdit tout de m&me son proc&s.
Mme Goezman lui rendit les cent louis et la montre, mais pr&endit
relenir le cadeau du secrötaire. D'oü röclamations de Beaumarchais;
d'autrc part, Goezman poursuivit Beaumarchais pour calomnie et
tentalive de corruption.
La cause de Beaumarchais ätait si mauvaise qu'il ne trouva point
d'avocat pour la döfendre; mais il la porta devant le public par des
öcrits : un Memoire ä consulter pour Pierre Caron de Beaumarchais,
dcuyer, conseiller-secrtflaire du Roi, el lieuienanl ge*n4ral des chasses
au bailliage el capilainerie de la Varenne du Louvre, grande Ve'nerie
el Fauconnerie de France, accuse; un Supplement au Memoire ä con-
sulter... ; une Addition au supple'menl du Memoire ä consulter. ..;
un Quatriime Memoire ä consulter pour Pierre-Augustin Caron de
Beaumarchais... accuse' de corruption de Juge, contre M. Goezman,
Juge accusd de subornalion el de faux; Madame Goezman, et le sieur
Berlrand, accusds; les sieurs Marin, gazetier f Darnaud-Baculard,
conseiller d'Ambassade. Les trois premiers m&noires parurent en
1773, lc quatri&mc en 1774. Aussitöt Beaumarchais, qui n'avait
encore 6crit que des piöces mädiocres, — le Barbier de Siville^ son
premier succ&s, est de 1775, — passa 6crivain cölebre. L'ancienne
magistrature, et tout ce qui tenait & eile, et le parti d'Aiguillon
applaudirent ä outrance. On fit ce mot : « Louis XV a dötruit le
Parlement ancien; quinze louis dltruiront le nouveau ». II est vrai
416 >
L1VHE IV
Les dernferes annees du rhgne (4770-1774).
qifunepuissance se rev£laiten Beaumarchais parsa vervecndiablöe,sa
|)laisanlerie mordante, — un peu grossiere, — son eloquencc un pcu
derlamatoirc, son talcnl de mcltrc en scene et de faire parier des per-
sonnagcs de fagon ä les rendre pleinement ridicules. Beaumarchais
tut condarnne au blälne, et scs memoires laceres et brül£s par Texö-
euleur ; mais il fut Ie heros du jour. Des l'ommes du monde lui
eerivirent des lettres enlhousiastes; on s'inscrivil en foule ä sa
porte; 1c prinre de Conti le regut a sa table. M6me Louis XV et
Mine du Barry s amuserent de la fagon dont il traitait les Goezman.
D'Aiguillon fut fortilie par le discredit des juges de Maupeou.
En fevrier 1774, il fit disgracicr le ministre de la Guerrc, Montey-
nard, dont il prit le portefeuille; a la IHe de deux ministercs, appuyß
sur le Gonlruleur general et sur le ministre de la Marine qu'il dölacha
de Maupeou, il parut capable de renverscr le Ghancelier. Mais Mau-
peou se defendail. Louis XV, qui se d£sennuyail ä regarder la lutte
des deux ministres, permettail les inlrigues de d Aiguillon avec les
Parlementaires, mais demcurail altachc au Ghancelier qui l'avait
venge des insolences des Parlements. Maupeou serait probablcment
demeure vainqueur si le Roi n'etait venu ä mourir.
D'AWVILLOS
MIMSTRB
DE LA (WEHRE
IV. - LA COUR; LA MORT DU ROI
LOUIS XV survivait ä trois de ses enfants, Mme Henriette, morte
en 1751, Mme Louise-Elisabeth, la duchesse de Parme, morte
en 1759, le Dauphin, mort en 1765; ä sa bellc-fille, la Dauphinc,
morte en 1767, et ä la Reine, morte en 1768.
La succession au tröne ötail assuröe par les trois petits-fils du
Roi, Louis le Dauphin, Louis-Xavier, comte de Provence, Charles,
comlc d'Artois. Le Dauphin s'annoncait honnele, simple, fruste, sans
grdec aueune, medioere en tout si ce n'est en sa passion pour la
chas^e. La Dauphine Marie-Antoinette aurait bien voulu vivre une
vie insouciante et gaie, un peu ä la fagonde la duchesse de ßourgogne
jadis; mais eile elait mal ä laise dans celte Gour, oü se trouvaient
des personnes c6n ; monieuses. Elle naimaitpas son mari, ce « pauvre
hemme », comme eile Tappela un jour. Elle £tait g£nee dans ses rela-
lions avec le Roi, si bon qu'il se montrÄt pour eile, par larepugnance
et le dftlain quelle ressentait pour Mme du Barry. Enfin sa mere,
lirnperatriee Marie-Thercse, luidonnait, ilcst vrai, de sagesavis, mais
ln>p «ouvent lagrondail ou la faisait gronder par lambassadcur Mercy,
la hacassait, et, en exigeant d'elle qu'elle servil en toute chose la
LE DAUPHIN,
LE
COMTE D'ARTOIS,
LE COMTE
DE PROVENCE.
4 417
Viii. 2.
«7
Les dernieres annees du rhgne (1770-1774). uvre iv
poliliquc de la Cour de Vienne, risquait de compromeltre ainsi « TAu-
trichienne ». D'ailleurs, la Dauphine 6lait frivole, capricieuse, ei se
plaisait aux coteries. Le comte de Provence et le comte dArtois
avaient 6pous£ deux sceurs, filles du roi de Sardaigne, mädioeres de
ioutes fa$ons, et jalouses de la brillante Dauphine. Le comte de
Provence 6tait intelligent. rus6, hypoerite ; le comte dArtois, espiögle,
frivole, aimable, plaisail a la Dauphine.
le luxe de La famille royale vivait comrae k T6cart, ou lout au moins au
maüaue du barry. second plan; au premier, brillait auprös du Roi Mme du Barry. Elle
inenait grand train de vie. Le banquier de la Cour, Beaujon, lui remet-
tait 300000 livres par mois. Elle avait une « grande livr6e », äcarlate
et or, une « petite livree ». chamois et argent, des cochers, piqueurs,
poßtillons et palefreniers, des maltres d'hötel, cuisiniers, valets de
garde-robe, suisses et jardiniers. Ses piqueurs achetaient ses chevaux
ä Londres. Le peintre Vallec döcorait ses carrosses et ses chaises de
seines galantes ou pastoralcs. Elle oecupait au « Chftteau » un appar-
tement dans Taile de la chapelle, et Iogeait ses gens et ses 6quipages
dans un hötel de la rue de TOrangerie. Le Roi lui avait donn6 Lou-
vecienncs, domaine de la Couronne, ä deux pas de Marly ; la, sur les
plans de l'architecte Lcdoux, eile avait faitconstruireun pavillondont
le vestibule, qui servait de salle ä manger, ötait une merveille. Les
murs ötaient revötus de marbre gris, coup6s de pilastres corinthiens
ä chapiteaux de bronze dore; enlre les chapiteaux, des amours et des
£cussons aux armes du Roi et de la favorite formaient bas-reliefs;
des statu es de marbre, sculptees par Pajou, Lecomte et Moineau,
portaient des flambeaux de bronze; Boucher avait peint le plafond,
Gouthiöre ciselö les bronzes. Moreau le Jeune, dans une aquarelle, a
reprösentö un souper de föerie dans cette salle ä manger. Mme du
Barry acheta en outre a Versailles, avenue de Paris, une villa italienne
qu'elle projetail d'abattre pour construire ä la place un grand hötel
ou eile aurait transporte toute « sa maison ».
meubles Lanoix fut son £b6ni«*te, Guichard son sculpteur, Roettiers son
etbibelots. ciseleur d'argenlerie, Cagny son doreur. Elle aimait les meubles en
bois blanc satine, onus de tableaux de porcelaine, les meubles garnis
de bronze dortf, les commodes plaqu6es en c^böne, les ätag&res de
laque, les etuires rielms, les bibelots rares, les ivoires, les biseuits
de Sävres, les mini.ilures et les camees.
Chaque matin, ä sa loilette, defilaient les fournisseurs, des joail-
lers comme Bcrhmer, Hoüen, Demay et Straz, les couturifcres Sin-
glav et Pagelle, dos marchands d etoffes, des marchands de dentelles
de Vnlcncienncs el de Venise, les coiffeurs Nokelle et Berline, le
parl'umeur Vigier Eile faisail la inode a Paris et dans toute l'Europe.
t A 1 8 >
LI VRE IV
Les dernikres annees du rbgne (1770-1774).
Des artistes sinspiraient de sa beautö. Drouais la peignait en
robe de Cour et en travestis all6goriques ; des copies de la favorite cn
« Flore » coururent le monde. Pajou la reprösentait en terre cuite et
en marbrc; une manufacture du faubourg du Temple donnait d eile,
d'apres cet af tiste, un buste en porcelaine. Des gens de lettres la c6l6-
braienl et quötaient sa bienveillance. L'abb£dc Voisenonrimaiten son
honneur des couplets; Cailhava composait pour eile une com£die-
ballel. Elle fit obtenir k Marmontel lc titrc d'historiographe, et
delermina le Hoi a agr6cr d'Alerabert comme secrelaire perpälucl de
l"Acadeinie lrangaise. Delille et Suard lui demandaient d'intcrvenir
aupres du Hoi pourquil ne s'opposdt pas ä leur ndmission dans eettc
corapagnie. C'etait un honneur que de lire des manuscrils chez eile;
l'abbe Delille lui r6cita sa traductiondu quatri&me chanl deVEnMe;
il tut un de ses po£tes favoris. Voltaire esp£ra un moment obtenir du
Hoi, par rinlermediairc de la comtesse, la permission de revenir ä
Paris, quil dösirait fort. Elle fut aimable pour ce vieux philosophe,
ce grand distributeur d'injures et d'61oges. Elle lui fit dire un jour
quelle lui envoyait « deux bons baisers •• 11 remcrcia :
LES AHTISTBS
ET LES
LITTBRATBL'RS.
• Quoi ! deux baisers sur la fin de ma vie!
Quel (lasseport vous daignez menvoycr!
Deux, c'est trop dun, adorable Egerie,
Je serais mort de plaisir au premier.
Puis, aprfcs avoir avouä qu'il avait rendu deux baisers ä un por-
trail de la dame :
Vom» ne pouvez emp^cher cet hommage,
Faible tribut de quiconque a des yeux ;
C'est aux mortels d'admirer votre image ;
L'original etait fait pour les Dieux!
La Cour, que les deuils avaient attristte, redevint, grftee k
Mmc du Barry, joyeuse comme au milieu du si&cle. Les mariages
du Dauphin, du comte de Provence et du comte d'Arlois füren t
l'occa^ion de ftMes que la comtesse organisa en partie. Elle prit la
directum du th&Mre de la Cour: eile faisait reprteenter de präftrence
des operas-comiques, genre qui plaisait a Louis XV. En 1771 Grätry
et Marmontel lui dediaient une comedie-baHel. Zcmire el Azor % qui
fut jouce a Fontainebleau. Elle ecartait les pieces ennuyeuses, ne
voulant, disait-elle, ennuyer personne. Elle fit venir k Fontainebleau
le chanteur Larriv^e, le danseur Vestris: k Versailles, en 1773,
Mlle Haucourt, de la Comcdic-Francaise, k qui eile donna un cos-
tumc de Iheütre du prix de 6600 livres.
< 4i9 >
LES FETBS
A LA COUR
Les dernieres annees du regne {i770-f7?4).
LITBE IT
LES RECEPTIONS
LE PARTI
DE MADAME
DU BARRY.
Les röceptions se multipliaient chez Mrae du Barry et ses amis.
Ce n'6tait que diners dapparat, « grands soupers », bals masqu6s,
« divertisscments » de toules fagons. En fövrier 1773, les courtisans
admir&rent chez la comtesse, dans sa villa de l'avenue de Paris, une
allögorie de Voiscnon et Favart, le Reveil des Muses, des Talents et
des ArlSj suitc de seencs, de danses et de couplets, oü jouörent
Raucourt et Pröville, de la Comedie-Frangaise, et d\Aubcrval de
Töp6ra. Les Gazettes et les Correspondances en parl&rent tout
un mois.
Mmc du Barry avait un grand parli ä laCour. Auxamisde lapre-
miöre heure, ä Richelieu, Soubise, dAiguillon, Maupeou, Terray, au
comte de La Marche, eile joignait le duc de Coss6, le baron de Mont-
morency, et bien d'aulrcs, lous ceux a peu pr6s qui avaient quelque
gräcc ä solliciler. Parmi les dames de la Cour, les premieres qui se
ralliörent ä la favorite füren t la marechale de Mirepoix, qui avait
desdettes a payer, la marquisc de l'Höpital, maitresse de Soubise,
la princesse de Talmont, Mme de Montmorency, les duchesses d'Ai-
guillon, mfere et femme du minislre ; puis ce füren t la duchesse de
Valentinois qui, par Intervention de Mme du Barry, devint darae
datours de la comtessede Provence, la duchesse de Mazarin,d'autres
encore. Mme du Barry s'6tait fait ce cort&ge de grandes dames,
par la r6serve qu'elle gardait avec elles et le respeet qu'elle leur
tömoignait.
Mme du Barry na pas, commc Mmc de Pompadour, souhait6
d'fttre un personnage politique, mais eile a ete amenöe ä le devenir.
Anti-choiseulistc, puisque Choiscul s'ötail d6clar6 son ennemi, eile
fut l'amie des adversaires du duc. Commc le Roi, eile d6testait les
Parlements. Elle s'est occup6c de politique (Hrangere, parcequeTEu-
rope lui a fait des avances. Le 28 juillet 1771, deux mois apr&s 1*616-
vation de d'Aiguillon au seerötarial d'Etal des Affaires 6trang6res,
dans un souper donne ä Compi&gne par Mme de Valentinois, la com-
tesse fut Tobjetdes atlentions du Nonce. Les ambassadeurs d'Angle-
terre, deVenise, de Hollande etile Suede lui faisaient visite; Mercy-
Argenteau, qui d'abord setait lenu ä lecart, se montre fort aimable
pour eile, esperant « tirer parti de celtc femme » ! . Le roi de Suede lui
temoigne une vive amitie, qui semble avoir 6t6 sinc6re.
elle fait figüre Mme du Barry fait donc ügure de reine. Si eile est maltrait6c
de reise. par i es pamphlets, eile a pour elle l'adulation des courtisans, du
monde officiel, des gens de lellrcs, de ceux qui vivent du luxe et des
fötes de Cour. Ellea partout des succös de beaut6; au camp de Com-
sox ROLE
POLITIQUE
i. Voir eidessus, p- 4o8.
< 420 >
L1VHF IV
Les dernikres annies du rbgne (1770-1774)
LES PROJBTS
DE MARIAGE
AVEC LE ROI.
piegno, cn 1769, les officiers n'ont de regards que pour eile. M&me
Ic populaire sur les roules de Choisy ou de Compifcgne admire son
visagc et son air. Dans cerlaines fötes oü la famille royalc n'as-
siste pas, commc en septembre 1772, ä l'inauguration du ponl de
Ncuilly, eile est traitöe en souveraine. En 1773, la ville de Bordeaux
lance un navire qui sappelle « La comtesse du Barry ».
Elle faillit devenir reine de France. Apr&s la mort de la Reine, les
enfants de France däsirerent que le Roi se mariät, esp6rant faire cesser
par cc moyen le scandale de ses amours illegitimes. II fut question
dun mariage avec une archiduchesse, raais le projet n'aboutit pas;
alorson parla, ä la fin de 1772, d'un mariage avec Mme du Barry. La
chose plaisait ä Maupeou et ä d'Aiguillon, mßme ä Mme Louise,
cntr6c au Carmel, rannte d'avanl, qui craignail pour son pöre I im-
pänitence finale et la damnation. Mais il fallait oblenir en Cour de
Home l'annulation du mariage de Guillaume du Barry, la nögocia-
tion aurait pour le moins dura longtemps; on ne lentama poinl. La
famille royale continua de bouder la mallresse; pourtant le duc
d'Orlcans et le prince de Conti obtinrent des gräces par l'intermä-
diaire de Mme du Barry. On a vuque la Dauphine condescendit ä lui
parier. Un jour, eile dit , en la regardant : « 11 y a bien du monde
aujourd'hui ä Versailles », et, un autre jour : u 11 fait mauvais teraps,
on ne pourra pas se promener dans la journäe ». Möme le Dauphin
assislaä dessoupers que la comtesse prösidait.
Le Roi adorait sa mallresse, jeune, fraiche, amüsante & son vamour du roi.
perpöluel ennui, ni tracasstere, ni ambilieuse. 11 la döfendait contre
les cabalcs et lui öpargnait autant qu'il pouvait les d6dains de sa
famille. II röclamait de tous des £gards « pour les personnes qu'il
afTeclionnait » comme il disait sans la nommer. Cependant, ä mesure
qifil vieilüssait, la peur de la damnation sc faisait plus präsente.
Chaque annec, le moment de Pftques etait critique pour la favorite :
qui serait le plus fort, de la religion ou de la chair? Les Päques de
1774 passörent sans que le Roi communidt. bien que, le joudi saint,
Tabbe de ßeauvais, pr6chant devant la Cour, eüt fait une terrible
citation du prophete : « Encore quarante jours, et Ninive sera
detruite >». Mais la fortune de la favorite däpendait d'un trouble de
conscience du maitre, en un moment oü le päril du corps lui ferait
mieux sentir le p6ril de l'äme.
Or, le mercredi 27 avril 1774, le Roi £tant a Trianon, pr£t ä
monter a cheval pour aller ä la chassc, se sentit mal & laise; il suivit
les chasseurs dans sa calcche, et, le soir, assista au souper. La nuit,
il fut pris de ftovre. Le lendemain, il retourna ä Versailles, fut
saigne deux fois, le 29, il s'alita. Les mldecins annonc&rent d'abord
LA MALADIE
DU ROI.
421 >
Les dernieres annies du regne (1770-1774).
uvai it
LES DERNIERS
MOMENTS.
LA MORT
(10 MAI H74).
LE SENTIMENT
PUBLIC.
un öresip≤ mais, quand on sut quils avaient ordonne d'eloigner le
Dauphin et la Dauphine, on devina la nature de la maladie. De U
flevrc, des maux de töte, des vomissements, des douleurs d'entrailles,
dönoncerent la pelite veröle. A la chapelle du Ghäteau oommencörent
les priores des quarante heures. Mesdames et la favorite se succe-
daient auprös du lit du Hoi; Mesdames et la Dauphine demandaient
qu'on le prepardt ä recevoir les derniers sacrements; mais il eüt
fallu dabord congedier Mme du Barry. Aussi dAiguillon declara-t-il
que les sacrements, « fort bons pour 1'dme, couraient risque de
Luer le malade ». Comme on parlait de faire venir de Sa int- Denis
Madame Louise, il invitait le Nonce ä refuser ä la carmelite l'auto-
risation de sortir de son couvent. 11 fallut pourtant en arriver ä
l'extremite si redout£e. Dans la nuit du 3 au 4 mai, Louis XV, qui
voulait eviterä sa maitresse l'affront fait jadisä Mme de Chateauroux,
lui dit : « Madame, j'ai la petite vörole. D'ici vingt-quatre heures,
je puis ßtre administrä. II faut prövenir la venture de Metz, et il est
ntfcessaire que vous vous doigniez. » Elle se retira ä Rueil chez
Mme dAiguillon.
Le 7 mai, comme son etat s'aggravait, le Roi demanda son
confesseur ordinaire, labb6 Maudoux, et se confessa. Le cardinal de
La Roche-Aymon lui apporla le viatique, en grande pompe, et lui
dit : « Voici le Roi des Rois, le consoiateur des souverains et des
peuples ». Le Roi murmura quelques mots au cardinal qui se retourna
vers les assistants, et declara : « Messieurs, le Roi m'ordonne de
vous dire que, sil a caus£ du scandale ä ses peuples, il leur en
demande pardon ».
Le 9 mai, le malade voulut recevoir l'extröme-onction ; le len-
demain. apr6s unc douloureuse agonie, il mourut, ä trois heures de
l'aprös-midi. II ötait devenu möconnaissable; ses traits s'etaient
deformes et grossis : son visage s'ltait couvcrt de croutes; il
exhalait une odeur infecte; on lenait constamment les fendtres
ouvertes.
Durant le temps qu'il mit a mourir, personne, ecrit Besenval,
ne l^moigna le moindre interöt pour lui, tellement il etait perdu
dans « l'opinion generale ». Bien quon eüt ordonne d'cxposer le
Saint-Sacrement dans les ^gliscs, et, ä Saint-Etienne-du-Mont, la
chAsse de Sainlc-Genevifcve, les fuleles s'abstinrent de prier pour le
salut du Roi. Au lieu de tiOOOmcsses qu'on avait cel£brecs en 1744,
c'esta peine si Ton en compta trois en 1774. Le eure de Saint-ßtienne-
du-Mont deplora, en chaire. rindiflerence des Parisiens.
Le 12 mai, vers sepl lieures du soir, le corps fut mis dans un
carrosse qu'escort&rent des gardes du corps et des gens de livr^e;
< 4'«** *
uvrf iv Les dernihres annies du rkgne (1770-1774).
le grand aumönier venait ensuite en voiture; quelques räcollels,
aver. le clergä des paroisses Saint-Louis et Notre-Oame de Versailles,
suivaient ä pied. A ia place d' Armes, le cortege se disloqua. Les
gardes et quelques domestiques allerent seuls jusqu'ä Saint-Denis.
Pendant le voyage nocturne, des plaisants, par allusion aux deux
principales passions du deTunt, la chasse et lamour, salueren! le
e.onvoi des cris : « Taiaut! Taiaut! » et: « Voilä le plaisir des dames!
Voilä le plaisir! »
€ /|23
w
TABLE DES MATTERES
yf
LIVKE PREMIER
LA REGENCE ET LE MINISTERE DU DUC DE
BOURÜÜX
CHAPITRE PREMIER
LE GOUVERKEMENT DELIBERATIF DES CONSEILS
I. — Le tcstnmcnt de Louis XIV 1 ^
II — (/Organisation des conseils (1115) 4 ^
III. - L'oMivre des conseils, le conseil de flnance et le duc de Noailles
(1115-1718) 7
IV. — L'abaisscment du Parlement de Paris (1718) 14
V. - La ruine des conseils (1718-1720) 18
CHAPITRE II
LE SYSTEME DE LAW
I. — Les antAcedents de Law 21
II. La banque g6nexale et la corapagnie d'Occident (1716-1749) ... 2'«
III. — La banque royale (1718-1720*, la compagnie des Indes etsa fusion
avec la banque (1719-1720) 28
IV. - Les violences de Law et la Hn du Systeme 33
V. — Les resultats du Systeme 38
VI. — La liquidation par le visa (1721-1722) 42
CHAPITRE III
LABBil DÜBOIS
I. — Ln phvsionomie de Dubois 46
IL - La Triple-Alliance (1716-1717) 47
III. — La Quadruple-Alliance et les deux coospirations de la dachesse du
Maine et des Bretons (17171720) 51
IV. — Le rapprochement de la France et de TEspagne (1722) 57
V. — La politique moli niste de Dubois (1720-1721) 59
VI. - La (In de Dubois et du duc d'Orieans (1723) 63
< 4&5 >
viii. 2. 28
y
Table des Malier es.
CHAPITRE IV
LA COUR, LES MCEURS, UART ET LA MODE PENDANT LA
RiGENCE
I. — La cour et les moeurs 65
II. — Les arte et les modes 73
chapitbe v
LE MINISTERE DU DUC DE BOURBON (1723-1726)
I. — Monsieur le Duc et madame de Prie 77
11. — L'administration de Paris du Verney (1723-1726) 79 .
III. — La Declaraüon de 1724 contre les proteslants 84
IV. — La politique exterieure du ministere Bourbon; le manage du roi 86
V. — La disgrace de monsieur le Duc (1726) 91
LIVRE II
LEPOQUE DE FLEURY ET DE LA SUCCESSION
D'A UTRICHE
CHAPITRE PREMIER
DU MINISTßRE DE FLEURY {1726-1743)
I. — Le caractere de Fleury 93
II. — L'administration financiere et economique ; Le Pelletier des Forts
(1726-1730) et Orry (1730-1745) 95
HI. — Les affaires religieuses : le jansenisme et les parlements. ... ift
IV. — La politique exterieure et la guerre. Succession de Pologne et
succession d'Autriche (1726-1743) 117
V. — La mort de Fleury 130
CHAPITRE II
LA COUR, LA FAMILIE ROYALE ET LES PREMIXES MA1-
TRESSES. LES MINISTRES ET LE ROI
I. — La fa nulle royale : le Roi, la Reine, le Dauphin, Mesdames; les
princes 131
II. — Les premieres maitresses; mesdames de Mailly, de Vintimille et
de Chateauroux , 139
CHAPITRE in
LA POLITIQUE ET LA GUERRE, DE LA MORT DE FLEURY A
LA PAIX D AIX-LA-CH APELLE {1741-1748)
I. — La politique et la guerre continentale; le marquis d'Argenson; lo
marechal de Saxe 143
II. — La guerre maritime; le comte de Maurepas, La Bourdonnais et
Dupleix 154 j
III. — La paix d'Aix-la-Chapelle et l'opinion publique en France (1748) . !«3
< .426 >
Table des Mutier es.
CHAPITRE IV
LA VIE INTELLECJUELLE, DEPU1S LA RtGENCE JUSQITAU
MILIEU DU SIÜCLE
I. — Les idces philosophiques et politiques 168 v
II. — Les scienccs 176
III. — L'erudition 179
IV. — Les lettres, poesie, prose, the&tre I8C
V. — Les arts 196 y
VI. — Les salons 212
LIVRE III
VEPOQUE DE MADAME DE POMPADOUR, DE
MAC HAU LT ET DU DUC DE CHOISEUL
CHAPITRE PREMIER
LHISTOIRE INTERIEURE DE 174s A ijtf
I. — Madame de Pompadour 219
II. — Le comte d'Argenson 226 *
III. — L'administration flnanciere de Machault (1745-1754) 229
IV. — Les billets de confession etle refus des sacrements (1751-1758). . 237
V — L'attcntat de Damicns et la disgr&ce de Machault et du comte
d'Argenson (1757) 244
cuapitrb 11
LA GUERRE DE SEPT ANS
I. — Le renvcrsement des alliances 247
II. — Les Operations continenlales de la gucrre de Sept Ans; debuts
de Choiseul (1756-1763) 262
HI. — Les Operations maritimes et coloniales : Montcalm et Lally-Tol-
lendal (1756-1763) 271
IV — Le traitö de Paris 215 "
CHAPITRE m
LA PROPAGANDE PHILOSOPHIQUE
>s
1 — La forma tion du parti philosophique. L'Encyclopedie 289
II. — Le patriarche de Ferney 298 v
IIL — Rousseau 305 *
CHAPITRE IV
LA « DESTRUCTION » DES J&SUITES; LA PERS£CUTION DES
PROTESTANTS; LES AFFAIRES CALAS, SIRVEN, LA BARRE
I. — La • destruction • des Jesuites ; la reforme des Colleges 319
II. — Les protestants. Les proccs Calai, Sirven et La Barre 339
c 427 >
Les devnihres annies du regne [i770-f7?4).
LIVEE IT
ins HkrHrnoNs Les receplions se multipliaienl chez Mme du Barry et ses amis.
lh rAßtt q ä n'ötail quc diners d'apparat, « grands soupers », bals masqu£s,
m^arm* u Divertissements » de loules fagons. En fövrier 1773, les courtisans
admirerent chez la comtesse, dans sa villa de lavenue de Paris, une
all6gorie de Voiscnon et Favart, le Reueil des Muses, des Talents et
des ArtBy suite de scenes, de danses et de couplets, oü jouerent
Raucourt et Pr6villc, de la Comödie-Francaise, et d'Auberval de
FOp6ra. Les Gazettes et les Correspondances en parlerent tout
un rnois.
Mme du Barry avait un grand parti a laCour. Auxamisde lapre-
miere heure, ä Richelieu, Soubise, d'Aiguillon, Maupeou, Terray, au
comte de La Marche, eile joignait lc duc de Cosse\ le baron de Mont-
morency, et bien d'autres, tous ceux ä peu pr&s qui avaient quelque
grftec a solliciler. Parmi les dames de la Cour, les premieres qui se
rallierent ä la favorile furent la marechale de Mirepoix, qui avait
desdettes a payer, la marquise de l'Höpilal, maitresse de Soubise,
la princesse de Talmont, Mme de Montmorency, les duchesses d\Ai-
guillon, möre et femme du ministre ; puis ce furent la duchesse de
Valentinois qui, par Intervention de Mme du Barry, devinl dame
d atours de la comtesse de Provence, la duchesse de Mazarin, d'autres
encore. Mme du Barry s£lait fait ce corlege de grandes dames,
par la räserve qu'elle gardait avec elles et le respect quelle leur
temoignait.
Mme du Barry na pas, comme Mme de Pompadour, souhait6
d^tre un personnage politique, mais eile a ete amenöe ä le devenir.
Anti-choiseulistc, puisque Choiseul s'ötail declarß son ennemi, eile
fut l'amie des adversaires du duc. Comme le Roi, eile d£testait les
Parlements. Elle s'est oecup^e de poliliquo elrangere, parcequeTEu-
rope lui a fait des avances. Le 28 juillel 1771, deux mois apres T616-
vation de d'Aiguillon au secnHariat d'Etat des Affaires «Hrang&res,
dans un souper donnö ä Compi^gne par Mme de Valentinois, la com-
tesse fut l'objetdes atlentions du Nonce. Les ambassadeurs d'Angle-
terrc, de Venise, de Hollande et de Sucdc lui faisaient visitc; Mercy-
Argenteau, qui d'abord s'etait lenu ä l'ecarl, se montre fort aimable
pour eile, esperant « tirer parti de celte femme » ! . Le roi de Suede lui
temoigne une vive amili('\ qui semble avoir £te sincöre.
blle fait hgvre Mme du Barry fait dorn* (ii^ure de reine. Si eile est maltraitöe
üb heisb. par | es pamphlets, eile a pour eile l'adulalion des courtisans, du
monde officiel, des gens de lettres, de ceux qui vivent du luxe et des
fötes de Cour. Ellea partout des succ6s de bcautö; au camp de Com-
StiS HOLE
i'OUTIQUE.
i- Voir ci dessuft, p faß.
< 4 a ° >
uni it Les dernieres annies Hu regne n?'0-t?'i).
picgne, cn 1769, les officiers n'ont de regards que pour eile. Meme
lc populaire sur les roules de Choisy ou de Compiegne admirc snn
visagc ot sod air. Dans certaines feles oü la famillc royale n'au-
sisle pas, commc en seplembre 1772, ä 1'inauguralion du ponl du
Ncuilfy, eile est traitce en sou veraine. En 1773, la ville de Bordeaux
lancc un navire qui s'appclle « La comlesse du Barry ■>,
Elle faillit devenir reine de France. Apr6s la morl de la Reine, les
citfaiitsde France desirerent qucle Roi sc mariat, esperanl faire cesscr
par cc moyen le scandale de ses amours illegitimes. II fut question
d'un mariage avec une archiduchesse, mais lc projel n'aboutit pas;
alorson parla, a la iin de 1772, d'un mariage avec Mme ilu Barry. La
chosc plaisail a Mnupcou cl a d'Aiguillon, m?ine a Mme Louise,
enlrce au Carmcl, l'annee d'avant, qui craignait pour son pere I im-
penitence finale et la damnation. Mais il fallait obtenir en Cour de
Home l'annulation du mariage de Guillaume du Barry, la negocia-
linn aurait pour le muins dure longlcmps; on ne l'enlama point. La
Familie royale continua de bouder la mallresse; pourtant le duc
d'Orlcans et lc prince de Conti oblinrenl des graecs par l'inlermc-
diaire de Mme du Barry. On a vu que la Dauphine condescendit ä In i
parier. Un jour, eile dil, en la regardanl : « II y a bien du monde
aujourd'hui a Versailles ». cl, un autre jour : ■ II t'ail mauvais lemps,
oo ne pourrn pas sc promener dans la journee «. Meme le Dauphin
assistaa dessoupers que la comtesse prt^sidail.
Le Roi adorail sa inaHresse, jeunc, fraiche, amüsante a snn
perpeiuel ennui, ni Iraeassiere, ni ambitieusc. II la defendait contre
les cabalcs el tili cpargnail aulant qu'il pouvail les dedains de sn
famillc. II reclamail de Ions des egards « pour les personnes qu'il
affcctionnuil • commc il disait sans la nommer. Ccpendanl, ä mesure
qu'il vieillissail, la peur ilc la damnation sc faisait plus presentc.
Chaque an nie. lc momenl de Piques etait rrilique pour la favoritc :
qui scrail lc plus fori, de la rrligioli nn de la chair? Les Pique" de
1774 passercnl sans qnc le Itoi eommunial. bien que, lc ji Ulli sainl,
l'abbc de Bcauvais, preclianl dcvnnl la Cour, cftl fait um* tcrrible
citation du prophete ■■ Enron- quaranlc jours. el Ninivc scra
di-lruilc •. Mais In fort i ine de la favorilc dependait d'un troublc de
conscienee du mallre. en un momenl oü lc perü du corps lui ferail
inieux sentir le prril de In ine.
Or, le mereredi 27 avril 1771, le Hoi elai
monier a clieval pour aller a la ehns-e, -c seilt ll
les chasscurs dans sa ealeclie, el. le soir. as*i*l:
il fut pns <lc lievre. Le lendemain. il retour
saigne deux fois, le '_".), il s'alila Les medecins annonecrent d'abonl
LES PKOJKTS
DE HAH ACE
AVBC ifi KOI
CAMOÜK DU KOI.
Trianon, prfl a
i.a Malawi;
ilal'aisc:ilsuml
DU KOI
i Souper. La nuit,
a Versailles, ful
Les dernieres annies du regne (1770-1774).
uvmi it
LES DERNIERS
HOHEN TS.
LA HORT
(10 HAI 1774)
LE SESTIHES7
PUBLIC.
uii er6sip6le; mais, quand on eul qu'ils avaient ordonne d'61oigner le
Dauphin et la Dauphine, on devina la nature de la maiadie. De U
fievre, des maux de töte, des vomissements, des douleurs d'entrailles,
dönoneerent la petite veröle. A la chapelle du Chäteau oommencerent
les priores des quarante heures. Mesdames et la favorite se succ£-
daienl aupres du lit du Roi; Mesdames et la Dauphine demandaienl
quon le präpardt ä recevoir les derniers sacrements; mais il eüt
faliu dabord congedier Mme du Barry. Aussi d'Aiguillon de^clara-t-il
que les sacrements, « fort bons pour Förne, couraient risque de
Uier le malade ». Comme on parlait de faire venir de Saint-Denis
Madame Louise, il invilait le Nonce ä refuser ä la carm&ite lauto-
risation de sortir de son couvent. 11 fallut pourtant en arriver ä
rextr£mit£ si redoutöe. Dans la nuit du 3 au 4 mai, Louis XV, qui
voulait öviter ä sa maftresse l'affront fait jadis ä Mme de Chäteauroux,
lui dit : <( Madame, j'ai la petite veröle. D'ici vingt-quatre heures,
je puis £tre administrä. II faut pro venir la venture de Metz, et il est
ncxessaire que vous vous eloigniez. » Elle se retira ä Rueil chez
Mme d'Aiguillon.
Le 7 mai, comme son etat s'aggravait, le Roi demanda son
confesseur ordinaire, labb£ Maudoux, et se confessa. Le cardinal de
La Roche-Aymon lui apporta le viatique, en grande pompe, et lui
dit : « Voici le Roi des Rois, le consoiateur des souverains et des
peuples ». Le Roi murmura quelques motsau cardinal qui se retourna
vers les assistanls, et declara : « Messieurs, le Roi m'ordonnc de
vous dire que, s'il a caus£ du scandale ä ses peuples, il leur en
demande pardon ».
Le 9 mai, le malade voulut recevoir rextreme-onction; le len-
demain, aprfcs une douloureuse agonie, il mourut, ä trois heures de
lapres-midi. II elait devenu mexonnaissable; ses traits s'^taient
deformes et grossis : son visage s'etait couvert de croötes; il
exhalait une odeur infecte; on lenait conslamment les fenelres
ouvcrtes.
Durant le lemps qu'il mil ä mourir, personne, öcril Besenval,
ne lemoigna le moindre intenM pour lui, lellement il elait perdu
dans « lopinion generale ». Bien quon eöl ordonne" d'exposor le
Saint-Sacrement dans les eglises, et, a Sainl-Etienne-du-Mont, la
cliAsse de Sainlc-Cjenevieve, les fidcles s'abstinrent de prier pour le
salul du Roi. Au lieu de GOOOmcsses qu'on avait celebrees en 4744,
c'esta peine si Ton en compta Iroisen 1774. Le eure de Saint-fitienne-
du-Mont deplora, en chaire. Tindiflerence des Parisjens.
l-re 12 mai, vers sept heures du soir. le corps fut mis dans im
carrosse qu'escort&rent des gardes du corps et des gens de livröe:
U% »
TABLE DES MATTERES
UVRE PREMIER
LA REGENCE ET LE MINISTERE DU DÜC DE
BOURBOX
CHtriTKB FKKWE*
LE GOUVERNEMENT DEUBERATIF DES CONSEILS
I. — Le teslamenl de Louis XIV 1 ■
II. — L'orgnniaauon dea cunaeils (llii) 4 '
III. — L'ieiivre den conseils. le conseil du flnmice et I« duc de Naallles v
ini3.ni«) i ,
IV. — Lobnissenient du l'arlemenl de Paris (1118) 14 .
V. — La ruine des <onseilfl (ttla-17i0) II
CIIAFITKB II
LE SYSTEME DE LAW
I. — Lcb anl*cedenLl de Ijw M
lt. — La ban<|ue ft^n^rale et In eoiDpafpiie d'Occtdent (UI6-I71*) ... M
Ml. — La bani|tie rovale illw-lliiii. \„ cnTii|iisnJf des Indes elaa Tusion
■vre In ban<|ue im»-l1*U' M
IV. - Lee violinrr« de Iji« rl la lln du *v*Lem<- 3J
V. — Les reaultals du »yslfmr 3» J
VI. - La lK|uidaliui> par le visa (1721-17*1) 42
chahtuf. in
LAUBE DLBOIS
I. - Iji phraionomlr de Intimi« 46
II. - ljtTri|.le-Allianr.-M7lf 1 -1717> 47
III. — La r)uailrunle>Allinnce el le« rleux eonanirationa de la duehewwdu
Maine e( dea Breton-t 1 1711)7101 Sl
IV. — Le mpiirocticinenl de la France el de TEapapne (t*lä) ST
V. - U [Hilihque moUahUe de DiihoH <17M-ITSt) M
VI. - La finde üubolael du due d'Orleans <n«) M
. 4iÜ .
Table des Malier es.
CHAPITRE IV
LA COUR, LES MCEURS, L'ART ET LA MODE PENDANT LA
REGENCE
I. — La cour et les moeurs 65
II. — Les arts et les modes 73
CHAPITRE v
LE MINISTERE DU DUC DE BOURBON (1723-1726)
I. — Monsieur le Duc et madame de Prie 77
II. — L'administration de PAris du Verney (1723-172«) 79
III. — La Declaration de 1724 contre les proteslants 84
IV. — La politique exte>ieure du ministere Bourbon; le manage du roi 86
V. — La disgrace de monsieur le Duc (1726) 91
LIVRE II
LÜPOQUE DE FLEURY ET DE LA SUCCESSION
D'AUTRICHE
CHAPITRE PREMIER
DU MINIST6RE DE FLEURY (1726-1743)
I. — Le caractere de Fleury 93
II. — L'administration financiere et economique ; Le Pelletier des Forts
11726-1730) et Orry (1730-1745) 95
III. — Les affaires religieuses : le janslnisme et les parlements. ... Hl
IV. — La politique exte>ieure et la guerre. Succession de Pologne et
succession d'A Ulriche (1726-1743) 117
V. — La mort de Fleury 130
CHAPITRE 11
LA COUR, LA F AMILLE ROY ALE ET LES PREMltRES MAI-
TRESSES. LES MINISTRES ET LE ROI
I. — La famille royale : le Roi, la Beine, le Dauphin, Mesdames; les
princes 131
IL — Les premieres maitresses; mesdames de Mailly, de Vintimille et
de Chateauroux , 139
CHAPITRE in
LA POLITIQUE ET LA GUERRE, DE LA MORT DE FLEURY A
LA PAIX D AIX-LA-CH APELLE (174^1748)
I. — La politique et la guerre continentale; 1c marquis d'Argenson; lc
marechal de Saxe 143
II. — La guerre maritime; le comte de Maurepas, La Bourdonnais et
Dupleix 154 j
111. — La paix d'Aix-la-Chapelle et Topinion publique en France (1748) . 163
<
\i6 >
Table des Mutiere».
LA V1E 1NTELLEC7UELLE, DEPUIS LA REGENCE JUSOVAU
MILIEU DU SIECLE
I. — Les idees philoBophiques et poliliques. IM
II. — Les scieuces 1W
III. — L'enidilion II»
IV. - Leg lettres, poesie, prose, tbeatre IM
V. - Les ans l«^
VI. — Les salons ili
UVRE III
VEPOQUE DE MADAME DE POMPADOUR, DE
MACHAVLT ET DU DUC DE CHOISEUL
chäpitke pntMisK
VHISTOIRE INTERIEURE DE 174.1 A 175S
I. — Madame de Pompadour 31*
II. — Le eomte d'Argenson Ma ,
III. — L'admuiistration flnancieredeMachaull(17iS-mt) ttr
IV. — Les billels de confcssion et le refiia des aacremeDts (1131-171(1. . 1X1
V. — L'attentat de Damiens et la disgrace de Machault et du coml«
d'Argenson (115*) itt
CIUPITBB 11
LA GVERRE DE SF.PT ASS
I. — Le renvcraeraent des allianccs 147
II. — Les Operations continenlalea de la gucrre de Sept Ana ; dtbuU
de Choiseul (l"5«-i:«3) SU
III- — Les Operations maritimes et coloniales : Monlcalm et Lally-Tol-
lendal (ITW-nM). Sil
IV — Le traite de l'am US
chahtkb 111
LA PROPAGASDF PHILOSOPH IQL'E
I. — l_a formnlirm du |>arti puikmop)ii<|ue. L'Enryclopcdir M
II. — Le palriarche ilf Ferncy SM *
III. — Rousseau Ms ,
ttlAPITKK ir
LA . DFSTRVCTIOS . DES JESVITES; LA PERSECUTIOS DES
PROTESTAXTS; LES AFFAIRES CALAS, SIRVES, LA BARRE
I. — La • dc-irur.tion • des Jesuit«* ; la rtfonne des College« III
II. - Les proleslanta. Lea proce* Calaa, Sirven et La Barre M»
Table des Matteres.
CHAPITRE V
LE MOUVEMENT &C0N0M1QUE El LES FINANCES, DE
MACHAULT AU TRAITE DE PARIS
I. — L'6cole de Gournay; la reforme du Systeme reglementaire et la
destruction de la Compagnic des Indes 343
II. — L'ecole de Quesnay, la question des grains et le prätendu pacte
de famine 351
III. — L'etat des flnances avant et apres le traite de Paris : Silhouette,
Bertin, L'Averdy 36!
CHAPITRE Vt
LES DERN1ÜRES ANN&ES DU MINISTÜRE CHOISEUL (176S-1770
I. — Administration militaire, maritime et coloniale de Choiseul . . 369
II. — Los affaires de Bretagne 319
III. — Chute de Choiseul 385
L1VRE IV
LES DERNIERES ANNÜES DU REGNE (1770-1774)
1. — Le triumvirat ; la destruction des Parlements 303 "
II. — Le declin de l'influence francaise en Europe (1769-1774) 403 '•
III. — Les flnances; l'anarchie dans le ministerc 411 *
IV. — La Cour; la mort du Roi 417
Coolommiers. — Imp. Paul BRODARD.