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Full text of "Histoire de France, depuis les temps les plus reculés jusqu'en 1789"

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^artiarli  CoUege  Itiirarp 

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HISTOIRE 

DE  FRANCE 


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Cel  oitrrsge  a  obtenu 
ilf  t*Acddëtni<*  des  ïuscriptions  cl  Belles- Lellrr s 

LE  fîRAKD  PRI3(  GOUEKT; 

l'I  il  a  l'ic*  rnsuilc  <joiironiit!  quulre  fois 
l>ar  rÂcadàiiie  Française. 


fAlllS.  —  tMFAlHERIE  DCVOlf;t1l,  HtC  UlLè  UHt&i  H. 


HISTOIRE 


DE  FRANCE 


DEPUIS  LES  TEMPS  LES  PLUS  IIECULÉS  JLSQU  EN  1789 


HENRI  MARTIN 


Pulvis  ve/erum  renovabilur. 


rOME  M 


QUATRIÈME  ÉDITION 


PARIS 
FlIRNE  LIBRAIRE-ÉDITEUR 

Se  r^M-Ttc  lu  droit  <!«'  Iraiiuctioii  v.l  di-  n-prttdiictioii 
il  IKlraiippr.' 


M    nCCC   LV 


HISTOIRE 

DE  FRANCE 


TROISIEME  PARTIE. 

FRANCE  DU  MOYEN  AGE.—  GUERRES  DES  ANGLAIS. 

(SUITE.) 


LIVRE  XXXIV. 

Nouvelle  ihtasioh  ahqlaisb.  Charles  VI  (suite).  Henri  V  de  Lancaslre  descend 
en  Normandie.  Prise  de  Harfleur.  Désastre  d'Azincourt. —  Guerre  civile  et  guerre 
étrangère.  Lutte  de  Jean-sans-Peur  et  de  Bernard  d*ArmagDac.  —  Conquête  de 
la  Normandie  par  les  Anglais.  —  Les  Cabochiens  recouvrent  Paris.  Armagnac 
égorgé.  Massacres  des  prisons.  La  guerre  civile  continue  hors  Paris.  Dauphinois 
ei  Bourguignons.  —  Défense  héroïque  de  Rouen  contre  les  Anglais.  Rouen  suc- 
combe. Alain  Blanchard.  —  Traité  de  réconciliation  entre  le  dauphin  et  Jean- 
sans-Peur.  Entrevue  de  Monlereau.  Assassinat  de  Jean-sans-Peur.  L'héritier  de 
Jeao-sans-Peur,  Philippe  le  Bon,  s'unit  aux  Anglais.  La  reine  Isabeau  de  Bavière 
s'unit  aux  Anglais.  Traité  de  Troies.  Le  dauphin  exhérédé  au  nom  de  Charles  VI 
et  Henri  V  déclaré  héritier  de  la  couronne  de  France.  Paris  subit  et  un  simulacre 
d'États-Généraux  ratifie  le  traité.  —  Prise  de  Melun.  —Victoire  des  Dauphinois  a 
Baugé.  —  Prise  de  Meaux  par  Henri  V.  —Mort  de  Henri  V.—  Mort  de  Charles  VI. 
Deux  rois  en  France  :  Charles  VII  et  Henri  VI  de  Lancastre. 

1415—1422. 

Les  catastrophes  politiques  s'étaient  précipitées  en  France  pen- 
dant la  longue  session  du  concile  de  Constance.  La  paix  d'Arras 
avait  été  à  peine  une  trêve  de  quelques  jours  et  n'avait  rien  changé 
à  la  situation ,  toujours  enfermée  dans  le  même  cercle  :  aucun 
des  deux  partis,  Armagnacs  et  Bourguignons,  faction  du  sud  et 

VI.  1 


2  GUERRES  DES  ANGLAIS.  [i4i5j 

faction  du  nord,  ne  pouvait  écraser  l'autre.  Les  forces  de  la  France 
s'usiiient  de  plus  en  plus;  la  dissolution  sociale  semblait  ne  pou- 
voir plus  s'accroître  et  pourtant  s'accroissait  sans  cesse;  l'autorité 
souveraine  se  donnait  à  chaque  instant  de  sanglants  démentis  à 
elle-même  ;  on  ne  savait  plus  ce  qui  était  crime  ou  devoir  :  ce 
qui  était  féautéla,  veille  devenait  félonie  le  lendemain.  Jusqu'alors 
un  concours  de  circonstances  singulières  avait  mis  les  nations 
étrangères  hors  d'état  de  profiter  de  la  désorganisation  de  la 
France  ;  ces  circonstances  n'existaient  plus  :  l'Angleterre,  sous  le 
gouvernement  énergique  des  Lancastre,  sortait  retrempée  de  ses 
crises  intérieures,  tandis  que  la  France  s'abîmait  dans  les  siennes. 
Tout  le  règne  de  Henri  IV  avait  été  employé  à  l'affermissement  de 
la  nouvelle  dynastie  ;  Henri  V  put  reporter  au  dehors  les  forces 
de  la  nation.  Henri  IV  avait  jugé  d'un  ferme  coup  d'œil  la  posi- 
tion de  l'Angleterre,  profondément  remuée  par  les  Lollards  ou 
disciples  de  Wickleff  :  il  avait  reconnu  dans  le  wicklefisme  l'en- 
nemi de  la  société  féodale  et  catholique  tout  entière,  et  il  n'avait 
pas  voulu  se  lancer  dans  l'inconnu  à  la  tête  des  novateurs.  Prince 
et  chef  de  parti,  il  les  avait  protégés;  roi,  il  s'associa  contre  eux 
au  clergé,  et  les  grands  laïques  suivirent  l'exemple  du  roi  :  ils 
commençaient  à  se  sentir  aussi  menacés  que  les  gens  d'église 
par  les  prédicants  d'égalité.  Les  principales  forces  de  la  propriété 
passèrent  ainsi  à  la  disposition  de  la  couronne;  le  clergé  seul 
possédait  au  moins  la  moitié  du  territoire  anglais  ^  En  vain  les 
communes,  gagnées  sinon  par  les  théories  religieuses,  au  moins 
par  certaines  idées  politiques  des  Lollards,  voulurent-elles  en- 
gager le  roi  à  s'emparer  des  revenus  du  clergé  ;  Henri  IV  resta 
fidèle  à  l'alliance  ecclésiastique^  et  lui  donna  un  gage  sanglant 
par  le  supplice  d'un  célèbre  prédicateur  wicklefite.  Henri  V  con- 
tinua la  politique  de  son  père.  Durant  son  orageuse  jeunesse, 
dans  les  intervalles  des  bruyantes  débauches  qui  semblaient  an- 
noncer à  l'Angleterre  un  Charles  VI  ou  un  Louis  d'Orléans,  il 

1.  28,000  fiefs  de  haubert  sur  53»000!  Tarner,  cité  par  Michelet,  t.  lY,  p.  276. 

2.  l\  déclara  qu*il  ne  demanderait  rien  à  l'Église  que  ses  prières.  Ibid.  p.  277. 
En  même  temps,  comme  le  remarque  M.  Michclet,  il  nationalisa  son  clergé  eo 
repoussant  les  collations  de  bénéfices  faites  à  Rome,  et  en  soutenant  les  éféqaes 
contre  les  moines.  Oter  au  pape  toutes  collations  de  bénéfices  était  une  très  grande 
réfolution. 


[1415]  HENRI  V.  3 

s'était  affilié  aux  conciliabules  des  Lollards  et  s'était  étroitement 
lié  avec  leur  principal  chef,  John  Oldcastle,  lord  Cobham.  Aussitôt 
après  la  mort  de  son  père,  il  congédia  ses  compagnons  de  plaisir, 
s'entoura  des  plus  graves  conseillers  de  Henri  IV,  affecta  une 
dévotion  rigoureuse,  rendit  des  statuts  terribles  contre  Thérésie, 
manda  Oldcastle  à  Windsor  et  s'efforça  de  le  ramener  dans  le 
giron  de  l'Église.  Oldcastle  refusa  et  fut  livré  au  tribunal  du  pri- 
mat d'Angleterre  :  condamné,  il  s'échappa,  appela  aux  armes  les 
wicklefites  et  tenta  d'enlever  le  roi  et  de  s'emparer  de  Londres. 
Les  bandes  wicklefites,  avant  d'avoir  pu  se  réunir  en  corps  d'ar- 
mée, furent  surprises  et  dispersées  par  Henri  V  (7  janvier  1414). 
Oldcastle  subit  le  supplice  réservé  aux  criminels  de  lèse-majesté ^ 
La  faction  wicklefite  ne  se  releva  pas  de  ce  grand  revers  :  une 
législation  de  fer  acheva  l'œuvre  de  la  victoire. 

Dès  lors  Henri  V  eut  les  bras  libres.  Il  avait  éteint,  par  un 
mélange  de  clémence  et  de  sévérité,  les  restes  des  vieux  partis  de 
Richard  II  et  du  comte  de  March;  le  clergé  lui  était  dévoué;  il 
était  sûr  d'acquérir  la  noblesse  et  la  portion  énergique  du  peuple 
par  la  guerre  étrangère  :  il  se  rejeta  avec  allégresse  dans  la  voie 
d'Edouard  III,  dont  il  avait  le  génie. 

Ce  qui  se  passait  en  France  était  bien  propre  à  l'encourager  : 
une  nouvelle  révolution  de  palais  venait  de  ravir  aux  princes 
d'Orléans  et  à  leurs  alliés  le  pouvoir  dont  ils  avaient  dépouillé  le 
duc  de  Bourgogne,  et  le  gouvernement  se  trouvait  en  des  mains 
pires  encore,  s'il  était  possible.  Le  duc  de  Guyenne,  las  du  contrôle 
des  princes,  les  attira  tous  à  Melun,  résidence  habituelle  de  la 
reine  Isabeau,  sous  prétexte  d'affaires  importantes;  puis,  dit 
Monstrelet,  «  tandis  que  lesdits  seigneurs  étoient  en  besogne  avec 
la  reine,  le  duc  d'Aquitaine  s'en  alla  à  Paris,  d'où  il  fit  savoir  aux 
seigneurs  dessusdits  que  point  ne  retournassent  à  Paris  jusques  à 
tant  que  le  roi  ou  lui  les  mandat,  et  qu'ils  s'en  allassent  chacun 
en  son  pays  (avril  1415).  Et,  après,  il  fit  appeler  au  Louvre  les 

1.  Les  ennemis  du  parti  vaincu  travestirent  le  nom  et  la  mémoire  d'Oldcastle» 
et  en  firent  Tivrogne  et  libertin  Falstaff,  ce  grotesque  personnage  si  populaire 
dans  le  viens  théâtre  anglais  (Lingard,  Hist.  d'Atigl,  t.  V,  p.  4,  trad.  de  M.  de 
Roujoux).  On  regrette  que  Shakespeare  ait  adopté  cette  tradition  injurieuse  au 
souvenir  d'un  homme  de  conviction  et  de  courage.  Shakespeare  n*a  pas  été  plus 
juste  envers  une  martyre  bien  autrement  illustre,  noire  immortelle  Jeanne  Darc. 


4  GUERRES  DES  ANGLAIS.  [1415] 

prévôts  (le  Paris  et  des  marchands  avec  Tuniversilé  et  grand 
nombre  de  bourgeois  »,  et  là  Tévêque  deCliartres,  chancelier  de 
Guyenne  ^  exposa  à  l'assemblée  comment,  depuis  le  sacre  du  roi 
régnant,  «  toute  la  finance  du  roi  et  du  royaume  avoit  été  traite 
^soutirée)  et  exilée  (perdue)  »  par  le  fait  des  ducs  d*Anjou,  de 
Bourgogne  et  d'Orléans  trépassés,  et  des  ducs  de  Berri  et  de 
Bourgogne  présentement  vivants,  et  conclut  «  que  ledit  duc 
d'Aquitaine,  dauphin  de  Viennois,  ne  vouloit  plus  souffrir  si 
grand  destruction  des  biens  du  royaume,  et  prenoit  le  gouver- 
nement et  la  régence  d'icelui  afin  d'y  pourvoir  seul  ».  Le  dauphin 
commença  la  réformation  financière  par  enlever  à  main  armée 
tout  le  trésor  el  «  chevance  »  de  sa  mère,  qu'elle  avait  déposé 
chez  trois  bourgeois  de  Paris.  Les  grandes  sommes  amassées  par 
l'avare  Isabeau  furent  bientôt  gaspillées  en  tournois,  en  banquets, 
en  profusions  de  tout  genre.  C'était  là  tout  ce  qu'aimait  le  jeune 
prince  dans  l'exercice  du  pouvoir  :  il  avait  les  affaires  en  horreur, 
et  ne  tarda  pas  à  rappeler  le  duc  de  Berri,  malgré  les  invectives 
qu'il  lui  avait  adressées,  et  à  lui  rendre  la  direction  du  conseiL 
Le  duc  de  Guyenne  ne  craignait  pas  d'avoir  beaucoup  de  repré- 
sentations à  essuyer  de  la  part  de  ce  vieillard  vicieux  et  rapace, 
pourvu  qu'il  lui  fît  part  au  butin.  Il  redoutait  et  haïssait  au  con- 
traire le  sombre  duc  de  Bourgogne,  père  de  sa  femme,  qu'il 
tenait  dans  une  sorte  d'exil  à  Saint-Germain. 

Jean-sans-Peur  avait  toujours  différé  de  jurer  la  paix  d'Arras 
jusqu'à  ce  qu'on  l'eût  modifiée  dans  le  sens  de  ses  réclamations  :  il 
pria  ou  plutôt  somma  le  duc  de  Guyenne  de  révoquer  les  sentences 
de  proscription  portées  contre  les  cinq  cents  bannis  du  parti  de 
Bourgogne,  de  reprendre  sa  femme  et  de  «  débouter  de  sa  com- 
pagnie une  sienne  amie  qu'il  tenoit  en  lieu  de  sa  dite  femme  ». 
Les  envoyés  bourguignons  signifièrent  au  jeune  prince  que,  s'il 
refusait,  leur  seigneur  ne  tiendrait  pas  la  paix  d'Arras  et  ne  s'ar- 
merait pas  pour  servir  l'héritier  du  trône  «  s'il  étoit  travaillé  des 
Anglois  ».  Le  jeune  prince  eût  peut-être  cédé  sur  le  rappel  des 

1.  JuTénal  des  Ursins  venait  d'être  révoqué  de  la  chancellerie  pour  avoir  refusé 
de  sceller  les  dons  exorbitants  que  le  duc  faisait  chaque  jour  à  ses  familiers  aux 
dépens  du  peuple,  sur  lequel  on  levait  «  tailles  grandes  et  excessives».  (Juvénal; 
ap,  collection  Micha  d  et  Poujoulat,  t.  II,  p.  602.) 


CUIS]  LE  DUC  DE  GUYENNE.  5 

bannis;  mais  la  sommation  de  renvoyer  sa  maîtresse  le  mit  en 
fureur,  et  il  ne  répondit  aux  Bourguignons  qu'en  faisant  pro- 
clamer à  son  de  trompe  dans  Paris  la  confirmation  du  bannisse- 
ment des  cinq  cents  (23  juillet  1415). 

Jean-sans-Peur  ne  se  contenta  pas  «  de  ne  point  s*armer  pour 
servir  le  duc  de  Guyenne  •  :  il  renoua  avec  le  roi  d'Angleterre  des 
relations  qui  avaient  été  poussées  fort  avant  l'année  précédente,  à 
Tépoque  des  sièges  de  Soissons  et  d'Arras.  Rymer  (t.  IX,  p.  138) 
cite  des  pouvoirs  donnés  par  Henri  V,  le  4  juin  1414,  à  plusieurs 
prélats  et  seigneurs  anglais  pour  recevoir  l'hommage-lige  du  duc 
de  Bourgogne,  hommage  qui  toutefois  ne  fut  point  accordé. 
Henri  Y,  depuis  un  an,  poursuivait  avec  le  conseil  de  Charles  VI 
des  négociations  qui  n'avaient  d'autre  but  que  de  persuader  au 
peuple  anglais  la  nécessité  de  la  guerre  et  d'endormir  la  France 
sur  les  vastes  préparatifs  qui  la  menaçaient.  Il  avait  débuté,  durant 
le  siège  d'Arras,  par  réclamer  non  pas  telle  ou  telle  cession  de 
territoire,  non  pas  même  le  retour  au  traité  de  Bretigni,  mais  la 
couronne  et  le  royaume  de  France,  qui  lui  appartenaient,  disait-il, 
du  chef  d'Edouard  III  ;  puis  ses  ambassadeurs  s'étaient  rabattus 
sur  le  rétablissement  du  traité  de  Bretigni,  plus  la  cession  de  la 
Normandie,  de  la  Picardie  maritime,  de  l'Anjou,  du  Maine  et  de 
la  Touraine,  la  suzeraineté  de  la  Bretagne  et  de  la  Flandre  et  le 
paiement  de  1 ,600,000  écus  d'or  que  Henri  V  prétendait  redus  à 
l'Angleterre  sur  la  rançon  du  roi  Jean;  les  1,600,000  écus  en 
dehors  de  la  dot  de  Catherine  de  France,  fille  de  Charles  VI,  dont 
Henri  V  demandait  la  main.  Le  vieux  duc  de  Berri,  à  qui  les 
ambassadeurs  s'étaient  adressés,  écouta  sans  colère  ces  insolentes 
propositions  et  offrit,  au  nom  du  roi  son  neveu,  toutes  les  régions 
aquitaniques  au  midi  de  la  Charente,  y  compris  le  Rouergue  et  le 
Querci,  plus  qu'on  n'eût  dû  céder  après  une  guerre  malheureuse, 
avec  600,000  écus  d'or  de  dot  pour  la  fille  du  roi.  Une  seconde 
ambassade  anglaise  vint  débattre  ces  offres,  en  février  1415,  sans 
rien  conclure,  et  les  deux  rois  échangèrent  des  lettres  où  Henri  V 
protestait  de  son  amour  pour  la  paix  et  l'union  de  l'Église  et  des 
couronnes  chrétiennes;  mais  ses  actes  démentaient  ses  paroles  : 
il  ne  cessait  c  de  préparer  provisions,  de  lever  finances,  d'assembler 
gens  d*armes,  de  louer  navires  en  Hollande  et  en  Zélande  »;  il 


6  GUERRES  DES  ANGLAIS.  [1415] 

exerçait  en  tous  lieux,  privilégiés  ou  non,  la  presse  non-seulement 
des  matelots,  mais  des  faiseurs  d'arcs,  des  charpentiers,  des  ser- 
ruriers, des  maçons,  de  toute  espèce  d'ouvriers  nécessaires  à  la 
suite  d'une  armée.  La  noblesse,  le  clergé,  la  jeunesse  des  com- 
munes secondaient  le  roi  avec  une  égale  ardeur.  Dès  le  mois 
d'avril ,  Henri  annonça  ouvertement  au  parlement  anglais  qu'il 
ferait  une  prochaine  descente  en  France  pour  recouvrer  son  héri- 
tage, et  publia  son  ban  de  guerre.  Le  parlement  avait  voté,  dès  le 
mois  de  novembre  précédent,  un  énorme  subside ^ 

Les  négociatious  continuaient  toutefois  :  les  ducs  de  Guyenne 
et  de  Berri  envoyèrent  à  leur  tour  une  grande  ambassade  proposer 
à  Henri  V  le  Limousin  pour  compléter  la  reslitudon  des  provinces 
aquitaniques  au  sud  de  la  Charente,  et  une  dot  de  850,000  écus 
d'or  pour  la  princesse  Catherine,  sans  les  joyaux  et  le  trousseau. 
Henri  parut  un  moment  disposé  à  accepter,  et  demanda  que  les 
villes  et  pays,  deniers  et  joyaux  qu'on  lui  offrait  fussent  remis  en 
ses  mains  avant  la  Saint-André  (30  novembre);  le  mois  de  juillet 
était  déjà  commencé.  Henri  accordait,  à  ce  prix,  une  trêve  de 
cinquante  ans,  sous  toute  réserve  de  son  droit  et  de  celui  de  ses 
successeurs  à  la  couronne  de  France.  Les  pouvoirs  des  ambassa- 
deurs n'étaient  pas  suffisants  pour  conclure  à  de  telles  conditions; 
s'ils  y  eussent  souscrit,  le  roi  d'Angleterre  eût  probablement  sou- 
levé quelque  difficulté  nouvelle.  Il  se  h&ta  de  les  congédier,  en 
leur  déclarant  qu'il  les  suivrait  de  près,  et  expédia  à  Charles  VI 
une  dernière  sommation  de  lui  restituer  «  son  héritages  Une 
lettre  de  Charles  VI  accepta  la  guerre  dénoncée  par  l'Anglais'; 
mais,  le  23  août,  jour  où  cette  lettre  fut  écrite,  la  guerre  avait 
déjà  commencé,  et  les  Anglais  étaient  descendus  sur  le  sol  de  la 
France  depuis  une  semaine  entière.  Henri  V,  après  avoir  muni 
ses  frontières  contre  les  Écossais  et  les  rebelles  gallois,  conclu 

1.  Rymer,  t.  IX,  p.  200-312.  —  Religieux  de  Saint-Denis,  1.  XXXIV,  c.  13; 
1.  XXXV.  c.  1. 

2.  Religieux  de  Saint-Denis,  1.  XXXV,  ch.  2-3.  —  Les  historiens  anglais  pré- 
tendent que  le  duc  de  Guyenne  ne  répondit  aux  menaces  de  Henri  V  qu'en  lui 
envoyant  des  balles  de  paume,  par  allusion  aux  dissipations  de  sa  première  jeu- 
nesse. Henri  aurait  répliqué  qu'il  porterait  lui-même  à  son  ennemi  des  balles  d'une 
autre  espèce,  et  que  les  portes  de  Paris  ne  seraient  pas  des  raquettes  capables  de 
les  renvoyer. 


[1415]  DESCENTE  DES  ANGLAIS.  7 

une  trêve  avec  le  duc  de  Bretagne  et  confié  la  régence  d'Angle- 
terre au  duc  de  Bedford,  un  de  ses  frères,  s'était  embarqué,  le 
13  août,  à  Southampton  avec  six  mille  lances  et  vingt-quatre  mille 
archers,  tous  gens  d'élite,  engagés  pour  un  an  à  la  solde  du  roi, 
sans  les  canonniers  et  «  autres  usant  de  fondes^  et  engins  dont  ils 
avoient  grande  abondance  ».  Des  milliers  d'artisans  et  «  de  menues 
gens  »  suivaient  cette  armée,  la  plus  redoutable  qui  fût  encore 
sortie  des  ports  d'Angleterre.  La  mer  était  couverte,  l'espace  de 
plusieurs  lieues,  par  la  multitude  des  navires  de  guerre  et  de 
transport  :  les  ports  anglais  n'avaient  pu  en  fournir  un  nombre 
suffisant,  et  plusieurs  centaines  de  vaisseaux  avaient  été  loués  par 
les  armateurs  de  Hollande  et  de  Zélande,  sujets  du  comte  de 
Hainaut,  beau-père  du  second  fils  du  roi  de  France.  La  flotte 
anglaise  aborda  dès  le  14  août,  le  lendemain  de  son  départ,  «  à 
un  havre  étant  entre  Harfleur  et  Honfleur,  où  l'eau  de  Seine 
ehet  en  la  mer  ».  L'armée  d'invasion  descendit  sur  la  plage  où 
devait  s'élever,  un  siècle  après,  la  cité  du  Havre-de-Grâce ,  et 
investit  sur-le-champ  Harfleur,  qui  disputait  alors  à  Dieppe  le 
premier  rang  entre  les  ports  de  la  Normandie. 

Personne  n'essaya  d'empêcher  le  débarquement  des  Anglais; 
Farmée  française  n'était  pas  prête  :  quoique  les  préparatifs  de 
Henri  V  eussent  duré  plusieurs  mois,  aucune  mesure  n'avait  été 
prise  par  le  conseil  avant  le  retour  des  ambassadeurs  (fin  juillet). 
Jamais  la  France  ne  s'était  trouvée  dans  de  pareilles  mains  :  au 
moment  d'être  assaillie  par  un  nouvel  Edouard  HI,  elle  ne  se 
Toyait  de  chefs  et  de  défenseurs  qu'un  jeune  libertin  hébété  par 
la  débauche  et  qu'un  égoïste  et  lâche  vieillard  qui  n'avait  de  son 
âge  que  la  faiblesse,  mais  non  la  prudence  ni  l'expérience.  Philippe 
de  Valois  et  le  roi  Jean  avaient  été  du  moins  des  chevaliers,  des 
soldats  !  Le  trésor  était  vide  :  on  se  hâta  de  le  remplir  par  de 
larges  exactions;  c'était  la  seule  partie  du  gouvernement  que 
comprissent  les  princes.  On  leva  une  décime  sur  le  clergé,  des 
emprunts  forcés  sur  les  prélats  et  les  gros  bourgeois,  et  l'on  écrasa 

1.  Fonde  (fronde)  est  ici  pour  toute  espèce  de  machine  propre  à  lancer  des 
pierres.  C'est  Monstrelet  (1. 1,  ch.  149)  qui  nous  a  fourni  le  chiffre  de  l'armée 
anglaise.  D'autres  lui  donnent  30,000,  40,000  et  jusqu'à  60,000  archers,  ce  qui 
est  évidemment  exagéré. 


8  GUERRES  DES  ANGLAIS.  [UIS] 

le  peuple  sous  une  taille  énorme,  qui  ne  sauva  pas  les  campagnes 
des  déprédations  des  gens  de  guerre.  Les  hommes  d'armes,  en  se 
rendant  au  ban  du  roi,  qui  n'avait  été  publié  que  le  23  août, 
pillaient  tout  sur  leur  passage,  jusqu'aux  églises:  les  paysans 
s'enfuyaient  dans  les  bois;  le  plat  pays  subissait  d'avance  tous  les 
maux  de  l'invasion,  et  les  peuples  ne  pouvaient  rien  craindre  de 
plus  de  leurs  ennemis  que  de  leurs  défenseurs.  (Relig.  1.  XXXV, 
c.  4.) 

Le  duc  de  Guyenne  et  le  conseil  du  roi  essayèrent  de  regagner 
Jean-sans-Peur,  accordèrent  enQn  l'amnistie  aux  bannis,  sauf 
aux  quarante-cinq  les  plus  compromis,  firent  quelques  autres 
concessions  à  Jean  et  lui  envoyèrent  une  députation,  qui  le  trouva . 
dans  la  forêt  d'Argilli,  près  de  Beaune,  vivant  sous  la  tente  un 
mois  durant  et  passant  ses  nuits  à  «  ouïr  les  cerfs  bramer  au  fond 
des  bois^  ».  Jean  s'était,  à  ce  qu'il  semble,  éloigné  à  dessein  du 
théâtre  des  événements  :  il  consentit  enfin  à  jurer  la  paix  d'Arras 
(4  septembre),  mais  ne  rompit  point  ses  secrètes  relations  avec  le 
roi  d'Angleterre.  La  direction  de  la  guerre,  confiée  à  ses  plus 
grands  ennemis,  n'était  pas  propre  à  le  ramener  à  de  meilleurs 
sentiments  :  le  conseil  du  roi  venait  de  décider  que  «  mcssire 
Charles  d'Albret,  connétable  de  France,  auroit  en  cette  guerre 
semblable  puissance  comme  le  roi  pour  ordonner  et  disposer  tout 
à  sa  pleine  volonté  «.  Boucicaut,  maréchal  de  France,  fut  fait  gou- 
verneur de  Normandie,  et  l'amiral  Clignet  de  Brabant  fut  gou- 
verneur de  Picardie  (Monstrelet).  On  ne  pouvait  s'arrêter  à  un 
plus  mauvais  choix  que  celui  d'Albret,  qui  n'avait  eu  d'autre  titre 
au  rang  de  connétable  que  sa  parenté  avec  la  maison  royale. 
C'était  un  petit  homme  de  mauvaise  mine,  chez  qui  le  dedans 
répondait  au  dehors  ;  il  n'avait  ni  les  quaUtés  d'un  capitaine  ni 
même  celles  d'un  soldat.  Le  meilleur  historien  du  temps,  le  Reli- 
gieux de  Saint-Denis,  prétend  qu'Albret  eût  pu  opposer  de  sérieux 
obstacles  à  la  descente  des  Anglais,  rien  qu'en  armant  les  popu- 
lations maritimes  de  la  Normandie,  qui  se  montraient  pleines 
de  zèle  :  il  n'en  fit  rien ,  resta  inactif  à  Rouen  et  se  conduisit  de 
manière  à  se  faire  accuser  publiquement  de  trahison,  bien  qu'il 

1.  Lefèvre  de  Saiut-Reuii,  c.  51. 


Ciilâj  SIÈGE  DE  HABFLEUB.  0 

n'y  eût  de  sa  part  que  négligence  et  incapacité.  (Relig.,  1.  XXXV, 
C.4.) 

Les  Normands  ne  s'abandonnèrent  pas  eux-mêmes  :  la  garnison 
et  les  bourgeois  de  Harfleur  se  défendirent  avec  une  extrême 
i^aiUance  ;  trois  cents  chevaliers  et  écuyers,  l'élite  de  la  noblesse 
normande,  s'étaient  jetés  dans  la  place,  sous  les  ordres  du  sire 
d'Estouteville,  et  semblèrent  se  multiplier  dans  les  assauts  et  dans 
les  sorties.  La  garnison  et  les  habitants,  harassés,  épuisés,  ne  se 
décidèrent  à  capituler  qu'au  bout  d'un  mois  de  siège,  lorsqu'ils 
virent  une  grande  partie  de  leurs  tours,  de  leurs  portes  et  de  leurs 
murailles  abattues  par  la  puissante  artillerie  des  Anglais.  Henri  V 
avait  des  pierriers  qui  lançaient  des  pierres  grosses  comme  des 
meules  de  moulin  et  qui  écrasaient  tout,  remparts  et  maisons.  Les 
gens  de  la  ville  avaient  député  à  plusieurs  reprises  vers  le  conseil  de 
France,  sans  obtenir  autre  chose  que  de  belles  paroles  :  «  Prenez 
courage,  leur  disait-on,  tiez-vous  à  la  prudence  du  roi,  »  Sanglante 
dérision!  Le  roi,  qui  était  dans  un  intervalle  lucide,  alla  enfin 
chercher  l'oriflamme  à  Saint-Denis  le  10  septembre,  et  vint  joindre 
son  fils  aîné  à  Vernon,  où  était  assigné  le  rendez-vous  général  de 
l'armée  de  France.  Le  roi  et  le  duc  de  Guyenne  ne  tardèrent  pas 
à  voir  paraître  à  Vernon  de  nouveaux  députés  de  Harfleur,  qui 
annoncèrent  que  «  ceux  de  la  ville  »  avaient  promis,  le  18  sep- 
tembre, de  rendre  Harfleur  et  de  se  rendre,  «  sauves  leurs  vies  », 
le  22,  s'ils  n'étaient  secourus  dans  l'intervalle. 

Plus  de  quatorze  mille  lances,  sans  les  autres  milices,  couvraient 
le  pays  entre  Vernon  et  Rouen.  L'armée  anglaise  souffrait  beaucoup 
d'une  épidémie  meurtrière  :  il  y  avait  bonne  chance  à  l'attaquer,  et 
le  salut  de  Harfleur  valait  bien  qu'on  risquât  une  bataille.  Aucun 
ordre  ne  fut  donné  :  les  troupes  françaises  restèrent  immobiles  ^ 
Les  défenseurs  de  Harfleur  ne  pouvaient  croire  à  ce  lâche  aban- 
don :  le  jour  fatal  arrivé,  ils  ne  voulaient  pas  encore  se  rendre, 
bien  qu'ils  eussent  prêté  serment  et  donné  des  otages;  une  partie 
de  la  garnison  refusa  de  livrer  les  portes;  les  Anglais  furent  obligés 

1.  Henri  V  avait  écrit  le  16  au  duc  de  Guyenne,  qu*il  qualifiait  seulement  de 
dauphin,  pour  lui  proposer  un  duel  qui  déciderait  de  leurs  droits  respectifs  k  la 
couronne  de  France.  Henri  V  voulait  bien  attendre  la  mort  de  Charles  VI  pour  se 
mettre  en  possession  de  la  couronne,  si  le  sort  du  combat  la  lui  adjugeait.  Rymer, 
t.  IX,  p.  313. 


10  GUERRES  DES  ANGLAIS.  [1415) 

de  recourir  à  la  force  et  commencèrent  un  assaut  qui  ne  cessa 
que  par  l'ouverture  d*une  porte,  de  l'autre  côté  de  la  ville.  Les 
plus  déterminés  des  assiégés  se  retirèrent  dans  «deux  tours  moult 
fortes  qui  étoient  sur  la  mer»,  et  y  tinrent  encore  deux  jours. 
Henri  V  cependant  observa  la  capitulation  :  il  voulait  gagner  les 
cœurs  de  a  ses  sujets  de  Normandie  »;  les  Anglais,  en  recevant  à 
reddition  les  gens  de  Harfleur,  avaient  affecté  de  dire  €  qu*ils 
étoient  bons  chrétiens  et  qu'on  ne  feroit  pas  comme  à  Soissons^  > 
(Juvénal). 

«  On  ne  fit  pas  comme  à  Soissons  »,  mais  on  fit  comme  à  Calais  : 
tout  ce  qui  ne  voulut  pas  prêter  serment  à  Henri  V,  «  roi  de  France 
et  d'Angleterre  »,  fut  expulsé  de  la  ville;  tous  les  biens  trouvés 
dans  Harfleur  furent  partagés  entre  le  roi ,  les  capitaines  et  les 
soldats  anglais  ;  les  gentilshommes  et  les  principaux  bourgeois 
furent  envoyés  prisonniers  à  Calais  ou  en  Angleterre  pour  être 
mis  à  rançon.  Le  reste  des  citoyens  qui  préférèrent  la  France  à 
leur  ville  natale  quittèrent  Harfleur  avec  leurs  femmes,  leurs 
enfants  et  les  prêtres  :  il  sortit  plus  de  quinze  cents  femmes.  On 
ne  leur  laissa  emporter  à  chacun  que  cinq  sous  avec  leurs  vête- 
ments et  ce  qu'ils  pouvaient  prendre  sur  eux  <  sans  fardeaux  ni 
charrettes  2  ».  Quand  on  vit  arriver  à  Rouen  ces  malheureux  exilés, 
un  long  cri  d'indignation  s'éleva  dans  toute  la  Normandie  contre 
le  connétable  et  le  conseil  du  roi.  La  noblesse  française,  qui  n'a- 
vait pas  secouru  Harfleur,  «  en  fut  moquée,  sifflée,  chansonnée 
chez  les  nations  étrangères ^  ». 

C'était  un  beau  succès  pour  l'Angleten-e,  un  succès  plus  impor- 
tant môme  que  la  prise  de  Calais;  Harfleur,  moins  facile  à  garder 

1.  0).  notre  t.  V,  p.  646.  —  Quand  on  amenait  à  Henri  V  des  bourgeois  on  des 
payons  pris  sur  les  chemins,  «  il  les  préchoit,  disant  qu*il  savoit  bien  comme  ils 
avoient  été  longtemps  en  oppression  et  travail;  qu'il  étoit 'venu  en  sa  terre,  en 
son  pays  et  eu  son  royaume  pour  les  mettre  en  franchise  et  liberté,  telle  que  le 
roi  saint  Louis  avoit  tenu  son  peuple  »  (Juvénal,  p.  307).  Les  populations  de  la 
Normandie  furent  peu  sensibles  anx  avances  du  roi  anglais  :  elles  se  joignaient 
partout  aux  gens  de  guerre  pour  repousser  ou  enlever  les  détachements  qui  s'écar- 
taient du  camp  de  Henri  V. 

2.  Monstrelet,  c.  149. —  Lefèvre  de  Saint-Remi,  c.  66-67.  —  Jnvénal  des 
Ursins,  p.  506-608.  —  Religieux  de  Saint-Denis ,  1.  XXXV,  c.  4-5.  —  Pierre  de 
Fénin.  —  Berri ,  roi  d'armes.  —  Baranle,  Ducs  de  Bouryofjne,  t.  III,  p.  227.  — 
Wulsingham,  p.  390. 

3.  HtUyieux  de  Saini-Demt. 


C1415]  PRISE  DE  HARFLEUR.  11 

que  Calais,  il  est  vrai,  donnait  aux  Anglais  rembouchure  de  notre 
grand  fleuve  national,  l'entrée  dans  le  cœur  mônie  de  la  France  ! 

Ce  triomphe  avait  coûté  cher  à  Henri  V  :  sans  parler  des  pertes 
causées  par  les  armes,  une  dyssenterie,  engendrée  parle  mauvais 
air  de  la  plage  et  par  l'usage  immodéré  du  cidre  et  des  fruits, 
avait  enlevé  aux  Anglais  plus  de  deux  mille  bons  combattants; 
un  nombre  bien  plus  grand  étaient  si  malades  el  si  épuisés  que 
Henri  V  les  renvoya  en  Angleterre.  La  moitié  de  l'armée  anglaise 
se  trouvait  hors  de  service,  et  Henri  reconnut  l'impossibilité  de 
pousser  plus  loin  ses  conquêtes  cette  année-là  :  il  résolut  de  ter- 
miner la  campagne  pai*  une  marche  hardie  à  travers  le  territoire 
français,  de  Harfleur  jusqu'à  Calais,  où  il  voulait  prendre  ses 
quartiers  d'hiver;  il  laissa  dans  Harfleur  cinq  cents  hommes 
d'armes  et  mille  archers,  et,  à  la  télé  d'environ  deux  mille  lances 
et  treize  mille  archers,  les  meilleurs  soldats  de  l'Angleterre,  il  se 
dirigea  vers  la  Somme,  en  côtoyant  la  mer,  par  Fécamp,  Dieppe 
et  Eu.  Partout  les  garnisons  inquiétaient  sa  marche  par  des  sor- 
ties vigoureuses  ;  il  les  repoussait  sans  s'arrêter  et  suivait  rapi- 
dement sa  route,  imposant  à  ses  soldats  une  sévère  discipline  et 
excitant  chez  eux,  par  tous  les  moyens,  une  vive  exaltation  reli- 
gieuse et  patriotique;  le  catholicisme  anglais  avait  été  ravivé  par 
la  lutte  avec  les  Mricklefites  :  l'armée  anglaise  avait  à  sa  suite 
beaucoup  de  prêtres  et  point  de  filles.  Le  pillage,  le  viol,  l'abandon 
du  drapeau,  la  désobéissance  aux  chefs  étaient  punis  de  mort  ou 
de  dégradation  :  l'on  ne  demandait  aux  petites  villes  et  aux  bour- 
gades que  des  rations  de  pain  et  de  vin. 

Le  connétable  était  parti  pour  Abbeville,  et  il  avait  été  publié 
derechef  «  par  toute  la  France  que  tous  nobles  hommes,  accou- 
tumés de  porter  armes,  voulant  avoir  honneur,  allassent  nuit  et 
jour  devers  le  connétable,  où  qu'il  fût  »;  mais  les  Anglais  arri- 
vèrent aux  bords  de  la  Somme  huit  jours  au  moins  avant  que  la 
cohue  féodale  se  fût  rassemblée  en  Picardie  autour  d'Albret. 
Henri  V  avait  projeté  de  traverser  la  Somme  au  gué  de  la  Blan- 
que-Taque,  célèbre  par  le  passage  d'Edouard  III  en  1346  :  au 
moment  où  il  s'approchait  de  la  rivière,  on  lui  amena  un  gentil- 
homme du  sire  d'Albret  qui  venait  d'être  pris  ou  qui  s'était  fait 
prendre  à  dessein  par  les  Anglais  :  cet  homme  affirma  sur  sa  tête 


12  GUERRES  DES  ANGLAIS.  [UlS] 

que  le  gué  était  gardé  par  six  mille  combattants*.  Ce  mensonge, 
inspiré  par  un  sentiment  généreux,  eut  de  fatales  conséquences  : 
Henri  V,  se  croyant  obligé  de  quitter  le  droit  chemin  de  Calais, 
rentra  dans  Tintérieur  des  terres  et  se  mit  à  remonter  la  Somme, 
afin  de  trouver  quelque  autre  passage.  A  cette  nouvelle,  Albret  et 
les  princes  et  seigneurs  qui  l'avaient  rejoint  envoyèrent  en  toute 
bâte  vers  le  roi  et  le  duc  de  Guyenne  pour  demander  congé  de 
combattre.  Le  conseil  du  roi  «  s'y  accorda  •  malgré  les  remon- 
trances du  duc  de  Berri ,  que  la  peur  rendait  clairvoyant  et  qui 
se  souvenait  de  Poitiers.  Le  vieux  duc  empêcha  du  moins  le  roi 
et  l'héritier  du  trône  de  se  rendre  à  l'armée.  «  Mieux  vaut, 
disait-il ,  perdre  la  bataille  que  le  roi  et  la  bataille.  »  (Berri,  roi 
d'armes.) 

Les  Anglais  cependant  continuaient  péniblement  leur  route  le 
long  de  la  Somme.  Après  avoir  essayé  en  vain  de  traverser  la 
rivière  de  vive  force  à  Pont-Remi,  qui  fut  bravement  défendu,  ils 
passèrent  du  Ponthieu  dans  l'Amiénois,  de  l'Amiénois  dans  le 
Santerre,  et  s'avancèrent  jusqu'aux  confins  du  Vermandois  sans 
trouver  un  pont  qui  ne  fût  pas  coupé,  un  gué  qui  ne  fût  pas  gardé. 
Leur  position  devenait  très  périlleuse.  Henri  V  avait  compté  sur 
ses  intelligences  avec  le  duc  de  Bourgogne,  presque  aussi  puissant 
en  Picardie  que  dans  ses  domaines  propres.  Le  conseil  du  roi 
avait  signifié  aux  ducs  de  Bourgogne  et  d'Orléans  d'envoyer  seu- 
lement chacun  cinq  cents  lances  et  quelques  gens  de  trait  à  l'ar- 
mée, sans  y  paraître  de  leur  personne,  de  peur  que  leur  rencontre 
ne  renouvelât  les  anciennes  querelles.  Jean -sans -Peur  s'était 
montré  fort  blessé  de  ce  procédé  et  avait  invité  non-seulement 
les  feudataires  de  ses  seigneuries,  mais  la  noblesse  de  Picardie  à 
n'obéir  à  aucun  autre  ban  que  le  sien  ;  la  plupart  avaient  déféré 
à  son  mandement,  et  Jean,  quoique,  dans  une  lettre  au  roi,  du 
24  septembre,  il  eût  vivement  réclamé  contre  la  défense  de  venir 
servir  l'État  eu  personne,  ne  faisait  aucun  mouvement  pour 
prendre  part  à  la  guerre.  Les  Picards  néanmoins  se  montraient 
mai  disposés  pour  l'étranger.  La  frayeur  et  la  colère  commen- 
çaient à  s'emparer  des  soldats  anglais;  ils  «  crioient,  dit  le  Reli- 

1.  Lefèvre  de  Saint-Rem i,  c.  58. 


[1415]  LES  ANGLAIS  SUR  LA  SOMME.  13 

gicux  de  Saint-Denis,  contre  les  traîtres  de  France  qui  les  avoient 
appelés  »;  ils  se  relâchaient  de  leur  discipline,  ils  saccageaient  et 
brûlaient  les  villages  et  les  faubourgs  des  villes.  Ils  allaient  être 
enfermés  entre  la  Somme,  les  places  fortes  de  Péronne,  de  Ham 
et  de  Saint-Quentin  et  l'armée  du  connétable,  que  le  duc  d'Orléans 
avait  jointe  sans  se  soucier  des  défenses  du  conseil. 

Dans  ce  moment  critique,  un  paysan,  aposté  peut-être  par  ceux 
qui  ne  voulaient  pas  laisser  aux  Armagnacs  l'honneur  d'une  grande 
victoire,  vint  enseigner  au  roi  Henri  un  gué  parmi  les  marais  de 
la  Somme  ^  :  c'était  près  du  village  de  Béthencourt,  à  une  lieue 
de  Ham.  Le  gouverneur  de  Saint-Quentin  n'avait  point  exécuté 
l'ordre  qu'on  lui  avait  donné  de  barrer  ce  gué.  Les  Anglais  démo- 
lirent à  moitié  le  village  et  jetèrent  dans  l'eau  échelles,  portes  et 
fenêtres,  pour  passer  plus  à  leur  aise;  cela  dura  tout  un  jour 
(19  octobre).  Le  connétable  était  à  Péronne  avec  force  gens 
d'armes,  et  avait  la  plus  belle  occasion  de  tomber  sur  les  Anglais 
et  de  détruire  au  moins  leur  arrière-garde  ;  mais  sa  négligence 
était  telle  que  toute  l'armée  anglaise  fut  campée  à  Athies,  au  nord 
de  la  Somme,  avant  qu'il  eût  reçu  la  première  nouvelle  du  passage 
de  Henri  V, 

Le  connétable  et  les  c  princes  de  France  >  dépêchèrent  trois 
hérauts  à  Henri  V  pour  l'inviter  à  c  prendre  jour  et  place  pour 
eux  combattre  >.  Le  roi  anglais  répondit  qu'il  «  n'étoit  nécessité  de 
prendre  ni  jour  ni  place,  car,  tous  les  jours,  le  pouvoient  trouver 
à  pleins  champs  et  sans  frémetés  (fortifications)  aucunes  ».  Le 
comiétable  et  les  princes  se  portèrent  de  Péronne  sur  Bapaume, 
et  de  là  tournèrent  vers  le  comté  de  Saint-Pol  afin  de  devancer 
les  Anglais.  Ils  envoyèrent  à  Arras  vers  le  comte  de  Charolais,  fils 
unique  du  duc  de  Bourgogne,  qui  avait  autour  de  lui  un  grand 
corps  de  noblesse  flamande,  artésienne  et  picarde;  mais  les  c  gou- 
verneurs >  que  le  duc  Jean  avait  mis  auprès  de  son  fils  l'empê- 
chèrent, tout  désireux  qu'il  en  fût,  de  rejoindre  Yhost  de  France, 
La  chevalerie  rassemblée  à  Arras  n'y  put  tenir  :  elle  s'en  alla  par 
bandes  à  l'armée;  les  deux  frères  de  Jean-sans-Peur,  le  duc  de 
Brabant  et  le  comte  de  Nevers  suivirent  leurs  amis  et  leurs  vas- 


i.  Turner,  t.  II,  p.  423,  cité  par  Michelet 


14  GUERRES  DES  ANGLAIS.  [1415] 

saux.  Quelques  serviteurs  de  la  maison  de  Bourgogne  se  rendirent 
cependant,  par  contre,  à  l'armée  de  Henri  V.  L'historien  picard 
Lefèvre  de  Saint -Rcçii,  qui  fut  depuis  héraut  de  l'ordre  de  la 
Toison-d'Or,  avoue  qu'il  était  parmi  les  Anglais.  Les  deux  armées 
cheminèrent  parallèlement  pendant  quatre  jours.  Le  connétable 
et  les  princes  ne  tentèrent  rien ,  durant  cette  marche,  pour  pro- 
fiter de  la  supériorité  de  leurs  forces,  laissèrent  les  Anglais  s'é- 
parpiller la  ijuit  dans  les  villages,  puis  franchir  tranquillement  la 
petite  rivière  du  Ternois,  et  ne  les  arrêtèrent  qu'entre  Azincourt . 
et  Tramecourt,  à  quelques  lieues  au  nord  de  Saint-Pol,  de  Hesdin 
et  du  trop  fameux  champ  de  bataille  de  Créci.  La  cohue  féodale 
s'entassa  dans  une  petite  plaine  resserrée  entre  deux  bois,  où  il 
lui  était  impossible  de  déployer  ses  masses.  Il  y  avait  là,  sans  la 
valetaille,  au  moins  cinquante  mille  combattants,  dont  quatorze 
mille  lances  nobles^  :  le  reste*  au  témoignage  du  Religieux  de 
Saint-Denis,  n'était  guère  qu'un  ramassis  de  bandits,  de  c  bâtards  » , 
de  gens  de  sac  et  de  corde  qui  avaient  pris  les  armes  non  par 
patriotisme  ou  par  amour  de  la  guerre,  mais  pour  se  livrer  im- 
punément à  toutes  leurs  viles  et  brutales  passions.  Les  gens  des 
communes  étiient  peu  nombreux.  La  bourgeoisie,  à  laquelle  les 
discordes  civiles  avaient  rendu  l'habitude  des  armes,  eût  pu  four- 
nir une  assez  bonne  infanterie.  Paris  avait  offert  un  corps  de  six 
mille  hommes  parfaitement  équipés;  mais  les  ducs  de  Bourbon  et 
d'Alençon*  et  la  jeune  noblesse  de  leur  parti  avaient  fait  rejeter 
dédaigneusement  cette  offre,  malgré  le  maréchal  Boucicaut  et 
même  malgré  le  connétable,  plus  sensé  en  cette  occasion  qu'à 
son  ordinaire.  L'autorité  d'Albret  n'était  que  nominale  :  les  jeunes 
princes  n'écoutaient  personne,  et  le  peu  de  capitaines  qui  conser- 
vaient les  traditions  de  la  science  guerrière  des  Du  Guesclin  et  des 
Clisson  n'obtenaient  aucun  crédit. 

Le  jeudi  24  octobre  au  soir,  les  Anglais  se  logèrent  dans  le  petit 
village  de  Maisoncelle  et  aux  alentours;  les  Français  s'établirent 
en  plein  champ,  près  du  village  d' Azincourt,  que  traversait  la 

1,  Religieux  de  Saint-Denis.  —  LcfèYrc  de  Saint-Remi.  —  Ce  sont  les  chiffres 
les  plus  modérés.  —  Monstrelet  parle  de  cent  cinquante  mille  chevaucheurs,  ce 
qui  est  absurde. 

2.  Le  comte  d'Aleoçon  avait  été  récemment  fait  duc. 


[14153  LA  NUIT  D'AZINCOURT.  15 

route  de  Calais.  Li  nuit  fut  froide,  sombre  et  pluvieuse.  Les 
Français,  les  pieds  dans  la  boue,  le  corps  battu  du  vent  et  de  la, 
pluie,  attendirent  une  tardive  aurore  d'automne  autour  de  grands 
feux  allumés  près  des  bannières  des  chefs.  C'était  parmi  eux  un 
grand  bruit  de  pages,  de  varlets  et  de  «  toutes  manières  de  gens  >, 
s'appelant  et  criant;  «  néanmoins  avoient-ils  peu  d'instruments 
de  musique  pour  eux  réjouir,  et  à  peine  hennissoient  nuls  de 
leurs  chevaux  toute  la  nuit,  dont  plusieurs  avoient  grand'mer- 
veille  (grand  étonnement)  et  disoient  que  c'étoit  signe  de  chose  à 
venir.  Les  Anglais,  au  contraire,  toute  cette  nuit  sonnèrent  leurs 
trompettes  et  plusieurs  manières  d'instruments  de  musique,  telle- 
ment que  toute  la  terre  entour  d'eux  retentissoit  de  leurs  sons, 
nonobstant  qu'ils  fussent  moult  lassés  et  travaillés  de  faim ,  de 
froid  et  autres  mésaises,  et  faisant  leur  paix  avec  Dieu,  confessant 
leurs  péchés  en  pleurs  et  prenant  plusieurs  d'iceux  le  corps  de 
Notre-Seigneur,  car  le  lendemain  sans  faute  attendoient  la  mort  >• 
On  n'entendait  pas  un  cri,  pas  une  parole  inutile  entre  eux  :  les 
hommes  d'armes  remettaient  en  bon  état  les  aiguillettes  qui  atta- 
chaient leurs  armures;  les  archers  renouvelaient  les  cordes  de 
leurs  arcs. 

Le  jour  se  leva  enfin.  L'armée  française  se  forma  en  trois 
épaisses  batailles,  rangées  à  la  suite  l'une  de  l'autre  dans  l'étroite 
plaine  d'Azincourt,  de  façon  à  ne  pouvoir  se  porter  aucune  assi- 
stance. La  petite  armée  anglaise  présentait  un  front  égal  à  celui 
de  cette  multitude,  qui  n'avait  aucun  avantage  à  tirer  de  la  pro- 
fondeur de  ses  files  ^  Presque  tous  les  princes,  les  seigneurs,  la 
haute  noblesse  avaient  voulu  prendre  place  à  l'avant-garde;  ils 
en  avaient  renvoyé  l'infanterie,  les  gens  de  trait  et  probablement 
aussi  l'artillerie,  car  il  n'en  est  pas  du  tout  question  dans  cette 
journée.  Huit  mille  gentilshommes,  magnifiquement  chamoyés», 
se  pressaient  dans  la  première  bataille,  avec  le  connétable,  les 
ducs  d'Orléans  et  de  Bourbon,  les  comtes  d'Eu  et  de  Richement, 
le  maréchal  Boucicaut,  le  grand  maître  des  arbalétriers.  Parmi 
ces  huit  mille  nobles,  cinq  cents  s'étaient  fait  donner,  depuis  la 


1.  Trente -deux  files!  T orner»  Histé  of  Englund  during  ihe  mddle  âge,  t.  II, 
p.  443. 


16  GUERRES  DES  ANGLAIS.  [1415] 

veille  au  soir,  Tordre  de  chevalerie;  le  duc  d'Orléans  et  le  comte 
de  Nevers  étaient  du  nombre.  Les  ducs  d'Alençon  et  de  Bar  et  le 
comte  de  Nevers  s'étaient  résignés  à  grand*peine  à  ne  commander 
que  la  seconde  bataille;  l'arrière -garde  avait  été  confiée  aux 
comtes  de  Dammartin,  de  Marie  et  de  Pauquemberg;  mais  ces 
princes  et  seigneurs  et  les  gens  de  leurs  maisons  abandonnèrent 
bientôt  leurs  postes  pour  courir  accroître  l'encombrement  de 
l'avant-garde.  A  l'exception  de  deux  ailes,  formées  chacune  de 
quelques  centaines  de  lances  et  destinées  à  «  férir  »  sur  les  archers 
anglais  pour  c  rompre  leur  trait  »,  tous  les  gens  d'armes  des  deux 
premières  batailles  étaient  descendus  de  leurs  chevaux  et  avaient 
raccourci  leurs  lances  afin  de  combattre  à  pied.  Ces  guerriers, 
pesamment  armés,  enfonçaient  jusqu'au  mollet  dans  les  terres 
labourables,  détrempées  par  la  pluie  et  piétinées  par  les  chevaux 
depuis  la  veille.  On  ne  pouvait  bouger.  On  résolut  d'attendre 
l'ennemi  au  lieu  de  l'attaquer.  Une  tristesse  vague  se  répandit 
parmi  les  Français;  des  scènes  touchantes  se  passèrent  dans  les 
rangs  :  les  gentilshommes  «  se  pardonnèrent  les  haines  qu'ils 
avoient  les  uns  aux  autres;  plusieurs  s'embrassoient,  s'accoloient 
en  faisant  paix,  que  c'étoit  pitié  de  les  voir  »  (Lefèvre  de  Saint- 
Remi).  La  solennité  de  la  situation  réveillait  les  bons  sentiments, 
la  sympathie  et  la  vieille  cordialité  gauloises  au  fond  de  ces  âmes 
livrées  à  toutes  les  démences  de  l'orgueil  et  de  la  sensualité  ;  ces 
hommes  devenaient  enfin  sérieux  en  face  de  la  mort. 

Les  Anglais  s'étaient  mis  en  ordre,  plaçant  en  avant  la  masse 
de  leurs  archers ,  en  arrière  les  gens  d'armes  à  pied ,  et,  sur  les 
ailes,  des  gens  d'armes  et  des  gens  de  traits  entremêlés.  Les 
archers  étaient  protégés  par  une  palissade  mobile  ;  chacun  d'eux 
avait  un  pieu  aiguisé  des  deux  bouts,  qu'il  fichait  devant  lui,  la 
pointe  inclinée  vers  l'ennemi.  Les  Anglais  présentaient  un  étrange 
contraste  avec  la  noblesse  française,  toute  resplendissante  sous 
ses  plastrons  d'acier  et  ses  cottes  d'armes  brodées  d'or  et  d'argent 
et  bariolées  d'éclatantes  couleurs.  Les  archers  avaient  tant  souf- 
fert durant  cette  campagne  qu'ils  ressemblaient  à  une  troupe  de 
truands  et  de  vagabonds  :  beaucoup  allaient  nu-pieds  et  sans 
chaperons;  d'autres  avaient  des  «  capelines  »  (chaperons)  de  cuir 
bouilU  ou  d'osier  avec  une  simple  «  croisure  de  fer  »;  la  plupart 


[141&J  BATAILLE  D'AZINCOURT.  17 

n'avaient  ni  plaques  ni  lames  de  fer  à  leurs  pourpoints  :  ils  n'en 
étaient  que  plus  agiles  pour  combattre  sur  ce  terrain  fangeux  et 
glissant,  et,  si  leurs  «  jaques  »  étaient  usées  et  déchirées  et  leurs 
chausses  «  avalées  »  (tombantes),  leurs  armes  étaient  en  bon  état; 
ils  le  prouvèrent  sur  l'heure. 

Le  roi  Henri  avait  commencé  la  journée  par  ouïr  trois  messes 
l'une  après  l'autre  ;  puis  il  mit  son  casque  surmonté  d'une  cou- 
ronne d'or,  «  cerclée  comme  impériale  couronne  »,  enfourcha 
une  haquenée  et  fit  avancer  ses  gens  sur  un  champ  de  jeunes  blés 
verts,  où  le  sol  était  moins  détrempé  qu'ailleurs.  Il  parcourut 
leurs  rangs  et  leur  rappela  les  c  belles  besognes  que  les  rois  ses 
prédécesseurs  avoient  eues  sur  les  François...  En  outre  leur  disoit 
et  remontroit  que  les  François  se  vantoient  que  tous  les  archers 
qui  seroient  pris  ils  leur  feroient  couper  les  trois  doigts  de  la 
main  dextre  ».  Les  Anglais  répondirent  par  un  grand  cri  :  «  Sire, 
nous  prions  Dieu  qu'il  vous  donne  bonne  vie  et  la  victoire  !  » 

Les  deux  armées  n'étaient  qu'à  une  portée  d'arc.  Henri  V  hé- 
sita au  moment  d'engager  l'action  avec  treize  ou  quatorze  mille 
combattants  contre  cinquante  mille.  Quelques  pourparlers  avaient 
déjà  eu  lieu  les  jours  précédents.  Le  roi  anglais  dépécha  vers  les 
chefs  de  Vhost  de  France,  et  offrit,  dit-on,  de  renoncer  à  ses  pré- 
tentions sur  la  couronne  de  France  et  de  rendre  Harfleur  si  l'on 
voulait  lui  restituer  le  comté  de  Ponthieu,  cinq  cités  qui  devaient 
appartenir  au  duché  de  Guyenne,  et  lui  donner  en  mariage  ma- 
dame Catherine  de  France  avec  800,000  écus  d'or.  Les  Français 
exigèrent  Harfleur  et  la  renonciation  à  la  couronne  de  France 
sans  compensation.  Ils  ne  consentaient  à  laisser  aux  Anglais  que 
Calais  et  ce  qu'ils  tenaient  en  Guyenne  (Saint-Remi).  Les  Anglais 
refusèrent. 

n  était  onze  heures  du  matin.  Aussitôt  la  conférence  rompue, 
le  maréchal  de  l'armée  d'Angleterre,  sir  Thomas  Erpingham, 
exhorta  de  nouveau  les  Anglais  «  à  bien  faire  »  ;  puis  il  jeta  en 
l'air  un  bâton  qu'il  tenait  à  la  main,  en  criant  :  «  Ne  strecke!  » 
(Now  strike^  maintenant  frappez!)  L'armée  anglaise  poussa  un 
grand  cri  et  fit  quelques  pas  en  avant.  L'armée  française  resta 
immobile;  elle  était  dans  la  boue  jusqu'à  mi-jambe.  Les  Anglais 
jetèrent  un  second  cri,  approchèrent  encore,  et  les  archers  en- 
vi, 2 


18  GUERRES  DES  ANGLAIS.  [i4U] 

gagèrent  la  bataille  par  une  volée  de  dix  mille  flèches,  qui  fut 
suivie  de  bien  d'autres.  Les  Français  s'ébranlèrent  enfin,  et, 
baissant  la  tête  pour  que  les  flèches  ne  pénétrassent  point  par 
les  trous  des  ventaux  et  des  visières,  ils  s'avancèrent  pesamment 
vers  l'ennemi  et  l'obligèrent  à  reculer  un  peu,  tandis  que  les  deux 
ailes  de  gens  d'armes  demeurés  à  cheval  partaient  d'Azincourt  et 
de  Tramecourt  afin  de  prendre  en  flanc  les  archers. 

Cette  charge  de  cavalerie,  exécutée  avec  succès,  eût  pu  décider 
le  sort  de  la  journée;  l'état  du  sol  la  fit  échouer  complètement  : 
la  plupart  des  chevaux  s'abattirent  dans  les  sillons  des  champs 
nouvellement  ensemencés;  à  peine,  sur  dix  cavaliers,  un  seul 
joignit-il  l'ennemi.  Quelques-uns  des  plus  braves  et  des  mieux 
montés  vinrent  se  faire  tuer  parmi  les  pieux  des  archers;  les 
autres,  tournant  bride  sous  une  grêle  de  flèches  et  se  débarrassant 
à  grand'peine  des  terres  labourées  où  ils  s'étaient  embourbés,  se 
rejetèrent  sur  la  première  bataille  française,  et  leurs  chevaux, 
blessés  et  furieux,  y  portèrent  un  horrible  désordre.  La  ligne  de 
l'avant-garde  fut  rompue;  les  hommes  d'armes  tombaient  les  uns 
sur  les  autres  et  ne  pouvaient  se  relever;  «  beaucoup  se  partoient 
et  se  mettoient  en  fuite  ». 

«  Les  archers,  voyant  cette  rompture  en  l'avant-garde  françoise, 
tous  ensemble  issirent  (sortirent)  d'entre  leurs  pieux,  jetèrent  sus 
arcs  et  flèches,  et,  prenant  leurs  épées,  haches,  maillets  plombés 
et  becs  de  faucons  (marteaux  d'armes  terminés  d'un  côté  par  une 
pointe  aiguë  et  recourbée),  ils  entrèrent  entre  les  François  et  se 
boutèrent  par  les  lieux  où  ils  voyoient  les  romptures.  »  Les  gens 
d'armes,  accablés  par  le  poids  de  leurs  armures,  enfonçant  à 
chaque  pas  dans  la  terre  mouvante  et  déjà  hors  d'haleine  avant 
d'avoir  combattu,  étaient  si  serrés  qu'ils  pouvaient  à  peine  lever 
le  bras  pour  frapper.  «  Les  archers  frappoient  sur  eux  et  les 
abattoient  à  tas,  et  sembloit  que  ce  fussent  enclumes  sur  quoi  ils 
frappassent,  et  churent  les  nobles  françois  les  uns  sur  les  autres; 
plusieurs  y  furent  étouffés  et  les  autres  tués  ou  pris.  >  La  chevalerie 
de  France  fut  traitée  comme  les  Flamands  à  RoosebekCé 

Les  archers  percèrent  jusqu'à  la  seconde  bataille»  faisant  place 
au  roi  Henri  et  à  ses  hommes  d'armes,  qui  venaient  après  eux 
«  et  les  soutenoient  moult  fort  ».  La  seconde  bataille  eut  le  sort 


[14153  BATAILLE  D'AZINCOURT.  19 

de  la  première,  qu'elle  n'avait  pu  secourir,  et  fut  bientôt  con- 
fondue avec  elle  dans  un  immense  désarroi.  D'énergiques  efforts 
forent  tentés  pour  disputer  la  victoire;  mais  toute  manœuvre 
d*ensemble  était  impossible  aux  Français  :  l'élite  de  la  noblesse 
française  ne  réussit  qu'à  vendre  quelque  peu  sa  vie  ou  sa  liberté. 
Lefèvre  de  Saint-Remi,  témoin  oculaire,  rapporte  que  dix-huit 
chevaliers  s'étaient  engagés  par  serment  à  joindre  le  roi  d'Angle- 
terre et  à  lui  abattre  la  couronne  de  la  tête  ou  à  mourir  tous.  Ils 
rapprochèrent  en  effet  de  si  près  qu'un  d'eux  lui  abattit  d'un 
:x>up  de  hache  un  des  fleurons  de  sa  couronne  ;  mais  c  guère  ne 
lemeura  qu'il  ne  fût  mort  et  détranché,  lui  et  tous  les  autres  »• 
\je  duc  d'Alençon,  «  à  l'aide  de  ses  gens,  transperça  grand'partie 
le  la  bataille  des  Anglois  »,  tua  le  duc  d'York  à  deux  pas  de  son 
x>usin  Henri  V,  et  fut  massacré  par  les  gardes  du  roi  d'Angleterre 
m  moment  où  Henri  s'avançait  poiu*  le  prendre  à  merci.  Le  duc 
Vntoine  de  Brabant,  frère  de  Jcan-sans-Peur,  qui  accourait  à 
narches  forcées  pour  joindre  l'armée,  arrivait  en  ce  moment  sur 
e  champ  de  bataille  avec  les  mieux  montés  de  ses  gens.  Il  n'avait 
)as  même  sa  cotte  d'armes;  il  prit  une  des  bannières  «  armoyées  » 
le  ses  trompettes,  y  fit  un  trou  pour  y  passer  la  tète,  mit  l'épée 
m  poing  et  se  rua  sur  les  Anglais.  Il  fut  aussitôt  terrassé  et  mis 
ï  mort.  Les  archers  et  les  gens  d'armes  anglais  avançaient  tou- 
ioors  en  bon  ordre,  c  combattant,  tuant  et  prenant  force  pri- 
sonniers »,  sans  se  débander  à  la  poursuite  des  fuyards;  ils  se 
rouvèrent  enfin  face  à  face  avec  l'arrière-garde  française,  qui 
^tait  demeurée  à  cheval.  L'arrière-garde  ne  les  attendit  pas;  elle 
louma  le  dos,  à  l'exception  des  chefs  et  de  six  cents  lances  qui 
rinrent  se  briser  dans  une  dernière  charge  contre  l'armée 
rictorieuse. 

Les  Anglais  étaient  complètement  maîtres  du  champ  de  bataille 
orsqu'on  annonça  au  roi  d'Angleterre  que  de  nouveaux  ennemis 
apparaissaient  sur  ses  derrières  et  pillaient  ses  bagages.  Henri  V, 
rouble  de  cette  attaque  imprévue  et  voyant  de  loin  les  fuyards 
le  Tarrière-garde  «  se  recueillir  par  compagnies  »,  fit  crier,  au 
on  de  la  trompette^  que  chaque  Anglais,  sous  peine  de  la  hart, 
:  occît  »  ses  prisonniers,  «  de  peur  que  ceux-ci  ne  fussent  en  aide 
L  leurs  gens  ».  Les  soldats  ne  voulant  point  obéir,  moins  par 


20  GUERRES  DES  ANGLAIS.  [141&) 

humanité  que  pour  ne  pas  perdre  la  «  grand'finance  »  qu'ils 
attendaient  de  leurs  captifs,  Henri  V  préposa  un  gentilhomme 
avec  deux  cents  archers  à  cette  «  besogne,  et,  de  sang-froid,  toute 
cette  noblesse  françoise  fut  là  tuée  et  découpée,  têtes  et  visages, 
qui  fut  moult  pitoyable  chose  à  voir  ».  Une  multitude  de  prison- 
niers avaient  été  égorgés  quand  le  roi  révoqua  son  ordre  barbare 
en  voyant  les  gens  qui  avaient  assailli  les  bagages  prendre  la  fuite 
avec  leur  butin  :  ce  n'étaient  que  quelques  centaines  de  soldats 
et  de  paysans,  conduits  par  le  seigneur  d'Azincourt^  Les  gens  de 
Tarrière-garde,  qui  avaient  essayé  de  se  rallier,  se  mirent  à  fuir 
dès  qu'ils  virent  les  Anglais  prêts  à  les  combattre. 

Les  Anglais  restèrent  jusqu'au  soir  à  dépouiller  les  morts  et  à 
secourir  ceux  des  blessés  dont  ils  espéraient  tirer  rançon.  Us 
revinrent  le  lendemain  matin  achever  leur  ouvrage  :  ils  retour- 
nèrent tous  les  monceaux  de  corps  palpitants  qui  couvraient  la 
plaine,  pour  faire  leur  choix,  achever  les  uns  et  relever  les  autres. 

Jamais  la  noblesse  française  n'avait  essuyé  un  désastre  com- 
parable à  celui  d'Azincourt.  Courtrai,  Créci,  Poitiers  étaient  sur- 
passés :  sur  environ  dix  mille  Français  morts,  on  comptait  plus 
de  huit  mille  gentilshommes,  dont  une  grande  partie  furent 
massacrés  après  s'être  rendus,  au  moment  où  Henri  V  ordonna 
d'occire  les  captifs.  Parmi  eux  étaient  les  ducs  d'Alençon  et  de 
Brabant,  le  duc  de  Bar  et  ses  deux  frères,  le  connétable  d'Albret» 
les  comtes  de  Nevers,  de  Marie,  de  Fauquemberg,  etc.  ;  le  sire  de 
Dampierre,  qui  portiit  le  titre  d'amiral  de  France  conjointement 
avec  Clignet  de  Brabant;  le  grand-maître  des  arbalétriers;  le 
porte-oriflamme;  le  belliqueux  archevêque  de  Sens,  Montagu, 
qui  €  fut  peu  plaint  »,  dit  Juvénal,  «  parce  que  ce  n'étoit  pas  son 
office  »;  environ  cent  vingt  hauts  barons,  et  les  baillis  royaux  de 
Vermandois,  de  Màcon,  de  Sens,  de  Senlis,  de  Caen  et  de  Meaux: 
ces  derniers  avaient  péri  en  combattant  à  la  tête  de  quelques 
milices  communales  qu'ils  avaient  amenées  de  leurs  bailliages; 
la  noblesse  de  Picardie  avait  été  hachée;  le  duc  d'Orléans  fut 
ramassé  vivant  sous  un  tas  de  morts  et  de  blessés,  et  resta  pri- 
sonnier avec  le  duc  de  Bourbon,  les  comtes  d'Eu,  de  Vendôme  et 

1.  Monstrclet  dit  que  le  duc  de  Bourgogne,  leur  suzerain,  les  punit  et  les  retint 
longtemps  en  prison. 


[1415]         DÉSASTRE  DE  LA  NOBLESSE  FRANÇAISE.  21 

de  Richemont ,  le  maréchal  Boucicaut  et  quinze  cents  chevaliers 
et  éciiyers.  Les  Anglais  avaient  perdu  le  duc  d*York,  le  comte 
d'Oxford  et  environ  seize  cents  hommes. 

Le  duc  de  Bretagne,  qui ,  malgré  sa  trêve  avec  l'Angleterre, 
avait  obéi  au  ban  du  roi  de  France,  était  en  marche  avec  six  mille 
combattants  pour  rejoindre  l'armée  française.  Il  fut  plus  heureux 
que  le  duc  de  Brabant  :  il  apprit  à  Amiens  le  désastre  d'Azincourt 
et  rebroussa  chemin.  Le  comte  Philippe  de  Gharolais,  c  ayant  au 
cœur  grand'tristesse  de  la  dure  et  piteuse  aventure  des  François  », 
envoya  le  bailli  d'Aire  donner  la  sépulture  aux  morts  ^ 

L*armée  victorieuse  était  harassée  et  désirait  ardemment  aller 
se  refaire  de  ses  fatigues  en  Angleterre.  Henri  V  accéda  au  vœu 
de  ses  soldats.  Il  fit  une  entrée  triomphale  dans  Calais  à  leur  tête, 
mit  à  la  voile  le  11  novembre  et  regagna  Londres,  c  menant  tou- 
jours avec  lui  les  princes  de  France  qu'il  tenoit  prisonniers,  et 
grandement  loué  et  glorifié  du  clergé  et  du  peuple  de  son  royaume 
pour  sa  belle  victoire  et  pour  la  conquête  du  noble  port  de  Har- 
fleur  ».  Le  farouche  vainqueur,  fidèle  à  son  rôle,  déclara  qu'il  ne 
s'attribuait  aucune  gloire  de  son  triomphe,  que  c'était  œuvre  de 
Dieu  et  punition  des  péchés  auxquels  s'abandonnaient  ses  adver- 
saires; c  car  ils  ne  tenoient  foi  ni  loyauté  à  créature  du  monde, 
en  mariage  ni  autrement,  désoloient  et  violoient  églises,  prenoient 
à  force  toutes  femmes  de  religion  et  autres,  déroboient  tout  le 
peuple  et  le  détruisoient  sans  raison,  pourquoi  il  ne  leur  pou  voit 
bien  advenir  >  (  Juvénal).  Il  avait  tenu  le  même  langage  à  ses  pri- 
sonniers: c  Oncques  (jamais),  disait-il  au  duc  d'Orléans,  plus 
grand  desroi  ni  désordonnance  de  voluptés,  de  péchés  ni  de  mau- 
vais vices  ne  fut  vu  (que  de  ceux)  qui  régnent  en  France  aujour- 
d'hui, et  est  pitié  de  l'ouïr  recorder  et  horreur  aux  écoutants,  et, 
si  Dieu  en  est  courroucé,  ce  n'est  pas  merveille  !  >  Les  captifs 
d'Azincourt  firent  une  longue  et  sévère  pénitence  des  péchés  que 

1.  Qiiarante-hnit  ans  après,  le  comte  de  Charolais,  devenu  le  dac  Philippe  le 
Bon,  et  touchant  au  terme  de  sa  carrière,  regrettait  encore  «  de  n'avoir  eu  la  for- 
tune d'avoir  été  k  ladite  hataille,  fût  pour  la  mort,  fût  pour  la  vie  ».  Nous  nous 
sommes  attaché  principalement  au  récit  très  détaillé  de  Lefèvre  de  Saint-Remi, 
témoin  oculaire.  —  v.  aussi  Monstrelet.  —  Juvénal  des  Ursins.  —  Berri.  —  Pierre 
de  Fenin.  —  Le  Religieux  de  Saim^Deniâ,  1.  XXXV,  c.  6,  7.  —  Lingard,  Histoire 
d^ Angleterre,  U  V,  p.  23-38,  traduction  de  M.  de  Roujoux. 


22  GUERRES  DES  ANGLAIS.  [141S] 

leur  reprochait  leur  vainqueur  :  l'actif  et  brave  Boucicaut  mourut 
d'ennui  dans  sa  prison  ;  l'infortuné  duc  d'Orléans  languit  presque 
toute  sa  vie  sur  la  terre  étrangère,  où  les  vaincus  ne  retrouvèrent 
pas,  sous  les  durs  Lancastre,  la  somptueuse  hospitalité  d'Edouard  m 
et  du  Prince  Noir.  (Lefèvre  de  Saint-Remi.  —  Monstrelet.) 

Les  armes  de  l'étranger  semblaient  du  moins  avoir  fait  ce  que 
n'avait  pu  faire  la  guerre  civile  :  elles  semblaient  avoir  détruit 
une  des  deux  factions  qui  déchiraient  la  France,  presque  tous  les 
princes  et  les  chefs  du  parti  Orléanais  étant  morts  ou  captifs.  Au 
milieu  de  la  désolation  publique,  il  y  eut  des  gens  à  Paris  qui 
€  montrèrent  signe  de  joie,  disant  que  les  Armagnacs  étoient 
déconfits  et  que  le  duc  de  Bourgogne  viendroit  cette  fois  au-dessus 
de  ses  besognes  »  (Juvénal).  On  n'eut  pas  même  le  triste  bénéfice 
qu'on  attendait  de  la  victoire  des  Anglais  :  le  mauvais  génie  de  la 
France  avait  préservé  le  pire  des  Orléanais,  l'âme  de  la  faction, 
Bernard  d'Armagnac,  qui  guerroyait  alors  en  Gascogne  contre  le 
comte  de  Foix.  Le  duc  de  Guyenne,  disposé  à  toutes  les  extrémités 
plutôt  que  de  rendre  le  pouvoir  à  son  beau-père  de  Bourgogne, 
ramena  en  hâte  Charles  VI  à  Paris,  manda  au  comte  d'Armagnac 
de  venir  recevoir  l'épée  de  connétable  \  et  publia  défense  à  tout 
prince  du  sang  de  se  rendre  à  Paris  sans  y  être  appelé.  Le  duc 
Jean  était  parti  de  Dijon  avec  le  duc  de  Lorraine  et  toute  la 
noblesse  des  deux  Bourgognes  et  de  la  Lorraine.  Il  prit  la  route 
de  Paris  à  la  tête  de  dix  mille  chevaux.  Ses  forces  grossissaient 
d'étape  en  étape  :  il  avait  vingt  mille  combattants  quand  il  arriva 
à  Lagni-sur-Mame  ;  tous  les  bannis  cabochiens  chevauchaient  &ï 
sa  compagnie.  Au  bruit  de  son  approche,  le  roi  de  Sicile,  qui 
l'avait  si  gravement  ofl*ensé  en  rompant  injurieusement  le  mariage 
projeté  de  leurs  enfants,  quitta  Paris  et  se  retira  en  Anjou;  cepen- 
dant, sur  l'ordre  réitéré  du  dauphin,  le  duc  Jean  s'arrêta  à  Lagni, 
espérant  obtenir  à  l'amiable  l'entrée  de  Paris.  On  lui  offrit  de  le 


1.  11  est  juste  d'observer  que  le  Religieux  de  Saint-Denis,  généralement  impar- 
tial ,  approuve  le  rappel  d'Arinaguac  (  1.  XXXV,  c.  9  )  :  il  ne  restait  pins  anena 
capitaine  de  renom  auquel  on  pût  confier  la  connétablie,  et  il  pouvait  paraître  dur 
de  récompenser  le  duc  de  Bourgogne  de  sa  connivence  avec  l'ennemi  en  lai  livrant 
lii  France.  C'eût  été  pourtant  la  seule  chance  de  la  sauver.  Faible  et  triste  cbaneel 
Quoi  qu'on  fit,  on  ne  pouvait  se  livrer  qu'k  des  mains  indignes. 


(141S,1416]  BERNARD  D'ARMAGNAC.  23 

laisser  entrer  en  c  simple  état»,  pourvu  qu'il  congédiât  son  armée. 
Ce  n'était  pas  là  son  compte. 

Le  duc  de  Guyenne  n'était  plus  en  état  de  participer  aux  négo- 
ciations. U3é  à  force  d'excès,  il  tomba  malade  le  10  décembre  et 
mourut  le  18,  à  l'âge  de  vingt  ans.  La  moil  de  ce  prince  transféra 
ses  droits  et  le  titre  de  dauphin  à  son  frère  Jean,  duc  de  Touraine, 
âgé  de  dix-sept  ans,  l'alné  des  deux  fils  qui  restaient  au  roi.  Cet 
événement  paraissait  devoir  amener  une  révolution  de  palais  en 
faveur  de  Jean-sans-Peur.  Le  nouveau  dauphin,  gendre  du  comte 
de  Hainaut  et  fixé  depuis  longtemps  à  Valenciennes  et  à  Mons, 
était  à  la  dévotion  des  alliés  du  duc  Jean,  et  le  Bourguignon  pou- 
vait s'autoriser  du  nom  de  l'héritier  du  trône  pour  agir  sur-le- 
champ  ;  mais  une  hésitation  croissante  avait  remplacé  la  vieille 
audace  de  Jean-sans-Peur  :  il  consuma  encore  une  dizaine  de 
jours  en  pourparlers  avec  les  gens  du  conseil  du  roi,  dévoués  à 
ses  ennemis.  Chaque  instant  diminuait ^es  chances  :  déjà  Clignet 
de  Brabant,  échappé  de  la  grande  bataille,  était  venu  joindre, 
avec  force  gens  d'armes,  le  prévôt  de  Paris,  Tannegui  Duchâtel, 
énergique  aventurier  breton  et  fougueux  ennemi  des  Bourgui- 
gnons; le  29  décembre,  le  comte  d'Ârmagnac  entra  dans  Paris  à 
son  tour  avec  ses  Gascons  et  reçut  l'épée  de  connétable.  Dès  lors 
tout  accommodement  fut  impossible.  L'autorité  royale  se  con- 
centra tout  entière  aux  mains  de  ce  dangereux  personnage,  qui 
atteignait  enfin  le  but  de  ses  ambitions.  Il  fit  signifier  au  duc  de 
Bourgogne  de  se  retirer  et  de  licencier  ses  gens,  sous  peine  d'être 
réputé  traître  et  <  abandonné  »,  mit  des  garnisons  dans  toutes  les 
places  de  l'Ile-de-France  et  ordonna  une  foule  d'arrestations  dans 
Paris.  Le  duc  de  Bretagne  offrit  inutilement  sa  médiation,  et  les 
hostilités  s'engagèrent  partout  entre  les  garnisons  royales  et  les 
troupes  bourguignonnes.  Le  duc  Jean  poussa  très  mollement  la 
guerre  et  resta  deux  mois  et  demi  immobile  à  Lagni  avec  le  gros 
de  son  armée.  Il  se  décida  enfin  à  lever  son  camp,  le  28  février 
1416,  pour  regagner  la  Flandre,  emportant  le  sobriquet  railleur 
de  c  Jean  de  Lagni  qui  n'a  hâte  ».  Paris,  fortement  comprimé, 
n'avait  pas  bougé.  La  retraite  de  Jean  laissa  la  France  à  la  discré- 
tion du  comte  d'Armagnac,  qui,  le  12  février,  s'était  fait  nommer 
c  général-gouverneur  des  finances  du  royaume  et  général-capi- 


24  GUERRES  DES  ANGLAIS.  [1416] 

laine  de  toutes  les  forteresses,  pour  y  mettre  capitaines  et  garni- 
sons à  son  plaisir  ». 

Une  intervention  plus  solennelle  que  celle  du  duc  de  Bretagne 
fut  offerte  aux  parties  belligérantes.  L'empereur  Sigismond, 
après  avoir  contribué  puissamment  à  terminer  le  schisme  de 
rËglise,  annonçait  Tintention  de  s'employer  à  rétablir  la  paix 
entre  les  Bourguignons  et  les  Armagnacs  et  entre  la  France  et 
TAngleterre.  Il  arriva  à  Paris  le  l*'  mars,  eut  quelques  conférences 
avec  le  conseil  du  roi  et  partit  pour  Londres  avec  le  comte  de 
Hainaut;  mais  Sigismond  ne  garda  pas  longtemps  l'impartialité 
d'un  arbitre,  et  son  voyage  ne  calma  point  la  fureur  des  factions. 
Le  comte  d'Armagnac,  porté  au  pouvoir  par  un  concours *de 
circonstances  si  extraordinaires,  employa  pour  s'y  maintenir  des 
moyens  qui  redoublèrent  la  haine  populaire  attachée  d'avance  à 
son  nom.  A  son  instigation,  le  conseil  du  roi  chassa  de  Paris  une 
grande  partie  des  docteurs  et  professeurs  de  l'université,  et  dé- 
fendit au  recteur  c  de  plus  faire  aucunes  assemblées  ou  congré- 
gations ».  Beaucoup  de  notables  bourgeois  se  virent  également 
expulsés  de  la  capitale  ;  une  taille  énorme  fut  mise  sur  le  peuple 
et  sur  le  clergé;  plusieurs  gentilshommes  et  capitaines  bourgui- 
gnons,-pris  les  armes  à  la  main,  furent  décapités  sans  merci.  Les 
Parisiens  commencèrent  à  remuer  ;  un  complot  se  trama  c  pour 
prendre  et  occire  ceux  qui  tenoient  la  ville  en  sujétion  >.  Il  devait 
éclater  le  jour  de  Pâques;  il  fut  découvert.  Les  conspirateurs 
furent  arrêtés,  et  plusieurs  <  hommes  d'honneur  et  bourgeois 
considérables  »  furent  décollés  aux  Halles. 

Le  mauvais  succès  de  cette  conspiration  affermit  la  tyrannie  de 
Bernard  d'Armagnac  :  le  connétable  fit  enlever  les  chaînes  des 
rues  et  désarmer  le  peuple  ;  toutes  réunions  et  assemblées,  c  même 
pour  noces  »,  furent  défendues,  hormis  en  la  présence  de  com- 
missaires et  de  sergents  du  prévôt  de  Paris  ;  la  grande  boucherie 
fut  abattue  ;  la  communauté  des  bouchers  fut  supprimée  et  les 
bouchers  dépouillés  de  leur  monopole  héréditaire  :  l'accès  de 
leur  profession  fut  permis  à  tout  venant.  Armagnac  était  un 
étrange  patron  de  la  liberté  du  travail!  Les  arrestations,  les  con- 
fiscations et  les  bannissements  se  succédaient  chaque  jour;  on 
interdit  à  chacun,  <  sous  peine  d'être  pendu  par  la  gorge  »,  de  se 


[14163  TYRANNIE  D'ARMAGNAC.  25 

baigner  dans  la  rivière  :  Armagnac  et  le  prévôt  Tannegui  Duchâtel 
ne  voulaient  pas  que  les  baigneurs  découvrissent  au  fond  de  l'eau 
les  cadavres  qu*on  y  jetait  chaque  nuit  une  pierre  au  cou^ 

Le  duc  de  Berri  mourut  sur  ces  entrefaites  à  l'âge  de  soixante- 
seize  ans,  dans  son  hôtel  de  Nesle  à  Paris  (13  juin).  Ce  prince 
laissa  une  mémoire  souillée  entre  toutes  dans  cette  époque  de 
souillures.  Il  joignait  à  bien  d'autres  vices  le  vice  que  la  France 
pardonne  le  moins  à  ses  chefs,  le  péché  irrémissible  :  la  lâcheté  1 
U  n'avait  point  d' c  hoirs  mâles  de  son  corps  >  :  les  duchés  de 
Berri  et  d'Auvergne  et  le  comté  de  Poitou  furent  transférés  au 
dauphin  Jean,  filleul  du  prince  défunt,  et  le  roi  reprit  au  dauphin 
le  duché  de  Touraine  pour  en  investir  son  plus  jeune  fils,  Charles, 
comte  de  Ponthieu  (depuis  le  roi  Charles  VII).  Armagnac,  outre 
le  jeune  Charles,  dont  il  comptait  se  faire  un  instrument,  n'avait 
plus  avec  lui  qu'un  seul  des  sires  du  sang,  le  roi  de  Sicile,  irré- 
Yocablement  engagé  comme  lui  dans  la  faction.  Armagnac  n'en 
fit  pas  moins  refuser  l'entrée  de  Paris  au  dauphin,  à  moins  qu'il 
ne  rompit  avec  le  parti  bourguignon.  La  guerre  civile  continuait 
avec  plus  d'acharnement  que  de  résultats  sur  les  bords  delà  Somme 
et  de  l'Oise,  et  Jean-sans-Peur  avait  renoué  ses  négociations  avec 
Henri  V.  La  mort  de  ses  deux  frères  avait  produit  sur  lui  une  im- 
pression plus  vive  que  durable:  dans  le  premier  moment  de  dou- 
leur, il  avait  envoyé  son  gantelet  au  roi  d'Angleterre,  c  le  défiant 
à  feu  et  à  sang  »  (Juvénal,  p.  524).  Henri  V  tenait  trop  à  ménager 
le  duc  de  Bourgogne  pour  ne  pas  relâcher  quelque  chose  du  point 
d'honneiur  en  cette  occasion  ;  il  s'excusa  de  n'avoir  pu  sauver  la 
vie  aux  deux  princes,  ainsi  qu'il  l'eût  souhaité.  Jean  se  laissa  fa- 
cilement apaiser,  et  les  c  trêves  de  Flandre  »  furent  renouvelées. 
Armagnac,  au  contraire ,  agit  avec  vigueur  contre  les  Anglais  :  il 
voulait  justifier  son  élévation  par  quelque  action  éclatante;  il  loua 
des  galères  et  des  carraques  génoises  et  espagnoles,  des  archers 
génois  et  catalans,  et  entreprit  le  blocus  de  Harfleur  par  terre  et 
par  mer.  L'entreprise  ne  fut  pas  heureuse  :  les  troupes  de  terre 

1.  Journal  d'un  Bourgeoi*  de  Paris,  année  1416.  —  Jn?énal.  —  Le  titre  donné  aa 
euricox  Journal,  Dionument  fidèle  des  passions  bourguignonnes  et  cabochiennes, 
est  erroné  :  l'auteur  n'était  pas  un  bourgeois,  mais  un  clerc,  un  docteur  de  l'uni- 
tersité,  comme  il  le  dit  lui-même  dans  son  récit 


2d  GUERRES  DES  ANGLAIS.  C1416] 

se  laissèrent  honteusement  mettre  en  déroute  par  la  garnison  de 
Harfleur,  et  le  duc  de  Bedford,  frère  de  Henri  V,  fit  lever  le  blo- 
cus de  vive  force  avec  une  flotte  anglaise  et  ravitailla  la  place 
(août  1416). 

Les  Anglais  ne  poussèrent  pas  plus  loin  leurs  avantages  cette 
année-là;  l'Angleterre  était  fatiguée  du  grand  effort  de  la  cam- 
pagne précédente,  et  Henri  V  laissait  son  royaume  reprendre 
haleine  :  il  voyait  bien  que  la  France  était  hors  d'état  de  profiter 
de  ce  répit,  et  que  le  temps  envenimait  ses  plaies  au  lieu  de  les 
guérir.  Il  aidait  le  temps  à  cet  égard  :  il  continuait  par  ses  intri- 
gues l'œuvre  commencée  par  ses  armes;  il  négociait  à  la  fois  avec 
Jean-sans-Peur  et  avec  les  princes  captifs.  A  Texception  du  duc 
Charles  d'Orléans,  chez  qui  la  captivité  développa  quelques  far 
cultes  méditatives  et  poétiques,  ces  jeunes  gens,  gàtéspar  la  va- 
nité, l'égoïsme  et  la  débauche,  étaient  dépourvus  de  tout  sentiment 
élevé  qui  pût  les  aider  à  supporter  noblement  le  malheur.  Le  duc 
de  Bourbon,  au  nom  de  tous  les  autres,  offrit  à  Henri  V  d'aller 
traiter  en  France  du  rétablissement  de  la  c  grande  paix  >  de  Bre- 
tigni,  avec  la  cession  de  Harfleur  en  plus;  si  le  conseil  du  roi 
refusait,  il  s'obligeait  à  reconnaître  Henri  V  roi  de  France  !  (Rymer, 
t.  IX,  p.  427.)  Henri  eût  de  beaucoup  préféré  qu'une  telle  offre 
vînt  de  Jean-sans-Peur.  Il  le  sollicita  vivement  de  reconnaître,  ne 
fût-ce  que  par  un  traité  secret,  ses  droits  à  la  couronne  de  France; 
mais  Jean  évita  de  s'engager  :  son  but  était  de  dominer  et  d'ex- 
ploiter la  France,  et  non  de  la  vendre  à  l'Anglais.  Ces  pourparlers 
eurent  lieu  dans  une  conférence  générale  tenue  à  Calais,  au  com- 
mencement de  l'automne,  entre  l'empereur,  le  roi  d'Angleterre, 
le  duc  de  Bourgogne  et  les  envoyés  du  conseil  de  France.  Le  seul 
résultat  de  la  conférence  fut  une  suspension  d'armes,  d'octobre 
en  février.  Sigismond,  d'arbitre,  s'était  rendu  partie,  car  il  avait 
signé  récemment  un  pacte  d'alliance  avec  Henri  V.  (Rymer,  t.  IX, 
p.  397.) 

Le  duc  de  Bourgogne  revint  de  Calais  joindre  le  dauphin  à 
Valenciennes.  Le  comte  de  Hainaut,  beau-père  de  ce  jeune  prince, 
qui  se  dirigeait  en  tout  par  ses  avis,  désirait  sincèrement  le  réta- 
blissement de  l'union  en  France  et  n'avait  pas  voulu  d'abord 
remettre  le  dauphin  à  la  discrétion  du  duc  de  Bourgogne;  mw. 


C1416,1417]  LES  DEUX  DAUPHINS.  27 

quand  il  eut  reconnu  Timpossibilité  de  toute  transaction  avec 
Armagnac,  il  engagea  son  gendre  à  jurer  avec  Jean -sans-Peur  un 
pacte  de  défense  mutuelle  (12  novembre).  Pendant  ce  temps ,  le 
duc  de  Bretagne,  gendre  du  roi,  intervenait  de  nouveau  en  faveur 
de  la  paix  et  déterminait,  non  sans  peine,  sa  belle-mère,  l'indo- 
lente Isabeau,  à  se  donner  un  peu  de  mouvement  dans  le  même 
intérêt.  A  la  fin  de  Thiver  (mars  1417),  la  reine  se  rendit  à  Senlis, 
accompagnée  de  son  plus  jeune  fils  Charles,  pour  conférer  avec 
le  dauphin  et  le  comte  de  Hainaut,  qui  étaient  à  Gompiègne.  Le 
comte  de  Hainaut  laissa  le  dauphin  à  Gompiègne  et  vint  visiter  la 
reine,  qui  remmena  à  Paris  pour  traiter  avec  le  grand  conseil. 
Le  comte  déclara  c  qu'il  amèneroit  ensemble  le  dauphin  et  le  duc 
de  Bourgogne,  ou  ramèneroit  icelui  dauphin  en  Hainaut,  si  autre- 
ment n'étoit  pourvu  par  le  roi  et  son  conseil  à  la  réparation  et 
paix  du  royaume  ». 

Le  grand  conseil  était  rempli  des  amis  et  créatures  de  Bernard 
d'Armagnac  :  c  ceux  qui  gouvemoient  le  roi»  complotèrent  d'ar- 
rêter en  trahison  le  comte  de  Hainaut  c  jusques  à  temps  qu'il  eût 
rendu  le  dauphin  au  roi  son  père  »  ;  maïs  le  comte  fut  averti  à 
temps  et  regagna  Gompiègne.  «  Il  y  trouva  le  dauphin,  son  beau- 
fils,  très  grièvement  malade,  et  avoit,  emprès  une  oreille,  un 
apostume,  lequel  se  creva  par  dedans  son  col  et  l'étrangla  :  il 
trépassa  le  jour  de  Pâques  fleuries  (4  avril  1417).  Et  lors  fut  très 
grande  renommée  que  ledit  dauphin  avoit  été  empoisonné  par 
aucuns  de  ceux  qui  gouvemoient  le  roi.  »  (Monstrelet.)  Armagnac 
était  capable  de  tout,  et  cette  mort  arrivait  merveilleusement  à 
point  pour  lui^ 

Le  nouveau  dauphin ,  le  dernier  des  fils  du  roi,  Gharles,  duc 
de  Touraine,  enfant  de  quatorze  ans,  avait  été  uni,  encore  en  bas 
âge,  à  Marie  d'Anjou,  fille  du  roi  de  Sicile  :  les  ennemis  mortels 
de  Jean-sans-Peur,  qui  l'avaient  élevé,  lui  avaient  inspiré  toutes 

1.  Le  comte  de  Hainaut,  qui  était  retourné  dans  son  pays  «  en  grande  tristesse», 
snrrécut  peu  à  son  gendre  et  mourut  le  31  mai.  Sa  fille,  Jacqueline  de  Bavière, 
veuve  du  dauphin  Jean,  hérita  des  comtés  de  Hainaut,  Hollande  et  Zélande  et  de 
la  seigneurie  de  Frise.  Le  «  roi  de  Sicile  »,  Louis  II  d'Anjou,  était  mort  le  29  avril, 
léguant  à  ses  lils  TAnjou,  le  Maine  et  la  Provence  et  ses  prétentions  héréditaires 
sur  le  royaume  de  Napics,  qu'il  avait  tenté  deux  fois  d'enlever  à  la  maison  de 
Duraszo. 


28  GUERRES  DES  ANGLAIS.  [1417] 

leurs  passions,  du  moins  autant  que  son  âme  froide  et  faible  en 
était  susceptible;  l'influence  de  sa  mère  pouvait  seule  balancer 
auprès  du  jeune  prince  celle  du  comte  Bernard.  Isabeau  inclinait 
à  la  paix  ;  Armagnac  résolut  de  perdre  la  mère  afin  de  dominer 
plus  sûrement  le  fils. 

Les  prétextes  ne  lui  manquèrent  pas  :  «  Au  château  du  bois  de 
Vincennes,  où  la  roine  tenoit  son  état,  se  faisoient,  disoit-on, 
maintes  choses  déshonnêtes,  et  y  fréquentoient  les  seigneurs  de 
la  Trimouille  (la  Trémoille),  de  Giac,  Bourrodan  (Boisbourdon)  et 
autres...  Les  dames  et  damoiselles  menoient  grands  et  excessifs 
états,  etportoient  cornes  merveilleuses,  hautes  et  larges,  et  avoient 
de  chacun  côté,  en  lieu  de  bourrelets,  deux  grandes  oreilles  si  lar- 
ges que,  quand  elles  vouloient  passer  l'huis  (la  porte)  d'une  cham- 
bre, il  fallait  qu'elles  se  tournassent  de  côté  et  se  baissassent  :  la 
chose  déplaisoit  fort  aux  gens  de  bien.  »  (Juvénal,  p.  533.)  Les 
hennins  à  grandes  oreilles  et  les  autres  modes  ridicules  des  dames 
n'étaient  pas  les  plus  grands  scandales  de  la  cour  d'Isabeau ,  et 
Armagnac  dut  révéler  au  roi,  alors  c  en  santé  »,  des  désordres 
que  les  historiens  contemporains  laissent  assez  comprendre  sans 
les  révéler  explicitement.  Un  jour  que  le  roi  retournait  à  Paris, 
vers  le  soir,  après  avoir  visité  la  reine  au  château  du  bois  de 
Vincennes,  «il  rencontra  messire  Loys  Bourdon  (Boisbourdon), 
chevalier,  allant  de  Paris  au  bois,  lequel,  en  passant  assez  près 
du  roi,  s'inclina  en  chevauchant  et  passa  outre  assez  légèrement 
Toutefois  le  roi  le  reconnut  et  ordonna  au  prévôt  de  Paris  (Tan- 
negui  Duchâtel)  qu'il  allât  après  lui,  le  prît  el  en  fît  bonne  garde... 
Après,  par  le  commandement  du  roi,  ledit  chevalier  fut  mené 
au  Châtelet  de  Paris,  où  il  fut  très  fort  questionné  (torturé),  et, 
pour  aucunes  choses  qu'il  confessa,  il  fut  mis  en  un  sac  de  cuir  et 
jeté  en  Seine,  sur  lequel  sac  étoit  écrit  :  Laissez  passer  la  justice 
du  roi. 

«  Et,  peu  de  jours  en  suivant,  par  l'ordonnance  du  roi,  du 
dauphin  et  de  ceux  qui  gouvernoient  à  Paris,  la  roine,  accom- 
pagnée de  sa  belle -sœur  la  duchesse  de  Bavière  et  de  sa  fille 
Catherine,  fut  envoyée  à  Blois,  puis  à  Tours,  pour  y  demeurer  à 
assez  simple  état,  et  lui  furent  baillés,  pour  la  conduire  et  gou- 
verner, maître  Guillaume  Tarel,  maître  Jean  Picard  et  maître 


C1417]  ISABEÂU  DE  BAVIÈRE.  29 

Laurent  Dupuis,  conseillers  du  roi,  sans  le  consentement  desquels 
elle  n'osoit  aucune  chose  besogner,  pas  môme  écrire  une  lettre 
à  qui  que  ce  fût,  et  là  vécut-elle,  grand  espace  de  temps,  en 
grand  déplaisance,  attendant  de  jour  en  jour  d'encore  pis  avoir; 
et,  avec  ce,  très  grands  finances  qu'elle  avoit  en  divers  lieux  à 
Paris  furent  ôtées  et  prises  par  son  fils  le  dauphin  et  ceux  qui  le 
gouvemoient.  »  (Monstrelet.  —  Saint-Remi.)  Isabeau  en  conçut 
contre  son  dernier-né  une  rancune  implacable.  Armagnac  n'ou- 
bliait rien  pour  s'attacher  le  dauphin  :  il  lui  avait  fait  donner  par 
le  roi  la  présidence  du  conseil  et  tout  l'apanage  de  son  frère  Jean 
(le  Dauphiné,  le  Berri  et  le  Poitou)  :  l'enfant  royal  ne  voyait  que 
par  les  yeux  du  connétable.  Le  conseil,  qu'il  était  censé  présider 
et  où  ne  siégeait  aucun  prince  du  sang,  ne  se  composait  plus  que 
d'ambitieux  subalternes  à  la  dévotion  d'Armagnac,  tels  que  le 
chancelier  de  France  Henri  de  Marie,  le  prévôt  Tannegui,  Robert 
le  Maçon,  chancelier  du  dauphin,  Philippe  de  Gorbie,  président 
au  parlement. 

L'espèce  de  prestige  que  donnait  tour  à  tour  aux  factions  la 
possession  de  la  personne  du  roi  et  de  l'héritier  du  trône  était 
bien  usé  :  l'accession  du  dauphin  ne  consolida  guère  le  pouvoir 
d'Armagnac,  qui  ne  se  maintenait  que  par  les  plus  extrêmes  vio- 
lences. Le  connétable  traita  le  parlement  comme  l'université,  et 
chassa  de  Paris  nombre  de  conseillers  et  d'autres  gens  de  loi, 
parce  que  le  parlement  avait  décrété  qu'on  écrirait  au  duc  de 
Bourgogne  pour  l'exhorter  à  la  paix.  Les  monnaies  étaient  falsi- 
fiées ;  les  Parisiens  étaient  écrasés  d'impôts  pour  la  solde  des 
gens  d'armes,  de  corvées  pour  la  réparation  des  défenses  de  la 
ville  ;  on  dépouillait  les  trésors  des  églises  et  jusqu'aux  châsses  des 
saints  ;  on  fondit  la  châsse  de  saint  Louis  :  on  en  tira  30,000  écus 
d'or.  Ces  moyens  désespérés  permirent  au  comte  Bernard  de  se 
soutenir  contre  une  attaque  formidable. 

Dès  le  24  avril,  trois  semaines  après  la  mort  du  dauphin  Jean, 
le  duc  de  Bourgogne  avait  lancé,  contre  «  les  gens  de  petit  état  > 
qui  tyrannisaient  le  royaume,  un  manifeste  où  il  leur  imputait 
l'empoisonnement  non-seulement  du  dauphin  Jean,  mais  de  son 
frère  aîné  Louis,  et  déclarait  qu'il  poursuivrait  par  feu  et  sang  la 
punition  des  coupables  et  le  <  relèvement  »  du  pauvre  peuple, 


30  GUERRES  DES  ANGLAIS.  [1417] 

c  atin  que  les  bons  et  loyaux  sujets  ne  payassent  plus  dorénavant 
aides,  impositions,  tailles,  gabelles  ni  autres  exactions,  comme  il 
appartient  au  noble  royaume  de  France.  »  (Monstrelet,  1. 1,  c.  174.) 
Ce  mandement  du  duc  Jean  détermina  l'insurrection  de  la  plupart 
des  villes  de  Picardie  :  à  Rouen,  des  gens  masqués  surprirent  et 
tuèrent  en  son  logis  le  bailli  royal  ;  le  menu  peuple  se  souleva 
en  masse  :  les  rebelles  ne  purent  néanmoins  s'emparer  du  châ- 
teau. Armagnac  dépêcha  en  toute  hâte  le  dauphin  à  Rouen  avec 
deux  ou  trois  mille  combattants  :  après  quelques  pourparlers, 
le  peuple  ouvrit  les  portes  au  prince,  moyennant  une  amnistie 
dont  furent  exceptés  les  meurtriers  du  bailli  ;  quelques-uns  fu- 
rent mis  à  mort,  mais  le  chef  de  la  révolte,  Alain  Blanchard, 
parvint  à  quitter  la  ville.  Cet  homme,  doué  d'une  rare  intelligence 
et  d'un  magnanime  courage,  était  réservé  à  un  plus  noble  trépas  : 
il  devait  mourir  sur  l'échafaud,  mais  en  héros  de  la  patrie  et  non 
point  en  chef  de  faction  (Monstrelet). 

Pendant  ce  lemps,  le  duc  de  Bourgogne,  parti  d'Arras  le  10  août 
à  la  tète  d'une  puissante  armée,  marchait  sur  Paris,  t  faisant  crier 
partout,  de  par  le  roi  et  le  dauphin  et  de  par  lui,  que  l'on  ne  payât 
nuls  subsides  ».  Qui  défendait  aux  bourgeois  de  payer  était  bien 
sûr  d'être  obéi.  Amiens,  Beauvais,  Senlis  s'étaient  c  tournées 
bourguignonnes  »,  et  le  duc  Jean  reçut,  chemm  faisant,  la  nou- 
velle que  Reims,  Chàlons,  Troies,  Auxerre  avaient  également  pris 
c  la  croix  de  Saint- André  ».  Le  sire  de  l'Ile- Adam  livra  au  duc 
Jean  le  passage  de  l'Oise,  et  Jean-sans-Peur,  franchissant  la  Seine 
après  l'Oise,  vint  établir  ses  campements  à  Montrouge  et  à  Cla- 
mart  :  il  attendait  que  les  Parisiens  lui  ouvrissent  par  force  ou 
par  ruse;  mais  son  attente  fut  encore  une  fois  déçue.  Le  bon 
vouloir  ne  manquait  pas  aux  gens  de  Paris,  mais  ils  étaient 
c  guettés  »  de  trop  près  par  les  espions  du  comte  d'Armagnac 
La  terreur  régnait  dans  la  ville  :  la  plupart  des  portes  avaient  été 
murées,  et  les  autres  étaient  bien  gardées  par  les  Gascons  d'Ar- 
magnac^ les  Bretons  de  Tannegui  Duchâtel  et  les  arbalétriers 
génois  à  la  solde  royale  (septembre  1417). 

Le  duc  Jean  ne  crut  pas  devoir  entreprendre  le  siège  de  Paris^ 
mais  il  ne  leva  son  camp  que  pour  se  saisir  de  la  plupart  des 
places  qui  environnent  la  capitale.  Il  assiégeait  Corbeil  depuis 


[14173  JEAN-SANS-PBUB  ET  ISABEAU.  31 

trois  semaines  lorsqu'il  reçut  un  message  secret  de  la  reine  Isa- 
beau,  qui  le  priait  de  la  tirer  de  la  captivité  où  elle  était  retenue 
à  Tours.  Jean  se  dirigea  sur  Tours  avec  l'élite  de  sa  gendarmerie, 
et  dépêcha  en  avant  huit  cents  cavaliers,  qui  s'embusquèrent  près 
du  couvent  de  Marmoutiers.  La  reine,  prévenue  des  plans  du  duc, 
pria  ses  c  gouverneurs  »  de  la  mener  à  la  messe  à  ce  c  moûtier  »» 
situé  hors  les  murs  de  la  ville  :  les  Bourguignons  entourèrent 
l'église,  se  saisirent  des  <  gouverneurs  »  et  saluèrent  la  reine  <  au 
nom  de  leur  seigneur  »,  qui  ne  tar(fa  pas  à  venir  en  personne 
recevoir  les  remerclments  d'Isabeau  (2  novembre).  Le  duc  et  sa 
nouvelle  alliée  entrèrent  à  Tours  le  jour  même,  puis  ils  retour- 
nèrent gnsemble  à  Chartres,  d'où  le  duc  expédia  des  lettres-closes 
signées  de  la  reine  à  toutes  les  bonnes  villes.  Isabeau  engageait 
les  cités  et  communes  à  n'obtempérer  en  rien  aux  ordres  qui  leur 
seraient  signifiés  de  par  le  roi  ou  le  dauphin ,  attendu  qu'à  elle 
seule,  durant  1'  «  occupation  »  de  son  seigneur  le  roi,  appartenait 
l'administration  du  royaume  et  la  présidence  du  grand  conseil, 
dont  c  mauvaises  gens»  s'étaient  emparées  sans  aucun  droit 
(13  novembre).  Le  <  conseil  de  la  roine  et  du  duc  »  établit  ensuite 
une  cour  de  parlement  à  Amiens  pour  remplacer  dans  les  pays 
au  nord  de  la  Seine  le  parlement  de  Paris,  c  assujéti  aux  usur- 
pateurs de  la  puissance  royale  ».  Jean-sans-Peur  eut  ainsi  son 
«conseil  de  France  »  comme  Armagnac,  et  put  opposer  ordon- 
nances à  ordonnances.  Les  hostilités  continuèrent  avec  une  rage 
impitoyable  :  les  Armagnacs,  trop  faibles  pour  tenir  la  campagne 
en  corps  d'armée  contre  les  Bourguignons,  étaient  assez  forts 
pour  faire  une  opiniâtre  guerre  défensive  et  pour  lancer  dans 
toutes  les  campagnes  des  bandes  dévastatrices.  La  Picardie,  l'De- 
de^France,  la  Champagne,  les  pays  de  la  Loire  étaient  en  proie 
à  tous  les  fléaux.  Les  villes  que  tenaient  encordes  Armagnacs  ^ 
étaient  ruinées  par  des  exactions  continuelles  et  livrées  aux  ca- 
prices des  nobles  et  de  la  soldatesque  ;  dans  les  places  bourgui- 
gnonnes le  peuple  au  coniraire  était  soulagé  de  la  plus  grande 
partie  des  impôts;  mais  Jean-sans-Peur  et  ses  lieutenants  se 
dédommageaient  en  confisquant  les  biens  d'une  foule  de  gros 
bourgeois,  accusés  à  tort  ou  à  raison  d'être  de  la  «  mauvaise 
bande  »  :  quiconque  était  riche  courait  grand  risque  de  passer 


32  GUERRES  DES  ANGLAIS.  [I4i7] 

pour  Armagnac.  On  ne  se  contentait  pas  de  confisquer,  on  pen- 
dait, on  décapitait  de  part  et  d*autre  bon  nombre  de  gentils- 
hommes et  de  c  vilains  ».  Le  caractère  de  la  guerre  devenait 
toujours  plus  atroce  :  les  deux  partis  se  modelaient  sur  leurs 
chefs,  tous  deux  également  étrangers  à  Tesprit  de  la  chevalerie; 
Jacqueville,  Tex-capitaine  bourguignon  de  Paris,  le  camarade 
des  écorcheurs,  devenait  le  type  de  l'homme  d'armes*.  Si  les 
gentilshommes  se  traitaient  entre  eux  avec  une  brutalité  sauvage, 
on  peut  juger  de  leur  façon  d'agir  envers  les  classes  inférieures  : 
les  campagnes  se  dépeuplaient  de  jour  en  jour;  les  plus  forts  et 
les  plus  courageux  des  paysans  se  faisaient  brigands  ;  les  autres 
mouraient  de  faim  ou  s'expatriaient;  tous  les  environs ijie  Paris 
étaient  ruinés,  et  la  disette  était  affreuse  dans  cette  capitale  :  le 
pain,  la  viande,  le  bois,  tout  manquait  aux  Parisiens. 

Des  malheurs  plus  grands  encore  que  ceux  de  la  guerre  civile 
frappaient  en  ce  moment  la  Trance  :  tandis  que  le  nord  et  le 
centre  du  royaume  subissaient  les  fureurs  des  factions,  l'ouest 
était  abandonné  sans  défense  à  l'invasion  étrangère.  Henri  V  avait 
remis  le  pied  sur  la  terre  de  France  pour  ne  plus  la  quitter  :  il 
était  débarqué,  <  à  grand  puissance  »,  àToucques,  près  de  Ron- 
fleur, le  l*»"  août,  et  conquérait  «  à  peu  de  peine  »  villes  et  forte- 
resses, le  comte  d'Armagnac  ayant  appelé  la  plupart  des  garnisons 
de  Normandie  autour  de  Paris,  afin  de  les  employer  contre  le  duc 
de  Bourgogne.  Les  nobles  de  Normandie,  divisés  entre  Armagnacs 
et  Bourguignons,  se  défiaient  les  uns  des  autres  et  ne  purent  se 
concerter  pour  la  défense  de  leur  malheureux  pays,  abandonné 
des  indignes  chefs  qui  se  disputaient  les  lambeaux  de  la  France. 
Toucques  et  les  châteaux  des  environs  capitulèrent  ;  les  Anglais 
marchèrent  sur  Caen  et  emportèrent  d'assaut  cette  grande  viUe  : 
des  milliers  d'habitants  furent  expulsés  comme  àHarfleur,  et  leurs 
biens  furent  partagés  entre  les  vainqueurs  ;  le  château,  qui  n'était 
défendu  que  par  deux  cents  hommes  d'armes,  promit  de  se  rendre 
s'il  n'était  secouru  sous  trois  semaines  :  personne  ne  songea  à  le 

1.  Jacqueville  fit  une  fin  digne  de  sa  vie  :  d'antres  chevaliers  bourguignons, 
qu'il  avait  gravement  offensés,  l'arrachèrent  de  l'église  Notre-Dame  de  Chartres 
et  regorgèrent  sur  les  degrés  du  portail ,  à  quelques  pas  du  logis  de  Jean-Mnt- 
Peur,  qui  n'osa  punir  les  assassins.  Monstrelet,  c.  188. 


[1417]  CONQUÊTES  DES  ANGLAIS.  3S 

secourir  (8-28  septembre).  Les  habitants  de  Bayeux  se  soumirent 
au  roi  d'Angleterre  par  un  traité  qui  leur  conserva  leurs  biens, 
franchises  et  privilèges  (29  septembre).  Laigle  se  rendit  le  13  oc- 
tobre. Les  Anglais  conservaient  cette  sévère  discipline  qui  avait 
assuré  le  succès  de  la  campagne  d'Azincourt  :  Henri  V  afTectait 
de  tels  ménagements  pour  les  prêtres  qu'une  foule  de  paysans  se 
tonsurèrent  afin  de  passer  pour  clercs.  Les  femmes  et  les  pro- 
priétés étaient  respectées  dans  tous  les  lieux  qui  reconnaissaient 
Henri  V  «  roi  de  France  et  d'Angleterre*  ».  Henri  commençait 
déjà  à  organiser  l'administration  de  c  son  pays  de  Normandie  »  : 
il  établit  y  le  1"  novembre,  un  trésorier  de  c  la  duché  ».  Presque 
toute  la  Normandie  centrale  était  occupée  avant  la  tin  de  l'au- 
tomne :  le  16  novembre,  le  duc  de  Bretagne  vint  trouver  Henri  V 
à  Alençon  et  conclut  avec  lui  une  trêve  de  six  mois  non-seule- 
ment pour  la  Bretagne,  mais  pour  l'Anjou  et  le  Maine,  au  nom 
du  jeune  roi  de  Sicile  Louis  III,  fiancé  à  la  fille  du  duc.  Le  duc 
de  Bretagne,  jugeant  la  cause  de  FÉtat  désespérée  et  renonçant 
aux  efforts  qu'il  avait  tentés  afin  de  le  sauver,  avait  cru  devoir 
suivre  pour  ses  domaines  et  ceux  de  son  futur  gendre  l'exemple 
donné  par  Jean-sans-Peur  pour  la  Flandre  et  l'Artois.  Henri  V, 
assuré  de  n'être  point  inquiété  sur  ses  deux  flancs,  poursuivit  à 
loisir  sa  conquête. 

La  France  était  si  acharnée  contre  elle-même  qu'elle  ne  parais- 
sait pas  sentir  les  blessures  que  lui  faisait  son  ennemi  :  Armagnacs 
et  Bourguignons  avaient  bien  autre  chose  en  tête  que  de  s'opposer 
aux  Anglais  ;  la  présence  des  Anglais  ne  suspendait  pas  la  guerre 
civile,  même  en  Normandie  ;  les  Rouennais  s'insurgèrent  de  nou- 
veau, rappelèrent  Alain  Blanchard  et  les  Bourguignons,  et  chas- 
sèrent du  château  de  leur  ville  les  gens  d*Armagnac.  Le  connétable 
ne  contenait  Paris  qu'en  y  concentrant  toutes  ses  forces  :  une 
nouvelle  conspiration  fut  ourdie  pour  introduire  le  duc  Jean  dans 
la  capitale  ;  elle  avorta  encore,  et  Jean  s'en  alla  prendre  ses  quar- 
tiers d'hiver  à  Troies  avec  la  reine.  Isabeau  décerna  au  duc  de 
Lorraine  Fépée  de  connétable,  déclara  les  maltôtes  et  les  autres 

1.  Quand  il  fat  un  peu  plus  avancé  dans  sa  conquête,  il  abolit  la  gabelle  du  sel 
et  la  remplaça  par  un  droit  du  quart  de  la  valeur  (4  mai  1418).  Rymer,  t.  IX, 
p.  4S3 

TI.  S 


M  GUERRES  DES  ANGLAIS.  (14I8] 

impôts  abrogés,  c  hormis  la  gabelle  du  sel  >,  cassa  le  parlement 
de  Paris  et  la  chambre  des  comptes,  d'où  Armagnac  avait  expulsé 
c  les  meilleurs  hommes  »,  et  appela  à  Troies  l'autre  parlement 
établi  d'abord  à  Amiens,  ainsi  qu'une  nouvelle  cour  des  comptes, 
où  dominèrent  les  magistrats  bannis  de  Paris.  Au  printemps  sui- 
vant, une  ordonnance  de  la  reine,  du  3  avril  1418,  autorisa  la 
réunion  des  Ëtats  -  Généraux  du  Languedoc  ;  Armagnac  avait 
fait  donner  le  gouvernement  de  Languedoc  et  de  Guyenne  au 
vicomte  de  Lomagne,  son  âls  aîné,  et  avait  interdit  les  réunions 
annuelles  des  Trois  Ëtats,  pour  pouvoir  taxer  ces  pays  à  sa  fan- 
taisie :  l'entrée  de  cinq  cents  lances  bourguignonnes  dans  le  Lan- 
guedoc détermina  une  insurrection  à  peu  près  générale;  les  trois 
quarts  de  la  province  <  se  tournèrent  bourguignons  >  et  chassèrent 
les  alliés  et  les  officiers  d'Armagnac. 

Rien  n'ébranlait  l'opiniâtreté  du  connétable;  il  avait  retourné 
contre  le  duc  de  Bourgogne  la  bulle  d'excommunication  des  com- 
pagnies appliquée  naguère  aux  «  Orléanois  >  (Juvénal)  ;  il  profita 
de  l'éloignement  du  duc  Jean  pour  reprendre  Montlhéri,  Étampes, 
Ghevreuse,  et  repousser  les  bandes  bourguignonnes  qui  rava- 
geaient les  environs  de  Paris.  Il  entreprit  de  recouvrer  Senlis.  Le 
bâtard  de  Thian,  capitaine  de  Senlis,  promit  de  se  rendre  s'il 
n'était  secouru  en  dedans  le  19  avril,  et  livra  des  otages  au  comte 
d'Armagnac.  A  la  nouvelle  du  siège  de  Senlis,  l'héritier  de  Bour- 
gogne, le  jeune  comte  Philippe  de  Charolais  avait  assemblé  les 
Etats  de  Picardie  et  d'Artois  à  Arras  :  il  obtint  un  subside  des 
bonnes  villes,  convoqua  le  ban  des  deux  provinces  à  Amiens,  et 
envoya  au  secours  de  Senlis  huit  mille  combattants.  L'armée  pi- 
carde se  présenta  devant  Senlis  le  19  avril,  dans  la  journée  :  le 
siège  était  levé  ;  dès  le  point  du  jour,  le  comte  d'Armagnac  avait 
sommé  la  ville  de  se  rendre  ;  le  bâtard  de  Thiân  ayant  répondu 
que  l'heure  n'était  pas  encore  passée.  Armagnac  fit  couper  la  tète 
à  quatre  des  otages  et  battit  en  retraite  sur  Paris,  abandomiant 
ses  bagages  aux  assiégés.  Le  capitaine  de  Senlis  ne  demeura  point 
en  reste  de  barbarie  avec  Armagnac  :  il  décapita  seize  prison- 
niers, en  pendit  deux  et  noya  deux  femmes  (Monstrelet). 

Toute  la  France  se  partageait  entre  Armagnacs  et  Bourgui- 
gnons :  €  le  père  étoit  bandé  contre  le  fils,  le  frère  contre  le 


[1418]  GUERRE  CIVILE  ET  ÉTRANGÈRE.  35 

frère,  en  cette  maudite  querelle  »,  et  cependant  c  le  roi  d'Angle- 
terre toujours  conquêtoit  et  prenoit  places,  et  ne  rencontroit  ré- 
sistance, sinon  d'aucunes  gens  de  bonne  volonté  ».  L'hiver  n'avait 
point  interrompu  les  progrès  des  Anglais  :  Henri  V  avait  partagé 
son  armée  en  quatre  divisions,  qui  opéraient  simultanément  de- 
puis la  rive  gauche  de  la  Seine  jusqu'à  la  pointe  du  Gotentin  et  à 
la  frontière  de  Bretagne.  La  ville  et  le  château  de  Falaise  capitu- 
lèrent (1»  février);  puis  Vire,  Goutances,  Carentan,  Saint- Lô, 
Saint-Sauveur,  Pontorson  et  Évreux  ouvrirent  successivement 
leurs  portes,  de  la  fin  de  février  au  20  mai  1418.  Dans  la  plupart 
des  capitulations,  il  était  convenu  que  ceux  des  assiégés  qui  ne 
prêteraient  pas  serment  à  Henri  V  s'en  iraient  avec  leurs  biens 
meubles  :  plusieurs  places  toutefois  furent  obligées  de  se  livrer 
à  discrétion  ^  Henri,  dans  ce  dernier  cas,  prenait  à  merci  le  plus 
grqnd  nombre  des  habitants  et  faisait  trancher  la  tète  à  quelques- 
uns,  c  pour  l'exemple  »  :  il  les  traitait  en  rebelles  et  en  criminels 
de  lèse-majesté.  Presque  partout,  les  populations  tentaient  cepen- 
dant une  résistance  digne  d'un  meilleur  sort  :  Henri  V  essayait  en 
vain  de  réveiller  les  vieilles  traditions  normandes  en  faveur  du 
sang  de  RoUon  ;  les  Normands  ne  subissaient  qu'avec  désespoir 
la  conquête  anglaise. 

Les  calamités  nationales  parurent  enfin  produire  quelque  im- 
pression sur  les  deux  partis.  Armagnac  n'osa  s'opposer  à  ce  qu'on 
ouvrit  des  négociations.  Le  roi ,  le  dauphin  et  le  grand  conseil , 
d'un  côté,  la  reine  et  le  duc  de  Bourgogne,  de  l'autre,  envoyèrent 
des  plénipotentiaires  au  village  de  la  Tombe,  entre  Montereau  et 
Brai-sur-Seîne,  et  deux  cardinaux  dépêchés  par  le  pape  Martin  V, 
élu  récenunent  au  concile  de  Gonstance,  intervinrent  efficace- 
ment dans  les  pourparlers  ;  un  traité  de  paix  fut  conclu  le  23  mai  : 
toutes  condamnations  et  confiscations  devaient  être  révoquées  de 
part  et  d'autre;  les  villes  et  châteaux,  restitués  à  leurs  seigneurs, 
et  la  reine  et  le  duc  de  Bourgogne  réintégrés  au  conseil  royal 
avec  tous  les  princes  du  sang.  Isabeau  et  Jean-sans-Peur  rati* 
fièrent  sans  difficulté  ces  conventions  :  la  plupart  des  membres 
du  grand  conseil  et  les  principaux  bourgeois  de  Paris  montraient 

1.  V,  les  capitalations  dans  Rjmer,  t.  IX,  p.  ô43-589. 


36  GUERRES  DES  ANGLAIS.  [1418] 

un  vif  désir  de  voir  le  roi  sceller  le  traité  :  le  dauphin  y  consen- 
tait. Paris  se  sentait  déjà  renaître.  Le  connétable,  le  chancelier 
Henri  de  Marie  et  le  prévôt  Tannegui  Duchâtel  accusèrent  de  tra- 
hison ceux  qui  conseillaient  cette  paix,  et  rompirent  tout  (Mon- 
strelet,  c.  194). 

La  mesure  était  comblée  :  le  pauvre  peuple,  qui  venait  de  subir 
les  angoisses  du  froid  et  de  la  faim  durant  un  hiver  prolongé 
jusqu'en  avril,  avait  salué  avec  transport  le  printemps  et  la  paix  : 
une  rage  indicible  le  saisit  contre  les  hommes  impitoyables  qui 
immolaient  sa  dernière  espérance  à  leurs  intérêts  et  à  leurs  pas- 
sions. Des  bruits  étranges  et  sinistres  redoublaient  la  fureur  po- 
pulaire :  on  disait  qu'Armagnac,  «  ce  diable  sous  une  peau 
d*homme  »,  s'apprêtait  à  massacrer  «  tous  ceux  qui  n'étoient  pas 
de  sa  bande  »,  à  tuer  les  hommes  et  à  noyer  les  femmes  ;  qu'il 
vendrait  la  ville  au  roi  d'Angleterre,  s'il  ne  la  pouvait  plus  tenir 
contre  les  Bourguignons.  Les  Parisiens  s'excitaient  les  uns  les 
autres  à  ne  pas  attendre  qu'on  vint  les  égorger  dans  leurs  logis. 
Armagnac  n'avait  plus  auprès  de  lui  que  trois  mille  de  ses  Gascons 
et  quelques  autres  mercenaires  ;  l'insuffisance  de  ses  forces  l'avait 
obligé  de  réorganiser  la  milice  bourgeoise,  bien  qu'avec  toutes 
sortes  de  restrictions  et  de  précautions.  Il  eût  fallu  dès  lors  mé- 
nager et  regagner  cette  milice  ;  mais  Armagnac  n'essaya  même 
pas  de  contenir  l'insolence  brutale  de  ses  gens  d'armes;  les 
femmes  ne  pouvaient  faire  quelques  pas  hors  des  murs  de  la  ville 
sans  être  exposées  aux  derniers  outrages  ;  les  bourgeois  étaient 
'  sans  cesse  vexés,  insultés,  spoliés;  une  vengeance  particuUère 
précipita  la  catastrophe. 

Un  jeune  homme  appelé  Perrinet-le-Clerc,  fils  d'un  riche  mar- 
chand de  fer  du  Petit-Pont,  ayant  été  injurié  et  battu  par  c  aucuns 
serviteurs  des  principaux  du  conseil  du  roi  »,  et  n'ayant  pu  ob- 
tenir justice  du  prévôt  Tannegui ,  s'était  lié  d'intelligence  avec 
les  agents  secrets  du  parti  bourguignon.  Son  père,  un  des  quar- 
teniers,  avait  en  garde  les  clefs  de  la  porte  Saint-Germain  (ou 
porte  de  Bussi)  :  dans  la  nuit  du  29  au  30  mai,  Perrinet  déroba 
les  clefs  sous  le  chevet  du  vieillard  et  courut  avec  plusieurs  de 
ses  amis  à  la  poile  Saint-Germain ,  dont  le  guet  était  gagné  :  le 
sire  de  TIle-Adam,  capitaine  de  Pontoise  pour  Jean-sans-Peur, 


[1418]  RÉVOLTE  DE  PARIS.  37 

attendait  hors  des  murs  avec  sept  ou  huit  cents  chevaux.  La  porte 
fui  ouverte,  et  les  Bourguignons  entrèrent  en  bon  ordre,  vers 
deux  heures  du  matin;  ils  avancèrent  à  travers  les  rues  «  tout 
coiement  et  non  sans  doute  »  :  leur  petit  nombre  rendait  l'entre- 
prise bien  hardie  ;  le  peuple  n'osait  d'abord  se  joindre  à  eux  ; 
près  du  Châtelet,  à  l'entrée  du  quartier  des  Halles,  ils  trouvèrent 
enOn  quatre  cents  bourgeois  armés,  qui  les  attendaient.  Les  deux 
troupes  réunies  s'encouragèrent  mutuellement,  et,  poussant  de 
grands  cris  :  «  La  paix!  la  paix!  vive  Bourgogne  !  »  elles  se  parta- 
gèrent en  plusieurs  bandes,  dont  l'une. marcha  droit  à  l'hôtel 
Saînt-Pol,  les  autres  aux  logis  des  principaux  chefs  armagnacs. 
En  peu  d'instants  les  forces  des  Bourguignons  furent  décuplées 
par  le  concours  du  peuple,  qui  «  saiUoit  »  en  foule  hors  des 
maisons,  criait  :  «  Vive  Bourgogne!  »  et  arborait  la  croix  de 
Saint- André.  L'Ile -Adam  et  ses  gens  forcèrent  les  portes  de 
l'hôtel  Saint- Pol,  et  «  firent  tant  qu'ils  parlèrent  au  roi,  lequel 
fut  content  de  leur  accorder  tout  ce  qu'ils  dçmandoientS  et 
tantôt  le  firent  monter  à  cheval  et  chevaucher  avec  eux  parmi 
la  ville  de  Paris  »,  pour  que  sa  présence  autorisât  ce  qui  se 
passait. 

Le  reste  des  insurgés  s'étaient  saisis  du  chancelier  eldes  membres 
les  plus  odieux  du  grand  conseil  :  le  comte  d'Armagnac,  surpris 
dans  son  hôtel,  rue  Saint-Honoré,  se  sauva  déguisé  chez  un  maçon 
da  voisinage.  L'enlrée  des  Bourguignons  et  le  soulèvement  du 
peuple  avaient  été  si  rapides  que  les  Gascons  ne  réussirent  à  se 
rallier  nulle  part  pour  comprimer  l'insurrection.  Le  prévôt  Tan- 
negui  Duchâtel,  dès  le  commencement  du  tumulte,  avait  couru  à 
rhôtel  du  dauphin  :  il  le  réveilla  brusquement  et,  l'enveloppant 
dans  les  draps  de  son  lit,  l'emporta  à  la  Bastille,  d'où  il  l'envoya 
sur  l'heure  à  Melun.  Le  chancelier  du  dauphin,  Robert  Le  Maçon, 
révéque  de  Clermont  et  le  président  Louvet,  tous  trois  fougueux 
Armagnacs,  parvinrent  aussi  à  gagner  la  Bastille  avec  quelques- 
uns  de  leurs  adhérents  et  beaucoup  de  soldats.  Ju vénal  des  Ursins, 

!•  «  Le  roi  étoit  de  tout  content,  et  de  Bourguignons  et  d'Armagnacs,  et  peu  lui 
cbaloit  comme  tout  allât.  »  Pierre  de  Fénin,  dans  la  collection  Michaud,  t.  Il, 
p.  593.  —  Sur  tous  ces  faits,  v,  Monstrelet.  —  Journal  (Pun  BourgeoU  de  Paru, 
an  1418.  —  Pierre  de  Fénin.  —  Jacques  Le  Bouvier,  dit  Berri,  roi  d'armes. 


38  GUERRES  DES  ANGLAIS.  [1418] 

plus  modéré,  mais  très  haï  pourtant  des  Bourguignons,  s*eiifuit  à 
Corbeil;  la  plupart  des  chefs  armagnacs,  moins  heureux,  furent 
arrêtés  et  emprisonnés,  ainsi  qu'un  grand  nombre  de  bourgeois 
suspects  d'attachement  à  la  €  mauvaise  bande  »  ;  leurs  maisons 
furent  livrées  au  pillage.  Parmi  les  captifs  se  trouvèrent  les  évêques 
de  Senhs,  de  Coutances  et  de  Bayeux;  on  épargna,  entre  les 
membres  du  grand  conseil,  ceux-là  seulement  qui  s'étaient  dé- 
clarés pour  la  paix.  Le  lendemain  matin.  Le  Veau  de  Bar,  bailli 
d'Âuxois,  seigneur  bourguignon,  fut  proclamé  prévôt  de  Paris  en 
remplacement  de  Tannegui  Duchàtel,  et  il  fut  crié,  de  par  le  roi, 
que,  c  sur  confiscation  de  corps  et  de  biens,  quiconque  savoit  le 
lieu  où  se  mussoit  aucun  tenant  le  parti  du  comte  à^Armignae^ 
le  dénonçât  au  prévôt  de  Paris  ou  à  aucun  des  capitaines  ».  Le 
pauvre  homme  chez  qui  était  caché  le  connétable  eut  peur  et 
livra  son  hôte,  qui  fut  conduit  prisonnier  à  la  conciei^erie  du 
Palais. 

Rien  n'était  terminé  néanmoins,  tant  que  Tannegui  Duchàtel 
restait  maître  de*  la  Bastille  :  ce  prévôt,  aussi  intrépide,  aussi  re- 
doutable et  aussi  détesté  que  le  comte  Bernard  lui-même,  avait 
mandé  au  plus  vite  tous  les  capitaines  armagnacs  de  llle-de- 
France  :  le  maréchal  de  Rieux  et  le  sire  de  Barbasan  le  rejoigni- 
rent avec  bon  nombre  de  Bretons  et  de  Gascons  ;  l'IIe-Adam,  au 
contraire,  ne  pouvait  recevoir  de  renfort  avant  quelques  jours» 
les  garnisons  bourguignonnes  étant  plus  éloignées  de  Paris.  Tan- 
negui résolut  de  tenter  la  fortune,  et,  le  1"  juin  au  matin,  il  sor- 
tit de  la  Bastille,  descendit  dans  la  rue  Saint-Antoine,  à  la  tête  de 
seize  cents  hommes  d'élite,  et  se  porta  sur  l'hôtel  Saint-Pol,  aux 
cris  de  :  «  Vivent  le  roi,  le  dauphin  et  le  comte  d'Armagnac  !  »  Il 
comptait  enlever  le  roi,  mais  les  Bourguignons  l'avaient  conduit 
la  veille  au  Louvre.  Pendant  que  Tannegui  fouillait  inutilement 
l'hôtel  Saint-Pol,  le  maréchal  de  Rieux  avait  déjà  poussé  jusqu'à 
la  rue  Tiron  et  à  la  porte  Baudoyer,  et  les  soldats  commençaient 
à  rompre  les  portes  des  maisons  pour  piller,  et  à  crier  :  «  ViDe 
gagnée!  tuez  tout  M  »  quand  le  nouveau  prévôt  de  Paris  arriva 

1.  L*attteur  du  Journal  d'un  Bourgeois  de  Paris,  Bourguignon  passionné,  prétend 
que  les  Armagnacs  crièrent  :  «  Vive  le  roi  d'Angleterre!  »  Collect.  Kichand,  t.  fl, 
p.  651. 


CUIS]  DÉFAITE  DES  ARMAGNACS.  39 

<  à  grand*  foison  de  commune  ».  Des  flots  de  peuple  en  armes  se 
précipitèrent  sur  l'ennemi  par  toutes  les  rues  latérales  :  les  Ar- 
magnacs» chargés  en  front  et  en  flancs,  accablés  du  haut  des  toits 
et  des  fenêtres,  furent  repoussés,  «  abattus  et  tués  à  grand  tas 
jusque  dehors  la  porte  Saint-Antoine  »  ;  les  vaincus  rentrèrent  à 
la  Bastille,  laissant  sur  le  pavé  quatre  cents  de  leurs  meilleurs 
hommes,  et  le  peuple,  échauffé  par  le  carnage,  se  mit  à  quérir, 
par  toutes  les  hôtelleries,  les  gens  de  la  €  bande  »  qui  s'étaient 
soustraits  aux  premières  recherches  après  la  délivrance  de  Paris. 
On  en  fit  un  cruel  massacre.  La  Bastille  se  rendit  le  4  juin  :  Tan- 
negui,  Barbasan  et  Rieux  en  étaient  sortis  avec  la  plupart  de  leurs 
soldats,  qu'ils  répartirent  à  Meaux  et  à  Melun.  Tannegui  alla  re- 
trouver le  dauphin  à  Melun,  et  s'empara  entièrement  de  l'esprit 
de  ce  jeune  homme,  qui  lui  donna  le  titre  de  «  capitaine  de  tous 
les  pays  de  France,  Champagne,  Brie,  et  d'outre  la  rivière  de 
Seine  ».  L'aventurier  breton  succéda  au  chef  gascon  dans  la  con- 
duite du  parti,  auquel  la  possession  du  dauphin  conserva  un  dra- 
peau et  un  centre.  Sans  l'enlèvement  du  dauphin,  la  guerre  civile 
eût  été  finie  :  il  est  étrange  qu'on  ait  célébré  comme  un  acte  de 
dévouement  et  de  fidélité  cette  action  intéressée  d'un  factieux, 
action  qui  eut  de  si  fatales  conséquences! 

La  révolution  de  Paris  enleva  aux  Armagnacs  la  plupart  des 
places  qu'ils  tenaient  dans  les  provinces  confiées  par  le  dauphin 
au  gouvernement  de  Tannegui  :  Compiègne,  Noyon,  toutes  les 
villes  de  l'Oise,  ainsi  que  Laon,  Soissons,  Péronne,  prirent  la 
croix  de  Saint-André  à  la  nouvelle  des  événements  de  Paris.  Cette 
capitale,  en  attendant  la  venue  de  la  reine,  fut  administrée  no- 
minalement par  ceux  des  gens  du  grand  conseil  qui  avaient  aban- 
donné le  parti  armagnac  pour  se  réunir  à  l'Ile- Adam  et  au  chan- 
celier de  la  reine,  sous  la  présidence  du  jeune  comte  Charles  de 
Clermont,  fils  du  duc  de  Bourbon,  enfant  de  quinze  ans,  qui  avait 
déclaré  vouloir  rester  avec  les  Bourguignons  à  l'exemple  de  son 
sire  le  roi  ;  mais  les  vrais  «  gouverneurs  »  de  Paris  étaient  les 
capitaines  qui  affluaient  de  toutes  parts  dans  la  ville  avec  leurs 
gens  d'armes,  et  les  bannis  parisiens  qui  revenaient  d'exil  aux 
acclamations  populaires.  Les  désordres,  €  roberies  et  occisions  » 
(pillages  et  meurtres]  allaient  se  multipliant  de  jour  en  jour.  Les 


40  GUERRES  DES  ANGLAIS.  (1418] 

seigneurs  bourguignons  ne  cherchaient  que  du  butin;  mais  les 
proscrits  cabochiens,  ces  hommes  violents  et  vindicatifs,  dont  on 
avait  confisqué  les  biens,  égorgé  les  amis,  traîné  les  femmes  et  les 
enfants  de  prison  en  prison,  avaient  plus  soif  de  sang  que  d'or: 
ils  eurent  peu  de  peine  à  exalter  au  niveau  de  leur  fureur  les 
passions  de  la  multitude,  qui  avait  tant  souffert  de  la  tyrannie  du 
connétable  et  qui  redoutait  par-dessus  tout  de  le  voir  mettre  à 
rançon.  Chaque  nuit,  de  fausses  alarmes  réveillaient  le  peuple  en 
sursaut  :  on  disait  que  les  Armagnacs  étaient  à  quelque  une  des 
portes  de  la  ville  ;  qu'ils  venaient  €  recourre  »  leurs  complices 
captifs  et  reprendre  Paris.  On  prétendait  aussi  que  le  conseil  du 
roi,  loin  de  vouloir  faire  justice  du  comte  Bernard  et  des  siens, 
se  proposait  de  les  renvoyer  moyennant  finances.  La  rage  popu- 
laire éclata  dans  la  nuit  du  12  juin;  le  menu  peuple  se  porta 
tout  à  coup  à  la  prison  du  Palais  ou  Conciergerie,  en  arracha  le 
comte  d'Armagnac  et  le  chancelier  de  France  Henri  de  Marie,  les 
massacra,  puis,  laissant  leurs  cadavres  nus  sur  le  pavé  dans  la 
cour  du  Palais,  s'en  alla  aux  prisons  de  Saint-Éloi,  du  Petit-Ch&- 
telet,  de  Saint-Martin-des-Champs,  de  Saint-Magloire,  du  Temple, 
de  Tiron,  les  força  et  égorgea  tous  les  prisonniers  ;  €  quand  ils 
trouvoient  trop  fortes  prisons,  ils  boutoient  dedans  force  de  feu, 
et  ceux  qui  dedans  étoient  ardaient  (brûlaient)  là  à  grand  mar- 
tyre ».  Les  détenus  du  Grand-Châtelet,  qui  étaient  très  nombreux 
et  qui  s'étaient  procuré  des  armes,  se  défendirent  vigoureuse- 
ment, et  tuèrent  ou  blessèrent  plusieurs  des  assaillants;  <  on  les 
prit  enfin  par  feu,  fumée  et  autre  assaut  »,  et,  du  haut  de  la  tour, 
on  les  précipita  sur  les  piques.  Des  détenus  pour  dettes  et  pour 
divers  délits,  et  beaucoup  d'arbalétriers  génois,  qui  n'avaient  fait 
que  leur  métier  de  mercenaires  en  servant  ceux  qui  les  payaient, 
furent  massacrés  pêle-mêle  avec  les  Armagnacs  :  on  égorgea 
jusqu'à  des  femmes  grosses. 

Ces  horribles  scènes  se  prolongèrent  près  de  trente  heures;  les 
évêques  de  Coutances,  de  Bayeux,  d'Évreux,  de  Senlis  et  de 
Saintes,  deux  présidents  au  parlement,  plusieurs  seigneurs,  ca- 
pitaines, financiers,  membres  du  parlement  et  de  la  chambre  des 
comptes  périrent  avec  une  foule  de  nobles,  de  bourgeois  et  de 
soldats,  «  huit  cents  personnes  et  au-dessus  »,  suivant  les  Régis- 


CUIS]  MASSACRES  A  PARIS.  41 

tires  da  parlementa  Le  sire  de  riIe-Adam  et  le  prévAt  Le  Veau 
de  Bar  étaient  accourus  avec  un  millier  de  cavaliers  pour  arrêter 
le  peuple  ;  mais  ils  le  trouvèrent  animé  d'une  fureur  si  délirante 
qu'ils  n'osèrent  rien  dire,  sinon  :  «  Mes  enfants,  vous  faites  bien  !  » 
L'extermination  des  prisonniers  ne  termina  point  le  massacre  : 
c  on  alloit  par  grands  tourbes  es  maisons  de  ceux  qu'on  disoit, 
à  tort  ou  à  raison,  avoir  tenu  le  parti  du  comte  A'Armignac, 
lesquels  on  tuoit  sans  merci  et  on  emportoit  leur  bien.  Il  ne 
falloit  que  crier  sur  un  honmie  :  Véez-là  (voilà)  un  Armignaef 
et  tantôt  ëtoit  mis  à  mort  sans  autre  information.  Les  morts  ar- 
mignaes  étoient  réputés  indignes  de  sépulture  et  jetés  aux  champs 
pour  être  mangés  des  chiens  et  des  oiseaux,  et  il  y  avoit  des 
prêtres  et  des  curés  qui  refusoient  de  baptiser  les  enfants  des 
Armignacs.  »  Les  sages-femmes  n'osaient  prêter  leur  ministère 
aux  femmes  de  «  ceux  de  la  bande  »,  et  les  mères  et  leurs  fruits 
mouraient  sans  secours.  Pendant  trois  jours,  les  «  mauvais  gar- 
çons »  de  Paris  traînèrent  par  les  rues  les  cadavres  du  connétable 
et  de  ses  principaux  partisans  :  ils  leur  avaient  coupé  sur  le  dos 
des  lanières  de  peau,  de  l'épaule  au  côté,  par  une  atroce  allusion 
à  la  €  bande  »  des  Armagnacs  (Pierre  de  Fenin).  Les  Legoix,  les 
Tblbert,  les  Saint-Yon,  les  Caboche  régnaient  de  nouveau  et  fai- 
saient trembler  jusqu'aux  barons  leurs  alliés  :  «  Et  y  avoit,  dit 
Pierre  de  Fenin,  un  bourrel  (bourreau)  nommé  Capeluche,  lequel 
étoit  moult  mauvais,  et  tuoit  hommes  et  femmes  sans  comman- 
dement de  justice,  par  les  rues  de  Paris,  tant  par  haine  que  pour 
avoir  le  leur  (leur  bien).  » 

La  reine  Isabeau,  beaucoup  plus  avide  d'argent  et  de  voluptés 
que  de  pouvoir,  ne  se  pressa  nullement  de  venir  présider  le  con- 
seil du  roi,  au  milieu  des  affreux  désordres  dont  le  récit  la  glaçait 
de  terreur  :  elle  attendit  à  Troies  le  retour  de  Jean-sans-Peur, 
qui  était  au  fond  de  la  Franche-Comté,  et  qui  de  son  côté  ne  se 
h&ta  guère.  Le  duc  Jean  semblait  hésiter  à  se  jeter  dans  cette 
fournaise  ;  les  historiens  bourguignons  assurent  qu'il  apprit  avec 
chagrin  le  meurtre  du  connétable,  et  l'on  peut  les  croire  :  Arma- 
gnac prisonnier  eût  servi  au  duc  à  retirer  le  dauphin  des  mains 

1.  Cités  par  Micbelet,  t.  IV,  p.  336.  —  Le  Bourgeoh  de  Parié  dit  1,600. 


4S  GUERRES  DES  ANGLAIS.  [Uis] 

de  Tannegui;  Armagnac  mort  éternisait  la  guerre,  et  d*autres 
ambitieux  avaient  déjà  pris  sa  place.  Le  duc  et  la  reine  n'entrèrent 
ensemble  que  le  14  juillet  dans  Paris  :  ils  y  furent  reçus  €  à  beaux 
Noëls  »  et  grandes  acclamations.  Ils  abrogèrent  les  ordonnances 
rendues  pendant  la  domination  des  Armagnacs,  et  décernèrent  à 
leurs  partisans  toutes  les  charges  de  la  couronne  ;  les  sires  de 
rUe-Adam  et  de  Chasteliux  devinrent  maréchaux  de  France; 
Charles  de  Lens,  amiral;  Eustache  de  Laictre,  chancelier;  les 
bouchers  recouvrèrent  leur  communauté  et  leur  monopole.  La 
situation  du  pays  n'en  fut  pas  meilleure;  avec  Jean  de  Bourgogne 
ne  revinrent  à  Paris  ni  la  paix  ni  Fabondance  :  les  arrivages  de 
la  Seine  étaient  interceptés  en  aval  par  les  Anglais,  maîtres  de  la 
Normandie  presque  entière,  et  en  amont  par  les  Armagnacs, 
établis  à  Melun  ;  une  nouvelle  émeute  éclata  le  21  août,  c  pour  la 
grand  cherté  dont  étoient  cause  les  Armignacs^  qui  couroient  les 
champs  et  tout  détniisoient  autour  de  Paris,  tuant  femmes  et 
enfants  et  boutant  feux  partout,  et  pour  ce  que  le  peuple  ne  vou- 
loit  plus  qu*on  délivrât  par  argent  les  prisonniers  de  guerre, 
lesquels  faisoient  après  plus  de  maux  que  devant  >.  Certains 
harangueurs  de  l'université  c  prèchoient  »  sur  ce  sujet  avec  autant 
de  violence  que  Caboche  lui-même.  Beaucoup  de  nouvelles  arres- 
tations avaient  rempli  les  prisons  depuis  deux  mois  :  une  multi- 
tude forcenée,  conduite  par  Capeluche,  le  bourreau,  qui  allait  à 
cheval  en  tète  de  la  foule,  assaillit  le  Grand  et  le  Petit  Ch&telets, 
les  força  malgré  la  résistance  des  détenus,  et  mit  à  mort  deux  à 
trois  cents  victimes;  Capeluche  et  ses  gens  se  ruèrent  ensuite  vers 
la  Bastille,  et  menacèrent  de  donner  l'assaut  si  l'on  ne  leur  livrait 
les  prisonniers.  Le  duc  de  Bourgogne,  qui  logeait  près  de  la 
Bastille,  accourut  au  bruit  et  harangua  les  assaillants  pour  les 
détourner  de  leur  dessein  :  il  prit  même  la  main  de  Capeluche 
sans  le  connaître  ;  mais  il  ne  réussit  point  à  calmer  ces  furieux, 
et  il  fut  obligé  de  consentir  à  ce  qu'on  menât  une  vingtaine  de 
prisonniers  de  la  Bastille  au  Chàtelet  pour  être  jugés.  C'était  les 
livrer  à  une  mort  certame.  Ces  malheureux  furent  arrachés  des 
mains  de  leurs  conducteurs  et  mis  en  pièces  avant  d'arriver  à  leur 
destination.  (Journal  du  Bourgeois  de  Paris,  p.  657.  —  Juvénal.) 
L'orgueil  du  duc  Jean  fut  profondément  blessé  quand  il  sut 


C1418]  CAPBLUCHE.  4S 

qu'il  avait  «  baillé  »  sa  main  au  bourreau  de  Paris  ;  il  fit  par  res- 
sentiment de  cette  humiliation  ce  qu'il  n'eût  pas  fait  par  huma- 
nité :  il  s'entendit  avec  les  principaux  bourgeois  afin  de  pourvoir 
à  si  grands  <  desrois  >  (désordres).  Il  manda  aux  «  menues  gens  », 
auteurs  de  tous  ces  méfaits,  d'aller  mettre  le  siège  devant  Montlhéri 
et  Marcoussi,  occupés  par  les  c  ennemis  du  roi  »,  qui  afl'amaient 
Paris.  Six  mille  des  plus  turbulents  partirent  avec  du  canon  ; 
aussitôt  après,  €  le  duc  fit  prendre  dedans  Paris  plusieurs  de  leurs 
complices  et  des  émouveurs  du  commun  (excitateurs  du  peuple), 
lesquels  il  fit  décapiter,  ou  pendre  au  gibet,  ou  noyer  en  Seine, 
et  même  le  dessus  dit  Gapeluche,  bourrel  de  Paris,  eut  la  tête 
coupée  aux  Halles  :  il  montra  lui-même  à  son  varlet  comme  il 
devoit  faire  pour  lui  couper  le  col  ».  Gapeluche  fut  condamné 
pour  c  avoir  tué  une  femme  grosse  qui  n'avoit  aucune  coulpe  » 
(aucune  faute).  Par  compensation,  le  duc  Jean  fit  décoller  plu- 
sieurs magistrats  armagnacs.  On  publia,  en  même  temps,  «  qu'on 
se  déportât  de  plus  piller  et  occire,  sous  peine  de  la  vie  ^  ». 

Cette  tardive  répression  parut  avoir  épuisé  l'activité  du  duc  de 
Bourgogne  :  il  demeura  inunobile  dans  Paris,  laissant  les  Anglais 
poursuivre  leurs  succès  en  Normandie  et  les  Dauphinois  (nom 
que  prenaient  désormais  les  Armagnacs  ou  Orléanais)  se  recruter 
de  milliers  de  pillards,  reprendre  par  surprise  Compiègne,  Sois- 
sons,  Lagni,  et  désoler  horriblement  l'Ile-de-France  :  le  capitaine 
que  Jean-sans-Peur  avait  mis  à  Tours  livra  sa  cité  au  dauphin. 
Les  affaires  des  Armagnacs  se  rétablirent  ainsi ,  grâce  à  l'inertie 
du  duc  Jean.  €  C'étoit,  dit  le  Bourgeois  de  Paris,  le  plus  long 
homme  en  toutes  ses  besognes  qu'on  pût  trouver,  car  il  ne  se 
mouvoit  d'une  cité  quand  il  y  étoit,  non  plus  que  si  paix  fût 
partout,  si  le  peut)le  à  force  de  plaintes  ne  l'émouvoit.  »  Un  des 
motifs  de  cette  inertie  était  probablement  le  manque  d'argent  : 
le  duc  de  Bourgogne  avait  excité  le  peuple  à  refuser  les  impAts 
au  comte  d'Armagnac  ;  il  hésitait  à  les  redemander  si  tôt  pour 
son  compte,  et  ne  savait  où  trouver  les  ressources  nécessaires  pour 
tenir  la  campagne. 

Ce  qu'on  ne  pouvait  du  moins  contester  au  duc  Jean,  c'était  le 

1.  llonstreleu  -^  Bourgeon  de  Paris,  —  Fenin. 


44  GUERRES  DES  ANGLAIS.  [UIS] 

désir  d*éteindre  la  guerre  civile  :  la  reine  et  lui  avaient  requis 
plusieurs  fois  le  dauphin  de  retourner  avec  eux,  c  en  offrant  i, 
dit  Monstrelet,  c  de  lui  faire  tout  honneur  et  obéissance  »;  mais 
Tannegui  Duch&tel  et  les  autres  «  gens  de  petit  état  »  qui  entou- 
raient le  jeune  prince  et  qui  devaient  toute  leur  importance  à  la 
guerre,  n'épargnaient  rien  pour  entretenir  la  haine  qu'on  avait 
inspirée  au  dauphin  contre  sa  mère  et  contre  le  €  Bourguignon  ». 
Ces  hommes  étaient  d'autant  plus  intraitables  qu'à  l'intérêt  per- 
sonnel se  joignaient  chez  eux  des  passions  violentes  et  sincères. 
Plusieurs  d'entre  eux,  particulièrement  Tannegui  et  Barbasan, 
avaient  été  de  la  maison,  «  de  la  famille  »,  comme  on  disait,  du 
malheureux  duc  d'Orléans,  et  n'avaient  jamais  renoncé  à  le 
venger.  L'intervention  du  duc  de  Bretagne  et  des  cardinaux  l^ts 
avait  amené  l'ouverture  de  conférences  à  Saint-Maur-des-Fossés, 
et  un  traité  de  paix  y  fut  signé,  le  16  septembre,  par  des  députés 
des  deux  partis;  mais  les  «  faux  bandés  et  mauvais  conseillers  du 
dauphin  n'en  furent  pas  contents  »  :  ils  déterminèrent  le  jeune 
prince  à  refuser  sa  ratification,  à  s'arroger  le  titre  de  lieutenant- 
général  du  royaume  et  à  établir  à  Poitiers,  ville  de  son  apanage, 
un  parlement  composé  des  membres  du  parlement  de  Paris  qui 
avaient  quitté  la  capitale  depuis  la  victoire  des  Bourguignons. 
Parmi  eux  figurait  Juvénal  des  Ursins  (21  septembre). 

Paris  apprit  avec  consternation  la  rupture  de  la  paix;  l'abat- 
tement avait  succédé  à  la  fureur  populaire  ;  une  eflroyable  épi- 
démie sévissait  sur  cette  population  épuisée  par  la  disette  et  par 
tant  de  secousses  morales  et  physiques,  «  ce  qu'aucuns  estimoient 
bien  apparente  punition  de  Dieu  ».  Tout  ce  peuple  s'épouvantait 
de  lui-même  en  se  «  remémorant  »  ce  qu'il  avait  fait  depuis  trois 
mois  :  un  grand  nombre  des  massacreurs  de  prisons  mouraient 
désespérés,  en  criant  qu'ils  étaient  damnés^  et  n'auraient  pas  de 
pardon  (Juvénal).  Le  Bourgeois  de  Paris  prétend  qu'il  mourut 
plus  de  cent  mille  ^  personnes  à  Paris  en  trois  mois.  La  mortalité 
frappait  surtout  les  enfants  et  les  jeunes  gens. 

1.  Quatre-vingt  mille,  suivant  Konstrelet,  c.  204.  —  Quarante  mille,  snivant 
Lefèvre  de  Saint-Remi  :  ce  dernier  chiffre  paraît  le  plus  vraisemblable.  Nous  n'avons 
pan  de  données  précises  sur  le  chiffre  de  la  population  de  Paris  à  cette  époque.  Dans 
la  première  partie  du  quatorzième  siècle,  elle  était  d'environ  300,000  ftmes.  Sur  et 


[1418]  DÉSOLATION  DE  PARIS.  45 

Ni  la  souffrance  ni  même  le  crime  n'avaient  cependant  encore 
éteint  dans  le  cœur  des  Parisiens  les  sentiments  nationaux;  les 
nouvelles  de  la  Normandie  avaient  dans  la  capitale  un  retentisse- 
ment lugubre,  et  Paris,  au  milieu  de  ses  misères,  versait  encore 
des  larmes  pour  les  maux  plus  glorieux  et  plus  immérités  de  sa 
sœur  de  Normandie,  de  la  magnanime  Rouen,  qui  s'immolait  en 
ce  moment  à  la  France. 

Henri  V,  dès  les  premiers  jours  de  Tété,  avait  commencé  à  pré- 
parer l'investissement  de  Rouent  Tandis  que  des  détachements 
anglais  prenaient  Domfront  et  bloquaient  Cherbourg,  «  la  plus 
forte  place  de  Normandie  »,  qui  prolongeait  sa  résistance*,  le  roi 
Henri,  maître  d'Évreux  et  de  tout  le  pays  à  la  gauche  de  la  Seine, 
s'était  porté  par  Louviers  sur  Pont-de-l'Arche;  le  duc  de  Clarence, 
un  des  frères  de  Henri,  força  le  passage  de  la  Seine  et  envahit  le 
pays  de  Caux.  Pont-de-l'Arche  capitula  le  19  juillet  :  Rouen  fut 
investi  aussitôt  après  par  toutes  les  forces  du  roi  d'Angleterre;  un 
matin,  les  Rouennais,  en  s'éveillant,  virent  une  division  anglaise 
logée  devant  chacune  de  leurs  portes.  Hs  s'étaient  vaillamment '« 
disposés  à  recevoir  l'ennemi;  ils  avaient  réparé  portes,  boule- 
vards, murailles,  tours  et  fossés,  demandé  instamment  des  ren- 
forts aux  Parisiens  et  au  duc  de  Bourgogne,  et  ordonné  à  toute 
personne  qui  ne  portait  pas  les  armes  de  quitter  la  ville,  si  elle  ne 
pouvait  se  pourvoir  de  vivre  pour  dix  mois.  Des  milliers  de  pau- 
vres gens,  de  femmes,  d'enfants,  de  prêtres,  de  vieillards  s'étaient 
«  départis  en  grande  tristesse  >  :  beaucoup  de  ces  malheureux 


point,  nous  acceptons  sans  difficulté  les  chiffres  de  H.  Durean  de  La  Halle,  que 
nons  avons  combattus  quant  à  l'ensemble  de  la  France*  v,  notre  t.  V,  Éclaiicii- 
siHSHTf,  n*  1.  Nous  n'avions  pas  cru  devoir,  à  propos  de  cette  question  de  sta- 
tistique, revenir  sur  le  conte  des  1,700,000  clochers  attribués  h  la  France  du 
quinzième  siècle;  mais  cette  fable,  dont  M.  Kichelet  avait  déjà  fait  justice,  ayant 
été  encore  prise  au  sérieux  récemment  dans  un  très  bon  livre,  VHistoire  de  Jacquet 
Cœur,  de  H.  P.  Clément,  nous  devons  dire  que  l'écrivain  du  seizième  siècle  k  qui 
on  Ta  empruntée,  Jean  Bouchet,  a  mis  induement  h  couvert,  sous  l'imposante 
autorité  de  Jacques  Cœur,  un  chiffre  inventé  par  des  faiseurs  de  projets  du  temps 
de  Charles  VI,  el  dont  on  se  moqua  généralement,  au  dire  du  Religieux  de  Saint" 
Denis, 

1.  Le  clergé  anglais,  qui  jusqu'alors  n'avait  consenti  qu'à  des  prêts  bien 
garantis,  accorda  une  aide  pour  le  siège  de  Rouen. 

2.  Cherbourg  fut  rendu  on  plutôt  vendu,  le  22  août,  par  son  gouverneur  Jean 
d'Angennes. 


46  GUERRES  DES  ANGLAIS.  im%) 

tombèrent  entre  les  mains  des  Armagnacs  et  les  trouvèrent  cent 
fois  pires  que  les  Anglais  eux-mêmes.  A  leur  place  entrèrent  à 
Rouen,  avant  que  le  blocus  fût  complet,  bon  nombre  de  gens 
d*armes  envoyés  par  le  duc  de  Bourgogne.  Dès  la  première  quin- 
zaine de  juin,  les  Parisiens  avaient  expédié  trois  cents  lances  et 
autant  de  gens  de  trait.  Quatre  mille  soldats  et  quinze  mille  honunes 
de  milice  bourgeoise*,  dont  Alain  Blanchard  était  un  des  princi- 
paux chefs,  défendaient  la  vaste  enceinte  de  Rouen;  ils  n*y  restè- 
rent point  enfermés  :  à  plusieurs  reprises,  ils  sortirent  en  niasse 
par  toutes  les  portes,  se  ruèrent  furieusement  sur  l'ennemi  et  lui 
«  causèrent  moult  de  grands  dommages  ». 

Les  Anglais  ne  lâchèrent  pas  pied;  ils  se  garantirent  contre  les 
sorties  des  assiégés  par  des  fossés  profonds  revêtus  de  haies  d'é- 
pines, et  protégèrent  contre  le  trait  et  le  canon,  par  des  tranchées 
et  des  chemins  couverts,  les  communications  des  divers  corps 
d'armée  qui  bloquaient  étroitement  la  ville  par  terre,  t'mdis  que 
de  triples  chaînes  de  fer  barraient  le  fleuve  au-dessus  et  au-des- 
sous de  Rouen.  Un  pont  fortifié,  qui  joignait  la  cité  au  bourg  de 
Saint-Sever,  empêchait  les  vaisseaux  anglais  de  remonter  la  Seine. 
Henri  Y  fit  traîner  ses  navires  par  terre  durant  l'espace  de  deux 
lieues  pour  les  remettre  à  flot  au-dessus  de  la  ville  >.  En  même 
temps,  huit  mille  Irlandais  à  la  solde  de  Henri  Y,  les  uns  à  pied, 
les  autres  chevauchant  de  petits  et  agiles  bidets  de  montagnes, 
battaient  le  pays  au  loin ,  approvisionnant  l'armée  d'Angleterre 
et  enlevant  les  convois  de  vivres,  les  individus  ou  les  petits  déta- 
chements qui  essayaient  de  s'introduire  dans  la  place.  Ces  troupes 
légères,  demi-nues,  «  sans  braies  »  et  sans  autres  armes  que  de 
larges  couteaux,  de  petits  javelots  et  des  targettes  (  petits  boucliers 
ronds),  ne  tenaient  guère  contre  les  gens  d'armes,  mais  répan- 
daient la  terreur  dans  les  campagnes.  Les  fantassins  irlandais 
montaient,  en  guise  de  chevaux,  sur  les  vaches  des  paysans  et 
emportaient  devant  eux,  c  sur  lesdites  vaches,  les  petits  enfants 
dans  leurs  berceaux  »,  pour  forcer  les  parents  à  les  racheter. 


1.  Ce  qui  suppose  à  Rouen  au  moins  quatre-TÎngt  et  peut-être  cent  mille  htbî- 
Unts. 

2.  Chronique  latine  manutcrite  de  Henri  V,  citée  par  M.  Chérueli  Hist*  de  liovei 
«otM  let  Anglais,  p.  44;  1840. 


C1418]  SIÈGE  DE  ROUEN.  47 

Les  paysans  de  Gaux  abandonnaient  leurs  villages  en  foule  et 
s'enfuyaient  dans  le  Ponthieu  et  le  Yexin  (Monstrelet). 

Les  Rouennais  soutinrent  dignement  l'énergie  qu'ils  avaient 
montrée  dans  les  premiers  jours  du  siège.  Le  prudent  Henri  V 
n'essaya  pas  d'emporter  la  ville  de  vive  force  ;  il  se  contenta  de 
repousser  les  sorties  des  assiégés  et  de  battre  de  loin  les  murailles 
avec  ses  canons  et  ses  machines  de  jet  :  il  comptait  vaincre  par  la 
Csdm  plus  que  par  le  fer.  Les  mesures  prévoyantes  du  gouverneur 
et  des  magistrats  municipaux  n'avaient  pumalheiu-eusement  être 
mises  à  exécution  ;  l'approvisionnement  de  la  ville  en  blé  était 
très  insuffisant,  Henri  Y  s'étant  hâté  d'asseoir  son  siège  avant  que 
la  moisson  fût  mûre.  Dès  le  30  août,  l'abbaye  fortifiée  du  mont 
Sainte-Catherine,  position  élevée  qui  commande  Rouen  du  côté 
de  la  route  de  Paris,  se  rendit  faute  de  vivres  ;  la  disette  commença 
dans  Rouen  dès  les  premières  semaines  de  l'automne.  Les  Rouen- 
nais dépéchèrent  un  vieux  prêtre  vers  le  roi  et  son  conseil  à  Paris. 
Le  vieillard  parvint  à  tromper  la  surveillance  des  ennemis  et  à 
remplir  sa  mission  :  il  se  fit  mener  au  conseil  par  le  carme  nor- 
mand Eustache  de  Pavilli,  l'orateur  populaire  de  l'Université,  qui 
prononça  une  éloquente  harangue  en  faveur  des  gens  de  Rouen  : 
l'envoyé  rouennais  n'ajouta  que  quelques  mots,  mais  ils  furent 
solennels  et  terribles. 

c  Très  excellent  prince  et  seigneur,  dit-il,  il  m'est  enjoint  de 
par  les  habitants  de  la  ville  de  Rouen  de  crier  vers  vous,  et  aussi 
vers  vous,  sire  de  Bourgogne,  le  grand  haro,  lequel  signifie  l'op- 
pression qu'ils  endurent  des  Anglois,  et  vous  mandent  et  font 
savoir  par  moi  que  si,  par  faute  de  votre  secours,  il  convient  qu'ils 
soient  sujets  au  roi  d'Angleterre,  vous  n'aurez  en  tout  le  monde 
pires  ennemis  qu'eux,  et,  s'ils  peuvent,  ils  détruiront  vous  et 
votre  génération.  »  (Monstrelet,  c.  207.) 

Le  duc  de  Bourgogne  et  le  conseil  promirent  qu'on  y  pourvoi- 
rait c  au  plus  bref  que  faire  se  pourroit  ».  Les  aides,  abolies  depuis 
le  printemps,  furent  rétablies  €  pour  le  secours  de  Rouen  »,  et  le 
duc  Jean  commença  de  rassembler  lentement  des  troupes,  tout 
en  essayant  de  traiter  avec  Henri  V.  L'issue  de  cette  tentative  était 
facile  à  prévoir  :  le  roi  anglais  négocia  simultanément  avec  les 
deux  partis  qui  se  disputaient  la  France,  et  les  joua  tous  deux. 


48  GUERRES  DES  ANGLAIS.  [1418] 

Le  duc  de  Bourgogne  et  le  dauphin  prétendaient  également  traiter 
au  nom  du  roi  et  du  royaume,  et  obtenir  non-seulement  la  paix, 
mais  l'alliance  de  Henri  V,  chacun  contre  le  parti  adverse.  Une 
double  négociation  s'ouvrit  à  Alençon  et  à  Pont-de-F Archet  A 
Alençon,  les  agents  du  dauphin  offrirent  aux  Anglais  l'Aquitaine 
avec  le  Poitou,  une  partie  de  la  Normandie,  la  Flandre  et  l'Artois  : 
cette  dernière  offre  ne  leur  coûtait  guère  ;  les  Anglais  demandèrent 
de  plus  la  Normandie  entière,  la  Touraine,  l'Anjou  et  le  Maine 
en  toute  souveraineté  ;  puis  ils  finirent  par  dire  que  le  dauphin, 
étant  mineur,  n'avait  pas  qualité  pour  faire  des  cessions  de  terri- 
toire. A  Pont-de-r Arche,  autre  comédie  du  même  genre  :  après 
avoir  bien  traîné  les  pourparlers,  les  gens  du  roi  Henri  déclarèrent 
aux  envoyés  du  conseil  de  France  que  Charles  VI  t  n'étoit  pas  en 
état  de  pouvoir  traiter,  et  qu'il  n'appartenoit  pas  au  duc  de  Bour- 
gogne de  traiter  des  héritages  du  roi  de  France  ».  (Rymer,  t.  IX, 
p.  632-645.  —  Monstrelet,  c.  207.)  L'entremise  du  cardinal  des 
Ursins,  légat  du  pape,  n'eut  aucun  résultat. 

Les  démonstrations  militaires  de  Jean-san&-Peur  devinrent  enfin 
plus  actives.  Il  emmena  le  roi  prendre  l'oriflamme  à  Saint-Denis, 
puis  le  conduisit  avec  la  reine  à  Beauvais,  rendez-vous  assigné  à 
l'armée.  La  noblesse  et  les  milices  des  provinces  du  Nord  se  met- 
taient en  mouvement  ;  mais  les  semaines  s'écoulaient  lentes  comme 
des  siècles  pour  les  Rouennais.  Us  prirent  une  héroïque  résolution: 
ils  résolurent  de  forcer  le  camp  anglais  et  d'aller  «  quérir  »  le  doc 
Jean  et  son  host  pour  les  obliger  à  venir  donner  bataille.  Dix  mille 
combattants,  munis  de  vivres  pour  deux  jours,  s'apprêtèrent  à 
a  saillir  sur  le  logis  »  du  roi  anglais;  mais  à  peine  deux  miOe 
étaient-ils  sortis  par  une  des  portes  de  la  ville  que  le  pont  du 
château,  sur  lequel  les  autres  bataillons  commençaient  à  défiler, 
rompit  et  croula  dans  le  fossé  avec  tout  ce  qu'il  portait.  Les  deux 
mille  hommes  de  l'avant-garde,  qui  avaient  déjà  entamé  vigou- 
reusement l'attaque  des  lignes  anglaises,  furent  obligés  de  battre 
en  retraite  et  de  rentrer  en  ville  par  une  autre  porte.  Les  bour- 
geois soupçonnèrent  le  gouverneur  de  la  ville.  Gui  Le  Bouteiller, 

1.  Les  ambassadeurs  anglais  prétendirent  ne  pas  savoir  le  français,  et  exigèrenl 
que  les  conférences  se  tinssent  en  latin.  Les  Rouennais,  malgré  leur  haine  pour 
les  Armagnacs,  avaient  réclamé  le  secoars  du  dauphin. 


[UISJ  HÉROÏSME  DES  ROUENNAIS.  49 

^entilboanne  normand,  d'avoir  fait  scier  les  «  estaches  »  (les  piles) 
(jui  soutenaient  le  pont.  Leur  défiance,  trop  fondée  à  Tégard  du 
gouverneur,  s*étendit  sur  tous  les  nobles  et  les  gens  d*armes  de 
la  garnison ,  et  ces  discordes  mirent  le  comble  aux  misères  de 
Rouen. 

Quatre  gentilshommes  et  quatre  bourgeois  rouennais  réussirent 
à  s'échapper  et  à  gagner  Beauvais,  €  pour  signifier  au  roi  et  à  son 
conseil  le  misérable  état  de  leur  ville  ;  lesquels  dirent  comment, 
de  l'entrée  d'oôtobre,  ils  étoient  contraints  de  manger  chevaux, 
chiens,  chats,  souris,  rats  et  autres  choses  non  appartenante 
créature  humaine,  et  comment  plusieurs  milliers  de  gens  étoient 
déjà  morts  de  faim  ;  avec  ce,  qu'ils  avoient  déjà  bouté  hors  de  la 
ville  bien  douze  mille  pauvres  gens,  hommes,  femmes  et  enfants, 
desquels  la  plus  grande  partie  étoient  morts  dedans  les  fossés 
bien  piteusement^  ».  L'impitoyable  Henri  V  avait  refusé  le  passage 
à  ces  infortunés,  qui  étaient  restés  enfermés  entre  le  camp  et  les 
remparts.  Les  fossés  de  la  ville,  leur  seul  abri,  présentaient  un 
horrible  spectacle  :  de  pâles  fantômes  desséchés  par  la  faim,  gre- 
lottant de  froid,  trempés  de  pluie,  s'y  traînaient  parmi  les  cadavres 
dont  ils  allaient  bientôt  accroître  le  nombre  ;  de  jeunes  enfants 
erraient,  implorant  du  pain  avec  des  cris  déchirants,  près  des 
corps  de  leurs  parents  expirés  ;  des  femmes  enceintes  accouchaient 
sans  secours,  et  les  «  bonnes  gens  pitoyables  »  de  la  ville  tiraient 
les  nouveau-nés  dans  des  paniers  pour  les  faire  baptiser,  et  «  après 
les  rendoient  aux  mères  »  pour  mourir  avec  elles  3. 

Les  huit  députés  répétèrent  pour  la  dernière  fois  le  «  cri  de 
haro  »  et  la  sommation  adressée  au  roi  et  au  duc  par  le  vieux 
prêtre.  Le  conseil  royal  répondit  que  la  puissance  du  roi  n'était 
pas  encore  assez  grande  pour  faire  lever  le  siège,  mais  que  Rouen 
serait  secouru  <  en  dedans  »  le  quatrième  jour  après  Noël.  On  était 
à  la  mi-décembre.  Malgré  les  souffrances  inouïes  qu'ils  éprou- 
vaient depuis  plus  dç  deux  mois,  les  Rouennais,  encouragés  par 
quelques  généreux  citoyens,  dont  le  plus  influent  était  Alain 
Blanchard,  se  résignèrent  à  attendre  quinze  jours  encore,  quinze 

1.  Monstrelet.  —  Lefèvre  de  Saint-Reini  dit  vingt  mille. 

2.  Konstrelet,  c.  208.  —  Chrouiq,  anglaise  en  vers,  citée  par  Chéiiiel,  Hist.  de 
Rouen  tout  le$  Anglais, 

VI.  4 


50  GUERRES  DES  ANGLAIS.  [141S-U19J 

jours  d'agonie  !  Ce  terme  expiré,  au  lieu  d'une  année  libératrice, 
ils  ne  virent  arriver  qu'un  messager  du  duc  de  Bourgogne,  qui 
les  invitait  «  à  traiter  pour  leur  salvation  avec  le  roi  d'Angleterre, 
du  mieux  qu'ils  pourroient  ».  Jean  sans  Peur,  dont  le  surnom 
n'était  plus  qu'une  dérision  sanglante,  avait  senti  le  cœur  lui  faillir 
au  moment  où  le  sort  lui  offrait  l'occasion  de  racheter  ses  crimes; 
il  avait  jugé  Yhost  de  France  insuffisant  pour  attaquer  les  Anglais, 
et  il  venait  de  donner  congé  à  ses  gens  d'armes,  sans  qu'un  élan 
d'indignation  nationale  le  forçât  à  révoquer  cet  ordre.  Un  morne 
découragement  glaçait  tous  les  cœurs;  peuple  et  soldats  n'avaient 
plus  confiance  dans  le  duc  Jean  ni  dans  personne. 

Les  bourgeois  et  la  garnison  de  Rouen,  la  désolation  dans  l'âme, 
dépéchèrent  six  députés,  deux  clercs,  deux  nobles  et  deux  bour- 
geois vers  le  roi  anglais;  mais  Henri  Y  ne  voulut  rien  entendre 
«  si  tous  les  hommes  de  la  ville  ne  se  mettoient  en  sa  volonté  ». 
On  ne  savait  que  trop  quelle  était  la  miséricorde  de  Henri  V  envers 
les  villes  qui  se  rendaient  à  discrétion!  Quand  la  €  communauté» 
de  Rouen  connut  cette  réponse,  tous  s'écrièrent  que  €  mieux  valoit 
niourir  tous  ensemble  en  combattant  leurs  ennemis,  qu'eux  mettre 
en  la  volonté  d'icelui  roi,  et  furent  d'opinion  de  mettre  un  pan 
de  mur  sur  étais  par  devers  la  ville,  et  après  de  s'armer  et  mettre 
tous  ensemble  hommes,  femmes  et  enfants,  de  bouter  le  feu  en 
la  ville,  d'abattre  ledit  pan  de  mur  es  fossés  et  de  s'en  aller  par 
nuit  où  Dieu  les  voudroit  conduire  ».  Henri  V,  averti  du  dessein 
des  Rouennais,  craignit  leur  redoutable  désespoir  :  il  fit  rappeler 
leurs  ambassadeurs  et  leur  accorda  une  capitulation  (13  janvier 
1419).  Les  nobles  et  bourgeois  de  la  cité  et  ch&teau  de  Rouen  s'en- 
gagèrent à  payer  au  roi  anglais  une  rançon  de  300,000  écus  d'or 
de  France  ou  600,000  nobles  d'Angleterre.  Henri  Y  accorda  aux 
habitants  qui  lui  prêteraient  serment  la  conservation  de  leurs 
biens  et  héritages  ;  les  gens  d'armes  de  la  garnison  eurent  liberté 
de  s'en  aller  à  pied  et  sans  armes,  à  condition  de  ne  pas  porter 
les  armes  d'un  an  contre  les  Anglais.  La  ville  conservait  les  fran* 
chises  et  libertés  que  lui  avaient  octroyées  les  anciens  rois  d*An« 
gleterre,  ducs  de  Normandie,  et  les  rois  de  France  antérieurs  à 
r  «  usurpateur  »  Philippe  de  Valois.  Henri  V  réservait  à  sa  discré* 
tion  sept  personnes  exceptées  de  l'amnistie  :  c'était  Robert  Delivet, 


[1419]  CBUTE  DE  ROUEN.  ALAIN  BLANCHARD.  51 

vicaire  général  de  l'archevêque  de  Rouen,  prêtre  intrépide  et 
patriote,  qui  avait,  du  haut  des  remparts,  lancé  les  foudres  de 
Texconmiunication  sur  le  conquérant  étranger;  c'étaient  le  bailli 
d'Houdetot,  ternaire  Jean  Segneult,  Alain  Blanchard,  capitaine 
des  arbalétriers,  le  héros  de  la  bourgeoisie  rouennaise^,  et  trois 
autres.  Les  députés  rouennais  se  soumirent  tristement  à  cette 
dure  condition.  Us  demandèrent  encore  six  jours  avant  de  livrer 
la  ville  :  ils  ne  pouvaient  se  résigner  à  l'idée  de  leur  abandon. 

Les  six  jours  s'écoulèrent  comme  les  six  mois  qui  les  avaient 
précédés  :  on  ne  vit  point  apparaître  d'armée  royale  pour  délivrer 
Rouen,  et,  le  19  janvier  à  midi,  les  Anglîiis  réclamèrent  l'exécution 
de  la  foi  jurée.  Conformément  à  la  capitulation,  l'on  avait  nettoyé 
les  rues  des  cadavres  qui  les  infectaient  et  fait  rentrer  en  ville  les 
derniers  survivants  entre  les  malheureux  morts  de  faim  dans  les 
fossés,  afin  de  ne  point  assombrir  par  ces  hideux  tableaux  la 
joyeuse  entrée  du  roi  «  de  France  et  d'Angleterre  »  dans  sa  bonne 
ville.  Henri  y  entra  dans  Rouen  en  grand  triomphe  et  <  boban  », 
au  son  de  toutes  les  cloches.  <  La  ville  de  Rouen  avoit  été  en 
l'obéissance  des  rois  de  France  depuis  l'espace  de  deux  cent  quinze 
ans  que  le  roi  Philippe  le  Conquérant  l'avoit  conquise  sur  le  roi 
Jehan  d'Angleterre.  »  Le  clergé  conduisit  le  roi  en  chantant  à  la 
grande  égUse  cathédrale  de  Notre-Dame,  et  les  habitants  lui  jurè- 
rent foi  et  obéissance.  Beaucoup  de  bourgeois  cependant  partirent 
avec  la  garnison,  n'emportant  que  leurs  habits  et  «  deux  sous  » 
chacun,  plutôt  que  de  devenir  Anglais. 

Henri  V  n'immola  qu'une  seule  des  sept  victimes  qui  devaient 
expier  ce  qu'il  nommait  la  rébellion  de  Rouen.  Le  bailli,  le  maire 
et  le  vicaire  général  se  rachetèrent  à  force  d'argent.  Alain  Blan- 
chard, pauvre  et  le  plus  redouté  de  tous,  paya  pour  la  cité  entière 
et  monta  fièrement  à  l'échafaud  sans  s'abaisser  à  d'inutiles  prières. 
Pendant  que  la  tête  de  l'intrépide  capitaine  du  peuple  tombait 
sous  la  hache  anglaise,  le  gouverneur  de  la  ville,  Gui  Le  Bouteiller, 
se  c  rendoit  Anglois  »  et  prêtait  serment  au  roi  Henri,  confirmant 

1.  V.  U  capitulation  dans  Rymer,  U  IX,  p.  664-667.  —  C'est  Konstrelet,  entre 
nos  chroniqueurs»  qui  a  donné  le  plus  de  détails  sur  le  siège  de  Rouen,  l.I,c.  202, 
203,  207,  208,  209.  —  v.  surtout  Chéruel,  Rouen  tous  Us  Anglais,  ouvrage  plein 
de  recherches  intéressantes  et  consciencieuses. 


52  GUERRES  DES  ANGLAIS.  [I4I9] 

ainsi  les  soupçons  de  trahison  qui  s'étaient  élevés  contre  lui  du- 
rant le  siège.  Henri  V  le  combla  de  biens  et  lui  laissa  le  comman- 
dement de  la  ville  sous  le  duc  de  Glocester.  Quelque  temps  après, 
«  aucuns  des  notables  bourgeois  de  la  ville  se  fièrent  en  lui,  et  lui 
dirent  que,  s'il  vouloit  leur  aider,  ils  remettroient  Rouen  en  la 
main  du  roi;  et  messire  Gui  fit  semblant  d'eux  vouloir  aider,  et 
puis  le  dit  au  roi  Henri,  et  par  ce  y  eut  plusieurs  notables  bour- 
geois de  Rouen  qui  eurent  les  têtes  coupées*  ». 

La  chute  de  Rouen  fit  tomber  toutes  les  places  de  Normandie 
qui  tenaient  encore  ;  elles  se  rendirent  saos  coup  férir,  et  la  croix 
blanche  de  France  dispanit  devant  la  «  vermeille  croix  »  d'Angle- 
terre dans  toute  l'étendue  de  cette  belle  province.  Les  avant-postes 
anglais  vinrent  s'établir  à  Vernon  et  à  Manies.  Henri  V  signa  une 
double  trêve  de  quelques  semaines  (février-avril)  avec  les  Bour- 
guignons et  les  Dauphinois,  pour  organiser  à  loisir  sa  conquête*, 
faire  reposer  son  armée,  rétablir  ses  finances,  partager  les  fruits 
de  sa  victoire  aux  clercs  qui  l'avaient  aidé  de  leur  argent,  aux 
soldats  qui  l'avaient  aidé  de  leurs  armes'.  Il  avait  à  sa  disposition 
un  grand  nombre  de  biens  vacants  non-seulement  par  confisca- 
tion, mais  par  abandon  volontaire  :  dans  chaque  ville,  dans  chaque 
canton,  des  clercs  abandonnaient  leurs  bénéfices,  des  nobles  leurs 
fiefs,  des  bourgeois  leurs  hérifages,  pour  ne  pas  prêter  serment 
aux  Anglais.  On  vit,  entre  autres,  «  une  jeune  dame,  fille  au  sei- 
gneur de  La  Rivière  et  veuve  du  sire  de  La  Roche-Guyon,  mieux 
aimer  s'en  aller  dénuée  de  tous  biens,  avec  ses  trois  enfants,  que 
de  rendre  hommage  au  roi  d'outre-mer  et  de  se  mettre  es  mains 
des  anciens  ennemis  du  royaume  »  (  Juvénal).  Henri  V  donna  le 
fief  de  La  Roche-Guyon  au  traître  Gui  Le  Bouteiller,  que  cette 
généreuse  femme  avait  refusé  d'épouser  pour  conserver  ses  biens. 
La  haine  de  la  domination  étrangère  et  le  sentiment  de  la  natio- 
nalilé  avaient  grandi  simultanément  depuis  l'origine  des  guerres 

1.  Pierre  de  Fenin;  collect.  Michaud,  t.  H,  p.  595-597. 

2.  Il  établit  en  Normandie  l'unité  des  poids  et  mesures.  Rymer,  t.  IX»  p.  691. 

3.  II  donna  le  comté  d'Harcourt  et  la  seigneurie  de  Lillebonne  à  son  oncle  le 
duc  d'Exeter;  la  seigneurie  de  Graville  au  Hennuyer  Robersart;  le  comté  de 
Tancarville  au  lord  Grey,  et,  un  peu  plus  tard,  le  comté  du  Perche  aa  comte  de 
Salisbury,  etc.,  etc.  Les  évéques  et  les  clercs  anglais  reçurent  une  foale  de  béné- 
fices, —  V,  Cbéruel,  Rouen  tout  les  Anglaii, 


Cf4l9]  LA  NORMANDIE  AUX  ANGLAIS.  53 

contre  les  Anglais,  et  les  misères  du  règne  de  Charles  VI  sem- 
blaient avoir  autant  contribué  que  les  succès  de  Charles  V  à  déve- 
lopper le  patriotisme  chez  les  âmes  d'élite  :  il  brillait  d'une  plus 
vive  lumière  parmi  les  malheurs  publics  ;  mais  on  pouvait  craindre 
que  ce  ne  fût  comme  le  flambeau  qui  se  ravive  un  moment  avant 
d'expirer  ! 

La  France  pouvait  encore  être  sauvée  si  la  ruine  de  Rouen 
amenait  enfin  entre  les  factions  le  rapprochement  qui  n'avait  pu 
s'opérer  pour  le  salut  de  la  malheureuse  cité.  Les  parlements 
rivaux  de  Paris  et  de  Poitiers  se  prononcèrent  également  pour 
une  transaction.  La  clameur  publique  devint  si  forte  que  les  con- 
seillers du  dauphin  n'osèrent  le  dissuader  de  consentir,  le  14  mai, 
une  trêve  de  trois  mois  avec  les  Bourguignons.  Juvénal  prétend 
même  que  les  Dauphinois  demandèrent  une  trêve  de  trois  ans, 
et  que  ce  fut  Jean-sans-Peur  qui  s'y  refusa,  parce  qu'il  voulait 
d'abord  essayer  de  traiter  avec  le  roi  d'Angleterre.  Le  duc  et  la 
reine,  en  effet,  avaient  repris  les  négociations  avec  Henri  V,  et 
des  conférences  s'ouvrirent  à  Meulan,  le  29  mai,  entre  le  roi 
anglais,  Isabeau  et  le  duc  Jean.  Isabeau  amena  avec  elle  sa  fille 
Catherine,  belle  et  gracieuse  personne  de  dix-neuf  ans,  pour 
tâcher  d'amollir  le  cœur  du  conquérant;  mais  rien  ne  pouvait 
fléchir  cetle  volonté  de  fer.  Quoique  Henri  fût  «  moult  désireux 
d'avoir  la  dite  princesse  en  mariage...  il  demeura  fier  et  superbe 
comme  un  lion  »  :  il  exigeait,  pour  renoncer  à  ses  prétendus  droits 
sur  la  couronne  de  France,  non  plus  seulement  l'Aquitaine  et  la 
Normandie  entières  avec  le  Ponthieu,  mais  l'Anjou,  la  Touraine 
et  le  Maine  et  la  suzeraineté  de  la  Bretagne,  c'est-à-dire  tout  ce 
qu'avaient  possédé  les  Plantagenêts  au  douzième  siècle,  mais  en 
souveraineté  et  non  plus  en  fief;  encore  n'est-il  pas  sûr  qu'il 
voulût  sincèrement  traiter  à  ce  prix.  (Rymer,  t.  IX,  p.  762, 763.) 
Le  succès  avait  fini  par  enivrer  cette  tête  froide  et  calculatrice  *  ; 
l'orgueil  anglais  ne  pouvait  plus  se  contenir,  et  Henri  finit  par 
s'affranchir  des  égards  qu'il  s'était  imposés  jusqu'alors  envers  le 

1.  La  conquête  de  la  France  ne  lui  suffisait  pas  :  il  songeait  It  étendre  Tinfluence 
anglaise  en  Italie,  en  faisant  adopter  son  frère  Bedford  par  la  reine  de  Napics;  les 
Anglais  eussent  occupé  les  ports  de  Brindes  et  de  Reggio.  (Rymer,  t.  IX,  p.  701-705.) 
n  pensait  à  la  recouvrance  de  la  Terre  Sainte. 


54  GUERRES  DES  ANGLAIS.  C1419] 

duc  de  Bourgogne.  Après  diverses  entrevues  renouvelées  de  se- 
maine en  semaine  dans  le  cours  du  mois  de  juin,  le  roi  d'Angle- 
terre, «  voyant  que  pas  ne  lui  seroient  accordées  ses  demandes, 
dit  au  duc  de  Bourgogne  :  —  Beau  cousin,  nous  voulons  que  vous 
sachiez  que  nous  aurons  la  fille  à  votre  roi  et  tout  ce  qu'avons 
demandé  avec  elle,  ou  nous  le  débouterons,  et  vous  aussi,  hors 
de  son  royaume. — Auxquelles  paroles  ledit  duc  répondit  : — Sire, 
vous  dites  votre  plaisir;  mais,  devant  que  vous  ayez  débouté  mon- 
seigneur et  nous  hors  de  son  royaume,  vous  serez  bien  lassé!  i 

Sur  ces  paroles,  ils  prirent  congé  l'un  de  Fautre,  et  tout  fut 
rompu  (30  juin).  L'amour-propre  blessé  réveilla  dans  l'âme  flétrie 
du  duc  Jean  un  reste  d'attachement  à  son  pays  et  à  sa  famille;  il 
se  retourna  franchement  du  côté  du  dauphin.  Les  principaux 
chefs  dauphinois,  Tannegui  Duchâtel  et  Barbasan,  craignant  l'is- 
sue des  pourparlers  qui  pouvaient  réunir  contre  eux  Anglais  et 
Bourguignons,  étaient  accourus  à  Pontoise  pour  tâcher  de  rompre 
les  conférences  de  Meulau.  Jean- sans -Peur  conclut  avec  eux 
aussitôt  après  sa  rupture  avec  Henri  V.  Les  deux  partis  n'appor- 
tèrent malheureusement  pas  la  môme  sincérité  dans  cette  récon- 
ciliation, due  en  grande  partie  à  l'influence  d'une  fenune  d'esprit 
et  d'intrigue,  madame  de  Giac,  dame  d'honneur  de  la  reine  et 
maîtresse  du  duc  Jean. 

Le  11  juillet,  le  dauphin  et  le  duc  Jean,  partis  le  premier  de 
Tours,  le  second  de  Pontoise,  se  rencontrèrent,  comme  on  était 
convenu,  sur  le  «  ponceau  »  (petit  pont)  de  Pouilli-le-Fort,  à  une 
lieue  de  Melun.  A  deux  traits  d'arc,  ils  firent  arrêter  leurs  escortes, 
descendirent  de  cheval  et  s'avancèrent  l'un  vers  l'autre,  chacun 
avec  dix  compagnons  seulement.  «  Le  duc  de  Bourgogne,  appro- 
chant le  dauphin,  s'inclina  moult  humblement  par  plusieurs  fois. 
Le  dauphin  pritpar  la  main  le  duc,  qui  étoit  à  genoux,  et  le  baisa, 
et  le  fit  lever.  —  Beau  cousin,  dit-il,  si,  au  traité  fait  entre  vous  et 
nous,  est  aucune  chose  qui  ne  soit  à  votre  plaisir,  nous  voulons 
que  vous  le  corrigiez,  et  désormais  en  avant  voulons  et  voudrons 
ce  que  voulez  et  voudrez;  de  ce  ne  soyez  en  doute! 

«  Finablement,  après  plusieurs  paroles,  les  deux  princes,  et 
aucuns  de  leurs  gens  là  étant,  jurèrent,  sur  leur  part  de  paradis, 
en  la  main  du  révérend  père  en  Dieu  Alain,  évoque  de  Léon  en 


ri4t9]  TRAITÉ  DE  POUILLI.  55 

Bretagne,  légat  du  saint-siége  apostolique,  la  paix  à  entretenir 
perdurablement  Tun  avec  l'autre  ;  se  soumettant,  pour  les  choses 
dessus  dites,  à  la  correction  de  notre  mère  sainte  Église  et  de 
notre  saint-père  le  pape,  pai-  voie  de  solennelle  excommunica- 
tion; pourquoi  s'assemblèrent  leurs  gens  tous  ensemble,  criant 
Nùèl,  et  maudissant  tous  ceux  qui  jamais  porteroient  armes  pour 
si  damnable  querelle.  »  On  se  sépara  très  amicalement,  <  après 
s'être  entrepromis  de  mettre  toute  peine  à  chasser  le  roi  Henri 
d'Angleterre  hors  de  France  ».  Le  dauphin  s'en  retourna  en  Tou- 
raine  et  en  Poitou  pour  y  faire  cesser  la  guerre  civile  ;  le  duc  Jean 
partit  pour  Pontoise,  d'où  il  ramena  le  roi  et  la  reine  à  Saint- 
Denis.  (Honstrelet,  c.  213.) 

c  A  la  nouvelle  d'icelle  paix,  tout  le  pauvre  peuple  de  France 
démena  grand  liesse  :  on  fit  des  feux  de  joie  par  les  carrefours  de 
toutes  les  bonnes  villes,  et  par  spécial  dans  la  ville  de  Paris,  et  les 
gens  d'armes  des  deux  parties  commencèrent  de  faire  conjointe- 
ment rude  guerre  aux  Anglois.  »  Une  déclaration  du  roi ,  du 
19  juillet,  abolit  toutes  les  condamnations  et  confiscations  pro- 
noncées à  l'occasion  des  discordes  civiles,  ordonna  la  cessation 
de  toutes  guerres,  fors  contre  les  Anglais,  et  l'envoi  de  toutes  les 
garnisons  des  deux  partis  «  sur  la  frontière  des  Anglois  »,  appela 
le  dauphin  et  le  duc  de  Bourgogne  à  siéger  ensemble  au  conseil, 
et  réunit  au  parlement  de  Paris  les  membres  dissidents  de  Poi- 
tiers; bref,  semblait-il  que  la  France  dût  être  bientôt  «  en  grande 
union  et  concorde  ».  Un  tragique  événement,  présage  de  nouvelles 
calamités,  troubla  cette  joie  prématurée  :  le  29  juillet,  jour  auquel 
expirait  la  trêve  avec  Henri  V,  trois  mille  Anglo-Gascons,  ayant 
à  leur  tête  le  captai  de  Buch,  frère  du  comte  de  Foix,  surprirent 
par  escalade  et  mirent  à  feu  et  à  sang  la  ville  de  Pontoise,  où 
commandait  le  maréchal  de  l'Ile-Adam.  Ce  capitaine  bourgui- 
gnon, après  avoir  inutilement  tenté  de  réparer  sa  négligence  et 
de  chasser  l'ennemi,  évacua  la  ville,  laissant  au  pouvoir  des  Anglais 
la  meilleure  partie  des  trésors  qu'il  avait  amassés  à  Paris  parmi 
les  massacres  et  les  pillages  de  1 418.  Un  grand  nombre  des  habi- 
tants de  Pontoise  furent  égorgés;  le  reste  se  sauva  jusqu'à  Paris, 
où  l'arrivée  de  ces  malheureux  fugitifs  répandit  l'épouvante.  La 
cour  délogea  au  plus  vite  de  Saint-Denis,  et  le  duc  de  Bourgogne 


56  GUERRES  DES  ANGLAIS.  0419] 

emmena  le  roi  et  la  reine  à  Troies  pom*  les  éloigner  du  théâtre  de 
la  guerre.  Celle  rctraile  excila  une  vive  femienlation  dans  Paris, 
que  la  cour  avait  évité  de  traverser  en  gagnant  la  route  de  Troies. 
Les  Parisiens  reprochaient  au  duc  Jean  de  n'avoir  rien  fait  pour 
sauver  ou  recouvrer  Ponloise,  quoiqu'il  eût  force  gens  d'armes 
autour  de  lui ,  et  ils  se  demandaient  avec  anxiété  si  le  duc  les 
abandonnait  à  la  merci  des  Anglais.  Jean,  depuis  les  effroyables 
scènes  de  l'année  précédente,  montrait  une  extrême  répugnance 
pour  le  séjour  de  Paris  :  il  rassura  faiblement  les  Parisiens  en  leur 
envoyant  pour  gouverneur  son  neveu  le  comte  de  Saint-PoP, 
enfant  de  quinze  ans.  (Journal  du  Bourgeois  de  Paris.)  Les  Anglais 
vinrent  courir,  le  9  août,  jusqu'aux  portes  de  Paris,  d'où  ils  se 
rabattirent  sur  les  petites  places  du  Vexin  et  du  Beauvaisis. 

Malgré  la  pacification  de  Pouilli  et  la  déclaration  royale  du 
19  juillet,  les  deux  parlements  n'avaient  pas  encore  efiectué  leur 
réunion,  et  le  dauphin  n'était  pas  revenu  siéger  au  grand  conseil  : 
ceux  qui  le  gouvernaient,  Tannegui,  le  vicomte  de  Narbomie,  le 
président  Louvet,  le  chancelier  Le  Maçon,  le  retenaient  encore 
loin  de  la  cour;  cependant  les  prétextes  leur  manquaient,  et  ces 
hommes,  dont  la  guerre  civile  avait  fait  la  fortune,  voyaient  avec 
angoisse  la  fin  imminente  de  leur  grandeur  :  ils  se  fiaient  peu 
d'ailleurs  au  pardon  du  duc  de  Bourgogne,  et  savaient  que  Jean- 
sans-Peur  n'oubliait  guère.  La  catastrophe  de  Pontoise,  l'agitation 
de  Paris,  la  déconsidération  croissante  du  duc  Jean  les  encoura- 
gèrent à  tout  oser.  Autour  du  dauphin  se  trama  un  noir  complot 
conçu  peut-être  de  longue  main  ;  tous  les  chefs  dauphinois  n'y 
trempèrent  point,  et  l'on  n'a  jamais  bien  su  si  le  jeune  prince 
lui-même  y  avait  été  complètement  initié  :  son  esprit  à  la  fois 
malléable  et  soupçonneux  le  mettait  entièrement  à  la  discrétion 
de  ses  conseillers,  bien  que  son  tempérament  fût  peu  porté  aux 
actes  de  violence. 

Le  duc  Jean  élait  arrivé  à  Troies  le  10  août  avec  le  roi  et  la 
reine.  Tannegui  et  deux  autres  des  gens  du  dauphin  vinrent  l'in- 

1.  Philippe  de  Bourgogne,  second  fils  da  feu  duc  Antoine  de  Brabaot,  tué  à 
Azincourt  :  le  comté  de  Saint>Pol  avait  passé  de  la  maison  de  Luxembourg  dans 
la  brunche  de  Bourgogne-Brabanl,  par  le  mariage  du  duc  Antoine  avec  Phéritière 
àt  ce  comté. 


ri4l9]  JEAN-SANS-PEUR  ET  LE  DAUPHIN.  57 

viter  de  la  part  de  leur  maître  à  une  seconde  entrevue,  afin  de 
délibérer  ensemble  «  sur  grandes  affaires  touchant  la  réparation 
du  royaume  j».  Le  lieu  du  rendez-vous  proposé  était  Montereau 
Faut-Yonne  *.  Le  dauphin  s'y  trouvait  déjà  avec  un  nombreux 
corps  d'armée  amené  des  provinces  de  la  Loire.  Le  duc  Jean 
refusa  >  :  il  estimait  plus  «  expédient  »  que  le  dauphin  Charles  se 
rendit  à  Troies  près  de  son  père  et  de  sa  mère.  Tannegui  repartit 
pour  Montereau,  puis  revint  faire  de  nouvelles  instances.  Le  duc 
céda  et  s'avança,  avec  Tannegui,  de  Troies  jusqu'à  Brai-sur-Seine, 
à  peu  de  distance  de  Montereau.  Arrivé  à  Brai,  il  s'arrôla  et  resta 
là  quelques  jours  sans  vouloir  passer  outre  :  il  était  agité  de  pres- 
sentiments sinistres;  le  pacte  du  il  juillet  ne  le  rassurait  pas  :  il 
avait  si  bien  enseigné  aux  autres  comment  on  violait  les  serments 
les  plus  saints!  Le  conseil  du  dauphin  lui  dépécha  l'évêque  de 
Valence,  qui,  étranger  au  complot,  combattit  les  soupçons  du 
duc  avec  un  accent  de  sincérité  auquel  se  rendit  Jean-sans-Peur. 
On  convint  que  le  duc  aurait  le  château  de  Montereau  pour  logis, 
que  le  dauphin  aurait  la  ville  et  que  la  conférence  se  tiendrait  sur 
le  pont  de  l'Yonne,  qui  joint  la  ville  au  château.  «  Sur  le  pont 
durent  être  faites  barrières,  et  au  milieu  une  manière  de  parc 
(ou  de  loge)  bien  fermé ,  où  il  y  auroit  une  entrée  du  côté  du 
château  et  une  autre  du  côté  de  la  ville;  à  chacune  desquelles 
entrées  seroit  un  huis  (porte)  qui  se  fermeroit  et  garderoit  par 
les  gens  de  chacun  des  deux  princes.  »  Le  dauphin  et  le  duc  Jean 
devaient  entrer  dans  la  loge  chacun  avec  dix  compagnons.  Contre 
l'usage  accoutumé  en  ce  temps  de  défiance  et  de  trahisons ,  les 
Dauphinois,  qui  construisirent  la  loge,  n'établirent  point  de  bar- 
rière entre  les  deux  partis  dans  l'intérieur. 

Les  avis  ne  manquèrent  point  au  duc  de  Bourgogne  :  ses  plus 
fidèles  serviteurs  le  détournaient  de  se  fier  aux  gens  du  dauphin. 
Un  juif  de  sa  suite,  astrologue  sans  doute,  lui  conseilla  fort  de  ne 
point  aller  à  Montereau,  en  lui  disant  que,  «  s'il  y  alloit,  jamais 
n'en  retourneroit  *  ;  mais  la  dame  de  Giac,  «  amie  »  de  Jean, 
c  laquelle  il  aimoit  et  croyoit  moult  »,  et  Philippe  Jossequin, 

1.  Ob  fault-Yonne,  oU  l'Yonne  finit  en  se  jetanl  dans  la  Seine.> 

2.  Suivant  Juvénal  des  Ursins,  il  accepta,  promit  de  venir  le  26  août,  et  ne 
Tint  pas. 


^S  GUERRES  DES  ANGLAIS.  ri4l9] 

favori  du  duc,  soit  qu'ils  trahissent  le  duc,  soit  qu'ils  fussent 
déçus  eux-mêmes,  décidèrent  Jean-sans-Peur.  Le.  duc  partit  de 
Brai-sur-Seine  le  dimanche  10  septembre,  avec  Charles  de  Bour- 
bon, comte  de  Clermont,  plusieurs  autres  seigneurs,  cinq  cents 
lances  et  deux  cents  archers.  Comme  il  approchait  de  Honterean, 
trois  de  ses  chevaliers,  revenant  de  la  ville,  accoururent  vers  lui 
et  le  prévinrent  «  que  les  barrières  étoient  moult  avantageuses 
pour  le  parti  du  dauphin  »  et  que  des  gens  de  guerre  étaient 
cachés  dans  les  maisons  les  plus  voisines  du  pont.  Le  sire  de  Giac, 
mari  de  la  maîtresse  du  duc,  offrit  d'aller  à  la  découverte  :  il 
rapporta  n'avoir  rien  trouvé  d'alarmant.  «  Adonc  iron&-nous,  dit 
le  duc;  convenable  est  d'aventurer  et  hasarder  notre  personne 
pour  si  grand  bien  comme  pour  paix,  et,  quoi  qu'il  advienne, 
paix  voulons-nous.  »  Il  ajouta,  dit-on,  que  son  intention  était, 
<  la  paix  faite  et  bien  faite,  de  prendre  avec  lui  les  gens  de  mon- 
seigneur le  dauphin ,  lequel  avoit  de  vaillants  et  sages  hommes 
de  guerre,  et  que  Hannotin  (Jeannot)  de  Flandre  oseroit  bien 
combattre  pour  lors  Henri  de  Lancastre...;  qu'au  demeurant, 
si  on  le  tuoit  en  allant  à  ladite  entrevue,  il  se  tiendroit  pour 
martyr  ». 

Vers  trois  heures  de  l'après-midi ,  le  duc  descendit  au  château 
de  Montereau,  et,  laissant  ses  gens  d'armes  à  la  porte  qui  regar- 
dait la  ville,  il  s'avança,  suivi  de  neuf  seigneurs  et  d'un  secrétaire, 
sur  le  pont  où  l'attendait  le  dauphin.  Le  duc  et  ses  compagnons, 
suivant  les  conventions  arrêtées,  ne  portaient  que  la  cotte  et  l'épée. 
Jcan-sans-Peur  en  lit  l'observation  à  Tannegui  Duchâtel  et  à  un 
autre  Dauphinois,  qui  le  vinrent  recevoir  aux  barrières  avec  des 
haches  à  leur  ceinture;  néanmoins  il  passa  outre,  en  frappant  sur 
l'épaule  de  Tannegui  et  disant  à  sa  suite  :  <  Véez-ci  en  qui  je  me 
fie!  — Vous  avez  bien  tardé!  »  répondirent  les  Dauphinois;  et  ils 
l'introduisirent  précipitamment  dans  la  loge,  lui  et  le  seigneur  de 
Noailles ,  un  des  frères  du  comte  de  Foix.  Les  autres  seigneurs 
bourguignons  étaient  un  peu  en  arrière. 

Les  barrières  furent  refermées  derrière  eux.  Ce  qui  se  passa 
ensuite  a  été  rapporté  très  diversement  par  les  deux  partis.  Sui- 
vant les  Bourguignons,  le  duc  aborda  le  dauphin  en  ôtant  son 
aumusse  (chaperon  à  longues  bandes)  de  velours  noir  et  en  fié- 


Cf4t93  MEURTRE  DE  JEAN-SANS-PEUR.  59 

chissant  le  genou  :  «  Monseigneur,  lui  dit-il,  je  suis  venu  à  votre 
mandement.  Vous  savez  la  désolation  de  ce  royaume,  votre  do- 
maine à  venir;  entendez  à  la  réparation  d'icelui.  Quant  à  moi,  je 
suis  prêt  d'y  exposer  le  corps  et  les  biens  de  moi  et  de  mes  vas- 
saux, sujets  et  alliés.  —  Beau  cousin,  répliqua  le  dauphin,  vous 
dites  si  bien  que  Ton  ne  pourroit  mieux;  levez- vous  et  vous 
couvrez*.  » 

Un  signe  fut  alors,  dit-on,  échangé  entre  le  dauphin  et  Tan- 
negui,  qui  s'écria  :  <  Il  est  temps!  »  Et,  à  l'instant  où  le  duc  se 
releva,  Tannegui  <  le  férit  si  roidement  d'une  hache  parmi  le 
visage  que  le  duc  chut  à  genoux  ».  Le  duc  mit  la  main  à  son  épée 
et  fit  un  effort  pour  se  relever;  mais  le  vicomte  de  Narbonne  et 
les  autres  chevaliers  du  dauphin,  qui  étaient  tous  «  annés  à  blanc  » 
sous  leurs  robes 2,  se  ruèrent  sur  Jean  et  «  l'abattirent  à  terre 
comme  mort  ».  Un  nommé  Olivier  Layet  l'acheva  en  lui  «  boutant 
une  épée  par-dessous  son  haubergeon  tout  dedans  le  ventre  ».  Le 
sire  de  Noailles  tomba  au  même  instant,  la  tète  fendue  par  der- 
rière d'un  coup  de  hache.  Les  autres  Bourguignons  accoururent 
trop  tard  :  les  soldats  dauphinois,  embusqués  près  de  l'extrémité 
du  pont  donnant  sur  la  ville ,  s'étaient  élancés  en  foule  par  la 
barrière  demeurée  ouverte  de  ce  côté,  tandis  que  l'autre  barrière, 
du  côté  du  château,  avait  été  fermée,  suivant  les  conventions, 
pour  empêcher  les  gens  d'armes  bourguignons  d'avancer.  Un 
seul  des  dix  compagnons  du  duc  Jean  s'échappa;  tous  les  autres 
forent  tués  ou  pris.  Quant  au  dauphin,  il  avait  été  emmené  par  le 
président  Louvet  dès  le  commencement  du  tumulte. 

Tel  est  le  récit  bourguignon.  Les  Dauphinois  prétendirent  au 
contraire  qu'il  n'y  avait  point  eu  d'embûche  ni  «  d'aguet  ».  Le 
dauphin,  suivant  eux,  parla  le  premier  et  exhorta  le  duc  Jean  à 
s'unir  franchement  à  lui  contre  les  Anglais.  Le  duc  lui  répondit 
«  qu'on  ne  pourroit  rien  aviser  ou  faire,  sinon  en  la  présence  du 
roi  son  père,  et  qu'il  falloit  qu'il  y  vînt.  — J'irai  devers  monsei- 

1.  Monstrelet  dit  toutefois  qae  le  dauphin  ne  montra  «  aucun  semblant  d'amour 
aa  duc  Jehan  »,  et  lui  reprocha  d'avoir  mal  tenu  sa  promesse  touchant  la  cessation 
de  la  guerre  civile  (1. 1,  c.  220). 

2.  Juvénal  prétend  que  les  compagnons  des  deux  princes  furent  visités  des  deux 
parts,  et  «  n*avoient  pas  plus  les  uns  que  les  autres  de  harnois  ou  armures». 
Collect.  Michaud,  t.  Il,  p.  553. 


60  GUERRES  DES  ANGLAIS.  0419] 

gneur  mon  père,  reprit  le  dauphin,  quand  bon  me  semblera,  et 
non  mie  à  votre  volonté.  »  Le  sire  de  Noailles  alors  aurait  porté 
une  main  sur  son  épée  et  étendu  Tautre  comme  pour  saisir  le 
dauphin,  en  disant  :  <  Monseigneur,  vous  viendrez  à  présenti 
votre  père  !  »  Tannegui  prit  le  dauphin  dans  ses  bras  et  remporta 
hors  du  <  parc  »,  tandis  que  le  vicomte  de  Narbonne,  Robert  de 
Loire,  Guillaume  Bouteiller  et  Frotlier  <  frappoient  sur  le  duc  et 
sur  Noailles  ».  — Tu  as  coupé  le  poing  à  mon  maître,  s'éma  Bou- 
teiller, ancien  serviteur  du  feu  duc  d*Orléans,  «je  le  couperai  le 
tien  !  »  Les  détails  mêmes  de  la  version  des  Dauphinois,  telle  que 
la  rapporte  Juvénal,  prouvent  ce  qu'ils  voudraient  nier,  la  pré- 
méditation du  meurtre ^  «Les  conseillers  du  dauphin,  ditMons- 
trelet,  avoient,  depuis  grand  espace  de  temps,  promis  et  juré 
entre  eux  de  mener  à  Tm  cette  besogne,  et  ils  Teussent  achevée 
dès  la  première  assemblée  des  princes  auprès  de  Pouilli-le-Port; 
mais  lors  fut  délaissé,  pour  ce  que  le  duc  de  Bourgogne  avoit  trop 
grand'puissance  de  gens  d*armes.  »  Cette  fois,  Tescorte  de  Jean 
était  bien  inférieure  au  corps  d'armée  qu'avait  amené  le  dauphin. 
L*escorte  bourguignonne  s'enfuit  du  côté  de  Brai,  poursuivie, 
l'épée  dans  les  reins,  par  les  Dauphinois;  le  détachement  qui 
occupait  le  château  de  Montcreau  se  rendit,  faute  de  vivres  et 
d'artillerie.  Le  jeune  comte  de  Clerinont,  le  sire  de  Giac  et  Philippe 
Jossequin  prêtèrent  serment  au  dauphin  et  demeurèrent  avec  lui, 
ainsi  que  la  dame  de  Giac,  ce  qu'on  interpréta  généralement 
comme  un  aveu  de  leur  complicité  >.  Tous  les  autres  prisonniers 
déclarèrent  qu'ils  aimeraient  mieux  mourir  que  de  suivre  cet 
exemple  :  on  les  mit  à  rançon,  excepté  l'amiral  Charles  de  Lens, 
qui  fut  mis  à  mort. 

Ainsi  finit  Jean-sans-Peur,  par  une  trahison  aussi  noire  que 
celle  dont  il  avait  lui-même  donné  l'exemple,  douze  ans  aupara- 
vant, envers  le  duc  d'Orléans.  Les  conséquences  en  devaient  être 
plus  terribles  encore  ;  chacun  des  grands  forfaits  qui  se  succé- 


1.  v.  VHist,  des  Dues  de  Bourgogne,  t.  IV»  p.  445-467,  4«  édit.  1826.  M.  de 
Barante  a  recueilli  el  fondu  dans  son  récii  tous  les  témoignages. 

2.  Peut-être  madame  de  Giac  et  Jossequin  craignirent-ils  seulement  que  les 
Tengeurs  du  prince  assassiné  ne  punissent  le  résultat  plutôt  que  l'inlentioD  de  leurt 
conseils.  L'historien  dauphinois  Le  Bouvier,  dit  Berri,  afflruie  leur  innoceoce. 


rt4l9]  SOULÈVEMENT  DE  L'OPINION.  '    61 

daicnt  périodiquement  depuis  ravénement  de  Charles  VI  enfon- 
çait la  France  plus  avant  dans  l'abîme  :  la  France  venait  d'être 
assassinée,  pour  ainsi  dire,  avec  le  duc  de  Bourgogne! 

Les  assassins  de  Jean-sans-Peur  ne  surent  pas  même  recueillir 
le  prix  du  sang  :  la  chaleur  de  l'action  une  fois  tombée,  ils  mon- 
trèrent ce  trouble  et  cette  incohérence  qui  suivent  le  plus  souvent 
le  crime  ;  ils  entendirent  parmi  leurs  propres  amis,  dans  le  con- 
seil même  du  dauphin,  des  paroles  de  réprobation  et  d'horreur  : 
le  brave  et  loyal  Barbasan ,  qui  avait  pourtant  été  l'ami  du  duc 
d'Orléans  et  de  Bernard  d'Armagnac,  disait  hautement  «que 
mieux  voudroit  avoir  été  mort  que  d*avoir  été  à  celte  journée, 
bien  qu'il  fût  innocent  »  (Monstrelet).  Les  conseillers  du  dauphin, 
au  lieu  de  diriger  sur  Troies  les  forces  dont  ils  pouvaient  disposer 
afin  de  se  saisir  de  la  personne  du  roi,  perdirent  plusieurs  jours 
à  Hontereau  et  écrivirent  au  lieu  d'agir.  Le  lendemain  du  meurtre, 
ils  dépêchèrent  à  Paris,  Reims,  Châlons,  Troies  et  autres  bonnes 
villes  des  lettres  où  ils  faisaient  dire  au  dauphin  que  le  duc, 
durant  leur  entrevue,  lui  avait  répondu  de  «  folles  paroles  »...  Il 
a  «  cherché  son  épée  pour  envahir  et  vilener  (outrager)  notre  per- 
sonne, laquelle,  comme  après  nous  avons  su,  il  prétendoit  mettre 
en  sa  sujétion  ;...  mais,  par  sa  folie,  mourut  en  la  place*  ». 

Un  cri  général  d'épouvante  et  d'indignation  s'éleva  dans  les 
bonnes  villes  à  la  réception  de  ces  sinistres  missives.  Les  lettres 
du  sire  de  Montagu,  le  seul  des  dix  compagnons  de  Jean-sans-Peur 
qui  eût  échappé  aux  Dauphinois,  arrivèrent  en  même  temps  que 
celles  du  dauphin;  elles  obtinrent  beaucoup  plus  de  créance.  Dès 
le  12  septembre,  surlendemain  de  l'assassinat,  le  chancelier  de 
France  Eustache  de  Laictre  et  le  jeune  comte  de  Saint-Pol,  Phi- 
lippe de  Bourgogne-Brabant,  neveu  du  feu  duc  et  capitaine  de 
Paris,  assemblèrent  en  la  chambre  de  parlement  le  prévôt  royal, 
le  prévôt  des  marchands  et  tous  les  conseillers  et  officiers  du  roi 
présents  à  Paris,  <  avec  grand'quantité  de  nobles  et  de  bourgeois 
et  grand'multitude  de  peuple  »  :  ils  reçurent  d'eux  le  serment 
«  de  résister  de  corps  et  de  toute  puissance  à  l'entreprise  des  cri- 
mineux  infracteurs  de  la  paix ,  et  de  poursuivre  la  vengeance  et 

1.  v.  les  lettres  dans  Monsireiet,  1. 1,  c.  222. 


62  GUERRES  DES  ANGLAIS.  Ci4l9] 

réparation  contre  les  coupables  de  la  mort  et  homicide  du  feu 
duc  de  Bourgogne  >.  Cette  délibération  fut  suivie  de  lettres  de 
condoléance  et  d'offres  de  service  adressées  à  la  veuve  de  Jean- 
sans-Peur  par  les  prévôt  des  marchands,  échevins  et  bourgeois, 
et  par  les  recteur,  docteurs  et  maîtres  de  Tuniversité.  Plusieurs 
Dauphinois,  rentrés  à  Paris  depuis  la  paix,  furent  arrêtés  et  quel- 
ques-uns «  exécutés  par  justice  ».  La  reine  Isabeau  ne  voyait  dans 
son  fils  que  l'instrument  d'un  parti  qui  l'avait  emprisonnée, 
insultée  et  surtout  volée  à  plusieurs  reprises,  ce  qu'elle  pardon- 
nait moins  que  le  reste  :  elle  était  disposée  à  tout  plutôt  que  de 
retomber  au  pouvoir  des  Armagnacs;  elle  fit  écrire  par  le  roi 
«  à  madame  de  Bourgogne  »,  pour  la  prier,  elle  et  ses  enfants, 
<  de  mettre  sur  pied  »  tous  leurs  parents,  amis  et  vassaux,  afin 
d'aider  le  roi  à  venger  le  duc  Jean.  La  duchesse  veuve,  qui  était 
à  Dijon,  et  surtout  son  fils  Philippe,  qui  se  trouvait  en  Flandre, 
n'avaient  pas  besoin  d'excilaUon  :  le  nouveau  duc  Philippe,  jeune 
homme  de  vingt-deux  ans,  ne  respirait  que  guerre  et  que  ven- 
geance. Il  saisit  la  direction  du  parti  bouipiignon  d'une  main 
plus  vigoureuse  que  n'était  depuis  longtemps  celle  de  son  père, 
et,  dans  l'exaltation  de  son  ressentiment,  il  ne  connut  plus  d'autre 
but,  d'autre  devoir  que  la  punition  «  des  trattres  parjureurset 
homicides  »  de  Montereau  ;  il  immola  à  sa  haine  famille  et  patrie. 
Résolu  à  tout  pour  perdre  le  dauphin,  Philippe  de  Boui^ogne, 
après  avoir  obtenu  des  États  de  Flandre  la  promesse  d'un  concours 
énergique  et  resserré  son  alliance  avec  les  princes  des  Pays-Bas, 
ses  parents,  et  avec  Paris  et  les  autres  villes  bourguignonnes, 
entama  des  négociations  avec  le  roi  d'Angleterre,  qui,  depuis  la 
surprise  de  Pontoise,  n'avait  cessé  d'étendre  ses  conquêtes  dans 
le  Vcxin ,  le  Perche,  le  Beauvaisis  et  toutes  les  marches  de  Nor- 
mandie. Le  17  octobre,  un  congrès  s'ouvrit  à  Arras  entre  les 
plénipotentiaires  d'Angleterre  et  de  Bourgogne.  Les  conférences 
furent  longues  :  jamais  ambassadeurs  n'avaient  eu  à  débattre  de 
plus  graves  intérêts.  Dès  le  24  septembre,  Henri  V,  prévoyant  te 
parti  qu'il  pourrait  tirer  du  meurtre  de  Jean-sans-Peur,  avait 
donné  des  pleins  pouvoirs  à  quelques-uns  de  «  ses  hommes  »  pour 
traiter  avec  «  Tilluslre  cité  de  Paris  et  les  autres  villes  adhérentes 
à  ladite  cité  ».  (Rymcr,  t.  IX,  p.  797.)  Le  20  novembre,  une  trêve 


tl4i9]  HENRI  V  ET  PHILIPPE  LE  BON.  63 

particulière  fut  accordée  par  les  représentants  de  Henri  V  aux 
Parisiens,  dont  les  délégués  avaient  été  appelés  à  Arras,  et  rac- 
cord définitif  du  duc  Philippe  et  des  Anglais  fut  conclu  le  2  dé- 
cembre. Henri  V  décida  Philippe  en  menaçant  d'accueillir  les 
propositions  des  Dauphinois,  si  les  Bourguignons  ne  se  hâtaient 
de  €  parachever  »  le  traité*. 

Afin  que  «  Angiois  et  Bourguignons  fussent  tous  d'un  môme 
parti  pour  faire  guerre  mortelle  au  dauphin  et  aux  siens  » ,  Philippe 
consentit  à  reconnaître  Henri,  roi  d'Angleterre,  comme  héritier 
de  la  couronne  de  France  après  la  mort  de  Charles  VI.  Henri 
devait  épouser  dame  Catherine  de  France  et  recevoir  immédiate- 
ment l'administration  du  royaume  «  pour  l'empêchement  du  roi  », 
avec  le  €  conseil  des  nobles  et  sages  dudit  royaume  »  :  tous  les 
princes,  seigneurs  spirituels  et  temporels,  cités,  villes  et  com- 
munautés seraient  tenus  de  lui  prêter  serment.  D'un  trait  de 
plume,  Philippe  de  Bourgogne  livrait  à  l'étranger  non  plus  telle 
ou  telle  portion  de  la  France,  mais  la  France  tout  entière,  et  dés- 
héritait de  leurs  droits  à  la  couronne  non-seulement  le  dauphin, 
mais  tous  les  Valois  et  lui-môme.  On  convint  que  ce  pacte  mons- 
trueux serait  soumis  au  plus  tôt  à  l'approbation  du  roi,  de  la 
reine  et  des  États-Généraux;  et,  en  attendant,  une  trêve  générale, 
dont  les  Dauphinois  seuls  étaient  exclus,  fut  signée  à  Rouen  le 
24  décembre.  Les  Anglais  osaient  à  peine  croire  à  leur  fortune  : 
le  crime  d'autrui  leur  donnait  en  un  jour  ce  que  n'avaient  pu  leur 
donner  tant  d'années  d'efforts  et  de  victoires! 

La  joie  avec  laquelle  les  villes  du  Nord  accueillirent  la  trêve 

1.  Georges  Chastellain,  c.  9-12. —  On  n'a  point  encore  retrouvé  Pensemble  de 
rœnvre  de  cet  historiographe  des  ducs  de  Bourgogne,  écritain  si  vauté  de  ses 
contemporains  et  si  oublié  depuis.  M.  Buchon  a  publié  tout  ce  qu'il  a  pu  en  décou- 
vrir dans  les  bibliothèques  de  France  et  de  Belgique.  M.  Paul  Lacroix  en  a  retrouvé 
an  autre  fraguieut  à  la  bibliothèque  laurentieane  de  Florence,  f.  la  curieuse  bro- 
chure de  M.  Lacroix  sur  les  Manuscrits  relatifs  à  l'histoire  de  France,  conservés 
dans  les  bibliothèques  d'Italie,  —  Techener,  1839.  ^~  M.  Quicherat  a  publié  en 
partie  ce  fragment  d'après  un  lus.  d* Arras.  —  Chastellain,  outre  sa  valeur  histo- 
rique, pourrait  être  l'objet  d'une  intéressante  étude  littéraire.  Ce  n'est  pas,  comme 
Froitsart,  un  écrivain  complet,  représentant  la  perfection  relative  d'une  certaine 
époque  littéraire;  c'est  un  écrivaiu  de  transition.  Il  s'efforce  d'élever  à  l'éloquence 
abstraite  des  langues  savantes  la  langue  naïve  de  Froissart  :  l'instrument  est  rebelle 
encore;  la  parole  de  Chastellain  ploie  et  s'abat  sous  sa  pensée;  il  est  souvent 
emphatique,  surchargé,  obscur  ;  il  échoue,  mais  non  pas  sans  honneur. 


64  GUERRES  DES  ANGLAIS.  [1419,UM] 

avec  les  Anglais  était  un  triste  présage  de  la  résignation  de  la 
France  au  sort  qu*on  lui  destinait.  La  haine  des  «  faux  traîtres 
aimagnacs  »  était  presque  le  seul  sentiment  que  conservassent 
les  populations  du  Nord  au  milieu  de  leurs  souffrances  »  et  Jean 
de  Bourgogne,  égorgé  au  moment  où  il  voulait  sincèrement  rendre 
la  paix  au  pays,  avait  retrouvé  dans  la  mort  toute  sa  popularité. 
Les  conseillers  du  dauphin,  informés  de  la  réception  faite  à  leurs 
lettres,  avaient  perdu  l'espérance  de  regagner  le  Nord  et  tourné 
leurs  efforts  vers  les  provinces  méridionales  :  ils  envoyèrent  des 
renforts  aux  garnisons  des  places  qu'ils  conservaient  dans  TUe- 
de-France,  la  Champagne  et  les  marches  de  Picardie,  puis  ils  se 
hâtèrent  de  repasser  la  Loire.  Dès  le  27  septembre,  dix-sept  jours 
après  la  catastrophe  de  Montereau,  le  dauphin  était  à  Poitiers  :  il 
passa  le  reste  de  Tannée  dans  la  Touraine,  l'Anjou  et  le  Berri,  se 
rendit,  en  janvier  1420,  à  Lyon,  qu'il  maintint  dans  son  parti,  et 
de  là  se  dirigea  par  le  Dauphiné  vers  le  Languedoc.  Ses  affidés 
<  préchoient  »  et  remontraient  partout  sur  leur  passage  comme 
quoi  «  le  duc  de  Bourgogne  avoit  été  occis  en  bonne  et  juste  que- 
relle ».  Les  contrées  du  centre  et  du  Midi  étaient  celles  où  la  fac- 
tion bourguignonne  avait  toujours  eu  le  moins  de  racines,  et  les 
Dauphinois  y  obtinrent  quelque  faveur,  môme  dans  les  villes. 
L'adhésion  du  comte  de  Foix  aux  meurtriers  de  son  frère  Noailles 
leur  donna  une  prépondérance  décisive  en  Languedoc.  Les  deux 
partis  s'éLiient  disputé  l'alliance  de  ce  puissant  seigneur,  en  lui 
offrant  également  le  gouvernement  du  Languedoc  :  le  comte, 
après  une  assez  longue  hésitation,  se  décida  et  décida  les  États- 
Généraux  du  pays  à  se  rallier  au  dauphin  (février  1420);  il  chassa 
de  la  province  le  prince  d'Orange,  chef  de  la  faction  bourgui- 
gnonne dans  le  Midi ,  et  reçut  le  dauphin  à  Carcassonne,  où  les 
États  prêtèrent  serment  à  ce  prince.  Le  dauphin  s'attacha  Toulouse 
en  lui  rendant  cette  «  cour  de  parlement  »  qu'elle  avait  eue  un 
moment  au  treizième  siècle,  et  en  lui  octroyant  d'autres  privi- 
lèges encore.  (Hist.  de  Languedoc,  t.  IV,  1.  XXXIV.)  Nîmes  et  le 
Pont-Saint-Esprit  furent  les  seules  villes  qui  résistèrent  par  les 
armes  aux  Dauphinois  :  un  certain  nombre  d'habitants  furent 
mis  à  mort  comme  rebelles. 
Les  Dauphinois  avaient  tâché  d'obtenir  aussi  l'appui  de  laBre- 


[1420]        JEAN  DE  BRETAGNE  ET  LES  PENTHIÈVRE.  65 

(agne  ;  mais  le  duc  Jean  VI ,  quoique  beau-frère  du  dauphin , 
u'avait  point  voulu  se  départir  de  la  neutralité.  On  tenta  de  Ten 
punir  par  une  entreprise  aussi  odieuse  que  téméraire,  presque 
un  autre  guet-apens  de  Montereau  :  le  Breton  Tannegui  Duchàlel 
excita  lesPenthièvre,  petits-fils  de  Charles  de  Biois  et  d'Olivier  de 
Ciisson,  à  reconquérir  par  trahison  c  la  duché  »  enlevée  Jadis  par 
force  à  leur  aïeul  paternel ,  et  il  <  leur  bailla  mandement  scellé 
du  scel  du  dauphin,  pour  prendre  et  emprisonner  ledit  duc  ». 
Jean  VI  ne  se  défiait  nullement  des  Penthièvre  qu'il  venait  de 
c  festoyer  »  amicalement  à  Nantes,  et  qui  lui  avaient  depuis  peu 
renouvelé  les  serments  de  «  féauté  »  les  plus  saints;  il  accepta 
l'invitation  d'accompagner  lesPenthièvre  chez  leur  mère,  fille 
d'Olivier  de  Clisson,  au  château  de  Chantoceaux.  Au  passage  d'une 
petite  rivière,  le  comte  de  Penthièvre  trouva  moyen  de  séparer  le 
duc  de  sa  suite,  tandis  que  le  sire  d'Âvaugour,  le  plus  jeune  des 
Penthièvre,  sortait  brusquement  d'un  bois  avec  quarante  lances, 
et  signifiait  au  duc  qu'il  l'arrêtait  prisonnier  au  nom  du  dau- 
phin (12  février  1420).  Les  Penthièvre  toutefois  ne  remirent  point 
leur  captif  aux  mains  du  dauphin  ni  de  ses  officiers;  ils  l'em- 
menèrent dans  les  fiefs  qu'ils  avaient  en  Poitou  et  le  traînèrent 
six  mois  durant  de  château  en  château  pour  cacher  le  lieu  de  sa 
détention.  Ils  répandirent  même  le  bruit  qu'ils  avaient  noyé  le 
duc  dans  la  Loire. 

Ils  avaient  apparemment  compté  sur  quelque  mouvement  en 
Bretagne  :  le  mouvement  eut  lieu;  il  fut  universel,  mais  contre 
eux  ;  tout  le  pays  se  leva  en  armes  à  la  voix  de  la  duchesse  Jeanne 
de  France,  femme  forte  et  courageuse.  Lamballe,  Ghâtel-Audren, 
Chantoceaux,  toutes  les  places  des  Penthièvre  furent  assiégées  et 
emportées,  tous  leurs  fiefs  de  Bretagne  furent  confisqués.  Les 
menaces  des  Penthièvre  contre  la  vie  de  leur  prisonnier  n'ar- 
rêtèrent pas  la  duchesse  :  la  tête  de  leur  mère  enfermée  dans 
Chantoceaux  répondit  de  la  vie  du  duc.  Le  comte  de  Penthièvre 
fut  réduit  à  remettre  Jean  VI  en  liberté ,  à  condition  qu'il  lui 
restituerait  ses  seigneuries;  mais  le  duc,  une  fois  hors  de  péril, 
ne  tint  point  une  promesse  extorquée  par  la  violence  et  réprouvée 
par  les  États  de  Bretagne.  Les  États  allèrent  jusqu'à  déclarer  au 
duc  que^  s'il  ne  châtiait  les  traîtres,  ils  feraient  son  fils  duc  de 

VI.  5 


66  GUERRES  DES  ANGLAIS.  [1420] 

Bretagne  à  sa  place.  (Hist.  de  Bretagne,  1.  XV,  p.  540.  —  Mon- 
strelet,  c.  246.)  Le  perfide  comte  fut  obligé  de  quitter  pour  tou- 
jours la  Bretagne  et  de  se  'réfugier  en  Hainaut,  où  il  possédait 
Avesnes  et  d'autres  seigneuries. 

Pendant  ce  temps  les  événements  marchaient  dans  le  Nord  : 
Anglais  et  Bourguignons  avaient  réuni  leurs  bannières  ;  le  duc 
Philippe  de  Bourgogne,  parti  d'Arras  avec  un  corps  d'armée, 
arriva  le  21  mars  à  Troies,  accompagné  d'ambassadeurs  anglais, 
pour  exposer  au  roi  et  à  la  reine  «  la  paix  finale  et  alliance  »  que 
voulait  avoir  avec  eux  Henri  d'Angleterre.  Le  pauvre  roi  Charles 
«  éloit  content  d'accorder  et  traiter  en  toutes  choses  selon  l'opi- 
nion de  ceux  qui  étoient  près  de  lui,  fût-ce  à  son  préjudice.  Tout 
lui  étoit  un  et  d'un  poids  »,  dit  George  Chastellain.  Quant  à  Isa- 
beau  de  Bavière,  femme  vulgaire  dont  les  historiens  modenies 
ont  fait  un  monstre  en  exagérant  outre  mesure  son  rôle  poli- 
tique, elle  était  incapable,  et  par  le  cœur  et  par  l'intelligence,  de 
comprendre  ses  devoirs  de  reine  et  de  régente  :  elle  haïssait  son 
fils  ;  sa  plus  jeune  tille  Catherine  était  le  seul  de  ses  enfants  qu'elle 
aimât,  autant  qu'elle  était  capable  d'aimer,  parce  qu'elle  l'avait 
toujours  eue  sous  les  yeux;  elle  ne  demandait  pas  mieux  que  de 
déshériter  Charles  pour  faire  Catherine  reine.  Elle  fit  donc  con- 
sentir Charles  VI  «  à  débouter  son  propre  fils  et  héritier,  Charles, 
duc  de  Touraine,  dauphin,  en  annulant  la  constitution  jadis  faite 
par  les  rois  de  France,  ses  pères,  en  grande  délibération,  c'est  à 
savoir  que  le  noble  royaume  de  France  ne  devoit  succéder  ni 
appartenir  à  femme  ^  ;  et  mémement,  s'il  advenoit  que  le  roi 
Henri  n'eût  hoirs  de  son  mariage  avec  madame  Catherine,  si 
(pourtant)  demeuroit-il  héritier  de  la  couronne  de  France  au 
préjudice  de  tous  les  royaux  »  (princes  du  sang).  (Monstrelet, 
c.  230.)  Charles  VI  signa,  le  9  avril,  les  préUminaires  de  ce 
traité  ;  la  conclusion  fut  différée  pour  quelques  points  secondaires 
qui  restaient  à  débattre.  Le  29  du  même  mois,  le  chancelier  de 
France  assembla  le  parlement,  la  chambre  des  comptes,  l'univer- 
sité, le  chapitre  de  Notre-Dame,  les  prévôts  de  Paris  et  des  mar- 

1.  Quand  les  femmes  eussent  été  aptes  k  succéder  &  la  couronne,  Catherine  n'j 
aurait  pu  prétendre  :  elle  uvait  deux  sœurs  aînées,  la  duchesse  de  Bretagne  et  la 
femme  de  Tauteur  même  du  traité,  Micbelle  de  France,  duchesse  de  Bourgogne. 


[14201  TRAITÉ  DE  TROIES.  67. 

chands,  le  corps  de  ville  et  touS  les  quarteniers,  cinquanteniers 
et  dixainiers  de  la  bourgeoisie  parisienne,  et  leur  communiqua 
les  conventions  de  Troies. 

Ce  fut  pour  Paris  une  solennelle  épreuve Paris  n'était  plus 

que  l'ombre  de  lui-même  :  il  semblait  qu'une  main  vengeresse 
pesât  sur  lui;  ses  fureurs  délirantes,  suivies  d'une  morne  lan- 
gueur, ses  longues  et  inexprimables  souffrances  lui  avaient  ôté 
toute  énergie  :  la  famine  était  en  permanence  dans  ses  murs  *  : 
répidémie,la  disette,  les  proscriptions,  les  émigrations  lui  avaient 
enlevé  la  moitié  de  ses  citoyens,  remplacés  par  des  milliers  de 
paysans  affamés  que  la  guerre  chassait  de  leurs  villages,  et  qui 
demandaient  à  grands  cris  la  paix  et  du  pain.  L'élite  de  la  haute 
bourgeoisie  s'était  réfugiée  à  Poitiers  avec  le  dauphin,  ou  en 
Flandre  chez  le  duc  de  Bourgogne.  Le  menu  peuple  était  vaincu, 
atterré  par  la  misère.  Paris  céda;  Paris  abdiqua.  Aucune  voix  ne 
s'éleva  contre  le  pacte  qui  frappait  au  cœur  la  nationalité  fran- 
çaise. Le  chancelier  et  le  premier  président  du  parlement  allèrent 
porter  les  préliminaires  à  Henri  V  à  Pontoise,  el,  peu  de  jours 
après,  le  roi  d'Angleterre  prit  la  route  de  Troies  à  la  tête  d'un 
corps  d'armée  :  il  passa  par  Saint-Denis,  longea  les  murs  de  Paris 
sans  y  entrer,  puis,  franchissant  la  Marne  à  Gharenton,  il  se 
dirigea  par  Provins  sur  Troies,  où  il  arriva  le  20  mai,  sans 
que  les  garnisons  dauphinoises  eussent  essayé  de  lui  fermer  le 
passage. 

Le  lendemain,  fut  signé  défmitivement,  dans  l'église  de  Saint- 
Jean,  le  trop  fameux  traité  de  Troies.  Henri  V,  en  prenant  le 
titre  de  «  régent  et  héritier  de  France»,  s'obligeait  de  maintenir 
la  juridiction  du  parlement,  les  franchises  et  privilèges  des  paii's, 
des  nobles,  des  villes,  «  communautés  et  singulières  personnes  », 
et  toutes  les  lois  et  coutumes  du  royaume.  Il  promit  en  outre, 
clause  vraiment  dérisoire,  «  de  labourer  de  tout  son  pouvoir  à 
remettre  en  l'obéissance  du  roi  les  villes,  cités,  châteaux,  lieux, 
pays  et  personnes  désobéissants  et  rebelles  au  roi,  étant  de  la 

1.  i;.  le  Journal  du  Bourgeois  de  Paris  t  ann.  1418,  1419,  1420,  sur  le  prix 
excessif  des  denrées,  du  bois,  de  toutes  les  choses  nécessaires  k  la  vie;  Paris  était 
tenu  en  état  de  blocus  permanent  par  les  Armagnacs  de  Meaux  et  de  Melun  et  par 
les  Anglais  de  Meulau  et  de  Pontoise. 


68  GUERRES  DES  ANGLAIS.  ci420] 

partie  vulgairement  appelée  du  dauphin  et  d'Armtgnac:^.  On  sti- 
pula que  le  duché  de  Normandie  et  les  autres  lieux  conquis  par 
Henri  V  seraient  réunis  à  la  monarchie  de  France,  lorsque  Henri  V 
parviendrait  à  la  couronne;  Henri  devrait  à  cette  époque,  afin 
d'éviter  le  renouvellement  des  vieilles  discordes  de  la  France  et 
de  l'Angleterre,  «  labourer  de  tout  son  pouvoir  pour  que,  de  l'avis 
et  consentement  des  Trois  Étals  desdits  royaumes,  les  deux  cou- 
ronnes de  France  et  d'Angleterre  à  toujours  demeurassent  en- 
semble et  fussent  en  une  même  personne,  savoir  celle  dudit  roi 
Henri,  et  delà  en  avant  es  personnes  de  ses  hoirs,  les  deux 
royaumes  gardant  toutefois  chacun  ses  droits,  libertés,  coutumes, 
usages  et  lois,  sans  être  aucunement  soumis  l'un  à  l'autre  ».  Enfin, 
«  considéré  les  horribles  et  énormes  crimes  et  délits  perpétrés  par 
Charles,  soi-disant  dauphin  de  Viennois  »,  Charles  VI,  Henri  V  et 
le  duc  de  Bourgogne  terminaient  le  traité  par  l'engagement  réci- 
proque de  ne  point  transiger  avec  «ledit  Charles»,  sinon  du 
consentement  de  tous  trois ,  ainsi  que  des  Trois  États  des  deux 
royaumes  de  France  et  d'Angleterre  ^ 

La  monarchie  française  avait  suivi  une  marche  ascendante  de 
Louis  le  Gros  à  Philippe  le  Bel;  elle  redescendait  depuis  un  siècle: 
la  voici  arrivée  au  dernier  terme  de  sa  décadence,  suspendue 
quelques  années  par  .Charles  V  ;  la  voici  absorbée  par  une  dy- 
nastie étrangère  naguère  encore  sa  vassale,  au  mépris  des  tradi- 
tions cl  des  lois  par  lesquelles  le  génie  de  la  France  avait  voulu 
garantir  l'indépendance  nationale.  Les  Plantagenéts  anglais  du 
quinzième  siècle  alltîignent  le  but  que  n'ont  pu  saisir  les  Plan- 
tagenéts français  du  douzième  :  ils  unissent  les  destinées  de 
deux  peuples  que  la  Providence  a  profondément  séparés,  et  cela 
au  moment  où  les  Ircices  des  affinités  originaires  entre  les  hautes 
classes  des  deux  pays  achèvent  de  s'effacer  2;  ils  font  de  la  France 
l'appendice  de  l'Angleterre. 

L'œuvre  n'est  pourtant  pas  encore  consommée  :  Paris  est  déchu; 
la  vieille  France  royale  de  Louis  le  Gros  est  à  l'étranger;  la  Seine 

1.  1».  le  traité  dans  Monstrelet,  1.  I,  c.  234;  —  dans  Kymer,  t.  IX,  p.  895,  904; 
—  daus  le  Bourgeois  de  Paris,  etc. 

2.  Ce  fut  k  ravéneinent  de  Huuri  V  que  la  chambre  des  communes  cessa  de 
rédiger  ses  actes  en  français. 


CI420J  HENRI  V  HÉRITIER  DE  FRANCE.  fi9 

est  anglaise  ;  mais  la  Loire  est  française  encore  ;  la  France  se  relire 
sur  la  Loire  et  s'appuie  sur  le  Midi  :  le  Midi  devient  Fasile  de  cette 
nationalité  française  qu'il  a  si  tard  et  si  difflcilement  subie.  Qui 
l'eût  dit  au  temps  des  Montfort  et  des  Raimond  !  Le  traité  deTroies 
a  réhabilité  le  parti  du  dauphin  et  des  Armagnacs  :  tout  souillé 
que  soit  ce  parti,  il  est  désormais  le  parti  de  la  France.  Mais  quel 
parti  et  quelle  ressource,  grand  Dieu! 

La  domination  anglo  bourguignonne  n'était  pas  incontestée  au 
nord  de  la  Loire  :  les  Dauphinois  conservaient  de  fortes  places 
entre  l'Oise  et  l'Yonne;  ils  avaient  Compiègne,  Soissons,  Meaux, 
Helun,  Sens,  Montereau.  Henri  V  ne  perdit  pas  de  temps  poui' 
entrer  en  campagne  contre  eux  :  le  2  juin,  il  épousa  Catherine  de 
France  dans  l'église  Saint-Jean  de  Troies;  le  jour  suivant,  comme 
les  chevaliers  de  France  et  d'Angleterre  voulaient  «  faire  joutes 
pour  la  solennité  du  mariage»,  le  roi  Henri  leur  commanda 
€  d'être  tous  prêts,  le  lendemain  matin,  pour  aller  mettre  le  siège 
devant  la  cité  de  Sens,...  que  là  chacun  pourroit  jouter,  tournoyer 
et  montrer  sa  prouesse  »  (Journal  du  Bourgeois  de  Paris).  Il  em- 
mena au  siège  sa  nouvelle  épouse,  son  beau-père,  sa  belle-mère  et 
le  duc  de  Bourgogne  < .  Les  bourgeois  de  Sens  obligèrent  leur  gar- 
nison, peu  nombreuse,  à  capituler  dès  le  11  juin  ;  Henri  V  et  le  duc 
Philippe,  laissant  à  Brai-sur-Seine  Charles  VI  et  les  deux  reines, 
aUèrent  ensuite  enlever  d'assaut  Montereau  :  le  duc  Philippe  fit 
déterrer  le  corps  de  son  père,  qui  avait  été  inhumé  «  à  peu  d'hon- 
neur» en  l'église  Notre-Dame  de  Montereau,  et,  «après  grand 
deuil  et  service  solennel»,  il  l'envoya  en  un  cercueil  de  plomb 
c  plein  de  sel  et  d'épices  »  aux  Chartreux  de  Dijon.  La  garnison 
dauphinoise  s'était  réfugiée  au  château  :  le  sire  de  Guitri,  son  capi- 
taine, ayant  refusé  de  remettre  cette  forteresse  au  roi  anglais,  le 
farouche  Henri  V  envoya  au  gibet  onze  gentilshommes  pris  dans 
l'assaut  de  là  ville  ;  Guitri  capitula  néanmoins  au  bout  de  quel- 

1.  Ed  se  mettant  aux  champs»  craignant  l'effet  des  vins  «très  forts  et  fumeux  d 
de  la  Champagne  sur  ses  Anglais,  il  leur  défendit  de  boire  du  vin  sans  le  mélanger 
avec  de  Peau  :  «  Cet  ordre  fut  peu  goûté  »,  disent  les  historiens  anglais:  Tit.  Liv. 
83.  —  Elm.  251.  —  Une  autre  ordonnance  de  Henri  V,  «  héritier  et  régent  de 
France  »,  rendue  le  9  juin  devant  Sens,  assigne  li  la  «  roine  »  sa  belle-mère 
2,0<'*0  francs  d'or  par  mois  sur  la  monnaie  de  Troies  :  c'était  le  prix  pa^fé  k  la 
mère  pour  Teihérédation  de  son  fils.  Rymer,  t.  IX,  p.  913. 


70  GUERRES  DES  ANGLAIS.  [1420] 

ques  jours,  et  «  fut  fort  blâmé  d'avoir  souffert,  pour  si  peu  de 
résistance,  que  ses  gens  fussent  pendus  ». 

«  De  là  s'en  allèrent  lesdits  roi  et  duc  mettre  le  siège  devant 
Melun,  où  étoit  le  seigneur  de  Barbasan  avec  six  ou  sept  cents  bons 
combattants  :  le  roi  Henri  et  ses  frères  (les  ducs  deClarence,  de  Glo- 
cester  et  de  Bedford^)  se  logèrent  du  côté  du  Gâtinais,  le  duc  de 
Bourgogne  du  côté  de  la  Brie.  j>  Il  n'en  fut  pas  de  Melun  comme  de 
Sens  :  «  ceux  de  dedans  étoient  moult  vaillantes  gens  »,  et  ils  étaient 
bien  secondés  par  la  commune;  ils  avaient  des  canonniers  et  des 
arbalétriers  d'une  merveilleuse  adresse  :  un  moine  augustin,  an- 
cien soldat,  tua,  dit-on,  plus  de  soixante  hommes  d'armes  à  coups 
d'arbalète.  Les  boulevards  extérieurs  furent  emportés;  mais  les 
assiégés  repoussèrent  les  assauts  donnés  au  corps  de  la  place.  Les 
Anglo-Bourguignons  creusèrent  des  mines  sous  les  fossés  de  la 
ville;  les  assiégés  contre-minèrent,  et  ces  galeries  souterraines 
devinrent  le  théâtre  de  maints  exploits  :  les  chevaliers  et  écuyers 
y  venaient  combattre  à  la  lueur  des  torches  et  faire  courtoisement 
de  «  vaillantes  armes»,  comme  dans  un  tournoi.  Le  roi  d'Angle- 
terre et  le  duc  de  Bourgogne  y  combattirent  en  personne  contre 
Barbasan  et  un  autre  Dauphinois.  Le  roi  Henri,  voyant  l'opiniA- 
treté  de  ses  adversaires,  manda  au  siège  le  roi  Charles  et  les  deux 
reines,  «  atin,  dit  Monstrelet,  que  plus  sûrement  on  pût  sommer 
les  assiégés  qu'ils  rendissent  la  ville  de  Melun  au  roi  de  France,  leur 
naturel  seigneur;  mais  ils  firent  réponse  qu'à  son  état  privé  (à  lui 
en  particulier)  ils  ouvriroient  volontiers,  mais  point  n'obéiroient 
au  roi  anglois,  ancien  ennemi  mortel  de  France».  Plus  d'un 
noble  homme  de  l'armée  assiégeante  sympathisait  avec  ces  senti- 
ments au  fond  de  l'âme.  Le  prince  d'Orange  (de  la  maison  de 
Chalon),  vassal  et  ami  du  duc  de  Bourgogne,  quitta  l'armée  plutôt 
que  de  jurer  le  traité  de  Troies.  Les  Luxembourg  (d'une  branche 
établie  en  Picardie)  avaient  commencé  aussi  par  refuser;  ils  jurè- 
rent enfin,  avec  une  sorte  de  désespoir,  comme  s'il  se  fût  agi  d'un 
pacte  avec  Satin,  et  déclarèrent  que,  quoi  qu'il  advînt,  ils  gar- 
deraient jusqu'à  la  mort  le  serment  que  le  duc  de  Bourgogne 


1.  Bedford.  demeuré  jusqu'alors  à  la  garde  de  l'Angleterre,  venait  de  rejoindre 
Henri  V  avec  huit  cents  lances  et  deux  mille  archers. 


[14203  PRISE  DE  MELON.  71 

leur  imposait.  Ils  ne  le  gardèrent  que  trop  bien.  (Juvénal.  — 
Lefèvre  de  Saint-Remi,  c.  102.) 

Le  siège  de  Melun  fut  converti  en  blocus.  Une  épidémie  tour- 
menta l'armée  assiégeante  ;  mais  ceux  de  dedans  souffraient  da- 
vantage encore  :  ils  étaient  déjà  réduits  à  manger  leurs  chevaux; 
ils  espéraient  que  leur  parti  tenterait  quelque  grand  effort  pour 
les  secourir  :  le  dauphin  et  ses  capitaines  réunirent,  en  effet,  à 
Bourges,  quinze  à  seize  mille  combattants  qui  se  mirent  en 
marche  sur  Melun  ;  mais,  lorsqu'ils  eurent  fait  reconnaître  Yhost 
anglo-bourguignon,  ils  ne  s'estimèrent  point  assez  forts  pour  as- 
saillir le  roi  Henri  et  le  duc  Philippe  dans  leurs  lignes  fossoyées 
et  palissadées;  ils  s'en  retournèrent  «  sans  rien  faire  »,  et  reprirent 
la  route  du  liidi  qui  donnait  de  l'inquiétude  aux  conseillers  du 
dauphin.  Ce  prince,  à  l'instigation  de  ses  favoris,  ayant  retiré  le 
gouvernement  du  Languedoc  au  comte  de  Poix  qui  y  affectait  une 
indépendance  presque  absolue,  le  comte  s'était  déclaré  pour  le 
roi  d'Angleterre  :  la  présence  de  l'armée  dauphinoise  prévint  les 
conséquences  de  cette  défection  et  contint  les  Languedociens. 

Pendant  ce  temps  la  valeureuse  garnison  de  Melun  était  ré- 
duite à  la  dernière  détresse  :  elle  ne  céda  qu'au  bout  de  dix-huit 
semaines,  après  avoir  dévoré  «  chiens,  chats  et  autres  vivres 
vomitables  à  nature  »  :  elle  ne  se  rendit  que  lorsque  le  dauphin 
l'y  eut  autorisée.  Jamais  un  mouvement  généreux  ne  fit  dévier 
Henri  V  de  son  impitoyable  politique  :  incapable  d'honorer  le 
courage  chez  ses  ennemis,  il  ne  voulut  les  recevoir  qu'à  discré- 
tion, garantissant  seulement  la  vie  sauve  aux  gens  d'armes  qui  ne 
seraient  point  trouvés  coupables  de  la  mort  de  Jean-sans-Peur. 
Les  bourgeois  n'obtinrent  pas  môme  promesse  de  la  vie  :  un  cer- 
tain nombre  furent  décapités  «  pour  l'exemple  »;  les  autres  furent 
dépouillés  de  leurs  biens,  et  l'on  envoya  les  plus  notables  avec 
la  plupart  des  gens  d'armes  dans  les  prisons  de  Paris,  où  les 
attendait  une  affreuse  misère  :  quel  devait  être  le  sort  des  pri- 
sonniers dans  une  ville  où  le  peuple  mourait  de  faim?  Parmi  les 
victimes  exécutées  par  ordre  de  Henri  V  se  trouvaient  plusieurs 
Écossais  et  deux  moines;  l'un  des  deux  était  sans  doute  le  redou- 
table arbalétrier  qui  avait  i)orlé  si  grand  dommage  aux  assiégeants 
(18  novembre). 


72  GUERRES  DES  ANGLAIS.  [1430] 

Henri  était  aussi  rigoureux  pour  les  siens  que  pour  les  enne- 
mis :  il  fît  trancher  la  l(>te  à  un  chevalier  de  son  hôtel  qu'il  aimait 
fort,  pour  avoir  laissé  échapper  un  gentilhomme  de  la  garnison, 
soupçonné  d'avoir  trempé  dans  le  meurtre  du  duc  Jean  :  le  duc 
Philippe  lui-même  eut  beau  demander  la  grâce  du  coupable.  Bar- 
basan,  qui  avait  été  témoin  de  l'assassinat  de  Jean -sans-Peur,  ftat 
quelque  temps  entre  la  vie  et  la  mort  :  il  dut  la  vie  peut-être  moins 
encore  à  ses  énergiques  dénégations  de  toute  complicité,  appuyées 
par  son  renom  de  loyauté,  qu'à  l'honneur  qu'il  avait  eu  de  se 
mesurer  en  combat  singulier  dans  la  mine  de  Melun  avec  Henri V: 
le  roi  anglais  ne  voulut  point  livrer  à  la  vengeance  du  duc  I%i- 
lippe  l'homme  avec  qui  il  avait  croisé  le  fer;  c'eût  été  violer  les 
lois  de  la  chevalerie.  On  se  contenta  de  retenir  Barbasan  captifs 

Avant  la  reddition  de  Melun,  Henri  V,  du  consentement  du  doc 
de  Bourgogne  et  des  Parisiens,  avait  nommé  son  frère  Clarence 
capitaine  de  Paris  et  placé  des  garnisons  anglaises  à  la  Bastille, 
au  Louvre,  à  l'hôtel  de  Nesle  et  au  château  de  Vincennes  :  le  comte 
de  Saînt-Pol,  ancien  capitaine  de  Paris,  fut  envoyé,  au  nom  du 
roi  de  France,  pour  faire  jurer  le  traité  de  Troies  aux  Trois  États 
et  aux  bonnes  villes  des  bailliages  d'Amiens,  Tournai,  Lille,  Douai, 
Boulogne,  Arras,  Sainl-Omer  et  de  «  la  comté  »  de  Ponthieu. 
Paris  et  les  cités  de  Champagne  avaient  déjà  prêté  le  serment; 
mais  la  plupart  ne  le  prêtèrent  que  des  lèvres  :  les  vives  et  cha- 
leureuses populations  de  la  Picardie  subissaient  avec  amertume 
cette  déplorable  nécessité;  les  villes  du  duché  de  Bourgogne  se 
montraient  plus  indociles  que  toutes  les  autres,  et  ne  voulaient 
point  du  tout  jurer. 

Le  1"  décembre,  les  rois  de  France  et  d'Angleterre,  le  duc  de 
Bourgogne  et  les  princes  anglais  entrèrent  ensemble  dans  Paris 
en  grande  pompe  :  tous  les  bourgeois  qui  «  avoient  puissance  » 
(qui  en  avaient  les  moyens)  s'étaient  «  vêtus  de  rouge  couleur 

1.  V,  le  récit  du  siège  dans  Juvénal  des  Ursins,  coUect.  Micbaad,  t.  II,  p.  558  et 
suivantes.  —  Pierre  deFenin,  ibid.  p.  605.  —  Monstrelet,  c.  237-240. —  Lefèfre 
de  Saint-Remi,  c.  104.  —  Georges  Chasiellain,  Chroniq,  du  duc  Philippe^  c.  52. 
—  Juvénal  prétend  que  Henri  V  ne  garda  la  garnison  prisonnière  que  par  une 
interprétation  déloyale  de  la  capitulation,  et  que  Barbasan  et  ses  camarades  afaient 
compté  sortir  libres  de  la  ville.  —  Les  Bourguignons  aidèrent  beaucoup  des  asiiégés 
à  s'évader,  soit  par  compassion,  soit  k  prix  d'argent. 


ti420)  LES  ÉTATS  ET  LE  TRAITÉ  DE  TROIES.  73 

pour  honorer  lesdits  rois  »;  toutes  les  rues,  depuis  la  seconde 
porte  Saint-Denis  jusqu'à  Notre-Dame,  furent  «  noblement  en- 
cou  rtinées  >9  et  «  furent  faits,  dans  la  rue  de  la  Calandre,  devant 
le  Palais,  des  échafauds  de  cent  pas  de  long,  sur  lesquels  on  re- 
présenta un  moult  piteux  mystère  de  la  Passion  de  Noire-Seigneur 
au  vif,  selon  qu'elle  est  figurée  autour  du  chœur  de  Notre-Dame 
de  Paris;  et,  en  toutes  les  rues,  rencontroient  les  princes  proces- 
sions de  prêtres  revêtus  de  chapes  et  de  surplis,  portant  saintuaires 
(reliquaires)  et  chantant  Te  Deum  laudamns,  ou  Benedictus  qui 
venit!  »  (Journal  du  Bourgeois  de  Paris.)  Ce  peuple,  démoralisé 
par  l'excès  de  la  misère,  accueillit  le  roi  étranger  avec  des  cris 
d'espérance. 

Le  6  décembre,  les  Trois  États  de  France  furent  assemblés  à 
Paris  à  l'hôtel  Saint-Pol,  pour  reconnaître  le  traité  de  Troies  : 
ces  prétendus  États-Généraux,  composés  seulement  des  députés 
des  villes  et  pays  qui  n'osèrent  se  dispenser  de  s'y  faire  représen- 
ter, ratifièrent  le  traité  sans  objection,  et  octroyèrent  au  «  régent 
du  royaume  »  un  emprunt  forcé,  pour  «  guerroyer  les  Arml- 
gnacs  ».  Les  gens  d'église  n'en  furent  pas  exempts,  et  le  roi  d'An- 
gleterre rabroua  fort  l'université  qui  réclamait  ses  privilèges.  Il 
fallut  se  taire,  «  car  autrement  on  eût  logé  en  prison  »  (Ju vénal). 

Le  23  du  même  mois,  le  duc  Philippe  de  Bourgogne  vint  en 
grand  deuil  à  l'hôtel  Saint-Pol  demander  à  Charles  VI,  tant  en 
son  nom  qu'au  nom  de  sa  mère  et  de  ses  trois  sœurs,  justice  so- 
lennelle du  «  très  damnable  meurtre  »  commis  sur  la  personne 
du  feu  duc  son  père.  Nicolas  Rolin,  avocat  du  duc  de  Bourgogne, 
requit  que  Charles,  «  soi-disant  dauphin  de  Vienne  »  et  ses 
complices  «  fussent  menés  en  tombereaux  par  tous  les  carrefours 
de  Paris,  nu-tête,  un  cierge  ardent  en  la  main,  en  disant  à  haute 
voix  qu'ils  avoient  occis  mauvaisement  le  duc  de  Bourgogne,  sans 
causes  raisonnables,  et,  ce  fait,  fussent  menés  où  ils  perpétrèrent 
ledit  homicide,  à  Montereau  où  Faut-Yonne,  et  y  répétassent  les 

mêmes  paroles Qu'en  outre,  au  lieu  où  ils  l'occirent,  fût  faite 

et  fondée  une  église  avec  chapitre  de  chanoines,  et  semblablement 
à  Paris,  Rome,  Gand,  Dijon,  Saint-Jacques-de-Compostelle  et  Jé- 
rusalem ».  L'avocat  du  roi  prit  des  conclusions  conformes  à  la 
requête  :  un  docteur  en  théologie,  délégué  par  le  recteur  de  l'uni- 


7i  GUERRES  DES  ANGLAIS.  rU2l] 

versité,  exhorta  pareillement  les  deux  rois  à  punir  les  coupables, 
et  Charles  VI,  par  l'organe  de  son  chancelier,  Jean  Leclerc,  pro- 
mit de  faire  droit  à  la  requête  de  Philippe,  «  par  la  grâce  de  Dieu 
et  la  bonne  aide  et  avis  de  son  frère  Henri,  roi  d'Angleterre  et 
régent  de  France  <  ».  Le  3  janvier  suivant,  Charles,  «  soi-disant 
dauphin  de  Viennois  »,  et  ses  complices  furent  cités  à  la  table  de 
marbre  et  ajournés  à  comparaître,  sous  trois  jours,  devant  la 
cour  de  parlement  pour  se  purger  de  l'homicide  à  eux  imputé. 
Les  coupables  de  la  mort  du  duc  Jean,  n'ayant  pas  compara, 
furent  déclarés  avoir  forfait  corps  et  biens ,  et  être  inhabiles  à 
toutes  successions  et  à  toutes  dignités,  honneurs  et  prérogatives. 
L'arrêt  les  avait  condamnés  en  masse  et  sans  les  nommer  en  par- 
ticulier. Il  semble  que  le  parlement  ait  hésité  à  proscrire  nomi- 
nativement le  légitime  héritier  du  trône.  (Rymer,  t.  X,  p.  33.)  Le 
dauphin  appela  de  ce  jugement  «  à  la  pointe  de  son  épée  ». 

Le  peuple  de  Paris,  qui  avait  attendu  grand  soulagement  de  la 
venue  des  deux  rois,  fut  cruellement  trompé  dans  ses  espérances: 
la  présence  de  tant  de  gentilshommes  et  de  soldats  ne  lit  que  ren- 
chérir encore  le  prix  déjà  exorbitant  des  denrées  ;  tout  concourut 
h  rendre  l'hiver  effroyable  :  disette,  épidémie,  froids  rigoureux 
qui  se  prolongèrent  jusqu'à  Pâques.  «  On  ne  voyoit  sur  le  fumier, 
parmi  les  rues,  que  petits  enfants  par  vingt  et  trente,  criant  :  Je 
meurs  de  faim!  et  n'étoit  si  dur  cœur  qui  n'en  eût  pitié;  mais  les 
pauvres  ménagers  ne  leur  pouvoient  aider,  car  on  n'avoit  ni  pain, 
ni  blé,  ni  bûches,  ni  charbon,  et,  pour  conforter  les  menues  gens, 
voilà  que  furent  remis  sus  les  enfants  de  l'ennemi  d'enfer,  c'est  à 
savoir  impositions,  gabelles,  quatrièmes  et  maltôtes  »  (Bom-geois 
de  Paris).  Le  pauvre  peuple  retomba  dans  son  atonie;  la  tris- 
tesse n'était  pas  moins  profonde  dans  les  classes  qui,  moins  écra- 
sées par  la  misère  matérielle,  gardaient  quelque  place  pour  les 
souffrances  morales.  On  voyait  avec  honte  et  douleur  le  roi  de 
France  «  petitement  et  pauvrement  servi  »  à  l'hôtel  Saint-Pol,  où, 
le  jour  de  Noël,  «  il  fut  peu  suivi  et  peu  accompagné,  sinon  d'au- 
cuns vieux  serviteurs  et  de  gens  de  petit  état  »,  pendant  qu'au 
Louvre,  le  roi  Henri,  avec  ses  princes  anglais,  étalait  «  si  grande 

1.  Monstrelet,  1.  I,  c.  241. 


C142!]  LE  DAUPHIN  PROSCRIT.  75 

pompe  et  boban  (faste),  que  si  présentement  il  dût  être  roi  de  tout 
le  monde;  laquelle  chose  moult  devoit  déplaire  à  tous  les  cœurs 
des  vrais  François  »  (Monstrelet,  c.  243).  Henri  V,  se  croyant  sûr 
de  sa  conquête,  traitait  le  roi  et  la  nation  avec  aussi  peu  d*égards 
Yuu  que  l'autre  :  il  dépossédait  la  plupart  des  officiers  établis  par 
le  duc  Philippe  ou  par  son  père,  pour  les  remplacer  par  des  An- 
glais ou  par  des  Français  qui  se  faisaient  les  créatures  de  Tétran- 
ger;  il  ne  daignait  plus  contraindre  son  naturel  dur  et  superbe  : 
ses  paroles,  dit  Georges  Gbastellain,  «  tranchoient  comme  ra- 
soirs *  ».  Hal  de  tous  les  Français  de  distinction  qui  l'approchaient, 
il  inspirait  cependant  au  peuple  un  certain  respect  par  sa  farouche 
équité  et  par  l'esprit  d'ordre  qu'on  n'avait  vu  en  France  depuis  si 
longtemps  chez  aucun  prince. 

Henri  V  quitta  Paris  dès  le  27  décembre  1420  pour  conduire 
sa  femme  en  Angleterre,  où  il  alla  faire  couronner  la  jeune  reine 
à  Londres,  et  porter  le  traité  de  Troies  à  l'approbation  du  parle- 
ment. «  H  fut  reçu  des  Anglois  comme  l'ange  de  Dieu  :  »  l'orgueil 
national  débordait  en  transports  d'allégresse  ;  la  conquête  défini- 
tive du  royaume  de  France  ne  paraissait  plus  douteuse  à  per- 
sonne, et  les  princes  captifs  depuis  Azincourt,  les  ducs  d'Orléans 
et  de  Bourbon,  les  comtes  d'Angoulême  et  de  Richemont,  recon- 
nurent le  traité  de  Troies  comme  base  préalable  des  négociations 
par  lesquelles  ils  tâchaient  d'obtenir  leur  liberté.  La  marche  de 
Henri  V  à  travers  les  villes  anglaises  fut  un  triomphe  continuel  : 
il  chevaucha  de  cité  en  cité  avec  un  pompeux  cortège,  leur  «  expo- 


1.  Tout  le  monde  ne  souffrait  pas  ses  hauteurs  sans  mot  dire.  Durant  le  siège 
de  Melun ,  le  maréchal  de  TIsle-Adam  s'étaut  présenté  à  lui  vêtu  d'une  cotte  de 
gros  drap  gris,  il  le  gaba  (le  railla)  de  ce  costume  peu  séant  à  un  maréchal  de 
France.  I/lsle-Adam  répondit  sur  le  même  ton  en  le  regardant  en  face.  «  Et  adonc 
lui  dit  le  roi  :  —  Comment  osez-vous  regarder  ainsi  un  prince  au  visage  quand 
vous  parlez  à  lui?  —  Et  le  sire  de  l'Isle-Adam  répondit  :  —  Sire,  la  coutume  des 
François  est  telle  que,  si  un  homme  parle  à  un  autre,  de  quelque  état  ou  autorité 
qu'il  soit,  la  vue  baissée,  on  dit  que  c'est  un  mauvais  homme  et  qu'il  n'est  pas 
prud'homme,  puisqu'il  n'ose  regarder  celui  à  qui  il  parle  en  la  chère  (au  visage). 
—  Et  le  roi  dit  :  —  Ce  n'est  pas  notre  guise  (notre  usage).  »  (Moustrelet,  c.  240; 
G.  Chastellain,  c.  56.)  Henri  ne  pardonna  pas  celte  fierté  k  l'Isle-Adam,  dont 
il  soupçonnait  d'ailleurs  la  fidélité  :  il  lui  6ta  son  office  de  maréchal,  puis  il  le  fit 
mettre  à  la  Bastille  ;  il  l'eût  fait  mourir  s'il  n*eût  craint  le  ressentiment  du  duc  de 
Bourgogne.  L'arrestation  de  risle-Adain,  le  libérateur  de  Paris  en  I4l8,  fit  éclater 
une  émeute  que  les  Anglais  réprimèrent  avec  violence. 


76  GUERRES  DES  ANGLAIS.  [i4'>t) 

sant  toutes  ses  grandes  et  bonnes  avenues  (aventures),  et  disant 
comment,  pour  finir  ses  besognes,  deux  choses  lui  étoient  moult 
nécessaires,  savoir  :  finances  et  gens  d'armes  »  (Monstrelet). 

De  fâcheuses  nouvelles  troublèrent  sur  ces  entrefaites  la  joie 
de  l'Angleterre  :  le  parti  dauphinois  se  relevait  d'une  façon  ino- 
pinée. Il  avait  su  se  ménager  Talliance  de  la  Castille,  dont  la 
marine  pouvait  lui  rendre  de  grands  services,  et,  dès  1419,  les 
Anglais  avaient  perdu  une  bataille  navale  contre  les  Castillans, 
commandés  par  Robert  de  Braquemont,  seigneur  normand  qui 
était  devenu  amiral  de  Castille,  et  qui  avait  également  reçu 
d'Armagnac,  en  1417,  le  titre  d'amiral  de  France  *.  Les  Castillans 
confinuaient  à  soutenir  activement  le  dauphin;  leur  flotte  était 
allée  chercher  en  Ecosse  quatre  ou  cinq  mille  excellents  soldats 
qu'elle  débarqua  sur  les  côtes  de  Poitou  :  les  Écossais,  conduits 
par  le  comte  de  Buchan,  joignirent  à  Anjou  *  un  corps  de  Dau- 
phinois aux  ordres  du  sire  de  La  Fayette,  un  des  maréchaux  de 
France  créés  par  le  dauphin,  et  du  vicomte  de  Narbonne.  Le  duc 
de  Clarence,  à  qui  Henri  V  avait  confié  le  gouvernement  de 
France  et  de  Normandie  en  son  absence,  marcha  contre  cetfe 
petite  armée  avec  six  ou  sept  mille  hommes  d'armes  et  archers, 
tous  Anglais,  et  atteignit  les  Dauphinois  près  de  Baugé,  te  samedi 
saint  23  mars  1421.  L'habitude  du  succès  fit  oublier  aux  Anglais 


1.  Ce  fut  à  Robert  de  Braquemont  que  le  roi  de  Castille  Henri  in,  sniraot 
l'historien  Zurita,  donna,  en  1401,  l'autorisation  d'entreprendre  la  conquête  des 
Canaries,  les  Iles  Fortunées  des  anciens,  avec  lesquelles  l'Europe  était  restée  sans 
communication  depuis  bien  des  siècles,  et  qui  avaient  été  reconnues,  dans  le  coih 
rant  du  quatorzième,  par  des  aventuriers  espagnols  et  basques.  Braquemont  céda 
la  direction  de  cette  entreprise  à  son  cousin  Jean  de  Béthencourt,  gentilhomme  do 
comté  d'Eu,  qui  l'exécuta  avec  succès,  prit  le  titre  de  roi  des  Canaries  et  fit  hom- 
mage de  son  royaume  insulaire  k  la  couronne  de  Castille.  Le  royaume  des  Canaries 
ne  fut  absorbé  dans  la  monarchie  espagnole  qu'au  bout  de  plusieurs  générations. 
C'était  probablement  parmi  les  hardis  marins  de  Dieppe  que  Béthencourt  afait 
recruté  ta  plupart  de  ses  compagnons.  La  conquête  des  Canaries  fut  comme  la  pre- 
mière reconnaissance  tentée  par  l'Europe  vers  le  Cap  et  la  route  de  l'Inde. — v.  Jean 
de  Verrier,  Hist,  de  la  Première  découverte  des  Canaries,  —  Zurita,  Comment,  sur 
V  hiver  aire  d'Antonin, 

2.  L'Anjou  et  le  Maine  étaient  en  quelque  sorte  un  terrain  neutre  :  le  duc  d'Anjoii« 
Louis  III,  était  parti  pour  l'Italie  après  avoir  renouvelé  sa  trêve  particulière  atee 
Henri  V,  et  guerroyait  contre  la  reine  Jeanne  de  Naples,  héritière  de  la  maison  dt 
Durazzo,  avec  l'aide  des  Génois,  des  Florentins  et  du  fameux  condottiere  Sforza, 
connétable  de  Sicile. 


[1421]  BATAILLE  DE  BAUGÉ.  77 

la  prudence  à  laquelle  ils  avalent  dû  leurs  victoires  :  Clarence 
courut  impétueusement  à  l'ennemi  avec  sa  gendarmerie,  laissant 
loin  derrière  lui  ses  archers,  fort  empêchés  c  au  mauvais  pas 
d'une  rivière  ».  Les  gendarmes  franco-écossais  reçurent  le  choc 
à  pied,  entremêlés  d'archers,  dans  un  poste  avantageux  :  ils  per- 
dirent un  millier  d'hommes,  mais  ils  détruisirent  entièrement  la 
gendarmerie  anglaise,  forte  de  deux  à  trois  mille  lances;  le  duc 
de  Clarence  et  le  maréchal  d'Angleterre  restèrent  sur  la  place  ; 
beaucoup  d'autres  furent  pris.  Le  gros  des  archers  parvint  à 
échapper  aux  vainqueurs  et  à  regagner  la  Normandie  en  faisant 
un  grand  détour  ^ 

C'était  le  premier  grand  revers  qu'eussent  essuyé  les  Anglais 
depuis  le  commencement  de  la  guerre  :  Henri  V  en  comprit  la 
portée,  et  se  prépara  avec  son  activité  ordinaire  à  en  arrêter  les 
conséquences.  Il  réunit  sur-le-champ  le  parlement  d'Angleterre 
à  Londres  et  les  Trois  Etats  de  Normandie  à  Rouen,  obtint  un 
décime  du  clergé  anglais,  deux  décimes  du  clergé  normand  qui 
n'avait  rien  à  refuser  au  conquérant,  et  400,000  livres  des  États 
de  Normandie;  le  parlemeni  anglais,  après  avoir  ratifié  le  traité 
de  Troies,  accorda  au  roi  la  faculté  de  requérir  des  emprunts  de 
tous  les  gens  riches;  enfin  Henri  V  releva  brusquement  les  mon- 
naies de  France  à  l'ancien  taux  d'où  elles  étaient  descendues  depuis 
plusieurs  années  par  des  affaiblissements  successifs  ;  il  se  procura 
ainsi  de  fortes  rentrées  d'argent  en  bouleversant  toutes  les  trans- 
actions particulières  et  en  accroissant  des  misères  qui  ne  sem- 
blaient plus  pouvoir  croître^.  Il  traversa  le  Pas  de  Calais  le  1 1  juin, 
à  la  tête  de  quatre  mille  lances  et  de  vingt-quatre  mille  archers  : 
l'élite  de  la  population  anglaise  était  accourue  s'enrôler  sous  les 
bannières  de  son  héros  3. 

Il  était  temps  que  le  vainqueur  d'Azincourt  reparût  sur  le  con- 


1.  Monstrelet,  c.  249.  —  Juvénal,  p.  564.  —  6.  Chasteliain,  c.  67. 

2.  Rymer,  t.  X,  p.  101-110.  —  Ordonn.  des  roh  de  France,  t.  XI,  p.  115-136. 
—  Par  compensation,  il  défendit  sévèrement  h  ses  capitaines  les  prises,  les  exac- 
tions, les  levées  de  péages  arbitraires  dans  les  pays  soumis.  Rymer,  t.X,  p.  106-1 12. 

3.  11  traînait  avec  lui  le  roi  d'Ecosse,  Jacques  r%  qu'il  retenait  prisonnier  depuis 
qu'une  tempête  l'avait  jeté  sur  les  côtes  d'Angleterre.  11  lui  promettait  la  liberté  ii 
condition  qu'il  l'accompapnât  en  France  et  rappelât  les  Écossais  qui  scrvaieui  le 
dauphin.  Ceux-ci  refusèrent  d'obéir. 


78  GUERRES  DES  ANGLAIS.  [Ult] 

linent  :  une  partie  de  la  noblesse  picarde  venait  d'arborer  l'éten- 
dard du  dauphin,  et,  maîtresse  des  petits  ports  de  Fembouchure 
de  la  Somme,  guerroyait  par  terre  et  par  mer  contre  les  Anglais 
et  les  Bourguignons  ;  la  journée  de  Baugé  avait  exalté  au  plus 
haut  degré  les  espérances  des  Dauphinois  et  leur  avait  ramené 
bien  des  esprits  incertains;  ils  reprenaient  partout  l'offensive. 
L'Écossais  Buchan,  récompensé  de  ses  exploits  par  l'épée  de  con- 
nétable, était  avec  le  dauphin  à  la  tête  d'une  belle  armée  de 
six  ou  sept  mille  lances  et  de  dix  mille  archers  et  arbalétriers, 
qui  envahissait  en  ce  moment  la  Beauce  et  menaçait  Chartres. 
Henri  V,  sans  s'arrêter  contre  les  «  rebelles  >  picards,  marcha 
droit  à  Paris  et  de  là  à  Mantes,  où  il  avait  donné  rendez-vous 
au  duc  de  Bourgogne.  Le  dauphin  et  ses  capitaines  n'osèrent 
affronter  les  forces  supérieures  du  roi  ennemi,  qui  conduisait 
contre  eux  plus  de  trente  mille  Anglais,  sans  les  Français  et  les 
Bourguignons.  Ils  levèrent  le  siège  de  Chartres  et  se  retirèrent 
en  Touraine. 

Henri  V  s'empara  de  Dreux,  d'Épemon,  de  quelques  autres 
places  dans  le  Perche  et  la  Beauce,  et  s'avança  jusqu'aux  portes 
d'Orléans;  il  ne  se  crut  pas  toutefois  en  mesure  de  poursuivre  le 
dauphin  dans  Tours  ou  dans  Bourges  :  le  pays  était  affreusement 
ravagé  et  la  mauvaise  nourriture  avait  causé  une  épidémie  dans 
rarniée  anglaise.  Henri  V  se  contenta  d'établir  ses  avant-postes 
sur  la  Loire  en  occupant  Beaugenci;  il  retourna  ensuite  à  Paris 
faire  les  préparatifs  du  siège  de  Meaux,  à  l'instante  prière  des 
Parisiens.  La  garnison  dauphinoise  de  Meaux  était  le  fléau  de  la 
Biie  et  de  rile-dc-Francc,  et  les  Parisiens  avaient  pour  elle  une 
exécration  trop  motivée  par  les  atrocités  qu'elle  commettait  chaque 
jour  dans  les  campagnes.  L'horreur  qu'inspiraient  les  cruautés 
des  gens  dé  Meaux  était  plus  utile  aux  Anglais  que  bien  des  vic- 
toires. Un  des  capitaines  surtout,  le  bâtard  de  Vauru,  n'avait  rien 
d'humain  que  la  ligure  :  ce  misérable,  ancien  serviteur  du  comte 
d'Armagnac ,  prétendait  venger  son  maître  en  torturant  et  en 
égorgeant  les  marchands  et  les  laboureurs  qu'il  enlevait  sur  les 
chemins  et  dans  les  villages  ;  quand  ces  malheureux  ne  pouvaient 
payer  des  rançons  exorbitantes,  il  les  pendait  de  sa  propre  main 
à  un  grand  orme  voisin  des  fossés  de  Meaux ,  et  qu'il  appelait 


[1421]  CRUAUTÉS  DES  GENS  DE  GUERRE.  79 

lui-même  «  l'arbre  de  Vamii  »  :  on  y  voyait  toujours  «  brandiller  » 
quatre-vingts  ou  cent  cadavres  * . 

Il  est  impossible  de  peindre  l'excès  de  désespoir  auquel  la  sol- 
datesque réduisait  les  habitants  des  campagnes  :  les  Anglais  ache- 
vaient ce  qu'avaient  commencé  les  Armignacs.  «  Les  laboureurs, 
cessant  de  labourer,  alloient  comme  désespérés  et  laissoient  fem- 
mes et  enfants,  en  disant  l'un  à  l'autre  :  —  Mettons  tout  en  la  main 
du  diable  ;  ne  nous  chault  (peu  nous  importe)  que  nous  devenions. . . 
Mieux  nous  vaudroit  servir  les  Sarrasins  que  les  chrétiens.,  fai- 
sons du  pis  que  nous  pourrons;  aussi  bien  ne  nous  peut-on  que 
tuer  ou  que  pendre...  par  le  faux  gouvernement  des  traîtres  gou- 
verneurs, nous  faut  renier  femmes  et  enfants,  et  fuir  aux  bois 
comme  bêles  égarées,  non  pas  depuis  un  an  ou  deux,  mais  il  y  ajà 
quatorze  ou  quinze  ans  que  cette  danse  douloureuse  commença....» 
A  Paris  même  bien  des  gens  renonçaient  à  leurs  héritages  pour 
ne  pouvoir  payer  les  impôts,  et  «  s'en  alloient  les  uns  à  Rouen,  les 
autres  à  Sentis;  les  autres  devenoient  brigands  des  bois  ou  Armi- 
naz  i>  (Armagnacs)  (Journal  du  Bourgeois  de  Paris).  Le  premier 
président  PhiUppe  de  Morvilliers,  l'âme  damnée  du  roi  d'Angle- 
terre, ne  contenait  Paris  que  par  la  terreur. 

Tandis  que  Henri  V  s'apprêtait  à  l'attaque  de  Meaux ,  le  duc 
de  Bourgogne  était  parti  pour  le  Ponthieu  afin  d'étouffer  l'insur- 
rection dirigée  par  un  seigneur  de  la  maison  d'Harcourt;  Abbe- 
vil le  hésitait;  Amiens  et  les  principales  communes  de  Picardie 
obéirent  à  l'appel  du  duc  Philippe  qui  assaillit  Saint-Riquier.  La 
Hire,  Pothon  de  Saintrailles  et  d'autres  aventuriers  qui  com- 
mençaientà  devenir  célèbres  parleurs  audacieux  coups  de  main, 
et  dont  la  ruse,  l'intrépide  valeur  et  la  rapacité  rappelaient  les 
capitaines  bretons  de  Charles  V,  rassemblèrent  les  bandes  dau- 
phinoises disséminées  dans  la  Picardie  orientale,  l'Ile-de-France 
et  la  Champagne,  et  tentèrent  de  «  recourre  »  Saint-Riquier; 
Philippe  de  Bourgogne  se  porta  rapidement  au-devant  de  ce  «  se- 
cours »,  l'attaqua  et  le  défit  près  de  Mons  en  Vimeux  (31  août). 
Saintrailles  et  les  autres  principaux  «  chevetaines  »  furent  pris; 

t.  V.  dans  le  Journal  du  Bourgeois  de  Paris,  Peflfroyable  histoire  de  la  jeune 
femme  enceinte  quMl  fil  lier  un  soir  au  tronc  de  son  arbre,  et  qui  y  fut  mangée 
des  loups,  elle  et  son  enfant. 


80  GUERRES  DES  ANGLAIS.  C142M42q 

Saint-Riquier  et  plusieurs  forteresses  se  rendirent;  Jacques d'Har- 
court  se  maintint  seulement  dans  le  Crotoi  et  dans  Saint-YaleiL 
Cétait  un  brillant  début  pour  le  duc  Pbilippe  qui  portail  les  annei 
pour  la  première  fois. 

Le  siège  de  Meaux  fut  entamé  quelques  semaines  après  ce 
combat.  Le  6  octobre,  Henri  V  avec  vingt  mille  combattants 
occupa  les  deux  rives  de  la  Marne,  et  cerna  de  toutes  parts  la  Tille 
et  la  fameuse  forteresse  de  Meaux  dite  le  Marché.  Le  siège  de 
Meaux  fut  encore  bien  plus  long  et  plus  meurtrier  que  n'avait  èé 
celui  de  Melun  :  il  dura  tout  Tautomne  et  tout  l'hiver;  la  garni- 
son, forte  de  plus  d'un  millier  de  gens  d'armes»  se  défendit  avec 
une  fureur  et  une  opiniâtreté  extraordinaires  :  ses  chefs  savaiart 
quelles  implacables  haines  ils  avaient  encourues,  et  s'attendaient 
au  plus  rigoureux  traitement  s'ils  étaient  réduits  à  se  rendre. 
Ils  ne  lassèrent  pas  la  constance  du  roi  anglais  :  en  vain  le  fer  des 
assiégés,  les  maladies,  la  rigueur  de  la  saison  mirent-ils  hors  de 
combat  la  moitié  de  l'armée  anglaise  ;  Henri  V  ne  leva  pas  le 
siège,  et  le  dauphin  ne  parut  pas  pour  délivrer  ses  gens  comme 
il  le  leur  avait  promis;  après  quelques  vaines  démonstrations fl 
s'en  était  allé  au  fond  du  Languedoc  et  avait  abandonné  complé* 
temenl  les  défenseurs  de  Meaux.  Ceux-ci  redoublaient  de  rage  à 
mesure  que  diminuaient  leurs  ressources  et  leurs  espérances  : 
ils  semblaient  prendre  plaisir  à  s'ôter  toute  chance  de  transac- 
tion. Un  jour  ils  promenèrent  sur  les  remparts  un  âne  couronné 
qu'ils  battaient  pour  le  faire  braire,  en  criant  aux  Anglais  qœ 
a  c'èloit  leur  roi  et  qu'ils  le  vinssent  recourre  ». 

Au  commencement  de  mars  1422,  la  garnison  évacua  la  ville  d 
se  concentra  dans  le  Marché  :  elle  y  tint  plus  de  deux  mois  encore, 
quoique  Herni  V  se  lût  saisi  d'une  île  de  la  Marne  entre  le  Mardié 
et  la  ville,  et  y  eût  établi  des  batteries  qui  foudroyaient  incessam- 
inciit  le  Marché.  Ces  hommes,  pour  la  plupart  souillés  de  tous  kl 
crimes,  montrèrent  un  héroïsme  qu'on  ne  peut  s'empêcher  d'ad- 
mirer ;  enlin ,  après  avoir  repoussé  un  dernier  assaut  de  sept  on 
huit  heures,  sans  pain,  sans  munitions,  presque  sans  armes,  ilsie 
résignèrent  à  demander  une  capitulation,  et,  le  1 1  mai,  le  Marché 
de  Meaux  fut  remis  «  es  mains  des  rois  de  France  et  d'Angleterre  >• 
Les  conditions  étaient  dures  :  Louis  de  Gast,  bailli  de  Meaux,  k 


[1422]  PRISE  DE  MEAUX.  81 

b&tard  de  Vauru  et  plusieurs  autres  chefs,  avec  les  Écossais,  Irlan- 
dais et  Gallois  faisant  partie  de  la  garnison,  furent  livrés  sans  ré- 
sen'c  «  à  la  volonté  du  roi  Henri  »  :  le  reste  des  gens  d'armes  et 
des  habitants  du  Marché  furent  livrés*  à  ladite  volonté,  sauve  leur 
vie  ».  Henri  confisqua  les  biens  des  bourgeois  et  envoya  les  sol- 
dats dans  les  prisons  de  Paris,  où  beaucoup  d'entre  eux  mouru- 
rent de  faim^  Ceux  des  capitaines,  dont  la  vie  était  garantie, 
furent  rançonnés  «  à  excessives  finances  »;  mais  on  décapita  le 
bailli  de  Mcaux  et  le  bâtard  de  Vauru,  ainsi  qu'un  avocat  et  Irois 
ou  quatre  gentilshommes.  On  planta  la  tôtc  sanglante  de  Vauru 
au  bout  de  la  lance  qui  portait  son  étendard,  et  l'on  accrocha  son 
corps  à  l'orme  où  pendaient  encore  les  squelettes  de  ses  victimes. 
Les  soudoyers  d'Ecosse,  d'Irlande  et  de  Galles  furent  aussi  mis 
à  mort. 

La  chute  de  Meaux  abattit  presque  entièrement  le  parti  dauphi- 
nois dans  le  nord  de  la  France  :  le  sire  de  Gamaches,  gouverneur 
de  Compiègne,  rendit  la  ville  pour  sauver  la  tête  de  son  frère, 
l'abbé  de  Saint-Faron,  qui  avait  pris  la  part  la  plus  active  à  la  dé- 
fense de  Meaux.  Pierrefonds,  Crespi  en  Valois,  Saint- Valeri-sur- 
Somme  et  presque  toutes  les  forteresses  dauphinoises  du  Valois, 
de  la  Champagne  et  de  la  Picardie  se  soumirent  ou  furent  éva- 
cuées. «  La  croix  droite  blanche  de  France  »  n'était  plus  guère 
portée  dans  le  Nord  que  par  des  aventuriers  isolés,  vrais  chefs  de 
*  compagnies  »  pour  lesquels  la  guerre  n'était  que  le  prétexte  du 
pillage.  Ce  résultat  avait  coûté  cher  aux  Anglais;  mais  il  était 
grand  :  Henri  V  pouvait  désormais  transporter  le  théâtre  des  hosti- 
lités sur  la  Loire  et  poursuivre  le  dauphin  dans  ses  derniers  asiles, 
sans  laisser  derrière  lui  d'ennemis  capables  de  l'inquiéter. 

Il  accorda  quelque  repos  à  ses  troupes  harassées  et  diminuées 
de  moitié,  et  alla  célébrer  à  Paris  les  fêtes  de  la  Pentecôte  avec  la 
reine  sa  femme,  qui  revenait  d'Angleterre  après  lui  avoir  donné 
un  lils  :  la  naissance  de  cet  enfant,  qui  fut  le  roi  Henri  VI,  sem- 
blait consacrer  le  traité  de  Troies  et  fonder  la  dynastie  anglo- 


1.  «  On  les  laissoit  mourir  de  faim  è»  prisons  où  ils  étoicnt;  et,  Tun  mort,  les 
autres  arrachoienl  avec  les  dents  la  chair  de  leur  compagnon  mort.  »  Juvénal.  — 
V,  le  siège  dans  Georges  Cljusielluiu,  —  Monstrelct,  —  Juvénal,  —  F.e  Bourgeois 
de  Paris. 


82  GLËKKES  DES  ANGLAIS.  [1422] 

françaisr.  Le  goiivci'nenicnt  étranger  se  consolidait  sans  devenir 
plus  populaire  :  les  anciens  de  Paris,  qui  avaient  vu  dans  son 
éclat  la  royale  cour  de  France,  connparaient  Iristenicnt  rafTabilité 
des  princes  français  avec  la  morgue  du  roi  d'outre-nier.  Une  nour 
velle  taille  accrut  encore  la  désolation  des  Parisiens;  néanmoins 
un  arniurier  et  un  boulanger,  ayant  comploté  d*introduire  dans 
Paris  les  bandes  d'Armagnacs  qui  venaient  d'évacuer  Compiègne 
et  les  places  \oisines,  furent  découverts  et  punis  «ins  que  le 
peuple  s'émût  en  leur  faveur  :  la  masse  des  Parisiens  consenait 
encore  plus  de  haine  pour  les  ArmUjnncs  que  pour  les  Anglais 
(Georges  Chastellain;  Bourgeois  de  Paris). 

Les  Dauphinois  cependant  remportèrent  quelques  avantages 
dans  les  provinces  du  centre  :  ils  avaient  repoussé  une  irruption 
des  Bourguignons  en  Auvergne  et  entamé  le  Nivernais;  Tarniée 
du  dauphin,  forte  d'environ  vingt  mille  hommes  et  commandée 
par  le  connétable  Buchan  et  le  vicomte  de  Narbonne,  prit  la  Cha- 
rité-sur-Loire et  assiégea  Gosne  à  la  lin  de  juillet  :  la  garnison  de 
Cosne  capitula  en  s'engageant  à  rendre  la  ville  si  le  duc  de  Bour- 
gogne ne  la  secourait  avant  le  16  août.  Le  duc  Philippe  éUiit  alors 
dans  son  duché,  où  il  avait  fait  accepter  à  grand'peine  le  traité  de 
Troies  par  les  États  Provinciaux  ;  «  il  manda  gens  »  de  Flandre, 
d'Artois,  de  Picardie,  et  envoya  demander  au  roi  d'Angleterre 
quelque  renfort  pour  tenir  la  journée  devant  Cosne.  «  Le  roi  Henri 
fit  réponse  qu'il  iroit  en  propre  personne  avec  toute  sa  puissance: 
il  fit  partir  son  host  d'autour  de  Paris  sous  la  conduite  du  duc 
de  Bedford,  son  frère,  et  lui-même,  quoique  assez  aggravé  de  ma- 
ladie, parti!  de  Senlis  i)our  aller  en  Bourgogne.  Arrivé  à  Melun,  il 
se  lit  mettre  sur  une  litière  pour  aller  à  la  journée  dessus  dite; 
mais,  pour  ce  (lu'il  se  sentit  trop  alïoibli  et  qu'il  empiroit  de  jour 
en  jniir,  il  retourna  et  se  lit  mener  au  bois  de  Vincennes  où  il 
s'alita;  el  le  duc  de  Bedford,  ses  princes  et  tout  son  hoal^  de  même 
que  les  seigneurs  de  Picardie  et  d'autres  lieux,  joignirent  Sîuis  lui 
à  Vézelai  le  duc  de  Bourgogne  »  (Monstrelet). 

Ils  mai clièreiit  tous enseuïble  vers  Gosne;  les  généraux  du  dau- 
phin ne  vouluivnt  point  courir  les  chances  d'une  bataille  décisive 
et  rentrèrent  en  Berri.  L'armée  anglo-bourguignonne  se  contenta 
d'avoir  vu  reculer  devant  elle  les  Armifjnacs,  el  ne  les  poursuivit 


11422]  MORT  DE  HENRI  V.  83 

pas  dans  le  Bcrri  :  elle  n'était  point  pourvue  de  vivres ,  et  le 
pays  était  tellement  ruiné  qu'elle  n'y  eût  pas  trouvé  de  quoi 
subsister. 

Un  motif  d'une  immense  gravité  eût  d'ailleurs  empêché  les 
généraux  anglais  de  rien  entreprendre  en  ce  moment  ;  ils  étaient 
dans  l'attente  d'un  événement  dont  on  ne  pouvait  mesurer  la 
portée  :  le  duc  de  Bedford  venait  de  recevoir  la  nouvelle  que  le 
roi  son  frère  se  mourait  au  château  de  Vincennes.  Le  duc  «  che- 
Taucha  en  hâte  jusqu'audit  château,  et  là  il  trouva  le  roi  Henri 
moult  aggravé  de  sa  maladie,  c'est  à  savoir  d'un  feu  qui  lui  étoit 
venu  au  fondement^  ».  Avec  Bedford  arriva  Hugues  de  Lannoi, 
grand  maître  des  arbalétriers  de  France,  envoyé  par  le  duc  de 
Bourgogne  :  Henri  entretint  longtemps  le  sire  de  Lannoi,  et  le 
chargea  de  prier  le  duc  Philippe  qu'il  observât  religieusement  ses 
serments  et  alliances  avec  les  Anglais;  puis  il  réunit  autour  de  son 
lit  d'agonie  son  frère  de  Bedford,  son  oncle  d'Exeter,  son  cousin 
de  Warwick  et  ses  plus  «  féables  d  amis  et  conseillers.  Il  recom- 
manda au  duc  de  Bedford  son  fils  Henri,  que  Catherine  de  France 
avait  mis  au  monde  à  Windsor  le  6  décembre  précédent  ;  il  le 
conjura  de  ne  jamais  souffrir  qu'on  traitât  avec  «  Charles  de  Va- 
lois, fors  »  que  tout  au  moins  le  duché  de  Normandie  ne  demeurât 
en  toute  souveraineté  au  jeune  Henri  *;  il  lui  confia  enfin  le  gou- 
vernement de  la  France,  mais'seulement  si  le  duc  de  Bourgogne 
ne  voulait  point  s'en  charger.  Quant  au  gouvernement  de  l'An- 
gleterre, il  le  destinait  à  son  autre  frère  de  Glocester,  et  l'éduca- 
tion de^n  fils  au  comte  de  Warwick.  Il  recommanda  enfui,  sur 
toutes  cnoses,  à  ses  parents  et  amis  d'éviter  tout  sujet  de  déhat 
avec  le  duc  de  Bourgogne,  car  «  les  besognes  moult  avancées  du 
royaume  de  France  en  pourroient  être  empirées  »,  et  de  ne  point 
rendre  la  liberté,  jusqu'à  la  majorité  de  Henri  VI,  au  duc  d'Or- 
léans ni  à  quatre  ou  cinq  vaillants  capitaines  dauphinois  actuelle* 
ment  prisonniers. 

1.  Cétait  une  fistule  accompagnée  de  dyssenterie.  On  appelait  cette  maladie  le 
wtai  Saint'Fiaere. 

2.  JDe  tristes  pressentiments  pour  Tavenir  de  cet  enfant  assiégèrent  Henri  V  sur 
80D  lit  de  mort;  HoUinshed  lui  attribue  le  propos  suivant  :  «  Henri,  né  à  Monmouth, 
aura  régné  peu  et  conquis  beaucoup;  Henri,  né  U  Windsor,  régnera  longtemps  et 
perdra  tout  ».  C'était  le  regard  prophétique  d'un  mourant. 


84  GUERRES  DES  ANGLAIS.  (1412) 

Un  (le  s«îs  médecins,  dont  il  avait  «  requis  vérilé  »,  se  jela  à  ge- 
noux devant  son  lit  et  lui  dit  de  penser  à  son  àme,  parce  qu'il  ne 
lui  restait  pas  deux  heures  à  vivre;  Henri  manda  son  confesseur 
et  d\uitr(»s  gens  d'église,  cl  leur  ordonna  de  réciter  les  sept  psau- 
mes de  la  pénitence.  «  Et,  quand  ce  vint  à  Bénigne  fac  Domine,  où 
il  y  a  mxiri  Hierusalnn,  il  dit  tout  haut  qu'il  avoit  eu  rinlcnlion, 
après  qu'il  auroit  mis  le  royaume  de  France  en  paix,  d'aller  con- 
(|U(MTe  Jérusalem,  s'il  eût  été  le  plaisir  de  son  Créateur  de  le  laisser 
vivre  son  àge^  »  Puis,  comme  pour  se  rassurer  lui-même  en 
cette  heure  solennelle,  il  rappela  que  sa  guerre  de  France  avait 
eu  Tapprohation  des  «  plus  saints  personnages  »,  de  tous  les  pré- 
lats d'Angleterre,  et  qu'il  l'avait  poursuivie  sans  offenser  Dieu  cl 
sans  mettre  son  àme  en  péril. 

a  Et,  assez  &r?>/* ensuivant,  il  rendit  l'esprit  »,  à  Tàge  de  trente- 
quatre  ans  (31  août  1422)  (Monstrelet). 

Ses  entrailles  furent  ensevelies  à  Saint-Maur-des-Fossés;  son 
corps,  ai)résun  service  magnitique  à  Saint-Denis,  fut  Iransféivà 
Rouen  et  de  là  en  Angleterre,  avec  une  pompe  extraordinaire. 
«  Les  Anglois  lui  firent  aussi  grand  honneur  et  révérence  que 
s'ils  fusseiu  accrlcnês  qu'il  fût  saint  en  paradis  »  (Monstrelel)-  Le 
p^niple  nu*me  des  provinces  françaises  soumises  aux  Anglais  con- 
serva pour  lui  un  sentiment  de  iTspect,  à  défaut  d'affection,  pour 
la  bonne  intention  qu'il  montrait  de  protéger  les  pauvres  gens 
contre  les  exactions  et  les  violences  des  nobles  2.  Plus  heuivux 
qu'Edouard  111  et  que  le  Prince  Noir,  Henri  V  étiiit  mort  dans 
tout  l'éclat  de  sa  pi'ospérité,  et  sa  mémoire,  qui  ne  rapj^lait  que 
des  triomphes  sans  mélange  de  revers,  est  demeurée  chère  cnire 
toutes  à  l'orgueil  de  l'Angleterie. 

Conformément  aux  dernières  volontés  du  roi  Henri,  le  duc  de 
Bedfonl  offrit  la  régence  de  France  h  Philippe  deBourgognc  :  leduc 
Philippe  ne  l'accepta  point,  soit  qu'il  redoutAtun  tel  fardeau  dans 
de  telles  cil  constances,  soit  que,  malgré  la  passion  qui  le  dominait, 
il  éprouvât  une  secrète  répugnance  à  se  faire  si  directement  le  re- 
présentant de  la  domination  étrangère  (Monstrelet,  L  I,  c,  376j. 

1.  Georges  Chustelluin  (c.  08)  dil  qu*il  avuit  faii  Tisilcr  tous  les  porU  do  LcTsil 
pour  prcmlre  des  runscipiK'inL'nis  sur  les  inoyeus  d'cxcculer  ce  projet 

2.  Monslrclcl.  —  TieiTc  de  Fcuiii. 


(1422]  MORT  DE  CHARLES  VI.  85 

On  ne  tint  aucun  compte  des  prétentions  que  pouvait  avoir  la 
reine  Isabeau. 

Charles  VI  ne  survécut  que  sept  semaines  au  gendre  en  faveur 
de  qui  on  lui  avait  fait  déshériter  son  fils;  il  mourut  à  Tliôtel 
Saînt-Pol,  le  21  octobre,  âgé  de  cinquanle-qualrc  ans.  Il  avait 
porté  quarante-deux  ans  le  vain  titre  de  roi,  pour  son  mal- 
heur el  celui  de  son  peuple  qui  lui  garda  jusqu'à  la  fin  une  dou- 
loureuse sympathie  à  cause  de  cette  conformité  de  soufl'rance. 
Sa  folie,  dégénérée  en  idiotisme  dans  les  derniers  temps,  s'était 
prolongée  trente  ans  entiers.  Son  corps  embaumé  resta  vingt 
jours  déposé  dans  la  chapelle  de  Thôtel  Saint-Pol,  en  attendant 
le  retour  du  duc  de  Bedford,  nouveau  régent  de  France,  qui  était 
allé  conduire  à  Westminster  les  restes  de  Henri  V.  Le  clergé  sécu- 
lier et  régulier,  l'université,  le  chapitre,  les  prévôt  et  échevins 
et  tout  le  peuple  «  convoyèrent  »  à  Saint-Denis  Charles  «  le  blen- 
ainié  •  ;  mais  nul  prince  du  sang  de  France ,  pas  môme  le  duc 
de  Bourgogne,  n'assista  aux  funérailles,  qui  furent  menées  par 
un  étranger,  par  le  duc  de  Bedford,  «  chose  moult  pitoyable  à 
voir  ». 

«  Et  après  que  le  roi  fut  mis  en  sa  sépulture  emprès  ses  de- 
vanciers, les  huissiers  d'armes  rompirent  leurs  petites  verges  et 
les  jetèrent  dedans  la  fosse,  et  puis  mirent  leui-s  masses  en  bas 
sens  dessus  dessous;  et  lors  le  roi  d'armes  de  Bcrri*,  accom- 
pagné de  plusieurs  hérauts  et  poursuivants,  cria  dessus  la  fosse  : 
—  Dieu  veuille  avoir  pitié  et  merci  de  très  haut  et  très  excellent 
prince  Charles,  sixième  du  nom,  notre  naturel  et  souverain  sei- 
gneur! »  Et,  après,  s'écria  le  dessus  dit  roi  d'armes  :  «  Dieu 
donne  bonne  vie  à  Henri,  par  la  grâce  de  Dieu  roi  de  France  et 
d'Angleterre,  notre  souverain  seigneur!  » 

«  Lequel  cri  accompli,  les  sergents  d'armes  redressèrent  leurs 
masses  fleurdelisées  en  criant  tout  d'une  voix  :  Vive  le  roi!  vive  le 
roi!  Et  les  François-Anglois  commencèrent  à  crier  No^l  «  connue 
si  Dieu  fût  descendu  du  ciel  ;  toutefois  il  y  en  avoit  plus  faisîint 
deuil  el  lamentations  qu'autres.  —  Ah  !  très  cher  prince,  disoit  le 
peuple  à  grands  plaintes  et  profonds  soupirs,  jamais  plus  ne  te 

1.  Chaque  province  atait  sa  corporation  de  hérauts  et  de  poursuivants  d^aruies, 
rfoot  le  chef  portait  le  litre  do  roi  d'urines. 


86  GUERRES  DES  ANGLAIS.  [14»] 

v(»rrons!  jamais  n'aurons  que  guerres,  puisque  tu  nous  as  laissés: 
tu  vas  en  repos,  et  nous  demeurons  en  toute  tribulation  et  en  toute 
douleur!  » 

Le  peuple  sentait  plus  profondément  son  abaissement  en 
voyant  disparaître  cette  dernière  ombre  de  royauté  nationale.  Au 
retour  des  tunérailles  de  longs  et  tristes  murmures  s'élevèrent 
dans  la  foule  quand  on  vit  porter  «  Tépée  du  roi  de  France  »  de- 
vant le  régent  anglaise 

«  Ijc  dauphin  Charles  étoit  en  un  petit  chàtel  nommé  Espalli, 
proclie  Le  Puy  en  Auvergne  (en  Vêlai),  lorsque  lui  furent  portées 
les  nouvelles  du  trépas  du  roi  son  père.  11  en  eut  au  coeur  fn*and 
tristesse,  et  pleura  très  abondamment  »  {Monstrelet,l.II,  c.  1).  Ses 
conseillers  le  ramenèrent  en  toute  hâte  vers  une  région  plus  cen- 
trale; arrivé  à  Meung  ou  Mehun-sur-Yèvre  en  Berri,  il  quitta  la 
robe  noire  de  deuil  pour  la  robe  vermeille.  La  bannière  de  France 
l'ut  levée  dans  la  chapelle;  «  les  ofliciers  d'armes  (hérauts)  criè- 
rent haut  et  clair  :  Vive  le  roi!  après  lequel  cri  fut  fait  l'oflice  de 
Téglise,  et  n'y  fut  fait  pour  lors  autre  soleimité,  et,  de  ce  jour  en 
avant ,  tous  ceux  tenant  le  parti  du  dauphin  le  nommèrent  roi 
deFrance^.  » 


1.  Le  pi-uple  ne  vit  pus  avec  iiioius  de  chagriu  la  suppression  des  monnaies  de 
Cliurlcs  VI  et  leur  remplacunient  pur  celles  ilu  nouveau  roi,  Heuri  VI,  portant  les 
deux  ùcussons  de  Fruuce  et  d'An^tleterre  accolés.  Mulgré  les  expresses  défenses  an 
régent,  on  continua  d'user  <i  en  inoull  de  lieux  »  des  pièces  de  Charles  VL  Mods- 
trclel,  1.  I,  c.  277.  —  Journal  du  bourtjvoii  de  Paris.  —  Juvéual  des  Ursins.— 
Pierre  de  Feuin. 

?..  V.  une  ordonnunce  de  Cliurlcs  VU,  de  mai  1430,  qui  rectifie  le  récit  de 
Uouslrelet.  Ordotmaiices,  t.  MU,  p.  3  et  164. 


LIVRE  XXXV. 

GUERRES  DES  ANGLAIS  {SUiTE). 

Là  FiAKCB  dâmimbaAb.  Le  roi  aiglais  et  le  roi  français.  RbhriVI  bt  CharlbsYII. 
—  Jbanmb  Dabc.  —  Régence  de  Bedford.  Les  Écossais  secourent  la  France. 
Défaites  des  Franco-Écossais  à  Crevant  et  kVerneuil.  —  Affaires  des  Pays-Bas. 
Glocester  et  Jacqueline  de  Hainaut.  Philippe  de  Bourgogne  maître  de  Namur, 
Hainaot,  Hollande,  Zélande  et  Frise. —  Le  connétable  de  Richemont.  Charles  VU 
et  ses  favoris.  La  Trémoille.  —  Belle  défense  de  Montargis.  —  Anarchie  dans  le 
parti  français.  —  Siège  d'Orléans  par  les  Anglais.  Héroïque  résistance  des  Orléa- 
nais. Journée  des  Harengs.  Détresse  du  parti  français.  Ruine  imminente  de  la 
France.  —  Fermentation  dans  les  profondeurs  du  peuple.  Attente  d'événements 
miraculeux.  Prophéties.  —  Jbammb  Darc.  Enfance  et  révélation  de  Jeanne.  Elle 
▼b  trouver  Charles  YIL  Jeanne  k  Chinon  et  à  Poitiers.  Elle  annonce  qu'elle  chas- 
sera les  Anglais  de  France.  Jeanne  fait  lever  le  siège  d'Orléans.  Reprise  de  Jar- 
geau.  Victoire  de  Patai.  Marche  sur  Reims.  Jeanne  devant  Troies.  Elle  fait  sacrer 
le  roi  k  Reims.  Gloire  de  Jeanne.  Immense  attente  du  peuple  et  de  l'armée. 

1422  —  1429. 

Jusqu'à  la  mort  de  Charles  VI,  les  deux  partis  anglo-bourgui- 
gnon et  dauphinois  avaient  combattu  au  nom  du  roi  de  France  : 
son  autorité  était  également  invoquée  dans  les  manifestes  du  ré- 
gent anglais  et  du  régent  français;  son  image  et  son  écusson, 
l'écusson  de  France,  figuraient  seuls  sur  les  monnaies  battues  dans 
toute  l'étendue  du  royaume.  Cette  dernière  fiction  de  monar- 
chie vient  de  disparaître  :  la  sinistre  réalité  n'a  plus  de  voile; 
la  France  est  partagée  entre  deux  rois  ennemis.  Paris,  l'Ile-de- 
France,  la  Normandie,  l'Artois,  la  Flandre,  la  Bourgogne  et  ses 
dépendances,  presque  toute  la  Picardie  et  la  Champagne,  et,  au 
midi,  la  Guyenne  et  la  Gascogne  occidentales  subissent  la  royauté 
d*un  enfant  au  berceau,  d'un  enfant  étranger  qui  porte  dans  ses 
veines  le  sang  des  plus  implacables  adversaires  de  la  France  et 
qu*on  élève  parmi  les  Anglais,  de  l'autre  côté  de  la  mer;  la  Lor- 
raine et  la  Savoie,  ces  provinces  nominalement  impériales,  fran- 
çaises de  langue,  de  position  et  de  relations,  sont,  la  première, 
bourguignonne,  la  seconde,  neutre;  l'Anjou  et  le  Maine  sont  un 


88  GUERRES  DES  ANGLAIS.  (1421] 

champ  de  bataille  en  Tabsencc  de  leur  seijçneur;  la  Bretagne 
hésite  et  s'isole;  la  Toiiraine,  FOrléanais,  le  Berri,  l'Auvergne,  le 
Bourhoîinais ,  Lyon,  le  Daiiphiné,  le  Languedoc  et  les  parties 
orientales  de  la  Guyenne  et  de  la  Gascogne  reconnaissent  l'héri- 
tier légitime  des  Valois,  jeune  homme  de  vingt  ans  sur  qui  pèse 
la  solidarité  d'un  crime  abhorré  d'une  moitié  de  la  France  et  tout 
au  moins  regretté  de  Tautrc,  et  ce  jeune  liomme  n'annonce  aucune 
grande  qualité  capable  d'elTacer  ce  fatal  souvenir.  N'importe:  la 
situation  est  désormais  nettement  tranchée;  plus  d'excuse  ni  de 
prétexte  aux  cœurs  faibles  et  indécis;  il  faut  choisir  entre  le  roi 
anglais  et  le  roi  français;  quel  que  soit  l'homme,  en  Charles  VII  le 
roi  est  l'unique  représentant,  le  drapeau  nécessaire  de  la  nationa- 
lité. Les  populations  le  comprirent  :  un  mouvement  d'opinion,  qui 
semblait  promiîttre  l'aurore  de  jours  meilleurs,  se  manifesta  dans 
le  peuple  et  dans  la  noble!>se  contre  la  dynastie  étrangère;  une 
agitation  croissante  se  montra  çà  et  là  dans  les  régions  soumises 
aux  Anglais  ;  btîaucoup  de  gens  disaient  tout  haut  que  Henri  V 
emportait  avec  lui  la  fortune  de  l'Angleterre;  les  conseillers  de 
Charles  Vil,  qui  lui  avaient  été  si  funestes,  déployèrent  une  acti- 
vité plus  ou  moins  bien  dirigée  pour  profiter  des  circonstances 
favorables  à  la  cause  de  leur  maître,  et  surtout  pour  attirer  de 
toutes  |)arts  de  braves  mercenaires  écossiiis,  lombards,  espagnols. 
On  répandit  dans  les  provinces  une  espèce  de  pamphlet  politique, 
écrit  ])ar  un  jeune  homme  d'un  noble  cœur  et  d'un  grand  talent, 
Alain  Cliartier,  secrétaire  de  Charles  VII  :  c'était  la  France,  per- 
sonnifiée dans  une  vive  et  saisissante  allégorie,  qui  conjurait  se$ 
trois  enfants,  le  clergé,  la  chevalerie  et  le  peuple,  de  mériter  le 
pardon  de  Dieu,  d'oublier  leurs  discordes  et  de  s'unir  pour  sauver 
leur  mère  et  se  sauver  eux-mêmes*. 

1.  Le  î=lyle  ii*esl  pus  trop  iiitV'iieiir  à  l'idée  dans  ccUc  remarquable  production, 
supérieure  ii  tou^  les  ou\ rages  français  de  la  même  épuiiue  :  Alaia  Cbarlier  est  le 
premier  de  uos  prosateurs  qui  ait  touché  parfois  ti  réloquence  classique;  il  est 
plus  mai  lu-  de  la  langue  que  Georges  Cliustcllaiu,  et  il  porte  dans  la  litléraluit 
eeile  Icrmcté  cl  cjîIc  précision  de  la  pensée  qui  uvuicut  déjU  donné  une  langue 
presque  iiiudernc  u  Ktieune  Marcel  dans  ses  lettres  politiques.  Les  poésies  d*Alaia 
uc  vuU'ut  p.is  su  prose,  malgré  la  renommée  qu'il  a  conservée  il  ce  titre  et  la  tra- 
dition si  connue  du  poètiiiue  baiM-r  de  Marguerite  d*Kcosse,  qui  l'enibrussa  pendant 
son  sommeil,  ]iiiur  l'amoar  de  ses  vers.  Son  pumplilet  est  intitulé  le  Quadrihift 
(le  ([uadruple  discours),  a  cause  de  quairc  interlucuteurs  qu*il  met  en  sceue,U 


[1422]  BEDFORD  ET  WINCHESTER.  89 

La  réiiclion  française  qui  s'annonçait  n'eut  niallicurcuscnient 
pas  les  résultats  qu'on  en  pouvait  attendre  :  elle  rencontra  des 
obstacles  également  difliciles  à  surmonter  dans  le  caractère  du 
prince  qui  eût  dû  la  diriger,  et  dans  celui  du  chef  ennemi  qui 
entreprit  de  l'arrêter.  Henri  V  n'avait  que  trop  bien  choisi  son 
successeur  à  la  régence  de  France  :  le  duc  de  Bedford,  prudent 
administrateur,  sage  et  habile  capitaine,  adroit  négociateur,  iden- 
tifiant son  ambition  personnelle  avec  les  intérêts  du  roi  son  neveu 
et  la  grandeur  de  l'Angleterre,  et  jugeant  tout  légitime  pour  servir 
cette  cause,  tour  à  tour  équitable  et  modéré  par  calcul ,  inqda- 
cable  et  barbare  de  sang-froid,  mais  toujours  d'accord  avec  lui- 
même  quant  au  but,  le  duc  de  Bedford  était  déjà,  au  quinzième 
siècle,  le  modèle  de  ce  patriotisme  égoïste  et  machiavélique,  de 
cette  politique  sans  entrailles  avec  laquelle  l'aristocratie  anglaise 
a  bouleversé  le  monde.  Bedford  assura  sa  position  avec  une  égale 
habileté  des  deux  côtés  du  détroit.  Il  craignait  l'humeur  inquiète 
de  son  frère  Glocestcr,  que  Henri  V  avait  désigné  pour  la  régence 
d'Angleterre  ;  il  se  fit,  en  vertu  de  son  droit  d'aînesse,  déférer 
celte  régence  par  le  parlement,  laissa  seulement  à  Glocester  sa 
licutenance  pendant  son  séjour  en  France,  et  donna  un  contre- 
poids au  pouvoir  de  Glocester  en  faisant  investir  du  titre  de 
chancelier  d'Angleterre  leur  oncle  à  tous  deux,  le  puissant  et 
ambitieux  évêque  de  Winchester  ^.  Nous  n'aurons  que  trop  à 
revenir  sur  ce  sinistre  personnage,  ce  type  d'avidité,  de  dureté  et 
d*hypocrisie  pharisaïques,  vrai  chef  et  modèle  de  l'épiscopat  an- 
glican au  quinzième  siècle*. 

Bedford  ne  réussit  pas  moins  bien  en  France  :  là,  c'étidt  l'al- 
liance bourguignonne  qui  était  pour  lui  la  grande  question;  le 
duc  Philippe,  jeune  homme  très  fier,  très  vaniteux,  très  ombra- 
geux sur  le  cérémonial  et  le  point  d'honneur  chevaleresque  ^  et 

France  et  les  Trois  Étais.  M.  Géruzez,  dans  son  Cottrs  d'histoire  de  l'fllvqucnce 
française,  a  remis  en  lumière  rimportunco  de  l'œuvre  patriotique  d'Aluin,  négligée 
par  les  historiens. 

1.  Petit-fils  d'Edouard  III  et  dernier  fils  de  Jean  de  Oaud,  tige  des  Lancastre. 

2.  Henri  V,  qui  le  craignait  et  le  mcnugcait,  avait  dû  lui  donner  dus  lettres 
d'abolition  pour  fausse  monnaie  en  14 17. 

3.  il  n'avait  point  assisté  aux  funérailles  de  Charles  VI,  de  peur  d'être  obligé  de 
céder  le  pas  au  duc  de  Bedford.  U  cause  du  su  qualité  de  régent. 


90  GUERRES  DES  ANGLAIS.  [|433] 

Irùs  convaincu  de  rinipossibilité  où  étaient  les  Anglais  de  se  passer 
de  lui,  n'eût  peut-ùtre  pas  lardé  à  se  brouiller  avec  le  superbe 
Henri  V.  Bedford  s'efforça  de  le  rattacher  étroitement  à  Henri  VI, 
le  combla  d'égards  et  de  déférences,  et  intéressa  son  amour-propre 
à  soutenir  efficacement  le  petit  roi  qui  lui  devait  la  couronne  de 
France. 

Un  pareil  homme  était  un  terrible  advei'saire  pour  un  prince 
de  vingt  ans  qui  avait  tous  les  défauts  et  aucune  des  qualités  de 
la  jeunesse  :  Charles  VII ,  à  la  fois  mobile  et  obstiné ,  léger  et 
«  songeur  »,  soupçoimeux  envers  les  bons  et  crédule  aux  mé- 
chants, amolli  dès  l'adolescence  ])ar  ce  précoce  abus  des  voluptés 
qui  avait  coûté  la  raison  à  son  père  et  la  vie  à  son  frère,  ne  mon- 
trait en  rien  l'activité  d'esprit  et  de  corps,  ni  les  passions  éner- 
giques de  son  âge.  Il  n'était  pas  lâche  :  quand  il  fut  obligé  de 
payer  de  sa  personne,  il  le  lit  honorablement;  mais  il  craignait 
les  fatigues  et  le  tumulte  des  camps,  «  ne  s'armoit  mie  volontiers 
et  n'avoit  point  cher  la  guerre  »,  comme  dit  Pierre  de  Fenin  :  il 
n'était  ni  cruel  ni  absohunent  insensible  ;  €  il  étoit  beau  parleur 
h  toutes  personnes  et  piteux  envers  pauvres  gens^  »  ;  mais  sa  sen- 
sibilité toute  physique,  pour  ainsi  dire,  était  sans  profondeur  et 
sans  durée;  sa  vie  morale  était  toute  dans  la  sensation  présente; 
il  n'aimait  pour  ainsi  dire  que  par  les  yeux;  ce  qu'il  n'avait  pas  vu 
n'existait  pas  ])0ur  lui;  ce  qu'il  ne  voyait  plus  s'effaçait  à  l'instant 
de  sa  pensée;  si  son  esprit  était  Ciipable  de  réflexion  et  de  sou- 
venir, jamais  honmie  n'eut  moins  que  lui  la  mémoire  du  cœur; 
il  était  ingrat,  moins  par  penei-sité  réfléchie  que  par  impuissance 
morale.  Plus  tard,  beaucoup  plus  tard,  la  maturité  de  l'àgc  exerça 
sur  ses  facultés  une  favorable  influence;  sa  rectitude  d'esprit  ne 
demeura  plus  stérile  ;  l'aptitude  au  travail  et  à  l'action,  la  volonté, 
la  personnalité,  à  un  certain  degré,  se  manifesta  en  lui;  la  volonté 
active,  disons-nous,  car  il  n'avait  eu  que  trop  jusque-là,  comme 
nous  le  verrons,  la  volonté  négative.  Cette  modification  fut  bien 


1.  Du  moins  quand  i.  los  voyait;  mais  il  évitait  autant  que  possible  de  les  voir. 
«Vous  \oulc'z  toujours,  lui  t'crivaii  un  de  sus  conseillers,  être  cuch^  en  ch&teaui, 
méchantes  places  et  manière»  de  petites  chainbrettes,  sans  vous  montrer  et  ouïr  les 
plaintes  iW'  votre  pauvre  peuple.  »  Kpltre  de  Ji-an  Juvénal  des  Ursins  2à  Charles  VH, 
mss.  de  S.  (Ji-rmaiii  franrais,  u"  3;>!,  f*  74»  Hibliothêq.  iuip. 


[1422]  CHARLES  VII.  91 

lente,  et  il  ne  se  défit  jamais  d'ailleurs  du  vice  des  petites  âmes, 
la  défiance  jalouse  contre  tout  ce  qui  est  gTand  ;  la  haine  ou  la 
peur  des  trop  éclatants  services  ^ 

Le  gouvernement  anglais  conserva  donc  sous  Bedford  la  supé- 
riorité politique  que  lui  avait  donnée  Henri  V,  bien  qu'avec  plus 
d'embarras  intérieurs  et  avec  une  moindre  liberté  d'action  :  le 
régent  ne  fut  que  trop  secondé  par  les  passions  anglaises,  qui, 
contrairement  aux  vrais  intérêts  de  l'Angleterre,  avaient  épousé 
avec  une  aveugle  ardeur  l'entreprise  de  Henri  V.  La  partie  aven- 
tureuse et  guerrière  de  la  population  continua,  non  sans  résis- 
tance, il  est  vrai,  d'imposer  ses  volontc  s  aux  classes  laborieuses 
et  paisibles,  et  d'épuiser  les  ressources  de  l'Angleterre  pour 
achever  l'œuvre  gigantesque  de  son  héros  mort  à  la  peme  :  l'idée 
de  retourner  contre  la  France  l'antique  conquête  de  Guillaume 
exaltait  les  descendants  des  Saxons,  au  moins  autant  que  les  fils 
des  Normands. 

Dans  les  premiers  mois  qui  suivirent  l'avéncmenl  des  deux 
nouveaux  rois  de  France,  l'initiative  appartint  cependant  au  parti 
de  Charles  VII,  animé  par  les  espérances  que  lui  avait  inspirées  la 
mort  de  Henri  V.  Tannegui,  Le  Maçon,  Louvet,  les  conseillers  de 
Charles  VII  menèrent  leur  roi  de  ville  en  ville,  afin  de  le  montrer 
au  peuple  ;  à  Meung-sur-Yèvre  ils  lui  firent  rendre  une  ordon- 
nance vivement  réclamée  par  les  États  du  Dauphiné  pour  la 
réforme  des  abus  judiciaires  dans  cette  province(Ordonn.,t.Xni, 
p.  1-7);  de  là,  ils  le  conduisirent  à  La  Rochelle,  dont  l'affection 
était  si  essentielle  à  conserver  :  divers  privilèges  furent  accordés 
aux  Rochelois  et  aux  navigateurs  étrangers,  aux  Castillans  surtout, 
qui  trafiquaient  avec  eux  2.  Un  accident  faillit  trancher  là  brus- 
quement la  querelle  de  l'héritage  de  France.  Comme  le  roi  Charles 
tenait  conseil  avec  ses  barons,  une  partie  de  la  chambre  où  il  se 
trouvait  s'écroula;  plusieurs  seigneurs  restèrent  morts  sur  la 

1.  «Aucuns  vices  soutenoit,  souverainement  trois  :  c'étoit  niuableté  (mobilité), 
diffidence  (défiance),  et,  au  plus  dur  et  le  plus,  c'étoil  envie  pour  la  tierce.  » 
Georges  Chastellain;  extrait  inédit  publié  par  M.  J.  Quicherat,  ap.  Bibliothéq.  de 
VÈcole  de*  Chartes,  t.  IV,  p.  76. 

2.  Bedford,  pendant  ce  temps,  accordait  des  privilèges  analogues  aux  Portugais 
k  Harfleur  et  dans  les  autres  ports  soumis  aux  Auglais.  i».  lu  préface  du  t.  Xlll  des 
Ordotm,  de  France,  p.  vij. 


n  GfJERRES  ÎJES  ANGLAIS,  ti*îl,if 

pU'ire,  ni  Charles  lui-inCuie  fut  lêgeruiiioiit  b\it*f^^  (llun^tn^A 

Le  jeune  roi  alla  ensuite  se  faire  cûnronner  à  Paitiers  af 

qneliïue  appareil,  sans  recevoir  lonlcfois  i'onclkm  sainte  :  Icil 
parkas  tle  Nulro-Duïue  de  Reims  étaient  fciinées  à  rtiC*riticT(kj 
saint  Louis,  ci  la  cité  du  sacre  était  aux  mains  de  l'étr^mgcr,  I 
Poitiei-s  Charles  vn  retourna  à  Bourges;  ce  fut  dansi  celle  %illel 
et  dam  les  duMeaux  des  environs  qull  rtïi^idu  le  plu;^  ordiiuiH 
renient»  et  les  Anglais  Taiipelèrent  le  «  mi  de  Bourges  {mr  fôr 
de  dérision*  ».  11  convoqua  les  litals  GéntTaux  de  la  bniriie  d'oili 
Bourges  au  niuis  du  janvier  142:{;  on  ne  jiosîiude  aucuns  dét^ib 
sur  cette  assemblée,  qui  ne  dm  guère  secomjHiser  que  d*^  «l«^|itiléi] 
des  provinces  entre  la  Loire  et  les  Ccvemies;  on  Mil  seulemcnlf 
qu'elle  cjctroya  au  roi  une  aitic  d'un  million  de  fnincs  d'^or^  t*JTorl.| 
qui  semble  immenge»  quand  on  eon^idCre  la  cruelle  silnalitiii 
du  pays  et  les  faibles  ressources  des  populations  souitii^'s  il 
Charles  VII,  Le  clergé  consentit  h  pajer  un  dixièmo  de  son  rc-l 
venu,  et  les  lltats  de  la  langue  d*oe,  réunis  en  mai  à  Oiraissonuc^l 
accordèrent  à  leur  tour  200*000  livres,  à  condition  que  le  roi  ns-J 
médiat  aux  mutations  de  monnaies.  Le  conseil  du  daupti in, 
1 418  à  1422,  avait  eu  recours  aux  expédients  les  pkiâ  di!=Sîistiruï 
pour  suppléer  aux  impôts  directs  qull  ii'osiiit  exiger  rlei^  (irovincc 
dauphin  Dises;  le  marc  d'argent  tin  avait  été  |)arté  à  90  livr 
par  les  aiTaiblissemenis  successifs  des  moimaicîs;  puis  on  letiaHJ 
de  le  renïeUre  brusquement  à  7  livres  10  sous,  et  IWa  d'or 
20  sous*.  Charles  VU  était  allé  présider  en  iiersonne  Ii»  Et;jUdi«| 
Languedoc*  et  sou  séjour  dans  ce  pays  Tut  marqué  t»ar  un  gratidj 
succès  diplomatique,  le  retour  du  comte  de  t'oix  et  de  ^on  fret 
le  comte  deComminges  au  parti  français*  Le  couïte  de  Fotx,  qai| 
avail  traité  avec  Henri  V,  ne  reconnut  pas  son  ÛIk  L*  ail  innée  de  j 

n  Kiftiftl  d«  Pftrîft  (tarr<9tiieiit  âh  â*AttPtriiHe),  Viijih»  du  rai  Ckariti  h  Stp 
iitmw^  C0M0  cttrtuiiqv<«  *ia  ttin  e»i  |>fu»  iAiéro^ftiinie  \nmr  l'Iii»k»irtr  urne  poux  kl 
poésid,  Avtini  Uftiiîiil  4t^  Turis.  la  l^runc^  nvMi  eu  ud  nulle  po6i«  mm  huia)  jt<tLLriùtc, I 
mtkH  iCun  iaknt  hh^n  H{}|i^riinir,  qu«  uaun  mtuik  rqmicImnA  ilv  h^mï i^lr  im%  iiiU  :| 

|lii<!nLi  jtoui  èlcffï»  %iL  praséu  ctt  neUâ  et  f^rtc,  tti  Éc  rti|lbiije  lio  ftes  LoJliiikA  el^ 
M*  tfntdi'nu%  cm  Hcittvi.'ia  tCunii  iiuli^liï  hiiiimutik, 

2,  OrdtmiK  ^«  Frave*",  I.  XI il*  I*rètac0  il«  liM.  Ville v «ut t  ut  d«  IIHrtirifnI«  f,  i\;A 
et  p.  J4.  —  Hii(.  de  Ut^juciioc,  L  XXXlV,  c.  27,  tn. 


[imi  LE  ROI  DE  BOURGES.  03 

ces  puissiuits  seigneurs  des  Pyrénées  avec  les  Anp:lo-(îascons 
exposait  la  cause  de  Charles  VII  aux  plus  extrêmes  périls  dans  le 
Languedoc  :  leur  réconciliation  avec  le  roi  assura  la  lidélité  de 
cette  vaste  province  et  la  garantit  contre  toute  tentative  de  la  part 
'  des  Anglais. 

Les  capitaines  dauphinois,  pendant  ce  temps,  recommençaient 
leurs  courses  hardies  au  nord  de  la  Loire;  ils  étaient  secondés 
par  des  conspirations  bourgeoises  dans  beaucoup  de  villes.  En 
janvier  1423,  un  nouveau  complot  s'ourdit  à  Paris  pour  livrer 
la  capitale  aux  gens  de  Charles  VII.  La  trame  fut  découverte  : 
plusieurs  bourgeois  furent  décapités;  d'autres  furent  obligés  de 
fuir,  abandonnant  biens  et  familles;  une  femme  fut  brûlée  vive. 
Parmi  les  fugitifs  se  trouvait  Michel  Laillier,  un  des  plus  nota- 
bles bourgeois  de  Paris,  qui  avait  été  très  affectionné  à  Isabeau 
de  Bavière  et  qui  venait  de  faire  partie  d'une  ambassade  en- 
voyée par  les  Parisiens  au  conseil  du  petit  roi  Henri  à  Londres  : 
l'aspect  de  l'Anglelerie  lui  avait  inspiré  peu  de  sympathie;  à 
son  retour  il  s'était  mis  à  la  tête  de  la  conspiration  a  dauphi- 
noise »  ;  son  rôle  dans  les  révolutions  de  Paris  ne  se  termina 
point  là.  Le  duc  de  Bedford,  alarmé  de  cette  tentative,  exigea  un 
serment  de  fcauté  de  tous  les  habitants  de  Paris  :  jusqu'aux  «  cham- 
brières »,  jusqu'aux  moines,  tout  jura,  bon  gré,  mal  gré.  Le  vieux 
parti  cabochien,  dont  Bedford  caressait  les  passions,  était  tombé 
à  la  discrétion  du  régent  anglais  et  l'aidait  à  contenir  Paris.  Les 
cabochiens  armèrent  leur  milice  pour  seconder  Bedford  dans  la 
€  rccouvrancc  »  de  Meulan,  surpris  par  le  sire  de  Graville:  l'oc- 
cupation de  cette  ville  par  les  Dauphinois  interceptait  toutes  com- 
munications par  eau  entre  Paris  et  la  Normandie  ;  la  milice  pari- 
sienne joignit  devant  Meulan  les  troupes  anglaises,  normandes  et 
picardes  mandées  par  le  duc  de  Bedford.  Le  sire  de  Graville  et 
les  siens  se  défendirent  avec  opiniâtreté,  en  attendant  la  venue 
des  capitaines  du  roi  Charles,  qui  leur  avaient  promis  de  les  «  re- 
couire  »  :  les  comtes  de  Buchan  et  d'Aumale,  le  vicomte  de  Nar- 
bonne  et  Tannegui  Duchâtel  rassemblèrent,  en  effet,  six  mille 
combattants  en  Berri  et  poussèrent  jusqu'à  six  lieues  de  Meulan; 
mais  là  «  se  mil  entre  eux  dissension  »  :  les  gens  d'armes  récla- 
mèrent leur  solde;  Tannegui,  qui  avait  reçu  l'argent,  ne  paya 


9t  GUERRES  DES  A^GLAIS.  [uzs] 

point;  on  Taccusa  d'avoir  détourné  la  somme  à  son  proiit;  lircf, 
au  lieu  d'attaquer  r/io,s?  de  Bedford,  les  Franco-Ecossais  «s'en 
retournèrent  sans  rien  faire  ».  Les  assiégés  de  Mculan,  irrilés  de 
cet  abandon,  jetèrent  la  bannière  du  roi  Charles  du  haut  de  la 
porte  du  château,  déciiirèrent  leurs  croix  blanches,  et  rendirent 
la  place  au  duc  de  Bedford,  ainsi  que  Montlliéri  et  Marcoussi, 
«  qui  étoient  en  Tobéissance  »  des  capitaines  enfermés  dans 
Meulan.  (iraville  et  plusieurs  autres  «  se  tournèrent  angloîs  > 
(1*'  mars).  GraviUe  était  un  des  seijrneui-s  normands  qui  avaient 
renoncé  à  leurs  liefs  pour  ne  pas  se  soumettre  à  Henri  V.  11 
ne  tarda  pas  à  se  repentir  de  sa  défection  et  à  revenir  au  parti 
français. 

Cet  échec  fut  balancé  par  un  avantage  que  les  Dauphinois  rem- 
portèrent en  Anjou  :  le  4'omte  d'Aumale,  à  latôte  de  la  noblesse 
et  des  communes  du  pays,  défit  près  de  Gravelle  deux  mille  cinq 
cents  Anglais  sortis  de  la  Normandie;  la  moitié  des  ennemis  pé- 
rirent dans  le  combat,  et  on  leur  reprit  dix  ou  douze  mille  tètes 
de  bétail  qu'ils  avaient  enlevées  aux  paysans. 

Le  régent  anglais  avait  eu  un  moment  de  plus  sérieuses  inquié- 
tudes encore  :  le  duc  de  Savoie 2,  oncle  du  duc  de  Bourgogne, 
s'était  mis  en  télé  de  réconcilier  son  neveu  avec  Charles  VII  qui 
niait  toujours  avoir  prémédité  le  meurtre  du  duc  Jean,  l^liilippe 
de  Bourgogne  ne  refusa  pas  d'envoyer  son  chancelier  conférer 
à  Bourg -en-Bresse,  sur  terre  de  Savoie,  avec  les  hommes  de 
Chai'les;  mais  les  meurtriers  de  Jean  sans  Peur,  (jui  savaient  que 
leur  chute  et  leur  exil  seraient  la  première  condition  du  traité, 
immolèrent  de  nouveau  la  France  à  leurs  intérêts;  ils  dictèrent 
le  choix  et  les  instructions  des  ambassadeurs  royaux  et  firent 
avorter  les  négoriatioîis  (janvier  14'23).  Bedford  en  profita  pour 
resserrer  soîi  alliance  avec  le  duc  Philippe,  et  entraîner,  jKir 
l'intermédiaire  de  Philippe,  la  maison  ducale  de  Bretagne  dans 
le  parti  anglais.  Lr,  duc  Jean  de  Bretagne,  qui  avait  eu  si  grave- 
ment à  se  plaindie  des  conseillers  du  dauphin,  était  tout  disposé 

1.  Monstrcict,  1.  II,  c.  3,  4,  :>.  —  liouryeois  de  Parix,  ilaiis  lu  collection  Michaud. 
l.  in,  p.  238.  239.  —  Baïuntc.  l.  V,  p.  139. 

2.  Aiiit'r  ou  AiiM'dt'e  VllI  :  le  coiiito  de  Savoie  avait  été  érigé  en  duché  par  Tem- 
pereur  Sigisniond  eu  14 10. 


[t423]  EFFORTS  DES  FBANÇAIS.  «5 

à  se  rallier  aux  Anglais;  mais  Tantipatiiic  (lue  ses  sujets  témoi- 
gnaient pour  cette  cause  Tavait  retenu  jusqu'alors.  Il  se  dé- 
cida :  il  vint  trouver  à  Amiens  les  ducs  de  Bedford  et  de  Bour- 
gogne, signa  un  traité  d'alliance  avec  eux  le  17  avril,  et  reconnut 
Henri  VI  roi  de  France  et  d'Angleterre;  son  frère  Artus  de  Bre- 
tagne, comte  deRichemont,  récemment  sorti  des  mains  des  An- 
glais qui  l'avaient  fait  prisonnier  à  Azincourt,  épousa  la  s  eur  ainée 
du  duc  de  Bourgogne,  Marguerite,  veuve  du  feu  dauphin  Louis, 
et  une  autre  sœur  de  Pliilipi)e,  Anne  de  Bourgogne,  fut  donnée 
îiu  duc  de  Bedford  avec  une  dot  de  150,000  écus  d'or.  Cepen- 
dant, le  lendemain  du  traité  des  trois  princes,  les  ducs  de  Bour- 
gogne et  de  Bretagne  conclurent  un  autre  pacte  particulier  et  se- 
cret où  ils  se  promirent  de  rester  amis  et  alliés,  lors  même  que 
l'un  des  deux  se  réconcilierait  avec  Charles,  «  dauphin  de  Vien- 
nois ».  La  plupart  des  conseillers  bourguignons  et  picards  du 
duc  Philippe  avaient  au  fond  de  l'àme  quelque  arrière-pensée 
françîdse,  qu'ils  lâchaient  de  faire  pénétrer  dans  l'esprit  de  leur 
maître  (Barante;  Monstrelet). 

La  reprise  de  Meulan  n'avait  pas  découragé  les  Dauphinois.  La 
guerre  se  réchaulTait  dans  le  Nord  ;  des  bandes  redoutables,  can- 
tonnées aux  deux  extrémités  de  la  Picardie,  dans  la  Thicriache 
et  le  Ponlhieu,  tenaient  en  alarme  toute  la  Picardie,  l'Artois  et  le 
Hainaut.  Le  menu  peuple  de  Tournai  venait  de  se  révolter  et  d'ap- 
peler dans  sa  cité  le  sire  de  Moy,  capitaine  dauphinois;  d'autres 
chefs  d'aventuriers  couraient  la  Champagne  et  les  maixhes  de 
Lorraine,  et  se  défendaient,  dans  quelques  petites  places  de  la 
Meuse,  contre  les  Anglais  et  les  Bourguignons.  Les  principaux 
capitaines  de  Charles  VII  résolurent  de  les  secourir  et  de  prendre 
sérieusement  l'offensive  du  côté  delà  Champagne;  un  détache- 
ment français  s'était  saisi  de  la  forteresse  bourguignonne  de  Cre- 
vant qui  commandait  le  cours  de  l'Yonne  entre  Auxerre  et  Aval- 
Ion,  et  assurait  les  communications  des  Français  avec  le  nord-est. 
Crevant  fut  repris  presque  aussitôt  par  les  Bourguignons  ;  jJusieurs 
milliers  de  Français,  trois  mille  Écossais  et  quelques  soudoyers 
espagnols  et  lombards  marchèrent  par  Gien  sur  Crevant,  sous  les 
ordres  de  l'Écossais  Stewart  (Sluart)  de  Darnley  et  du  maréchal 
de  Sévcrac.  Le  duc  Philippe  était  en  Flandre  :  la  duchesse  douai- 


m  GUnRBES  DES  ANGLAIS, 

iièrc>  SiiinÎTè,  obîitii  un  sul>sid€  des  Étals  clés  deux  Itmirip^i 
aii[ïpla  iiijxiirnies  Im  rinjdatîiirtîs  de  son  ûlset  n'^clattia  ïc^  s^ïecNiii 
du  duc  de  BedTord,  qui  envoya  les  couiles  de  Siilisbury  et  de  S«f- 
folk  joiudre  les  Bourg ui;:înons  avec  rfiiatro  mille  Ançlaîs.  t'arinte 
anglu'boiu'guigtïoiuie  prlit  d*Auxeri'e  pour  faire  lever  le  ^îi^  de 
Crevant  :  arrivée  an  bord  de  rYorine,  vis-â-vis  de  Coulange«-la- 
Viuéuse»  elle  vil  les  Franr/iis  qui  ratlendaîent  sur  Fautro  rive;  foia 
les  gens  d*anneâ  iiiîrrut  pied  k  lerre>  et  dt'^feuse  fut  l;'iite  t|U  ou 
oetroyât  merci  à  qui  que  ee  tût  et  qu'on  «  prît  prisonniers  juFqii*! 
ce  que  le  eliamp  fût  pleinement  p^a^né  ».  Une  partie  des  Aiigl|^fl 
Bourgiù^non&i  nHaqui'rent  le  pont  de  Coukoges;  le^  auln^n^  p^ 
sèrcnt  la  rivière  h  gu(%  et  la  garnison  de  Crevant  assaillît  en  qimiû 
les  Français.  Le  désordre  se  mit  dans  l'armée  aâsiégesmte,  €  «j». 
vainc  ï  de  lontts  iiartâ  :  le  gros  des  troupes  Trançai^i^s  fut  rfinif» 
et  entraîna  dans  m  diToutc  le  jnarLehal  de  Sévcme;  les  auxiiiain^ 
éenssatSf  qui  étaient  4  au  front  devant  m,  et  les  plus  braves  des 
gens  dVumes  franciiis,  qui  se  rallièrent  et  n'almndonDêreal  jmsâ 
leurs  alliés,  enveloppés  par  des  forces  très  supérieures»  sueeoio* 
livrent  aiirès  un  o|iiniâtre  eombat  :  lord  Stewart  fut  pris»  ftvcc 
un  4£il  crevé;  Saintrâilles  et  quatre  ecnls  autres  nobles  hommes 
tomhèrenl  ^galrnient  nu  pouvoir  des  vainqueui*s;  dotms  ceaU 
honnnes  d\irmes,  pom  la  plupart  geiitilsliomnies  écoemh^  re^ 
lèrent  sur  le  cbanip  de  bataille  (!•'  juillet)  (Monslrdel;  Fentu; 
Rerti), 

t>tle  détUi(<î  auR-na  la  reddîliun  de  Couci,  de  Blont-^AiguillDU 
rn  t:brun|>agne,  du  Crotoi  en  Picardie,  et  d'atitn*s  fartcresi^es  daii- 
piiinuises  du  Nord,  ([ui  n'espérèrent  plus  dès  lors  ôlre  secoumes. 
La  nouvelle  de  la  journée  de  Crevant  troubla  la  joie  que  lu  nab- 
sanee  d'un  dan[)liin  in^{)îniit  h  la  eour  de  liourges  :  lu  neine  Mario 
d'Anjou  avait  donné,  le  4  juillet,  à  t'haïleiï  Vil»  untllsi]uj  fui  le  rot 
Louis  XL  Si  r**n  fut  triste  ;*!  Bourses,  on  ne  se  montra  guère  plut^ 
joyeu.\  h  \hivh;  \r^  fute:^  quedoiuia  Ir  due  de  ll(?dford  pour  c^é- 
brer  la  victoire  des  Anglais  renrontrèrenf  peu  de  sympathie  paniii 
le  peuple  :  Tauteur  du  Jmirmd  d^n  hoxtrff^ois  de  Paris,  m  Ardent 
Bourguignon,  n'a  plus  que  des  paroles  de  deuil  pour  ce*i  iocci- 
ëiotis  de  clnéticns  »  <jui  n'apportaient  aucun  soulagetneiil  à  k 
misère  publique.  Uaris  continuait  à  se  dépeupler;  de$  milliers  ifr 


[1429]  LA  DANSE  MACABRE.  97 

maisons  étaient  vides  et  croulantes  ;  riierbe  poussait  parmi  les 
rues  ;  les  loups  entraient  la  nuit  dans  la  ville  par  la  rivière  ;  les 
imaginations  frappées  voyaient  déjà  dans  Paris  une  nouvelle 
Babylone  dont  les  débris  deviendraient  bientôt  le  repaire  des  bétes 
de  proies 

On  continuait  à  combattre  sur  les  ruines  de  la  France  :  les  morts 
de  Crevant  furent  promptement  remplacés  :  pauvres,  audacieux, 
avides  d'aventures  et  de  butin,  les  Écossais  répondirent  de  c grand 
courage  »  à  l'appel  de  l'archevêque  de  Reims,  envoyé  par  le  con- 
seil de  Charles  VII  :  ils  descendaient  en  France  par  colonies  en- 
tières ;  on  ne  s'entretenait,  dans  les  bruyères  et  les  montagnes  de 
la  stérile  Calédonic,  que  des  brillantes  destinées  qui  attendaient 
les  braves  au  beau  pays  de  France.  Le  gouvernement  anglais 
essaya  d'arrêter  cette  émigration  des  Écossais  en  reprenant,  avec 

1.  Paris,  qui  n'avait  plus  le  cœur  à  prendre  part  aux  fêtes  cheTaleresques  de 
ses  maîtres,  se  donna  uu  divertissement  plus  en  harmonie  avec  ces  temps  de  déso- 
lation :  ce  fut  la  fameuse  danse  macabre ,  la  fête  de  la  Mort.  Durant  six  à  sept 
mois,  d'août  1424  au  carême  de  1425,  on  ne  cessa  de  représenter,  entre  les  char- 
niers du  cimetière  des  Innocents,  un  lugubre  mimodrame  oU  toutes  les  conditions 
humaines,  depuis  le  pape,  l'empereur  et  la  grande  dame  jusqu'au  dernier  men- 
diant, entraient  tour  b  tour,  bon  gré  mal  gré,  dans  une  danse  dont  la  mort  était 
le  coryphée.  Tour  la  première  fois,  la  Mort,  personnifiée  sous  la  forme  hideuse  du 
squelette  humain,  étalait,  avec  un  cynisme  railleur,  «  la  nudité  suprême  qui  eût 
dû  rester  vêtue  de  la  terre»,  suivant  l'expression  d'un  historien  poète  (M.  Michelet). 
L'antiquité,  qui  voilait  de  fleurs  toutes  les  misères  de  la  condition  humaine  et  qui 
déguisait,  sous  de  noires  ailes  et  une  robe  semée  d'étoiles,  le  fantôme  de  la  Mort, 
Pautiquité  eût  repoussé  cette  sinistre  allégorie  comme  une  affreuse  dérision  de  la 
personne  humaine.  Le  christianisme,  conséquent  avec  ses  priucipcs  d'humilité  et 
avec  l'anathème  qu'il  avait  lancé  contre  la  chair  déchue,  affectionna  les  images  de 
la  décomposition  du  corps  et  de  la  dégradation  de  la  vie  terrestre,  mais  en  vue 
du  contraste  avec  une  vie  supérieure  et  impérissable.  Ce  qui  fait  rétraugcté  et 
l'horreur  de  la  dame  macabre,  c'est  lu  suppression  de  ce  contraste;  le  sentiment 
religieux  a  disparu;  il  ne  reste  que  l'image  et  l'idée  de  la  destruction  matérielle; 
la  moralité,  c'est  l'égalité  de  tous  les  hommes,  non  devant  Dieu  mais  devant  le 
▼er  du  sépulcre.  Il  fallait,  pour  se  plaire  à  un  tel  spectacle,  être  réduit,  comme  les 
misérables  populations  du  quinzième  siècle,  ii  s*approprier  la  triste  épigraphe  de 
la  dauêe  macabre  : 

Morte  nihil  melius;  vita  nil  pejus  iniqual 

Rien  de  mieux  que  la  mort;  rien  de  pis  que  la  vie! 

La  danse  macabre,  originaire  de  l'Allemagne,  fut  au  genre  des  drames  allégo* 
.  riques  appelés  moralités,  ce  qu'était  le  Mystère  de  la  Passion  aux  drames  reli- 
gieux :  la  peinture,  la  gravure,  la  sculpture  reproduisirent  partout  ses  interminables 
sarabandes,  r.  la  Préface  du  roman  historique  la  Danse  macabre,  par  le  bibliophile 
Jucob  ^P.  Lacroix).  Macabre  vient  sans  doute  de  l'arabe  magabir,  ciiueiière. 

Vf  7 


ÎRKEîJ  DBS  A ?« OL.il S.  ri<^4itir 

le  roî  Jncques  Stuart  loujoursprbontiiiT  en  Afijifleicnv,  H»  tmtè 
qui  n'avait  point  éié  réalisé  du  vivant  de  Ilenii  V  ;  iiiaks  uvajii 
que  Jacques  fût  de  retour  en  lîcosse,  le  comie  de  lïonglît?  étadJ 
déjù  diltuiquè  h  Là  Rochelle  à  In  l^to  de  cinq  niHIe  guerrktf 
d*iHilt*  Le  roi  lui  fil  «  grande  dière  »,  et  iiaja  d'avance sc^ ser- 
vices avec  magnificence  :  il  liiî  donim  «  la  duclié  p  dû  Touraiiic  i 
vie  *,  StUQrt  de  Damley,  échangé  conlni  le  eommandiinl  des  Ao* 
glais  pfiÈ  h  Gravelle  en  Anjou»  eut  la  seigneurie  d'Atibigné  et  le 
CQuxit  de  Ureux,  Tout  était  pour  tes  getm  d'Ecosse  ;  les  ca|)itaiiiêi 
français  en  niurmunuenl  l'orlet  douiandaicnl  si  Fou  voulait  que 
la  Pnince  fût  portngi^e  entre  les  Ang^'^iî^  et  les  Écossais,  Il  est  ocr» 
tain  que  les  conseillers  de  Charles  Vil,  n'ayant,  pour  »1iii|i05cr  4 
rhumeur  indépendante  des  capitaines  Avançais,  ni  rautoritù  de  b 
naissance  ni  celle  de  la  gloire  4nilitairc>  leur  prÉfêmtent  systé- 
matiquement les  auxiliaires  i^!rangei^<  Le  c<>nsfil  de  Cliarles  VB 
tira  encore  des  secours  d'ailleuiâ  que  d'Ecosse  :  le  dnc  île  %Uhn 
envoya  troisi  des  plus  reuonnnés  comhitkrî  d*JtiiUe,  avec  dnq 
cents  lances  et  mille  archers,  qui  cntiiTcnt  par  Ljon  cti  Fiuoce, 
et  prirent  en  pasîsant,  près  de  Mâctm,  à  raide  des  Lyonn^iâ,  k 
maréchal  de  Bourgogne,  Thonlongeon^  un  *les  vaîiiqtiettrs  de 
Crevant*  Ces  renforts  rcniircnt  le  parti  h-unçab  en  étal  de  tenir 
la  eimipagne  ;  la  guerre  ne  se  iaisail  nulle  |iart  avec  des  masses; 
la  déflation  du  plat  pays  eût  rendu  l'entrelîeii  des  graudcs  ur* 
inées  imposslhle  :  rhi^torien  Thoinas  Basin ^  iiS5tu*e  que,  dcptii>le 
Pontlaeu  juMiu'aux  nurdies  de  Lorraine  ei  d'Alleniagiiû«  un  m 
voyait  (|ue  champs  en  friche  et  villages  déserfs,  I4C»  Iniis,  les  hal- 
liers  et  les  broussailles  rogagnuieat  de  toutes  parla  lu  terrain  qcie 
leur  avaient  enlevé  raccroisseuïcnl  de  la  po|Hilîilion  cl  h^  progits 
de  ragricullure*,  L*aigent>  d'ailleuj'j»,  niouquail  au  rcf^KHi  < 


I,  CkrimSitUê  ùnùttffme,  dit«  de  ia  PttfttU* 

?,  Tbotuiai  Haiiii.  ^téqtic  tU  U%ïmx,  longtcmp*  t&fM  tn\\n  U  f««u49iij&r 

\j>tiï*.  %{t  ^u'aji  r^'jt'ittl>iit  depuJH  fuiiisluiup»  de  no  pi»  voir  ftgiirvt  votrs  Ici  i 
uuui^tiin  ittr|irJmé*}  du  qatuf  Ji'iui:  $itde  i  lu  S<yciHé  ili^  rtiïAlatrr  ijo  rr^aticv  »  ob 

3.  tJ  eoumi  lt»u^icinpsn  nu  pfc»\t^r)iti  ^Vlk  éiwiiii  ^m  •  h%  Aftgliu»,  |iaf  Itnrj 

it  la  PucçUe  dtOrtéantt  |}ibUe»tk,  luiiu^  loud»  ù^  FvtiUuj^ii,  w  IJIk 


(U!I4]  AUXILIAIRES  ÉCOSSAIS.  99 

comme  au  roi  de  Bourges  :  rAnglclcrrc  était  encore  falijiuée  des 
sacrifices  qu'elle  avait  laits  en  1421. 

Une  amiée  entière,  après  la  bataille  de  Grevant,  s'écoula  sans 
événements  capables  d'influer  sur  le  sort  de  la  guerre  :  wwii  nou- 
velle révolte  eut  lieu  sans  succès  parmi  la  noblesse  de  Picardie; 
les  Français  perdirent  un  bon  poste,  La  Cha  ri  té-sur-Loire;  enlin, 
dans  les  derniers  jours  de  juin  1424,  le  château  d'Ivri,  dernière 
place  que  conservât  Charles  VII  sur  les  confins  de  la  Haute- 
Normandie,  fut  attaqué  par  les  Anglais  :  après  un  mois  de  résis- 
tance, les  assiégés  capitulèrent  et  promirent  de  livrer  leur  forte- 
resse au  duc  de  Bedford,  la  nuit  de  l'Assomption  de  Notre-Dame, 
a  au  cas  qu'ils  n'auroient  secours  du  roi  Charités  d. 

Les  capitaines  de  Charles  VII  se  décidèrent  à  un  grand  eflbr t  pour 
€  recourre  »  Ivri.  Dix-huit  mille  combaltiinls  furent  rassemblés 
sous  les  bannières  du  connétable  de  Buchan,  de  lord  Douglas, 
duc  de  Tourainc,  des  comtes  d'Aumale,  de  Tonnerre,  de  Ven- 
tadour,  du  vicomte  de  Narbonne,  du  maréchal  de  La  Favelte,  et 
des  condottieri  Valperga,  Rusca  et  Cacchieie.  Ces  chefs,  qui  ne 
sentaient  point  sur  eux  la  main  d'un  pouvoir  intelligent  et  fort 
et  qui  s'étaient  habitués  à  l'indépendance  d'une  guerre  de  par- 
tisans, ne  pouvaient  venir  à  bout  de  s'entendre  quand  ils  se  trou- 
vaient réunis  :  aucun  d'eux  ne  voulait  reconnaître  la  supériorité 
d'un  autre;  les  Français  refusaient  d'obéir  à  l'étranger  Buchan, 
tout  connétable  qu'il  fût  :  ils  convinrent  enfin  de  mettre  à  leur 
tête  un  enfant  de  quinze  ans,  le  duc  d'Alençon,  parrain  du  petit 
dauphin  Louis  et  fils  de  ce  brave  et  imprudent  Alençon  qui  avait 
périà  Azincourt;  le  vicomte  de  Narbonne  fut  donné  pour  guide 
au  jeune  duc.  Au  jour  fixé  (15  août),  l'armée  de  France  arriva  en 
vue  d'Ivri  :  le  duc  de  Bedford  l'y  avait  devancée  avec  dix-huit  cents 
hommes  d'armes  et  huit  mille  archers  anglais.  Sa  positign  était  si 
forte  que  les  capitaines  de  France  ne  crurent  pas  pouvoir  l'at- 
taquer :  ils  se  retirèrent,  abandonnant  Ivri  malgré  la  promesse 
qu'ils  avaient  envoyée  au  gouverneur,  «  scellée  des  sceaux  de 
dix-huit  grands  seigneurs  du  parti  du  roi  »  (Monstrelet).  Pour  se 
dédommager  de  cette  perte,  ils  allèrent  se  présenter  devant  Ver- 
neuil  :  un  grand  nombre  d'Ecossais  des  basses  terres,  qui  par- 
iaient anglais,  se  laissèrent  fier  les  mains,  barbouiller  de  sang  le 


100  GUERRE.^  DES  A^NGLAIS.  [liil] 

visijio  et  les  vùleiiients,  et  Iniîner  à  la  suite  des  Français  coiiiine 
(les  i)risoniiiers  anglais  :  ils  crièrent  à  la  garnison  de  Vei*neuil 
qn(;  tout  élîiit  perdu,  que  rannée  anglaise  était  détruite.  Les 
défenseurs  de  Verneuil,  épouvantés,  ouvrirent  les  portes  de  leur 
ville.  (Bourgeois  de  Paris.  —  Monstrelel.) 

Tandis  que  les  généraux  français  prenaient  possession  de 
A'erneuil,  le  duc  de  Bedford,  maître  dlvri,  s'était  rais  à  leur 
poursuite  :  il  expédia  un  héraut  au  lord  Douglas,  duc  de  Tou- 
raine,  lui  mandant  «  qu'il  venoit  pour  boire  avec  lui,  et  qu'il 
se  voulût  arrêter  afin  qu'ils  Lussent  ensemble.  Et  ledit  duc  de 
Touraine  lui  lit  telle  réponse  :  —  Qu'il  soit  le  très  bien  venu.  Je 
suis  venu  exi)rès  du  loyaume  d'Ecosse  pour  le  trouver  et  ren- 
contrer enfin  en  France,  puisque  je  ne  l'ai  pu  trouver  en  Angle- 
terre. Qu'il  se  veuille  donc  hâter  d'approcher»  (Berri). 

Toute  l'armée  fut  ordonnée  en  une  seule  bataille  à  pied,  avec 
deux  ailes  à  cheval,  très  inégales,  composées,  l'une  des  auxiliaires 
lombards,  l'autre  de  Français.  Les  Anglais  se  formèrent  aussi  en 
une  seule  grosse  bataille,  les  honunes  d'armes  derrière,  les  archers 
en  avant  et  sur  les  ailes,  leur  front  couvert  par  une  rangée  de  pieux 
aiguisés.  Bedford  plaça  en  arrière  les  chevaux  et  le  bagage  avec 
une  réserve  de  deux  mille  archers.  «  Le  duc  de  Touraine  cl  les 
autres  chefs  de  la  compagnie  avoient  délibéi  é  et  conclu  d'attendre 
les  An;ilois  en  la  plactî  oii  étoient  les  François  près  de  la  \ille  ■; 
mais  le  vicomte  de  Narbonne  se  précipita  vers  l'ennemi  avec  une 
aveugle  impétuosité  :  Douglas  et  les  autres  chefs  furent  forcés  de  le 
suivre,  et,  quand  on  on  vint  aux  mains,  les  Franco-Écossais  étaient 
déjà  hors  d'haleine,  tandis  que  les  Anglais  avançaient  <  lentement 
et  sagement  en  bel  arroi  sans  se  trop  échauffer  ».  Pendant  que 
«  les  deux  grosses  batailles  s'assembloient  l'une  à  l'autre,  sans  que 
de  grand  espace  (longt(Mnps)  on  i»ùt  voir  qui  auroil  victoire»,  les 
deux  ailes  friuiçaises,  chargées  d'attaquer  en  queue  les  ennemis, 
s'étaient  ébranlées  :  les  cavaliers  italiens,  partis  les  premiers,  fon- 
dirent sur  les  deux  mille  archers  de  l'a  ni  ère-garde  anglaise,  les 
re[)Oussèrent  sans  les  entamer,  et,  s'emparant  d'une  partit  des 
chevaux  et  des  bagages,  ne  songèrent  phis  qu'à  mcllrc  en  sûreté 
ce  (pfils  avaient  «  gagné  ».  L'autre  aile  française,  qui  ne  comptait 
(jue  deux  à  trois  cents  lances,  se  trouva  beaucoup  trop  faible, 


CU24}  BATAILLE  DE  VERNEUIL.  101 

non-seulement  pour  exécuter  la  manœuvre  qui  lui  était  confiée, 
mais  même  pour  empêcher  les  deux  mille  archers  de  renforcer 
le  principal  corps  de  Bedford,  «Et  lors,  assez  hripf  ensuivant,  se 
commencèrent  les  François  à  déconforler,  et  les  Anglois,  en  grand 
hardiesse,  se  boutèrent  entre  eux,  les  séparèrent  et  ouvrirent  leur 
bataille  en  plusieurs  lieux;  et  tant  continuèrent  lesdits  Anglois 
qu*ils  obtinrent  la  victoire,  non  pas  sans  grand'peine  et  efl'usion 
de  sang  de  chacune  partie*.  »  Les  adroits  et  lestes  archers  triom- 
phèrent, comme  à  l'ordinaire,  des  pesants  hommes  d'armes;  la 
gendarmerie,  impropre  à  toute  manœuvre  d'escadron,  et  le  plus 
souvent  empêchée  par  la  disposition  du  terrain  de  se  mettre  en 
haie  sur  une  seule  ligne ,  son  unique  manière  de  combattre  à 
cheval ,  avait  presque  absolument  renoncé  au  rôle  de  cavalerie 
dans  les  batailles  rangées;  le  rôle  d'infanterie  ne  lui  réussit  pas 
mieux;  ce  ne  sont  pas  les  armes  à  feu,  quoi  qu'on  en  ait  dit,  qui 
ont  tué  la  chevalerie,  c'est  la  création  de  l'infanlerie  moderne 
dont  le  caractère  est  la  réunion  de  l'arme  de  jet  et  de  l'arme  blan- 
che dans  la  même  main.  Les  archers  anglais  avaient  déjà  ce  ca- 
ractère quoiqu'ils  n'eussent  pas  d'armes  à  feu. 

L'élite  de  l'armée  franco- écossaise  périt  dans  la  funeste  journée 
de  Verneuil  :  le  comte  de  Douglas,  le  connétable  de  Buclian,  les 
comtes  d'Aumale,  de  Tonnerre,  de  Vcntadour,  le  vicomte  de 
Narbonne,  tous  les  grands  seigneui-s  furent  tués,  excepté  le  duc 
d'Alençon,  son  frère  le  bâtard  d'Alenron  et  le  maréchal  de  La 
Fayette,  qui  tombèrent  vivants  au  pouvoir  de  l'ennemi;  (juatrc  à 
cinq  mille  Franco-Écossais  demeurèrent  sur  la  place  :  on  fit  peu 
de  prisonniers;  la  victoire  avait  coûté  aux  Anglais  seize  cents 
hommes  d'armes  et  archers  (17  août  1424).  Le  corps  du  vicomte 
de  Narbonne,  un  des  meurtriers  de  Jean-sans-Peur,  fut  accroché 
à  une  potence  (lar  ordre  de  Bedford;  plusieurs  chevaliers  nor- 
mands, qui  étaient  retournés  à  la  cause  fiançaise  ai)rès  avoir 
prêté  serment  au  roi  anglais,  furent  exécutés  «  par  justice  ». 

Veuieuil  se  rendit  au  duc  de  Bedford,  qui  retourna  ensuite  à 
Paris,  où  il  fut  reçu  «  à  aussi  grand  honneur  que  faisoient  autre- 


1.  Monstrelet,  1.  U,  e. '»<>.  —  Saint-Renii.  c.  127,  r.?8.  —  Bcrri.  roi  (l'armes.— 
Bourgeoiê  de  Paris. 


lOî  GUERRES  DES  A?fOLAî$  '    ^ 

fois  lc$  Ronuuiiïi  en  imr^  Irioniplics,  (ïoiidcHU  qm  le  roi  *:.  i. 
avoifc  au  rtpur  grand  tristr^so  pour  li  (Ij'striirtioii  di»  si^îi  |if  m 
et  de  sa  chevalerie*  ». 

La  nnitiut'le  (Je  loutle  Maine  et  la  redilition  dt^' deniitTes  for- 
(en'i^HeH  djiiîplùnokcs  de  Picardie  mivireiit  la  vicloire  ûch  \ij- 
glm  :  les  d^fiiilos  suceesï^ives  de  Crevant  et  de  Venteiiil  |w*rsî>- 
îijtient  devoir  enfnnler  des  con^ir^qwnceîîi  bien  uiilreiuent  %iHcsd 
fataleit;  les  Français  avaient  appriî*  par  une  tris^tc  espt'rîcnre  que 
la  forlune  de  Henri  V  lui  survivuil,  trt  il  était  à  craintlrt-  qnm 
martnl  ddToiirairetrjcnt  ne  mtceédât  au  mouvciaienl  ûb  réactido 
nationale  qu*avait  amené  la  mon  du  ronqin^mnt  éir:;ingtT.  Ltt 
Anglais  puu^îisaient  avec  vigueur  leufî^  avautu|tc»i;  te»  {>opulatiom 
du  eentre  et  du  nudt  pouvaient  être  lent^e^  ilo  rotirher  la  i^ic 
sous  un  jong  qui  seuiblail  imposé  par  la  Pruvidencc  elle-mûme, 
Charles  VIÏ  et  ^p%  erinseillers  faifiaitiiit  tout  ee  qu'il  failnil  iwtlf 
iiehever  de  perdre  la  cnu^y  nationale  t  n*a)^i}|  foi  que  dans  k» 
auxiliaires  étrangers,  ils  étaient  bj  atterris  dcl.i  desli*urtion  ik* 
Écossais»  qu*iliâ  interdirent  désorniak  aux  truupeiî  royales  loirte 
opération  de  eampa^^ie  et  abandonnèrent  à  ellet^nèmes  k$ 
bande$  de  parti^^H^ns  qui  tentaient  encore  de  giierrojer  ^u  m>rd 
àts  la  Loii-e.  Les  Anglais  pment  mm  balîjyer  à  InMr  hi&  partît 
san.s  et  rench  e  aux  provinces  an^do*lrançaiR*s  une  ^curilé  rdft» 
tivc,  Un<lisque  les  partiî^ans  refoulés  par  reEmemi  redcveiiaieol 
un  fléau  pour  len  provinces  «  dauphinoise^)^  ». 

Le*  fautes  des  Anglais  suspend irejil  TefTet  des  Tautes  do  Char- 
les VU  :  ee  fiil  dans  m  propre  famille  que  le  duc  de  Bedibitl  rciH 
contra  les  pluB  grands  obstaetes  :  au  moment  ou  le  «  rtgmi  àt 
France  »  triomphai!  h  Verneuil,  son  frère  Gloe^*ster,  ie  lieutenmit 
général  d'Angleterre,  eompnimellaiï,  pour  les  inlén^lsde  son  ëay 
hllimï  privée,  et  les  progrés  ullérieursde  la  muse  anglaise  et  m^me 
les  ré.'^ulials  acquis, 

Jacqueline  de  Itoviére»  comtesse  de  Hainaut,  Hollande  et  Zélande 


I  Itfir  tUia.iic  put  rAKiorrtUnaOmi  dr^  li'hfi^  mIHi^a,  TiKknMit  hwaiu,  L  Ui  c.  24. 
mt^  t*fihtmrf  dt  Jeajmt  tfArt;  l*ttri»,  J.  RcnfUîirtJ ,  iS.v»;  jk  ï7-30.  Cmt  #lMili, 


tl«4]  DÉTRESSE  DES  FRANÇAIS,  103 

et  dame  de  Frise,  veuve  du  dauphin  Jean,  avait  t^pousô  on  socondos 
noces  son  cousin-germain  Jean  de  Bourgogne,  duc  de  Rrabant  et 
de  Limboui*g,  lils  aîné  du  duc  Antoine,  tué  à  Azincourl  :  ce  ma- 
riage, œuvre  de  la  politique  bourguignonne  et  contracté  à  regret 
par  l'épousée,  était  le  plus  mal  assorti  du  monde.  Jacqueline, 
belle  et  passionnée,  altiérc  et  violente,  sans  frein  dans  ses  amours 
et  dans  ses  haines,  n'éprouva  que  du  mépris  et  de  l'aversion  pour 
un  mari  faible  d'esprit,  infirme  de  corps  et  gouverné  par  des 
favoris  de  •  petit  état  »,  qui  flattaient  ses  travers  et  ses  puérilités. 

Les  Pays-Bas  retentirent  longtemps  de  leurs  discordes  conju- 
gales :  plus  d'une  fois  Jacqueline,  secondée  par  son  beau-frère, 
ce  même  comte  de  Sainl-Pol  qui  avait  été  gouverneur  de  Paris, 
employa  le  poignard  et  la  hache  pour  se  débarrasser  des  favoris 
de  son  époux;  le  duc  Jean ,  de  son  côté,  exilait,  proscrivait  les 
femmes  et  les  affidés  de  la  duchesse.  Jacqueline  prit  une  résolu- 
tion extrême  :  elle  quitta  secrètement  le  llainaut  en  1421,  se 
rendit  à  Calais,  et  de  là  passa  en  Angleterre,  d'où  elle  envoya 
vers  le  saint-père  pour  obtenir  la  rupture  de  son  mariage  sous 
prétexte  de  parenté  et  d'affinité  spirituelle*  :  le  pape  Martin  V  ne 
paraissant  pas  favorable  à  ses  désirs,  elle  s'adressa  à  l'antipape 
Benott  XIII  qui  vivait  encore  au  fond  des  montagnes  de  l'Aragon, 
en  obtint  ce  qu'elle  souhaitait,  et  épousa  le  duc  de  Glocester 
quelques  mois  avant  la  mort  de  Henri  Y. 

Cette  alliance,  que  n'eût  pas  dil  permettre  Henri  V,  était  une 
inévitable  occasion  de  discorde  entre  les  Anglais  et  le  duc  de 
Bourgogne.  La  maison  de  Bourgogne  tendait  depuis  longues  an- 
nées à  la  domination  des  Pays-Bas  :  elle  l'avait  atteinte  presque 
complètement  par  l'union  du  duc  de  Brabant  avec  la  comtesse  de 
Hainaut.  La  rupture  de  cette  union  et  l'introduction  d'un  Lancas- 
tre  parmi  les  princes  de  ces  contrées  ébranlaient  tout  l'édifice  de 
la  puissance  bourguignonne  :  le  duc  Philippe  n'était  pas  homme 
à  souffrir  rétablissement  d'une  puissance  rivale.  Il  se  déclara  hau- 
tement en  faveur  de  son  cousin  de  Brabant,  et,  l'excitant  à  ne  pas 
se  dessaisir  des  seigneuries  de  son  infidèle  épouse,  il  lui  promit 
assistance  contre  Glocester.  On  négocia  longtemps  sans  résultat, 

1.  Elle  était  la  marraine  de  son  mari. 


f«i|  GUERRES  DES  A!90T.\1S,  umi 

Dedford  employa  lous  les  moycfiii  i*our  t'éUirikr  le  dioc  :  fl  II 
dlmnienses  tonressions  au  àue  Plnlipiie;  tîii  luimpénsafiun  dp 
grantles  réclamations  pécuniaires  qu'enlevait  le  Boiirgui£,^ion,  il 
loi  octroya  les  villes  et  terriloires  de  P^rcinne,  Roie  et  >loiitdidi«?r*; 
pais  les  comtes  d*Aiixen'e  et  deMàcon  ri  la  clifildlnili?  de  B*'ir-^nr- 
SeirK%  qui  avaient  ju^qu^uloni  rdcvc*  dirccleiuonldtîtacoumiioc, 
Phiii[jp(!  n(!  €:èda  pas  néanmoîDiî  sur  la  question  des  Pays-E«; 
il  consentit  stnilement  que  U*  débat  fût  souHïis  n.  an  vrai  |Ki|)et. 
Bedfûrf]  avaitliAtede  sortir  d'embaïTrisà  tout  pri%',et  uVit  demtiudi 
\r.i^  davantagti  ;  mais  Clocester  et  Jacqueline  h  leur  tour  ni'  um» 
lurent  rien  entendre.  Dani*le  courant  dVictoInc  1V24,  dinix  iiiob 
après  la  bataille  de  VernL^uiU  ils  débarquèrent  i\  Cahûs  avec  cinq 
mille  îioldats  anglais»  et  dèclari^rent  i  qu'ilt;  iroienl  en  Hainaiil 
pi-endre  Tob^iîîsance  de  leur  pays  i  ;  soi*  quoi  Philippis  nnnonçs 
au  due  de  Bedrord  qu'il  aiderait  de  tout  son  pouvoir  son  coimn 
de  Brabojit, 

Au  mots  de  décembre,  Jacqueline  elGloecâter  cxécutèrenlleur 
menace  ;  ils  traverst^rent  TArtois  s^aus  y  catnmeltre  dliostttiti^'^  «l 
prirent  pos.scîsîiiou  ^iins  coup  férir  de  Mous  et  de  b  meilleure  pai^ 
tie  du  ilainaut  :  les  liabitants  ne  rnnent  pas  devoir  ré§îsl«ïr  à Iei0 
souveraine,  Rliilippe  de  Bourgogne  se  dispo^tlt  de  son  rAii^^  à 
tenir  parole  :  tout  occupé  de;^  gta^e^  intérêts  qui  se  dékillai^^ 
aux  Pays-Bas,  il  avait  conclu^  d^s  le  tH  septemlii*e  precùdenL,  ulH 
trêve  aviîc  Charles  VU,  par  rinlenn^diaîi^*  du  duc  de  Siiv«>ie  ;  on 
grand  anuemtmt  s'apprêta  dan&  sas  fital^  et  dan!«  vvm\  de  Jean  ie 
Brahnnt,  et  bientôt  on  vil  enta*rcf!  Haiiiaui  les  niîlioes  comiDH* 
nales  des  province!^  bnibanvonnes»  soutenuciî  par  une  multitude 
de  gens  d* armes.  On  voyait,  entre  les  genlilslionimeg  d'Artcib  d 
de  Picardie,  jusqu'à  des  capitaines  dauphinois  accourus  joTeits<v 
ment  pour  guerroyer  contre  les  Anglais  s^ius  les  bannières  d-? 
Bourgogne  :  Potlion  de  Saintrailles  était  du  nombre. 

La  querelle  était  devenue  pcrsonueîle  cotre  les  ducs  de  Uoar* 
gùgnc  et  de  Giocester  par  suite  d'une  lettre  de  ce  dernier,  qui 
offensa  ai  grièvement  le  duc  Philippe  que  ce  prince  délia  l'An- 


CI425]  JACQUELINE  DE  HAINAUT.  105 

glais  «à  combattre  de  leurs  corps  l'un  contre  l'autre»,  (ilocesler 
accepta,  et  ils  choisirent  pour  juge  du  camp  le  duc  de  Bedlbrd. 
La  guerre  fut  d'abord  à  peu  près  susi)cndue  par  ce  déli  ;  mais,  le 
duc  de  Glocesler  étant  retourné  en  Angleterre  «pour  soi  prép;u-er 
au  champ-clos  » ,  les  Picards*  et  les  Brabançons  envahirent  de 
nouveau  le  Hainaut,  forcèrent  successivement  les  villes  de  ce 
comté  à  rentrer  sous  Tobéissance  du  duc  Jean,  et  mirent  le  siège 
devant  Mons  où  résidait  la  comtesse  Jacqueline.  Les  habitants  de 
Mons,  bien  qu'ils  eussent  juré  au  duc  de  Glocesfer  de  défendre  et 
protéger  «leur  dame»  contre  tous,  cédèrent  promptement  aux 
attaques  des  Brabançons  :  ils  obligèrent  Jacqueline  à  se  remettre 
entre  les  mains  du  duc  Philippe,  qui  promit  de  la  garder  honora- 
blement à  Gand  jusqu'à  ce  que  le  pape  Martin  V  eût  décidé  auquel 
de  ses  deux  maris  devait  rester  celte  princesse  (juin  1425). 

Sur  ces  entrefaites  le  duc  de  Bedford  avait  assemblé  à  Paris 
«  plusieurs  sages  hommes  des  Trois  États  de  France  et  les  ambas- 
sadeurs d'Angleterre,  pour  avoir  délibération  sur  la  journée  et 
champ  de  bataille  entrepris  entre  les  ducs  de  Bourgofinc  et  Ac 
Glocester.  Après  que  la  querelle  eut  été,  par  plusieurs  journées, 
visitée  et  débattue  en  conseil ,  fut  conclu  qu'il  n'y  avoit  point  dv 
juste  cause  entre  eux  de  s'appeler  l'un  l'autre  en  champ ,  et 
que  cette  journée  seroit  mise  du  tout  à  néant,  sans  qu'ils  tissont 
amendise  (réparation)  l'un  à  l'autre».  Cette  décision,  dictée  par  le 
duc  de  Bedford  et  approuvée  par  le  pape  qui  défendit  îi  Glocester 
de  se  battre  sous  peine  d'excommunication,  ne  termina  point  le 
difTérend  :  Jacqueline,  après  deux  mois  de  détention  à  Gand, 
s'échappa,  gagna  Anvers,  et  de  là  ses  comtés  de  Hollande  l't  de 
Zélande  dont  elle  reprit  le  gouvernement.  Le  duc  Philippe  l'y 
poursuivit;  Glocester  expédia  des  secours  à  sa  femme  malgré 
Bedford  et  le  conseil  d'Angleterre,  et  les  provinces  de  Hollande  et 
de  Zélande  devinrent  le  théâtre  d'une  guerre  acharnée,  tandis  que 
le  duc  de  Bedford  s'occupait,  non  plus  à  tâcher  de  réconcilier 
Glocester  et  Philippe,  mais  à  rétiiblir  l'ordre  et  l'union  dans  l'An- 
gleterre même,  où  tout  était  troublé  par  les  dissensions  de  ce 

1.  Sous  le  nom  de  Picards,  on  confondait  assez  généralement  avec  les  huhitanis 
de  la  Picardie  proprement  dite  cuux  do  l'Artois,  du  Cambraisis,  du  Touniaisis  et 
même  de  la  Flandre  wallonne. 


tm  OOEnBFS  DES  AKGtAIS.  tt4^*s-tl9TÎ 

fiit^fFiL*  (i)orf!^tor  et  Ae  Févèqne  de  Wlnchesler,  son  ftnrir.  Hr«î- 
fdi'd  fut  ohViçs^^t  (It^  pn«îsf  r  Ifi  mer  nu  mois  de  riécemhro  t  MiÎK  el  m» 
rtvint  m  France  qu'au  printemps  de  1427*.  (îràec  au  dur  de  (rli> 
ra«ïter,  ce  farf*nJ  trois  années  de  pi^rrlnes  poer  la  crniqu^lo  on- 
glaiî*e,  (rots  nrirircs  de  r^pît  pour  le  parlî  fmurfd?, 

lïedford  trerîdilail  à  cJ*aqtje  instîinl  de  i^oir  le  duc  de  OmiqEOinie 
lui  échapper  entité  remeut  et  se  réconcilier  avec  *llmrles  Vil  :  di! 
nouveaux  inttTcls,  de  uouvelle^  passîonî*  détniirnaienl  dt*  plii5 
eu  plui^  IHiilippe  du  but  unique  qull  avail  d';ilmrd  poui^uivi. 
la  vengeante  du  metirlre  de  sou  p&re*  Dès  r*in(Drune  de  1424^ 
il  avait  accordé  sa  plus  jeune  sceiir  Açnès  au  etmite  do  (Uennonl, 
bien  que  ee  jeune  pritïce,  fait  (vnfïounier  à  Moutereaii  nuinH 
du  cadavre  ilu  due  de  Bourgogne,  eût  <?nibrai^*i*^  la  cause  frfto- 
çaîse.  Le  duc  de  Savoie,  Amé  VIII*  qui  uii'ïfocia  re  iiiarittge, 
pn^rnUi  rn  mAme  temps  an  duc  trois  cuvotl^s  dr  Charîes  Vil, 
Tarrhevt'^que  de  Beims  et  le»  évéques  de  CliartroH  eJ  du  Pui  ^,  Phl^ 
li[>pe  r6pûndil  à  eesmnki»$sudeurïï  qu*il  ne  pouvait  traiter  de  ps^H 
avee  Charles  de  Valois,  entouré  des  assassin^  lîe  Jcan-sans-Pear. 
Ce  n'était  pm  }h  un  refus  absolu  de  réraneiliation  ;  raliBtiiele  indi» 
que  par  l*hilip]ïe  pouvait  disparaître  d'im  lïiomi^nt  h  1  atilre.  La 
belle-mére  de  Charles  VII,  Yolande  d'Aragon ,  dui'iiessc  donai- 
rh)ïT,  d'Anjou  et  reine  donalrîére  df*  Sicile,  secondée  par  lYrèquc 
de  CJerumnt,  travaillait  activement  Artnneraupn'is  de  son  |:eitdn! 
le  crédit  de  Tanneirni  DudidteUdu  pr^^sident  Lnuvet»  et  des  antres 
auteurs  du  crime  de  Montereau,  ainsi  qu'a  optpcr  un  rapp] 
ment  entre  le  Jeaue  roi  et  les  maisons  alliées  de  Bour^giie  et 
Brettïgne^,  Uuelqucâ  semaines  après  le  désastre  de  Vcruiriijl, 


î,  1-e*  rii'iK  iirtMiiiiTH  4v  ca'%  pfAïftï*^»  Min>*i  i\w  VHf'iim  ii*f  l*îiHii,  ïp  ipWttrrei 
ver^jmîro  Jean  €piirtpciii«5c«  r{>iFdf|ue  dd  t^on  cl  pi  uni  o  tir»  t»ulrt*»  ariiffiit  ifvii 
lear« *ié^*^%  poïii  ini  pa^ >e *minictiro  ani  An%\u\s>*}*aithKf^q\ir  tU Bclmt,  RrgB 
de  Chartrv<(,  MViiit  mn%[  cl^htit^  Imnorthl^^miuit  danx  nriMoimi   tteitii  lui 
|ilu>  urd  un  uutre  rith\ 

3<  EHe  av4it  rendu  nn  atitre  ^ftrtléû  11  lu  ^ftii*f:  frûorolifl  ùû  réi: 
iiiaiM«)tiik  rtvAlfiii  th  hf^nninc.  fs  *h^tir^  iH  uu  uiariiitit  Mm  i\h  ^v%\^  %i'  \. 
Uer  dv  Ifar  pur  Ktiè(^t:*i»$iiiL  ft^mittli]{,%  k  In  fiWv  uniriua  du  duc  CimHii*  ili  Ji^fF  j.[i>. 
qxki  %o  ff.tlfD  dp  paru  âii;ï!n*|)ourp|^nfin«  VmXr  ]trlncc«<tfi  âo  Lr^rrain^,  *V^'^r  ^  "^ 
ârnA  «r  Ab}oa»  iiTaa  Hi*  lUmtktuïH  par  Hiairi  V,  qui  «\pmi^ti,  Ha  Ueu  dVIk,  C*t4e->^ 


[1425]  LE  CONNÉTABLE  DE  RICHEMONT.  107 

décida  Charles  VII  à  offrir  à  Artus  de  Bretagne,  oomle  de  Riclic- 
mont, qu'on  savait  très  mécontent  des  Anglais,  Tépée  de  connéta- 
ble, vacante  par  la  mort  deBuchan;  Ricliemont  accepta,  de  l'aveu 
du  duc  Philippe,  son  beau-frère,  et  le  duc  de  Bretagne,  entraîné 
par  Topinion  publique,  consentit  à  rompre  ses  engagements  avec 
FAnglcterre  et  à  entrer  dans  l'alliance  du  roi  Charles,  pourvu  que 
celui-ci  éloignât  de  sa  personne  et  de  ses  conseils  les  auteurs  et  les 
complices  du  meurtre  de  Jean-sans-Peur,  ainsi  que  les  honnnes 
qui  avaient  conseillé  l'odieuse  trahison  desPenthiôvre.  Charles  VII 
y  consentit  et  donna  à  Richemont  des  otages  et  quatre  places  de 
sûreté,  Lusignan,  Chinon,  Loches  et  Meung-sur-Yèvre.  Riche- 
mont,  entouré  des  principaux  barons  de  la  Bretagne,  vint  recevoir 
solennellement  Tépée  de  connétable  de  la  main  du  roi,  dans  la 
prairie  de  Chinon,  le  7  mars  1425. 

Tannegui,  esprit  violent  et  farouche  ^  mais  capable  jusqu'à 
un  certain  point  d'affection  et  de  dévouement,  avait  entîn  com- 
pris la  nécessité  de  s'éloigner,  et  déclaré  à  Richemont  lui-même 
qu'il  ne  mettrait  point  obstacle  «à  un  si  grand  bien  que  la  paix 
du  roi  avec  monseigneur  de  Bourgogne».  Frottier,  d'Avaugour 
ctles  autres  chefs  des  Armagnacs  étaient  disposés  à  suivre  l'exem- 
ple de  Tannegui  ;  le  président  Louvet  seul  résista;  cet  homme  de 

.  robe,  plus  opiniâtre  et  plus  arrogant  que  les  gens  de  guerre  ses 
complices,  était  décidé  à  entraîner  le  roi  dans  sa  chute  plutôt 

'  que  de  descendre  volontairement  du  pouvoir.  Tandis  que  Riche- 
mont était  retourné  en  Bretagne  pour  rassembler  des  troupes, 
Louvet  persuada  au  roi  de  manquer  à  sa  parole  et  de  garder  ses 
conseillers.  Quand  Richemont  revint  à  la  tôte  de  ses  Bretons,  il 
trouva  à  Angers  l'évéque  de  Clermont,  «  mis  hors  de  Thôtel  du 
roi  »  pour  avoir  rappelé  à  Charles  sa  promesse.  Le  prince  breton, 
télé  de  fer,  caractère  rude,  austère  et  d'une  infatigable  activité, 
avait  au  plus  haut  degré  l'obstination  native  des  gens  de  son  pays;  il 
respectait  fort  peu  la  mollesse  et  la  versatilité  du  roi,  et  il  résolut 
de  le  sauver  malgré  lui.  «  Il  tira  devers  le  roi,  assemblant  gens  de 
toutes  parts  »  sur  son  passage,  et  annonçant  hautement  l'intention 

1.  Un  jour,  en  plein  conseil,  devant  le  roi,  il  se  prit  de  querelle  avec  le  comte 
Gaichard  Dauphin,  le  poignarda  et  le  tua  sur  la  place.  Registres  du  parlement, 
citùs  par  Buranic,  t.  V,  p.  213. 


Wn  GUEBBES  DBS  AKGL\lS.  f| JIst 

de  diastîorles  chiifs  do»  Armagnacs  :  Ift  noblr&se  ih  Iïoitî.  de 
tou,  d'Auvergne,  dcRoucrgue,  accourut  en  fuulc  sonsî^a  banni 
toutes  le»  villes  se  déclart^ronl:  en  m  faveur;  la  inèri?  de  h  rdiic 
vint  Ic^  joindre,  Louvet,  qui  n'avail  |>lus  d'anlre  rïppui  qnt  lv$ 
débris  ûm  ineiTcnulres  écossniK  et  b"»mhiirdf*  et  qyt*l(iuf*^  VMfux 
Armagnacs  commandés  par  le  iiniredml  de  Iiuu,«i>iac:,  fujait  atoc 
le  rtîi  de  ville  en  ville  devant  Uichcmont;  il  ne  resluil  plus  en 
raMIssante  du  rnî  qu<^  Sell«^!^et  Vier/on,  qu.infn*aiiini4lre|in^* 
dent  se  résigna  enfin  a  quitter  la  plîice  et  à  [untir  pour  ^n  |«iri(v 
ment  de  Provence*  Tajinegui,  demeuré  passif  dans  k  qucrrlk, 
obtint  une  reU*aUe  honorable;  le  roi  Fenvnja  njmrue  «.rinklioli 
Beaucaire;  les  aulres  personnages  les  plus  tftiiipromlîs  s'ébign^* 
n^nl  également,  et  la  n^  un  ion  du  roi  et  du  eonnélable  ^'opm 
anx  acclamations  univcrsellcfi.  Peu  de  temps  après,  dans  h 
cours  de  septembre,  le  duc  Jean  de  Bretagne  m  renilit  pri-s  Je 
Clnirles  VII  à  Samnur,  lui  lit  luunma^e  de  «sa  ducbé  >,  et  mit  â 
sa  dîsfioî^îlion  les  forces  de  la  Bretat^nc,  Les  ctiimls  des  niéni*s(rfk 
nélébrtVent  cet  benreux  événement,  el  los  cloîtres  de  Tabbavede 
Saint-Florent,  où  étaient  logés  les  priïices,  œtentirenf  de*  acceols 
d'une  allégresse  inaccoutumée  depuis  longtemps  h  la  cour  du  nij 
de  Bourges. 

Les  estiéranees  les  plus  bnrdles  seniblaienl  (lernuses  aux  ainif  ^ 
de  la  patrie  :  la  vieille  juction  des  Armagnacs ,  si  obborréi'  du 
piîuple,  disparaissait  avec  ses  chefs;  U  faction  étrangère  ptîi%tiiil 
ainsi  son  prétexte  le  pins  spécieux,  el  le  prirti  du  roi ,  eritiér**mfii< 
confondu  désormais  avec  la  cau.se  de  la  nation  elle-méiye»  se  pu* 
riflait  des  souilluiTs  de  son  origine  en  rejetant  un  élément  impur 
et  erioiineû  Enfin,  Talliance  dctiharles  Vil  avec  le  duc  de  Br>;itigq« 
promettait  uîie  antre  réeoni^iliation  bien  pins  décisive  efifor«; 
tout  faisait  croire  que  le  duc  de  Bourgogne  se  laisserait  bieiilôt 
amener  à  pardonner  un  attentat  hautement  désavoné  |iar  le  niî, 
el  h  saerîrter  ses  ressentiments  au  salut  de  ta  IVanre.  Le  p-ipr 
Martin  V  lui  avait  récernmenl  écrit  à  ce  sujet  une  lettre  qui  tionort* 
la  mémoire  de  ee  pontife  :  le  pape  invitait  cbateuretisement  le  dot 
à  traiter,  de  concert  avec  les  Anglais,  ou  sans  eux  s'ils  se  ii!ln- 
mieut  h  la  paix,  et  représ<*ntaït  à  Philippe  qu'il  ne  devait  passe 
I  roirc  lié  par  des  engagements  conlraîres  k  tons  ses  dirvuii^  ifc 


{liTo}  CHARLES  Vil  ET  SES  FAVORIS.  109 

citoyen,  de  \assal,  de  prince  du  sang  de  France  * .  Le  duc  de  Savoie, 
le  conilc  de  Richcniont  et  sa  femme  Marguerite  de  Bourgogne, 
ainsi  que  les  conseillers  les  plus  fidèles  et  la  plupart  des  feuda- 
taires  du  duc  Philippe,  travaillaient  d'un  commun  accord  à  vaincre 
les  scnipules  de  ce  prince,  qui  n'était  plus  retenu  que  |)ar  le  sou- 
venir des  serments  prèles  à  Troies  et  par  sa  considération  pour 
sou  beau-frère  Bedford^. 

Toutes  ces  espérances  s'évanouirent  :  tous  ces  germes  d'un 
iueilleur  avenir  avortèrent  parla  déplorable  faiblesse  de  Thounne, 
si  l'on  pouvait  lui  donner  le  nom  d'homme,  entre  les  mains 
duquel  la  France  avait  le  malheur  de  voir  flotter  sa  destinée. 
Charles  VII  n'eut  pas  de  pire  ennemi  que  lui-même.  Toujours  à 
la  merci  du  premier  intrigant  qui  s'emparait  de  son  esprit  en  flat- 
tant son  humeur  défiante  et  ses  goûts  de  paresse  et  de  volupté,  il 
avait  déjà  remplacé  le  président  Louvet  par  un  autre  favori,  par 
ce  Pierre  de  Giac  qui  avait  joué  un  rôle  si  équivoque  dans  la 
catastrophe  de  Montereau.  Le  connétable,  sentant  que  le  roi  ne 
pouvait  se  passer  d'un  «  gouverneur  »  et  ne  voulant  pas  aban- 
donner la  conduite  de  la  guerre  pour  végéter  oisivement  à  côté 
du  roi,  avait  consenti  à  lui  laisser  Giac,  qu'il  croyait  s'être  attaché 
en  le  préservant  de  partager  l'exil  des  chefs  armagnacs.  Giac  n'usa 
de  son. crédit  que  pour  tâcher  de  ruiner  le  pouvoir  de  Richemont 
et  d'emptcher  la  paix  avec  le  duc  de  Bourgogne,  dont  il  craignait 

1.  Une  ordonnance,  dictée  h  Charles  VH  quelques  mois  auparavant  par  la  reine 
douairière  de  Sicile  et  pur  le  président  Louvet,  n*avait  probablement  pas  été  sans 
influence  sur  les  bonnes  dispositions  du  saint-père  :  cet  édil  rendit  à  la  cour  de 
Kouie  la  nomination  k  tous  les  béuéficcK  et  une  autorité  absolue  en  matière  de 
juridiction  ecclésiastique.  L'édit  du  14  février  14:26  ne  fut  point  exécuté  :  le  par- 
lement de  Poitiers,  conformément  aux  conclusions  du  procureur  général  Pierre 
Cousinot,  on  refusa  renregistrcmenl,  et  le  roi  révoqua  son  ordonnance  comme 
contraire  aux  décisions  du  concile  de  Constance  et  aux  droits  des  évéques.  {Ordoim. 
t.  XIII,  Préface,  p.  xliij.)  Les  gens  de  justice  étaient  restés  plus  gallicans  que 
Tuniversité,  qui,  après  avoir  tant  combattu  pour  arracher  au  pape  lu  disposition 
de5  bénéfices ,  s'était  prise  b  regretter  tout  haut  sa  victoire  en  voyant  l'usage  que 
faisaient  les  évéques  et  les  autres  colluteurs  des  droits  qu'on  leur  avait  restitués. 
La  grandeur  de  l'université,  nous  Tuvons  déjii  dit,  avait  expiré  dans  son  triomphe 
mâuie,  dans  ce  concile  de  Constance  qui  fut  le  tombeau  de  tant  d'illusions.  L'uni- 
versité, n'ayant  plus  de  but  ni  de  flambeau  moral,  se  laissa  ballotter  par  les  factions 
de  honte  en  honte,  jusqu'il  (te  qu'elle  se  précipitât  dans  Timmonde  abîme  du  procès 
de  la  Pucelle^ 

2.  GuiU.  Grucl,  //m/,  du  Connétable  de  Hichemonl.  —  Bcrri,  roi  d'armes.  — 
Durante»  t.  V,  p.  207-209. 


110  oefittHis  nEH  âffGLAfa  tu 

toujours  la  vcn^jeaiÉce,  L'impérieuse  rudesse  ûu  enmiHMv  iiv 
cxciîtt'  dos  mécontftïtemeiils  h  Uï  cour;  Giac  s'aM;«cha  li.-^  ruii 
Bans  qu'avail  hemliHRichemtint,  et  8*cflor<;a  d\*u€ti£iltit:r  à  se$  tu 
tériMs  les  cufiHe!^  de  {;iênut)ut  elde  Faix  :  11  fit  doimi:r  an  preii 
«  k  comté  ï>  d'Auvergne  »  au  second  «  In  comté  t^  de  Blgctrrt;  I 
comte  de  Foîx  avait  été  récemment  réinli^gré  dans  le  gouvcr 
ment  du  Languedoc,  el  n'entendait  rtTouEiallriï  an  connétable  au 
cune  suprènititiê  polilique  on  militaire»  Gm:  ne  s'en  tint  [i^i*  h  i 
intri^'^ues  :  les  garnibon?^  an^^iii.ses  de  la  Itaflïte-Norrîiîindie,  d^m 
ralliaïice  du  duc  Jean  VI  et  de  Riclicmont  avec  Cliarliî*  \TI,  iJés 
laienl  la  Brelag-ne  jusqu'aux  portes  de  Rennes,  Au  comme 
inent  de  1436,  le  connétable  rassembla  un  corps  d'urmée  rniu^l 
et  hreton,  entra  en  Normandie,  prjtPontorson,  cl  mit  k  ùr^ 
devant  Saint-James  tle  t*euvron;  mais  h  peme  aviiit-îl  iisHk 
caïup  devaut  celle  place  que  Targent  et  les  vivres  i|u'on  !ai  ht 
projiiisî  tui  mauquèrent  :  le  tK*5or  ne  devait  pourtant  |ioint  Ht 
vide,  les  Trois  Etals  assembiïi»  à  Meung-sui  -Yôvre  ayïint  octrm^ 
une  aide  au  roi-  Les  gens  d'arme» ,  t^ans  pu>e  el  sans  reasotir 
conunencèrent  à  déserter;  le  connétable  s'obstina  à  continuer  I 
siège  et  mqim  Tas^sant;  les  assaillants  turent  repous^ô^  avec  i)cnt 
par  suite  d*itn  malenteudu  eulre  des  corps  français  el  lias^r 
tijns  qui  s'étaienl  pris  récipïxyqucnient  pour  des  Anfi^iaiâ,  1^  noll'^ 
suivante»  rannée  brûla  se^  Inj^ements  et  déciun|)a  en  dé^rdfc_ 
Sîins  écouter  seâ  ehefe*  Iliciieniont,  en  voulant  arrêter  ses  Kildili 
fut  renversé  de  rhevai  et  faillit  être  étouffé  pur  la  multî*! 
fuyards  qui  lui  jjassérent  sur  le  corps.  Ce  fàcfieux  détmt  i 
toute  la  campagne  aux  Français, 

Riclicmont  ne  res|urait  que  ven^^eance  :  il  avait  bientôt  recnîni 
le  véritable  autt*ur  de  son  aiîroul*  il  suspendit  tpjejque  Ieui|vss4!j 
cotips  pour  les  rendre  plus  sûrs  :  il  revint  joindre  la  conr  à  Issuu'l 
duu  en  Berri;  il  reconnut  k  quel  [loint  Giac  avait  à  son  Uni 
aliéné  les  esprits  * ,  et  crut  pouvoir  tout  oser.  Un  matîn  de  jaiiJ 


1»  Doriitit  TtLSMiutïlétt  dèi  f^iaU  <f«  Mviàng,  GJac  iitiiSI  ixtontié  kii9  ineitij 

tniMencc  i  il  àh  tnoi  linut  que,  «i  Id  roi  IVn  iiinvMlf  nii  {encimU  ii  ta  Tiri^t^  ré«#<( 

H VI jf lit»  Ctiititrafei  H  qut!li|uas  ilA|iul^}i  tlt(t  IjtntnvH  viUiîH  ((ut  rlMitHttibtctii  qii> 

[  r^oruiAt  fin  |4ai*fit»  suuitiriiti  mK^vof^i  4^.nr<!itéi:ri*ltnfi^hChrvnhi»dfiiti  i^ttUii 


[I427J  CHARLES  VII  ET  SES  FAVORIS.  111 

vicr  1427,  accompagné  du  sire  de  La  Trémoille,  mortel  eiineuii 
de  Giac,  il  se  présenta  inopinément  avec  les  arcliei*s  de  sa  ^arde 
devant  l'hôtel  de  Giac,  et  força  la  porte  :  Giac  se  réveilla  au  bruit: 
€  Qu'est-ce?  demanda-t-il.  —  C'est  le  connétable.  —  Ah!  s'écria- 
t-il,  je  suis  un  homme  mort!  » 

Il  se  se  trompait  pas.  On  le  jeta  sur  une  petite  haquenée  sans 
autres  vêtements  que  sa  robe  de  nuit  et  ses  bottes,  et  on  Temniena 
grand  Irain  hors  delà  ville  jusqu'à  Dun-le-Roi,  forteresse  qui  était 
c  de  Tobéissance  du  connétable  d  et  du  douaire  de  sa  fenune.  Ri- 
chcmont  fit  instruire  sommairement  par  son  bailli  de  Dun-le-Roi 
le  procès  de  Giac.  Le  misérable  était  condamné  d'avance  :  il  offiit 
en  vain  100,000  écus  d'or  pour  sa  rançon  ;  il  fut  jeté  à  la  rivière. 
Ses  concussions  étaient  évidentes  ;  mais  le  biographe  d'Artus  de 
Richemont,  Guillaume  Gruel,  lui  impute  beaucoup  d'autres  cri- 
mes, et  assure  qu'avant  de  mourir  il  s'avoua  coupable,  non-seule- 
ment d'avoir  trahi  et  mené  à  la  mort  son  seigneur  Jean  de  Bour- 
gogne, mais  d'avoir  empoisonné  sa  première  femme,  l'ancienne 
maîtresse  du  duc  Jean^ ,  «  et  vendu  Tune  de  ses  mains  au  diable  i>. 

c  Ne  demandez  pas,  poursuit  le  chroniqueur,  si  le  roi  fut  bien 
courroucé;  mais  tout  le  monde  s'embesogna  à  faire  l'appointe- 
ment  (le  raccommodement)  ;  et  le  roi,  bien  informé  du  gouverne- 
ment et  vie  dudit  Giac,  fut  très  content.  j>  Ce  dernier  trait  est 
d'une  naïveté  admirable  ;  les  absents  et  les  morts  avaient  tort  bien 
vite  dans  l'esprit  de  Charles  Vil.  11  lui  fallait  absolument  quel- 
qu'un qui  partageât  ses  plaisirs,  qui  gouvernât  sa  maison  et  sa 
personne,  qui  lui  évitât  la  peine  de  prévoir,  de  commander,  de 
penser  même  :  la  «  reine  de  Sicile  »  et  le  connétable  placèrent 
donc  auprès  de  lui  un  petit  écuyer  d'Auvergne,  nommé  Le  Camus 
deBeaulieu,  qu'on  regardait  comme  incapable  de  devenir  un  per- 
sonnage politique.  Mais  Le  Camus  aflecta  les  mêmes  prétentions 

1.  (C  II  la  fit  empoisonner,  et,  quand  elle  eut  bu  les  poisons,  il  la  fit  monter 
derrière  lui  à  cheyal,  et  chevaucha  quinze  lieues  en  celui  état;  puis  mourut  ladite 
duuie  incontinent...  avec  son  fruit...  car  elle  étoit  grosse...  Ledit  Giac  faisoii  ce 
pour  avoir  en  mariage  la  veuve  du  comte  de  Tonnerre.  »  Cette  seconde  femme 
vengea  sa  devancière.  A  l'arrivée  des  gens  d*armes,  elle  se  leva  vivciucnt  «  toute 
DUC  M  du  lit  de  son  mari,  a  mais  ce  fut  pour  sauver  la  vaisselle.».  Quant  au  mari, 
elle  le  laissa  emmener  sans  mot  dire ,  et  peu  de  temps  après  elle  épousa  un  des 
meurtriers,  le  sire  de  La  Trémoille,  avec  qui  elle  était  probablement  d'accord  à 
l'ttvuuce.  —  Guill.  Gruel.  —  Chrouiq,  de  la  PuccUc.  —  Bcrri. 


în  GIIBHUBS  ri£S  ANGtAtS.  iiirj 

qm  Giiu*,  et  se  *  goyv<*riia  aussi  oial  •  que  son  dev^imier:  \m 
ihiuucv^^  arradiées  si  tloulotireusemenl  à  la  misère  |»ublii]ue,€!Oit* 
lîiHitîreiU  h  Hc  dissiper  en  fètCB  er  en  Imnqiiph  el  à  s^ûOigfiiiflra: 
tltns  loi>  pochés  thi  favori  et  de  se^  finiis,  peiidaiit  que  lesscrflUl 
inou raient  de  faim  et  que  le  royaume  achevait  de  m  pi*rdre.  U 
aninétablc  tHiiit  exaspéré  :  tous  Itîs  moyeniî  d'action  mr  lt*j^qudi. 
il  coiupUtil  lui  échappmeni  au  moment  de  les  uieUrc  en  icutn*; 
touttîs  les  chances  de  salut  qu'il  avait  ménagées  à  la  France  s'en 
allaient  Tune  après  I'îuiUt  :  le  mniie  de  Wanvick,  lieutenant  gé^ 
néialdiî  du€  de  Bedford  c*n  Frnnœ,  repœnaitl'ofTenMVc,  ^siè- 
geai*  MoïUargis,  et  fai&ait  assit-ger  Pontorsuii  et  menacer  b  BretB* 
gnc  pîir  gt's  eapitabjes  :  le  duc  de  Bretagne  ^e  rerroidissuit  poiir 
rallianec  françîUse  et  ne  vtîulait  pas  etîurir  le  risque  d'une  bataille 
puur  secourir  Pontorson;  Tc^poir  de  la  paix  avec  ta  B(»ui^o^i» 
s  éloignait  de  jour  en  jour;  lei^  tuisei*able^  discordes  de  ta  cour  de 
Charles  VU  paralysaient  les  négociations  comme  hîs  oper.jn€n& 
mitit:\iîeî^,  lUcla'innnt  résolut  de  faire  un  second  e-xemple,  et  y 
mit  encore  rnoÎJisde  l'acong  qne  la  première  fois.  An  retour  d'iujc 
de  ses  clievanehceèv  II  autorisa  le  maréchal  deBons^uc^déij^clier 
le  favori  siins  forme  de  procC^s  :  on  gagna  tjn  servîtenr  de  U- 
Camos^  qui  altiï*a  son  maître,  sous  [>rétexte  d*tiife  aventure  ga- 
lante^ dans  un  petit  pré  sous  les  murs  du  cliâteau  de  Poitiei^,  kA 
là  (rois  ou  qnnlre  des  gens  an  man'^chal  de  Bunssae  tni  fendirt'nt 
la  létc  h  coupis  de  salire.  Le  traître  qui  avait  livré  LeCamusriinictia 
tianquillcmeiil  au  chAteau  la  mule  du  mort,  sous  les  veux  de 
Charles  VII,  qui  était  i\  une  fenMre*  <  Il  y  eut  beau  bruit  »  mi  diJh 
teau;  a  toutefois  il  ifeo  fut  antre  chose  *  :  les*  meurtriers  ?^ï'tiiiciil 
aitivés;  |>ersonne  ne  fut  |uini»  et  leconnélalde»  en  reparlaiil  pinir 
la  guerre,  doima  au  roi  pour  favori  et  pour  ministre  le  sire  de  Li 
Trémoille  ^jni  avnit  coopéré  h  la  prise  de  fiiac*  t  Le  roi,  nir4)i| 
le  biographe  de  Richemont,  n'éîoit  pns  content  que  Li  Tnfinofl 
demeurât  avec  lui;  mais  le  connétable  lui  dît  que  c'éluit  lUi 
homme  puissant  tant  de  parents  et  îuais  ipie  de  leints  cl  seignoi- 
rie:'.,  et  qn*il  le  pourroil  bien  servir.  —  Ileau  cousin»  répondit  If 
roi»  vous  me  le  baillez;  iuais  vous  vous  en  repentirez,  tar  je  Ir 
cannois  mieux  que  vous,  »  Ce  qu'il  jade  plus  cariieti>rîstiqui\ 
c'esl  que  Chaiie^p  qui  croyait  connaître  si  bien  Li Trémoille  itl  (]iii 


[i«7]  DÉLIVRANCE  DE  MONTARGIS.  113 

l'acceplail  avec  tant  de  regrets,  se  livra  à  lui  aussi  coinplélement 
qu*à  Giac  ou  à  Le  Camus. 

La  Trémoille  «  ne  fit  point  le  roi  menteur  »  ;  des  qu'il  fut  le 
maître  à  la  cour,  «  il  fit  le  pis  qu'il  put  au  connétable  »,  et  devint 
pour  lui  un  ennemi  beaucoup  plus  dangereux  que  ses  deux  pré- 
décesseurs*. Là  ne  devait  pas  s'arrêter  la  perversité  de  cet  boninic 
bien  pire  encore  que  ne  le  pensait  Charles  VII.  Par  lui  se  réalisa 
plus  tard  dans  l'histoire  le  type  romanesque  de  Ganelon,  l'idéal  du 
traître. 

Richemont  était  retourné  à  la  guerre  après  s'être  débarrassé 
de  Le  Camus:  il  tâcha  de  relever  un  peu  le  parti  français  en  sau- 
vant Montargis,  ville  du  douaire  de  sa  femme  ;  il  rassembla  sur  la 
Loire,  à  Gien,  un  corps  d'éUte  qu'il  confia  au  bâtard  Jean 
d'Orléans,  depuis  si  fameux  sous  le  titre  de  comte  de  Dunois,  et 
à  Etienne  de  Vignolles,  dit  La  Hire,  ce  vaillant  Gascon  qui  était 
partout  où  il  y  avait  des  coups  à  donner.  Richemont  les  chargea 
de  ravitailler  Montargis;  ils  firent  mieux  encore.  La  place  était 
protégée  par  deux  rivières,  le  Loing  et  le  Vernisson  ;  les  assiégés 
avaient  inondé  les  abords  de  leur  ville,  et  la  disposition  des  lieux 
avait  obligé  les  Anglais  à  se  partager  en  trois  petits  camps  qui 
communiquaient  difficilement  ensemble.  Vers  le  midi,  par  une 
chaude  journée  de  juillet,  les  Français  tombèrent  tout  à  coup  sur 
un  des  quartiers  ennemis  ;  la  garnison  fit  (ui  même  temps  une  fu- 
rieuse sortie;  tout  ce  corps  anglais,  fort  de  quinze  ou  seize  cents 
combattants,  fut  tué,  pris  ou  jeté  à  la  rivière,  et  les  troupes  de  se- 
cours entrèrent  en  triomphe  dans  Montargis  2.  Le  comte  de  War- 

1.  Vie  du  Connét.  de  Richnnont,  —  Berri.  —  Chroniq,  de  la  Pucclle, 

2.  La  Chronique  de  la  Pvcelle  raconte,  h  propos  du  siège  de  Montargis.  un  trait 
caricux  de  La  Hire,  qui  a  été  reproduit  dans  tous  les  recueils  d'anecdotes,  et  qui 
est  deTcou  très  populaire.  La  Hire,  ayant  rencontré  un  chapelain  peu  d'instants 
avaDl  le  combat,  s'avisa,  si  peu  dévôi  qu'il  fût,  qu'il  ferait  bien  de  mettre  ordre  h 
la  conscience  :  il  appela  le  cliapelain  et  u  dit  qu'il  lui  donnât  hâtivement  l'abso- 
lution  :  le  chapelain  lui  dit  qu'il  confessât  ses  péchés;  La  Hire  répondit  qu'il 
n'avoit  pas  le  loisir,  et  qu'il  avoit  fait  ce  que  gens  de  guérie  avoieiit  accoutumé 
de  faire.  Sur  quoi  le  chapelain  lui  bailla  absolution  telle  quelle;  et  lors  La  Hire  fit 
sa  prière  h  Dieu,  en  disant  en  son  gascon,  les  mains  jointes  :  —  Dieu,  je  te  prie 
que  tu  fasses  aujourd'hui  pour  La  Hire  autant  que  tu  voudi  ois  que  La  Hire  fit  pour 
loi ,  8*il  éloit  Dieu  et  que  lu  fusses  La  Hire.  —  Et  il  cnidnii  ^^croyait)  très  bicu 
prier  et  dire.  »  Ou  cite  de  ce  vaillant  aventurier  d'autres  saillies  non  moins  ori- 
ginales. C'était  lui  qui  caractérisait  si  éuergiquement  les  mœurs  militairei:  de  son 


wick  leva  le  siège»  In  unit  suivante^  a>ec  le  restt*  ith  {H'Htc  iiriiiièe 
aiigliibe.  Cclail  la  pîcinière  fois  que  le  hûlard  ri'Urîéanfi  6lai| 
Lharjk'ë  d'un  ciimumndenieiit  de  quelque  ittiportADce  :  il  fied^ 
mcrilît  |um  te  brilhinl  début* 

Le  surrt»s  de  Monlargis  ne  fut  qu'un  acctdtîni  milè  :  le  etiaii^ 
lAbk  et  bs  autres  seigneurs  qui  smutenaieni  le  faix  «le  In  ^emr 
avinent  déjà,  eonlre  Lîi  Trêmoilk*,  les  rm^nicîi  cvhh  '  n? 

tiiac  et  Le  (laiinis  :  pour  tirilder  les  g^ens  d'iinues  de  1  '  ^  .  j>n 
de  Mnutargii»,  le  eonntlahle  avait  è\é  obligé  de  tncîtliv  en  piçea 
coui'uniic  de  comle;  on  ne  lui  [vayait  |)lus  .'^e^  |>en^i<Hi$  ni  sm 
oflice.  La  délectiori  du  duc  de  Brelitgue  côiLi|>eDâa,  t*l  liif*fi  nu 
delà,  récliec  cssujè  \mv  les  Anglais  :  Bedibrd  ciml  n*vcnii  d'Ao» 
gleierre  au  moi**  d'avril,  el  avait  dirigé  ï4ur4eï-cliniiip  ^es  elFari* 
an  i-Mé  de  la  Bretagne;  unt^aî^se/Jongnt^paix  intérieure  Ai^^niAié 
m\  Bi'eluu»  qutilque  cboïie  de  re>pnt  liùrùtqua  du  leiupit  dr 
Cbarles  V;  leurs  preaiierâ  eiigageuienl^  eontre  les  Anglais  or 
furent  poîul  benreox;  n'allendant  plus  rien  de  Cljnrles  VU  ni  d« 
siens,  ils  hésilèrenl  îi  aUirer  la  guerre  dari^s  li^iir  [myh  et  lai&5é*nQQl 
leur  duc.  reronnallre  de  nouveau  le  Irailé  deTr()ieï^/3jnillH  1427). 

Les  événtjriuenls  qui  Miivireut  ne  sejublèrent  que  trop  jiistilicr 
la  condnile  du  linc  de  Ilretagne,  qui,  jugeant  la  Fnmce  [lerdoc, 
ne  eroKUt  plus^  devoir  sijuger  qn'aii  saliil  de  i^a  i»rûvince.  Le?  dii' 
eordes  civiles  acbevaienl  de  dissoudre  le  dt4>rl:^de  royatiiiie  cdh 
î^erve  par  tlliarles  Vil  :  riiebenionl  avnil  enlrepris  de  tJ";dU!f  Li 
Tnhuûille  conntie  (iiae  et  Le  (lannis  -  niaiî*  La  TremidUc  in  ait  à  U 
tùh  \Am  de  c^ipaciti>  et  plu^  de  moyens  de  dt*fenàc.  Le  cuiin^talik 
a  prit  ûmïuv  reudex-vous»,  à  CliiHelleraul,  aux  i^onile^de  tiennfini 
et  de  La  Marebe*  et  au  niariTlial  de  Bouî^iiar,  allit  dcconoalCf 
un  plan  d'alltiqiuî  eoulre  le  lavuri*  LaTréuioîtle  4  lil  défendre, de 
\mt  le  roi,  que  nul  hoinuie  ne  fût  si  hardi  tle  mettre  Ic54lîi5fw- 

nwil»»,  vu  difAn\  qua»  *♦  m  liuiu  Ui  Pàn:  %e  haml  gca<Urmf,  U  ^l<vt^mIrftlt 
un  mpi^iirtfi  uU4»j  i)irttii  jinir  i|uM  rtiiii  ^  hi  i;our,  k  roi  ïm  tUtu»n^Ll^  ce  <] 
ftitU  iruàc  Uiii  Ufitlcinte<  u  b'f utile  il  iriiuil  <fii!i»j»kr  ;  il  ié|iof)(lil  •  v[tii*  J.         : 
;»*<iioli  tiouvn  rot  qui  {iKtAH  M  joy^wsciDcnt  ioû  r«jii»ïnju  «.  i*a*f£aJ<ii',  Jt«i4rM^— 
de  Ift  frftitir^  i,  Vï.  c-  ^* 

1.  t'rtncc  de  k  niatiion  dv  U&^iNn,  qm  uviiit  vu  «rasacï  tiDj^olifeiei  «?•  uibi^t 
i\  uvait  fûj^tié  (jutvl'iuc  tn^iijt%  ii  Copies,  tip\ni  ('^iiïvtM'-  \a  ixtltic  irurkuv  et  Ifiiipo^; 
«tirl^-t  ûv  JnuiitJu»  4]UL'ri$1^if!i  mvix  «a  IcmiiKS,  îl  lui  rimait  dt  Nu|at;4*  «I  ituuioc  É^ 
«ou  ii>)'4Uiiix  iLU  roi  U*Ariigoa* 


ri4î7,1428]  RiCHEMONT  ET  LA  ÏRÉMOILLE.  115 

gneurs  en  ville  ni  ohûleau,  ni  de  leur  faire  ouverture  en  (juehiue 
place  que  ce  fût».  L'entrée  de  Chàtelleraul  fut  donc  refusée  au 
connétable  qui  rejoij^nit  ses  amis  à  Chauvigni  ;  maints  pourpar- 
lers eurent  lieu,  «  mais  nul  appointement  ne  se  put  trouver,  car 
La  Trémoille  ne  s'assuroil  (ne  se  fiait)  en  nul  homme».  L'hiver 
était  venu  :  le  connétable  se  relira  dans  la  seigneurie  de  Parlhenai 
en  Poitou  dont  il  venait  d'hériter,  et  les  autres  seigneurs  s'en  allè- 
rent chacun  dans  leurs  terres;  La  Trémoille  extorqua  du  roi  une 
déclaration  qui  bannissait  le  connétable  de  la  cour,  et  lit  renvoyer 
à  plusieurs  reprises  l'assemblée  des  lîtats  convoquée  à  Poitiers 
pour  la  fin  de  cette  année  :  il  craignait  que  les  Étals  n'intervins- 
sent en  faveur  de  ses  adversaires*. 

Au  printemps  suivant  la  guerre  civile  éclata  :  les  comtes  de 
Ciermont  et  de  La  Marche  entrèrent  dans  l^ourges  sans  résistance 
de  la  part  des  habitants,  et  assiégèrent  la  grosse  tour  que  le  com- 
mandant, le  sire  de  Prie,  ne  voulut  pas  leur  livrer.  Le  gouverneur 
fiit  tué,  mais  la  tour  ne  se  rendit  pas,  et  le  roi  et  La  Tiémoille 
survinrent  «  à  grand  nombre  de  gens  »,  avant  que  le  connétable 
se  fût  réuni  aux  deux  Bourbons  :  Ciermont  et  La  Marche,  se  trou- 
vant les  plus  faibles,  s'accommodèrent  avec  le  roi  sans  com- 
prendre le  connétable  dans  le  Irailé.  Richemont,  qui  était  entre 
en  Limousin,  retourna  h  Parthenai,  et  continua  les  hostilités  en 
Poitou  et  en  Saintonge  contre  «  ceux  qui  tenoient  le  pai-ti  de  La 
Trémoille». 

Ainsi  tout  tournait  contre  la  France  :  la  dernière  tentative  faite 
pour  réorganiser  le  parti  national  et  rétablir  l'ordre  dans  la 
défense  des  restes  du  territoire  n'avait  abouti  qu'à  créer  un  nouvel 
élément  de  dissolution  et  de  ruine.  Les  longs  démêlés  des  ducs  de 
Bourgogne  et  de  Glocester,  et  de  ce  même  Glocester  avec  le  cardinal 
évéque  de  Winchester  et  le  conseil  d'Angleterre,  avaient  empêché 
jusque-là  Bedford  de  rien  faire  pour  accabler  un  ennemi  qui  sem- 
blait acharné  à  sa  propre  perte  :  les  obstacles  qui  arrêtaient  le 

1.  Les  états  avaient  déjk  été  réunis  h  Chiuon  au  mois  de  septembre  1427.  Les 
États  étaient,  depuis  quelques  années,  usscmblés  régulièrement  dans  lu  Lunguedoll 
français  comme  dans  le  Languedoc  :  le  gouvcrnemeni  du  roi  de  Donryes  n'était  pas 
assez  fort  pour  lever  des  impôts  arbitraires.  —  a».  Hisi.  dv  Languedoc^  1.  XXXIV, 
c.  45.  —  La  régence  anglaise,  do  son  côté,  tiaitaii  soit  avec  les  Etats  de  ses  pro-  * 
vinccs,  soit  avec  les  villes.  Le  despotisme  avait  disparu  avec  l'unité  de  la  monaiclUe* 


nu  riUERBES  DES  ABïGLMS  (|| 

rêvent  anglais  luuilièreiil  cnlili  tleviiiit  s:i  |M5i>*.'vrrriij€i%  hc  (^p 
Martin  V  ayant  drdur^*  mil  le  lu-'iritàgc  ûv  ki  Ditiilr^^e  Jacciurline 
avec  Gl**eeftter,  Bedriml  <l^l€*ntima  mn  Trèi-e  à  î^c  ^ouiiiettm^  et 
GltKVskM"  i'^(iau»M  urte  roattrcsse  doni  rinflnfujcp  aniil  cfintriboè 
**Hk"îin_*inenl  h  su  Ètimnhmm.  Ife  lors  rout  niufif  tfirriïalkm  eiilrc 
le  due  Ptïiiîjipe  et  les  Anglais  d]f{Kirut  :  h  rt^H'-nl  irobtitil  fjniiif 
d^âûrniîii^t  une  iissisitnnce  liien  active  de  la  i%ai  t  du  dui!  I*hilifipc; 
njais  c*rtnii  beiMicuup  <]iie  do  n'avoir  plus  à  craindre  une  flcfection 
t'fjaîanle*  Pliilip|ie  élait  absorbé  par  si^sproje*^  sur  les  I*ïi)^Bi&: 
il  y  r^'almiit  rointdèktnient  les  plan;^  un  inonieot  cdtilrari^A  pur 
(ik^eeî^tei,  et  il  rèiuiij^sail  des  provîtice^  entières  h  ncs  tUtlM.  ht 
comte  de  Namiir  lui  avait  vendu  %  iia  couite  »,  du  tntisentejuenl  de 
nobles  et  des  communes  ;  la  force  ouverte  le  mit  en  posseii^ioïi  «k§ 
vâsles  setfnïeuriet?!  dr  Jîict)ue)ine  de  Bavièt^e,  quoi»jue  la  iiiortijo 
dur  Jean  de  Brabanl  (avril  142H!  et  la  n^nonnatiou  de  l^b"  '-*-^ 
h  la  main  df  Ja<:queline,eiïfisentsuppriin/î  tout  prétexte  de  '^■ 
JanjuelinCp  sur  le  point  d'Airp  dépouillée  de  tous  mï5  domaines, 
lui  roiilniinlc  deirninoaîlre  PlMlip[*epourb(*rItii.*r  de  j^escomlé» 
df  Hainaut,  tlollatide,  Zêlande  et  de  îîa  seif^neurkt  de  Kritic,  et  J< 
lui  en  livrer  immédiatement  radmînistralion  comme  <  avoué •  fil 
«  maîfibmrrg  ».  Elle  sVl>li|iea  en  outre  h  ne  point  se  reui<yii:r 
sans  l*aveu  du  duc*.  Il  n'y  avait  plus,  dans  tous  les  Pa>>-Ras,  q)it 
les  èvedi*^î*  de  IJé^e  et  dlUrccht  et  les  dur.bés  de  tltiHi^s  et  «le 
(Jueldro  nui  ne  reconnussent  poini  la  souveraineté  de  la  itm^on 
de  Bour^^ogne.  Le  ebef  de  la  branclu.^  eadelte  était  nlorî?  Phtlip|ie, 
eufufe  de  Saint- Ptd,  devenu  due  de  Bratiaul  et  de  Limli<mr|^  |t<r 
le  i\Ms  de  son  frère  Join  :  le  duché  de  Liixemhotirf^  devait  M 
attiiarlenir  à  la  tnort  de  sa  mère,  Élisabetli  de  Umeuibounç* 
Gorlilz, 

Tandb  que  l*bilippi!  s^agrandissful  sans  mcî^ure  dauB  lesl 
Bas»  Bedford  sappnMaît  à  reprendiT  et  àadie^er  tu  com|uAle  de 
la  Feance.  Tlionms  Montafî[U,  comte  de  Salisbury  et  du  Pifrdav 
habile  général  «  ordonné  »  par  le  pailemcul  anglais  «  pour  ictiîT 
en  France  taire  g^urrre  »»  ainena  au  règenl,  en  juin  î  W8»  un  i 
fort  de  six  mille  bommes  d'élite,  L'n  jdan  de  campagne  r^H 


itiW]  CHARLES  D'ORLÉANS.  117 

alLiit  succéder  aux  surprises  de  places,  aux  escarmouches  et  aux 
embûches  de  la  guerre  de  partisans  à  laquelle  on  s'était  borné  de- 
puis assez  longtemps.  «  Après  la  venue  dudit  comte,  furent,  par 
plusieurs  jours,  à  Paris  tenus  de  grands  conseils  pour  le  fait  de  la 
guerre»  (Monstrelet).  Les  seigneurs  et  bourgeois  des  cités  et  pays 
soumis  à  Henri  VI  n'osèrent  refuser  les  subsides  qu'on  leur  de- 
manda* ;  le  clergé  résisUi  :  Bedford  voulait  avoir,  «  pour  le  profit 
du  roi  »,  toutes  les  rentes  et  héritages  qui  avaient  été  donnés  de- 
puis quarante  ans  aux  églises.  Les  clercs  montrèrent  une  telle 
indignation,  que  Bedford  retira  cette  exigence.  (  Monstrelet, 
LU,  c.  51.) 

Les  opérations  mihtaires  avaient  commencé  avant  que  lesliitats 
de  Paris  se  séparassent  :  une  levée  de  gens  d'armes  avait  élé  fiiite 
dans  la  Normandie,  l'Ile-de-France  et  les  autres  provinces  franco- 
anglaises,  et  Salisbury  était  entré  en  campagne  à  la  tète  de  dix 
mille  combattants,  commandés  sous  lui  par  le  comte  de  Suffolk 
et  son  frère  John  Pôle,  William  Glansdale,  Lancelot  de  L'isle  et 
d'autres  renommés  «  chevetaines  a.  Les  masses  de  combattants 
qu'on  réunissait  de  part  et  d'autre  avaient  diminué  d'année  en 
année  avec  les  ressources  des  pays  qui  étîiient  le  théâtre  de  la 
guerre;  mais  ce  n'était  point  au  nombre  des  troupes  mises  en 
mouvement  que  devait  se  mesurer  l'importance  de  l'entreprise  : 
des  succès  ou  des  revers  de  cette  petite  armée  dépendait  le  sort 
de  la  France.  Le  but  de  ses  chefs  était  de  s'emparer  du  cours  de 
la  Loire  afin  d'ouvrir  à  l'invasion  les  provinces  méridionales  et 
de  forcer  Charles  VII  dans  ses  derniers  asiles.  Le  malheureux 
duc  Charles  d'Orléans,  qui  languissait  depuis  treize  ans  dans  les 
chaînes  de  l'Angleterre  et  dont  la  mort  de  Henri  V  avait  rendu  la 
captivité  plus  rigoureuse  2,  avait  appris  dans  sa  prison  les  grands 

1.  «  Le  régent,  dit  le  Bourgeois  de  Paris,  toujours  curichissoit  son  pays  des 
bieos  de  ce  royaume,  et  n'y  rnpportoit  rien  qu'uue  taille  quand  il  y  revcuoit.  » 

2.  n  cherchait,  daus  les  lettres,  des  consolations  qui  ont  valu  à  son  nom  de 
figarer  auprès  de  ceux  de  Thibaud  de  Champagne  et  de  nos  plus  célèbres  trou- 
Tères.  Les  longs  ennuis  de  la  captivité  avaient  développé  en  lui  un  talent  poétique 
qoi,  à  défaut  de  puissance,  se  distingue  par  une  douceur  et  une  grâce  mélanco- 
Uqoeft.  On  a  cité  souvent  sa  ballade  à  ta  Fortunt  : 

Fortune,  Teuillez-moi  laisser  Avez  eu  sur  moi  seigneurie. 

En  piix  une  fois,  je  vous  prie.  Toujours  faites  la  rcnnlioric 

Trop  longuement,  k  vrai  compter.  Vers  moi,  et  nu  voulez  ouïr 


ilh  GUËBRES  hfS  ANGLAIS  |i41iq 

[H'ojcts  dps  Anfflaiïî  :  il  «  Yoiiîut  uhvieT  h  re  •  R^li>n  son  pr 
pl  a  recoin  ma  ï>(1  ri  s^a  torre  i>  au  mnite  dt'  Sali^biiry,  •  lc«J^.^ ,,  ,u, 
promit  (|LiO  il  ia  Mipport<M^oit  (la  prot/*^^*^riiit);  cl,  àa  Uiut  ri\  Wîf 
fiomlr  n*en  lint  rioii*  c  Le%  JornaSne&  du  (irinec  caplif  • 
pn''fiîvrn\^îil.  CVS  villfîî  dr  la  Loire  dont  la  posseî^ian  inipt>run 
tant  rmx  Ariylats.  Si  Bourses  était  le  prindjnil  ^jniir  de  la  mm 
de  Cliiirlcs  VIKOrli'uias  était  livrai  chef-lit^u  de  la  Fmnce  centnb 
et  In  dordu  nitili.  A^s^î  les  eapitaities  urtgbi:^  dcuitiridèrail*: 
irninda  cris  le  siéiïc  di!  tielk*  inipurkiiitc  villt*;  h  [iruilcfil  B«*drii 
sc*ntfdt  rmilrf'ptîse  d^llement  (Uxhm  qu'il  hmtf>illien  tlonverk 
mgnni  :  Tardour  des?  ^**m  de  guerre  Tentràtna,  el  Sïdl»I>ui7  ririrt 
ordro  d'attn*pier  Orl^itiiîî*  Il  roniuienca  par  nettiiycr  Ifi  n\e  dnMt 
df*]n  Loire, aii-d**ssus et aii-deïîî^oiiï^d'0rléati5,  de  lotîtes li^spiinii- 
sons  françaisc^s  qui  eiiB*ient  pu  iiKjuielcr  mn  sii^e;  xi  enlem  mr 
son  passage  le^  dt^rnitTe*!  rorlrre?îîe«;  que  tinssent  des  comp  ' 
dauphinoises  dans  le  niidr  de  rile-de*Kranre  cldniiskBi  .  , 
Nogent-le-Roi,  Rainhonillel,  riodiefort,  le  Pms4*î,  Tbciuri,  Jitih 
ville;  il  se  mêii  du  pa^t^gcde  la  Loire  à  Meuug,  prit  EiMUiri«iid. 


Il  u  ik  plu  rieurs  ?iuh  pjtwési. 
Di>l«-)€  toujûur»  ik^n%ï  languir? 
Il i^ bit  H  nV«t>eis  yA%  u%mt? 


hûins^nï  mon  cci^itt  ki  mu  h  iMir  : 
Ver*î  moi  m*  fctilcni  fiîTrâirî 
D'elle  niî  tont  jam«.i«  UiMr*, 
Hmi^i  %uf»  AKUl  x^iii  nul  tiltUir  i 
Iji^b.i!  e\  n*L't»t-<(h:  pmt  OAtrxl     • 

lie  balfbdf r  f tti  bfcitt  l^lalf  : 
Autres  d^iïiïH*  «jv  mm  c**né*** 
PriAonnifr  kujm>,  iJ*ttiîi<ntir  luaitirt 
IK^Jii^!  ti  n*cs.f«fo  pus  Aiiifx? 


'  AulfM  pl«;ui«  <«*«  mnl  »«rl#*f» 


Tou»  tïmuf  HWh  Potiï«j«il  cl(?  porter, 
Fon  un  «eut  i|tii  ir<ip  frvrt  TuVpnok, 
C*e»l  qii'H  me  futti  lo^a  litmeuivr 
0*:  *:Hlk  qtrft  U«n*  pftiir  amtc, 
Cttr  |>ii^<i;ii'  i:ri  H^  ctimpii^iti» 

Cm  pnAMf»  cDD^rMOut.  pf>ur  iu  pUif)UTl,  t^n  ourtc^  bâlUiici  vi  vsi  mudri^scii 
trob  Mrophcs  ftm>ie«  d*UD  euvou  Le  rhyLhmr  iro  ea  jnf  r4alil<i  <l  muMinJt  rciÉ|lii 
di'H  rlnin*  troKrcs  y  pjn  pff*ipie  ^hïhnU 

l^  Lt^  tlnc  »Tiiii  i^Tùmii  k  Suhsluirs  6,0(W*  értit  <iV  pour  ciiîNI  ii»«^na|(e4(J 
donmim's.  tCftrrtWï'^.  dr  l'éiiibfh^rtfHnt  de  tu  f/itt  eu  8  mui  ù  ilrUnnf,  *.j»,  J 
rf<*  ''<>rnJ#frfHrtno«  ef  di'  r^haMUtaliott  dr  Jentmr   if4rr,  puhUfn  pnuf  U  , 

wiquf*  f^n**m  a  pu  réumw,  de;  p^r  Juk*  Quiçlneml;  Ifl4l-I«i»î  ï,  fV,  p.  7i 
UlU!  iiajytemtïi^n  p»irtJcaïièr«,  fa  Soet^t^  du  ru^knift^  du  FranfC,  a  ru  ritotj-.uf  I 
ffparrf  la  c^riupuiai'  n^g1^fll;Ill^o  ûVrc^  I*i*|wt4te  lf>u>  le*  peii^irrru'iiK-nt*  iifiii 
dDi)««  rniiibt'ir  U'^  (l«>ciimrài»  dt^  rhbtciri-  do  It  Éjb<^ru]fir:<«  «)<•  Ia  Frunto,  1/ 
ti  jntîtrk^iiK  rdlteur  a  fiU  de  ecUe  pubikaUea  un  ii»<kimmc«t  digan  du  «lyi 


C1428]  SIÈGE  D'ORLÉANS.  119 

lÂarchenoir,  Jargcau,  SuUi;  les  garnisons  et  les  populations  qui 
ne  capitulèrent  point  à  temps  furent  trailées  avec  une  grande 
cruauté;  enfin,  le  12  octobre  1428,  l'armée  crAnglcterre  vint 
planter  ses  pavillons  devant  Orléans,  du  côté  de  la  Sologne.  Sa- 
lisbury  assit  son  camp  sur  la  rive  méridionale  du  fleuve  pour 
rendre  plus  difficiles  les  communications  d'Orléans  avec  les  pro- 
vinces c  dauphinoises  i>. 

Les  Anglais  trouvèrent  Orléans  préparé  à  les  recevoir  :  les  Or- 
léanais avaient  prévu  depuis  longtemps  le  péril  qui  les  menaçait; 
ils  avaient  compris  la  grandeur  des  intérêts  qui  reposiiient  sur 
leur  résistance  et  des  devoirs  qui  leur  étaient  imposés  :  ils  sen- 
taient que  leur  ville  était  le  dernier  boulevard  de  la  France  ;  qu'il 
leur  fallait  renouveler  l'héroïsme  de  Calais  et  de  Rouen  avec  plus 
de  ]>onheur.  Pendant  que  les  Anglais  «  conquêloient  »  les  forte- 
resses du  voisinage,  les  échevins*  et  procureur  de  la  ville  avaient 
convoqué  l'assemblée  générale  des  habitants  :  tous  les  habitants, 
clercs  et  laïques,  montrèrent  une  noble  émulation  de  dévouement 
et  de  sacrifices.  Une  taxe  générale  fut  décrétée,  et  les  citoyens  les 
plus  aisés,  ainsi  que  les  chapitres  et  les  connnunautés  religieuses 
donnèrent  ou  prêtèrent  en  outre  de  fortes  sonnnes  d'argent.  Les 
Orléanais,  malgré  la  répugnance  trop  motivée  de  la  bourgeoisie 
pour  les  garnisons  d'hommes  de  guerre,  sentirent  que  le  secours 
de  gens  expérimentés  dans  les  armes  leur  était  indispensable  :  ils 
appelèrent  dans  leurs  murailles  la  plupart  des  braves  aventuriers 
qui  avaient  délivré  Montargis  l'année  pri*cédente;  le  bâtard  d'Or- 
léans, frère  de  leur  suzerain,  La  Hire,  Saintrailles,  le  sire  de 
Vîllars,  capitaine  de  Montargis,  le  Gascon  Coarasse,  Nicolas  de 
Gircsme,  commandeur  de  l'ordre  de  l'IIopilal,  entrèrent  h  Orléans 
avec  sept  ou  huit  cents  soldats  d'élite.  Le  sire  de  Gaiicourl,  l'an- 
cien défenseur  de  Harfleur,  racheté  récemment  d'une  captivité 
de  treize  années,  commandait  la  place  comme  bailli  du  duc  d'Or- 
léans. Au  midi  de  la  Loire  s'étendait  un  vaste  faubourg  appeléje 
Porlereau,  qui  renfermait  plusieurs  églises  et  beaucoup  de  belles 
maisons  de  plaisance  :  on  ne  pouvait  le  défendre,  on  en  rasa  la  plus 
gT^nde  partie  et  l'on  coupa  les  vignes  et  les  aj'bres  à  plus  d'une 

1.  Le  titre  dVchevinf;  avait  fini  par  remplacer  le  vieux  titre  du  prud'liouinies  k 
Orléans. 


120  GUERRES  DES  ANGLAIS.  {Uty 

lioiio  à  lu  ronde;  lu  moisson  par  bonheur  était  rentrée.  Des  pro- 
cessions furent  ordonnées  alin  d'implorer  d'avance  le  pardon  du 
ciel  pour  les  péchés  et  les  désordres  inséparables  de  la  guerre*. 

Le  bruit  des  progrès  de  reimeuii  sur  la  Loire  et  du  danger 
d'Orléans  s'était  répandu  dans  les  provinces  fidèles  à  la  cause  na- 
tionale et  y  causait  une  impression  profonde  :  Bourges  cx|)édiaun 
convoi  de  vivres  et  de  munitions  aux  Orléanais;  Poitiers,  La  Rochelle 
et  d'autres  villes  envoyèrent  des  secours  en  argent.  Charles  VU, 
dont  les  destinées  allaient  se  jouer  sous  les  nmrs  d'Orléans,  so 
réviMlla  un  p-u  de  sa  lanjïueur,  pas  assez  toutefois  pour  imposer 
silence  aux  discordes  cjui  perdaient  sa  cause  ni  aux  misérables 
passions  dont  il  partageait  les  petitesses  sinon  les  violences.  La 
Trémoille  ne  permit  pas  le  rappel  du  connétable  :  il  eût  livré  son 
maître  aux  Anglais  plutôt  qu'à  Uichemont.  Les  députés  des  trois 
ordres  du  Languedoil  et  du  l-anguedoc,  convoqués  à Toui-s,  à  deux 
reprises,  ])()ur  le  18  juillet  et  le  10  septembre,  ne  s'y  cliiienl  |)us 
rendus,  tant  la  conduite  de  la  cour  avait  jeté  de  découragement 
et  de  dégoût  dans  les  esprits  :  (^Iharles  VII  publia  une  troisième 
convocation  pour  le  connnencement  d'octobre  à  Chinon.  Le  sen- 
timent du  péril  de  la  patrie  l'emporta,  et  pom*  la  première  fois 
les  représentants  du  Lanjiuedoc  et  du  Dauphiué  sortirent  de  leur 
])ays  et  se  réunirent  dans  une  même  assemblée  avec  les  députés 
delà  lanjj;ue  de  France.  La  plupart  des  grands  seigneui-s,  les 
comtes  de  t^lermont,  de  la  Marche,  de  Foix,  d'Armagnac,  le  sei- 
gneur d'Albrel  étaient  absents  :  on  ne  vit  de  princes  du  sang,  au- 
près du  roi,  que  la  reine  douairière  de  Sicile,  le  duc  d'Alençon*et 
le  comte  de  Vendôme.  Les  États,  par  un  sentiment  d'unité  bien 
rare  au  jnoyen  âge,  demandèrent  la  jonction  des  deux  parlements 
de  Poitiers  et  de  Toulouse^,  jonction  qui  fut  prononcée  et  qui 
dura  quinze  ans  (jusqu'en  1413);  ils  demandèrent  encore  la 
réforme  de  la  chanibn^  des  comj)tes  et  des  tribimaux  des  baillLs 
• 

t.  Jniirvni  dit  s'u*w  (VOrléaus;  Oilûans,  157().  —  Mou>liclel,  1.  Il,  c.  52.  — 
Chvomiiin'.  iir  l'énibli.sscineni  de  la  Fêif  du  8  mai,  —  Chronique  de  la  Pncelte,  — 
Le  Mairi',  llisl.  et  Autiquilés  de  la  liHc  et  duché  d'Orléam. 

'1.  il  iiuii  sorti  (les  mains  des  Anglais  ]iar  rintL-rveiiiion  du  duc  de  Bretagne  ei 
inoyennaFit  uuc  iinnieiisu  rançon  <ic  '.ÎOO,(fOO  t^cus  d'or. 

'i.  \.c  pailoiimi  lie  Tinilouse.  chassé  lic  celte  ville  ]tar  lu  pesle  qui  la  di-solail, 
était  alors  a  Bé^ieis. 


ri4283  ÉTATS  GÉNÉRAUX  DE  C  H  IN  ON.  121 

et  prévôts,  et  accorJènîiil  un  subside  d«>  400,000  livres,  i)ayîil)lo 
moitié  par  le  Languedoil,  moitié  par  le  Languedoc  et  le  Daupiiirié  : 
les  nobles,  les  clercs,  les  étudiants  des  universités,  les  ouvriers  des 
monnaies,  tous  les  privilégiés  enfin  durent  payer  leur  part  :  on 
taxa  jusqu*aux  niendianls.  La  faiblesse  de  la  somme  volée  atleslail, 
surtout  pour  le  Languedoïl,  l'épuisement  et  non  rindilïérence. 
Les  États  sommèrent  tous  les  feudataires  de  la  couronne  de  s'ar- 
mer pour  secourir  le  royaume  en  cette  extrémité*.  On  s'efforça 
de  tirer  de  l'Ecosse  de  nouveaux  secours;  (Iharles  VII  promit  au 
roi  d'Ecosse  le  duché  de  Ikrri  ou  le  comté  d'Évreux,  à  son  choix, 
après  la  délivrance  du  royaume,  et  l'on  arrêta  le  mariage  du  dau- 
phin Louis  avec  la  petite  princesse  Marguerite  d'Ecosse. 

Le  grand  siège  sur  lequel  la  France  et  l'Angleteire  avaient  les 
yeux  était  en  pleine  action.  A  l'approche  de  l'ennemi  les  Orléa- 
nais avaient  fait  une  vigoureuse  sortie,  incendié  la  partie  du  fau- 
bourg du  Portereaii  qui  n'était i)oint  abattue,  puis  s'étaient  repliés 
sur  les  Tournelles  (les  tourelles),  chàteiet  qui  protégeait  l'extré- 
mité méridionale  du  pont  d'Orléans.  Ils  travaillaient  jour  et  nuit, 
depuis  quelque  temps,  à  construire,  avec  du  bois,  de  la  terre  et 
des  décombres,  un  boulevard  en  avant  des  Tournelles  du  côté  du 
Portereau.  Les  Anglais  attendirent  que  les  flammes  se  fussent 
éteintes,  i)uis  se  logèrent  dans  les  ruines  du  faubourg  et  tirent 
une  «bastide  »  ou  petit  camp  retranché  de  Téglise  et  du  couvent 
des  Augustins,  qui  n'avaient  été  qu'à  demi  détruits  et  qu'ils  for- 
tifièrent «  de  profonds  fossés  et  de  clôture  ».  Celte  bastide  était  à 
demi-portée  de  canon  des  Tournelles.  Dès  le  17  octobre,  l'artillerie 
anglaise  fut  en  batterie  et  tonna  sur  la  ville  et  sur  les  Tournelles. 

Une  mine  avait  été  ouverte  dans  l'enceinte  des  Augustins;  elle  fut 
conduite  en  peu  de  joui-s  jusque  sous  le  boulevard  des  Tournelles  ; 
rinipatience  des  Anglais  n'en  attendit  pas  l'effet,  et,  «  le  jeudi  21 
octobre,  environ  l'heure  de  midi,  les  Anglois  livrèrent,  à  toute  leur 
puissance,  un  fier  et  merveilleux  assaut  contre  les  François  qui 
lenoient  le  boulevard  du  bout  du  pont  d'Orléans  ».  Ils  furent 
accueillis  «d'un  terrible  courage  »  :  non-seulement  les  bourgeois 
se  battirent  aussi  hardiment  que  les  soldats,  mais  les  fenunes 

1.  OrdowK,  t.  XIII,  Préface,  p.  xij,  et  p.  140.^  UUt,  de  Languedoc,  I.XXXIV, 
c.  45-47. 


m  GïieRHË.%  DES  A?rGtAlS.  mI| 

jiièfnQB,  s'avancanl  avfn  inliY'pklité  à  Iravn-s  ie.s  flr-t  ' 
9.  virelons*  *,  ajj|>ortaienE  «iuxdï*feiis*cursciu  lioulcrard  .. 
du  vin,  du  viiiîugrL%  Unir  t^ssuyaient  le  front,  |Kinsaient  leurs  bl<îv 
surt's;  d'iiutff s  vpituraipnl  des  pierres»  laisnîpnt  cIiautTer  de  rnni, 
des  rentlre^,  dôla  chaux  vive,  foudre  de  ]iigrai$«c,  rooinr  r-  • 
des  cercles  de  fer  liescuseiiible,  quïm  jclait  «  à  foison  >  du  »  u 
sur  les  iis^satllanis  :  «  aucunes  l'urcînt  vues  qui  repuiïSkSaiiîfit  n  vtm\ê 
de  lances  les  Aufîloiifi  et  les  abattoîrnf  e^  foii?H  k  ,  Ij^s  fet  ^      ■ 

léans  pri^ludaii^nî  aux  explniisi  bien  plus  nierveilleux  qii ., 

chai  nef  lïent  accomplir  une  autre  h6râiiie,«Li!ï>AriglDti9  furent 
{^revÉ^'s»  quIlH  ees^^renf  rassî^ul*»  Deux  cent  f]ii:M7inte  des  l 
elâierjt  restés  sur  la  place;  du  ciMé  de^  Praiïcai&>  mi  seul  gci 
houiïue  fut  lue;  inaiîî  presque  tous  les  capîtaûics  cl  tes  uieillrnrf 
^eDsd*annesi''laient  blessés/rontcesïiugavaitéb!*  ver«M>  muttlenical 
àe  part  el  d'fiulre,  car  la  ïiiine  pratiquée  [hir  b*>ï  Aui^-lai!»  !mfrtsiiM 
pour  obligei^  les  a>siégés  h  évacuer  le  boulevard,  lieux  joun*a|»ri» 
ràâsaul(23  oclobi'e)»  les  Français^  ayanl  reconnu  que  les  exinrffUi 
n'avaieni  qu*à  iuetlre  le  feu  aux  4%îsde  la  nnue  [Miur  dun^  cmtïUt 
le  boulevard,  ineendi^renl  eux-mt^nies  ce  retraneheiiienl  et  se 
ret]rt*rcnt  auxTouruelles*  LesTourueUes  étaient  «  moult  t>?ittue^el 
eïupirées  »  |iar  rarlillerie  ennemie,  el  Ton  ne  rroy.iil  pas  pnuioîr 
leiv  ienirIoug:lemps  :  on  rompit  une  arcbe  du  pont  ennrri^re  de  or 
fôrl,  et  Fou  établit  au  milieu  du  pont,  dans  un  endroit  t»ù  il  s'ap* 
pujait  sur  une  petite  tic ,  un  nouveau  boulevard  qui  fléfcndnrl 
l'approrlie  de  la  ri  lé. 

Dés  le  2\  octobre,  les  Anglais  assaillirent  leiîToumeiles*  Ci'clA^ 
telet  élait  <t  peu  Rarui  de  gom  de  fait,  la  plupart  ayant  ùié  M^^i^H 
en  Tassàut  du  jeudi  i  :  les  Tournelles  furent  eniporlées  upr^s  tnir 
faible  résislaiiee.  La  perte  de  ce  fort,  quoiqu'on  eût  dû  s'y  attendri^ 
jeta  beaucoup  d'inquiétude  el  de  tristesse  dans  la  ville;  on  voyiijt 
Imp  le  parti  que  les  ennemis  tireraient  de  Ka  possession.  Un  beo- 
reux  événement  vint ,  le  lendemain  ,  (\nre  diversion  aux  alartucs 
des  Drléantiis  :  ce  fut  l'entrée  d'un  reuft^rt  que  le  bâtard  d*(HéAii$ 
et  La  Ilire  étaient  allés  cbereber  au  loin;  ils  ramenérenMe  mar^ 
cbal  de  Boussac,  le  sire  do  Ciiidianrîcs,  sénéchal  du  Buurbann 


\rau\  liarUiilèlc. 


Cl4?«)  MORT  DE  SALÎSBURY.  123 

le  capitaine  lombard  Valperga,  et  huit  cents  liommos  d'armes,  gens 
de  trait  et  fantassins  français  et  italiens  (25  octobre). 

L'arrivée  de  ce  secours,  qui  en  présageait  d'.nitrcs,  et  l'attitude 
des  bourgeois  et  de  la  garnison  avaient  démontré  à  Salishury  la 
nécessité  de  cerner  la  ville  et  d'entreprendre  un  siège  en  règle. 
AussîtcM  après  la  prise  des  Toumelles,  il  avait  donné  le  connnan- 
denient  de  ce  fort  à  sir  William  Glansdale  (le  Glacidas  d(î  nos 
chroniqueurs),  un  de  ses  meilleurs  capitaines,  qui  «  répara  et 
renforça  grandement  »  la  forteresse  et  le  boulevard  abandonné, 
les  garantit  contre  les  irruptions  des  assiégés  en  coupant  à  son 
four  l'arche  du  pont  la  plus  voisine,  et  y  logea  une  puissîinte  arlil- 
Icrie.  Mais  Salishury  ne  voulait  plus  se  borner  à  battre  la  ville  d'un 
seul  côté  et  avait  résolu  de  faire  repasser  sur  la  rive  droite  de 
la  Loire  une  partie  de  ses  Iroupes.  Un  matin  (c'était  le  27  octobre), 
il  monta  avec  Glansdale  au  second  étage  des  Tournelles,  «  pour 
voir  plus  à  plein  la  fermeture  et  l'enceinte  du  siège  d'Orléans  : 
—  Monseigneur,  lui  dit  Glansdale,  regardez  ici  votre  ville;  vous 
la  voyez  d'ici  bien  à  plein.  —  Et  soudainement,  comme  il  disoit 
ces  paroles,  vint  de  la  cité  en  volant  une  pierre  de  canon  qui  fMt 
contre  un  des  cotes  de  la  fenêtre  par  où  le  comte  regardoit  ». 
Siilisbury  se  rejeta  vivement  en  arrière  ;  mais  les  éclats  de  pierre 
que  le  boulet  lit  jaillir  de  la  fenêtre  le  frappèrent  à  la  face  et 
lui  emportèrent  un  œil  et  la  moitié  du  visage  :  il  tomba  tout  san- 
glant aux  pieds  de  Glansdnle  sur  le  corps  d'un  de  ses  cheva- 
liers que  le  même  cou[)  avait  tué  roide.  «  Les  Anglais,  bien  do- 
lents et  courroucés,  prirent  ledit  comte  et  l'envoyèrent  h  Meung 
le  plus  clandestinement  qu'ils  purent,  auquel  lieu  il  (répassa 
promptement  (3  novembre).  »  Il  mourut  en  recommandant  à  ses 
capitaines  de  soumettre  Orléans  h  quelque  ])rix  que  ce  fût*. 

1.  MonMrelet,  1.  II,  c.  52.  —  Chrouiq,  df  l'émblissemcni  de  la  Fétt^  du  8  moi,  — 
Berri,  roi  d'armer.  —  Jean  Cliariier,  liisi,dc  Churlcs  VU  {\\  fut  chanlre  de  Suiiil- 
Denis  ci  hisloriographc  du  roi  :  c'était  le  frère  d*Alain  riiartioi).  —  Chmniij.  de 
ia  Pucctle,  —  Journal  du  itiége.  —  Le  Jounwl  ou  plutôt  la  Chrovique  du  siétie 
d*Orli-ans  dans  la  forme  où  nous  l'avons,  n'esl  pas  auiéricure  au  règne  de  Louis  XI; 
mais  elle  a  pour  base,  connue  le  reconnaît  M.  Oiiich«ral  [.Prorèt  de  Jemmv  d'Arc, 
l.  IV,  p.  9i^,  un  refjistrt'.  écrit  à  mesure  des  événements  et  que  nous  n'avons  plus. 
La  Chronique  de  la  Pucellc  n'est  pas  contemporaine  :  M.  Quichcrat  établit  qu'elle 
n'est  pas  antérieure  ii  1467;  qu'elle  n'est  qu'une  compilation  de  plusieurs  monu- 
ments authentiques,  auumontés  d'un  certain  nombre  de  faits  recueillis  par  l'auteur. 


121  GUERRES  DES  ANGLAIS.  [im] 

Los  prérîuitions  des  Anglais  n'oinpùeliùrenl  pas  que  la  nouvelle 
(le  la  mort  <lii  chef  ennemi  ne  pénélnU  dans  la  ville  et  n'y  répan- 
dît rallégrcsse  :  on  raconta  que  Notre-Dame  elle-mônie  avait 
dirigé  ce  boulet  vengeur;  qu'elle  avait  puni  la  proranalion  ré- 
cente de  sa  célèbre  église  de  Gléri  pillée  par  les  Anglais  aprîs 
la  prise  de  xMeimg.  Ui  confiance  des  assiégés  dans  la  protection 
(Ken  haut  en  lut  redoublée.  La  mort  de  Salisbury  eut  au  con- 
traire dans  Tarmée  assiégeante  et  jusqu'en  Angleterre  un  reten- 
tissement lugubre  :  «  plus  vaillant  honune  que  lui,  dit  Lefèvre  de 
Sainl-Remi,  ne  fut  en  Angleterre  ni  ne  peut  élrc  sous  le  soleil  ». 

La  perle  de  cet  excellent  honune  de  guerre  n'abattit  poini 
cependant  le  courage  des  siens.  Au  lieu  de  pleurer  leur  chef,  ils 
songèrent  à  le  venger  et  à  remplir  ses  dernières  volontés.  Ils  dé- 
libérèrent de  continuer  plus  «  àprement  »  le  siège,  sous  la  direc- 
tion du  comte  de  Suffolk  (jue  le  régent  donna  pour  successeur 
à  Salisbury.  La  première  oi)ération  de  Sufïolk  fut  de  ramener  le 
gros  (le  l'armée  au  nord  de  la  Loire,  suivant  les  intentions  de 
Salisbury  (8  novembre);  un  corps  de  troupes  fut  laissé  à  Glans- 
dale,  qui  demeiu'a  chargé  de  garder  les  Tournelles  et  la  bastide 
des  Augustins  au  midi  du  fleuve.  Sur  la  rive  méridionale  furent 
encore  établis  deux  autres  bastides  ou  fortins,  à  Sainl-Jcan-le- 
Blanc  et  à  Saint-Privé,  au-dessus  et  au-dessous  des  Tournelles, 
pour  intercepter  les  passages  par  terre  et  par  eau  du  côté  de  la 
Sologne;  mais  rinvestissemenl  du  côté  de  la  Bcaucc  fut  suspendu 
plusieurs  semaines  encore  :  le  mauvais  temps  empêchait  appa- 
remmcMit  les  travaux  de  siège.  Le  gros  des  troupes  anglaises  resta 
cantonné  dans  les  petites  vilh»s  des  environs,  à  Meung,  à  fieau- 
genci,  à  Jargeau,  durant  les  mois  de  novembre  et  de  décembre, 
tandis  cpie  (ilansdale  tenait  incessanunent  les  Orléanais  en  éveil 
par  de  furieuses  canonnades  :  quelques-unes  de  ses  bombardes 
vomissaient  des  boulets  de  giès  de  deux  cents  livres.  Les  Orléa- 
nais avaient  aussi  des  pièces  d'une  dimension  extraordinaire  et 
dtî  redoutables  canomiiers  :  un  a  couleuvrinier  »  de  Lorraine, 
appelé  <  maistre  Jehan  »,  se  signala  entre  tous.  Il  entremêlait 
ses  beaux  coups  de  «  gausseries  i>  tout  à  fait  gauloises  *. 

1.  Journal  du  xiéqc ,  p.  i3.  Los  us«iégés  envoyèrent  dc%  violon»  aux  Anglais 
pour  les  (h^seunuyer,  disaienl-ils.  pcndunt  rhi\er.  ibid.  p.  12. 


[n?8,iV20]  TRAVAUX  DU  SIEGE  D'ORLÉANS.  125 

Le  comte  do  Sufl'olk  mil  ses  gens  en  mouvement  \c]'i>  la  lin  de 
décembre  :  le  fameux  capitaine  Talbot  lui  avait  amené  du  ren- 
fort, et  le  duc  de  Bourgogne,  qui  n'avait  pris  d'abord  aucune  part 
à  cette  campagne,  venait  enfin  d'envoyer  un  corps  de  Bour^^ii- 
gnons  et  de  Picards  joindre  les  Anglais.  Les  Orléanais  ne  s'étaient 
jîas  trompés  sur  les  projets  de  l'ennemi  en  le  voyant  repasser  la 
Loire,  et,  dès  le  8  novembre,  ils  avaient  renouvelé  et  complété 
le  douloureux  sacrifice  du  Porlereau  par  la  destruction  des  fau- 
bourgs de  la  rive  droite,  «  les  plus  beaux  faubourgs  du  royaume  », 
dit  le  Journal  du  siège.  C'est  la  seule  parole  de  regret  qui  écbappe 
à  l'écrivain  anonyme  dans  son  simple  récit  de  ce  grand  dévoue- 
ment. Les  villes  de  la  Loire,  Orléans  surtout,  depuis  fii  longtemps 
étrangères  aux  maux  de  la  guerre,  avaient  débordé  en  sécurité 
par  delà  leurs  vieilles  enceintes  romaines,  et  s'étaient  entourées 
d'une  verdoyante  ceinture  de  maisons  de  plaisance  et  de  jardins 
riants.  Tout  fut  détruit  par  la  piocbe  et  par  les  flannnes,  les  mai- 
sons neuves  et  les  vieux  moûticrs  au  pied  desquels  elles  se  grou- 
paient; on  acheva,  le  29  décembre,  à  l'approche  de  l'ennemi,  le 
peu  qui  avait  été  épargné  le  8  novembre  :  vingt-six  églises,  entre 
autres  la  vénérable  basilique  de  Saint-Aignan^  le  patron  de  la 
cité,  avaient  été  mises  à  ras  terre  tant  dans  les  faubourgs  du  nord 
que  dans  le  Portereau.  Les  Anglais  arrivèrent  le  30  décembre 
de  Meung  et  de  Jargeau  :  Suffolk  établit  son  quartier  général 
dans  le  petit  bourg  de  Saint-Laurent-des-Orgerils  qui  était  alors 
à  une  portée  de  canon  des  murailles  d'Orléans  vers  l'ouest,  et  de 
grands  travaux  furent  commencés  pour  enclore  la  cité  dans  un 
cercle  de  bastides  bien  fortifiées  et  fossoyées.  Chacune  des  routes 
qui  conduisent  à  Orléans  fut  coupée  par  un  de  ces  petits  camps 
retranchés  :  on  en  compta  jusqu'à  treize,  sept  du  côté  de  la  Beauce, 
cinq  du  côté  de  la  Sologne,  et  le  treizième,  qui  liait  ensemble  les 
deux  sièges  et  les  deux  rives  de  la  Loire,  dans  une  île  du  fleuve, 
l'île  Charlemagne,  entre  Sainl-Laurent-des-Orgerils  et  Saint- Privé. 
Trois  des  bastides  reçurent  les  noms  de  Londres,  Paris  et  Rouen. 

Des  sorties  continuelles  troublèrent  les  «  besognes  »  des  Anglais; 
chaque  jour  le  sang  coulait  dans  de  violentes  escarmouches  :  tan- 

1.  Elle  avait  été  bfttie  par  le  roi  Robert  en  même  temps  que  Poissi  el  que 
Sainl-Cermain-dcs-Prés. 


120  GCHRKËS  DES  ANGLAIS.  [i«:}ti] 

tôt  los  assiéjr(!'s  allaient  auilacicusiMnent  cliar;>or  les  Anglais  jusque 
dans  les  li;j:nes  cbaiidiées  de  leurs  b()ulc\ards;  tantôt  les  assié- 
geants tentaient  de  surprendre  la  ville  par  d(!  nocturnes  escalades. 
De  temps  à  autie,  du  bétail,  des  vivres,  des  munitions  étaient  in- 
troduits dans  Orléans,  malj^^ré  la  surveillance  de  rennexni,  et 
prouvaient  aux  défenseurs  de  la  cité  qu'on  ne  les  oubliait  pas  au 
debors  :  Bourges  et  Blois  surtout  rivalisèrent  de  zèle  pour  envoyer 
des  secours.  11  en  vint  de  bien  plus  loin,  d'Auvergne,  de  Langue- 
doc même.  Le  5  janvier  1429,  le  sire  de  Culant,  amiral  de  France, 
arriva  par  la  Solojine  à  la  tète  de  deux  cents  chevaux  ;  il  traversa 
au  galop  les  ruines  du  Portereau,  passa  la  Loire  à  gué  sous  les  feux 
croisés  des  batteries  anglaises,  et  entra  dans  Orléans  aux  accla- 
mations populaires.  Le  passage  entre  les  bastides  des  assiégeants, 
la  plupait  inachevées  encore,  était  périlleux  mais  non  impossi- 
ble :  pour  compléter  le  blocus  il  eût  fallu  lier  les  uns  aux  autres 
ces  forts  détachés  par  des  tranchées  de  circonvallation  et  de  con- 
trevallation.  Les  Anglais  rentreprirent;  mais  la  grande  étendue  des 
lignes  à  creuser  et  les  difticultés  que  la  saison  opposait  aux  fos- 
soyeurs ne  leur  |)ermirent  pas  d'achever  leur  ouvrîige,  et  ils  ne 
réussirent  point  à  intercepter  entièrement  les  communications  de 
la  ville  avec  Textérieur.  Le  27  janvier,  Pothon  de  Saintraillcs  et 
plusieurs  autres  nobles  et  bourgeois  que  les  habitants  et  la  garni- 
son avaient  envoyés  en  députalion  au  roi  parviment  à  rentrer 
dans  Orléans  avec  d'heureuses  nouvelles  :  ils  annoncèrent  que  le 
comte  de  Glermont,  répondant  à  l'appel  adressé  par  les  États-Gé- 
néraux aux  princes  et  aux  vassaux  de  la  couronne,  était  à  Blois 
avec  beaucoup  de  noblesse  de  Bourbonnais,  d'Auvergne,  doBerri, 
de  Poitou,  des  auxiliaires  écossais  et  d'autres  troupes,  et  qu'il 
allait  faire  lever  le  siège.  Le  bâtard  d'Orléans  s'échappa  de  la  ville 
la  nuit  suivante  pour  ('ourir  joindre  le  comte  à  Blois  et  le  pres- 
ser d'agir.  Du  S  au  I)  février,  deux  mille  trois  cents  combattants 
fran(;ais,  gascons  et  écossais,  connnandés  par  le  maréchal  de  La 
Fayette,  le  vain(|ueur  de  Rangé,  par  (niillaume  d'Albrel  et  par 
William  Stuai  t,  arrivèrent  de  Blois  sans  obstacle  séj'ieux  :  ce  ren- 
fort était  destiné  à  mettre  les  assiégés  en  état  de  seconder  par  une 
sortie  formidable  l'attaque  des  trouiies  de  secours  contre  les  posi- 
tions anglaises. 


[U29J  BELLE  DÉFENSE  D'ORLÉANS.  127 

Le  bruit  du  départ  d'un  ^rand  convoi  exi)édié  deParisà  l'armée 
de  siège  par  le  duc  de  Ik^dford  modifia  les  plans  du  comte  de 
Cleruiont  et  de  ses  capitaines  :  ils  résolurent  d'enlever  ce  convoi, 
qui  consistait  en  quatre  à  cinq  cents  chariots  remplis  de  farine  et 
de  harengs  salés  :  les  bourgeois  de  Paris  avaient  été  obligés  de 
fournir  les  a  vitailles  »,  et  les  paysims  des  environs,  de  fournir 
les  charrettes  et  les  chevaux.  Sir  John  Falstolf,  grand  n)aîlre 
d*hôtcl  du  régent,  qui  avait  déjà  conduit  récennnent  douze  cents 
soldats  et  beaucoup  de  poudre  et  d'artillerie  à  Suffolk,  comman- 
dait une  escorte  composée  de  quinze  ou  seize  cents  soldats  anglais 
et  français  et  d'un  millier  d'archers  et  d'arbalétriers  de  la  milice 
parisienne,  gens  robustes  et  adroits,  recrutés  parmi  les  restes  de 
ce  parti  cabochien  que  ses  aveugles  passions  rendaient  l'instru- 
ment de  l'étranger  ;  le  prévôt  de  Paris,  Simon  Morbier,  le  prévôt 
de  Melun,  le  bâtard  de  Tliian,  bailli  de  Senlis,  et  d'autres  «  Fran- 
çois reniés  »  accompagnaient  le  chef  anglais.  Le  comte  de  Clermont 
manda  aux  capitaines  enfermés  dans  Orléans  de  lui  envoyer  un 
fort  détachement  vers  Janville,  sur  la  route  d'Élampes  à  Orléans, 
que  devait  suivre  Falstolf.  les  deux  maréchaux  de  La  Fayette  et  de 
Boussac,  Guillaume  d'AIbret,  Saintrailles,  La  llire,  William 
Stuarl,  sortirent  d'Orléans  avec  quinze  cents  hommes  d'élite,  et 
devancèrent  à  Janville  le  jeune  prince  qui  avait  beaucoup  plus 
de  chemin  qu'eux  à  faire. 

Les  Anglais  approchaient  du  village  de  Rouvrai-Saint-Denis, 
cheminant  sans  aucun  ordre,  en  pleine  sécurité  :  celle  longue  co- 
lonne d'hommes,  de  chevaux,  de  chariots,  eût  été  probablement 
rompue  et  dispersée  par  une  brusque  attaijue  ;  les  défenses  du 
comte  de  Clermont,  qui  dépêcha  courrier  sur  courrier  pour  or- 
donner expressément  qu'on  Taltendît,  arrachèrent  une  victoire 
presque  assurée  aux  défenseurs  d'Orléans  :  les  Anglais  reconnu- 
rent le  danger,  et  eurent  tout  le  temps  de  s'apprêter  à  y  faire  face. 
Ils  se  tirent  mie  sorte  de  parc  avec  leurs  chariots;  ils  s'enfermè- 
rent dans  celle  enceinte  improvisée,  n'y  laissèrent  que  deux  issues 
gardées,  l'une  par  les  archers  anglais,  l'autre  par  les  compagnies 
parisiennes;unrangde  pieuxouj^fl/*- aigus,  suivanirusaj»e  anglais, 
protégeait  les  hommes  de  trait  contre  la  cavalerie  et  complétait  l'en- 
ceinte. Une  vive  escarmouche  s'engagea  entre  les  gens  de  trait  des 


l'iS  (JUHKRES  DES  ANGLAIS.  [1^'^,^ 

deux  partis:»  reux  d'Orléans»  suivant  la  (Chronique  de  la  Purelle, 
avaient  amené  plusieurs  canons  et  eoulcvrines,  «  contre  Ics^piels 
rien  ne  résistoit  qu'il  ne  i'ûl  mis  en  pièces  ».  Sur  ces  entrefaites 
arriva  Tavant-gardc  du  comte  de  Clennont,  formée  prlncipaleincnl 
d'Écossais  sous  les  ordres  de  loi-d  John  Sluart,  «  le  connétable 
d'Ecosse  »,  comme  on  l'appelait:  le  gros  de  la  gendarmerie  da 
comte  se  montrait  dans  le  lointain.  Ordre  avait  été  donné  aui 
gens  d'armes  de  ne  pas  descendre  de  cheval  ;  mais,  quand  les 
Écossais  virent  les  Anglais,  ils  ne  voulurent  rien  entendre  :  ils 
saulcrcnt  à  has  de  leurs  chevaux,  et  coururent  Tépée  uu  poing 
à  l'entrée  du  parc  gardée  i)ar  les  archei-s  d'Angleterre  :  le  bâtard 
d'Orléans  et  d'autres  jeunes  chevaliers  les  suivirent,  pendant  que 
les  Gascons  de  Guillaume  d'Alhret  fondaient  au  galop,  tôtes  bais- 
sées, sur  les  compagnies  parisiennes  :  les  chevaux  des  Gascons 
allèrent  s'empaler  sur  les  pieux  qui  couvraient  le  front  de  la  milice 
de  Paris  ;  Guillaume  d'Alhret  fut  tué  avec  beaucoup  de  sesGascons; 
les  autres  tournèrent  bride  et  jetèi'ent  le  désordre  dans  le  resic 
de  la  cavalerie.  Les  Anglo-Bourguignons  sortirent  alors  en  masse 
de  leur  «  enclos  »,  et  enveloppèrent  les  Écossais  et  ceux  des  Fran- 
(.ais  qui  avaient  mis  pied  à  terre  :  le  bAlai'd  d'Orléans  fut  blessé; 
le  connétable  d'Ecosse  et  son  frère  William  Stuart  furent  tués 
ainsi  que  plusieurs  capitaines  français  et  quatre  à  cinq  cents 
hommes  d'armes. 

Le  comte  de  (^lermont  était  assez  près  pour  les  secourir  ou  les 
venger  à  la  tète  d'une  nombreuse  noblesse  :  «  il  n*en  lit  oncsenn 
blant  »,  et,  sous  prétexte  qu'on  avait  engagé  le  combat  et  mis 
pi<.*d  à  terre  contre  son  ordre,  il  fil  honteusement  volte-face  sans 
coup  férir  du  coté  d'Orléans,  avec  trois  ou  quatre  mille  chevaux 
qui  l'accompa^nîiient.  Une  partie  de  ses  gens  se  dispersèrent;  les 
restes  du  détachement  sorti  d'Orléans,  ralliés  par  La  Ilire  et  &ùn- 
traitles,  furent  ohhgés  de  suivre  le  mouvement  du  comte,  et  celte 
armée  (»n  déroute  se  présenta  vers  la  miit  aux  portes  de  la  cilé  : 
les  Anglais  lui  tuèrent  du  monde  à  son  passage  iMiIre  leurs  basti- 
des; s'ils  eussent  connu  son  sanglant  échec  et  son  profond  abat- 
tem<Mit,  ils  l'eussent  (  hargée  à  fond  et  dissipée  sans  peine  (12  fé- 
vriei'.  Les  bastides  (Mmeniii:s  retentirent  de  cris  d'allégresse, 
quand  les  assiégeants  surent  l'événement  de  la  bataille  :  ils  la  nom- 


C14W]  JOURNÉE  DES  HARENGS.  129 

mèrent  «  par  moquerie  »  la  «  journée  des  harengs  »,  à  cause  des 
tonnes  de  poisson  qu'on  leur  amenait  pour  passer  le  carême  et 
que  les  Français  avaient  voulu  leur  enlever.  Falstolf  et  sa  troupe 
arrivèrent  triomphalement  en  Yhost  le  13  février  ;  les  compagnies 
parisiennes  qui  avaient  eu  tant  de  part  à  la  victoire,  s'en  retour- 
nèrent aussitôt  après. 

La  discorde  et  le  deuil,  pendant  ce  temps,  régnaient  dans  la 
ville  assiégée  :  ce  n*était  pas  en  fuyards  mais  en  vainqueurs 
qu'on  avait  espéré  voir  paraître  les  escadrons  de  secours;  les  ha- 
bitants et  la  garnison  reprochaient  au  comte  de  Clermont  son 
inaction  ignominieuse  à  Rouvrai  ;  le  conseil  des  chefs  ne  reten- 
tissait que  de  plaintes  et  de  querelles.  Quelques  jours  se  passè- 
rent ainsi.  Le  18  février,  le  comte  de  Clermont  annonça  qu'il  vou- 
lait aller  à  Chinon  devers  le  roi  pour  refaire  son  armée  et  préparer 
sa  revanche  ;  il  emmena  l'archevêque  de  Reims,  chancelier  de 
Charles  VII,  la  Hire  et  deux  mille  combattants  ;  l'évêque  même 
d'Orléans  déserta  ses  ouailles.  Les  Anglais  les  laissèrent  passer, 
considérant  cette  retraite  comme  l'abandon  d'Orléans.  Le  comte 
avait  cependant  juré  qu'il  reviendrait  secourir  la  ville  <c  de  gens 
et  de  vivres  dedans  un  certain  jour  »;  mais  ce  jour  vint  sans  que 
le  comte  reparût  :  non-seulement  Clermont  ne  rassembla  pas  de 
nouvelles  forces,  mais  le  corps  de  troupes  qu'il  avait  emmené  se 
dissipa  en  arrivant  à  Blois.  Les  assiégeants  au  contraire  crois- 
saient incessamment  en  nombre  :  tout  espoir  d'assistance  de  la 
part  du  roi  était  perdu;  la  sympathie  des  populations,  sans  direc- 
tion, sans  guide,  était  impuissante  à  sauver  Orléans  et  ne  pouvait 
que  prolonger  son  agonie  :  les  Orléanais  avaient  compris  leur  si- 
tuation ;  ils  ne  pouvaient  se  résoudre  à  devenir  Anglais,  mais  ils 
avaient  cherché  im  moyen  terme  qui  fût  acceptable  pour  leurs 
ennemis.  Le  lendemain  du  départ  du  comte  de  Clermont,  ils 
avaient  expédié  Saintrailles  et  d'autres  députés  vers  le  duc  de 
Bourgogne,  pour  lui  offrir  de  mettre  leur  ville  en  séquestre  dans 
ses  mains,  si  le  régent  anglais  voulait  leur  accorder  <c  abstinence 
de  guerre  ». 

Bien  des  jours  et  des  semaines  s'écoulèrent  avant  qu'on  eût  des 
nouvelles  de  cette  ambassade,  et  cependant  l'ennemi  pressait  la 
ville  avec  une  fureur  croissante  ;  l'énergie  de  la  défense  ne  s'af- 


130  GUERRES  DES  ANGLAIS.  iun] 

faiblissait  pas  plus  que  celle  de  Tatlaque  :  le  maréchal  de  Vkoa 
d'Angleterre,  Lancelot  de  Lisic,  avait  eu  la  tête  emportée  par  un 
boulet;  beaucoup  d'autres  Anglais  de  distinction  avaient  péri 
sous  le  feu  de  la  place,  et  le  farouche  commandant  des  Tour- 
nelles,  sir  William  Glansdale,  était  si  exaspéré  de  cette  opini&tre 
résistance  qu'il  se  «  vantoit  de  faire  tout  tuera  son  entrée  dans  h 
ville,  hommes  et  femmes,  sans  épargner  aucun  i  (Chroniq.  delà 
Pucelle).  La  position  des  assiégés  était  de  plus  en  plus  critique,  ks 
secours  plus  rares  et  plus  insuftisants,  le  blocus  plus  rigoureux. 
Les  députés  envoyés  au  duc  Philippe  furent  enfin  de  retour  le  17 
avril.  Jean  de  Luxembourg,  gouverneur  de  Picardie,  les  avait 
menés  vers  le  duc  en  Flandre  ;  ils  avaient  été  accueillis  avec  beau- 
coup de  bienveillance,  et  Philippe,  flatté  de  la  confiance  que  loi 
témoignait  leur  cité,  était  revenu  avec  eux  à  Paris  afin  d*appuyer 
leur  proposition  près  du  duc  de  Bedford.  Le  conseil  du  rfe- 
gent  reçut  très  mal  la  requête  :  les  Anglais  se  montrèrent  fort 
irrités  des  prétentions  du  duc  de  Bourgogne.  Dans  une  discussion 
orageuse,  au  Louvre,  un  des  membres  du  conseil,  <  appelé  mais- 
tie  RaouMe-Sage  »,  dit  hautement  que  les  Anglais  n'étaient  pas 
faits  «  pour  mâcher  les  morceaux  au  duc  de  Bourgogne  afin  qa*fl 
les  avalât  » .  Bedford  lui-même  oubUa  sa  circonspection  habituelle  : 
il  croyait  avoir  assez  acheté  l'amitié  de  Philippe  en  lui  sacrifiantson 
frère  Gloccster  et  en  le  Liissant  engloutir  les  Pays-Bas  presque  en- 
tiers, et  il  trouvait  mauvais  que  le  Bourguignon  vint  encore  s'im- 
miscer dans  les  affaires  de  l'intérieur  du  royaume,  et  ravir  aux  An- 
glais le  fruit  de  leurs  labeurs.  <  J'aurai  Orléans  à  ma  volonté, 
s'écria-t-il,  et  ceux  de  la  ville  me  paieront  ce  que  m'a  coûté  le 
siège  ;  je  serois  bien  marri  d'avoir  battu  les  buissons,  et  qu'un 
autre  eût  les  oisillons.  »  (Monstrelet.  —  Jean  Ghartier.)  Le  régent 
refusa  «  donc  tout  à  plein  »  :  les  deux  beaux  frères  se  séparèrent 
assez  aigris  l'un  contre  l'autre;  on  prétend  même  que  le  duc  de 
Bedford  laissa  échapper  des  menaces  contre  Philippe  de  Bourgo- 
gne ^.  Ce  qui  est  certain,  c'est  que  Philippe  reprit  la  route  de 

1.  «  Il  lui  échappa  de  dire...  que  le  duc  de  Bourgogne  pourrait  bien  t'en  aller 
en  Angleterre  boire  de  la  bierre  plus  que  son  saoul.  »  Gollut  ;  ap.  Barante.  t.  V, 
p.  27(1.  Ce  n'était  pas  la  première  fois  que  Bedford  avait  eu  de  maaTait  projets 
contre  Philippe. 


(142»]  DÉTRESSE  D'ORLÉANS.  131 

Flandre  avec  un  mécontentement  qu'il  témoigna  d'une  manière 
éclatante  ;  il  envoya  son  héraut  porter  l'ordre  à  tous  ses  vassaux 
et  adhérents  de  quitter  l'armée  anglaise,  ce  que  firent  de  grand 
cœur  la  plupart  des  Picards,  Champenois  et  Bourguignons. 

Ces  troupes  ne  formaient  qu'une  faible  partie  de  l'armée  de 
siège  :  les  Anglais,  plusieurs  fois  renforcés  par  des  secours  qui 
compensaient  leurs  pertes,  s'estimaient  trop  certains  de  vaincre 
pour  avoir  besoin  dorénavant  de  l'assistance  des  Bourguignons; 
ils  ne  demandaient  plus  au  duc  Philippe  que  de  se  croiser  les 
bras  et  de  les  regarder  faire. 

Les  citoyens  et  la  garnison  d'Orléans  apprirent  avec  une  fer- 
meté admirable  la  ruine  de  ce  qui  avait  semblé  leur  dernière  es- 
pérance :  la  nuit  même  qui  suivit  le  retour  de  Saintrailles,  ils 
annoncèrent  à  l'ennemi,  par  une  terrible  sortie,  leur  résolution 
de  résister  jusqu'à  la  mort.  Ils  pénétrèrent  dans  le  grand  parc  du 
comte  de  Suffolk,  près  de  Saint-Laurent-des-Orgerils,  et  y  por- 
tèrent l'épouvante  et  le  carnage  ;  toutes  les  forces  anglaises  se 
réunirent  edfin  contre  eux  et  les  refoulèrent  dans  la  ville,  après 
une  lutte  sanglante.  (18  avril.— Journal  du  siège.)  Cette  attaque 
parut  aux  Anglais  l'effort  suprême  du  désespoir  :  sûrs  d'avoir 
Orléans  bientôt  à  leur  merci,  ils  débattaient  déjà  les  plans  de  leur 
prochaine  campagne  au  midi  de  la  Loire  et  l'expulsion  définitive 
du  c  roi  de  Bourges  >.  Us  ne  doutaient  pas  que  la  chute  d'Orléans 
n'entraînât  sur-le-champ  la  soumission  de  la  Touraine,  du  Berri 
et  du  Poitou,  et  que  tout  le  reste  ne  suivit  promptement.  La  dé- 
route de  Rouvrai avait  découragé  la  noblesse  et  les  gens  de  guerre; 
l'espèce  de  fermentation  et  d'exaltation  douloureuse  qui  agitait  le 
peuple  sans  résultat  paraissait  devoir  promptement  faire  place  à 
Tatonie.  Après  Rouvrai ,  la  plupart  des  princes  et  des  seigneurs 
avaient  <  laissé  le  roiCharles  comme  abandonné», dit Monstrelet,et 
s'étaient  retirés  dans  leurs  terres,  attendant  sans  doute  le  moment 
de  transiger  avec  le  vainqueur.  Charles  VII,  durant  les  premières 
semaines  qui  suivirent  ce  malhem^eux  combat,  était  à  Chinon, 
isolé,  consterné,  dénué  de  ressources;  son  trésor  était  vide; 

1.  Dans  la  révision  du  procès  de  la  Pucelle,  la  dame  de  Bouligni,  veuve  d'un 
receveur  général  des  finances,  dépose  que  son  mari  se  trouva  un  jour  avec  quatra 
écas  en  caisse.  Procès  de  Jeanne  d'Arc,  t.  II,  p.  85* 


132  GUERBES  DES  ANGLAIS.  (i4»i 

ses  derniers  soldats  étaient  prôls  à  se  disperser;  ses  consetllen 
rengageaient  à  quitter  la  Touraine  el  à  se  retirer  dans  les  mon- 
tagnes d*Auvergne,  ou  uiêine  par  delà  le  Rhône,  en  Dauphiné. 
«  si  du  moins  on  pouvoit  sauver  ces  provinces!  i  dit  le  Joimnl 
du  si(!^ge  d'Orléans.  Le  faible  monarque  voulait  faire  plus  encore: 
il  se  reprochait  d*étre  cause  de  tant  de  maux  en  prolongeant  one 
lutte  inutile;  il  doutait  d*ètre  <  vrai  hoir  du  royaume  descendu  de 
la  royale  maison  de  France  i,  doute  que  la  conduite  de  sa  mère 
ne  rendait  que  trop  légitime  ;  il  se  croyait  en  butte  au  countMB 
du  ciel,  et  projetait  d'abandonner  la  couronne  et  d'aller  chercher 
un  asile  en  Espagne  ou  en  Ecosse,  ne  demandant  plus  à  Dieu  que 
de  lui  sauver  la  vie  et  la  liberté. 

Tous  les  signes  avant-coureurs  de  la  mort  des  nations  semMeat 
donc  annoncer  que  la  fin  de  la  France  est  proche  :  toutes  lei 
forces  ])oIitiques  et  sociales  sont  dissoutes  ;  la  royauté,  épuisée 
par  cinquante  ans  de  démence,  n'est  plus  même  capable  de  mou- 
rir avec  gloire  ;  la  noblesse,  précipitée  de  défaite  en  défaite  par 
son  téméi-aire  orgueil  et  par  son  esprit* de  désordre,  à  passé  d'une 
présomption  fatale  à  un  abattement  plus  fatal  encore.  Le  clergé 
gallican,  dépouillé,  par  ses  fautes,  de  la  domination  qu'il  avait 
jadis  exercée  sur  les  esprits,  s'est  laissé  annuler  dans  la  lutte  des 
deux  ])euples,  et  n'a  pas  su  prendre  dans  la  défense  le  rAle  que 
le  clergé  anglais  a  pris  dans  l'attaque  :  il  n'a  que  des  vœux  iuh 
puissants  à  offrir  à  la  monarchie  très  chrétienne;  encore  sa 
cohorte  s^icrée,  l'université  de  Paris,  désertée  de  ses  plus  grands 
et  de  ses  meilleurs  champions,  encense-t-elle  l&chcment  le  roi 
étranger.  La  bourgeoisie  elle-même,  la  couche  la  plus  profonde» 
l'élément  le  plus  vital  de  la  nation  politique,  a  succombé  morale- 
ment à  son  tour  ;  Paris,  la  tête  et  le  cœur  du  Tiers-État  et  de  la 
France,  Paris  a  failli  aux  destinées  de  la  patrie,  Paris  subit  l'An- 
glais. Orléans  ne  peut  plus  que  clore  en  périssant  cette  phase  de 
la  résistance  bourgeoise  ouverte  par  les  glorieuses  infortunes  de 
Harfleur  et  de  Rouen,  et  qu'anoblir  par  un  dévouement  infroe* 
tueux  la  chute  du  Tiers-Ëtat.  La  mission  du  grand  peuple  qui  a 
enfanté  la  chevalerie,  les  croisades,  la  poésie,  les  arts  du  moyen 
Age,  qui  a  été  durant  des  siècles  le  lien  de  la  république  chré- 
tienne, l'initiateur  du  mouvement  européen,  cette  mission  va-t- 


[UMl  AGONIE  DE  LA   FRANCE.  433 

elle  passer  à  un  peuple  nouveau?  Le  rôle  de  la  France  est-il  fini* 
parmi  les  nations?  L'Angleterre  le  proclame ,  et  l'Europe  com- 
mence à  le  croire. 

D*où  viendrait  en  effet  le  secours?  Quelle  puissance  inconnue 
fera  ce  que  n'ont  pas  su  faire  les  forces  organisées  de  la  société 
française,  la.royauté,  la  noblesse,  le  clergé,  la  bourgeoisie?...  La 
puissance  qui  fit  sortir  les  régénérateurs  de  la  terre  d'entre  les 
charpentiers  de  Bethléem  et  les  pêcheurs  de  Génézareth!  la 
puissance  qui  évoque  des  dernières  profondeurs  sociales ,  quand 
toutes  les  sommités  s'écroulent,  ces  forces  vierges  et  ignorées 
d'elles-mêmes  que  la  Providence  tient  en  réserve  dans  les  entrailles 
des  peuples  !  La  raison,  la  réflexion  ne  peuvent  plus  rien,  n'entre- 
voient même  plus  la  possibilité  du  salut  :  l'inspiration  du  senti- 
ment saura  trouver  de  ces  sublimes  folies  qui  sauvent  le  monde  ! 

Les  fléaux  qui  frappent  incessamment  la  France  depuis  la  dé- 
mence de  Charles  VI  et  surtout  depuis  le  meurtre  du  duc  d'Or- 
léans ,  n'ont  épargné  aucun  homme  ni  aucune  classe.  Un  roi  de 
France  est  mort  fou  après  de  longues  années  de  souffrances  :  un 
autre  roi  est  vaincu,  proscrit,  chassé  de  cité  en  cité  par  les  usur- 
pateurs de  son  héritage  ;  la  noblesse  a  été  décimée  dans  les  combats, 
traînée  en  captivité ,  placée  entre  la  confiscation  et  une  honteuse 
obéissance  ;  les  clercs  ont  vu  leurs  églises  ravagées,  leurs  bénéfices 
envahis  par  d'arrogants  étrangers  ;  la  bourgeoisie  a  subi  la  ruine 
du  conunerce  et  de  l'industrie,  la  disette,  les  proscriptions,  les 
exactions  de  tous  les  partis  vainqueurs;  mille  calamités  réunies 
ont  dépeuplé  les  villes,  sans  faire  grâce  aux  châteaux;  tous  ont 
ainsi  connu  les  angoisses  et  les  larmes;  mais  toutes  ces  douleurs 
ensemble  ne  sont  rien  auprès  des  douleurs  des  paysans  :  le 
peuple  des  campagnes,  compté  pour  rien  dans  la  société  poli- 
tique et  toujours  opprimé  dans  les  temps  les  plus  calmes,  n'est 
plus  maintenant  courbé  sous  la  main  de  ses  maîtres,  mais  écrasé 
sous  les  pieds  de  mille  tyrans  mercenaires;  îl  n'est  plus  baigné 
dans  sa  sueur,  mais  broyé  dans  son  sang,  ravalé*  au-dessous  des 
brutes  des  forêts,  parmi  lesquelles  il  va,  effaré,  mutilé,  cher- 
cher de  sauvages  asiles.  C'est  là  la  misère  des  misères,  le  fond  du 
puits  de  l'abîme  où  aboutissent  tous  ces  cercles  de  désolation  ! 

Dans  ce  gouffre  descendra  le  pur  rayon  de  l'idéal  divin  qui 


434  GUERRES  DES  ANGLAIS.  il*»! 

porte  la  vie  et  le  salut!  Du  sein  de  cet  enfer  surgira  le  libérateur,, 
et  ce  libérateur  sera  une  femme  !  Le  peuple  des  campagnes,  qui 
ne  semble  môme  plus  capable  de  l'élan  farouche  cl  aveugle  de  la 
Jacquerie,  va  enfanter  Jeanne  Darc*.  Les  femmes  ont  été  pré- 
cipitées dans  une  dégradation  plus  profonde  encore  que  les 
hommes,  livrées  à  tous  les  outrages,  à  toutes  les  dérisions  de  h 
force  effrénée,  durant  ces  horribles  guerres,  qui  faisaient  de 
l'homme  un  mélange  de  la  béte  de  proie  et  du  démon ,  de  l'in- 
stinct brutal  et  de  la  perversité  raffinée.  Par  une  sublime  expia- 
tion ,  la  main  d'une  vierge  brisera  le  glaive  des  puissants  et 
renversera  le  règne  de  la  force. 

Le  moyen  âge  a  développé  deux  grands  types  de  la  fenune  :  la 
dame  d'amour  et  la  Notre-Dame  ascétique  ;  ni  l'un  ni  l'autre  ne 
peut  plus  rien  pour  cette  société  qui  meurt.  Un  troisième  t]pe 
va  se  manifester,  non  plus  dans  les  inspirations  des  poètes  oo 
dans  les  extases  des  saints,  mais  dans  le  monde  des  faits;  un 
Messie  féminin  montrera  tout  à  l'heure,  par  la  réalité  vivante,  et 
non  plus  par  un  symbole  religieux  ^  ou  par  une  conception  M- 
TiQUE ,  que  le  moyen  âge  a  eu  raison  contre  l'antiquité  en  procla- 
mant l'égalité  des  sexes,  et  couronnera  ainsi  toute  cette  œuTie 
glorieuse  de  la  réhabilitation  de  la  femme. 

Toutes  les  énergies  du  sexe  fait  pour  le  raisonnement  et  l'ac- 
tion, pour  la  vie  extérieure  et  politique  sont  épuisées;  la  dernière 
réserve  de  la  France  est  dans  le  sexe  du  sentiment  et  de  la  vie 
intérieure.  Il  faut  que  la  femme  sorte  de  sa  sphère,  par  une 
auguste  exception ,  pour  éclater  dans  la  sphère  de  la  vie  active  et 
pour  faire,  avec  une  puissance  divine,  l'œuvre  de  l'homme  désertée 
par  l'homme.  C'est  un  mystère,  sans  doute,  que  la  France  arra- 
chée du  tombeau  par  une  femme;  mais  le  mot  de  ce  mystère  est 
dans  l'essence  môme  de  la  France  :  c'est  à  la  femme  à  sauver  le 
peuple  du  sentiment. 

La  situation  morale  du  peuple  présageait  et  préparait  les  grandes 
choses  qui  allaient  paraître  :  le  peuple  n'espérait  plus  rien  de? 
moyens  humains,  et  cependant  le  sentiment  d'une  indestructible 

1.  Darc  et  non  d'Arc.  V.  .\'ouveUcs  Recherches  sur  la  famille  et  tur  U  nom  de  Jtamti 
Varc,  par  A.  Vallet  de  Virivillc;  Paris,  Dumoulin ,  1854. 

2.  V.  notre  t.  IIÎ,  p.  402-404,  »iir  Tidéal  de  V Immaculée  Coneeptiom, 


[1429]  D'OU  VIENDRA  LE  SALUT.  135 

nationalité  soulevait  violemment  son  &me  et  Tavertissait  que  la 
France  ne  pouvait  mourir.  N'attendant  rien  de  la  terre,  il  élevait 
son  cœur  vers  le  ciel  ;  une  ardente  fermentation  religieuse,  à  la- 
quelle Fautorité  ecclésiastique  n'avait  aucune  part,  agitait  non- 
seulement  les  provinces  <  dauphinoises  »,  mais  les  régions  anglo- 
bourguignonnes.  Quelque  chose  de  Texaltation  mystique  d'autre- 
fois s'était  réveillée  chez  les  plus  populaires  des  ordres  mendiants, 
chez  les  franciscains  et  chez  les  carmes,  cette  singulière  congré- 
gation qui  prétendait  compter  les  druides  parmi  ses  aïeux.  Le 
carme  breton  Thomas  Connecte  parcourait  la  Picardie,  l'Artois, 
la  Flandre,  suivi  d'une  troupe  de  disciples,  prêchant  partout  avec 
une  extrême  virulence  «  contre  les  vices  et  péchés  d'un  cha- 
cun, et  en  spécial  contre  le  clergé  »,  contre  les  prêtres  concubi- 
naires  qui  «  publiquement  tenoient  femmes  en  leur  compagnie  »  : 
il  ameutait  les  petits  enfants  contre  les  dames  et  damoiselles  a  qui 
portoient  sur  leurs  têtes  hauts  atours  et  autres  habillements  de 
parage  »;  sommait,  sous  peine  de  damnation,  les  dames  de  lui 
livrer  leurs  hauts  bonnets  (hennins),  les  hommes  de  lui  apporter 
leurs  tabliers  (damiers),  échiquiers,  cartes,  quilles  et  dés,  billes  et 
billards,  et  jetait  le  tout  dans  de  grands  feux.  <c  II  régna  dans  ces 
pays  par  l'espace  de  cinq  ou  six  mois;  on  lui  faisoit  autant  d'hon- 
neur qu'à  un  apôtre  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ,  et  plusieurs 
notables  personnes  laissèrent,  pour  le  suivre,  pères  et  mères, 
femmes  et  enfants.  Après  lequel  temps  il  se  départit,  à  la  grande 
louange  du  peuple,  et,  au  contraire,  à  l'indignation  de  plusieurs 
clercs  *.  »  D'autres  prêcheurs,  tirant  leurs  textes  des  sombres  vi- 
sions de  l'Apocalypse,  remuaient  le  reste  de  la  France  et  l'Italie. 
Le  frère  Richard,  cordelier  (franciscain),  disciple  du  fameux 
Espagnol  Vincent  Ferrier,  et  récemment  arrivé  de  Palestine, 
bouleversa  Paris  par  ses  sermons,  au  mois  d'avril  1429  :  il 
prêchait  du  haut  d'un  éehafaud  dressé  dans  le  cimetière  des 
Innocents,  «  à  l'endroit  de  la  danse  Macabre  »,  et  fit  oublier  aux 
Parisiens  l'étrange  spectacle  de  la  danse  des  morts  par  des  émo- 
tions plus  violentes  encore  :  il  fit,  comme  Thomas  Connecte,  brû- 
ler les  hennins  et  tous  les  jeux,  annonça  que  l'Antéchrist  était 

1.  MoDstrelet,  1.  II,  c.  53.  Thomas  Connecte  finit  par  être  brûlé  comme  hérétique, 
h  Rome,  par  l'Inquisition. 


136  GUERRES  DES  ANGLAIS.  [1419] 

né,  et  <  qu'en  Tan  trentième  (1430),  on  verroit  les  plus  grandes 
merveilles  qu*on  eilt  onc  vues  ».  (Journal  du  Bourgeois  de  Paris.) 
Le  régent  Tobligea  de  quitter  Paris.  Les  Anglais  craignaient  avec 
raison  tout  ce  qui  tendait  à  exalter  Tesprit  du  peuple  :  tout  senti- 
ment énergique  devait  tourner  contre  eux.  Leur  séjour  prolongé 
dans  la  France  septentrionale,  loin  d'habituer  le  pays  à  leur  do- 
mination, les  avait  rendus  l'objet  d'une  aversion  toujours  crois- 
sante; on  oubliait  peu  à  peu  les  crimes  et  les  fureurs  des  Arma- 
gnacs, pour  voir  dans  ces  durs  et  avides  insulaires  *  les  seuk 
auteurs  du  martyre  de  la  France,  livrée  depuis  tant  d'années  <  à 
pires  douleurs  que  ne  fut  onc  chrétienté  sous  les  tyrans  païens 
Dioctétien  et  Néron  ».  Les  Anglais  comprenaient  que  le  mouve- 
ment religieux  ne  tarderait  pas  à  devenir  politique  partout  où  il 
n'avait  point  encore  ce  caractère. 

Ainsi  qu'à  toutes  les  époques  de  fermentation  religieuse,  les 
extatiques  se  multipliaient  à  côté  des  prédicateurs  errants.  On 
raconte  qu'une  visionnaire,  appelée  Marie  d'Avignon,  était  allée 
trouver  Charles  VU,  il  y  avait  déjà  quelque  temps;  elle  avait  eu, 
disait-elle,  nombre  de  visions  touchant  la  désolation  du  royaume; 
dans  une  de  ses  extases,  elle  avait  vu  des  armures  qu'on  semblait 
lui  offrir;  elle  eut  peur;  il  lui  fut  dit  qu'elle  ne  s'effrayât  pas,  que 
ces  armes  n'étaient  pas  pour  elle,  mais  pour  une  jeune  fille  qui 
viendrait  après  elle,  et  qui  délivrerait  de  ses  ennemis  le  royaume 
de  France  2. 

Une  autorité  plus  imposante  confirmait  les  paroles  de  Marie. 
On  avait  consulté  le  grand  oracle  du  moyen  âge.  Merlin,  à  la  fin 
de  sa  Prophétie^  dans  une  vision  inspirée  par  les  doctrines  drui- 
diques sur  la  destruction  et  le  renouvellement  du  monde,  voit  les 
maisons  du  soleil  se  bouleverser,  les  douze  signes  du  Zodiaque 
entrer  en  guerre  5,  et  «  la  Vierge  descendre  sur  le  dos  du  Sagit- 


1.  Angloitf  au  seizième  siècle,  était  resté  chez  nous  synonyme  d'usurier  et 
(l*exacteur. 

2.  Déposition  de  Jean  Barbin,  avocat  du  roi,  dans  le  procès  de  réhabilitatioi 
de  la  Pucellti  ;  ap.  Procéa  de  Jeanne  d'Arc,  etc.  t.  III,  p.  83. 

3.  C'est,  diDS  le  symbolisme  druidique,  une  forme  correspondante  k  ce  qu'est. 
dans  le  symbolisme  apocalyptique,  l'ouyerture  des  sept  sceaux  et  la  chute  des 
étoiles. —  V,  Prophetia  Merlini,  ap.  Galfrid.  Moneuiut.  de  Gettit  miriutque  Bri* 
lanniœ  regum,  1.  IV. 


[1439]  PROPHÉTIE  DE  MERLIN.  137 

taire  »,  du  tireur  d'arc.  Le  peuple  lut  dans  cette  parole  la  pro- 
messe qu'une  <  pucelle  »  mettrait  sous  ses  pieds  «  les  hommes 
armés  de  Tare  »,  les  Anglais.  Un  vieil  instinct  de  tradition  gauloise 
y  ajouta  que  la  •  pucelle  douée  par  les  fées^  »  viendrait  d'entre 
les  chênes,  du  <  Bois-Chesnu>  »;  altérant  ainsi  une  autre  partie 
des  prédictions  de  Merlin,  où  le  prophète  annonce  une  vierge 
libératrice  qui  sortira  de  la  ville  du  Bois  Chenu  (et  non  Chesnu; 
Canuti^).  Enfin  il  s'accrédita  que  le  «  Bois  Chesnu  »  d'où  sortirait 
la  «  Pucelle  »  était  situé  «  vers  les  marches  de  Lorraine^  ». 

L*idée  que  la  France  serait  sauvée  par  une  femme  s'accréditait 
de  jour  en  jour  :  il  régnait  une  de  ces  grandes  attentes  qui  ap- 
pellent et  suscitent  le  prodige  attendu.  Quelqu'un  avait  entendu 
rappel  de  tous  :  les  aspirations  qui  remplissaient  l'atmosphère 
s'étaient  déjà,  à  cette  heure,  concentrées  dans  une  de  ces  âmes 
extraordinaires  qui  semblent  ne  descendre  sur  la  terre  que  pour 
le  salut  des  autres  et  non  pour  leur  propre  épreuve. 

A  l'extrême  frontière  de  la  France  et  de  l'Empire,  une  étroite 
langue  de  terre,  appartenant  à  la  Champagne,  s'enfonçait  et  se 

1.  Fatata,  en  bas  latin  :  or.  Protêt  de  Jeanne  cfArc,  t.  II,  p.  28.  Doué  par  les 
fées,  inspiré  par  les  fées,  en  vieux  français  se  dit  faé;  dans  la  langue  des  trou- 
badours, fadatx  :  v.  les  poésies  de  Guilbem  IX  d'Aquitaine,  ap.  Raynouard,  Poésies 
de*  troubadours,  t.  L 

2.  îiemus  quercosum.  Procès  de  Jeanne  d^Arc,  t.  I,  p.  68;  t.  IH,  p.  16;  dépo- 
sition du  comte  de  Dunois,  ap.  procès  de  réhabilitation.  La  prophétie  avait  pris 
la  forme  d'un  quatrain,  que  nous  n'avons  plus. 

3.  «  De  la  ville  du  Bois-Chenu  sortira  la  Pucelle,  afin  de  prendre  le  soin  de  la 
guérison...  Elle  portera  dans  sa  droite  la  forêt  de  Calyddon  (la  Calédonie),  dans  la 
gauche  les  créneaux  des  murs  de  Londres...  Chacun  de  ses  pas  allumera  une  double 
flamme...  Elle  fondra  en  larmes  pitoyables  et  remplira  l'tle  d'une  clameur  d'épou- 
vante. Un  cerf  dix  cors,  qui  sur  quatre  de  ses  rameaux  porte  des  couronnes  d'or,  la 
tuera...  «  Galfrid.  Monemut.  toc.  cil.  Plus  tard ,  les  commentateurs  eurent  lieu  de 
signaler  la  fin  de  la  prédiction.  A  la  mort  de  la  Pucelle,  a  la  forêt  danoise  se  sou- 
lèvera; elle  éclatera  en  une  voix  humaine  et  criera  :  Lève-toi,  Cambrie...  et  dis 
à  Gwynton  :  La  terre  te  dévorerai  »  La  forêt  danoise,  ce  fut  la  Normandie;  quant 
à  Gwynton,  c'est  le  nom  celtique  de  Winchester,  et  le  cardinal  de  Winchester  fut 
le  chef  des  meurtriers  de  Jeanne  Darc. 

Il  est  probable  que  la  Vierge  de  Merlin  n'était  qu'tfn  symbole  de  la  Grande- 
Bretagne. 

4.  Procès,  t.  II,  p.  447.  'v,  les  paroles  de  Jeanne  Darc,  rapportées  par  un  des 
témoins  du  procès  de  réhabilitation.  Un  autre  témoin ,  professeur  en  théologie, 
Pierre  Migiet,  prétend  avoir  lu  jadis  «  dans  un  livre  ancien,  où  étoit  rapportée 
la  prophétie  de  Merlin  »  ,  que  «  la  Pucelle  »  viendrait  «  d'un  bois  chenu ,  du 
c6té  de  Lorraine.»  Il  n'y  a  rien  de  tel  duns  le  texte  de  Merlindonné  par  Geoffroi 
de  Monmouth.  Ibid,  III,  133. 


138  GUERRES  DES  ANGLAIS.  lUM] 

perdait,  pour  ainsi  dire,  entre  le  duché  de  Bar,  l'évfiché  de  Tool 
et  le  duché  de  Lorraine;  les  habitants  de  ce  petit  canton  rivenia 
de  la  Meuse,  qui  ne  renfermait  d'autre  <  ville  fermée  »  que  Van- 
couleurs*,  avaient  été  constamment  attachés  au  parti  français.  Le 
voisinage  de  l'étranger  s,  de  la  terre  d*Empire,  redoublait  eo  ein 
la  vivacité  du  sentiment  national,  comme  il  arrive  presque  tou- 
jours chez  les  populations  des  frontières  :  on  ne  se  sent,  on  ne 
se  connaît  soi-même  que  par  l'opposition  avec  ce  qui  n*estpis 
soi.  Depuis  l'origine  des  guerres  civiles  qui  avaient  précédé  rin- 
vasion  anglaise,  les  ducs  de  Lorraine  et  de  Bar.  de  tout  temps 
rivaux  et  ennemis,  avaient  soutenu  les  deux  partis  opposés  :  ks 
Lorrains  s'étaient  faits  Bourguignons,  puis  adhérents  de  Henri TI; 
les  Barrois  avaient  été  Orléanais,  puis  Dauphinois;  Yaucoulenn 
et  les  villages  champenois  de  la  frontière  s'étaient  rangés  dn 
cAté  des  Barrois.  Sur  la  rive  gauche  de  la  Meuse,  k  cinq  lieues 
au-dessus  de  Vaucoulcurs,  entre  la  prairie  de  la  Meuse  et  un  long 
coteau  couronné  de  bois,  s'élève  un  hameau  dont  le  nom,  Dom- 
rcmi  3,  indique  un  ancien  domaine  de  l'abbaye  de  Saint-Rcmi  de 
Reims.  Au  milieu  du  hameau,  deux  constructions  attirent  le  re- 
gard :  une  petite  église  ogivale,  du  treizième  ou  du  quatorzième 
siècle,  dédiée  à  Saint-Remi  ;  tout  à  côté,  contre  l'enclos  du  cime- 
tière qui  entoure  l'église,  une  maison,  du  quinzième  siècle,  dont 
la  façade  présente  trois  écussons  armoriés  et  une  petite  statue 
armée  et  agenouillée.  Cette  maison,  de  modeste  apparence,  était 
bien  plus  humble  à  l'époque  où  elle  fut  visitée  par  l'étoile  qui  avait 
brillé,  quatorze  siècles  auparîivant,  sur  la  crèche  de  Bethléem^. 

Près  de  celte  maison,  un  sentier  montait,  à  travers  des  touffes 
de  groseillers,  vers  le  sommet  du  coteau  :  la  crôte  boisée  se  nom- 
mait le  BOIS  CHESNU.  A  mi-côte,  jaillissait,  sous  un  grand  hêtre 

1.  «  Charles  V,  comme  par  une  inspiration  proTidentielle,  arait  fait  depuis  pci 
(de  Vaticouleurs)  un  membre  inséparable  de  la  couroone.»  J.  Qaieheral,  Aperça 
nouvet.Hx  iur  Jeœme  d'Arc,  p.  2. 

1.  /:tranger  par  les  délimitations  politiques,  non  par  la  langue  ni  par  |a  raee. 
«  On  voit  encore  près  de  Vaucnuleurs,  dit  le  Dictionnaire  de  Vosgien,  de  gnttn 
pierres  que  Tempereur  Albert  et  Philippe  le  Bel  firent  planter  ponr  ser? ir  da  borna 
&  leurs  empires.  » 

3.  Dominus-Remitjiu*» 

4.  Elle  fut  réparte,  sinon  reb&tie,  et  un  peu  orn^e  par  ordre  de  I^uis  XI  (1481)l 
La  statue  de  la  Pucellc,  malheureusement,  est  tout  a  fait  dépourvue  de  caractèrt. 


13]  DOMREMI.  NAISSANCE  DE  JEANNE.  139 

lé,  une  fontaine,  objet  d*un  culte  traditionnel.  Les  malades 
jrmentés  de  la  fièvre  venaient,  de  temps  immémorial,  chercher 
r  g^érison  dans  ces  eaux  pures.  La  source  ne  parait  pas  avoir 
sous  l'invocation  d'un  saint  ni  d'une  sainte.  Des  êtres  niysté- 
ux,  antérieurs  chez  nous  au  christanisme,  et  que  nos  paysans 
nt  jamais  consenti  à  confondre  avec  les  esprits  infernaux  de 
égende  chrétienne,  les  génies  des  eaux,  des  pierres  et  de  sbois, 
dames  faées*  hantaient  le  hêtre  séculaire  et  la  claire  fontaine. 
hêtre  s'appelait  le  beau  mai.  Au  retour  du  printemps,  sous  l'arbre 
mai,  <  beau  comme  les  lis'  >,  les  jeunes  filles  venaient  danser 
suspendre  aux  rameaux,  en  Thonneur  des  fées,  des  guirlandes 
i  disparaissaient,  disait-on,  pendant  la  nuit.  Les  pieux  et  simples 
bilan ts  de  Domremi  étaient  à  la  fois  très  bons  chrétiens  et  très 
achés  à  ces  pratiques  primitives  de  leurs  aïeux. 
Dans  la  nuit  de  l'Epiphanie  (6  janvier  1412)^,  on  raconte  que 
mis  les  habitants  de  Donu'emi,  saisis  d'un  inconcevable  trans- 
it de  joie,  se  mirent  à  courir  çà  et  là  en  se  demandant  l'un  à 

atre  quelle  chose  étoit  donc  advenue Les  coqs,  ainsi  que 

rauts  de  celle  allégresse  inconnue,  éclatèrent  en  tels  chants 
e  jamais  semblables  n'avoient  été  ouïs^.  »  Une  enfant  était  née 
Jacques  Darc  et  d'Isabeau  Romée*,  pauvres  et  honnêtes  la- 
ureurs  d'origine  servile*,  établis  à  Domremi,  mais  natifs  de 
ux  autres  villages  de  Champagne^.  La  mère  avait,  dit-on,  rêvé 
gemment  qu'elle  accouchait  de  la  foudre. 
L'enfant  fut  appelée  Jeanne.  Autour  de  ses  jeunes  années  se 
nouvelèrent  les  légendes  qui  poétisent  le  souvenir  des  saints 
[tiques,  de  saint  Colomban,  de  saint  Gall,  de  saint  Brandaines, 


I.  Dominée  fatœ,  fatales;  les  fées. 

ï,  Cest  le  mot  d'un  des  témoins  du  procès  de  réhabilitation.  Le  grand  fau 

lire)  existait  encore  au  dix-septième  siècle.  Procès,  t.  II,  p.  390. 

I.  Procès,  t.  V,  p.  116;  1. 1,  p.  46. 

ï.  Lettre  de  Perccval  de  Boulainvilliers  au  duc  de  Milan;  Procès,  t.  V,  p.  116. 

S.  M.  Vallet  de  Viriville  a  donné  d'intéressants  détails  sur   les  origines  de 

UDne;  v.  Bfémoire  sur  le  nom  et  la  famille  de  Jeanne  Darc,  p.  25;  1854. 

S.  Les  lettres  d'anoblissement  de  la  Pucelle  et  de  sa  famille  portent  qu'ils  n*é- 

ent  pas  de  noble  extraction,  et  peut-être  même  êtoient  d'autre  condition  que  de 

uiition  libre,  (Lettres  patentes  de  Charles  VU,  de  décembre  1429;  Procès,  t.  Vi 

iM\ 

7.  Vallet  de  VirÎTille.  Mémoire  sur  le  nom,  etc. 


140  GUERRES  DES  ANGLAIS.  (I4l2-im] 

et  qui,  émanées  d*iinc  inspiration  plus  ancienne. que  le  christia- 
nisme, nous  montrent  leurs  pieux  héros  dans  une  communion 
mystique  avec  tous  les  êtres  de  la  nature.  «  Quand  elle  gardoil 
les  brebis  de  ses  parents,  le  loup  jamais  ne  mangea  ouaillc  de  son 
troupeau...  Quand  elle  étoit  bien  petite...,  les  oiseaux  des  bois  et 
des  champs,  quand  les  appeloit,  venoient  manger  son  pain  dans 
son  giron,  comme  privés  ^.  >  Les  deux  grands  courants  du  sen- 
timent celtique  et  du  sentiment  chrétien,  qui  s'étaient  unis  pour 
enfanter  la  poésie  chevaleresque,  se  mêlent  de  nouveau  pour 
former  cctle  âme  prédestinée.  La  jeune  pastoure  tantôt  rêve  au 
pied  de  «  l'arbre  de  mai  »  ou  sous  les  chênes,  d'entre  lesquels 
on  voit  de  loin  fuir  la  Meuse  à  travers  les  prairies  ;  elle  écoute 
les  rumeurs  confuses  de  l'air  et  de  la  fouillée  ;  elle  plonge  ses 
yeux,  durant  de  longues  heures,  dans  les  profondeurs  du  cid 
étoile.  Tantôt  elle  s'oublie  au  fond  d^  la  petite  église,  en  extase 
devant  les  saintes  images  qui  resplendissent  sur  les  vitraux.  Elle 
prie  les  samts  du  paradis  pour  la  France,  dont  les  malheurs  ont 
déjà  frappé  vaguement  son  oreille  et  son  cœur.  Quant  aux  fées, 
elle  ne  les  a  jamais  vues  mener  au  clair  de  lune  les  cercles  de 
leur  danse  autour  du  beau  mai;  mais  sa  marraine  les  a  rencon- 
trées jadis,  et  Jeanne  croit  apercevoir  parfois  des  formes  incer- 
taines dans  les  vapeurs  du  crépuscule  ^  :  des  voix  gémissent  le 
soir  entre  les  rameaux  des  chênes  ;  les  fées  ne  dansent  plus  ;  elles 
pleurent  ^  ;  c'est  la  plainte  de  la  vieille  Gaule  qui  expire  ! 

La  plainte  a  été  entendue.  Une  autre  voix  bientôt  répondra 
d'en  haut. 

La  sérieuse  enfant,  résen'éc,  un  peu  sauvage,  rarement  mêlée 
aux  jeux  de  ses  compagnes,  fort  aimée  d'elles  toutefois  «pour 
sa  grande  bonté»,  et  ardemment  secourable  à  toute  infortune, 
offrait  déjà  ce  mélange  de  méditation  solîtaireet  de  puissante  acti- 
vité qui  caractérise  les  êtres  promis  aux  grandes  missions.  Elle  se 
cherchait  elle-même  :  les  faits  du  dehors  éclairèrent  et  fixèrent 


1.  Lettre  de  Perceval  de  Roulainvilliers;  Procès,  t.  V,  p.  116.  —  Journal  du 
Bourgeois  de  Varii,  ad  aun.  1431. 

2.  Procès,  t.  I,  p.  67,  68. 

3.  Il  leur  a  été  interdit,  a  povr  leurs  péchés  »,  de  reyenir  sous  le  beau  mti. 
Procès,  t.  II,  p.  396  ;  Dépoiition  de  Béairix. 


(1415)  ENFANCE  DE  JEANNE.  141 

c  sa  sublime  inquiétude*  ».  Les  petites  villes  elles  bourgades  de  la 
haute  Meuse  avaient  été  longtemps  épargnées,  grâce  à  leur  situa- 
tion reculée,  par  la  guerre  qui  désolait  la  France.  Les  luttes  étran- 
gèresetcivilesy  avaient  pourtant  des  échos;  on  y  était  «  bandé  vil- 
lage contre  village  ».  Jeanne  avait  été  élevée  dans  la  haine  de  ces 
Bourguignons,  qui  livraient  la  France  aux  Anglais.  Souvent  elle 
voyait  les  petits  garçons  de  Domremi  revenir  tout  ensanglantés  de 
leurs  batailles  à  coups  de  pierres  contre  les  enfants  de  Maxei,  village 
lorrain  de  la  rive  droite  de  Meuse,  qui  tenait  le  parti  de  Bourgogne. 
La  vraie  guerre,  et  non  plus  son  image  enfantine,  apparut  enfin 
dans  la  vallée.  Les  garnisons  françaises  de  Vaucouleurs,  de  Mou- 
zon ,  de  Beaumont-en-Argonne  couraient  la  Champagne  et  rava- 
geaient le  plat  pays  :  après  la  défaite  des  Français  à  Yerheuil,  les 
grandes  villes  champenoises  offrirent  des  subsides  au  régent  an- 
glais pour  qu*il  rétablit  la  sécurité  des  routes  et  s*emparàt  du  cours 
de  la  Meuse  ^.  Les  Anglo-Bourguignons  menacèrent  Vaucouleurs 
et  promenèrent  le  fer  et  le  feu  dans  la  contrée'.  A  l'approche  des 
bandes  ennemies ,  les  habitants  de  Domremi  durent  plus  d'une 
fois  chercher  un  asile  à  la  hâte  dans  un  châtelet  bâti  en  face  de 
leur  hameau,  sur  une  île  du  fleuve. 

Ces  scènes  de  trouble  et  de  terreur  faisaient  sur  la  jeune  fille 
une  impression  ineffaçable.  Elle  écoutait,  le  sein  palpitant,  les 
yeux  en  pleurs,  les  lamentables  récits  qu'on  faisait  à  la  veillée  sur 
les  calamités  du  beau  royaume  de  France,  <  du  royaume  de  Jésus  » . 
Les  récits  devenaient  pour  elle  Taspect  même  des  choses.  Elle 
voyait  les  campagnes  en  feu,  les  cités  croulantes,  les  armées  fran- 
çaises jonchant  de  leurs  morts  les  plaines  ;  elle  voyait  errant, 
proscrit,  ce  jeune  roi  qu'elle  parait  de  vertus  imaginaires,  et  qui 
personnifiait  à  ses  yeux  la  France.  Elle  implorait  ardemment  le 
Seigneur  et  ces  anges,  ces  saints  qu'on  lui  avait  appris  à  consi- 
dérer comme  des  intermédiaires  entre  l'homme  et  Dieu.  Un  sen- 
timent exclusif,  unique,  la  pitié  et  l'amour  de  la  patrie,  enva- 


1.  Quicherat,  Aperçus  nouveaux  sur  Jeanne  tPArc,  p.  9. 

2.  Ibid,  p.  10. 

3.  Ils  prirent,  après  une  longue  résistauce,  Mouzon  et  Beaumont.  Les  babitants 
M  retirèrent  k  Liège,  cité  anti-bourguignonne,  pour  ne  pas  prêter  serment  an  roi 
étranger. 


142  GUERRES  DES  ANGLAIS.  (14»] 

hissait  peu  à  peu  tout  entière  cette  âme  passionnée  et  profonde. 

L'autel  était  prêt;  le  feu  du  ciel  descendit.  Un  jour  d'été,  c'était 
en  1425,  Jeanne  était  dans  sa  quatorzième  année;  elle  courait 
dans  la  prairie  avec  ses  compagnes;  soulevée  comme  par  une 
force  invisible,  elle  prenait  tant  d'avance  sur  ses  jeunes  amks 
que  celles-ci,  frappées  de  surprise,  croyaient  la  voir  voler  et  non 
courir.  «  Ravie  et  comme  hors  de  sens  »,  eUe  s'arrête  pour  re- 
prendre haleine.  En  ce  moment,  il  lui  semble  ouïr  une  voix  qui 
la  rappelle  au  logis,  près  de  sa  mère  *.  Elle  retourne  :  elle  se 
retrouve  seule  dans  le  petit  jardin  paternel.  Tout  à  coup  une  voii 
c  moult  belle  et  douce  »  l'appelle  par  son  nom  :  <  JehannelaPu- 
celle,  lille  de  Dieu,  sois  bonne  et  sage,  fréquente  l'église,  mets  ta 
confiance  au  Seigneur  !  Jehanne,  il  faut  que  tu  ailles  en  France  >  *. 
Elle  ne  voit  personne,  mais  une  grande  clarté  brille  à  la  droite 
de  l'église.  L'enfant  reste  saisie  d'une  première  révélation  de  sa 
destinée  ;  elle  sent  vaguement  qu'elle  ne  doit  pas  porter  les  douces 
chaînes  des  affections  privées  ;  elle  renonce  à  être  épouse  et  mère, 
et  voue  sa  virginité  au  Seigneur.  Bientôt  la  voix  se  fait  entendre 
de  nouveau,  et  Jeanne  entrevoit,  dans  un  nimbe  lumineux,  une 
figure  ailée  au  majestueux  visage,  qu'environne  un  tourbillon 
d'esprits.  «  Je  suis  l'archange  Michel ,  dit  l'apparition  ;  je  te  viens 
commander,  de  la  part  du  Seigneur,  que  tu  ailles  en  France,  que 
tu  ailles  au  secours  du  dauphin,  afin  que  par  toi  il  recouvre  son 
royaume  2.  » 

La  jeune  enfant,  se  trouvant  ainsi  pour  la  première  fois  fooeà 
face  avec  l'audacieuse  idée  qui  fermentait  dans  son  sein,  eut  peur 
et  fondit  en  larmes;  mais  la  vision  ne  tarda  pas  à  reparaître  plus 
brillante.  Le  chef  des  armées  célestes  amenait  avec  lui  deux  gra- 
cieux fantômes,  «  couronnés  de  belles  couronnes  moult  riches  cl 
précieuses  »  :  c'étaient  deux  des  bienheureuses  les  plus  célèbres 
de  la  légende,  sainte  Catherine  et  sainte  Marguerite.  Michel  avait 

i.  Lettre  de  Perceval  de  Boulainvilliers  au  duc  de  Milan  (1429);  Procét,  uT, 
p.  117. 

2.  Les  Champenois,  les  Picards,  les  Bourguignons  appelaient  encore  spéciak- 
uiciit  France  Tuntiquc  duché  de  France,  la  région  centrale  de  PUe- de-France  el 
de  rOrlcanais. 

3.  Procès,  1. 1, 1*.  62,  72,  170,  171.  Charles  VII  n'était  encore  que  «  le  daupkia» 
pour  Jeanne,  parce  qu'il  n'avait  pas  été  sacré. 


[1425-1428]  VOCATION  DE  JEANNE.  143 

prévenu  Jeanne  que  ces  deux  saintes  avaient  été  choisies  pour  être 
ses  guides  et  ses  conseillères.  Les  apparitions  dès  lors  se  multi- 
plièrent, et  la  vie  de  Jeanne  ne  cessa  plus  d'être  partagée  entre  le 
inonde  réel  et  le  monde  idéal  que  lui  ouvrait  l'extase.  La  frayeur 
que  lui  avaient  inspirée  ses  premières  visions  s'était  changée  en  j'oie 
et  en  amour;  elle  attendait  impatiemment  ses  «frères  de  paradis  »; 
elle  pleurait  quand  ils  la  quittaient  pour  retourner  au  ciel,  et 
€  eût  voulu  qu'ils  l'emportassent  avec  eux  ».  Elle  s'était  prise 
d'une  vive  tendresse  pour  ces  êtres  fantastiques,  forme  idéale  de 
ses  pensées,  nuées  transparentes  qui  voilaient  à  ses  yeux  le  divin 
soleil  d'où  l'inspiration  rayonnait  sur  elle  * .  Et  toujours  les  esprits 

1.  n  existe  dans  rbumanité  an  ordre  exceptionnel  de  faits  moraux  et  physiques 
qui  semblent  déroger  aux  lois  ordinaires  de  la  nature  :  c'est  l'état  d'extase  et  de 
somnambulisme,  soit  spontané,  soit  artificiel,  avec  tous  ses  étonnants  phénomènes 
de  déplacement  des  sens,  d'insensibilité  totale  ou  partielle  du  corps,  d'exaltation 
de  l'âme,  de  perceptions  en  dehors  de  toutes  les  conditions  de  la  vie  habituelle. 
Cette  classe  de  faits  a  été  jugée  à  des  points  de  vue  très  opposés.  Les  physiologistes, 
voyant  les  rapports  accoutumés  des  organes  troublés  ou  déplacés,  qualifient  de 
maladie  Fétat  extatique  ou  somnambulique,  admettent  la  réalité  de  ceux  des  phé- 
nomènes qu'ils  peuvent  ramener  &  la  pathologie  et  nient  tout  le  reste,  c'est-èi-dire 
tout  ce  qui  parait  en  dehors  des  lois  constatées  de  la  physique.  La  maladie  devient 
même  folie  &  leurs  yeux,  lorsqu'au  déplacement  de  l'action  des  organes  se  joignent 
des  hallucinations  des  sens,  des  visions  d'objets  qui  n'existent  que  pour  le  vision- 
naire. Un  physiologiste  éminent  a  fort  crûment  établi  que  Socrate  était  fou,  parce 
qu'il  croyait  converser  avec  son  démon.  Les  mystiques  répondent  non-seulement 
en  affirmant  pour  réels  les  phénomènes  extraordinaires  des  perceptions  magnétiques, 
question  sur  laquelle  ils  trouvent  d'innombrables  auxiliaires  et  d'innombrables 
témoins  en  dehors  du  mysticisme,  mais  en  soutenant  que  les  visions  des  extatiques 
ont  des  objets  réels,  vus,  il  est  vrai,  non  des  yeux  du  corps,  mais  des  yeux  de  l'esprit. 
L'extase  est,  pour  eux,  le  pont  jeté  du  monde  visible  au  monde  invisible,  le  moyen 
de  communication  de  l'homme  avec  les  êtres  supérieurs,  le  souvenir  et  la  promesse 
d'une  existence  meilleure  d'où  nous  sommes  déchus  et  que  nous  devons  reconquérir. 

Quel  parti  doivent  prendre  dans  ce  débat  Thistoire  et  la  philosophie? 

L'histoire  ne  saurait  prétendre  h  déterminer  avec  précision  les  limites  ni  la 
portée  des  phénomènes  ni  des  facultés  extatiques  et  somnambuliques;  mais  elle 
constate  qu'ils  sont  de  tous  les  temps  et  de  tous  les  lieux  ;  que  les  hommes  y  ont 
toujours  cru;  qu'ils  ont  exercé  une  action  considérable  sur  les  destinées  du  genre 
humain;  qu'ils  se  sont  manifestés  non  pas  seulement  chez  les  contemplatifs,  mais 
chez  les  génies  les  plus  puissants  et  les  plus  actifs,  chez  la  plupart  des  grands 
initiateurs;  que,  si  déraisonnables  que  soient  beaucoup  d'extatiques,  il  n'y 
a  rien  de  commun  entre  les  divagations  de  la  folie  et  les  visions  des  extati- 
ques; que  ces  visions  peuvent  se  ramener  à  de  certaines  lois;  que  les  extatiques 
de  tous  les  pays  et  de  tous  les  siècles  ont  ce  qu'on  peut  nommer  une  langue  com- 
mune, la  langue  des  symboles,  dont  la  langue  de  la  poésie  n'est  qu'un  dérivé, 
langue  qui  exprime  à  peu  près  constamment  les  mêmes  idées  et  les  mêmes  senti- 
ments par  les  mêmes  images. 

11  est  plus  téméraire  peut-être  d'essayer  de  conclure  au  nom  de  la  philosophie. 


144  GUERRES  DES  ANGLAIS.  [UU^UV] 

lui  parlaient  de  sa  mission,  <  de  la  grande  pitié  qui  étoit  au 
royaume  de  France  »,  des  maux  qu*elle  seule  devait  finir;  îb 
Tcxhortaient  d*aller  trouver  le  <  dauphin  Charles  »,et  de  le  mener 
sacrer  à  Reims.  Jeanne  se  débattait  contre  elle-même  ;  elle  «  ri- 
pondoit  qu'elle  étoit  une  pauvre  femme,  qui  ne  sauroit  ni  die- 
vaucher,  ni  mener  la  guerre  ».  Mais  les  esprits  répétaient  opinU- 
trémcnt  :  «  Va  en  France  I  va  en  France!  » 


pourtant  le  philosophe,  après  avoir  reconnu  l'importance  morale  de  cet  ] 
mènes,  si  obscnrs  qu'en  soient  pour  nous  la  loi  et  le  bat,  après  y  avoir  distingii 
deux  degrés,  Tun,  inférieur,  qui  n'est  qu'une  extension  étrange  ou  an  déplaeemcil 
inexplicable  de  Taction  des  organes,  l'autre,  supérieur,  qai  est  ane  exftltation  pra- 
digii'usc  des  puissances  morales  et  intellectuelles,  le  philosophe  poarrait  aontcair, 
k  ce  qu'il  nous  semble,  que  l'illusion  de  l'inspiré  consiste  à  prendre  pour  ancréf^ 
lation  apportée  par  des  êtres  extérieurs,  anges,  saints  on  génies,  les  réTélatîeii 
iniéricures  de  cette  personnalité  infinie  qui  est  en  nonsy  et  qui  parfois,  ehes  Im 
iiieilleurs  et  les  plus  grands,  manifeste  par  éclairs  des  forces  latentes  dépssmt 
presque  sans  mesure  les  facultés  de  notre  condition  actuelle?  En  an  mot,  dasik 
lunçuc  du  l'école,  ce  sont  là  pour  nous  des  faits  de  subjeciivité;  dans  la  laagst 
dos  anciennes  philosophies  mystiques  et  des  religions  les  pins  élevées,  ce  sont  Im 
révolutions  du  férouer  mazdéen,  du  bon  démon  (celui  de  Socrate),  de  l'ange gardicB, 
de  cet  autre  Moi  qui  n'est  que  le  moi  éternel,  en  pleine  possession  de  Ini-ménc, 
planant  sur  le  moi  enveloppé  dans  les  ombres  de  cette  vie  (c'est  là  le  sensdi 
magnifique  symbole  zoroastrien  ]>arlout  figuré  à  Persépolis  et  à  Ninive;  le  finm» 
ailé  ou  le  moi  céleste  planant  sur  la  personne  terrestre). 

Nier  l'action  d'êtres  extérieurs  sur  l'inspiré,  ne  voir  dans  leurs  manifestatioM 
prétendues  que  la  forme  donnée  aux  intuitions  de  l'extatique  par  les  croyances  di 
son  temps  et  de  son  pays,  chercher  la  solution  du  problème  dans  les  profondeondc 
la  personne  humaine,  ce  n'est  en  aucune  manière  révoquer  en  doute  rintervenllei 
divine  dans  ces  grands  phénomènes  et  dans  ces  grandes  existences.  I/aateur  et  k 
soutien  de  toute  vie,  pour  essentiellement  indépendant  qu'il  ?oii  de  chaque  créatin 
et  de  la  création  tout  entière,  pour  distincte  que  soit  de  notre  être  contingent n 
personnalité  absolue,  n'est  point  un  être  extérieur,  c'est-à-dire  étranger  à  nous,  cl 
ce  n'est  pas  du  dehors  qu'il  nous  parle  :  quand  l'Ame  plonge  en  elle-même,  elle  1^ 
trouve,  et,  dans  toute  inspiration  salutaire,  notre  liberté  s'associe  à  sa  providence. 
Il  faut  éviter,  ici  comme  partout,  le  double  écueil  de  l'incrédulité  et  de  la  piété 
mal  éclairée  :  Tune  ne  voit  qu'illusions  et  qu'impulsion  purement  humaine;  l'antre 
refuse  d'admettre  aucune  part  d'illusion,  d'ignorance  ou  d'imperfection  là  ob  eUt 
voit  le  doigt  de  Dieu,  comme  si  les  envoyés  de  Dieu  cessaient  d'être  des  hommes, 
les  hommes  d'un  certain  temps  et  d'un  certain  lieu,  et  comme  si  les  éclairs  sublimes 
qui  leur  traversent  l'Ame  y  déposaient  la  science  universelle  et  la  perfection  absolne. 
Dans  les  inspirations  les  plus  évidemment  providentielles,  les  erreurs  qni  vienneil 
de  riiommc  se  mêlent  à  la  vérité  qui  vient  de  Dieu.  L'être  infaillible  ne  comm- 
uique  sou  infaillibilité  à  personne. 

Nous  ne  pensons  pas  que  cette  digression  puisse  paraître  superflue;  nons  avioM 
k  nous  prononcer  sur  le  caractère  et  sur  l'œuvre  de  celle  des  inspirées  qui  a  témoigné 
au  plus  haut  degré  les  facultés  extraordinaires  dont  nous  avons  parlé  tout  àThenre, 
et  qui  k'S  a  appliquées  ii  la  plus  éclatante  mission  des  Ages  modernes  :  il  falltil 
doue  essayer  d'i-\primer  une  opinion  sur  la  catégorie  d'êtres  exceptionnels  auxifieli 
appartient  Jeanne  Darc. 


[I4?.>»]  VOCATION  DE  JEANNE.  145 

Trois  ans  s'étaient  écoulés  depuis  les  premières  révélations  de 
Jeanne,  et  les  voix  devenaient  toujours  plus  pressantes  :  elle  les 
entendait  dans  le  son  des  cloches,  tant  aimé  de  sa  rêveuse  enfance  ; 
elle  les  entendait  dans  le  mnrniures  des  bois;  elle  les  entendait 
à  la  fontaine  des  fées  comme  à  Té^dise.  Les  voix  se  faisaient  otiïr 
jusque  deux  et  trois  fois  par  semaine,  et  Jeanne  était  consumée 
d'un  feu  intérieur,  d'une  lièvre  héroïque  qui  ne  lui  laissait  plus  de 
repos;  bien  que  personne,  ni  parents,  ni  prêtre,  n'eût  le  secret 
des  mystères  qui  se  passaient  en  elle,  il  lui  échappait  parfois  des 
paroles  étranges  qui  étonnaient  et  alarmaient  ses  père  et  mère. 
Un  jour,  c'était  la  veille  de  la  Saint-Jean  (23  juin  1 428),  elle  dit  à  un 
laboureur  du  voisinage  «  qu'il  y  avoil,  entre  Coussei  et  Vaucou- 
leurs,  une  fille  qui  avant  un  an  feroit  sacrer  le  roi  de  France  » . 
Son  père  rêva  qu'elle  s'en  «  alloit  avec  les  gens  d'armes  »;  il  eût 
mieux  aimé  a  la  noyer  »  de  sa  propre  main  que  de  voir  «  telle 
chose  advenir».  Ses  parents  la  surveillèrent  de  plus  près,  ne  l'en- 
voyèrent plus  aux  champs  garder  les  troupeaux,  et  roccu[)èrent 
au  logis  à  filer  et  à  coudre*.  Ils  tâchèrent  de  la  marier.  Un  jeune 
honime  qui  aimait  Jeanne  prétendit  avoir  d'elle  une  promesse  de 
mariage,  et  la  cita  devant  l'officiaUté  de  Toul^,  avec  la  connivence 
des  parents,  pour  l'obliger  à  remplir  cette  prétendue  promesse  :  on 
espérait  que  Jeanne  n'oserait  comparaître  devant  les  juges  ecclé- 
siastiques. Elle  comparut;  elle  jura  qu'elle  n'avait  rien  promis  et 
gagna  son  procès.  Une  catastrophe  qui  Irappa  son  hameau  vint,  sur 
ces  entrefaites,  la  confirmer  dans  ses  desseins  :  en  1428,  le  pays  fut 
envahi  par  une  compagnie  bourguignonne  ;  les  habitants  de  Doni- 
rcmi  eurent  le  temps  de  s'enfuir  avec  leurs  troupeaux  et  de  gagner 
la  ville  lorraine  de  Neufchastel  (Neufchàleau),  qui  ne  leur  refusa 
point  un  asile.  Neufchîltel,  qui  relevait  du  royaume  et  non  de 
TEnipire,  penchait  pour  la  cause  française.  Quand  l'ennenii  fut 
parti  et  que  les  gens  de  Donn-emi  retournèrent  chez  eux,  Jeanne 
ne  retrouva  que  ruines  et  que  désolation  dans  tous  les  lieux  qu'elle 
avait  aimés  :  son  village  avait  été  saccagé,  son  église  livrée  aux 
flammes.  N'était-ce  pas  le  ciel  qui  châtiait  ainsi  ses  retards? 

1.  ProcèSy  1. 1,  p.  51. 

'i.  Vuucoulouis  cl  les  villages  des  environs,  quoique  fiançais ^  relevaient  do 
l'cvcque  de  Toul  pour  le  spirituel. 

VI.  lu 


146  OUEttRES  mS  ANGLAIS.  tfiB| 

Jrttnn**  n'hésitu  plus,  Loiigttrtnjts  avant  que  h  nouielh?  duî 
d"Orléan&  arrivai  inm  les  marches  de  Lorraine,  Je^nii*     ' 
mise  en  devoir  d'obéir  aux  mîj;  qui  la  touniientuieftl  saiii*  i  ■ 
«  Utïïo-îoi  !  liùte-tùi  !  diâai«;at  le»  vùix,  V8i*t*en  à  Vimnitilear&^  ' 
Robert  de  Uaudriceiirt !  pur  deux  tùis  il  te  rebutera;  h  lu 
sième  il  l  oulru  et  le  baillera  i\i*s  ^'fiiis  iVarniêsi  |M>!ir  le  eotHlu 
»ii  dauphin,  n  Baudricourl  était  le  gouveirietir  tic  Vaûcoulean^ 
Jennnu  ûIjIiiïI  d'aller  pas^î^er  t|iieUjue  teiiiivs  chez  un  irervik  » 
ijiere^  au  villuf^e  du  Petihliarei,  entre  Duiureitij  H  Vqucof*^'"^ 
elle  iiî  hcs  adieux  à  ses  eonrpague!§,àï>on  hnnieau,  quVIle  iii 
plu^  revoir,  et,  à  ireine  arrivée  clie:K  son  oncle,  die  îtVmvnt  à  Im; 
<t  N  Vl'il  pa^  Hù  (Jil  anlreroistiue  la  France,  penlue  |iar  iifiereiniDr, 
seroit  sauM^e  )>ar  luui  [lucelle,  une  jiucelle  des  iruirelie5  ilc  Lor* 
rai  ne  ï  La  femiïitj,  c'est  la  reine  I^abeaii  ;  k  |m€elJt\  c'est  luotl^t 
L^onele  de  Jeanne  lut  subjugué  par  rauloritê  avec  bMiu»  "" 
mail  la  jeune  iille  :  il  se  rendit  auprès  du  gouvemi^ur  u  . 
leuiE,  el  lui  parla  de  la  mission  que  s'attribuait  si  nièoe;  1 
court  le  lenvojaavec  force  lailleries»  Jeciiine  alorîî  S4*  t>réK.titii cii 
jiersoune  cbca  Baudricourt  :  elle  le  recunnul'  au  {inL*riiicr  -^l  --* 
quoiqu'elle  ne  leiU  jamais  vu;  Besmijc  le  lui  avaient  fetlcni  i 
a  Capilame,  lui  dit-elle»  saeliex  que  Messire  (tnon  seigneur^  à  qai 
apparlient  le  royaume  de  France,  et  qui  le  veut  b    " 
iiîende  au  dauphin,  nfa  commandé  daller  \eiii  i  . 

atln  que  je  le  mène  nacrer  et  quil  dcvicniie  m\  en  d^|>il  du  «i 
CNnemi&.  —  Kt  «jui  est  ton  wr/  deiiiunda  rtaudrlcnurt- —  1^ 
roi  du  ciel!  ^  iîaudrjcuurt,  qui  irélait  ni  plu5  relipeux  ni  plus 
réservé  dans  fcf  ïs  mœurs  que  la  phi  part  des  gens  d'nriiie^  et  ¥m 
temps,  se  moqua  d'elle*  Rlle  ptM^ista.  Il  la  regarda  rumine  tmc 
toile,  boniie  iHJur  servir  h  r*s  (;ens  uh  se  divertir  et  ébalti^e  en 
[léché  ebarnel  t^.  Ûuebpïes-uns  «  en  euant  volonté;  mais,  èUU 
qu'ils  la  regardoient  fort,  ils  étoient  tout  refroidis  de  luxure^  »  ; 
quelque  chose  d1neQnnule5tre|ions>ait;  la  |»ïivsî*inniio-'  '  '  i« 
était  si  imposante  et  û  extraordinaire  que  les  pluîi  bai  U'. 

2.  PrùCH,  l.  Il,  p.  iU,  U7, 

a.  On  cotini^tt  ta  sctni:  de  ta  iird»e(itation  de  Htiûm  k  Bandncoiirt  (iftf  u  de 
lUlaQ  d*un  t^tiji>in  c^cniuirr,  ItcrUvif'J  vit  rontcniii*  Pfm*%  K  lit  fi.  4^$» 
it  Chruttt^t  fie  ta  î^njc^iU,  -*  JomtMt  du  n^gc  é'OriÉattw, 


ti42»,l429J  JEANNE  A  VAUCOULEURS.  147 

blaient  et  que  les  plus  incrédules  doulaient  devant  elle.  11  semblait 
que  ce  ne  fût  point  là  une  lîlle  de  la  race  d'Eve  * . 

Jeanne,  résolue  de  vaincre  le  mauvais  vouloir  de  Baudricourt  à 
force  de  persévérance,  s'établit  à  Vaucouleurs,  chez  de  bonnes 
gens  de  la  connaissance  de  son  oncle.  Elle  partageait  ses  journées 
entre  le  travail,  la  prière  elles  [)ratiques  d'une  dévotion  ardente: 
le  temps  lui  pesait  «  comme  à  une  femme  enceinte  !  »  L'attention 
publique  commençait  à  être  vivement  excitée  ;  le  bruit  des  visions 
de  Jeanne  transpirait,  et  Baudricourt,  qui  l'avait  d'abord  crue 
folle,  étiiit  tenté  maintenant  de  la  croire  sorcici-o.  Un  jour,  il  s'avisa 
d'aller  la  trouver  avec  le  curé  de  Vaucouleurs,  et  de  la  faire  exor- 
ciser ;  le  curé  lui  présenta  son  étole,  en  lui  disant  que  «  si  elle 
étoit  mauvaise  elle  partît  d'avec  eux,  que  si  elle  éloit  bonne  elle 
s'approcbàt  ».  La  jeune  lille  s'approcha  en  se  traînant  î^i  genoux. 
11  est  probable  que  Baudricourt  se  décida  pour  lors  à  écrire  à  la 
cour,  afm  de  demander  des  instructions  ;  mais  il  ii'an  traita  pas 
beaucoup  mieux  Jeanne,  qui  se  laissa  •nlin  reconduire  par  son 
oncle  au  village  du  Pelit-Burei. 

Elle  n'y  resta  guère  :  les  nouvelles  d'Orléaiis  ranimèrent  toute 
son  ardeur;  elle  pensait  d'ailleurs,  à  ce  qu'il  semble,  que  le 
carême  d'avant  la  Pàque  de  1 429  était  pour  elle  un  terme  de 
rigueur.  Aux  approches  de  la  sainte  quarantaine,  elle  obligea  son 
oncle  de  la  ramener  à  Vaucouleurs,  déclarant  qu'avant  la  mi-ca- 
rôme,  il  fallait  qu'elle  fût  devers  le  roi,  diU-elle,  pour  le  joindre, 
«user  ses  jambes  jus(ju'aux  genoux! — Personne  (pie  moi  )>, 
disait-elle,  «  ne  peut  recouvrer  le  royaume  de  France...  J'aimerois 
pourtant  mieux  rester  à  filer  près  de  ma  pauvre  mère,  car  ce 
n'est  pas  là  mon  ouvrage;  mais  il  faut  que  y  Miel...  Mess  fre  le 
veut^  ».  Un  jeune  bourgeois,  qui  exerçait  un  oflice  rojal  à  Vau- 
couleurs 2,  Jean  de  Novclonpont,  surnonnné  Jean  de  Metz,  et  nu 
gentilhonmie  appelé  Bertrand  de  Poulengi,  entraînés  par  l'accent 
inspiré  de  Jeanne,  «  mirent  leurs  mahis  dans  les  siennes  »,  et  lui 
jurèrent  de  la  mener,  «  sous  la  conduite  de  Dieu  ».  La  renonnnée 
de  sa  sainteté  et  de  ses  révélations  se  répandait  dans  tout  le  pays, 
et  le  duc  Charles  de  Lorraine,  qui  languissait  d'une  maladie  mor- 

1.  Déposiition  de  Jcuii  de  Novclonpont;  Procfts,  t.  H,  p.  435. 

2.  n  fut  uuobli,  uu  1*41,  pour  ses  bons  services.  Procès,  t.  V,  p.  363. 


118  GIjERUES  des  anglais.  [1439] 

Jelle,la  manda  près  de  lui  à  N.inci  pour rinlerroger  sur  los  ino\viis 
de  recouvrer  la  sarilé.  Elle  répondit  qu'elle  n^avait  poîiil  de 
lumières  sur  de  telles  choses,  et  retourna  au  plus  vite  à  Vaucuu- 
leurs.  Baudricourt  conseutil  cnlin  à  l'envoyer  au  roi,  sur  rarrivîn; 
d'un  messager  de  la  cour  porteur  d'une  réponse  à  sa  lettre. 

Le  père  et  la  mère  de  Jeanne,  qui  avaient  failli  «  perdre  le 
sens  »  en  ai)prenant  tardivement  son  séjour  à  Vaucouleurs  et  son 
dessein,  lirenl  les  derniers  elïorts  poui-  la  retenir  et  la  ra|)pelLT. 
Elle  leur  fit  écriie  qu'elle  les  i)riait  de  lui  pardonner.  Ce  fut  sa 
plus  rude  é[)reuve,  elle  si  soumise,  si  i)ieuse  fille!  ôlre  eon- 
trainle  de  choisir  entre  la  parole  de  ses  parents  et  celle  du  Père 
céleste! 

Les  pré[)aralirs  du  voyage  ne  furent  pas  longs  :  les  habitants  de 
Vaucouleurs  en  firent  les  Irais.  Jeanne  coupa  ses  longs  che- 
veux hruns,  et  changea  sa  cotte  rouge  de  paysanne  pour  des  ha- 
bits d'honnne*  et  un  haubert,  résolution  que  nécessitaient  la  vie 
qu'elle  allait  mener  et  lc«  dangers  de  toutes  sortes  auxquels  elle 
allait  s'exposer.  Baudricourt  lui  donna  une  épéc  ;  son  oncle  et  un 
autre  paysan  se  colisèrciit  pour  lui  achelcr  un  cheval.  La  Pucclle 
l)artit  de  Vaucouleurs,  un  peu  après  le  commencement  du  ca- 
rême*, aeconq)agnée  de  six  cavaliers,  Novelonponl  et  Poulengi, 
un  messager  du  roi,  un  archer  et  deux  valets  ou  coutilliei-s.  «  Va, 
lui  cria  l'incrédule  Baudricourt,  va,  et  advienne  que  pourra!  » 
La  populilion  de  Vaucouleurs,  plus  sympathique  au  dévouement 
(le  Jeanne ,  s'apitoyait  sur  cette  belle  et  pieuse  fille  qui  allait  se 
jelei  à  travers  lant  de  périls.  «  Ne  me  plaignez  pas,  leur  cria-t-clle 
en  poussant  son  cheval  sur  la  route  de  France  ;  cest  pour  cela  que 
je  suis  nve!^  » 

1.  Suiutc  3Iui-giU'iiic,  \mc  de  «  ses  couseillères  >s  lui  en  avuildoDué  Texeiuple. 
{I.fij'iulti  (lurtn,  c.  xlvi.)  —  hrai  nirru  cupillo,  dit  un  auteur  italit-u  de  la  fin  du 
quiii/ièiiic  si(!cle,  Pliili])])0  de  iicrguiiie  ;  Proci''>t  t.  IV,  p.  523;  mais  raulorité  de 
Philippe  n*c>i  pus  grande.  —  Jcunue  gurda  toujuurs,  dans  ses  babillcuieois,  le 
goù:  di-  la  eou'.i.ur  luugi'. 

2.  Jeun  de  N>)\ol<.>iipon!,  dans  sa  dépobiiiou^PiorfVy,  1. 111,  p.  437),  dit  a  vers  le 
dimanche  dis  biurs  »  "le  i)ieiiiier  dimanche  de  carêmei  :  c'était  le  13  février, 

3.  La  poiic  par  laijiullr  elle  sortit  existe  encore.  —  Procès,  t.  II,  p.  419;  dè- 
posiliun  (le  Ik-n'.  i,  cliarron  a  Vaneouleurs,  chez  qui  Jc:tn:ie  iivuit  passé  tout  le  temps 
de  sou  séjnur  d;iii>  eo.ie  ville.  Ti»as  lus  diiail?.  que  uoun  a\nus  donnés  sur  la  vie  de 
la  IMirelle  sont  extraits  ou  de  ses  propres  inlerro^'uioires,  ou  des  dépositions  d.s 
lémi)in>  oculaires.  —  A\ani  lu  publication  des  textes,  on  pouvait  consulter  avec 


(1439]  JEANNE  VA  EN  FRANCE.  H9 

Quel  mystère  subliine  de  sa  deslinée  se  révélait  en  ce  moment 
à  elle?  Dieu  seul  peut  le  savoir! 

Le  voyage  de  Vaucoulcurs  à  la  cour  de  Charles  VII  était  déjà  une 
très  difflcile  et  dangereuse  entreprise  ;  il  fallut  parcourir  des  con- 
trées soumises  à  l'étranger  et  infestées  de  pillards,  faire  des  mar- 
ches forcées  la  nuit,  à  travers  les  champs  et  les  bois,  par  des  sen- 
tiers presque  impraticables,  passer  à  gué  des  rivières  grossies  par 
les  pluies  d'hiver  :  rien  n'étonnait,  rien  ne  rebutait  Jeanne.  Si  ses 
conducteurs  n'eussent  été  prudents  pour  elle  et  pour  eux-mêmes, 
elle  eût  marché  droit  au  but  sans  précaulit)n  et  sans  détour,  tant 
elle  était  assurée  de  ne  pas  rencontrer  d'obstacles.  Sa  conliance  ne 
tarda  pas  à  se  communiquer  à  ses  guides,  (|ui  avaient  montré  d'a- 
bord beaucoup  d'hésitation  et  de  crainte;  elle  exerçait  sur  eux 
une  sorte  de  fascination,  et  «  ils  ne  pouvoicnt  résister  à  sa  vo- 
lonté ».  Aucun  de  ces  jeunes  gens  n'osa  jamais  s'arrêter  à  «  une 
mauvaise  pensée  »  à  l'égard  de  celte  belle  jeune  (ille.  Jeanne, 
après  avoir  franchi  la  Marne,  l'Aube,  la  Seine  et  plusieurs  de  leurs 
affluents,  entra  hardiment  dans  Auxerre,  ville  bourguignonne, 
entendit  la  messe  dans  la  cathédrale,  passa  le  pont  de  l'Yonne, 
puis  se  dirigea  sur  Gien  et  sur  la  Loire;  à  Gicn,  enlin,  elle  se  revit 
avec  transport  sur  terre  française  et  dauphinoise,  et  put  cesser  de 
faire  mystère  de  ses  desseins.  Tandis  qu'elle  suivait  rapidement, 
par  le  Berri,  la  route  de  Chinon  où  était  la  cour,  la  nouvelle  de 
son  passage  et  de  ses  merveilleuses  promesses  pénétra  jusque 
dans  les  murs  d'Orléans  et  y  fit  luire  une  vague  espérance. 

Jeanne  s'arrêta,  le  5  mars,  au  village  de  Fierbois  en  Touraine, 
où  s'élevait  une  église  tiès  fréquentée  des  pèlerins,  et  dédiée  à 
sainte  Catherine,  une  des  deux  siiinles  qui  liguraient  sans  cesse 

conâance  Vllistoire  de  Jeanne  d'Arc,  par  M.  Lebrun  de  Chaniiettcs.  Cet  écrivain, 
animé  d'un  louable  zèle  pour  la  niéiiioire  do  iMitMOIue,  a  compulsé  ol  fondu  dans 
son  récit  tout  ce  qu*il  avait  pu  connaître  des  documents  originaux,  avec  beaucoup 
d'exactitude  et  de  conscience.  —  Le  Journal  du  .siéye  a'Orléuns  cl  la  Chronique 
anonyme,  dite  de  la  Pfice//c,  racontent,  immédiatement  avant  le  départ  de  Jeanne, 
un  fait  très  extraordinaire.  Ces  deux  clirouiques  assurent  que,  le  jour  de  la  déraiie 
des  Français  h  Rouvrai  (12  février),  Jeanne,  dans  une  agitation  extviîme.  couiut 
chez  Baudricourt,  et  lui  dit  :  u  Au  nom  de  Dieu,  vous  mettez  trop  (vous  diffé- 
rez trop)  à  m'envoyer,  car  aujourd'hui  le  gentil  dauphin  a  eu  aî-sez  pi  es  d'Or- 
lëuns  un  bien  grand  dommage,  et  l'aura-t-il  encore  plus  grand  si  vous  ne  m'en- 
foyez  bientôt  vers  lui!  »  Baudricourt  se  décida,  et,  suivant  le  lémoiguat^u  de  No- 
vclonpout,  Jeanne  partit  vers  le  lendemain. 


m  GtJHnnBS  DES  ilNGLAIS,  m 

âms>  ses  \1sions.  De  Ficrbois,  qui  n'c^t  qii*à  cinq  on  sh  lïi*i>ff« 
Ail  Chinon,  Jeanne  fît  àcrîr^  au  roi  pour  lui  demander  s»  or- 
dres *  ;  Glmrla**  VH  rappela  h  (Mnon. 

VéUit  nioial  de  cfttte  cour  en  détrcsîse  imporliî  à  mnêtil^rMi 
monteiil  où  la  vierge  de  Dotnremi  p^iriil  devant  ce  Chnrtes,  ri  iS* 
tvrmï  lie  ridéa!  de  scj*  vt^vus.  Deux  infl nenras  opposées  conli^ 
nuaient  à  se  disputer  le  roi  sur  k»  débrb  du  roTAume,  Ciftli 
fFune  part/la  beile-uièrc  de  Chfules  VU,  h  dourdrii^re  d^AfijcJO 
de  Naplos,  Yolande  d'Aragon,  hiibik  terrmie,  kMe  puHtJquf  »  qii 
avait  iUçM  de  réunir  les  maiBons  de  Bour^^ogiiè,  de  Ure!ii|nie. 
d'Anjou»  d'QrIéan&»  de  Lorraine,  autour  du  tr^ne  cnniro  Fà»* 
glais,  qui  avait  soutenu  le  eonnéJablc  de  Richemont  ronti 
favorîîï  auÊïîi  funesles  nîainterKuit  rjue  ravaîent  W  nîigti< 
princes  du  sang,  et  qui  enfin  voulait  qu'on  aeeucrHît  ie<innr 
qu*on  fît  appel  h  renlhouïsiaîiirne  populaire  conurte  dernière  m 
source*  Elle  avait  ijrulite  de  rîîhatleinent  de  son  gendre  pour  !i 
arracher  Tordre  de  faire  venir  k  Pueelle*  De  l'antre  part,  ^nt  l 
favoris,  La  Trèmnille  en  We  :  celui-ci  ne  veut  ni  d*s  pr^'  fl 

feraient  rtisparatlre  ^û  personne  de  la  scf-ne,  ni  du  pt^upU .  *  r,, 
flot  in>i)étueux  engloutirait  ?^\  (lelitc  palitiqtie*  Ne  eroyaiit  paît  ii 
rer^uvnuice  du  royaume,  il  semble  satisfait,  pourvu  que  son  mal 
conserve  qnelque^^  lanibe:nix  de  provinnes,  où  il  ri^pme  «>iis 
nom  de  Cliarles  VII^  avec  des  mercenaires  éirangt*n^à  ses  gngi 
Use  ménage,  au  ptâ  aller,  piU-  des  intrigues  souterraines,  m 
trait^aclion  possible  avec  les  ennemis  de  son  maître*  :  son 
et  i;es  coumns  sont  au  îiervicc  de  Bourgogne,  A  eAI^  de  La  Ti 
moillef  étroitement  associe  à  ses  intérêts,  figure  rarcbev^ffue  de 
Reims,  le  chancelier  de  France,  Regnauld  de  Chartres,  anci< 


1.  Stthniii  mû  fi^iûv>,  Tti^Tolonpoot  (fV^iréf»  t,  il»  p.  437K  cUi*  mordit  M% 
eti  nntV'  Jour!'  tiVO  \hne%  (api^roiimAlivemciil,  err  cdcufànt  k-»  tl^toitr^ 
convenir*  4c  ?in\<^lùn\ïrmi  m:  Ar>nt  jxij,  fjctèU*s<  -  le  vr>ykig<f  dura  mut  v 
|*îpp^»  î/iHfnnt-«ltîritii'.r  coïjtïiiuaicnr  th  Giiîîl»iitiie  ûc  Nsm^h  ^Prar ^*.  t.  IV, 
doiimi  lu  thU  i\û  ^  mars  pq tir  l^iirrU^^e  de  Ji'aqvic  uuprè«  du  n>l,  b  Ivném 
itou  iirrntc  ii  Ficrbois. 

2^  ft  Le  eoUftii  Hiiitfiflmrrï^  UBt  |>ropnéi4  il  hi,  ptrtcmoyoïi  dp«  p4r»i**m«^ 

X  Its  An^aif,  lorâ^iiMn  covahircul  l*Oi'l^ûïiaH  en  142a*  ^j*àr,  \l^ 

gutiiru*  du  t-tiTri-moilk.  Vfitt.'tmi,  tU  !it  f*nrfiir^  ;i|i.  Hcsdcfroi,  flcaiai  liié  ^ 
f'ii'ija  di-  rJuirir»  Vif,  p.  t^Ofij  Wnï,  roi  drariin;»,  iM.,  p,  ^76. 


[1429]  l'C  t.Uiic)ciLi  uu  nui.  101 

secrétaire  du  pîipe,  prêtre  diplomate,  dmc  desséchée  et  sceptique, 
perfidement  envieux  de  tout  ce  qui  dépasse  sa  courte  vue  et  ses 
vulgaires  calculs,  ayant  pour  religion  la  haine  et  la  peur  de  tout  ce 
qui  échappe  aux  formules  et  aux  routines  de  raulorilé  (radilion- 
nelle.  A  un  moindre  degré  de  crédit,  Raoul  de  GaucourI,  grand 
maître  de  Thôlcl  du  roi  et  bailli  d'Orléans,  brave  et  habile  homme 
de  guerre,  mais  dur,  orgueilleux  et  jaloux.  Le  moins  mauvais, 
mais  le  moins  influent  des  chefs  de  ce  gouvernement,  oii  se  pcr- 
sonniHent  l'impuissance  et  Tenvic,  est  hî  vieux  sire  de  Trêves, 
Robert  Le  Maçon. 

Jeanne  ne  pouvait  attendre  de  ces  hommes  qulncrédnlité  et 
que  malveillance.  Ils  eussent  été  fort  aises  qu'elle  succon^hAt 
aux  périls  de  la  route.  Sur  la  fin  de  son  voyage,  une  embuscade 
lui  avait  été  dressée  par  des  honnnes  d'armes.  Quand  ils  l'aper- 
çurent, saisis  d'une  sorte  de  stupeur,  ils  restèrent  comme  cloués 
en  place,  et  la  laissèrent  passer *.  Ces  bandits  voulaient,  dit-on, 
la  dévaliser  ainsi  que  ses  compagnons.  Il  n'est  pas  sûr  que  ce 
fût  là  leur  unique  but,  et  que  La  Trémoille  ait  été  inno(!ent  de 
Taflaire.  Quoi  qu'il  en  soit,  La  Trémoille  et  les  siens,  (pii  n'a- 
vaient pu  empêcher  qu'on  appelât  Jeanne,  tûchènmt  d'enipécher 
qu'on  la  reçut.  A  la  nouvelle  de  son  arrivée  à  Fierbois,  le  roi, 
comme  nous  l'avons  dit,  l'avait  mandtHî  aussitôt  à  fihinon.  Elle 
se  présente  :  elle  trouve  les  portes  closes.  Charles  VII  était  déjà 
retombé  dans  ses  irrésolutions  et  ses  défiances.  Les  favoris  em- 
ployaient contre  l'inspirée  des  arguments  de  toute  sorte.  «  C'est 
une  folle!  disaient  les  gens  de  guerre.  —  C'est  une  sorcière,  di- 
saient les  gens  d'église;  où  a-t-clle  pris  sa  mission?  quel  prélat, 
quelle  autorité  ecclésiastique  a-l-ellc  consultés*^?  » 

Si  l'on  n'eût  été  à  bout  de  toutes  ressources,  on  l'eût  certai- 
nement renvoyée  sans  l'entendre.  Il  fallut  que  la  belle-mère  de 
Charles  VII  et  ses  amis,  aidés  par  le  cri  populaire,  et  surtout  par 
une  députationdes  Orléanais,  forçassent  le  roi  pied  à  pied  dans  ses 

1.  Procès,  t.  III,  p.  203.  Déposition  du  frère  Séguin. 

2.  Tous  les  monuments  contemporains,  le  Buurguignon  Monstrclet  comme  les 
Français,  sont  d'accord  sur  ces  mauvaises  dispositions  du  conseil  et  sur  la  peine 
extrême  qu*eut  &  se  faire  écouter  cette  Jeanne,  que  d'ignorants  historiens  du  sei- 
zième siècle  prétendirent  avoir  été  apostéc  pur  ces  mêmes  oonseillors  de  Char- 
les ni. 


tSi  GUEBBES  DES  At<«GLAtS. 

résistances.  11soblmr*^Tit  h  ^vmfVpmmv  que  Jeanne  fôt  interni^r^J 
par  des  cortsdUri's  du  roi.puk  par  des  geiit  d*ég1is(%  EIli^  lie  toiibûll 
d'abord  parler  à  personne  qifîni  roi  ;  elle toiisenlil  cependant  i  ap- 
prendre nirx  ronntiî$sînres  Tobjet  de  su  mission  ;  elle  leur  dèiiirîij 
que  lo  <f  roi  du  ciel  »  Tavail  chargée  de  faire  lever  le  siéee  (fO^ 
léaus  01  rie  conduire  le  «daupliiii  »  recevoir  son  sacre  à  Rciim*,^ 
mais  qu'elle  avait  de  cerlaînes  àimts  à  dire  au  rnî  scoL  Snrk^ 
rapport  des  romitiissîiires,  après  de  nouvelles  disctissioiiss  le  roi 
aocoi'da  enfin  audience  à  la  Pucell*^  Je  quatrii'^me  juur  île  son  iéfi 
h  Chinun*  Oa  raconte  qu*à  Tins^lant  où  elle  entrait  mt  diâI<'ni)J 
die  entendit  un  Ktddat  proférer  mie  grofciière  plaisanterie  sur  soijl 
compte»  en  blaspliéniant  et  reniant  Dieu,  t  Ahî  en  nom  blml 
$'écria4-elk%  lu  le  renies,  et  »e  («t  pourfant)  lu  es  %i  pnfes  de  M 
uifun  !  «'  lîue  heure  après,  cet  homme  tomba  dans  reauiîlse  nop^^ 

Peu  ï**en  fallut  qut!  les  portes  ne  bc  refiTma^ssent  devant  b  l'u 
celle:  le  roi  hésita  jusqu'au  dernier  moment.  Le  comte  de  Vcii 
dôme  introduisît  enfin  Jeanne  dans  la  grande  salle  dti  dt&te^iu,  ctûj] 
la  curiosité  avait  attiré  tout  ce  qui  restait  de  uoLible^  persouniig 
autour  de  (Iharles  VI  ï  :  le  roi,  pour  éprouver  la  l\iceHc,  $  finit. 
retîrt^  à  Ferait,  mm  des  vêtements  fort  modestes.  Jeanne  cntJ 
l*air  bnuihle  et  ^:iïu|>le,  «  comme  une  pauvre  petite  berçerelle  >3 
ce  groupe  brillant  ne  réI>louit  cependant  point;  elk  alla  dr 
au  roi,  cl  lui  embrasj^a  lest  genoux  ;  ^^^^a  fw>,  h  ce  qnVIk 
plus  tard,  le  lui  avaient  fait  connaître.  «  Ce  n*esl  pa^  iiini  qiiiî 
,  le  roi,  dit  Charles  en  lui  montrant  un  de  ses  courtisans;  void  I 
^Toi!  —  En  nom  Dieu,  gentil  prince^  c*csl  vous  et  non  autre !r 
Très  noble  i^eîgneur  dauphin.  J'ai  nom  Jebanne  Li  PuceUcti 
suis  envoyée  de  par  Dieu  [lour  recourre  vous  et  votre  n>yatnnq 
et  faire  fi^uerrc  nm  Anglois...  Pourquoi  ne  me  croye7i-vuus?  J<î 
vous  dis  que  Dieu  a  pitié  de  vous»  de  volj*e  royaume  et  de  votr 
peuple,  c;ir  siinl Loys et Charlemaiinie  sont  à  genotix  d4ivai]t In 
^mi  faisaut  prières  pour  vousl.  » 

I.  Sulvôot  lo  UruAJirnuiif^  thi  mattr«  tUt  rt^qUHt  Silo^ll  CIltHM  (IVo^if.  1. 1 

t».  11&%  iv.HilUti  ])*aiirutE  4 fors  ^iioacé  i{U4i  ce«  dtnx  points;  tntfiifeU  ttS  iûH  i 

lp'2.  Fuvi|Uflret  tlii  i^mr  cnHn  MH'CÛ&tt  de  ieanoo  cllc-ti»éfne. 
j|»»urrugi^(t)hti!i  des  22  tït  2È  fc^vdcr«  Procéê^  i«  l,  |i.  ^G,  llfpouii^Dt  àê 


[I4W1  JEANNE  DEVANT  LE  ROI.  153 

Il  se  passa  ensuite  entre  Jeanne  et  le  roi  une  scène  mysté- 
rieuse. Suivant  une  relation,  le  roi  aurait  demandé  à  la  Pucelle 
de  lui  donner  une  preuve  secrète  de  sa  mission.  Suivant  un  autre 
récit,  ce  fut  Jeanne  qui  dit  h  Charles  avoir  reçu  commandement 
de  Notre-Seigneur  que  nul  autre  que  lui  ne  sût  ce  qu'elle  avait  à 
lui  dire.  Ce  qui  est  certain,  c'est  que  le  roi  l'entretint  seul  à  seule  : 
les  principaux  documents  contemporains,  y  compris  le  témoi- 
gnage de  Jeanne  dans  ses  interrogatoires,  ai'iirment  que  le  roi 
reçut  alors  des  «  signes  certains  »  de  la  mission  de  la  Pucelle,  et 
qu'elle  lui  dit  «  aucunes  choses  secrètes,  quelque  chose  de  grand, 
que  nul  ne  pouvoit  savoir,  sinon  Dieu  et  lui*  d.  Dans  son  procès, 
comme  on  le  verra  plus  tard,  elle  ne  voulut  jamais  s'expliquer  à 
ce  sujet;  mais  son  chapelain  Jean  Pasquerel  a  rapporté,  d'îiprès 
elle-même,  quelques-unes  de  ses  paroles.  Elle  aurait  dit  à  Char- 
les VII  «  entre  autres  choses  »  :  «  Je  te  dis,  de  la  part  de  Messire^ 
que  tu  es  vrai  héritier  de  France  et  fils  du  roi.  »  Ces  paroles 
avaient  déjà  un  grand  sens  ;  car  elles  répondaient  à  un  doute  secret 
qui  tourmentait  le  roi  sur  la  légitimité  de  sa  naissance,  et  par  con- 
séquent de  ses  droits  au  trône;  mais  les  «  autres  choses  »  qu'igno- 
rait le  chapelain  étaient  bien  autrement  extraordinaires.  On  a  su 
beaucoup  plus  tard  le  secret  tout  entier  par  le  sire  de  Boisi,  cham- 
bellan et  confident  intime  de  Charles  YII.  Le  roi,  dans  un  moment 
de  profond  découragement,  avait  prié  Dieu  un  jour  «  dedans  son 
cœur,  sans  prononciation  de  paroles  »,  que,  «  si  ainsi  étoit  qu'il 
fût  vrai  hoir  descendu  de  la  noble  maison  de  France  et  que  le 
royaume  justement  lui  dût  appartenir,  qu'il  lui  plût  de  le  lui  gar- 
der et  défendre,  ou,  au  pis  (c'est-à-dire  s'il  n'était  pas  vrai  hoir), 
lui  donner  grâce  de  échapper  sans  mort  ou  prison,  et  qu'il  se  pût 
sauver  en  Espagne  ou  en  Ecosse,  qui  étoicnl  de  toute  ancienneté 
frères  d'armes  et  alliés  des  rois  de  France  ».  Celte  prière,  incon- 
nue de  tous  et  qui  n'avait  pas  même  passé  par  les  lèvres  de  celui 

Gaacourt,  Pasquerel,  Simon  Charles,  etc.,  au  procès  de  révision;  ibid,  t.  III, 
p.  17;  100;  116.  —  Jean  Chartier,  Hist,  de  Charles  VU,  dans  le  recueil  de  Th.  Go- 
defroi,  p.  19.  —  Chroniq.  de  la  Pucelle. 

I.  Dépositions  de  Pasquerel,  de  Jean  d'Aulon,  Procès,  t.  III,  p.  103;  209.  — 
Interrogatoires  des  27  février  et  l*'  mars.  Procès,  t.  I,  p.  68-90,  —  Journal  du 
giégc  d'Orléans.  —  Chroniq.  dt  la  Pucelle.  —  Histoire  abrégée  des  gestes  de  la 
Pucelle t  publiée  par  H.  Buchon. 


J5f  GUEBBES  DES  A?«GLAIS.  i  •: 

qiri  Favail  prononc^'v  «*  dedans  âon  cœur  »,  Jeiiniie  In  rcpcUca 
pro|>n*s  leniies  au  vmK 

Tous  les  imsislaiît5,  qui  rt'gardaitmt  celte  *oî'i>a  à  dUUinre  »ï« 
anxiété,  remarquèrent  f  l'-ïonnerneut  et  la  joie  qui  «e  pemninefll 
^nr  le  visago  de  Charles  VII*  LVsprit  soupc'wifit'ii'E  ^^  ùHhmiàt 
Clïark*s  fut  vaincu,  a  On  L*ùi  dit,  rdi^porlc  ALiin  Chnrtier,  tétnoii 
orulauT,  que  le  roi  venoit  d'être  nsilé  du  Siiiiiîl-E.Hpf*it  nï^ioi**-  • 

Li!  roi  di^clara  qur  jpnnnfi  avait  conquis  ^a  ewellancr,  d  ûèmh 
mais  le  rhdtoau  lui  fut  ouvert  à  toute  heure.  L'opinion  |)til>li«|iie 
se  pronrifHja  plus  t*?nerg^îqueiueut  encore  que  ropiitlno  du  roi  en 
faveur  de  Jeanne  :  on  admirait  ke  piété  k  lV*giî^,  mn  adresse It 
Sïi  jEfràee  sur  le  pn*au  où  elle  s'exerçait  à  monlm' à  chc«ialistà 
«  courre  »  la  lance,  sa  dourcui,  sa  modestu*  et  son  frrand sens 
dans  la  conversation,  «  CÏHail  chose  merveilleux»»  cofitinc;  elle» 
coniporloit  etconduisoit  en  sou  fait»  aver  ce  quVll*-dîiîoit  et  mp- 
portoit  lut  être  endiargi*  de  la  part  de  Dieu,  et  crimuie  elle  (mr- 
loit  f?randement  et  notahlement»  vu  qu'en  atitrej*  rbor^j^  elle  doit 
ta  plus  siuïple  bergère  qu  on  vit  ouc  *  (Chroniq*  de  k  INicdk): 
clic  ne  sut  jamais  lire  ni  tHirire,  Qtiand  on  eut  appris  ria*îi  y  avail 
un  boh  Chesnu  jir^H  du  lieu  de  sa  naîssîuicc,  le  peuple  ne  dont! 
plus  qu'elle  ne  fi\t  la  Puœtk  (H  boi$  Clu^mu  NtiDoncêe  parSIcrlîo. 

Lesgenïi  (réglîse,  cependant,  ne  se  rcnclajcnt  pa;-  d 

voulaient  être  plus  amplement  ^  acerlenés  »  que  la  *\t 

Jeanne  ne  lui  venait  |>as  de  ï Ennemi,  de  Satan.  Le  roi  oràmtm 
qu'on  fît  suhtr  h  la  Pncelle  \m  nouvel  examen  [ilu^  soh*Tiiicl  que 
le  premier,  et  qu'on  la  menât  à  l*oilicrs,  oii  siégeait  la  cour  de 
parlemt^nt  pt  où  g'élalent  rcnni^  les  tliêolopens  qui  avaifMil  quille 
l'université*  do  Parin  pour  ne  pas  «e  soumeltit*  aux  Bciun^ui^nocis 
et  aux  Anglais».  Le  eontiictt  du  rot  se  tnmsportia  à  Potlicn^  âttc 
Jeanne.  «  Eu  nom  Dieu,  dit  Jeanne,  quand  on  tuî  eut  a|»prt^ 
qu'on  la  menait  à  Poitiers,  je  ^h  que  jVaur»i  hîeu  h  tnirt;  mm 
Memrf  m^ajdera;  or,  allons,  de  par  Dieu!  * 


f.  Piftrfe  Sftlft,  tt^dkêêfH  dtt  ^amrf*  rtfh  rf  emprrfupt,  ftp,  Jftt,  ifr  (it  Jt»>IM- 
$hiqtt¥i  SifjtpUmrTft  françati^  u'*  l!)!,  SI.  J.Quklicr»!  ellp,  tivrr  M9,  illyruiHiiii 

^rofé»,  U  IT»  [u  'î.v?;  Î72,  :i7^. 


11409]  JEANNE  DEVANT  LES  DOCTEURS.  153 

Elle  eut  en  effet  bien  à  faire.  Nous  n'avons  plus  malheureuse- 
ment le  procès-verbal  do  la  commission  d'examen.  C'eût  été  le  plus 
admirable  monument  de  cette  admirable  histoire.  Il  ne  nous  est 
pas  donné  de  comparer  aux  actes  de  la  passion  de  Jeanne  les  actes 
de  son  triomphal  apostolat,  lorsqu'elle  apparut  dans  Poitiers, 
tout  illuminée  des  flammes  de  l'Esprit,  toute  transportée  d'une 
joie  et  d'une  impatience  divines,  pareille  à  Jésus  au  milieu  des 
docteurs.  La  main  sacrilège  qui  a  fait  disparaître  l'auguste  docu- 
ment^ n'a  pu  toutefois  atteindre  son  but.  Les  contemporains,  les 
témoins,  quelques  acteurs  mêmes  des  scènes  qui  se  passèrent 
entre  Jeanne  et  les  théologiens  nous  en  ont  conservé  les  prin- 
cipaux traits.  Nous  pouvons,  grâce  à  eux,  entrevoir  quelque  chose 
de  ce  merveilleux  combat  du  sentiment  inspiré  contre  la  sophis- 
tique subtile  et  la  lourde  théologie  des  écoles.  «  Beau  spectacle  », 
écrit  Alain  Chartier,  sous  une  impression  toute  fraîche  encore, 
€  que  de  la  voir  disputer,  femme  contre  les  hommes,  ignorante 
contre  des  doctes,  seule  contre  tant  d'adversaires!  »  Les  docteurs 
l'accablèrent  de  citations,  l'enlacèrent  dans  les  mille  replis  de  leur 
dialectique  :  elle  s'avança  d'un  pas  ferme  et  sûr  à  travers  ces 
labyrintlies;  elle  déconcerta  les  savantes  arguties  de  ses  exami- 
nateurs par  l'imprévu  de  ses  réponses  et  par  ce  grand  sens  qui 
se  joignait  chez  elle  à  la  plus  ardente  exaltation.  Après  qu'elle 
eut  exposé  «  de  grande  manière  2  »  comment  sa  révélation  lui 
était  advenue,  comme  elle  disait  que  le  roi  lui  devait  donner  des 
gens  d'armes  pour  secourir  Orléans  :  «  Si  Dieu  veut  délivrer  le 
peuple  de  France,  répondit  un  des  théologiens,  il  n'est  pas  besoin 
de  gens  d'armes.  —  En  nom  Dieu,  les  gens  d'armes  batailleront, 
et  Dieu  donnera  la  victoire!  »  Un  antre,  frère  Séguin,  s'avisa  de 
lui  demander:  «  Quelle  langue  parlent  vos  t'o/x?  —  Meilleure  que 
la  vôtre!  »  L'interlocuteur  parlait  limousin.  «  Croyez-vous  en  Dieu? 
reprit  le  théologien  en  colère.  —  Mieux  que  vous,  répliqua-t-elle. 

—  Dieu  ne  veut  point  qu'on  croie  à  vos  paroles  si  vous  ne  mon- 
trez un  signe  (un  miracle)  qui  prouve  qu'on  doit  vous  croire. 

—  Je  ne  suis  pas  venue  à  Poitiers  pour  faire  des  sign^^s  ;  condui- 

1.  Nous  dirons  plus  tard  qui  nous  accusons  de  ce  crime  envers  Dieu  cl  envers 
la  France. 

2.  Magno  modo.  Dt^position  do  friTo  Sôguiii;  Procès,  l.  lll,  p.  2(i4. 


iM  DUE  R  RE  s  DBS  A»GtUS. 

snz-moi  h  Orlcàtis,  je  vmi^  y  monlivnu  \e> 
Hm  envoyée.  Qu'on  iiio  donne  des  gens  d"  i^    ^^  .  .i  . 

pi^tllc  quantité  qu'mi  voudra,  cl  j^irai!  Eu  noui  Dbajo  fenu  lerw 
le  siègi}  iVÙrUmm;  je  mènerai  ^aerer  le  dauphin  à  Reimit:  je  W 
renilrai  Vûvk  après  son  conroimt^menî,  el  je  imnil  le  4m:  iik- 
léam  dWngltxterre'.  11  n'est  iH\mm  de  tr»ul  de  pîirote^t  rr  fi'iî»l 
plus  le  (enips  de  parler,  tnâis  d'agiri  > 

Oiwnd  les  Ujeoïopienîî,  tout  ^^ourdb  de  !ir.s  \]u-  ir|,i(  mjh 
appelaient  à  leur  aide  mainls  auleur^  'p^cxH  et  ^h-nuh'h^  .-ï  ||H 
saintes*  lîci'itures  et  les  Père»,  ponr  contcskT  la  réalftt  de  m  uA- 
ssion  :  «  Il  y  îi  |ilut§,  répôndail-elle  eti  levmil  li*s  yiîtnt  un  ciel,  a 
y  a  phîs  dans  les  livres  de  Dieu  que  dans  le>  ^ôlrej»!  » 

L't^îonnemenl  el  radrniralion  p/îffnîiienl  peu  h  peu  ei  mvîTnieiv 
ces  Ames  desséchées  par  la  scoLii^lirpie  el  par  k  clticivoir  ;  f» 
cœurs  arideii  se  fondaient  au  conliicl  de  cHl^ï  flîtninie;  ou  fil 
de  vieux  k^gisles  du  pat  leineni  sortir  «  en  (deurunl  à  rhauiifç 
krtnes  »  :  Févèque  de  Casircs  s'6cria  que  celle  lillc  élu  il  àf^nrh 
nienl  une  envoyée  du  Seigneur*, 

Jeanne  vainquit  :  les  docteurs  assemblés  à  Patliers  déclortnii 
que  <  Mite  Pueelle  »  ayant  èié  éprouvée  touchant  sa  fie,  $m 
mœurs  et  mn  intenlioti,  t  sans  qu'on  trouvât  en  elle  que  toul  bien. 


!.  Cett  Ainia  Charrier  quK  dtttB  m  rebrloa  »i}tii  fornîn  dr  • 
rourtiit  de  VM^  »uhnnt,  peu  njïrH  le  sacrt,  tfnmipqun  h%  puU  .  j 

(i^ûf^J«  t.  V,  p.  VS'lJ)  11  Uït  hors  do  douict  quû  Jeuniic  jn^filf^ifiiLiL  uq  <|ujiitriipA«  Hl^ 
&  »ê  niUtion  :  frhfii  S^guia*  un  de»  iiienibrei  de  la  cammtKKlnn  iuf!t'iv*iHMi()iie^  n^ 
port«t  te»  quulrt?  ihûuI».  itmin  mi>u«  uui^  t^nm  iuéirtnH,  Iv^uw  «artit  Uil  :  1*  Ui 
Anglais  KEsronL  dénukii  et  Orléi$u:i  délivra;  2"  le  roi  »r!ro  saer^  à  fltiuiit^  y  f:^ 
fwsrit  n^ifil»  en  robftlMaaec  Jn  roi?  i''  lu  duc  d'0rl<î»0«  roiiMudi-a  (V  ^TiHr trrre-  (iWi. 
L  m,  p,  20j,)  Lîi  forin*^  il  inverti  itosïiA»!  pur  Alum  Chiirtjtr  eM  ■  i  1«  triîtL 

S^guin^  vingt-sept  an»  pluA  tard,  euif^Foiu  tcilt^  totiiimra  éi]r.  nf  mtMtW 

l'iH^ntjiiu'nt  d^Accord  nrcc  la  prédiction.  Jtjanuiï  rt  ah  iiMMHJau  u'utii  |»«f  Jic«iii 
dV^trt*  protégétït»  par  de»  >irrîfic(ii  d*^(;i>1e.  L«  duc  d'AleuçoTi,  Utft  dlgur  it<  f«)  par 
la  t<j>iifliàiici2  ut  ruuiltié  dâat  rhanom  JtsariDe,  clii  qiiVJb  %û  dnuiuiit  oioiidô  tjvit 
<fii>iire  ithûrifi'H  {iftintuitr  unirn)  :  Fûlri*  ïcviT  k  %\(%i\  d'OrJi'*tn*i  :  ftiirc  %Aietvr  Ai 
roi;  ohnnit^^r  ki  AugUîit  (dt;  h>ui«  lu  FruncO*  dèliTrer  l«  duc  d*(lT)éMnf  ûtà  mMim 
iliK  ArtgbU.  {ibid.t  p*  '>^«)  I^a  recmivrantc  de  PiLrb  nVuH  ttirii»  t|u^]nv  f«rik  ih 
troitiièiuv  pmnt.  Lo  duc  d^Orléannt  In  pr'mm  csptîf,  b  victittm  d'iimovri,  hûa 
defrnu  pour  JeiLune  uiàv  pursauniltruliou  outLootik.  comnm  Chagrin  VII  Hi-^é^ 
ÎM  due  iVOîUm^,  ous^vi  lugriLt  que  ChurlcA  Vft,  D'à  {»&§  contâcr^  iiu  muI  ^«nè 
l»  mi'tuoini  dd  Ji:»mji'* 

1.  Dc^poitâtnn  de  tu  d^me  d(&  UouIIk»**  ^  Jd.  dt  rMfvri  TliUtiiiUt  l^^^f^^f»  i.  Jll^ 


[1429]  LA  MISSIOxN  D£  JEANNE.  157 

huiiiililc^  virginilé,  dévotion,  lionnùlclé ,  siinplcssc...  »,  on  ne 
pouvait  la  ivbuler  ou  délaisser  sans  se  rendre  indi'^ne  de  l'aide 
lie  Dieu,  et  qu'on  devait  la  mener  devant  Orléans  pour  y  mon- 
trer le  signe  divin  qu'elle  promettait.  L'archevêque  de  Reims, 
président  de  l'assemblée,  dut  se  décider  à  signer. 

La  virginité  de  Jeanne  avait  été  constatée  par  la  belle-mère  du 
roi  et  par  deux  autres  dames;  c'était,  dans  ToiMnion  du  moy(;n 
âge,  la  meilleure  preuve  que  Jeanne  ne  tirait  pas  ses  révélations 
de  l'enfer.  On  croyait  que  le  démon  ne  pouvait  contracter  de 
pacte  avec  une  vierge. 

Le  conseil  du  roi  et  la  Pucelle  repartirent  pour  Cliinon  aussitôt 
après  la  déclaration  des  docteurs;  le  jeune  duc  d'Alençon,  qui 
se  montrait  un  des  plus  zélés  défenseurs  de  la  cause  nationale  et 
un  des  partisans  les  plus  enthousiastes  de  la  Pucelle,  fut  chargé 
de  réunir  à  Blois  des  soldats  et  un  grand  convoi  de  vivres  qu'on 
voulait  tenter  d'introduire  dans  Orléans*  :  celle  expédition  devait 
être  l'épreuve  décisive  de  Jeanne.  On  donna  à  la  Pucelle  une 
annurect  des  chevaux;  on  lui  donna  une  maison,  comme  à  un 
chef  de  guerre;  elle  eut  un  écuyer,  des  pages,  un  chai)elain,  deux 
hérauts.  Plusieui^s  de  ces  personnages  nous  ont  laissé  d'intéres- 
sants récits  de  leurs  relations  avec  Jeanne  :  on  respectait  et  on 
admirait  davantige  cette  étonnante  créature,  à  mesure  qu'on  la 
voyait  de  plus  près  et  qu'on  \ivait  plus  familièrement  avec  elle; 
elle  ne  démentait  jamais  ni  la  hauteur  de  ses  pensées  et  la  lucidité 
de  ses  intuitions  dans  tout  ce  qui  tenait  aux  choses  générales,  ni 
son  bon  sens  naïf  et  sinqde  dans  les  choses  vulgaires  de  la  vie. 
Toute  «  jeune,  belle  et  bien  formée  »  qu'elle  fut,  il  \  avait  en  elle 
comme  une  vertu  secrète  qui  écartait  les  désirs  charnels  :  ces 
jeunes  soldats  qui  vivaient  dans  son  intimité  semblaient  la  i)rondre 
pour  un  être  d'une  autre  nature  plutôt  que  pour  une  fennne;  la 
déposition  de  son  écuyer,  Jean  d'Aulon,  et  celle  du  duc  d'Alençon 
sont  bien  frappantes  à  cet  égard  2. 

1.  Ce  fut  la  bv'le-mère  du  roi,  la  u  reine  de  Sicile  »,  Yolande  d'Aragou,  qui 
trouva  moyeu  de  rassembler  les  ressources  nécessaires. 

2.  Plus  tard,  on  la  vit  coiumander,  avec  une  force  incroyable,  aux  nécessités  do 
la  nature,  passant  des  journées  cniièrcs  sans  descendre  de  cheval  et  sans  nian^^jcr. 
S'il  eu  faut  croire  sou  écuyer,  d'après  le  témoignage  de  diverses  upreudes  femmes», 
elle  ne  connut  jamais  les  infirmités  de  son  sexe.  Procta,  t.  111,  p.  luo,  219> 


(58 


rnîËRiTBsoss  .\NGpn 


otm 


qu'on  |)oui*siilVtiit  è  Blois  :  olletiuiUa  le  roi  pour  m*  mpprodMr 
du  théâtre  de  la  guerre  et  pour  m  rendre  à  Tours;  eu  ne  iépéxntA 
de  Ctiarloi  Vil,  dhi  lui  dit  qu*etle  seniit  blcfêéf:  clt^mot  Orlàam^ 
mim  quVllfi  n  en  mourrait  ni  ne  sérail  nilsc  hors  de  comboi; 
prMirfîon  qui  fut  vérifii^e  par  révénemnnt*,  Ikîs  înadeut>s  eicr- 
veilleux  se  nuillipliaient  antonr  d'eUe  :  «e*  vt^j:,  h  i:c  quelle 
r-:ic(>ulii  plus  tîird=*,  lui  avaient  appris  qu'une  épéc,  t>ortatil  aiM| 
croix  f,Tavées  sur  lu  biue,  était  eui^evdiu  dans  la  Icm?,  pnS  ie 
l^jutel  de  Sûinle-tlathenne  de  Merbai^»  église  cju*cllc  ttvaîl  visiter 
avnui  d^arriver  à  €hinon  ;  elle  envoya  à  ¥h'-  ■  n  tmiAh  k 

terre,  et  Ton  trouva  lY»p6e  à  lendroit  désii  unti  nupit 

eette  arme  mystérieuse,  cl  se  fit  faire»  toujours  d*oprêH  l'ordre  Je 
ses  vùix^  un  étendard  blanc  semé  de  tUm^  de  li*  d  or^  awc  tk 
(ii^urè  de  Notre'SeigDeurajssi^  en  son  tribunal  paruii  les  niié9 
du  lùcl,  et  tenant  un  monde  (un  globe)  en  »e^  mutm  »;  Àdnijle 
et  h  pauche  étaient  deux  angea  en  adoration;  Vntt  des  dem  pot- 
tait  une  brandie  de  lis  que  k  Sei^ucur  2Soniblîu!  Iientr.  Auprès 
ëtinout  iurit^N  les  niot^  :  Jhesm  l^urm^  que  Jeimni!  avait  «idop» 
tés  pour  devise»  Sur  le  revers  de  rétendard  était  l'image  dt  k 
Vierge. 

Les  apprêta  de  Texpédition  d^Orlé^ins  furent  bîeo  bogs  xiu  ^rè 
de  Jeaniie  ;  le*  ^tm  d'armes  sse  la&semblaiciit  lentement  et  >ia» 
prendre  p^ande  part  aux  espéranc^^îî  popubîri*^  :  Tarj^eiit  niaii» 
quait  pour  les  payer^  et  Ton  no  put  leur  donner  que  le  ?l  «mil 
k^  arrhes  de  Fentrée  en  campagne.  I^  Trénuiille  tentait,  |)rndAm 
ee  temps,  un  dernier  etîort  poiîr  se  passer  àft  la  Pueeik  :  il  %oii- 
lait  renouveler  avec  les  AragoriaiJ*  ee  qui  aviùt  inani|Ui'  avec  lei 
Eco^^uis.  Il  deujandait  une  armée  au  roi  d\Vja^tin,  LMraKOOW 
demanda  en  récompeime  ta  cession  du  Lauf^ucdoc^  :  Il  rallul  ac 


i«  t)ne  Iclttc,  trctaa  le  22  avril  fiur  un  ix(^i|:iHrur  nauiuud  au  c«iiieil  âmcMÏét 
Rraliani,  ^iHrk^  ilû  cvttû  pr^diûlkii  :  iiiuium  ue  tni  Ucstièo  41111  k  i*  fu^i  «uitaoL^ 
Ctilc  k'iiru  Si  é{è  d<!couvi!du  pur  M-  Lobriui  rJc  Cliunïtcivtiî*  il  f:i  T'  '  '  •'  ^]i>^^  b^ 
iniïcritii  Je  M.  irE*n<iii«,  vol.  I,  j».  itû,  ï/imUu'uliciKi*  vw  v  ^1#U.  U 

eojiUr  kVu  ritirouvti  mur  b»  rctftstrait  de  la  Cbumbro  ilcs  êiéit>^*t.*  v^«  i«rMdki> 

2,  Inijifrcigau  du  27  février  Il3l;  Pn/Ut,  t.  I,  p*  7A. 


Irf  â^  t  b  11  t/  .'&  U  LP    U  t     Aj   b  t~  b  u> 


résigner  à  subir  Jeanne.  Tous  les  obstacles  furent  enfin  levés,  et 
Jeanne  arriva  le  25  avril  à  Blois,  avec  le  chancelier  de  France  et 
Raoul  de  Gaucourt,  qui  avait  laissé  Orléans  à  la  garde  du  bâtard 
d'Orléans  pour  venir  liàter  le  secoui-s. 

Jeanne  produisit  à  Blois  la  même  impression  que  partout  ail- 
leurs. Elle  réunit  une  espèce  de  bataillon  de  prêtres,  à  la  tête 
duquel  elle  mit  son  chapelain,  l'augustin  Pasquerel,  avec  une 
bannière  représentant  le  Christ  sur  la  croix  ;  des  soldats  en  état 
de  grûce  servaient  seuls  d'escorte  à  celte  troupe  sacrée.  Le  bruit 
des  choses  extraordinaires  qui  se  passaient  à  Chinon,  à  Poitiers, 
à  Blois,  était  parvenu  dans  les  murs  d*Orléuns  et  dans  le  camp 
des  Anglais  ;  les  Orléanais  renaissaient  à  Tespérance  ;  les  Anglais, 
qui  n'admettaient  pas  que  Jeanne  pût  être  renvoyée  du  ciel, 
conunençaient  à  croire  qu'elle  pouvait  bien  être  l'instrument  de 
l'enfer,  et  l'attente  de  cet  ennemi  surhumain  répandait  parmi 
eux  une  vague  terreur.  Du  24  au  28  avril,  six  cents  combattants, 
divisés  en  plusieurs  détiichements,  s'introduisirent  dans  la  ville 
et  y  annoncèrent  l'approche  du  «  grand  secours  ».  Pendant  ce 
temps,  un  héraut  apporta  aux  généraux  anglais  une  lettre  de 
l'étrange  chef  de  guerre  qu'ils  allaient  avoir  à  combattre  :  les 
voix  avaient  ordonné  à  Jeanne  d'ollrir  la  paix  aux  Anglais  avant 
de  les  frapper  du  glaive. 

a  ^  JiiESUS  Maki  A  •b. 

€  Roi  d'Angleterre,  et  vous  duc  de  Bedford,  qui  vous  dites  régent 
du  royaume  de  France  ;  vous,  Guillaume  de  la  Poule  (Pôle),  comte 
de  i>ti//brrf(SufFolk);  Jehan,  sire  de  Talchot  (Talbot),  et  vous,  Tho- 
mas, sire  A'Escales  (Scales),  ({ui  vous  dites  lieutenants  dudit  duc 
de  Bedford,  faites  raison  au  roi  du  ciel  :  rendez  à  la  Pucellc,  qui 
est  ci  envoyée  de  par  Dieu ,  le  roi  du  ciel ,  les  clefs  de  toutes  les 
bonnes  villes  que  vous  avez  prises  et  violées  en  France.  Elle  est 
ci  venue  de  par  Dieu  pour  réchmicr  le  sang  royal.  Elle  est  toute 
prête  de  faire  paix,  si  vous  lui  voulez  faire  raison,  par  ainsi  que 
France  vous  mettrez  jus  et  paierez  ce  que  vous  l'avez  tenu  (à  con- 
dition que  vous  renonciez  à  la  France  et  que  vous  l'indemnisiez). 
Et,  entre  vous,  archers,  compagnons  de  guerre,  gentils  (nobles) 
et  autres,  qui  êtes  devant  la  ville  d'Orléans,  allez  vous-en  en  votre 


GUERHES  DES  AWGLAKS. 

jiijys»  de  par  Dieu,  et,  si  ainsi  ne  le  railes,  attende/  lits  «•  • 
lie  la  Pucelle,  qui  vous  ini  voir  brièvement  (sous  pi:n)  à  v* 
;;rands  dommages.  Hoi  d'Angleterre,  si  ainsi  ne  le  Fallet, 
chef  de  guerre,  et,  en  quelque  lieu  que  j^lHeindrai  Vf  -  d 

France,  je  les  en  ferai  aller,  veuîllenl  ou  non  veuillein  «*c 

veulent  ob^ir,  je  les  ferai  tous  occire.  Je  suis  ci  envoyée  de  for 
Dieu,  le  roi  du  ciel,  corps  pour  corps,  poch  vocs  B«in-r.tt  h 
TOUTE  FHANCE*,  E( ,  s'Us  vculcut  obéir,  je  les  prendrai  à  rur 
El  n'ayez  point  en  voire  opinion»  car  vous  ne  tiendrez  |> 
royaume  de  France  de  Dieu,  le  roi  du  ciel,  fds  sainte  Mairie  ;  tiiii» 
(mais)  le  liendra  le  roi  Ciiarles,  vrai  bi'îrîlîer,  car  Dieu,  le  rai  ik 
ciel,  le  veut,  et  lui  est  révélé  par  la  Pucclle  ;  lequel  entrera  k  Paris 
il  bonne  compagnie.  ^  Si  ne  voulez  croire  les  oouvellei  da  |uir 
Dieu  et  la  Pucclle,  en  quoique  lieu  que  vous  Irm 
férirons  (frapiierons)  dedans,  et  y  ferons  un  si  gi 
encore  a  il  (y  a4-il)  mille  ans  qu'en  France  ne  fut  si  çrand,  ^i  toiu 
ne  faites  raison.  Et  croyez  fermement  que  le  roi  du  ciel  « 
plus  de  force  à  la  Pucelle  que  vous  ne  lui  sauriez  mener  i^  .  ..- 
assauts,  à  elle  et  à  ses  bonnes  gens  d'armes,  el  aux  liorioa^ 
verra-l-on  qui  aura  meilleur  droit  de  Dieu  du  eîel  ou  de  vciiis.r- 
Vous,  duc  de  Bedford,  la  Pucclle  vous  prie  et  vous  Vt  il* 

vous  ne  vous  lassiez  mio  déUiiire.  Si  vous  lui  faites  rai>  a% 

poun-ex-vous  venir  en  sa  compagnie,  I*où  que  les  Françuis  feronl 
le  plus  beau  fait  que  oncques  fut  fait  pour  la  clirélienté  ^.  El  faites 
réponse  si  vous  voulez,  faire  paix  en  la  cité  d'Orléans;  et»  si  Jiiini 
ne  le  faites,  de  vos  bien  grands  dommages  vous  souvienne  l*riè- 
vemeni.  Écrit  ce  mardi  semaine  sainte  (22  mars)^  n 

Sur  le  dos  de  la  lettre  était  écrit:  «  Kntcndez  les  iiuuveiie^de 
Dieu  et  de  la  Pucelle.  » 

Jeanne  suivit  de  près  sa  lettre  :  le  27  avril,  elle  sortit  de  Blob 
avec  un  assez  gros  corps  de  troupes,  cscorkinl  un  gnmd  convoi. 

U  n  îuiportc  de  remarquer  ce  lémoignugu  direct  île  Jeinnti  »ur  sa  ri 
HotÈ  de  ioutc  FruHct,  ei  non  [»ii&  sculemeiii  hors  de  rOi léuitnis  et  de  Aui«.«. 

2.  Ces  iiaroles  de  Jutiune  uUesieDl  qu^'ilc  rtvâil  un  projet  de  croWadtf  iprtsk 
dèlifriittce  de  ia  Frunci!, 

3.  CeUe  lettre  avuît  éiù  écrite  h  roillurs  ou  mois  avanl  d'élrc  envoyât»  ■•Oi*^ 

chçrui  en  donin!  ciiifi  versions  qui  AilSùreni  irtos  peu  uitut  elle*;  >'- • 

p.  240;  IV,  t3d,  215»  306;  V,  il6. 


CUtO]  L'ARMÉE  DU  SAINT-ESPRIT.  161 

A  côté  d*eUe  chevauchaient  le  maréchal  de  Boussac,  le  grand- 
inaitre  Gaucourt,  Taniiral  de  Culant,  le  sire  de  RelzS  La  Hire, 
Baudricourt,  arrivé  de  Vaucouleurs.  Jeanne  «  portoit  le  harnois 
aussi  gentiment  que  si  elle  n'eût  fait  autre  chose  de  sa  vie.  »  Elle 
avait  fait  défendre  les  jurements  et  blasphèmes,  exhorter  les  sol- 
dats à  se  confesser,  et  chasser  toutes  les  «  folles  femmes  »  qui  sui- 
vaient les  gens  de  guerre.  En  tète  de  l'armée  marchait  la  cohorte 
des  prêtres,  chantant  pour  chant  de  guerre  le  Veni,  Creator  Spi- 
ritusy  cette  hymne  sublime  de  l'Esprit  de  vie,  qui  semble  n'être 
d*aucun  temps  ni  d'aucune  secte,  tant  l'éternelle  vérité  y  brille 
d*ane  splendeur  sans  nuage.  L'Esprit  invoqué  avait  répondu  : 
son  souflle  emportait  cette  armée  du  Seigneur. 

Les  troupes  campèrent  la  nuit  en  pleins  champs.  Le  lendemain 
maliii,  Jeanne,  quoique  fatiguée  et  malade  d'avoir  pour  la  pre- 
iBJère  fois  reposé  tout  armée  sur  la  dure,  fut  sur  pied  la  première 
et  reçut  la  communion  devant  l'armée  en  bataille  ;  une  multitude 
dé  soldats,  passant  brusquement  de  la  débauche  et  de  l'indifTé- 
rence  à  l'enthousiasme  et  à  la  foi,  vinrent  s'agenouiller  devant  les 
prêtres  qui  entouraient  Jeanne  et  se  mettre  «  en  état  de  grâce  » 
(m  bono  statu).  Le  convoi  retarda  la  marche  de  l'armée,  qui  arriva 
ea  vue  d'Orléans  seulement  le  troisième  jour  (29  avril).  Ces  prê- 
tres, ces  chants,  ces  bannières  inconnues,  cet  appareil  inusité, 
frappèrent  les  Anglais  d'une  crainte  superstitieuse  :  les  généraux, 
voyant  la  disposition  de  leurs  troupes,  les  tinrent  enfermées  dans 
leurs  parcs  et  dans  leurs  bastides.  Les  Français  défilèrent  devant 
les  ruines  du  Portereau  et  les  postes  ennemis  de  la  rive  gauche 
de  la  Loire,  et  gagnèrent  le  bord  du  fleuve  au-dessus  de  la  bastide 
anglaise  de  Saint-Jean-le-Blanc  :  la  Pucelle  avait  insisté  pour 
qu*on  allât  droit  où  était  la  plus  grande  a  puissance  »  des  Anglais, 
c'est-à-dire  du  côté  de  Beauce;  mais  les  «  chevetaines  »  français, 
jugeant  l'entreprise  trop  hardie,  avait  trompé  Jeanne  et  l'avaient 
menée  du  côté  où  l'ennemi  était  le  moins  fort,  c'est-à-dire  par  la 
route  de  la  Sologne.  L'événement  donna  raison  à  Jeanne  :  l'ar- 
mée, en  se  présentant  par  la  rive  gauche,  avait  le  fleuve  entre  elle 
et  la  ville;  les  communications  n'étaient  possibles  que  par  eau  ;  or, 

1.  Ou  Raiz;  Gilles  de  Laval.  C'était  le  démon  à  côté  d*un  ange.  Nous  revien- 
drons sar  cet  horrible  personnage. 

VI.  11 


162  GUBRRES  DES  ANGLAIS.  [tkVt] 

les  grands  bateaux  à  voiles  préparés  dans  Orléans  pour  recevoir 
le  secours  ne  pouvaient,  à  cause  des  basses  eaux,  prendre  port 
qu*à  Chéci,  à  deux  lieues  à  Test  de  la  ville,  et  le  vent  contraire 
les  emi)êchait  de  remonter  la  Loire  vers  Chéci. 

L'embarras  était  extrême.  «Vous  m*avez  cru  décevoir,  dît 
Jeanne,  et  vous  vous  êtes  déçus  vous-mêmes.  Le  conseil  de  Diea, 
notre  sire,  est  plus  sûr  que  le  vôtre.  Sachez  que  je  vous  amène  le 
meilleur  secours  qu'ait  jamais  reçu  ville  ni  armée ,  le  secours  du 
roi  du  ciel!  »  S'il  en  faut  croire  un  des  hommes  qui  lui  furent  le 
plus  contraires,  Raoul  de  Gaucourt ,  elle  annonça  expressément 
que  le  temps  et  le  vent  allaient  changera  Le  vent,  en  efiet,  sauta 
brusquement  à  l'ouest  :  les  bateaux,  conduits  par  le  bâtard  d'Or- 
léans, arrivèrent  à  toutes  voiles  après  avoir  passé  sans  obstacles 
et  sans  dommages  sous  le  canon  des  bastides  anglaises.  Les  plus 
enthousiastes  des  compagnons  de  Jeanne  crurent  voir  les  eaux 
monter  et  s'enfler  subitement  sous  les  nefs  qui  venaient  au-devant 
de  la  Pucelle.  On  rejoignit  la  flotille  à  Chéci.  Jeanne  descendit 
dans  les  nefs  avec  le  convoi  et  deux  cents  lances  ;  le  reste  des 
troupes  reprirent  le  chemin  de  Blois  afin  d'y  traverser  la  Loire, 
et  de  revenir  «  devers  la  Beauce  ».  Jeanne  leur  laissa  son  chape- 
lain et  ses  prêtres,  comme  pour  leur  laisser  son  inspiration  re- 
ligieuse et  une  portion  d'elle-même.  Une  sortie  des  Orléanais 
fit  utilement  diversion  et  empêcha  les  Anglais  de  réunir  leurs 
forces  pour  arrêter  la  flotille  au  retour.  La  Pucelle  entra  le  soir 
dans  Orléans,  armée  de  toutes  pièces,  montée  sur  un  cheval 
blanc,  et  faisant  porter  devant  elle  sa  blanche  bannière  ;  elle  alla 
droit  à  la  cathédrale,  aux  acclamations  des  <  bonnes  gens  de  b 
ville,  hommes,  femmes  et  petits  enfants,  qui  faisoient  telle  joie 
comme  s'ils  vissent  Dieu  descendu  entre  eux>  ». 

L'effet  moral  de  celte  première  journée  fut  immense;  la  con- 
fiance, qui  naguère  encore  animait  les  assiégeants,  avait  passé 
dans  le  cœur  des  citoyens  et  de  la  garnison  ;  Jeanne  eût  voulu  dès 


1.  Procès,  t.  III»  p.  18. 

3.  Dépositions  du  comte  de  Dunois,  de  frère  Pasquerel,  de  J.  d*Aulon,  etc.,  etCi 
Procès,  t.  III,  p.  5  ;  105,  210.  —  Chroniq.  de  VélabltMemcni  de  la  fête  du  8  nd: 
ihid.  t.  V,  p.  290.  —  Journal  du  siège,  —  Chronique  de  la  Pucelle.  —  Uittoire 
abrèyée  des  gestes  de  la  Pucelle, 


[1429]  JEANNE  A  ORLÉANS.  163 

le  lendemain  les  mener  à  Tassant  des  bastides  anglaises  ;  la  plu- 
part des  capitaines  se  récrièrent  contre  celte  témérité.  Il  fut  dé- 
cidé, au  grand  mécontentement  de  Jeanne,  qu'on  ne  prendrait 
sérieusement  l'offensive  qu'après  le  retour  de  l'armée.  Jeanne 
envoya  une  seconde  lettre  aux  Anglais  par  l'intermédiaire  de  ses 
deux  hérauts.  Les  généraux  ennemis ,  sans  respect  pour  le  droit 
des  gens,  retinrent  prisonnier  l'un  des  hérauts  et  renvoyèrent 
rautre  en  le  chargeant  de  «  vilaines  paroles  »  pour  la  Pucelle, 
€  rappelant  ribaude,  vachère,  et  la  menaçant  de  la  faire  brûler 
s*ils  la  pouvoient  prendre  ».  Ils  voulaient,  en  attendant,  brûler  le 
héraut  captif  comme  hérétique  et  complice  d'une  sorcière,  et  écri- 
virent à  l'université  de  Paris  pour  la  consulter  à  ce  sujet».  On  ne 
leur  accorda  pas  le  loisir  de  recevoir  la  réponse  !  Jeanne,  du  haut 
du  boulevard  qu'on  avait  construit  sur  le  pont  d'Orléans,  à  portée 
de  la  voix  des  Tournelles,  leur  adressa  en  personne  une  troisième 
sommation.  Le  commandant  des  Toiu^nelles,  Glansdale,  et  ses 
gens,  répondirent  par  de  brutales  injures  :  la  chaste  fdle  en  pleura 
de  honte  et  de  colère,  et  leur  cria  qu'ils  mentaient,  et  que,  «  mal- 
gré eux  tous,  ils  partiroient  bien  bref  (bientôt)  »,  mais  que  lui, 
Glacidas  (Glansdale),  ne  le  verrait  point*. 

Le  troisième  jour  après  sa  venue  à  Orléans  (2  mai),  Jeanne  sortit 
dans  la  plaine  et  chevaucha  lentement  tout  le  long  des  bastides, 
des  parcs  et  des  boulevards  anglais  «  du  côté  devers  Beauce  »,  exa- 
minant les  positions  ennemies  avec  le  coup  d'œil  d'un  capitaine 
expert  aux  armes.  Le  peuple  l'avait  suivie  en  foule,  comme  si  la 
présence  de  la  Pucelle  eût  été  une  protection  plus  sûre  que  les 
remparts  de  la  cité  :  les  Anglais  ne  tentèrent  pas  de  troubler  cette 
audacieuse  reconnaissance,  ni  de  charger  celte  multitude  désor- 
donnée. Ces  hommes  intrépides ,  dit  Alain  Chartier,  semblaient 
changés  en  femmes,  tandis  que  les  femmes  se  changeaient  en 
héros  contre  eux  :  «  on  eût  dit  qu'ils  avoient  tous  les  mains  liées  ». 
€  Avant  que  la  Pucelle  arrivât,  deux  cents  Anglois  chassoient,  aux 
escarmouches,  huit  cents  ou  mille  de  l'armée  du  roi,  et,  depuis  sa 


1.  Berri,  roi  d'armes.  —  Journal  du  siège. 

2.  Journal  du  siège.  —  Bourgeois  de  Paris,  —  Le  page  de  Jeanne,  Louis  de 
Contes,  témoin  oculaire,  ne  parle  pas  de  cette  prédiction  dans  sa  déposition* 
Procès,  t.  III,  p.  68. 


164  GUERRES  DES  ANGLAIS.  [i4»] 

venue,  qualre  ou  cinq  cents  François  combattoient  toute  la  puûr 
sance  des  Anglois,  et  les  contraignoient  à  se  renfermer  dans  leurs 
refuges  et  bastilles  »  (Dépos.  de  Dunois).  Les  soldats  français  n'é- 
taient plus  reconnaissables  :  Texaltation  religieuse  de  Jeanne  avait 
saisi  ces  âmes  rudes  et  sauvages,  mais  susceptibles  de  fortes  im- 
pressions; il  n*y  avait  pas  jusqu'à  La  Hire  qui  n'allât  à  confesse! 
La  Hire,  habitué  à  maugréer  et  à  renier  Dieu  toute  la  journée, 
n'osait  plus  «  renier  que  son  bâton»  devant  Jeanne^. 

La  petite  armée  de  Blois  reparut  le  4  sur  la  rive  droite  de  la 
Loire.  Jeanne  alla  au-devant  avec  une  partie  de  la  garnison.  Les 
Anglais,  supérieurs  en  nombre  à  toutes  les  forces  françaises  réu- 
nies», ne  firent  aucun  mouvement  pour  empêcher  la  jonction,  et 
les  troupes  de  secours,  passant  entre  les  bastides  des  assi^eants, 
entrèrent  dans  la  ville  sans  coup  férir.  Jeanne,  fatiguée  de  sa 
chevauchée ,  se  jeta  sur  le  ht  de  son  hôtesse^  pour  prendre  quel- 
que repos;  mais  à  peine  avait-elle  fermé  les  yeux,  qu'elle  se  ré- 
veilla brusquement  avec  de  grands  cris  :  «  Mes  voix  m'appellent... 
nos  gens  ont  bien  à  besogner!...  le  sang  de  nos  gens  coule  par 
terre!...  Mes  armes!  mes  armes!  mon  cheval!,..»  Son  page  ac- 
court ^,  «  Ah  !  sanglant  garçon  (méchant  garçon),  vous  ne  medisiei 
pas  que  le  sang  de  France  fût  répandu.  »  Elle  se  fait  armer  pré- 
cipitamment, saisit  son  étendard,  s'élance  sur  son  cheval  et  court 
à  toute  bride,  en  «  faisant  jaillir  le  feu  des  pavés  »,  droit  àla  porte 
orientale  de  la  ville,  qu'on  appelait  la  porte  de  Bourgogne.  Une 
sortie  avait  été  entreprise  à  son  insu,  probablement  par  ordre 
de  Gaucourt  et  d'autres  chefs  qui  ne  voulaient  pas  qu'elle 


1.  Dépositions  de  frère  Séguin  et  de  divers  chanoines  d'Orléans.  Jeanne  elle- 
niéinc,  k  la  manière  des  enfants  de  son  village,  jurait  «  par  mon  martin!  »  (par 
uiou  bàlon!).  Chroniq,  de  Perceval  de  Cugni;  ap.  Procéi,  t.  IV,  p.  4. 

2.  Du  moins  le  comte  de  Dunois  le  dit  positivement  dans  sa  déposition,  v.  aassi 
lu  déposition  du  frère  Pasqucrel;  Procès,  t.  III,  p.  5;  105.  Mais  il  semble  que  les 
Français  se  soient  exagérés  le  nombre  des  ennemis. 

3.  Elle  était  logée  chez  une  des  bourgeoises  les  plus  notables  et  les  mieux  famées 
de  la  ville.  Jeanne  comprenait  combien  il  lui  importait  d*écarter  d'elle  tout  soupçon: 
purtoui  oii  elle  s'arrêtait,  elle  s'entourait  des  femmes  les  plus  irréprochablei  et 
passuit  lu  nuit  avec  deux  ou  trois  d'entre  elles,  afin  qu'on  ne  pût,  dit  M.  Lebrui 
de  Cliurmettes,  «  calomnier  son  sommeil  ». 

4.  C'est  lui-même  qui  a  raconté  le  fait.  i;.  les  dépositions  concordantes  du  page 
Louis  du  Contes,  de  la  femme  Milei,  de  l'avocat  Aignau  Viole,  de  l'écu ver  Jean 
d'Aulon,  de  Simon  Beaucroix,  ap.  Proeén,  1. 111,  p.  68,  79,  124,  126,  212. 


[1429]  LA  BASTIDE  SAINT-LOUP.  1«5 

eût  l'honneur  de  la  victoire.  Un  premier  assaut  avait  été  donné 
sans  succès  à  la  bastide  anglaise  de  Saint-Loup,  voisine  de  la  porte 
de  Bourgogne,  et  Ton  rapportait  en  ville  beaucoup  de  blessés: 
Jeanne  frémit  et  versa  des  larmes  :  «  Jamais,  s'écria-t-elle,  jamais 
je  n'ai  vu  sang  de  François  que  les  cheveux  ne  me  dressassent  à  la 
tête  !  >  Elle  poussa  son  cheval  droit  à  la  bastide  anglaise. 

A  son  aspect,  les  fuyards  jetèrent  une  grande  clameur,  et 
€  tournèrent  visage  »  :  le  bâtard  d'Orléans  arriva  au  même  in- 
stant, suivi  d'une  grosse  bande  de  gens  d'armes,  et  l'assaut  recom- 
mença avec  furie.  Talbot  essaya  de  conduire  les  troupes  des 
bastides  les  plus  proches  au  secours  de  Saint-Loup;  mais,  sui- 
vant l'expression  du  chroniqueur,  «  tout  homme  issit  hors  Or- 
léans pour  aller  enclore  les  Anglais*  ».  Talbot  craignit  d'être 
englouti  par  ce  flot  furieux,  et  rentra  dans  ses  forts.  La  gar- 
nison de  la  bastide  Saint-Loup,  forte  de  trois  ou  quatre  cents 
hommes  d*élite,  soutint  mieux  la  vieille  gloire  des  armes  an- 
glaises :  elle  se  défendit  opiniâtrement  pendant  trois  heures; 
mais  rien  ne  put  résister  à  l'ardeur  des  assaillants,  et  la  bastide 
fiit  enfin  forcée,  brûlée  et  démolie.  Jeanne,  une  fois  la  cha- 
leur du  combat  refroidie,  ne  vit  pas  sans  émotion  ce  boulevard 
jonché  de  cadavres  anglais  :  la  femme  reparut  sous  le  héros;  elle 
pleura,  et  regretta  surtout  que  tant  d'hommes  «  fussent  morts 
sans  confession  ».  Aucun  d'eux  n'avait  reçu  la  mort  de  sa  main. 
Par  une  contradiction  touchante,  elle  qui  se  disait  «  chef  de 
guerre  »,  qui  venait  comme  un  ange  exterminateur  contre  les 
tyrans  de  sa  patrie,  elle  avait  horreur  du  sang:  elle  ne  pouvait, 
comme  elle  l'a  souvent  répété,  se  résoudre  à  «  tuer  personne  »  : 
risquant  sa  vie  sans  attaquer  celle  des  autres,  elle  se  jelait  à  tra- 
vers la  mêlée,  son  étendard  à  la  main,  et  ne  tirait  l'épée  qu'à  la 
dernière  extrémité  2. 

Les  Anglais  rendirent,  le  lendemain,  le  héraut  de  la  Pucelle, 
de  peur  qu'on  ne  mît  à  mort  les  prisonniers  qu'on  avait  faits  sur 
eux  :  c'était  le  jour  de  l'Ascension  (5  mai).  Jeanne  ne  voulut  pas 


1.  Chroniq.  de  la  fête  du  8  mai;  Procès,  t.  V,  p.  292. 

2.  (c  Je  n'ai  oncques  taé  homme.  »  Interrogatoire  du  27  février.  Procès,  t.  I, 
p.  78.  —  Déposition  de  frère  Séguin.  —  Déposition  de  frère  Pasquerel.  — Jotmtal 
du  nége. 


1G6  GUERRES  DES  ANGLAIS.  [u:9: 

qiroti  en  profanât  la  solennité  par  l*eflusîon  du  sang  liumaiD; 
mais,  le  G  mai  au  matin,  la  Pucclle,  le  bâtard  d*0rléans,  Boussac, 
Gaucourt,  La  Hire,  traversèrent  la  rivière  en  bateaux,  et  se  por- 
tèrent contre  les  bastides  du  côté  de  la  Sologne.  Glansdale,  qui 
commandait  en  chef  le  siège  de  la  rive  gauche,  désempara  et  incen- 
dia la  bastide  de  Saint-Jean-le-Blanc,  et  en  retira  la  garnison  aux 
Auguslins  et  aux  Tournelles.  La  Pucelle,  avant  que  tous  ses  com- 
pagnons eussent  passé  Teau^  courut  droit  à  la  bastide  des  Au- 
gustins  et  planta  son  étendard  sur  le  bord  du  fossé;  mais,  en  ce 
moment,  «  il  survint  un  cri  »  que  les  Anglais  de  la  rive  droite 
venaient  «  en  grand  puissance  »  au  secours  de  Glansdale  :  les  gens 
de  la  Pucelle  reculèrent  en  désarroi  jusqu'à  leurs  bateaux,  et  en- 
traînèrent Jeanne  dans  ce  mouvement  de  retraite  ;  les  Anglais 
sortirent  de  leurs  forts  et  coururent  sur  la  Pucelle  avec  €  grande 
huée  et  paroles  diffamantes  ».  I/instant  était  décisif;  un  seul 
échec  allait  dissiper  le  prestige  qui  environnait  Jeanne  et  ren- 
verser tout  l'espoir  de  la  France.  L'incertitude  ne  fut  pas  longue: 
Jeanne  fit  volte-face,  «  coucha  la  lance  »  et  s'élança  contre  les 
Anglais  avec  son  cri  ordinaire  :  En  nom  Dieu!*  La  Hire  courut 
après  elle,  puis  bien  d'autres;  une  terreur  panique  s'empara  des 
Anglais  ;  «  ils  prirent  la  fuite  laide  et  honteuse  »  et  ne  s'arrê- 
tèrent qu'à  l'abri  de  leurs  boulevards.  On  les  y  suivît  ;  la  bastiDe 
des  Augustins  fut  atUiquée  sur-le-champ  :  fossés,  glacis  semés  de 
chausse-trapes,  palissades,  parapets  garnis  d'artillerie,  tout  fiit 
inutile  :  les  assaillants  pénétrèrent  de  toutes  parts  dans  la  bastide 
et  passèrent  au  fil  de  l'épée  tous  ceux  de  ses  défenseurs  qui  ne 
purent  se  réfugier  aux  Tournelles. 

Jeanne  fut  aussi  sage  dans  la  victoire  qu'elle  avait  été  auda- 
cieuse dans  le  combat  :  voyant  les  soldats  c  trop  attentifs  au  pil- 
lage »,  et  craignant  que  Glansdale  ne  profitât  de  leur  désordre, 
elle  ordonna  d'évacuer  et  de  brûler  la  bastide  conquise,  avec  tout 
ce  qu'elle  renfermait  «  de  vivres  et  de  richesses  »  :  on  obéit 
Jeanne,  qui  avait  été  légèrement  blessée  au  pied  par  une  chausse^ 
trape,  retourna  dans  Orléans  par  la  rivière  avec  une  partie  des 

1.  CI  Kn  nom  Dél  »  —  Chroniq.  de  la  Pucelle^  ap.  Procès,  U  IV,  p.  226.  —  Jean 
iI*Auloii  ^r.  m.  p.  2i4>  ne  parle  pas  du  moment  de  déroote  :  il  dit  Muleinent  qoc 
les  chefs  voulaient  se  retirer  et  que  la  Pucelle  attaqua  malgré  eux. 


1429]  JEANNE  ET  LES  CAPITAINES.  167 

Toupes;  le  reste  demeura  en  observation  devant  lesToumelles 
et  le  boulevard  voisin,  que  Jeanne  avait  résolu  d'attaquer  le  jour 
suivant.  La  plupart  des  aipitaines  n'étaient  pas  de  cet  avis  :  ils 
craignaient  de  compromettre  les  avantages  obtenus;  ils  crai- 
gnaient peut-être  plus  encore  des  avantages  trop  décisifs  qui  les 
eflaceraient  tous  devant  Jeanne <  :  ils  tinrent  conseil,  le  soir, 
sans  y  appeler  Jeanne,  et  lui  envoyèrent  signifier  leur  résolu- 
tion d'attendre  de  nouveaux  renforts.  «  Vous  avez  été  en  votre 
conseil,  répondit-elle,  et  j'ai  été  au  mien  :  le  conseil  de  Messire 
s'accomplira;  celui  des  hommes  périra!  Nous  combattrons  de- 
main^. » 

Pendant  la  nuit,  les  Anglais  de  la  rive  gauche  abandonnèrent 
encore  une  de  leurs  bastides,  celle  de  Saint-Privé,  et  se  concen- 
trèrent entièrement  dans  les  Toumelles  et  dans  la  grande  redoute 
ou  boulevard  qui  couvrait  cette  forteresse  du  côté  de  la  Sologne; 
c'était  ce  même  boulevard  qui  avait  été  si  vaillamment  défendu 
par  les  Français  au  commencement  du  siège.  Au  point  du  jour, 
la  Pucelle  monta  à  cheval,  annonçant  à  ses  hôtes  qu'avant  le  soir 
elle  rentrerait  victorieuse  à  Orléans  par  les  Toumelles  et  le  pont 
de  la  Loire.  Le  conseil  des  chefs  avait  résolu  de  l'empêcher  d'exé- 
cuter son  dessein,  et  Gaucourt,  bailli  de  la  ville,  avait  fait  fermer 
les  portes,  et  gardait  en  personne  la  porte  de  Bourgogne  :  il  dé- 
clara que  personne  ne  passerait.  Jeanne  commanda  au  peuple 
d'ouvrir  la  porte.  Les  bourgeois  et  les  soldats  qui  la  suivaient  en 
foule  se  précipitèrent  à  sa  voix  avec  une  telle  furie  que  Gau- 
court faillit  être  mis  en  pièces  :  le  peuple,  traînant  après  lui  ca- 
nons et  couleuvrines,  sortit  à  grands  flots  de  la  ville,  traversa  la 

1.  Un  jour  que  Danois  lui  annonçait  la  Tenue  de  Falstolf  pour  ravitailler  les 
Anglais  :  «  Bfttard,  bftUrd,  s*écria-t-elle  toute  réjouie,  en  nom  Dieu,  je  te 
commande  que  tantôt  que  tu  sauras  la  venue  dudit  Falstolf,  que  tu  me  le  fasses 
savoir;  car,  s'il  passe  sans  que  je  le  sache,  je  te  promets  que  je  te  ferai  ôter  la 
tête.  »  Déposition  de  J.  d'AuIon;  ap.  Procès,  t.  UI,  p.  212.  Cette  parole,  quoique 
dite  par  forme  de  «  gausserie  »,  atteste  de  quelle  grande  manière  elle  traitait  les 
gens  dn  «  pins  bant  état  ».  Dunois,  brave  cœur  et  bon  esprit,  n'en  fut  pas  moins 
dn  petit  nombre  des  chefs  qui  acceptèrent  loyalement  son  ascendant. 

2.  Saivant  le  témoignage  de  son  chapelain  Pasquerel,  elle  ajouta  qu'  «  il  sorti- 
roit  dn  sang  de  son  corps  au-dessus  de  la  mamelle  »  {auprà  mammam)  (Procéê, 
U  lU,  p.  109),  renouvelant  ainsi  la  prédiction  faite  k  Charles  VII.  La  Chroniq,  de 
ta  fête  du  8  mai  dit  que  les  bourgeois  voulaient  l'attaque,  et  en  avaient  requis 
Jeanne;  Procès,  p.  292. 


168  GUERRES  DES  ANGLAIS.  [U»i 

rivière  et  rejoignit  les  gens  de  guerre  qui  étaient  restés  la  nuil 
à  l'autre  bord.  Les  capitaines  soutinrent  le  mouvement  qu*ils 
n'avaient  pu  empêcher.  Les  positions  anglaises  de  la  rive  gauche 
se  trouvèrent  prises  entre  deux  feux  :  une  troupe  de  bourgeois  et 
de  gens  d'armes,  logés  derrière  les  retranchements  du  pont,  oa- 
vrirent  contre  le  fort  des  Toumelles  une  terrible  canonnade,  tan- 
dis que,  du  côté  opposé,  Jeanne  donnait  le  signal  de  Tattaque  du 
boulevard.  Ce  fut  un  combat  de  géants.  Glansdale  avait  autour 
de  lui  «  la  fleur  des  meilleures  gens  de  guerre  d'Angleterre  », 
dit  Monstrelet  :  les  Anglais,  animés  par  la  force  de  leur  poste,  par 
l'espoir  d'être  secourus  des  troupes  de  la  rive  droite,  par  For- 
gueil  de  leurs  anciennes  victoires  et  la  colère  de  leurs  récentes 
défaites,  se  défendirent  avec  un  courage  opiniâtre  et  une  sombre 
fureur.  Quant  aux  Français,  ils  se  ruaient  à  l'assaut  c  comme  s'ils 
eussent  cru  être  immortels».  (Journal  du  siège.)  A  travers  les 
boulets,  les  flèches,  les  carreaux,  les  pierres,  ils  arrachaieut  les 
palissades,  ils  comblaient  les  fossés,  ils  gravissaient  au  plus  haut 
des  fortifications,  mais  pour  en  retomber  aussitôt ,  renversés  par 
les  haches,  les  piques  et  les  maillets  des  Anglais... 

La  lutte  durait  depuis  trois  grandes  heures  :  Jeanne  s*était  tenue 
jusqu'alors  sur  la  contrescarpe,  exhortant  ses  gens  à  c  avoir  bon 
cœur  et  bon  espoir  en  Dieu  ».  Elle  voit  les  Français  mollir  et  hé- 
siter; elle  SQ  précipite  dans  le  fossé,  saisit  une  échelle,  et  y  monte 
la  ])remière  :  au  même  instant  un  carreau  d'arbalète  la  frappe  au- 
dessus  du  sein,  entre  le  gorgerin  et  la  cuirasse,  et  la  rejette  dans 
le  fossé 

On  emmena  Jeanne  et  on  la  désarma  pour  panser  sa  blessure, 
qui  était  profonde  ;  quand  elle  vit  couler  son  sang,  le  cœur  lui 
faillit,  et  elle  pleura.  Mais  l'émotion  qu'elle  ressentait  provoqua 
bientôt  une  extase  qui  lui  rendit  toute  son  énergie  ;  elle  arracha 
elle-même  le  trait  de  la  plaie.  Cependant  la  nouvelle  de  sa  chute 
avait  répandu  le  découragement  dans  l'armée  :  les  chefs  faisaient 
sonner  la  retraite.  Jeanne  court  à  eux,  les  conjure  d*attendre  en- 
core, se  retire  à  l'écart  et  rentre  en  extase.  Sa  bannière  était  restée 
plantée  devant  le  boulevard  :  «  Regardez,  dit-elle  à  un  gentilhomme 
qui  l'avait  suivie,  quand  la  queue  de  mon  étendard  touchera  contre 
le  boulevard.  »  Un  moment  après,  le  vent  fait  flotter  la  pointe  de 


la  bannière  du  côté  des  Anglais,  c  Jehanne,  elle  y  touche  !  —  Tout 
est  vôtre,  et  y  entrez  !  »  s'écrie4-elle  en  s*élançant  sur  son  cheval 
et  en  galopant  vers  le  boulevard  ^ 

A  son  aspect  un  frissonnement  d'épouvante  parcourut  les  rangs 
des  Anglais  :  les  Français  revinrent  à  la  charge  avec  Timpétuosité 
de  Fouragan  ;  ils  se  sentaient  comme  enlevés  par  une  puissance 
surhumaine  ;  ils  montèrent  «  contremont  »  le  boulevard  aussi  ai- 
sément c[ue  par  les  degrés  d'un  escalier  (Chron.  de  la  Pucelle)  ;  un 
furieux  combat  «  main  à  main  »  recommença  sur  le  parapet 
même.  L'audace  des  compagnons  de  la  Pucelle  sembla  se  com- 
muniquer à  la  troupe  orléanaise  qui  canonnait  les  Toumelles  du 
côté  opposé.  Glansdale  avait  coupé  deux  ou  trois  arches  du  pont 
delà  Loire,  entre  lesTournelles  et  le  boulevard  français  établi  sur 
ce  pont:  les  Orléanais  jettent  une  longue  solive  d'une  pile  à  l'autre, 
passent  ce  pont  fragile  sous  le  feu  de  l'ennemi  et  emportent  les 
défenses  extérieures  des  Tournelles,  au  moment  où  la  Pucelle  et 
ses  gens  pénètrent  dans  le  grand  boulevard.  Les  Anglais,  frappés 
de  vertige,  s'imaginent  voir  dans  les  airs  des  armées  de  fantômes  ; 
les  Français,  saisis  de  l'enthousiasme  extatique  de  la  Pucelle,  s'é- 
crient que  les  patrons  d'Orléans,  saint  Aignan  et  saint  Euverte, 
accourent  sur  des  chevaux  blancs  au  secours  de  leur  cité  ;  d'autres 
croient  voir  planer  sur  le  pont  d'Orléans  le  chef  des  armées  ce- 
lestes,  le  conseil  de  Jeanne,  l'archange  Michel,  et  voler  sur  l'élen- 
dard  de  la  Pucelle  la  Colombe  Blanche,  symbole  de  l'Esprit  saint. 
L'étendard  de  la  Pucelle  flotte  au  haut  du  boulevard,  c  Rends-toi, 
Glacidasf  crie  Jeanne;  rends-toi  au  roi  des  cieux  !  Tai  pitié  de  ton 
Âme  et  de  celle  des  tiens!  »  Toute  résistance  a  cessé.  Glansdale  et 
ses  compagnons  s'enfuient  vers  les  Tournelles,  par  le  pont-levis 
qui  joint  le  boulevard  à  cette  forteresse  :  un  boulet  lancé  par  une 
bombarde  française  brise  le  pont-levis,  et  Glansdale  est  englouti 
dans  le  fossé  inondé  par  la  Loire.  Bientôt  après,  les  deux  divisions 
françaises  se  rejoignent  dans  les  murs  des  Tournelles. 

Presque  tonte  la  garnison  anglaise  fut  tuée  ou  prise;  la  gran- 
deur de  la  perte  ne  devait  pas  ici  se  mesurer  au  nombre;  les 
cinq  ou  six  cents  hommes  de  guerre  que  les  Anglais  perdirent 

I.  Déposition  de  Loois  de  Contes,  ap.  Procèn,  t.  III,  p.  70.  —  Journal  du  siéje; 
ibid.  t.  IV,  p.  16 1. 


170  GUERRES  DES  ANGLAIS.  [1429] 

dans  cette  journée ,  et  ceux  qui  avaient  péri  aux  Augustins  et  à 
Saint-Loup,  étaient  Télite  de  leur  chevalerie.  L'inaction  de  Suffolk 
et  de  Talbot,  ces  braves  et  habiles  capitaines,  durant  les  journées 
des  6  et  7  mai,  ne  peut  s'expliquer  que  par  la  complète  démora- 
lisation de  leurs  soldats.  Us  pouvaient,  ou  faire  une  diversion  en 
attaquant  la  ville,  ou  se  porter  directement  au  secours  de  Glans- 
dale  en  traversant  la  Loire.  Ils  ne  donnèrent  pas  signe  de  vie; 
ils  assistèrent  immobiles  au  massacre  de  leurs  frères  d'armes, 
comme  s'ils  eussent  été  cloués  dans  leurs  bastilles  par  on  pouvoir 
magique*. 

Les  chefs  anglais  de  la  rive  droite  tinrent  conseil,  au  brait  des 
cloches  dont  les  joyeuses  volées  célébraient  la  victoire  de  leurs 
ennemis  :  ils  résolurent  la  levée  du  siège,  tandis  que  la  Pucelle, 
selon  sa  prédiction,  rentrait  dans  Orléans  par  le  pont  des  Tour- 
nclles,  rétabli  en  quelques  heures,  parmi  des  cris  d'allégresse  et 
un  délire  populaire  qu'il  est  plus  facile  de  sentir  que  de  peindre. 
Dix  mille  voix  chantèrent  en  chœur  le  Te  Deum  sous  les  voûtes  et 
sur  les  parvis  de  Sainte-Croix. 

Le  lendemain  dimanche,  8  mai,  au  lever  du  soleil,  toutes  les 
troupes  anglaises  quittèrent  leurs  retranchements  et  se  formèrent 
(m  deux  batailles  :  à  cette  vue,  peuple  et  soldats  sortirent  en  foule 
d'Orléans  pour  les  assaillir.  Jeanne  se  leva  malgré  la  douleur  de 
sa  blessure,  passa  une  légère  cotte  de  mailles  (jcueranj^  et  courut 
arrêter  «  ses  gens  »  :  «  Pour  l'amour  et  honneur  du  saint  di- 
manche, leur  dit-elle,  s'ils  veulent  partir,  laissez-les  aller  et  ne 
les  occiez  point!  Qu'ils  se  départent!  leur  partement  me  suffit.  » 
Elle  fit  dresser  un  autel  et  célébrer  deux  messes  sous  le  ciel,  en 
présence  des  deux  armées  :  comme  la  seconde  messe  finissait, 
Jearme,  toujours  prosternée,  demanda  «  si  les  Anglois  avoient  le 
visage  ou  le  dos  tourné  vers  les  François.  —  Ils  ont  le  dos  tourné: 

1.  Sur  ces  divers  combats,  v.  les  dépositions  de  Danois,  Gaaeoart,  d*AvloB, 
Louis  de  Contes  et  de  divers  bourgeois  d'Orléans,  an  procès  de  révision»  deaiièoie 
enquête ,  dite  d'Orléans  ;  Proc&t,  t.  IH;  —  la  Chronique  de  la  fête  du  8  WÊoi;  — 
ibid.  t.  V,  p.  292-294;  —  le  Journal  du  siège;  —  la  Chronique  de  la  PueeiU; 

—  le  Journal  du  Bourgeois  de  Pari*  ;  —  Jean  Chartier,  Histoire  de  Ckariet  TU; 

—  Lemaire,  Histoire  dfOrtéans;  —  Dubreton,  Histoire  du  siège  d'Oriétuu;'^ 
Jollois.  id.  —  Monstreict  exagère  beancoup  en  parlant  de  six  on  sept  mille  Anglais 
mis  à  mort  dans  les  combats  du  4  au  7  mai  :  il  n'y  en  eut  pas  plusd'nn  millier.  Il 
y  a  des  circonstances  où  quelques  gouttes  de  sang  décident  du  destin  d'un  empire. 


C14293  LEVÉE  DU  SIÈGE  D'ORLÉANS.  171 

ils  s'en  vont.  —  Or,  laissez-les  partir,  et  allons  rendre  grâces  à 
Dieu!^  » 

Les  deux  batailles  anglaises,  conduites  par  Suffolk  et  par  Talbot, 
se  dirigèrent,  Tune  vers  Meung,  l'autre  vers  Jargeau,  abandon- 
nant presque  tous  leurs  malades,  leurs  bagages  et  leur  artillerie. 
Les  bastides  furent  pillées,  saccagées,  rasées;  les  canons  et 
les  bombardes  furent  ramenés  dans  la  ville  par  une  multitude 
ivre  de  joie.  Les  vainqueurs  sentirent  mieux  tout  le  merveilleux 
de  leur  victoire,  lorsqu'ils  examinèrent  à  loisir  les  formidables 
ouvrages  qu'ils  avaient  emportés  d'assaut  ou  qu'on  leur  livrait 
sans  combat  :  ils  avaient  forcé  dans  des  positions  inexpugnables 
ces  Gers  Anglais  babitués  à  dissiper  en  plaine,  avec  une  poignée 
d*hommes,  les  grandes  armées  de  la  monarchie  féodale.  Aussi 
Orléans  n'attribua-t-il  sa  délivrance  qu'à  Jeanne  et  au  Dieu  qui 
l'avait  envoyée  :  une  procession  solennelle  parcourut  la  ville  et  les 
remparts,  avec  des  cantiques  d'allégresse  et  de  reconnaissance. 
Cette  cérémonie,  renouvelée  chaque  année,  le  jour  anniversaire 
de  la  levée  du  grand  siège  (8  mai),  s'est  perpétuée  de  siècle  en 
siècle  jusqu'à  nous  sous  le  nom  de  Fête  de  la  Pucelle^. 

Toute  la  France  attendait  avec  anxiété  l'efiTet  des  promesses  de 
Jeanne  Darc.  Le  bruit  des  grands  événements  qui  s'étaient  passés 
devant  Orléans  se  répandit  avec  une  rapidité  inouïe,  ranima  les 
cœurs  fidèles  à  la  cause  nationale,  ébranla  ceux  qu'avait  égarés 
l'esprit  de  faction  ou  c[ui  s'étaient  résignés  à  la  domination  étran- 
gère. On  se  disait  que  Dieu  s'était  entin  lassé  de  châtier  la  France  ; 
qu'il  envoyait  son  ange  pour  la  tirer  de  l'abîme. 

Tandis  que  les  premières  victoires  de  la  Pucelle  volaient  de 

1.  Dépositions  de  Danois,  de  Simon  Beaucroix;  Procès^  t.  lU,  p.  9,  80.  Suivant 
la  déposition  du  frère  Pasquerel,  Jeanne  avait  annoncé,  le  3  mai,  que  le  siège  serait 
levé  dans  einq  jonrs  {ibid,  p.  106),  ce  qui  est  avoué  par  le  chroniqueur  anglo- 
bourguignon  Jean  de  Wavrin;  ibid.  t.  IV,  p.  410. 

2.  Chroniq.  de  tétablisstmeni  de  la  Fête  du  8  mai;  Procès,  t.  V,  p.  296.  —  La 
Fêle  de  la  Pucelle  a  été  célébrée  avec  plus  d'éclat  que  jamais  cette  année  (1855), 
à  roccasion  de  Térection  de  la  statue  équestre  de  Jeanne  Darc,  par  M.  Foyatier. 

—  Une  fôte  analogue  fut  instituée  dans  la  petite  ville  de  Chàteaudun ,  que  ses 
habitants  et  son  gouverneur,  Florent  d'IUiers,  avaient  vaillamment  conservée  k  la 
cause  nationale  parmi  les  garnisons  ennemies  qui  Tenvironnaient  de  toutes  parts. 

—  Godcfroy,  Histoire  de  Florent  d^IUient,  dans  le  Recueil  des  Historiens  de  Char- 
les  va,  —  I^  ville  de  Bourges  a  longtemps  célébré,  k  rimitation  d'Orléans,  la  Fête 
de  la  Pucelle,  le  premier  dimanche  après  l'Ascensiou.  Procès,  t.  V,  p.  297. 


172  GUERRES  DES  ANGLAIS.  [t4)9j 

bouche  en  bouche,  Jeanne  s'apprêtait  à  en  conquérir  d*autres  et 
à  remplir  l'attente  universelle  :  elle  ne  perdit  point  de  temps  après 
avoir  accompli  le  premier  objet  de  sa  mission.  Dès  le  lendemain 
de  la  levée  du  siège  d'Orléans  (9  mai),  toute  blessée  qu'elle  fût, 
elle  repartit  pour  aller  porter  au  roi  «  les  nouvelles  de  la  noble 
besogne  »  et  le  presser  de  marcher  avec  elle  droit  à  Reims.  Elle 
prit  congé  des  Orléanais,  qui  pleuraient  de  joie  et  de  tendresse 
et  la  «  rcmercioient  très  humblement,  »  et  se  rendit  par  Blois  à 
Loches,  où  élait  Charles  VIL  Un  enthousiasme  inexprimable  Tac- 
cueillit  partout  sur  son  passage  :  les  populations  entières  se  jetaient 
à  genoux  autour  d'elle  ;  ceux  qui  n'étaient  pas  assez  heureux  pour 
pénétrer  jusqu'à  elle  et  pour  baiser  ses  mains  et  ses  vêtements, 
baisaient  la  trace  des  pas  de  son  cheval.  La  simplicité,  l'abnégation 
de  Jeanne  ne  se  démentirent  pas  un  instant  parmi  ces  enivrants 
hommages;  elle  eût  voulu  se  garder  de  ces  adorations;  elle  crai- 
gnait que  Dieu  ne  s'en  ofîensàt,  et,  avec  son  admirable  bon  sens, 
elle  en  sentait  le  péril  pour  elle-même  :  «  En  vérité,  disait-elle,  je 
ne  saurois  me  garder  de  telles  choses,  si  Dieu  ne  me  gardoit  !  *  > 

Jeanne  fut  reçue  «  à  grand  honneur  »  par  le  roi;  mais  ce 
n'étiient  pas  des  honneurs  qu'elle  demandait,  c'étaient  des  sol- 
dats, de  l'argent  et  des  armes;  c'était  que  le  roi  lui-même  montât 
à  cheval  et  la  suivît!  Elle  tenta  en  vain  de  communiquer  à  cette 
nature  à  la  fois  aride  et  molle,  faible  et  fermée,  le  feu  héroïque 
de  son  âme  :  Charles,  depuis  l'instant  fugitif  où  le  Saint-Esprit, 
comme  dit  Alain  Chartier,  s'était  manifesté  à  lui,  n'eut  pas  un  élan, 
pas  un  éclair,  et  Jeanne  retrouva  autour  de  lui  et  en  lui  les  mêmes 
obstacles  le  lendemain  que  la  veille  de  la  victoire  !  Ces  voix  du 
ciel  qui  parlaient  si  haut  à  Jeanne,  il  y  a  des  âmes  qui  ne  savent 
jamais  les  entendre,  lors  même  que  la  parole  éclate  en  merveilles! 

Quand  la  Pucelle  annonça  que  «  il  étoit  temps  que  le  roi  fût 
prêt  de  soi  mettre  en  chemin  de  son  couronnement  à  Reims  », 
Charles  et  tout  son  conseil  se  récrièrent  sur  l'impossibilité  de 
l'entreprise,  c  Les  ennemis  du  roi  ont  trop  grande  puissance!  le 
roi  n'a  mie  assez  de  finances  pour  soudoyer  son  armée  !  —  Par 
mon  martin,  repli qua-t-elle,  je  conduirai  le  gentil  roi  Charles 

I.  Interrogatoire  du  5  mars  1431 ,  Procès^  t.I,  p.  102.—  Dépoititionn  de 
et  de  Bcaucroix;  tbid,  t.  HI,  p.  82,  84. 


£1429]  JEANNE  ET  CHARLES  VU.  173 

jusques  à  Reims  sûrement  el  sans  délourbier,  et  là  le  veirez  cou- 
ronner! »  Un  autre  jour,  elle  vint  frapper  à  la  porte  de  la  «  chanir 
bre  de  retrait  »  (cabinet)  du  roi,  et,  lui  embrassant  les  genoux  : 
«Noble  dauphin,  ne  tenez  point  tant  et  de  si  longs  conseils; 
venez  au  plus  tôt  à  Reims  prendre  votre  digne  couronne  !  Je  ne 
durerai  guère  qu*un  an,  répéta-t-elle  sou  ventes  fois;  il  faut  son- 
ger à  me  bien  employer ^  »  Les  incertitudes,  les  fluctuations  du 
roi  la  désolaient.  «  Quand  elle  étoit  trop  affligée,  elle  se  tiroit  à 
part  el  se  plaignoit  à  Dieu  de  ce  qu*on  ne  la  croyoit  point,  et,  son 
oraison  faite,  elle  entendoit  une  voix  disant  :  Fille  Dé  (fille 
de  Dieu),  va,  va,  va;  je  serai  à  ton  aide  ;  va!  El  lors  elle  étoit  gran- 
dement réconfortée  2.  » 

Jeanne  l'emporta  enfin  à  demi  :  le  roi  promit  de  marcher  sur 
Reims,  mais  quand  on  aurait  reformé  une  armée.  On  avait  laissé 
se  disperser  les  libérateurs  d'Orléans,  faute  d'action  immédiate. 
Jeanne  supplia  le  roi  de  lui  donner,  en  attendant,  quelques  gens 
de  guerre  pour  débarrasser  des  garnisons  anglaises  le  cours  de 
la  Loire.  Trois  semaines  se  passèrent  encore  avant  qu'elle  eût  pu 
obtenir  les  moyens  d'agir.  Le  roi,  cependant,  avait  publié  son 
mandement  de  guerre  et  assigné  le  rendez-vous  général  à  Gien. 
La  noblesse  et  les  gens  d'armes  des  provinces  du  centre  et  de 
l'ouest  se  metlaient  de  toutes  parts  en  mouvement*.  Le  duc  d'Alen- 
çon,  qui  n'avait  pu  prendre  part  aux  premiers  combats  de  Jeanne, 
parce  qu'il  n'avait  point  encore  alors  achevé  de  payer  sa  rançon^, 
reçut  le  commandement  du  corps  qui  allait  agir  sur  la  Loire, 


1.  Déposition  du  duc  d'AIençon;  Procès,  t.  lU,  p.  99;  du  comte  de  Dunois, 
ibid.  p.  10-12;  Chroniq,  de  Perceval  de  Cagni,  ibid,  t.  IV,  p.  11. 

2.  Déposition  du  comte  de  Dunois;  f^i'd.  UI,  12. 

3.  Une  charmante  lettre  d'un  des  jeunes  seigneurs  qui  obéirent  au  ban  de  Char- 
les VII,  le  sire  Gui  de  Laval,  est  parvenue  jusqu'à  nous  :  celte  naïve  et  généreuse 
épltre  (du  8  juin)  exprime  bien  le  mouvement  des  esprits  dans  cette  renaissance 
de  la  France,  et  Timpression  que  produisait  Jeanne  sur  le  peuple  et  sur  la  jeune 
noblesse.  «  C'est  chose  toute  divine  de  son  fait ,  et  de  la  voir  el  de  l'entendre  !  » 
s'écrie  Gui  de  Laval,  a  J'allai  à  son  logis  la  voir  :  elle  fit  venir  le  vin  et  me  dit 
qu'tUe  m* en  ferait  bientôt  boire  à  Paris.  »  (Procès,  t.  V,  p.  105.)  Rien  de  plus 
gracieux  que  le  portrait  que  fait  Gui  de  Laval  de  la  belle  guerrière  sur  son  grand 
cheval  noir,  armée  k  blanc,  télé  nue,  une  petite  hache  h  la  main,  et  parlant  d'une 
claire  et  douce  voix  de  femme. 

4.  Le  droit  des  gens  ne  permettait  pas  à  un  prisonnier  de  reprendre  les  armes 
tant  qu'il  n'était  pas  quitte  envers  son  maître. 


174  GUERRES  DES  ANGLAIS.  [t4«»l 

avec  ordre  exprès  du  roi  de  c  taire  et  user  entièrement  par  le 
conseil  de  la  Pucelle  •  ». 

Jeanne,  Alençon,  le  bâtard  d'Orléans,  se  remirent  en  mouve- 
ment dans  les  premiers  jours  de  juin  :  ils  arrivèrent,  le  10,  à  Or- 
léans à  la  tète  de  douze  cents  lances,  y  rallièrent  des  milices  bour- 
geoises accourues  avec  transport  autour  de  Jeanne,  et  quelques 
autres  troupes,  avec  le  comte  de  Vendôme,  le  maréchal  de  Bous- 
sac,  l'amiral  de  Culant,  Graville,  grand-mattre  des  arbalétriers, 
et  se  portèrent  sur  Jargeau.  Le  gros  des  troupes  anglaises,  après 
la  levée  du  siège  d'Orléans,  s'était  réparti  dans  les  places  des  en- 
virons pour  y  soutenir  une  guerre  défensive.  Le  comte  de  Suffolk 
tenait  en  personne  Jargeau  avec  six  ou  sept  cents  hommes  d'élite. 
On  lui  avait  laissé  tout  un  mois  pour  relever  le  moral  de  ses  soldats. 
A  l'approche  des  Français,  il  fit  une  brusque  sortie  sur  les  assail- 
lants, qui  ne  s'attendaient  pas  à  voir  ainsi  changer  les  rôles  :  il  y 
eut  un  moment  d'hésitation  et  de  désordre;  la  gendarmerie  com- 
mençait à  plier;  mais  la  Pucelle  saisit  son  étendard,  et  lança  son 
coursier  au  plus  fort  de  la  mêlée.  A  cette  vue,  les  Français  re- 
prirent toute  leur  audace;  les  Anglais  furent  refoulés  dans  les 
murs  de  Jargeau  (11  juin).  On  les  y  assiégea  :  dès  le  lendemain, 
l'artillerie  française  foudroya  la  ville.  C'était  Jeanne  qui  avait  indi- 
qué la  position  des  batteries  avec  une  justesse  de  coup  d'œU  ex- 
traordinaire. La  puissance  de  ses  perceptions  extérieures  égalait 
celle  de  ses  intuitions  intérieures  :  elle  sauva  la  vie  au  duc  d'Alen- 
çon  en  l'écartant  brusquement  de  la  ligne  de  tir  d'un  veuglaire 
(sorte  de  couleuvrine)  qui  allait  faire  feu  sur  lui;  le  duc  t  n'éloit 
pas  reculé  de  deux  toises  »  que  le  boulet  emporta  la  tète  d'un 
gentilhomme  à  la  place  que  le  duc  venait  de  quitter^» 


1.  Journal  du  siège  d'Orléans,  Cette  chronique  continae,  après  le  lever  da  siège, 
jusqu'à  la  fin  de  la  campagne. 

2.  Déposition  du  duc  d'Alençon;  Procès,  III,  p.  96.  «  Tous  s'éDoerTeilloient  q«< 
si  hautement  et  sagement  elle  se  comportât  en  fait  de  guerre  comme  si  c'eût  été 
un  capitaine  qui  eût  guerroyé  Tespace  do  vingt  ou  trente  ans»  et  surtout  en  Ter- 
donnance  de  l'artillerie.  »  Id,  ibid,  p.  100.  «  Elle  se  comportoit  de  telle  sorte  qa'H 
n'étoit  possible  à  homme  quelconque  de  mieux  agir  en  fait  de  guerre.  »  Déposi- 
tion du  sire  de  Termes,  ib,  \  19.  u  Quand  elle  doit  en  venir  aux  mains  avec  Tel- 
ncmi,  elle  conduit  l'armée,  choisit  la  position,  forme  Its  lignes  de  bataille,  et  com- 
bat en  brave  soldut  upiës  avoir  ordouné  en  habile  capitaine.  »  Lettre  d*AlainCbt^ 
lier,  ibib,  t.  V,  p.  135. 


[H29]  PR18B  DB  JAR6EAU.  175 

Le  troisièrae  jour  du  siège  (14  juin),  Suffolk  demanda  une  ca- 
pitulation ,  avec  quinze  jours  de  délai  pour  rendre  la  place  s'il 
n'était  pas  secouru  :  ces  conditions  furent  refusées,  et  l'assaut  fut 
donné.  U  fut  aussi  terrible  que  le  combat  des  Tournelles,  et  offnl 
des  incidents  analogues  :  après  quatre  heures  d'une  lutte  déses- 
pérée,  la  résistance  des  Anglais  ne  faiblissant  pas  encore,  Jeanne 
monta  elle-même  sur  ime  échelle,  son  étendard  en  main,c  là  où  la 
défense  étoit  la  plus  âpre  ».  Une  grosse  pierre  vint  frapper  sa  ban- 
nière et  son  casque,  et  la  fit  rouler  au  pied  du  rempart;  mais  elle  se 
releva  aussitôt,  en  criant  :  «  Sus,  sus,  amis  !  Notre  Sire  a  condamné 
les  Anglois  ;  à  cette  heure  ils  sont  tous  nôtres  !  »  Les  Français,  élec- 
trisés  par  la  voix  et  par  les  gestes  de  la  Pucelle,  s'élancèrent  de 
toutes  parts  avec  une  furie  qui  renversa  tous  les  obstacles  :  la  ville 
et  son  pont  fortifié  furent  t  gagnés  »  de  vive  force,  et  presque  tous 
les  Anglais  furent  passés  par  les  armes.  Le  comte  de  Suffolk  rendit 
son  épée  à  un  écuyer  d'Auvergne;  son  frère  John  Pôle  fut  pris, 
et  un  autre  de  ses  frères  fut  tué  à  ses  côtés.  Les  «  gens  du  com- 
mun «  (des  communes)  massacraient  entre  les  mains  des  gentils- 
hommes tous  les  prisonniers  anglais  que  ceux-ci  avaient  pris  à 
rançon,  et  l'on  eut  grand'peine  à  sauver  le  général  ennemi.  Les 
bourgeois  et  les  vilains  ne  voulaient  pas  que  les  Anglais  vaincus 
pussent  acheter  à  prix  d'argent  la  liberté  de  recommencer  à  dé- 
soler la  France. 

La  Pucelle  et  ses  compagnons  rentrèrent  en  triomphe  à  Orléans 
la  nuit  suivante;  ils  marchèrent  dès  le  lendemain  sur  Meung  par 
la  rive  gauche  de  la  Loire.  Le  pont  de  Meung,  défendu  par  le  ca- 
pitaine Scales,  fut  pris  d'assaut  (15  juin);  l'armée  passa  la  Loire 
sans  attaquer  le  château  de  Meung,  et  se  dirigea  contre  Beau- 
genci.  Talbot,  qui  commandait  dans  cette  place,  venait  de  la  quit- 
ter pour  joindre  Falstolf,  qui  ramenait  un  convoi  de  Paris.  Le 
lieutenant  de  Talbot  évacua  la  ville  de  Beaugenci  et  se  retira  dans 
le  château,  qui  fut  assiégé  sur-le-champ.  A  peine  le  siège  était-il 
assis  qu'un  incident  qui  pouvait  avoir  de  dangereuses  consé- 
quences jeta  l'armée  dans  une  vive  agitation  :  l'on  apprit  que  le 
connétable  arrivait  au  camp  malgré  les  ordres  du  roi.  Richemont, 
qui  s'était  cru  l'homme  indispensable,  le  sauveur  prédestiné  de 
l'État,  avait  vu  toutes  ses  espérances  déjouées  par  les  événements: 


170  GUERRBS  DBS  ANGLAIS.  (14»] 

riinminence  du  péril  ne  l'ayait  pas  fait  rappeler  à  la  cour,  el 
maintenant  le  péril  était  écarté,  et  la  fortune  de  la  France r^ 
levée  par  d'autres  mains  que  les  siennes.  Il  ne  put  rester  les  bras 
croisés  devant  un  tel  spectacle  ;  il  résolut  de  reprendre  sa  place  à 
tout  prix  dans  les  armées  françaises  :  il  manda  ses  amis  et  alliés 
de  Bretagne,  d'Anjou  et  de  Poitou,  et  marcha  vers  la  Loire  avec 
quatre  cents  lances  et  huit  cents  archers.  Le  roi  lui  fit  signifier 
c  qu'il  s'en  retournât  à  sa  maison  et  qu*il  ne  fût  tant  hardi  de 
passer  en  avant,  et  que,  s'il  passoit  outre,  le  roi  le  combattroîL 
—  Ce  que  j'en  fais,  répliqua  Richemont,  est  pour  le  hien  da 
royaume  et  du  roi,  et  je  verrai  qui  me  voudra  combattre*  ». 

Il  continua  sa  route  à  travers  la  Touraine,  et  arriva  aux  portes 
d'Amboise,  sans  que  le  roi,  ou  plutôt  la  Trémoille,  essayai  d'ac- 
complir sa  menace.  Le  gouverneur  d'Amboise  livra  passage  an 
connétable,  qui  franchit  la  Loire  et  qui  envoya  deux  de  ses  gen- 
tilshommes <i  demander  logis  à  ceux  du  siège  »  devant  Beau- 
genci.  La  Chronique  de  la  Pucelle  dit  qu'il  fit  c  supplier»  Jeanne 
«  en  toute  humilité  x>  de  le  recevoir  au  service  de  la  couronne, 
malgré  les  «  sinistres  rapports  »  pour  lesquels  le  roi  l'avait  pris 
en  haine.  Le  message  de  Richemont  excita  de  grands  débals 
parmi  les  chefs.  La  Pucelle  et  le  duc  d'Alençon,  qui  ne  connais- 
saient pas  le  connétable,  et  qui  avaient  reçu  du  roi  défense  for- 
melle de  coînmuniquer  avec  lui,  voulaient  exécuter  leurs  instruc- 
tions et  repousser  la  jonction  avec  Richemont;  mais  les  capitaines 
qui  avaient  servi  sous  le  connétable  se  prononcèrent  énergique- 
mcnt  en  sa  faveur.  On  parvint  enfin  à  convaincre  Jeanne  que 
Richemont  était  bon  Français,  et  qu'il  fallait  le  recevoir  en  dépit 
des  courtisans;  tous  les  seigneurs  et  capitaines  se  rendirent  cau- 
tions de  sa  loyauté.  Le  duc  d'Alençon  menaçait  de  quitter  ramiée: 
Jeanne  le  décida  à  rester.  Le  connétable  arriva  le  17  juin  :  h 
Pucelle,  du  moins  au  rapport  du  biographe  de  Richemont,  Guil- 
laume Gruel,  salua  Richeyiont  comme  on  saluait  les  princes,  en 
lui  embrassant  les  genoux.  «  Jeanne,  dit  le  connétable,  on  m'a 
dit  que  vous  me  vouliez  combattre;  je  ne  sais  si  vous  êtes  de  par 
Dieu  ou  non;  si  vous  êtes  de  par  Dieu,  je  ne  vous  crains  en  rien, 

1.  tiuill.  Gruel,  Hiti.  de  RichemonL 


[142113  JEANNE  ET  RlCHEMONT.  177 

car  Dieu  sait  bien  mon  vouloir;  si  vous  êtes  de  par  le  diable,  je 
vous  crains  encore  moins.  »  Richemont,  un  des  hommes  les  plus 
superstitieux  dç  ce  temps^  ne  doutait  aucunement  du  pouvoir 
surnaturel  de  Jeanne  ;  mais  il  doutait  de  la  nature  et  de  l'origine 
de  ce  pouvoir  :  ses  doutes  furent  bientôt  dissipés  quand  il  eut  vu 
de  près  la  Pucelle. 

Le  château  de  Beaugenci  capitula  dans  la  nuit  qui  suivit  la  venue 
du  connétable,  et  la  garnison  sortit  le  lendemain  matin  avec  har- 
nais et  chevaux.  Peu  d'instants  après,  on  reçut  l'avis  qu'un  corps 
d'armée  anglais  avait  attaqué  le  pont  de  Meung  pendaut  la  nuit  : 
c'étaient  Talbot,  Falstolf  et  Scales,  qui,  à  la  tète  de  cinq  ou  six 
mille  combattants,  restes  de  l'armée  anglaise  «de  la  Loire  récem- 
ment renforcés,  tentaient  trop  tard  une  diversion  pour  sauver 
Beaugenci.  La  joie  éclata  sur  le  visage  de  Jeanne,  quand  elle  sut 
les  Anglais  si  près.  «  Ah  !  beau  connétable,  s'écria-t-elle,  vous 
n'êtes  pas  venu  de  par  moi;  mais,  puisque  vous  voilà,  vous  serez 
ie  bienvenu.  »  On  marcha  rapidement  sur  Meung;  mais  les  An- 
glais, sachant  Beaugenci  rendu,  s'étaient  déjà  retirés,  emmenant 
la  garnison  qu'ils  avaient  dans  le  château  de  Meung.  Plusieurs 
des  capitaines  français  laissèrent  voir  de  l'hésitation  lorsqu'on  pro- 
posa de  poursuivre  l'ennemi  et  de  le  forcer  à  recevoir  la  bataille. 
Par  une  singulièrecontradiction,  ces  mômes  hommes,  qui  avaient 
forcé  les  Anglais  dans  des  positions  formidables,  hésitaient  à  les 
attaquer  en  plaine  avec  l'avantage  du  nombre.  L'idée  de  la  supé- 
riorité des  Anglais  en  bataille  rangée  avait  été  enracinée  par  tant 
de  victoires  !  Beaucoup  des  «  gens  du  roi  » ,  au  rapport  du  duc 
d'Alençon,  avaient  peur,  et  disaient  qu'il  ferait  bon  d'avoir  des 
chevaux.  «  Combattrons-nous,  Jeanne?  demanda  le  duc  d'Alen- 
çon. — Avez- vous  de  bons  épeions?  répliqua-t-elle.  — Quoi  !  pour 
fuirî— Non,  pour  poursuivre.  Ce  seront  les  Anglais  qui  fuiront,  et 
[      grand  besoin  aurez-vous  d'éperons  pour  courir  après.  En  nom 
f      Dieu,  chevauchez  hardiment  contre  eux  ;  quand  ils  seroient  pen- 

^  1.  La  crainte  et  l'horreur  que  lui  inspiraient  les  sorciers  étaient  poussées  jus- 

f  qu'il  la  monomanie  :  il  poursuivait  partout,  avec  un  acharnement  incroyable,  les 
charlatans  et  les  TÎsionnaires  qui  passaient  pour  r.'adonner  à  la  magie,  et  il  fit 
krtler  un  grand  nombre  de  ces  malheureux  en  France  et  en  Bretagne;  ce  que  «on 
biographe,  Guillaume  Gruel,  présente  comme  un  de  ses  plus  beaux  titres  de 
gloire. 


T^ 


178  GUERRES  DES  ANGLAIS.  (U»] 

dus  aux  nues,  nous  les  aurons.  Nous  les  aurons  quasi  sans  perte 
de  nos  gens.  Mon  conseil  m'a  dit  qu'ils  sont  tous  nôtres  ^  > 

On  ne  perdit  pas  de  temps  :  on  mit  à  Tavant-garde  les  hommes 
d'armes  et  les  archers  les  mieux  montés ,  quatorze  ou  quinze 
cents  chevaux,  sous  La  Hire,  Saintrailles  et  autres,  et  on  leur 
recommanda  d'empêcher,  sur  toutes  choses,  que  les  Anglais  ne 
s'étiiblissent  en  c  lieu  fort  »  et  ne  se  formassent  en  bataille  à  l'a- 
bri de  leurs  palissades  mobiles.  Le  connétable,  le  duc  d'AlençoB 
et  le  bâtard  d'Orléans  retinrent  avec  eux  la  Pucelle,  à  son  grand 
regret,  et  suivirent  l'avant-garde  du  plus  près  qu'ils  purent  aiec 
«  la  grosse  bataille  »,  forte  de  six  à  sept  mille  hommes.  On  che- 
vaucha ainsi  pendant  cinq  lieues  sans  rien  voir,  et  Ton  commen- 
çait à  craindre  d'avoir  perdu  la  trace  des  Anglais,  quand  les  édai* 
reurs  de  l'avant-garde  firent  lever  un  cerf  qui  s'enfuit  à  traders 
les  taillis.  Un  instant  après,  de  grandes  huées,  poussées  par  pliH 
sieurs  milliers  de  voix,  retentirent  à  quelque  distance  :  le  ccif 
s'était  jeté  au  milieu  de  l'armée  anglaise.  L'avant-garde  française 
précipita  sa  course. 

Les  capitaines  anglais,  en  ce  moment  même-,  débattaient  h 
question  de  savoir  s'ils  recevraient  ou  non  le  combat.  Falstdf, 
remontrant  «  comme  lem's  gens  étoient  ébaliis  et  effrayés  »,  caor 
seillait  de  les  retirer  dans  les  places  fortes  des  environs,  c  jusqu'à 
ce  qu'ils  fussent  mieux  rassurés  »  et  qu'on  eût  reçu  les  renforts 
attendus  d'outre-mer.  L'orgueil  anglais  se  souleva  chez  la  plupait 
des  chefs  contre  ce  conseil  de  prudence.  Le  fier  Talbot  ne  put  se 
résoudre  à  tourner  le  dos  une  seconde  fois  devant  les  Français, 
et  déclara  que  «  si  les  ennemis  venoient  il  les  combattroit  ».  La 
discussion  durait  encore  quand  on  aperçut  la  tête  de  colonne  de 
la  cavalerie  française  qui  arrivait  au  grand  trot.  Il  n'y  avait  plus 
qu'à  se  défendre  :  les  soldats  anglais  se  mettaient  en  devoir  de 
descendre  de  cheval  et  de  s'adosser  à  une  longue  haie,  lorsque 
plusieurs  des  capitaines  crièrent  que  ce  poste  ne  valait  rien,  et 
qu'il  fallait  reculer  d*un  demi-quart  de  lieue  et  s'établûr  entre 
un  bois  et  l'église  fortifiée  du  village  de  Patai  :  ce  mouvement  (W 
exécuté.  Une  telle  manœuvre»  en  présence  d'ennemis  aussi  aoda- 

1.  Déposition  de  Ounois,  Procès,  t.  m,  p.  11  ;  du  duc  d'Alençon,  ib.  p.  M;  éi 
sire  de  Termes,  p.  120. 


(1429]  BATAILLE  DE  PATAL  179 

cieux  et  aussi  intelligents  que  La  Hire  et  Saintrailles,  était  d'une 
imprudence  inouïe  :  avant  que  tous  les  Anglais  eussent  mis  pied 
à  terre  ^  et  eussent  planté  devant  eux  les  pieux  aiguisés  dont  ils 
se  €  remparoient  »,  quinze  cents  cavaliers  tombèrent  sur  eux 
comme  la  foudre. 

Le  sort  de  la  journée  fut  décidé  en  un  instant  :  le  vainqueur 
de  Rouvrai ,  Falstolf ,  et  tous  ceux  des  Anglais  qui  étaient  encore 
i  cheval  tournèrent  le  dos  sans  coup  férir  et  a  s'enfuirent  à  pleine 
course  pour  sauver  leurs  vies  ».  Les  autres,  enfoncés  et  rompus  du 
premier  choc,  se  jetèrent  dans  le  bois  et  dans  le  village,  et  essayè- 
rent de  s*y  rallier  :  ils  furent  poursuivis  et  forcés  par  le  corps  de 
bataille  des  Français,  qui  n'avait  pas  tardé  à  suivre  Tavant-garde. 
TaJbotse  rendit  aux  gens  de  Saintrailles;  tous  les  autres  capitaines 
anglais,  tous  les  riches  Godom  (Goddem,  sobriquet  des  Anglais), 
desquels  on  pouvait  espérer  de  bonnes  rançons,  furent  faits  pri- 
sonniers; on  Ht  main-basse  sur  les  gens  de  «  petit  et  de  moyen 
état  »,  sur  ces  hommes  d'armes  et  archers  <i  qu'ils  ont  coutume 
d'amener  de  leur  pays  mourir  en  France  »,  dit  Monstrelet.  Il  en 
resta  bien  trois  mille  morts  sur  la  place  2.  Les  Français,  suivant 
la  prédiction  de  Jeanne,  n'avaient  perdu  presque  personne.  Telle 
ftit  la  fin  de  cette  belle  armée  qui  s'était  crue  destinée  à  achever  la 
conquête  de  la  France  :  les  champs  de  l'Orléanais  l'avaient  dé- 
corée tout  entière  (18  juin). 

«  Eh  bien  !  sire  de  Talbot,  dit  le  duc  d'Alençon  au  général 
ndncu,  vous  ne  vous  attendiez  pas  ce  matin  qu'il  vous  en  advien- 
droit  ainsi. — C'est  la  fortune  de  la  guerre,  répondit  Talbot  avec 
rimpassibilité  anglaise.  »  On  lui  montra,  ainsi  qu'à  Suffolk,  la 
prophétie  de  Merlin  sur  la  vierge  du  Bois-Chesnu.  (Déposition  de 

1.  U  semblerait,  d'après  Monslrelet,  que  tous  les  archers  des  deux  armées  fus« 
wat  à  cheval  comme  les  gens  d'armes. 

2.  U  ne  tint  pas  k  Jeanne  qu'on  ne  traitât  les  vaincus  avec  moins  de  rigueur  : 
tOe  montra  nne  humanité  touchante  après  la  victoire.  Un  soldat  ayant  abattu  san- 
ibatà  ses  pieds  un  de  ces  malheureux,  qui  avait  rendu  les  armes  et  qui  deman- 
dait merci,  elle  sauta  k  bas  de  son  cheval  tout  indignée,  souleva  le  mourant  dans 
ittbras,  lui  fit  amener  un  confesseur,  le  consola  et  l'aida  k  mourir.  Déposition 
^  Louis  de  Contes,  Procès,  t.  III,  p.  72.  Sur  la  bataille,  voyez  les  dépositions  du 
<}&e  d'Alençon ,  de  Dunois ,  la  Chronique  de  Perceval  de  Cagni ,  celle  de  Jean  de 
^'mln  {Procès,  t.  III,  p.  U,  98;  IV,  p.  15,  412-424),  tous  témoins  et  acteurs,  ei 
^OBstreltt,  Jean  Chartier,  la  Chronique  de  la  PuctUe. 


180  GUERRES  DES  ANGLAIS.  ii«b: 

DunoisOTalbot  ne  resta  pas  longtemps  captif  :  ce  cbef  an$rlab 
était  un  homme  d'un  mérite  éminent  et  d'un  noble  caractère,  rt 
SCS  ennemis  lui  portaient  une  haute  estime.  Saintrailles,  qui  l'avait 
pris,  eut  la  générosité  de  le  renvoyer  sans  rançon  ;  Talbot  recomtQt 
plus  tard  le  bienfait  de  Saintrailles  par  un  service  semblable. 

L'efl'et  de  cette  canjpagne  de  huit  jours  fut  prodigieux  :  peuple 
et  soldats  ne  connurent  plus  que  Jeanne.  La  sublime  enfant  ne 
changeait  pas  seulement  la  fortune;  comme  Jésus  lui-même,  elle 
changeait  les  âmes.  Le  soldat  oubliait  son  avidité  et  ses  passions 
brutales  ;  il  venait  sans  «  folle  femme  »,  sans  pillage,  sans  marcU 
pour  sa  solde,  vivant  de  ce  qu'on  lui  donnait,  content  de  toot, 
pourvu  qu'il  suivît  la  Pucelle.  Le  gentilhomme  mettait  bas  sot 
orgueil.  Trop  pauvre  pour  avoir  destrier  et  armure,  il  wnrnà 
sur  un  petit  roussin ,  équipé  en  archer  ou  en  coutillier.  Ce 
n'était  qu'un  cri  dans  le  peuple  et  dans  l'armée  :  c  A  Reims!  i 
Reims  !  '  » 

Il  n'y  avait  qu'un  lieu,  dans  le  parti  de  la  France,  où  le  cri 
public  n'eût  point  d'écho  :  c'était  le  cabinet  du  roi.  Là,  Jeanne 
s'était  heurtée  d'abord  contre  l'incrédulité;  maintenant  c'était 
contre  la  peur  des  trop  grands  services.  Le  roi  ressentait  ooe 
sourde  jalousie  contre  cet  ascendant  impétueux  qui  entraînait 
tout  :  un  dévouement  si  éclatant  l'offusquait;  il  sentait  qu'il  n'a- 
vait lien  h  rendre  à  qui  lui  donnait  tant.  Jeanne,  aussitôt  après  la 
batiiille,  avait  couru  chercher  le  roi  à  Sulli-sur-Loîre,  château  de 
La  Trénjoille,  pour  l'amener  ù  Orléans  et  le  réconcilier  avec  le 
connétable;  elle  échoua  dans  l'un  et  l'autre  de  ces  desseins.  Les 
Orléanais,  qui  avaient  déjà  tendu  leurs  rues  et  paré  leur  ville, 
ne  reçurent  point  lu  visite  de  l'ingiat  monarque  :  LaTrémoiDe 
ne  lui  permit  pas  de  se  rendre»  h  leurs  vœux  :  le  favori  écartait 
du  roi  tout  spectacle  qui  eût  pu  ressusciter  au  fond  de  son  Ane 
quelque  émotion  virile  et  généreuse.  Les  instances  de  Jeanne, 
secondées  par  le  duc  d'Alençon  et  par  tous  les  capitaines,  n'eu- 
rent pas  plus  de  succès  en  ce  qui  concernait  Richemont.  Le  con- 
nétable ,  au  dire  de  son  biographe,  avait  été  jusqu'à  prier  U 
Trémoille  «  qu'il  lui  plût  le  laisser  servir  le  roi,  et  qu'il  ferwt 

1.  Chionit/,  de  l'erccval  de  Cagni;  —  Chroniq»  de  la  Pucelle;  ap.  Procès, Ul^» 
p.  18.  2'i9. 


CI4Î91  JEANNE  ET  LA  TRÉMOILLE.  181 

tout  ce  qu'il  lui  plairoit,  fûi-ce  jusqu'à  le  baiser  aux  genoux  ».  Il 
s*humilia  en  vain  :  on  lui  réitéra  Tordre  de  «  retourner  en  sa 
maison  •.  Charles  déclara  qu'il  aimerait  mieux  n'être  jamais 
couronné  que  de  voir  Richemont  à  son  sacre.  Le  connétable  se 
retira  donc  avec  cette  belle  troupe  de  gens  de  guerre  qui  avaient 
^  bien  servi  la  cause  nationale  à  Patai  et  qui  n'eussent  pas  rendu 
de  moindres  services  dans  les  plaines  de  la  Champagne  ou  (jie 
nie-de-France.  Richemont,  malgré  tant  d'outrages,  n'abandoima 
point  le  parti  de  la  France,  et  se  vengea  noblement  en  faisant  la 
guerre  aux  Anglais  dans  l'ouest,  pour  son  propre  compte.  Xjii  des 
Bourbons,  le  comte  de  La  Marche,  ennemi  de  la  Trémoille,  fut 
roavoyé  comme  le  connétable  :  le  favori  eût  volontiers  traité  de 
même  tous  ces  gens  de  guerre  qui  arrivaient  de  jour  en  jour  au 
camp,  servant  à  leurs  dépens,  et  ne  reconnaissant  d'autre  nom 
et  d'autres  ordres  que  ceux  de  la  Pucelle^ 

Le  roi,  cependant,  s'était  transporté  à  Gien,  rendez-vous  géné- 
ral assigné  à  l'armée.  Mais,  lorsque  tous  les  chefs  y  furent  réunis, 
le  24  juin,  le  conseil  du  roi  remit  tout  en  question.  «  Il  y  a,  di- 
sait-on, entre  Gien  et  Reims,  trop  de  cités,  trop  de  châteaux,  trop 
de  places  fortes  bien  garnies  d'Anglois  et  Bourguignons!  Mieux 
vaut  assiéger  premièrement  Cosne  et  La  Charité,  parachever  de 

nettoyer  le  fleuve  de  Loire »  D'autres  princes  du  sang  et 

capitaines  voulaient  qu'on  allât  en  Normandie,  c'est-à-dire  par- 
tout ailleurs  qu'à  Reims.  Jeanne,  «  par  dépit,  se  délogea  et  alla 
loger  aux  champs  »  (27  juin)  2. 

Elle  ne  doutait  pourtant  pas  qu'oîi  ne  linîl  par  la  suivre  ;  l'avant- 
veille  (25  juin),  elle  avait  mandé  à  la  vaillante  et  tidèle  cité  de 
Tournai  les  triomphes  des  Français  sur  la  Loire  et  l'avait  invitée 
à  envoyer  des  députés  au  sacre  du  roi  àReims^,  puis,  le  26,  elle 
avait  fait  partir  pour  la  Flandre  un  héraut  porteur  d'une  Icllre  oîi 
die  conjurait  le  duc  de  Bourgogne  de  rompre  avec  les  ennemis  do 
sa  patrie  et  de  venir  au  sacre. 

1.  i,  Chartier,  ap.  Procès  y  1.  IV,  p.  70-71. 

2.  Perccval  de  Cagni;  Procès,  t.  IV,  p.  17-18.  —  Chroniq,  de  la  P«ce//c,,  ib. 
p.  246.  ~  Déposition  de  Duuois,  ib,  t.  III,  p.  12. 

3.  «  Gentils  loyaux  François  de  la  ville  de  Tournai,  la  Pucelle  vous  fuit  suvoir 
des  nouvelles  de  par  deçà,  etc.  »  Procès,  t.  V,  p.  \?.b.  Elle  envoya  des  le'ires 
semblables  à  plusieurs  bouues  villes.  Les  TuuruuisiciiH  (iéléictcui  à  i'iuviiuiion. 


182  GUERRES  DES  ANGLAIS.  ruïf] 

Le  cri  de  l'armée  était  trop  fort.  Elle  se  fût  débandée  plutôt  que 
de  se  laisser  conduire  à  une  autre  entreprise.  II  fallut  céder.  Le 
roi  se  mit  en  route,  le  29  juin,  à  la  tète  de  douze  mille  combattants, 
presque  tous  à  cheval.  On  ne  distribua  aux  gens  d*armes  que 
trois  francs  d'or  par  tôte  pour  leur  entrée  en  campagne  ;  rien  ne 
rebuta  les  soldats.  L'armée  prit  la  route  d'Auxerre.  Quatre  roob 
à  peine  s'étaient  écoulés  depuis  que  Jeanne  était  entrée,  humble 
et  ignorée,  dans  cette  même  ville  de  Gien,  et  avait  vu  pour  la 
première  fois  cette  belle  Loire  dont  elle  devait  immortaliser  les 
rivages  :  en  quatre  mois,  la  bergère  de  Domremi  avait  changé  h 
face  d'un  empire  ! 

Il  ne  fallait  pas  moins  que  les  prodiges  accomplis  pour  répondre 
des  prodiges  à  accomplir.  L'expédition  de  Reims  était,  de  vrai, 
un  «  hardi  voyage  »  :  plus  de  soixante  lieues  de  pays  occupé  par 
l'ennemi,  et  plusieurs  «grosses  villes 9,  dont  chacune  pouvait 
arrêter  le  roi  durant  toute  la  saison,  si  elle  voulait  se  défendre, 
séparaient  le  point  de  départ  du  but,  et  l'on  se  lançait  à  Taventure, 
sans  argent,  sans  provisions,  sans  artillerie  de  siège.  L*audace 
même  de  l'entreprise  était  ce  qui  enivrait  le  soldat.  L*armée  se 
présenta  d'abord  devant  Auxerre,  cité  dévouée  au  duc  de  Bour- 
gogne, à  qui  le  régent  anglais  l'avait  engagée  :  les  bourgeois 
d'Auxerre  agirent  avec  prudence  et  «  cautelle  1  ;  ils  offrirent  et 
vendre  des  vivres  à  l'armée  et  prièrent  le  roi  de  passer  outre  et 
de  leur  accorder  provisoirement  «  abstinence  de  guerre  >,  s'en- 
gageant  à  lui  «  faire  telle  obéissance  que  feroient  les  villes  de 
Troies,  Châlons  et  Reims  ».  Leurs  députés  donnèrent  sous  main 
deux  mille  écus  d'or  à  La  Trémoille.  Le  roi  octroya  la  requête,  an 
grand  mécontentement  de  la  Pucelle  et  des  capitaines,  qui  eussent 
voulu  soumission  entière  ou  l'assaut.  On  s'éloigna  d'Auxerre;  on 
entra  sans  résistance  à  Saint-Florentin,  d'où  Ton  marcha  sur 
Troies.  Dès  qu'on  eut  mis  le  pied  en  Champagne,  Tattitude  des 
populations  justifia  les  promesses  de  Jeanne  et  les  espérances  de 
l'armée  :  non-seulement  les  Français  étaient  salués  sur  leur  pas- 
sage comme  des  libérateurs,  mais  l'élite  de  la  noblesse  et  do 
peuple  accourait  grossir  leurs  escadrons. 

Il  n'en  fut  pourtant  pas  de  môme  à  Troies  :  dans  cette  capitnie 
de  la  Champagne,  la  population  était  divisée  :  le  c  commun  peu- 


[1419]  MARCHE  SDR  REIMS.  183 

pie  »  et  le  clergé  inclinaient  à  «  se  tourner  François  »  ;  mais  les 
gentilshommes  d'alentour  et  les  notables  bourgeois  croyaient  avoir 
à  redouter  la  vengeance  de  Charles  VII  :  leur  ville  avait  donné 
son  nom  au  trop  fameux  traité  d'exhérédation  et  y  avait  souscrit 
la  première;  ils  étaient  d'ailleurs  encouragés  à  la  résistance  par 
une  petite  garnison  de  cinq  à  six  cents  Anglais  et  Bourguignons. 
Le  clergé  ne  savait  trop  que  penser  de  la  Pucelle.  Le  fameux  cor- 
delier  frère  Richard,  qui  avait  récemment  prêché  avec  tant  d'éclat 
à  Paris,  était  alors  à  Troies.  L'évéque  et  le  doyen  de  la  cathédrale 
l'envoyèrent  au-devant  de  Jeanne  pour  voir  si  c'était  bien  «  chose 
de  par  Dieu  ».  Il  la  joignit  comme  l'armée  arrivait  devant  Troies  ; 
à  son  aspect,  il  se  mit  à  faire  des  signes  de  croix  et  à  jeter  de 
Veau  bénite.  «  Approchez  hardiment,  dit-elle  en  souriant  :  Je  ne 
m'envolerai  pas^  ».  Frère  Richard,  convaincu  par  celte  épreuve, 
rentra  en  ville  avec  le  héraut  porteur  de  la  sommation  du  roi  et 
de  celle  de  Jeanne,  et  commença  de  travailler  en  faveur  des  Fran- 
çais; mais  les  magistrats  municipaux  le  firent  arrêter,  et  jetèrent 
au  feu  la  lettre  de  la  Pucelle *.  Durant  cinq  jours,  l'armée  resta 
campée  au  pied  des  murs  de  Troies,  sans  que  la  ville  parût  dis- 
posée à  ouvrir  ses  portes  :  le  conseil  du  roi  et  les  chefs  de  guerre 
étaient  fort  en  alarme.  L'abondance  régnait  dans  la  ville  ;  la  di- 
sette, dans  le  camp  :  les  vivres  étaient  si  rares  et  si  chers  que  les 
soldats  se  voyaient  réduits  à  égrainer  les  épis  de  blé  sur  leurs  tiges. 
On  fut  fort  heureux  de  trouver  aux  portes  de  Troies  de  grands 
champs  de  fèves.  Le  conseil  s'assembla  sans  que  la  Pucelle  fût 
appelée,  et  mit  en  délibération  si  l'on  ne  retournerait  pas  vers  la 
Loire.  La  Trémoille  y  poussa  de  tout  son  pouvoir,  secondé  par  le 
chancelier.  On  eût  dit  que  l'archevêque  de  Reims  aimait  mieux 


1.  Procéit  1. 1,  p.  99-100;  interrogatoire  du  3  mars  1431. 

2.  On  a  retrouvé  cependant  une  copie  de  la  sommation  de  la  Pucelle  «  aux  sei- 
gneurs, bourgeois  et  habitants  de  Troies  »,  en  daie  du  4  juillet. 

«  Jehanne  la  Pucelle  tous  mande  et  fait  savoir,  de  par  le  roi  du  ciel,  son  droi- 
tnrieret  souverain  seigneur,  duquel  elle  est  chacun  jour  en  son  service  royal,  que 
TOUS  fassiez  obéissance  an  gentil  roi  de  France  qui  srra  bien  bribf  (bientôt)  a 
EBiMs  BT  A  PABI8,  qui  que  vienne  contre  «  et  en  ses  bonnes  villes  du  saint 
royaume,  à  l'aide  du  roi  Jhésus,  etc.  ».  Prncên,  t.  IV,  p.  287,  et  Archive*  législa- 
tiven  de  la  ville  de  ReitM,  publiées  par  M.  Varin,  2«  partie,  Statuts,  1. 1.  Celte  pièce 
est  extraite  de  la  très  intéressante  relation  de  Jean  Rogier,  écrite  d'après  les  chartes 
et  titres  de  Thôtel  de  ville  de  Reims. 


184  GUERRES  DES  ANGLAIS.  IMS] 

ne  pas  recouvrer  sa  cite  archiépiscopale  que  d'en  devoir  la  recou- 
vrance  à  Jeanne  :  il  était  de  ceux  qui  ont  «  des  yeux  pour  ne  point 
voir  »  et  devant  lesquels  s'accomplissent  en  vain  les  miracles  des 
forces  morales.  Il  assurait  au  roi  que  ce  serait  folie  de  s'opiniàtrer 
davantage  devant  Troies,  ou  d'essayer  de  prendre  d*assaut  cette 
grande  et  forte  cité. 

Le  chancelier  dctnanda  successivement  les  opinions  des  assis- 
tants, en  commençant,  suivant  une  bonne  et  louable  coutume 
depuis  longtemps  en  usage  dans  le  conseil,  par  les  i)ersonnages 
les  plus  jeunes  et  les  moins  considérables.  La  plupart  opinèrent 
pour  le  retour  à  Gicn;  d'autres  pour  qu'on  alldt  droit  à  Reims 
en  laissant  Troies;  mais  le  vieux  Robert  Le  Maçon,  sire  de  Trêves 
sur  Loire,  qui  avait  été  chancelier  du  temps  des  Armagnacs, 
et  qui  était  parvenu  à  éviter  de  partager  l'exil  de  ses  amis  Tan- 
negui  et  Louvet,  demanda  qu'on  ne  décidât  rien  avant  d'avoir 
entendu  la  Pucelle.  Les  signes  d'en  haut  qui  laissaient  insensible 
l'àmc  aride  du  chef  de  l'Église  et  de  la  Justice  avaient  touché  et» 
vieux  factieux,  qui  avait  gardé  un  cœur  d'honnne.  Tandis  qu'on 
discutait  encore,  on  entendit  frapper  rudement  à  la  porte  :  c'étiil 
Jeatme,  qui  arrivait  sans  avoir  été  prévenue.  On  l'introduisit,  et 
le  chancelier  la  requit  de  donner  son  avis.  «  Serai-je  crue  de  a* 
que  je  dirai?  demanda-t-elle,  en  se  tournant  vei-s  le  roi.  —  Je  ne 
sais,  répondit-il  :  si  vous  dites  chose  raisonnable  et  profitiible,  je 
vous  croirai  volontieis.  —  Serai-je  crue?  reprit-elle  avec  force.— 
Oui,  selon  ce  que  vous  direz.  —  Noble  dauphin,  ordonnez  à  votre 
gent  d'assiéger  la  ville,  et  ne  tenez  pas  plus  longs  conseils;  car, 
en  nom  Dieu,  avant  trois  joui*s,  je  vous  introduirai  en  la  ville  do 
Tioies  par  amour  ou  pm*  puissance.  —  Jehanne,  dit  le  chance- 
lier, si  l'on  étoit  ceilain  de  l'avoir  dans  six  jours,  on  attendroit 
bien,  mais  je  ne  sais  si  ce  que  vous  dites  est  vrai.  —  Ne  doutez  de 
rien!  s'é(»ria-t-elie  en  s'adressant  de  nouveau  au  roi;  vous  scn'2 
demain  mattre  de  la  cité  !  *  » 

On  résolut  de  suspendre  le  déj)art  et  de  la  laisser  faire.  lie 
soir  api)rochail  ;  Jeanne  n'attendit  pas  jusqu'au  lendemain  :  elle 
monta  à  cheval,  fit  mettre  l'armée  sur  pied,  avancer  les  tentes 

1.  n»^|M)»iiions  iW  Dunois  fl  de  Simou  Charles,  Procét,  t.  lU,  p.  13-11".— 
CIjui  litr,  ibtU,  l.  IV,  p.  73-75.  —^Journal  du  ùéye  d*OrléiUU,  ibid,  p.  182. 


C1429]  JEANNE  DEVANT  TROIES.  185 

jusqu'aux  bords  du  fossé  de  la  ville,  et  préparer  des  fascines  pour 
le  combler.  Chevaliers,  écuyers,  archers,  manouvriers  travail- 
lèrent pêle-mêle  à  arracher,  dans  les  maisons  des  faubourgs, 
portes  et  tables,  fenêtres  et  chevrons,  à  construire  des  t  taudis  » 
avec  ces  débris  pour  proléger  les  approches,  et  à  établir  en  batte- 
rie le  peu  de  menue  artillerie  qu'on  avait  amené.  Jeanne,  au  rap- 
port du  comte  de  Dunois,  «  fit  si  merveilleuses  diligences  que 
tant  n'en  auroient  pu  faire  deux  ou  trois  hommes  de  guerre  des 
plus  expérimentés  ».  Le  tumulte  nocturne  de  ces  préparatifs  com- 
mença d  agiter  grandement  la  ville.  Ce  fut  bien  pis,  au  lever 
du  soleil,  quand  on  vit  llolter  devant  les  remparts  ce  mysté- 
rieux étendard  de  la  Pucelle  qui  passait  pour  doué  d'une  «  vertu  » 
surhumaine,  et  qu'on  entendit  Jeanne  crier  à  l'assaut  d'une 
Toix  retentissante.  Les  bataillons  français ,  chargés  de  fascines 
et  d'échelles,  s'avançaient  déjà  vers  le  fossé  avec  autant  d'assu- 
rance que  si  les  hautes  murailles  et  les  fortes  tours  de  la  cité 
eussent  été  incapables  de  les  arrêter  un  instant.  Une  terreur 
soudaine  glaça  les  assiégés  :  quelques-uns  crurent  voir  voltiger 
autour  de  la  bannière  de  Jeanne  une  multitude  d'esprits  sous 
la  forme  de  papillons  blancs;  le  peuple  en  masse  cria  qu'il 
voulait  traiter,  «  voulussent  ou  non  les  seigneurs,  chevaliers  et 
écuyers*  ». 

La  ganiison  céda  :  l'évêque,  les  princii)aux  bourgeois  et  les 
«  chevetaines  »  des  gens  d'armes  se  rendirent  à  la  hâte  auprès  du 
roi,  qui,  dans  sa  surprise  et  dans  sa  joie,  se  montra  peu  difficile 
sur  les  conditions  :  les  gens  d'armes  obtinrent  de  sortir  avec 
tous  leurs  biens;  les  bourgeois  se  mirent  en  l'obéissance  du  roi , 
et  reçurent  «  abolition  »  (anmistie)  générale  ;  les  bénéflciaires 
nonnnés  par  le  gouvernement  anglais  gardèrent  leurs  bénéfices. 
Il  fut  stipulé  que  ceux  des  bourgeois,  s'il  en  était,  qui  refuse- 
mient  de  prôtei*  serment  au  roi,  auraient  huit  jours  pour  empor- 
ter leurs  meubles  et  se  défaire  de  leurs  immeubles  :  la  ville  ne 
reçut  point  de  gouverneur  ni  de  garnison;  le  roi  promit  que  les 
impôts  ne  seraient  plus  atïermés,  et  les  Troyens  conservèrent  la 
liberté  de  commercer  avec  Paris,  la  Bourgogne  et  les  autres  pays 

1.  Relttiiou  de  Jcau  Rogier,  up.  Procès,  l.  IV,  p.  296-297. 


186  GUERRES  DES  ANGLAIS.  ru?9] 

qui  n'étaient  point  encore  réduits  en  Tobéissance  de  Charles  Vil*. 

La  garnison  anglo-bourguignonne  évacua  Troies  le  lendemah) 
au  point  du  jour  :  la  précipitation  avec  laquelle  on  avait  confia 
le  traité  avait  fait  oublier  qu'un  certain  nombre  de  prisonniers 
français  se  trouvaient  entre  les  mains  des  ennemis;  les  gens 
d'armes,  aux  termes  de  la  capitulation  qui  leur  octroyait  la  con- 
servation «  de  tous  leurs  biens  »,  voulurent  emmener  leurs  cap- 
tifs, pour  ne  pas  perdre  les  rançons  :  la  lettre  du  traité  était  en 
leur  faveur,  et  le  roi  eût  laissé  partir  les  prisonniers  ;  mais,  lors- 
que ces  pauvres  gens,  au  sortir  de  la  ville,  aperçurent  la  Pucelle 
debout  près  de  la  porte,  ils  se  jetèrent  à  genoux  et  appelèrent 
Jeanne  à  leur  aide  en  pleurant.  Le  sang  monta  au  visage  de 
Jeanne  :  «  En  nom  Dieu,  s'écria-t-elle,  ils  ne  les  emmèneront 
pas!  »  Et  elle  ordonna  au  convoi  de  s'arrêter.  Il  n'y  eut  pas  moyen 
de  dédire  Jeanne.  Le  roi  donna  aux  ennemis  quelque  argent  dont 
ils  se  contentèrent,  et  les  captifs  s'en  allèrent  libres,  en  comblant 
la  Pucelle  de  bénédictions *. 

Le  roi  fit  son  entrée  à  Troies  dans  la  matinée,  aux  accla- 
mations populaires.  Dès  le  lendemain,  11  juillet,  sur  les  vives 
instances  de  Jeanne,  l'armée  se  remit  en  marche  et  se  dirigea 
rapidement  sur  Châlons,  «  la  Pucelle  allant  toujours  devant,  ar- 
mée de  toutes  pièces  ».  Le  peuple  de  Châlons,  son  évoque  en  tète, 
se  porta  joyeusement  au-devant  du  roi  et  de  la  Pucelle  :  tout  ce 
pays  était  français  de  cœur.  Jeanne  retrouva  à  Châlons  quelques- 
uns  de  ses  compatriotes  de  Domremi ,  accourus  de  leur  village 
pour  la  voir  passer  dans  sa  gloire.  Elle  les  accueillit  avec  autant 
de  bienveillance  et  de  simplicité  qu'elle  l'eût  pu  faire  sous  le 
chaume  paternel  :  ces  bonnes  gens  ne  se  lassaient  pas  de  la  con- 
templer et  de  la  questionner;  comme  ils  lui  demandaient  où  elle 
prenait  tant  de  hardiesse,  et  si  elle  ne  craignait  pas  la  mort  quand 
cl\p  allait  au  combat  :  «  Je  ne  crains  que  la  trahison!  »  répondil- 
elle'^.  Paroles  prophétiques,  qui  attestent  que  sa  candeur  n'ôtait 


1.  Voir,  dan5  le  t.  XIII  des  Ordonnanef.n,  p.  142,  le  traitô  du  roi  avec  la  Tille  de 
Troies,  en  date  du  9  juillet  1429. 

?.  Martial  de  Paris,  Vigilex  df  la  mort  dn  roi  Charte»  le  nepti^me.  —  Chromq, 
de  In  Pucelle»  —  Journal  du  xiéqe  d'Orlinm, 

3.  Disposition  de  Gérard  in  d'Kpinal,  paysan  de  Domrenii.  —  Procès,  t  II»  p.  423. 


[14!»1  ENTRÉE  A  REIMS.  187 

rien  à  sa  pénétration,  et  qu'elle  lisait,  avec  Tintuition  du  génie, 
dans  les  âmes  perverses  qui  entouraient  le  roi.  Elle  ne  conservait 
d'illusion  que  sur  Charles. 

L'arraée  n'hébergea  qu'une  nuit  à  Châlons,  et,  le  dix-huitième 
jour  de  son  voyage,  elle  aperçut  enfin  les  tours  de  Notre-Dame  de 
Reims  (16  juillet).  Charles  VII  avait  encore  peur  d'échouer  au 
port  :  la  ville  avait  pour  gouverneur  le  sire  de  Châtillon-sur- 
Manie,  Bourguignon  opiniâtre,  qui  poussait  les  habitants  à  la  ré- 
sistance. Jeanne  affirma  qu'on  n'aurait  point  à  tirer  l'épée.  L'évé- 
nement, comme  à  Troies,  justifia  sa  prédiction  :  à  la  nouvelle  de 
rapproche  des  Français,  les  Rémois  montrèrent  de  telles  disposi- 
tions, que  Châtillon  quitta  la  place.  Les  bourgeois  expédièrent  à 
Charles  VII  des  députés  chargés  des  clefs  de  la  ville  :  l'archevéque- 
chancelier  Regnauld  de  Chartres,  qui  n'avait  pu  jusqu'alors  pren- 
dre possession  de  son  siège  archiépiscopal,  fit  aussitôt  son  entrée 
dans  Reims;  puis  le  roi  entra  le  soir  en  grande  pompe  à  la  tôle  de 
Tarmée.  La  nuit  fut  employée  aux  préparatifs  du  sacre  ;  à  force 
de  diligence,  tout  fut  prêt  pour  le  lendemain;  c'était  le  dimanche 
17  juillet.  La  journée  commença  heureusement:  quelques  heures 
avant  la  cérémonie,  on  vit  arriver  un  nombreux  renfort  de  cava- 
lerie barroise  et  lorraine,  conduit  par  René  d'Anjou,  duc  de  Bar 
et  gendre  du  duc  de  Lorraine  :  la  Lorraine  et  le  Barrois,  comme 
nous  l'avons  déjà  dit,  s'étaient  réconciliés  au  profit  de  la  France, 
et  Jeanne  n'avait  peut-être  pas  été  sans  influence  sur  ce  rappro- 
chement. La  Pucelle  avait  à  cœur  une  autre  réconciliation  plus 
décisive,  et,  avant  l'heure  du  sacre,  elle  dicta  une  seconde  lettre 
au  duc  de  Bourgogne,  qui  n'avait  point  répondu  à  sa  première  dé- 
pêche, expédiée  de  Gien.  On  a  conservé  cette  pièce  intéressante*  : 
la  forme  en  est  analogue  à  celle  de  la  sommation  envoyée  aux 
généraux  anglais  devant  Orléans;  la  lettre,  comme  toutes  les 
dépêches  de  Jeanne,  est  écrite  au  nom  de  Jhesus  Maria.  La  Pu- 
celle y  prie  et  requiert  le  duc  Philippe,  «  à  mains  jointes,  de  par 
le  roi  du  ciel,  de  faire  bonne  paix  avec  le  roi  de  France  ;  —  Par- 


1.  Elle  est  à  Lille,  anx  archires  de  la  chambre  des  comptes  de  Lille,  atijntir- 
d*bai  réunies  à  celles  du  département  du  Nord.  —  On  n'a  plus  la  première  lettre 
de  Jeanne,  qui  se  trouve  rappelée  dans  celle-ci ,  et  où  Jeanne  convoquait  le  duc 
Philippe  au  sacre. 


188  GUERRES  DES  ANGLAIS.  [1429] 

donnez  Tun  à  l'autre  de  bon  cœur,  comme  doivent  faire  loyaux 
chrétiens  !  »  Elle  lui  fait  <  à  savoir  que  tous  ceux  guerroient  au 
saint  royaume  de  France  guerroient  contre  le  roi  Jhésus,  et  ne 
gagneront  plus  de  batailles  à  rencontre  des  loyaux  François  ». 

Le  sacre  eut  lieu  dans  Notre-Dame  de  Reims^  selon  les  rites  ac- 
coutumés :  le  duc  d'Alençon ,  les  comtes  de  Clermont  et  de  Ven- 
dôme, les  sires  de  la  Trémoille  et  de  Laval,  et  un  autre  seigneur, 
représentèrent  les  six  pairs  laïques  de  Tancienne  monarchie  :  les 
regards  des  assistants  se  portaient  bien  moins  sur  les  acteurs  de 
cette  imposante  cérémonie,  que  sur  Jeanne  la  Pucelle,  debout, 
près  de  l'autel,  son  étendard  en  main  < .  Cette  céleste  figure,  illu- 
minée par  les  rayons  mystérieux  qui  tombaient  des  vitraux  peints, 
semblait  l'ange  de  la  France  présidant  à  la  résurrection  de  la  pa- 
trie :  on  eût  dit  qu'autour  d'elle,  à  l'appel  des  trompettes  qui  son- 
naient «  à  faire  fendre  les  voûtes  de  la  cathédrale  >  >,  s'animait 
tout  ce  peuple  hnmobile  et  muet  de  séraphins,  d'évêques  et  de  rois 
qui  remplit  et  environne  l'auguste  basilique. 

Après  que  les  pairs  eurent  proclamé  le  roi  et  que  Charles  VII 
eut  reçu  l'onction  sainte  3,  Jeanne  s'avança  vers  lui  et  lui  embrassa 
les  genoux,  en  «  pleurant  à  chaudes  larmes  >»  :  t  Gentil  roi,  lui 
dit-elle,  ores  est  exécuté  le  plaisir  de  Dieu,  qui  vouloit  que  vous 
vinssiez  à  Reims  recevoir  votre  digne  sacre,  en  montrant  que  vous 
êtes  vrai  roi,  et  celui  auquel  le  royaume  doit  appartenir!  >  Des 
acclamations  entrecoupées  de  pleurs  sympatliiques  tirent  retentir 
de  toutes  parts  les  voûtes  de  la  cathédrale.  Qu'importait  l'indi- 
gnité personnelle  du  roi  et  de  l'archevêque  de  Reims,  du  consé- 
crateur  et  du  consacré  ?  C'était  la  France  renaissante  qui  se  sacrait 
elle-même!  On  senUiit  que  rien  de  si  grand  ne  s'était  accompli 
dans  la  cité  de  saint  Rémi,  depuis  le  jour  où  l'apôti'e  des  Franks 
avait  initié  Clovis  et  son  peuple  à  la  foi  du  Christ.  La  pâle  et  froide 
ligure  de  Charles  VII  disparaissait  dans  l'auréole  de  la  libératrice. 

La  gloire  de  Jeanne  était  parvenue  au-dessus  de  toutes  les  gloi- 
res, était  surtout  d'une  autre  nature  que  toute  autre  gloire,  de 

1.  //  avait  été  à  la  peine ,  dit-i^lle  plus  tard  dle-iuéme,  c'éioii  bien  raiton  qu'il 
fût  a  l'honneur.  Procès,  t.  I,  p.  304. 

2.  Lettre  de  trois  gentilshommen  antjevin»,  elc,  ap.  Procès,  I.  V,  p.  I'i9. 

3.  Le  roi  n'vui,  uprcs  le  sucre,  Tordre  de  chcvuleric  do  la  iiiuiu  du  duc  U'AUu^od. 


riî29]  LE  SACRE.  189 

môme  que  sa  siûnteté  était,  aux  yeux  du  peuple,  autre  que  la  saiu- 
teté  ordinaire  :  c'était  la  sainteté  d'un  être  descendu  du  ciel  plutôt 
que  d'un  être  qui  lutte  pour  gagner  le  ciel.  Le  peuple  la  béatifie 
de  son  vivant  sans  attendre  l'épreuve  de  la  mort  ni  la  consécration 
de  l'Église.  Les  gens  de  guerre,  les  nobles  hommes,  abandon- 
nent en  foule  leurs  armes,  leurs  blasons,  pour  se  faire  faire  des 
étendards  pareils  à  celui  de  la  Pucelle^  Le  peuple  porte  au  cou 
des  médailles  à  son  effigie  a  comme  c'est  la  coutume  pour  les 
saints  canonisés 2  »;  il  place  ses  portraits  et  ses  statues  dans  les 
églises^  ;  il  fait  introduire  en  son  honneur,  dans  les  offices  de  l'É- 
glise, des  collectes  où  l'on  remercie  Dieu  «  d'avoir  délivré  son  peuple 
parla  main  d'une  femme ^»;  il  l'élève  au-dessus  de  tous  les  saints, 
hormis  la  seule  Vierge  Marie;  c'est  pour  lui  comme  Notre-Dame 
armée.  Il  croit  qu'elle  ressuscite  les  morts^*.  Il  se  croit  gouverné 
directement  par  le  ciel.  Par  elle,  transporté,  en  quelque  sorte, 
dans  un  autre  monde,  le  peuple  vit  dans  le  surhumain  comme  dans 
son  atmosphère  naturelle.  La  France  redevient  une  nation  de 
voyants,  comme  la  Gaule  des  druides  ou  l'Israël  des  prophètes.  Des 
légions  surnaturelles  combattent  avec  les  hommes  de  France. 
Jeanne  commande  à  une  double  armée.  Au  moment  de  la  marche 
sur  Reims,  les  pays  de  l'ouest  ont  vu  chevaucher  vers  le  nord  de 
gnmds  chevaliers  blancs  parmi  les  airs  tout  en  feu*. 

La  véritable  histoire  de  la  mission  de  Jeanne,  obscurcie  dès  la 
génération  suivante,  était  restée  jusqu'à  nos  jours  voilée  de  nuages, 
qui  se  dissipent  enfin  pour  la  gloire  éternelle  de  l'envoyée  de  Dieu, 
pour  l'éternelle  flétrissure  de  ceux  qu'elle  avait  sauvés  et  qui  l'ont 
trahie.  On  a  cru,  durant  des  siècles,  d'après  une  version  accréditée, 
lors  du  procès  de  réhabilitation,  par  la  politique  du  gouverne- 

1.  Procès  t.  I,  p.  97. 

2.  Interrogatoire  dn  3  mars  1431  ;  Procès,  1. 1,  p.  291.  M.  Rollin  a  donné  le  des- 
sein d'une  de  ces  médailles  dans  la  Bévue  de  numismatique,  1. 1,  p.  41 3.  Elle  est 
en  plomb,  et  représente,  sur  la  face,  une  tête  de  femme  grossièrement  dessinée; 
sur  le  revers,  une  épée  entre  deux  fleurs  de  lis. 

3.  Ibid.f  p.  290-291.  On  a  retrouvé  une  de  ces  statuettes  en  bronze.  M.  Vallet 
de  Viriville  Ta  fait  graver  dans  V Illustration  du  15  juillet  1854. 

4.  Deus,  auctor  pacis,  qui  sine  arca  (arcu)  et  sagiita  inimicos  in  te  sperantes 
elidis,  subveni,  qusesunius,  Domine,  ut  nostrani  propitius  tuearis  adverâitatera,  ut 
sicui  populum  tuum  per  manum  feminœ  liberasti,  etc.  Procès,  V,  104. 

5.  Procès,  t.  I,  p.  105,  290.  6.  Procès,  t.  V,  p.  121. 


190  GUERRES  DES  ANGLAIS.  [1429] 

ment  de  Charles  VII,  que  Jeanne,  après  le  sacre  de  Reims,  avait 
considéré  sa  mission  comme  accomplie,  et  n'était  restée  auprès 
du  roi  que  par  déférence  pour  lui  •  ;  que  désormais  elle  n'avait 
plus  manifesté  la  même  certitude  d'être  conduite  au  but,  la  même 
foi  dans  Tinfaillible  protection  d'en  haut.  Tout  cela  n'est  qu'er- 
reur ou  mensonge  :  Jeanne  n'avait  exécuté  que  les  premières 
parties  de  sa  mission;  elle  avait  toujours,  pour  l'achever,  même 
ardeur,  même  inspiration,  même  puissance.  L'attente  immense 
que  le  peuple  avait  d'elle,  elle  sentait  en  elle  de  quoi  la  remplir. 
Comme  elle  avait  annoncé  la  délivrance  d'Orléans  et  le  sacre  de 
Reims,  elle  aimonçait  la  recouvrance  de  Paris  et  de  la  France  en- 
tière; elle  était  assurée  de  pouvoir  l'accomplir. 

C'était  là  ce  qu'elle  annonçait  en  toute  certitude;  mais  ce  n'é- 
tait pas  tout  ce  qu'elle  entrevoyait,  sinon  comme  promesse  for- 
melle de  ses  voix,  du  moins  comme  espérance.  Elle  devait  diriger 
au  dehors  l'action  de  la  France  délivrée.  Le  monde  n'était  pas 
trop  grand  pour  les  ailes  de  ce  jeune  aigle.  Dans  ses  lettres  au 
régent  anglais,  au  duc  de  Bourgogne,  on  aperçoit  la  pensée  de 
réunir  toute  la  chrétienté  contre  les  Turcs,  contre  les  «  Sarra- 
sins »,  comme  elle  dit  dans  la  vieille  langue  des  croisades.  Ainsi 
elle  rêve  de  prévenir  la  chute  imminente  de  Constantinople.  Elle 
mande  aux  hussites  de  la  Bohême,  qu'on  lui  a  dit  être  devenus 
d'hérétiques  païens  et  sarrasins,  que,  s'ils  continuent  à  détruire  les 
saintes  images  et  les  églises,  elle  les  visitera  «  avec  son  bras  ven- 
geur ».  «  Si  vous  revenez  vers  la  lumière  qui  luit  maintenant. 


1.  Le  point  de  départ  de  cette  erreur  est  la  déposition  du  comte  de  Dunois,  dé- 
position pleine  de  lacunes,  et  dans  laquelle  Tancien  compagnon  d'armes  de  Jeanne 
cherche  évidemment  à  accommoder  sa  vénération  pour  la  mémoire  de  la  Pucelle 
avec  ses  ménagements  envers  d*auires  ;  ses  souvenirs  sont,  sans  nul  doute,  altérés 
par  celte  préoccupation.  «  Quoique  Jehaune,  dit-il,  parlât  quelquefois,  par  ma- 
nière de  jeu,  pour  animer  les  gens  d'armes,  de  maintes  choses  touchant  la  guerre, 
lesquelles  peut-être  ne  sont  point  venues  k  effet,  néanmoins,  quand  elle  parloit 
sérieusement  de  la  guerre,  de  son  fait  et  de  sa  vocation,  elle  n'affirmoit  jamais 
rien,  sinon  ceci  :  a  Qu'elle  avoit  été  envoyée  pour  lever  le  siège  d'Orléans  et 
secourir  le  peuple  opprimé  en  celte  ville  et  lieux  circonvoisins,  et  conduire  le  roi 
k  Reims  pour  qu'il  y  fût  consacré.  »  {Procès,  m.  16.)  Cette  déposition,  écrite  en 
1456,  sous  l'empire  de  sentiments  très  complexes,  ne  saurait  balancer  en  aucune 
façon  les  témoignages  surabondants  de  l'année  1429,  la  déposition  du  duc  d'Alen- 
çon,  lô  plus  intime  confident  de  Jeanne,  la  Cnrouique  de  Perceval  de  Cagni,  écrite 
en  1436,  ni  surtout  lu  parole  de  Jeanne  elle-même,  -v,  ci -dessus,  p.  16a 


[I429J  GLOIRE  ET  ASCENDANT  DE  JEANNE.  191 

adressez-moi  vos  envoyés  :  je  vous  dirai  ce  que  vous  avez  à 
faire  *.* 

Le  sentiment  public  en  France  et  bientôt  dans  une  partie  de 
l'Europe  était  réellement  disposé  à  la  croire  en  toutes  choses  sur 
€  ce  qu'il  y  avoit  à  faire  ».  L'Italie,  l'Allemagne,  les  Pays-Bas, 
l'Espagne  étaient  en  émoi  par  les  nouvelles  de  la  «  Sibylle  de 
France  2  ».  Bonne  Visconti ,  prétendante  au  duché  de  Milan ,  pré- 
sentait requête  à  «  Jehanne,  envoyée  du  roi  des  cieux  »,  pour  être 
remise  en  sa  seigneurie  !  *  Le  comte  d'Armagnac ,  fils  du  trop 
fameux  Bernard,  écrivait  à  Jeanne  du  fond  de  l'Aragon,  où  il  s'était 
retiré,  pour  lui  demander  «  qui  étoit  vrai  pape  »,  de  Martin  V, 
élu  au  concile  de  Constance,  ou  des  deux  successeurs  que  quel- 
ques cardinaux  avaient  donnés,  dans  les  montagnes  de  Valence, 
aux  vieux  pape  déposé,  Benoit  XIII  *.  Jeanne  répondit  au  comte 
qu'elle  ne  pouvait  rien  lui  «  faire  savoir  au  vrai,  pour  le  présent  », 
parce  qu'elle  était  t  trop  empôchiée  au  fait  de  la  guerre  »,  mais 
que,  quand  elle  serait  à  Paris,  «  à  requoi  (en  repos)  »,  elle  lui 
ferait  «  savoir  tout  au  vrai  auquel  il  devroit  croire  »,  et  ce  qu'il 
aurait  à  faire,  après  qu'elle  l'aurait  su  «  par  le  conseil  de  son  droi- 
turier  et  souverain  seigneur,  le  roi  de  tout  le  monde*  ». 

1.  Procès,  U  V,  p.  156.  —  La  lettre  est  postérieure  de  quelques  mois  à  Tépoque 
du  sacre  :  elle  est  du  5  mars  1430.  Jeanne  ne  pressentait  pas  alors  qu'elle  aurait 
le  sort  de  Jean  Huss! 

2.  Sibylla  francica,  v.  le  curieux  traité  écrit  par  un  clerc  de  Spire  sous  ce 
titre  (juillet,  septembre  1429);  les  Propositions  de  Henri  de  Gorkum,  vice-chance- 
lier de  l'université  de  Cologne,  sur  IhPucelle.  Procès,  t.  UI,  p.  411-422;  les  poé- 
sies latines  d'Antoine  Astesan  (Antonio  d'Asti);  ib,  t.  V,  p.  22,  etc.  Les  lettres 
écrites  par  des  princes  étrangers  en  France,  pour  s'informer  au  vrai  du  fait  de  la 
Pucelle,  nous  ont  valu  deux  réponses  très  importantes  :  la  lettre  de  Perceval  de  Bou- 
lainvilliers,  sénéchal  de  Berri,au  duc  de  Milan  (21  juin  1429),  et  la  lettre  d'Alain 
Cbariier  (fin  juillet  1429),  a  un  prince  qui  n'est  pas  désigné  (peut-être  le  duc  de 
Savoie,  suivant  les  conjectures  de  M.  Quicherat);  Procès,  t.  V,  lt4;  l3l.  La 
lettre  d'Alain  est  dans  un  latin  très  chargé  de  rhétorique,  mais  qui  sent  déjà'  plu- 
tôt la  Renaissance  que  la  barbarie  des  scolastiques  contemporains.  Sous  cette 
forme  un  peu  artificielle  éclate  un  enthousiasme  entraînant. 

3.  Procès,  t.  V,  p.  253. 

4.  Après  la  mort  du  pape  scbismatique  Benoit  Xm,  les  cardinaux  qui  lui  étaient 
restés  attachés  avaient  divisé  leurs  suffrages  sur  deux  têtes.  Quelques  seigneurs 
d'Aragon  et  de  Gascogne  s'obstinaient  U  soutenir  l'un  ou  l'autre  de  ces  deux  pré- 
tendus papes.  L'un  des  deux,  sur  c^s  entrefaites,  fit  sa  soumission  k  Martin  V. 

5.  Procès,  t.  I,  p.  243-246.  Nous  citons  d'après  le  texte  donné  au  procès  :  il 
faut  dire,  cependant,  qu'il  y  a  des  doutes  sur  l'exactitude  du  texte,  Jeanne  n'ayant 
pas  entièrement  avoué  cette  réponse. 


192  GUERRES  DES  ANGLAIS.  [li»] 

La  croyance  se  propageai l  par  tout  que  c*6t<'Ut  tout  le  moins 
qu'elle  eût  à  faire 

De  détruire  TEn^lcscherie  ; 
qu'elle  empocherait  «  que  la  foi  ne  fût  périe  »;  que 

En  chrcstient(^  et  en  TÉglise 
Seroit  par  elle  mis  concorde  ; 

enfin,  qu'elle  conquerrait  la  Terre-Sainte  et  y  unirait  sa  vie 
dans  la  double  gloire  de  la  terre  et  des  deux  ^ 

1.  On  a  retrouvé  un  témoignage  très  précieux  de  ce  qn*on  peut  nommer  le  dii- 
pazon  des  esprits  à  l'égard  de  la  Pucelle  immédiatement  après  le  sacre.  Ce  sont 
les  derniers  vers  qu'ait  écrits  la  vieille  Christine  de  Pisan,  rhistorien- poète  de 
Charles  Y,  sortie  du  cloître,  où  elle  s'était  enfermée  depuis  les  calamités  de  1418» 
pour  saluer,  d'une  voix  près  de  s'éteindre,  la  renaissance  delà  France. 

Je  Christine,  qui  ai  plonré  Reprit  k  luire  le  soleil; 

Onze  ans  en  abbaye  close.  .  .  Il  ramène  le  bon  temps  neuf 

Ore  k  prime*  me  prends  à  rire.  et  la  très  belle 

Saison  qne  printemps  on  appelle 

L'an  mil  quatre  cent  vingt  et  neuf  Oti  tonte  rien**  se  renonveUe. 

•  Pour  !■  premier»  f.»i«.  **  Toatr  thtme. 

Tout  le  petit  poème  qui  suit,  en  date  du  31  juillet  1429,  n*est  qn'nne  hfBncI 
la  PuccUe  et  à  sa  «  divine  mission.  » 

Jehanne,  de  bonne  heure  née*.  Sa  grand  grflce,  et  qui  ot*  et  a 

Béni  soit  ciP*  qui  te  créa!  Toute  largesse  de  hant  don, 

Pucelle  de  Dieu  ordonnée.  Qui  te  rendra  assez  gnerdon**? 
En  qui  le  Saint-Esprit  réa  '** 

*  Nr«  daiit  utip  heure  (or-  **  Olai.  *  Bat. 

tun4c.  *"  Irradia,  rayonna.  **  lUeompenap. 

Elle  la  met  au-dessus  de  tous  les  preux,  au-dessus  d'Hector  et  d'Achille,  ao-de*- 
sus  de  Josué,  de  Gédéon  et  de  toutes  les  femmes  fortes  de  la  Bible,  et  ne  trooff 
que  Moïse  k  lui  comparer. 

Merlin  et  la  Sybille  et  Bède*,  Qu'à  tous  cenx  de  qni  Pen*  raisonne, 

Plus  de  mille  ans  a,  la  vélrent**  Et  n'a  pas  encor  tont  parfait. 


En  esperit,  et  pour  remède 

A  France  en  leurs  escrits  la  mirent  Ne  sai  si  Paris  se  tiendra 

Et  leurs  prophéties  en  firent.  

Ne  si  la  Pucelle  attendra; 

Donc,  dessus  tous  lés  preux  passés.  Mais,  s'il  en  fait  son  ennemie, 

Ceste***doii  porter  la  couronne  Je  me  doubt  que  dure  escremie** 

Car  ses  faits  ja  montrent  assez,  Lui  rende,  si  qu'aillenrs  a  fait. 

Que  plus  prouesse  Dieu  lui  donne  S'il  résiste  heure  ne  demie, 


*  Lliiilorirn  He«  Aiigln-Sairtii*, 

"  Virent. 

•L'on, 

a  qui  Ir  moyen  àftc  allribuail  un 

•"  Olle  ci. 

"Dur 

eiprit  dr  proplirlir. 

IMMENSE  ATTENTE  POPULAIRE.  193 

•ésuiuer  cette  fortune  inouïe,  on  peut  dire  que  cette  ber- 
iix-huit  ans  tenait  dans  sa  main  l'État  et  l'Église  ;  qu'entre 
î  et  celle  de  tous  les  prélats  de  France  le  peuple  n'eût  pas 
1  instant. 

it  le  péril,  là  était  l'écueil,  non  pas  de  sa  sainteté  ou  de 
e,  mais  de  sa  prospérité. 

îmi  que  Jeanne  avait  à  redouter,  ce  n'était  pas  celui  au- 
faisait  la  guerre.  L'Anglais  est  impuissant  contre  elle.  Si 
>se  agir,  la  marée  montante  du  peuple  armé,  qu'elle  sou- 
[u'elle  sait  conduire,  submergera  toute  résistance.  L'An- 
doute  pas,  lui,  de  la  puissance  surhumaine  de  Jeanne  : 
^eil  refuse  de  s'humilier  sous  la  main  de  Dieu,  sa  su- 
a  *  accuse  l'enfer  de  sa  défaite  2.  Il  s'épouvante  de  ses 

je  crois,  de  son  fait.  Et  les  hérites**  de  vie  orde 

'  entrera,  qui  qu'en  grogue!  Destraira,  car  ainsi  l'accorde 

.     .    Par  elle  Anglois  Prophétie  qui  Ta  prédit, 
ois  jus  sans  relever. 


Des  Sarrasins  fera  essart  *** 

ut  le  moins  qu'affaire  ait  En  conquérant  la  Sainte  Terre  ; 

:ruire  l'Englescherie,  Là  menra  ,%  Charles  que  Dieu  gard  î 

a  ailleurs  plus  haut  hait  :  Ains  qu'il  muire  fera  tel  erre  ****. 

3  la  foi  ne  soit  périe.  Cilz  est  cil*  qui  la  doit  conquerrc. 

Là  doit-elle  finer  sa  vie 

stienté  et  en  r Église  Et  l'un  et  Pautre  gloire  acquerre  : 

elle  mis  concorde.  Là  sera  la  chose  assovie  **. 
créants  dont  on  devise 


bl». 

,*,  Ménerti. 

•  11  eu  eelui. 

étique». 

•"•  Afânl  qu"il  nirure,  il 

**  Aeeomplie. 

a  défricbemenl  :  elle 

fera  ce  «ojage. 

let  Sanrasiaa. 

èce,  si  importante  pour  l'histoire  de  Jeanne  Darc,  a  été  publiée,  en 
M.  Jubinal,  d'après  un  ms.  de  la  bibliothèque  de  Berne.  M.  Quicherat 
ite  dans  le  t.  V  du  Procèt,  p.  3-21. 

serstitieux  comme  un  Anglois  »»  disait  un  proverbe  cité  par  un  des  té- 
irocës  de  rôbabiliiation;  Procès,  t.  U,  p.  370.  Les  Français,  au  contraire, 
)our  peu  crédules,  ce  qui  fit  penser  en  Europe  qu'on  n'avait  pas  admis 
la  mission  de  Jeanne. 

eux  idées  contradictoires  se  mêlent  singulièrement  dans  une  lettre  de 
ienri  VI,  ou  plutôt  au  couseil  d'Angleterre,  écrite  vraisembablement  du- 
rchc  sur  Reims.  «  Toute  chose  a  prospéré  pour  vous  jusqu'au  temps  du 
éans,  entrepris  Dieu  sait  par  quel  conseil»  Auquel  temps,  après  l'aven- 
c  à  la  personne  de  mon  cousin  de  Salisbury,  que  Dieu  absolve  !  arriva  par 
Dieu,  comme  il  semble,  un  grand  méchef  sur  vos  gens  qui  éloient  là  as- 
t  grand  nombre,  lequel  provint  en  grande  partie,  comme  je  pense,  par 
l  des  fausses  croyances  et  folles  craintes  qu'ils  ont  eues'd'un  disciple  et 
VEnnemi  (de  Saian),  appelé  la  Pucelle,  lequel  a  usé  de  faux  enchante- 

13 


194  GUERRES  DES  ANGLAIS.  (14»] 

propres  clameurs  contre  «  la  sorcière  de  France  »,  clameurs  qui 
n*excitent  que  la  risée  de  ses  adversaires.  Quand  on  pouTait  dea- 
ler encore,  les  prélats,  les  docteurs  n'avaient-ils  pas  garanti  qu'il 
n'y  avait  a  que  tout  bien  et  nul  mal  en  la  Pucelle?  >  Une  voix  plus 
révérée  qu'aucune  autre  dans  l'Église  de  France,  la  yoîx  de  Jean 
Gerson,  ne  s'était-elle  pas  élevée  du  fond  du  clottre  pou^reme^ 
cier  Dieu  et  déclarer  qu'on  pouvait  «  pieusement  et  salutaire- 
ment  »  accepter  l'aide  et  «  soutenir  le  fait  >  de  la  Pucelle! 
dernière  manifestation  de  l'illustre  vieillard  qui  allait  mourir, 
comme  Siméon,  après  avoir  vu  le  Sauveur  envoyé  de  Dieu  *,  et  qui 
eut  le  bonheur  de  quitter  la  terre  avant  d'être  témoin  de  Toppro- 
bre  ineffaçable  dont  allait  se  couvrir  sa  chère  université  de 
Paris  ^. 

Mais  maintenant,  qu'importaient  au  peuple  de  France  tous  ces 
témoignages,  celui  de  Gerson  même!  Jeanne  n'avait  plus  à  de^ 
mander  caution  à  personne  sur  la  terre.  Sa  vie  et  ses  victoires  se 
confirmaient  mutuellement;  on  la  voyait  si  pure  que  son  aspect 
suffisait  à  bannir  du  cœur  des  hommes  toute  pensée  chamelle'; 
à  la  fois  si  impérieuse  dans  tout  ce  qui  était  de  sa  mission,  c  de  sa 
charge  »,  comme  elle  disait  avec  tant  d'énergie,  et  si  modeste  en 
toute  autre  chose,  réprimandan  t  doucement  les  bonnes  gensqui  lui 
apportaient  des  anneaux  à  toucher  et  à  bénir  ^  et  attendaient  de  ce 
contact  des  vertus  miraculeuses  ;  simple  comme  les  enfants  parmi 


uients  et  sorcerie.  Lesquels  méchefs  et  déconfiture  ont  non-seulement  fort  diminie 
le  nombre  de  vos  gens,  mais  abattu  en  merveilleuse  façon  le  cosrage  de  ee«  qsi 
restent,  et  ont  encouragé  vos  adversaires  et  ennemis  k  s'assembler  incontlBent  ci 
grand  nombre.  » 

Rymer,  Aciat  t.X,p,  408.  C'est  la  traduction  littérale.  La  lettre  est  en  anglais, 
suivant  l'usage  introduit  sous  Henri  V. 

1.  L'opuscule  de  Gerson  fut  publié  à  Lyon  le  14  mai,  à  la  noofelle  de  U  le 
vée  du  siège  d'Orléans.  Gerson  mourut  le  12  juillet. 

2.  Gerson  rejeta  ainsi  d'avance  la  solidarité  du  sang  de  Jeanne  Darc  Céliit 
déjà  trop  du  sang  de  Jean  Huss!  Il  n'était  malhcorensement  pas  converti.  U  psrli 
encore,  dans  cet  opuscule,  de  la  nécessité  d'exterminer  Terrenr  par  le  fer  et  par  k 
feu.  W Imitation  de  Jétus-Christ  associée  aux  bûchers I  Les  jnges  de  Jeanne  Dire 
ne  devaient  pas  tenir  un  autre  langage.  Gerson.  Oper»  t.  IV,  p.  S64;  Paris,  éd.  El- 
lies  du  Pin  ;  et  Procès,  t.  III,  p.  298. 

3.  V.  les  détails  saisissants  des  dépositions  de  Dunois,  de  Gobert  Thibaalt,  di 
duc  d'Alençon,  de  Jean  d'Aulon.  Procès,  t.  III,  p.  lô,  76,  100,  219. 

4.  a  Touchez-les  vous-mêmes  »,  disait-elle  aux  femmes  qui  rentouraicot,  «cels 
sera  aussi  bon.  »  Déposition  de  Marguerite  la  Touronlde. 


[1429}  CONJURATION  CONTRE  JEANNE.  195 

lesquels  elle  aimait  à  recevoir  la  communion  dans  les  églises  des 
Ddoines  mendiants. 

Quelques  évoques,  quelques  docteurs,  une  partie  du  bas  clergé, 
s'étaient  sincèrement  inclinés  devant  la  révélation  nouvelle.  Tout 
ce  qui  subsistait  de  foi  et  de  vie  chez  les  ordres  mendiants,  forte- 
ment atteints,  mais  non  pas  entièrement  gangrenés  par  la  cor- 
ruption de  l'Église,  s'était  rallumé  à  cette  pure  flamme.  Les  disci- 
ples d'Ëlie  ou  de  François  d'Assise,  ceux  mêmes  de  Dominique 
sentaient  frémir  le  souffle  de  l'Esprit  dans  leurs  sombres  nefs, 
quand  elle  venait  le  soir  s'y  agenouiller  en  extase  au  son  des 
cloches  tintant  lentement  ^ 

Là  où  la  religion  est  encore  un  sentimenl,  un  principe  de  vie, 
le  prêtre  est  pour  Jeanne  ;  mais,  là  où  elle  n'est  plus  qu'une  forme, 
qu'une  règle  extérieure ,  qu'une  doctrine  d'école ,  dans  le  haut 
clergé  politique,  dans  la  tourbe  scolastique,  le  Messie  de  la  France 
ne  soulève  qu'une  effroyable  jalousie  ;  jalousie  des  dépositaires  de 
l'autorité  oflicielle  contre  la  libre  inspirée  qui  vient  directement 
de  Dieu  et  non  des  prêtres;  jalousie  des  docteurs,  des  hommes 
de  la  glose  et  du  syllogisme  contre  l'ignorante  sublime  qui  lit, 
comme  elle  le  dit,  dans  un  livre  où  il  y  a  plus  que  dans  les  livres 
des  hommes;  âpre  et  sourde  colère  de  cette  église  desséchée  et 
sophistique  contre  l'Esprit  qui  vient  troubler  ses  morts  dans  leurs 
sépulcres  blanchis!  enfin,  il  faut  bien  le  dire,  frayeur  sincère  de 
l'étroite  orthodoxie,  des  esclaves  de  la  lettre,  devant  cette  inter- 
vention irrégulière  de  la  Providence  qui  s'opère  en  dehors  de 
toute  forme  établie  ! 

Même  scission  parmi  les  chefs  de  guerre.  Les  jeunes  gens,  le 
duc  d'Alençon,  le  bâtard  d'Orléans,  les  Laval,  et,  parmi  les  vieux 
capitaines,  ceux  qui  ont  conservé,  à  travers  les  vices  et  les  vio- 
lences de  cet  âge  de  fer,  le  vieux  cœur  gaulois,  la  générosité  na- 
tive, LaHire,  par  exemple,  sentent  comme  le  peuple,  et  suivraient 
Jeanne  au  bout  du  monde  ;  mais,  chez  bien  d'autres,  il  y  a  révolte 
intérieure,  humiliation  de  ce  règne  d'un  enfant,  d'une  fille,  im- 
patience de  cette  interdiction  absolue  du  pillage,  de  ce  frein 
imposé  à  tous  les  vices;  que  sera-ce  donc  chez  ces  monstres  d'or- 

1.  Déposition  de  Dunois;  Procès,  t,  III,  I4é 


196  GUERRES  DES  ANGLAIS.  um 

gucil,  de  barbarie  et  de  dépravation,  tels  qu*eu  a  faits  une  inter- 
minable guerre  signalée,  enti'e  toutes,  par  le  mépris  de  rhuina- 
nité  * ,  et  tels  que  le  maréchal  de  Retz  eu  fournira  Tépouvantable 
type!.... 

Le  vieux  Gerson  avait  laissé  tomber,  dans  son  patriotique  opus- 
cule, des  paroles  prophétiques.  «  S'il  arrivoit,  écrivait-il,  que  li 
Pucelle  ne  remplit  pas  toute  son  attente  et  la  nôtre,  il  n'en  lau- 
droit  pas  conclure  que  les  choses  qui  ont  été  faites  soient  Tœuvre 
de  Tesprit  malin  plutôt  que  de  Dieu  ;  mais  il  pourroit  arriver,  par 
la  colère  d'en  haut,  ce  qu'à  Dieu  ne  plaise,  que  nous  soyons  trom- 
pés dans  notre  attente  à  cause  de  notre  ingratitude  et  de  nw 
blasphèmes!*...» 

Cette  ingratitude,  elle  était  à  l'œuvre!  L'arrogance,  Tégolsme, 
la  rapacité,  tous  les  vices  foulés  aux  pieds  de  cette  vierge  étaient 
conjurés  contre  elle  avec  le  scepticisme  et  la  foi  pharisalque,  i 
le  favori  La  Trémoille  et  l'archevêque  Regnauld  de  Chartres,  t 
le  noir  courtisan  et  le  prêtre  sans  entrailles,  et  la  conjuraticNi 
avait  pour  complice  le  roi  restauré  par  de  si  grands  miracles! 
Charles  VII  semblait  préférer  d'être  le  roi  de  Bourges  avec  Li 
Trémoille  que  le  roi  de  France  par  la  Pucelle. 

Deux  principes  se  combinent,  pour  gouverner  le  mystère  de  ee 
monde,  la  providence  de  Dieu  et  la  liberté  de  l'homme.  Dieu  permet 
que,  dans  des  proportions  inconnues,  l'homme  puisse  seconder 
ou  entraver  l'œuvre  souveraine  :  dans  les  faits  extérieurs  comme 
dans  le  phénomène  intérieur  de  la  grdce,  l'homme  peut  s'unir 
ou  se  refuser  à  Dieu.  Quand  l'homme,  par  un  sacrilège  suprême, 
emploie  sa  liberté  et  sa  volonté  à  empêcher  les  promesses  di\'ines 
de  s'accomplir,  n'est-ce  pas  là  cet  irrémissible /)^cA^  contre  le  saM 
Esprit  dont  parle  l'Écriture? 

Il  y  eut,  dans  la  France  du  quinzième  siècle,  des  hommes  qui 
conspirèrent  pour  repousser  de  leur  peuple  le  bras  du  Sauveur 
et  pour  faire  mentir  Dieu! 

1.  «  Les  hommes  les  plus  féroces  peut-éire  qui  aient  jamais  existé  »,  dit  M.  Hi- 
cbelet. 

2.  Procès,  t.  III,  p.  303. 


LIVRE  XXXVI 

GUERRES  DES  ANGLAIS  [suite). 

)abc  f  suite).  Coiguration  de  La  Trémoille  et  do  Regnauld  de  Chartres 
Jeanne.  Le  roi  complice.  Entraves  systématiques  à  la  rccouvrance  de  Paris. 
ace  d'une  partie  de  la  Brie,  de  l'Ile-de-France  et  de  la  Picardie.  Journée 
^Espilloi.  Jeanne  à  Saint-Denis.  Le  roi  et  les  favoris  font  manquer  Tat- 
s  Paris.  Retour  de  l'armée  sur  la  Loire.  Le  roi  et  les  favoris  empêchent  la 
ice  de  la  Normandie.  Douleur  de  Jeanne.  Prise  de  Saint-Picrre-le-Moûtier. 
le  La  Charité.  Jeanne  quitte  le  roi.  Le  dnc  de  Bourgogne  attaque  Com- 
Jeanne  à  Lag^ii  et  à  Compiôgn^e.  Jeanne  est  prise  par  les  Bonr^igfnons. 
du  duc  de  Bourgog:ne  et  de  Reg^iauld  de  Chartres  sur  sa  prise.  L'Inquitii- 

révèque  de  Beauvais  la  réclament.  Rôle  de  l'université  de  Paris  et  de 
Rochon.  Politique  de  Bedford  et  de  Winchester.  Politique  du  duc  de  Bour- 
Àffaire  de  l'héritage  de  Brabant.  Les  Bourguignons  livrent  Jeanne  aux 
.  —  Levée  du  siège  de  Compiègne  et  défaite  des  Bourguignons.  —  Les 

font  juger  Jeanne  par  l'Inquisition  et  par  l'évéque  de  Beauvais.  Jeanne  à 
Procès  de  Jeanne.  La  Fille  de  Dieu  et  les  nouveaux  Pharisiens.  Jeanne 
at  sa  mission  contre  toute  autorité  humaine.  Passion  de  Jeanne.  Côn- 
es de  sa  mission  et  do  sa  mort. 

1429  —  1431. 

t  maintenant  jeter  un  coup  d'œil  dans  le  camp  ennemi 
retrouver  le  contre-coup  des  victoires  de  Jeanne  et  appré- 
suite  des  événements.  Nous  avons  vu  la  lettre  désespérée 
nt  Bedford  au  conseil  d'Angleterre.  La  fermeté  de  Bedford 
é  un  moment  surprise  et  abattue  par  de  si  foudroyants 
Il  était  à  Corbeil  le  jour  de  la  bataille  de  Patai  (18  juin)  : 
1  vit  arriver  Falstolf  et  ses  bandes  fugitives,  qui  ne  s'ar- 
:  qu'à  Corbeil ,  il  éclata  en  transports  de  douleur  et  de  co- 
accabla  de  reproches  Falstolf;  il  lui  ôta  l'ordre  du  bleu 
la  jarretière).  Il  reprit  bientôt,  néanmoins,  l'empire  sur 
ae;  il  réhabilita  le  général  qu'il  avait  dégradé,  et  s'apprêta 
er  les  infatigables  efforts  d'une  âme  opiniâtre  et  d'un  cs- 
)ile  et  fécond  à  l'heureuse  témérité  de  l'enthousiasme  et 
e.  Il  sentait  la  Gliampagne  perdue  :  les  Anglais  n'avaient 


198  GUERRES  DES  ANGLAIS.  [uti] 

jamais  que  nominalement  occupé  celte  grande  province  à  peu 
près  livr(^c  à  la  foi  de  ses  habitants  et  à  l'influence  bourguignonne. 
Il  s'agissait  de  sauver  Paris  et  la  Normandie.  Mais  comment?  Peu 
de  soldats,  point  d'argent!  Exaspérer  par  de  grandes  exactions 
les  provinces  encore  anglo-françaises  était  trop  périlleux.  Il  n'y 
avait  que  deux  ressources ,  bien  dures  toutes  deux  à  l'amour- 
propre  de  Bedford  :  s'humilier  devant  son  beau-frère  le  duc  de 
Bourgogne,  qu'il  avait  récemment  offensé,  qu'il  avait  autrefois 
projeté  de  faire  tuer  en  trahison,  et  qui  le  savait*  ;  lui  livrer  Paris 
après  lui  avoir  refusé  Orléans!  acheter  à  tout  prix  l'assistance 
de  son  oncle  le  cardinal  de  Winchester,  et  se  subordonner  de 
fait,  en  France  môme,  à  l'orgueilleux  cardinal,  déjà  mattre  de 
l'Aniileterre,  alors  gouvernée  par  une  oligarchie  d'évèques,  sous  sa 
présidence  effective 2.  L'argent  n'était  plus  que  dans  les  mains  de 
cet  épiscopat  qui  profitait  de  tous  les  bénéfices  et  se  soustrayait  & 
toutes  les  charges. 

Winchester  n'eût  pas  donné,  mais  il  pouvait  prêter;  Bedfoni 
n'était  pas  en  état  de  disputer  sur  les  conditions.  Durant  la  rapide 
campagne  de  la  Loire  et  la  marche  sur  Reims,  Bedford  n'aiaii 
cessé  de  conjurer  le  cardinal  d'amener  le  jeune  roi  Henri  VI  avec 
de  l'argent  et  des  soldats,  de  faire  sacrer  Henri  en  France  afin 
d'agir  sur  l'esprit  du  peuple  :  c'était  s'y  prendre  un  peu  tard; 
mais  ce  n'était  pas  la  faute  du  régent  anglais.  Winchester,  après 
s'être  fait  longtemps  marchander,  consentit  enfin  à  vendre  ses 
secours,  et  le  pacte  de  l'oncle  et  du  neveu  se  conclut  aux  dépens 
des  intérêts  du  catholicisme  romain.  Winchester,  sur  les  instances 
du  pape,  avait  levé  en  Angleterre  une  dîme  et  des  gens  de  guerre 
pour  une  croisade  contre  les  hussites;  il  emmena  en  Picardie 
argent  et  croisés  au  lieu  de  les  emmener  en  Allemagne,  et  pro- 
mit de  les  employer  contre  les  «  rebelles  »  de  France. 

Winchester  arriva  donc  à  Calais  avec  des  soldats  et  des  écus; 

1.  En  1424,  la  question  avaii  été  agitée  entre  Bedford  et  son  frère  Glocesier; 
celui-ci  voulait  prendre  l'hilippc  de  Bourgogne,  cclui-lk  voulait  le  tuer.  lIiche^s(. 
Uitt.  de  France  y  t.  V,  p.  189,  d'uprès  les  archives  de  Lille. 

2.  C'était  1!l  qu*avuit  abouti  lu  révolution  qui  avait  fondé  la  dynastie  de  Ua- 
castre.  Les  évoques  s'étaient  subordonné  Taristocratie  féodale  et  la  royauté  mimt, 
et  avaient  enlevé  ii  la  cour  de  Rouie  »  les  droits  utiles  ».  v,  les  considérations  très 
intéressantes  de  M.  Michclet,  Uist»  de  France,  t.  V,  p.  93* 


[1429]  BEDFORD,  WINCHESTER  ET  PHILIPPE.  199 

mais  il  n'était  point  à  Paris,  et  Bedford  tremblait  pour  celte  capi- 
tale. Le  peuple  était  agité  et  incertain  ;  la  magistrature  bour- 
geoise mal  assurée.  Bedford  changea  le  prévôt  des  marchands  et 
les  échevins,  livra  toutes  les  fonctions  municipales  aux  hommes 
les  plus  irrévocablement  compromis  dans  la  faction  étrangère, 
et  commença  de  faire  fortifier  puissamment  la  capitale.  Mais  à 
quoi  servaient  ces  fortifications,  si  le  peuple  de  Paris  ne  s'unis- 
sait aux  Anglais  pour  les  défendre?  et  c'était  là  chose  fort  dou- 
teuse. Le  duc  de  Bourgogne  seul  avait  autorité  pour  maintenir 
les  Parisiens  dans  l'obéissance  du  roi  Henri.  Bedford  fit  au  duc 
Philippe  un  appel  désespéré  :  il  lui  envoya,  tant  en  son  nom 
qa*ani  nom  des  Parisiens,  une  ambassade  composée  de  l'évoque 
de  Noyon,  de  deux  docteurs  en  théologie  et  de  plusieurs  des  prin- 
dpÉnx  bourgeois  de  Paris,  afin  de  solliciter  instamment  ses  con- 
adis,  ses  secours,  sa  présence;  il  n'épargna  rien  pour  ranimer 
les  vieux  ressentiments  de  Philippe  contre  Charles  VII  et  pour 
intéresser  son  amour-propre  à  soutenir  la  cause  du  jeune  Henri. 
La  fastueuse  générosité  de  Philippe  eût  peut-être  relevé  Char- 
les VII  vaincu  et  terrassé  ;  son  orgueil  s'irrita  de  voir  Charles  se 
relever  avec  éclat  sans  son  aide.  Il  répondit  favorablement  aux 
députés  de  Bedford,  partit  de  Hesdin  en  Artois  avec  sept  ou  huit 
cents  chevaux,  arriva  à  Paris  le  10  juillet,  et  renouvela  ses  enga- 
gements et  ses  alliances  avec  le  régent.  Bedford  tira  un  grand 
parti  du  séjour  de  Philippe  à  Paris  ;  il  fit  prêcher  à  Notre-Dame 
un  sermon  passionné  par  un  prêtre  dévoué  au  parti  anglo-bour- 
guignon, devant  le  parlement,  l'université,  le  corps  de  ville  et 
les  notables  bourgeois;  puis  tous  les  assistants  furent  invités  à  se 
rendre  en  procession  au  Palais.  Là,  on  relut  devant  eux  le  traité 
solennel  autrefois  conclu  entre  Jean-sans-Peur  et  le  dauphin, 
avec  un  récit  pathétique  de  la  violation  de  ce  traité  et  du  cruel 
meurtre  du  duc  Jean ,  égorgé  tandis  qu'il  tâchait  de  rétablir  la 
paix  dans  le  royaume.  Le  duc  Philippe,  remué  par  ces  funestes 
souvenirs,  se  leva  et  demanda  de  nouveau  justice  des  assassins 
de  son  père.  On  lui  répondit  par  des  cris  contre  les  Armignacs. 
Bedford  espéra  avoir  atteint  son  but;  les  passions  bourguignonnes 
et  c^bochiennes  paraissaient  réveillées,  et  l'assistance  promit,  en 
€  levant  les  mains,  que  tous  seroient  bons  et  loyaux  au  régent  et 


200  GUERRES  DES  ANGLAIS.  (i4»i 

au  duc  de  Bourgogne  »  (15  juillet)  <.  Bedford  donna  la  capitai- 
nerie de  Paris  à  rile-Adam,  qui  avait  conservé  quelque  chose  de 
son  ancienne  popularité  aux  halles  et  chez  les  bouchers;  les  An- 
glais s'effacèrent  le  plus  possible  derrière  les  Bourguignons.  Le 
duc  Philippe  repartit  dès  le  lendemain  de  la  scène  du  Palais,  mais 
en  promettant  son  assistance. 

Tiendra-t-il  parole  efficacement?  Cette  assistance  arrivera-t-elle 
à  temps?  La  masse  parisienne  soutiendra-t-ellele  nouveau  corps 
de  ville  imposé  par  l'étranger  ?Voudra-t-elle  combattre,  si  l'année 
de  France  paraît  au  pied  des  remparts  avant  les  renforts  anglais  et 
bourguignons?  Il  semble  que  Paris  soit  à  gagner  à  la  course! 
«  A  Paris!  à  Paris  !  »  crie  Jeanne,  comme  elle  criait  naguère  :  i  A 
Reims!  »  Et  toute  l'armée  crie  avec  elle.  Le  départ  pour  Paris  est 
annoncé,  le  jour  môme  du  sacre,  pour  le  lendemain  18  juillet 
«  Demain  s'en  doit  partir  le  roi  tenant  son  chemin  vers  Paris... 
La  Pucelle  ne  fait  doute  qu'elle  ne  mette  Paris  en  l'obéissance  >•  > 

Le  18  juillet,  Bedford  quitte  Paris  pour  courir  chercher  lui- 
même  ses  renforts.  Le  roi  ne  part  pas!...  Il  retient  l'armée  à 

Reims  trois  jours,  trois  siècles Il  ne  déloge  que  le  21  pour 

aller  à  Saint -Marcoul  toucher  les  écrouelles.  L'eCfet  du  sacre, 
cependant ,  se  produit  dans  toute  la  contrée.  Le  21,  Charles  \ïl 
reçoit,  à  Saint-Marcoul,  les  clefs  de  la  ville  de  Laon,  où  11  envoie 
La  Hire  comme  bailli  de  Vermandois  ;  le  22,  il  reçoit  à  Yailli-sur- 
Aisne  les  clés  de  Soissons;  le  23,  il  fait  son  entrée  à  Soissons.  De 
bonnes  nouvelles  arrivent  de  toutes  parts.  La  Champagne  orien- 
tale s'est  tournée  française.  Les  villes  de  la  Brie  se  remuent  Le 
roi  reste  cinq  ou  six  jours  immobile  à  Soissons... 

Pendant  ce  temps,  le  duc  de  Bedford  et  le  cardinal  de  Win- 
chester rentrent  à  Paris  avec  4,000  hommes  d'armes  et  archers 
anglais  (25  juillet)  :  L'Ile-Adam  amène  quelques  Picards;  puis 
arrivent  d'autres  troupes  anglaises  tirées  des  garnisons  de  Nor- 
mandie, et  grossies  par  ceux  des  «  nobles  et  autres  »  de  l'Ile-de- 
France  et  de  la  Normandie ,  qui  répondent  encore  au  ban  du 

1.  Journal  du  Bourgeois  de  Paris.  —  Mon»trelet. 

2.  Lettre  écrite  de  Reims,  ie  soir  du  sacre,  17  jaillet,  par  trois  gentilshomme!» 
de  la  maison  du  roi  k  la  reine  de  France  et  à  sa  mère,  la  reine  douairière  de  Si- 
cile. C'est  une  pièce  en  quelque  sorte  officielle.  Procès,  t.  V,  p.  127-131. 


roi  Henri.  Des  Picards  au  service  de  Bourgogne  viennent  occuper 
Meaux,  que  Bedford  a  remis  en  gage  au  duc  Philippe  pour  ga- 
rantie du  prix  de  ses  services  très  peu  gratuits. 

Jamais  peut-être  on  n'avait  vu  un  roi  s'ingénier  de  la  sorte  à 
trahir  sa  couronne.  Il  n'y  a  rien  de  pareil  dans  l'histoire. 

Tandis  que  Bedford  se  refait  à  loisir  une  armée  dans  Paris, 
Charles  VII  se  décide  enfin  à  quitter  Soissons  ;  mais  ce  n'est  pas 
pour  tourner  vers  la  capitale ,  c'est  pour  se  porter  sur  Château- 
Thierri,  qui  capitule  (29  juillet).  L'armée  espère  se  dédommager 
de  tant  de  retards  ;  on  dit  que  Bedford  va  venir  présenter  la  ba- 
taille, n  ne  paraît  pas,  et  le  roi  repasse  la  Marne  et  mène  l'armée 
à  Provins  (2  août),  marchant  parallèlement  à  Paris,  au  lieu  de 
marcher  sur  Paris.  Le  roi  et  ses  conseillers  avaient  résolu  d'aller 
repasser  la  Seine  au  pont  de  Brai,  et  de  retourner  sur  la  Loire, 
afin  que  ne  s'accomplit  point  la  parole  de  celle  qui  avait  dit  : 
€  Je  rendrai  Paris  au  roi  après  son  couronnement!  » 

Les  habitants  de  Brai-sur-Seine  avaient  promis  de  mettre  leur 
ville  en  l'obéissance  du  roi.  Ils  manquèrent  de  parole  ;  ils  don- 
nèrent entrée,  durant  la  nuit,  à  un  gros  détachement  d'Anglais  et 
de  Bourguignons,  et,  le  lendemain  matin,  les  premiers  Français 
qui  se  présentèrent  pour  passer  le  pont  furent  pris  ou  tués. 

Jamais  échec  ne  fut  accueilli  si  joyeusement  par  une  armée.  Il 
fut  impossible  de  décider  les  soldats  à  attaquer  le  pont  de  Brai; 
impossible  d'empêcher  l'armée  de  tourner  tête  vers  Paris.  L'au- 
torité revenait  tout  entière  aux  mains  de  Jeanne  :  les  jeunes 
princes  et  la  fleiu*  des  capitaines,  Alençon,  René  d'Anjou,  les 
Bourbons,  le  bâtard  d'Orléans,  les  Laval,  La  Hire,  étaient  avec  elle 
comme  la  multitude.  La  Trémoille  et  Regnauld  de  Chartres  ne 
virent  plus  qu'un  seul  expédient  pour  arrêter  le  torrent  ;  ils  entre- 
tenaient depuis  le  sacre  une  négociation  avec  des  agents  du  duc 
de  Bourgogne,  qui,  malgré  les  scènes  théâtrales  de  Paris,  ne  se 
pressait  pas  de  secourir  sérieusement  les  Anglais ,  et  ne  deman- 
dait guère  qu'à  user  les  deux  rois  l'un  par  l'autre.  Ils  signent  une 
trêve  de  quinze  jours  avec  les  Bourguignons,  et  annoncent  que  le 
duc  Philippe,  à  l'expiration  de  la  trêve,  promet  de  faire  rendre 
Paris  au  roi.  Selon  toute  apparence,  les  agents  de  Philippe  n'a- 
vaient pas  fait  cette  promesse  dans  de  pareils  termes,  et  avaient 


202  GUERRES  DES  ANGLAIS.  um 

seulement  promis  que  la  trêve  serait  employée  à  préparer  une 
paix  qui  rendrait  Paris  au  roi. 

Une  précieuse  lettre  de  Jeanne  atteste  qu*e11e  ne  fut  pas  la  dope 
de  ses  ennemis.  Elle  écrit  à  ses  «  chei's  et  bons  amis  les  loyanx 
François  de  la  cité  de  Reims  »  de  ne  point  s'émenreiller  si  eDe 
n'entre  à  Paris  «  si  brièvement  »  qu'elle  le  devait  faire  ;  que  le  pm 
a  fait  trêve  de  quinze  jours,  dont  elle  n'est  point  contente.  «  Je 
ne  sais  si  je  tiendrai  ces  trêves  »,  ajoute-t-elle  ;  t  et,  si  je  les  tiens» 
ce  sera  seulement  pour  garder  l'honneur  du  roi...  Et  je  tiendrai  et 
maintiendrai  ensemble  l'armée  du  roi  pour  être  toute  prête  aa 
chef  des  dits  quinze  jours,  s'ils  (les  Bourguignons)  ne  font  la  paix. 

«  Ëcrit  ce  vendredi  b^  d'août,  emprês  un  logis  sur  champ  oa 
(au)  chemin  de  Paris  ^  » 

Ce  fier  langage  aide  à  comprendre  et  la  jalousie  du  roi  et  la 
sourde  rage  des  favoris. 

L'armée  anglaise,  sur  ces  entrefaites,  s'était  portée  vers  CorbeD 
et  Melun.  Les  Français  avancèrent  de  Provins  et  de  Brai  jusqu'à 
Nangis,  espérant  y  avoir  bataille  ;  mais  ils  n'eurent  point  de  nou- 
velles de  Bedford,  qui,  en  ce  moment,  marchait  sur  Hontereao. 
On  ne  pouvait  se  rapprocher  de  Paris  sans  franchir  la  Marne; 
Tarmée  se  dirigea  donc  au  nord,  repassa  cette  rivière  à  Ghâteao- 
Thierri,  et  entra  en  Valois.  L'enthousiasme  des  populations, 
durant  cette  marche,  apporta  de  grandes  consolations  au  coeur  de 
Jeanne,  si  douloureusement  atteint  par  la  défiance  et  l'ingratitade 
royales.  A  la  Ferté-Milon,  à  Crespi  en  Valois,  tout  le  peuple  ac- 
courut au  devant  du  roi,  criant  Noël,  chantant  Te  Deum  Untdamm^ 
et  regardant  et  admirant  la  Pucclle  comme  l'ange  de  Dieu.  Jeanne 
en  versa  des  larmes  de  tendresse.  Comme  elle  chevauchait  entre 
l'archevêque  de  Reims  et  le  bâtard  d'Orléans  :  «  En  nom  Dieu, 
dit-elle,  voici  un  bon  peuple!  Plût  au  ciel  que  je  fusse  assez  heu- 
reuse, quand  je  devrai  mourir,  que  d'être  ensevelie  dans  celle 
terre  !— Jehanne,  dit  l'archevêque,  savez-vous  quand  vous  mourra 
et  en  quel  lieu?  —  Quand  il  plaira  à  Dieu,  répondit-elle,  car  je  ne 
sais  pas  plus  que  vous  le  temps  ni  le  lieu.  Et  plût  à  Dieu,  moB 
créateur,  que  je  pusse  maintenant  partir,  abandonner  les  armei, 

1.  ProcéM,  V,  p.  140. 


CU29]  DÉFI  DE  BEDFORD  AU  ROI.  203 

et  relourner  près  de  mes  père  et  mère,  garder  leurs  brebis  et  bétail 
avec  ma  sœur  et  mes  frères,  qui  tant  se  réjouiroient  de  me  voir  ' .  » 

C'est  la  première  fois  qu'elle  ait  exprimé  un  regret  de  sa  paix 
et  de  son  obscurité!  la  première  plainte  de  la  femme,  sous  le 
terrible  fardeau  du  Messie!  La  grandeur  de  l'œuvre  n'accablait 
aucunement  son  génie  ;  mais  son  cœur  se  déchirait  aux  épines 
que  d'indignes  mains  semaient  sur  sa  route.  Ses  vœux  ne  devaient 
point  être  exaucés  !  la  libératrice  de  la  France  ne  devait  pas  re- 
voir le  chaume  paternel,  ne  devait  pas  mourir  entourée  d'un 
peuple  affranchi  et  reconnaissant  !... 

Charles  VII  reçut  à  Crespi,  le  1 1  août,  une  dépêche  de  Bedford, 
écrite  à  Montereau  le  7.  Le  régent  anglais,  avec  la  dévote  hypo- 
crisie des  Lancastre,  reprochait  à  «  Charles  de  Valois  »  de  séduire 
cl  abuser  «  le  simple  peuple  »  en  s'aidant  de  gens  «  superstitieux 
et  réprouvés,  comme  d'une  femme  désordonnée  et  difl'amée,  étant 
en  habit  d'homme  et  gouvernement  dissolu,  et  aussi  d'un  frère 
mendiant,  apostat  et  séditieux^,  tous  deux,  selon  la  sainte  Écri- 
ture, abominables  à  Dieu.  »  Il  prétendait  avoir  poursuivi  «Charles 
de  Valois  de  lieu  en  lieu  sans  l'avoir  encore  pu  rencontrer  »,  le 
sommait  c  d'avoir  pitié  du  pauvre  peuple  chrétien ,  tant  inhu- 
mainement traité  et  foulé  à  cause  de  lui,  et  de  prendre,  au  pays 
de  Brie  ou  en  FIle-de-France,  place  aux  champs  convenable,  k 
brief  jour,  pour  procéder  par  bonnes  voies  de  paix  non  feinte, 
corrompue,  dissimulée,  violée  ni  parjurée,  comme  fut  à  Monte- 
reau où  faut  Yonne,  ou  par  journée  de  bataille,  si  l'on  ne  peut 
profiter  au  bien  de  paix^.  »  Suivant  un  historien  anglais  (Hollin- 
sbed),  Charles  VII  aurait  répondu  au  héraut  de  Bedford  :  «  Ton 
maître  aura  peu  de  peine  à  me  trouver;  c'est  bien  plutôt  moi 
qui  le  cherche!  » 


1.  Déposition  da  comte  de  Dunois;  Procès^  t.  III,  p.  14. 

2.  Le  cordelier  Richard.  —  A  la  nouvelle  que  frère  Richard  chevauchait  avec 
les  Arminaz^  les  gens  de  Paris,  du  moins  les  Bourguignons,  avaient  recommencé, 
en  dépit  de  lui,  les  jeux  de  tables  (dames),  boules,  dés  et  autres  qu'il  leur  avait 
fait  quitter  :  ils  laissèrent  un  mériàu  (merrcau)  d'étain,  au  nom  de  Jésus,  qu'il 
leur  avait  fait  prendre,  et  reprirent  la  croix  bourguignonne  de  Saint-André. — 
Journal  du  Bourgeois  de  Parti,  ap.  Collect,  Michaud,  r*  sér.  t.  III,  p.  255. 

3.  Monslrelct,  1.  II,  c.  65;  ap.  Procès,  IV,  382.  —  Berri,  roi  d'armes;  ibid., 
p.  46. 


201  GUERRES  DES  ANGLAIS.  riiM} 

Les  outrages  de  TAnglais  avaient  enfin  ému  quelque  peu  le  roi, 
et  il  parut  désirer  la  bataille.  L'armée,  à  sa  grande  allégresse, 
avança  vers  Paris  jusqu'à  Daminarlin,  le  13  août,  et  y  attendit  Ten- 
nemi.  Bedford  avait  ramené  ses  troupes  de  Montereau  au  iionl 
de  Paris,  et  s'était  établi  dans  un  bon  poste,  à  Mitrî,  entre  Chu 
et  Damniartin.  Il  resta  sur  la  défensive,  et  le  conseil  de  guerre  m 
fut  point  d'avis  de  l'attaquer  dans  ses  lignes.  Le  roi  se  replia  sw 
Crespi;  la  Pucellc  et  les  principaux  capitaines,  avec  une  grossi 
bataille  de  6,000  ou  7,000  hommes  d'élite,  poussèrent  du  côté  d 
Senlis,  jusqu'à  Mont-Espilloi.  Bedford  vint  couvrir  Senlis,  et  s 
logea,  avec  8,000  à  9,000  combattants*,  sur  la  petite  rivière  d 
Xonette,  près  de  l'abbaye  de  la  Victoire,  entre  Senlis  et  Monl-Es 
pilloi.  Le  nom  et  les  souvenirs  de  cette  célèbre  abbaye,  fondé 
par  Philippe-Auguste  en  mémoire  de  Bovines,  semblaient  d*u 
heureux  augure  pour  les  Français  (14  août). 

Le  lendemain  matin  (15  août),  les  Français  descendirent  d< 
hauteurs  en  bel  ordre  de  bataille.  Ils  trouvèrent  leurs  ennemi 
couverts,  en  front,  par  des  tranchées,  des  palissades,  des  lignes  d 
chariots;  en  flancs,  par  des  fossés,  des  haies  et  des  baliierscpaif 
sur  les  derrières,  par  un  étang  profond  que  forme  la  Nonetle.  Il 
tàtèrent  les  Anglais  par  des  escarmouches.  Les  Anglais  ne  sorti 
rent  qu'en  petits  détachements  :  le  gros  de  l'armée  garda  so 
poste.  Jeanne,  alors,  prit  son  étendard  en  main,  se  mit  en  tèted 
l'avant-garde  et  vint  planter  sa  bannière  devant  le  fossé  des  An 
glais.  Bedford  ne  bougea  pas.  Jeanne  fil  retirer  l'avant-garde,  ( 
manda  aux  ennemis  que,  s'ils  voulaient  «  Siiillir  hors  de  leii 
place  pour  donner  la  bataille,  nos  gens  se  reculeroient  et  les  laii 
seroient  mettre  en  leur  ordonnance.  »  Bedford  ne  répondit  jmî 
On  conçoit  ce  qu'il  dut  lui  en  coûter  de  n'oser  répondre  au  dé 
d*une  femme,  et  quel  trésor  de  haine  et  de  vengeance  dut  s'amai 
ser  dans  cette  âme  superbe.  Il  eut  la  force  de  rester  fidèle  à  so 
plan  jusqu'au  bout  ;  il  laissa  sortir  les  plus  braves  de  ses  gens,  tai 
qu'ils  voulurent,  pour  escarmouchcr  et  s'aguerrir  à  voir  la  tenibl 
Pucelle  en  face  ;  ces  engagements  s'accrurent  jusqu'à  devenir  il 

1.  Il  avuit  un  assez  bon  nombre  de  Picards,  et  sept  ou  huit  cents  des  gi*a<  < 
duc  de  Bourgogne,  ce  qui  était  une  singulière  façon,  pour  ceux-ci,  d*ob«en 
la  irC'vc. 


[1429J  JOURNÉE  DE  MONT-ESPILLOI.  205 

petits  combats  assez  meurtriers,  car  on  n'y  prenait  pei-sonne  à 
uierci;  mais  toujoui^s  les  Anglais,  quand  ils  étaient  trop  pressés, 
se  réfugiaient  dans  leurs  lignes.  Un  incident  signala  une  de  ces 
passes  d'armes.  La  Trémoille,  voulant  apparemment  se  réhabi- 
liter dans  l'esprit  de  l'armée,  se  risqua  à  faire  le  coup  de  lance. 
Son  cheval  s'abattit,  et  il  courut  grand  risque  de  la  vie;  mal- 
heureusement il  fut  secouru  à  temps. 

A  la  nuit  tombante,  les  Français,  voyant  l'impossibilité  d'avoir 
bataille,  regagnèrent  leur  logis  de  Mont-Espilloi ,  et  le  roi,  qui 
était  venu  entre  Mont-Espilloi  et  l'abbaye  de  la  Victoire  avec  l'ar- 
rière-garde, retourna  à  Crespi*. 

Le  jour  d'après  (16  août),  Bedford  décampa  et  reprit  par  Scnlis 
la  roule  de  Paris,  renonçant  à  tenir  la  campagne,  soit  pour  quel- 
ques alarmes  sur  les  dispositions  de  la  capitale ,  soit  pour  les 
mauvaises  nouvelles  qu'il  recevait  du  côté  de  la  Normandie.  Au 
lieu  de  le  suivre  l'épée  dans  les  reins,  le  roi  rappela  l'armée  à 
Crespi,  d'où  il  alla  s'établir  à  Compiègne,  qui  venait  de  lui  en- 
voyer ses  clefs  (18  août).  Sentis,  sommé  par  un  détachement  fran- 
çais, se  rendit  «  au  roi  et  à  la  Pucelle  ».  Beauvais  en  fit  autant, 
après  avoir  chassé  son  évéque  Pierre  Cauchon,  qui  se  montrait 
€  extrême  et  furieux  pour  le  parti  des  Anglois  »,  quoiqu'il  fût 
natif  des  environs  de  Reims  et  dût  sa  mitre  épiscopale  au  duc  de 
Bourgogne  et  non  aux  étrangers.  La  soif  de  vengeance  que  la 
révolution  de  Beauvais  alluma  dans  cette  àme  haineuse  et  dépi-a- 
vée  ne  contribua  pas  moins  que  Tambition  et  la  cupidité  au  rôle 
inftoie  que  Cauchon  accepta  plus  tard  de  ses  maîtres. 

Ces  faciles  succès  ne  doivent  pas  faire  illusion  sur  la  faute 
énorme  ou  plutôt  sur  le  crime  que  commettaient  le  roi  et  ses  con- 
seillers en  refusant  d'écouter  Jeanne  et  de  pousser  droit  à  Paris. 
C'était  toujours  le  même  système.  La  trêve  de  quinze  jours  avec 
les  Bourguignons  était  expirée  sans  que  le  duc  Philippe  eût  fait 
rendre  Paris;  mais  les  négociations  continuaient;  l'archevôque- 
diancelier,  Raoul  de  Gaucourt  et  d'autres  membres  du  conseil 


1.  PercCTal  de  Cagni,  ap.  Procès,  t.  IV,  p.  22-23.  —  Berri,  roi  d*armes,  ibid, 
p.  47.  —  Jean  Chartier,  ibid.  p.  80-84.  —  Monsirelet,  ibid,  p.  386.  —  Journal  du 
éiége  d'Orléans,  ibid.  p.  196.  Le  récit  de  Perceval  est  de  beaucoup  le  plus  digne 
de  foi,  ici  comme  partout 


206  GUERRES  DES  ANGLAIS.  [1429} 

étaient  allés  trouver  Philippe  à  Arras,  et  Tarchevéque  avait  fait 
au  duc,  de  la  part  du  roi,  «  offres  de  réparation  plus  qu*à  la  ma- 
jesté royale  n'appartenoit,  excusant  par  sa  jeunesse  ledit  roi  de 
rtioinicide  jadis  perpétré  en  la  personne  de  feu  le  duc  Jehan  de 
Bourgogne;  alléguant  que  lors,  avec  sa  dite  jeunesse,  il  étoitan 
gouvernement  de  gens  qui  point  n*avoient  de  regard  et  considé- 
ration au  bien  du  royaume  ni  de  la  chose  publique,  et  ne  les  eût 
pour  ce  temps*  osé  dédire  ni  courroucer^  >.  L'archevêque  et  ses 
collègues  firent  de  grandes  offres  au  duc,  Texil  des  auteurs  on 
complices  du  meurtre  de  Jean-sans-Peur  ;  la  dispense  pour  le  duc, 
sa  vie  durant,  de  toute  obligation  de  vassalité  envers  le  roi;  di- 
verses cessions  de  territoire.  Philippe  les  c  ouït  bénignement  i, 
dit  Monstrclet.  La  majeure  partie  des  conseillers  du  duc  c  avoient 
grand  désir  et  affection  que  les  deux  parties  fussent  réconciliée! 
Tune  avec  l'autre  ».  C'était  le  vœu  de  la  grande  majorité  des 
populations  artésiennes  et  picardes,  surtout  des  gens  c  de  moyen 
et  de  bas  état  »  ;  toutes  les  villes  de  la  Somme  c  ne  désiroient 
autre  chose  au  monde  que  de  recevoir  le  roi  Charles  à  seigneur». 
Les  bourgeois  picards  «  alloient  en  la  ville  d*Arras  devers  le  chan- 
celier de  France  impétrer  en  très  grand  nombre  rémission,  lettres 
de  grâces,  offices  et  autres  mandements  royaux,  comme  si  le  roi 
fût  pleinement  en  sa  seigneurie  et  de  ce  fussent  acertenés  (as- 
surés) 2.  » 

Philippe,  un  moment,  sembla  près  de  signer  le  traité;  mais 
deux  de  ses  conseillers,  Tévèque  de  Tournai'  et  Hugues  de  Lannoi, 
accoururent  de  la  part  de  Bedford  pour  c  l'admonester  de  faire 
entretenir  le  serment  qu'il  avoit  fait  au  roi  Henri  ».  Ils  obtinrent 
qu'on  ne  conclût  rien  et  que  le  duc  envoyât  à  son  tour  une  am- 
bassade au  roi  Charles  afin  de  débattre  plus  amplement  la  paix 
générale*.  Gagner  du  temps,  pour  le  parti  anglais,  c'était  toot 
gagner. 

Jeanne  ne  le  sentait  que  trop,  elle  dont  l'inspiration,  dontl'iD- 
faillible  instinct  parlait  plus  haut  que  jamais.  Elle  se  dévorait  elie- 

1.  Monstrelet,  1.  II»  c.  57. 

2.  Monstrclet,  ibid. 

3.  Évéque  sans  diocèse;  ses  diocésains  ravaicnt  chtssé  comme  Canchoa. 

4.  Monstrelet,  1.  II,  c.  69. 


[1429]  JEANNE  Â  SAINT-DENIS.  207 

même  en  voyant  son  roi  si  mal  répondre  à  «  la  grâce  que  Dieu 
lui  avoil  faite*  ». 

Après  cinq  mortels  jours  perdus  à  Compiègne,  elle  n'y  put 
tenir.  Un  matin  (le  23  août),  elle  appela  le  duc  d'Alençon  :  €  Mon 
beau  duc,  faites  appareiller  vos  gens  et  ceux  des  autres  capitaines. 
Par  mon  martin,  je  veux  aller  voir  Paris  de  plus  près  que  je  ne 
Taivu!»» 

L'élite  de  l'armée  la  suivit  sans  le  congé  du  roi.  Elle  rallia  en 
passant  l'avant-garde  qui  occupait  Senlis ,  et,  le  26,  elle  entra  dans 
Saint-Denis  sans  coup  férir.  Les  bourgeois  lui  livrèrent  la  ville. 
Elle  rendit  ainsi  à  la  royauté,  malgré  le  roi ,  la  ville  des  tombeaux 
après  la  ville  du  sacre. 

Les  fautes  passées  étaient  encore  réparables.  La  puissance  qui 
avait  envoyé  Jeanne  ne  se  lassait  pas  de  tendre  la  main  à  Char- 
les YU.  Il  suffisait  que  le  roi  n'empêchât  pas,  pour  que  l'œuvre  de 
délivrance  s'accomplît.  Les  partisans  français  faisaient  merveilles. 
Ils  venaient  d'enlever  Creil,  et  l'on  avait  appris  coup  sur  coup  la 
surprise  de  quatre  importantes  forteresses  de  Normandie,  Aumale^ 
Torci^  Estrepagni  et  le  fameux  Château-Oaillard  d'Andeli.  La 
Hire,  qui  s'était  détaché  de  l'armée  pour  aller  prendre  Château- 
Gaillard,  trouva,  dans  le  donjon,  le  brave  Barbasan,  le  défenseur 
de  Melun,  qui  languissait  depuis  neuf  ans*  dans  les  fers  des  An- 
glais, sans  que  Charles  VU  eût  rien  fait  pour  obtenir  sa  liberté  par 
rançon  ou  par  échange  :  ce  vaillant  capitaine  n'en  recommença 
pas  moins  à  servir  énergiquement  la  France  de  sa  tète  et  de  son 
bras.  Il  était  encore  des  hommes  qui  savaient  se  dévouer  à  la 
cause  de  l'État  sans  être  rebutés  par  l'ingratitude  etla  nullité  de  son 
chef.  Le  connétable  de  Richemont ,  qui  avait  continué  la  guerre 
pour  son  compte  dans  l'ouest,  après  avoir  emporté  plusieurs 
places  dans  le  Maine  et  le  Perche,  menaçait  en  ce  moment 


1.  Perceval  de  Cagni,  Procêt,  t.  IV,  p.  24. 

2.  PcrceYal  de  Cagni,  Procès,  t.  IV»  p.  24. — Jeanne  (interrogatoire  du  1*'  mars) 

dit  que  ce  fut  au  moment  de  monter  à  cheval  qu'elle  reçut  du  comte  d'Armagnac 

/a  lettre  dont  nous  avons  parié  ci-dessus  (p.  1 91).  Il  y  aurait  là  une  légère  erreur 

de  mémoire  ;  sa  réponse  au  comte  est  datée  de  la  veille,  du  22.  Jeanne  ajoute  que 

/e  messager  faillit  a  être  jeté  dans  la  rivière.  »  Elle  n'explique  pas  si  ce  fut  par 

des  courtisans  jaloux  de  l'éclatant  hommage  qu'on  lui  rendait,  ou  par  de  vieux 

ennemis  de  la  maison  d'Armagnac.  Procès,  t.  I,  p.  244* 


208  GUERRES  DES  ANGLAIS.  [Utt] 

Ëvreux,  et  s'apprôtait  à  seconder  les  petits  corps  qui  avaient 
entamé  la  Normandie.  La  connivence  des  populations  nur- 
mandes  avec  les  troupes  françaises  élait  flagrante  :  les  émigréî 
normands  rentraient  les  armes  à  la  main  ;  les  places  fortes  étaient 
dégarnies  ;  le  péril  croissait  de  jour  en  jour  pour  les  Anglais. 
La  Normandie  était  la  base  de  leur  domination  :  la  Normaih 
die  perdue,  le  reste  s*écroulait  de  soi-même.  Bedford  prit  un 
grand  parti  :  ce  fut  de  tout  abandonner  pour  courir  au  secours 
do  la  province  que  Henri  Y  mourant  lui  avait  recommandé  de 
conserver  à  tout  prix  à  son  fils.  Il  laissa  dans  la  capitale  Louis  de 
Luxembourg,  évéque  de  Térouenne,  chancelier  de  France  pour 
le  roi  Henri ,  avec  rile-Adam ,  le  prévôt  Morhier,  un  capitaine 
anglais  nommé  Radiey,  et  2,000  combattants,  la  plupart  Fran- 
çais ou  Bourguignons,  et  quitta  Paris  avec  tout  le  reste  de  ses 
troupes,  n'espérant  plus  y  jamais  rentrer.  H  venait  de  pailir  lors- 
que Jeanne  s'empara  de  Saint-Denis. 

Le  roi,  sur  ces  entrefaites,  délogea  enfin  de  Compiègne  :  on 
Taltendait  en  grande  joie  à  Saint-Denis;  il  s*arrêta  à  Senlis! 

Ce  n'était  pas  pour  attaquer  Paris  qu'il  avait  changé  de  gtte, 
mais  pour  abandonner  Compiègne.  Il  n'avait  pas  conclu  la  paii 
avec  les  envoyés  du  duc  de  Bourgogne,  Jean  de  Luxembourg,  l'é- 
véque  d'Arras  et  autiH^s,  mais  il  avait  conclu  une  nouveUe  trêve 
jusqu'à  NoCl  pour  tous  les  pays  au  nord  de  la  Seine,  Paris  et  les 
villes  de  la  Seine  non  compris  (28  août).  Les  Bourguignons  ne 
donnaient  point  Paris,  mais  on  leur  donnait  Compiègne;  du  moins 
on  le  leur  avait  promis  en  gage  :  heureusement,  les  habitants 
refusèrent  avec  tant  d'énergie  d'ouvrir  lem*  ville  aux  Bourgui- 
gnons, qu'il  fallut  reculer  devant  leur  patriotique  désobéissance, 
et  que  les  ambassadeurs  de  Philippe,  pour  assurer  aux  Bourgui- 
gnons un  poste  sur  l'Oise,  durent  se  contenter  de  Pont-Sainte- 
Maxeiice*.  Ils  promirent  que,  durant  la  trêve,  le  duc  ménagerait 
la  reddition  de  Paris  au  roi.  Tel  fut  le  chef-d'œuvre  diplomatique 
de  Kegnauld  de  Chartres.  C'était  son  incrédulité  môme,  autant 
que  son  orgueil  de  pharisien  et  de  vieux  politique,  qui  rendait 
l'archevôque-chancelier  dupe  des  illusions  les  plus  grossières  :  il 

1.  ProUs,  l.  V,  1».  174. 


avait  compté  que  sa  diplomatie  recouvrerait  Paris  sans  le  con- 
cours de  Jeanne;  encore  est-ce  pour  lui  l'interprétation  la  plus 
favorable  que  de  le  croire  dupe.  Au  fond,  comme  La  Trémoille 
et  comme  le  roi  lui-mômc ,  il  préférait  de  beaucoup  ajourner 
indéfiniment  la  recouvrance  de  Paris  que  de  la  devoir  à  la 
Pucelie. 

Une  impatience  fiévreuse  consumait  Jeanne  :  elle  tournait  au- 
tour de  Paris  comme  un  jeune  lion  autour  d'une  bergerie,  me- 
nant les  escarmouches  tantôt  à  une  porte,  tantôt  à  une  autre, 
examinant  l'assiette  de  la  ville,  cherchant  Tendroit  «  le  plus  con- 
venable à  donner  assaut^  ».  Hélas!  on  ne  pouvait  attaquer  sans 
le  roi.  On  ne  prend  point  Paris  malgré  lui  ;  et,  pour  que  Paris  se 
décidât  à  se  laisser  prendre,  pour  que  le  parti  national  entraînât 
la  masse  de  la  population ,  flottante  encore  entre  le  sentiment 
français  et  les  vieilles  rancunes  contre  les  Armagnacs  et  les  Dau- 
phinois, il  fallait  que  toutes  les  forces  morales  et  matérielles  agis- 
sent ensemble,  et  que  Charles  VU  se  montrât  en  personne  au  pied 
des  remparts. 

La  Pucelie,  le  duc  d'Alençon  et  leurs  compagnons  envoyaient 
au  roi  message  sur  message.  Il  ne  venait  pas  !  Alençon  courut, 
le  I"  octobre,  à  Senlis,  le  presser,  le  supplier  de  venir.  Il  promit 
de  partir  le  lendemain,  et  manqua  de  parole  !  Alençon  y  retourna 
le  5  :  quant  à  Jeanne ,  elle  n'eût  pu  se  décider  à  perdre  de  vue, 
même  pour  un  jour,  les  clochers  de  Paris  ;  elle  était  comme  en- 
chaînée devant  la  grande  cité  par  une  force  surhumaine.  Le  roi 
arriva  enfin,  le  7,  à  Saint-Denis.  Jeanne  oublia  tous  ses  griefs  et 
toutes  ses  douleurs  :  sur  son  visage  reparaissait  une  héroïque 
joie  que  partageait  toute  l'armée,  tous  les  soldats  du  moins!  Le 
cri  général  était  :  «  Elle  mettra  le  roi  dedans  Paris,  si  a  lui  ne 
TIENT  !  '  »  Une  immense  acclamation  salua  l'annonce  de  l'assaut 
pour  le  lendemain. 

Les  voix  de  Jeanne,  toutefois,  se  seraient  tues  en  ce  moment 
solennel,  s'il  en  fallait  croire  le  témoignage  qu'elle  porta  elle- 
même  dix-huit  mois  plus  tard,  lorsque  les  événements  avaient  pu 
troubler  sa  mémoire  et  ébranler  son  âme,  non  sur  le  fond,  mais 

1.  Perceval  de  Cagni,  ib,  p.  25.  2.  Perceval  de  Cagni,  ihid,  p.  25-26. 

VI.  14 


210  GUERRES  DES  ANGLAIS.  [I4»l 

sur  certaines  particularités  de  sa  mission  ^  et  surtout  lorsqull  se 
faisait  en  elle,  à  son  insu,  un  continuel  effort  pour  empêcher  que 
les  hommes  ne  pussent  accuser  ses  vtnx  d*avoii*  failli.  Un  incident 
tout  récent  avait  jeté  dans  son  cœur  un  moment  de  tristesse  et  d'in- 
quiétude vague.  L*élan  d'enthousiasme  belliqueux  et  patriotique 
qu'elle  avait  imprima  aux  gens  de  guerre  s'était  pleinement  main- 
tenu jusqu'alors,  mais  non  pas  l'élan  de  dévotion  et  de  pureté 
chrétienne  :  les  soldats  n'avaient  pas  tardé  à  retomber  dans  leurs 
habitudes.  La  chaste  Jeanne  ne  pouvait  s'accoutumer  au  spec- 
tacle de  ces  mœurs  grossières,  et  la  seule  vue  d'une  femme  c  folk 
de  son  corps  »  la  mettait  hors  d'elle-même;  parfois»  cependant, 
elle  a  préchoit  »  ces  malheureuses  avec  douceur  et  les  voulait 
convertir;  mais,  un  jour,  à  Saint-Denis,  elle  perdit  patience  et 
frappa  une  fille  de  joie  du  plat  de  son  épée.  La  lame  se  rompit'. 
C'était  la  fameuse  épée  de  Fierbois,  désignée  naguère  i  la  Pucelle 
[)ar  révélation  de  ses  voix^.  La  perte  de  cette  arme  mystérieose 
parut  un  mauvais  présage.  C'était  un  symbole,  tout  au  moins,  si 
ce  n'était  point  un  signe.  Comme  l'épée  mystique,  allait  se  briser 
la  force  divine  que  Dieu  avait  envoyée  aux  hommes  et  dont  les 
hommes  n'étaient  pas  dignes. 

Cette  impression  avait  passé  comme  une  ombre  rapide  sur  l'es- 
prit de  Jeanne  :  elle  était  inspirée  de  trop  haut  et  trop  au-dessos 
de  toute  superstition  pour  dépendre  de  signes  extérieurs.  Ce  qui 
est  certain,  c'est  que  jamais  elle  n'avait  montré  une  ardeur  plus 
entraînante  qu'aux  approches  de  ce  nouveau  combat. 

L'entreprise,  cependant,  infaillible  au  lendemain  du  sacre, 
inTaillible  encore  immédiatement  après  le  dernier  départ  deBed- 
ford,  était  devenue  bien  difficile  et  périlleuse.  Les  quinze  jours 
perdus  parle  roi,  depuis  que  le  régent  anglais  avait  quitté  la  place, 
avaient  donné  au  parti  anglo -bourguignon  tout  le  loisir  de  se^^ 
mettre  de  sa  stupeur  et  d'organiser  la  défense.  Dès  le  26  août, 
le  jour  de  l'entrée  de  Jeanne  à  Saint-Denis,  Tévêque  de  Té- 


1.  Interrogatoires  des  13  et  16  mars,  ap.  Procès,  t.  I,  p.  147,  169.  262. 

2.  Déposition  du  duc  d'Alcnçon,  ap.  Procès,  t.  III,  p.  99.  /d.  de  Loiii  M 
Contes,  ibid,  p.  73. 

3.  Suivant  la  tradition.  Ton  ne  put  jamais  venir  à  bout  de  la  ressouder.  Joi^ 
Chtrtier,  ap.  Procès,  t.  IV,  p.  93. 


[1429]  DISPOSITIONS  DE  PARIS.  211 

rouenne,  chancelier  de  France  pour  le  roi  Henri,  avait  fait  renou- 
veler les  serments  de  la  magistrature  et  du  clergé  «  de  vivre  en 
paix  et  union  sous  l'obéissance  du  roi  de  France  et  d'Angleterre  ». 
Le  corps  de  ville,  composé  d'hommes  irrévocablement  com- 
promis dans  la  faction,  avait  refusé  d'entrer  en  négociations 
avec  le  duc  d'Alençon,  et,  d'accord  avec  le  chancelier  et  les  capi- 
taines anglo-bourguignons,  prenait  les  mesures  les  plus  énergi- 
ques. On  levait  des  empnmts  forcés  sur  le  clergé  et  la  bour- 
geoisie ,  on  saisissait  jusqu'aux  dépôts,  pour  entretenir  les  deux 
mille  soldats  de  la  garnison  et  cette  milice  de  la  ville,  triée  entre 
les  cabochiens  invétérés,  qui  s'était  signalée  naguère  à  la  Journée 
des  Harengs.  On  faisait  venir  des  vivres  de  la  Beauce  et  de  la  Brie. 
On  fortifiait  les  portes  de  boulevards,  de  barrières  ;  on  creusait 
plus  profondément  les  fossés;  on  «  affûtoit  canons  et  queues 
(tonneaux)  pleines  de  pierres  sur  les  murs  ».  Enfin,  pour  contre- 
Jbalancer  l'irritation  causée  par  les  exactions  des  «  gouver- 
neurs »,  on  s'efforçait  d'épouvanter  le  peuple  sur  ce  qu'il  avait  à 
attendre  du  retour  des  «  Armignacs  »  ;  on  représentait  le  roi 
comme  un  tyran  altéré  de  vengeance,  et  la  Pucelle,  comme  une 
sorcière,  un  démon  a  en  forme  de  femme  »;  on  répandait  le 
bruit  que  «  messire  Charles  de  Valois  »  avait  abandonné  à  ses  gens 
la  ville  de  Paris  et  les  habitants  ;  qu'il  voulait  faire  passer  la  char- 
rue sur  le  sol  de  la  grande  cité*. 

Le  roi  avait  fait,  disions-nous,  tout  ce  qu'il  fallait  pour  aider  ses 
ennemis.  Il  ne  se  démentit  pas  jusqu'au  bout.  Le  gios  de  l'armée 
vint  coucher  à  La  Chapelle,  devant  Paris,  le  7  septembre;  le  roi 
resta  à  Saint-Denis,  au  lieu  de  suivre  l'armée.  On  se  mit  en  mouve- 
ment,néanmoins,  le  8  au  matin;  il  avait  été  décidé  qu'on  attaque- 
rait par  la  porte  Saint-Honoré.  L'armée,  forte  d'une  douzaine  de 
raille  hommes,  se  divisa  en  deux  batailles.  L'une,  sous  le  duc  d'A- 
lençon et  le  comte  de  Clermont,  se  posta  derrière  «  une  grande 
butte  »  appelée  le  Marché  aux  Pourceaux  ou  la  butte  des  Moulins  2, 
pour  servir  de  réserve  et  empêcher  les  sorties  de  la  place.  L'autre, 
conduite  par  la  Pucelle,  marcha  droit  aux  remparts.  Jeanne,  par 

^«    l^eyislres  du  purlemeiu  de  Parix,  up.  Procès,  t.  IV,  p.  454-45G.  —  Journal 
</«  ùourytois  de  Paris,  ap.  CoUecl.  Micliaud,   !'•  série,  t.  III,  p.  225. 
^-    C'est  la  butte  Sainl-Rocli,  aujourd'hui  presque  aplanie. 


212  GUERRES  DBS  ANGLAIS.  (I4»j 

une  généreuse  confiance  et  comme  gage  de  réconcilialion»  a\ait 
appelé  auprès  d'elle  ce  Gaucouil  qui  lui  avait  toujours  fiiit  obstacle 
et  qui,  dernièrement  encore,  était  allé  négocier  avec  le  duc  de 
Bourgogne.  Â  la  première  bataille  étaitaussile  sire  de  Retz,  quek 
roi  avait  fait  maréchal  à  Reims  :  c'était  Tenfer  associé  au  ciel. 

L'assaut  commença  vers  midi.  Un  gentilhomme  dauphinois, 
Saint- Vallier,  mit  le  feu  à  la  barrière  et  au  boulevard  de  la  porte 
Saint-llonoré.  Jeanne  prit  son  étendard,  s*élança  dans  la  mêlée 
6l  y  «  gagna  Tépée  »  d'un  homme  d'armes  ennemi.  Le  boule- 
vard fut  emporté  d'emblée.  Jeanne  passa  le  premier  fossé  de  la 
place,  qui  était  à  sec,  escalada  le  «  dos  d'âne  >  qui  le  séparait  du 
second  fossé,  et  somma  les  «issiégés  de  se  rendre.  Comme  i 
Orléans,  on  ne  lui  répondit  que  par  des  injures.  Elle  s'avança  au 
bord  du  second  fossé.  «  Elle  n'étoit  pas  bien  informée  de  h 
grande  eau  qui  étoit  es  fossés,  et,  toutefois,  il  y  en  avoit  aucuns 
audit  lieu  qui  le  savoientbien,  et  lesquels,  selon  ce  qu'on  pouvait 
considérer  et  conjecturer,  eussent  bien  voulu  par  envie  qu'il  fût 
inéchu  à  icclle  Jehannc  ^ .  »  Qui  donc  savait  ici  ce  qu'ignorait 
Jeanne?  Il  semble  que  le  soin  des  infonnalions  regardait  surtout 
les  inaréchaux.  Le  maréchal  de  Retz  était  auprès  de  Jeiinne,  et  Tod 
n'a  point  à  craindre  de  calomnier  le  maréchal  de  Retz. 

La  prudence  de  Jeanne  déçut  l'espoir  des  traîtres.  Elle  sonda 
le  fossé  avec  sa  lance  et  cria  qu'on  apportât  des  fagots  et  des 
bourrées  pour  le  combler. 

En  ce  moment,  de  grandes  clameurs  s'élevèrent  dans  les  diven 
quartiers  de  la  ville  :  «  Tout  est  perdu  !  l'ennemi  est  dans  Paris; 
siuive  qui  peut!  »  C'étaient  les  gens  du  parti  de  France,  qui  ten- 
taient de  jeter  la  panique  dans  le  parti  de  l'étranger  et  de  soulever 
le  peuple.  La  multitude,  entassée  dans  les  églises  (c'était  le  jour 
de  la  nativité  de  Notre-Dame 2),  en  sortit  tumultueusement,  niab 
ne  se  souleva  point;  la  plupart  coururent  se  renfermer  dans  leurs 
maisons,  et  attendirent  l'événement;  un  certain  nombre,  le< 
Bourguignons,  les  vieux  cabochiens,  allèrent  joindre  la  milice  aux 
remparls^. 

1.  Chrnuiq,  de  la  Pitcelle,  ap.  Collict.  Michaiid,  1"  série,  t.  III,  p.  |o8. 

2.  IMiis  lurd,  ou  fit  un  crime-  k  Jeainic  d*uvoir  donné  l'ussùur  en  «  cesaîui  jour.^ 

3.  llciji.\lrei  du  purUtHCM ;  Proccè,  l.  IV,  p.  4-)7. 


C1429]  ATTAQUE  DE  PARIS.  213 

Jeanne,  cependant,  continuait  ses  efforts  pour  combler  et  fran- 
chir le  fossé.  Les  fascines  manquaient  ;  les  préparatifs  n'avaient 
pas  été  suffisants,  soit  imprévoyance,  soit  mauvais  vouloir  des 
maréchaux.  Jeanne  cependant  persévérait  avec  une  entière  con- 
fiance, sous  une  tempête  de  boulets,  de  flèches  et  de  dnrreaux 
Tarbalètes,  et  les  soldats  s'encourageaient  les  uns  les  autres,  en 
remarquant  le  peu  d'effet  de  toute  cette  artillerie.  Perceval  de 
^agni,  qui  était  avec  le  duc  d'Alençon,  prétend  qu'aucun  des 
P*rançais  n'avait  été  frappé  à  mort,  et  que  l'on  ne  voyait  guère 
yarmi  eux  que  de  légères  blessures.  «  C'est  la  grâce  de  Dieu  et 
•heur  de  la  Pucelle!  »  se  disaient-ils*.  Vers  le  soleil  couchant, 
Feanne,  toujours  debout  sur  le  bord  du  fossé,  et  devenue  le  point 
le  niire  de  tous  les  ennemis,  fut  enfin  atteinte  profondément  d'un 
irait  d'arbalète  à  la  cuisse.  Elle  s'étendit  sur  le  talus  du  fossé,  et 
de  là  elle  ne  cessait  d'exhorter  les  soldats  de  ne  pas  quitter  l'en- 
treprise, d'aller  quérir  partout  du  bois  pour  remplir  le  fossé, 
l'approcher  du  mur,  quoi  qu'il  en  coûtât,  et  toujours  elle  affirmait 
pie  la  place  serait  prise ^.  t  Les  pertes  de  l'armée  ne  sont  pas 
grandes...  Sans  doute  les  bons  François  qui  sont  dans  la  ville  ten- 
eront  quelque  chose  cette  nuit...  Le  roi!  le  roi!  que  le  roi  se 
nontre!» 

Si  Retz  et  Gaucourt  l'eussent  secondée  de  tout  leur  pouvoir,  si 
le  roi  était  venu  de  Saint-Denis,  il  est  très  probable  que  la  nuit 
»ûl  servi  l'attaque  plus  que  la  défense,  et  que  le  mouvement  qui 
ne  s'était  pas  déclaré  à  l'intérieur  de  Paris  dans  la  journée  eût 
éclaté  à  la  faveur  des  ténèbres. 

Le  roi  ne  vint  pas  :  les  chefs  ne  firent  rien  pour  ranimer  la  las- 
situde des  soldats;  à  plusieurs  reprises,  ils  invitèrent  Jeanne  à  se 
retirer;  enfin,  entre  dix  et  onze  heures  du  soir,  Gaucourt  et 
fautres  la  vinrent  prendre,  et,  contre  son  vouloir,  l'emmc- 
lèrent  hors  des  fossés.  €  Et  avoit  très  grand  regret  d'elle  ainsi 
;oi  départir,  en  disant  :  «  Par  mon  martin,  la  place  cùi  été 
)rise!  » 

€  Ils  la  mirent  à  cheval  »  et  la  ramenèrent  h  La  Chapelle  avec 

1.  Perceval  de  Cagni,  ibid,  p.  27. 

2.  Perceval  de  Cagni,  ibid,  p.  27.  —  Jean  Chartier,  ibid,  p.  87.  —  Jjttmal  du 
iége  d'Orléans,  ibid.  p.  199. 


214  GUERRES  DES  ANGLAIS.  i\hv\ 

l'armée  < .  Jennne  goûtait  pour  la  première  fois  au  calice  d'amer- 
tume qu'elle  devait  épuiser  jusqu'à  la  lie.  Pour  la  première  foi*, 
elle  avait  échoué  dans  une  de  ses  entreprises.  Cette  nuit-là,  on  se 
réjouit  dans  le  conseil  du  roi  de  France  à  Saint-Denis,  autant  que 
dans  le  conseil  du  régent  anglais  à  Paris. 

Tout  était  ébranlé;  rien  n'était  perdu.  Le  lendemain,  Jeanne, 
sans  se  soucier  de  sa  blessure  3,  se  leva  de  grand  matin,  fit  venir 
le  duc  d*Alençon  et  le  pria  de  faire  sonner  les  trompettes  poui 
retourner  devant  Paris  :  «  Janiais  n'en  partirai-je  tant  que  j'aurai 
la  ville.  »  Un  grand  débat  s'éleva  entre  les  chefs  :  tandis  qu'ils  Ai^ 
cufaienl,  on  vil  une  troupe  de  gens  d'armes  arriver  du  côté  de 
Paris.  C'était  le  premier  baron  de  l'Ile-de-France,  le  sire  de  Mont- 
morenci,  qui,  jusqu'alors  attaché  au  parti  angio -bourguignon, 
se  trouvait  encore  la  veille  dans  les  rangs  des  ennemis.  Il  venait, 
avec  cinquante  ou  soixante  gentilshommes,  joindre  la  Pucelle, 
après  avoir  franchi  une  des  portes,  qu'il  eût  probablement  livrée 
la  nuit  précédente,  si  l'assaut  eût  continué*.  Des  cris  de  joie  ac- 
cueillirent ces  nouveaux  alliés,  qui  en  promettaient  d'autres.  Oo 
monta  à  cheval;  déjà  Ton  était  en  marche,  quand  deux  des  princes 
du  sang  accoururent  de  la  part  du  roi.  Charles  priait  la  Pucelle 
et  le  duc  d'Alençon  de  revenir,  et  commandait  à  tous  les  autres 
capitaines  de  ramener  la  Pucelle  à  Saint-Denis! 

Ce  coup  fut  affreux  pour  Jeanne.  La  plus  grande  partie  de  l'ar- 
mée en  resta  atterrée  comme  elle.  Jeanne  obéit,  mais  en  se  rat- 
tachant passionnément  à  une  dernière  espérance.  C'était  de  tour- 
ner Paris  par  un  pont  que  le  duc  d'Alençon  avait  fait  jeter  sur  b 
Seine  à  Saint-Denis,  et  d'aller  renouveler  l'attaque  par  la  rive 
gauche.  Le  mot  fut  donné  à  tous  les  «  gens  de  bon  vouloir  >.  Le 
10  septembre,  «  bien  matin  »,  la  Pucelle,  avec  le  duc  d'Alençon 
et  l'élite  de  l'armée,  se  mit  en  mouvement  afin  de  passer  la  Seine. 
Le  pont  de  Saint-Denis  n'existait  plus!  Le  roi  l'avait  fait  c  dépecer 
tonte  la  inni*  ». 

1.  iVrrcval  de  r.apni;  ihid.  p.  27. 

'.'.  X  J'avitis  iniilf  iiiiilicis  «run^fs  qui  iii'eusMMit  emportée  eu  paradis  si  je  fa»9c 
inorcî  .»  dii-clle.  Pmrrt,  t.  I,  p.  IHH. 

::.  rfn*(.'\al  <](.>  Cafini,  ibid.  p.  ':.S.  IVrreval,  trinoin  oculaire,  est  bien  plat 
cru  .ililf  ici  que  riiistitriograplie  Jeun  Cliurliin*  ou  que  Mousirelet. 

4.  IVrccval  de  Cugui,  ibid,  p.  28. 


rUSd]  JEANNE  TRAHIE.  215 

Toute  réflexion  serait  au-dessous  des  faits.  Il  n'y  a  pas,  dans 
l'histoire  moderne,  de  crime  contre  Dieu  et  contre  la  patrie 
comparable  à  celui  de  Charles  VII  et  de  ses  favoris,  de  môme 
qu'il  n*y  a  pas  de  grandeur  comparable  à  celle  de  Jeanne 
Darc. 

Après  trois  jours  de  débats  dans  le  conseil  du  roi,  débats 
où  les  Bourbons  abandonnèrent  le  duc  d'Alençon  et  inclinè- 
rent au  «  vouloir  »  de  Charles  VII,  le  retour  sur  la  Loire  fut 
décidé.  «  Au  parlement  du  roi  la  Pucelle  ne  put  trouver  aucun 
remède.  » 

Le  complot  impie  avait  réussi.  Le  roi,  le  favori,  l'arche vôque 
de  Reims  étaient  parvenus  à  repousser  la  main  de  la  Providence 
et  à  FAIRE  MANQUER  LA  MISSION  DE  Jeanne,  sauf  à  ajoumcr  indéfini- 
ment la  délivrance  de  la  France.  L'infaillibilité  de  la  Pucelle  était 
démentie  aux  yeux  du  peuple  et  de  l'armée,  «  non  par  sa  faute, 
ni  par  l'abandon  de  la  fortune  ou  l'affaiblissement  de  son  inspi- 
ration, mais  par  les  manœuvres  de  ceux-là  mêmes  au  profit  de 
qui  elle  avait  accompli  tant  de  miracles  *  ».  Leur  art  devait  con- 
sister désormais  à  garder  le  bénéfice  des  premières  parties  de  sa 
mission,  qui  avaient  réussi  malgré  eux,  ù  nier  le  reste,  et  à  em- 
pêcher Jeanne  de  se  relever  de  l'échec  qu'ils  lui  avaient  préparé. 

Ce  fut  alors,  et  non  point  après  le  sacre,  que  Jeanne,  sentant 
l'œuvre  de  Dieu  faillir  par  l'ingratitude  et  l'impiété  des  hommes, 
voulut  se  séparer  du  roi;  mais  ce  n'était  pas  pour  retourner  sous 
le  chaume  paternel  :  elle  n'espérait  déjà  plus  une  fin  paisible  et 
obscure;  elle  ne  pouvait  se  décider  à  perdre  de  vue  ce  grand 
Paris  qu'elle  s'était  sentie  appelée  à  rendre  à  la  France;  ses  voix 
lui  criaient  de  rester  à  Saint-Denis.  Elle  offrit  son  armure  à  l'église 
de  Saint-Denis  et  appendit,  devant  l'image  de  Notre-Dame  et  les 

1.  Quicherat,  Aperçus  nouveaux  sur  Jeanne  d'Arc,  p.  35.  —  «  Et  certes  aucuns 
dirent  depuis  que,  si  les  choses  se  fussent  bien  conduites,  qu'il  y  avoit  bien 
grand  apparence  qu'elle  en  fût  Tenue  k  son  vouloir  (touchant  Paris).  »  Journal  du 
siège  d'Orléans;  Procès,  t.  IV,  p.  200.  «  Et  étoient  les  assaillants  si  près  des 
murs  qu'il  ne  falloit  que  lever  les  échelles  dont  ils  étoient  bien  garnis,  et  ils 

eussent  été  dedans et  croi  qu'ils  eussent  gagné  la  ville  de  Paris  si  Ton  les 

eût  laissés  faire.  »  Chronique  normande  de  1430;  ap.  Procès,  t.  IV,  p.  342-343. 
Ainsi,  k  Rouen  comme  à  Orléans,  dans  les  provinces  encore  anglaises  comme  dans 
les  cités  délivrées  par  Jeanne,  les  gens  avisés  croyaient  que  Paris  eût  été  pris  si 
ron  eût  voulu  le  prendre. 


216  GUERRES  DES  ANGLAIS.  [I4!9] 

leliques  de Tapôtre  de  Paris,  «  son  harnoîs  complet*  >  avec  répée 
qu'elle  avait  conquise  au  boulevard  Saint-Honoré.  Bile  voulait 
demeurer  là  auprès  de  ses  armes.  Était-ce  pour  y  attendre  le  mar- 
tyre? La  sympathie  des  uns,  la  politique  des  autres  s*unireiit 
contre  sa  résolution  :  princes  et  capitaines  la  comblèrent  d'éloges 
«  pour  le  bon  vouloir  et  hardi  courage  qu'elle  avoit  montrés*»: 
on  lui  remontra  le  grand  besoin  que  la  France  avait  encore  d'elle; 
on  l'emmena  enfin,  suivant  ses  propres  paroles,  c  contre  le  voi|^ 
loir  du  Seigneur  môme^  »,  et,  c  à  très  grand  regret,  elle  se  mil 
en  la  compagnie  du  roi ^  ».  Elle  se  reprocha  grandement,  plus 
tard,  celle  première  désobéissance  à  ses  voix,  et,  si  jamais  ne  se 
démentirent  son  héroïsme,  sa  piété  et  son  génie,  elle  n*eut  plus 
désormais  cette  perpétuelle  et  absolue  certitude  du  succès  qd 
avait  rendu  son  ascendant  irrésistible  sur  les  masses  d'hommes. 
A  la  retraite  de  Saint-Oenis  commence,  dans  la  courte  carrière 
de  Jeanne,  une  période  pleine  de  troubles  d'àme  et  de  douleurs 
ignorées,  transition  obscure  entre  les  splendeurs  de  la  victoire 
et  celles  du  martyre.  La  nuit  du  Jardin  des  Oliviers  devait  durer 
huit  mois  pour  la  PuccUe  ! 

Cette  belle  armée  de  volontaires,  qui  avait  quitté  les  bords  delà 
Loire  deux  mois  et  demi  auparavant,  avec  la  ferme  confiance  de 
délivrer  la  France  entière ,  et  qui  avait  fait  la  campagne  sans  solde 
et  sans  pillage,  le  plus  grand  miracle  de  Jeanne!  repartit  donc 
tristement  de  Saint-Denis,  le  13  septembre,  laissant  son  œuvre 
inachevée.  Le  roi,  si  lent  quand  il  s'était  agi  de  marcher  en  avant, 
trouva  de  la  célérité  pour  la  retraite.  Il  reconduisit  l'armée  c  aus- 
sitôt que  faire  se  put...  en  manière  de  désordonnance*  »,  près* 
que  comme  une  armée  battue ,  et  ne  mit  que  huit  jours  pour 
regagner  son  point  de  départ,  Gien-sur-Loire,  après  avoir  fait  un 
détour  pour  aller  passer  la  Marne  à  Lagni,  qui  lui  avait  envoyés» 
souniission  à  Saint-Denis.  Charles  Vil  franchit  la  Seine  à  Brai, 

1.  Une  tradition  fort  douteuse  veut  retrouTer  ce  «  harnoii  •  de  la  Pucelle  dtis 
raroiure  qui  porte  le  n*  14  dans  la  salle  des  armures,  au  Musée  de  rartilleric.  k 
Fai  is. 

2.  Journal  du  siège  d'Orléans,  p.  199-200. 

3.  Procès,  t.  I,  p.  57. 

4.  Perce  val  de  Cagni,  Procès,  IV,  29. 
6.  Perceval  de  Cagni,  ibid.  p.  29. 


)]  RETRAITE  DO  ROI.  S17 

cette  fois,  livra  son  pont,  puis  l'Yonne  à  gué  près  de  Sens, 
)re  anglais,  et  repasse  la  Loire  le  21  septembre.  L*armée  se 
tersa. 

eu  de  jours  après  réloignement  de  l'armée,  un  détachement 
le  roi  avait  laissé  à  Saint-Denis  évacua  cette  ville  devant  les 
lo-Bourguignons,  sortis  de  Paris,  et  se  replia  sur  Senlis.  Les 
émis  châtièrent  durement  les  habitants  d'avoir  ouvert  la  place 
Français,  et  emportèrent  l'armure  de  la  Pucelle,  sans  respect 
r  la  consécration  qu'elle  en  avait  faite  à  Notre-Dame  et  à  l'a- 
e  de  Paris. 

larles  VII  et  ses  favoris,  surtout  l'archevêque  de  Reims, 
ent  emporté  avec  eux  leur  rêve  d'accommodement  avec  le 
de  Bourgogne,  et  Philippe  les  y  entretenait  fort  habilement, 
ooême  temps  qu'il  publiait  son  ban  de  guerre  dans  ses  pro- 
ies du  nord,  il  mandait  au  roi  qu'il  se  rendait  à  Paris  «  pour 
liller  à  l'avancement  du  traité».  La  trêve  entre  le  roi  et  le 

fut  prorogée  jusqu'à  la  Pàque  de  1430,  et  Pont-Sainte- 
ence  fut  remis,  par  ordre  de  Charles  VII,  à  Philippe,  qui  passa 
e  avec  un  corps  d'armée ,  et  qui  entra  dans  Paris  le  30  sep- 
t>re.  Le  régent  anglais,  revenu  de  Normandie  à  la  nouvelle  de 
ique  de  Paris,  alla  au-devant  de  son  beau-frère  avec  les  no- 
BS  de  la  capitale.  Les  Parisiens  accueillirent  le  duc  Philippe  de 
dère  à  faire  comprendre  aux  Anglais  que  ce  n'était  pas  par 
►ur  pour  eux  qu'on  avait  résisté  au  roi  Charles  :  le  peuple  cria 
1  sur  le  passage  du  duc  de  Bourgogne,  et  l'université,  le  par- 
ent et  le  corps  de  ville  demandèrent  nettement  que  la  régence 
transférée  à  Philippe.  Bedford  comprit  la  situation  avec  sa 
icité  ordinaire  :  loin  de  se  roidir  contre  le  vœu  des  Parisiens, 
3  joignit  à  eux  pour  prier  Philippe  d'accepter,  ne  se  réservant 

le  gouvernement  de  la  Normandie.  La  régence ,  devenue 
tôt  charge  que  profit,  tentait  médiocrement  Philippe  ;  Bedford 
Jus,  et,  de  concert  avec  le  cai*dinal  de  Winchester,  il  offrit  au 
rguignon  l'investiture  de  la  Champagne.  La  possession  de 
B  province  eût  réuni  en  un  tout  compact  les  deux  moitiés  de 
seigneurie •  de  Philippe,  la  Bourgogne  et  les  Pays-Bas*.  Le 

Les  offres  de  Bedford  forent  ratifiées  par  le  conseil  d'Angleterre,  «v.  dans 
îT  uu  acte  daté  du  9  mars  1430,  t.  X,  p.  454. 


218  GUERRES  DES  ANGLAIS.  {\m\ 

duc  de  Boiirpcogne  accepta,  bien  qu*on  ne  lui  ofTiit  que  le  droit  d^ 
conquérir  un  pays  presque  entièrement  occupé  par  Tennenû.  D 
promit  de  seconder  puiss<imment  les  Anglais  à  rexpiration  de  h 
trôve. 

La  trêve,  étendue  à  la  ville  de  Paris  et  aux  ponts  de  ChareotOD 
et  de  Saint- Cloud,  n'existait  que  de  nom  :  les  Anglais  wnàaA 
refusé  d'y  être  compris,  et  les  bandes  bourguignonnes  s'asso- 
ciaient à  eux  pour  faire,  sous  la  croix  rouge,  ce  qui  leur  était 
interdit  sous  la  croix  de  Saint-André.  Les  Français,  qui  tenaient 
Senlis,  Creil,  Compiègne,  Beauvais,  Lagni,  n'observaient  pas 
mieux  la  suspension  d'armes,  et,  de  part  et  d'autre,  on  pillait, 
on  brûlait,  on  ravageait  le  pays  à  l'envi.  Jeanne  n*était  plus  là 
pour  protéger  le  pauvre  peuple,  et  les  soldats,  un  moment  trau- 
formés  par  sa  sainte  influence,  revenaient  à  leurs  habitudes  n- 
pacos  et  cruelles.  L'hiver  fut  affreux  pour  les  populations  de  l'Ile- 
de-France,  qui ,  après  quelques  années  d*un  repos  si  chèreinenl 
acheté  sous  la  domination  étrangère,  se  retrouvaient  en  proie  i 
des  calamités  dont  rien  ne  faisait  plus  prévoir  la  fin.  La  Norman- 
die n'était  guère  plus  heureuse  :  le  mouvement  de  «  recouvrance» 
qui  semblait  devoir  expulser  l'étranger  de  cette  belle  contrée, 
n'étant  pas  soutenu,  s'arrêta  et  recula.  Leduc  de  Bedford  eut  tout 
le  loisir  de  reconquérir  les  forteresses  normandes  enlevées  par  ks 
aventuriers  français  :  Château-Gaillard  et  Torci  se  rendirent  ptf 
défaut  de  vivres,  après  six  ou  sept  mois  de  blocus.  Aumale  et 
Estrepagiii  avaient  été  repris  auparavant.  Les  Normands  qui 
avaient  aidé  les  Français  à  se  saisir  de  ces  places  fortes,  furent 
exceptés  des  capitulations  et  impitoyablement  mis  à  mort.  Les 
vengeances  des  Anglais  ne  découragèrent  pas  le  parti  national  :  un 
complot  se  trama  pour  introduire  dans  Rouen  même  les  troupes 
françaises.  Les  Anglais  en  eurent  vent  :  un  riche  bourgeois,  Richard 
Mites,  et  beaucoup  d'autres  citoyens  de  Rouen  furent  traînés  an 
supplice  ^  Bedford  ne  réussit  pourtant  point  à  chasser  entièrement 
les  Français  de  la  Normandie;  l'infatigable  La  Hire  surprit  Lou- 
viers,  au  commencement  de  l'année  1430,  et  s'y  cantonna. 

1.  Chromq.  de  la  Pur  elle. —  Chérael,  Rouen  sous  les  Anglais,  p.  84.  —  JUaBr 
trelet.  A  Cftio  i^poquc  doit  se  rapporter  la  mort  patriotique  du  poêle  Olivier  Bu^ 
selin.  Nous  reviendrons  sur  les  compatjuom  du  vau-^e^virc. 


429]  LA  NORMANDIE  DÉLAISSÉE.  219 

La  cause  de  la  France  avait  été  trahie  par  le  roi  et  par  ses  con- 
îillers  en  Normandie  comme  devant  Paris.  Après  la  séparation 
5  Tarmée  à  Gien,  le  duc  d'Alençon  était  allé  dans  sa  vicomte 
3  Beaumont  en  Anjou  c  assembler  gens  pour  entrer  au  pays  de 
Drmandie,  et  pour  ce  faire,  requit  et  fit  requerre  le  roi  qu'il  lui 
lût  lui  bailler  la  Pucelle  ».  Il  était  sûr  qu'elle  lui  vaudrait  une 
•mée;  qu'au  nom  de  Jeanne  les  volontaires  reviendraient  en 
ule*.  Livrée  en  toute  liberté  à  ses  inspirations,  loin  du  roi  et 
îs  favoris,  et  lancée  dans  une  grande  entreprise  où  le  conné- 
ble  de  Richcmont  l'eût  volontiers  secondée,  Jeanne  eût  infailli- 
lement  effacé  l'échec  de  Paris  par  des  coups  éclatants.  C'est  ce 
le  ne  pouvaient  permettre  ceux  qui  s'étaient  placés  en  travers 
8  sa  mission.  «  Messire  Regnauld  de  Chartres,  le  seigneur  de  La 
rémoille,  le  sire  de  Gaucourt,  qui  lors  gouvemeient  le  corps  du 
oi  et  le  fait  de  sa  guerre,  ne  vouldrent  (voulurent)  oncques  con- 
mtir,  ne  faire,  ne  souffrir  que  la  Pucelle  et  le  duc  d'Alençon 
issent  ensemble*.  »  Jeanne  et  le  duc  ne  se  revirent  jamais. 

On  retint  Jeanne  dans  l'inaction  à  la  suite  du  roi  durant  plu- 
eurs  semaines.  Depuis  son  retour  à  Gien,  «  le  roi  passa  temps 
i  pays  de  Touraine,  de  Poitou  et  de  Berri.  La  Pucelle  fut  le  plus 
a  temps  vers  lui,  très  marrie  de  ce  qu'il  n'entreprenoit  à  con- 
aêter  de  ses  places  sur  ses  ennemis^  ».  Le  conseil  du  roi  céda 
afin  à  demi  et  consentit  à  la  laisser  remonter  à  cheval,  mais 
our  aller  faire,  avec  le  seigneur  d'Albret,  beau-frère  de  La  Tré- 
loille  et  lieutenant  du  roi  en  Berri,  une  petite  et  obscure  cam- 
agne  contre  quelques  forteresses  que  des  compagnies  anglo* 

1.  ...  «  Que,  par  le  moyen  d'elle,  plusieurs  se  mettroient  en  sa  compagnie,  qni 
i  se  bougeroient  si  elle  ne  faisoit  le  chemin.  »  Perceval  de  Cagni,  Frocéi,  1. 1\ 

.  30. 

2.  Perceval  de  Cagni,  ibid,  p.  30.  —  Berri,  roi  d'armes,  ibid,  p.  48. 

3.  Perceval  de  Cagni,  ibid,  p.  32.  —  «  Quand  le  roi  se  trouva  au  dit  lieu  de 
ien,  lui  et  ceux  qui  le  gouvernoient  fireut  semblant  qu'ils  fussent  contents  du 
>7age  que  le  roi  avoit  fait,  et,  depuis,  de  longtemps  après,  le  roi  n'entreprit 
aile  chose  &  faire  sur  ses  ennemis  oU  il  vouslt  (voulût)  être  en  personne.  On 
3urroit  bien  dire  que  ce  étoit  par  son  (sol?)  conseil,  si  lui  et  eux  eussent 
3ulu  regarder  la  très  grande  grâce  que  Dieu  avoit  faite  à  lui  et  à  son  royaume 
if  renireprise  de  la  Pucelle,  message  (messagère)  de  Dieu  en  celte  partie,  comme 
ar  ses  faits  pouvoit  être  aperçu.  Ella  fit  des  choses  incréables  à  ceux  qui  ne  l'a- 
Dient  vu,  et  peut-ou  dire  que  encore  eût  fait,  si  le  roi  et  son  conseil  se  fussent 
ien  conduits  et  maintenus  vers  elle.  »  Ibid.  p.  30. 


220  GUERRES  DES  ANGLAIS.  (Utt] 

bourguignonnes  avaient  conservées  sur  le  cours  supérieur  de  h 
Loire  et  qui  inquiétaient  le  Bourbonnais  et  le  Berri.  On  allaqua 
Saint-Pierre -le-Moûtier,  qui  commande  le  Bec  d*AUier,  ou  la 
presqu'île  que  fonnent  l'Allier  et  la  Loire  avant  de  se  joindre  aa- 
dessous  de  Nevers.  La  garnison  ennemie,  nombreuse  el  vaillante, 
repoussa  si  vigoureusement  le  premier  assaut,  que  les  assaillants 
reculèrent  en  masse  loin  des  remparts;  la  Pucelle  resta  délaissée 
au  bord  du  fossé  avec  quelques  hommes  d'armes,  c  Jehanne,  loi 
cria-t-on,  retirez-vous  de  là,  vous  êtes  toute  seule  !  — Je  ne  suis 
pas  seule  »,  répondit  Jeanne  en  ôtant  son  heaume  et  en  tournant 
vers  les  fuyards  sa  belle  tête  inspirée;  €  j'ai  encore  avec  moi  cin- 
quante mille  de  mes  gens!...  Je  ne  partirai  pas  d'ici  que  je  n'aie 
pris  la  ville!...  Aux  fagots  et  aux  claies  tout  le  monde!  qu'on 
fasse  un  pont  sur  le  fossé  !  » 

Les  soldats  crurent  qu'une  armée  céleste,  visible  pour  elle  seale, 
arrivait  à  leur  secours  :  ils  revinrent  à  la  charge  avec  furie,  coin- 
blèrent  le  fossé,  s'élancèrent  à  l'escalade  et  renversèrent  tous  les 
obstacles  *  (fin  octobre). 

Les  favoris  prirent  peur.  Jeanne  n'avait  rien  perdu  de  son  élan 
et  ressaisissait  sa  puissance.  Déjà  elle  suppliait,  elle  criait  qu'on 
la  laissât  rentrer  dans  l'Ile-de-France  >.  Le  roi  s'y  refusa  absolu- 
ment. On  l'envoya,  elle,  Albret  et  le  maréchal  de  Boussac,  c  avec 
bien  peu  de  gens  »,  devant  La  Charité-sur-Loire,  forte  place  dé- 
fendue par  un  fameux  aventurier  bourguignon,  Perrinet  Grasset 
Jeanne  marcha  à  contre  cœur  :  ses  voix  se  taisaient;  elle  se  seih 
tait  encore  une  fois  jetée  hors  de  sa  route.  Les  assauts  furent 
repoussés  :  le  siège  languit  près  d'un  mois;  l'hiver  et  les  mauvais 
temps  étaient  venus;  on  ne  recevait  ni  vivres  ni  argent';  les  sol- 
dats se  découragèrent;  Boussac  et  Albret  levèrent  le  siège  en  dés- 
ordre, en  abandonnant  la  meilleure  part  de  l'artillerie  (décembre 
1429)^ 

La  Trémoille  compta  pour  peu  la  part  qu'avait  son  beau -frère 

1.  Déposition  de  Jeun  d'Aulon;  Procès,  t.  III,  p.  218-218. 

2.  Interrogatoire  du  3  mars;  Procès,  t.  I,  p.  109. 

3.  Trop  peu,  du  moins;  la  ville  de  Bourges  avait  expédié  quelque  argeit- 
V.  Procès,  t.  V,  p.  356. 

4.  Perceval  de  Cagni,  Procès,  t.  IV.  p.  31.—  Berri,  ibid.,  p.  49.  —  J.  Cbanicr, 
ibid,  p.  91. 


ti429]   SIÈGES  DE  SAIlNT-PiERRE  ET  DE  LA  CHARITÉ.       221 

d*All)ret  à  ce  second  échec  de  Jeanne  :  il  y  avait  là  pour  lui  une 
trop  grande  victoire  !  On  avait  désormais  un  prétexte  pour  em- 
pêcher Jeanne  de  rien  entreprendre.  On  affecta  de  la  consoler 
par  de  vaines  faveurs  de  cour  :  c  On  la  persécuta  de  prévenances 
et  d'honneurs  ^  »  :  Charles  VII  lui  décerna  des  lettres  de  noblesse 
pour  elle,  ses  père,  mère  et  frères,  et  toute  leur  postérité  «  mâle 
et  femelle  »  ;  clause  tout  à  fait  inusitée  et  qui  semblait  im  acte  de 
justice  envers  le  sexe  auquel  appartenait  l'héroïne.  Deux  de  ses 
frères  avaient  fait  à  ses  côtés  une  partie  de  la  campagne  de  1429  : 
le  roi  donna  pour  armes  aux  frères  de  la  Pucelle  une  épée  d'ar- 
gent entre  deux  fleurs  de  lis  d'or  sur  un  champ  d'azur.  Est-il 
besoin  de  dire  que  Jeanne  reçut  ces  privilèges  avec  indifférence  ^ 
(décembre  1429)? 

Il  y  eut,  pour  Jeanne,  depuis  le  retour  de  La  Charité,  quatre 
mois  d'angoisses  que  les  langues  humaines  ne  sauraient  expri- 
mer. Sentir  que  l'on  porte  en  soi  le  salut  d'un  peuple,  que  Dieu 
nous  pousse  et  que  les  hommes  nous  enchaînent!  Il  faudrait  pou- 
voir s'identifier  à  ces  êtres  extraordinaires  pour  comprendre  le 
fardeau  qu'ils  portent  quand  ils  se  chargent  ainsi  des  douleurs 
d'un  monde  ! 

Non-seulement  les  pharisiens  et  les  courtisans,  les  hypocrites 
et  les  vicieux,  mais  les  faux  prophètes,  conspirent  contre  le  vrai 
Messie.  Depuis  les  triomphes  de  Jeanne,  les  visionnaires,  les 
prétendus  révélateurs  se  multiplient.  Maints  extatiques  ne  sont 
que  des  âmes  pieusement  exaltées  qui  confirment  la  mission 
de  la  Pucelle  et  qui  s'inclinent  devant  l'envoyée  de  Dieu,  mais 

1.  Quicberat,  Aperçus,  etc.,  p.  36. 

2.  Ce  fut  «  sans  sa  requête  et  sans  révélation  de  ses  voix  »,  dit-elle  expressé- 
ment. Interrogatoire  du  10  mars;  Procès,  t.  I ,  p.  118.  La  seule  demande  que 
Jeanne  eût  présentée  à  Charles  VU  était  l'exemption  d'impôts  pour  Domremi  et 
Greux,  paroisse  de  laquelle  relevait  Domremi.  Procès,  t.  V,  p.  139.  L'exemption, 
en  date  du  31  juillet  1429,  a  duré  jusqu'au  siècle  dernier.  La  généreuse  ville  d'Or- 
léans reçut  aussi,  sur  ces  entrefaites,  quelques  faveurs  du  roi  :  Charles  VII  n'alla 
pas  visiter  la  cité  qui  partageait  avec  Jeannp  l'honneur  d'avoir  sauvé  sa  couronne, 
mais  il  lui  octroya  l'exemption  de  tous  impôts  tant  qu'il  vivrait  (16  janvier  1430). 
Montargis,  qui  avait  montré  un  dévouement  inébranlable  k  la  cause  nationale, 
fut  affranchi  perpétuellement  de  tous  impôts,  sauf  la  gabelle  du  sel,  et  reçut  le 
uom  de  Montargis-le-Franc  (lu  libre).  Les  citoyens  de  Montargis  eurent  le  droit  de 
portrr  une  M  couronnée  en  broderie  sur  leurs  habits  (mai  1430).  Ordonnances  des 
rois,  l.  Mil,  p.  i4i-l52. 


222  GUERBES  DES  ANGLAIS.  [14»] 

il  y  a  aussi  des  fanatiques  égarés  par  Tesprit  d*iniîtalion  cl  |»ar 
l'esprit  d'orgueil ,  et  des  imposteurs  qui  parodient  rinspiratiun. 
Dans  le  courant  de  l'automne,  une  certaine  Catherine,  de  La  Ro- 
chelle, était  arrivée  à  la  cour,  prétendant  qu'une  dame  blanclK 
vêtue  de  drap  d'or  lui  apparaissait  chaque  nuit,  et  l'avait  char- 
gée d'aller  par  les  bonnes  villes  commander  à  chacun  de  livrer 
au  roi  tout  ce  qu'il  avait  d'or  ou  d'argent  pour  payer  les  gen^ 
d'armes  de  Jeanne.  Elle  saurait  bien,  disait-elle,  découvrir  Iw 
trésors  cachés.  On  présenta  Catherine  à  Jeanne ,  qui  pressa  en 
vain  celte  prétendue  prophétesse  de  lui  faire  voir  sa  dame  blanche. 
Jeanne  consulta  ses  voix,  qui  lui  dirent  que  ce  n'était  que  folie  et 
néant  :  elle  empêcha  le  roi  de  se  servir  de  Catherine,  au  grand 
dé|)laisir  de  frère  Richard,  qui  eût  voulu  associer  Catherine  à 
Jeanne  et  les  «  gouverner  »  toutes  deux  ^.  L'ambition  d*un  grand 
rôle  avait  tourné  la  tête  au  cordelier;  l'espoir  de  c  gouverner» 
Jeanne  était  de  la  démence;  mais  la  folie  devint  criminelle, d 
l'enthousiaste,  dégénéré  en  intrigant,  tomba  dans  les  bas-fonds 
où  s'agitait  sa  protégée.  Tous  deux  furent  les  instruments  des 
eimemis  de  laPucelle  qui  toutefois  ne  s'en  contentèrent  point,  et 
qui  commencèrent  à  chercher  quelque  agent  moins  discrédité 
que  Catherine,  et  capable ,  à  ce  qu'ils  imaginaient,  de  remplacer 
Jeanne.  Ceux  qui  avaient  conspiré  pour  faire  mentir  Dieu  son- 
geaient maintenant  à  contrefaire  Dieu! 

L'élan  donné  par  Jeanne  à  la  France  avait  été  si  puissant  qu'il 
continuait  de  lui-même ,  malgré  tous  les  efforts  du  roi  et  des 
favoris  pour  l'étouffer.  Dans  les  premiers  mois  de  1430,  de  bonnes 
nouvelles  arrivèrent  des  bords  de  l'Yonne  et  de  la  Seine  :  Sens, 
qui  avait  fermé  ses  portes  au  roi  quelques  mois  auparavant,. 
venait  de  «  se  tourner  françois  ».  Melun  s'insurgea  et  se  déhar — 
rassa  de  sa  garnison  anglo-bourguignonne.  Paris,  rançonné  aia 
dedans  par  les  soldats  picards  du  duc  de  Bourgogne,  harcelé  aL¥ 
deliors  par  les  bandes  françaises  qu'une  garnison  insuffisante  do 
pouvait  écarter  de  sa  banlieue,  et  qui  venaient  de  s'emparer  de 
Saint-Maur,  se  désabusait  de  ses  espérances  obstinées  dans  le 
Bourguignon  :  un  nouveau  complot  fut  tramé  pour  introduii'e  lc$ 

1.  luicrrof^utyires  du  4  un  9  niar»;  Procès,  t.  I,  p.  107. 


i 


[1430]         JEANNE,  CATHERINE  ET  FBÊRE  RICHARD.  223 

ti'oupes  françaises  dans  la  ville;  plusieui's  membres  du  parlement 
et  du  Châtelet  y  trempaient  avec  un  grand  nombre  de  marchands 
et  de  gens  de  métiers.  Un  carme  leur  servait  d'émissaire  auprès 
des  capitaines  français.  Ce  moine  fut  arrêté  et  contraint  par  les 
tortures  à  dénoncer  ses  complices  :  on  en  prit  plus  de  cent  cin- 
quante ;  plusieurs  furent  décapités;  d'autres  furent  noyés  ou  mou- 
rurent dans  les  tourments  de  la  «  question  »  ;  quelques-uns  des 
plus  riches  sauvèrent  leur  vie  au  prix  de  leur  fortune  (fin  mars). 
La  plupart  étaient  restés  enfermés  à  la  Bastille  :  un  jour,  l'un 
d'eux  déroba  les  clefs  et  délivra  ses  camarades  ;  ils  tuèrent  les 
geôliers  et  faillirent  s'emparer  de  la  Bastille  ;  malheureusement, 
le  gouverneur  de  Paris,  l'Ile-Adam,  était  dans  la  forteresse,  et 
accourut  avec  ses  gens  d'armes  ;  les  prisonniers  furent  massacrés 
et  jetés  à  la  rivière  (commencement  de  mai  1430). 

Les  ennemis,  cependant,  se  préparaient  à  un  grand  effort:  le 
conseil  d'Angleterre  venait  d'ordonner  à  tout  Anglais  qui  possé- 
dait depuis  trois  ans  quarante  livrées  de  terre,  ou  un  revenu  équi- 
valent, de  recevoir  au  plus  tôt  l'ordre  de  chevalerie;  en  môme 
temps  il  publiait  une  proclamation  contre  les  capitaines  et  soldats 
qui,  après  s'être  enrôlés  pour  le  «  voyage  de  France  »,  ne  vou- 
lîdent  plus  partir,  terrifiés  qu'ils  étaient  c  par  les  enchantements 
delà  Pucelle  (3  mai)*  ».  Le  cardinal  de  Winchester  s'était  enfin 
décidé  à  faire  amener  en  France  le  petit  roi  Henri  VI,  qui  débar- 
qua, le  23  avril,  jour  de  Saint-Georges,  à  Calais,  avec  un  nom- 
brem  cortège,  où  figurait  Pierre  Cauchon,  l'évêque  exilé  de  Beau- 
^ài^  :  le  cardinal  de  Winchester  amena  le  roi,  son  petit-neveu,  à 
^ouen,  et  l'installa  dans  le  palais,  ou  plutôt  dans  la  forteresse  que 
^^nri  V  avait  commencée  au  bord  de  la  Seine  en  1420  pour  tenir 
"^laen  en  bride*.  Le  duc  de  Bourgogne,  de  son  côté,  tenait  la  pa- 
^'^le  qu'il  avait  donnée  à  Bedford,  et  se  jouait  de  toutes  ses  pro- 
^^^sses  à  Charles  VII  :  tout  en  rendant  à  Bedford,  après  Pâques, 
*^     régence,  qui  n'était  pour  lui  qu'un  embarras ,  il  armait  c  à 
P^*^nd  force  »,  au  sortir  des  fêtes  splendides  par  lesquelles  il  venait 
*^  solenniser  son  mariage  avec  une  princesse  de  Portugal  *  :  il 

t.  «ymer,  t.  X.  p.  449-459. 

2.  C'est  le  Vieux  Palais  4e  Rouen. 

3.  C'était  sa  iroisièuie  feuime.  La  première,   Micliellc  de  France,  sœur  de 


224  GUERRES  DES  ANGLAIS.  [i« 

avait  regagné,  non  sans  peine,  la  Picardie  chancelante,  en  I 
|)roniet(anl  de  solliciter  pour  elle,  près  du  roi  Henri,  i*aboliti 
des  impôts;  il  détermina  les  Picards  à  suivre  encore  une  fois i 
bannières,  et  monta  à  cheval,  peu  après  Pâques,  avec  une  noi 
brcuse  gendarmerie  bourguignonne,  picarde,  artésienne  et  bdj 

C'était  pour  lui,  au  fond,  et  non  pour  les  Anglais  quMl  entend 
tiavailler.  Il  tenait  la  Marne  par  Meaux  :  il  voulait  à  tout  p 
tenir  TOise  par  Compiègne,  position  bien  plus  importante  encfl 
Charles  VII  lui  eût  livré  cette  ville;  les  habitants  la  lui  aval 
refusée  ;  il  essaya  de  lacheter  du  gouverneur,  Guillaume  de  Fb 
gentilhomme  du  Vermandois.  Flavi  répondit  que  sa  place  n'è 
pas  à  lui,  mais  au  roi,  et  garda  Compiègne  au  roi  malgré  le 
lui-même  *.  Philippe,  résolu  d'enlever  par  force  ce  qu'il  ne  pi 
vait  obtenir  de  bon  gré,  commença  de  menacer  Compiègne 
ne  renouvela  plus  la  trêve  après  Pâques. 

Jeanne  savait  les  périls  qui  allaient  assaillir  ses  compagn 

Charles  VII,  était  morte  du  cliagrin  que  lui  causaient  les  malheurs  de  ta  fM 
et  lu  sunglante  rupture  des  maisons  de  France  et  de  Bourgogne.  Le  dnc  aTtit 
suite  épousé  Bonne  d'Artois,  veuve  de  son  oncle  Philippe,  comte  de  Nevers,  t 
Azincouri,  avec  laquelle  il  fut  uni  peu  de  tcmp?.  Il  donna  à  ses  troisièmes  oa 
célébiées  u  Bruges  le  10  janvier  1430,  une  solennité  extraordinaire,  ei  déf 
dans  les  fêtes  du  mariage  une  magnificence  qui  effaçait  celle  de  tons  \ts  roi 
rKuropu.  Lu  riche  Flandre,  dont  la  prospérité  inouie semblait  insulter  aai  mil 
de  la  France,  se  para  de  toutes  les  splendeurs  du  luxe  tit  des  arts  pour  faire  1 
neur  U  son  prince;  le  grand  peintre  Van-Eyck  avait  été  un  des  envoyés  de  Pbil 
en  Portugal  auprès  de  su  fiancée;  les  bourgeois  de  Bruges  et  de  Gand  Initi 
de  faste  avec  les  barons  de  Bourgogne  et  des  Pays-Bas.  Ce  fut  au  milieu  di 
têtes  que  Philippe  institua  l'ordre  de  la  Toison  d'Or,  qui  rivalisa  bientôt  avi 
Jarretière  d'Edouard  III.  Ces  deux  ordres  furent  également  créés  par  la  galanl 
au  profit  de  la  politique.  Philippe,  qui  ne  se  piqua  jamais  de  fidélité  conju| 
comme  l'attestèrent  ses  quinze  bâtards,  était  fort  amoureux  d'une  belle  da» 
Bruges  au  moment  oii  il  recevait  si  splendidement  sa  nouvelle  duchesse.  Q 
ques  seigneurs  s'étant  permis  des  plaisanteries  messéantes  sur  la  toison  ttor  à 
belle  Brugeoise,  qui  avait  les  cheveux  roux,  le  duc  jura,  dil-on,  que  les  plati 
seraient  trop  hcun-ux  de  porter  au  cou  la  laiton  d'or.  Quoi  qu'il  en  soit,  PbilJ 
sut  se  faire  de  cette  institution  chevaleresque  un  instrument  politique  très  efla 
il  s'uttribuu,  pour  lui  et  les  ducs  de  Bourgogne,  ses  successeurs,  la  grande  i 
trise  de  Tordre,  composé  de  trente-un  chevaliers,  qui  juraient,  entre  autres  ch« 
de  servir  loyalement  le  chef  de  la  confréiie  et  de  lui  révéler  m  tout  ce  qui  lii 
roil  contraire.  »  v,  Barante,  t.  VI,  p.  38-56. 

1.  Au  moment  où  Compiègne  avait  appelé  le  roi,  en  août  1429,  La  Tréw 
en  avait  demandé  le  gouvernement ,  afin  de  le  remettre  au  duc  de  Bourgog 
mais  il  trouva  Flavi  installé  pur  lui-même  et  par  les  habitants,  et  il  fallut  qt 
roi  coufiiuiàl  Fluvi.  Procès,  t.  V,  p.  173. 


[IÎ30]  JEANNE  SE  SÉPARE  DU  ROI.  225 

d'armes  :  elle  voyait  le  roi  imiDobilc,  depuis  des  semaines  et  des 
mois,  dans  un  des  châteaux  de  La  ïrénioille,  à  Sulli  sur  Loire, 
:M)mme  enchanté  par  le  génie  malfaisant  du  maître  de  ce  lieu. 
Feanne  ne  pul  tenir  davantage  à  ce  supplice.  Les  voiles  s*étiiient 
léchirés,  les  illusions  étaient  tombées.  Ce  que  la  généreuse  fille 
3C  dira  jamais,  on  le  sent  trop,  elle  connaît  le  roi  désormais! 
Jucls  déchirements  elle  a  dû  endurer  avant  de  subir  cette  vérité 
atale,  avant  de  reconnaître  ou  tout  au  njoins  d'enirevoir  que 'ce 
•oî,  «  la  racine  de  son  cœur*  »,  le  lype  vivant  de  la  France,  que 
:e  roi  est  un  néant  devant  Dieu;  qu*il  n*a  point  d'âme!  Quel  effort 
erril)lc  que  de  briser  ces  personnifications  où  Ton  s'est  complu  à 
résumer  l'être  collectif,  la  patrie!  Les  nations  entières  s'olistinent 
ians  ces  illusions  durant  des  siècles.  Qu'est-ce  donc  quand  il  faut 
]U*unc  seule  et  même  âme  élève  et  abatte  l'idole  aimée! 

Vers  le  milieu  d'avril  1430...  «  le  roi  étant  en  la  ville  de  Sulli 
;ur  Loire,  la  Pucelle,  qui  avoit  vu  et  entendu  tout  le  fait  et  la 
nanière  que  le  roi  et  son  conseil  tenoient  pour  le  recouvren)ent 
le  son  royaume,  elle,  très  mal  contente  de  ce,  trouva  manière 
le  soi  départir  d'avec  eux,  et,  sans  le  su  du  roi  ni  prendre  congé 
le  lui,  elle  fit  semblant  d'aller  en  aucun  ébat,  et,  sans  retourner, 
'*cn  alla  à  la  ville  de  Lagni  sur  Marne,  pour  ce  que  ceux  de  la 
>lace  faisoient  bonne  guerre  aux  Anglois  de  Paris  et  ailleurs  2.  j> 

Il  n'y  avait  que  treize  mois  qu'elle  avait  abordé,  à  Chinon,^ 
"ayonnante  de  foi  et  d'amour,  l'ingrat  qu'elle  quittait  aujourd'hui 
K)ur  ne  plus  le  revoir.  Quels  prodiges,  quelles  joies  et  quelles 
ingoisses  également  inouïes  avaient  rempli  ce  court  intervalle  ! 

Suivie  d'une  petite  troupe  de  braves  gens  attachés  à  elle  jusqu'à 
la  mort,  elle  partit  donc  sans  congé,  sans  retour,  l'âme  divisée 
:ontrc  elle-même,  disputée  entre  les  éclatantes  promesses  du 
passé  et  les  pressentiments  funèbres  de  l'avenir.  La  vision,  naguère 

1.  Quichcra'. 

2.  Perccval  de  Cagni;  Procès,  t.  IV,  p.  31,  32.  —  Il  y  a  deux  dates  différentes 
assignées,  dans  deux  ciiupitres  de  Pcrce\al,  uu  drpnrl  de  lu  PucoUe,  à  savoir  : 

le mars  et  lu  fin  d'uvril.  Une  date  iiiierniédiuire  concorde  uiit-ux   avec  deux 

documents  authentiques.  La  derniiMe  leUn*  qu'on  ail  de  Jeanne,  adressée  aux 
Rémois,  est  du  28  mars,  U  Sulli;  Pmcôi»  t.  V,  p.  ICI;  et  Jeanne,  suivant  son 
propre  témoignage,  »*Mail  à  Meluu  dans  la  semaine  de  Pâiiues,  c'esl-a-dire  entre 
le  17  et  le  23  avril,  Pâques  étant  tombé,  cette  année,  le  IC  avril;  ProcOs,  t.  I, 
(i.  115;  interrogatoire  du  10  mars. 

VI  15 


2U  OttttfàESÙES  AfiÙLKîS.  Il 

si  rt^plcrjîîîssanle,  descendait  mivînteaani  à  Irails^  somlwts. 
voix  se  firent  eiilciidrc  à  die  sur  Ic5  fossés  de  iUhiu  :  «  Ji*! 
lu  «ieras  prîsf!  avant  la  Saint-Jehan  !  U  Tant  i|u'il  suit  miiÉi  fâll 
t*iHonne  point;  prends  tout  en  gré;  Dieu  iVideniU  » 

Frisc^  t'il*.'  (jtii  devait  «  eluisî^er  Ijps  Anglais  de  totUi:  Pi 
Vaincue,  dk^  lange  de  victoire!  Fallaîï-il rncore  imc  fob  qtl' 
pure  hostie  rachetât  ring:ralilnJe  et  riiicrt^diditC*  di'f  lioai 
EITu  î**indina  devant  ce  mystère  et  s'apprCb  an  laartm 
nagiu>re  mi  triomphe,  deinandaul  î^culeinenl  à  *  ^9  U^,;z 
Paradis  »  de  lui  «"épargner  les  misères  d'une  langui!  raplinie  d  ifc 
lui  obtenir  la  grâce  d'une  prompte  mort.  Elle  prda  le  silci 
la  triste  révClatiou,  et  montra  jusqu'au  bout  i  «es  couif 
mhne  f^évHiM  et  même  vaillanee,  pUis  adoiiraliln  coDiire 
une  telle  force  d'âme  qu'elle  ne  Fêlait  atipamvant  ii*r  renll 
siasuie  d'une  vieloire  assurée.  Senleuienl  elle  cei*sa  dcMJi 
d*impotier  se^  inipcrieuse^  inspirations  aux  aulrts  capiliLtnrs^ 
d*aprés  son  propre  lénioigîîage,  elle  4  s*cn  nipiK»rta  le  plu^  ise»- 
vent  h  eux  du  fait  de  la  puerre»  »» 

Elle  eut  cependaul  encore  la  conduite  et  riiomieiir  du  ynu   t 
fait  d'uj  tues  qui  signala  son  retour  sur  le  tbèAIre  desconiliii*  • 
peine  ai  rivée  à  Laj^P,  clic  eut  avis  que  la  campa^c  ^taii 
l»ar  une  compagnie  anglo-bonrgiiif  nonne  anx  ordres  de  i  ' 

.d'Arras,  aventurier  aussi  redouté  poui*  sa *cruautè  que  \ ^ 

hravoure-  Elle  montai  à  cbeval  avec  ses  gens  el  félilc  de  h  p^ 
tiison  de  Lafui,  courut  sus  à  Franquct,  et,  aprèa  ime  lulk  ïrta 
arbarnée,  le  délit  et  le  lit  prisonnier.  Le  baillî  deSentSs  et  !-  ■   • 
de  Lagni  réclamèrent  Franquet  comme  î^'élanl  mh  en  dt  J 
di  o5t  de  la  guerre  par  ses  crimes»  Jeanne  voulait  l'èchafigcr  coutrc 
un  prisonnier  fran(:ais.  Le  bailli  lui  dit  a  qno  e'MiU  fiure  framlt 


1.  J*rûrèêt  u  1,  y.  lii»  2.  Pnfcé*,  l   i,  fi.  147. 

3.  Son  p;]£!iug(!  h  U^n»  fui  ftignmté  p&r  un  Ucldî^^at  «fui  aUf^u  «jm^  U  |*^ 
nV^aii  ricti  pcrda  tîc  ta  M  on  elte,  Lfa  eufunt  év.  triH  fifur*  o^«Tèlf  fu^étm 
tignc  fie  «k.  dcpuit  lift  iiiiKii4Qi-«  ;  f|  4liiJl  ir  Wul  noir  ir,  li  r«f)  u'uiait  Ir  ^^iIhS. 
Ip  ciûjfant  morï»  Ou  >ini  f|uérir  Icunnc  |*fj«r  (jii*dicî  pr«àt  Djî^ti  c*  ^.^trc-lHi?, 
u  tijln  qtfi  lu  tic  fù  Uonn^e  ii  I*iinf£inu  EUt-  allu  ri  jnifl»  cl  h  - 
fjLnt;  il  Itiiaji  in»i»  foi«;  in  ei^tiikrur  lui  rt^iiui,  vl  li  fi^L  buplf" 
fut  itiîiiiriiC'  *'H  t  rr*  fcalfiiis      \Pinttit  I,  ICS.J  Le  pcui^le  ci  u    J.    ,  , 


b30]       LES  BOURGUIGiNONS  DEVANT  COMPIÈGNE.  2^7 

jure  à  j iisticc  que  de  délivrer  un  tel  mcurlricr,  larron  et  Irallre  *  » . 
aniic  céda.  Le  prisonnier  fui  remis  aux  niagistrals,  condamné 
décapité.  Les  ennemis  firent  un  crime  à  Jeanne  d'avoir  obéi  à 
stice  et  d'avoir  écouté  plutôt  son  Iiorreur  pour  ces  impitoyables 
lurrcaux  du  pauvre  peuple  que  les  préjugés  de  la  profession 
ili  taire. 

Les  nouvelles  arrivèrent,  sur  ces  entrefaites,  à  Lagni,  des  entre- 
îses  du  duc  de  Bourgogne,  qui  commençait  à  attaquer  les  for- 
resses  des  environs  de  Compiégne.  Il  avait  pris  Gournai  sur 
"onde  el  assiégeait  Choisi  >,  qui  commande  le  confluent  de  TAisne 
de  rOise.  Jeanne  partit  pour  Compiègne.  Elle  y  retrouva  un 
s  Bourbons,  le  comte  de  Vendôme,  commandant  pour  le  roi 
ins  les  pays  au  nord  de  la  Seine,  et,  sinistre  présage!  Tarcbe- 
quc  de  Reims,  qui  tâchait  de  renouer,  depuis  Texpiration  de 
trêve,  ses  dérisoires  négociations  avec  le  duc  de  Bourgogne^ 
On  essaya  de  secourir  Choisi.  Le  camp  bourguignon  était  couvert 
r  rOîsc  et  par  l'Aisne.  Jeanne,  Saintrailles  et  quelques  autres 
pîtaines  tentèrent  sans  succès  de  forcer  le  passage  de  l'Oise  à 
ml-rÉvéque,  au-dessous  de  Noyon;  ils  revinrent  à  Compiègne, 
lis  remontèrent  l'Aisne  pour  aller  la  passer  h  Soissons.  Le  gou- 
mcur  de  Soissons,  secrètement  vendu  au  duc  de  Bourgogne, 
irsuada  aux  Soissonnais  qu'on  venait  leur  imposer  une  grosse 
mison,  ce  qui  était  le  grand  eflroi  des  communes,  et  se  fit 
lerdîre  par  eux  d'ouvrir  les  portes.  La  petite  année  réunie  pour 
pecourre  »  Choisi  se  dispersa,  et  le  gouverneur  reçut  dans  Sois- 
ns  Jean  de  Luxembourg,  principal  lieutenant  du  duc  de  Bour- 
ignc.  Choisi  se  rendit,  et  le  duc  Philippe,  rcjjassant  l'Oise,  vint 
seoir  son  camp  devant  Compiègne,  du  côté  de  Beauvaisis. 
Jeanne  était  retoumée  à  Compiègne.  Son  crur  était  avec  cetU.^ 
Ile  et  sa  population  <i  si  bonne  françoise  ».  Mais  la  voix  inté- 
eure  gémissiût  toujours  plus  triste.  Presque  chaque  jour  se 
iuouvelait  la  prophétie  de  la  prochaine  captivité  ^  Suivant  une 
adition  conservée  à  Compiègne,  «  la  Pucelle,  un  bien  malin,  fit 

1.  Procé»,  t.  I,  p.  Iû8. 

2.  Le  Cauciacutn  des  rois  frauks. 

3.  Le  mot  de  Jeanne  sur  le  diic  de  Bourgogne,  c'êlaii  qu'on  n'en  auiaii  ricii 
qu'au  bout  d'une  lance  ",  et  rien  nVtail  plus  vrai  alors.  Procds^  t.  I,  p.  108. 

A.  ProUi,  !.I,  p.  115;  inlcrrogatoirc  du  10  mars. 


2$R  OUEtillES  f^ES  AN€t;il$,  u^m 

dire  me^se  à  SainMucques*  cl  se  coîifes^sn  e1  tv^nl  sou  créalcnr, 
jvuis  sf^  relim  près  rrun  des  piliers  de  ladilc  «^-gli^e,  el  dit  à  ï»Iji. 
î^iinir^^  gens  de  h  \illc  qui  là  otoïtiTl  (et  y  aïoil  a*til  ou  ^ïx  lingit. 
Ijetilj&  enfanl!?  qui  moull  désiroîcnlà  k  voir]:  —  Mef  luifiuib  d 
chei%  anib,  je  volts  signitîn  que  Ton  Tn*a  vendue  et  limlile,  H  ifoe. 
de  brief,  serai  livrée  h  la  mort.  Si  vous  sii|q»lie  quv  V0115  pria 
Dieu  pour  moi;  ear  jamais  n'aurai  (dus  de  (luissance  de  faire  mît- 
vice  au  roi  ne  au  royamiie  de  Franee^  », 

Hes  paroles,  inlerpr^*!^'es  à  î;m\  par  le»  hiî^kïnefis,  ont  ^n\ 
corroborer  Topinion  d'unt-  traliisan  îniagituiire,  qui  a  irop  )i 
temps  détounié  mv  une  tôle  Bacnfiée"  la  flëlrissure  élcmclk 
Hu\  vraie  eôu|)riljle«î,  aux  vrais  Irrrttres. 

Jemne  fit  jusqu'au  dernier  monienl  (oui  41e  qu'elle  eAl  pu 
avec  la  conviction  de  lu  victoire.  Elle  reimrUI  pour  aller  dm 
du  secours,  réunit  à  Crespi  lroi5  ou  quatre  cents  hamiiies  d*i 
et  se  hhUx  de  les  amener  à  «  ses  bons  amis  de  Compièiroe  »• 
rentfa  dans  la  ville  au  soleil  levant^  le  ?3  mai,  par  la  fopôl,  qi 
ap|)elalt  encore  alors  la  forél  de  Cuise,  Une  sortie  fui  préparée 
d*aicord  entre  elle  et  le  gouverneur  tiuillaume  de  Flavi, 

rue  fois  ûnm  l*action,  rardeurguenière,  la  Mvrè  des  hérm 
la  reprenait  et  cbassaît  loin  d'elle  les  sombres  prcs^cniimcDtK 
Kl  le  n*eul,  ce  jour-là,  aucun  aveilissement  parUcalicr^  aucin 
noir  prem^sT**  • 

Li  villiî  t^aii  séparée  de  Tennemi  par  la  rivière  d'Oise.  Le  pûiu 
de  roise  n'avait  pas  M  coupé;  mais  il  él;ul  protégé  [»ar  un  IwU' 
Ipvnrd  on  fêle  de  [lont  fortifiée,  bu  boulevard  parlait  uni-  cbausïi^ 
d'iui  quart  de  ïiene  de  long,  qui  traversaîl  b  prairie  de  VOiseM 

I.  Ctlts  églUc  istiftU  «Dcorc. 

t,  Lr  ÊUrtutfT  imiiMli)  *kè  femncë  vertuttitr»;  cHé  nji.  Pruc^i,  t,  IV,  y^tfl 
te  (iiPf  u'u  paru  que  sous  Lû«U  %U,  muh  vtvîci  U  fawiiou  i|ne  donov  r«i«t#*r  ; 

»  Ce»  paroi»  iti  ouk's  à  Coniptègui^,  Vm  îi^H,  à  dcuK  Kunx  h  «ircicn^  li««tto 
Ut-  \a  illJiî,  a^t:*  Puij  ije  9S  «11*  ri  Cauirts  dp  St*,  lesquiiU  iluinitta  «viih  éïé.  p^ 
Affltf  en  r^gfi»c  ile  Hakni4AC(;iie«  d«  Coiuf  îè^iOi  iklorsiiUK  U  tlei^uidîu  Hffctbr^ 
ûMavttcfrlkn  jifirwli?*.  e 

3»  Cuèlimitiic  ik  Fî»^i,  Sous  rciienjr&ns  Ist-iitfiiii. 

4.  Du  hJif,iiir«\.ii  b*»tjr(^ii*finoD,  urHr^  dv  Sîiiiït-lkii»i,  o^pt*  |»af  i;rrirn»  H»- 
tpIl'Un.  |ïrélfml  ménw  qwVItn  jwï  vsiitii  di'  rmncncr  \e  duc  «k-  Bfturifv 
iUQ%  Cauipifigni:;  mut*  k  t*iii  «-H  f^ux  et  ua^ir  clmt  5iU«l*K«ii*i  <i  d 
nfiiut-CH  n<>ï)  iJifiiiïK  iiu'tuc<Cîk;  UorutriHn,  qui  t'iuW  prNeul,  l't  «juj  dnaDt  i 


CUM]  SORTIE  DE  COMPIÈGNE.  229 

aboulissail  au  village  deMar^nî  ouMarigiii.  Lrs  quartiers  enne- 
mis étaient  largement  espacés  clans  la  prairie.  Un  délaelieinent 
bourguignon,  aux  ordres  de  Baudot  de  Niiyelles,  nuuvchal  <]e 
TaFinée,  occupait  Margni.  A  une  denii-lieue  de  Margni,  vers  le 
sud,  un  corps  anglais,  commandé  par  Monlgommeri,  était  posté 
à  Venette,  le  lieu  de  naissance  de  notre  patrioticpie  historien  du 
quatorzième  siècle*.  A  trois  quarts  de  lieue,  au  nord,  dans  le 
village  de  Clairoi,  était  logé  avec  ses  Picards  Jean  de  Luxem- 
bourg, seigneur  de  Beaurevoïr.  Enfin,  le  duc  de  Bourgogne 
s'était  établi,  avec  une  réserve,  à  Coudun  sur  FAronde,  en  arrière 
de  Clairoi. 

Celle  disposition  parut  favorable  à  un  coup  de  main.  Jeanne 
résolut  de  couper  les  positions  ennemis  par  le  centre  et  d'enlever 
le  quartier  de  Margni.  Fla\i  se  chargea  d'empêcher  les  Anglais 
de  secourir  les  Bourguignons.  Les  Anglais  ne  pouvaient  venir 
prendre  en  flanc  et  en  queue  la  sortie  (^u'en  s'emparant  de  la 
chaussée  :  Flavi  garnit  de  couleuvriniers,  d*archers  et  d'arbalé- 
triers le  boulevard  qui  commandait  la  chaussée,  et  piépara  sur 
la  rivière  des  bateaux  couverts  pour  aider,  en  cas  de  besoin,  à 
accélérer  la  rentrée  des  troupes 2. 

Vers  cinq  heures  du  soir,  Jeanne  sortit  de  Compiègne  à  la  tète 
de  cinq  cents  hommes  d'éhte,  partie  à  cheval,  partie  à  pied,  et  se 
jeta  sur  Margni.  La  garnison  de  Margni  sortit  à  sa  rencontre,  lut 
culbutée  et  rejetée  dans  le  village,  où  Jeanne  la  suivit.  Les  Bour- 
guignons se  rallièrent.  Jean  de  Luxembourg  et  plusieurs  barons 
de  Picardie  et  d'Artois  venaient  d'arriver  à  Margni  pour  conférer 
du  siège  avec  Baudot  de  Noyelles;  ils  aidèrent  à  la  défense  et  en- 
voyèrent quérir  en  toute  hâte  le  gros  de  leurs  gens  à  Clairoi.  Le 
détachement  de  Margni  ne  tarda  pas  à  recevoir  assistance.  Les 
Bourguignons  grossissaient  à  chaque  instant.  UsdevinnMit  bientôt 
très  supérieurs  en  nombre;  mais  l'élan  des  assaillants  étitit  si 
grand  qu'ils  repoussèrent  encore,  dans  une  seconde  et  dans  une 
troisième  charge,  cette  nmltilude  toujours  croissante. 

Cinq  cents  Anglais,  cependant,  arrivaient  du  côté  opposé,  de 
Venette.  Les  conipagnons  de  Jeanne  les  aperçurent  de  loin  sur 

1.  Le  carme  Jean  de  Vcuctte. 

2.  Jiémoire  sur  Guillaume  de  Flavi,  ap.  Procès,  l.  V,  p.  17(3-177. 


i 


»0  GUËRaES  Li£S  ANGLAIS.  |I4 

leurs  deitièresî.  ib  oublièrcul  que  les  Ari^rbis  ne  ih>uv 
[ilater  ctilic  eu\  et  In  ville  sans  se  faifp  crîbter  i^or  rûilîïliTie 
kmlevtinl.  Ils  se  crurent  coupée.  Les  tlcrnicrs  rang^  ^o  dûlAth 
di'roul.  Les  fuyards  se  précipitèrent  vers  la  birrit^re  du  boule* 
v.ird  cH  niasiiju^reiit  lesi  Anglui^,  qui  alors  à  Tuliri  i)n  tir  dtr  k 
idace,  les  cliargèrent  hardiment  et  gagnèrent  lu  chiiusièe*. 

Les  i*lus  bravent,  les  pins  dévoués  des  compugtioos  de  Jcami^ 
ct^ux  qui  ne  ravîiîenl  pas  quîilée  depuis  mn  df  pari  d'*>iii 
roi,  un  de  ses  frères,  son  écuycr  Jean  d'Auluii  et  d'aulirt 
Imtlaieut  loujnurs  autour  d'ellr,  Qu^iud  ils  vin^nl  ce  qui  se  p^ 
derrière  eux  :  «  Meltex  peÎTic  de  recouTrer  là  ville,  lui  crîta'nl-iï«, 
ou  vous  et  nous  sornmeïi  pei'dns  !  » 

Mais  Jeanne  èUiit  lransi*orlée  de  eelte  exluse  lifroiqoe  que  toi 
inspirait  le  danger.  nTaÎBéîî-voufâl  eria-l-ellfi  H  ne  tiemlm  qit*k 
vous  qu'ils  ne  soient  deronfits  !  Ne  pensée!  que  de  férir  çyr  rem?  • 

«  Pour  chose  qu'elle  dil,  seâ  gens  ne  la  vouidretii  (ronlurenl) 
croire  »  :  ils  prirent  la  bride  de  son  cheval  «l  lu  flrcnl  retonro»i 
de  fûree  vers  la  ville  ^. 

n  ettiit  trop  lard.  Des  flots  de  cavaliers  bourpiîgiicins  et  ph 
les  suivaient  tè(r$  ï^ur  croupes  :  devant  eux,  enUe  û\ï\  et  la  |i 
d'autres  Bourguignons,  mêlés  aux  Anglais»  poUi^&nettt  IV'pcc  èîm 
les  renis  les  premieiis  fngllifs  et  assaillaient  drjà  la  barrièj 
barrière  venait  d  ctre  fermée  et  k  [jont-tevis  du  boulevard 
par  ordre  de  Fluvi,  Le  gouverneur  de  Conipiègne  avait  craint  * 
ruir  le  buukvard  et  le  pont  de  TOlse  envahis  par  reiinirmi^  Bd^ 

l,  HS,  Qultihi^ml  (Aperçtti  Jiomemti'f  eiç,^  |t.  8 S* $9)  i  iiofi  UfUi^ 

sijp^^jirmt:  \v%  ratuLbai  dcii  chroniqueurs,  iticociif  IMcs  en  (^cs  sur  U  |rtlK 

i*»(LfnUti1  d«  ruffjiirc;  û  fûut  Ica  coniparcr  usvc  b  ièmoigtmg^  û^  immiw  fKf 
même.  Jïii«rrogtà'(îke  Ju  lu  uiar»  j  Pmcfint  r,  1,  |>,  itfî, 

î.  Ntiiin  èwi%rni*  fcrctiml  de  Cttgni  ;  Proeé^,  U  IV,  p,  SS-34î  mmli  nuu 
Jhi^qutt  Mmi^ir^tîot*  *\ni  ^ftijl  au  t|U4irticr-|iA(iÊriiJ  Jo  tluc  Jfi  PAtir^r.fK 
la  PtJccllc  luom»  guerrière  (?ui1iaiiHia*i^»  tnaif  |ttu^  pijsi):wi 
IrnJlo^  a  fiihuni  grand*miiUJi^r«  ri*cuLr«)rîiir  »t«t  ^fvns  tt  K^^  r 
li»^</,,  (i,  Ifil,  «  «.,  ComeiJCïïCfertni  Frnnçol»  jiïcc  leur  r^jf     i.    i  <  m     < 
ilHti-uftiiifitiL*,  la  rucritiv,  i»k«^Miii  naiurt  tl«  feintn*',  i'--  ' 

beaucoup  d^  fKÎno  1ï  rsit)Y«r  »u  coaift^giiU'  tjc  perte»    • 
cil ut  fit  crtmini:  !n  (iIua  vcidlatit  dii  troupeutt.  •■  Cenrgci  i 

gîàttn»  i>t  iïjfilnÎBi  préî*  J**fti|rvi  *ijr  m»q  jujfti.  pour  la  a^niC!  «ji  ■ 

de  î«  plticn,  lU  kf  trr  U  pont  Je  b  vilk  «I  f^riucr  11  fût%^  •  tett^m^  éû  Ci 


[1S30]  JEx\NNE  PRISONNIERE.  2.M 

tail  la  ressource  des  bateaux  garnis  de  gens  de  trail  :  la  plupart  des 
fantassins  de  la  troupe  de  Jeanne  y  avaient  déjà  trouvé  un  rrfuge  ; 
mais  Jeanne,  qui  ne  reculait  que  pas  à  pas,  tout  en  combattant, 
et  qui  ne  se  r<?signait  à  rentrer  que  la  dernière ,  ne  put  gagner 
le  bord  de  l'Oise.  Elle  fut  poussée,  avec  ses  amis,  dans  Tan^le 
formé  par  le  flanc  du  boulevard  et  par  le  talus  de  la  chaussée  '. 

Tous  les  ennemis  se  ruaient  a  la  fois  contre  elle.  La  bannière, 
bien  autrement  sacrée  que  Toriflamme,  qui  avait  été  le  salut  de 
la  France,  la  bannière  d'Orléans,  de  Patai  et  de  Reims  s'agita  en 
vain  pour  appeler  à  Taide.  La  fidèle  armée  de  Jeanne  n'était  plus 
là.  Le  saint  étendard  tomba,  renversé  par  des  mains  fijuiçaises. 
Les  derniers  défenseurs  de  la  Pucelle  étaient  morts,  caplifs  ou  sé- 
parés d'elle  par  la  foule  des  assaillants.  Jeanne  luttait  toujours. 
Cinq  ou  six  cavaliers  Tentourèrent  et  mirent  la  main,  tous  à  la 
fois,  sur  elle  et  sur  son  cheval.  Chacun  d'eux  lui  criait  :  «  Ren- 
dez-vous à  moi  !  Baillez  la  foi  !  —  J'ai  juré,  répondit-elle,  et  baillé 
ma  foi  à  autre  que  à  vous;  je  lui  en  tiendrai  mon  serment^.  » 

Un  archer  la  tira  violemment  «  par  sa  Inique  (casaque)  de  drap 
d'or  vermeil  ».  Elle  tomba  de  cheval. 

L'archer  et  «  son  maître  »  le  hAtardde  Wandomme^,  homme 
d'armes  artésien  au  service  de  Jean  de  Luxembourg,  s'emparè- 
rent d'elle.  Elle  fut  emmenée  prisonnière  à  Margni. 

La  prédiction  de  ses  voix  était  accomi)lie.  La  période  de  la  lutte 
était  achevée  pour  elle.  La  période  du  martyre  commençait^. 

1.  Quichcruf,  Apcrçit^  uuuvemiXy  clc,  p.  89. 

2.  Percevul  de  Cagni  ;  Procès,  IV,  3'*. 

3.  Et  non  Vcndûmc.  Pmcéx,  t.  1,  p.  13.  L'archer  était  attaché  «  U  la  lance  » 
ilu  bâ'anl,  comme  ou  disait  aIor«. 

4.  Il  n'est  pas  vrai  que  Jeanne,  comme  le  dit  Monstrelet  et  comme  Tout  répété 
la  plupart  des  historiens,  a  se  soit  rendue  et  ait  donné  sa  foi  »  au  bâtard  de  Wan- 
donimc;  c'est  la  seule  inexactitude  de  rexcellente  élude  de  M.  Quicherui  (Aper- 
çue îiovvraux,  etc.).  Ici  comme  ailleurs,  Perceval  de  Cugni  a  dit  lu  \ériié.  Son  té- 
moignage est  corroboré  par  la  paio'e  de  Jeanne  elle-même  :  u  Je  n'ai  jamais  donné 
ma  foi  à  personne  »,  dit-elle  duns  son  interrogatoire  du  21  février;  Procèx,  t.  I, 
p,  47.  Jeanne  fut  prise  et  entraînée,  tout  étourdie  de  sa  chute.  —  Pur  suite  des 
découvertes  qui  oui  été  faites  di^puis  nos  premiers  travaux,  notre  récit  actuel  de  la 
catastrophe  du  23  mai  1^30  dilTùre  essentiellement,  sur  un  point  capital,  de  notre 
édition  précédente.  Nous  avions  accepté  la  tradition  accréditée  sur  la  trahison  de 
Guillaume  de  Flavi.  Cette  accusation  ne  peut  plus  se  soutenir.  Cet  homme  fut 
poussé  plus  tard  à  de  grands  crimes  par  ses  pa'^sions  effrénées,  et  en  fut  puni  par 
une  fin  tragique  :  sa  femme,  dont  il  avait  fait  périr  le  père,  et  dont  il  menaçait  lu 


nt  CUERBëS  des  4NGLAIS.  (illjl 

Les  vainqueurs  iHaicnl  ivres  dp  jcml*  :  ils  rab^tiit^nf  t  \Ami 
nr'u  (?f  reîsbaudjssemfnls  k,  dit  Monstrtlçt,  que  s1U  eu^^foi] 
iQUlc  une  année.  Le  duc  de  Bourgogne  arriva  de  Ctiuduti  à  Sir- 
gni,  au  mfinienl  où  You  amenait  Jeanne.  Helas!  €é\mi  un  antrr 
rcndtiz^vous  qti'c lie  lui  doniiiiil  Tan  \yàmù  i  Reiui^î  Que  *e  dirrof 
ibï  rijin|>[)e  ni  \vs  %mi&  ne  Tonl  jamais  ré\iù[t:.  Ijù  iliir,  dit  Uoi^ 
irelet,  «  parla  à  elle  aucunes  ^laroks,  dont  je  ne  ^ul*  mk  bîn  i 
reœrs,  jàçnil  ce  que  je  y  étoic  préiîenl  »  (L  1 1,  c.Sfl).  San-  ' 
îc  chroniqueur  bourguignon  lut  trop  bon  couiiisau  ptmr  • 
corder  »  de  lellcs  choses.  Quels  sentimetite  lyproum  ce  firiocr  ! 
français  qui  venait  de  remporter  ce  triomphe  «irrilègc  sur  h 
France!  Y  eut-il  (juelquc  doute,  quelque  Ironble  dans  son  ûjoe! 
Ou  ne  sait  :  U  n*y  a%ail  guèn*  plus  de  ^m  moral  elwîz  •  letiufti 
duc  Philippe  v  que  chez  Charles  VU  lui-métin*.  Ce  qui  dou 
ce  fut  la  salisrattîon  de  son  détestable  orgunl*.  Il  âvajl  vn 
ïiee;»blé  par  le  nombre,  peu  importe,  rhèrolne  vieloricusîel 
Anglais,  et  croyait  voiriious  ses  pieds  !a  Fnuicc  el  rAn^clenn 
Les  lettres  qu'il  fit  e?ip6dicr  pîiHout  pour  annonci!r  b  p%nk 
nouvelle  exultent  d'emphase  Aom  leurs  fortnules  de  d^tûli 
hypocrite^. 

fie,  lai  fît  cotipvr  la  gorge  par  ton  fiiiTljlfir,  et  ruchtiii  lut  rH<mll^t  airroai 
%ïn.  ï^s  frftr^^»  de  Flavi  pourîmiviMnt  %9  vetigefince  Juram  4t»  ànn^t:%,  «i  | 
lutir  1«ttr  bdk^-Miur  ti  t>*m  iiwitiii;  l«&  DieojrlrlerK  furviii  tiiU  i  ii»t*rT  d  h  cr  i 
Toute  caille  siàïigTiitito  liisifiïrij  liiina  *ie  lernb^ii»  iîitprv»«4inii»  dan»  1' 
pic;  ùà  ea  piûtltn  pont  charger  la  mémi»iro  âc  F\ti\i  èa  erimr.  àf 
^uUiuniK  ti  MaH  h  lV>plniou  popululrc  nue  iicuuie  exptilûîrc  prin. 
b  PtlvcUi^i  Oi\  Lui  ji«Lu  !r  gtMiVi^nitnr  ih  Cf^mp^tgue  :  i\  «iimhia  um: 
qu'un  dènïoB  t^ÛI  Iralii  an  iinije,  l'  ut  lartî  U^  hhUnkM,  (mit  d*t>ti 
fUfiiant^  dt%  fuiu  et  des  i»tér£i&  tlu  tetnp»,  00  roitipnruDt  pu  qu' 
po«1uoiï  qull  j  4?Ûl  enirt^  Ïi3^  fcriUA  d.  icanoc  tt  ki  tic£4  tic  FIxi^j 
l«4  tuémei  etintfriU  que  rhérmni',  «(  m  pmîvait  la  iraltlr  «liRi  %*ti\- 
Ure  lui-mêtxjt*.  Flii\n  d'tiA«  famillo  ir^»  m(!ui'ul«  âwm  h  V«;riii!iBr! 
vuhi^t  no  songerait  <iii'b  «e  Uim  A^  Compilsgu^  uô  gourrructnf-uL  cj 

Dt  I  rttrclitit^qutf  Begnould  de  Cîiiiririft%,  <|Ui  f i^ukktit  Itvrvt    Iti  p!ai*K  oti  Jte  ëi 
Bourgogne,  tx  t\  u'airiili  ft  al  Rendre  d'eux  4|u<s  tfifiuvui»  vouliilr%  cl  »âiiiiIi«  ink^ 
wïp«»  tBodif  que  Jeitiine  ètaU  pour  lui  anp  auitilkirr  mnpfr^tlijitr^  tn  f**mw^, 
jc^  camma  presque furiôut^  la  irAditicvn  p^ptihûre  n  mlisori  iluo^  W  f<^iiif  ei  < 
dMiinIft  f»rmé  Hid«fiH  1i;diHuîl*  Jeuuiic  n  été  Vrtihie  ei  «««i-ifiéc,  muiji  c»  &\  ^ 
viiQl  Ci»tupii5gu«;  rtavJ  ii'c»t  pai  le  vruJ  coupable.  Ixt  dtmentlrftiluti»  i|«  M.  | 
ciiçrnL  oâ  laiwcat  ritn  è  dAtirct  »ur  ec  point,  Aju^hum  h*iui  rtîULTg  rtc-,  p,  77- 

t,  H  Qui  m  ftit  jnjcutt  Ce^  fui  \l  p  G.  Cli»»ktl»iii ;  PfrK#T,  i,  IV,  p.  4*7. 

2*  Ou  «  rvtroav^  ccUe  qu'il  aâttwsn,  h  iùk  mtîme»  dut  babaiiuU  île  ici  m  < 


[1430]  DÉSOLATION  \W  PEUPLE.  233 

Les  Anglais  n'avaient  pas  lieu  d'ùtrc  si  satisfaits  :  ce  n'était  pas 
eux  qui  avaient  abattu  le  terrible  étendard;  mais  leur  haine  lit 
taire  leur  orgueil;  d'ailleurs,  le  duc  Philippe  voulut  bien  dire, 
dans  ses  lettres,  qu'il  avait  vaincu  pour  son  seigneurie  roi  Henri. 
Les  chefs  anglais  crurent  que  le  a  charme  »  qui  avait  changé  sou- 
dainement leurs  triomphes  en  dés.'istres  était  enfin  rompu'; 
qu'ils  allaient  reprendre  le  cours  de  leur  conquête  un  moment 
suspendu  par  un  accident  étrange,  et  que  la  France  était  captive 
avec  Jeanne.  Ils  se  résignèrent  à  accepter  ce  bienfait  d'une  main 
étrangère,  et  firent  aussi  grande  fête  de  la  prise  d'une  «  pastoure  » 
de  dix-huit  ans  que  de  la  captivité  du  roi  Jean  à  Poitiers  ou  de  la 
destruction  de  la  noblesse  française  à  Azincourt  :  a  ils  ne  l'eus- 
sent donnée  pour  Londres  »,  dit  énergiquement  le  poëte  Martial  de 
Paris  ^ 

Le  deuil  des  populations  françaises  répondit  à  l'allégresse  de 
leurs  ennemis  :  une  morne  stupeur  se  répandit  |)armi  le  pauvre 
peuple  des  campagnes,  qui  avait  cru  que  tous  ses  maux  allaient 
prendre  fin  par  les  mains  de  cet  ange  libérateur;  la  consterna- 
tion fut  inexprimable  dans  les  cités  que  la  Pucelle  avait  conservées 
ou  rendues  à  la  France;  à  Orléans,  à  Tours,  à  Blois,  où  Jeanne 
était  adorée,  on  ordonna  des  prières  publiques  et  des  proccï^sions 
pour  sa  délivrance  :  tout  le  peuple  de  Tours,  pieds  nus,  tétc  dé- 
couverte, promena  dans  les  rues  les  reliciues  de  l'apôtre  des  Gaules 
au  chant  lugubre  du  Miserere^.  Les  pauvres  gens  accusaient  hau- 
tement les  seigneurs  et  les  capitaines  d'avoir  trahi  la  sainte  fille 
qui  t  supportoit»  les  faibles  et  réprimait  les  vices  des  puissants  ! 
Quelle  part  prit-on,  autour  du  roi,  à  la  désolation  publique, 
et  de  quelle  façon  intervinrent  les  hommes  du  pouvoir  dans  ces 

tin.  «  ...  De  laquelle  prise  (de  la  Pucelle),  uiusi  que  tenons  ccriainemont,  seront 
grands  nouvelles  partout,  et  sera  connue  l'erreur  ut  folle  créance  de  tous  ceux  qui 
t*  faits  d'icclle  femme  se  sont  rendus  enclins  et  favorables;  et  cette  chose  ^ous 
écrivons  pour  vos  nouvelles,  espérant  que  en  aurez  joie,  confort  et  consolation,  et 
en  rendrez  giâcvs  et  louanges  ii  notre  Créateur,  qui  tout  voit  et  eonnoti,  etc.  n 
Procès,  t.  V,  p.  166-107;  d*aprÈs  Us  archives  de  Saint-Quentin. 

1 .  a  Beaucoup  d'entre  eux  ont  affirmé,  sous  les  serments  les  plus  saints,  que,  lors- 
qu'ils entendoieut  retentir  le  nom  de  lu  Puculle,  ou  qu'ils  aperccvoient  son  éten- 
dardp  ils  perdoient  soudain  force  et  courage,  et  ne  pouvoient  plus  bandor  kurs 
arcs  ni  frapper  l'ennemi.  »  Thomas  Basin,  Uisi.  de  ChnrUs  VII,  t.  I,  p.  72. 

2.  Viyiles  du  roi  Charles  le  septième;  Procès,  t.  V,  p.  7'é. 

3.  Xaan,  i/û/or.  S.  Eccleiiœ  Turonemis,  p.  164(1667}. 


m 


GUBRKtiS  DES  ANGLAIS 


Iristes  H  pieuses  intercessions  de  Vàmn  ilc  la  Pr»Ece!  —  Jfou^i 
«ïomineîi  plus  mx  sup|io&ltioiis.  Un  documeiil  ncctiMleur  «aii 
dc5  arrliivc^  tle  Reims  :  inndU  que  le  du-    ■    "■  ■     \pi 

ses  lettres  aux  bonnes  villes  anglo-hour^    ^..  i.:     ,    . .  iïjq^ 
de  Ffimce  crivojart  les  tiennes  aux  bonnes  ailles  friinçaiscs, 
rcirotni\  dans  une  relation  ùmic  d*ûprès  les  ctiarle»  de  fhM 
ville  el  éelieviiTage  de  Heîms*,  l'analyse  de  h  dép&cht  «k 
gnauld  de  Ch.irlrcs  oux  li;ihitnul»dfï  sri  ville  iirtliié{iiscop«le^ 

«  Il  iimmù  avis  de  lu  [^rm  de  Jeliimne  lu  PoniUc  devanl  | 
\ï]èfinc,p[ commsêiic ne vQuifjit croire conuii;Qimilm»^^^^  "  '  'i 
à  son  plaisir.  —  QuH  tMoîl  venu  verîs  le  roi  un  Jeuiie  |,  i 

denr  de  breLi^  des  montagnes  ditGévaiid.'in  eu  réîèchè  de  Meni 
f/Ufi  disoit  ne  pim  ne  moins  gne  a  mil  fait  Jehitnne  ta  PfscfiJf*,  el 
avoit  roniJUiindenirid  de  Dieu  d\iller  iïvec  Ic5  gens^du  rf*i,  H 
âatis  faute,  les  Angloiîict  Bourgnignons  scruient  décnoCKs.  El 
te  que  un  lui  dit  que  loj^  Auglois avoieul  rtiîl  mourir  Jch/i une  M 
celle*,  il  rô()Ofiditquc  tant  plus  il  leur  en  nîtVhermll  ;  et  qmt\ 
avoit  sottffert  prmdre  Jehmme  la  Pucellr  pimr  ce  qn^rJif/éimti 
tiltif^e  en  orf^miU  ^i  p<5wr  les  richn  habiLK  jfiV//e  amif  pris  *,  H  \ 
nnruit  fmi  ce  qve  Dtm  tm  ûvqH  ei>mmatuit^t  nim  nvoH  fait 
hnié.  p 

Le  mystère  dlnbjuit^  nooi  est  enfin  diVoilè,  Aprètutoir- 
Jciinne  et  emjji^ché  raccourplis^cnient  de  sa  mUiiitn,  non  • 
qu  elle  fiii^oit  stt  votonlé  de  préférence  à  ecllc  de  Dieu  »,  \ 
parce  qu'elle  fai^tt  la  volonté  de  Dieu  eî  •  ne  vriulctH  croire 
scil  j»,  c'est-à-dire  se  faire  Tinstrumenl  de  quelqned  bomtnrt 
avait  avisé  à  la  remplacer.  Les  inspirés  fobonnaietif  ;  on  ni 


t.  Hclttltoti  de  Jtm  Hogi^r.  cl^jli  cMn;  wp,  Varîii»  Arthhf»  if#  Urimt,  p 

2«  C'éfuii  tm  taux  bruit  qui  courut  appartmiatîni  àû.n»  ici  |iremtBr«  >OQrv 

9.  U^%  p*'*!ûntfs  foïigtîîjîiirct  qui  jugèrr-îii  lu  t*uftcj[r  iw  t!iiiar|itàri'in  71^  ir 

pWir  d«  i'»ruK»  «lu*  h-nr  fou  m  1***1  il  eiiTctt(îv6«|tj(r  div  adiu»,  ^f  1  v 

tinrn  it&gttni;5  et  dc^  beum  rl^evuui  iletlui  ujq  t]fs  cTimt%  'It  1  t 

droit  îft  Jpi  in*Upciii  iléticaU  de  ceUe  Bilidimhle  «iL^atm^  %t  '  c 

IJciïiiic  iât\è ,  ii&soci^ui  le  neutifiieai  du  bcnti  a  celui  du  ti>ii,  1^ 

e^miiiiia  aicc  ccstte  espèce  d*aicèUsi»t  quk  t^li  nui:  icriu  «li*  ta  ip 
ttUu  el  de  rcilénriïr  «iinlid*»,  (it  fjoi  fteuibk  p<ïijr>uivrks  VUénâ  û\à    ^«U 
cluHyuiiUmo  qui  n'ii  coiUinemctit  (ii^ini  va  source  dans  réfttigile,  ni 


tl430]  LBTTRE  DE  L'ARCHEVÊQUE  DE  REIMS.  235 

eu  qu'à  choisir;  on  élait  allé  chercher,  parmi  les  bergers  des  Co- 
vennes,  population  siijelte  aux  phénomènes  de  Textase,  un  enfanl 
visionnaire  qui  <  nionlroit  ses  mains  et  pieds  et  son  côté  tachés 
de  sang,  comme  saint  François  ^  »  ;  on  lui  suggérait  ce  qui  con- 
venait aux  desseins  de  ceux  qui  l'avaient  aposté,  et  l'on  s'apprô- 
tail  à  opposer  ce  nouveau  prophète,  humble  et  docile,  à  lapro- 
phétesse  qui  avait  outrepassé  sa  mission  et  perdu  l'inspiration 
d'en  haut,  comme  l'attestaient  ses  revers  de  Paris  et  de  La  Charité. 
L'art  du  mal,  on  doit  Tavoucr,  n'a  jamais  été  poussé  plus  loin 
que  dans  cette  trame  infernale,  mais  jamais  non  plus  la  démence 
des  méchants;  ces  hommes  s'imaginaient  reproduire  les  miracles 
de  Jeanne  avec  une  machine  de  théâtre  ! 

La  catastrophe  de  Compiègne  épargna  aux  favoris  la  lutte  dan- 
gereuse qu'ils  s'étaient  préparé  à  entreprendre  ouvertement 
contre  Jeanne,  et  la  réunion  probable  de  Jeanne  au  connétable 
et  au  duc  d'Alençon,  réunion  qui  eût  été  irrésistible.  La  Trémoillc 
et  Rcgnauld  de  Chartres  conservèrent  toulcfois  l'instrument  qu'ils 
s'étaient  donné,  et  nous  verrons  plus  lard  comment  ils  essajèrent 
de  mettre  en  œuvre  le  pâtre  du  Gévaudan. 

Quel  va  être,  cependant,  le  sort  de  Jeanne?  C'est  en  réalité  le 
duc  de  Bourgogne  qui  en  décidera.  Le  bâtard  de  Wandomme, 
qui  l'a  prise,  dépend  de  Jean  de  Luxembourg;  Jean  de  Luxem- 
bourg dépend  du  duc  Philippe.  Comment  ce  prince,  si  affectionné 
aiix  formes  et  aux  dehors  pompeux  de  la  chevalerie,  traitera-t-il 
celle  qui  est  «  la  chevalerie  vivante^  »  ?  Celui  qui  a  livré  la  France 
aux  Anglais  leur  livrera-t  il  aussi  la  libératrice  de  la  France?  Ses 
lettres,  écrites  sous  la  première  impression  de  la  victoire,  sont 
déjà  d'un  triste  présage  ! 

Provisoirement,  Jeanne  a  été  remise  par  le  bâtard  de  Wan- 
domme à  «  son  maître  »  Jean  de  Luxembourg,  qui  l'a  fait  con- 
duire au  château  de  Beaulieu,  dans  les  environs  de  Noyon. 

Avant  les  Anglais,  d'autres  se  sont  hâtés  d'intervenir  dans  la 
destinée  de  la  captive.  Nous  avons  vu  le  chef  du  clergé  du  parti 
français,  après  avoir  préparé  le  malheur  de  Jeanne,  s'efforcer  do 
lui  arracher,  dans  ce  malheur,  l'appui  de  la  sympathie  publique. 

1.  Journal  du  bourgeoii  de  Paris,  ad  an.  1431. 

2.  Micheict. 


236  OUEBRES  DES  a:<GLA1S. 

Le  clergé  français  il  y  [mW  an^'lats  ^^  jelie  stir  h  Mkûmt  qm 
livre  rardjuv£*4|uc  de  Reims.  Dl*5  le  26  iimi,  k  ttadeiikiin  de 
rivée  de  la  «  graudr  rMmveU«!  »  à  l'arii»,  lo  i^icaire  géo^^mldu^l 
intiiiiâiteiir  de  Frnncr  écrit  au  dut:  ilc  BauriîDgiie  pour  le  •  i 
plier  te  et  lut  «  eiijyiudre,  ï^ur  lei^iidiiea  de  droit  ft^d'euioyer 
sgmiière  à  lui,  \ icaii-e  géuéral  ibusidlt,  t  verimuc  feiumu  ikiii( 
Jelmnue,  (jue  les  adversaires  de  ec  ronmine  rjomiut*nt  h  Plïu 
SQUp«:onnée  véhiiHeoicmcùt  de  plus^ieuiB  i:rLri]L*^ii<enLafil  Ijn^r 
pour  eâler  h  droit  pur^devaiil  le  proitiulctir  de  U  »aiute  taïf 
tion ;  répondre  cl  piocWer,  comoie  lùmn  deviïi,  au  bon  oon 
laveur  et  aide  des  bou^  docteurs  et  inallîYâ  do  Tumv^^nÉt 
Parii»*  *. 

Le  greftier  de  rutiiviïrsilé  avait  écrit  et  sîgBé  celte  pièce,  d 
lettre  de  rualvénsitù  a[>puyait  la  .^mniâtion  de  rirupitîîîteiir 
i^nglaat  Ij'iburjal  du  siiiU  oftice,  preîi^jue  oublk^  et  |i€rdui 
Tonibre  depuis  longues  auuées»  t^paralt  au  grand  juur  pool 
elanier  la  plus  glorieuse  vidinic  qui  îiitjanuis  été  i  ] 

barre,  et  c\^i  rmiiversitê  de  Paris,  ce  ïuver  jadis  si  i  ;  -i,.  .,>J 
lettres  et  de  la  philosopliie,  tjui  ravive  l'inquisilitm  et  s^idd 
avec  elle'',  dernière  et  terrible  eonséquenet»  de*  prificj|>e£ 
uaus  avons  siguak's  eliez  les^  grande  doeleur.s  du  tJ*etiicfiie  ^^ 
A  celte  logique  fatale,  dont  le  Uante  uiunlre  le  Ijpc  cbtz  S 
mème\  s'unit  volontiers  le  pèclio  par  exccUtiEre,  fimplac 
orgueil.  Tous  ces  sophistes  ^cola&Uque:^  ont  vu  avfc  rage 
Icirime  relever,  au  noui  du  ciel,  la  caU)*tî  qu'ils  avaicnl  crue 
due,  qu*ilâ  avaient  eoudainnée  comme  telle,  el  Uunnlsaif  d« 
ger  sur  cette  feiimie  leur  iufaiîiibiliiè  compromise,  en  étalilii 
judiciairement  t|ue  tout  ce  qui  ne  vient  pasd*eux  viefil  de  l*ci 

Le  duc  de  nour|i>T>g:ne  ne  répondit  p;i.s.  U  ne  vimbùt  iioint  j 
gager  à  la  légère  ni  ^  dessaisir  û  facilement  d'un  tel  ^age. 

L*uiiiveralé  s'a|iprt^!a  k  renouveler  ses  instances;  mal»  dh 
garda  pas  longlenipa^  la  conduite  de  l*ent]  éprise,  et  ne  lui  U 

2.  le  \ica^ii«  gi^uèrd  de  r^Uf{uisiUôQ  tiuh  ua  lut^luv  Un  itbiciif,  fut  dci 
r&U  |tluf  iÏMifk  ralTuhUi  i't   HOU*  verroat  «juc  ki  uiSiio  i  i>lBeitti  ift  t*iii|Bl 

3*  }%  noire  t.  IV  p  j»a&»4iTi. 

4.  «  lu  ««  «fit  ai*  pH  i|ii«  jo  ian^  l«iiei««t  « 


CI430]  L'INQUISITION  ET  L'UNIVERSITÉ.  237 

plus  que  rinslniment  là  où  clic  avait  cru  ùtrc  la  puissance  diri- 
geante. Sa  déniarclic  spontanée  avait  prévenu  les  dispositions  cl 
comblé  les  vœux  des  deux  hommes  qui  gouvernaient  rAngleterrc 
et  la  France  anglaise,  le  cardinal  de  Winchester  et  le  duc  de  Bcd- 
ford.  Ce  n'était  pas  assez  pour  eux  de  tirer  Jeanne  des  mains  des 
Bourguignons  :  qu'en  faire,  quand  ils  la  tiendraient?  Sa  captivité 
ne  pouvait  suflire  ni  à  leur  vengeance  ni  à  leur  politique.  Et,  ce- 
pendant, mettre  h  mort  «  une  personne  de  si  grande  chevalerie  ^  », 
pour  avoir  vaillamment  soulenu  son  parti  par  les  armes,  eût  sou- 
levé par  toute  la  chrétienté  une  indignation  qu'ils  n'osaient  l)ra- 
ver.  D'ailleurs,  sa  mort  même,  si  ce  n'était  qu'un  fait  de  force 
brutale,  ne  défaisait  pas  son  œuvre.  Il  fallait  qu'elle  mourût,  mais 
déshonorée,  en  déshonorant  avec  elle  son  auivre,  son  roi  et  son 
parti.  Une  seule  voie  s'offrait  pour  ce  but  :  un  procès  d'hérésie  ou 
de  sorcellerie,  qui  montrât  dans  les  miracles  de  Jeanne  des  pro- 
diges néfastes,  dans  la  mission  qu'elle  s'attribuait  une  révolte 
contre  l'Église,  dans  le  sacre  de  Charles  A'Il  un  ouvrage  de  l'enfer, 
dans  le  supplice  de  la  Pucelle  la  conséquence  légale  d'un  juge- 
ment de  l'autorité  ecclésiastique;  qui,  enfin,  s'il  était  possible, 
obtint  une  victoire  plus  décisive  encore  que  la  condanmation  et 
que  le  supplice,  c'est-à-dire  une  rétractation,  un  désaveu  de  la 
mission  de  Jeanne  par  elle-même  !  C'était  là  précisément  ce  que 
l'université  de  Paris  venait  offrir  à  l'Angleterre. 

Bedford  et  Winchester  saisirent  l'arme  qu'on  leur  présentait , 
mais  se  réservèrent  d'en  modifier  l'usage.  Avoir  affaire  à  tout  un 
corps  n'était  pas  sans  inconvénients  :  on  pouvait  craindre  les 
fluctuations,  les  variations,  les  retours.  Winchester  avait  précisé- 
ment sous  la  main  un  excellent  intermédiaire  pour  traiter  avec 
l'université  et  user  d'elle  sans  se  livrer  à  elle.  C'était  l'évéque  exilé 
de  Beauvais,  Pierre  Cauchon.  Célèbre  docteur  en  droit  canon, 
nous  l'avons  vu*  chargé  des  intérêts  du  parti  de  Bourgogne  au 
concile  de  Constance  contre  Gerson  et  les  autres  docteurs  «  or- 
léanois  »  :  de  retour  de  Constance,  il  s'était  associé  à  toutes  les 
fureurs  des  cabochiens;  il  s'était  fait  nommer  commissaire,  en 
1418,  pour  juger  les  prêtres  armagnacs;  puis,  en  tV20,  élevé  au 

1.  J.  Ooichcrai. 

2.  V.  noire  l.  V,  p.  563. 


33e  Gl'EttfiËS  DES  A?9GLJIIS.  a 

.^i^ge  épiscopal  de  Bc;iuvais,  H  avait  li  an^^fone*'^  In  cour  de 
tieiitt"  de  Beauvais  en  un  Idhunal  de  pei'&éiutiijn  polii 
Cliu^sè  de  sa  ville  épbcopale,  en  août  1429,  |jar  rjuajirvttjon 
lionale,  il  ne  lespimit  que  vcuge^iit%%  et  le  cimsmt  d'Anjel 
à'clait  d'ailleurs  assuré  de  son  dévQucnienl  suite  n^rvc 
licitant  auprès  du  imjtc  sa  tninslalion  au  bïù^v  de  Roucti  dl 
vacant^* 

Or,  lï^vôquc  de  Beauvais  était  ci»  uiesure  de  îicrvir  lu  |^h': 
anglaise  de  la  njanière  la  plus  eOiCtice.  ll'uric  jiarl,  i)  vUui 
servateur  en  lilrc  des  privitégeâ  de  FuniveiiBitàt  eicrçanl  9(i 
con>s  une  haute  infiucnL'e  oflicielle;  de  l*aiiln?  pari,  H  êlaî(^ 
k  droit  crclmastîr|ue,  le  coopt  ratenr  nécessaire  de  riniint"'"*»^ 
dans  le  procès  projeté  contre  Jeanne,  la  Ptieeile  lyoul  1 1 
s^urla  rivclieumoisinc  de  TOiî^,  c*L*iJt-a-dire  dans  le  diocèse 
Beauvais.  Cnuchoii  n'iicsita  pas  :  il  se  liàta  d'écrire  off  ' 
au  roi  «  de  France  cl  d'Angleterre  »  pour  rrdanier  s^.  1 1, 

dès  le  12  juin,  le  conseil  frAngletcrre  informa  rtiohiir&lir  qwt 
Yùxèqiw  et  Fi  iirjui^i  leur  jugeraient  eoncurretuuît*nl', 

LVi  uioiïî  m  ims^ii  eu  iutri^ues  doot  la  Iraec  a  di5]Kirii»  Peiidaii 
ce  temps,  le  duc  de  Bourgogne,  renforcé  par  les  comtes  de  Him» 
lijidon  el  d'Aritndel ,  aj^s^îigeaîl  Compiègnc  des  Aeux  r4tc^  éc 
rOise,  cl  le  gouverneur  el  les  liaBltaals,  mm  m  laissur  dti^ttfv 
|iar  la  catastrophe  du  ?3  niai«  eontimiûient  &  m  défendre  mw_ 
vaillauee.  Jeanne  n'étaîl  plus  h  Bcanlien*  EBc  avait  leiilc  di? 
eliapper,  et  réussi  à  enfermer  hc%  g^ardiens  par  surprise;  m 
mttlljeureu!!^L*fuent,  elle  avait  ù\t  renconlrée  el  arrêtée  par  le 
cierge  de  la  lour^  Jean  de  Luxembomg  Vrnvoya  hors  du  Uu^Ain 
(le  la  guerre ,  à  Beaure voir  en  Verujandoîs^  snr  Icâ  coadi»  du 
f*aiubrai$îs. 

Le  16  Juillet,  Pierre  Cauchon,  accompagné  de  notaires  aposl^ 
liquc»,  se  prêï^enla  ù  Philit^pe  de  Bourgogne  et  à  Jean  de  Lineiii- 
Ifourgt  en  ItibasUlie  du  duc  (m  imsUliâmû)  denml  r  -        - 
et  leur  remit  la  soumiHlion  du  roi  Henri,  la  sienne  pro] 

3.  MkUvkc.  litih  th  franc r,  t.  V,  p    iïi,  Vim%  m  r»ff#iiViiiiA  fm  c 


10]  PIERRE  CAUCHON.  2.S'J 

que  de  Boauvais,  et  de  nouvelles  lettres  de  runiversllé  de  Paris, 
nivei'silé  se  plaignait  fort  que  le  duc  n'eût  pas  réj)ondu  à  si 
imîère  lettre,  adjurait  le  duc  et  Luxembourg  au  nom  du  ser- 
nl  de  Tordre  de  chevalerie,  et  parlait  de  Jeanne  connue  si 
)t  été  un  nouveau  Manés  ou  un  autre  Mahomet,  ayant  intro- 
ït «  en  ce  royaume  idolâtries,  erreurs,  mauvaises  doctrines  et 
res  maux  innumérahles  ».  a  S'il  advenoil  que  icelle  fennne  fût 
ivrée  ou  perdue,  connue  on  dit  aucuns  adversaires  se  vouloir 
>rcer  de  le  faire  et  appliquer  à  ce  tous  leurs  entendements  par 
es  exquises  (recherchées,  subtiles),  et,  qui  pis  est,  par  argciJt 
rançon,  si  étoit  fait  délivrance  d'icelle,  par  telles  voies  dani- 
îs,  par  fausseté  et  séduction  de  Tenncmi  d'enfer,  sans  coii- 
lable  réparation,  ce  seroit  déshonneur  irréparable  à  votre 
inde  noblesse*,  et  à  tous  ceux  qui  de  ce  se  seroient  entrc- 
s...  Si  énorme  péril,  inconvénient  et  dommage  pour  toute  la 
îsc  publique  de  ce  royaume  ne  seroient  advenus  de  mémoire 
lonime...  »  L'université  requiert  la  remise  de  Jeanne,  soit  à 
iquisiteur  de  la  foi,  soit  à  Tévéquc  de  Beauvais. 
Quant  à  Pierre  Cauchon,  il  déclame  moins,  et  va  plus  vile 
fait  :  il  voit  bien  que  Içs  chefs  bourguignons  sont  peu  seu- 
les au  a  grand  dommage  j>  que  Jeanne  a  porté  à  TÉglise, 
il  recourt  à  des  arguments  plus  efticaces.  Après  avoir  rc- 
is  le  duc,  Jean  de  Luxembourg  et  le  bâtard  de  Wandomme 
îHvoyer  au  roi  la  «  femme  que  l'on  nomme  comnmnément 
lianne  la  Pucelle  »  pour  la  délivrer  à  l'Église,  afin  de  lui  faire 
a  procès,  comme  soupçonnée  de  sortilège,  idolâtrie,  invoca- 
n  di  ennemis  (de  démons),  etc.,  il  déclare  que,  bien  que  Jeanne, 
:onsidéré  ce  que  dit  est  »,  ne  doive  pas  être  réputée  prison- 
;re  de  guerre,  le  roi  «  veut  bailler  libéralement  »  à  ceux  qui  l'ont 
ise  et  détenue  (Luxembourg  et  le  bâtard)  la  sonune  de  G,000  fr., 
js  deux  à  trois  cents  Uvres  de  rente  «  pour  le  dit  bâtard  ».  Puis, 
»  capteurs  de  Jeanne  ne  paraissant  pas  disi)osés  à  accepter,  il 
ive  la  somme  jusqu'à  10,000  fr.  «  Selon  le  droit,  usage  et  cou- 
ine de  France  »,  le  «  chef  de  la  guerre  »,  c'est-à-dire  le  prince 

1.  Ceci  csl  lu  formule  de  lu  lettre  ù  Jean  de  Luxembourg.  Au  duc.  iU  disenl  : 
It  seroit  graudcmcnl  au  préjudice  de  votre  lionneurct  du  très  clirùlien  nom  de 
maison  dv  Fr.jicv  I  » 


au  nom  duquel  on  portait  k*îi  unnc$,  pouvall  radidt*rau\  «  pcf 
nnm  >-  Irl  |insonnier  que  ce  tûl  au  prix  de  îOplKH)  rran»,  elb 
•ï  jiretHHirîs  i^  n*av,iiont  pan  droit  de  refuser  rolTrft*. 

Il  sommation  du  «  roi  de  France  et  d'Angleterre  ■  iMj*a"H k 
droit  strict;  timi*;  le  droit  strict  nV-taîl  guère  de  mte  CI\^' 
sujet  tel  que.  k  duc  de  lîotngogtic.  11  fullait  [RTsuadcr  In    ^ , 
[joiu  qull  permit  à  LuxcmlmnrR  d'oltéîr.  On  ne  mil  quelle  (ulb 
rc'poujKî  immédiate.  Sans  doute  le  due  cl  mn  vnssnl  i^^ 
vucoîv  de  gîïgnoî*  du  temps.  Pour  apprecii?r  les  tnoUfo  ilc 
fonduîle»  il  fout  coiiriaUrL*  rétîil  de  leurs  afDdre** 

Jean  de  Luxembourg,  sire  de  Beaurçvou%  6ttiil  on  persooi 
de  gT'îinde  nfiissanee  et  de  grande  amtiition  »  nmh  de  fn^lite 
tune  :  cadet  de  famille,  il  sYîxiit  tait  dioisir  pour  Writiiîf 
tau  te,  la  eomfesse  de  Saint-?oI  et  de  Ligni,  an  drlrimtHil  de 
Irère  t\hïè,  et  travaillait  h  b€  faire  en  Piiardic  ntic  liaule  f- 
intenni*diaîre  en  quelque  siorte  entre  le  duc  de  BourtrogîiL  .... 
Anglais.  Il  avait  donc  à  ta  fois  deux  maîtres  à  ménager  el  I 
Imlancer  l'un  par  Tautre 

Le  due  Philippe  avait,  dfî  mu  c6té,  de  graves  souci*.  Le 
effort  qu*il  avait  combint%  au  printemps  de  IWO,  pour  rrfî 
le  parti  français ,  n'aboutissait  pas,  tnalgré  un  trop  édatjint  d^ 
€orupi<'';^e  tenait  toujouri**  A  Taulrc  bout  du  royaume,  \i% 
guignons  venaient  de  tenter  contre  le  Ibuphiru*  une  e^^iftlflioa 
à  laquelle  s  étaient  joints  les  Savoyards,  sî  longtefH|)iS  iiciitresOQ 
m^uie  ftivortildes  à  la  lausé  française*  LVulreprissearailèrlKHié^ 
le^  agresseurs?,  conduits  par  le  |>nnce  d*Oratîge^  avaient  éié  mi; 
en  pleine  dt*route  à  Autlion,  sur  le  lUiÔne,  iiîu-  Rtinnl  de  Gû^ 
court  et  par  le  bailli  de  Lyon  (juin  1430).  La  siltiaticin  dcâ  Piijr- 
Bu»  se  conipliquoif.  Le  conseil  de  Henri  VI,  î^n'  '  ■'  ^^  '  -^t 
ta  main  au  due  eu  ce  qui  regardait  Jeanue,  l'i  .      ^  ii- 

rêls  conmiereiaux  de  ses  provinces  eu  îtiterdisafil  fitupor laiton 
des  toiles  el  draps  des  Payïi-Das  en  Anglelerre(19  jujllel),  IVmliii 
ce  temps,  les  Liégeois,  excités  par  les  agents  de  b  Francîe,  oMm^ 
gnaient  leur  èvéquc  h  défier  Pliilippe»  et  veuideni  auditcicustini^l 
tssîés^er  Nanmr,  sa  récente  acquisi lion,  atbque  qui  obligea  lcd«X 


248  GUERRES  DES  ANGLAIS.  [m\ 

paritoiir.  Le  promoteur  fut  un  clianoine  de  Beauvais,  chasjc  de 
son  église  avec  l'évùque,  Jean  d'Estivel,  Tàme  damnée  de  Cau- 
clion,  aussi  pervers  que  Cauclion  môme,  avec  la  grossièrelé  ella 
brutalité  de  plus.  Les  autres  étaient  des  hommes  timides,  traînée 
malgré  eux  dans  ce  gouffre,  et  qui,  dVibord  complices  par  peur, 
essayèrent  tardivement  de  mettre  les  formes  les  plus  ré.railières 
qu'il  leur  fui  possil)le  sur  un  fond  monstrueux*.  Quand  le  pre- 
mier des  deux  notaires,  Manchon,  arriva,  Tùvôque  de  Béarnais 
lui  signifia  cpiMl  fallait  «  servir  le  roi  »,  et  qu'il  s'apissiiit  de 
a  faire  un  heau  procès  contre  Jehannc^  », 

Le  13  janvier,  Cauchon  fit  lire,  en  présence  de  six  tliéologien< 
et  juristes,  parmi  lesquels  un  secrétaire  du  roi  d'Angleterre,  les 
informations  qu'il  avait  fait  faire  au  pays  natal  de  Jeanne  et  t  en 
maints  autres  lieux.  —  Du  conseil  et  délibération  desdits  asses- 
seurs »,  Cauchon  déciila^  que  «  certains  notables  honnnes  • 
rédigeraient,  avec  les  notaires,  des  articles  en  due  forme,  d'après 
lesdites  informations,  atin  de  voir  plus  clairement  la  matière. 

Les  données  fournies  par  les  informations  ne  suflisaient  point, 
cependant,  pour  assurer  une  base  solide  au  procès.  Les  lénioi- 
gnages  recueillis  à  Domremi  étaient,  môme  au  point  de  vue  ecclé- 
siastique, tout  à  l'avantage  de  Jeanne  ^,  et  Cauchon  avait  fort  mal 


1.  Les  notaires,  Guillaume  Manchon  et  Guillaume  Colles,  étaient  deux  prè  rcf, 
notaires  apostoliques  de  riifTiiMalité  de  Rouen.  Tous  deux,  ainsi  que  r^ppariiev 
(huissier)  Jean  Massieu,  doyen  des  curés  de  la  chrétienté  de  Rouen,  ont  fait  d'is- 
portanîe.s  dépositions  iors  du  procès  de  réhabilitation,  de  I4à0  à  liôC. 

2.  Déposition  de  G.  Manchon,  Procêx,  UI,  137. 

3.  Il  iuiporie  d'ohservcr  que,  dans  les  procès  de  foi,  toutes  les  di'cision«.  ju^ 
qu'au  jiiponient  inclusivement,  sont  prises  par  les  deux  juges,  IVvéquc  cl  rmqui- 
^iicur.  Dans  le  droit  romain  primiiif,  dans  le  droit  barbare,  dans  le  droit  fêod^ 
dans  le  droit  moderne,  le  préleur,  le  graf,  le  seigneur,  le  magistrat  qui  préside  le 
tribunal  ou  Ks  assises,  ne  juge  pas  le  fait  :  re  sont  les  assesseurs,  ci(oyoD«,  ^•'M 
hommeif^  anciens,  juré;,  qui  jugent.  Ici,  la  jurisprudence  est  retournée.  I.e  juge  dé- 
cide le  fait  au  lieu  de  dire  le  droit  :  ceux  qui  doivent  juger  ne  sont  que  des  cotH 
sullciirx. 

4  Une  «  informatinii  >«  d*un  autre  genre  avait  eu  lieu  k  Rouen,  en  dehrTsdu 
pnieè<i.  Des  matrones  avaient,  par  ordre  de  la  duchesse  de  Bedford,  constate  la  vir* 
glniié  de  Jeanne;  a  ensuiie  de  quoi  ladite  duchesse  fil  défendre  aux  gardiens  ela 
tous  autres  de  se  porter  Ciintre  elle  ii  aucune  violence  ».  Déposition  de  Tapparîtcar 
J.  Massieu.  Pmr^.s,  t.  m,  p.  i/i.s.  l.c  duc  de  KedTord  eut  la  curiosité  J'a>«i>ter 
caché  U  l'examen  :  cette  l'tclie  surprise  faite  ii  une  femme  qu'il  destinait  ii  réchft- 
faud,  ce  mélange  de  cyiiiMiie  et  de  froide  cruauté,  caraclérise  suili^amment  la 
moralité  de  ce  personnage  tant  vanté  par  les  historiens  auglais.  ibid.  p    163. 


CI431]  CAUCHON  ET  L'OISELEUR.  249 

accueilli  le  porteur  du  procès- verbal,  «  l'appelant  traître  et  mau- 
vais homme  *  ».  D'autres  renseignements  prêtaient  matière  à  in- 
criminer Torlhodoxie  de  Jeanne;  on  avait  acheté  des  dénoncia- 
teurs dans  le  parti  français  ;  une  copie  de  la  réponse  de  Jeanne  à 
la  question  du  comte  d'Armagnac  «  sur  les  trois  papes  »  avait  été 
livrée  à  Cauchon.  Mais  on  ne  pouvait  citer  à  Rouen  des  témoins  de 
cette  sorte  :  ils  n'eussent  osé  comparaître  pour  soutenir  leur  dire. 

La  procédure  inquisitoriale  offrit  à  Cauchon  le  moyen  de  sim- 
plifier la  situation  en  amenant  Jeanne  à  fournir  directement  des 
armes  contre  elle-même. 

«  Que  nul  n'approche  l'hérétique  (en  prison),  si  ce  n'est,  de 
temps  à  autre,  deux  fidèles  adroits  qui  l'avertissent  avec  précau- 
tion, et  comme  s'ils  avoient  compassion  de  lui,  de  se  garantir  de 
la  mort  en  confessant  ses  erreurs,  et  qui  lui  promettent  que,  s'il 
le  fait,  il  pourra  échapper  au  supplice  du  feu  ^.  » 

Cauchon  perfectionna  le  procédé  de  l'inquisition.  De  concert 
avec  le  comte  de  Warwick,  gouverneur  de  Rouen,  il  décida  un 
des  assesseurs,  chanoine  de  Rouen,  Nicolas  L'Oiseleur,  à  s'intro- 
duire dans  la  prison  de  Jeanne  en  <  habit  court  »  (en  costume 
lajque),  et  à  se  présenter  à  elle  comme  un  prisonnier  français  du 
c  bon  parti  ».  Jeanne  donna  dans  le  piège,  et  répondit  sans  dé- 
fiance aux  questions  de  L'Oiseleur  sur  ses  voix  et  sur  une  foule 
de  choses  qu'il  importait  à  ses  ennemis  de  connaître.  Ce  misé- 
rable lui  apprit  qu'il  était  prêtre,  afin  d'obtenir  d'elle,  dans  le 
secret  de  la  confession,  la  révélation  de  ses  plus  intimes  pensées. 
On  aposta  les  notaires,  avec  des  témoins,  dans  une  chambre  voi- 
sine, «  où  étoit  un  trou  par  lequel  on  pouvoit  écouter,  »  afin  qu'ils 
écrivissent  «  ce  qu'elle  disbit  ou  confessoit  audit  L'Oiseleur  ^  » 
On  obtint  de  la  sorte  d'amples  sujets  d'interrogatoires, 

1.  L'information  avait  été  faite  à  Donireuii  par  Us  soins  du  bailli  de  Chau- 
inont.  V,  les  dépositions  du  tabellion  Bailli,  Procét,  t.  U,  p.  451  ;  et  de  J.  Mo- 
reau,  t.  III,  p.  192.  L'information  n'avait  pas  eu  de  caraciëre  ofGciel;  les  témoins, 
qui  ne  reconnaissaient  pas  l'autorité  du  bailli  anglo-bourguignon  de  Cbaumont, 
n'avaient  pas  préié  serment. 

2.  Docirina  de  modo  procedendi  contra  hœreticos,  v.  notre  t.  IV,  p    154. 

3.  Déposition  du  notaire  Manchon;  ap.  Procès,  t.  II,  p.  lo-ll. Manchon,  dans 
une  déposition  postérieure,  voulut  revenir  sur  cet  aveu,  et  prélendit  s'être 
refusé  a  la  complicité  exigée  de  lui;  il  n'est  malheureusement  pas  possible  de  l'en 
croire* 


250  GUERRES  DES  ANGLAIS.  a,i\\ 

Cinq  semaines  se  passèrent  encore  à  préparer  les  ressorts  de 
la  sinistre  machine. 

Le  19  février,  rintormalion  préparaloirc  du  commissaire  exami- 
nateur fut  lue  (levant  douze  docteurs,  entre  lesquels  plusieurs  des 
hommes  les  plus  considérables  de  l'université  de  Paris.  Cuucliou 
entendait  impHquer  les  noms  les  plus  éminents  possible  dans  h 
solidarité  de  son  œuvre.  Il  y  avait  là  trois  anciens  recteurs  de  Tuni- 
versité*,  dos  délégués  au  nouveau  concile  qui  allait  s*ouvrir  à  Bàle. 
Ji'an  Deaupére,  Nicole  Midi,  Pierre  Morice,  et  ce  jeune  Thomas 
de  Courcelles,  qui  passait  pour  un  grand  homme  à  Tunivcrsité,  et 
qui  allait  jouer  au  concile  général  un  rôle  si  actif  et  si  influente 
Les  plus  distingués  par  le  savoir  et  par  Tintelligcnce,  il  faut  bien 
Tavouer,  furent  les  pires!  Ils  apportèrent  à  la  violence  servile  et 
à  la  cupidité  de  Cauchon  le  concours  du  fanatisme  à  froid  et  de 
la  dureté  pharisaïque. 

«  Sur  les  conseils  et  délibérations  desdits  sires  et  maîtres», 
Cauchon  décréta  qu'il  y  avait  matière  suffisante  pour  citer  t  ladite 
femme  en  cause  de  foi  »,  et,  «  pour  la  révérence  du  saint  siège 
apostolique,  qui  a  spécialement  commis  les  seigneurs  inquisiteurs 
de  la  dépravation  héréti(|uc  à  la  correction  des  erreurs  qui  s'é- 
lèvent contre  la  foi  orthodoxe  »,  il  conclut  à  appeler  et  sommer, 
on  Tabsonce  de  Tinquisileur  général  de  France,  son  vicaire,  rési- 
dant à  Rouen,  de  s'adjoindre  à  lui  évoque  dans  le  procès. 

C'est  la  première  mention  que  fassent  de  l'inquisition  les  pré- 

1.  n  y  en  eut  plus  tard  jusqu'à  cinq. 

2.  yEncas  Sylvius  (depuis  le  pupe  Pic  II)  Ta  comblé  d*éloges  dans  ses  Cffm- 
wnitairts  sur  h:  comiU  ttt  Dàle  :  a  Thomas  de  Courcelles,  illustre  entre  \ti 
docteurs  es  lettres  sacrées,  qui  eut  plus  de  pari  que  personne  aux  décrets  de 
saint  concile,  Iiomuie  aiuiabie  et  véuôrable  par  sa  doctrine,  mais  toujours  bais- 
sant niodesicmcnt  les  yeux  vers  la  lerrc  et  semblable  à  un  homme  qui  se  ca- 
clie.  i>  Éiait-cc  niodcslii.'...  ou  remords?  Dans  ses  Mémoiret,  terminés  durant  sos 
p'Miiificai,  en  1'éC3,  Pie  II  parle  d'ailleurs  de  Jeanne  arec  une  haute  aduiri- 
lion,  bien  qu'au  fond  en  politique  el  non  en  croyant.  II  laisse  en  doute  si  le 
Un  est  divin  ou  humain,  et,  trop  éclairé  et  trop  près  des  éTénemcnls  ponr  voir 
dans  Jeanne  un  simple  insirunient,  comme  l'imagineront  plus  tard  les  tnûckio' 
itUi^trs  du  seizième  siècle,  il  incline  h.  admettre  la  combinaison  d*un  grand  génie 
chez  celte  fille  et  d'un  savant  slraiagèmc  chez  les  ministres  et  les  capitaincf  de 
Charles  Vil.  Telle  esi  l'origine  de  ceite  interprétation  jvo/f/îfiif  qui  finit  par 
tomber  jusqu'aux  grossières  abMirdilés  de  du  Haillan.  i».  Procès,  t.  IV,  p.  5l8.  L< 
fond  des  ch'ises  esi  assez  éclaiiei  maintenant  pour  que  nous  n'ayons  pas  à  le  dis- 
cuter de  nouveau. 


ClWi]  LES  DOCTEURS  ET  1/lNQUlSITEUB.  251 

liminaires  du  procès;  mais  il  y  avait  déjà  eu  sans  doute  maints 
poiirparlei*s  erttre  l'évOquc  et  le  vicaire  du  saint-oflice.  Celui-ci, 
le  dominicain  Jean  Lemaistre,  était  un  moine  obscur  et  timoiv, 
dont  le  caractère  offrait  un  singulier  contraste  avec  ses  terribles 
fonctions.  Il  fit  tout  ce  qu'il  put  pour  éviter  de  participer  à  une 
affaire  qui  le  frappait  d'épouvante.  Il  exprima  un  doute  sur  sa  com- 
pétence, le  procès  regardant  le  diocèse  deBcauvais  et  non  celui  de 
Rouen;  il  demanda  du  temps  pour  s'assurer  si  ses  pouvoirs 
étaient  suffisants ,  approuva  provisoirement,  à  contre-cœur, 
que  l'évèque  passât  oulre,  puis  vint  siéger,  en  attendant,  non 
comme  juge,  mais  comme  simple  assesseur,  faisant,  chaque  jour, 
un  pas  de  plus  sous  les  menaces  des  lords  du  conseil  d'Anjj;le- 
terrc*.  Le  conseil  s'impatientait  et  les  Anglais  criaient  que  les 
clercs  ne  «  gagnoient  pas  leur  argent  o. 

Le  conseil  d'Angleterre  payait,  en  effet,  à  chacun  des  assesseurs 
une  indenniité  de  20  sous  tournois  par  vacation  2.  Ceux  qui  ren- 
dirent les  meilleurs  services  reçurent  en  outre  des  présents  3. 

lia  régence  anglaise,  qui  laissait  à  Paris  les  magistrats  de  la 
cour  suprême  sans  moyens  d'existence ,  savait  bien  trouver  de 
Tai'genl  pour  solder  les  juges  et  les  bourreaux  de  Jeanne  Darc,  et 
pour  rouvrir  l'antre  de  l'inquisition  quand  se  fermait  le  temple 
de  la  justice. 

Jeanne  fut  citée  à  comparaître  le  21  février.  Cauchon  vint  sié- 
ger en  tribunal,  ce  jour-là,  dans  la  chapelle  du  château  de  Rouen  : 
autour  de  lui  étaient  assis,  comme  assesseurs,  i)rus  de  quarante 
docteurs,  licenciés  et  bacheliers  en  théologie,  en  droit  canon,  en 
droit  civiH,  pris  dans  l'université  de  Paris,  dans  les  chapitres  de 
Rouen  et  des  autres  cités  normandes  et  dans  les  grands  monas- 
tères de  la  Normandie. 

1.  On  lui  fit  entendre  qu'il  «  scroit  en  péril  de  mort  »,  s'il  u'intervcnuit  an 
procès.  Déposition  de  l'appariteur  Massicu;  Procès,  t.  UT.  p.  163. 

2.  Plus  de  6  francs  de.  notre  monnaie,  égalant  probablement  en  valeur  relative 
S6  2i  40  fr.  d'aujourd'hui,  v.  l'in.éressant  chapitre  de  31.  P.  Clémenr,  sur  la  tv;« 
leur  relative  dc$  monnaie»t  dans  le  t.  1"  de  son  Jacques  Ct^'ur, 

3.  Déposilion  de  Th.  Marie;  Procès,  l.  II,  p.  370, 

4.  On  compta  jusqu'U  95  assesseurs,  dont  plusieurs  appartenaient  k  la  faculté 
des  arts,  ou  même  à  celle  de  médecine  ;  mais  ils  ne  siégèrenf  jamais  tous  en- 
fomhle.  t'.  la  lisle  dans  Lebrun  do  Charaiettcs,  Ilist,  de  Jeanne  d'Arc,  t.  IIU 
p.  231. 


252  GLEriKES  DES  \NGL  VIS.  [u:v, 

Tne  qiioslion  pivalalilc  fort  frrave  cùl  dû  cire  vidée  avant  l'i.ii- 
vcrtiiro  du  proivs.  Jeanne,  durant  rinslruclion,  avait  lédaiu' 
avec  instante  d'èlrc  liréc  des  mains  des^ens  de  jïuerrc  eliciUK 
en  prison  d'éiilise.  Le  droit  ecdésiaslique  élait  formel,  et  il  >  nuii 
eudV'isse/  vifs  n)urnun'es  à  ce  sujet  parmi  les  assesseur»;  nui: 
aucun  d'eux  n'osa  poser  nettement  la  f|uestioii;  tous  sa\ aient  Inf 
(lue,  pour  rien  au  monde,  les  Anglais  n'eussent  laissé  N>rlir 
Jeanne  de  la  forteresse*. 

L'appariteur  lit  au  jujre  son  rapport  sur  la  cilalion  adic:- 
sée  à  l'accusée.  Jeanne  avait  répondu  qu'elle  était  prête  à  euii.- 
paraître,  mais  «pi'elle  demandait  qu'il  y  eût  au  procès  au- 
tant de  {rens  d'église  du  parti  de  France  que  du  parti  d'Aii^li- 
terre. 

HéJas!  elle  appelait  à  son  aide  ceux  qui  se  bouchaient  k'^ 
oreilles  pour  ne  pas  entendre  sa  voix! 

L'n  des  docteurs  mandés  par  (lauchon  avait  réclamé  pour  Joaiine 
plus  qu'elle  ne  réclamait  elle-même  :  Nicolas  de  Houppcvilleav»iil 
dit  nettement  à  (lauclion  que  le  procès  ne  valait  rien;  que  les  en- 
nemis de  Jeanne  ne  pouvaient  être  ses  juges,  et  qu'il  n'y  u\ait  |ia<i 
revenir  sur  l'examen  cpi'elle  avait  subi  devant  le  clergé  de  Puitirrs 
et  devant  rarclievêciuc  de  Reims,  métropolitain  de  rêvêquc  d« 
Ueauvais  -.  La  voix  de  cet  homme  courageux  semblait  la  unx 
même  de  la  conscience.  11  sommait  explicitement  Caucbon  de  De 
pas  faire  le  procès,  et  injpliciteuient  Uegnauld  de  Chartres  d'iih 
terposer  son  autorité  hiérarchicpie  pour  enqiêcher  ou  pour  invali- 
der le  procès,  dette  \oix  chrétienne  futétoullée;  (-auchon  lit  jeter 
lIoui)peville  en  prison-"^,  et  iK)ursui\il  son  œu\re  sans  êtJV  iu- 

1.  /V'wrv,  I.  MI.  p.  137.  1:)\ 

2.  I)i']iositii)n  (le  >'ii:<ilus  de  nuuppcvine,  Pruas,  !•  lU,  p.  17^,  ~~  U.  -ie 
(}.  Maiiclioii,  ibtil.  p.  l3S. 

ô.  Il  fallut  riiiiii  \«ntii>ii  il'iiiiiiH  iiitliunis  pour  le  prC^crvcr  do  rcxil  ;  ibid.  p.  iTl 
l.'ii  auln-  diM'tur  rriioiuiiiè  in  Noniiuiidie,  Jeun  Loliier,  rcrusu  pareil'.iUJtDt  J< 
pari  ICI pt-r  u  un  pmces  nul  à  ^cs  veux.  «  pour  ce  que  le- procès  se  fai»oil  en  cfcÂ- 
U-uu  fort  cl  lieu  riiul  >(ii*  aux  ju^^es  et  uux  conseillers;  qu'il  toucboil  ui>ubrc  àt 
^eiib  qu'on  n'u\i>ii  point  appelés,  et  que  Jchanne  u'u\oit  point  de  cou«eii  •.  I> 
quitta  la  \ille  el  le  pa\s  pour  se  sousiruire  au  resseutimcni  des  Angiiii».  Urp- 
Mliuu  de  i\.  Mano.liou,  iViKfS,  t.  lU.  p.  138.  \i\\.i\\\  au  dernier  poiui,  r«t>tacc 
de  conseil.  I.ohier  pirlaii  en  lioninie  qui  ne  reconnaît  pus  la  jurisprudcucc  .2- 
quisitoriale.  et  cela  lui  fait  lionueur;  niuis  Cuuchou  était  cuu\erl  par  Ciiu  ]•>* 
ijsjiiudence. 


I43t]  JEANNE  DEVANT  LE  TRIBUNAL.  23) 

[uiété  par  un  mol,  par  un  signe  de  son  métropolitain;  le  crime 
le  Taction  eut  pour  complice  le  crime  du  silence. 

On  ne  mit  pas  môme  en  délibération  la  demande  de  Jeanne. 

L'accusée  fut  amenée. 

Alors  commença  ce  procès  qui  n'avait  pas  eu  son  semblable  au 
nonde  depuis  celui  qui  s'acheva  sur  le  Calvaire.  Quand  on  en 
Mircourt  les  actes  décolorés,  affaiblis  par  la  plume  timide  des 
icribes,  le  cœur  se  serre  d'une  insurmontable  émotion  ;  la  main 
remble  à  feuilleter  ces  pages  jaunies;  les  yeux  s'emplissent  de 
armes  d'admiration.  Que  serait-ce  si  l'on  avait  les  actes  du  mar- 
yre  de  la  Pucelle,  écrits  par  un  témoin  pénétré  de  sa  pensée, 
!mbu  de  sa  mission  ;  si  ses  gestes,  son  accent,  les  mouvements  de 
îon  ûmc,  l'aspect  général  des  débats,  eussent  pu  ôlre  observés  et 
recueillis,  si  l'on  avait  la  vie  à  la  place  de  l'aride  formule  offi- 
;ielle  et  delà  lettre  morte*!...  A  travers  l'informe  rédaction  des 
notaires,  la  lourde  latinité  du  traducteur^,  et  les  souvenirs  des 
témoins,  qui,  vingt  ans  plus  tard,  vinrent  révéler  dans  le  procès 
le  révision  tant  d'affreux  mystères,  on  entrevoit  cette  morne  nef 
3Ù  s'élève  l'image  de  Jésus  crucifié,  comme  pour  essuyer  une 
seconde  fois  les  outrages  des  Pharisiens;  ces  bancs  pleins  de 
K)mbrcs  et  sèches  ligures  oii  se  personnifient  les  mauvaises  pas- 
sions du  prêtre  aux  jours  de  décadence,  où  l'avidité,  la  servilité 
irjolentc  des  uns  s'associent  à  l'implacable  orgueil  des  autres,  à 
Taustérité  sans  entrailles,  pire  que  le  vice  même,  à  la  froide 
(Tuauté  du  sophiste  au  cœur  de  pierre,  qui  s'est  fait  un  Dieu  à 
son  image.  Parmi  ces  odieux  visages,  des  faces  ternes  et  indécises, 
types  de  la  faiblesse  qui  hait  la  violence,  tremble  devant  les  vio- 
lents et  se  fait  complice  de  peur  d'être  victime;  çà  et  lu,  quelques 
pliysionomies  honnêtes  et  loyales,  où  se  lit  le  combat  du  cœur 
qui  se  révolte  contre  les  préjugés  qui  poussent;  autour  de  la  cha- 
pelle enfin,  sous  l'arceau  des  portes,  derrière  les  verrières  des 
croisées,  les  armes  reluisantes  et  les  visages  féroces  des  soldats 
étrangers,  qui  menacent  l'accusée  et  parfois  le  tribunal  même. 

Jeanne  paraît,  pâle,  chancelante,  brisée  par  les  angoisses  de 

1.  Morte,  toutes  les  fois  que  la  parole  de  Jeanne  n'y  éclate  pas  comme  la  trom- 
pette qui  réTcille  les  morts. 

2.  Thomas  de  Courcclles,  qui  mil  la  minute  en  latin. 


254  GUERRES  DES  ANGLAIS.  [i.:.: 

doux  mois  d'une  liorriblc  captivité  *.  A  la  tempôtc  que  soulè>i.-  ja 
vue,  on  dirait  Tenlrùe  d'un  ange  dans  une  assemblée  de  déinon<. 
Les  interpellations  se  croisent  de  toutes  parts,  les  question!:  ne 
s'attendent  pas  runeTaulre;  chaque  parole  de  raccustT  rorlftublc 
le  tunudte;  l'assistance  s'ajjite  en  proie  à  ce  désordre  qui,  sui- 
vant rKcriture,  caractérise  le  conseil  des  méchants.  Si  reiiii»orle- 
ment  parfois  semble  s'apaiser,  ce  n'est  que  pour  faire  place âb 
ruse  :  l'interrogatoire  ne  cesse  d'être  violent  que  pour  dcvoiiir 
]>crride.  Jeanne  est  seule  au  milieu  de  tant  d'ennemis,  sans  avocat 
ni  conseil,  deux  des  assesseurs  qui  cberchenl  à  la  guider,  à  lui 
faire  saisir  la  portée  dc»s  questions  et  des  réponses,  sont  en  buîlc 
aux  furieuses  apostrophes  de  Cauchon  et  désignés  à  la  venpeance 
<les  Anglais.  Cette  scène  se  prolonge  durant  ti-ois  ou  quatre  heure*. 
On  veut  accabler  Jeanne  par  la  fatigue  physique  comme  par  h 
souflVancc  morale  ;  on  s'efforce  de  la  mettre  hors  de  défense,  on 
jetant  le  trouble  dans  son  esprit,  autant  par  la  subtilité  des  ques- 
tions que  par  leur  multiplicité  et  leur  incohérence.  «  On  lui  pru- 
posoit»,/^  rajïport  d'un  des  assesseurs  (Isambard  delà  Pierre-, 
«  des  interrogatoires  tellement  difficiles,  subtils  et  cauteleux,  que 
les  plus  grands  clercs  de  l'assistance  n'y  eussent  su  répondre  qu'î 
grand'peine  ».  Elle  y  répondit  pourtant.  Parfois  simple  et  nai^e 
comme  un  enfant,  parfois  ingénieuse  et  d'une  charmante  lincfst: 
de  femme,  souvent  sublime,  elle*  ne  fut  jamais  faible;  la  forcede 
son  âme  soutint  son  corps  épuisé  :  elle  redevint  devant  ses  juges 
ce  qu'elle  avait  élé  sur  le  champ  de  liataille,  la  fille  au  gniwl 
cœur.  Si  quelquefois,  rarement,  sa  mémoire  se  troubla,  rien  ne 
mit  en  défaut  sa  |)résence  d'esprit;  sa  prodigieuse  lucidité  stu- 
péfia tellement  les  membres  du  tribunal,  cpie  plusieurs  cnireni 
ses  réponses  dictées  par  des  êtres  surnaturels;  il  y  eut  un  niuu- 
vcjuent  de  teneur  parmi  l'assistance,  quand  elle  dit  de  ses  esprit*: 
«  Ils  sont  là  sans  (pfon  les  voie  !  »  Mais  n'anticipons  pas,  et  sui- 
vons cette  auguste  tragédie  dans  Tordre  de  son  développement. 

(mUicIiou  débuta  par  exhorter  «  charitablement  »  Jeanne  à  «lire 
la  vérité  et  par  la  requérir  d'en  prêter  serment,  suivant  celte  kr- 
l)are  jurisprudence  (jui  transportait  dans  les  tribunaux  criuiiriils 

I.  0:i  \tMiaii  sculciiitu!  de  la  lircr  ilr  "^a  rage  et  de  lui  ôlcr  ses  trois  paîitî  ùt 
Ici  s.  Ai'iès  la  sOanci-,  «'n  lui  luniii  les  Tors  aux  jiieds,  Procti,  i.  lU,  jt    IM. 


les  maximes  du  tribunal  de  la  pénitence,  et  qui  voulait  forcer 
Taccusé  à  se  dénoncer  lui-niènie. 

Jeanne  ne  voulut  jurer  que  sauf  réserves.  «  Je  vous  dirai  tout 
ce  qui  est  de  mon  fait,  sauf  les  révélations  que  j'ai  eues  de  la 
part  de  Dieu  pour  mon  roi  seul.  Quand  vous  me  devriez  couper 
la  tôte,  je  ne  vous  les  révélerai  pas  sans  le  congé  de  mon  conseil  ». 

Dans  celle  séance,  dans  les  suivantes,  on  la  pressa,  on  la  har- 
cela en  vain.  Elle  ne  se  départit  point  de  celle  restriction. 

On  l'interrogea  sur  son  pays  et  sa  famille'.  Il  y  eut  là  des 
réponses  d'une  naïveté  touchante,  connue  lorsqu'elle  dit  n'avoir 
appris  sa  «  créance  »  de  nul  autre  que  de  sa  méie,  qui  lui  «  avoil 
montré  Pater,  Ave  et  Credo.  »  L'enfant  redevint  l'héroïne,  lorsque 
Gauchon,  suivant  les  formules,  lui  intima  défense  d(?  «  se  relraire 
de  la  prison  à  elle  assignée  »,  sous  peine  d'être  déclarée  convain- 
cue d'hérésie. 

«  Je  n'accepte  point  la  défense!  s'écria-t-clle.  Je  n'ai  baillé  ma 
foi  à  pei'sonne.  J'ai  voulu  et  voudrai  me  départir  de  vos  prisons  ! 
Si  vous  étiez  bien  informés  de  moi,  vous  devriez  vouloir  que  je 
fusse  hors  de  vos  mains 2.  » 

Après  quelque  hésitation  due  à  une  sorte  de  pudeur  religieuse, 
elle  exposa  avec  simplicité  et  grandeur  le  mysicre  de  sa  vocation; 
€  comment  les  voix  lui  étoicnl  venues  de  Dieu  ».  Qu'elle  n'eût 
consulté,  avant  d'y  ajouter  foi,  «  évé(jue,  curé  ni  aucune  per- 
sonne ecclésiastique  »,  ce  fut  là  un  premier  crime  aux  yeux  de 
ceux  qiiirinlerrogeaient^. 

On  lui  représenta  la  copie  de  la  sommation  adressée  par  elle 
aux  Anglais  devant  Orléans:  elle  en  nia  quelques  mots;  elle  n'avait 
pas  dicté  :  c  Rendez  les  clefs  des  villes  à  la  Pucelle  »,  mais  «  Ren- 
dez au  roi  »  ;  elle  ne  s'était  pas  qualifiée  de  «  chef  de  guerre  »,  et 
s*était  bien  dite  envoyée  de  Dieu  »,  mais  non  «  corps  pour  corps». 
Peul-6li-e  la  mémoire  de  Jeanne  était-elle  en  défaut  et  faisait-elle 

1.  Quand  on  lui  demanda  son  surnom  {cofjnometi)^  ce  qui  signifiait  alors  le 
nom  de  famille,  elle  dit  qu'elle  ne  savait  pas;  ce  qu'elle  expliqua  plus  tard  en 
disant  qu'on  l'appelait  tantôt  Darc,  tantôt  Roniée,  parce  que  dans  son  pays,  les 
filles  portaient  le  snriwm  de  leur  mère.  Procds,  1. 1,  p.  46;  190.  v.  Éclaircissb- 

SIB!IT,  n*  I,  SUR  LES  NOMS  DE  FAMILLE. 

2.  Interrogatoire  du  21  février;  Procès,  t.  I,  p.  44-48;  id.  du  22;  p.  51. 

3.  Procès,  t.  1,  p.  273. 


2:>5  GL'ERRES  DES  ANGLAIS.  [i,:t: 

inù(  onnaîlrc  à  la  captive  infortunée  le  cri  alticr  de  sa  jeun?  «■: 
liciirouse  autlaco*.  Jeanne,  du  reste,  revendiqua  ferniemenl  h 
dictée  et  la  responsabilité  de  celle  lettre  et  de  toutes  les  lotirt"* 
éciiles  en  son  nom.  «  Si  j'ai  été  chef  de  guerre,  dît-elle  ailleurs, 
ce  fui  ])onr  férir  sur  les  Anglois*  ». 

Elle  commença  de  bien  grande  manière  la  séance  du  21  fcvritT. 
Interpellant  Tévéque  de  Beauvais  : 

<«  Je  vous  le  dis;  prenez  bien  garde  de  ce  que  vous  dite-s  i\vx 
vous  êtes  mon  juge!  Vous  prenez  là  une  grande  eharpeî  —Tout 
lu  clergé  de  Rouen  ou  de  ]*aris  ne  sauroit  me  condamner,  s'il  ne 
Ta  en  droit.  —  Vous  dites  que  vous  êtes  mon  juge;  prenez  garJf 
à  ce  que  vous  faites,  parce  que,  en  vérité,  je  suis  en\oyécdeli 
part  de  Dieu,  et  que  vous  vous  mettez  en  grand  danger. —  Jt- 
suis  venue  de  la  i)arl  de  Dieu,  et  n'ai  rien  à  faire  ici.  Délaissez- 
moi  à  Dieu  de  qui  je  suis  venue ^.  » 

Elle  se  laissa  arracher  beaucoup  de  détails  sur  srs  rftt'jr,  ^m? 
vouloir  dire  «  à  plein  tout  ce  qu'elle  savoit  *  ».  —  Im  roix  nn 
parlé  trois  fois  hier.  —  Elle  me  parle  ici  même.  Elle  m'a  dit: 
Ur ponds  hard huent  :  fais  bon  rhatje.  Dieu  t'aidera.  —  Je  cn.»i% 
comme  je  crois  la  foi  chrétienne,  que  cette  voix  vient  de  Dieu. 
—  les  voix  me  parlent  chaque  jour.  Si  elles  ne  me  conforloirnl, 
je  sei'ois  morte!  —  Je  ne  puis  toujours  bien  ouïr  ce  qu'ellos 
m«»  (lisent,  pour  le  bruit  des  prisons  et  les  noises  des  ganle>. 
Ah!  je  les  ouïrois  bien,  si  j'étois  en  quelque  forêt*  !...  » 

L'interrogateur  connnis  par  Cauclion,  Jean  Beau|>iTe,  poM 
perlidement  à  Jeaime  une  question  redoutable. 

«  Savez-vous  être  en  la  grâce  de  Dieu?  » 

Si  elle  se  disait  assurée  de  la  gnke,  on  la  déclarait  héréliquo. 

1.  Dans  le  cas  contraire,  TaltiM-ation  n'avait  yu  être  le  fait  ijue  d'un  clerc  t:;- 
llmuiiiasio,  qui  aurait  encore  renforcé  les  paroles  de  la  Pucellc  en  icri\an:  ;>u* 
sa  tlu'tée.  Toutes  les  copii-s  sont  iraccord. 

2.  Interrogatoires  du  'l?.  frvrier,  des  r'  cl  28  mars;  Procé»,  t.  F.  p.  ÔJ,  81.  2'.'!. 

3.  Interrogatoire  du  2'*  février;  Vrnci's,  1. 1,  p.  6i»-62. 

'i.  «  Les  petits  enfants  »,  dit-elle  naïvement,  a  disent  qu'aucunes  fois  ou  pc:.J 
les  gens  pour  avoir  dit  vérité.  »  Pmres,  t.  I,  p.  65. 

;■>.  Intel r(»faloires  des  2:!,  îi,  27  février,  3,  14  mars;  Proci'i,  t.  I.  p.  :.2. 'il. 
7().  9*.  1J3.  Kllc  ne  faisait  pas  la  distinction  qu'ont  faite  les  niy>tiques  inéî&pfc> 
sieicii'i  entre  la  vision  spirituelle  et  la  vision  exlérieure,  cl  cro\ait  \oir  5e*ap|'i- 
ri!i'>us  II  doH  yeuv  de  son  corps  »,  Ibid,  p.  93, 


C14S1]  BELLES  RÉPONSES  DE  JEANNE.  257 

«  C  est  grande  chose,  répliqua  Jeanne,  de  répondre  à  telle  de- 
mande! 

—  Oui,  c'est  grande  chose,  dit  un  des  assesseurs,  le  théologien 
Fabri  ;  l'accusée  n'est  pas  tenue  de  répondre. 

—  Vous  feriez  mieux  de  vous  taire  !  cria  Gauchon  avec  colère  à 
Fabri. 

—  Savcz-vous  être  en  la  grâce?  répéta  l'interrogateur. 

—  Si  je  n'y  suis.  Dieu  m'y  mette  !  et  si  j'y  suis,  Dieu  m'y  main- 
tienne! » 

Ils  restèrent  tous  muets  et  baissèrent  la  tète  • . 

«  Je  serois  la  plus  dolente  de  tout  le  monde,  reprit-elle,  si  je 
savois  n'être  point  en  la  grâce  de  Dieu.  Si  j'étois  en  péché,  je  crois 
que  la  voix  ne  me  viendroit  point.  —  Je  voudrois  que  chacun 
comprit  aussi  bien  que  moi  !  » 

Et  elle  levait  au  ciel  ses  regards  inspirés. 

Dans  la  séance  suivante  (27  lévrier),  comme  on  la  pressait  de 
nouveau  sur  ses  apparitions  :  «  Si  vous  ne  me  cioycz,  dit-elle, 
allez  à  Poitiers.  Demandez  copie  du  livre  qui  est  à  Poitiers.  J'ai 
été  interrogée,  trois  semaines  durant,  par  les  clercs  de  mon  parti, 
qui  n'ont  trouvé  en  mon  fait  que  tout  bien. 

—  Est-ce  Dieu  qui  vous  a  prescrit  de  prendre  habit  d'homme? 

—  C'est  petite  chose  que  l'habit,  répondit-elle* avec  une  sorte  de 
dédain  ;  mais  je  ne  l'ai  pris  et  n'ai  rien  fait  au  monde  que  par 
Tordre  de  Dieu  et  des  anges. 

—  C'est  donc  chose  licite?  c'est  donc  bien  fait? 

—  Tout  ce  que  j'ai  fait  est  par  ordre  du  Seigueur  :  j'en  attends 
bon  garant  et  bon  aide.  » 

Ceux  qui  dirigeaient  le  procès  ne  cessèrent  de  la  tourmenter 
sur  son  obstination  à  garder  l'habit  d'homme  2.  Cet  habit  était 

1.  Procès,  t.  I,  p.  65.  —  Dépositions  de  J.  Massieu,  G.  Colles,  J.  Fabri; 
ibid.  t.  III.  p.  153,  163,  175. 

2.  Gauchon  lui  avait  refusé  la  permission  d'ouïr  la  messe  tant  qu'elle  serait 
-    vêtue  en  homme,  et  rien  ne  la  chagrinait  davantage.  L'appariteur  Hassieu,  lors- 

*     qu*il  la  menait  de  la  prison  au  tribunal ,  lui  permettait ,  pour  la  consoler,  de 

^  faire  sa  prière  à  l'entrée  de  la  chapelle  du  chftteau.  Le  promoteur  d'Estivot,  s'en 

y  étant  aperçu,  accabla  de  sales  injures  l'appariteur  et  l'accusée,  et  l'évéque  de 

Beauvais  défendit  à  Massieu  de  récidiver.  Dépositions  de  J.  Massieu  ;  Procès,  t.  II, 

p.  16;  III.  151.  Les  interrogatoires  n'avaient  pas  continué  dans  la  chapelle,  mais 

dans  un  bâtiment  situé  sur  une  petite  cour  du  château. 

VI.  17 


pour  elle  le  signe  de  m  mmmi  guerrière,  et,  lanl  ciu^aa  m  s  .. 
n*tMai!  pas  teniiîut^e  eï  les  Anglais  Imrs  de  Tnincp,  idlr  r  - 
pas  en  droil  de  le  qiiiUer*  Elle  avait  un  aulriî  molU 
refuser  à  ce  qiion  exigeait  d'elle,  un  motirque  sa  pudti 
pùduii*  d*avouer  devant  une  nombreuse  ^isseinhUV^»  vi   \ 
vt^c|ue  de  Beauvrib  n*ignoraît  pas,  eur  il  avait  r^u  plu^kii 
sm  plaintes.  Les  hurreui-s  tsecii'teâ  de  la  |»rtâcin  e[raç:uefil  Tlior- 
reurdu  proecs  liiènie.  Le  Messie  de  la  France  n'avait  pft^$eQl^ 
rnetit  à  essuyer  de  ses  gardien*»  les  injures  el  les  dérbioii^  nidii- 
rées  avant  lui  par  le  Christ  :  son  sexe  mell.iil  Jeniine  en  hAit^i 
des  aliominaliunâ  bien  plus  griindcs.  Plusieurs  toU^  le**  un 
f|ni  ravaîent  eu  gttrde  et  cpii  ne  *juittâient  ^  rlinoilire  aijnirj 
nuit  avaitMil  uienaie  Jeanne  dei  dernières  \î*ilencofi,  Tnj 
elle  ne  fut  sauvée  que  par  rarrivêe  du  comte  de  Wan  ick,  aiiifï  ' 
par  ses  cris*  Le  riroutlie  gouverneur  de  Ilonen  i  « 
le  foil'riil  in^n)e,  snit  devant  Texèeration  dti  dii...  ,  ..      iH 
grandes  meuaeeâ  h  iceux  Anglois  »,  et  mil  ileui.  aulrt!5  gTmlieai 
ïila  priîion». 

Criait  pour  dêleudre  sa  pudeur  que  Jeanne  s'nptinMniit 
re  cIjangerTjent  dlïiiljil  proliiln!  [lar  la  loi  de  Molipte.  et,  de 
par  les  canons  de  relise,  uniquement  countie  farorisoin!  k  lUs-  ^ 
ordre.  Mais  te  propre  des  |>hari$ien3$  et  ûts  li^pomles  cMdr 
Iner  Tespiàt  des  leii*  avec  la  lettre. 

Outre  l'habit  d1ic»uime,  te  pnint  sur  lequel  §*ailiarnerent  {Tm- 
ci  paiement  les  îuteriogaloires  fut  la  révélation  faite  par  Jr 
h  Charles  VIL  Non-seulement  on  n  obtint  rien  d'elle  àce^^ij 
mais  elle  écarta,  avec  autant  de  sollicitude  i|ue  d'habdel^  toot 
ce  <pii  pmivail  inqdîqner  son  roi  ou  les  clercs  de  mn  fKarli  lU» 

k  responsabilité  de  ses  actes,  et  surtout  de  nm  r»-  r  ' 

dliabit.  Il  n'y  eut  pas  >eulement  une  fiduiirablc  gru. 

eut  dans  cette  âme  tendre   un  i:i!veil  d'afreciion  pour  Tîncnd 


L  Déposltloot  â« G.  Uunclofr,  Pi^tat.  t.  Il,  p,  29il;  If],  148.  tt.(70iiiuitM>- 

wkk,  goiivern^ar  du  Jmitii  rot  Ui^nt-I  Vi,  rJ4(iirRinc  «j«  llfiiiii)  n  Vkommt  lepk» 

eaiiMd^rabtc  du  conflit  u^mH  tr«  |krinn»,  tihiulrn,  du  rc«%»if,  *laa»  tc^m  fr  Cicrt^? 

(»ro^^i*»  un  itr.tiafocififut  (itiflMublt»,   pcMoL  par  %e%  niiîuuee»  fUi  > 

H'tiirt  qui  unm^rulmi  quclqui;»  d^!i|HujtJiHiJi  bitfiM^îlliinttt  pam  i 

làuCufii  i]u'[i  UuJiui d  vt  ii  \\ï»K.kxh^  vvy  K'upfiliqttyi  CDUc  immin  i  m  l^  j|ji§iiii»«H«a« 


431]  irORREURS  DE  LA  PRISON.  250 

onarque  qui  Tavait  trahie  et  qui  la  délaissait».  Aux  jours  de 
s  jeunes  illusions,  ses  voix  lui  avaient  dit  que  Dieu  aiuïait  son 
i  cl  le  prince  captif,  le  duc  d'Orléans,  plus  qu'elle-mônie.  Te 
avenir  lui  revenait  au  fond  de  son  cachot  et  lui  voilait  les  iu- 
g^ités  d'un  passé  plus  récent.  Elle  a  pu  pardonner:  l'hisloirc 
!  pardonnera  pas. 

Si  elle  cherche  à  couvrir  son  roi  et  tout  le  parti  de  France,  et  à 
pondre  pour  lous,  à  plus  forte  raison  s'efforce-t-elle  d'empêcher 
le  les  hommes  ne  puissent  hlasphémer  ses  voix  et  mettre  leurs 
•ophétics  en  contradiction  avec  l'événemcnL  On  sent  qu'elle 
che  de  se  persuader  que  ses  voix  ne  l'avîiient  pas  poussée  à 
iltiique  de  Paris ,  puisque  celte  attaque  n'a  pas  réussi  ;  elle 
ut  que  ses  voix  soient  infaillibles,  et  ne  comprend  pas  que  les 
>mmes  aient  pu  se  refuser  à  Dieu.  Ce  n'est  pas,  du  reste,  qu'elle 
l  renoncé  à  i  ecouvrer  Paris  et  toute  la  France  :  elle  ne  demande 
us  à  ses  voix  une  mojt  prompte,  comme  elle  avait  fait  lors  des 
■cmicrs  pressenlimenls  de  sa  captivité  :  la  jeunesse  et  la  vie  qui 
millonnent  dans  son  sein  ont  chassé  ces  pensées  funèbres  ;  elle 
oit  que  sa  mission  n'est  qu'interrompue  et  s'achèvera. 
Les  interrogaleuis  tâchèrent  d'attribuer  un  caractère  magique 
tous  les  objets  dont  avait  usé  la  Pucelle,  et  dont  certains  étaient 
avenus  si  célèbies,  l'épée  de  Fierbois  et  l'étendard  surtout.  Ils 
5  réussirent  qu'à  faire  ressortir,  dans  des  réponses  tour  à  tour 
euses,  allières  et  touchantes,  le  mépris  de  Jeanne  pour  les  pré- 
gés  qui  attachaient  une  vertu  surnaturelle  à  des  paroles,  à  des 
?stes,  à  des  rites  bizarres,  à  des  objets  ou  à  des  actes  matériels 
r;ngei-s  aux  choses  de  Tàme  cl  de  la  conscience.  La  mysticité 
est  pas  la  superstition. 

c  Aviez-vous  des  anneaux?  »  lui  demande-t-on. 
Les  anneaux  jouaient  un  grand  rôle  dans  les  rites  magiques. 
€  J'avois  l'anneau  que  m'a  donné  mon  père  ou  ma  mère,  et 
Jui  que  m'a  donné  mon  frère.  Les  Bourguignons  m'ont  pris 
in;  l'autre,  vous  l'avez.  Montrez-le-moi!  donnez-le  pour  moi  à 
Église. 

I.  «  La  voix  m'a  dit  cette  nuit  moult  de  choses  pour  le  bien  de  mon  roi.  Jo 
tudrois  qu*il  les  sût,  et  ne  pas  boire  de  vin  jusqu'k  l'âqucs  :  il  en  seroit  pins 
yeux  à  son  dîner  ;>.  Procès,  t.  I,  p.  63. 


«iGO  GUERRES  DES  ANGLAIS.  IiUil 

—  Lequel  aimiez-vous  mieux  de  votre  étendard  ou  de  votn- 
6i>ée  ? 

—  J'aimois  quarante  fois  mieux  mon  étendard  que  mon  éiïcc. 
Je  le  poilois  moi-môme,  pour  éviter  de  luer  personne.  Je  n'îii 
oncques  tué  liomme  ^ 

—  Avoz-vous  dit  que  les  panonceaux  (étendards)  faits  à  la  res- 
semblance du  vcMre  étoient  heureux? 

—  J'ai  dit  à  mes  gens  :  «  Entrez  hardiment  parmi  les  Anglois!  • 
et  j'y  onlrois  moi-même. 

—  Avez-vousdil  h  vos  gens  qu'ils  portassent  hardiment  lesdil* 
panonceaux,  et  qu'ils  auroient  bonheur? 

—  Je  leur  ai  bien  dit  ce  qui  est  advenu,  et  ce  qui  aâvimlm 
enrorr / 

—  Oui  aidoit  plus,  vous  à  l'étendard,  ou  l'étendard  à  vous? 

—  De  la  victoire  de  l'étendard  ou  de  Jehanne,  c'étoil  tout  à 
Noire-Seigneur'!  » 

Ji\anne  n'évila  i)as  moins  heureusement  ni  moins  dignement 
les  pièges  à  elle  tendus  à  propos  du  culte  que  lui  rendait  le  peuple. 

Ouand  on  lui  reprocha  les  messes  et  oraisons  dites  en  son 
honneur  : 

«  Si  ceux  de  mon  parti  ont  prié  pour  moi,  m'est  avis  qu'il>  ne 
font  point  de  mal.  S'ils  me  croient  envoyée  de  par  Dieu,  ils  n«* 
sont  point  abusés. 

—  Quel  étoit  I«»  courage  (l'intention^  de  ceux  de  votre  parti, 
(piand  ils  vous  baisoient  les  pieds  et  les  mains? 

—  Ils  me  baisoient  les  mains  le  moins  que  je  pouvois;  raai> 
venoient  les  pauvn»s  gens  volontiers  à  moi,  pour  ce  que  je  ne  leur 

1.  «♦  Avr/-vous  ('[{'  en  lieu  où  des  Anplois  aioiii  v.v  occis?»  lui  demanda-t-^s 
uiu>  nuire  fois.  »  Kn  nom  Pieu,  si  ai.  Couiiue  \ous  parlez  doucement!  Que  nt  s< 
dr-partoiout-ils  de  France  ei  no  s'en  alloienl-il»  en  leur  pays?  »  «  Il  v  aroii  lacii 
prand  iiiilord  d'Aiijileterre  qui  dil,  ces  purulcs  ouli-s  :  —  C'esl  voiremenl  us? 
Imnne  liinnie.  ijnv  nVst-rlli'  Ang'.oisc!  n  Drpnsiliun  de  J.  Tiphaiue;  Procfs^l.Ul 
p.  4H.  (!i's  inouvenien!«i  grnruux  furent  niull)eurcu>enient  rarts  chez  les  Ancl;;i*. 
In  jour,  coiiinio  rappaiiteur  Jean  Massieu  nconduisnil  la  Pucellc  dun«  »à  prii-s. 
un  clianirc  il»'  la  rhaprlli'  du  rm  d'AniîIelcrri-  Pubordu  brusquement  en  lui  dcHi^a- 
daiii  >i  cefi-  fi'innie  sérail  arst-  lirùlèi  .  «  Jusques  ici,  rrp'Uidit  Massieu.  je  l*j 
\n  que  Mi'U  v\  honm-ur  en  elle;  mais  je  ne  sais  quelle  en  sera  la  fin  :  Dieu  U  ui"' 
l.e  priVreant-'lais  alla  le  drnonctT  sur-le-clianip  aux  ycus  liu  mi,  et  Massieu  eu'.' 
ri^qiii-  (ie  la  Me. 

'.'.  ln'irn»i;aloires  des  27  féviicr,  1",  3  et  17  mars;  passim. 


[1431]  L'ARBBE  DES  FÉES.  261 

faisoit  point  de  déplaisir,  mais  les  supportois  à  mon  pouvoir  ' .  » 
Les  contemporains  ont  porté  témoignage,  en  effet,  de  son  ar- 
dente charité. 

Les  interrogateurs  eussent  bien  voulu  tirer  de  Jeanne  l'aveu 
qu'elle  avait  pris  <  son  fait  »,  sa  mission,  sous  <  l'arbre  des  fées  »; 
c'était,  du  reste,  chose  remarquable  comme  sentiment  populaire, 
Topinion  accréditée  à  Domremi,  chez  les  compatriotes  de  Jeanne, 
el  ils  étaient  bien  loin  de  lui  en  faire  un  crime  2.  Jeanne  recon- 
nut seulement  que  ses  voix  étaient  venues  à  elle  en  ce  lieu  comme 
en  bien  d'autres.  Plus  tard,  Jeanne,  interrogée  si  les  fées  étaient  de 
mauvais  esprits,  répondit  qu'elle  n'en  savait  rien.  Ce  fut  un  grand 
grief  que  de  n'être  pas  convenue  que  les  fées  fussent  des  diables 
(Procès^  1. 1,  p.  209).  Une  autre  fois,  l'interrogateur  lui  demanda  si 
elle  avait  été  de  ceux  qui  vont  en  ferre  (qui  errant)  avec  les  fées.  II 
s'agit  de  promenades  nocturnes,  de  caroles  (danses)  que  certaines 
gens  menaient,  disait-on,  par  les  airs  avec  4es  damss  faées.  Cela 
était  bien  connu  à  Domremi,  et  se  pratiquai!,  non  pas  comme 
l)Our  les  diables  et  les  sorcières,  la  nuit  du  sabbat  (du  vendredi 
au  samedi),  mais  la  nuit  du  mercredi  au  jeudi,  la  nuit  de  Mer- 
cure el  de  Gwyon,  qui  est  encore  aujourd'hui  la  nuit  où  les  nains 
de  Bretagne  dansent  leurs  korols  autour  des  dolmens  3. 

La  lettre  du  comte  d'Ârmagnac  à  Jeanne,  et  la  réponse,  dont 
une  copie  avait  été  livrée  à  Cauchon,  fournissaient  une  arme 
redoutable.  Jeanne  incertaine  entre  les  trois  papes,  et  prenant  du 
temps  pour  décider  entre  eux  <  !  Mais  elle  n'avoua  pas  la  lettre 
telle  qu'on  la  lui  représentait,  dit  que,  le  comte  d'Aruiagnac  lui 
ayant  demandé  à  quel  pape  Dieu  voulait  qu'il  crût,  elle  l'ignorait, 
ne  l'ayant  point  appris  de  ses  voix,  mais  que,  pour  elle,  elle 
croyait  au  pape  qui  est  à  Rome.  Ses  réponses  sur  cet  incident 
offrirent  de  l'embarras  et  de  l'obscurité.  Elle  se  releva  avec  un 
terrible  éclat  sur  ce  qui  était  vraiment  de  a  son  fait  »,  du  fait  de 

1.  Interrogatoire  du  3  mars;  Procès,  1. 1,  p.  100-106. 

2.  Procéâ,  t.  I,  p.  68. 

3.  Ce  fût  à  propos  de  l'arbre  des  fées  qu'en  rerenant  sur  ses  visions,  on  lui 
lit  cette  question  ridicule  et  iudécente  : 

«  Saint  Michel  est-il  nu  ? 

—  Croyez-Tous  que  Dieu  n'ait  pas  de  quoi  le  vêtir?  » 

4.  V.  ci-dessus,  p.  191. 


202  GUERRES  DES  ANGLAIS.  [i.:i; 

la  jruoiTc  cl  de  la  délivrance.  Elle  avail  déjà  prcdil  que  les  Bour- 
guignons auraient  guerre  «  s'ils  ne  font  ce  qu'ils  doivent*  >. 
Elle  dit  de  plus  grandes  choses  quant  aux  Anglais!  Uinspiration 
ivssaisit  «la  sib\llcdc  France  »  :  ses  yeux  lancèrent  encorcia 
foudre  connue  dc^vanl  les  bastides  d'Orléans  :  elle  sembla  juger 
ses  juges  et  rAngloterre.  «  Avant  qu'il  soit  sept  ans,  les  Angloii^ 
délaisseront  un  plus  grand  gage  qu'ils  n'ont  fait  devant  Orléans, 
et  perdront  tout  en  France 2.  Les  Anglois  auront  lu  plus  grande 
perte  qu'ils  aient  jamais  eue  en  France,  et  ce  sera  par  pnmde  vic- 
toire que  Dieu  enverra  aux  François.  Je  sais  cela  par  révélation, 
aussi  bien  que  je  sais  que  vous  êtes  là  devant  moi.  Cela  sera  avant 
sept  ans  :  je  serois  bien  fâchée  que  cela  tardât  si  longtemps.  Avant 
la  Saint-Martin  d'hiver,  on  verra  bien  des  choses,  et  il  se  poum 
que  les  Anglois  soient  mis  jus  terre! 

«  Les  saintes  (sainte  Catherine  et  sainte  Marguerite),  »  poursui- 
vit-elle, «  m'ont  promis  que  mon  roi  regagneroit  son  royaume,  et 
qu'elles  me  conduiroient  eu  paradis.  Elles  m'ont  fait  encore  une 
auti'e  promesse. 

—  Laquelle? 

—  Je  vous  le  dirai  dans  trois  mois. 

—  Serez-vous  donc  délivrée  dedans  trois  mois? 

—  Dans  trois  mois,  je  vous  répondrai  ;  il  faudra  bien  que  je 
sois  délivrée.  Ceux  cjui  me  veulent  ôter  de  ce  monde  pourront 
s'en  aller  avant  moi  3.  —  J'ai  demandé  souvenles  fois  congé  à 
mes  voix  de  me  départir  de  prison,  quand  je  voudrai  ;  mais  je 

1.  Le  soûl  mot  violent  qiron  ait  d'elle,  est  contre  eus.  «  Je  uc  savoi»  !i  Douremi 
qu'un  seul  Duur;;uignon;  j'eu<^se  voulu  quMI  eût  In  tête  Coupée,  pourvu  que  ccU 
plu'  à  Dieu  w.  Procès,  I.  I,  p.  66.  C'était  le  souvenir  d'uuc  colère  d'enfant  ti 
un\\  un  son  i nie n'  uctucl.  Ou  essaya  d'un  tirer  parti  contre  elle.  On  lui  dt- 
niuuilu  si  elle  croyait  que  son  roi  eût  bien  fait  a  de  tuer  ou  fuire  tuer  inooffi- 
{.'neur  di*  Ri)ur(!r){:iii:  n.  Klle  répondit  adinirablcnicnt  :  u  Ce  fut  grand  douiuige 
pour  le  royiiume  de  France;  mais,  quelque  chose  qu'il  y  ait  eu  entre  eux,  D:i:i: 
m'a  envoyée  au  secours  du  roi  de  France  ».  Ibid,  p.  183. 

'1.  n  Lo«  Fi'an(;ois  gagneront  bieuiôt  une  grande  besogne  :  je  le  dis,  afin  qoc. 
qu-ind  ce  scru  utivenn,  on  ait  mémoire  que  je  l'ai  dit.  «  Intcrrog.  du  17  Dar>; 
Pi-ms,  1. 1,  p.  17  i.  i.a  piidiciion  de  Jeanne  ne  se  réalisa  pas  exaclenieni  dans  If 
di'lui  iuiliquê.  Un  plus  yruml  yugc  fju'OrU'.tm,  Paris,  fut  enlevé  aux  Anglais  aiùiu 
icpi  ans,  niais  ils  ne  perdirent  loiti  vn  France  qu'après  vîugt  et  quelques  auuces- 
L''\  ini.r  de  Jeanne  lui  avaient  dit  qu'elle  délivrerait  le  duc  d'Orléans  avant  trois 
ûun,  etiju'elle  verrait  le  roi  des  Angliiis,  ce  qui  ne  se  réalisa  pas  non  plus. 

'4.  IiiterroiJaîoirc  du  1"  mars;  Prjces,  t.  l,  p.  8i-88. 


[1431]  AIDE-TOI,  DIEU  T'AIDERA.  263 

ae  l'ai  point  encore.  Peut-être  essaierai-je,  pour  savoir  si  notre 
ïire  en  seroit  content.  Aide-toi ,  Dieu  te'aidera  !  » 

Cette  maxime  convenait  bien  à  celle  qui  fut  le  génie  incarné 
le  la  France,  du  peuple  de  l'action  (Procès,  1. 1„  p.  164). 

Ses  juges  étaient  à  la  fois  exaspérés  et  terrifiés  de  son  assu- 
rance. Elle  maintint  opiniâtrement  ses  audacieuses  prédictions, 
ît  ne  laissa  jamais  apercevoir  le  moindre  doute  sur  la  délivrance 
inale  de  la  France.  Quant  à  sa  personne,  s'identifiant,  en  quel- 
jue  sorte,  à  la  France,  et  se  sentant  comme  une  incarnation  de 
.a  patrie,  elle  avait  la  conviction  d'être  délivrée  par  quelque  grande 
irictoire.  Hélas  !  ce  terme  de  trois  mois  qu'elle  assignait  à  ses  juges, 
[)ar  un  mystérieux  pressentiment,  devait  s'achever  pour  elle 
lans  une  autre  délivrance,  «  la  délivrance  de  la  mort»,  suivant 
la  parole  de  nos  aïeux.  Ce  n'était  plus  en  ce  monde  qu'elle  devait 
retrouver  l'auréole  de  victoire  *. 

La  première  phase  du  procès  fut  terminée  le  3  mars.  Cauchon 
innonça,  à  la  fm  de  la  séance,  qu'il  allait  charger  quelques 
lecteurs  et  experts  en  droit  divin  et  humain  d'extraire  ce  qui 
Stait  à  recueillir  parmi  les  aveux  de  Jeanne,  et  qu'ensuite,  s'il  y 
ivait  lieu  de  l'interroger  plus  amplement  sur  certains  articles,  il 
(l'en  fatiguerait  pas  la  multitude  des  assesseurs,  mais  déléguerait 
ï  cet  effet  quelques-uns  d'entre  eux.  c  On  mettra  tout  en  écrit, 
îf ,  quand  besoin  sera,  les  docteurs  et  experts  en  pourront  déli- 
vrer et  donner  leur  avis.  »  Il  leur  défendit  à  tous  de  quitter 
[louen  sans  congé  *. 

Le  motif  de  Cauchon  était  facile  à  comprendre.  Lui  et  ses 
naitrcs  avaient  intérêt  à  diminuer  la  publicité  de  ces  émouvantes 
séances,  et  à  soustraire  les  moins  décidés  des  assesseurs  à  l'espèce 
le  fascination  qu'exerçait  l'accusée.  Elle  présente,  on  ne  savait 
!e  qui  pouvait  arriver  :  elle  absente,  et  les  assesseurs  donnant 
eur  avis  sur  pièces,  on  comptait  bien  qu'ils  seraient  tous  contre. 

Le  travail  d'extraits  annoncé  par  Cauchon  fut  exécuté  du  4  au 
)  mars.  Le  10,  les  interrogatoires  furent  repris,  dans  la  prison 


1.  Ç&  et  \k  les  voix  résonnaient  tristement  dans  son  Ame,  sans  Téclaircr  encore 
(ur  le  vrai  sens  de  sa  délivrance.  «  Prends  tout  on  gré  :  ne  te  cliaille  (ne  te  soucie) 
ie  ton  martyre!  »  Procès^  t.  I,  p.  155;  inlcrrog.  du  14  mars. 

2.  Protêt,  t.  I,  p.  111. 


26i  GUERRES  DES  ANGLAIS.  [ii)|] 

même,  par  Cauchon,  assisté  seulement  du  commissaire  examiâv 
tour  Jean  de  La  Fontaine,  de  deux  assesseurs  et  de  deux  témoins. 
A  partir  du  13  mars,  Cauchon  put  enfin  s'autoriser  du  concours 
officiel  de  l'inquisilion  et  donner  à  ses  assesseurs  le  titre  de  t  con- 
sulteurs  du  saint-office  p  :  la  délégation  de  Tinquisiteiir  général, 
réclamée  pîu*  Tévéque  de  Beauvais,  était  arrivée,  et  le  vice-inqui- 
siteur Jean  Lomaistre,  forcé  dans  ses  derniers  retranchements, 
s'élait  résigné  à  siéger  désormais  comme  juge  à  côté  de  Févéquc, 
sinistre  association  de  la  peur  et  du  crime  •. 

Durant  toute  la  première  partie  du  procès,  Jeanne  s'était  refu- 
sée à  toute  explication  sur  le  signe  qui  avait  décidé  son  roi  à  re- 
connaître sa  mission.  Harcelée  sans  relâche  sur  ce  point  capital, 
après  avoir  tour  à  tour  prié  ses  juges  de  ne  pas  chercher  à  robli- 
ger  au  parjure  envers  ses  saintes*,  et  repoussé  leurs  obsessions 
par  des  éclats  d'impatience  3,  elle  finit  par  se  débarrasser  dos 
questions  à  l'aide  d'une  allégorie  toute  biblique. 

«  Le  signe  est  moult  bel  et  honoré  et  bien  créable  (croyable;, 
et  le  plus  riche  qui  soit. 

—  Ce  signe  dure-t-il  encore  ? 

—  Il  durera  mille  ani  et  plus.  —  Il  est  au  trésor  du  roi. 

—  Vint-il  de  par  Dieu? 

—  Ce  fut  un  ange  de  par  Dieu  qui  le  bailla  à  mon  roi.  Le  roi  et 
ceux  qui  étoicnt  avec  lui  ont  vu  le  signe. 

—  Est-ce  le  même  ange  qui  vous  appamt  premièrement? 

—  C'est  toujours  tout  un,  et  oncques  ne  m'a  failli.  » 

Elle  ne  savait  pas  dire  si  complètement  vrai  en  identifiant  ses 
voix  avj^c  elle-même,  l'ange  avec  la  Fillb  de  Dieu  *. 

Elle  ajoufa  que  l'ange  apporta  à  son  roi  une  couronne  d'or 
l»ur,  laquelle  «  sifj;nifioit  le  royaume  de  France.  Elle  fut  baillée 
à  un  arclievé(|ue,  lequel  la  bailla  au  roi,  et  étois-je  présente. 

—  L'ange  qui  l'apporta  vint-il  de  haut,  ou  par  terre? 


1.  Le  Yice-iu.|uisiicur  délrgua.  uu  nom  du  sainl-officc,  les  officiers  déjii  coa ibis 
au  procès  par  Cauclion  de  par  raulorité  épiscopalc. 

2.  Elle  a\ait  juré  Ji  .^c^ï  voix  de  no  pas  rê\cler  te  signe  sans  leur  aveu. 

3.  »  I.e  «signe  qu'il  vou'i  faut,  c*csi  que  Dieu  mo  délivre  de  vos  maïus!}»  Prcau 
t.  I,  p.  12«\ 

4.  C\i\  la  qu'elle  dii  que  âc5  lui'x  rappelaicul  comuiunémcat  c  Fille  de  Dieu  ». 


(1431]  L'ANGE  ET  LE  SIGNE.  265 

—  Il  vint  de  haut,  j'entends,  par  le  commandement  de  Notre- 
Seigneur^  » 

Jeanne  échappa  pour  la  seconde  fois  au  piège  dressé  lors  de  la 
fameuse  question  de  c  l'état  de  grâce  j>.  Elle  avait  dit  que  son 
âme  serait  sauvée. 

€  Cette  parole  est  de  grand  poids.  Croyez-vous  ne  pouvoir  faire 
péché  moilel  ? 

—  Je  n'en  sais  rien;  mais  m'en  attends  du  tout  à  Notre-Sci- 
gneur.  —  Je  serai  sauvée,  pourvu  que  je  garde  bien  ma  virginité 
de  corps  rt  d'âme. 

—  Est-il  besoin  de  se  confesser  quand  on  croit  être  sauvé  î 

—  On  ne  sauroit  trop  nettoyer  la  conscience.  > 

Jeanne,  avec  im  mélange  de  simplicité  et  d'adresse  sublime,  a 
donc  passé  sur  presque  toutes  les  embûches  sans  s'y  blesser,  pa- 
reille à  ces  vierges  de  nos  cathédrales  qui  foulent  aux  pieds  les 
monstres.  L'habit  d'homme  obstinément  gardé,  l'allégorie  du 
signe  transformée  par  l'accusation  en  une  fiction,  en  un  men- 
songe, c'est  peu  pour  une  qualification  d'hérésie  ou  de  sorcelle- 
rie !  c'est  peu  pour  établir  que  les  voix  viennent  de  l'enfer  ! 

Reste  une  question  terrible  et  décisive  !  Cauchon  n'a  point  en- 
core osé  la  poser,  parce  que,  si  la  réponse  négative  est  la  perle 
de  Jeanne,  la  réponse  affirmative  l'arrache  des  mains  de  ses  per- 
sécuteurs et  renverse  tout  l'échafaudage  du  procès.  Cauchon  ne 
tremblerait  pas  devant  cette  question,  s'il  était  capable  de  com- 
prendre l'âme  de  sa  captive  ;  il  saurait  que  la  réponse  affirmative 
est  impossible. 

Cette  question,  c'est  de  savoir  si  Jeanne  soumettra  à  une  auto- 
rité humaine  quelconque  l'autorité  de  sa  révélation,  l'authenticité 
de  sa  mission. 

C'est  ici  le  point  culminant  de  toute  la  carrière  de  Jeanne, 
et  c'est  aussi  un  des  points  sur  lesquels  le  procès  de  réhabili- 
tation a  accumulé  le  plus  d'ombres.  La  contradiction  est  fla- 


1.  L'allégorie  est  fort  claire  pour  l'entrevue  de  Cbinon  et  le  sacre  de  Reims; 
s'il  7  a  quelque  obscurité  dans  les  détails,  c'est  qu'après  s'être  représentée  elle- 
même  comme  l'ange,  la  Pucelle  fait  ensuite  des  allusions  à  Tangc  Michel  qui  l'ac- 
compagnait, inyisiblc,  avec  les  deux  saintes.  Procès,  t.  I,  p.  113-146;  interroga- 
toires des  10, 12,  13  mars. 


266  GUEUUES  DES  ANGLAIS.  [Ul\ 

{irante,  radicale  entre  le  procès  de  condamnation  et  les  dé- 
positions des  témoins  pour  la  réhabilitation,  acteurs  eux-mêmes 
autrefois  dans  ce  premier  procès  qu'ils  démentent.  Suivant 
(|uolques  témoins,  d'ailleurs  mal  d'accord  entre  eux  quant  aui 
circonslanccs,  Jeanne,  sur  cette  question  qui  domine  toutes  les 
autres,  est  incertaine,  presque  faible,  victime  de  son  ignorance 
rt  d'une  équivoque  perfide,  puis,  même,  enfin,  d'une  \iolation 
Jjrutale  des  règles  judiciaires  et  d'une  impudente  altération  de 
la  vérité  dans  l'instrument  du  procès.  Suivant  les  actes  du  pro- 
cès, au  contraire,  actes  qui  devraient,  si  les  téinoins  disaient 
vrai,  porter  des  traces  d'incohérence,  d'obscurité,  d'incertitude, 
Jeanne  apparaît  assurée,  inébranlîible,  lucide  de  pensée,  pré- 
cise de  parole,  ayant  pleine  conscience  du  principe  qu'elle  sou- 
tient, ne  variant  pas  un  jour,  pas  une  heure,  et  le  débat  se 
résume  dans  la  lutte  entre  deux  logiques  inflexibles ,  dans  la 
lutte  entre  l'autorité  traditionnelle  et  l'inspiration  d'en  liaut, 
manifestée  sous  la  forme  la  plus  auguste  qu'ait  vue  le  monde 
depuis  les  premiers  jours  du  christianisme. 

Ce  sont  les  amis  posthumes  de  Jeanne  qui  la  diminuent  devant 
la  imstérité;  ce  sont  ses  ennemis  qui  la  montrent  dans  toute  sa 
force  et  toute  sa  grandeur. 

Nous  contiiuierons  de  suivre  l'instrument  du  procès,  en  exa- 
minant, lorsque  besoin  sera,  jusqu'à  quel  point  on  doit  tenir 
compte  des  assertions  des  témoins. 

La  question  fut  posée,  le  15  mars,  en  l'absence  de  Cauchon, 
juir  son  représenltuit  La  Fontaine  et  par  le  vice-inquisiteur.  — 
Jeanne  fut  requise  que,  «  si  elle  a  fait  quelque  chose  qui  soit 
«onlre  notre  foi,  elle  s'en  doit  rapportera  la  détermination  de 
rÉ^lise. 

—  Que  mes  réponses  soient  \ues  et  examinées  par  les  clercs; 
et  puis  (pi'on  me  die  s'il  y  a  quelque  chose  qui  soit  contre  la  foi 
rhrétienne:  Jk  saihai  iuen  a  i»ikk,  i»ak  mon  conseil,  (ce'  qi'il  n 
SKUA.  Kl  toutefois,  s'il  y  a  rien  de  mal  contre  la  foi  chrétienne 
<|ue  Notre  Sire  a  commandée,  je  ne  (le)  voudrois  soutenir  et 
serois  bien  courroucée  d'îdler  encontre. 

'(  Lui  fut  dédaré  TK^lise  tiiomjihant  et  l'Église  militant,  [ce) 
que  e'étoit  de  l'un  et  de  l'autre.  Requise  que,  de  présent,  elle  se 


CI43IJ  SOUMISSION  A  DIEU  SEUL.  un 

iHÎt  en  la  tlélcrminalion  de  TÉglise  de  ce  qirello  a  fait  ou  dit,  soit 
bien,  soit  mal,  répond  :  Je  ne  vous  en  répondrai  autre  chose  pour 
le  présent.  » 

Le  17  mars,  la  queslion  fut  réitérée  par  les  mêmes  inlerroga- 
leurs. 

«  Quant  à  l'Église,  je  l'aime  et  la  voudrois  soutenir  de  tout  mon 
pouvoir  pour  notre  foi  chrétienne...  Quint  aux  honnes  œuvres 
jiio  j'ai  faites  et  à  mon  avènement,  n.  faut  que  je  m'en  attende  au 
Roi  du  Ciel  qui  m'a  envoyée.  » 

On  insista  :  *«  Vous  en  rapportez-vous  à  l'Église? 

—  Je  m'en  rapporte  à  Notre-Seigneur,  qui  m'a  envoyée,  à  Notre- 
Dame  et  à  tous  les  benoîts  saints  et  saintes  de  paradis.  Ce  m'est 
ivis  que  c'est  tout  un  de  Noire-Seigneur  et  de  l'Église.  Pourquoi 
raî!es-\ous  difllcullé  que  ce  ne  soit  tout  un? 

—  Il  y  a  l'Église  triomphant,  où  est  Dieu,  les  saints,  les  angles 
[anges)  et  les  âmes  sauvées.  L'Église  militant,  c'est  notre  saint- 
père  le  pape,  vicaire  de  Dieu  en  terre,  les  cardinaux,  les  prélats 
ie  l'Église  et  clergié,  et  tous  bons  chrétiens  et  calholiques;  la- 
quelle Église  bien  assemblée  ne  peut  errer,  et  est  gouvernée  du 
Saint-Esprit.  —  Vous  rapportez-vous  à  l'Église  militant,  c'est  à 
savoir  à  celle  qui  est  ainsi  déclarée? 

—  Je  suis  venue  de  par  Dieu,  de  par  la  vierge  Marie  et  tous  les 
benoîts  saints  et  saintes  de  paradis,  et  l'Église  victorieuse  de  là- 
iKuit,  et  de  leur  commandement  ;  et  à  celle  Église-là  je  submeict 
soumets)  tous  mes  bons  faits  et  tout  ce  que  j'ai  fait  ou  à  faux*. 

—  Vous  submettez-vous  à  l'Église  militant? 

—  Je  n'en  répondrai  maintenant  autre  chose *.  » 

1.  PiOccSf  t.  I,  p.  162,  IGC,  174-176.  I/appariicur  J.  Mussieu,  un  des  Iciuoins 
le  cet  iii;errogutoire,  préicu'i  avoir  oui  dire  U  Jeuunc  :  u  Vous  m'interrogez  sur 
'Église  trioiiiphuni  et  militant  :  ju  n'en  ends  point  ces  termes;  mais  je  \cu\ 
lie  subnteilre  ii  TEglise,  comme  il  convient  ii  une  bonne  chré.iennc.  »  Proctis  de 
éhub.liiaiion;  enquOie  de  1452  ;  ap.  Procé.Sf  t.  U,  p.  333.  Isamburd  de  la  Pierre, 
uoine  uugustiu,  témoin  comme  Massieu,  dit,  de  son  côté,  que,  «  par  grand  espace 
la  procès,  lorsqu'on  iuterrogeoit  Jciiaune  de  se  submettre  k  l'h^glise,  elle  enten- 
loit  de  celte  congrégation  déjuges  et  assesseurs  là  présents  et  assis  auts,  jusqu'à 
0  quVlle  eût  êié  instruite  de  ce  qu^:  c'éioit  pur  Pierre  Moriee  (un  des  asse>- 
cuis),  et,  quand  elle  en  eut  connoissancc,  toujoui's  se  submit-elle  au  pape. 
•ourvu  qu'on  la  menât  devers  lui.  »  Ibid.  p.  3ji).  Ou  vient  de  voir  que  non-seu- 
emen:  il  n'y  avait  point  eu  d'équivoque  entre  rassemblée  présente  cl  TKg  ise  mili- 
untc,  mais  que  la  distinction  des  deux  l^gliscs  triomphante  cl  uiilitau'e  avait  été 


268  GUERRES  DES  ANGLAIS.  [i\i\: 

Puis,  comprenant  parfailcmcnt  où  sa  réponse  pouvait  la  con- 
duire : 

a  Si  ainsi  est  qu*il  me  faille  mener  jusques  en  jugement,  qu  il 
me  faille  dévùlir  (déshabiller)  en  jugement',  je  requiers  aux  sei- 
gneurs de  rËglise  qu'ils  me  donnent  la  grâce  d'avoir  une  cheiui^ 
de  femme. 

—  Puisque  vous  dites  porter  habit  d*homme  par  comniantk- 
ment  de  Dieu,  pourquoi  demandez-vous  chemise  de  fenune  en 
article  de  mort? 

—  Il  suffit  qu'elle  soit  longue.  » 

Son  seul  souci,  pour  ce  moment  terrible,  était  une  préoccupa- 
tion de  pudeur. 

Pourtant  elle  ne  croyait  pas  encore  à  la  mort. 

«  J'aime  mieux  mourir  que  de  révoquer  ce  que  Xotre-Sti- 
^neur  m'a  fait  faire;  mais  je  croi  fermement  que  Notre  Seigneur 
ne  laira  (laissera)  jà  advenir  de  me  mettre  si  bas,  que  je  n'aie  so 
(rours  bientôt  de  Dieu  et  |)ar  miracle.  —  Pour  rien  ne  ferois-jelc 
serment  de  ne  me  jioint  armer  et  mettre  en  habit  d'iiommc  pour 
faire  le  plaisir  de  Xotre-Seigneur^.  » 

L'après-midi  du  17  mars,  Cauclion  reprit  rinterrogaloirc. 


fort  cluireinent  expliquée  ù  Jeanne,  et  qu'elle  y  répondit  non  moins  claireuits'.. 
rour  s'inscrire  en  fuux  contre  rinsirumenl  du  procès,  il  faudrait  accuser  de  fklsii- 
cutiou  tout  îi  la  fois  les  juges  el  les  notaires-greffiers;  or,  tous  les  témoins  Vac- 
oordent  sur  lu  fiilcliié  des  notaires,  et,  quant  aux  juges,  les  deux  intcrrogktoirts 
(les  là  et  17  nturs  furent  conduits  non  par  Cauclion,  mais  par  Lemaistre,  qu'oa 
n*a  jamais  accusé  d'acharnement  contre  Jeanne,  et  par  La  Foniaiiie,  qui,  au  dire 
des  témoins,  se  compromit,  bientôt  après,  en  cherchant  ii  la  sauver.  Il  D'yadocc 
point  k  hésiter  entre  les  procês-veibaux  de  li3i  et  les  dépositions  de  l*j2.  Il* 
a,  de  plus,  une  objection  terrible  ii  faire  à  Isainbard.  —  Quoi  !  Jeanne  éui:  •( 
bonne  cuthuliquc  romaine,  soumise  en  toute  chose  au  pape  et  à  rtglis«.  cl 
\ous  le  sa\ioz,  et  vous  avez  signé  les  délibérations  qui  l'ont  qualifiée  de  soL.*- 
malique  et  qui  ont  motive  sa  condamuation!  (i-.  Procès,  t.  I,  p.  33'J.)  Isumbuj'i 
se  calomnia  lui-même,  en  voulant  défendre,  ii  sa  manière,  la  niëuioirc  de  :a 
sainte  héroïne  dont  lu  mort  l'avait  i«)ucbé.  Ce  moine  était  une  bonne  ftiiie.  et  qous 
ne  ruccusuns  nullement  de  mensonge  volontaire;  nous  lâcherons  d'expliquer  lom 
a  l'heure  les  erreurs  de  sa  déposition  et  de  quelques  aulies. 

1.  Comme  on. faisait  aux  condamnés. 

2.  Vroct'Sf  t.  1,  p.  176-177.  —  C'est  dans  cette  même  séance  qu'où  lui  de- 
manda si  Dieu  haïssait  les  Anglais. 

a  De  l'amour  ou  haine  que  Dieu  a  aux  Anglois,  ou  que  Dieu  leur  fait  i  kurf 
âmes,  je  n'eu  sui  rien  ;  mais  bien  sai-je  qu'ils  seront  boutés  hors  de  France, 
excepté  ceux  qui  y  moununt,  a  Ibid,  p.  178. 


[1451]  REFUS  DE  SE  RÉTRACTER.  209 

«  Vous  semble-t-il  que  vous  soyez  lenuc  répondre  pleinement 
vérité  au  pape,  vicaire  de  Dieu,  de  tout  ce  qu'on  vous  deman- 
deroit  touchant  la  foi  et  le  fait  de  votre  conscience? 

—  Je  requiers  d'ôtre  menée  devant  lui,  et  je  répondrai  devant 
lui  tout  ce  que  je  devrai  répondre  ^  » 

Le  18  mars,  Cauchon  fit  lire  les  aveux  et  réponses  de  Jeanne 
devant  douze  des  principaux  assesseurs,  qui  convinrent  d'exami- 
ner la  matière  et  «  les  opinions  des  docteurs  dans  les  livres  au- 
thentiques ».  Le  rapport  sur  les  opinions  des  autorités  fut  pré- 
senté, le  23,  devant  vingt-deux  des  assesseurs,  et  il  fut  conclu 
de  réduire  la  malière  à  un  petit  nombre  d'articles  ou  de  chefs 
d'accusation. 

Lecture  fut  faite  à  Jeanne  de  ses  interrogatoires.  Elle  ne  con- 
testa rien.  On  lui  offrit  de  nouveau  la  messe  et  la  communion,  si 
elle  quittait  l'hahit  d'homme.  Pâques  était  proche,  et  son  cœur  sai- 
gnait de  ne  pas  «  recevoir  son  Sauveur  ».  Elle  n'en  refusa  pas  moins. 

I^  procès  préparatoire  était  terminé  :  il  fut  décidé  qu'on  pro- 
céderait par  procès  ordinaire,  et  que  Jeanne  serait  interrogée  de- 
rechef sur  les  articles  susdits. 

Jeanne  fut  ramenée,  le  27  mars,  devant  un  nombreux  tribunal 
(38  assesseurs),  pour  assister  à  la  présentation  de  l'acte  d'accusa- 
tion par  le  promoteur.  Les  plus  violents  voulaient  qu'on  l'excom- 
muniât tout  de  suite,  si  elle  ne  commençait  par  jurer  de  dire 
vérité  sur  toutes  choses  sans  restriction^.  La  majorité  opina  pour 
qu'on  lût  d'abord  les  articles  ;  que  Jeanne  fût  tenue  de  ré- 
pondre, et  que,  si  elle  demandait  un  délai  sur  certains  points, 
elle  l'obtînt  «  compétent  ». 

Cauchon  offrit  à  Jeanne  de  choisir  un  ou  plusieurs  des  assis- 
tants pour  conseil. 

Elle  le  remercia.  «  Je  n'ai  point  intention  de  me  séparer  du 
conseil  de  Dieu.  Je  suis  prête  à  dire  vérité  de  tout  ce  qui  touche 
votre  procès  ». 

1.  Procès,  \,l,  p.  184. Cauchon  ne  demandait  pas  en  ce  moment  h  Jeunue  si  elle 
soumettrait  la  véri.é  de  sa  mission  au  pape;  mais  si  elle  révélerait  au  pape  les 
choses  qu'elle  ne  voulait  pas  lui  révéler,  à  lui,  Cauchon.  Oa  comprend  que  lu 
réponse  de  Jeanne  ait  pu  devenir,  dans  la  mémoire  troublée  d'Isambard  et  do 
quelques  autres  témoins,  une  soumission  pure  et  simple  au  pape. 

2.  Il  est  II  remarquer  que  le  commissaire  La  Fontaine  fut  de  ce  nombre. 


270  GLERRES  DES  ANGLAIS.  [i 

VA  cll<î  jura,  sans  ciileiulrc  se  tli'*pai1ir  de  sa  réserve  sur  le  se 
ré\élé  au  roi,  qui,  siiivanl  elle,  <»  ne  touclioit  pas  le  procès 
dont  personne  n'avait  droit  de  lui  demander  compte. 

Deux  séances  furent  einplojées  h  la  lecture  des  articles 
'J9  mars). —  Le  promoteur  roquerait  que  Jeanne  fùl  déclarée 
cière,  «  devine  »,  lausse  prophétesso,  invocatrice  de  malins  esp 
niagicionne,scIiismali(iiie,saci  ilé'^e,  idolAtro,  apostate,  blasphê 
(rice,  séditieuse,  perturbatrice  de  la  paix,  altérée  de  sang  hur 
et  excitant  à  le  verser,  quittant  sans  vergogne  la  pudeur  de 
sexe  et  prenant  scandaleusement  liabil  d'homme  d'armes,  j 
ces  choses  et  autres  abominable  à  Dieu  et  aux  hommes,  séduci 
des  princes  et  des  i-euples,  usurpatrice  des  honneurs  et  du  i 
divins,  héréticpie  ou  véhémentement  suspecte  d'hérésie,  etc.. 

Les  70  articles  de  l'acte  d'accusation  *  étaient  dignes  de  ces  i 
clusions.  La  i)ré(ention  de  la  Pucelle  à  ne  soumettre  sa  mis 
qu'à  Dieu  et  «î  TKglise  «  de  là-haut  »,  si  elle  y  persisitai»,  sufl 
bien,  selon  les  principes  d(;  Rome  et  de  l'inquisition,  à  la  I 
déclarer  scbisnialique  et  suspecte  d'hérésie,  mais  ne  suftisail 
à  la  rendre  un  objet  d'horreur  et  de  mépris  aux  jeux  des  naîi 
On  avait  donc  entassé  dans  celte  pièce,  dont  la  forme  et  le  I 
soulèvent  le  cœur,  tout  ce  (pi'une  haine  envenimée  peut  ini 
ner  pour  dénaturer  les  caractères  et  les  faits  et  pour  abustM*  1' 
nion.  Co  (pi'il  y  a  de  vriiiment  terrible  à  dire,  c'est  que  le  m 
rable  d'K^tivet  n'était  [as  le  seul  auteur  de  cet  acte  infànK 
avait  eu  pour  auxiliaire  ce  Tbomas  de  Courcelles  qu'on  ap 
depuis  «  la  lumière  du  concile  de  Bàle-  ». 

Jeaniîe  répondit  article  par  article. 

Elle  s'est  vantée  de  cbasser  ou  exterminer  tous  les  enneniii 
son  roi  (art.  XVll).  «  J'ai  porté  nouvelles  de  la  part  de  Die 
mon  roi  que  Notre  Sire  lui  rendroil  tout  son  royaume  ». 


1.  P/oerVt,  t.  I,  p.  202-3  '3. 

2.  «  Il  ne  lil  i»U'Sfiue  ririi  «lu  n-«|uisiioiro  \Jt:  HbtUo)  i>,  lîii  lo  noîai.o  Mai.( 
•luiis  une  (lépositinn  liés  peu  sinccn*,  où  il  ménage  fori  Tlioniu^  lie  Courcellos 
(l'v,  111,  l3ô.  Lu  qurstion  n'csi  pus  dans  lu  quamitr.  Cou:e«>lli.-s  pi  il  «rubc 
icsponsubililc  du  rrquisiioiic;  car  re  fut  lui  «jui  lut  et  e\po^u  les  ariicles  ii 
cus(^e.  l'ius  loiU,  il  est  vrui.  quand  il  iruduisil  en  lalin  le  piocès-\cibal  fru 
<Il-$  no'uires,  il  suppriinu  son  nom  de  la  :cdactioD  définili>c.  r.  Quiulicvar,  Jp 
nnuii'uujf  p.  l'iO. 


ACTE  D'ACCUSATION.  271 

3  n'affirme  plus  si  clairement  que  ce  sera  par  ses  mains,  à 
lu  fond  elle  le  croit  toutefois  encore, 
lie  s'est  opposée  à  tout  traité  de  paix  et  a  poussé  conslam- 
à  l'effusion  du  sang.  —  J'ai  écrit  pour  la  paix  au  duc  de 
fogne;  quant  aux  Anglois,  la  paix  qu'il  y  faut,  c'est  qu'ils 
lillent  en  Angleterre. 

Ile  s'est  attribué,  à  elle,  créature  simple  et  ignorante,  ce  qui 
iltribut  de  la  Divinité;  savoir  l'avenir;  connaître  les  choses 
Les.  —  Il  est  à  Notre-Seigneur  de  révéler  à  qui  il  lui  plaît  ^  » 
nne  avait  demandé  délai  pour  répondre  définitivement  sur 
îstion  capitale,  la  soumission  à  l'Église.  Jusque-là,  elle  avait 
ï  la  soumission  implicitement  plutôt  qu'explicitement  :  elle 
restée,  comme  nous  l'avons  vu,  sur  ces  paroles  :  «  Je  n'en 
idrai  maintenant  autre  chose  ».  —  Le  samedi  saint,  31  mars, 
ion,  accompagné  de  quelques-uns  des  principaux  asses- 
,  se  transporta  dans  la  prison  : 

'oulez-vous  vous  rapporter  au  jugement  de  l'Église,  qui  est 
tre,  de  tout  ce  que  vous  avez  dit  et  fait? 
Je  m'en  rapporte  à  TÉf^lise  njilitaut,  pourvu  qu'elle  ne  me 
tiande  chose  impossible  à  faire.  Ce  que  j'ai  dit  et  fait,  les 
is  et  révélations  que  j'ai  eues  de  par  Dieu,  je  ne  les  révoquc- 
)ur  quelque  chose;  et,  de  ce  que  Notre  Sire  m'a  fait  ftiire  et 
nandé  et  commandera,  ne  le  laisserai  à  faire  pour  homme 
ive,  et  me  seroit  impossible  de  le  révoquer.  Et,  en  cas  que 
se  me  voudroit  faire  faire  autre  chose  au  contraire  du  com- 
lement  qui  m'a  été  fait  de  Dieu,  je  ne  le  ferois  pour  quelque 

îroyez-vous  point  que  vous  soyez  sujette  à  l'Église  qui  est 
rre,  c'est  à  savoir  :  à  notre  saint-père  le  papo,  cardinaux, 
îvéques,  évéque?,  et  autres  prélats  d'Église? 

'rocc?,  t.  I,  p.  232,  233,  234,  2:»l. 

'interrogateur  répéta  la  qucsiion  sous  une  autre  forme  :  «  Si  TÉglise  niililaul 
il  que  vos  lévélations  sont  illusions  ou  choses  diaboliques,  vous  en  rappor- 
eus  il  ri^glise?  —  Je  m'en  rapporte  îi  Nolre-Seigucur,  duquel  je  ferai 
rs  le  commandement...  Ce  que  j'ui  affirmé  au  procès  avoir  fait  du  comman- 
t  de  Dieu,  me  si-roit  impossible  faire  le  contraire.  Et,  en  cas  que  l'Église 
it  me  commandcroii  faire  le  contraire,  je  ne  m'en  vapporterois  U  homme 
nde,  fors  à  Noire-Seigneur,  que  je  ne  fasse  toujours  son  bon  commandc- 
11  ».  Procèx,  t.  I,  p.  325. 


272  GlI^RBES  DES  ANGLAIS.  [i; 

—  Oui,  Noire  Sire  premier  servi. 

—  Avez-vous  coniinandemcnt  de  vos  voix  que  vous  ne  v 
siibinelliez  point  à  TÉglise  iiiilitanl? 

—  Je  ne  réponds  chose  que  je  prenne  en  ma  tôle  :  ce  qu 
réponds,  c'est  du  connnandeinenl  de  mes  voix  :  elles  ne  ci 
mandent  point  que  je  n'obéisse  à  l'Église,  Notre  Sire  preD 
servi  *.  » 

Point  dVqui\o(|uo ,  point  d'obscurité.  On  a  comniencé 
sommer  Joaime  de  soumettre  ses  faits  à  l'Église.  Elle  a  répoi 
sans  paraître  dislinfiuer  l'Éj^lise  des  gens  d'église  assemblés 
vanl  elle,  que,  si  les  clercs  trouvaient  dans  ses  faits  quel 
cliose  contre  la  foi,  elle  saurait  bien,  «par  son  conseil  »,  dir 
qui  en  est,  c'esl-à-dire  qu'elle  jugerait  ses  juges.  On  lui  a 
pliqué  fort  clairement  qu'il  s'agissait  de  l'Église  militante 
ce  cpie  c'était  que  la  distinction  enlre  l'Église  militante  ( 
triomphante.  Elle  a  dit  alors  qu'elle  se  soumellail  à  Dieu 
l'Église  triomphante;  que,  quant  a  l'autre,  elle  n'en  «  répom 
mîiinteuant  autre  chose  ».  Cette  réponse,  ajournée,  elle  vieil 
la  donner  péremptoire:  soumise  à  l'Église  sur  tout  autre  \h 
elle  ne  peut  soumettre  (|u'à  Dieu  ce  que  Dieu  lui  a  diredei 
conunandé,  et  si  lÉglise  lui  ordonnait  de  désavouer  la  mis 
qu'elle  a  reçue  de  Dieu,  elle  ne  le  pourrait  faire. 

Reconnaître  à  un  honune  ou  à  une  assemblée  le  droit  de 
ci(h'r,  par  oui  ou  par  non,  si  Dieu  lui  a  donné  charge  desai 
sa  patrie,  cela  hii  est  i>n»ossuiLE=^. 


1.  Proa's,  l   I,  p.  3i4-3:îG. 

2.  Au  premier  ubnrd,  U>s  déposilions  des  témoins  du  procès  de  W-habîUl 
sont  absolument  inconciliubles  avec  les  acics  du  procès  de  conduiiinatioi 
noiuirc  Manchon  raconte  que,  dans  la  scntaine  sainte  (entre  le  26  ei  le  31  ■ 
Jeun  de  La  Fontaine,  le  «  lieutenant  »  de  Caiichou,  accompagné  de  deux  me 
I>uniburd  de  La  Pierre  et  Martin  L'Advenu,  alla  triiu\er  Jeanne  et  la  pressa 
souniettie  au  pape  et  au  saint  concile,  où  il  y  avait,  lui  dit-il,  des  clercs  d 
p.irti  rniiinie  du  parti  des  Anglais,  u  Le  lendemain  qu'elle  fut  ainsi  avertie 
dit  qu'elle  se  voudrnit  bien  subnioMre  h  notie  saint-père  le  pape  et  uu  sacré 
ci'.v.  F.',  quand  monseijineur  tlv  Heauvaisouit  cette  parole,  demanda  qui  avo 
palier  u  elle  le  jour  de  devant...  et,  )>our  ce  eus,  en  rabsencc  d'îeeuK  de  FuM 
La  Fontaine-  et  religieux,  se  couirouva  ttcs  fort...»  Jean  de  La  Foniaine,  t 
cljunt  «  menacé  pour  icelle  cuuse,  se  partit  dv  Rouen,  et  depuis  n*T  retouroi 
quant  aux  deux  icligieux,  si  n\'ùt  été...  Mmjisiri  (le  vice-iuquisitt-ar  Leui 
qui  les  excusa  et  supplia  pour  eux,  eu  disant  que,  si  on  leur  faisoil  dèpl 


[1431]  LE  VRAI  POINT  DU  DÉBAT.  273 

Le  voilà  dans  toute  sa  solennité,  ce  débat  dont  le  vrai  caractère 
a  été  trop  longtemps  voilé.  Il  s'agit  ici  de  bien  autre  chose  que 
des  vengeances  des  chefs  anglais  ou  des  bassesses  de  leurs  ser- 
viteurs français.  Nous  l'avons  dit  :  c'est  ici  la  lutte  de  la  tradition 
oi^anisée  et  absolue ,  de  la  règle  extérieure ,  de  l'infaillibilité 
constituée,  contre  la  spontanéité  individuelle,  l'inspiration  im- 
médiate, la  voix  intérieure.  Oui,  certes,  c'est  un  grand  péril  que 


Jamais  ne  viendroit  an  procès,  ils  eussent  été  en  péril  de  mort.  »  Manchon  ajoute 

^  Jebanne  sur  le  fait  de  la 
de  par  le  diable  I  »  [Pro» 


que,  «  dans  certaines  séances,  quelqu'un  donnant  avis  h  Jebanne  sur  le  fait  de  la 
tvbmission  k  l*église,  Tévéque  lui  dit  :  a  Taisez-vous,  di 


cé#,  t.  II,  p.  13;  m,  p.  138-139.) 

f^  récit  d*Isambard,  acteur  dans  l*incident,  diffère,  sur  les  circonstances,  avec 
la  déposition  de  Mancbon.  U  dit  qu'une  fois,  a  lui  et  plusieurs  srutres  présents,  on 
admonestoit  Jebanne  de  se  submettre  à  l'Église.  Sur  quoi  elle  répondit  que  to- 
lonfiers  se  submettoit  au  saint  père,  requérant  être  menée  vers  lui,  et  que  point 
ne  se  submettroit  au  jugement  de  ses  ennemis...  Frère  Isambert  (Isambard)  lui 
conseilla  de  se  submettre  au  général  concile  de  Bftle,  et  ladite  Jebanne  lui  demanda 
(ce)  qne  c'étoit  que  général  concile...  Répondit...  que«'étoit  congrégation  de  toute 
l'église  uniTcrselle  et  la  chréiienté,  et  qu'en  ce  concile  y  en  avoit  autant  de  sa 
part  (de  son  parti)  comme  de  la  part  des  Anglois.  Cela  entendu,  elle  commença 
à  crier:  «  Ob  t  puisqu'en  ce  lieu  sont  aucuns  de  notre  parti,  je  veux  bien  me 
rendre  et  submettre  au  concile  de  Bàle.  »  Et,  tout  incontinent,  l'évéque  de  Bcau- 
fais  commença  à  crier  :  a  Taisez-vous,  de  par  le  diable  !  »  et  dit  au  notaire  qu'il 
se  gardftt  bien  d'écrire  la  submission  qu'elle  avoit  faite  au  général  concile  de 
Bàle.  A  raison  de  ces  choses  et  plusieurs  autres,  les  Anglois  et  lears  officiers  me- 
nacèrent horriblement  ledit  Isambert,  tellement  que,  s'il  .ne  se  taisoit,  le  jette- 
roient  en  Seine.  »  Ibid,,  t.  II,  p.  4-5. 

Nous  ferons  d'abord  observer  que  l'incident  ne  saurait  trouver  place  dans  Ip 
semaine  sainte,  comme  le  veut  Manchon.  Il  n'y  eut  point  d'interrogatoire  dans 
Ja  prison  durant  les  premiers  jours  de  la  semaine,  et  La  Fontaine  et  Isaïuburd 
étaient  présents  aux  grandes  séances  des  27-29  mars,  oU  fut  lu  le  réquisitoire. 
Il  y  eut  un  interrogatoire  dans  la  prison  le  31  mars,  et  ni  La  Fontaine  ni  Isam- 
•  bard  n'y  assistèrent;  mais  ce  fut  précisément  ce  jour-lk  que,  d'après  le  prooès- 
Tcrbal  écrit  par  Manchon  lui-même,  Jeanne  fit  sa  réponse  si  pércmptolremen*. 
négative.  Or,  en  admettant  que  Cauchon,  comme  l'avance  Isambard,  eût  empêché 
les  notaires  d'écrire  la  vraie  réponse  de  Jeanne,  il  n'eût  pu,  tout  au  moins,  les 
induire  à  écrire  cette  réponse  toute  contraire,  U  moins  qu'ils  n'eussent  été  les 
derniers  des  infâmes.  Certes,  les  pauvres  gens  n'avaient  ni  la  perversité  d'un  te. 
crime,  ni  le  génie  d'une  telle  réponse! 

Voilli  pour  le-  récit  de  Manchon;  maintenant  Isambard,  nous  l'avons  vu,  éta- 
blit, contre  Manchon,  que  ce  fut  lui,  Isambard,  qui  donna  k  Jeanne  l'avis  relatif 
au  concile,  eu  pleine  séance,  devant  Cauchon,  dont  il  essuya  en  personne  la  co- 
lère. Mais  quand  cette  scène  a-t-ellc  pu  avoir  lieu?  Ce  ne  fut  pas  le  31  mars, 
pai5qu*Isambard  était  absent.  Et,  à  partir  du  31  mars,  la  position  de  Jeanne  fut 
tout  il  fart  décidée  par  la  réponse  catégorique  que  nous  avons  rapportée. 

Ce  u'est,  toutefois,  que  d'erreur,  et  non  pas  de  mensonge,  que  nous  accusons 
sur  ce  point  des  hommes  dont  l'un  des  deux  au  moins,  IsumbanI,  inspire  un« 
juste  sympathie,  et  voici  ce  qui  nous  parait  l'explication  probable  de  leurs  récits. 
VI.  18 


274  GUERRES  DES  ANGLAIS.  fil 

l*in(]i\  idu  assume  une  (elle  responsabilité  ;  mais  le  genre  liuuu 
est  fait  pour  avancer  à  travers  les  écueils  :  oui,  sans  doute,  il  ] 
nulle  faux  prophètes  pour  un  vrai  :  mais  ce  vrai  renouvelle 
monde,  qui  périrait  étoufTé  sous  les  pouvoirs  infaillibles.  L' 
faillibilité  n'est  que  la  révélation  de  Dieu  dans  la  conscience 
genre  humain:  elle  n'est  pas  matériellement  organisable'; 
majorités  d'un  jour  peuvent  dire  :  non,  quand  rétcrnelle  o 


Il  y  aura  eu  deux  incidents  différents  relatifs,  le  premier  II  La  Fontaine,  le  sec 

Isumbard.  La  Fontaine,  après  avoir  voté  contre  Jeanne  le  27  mars  sar  la  qi 
(ion  du  scrmvnt,  pris  de  scrupule  ou  touché  de  pitié,  aura  été  la  trouver  en  pi 
culicr  pour  la  presser  de  se  sauver  en  se  souuieUant  à  TÉglise.  et,  bieo 
Jeanne  n'y  eût  point  déféré,  Cauclion,  irrité  de  voir  qu'on  cherchât  à  lai 
rober  sa  victime,  aura  menacé  I^  Fontaine,  homme  timide,  qui  s'enfuit  ci 
reparut  plus  a  partir  du  29  mars.  Manchon  aura  mêlé,  dans  sa  mémoire,  la  tel 
live  de  La  Fontaine  aupiës  de  Jeanne,  avec  la  demande  que  Jeanne  aviiii  ù 
quelque  temps  auparavant,  d'èire  menée  devant  le  pape,  demande  qui  n' 
pliquait  nuUemeni,  ain^i  que  nous  Tavous  vu,  la  soumission  de  ■  son  fait  ■ 
IKipe. 

Dans  tout  cela,  le  nom  du  concile  de  Dàlc  u*avait  pas  été  prononcé.  Ce  fat  | 
tard,  comme  nous  le  dirons,  qu'il  un  fut  question,  et  qu'Isambard  aura  fait,  i 
sujet,  un  nouvel  effort  auprès  de  Jeanne;  sur  quoi  celle-ci  n'aura  pas  manqua 
dire  :  u  Puisqu'il  y  a  là  des  gens  de  notre  parti,  qu'on  me  mène  dctani  le  c 
elle!  n  comme  elle  avait  drjà  dit  :  «  Qu'on  me  mène  devant  le  pape!  ■ 
Cauchon  aura  défendu  d'écrire  cette  parole,  eu  la  déclarant  inutile  et  purea 
dilatoire,  tandis  quliambard  y  voulut  voir,  vingt  ans  plus  tard,  un  appel 
forme  avec  promesse  de  soumission. 

Pour  apprécier  l'esprit  et  la  physionomie  du  procès  de  réhabilitation  comme 
tu  r«5(>,  il  fuut  se  rendre  compte  des  intentions  du  gouverncmcui  qui  dirigei 
CMnlre-procès.  Le  gouveinement  de  Charles  Vil,  quand  il  eut  recouvre  la  citi 
la  pro\ince  qui  avaient  été  !c  théùtre  de  la  condamnation  de  Jeanne  11 
(on  I  «'i9\  ne  voulut  pas  rester  sous  le  coup  d'une  sentence  d'hèrisic  cl  de  ! 
ccllcric,  (|ui  euvcloppait  iiiiplici'.enii.'ni  le  roi  avec  la  personne  qui  Ta^aii  com 
Il  rcccvnir  son  sacre  ii  Reims  p.  On  ne  songea  donc  qu'a  démontrer  à  iont| 
l'orthodoxie  de  Jeanne,  et  la  plupart  des  témoins,  tels  qu'Isambard,  Ma>»i 
Manchon,  etc.,  reçurent  d'autant  plus  facilement  cette  impulsion,  qu'ils  y  allai 
(l'oux-iiiOtiies  eu  tcmte  sincérité,  pour  honorer,  ii  leur  façon,  la  mémoire 
Jeanne.  Ils  ne  s'apirçureni  pa^,  comme  nous  l'avous  déjà  dit,  qu'ils  se  caU 
niaient  eux-mêmes  en  arguant  de  faux  le  procès  de  condamnation  sur  le  p< 
('«iseniiel.  Un  autre  témoin,  l'assesseur  Margucrie,  voyant  i  lus  clair  dans 
sou\eiiirs,  dit  «  a\oir  oui  dire  di\ erses  fois  ii  Jehanne  que,  sur  ccrtuines  cho! 
elle  n'en  croiroit  ni  son  évéquc,  ni  pape,  ni  qui  que  ce  fùi,  paicc  qu'elle 
leu<<ii  'le  Dieu,  n  Procès,  II.  354. 

I.  On  a  pu  cependant  oiganiser  de  très  coubidérables  et  1res  imposantes  ts 
ri;é<,  d'iiii  il  y  a  péril  à  ne  pas  tenir  grand  compte.  Le  vrai  philosophe,  qui 
s'eiifeniie  pas  duus  les  ahsiiadions  et  qui  étudie  l'homme  dans  le  dé\cloppei:: 
Iii>:iinque  de  l'esprit  humain,  cr)nNul!era  toujours  avec  respect  les  monumc 
des  glandes  as*^enlblécs  des  premiers  siècles  chrétiens. 


LES  DOUZE  ARTICLES.  275 

it  :  oui.  La  voix  infaillible  ne  parle  que  dans  Tâitie  hu- 
;  dans  Thistoire^ 

u  4  avril,  les  deux  juges,  de  l'avis  des  universitaires, 
umer  en  douze  articles  les  soixante-dix  chefs  d'accusation 
oteur.  Ce  furent  deux  docteurs  de  Paris,  Nicole  Midi  et 
ie  Touraine,  qui  tinrent  la  plume,  l'un  dans  le  projet, 
ans  la  rédaction  définitive  2.  Les  douze  articles  résu- 
î  procès  dans  un  esprit  très  hostile  à  Jeanne,  mais  en 
il  l'accusation  des  impostures  et  des  brutalités  du  pro- 
La  lutte  se  dégageait  de  ces  bas-fonds  immondes,  et  se 
ur  son  vrai  terrain. 

avril,  vingt-deux  docteurs  et  licenciés  délibérèrent  en- 
[ir  les  douze  articles.  Ils  établirent,  en  soumettant  leurs 
ioné,  suivant  les  formules  consacrées,  «  à  la  sainte  Église 
et  à  quiconque  il  appartiendra  > ,  que  les  révélations  de 
l'étaient  point  de  par  Dieu,  mais  plutôt  fictions  humai- 
inventées  ou  œuvre  du  malin  esprit  ;  qu'elle  y  avait  cru 
es  suffisants;  qu'il  y  avait  dans  son  faitdes  mensonges, 
lations  superstitieuses,  des  faits  scandaleux  et  irréli- 
îs  paroles  téméraires ,  des  blasphèmes  contre  Dieu  et  les 
opiété  envers  les  parents  (pour  les  avoir  quittés  sans  leur 
irogalion,  en  quelques  points,  au  précepte  de  l'amour 
ain  (envers  les  Anglais  et  Bourguignons) ,  idolâtrie,  ou, 
i,  invention  mensongère;  qu'elle  était  schismalique  tou- 
nité,  autorité  et  puissance  de  l'Église,  et  véhémentement 
d'hérésie. 

es  docteurs  laissiiient  la  question  pendante  entre  une  in- 
lumaine  et  une  inspiration  de  Satan.  Le  scepticisme  et 
tition  se  donnaient  la  main  contre  l'envoyée  de  Dieu, 
les  signataires,  on  remarque  Isambard  de  La  Pierre  et 
res  des  témoins  du  procès  de  réhabilitation. 
:tain  nombre  d'autres  assesseurs  adhérèrent  ensuite  à 

nécessaire  d'expliquer  que  nous  entendons,  pas  l'histoire,  les  révéla- 

essives  de  rintelligence  et  de  la  moralité  humaines,  constatées  par 

niverselle? 

r,  t.  327  et  suivantes,  r.  ce  que  dit  M.  Quicheraldes  douze  articles,  sur 

procès  de  réhabilitation  a  accrédité  tant  d'inexactitudes.  Aperçus  nou" 

24  et  suivantes. 


1 

i 

]  tiUi                             GUERRES  DES  ANGLAIS.                         [il 

j  cette  délibération.  Le  chapitre  de  Rouen,  toujours  mal  disp 

j  pour  Cauchon,  niontm  beaucoup  de  répugnance  à  se  réunir  < 

)  délibérer.  Il  falhit,  pour  y  décider  la  plupart  des  chanoines, 

I  menacer  de  les  priver  de  leurs  distributions  quotidiennes  de  f 

•  et  de  vin.  Le  chapitre  demanda,  avant  de  donner  son  a>is,  i 
:  les  idouze  articles  fussent  exposés  en  français  à  Jeanne,  et  qw 

matière  fût  examinée  par  Valme  université  de  Paris  (  1 4  avril). 

;*  La  victime  faillit,  sur  ces  entrefaites,  échapper  à  ses  perse 

teurs  :  le  cardinal  de  Winchester  et  le  comte  de  Warwick,  inl 
mes  que  Jeanne  était  gravement  malade,  mandèrent  à  la  l 
plusieurs  médecins  qui  figuraient  parmi  les  assesseurs  :  Wam 

i  s'exprima  devant  eux  avec  un  cynisme  naïvement  atroce  :  «  P 

*  rien  au  monde,  leur  dit-il,  le  roi  ne  voudroit  que  Jehanne  moi 
J  de  mort  naturelle.  Le  roi  Ta  achetée  cher;  il  ne  veut  pas  qu* 
!  meure,  si  ce  n'est  par  justice  et  qu'elle  soit  brûlée!  »  L'enfantH 
i                               des  volontés  duquel  s'autorisait  Warwick,  était  bien  innocent 

forfaits  qui  se  commettaient  en  son  nom!  Jeanne  déclara  i 

'.  médecins  qu'elle  avait  été  prise  de  vomissements,  c  après  ai 

mangé  d'une  carpe  envoyée  par  l'évéque  de  Beauvais  »  ;  Caucl 

^  ne  laissait  pas  que  de  redouter  les  conséquences  du  grand  meui 

juridique  qui  allait  s'accomplir,  et  peut-être  avait-il  voulu  s 

franchir  par  un  crime  secret  de  la  responsabilité  de  ce  crime] 

blic.  Quoi  qu'il  en  soit,  une  saignée  tira  Jeanne  de  péril  ;  mais 

!  promoteur  d'Estivet  étant  venu  l'accabler  d'ignobles  injure 

cause  de  ce  qu'elle  avait  dit  de  Cauchon^  l'accès  d'indignati 

•  ((ue  provoqua  chez  elle  ce  misérable  détermina  une  rechute'. 

*  Jeanne  était  encore  très  malade,  lorsque,  le  18  avril,  C«uich( 
assisté  de  quelques  assesseurs,  vint  lui  adresser,  dans  sa  prise 
la  première  des  monilions  que  la  procédure  inquisitorlale  pr 
crivait  à  la  suite  des  interrogatoires.  11  l'exhorta  c  charilab 
ment  »  de  revenir  «  à  la  voie  de  vérité  et  sincère  proressioD 
notre  foi. 

—  Il  me  semble  que  je  suis  en  grand  péril  de  mort,  répond 
elle;  et,  si  ainsi  est  que  Dieu  veuille  faire  son  plaisir  de  moi, 

t 

1  1.   Dépositions  des  médecins  Jean    Tiphaine  et  Guillaume  de  La  Cbambi 

(  Procès,  t.  III,  p.  'é8-52. 


SI]  SUR  LE  PAPE  ET  LE  CONCILE.  277 

US  requiers  avoir  confession,  et  mon  Sauveur  aussi  (et  la  coni- 
uiion),  et  d'être  inhumée  en  terre  sainte. 

—  Si  vous  vouliez  avoir  les  sacrements  de  TÉglise,  il  faudroit 
lis  submetlre  à  TÉglise. 

—  Quelque  chose  qui  m'en  doive  advenir,  je  n'en  ferai  ou  dirai 
tre  chose  que  je  n*ai  dit  devant  au  procès. 

—  Vous  serez  délaissée  de  l'Église  comme  Sarrasine. 

—  Je  suis  bonne  chrétienne  et  mourrai  comme  bonne  chré- 
one^». 

Bile  ne  mourut  pas.  Les  chefs  du  conseil  d'Angleterre  eurent 
joie  de  la  voir  se  rétablir!  Le  2  mai,  eut  lieu  la  seconde  moni- 
D,  avec  grand  appareil,  en  présence  de  soixante- trois  asses- 
irs.  Jean  de  Châtillon,  archidiacre  d'Évreux^,  avait  été  chargé 
lui  remontrer  comment  elle  se  mettrait  en  grand  péril,  si 
B  croyait  en  savoir  plus  en  matière  de  foi  que  tant  de  docteurs 
de  lettrés. 

I  Je  m'en  attends  à  mon  juge,  répondit  Jeanne  :  c'est  le  roi  du 
1  et  de  la  terre. 

—Voulez- vous  dire  que  vous  n'ayez  point  de  juge  en  terre  ;  et 
Ire  saint  père  le  pape  est-il  point  votre  juge? 

—  J'ai  bon  maître;  c'est  à  savoir  Notre-Seigncur,  à  qui  je  m'at- 
ds  du  tout,  et  non  à  autre. 

—  Vous  serez  hérétique,  et  arse  (brûlée)  par  sentence  d'autres 
:e8. 

—  Si  je  véoie  (voyais)  le  feu,  si  n'en  feroie  autre  chose. 

—  Si  le  conseil  (concile)  général  étoit  ci,  vous  y  voudriez- vous 
^porter  et  submettre? 

—  Vous  n'en  tirerez  autre  chose. 

—  Voulez-vous  vous  submettre  à  notre  saint  père  le  pape? 

—  Menez-m'y,  et  je  lui  répondrai*.  » 


.  Protêt,  1. 1,  p.  374-381. 

•  Cet  assesseur  avait  eu  plusieurs  altercations  avec  Cauchon  sur  la  conduite 
procès  et  avait  blàmé  les  pièges  qu'on  tendait  li  Taccusée  par  a  trop  difficiles 
stionsv.  Cauchon  se  vengea,  non  pas  en  l'excluant  des  audiences,  comme  le  pré- 
1  l'appariteur  Hassieu,  mais,  au  contraire,  en  le  compromettant  dans  un  des 
!S  solennels  de  la  procédure,  v.  Procès^  t.  II,  p.  329;  t.  III,  p.  139,  153. 
.  Ici  probablement  doit  se  placer  Tincident  d'Isambard.  Elle  dit  apparemment 
iém«  chose  du  concile  que  du  pape. 


278  GUERRES  DES  ANGLAIS.  [i 

On  la  pressa  de  nouveau  sur  Thabit  (l*hoinme. 
d  Quand  j*âurai  Tait  ce  pour  quoi  je  suis  envoyée  de  par  Di 
je  prendrai  habit  de  femme. 

—  Voulez-vous  vous  rapporter,  du  signe  baillé  à  voire  m 
rarclievùque  de  Reims  ou  autres  de  votre  parti?  » 

Cï»tait  très  habile  pour  tourner  en  mensonge  l'allégorie  qu' 
avait  employée,  en  la  faisant  discuter  comme  un  fait  matériel 

—  Baillez-moi  un  messager,  et  je  leur  écrirai  de  tout  ce  pro 
«  Et  autrement  »,  dit  le  procès- verbal,  «  ne  s'y  est  voulu  en 

ni  rapporter  à  eux.  » 

«  Si  on  vous  envoie  trois  ou  quatre  des  clercs  de  votre  p< 
qui  viennent  par  sauf-conduit  ici,  vous  en  rapporterez-vot 
eux  de  vos  apparitions  et  choses  contenues  en  ce  procès  ? 

—  Qu'on  les  fasse  venir,  et  je  répondrai. 

—  Voulez-vous  vous  en  rapporter  et  submettre  à  l'églisi 
Poitiers,  où  vous  avez  été  examinée? 

—  Me  cuidcz-vous  (croyez-vous)  prendre  par  cette  nianiën 
par  cela  attirer  à  vous  ?  » 

Connneut,  en  efTet,  celle  qui  avait  refusé  de  soumettre  au  | 
et  au  concile  sa  mission  divine,  c'est-à-dire  rexislencede  la  Fra 
le  salut  de  notre  nationalité,  eût-elle  pu  accorder  une  telle  a 
rite  à  quelques  hommes  d'église,  fussent-ils  de  son  parti?  I 
expliquer  son  refus,  il  n'est  pas  besoin  de  recourir  aux  terri 
{^vkk  qu'elle  avait  contre  le  chef  du  clergé  français.  Elle  re 
parce  (ju'il  était  impossible  qu'elle  acceptât.  Et  Cauchon, 
l'avait  enlin  comprise,  n'eût  point  hasardé  de  telles  proposili 
pleines  d'embarras  et  de  périls  pour  son  procès,  s'il  n  cùl 
certain  qu'elles  seraient  rejetées. 

Cauchon  termina  en  lui  disant  : 

«  Vous  vous  mettez  en  péril  du  feu  éternel  quant  à  l'Ara 
du  feu  temporel  quant  au  corps. 

— Il  vous  en  prendra  mal  au  corps  et  à  l'âme  »,  répliqua-tn 

Apres  cette  séance  décisive,  la  majorité  du  chapitre  de  Ro 
se  décida  à  délibérer  à  fond  et  à  déclarer  que  Jeanne  lui  par 
sait  devoir  être  réputée  hérétique  (4  mai). 

Les  évéques  de  Coutances  et  de  Lisieux,  consultés  par  di^pi 
sur  les  douze  articles,  se  prononcèrent  contre  Jeanne,  c  La  1m 


[1)31]  LÀ  CHAMBRE  DE  LA  TORTURE.  7VJ 

condition  de  la  personne  j>  est  une  des  raisons  ulli^guées  contre  la 
vérité  de  ses  révélations  par  Tévéque  de  Lisicux,  l'Italien  Zano 
de  Castiglione,  un  de  ces  neveux  de  cardinaux  que  la  cour  de 
Rome  pourvoyait  volontiers  des  riches . bénéfices  transalpins*. 
Qu'eussent  dit  d'un  tel  argument  les  pêcheurs  de  Galilée  !  L'évéque 
d'Avranches,  au  contraire,  fut  d'avis  qu'on  déférât  la  question 
au  pape  et  au  concile.  Son  opinion  ne  fut  point  consignée  au 
procès  2. 

La  condamnation  de  Jeanne  était  assurée;  mais  ce  n'était  là 
que  la  moitié  de  l'œuvre.  Il  ne  suffisait  pas  que  Jeanne  mourût  : 
il  fallait  qu'elle  reniât  sa  mission ,  qu'elle  avouât  que  sa  révéla- 
tion était  un  mensonge  ou  une  inspiration  de  Satan  ;  il  fallait  que 
la  cause  de  la  France  fût  c  infamée  »  dans  sa  personne.  Les  der- 
nières horreurs  de  la  procédure  inquisitoriale  avaient  été  tenues 
en  réserve  pour  arracher  cette  victoire  suprême. 

Le  9  mai,  les  deux  juges  se  transportèrent,  avec  huit  assesseurs, 
dans  la  grosse  tour  du  château  de  Rouen,  et  y  tirent  amener 
Jeanne.  Derrière  les  juges  se  tenaient  les  bourreaux.  Dans  la  salle 
était  étalé  l'appareil  des  tortures. 

c  Jehanne  fut  requise  de  répondre  vérité  sur  nombre  de  points 
de  son  procès,  touchant  lesquels  elle  avoit  répondu  négativement 
ou  mensongèrement...  Il  lui  fut  dit  que  les  officiers  étoieiit  pré-* 
sents,  lesquels  sur  notre  ordre  étoient  prêts  de  la  mettre  à  la  tor- 
ture, dont  les  instruments  étoient  préparés  devant  elle,  afin  de 
la  réduire  à  confesser  la  vérité,  pour  le  salut  de  son  âme  et  de 
son  corps,  qu'elle  exposoit  à  de  graves  périls  par  des  inventions 
mensongères. 

—  Si  vous  me  deviez  faire  détraire  les  membres  (me  démem- 
brer) et  faire  partir  l'âme  hors  du  corps,  si  ne  vous  dirai-je  autre 
chose.  —  J'ai  été  confortée  de  saint  Gabriel  5.  —  J'ai  demandé 


1.  Procès,  1. 1,  p.  356. 

2.  Ce  vénérable  vieillard,  qai  siégeait  &  Avraiiclies  depuis  plus  de  quarante 
ans,  fut  emprisonné,  l'année  suivante,  par  les  Anglais,  comme  soupçonné  d'avoir 

■  trempé  dans  une  conspiration  pour  livrer  Rouen  aux  Français.  Procé«,  t.  II,  p.  S; 
déposition  d'Isambard  de  La  Pierre. 

3.  «  Ses  apparitions  changèrent...  L*angc  Michel,  l'ange  des  batailles,  qui  ne  la 
soutenait  plus,  céda  la  place  à  Gabriel,  l'ange  de  la  grâce  et  de  l'amour  divin.  » 
Michelet,  Uist,  de  France,  t.  V,  p.  140. 


380  GUERRES  DES  ANGLAIS.  [liM] 

conseil  à  mes  voix  si  je  inc  submettrois  à  VËglisc  :  —  Si  tu  veui 
que  Notre-Seigneur  t*aide,  ni'onl-cllcs  dit,  attends-toi  à  lui  de 
tous  tes  faits.  —  Serai-je  arse  (brûlée)?  ai-jc  demandé.  —  Atleiul*- 
toi  à  Noire  Sire,  et  il  t'aidera. 

—  Du  signe  de  la  couronne  baillée  à  rarchevéque  de  Reiub, 
voulez-vous  vous  en  rapportera  lui? 

—  Faites-le  venir  et  que  je  l'oie  (l'entende)  [wirler,  et  puis  je 
vous  répondrai  :  il  n'osëkoit  dire  le  contraire  de  ce  qle  je  vois 

EN  AI  DIT.  » 

A  la  rerinetc  de  sa  parole,  à  l'éclair  de  son  regard,  on  eût  dit 
qu'elle  tenait  les  deux  pharisiens,  Regnauld  de  Chartres  et  Pierre 
Cauchon,  face  à  face  devant  le  tribunal  de  Dieu.  Jamais  elle  ne 
s'était  montrée  plus  grande! 

Ses  juges  décidèrent  de  surseoir  à  la  torture,  c  jusqu'à  ce  qu'ib 
eussent  là-dessus  plus  ample  conseil,  craignant,  vu  Tendurcis- 
sement  de  son  àine,  que  les  tourments  lui  profitassent  peu  i. 
Cauchon,  sans  doute,  eut  peur  qu'elle  expirât  dans  les  mains  de? 
lourmenteurs*. 

Douze  assesseurs  furent  réunis,  le  12  mai,  pour  décider  s'il 
était  expédient  de  mettre  Jeanne  à  la  question.  Trois  sculeuunl 
votèrent  pour  rafflrmative.  L'un  des  trois  était  le  chanoine  L'Oi- 
seleur, qui  avait  servi  d'espion  et  d'agent  provocateur  à  Cau- 
chon. L'un  des  deux  autres  était  Thomas  de  Courcellesl  Voilà 
le  dernier  terme  où  aboutit  la  logique  de  l'église  des  persé- 
cuteurs, de  l'église  du  sang,  comme  l'appelaient  les  sectaires 
du  douzième  siècle.  Le  sage,  le  docteur  de  l'église  du  quin- 
zième siècle,  le  successeur  de  Gerson  à  l'université,  prend  place 
entre  L'Oiseleur  et  d'Eslivel.  Les  sages  supplicient  les  saints  et  les 
prophètes  2. 

Les  horreurs  de  la  question  furent  donc  épargnées  à  Jeanne. 
«  Nous  avons  bien  assez  matière,  sans  tortures!  »  avait  dit  un  des 
assesseurs,  Guillaume  Erard.  C'était  là  le  mot  du  fanatisme,  qui 
ne  voulait  que  bi  ùler  Jeanne.  Ce  n'était  pas  le  mot  de  la  politique, 

1.  Procès,  t.  1,  p.  390- 'iU2. 

2.  Procès»  t.  I,  p.  4o3.Nous  ne  connaissons  le  vole  de  Courccllcs  que  par  la  a^i- 
Lu'c  des  notaires;  car  il  a  eu  soin  de  supprimer  la  mention  des  TOtcs  dans  Urt» 
daciion  définitive. 


[1431]  THOMAS  DE  COURCELLES.  281 

qui  voulait  la  déshonorer.  Cauchon  et  ses  maîtres  étaient  dans 
une  grande  anxiété  < 

Le  19  mai,  les  juges  communiquèrent  à  une  nombreuse  assem- 
blée d'assesseurs  les  lettres  de  l'université  de  Paris  sur  la  consul- 
tation qui  lui  avait  été  envoyée  et  sur  la  relation  orale  qui  lui 
avait  été  faite  par  les  docteurs  Jean  Beaupère ,  Nicole  Midi  et 
Jacques  deTouraine.  La  réponse,  délibérée  en  assemblée  géné- 
rale des  Facultés  aux  Bernardins,  le  14  mai,  sous  la  présidence 
d'un  recteur  anglais  de  naissance,  avait  été  adressée  au  roi  de 
France  et  d'Angleterre.  L'université  pressait  le  roi  de  faire  mener 
la  matière  à  fin  par  justice  brièvement,  notable  et  grande  répa- 
ration étant  très  nécessaire  afin  de  réduire  à  bonne  et  sainte  doc- 
trine le  peuple  qui,  «  par  iccUe  femme,  a  été  moult  scandalisé  ». 
L'université  comblait  de  louanges  Pierre  Cauchon.  Le  zèle  du  sei- 
gneur évêque  de  Beauvais  «  a  arrêté  les  progrès  du  venin  par  le- 
quel la  femme  perfide,  dite  la  Puceile,  a  infecté  le  bercail  très 
chrétien  de  presque  tout  TOccident  ». 

Suivaient  les  déterminations  et  quaUfications  données  par  les 
facultés  de  théologie  et  de  décret  (droit  canon).  La  faculté  de  théo- 
logie déclarait  les  révélations  de  Jeanne  fictions  et  mensonges, 
ou  superstitions  procédant  des  démons  Bélial,  Satan  et  Behe- 
moth!  La  faculté,  plus  docte  que  les  assesseurs  de  Rouen,  savait 


1.  Cest  probablement  Yers  cette  époque  qu'il  faut  placer  Tincident  raconté, 
dans  le  procès  de  réhabilitaiion,  par  Haiinoud  de  Maci.  Ce  chevalier  picard  dit 
qu'il  accompagna  à  Rouen  le  comte  de  Ligni  (Jean  de  Luxembourg)  durant  le 
procès  de  Jeanne.  Le  comte  de  Ligui  alla,  avec  le  comte  de  Warwick,  le  comte  de 
Stafford,  connétable  de  France  pour  Henri  VI,  et  le  chancelier,  évoque  de  TO- 
roucnne,  visiter  celle  qui  avait  été  sa  captive.  «  Jebanne,  lui  dit-il,  je  suis  venu 
pour  vous  mettre  à  rançon,  à  condition  que  vous  promettiez  de  ne  jamais  vous  armer 
contre  nous.  —  En  nom  Dé!  n  s'écria-l-clle,  «  vous  vous  raillez  de  moi  :  je  sais 
bien  que  vous  n'en  avez  ni  le  vouloir  ni  le  pouvoir  ».  Et,  comme  il  insistait  :  «  Je 
sais  bien  »,  reprit-elle,  a  que  ces  Anglois  me  feront  mourir,  croyant  après  iwa 
mort  gagner  le  royaume  de  France;  mais,  fussent-ils  cent  mille  yodom  {yoddvw) 
plas  qu'ils  ne  sont  de  présent,  ils  n'auront  point  le  royaume  » .  Le  comte  de  Staifoi  d, 
furieux,  tira  à  demi  sa  dague  pour  la  frapper  :  Warwick  lui  retint  le  bras,  pépo- 
sitioD  de  Uuimond  de  Maci.  Procès,  t.  lil,  p.  I2i-t22.  II  est  difficile  d'imaginor 
quelque  chose  de  plus  révoltant  que  le  t6Ie  de  Jean  de  Luxembourg.  Judas,  -au 
moins,  ne  vint  pas  railler  le  Christ  devant  Hérode  et  Calphe.  La  réponse  de  Jeanne, 
ai  elle  était  exacte,  indiquerait  qu'elle  n'avait  plus  la  conviction  absolue  d'éiro 
délivrée,  et  qu'au  moins  par  moments,  elle  s'attendait  à  la  mort;  mais  peut-circ 
dit-elle  seulement  :  «  Ces  Anglois  veulent  me  faire  mourir,  croyant,  etc.  » 


282  GUERRES  DES  ANGLAIS.  [uji 

les  noms  de  ees  déliions*  !  Le  reste  était  à  Favenant,  cl  digne  de 
d'Estivet!  Jeanne  était  blasphéinatriee,  avide  de  sang  humain, 
séditieuse  et  provoquant  à  la  tyrannie  (à  rusurpation]!  idolâtre, 
schisniatique,  apostate! 

La  faculté  de  décret,  à  son  tour,  qualifiait  Jeanne  d'hérétique; 
d'apostate,  «  pour  ce  qu'elle  a  fait  couper  la  chevelure  que  Dieu 
lui  a  donnée  pour  voiler  sa  tête,  et  quitté  Thabit  de  son  sexe;  » 
inciitouse,  a  pour  ce  qu'elle  se  dit  envoyée  de  Dieu  et  ne  l'a  point 
lirouNé  jiar  œuvre  de  miracle,  tandis  que  Moïse,  quand  Dieu  l'a 
envoyé,  a  donné  signe  de  changer  une  baguette  en  serpent  et  tui 
serpent  en  baguette.  —  Si  elle  persiste,  qu'elle  soit  abandonnée  à 
la  volonté  du  juge  séculier,  afin  qu'elle  reçoive  la  %'engeancc  duc 
selon  la  qualité  de  son  forfait^  j>. 

Ce  radotîige  sanguinaire  nous  montre  le  corps  de  l'universilc 
bien  au-dessous  des  assesseurs  choisis  par  Gauchon  dans  rélilc 
des  facultés.  L'université  n'était  même  plus  cai)able  de  com- 
prendre le  sens  de  cette  grande  lutte.  Quelle  rapide  et  qucll 
épouvantable  décadence  depuis  ces  derniers  jours  glorieux  dv 
lil3,  où  l'université  avait  fait  effort  pour  tirer  la  France  de 
rabînie!  Aujourd'hui,  c'est  elle  qui  est  le  vrai  fond  de  l'abime! 
Elle  ne  s'en  relèvera  ])as,  et  les  sarcasmes  des  lettrés  de  la  Re- 
naissance nous  apprendront,  au  seizième  siècle,  ce  que  seroDt 
devenus  les  héritiers  des  grands  docteurs  scolastiques  ! 

On  chercherait  en  vain  une  excuse  au  corps  universitaire  da^^ 
son  démembrement  :  en  vain  prétendrait-on  que  les  meilleur^ 
ont  (piitté  Paris  pour  ne  pas  se  &ouinetti*e  à  l'Anglais  ;  qu'ils  sont 
à  Poitiers!  Que  font-ils,  ceux-là,  pendant  que  les  autres  agissent 
à  Rouen  et  à  Paris?  Que  font  ces  évéques,  ces  docteurs,  celti' 
commission  de  Poitiers,  {\w\  ont  naguère  reconnu  que  ce  sci^ail 
offenser  Dieu  que  de  repousser  la  mission  de  Jeanne,  et  qui  ont 
été,  do|)uis,  les  téii.oins  de  ses  vertus  et  de  sa  gloire?  Ils  se  tai- 
sent, ils  s'associent  à  l'inaction  du  président  de  la  commission  de 
Poitiers,  de  l'iiidigiie  chef  du  clergé  et  de  la  magistrature  :  ils  ne 
s'unissent  [)as  nour  sommer  Regnauld  de  Chartres  d'intervenir! 

1.  K(  clic  pKMiuii  pour  un  diable  l'aDimul  rOcl  ou  ijinboliquc  que  li  Bib!< 
lii>i:iiiic  lîihcmolh, 

2,  /Vt'cc*,  l.  1,  p.  'i<»i-i2î. 


[l«i]  LETTRES  DE  L'UNIVERSITÉ.  28;j 

Puisqu'ils  oublient  la  parole  de  leur  inailrc  :  celui  qui  n'est  pas 
pour  moi  esi  contre  moi!  ils  doivent  partager  ranatlièmc  des  bour- 
reaux devant  la  postérité. 

«  Les  docteurs  et  iriaîtres  étant  à  Rouen  j>  s'inclinèrent  devant 
Val/ne  université.  Les  plus  violents,  entre  les  assesseurs,  voulaient 
en  linir  séance  tenante.  La  majorité  opina  pour  une  dernière 
nionition.  Isambard  de  La  Pierre  et  quelques  autres  dirent  qu'a- 
près la  monition,  si  Jeanne  ne  se  soumettait  pas,  ils  s'en  référe- 
raient aux  juges  du  mode  de  procéder  ultérieurement;  timide 
ouverture  à  des  conseils  plus  liumains;  mais  personne  n'osa  se 
séparer  ouvertement  de  Valma  mater. 

Une  dernière  monition  fut  donc  adressée  à  Jeanne  le  23  mai, 
par  le  docteur  Pierre  Morice,  en  présence  de  quelques  assesseurs 
et  des  évoques  de  Térouenne  *  et  de  Noyon.  On  lui  remontia 
comment  les  clercs  de  l'université  de  Paris,  lumière  de  toutes 
sciences  et  extirpatrice  des  erreurs,  et  autres  clercs  de  grand  sa- 
voir, qualifiaient  ses  faits. 

«  Je  m'en  rapporte  à  ce  que  j'ai  dit  au  procès,  et  le  veux  sou- 
tenir. Quand  je  serois  dedans  le  feu,  si  n'endiroie-je  autre  chose, 
et  le  soutiendroie  jusqu'à  la  mort.  » 

Le  promoteur  et  l'accusée  renoncèrent  à  la  parole.  Les  juges 
déclarèrent  la  cause  entendue ,  et  renvoyèrent  au  lendemain 
€  pour  faire  droit*.  » 

Le  lendemain,  24  mai,  Jeanne  fut  conduite  au  cimetière  de 
l'abbaye  Saint-Ouen.  Anglais  et  Rouennais  se  pressiûent  en  foule 
dans  le  cimetière,  les  uns,  tumultueux  et  farouches,  les  autres, 
mornes  et  silencieux.  Deux  échafauds  ou  amhons  (estrades)  avaient 
été  élevés.  Sur  l'un  siégeait,  à  côté  des  deux  juges,  «  le  cardinal 
d'Angleterre  ^  »  :  celui  qui  avait  mené,  d'une  main  invisible,  tout 
le  mystère  d'iniquité  se  montrait  au  dénoûment  comme  une 
divinité  infeniale  qui  vient  réclamer  sa  proie.  Les  évoques  de 
Térouenne,  de  Noyon,  de  Norwich  -•,  et  la  masse  des  assesseurs 
étaient  assis  alentour ,  sur  le  même  échaufaud.  On  fit  monter 

1.  Louis  de  Luxembourg,,  cbancdicr  de  France  pour  Ilouri  V(. 

2.  ProUs,  l.  I,  p.  441-442. 

3.  Le  cardinal  Henri  d'Angleterre,  é\é((ucdc  Winchester. 

4.  Garde  du  sceau  privé  de  Uenri  VL 


[1431]  JEANNE  A  SAINT-OUEN.  585 

épuisé  SCS  forces;  la  nature  ploie  et  la  chair  trouble  ràine.  Elle 
aussi,  elle  demande  en  vain  «  que  ce  calice  soit  éloigné  de  ses 
lèvres  »!  Ses  voix  lui  ont  dit  qu'elle  faillirait  *  ! 

Jeanne  écoula  d'abord  en  silence  le  sermon  oii  Guillaume 
Éi-ard  montra  comme  quoi  elle  s'était  séparée  de  la  sainte  mère 
Ëglise  «  par  moult  d'erreurs  et  de  crimes.  »  Il  passa  outre  :  «  Ha! 
France,  »  dit-il,  c  tu  es  bien  abusée,  toi  qui  as  toujours  été  la 
chambre  très  chrétienne  !  Charles,  qui  se  dit  roi  de  toi  et  gouver- 
neur, s'est  adhéré,  comme  hérétique  et  schismatique,  aux  pa- 
roles et  faits  d'une  femme  diffamée  et  de  tout  déshonneur  pleine; 
et  non  pas  lui  seulement,  mais  tout  le  clergé  de  son  ol)éissanci^ 
et  seigneurie  !  —  C'est  à  toi,  Jehanne,  que  je  parle,  et  te  dis  que 
ton  roi  est  hérétique  et  schismatique  !  » 

Jeanne  releva  vivement  la  tète  :  «  Ne  parle  point  de  mon  roi  : 
il  est  bon  chrétien*!  » 

Érard  commanda  à  l'appariteur  de  la  faire  taire  et  reprit  : 

€  Voici  messeigneurs  les  juges  qui,  plusieurs  fois,  vous  ont 
sommée  et  requise  que  voulussiez  submettre  tous  vos  faits  et  dits 
à  notre  mère  sainte  Église. 

—  J'ai  dit  que  toutes  les  œuvres  que  j'ai  faites,  et  les  dits,  fussent 
envoyés  à  Rome  devers  notre  saint  père  le  pape,  auquel,  et  à 
Dieu  premier  (après  Dieu),  je  me  rapporte.  Et,  quant  aux  dits  et 
faits  que  j'ai  faits,  je  les  ai  faits  de  par  Dieu.  —  De  mes  faits  et 
dits  je  ne  charge  personne,  ni  mon  roi  ni  autre;  et,  s'il  y  a 
quelque  faute,  c'est  à  moi  et  non  à  autre.  » 

Ainsi,  jusqu'au  dernier  moment,  la  généreuse  fille  couvrait  de 
sa  parole,  comme  naguère  de  son  glaive,  l'ingrat  qui  l'abandon- 

1.  Procès,  1. 1,  p.  456-458. 

2.  Déposition  de  Marlin  I/Advenu;  Procès,  I.  III,  p.  168.  L*appariteur  J.  Mas- 
5ieu;  ib,  t.  II,  p.  17;  333;  bainbard  de  La  Pierre,  ibid.  t.  III,  p.  353,  la  font 
parler  dans  le  même  sens,  mais  moins  brièvement  et  moins  simplement.  Dans  les 
quelques  lignes  du  procès-verbal,  relatives  U  la  prédication  d'I^rard,  les  notaires 
et  Thomas  de  CourccUes  ne  font  aucune  mention  de  cet  incident.  I^.tait-ce  ména- 
gement pour  le  clergé  du  parti  français  ou  même  pour  Cliarles  VII?  Les  deux  cler-  . 
gi'S  gardaient  des  égards  réciproques.  Krard  lui-même  restait  en  très  bonnes  rela- 
tions a\ec  Gérard  Machet,  confesseur  de  Charles  VII,  qui  continua,  après  la  mort  de 
Jeanne,  à  le  traiter,  dans  ses  lettres,  d*  «  homme  de  très  éclatante  venu  et  de  cé- 
lèbre sapience»,  et  qui  lui  fil  obtenir,  après  la  chute  du  gouvernement  anglais  en 
France,  la  cure  de  Saint-Cervais  de  Paris!  f.  Quicherat,  Aperçus  nouveaux,  etc., 
p.  103-104. 


•i86  GUERRES  DES  ANGLAIS.  [ii3i: 

iiail  après  rîivoïr  Iraliio,  et  elle  assumaît  sur  elle  seule  la  rc>- 
ponsabililo  du  salut  de  la  patrie.  A  elle  seule,  aussi,  la  reconnais- 
sance et  la  gloire,  tant  que  la  France  vivra  entre  les  nations  î 

«  Voulez-vous  »,  poursuivit  Érard,  «  révoquer  vos  faits  et  dits 
réprouvés  ? 

—  Je  m'en  rapporte  à  Dieu  et  h  notre  saint  père  le  pape. 

—  Il  ne  suffit  pas  :  on  ne  peut  pas  aller  querirnotre  saint  pîTC 
si  loin*.  Les  ordinaires  (évùques)  sont  juges  chacun  en  leur  dio- 
cèse. Besoin  est  que  vous  vous  rapportiez  à  noire  mère  sainfe 
ftglise,  et  que  vous  teniez  ce  que  les  clercs  et  gens  ayant  de  ^e 
ronnoîssance  ont  déleruiiné.  \> 

Elle  se  tut,  et  entendit  sans  répondre  trois  monitions  succ.^- 
sives. 

Cauchon  commença  de  lire  la  sentence  de  condamnation,  ré- 
digée en  son  nom  et  au  nom  du  vice-inquisiteur.  Lorsque  Jeanne 
<omprit  qu'elle  allait  être  retranchée  de  l'Église  et  livrée  aul)n^ 
séculier,  c'est-à-dire  au  bourreau,  cpi'elle  voyait  debout  au  pièfl 
(le  réchafaud,  elle  défaillit;  un  nuage  passa  sur  ses  yeux,  et  clio 
(lit  d'une  voix  éteinte  : 

«  Je  veux  tenir  ce  que  les  juges  et  l'Église  voudront  dire...  Jo 
V(jux  obéir  du  toul  h  l'ordonnance  et  volonté  d'eux. 

—  Xe  voul(*z-vou.^  plus  soutenir  vos  apparitions  et  révéla li(.'n>! 

—  Je  m'en  rapporte  aux  juges  et  h  notre  mère  sainte  Église. 

—  Alors  il  faut  abjurer  et  signer  cette  cédule  »,  dit  Érard,  et  il 
fil  lire  à  Jeanne  par  l'appariteur  une  pièce  toute  préparée  p«nir 
le  cas  011  elle  céderait...  Elle  y  reconnaissait  avoir  grièvemcnl 
p(Vhé  en  «  feigiiant  mcnsoni^eusement  avoir  eu  révélations  i^l 
appariliiins  de  par  Dieu  ;...  en  faisant  superstitieuses  divinations; 
en  blasphémant  Dieu,  ses  siiinls  et  ses  saintes;  en  portant  lialiil 
dissolu,  contre  la  décence  de  nature,  et  armures  par  grand'pro- 
somption;  en  désirant  crueusement  (cruellement)  cflusion  d».* 


1.  Prorùs,  t.  I,^).  4i'i-'iîô.  On  c^inpii-nd  que  ces  luiroU'^uicnl  pu  aîilcr  !j  uu- 
ïiioirc  (Ici  Icinoius  U  il«'iia!nni,  ajot-s  vingt  ans  cl  plus,  lu  vraie  pcntcôo  de  JcJtisc, 
^onlcnih*  (luraii!  ton'  le  inocô^.  On  reniurquora  toutefois  qui*,  mêin€  en  rc  nio'uci/, 
JiMnno  iir  N'ni  ra|»poi ta  au  |»:ii»o  qu'r/;)/r.»  Dii-u,  et  qu'elle  ne  codait  rien  au  f"i;\ 
1 1  n'ailiinMiaii  pas  (\\\v  le  salut  jièiv  |«iV  ih'-fuire  ce  que  Uicu  avail  fait.  Ce  quV-'e 
•'.«■nianilaii,  eVtaii  d'aller  .^'expliquer  devani  le  pape. 


[14an  ABJURATION  DE  JEANNE.  287 

sang  humain...  en  faisant  sédition,  et  idolâtrant  mauvais  esprits... 
avoir  été  schismatique  et  erré  en  la  foi  j>  ;  lesquels  crimes  et 
erreurs  elle  abjurait  et  jurait  de  n'y  jamais  retourner*. 

L'agitation  était  extrême  dans  Tassistance.  Les  assesseurs,  les 
ofticiei*s  du  procès  pressaient  Jeanne  de  la  voix  et  du  geste. 

c  Jehanne,  signez!  —  Jehanne,  prenez  pitié  de  vous-même! 
—  Jehanne,  ne  vous  faites  point  mourir  !  » 

Les  Anglais  frémissaient  de  colère  en  voyant  que  la  Pucellc 
allait  échapper  au  bûcher.  Un  grand  murmure  s'éleva  sur  Técha- 
faud  des  juges.  C'était  un  chapelain  du  roi  d'Angleterre  qui  venait 
d'accuser  Cauchon  de  trahison  envers  le  roi.  Cauchon,  furieux 
à  son  tour,  jeta  le  rôle  du  procès  à  terre,  et  cria  qu'il  laisserait 
tout  s'il  n'avait  réparation.  Le  «  cardinal  d'Angleterre  »  obligea 
le  chapelain  à  des  excuses. 

Jeanne,  dans  son  trouble,  avait  mal  entendu  la  lecture  de  la 
cédule.  Elle  demanda  des  explications.  L'appariteur  Massicu  lui 
expliqua  ce^que  c'était  qu'abjurer. 

«  Je  me  rapporte  à  l'Église  universelle,  si  je  dois  abjurer 
ou  non? 

—  Il  ne  suffit  pas. 

—  Eh  bien ,  que  les  clercs  et  l'Église,  es  mains  desquels  je  serai 
remise,  voient  la  cédule  et  me  conscillcnl! 

—  Tu  abjureras  présentement  »,  ditÉrard,  «  ou  tu  seras  arsc 
(brûlée)! 

—  J'aime  mieux  signer  que  d'être  arse,,.  » 

On  lui  fit  répéter  la  formule  d'abjuration;  olle  traça  une  croix 
au  bas  de  la  cédule.  Un  secrétaire  du  roi  d'Angleterre  lui  prit  la 
main  et  lui  fit  écrire  son  nom,  comme  elle  l'avait  fait  dans  ses 
lettres  2. 

1.  Procès,  1. 1,  p.  447.  Plusieurs  témoins,  du  rcsic  mal  d'accord  entre  eux,  éta- 
blissent que  la  cédule  présentée  h.  Jeanne  n'était  pas  la  même  que  celle  qui  est 
consignée  au  procès.  —  Nous  pensons,  avec  M.  Quichcrat  {Aperçus  nouveaux, 
p.  1 33- 1 38),  que  ce  fait  n'a  pas  toute  l'importance  qu'on  lui  a  donnée,  et  que  la  dif- 
férence consistait  surtout  dans  les  formules  ajoutées  lors  de  la  rédaction  dé- 
finitive. 

2.  Nous  n'avons  pas  besoin  de  réfuter  l'absurde  assertion  de  quelques  iémoin5, 
qui,  croyant  faire  honneur  à  Jeanne  en  reprenant  la  version  des  Anglais,  que  tout 
cela  n'était  qu'une  truffe  (une  tromperie),  prétendent  que  Jeanne  se  jouait  de  ce 
qu'elle  faisait,  et  souriait  dédaigneusement  pendant  ce  moment  d'horreur! 


388  GUERRES  DES  ANGLAIS.  [lU! 

Elle  aussi ,  elle  avait  donc  dû  avoir  son  jour  de  défaillance  et 
(le  reniement!  il  fut  promptemcnt  et  glorieusement  expié! 

Un  tumullc  cffrqyable  régnait  dans  le  cimeti6re  SjUnt-Ouen.  !/•$ 
Anglais  faisaient  pleuvoir  les  pierres  sur  Téchafaud  de  la  Pwvllo 
Le  cardinal  de  Winchester  eut  grand'peine  à  faire  rétablir  Tordre 
(lauchon  lui  demanda  respectueusement  son  avis  sur  ce  qui  res- 
tait à  faire.  <i  L*admettre  à  la  pénitence ,  »  fut-il  répondu. 

On  lut  la  sentence.  De  la  sentence  de  condamnation.  Ton  n*a\ait 
changé  que  la  conclusion. 

«  Puisque,  i)ar  le  secours  de  Dieu,  revenant  au  giron  de  la  sainte 
mère  Église,  d'un  cœur  contrit  et  d'une  foi  sincère ,  comme  nous 
le  croyons,  tu  as  rétracté  tes  erreurs  de  ta  propre  bouche,  nous 
le  délions,  par  les  présentes,  des  liens  de  l'excommunication,... 
si  toutefois  tu  observes  ce  (jui  t'a  été  et  te  sera  pi^escril  par  nous. 
Mais  pour  ce  que  tu  as  péché  témérairement  contre  Dieu  et  la 
sainte  ï^glise,  pour  accomplir  une  salutaire  pénitence,  nous  le 
condamnons,  sauf  (par)  notre  grâce  et  modération,  à  la  priam 
pei  péluelle,  au  pain  de  douleur  et  à  Teau  d*angoisse,  afin  que  tu 
\  ])leures  les  péchés  commis  et  que  tu  n'en  commettes  plus  qui 
soient  à  pleurer*.  » 

L'infortunée,  une  fois  l'idée  du  supplice  écartée,  n*avait  plus 
en  ce  moment  qu'une  seule  pensée,  c'était  d'échapper  à  ses  odieux 
gardiens.  Elle  interpella  les  juges  : 

H  Or  çà,  gens  d'Église,  menez-moi  en  vos  prisons;  que  je  ne 
sois  plus  en  la  main  de  ces  Anglois!  j> 

La  dojiiande  était  si  bien  conforme  au  droit  ecdésiastique, 
<iu'il  y  eut  un  mouvement  d'ar(|uiescement  parmi  les  as^'sseiir*. 
(lauchon  ne  répondit  que  ces  mots  : 

tf  Menez-la  où  vous  l'avez  i)rise'.  » 

On  la  replongea  dans  cet  enfer  d'où  on  lui  avait  promis  do  la 
linT. 

Les  Anglais  ne  s'apaisèri^nt  pas  en  la  voyant  rester  sous  leur 
gaide.  Les  valets  poursui\irent  de  leurs  huées  le  triste  corttiii' 
qui  reconduisait  Jeanne  au  château  :  les  gens  de  guerre  mena- 

1.  /»ro..-/,v.  t.  I,  1».  lôO-t.V?. 

2.  /'/wco,  t.  il,  p.  11,  IH.  Ui'posiiions  de  G.  Mancho:i  etde  J.  Ma&âieu. 


tHSf]  JEANNE  EN  HABIT  DE  FEMME.  S89 

cërent  de  leurs  armes  l*évèque  de  fieauvais  et  les  docteurs,  en 
disant  que  c  le  roi  avoit  mal  employé  son  argent  avec  eux  »,  et 
Warwick  lui-même  se  plaignit  à  Cauchon  et  aux  assesseurs  que 
le  roi  «  étoit  mal  en  point  »,  puisque  Jeanne  échappait.  «  Milord, 
n'ayez  cure  >,  répondit  quelqu'un  de  l'assistance;  «  nous  la  re- 
trouverons bien*  ». 

Celui  qui  dit  cette  parole  avait  le  secret  de  Cauchon. 

Dans  raprès-midi,  le  vice-inquisiteur,  assisté  de  docteurs,  se 
transporta  dans  la  prison,  requit  Jeanne  de  prendre  l'habit  de 
femme,  comme  il  lui  avait  été  ordonné  par  l'Église,  et  la  prévint 
que,  si  elle  retombait  en  ses  erreurs,  l'Église  l'abandonnerait. 

Jeanne  prit  l'habit  de  femme  et  se  laissa  raser  la  chevelure*. 
Le  juge  l'abandonna  à  la  garde  de  cinq  Anglais,  c  dont  en  dcmeu- 
roient  trois  de  nuit  en  la  chambre,  et  deux  dehoi*s,  à  l'huis  de 
ladite  chambre.  De  nuit  elle  étoit  couchée,  ferrée  par  les  jambes 
de  deux  paires  de  fers  à  chaîne,  et  attachée  moult  étroitement 
d'une  chaîne  traversant  par  les  pieds  de  son  lit,  tenant  à  une 
grosse  pièce  de  bois  et  fermant  à  clef  3.  »  Elle  ne  pouvait  se  lever 
qu'on  ne  la  déferrât. 

Le  lendemain  ou  le  surlendemain,  les  juges  ayant  avis  que 
Jeanne  «  se  repen toit  aucunement  d'avoir  laissé  l'habit  d'homme  », 
Cauchon  montra  grand  zèle,  et  dépécha  les  docteurs  Jean  Beau- 
père  et  Nicole  Midi  pour  «  l'admonester  qu'elle  persévérât  en  son 
bon  propos  ».  Mais  on  ne  trouva  pas  le  geôlier,  qui,  sans  doute, 
avait  le  mot,  et  les  menaces  de  quelques  Anglais  firent  bien  vite 
rebrousser  chemin  aux  deux  envoyés*. 

Le  27,  les  Anglais  accoururent  prévenir  Cauchon  que  Jeanne 
était  €  rencheue  »  ;  qu'elle  avait  repris  ses  vêlements  d'homme. 
L'évêque  de  Beauvais  fit  aussitôt  avertir  les  assesseurs  et  les  offi- 
ciers du  procès,  qui  voulurent  aller  sur-le-champ  en  grand 
nombre  à  la  prison;  Cauchon  ne  les  accompagna  point,  et  une 
centaine  d'Anglais,  armés  et  furieux,  barrèrent  le  passage  aux 


1.  Procès,  t.  n,  p.  376.  Déposition  de  J.FaTC. 

2.  Elle  la  portait  taillée  en  rond  à  la  manière  des  hommes,  ce  qu*on  appelle  U 
coiffure  en  écucUe. 

3.  Déposition  de  G.  Manchon.  P'-oc^t,  t.  II,  p.  18. 

4.  Déposition  de  J.  Beaupèrc.  Procès,  t.  II,  p.  21. 

TI.  10 


290  GUERRES  DES  ANGLAIS.  [usi] 

gens  d'église  dans  la  cour  du  château,  en  les  traitant  de  c  traîtres 
arniagneaux  ».  Le  28,  seulement,  par  ordre  Supérieur,  Iaprisc>n 
fut  ouverte  aux  juges  accompagnés  de  quelques  assesseurs. 

Ils  trouvèrent  Jeanne  en  habit  d*homme,  le  visage  gonflé  et 
meurtri ,  les  larmes  jaillissant  à  chaque  parole.  Que  s*était-il 
passé,  depuis  que  ce  gouffre  s'était  refermé  sur  la  victime?  — 
Ce  n'est  pas  dans  le  procès-verbal  qu'il  faut  le  chercher.  Les  pa- 
roles de  Jeanne,  consignées  au  procès,  sont  vraies;  maisCau- 
clion  n'a  pas  permis  d'écrire  toutes  les  paroles  de  Jeanne. 

Les  horreurs  de  ces  trois  jours  ont  été  révélées  par  les  témoins 
du  procès  de  réhabilitation.  Ils  ont  raconté  les  plaintes  élevées 
par  Jeanne,  soit  devant  les  juges,  soit  devant  le  confesseur  que 
les  juges  lui  donnèrent  en  dernier  lieu*.  L'héroïne  qu'un  peuple 
entier  adorait  à  genoux,  livrée,  enchaînée,  à  la  merci  de  misé- 
rables de  la  plus  vile  populace  anglaise...  accablée  d'injures  et  de 
coups  par  des  bandits  ivres  de  toute  la  rage  de  cette  soldatesque 
qui,  en  la  voyant  sauvée  du  bûcher,  avait  voulu  la  lapider  au  cim^ 
tière  de  Saint-Ouen...  Ils  l'eussent  tuée  s'ils  n'eussent  craint  leurs 
chefs.  Il  y  eut  quelque  chose  de  bien  plus  exécrable.  Durant  le 
procès,  il  avait  été  demandé  à  Jeanne  si,  au  cas  qu'elle  perdit  sa 
virginité,  elle  perdrait  son  «  heur  »  (sa  forlune)  «  ».  Certains,  pamii 
les  Anglais,  croyaient  le  «  charme  »  attaché  à  sa  virginité,  comme 
d'autres,  h  sa  vie.  Poussé  par  une  superstition  atroce  autant  que 
par  les  plus  hideuses  passions,  un  c  grand  lord  d'Angleterre  • 
se  fit  ouvrir  son  cachot  et  tenta  de  lui  faire  violence'  !...  Ce 
fut  un  miracle  que,  dans  l'épuisement  de  ses  forces,  elle  eût  pu 
encore  se  défendre  contre  cet  infâme! 

Une  dernière  scène  termina  ces  trois  jours  d'abominations;  et, 
ici,  les  gardiens  ne  firent  évidemment  qu'exécuter  un  ordre  du 
dehors.  Le  27,  au  matin,  quand  Jeanne  demanda  qu'ils  la  défer- 
rassent pour  qu'elle  pût  se  lever,  ils  enlevèrent  la  cotte  defenïnie 
qui  était  sur  son  lit,  mirent  à  la  place  son  habit  d'homme,  et 

1.  Le  dominicain  Marlin  L'Advenu. 

2.  Procéx,  I.  II,  p.  183. 

3.  Celui  qu'on  pourruit  soupçonner  semble  éire  le  comte  de  Sliifford,  connétsb!^ 
de  France  pour  Henri  VI,  qui  avait  montré  durant  tout  le  procès  un  acharneififE* 
5au\age.  —  V.  ({('positions  de  Jean  Toutniouillé,  d'Isanibard  de  La  Pierre,  4ê 
Martin  I/Advcuu.  Procès,  t.  H,  p.  4,  6,  8,  365. 


ri481]  HORREURS  DU  CACHOT.  291 

refusèrent  de  lui  rendre  l'autre  vêtement.  Elle  hésita  longtemps 
à  reprendre  Thabit'^d'homme,  puis  se  décida  <. 

Lorsque  les  juges  vinrent  enfin,  le  28  mai,  ils  la  trouvèrent, 
nous  l'avons  dit,  le  corps  brisé  par  ces  horribles  luttes;  mais  l'ex- 
cès de  l'indignation  avait  rendu  à  l'âme  toute  son  énergie  :  les 
vmx  étaient  revenues. 

€  Pourquoi  avez-vous  repris  l'habit  d'homme,  et  qui  vous  Ta 
fait  prendre?  demandèrent  les  juges. 

—  Je  l'ai  pris  de  ma  volonté ,  et  l'aime  mieux  qu'habit  de 
femme. 

—  Vous  avez  promis  et  juré  ne  le  point  reprendre. 

—  Je  n'ai  jamais  entendu  avoir  fait  serment  de  ne  le  reprendre. 

—  Pourquoi  l'avez-vous  repris? 

—  Pour  ce  qu'il  m'est  mieux  séant  avoir  habit  d'homme,  élant 
entre  les  hommes,  que  d'avoir  habit  de  femme?...  Pour  ce  qu'on 
ne  m'a  point  Icnu  ce  qu'on  m'avoit  promis,  c'est  à  savoir  que 
j'irois  à  la  messe  et  reccvrois  mon  Sauveur,  et  qu'on  me  mettroit 
hors  des  fers.  Si  l'on  me  veut  laisser  aller  à  la  messe  et  ôter  hors 
des  fers,  et  mettre  en  prison  gracieuse,  et  que  f  aie  une  femme  (près 
de  moi'),  je  serai  bonne  et  ferai  ce  que  l'Église  voudra. 

—  Depuis  jeudi  (le  jour  de  l'abjuration),  avez-vous  entendu  vos 
voix? 

—  Oui. 

—  Que  vous  ont-elles  dit  ? 

—  Dieu  m'a  mandé,  par  saintes  Catherine  et  Marguerite,  que 
c'est  grand  pitié  de  la  trahison  que  j'ai  consentie  en  faisant  l'ab- 
juration et  révocation,  et  que  je  me  damnois  pour  sauver  ma  vie. 
Mes  voix  m'avoient  dit,  en  l'échafaud,  que  je  répondisse  hardi- 
ment à  ce  faux  prêcheur!  Si  je  disois  que  Dieu  ne  m'a  envoyée, 
je  me  damnerois.  Vrai  est  que  Dieu  m'a  envoyée!  Mes  voix  m'ont 
dit  que  j'avois  fait  grand  mauvaiseté,  de  confesser  que  je  n'eusse 

1.  Déposition  de  J.  Massieu.  Procès,  t.  II,  p.  18. 

2.  C*est  ici,  évidemment,  qu'il  faut  suppléer  aux  réticences  imposées  par  Cuu- 
eliOQ  au  procèf-vcrbal.Isambard  de  La  Pierre  rapporte  lui  avoir  oui  dire  :  «  Si  vous, 
uies5eign<:urs  de  l'Église,  m'eussiez  menée  et  gardée  en  vos  prisons,  par  aventure 
ne  me  fûi-il  pas  ainsi!  »  Procès,  l.  II,  p.  5. 

3.  Thomas  de  Courcelk's  a  efTucé  ceci  de  la  réduction  définitive.  Cette  ré- 
ticence en  dit  assez,  et  il  n'y  a  rien  de  plus  terrible  contre  Courcelles. 


292  GUERRES  DES  ANGLAIS.  [liîi] 

bien  fait  ce  que  j'ai  fait.  De  peur  (ki  feu,  j'ai  dit  ce  j'ai  dit. 

—  Vous  avez  dil,  en  Téchafaud,  vous  ôlrc  vantée  mcnsongeu- 
senient  que  cï^loioiit  saintes  Catherine  et  Marguerite*. 

—  Je  ne  Ventendois  point  ainsi  faire  ou  dire.  Tout  ce  que  j"ai 
fait,  c'est  de  peur  du  feu,  et  je  n'ai  rien  révoqué  que  ce  ne  soit 
contre  la  véiité.  J'aime  mieux  mourir  qu'endurer  plus  longue- 
ment peine  en  cliarlre  (en  prison).  Je  ne  fis  oncques  chose  conlr»» 
Dieu  ou  la  foi,  quelque  chose  qu'on  m'ait  fait  révoquer;  ce  qiii 
étoit  on  la  cédule  de  l'abjuration,  je  ne  l'entendois  point  :  je  n'en- 
tendois  point  révo(pior  quehpie  chose,  si  ce  n'est  pour>'u  qu'il 
plut  à  Notre  Sire.  Si  les  juges  veulent,  je  reprendrai  habit  de 
femme;  du  résidu,  je  n'en  ferai  autre  chose*.  » 

Au  sortir  de  bi  prison,  «  l'évéque  de  Beauvais  avisa  le  comte 
do  AVarwick  et  grand  nombre  d'Anglois  autour  de  lui,  et  leur  dit 
on  riant  à  haute  voix  :  — Farowelle!  Farowelle!  (Farewell  :  adieu'; 
faites  bonne  chère;  c'en  est  fail^  !  » 

Le  lendemain,  20  mai,  Cauchon  communiqua  le  résultat  de 
l'interrogatoire  à  une  quarantaine  de  docteurs  et  maîtres.  A  l'una- 
nimité, moins  un  seul  *,  ils  opinèrent  pour  que  les  juges  décla- 
rassent Jeanne  béréticpic  et  relapse,  et  l'aliandonnasscnl  à  la  jus- 
lice  séculière,  «  en  priant  ladite  justice  d'agir  doucement  en\ei? 
Jehanno  ».  L'hypocrisie  de  celte  formule  inquisitoriale  était  Lieu 
inutile;  car  le  supplice  de  la  condamnée  n'était  pas  même  un 
sous-enlendu.  «  Que  ladite  fennnc  soit  charitiiblement  avertie  du 
salul  de  son  Ame,  et  qu'on  lui  dise  qu'elle  n'a  plus  rien  à  es|»érer 
quîint  à  sa  vie  temporelle  ». 

T(.'lle  tut  la  forme  que  donna  à  son  vote  un  des  plus  humains, 
assurément ,  et  des  plus  consciencieux  entre  les  hommes 
qui  avaient  pris  part  au  procès,  Isambard  de  La  Pierre!  Avec  lui 
signeront  plusieurs  des  assesseurs  qui  devaient  désavouer  le  pro- 
cès plus  ou  moins  radicalement  vingt  ans  après,  Martin  L'Advenu, 
Fabri,  Tii)haine,  do  La  Chambre;  nous  ne  parlons  pas  de  Cour- 

1.  (!*esl-ii-dire  qu'on  lui  avait  fuii  u'-ju-kr  les  icriiies  de  la  cédule. 

2.  PnnOs,  l,  I,  \i.  'i:i'»-'i68. 

3.  DriMisi'ioiis  d'iNUMiluid  «k-  I.a  l*icric  ci  de  Muriin  LMdvcnu.  Pi'Mf*,  i.  11. 
I-    ;..  S. 

i  r.inliiii!,  uicliidiacrc  de  r»'ji:e;i.  1!  la  d'.ilaia  rtlai»bC,  mais  s'en  rc!:.-:  c« 
jupi'5  quanl  au  leslc. 


mai]  L'ABJURATION  RÉTRACTÉE.  293 

celles,  qui,  en  reniant  le  procès,  eut  à  se  renier  lui-mùme  et 
reçut  du  moins,  en  expiation,  cette  coupe  d*ignoininie  à  vider! 
Mais  qu*un  homme  d*un  aussi  bon  naturel  qu*Isauibard  ait  signé 
celte  hori'îble  délibération,  lui  qui  avait  assisté  à  Tinterrogatoirc 
de  la  veille,  et  qui  avait  entendu  les  plaintes  de  Jeanne*  !  cela  dit 
tout  sur  les  doctrines  et  sur  renseignement  qui  pouvaient  trans- 
former des  âmes  nées  pour  le  bien  en  aveugles  instruments  d'ac- 
tions infernales  ! 

«  Les  opinions  entendues,  les  juges  conclurent  de  procéder 
ultérieurement  contre  ladite  Jelianne  selon  droit  et  raison^,  » 

La  sentence  défmitive  de  condamnation  ne  suffisait  point  à 
compléter  l'œuvre  de  Gauchon.  L'assemblée  du  29  mai  avait  de- 
mandé une  dernière  monition  «  pour  le  salut  de  Fume  de  Je- 
lianne ».  Gauchon  n'avait  garde  d'y  manquer. 

Il  avait  fallu  que  Jeanne,  après  avoir  abjuré,  «  rcncliût  »  pour 
qu'on  put  la  condamner  à  mort.  Gela  fait,  ce  n'est  point  assez.  Si 
elle  meurt  dans  sa  «  rechute  »,  elle  confirme  sa  mission  un  mo- 
ment rétractée  ;  le  doute  subsiste  dans  les  esprits.  Il  faut  donc 
qu'elle  abjure  ou  paraisse  abjurer  une  seconde  fois;  maintenant 
que  le  «  repentir  »  ne  peut  plus  lui  sauver  la  vie,  il  faut  qu'elle 
meure  «  repentante  ».  Le  signe  évident,  pour  le  public,  sera 
qu'elle  soit  admise  à  la  pénitence  et  à  la  communion.  Gauchon 
sait  le  vif  désir  qu'elle  a  de  «  recevoir  son  Sauveur  »  ;  il  sait  la  foi 
qu'elle  a  eue  dans  la  promesse  d'être  délivrée,  i)romessc  de  ses 
voix  qui  ne  s'est  point  accomplie.  II  niiuiœuvre  habilement  sur 
cette  double  base. 

Conformément  au  vœu  de  l'assemblée  du  29,  il  adressera  donc 
une  monition  à  Jeanne,  dans  la  prison,  mais  sans  instrument 
officiel,  sans  notaires,  car,  s'il  échoue,  si  Jeanne  s'obsfine,  sa  ré- 
sistance finale  ne  doit  pas  être  constatée. 

Le  30  mai  1 431  se  leva,  jour  le  plus  auguste  et  le  plus  sombre 
qui  eût  paru  sur  la  terre  depuis  le  jour  où  la  croix  fut  plantée 
au  Golgotha. 

Jeanne  vit,  de  grand  matin,  entrer  dans  sa  prison  l'appariteur 


t.   V.  son  propre  liMiioignage.  Procès,  t.  11,  p.  5. 
2.  Proccs,  t.  I,  459-467. 


ft»|  GUE  an  ES  DES  AKGLàlS. 

qui  venait  !a  citer  k  t:oin{>araïlrc  devant  les  jog<»»  sur  l^  \  i 
Marché  de  Rouen,  pour  s'entetïdrc  déclarer  relaps,  ir^nmah^i-^ 
niécj  lièréliqiie;  puis  le  doininirain  Maj'liri  L'Advenu»  cli;irç^  iW 
t  lui  uiinoticer  hi  mort  procliaine,  el  de  rindujpe  h  triir 
lioti  el  pénitence,  el  rûiui*  en  confession  i*.  Ouiinfl  elle  ^ulît  l 
près  II  la  dtirc  el  cruelle  mort  dunt  il  lui  falloîl  jûoarSr  toat  à 
riieure  »,  la  nature  se  snuleva  ;  la  jeunesse  el  la  tîc  dèboi  ' 
dans  ce  coeur  de  vinglans.  En  prenant  notre  chnir,  elle  a  va  h  jm- 
liolre  iijibleiiîie^  et  l'ungc  de  la  guerre,  pour  k  sernnde  Toi^t  rede- 
tint  une  fenimo.  *  Elle  corn  nieu^a  às*éerier  douloaivit^i*mtDt  et 
piteusement j  h  se  âklmire  *  el  arraeljer  les  dicveujt  :  —  Hrla 
me  traîlora-l-on  ainsi  hurrihleiucnt  el  cruelliîHienl,  qu^il  fai] 
que  mon  corps  net  en  entier,  qui  ne  fui  januiis  corroropii,  sou 
aujourd'hui  consumé  et  rendu  en  cendres!  Ha!  Ijaiyain 
mieux  Hm  décapitée  sept  fols»  que  d\^lre  ainsJ  brûli-c,,.  A^ 
ai»pcllc  devani  Dieu,  kgrand  juge,  des  grands»  tort^  cju'on  iu< 

Cauction  i^arut,  accompagné  de  sept  ou  Imil  des  oâfic&beu 
Dés  qu'elle  raperçut  :  •  ÉvèquCi  s'écria-t-elle,  2v6qtte,  yn.  iim 
par  vous!  » 

Le  miï^érable  voulu l  eflcore  «  lui  remonli*er  : 

€  S\\  !  Jelianne ,  prenez-en  patience.  Vous  mourot  pour  er 
que  vous  n'avez  tenu  ce  qne  vous  nouB  aveî  pronitij, 

—  HélasI  si  vous  m'eussiez  mific  aux  prisons  de  cour  d'Églin-, 
et  rendue  entre  les  mains  de  concierges  eciiésiastlques  el  i\m 
de  mes  ennemis,  ceci  ne  fût  pas  advenu  ;  c'iîM  iioan]tioî  f  «p- 
pelle  lie  vous  devant  Dieu  ^  j* 

Ce  qui  fut  dit  ensulle  entre  Jeanne,  Cauchun  el  ses  acolytes  D*i 
poinf  élé  consigné  mu$  forme  atillientique  au  proc&î*  Cnndimi 
Jil  écrire  cet  entretien,  de  mémoire,  quelques  jonft  après,  â>(ft 
la  diclée  des  gens  d'église  qui  y  avaient  pri*  pari».  Les  détiuli 
font  suspects,  mais  il  y  a  du  svàl  dans  k  fond.  Aucun  qmt 
de  douleur  ne  devait  être  épargné  k  la  grande  martyre,  el  le 

1.  T^rer  en  %txi%  dive?»» 

2.  n^{j4)Hliiiia  il«  J.  Tuuimoaillé*  Ptetiit  t.  Il,  [v,  S-^L  CétiJi  «&  |iviio  d>«iia^- 

3.  Pme^â,  t  l,  p,  *77-*».^.;  b  lu  iiiju  de»  Q<'»'"*  dil  ffûtkk,  U  DfllAlr*  ttc^Lti 


[1431]  LE  DOUTE  DE  JEANNE.  395 

abominations  dont  les  Anglais  avaient  menacé  la  virginité  de  son 
corps  furent  au  moins  égalées  par  les  tortures  dont  les  docteurs 
tourmentèrent  la  virginité  de  son  dme,  sa  foi,  son  espérance 
immaculée.  Ils  pesèrent,  avec  une  dureté  implacable,  sur  une 
pensée  qui  devait  briser,  anéantir  ce  cœur  désolé.  Au  premier 
mouvement  d'horreur  physique  soulevé  en  elle  par  l'approche  de 
la  mort,  avait  succédé  l'horreur,  bien  pire,  de  la  pensée  que  ses 
voix  l'abandonnaient  à  cette  mort.  Jusqu'au  dernier  jour,  elle 
avait  cru  à  la  délivrance  promise  et  à  la  victoire.  Et  voici  qu'au 
lieu  de  la  France  armée  qui  vienne  délivrer  sa  libératrice,  elle  voit 
l'Angleterre  dresser  son  bûcher  par  des  mains  françaises!  Quoi! 
déçue  par  son  roi,  elle  le  serait  aussi  par  ses  frères  de  paradis! 
—  Quoi!  tout  ce  qu'elle  a  aimé!  tout  ce  qui  l'a  inspirée!  quoi! 
la  patrie  elle-même  sera-t-elle  aussi  un  néant!... 

«  Jehanne  »  ,  répétaient- ils  tous  les  uns  après  les  autres , 
c  Jehanne ,  vous  voyez  bien  que  vos  voix  vous  ont  trompée  ! 

—  Mes  voix  m'ont  trompée!...  Puisqu'elles  m'ont  trompée... 
puisque  Jes  gens  d'ÉgUse  veulent  qu'elles  viennent  de  malins  es- 
prits, je  m'en  rapporte  à  eux...  je  n'y  veux  plus  croire'...  » 

Ces  paroles  ont-elles  été  réellement  prononcées?  Il  est  pro- 
bable que,  sous  la  plume  d'un  rédacteur  si  suspect,  le  doute  est 
devenu  une  affirmation;  mais  ne  fût-ce  qu'un  doute,  on  peut  se 
demander  s'il  y  eut  jamais  au  monde  une  pareille  angoisse? 

Tout  avait  réussi  à  Cauchon.  Il  avait  obtenu  la  rétractation 
pour  diffamer  la  mission  de  Jeanne,  la  rechute  pour  motiver  le 
supplice;  maintenant,  une  nouvelle  rétractation,  réelle  ou  appa- 
rente, venait  confirmer  le  désaveu  de  la  mission  sans  sauver  la 
vie  de  la  relapse.  Il  se  hâta  d'accepter  les  paroles  échappées  au 
doute  ou  à  l'accablement  de  Jeanne,  sans  lui  laisser  le  temps  de  les 
retirer,  et  au  plus  vite  accorda  la  communion  «  à  la  repcntance  » 
de  la  condamnée. 

Jeanne  reçut  l'eucharistie,  «  avec  grande  abondance  de  larmes». 

1.  SuifEDl  la  pièce  en  question,  Jeanne  dit  qu*elle-niémc  élait,  dans  sa  pensée, 
l'ange  qui  avait  porté  la  couronne  au  roi  ;  mais  que  les  ungcs  raccompagnaient, 
sous  rapparcncc  d'un  grand  tourbillon  de  toutes  petites  figures  {In  magnà  muUi" 
tuiiine  et  miuimû  quaiuitate  xeu  mifMmit  rébus)  Du  reste ,  clic  n'accepte  aucuQ 
doute  sur  la  réalité  des  apparitions.  «  Soit  bons,  soit  mauvais  esprits,  ils  me  sont 
apparus  >.  Procès,  t.  I,  p.  480. 


20ft  GUERRES  DES  ANGLAIS.  iiitq 

l/h<^tire  était  arrivée.  D<*jà  le  funtbrc  corlége  s^aatemlibill  daiM 
la  cour  du  diôteau*  On  pasna  h  Jêfinne  Id  rhemtse  lûogm  fs 
devait  être  son  dernier  vôtcuaent;  on  Uti  posa  sur  b  lêu*  k  mim 
des  condanint^^s  de  rinqubttiûn,  iiir  kqudle  étaient  petuts  to 
diables  et  des  flammes,  avec  les  mots  :  *i  hérctiquo,  relapse,  apo- 
state» idolâtre  T>  ;  puis  on  la  fit  nionlcj'  sur  une  diarrcHc  à  qmtn 
clievauit,  entre  rappnrilcur  Ma^^ieu  cl  k  confesseur  L'Adveia 
Isamhard  de  La  Pierre  s'adjoipiit  à  L'Advenu  et  ne  qniU^  ph» 
Jeanne  jusqu^à  la  (in. 

En  ce  moment,  un  grand  tumulte  s*élc\ti.  l'n  Iionnne  d>^U^. 
pAlo,  effaré,  éUih  monlé  sur  la  cliarretle  el  adressait  à  Jeanne d& 
parolt^s  entrecoupées  cl  des  gestes  suppliants,  trélail  L'ObefeoTt 
rinfAmc  agent  des  machinations  de  Pierre  CaueJion,  qui  demift- 
dait  pardon  h  sa  viclime.  Le^  Anglais  voulaienlle  mettre  en  pieco, 
et  il  ne  dut  la  vie  qii*au  comte  de  Warwitk', 

Le  cortège  m  mit  en  ma  relie,  ilnit  cents  lionunes  d'armes  cscor- 
taîent  la  chiirrctte  oufaÎMientla  liaie.Toutes  les  troupes  angitti 
élaient  sur  pied.  Le  peuple  &e  pressait  snr  le  passage  de  rcsairttc 
sur  ta  ;dace  du  Yieux^larchév  Une  foule  inunetise  ëfait  lîctOQfitrm? 
de  toutes  les  villes  et  de  toutes  les  campagnes  enrironuiinlf*^.  L» 
denil  était  snr  fous  les  visages,  Ui  sympathie  populajr«- 
troissanl  durant  Ja  dernière  phase  du  procès^,  el  Ton  s^ , 
la  sympathie  eût  tuurn^^  bien  vite  à  la  coltire  et  à  l'èineu 
quelque  diversion  dn  dehors  eût  menacé  les  mallrcs  de  Roue 
liais  le  conseil  de  Charles  VII  retenait  les  troupes  frtuiçabes  loial 
des  lieux  où  mourait  délaissée  celle  qui  avait  donni^  h  CliartcsJ 
la  couronne* 

Sur  te  Vieux-Marché  s'élevaient  non  plasscuIemeuL  dmxé<ï 
faudâ»  comme  h  Saint-Ouen,  mais  trois  écliafauds  el  rhorrîWc, 
btkber!  Îa*  îroisième  échafaud  était  pour  le  juge  laïque  *,  Icliaillti 


L  Dépotltiotl  de  C.  Colkn   Frocéi,  U  H,  p,  320;  de  lequel,  U  III,  p,  ij 
f  Ittlbf ureux   ne  kounni  puA  ce  inomcni  H 6  repentit,  «!«  «to«t«|trci  jtion  i 
rentra  m  ^f^ca  nuprè»  dt  Cimelioti  im  tiinant  ajouter  d«  frt^ukn  i 
rc3i|Jtce  tl*ciirîut?t«  poMliuiae  dool  nam  avons  pMÏf'» 

%,  ni-jiiifïiim  de  K  MtgUi;  ûf  T*  €ii<ïqtt«]  ;  t^  U,  (».  toî  ,  lOfi  ;  éê  t,  UÊtêê^ 
t,  llî*  (».  im.Xhoimii  Bmtn,  iihtor,  Cnrnli  Vil,  i,  U  p.  «3. 

$.  Cl)  bdilli  pcifUit  U  tiem  ^à%m%  U  Le  Baut«U)tsf  x  t"Hiik\\^^yi^smMa0^^^^ 
«a  Ift  n»Ttu  de  tz  Gui  t«c  lÎQQL«llk'T  t|Uî  iiviii  tr^lii  aoui^u  ifu  l  Iti» 


[14S11  JEANNE  AU  VIEUX  MARCHÉ.  297 

de  Rouen ,  intermédiaire  passif  entre  le  juge  d'Église  et  le  bour- 
reau. Quand  Jeanne  aperçut  l'instrument  du  supplice,  une  der- 
nière plainte  s'échappa  du  fond  de  ses  entrailles.  «  Rouen  !  Rouen  ! 
mourrai-je  ici!...  Ah!  Rouen,  j'ai  grand  peur  que  tu  n'aies  à 
soufTrir  de  ma  mort^  !  » 

Rouen  était  innocent  du  grand  forfait  qui  allait  s'accomplir 
dans  ses  murailles  ;  mais  cette  parole  révélait  que  la  condamnée 
recommençait  à  juger  ses  juges. 

Elle  se  calma  :  elle  écouta  «  paisiblement  et  avec  grande  con- 
stance >  le  sermon  de  Nicole  Midi ,  chargé  de  la  prédication  der- 
nière. Le  prêcheur  termina  par  la  formule  :  «  Jehanne ,  allez  en 
paix!...  l'Église  ne  peut  plus  te  défendre!...  »  A  ces  mots,  Jeanne 
s'agenouilla  et  conunença  à  haute  voix  une  longue  et  ardente  orai- 
son. Tous  les  sentiments  de  la  terre,  toutes  les  passions,  même  glo- 
rieuses et  nécessaires  au  combat  de  la  vie,  se  sont  transformées 
dans  cette  âme  déjà  presque  dégagée  de  ses  liens.  L'ange  de  la 
guerre  a  déposé  ses  foudres  pour  se  revêtir  de  la  douceur  du 
Christ.  Jeanne  réclame  les  prières  de  tous  ceux  de  son  parti  «  et 
de  l'autre  »  :  elle  leur  pardonne  à  tous  le  mal  qu'ils  lui  ont  fait , 
pardon  qui  embrasse  deux  rois  et  deux  royaumes!  elle  s'élève  au 
ciel  d'un  élan  si  touchant  et  si  sublime,  qu'un  moment,  elle  semble 
emporter  sur  ses  ailes  ses  ennemis  eux-mêmes.  Ces  démons  en 
soutane  se  retrouvent  des  hommes.  Tout  pleure,  jusqu'à  Cauchon, 
jusqu'au  cardinal  d'Angleterre!... 

Surprise  des  sens.  L'émotion  sainte  glisse  à  la  surface  de  ces 
âmes  perdues  ^.  Il  faut  achever  l'œuvre.  Winchester  fait  un  signe, 
et  Cauchon  obéit.  L'évoque  lit  la  sentence  : 

c  Tu  es  revenue  aux  erreurs  et  aux  crimes  que  tu  avois  abjurés, 
comme  le  chien  retourne  à  son  vomissement...  Nous  te  déclarons 
rencheue  en  la  sentence  d'excommunication  que  tu  avois  encou- 
rue.— Nous  te  retranchons,  comme  un  membre  pourri,  de  l'unité 
de  l'Église,  et  te  délaissons  à  la  puissance  séculière;  la  priant 


1.  Procèt,  t.  II,  p.  355. 

2.  Chez  d'autres ,  au  contraire ,  chez  des  hommes  qui  valaient  mieux  que  leurs 
doctrines  f  l'impression  fut  inefTaçable.  Il  y  eut  là  des  âmes  touchées  et  épurées 
pour  jamais.  V.  les  dépositions  d'Isambard  ,  de  L'Advenu ,  de  Massicu ,  de  Fabri  » 
de  G.  Colles,  etc.,  etc. 


nn  OUÈRIfES  I>ES  ANCLAtS.  [i 

daâmtcit  son  jugement  envers  toi,  qitani  à  la  mort  ri  à  h  mvHi 
fte  ntrmbrfsK  i 

Jiinmlïi  le  monde  n'a  entendu  releiitir  dan!!  «jn»  occusionsii 
lennelle  celte  fûrmde  par  taqueltc  F  Église  ûu  muvcn  àfjt 
nonce  sa  propre  condamn:itîon;  ceUc  formule,  qui  n^f 
lenips  où  les  chef^  sftîrituols  de  la  dïréîicnté,  sVfigngcaiii  . 
[►ente  où  dcvûienl  s'abîmer  lenrs  successeurs,  commciioiÎFnl  h  r>* 
clamer  la n^presâion  des  hérétîquespar  raniaritèdcsempeiriiiii 
mais  reculaient  encore  devant  les  peines  de  sang;  sincère  9iûi\ 
elle  nVst  plus  maintenant  qu'une  hypocrisie  sacrilège  €l  qii\nie 
horrible  proranalion. 

L'enfer  a  jngiS  Le  ciel  se  ticndra*t-il  pour  condamné?  U  msl 
aura-l-îl  celle  joie  jusqu'au  boutî  Jeanne  s*e$t  relevée  nn 
de  la  semence  en  pardonnant  h  ses  juges.  (!e  ft'esl  p«jînl 
Elle  a  douté  de  l'œuvre  de  Dieu  en  elle.  Emporleni-t-elle  le 
dans  la  tombe!  Les  prophètes,  avant  elle,  oui  failU  :  J^sos  lui 
aux  Oliviers,  a  tremblé  devant  la  coupe  d'amertutne  :  il 
plaint,  sur  la  croîs,  de  Vabandon  du  Père.  Mais  Olcu  a-l-ll 
tant  jînnais  abandotmé  finaiement  m$  enirtifés  à  rînstajit 
fl^rand  passfigc?.., 

Les  jugea  élaient  des^cendus  de  leur  estode,  L*%Usc  liinil 
Jeanne.  Elle  appela  te  Cbrit^t  ;  elle  demanda  ]a  croix,  lîn  Augbil^ 
en  fit  une  avec  un  petit  bâton.  Elle  la  baisa  et  la  mît  dims  ion 
sein  ;  puis  elle  pria  rappariteur  et  le  frère  l^imlMird  «  d'alkr  en 
l'églUe  proctiame  (Saint* Sauveur)  »  et  de  lui  apporter  le  cmdfni 
€  pour  le  tenir  <^'levé  tout  droit  devant  ses  jeuat  juâqn' 
de  la  mort...  Elle  rembrassa  moult  ètroilLmenî  et 
menl^,.*.  » 

Dix  mille  pci-sonries  fondaient  en  pleurs*;  tout  ec  peuple  <i»ii 
ne  sut  trouver  pour  Jeanne  que  des  prières  el  mio  des  arfnf*s!.M 
l^s  c*Burs  de  pierre  des  pharisiens  scolastiquc^ ,  ce  qu'il  y  i 
dé  plus  însensilïle  au  monde,  s*élaient  èimt».,*  ?m  une  Ûbrv 
liumaine  ne  remua  chez  les  gens  de  guerre,  ces  btlcB  «UK 
vages  habit n<^r:^  à  chercher  des  voluptés  de  tigres  dans  les  lo^ 

t.  Pmr/n  U  l,  )N   à 7 2, 

t,  l*rih-ii,  t,n,p.ê,  30, 

3,  Pifçtéi,  U  II,  i*   324.  , 


MES  VOIX  ÉTAIENT  DE  DIEU.  299 

es  paysans'.  Capitaines  et  soldats  frémissaient  d'impa- 
.  Les  chefs,  sans  attendre  Tordre  du  bailli,  dépôchèrent 
ergcnts  pour  prendre  Jeanne  sur  réchafaud  où  elle  avait 
ermon  et  la  sentence.  Elle  descendit.  Les  hommes  d'armes 
nèrent  avec  furie.  Le  bailli  vit  bien  qu'ils  n'auraient  pas 
ncc  d'entendre  son  arrêt,  et,  pour  toute  sentence,  il  fit  un 
cla  main,  en  criant  :  «  Menez!  menez'!  » 
mg  gémissement  répondit  dans  la  foule  aux  clameurs  fé- 
es Anglais.  Beaucoup  de  gens  d'Église  et  autres  s'enfuirent, 
ulant  pas  voir  davantage. 

ne  était  debout  sur  le  bClchor,  entre  Isambard  et  L'Ad- 
levanl  vers  le  ciel  des  invocations  niùlces  de  larmes... 
coup,  au  moment  où  le  bourreau  l'attache  au  fatal  poteau, 
tend,  à  plusieurs  reprises,  appeler  saint  Michel  d'une  voix 
le*.  La  forme  sous  laquelle  sa  vocation  lui  a  été  révélée 
t  à  la  dernière  heure.  Le  bourreau  approche  avec  sa  lor- 
le  jette  un  cri...  puis  elle  parle  vivement  à  son  confesseur, 
rs  le  tumulte  de  la  place,  on  entend  confusément  des  pa- 
îtenlissantes  :  Mon  Dieu!...  Jésus!  Marie!  Mes  voix...  Mes 
» 

fut  ce  testament  suprême  de  la  Pucclle?  Dans  quel  senti- 
'elle-môme  sortit-elle  de  ce  monde?... 
rovidence  a  permis  que  l'honnne  qui  reçut  ses  dernières 
ail  survécu  vingt-cinq  ans  pour  rendre  témoignage. 
i,  mes  voix  étoienl  de  Dieu...  Tout  ce  que  j'ai  fait,  je  l'ai 
l'ordre  de  Dieu...  Non,  vies  voix  ne  m'ont  pas  déçue!... 
élalions  étoienl  de  Dicu^*!  » 


es  hideux  détails  donnas  par  les  contemporaius.  Ce  n'était  plus  seule- 
)ru;alité,  la  débauche,  lu  rapacité;  c'était  le  plaisir  de  faire  souffrir,  de 
;ment. 

Dinuicnt,  préiresî  nous  ferez-vous  dîner  ici  ?  »  Dtpî^siliou  de  J.  Massicu; 
10. 

ati* !  ducaiis!  Déposition  de  G. Manchon,  t. II,  p.  3 t'i.  Lors  du  procès  de 
Llion,  on  voulut  faire  une  grande  afTaire  de  cette  omission,  comme  si  la 
du  juge   laïque  eùi  été,  de  fait,  autre  chose  qu*unc  vainc  formalité  qui 
'hypocrisie  inquisitoriaie. 
osition  de  P.  Bouchier;  Procès,  t.  II,  p.  324. 

tpir  usqne  ad  /inrm  viiœ  smc  manuteuuit  et  asseruit  quod  voces  qiias  ha» 
anl  a  Deo»  ei  quod  qmdquid  fecerat,  ex  prœcepio  Dei  fccerai,  nec  crC" 


juré  de  luclli  e  de  m  iiiaiii  mi  fdgol  iam  le  Ijûclicr,  qumi 
hrftlèraiL  Ttiîidk  qu*U  o^ctulail  mu  sevmnnU  Jmnnt»ji;Un 
nier  cri  qui  fit  relcnlir  toute  la  iilacc.  L'Apglais  lanilia  eai 
lance.  Il  avail  em  voir,  k  Vtminni  où  Jcaimo  no^lil  FAuiif,  ^ 
de  lîi  terre  de  Frîiiicc  *  et  s'envoler  au  ricl  une  culuuibe 
la  Culombe  du  SaiûUE^jirit\ 

étfbat  per  fatdçm  vûO'ê  (atuc  deceplamt  ef  r|ii(icJ  rtvutatumi^i  qpMt  kéè% 
i>ro  rrmtt,  ÎK^ponlUO»  lie  Muilin  f;  Ad  venu.  Prot/f^  t.  01,  p,  lîif*  L^âd«« 

rkm  dit  ^ii  146U,  rk'T»  tin  liS^j  j  il  j^e  décida  i-nlin  k  itin^uUler  h  c^hk 
ih  lu  dernier»   «ur|uâlfi,  r»  li-iil    Jusquivlà,  If^aruTiard  el  lui  »*éuieat 
absiifîiiyi  de  rien  dirr,  ut  sur  lu  réirut^uiticiii  iN  maHa,  ri  ftur  U  t>€ifinii*d 
iiiiMJ^n  ^  rtititire  ih  k  mort.  r<>ut  compit:ti4rL'  Tuffori  i|ue  «lui  m  Uiic  1/1 
il  fiiut  5C  rnppdtiïr  ffu^^l  ^^^^^^  ^igii^^  cottimc  Uaitjburtl,  «amme  ifins.  là  i 


CS4St]  MORT  DE  JEANNE.  301 

Ainsi  finit  cette  femine  à  laquelle  les  fastes  du  genre  humain 
ne  présentent  rien  de  comparable.  Elle  n'avait  pas  vingt  ans. 

Ce  qu'elle  a  fait  est  prodigieux  :  qu'est-ce  donc,  lorsque  Ton 
pense  à  ce  qu'elle  eût  pu  faire!  Son  bras  a  été  si  puissant,  que  ce 
qu'elle  a  ébranlé  et  à  demi  renversé,  la  domination  étrangère,  ne 
se  raffermira  plus;  que  ce  qu'elle  a  relevé  et  comme  fondé  à  nou- 
veau, la  nationalité,  ne  s'écroulera  plus  jamais.  Que  serait-ce  si 
elle  n'eût  été  arrêtée,  au  milieu  de  sa  victorieuse  carrière,  par  la 
plus  monstrueuse  ingratitude  dont  l'histoire  ait  offert  l'exemple! 
On  peut  croire,  sans  témérité,  qu'elle  eût  achevé  la  délivrance  de 
la  France  en  une  seule  campagne  ! 

La  France,  ainsi  affranchie  sous  les  auspices  de  la  plus  haute 
inspiration  religieuse  qui  ait  brillé  sur  l'Occident,  sacrée  par  ce 
pur  baptême  qui  n'avait  été  donné  à  aucune  nation,  se  fût  élan- 
cée, dans  toute  sa  force  et  sa  liberté,  vers  ses  destinées  nouvelles. 

La  France,  apparemment,  n'avait  pas  mérité  tant  de  bonheur 
et  de  gloire.  On  put  dire  du  Messie  de  la  France  comme  du  Fjls 
DE  l'Homme  :  Il  est  venu  paumi  lès  siens,  et  les  siens  ne  l'ont 

PAS    CONNU. 

La  France  eût  pu  être  délivrée  d'un  élan  divin  et  en  un  mo- 
ment :  la  déUvrance  ne  s'achèvera  que  par  des  moyens  tout  hu- 
mains, lentement,  douloureusement,  à  travers  de  cruelles  souf- 
frances populaires,  dans  d'équivoques  et  périlleuses  conditions 
morales  et  politiques,  et  aboutira  non  point  à  une  société  plus 
libre,  mais  au  renouvellement  et  à  l'organisation  plus  énergique 
de  la  monarchie  arbitraire,  à  l'étouflement  de  toute  institution 
libre  au  centre  de  l'Étal.  La  France  grandira,  mais  dans  une 
voie  où  le  progrès  social  sera  chèrement  acheté,  et  où  le  génie 
national,  tout  en  perfectionnant  de  précieuses  facultés,  con- 
tractera bien  des  habitudes  funestes. 

L'œuvre  de  Jeanne  accomplie  eût  pu  avoir  des  conséquences 
qui  éblouissent  la  pensée.  Toute  mutilée  qu'elle  est,  elle  reste 
le  plus  grand  événement  de  notre  histoire  jusqu'à  la  révolution 
française. 

Le  procès  de  la  Pucelle  n'a  pas  une  moins  haute  signification 
que  sa  mission  guerrière.  A  Orléans,  elle  avait  combattu  pour 
sauver  son  peuple.  A  Rouen,  c'est  encore  Ja  France,  en  même 


302  r.UEKKES  DES  ANGLAIS.  ;iU« 

temps  que  la  conscience  humaine,  qu*ellc  sert  en  op|K»sant  » 
grandement  Tinspiration  à  rautoritt^  et  le  libre  génie  gaulois  à 
ce  clergé  romain  qui  veut  prononcer  en  dernier  ressort  sur  l'exi- 
stence de  la  France.  Par  elle,  le  génie  mystique  revendique,  dans 
notre  patrie,  les  droits  de  la  personne  humaine  avec  la  môme  foroe 
(juc  Ta  déjà  fait  et  que  le  fera  encore  le  génie  philosophique;  un 
li(*n  secret  miit  les  développements  les  plus  divers  de  la  |Kînséeel 
du  sentiment;  la  même  âme,  la  grande  âme  de  la  Gaule,  éclo»* 
dans  le  Sanctuaire  du  Chêne,  éclate  également  dans  le  libre  ar- 
bitn  de  Lérins  et  du  Paraclet,  dans  la  souveraine  indéi)endaiKv 
de  rinspiralion  de  Jeanne  et  dans  le  Moi  de  Descartes. 

Kii  condamnant  Jeanne ,  la  doctrine  du  moyen  âge ,  la  doctriof 
d'Innocent  III  et  de  Tinquisition,  comme  le  vieux  pharisaisme. 
quatorze  siècles  auparavant,  en  condamnant  le  Christ,  a  pn- 
nuncé  sii  propre  condamnation.  Elle  avait  d'abord  brûlé  des  set- 
t(tires  qui  professaient  des  croyances  étrangères  au  christianisme. 
puis  des  dissidents  qui  enseignaient  une  pure  morale  chrétienne; 
maintenant ,  elle  vient  de  brûler  un  prophète,  un  messie  !  L'Esprit 
s'est  retiré  d'elle.  C'est  désormais  en  dehors  d'elle  et  contre  eli»* 
que  s'opéreront  les  progrès  de  l'humanité  et  les  manifestations  du 
gouvernement  de  la  Providence  sur  la  terre. 

La  mémoire  de  Jeanne  subira  de  grandes  vicissitudes,  paral- 
lèles aux  révolutions  de  l'esprit  de  la  France.  Traliie  en  liaut, 
pleuréc  en  bas  plus  que  comprise,  puis  réhabilitée  ofliciellement 
par  la  jiolitique,  qui  entasse  les  nuages  sur  sa  mission  et  sur  son 
caractère,  réhabilitation  qui  entraîne  la  chute  de  l'inquisition  en 
France  *,  Jeanne  sera  méconnue  et  outragée,  au  seizième  siècle, 
par  le  scepticisme  des  historiens  politiques  formés  à  l'école  de 
Machiavel;  puis,  défencUie  par  d'autres  écrivains  avec  plus  de  zèle 


1.  (.'o  fut  I.i  encore  un  dc.-^  ))ienraits  «lo  Joaiinc.  L'horrililc  trilmnal,  profuitàe- 
iifMt  l'iiraiili-  par  le  |tro('<'*4  de  riWiabilitation  ■  1  iôô),  fut  acheté  par  un  autre  proci^ 
duTit  nous  parlerons  plu^  loin  (  I  Lui  ).  Il  ne  ]iut  jamais  se  relever  chez  nuus,  n.éine 
diin^  les  pins  sauva^^es  t'urcurs  des  Ciiicrre-i  d«'  Ueli^ion  au  seizième  siéele.  1'.  (^ai- 
cherat  ,  yl;fr^'us  noiirr.iur.  p.  lôl-lô'i.  La  ri'haliilitation ,  œuvre*  de  la  poliii-;uf 
t'ii'  .  il  fanî  liit'ii  le  dire,  iinelipie  elio-!i'  d,.  di*rlsoire  au  point  de  vu-  rdijîieux.  l-t 
r-U'i'nlîiUiui  l  ipiuiid  il  >  a;;it  de  Kl  pla^  iclatante  s;iiutetê  de  rhisioire,  et  quan! 
Il  ean-irrixal.on  Olail  pro'li^rnée  à  d-^  reavjuunées  contestables  et  à  de  %u!^'a.frt 
a^i-'el»^*  ! 


II4S1]  JEANNE  LA  FRANCE   INCARNÉE.  303 

que  de  lumièies,  elle  restera  longtemps  enveloppée  d'une  sorte 
de  crépuscule,  froidement  honorée  des  uns,  raillée  des  autres, 
incomprise  de  tous.  La  conscience  de  la  France,  obscurcie  par  la 
longue  habitude  d'une  histoire  de  convention ,  qui  personnifie  la 
nation  dans  ses  rois,  méconnaîtra  les  personnifications  véritables 
du  génie  national,  et  surtout  la  plus  grande  de  toutes.  L'esprit 
classique  du  dix-septième  siècle,  l'esprit  critique  du  dix-huitième, 
seront  également  impuissants  à  percer  ce  mystère.  La  France 
moderne,  absorbée  par  la  Renaissance,  oubliera  sa  libératrice, 
comme  son  art  national,  comme  sa  vieille  poésie,  comme  ses 
Trais  ancêtres  les  Gaulois,  qu'elle  sacrifie  à  ses  maîtres,  aux 
Grecs  et  aux  Romains!  elle  repoussera  Jeanne  avec  ses  bourreaux 
dans  ce  moyen  âge  qu'elle  proscrit  en  masse  sans  le  connaître. 

Les  temps  changeront  :  la  justice  viendra.  Après  l'immense 
révolution  qui  déracine  et  précipite  dans  l'abîme  le  passé  tout 
entier,  toutes  les  traditions  renaîtront,  mais  dégagées  de  leurs 
voiles,  comme  dans  un  vaste  jubilé  de  l'histoire.  L'œil  de  la 
France,  alors,  s'ouvrira  sur  tout  ce  passé  qui  semblait  anéanti, 
et  qui,  on  peut  le  dire,  commence  seulement  d'exister  pour  elle, 
puisque^  pour  la  première  fois,  elle  le  connaît  et  se  connaît  elle- 
même,  pareille  à  un  être  qui,  arrivé  à  un  degré  supérieur  de 
l'existence,  embrasse  d'un  regard  toutes  les  phases  de  son  déve- 
loppement. 

Dans  le  temps  comme  dans  l'espace ,  à  mesure  que  la  distance 
augmente,  les  points  intermédiaires  s'abaissent,  et  les  grandes 
masses  lointaines  qu'ils  cachaient  se  relèvent  à  l'horizon.  Ainsi 
les  grandes  colonnes  de  la  tradition  se  dégagent  aujourd'hui  de 
plus  en  plus  parmi  la  multitude  tumultueuse  des  faits ,  et  mon- 
tent de  jour  en  jour  vers  le  ciel.  Deux  figures  colossales  domi- 
nent toute  notre  histoire  ;  loin ,  bien  loin ,  à  notre  berceau ,  la 
Yieille  Gaule,  notre  mère  ;  plus  près  de  nous ,  sur  les  confins  du 
moyen  âge  et  de  l'ère  moderne,  Jeanne  Darc  ,  la  France  incamée. 


LIVRE  XXXVII. 

GUERRES  DES  ANGLAIS  {SLITE). 


CnARi.ES-LB-BiB!<-Siiivi.  —  Lb  Consbil  db  Fbaucb.  —  Êchect  en  Bnaî«hii 
et  en  Lorraine.  —  Tnîvo  avec  la  Bourgogne.  —  Prise  de  Chartres  par  îe^FiB- 
(;ais.  Kchcc  de  Bedford  h,  Lagni.  ^  Rupture  entre  Bedronl  et  le  duc  ds  B-'C- 
gognc.  —  Conjuration  de  la  bclle-nière  du  roi  avec  le  connétable  contre  U 
Trénioille.  Cliute  du  La  Trémoillc.  Yolande  d'Aragoa.  Agnès  Sorel.  Le  Cccff£ 
du  roi.  riouverncmcnt  d'Yolande  d'Aragon,  de  Richeninut  et  des  niinir^e! 
bourgeois.  Jean  Bureau.  Jacques  Cobub.  —  Insurrection  des  paysans  norviiods. 
—  Paix  avec  la  Bourgogne.  Traité  d'Arras.  Cession  de  la  Picardie,  de  Bar-i3> 
Seine,  Auxerro  et  Maçon  au  duc  de  Bourgogne.  —  Mort  de  Bedlbrd.» 5octeik 
révolte  en  Normandie.  Soulëvenieul  des  places  de  Pile  de  France  contre  kf 
Anglais.  Paris  chasse  les  Anglais.  —  La  fausse  Jeanne  Darc.  —  Le  duc  deBcv- 
gognc  en  guerre  avec  les  Anglais.  Désordres  des  Flamands.  Ils  écboDcEi  u 
siège  de  Calais.  Révolte  de  Bruines  et  guerre  civile  en  Flandre.  —  Dêvasiiticsi 
des  flcorcheiirs,  KfToits  de  Richeniont  contre  eux.  —  Prise  de  Ifontereau.  Eaifcc 
du  roi  h  Paris.  —  Désordre.  Mieère.  Kpidémie.  —  Persévérance  de  RtchesouL 
Origine,  fortune  cl  influence  de  Jacques  Cœur.  —  Prise  «le  Meaux.  —  Cii^ 
Généraux  d'Orléans.  Là  taillb  fixk  kt  pkrmambxtb.  Avantage»  présents. Du* 
gersde  l'avenir.  Marche  vers  Tarbitraire  royal.  —  Ordonnance  ponr  untvwk 
régulière  et  contre  l'arbitraire  féodal.  Résistance  des  seigneurs  et  du  écor- 
cheurs.  Les  factieux  mettent  le  dauphin  ^Louis  XI)  à  leur  tête.  I.a  Prantri*. 
Les  rebelles  comprimés.  —  Procès  du  maréchal  de  Rez.  — >  Affaires  de  Vt^'ia» 
Lutte  do  la  papauté  et  du  concile  de  Bûle.  Pragmatique  sanction.  —  RépressidS 
du  brigandage.  —  Délivrance  du  duc  d'Orléans.  —  Prise  de  Pontoise.  —  Ctâ- 
liment  d'Armagnac—  Trêve  avec  rAnglclcrre. 


1431— liH. 

Les  chefs  du  conseil  d'Angleterre  travaillèrent ,  avec  udc 
énergie  désespérée,  à  tirer  parti  de  leur  affreuse  victoire.  Dès 
que  Jeanne  eut  expiré,  ils  avaient  fait  éteindre  le  bûcher,  afin 
que  soldats  et  peuple  vissent  tout  à  leur  aise  ce  corps  à  demi 
consumé  * ,  et  que  personne  ne  pût  croire  t  la  sorcière  de  France  » 


1.  u  faut  voir  le  récit  de  l'universitaire  mal  à  propos  qualifié  de  Bovrgtoiti' 
Paris,  pour  se  faire  une  idée  du  cynisme  et  de  la  rruauté  de  ces  pédants  da  qvt" 
zième  siècle,  que  nous  ne  voyons  ^lue  déguisés  sous  un  décorum  officiel  dans '•<« 


1431]  EFFET  DE  LA  MORT  DE  JEANNE.  305 

nvoléc  du  milieu  des  flammes;  puis  le  cardinal  de  Winchester 
vaît  fait  rallumer  le  feu  sur  le  cadavre  et  jelcr  les  cendres  à  la 
«ine,  de  peur  qu'on  n'en  fît  des  reliques.  Les  chefs  anglais 
oyaient  avec  inquiétude  l'effet  moral  de  la  catastrophe  tourner 
ontre  eux  dans  Rouen.  Les  sujets  de  l'Angleterre  disaient  ana- 
tièmc  à  leurs  maîtres,  et  les  Anglais  se  prenaient  à  douter 
•eux-mômes.  Le  peuple  criait  que  «  dame  Jehanne  étoit  mar- 
bre 1  :  nombre  de  gens  prétendaient  avoir  vu,  au  moment  où 
lie  expira,  le  nom  de  Jésus  écrit  dans  les  flammes;  maints  An- 
lais  s'étaieut  retirés  consteiTiés.  <  Nous  sommes  tous  perdus! 
ne  sainte  a  été  brûlée  !  ceux  qui  l'ont  fait  mourir  sont  damnés  !  » 
vait  dît  publiquement  un  secrétaire  du  roi  Henri  VI.  Le  bour- 
eau  était  allé  se  jeter  aux  pieds  d'Isambard  et  de  Martin  L'Ad- 
emi.  Il  étoit,  à  ce  que  rapporta  Isambard,  «  comme  tout  dés- 
spéré,  craignant  de  ne  jamais  obtenir  le  pardon  de  Dieu  pour 
e  qu'il  avoit  fait  à  celte  sainte  femme;  et  il  racontoit  qu'il  n'a- 
oit  jamciis  pu  venir  à  bout  de  brûler  le  cœur  de  Jehanne  ».  Les 
jges  et  les  plus  compromis  des  assesseurs  étaient  insultés  dans 
3S  mes  :  le  peuple  les  montrait  au  doigt  et  les  accablait  de  ma- 
idîctions*.  Le  gouvernement  anglais  n'épargna  rien  pour  réagir 
ontre  le  sentiment  public.  11  fit  rédiger  par  Cauchon  cette  es- 
èce  d'enquéle  dont  nous  avons  parlé,  sur  la  dernière  monition 
e  la  matinée  du  30  mai  :  l'on  y  exagéra  les  derniers  doutes  de 
eanne  et  l'on  fil  ajouter,  par  L'Oiseleur,  que  Jeanne  était  morte 
avec  grande  contrition  de  ses  crimes  »  et  en  demandant  pardon 
ux  Anglais  et  aux  Bourguignons 2.  Cauchon  reçut  pour  lui,  son 
ollègue  et  les  assesseurs  et  officiers  du  procès,  des  lettres  de  ga- 
aiitîe  du  «  roi  de  France  et  d'Angleterre  ».  Le  monarque  anglais 
'engageait,  dans  le  cas  où  quelques-uns  de  ceux  qui  s'étaient 


êtes  du  procès.  M.  Michclot  les  appelle  «  le  peuple  des  sots  »  ;  mais  ces  sol? 
Uient  parfois  des  bétes  féroces.  Jounuil  du  Bounjcois  de  Paris,  ap.  Coll.  Mi- 
hBUd,  â"  série,  t.  UI.  p.  263-264. 

1.  Procès,  t.  H.  p.  307,  3i7,  374  ;  III,  165.  Nous  avions  omis  un  point  init- 
pssant,  louchant  l'opposition  qu'une  partie  du  chapitre  de  Rouen  avait  faite  jus- 
u*4  la  fin  du  procès;  c'est  que  l'official  et  le  promoteur  du  chapitre  avaient  été 
uiprisonnés  a  ce  sujet  du  9  au  23  mai.  Cette  honorable  exception  ne  doit  pas  éiro 
égligée  par  l'histoire.  Procès,  l.  V,  p.  272. 

2.  Procéx,  t.  I,  p.  485. 

VI  W 


^m  GUSetnRS  DES  ANr.L%tS^  fimi 

eiiiremis  au  \n*ùcH  de  Jennne  seraien!  IniduîU  |wir*-def 
p4i|vc  ou  le  concile»  à  les  aider  et  défendre,  i^n  jugcmmt  et 
jugement  s»,  h  sisfniset  tK'pens,  h  s'adjoindra  au  i>rùcH 
Imv  voudi  fiit  inleiiterp  et  roqutVait  pour  eux  assialiiDcc  de 
ses  Mijels  ot  alliés  (I?  juin  1431)*.  te  lettres sctuî  '  ^  via 
dérensif  entre  ccniîpiiceSt  plul6l  qirune  promet 
d*un  gouvernement  h  ses  sujets.  Le  conml  iVAu^hitnt,  ci 
même  temps  quMl  assumait  ainsi  la  rcspoiiKiUllilê  du  crimc«i»* 
Sàyade  le  juïSlillcr  aux  yeux  de  rKurope  :  dvm  cirruloir^s  bmsl 
expédiées,  dans  le  courant  de  juin,  Tuneâ  reiii|icretir,  aui  hk*, 
ducs  et  autres  prince»  de  toute  la  ctirélienl^;  fciutre.  aux  è^ 
queSi  aux  églises^  aux  seigneurs  et  aux  commmiJio nVs  du  nifâiimê 
de  Fiance.  On  y  anirmait  que  Jeanne  élail  nH»rtc  eu  d^%'oittal 
<  les  mauvais  esprits  qui  Tavoienl  déçue  »|  el  Ton  îniltml  le 
é%fiques  à  a  faire  noiifier  ces  choses  par  sermons  pnlilic^  et 
nient  aux  peuples  de  kur  diocèse*  »- 

Le  gouvernement  anglais  fit  de  fon  mieux  iicmr  ^tttei 
plume  par  Tépée,  AussHôt  après  la  mort  de  Jeanne,  le  sîéjçf  fit 
mis  dcTanl  Louviers,  afin  de  débarrasser  la  Haute  N*finn.irf*î  ^  ^ 
H  ire,  qui  avait  enlevé  rette  place  aux  Anglais,  venrut  di 
prisotmier  dans  une  ehevaucliée,  et  sa  prise  kiir  i^iiibbit  de  l»o& 
augure*  La  garnison  de  Louvfers  se  dèremlil  tûulefois  aux 
niâtrcté*  Sur  ces  entrefaites,  le  conseil  de  Oiarlcs  VU,  qui 
retenu  lei  troupes  françaises  dans  rinmjobUilé  durant  tout  k 
procès  de  la  Pucclle,  voulut,  de  son  cAté,  fiiirc  \tm  enîixftim* 
Hegnanld  de  Chartres  prépara  une  tentative  pour  -ïMt*r**r.îf^ 
Rouen,  quand  il  fut  bien  assuré  de  n'avoir  pU^  h 
sauver  Jeanne*  Il  vint  à  Ikmïvius  avec  le  petit  berger  vnm 
que  La  Trémoille  el  lui  avaient  mandé  des  Cévenn<m',e(qi 
ganlaient  depuis  plus  d*un  an,  sans  o^er  ^'eo  senrir  t«ftf  qfur 


2.  PtiHiM,  U  t,  p.  48^-40?,  VoitiL,  dans  le  Journal  ém  Bourift^iê  (Ht  t^miu  iV 

fialpc  fin  nrmoD  {inlclté  a  Sttîiiuttdjrtiu-rleii-CJmnjpt  ^r  nftqsliiicxf  w^^^ 
^nn  GrMtir^iiit  en  pt;r9fmiii%  qui  dcltlu  m  im%\ût  Ivi  r«iflin  les  ^àa«  I«i]^j«s* 
sur  les  dcriiieii  moiticnu  àù  Uamn^  U'  Jmmml  tlnnu»  aii]»RniT«tit  Vmmif^  • 
iLtinnn  d«  ?Jitolc  Midi  doMtU  U  hkchtv  de  ItnnDe,  irroïc»!!  «)u<^  it#  doQie*  /^ 
II?»  Actes  au  procès.  Jmumi,  etc.;  Coll  Uictuud,  i**  |ttnie,  i.  iU^  p,  U* 
1.  w  m*^fi^^M%f  p.  2Zt>^ 


Cli3l]  GUriLAUME  LE  BERGER.  307 

Jeanne  était  de  ce  monde  :  rardicvéque  de  Reims  montra  aux 
soldats  «  Guillaume  le  pastourel  »,  comme  un  envoyé  de  Dieu  qui 
devait  leur  ouvrir  les  portes  de  Rouen  ',  et  mit  Guillaume  en 
campagne  avec  un  corps  d'élite  que  conduisaient  le  maréchal  de 
Boussac  et  Saintrailles. 

Le  coup  était  assez  bien  monté.  Regnauld  de  Chartres  avait  des 
inleliigenccs  dans  Rouen,  et  il  était  informé  que  le  duc  de  Hedford 
partait,  en  ce  moment,  peu  accompagné  pour  Paris.  Boussac  et 
Saintrailles  faillirent  enlever  le  régent  anglais  aux  portes  de 
Mantes  :  Bedford  n'eut  que  le  temps  de  mettre  la  Seine  entre  les 
Français  et  lui,  tandis  que  ses  gens  se  faisaient  massacrer  pour 
assurer  sa  fuite.  Il  gagna  Paris  à  course  forcée  (i  août  1 431).  Bous- 
sac et  Saintrailles,  ayant  manqué  Bedford,  rentrèrent  dans  le 
Bcauvaisis:  ils  furent  surpris,  à  leur  tour,  par  Talbot  et  le  comte 
d'Arundel,  qui  avaient  quitté  le  siège  de  Louviers  sur  le  faux  bruit 
de  la  prise  du  régent.  Les  Français  furent  battus.  Saintrailles  fut 
pris  avec  Guillaume  le  berger,  et  Boussac  s'enfuit  jusqu'à  Beau- 
vais  2.  Telle  fut  la  honteuse  issue  des  projets  de  Regnauld  de 
Chartres. 

Les  vainqueur  retournèrent  devant  Louviers,  qui  se  rendit 
au  mois  d'octobre,  moyennant  la  liberté  de  La  Hire  et  une  capi- 
f ulation  honorable  pour  ses  gens. 

Les  Bourguignons  avaient  obtenu  de  leur  côté  un  succès  bien 
plus  considérable  encore  :  la  mort  du  duc  de  Lorraine  Charles  II 
;25  janvier  1431)  venait  d'allumer  la  guerre  civile  en  Lorraine.  Le 
duc  Charles  avait  légué  son  duché  à  sa  fdie  Isabelle  et  à  son 
gendre  René  d'Anjou,  duc  de  Bar;  mais  son  neveu  Antoine,  comte 
de  Vaudemont,  réclamait  l'héritage.  La  Lorraine,  au  dire  d'An- 
toine, était  un  fief  masculin,  régi  par  la  Loi  Salique,  et  ne  pouvait 
tomber  en  quenouille;  la  tradition  était  incertaine,  et  il  n'existait 
»  point  de  précédents  qui  décidassent  la  queslion.  Les  deux  partis 
recoururent  aux  armes.  René,  qui  avait  servi  Charles  VU  avec 
zèle  et  assisté  au  sacre,  appela  les  Français  à  son  aide;  Antoine 
appela  les  Bourguignons.  Les  chances  paraissaient  être  pour 

1.  Berri,  roi  d'anius;  up.  Procès,  t.  V,  p.  t72. 

2.  Journal  du  Bounjpoi»  ilc  Paris,  —  Lefèvrc  de  Sainl-Rciui.  —  Monstrelel. — 
Btrri.  —  Jeun  Charlior;  aj».  P/ot<?.t,  t.  V,  p.  169-173. 


im^  OUËRKES  DES  .ANGLAIS.  riu^ 

ri(?rK'*î  U^s  KUiïs  (lu  duL'hCs  iissciiihlfs  îï  N«nd,  s'êliiii!nl  «IMim 
pour  lui,  ot  IVniï^ereur  Sigismond,  suisei-aîn  dt*  la  Lormîne,  »i.ïii 
leeoruiu  SCS  ilroits  :  il  pril  rolïotisîve.  II  somma  le  rniule  Anl^îm 
tk  fui  rendre  hommage  de  ses  fîcrs,  et,  mr  mn  refus.  Il  i 
sa  ville  de  Vimdeinorit;  Anloinemandaà  sa  solde quelqu-.*^  tr  u] 
finplaises  cl  \mv  tbrte  bande  d^avcnturiers  picarde,  el  il  (J[^*  ml 
jonciion  avec  la  noblesse  bourguigtionnc  que  lui  amena  le  m  v:* 
clif»!  de  Bourgogne,  le  sire  de  Toulonireon.  Les  Élals  du  tludK  iJc 
Bourgogne,  q\ii  eraignnient  de  voir  leur  pars  envnht  el  nt^t 
de  toutes  paris,  û  le  parti  français  Femporl^iU  <îd  Lomunr, 
avaient  voté  50,000  fratics  d*or  pour  les  frais  de  telle  çoerriL  Li» 
Bourguignons  ei  les  IMcards  portèrent  le  fer  et  la  natntnc  dniif  b 
duclié  de  Bar,  Le  duc  René  maiTha  au  secours  du  OarroU  a«jr 
m  mille  eombattantB  françaisjorrains  et  allenwinds,  la  plu|^| 
h  rbevîd.  Le  brave  Brtrbasan»  gouverneur  de  Cliauipairrie,  è^ 
inarMial  de  lannée;  Tévi^que  de  Metz,  Iccomïedc  Salni/leçmi- 
vcrueut  de  Vaucouleurs,  Baudricourt,  devenu  célèbre  par  ae§Tt- 
lationsavec  la  Puérile,  presque  tous  les  barons  de  Lormioe»  tHfaih 
coup  de  grands  seigneurs  du  Palalinat  et  du  pays  de  Badfc.  « 
pressaient  autour  du  duc  René.  Vaudemoni  el  Tuulongt»oii,  qui 
n'avaient  que  quatre  ujiUe  soldats,  firent  (îiee  cuire  Sin^lrr- 
court  et  Butligneville.  Les  aj^cberjî  picards  cl  les  cf^uleiivrinim 
tureïit  placés  a  au  front  devant  »,  avec  des  pieux  flch^  dc^wl 
eux  h  la  mnnière  anglaise;  les  hommes  d'armer  bourguigoo» 
mirent  pied  Ix  terre  :  leurs^  tlnncs  et  leurs  derriôrcs  èlaicf 
!ege&  par  une  petite  rivitTe,  par  des  fossés,  par  des  hxÈitt      , 
un  rempart  de  cimrreltes.  Barbasan  conseiKa  de  dUTérer  latla* 
que  et  de  forcer  les  Bourguignons  à  quitter  leur  poste  en  Ifcr 
coupant  les  vivres;  la  jeune  noblesse  lorraine  traita  co  sape  «irb 
de  couardise  :  «  Qui  a  peur  ries  feuilles  n'aHIe  pa$  «a  toisî 
erièrent-ils  à  BarbaBan.  —  Merci  Bien  !  répliqua  le  vîetu  gucr* 
rier,  ]*ai  vécu  Jusqu'ici  sans  reproche»  et  aujouixiliui  Von  rttn 
si  j'ai  parlé  par  lâcheté  ou  par  t^pience  !  »  Le  duc  Bené  $elai«» 
entraîner  par  ses  ïémémires  coni[>agnans,  et  ralTaire  ifcfmem 
par  une  eliarge  générale  rie  la  cavalerie  lon^iifie  ef  '  i«' 

sur  le  Iront  de  rennenii  :  une  gnMe  de  bouleli  et  de  u .  a.- 

drr»ya  la  cavalerie  à  boni  portant;  la  charge  fut  repoussèe.  Le  Jim 


C14313  TRÊVE  AVEC  LA  BOURGOGNE.  300 

ol  tous  les  siens  mirent  pied  à  lerre  et  revinrent  liardinient  h 
l'attaque  :  le  vieux  Barl)asan  força  la  ligne  de  cliariots  qui  cou- 
vrait un  des  flancs  de  rennemi  ;  mais  il  fut  presque  aussitôt  en- 
veloppé, abatlu  et  tué.  La  chule  de  sa  bannière  détermina  la  dé- 
route de  l'armée;  sept  cents  barons,  chevaliers  et  écuyers  périrent 
avec  deux  mille  soldats  :  le  duc  René  fui  obligé  de  se  rendre,  ainsi 
que  révéque  de  Metz  et  plus  de  deux  cents  seigneurs  et  gentils- 
hommes (2  juillet  1431)  *. 

L'odieuse  politique  de  Bedford  et  de  Winchester  allait-elle  donc 
atteindre  son  but?  La  fortune  renaissante  de  hi  France  avait-elle 
été  jetée  aux  flots  avec  les  cendres  de  Jeanne,  et  Talliance  victo- 
rieuse des  Anglo-Bourguignons  était-elle  cimentée  de  nouveau 
dans  le  sang  de  la  grande  victime? 

Il  n'en  fut  rien.  Les  Anglais,  s'ils  avaient  cru  la  victoire  de 
BuUigneville  remportée  pour  leur  compte,  furent  promptemenl 
désabusés.  Toulongeon,  qui  se  prétendait  «  chef  de  la  guerre  », 
couHue  représentant  le  duc  de  Bourgogne,  ne  livra  pas  René 
d'Anjou  à  son  compétiteur,  et  garda  cet  important  otîige  à  la 
disposition  du  duc  Philippe.  Les  Bourguignons  regagnèrent  en 
liàle  leur  duché,  menacés  par  un  corps  d'armée  français  réuni 
à  Moulins,  et  ne  tentèrent  pas  d'installer  à  Nanci  leur  allié  Vau- 
demont.  Quelques  semaines  après,  les  envoyés  du  duc  Philip|)e 
signèrent  avec  le  roi  et  le  comte  de  Clermont  une  trêve  de  deux 
ans  pour  toutes  les  frontières  de  la  Bourgogne,  de  la  France 
royale  et  des  domaines  de  la  maison  de  Bourbon  (septembre 
1 431)  :  on  convint  d'ouvrir  des  négociations  pour  la  paix  générale, 
sous  la  présidence  d'un  légat  du  pape,  le  cardinal  de  Sainte- 
Croix,  qui  montrait  un  zèle  ardent  pour  la  paciflcation  de  la 
chrétienté.  La  vanité  de  Philippe  était  consolée  de  la  défaite  de 
Compiègne  par  la  victoire  de  BuUigneville,  et  il  était  moins  éloi- 
gné maintenant  de  prêter  Toreifle  au  cri  unanime  de  ses  sujets  : 
«  La  paix,  la  paix  avec  la  France!  »  Le  principal  effort  des  com- 
pagnies de  gens  d'armes  se  tournait  contre  ses  seigneuries, 
moins  ruinées  et  meilleures  à  piller  que  les  provinces  qui  étaient 


1.  Slonslrelel,  1.  II,  c.  iM7-in8.  —  Saint-Rcini.  —  Jcaii  Churiicr. —  Bcrri.  — 
Baraiitc. 


GUERRES  DES  ANGLAIS,  iioij 

ilopuiâ  si  longlemps  le  Iheâtrc  de  la  gueiTP,  et  I<î  duc^désor 
l^ieii  assb  dans  mn  empire  ûes  Pays-Bas,  n'ajiint  pla$  h  \ 
les  AnglîHs  de  ce  CÔU%  ef»  d*imc  aulro  p.irt,  n'i-^pèranl  |ilit&| 
(îro  h  Chanipngiié,  était  las  d\iser  an  profil  de  l'An::V 
argcnl,  ses  soldats  vi  le  reete  de  sa  po(*itlarilL*  :  îl  n*«  - 
montrer  à  Paris  ni  dans  les  autres  villes  anjîlo-fraticai9£s 
j  porter  nouvelles  de  paix  ou  de  \rtxe. 

lu  sombre  îTiécontenienient  n^ffnait  ûm$  €«  tnaUimir 
cités,  que  lu  duc  de  Bourgogne  abandonuati,  el  cjuc  lo  r^gciili 
glaîs  opprimait  sans  les  protéger.  Bcdtord  essavâ  »'  lcftft>^ 

ristens  par  les  pompes  ibéâtralcs  d'un  sacre,  I^  vi. ..-.  .;.  iU^nd  VI 
était  arïHoncée  à  Pnris  depuis  dix-huit  au  vingt  nml$  :  ciii«  4^ 
eida  entln  à  amener  le  jeune  monarque  dans  b  caiiilnle  de  •  »ii 
rùyarmie  de  France  ^.  Henri  fît  son  entrée  â  Paris  le  ï  déccrobir 
\\:i\  :  on  ne  voyait  dam  sou  etscorte  autnins  grands  barotisik 
Franee  ni  de  Bourgogne  ;  des  (feus  de  la  suite  du  rai  élaieni  id- 
vcsli^^  en  duc  de  Bourgogne  et  en  cornic  deNerei^  ;  quain*  '^ 
et  quelques  ^enldslioinmes  et  eliefâ  d^aventurters,  entn:  L.  i..,. 
on  remarquait  le  bailli  de  Uouen,  Le  BoutcilUer,  qui  avait  en- 
voyé Jeanne  an  bûclier,  étaient  les  seuls  Français  notables  q«r 
figTiraîiseiit  dans  le  cortège  parmi  les  préhis  cl  Ic^  :  .n 
d'Atigteletre  :  les  quatre  évéques  éLiient  ceux  de  Pi-  iV*- 

roueune,  de  No  yen,  cl  Teît-evéque  de  Beau  vais  *.  Tandis  qiifOiiH 
elion,  TasRajîSin  de  la  Pueelle,  ehevaueliait  arrogaminent  iir(*id« 
roi  étiviiigcr,  on  traînait  garrotté,  k  la  suite  dti  cofl^gt?,  \e  v'^i 
berger  visionnaire  pris  par  les  Anglais  aiîx  enrîroni  de  Btv^ 
on  le  noya  dans  la  Seine  aprè^  la  fête. 

Le  roi  lleuri,  reçu  à  la  i»orte  Saint-Denis  jmrk  pt\Wàtdes^iiiiiP' 
cliandîs,  les  éehevins  el  les  corps  de  métiers,  arec  h?  cérèrnniib> 
ordinaire  des  entrées  royales,  alla  descend re aux Tournclkf,  ocm- 
velle  réïîîdence  qui  devait  efTacer  le  rameujL  hôlel  Saint-Pot«  et 
qu  occupait  le  duc  de  Bedford^*  Quand  le  ruricge  passa  d«fm 

1.  Le  pftp«  ne  »*6tDa  paj(  prêté  à  la  lr»k«)ftU(ïn  *U  t^mho^  «ur  le  t\ê{ 

nouf^Rp  et  cons(^uiU  9t;ulam'iU  a  c<^  im*0û  Inl  tloutiàl  VHètkéàf  Uiliiii,  Vhé 
ttc  bu(iu¥iii4,  dont  II!  riMii|^vr«l  éitH  %équ«ftlré  deptiis  îitiK  pu^ê.  Ii  JiraA  JmtT 
Ml  Juir<*iini  dcf  L^Tsiiin»  flU  du  ctlfcbrp  iniïgUTr4r  »!^  ciï  nom,  «t  d«|>u(i  ftrcbcflftf 
ût  RHiii»  «tt  auifur  d*uue  Hi»LOirc  Je  CKarlL-t  YI. 

2,  VMHi  a««  Tourooflei  ^1>U  sïttt^  «ur  rcn^pficcmriit  de  U  f«}t?i  t\opk  H 


[14SI]'  HENRI  VI  A  PARIS.  311 

riiôtel  Sainl-Pol,  veuf  de  ses  magnificences  et  de  ses  folles  joies, 
la  vieille  reine  Isabeau  de  Bavière  se  mil  aux  fcnùlres  avec  ses 
dames  et  ses  damoiselles  pour  voir  le  roi  son  petil-fils  :  Tenfanl 
ôta  son  chapeau  et  la  salua;  elle  s'inclina  humblement  et  se  dé- 
tourna pour  pleurer.  Était-ce  remords  de  son  crime  ou  soulcmenl 
regret  de  ses  plaisirs  perdus  et  de  sa  splendeur  éteinte?  Cette 
pompe  éphémère  qui  passait  devant  ses  yeux  lui  rendait  sa  soli- 
tude plus  vide  et  son  abandon  plus  amer  :  ces  Anglais,  auxquels 
elle  avait  donné  un  royaume,  lui  donnaient  à  peine  le  pain  quoti- 
dien {Journal  du  Bourgeois  de  Paris). 

Le  roi  Henri  fut  sacré  le  16  décembre  à  Notre-Dame  :  ce  ne  fut 
pas  même  un  prélat  français,  ce  fut  le  cardinal  de  Winchester, 
qui,  au  grand  déplaisir  de  Tévèque  de  Paris,  conféra  Tonclion 
royale  à  son  petit-neveu.  Les  fêtes  du  couronnement  furent 
mesquines  et  mal  ordonnées  :  les  vieillards  se  rappelaient  trisle- 
ment  les  belles  fêles  de  Tancienne  cour,  et  Ton  disait  assez  haut 
qu*un  bon  bourgeois  qui  mariait  ses  enfants  faisait  mieux  les 
choses  que  ces  Anglais.  Le  parlement,  Tuniversilé,  le  corps  de 
ville  n'eurent  pas  même  de  places  réservées  au  banquet  royal! 
Le  roi  repartit,  dès  le  lendemain  deNoCl,  pour  Rouen,  et  de 
là  pour  TAnglcterre,  «sans  faire  aucuns  des  biens  à  quoi  ons'at- 
tendoit,  sans  délivrer  les  prisonniers,  ni  faire  cheoir  maltotes, 
gabelles  et  mauvaises  coutumes  »  [Bourgeois  de  Paris],  Le  con- 
seil de  Henri  VI  eut  beau  confirmer  les  privilèges  de  Paris,  avec 
de  grandes  louanges  de  cette  ville,  que  les  «  letlres-royaux  »  com- 
parèrent à  «  Gorinthc,  la  plus  noble  cité  du  pays  de  Grèce  et  la 
résidence  principale  du  roi  Alexandre,  et  à  Rome,  séjour  des 
empereurs  anciens <  ».  Les  Parisiens  furent  peu  sensibles  à  toute 
cette  rhétorique  anglaise,  et  la  cour  d'Angleterre  les  quitia  plus 
malheureux  et  plus  mécontents  qu'auparavant.  L'aspect  de  Paris 


«les  rues  adjacentes,  presque  en  face  de  l'hôtel  Saint-Pol  :  bàii  par  le  ciiancelier 
d'Orgenioni,  il  était  devenu  propriété  do  la  couronne  en  1417,  après  avoir  passé 
par  les  mains  des  ducs  de  Bcrri  et  d'Orléans. 

1.  Ordonn,,  t.  XHI,  p.  171.  —  Le  jour  de  son  départ,  Ilcnri  VI  confirma  les 
privilèges  de  l'université  :  les  lettres-royaux  vantent  avec  emphase  les  u  grands 
biens  et  œuvres  fructueuses  qui  adviennenl  de  jour  en  jour  au  royaume  par  notre 
chère  et  très  amée  fille  l'université  do  Paris  »  !  L'université  avait  acheté  assez 
cher  les  éloges  de  l'étranger!  —  Ordoun,,  t.  XIII,  p.  169. 


Itt  GUËBRES  DES  4TI(«LAI9*  mm 

élait  d'une  trisleîtsâe  jnexprimalile  :  Thorba  paii^ttit  ntriaéi^ 
grés  de  ces  h6k»ls  myaux  ei  ^ignetiriaui  où  a*èUil  pdb  Mplâ 
bruyaiMment  la  plus  bnilaule  tiobksse  du  ititixiile;  od  fitlçoa^ 
iiiorl  régnait  tlnns  les  clos  cl  dans  \vs  ruelles  du  «  |MiT5  btiot, 
i|ue  tfyniiimil  plus  la  foule  hru\.^mtc  des  C-mlierîi  :  des  nic>  eiiû^n^ 
étaiL^nt  deïiiertes.  Lliiver^  on  abattait  les  miiJ$ûn.-i  ubanétmit^Tv 
pour  en  Lirer  du  bois  de  chauffage;  le  gouTerueiiienl  uii^laii  Cr 
obligé  dlnlcrveuir»  idîu  d'einpôdier  de  dînuojîr  Parié  pH^tt  i 
pièce.  (Ordonn,,  ï,  XII,  p-  174,) 

Le  régent  ne  sïluit  pas»  Tail  longlempH  illusiûn  sur  li>s  miiim 
dé  la  mort  de  Jcnnntv,  et  ne  m  di^stmiLlaii  pas  ce  qu*ûumi  4e 
précaiî'ïï  la  possession  de  l'aris,  dès  qu'une  fimiii  un  peu  vi;^(i> 
reuâe  ressaisirait  in  direclion  da  ce  parti  rtutiçai^  que  pi^mmie 
ne  coudiiisiiît^  Il  iHaJt  rcsigné«  dans  le  cas^  où  il  Iiiudmil  renon- 
cer au  reste  du  royaume,  à  se  resserrer  dans  h  sculi!  Nonfiiiï**np 
ujak  h  la  conserver  à  tout  prix,  L'Anglcteri-c  élail  h  lu 
agitée  au  dedans  par  1rs  DicLio»^>  et  très  lasse  des  ^acrilk»^ 
lui  coûtait  au  ddiûrsiintenninablc  giïcrre  de  France,  BUr  i 
surfit  avec  parcimûnic  les  secours  qu*elle  accordai l  à  lledrord,<l 
celui-ci  ne  pouvait  occuper  rortcuient  que  la  Normandie;  î!  %'d- 
UnX'iil  ilu  nioins  de  rallacbcT  cette  province  à  rAûgleiem.%  en  f 
niinnteuant  queltjue  ordre,  en  protrgeant  les  persuonc^  et  Id 
proprièlés.  Au  inolô  da  janvier  1432,  peu  de  jotus  avant  ifoe 
Henri  Vï  quittât  la  France,  des  «  leUre^-ro}  aux  •  îa'ïiilitèrciiK  I 
Caen  des  écoles  de  droit  civil  et  da  droil canon;  «  pour  ce  qa 
fait-on  dire  au  Jeune  roi,  a  il  n'y  a  d  école  de  droit  civil  i 
dans  les  pays  de  notre  obéissance  en  France  »,  Le  ilroil  romiÉi 
n'étant  point  enangné  à  i*aris,  on  était  obligé  d^aller  t'appmièt 
h  Orléans  et  à  Angers,  villes  de  robéissance  de  tl*arle:>  VU.  L'um- 
vcrsilé  de  Faris  essaya  en  vain  de  s*oppo«er  h  h  fondalîoii  Je 
écoles  de  Caen  :  cet  établisscnieut  survécut  à  ta  doininalîûn  ar#- 


t  lÂ!  roi  uioB  trait  «  si  petit  vouloir  de  »oi  mettre  lUi  puar  cmù^^ 
roTaumc,  t\uc  tou^  scn  KU^ctUt  cbcviilii^rA  ei  éctiycrs  fit  !ê>  biiOAc»  vltlr* 
nbi^j««aiTcc  «'en  liooQirKMit  trè>*  ^riiud  itien  cijle.  TA  ««mUktl  A  U  l^li^rf  ^M  «■ 

tl  ^hrt^  ut  pttT  e»pétial  ciepa*»  \a  pii*c  tïv  U  l'ucdlo,  U  fM  ei 
se  \rotx\trtinK  dop\à\h  laUiie  |>riâi%  plu»  abui»»?!  tic  bon  faiilw^r 
Inerte vdl  «J«  Chimi»  ûp,  /Vcfc^i,  tAY,  p,M^ 


[n32]  ÉCOLES  DE  CAEN,  POITIERS,  ANGERS.  313 

glaise;  plus  lard  inùme,  des  facultés  de  Ihéologie,  d'arts  et  de 
médecine  furent  ajoutées  à  lu  faculté  de  droit,  et  Caeii  posséda 
une  univei*silé  plus  complète  que  celle  de  Paris.  Le  gouvernement 
de  Charles  Ali  répondit  à  Tinstitution  des  écoles  de  Caen  par  les 
Anglais  en  fondant  l'université  de  Poitiers,  par  ordonnance  du 
IG  mars  1432*;  Tannée  suivante  (mai  1433),  une  autre  ordon- 
nance accrut  les  privilèges  des  écoles  d'Angers,  qui,  de  simples 
écoles  de  droit,  devinrent  également  une  véritable  université; 
c'étaient  autant  de  coups  portée  à  l'université  de  Paris 2. 

Les  légers  avantages  obtenus  par  les  Anglais  en  1431  n'avaient 
pas  été  soutenus  :  avant  la  lin  de  l'hiver,  les  capitaines  français 
reprirent  partout  une  altitude  agressive,  et  recommencèrent  à 
nouer  des  intelligences  dans  toutes  les  villes  qui  subissaient  en- 
core le  joug  de  l'étranger.  Les  Anglais  étaient  bien  gouvernés  el 
dirigés  avec  ensemble;  les  Français  ne  connaissaient  ni  unité,  ni 
discipUne;  chaque  chef  de  compagnie  guerroyait  pour  son 
compte,  ne  recevait  d'ordres  de  peisonne ,  n'était  guère  mieux 
obéi  de  ses  soldats  qu'il  n'obéissait  lui-même  au  roi;  el  cepen- 
dant toul  ce  que  pouvaient  faire  les  Anglais,  c'était  de  résister  à 
grand'peinc.  Le  3  mars  1432,  une  conspiration,  tramée  par  un 
cordclier  et  par  un  soldat  béarnais  au  service  d'Angleterre,  livra 
le  château  de  Rouen  à  un  genlilhonuTie  nonnné  llicarville,  cpii  y 
pénétra  de  nuit  avec  cent  vingt  hommes  d'élite.  Le  conjte  d'Arun- 
del,  qui  avait  succédé  à  Warwick  dans  le  connnandement  de 
Rouen,  n'eut  que  le  temps  de  se  sauver  par-dessus  les  rem[)arts, 
et  l'étendard  français  flotta  sur  ces  tours  consacrées  par  la  cap- 
tivité de  Jeanne  Darc.  Le  niaréchal  de  Boussae,  parti  de  Beau- 


1.  Une  bulle  du  pape  autorisa  cette  fondatiou  :  tout  ce  qui  concernait  la  ciertjie 
it  rcnseipncincnl  était  encore  censé  du  ressort  <ie  la  papauté. 

2.  Ordnwi.,  t.  XIII,  p.  176-179,  e!c.  —  On  remarque,  entre  ces  ordonnances  do 
Charles  VII,  un  édit  qui  établit  que  nul  ne  sera  admis  aux  bénéfices  ecclésias- 
tiques, sMl  n*est  natif  du  royaume  et  aiïeclionné  au  roi.  Celait  une  barrière 
«•le^éc  par  l'esprit  parlementaire  contre  les  entreprises  de  la  cour  de  Kuine,  qui 
travaillait  à  se  relever  de  ses  échecs  de  Constance,  et  qui  recominenrait  ii  s'arro- 
ger la  nomination  aux  prélaturcs  et  aux  bénéfices,  en  dépit  des  droits  des  électeurs 
et  des  collateurs.  Les  Anglais,  depuis  longtemps,  en  avaient  fait  autant  et  plus 
encore  dans  leur  lie;  mais  le  régent  anglais  avait  fait  de  grandes  concessions  au 
pape  Martin  V,  dans  les  provinos  fraii(;iiseR  soumises  a  Henri  VI  ;  le  pape 
Uijniniait  aux  prélaiures  et  béuéticeb  qui  vaquaient  pendant  une  moitié  de  l'année. 


vnis,  suivait  Rîcarvtllcavec  cinq  c^nls  Itinccà  cl  nYUll  qu'à 
lieue  de  Rouen;  miii^,  un  nioinent  de  rejoindre  Bicanill*^ 
divi?rse*s  bandes  qui  composaicnl  la  pelile  artn^e  du  ti 
se  pr[reril  de  querelle  sur  le  parlngo.  du  bylioi  t  lequel 
Monslrolel,  a  uïdoit  pas  LUiCore  gagne  »,  cl  ii4în  na  pul  Ir- 
uiîncrà  passer  outre  :  elles  sa  sépai^^reol,  rDtu(ijrêni  rcntirphie, 
et  abandonnèrent  honïeusement  Ricarvîllc  cl  $^  cain|uigiiûii 
de  fortune.  Cette  poig^néc  de  brave?  se  defeuiltl  doute  jQftn  en- 
tiers» dans  le  donjon  eonti^tï  toutes  Ic^  troupes  nuglaisesi.  sêfoft- 
dém  h  conire-eœur  par  les  Rouen tiaiSp  qui  euj£<i?nl  chnngc  de 
haimtère  ù  les  Français  se  fussent  présenli'rs  en  farees  suRî    r'- 
Ricarvillc  et  les  siens  se  rendirent  à  discrétion,  au  mon- 
le  dnnjan,  battu  en  brètlie  de  toutes  parts,  alkil  learcrooler «r 
b  tôte.  Tous  Ie&  pri.*^onnîers  et  un  cerïrûn  nom?*re  d»î  b<rurgn«w 
leur^  fauteursi,  furent  dreaptfés  sur  la  place  du  Vrcux-Mardi^ 
encore  fuamnie  du  sang  de  la  Pucelle'. 

Le  bâtard  d'Orléans  fut  plus  lietueux  à  Cbûrtms,  que  U  i 
clial  de  Bou&sac  à  Rouen  :  il  éiait  en  correspanflancti  a^cc  in 
niairbands  et  un  doruinîeain  de  Cbarlres;  les  ujoincs  mendaH 
bien  fïtiis  sympathiques  que  le  haut  ticrgé  atL\  scntimefits  pi»o- 
laircs ,  étaient  presque  purlont  activement  mMés  aux  moiplûli^ 
[uitHotiques.  Le  dominicain,  prédicateur  en  vogue,  ûYail  annonoc 
que,  le  matin  du  12  avril,  veille  de  Pâques  IleurieSt  il  prôehenil 
ilanf^  une  église  située  h  Tune  des  extréniités  de  b  ville  ;  la  bo0^ 
geoisie  s'y  porta  en  foule;  pendant  ce  temp^^  des  cliarretlef  am- 
vertes,  conduites  par  les  deux  marchands  et  tbjir]gée$,  à  ce  qulh 
disaient,  de  vin  ,  de  poisson  et  de  sel ,  se  prèsetitèreiii  &  Vêutn 
bout  de  filiartrcs,  à  la  porte  qui  conduit  vers  Blnîs;  on  leiir  oufril 
sans  défiance.  Aussitôt,  les  cbarreiiers  tirèretît  de*  armn  d(^ 
dessous  leurs  blouses;  des  soldats  s'élancércnl  horsde$eL 
leï^  portiers  furent  niassacré^;  la  cavalerie  fmûçâtftc,  cniInDifpc^^ 
à  peu  tle  disLiTîce,  fut  au  cenlre  tle  la  ville  avant  que  ralamir  fil 
été  donnée.  I/év^que  Jean  de  Festigui^  nourguignnn  de  uîsgmoe 
et  Anglais  de  cœur,  excita  les  boiu^goois  à  U  résb^lance  et  leiiiii 


1.  tf«iiifre1«l.  l*  ll«  a»  Ul.  —  Charnel,  Hûuwn  sont  Uw  AmflaU^f,  ni  u 


[143?]  PRISE  DE  CHARTRES.  315 

à  leur  lùle:  il  fut  tué  au  premier  choc;  le  bailli  de  Charlrcs, 
a  Fi-ancois  renié,  »  fui  pris  avec  la  plupart  des  gros  bourgeois  et 
des  gens  d'église,  et  la  ville  fut  conquise  en  peu  d'inslants. 
PIusieui*s  de  ceux  qui  avaient  gouverné  pour  les  Anglais  eurent 
Ja  léte  coupée  ;  on  mit  les  autres  à  rançon,  ce  qui  ne  sauva  pas 
Chartres  du  pillage  ni  de  toutes  les  violences  accoutumées  dans  les 
villes  prises  d'assaut*. 

Les  brigandages  et  les  cruautés  des  compagnies  françaises 
étaient  le  principal  obstacle  à  la  délivrance  de  la  France  :  les  po- 
pulations les  plus  hostiles  aux  Anglais  hésitaient  à  appeler  de 
pareils  libérateurs;  c'était  là  le  seul  motif  qui  retint  encore 
Paris. 

Bedford  tenta,  dans  le  courant  de  l'été,  un  effort  pour  repren- 
dre le  dessus  dans  l'Ile-de-France  et  la  Brie  :  à  la  tête  de  six  mille 
combattants,  il  assaillit  Lagni,  principale  place  d'armes  des  Fran- 
çais aux  environs  de  Paris.  Les  capitaines  qui  avaient  pris  Char- 
tres vinrent  au  secours  de  Lagni,  passèrent  sur  le  corps  des 
troupes  anglaises  qui  essayèrent  de  leur  barrer  le  passage,  ravi- 
laiilùrent  Lagni  de  vive  force,  et,  par  une  diversion  du  côté  de 
Paris,  contraignirent  le  régent  à  lever  le  siège,  en  abandonnant 
artillerie,  munitions  et  bagages  (10  août  1432).  C'était  la  première 
déliiilc  que  Bedford  eût  essuyée  en  personne.  Le  parti  français  à 
Paris  s'agita  de  nouveau,  et  l'abbesse  de  Saint-Antoine,  dame  su- 
zeraine du  faubourg  de  ce  nom,  complota  d'aider  les  Français  à 
entrer  dans  Paris  par  la  porte  Saint-Antoine  :  elle  fut  arrêtée 
et  emprisonnée  avec  plusieurs  de  ses  nonnes.  Les  revers  des 
Anglais  ne  faisaient  qu'empirer  la  situation  de  Paris  ;  tous  les 
environs  étaient  impitoyablement  ravagés  par  les  garnisons  fran- 
çaises :  la  disette,  la  misère,  la  mauvaise  nourriture,  engen- 
drèrent une  épidémie  qui  frappa  principalement  les  enfants  et 
les  jeunes  gens,  mais  qui  ne  resta  pas  circonscrite  dans  les  classes 
pauvres,  où  elle  avait  pris  naissance  ;  Anne  de  Bourgogne,  du- 
chesse de  Bedford  ,  en  mourut  le  13  novembre.  Ce  fut  un  grand 
malheur  pour  le  parti  anglais  :  elle  était  «  bonne  et  l)elle  >»,  dit  le 
Journal  du  Bourgeois  de  Paris  :  elle  eût  bien  voulu  sauver  Jeanne 

1.  Mousirelof.  —  J,  Cliariicr.  —  Bourgeois  dv  Paris, 


S1«  GUERHë:»  DBS  A!4GLAli»  {msn 

iKirr.  Les  Parisicm  raitiuiient  fort ,  et  cite  étail  i*galeiatikl  ootan- 
(lé rue  de  mu  (rh'ù  et  de  son  mari ,  cotre  lf^[uels  die  »aptft* 
t]^iiaii  à  niuintcnir  la  Lotmc  inlelligeiicc  :  '^  tlûticcur  aoiurtk^ 
le  chûc  d€  cos  deux  orgueils  irascibles  d  ouihmpeux.  Li 
djesse  Anne  ne  hissa  point  d\*urarils,  ui  loul  lien  43e  rd*riUe 
le  régent  et  le  duc  Philippe  fut  rompu. 

Les  conséquences  de  ceUc  morl  ne  ï^e  firent  guiic  ûlkudfY;k 
duc  de  Budford  se  remaria,  au  bout  de  quelques  mois  ^v^ 
1433)»  à  une  jeune  i^ersonne  de  la  nmison  de  Luxenthoiirg,  tllk 
du  comlfi  de  Saint-Pol  et  nièce  de  révoque  deTéroueiuie  d<b 
comte  de  Ligni  (Jean  de  Luxemliourg).  Ce  fnl  une  gntiidefjittt^ 
car  Talliauce  des  Luxembonig  ne  pouvait  \\^  servir  le  rèteoi  •• 
gkis  autant  que  le  mèconteutcnienl  du  duc  de  Boiu^'ugnc  puciiiàl 
lui  nuire.  Le  due  Phîtippe,  qui  n*avait  6lé  consulté  ni  par  BcdMfl 
ni  par  les  Liixeuibnurg^  ses  vassaux  et  ëls  pareiibi,  §e  tiuifll 
extrêmement  otTensé  de  ce  mariage,  qui  âemhbit  Mnlr  pour  M 
de  soustraire  la  Fieardie  à  son  iunuerice  |>rc^{uc  ^oiivemitic.  U 
cardinal  de  Wincbesler  s*interpuKa  et  ménagea  une  etitrufuc oïlrt 
les  deux  ducs,  Quiind  ou  fut  arrive  de  part  et  d  antiic  à  SÂih 
Ûnier,  Bedford  prélendil  qu*il  avait  fait  assez  d^avances  eai  vefufli 
de  si  loin  dan^  une  ville  du  duc  de  Br>ufgogne,  et  ■uïh'î  Jf- 

vait  lui  rendre  visite  eu  :^vu  bgis,  plutôt  que  de  I  r  :  m  liia 

convenu  ù  Tavance.  Philippe  ne  céda  puinf^  et  Uedfurtl  qujUà  U 
ville  sans  favoir  vu  (mai  1A33),  (tétait  un  v^Tilable  ^^ 
imprudente  roideur  du  régent  n  avança  pas  les  affju,!*  -  ^j.  -  ... 
gliiis,  et  les  négociations  de  Philippe  avec  la  cour  de  Fmncc  dunîil 
h  rirritatiou  du  bourguignon  une  impulmui  plus  aelive*.  Lo 


I*  Tj.  bieiiTciUftEiefi  ftnec  Uq^dlc  t1  avait  iTUÏlé  i^n  ftebimuifr  HkM  d'Alht 

vilJc  que  k  #  riïcutivrunct3  âù  sa  comlô  i^  ;  Philippe  i]'t:%«.ij^i  p^  d'ImfMMT 
kjiiiijunl  k  ct>mi«  Antotne  k  k  Lorraine,  rcMèe  liik-lc  k  Jlfïi^  diLiii  t-n  --'» 
tl  léîikûïjgtiii  henucoup  du  tHniitAi^Se  nu  vMiiic^u,  i^iAl  kc  c<m><il4it  «Jt  «a  c»i 
lu  (ïo^i^ti  ùt  Jet  urtft,  cl  qui  pcijastui  âur  icrre,  pour  l«  r1»ii|i«lk  «le»  CW-^w 
Dijcrn,  le*  pûrîfâJt»  ik  Jfan  «an»  Peur  et  ik  PliîtlpftJ  (ai-tnluiiî.  fttotf 
j*r«vUffcirefMrni  îi»i  KUarï^  t»n  iloAnuut  ï(*v  111*  ca  oiJU(**i  tt  <|iiAtfc  f*An«rciiCl'J 
diV*^t,  (infhl  1132);  il  pr«mU  du  «e  rmiK^Urr,  su  ukua  du  iii&i  î^$^^  è  U  Jnyv^ 
tiuti  du  dtici  Pbîlippu.  Lu  puix  ue  lui  dit  pa»  k  «c  c^mduîv  talrv  llenf  tl  mb  r»»* 
p^.Uhiir,  qui  TtrifUi»;!!  à  louifl*  jiriHcnii^rii  sur  1*-  tlutiK^  *iiî  t«rr»inc  *  U  t^  lisét 
dir  Rrui"  fut  lïiini.i-i'  k  uu  ùh  du  comïe  Auioiue,,  «t  rr  wur-  —  *  ^  J*:  m- Jtiis  t  o*- 
mtiun,  rnudit  k  Lurruiiiv  uiîi  Vja.udciïiân  • 


C14,13]  PHILIPPE  ET  BEDFORD  BROUILLÉS.  317 

resscnlimenls  qui  avaient  dicté  le  traité  de  Troios  élaient  depuis 
longtemps  amortis  dans  le  cœur  du  duc  de  Bourgogne;  Piiilippi; 
n'était  plus  retenu  que  par  la  répugnance  à  défaire  son  ouvrage, 
et  par  ce  respect  pour  des  engagemeiits  solennels,  qui  était  encore 
chez  lui  une  des  formes  de  l'orgueil.  Les  Anglais  n'eurent  point  ù 
se  plaindre  de  sa  loyauté  :  s'il  avait  conclu  pour  ses  Étals  une 
trûve  séparée ,  il  ne  traita  pas  de  la  paix  à  leur  insu  ni  sans 
eux  ;  les  ambassadeurs  anglais  furent  appelés  h  prendre  part  à 
toutes  les  négociations;  mais  on  put  s'assurer,  aux  conférences 
d*Auxerre  (juillet  1  i32),  puis  à  celles  qui  furent  tenues  au  vil- 
lage de  Simport  * ,  entre  Corbeil  el  Melun  (mars  1 133),  que  la  paix, 
devenue  presque  facile  entre  Charles  YII  et  Philippe,  par  les 
grandes  concessions  auxquelles  se  résignait  le  roi ,  était  à  peu 
près  impossible  entre  Charles  VII  et  Henri  VL 

Le  cardinal  légat  et  le  duc  de  Bourgogne  n'abandonnèrent  ce- 
pendant pas  l'espoir  de  la  paix  générale.  La  situation  de  la  Bour- 
gogne, de  la  Picardie  et  de  l'Artois  attestait  l'urgence  d'une  trans- 
action; la  trêve  n'avait  pas  mis  un  terme  aux  souffrances  de 
ces  provinces,  car  les  chefs  de  compagnies  n'en  tenaient  aucun 
compte  ;  les  populations  demandaient  incessamment  la  paix  à 
grands  cris  :  deux  des  principaux  seigneurs  hourguignons,  Jean 
de  Chalon,  prince  d'Orange,  el  le  sire  de  Chàteau-Vilain  avaient 
traité  séparément  avec  le  roi  ;  les  compagnies  françaises  s'étaient 
saisies  d'un  grand  nombre  de  places  fortes  dans  l'intérieur  de  la 
Bourgogne  ;  elles  essayèrent  même  de  surprendre  Dijon.  Le  duc 
fut  obligé  d'accourir  de  Flandre,  au  commencement  de  l'été  de 
1 Î33,  pour  délivrer  son  duché  et  cjiasser  les  compagnies,  soute- 
nues par  son  beau-frère  le  comte  de  Clermont,  qui  devint  duc  de 
Bourbon  sur  ces  entrefaites,  par  la  mort  du  vieux  duc  Jean  de 
Bourbon,  «  trépassé  »  en  AngleteiTC  après  dix-huit  ans  de  capti- 
vité. Philippe  reprit  les  forteresses  envahies  ^  ;  mais  ce  succès  ne 
lui  fit  pas  rompre  les  pourparlers  :  la  seule  difficulté,  fort  sérieuse, 
il  est  vrai,  était  que  le  duc  voulait  une  paix  générale  dont  les  An- 
glais pussent  accepter  les  conditions,  el  que  les  conseillers  du  roi 

1.  Aujourd'hui  Siiueport. 

2.  Ce  fut  il  lu  fin  de  cette  campagne  que  la  duchesse  de  Bourgogne  mit  au 
monde.  *j.  Dijon,  le  lo  novembre  1^32^  Tenfaut  qui  fut  Charles  le  Téméraire. 


ne  CUERliES  DBmRHJffS-  îtw-itc^ 

tîharlcê  visaient,  snm  ravoui^rcxpros^Aîiipnl,  a  i!r  ^| 

dtml  les  AnghiH  seraient  excUtâ.  PlMlippe,  liii^  h  lîâlr 

Iaissf!r  le  parCi  françaîs  rceonsliluer  k  tïiDnarcliîe  fwr  IV> 
des  Anglais;  Il  falhif,  poar  ses  indV^tH,  cpie  ceux-ci  pi 
pied  en  Frniice,  afin  de  tenir  la  royauté  on  Miei\ 

La  surprise  de  Provins  et  de  Monlargî«  par  escalade  ^wilks-  ' 
octahre  1432)  avait  uti  peu  consolé  ramotir-[iro{ire  des  Miidas^: 
bien  qu'ils  dnsscTïl  lu  conquête  de  iMonùirçTts  h  la  lrn!,i        rtm 
bcan-fn^re  du  gouverneur,  plul^t  qu'il  leur  vailliric.  irf- 

gueillircnt  fort  de  se  voir  matlres  de  eeitc  ritlci  qui  ivm  ami  h 
forteuïent  vémlé  au  temps  de  leur  plusgrande  [luîssari' 
(âges  furent  coulre-balancés  par  la  prise  de  Saiiu  \ 
Somme,  el  par  divers  échecs  des  Anglais  dans  le  Naines 
d'Aicucoo.  Le  succès  même  nldpuu  par  les  Anglais  &  M< 
lourna  contre  eux,  en  amenant  la  chule  de  Tlndigne  ra?oii 
depuiis  plusieurs  années,  était  le  principal  oli^lade  à  (oui  r*-^ 
s'entrcpreuiiit  pour  le  salut  de  la  France,  Deux  îiravrs  r?j; 
les  sires  de  Gravîlle  cl  de  Guîtrî,  tentèrent  de  ^''"'  .■ 
gis^  pénélrèrcnl  dans  1^  ville,  re foulèrent  les 
eMlcau  :  La  Trémoille  leur  avait  promis  de  Taiigeiil,  des  rw- 
forts,  de  rartillerie;  il  n'envoja  rien,  et  Gravjllc  el  Guitri  fmwl 
obligés  d*éva€uer  Moutargis.  Cet  incident  porta  nu  con^^i*»  '< 
haine  universelle  contre  La  Trèmoille  :  les  plus  nolalile?  , 
nages  de  lu  cour  tramèrent  contre  lui  un  complot,  à  ta  tèiedt^ 
quel  se  plaça  un  d«s  beaux*fi"ères  du  roi,  te  jinine  Cliaries  dMiH 
jou,  comte  du  Maine,  dirigé  par  sa  inère,  la  rrdne  ibiaiiinêiT 
de  Sicile,  Yolande  d*Aragôn.  Lescons[drateani  >  enlendtrFiit  jw 
le  €oimétablt%  toojom^  exilé  de  la  cotjr,  mais  loiijûttri  {él6  pmiff 
la  cause  nationale  :  les  oITres  de  rAngletrrre  ramicnt  ïiwii* 
-ncorruptible»  L'histoire  n!a  pas  assez  apprécié  chct 
cette  inébranlable  tidélilè  à  la  France,  si  méritoîn-  clieziin 
violent,  vindicatif  et  offensé,  à  qui  les  habtludcs  (Vf>di' 
fraient  tant  de  pernicieux  exemples,  el  qui  pauvail  jir< 
considérer  comme  un  prince  étranger,  Rtchemofil  donod  aiii 
conjurés  quelques  bommes  d*e.\éculjon ,   (pielquc!^! 
Bretons  les  plus  dévoués,  qui  arrivèrent^  une  nuit  dlnv   i 
ibcuaî  aux  poîles  de  Chinon  :  le  propre  nercii  do  La  Trt^nioîUr, 


433]  LA  TRÉMOILLE  RENVERSÉ.  319 

;  sire  de  Bcuil,  ùtail  du  complot,  ainsi  que  le  grand  niaîlro 
aucourt,  gouverneur  de  Ghinon,  révolté  contre  son  ancien  coni- 
lice.  Le  lieutenant  de  Gaucourt  ouvrit  aux  Bretons  une  poterne 
u  château,  où  étaient  le  roi  et  La  Trénioille;  le  favori  fut  sur- 
ris  dans  son  lit;  le  Breton  Rosnieven  Taborda  avec  un  coup 
'épée  dans  le  ventre,  et  Teùt  tué  sur  la  place,  si  de  Beuil  n'eût 
trôté  le  bras  levé  sur  son  oncle.  On  fit  jurer  à  La  Trénioille 
e  ne  jamais  approcher  de  Li  personne  du  roi;  de  Beuil  se 
liargca  de  sa  garde,  et  Tcunnena  prisonnier  au  château  de 
Lontrésor.  La  Trémoille  n'avait  dû  la  vie  qu'à  son  embonpoint  : 
î  coup  lancé  par  Rosnieven  s'était  perdu  dans  la  graisse.  Le 
linistrc  déchu  ne  fut  relâché  que  lorsqu'on  fut  bien  assuré  de 
'avoir  plus  rien  à  craindre  de  lui;  encore  le  neveu  ne  rendit-il 
i  liberté  à  son  oncle  qu'au  prix  d'une  bonne  rançon. 
Le  roi,  qui  s'était  éveillé  au  bruit,  parut  d'abord  très  effrayé  : 
>rsque  de  Bcuil  et  les  Bretons  montèrent  à  sa  chambre  pour  lui 
emontrer  «  en  toute  humilité  »  que  ce  qu'ils  avaient  fait  était 
our  le  bien  de  son  royaume,  il  ne  répondit  qu'en  demandant  si 
>  connétable  était  avec  eux  :  on  lui  dit  que  non,  et  il  connncnça 
e  se  rassurer.  «  La  reine  l'apaisa»,  disent  les  chroniques,  el  le 
iographe  de  Richement  prétend  que,  «  quand  on  l'eut  informé 
e  la  chose,  il  fut  1res  content...  On  lui  bailla  nouveaux  gouver- 
eurs  ;  Charles  d'Anjou,  frère  de  la  reine,  se  mit  î\  demeurer  conli- 
luellement  avec  le  roi  en  telle  autorité  ou  plus  grande  que  n'avoit 
té  le  àïi  de  La  Trimouille*.  »  Charles  d'Anjou,  très  jeune  homme, 
e  dirigea  par  les  conseils  de  sa  mère,  la  reine  douairière  de  Si- 
îlc,  et  par  ceux  du  connétable,  jusqu'à  ce  qu'on  eût  réussi  à 
aincre  l'cintipathie,  ou  plutôt  la  peur  que  Richement  inspirait 
u  roi,  el  que  le  connétable  pût  revenir  partager  la  direction  du 
[ouvernement  avec  la  maison  d'Anjou  el  conduire  la  guerre.  On 
■omptait  bien  triompher  des  répugnances  de  Charles  Ali  avec 
m  peu  de  pei-sévérance.  Le  roi  se  prêta  à  la  juslilication  pu- 
dique de  la  violence  qu'on  venait  de  lui  faire  :  les  conjurés  se 
irésentèrent  fièrement  à  la  nation  comme  des  libérateui-s;  ils 

1.  Guil.  Gruel;  Vie  de  liichcmont,  —  J.  Charlicr.  —  Berri.  —  Monstrelet,  I.  H, 
.  146,  dit  ccpcudant  h  qu'il  déplut  grandement  au  roi  du  désappointement  du 
eigneur  de  La  Trimouil!e.  »  Ce  qui  est  sûr,  c'est  qu'il  ne  fit  rieu  pour  le  rappeler. 


^olno(|ll^^cnl  les  lîlîil^-Grn^nuix  h  Tours,  H  riircbei^quc  àt 
Reirnii,  fîmncolierilo  Fnnce,  qui  avîiil  Tuit  m  [wîIx  avec  Ustifo- 
fliieiirî*,  donna  le;  toup  de  srrâcc  à  son  eam|ilk*i!  aballu,  ta  dl- 
cliUMnt  aux  Trois  Ordres  que  le  roi  ap|)roiiYail  la  prise  de  I 
ïrénioille* 

Cï'tail  là  une  rôparallon  bien  incomplète,  puisque  Re 
do  Chartres,  aussi  crjiiiind  que  LaTn'inoille,  resLiît  au  comci. 
l>aus  un  inémoire  d'npporat,  lu  aux  Étals  par  le  saccTejîsiîar  4r 
Piet  rc  Caution  sur  le  siège  de  Ifeaiivais,  Jean  Jouïeud  ou  Jinf- 
nul  dcsUrsins,  rorateur,  en  rappelniil  les  iiiervcîUeax  suce»  «h 
roî,  ne  dil  pas  un  tnot  de  Tauleur  de  ces  >yi!cès*-  Cctii  lûtatr 
qui  venaienl  d'aballre  La  Tréaioille  i/osèreiit  laissser  èt'liappcrdc 
leurs  lèvres  un  noiu  qu'on  ne  pouvait  prottoneer  sans  dèiwmrî 
Charles  VII  à  la  France. 

De  celle  époque,  eependanl,  date  la  résurrerlîon ,  mm  «k  b 
France,  ressu&ciiée  par  Jeanne  Darc,  mais  du  gotivernciiieiil  Inn- 
çnîs.  Celte  nonvelle  humiliation  de  la  pei'soune  royale  conuoeitcr 
la  reconsirurtion  de  la  monnicliie,  ne^^liounni^  suptriciinF  sm> 
bicnl  sortir  de  dessous  terre  pour  envahir  le  eoitseil  el  s'iinpoecr 
au  roi  par  le  droit  de  la  capacité'  et  non  poi  le  tinsanl  de  bi  ms- 
sanee  ou  de  la  faveur*  La  basse  inlri^ue  et  Icâ  passiûm  tgM^ 
gardent  encore  plaee  dans  celle  cour  où  clh»  avideiil  lùùgkmfi 
régné  seules,  mais  n*y  éclatent  plus  qiie  par  imenralle»,  ei  là  i*r^ 
pondérance  leur  est  disputée  avee  succès  par  la  niisoii  il*É<il, 
par  les  légitimes  nmbî lions,  \m'  Factivilé  r/^gléi»,  par  les  («h 
danccs  à  la  slabililé  dun^  les  personnes  et  dans  les  vues, 

A  qui  le  mérite  d'un  si  gi'àiid  cliangemenl  î  Â  la  France,  sâH» 
doute,  qui  s'est  reïrenif*ée  dans  l'excès  du  malheur,  ei  qui  fait 
surgir  au  quinzième  siècle  les  réorganisateurs  de  l'Kuil  dciTtftî 
bourgeoisie  qui  avait  produit  les  initiateurs  de  la  drîinucralJt  m 
quator/iènie ,  en  fan  tan  l  Jacoc^s  Crtru  après  Ëtjonk 
Mais,  pourtant,  rinitiativc  appartient  toujours  h  qiielqu^iiiu 


1.  Qtiidrtirai»  A ftfrçttë  nouveaux,  etc.,  |».  i'M.  Jouiepel  Qdrn»e  ta  sié 
tu  fui  uiifj  toiidmnte  »  eaiiipkinii!  »  %\n  \ii%  liorrlKlc«  mi^èrci  4utUp«iim:| 
eQdtLTe  de  la  pnn  ik*  gens  tW  gutîtri'.*  i\  P,  CU^uuui*;  îtutfnr^  (Urur  ri  Ckofiiê 
U  1",  p.  UOt  Cfl  ndma  Ji>un'titiU  qui  prduil  un  éirunui'  *tktHt<T  ^ur  lfi4t»o 
tu  14^3,  Jlrig«a  le  ptociî*  de  réhahiUmUoti,  connue  4rditvili|ue  àê  leiinv 
frnt  filui  ttrd. 


CI4W  YOLANDE  D'ARAGON.  AGNÈS  SOREL.  321 

connétable  de  Richemont  aura  un  rôle  très  considérable  ;  mais 
ce  n'est  pas  lui  qui  a  donné  l'impulsion,  et  sa  rudesse  briserait 
les  ressorts  si  des  mains  plus  douces  ne  le  tempéraient.  Tout 
porte  à  attribuer  une  très  grande  et  très  utile  influence  à  la  mère 
de  la  reine,  à  la  douairière  Yolande  d'Aragon  * .  Avec  moins  d'éclat 
et  d'autorité  apparente,  cette  habile  Espagnole  semble  avoir 
presque  renouvelé  chez  nous  Blanche  de  Caslille.  Si  les  inten- 
tions n'étaient  pas  moins  louables,  on  n'en  saurait  dire  autant 
des  moyens.  La  douairière  d'Anjou  était  peu  scrupuleuse ,  et 
Charles  VII  n'était  pas  un  Saint  Louis  !  Elle  n'avait  pu  le  gouver- 
ner par  sa  lîlle,  par  la  reine,  par  la  femme  légitime  ;  elle  ne  pou- 
vait l'empêcher  d'avoir  des  maîtresses;  elle  lui  en  donna  une  de 
sa  propre  main  et  le  gouverna  par  cet  étrange  intermédiaire. 

Tout  le  monde  connaît  la  tradition,  accréditée  par  François  I•^ 
qui  attribue  à  Agnès  Sorel  la  délivrance  du  royaume.  La  cour 
galante  et  sceptique  du  vaincu  de  Pavie  aimait  mieux  faire  hon- 
neur du  salut  de  la  France  à  une  maîtresse  de  roi  qu'à  une 
sainte  2.  La  tradition  a  abouti  à  un  pur  roman  sous  la  plume  de 
Brantôme.  Il  y  a  pourtant  quelque  chose  de  vrai  sous  ces  exagé- 
rations. Charles  VII,  qui  avait  été  trop  dénué  d'élévation  dans 

1.  Inflaence  parfaitement  reconnue  par  M.  Michelel;  Hist,  de  France,  t.  V, 
pasiim. 

t  Qcr.tille  Afnèt.  pla«  d'honneur  ta  mérite. 

L«  enu»»  eiitnt  do  France  recouvrer. 
Que  t<mi  te  qne  en  elolire  p<»Ht  ««urrer 
Cloie  nonniii  ni  en  désert  ermitt* . 

Ce  faroeax  quatrain  de  François  !•'  fut  écrit  au  bas  d'un  portrait  d'Agnèt 
appartenant  èi  madame  de  Bois),  bru  d'un  chambellan  de  Charles  VH.  i».  Vallès 
de  Viriville,  yotice  sur  Agnès  Sorel;  1855.  La  tradition  a  prétendu  faire  figurer 
Agnès  Tis-à-Tis  de  Jeanne  Darc  dans  la  grande  année  1429,  et  a  supposé  que  ce 
fut  Agnès  qui  empêcha  le  roi  de  se  réfugier  en  Dauphiné  et  qui  rengagea  a  tenter 
de  nouveau  la  fortune.  La  liaison  de  Charles  VII  avec  Agnès  ne  paraît  pas  anté- 
rieure Il  1433.  Agnès,  née  h  Fromenleau,  en  Touraine,  et  fille  du  sire  de  Cou- 
dun  près  Compiègne.  était  attachée,  presque  depuis  Tenfance,  h  la  maison  d'Isa- 
belle de  Lorraine ,  femme  du  duc  René  ,  et  ne  parut  sans  doute  ^  la  cour  de 
Charles  VII  qu'avec  sa  maîtresse,  lorsque  celle-ci  vint  prier  le  roi  de  négocier 
en  faveur  de  son  mari  captif,  après  la  bataille  de  Bulligneville.  Brantôme  a  ra- 
conté qu'Agnè»,  voyant  Charles  s'abandonner  en  quelque  sorte  lui-même,  le  me- 
aaça  de  le  quitter  pour  aller  trouver  le  roi  d'Angleterre,  parce  qu'un  astrologue 
loi  avait  prédit  qu'elle  serait  aimée  d'un  des  plus  vaillants  rois  de  la  chrétienté, 
etqn'tîllc  voyait  bien  que  ce  roi  si  courageux  n'était  pas  lui,  mais  le  roi  ang'ais. 
Cette  anecdote  est  une  pure  fable. 

VI.  2» 


322  GUERRES  DES  ANGLAIS.  [ikll] 

ràmc  et  de  sentiment  moral  pour  accepter  la  domination  de  lu 
sainteté  et  du  génie ,  fut  pris  par  les  sens  (nous  craignons  de 
])rofaner  le  nom  d'amour),  relenu  par  riiabilude,  et  se  laissa  mo- 
difier par  l'action  persévérante  d'une  femme  belle,  spîrilucllt, 
douce  et  adroite.  La  vieille  Yolande  avait  choisi  le  mieux  po- 
sible.  Agnes  Sorel  poussa  le  roi  à  surmonter  sa  paresse,  et  con- 
tribua à  lui  faire  vaincre,  du  moins,  celui  de  ses  vices  qui  n  êtail 
l)as  incurable.  Cliarles  finit  par  s'intéresser  à  ses  affaires  et  par 
appliquer  ce  qu'il  avait  de  bon  sens  et  d'esprit  pratique  à  écouter 
les  conseils  utiles  et  à  accei)ter,  à  maintenir,  sinon  à  choisir  de 
bons  instruments  de  gouvernement.  Il  avait  du  discernement,  d 
c'est  ce  qui  ôte  toute  excuse  à  sa  conduite  passée!  On  verra  trop, 
dans  l'avenir,  que  son  cœur  n'était  pas  changé  ! 

Pour  Agnes,  elle  était  d'humeur  bienveillante  :  elle  aimait  les 
gens  de  mérite;  ses  lettres^  attestent  qu'elle  compatissait  au\ 
souflranccs  du  pauvre  peuple.  «  Elle  lit  beaucoui)  de  bien  an 
royaume  de  France  »,  dit  un  chroniqueur  bourguignon,  dont  le 
lémoignage  ne  semhle  pas  suspect^.  «  Elle  avançoit  de\ei-s  le 
roi  »,  poursuit  cet  écrivain,  «jeunes  gens  d'armes  et  gentils  com- 
pagnons, et  dont  le  roi  s'est  depuis  bien  servi  »  ;  ce  qu'un  autre 
historien  du  temps  interprète  d'une  façon  peu  favorable  à  la  ti- 
délité  d'Agnès 3.  Quoi  qu'il  en  soit,  pendant  une  dizaine  d'aniuV?, 
bien  qu'Agnès  eût  donné  trois  filles  au  roi,  sii  position  auprès  de 
Charles  VII  demeura  dans  un  demi-jour  discret.  Plus  tard,ai»iC-s 
la  mort  de  la  douairière  Yolande  (1442),  qui  avait  maintenu,  avec 
un  mélange  d'autorité  et  d'adresse,  l'équilibre  de  cette  situali«n 
singulière,  Agnès  ne  sut  plus  se  contenir  dans  la  réserve  qu'elle 
avait  si  longtemps  gardée  :  elle  n'eut  plus  les  mêmes  égards  pour 
la  reine  ;  elle  afficha  sa  faveur  avec  un  éclat  scandaleux  et  un 
faste  excessif,  précisément  alors  qu'elle  commençait  à  avoir  lieu 
de  craindre  que  sa  [iUissance  fût  moins  assurée  et  que  des  rivales 
lui  disputassent  son  royal  amant. 

1.  V,  V.illot  de  Viriville,  Sulia:  .sur  Ayuês  Sorel, 

2.  01i\icr  de  I.a  >liiic)ie;  up.  Cuil.  Michuud.  1"  série,  t.  III,  p.  406. 

3.  «'  Il  uo  ru\Mil  pas  Seule,  ni  vile  tiii  seul  ;  mais  il  lenoil  avec  cUe  awi'z  a-is- 
bieux  troupeau  de  da.lloi^olU■s,  ad«»iinées  a  toii'.c  espèce  de  Vanités.  ■  ;Ccci  u:* 
144  i.)  Thomas  Il.i^in,  ///*/.  Curoli  Ml,  1.  v,  c,  22. 


[Ii33]  LE  CONSEIL  DE  FRANCE.  323 

En  somme,  Agnùs  a  rendu  des  services  à  la  France.  Mais  quelle 
rhute  que  d'arriver  par  de  tels  ressorts  à  un  bien  si  mélangé  et  si 
împarrait,  en  quittant  la  vierge  de  Domremi  et  ses  prodiges!  La 
France  était  retombée  des  cieux  dans  les  bas-fonds  de  la  terre! 

Il  ne  faut  pas  être  injuste  cependant  :  cette  phase  de  notre 
histoire,  comme  nous  l'avons  déjà  indiqué,  fut  signalée  par  des 
qualités  fortes.  On  vit  renaître  CluxTlcs-lc-Sage,  Charles  V,  sinon 
dans  Charles  VII,  du  moins  dans  le  conseil  de  Charles-/e-J?/>n- 
servi,  et,  avec  Charles  V,  son  adversaire  Etienne  Marcel,  com- 
binés tous  deux  dans  ce  groupe  d'hommes  qui  fut  vraiment  le 
CONSEIL  DE  France.  Un  comité,  pour  parler  le  langage  moderne, 
un  comité  bourgeois,  en  majorité,  refit,  contre  l'étranger,  et,  cette 
fois,  avec  un  succès  définitif,  ce  qu'un  roi  avait  fait  seul  une  pre- 
mière fois.  La  tradiUon  de  Charles  V  fut  reprise  également  à  l'in- 
térieur, améliorée  sous  certains  rapports;  mais,  ici^  la  question 
est  trop  complexe  pour  se  juger  en  quelques  mots,  et  il  faudra 
voir  se  dérouler  les  événements. 

L'importance  des  bourgeois  est  le  caiactère  de  ce  gouverne- 
ment. Panni  leshuit  ou  dix  personnages  qui  eurent,  depuis  1  î33, 
la  part  la  plus  active  et  la  plus  constante  aux  grandes  affaires  du 
règne,  sans  parler  de  la  maison  d'Anjou,  qui,  à  vrai  dire,  n'a- 
vait qu'une  seule  tète,  la  reine  Yohmde,  nous  voyons  un  prince 
de  maison  souveraine,  Richemont,  et  un  gentilhomme  de  petite 
fortune,  le  brave  et  avisé  Pierre  de  Brezé  ;  presque  tous  les  au- 
tres, Jacques  Cœur,  les  frères  Bureau,  Cousinot,  Glievalicr,  les 
frères  JouveneP,  sont  des  bourgeois,  et  non  plus  seulement, 
comme  autrefois,  des  hommes  de  robe  longue,  des  légistes  ap- 
pelés parla  monarchie  contre  les  barons;  mais,  parmi  les  légistes, 
cl  plus  illustre  qu'eux  tous  devant  la  postérité,  siège  un  homme 
de  négoce,  un  marchand. 

Le  mérite  passif  qu'on  est  obligé  de  reconnaître  à  Charles  VII, 
c'est  d'avoir  accepté  ce  mouvement^  qui  sortait  du  fond  même  de 


1.  Guillaume  Jouvcucl,  maître  des  requêtes,  puis  chancelier  après  Regnauld 
de  Chartres,  était  frère  de  Jean  Jouvcucl  ou  Juvénal  des  Ursins,  évéquc  de  Bcau- 
vais,  puis  archevêque  de  Reims.  Nous  reviendrons  sur  ces  divers  personnages  II 
mesure  des  évéuemcnts. 

2.  Accepté,  pas  complètement,  nous  le  verrons  trop  pour  Jacques  Cœur. 


324  GUERRES  DES  ANGLAIS.  [ikM] 

la  France.  Xi  sires  des  fleurs  de  lis,  ni  grands  barons!  Ce  qu'il  fal- 
lait surtout  alors,  pour  tirer  la  France  du  chaos  où  l'avait  abîimv 
la  guon*c  étrangère  et  civile,  c'était  l'esprit  d'ordre  et  d'organiw- 
lioii.  On  ne  pouvait  trouver  ces  facultés  que  dans  la  classe  ordon- 
née et  prévoyante.  Le  prince  qui  a  empoché  l'inspiration  de  déli- 
vrer la  France  se  résignera,  du  moins,  à  l'autorité  du  bon  sen> 
laborieux  et  de  l'énergie  persévérante,  sans  oublier  son  penclmnl 
mvéléré  h  se  venger  de  qui  le  sert  trop  bien. 

La  réconciliation  du  connétable  avec  le  roi  avait  traîné  encore 
un  an  après  la  chute  de  La  Trémoille  :  Charles  VII  consentit  enfin 
à  revoir  Richemont,  au  commencement  de  1434,  et  le  connétable 
suivit  le  roi  à  Vienne.  Les  Étals-Généraux  avaient  été  convoqués 
hors  de  l'ancienne  France  royale,  dans  ce  Dauphiné  qui  porlîdl 
encoie  par  tradition  le  nom  de  terre  d'Empire.  Pour  la  première 
luis,  les  députés  du  Languedoïl,  du  Languedoc  et  du  Dauphiné  se 
trouvèrent  réunis  dans  une  même  assemblée,  sans  confondre 
toutefois  leurs  délibérations  et  leurs  votes.  Le  concile  de  Bàle 
envoya  les  cardinaux  de  Chypre  et  d'Arles  à  Vienne  c  devers  le  roi, 
pour  le  bien  de  la  paix»,  et  ils  eurent  «  bonne  et  douce  ré- 
ponse '  ».  Les  Étals-Généraux  votèrent  de  faibles  subsides  :  l'éput- 
scmcnt  général  ne  permettait  pas  un  grand  effort.  Le  connétable 
put  entrer  en  campagne  avec  un  petit  corps  d'armée.  Paris  re- 
muait toujours  :  deux  nouvelles  conspirations  avaient  été  décou- 
vertes et  punies  par  des  exécutions  sanglantes,  au  mois  de  se|>- 
lembrc  1433;  la  haine  du  peuple  contre  ses  maîtres  s'en  aigrit. 
Trois  évéques  anglo-français  gouvernaient  la  capitale  pour  le 
régent;  c'élaicnl  le  chancelier  Louis  de  Luxembourg,  évéque  de 
Térouenne,  l'évéque  de  Paris  et  Pierre  Cauchon  :  l'évèque  de  Té- 
rouennc  était  surtout  en  butte  à  l'animadvereion  des  Parisiens, 
qui  lui  imputaient  d'avoir  empêché  la  conclusion  d'une  trêve  aux 
conférences  de  Simport.  Le  péril  où  étaient  les  affaires  do 
Henri  VI  détermina  le  conseil  d'Angleterre  à  quelques  efforts: 
lliMllord  reçut  des  secours,  et  ses  lieutenants  purent  reprendre 
rolTensive  avec  l'assistance  des  Luxem!)Ourg.  Ils  enlevèrent  quel- 
ques forteresses  sur  TOise,  et  resserrèrent  de  près  Beauvais  et 

1.  Ilist,  dit  Lawjucdoc,  I.XXX1V.  —  Bcrri,  roi  d'armes. 


[t434]  RÉVOLTE  MORMAISDE.  325 

Laon.  Sur  ces  enli-cfaites  le  connétable  parui  au  nord  de  la  Seine. 
Les  places  françaises  du  nord  furent  dégagées,  el  les  Anglais  el 
leurs  alliés  reculèrent  devant  Richemont,  sans  qu'il  y  eût  entre 
eux  de  rencontre  décisive. 

Les  nouvelles  de  la  Normandie  empêchèrent  les  Anglais  de  rien 
hasarder  dans  TIle-de-France,  et  les  obligèrent  à  se  replier  vers 
l'ouest  :  une  grande  insurrection  venait  d'éclater  parmi  les  po- 
pulations normandes,  qu'on  avait  armées  pour  résister  aux  Fran- 
çais, et  qui  tournèrent  leurs  armes  contre  ceux  qui  les  leui 
avaient  mises  aux  mains.  Les  violences  des  troupes  anglaises 
poussaient  les  paysans  au  désespoir  :  l'esprit  de  désordre  qui 
agitait  l'Angleterre  se  répandait  dans  ses  armées;  il  ne  restait 
plus  rien  de  la  sévère  discipline  du  temps  de  Henri  V,  et  l'au- 
torité du  régent,  qui  n'avait  plus  l'ascendant  de  la  victoire,  él<iil 
foulée  aux  pieds  par  les  soldats;  les  troupes  nouvellement  dé- 
barquées traitaient  les  campagnes  de  Normandie  en  pays  en- 
nemi. Bedford  autorisa  officiellement  les  paysans  à  repousser 
les  pillards  par  la  force  :  deux  mille  villageois  du  pays  de  Caux 
se  réunirent,  coururent  sus  aux  déprédateurs,  et  en  prirent  cl 
tuèrent  un  certain  nombre.  Les  capitaines  des  compagnies  an- 
glaises entrèrent  en  pourparlers  avec  les  paysans,  el  l'on  conclut 
une  sorte  de  traité  ;  mais,  comme  les  paysans  se  retiraient  sans 
défiance,  les  Anglais  tombèrent  sur  eux  à  l'improviste,  et  en  tail- 
lèrent en  pièces  mille  ou  douze  cents  (2  août  1434).  Les  parents  el 
les  amis  des  gens  égorgés  portèrent  de  grandes  plaintes  à  Rouen, 
devant  Bedford,  qui  promit  justice,  mais  ne  put  la  faire;  il  avait 
trop  besoin  de  ses  gens  d'armes  :  il  venait  d'apprendre  que  tout  le 
pays  était  soulevé  autour  de  Caen,  de  Bayeux  et  d'Avranches;  les 
paysans  de  la  Basse-Normandie  s'armaient  en  masse  contre  le 
gouvernement  anglais,  et  l'on  disait  qu'ils  étaient  déjà  soixante 
mille.  Leur  principal  chef  était  un  homme  du  peuple,  nommé 
Quatrepieds  ou  Quantepié,  mais  beaucoup  de  gentilshommes  se 
joignaient  à  eux.  Quantepié  marcha  sur  Caen  à  la  tête  de  cette 
multitude.  Le  comte  d'Arundel  et  lord  Willoughby  étaient  ac- 
courus avec  toutes  les  forces  dont  le  régent  avait  pu  disposer  :  un 
gros  corps  d'Anglais,  embusqué  dans  le  faubourg  de  Vaucelles, 
chargea  en  flanc  les  révoltés.  Quantepié  fut  tué  des  premiers,  cl 


82G  GUERRES  DES  ANGLAIS.  [m'«-i.:;: 

la  foule  inagucrric  qui  le  suivait  fut  rompue  cl  mise  en  diTOul»* 
avec  un  j^nantl  carnage.  Les  paysans  se  dispersèrent,  sauf  cinq  ou 
six  mille  des  plus  résolus  qui  se  retirèrent  vers  Avranches,  où  k- 
duc  d'Alençon  les  joignit  avec  (juelques  centaines  d'Iiomnies 
d'annes  et  d'arcliers.  Plusieurs  niilliers  de  paysans  se  rallièrenî 
de  nouveau  sous  les  bainiièrcs  de  France;  néanmoins  le  ducm- 
se  crut  pas  en  élat  de  tenir  les  champs  contre  les  généraux  an- 
glais, et  il  retourna  dans  le  Maine,  emmenant  ceux  des  pa\san<> 
qui  voulurent  le  suivre.  La  plupart  de  ces  pauvres  gens  rega- 
gnaient bientôt  leurs  foyei-s,  au  risque  d'y  retrouver  les  ven- 
geances des  Anglais.  Bedford  craignit  de  les  réduire  au  déscî^poir. 
et  accorda  aux  rebelles  une  «  abolition  »  dont  tous  leurs  chef^ 
et  tt  conducteiu's  »  furent  exceptés.  Les  événements  de  Nui- 
niandie,  en  li3i,  attestent  avec  quelle  facilité  cette  province  eùî 
pu  ètn*  affranchie  dans  la  grande  année  1  i29. 

Après  avoir  étouffé  Tinsurrection  de  la  Basse-Normandie,  grâce 
à  la  préc'ii)italion  imprudente  des  insurgés  et  au  peu  de  diligence 
des  généraux  français  à  les  secourir,  Bedford  alla  passer  à  Pari> 
une  partie  de  Tliiver  de  1434  à  l'i35.  Il  se  lit  faire  une  réception 
solennelle:  on  envoya  au-devant  de  lui,  hors  les  murs,  les  pn»- 
cessions  des  ordres  mendiants  et  des  paroisses,  avec  croix  et  en- 
censoirs, «  comme  on  feroit  à  Dieu  »,  dit  le  Journal  du  Bourgeui? 
de  Paris;  les  Parisiens,  di.^posés  à  tout  prendre  en  mal  de  la  pari 
des  Anglais,  ne  virent,  dans  ce  pompeux  appareil,  qu'un  scandale 
et  (|u'un  orgueil  impie,  Bedford  quitta  leur  ville  le  lOfévrier  I43">, 
pour  ne  plus  la  revoir*. 

La  guerre  languiss<iit  :  les  négociations  du  connétable  et  di: 
conseil  de  France  avec  le  <luc  Philippe,  et  les  démarches  du  con- 
cile et  du  i)ape  en  faveur  de  la  paix,  attiraient  bien  davantugr 
ratlention  générale  (jue  les  escarmouches  des  chefs  de  com- 
pagnies. 

Les  pou\oirs  ecclésia>li(|ues,  qui  s'efforçaient  de  remellre  li 
paix  enlre  les  pui>sancrs  temporelles,  irétaient  pas  mieux  d'ac- 
cord (pi'i'iles,  et  c't'st  li;  lifu  de  dii'c  quelques  mots  de  leur» 


1.  M'  usirclct,  1.  II,  0.  io;.-i'/.».  —  ,1.  Cliaiticr.  —  Dounjeois  de  Paris,  —  Btr.i, 

roi  J'ariiics, 


CU30]  AFFAIRES  DE  L'ÉGLISE.  327 

gi-ands  démêlés.  Le  concile  de  Constance,  comme  on  Ta  vu  plus 
haut,  avait  décrété  la  périodicité  des  conciles  généraux  :  le  pre- 
mier devait  se  tenir  cinq  ans  après  la  clôture  de  rassemblée  de 
Constance,  le  second,  sept  ans  après  le  premier,  puis  les  autres, 
de  dix  en  dix  ans.  Un  concile  fut  en  effet  convoqué  à  Pavie  en 
1423;  mais  les  intrigues  romaines  et  les  troubles  de  Tltidie  l'em- 
pêchèrent de  porter  aucun  fruit  :  transféré  à  Sienne,  il  se  sépara 
en  s'ajournant  à  Bûle  pour  Tannée  lîSO^.  La  cour  de  Rome  ne 
prêta  la  main  que  de  fort  mauvaise  grâce  àTexécution  des  dé- 
crets du  concile  de  Constance.  Toute  Tannée  1430  s'écoula  sans 
qu'on  entendît  parler  d'aucunes  lettres  du  pape  au  sujet  de  l'as- 
semblée de  Bàle,  et  pouitant  les  matières  â  traiter  avaient  une 
immense  importance  :  c'était  la  situation  de  la  France  déchirée 


1.  Le  concile  de  Sienuc,  h  défaut  d'actes,  produisit  au  moins  des  discours 
dignes  de  inéinoirc  :  on  a  conservé  deux  sermons  prononcés  dans  son  sein  sur  la 
dissolution  du  clergé,  qui  égalent  en  véhémence  les  plus  terribles  invectives  des 
rtformaituis  hérétiques.  —  On  voit  aujourd'hui,  s'écrie  l'un  de  ces  prédicateurs, 
on  voit  des  prêtres  usuriers,  cabarcticrs,  marchands,  gouverneurs  de  chftteaux, 
notaires,  économes,  courtiers  de  débauche  ;  le  seul  métier  qu'ils  n'aient  point 
encore  commencé  d'exercer,  est  celui  de  bourreau!...  Les  évéqucs  l'emportent  en 
fait  de  volupté  sur  Épicurc  :  c'est  entre  les  pots  qu'ils  discutent  de  l'autorité  du 
pape  et  du  concile!  —  Puis  il  raconte  qu'un  jour  sainte  Brigitte  était  en  extase 
dans  l'église  Saint-Pierre  de  Rome  ;  elle  voit  tout  a  coup  l'église  pleine  de  co- 
chons mitres  :  elle  demande  a  Dieu  ce  que  signifie  cette  vision  :  —  Ce  sont,  ré- 
pond le  Seigneur,  les  évcques  et  les  abbés  d'aujourd'hui  I  » 

Ce  violent  prêcheur  u'est  rien  moins  toutefois  qu'un  novateur  :  il  s'en  prend  k 
la  philosophie  profane  comme  &  la  source  des  hérésies,  et  impute  la  révolte  de  la 
Bohème  a  Platon  et  k  Aristote.  o  De  cette  source  (ia  philosophie),  dit-jl,  décou- 
lent plusieurs  hérésies  secrètes,  surtout  en  Italie  :  les  Desiiniem,  les  Faialittcs 
(Destiuil  Fatalal  quelle  langue!)  qui  attribuent  tout  k  la  nécessité,  les  GéiiéC'' 
loguc%  qui  donnent  le  gouvernement  du  monde  aux  astres,  etc.  v,  Jacques  L'En- 
fant, llist,  (le  la  guerre  des  llussites  et  du  concile  de  Bàle, 

Le  prédicateur  disait  vrai  quant  k  l'Italie  :  pendant  que  la  Bohême  et  l'Alle- 
magne s'entr'égorgeaicnt  pour  des  dissidences  sur  les  dogmes  et  les  rites  du 
cliristianisme,  les  hautes  classes  de  la  société  italienne  étaient  minées  par  le 
scepticisme,  le  fatalisme  el  le  matérialisme  épicurien  :  la  terre  des  papes  était  la 
terre  la  moins  chrétieine  de  l'Europe,  et  le  mouvement  toujours  croissant  de  la 
Keuaissunce  ressuscitait  en  Italie,  non  pas  seulement  lu  littérature  et  les  arts,  mais 
les  idées  des  derniers  siècles  du  monde  antique.  Les  plus  grands  incrédules 
étaient  dans  le  clergé;  mais  ceux-'.k  n'étaient  pus  les  moins  zélés  contre  les  héré- 
tiques de  Bohême  :  ils  n'avaient  garde  de  se  faire  lc3  martyrs  de  leur  incrédulité; 
il$  considéraient  l'éiilisc  el  sa  hiérarchie  comme  une  institution  politique  érigéd 
au  profit  des  hommes  d'intelligence  et  nécessaire  a  la  société,  et  les  dissidents 
étaient  a  leurs  yeux  des  fanatiques  et  des  factieux  bien  plus  que  des  héré!ique«. 
Les  grands  esprits  dout  abondait  alors  l'Italie  avaient  plus  d'intelligence  que  de 


328  GUERRES  DES  ANGLAIS.  [tisi-ias) 

entre  deux  rois  ennemis;  la  guerre  des  Hussites,  qui  p^onl^ 
naienl  la  ternuir  de  leurs  annes  victorieuses  dans  toute  TAUe- 
niagne  *  :  les  offres  de  l'empereur  d'Orient  Jean  Paléologue,  qui, 
proscjue  réduit  par  les  Turks  aux  murailles  de  Constantinoplo, 
appelait  la  réunion  des  deux  églises  grecque  et  latine,  dans  l'es- 
poir d'intéresser  l'Occident  à  sa  défense;  enfin,  la  #érornie  des 
mœurs  et  de  la  discipline. 

Le  concile  commença  de  se  rassembler  spontanément  dans  k 
cornant  de  lî31  :  les  dépulés  du  clergé  français  du  parti  de 
Charles  VII  arrivèrent  les  premiers  ;  puis  les  Allemands.  Le  pape 
Kugône  IV  essaya  de  transférer  le  concile  à  Cologne;  les  prt*bts 
(|ui  se  sentaient  bien  plus  libres  à  Bâle,  refusèrent  de  jxisser  les 
Alpes  ;  le  saint-pére  passa  de  la  ruse  à  la  violence,  et  déclara  le 
concile'  dissous.  L'assemblée  de  Bàle,  qui  avait  commencé  [ku 
confirmer  les  décrets  des  pères  de  Conslance  touchant  la  su|m!'- 
liorilé  du  concile  sur  le  pape,  riposta  en  sommant  le  saint-|HTc 
de  se  rendre  en  personne  à  Bàle  sous  bref  délai,  faute  de  quoi  il 
seniit  passible  de  déposition.  La  lutte  de  l'épîscopat  et  de  la  pa- 
l)auléso  renouvela  ainsi  i)lus  ouvertement  qu'à  Constance  même. 
Les  évéques  du  parti  de  Charles  VII  approuvèrent  ceux  de  leurs 
collègues  qui  s'étaient  rendus  à  Bàle,  et,  dans  une  assemlilêe 
réunie  à  Bourges,  ils  prièrent  le  roi  d'envoyer  des  ambassadeurs 
au  concile  et  de  s'inlcrposer  afin  d'amener  le  pape  à  fléchir.  Le 
loi  Charles  et  l'empereur  Sigismond  se  déclarèrent  en  effet  pour 
le  concile  :  en  France,  la  royauté,  l'arislocratie  ecclésiasiîque  et 
Tarii^tocralie  féodale  se  trouvèrent  d'accord  pour  le  renouvelle- 
ment des  décrets  de  Conslance  sur  les  élections  aux  pivlatnies 
ri  les  collations  de  hénélices.  Le  conseil  de  (Charles  VII  jugea  que 

luoralilî'.  Il  est  permis  do  douter,  par  evcmple,  de  la  sincérité  de  rindijrQatiod 
]iieusc  d*.fin^'us  Syhius  Piccnloiiiiiii  {di'puis  pape  sous  le  nom  de  Pie  II'  iOL'.Tt 
h's  impies  BoliC'inieus.  quund  on  voit  a\ec  quelle  fucililé  son  inléréi  pcrsoanil  .'< 
fil  changer  de  parti  dauii  la  qnorcllc  du  pape  et  du  concile  de  BAle  ;  U  plapji: 
lies  favants  italien^,  lo<i  Poppc,  les  Pnnfanur.,  les  Valla,  furent  éçulenicnl  eD^*3g<'« 
dans  cotte  quorello.  sans  liiMuniup  plu«  di-  conviction  rcligicuiic  :  ainsi  le  fittieui 
Laurent  Valla  fut  umr  a  tour  Tuihi  et  Prnnenii  de  la  cour  de  Rome,  qu  lique  ii 
posirri'.é  no  cnunaisro  ]>lus  en  lui  <iue  K-  oritique  redoutable  qui  dimonira  i'in.- 
posiure  des  fausses  di'cn-talis  rt  de  la  prétendue  donation  de  Rome  aux  papis  ]*: 
Constaniin. 

1.    f.    Kci.AIRClSSEME>rS,   n"  2,  les  Hl'SHITES. 


[i43S-14S4]  CONCILE  DE  BALE.  929 

rintérôt  de  la  couronne  éLiil  de  s'unir  aux  évoques,  aux  chapitres 
et  aux  patrons  nobles  contre  l'invasion  romaine' . 

Les  ambassadeurs  du  duc  de  Bourgogne  allèrent  à  Bâle  comme 
ceux  du  roi,  mais  pour  contester  .contre  les  décrets  qui  mena- 
çaient le  pape.  Une  querelle  très  vive  eut  lieu,  dans  le  sein  du 
concile,  enlt*e  les  Français  et  les  Bourguignons,  à  propos  d'une 
lettre  dans  laquelle  Henri  VI  s'adressait  à  l'assemblée  en  qualité 
de  €  roi  de  France  et  d'Anglelerre  »  (17  août  1433).  Les  Bourgui- 
gnons appuyant  les  prétentions  des  Anglais,  les  Français  les  qua- 
lifièrent de  traîtres.  Cette  scène  n'était  pas  de  nature  à  avancer 
la  paix;  cependant  le  conseil  de  France  et  les  autres  gouverne- 
ments favorables  au  concile  expédièrent  des  instructions  modé- 
rées à  leurs  ambassadeurs,  et  l'on  oblint  que  le  concile  accorde- 
rait un  délai  au  pape,  qui,  de  son  côté,  finit  par  reconnaître  la 
légalité  de  l'assemblée  de  Bâle  :  le  duc  de  Bourgogne  protesta 
de  ses  bonnes  intentions  pour  la  paix  générale.  Le  concile  rega- 
gna le  duc  de  Bourgogne  en  donnant  le  pas  à  ses  ambassadeurs 
sur  les  envoyés  des  électeurs  du  Saint-Empire  et  de  tous  les 
princes  qui  ne  portaient  point  la  couronne  royale.  Ce  fut  un  grand 
sujet  de  mécontentement  pour  l'empereur,  qui  avait  déjà  vu  avec 
beaucoup  de  déplaisir  les  usurpations  du  duc  Philippe  dans  les 
Pays-Bas;  Sigismond  s'allia  au  roi  de  France,  et  alla  jusqu'à  dé- 
lier le  duc  de  Bourgogne;  mais  les  embarras  que  les  Hussites 
causaient  à  Sigismond  en  Allemagne  ne  lui  permirent  pas  d'in- 
tervenir autrement  qu'en  paroles  dans  la  guerre  de  France.^^ 

Les  négociations  n'avaient  point  empêché  jusqu'alors  les  hos- 
tilités de  recommencer  chaque  printemps  sur  les  marches  de 
la  Bourgogne  et  des  seigneuries  bourbonnaises.  Le  nouveau  duc 
de  Bourbon  (Charles,  auparavant  comte  de  Glermont)  était  rentré 
en  Bourgogne  dans  les  premiers  mois  de  1434,  avec  l'assistance 
du  sire  de  Château- Vilain,  grand  seigneur  bourguignon  qui  était 
passé  aux  Français  :  le  duc  Philippe  revint  de  Flandre  et  reprit 
l'offensive;  les  forteresses  de  Château- Vilain  furent  conquises  ;  le 

1.  M.  Micheîet  (l.  V,  p.  200)  en  explique  irès  bien  les  motifs.  Celait  un  moyen 
indirect  de  payer  les  services  des  barons  que  de  leur  rendre  la  collation  des  bé- 
néfices provenant  des  dons  de  Icuis  aicux,  avec  une  influence  sur  les  élections 
aux  préîaiures  tempérée  par  celle  de  la  couronne. 


330  GUERRES  DES  ANGLAIS.  lliU-USij 

pa\s  Je  Donibos  et  le  Beaujolais,  domaines  du  duc  de  Bourku. 
furent  envahis  à  leur  tour.  Mais  ce  furent  là  les  dernières  étin- 
celles de  la  guerre  civile  :  les  instances  du  pape  el  du  concîk. 
(|ui  affectaient  de  rivaliser  de  zèle  pour  la  pacification  de  la  chni- 
tlenlé,  el  renlremise  du  duc  de  Savoie  et  de  la  duchesse  de  Bour- 
bon, sœur  du  duc  de  Bourgogne,  tirent  enfin  tomber  lesarmo 
des  mains  des  deux  partis.  Le  duc  Philippe  donna  plein  pouvoir 
aux  ambassadeurs  qu'il  avait  au  concile,  de  conclure  la  paii  gé- 
nérale, ce  qu'avait  fait,  au  reste,  le  gouvernement  anglais  lui- 
même  ;  puis  une  conférence  eut  lieu  à  Nevcrs,  en  janvier  I  i33. 
entre  les  ducs  de  Bourgogne  et  de  Bourbon,  le  connétable  ei  le 
chancelier  de  France.  Les  deux  ducs  s'y  raccommodèrent  plei- 
nement, et  s'y  montrèrent  «  aussi  grande  amour  »  que  s'ils  n'eus- 
sent pas  tant  de  fois  désolé  réciproquement  leurs  domaines  par 
le  fer  et  le  feu  :  tout  récemment  encore,  on  pendait  de  part  et 
d'autre  les  prisonniers  rendus  à  discrétion.  «  Pardieu!  »  s'écrit 
un  des  chevaliers  bourguignons,  en  voyant  les  caresses  que  se 
faisaient  les  deux  beaux-frères,  «  entre  nous  autres,  nous  sommes 
bien  mal  conseillés  de  nous  aventurer  et  mettre  en  péril  de  cqv\» 
el  d'àine  pour  les  singulières  volontés  des  princes  et  des  grands: 
((uaud  il  leur  plait,  ils  se  réconcilient,  et,  nous  autres,  nous  de- 
meurons pauvres  et  déiruits  (Monstrelet,  1.  11,  c.  167)  >.  Sage 
réllexioii,  qui,  de  longtemps  encore,  ne  corrigea  personne,  et 
n'(Mni)é(ha  pas  les  peuples  de  servir  d'aveugles  instruments  au\ 
passions  et  aux  intérêts  personnels  des  princes! 

t^etle  fois,  du  moins,  la  réconciliation  fut  sincère  et  produisit 
de  gi  ands  résultats.  Ai)rès  dix  jours  de  négociations,  il  fut  araMé: 
1"  (pie  de  nouvelles  conférences  seraient  ouvertes  &  Arras,  le 
1"  juillet,  pour  traiter  de  la  paix  générale  avec  les  Anglais;  3*  que 
le  roi  Charles  y  adresserait  au  roi  Henri  des  offres  «  convena- 
bles ",  et  (|ue,  si  le  roi  Henri  ne  les  acceptait  pas,  le  duc  Phi- 
lip|M'  fei'ait  tout  ce  qu'il  pourrait  et  devrait,  sauf  son  honneur, 
|)OMr  rendre  la  paix  au  royîuuJie;  3"  que,  dans  le  cas  où  le  dui\ 
bon  honneur  sauf,  (piitterait  le  parti  du  roi  Henri,  le  roi  Cliark? 
lui  céderait  les  comtés  de  Ponthieu  et  de  Montreuîl-sur-Mcr. 
Amiens,  Doullens,  et  li)ules  les  villes,  terres  et  seigneuries  de  I.i 
moNCimc  el  basse  Somme,  avec  tous  leurs  revenus,  réscné  le 


POURPARLERS  AVEC  PHILIPPE.  331 

le  souveraineté,  laquelle  cession  serait  rachetable  au  prix. 
,000  écusd'or;  4°  que  le  duc  Philippe  engagerait  le  roi 
à  envoyer  des  plénipotentiaires  à  Arras,  et  que  le  pape, 
cile  et  tous  les  souverains  chrétiens  seraient  invités  à  su 
cprésentcr  au  congrès*. 

îppe  quitla  bientôt  la  Bourgogne  pour  aller  faire  en  Ar- 
i  préparatifs  de  cette  grande  assemblée  :  il  n*évita  plus  de 

par  Paris  ;  il  avait  enfin  des  paroles  de  consolation  à  por- 
ctte  malheureuse  ville;  il  y  entra  en  «  noble  compagnie  », 
avril,  menant  avec  lui  sa  femme  et  son  jeune  héritier, 
s,  comte  de  Gharolais,  sans  compter  trois  de  ses  bâtards, 
IX  Jouvenceaux  >  qui  «  chevauchoient  très  bien  >  à  ses 
quoique  le  plus  âgé  n'eût  guère  plus  de  dix  ans.  Il  fit  ses 
5  à  Paris,  et  y  tint  cour  plénière  à  tous  venants.  L'univer- 
'osant  refuser  d'être  l'organe  des  sentiments  publics,  ha- 
i  le  duc  c  sur  le  fait  de  la  paix»,  et  les  damoiselles  et 
îoises  de  Paris  allèrent  prier  «  très  piteusement  »  madame 
irgogne  «  qu'elle  eût  la  paix  du  royaume  pour  recomman- 

€  Mes  bonnes  amies,  répondit  doucement  la  duchesse, 
ne  des  choses  de  ce  monde  dont  j'ai  le  plus  grand  désii* 
it  je  prie  plus  monseigneur  mon  mari  jour  et  nuit;  el, 
ertain,  je  sais  bien  qu'il  a  très  grande  volonté  d'y  exposer 
3t  chevauce  ».  La  duchesse  et  son  époux  emportèrent  avec 
s  bénédictions  et  les  vœux  des  Parisiens  {Bourgeois  de 

s  et  ses  environs  devaient  avoir  bien  à  souffrir  encore.  La 
î  d'une  paix  prochaine  redoublait  la  fureur  et  la  rapacité 
iipagnies  françaises  et  anglaises  :  elles  semblaient  se  hâter 
orer  les  restes  de  ces  tristes  contrées.  L'avantage  était  aux 
lis,  et  l'impulsion  du  connétable  se  faisait  sentir  dans  la 
on  de  la  guerre.  Au  mois  de  mai,  le  comte  d'Arundel,  qui 
lélruit  les  insurgés  normands,  fut  à  son  tour  vaincu  et 
à  mort  dans  un  combat  contre  La  Hire  et  Saintrailles,  à 
•oi  en  Beauvaisis.  «  Ce  fut  grandement  le  profit  du  roi  et 
aume  »,  dit  le  roi  d'armes  Berri,  a  car  il  étoit  vaillant  chc- 

Plancher,  Preuves  à  l'hist,  de  Bourgogne,  i,  IV,  u.  117,  p.  144, 


332  GUERRES  DES  ANGLAIS.  (lU^] 

valier,  et,  s'il  cill  plus  vécu,  il  eût  pu  faire  plus  grand  dommage 
encore  à  la  seigneurie  de  France  ».  Le  conseil  d'Anglelerre,  iwr 
une  bravade  assez  ridicule,  venait  de  Tinvestir  du  duché  deTuu- 
laine,  où  les  Anglais  ne  possédaient  pas  une  seule  place.  La  vic- 
toire de  Gerberoi  fut  très  glorieuse  à  La  Ilire  et  à  Sainlraillc*. 
qui  l'avaient  gagnée  à  nombre  fort  inférieur.  Trois  scmaiuw 
a])rës,  Saint-Denis  ayant  été  surpris  par  Gaucourt,  les  capitaines 
français  de  la  province  firent  de  celte  ville  leur  quartier  général: 
un  de  ces  chefs,  appelé  Flociuet,  portait  rcfligie  du  duc  de  Bed- 
ford  pendue  au  bout  de  sa  lance.  Dedford,  voyant  Paris  sérieuse- 
ment menacé,  y  envoya  en  toute  hûte  trois  mille  Anglais  et  ci»«| 
cents  Picards,  et  la  banlieue  fut  de  nouveau  horriblement  dé- 
vastée par  les  deux  partis,  qui  se  livrèrent  de  sanglants  coinlial? 
sous  les  nmrs  de  Saint-Denis. 

Presque  partout,  néanmoins,  on  s'abandonnait  à  Tcspérance 
de  voir  bientôt  la  fin  de  tant  de  maux  :  les  ambassadeurs  s'apprê- 
taient au  voyage  d'Arras;  les  députés  du  Languedoc  se  rassem- 
blaient à  Béziers,  où  ils  accordèrent  un  subside  au  roî  (mai  1435 . 
Les  États  du  Languedoïl  étaient  convoqués  à  Tours;  mais  on  le* 
remit  au  retour  des  anibassadeui*s.  L'ouverture  du  congrès  eut 
lieu  après  quelques  semaines  de  retard;  on  n'avait  ]>as  vu  depuis 
bien  longtemps  en  Europe  une  réunion  aussi  inipo.Ninte;cefut 
une  véritable  assemblée  générale  de  la  chrétienté  ;  l'Europe  entière 
avait  compris  combien  elle  était  intéressée  à  la  solution  des  des- 
tinées de  la  France. 

Le  cardinal  de  Chypre,  ambassadeur  du  concile,  entra  le  pre- 
mier dans  Ari-as  le  8  juillet,  avec  une  suite  de  cent  cinquaalt 
chevaux;  le  cardinal  de  Sainte-Croix,  de  l'ordre  des  chartreuï, 
légat  du  pape,  arriva  le  13.  Après  eux,  vinrent  successivement  les 
envoyés  de  l'empereur,  des  rois  <le  Castille,  d'Aragon,  de  Xa\Tirre, 
de  Portugal,  de  Sicile  (c'est-à-dire  de  Naples)  *,  de  Trinacrie  de 

1.  C'rtaii  alors  llrné  d'Anj'Ui,  ilOjii  duc  de  Lorraine  cl  de  Bar:  son  frers 
Louis  III,  mon  sans  enfants  le  ?/t  oclitbrc  l'«34,  venait  de  lui  laisser  l'Anjou,  le 
Maine,  lu  Provence  ei  Kis  prêtt.niioiis  de  leur  brauelie  au  trùue  de  Xaplef;  i'^a- 
cienne  Lruui'he  royale  d'Anjou,  dite  de  l)n:'u7.7o,  >V'teiguit,  le  2  fifvricr  l43j,  d^tii 
la  personne  de  lu  \ieille  reine  de  Nuidcs,  Jeanne  H  ou  Jeannclle,  qui  avait  trcr  « 
tour  |i)»nii<  son  hériiago  au\  pnnces  un^evins  et  au  roi  Alphonse  d'Afdgou.  d*îi 
liiaitre  de  la  Sieile,  ou  il  uvait  couiunnc  >ou  Làiard  Frédéric;   la  posiêriii  it 


C143&]  CONGRÈS  D'ARRAS.  331 

Sicile],  de  Pologne,  de  Chypre  ' ,  de  Danemark,  des  ducs  de  Milan, 
de  Bretagne  et  d*Alencon,  de  l'université  et  de  la  ville  de  Paris, 
de  beaucoup  d'autres  bonnes  villes  et  pays  de  France,  Bourgogne 
et  Pays-Bas.  Le  25  juillet,  on  vit  paraître  Tauibassade  d'Angle- 
terre, à  la  tôte  de  laquelle  ctaienl  rarchcveque  d'York  et  le  comte 
de  Suffolk,  suivis  de  trois  cents  chevaux.  Comme  pour  braver  les 
Français,  le  conseil  d'Angleterre  avait  adjoint  à  ses  délégués  le 
meurtrier  de  Jeanne  Darc,  Piene  Cauchon. 

Le  duc  Philippe  entra  à  son  tour  dans  Arrasle  28  juillet,  avec 
une  escorte  d'une  magnificence  inouïe  :  le  roi  de  Sicile,  duc  de 
Lorraine,  le  duc  de  Gueldre,  l'évoque  de  Liège,  les  comtes  de 
Nevers  et  d'Étampes^,  le  comte  de  Vaudemont,  les  comtes  de 
Ligni  et  de  Saint-Pol  ',  une  multitude  de  prélats,  de  seigneurs 
et  de  chevaliers  l'accompagnaient;  ce  cortège  était  d'au  moins 
deux  mille  chevaux.  Le  faste  accoutumé  de  la  maison  de  Bour- 
gogne s'était  surpassé  dans  cette  occasion  solennelle.  L'ambassade 
de  France  se  présenta  la  dernière,  sous  la  conduite  du  duc  de 
Bourbon,  du  connétable,  du  comte  de  Vendôme,  du  chancelier 
Regnauld  de  Chartres  et  du  maréchal  de  La  Fayette,  que  suivaient 
un  millier  de  cavaliers.  L'autorilé  morale,  dans  ce  groupe,  était 
évidemment  au  connétable.  Les  Français  reçurent  un  accueil  qui 
déplut  fort  aux  envoyés  de  Henri  VI;  le  duc  et  la  duchesse  de 
Bourgogne  et  les  grands  de  tous  pays  qui  se  trouvaient  à  Arras  al- 
lèrent en  grande  pompe  à  la  rencontre  desdépulésde  Charles  VII, 
jusqu'à  un  mille  de  la  cité  :  tous  les  hérauts  cédèrent  le  pas  à 
Montjoie,  roi  d'armes  de  France  *. 

Le  3  août,  le  congrès  étant  assemblé  en  l'église  de  Saint-Waast 

Charles  d'Anjon  et  la  dynastie  sicilienne,  issue  de  son  rival  Pierre  d'Aragon,  avaient 
ini  presque  en  même  temps.  Isabelle  de  Lorraine,  femme  de  René,  puis  René 
loi-niéme,  passèrent  k  Napics,  et  y  soutinrent,  durant  plusieurs  années,  une  lutte 
inégale  contre  le  monarque  aragonais,  qui  en)pIoyaii  a  la  conquête  des  provinces 
napolitaines  toutes  les  ressources  d'une  marine  puissante  et  d'une  nation  belli- 
queuse. 

1.  Ce  dernier  des  États  latins  fondés  en  Orient  par  les  croisades  subsistait  en- 
core souA  la  maison  française  de  Lusignan. 

2.  Les  deux  cousins  de  Philippe  :  il  ne  leur  avait  laissé  que  ces  deux  comtés. 

3.  Jean  de  Luxembourg  et  son  nercu.  Ils  s'étaient  raccommodés  a\ec  Phi- 
lippe. 

4.  Saint-Remi,  c.  183.  —  MonslrcleJ,  1.  II,  c.  180.  —  Jean  Chartier.  —  Ba- 
rante,  t.  VI,  p.  291  et  suivantes.  4  édition. 


33f  GUERRES  DES  ANGLAIS.  [h:^: 

(VArras,  Laurenl  Piiion,  cvùqiic  d'Auxerrc,  confesseur  du  diu  île 
l^ourgognc,  ciilama  les  conférences  par  un  «  beau  sermon  *  «n 
faveur  de  la  paix.  Les  cardinaux  de  Chypre  et  de  Saînle-Crf»i\ 
parlèrent  dans  le  mi^nie  sens,  et,  prenant  le  rôle  de  médialPins 
oflVircnt  à  chacune  des  parties  adverses  de  lui  transineUrp  l»s 
propositions  et  les  i-éponses  de  l'autre.  Il  avait  ^li^  r^flé  qu'^n 
aviserait  premièrement  au  différend  de  Charles  de  France  et  d*' 
Henri  d'Angleterre.  Les  médiateurs  purent  bientôt  se  convaincre 
du  peu  de  chances  favombles  qu'avait  celte  première  partie  d<^ 
leur  mission.  Ni  les  Anglais  ni  les  Français  ne  voulaient  sérieuse- 
ment  la  paix  générale  :  les  Français  espcraîcut  achever  la  déli- 
vrance du  territoire;  les  Anglais  espéraient  garder  ce  qu'ils  te- 
naient encore,  sinon  recouvrei*  un  jour  ce  qu'ils  avaient  perdu  d€ 
leurs  conquêtes.  Les  Anglais  désiraient  conclure,  au  lieu  de  pii\. 
une  longue  trêve,  durant  laquelle  chacun  conserverait  ce  qu'il 
possédait  en  ce  nion)ont  ;  les  Français  souhaitaient  traiter  avec  !»• 
(hic  de  Bourgogne  à  Texclusion  des  Anglais,  et  n'eurent  gardod»* 
consentir  à  une  trêve  qui  eût  permis  à  Henri  VI  de  raflfermir  *n 
domination  sur  Paris,  sur  la  Normandie  et  sur  toutes  les  vill»*>il 
seigneuries  encore  anglaises  :  ils  offrirent  à  Henri  VI,  à  titre  de 
tief,  le  thiché  d'Aquitaine  au  complet,  puis  y  ajoutèrent  les  dio- 
cèse? de  Baveux,  Avranches  et  Evreux,  moyennant  sa  renoncinlion 
au  titre  de  roi  de  France  et  la  délivrance  du  duc  Charles  d'Orléans. 
Les  Anglais  refusèrent.  Le  cardinal  de  "Winchester,  qui  arri^ti  le 
20  août,  avec  beaucoup  de  prélats  et  de  barons  anglais,  voulut 
rompre  les  pourparlers,  dès  qu'il  vit  que  les  Français  n'admet- 
taient point  d'autre  base  que  la  renonciation  de  Henri  VI  à  la 
couronne  de  France.  Les  légats  du  pape  et  du  concile,  à  fonv 
d'instances,  amenèrent  alors  les  ambassadeurs  français  à  ofirirh 
Normandie  entière  avec  TAquilaine,  mais  toujours  à  litre  de  tiof. 
(i'était  l'héritage  que  Henri  V  mourant  avait  conjuré  Bedford  de 
garder  à  son  lils,  dans  le  cas  où  il  serait  forcé  de  renoncer  au 
reste  de  la  France.  Les  ambassadeurs  français,  surtout  Riche- 
mont,  ne  craignaient  rien  tant  que  de  voir  leurs  offres  acceptée?. 
Elles  ne  le  furent  point  :  l'orgueil  l'emporta  sur  Fintérér  etsiir 
la  raison;  les  envoyés  anglais  déclarèrent  qu'ils  n'avaient  jw^  le 
pouvoir  de  dé|iouillor  leur  seigneur  d'une  de  ses  deux  couronnes, 


CONGRES  D\\RRÀS.  335 

it  Arras  le  6  septembre,  malgré  les  supplications  des 
Paris,  qui  les  conjuraient  de  ne  point  s'opposer  à  la 
le. 

sions  des  conférences  de  Nevers  étaient  réalisées  :  des 
venables  »  avaient  été  adressées  par  le  roi  Charles  aux 
ceux-ci  «  ne  s'y  étofent  point  accordés  »  ;  le  duc  Phi- 
lonc  libre  désormais  de  travailler  à  la  pacification  du 
lans  se  soucier  de  ses  exigeants  et  intraitables  alliés, 
ne  lui  représentaient  sans  cesse,  non-seulement  ses 
[-frères,  Cliarles  de  Bourbon  et  Artus  de  Richemont, 
e  son  chancelier,  Nicolas  Raulin,  ses  serviteurs  et  la 
ses  barons  de  Bourgogne,  d'Artois  et  de  Picardie.  Phi- 
îfois,  hésitait  encore.  Au  contraire  de  son  père,  qui 
sans  scrupule  tant  de  serments,  il  se  piquait  d'une 
e  fidélité  aux  engagements  solennels;  vertu  qui,  ainsi 
avons  observé  ailleurs,  était  compatible,  chez  les 
1  moyen  Age,  avec  l'absence  du  sens  moral  à  d'autres 
qui,  chez  Philippe  même,  n'impliquait  nullement  une 
auté  dans  les  négociations.  Un  faux  honneur  balançait 
is  son  âme  le  véritable  devoir.  Les  légats  eux-mêmes 
aient  pas  à  lui  persuader  de  déchirer  le  traité  de 
ir  qu'il  fût  bien  assuré  que  son  renom  ne  serait  point 
î  dut  faire  intervenir  l'autorité  des  plus  fameux  ca- 
>is  consultations  furent  écrites,  la  première,  par  des 
de  la  suite  des  légats,  la  seconde,  par  des  docteurs 
troisième,  par  des  docteurs  français, 
ir  bolonais  Ludovico  de  Gari ,  dans  la  première ,  de- 
mllité  radicale  du  traité  de  Troies.  Sa  tûche  était  fa- 
i  d'infirmité  »  du  roi  Charles  VI,  la  violation  flagrante 
lonarchique  et  féodal,  qui  interdisait  au  roi,  eût-il 
te  sa  raison ,  d'exhéréder  son  fils  et  ses  parents  aU 
e  race  étrangère,  enfin  Tinsuffisance  du  simulacre 
éraux  qui  avaient  ratifié  les  conventions  de  Troies , 
iocte  Italien  des  armes  irrésistibles.  Il  ajouta  un  argu- 
ultramontain  ;  c'est  que,  si  le  roi  avait  un  crime  à  re- 

p.  277. 


336  GUERRES  DES  ANGLAIS.  [u:^] 

procher  à  son  fils ,  il  devait  se  pourvoir  devant  le  pape,  qui  seul 
îi  droit  de  déclarer  un  prince  incapable  d'hériler. 

Les  docteurs  anglais  répondirent  en  invitant  le  duc  à  ne  point 
se  fier  à  Charles  de  France,  nieurlrier  de  son  père ,  et  à  ne  point 
taclier  son  honneur  et  renom  par  Toubli  de  ses  promesses;  ils  lui 
rappelaient  les  statuts  que  lui-uiénjc  avait  donnés  à  son  ordre 
de  la  T()ison-<rOi',  et  qui  reconunandaient  la  loyauté  aux  cliem- 
licrs  connue  la  première  des  vertus. 

Ludovico  do  Gari  n'avait  rien  laissé  à  faire  aux  théologiens 
français,  sinon  à  reproduire  sous  d'autres  formes  les  arguments 
serrés  de  sa  diîdectique,  sauf  le  dernier.  Après  ce  débat  solennel, 
les  cardinaux  de  Chypre  et  de  Sainte-Croix,  qui  avaient  annoncé 
(ju'à  défaut  de  la  paix  générale,  ils  poursuivraient  du  moins  h 
pricillcalion  intérieure  du  royaume  de  France ,  conjurèrent  dr 
nouveau  le  duc,  «  par  les  entrailles  miséricordieuses  de  Xotn»- 
Seigneur  Jésus-Christ,  par  Faulorilé  de  notre  saint  père  le  pape, 
(lu  saint  concile  assemblé  à  Bàle  et  de  TÉglisc  universelle  »,  df 
lenoncer  à  sa  vengeance  contre  le  roi  Charles. 

On  reçut  h  Arras,  sur  ces  entrefaites,  une  importante  nouvelle: 
h»  duc  de  Bedford  était  mort,  le  1  i  septembre,  dans  ce  château  d»' 
Rouen  où  avait  été  enfermée  son  illustre  victime.  Il  apprit,  avant 
«l'expirer,  la  rupture  des  négociations,  la  défection  imminente 
du  duc  de  Bourgogne,  et  emporta  au  tombeau  l'amère  pensée  Av 
la  décadence  de  l'Angleterre,  que  n'avaient  pu  arrêter  ses  talent?, 
ses  exploits  ni  ses  crimes.  Sa  mort  aida  à  vaincre  les  derniers 
scrupules  du  duc  Philippe.  Quoique  brouillé  avec  Bedford  el 
n'ayant  aucun  sujet  «le  l'aimer,  il  se  sentait  plus  embarrassé  * 
rompre  avec  lui  (ju'avec  un  autre  régent  auquel  il  n'eût  pas  été  lii* 
per.sonuellement  par  les  traités  '.  Il  déclara  enfin  qu'il  était  prêt 
à  st»  l'éconcilier  avec  le  roi  Charles,  d'après  les  bases  convenues  à 
Nevers,  et  Nicolas  Raulin,  chancelier  de  Bourgogne,  fit  connaltr»' 
aux  Français  à  qu(*l  prix  son  seigneur  consentait  à  la  paix  :  K> 


1.  u  C'était  le  poini  (K>  viir  tout  litirrul  du  ninvon  ùgc.  »  Michclct,  ilisi  •/> 
l'ninrct  t.  V,  I».  107.  M.  Miclh-li-l  explique  au«i«ii  cnimncnt  le*  intérêts  de  la  Flantin 
]'<-^:iiL>nt  l»LMiiicoii|)  moins  ({n'iiuti-L-fuis  du  cùié  de  TAnglGterre.  Depuis  que  l'Aa- 
^'.ai.-i  n\'-taii  plus  seulement  un  producteur  de  luine,  de  matière  prcmii're,  nia.^ 
qu'il  devenait  fabricant,  il  se  faifaii  le  concurrent  et  renuemi  du  Flamand. 


tl435]  CONDITIONS  DE  PAIX.  337 

conditions  étaient  assez  diiics,  et  dépassaient  de  beaucoup  les 
préliminaires  de  Xevers. 

Le  roi  devait  dire  ou  faire  dire  à  monseigneur  de  Bourgogne 
que  la  mort  du  feu  duc  Jean  avait  été  iniquement  et  mauvaise- 
ment  «  perpétrée  »  ;  que  a  ledit  cas  »  lui  avait  toujours  déplu  ,  et 
qu'il  y  eût  obvié  de  tout  son  pouvoir,  s'il  n'avait  été  alors  «  fort 
jeune  et  de  petite  connoissance  ».  Il  devait  prier  monseigneur  de 
Bourgogne  d'ôter  de  son  cœur  toute  haine  et  rancune  contre  lui 
pour  ce  fait ,  afin  qu'il  y  eût  entre  eux  bonne  paix  et  amour.  Le 
roi  devait  abandonner,  pour  être  punis  en  leurs  corps  et  leurs 
biens,  les  auteurs  et  fauteurs  du  meurtre  désignés  à  sa  justice  par 
le  duc  de  Bourgogne;  si  on  ne  les  pouvait  saisir,  ils  seraient 
bannis  à  toujours  de  France  et  de  Daui)l]iné.  Diverses  fondations 
pieuses  *  étaient  en  outre  imposées  au  roi ,  en  expiation  «  dudit 
homicide». 

Le  duc  exigeait  la  cession  à  perpétuité,  pour  lui  et  ses  héritiers, 
des  villes  et  comtés  de  Màcon  et  d'Auxerre  2,  des  villes  et  chàtelle- 
nies  de  Bar-sur-Seine,  de  Péronne,  Roie  et  Montdidicr  (les  villes 
du  Santerre  avaient  été  déjà  engagées  à  Philippe  par  Bedford), 
plus  la  cession,  avec  faculté  de  rachat  au  prix  de  400,000  écus 
d'or  ^,  de  toutes  les  autres  villes  cl  terres  de  la  Somme ,  Saint- 
Quentin  ,  Amiens,  Corbie,  les  villes  du  Ponthieu,  etc.  Le  roi  lui 
garantissait  la  possession  du  comté  de  Boulogne ,  qui  était  con- 
testé entre  lui  et  les  héritiers  de  la  feue  duchesse  de  Berri.  Les 
impôts  dits  du  domaine  royal,  cl  tous  les  autres  aides  et  subsides 
sur  les  seigneuries  cédées,  appartiendraient  au  duc,  et,  après  lui, 
à  son  héritier  immédiat,  le  ressort  du  parlement  étant  seulement 
réservé.  Le  duc  serait  exempt  de  tout  hommage  et  sujétion 
envers  le  roi ,  leur  vie  durant  à  tous  deux  ;  si  le  roi  mourait  le 
premier,  le  duc  rendrait  hommage  au  successeur  de  Charles  YII  ; 
si  c'était  le  duc ,  son  héritier  ferait  acte  de  vassal.  Cette  clause , 

1.  L'ércciion  d'une  croix  de  pierre  sur  le  pont  de  Montereau,  la  fondation  d'un 
couvent  de  chartreux  et  d'une  chapelle  dans  l'église  de  Montereau,  etc. 

2.  La  ville  d'Auxerre^vait  été  irrévocablement  unie  au  domaine  de  la  couronne 
sous  Charles  V. 

3.  u  400,000  écus  d'or  vieux,  de  soixante-quatre  au  marc  de  Troies,  huit  onces 
pour  le  marc,  et  d'aloi  à  vingt-quatre  karats  et  un  quart  de  karat  de  remède.  »  Le 
traité  dans  Monstrclet,  1.  II,  c.  183,  et  dans  Olivier  de  La  Marche. 

vv  99 


»38  GUERRES  DES  ANGLAIS  lui., 

qui  €Oïi&lituaJl  le  thic  Pliiliiipe  souvcraiii  hiii  »^ 

mort  du  mi,  et  qai  établissait  comme  dviix  n...-  ...  i *. ,  •  ii>- 

liortait,  pour  tes  sujets  et  vassaux  du  due,  lu  dbpcnse  iI*oK*ir  m 
ian  royal.  Il  est  vrai  que  le  duc  s'cnpgeaîl  h  aoe  alljaûc^ 
sivc  avec  le  roi  contre  les  Anglais,  Le  roi  ^mnislleniit  «  avi:^:  u^ 
tUution  de  biens,  tous  ceux  qui  avnieut  tenu  le  (Kirli  de  B".>pr- 
gogne ,  et  ronoocemit  à  son  alliance  avec  r«mperetir,  et  à  loole 
antre  qui  pourrait  èïre  dommageable  au  dut. 

Moyennant  ces  nrtickB  et  d'âutres  moins  imporltiiiti  ^  niîDppe 
eonsenlaii  à  mettre  le  passé  en  oubft,  ai  à  ne  jamaiB  ifuileraict 
les  Anglais  sans  le  consentement  du  roi  :  les  deux  [larties  dflinHSil 
d'avance  leurs  sujels  du  serment  de  Gdèlité  putois  celle  ûtffê  dem 
qui  enfreindrait  «  rappoinlemeni  »,  et  m  iionmeltAjiîni  à  Tel- 
eommunlcation  en  cas  de  parjure.  Ce  Irqit^  devait  Hvê  «celle  dct 
sceaux  de  tous  les  princes  du  sang,  prélalsj^arons  ci  bonnes  vjifcs 
du  rojannie,  lesquels  s  m  rendraient  tous  guninls. 

€  Combien  que  ces  articles  » ,  dit  rbistorieu  Jeim  Clwurlia, 
f  fusâcnl  pour  le  roi  de  fort  grande  cbarge  ei  prt^iudice,  et,  pmif 
le  duc,  de  trop  grand  profit»,  les  pléni[ï0tcntiiiire5  ne  hnla»' 
cèrcnt  point  :  le  cbaneelicr  de  France  t  donna  réponse  ffatxordi 
au  nom  de  Cliarles  VU ,  el  Ton  signa ,  le  21  septembre ,  le  pidf 
qui  terminait  ime  luUc  de  seize  années  ^*  Cnc  messe  *  \2, 
dausTéglisc  de  Saint-Waast,  célébra  ce  gnincl  év^i  U 

traité  fut  lu  publiquement  après  TofHce  :  le  doTcu  du  chapllrede 
Paris,  uri  des  envoyés  du  roii  exécula  le  premier  iirlidef  en  s'apc* 
noirillant  devant  le  duc  Philippe  it  en  lui  requénifil  iiierd ,  de  b 
part  de  Charles  Vtl,  pour  le  meurtre  du  due  Jean.  Le  duc  rcleit 
le  doyen,  Tembiussa,  et  jura  sur  k  Saml-Sacremcnt  et  mv  lecnj- 
cilix,  entre  les  mains  du  cardinal  de  Saintc-Croiic ,  de  ne  j^miii 
rappeler  la  mort  de  son  père  et  d'entretenir  k  loujuurT?  ptiii  é 
amour  avec  le  roi  de  Fronce.  Les  deui  légate  le  rt*levt*rent  def 


K  Par  «x«aipl«,  li  remht  do  corTitâ;^  ci  kréiiîufkcf,  t»Mf<M  « 

2,  De  9th9  An%,  I  ffftrtjr  do  Fassui^ionE  du  dnc  Ivm;  inib  d«  viiifi-«|ft^  m, 
si  l*ou  minoate  h  tu  première  RXi^lofioB  d«  1»  guerre  dct  Arsifotoi  «t  êm  Wm- 


[14353  TRAITÉ  D'ARRAS.  339 

serments  proies  aux  Anglais ,  et  tous  les  seigneurs  et  notables 
français  et  bourguignons  jurèrent  après  lui  la  juaix. 

D'immenses  acclamations  répondirent  du  dehors  aux  voix  qui 
venaient  de  proclamer,  sous  les  voûtes  de  Saint-Waast,  la  lin  de  la 
grande  guerre  civile.  La  population  d'Arras  mêlait  ses  cris  de 
joîe  à  ceux  des  dix  mille  étrangers  rassemblés  de  toutes  parts 
dans  ses  murailles.  Allemands,  Flamands,  Wallons,  Espagnols, 
Italiens,  s'associaient  à  rallégrcsse  des  Français,  et  saluaient  la 
réunion  de  la  France.  Dauphinois  et  Bovrgidgnons  s'embras- 
saient dans  les  rues  :  ces  derniers  semblaient  heureux  d'avoir 
reconquis  le  droit  de  se  dire  Français.  Maintenant  que  l'union  na- 
tionale était  rétablie,  on  ne  doutait  plus  de  réussir  à  renvoyer  les 
gens  d'outre-mer  dans  leur  île.  Dans  toutes  les  villes,  dans  toutes 
les  provinces  de  la  France  royale  et  de  la  France  bourguignonne 
ôclatcrenl  les  mêmes  démonstrations  qu'à  Arras.  Le  roi  et  les 
Trois  États  de  France  ratifièrent  le  traité  d'Arras  dans  la  cathé- 
drale de  Tours,  où  fut  chanté  le  Te  Dettm  en  réjouissance  :  le 
pape  et  le  concile  confirmèrent  et  garantirent  le  traité  chacun  de 
leur  côté,  quelques  semaines  après  *. 

Cette  satisfaction,  cependant,  n'était  pas  unanime.  Les  condi- 
tions de  la  paix  semblaient  dures  à  ceux  qui  gardaient  fidèlement 
la  mémoire  de  jours  plus  glorieux.  «  Le  roi  »,  dit  amèrement 
Perceval  de  Cagni,  «  montra  bien  qu'il  avoit  très  grand  vouloir 
de  la  paix,  et  aima  mieux  à  donner  ses  héritages  de  la  couronne 


1.  Les  États  de  Tours  accordèrent  au  roi  le  rétablissement  des  aides  «  abattues 
depuis  son  parlement  de  Paris  »  (en  1418)  :  Timpôt  sur  les  ventes  fut  remis  sur 
pied  à  compter  du  28  février  1-436.  Les  menues  denrées,  jusqu'à  concurrence  de 
la  valeur  de  cinq  sous  tournois,  furent  seules  exemptées  du  droit  sur  la  première 
Tente.  —  n  fallait  bien  se  créer  des  ressources  pour  profiler  du  traité  d'Arras,  et 
pousser  vigoureusement  les  Anglais;  mais  il  était  fâcheux  d'en  revenir  U  cette  na- 
ture d'impôt,  si  iucommode  ii  percevoir,  si  voxatoire  pour  les  particuliers,  si  gê- 
nante pour  les  transactions.  Ordowi.  t.  XIH,  p.  211.  Les  Ktais  de  Languedoc,  réu- 
nis k  Montpellier,  accordèrent  aussi,  deux  ans  après  (17  août  1437),  l'impôt  sur 
les  ventes,  k  savoir  12  deniers  pour  livre,  et  le  huitième  du  vin  en  détail  :  ils  dé- 
rogèrent ainsi  k  leurs  précédents,  car  ils  avaient  toujours  repoussé  cette  sorte 
d*inipôi.  Le  roi  leur  octroya  l'abolition  du  droit  de  douane  sur  la  sortie  des  mar- 
chandises. —  L'impôt  sur  les  ventes,  c'étaient,  nous  l'avons  déjli  dit,  les  contri- 
butions indirectes  du  moyen  âge,  mais  les  contributions  indirectes  a[.'gravées, 
dans  le  fond  et  dans  la  forme,  par  tous  les  abus  qu'entraînait  rinexpérience  ad- 
ministrative et  financière  de  ces  temps-là. 


310  GUnnïïES  DES  AXGLi\IS.  {liai 

irts  largement  que  soi  antver  et  soufeiiir  letifiilli*  Je  la  ^iticirf*  *. 

Le  traité  d'Arnis  était  il e\emt  nêccsîîiiirc;  mais  eeîîtt  nta: 
eiK  i>u  ôtre  évitée,  si  Charles  VU  n*cût  mieux  Jiiiiir  nclietcr 
dut  de  Bourgogne  une  paix  humiliante  cl  onéreuse  ijiie  de 
uue  fille  des  cliamps  commander  et  ^iilncrc  poor  lui 

Si  la  paix  dWrras  ne  eonteiita  pas  toute  la  Franee,  elle  cu$> 
pêra  toute  l'Angleterre, 

La  d*''fretion  du  duc  Phi!ipt>c  exeîia  chez  1er  AkJu  ,  iIk, 
d'agitation  et  de  ressentiment  que  &i  ce  dénoûmefit  ulûi  iLiiilL 
èlrc  dès  longtemps  préni.  Philippe  avait  dêpMié  à  Ueart  VI  soi 
roi  d'armes,  Lefevre  de  Suinl^Remi,  surnommé  Toison-il*( 
pour  signifier  le  traité  dWrras  au  jeune  monarque  ci  à  son 
seiL  Toison- d*Or  était  àrcomp.igné  d'un  doelair  en  tlit>jli) 
envoyé  par  les  légatgi,  et  tous  deux  étaient  chargé*  d'offrir 
nouveau  au  gouvernement  anglais  la  niédiâtjtin  du  pape, 
contile  et  du  due  de  Bourgogne  :  PIiiUp|H!  flvîiil  obteiia 
Chailes  VU  réitérât  roffre  de  k  Guyenne  et  de  k  jîunna 
nvee  dispense  pour  Henri  Vï  de  laire  arte  de  v&ssalHè;  son 
eessenr  seul  y  eût  été  obligé.  Le  roi  d'armes  et  «on  comp 
reçurent  J*aecueil  le  plus  discourtois,  et  tûveni  rtmvajfe 
lettres  de  congé  ni  réponse  olïk'ielle».  La  ]iopnliire  de  I^n 
pour  témoigner  sa  haine  au  duc,  pilla  les  maUom  des  néj 
flamands,  hollandais  et  picards  établis  dans  la  ctipilule  de  1*^ 
gleterre. 

Par  une  singulître  coïncidence,  le  mois  ou  fut  anànnii  \*  ^ 
deTroies  en  vit  disparaître  le  principal  soulien,  le  duc  di  L-> 
ford,  et  Tun  des  auteurs,  la  reine  Isalicau  de  BîiTière,  Bcdlord  < 
mort  le  I  i  septemhR^  :  Isaheau  mourut  le  ?i.  Les  Afiglais  I 
vaient  cruellement  châtiée,  par  knu  ingratitude,  du  tnal  ijnV 
avait  fait  h  la  France;  \h  ne  lui  donnaient  pas  de  quw  aller  if 
pair  avec  la  moindre  comtesse  anglaise;  ilsdisajenl  |0U[  liant  ifut 
son  fils  Charles  n'était  qu'un  hâtard  :  dqnits  k  Umité  de  Troief, 
«  elle  n'eut  bien  ni  Joie  au  dediins.  Avant  que  de  mourir  »,  dîi 
riiistorien  Jean  Chartiert  t  elle  put  avoir  la  cnit&olnliûD  de  roir 


t.  Prnf^i  tic  Ji'mmc  d*Are,  t.  IV,  p,  37. 


MORT  DE  BEDFORD  ET  DMSABEAU.  311 

a  grande  division  el  guerre  mortelle  qui  avoit  été  par  un  si 
ispacc  de  temps  entre  son  fils  et  le  duc  de  Bourgogne.  Elle 
ut  chrétiennement,  et  son  corps  fut  mené  à  Saint-Denis  en 
lelet,  à  très  petit  appareil  et  convoi,  car  il  n'y  avoit  (jue 
î  pei-sonnes,  comme  si  c'eût  été  la  plus  petite  bourgeoise  de 

ce  qui  fut  une  grande  honte  et  déshonneur  aux  Anglois  ». 
il-Denis  était  dans  une  déplorable  situation  au  moment  où 

fit  les  funérailles  d'Isaheau.  Li  colère  avait  ranimé  l'é- 
î  des  Anglais  :  tandis  qu'on  signait  le  traité  d'Arras,  ils 
il  réuni  la  meilleure  partie  de  leurs  forces  contre  Saint- 
,  et  assiégeaient  avec  fureur  celte  ville,  défendue  par  deux 
hommes  d'élite,  sous  les  ordres  du  maréchal  de  Rieux. 
nombreuse  garnison,  vaillamment  secondée  par  les  bour- 

par  les  laboureurs  réfugiés  de  tous  les  environs,  et  même 
îs  femmes  et  les  enfants,  qui  ramassaient  les  flèches  «  h 
îcs  »  au  milieu  des  assauts,  repoussa  cinq  ou  six  assauts 
lin  grand  carnage  ;  cependant,  les  Anglais  ayant  réussi  à 
F  les  conmmnications  de  Saint-Denis  avec  la  Seine,  lagar- 
fut  obligée  d'évacuer  la  place.  Les  Anglais  se  vengèrent  de 
istance  des  habitants  en  saccageant  et  en  démantelant  la 
ils  ne  conseï  vèrent  de  postes  forliflés  que  l'abbaye  el  un 
n  appelé  la  «  tour  du  Yelin  ». 

luccès  chèrement  acheté  ne  rétablit  pas  leurs  affaires  :  à  la 
lie  du  traité  d'Arras,  le  maréchal  de  l'Ile-Adam  et  tous 
très  seigneurs  de  l'Ile-de-France  qui  étaient  restés  jusqu'a- 
lans  le  parti  anglo-bourguignon  passèrent  aux  Français; 
n  fut  livré  au  bâtard  d'Orléans  :  Pontoise  se  révolta  et  ap- 
Ile-Adam;  Saint-Germain,  Corbeil,  Vincennes  même,  tom- 
t  au  pouvoir  des  Français.  Le  mouvement  se  communiqua 
iveau  à  la  Normandie  :  un  complot  introduisit  le  maréchal 
mx  dans  Dieppe.  A  ce  signal,  «  le  connnun  peuple  »  du 
le  Caux  se  souleva  sous  la  conduite  d'un  paysan  nommé  Le 
}r,  et  vingt  mille  hommes  des  bourgades  et  des  villages  se 
rent  à  HiiMix  sous  l'étendard  de  France.  Les  chefs  des  com- 
L*s  fnmraises  entrèrent  de  toutes  parts  dans  la  Haute-Nor- 
ie  :  le  connétable  arri\a  en  personne;  Fécamp,  Monti- 
s,  Lilleboni:e,  TancarNille,  Saint- Yaleri-en-Caux,  Ilarflcnr 


342  GtJEBftBS  08$  ATiGLAIS.  tUI 

même,  la  preinit^œ  con<iuîite  tic  Henri  V  en  France,  se  «km 
nèrcni  ou  furent  pvh  de  vive  force;  toullo  pajs  de  «kinj»« 
Caudebee  et  Arqm^,  ful^  en  peu  de  jaursî,  jifTrjindit  de»*!»};!! 
(décembre  1435-jûnvjer  1436),  U  délivrance  de  Iti  Nofiuiuu 
entière  semldait  inraillible. 

Cotte  t  sjïérance  fut  trompée  :  un  effroyable  désonire  : 
aux  premiers  aviirilag^es  remporta  pnr  riosurrectlon  ;  ni  lc»< 
pagnies,  ni  les  paysans  armés  trebcircid  tm  coanéudilc  uii^ 
maréclial  de  Rieux.  Les  soldats  et  les  paysans  w  quervllènntl 
se  séparèrent  bienlAt;  une  partie  dcîs  papsans  inarcbèraiit  i 
Caadehec,  sans  être  soutenus  par  k^  compagnie»,  et  le  fif 
écraser  par  la  ganûson  angltiiso  de  Ronen»  accouryc  au 
de  la  garnison  de  Caudebcc;  les  autrcïs  étaient  retotimës 
leurs  fûyers;  ils  y  trouvèrent  une  tyrannie  anssi  hrutiile  qiiei 
des  Anglais,  et  eurt^ut  à  subii^  tous  les  geures  d'excti^  de  la  l 
de  CCS  mêmes  soldats  qui  venaient  de  combattre  h  Icurf  côiès^  I 
cumpagtiies  ne  virent  dans  le  pajs  de  Caux  qu'une  ooiiic 
proie  livrée  ù  leur  rapacité  et  h  leurs  sauvages  pas^^tons*  EOi^( 
pillèrent  stupideiucm  les  ressources  de  celle  ri  planfiirenfe  < 
trée.  a  Quand  il  nV  eul  plus  rien  à  manger  m*  4  prendre  t, 
grande  pai'tîc  des  gens  de  guerre  se  retirèrent  dans  leurs  fgp 
resî^es  des  trantières  de  rile-dc-Fniuce  et  de  la  I*lrardtc;  l»i 
glais,  f|ui  s'étaient  coneenlrés  à  Houen,  en  sortirenl  altère  Hb 
vengeante,  brûlanl  bourgs  et  villages,  et  Uiant  totil  ce  qu'iU] 
valent  ail  râper»  pour  punir  le  soulcvenieui  des  «  tnemies  \ 
La  jnâlèdiclîon  fui  si  grande  en  Caux  >,  dit  ime  cUruntf|iie  no 
mande  cuntemporaliie,  «(  que  le  pafsdemetini  pn^qne  enli 
ment  inhabité;  [icunuies  et  femmes  ttoyoîeîil  par  Icrre  et  par  i 
comme  en  péril  de  feu.  »  Les  paysam  se  réfugiaii!al  par  iniUkti 
dans  les  places  furlilléeSj  où  ils  mouraient  de  fatiii  ;  pliiâteui^  i 
ces  places,  mal  approvisionnées,  mal  défcn-^  ïo 

cîilrc  kî*  mains  des  Anghîs.  Les  chefs  des  c*  i  .  ,/  ^  o'ca  « 
rem  pas  moins  rijupudencc  d'aller  demander  au  roi  ijn'il  Icî  i 
demnii^ât  de^  pertes  et  donmiages  endui'és,  dtsaienMls^  en  Su 
niitndie  pour  son  service  ». 


I    Moniirelfi»  LU»  c*  ri3,  —  Jeuu  CMrU«r,  —  Bmr^U  4t  Pcrfi;  —  4 


[1436]  LES  PAYSANS  NORMANDS.  343 

La  conduite  des  bandes  françaises  en  Normandie  était  un  argu- 
ment de  quelque  poids  pour  retenir  les  Parisiens  sous  l'obéis- 
sance de  Henri  VI,  et  les  Anglais,  avec  de  la  prudence  et  de  Tlia- 
bileté,  pouvaient  encore  éviter  d'en  venir  à  une  guerre  ouverte 
contre  le  duc  de  Bourgogne,  qui  ne  s'était  point  engagé  formel- 
lement à  seconder  les  attaques  des  Français.  Philippe  avait  assez 
d'occupation  chez  lui  :  son  faste  immodéré,  joint  aux  nécessités 
de  la  guerre,  avait  mis  ses  finances  aux  abois;  le  duché  de  Bour- 
gogne était  ruiné  par  la  guerre  et  par  les  impôts;  les  grandes 
communes  de  Flandre  et  de  Brabant,  qui  avaient  eu  à  supporter, 
depuis  plusieurs  années,  des  charges  inaccoutumées,  s'agitaient 
d'une  façon  menaçante;  le  rétablissement  des  anciennes  aides 
cl  subsides  en  Picardie  venait  d'exciter  une  violente  émeute  à 
Amiens,  au  moment  où  les  officiers  du  duc  furent  installés  dans 
celle  ville,  en  vertu  du  traité  d'Arras*.  Le  conseil  d'Angleterre  et 
le  duc  d'York,  successeur  de  Bedford  dans  la  régence  de  France, 
ne  surent  pas  profiter  des  embarras  de  Philippe  pour  empêcher 
sa  défection  de  se  changer  en  hostilité  déclarée.  Ils  bravèrent,  ils 
poussfTcnt  à  bout  ce  prince,  déjà  très  blessé  de  la  réception 
injurieuse  qu'on  avait  faite  à  son  roi  d'armes  à  Londres  :  ils 
Irailèrent  avec  rempcreur  contre  lui,  essayèrent  de  soulever  ses 
sujets  de  Flandre,  de  Hollande  et  de  Zélande,  et,  en  même  temps,  ce 
qui  n'était  pas  lo  moyen  de  gagner  ces  populaUons,  ils  laissèrent 
les  marins  anglais  courir  sus  aux  vaisseaux  marchands  de  Flandre. 

De  vifs  débats  eurent  lieu  parmi  les  conseillers  du  duc  :  l'é- 


nique  de  yonnaudie,  citée  par  Chéiucl;  Rouen  sous  les  Aiujlais.  —  Barante,  t.  IV, 
p.  350-353. 

1.  Ils  y  remplacèrent  les  officiers  du  roi  d'Angleterre.  Jusqu'au  traité  d'Arra^, 
rAmiênois,  le  Vermaudois,  le  Ponthioii,  le  Boulenois  avaient  reconnu  nominale- 
ment l'autorité  de  Henri  VI  ;  mais  les  Anglais  n'y  avaient  point  de  garnisons,  et 
les  officiers  royaux,  presque  tous  gens  du  pays,  n'eurent  guère  qu'U  transférer  leur 
hommage  au  duc  de  Bourgogne,  dont  ils  dépendaient  île  fuit  à  l'avance.  Les  in- 
surgés firent  couper  le  cou  en  plein  marché  au  pré\ôt  Pierre  Lcclerc,  pour  punir 
ses  «  extorsions  et  rudesses  ».  Les  chefs  de  Témcufe,  la  première  effervescence 
passée,  essayèrent  de  trunsiger  avec  les  lieutenants  du  duc  de  Bourgogne  :  la 
conilo  d'Éiampos,  le  bailli  Jean  de  Brimeu  et  le  sire  de  Crol  leur  donnèrent  dû 
belles  paroles.  On  laissa  entrer  ces  seigneurs  à  la  tétc  d'une  nombreuse  noblesse  et 
des  archers  de  l'hôtel  du  duc;  quand  ils  furent  dans  la  ville,  ils  mirent  la  main  sur 
tous  les  meneurs;  plusieurs  furent  pendus,  noyés  ou  décapités;  les  autres  furent 
baunis.  Monstrelct,  1.  Il,  c.  192. 


314  GUEBRES  DES  Af«Gl.Al8, 

vôque  do  Tournai,  les  Croï,  K*s  Ctiarni,  !e&  CrèriK*a-iîr,  lai 
part  des  soîgjieurs  bourguignons  et  ^villoniî,  une  partie  rfesl 
bançon;;  ni  des  l'irards,  exciliiient  Philîjjpe  à  vcngt* r  «iifi  lioa 
cl  à  continuer,  les  arincîî  h  la  iiiain,  l*iî?iivi*e  dti  îrai(^  ifAr 
I-ies  Luxembourg,  les  SuverisR,  \v^  Lruiuoi.  les  Mailli,  14^  srig 
de  la  Picardie  maritime  cl  de  laWest^Flaadrp,  qui  rcémti 
pour  leurs  terres^  hn  ravages  des  Au{:L:iiîï,  ou  qui  leur  eraieiit  a 
chéfi  par  de  longues  relations,  î^'eiTorçaicnt  d  arrvter  lc«j 
inents  du  duc.  Le  parti  français  remporta  ;  la  giierrt*  fut  mdn 
Le  8  mars  1430,  le  duc  convoqua  les  édicvins,  duyi^ns  des  i 
ikr^,  jurés  cl  *  membres  de  bourgeoisie  >  de  Giiud,  ^ 
senler,  par  le  grand  bailli  de  Flandre,  rinjustc 
Angluis  à  la  paix  générale,  et  les  injurcfi  que  w!S  sujets  ei  M  ^ 
uaient  d'essuyer  de  Itnir  part*.  Le  grand  bailli  pria  le^  Gi 
d*aîder  leur  seigueur  à  recouvrer  a  m.  ville  du  Calais  p,  I1uli|i^ 
prétendiut que Caltds relevait  du  eamtéd*ArIotô.Lcsgi5nsde1tA 
répondirent  par  rofTre  dcleor&  «  corps  et  avoir  >  pour  la  ronq 
daijalais;  loules  les  vilks  llnuiandcs  suivirent  cete\empl4*,  i 
gré roppos^îlion  dequelqnes  «  anciens  u,  qui  vojaient  a^et  dlrqjj 
rupture  de  leurs  vieilles  liaisons  avec  rAngletei-re,  L'or 
communes  de  Flandre,  nourri  par  rnpuleuccel  la  prosjH'rili 
lait  pas  moin^  inKable  que  relui  de  leur  prince,  Ijï  Hollande di 
Zélande  montrèrent  la  môme  ardcui*.  La  colère  des  Ktamntiiisi 
doubla  quand  lis  apprirent  que  le  couï^eil  d*Auf;!rl  \Hi 

conférer  le  litre  de  uunUe  de  Flandre  au  duc  de  ii .  ;  .. 

Tandis  que  les  préparatifs  du  siège  de  f^alais  se  poursuivaie 
en  Flandre^  un  petit  corps  de  cavalerie  hourguigBcin 


J)âiidr^  «,  eu  rcftivini  luur  rrjoiutjilti,  tk  nï  h  au  ulIdÎ  qu'elle  Ittt,  [»oiirk  prii  ^ 

ttifitis,  éraiii,  plomb,  frcuimgcs  et  uuire^miircimatljte^  tjuc  bs  Fljim«i^4ft  «{• 

au  grund  tiulrwpût  tî*;  CalwSsk  ;  il  fuHaa  îci  fmycr  cm  Ifnuoie  d'wn 

leur  rt!pr^»Mi(ît  qtie  lu  drupCTic,  n  '^ut  ijtioi  lu  pny%  de  FlAit»! 

pnurrtilt  hïvu  lubMltucr  les  taiOft  d'I^coiAc  cl  il'tvspafUi'  hiiî  U.<l: 

qutilk^  éii^i^'iki  {ruttjivuïH  mt\i:ik  il  fit  tiuui  priVj  *}»tf  l<t  «  ru4fcli«»df  fi# 

pliiM  furrt?  tte  pruilu  tt^  l.u  nMïinmki  du  rai,  qui  avait  Mibi  de  *> 

diirAnl  U  guvirc,  M-niiU  d*étrc  Ttfofm<?c,  «  et  dlotunl,  dn  ir«n 

i»0Ji«  du  Toi  ni  cdb  du  ilnc  fgulu»  en  viilour,  »  eu  um*^  <r 

Triiuec  et  î«  Bo«r|rttgiît,  ii'v|irtiuVMÎt«Hi  j*Iuî  irtniltiiiniii  ni  j! 

Uon  diah  dwu  ti  un  liomint'  ifuï  ik-mil  rendre  à  lu  Fibocp  d  .i*.  u-i. 


[1436]  PHILIPPE  ROMPT  AVEC  L'ANGLAIS.  315 

joindre  à  Ponloisc  le  connétable  de  France,  qui  s'apprôtail  à  ten- 
ter sérieusement  la  rccouvrance  de  Paris.  L'iniporlancc  nialériellc 
de  ce  secoui-s  était  médiocre  ;  mais  Timportance  morale  de  Tappa- 
rilion  des  croix  de  Saint-André  dans  les  rangs  français  était  jïrande, 
et  Ton  s'émut  vivement  aux  Halles  quand  on  sut  que  le  sire  de 
nie-Adam,  ce  vieux  capitaine  des  Bourguignons  et  des  Cabo- 
chiens,  était  aux  cbamps  contre  les  Anglais  avec  le  connétable  du 
roi  Charles.  Nul  n'avait  plus  que  lui  versé  le  sang  des  Armagnacs, 
et,  s'il  avait  fait  Sii  paix  avec  le  roi,  il  n'était  personne  qui  ne  pût 
espérer  de  la  faire.  On  commença  d'ajouter  beaucoup  moins  de 
foi  aux  biuits  répandus  par  les  Anglais  touchant  les  prétendus 
projets  de  vengeance  du  roi  contre  Paris.  On  n'ignorait  [)as  que 
les  Anglais  étaient  les  seuls  auteurs  de  la  continuation  de  la 
fjucrre,  et  la  haine  populaire  était  au  comble.  On  leur  imputait 
toutes  les  souffrances  de  la  grande  ville,  où  nulles  denrées  ne 
pouvaient  plus  venir  ni  d'amont,  ni  d'aval,  les  garnisons  fran- 
çaises tenant  la  haute  et  la  basse  Seine,  l'Oise,  la  MaiTie,  et  res- 
serrant Paris  dans  un  cercle  de  forteresses.  La  situation  de  Paris 
était  redevenue  telle  qu'en  1 118,  sous  la  tyrannie  du  comte  d'Ar- 
magnac et  de  ses  Gascons.  Connue  en  1  il  S,  une  poignée  d'étran- 
gers contenait  cette  vaste  cité  par  la  terreur;  il  n'était  permis  de 
sortir  de  la  ville  et  d'y  rentrer  (ju'à  heures  lixes  et  avec  des  i)asse- 
ports;  il  était  défendu,  sous  peine  de  la  «  hart  »,  de  monter  sur 
les  murailles;  on  était  exposé,  au  moindre  soupçon,  à  être  enlevé 
de  nuit  et  égorgé  au  fond  de  quelcpie  cachot,  ou  jeté  à  la  Seine. 
«  Trois  évéques,  »  dit  le  Journal  du  Bourgeois  de  Paris,  a  soute- 
noîent  et  mainlenoient  celle  diabolique  guerre  :  le  chancelier, 
honnne  très  cruel,  l'évéque  qui  fut  de  IJeauvais,  et  qui  pour  lors 
éloît  de  Lisieux  (Gauchon),  et  l'évéque  de  Paris  (Jacques  du  Chas- 
tellîer);  et,  par  leur  fureur,  sans  pitié,  on  faisoit  en  secret  moult 
mourir  de  peuple  ou  par  noyer  ou  auln^menl.  »  Au  langage  de 
l'auteur  anonyme  du  Journal,  on  reconnaît  la  révolution  qui  s'é- 
tait opérée  dans  Tespril  des  plus  violents  adversaires  des  Arma- 
gnacs. La  domination  anglaise  ne  s'était  maintenue  que  gnice  aux 
divisions  des  partis  :  le  jour  où  le  peuple  de  Paris  s'apercevrait 
qu'il  était  un  dans  sa  haine,  la  tjrannie  était  i»erdue.  Les  gouver- 
neurs anglais,  les  trois  évéques,  le  lord  AVilloughhy,  capitaine  de 


aie  GUEERES  DSS^A!9C3LA15.  um 

Paris,  el  le  prévôt  Morhier  avaieiit  mi  beau,  pcniiânr  Ir 
tùnirfiiudrc  «  loiis  ceux  Je  Paris  *  de  juter,  éur  b  clatnnjiti< 
leur*  âuiês,  œ  qu'ik  soroîetil  bons  l*1  lu^aux  au  nit  Henri  ».  (h^ 
qucs  hommes  courageux  refusèrent,  perdîretit  ieiinv  lik-o*,  d  (b- 
ïml  bannis,  ou  «  eurent  encore  pis  »;  d'aulnts  èludèrenl  le  9tfk 
uienl;  ceux  qui  jurèteut  u'eu  détcslcTcuf  ijue  davtnlaçf  \H 
oppresseurs  qui  leur  iuiposaietit  un  eiigagemeot  oûALnyî>i 
leur  conscience.  Celle  niesiire  ne  fnt  pasi  plus  [iradtable  m\  ku- 
ghk  que  celle  qui  força  (oust  les  Pfïrisien»  h  porlrrb  fnibc  rm» 
d'Anglcïlerre,  sous  peine  de  perdre  la  vie  el  tesliicîDS, 

La  fennentatioTi  croissait  de  jour  en  Jour  :  la  gtirfiisoaélailil- 
laiblie;  plusieurs  détadieuienls  sortis  pour  tiller  chercher  du  hh 
tin  et  des  provisions  au  dehors  n'étaient  pas  rentréJ^;  il$  tTaktf 
été  exterminés  parles  Français*  Cependant,  le  mardi  de  PAqoi^ 
10  avril  1436,  six  ou  huit  cents  Anglais  parlireiit,  avauil  le^ 
pour  aller  brûler  les  villages  entre  Paris  et  Pontoiâei  afln  d*e 
clier  les  Français  de  s* y  étubtir  :  au  bout  de  quelcfues  beiin*»,  m 
en  vit  nucourtr  un  peîit  nombre,  fuyant  à  vau*de-roulc  deii 
des  cavotiers  pormi  lesqu^  b  llotlait  la  bannière  de  FIle^Adiim.l 
Anglais,  après  avoir  pille  en  passant  1  eylisc  de  Saiul-Dcnis^fttukot 
i'U}  renconlrés  nu  delà  de  cette  ville  par  le  coanélshie  €l  |i4ir  lU^ 
Adam,  qui  tes  avaient  battus  et  taillés  en  pitVe$;  on  les  ( 
on  les  tua  jusqu'aux  bords  des  fosses  de  la  porte  Saint- Dénia.  I 
se  sauva  guère  que  ceux  qui  parvinrent  à  si!  rèfbgier  dons  b  IvoT 
du  Velin,  h  Sairit-Denii*,  oi\  les  Français  les  ni^tAgèrenl  ammW. 

Cet  cvéneuient  déteruiina  la  catastrophe  :  le»  chefi  du  finf 
bourguignon,  les  meueuj^  des  Ualles»  s'enli^ndinenl  pour  U  \^ 
part  avc*c  leui'S  anciens  ennemis  les  «  Daupbjnoi»  •,  qui  f  tailla 
correspondance  avec  le  connètablu*  Michel  l^ illier,  DutaMe  boo^ 
geois,  qui  avait  déjà  été  obligé,  en  142$,  dequîtler  Pâri^à  bair , 
d'une  consiuration  avortée,  et  (jui,  (îepui.s  avait  Hè  aulni^tié 
mit  à  la  tête  du  complot,  lians  la  mût  du  mercredi  au  jeudi 
puta  secrètement  vers  le  connétable  et  vers?  rilc-AdJini,  t-. 
invita  à  se  présenter  devaiél  Paris,  du  eùté  de  la  poHe  Siii* 
Jaequeî^,  le  vendredi  nialirj,  avec  promesse  •  de  l  di* 

la  ville,  pourvu  que  tout  re  qui  avoit  été  fait  cc'L„.  i  cri 

siens  fût  pardonné  h  ceux  de  Paris  ». 


[14303  DÉLIVRANCE  DE  PARIS.  3i7 

Le  counéltiblc  repondit  en  montrant  des  Ictlres  d'abolilion, 
scellées  du  sceau  royal,  qui  avaient  été  rédigées  à  Poitiers  dés  le 
27  février.  Richcmont  choisit  avec  sagacité  les  instruments  de 
celle  grande  entreprise.  Tout  pouvait  échouer  encore,  si  les 
troupes  royales  débutaient,  eu  entrant  dans  Paris,  par  leurs  vio- 
lences ordinaires.  Les  bandes  de  routiers  qui  accompagnaient 
le  connétable  ne  rêvaient  que  le  pillage  de  la  grande  ville  ;  Ri- 
chemont  les  laissa  occupées  au  siège  de  la  tour  du  Velin.  Il  partit 
de  Saint-Denis  le  jeudi  matin  avec  soixante  lances  seulement, 
BOUS  prétexte  d'aller  parler  aux  capitaines  bourguignons,  qui 
Étaient  retournés  à  Pontoise  ;  il  rejoignit  à  Pontoise  TIIe-Adam  et 
les  Bourguignons,  puis  revint  de  Pontoise  à  Poissi,  où  il  avait 
donné  rendez-vous  au  bâtard  d'Orléans,  qui  lui  amena  quelques 
gens  d'élite.  Quatre  cents  fantassins  reçurent  l'ordre  de  passer  la 
Seine,  de  se  porter  au  midi  de  Paris,  et  de  s'embusquer  prés  de 
Nolre-Dame-des-Ghamps  ;  la  cavalerie  les  suivit  à  la  lîn  du  jour.  On 
dievaucha  toute  la  nuit.  Le  vendredi,  13  avril,  vers  le  lever  du  so- 
leil, conmic  on  arrivait  à  une  demi-lieue  de  Paris,  le  connétable 
reçut  avis  que  l'entreprise  était  découverte;  il  continua  néan- 
moins sa  roule  «  sans  mot  dire  »,  jusqu'à  ce  qu'il  eût  rejoint  son 
L'mbuscade  derrière  l'église  de  Notre-Dame-des-Champs,  hors  des 
murs.  Les  éclaireurs  s'approchèrent  de  la  porte  dite  d'Enl'er  ou 
lie  Saint-Michel.  Un  homme  se  montra  sur  le  rempart,  et  leur 
cria  :  t  Tirez  à  la  porte  Saint- Jacques;  celle-ci  n'ouvre  point  :  on 
besogne  pour  vous  aux  Halles!...  »  On  s'avança  vers  la  porte 
Saint-Jacques  :  «  Qui  est  là?  demanda  le  guet,  composé  de  milice 
bourgeoise. —  C'est  monseigneur  le  connétable.  »  Le  guet  pria  le 
connétable  de  conlirmer  sur  sa  foi  «  l'abolition  »  promise,  ce 
qui  fut  fait.  Richcmont  dé[)loya  les  lettres  du  roi  scellées  de 
son  grand  sceau  :  l'on  ouvrit  aussitôt  une  poterne;  on  introduisit 
le  connétable,  l'Ile-Adam,  le  bâtard  d'Orléans;  puis  on  rompit 
les  «  ferrures  »  de  la  porte  pour  donner  passage  à  la  cavalerie, 
qui  se  précipita  dans  la  ville  en  criant  :  «  La  paix!  la  paix! 
Vivent  le  roi  et  le  duc  de  Bourgogne  '.  » 


1.  Suivant  d'uulrcs  n'cit?,  ce  fut  nic-Adam  qui   enlia  le   prouiicr  par  une 
Schclle,  cl  nui  planta  la  bannière  de  France  sur  la  porte  Saini-Jac«iucs,  reu- 


$m  €OEKRES  DES  ANGLAIS.  [lilR 

Tandis  (|ue  k*  cotini^tiiblc  entrait  ij.uis  Paris  «lUs  omp  Ttrir, uo 
dior  larrible  avait  \kn  dans  rintérit^yr  de  la  \iliL*.  Li^  Atigbi 
avaieul  eu  vent  de  ce  qm  m  prét^araîl,  mais  trop  lard.  MicM 
Luîllier  et  iL'âiUitres  dwh  de  \a  canî^fiiratioTi  ne  m  hkmH^mnlpmÉ 
saisir  dim  vaï\  t't  insLU'gèrerjt  les  Halles  aïOE  cm  ût  :  «  Vhoilb 
roi  1 1  le  duc  de  Dourgogue!  »  La  icvgllc  se  ]>ro|m^ea  ra|»idi*iiiciÉ 
dan^  tout  Paris;  ie  peuple  partout  courait  aux  anmiSi  lenitoitks 
chaînes  des  rneii,  et  arborait  ou  la  croix  bLinche  droiti^  dt*  tnsm 
ou  le  sautoir  bourguignon  de  Saint-André,  ia^iguc^  longteiîi|tt 
oppo^*ê,  aujourdliul  réunis  contre  la  croix  trûygiî  de  &iinl*rf0car- 
çes.  Les  plus  furieux  contre  les  Anglais» étaient  te»  pajjHins  Je  II 
banlieue  rrfiigÎL^s  dans  la  ville. 

Lord  Willougbby,  Tévèque  de  Tèrouennc  cl  le  |>i*û\tM>l 
au  premier  bruit  de  la  rebellioïi,  avalctil  ni«ÉCiiibl6  &  la 
leurs  soldats  anglais,  qui  n*etaicul  pins  qu*t!nTlruii  qmMUt 
et  le  [leu  de  partii^ansfiui  leur  restaient*  Us  fornitTcnl  Irois 
lounes  d'attaque  :  le  prévôt  Sitnon  Morbiei\  Irte  vailbint  bu 
de  guerre j  uiareba  droit  aux  Halles;  révoque  de  Teroua 
lord  Willougbby  se  dirigèrent  sur  la  porte  Sainl-Dcnis,  et  le 
tenant  du  pnHiM  Jean  L*Archcr,  •  un  des  plus  cruels  chi 
du  monde  »  alla  vers  ta  porte  Saint-Martin.  Ils  vuutaicuidtMipir 
les  principaux  rasseuiblements  populaires  et  s.  '    '- 

tiHes  Saint-Dimii?  et  Saijit-Marllu,  cojnnie  ils  Tél. . 
bastille  Saint-Antoine,  avec  laquelle  Legoix  le  boudifr,  {»laUi  àU 
place  Baudoyer,  prolongeait  leurs  conuiiunicattcui^.  Les  Aii;li^ 
descendirent  les  rues  Saint-^Denis  et  Saiut*Maitîfi,  en  cniolV 
t  Saint  Georges  1  saint  Georges!  traîtres  de  Françalsi,  lausIDib 
niort^i!  t  et  en  lanc;ant  des  tlt'^ehes  h  foutes  Ici- croiïi^es  où  *e  um»- 
trait  quelque  visaffe  suspect.  Les  deux  gmiiiles  i*ujîs  élni  -^î  *'^ 
séries;  les  Anglais  ne  tiouvèrent  que  deux  boui*gGoi$  k  u 
kur  passage  :  niais,  à' l'approcbe  des  portes,  ils  firent  ea  te 
deux  trois  ou  quatre  niillt;  bomuies  annfs:.  qui  Iouj*n«\realixmlW 
eux  rarlillerîe  des  reiiqiarls  et  les  acctieillirenl  pur  une  yol'irh 
coups  de  canon.  Lord  Willonfîtiby,  L'Arduir  el  liîursgensliisltmîBl 


i|u'il  uvbii  tiuhvt  uo  àaiSflàû  pMX  uju  ^^U 


[1436]  PARIS  CHASSE  L'ANGLAIS.  3f0 

précipitamment  en  retraite  vers  la  rue  Saint-Antoine,  serrés  de 
près  par  le  gros  des  insurgés,  et  accablés  des  «  pierres,  bilclics, 
tables  et  tréteaux  »  qui  pleuvaientde  toutes  les  fenêtres;  les  re- 
doutables flèches  anglaises  étaient  de  nulle  défense  contre  ces 
su:mcs  populaires.  Le  prévôt  Morbier  n'avait  pas  été  plus  heu- 
reux aux  Halles  :  en  se  dirigeant  vers  ce  quartier,  il  avait  ren- 
contré un  «  sien  compère  »,  riche  boulanger,  qui  lui  remontra 
qu'il  ne  pouvait  venir  à  bout  de  tout  ce  peuple  et  lui  conseilla  de 
B*accommoder  avec  le  roi.  Morbier  assomma  ce  malheureux  d'un 
coup  de  hache,  et  poursuivit  sa  route.  L'accueil  qu'il  reçut  aux 
Halles  lui  prouva  que  son  compère  ne  l'avait  pas  trompé;  re- 
poussé à  grande  perte,  il  rejoignit  les  débris  des  deux  autres  co- 
lonnes dans  la  rue  Saint-Antoine,  et  tous  ensemble  se  renfer- 
mèrent dans  la  Bastille. 

Le  combat  et  la  victoire  avaient  été  si  rapides,  que  le  connétable 
et  sa  gendarmerie,  qui  descendaient  pendant  ce  temps  la  rue 
Saint-Jacques,  n'arrivèrent  pas  à  temps  pour  y  prendre  part  :  les 
Parisiens  eurent  la  gloire  de  s'affranchir  eux-mêmes.  Tout  eni- 
vrés de  leur  triomphe,  ils  reçurent  si  allègrement  le  connétable, 
que  ce  prince  et  ses  compagnons  ne  se  purent  tenir  de  «  lar- 
moyer »  de  joie.  —  «  Mes  bons  amis  »,  disait  le  connétable  aux 
bourgeois,  «  le  bon  roi  Charles  vous  remercie  cent  mille  fois,  et 
moi  de  par  lui,  de  ce  que  vous  lui  avez  rendu  si  doucement  la 
maîtresse  cité  de  son  royaume;  et,  si  aucun,  de  quelque  état  qu'il 
soit,  a  mépris  (méfait)  contre  monseigneur  le  roi,  il  lui  est  tout 
pardonné  ».  [Journal  du  Bourgeois  de  Paris,) 

II  fit  aussitôt  crier  à  son  de  trompe  (pie  nul  homme  d'armes, 
sous  peine  d'être  pendu  par  la  gorge,  ne  fût  si  hardi  de  se  loger 
de  force  chez  h?s  bourgeois,  ni  de  reprocher  le  passé,  ni  de  piller 
personne,  sauf  les  Anglais  et  les  gens  de  guerre  à  leur  solde  : 
€  c'est  pourquoi,  dit  le  Journal  de  Paris,  le  peuple  de  Paris  prit 
ledit  connétable  en  si  grand  amour,  qu'avant  qu'il  fût  le  lende- 
main, il  n'étoitnul  qui  n'eût  offert  son  corps  et  sachevancepour 
détruire  les  Anglois  ».  Jamais  révolution  n'avait  été  si  douce  et  si 
clémente  :  l'ère  sanglante  des  Bourguignons  et  des  Armagnacs 
était  enfin  close  !  On  pilla  bien  quelques  maisons  de  partisans  des 
Anglais;  mais  il  n'y  eut  pas  un  seul  individu  de  tué  après  le  corn- 


S50  GUEIIRES  DES  iNGLAlS.  (iU|| 

hat,  el  ramnislie  fut  observée  avec  une  fMléljtt  qui  rt!tr*iAi(  Ali 
ibis  le  lion  sens  et  Iti  probité*  du  cuimd'bb΀*  L*é|[riifi<'ijKîtji 
\k*uK  cabochienïi,  oxprinié  avec  une  sorte  de  imiVfl^  [tir 
Journal  du  Bourgeois  de  Paris»  est  le  plu^  bel  feloge  d* 
nient.  L'ruiteur  du  JuLirnal^  qui  u*afteridaU  de  Li  part  des  ArmtAL;. 
qne  massacres  ctpîllngeî^,  est  obligé,  pour  expliquer  kor  bofiÉt 
conduite,  de»  supposer  qae  «  la  glorieuse  vierge  Marie  et  moo^ 
sieur  sinni  Denis  »  avaient  cliangc  leurs  corurs  imr  minidc  là 
secrétaire  biographe  de  Riebeinunt,  GuiUaujJieGruel,  aprisicis 
de  nous  expliquer  le  ?ntracfe  par  les  sages  {iréivuitionsi  di»  cao^ 
nétable  :  les  bandes  de  rouliet^  qn'îl  avait  lui^i^ées  h  Sainl 
ôtjiient  accourues  au  bruit  du  cxirillon  de  Paris,  ]KJur  iiioir 
à  la  victoire  :  mais  elles  trouvèrent,  à  leurgranclr!  nilèrr. 
portes  soigneusement  fermées ♦. 

Paris  ressentit  dès  le  lendemain  les  heureux  efTêfîï  de  sa 
vrauce  :  le  prix  des  deru'^'es  de  preinlère  n6ei>&^ilè  Imhs^  ^' 
cbamp  de  plus  de  moitié^  les  garnisons  françaii;eî>  à\i\ 
n'empêchant  plus  riniroduelion  des  vÎTres-  La  Inur  du  VHi 
Saint-Denis,  avait  (Héprise  le  jour  même  du  soulèvemml 
Paris;  les  jionts  fortiW^s  de  Saint-Cloud  et  de  Cliarenlon.  les 
teresses  de  Chevreuse,  Montlhéri  et  Marcous^fe  se  ret]dirt^ll«l^ 
le-champ;  Ir  prévût  Morliierj  qui  avait  couni  de  la  Baslîili?  1 
Charenton  pour  lAclicr  de  conserver  ec  poste,  fui  aifilic  elliirt 
par  sîe^  propres  soldats. 

Les  Anglais  et  leui*^  ijarliMUS,  aggloméri^s  d/ms  lu  Rzumtlem 
nombre  d*un  millier,  n'avaient  aucun  espoir  de  secours  ri  m 
pEiuvaîent  soutenir  un  long  sît-gc  :  ils  deniand^Tenl  A  capituler. 
Le  connétable  eût  bien  voulu  lesavoirà  dl^rétlon;  les  grande» 
sommes  qu*il  eilï  tirées  des  lords  anglais  et  du  rî         '  li- 

sent aidé  à  poumnvre  la  guerre,  el  Ton  eût  pu  pn-i    .     :  ,  r 

de  Pierre  nauchon*;  mais  le  connétable  nianquail  d'arg*  i 
entamer  le  stlége  ;  quand  il  demanda  un  euji)mnt  aux  noUbk» 


kiêittriem  tir  Chttrh»  Vil,  jk  79^* 
2*  U  roi  çl  mu  nhmfidm  «u^^al  été  sms  ûmn  fort  vinlurratiés  dt  j 

c»|itirret 


[1136]  PARIS  CHASSE  LWNGLAIS.  351 

bourgeois,  ceux-ci,  qui  ne  souhaitaient  que  d'être  (lél)arrassés  au 
plus  tôt  des  Anglais,  engagèrent  Richcmont  à  accc[)ter  les  proposi- 
tions de  l'ennemi .  Les  seigneurs  bourguignons,  anciens  amis  du 
chancelier  Louis  de  Luxembourg,  parlèrent  dans  le  môme  sens  ; 
Richemont  céda,  et  les  assiégés  obtinrent  de  s'en  aller  sains  et 
saufs  avec  ce  qu'ils  pourraient  emporter  de  leurs  biens.  Ils  vi- 
dèrent la  place  le  17  avril  :  au  sortir  de  la  Bastille,  on  éviUi  de 
leur  faire  traverser  Tinlérieur  de  Paris;  on  craignait  que  le  peu])le 
ne  leur  permît  pas  d'en  sortir  vivants;  on  les  conduisit  le  long 
des  fossés  jusqu'au  delà  du  Louvre,  où  ils  s'embarquèrent  sur  lu 
Seine.  Le  peuple  s'amassa  en  foule  sur  les  remparts  afin  de  les 
voir  passer,  et,  «  pour  certain,  dit  le  Journal  du  Bourgeois  de 
Paris,  onc  gens  ne  furent  autant  moqués  ni  hués  conmie  ils  fu- 
rent, spécialement  le  soi-disant  chancelier,  le  lieutenant  du  pré- 
vôt, le  maîlre  des  bouchers  (le  syndic  Legoix  ou  Saint- Yon),  et 
tous  ceux  qui  avoient  été  coupables  de  l'oppression  qu'on  faisait 
au  pauvre  commun  peuple.  Chacun  criait  mi  renard  après  l'é- 
voque de  Térouenne  (le  chancelier)  >>. 

L'expulsion  des  Anglais  fut  suivie  de  deux  grandes  processions 
€  pour  la  grâce  que  Dieu  avoit  faite  à  la  ville  de  Paris  ».  L'univer- 
sité y  figura  tout  entière,  cierge  en  main',  fîiihle  expiation  d'un 
passé  inexpiable.  Le  mois  suivant,  on  exhuma  les  restes  du  comte 
d'Armagnac  et  de  ses  principaux  compagnons  d'infortune,  qui 
avaient  été  enterrés  sous  un  fumier,  derrière  Saint-Martin-des- 
Champs,  et  on  les  ensevelit  honorablement  dans  celle  église  :  les 
morts  eurent  leur  part  de  la  réconciliation  générale.  Pendant  ce 
temps,  on  réorganisait  l'administration  de  Paris  :  Michel  Laillier, 
qui  avait  eu  la  principale  partàraffranchissement  de  la  ville,  de- 
vint prévôt  des  marchands;  le  sire  de  Tcrnant,  un  des  capitaines 
des  auxiliaires  bourguignons,  fut  fait  prévôt  royal,  pour  complaire 
au  duc  Philippe,  dont  la  bannière  avait  été  arborée  sur  une  des 
portes  de  la  ville,  auprès  de  celle  tlu  roi  :  on  ne  faisait  point  de 
différence  entre  la  croix  de  France  et  la  croix  de  Saint-André; 
portait  qui  voulait  l'une  ou  l'autre.  Les  grands  corps  deTÉlal  eu- 
rent leur  tour  après  le  corps  de  ville  :  un  ordre  envoyé  de  par  le 

1.  II  lui  restait,  suivaut  le  Bourgeois  de  Pitiis,  quatre  mille  maîtres  et  écoliers. 


:i52  GUERRES  DES  ANGl^âlS. 

roi  prescrivit  d*a|j|ioa*i"  les  scelles  aux  r^  ^  *i  ^'rcnëi 

IHiiit'tïicnl,  h  la  rbaiiibre  des  i!b.irïL*s  di*  1 1       ■      -r:im|iLni', 
€lianibr63  des  comptes,  du  trésor  et  des  nionnaies,  H  dci  c^i 
ini^snin.*s  fuïei*t  noniiiiés  [Kmr  juger  les  oiu5xîs  le>  lUu» 
génies  (22  mai  1  «G*  —  rM/art«. ,  t.  Xllt ,  ji,  218).  Tu 
membres  du  parlement  angia-bourguîgnon,  malpé  leiirl 
soumission,  vîrcut  se  fermer  devant  mx  les  pofics  du  P»l 
par  les  instances  du  duc  àe  lîonrgngTie,  on  réinfi^gni  i\\ut  l 
dou^e  des  moins  comiu'ùinîsdan*^  le  pailemeut  roytil^  qui  rertn 
de  Poitiers  se  réinstaller  au  Palais  de  Justice  de  Pumlc  l*»« 
ccmbre  t  i3R«  La  cour  des  rctimMei»  de  rhAlel,  li  cour  dci  i 
(cour  des  généraux  sur  le  fait  de  la  juf^litè),  le»  chauibrrf 
comptes  ci  io^  monnaies  nrent  leur  rentrée  a^ec  le  park-ioc 
Cesdetix  deniièrcs  cours  avaient  étéétal>lie&  à  Bourges  |>ettdjiij 
h  guerre  civile,  et  les  deux  autres  h  Poitiers  {Ottltmm.,  Lïl 
p.  2*29)*.  Paris  rn^seuihla  tous  les  ticurons  éimrs  de  m  ronron 
de  capitale.  Une  foule  de  citoyens,  qui  s*étaient  exilfc*  pour  ne  | 
subir  le  joug  éimugeCp  rentrèrent  dans  leur  cit^ï  et  dons  I 
biens. 

Les  deux  universités  s'étaient  fondues  conïmc  les  dem  | 
nients,  et  Ton  put  revoir  sur  h%  mêmes  bancs  les  garants  de  j 
mission  de  Jeanne  Darc  et  les  auteurs  de  sa  ci)ndr^' •>"-«-■  ^ 
ménagements  du  pouvoir  royal  |>our  les  gens  d'I 
cet  égard  jusqu'au  dernier  scandale.  L'indulgence  du  roi  el( 
chancelier  sentait  la  complicité  plus  que  la  i^lénience, 
léges  de  runivei^ilé  avaient  été  conlîrmés  dés  te  an 
[Ordmn,^  t-  XUI,  p.  220).  Le  petit  nombre  de  bour|etiis  < 
avaient  été  Imimis  ou  avaient  mîvi  volontainïnieiil  la  itt 
des  Anglais,  les  cbcfs  des  bouchers,  entreautres,  m?  Iiu-dèreût| 
à  olïtenir  leur  rappel  :  tout  leur  fut  pardonné  «  li*ès  doucenienl; 


I.  Le  r«il,  pour  déElamniftgcr  i^tiiljui^  peu  Ft>iii<i>k  <lu  lUimn  >i 
OÎur»  ccUc  Tille  ipr^ifOriytlrtîsiTJl  unie  à  1»  oiirflijjuj.  \Or(im,.  Vil 
T««r  tùlt.ui  du  imtleitH'ut  li  FarU  fui  ttitïldu  Té'uhht%emt:u\  I'm 
louM?  mvril  1457^  Ofthn,,  XUI,  p.  231),  U  Ulhin  là  un  . 
tonjoun  |irCs^m  pour  cônti^nlr  îos  »eï|[iHMtrii  tlu  Midi.  Le  Ufi{;«i<'jmc  cul  iui 
prtur  ilr*  nHÎù^^  **  B^turgi'S  tw  fat  pLii  aubîié*;  ûun%  l&  faticr»  niynlri,  S«^  < 
fûjrinia  nHtii'ttrn  k'    dr&it  d*nc<||]^rir  ili»  ji^fM  i'i  illTi^1T-lt4fl«  âtfC  ttt»|>fifaj 
droib  4e  fruiici-flcft  n  û'jiO[\iùit,  —  Ordoth,  XI H,  p.  *ri*. 


[143fi]  AMNISTIE.  353 

ils  en  furent  quittes  pour  être  plus  chargés  que  les  autres  dans 
les  emprunts  qu'on  leva  sur  Paris  [Bourgeois  de  Paris], 

Tandis  que,  suivant  la  parole  de  la  Pucelle,  «  un  jjIus  grand 
gage  qu'Orléans  »  était  enlevé  aux  Anglais  dans  le  délai  tixé  par 
Jeanne,  un  bruit  se  répandit  tout  à  coup  de  Lorraine  en  Cham- 
pagne, et,  de  là,  dans  les  villes  de  la  Loire  :  «  —  La  Pucelle  n'est 
pas  morte!  ce  n'est  pas  elle  qu'onahrùlée  à  Rouen!  elle  a  reparu 
à  Metz  !  elle  a  été  reconnue  par  ses  frères!...  » 

En  effet,  une  femme,  qui  avait  avec  Jeanne  une  surprenante 
ressemblance,  s'était  présentée  aux  deux  frères  de  la  Pucelle,  et 
ils  Pavaient  avouée  pour  leur  soeur  (20  mai  1436).  La  duchesse 
Elisabeth  de  Luxembourg,  nièce,  par  alliance,  du  duc  de  Bour- 
gogne, voulant  effacer  la  honte  de  son  cousin  Jean  de  Luxem- 
bourg, avait  fait  un  splendide  accueil,  dans  Arlon,  à  la  prétendue 
Jeanne.  Un  des  comtes  de  Wiiitcmberg  l'emmena  ensuite  à 
Cologne,  où  elle  mil  en  i-umeur  tous  les  pays  du  Rhin.  L'inquisi- 
tion de  Cologne  commençant  à  l'inquiéter,  elle  revint  à  Arlon, 
puis  à  Metz,  où  elle  épousa  un  chevalier,  le  sire  Robert  des 
Armoises. 

Pendant  ce  temps,  l'agitation  était  extrême  dans  les  contrées  où 
la  mémoire  de  Jeanne  était  le  i)lus  chère.  Jean  Du  Lis  \  un  des 
frères  de  la  Pucelle,  venait  de  passer  la  Loire  pour  aller  annoncer 
au  roi,  à  Loches,  le  retour  de  sa  sœur.  La  ville  d'Orléans,  qui  vi- 
vait toujours  dans  la  pensée  du  «  miracle  le  plus  évident  qui  a  été 
apparu  depuis  la  Passion  2,  »  se  hâta  de  dépêcher  un  «  poursui- 
vant d'armes  »  vers  Jeanne  à  Ai'lon.  Une  attente  fiévreuse  re- 
muait le  cœur  des  peuples. 

La  prétendue  Jeanne  ne  se  hâta  point  de  remplir  directement 
cette  attente.  Elle  partit,  non  pour  Paris  ou  Orléans,  mais  ])our 
Rome.  Elle  avait  conçu  la  pensée  de  se  faire  accepter  par  le  Saint- 
Siège;  elle  offrit  ses  services  au  pape  Eugène  IV,  combattit  pour 
lui  contre  le  duc  de  Milan,  et  tua,  dit-on,  deux  soldats  de  sa  main. 
Aj^rès  s'être  ainsi  assuré  la  protection  de  rÉglisc  romaine,  elle 

1.  Les  Uarc  se  faisaient  appuler  du  Lix,  depuis  que  le  roi  leur  avait  donné  pour 
armes  une  épéc  entre  deux  tlours  de  lis. 

2.  Guillaume  Girauli  ;  relation  conti-mporaine  de  la  délivrance  d'Orléans;  ap. 
Proc.es,  t.  IV,  p.  282. 

VI.  'IZ 


ail  su  en  «ES  DES  A^fGiaiS.  iUK^i^ 

levlnl  en  France,  De  1 138  h  1439,  on  la  rdi'ouvc  à  U  létc  doue 
coiin>a!îuie  crhoininesd'arnics,  gULTroyanl  cmilrc  les  AngkiftiV 
les  niardies  de  Poilou  et  de  Guyenne,  el  èeriiniil  au  toi  ât 
CmiiUQ  pour  lui  demander  Fas&i&tance  de  sa  maritie*  Le  coDué- 
titille  de  nastilk,  dit  k  liironiriue  d'Alvarci  de  Luna,  moulnil 
^  comme  reliques  n  à  tous  ses  chevaliers  Ici*  leUrfs  de  b  Pocèk. 
Les  Espagnnls  répondirent  par  Fenvoi  d*ane  encadre,  fin  j/A 
let  I  i39,  la  prétendue  Jeanne  se  montra  enfin  k  Orlcam.  qui  tt 
fit  une  réception  enthousiaste. 

JusquVti  1440,  la  cour  se  lin!  sur  lu  réserf e,  et  U  oc  panltim 
que  «  lu  dame  Jehanne  des  Armoises  >  ait  chcrdié  &  voir  le  i% 
Le  conseil  du  roi  jupea  enfin  néce.ssaSre  de  prendra  uii  pift 
Charles  Yll  manda  la  prclendue  Jeanne,  et,  coiiun«  il  aval]  (tf 
jiidis  lors  de  la  fameuse  entre?tie  de  Chinon«  il  s^e  confuiidii  (iou 
1.1  foule  des  gentilliommés  quand  elle  arriva.  Des  cutirtiaM, 
qui  comptaient  se  servii'  d'elle,  lui  avaient  doiin6  un  sipi*-  ^^^^ 
reconnaître  le  roi.  Elle  alla  droit  à  lui  :  CJiarlei  riî*l  i 
Il  se  remit  et  lui  dïi  :  ^  Pncelle  m*amio,  vous  sofei  b  irtÉ» 
hien  revenue,  au  nom  de  Dieu  qui  fsaitle  secret  qui  e^f  '"^' 
cl  moi  »•  A  CCS  mots,  elle  i>erdit  la  têlc,  se  j*Ma  h  gcr 
t  merci  »  au  roi. 

On  l'envoya  à  Paris,  et,  par  jugement  du  i^rlenieiit,  •  im 
montjée  au  peuple  au  Palais,  sur  la  pierre  de  marbre,  et  Uioi 
prèchée  et  traite  (tirée,  exposée}  sa  vie  et  tout  saa  état  (toftl  1 4<Uj  f, 
(hi  la  relâcha  ensuite»  et  elle  fit^  dit-on,  ntte  maafnifte  et  iioo- 
teuRc  lin  K 

Tout  ce  bruit  fait  autour  de  la  fausse  Jcaciiio  Dure  Ma. 
néanmoins,  ravivé  le  souvenir  de  la  vèrilahle,  cl  secoué  Te^pèof 
de  stupeur  qui  glagaîl  les  esprits  depuis  son  procès  el  ^  i 
La  vivacité  avec  laquelle  le  sentiment  public  «'ètiill  m 
agît  sur  le  pouvoir  royal  et  contribua  à  lui  imposer  pluàtattlli^ 
pîocès  de  réhabilitation. 

Le  peuple  dut  renoncer  à  respérance  de  voir  se  retioiivtlcr  K^ 
miracles  de  1429,  Les  deux  grands  événemems  il'Ârras  et  ie 
Paris  n'amenèrent  pas,  couime  il  semblait  permis  de  s'en  flilKr. 

t,  Unçmnmti  fur  kt  fûusêt  Jeanne  Butç  ;  ap.  Prociâ^  U  \\  i*.  311-11^ 


[liiïG]  LA  FAUSSE  JEANNE  DARC.  3:,j 

raclièvement  immédiat  de  l'œuvre  de  délivrance.  Il  fallut  encore 
de  douloureux  efforLs  et  de  longs  intervalles. 

Les  causes  qui  avaient  récemment  fait  échouer  Taffrancliissiv 
inentde  laNormandie  devaient  entraver  plusieurs  annéesencorr  hi 
l'cnaissance  de  la  France.  Le  principal  obstacle  était  dans  la  na- 
ture des  forces  mililaii*es  qu'on  avait  à  opposer  aux  élranf,n?rs.  (1rs 
forces  étaient  de  trois  sortes  :  1°  les  milices  des  villes,  bourgeois 
et  artisans  transformés  par  occasion  en  soldats,  bons  pour  dé- 
fendre et  non  pour  assiéger  des  murailles  :  leur  rôle  était  (ini 
avec  la  guerre  défensive;  2°  la  milice  féodale,  propre  à  monlcu* 
à  cheval  pour  un  coup  de  main,  mais  i)eu  capable  de  tenir  la 
campagne  ;  3"  les  compagnies  d'aventuriers ,  supérieures  au 
l'esté  par  leur  habitude  des  armes,  mais,  d'ailleurs,  véritables 
bandes  de  brigands  pour  lesquelles  la  guerre  nationale  n'é- 
tait plus  qu'un  prétexte,  et  qui  étaient  devenues  aussi  indé- 
pendantes que  les  grandes  compagnies  du  quatorzième  siècle. 
Ces  bandits  ne  consentaient  à  marcher  à  l'ennemi  que  lorsqu'ils 
jugeaient  les  chances  de  butin  suffisantes,  ou  que  la  solde  olTerte 
leur  agréait  :  il  y  avait  telle  compagnie  qui  restait  une  année  imi- 
liùre  à  manger  le  plat  pays  et  à  rançonner  les  voyageurs  sans  ap- 
procher des  places  anglaises.  Les  paysans ,  leurs  éternelles  vic- 
times, leur  donnaient  le  uom(ïécorcheurs,  depuis  que  le  nom 
di  Armagnacs  avait  disparu  avec  la  guerre  civile.  La  plupart  des 
capitaines,  môme  les  plus  renommés,  s'étaient  replongés  à  corps 
perdu  dans  cette  carrière  de  boue  et  de  sang  d'où  la  Pucelle  les 
avait  un  instant  arrachés;  une  bonne  partie  des  princes  et  des 
grands  patronaient  ouvertement  les  brigandages  des  capitaines, 
et  les  trois  quarts  de  la  cour  étaient  complices  de  la  dévastation 
du  royaume. 

Le  connétable,  appuyé  par  la  belle-mère  du  roi  et  par  les 
ministres  bourgeois  qui  commençaient  à  prédominer  dans  le 
conseil,  eut  assez  de  courage  pour  entreprendre  de  combattre  le 
mal,  et  assez  de  persévérance  pour  soutenir  son  entreprise.  On 
ne  saurait  douter  qu'il  n'eût  conçu,  dès  la  réduction  de  Paris,  le 
projet  de  donner  à  la  France  une  armée  peimanente  et  régulière, 
et  de  détruire,  i)ar  tous  les  moyens,  tout  ce  qui  ne  se  plieiail  pas 
à  ce  grand  dessein.  Richemont  ne  pouvait  s'attaquer  siu'-le- 


356  OUEHRËS  DES  A^IGLAIS*  it<i| 

dmmp  aux  compagnies;  il  commença  par  les  p4»tilo«  liaiidH  et 
jrjaramlnyrs,  e1  donna  Tordri^  chî  ju^^ct  sumimiremeni  le^mr^ 
cfwnrx  isolrs  qni  sc  laisseraient  ,irrét*^r  4ins  Ici.  vilIagiH.  en  H^ 
pntnt  ilélil  de  meurtre;  de  viol  ou  de  pilbgc  :  on  tm  |k n  i 
[vremier  arhrcj  on  on  les  jetait  à  la  rivitVe.  Ekins  Cfs  PipiVljl 
fce  sign^ila  un  jeune  homme  dcs^lin^  à  une  terrîlde  retKu 
c'était  Tristan  TErmile,  prévôt  des  mart^diaux,  c'esl-è-dlrr  cM 
de  la  justice  cl  de  la  police  militaire;  Il  Tut  rexécnleor  dis  hmïe^ 
amvn\s  de  lUchcmont  avant  de  devenir  le  coiifidait  el  le  «oom» 
père  *>  dn  Louis  XI,  Ce  peu  de  mauvais  sang,  ainsi  tiré  en  é 
m  soulageait  guère  encore  la  France  ! 

Vmm  du  sicgc  de  Calais,  ontanié  par  le  duc  de  Buurpogo? 
la  léfe  des  communes  de  Flandre,  ne  servit  pas  moins  que  liséfé- 
neiiients  de  Normandie  à  détnonlrer  la  n^ce^llé  d'une  ncfiitdk 
orgnnisalion  mititaîre,  cl  ne  sembla  pas  moins  concluante ûoiHft 
les  milices  bourgeoises  que  rexpédition  de  Nortnandie  contre  bs 
comtmgïiie&  d'aventuriers.  Les  villes  flamaiidi»  avnient  montra  k 
zèle  le  plus  bruyant  et  le  plus  aciif  pour  seconder  leur  une  :  Icufi 
contingents  élaient  venus  si  en  fnrre,  que  le  duc  atait  on  pott- 
vôir  congédier  la  moitié  de  ses  gens  d'armes  bourguignomet 
picards*  Philippe  eomplait  sims  ses  étendards  plo9  de  Ircnle  milk 
lionimeâ  des  communes  de  Flandre,  armés  de  casque*,  de  pte- 
trous,  de  cottes  de  mailles,  de  lances  et  de  matUcîs.  Letir  amp 
èïMi  magnifique  :  toutes  ccsi  tentes,  peintes  de  eouJçors  i>cktajiti'& 
ornées  de  riches  banderoles,  semblaient  une  gnnde  rilliî,  dffi- 
src  par  conniiunes,  p^jr  corps  de  métiers,  par  bannièn^.  LesR»- 
inands  slniaginaîent  que  personne  au  monde  n^ûsenul  leurMlr 
tôle;  les  Gantois  surtout,  qui,  seuls,  avec  les  gens  de  leur  dilfd- 
leuie,  avaient  mis  sur  pied  dix-sept  mille  coiubultatil$,  daidil 
aniuï^s  d'une  incrojable  présomption.  «  Quand  les  Anglo?^, 
disaient-ils,  samonl  que  messcigueurs  de  Gand  vienne»!  te»- 
siéger  avec  loule  leur  |missauce,  ik  ne  nous  altcndrani  pasrib 
quitteront  la  ville  et  s'enfuiront  en  Angleterre,  » 

t*es  Anglais  n'avaient  gai  de  de  songer  à  évaitticr  nalms  :  îb 
eussent  bravé,  pour  le  défendre,  des  armées  bien  plu«  rtéco- 
tailles  que  celle  de  Flandre*  Les  *r  gouverneurs  >  d'Angleterre  h 
vieu\  rarilina!  et  le  duc  de  Gloceâler,  f|itl,  tout  ot>>orbês  da& 


[1436]  SIÈGE  DE  CALAIS.  357 

leurs  querelles,  avaient  laissé  perdre  Pai'is,  se  réveillèrent  quand 
ils  surent  Calais  menacé;  l'Angleterre  intimait  à  ses  cliefs  de  sau- 
ver Calais  à  tout  prix.  «  Le  roi  Henri,  ceux  de  son  conseil  et  tous 
les  Trois  États  d'Angleterre  eussent  laissé  perdre  toutes  les  con- 
quêtes qu'ils  avoient  faites  depuis  trente  ans  en  France,  i)luti)t 
que  la  ville  de  Calais  (Monstrelet)  ».  La  garnison,  bien  approvi- 
sionnée et  grossie  par  des  renforts  considérables,  s'ai)préta  aux 
plus  vigoureux  efforts,  en  attendant  qu'une  armée  de  secours  filt 
prôlc  à  i)asser  le  détroit  pour  faii-e  lever  le  siège.  La  garnison  prit 
inômc  l'offensive  en  lançant  de  gros  détachements  sur  les  mar- 
ches de  la  Picardie  et  de  la  West-Flandre  :  les  premières  ren- 
contres furent  à  l'avantage  des  Anglais.  L'armée  du  duc  Philippe 
se  logea  devant  Calais,  dans  la  seconde  quinzaine  de  juin;  les 
petites  forteresses  des  environs  de  Calais  furent  concpiises  sans 
beaucoup  de  peine;  mais,  quand  on  en  vint  aux  approches  de 
la  ville,  les  Flamands  soutinrent  mal  leurs  vanteries  :  ce  n'étaient 
plus  les  compagnons  des  deux  Artevelde;  ils  avaient  bien  en- 
core la  turbulence  et  l'orgueil,  mais  non  plus  hi  vaillance  des 
temps  passés.  La  tyrannie  de  leurs  anciens  comtes  avait  fait  des 
héros  de  leurs  pères;  le  gouvernement  moins  violent  et  plus 
habile  des  ducs  de  Bourgogne  leur  ôlail  par  ses  ménagements 
l'occasion  d'apprendre  les  armes;  Jean-sans-Peur  et  Philii)iui 
avaient  su  empocher  les  éternelles  émeutes  des  villes  de  Flandnî 
de  grandir,  connue  auparavant,  jusqu'à  la  guerre  ci\ile. 

Peu  de  jours  après  que  le  siège  fut  assis,  le  duc  de  tîloccsler, 
lord  prolecteur  d'Angleterre,  envoya  un  héraut  défiei*  le  duc  (h» 
Bourgogne  et  lui  déclarer  que,  s'il  n'attendait  hi  bataille  sous  les 
murs  de  Calais,  Humphrey  de  Glocester  Tirait  cheicher  jusque 
dans  ses  États.  «  Dites  à  votre  sire  qu'il  n'aura  nul  besoin  de 
prendre  cette  peine,  et  qu'il  me  trouvera  ici,»  répondit  fière- 
ment le  duc  Phiiii)pe;  et  il  combla  le  héraut  de  présents  pour  la 
bonne  nouvelle  qu'il  lui  avait  apportée.  La  confiance  du  duc 
connnençait  cependant  à  être  ébranlée,  et  rindiscii)line  de  ses 
Flamands  lui  causait  de  sérieuses  inquiétudes:  tout  les  elTarou- 
chait;  tout  les  rebutait;  tout  excitait  leurs  soupçons  et  leurs 
plaintes.  Ils  s'étaient  d'abord  montrés  fort  mécontents  du  retard 
de  la  flotte  hollandaise  et  zélandaisc  qui  devait  seconder  les  oiié- 


.t:»s  GUEnitiïS  des  anglais.  (h 

nilioiïs  da  sîfge,  et  cjuj  n'arrira  que  le  25  juillet  Lci  dotlei 
l*hilipi)c  essaya  de  fermer  le  porl  mi%  navîn?8  anglais,  mi 
liiiit  diim  la  pm^e  qm  y  roiiduil  six  grosses  ncft  dmifé 
pierrct^;  iiiiiis  les  Calaisictm  paivinreiit  à  brCUer  dcs  lj«Uijnfl 
pc*nr]ar)t  une  nrnirée  basse,  l'I  le  flui  balaya  les  pierres.  Ijcsi 
ms  hollandais  jugèrent  la  mer  Irop  périUettse  pcnir  Hîûît  k 
Iiloeus  dans  cet  oragoux  délroit,  et  ne  si'estimèrent  poiiil  diil- 
It'urs  asso^  forts  pour  bî:irrer  le  passage  à  l'orniéc  qui  %'afipii^ 
lait  dans  les  ports  d'Angleterre  :  ils  remirent  à  la  Toile  et  rffa 
lièrent  chez  eux, 

La  leUaitc  de  la  (lotte  excita  chess  les  Flamands  une  i 
terrible;  ils  erièrent  à  la  traliison,  et  ne  voulurcol  colaidrei 
cune  explîealîon.  Sur  ces  enlrefîïites,  la  grimifon  de  Calais  fif 
une  sortie,  et  as^nîtlit  une  baî^HUe  construite  par  Ic^  as^té^mitft 
sur  une  liauleur  qui  conunanrie  la  \ille  :  re  poste,  retuifi  i  h 
garde  des  Flamands,  et  occupé  par  troij^  ou  quai  ne  ceols  tmi] 
fut  eniporlè  après  une  résistance  aBsex  molle,  el  ^es  défe 
bircni  passés  au  i\\  de  Tt^pèe  avant  que  le  grf*s  de  TaniJi^!  ptl] 
secourir.  Cet  ècliec  porta  au  comble  rexaspérmtion  des  Flan 
ils  d^xlarcrcnt  qu'ils  routaient  relnurner  dans  leur  11115**,  1% 
lippe,  dèsespénS  accouru!  an  milieu  d'eux,  les  âup|ilii)  '^"  " 
point  porter  un  si  grand  pr«>jndiceà  mu  lionucur^  et  d*;/ 
au  moins  lairenue  de  lord  (ilocester,  qui  ne  pouvait  tirder  b 
ne  lï'coutèrentpas  i>!us  qiiWs  n  avaient  mitrefois  écoufé  son  pfcit 
en  pareille  oceun  enoe,  et  le  due,  la  rage  dam  le  eo-Hir,  fm  fih 
eorc  obligé  dï'touiïer  son  juste  ressentiment  pouroi:  point  I& 
poîissrr  h  une  révolte  ouveiie.  t^  ^  '  '  f  r  une  lelk  prt- 
ci i>italion,  qu'ils  abandonnèrent  '  ^     lie  des  « 

véanccs  ?»  et  de  rartillerie*  Le  duc  fut  réduit  à  coiirrir  leur  1 
traite  avec  sa  cavalerie;  puis  il  s*en  alla  Iristenietit  à  Lille,  ar 
aux  moyens  de  défendre  «es  seigneuries»  qui  alli&jcmt  éln'  "' 
sées  aux  représailles  des  Anglais  [Monslretet,  II,  c.  '2ùi-T 

Le  lendemain  de  la  levée  du  siège  (28  julUel),  le  duc  d^  > 
cester  entra  dans  le  port  de  Calais  avec  une  floltc  ebar^iLi-  .:i  liiv 
mille  combattants.  Cette  année,  ne  trouvant  au  lieu  .1  .riL  um 
que  des  canona  et  de^  bagages  abandonnée,  se  jeUi  mr  la  ftift^ 
drc  ocddcntalc  et  TA  r  lois,  bit  la  Poperingues ,  IkiiUeiîl,  de*,  6l 


(143G]  DESORDRES  DES  FLAMANDS.  359 

rentra  dans  Calais  avec  un  immense  butin  el  une  foule  de  pri- 
sonniers :  les  Anglais  ramenèrent  à  Calais  plus  de  cinq  mille  petits 
enfants  pour  forcer  les  parents  à  les  racheter. 

La  flotte  qui  avait  amené  Taruiée  d'Angleterre  infestait  on 
niônie  temps  les  côtes  de  Flandre  et  les  îles  de  Zélande.  Les  tles- 
ccntes  des  Anglais  à  Ostcndc,  à  lliilst,  à  rÉcluse  excitèrent  de 
nouvelles  tempêtes  en  Flandre.  Plus  les  Flamands  s'claient  mon- 
trés déchus  de  leur  ancienne  gloire,  plus  ils  s'abandonnaient  à 
leurs  fureurs  insensées,  comme  pour  s'étourdir  sur  la  honte 
dont  ils  s'étaient  couverts.  Les  Brugeois  et  les  gens  de  la  côte 
massacrèrent  près  d'Oslende  l'amiral  Jean  de  Horn ,  parce  qu'il 
n'était  pas  resté  avec  sa  flotte  devant  Calais,  malgré  les  fempètes 
et  malgré  les  forces  supérieures  de  l'ennemi.  Tne  sédition  terri- 
ble éclata  à  Bruges,  à  l'occasion  d'une  querelle  entre  les  Brugeois 
et  les  habitants  de  l'Écluse  :  le  scoutète ,  magistrat  qui  rendait  la 
justice  au  nom  du  duc ,  fut  mis  à  mort ,  et  les  rebelles  s'empa- 
rèrent de  l'artillerie  de  la  ville  pour  attaquer  l'Écluse.  La  du- 
chesse de  Bourgogne  ,  qui  se  trouvait  à  Bruges  avec  son  fils,  le 
petit  conj le  de  Charolais,ne  quitta  pas  sans  péril  la  turbulente 
cité  :  deux  de  ses  dames  furent  arrachées  de  son  chariot,  et  mises 
en  prison  ;  elle  fut  elle-même  poursuivie  par  des  clameurs  mena- 
Çfintes.  Gand  s'unit  un  moment  à  Bruges,  et  les  grandes  guerres 
de  Flandre  parurent  sur  le  point  de  renaître.  Cependiuit  les  Gan- 
tois n'étaient  plus  soutenus ,  comme  autrefois ,  par  la  conscience 
d'une  juste  cause;  les  «  riches  houïmes  »  et  les  gens  sensés  par- 
vinrent à  rompre  Talliance  des  deux  grandes  communes  :  les 
Gantois  ne  secoururent  point  les  Brugeois,  (pie  le  duc  Philippe 
bloquait  du  côté  de  la  mer  avec  la  flotte  de  Hollande  et  do  Zé- 
lande :  seulement,  les  magistrats  de  Gand  et  (lYpres  joignirent 
leurs  instances  à  celles  des  négociants  de  tous  les  pays  qui  tra- 
fiquaient à  Bruges,  pour  obtenir  aux  Brugeois  une  anmistie, 
qu'ils  acceptèrent. 

Les  troubles  recommencèrent  quinze  jours  après,  les  Brugeois 
s'obstinant  à  vouloir  imposer  la  juridiction  de  leurs  magistrats 
aux  gens  de  l'Écluse,  qui  i)réten(laient  ne  rehîvcr  (|ue  du  comté 
de  Flandre.  Le  duc  Philii)po  se  prononça  en  favour  de  TÉcluse  el 
de  Nieuporl,  qui  était  dans  le  mémo  cas,  et  défendit,  de  plus,  aux 


IJriïfîroif,  d'unir  k  leur  toiiiuiiirR^  telle  du  Franc  eu  nu 
L'arp^  iminici[îal,  comme  ils  avaienl  résolu  de  le  taire.  Non 
inoiit  les  firiigeûi»  repo lisseront  la  lîécisian  du  jiriiice,  uiù»  îh 
é^o^g^re^l  un  lU*  Ictu^  hûurirmcslreh  ^  attru^-  iî*aviiir  aniaié 
IMûlip|>r  contix;  le  peuple.  IJeficndiml,  un  p€«  cffnif éé  d'une  »  ii 
énorme  arlion  »,  ib  sallicîtèrenl  les  aulr«^  bonnes  %ill<^  cl  te 
nt'g^ocinnls  t'inmgeti^,  les  «  gens  de*  nations  »,  d'iotercédtTi 
nouveau  eu  leur  faveur  auprès  du  duc,  PIiiJjf)iK\  sam 
de  réponse  posilive^  se  dirigea  sur  Bruges  à  b  lèlii  di!  i|icila 
cents  hommes  d*arnies  et  arrljci^ft  :  c'était  Irop  de  p 
uue  escorte  el  pas  assez  pour  une  armée.  Le  chapîtrL 
ûi  le  corps  de  ville  sortirent  au*df;vant  de  leur  prince  cl  le  ] 
rent  d'entrer  î^eulenieut  avec  se»  dievaliers  H  les  giîn5  dtf  la  i« 
sou.  Philippe  ne  les  écouta  poini,  el  pasisa  la  porte  aier  sa  : 
Le  peuple,  à  la  vue  de  tous  ces  soldait;,  s  imagina  ipie  le  duc  \^ 
lait  faire  piller  la  ville  par  ms  Picards  ol  se^  Rour^ignons.  Lifer- 
nièuïiUion  alliï  erois-sant:  deux  riches  1**^ 
lenns  houuutiges  au  due  sur  la  place  du  M  _ 
îtous  ses  yeux  par  la  populace;  le$  archers  linVenl  siiir  ta  fiii 
et  un  combat  furieux  s'engagea.  Le  duc  se  Irouia  ilons  lc| 
^raud  danger:  it  n'avait  pas  nu^nic  tous  lésinions  autour  dclm, 
les  Bnif^eois  ayant  fernit^  hrusqueinent  la  parlr  do  Ui  ville  uv.iffll 
rentrée  de  Farrière-garde  de  Philippe,  Accablée  par  Ic^  pn*)<^- 
liles  de  tout  genre  tpu  plenvaieut  de  chaa  î    '    '  '      '    i-ic 

feuiMre,  le  duc  et  les  siens  lentèrenl  une  ^,  .       .r- 

raite.  Le  maréchal  de  L'Ih>Adam ,  qui  avait  réceiuinrixt  Imsià 
surprendre  Pouloise  par  les  An^'lais  el  quillr  le  <cnjrc  du  ivi 
Charles  par  truite  de  cet  ethce  atîribué  h  sa  n*^#îliiîenci%  conilml* 
tait  vaiilîunuienl  auprès  du  duc:  voyant  les  ardiers  faiblir,  il  mil 
pied  à  terre  pour  les  enrournger;  il  fut  onvetoppA,  tertitôsé,  m»**- 
iacré,  et  Ton  Iraîna  son  cadavre  parles  rues.  Pin  lippe  c^l  les  coi»» 
paguons  qui  lui  rcï^taieni  parvijuent  ïusqu*^  la  |M)rti!;  cîlle^H 
fennec;  le  duc  allait  ^ire  tué  ou  pris.  Un  seintricr  et  un  doyen 
4es  métiers  Lriseient  les  serrures  de  la  parle  :  le  dur  i*l  ciudijues 
genfilshonunes  se  précipitèrent  hors  de  la  ville;  unk  phi-  4i^ 
deux  cenlB  hommes  d'armes  et  archers  demeur^inefit  au  (M^fioir 
de  vaînquetirs  forcenés^;  lieaucoupd*autrei»avzileaf  pird  ;  plosioitfi 


[IS37-1438]  RÉVOLTE  DE  BRUGES.  3G1 

furent  égorgés  après  le  conibal  ;  les  deux  ciloyciis  qui  avîiiciil 
sauvé  le  duc  furent  inipitoyableinenl  mis  à  mort  [2'2  mai  1  i37,. 
Philippe  regagna  Lille,  altéré  de  vengeance  contre  les  Brugoois  : 
bien  qu'il  eût  fort  grevé  la  Flandre  dans  les  dernières  années,  il 
n'avait  i)as  commis  de  violences  qui  pussent  légitimer  de  telles 
fureurs;  obligé  de  défendre  ses  frontières  contre  les  Anglais  et 
contre  les  ccorcheurs,  qui  ne  respectaient  guère  le  traité  d'Ari-as, 
il  n'était  point  en  état  de  réduire  Bruges  par  la  force  des  armes  : 
il  coupa  les  communications  de  Bruges  avec  la  mer ,  barra  les 
ri\ières  et  les  canaux ,  abandonna  la  cliàtellenie  de  Bruges  aux 
ravages  des  garnisons  de  la  Flandre  occidentjde,  et  ruina  ainsi 
le  vaste  commerce  de  la  ville  rebelle.  Les  Brug(M)is,  de  leur  cùté, 
assiégeaient  FÉcluse,  couraient  le  pa>s  pour  s'approvisionner 
et  saccageaient  au  loin  les  cliùtcaux  ;  mais,  à  rcîxceplion  du 
Franc,  ils  appelèrent  en  vain  les  autres  conmumes  à  prendj-e 
parti  dans  celte  guerre  insensé(».  Les  cinquante-deux  métiers  de 
Gand  s'armèrent,  au  contraire,  pour  y  mettre  un  terme,  élu- 
rent un  capitaine  général ,  qui  fut  confirmé  par  le  duc  Phi- 
lippe, et  réprimèrent  toutes  les  courses,  tous  les  pillages,  de  ipiel- 
que  côté  qu'ils  vinssent.  Les  députés  de  toutes  les  boimes  villes 
de  Flandre  se  réunirent  afin  d'aviser  aux  inoy(;ns  de  rétablir  la 
paix  :  tout  le  corps-de-ville  de  Bruges  se  rendit  à  cette  assemblée, 
et  on  ne  lui  promit  de  médiation  auprès  du  duc  que  si  les  Brugeois 
laissaient  en  repos  l'Écluse  et  Nieuport  et  se  séparaient  du  Franc, 
qu'ils  s'étaient  incorporé.  Ces  conditions,  acceptées  par  le  corps- 
de-ville  de  Bruges,  ne  furent  point  ratiliées  par  le  peuple.  Cepen- 
dant l'interruption  du  commerce,  la  disette,  la  misère,  eiiiin  une 
cruelle  éi)idémie  forcèrent  ces  «rudes  gens  i»  àllécliir:  ils  jugèrent 
eux-mêmes  et  condamnèrent  à  mort  les  plus  coupables  de  leurs 
compatriotes,  rendirent  au  duc  ses  soldats  prisomiiers,  etenvoxè- 
rent  des  ambassadeurs  crier  «  merci  »  vers  lui.  Philippe  n'eut  [)as 
rinq)rudence  de  s'aliéner  toute  la  Flandre  en  poussant  Brug(»s  au 
déses[)oir:  il  consentit  à  pardonner,  moyennant  une  amende 
de  200,000  riders  d'or,  des  fondations  pieuses  en  mémoire  du 
crime  des  Brugeois  et  du  massacre  des  bons  serviteurs  du 
duc  ,  une  indenmité  aux  familles  des  victimes  ,  et  l'abandon 
de  quarante-deux  personnes  «  à  sa  volonté  ».  Ces  quarante- 


3^2 


GUEnfîES  Dis  ANGLAIS. 


ûm%  cttoyem  périrent  presque  lou&siir  T^chafoud  (mar^  i 

I^s  FlatnaniU»  par  leurs  violences  el  Ieun>  d&cirUres,  umfnA 
nut  6gâleujCDt  ^  h  Fratico,  à  Imr  prince  el  k  eiix^inéiiM» ;  J 
diticordes  civiles  de  Flandre  n'avaîciit  profilé   qu'atu  Alij 
(?t  ùUK  ôcurcliètirs.  Le  grand  effort  fait  par  liî&  Anghis 
secourir  <]alais  avait  ravivé  la  guerre  ;  les  Anglais  rtcmi 
Lîllebonne,Tancarville  et  d'autres  forlerçsitt  ilu  najâdeL^i:».  ^ 
forrèreiU  la  noblesse  d'Artois  et  de  Picanlia  à  Icter  le  siège 4« 
Crotoi. 

Les  hostilités  se  réchauffa ietd  également  dans  llle-dc^Fr 
ei  la  Brie,  où  les  Anglais  ten^iicrit  encore  plusieurs  place»:  \ 
toutes  les  forteresses  du  Gàtlnais  élaienl  totiibées  eolne 
mains  depuis  la  prise  de  Montargis,  el  ils  étatetit  Jiiiis î  auitci 
au  cœur  du  royaume,  iutereeptuul  le  coninierte  de  Parif 
la  Bourgogne  et  le  Nivernais  par  Torcupation  de  Mouleimu,  j 
la  Champagne  par  Meaux«,avcc  le  BeauvaisiseUc  Vexm  pari 
Saiul'Geimaîn  et  Ponloise,  qu'ib  venaient  de  recouvitr 
des  coups  de  maiiK  Leurs  dètadieiiieiUs  raTageilent  le*  enii] 
de  la  tapilale  comme  avaiinit  fait  avant  etuc  les  coiii|i 
françaises  ;  Patïs  se  retrouvait  aussi  misérable  qu'aiiml] 
vrauce;  m  garnison  le  rançonnait  et  ne  le  défendait  ^\\ 
le  pauvre  peuple  m  plaignait  amôremeot  de  ii^aTolr  pu 
de  nouvelles  du  roi  que  «  s'il  eùi  été  à  Rome  oy  à  Jémsilda^' 
(Joitrmil  du  Bottrifeoù  de  Paris].  Les  régions  de  fcsl,  du  ccdIp 
du  midi  u*enduraierU  pas  de  moindres  souffram^^  qoe 
du  nord  et  de  roucsl  ;  les  Anglais  et  les  ècorcbetirs  ^lobk 
B^érre  parlagé  la  France;  toutes  les  provinces  délivrée» 
guerre  élrangéi  e  étaient  dévorées  par  leii  tomia^ies;  les  ] 
grands  seigneurs  des  frontières»  Je^m  de  Luxcitibourf ,  comte  de 
Lignî,  qui  n'avait  point  encore  voulu  adliércr  au  limilé  d'Arni>,fc 


2«  CuUo  vîIU%  ûngûgét}  m  duc  Ue  Boufg^gnc  et)  Hlî*.  uv^lU  OU  ml iioéf  | 
h  B  rit  for  d. 

%,  Or  tàtrnU  ml»  e«|;t«iid4at«  dès  ftepU(i»br«  i iZ^,  un  fmpfti  wsr  Ia 
Ttuf  4iinn  le  ParUU*  pour  pqycr  tes  loldjtti  :  il  éiuU  1I0  ^  i(t<^>  pvt  ^Urmi^ 

(Ordùtm.,  Xm,  Z27% 


[1436]  LES  ÉCORCIIEURS.  3G3 

damoiseau  dcConimerci,  cl  aulros,  faisaient  le  métier  de  chefs  de 
l)rigands,  «  menant  guerre  au  premier  rencontré,  prenant  et  ra- 
vissant de  toutes  parts  prisonniers  et  l)ulin  »,  assujettissant  les 
villes  de  leur  voisinage  à  se  racheter  par  des  trihuts.  «  Tout  le  tour 
du  royaume  »,  raconte  Olivier  de  La  Marche»,  «  étoit  plein  de 
places  et  forteresses  dont  les  gardes  vivoieni  de  rapines  et  de 
proie,  et  par  le  nnlieu  du  royaume  alloient  et  chevauchoient 
les  écorcheurs  de  pays  en  pays,  sans  épargner  les  pajs  du  roi  ni 
du  duc  de  Bourgogne;  et  furent  les  capitaines  principaux  le  bâ- 
tard de  Bourbon  (frère  du  duc  Charles  de  Boui'bon) ,  le  bâtard 
d'Armagnac,  Rodrigue  de  A'illandras  (Rodrigo  de  A'illandrando; , 
Antoine  de  Chabanncs  (depuis  comte  de  Dammartin),  etc.  :  Po- 
thon  de  Sainlrailles  et  La  ïlire  furent  de  ce  pillage  et  de  celle 
écorcherie^;  mais  du  moins  ils  combaltoient  les  ennemis  du 
royaume,  et  tenoient  les  frontières  contre  les  Anglois,  à  l'hon- 
neur et  reconunandation  de  leurs  renommées...  A  celle  occasion 
fallut-il  que  les  Bourguignons  se  missent  sus,  lesquels  tenoient 
les  champs  en  grand  nombre  et  vivoieni  sur  le  pauvre  peuple,  en 
telle  dérision  et  outrage  que  le  premier  mal  ne  faisoit  qu'em- 
pirer par  la  médecine  (parle  remède);  et  les  nonnuoil-on  les 
relondeurs,  car  ils  rdondoicnl  ce  que  les  premiers  avoienl  failli  de 
happer  et  de  prendre.  »  Cependant  le  comte  de  Friboui-g,  gou- 
verneur de  Bourgogne,  recourant  à  une  espèce  de  levée  en  masse, 
réussit  enfin  à  débarrasser  sa  province  de  ces  bandits  :  il  en  lit  de 
tels  massacres,  que  la  Saône  el  le  DouIjs  «  regorgeoient  de  leui's 
charognes  »,  et  que  les  pécheurs  les  liraient  dans  leurs  filets  «  au 
lieu  de  poisson  ». 

Dans  la  France  royale,  la  bande  la  plus  redoutable  était  celle 
de  Ro(h*igo  de  A'illandrando  :  cet  aventurier  espagnol  saccageait 
la  France  après  l'avoir  servie  contre  les  Anglais.  Il  avait  groupé 
autour  de  lui  plusieurs  «  chevelaines  »,  son  Ijcau-frère  le  luUard 

1.  Olivier  de  La  MarHie,  gcnlilhomme  bourguignon,  fut  maître  d'iiù'el  et  capi- 
tuine  des  gardes  de  CliarKs  le  Téméraire,  puis  gouverneur  de  son  petit- tils 
Philippe  d'Autriclic,  a  qui  il  a  dédié  une  Uisloirc  qui  continue  celle  de  Lefèvre 
de  Saint-Rcnii. 

2.  Ce  iiui  est  asseï  curieux  ii  observer,  c*cst  que  La  Hirc  el  Saiutrailles  éiaient 
baillis,  l'un  de  Vurniandois,  l'autre  de  Bourge«;,  et  par  conséquent  chefs  de  la 
jus'ico  ro\ale  daus  ces  deux  districts.  C'étaieui  là  d'étranges  magistrats. 


361  GUERRES  D8S  ANGLAIS,  aJ 

Alexandre  de  Boorbon,  les  Gliabatineset  d'autres,  ci  se  ijvuv 
à  lu  li^te  d*une  véritahle  arnit^e  de  tiH^ands»  h  b  t<Mc  de  hq^ 
il  eiitm  t*n  Languedoc»  i>ro\ince  jusqiraloi*s  ^^^^rgiir^  par  U 
guerre*  Les  Êlatsi  de  Languedoc  coinpas^reii!  nvec  Vil'  "  ^'••'  -^ 
et  il  coûïiwilil  ù  quitter  luur  province  tiio.vtnnjinl 
somme  d*argt:nt  :  iUo  dirigea  par  la  Guyenne  vers  k*  V 
la  Touraine,  comnie  pour  iûsnllcr  au  roi  en  purlnnl  lu  dcf^c^ 
lion  jusqu'au  \md  des  murs  de  ses  réfildcnces.  (Uiarli^  Vtl  tïtoà 
point  alors  aux  bords  de  la  Loire  :  après  umlr  célèbre  h  T<»uri. 
le  ^5  juin  tî:)6,  les  noces  de  tfion  fils,  le  dauphin  Luuîs,  atiTÉi 
princesse  Marguerite  d*Éct>îia*\  il  était  aile  à  L>on^  cl  *  n  ''   - 
plïiniV,  iVoii  il  [ymm  en  Larj^iuedac  comme  If  s  lirigant)>  v. 
d'en  sortir  :  leur  insolence  le  relançait  jusque  rtmiji  le»  «  i 
royaux  où  il  eacliait  m^  volnpt^'^s  oisives;  les  coir.i 
lui  enlever  scfcs  dernières  ressources  en  rançtiri' 
régions  qui  lui  fomiiissaienl  encore  uii  iwïii  d'urgent,  Aum 
çhè  de  vive  tbree  à  sa  nouclialanre,  il  se  r<%igna  h  ffinrittTà 
val;  il  obtint  des  États  de  Langiieiioc  un  suhi^ldc  du  l2y,«JtH} 
et  niardiâ  vet^  la  Loire  pour  repous&er  Vitlandrniido.  Le* 
des  C*corcljeurâ  hésitèrenl  h  cuinbaltre  le  rni,  cl  «»p  rçpl 
vers  les  domaines  du  due  dt?  Bourbon»  qui  Ic^  prolirgcaiî 
rissoi^  sur  les  contins  du  HeiTi  cl  du  BouriHifiii-'if*?.,  les  - 
Villandrando  rencontrèrent  les  fowiTiei's  du  tx#î  cl  im  dfrfâl^ 
sèreriL  La  colore  inspira  quelque  énergie  h  Cliiirl**î:  Vil,  cl  il 
donna  vivement  k  rliasse  h  la  grande  coiupapîile  juiîqu  au%  IkW* 
de  la  Saigne  :  les  brigands  se  réru^ièrent  diin^k  it^y^dvIiomM 
et  la  Bresse,  sur  terre  d^Empire,  d*où  ils  envoH^iieiil  dcuisiflto 


U  te  ditD]jhiu  n^ttvail  ^uc  Irtàm  &m^  et  la  priQct^tw  imt^.  VkirX^r^^i^  ^ 
Toun»  utrertrtla  une  dUptïitsit  *rAg^.  yiar^mtUa  MjiH  tlk  ilii 

lYfcwcc,  mo^tinoutit  r octroi  du  c!uch*  de  Kerrl  et  iK 

roi  JttnjUii*  ajfiint  élc  ft?5*îy»^iiH^  (lar  non  t^ftd*.  iv  i     , 

lioiïii  eyr.(itèj  et  le?  Éc(j*âf*i*  c*iiicîureni  une  lonpiv  ^t^'*v  **cc  i  > 

f/f»Utcir»i'a  Ji^mi  Cti^rthr  r«miftrc|uc  <|ae,  dun»  k  rei:tsi  il^soooca  ûl    i 

cLctéquc  de  Iktm»,  qui  avuJL  e4ïlél«r4  lo  uiuria^ck,  «ai  It  ^cialftru  f4«pr 

du  rai, 

?,  Une  ^nK-uie  l'Ul  Ik'u  rer»  celle  époque  h  Lyt^ti»  c-: 
df»;  phtâi^uri  jtçrsouncs  i^treui  ci^entéci,  d'^utret  > 
t.  Il;  c.  2U« 


Cri3C-ti3:j  PRISE  DE  MONTERE.VU.  3G5 

pardon  au  roî,  en  offrant  de  mai'clier  sons  ses  ordres  contre  les 
Anglais.  Le  bâtard  de  Bonrl)on  et  Jacqncs  de  Chabannes  obtin- 
rent leur  requête;  Yillandrando,  à  son  tour,  fut  reçu  en  grâce, 
Tannée  suivante,  pour  avoir  conduit  spontanément  une  expédi- 
tion assez  brillante  dans  le  Bordelais,  qui  n'avait  pas  vu  dei)uis 
longtemps  les  armes  françaises*. 

Des  rives  de  la  Saône,  le  roi  se  porta  sur  celles  de  TYonne  : 
on  l'avait  décidé  h  entreprendre  en  personne  la  a  recouvrance  » 
du  Câlinais  et  de  Montereau.  Gomme  Penlreprise  se  faisait  prin- 
cipalement pour  le  bien  de  Paris,  on  mit  sur  les  Parisiens  une 
énorme  taille  dont  personne  ne  fut  exem])t.  Les  gens  de  l'uni- 
versité payèrent  comme  les  autres;  seulement  une  ordonnance 
du  2  septembre  i  437  (XIIT,  239)  leur  promit  que  cette  aide  ex- 
traordinaire ne  préjudicierait  pas  à  leurs  privilèges.  On  prit  jus- 
qu'aux encensoirs,  chandeliers,  burettes  et  autres  «  vaisseaux 
d'église  qui  d'argent  étoieni,  et  la  plus  grande  partie  du  trésor 
des  confréries  ». 

Le  connétable  et  le  comte  de  la  Marche^,  qui  commandaient 
Tavant-garde  royale,  prirent  Cbâtcau-Landon  et  Nemours;  puis 
le  roi  «  assit  son  siège  »  devant  Montereau,  avec  six  mille  com- 
battants. «  Ceux  de  dedans,  Anglois  et  François  reniés,  étoieiit 
grandement  fortifiés;  »  leur  résistance  se  prolongea  j^lus  de  six 
semaines.  Li  ville  fut  enfin  emportée  après  un  assaut  terrible, 
dans  lequel  le  roi  «  fit  son  devoir  comme  les  autres,  »  dit  le 
clironiqueui-  Berri  :  pour  la  première  fois  de  sa  vie,  il  paya  de  sa 
personne  3.  La  ville  fut  pillée,  mais  la  vie  des  hommes  et  l'honneur 
des  femmes  furent  respectés  par  ordre  du  roi  :  Charles  VIT  avait, 
au  moins  pour  vertu  négative,  l'antipathie  des  excès  des  gens  de 
guerre.  La  garnison  se  réfugia  dans  le  château  :  les  canons  et 

1.  Boni,  roi  d'à  nu  es. 

2.  Ficro  du  comte  régnant  d'Armagnac  et  pciil-fils  du  fameux  connétable.  Le 
comté  do  r.a  Murcbe  éiuîi  passé  de  la  maison  de  Bourbon  dans  la  maison  d'Arma- 
guac  par  le  mariage  du  comte  de  Pardiac,  pciil-fils  du  connétable  d'Armagnac, 
a\oc  la  liile  de  ce  Jacques  II  de  Bourbon,  comte  de  La  Marche,  qui  avait  é!é  le 
mari  de  la  reine  Jeanne  de  Naplcs,  et  qui  s'était  fait  capucin  èi  Besancon  vers 
1435. 

3.  Le  rétlacteur  des  Rf^fjistres  du  parlement  raconte  que  le  roi  se  jeta  dans  les 
fossés,  oii  l'on  avait  de  l'i-au  au-tlessus  de  la  ceinture,  monta  !i  Tescalade  l'épéc 
au  poing,  rt  entra  dans  la  ville  quasi  des  premiers.  Mais  cela  est  un  peu  suspect, 
rbisioriograpbe  Jean  Cbartier  et  Berri  u*en  disant  rien. 


.Wi  ODER» ES  DES  A^fGLUS. 

lioiiibfirfles  lies  Frimcaîs,  dirigée  par  Ji^an  Rurcnii*,  bartîT 
luricuî^emenl  cHlû  rorleresse,  (|nc  les  ûssîépciî  fuicni  l»*^ 
forcée  ùe  se  reiûli'e  h  discrélion  ;  les  «  Françïib  rciikH  »  ti'ctill 
point  lit!  mcTci;  la  plupart  TureTit  pr^ndus;  h  roi  tut  mis^rji 
dieux  aux  Angltib  pour  Famour  du  dauphin,  entimt  de 
ans,  qui  vcnail  de  faire  ses  prcmîèriîs  armes  à  côfé  de  lui  iiî{ 
recpru  iniîiTi  pour  les  Yaineiis,  Les  Auiyrlaîs  0lHinrçnt  la  vie  cl  |i» 
biens  i^skiïh  :  le  terrible  Louis  XI  commença  atiifii  sa  cairi^rf  pir 
un  acte  de  cléiueucc  (22  oclobre  1437]. 

Cetîo  générosité  fui  lt>iii  d'être  approuféc  de  loui  le  lofindc: 
los  Vimskus  furent  très  uiéconlcnb  ([u'on  eût  laissé  érh.v 
la  sorte  trois  ccuts  «  larrons  el  meurtriers  aii|;loi<ï  »,  et  tu  ,  j^  - 
lioint  de  feux  de  joie  pour  la  prise  du  chàtcan  de  Mcmli^cati. 

Gliarlcs  Vtl  se  rés^nbit  enfin  h  faire,  le  12  noveinlme  I4Î7,  • 
royale  enln'c  dans  Paris, qu'il  n'avait  pas  rcTu  ilepti^  ' 
glonte  où  il  en  uvuil  <:té  enlevé  par  Tannegiii  niicb/tr> 
fut  splendidc.  Près  du  roi,  cotiverl  d'tme  armure  dai 
monté  sur  tin  destrier  raparAcjcnné  de  velours  bleu  &  flem 
d'or,  obevaucbaient  le  daupbiîi  Louis,  armé  comme  son  j^^,^] 
connétable,  les  coin  les  d'Ângoulèmc*,  du  Maine,  de  Veiid^ii 
de  I^  Marche»  le  ^rand  maître  d'h6td  Gaucxiiirt,  le  grand  érat^ 
SainlraiUes,  portant  le  heaume  couronné  du  roi  ;  le  roi  *  r 
de  Franee,  portant  la  eotle  d'armes  royale;  leand'Aul  n 
cien  écuyer  de  la  Pucelle,  menait  par  la  bride  le  dkemï  diinii; 
La  lîire  y  était  au^sL  Le  cortège  était  précédé  par  un  mjlller  dV- 
rheri^que  conduisait  le  sire  de  Gravilie,  grand -maître  dcf  v^ 
halétrîers,  Cl  fermé  par  huit  cents  lances  Èùm  les  ordnîs  Ai 
bâtard  d'Orléans   Une  bannière,  représentant  saint  Miclirf  jt- 


î.  Berr»  (ap.  HevuMît  deê  histùrhm  de  Charln  Vîl^  p.  'à'^^  \%  ^oaJi  t 

1»  miitlra  do  raTlitlcrk  »:  mais,  teeilc  *f>fnni^  lî'éuit  ^n  frt"  ■  *"-  j^^  4».ii 

ce  tiir<î.  î,^*  fTÈr(^«  BtirfïQU  i^taiciH  «ion  bourg^oî»  de  Parif  ri'  ^a»»^^ 

mlTit  au  Cliftteli?!  di^  Vath,  G>à»pard,  comme  em)aa|^  d«iti  la  direcu^Q  4e  r«f* 
liJlcriy»  oti  W  atnit  signal*  un  talent  iout  ïiarïiculîeri  piils  ib  n  --'  -    . .  .  ~  .. 
de  (limrlcs  VU.  J«aft  t^riiri*  d»us  râdmïniftiraiîoïi  dci  lînftncev 
mfttic»  toul  tn  r^iopiianl  ivcc  *qd  frfcre  U  la  4lrettian  ki  att  ; 
rarlilleH«   11  >'  Aurpu»  e;A:«|iard,  ft  bOk^li^ru  UlWmtiiL  I4  . 
ty  sysiùmo  dit  bat  le  ri  es  el  t*-  trariil  lîejapfi  el  de  mine^  «pron  J  *-  ..  ..,.,  ^-  r 
lo  Y^rHaM^  cr^afeur  d«  i*artilteric  française  ei  d«  Tari  dca  iil^jfev 
2*  PrÉre  du  duc  d'ôrléaft». 


[14S7]  CHARLES  VU  A  PARIS.  307 

change  sur  un  fond  rouge  semé  cVt'toiles  d'or,  flottait  en  tôle  de 
celle  gendarmerie  :  c'était  là  le  nouvel  étendard  de  France,  qui 
remplaçait  roriflamnie,  ensevelie  désormais  au  fond  du  trésor  de 
Saint-Denis.  L'élendard  de  saint  Michel  rappelait  les  visions  de 
Jeanne  Darc ,  qui  donnaient  le  chef  des  armées  célestes  pour 
nouveau  patron  au  royaume,  et  semblait  un  repi-oche  permanent 
au  roi. 

Le  cérémonial  de  la  réception  du  roi  différa  peu  de  celui  qui 
avait  solennisé  la  venue  de  son  rival  Henri  d'Angleterre,  six  ans 
auparavant:  comme  en  liSl,  les  corps  ecclésiastiques,  judiciaires 
et  municiiKiux  allèrent  à  la  rencontre  du  monarque  jusqu'à 
la  Chapelle  Saint-Denis  ;  le  personnel  ecclésiasli(iue  était  si  peu 
changé,  que  ce  fut  maître  Nicole  Midi  qui  porta  la  parole  au  nom 
de  l'université  *.  Nicole  Midi,  un  des  plus  zélés  auxiliaires  dcTiau- 
dion,  l'auteur  du  sermon  prêché  devant  le  bûcher  de  Jeanne  Darc, 
harangua  ce  roi  dont  le  cheval  était  conduit  par  récuyer  de  la  Pu- 
celie.  Monstrueux  spectacle,  qui  ôlait  toute  moralité  et  toute  na- 
tionalité à  la  réconciliation  de  Paiis  avec  Charles  VII!  Ce  n'était 
pas  ainsi  que  Charles  fût  entré  à  Paris,  s'il  l'eût  voulu,  en  1 429! 

Un  rit  antique  des  entrées  royales ,  qui  fut  renouvelé  pour 
Charles  YII,  mérite  cependant  d'être  constaté  par  l'histoire.  Quand 
le  roi  fut  arrivé  devant  Notre-Dame,  où  étaient  assemblés  les  pré- 
lats en  grand  nombre,  on  ferma  les  portes  de  l'église,  et  l'évéquc 
de  Paris  se  présenta  au  roi,  tenant  un  livre  sur  lequel  le  roi  jura 
c  qu'il  tiendroit  loyalement  et  bonnement  tout  ce  que  bon  roi 
faire  dcvoit  »  :  les  portes  s'ouvrirent  alors;  le  roi  entra  dans  l'é- 
glise, y  fit  son  oraison,  puis  alla  souper  et  coucher  au  Palais.  Cette 
cérémonie,  de  même  que  certains  rites  du  sacre,  protestait  contre 
les  maximes  d'autoa-atie  royale,  et  rappelait  aux  rois  qu'ils  ne  ré- 
gnaient pas  sans  conditions ,  qu'ils  ne  tiraient  pas  leurs  droits 
d'eux-mêmes,  et  qu'on  n'estimait  point  ces  droits  absolus  ni  in- 
aniissibles  ^. 

«  Le  jour  Sainte-Catherine  ensuivant»,  on  célébra  un  service 
solennel  à  Saint- Martin-des-Champs  pour  le  feu  comte  d'Arma- 

1.  Bulœus,  Hisl.  univers,  piris,,  t.  V,  p.  442. 

2.  V,  Cérémomal  de  France,  t.  I,  p.  6:;3-Cô6.  •-  Berri.  —  Blonslrelcl.  — 
Dounjeois  de  Paiis. 


309  ÛUEnRES  DES  ANGLAIS.  (| 

gnac  et  pour  los  nuiros  victimes  des  niassarrt!^  dt  WïH.btm 
assista  à  cvi  offltc;  k*  teinpsi  avait  .1  marri  la  haine  populairtstf 
le  jQurml  du  Hourf^efus  fh  ParLt  renifin|ue  fciilciuenl  que  U 
îTîcnu  pcu[>le  fut  mécontent,  parce  que  lo*  tll*  du  romlc  tl'Ar^ 
mr<giiîic  NO  fîrenl  point  fie  a  largesse  »,  eoinui  "  "  t  rusaçc 
Le  séjour  ù<*  Cliaiics  VII  ne  lut  p.is  ploi*  pt  a  la  G8] 

f]uc*  oîijiîuère  tYlui  de  Tîenri  VI  :  le  trisfi:  aspect  de  ce^uc 
Yille  h  demi  ruiu<!^%  les  tragiques  souvenirs  qui  î?'y  ri^%i* 
chaque  paH,  iirenl  hieutôl  fuir  Cliuilcâ,  duot  IVpjnurûl^De 
tique  8\'^loîgî)nit»  tmi  rju'îl  pouvait,  de  la  rue  du  mftl,     _ 
écliîipper  à  toute  imprcssioii  pénible*  (Uuirlcs  TvparUl^  d^  Il 
l]  dtTeinhre,  |iour  les  villes  de  la  Loire,  «  sans  avoir  (M      — 
l>ien  il  la  eité  de  Pai'is»  j^  dit  le  Journai  du  ihttrp^tmê  dr  f'> 
délivrance  du  Gûtimus,  qut^  compléta  le  radiîit  do  MoDliupsil^ 
luaiiis  de  sou  gouverneur,  oftirier  aragonais  au  sci*Tice4*j 
tei'ie,  ne  suftlsair  point  h  dégager  les  appraclif^  de  k 
d*tulleui^,  les  compagnieâ  franpiM^s  Cûmmettaieiil  aukitilile 
lenï^es  dans  les  campagnes  que  les  Aiigkiti  cu\*uièmcs;  I 
rlîcurij,  contenus  h  g^rand'pcine  deux  ou  Iroii  mois  p^""f' 
Hêdiliuu  de  Jloutereaii,  &e  dcclialuèrent  derecheJ  clai. 
1 137  à  iVM*  Le  désordre  redcvinl  immense,  imii^crsci  :  Icom* 
tïélablc,  entravé  dans  ses  me=^ures  de  réprcsHoo  par  le:^  piî 
et  par  les  eourtisans,  mal  soutenu  par  le  rui  K  qm  ol*  i'dina' 
mais,  était  désobéi  de  tout  le  monde;  les  oflleicrs  qui  icfiâîenll^ 
chaleanx  de  Vineermcs  et  de  Beauté,  sous  le  iximniundcm^nt 
péiieiir  du  dut  de  lionrbon,osiîrent  bien  refiiôiîr  rcnlrêtî  deJi 
places  au  connétable  :  il  fut  ohhf(é  d'employer  la  foroe  cûiitreeui 
11  avait  ùtéle  gouvernement  de  Compit'/^ne'  ûGuillauiocde  FUvi, 
qui  avait  furt  bien  servi,  malgré  le  roi,  en  1429  et  l4Jl),  iuîié^ 
qui  commettait  toutes  sortes  de  violences  cl  qui  ^  coiiipoitAU  «h 
petit  souverain.  Guitlaume  parvînt  à  renlrer  ûaBs  Lit  viUp  nar 

I,  L«  bjO£ru[ii^c  ih  ^iehùmtun  va  juimiu*^  aceitfter  «  If  r^i  ki-^oiliMi  ttir 

p.  77âV.  Le  roi  ac  i&umnàii  rkHt  mm»  AoiiflfiAii  luiir, 

î.  Noii»  ûvort*  ajviIr,  ti  |im|»iyh  ij«  ccHis  YilW  «jui  Jouft  ^n  ^  gr»n*  -*'^  *  m 
gutincfi  dv  ce  leinii»^  ittie  parOcrtluHtè  rurien»c>  :  sci  iclietiiiA  pc^ 
d'f}i«)im^('«,  fort  rsirc  cri  Fiante»  ut  ûuM  U%  Aii^b-ÏH&fntftiali  iiiii  ic^i  ^-*^*.'  ^V 


[1438]  DÉSOKDÎIES,   MISÈRES,  ÉPIDÉMIE.  360 

surprise,  s'y  maintint,  fit  prisonnier  en  trahison  le  maréchal  de 
Rieiix,  ami  du  connétahle,  et  ne  voulut  jamais  le  relâcher  :  Rienx 
inoumt  en  prison.  Richomont  ne  put  avoir  justice  de  Flavi  :  le  roi 
resta  passif.  Il  fallait  au  connétahle  ime  force  d'âme  admirahle 
pour  persévérer;  il  n'était  i)as  même  dédommagé  de  ses  travaux 
par  la  reconnaissince  pojïulaire  :  le  grand  amour  que  les  Pari- 
siens avaient  pris  pour  lui  tout  d'ahord  s'était  déjà  changé  en 
défiance  et  en  aversion.  L'on  rejetait  sur  hii  la  responsabilité  des 
excès  qu'il  détestait,  mais  rpi'il  ne  pouvait  empocher;  on  allait 
jusqu'à  le  soupçonner  de  trahison. 

Les  cnielles  soutTrances  du  peuple  ne  rendaient  son  injustice 
que  trop  explicable  !  La  misère  publique ,  en  1 138  ,  dépassa  tout 
ce  qu'on  avait  éprouvé  depuis  vingt  ans  :  des  pluies  conti- 
nuelles ayant  gâté  la  récolte  dans  les  cantons  où  la  culture 
n*é1ait  point  abandonnée,  la  disette  devint  famine,  et  entraîna 
après  elle  les  maladies  épidémi([ues  ,  ses  compagnes  ordinaires. 
Les  populations  tombèrent  en  foule  sous  ce  double  fléau.  Le 
Bourgeois  de  Paris  assure  rpi'il  mouiiit,  dans  le  cours  de  l'an- 
née, environ  cinq  mille  personnes  à  l'Hôtel -Dieu,  et  phis  d(» 
quarante- cinq  mille  dans  la  ville.  Paris  était  si  désert  et  si 
désolé,  que  les  loups  y  venaient  la  nuit  par  la  rivière;  «  ils 
étranglèrent  et  mangèrent  plusieurs  personnes,  de  nuit,  dans 
les  rues  détournées.  »  La  plupart  des  hauts  dignitaires  avaient 
quitté  la  ville  :  il  n'y  resta  guère  que  le  i)iemier  président  du 
parlement,  Adam  de  Cambrai,  un  président  en  la  chambre  des 
comptes,  appelé  Simon  TJiarles,  le  prévôt  de  Paris  et  le  pré- 
vôt des  marchands,  qui  eurent  le  coui'age  de  demeurer  jus- 
qu'au bout  pour  réconforter  les  habitants,  et  garantir  Paris 
des  entreprises  des  Anglais.  Le  prévôt  de  Paris  était  Ambroise  de 
Loré,  Iirave  capitaine  qui  s'était  longtemps  sij^iialé  dans  le  Maine 
et  la  Normandie  *;  le  pi'évôt  des  marchands  était  ce  Michel  Lail- 
lier,  qui  avait  tant  contribué  à  délivrer  Paris  de  la  domination 
anglaise. 

Rouen  et  les  autres  cités  soumises  aux  Anglais  n'étaient  pas 

l.  Le  roi  nomma  de  LoiVî,  sur  ces  eut  refaites,  «  jiijjp-commissaîre  et  réformateur 
général  Hor  le."*  malfaiteurs  du  royaume,  >-  et  lui  donna  droit  d'am^ter  les  caîiitaine** 
comme  responsables  des  méfaits  de  leurs  soldats.  —  {Onlonn.,  t.  XI II,  p.  2o0-21>5.  ■ 
VI.  2/i 


~m  CilïKRniT!^  DES  AllfVÏ*AÎ&. 

vn  lie  nioiadres  aïiguisso&  que  Pam  :  si  la  ronUpi^Q  i 
\mmi  \m  peu  moins ^  la  fautîijc  y  ùUûi  [ûm  ip^itde  oin 
et  ces  villes  infartuiiées  âvaieril  de  plm  h  subir  la  IrraaiB' 
(les  étrangi*rs  et  de  knrrs  cainplires  les  «  François  reoitfi,  • 
tels  que  raiclievéqiic  de  Hoiipn  Lcmis  do  Litxcmtioiirç  \m 
1  avant  évêque  de  Térouetme),  Pierre  Cauchiin,  iiTor» 
dcLisieux,  et  rex-prdvAt  de  Paris  Siinon  Mcirhier,  qui  av^lr 
raeîjêté  ou  échangé,  La  Noruiandie  succomljalt  mm  le  ft^ 
maltôt&s. 

HeureusE^raent  encore  qiie  l*AogIelêrre  n'étail  iioinl  h 

proIUerde  rabattement  dû  LMaîl  la  Friioce  :  l*Ar   * 'î 

ravagée  que  le  eonlînent  par  la  fmuinu  et  i 

vastes  progrès  rappelaient  la  peste  noire  de  i:Ufi;  laul  iPèJ 

de  combats  avaient  irnillenrs  ^'puisé  ce  pays  d1i 

pent,  et  les  écorcheurs  seuls  lui  manquaient  p^h 

égalai  celle  de  la  France* 

L'intérêt  des  dciLt  royaumes  leur  cominauiliiil  > 
une  transaction;  le  pajje  et  le  condle,  (oui  en  s'-i» ,  .um  .. 
thèmes,  alTeclaient  de  rivaliser  de  zèle  pour  pacifler  Irt  cln 
et  prêchaient  la  paix  au  nom  de  la  religion;  h^    [h- 
réclamaient  au  nom  de  leni's  soafîranrj       '       .ni^eil  de  r 
olTrait  de  nouveau  les  conditions  otTerie  >,  la  Vtmrsw 

la  Normandie  en  fiefs;  mais  rorgucî!  anglais  ne  TDitbJt  pas 
résoudre  à  trailer  à  des  conditions  raisonnahlefî  :  les  Anglais  énm 
daienl  en  toute  souveraineté  toute  la  France  au  nonl  delà 
plus  la  Guyenne.  En  janvier  1439,  des  eoîïtéremt*s  eureiil 
sans  fruit  h  Grâvelîues  entre  le  canliiial    de   \Vi 
dudiessc  de  Dom-gogne  et  les  amluiïï^ïiJem'S  de  Charltr  ;  u  . 
furent  reprises  au  moiïî  de  Jnitiet  prés  de  Calâijs,  Le  eai\Iii! 
Winchester  y  amena  le  due  ClKuies  d'Orléans  qui,  a  rou^trflrirt 
de  chaque   négocialion,  sentait  renaître  l'espoir   d'ol-î 
liberté,  et  voyait  toujours  cet  espoir  dé^:;u.  Le^  longs  rn 
la  eiiptivité  avalent  entléreiueiit  abattu  son  coiiragc;  il  n'ivril 
plus  qu'une  idée  an  monde,  c'était  de  MOrlir  à  Umt  pn\ 
brouillards  de  TAn^ileterre,  de  ce  sombre  purpitoire  où  ûû  lenP' 

Pnrm,  le  marc  «J^urgiïîit  raïnïit  alun  coriroti  twîaf  Ihinoi.  —  UimP9tmi%  if  !^^ 


?JÉGOClATIOx\S,  374 

holné  depuis  vingl-quatre  ans;  il  était  pris  parfois  (riin 
spoir,  qu'il  offrait  d'abandonner  la  cause  de  sa  maison  et 
itrie,  et  de  rendre  honuuage  à  Henri  VI  pour  toutes  ses 
ries,  à  condilion  qu'on  le  laissAt  retourner  en  France. 
;enient  pour  lui,  cette  transaction  déshonorante  ne  s'ac- 
point.  Ses  véritables  sentiments  en  étaient  fort  éloignés, 
l  était  maître  de  lui-même;  on  le  vit  bien  à  l'amitié  qu'il 
ta  à  son  frère  le  bâtard  d'Orléans,  qui  faisait  partie  de 
sade  française,  et  qui  était  un  des  plus  implacables  enne- 
r Angleterre.  Il  le  récompensa  des  services  qu'il  avait 
ï  la  France  en  l'investissant  du  comté  de  Dunois,  portioji 
itagc  d'Orléans  :  l'illustre  bâtard  porta  désormais  le  tilre 
•mté.  L<î  duc  fut  ensuite  obligé  de  retourner  en  sa  i)rison 
erre;  car  on  ne  s'accorda  point  encore,  et  les  Anglais 
ni  toujours  de  le  mellre  à  rançon ,  sinon  lors  de  la  paix 
;.  On  avait  eu  quelque  temps  bon  espoir  :  le  cardinal 
îhcstcr  et  ses  collègues  avaient  enfin  consenti  à  prendre 
se  des  négociations  les  offres  des  Français,  la  cession  de 
jnne  proprement  dite  et  de  la  Normandie;  on  s'était 

au   10  septembre  pour  en  finir;  mais,    dans  l'inler- 

vent  tourna  à  la  cour  de  Windsor  :  le  duc  de  Glocester 

a  de  l'esprit  de  Henri  VI,  et  rien  ne  fut  conclu.  Les  confé- 

irent  n^nvojées  au  printemps  suivant,  sans  même  conve- 

c  trêve  dans  l'intervalle. 

VI,  en  grandissant,  ne  montrait  aucune  disposition  pour 
e  ni  pour  la  politique,  et  son  conseil  était  divisé  par  les 
38  querelles  du  cardinal  de  Winchester  et  du  duc  de 
r,  qui  représentaient,  l'un,  les  intérêts  de  l'épiscopat , 
es  passions  du  baronage  :  le  duc  était  à  la  tête  du  parti 
erre;  le  cardinal,  qui  voyait  qu'on  ne  pouvait  plus  conli- 
guerre  qu'avec  l'argent  du  clergé,  s'étail  fait  le  chef  du 
la  paix;  le  l'ésultat  de  leurs  discordes  fut  que  l'Angleterre 
lire  ni  la  jkûx  ni  la  guerre. 

rêve  «  marchande  »  de  trois  ans  fut  signée  toiit<Mbis,  1<î 
)re,  entre  la  duchesse  de  Bourgogne  et  les  ambassadeurs 

pour  la  Flandre,  le  Brabant,  la  Hollande  et  la  Zélande  : 
-Bas  souffraient  trop  de  l'interruption  du  connnerce  avec 


37î  fli:RRRES  DES  AXCLvi'-. 

Tfiîniis  (jti'oïï  tu'^^-Ofiait  iriu(ikMtii*ii(  Ja  Franiv  avilît  Hv  nwmKtt 
ùv  pc^nlre  îoiil  ce  qii*dlc  avail  rci^iign^*  dcffuis  îiXt,  Le 
t.iJylr,  rebute'*  de  mn  iniptiissancc  H  du  peu  dr  hirn  vmtloiri 
lui  1em<ii>rnajt  le  rot,  tint  tomeil  mac  srs  iimîs  ^ir  !«•  ftnjn 
ûe  $e  décharger  du  gouverncmenl  dt»s  pays  au  nord  de  b  Ijùhr 
Viwhel  rilp-doFranre,  ahandonnt^  de  Rirlicnuinl.  ^faictil 
dus!  ce  Jî't'Iail  plus  qu'un  th-si^rî  livri'' aux  Aiiglab  cl  smt  « 
dicurs.  La  résolution  élaît  prise,  lorsqu'un  hidiiriil  cxtniorrfintift 
rehaussa  le  courage  du  r  onut' lable  et  Je  (il  changrr  de  «kçsrâi 
GuiUuurue  Gruel,  le  biographe  de  Rkbeniont,  raronte  que  k 
prieur  des  rhorlrenx  de  Paris  viul  Irouvcr  h?  nianiMalile,  ri  tei 
dit  qu'il  î^avait  son  dessein  par  un  frère  de  son  cmivonf  qui  .mil 
des  nVvélafioufi  :  «  Ne  le  faites  point,  monsagnenr,  lui  dil-il,  rjp 
Dieu  V0U5  aidera;  ne  prenez  point  de  smicL  —  Ah!  lieau  i^Ht^ 
répondit  le  ronnétabîe,  rommenl  ^  ponrroîl-îl  ftilnr*y  Lr  nrf^ 
nie  veut  point  aider  ni  hniller  ^ens  ni  argent,,  el  h\^  gens  d*«f 
me  haïssent  pour  ce  que  je  fais  justice  deux,  cl  ne  mi?  ><• 
obéir.  —  Monseigneur,  ils  feront  ce  que  ttuis  loudrcr^  et  k  m , 
vous  mandera  d^idler  mettre  le  siège  à  Mcatr%,  ri  %ou*  rmt 
pens  et  ai*gent.  —  Ah!  beau  pi>re,  comment  ?e  jviiurroil-il  tih 
Meaux  est  ^\  fort  !  le  roi  d'Angleterre  y  fut  lu^if  inoi^  di^ç^inl.— 
Monseigneur,  ne  prenez  poiut  de  souci;  vous  n'y  i^rez  pa»  tmt; 
nyùT,  toujonnî  bonne  espêninec  en  Dieu ,  el  uiyt^  ffnjjuors  huiii 
Tous  en  viendrez  k  voLc^c  honneur.  » 

Ouoî  qu'il  en  fftt  de  la  révélation  du  mi^iiieje  efmiiêUiliUTPÇiit" 
mr  ces  enirefiuteîî,  une  répouî^e  favorable  du  roi,  à  qni  il  anil 
demandé  le^  moyens  d'assiéger  Meaux,  et  Icîi  choies  ne  lAnî^nr^t 
pas  à  changer  de  face,  la  cour  étiul  agitée  par  des  niouv 
întérîeun;  rju'on  est  réduit  k  devinera  travers  le  Hilenre  inini< 
gent  des  médiocres*  Iiistoricns  de  celte  époque  :  le  fnf>oritiÉr  ■  • 
essayé  de  bc  relever;  le  duc  de  Hourbon  el  la  pluftarf  dii 
prînres  et  grandît  seigneui'îj,  qui  avaient  gagii£  à  la  déiior^ 
tion  de  riîtat  une  indépeudauee  presque  cnlJi^re,  entnir;^fn(  \ 
ce  qui  tendait  k  rétablir  Tordre  et  à  restaurer  le  {Kiinroir  i 

l.  K^mer.  t.  X,  [I.  724-736.  —  Ih  VlMwhvr,  ilhu  di  llMi^ifigifff.  I.  ir/l.  li.  H 


[U39]  lUCIlEMONT  ET  LE   CONSEIL.  373 

Les  gens  de  moyenne  condilion,  c[ui  étaieiil  en  Cuice  dans  le 
onscil,  les  Jacques  Cœur,  les  frères  Bureau  • ,  les  Couslnul-,  les 
Ijljcvalier,  les  frères  Jouvenel,  alliés  avec  le  connélahle  el  la 
maison  d'Anjou,  a\aienl,  au  contraire,  associé  leurs  intérêts  à 
l'intérêt  public  :  ils  remportèrent;  ils  s'einparèj'i*nt  de  Tesprit  de 
llharles  VII  et  en  restèrent  maîtres  tant  quils  furent  unis.  Parmi 
les  membres  de  cet  illustre  conseil,  (|ui  fut  \rainient  '<  le  conseil 
de  France,  »  le  plus  éminent  par  l'intelligencr'  était  le  dernier 
par  le  rang,  le  maître  des  monnai(»s  et  argentier  Jac(iues  Cœur; 
dans  celte  génération  d'honmies  d'Etat  ([ui  ai'lie\èrent,  par  la  per- 
sévérance d'un  bon  sens  énergicpie,  la  divine  épopée  diî  Jeanne 
Uarc  retombée  aux  proportions  ordinaires  de  l'histoire,  Jac(|ucs 
Cœm*  el  Jean  Bureau  eunMit  vraiment  un  rayon  au  front,  et  rele- 
vèrent l'esprit  bourgeois  jusqu'au  jJiénie.  Aussi  le  plus  ;j:rand 
des  deux  devait-il  recevoir  de  son  roi  la  même  récompense  que 
Jeanne  ! 

Le  début  de  Jacques  Ca*ur  n'avait  aimoncé  ni  ses  ser\ices  ni  sa 
gloire.  Fils  illettré^  d'un  riche  marchand  pelletier  de  Bourges,  il 
avait  passé  sa  jeunesse  dans  l'obscure  boutique  de  son  [lère;  puis 
il  s'était  associé,  en  li27,  au  maître  des  moimaies  ([ui  dirigeait 
simultanément  les  ateliers  monétaires  di»  Bourses,  d'Orléans,  de 
Saint-Pourçain  et  de  Poitiers.  Les  mauvaisi^s  habitudes  du  mon- 
nayage, ce  loyer  d'abus  invétérés,  l'entraînènjut.  Le  roi  «  gagnoit  » 
sur  le  peuple  :  les  monnayeurs  «  gagnoient  »  sur  le  roi.  Jacfpies 
Cœur  fut  impliqué  dans  un  procès  intenté  au  maître  des  monnaies 
Ravaut,  pour  aflmage  au-dessous  du  titre.  Bavant  et  ses  associés, 
en  considération  de  leurs  ser\ices,  en  furent  (piitti^s  pour  une 
îmiende  de  mille  écus  d'or    I  'r2y\ 

1.  t  Bureau  vaut  éoarlate.  »•  Ce  fut  en  riionncur  ilos  frères  Bureau  que  le  peuple 
fit  ce  proverbe.  Bureau  est  la  niêuie  chose  que  bure.  Cette  étolfe  «rrossière  e.-i  ici 
opposée  à  Vêcarlale  prise  pour  toute  espèce  d'ôtofl'e  «réclatante  et  riche  ifiiituie. 
Michelet ,  t.  V,  p.  223. 

2.  (iuillauine  Cousinot,  maître  des  requêtes  de  Ihntel,  puis  chambellan.  Kticime 
Chevalier,  fils  d'un  secrétaire  du  roi ,  et,  lui-même,  secrétaire,  notaire  et  ct)ntrôlour 
du  roi.  V,  Historiens  tU  OMrles  VII,  p.  B81-H83.  Cu  peu  plus  tard  ,  on  le  voit  avoir  la 
>i^nature  pour  tout  ce  qui  regarde  les  finances,  et  quehpiefois  pour  d'autres  objets. 
Jeau  Bureau  paraît  avoir  eu  la  si<;nature  pour  les  attaires  étran.i;cMv>,  ibirl.,  p.  :  In, 
—  Ces  notaires  du  cou»eil ,  secrétaires  du  rr»i,  >ont  l'origine  des  ministres  slmc- 
taircïs  d'Ktat. 

3.  Sine  littcris,  dit  Thomas  Basiu  (liv.  v,  c.  23). 


874  aLîElllli;S  DË5  A^(GLÂil%  lUI 

Celto  râcliciis€  affiiire  produisit  une  iBiprcssaun  proJ 
Jacipies  CoDUr.  Il  ^  replia  dans  sa  con^iencc  et  apprît  k 
jïuîUe  lui-uiOnie,  Il  résolul  de  se  relever  à  toiil  |iri.\.  Il  ti^umM» 
uctivité  xevÈ  1(3  commerce  extt^rieio'.  Il  partit  II  miu  YM 
GrtVe,  la  Syrie,  TÊgyple.  U  siupril  le  secret  de  Voin 
rèpuliliques  Ualicaues,  et  rètwiut  de  rouvrir  &  5ii  pâlrîck] 
luerce  direct  avec  le  Levant ,  commerce  presque  auûinti 
longues  annt*cs.  Tandis  rpie  la  France  voyfiil  encore  scs< 
maîlreâ  de  sa  capitale  et  (J*iine  si  (grande  imrlic  de  son  lerr 
il  enlrepril  de  conquérir  pour  elle  une  large  pi^rl  daii»  Yi 
Luoiiuerciul  de  la  Méditen*onée ,  ce  centre  dn  monde.  Il  te 
lutter  seul  coiilré  des  villes,  contre  des  nations  eritjCres, 
des  monopales  séculuireb,  et  U  rCmisit.  La  marine 
cicnne,  la  seule  marine  rrançaîse  de  la  MéditeiTaitée,  pois 
Provence  n*étiut  pas  française  encore,  était  tombée.  ïl 
M  clal)lil,  à  partir  do  102,  le  centre  de  bcs  opérilLic 
pellipr  ",  qui  avait  reçu  du  pape  Uriïain  V,  en  1307,  k  | 
de  traflipier  avec  les  n  infidèles  »  sans  encourir  ItîS 
TÉglise*,  Il  fonda  une  succuï-salc  à  Marseille  »  où  il  a4:quit  U^l 
de  bourgeoisie,  et  dont  il  relia  ainsi  le  nt^gucc  h  celui  de  k  T^ 
II  affranchit  son  pays  de  Tonéreux  inlemièdiainti  dos  Yéi 
des  Génois,  des  Florc-ntins,  des  Catalane;  tl  di^putii  à. 
sautes  mai'ines  les  inarchds  de  TOrient  et  de  ri>cdtl^ 
concurrence  aux  Cattdaus  jusque  dans Bareeloiie.  Trois  < 
teurs,  une  vraie  armée  couunercialo,  m  iKirtagèn:ii(  k 
de  ses  immenses  opérations.  Ses  comptûii*s  coiiTrircnt  1(^] 
de  la  Méditerranée.  «  II  n'y  avoit  en  la  mer  d'Orient,  »  dit  ( 
(îliastellain,  t  mU  qui  ne  fût  revêtu  des  fleurs  de  lis.  •  Ji 
lîœur  acquit,  auprès  des  gouvenienients  muiulniam, 
m^t^  conduite  amant  que  par  rétenduedest^ii  a(rairtô>,unn 
que  n*eiYt  obtenu  aucmi  prince  dirétien.  U  sut  Uur  se> 
ceux  de  ses  rivaux  mêmes,  et,  les  Vmitiiîns  ayant  élc  nms^] 
d'h^gypte  par  siute  de  querelles  avec  les  ofïicicrâ  du  suada 


1.  MuiUjifUifr  çuintimiiiiiuilt  uvcr.  lu  miff  [im  un  rnod.  Lr  |win  euii  â  Liiu 
Cttttî  a  détt^uè. 

2.  La  |)«nîiisabi]  JLviut  Mis  neatvtûév  pmit  utt  ««iii  tmrlrf  ^  inii«  Jwcfm$  i 


:ii32-!439:  JACQUES  CŒIIU  375 

fuiviU  les  ajrciils  du  {xvnntl  ariiialciir  français  ((iii  les  firent  rap- 
peler. En  1  ii"),  Jacques  Cœur  ménagea  un  Irailé  de  paix  entre  le 
Soudan  et  les  chevaliers  de  Rhodes  (les  chevaliei-s  de  Saint-Jean'. 

A  l'intérieur  du  royaume,  Lyon,  Tours,  Bourges,  étaient  égale- 
mont  dominés  par  les  succursales  de  cette  maison  qui  cmhrassait 
toutes  les  branches  du  tralic  ;  étoffes ,  épiceries ,  métaux ,  la  banqu(» 
ci  le  change*.  Rii*n  ne  s'est  jamais  vu  en  P'rance  sur  de  telles 
proportions,  et  la  maison  de  Jacques  Cœur  paraît  avoir  dépassé 
celle  de  ses  contemporains  Jean  et  Corne  de  Médicis. 

Si  Jacques  n'eilt  voulu  être  que  le  plus  riche  des  trafiquants, 
il  tùi  resté  à  Montpellier;  mais  il  nourrissiit  de  idus  grandes 
pensées.  Tl  préposa  aux  niaisons  de  Monl|)ellier  et  de  Marseille 
son  nevi'u  Jean  de  Village  et  un  autre  de  ses  principaux  facteurs, 
et,  dès  1435,  nous  le  trouvons  réinstallé  à  Bourges,  sa  ville 
natale,  et  investi  de  l'office  de  maître  des  monnaies!  Il  venait 
hardiment  chercher  sa  réhahililalion  sur  le  terrain  même  de  sa 
faute.  L'année  suivante,  il  réunit  dans  ses  niîiins  Thôtel  des  mon- 
naies de  Paris  à  celui  de  Bour^ivs.  Les  altérations  et  les  variations 
monétaires  avai(*nt  été  efiraNantes  vers  la  fin  de  Charles  VI  et 
l'avènement  d(^  Charles  VII  :  on  avait  revu  les  énormités  de 
répnquc  du  roi  Jean.  En  1 'j2;\  certaines  monnaies  étaient  tom- 
bées, en  i^oids  et  en  tilre,  au  iO"  de  leur  valeur  nominale! 
Ciharh's  MI  rejeta  brusquement  la  «<  foible  monnoie  d  à  sa  valeur 
întriiisè(pie.  On  conçoit  quelles  perturbations  durent  en  être  la 
conséfpience^.  Il  y  eut  encore,  durant  les  premières  années  de 
Charles  VII,  des  «  mutations  »  de  monnaies,  mais  moins  exorbi- 

1.  Il  >avait  rciulre  trèslucratit'  ri'chaii;;c  du  cuivre  tow^v  d'Occidoiit  foiitre  les 
Dionu.'i!('<  d'(>r  et  d'îiri,'eiit  trFi^'\pto  et  do  Syrie.  Sur  cet  éohanprc  de  inûtaiix,  voyez 
un  i»ns>ajjo  de  Makri<i ,  traduit  par  M.  Sylvestre  de  Saey,  dan-»  Aniould  ,  Hisioirt 
'jénrT'ile  dt$  fhiiiu:tf4  de  Vritnir,  IH')»».  Cepeiulaiit  il  ne  parait  pas  qu'il  ait  tiré  béné- 
fice do-  ini;iO!-  dar^T'-iit.  il*.-  t-uivri-  vX.  de  p'ond)  tpi'il  exploitait  dans  le  Lyonnais. 
y,  l*.  CU'Hient,  J>v<no"t  CiPuT,  t.  I,  ch.  5. 

2.  ('o  (pii  emp«'>chait  «lue  ces  perturbations  ne  rendissent  les  relations  sociales  tout 
û  fait  in>iMj«>*.!bIe-,  c'élaiirit  les  moyen-»  au.Miuels  les  parliculirrs  recouraient  pour  s'y 
sjustraire,  Ain-ii,  «Inns  les  toiitrats,  on  no  comptait  pas  par  livres,  valeur  variable, 
mais  par  marcs  d'or  ou  d"ar>;ent ,  valeur  inunuable.  V.  Secousse,  Prêfitce,  au  t.  HI 
des  (Jr:l'niwuii:e^.  Tandis  «pie  Tharles  VII  ,  en  1 122,  tirait  3i><>  livres  10  sous  du  marc 
d'ar;:i;nt,  ijui  ne  valait,  en  1  tlH.  «pu»  î»  li\ri'<,le«î  An;;Iais  fabriipiaii'nl  de  la  "mon- 
noie forte  »•  à  Taris  et  décriaient  celle  du  ••  mi  de  Hour^es  ••.  A  Uouen,  ils  faisaient, 
connue  lui,  ■«  de  la  monnoie  foible.  ••  C'était  une  contusion  uni\er?elle.  V,  1*.  Clé- 
ment .  J'ir^uci  Coeur,  1. 1,  p.  Hô-HO. 


37fi  GIEIUIKS  DES  .IM;La.>v 

lank's.  Jacques  Ctpyr  y  init  m\  lernii*;  il  veiiorift  le  franc  tu  fil 
vième  du  uiart%  et  restaura,  dans  le  muitfiii>og(?  <  ufl  cnîft,  uiu 
Jixilé,  qui  ne  fiirml  plus  d(>ijieîilies  soiis  ce  n^e  •* 

Son  nMo  adnunistralii"  ne  fui  pas  longteiTiiis  liorn^'^  "■  '"*  '" 
lion  ilm  nionndes.  Biuntùt  noiurnt*  ai'grnlier  du  rûi,  * 
jnlendant  de  la  maison  royale,  i\  eut  tmîii*c  au  €on§cil,  net 
<i  grand  et  vif  gfnie,  iHiiinemfnent  Aonè  de  b  sage&èe  dtu 
uiundc^,  lï^  s'imuiisc^a  de  la  manièr'cjî  la  plus  arrive  diifts  toufl 
inU^rôts  du  royaunic,  sans  abandoiintT  la  tlrri'itlîon  de  s»  pn^ ns 
affaires,  qui  graiidiisisaîenl  toujours^.  11  avait  iouies  les  foiimliii 
de  rhôlel  du  roi,  et  les  ordotinanees»  qui,  en  t  î38  el  \i 
interdirent  les  op^Talions  du  change  ù  Inule*   pet^uiitit^ 
autoriïïéest  favorist'rent  celui  qui  éUiil  le  grand  iiiartgeui*  ixiiiiw*^] 
le  grand  nrmateur  du  royaume,  .laeques  aviuï  ubli'ur 
eonlînuer  son  m^gocCj  par  dt'Togation  sinViale  aux  • 
qui  défendaient  le  coimuerce  h  ions  fd'iltiers  du  lu  r»iii 
I/6vénement  jmtiria  ce  prhiiï'ge;  ce  fut  danii  les  bi-n^llcefj 
ti^*goce  que  Jacques  puisa  les  sounncs  ("înormes  qu'il  i*rf  l;i  div 
fois  sans  intér*Ms  au  roi  pour  les  frais  de  là  guerre»  Ce  q'cH  j 
chose  eonimune,  sàm  doute,  t|n*un  admiiiialnilt^nr  âes  Rt 
venant,  avec  ses  propres  fonds,  au  scronrïi  de  TEdil*! 

Du  moiiient  de  son  enînS^  au  conseil ,  on  doil  altriinter  à  1»*^ 
Cœur  toujours  une  grande  paît,  et  souvent  la  jKirl  iirin 
tout  ce  qui  se  fait  d*u(ile  et  de  considérable  dan>  le  {^ouvirtut  tii-a 

Des  uïésui^es  de  hante  i>orti\>  se  succMèrenl  dans  le  cow 
de  1439.  Dès  le  mois  de  dfrcenibm  1438^  taules  Ifs  aUéiwtiwf' 
du  fonds  ou  des  revenus  du  domaine  royal,  e\' 
vijigl  ans  h  Charles  VII,  coninie  dauphin  uu  roui 
tié  rétotpiées  (  Ordonn,,  t  XIU ,  p.  ?93);  un  dMoniliretni'^ 
rai  des  fiefs  de  la  couronne  fui  ordonné  (juillet  1439;  On/* 
t.  Xni,  299);  k  dauphin,  qui  avait  seize  îins  vl  ipp   " 
des  talents  précoces,  venait  dVïrc  envoyé  diuiH  le  i 
Languedoc  pour  réprimer  les  abus  et  les  vioknrc&  des  tcr 


L  >>  Cù%t  lut  qui  nHahlH  tii  «luuNjui;  wn«  lev  mmtirîttf:»^  is  htê  tAhmm  I 
tnr  If  Oa.  *•  Wjlatîc-,  Traité  tttt  mûnmiet,  p.  30*> 

ai.  Sur  J  Acquêt  Ç^iùf^  V.  P.  Cl^iunai  /ac^f»  Ccrtrr  f|  C^m^ên  fit,  t 


[1439]  rniSE  DE   MEAUX.  377 

on  lui  avait  tloimé  pour  conseiller  et  y;ouveriîcur  Jean  (rAnna-^nae, 
coinle  de  la  Marclie  et  de  Pardiac,  qui  se  distinguait  lionorable- 
inent  de  sa  SiUiyuinairc  et  avide  famille;  on  se  préparait  à  pous- 
ser vivement  les  Anglais;  la  peste  et  la  famine  avaient  cessé;  les 
opérations  militaires  devenaient  moins  difUciles  :  Jacques  (lœur 
fournit  des  ressources  pécuniaires.  On  enrôla  un  grand  noml)re 
de  routiers,  qui  revenaient  en  fort  mauvais  état  d*une  enlre- 
prise  qu'ils  avaient  tentée  sur  les  hoj'ds  du  Ilhiu  '  ;  on  les  envoya 
au  connétable,  avec  de  Targent  et  des  munitions.  Jean  Bureau, 
avec  l'artillerie,  vint  joindre  le  connétable,  et,  le  20  juillet, 
Richemont  mit  le  siège  devant  Meaux.  Il  n'avait  cpi'i^nviron 
quatre  mille  hommes  d'armes  et  archers,  force  insunisante  pour 
assiéger  à  la  fois  la  cité  et  la  forteresse  du  Marché,  que  sépare 
la  rivière  de  Marne  :  il  atta(iua  d'abord  la  cité.  Le  comte  de 
Somerset,  gou\erneur  de  Normandie,  se  porta  au  secours  de 
Mcaux ,  à  la  tête  de  cinq  ou  six  mille  combattants.  Richemont 
fut  averti  de  sa  marche  et  le  prévint,  grâce  aux  canons  de  Jean 
Bureau:  le  12  août,  la  brèche  fut  praticable,  l'assaut  livré, 
et  la  ville  emportée  en  une  demi-heure.  Une  partie  de  la  gar- 
nison fut  tuée  ou  prise;  le  reste  parvint  à  passer  la  livière  et 
se  réfugia  au  Marché. 

Somerset  parut,  le  surlendemain,  en  \ue  de  Meaux:  il  ravi- 
tailla sans  obstacle  le  Marché,  reprit  de  vive  force  l'ilc  située 
entre  le  Marché  et  la  cité,  et  offrit  la  bataille  au  connétable.  Ui- 
chcmontnc  l'accepta  pas,  et  se  renferma  dans  la  cité.  Somerset 
n'osa  l'y  assaillir;  les  vivres  manquaient  déjà  aux  troupes  an- 
glaises; elles  se  repUèrent  sur  Pontoise.  Dès  qu'elles  se  furent 
éloignées,  on  reprit  le  siège  du  Marché  avec  une  nouvelh; 
ligueur;  on  se  ressaisit  de  l'île  et  de  tous  les  «  passages.  »  Le 
roi  arriva  en  personne  à  Paris ,  «  avec  griuide  quantité  de  gens 

1.  L'évoque  Je  Strasbourg:,  partisan  du  pape,  avait  cnv;aj^é,  au  nom  du  5aiut-i)ère, 
La  Hire,  Antoine  de  Cliabanncâ  et  p1u&ieurâ  autres  chef:»  d'éeorclieurs  à  mener 
leara  gens  à  lîikle,  pour  di>siper  le  concile  par  la  force,  s'emi»arer  des  prélats  et  les 
mettre  à  rançon.  Six  mille  écorchenr<!.  se  souciant  fort  peu  de  t^e  déclarer  en  oppobi- 
tîoa  ouverte  avec  le  roi ,  qui  soutenait  la  cau&e  du  concile,  marclièreot  sur  Mlc  et 
saccadèrent  horriblement  la  Lorraine  et  l'Alsace  sur  leur  passa^.  Les  Alsaciens  :m 
levèrent  en  masse  contre  eux  ;  les  Suisses  armèrent  pour  la  défense  du  concile,  et  les 
t-corcheurs  reculèrent  et  rentrèrent  en  France  par  la  Uour],roi^ne,  où  ils  se  remirent  tk 
la  solde  du  roi. 


37a  GUBaiiES  DES  AKCLâl^ 

irariïieis:  »  de  forts  détadiciiieiitsi,  mnlumié^  à  Saint- f>cat5 
ailleurs,  Unrt*ïit  en  cchec  k  corps  d'arniêc  t-Uibli  à  Ponfo;*r-  ,: 
It^  giJni^raux  anglais  se  virent  dans  ritnpussiliilîli^  lie  i^i 
le  mvilaitleuient  dit  Marché  de  Meaux.  Li  ganiisoii  oêpIkÉkfi 
cviicua,  le  13  septembre,  cette  célèbre  ftirleresse  qui  avait  rtAàk 
ê\  lùrijt^lejnps  aux  armes  vîctarieusi^^  de  Hefiri  V. 

ItitJieuiout  fut  brillaiiimenl  atcueilli  à  k  ix>ur  après  cet  e: 
H  puîssji  le  roslc  du  mois  ii  Paris  en  iu'      "     %«s  délibém^ 
avec  le  roi,  les  piinces  et  los  mcmbri-s  iu  J.  On  réiuli 

ne  pas  interrompre  les  bostililés  pendant  la  mîiuvulîif  8ai*oii.c( 
de  prendre  la  Normandie  à  revers.  On  di:*ctitâ  un  grmil 
pour  lequel  on  allait  avoir  h  demander  le  cuncoui*s  ikr  i. .- 
(V*ri(Taux  de  lu  langue  d'oll,  convoqués  k  Ûrléuns  pour  U  n«ui- 
mencement  d'oetolire*  Le  rui  se  rendit  aui  Rliils  à  IV  î 
peu  de  semaines  a|*rès  que  la  ville  d'Orléans  eut  t-4r  m  1J^ 
meut  rcuméè  par  le  passage  de  la  fausse  Jeanne  Ilarc.  L» 
d'Orléans  fuient  la  plus  intéi^ssante  des  iioiiibrcusâs  asseuii 
nationales  de  ce  règne;  prcsiiue  lou&  Ita  princt's  et  les 
du  royauiiie  y  iigm'èrenl  en  personne  ou  jmr  di*s  reprèieil 
d'tun  rang  iUuslre;  touâ  les  pays  el  dtés  do  la  longoc  ifôd  f 
envoyerrjit  des  ^^ens  notables,  docteurs,  clci\'S  el  baurgtots,  jMtr 
IravailUr  h  remettre  le  royauuie  a  eu  honm  |iajx,  jiistia'  ci 
l^oliee.  31^  Comme  on  devait  traiter  la  queslîan  de  lu  ptîi  twx 
r Angleterre,  question  qui  n'avait  point  encore  èlè  numide  sikâ 
ÉlatSj  le  duc  de  Dourgogrne,  mal^Térindépendantc  que  lui  veca^ 
naissait  le  traité  d'Arras,  avait  dé|HVlit'î  ^e>  âiubafigadeors  èf 
même  que  les  autres  prinees  ;  le  duc  de  Bretagne  s'était  lut 
représenter  par  un  de  ses  fiU.  Le  ehaiieelirr  df  ^' 
vV*que  de  Heims^  oîirat  l'asîienddée  en  exposant  .     .,  ^ 
ciatjuu^p  qui  veniilent  d'ètj'c  suspendues  trois  steitMiinet  u 
vaut  à  Calais  et  i^envoyées  au  mois  de  mai  I  i  SO,  •  pour  Ui  rtimJ 
ou  leiutt!  paix  ou  toute  guerre  »  ;  il  fit  comialtre  Ici  liases 
sées  par  les  ambassadema  français,  et  in\ ila  les  Étals  A  d^lil 
Bur  ce  sujet»  Daprès  les  termes  du  roi  darmcs  Jacques  U Dot- 
\ier,  dit  Berri»  lt>  ^ul  lusïorien  ipii  ait  parlé  de^  ^■'  '     '    '  * 
avec  quelque  d^'taii,  il  ne  |>arait  pas  ^pie  les  Tr 
dt^Hbéi^'  sépiuém^nit;  tout  le  monde  fut  rôiini  daim  une  gi 


1^39]  ÉTATS   O'OULÉANS.  379 

salle,  où  parla  qui  voulut  en  présence  du  roi  et  du  conseil. 
Les  débats  durèrent  huit  jours.  Bien  des  gens,  surtout  les  capi- 
taines, n'approuvaient  pas  les  concessions  des  ambassadeurs  fran- 
çais, et  ne  voulaient  pas  qu'on  renonçiU,  en  aucun  cas,  à  la  Nor- 
mandie; cependant  la  plupart  des  députés,  remontrant  Texcùs  des 
soufl'ranccs  publiques,  parlèrent  en  faveur  de  la  paix,  «  au  cas 
que  les  Anglais  y  voulussent  entendre  »  aux  conditions  offertes. 
Le  grand  conseil  du  roi,  après  l'assemblée,  discuta  solennelle- 
ment à  son  tour  la  question  :  le  parti  de  la  paix  l'emporta  dans 
le  conseil  coimnc  dans  les  États,  et  Ton  décida  de  reprendre  les 
négociations  au  printemps  sans  suspendre  les  mouvements  mili- 
taires. 

Un  objet  d'une  importance  immense,  et  qui  dominait  la  ques- 
tion de  la  guerre  elle-même,  fut  ensuite  soumis  à  l'assemblée. 
Lt»s  chroniqueurs,  qui  consacrent  d'interminables  chapitres  à  la 
description  d'une  escarmouche  ou  d'un  tournoi,  ne  disent  pas 
un  mot  d'une  délibération  qui  eut,  pour  des  siècles,  une  iniluence 
décisive  sur  le  sort  de  la  France,  et  qm  marque  une  des  époques 
fondamentales  de  notre  histoire ,  la  naissance  de  l'armée  fiun- 

ÇAÏSE   ET  LA  CRÉATION   DE  l'iMPOT   FIXE    ET    PERMANENT.  On    UC    Sait   CC 

qui  fut  décidé  aux  États  d'Orléans  que  par  les  ordonnances 
royales  qui  en  promulguèrent  le  résultat ,  et  par  un  monument 
bien  postérieur,  le  Journal  des  États  de  1  i8i  *. 

11  y  eut  certainement  au  sein  des  Trois  Ordres  une  explosion 
formidable  de  cris  contre  l'épouvaiitable  règne  des  écorcheurs. 
Tiers-État,  clergé,  une  portion  même  de  la  noblesse,  celle  qui 
restiiit  sur  ses  terres  et  ne  s'était  pas  jetée  dans  la  vie  errante 
d'aventures  et  de  brigandages,  éclatèrent  ensemble.  Les  déchirants 
tableaux  déjà  présentés  au  roi  dans  les  assemblées  de  1433  et 
de  1435  furent  remis  sous  ses  yeux  avec  une  insistance  plus 
impérieuse.  La  grande  guerre  contre  les  Anglais  n'était  plus  que 
le  moindre  des  maux  du  peuple,  devant  «  cette  horrible  petite 
guerre^»  que  les  routiers,  les  écorcheurs,  faisaient  aux  hal)i- 

1.  Vu  autre  docuuicut ,  un  pani'îryrique  aiioinme  «k*  Charles  VII,  éerit  souâ 
Ix)uis  XI,  donne  aussi  des  lumières  indirectes  sur  cet  ol»jet;  ap.  Godcfroi,  llùloncm 
di  ihnvlea  17/,  en  tète  du  volume. 

2.  MidKk-t. 


360  rrUEttllKS  riKS  A?iGiA(S.  imif 

lAiils  ùv$  vmu\tn^ieÉ  ûmiê  le  midi  ojiimR*  d^ïii^  le*  ourd,  ilaru  I 
FrautH^  loiil  t^iitière.  Les  détails  i^upportôs  |jar  les  conti'nitior 
font  frcinir  en  révclarïl  1l'^  abiiîieî»  de  rlùpravuticin  l't  de  Vtrixi 
où  peut  se  précipîlar  la  nattin*  iunnaiiic.  Ce  ne  scraii  rien  de  dit** 
que,  Iioi's  les  nuirs  des  villns,  loiit  le  pays  ilLiil  livré  h  une  iriva&ig 
de  Liirbaret*,  Les  barbares  sont  encore  des  honiriie»!  On  cûh 
lâujvafit  rexpie^siou  d'un  historien  * ,  que  la  Finîicc  cluil  cntakk 
jmr  dey  essaims  du  d amitié  i-apportaiil  de  Tenfi^r  des  \ 
ineonniis^.  Le  cri  de  la  France  était:  *  l!  liiul  que  cela  ûi. 
tout  prix  î  » 

Le  conâeil  répondit  par  un  plan  complet  d'otYanÎH-vti» 
IJnauceâ  et  de  Tannée:  les  revenus  dn  domaine  devnh'nt  >ni lij 
désonnak  a  fenlretien  du  roi,  de  sa  famille  el  de  sa  in.inù' 
et  les  aides  el  gabelles,  aux  dîvet^s  dé|>ensc^  adniintsirïiU\4*s;  U 
IjûUe,  altril>ut*e  excluîsiveiiierd  à  ta  solde  de  raniiée^  spnul  fiiif 
à  1,200,000  fiime^  par  an  pour  tout  le  royauna*:  on  aiiruil  mun 
les  moYcnîi  d'euLrelenir  en  pcrmanenee  un  uambre  d^terinliit^  de 


L  Mkhetn. 

'i,  «  Di«u  Bah  \e%  t^rmunles  qn'ii  ^cmflfrn  h  paa%  ïn  iwu[*lr  «jr  t'iunr»  {ikt  w9U% 
|t  Jeusattit  avoir  gaxiU'*,,  QuAût^esi  i^ï^Ibc*  («MiiihU-n  d'ryUvxi   <#iit  irii'  )«»t  »*»•  • 

regard  des  pauvrt»!*  prétra***.  H  ûatre»,  |muvrf«  Uliwitfrcr»  \»tms»l  \ 
les  pretid  et  uiT^pdjïotiiH*,  et  Im  mei^iîn  l-ti  fcr<i.  <ni  fo«i9*,  ir»  firax  «mU  ,iUite  !.■ 
|^l0m£  dû  vermine,  et  ks  liiivw-o»  tiiaurLr  âe  iû.ïm*..  on  Tt^tît  ir*  mn»;  n&t  miiytp* 
arrache  lestlenk^  1e^  u»utrt.'ï  mnt  battu*  dc^  ^ru»  li4tàiL^«  U'^ 
vrés  juvquËS  à  ce  t)u*î1i  îùtiriit  im)c  utgeiit  t>lrM  jjuit  li'iur  r 
fuiliii<».«.  Et  tii>  iippiiîient  pa*  seulement  lujuîHiiifH,  mai*  l^tnrtiL .  cl  îilicn,  eLU» 
fOtiiliGiii,,.  i*t  etfVirçcnt,..  |irei3ii<9Ul  les  maru  irt  pure»  et  tes  tii<*ia  vu  pu àiiu 
fômrâÊtf  «t  nili!«;  pveriDeiit  lei»  imurTÎetfi  i*t  îai««M»t  1«im  prtiu  l'nfmrtU,    i' 
Je  wtWfHturei  mi^uj^ut  ;  preûneni  les  fï^wittic-*  ^fros^iM,  î<s  mriirjit  cû 
U^VOHJi  et,  U,  oui  leur  fruit,  ItM^rtel  tLs  Uidsctll  Uioiirlr  ïjiIix  t»ii|itûiuc.  ' 
Jctlo  les  femmes  et  eiifaui*  4  ia  rivière-**  JiimliiMK'Ml  ;  mmiîirtlitij  A  tm  ir 
Jili^t'st,  tfflEmumt  tju'uu  paurre:  villagiB  e%l  k  atputir  li  li»lt  mt  dix  jibeiïs  if-ut^-tccs 
Et.  bi  on  tie  jmtei  wi  vj»  bgut^r  t«  fi^tj  i^  villu^'-ii?*».  Kt,  i]U&iit1  ifv  |>auM«»»  r«*cf»  é4^ 
frri«,  ^t  Û3  uc  pou  Voient  ]>ii}ejf,  on  W§  u.  fLuiLU)>c%  tulu  a--   •  ^ 

Si  }&  ml  dourMÛl  ^uve-gnifUc  à  fmuii'res  ^^IÎmOh  oti  lum 
coïiipttt,  9«u  grand  tivinUoniiinir  du  rxJi  et  de  su  tei^fïtcuric 
At  Beaitviiis  (  J,  Joiivontd  .\  ïip,  l*,  Cl^mi-iiit ,  JrXfvjw<t  fiwir,  I 
lûs  Mimifirt^  tU  hnnuvQùiti^  d'Anluiiie  Lui^eî  „  t^t  loi  ai 
iiij[»|»rîii>om  ii^iubro  de  hideux  d^tAils  doiuué*  par  mi  ^l 
3.  Il  La  d(!"pen!*c'  ordintùiif  du  Iwmdiw,  VArun(»  incuir- ■ 
p&  ci1nuubrt\  tmmuni  envit(^)  à  100  ^(HtO  (rtinam  \k  pm 
nummiie»  ut  six  fo\a  «utiuil  cùmino  Tj*ï^ur  n'^ljitii»".  «•  ^  rVi  j*  Ju  i^i  î.A^tii*  ti 


[H39:  LA  TAILLE   PERMANENTE.  38! 

1roiii)os,  canlonnrcs  dans  1rs  places  frontières,  assuivos  ilo  Inir 
existence,  payées  de  mois  en  mois  par  des  officiers  spéciaux, 
dépendant  entièrement  du  pouvoir  r')yal,  et  n'ayant  plus  à 
donner  la  nécessité  de  vivre  pour  excuse  h  «  récorclierie.  »  T/élait 
couper  le  brijjrandajre  par  la  racine,  et  assurer  l'action  do  la 
Fi-ance  contre  Tétranfrer.  La  majorité  des  ftlats,  dominée  par 
une  préoccupation  unique,  reçut  ce  grand  projet  avec  acclama- 
lion.  On  ne  sait  dans  quelle  forme  on  discuta;  on  ne  sait  ce  qui 
fut  dit  de  la  part  du  conseil  ou  de  la  part  de  rassemblée.  îlais 
révéïK^ment  fait  voir  que  les  États  consentirent,  au  moins  tacite- 
ment, à  ce  que  les  1,?00,000  francs  fussent  considérés  comme 
accordés  une  fois  i)our  toutes,  tant  qu'il  serait  nécessaire  de 
tenir  Tarmée  sur  pied;  ils  se  contentèrent  de  la  promesse  que 
fit  le  roi  de  ne  pas  déi)asser  ce  cliilTre  sans  en  référer  aux  Trois 
Ordres,  promesse  qui  fut  tenue  pendant  le  reste  du  règne  '. 

Les  sociétés  qu'absorbe  une  grande  passion  ou  une  grande 
sonlTraniM'  ne  conservent  guère  la  faculté  de  considérer  un  fait 
politique  sous  ses  divers  îispects.  Notre  daule  surtout,  nation 
tonte  d'entraînement,  n'a,  dans  les  crises,  qu'une  idée  à  la  fois 
et  la  pousse  à  bout  sans  comparer  ni  prévoir,  compensation  mal- 
heureuse de  son  admirable  puissance  d'action.  La  taille  perma- 
nente, dont  le  renouvellement  n'aurait  plus  besoin  d'être  accordé 
îi  chaque  exercice  par  les  États-Généraux,  allait  mettre  la  royauté 
h  même  de  se  passer  habituellement  des  assemblées  nationales  : 
la  nécessité  de  leur  concours  serait  dorénavant  Texceplion  au 
lieu  d'être  la  règh».  La  haine  d(*  Timpot  arbitraire  n'était  pas 
nettement  associée,  dans  les<?sj)rils,  au  sentiment  de  l'interven- 
tion permanenic  de  la  nation  dans  son  gouvernement.  Il  ])arut 
tout  simple  à  bien  des  gens  d'éviter  au  pays  les  embarras  et  les 
frais  des  assemblées  annuelles  :  à  quoi  bon  renouveler  pério- 
diquement le  débat  sur  un  élablissemcnt  que  tout  le  monde, 

1 .  Du  moins  au  pîoil  tlo  la  lettre  :  car  on  an<:^onta  d'aiitros  impôts,  et  ron  fit  plus 
iVuiio  fois  de«  levées  c.xtranrJin:ûrc.s  sous  diverses  formes.  Le  ehifl'rc  total  do  rimp^it, 
Nriiis  le  seiîriicuriaîre  des  momiaies.  monta  ordinairement,  de  1 110  à  1  tôO,  h  environ 
2,3i»0,OnO  livres  iplus  de  HO  millions  de  vah'ur  relative)  ;  les  aides  et  pfabelles  y  en- 
traient vraisemlilahlement  pour  un  milli<m.  V.n  Lanjruedoe,  laide  appelée  ie'ii'iii'nleut, 
itn[»ôt  8ur  la  viande,  sur  le  ]»oi-«?on  et  sur  le  vin  en  détail ,  allait  au  moins  anx  trois 
quarts  de  la  taille.  V.  V.  Clément.  Jirqves  Ccenr,  t.  I ,  p.  KU. 


cxreph^  les  l>ri;tirÉn<ls.  jugeait  m  ntilf  ?  No  ^  i  '  ■ 
rcTOiirùt  aux  Étalî^  dans  les  cas  cxtraordiii  i..   .  :    ..  :.,: 
l'asseinbléG  de  1439  prépara  la  ruine  du  régifOL»  di!fi  Élai 
rain,  rétabli  au  milieu  de  l'invasion  H  ronlre  rtnvnfnoa  ^Ij 
gère,  pI  seuln  fornin  poî^siblc  de  la  liberté  dans  cet  Ap»  4f  11 
toiie.  Ce  fut  ainsi  cpic^  des  miniîitlres  pnpulain^it  cl  iiiie  â^^^-iiil 
hlm  înlentiôiinée  jelèrenl  sans  pK^niMitatio»  les  premièxt:*.  i 
âv  la  iQonarddc  arbltmîre,  Le  fonds  aniuicl^  imniaiLhle  ci 
pendant  du  vote  des  Êtals^  assurait  l*arinée  |>j?nnatienU\  fl  I 
jnée  permanente  assurait  à  la  rpjauté  le  pouvoir  craccnolln'  pi 
tord  arbitrairement  le  fond^  annuel  et  d'envalur  Untia  liîi  Uh 
tés,  La  seule  garantie  conire  le  danger  des  années  pertuanmH 
est  dans  le  vole  périodique  de  l'impôt,  et  Fou  sait  trop  qn'^ 
ne  suffit  pas  tonjouï's, 

n  importe  d  observer  que  la  quej^Uon  du  infiinlleti  de  l'i 
mée  apriîîs  la  fin  de  la  guerre  ne  fut  ni  trandii*e  ni  irième 
en  Î439,  et  que  rassemblée  ne  âoiigea  eerlaineincnt  olcirB  qi1| 
trouver  le  meilleur  moyen  de  chasser  le»  AngWs  et  d'éloolfer  I 
brigandage* 

Les  Étals  furent  dissous ,  après  avoir  aee^ptè  les  |iro]>o5iUous 
de  la  couronne,  et  on  les  prévint  qu'une  nouvelle  session  aiirwt 
lieu  a  Bourges  au  mois  de  février  suivant,  afin  d'y  imiter 
diverses  aulres  matières  et  d'j  recevoir  radhésinn  de*  Rlali 
I^anguedoe  et  de  Danpluné*  Le  2  novendire,  panil  TordoDr 
de  réformation  de  Tannée,  promulguée  i  par  loi  et  iN^  f  _ 
perpétuel  et  non  révocable,  par  forme  de  pragmatique  - 
par  ravisî  et  délibération  des  seigneurs  du  sang  royal,  ia  r. 
Siviie  \  le  duc  de  Bourbon^  Cljaik^  d'Anjou  [coiuU!  du  ^î 
de  plusieurs  prélats  et  autres  seigneui^s,  barons,  geu:^  ..  .^.. 
nobles  et  gens  de  bonnes  TÎlles,  »  Elle  înterdtl  &  tous  Its  gr 
d'armes,  qni ,  de  leur  autorité  privée  et  sans  le  eongù  du  roi ,  i 
sont  faitîi  cbefs  de  compagnie ^  de  s'arroger  dorénavant  le  tilir-i 
i'anturité  de  capitaines,  slls  ne  sont  e«jmprîs  {inniii  tes  c^\i 
laines  que  le  roi  se  réserve  de  rboisir  pour  la  conduite  Je  b 
guerre,  et  qui  commanderont  elmerm  un  certain  nomlire  de  lo»- 


:i430]  ÉDIÏ  DU   DEUX  .NOVEMlînE,  ?83 

«lats.  Il  est  défendu  à  qui  que  ce  soit,  sous  peine  de  contlsca- 
lion  de  corps  et  de  biens,  de  lever  des  soldats  sans  coniniission 
t'xpressc  du  roi.  Les  capitaines  élus  par  le  roi  choisiront  eux- 
niéines  leurs  houinies  d'armes  et  de  trait,  mais  ne  dépasseront 
])as  le  nombre  qui  leur  sera  fixé,  sous  peine  de  confiscation  de 
lûens;  ils  répondront  du  «  comportement  ï>  de  leurs  lionmies, 
corps  pour  corps,  si,  par  leur  négligence  ou  connivence,  le  sol- 
dat coupable  échappe  et  qu'ils  ne  le  remettent  à  justice.  Défense 
à  tout  homme  de  guerre  de  quitter  son  capitaine  et  se  mettre  en 
compagnie  d'autre,  sous  peine  de  perdre  honneurs  et  biens. 
Toutes  pilleries,  violences  et  incendies  seront  imputés  à  crime  de 
lèse  majesté  aux  capitaines  et  aux  soldats  ;  il  est  enjoint  non- 
seulement  d  tous  justiciers  royaux,  mais  à  tous  nobles  hommes 
et  mitres  d'assembler  gens  h  armes  contre  quiconque  «  roberoit  » 
[pillerait) ,  de  quelque  condition  qu'il  soit,  de  lui  résister  par  voie 
de  fait,  et  de  le  prendre  vif  ou  mort;  si  quelrpie  «  pilleur  »  est 
«  occis  »  en  telle  occasion,  aucune  action  ne  pourra  être  inten- 
tée contre  celui  qui  l'aura  tué;  mais  «lui  sera  réputé  à  mérite 
et  bienfait,  d  Les  chevaux,  harnois,  et  toute  la  dépouille  des  «  pil- 
Icui's  )>  appartiendront  Ix  qui  les  aura  pris  et  livrés  à  justice*. 
Tout  juge,  même  non  royal ,  est  compétent  contre  les  pilleurs, 
sans  distinction  de  territoire.  Les  officiers  et  justiciers  du  roi, 
qui  n'auraient  suffisante  puissance  pour  faire  punition  de  délin- 
quants que  soutiendraient  seigneurs  ou  autres ,  feront  diligem- 
ment les  ajournements,  procès,  sentences,  etc.,  et  les  renver- 
ront incontinent  devers  le  roi  ou  sa  cour  de  parlement,  et  le  roi 
y  pourvoira  incontinent.  Les  officiers  de  justice  qui  refuseront 
ou  négligeront  de  poursuivre  seront  punis  comme  fauteurs  des 
coupables,  tenus  à  dommages  et  intérêts  envers  les  personnes 
lésées,  et  dégradés  de  tous  honneui's  et  offices.  Les  capitaines  et 
soldats  habiteront  dans  leurs  garnisons  l'espectives,  aux  fron- 
tières des  Anglais,  et  ne  les  quitteront  pour  aller  vivre  à  l'inté- 
rieur sur  le  pays,  à  peine  de  lèsc-majeslé.  S'ils  le  font,  le  roi 
ordonne  (jue  chacun  leur  résiste  à  force  d'ai'mes,  comme  à  tous 
autres  pilleurs. 

1.  L'ordonnance  revient  jusqu'à  cinq  fois  f>ur  le  droit  ou  plutôt  sur  le  devoir  de 
r«âist<ince  à  main  armée;  art.  Itî,  25,  27,  28^  31. 


3S4  (îTlKliïiKS  DKS  ANGLAIS 

Le  rai  s*intei  rlit  tl«^  donner  n^niissionii  tmctin  diHiiii|iJâiil  ( 
Il  |m'^st*ntc  loi;  H  iii,  ^  par  iuifiortuiiilc  de  reini^rsinU  ou  airtir- 
ih*'!it,  il  dntmcHt  rémiîiîîioïi  à  îiortm,  t^  il  tli'fcncl  û  <airoijrdc  | 
riHiit  fi  à  tous  autres  ofJiiior^v  d'y  obéir,  et  v<îut  qiir,  nonolM 
lîiflite  n'^niifïîîioîi,  ils  fasse jit  iniiiilion  Aqs  dHïm\iimtH,  m\ïf  \n 
de  iirivatioTi  il*honi»mirs  et  ofllees  et  eonfiscàilon  «leltieii*!-— I 
çdpicurs,  baroiï!^  et  autres  capîtaineiî,  (jui  tirniirtif  i:artii«oni ( 
leurs  Ibrlereî^sf^s  et  c'IuUciiux,  les  rongédieriint  oo  lirs  enlrpli 
drnnt  h  leurs  dt'pens,  ^m  rwn  prendre  sur  les  sujets  du 
prinr  df  làse-mnjesfe.  Les  sri^eiirs,  roniint*  îe<i  eapiUlfi 
riî'poiidrûiil  de  leurs  gens.  Ceux  qui  tieiinenl  lii-iix  hitU  of 
teirtuil  h  autrui  les  rendrotit.  Défense  de  prriidiT  ou  ran 
plare  i!  autrui  fl.tril  en  ru!iei!>mîJiee  du  rtii,  i\  pdoL'  ilc  ccrn 
de  vhrpH  el  de  Idens  vi  la  pOî;tenlé  déclarée  roluriêre.  —  ^^"^ 
peines  ranlre  les  rert'^leurs  el  faiiteunî  des  diHinqtiiinlii.  —  ï • 
sous  lès  iTn^mes  peines»  h  tous  left  eapitaîncs,  pirdes  de  plaoes  tf 
forteresses  dVxiger  en  péage,  des  tnarcJifinds  el  HUlre$,aux  ponli 
Ol  passiiges ,  denrées ,  niiireliandises  ou  deniers  eii  sus  àt*s  rm- 
tuuies  anciennes.  Mmcs  peini?s  contre  ies  mpïimnes  ^pij  femaù 
exuclions  sur  les  hahilants  des  Imit  qu1Is  ont  en  ;.• 
flscatïon  de  biens  conti'c  les  seigneurs  qui  Ter-iieiit  cw.^  .  .  ,  ., 
leurs  projii  es  terres  en  sus  deg  devoirs  et  rentes  que  leur  dmoA 
leurs  sujets,  ou  tjui  iitifniienteraicnl  les  péages  et  tlniiL't  de  trMi«at 
à  ein  dm  d  aneienneté.  —  Le  roi  défend,  souR  pêne  de  torul*- 
cation  de  corps  et  de  biens,  que  qiu  que  re  soit  ne  prmiic<9t 
arrête  les  deniei'S  des  tailles  et  aidcîi  du  mi,  sou*  cotiletir  de  deiv 
h  lui  due  par  îe  roi  *,  51émc  défense»  sous  mêmes  pDines,  à  Umb 
«eiîineuîH  de  raetlrc  aucunes  «  rrui"s  ^  sur  leurs  terres  pti  «u^  jfr 
la  t  ni  Ile  du  roi. 

«  Et,  pour  ce  que  plusieurs  nietleiit  tailles  sus*  eu  kniri»tr 
sans  le  enïige  du  roi,  dont  le  peuple  eM  lUOuU  opîiHtiié,  le 
défend  «lue  nul,  de  quelque  qualité  qu'il  soit,  ntlmpo^  fJidk  (T 

1.   Uê  Fon^ifléraTtl  est  lntdre»»ftfit.  •>  Vmt  vf  t]i«»,  «outMiItt  f^ia,  «f 
du  r<mi)<re<'rat^nt  dm  Troln  Ktjit»,  le  roi  a  fnJt  tndtro  «u»  aowar  taille  «c^ 
iwujïb'  imtf  le  fait  dp  sa  |*urfr«...  Ut  t^imuim'*  i-t  aiitfi»  eraiièelifïiil  Imi 
Hâ\t4*  t»JIU'.,.  en  U-tim  trrrtui  r*t  eMjij^n^urirvt..  «t  aisnift*  lia  pfwnmt^^  Ml 
mHt£ta ,  ftvct:  17è  panli^su^  lu  taille  du  rai ,  aur  tcurà  sqjcu»  aosm  ipantfi 


riîîio]  KDiT  m:  deux  ^ovemuuf:.  385 

auliv  iîitlc  ou  tril)uf  sur  ses  sujets  ou  nuti'os,  sinon  pni*  l(Mtivs 
|iafrnti'S  (lu  roi,  ci  (KVlnrc  Ir  lieu  ou  soi^n<*urio  où  telles  tailles 
ou  ai<l(»s  seront  niis(*s  sus,  confisqué  envers  lui\  » 

Telle  fut  cette  fauKuise  ordoiuinnee  qui  décrétait  contre  les 
écorclieurs  la  levée  en  masse  i>rovo(iuée  napruère  par  Jeanne 
Darc  contre  les  Anjilais ,  qui  frappait  les  sei^rneurs  en  inéuie 
teuïps  que  les  écorclieurs,  et  portait  au  princi[»e  féodal  Icî  coup 
le  plus  liardi  qu'il  oui  janiais  reçu,  en  interposaut  radicale- 
ment le  pouvoir  ceutral  entre  le  seigneur  et  ses  sujr'ts;  celle 
ordonnance,  enfin,  (pii  s'effoirait  de  garrotter  le  roi  au  nom  de 
]a  royauté,  et  qui  enjoijfuait  au\  uiaiiistrats  de  défendre  la  loi 
contre  la  faiblesse  du  roi.  Fividennnent,  le  Tiers  Étal  remuait  de 
fait  à  cette  heure,  et  il  ne  mau(iu<'  à  cette  pièce  exlra^udinaire 
que  la  siirnature  d'Étienm»  Marcel.  Devant  Tédil  du  2  noveiïihre, 
comment  s'étoimer  que  [)ersoime  n'ait  songé  aux  périls  lointains 
de  la  taille  permanente  y 

Il  était  impossible  ([u'unc  irloruH'  aussi  radicale  ne  soulevât 
pas  de  furi(Hises  résistances.  Toute  cette  masse  d'intéréls  illi- 
cites, de  mauvais(^s  passions  et  de  in-étiMitions  traditionnelles 
qu'on  prétendait  écraser,  avait  de  redoutables  moyens  de  défense. 
Ij\  plupart  des  iirrands,  qui  iKuaient  point  osé  lutter  ouverte- 
ment contre  le  vceu  pul)lic  dans  les  Ktats-(iénérau\,  commen- 
cèrent à  nouer  des  intrigu(^s  menaçantes,  et  le  mauvais  vouloir 
(les  pMis  de  guerre  se  montra  bicMilot  dans  la  lVicbeus(^  issue 
d'une  expédition  t(*ntée  en  liasse -Normandie.  Le  coiînétable, 
a[>r«^s  la  clôture  des  Ktats,  avait  entrei)ris  le  sié^e  d'Avrancbes, 
à  la  tète  de  six  mille  routiers;  les  Anj^lais  marchèrent  en  force 
à  la  't  recousse  »  d'Avrancbes.  Pendant  trois  jours,  les  armérs 
fui-ent  en  présence  sur  les  deux  rives  de  la  Sélune,  qui  pro- 
lé^ieait  le  camp  français  et  enqiècbait  les  conummicatiims  des 
An;;lais  avec  la  ville  assié<:ée.  Vu  matin,  les  Anglais  s'en^a- 
gèi'ent  dans  les  firèves  du  mont  Saint  -  Michel ,  pendant  la 
marée  basse,  i)assèrent  la  rivièn*  à  ^ué  ])rès  de  son  end)0U- 
chure,  opérèrent  leur  jondion  av(M-  la  i:arnison  d'Avranclu^s,  et 
se  jetèrent  sur  le  cauq)  français,  tandis  «pie  l'armée  les  attendait 

1.  ÙrJonn.,  t.  XIII,  p.  300. 

VI.  25 


^^^pz  luïn  de  lu»  en  amont  mr  la  SéUim?,  Le  auiip  hit  fonV*;  fci 
hag;ages,  les  iiiuiiilbiiï^  et  rtiililleri*!  lonila^nta  ou  |K^uvoif  <k 
Fennemi.  Si  ranu«^*(î  lût  revenue  charger  k'S  Ati^lnU  i)ciii|i^3ifla 
pillage,  le  sort  ik'  îa  jonniée  eût  pu  chrin^er  eticoiv;  uiaitt  *  loul 
le  niontle  camnicni,ui  de  lircr  sans  urdntujïiJim  devirrs  b  Bre- 
tagne :  ï  ni  prières  ni  menaces  n'arrêtèrent  les  rotilkrsw  U 
connétable,  la  rnge  rlans  le  cœur>  fui  oblip^  dv.  Ivs  ^ni^Tr;  «laïad 
il  a*  résigna  à  la  reiraif e ,  il  n'avait  plus  avec  lui  Dfînl  biice*  [ùa 
dècenibre  1439)* 

Llndignation  lut  extrême  aulour  du  roi  Le  rui  Im-mèiacit 
moTitra  ému  de  ce  honleux  désarroi.  Au  nlour  du  ronr  *  '  ' 
*  le  roi  assembla  son  ronseil,  et  avisa  cpi','^  li:njr  tant  de  ti^ 
le  thainps^  ce  n*étoil  qne  destmction,  et,  ©près  AYoir  hieri  ca^ 
sidéré  qu*à  ehaciiii  roudjatlant  il  falloil  dix  elievata  de  bagage d 
de  fretin,  eurume  pages»  feimues,  \'alet:s  V^et  Joule  LddéOûij 
cpii  n'éloit  bonne  qu'à  détruire  le  pauvnî  peiJ])lc,  il  ordoi 
pai*  K^^nide  délitïération  du  consinl,  que  riiacim  honum 
n'auroil  plui*  que  trois  rlievau\  et  denx  pagi*^^  on  >;ilift5  ai  i«n--*  r* 
diaqne  ardier^un  seul  ctieval  ;  que«  toui^  lesinoiSiOn  IcsfMflBCTBl 
en  revue  et  on  les  paierait  ;  et  que  tout  le  detninir«mt  du  frapfiijl 
(de  la  valetaille)  scroit  chassé  dehors^.  »  ^lonfortnémeni  ^  fur- 
dcmiiance  du  2  novembre,  on  romineîïça  de  rlmt^ir  le^ca|iilaiiicf^ 
et  <le  a  leur  délivrer  argent,  trait  et  artillerie,  >  Tuul  seuibUi] 
déjà  «  bien  appointé,  t*  lorsque  les  duc»  de  Bourbon  et  d*AlencoA, 
les  comtes  de  VendOmc  et  de  Dunois  qmltén*ri!  îiruiSicjueaicfilli 
cour,  qui  était  a  Angori»  et  se  retirèrent  à  Blois.  Les  ciunmii 
de  Tordre,  grandît  et  petits,  écorcheurs  et  princes,  ^'iiiîf M 
entendus:  une  conspiration  s'était  ourdie  pour  arraiibcr  moùce 
une  fois  au  roi  ses  conseillera ,  non  plus ,  coiiane  au|ii;ur»iiiiitf 
parce  qu'ils  perdaient  la  Pranee,  mais  parc^  i{ti*îls  b  ferfMot 
trop  bien,  La  Trémoille  était  l'âme  du  CJUiploI  :  il  -- 
rendre  la  pareille  an  connétable,  et  iTprendre  le  goaveru.  .  .. 

i.  D**[irài  ues  pfiroli^D,  m  on  les  prend  an  f  icd  «k  k  \turt,  un  «oc^  4#4f«a  «S* 

t«sw0â  ifâkiaît  hiûiiluitUtimi^iit  nprès  kl  vîni^i  mÛW  rhctftux,  %ma  •*  iwiikr»*  ^ 
M  bAGluraiL^â  '•  ft  >>  EfunrnLcrg  m,  cnilf^vés  dwrmi  f  ilinnî  miT  lntiltiiiTi  iTi  ii  [Mnil^^m 
On  o^xiiir^uU  comment  co^  pcUiCA  «ritiéf^  exifr^^icnt  de  si  gmmb  fft?Bf«i.  Pmt» 

2,  Bi^rri  t  roi  d'unuesi  ap.  Uitt&ritm  et  ChaHn  VU,  p.  KW« 


lIUO]  la  PRAGUE  rie.  387 

du  roi  et  du  royaume  à  Li  faveur  des  troubles.  Plusi(Mirs  des 
principaux  chefs  de  compagnies  al)andonnèreut  les  ^jostes  des 
frontières  oiï  le  conseil  les  avait  envoyés,  et  dirigèrent  rapi- 
dement leurs  gens  sur  Hlois  et  sui-  la  Touraine,  tandis  (\\w  le 
duc  d'Alençon  allait  de  Blois  à  Niort  trouver  le  dauphin,  qu'on 
travaillait  à  entrahier  dans  les  inlérùls  des  factienx;  c'était  le 
premier  pas  que  le  duc  dWlençon  et  le  bâtard  d'Orléans  faisaient 
hors  du  sentier  de  riionneur  et  de  la  justice;  les  fatales  traditions 
des  sires  des  fleurs  de  lis  les  entraînaient.  Dunois,  héroïque,  mais 
personnel,  était  jaloux  des  princes  d'Anjou,  du  connétable,  des 
ministres  bourgeois.  Alençon,  âme  chaleureuse,  cai'actère  faible, 
avait  perdu  sa  boussole  et  sa  loi  morale  en  perdant  Jeanne  Darc; 
son  mépris  pour  le  roi  lui  lit  oublier  ses  devoirs  envers  la  patrir»; 
sa  carrière,  si  noblement  commencée,  devait  bien  tristement  Unir! 
Le  connétable,  pendant  ce  temps,  était  parti  d'Angers  pour 
Paris,  sans  rien  savoir  de  ce  ([ui  se  tramait  :  il  tomba  à  Timj'.ro- 
vistc  au  milieu  des  princes  rebelles  réunis  à  Blois,  et  \  courut  de 
grands  périls.  11  fut  «  fort  attaqué  de  paroles  :  »  le  bâtard  d'Or- 
léans ne  demandait  qu'à  prendre  qu(?relle  avec  Richcmont  pour 
trouver  un  prétexte  de  mettre  la  main  sur  lui  ;  mais  le  comiét.ible 
sut  se  contenir  au  point  de  ne  donner  aucune  prise  aux  provo- 
cations du  fougueux  Dunois.  Les  princes,  néanmoins,  délibérèn'iit 
de  l'arrêter  :  un  chef  de  bandits,  gentilhonune  bourbonnais, 
montra  des  senthnents  plus  honorables  que  les  sires  des  Heurs  de 
liï;  récorcheur  Antoine  de  Chabannes  représenta  que,  prendre  le 
connétable,  c'était  livrer  Paris  et  l'Ile-de-France  aux  Anglais.  Les 
princes  hésitèrent;  La  Trémoille  heureusement  n'était  point  avec 
eux  :  Richemont  sortit  de  Rlois  et  gagna  Reaugenci  sain  et  sauf. 
Il  y  trouva  Gaucourt  et  Saintrailles,  que  le  roi  et  le  conseil  avaient 
dépêchés  à  la  hâte  jiour  le  mander  a  Amboise.  (Ibarles  étîut 
arrivé  d'Angers  à  Amboise,  entouré  de  ses  cons(^illers  résolus  de 
soutenir  leur  ouvrage  jusqu'à  la  mort.  Dès  tpie  les  rebelles  ne 
s'étaient  pas  em])arés  par  surprise  de  la  personne  du  roi,  la  bonne 
cause  avait  toute  chance.  Charles  soutint  ses  nouveaux  conseillers 
dans  le  bien  avec  la  même  obstination  qu'il  avait  soutenu  les 
anciens  dans  le  mal,  et  il  y  eut,  c'est  justice  de  l'observer,  un 
degré  d'activité  de  plus,  qu'il  est  permis  d'aUribuer  aux  insti- 


^ta  oirHnnEK  des  ANotAia 

ga(ioiiïirl';U'tièsSoreL  An  îiHTiiient  où  nich^mfMt^  i 
Cliarirî^  vi*rj*jît  tle  i  t.Tfnuiî'  une  fi^f  lieuse  riouveUr  :h         .  '      •  -  u« 
avait  chassé  son  pouvfmeiir,  le  t'oinle  de  la  MarrJic*  {Knirsnhre 
le  tliie  (TAIi^nrnn.  ('(^  jrtmp  prinetr,  h  ilix-huit  ans,  joîjEmun 
à  Hmiiieiir  iTiriuniite  ûc  snn  âge  et  (k  son  caradi^rc,  raiiti.i,.^ 
froide  et  nMUHbio  de  Tî^içe  mur.  Vive  et  iiifaJigaWc»  ifi(*'lli^rnnf| 
il  ne  tenïiit  de  sr>n  père  que  la  sic^djeresise  cFilmc  ot  k  giiùl 
libertînage;  aussi  détinut,  aus^i  dénué  de  ^m  monil«  inoh 
envieux  e(  plus  vindirîilir,  il  avait  les  viee^s  de  la  fiimv  rjinia 
Bon  père  ceux  de  la  faihlessc%  c(  rapjidjiit,  ]iar  «on  esprit  rt^ 
faniîlés  pn^eoee^ï,  f!har!e!i  V  et  Plrilippe  te  BeJ,  Il  méprisait. 
pt're,  liaï:^sîiïl  i\^vs  Sorel ,  et  reî;,^^ niait  toutes  h%  iuRueno 
bonnes  ou  mauvaises,  qui  gouvemaîent  Charl*^TIl,  eaniitR*  au 
d*usurjKilioneî  exerrée»  a  miy  déirinient. 

On  |ieut  direipje  ledïAtjïïiejiï  de  Charles  \T1  inufidiiïsail  tm^r 
tie  lui  ih\m  la  persunii».'  du  dauphin.  L'ingrat] Inde  devait  diMi^ 
rinp-atilude !  Les  fartieux  iivaienl  eu  peu  de  [M!Jne  àstHlitire  L 
im  lui  r>nranl  de  Tnider  à  atteindre  le  but  de  f,e%  ilisirs^,  lldi 
hauleujenl  ipi*îl  ne  voulait  [ilm  être  sujet  eoninic  jwir  le  p»»- 
qu'il  BH  sentait  en  état  de  a  faire  Irfet-bïen  le  [profil  du  rojaiJinr'.  > 
l  ne  partie  de  In  noblei^iie  poitevine  se  rangea  mus  m  ÏKmiùt 

n  IVeneîç  les  eliauîpîi;  ijull  vous  souvienne  du  roi  Bif 
(Riebnrd  II);  no  vous  lûmvz  enfermer  en  ville  iiî  vn  phce*>Tcll 
furent  les  premîe^rpsi  paroles  i\e  Uîrhenioni  en  ahonlîinl  le  ï^ïiC 
Clïai'les  olx^'it  h  relie  énei'f^ique  iin]Hilsîûn.  Mes  *  letircfi  n^*  ''^'»  •  V> 
fendirent  aux  lionnes  villes  de  donner  oliéissanec  ni  eiiti 
pbîn,  aux  dues  de  Bourbon,  d'Alençon  et  à  leurs  fnuteuri.  Le  m^k 
ronnélahle»  les  eoinles  du  Maine  el  de  la  Marche,  avw  ce  ([u'on  in 
de  Iroupes  (IdiMes,  sv  portèrent  sur  î*oitiers:  ils  y  forml  nv* 
que  le  duc  d'Alençon  et  Jean  de  la  tlooliefouràuJd,  Rmècltal  i 
Poitou ,  avaient  surpris  la  vilU*  el  le  ehàleau  de  Soinl-Moiic 
niatK  que  \e$  houvp\m  et  les  uioine*^  délendaiént  opiniiUr 
une  de$  portes  de  la  ville  el  réalise  de  I^abhajcduSaint-Mtiivi: 
Tau  u  rai  de  Coeiivi  et  l*ieri'e  de  lîreziS  sîre  de  Iji  Vûn^mie,  f<^ 
ebal  dVAnjou ,  [jarlirent  au  *rranrt  trot  avec  quatre  c^iil»  laiiocr? 

L  J.  CimrtirT,  \k  103, 

2.  ClulU.  (imdt  t^>  fïf  Bichmmu;  sp.  lUitorimi  tti  Vhtfiià  l'/l,  |l  77i*. 


J*40]  LA   PIIAOUERIE.  389 

et  arrivèrent  à  temps  iiour  secourir  ces  biMves  gens.  Les  relielles 
évacuèrent  la  ville;  on  leur  reprit  le  cliî\leau,  et  bon  nombre  de 
prisonniers  furent  exécutés  connue  traîtres.  Les  bourj^eois  de 
Saint-Maixent  furent  récompensés  de  leur  fidélité  par  de  iJirands 
privilèges. 

Les  princes  ne  s'étaient  point  attendus  à  cette  vigiunn*:  ils 
connnencèrent  à  craindre  pour  le  succès  de  Tentreprise,  lors- 
qu'ils eurent  reçu  la  réponse  du  duc  de  Bourgogne,  (pi'ils  avaient 
sollicité  d'entrer  dans  leui*  alliance.  Le  duc  Pliilippe  oITrait  au 
daupbin  sa  médiation  auprès  du  roi;  mais  il  refusait  de  parti- 
ciper h  une  guerre  <iui  «  porteroit  grand  désbonneur  et  dom- 
mage au  royaume  '.  »  Le  comte  de  Dunois  se  repentit  ])ien  vite 
de  s'être  engagé  dans  une  révolte  indigne  de  son  caractère  vi 
dont  il  prévit  la  mauvaise  issue;  il  abajidonna  ses  complices,  et 
obtint  sans  peine  son  pardon.  Le  conseil  du  roi  fut  tro|)  lieureux 
de  ramener  un  liomme  de  si  liante  valeur.  Les  rel^elles,  hors 
d'état  de  tenir  la  campagne  en  Poitou  contre  le  roi ,  ennnenèrent 
le  daupbin  dans  les  domaines  du  duc  de  Bourbon,  tout  hérissés 
de  places  fortes.  L'armée  du  roi  les  poursuivit  [)ar  la  Marche  et 
l'Auvergne  :  les  populations  se  déclaraient  presque  partout  pour 
le  gouvernement  royal  ;  l'ordoimance  du  2  novembre ,  cause  de 
la  révolte,  avait  comidétement  gagné  à  la  couroime  villes  vX  cam- 
pagnes. Les  nobles  étaient  au  moins  partagés  :  si  leur  orgueil  de 
seigneurs  féodaux  était  blessé,  leur  intérêt  de  propriétaires  était 
d'accord  avec  les  mesures  cpii  devaient  faire  cesser  la  dévastation 
«lu  plat-pays  :  la  plupart  restèrent  dans  le  devoir;  la  noblesse 
d'Auvergne,  en  grande  partie  vassale  du  duc  de  Bourbon,  lui 
refusa  toute  assistance.  Clermont  et  Montferrand  fermèrent  leui's 
portes  au  dauphin.  Les  i)rinces  n'eurent  pas  même  tous  les  écor- 
cheurs  pour  eux:  beaucoup  furent  gagnés  par  lîi  promesscî  d'une 
forte  solde;  les  routiers  de  la  Guyenne  et  du  Languedoc,  les 
fameuses  bandes  de  Villandrando,  obéirent  aux  mandements  du 
roi.  Ja^s  Ktats  d'AuvcTgncî,  ivcpiis  d'accorder  un  subside  extra- 
ordinaire au  roi,  répondirent  cpi'ils  «  étoient  siens  de  corps  et 
de  biens  » ,  et  agirent  en  conséquence.  Les  jjourgeois  et  manants 

1.  Muiistrclet,  1.  II ,  c.  2iô. 


390  €UEni\ES  DES  ANTiLll?^  MfiJ 

jie  nuoiUaienl  t|uc,  dans  les  villes  et  forl<*rcs§fts  prises  pàrl<»i.| 
troupes  royales  sur  les  rebelles»  le  roi  cl  le  conrjAtîibU*  mif 
chaient  de  piller  t^t  de  maâsatrrer  les  pamres  laîiitunls  tMniii;;iT 
h  la  nS'oUe.  Les  liabitudes  du  la  ffiierre  étaient  devenues  si  liar- 
_ liants f  que  ettle  huinaniltS  ou  [tlulAt  eelle  juslicc»  seialitiûl  ihùaij 
Dule  nouvelle  et  digne  d'admiration* 
Le^  pririccs  négoeîèrent*  Le  comte  d'Ku  (delâmaidund'^ 
iréeeuijuenf  revenu  d'uite  captivité  qui  datait  ie  la  balnilleirJ 
courl,  essaya  de  réconcilier  «  le  roî  et  les  scjpieurf  »,  n  lUi 
bien,  que  Us  ducs  d'Alençon  et  de  Bourbon  i^romunent  de râmcM*J 
Je  dauphin  au  roi;  mais  te  jenno  prince,  sadiani  qu'on  n*ttt^i 
point  ^lipuli*  k  pnnlon  do^v  g^nnillshoniines  de  son  h«'itpl ,  rufica 
ie  rctauî*aer  pi-ès  de  son  père»  et  la  gnen'ïï  recommença* 
'^trûu[ies  du  roi  envabircnt  le  Bourbonnaij^  :  tontes  le*  pt^'      "    " 
^baient  en  leur  pouvoir  prLtsque  sans  résistance;  lu  pli._ 
irasisaux  du  due  de  BourtH>n  ^e  sotiniedaient  8{»onl:mémciit  : 
DÎ  p(3ussa  ju^tpfen  Forcis  avec  le  mt^mc  succès.  Le  comie  il*Eû«] 
cependant  s  s'clail  reini^  à  la  licso^e  :  il  pria  le  roi  de  se  rciiin 
Cuï^set ,  où  â  monseigneur  le  dauphin  et  niouseigneur  de  B«ap 
bon  *  ge  mett l'aient  ^  %tx  nns^^ricordc.  Il  s'en**agi!a  sar  sa  vie  i 
ie^  y  amener.  Le  roi  consentit  à  revenir  de  Roanne  à  Cns$<ïl,  cl^ 

I,  il  reçut  d'abord  à  coniposition  le  duc  dWIencaiip  cjui 
séparément  ;  puis  aiTivèreiit  le  dauphin  et  h  diu:  do 
[1 19  juillet  liiO). 

Le  danplnn  tlait  accompagTié  de  La  Trénioille  el  de  deoi  iH 

itrigants,  dignes  acolytes  de  ce  dçtesrnblc  personnage.  Le  roiJ 

'sllînîlii'r  aux  trois  complices  de  ne  point  entrer  d^in»  lu  villei 

^parcn  qu  il  ne  voulait  ni  les  voir  ni  leur  pardonjier:  le  tlaupàoii' 

^i  n'avait  point  Hé  préveim  de  celte  exc<^ption  4  ratimisljo  | 

nise^  Voulait  absolument  s'en  retourner;  h  ibic  de  Ikiurbiiii  e{  I 

'^eonile  d*En  eurent  Krand'pcine  h  le  dccider  d'avancer  $km  k 

«  't^vns  de  son  listel  » ,  connue  il  les  nonriuait.  Le  roi,  necueFll 

ivec  sév<:Tilé  son  fila  et  son  cousm,  les  •  adnionesla  i  de  pin 

'retomber  en  imrHIle  faute.  Après  qu'il  eut  dttlaré  qti'il 

^remettait  leur  méfaif,  le  d,iupbin  snllicila  b  grécê  di^IJiTW^ 

aoille,  de  Chanmont  et  de  Prie*  «  Oti'iis  se  retiit^nt  en  leurs  lu 
"^on*^  et  s'y  tiennenl  !  dit  le  roi  ;  je  no  Iiîs  veujt  point  voir!  —  I 


[1440]  LA  PRAGUEniE.  391 

ce  cas,  monseigneur,  il  faut  que  je  m'en  aille;  car  ainsi  leur 
ai- je  promis.  —  Louis,  répliqua  le  roi  irrité,  les  portes  sont 
ouvertes,  et,  si  elles  ne  vous  sont  assez  grandes ,  je  vous  ferai 
abattre  quinze  ou  vingt  toises  des  murs  pour  vous  faire  pas- 
sage. S'il  vous  plaît  vous  en  aller,  allez-vous-en  ;  ciir,  au  plaisir 
de  Dieu,  nous  en  trouverons  assez  de  notre  sang  (pii  nous  aide- 
ront à  maintenir  notre  honneur  et  seigneurie,  mieux  que  vous 
n'avez  fait  jusques  ici  v  (Monstrelet,  1.  Il,  c.  245). 

Le  dauphin  resta;  et  le  conseil,  jugeant  nécessaire  d'adoucir 
ce  dangereux  esprit  et  de  donner  un  aliment  à  la  soif  précoce  de 
pouvoir  qui  le  dévorait,  engagea  le  roi  à  le  mettre  en  possession 
du  Dauphiné,  après  avoir  placé  auprès  de  lui  des  gens  sûi-s 
(28  juillet  1440).  11  fut  seulement  interdit  au  dauphin  de  «  désap- 
pointer »  les  ofllcicrs  alors  en  fonctions ,  sauf  le  cas  de  forfaiture, 
et  le  sceau  delphinal  resta  aux  mains  du  chancelier  de  France 
(Ordoww.,  XIII,  c.  318). 

Le  duc  de  Bourhon  rendit  à  Charles  VII  les  châteaux  de  Loches, 
de  Sancen-re,  de  Corheil,  de  Bric-Comte-Rohert,  de  Vincennes, 
et  tout  ce  que  lui  et  ses  adhérents  tenaient  hors  de  leurs  domaines 
propres;  après  quoi  des  lettres  de  rémission  furent  accordées  aux 
auteurs  et  aux  complices  de  cette  réhellion,  si  peu  excusahle  et 
si  nuisihle  au  pays.  Les  contemporains  rappelèrent  la  Prafjuerie, 
par  allusion  aux  guerres  civiles  de  Prague  et  à  ces  leriihles 
rebelles  de  la  Bohème ,  dont  le  nom  était  devenu  synonyme  de  la 
rébellion  elle-même. 

La  Draguer ie  avait  eu  de  fâcheuses  consé([uences  :  d'une  part, 
les  factieux,  quoirpie  vaincus,  n'avaient  pas  entièrement  échoué,^ 
et  la  complète  réalisation  de  l'ordonnance  du  2  novembre  se 
trouvait  ajournée.  De  l'autre  part,  les  Anglais,  espérani  tirer 
avantage  de  ces  trouhles,  n'avaient  point  envoyé  d'amhassadeurs 
à  Saint-Omer  au  printemps,  ainsi  qu'on  en  était  convenu,  et  six 
mille  combattants,  aux  ordres  de  Somerset,  Talbot  et  autres, 
avaient  entamé,  au  mois  d'avril,  le  siège  de  Harfleur  :  les  Anglais 
attacliaient  le  plus  grand  prix  à  la  recouvrancc  de  cette  impor- 
tante place  maritime,  la  première  des  conrpièles  de  Henri  V. 
Le  gouverneur  Jean  d'Estouteville  et  sa  faible  garnison,  vaillam- 
ment secondés  par  les  bourgeois  et  par  les  matelots  du  port ,  se 


iU*teiï(iiivnl  jui^iuu  l'auloninr;  b  conseil  itn   r^i   n^ 
envdjrr  ûv  svvouvs  qifiipKs  renti«Te  cMinction  tic  l* 
Les  coiiîtcs  tl'Eii  vi  de  ÏJunois,  Gaitcourï.  La  Illn?  ?  iiHi*t»ill_" 
enfui  avec  qu^tlrr  itiillc  î^ildals,  et  iitta^iiamil  |iar  tem^  ri\ 
mev  le  eauip  des  Anglab.  L'ciinejni  Liait  bien  rctninrlie  :  tl  i 
bnltre  en  Teïiaile  ol  laisser  riipiluier  llarllpnr.  Un  Uchik 
d(!'dorïiïnrjger  on  \^rvnan\  (Umelies,  h  iirinri|i.ilc  ^c^rt^lv«;5^ 
conilé  d'Kvreux  ,  et  *m  jeliiiit  une  foilc  |j;ai  nî^an  ilarjs  b^iûer 
pour  ïiarceler  les  Aiigkik  \ 

Le  vuï ,  après  la  souuùsgîioii  des  princes  jTlielles ,  «'^tall  nriÉ 
h  lîoiu*^es,  Qiï  1rs  Élals-GeuLratix,  d*ahord  eoii^tiqur!*  «iii  mn»^ 
te^TÎer,  ne  puiTiit,  a  eauBe  de  la  IVag^uerie,  se  miiiir  nuVii  - 
tenibre.  On  n'a  jujint  de  docunjeut!;  sur  ce  qui  s^y  [)ila<^a  rcl 
meut  nn\  afTuires  fin  vnyaunie;  on  ne  conuall  que  le.- 
qui  fuj'i'nt  prisses  sur  les  niïaire$  de  rK<;*UHv  Va^- 
Bourges  fut  à  la  hk  ÉlaU-Gênritiux  et  coueile  iiari»iniil,  lel 
ayant  nujîidé  .Kpéelylenienl  les  pivlals  et  le^  déjHittS  4i^  rf 
et  des  universités  pour  dùlilH  ri-r  «tir  hi  rêsum*clu)ii  m-i  tn 
seliiîsiiie,  La  querelle  du  pape  et  du  eumUe,  apre*^ quelrpit^ \4à(j 
feiilalives  d'acroinniodenu^iit ,  avait  reruntujenrtV  dr*|iuj!i  pla^â»! 
années^  avec  une  violenee  inouïe:  KufiîiMî  IV,  e5«ipr 
et  eujporté,  u'avaU  rien  uiénage;  il  avait  diTiare  le 
sous  etiransferè  k  Feriiu'e  ;  le*;  pèrej  de  BAlc  amieol  rL^purulii  d 
déetaranl  le  pape  sus[)endu  de  ses  Iburtions»  et  e»  Â\i]>[inH:kiit  i 
le  déposer,  taudis  qu'En^^^^ue  i?t  mn  unN^vnnrih  Inncaùnil  î'4ii** 
thème  sur  rasseruldée  de  Râle.  LMojileîeniî  el  la  floun^n^^ 
favorisaient  le  pape  :  la  France  et  Tlaupii-e  meliuuienl  \tT 
foneile.  En  juin  \  Î37»  le  roi  avait  inliiue  défense  à  limii  fu 
français  d'aller  ou  d'envoyer  a  Ferrare  et  de  déférer  au\  Mfl 
de  convocation  du  jKqM?  (Ordonn.f  Xlfl,  255).  En  jnillel  lUH,  b" 
mi  avait  nHini  à  lîotuves  un  eonrile  nationîil,  alla  tlV.^ainiiHT 
iViiseuifde  des  tenions  du  rniiciie  de  MU\  envoyi^s  en  fi^ice  fie' 
cette  atisenrblée.  Malgré  les  eftbrts  de»  K'gîiU  ilii  sailli  I%r,  k^ 

Imbitiaiils  év  Louvkfm ,  poui-  ri^ciniipdntiM'r  littr  fliliHiti)  ¥%  \m  imlrmniw 
ijn'iU  ovwîirrii  tfiiiluf ♦**♦  «i(i  11  p.iTt  (1(4  An^IttH.  LfoT  vlll»  tnnil  W  tUrv  <k  I 
Kr:ifM\  bt  Ua  fnrrnt  nutori^i^ik  à  portfr  Mk  Urvâmw  mit  Imin*  ha^U  u^  t.  « 


[1438]  LA  rUAC.MATigUE.  303 

concile  gallican  do  Bourges,  d'accord  avec  le  parlement  c\  h; 
conseil  du  roi,  ratilia,  sauf  queliiues  niodilicalions,  la  pluj.art 
des  décrets  du  concile,  et  ces  décrets,  qui  consacraient  les  lilHMtés 
du  clergé  et  s<Tvaienl  les  tendances  nionareliiques,  mais  surtout 
les  tendances  nalionah^s  des  gens  de  loi,  furent  promulgués  sous 
fonnc  d'ordonnaneo  royale  et  sous  le  litre  de  Pragmaticpie  Sanc- 
tion, qui  rappelait  Tancien  édit  de  saint  Louis  en  faveur  des 
libertés  gallicanes.  La  Pragmatiipie  établissait  la  décennalité  des 
conciles,  la  supériorité  du  concile  sur  le  pape,  la  libre  élection 
des  évéques  et  al)])és  par  les  chapitres  et  comnumautés,  sauf  le 
veto  du  pape  en  cas  d'indignité  ou  d*abus,  et  le  droit  du  i)rince 
d'adresser  des  «  recommandations  »  aux  électeurs,  «  sans  i»res- 
sion  tyrannique  [sine  itfip/rssione)  '.»  La  Pragmatiriue  reconnais- 
sait le  droit  des  patrons,  re[)résentants  <les  fondateurs,  [\  ptrsnitcr 
aux  bénéfices,  jiourvu  que  les  pnsrntrs  fusscjit  gï'adués  ès-uni- 
vei'sités.  Le  pape  ne  conservait  (pie  la  nomination  aux  l)énél[ccs 
dont  les  titulaires  mouraient  ou  résignaient  pendant  leur  séjour  à 
Rome.  U\  Pragmatique  interdisait^  dans  les  procès  ecclésiiistirpies, 
les  appels  en  cour  de  Rome,  sauf  après  înoir  passé  par  tous  les 
degrés  de  jui'idiction ,  et  encore^  en  ce  cas  même,  les  procès 
devaient-ils  être  jugés  dans  W.  i-oyanuic  ])ar  des  juges  délégués 
du  pape  :  certains  cas  spéciaux  seulement,  comme  les  procès  pour 
élections  aux  prélatures,  étaient  réservés  au  jugement  (lir(»(t  du 
pape;  enfin  la  Pragmalicpie  proscrivait  les  aimâtes,  coutume  par 
laquelle  tout  nouveau  bénéficiaire  pavait  au  pape  la  valeur  d'une 
amiée  de  son  revenu,  et  les  exiiectatives  ou  nominations  par 
avance  à  des  bénéfices  pour  le  cas  iW,  mort  des  titulaires.  Les 
prêtres  qui  vivaient  en  concubinage  public,  et  qui  étaient  en 
grand  nombre,  étaient  soumis  à  la  perle  de  Irois  mois  de  Irms 
revenus  par  année  [Onlo/ui.,  XIII,  :?07-29l  ;. 

La  promulgation  des  décrets  du  concile  sous  forme  d'ordon- 
nance royale  était  un  fait  grave  :  elle  consacrait  1(î  droit  de  crin- 
truie  du  pouvoir  civil  sur  les  décisions  de  l'Église,  et  constiitait 
que  la  nation  française  et  son  gouvernement  ne  se  croyaient 

1.  Th.  Biiîiin  it.  I ,  p.  320}  dit  que  le  pouvcniouiciit  de  Charles  VII  usa  inoih.n'- 
ment  du  droit  de  recounnandution  ;  mais  on  ne  i.*ou\nit  cunipter  sur  la  durée  de  ectto 
modêratiun. 


point  ol)!i<^és  de  recevoir  mm  dUciiSî^ioii  el  i^n^  m^ittïmihml» 
rtglernpnls  des  coneiîes  çi''n«^^ï*au\,  Li  l*ra;;,^iiaiiiïBP  fui  n^ur  ;iii 
un  applaiidise^emeTit  nnivcrseL  Prêtres,  mornes^  noMosptr 
y  v(n nient  Ia  rnslaumdon  lic  lein^s  droîls.  K-  -  cl  vîîaii 

l'ojaieiit  que  l'or  de  la  France  allait  ceîsser  d**  -  r  serslliî 

et  qu'il  nous  ix^terait  pour  servir  &  diasscr  l'Anglaîjî. 

Lé*  roncîle  de  Bâk,  enroura»ît^  par  r/!r€e[italiiiri  de  se»  (](- 
en  France,  continua  la  lutte  contre  Engene  I\\  el  b  |iûii$«i( 
dernières  extn^iniUs,  Eugène  fut  déposé,  et  la  Httrc  fut  offr 
Amé  ou  AiUidée  VIII,  duc  de  Savoie,  qui  avait  députa  peu 
que  en  faveur  de  son  fds,  pour  !^e  retirer,  mec  quelques 
dans  uji  riant  ermitage ,  k  Ripaille,  sur  les  lionb  du  ùii: 
Genève,  où  il  menait,  dit-on,  tme  \k  plus  épicurienne  quV 
tiqne*,  LVjnibilion  vainquit  l'amour  du  repos:  Aiim^I^V  ne 
et  fat  proeknié  à  BA\ù  sous  le  nom  de  Fêlut  V  [5  a^pleoilire  I  \ 
la  chrétienté  retonilm  ainsi  dajis  le  sddstoe  d*oû  die  ^rt 
peine,  et  cela  en  prtsenctî  de  VUiré^le  armée,  lu  Franee  mu 
pas  le  concile  dans  eetle  voie  extri^ine  ;  la  seconde  a"--    -- 
Bourges  (sep  (eirdjre  1440),  après  avoir  en  tendu  les  « 
deu^  partis  «  n'adhéra  point  à  la  déposition  d'Eugi-ae  iV  :  lemi 
et  le  concile  gallican  déclarèrent  que  le  condle  deBAlei< 
donné  d*une  iKutie  de  FlCurope,  ne  leur  pamissaîl  idind 
certainement  universel  »  pour  procédera  une  DH^^un:  si  gniaili| 
et  si  périlleuse,  el  deniandèrent  la  disîîolution  des  deux 
blées  de  Bî\le  et  de  FerraJX' ,  et  la  eonvocatioa  d'un  nouvfsan  i 
eilc  Lêcuménique  en  France  pour  l'année  sniïanle:  eVtwl  lei«*^ 
de  la  France  de  posséder  le  concile  dans  son  *ein.  d'à: 
décrets  de  Constance,  En  attendaiït;  tuie  onlomuinrc  r^ 
2  septembre  signifia  que  la  France  ne  rccymiattrait  pas 
pen^ion^i  déposîtions,  exeommnnieationiî,  fulminéi^s  (lar  te  i 
partis  Fun  eonlre  raiitre,  et  qi^elle  enirutlnit  re?^1ei*  en 
Las^!!iejul>tée  de  Itourges  accorda  une  dîme  ^m  roi    Onh^nr^,.  \ïïl 
311KÎ^^(5). 

Ni  k  pape  ni  le  concile  n'aece[>tèrent  le  u^o^cti  teiine  pr 


dn  meiltc'tir  vin  et  ùm  meillcureii  vbiidiui  ipiou  iwmvi/ii   n-u\-<nut-.  r 
1*  n  ;  c.  lf*5t  De  là  semlt  venu  le  prorcilic  de  fiiiiv  niutif 


[1U0-1U9]  L'ÉGLISE   PACIFIÉE.  395 

par  la  France  :  ils  s'obslinèrent  chacun  de  leur  côté;  Félix  V  fut 
reconnu  par  ses  anciens  états  de  Savoie ,  par  les  cantons  suisses 
et  par  quelques  portions  de  rAllemagne.  Le  schisme  des  deux 
papes  durait  depuis  huit  ans,  lorsque  le  gouvemejnent  français, 
en  i4i7,  intervhit  auprès  de  la  maison  de  Savoie  par  une  ambas- 
sade dont  Jîicqucs  Cœur  faisait  partie,  et  pressa  Félix  V  de  renon- 
cer à  la  tiare,  moyennant  une  transaction  honoralde.  Félix  y 
paraissait  disposé,  lorsque  son  rival,  le  pape  de  Rome,  Eugène  IV, 
vint  à  mourir.  Le  successeur  que  les  cardinaux  romains  don- 
nèrent à  Eugène,  Nicolas  V  ( Tliomas  de  Sarzana),  voulut  eniporter 
l'afTaire  de  haute  lutte;  d'une  part,  il  séduisit  le  céh>bre  .Enéas 
Sylvius  Piccolomini,  qui  avait  été  secrétaire  du  concile  delîàle,  et 
plusieurs  autres  des  principaux  meneurs  de  cette  assemblée  ;  de 
l'autre  part,  il  déclara  Amédée  de  Savoie  (Félix  Y)  et  ses  fauteurs 
déchus  de  leurs  biens  et  honneurs,  et  offrit  les  étals  de  Savoie 
au  roi  de  France.  Le  gouvernement  français  ne  répondit  qu'en 
interposant  de  nouveau  sa  médiation  et  en  expédiant  à  Rome  une 
somptueuse  ambassade  où  figurait  encore  Jacques  Cœur,  et  où  se 
trouvaient  côte  à  cote  Thomas  de  Courcelles,  Tagcnt  le  plus  actif 
de  la  condanmation  de  Jeanne  Darc,  et  Jean  Jouvenel  des  Ursins, 
le  directeur  futur  du  procès  de  réhabilitation,  triste  stigmate 
delamorahté  de  ce  temps  (liiS).  Nicolas  V,  érudit  profond  et 
habile  politique,  ne  s*opiniatra  point,  et  se  résigna  i\  accorder 
des  conditions  très-avantageuses  îi  son  advei'saire.  Le  concile  de 
Bâle,  réduit,  amoindri  de  jour  en  jour,  se  laissa  transférer  par 
Félix  V  à  Lausanne  (avril  liiO),  et,  là,  Félix,  après  avoir  rétabli 
tous  les  ecclésiastiques  déposés  par  Eugène  IV  et  Nicolas  V,  révo- 
qué les  analhèmes  quil  avait  lancés,  de  son  coté,  contre  les 
adhérents  de  ces  deux  pontifes,  et  confirmé  tous  les  actes  de 
son  propre  pontificat,  déposa  la  tiare,  et  les  pères  du  concile 
f  élurent  »  Nicolas  V.  Félix,  ou  Amédée,  demeura  cardinal-légat 
à  vie  dans  les  états  de  Savoie,  avec  le  i)remier  rang  dans  FÉgUse 
après  le  pape,  et  le  droit  de  conserver  les  ornements  pontificaux. 
L'assemblée  de  Bàle  se  sépara  enfin,  le  25  avril  1419,  après  être 
restée  près  de  dix-huit  ans  en  permanence  :  ce  fut  le  plus  long 
des  conciles.  L'absence  de  conviction,  la  versatilité  de  beaucoup 
des  membres  les  plus  éminents  du  haut  clergé ,  qui  préférèrent 


2m  nUERÎlES  DES  A?iGt\l^ 

leur  iiitti't-t   personnel  k  Yinivvèl  du   roriis,   eiti|NV)i{ 
triomphe  cuiîi[>lrl  de  la  repiil>liqne  ('pî$eo[hiIc  5ur  }\\ 
diie  papale  :  la  papautés   loiijniii'ïï  palit^ntc.  ftirîitîi::ilil 
ptaiU  hi  lempî^  pour  iû\\(\  ne  i^  lassiiit  nas,  ]»uur  «lUi 
de  refiiire  m  Unie  h  iiiesuiT  quViii  y   {lortail  la  miib.j 
un  fait  qni  ldess*ait  ce  t|tiV*Ue  nuiiinjait  ses  druiK  lùirif 
preacriplion  h  ses  yeux,  et  ses  eflbrls  pei^vèi^iittL,  [èciori 
roneernait  la  Frariee,  furent  di'^nnais  dirig/'îj  wn  Ta 
la  Praj^joaiiipie, 

Ixs  aîTîiîres  de  FEgliï^e  n'iivaicnt  pas  biigicmi»*  aniL*t^lf»| 
Si*il  do  roi ,  tpiï  reprenait  aetivement  les  des^j^'iris  mler 
par  la  iViigiierie,  Les  routiers  s  étaient  rciui^  de  [ditsj 
dévaster  les  pnivineos  An  nord  et  de  YosL  La  rj|{iin|K 
Lorraine  étaient  surlont  le  ttitVdre  de  leurs  fiireiirï»:  le*l 
renonveliH^s  etdre  le  roi  Ufin^  et  le  coinfe  iU*  Vaudeii] 
servîiit'nt  de  [>rétevle.  Au  cornuîeucenienl  de  lill,  Ch 
marclia  eu  personne  vers  la  Clianipaiaie  avec  le  iLiuiitiin. 
n/'tnhle  et  le  cotntc  du  Mainr.  imn  ile  Luxeu,' 
Lr^^ui,  d'odieuï^e  niéinoîre,  verjait  de  niounr,  a| 
depuis  e!n*i  ans,  la  neutralité  entre  la  Pranee  H  rAiiirlctr 
neveu,  te  comte  rie  Sain  l-Pol,  lieri  lier  dir  ses  «rrandrs 
ries,  fut  forcé  de  prt^icr  s^eriuenl  au  roi;  tous  lo^  rhefstl 
ijui  désolaient  la  (ihanipa^^ie  Hèsonniirenf;  on  jujUtffa  i 
de  faire  iiaruii  eux  xin  grand  exenii*le.  I^  Mlntid  iUrvi 
Bonrhon,  frère  du  due  de  Bourbon,  élaîl  en  lion  x] 

|>onr  ses  crimes  de  ton l  genre:  il  a\ait  été  le  ( 
taincs  îi  désobéir  ait  roi,  cl  à  se  jeler  dans  la  IVagiierir;  ir 
cotdriljué  plus  t|ue  per?;onne  à  déhancher  le  de- 
vint, comme  le^  autres,  demander  encore  uut:  : 
connétable  obtint  du  roî  Tordro  de  le  lairc  ia\*ndrc  | 
rilcrinite,  II  venait  de  mettre  le  comble  h  ^^  alnicît 
double  altenlat,  \iol  et  meurtre.  Soîi  procès  fui  îii^lniill 
renient;  il  fut  cousu  dans  im  sac  et  jeté  diui^  l'Aube, 
inenl  de  ce  misérable»  ((ue  ne  nicheUl  poiiM  du  ^u]f{dja'lf  ( 
royal  (pu  roulait  dans  seii  veîaes»  ré|iandit  une  terreur 
et  les  iiopulalions  ccïmmencérent  k  n^siarer,  l/oiiln-  [ti 
en  ClJànipaiirne;  les  places  et  Ic^  couipaj^DJe^  de  çiiw  d^ 


[14<0]  PHOCICS  DE  RETZ.  397 

Turent  mises  en  mains  sûres ,  et  la  solde  des  troupes  fut  assurée 
de  mois  en  mois. 

Quelques  mois  auparavant ,  un  aulre  exemple  plus  érlatant 
encore  avait  frappé  un  coupable  plus  puissant,  pour  des  crimes 
tellement  étranges  et  lellonuMit  inouïs,  que  cet  âge  de  fer,  qui  ne 
semblait  pouvoir  s'élonn-  r  de  rien  en  fait  de  mal,  avait  été 
frappé  de  stupeur.  Ce  ne  fut  pas,  dans  cette  occasion,  au  nojn  du 
roi  que  justice  fut  faite,  bien  que  le  criminel  fut  un  des  grands 
ofGcîers  de  la  couronne,  et  qu'on  n'eût  agi  contre  lui  qu'avec  l'aveu 
durci.  En  liiO,  un  des  maréchaux  de  France,  le  sire  de  Iletz, 
de  celte  maison  de  Laval  qui  était  une  branche  de  la  maison 
ducale  des  Montfort  de  lîrelagne,  fut  arrêté  par  onlre  du  duc  de 
Bretagne,  son  parent,  et  traduit  devant  le  tribunal  ecclésiastique 
de  Tévéquc  de  Nantes  et  du  vicaire  de  l'inquisition  à  Nantes,  le 
grand-juge  laïque  de  Bretagne  coopérant  avec  l'inquisition.  On 
trouva  les  ossements  de  cent  quarante  enfants  dans  les  tours  et 
dans  les  i)uils  de  Chantocé,  de  la  Suze  et  des  autres  châteaux  du 
maréchal  de  Retz!  L'imagination  la  plus  monstrueusement  dépi*a- 
vée  n'avait  sans  doute  jamais  rôvé  ce  que  révélèrent  les  débats  de 
Bon  procès.  Ce  siècle  avait  été  destiné  à  voir  réaliser  sur  la  terre, 
en  face  l'un  de  l'auhT,  l'idéal  céleste  et  l'idéal  infernal;  un  nou- 
TOau  Messie  devant  un  Antéchrist,  un  Moloch  incarné....  noms 
trop  faibles  pour  désigner  Gilles  de  Retz!  Il  est  înq)ossible  même 
d'indiquer  avec  quelles  épouvantables  circonstances  ce  monstre, 
qui  réunissait  en  lui  tous  les  genres  de  crime,  cette  «  béte  d'ex- 
lennination  *,  >»  assistée  de  deux  sorciers  italien  et  anglais,  avait 
Facrilié  aux  dénions  cette  multitude  de  victimes  enlevées  partout, 
dans  les  villes  et  dans  les  canq)agnes.  Il  avait  conmiencé  par  tuer 
pour  obl(?nir  des  puissances  infernales  a  or,  science  et  puis- 
sance; >»  puis  il  tuait  pour  la  jouissimce  de  tuer.  Un  trait  carac- 
téristique et  qui  semble  une  forme  du  mal  particulière  à  ce  tenq)s, 
c'est  que  cet  être,  qui  était  Tenfer  même,  ne  croyait  pas  aller  en 
enfer,  parce  qu'il  avait  toujours  évité  de  vouer  expressément  son 
âine  au  diable:  avant  de  monter  à  l'échafaud,  il  renq)lit  bien 
ponctuellement  tous  les  devoirs  de  la  rehgion  et  donne  rendez- 

1.  Miohelet.  Sur  le  procès  de  Retz,  V.  M.  Michelet,  Ilisinirc  de  Fram'e,t.  V. 
p.  203-215. 


398  OUERRKS  DES  .\KCL4I3w 

VOUS  en  pnnitHs  à  son  soicier  italitti ,  tatmnl  »e»  Inib^fkf 
tctiiporain^  édiliés  de  su  bonne  niorl  *, 

Il  avilit  i'U'  mmhmné  h  être  pendu  et  hrûlè.  ATanlqmî  le  ( 
fùi  roijsutné^  «  aucunes  dames  et  damoisêllesde  nm  lig 
fjlumrenl  du  duc  de  Brotagrne  ses  restes  pour  les  mettre  enl 
t^ainte;  elles  l*ensevelÎR^nt  de  leur»  ï.  ains,  <  et  fut  tsà\  yinl 
\ke  fort  solennel lenicnl  en  règiise  des  Ctirraeii  de 
élninge  exemple  de  V^hns  où  s'emportaient  i'i>'pril  de  i 
le  senti nienl  de  la  solldarit*^  des  raœs  dans  lu  noliliîssel  l*| 
trriâte  devait  ôlre  poussé  jusqu'au  l)Out;  les  rendrai  de  Jcfiiiiie^ 
dispersées  dans  les  flots,  et  celles  lU  Hetz  înliafii6i*f  m 
bénite!... 

Tandis  que  le  roi  parifiail  la  Cliampagne,  le  res^te  du  royi 
êtuil  lrùs-pn''ncrupé  <Vnn  important  évt^nenjenl,  la  dt^!i%^ 
duc  d'Oîléans  :  le  duc  Charles  %'oyait  finir  ses  longues  int 
pur  rinterventiou  d*une  maison  qui  avait  été  li*n;çrteinii»l 
niortclle  de  la  sienne.  Les  conférences  de  Sfiinf-OtneT, 
solenneUenient  aux  Ktats  d'Drléans  en  1139.  n'ajrani 
lieu  par  la  faute  des  Anglaiii,  k  due  et  la  dadicss^  de  1 
s'étaient  vivement  entremis  pour  que  Ton  trnitdl  h  par 
ruTivon  du  duc  d'Orlc*ans.  Les  Anglais  n'avaient  jactiair  rofi 
qualors  séparer  cette  question  de  celle  de  la  paix  :  la  fvénii 
trésor  y  décida  le  conseil  d'Angleterre,  h  qui  le  parkn 
sait  presque  tout  subside;  le  cardinal  de  Wineliester  etl 
pâcilîque,  malgré  Poppusition  du  duc  de  Gloce^lert  qui  |irold 
au  nom  des  dernières  volontés  de  Henri  V,  acceplèrrnt  niiej 
çon  de  200,000  écus  d'or^,  dont  le  paiemen!  éUiit  ç(u*anti  i 
dauphin,  le  duc  Philippe  et  tous  les  princes  de  Franciî,»* 
consenlement  du  roi,  Charles  d*Orléans  jura  de  oe  jamais  | 
les  armes  contre  rAjigleterrc.  On  raiîiena,  le  12  îtOTcnibre  H 


I  *  J .  Chiu-tief  î  ap .  ilMariûm  4e  Chsriti  Yïff  p ,  407  \  <—  et  matou..  •.»« 

c.  3-lB.  L'harrible  tilslolre  de  Bcte  c^|pli<|tic  et  cxcuftc  ta  ibt«i«'  tttvo  1 
mont  pouïAultJilt  \^  «pmU^r».  l\  nV^t  |mi»  clvulenx  ^u«i  diei  Û*%  i 
croj4iijiit  mi  nippott  ftv««  Vg»i>t\%  du  mAÎ  ^  lo  crhaf  m  M  J^l#nlt 

«le  liotiHî  inanïtaiu ,  cû  vuleur  nktire,  pcoHtre  ^  million»,  r.  l\  dè^Êsa^À 


[1440-1441]  LE  DUC  D'OULÉANS  DÉLIVIVÉ.  309 

Gravclines,  sur  les  terres  du  duc  de  Boui'{i:op:ne ,  qui  lui  avait 
préparé  une  brillante  réception.  La  joie  du  noble  prisonnier,  en 
revoyant  la  terre  natale  après  vingt-cinq  ans  de  captivité,  arra- 
chait des  larmes  à  tous  les  spectateurs  :  il  ne  pouvait  se  lasser 
d'exprimer  sa  reconnaissance  au  «  bon  duc  Philippe  »  et  à  madame 
de  Bourgofîne,  qui  avaient  si  généreusement  oublié  les  vieilles 
querelles  de  famille;  aussi  s'empressa-l-il  de  jurer  le  traité  dWr-! 
ras,  et  de  tenir  la  promesse  qu'il  avait  faite  d*épouser  mademoi- 
selle de  Clèves,  nièce  du  duc  de  Bourgogne.  Il  reçut  de  Philippe 
Tordre  de  la  Toison-d*Or,  lui  donna  en  échange  Tordre  du  Porc- 
Épic,  qu'il  avait  fondé  *,  et  ne  se  sépara  de  la  cour  de  Bourgogne 
qu'après  des  fêtes  splendides  à  Saint-Omer,  à  Bruges  et  à  (land. 
Le  retour  du  duc  Charles  causait  une  allégresse  universelle.  Il 
passait  pour  un  homme  sage  et  nu^ri  par  le  malheur;  le  pauvre 
peuple,  qui  n'avait  point  encore  grande  conllance  au  roi ,  meltait 
son  espoir  dans  le  nouveau-venu  :  on  l'avait  tani  i)laint,  on  avait 
tant  prié  pour  sa  délivrance;  toutes  les  imagiiintions  (ît  tous  les 
OBurs  étaient  pour  lui;  chacun  croyait  qu'il  alhiit  prendre  en 
main  le  gouvernement  et  remettre  le  royaume  en  ^  bon  état.  »  Il 
fut  royalement  accueilli  à  Paris  (li  janvier  liSl,.  Plus  de  (rois 
cents  gentilshommes,  tant  de  ses  vassaux  que  de  ceu\  du  duc 
Philippe,  chevauchaient  autour  de  lui.  Celle  étroite  union  des 
ducs  de  Bourgogne  et  d'Orléans,  cette  ponii)e,  cette  faveur  popu- 
laire, firent  ombrage  au  roi  et  au  conseil  :  (Charles  Yll  soui)(:r)nna, 
non  sans  fondement,  que  le  «  bon  duc  Philippe  »  n'avait  point 
agi  par  générosité  pure,  que  les  progrès  de  la  couronne  cau- 
saient quelque  souci  au  Bourguignon,  et  qu'il  espérait ,  en  réunis- 
sant les  deux  anciennes  factions  ou  du  moins  les  deux  inlluences 
d'Orléans  et  de  Bourgogne,  dominer  la  royauté  et  rempécher  de 
reprendre  un  trop  puissant  essor.  Le  roi  n'avait  [)as  vu  a\ec  plaisir 
Philippe  envoyer  la  Toison-d'Or  aux  ducs  de  Bretagne  el  d'Alen- 
çon,  en  même  temps  que  le  duc  d'Orléans  la  recevait  de  sa  main. 
Le  duc  Charles  ayant  demandé  au  roi  la  permission  d'aller  lui 
présenter  ses  hommages  en  Champagne,  Charles  VU  répondit 

1.  Cet  ordre  ne  dura  pas  :  il  ii\>n  resta  qu'une  dovi;»o,  couiservée  et  illustrée  par 
Louis  XII ,  fils  du  duc  Charles  d'Orléaus  :  c'était  un  porc-épie,  avec  la  légende  : 
Cominû*  et  eminùs  (de  près  et  de  loin). 


iûQ  fîiiEïiaES  DES  A\r;f..\is. 

(\ni\  \ errai l  vnloiitier^  son  roiisiii,  mm%  non  eu  *i  oomlir 
tmiipapiic*  Le  duc,  iimoz  «  nialcontent ,  *  dUa  sïliiblir  dam  î 
scî^^HHirîPîi  trOrli'^^^ns  ci  tle  RUiis,  Stiiis  aiciir  lisîli»  Ir  nii. 
.    I.e  siMil  iiioycn  fir  iiiairiliMiirraiiU^îtî'  rmah*  t*f*îitri*  l^prin 
était  d*!  pnriii^vérer  avec  éneriîie  dans  TcHivir  ûe  ûvU\T^nrt<i\ 
ivorgrmisntion.  On  lo  fit  sentir  à  flbarîfs  VîL  L<*  roi  M  le  rtn 
iablt\  ii\itv^  avoir  \nivg(*  (Yt'vorclmir^  le^  firovîiin*<i  di^  Tj 
disposèrent  h  un  vj^'Oinrux  **fforl  iioiir  di.LSsiT  les  Ançl 
rives  de  roise,  !>(*   cuniiélahïe  avait  repris  iy:«ccninienl 
ri*^nnain  :  cînfj  nilili*  soliints,  diriges  HirPxeîl,,  r 
ville  h  cfipilulrr  (tin  mai  1  iil  ) ;  puis  le  vo\  en  per:       •   ,  . 
pagînJ  de  presque  toiwî  les  vaillant»  eapitiines  de  Fnma*,  inil] 
sî('ge  devant  Fonloise  [4  juin  J.   La  pkip.'u1  de^   priiK*!^ 
(jnaient,  y  compris  lHinoiî<,  qui  piulageiul  la  lioudtTie  ik 
fnVe;  mais  htm  nond>re  de  ^H'ïdilshiïuunes  el  TtHile  dc«^ 
eommnnales  aeeounirenl  joindre  le  roi.  Les  eonifiaj^k 
siennes  y  iHaient  u  en  Ires-bel  Hiû:  i>  on  vit  arr  ifl 

arbak''lriers  de.  Tonrnai;  la  flt'or  fie  h  noblesse  ph 
la  conduite  du  cotrito  de  Saînt-PoL  Onn'auill  pa^ru  di*iHib  lo 
tenifîs  une  si  belle  assemblée  tle  geu^  de  guerre;  lijak  le  |e 
peuple  s'en  aperçut  :  re  nïtaicnl  dans  Pnvh  que  t^tiiU^el  eiïj 
fore6s;  on  dcmamla  une  taxe  à  l^imiverMte;  ou  pril  Vm 
ronlÏTries. 

LVid reprise,  en  eiïel,  exigeait  bien  de  rargciil  el  bit'ji 
sang.  Les  An;ilmïi  avaient  grandement  rorlîlié  l^tnluijie;  ki 
tanee  fut  opiniâtre,  et  le  duc  d'York  ^  régent   de  Fmnce 
flenri  VI,  envoya  do  Honen  T/dlmt  avec  quatre  nulle  «  î 
Ijattantîi  »  au  secours  de  la  pièce.  Les  gens  dVtnue^  tv     i 
datent  que  baiaille;  le  corme*abk\  qui  disposait  duiixoui 
mille  liormncs  eboisis,  conjura  le  roi  de  laii^ser  fnirr  u*s\ 
mais  le  souveîdr  des  grandes  batailles  qu*on  a\7»il  {>rT4fif$j»i 
►  contre  les  Angolais  eiïraya  (Iharïes  VIL  On  voyail  liîen  que  te 
n'aiait  t^tc  ni  à  OrltVms^  ni  à  Patai,   On  ne  condullit  imh 
on  soufTrit  que  Talbot  ravitaillât  Ponfoise  h  plusinm  r*^phu 
(Sîjuin,  6  juillet).  Les  Anglais  prirent  l'onenstit*:  vei^  Iji_ 
Juillet,  le  duc  d'York,  rassembhmt  toutes  tes  fuivcs  iiii| 
mandes^  au  moins  6gides  en  muubrc  ninc  Franç?ij^,  vMÎtv] 


[1441]  PiaSE   DE  PONTOISE.  401 

passer  TOisc,  d'atlaqucr  les  cainpoiiirnts  des  Français  établis  sur 
les  deux  rives,  et  de  les  forcer  à  lever  le  siège.  Ce  plan  réussit  en 
partie:  les  Anglais  traversèrent  TOise  ]»rès  de  Royaumont;  le  roi 
et  le  eonnélahle,  obligés  de  couvrir  Paris  et  Saint-Denis,  éva- 
CuèiTut  le  principal  camp,  celui  de  la  rive  gaucbe;  mais  l'autre 
camp,  du  côté  de  la  Normandie,  demeura  occupé  par  un  corps 
de  troupes,  et  le  duc  d'Yoïk  ne  crut  pas  pouvoir  le  forcer. 
York  suivit  le  gros  de  Tarmée  française  jusqu'à  Poissi,  où  le 
roi  s'était  relire,  et  lui  oflVit  la  bataille;  on  ne  l'accepta  point,  et 
le  régent  anglais  fui  contraint,  par  le  manque  de  vivres,  de  se 
replier  sur  Mantes  et  sm*  la  Normandie;  mais  Talbot  continua  de 
battre  la  canqiagne  et  d'approvisionner  Pontoise  (mi-aoïlt). 

Le  roi  passa  trois  semaines  à  Saint-Denis  dans  la  tristesse  et  le 
découragement  :  Taiinée  menaçait  de  se  débander  :  les  Anglais 
^câblaient  de  railleries  le  roi  et  ses  capitaines;  on  n'entendait 
qu'un  cri  à  Paris  contre  la  a  couardise  »  de  Cbarles  VII  ;  les 
princes  renouaient  des  intrigues  menaçant(\s;  la  levée  du  siég(» 
de  Pontoise  pouvait  être  le  signal  d'ime  révolution.  Cbarles  Vil, 
après  bien  des  hésitations,  comprit  enfin  (pi'il  fallait  vaincre  à 
tout  prix  :  il  rassembla  tout  ce  (jui  lui  l'csîait  de  troupes,  et,  vei's 
la  fin  d'août,  il  revint  s'établira  Maubuisson,  dans  son  ancien 
camp  de  la  rive  gaucbe  de  l'Oise.  On  ne  s'anuisa  plus  à  vouloir 
piTTidre  Pontoise  par  famint^;  pendant  quinze  jours,  les  canons 
el  les  bombardes  de  Jean  Bureau  battirent  la  ville  malin  et  soir'. 
Le  19  septembre,  Pontoise  fut  emiiorté  dans  un  terrible  assaut; 
le  roi,  le  daui)liin,  le  connétable,  le  comte»  du  Maine,  entrèrent 
de  trois  CfMés  à  la  fois  dans  la  ville.  Ce  jour- là,  du  moins, 
Cbarles  VII  eut  part  de  sa  personne  h  la  victoire.  Mille  ou  douze 
cents  Anglais  furent  tués  ou  pris*;  un  petit  nond)re  i)arvinrent  à 
s'écliaiiper  de  la  ville.  Les  vaincus  furent  très-durement  traités: 
les  soldais  jetèrent  à  l'eau,  «  comme  des  cbiens,  »  tous  les  pri- 
sonnieis  qui  ne  purent  se  i-acheter;  mais  les  bourgeois  n'es- 
suyèrent aucun  mal.  Le  roi  préserva  de  toutes  violences  les  pauvres 

1.  M  Maître  .Teaii  Biirciu...  telleiiu'iit  s'y  comporta  qu'il  en  est  digne  de  recom- 
mandation piTiMituellc.  "  J.  Chîirtior,  p.  117. 

2.  Les  soldats  étaient  si  furieux  qu'ils  tuèrent  un  Anglais,  sur  la  place  de  Pont- 
olve,  jusque  sous  le  voutrc  du  che\al  du  roi ,  qui  criait  de  lui  laisser  la  vie.  lia 
faillirent  tuer  le  cheval  mênic.  Th.  Basin ,  t.  1^^,  p.  116. 

VI.  26 


102 


GUKHHES  1>KS  ANGLAIS. 


habitant»;  puis  il  rL'Cûni|HMi«ë  ridieniciil  a^ux  àc  u^  bocmiis 
rjiij  ti\aîrnt  p^n^trt'  Icîs  prt Jiilor*; d^u^  b  ville;  il  leur  lit  dc^iiuA 
dons  vu  or  et  aigenlj  iciir  assura  des  reatis*  h  vie  pay^Ues  itâitf 
k  ville  tle  Vuvh,  \m  anoblit  ei  leur  donm  diîs  ermoirics;  or 
c'étaient  de  simples  gens  des  communes  et  rottirier*  \ 

Ikiu^  la  rn^iiie  semaine,  Ëvrexîx  avait  été  sur|irift  jiar  la  garai* 
son  irançaisa  de  Gonches, 

Le  roi ,  celte  fois ,  fut  joj  eusemenl  reçu  h  IWis.  Il  y  s^jinroi 
pen ,  loulefojs  :  il  ne  pouvait  prociu-er  au  {>eu|ile  de  BMÏàgmM 
iminôdiat  ;  les  lieureux  eflets  des  avanlzi^es  'ililcnus  siir  h*$  Anglaif 
ne  se  faisaient  pas  encore  sentir;  le  clergé  murmumii  dr  U  Itmi* 
gression  de  ses  privilèges;  Tuniversitr  Rispndnii  j^^^s  anin, 
provinces  du  sud-ouest  réclamaient  d'iulleurs^  la  pit'ïiencr  du  nii 
du  conseil  :  maintes  «  roberies  ^  avaienl  lieu  atiic  pays  if  AiiJo*i«ift^ 
Poitou  et  de  Sninlouge;  Ut  Trêniotlle  et  daulre**  ^'j^eiirs  1 1 
lisaient  d'exactions  avec  leiè  elief^  de  €oui|»agfttes.  te  r^*î  '^t^ 
conuèlable  {ïaâsi^tt>nl  lltivcrà  rétîdjlir  Tordre  daas  çf»* 
\m-  des  rigtieurs  nécessaires,  et  se  préjwirercnl  à  «ecimrir,  lc*c 
suîianl,  la  ville  de  TiU*tas  en  (ïascoRne»  quu  les  Aititktti 
tiuyenne  avaient  assiégée,  et  que  son  seipieur,  le  niro  il*A 
avait  promis  de  leur  remettre,  8*jl  n'étaîl  «  recous  t  ii.ir  h  ni 
ilevanl  la  Sriint-jMn  de  1142, 

Ce  n'était  \m  It^  compte  des  a  sires  des  ïleurs  ûe  ïh  »,  qu'on c 
seil  de  *  peli tes  gens  »,  oii  liguraient  à  peine  troi^oo  qoatre  | 
et  grands,  ftt  si  bien  sans  eux  les  affaires  du  royaufnc  :  lisi 
du  roi  lem^  iru[josaiont  des  ménagements^  qu*ils  fiVuj^;$enl  poinl  j 
dés  si  scB  armes  eussent  été  malbenreuseîS.  Ihcssa^èrrnt  uni?  < 
nière  tentative  pour  ressaisir,  par  des  moyens  paritiqui^,  le  p» 
voir  que  la  violence  n'avait  pn  leur  donner.  Ils  imn'jit,  ibiit< 
conditions,  le  concours  du  tlue  de  Bourgogne,  (|Ut  n*aiait  pa»  «il 
$e  com])roinetlre  dans  ia  Pragnerie.  Lesdni^sdeUuurgcigiicddXl^ 
tonss'aboueliérent  à  llestîin,  convinrent  fp Tune  iVmnriiij«rîf 
des  princt*^  aurait  lieu  à  Ne  vers,  au  mois  de  luai's  I S  il\  el  €|it*a 
rédigerait  un  cidiier  de  remnnlrances  h  pW-seiiter  aiu  roi,  L15  dm> 
d*A]ençon  et  d(!  Itoorl*on,  les  eoude$  d  AJigrMitème,  de  Ncsnoun^. 


1.  Jvan  Clianicr*  —  Motittrçkl.  —  Binth  ^  QmL  tiruti.  —  1 


l*4«]  MENÉES  DES  PRINCES..  403 

*Ëtanipcs,  de  Vendôme,  de  Dunois,  se  rendirent  à  l'appel.  Le 
onscil  dirigea  le  roi  avec  prudence  et  niesure  ;  Charles  VII  dé])ù- 
ha  son  chancelier  à  Nevers  afin  d'ouïr  les  requôtes  des  princes; 
3  cliancelier  n'éltint  i)as  autorisé  à  rien  conclure,  les  princes 
nvoyèrent  par  écrit  leurs  représentations  et  lein-s  demandes.  Ils 
flcctaient ,  pour  gagner  le  peuple ,  de  déclamer  sur  Turgence  de 
i  paix,  sur  la  nécessité  de  faire  honne  justice,  sur  les  ravages  des 
oldats,  sur  «  les  excessives  tailles,  aides,  impositions  et  gahelles, 
ïsquellcs  ne  doivent  être  mises  sus  sans  appeler  les  seigneurs  et 
ïs  États  du  royaume  »  ;  leurs  vrais  griefs  ne  venaient  qu'ai)rés  : 

le  roi,  ajoutaient-ils,  devoit  appeler  aux  grandes  affaires  du 
oyaume  les  princes  de  son  sang  plus  que  nuls  autres,  et  les 
ntrctenir  en  leurs  prérogatives  et  autorité.  »  Puis,  se  déroulaient 
laintes  réclamations  de  pensions,  de  places  et  d'offices.  Le  duc 
'Orléans  eut  le  bon  goût  de  ne  rien  demander  pour  lui  ;  le  duc 
e  Bourgogne  se  plaignit  seulement  que  divers  articles  de  la  paix 
'Arras  fussent  mal  observés.  Le  roi,  «  en  son  conseil,  »  réjmndit  à 
)ul  modérément  et  amiablement ,  accorda  à  chacun  ce  qui  pou- 
ait  èti'c  accordé  sans  péril  et  sans  fîûblesse,  et  promit  de  ne  trai- 
;r  d'aucune  «  haute  matière  sans  le  su  des  seigneurs  de  son 
ing>,  pourvu  qu'eux,  de  leur  côté,  «  fissent  envers  lui  ainsi 
u'iis  sont  tenus  de  faire  ».  I^  passage  le  plus  remarquable  de  la 
éponse  du  roi  est  celui  relatif  aux  tailles  :  il  nie  les  avoir  établies, 
isqu'alors,  à  Finsu  et  sans  le  concours  d(*s  États,  «  quoi  qu'il  pût 
îs  mettre  sus  de  son  autorité  royale ,  vu  les  affaires  du  royaume 
î  grandes  et  si  urgentes,  »  et  pour  délivrer  ledit  royaume  des 
nnemis;  il  ajoute  qu'îissembler  l(*s  États  n'est  que  charge  et 
lépenseau  pauvre  peuple,  et  que  plusieurs  notables  seigneurs  ont 
equls  que  l'on  cessAt  de  les  convoquer  (Monstrelel,  1.  Il,  c.  ?C4). 

Il  importe  de  signaler  ici  le  point  de  départ  de  la  politique 
aonarchique  ;  transition  singulière  et  douloureuse  à  Thistorien  et 
.u  philosophe  !  Les  ennenjis  du  peuple  soutiennent  les  droits  du 
icuplc,  que  sapent  ses  amis,  les  hommes  d'État  sortis  de  son  sein  ; 
es  ministres  patriotes  sacrifient  l'avenir  au  présent,  suivant  le 
nalheureux  penchant  de  notre  France.  «  Tout  pour  le  peuple, 
ans  le  peuple  !  »  disent-ils  ou  laissent-ils  dire.  Plus  tard,  on  dira  : 

tout  pour  le  roi,  pour  la  gloire  du  roi  !  » 


401  GUKUUK!^  riBS  A\ni,Af<-  |UlW4«l 

Les  lirînccs  «enUreiit  qa'ujie  nouvelle  I*r;^t1rfk•  auniii  cfuxvt 

iiioîns  ilr  f'hîincfK  (tu*?  la  piTJiiièn.%  ni  K*  diii:  l^)ij|j|i|>r,  m  h* 
iViivlvsïn^  n  étairnt  cli^po^eî;  u  utie  riiiïluiT  violaite  mvr  \e 
Les  concessions  otTcrtos  par  le  roî  furent  acceplées,  ri  \e  dur  û'ik- 
Ii'ïins  alhi  saliKT  nbarles  Vil  h  IJîïiaffos,  Iâ^  n>i  Ini  fil  ^^jzmiT 
«  rliùrc  ^  et  lui  donna  ^^  liait  vini^t  mUlr  trinirs  •  (mur  r.iîdrr  i 
[Kàjor  M  rançon;  dn  pïiis,  une  jmision  linniiflli:^  de  IO,Ûl¥*  fnifM^ 

(Jepentlimlk'  printi^iniisiHaii  arrivé,  i^l  ili'iaîl  trtiit>$  de  ojaitUrr 
enCiasrognt^  :  le  roi  v\  le  cnniirt+^iljlc  assc*ndjlèri*iit  à  Tc»iilrit0p  nr 
belle  arntôe,  el  B*avaneèrent  sur  Tartas.  l>es  .^iigULs  ne  se  prw^li» 
nnit  point  «  pour  tenir  la  journée  »,  et  rarwiec  nnule alluqua K 
pril  Sain t-Se ver,  Ua\  et  La  Rêule;  Tonneinj?  H  Mu         .  '    y^i 
dirent  à  la  preniimï  sonnnatîon,  el  lieaueou|i  di'  ^      .  .     !%  i$\ 
Gascogne  auf^Inise  prirent  serment  au  roi,  (Unn  de  k  GitNin^»^ 
franrnis^e,  ipit  s'étaîrnl  arroge  uno  entière  tftdt'pendanti'  m 
(le  It'urs  ninntagne^t,  rellrenl  connaissance  ai/*c  raitluritt:  r..^^.u. 
d*>nt  ils  étaient  depuis  lori^ieni[isdé*i|iid)iluéj$.  ïh  tviHnuhtvni  les» 
au  iiau  roynl  t-t  «  desservirrni  knu'S  lli^fs  *.  Le  nu  hiverna  hMt^ 
aubau*  La  France  perdit,  durant  cet  hiver,  un  de  ses  iimUe 
capilaines  :  Klienne  de  Vignolles,  dil  L*  Ilîrr,  niouruf ,  dan^  uni 
assez  avancé,  au  ivtotir  do  rexpédilion  de  ClasoDgne.  Ce  lamwii 
a  veiïtoricr,  Tinsrun  de  naisstinec,  fut  un  des  raractm^  les  plm  ( 
ginau\  de  ce  siècle* 

Le  ïvL  au  printemps  de  1  i  i3 ,  retourna  de  LaniîtMNlœ rn  htiU^i, 
et  envova  le  daufiliin  dairs  les  pa}&  entre  SeineH  Snninie,  dnnl  ill 
donna  le  ^ouverneuicnL  Les  Angkîs  paraissaîeni  rouUi^r  pr 
rolTunsivc  :  Talbot,  après  avoir  enlevé  anx  Fraiiç;ns  leclillr»»] 
(lonehes,  avait  invesli  Dieppe.  On  ne  soufTHt  |iaâ  i]ul- INqifwîdR 
le  sort  de  Uurtlrur  ;  le  dauphin ,  secondé  par  Dunuis.  ^^ 
(IrnK'onrt  et  flaulres  mpitaines,  mardm  sur  Dîi^ppe, 
Anglais  en  Tabsenee  de  Tidbot,  leur  enlevii  un  fort  qii'iU  aiaiml 
hàti  sur  la  uionlapîe  ilu  Poilet  (lour  écraser  lUej»(M»,  f*|  le^  ronu 
gnit  h  lever  le  siè^e  [  1 1  aoûl  .  \!t*in$  clément  celle  ftd.s  qu'à  Me 
reau  Jl  lit  pendre  soixanle  «  Frnnrurs  reniés  •,  el  (|uidqt)es  Anr^ 
qui  Iuiavîu<*fjlcr[é(lesinjtirespeTidnnt!i'rondiaLSiirresenlrr£aiIrK 
Iccnrnïe  di^Sunicr^H,  débarqnéa  (Iberlmur^  a^eelniit  mille  j 
lialtunts,  s élfiil  avancé,  k  traders  le  tlolenlin»  le  Aliiimîd  YXufi 


:U43]  AKKAIUES   DE  GASCOGNE.  i05 

jusqu'aux  portos  d'Anj^fM-s.  C<»tl(î  invasion,  qui  avait  n'iKindii  rcflVoi 
dans  les  pajs  de  la  Loire,  n'eut  d'autre  résultait  que  des  \illat:es 
lirùlés  et  la  prise  d'un  ou  deux  cliAleaux.  Somerset  rentra  en 
Xonnandie  sans  avoir  rien  tenté  de  sérieux. 

Le  dauphin  a\ait  rauK^ié  ses  troupes  dans  File  de  France,  où  leur 
conduite  excitait  une  clameur  générale.  Les  chefs  manj^eaienl  l'ar- 
gent des  tailles  a  à  jouer  aux  dés,  chasser  au  hois,  ou  danser  j»,  et 
autorisaient  toutes  les  exactions  des  soldats  pour  les  empêcher  de 
se  plaindre  :  les  paysans  étaient  ohligés,  connue  autrefois,  de 
racheter  leur  hétail  et  leurs  viornes  à  prix  crargenl.  L'ordoimance 
de  1439  était  foulée  aux  pieds.  Le  dauphin,  qui  avait  déjà  le  \iin\i 
de  Tarbitraire,  et  pas  encore  celui  de  Tordre,  était  en  (pien'llc 
continuelle  avec  le  parlement  et  la  chamhn»  des  conqites,  (pu 
résistaient  à  ses  caprices.  On  fut  fort  aise  d'apprendre  (jue  hî  roi  le 
rappelait  dans  le  midi,  où  avaient  surgi  de  nou> elles  «  hesof:iies  » 
(octobre  liiS). 

La  succession  du  comté  de  Comminges  était  depuis  longteinps 
disputée  entre  les  maisons  de  Foixet  d'Armagnac  :  le  roi  mit  d'ac- 
cord les  ju'élendanls,  en  se  faisant  léguer  l'héritage  par  la  vieille 
comtesse  Marguerite,  dernière  descendante  des  comtes  de  (lom- 
ininges.  Le  domaine  de  la  couronne  toucha  enfin  au  pied  des  Pyré- 
nées. Le  puissant  comte  de  Foix,  qui  avait  presque  régné  en  Lan- 
guedoc bien  des  années,  était  mort,  et  la  maison  de  Foix  garda  le 
silence;  mais  le  comte  d'Armagnac,  fils  du  connétable  Bernard, 
résolut  de  se  venger  à  tout  prix  du  roi,  (pii  oubliait  ainsi  ce  «ju'il 
nommait  les  services  de  son  père.  Charles  VII  porta  au  condile  l'ir- 
ritation de  cet  orgueilleux  s(Mgneur,  en  intimant  à  ses  sujets  l'or- 
dre de  payer  la  taille  ro\ale,  ce  qu'ils  n'avaient  jamais  fait,  et  en 
lui  défendant  de  se  (pialifi<*r  dorénavant  «  de  coniti»  i)ar  la  gn\ce  de 
Dieu,  ce  qui  n'apjïarlenoit  ni  à  duc,  ni  à  comte,  sujet  de  quelcpie 
royamne*.  »  Armagnac  appela  au  parlement  de  Paris,  au  pape,  au 

1.  Cette  mémo  fornmle  excita  nu  peu  phus  tard  quelques  débats  entre  le  roi  et  I« 
duc  de  Bourgogne,  qui  l'avait  adoptée  depuis  qu'il  s'était  emparé  du  duché  de  Bra- 
bant.  I^  duc  IMiilippe  déclara  t\\io  les  uiuts  »  duc  par  la  grâce  de  Dieu  *•  ne  s'ai»- 
pliquaîcnt,  dans  sa  ])cnsée,  qu'au  duché  do  Brabant,  et  non  à  la  Bouri^Of^iie  :  le  vd'i 
se  tint  pour  sutislait;  rcnipercur,  suzerain  du  Brabant,  eût  eu  seul  droit  do 
rêcbiiQcr.  Cette  formule  indiquait  en  cHet  la  prétention  de  ne  relever  que  de  Dieu. 
Ordonn,,  XIV,  IB.  Le  duc  de  liretu^^ne  an  l'était  arro^^éc  aussi 


iOG  GUIvRnKS  DES  AKOLAIS.  (lUI-HIV 

ronrile,  Irai  la  a\ec  ks  Anglab»  et  offrit  une  de  se9  fllle&  en)  louin^ 
ati  roi  Henri  Yl;  ses  propositions  furent  a<M:tpt4V*«  imu*  II*  crâliH 
ihuuW  CAovvsier  :  Armagnac,  coin iilanl  être  [luis^ÉUiutienli 
envaÎHt  le  mintù  de  Cominîngt^s,  retira  du  s^rvicf*  du  roi  ph 
chefs  de  cniu[)agiiie,  et  entra  pu  n^betUon  tm^^iia^  Le  roi  m  luF 
laissa  [lOÈ.  I'Ihvi  r  ponr  so  fi)rlitîei%  et  dé[ièrlin  contre  lui  tcilui- 
pliin  u\ec  un  millier  de  lances  et  force  gens  de  trait  :  la  luttr  firhi 
[Kis  longue;  lc$  cunipagnieg  rebelles,  qui  étaient  en  Boni!nrui%  ir 
Êoumirent  pret5(|ue  sans  rêsistîuiee;  tous  lesî  baroiii^  du  wi 
tonite  de  La  Marche  lui-niènie,  frère  d'Arma^nai!«  olieirunf ...» 
du  roi;  le  rouitc  dMrniiismH*,  sciTé  à  riniprovjsle dans rile-J'/iir- 
daiu  par  les  troupes  royales,  Tint  -^  présenter  au  flau|iljjn«  aiir  m 
l;innlle,  «  croyant  faire  la  paix  »;  le  dauphin,  |>eu  ïîcnÂÎbl*?  »V< 
iîotuniysion  forcée,  mil  la  main  sur  le  comte,  et  IVnviiya  |«ridO(U 
à  Lavaur,  avec  sa  femme,  ^n  fii«  piilnè  et  ses  ikifx  llllwk  U 
prompte  di  faite  de  cette  redoutsiblc  niai$;on  tlMniiagiiiir  rcbaiM 
fort  l'ascendant  de  la  eouromie. 

Un  nouveau  rcvû-ement  dt*  la  poliiique  anglaise}  avait  trompé  te 
csp^M^mecîî  riu'Annagnac  avait  fandecs  sur  Ivs  sctonr?^  de  ftlngk- 
terre;  la  situation  de  ce  royaume,  sons  le  faillie  héritier  dti  i 
l>lc  Henri  V,  re^scnildait  de  plus  en  plus  à  ce  qu'd^^it  (*U^  cvll«f| 
la  France  sous  Charles  VI.  îlenri  VI,  doux,  religieux,  éqntiiliir, 
mais  failde^  inintelligent  el  crédule,  était  un  de  ces  hons  [ifinno. 
fph,  plus  ipie  les  tyrans  mêmes,  précipitent  U  di^catlentc  lÈ^ 
emiiires.  Après  maintes  fluctuations,  U  se  déckro  pour  le  p^rti  Ar 
la  paix,  quand  il  était  trop  tanl  et  que  les  rlumei*s  de  faifiî  l 
imix  avantageuse  étaient  passées.  La  faction  du  dur  de  Gk 
suecomlia  sous  le  paili  du  cardinal  de  Winchester;  un  |K*rMiii 
au  roi  que  son  oncle  Glocester  meîiaeait  sa  coui-onne»  el  un  jn" 
procès  de  sorcçllerie,  qui  se  termina  par  la  cotHlamjiatJon  dfl 
duclièïîse  de  Glocester  à  «ne  prison  perpétuelle»  iMû  an  dm:  Umk 
chance  de  rega^mer  la  confiance  du  roi,  bien  qu'il  n'eiit  poial  Ht 
implitpié  personnellement  dans  la  prorédun-v  Uk  rf- 
(ilocesiter,  ancienne  maltresse  que  le  due  a^ait  éjiou- 
ru|iture  de  son  marîafje  avec  Jacqnt?line  de  Bavi^rfsHaînmiï, 
avait,  dit-on»  cherclié  h  <i  cinoulti*r  ^  le  roi,     '  - 

faire  pùriv  jKir  des  conJLUtdiuns  m;igiques,  ahn  ■ 


11444]  MARGUERITE  D'ANJOU.  407 

mari  le  chemin  du  trône'.  Le  cardinal  de  Wincliesler  et  ses  amis, 
les  iords  Somerset,  Suffolk,  etc.,  devenus  maîtres  du  gouverne- 
ment, résolurent  de  choisir  au  roi  unefenune,  non  plus  pîirmi  les 
adversaires  de  la  couronne  de  France,  niîiis  dans  la  maison  de 
France  elle-mt^me,  pour  faciliter  la  transaction  qu'ils  souhaitaient. 
Leur  choix  s'arnMa  sur  Marguerite  d'Anjou ,  «  lille  au  hon  roi  René 
de  Sicile  »,  et  nièce  du  comte  du  Maine  et  de  la  reine  de  France  : 
c'était  une  jeune  fille  à  peine  sortie  de  l'enfance  (elle  n  avait  que 
quinze  ans),  mais  douée  d'une  heauté,  d'une  intelligence  et  d'mic 
énergie  extraordinaires.  Les  «  gouverneurs  d'Angleterre  »  espé- 
rèrent que  la  reconnaissance  attacherait  Marguerite  à  leurs  in- 
térêts, et  que  l'alliance  française  les  soutiendrait  contre  les  mouve- 
ments de  l'intérieur.  L'un  d'eux,  le  comte  de  Suflolk,  se  chargea 
de  la  conduite  des  négociations,  et  Henri  VI  lui  donna  1rs  pouvoirs 
les  plus  illimités,  lui  pardonnant  par  avance  tout  ce  qu'il  pour- 
rait faire  ou  suhir  de  désavantageux  à  l'Angleterre^.  Le  gouverne- 
ment français  exigea  que  les  conférences  s'ouvrissent  au  cœur 
du  royaume,  à  Tours;  Suflblk  y  consentit  :  les  plénipotentiaires 
français'  ne  s'en  montrèrent  pas  plus  complaisants;  ils  ne  pro- 
posèrent plus  aux  Anglais  Finvestiture  de  la  Guyenne  et  de  la  Nor- 
mandie, et  ne  consentirent  qu'à  une  trêve  de  vingt-deux  mois,  du 
!•*  juin  1  'ii4  au  1*'  avril  lUG,  pendant  laquelle  chacun  garderait 
ce  qu'il  tenait.  Suffolk  accepta  (20  mai  1444)  *,  et  le  mariage  du 
roi  d'Angleterre  avec  Marguerite  d'Anjou  fut  conclu  en  même  temps 
que  la  trêve.  Les  ressources  du  roi  René  étaient  épuisées  par  la 

1.  Elle  fut  promenée,  pendant  trois  jours,  dans  les  rues  do  Londres,  en  chemise  et 
la  torche  à  la  main.  Wyrccster,  ap.  neanie,  400. 

2.  «  Les  erreurs  do  jugement  dans  lesquelles  il  pourrait  tomber.  »  Ce  singulier 
pardon  des  fautes  à  commettre  fut  ratifié  par  le  parlement.  Michelet,  Ilist,  cf«  France, 
t.  V,  p.  272. 

3.  C'étaient  le  duc  d'Orléans,  le  comte  de  Vendôme,  Pierre  de  Brézé,  sire  de  la 
Varenne,  et  le  sire  de  Boauvau.  Le  chancelier  archevêque  de  Reims  venait  de  mourir 
au  moment  de  se  rendre  à  Tours  avec  eux.  Regnauld  de  Chartres  avait  pu  satis- 
faire^ par  un  chapeau  de  cardinal,  en  M'î9,  celte  misérable  ambition  na:;uère  si 
funeste  à  la  France  ;  néanmoins  il  ne  jouait  plus  d«'puis  longtemps  <iu'un  rôle  subal- 
terne, et  subissait  Tascendant  d'hommes  qui  lui  étaient  bien  inférieurs  par  le  rang, 
mais  bien  supérieurs  en  autorité  réelle.  Il  fut  remplacé  par  Guillaume  Jouvenel  des 
L'rsins  comme  chancelier,  et  par  Jean  Jouvenel ,  frère  de  Guillaume,  comme  arche- 
vêque. 

4.  Le  duc  de  Bourgogne  avait ,  de  son  côté  ,  renouvelé  et  étendu  à  tous  ses  états 
sa  trêve  avec  l'Angleterre  conclue  dès  1 139  pour  les  Pays-Bas. 


100  oiEt&nr.s  uKs  xsulms.  îi*^ 

ratiçoii  qu*û  avail  dû  pa^er  au  diu"  do  Raiirsofîw»,  fêv  I» 
eivik^  que  le  imrlî  de  Vaudtniiunt  avait  renonvi^liSeg  en  Ui 
el  surtout  lUiT  lu  guiTit*  iimllunjitnij^t.*  que  livnv  iiuiil 
dans  le  royaume  ûe  Naidt?**  contre  les  Anigonais,  de  1 13B  k 
ui  qui  s^était  teriniiiée  [lar  wm  fXjniLsion  de  ec  rcijfnajjic;  Bro^ 
put  aligner  de  dot  à  »n  illle  :  Siiflolk  piissa  outi^,  cialUi  pttiâ  li 
il  promit^  eu  faveur  de  re  Jiiariajîe,  la  re,stJtntioîi  du  M^^  H 
tout  ce  que  les  An;^laLs  couservairnt  thm  h*  îlaiiH'  n  ù%^\ 
d'Anjou,  oncle  de  Marguerile*, 

A  k  noavcUe  de  la  trêve,  a  une  liesse  uurueiLse,  el  t]ui  -  f 
à  peine  dire,  renijïlit  les  ijeutiles^  dcî^  Gaules  =*,  »  Il  y  iiKnî  jjv 
trente  ans  cftie  la  Kranec  n*avail  eu  un  $eîû  jour  ilt?  jiak*  t 
l^uples,  si  lonitîteiti]>s  euqmsvounés,  eulre  leïi  nnini  df>  vil 
el  des  forteresses,  dann  un  cerele  de  périb  el  di?  tern*iii>, 
sentoieut  eunniie  tiiés  du  fond  d*un  caehot.  On  vojuil  Miilir 
luule  hommes  el  leuuues  des  placées  fortes  qui  les  ti voient  ^jril 
eonlre  rinlerunnable  leutpïi^te,  pour  aller  visiter,  de  [«nivii 
en  province,  les  lieux  de  pèlerinage.  Il  ti'y  avoil  poâ^  jiii^pi'. 
gens  de  guerre,  François  cl  Angloi»,  qui  ne  11:^^411  de  ii 
On  se  réjouissott  d*avoir  *V*îiâ[»pé  k  ce  long  A^v  d^qniuviii 
juents  :  ceux  qui  Ta  voient  vu  ct«nuieneer  eufanb  ii  voient 
tenant  la  lôte  ehenuel  On  se  réjoui ssoit  de  voir  les  fonrt*  et 
rhamps,  pour  désolés  el  déserts  qn'iliî  fuissent,  et  les  pn**  v 
et  les  fontaines  et  les  rivières;  beauct)iq>  qui   n'aviiient  jai] 
dépassé  reuceinte  des  villes,  voioienf  ItHU  cela  pour  la  f 
ruiére  fois  1 

a  Cliose  vraitiîenl  inei'veilleuse  el  qu'un  ne  sauioit  nq^i-t 
([u'à  Dieul  Avant  la  Iréve,  il  y  avoit  entre  les  fieufi  d'anr»*>  ri  1( 
peuples,  de  Tune  et  de  l'autre  part,  haine  si  cruelle  que  nul, 
péril  de  sa  vie,  ne  pouvoit  aller  parle  pa>«  nn^uje  suus 
ronduit.  SitOt  la  trêve  pul^liée»  chacun  put  aller  el  i  heminer 
toute  sûreté,  soit  dans  son  pays,  suit  dans  le  pa>*^  adiir»*,  * 
mêmes  qui  f  la  veille,  se  [daisoient  en  riuipitoyahle  efTunioi) 
sang  humain,   pris  piu^  on  ne  ^ait  ijuelle  douceur  de  ptà 


1.  ïïmtfi  Vt  fut.  cim»é  nccordcr  setilmicnt  rmiifriilt  vbgcr  û»  i 


>Cl^tfl«i. 


TKÈVE  AVEC  L'ANGLETEUP.E.  409 

ient  festins  el  danses  on  grande  liesse  avec  leui-s  ennemis , 
!re  aussi  cruels  qu'eux  *.  » 

peuple  se  donnait  tout  entier  au  bien  présent  ;  le  gouverne- 
pensait  à  l'avenir.  La  Irùvc  n'était  pour  lui  qu'un  moyen  de 
rer  plus  sûrement  raclièvement  de  la  guerre,  qu'une  halle 
îairc  i)0ur  consonnner  les  réformes  inlérieures  qui  n'avaient 
e  qu'éljauchées  au  milieu  des  embari'as  de  la  lulte  contre 
îger. 

1.  Baiiiii ,  t.  l*"",  p.  l()l-l«)?.  ('et  énerjrique  Uistorien  mérite  rattcntîun  à  plus 
PO.  Sa  latiuité  pesante  et  difluse  n'est  certes  pas  eneorc  d'un  cicéronien  <le  la 
ance  ;  mais  elle  atteste  pourtant  le  commerce  des  anciens  et  des  habitudes 
bien  diflôrentes  de  celles  des  barbares  du  xv«  siècle.  Nous  reviendrons  sur 
bien  autrement  digne  d'intérêt  chez  lui  que  la  forme. 


LIVRE  XXXVIII 


GUERRES    DES   ANGLAIS 

[SUITE  KT  FIS). 

Cil  mtES  Vil  ET  LE  coî<SEii*  DE  Fk  ^î<Cii  {"èwlr) .  —  R^tal«lb*^tni^)t  de  1 
—  Ktiiéiiiiiom  de  Suifsê  t%  dci  Lrirmlnc^.  ^  Cm^ATlDJf  l>ls  i^*i.jf  mck  rm.u»^i 
"  OfgAiibaLk)»  d'une  cavakrie  i'à^uli%r«,  ^  Ecfaroir  de  l>ilftikil«iinu«ii»^ 
eîértnCVmr  dvik  Akl^s.  —  Réfunne*  jiiiiîvjairps,  —  Euptuf«dâ 
roi«  Le  daitt>bin  m  relire  eti  Daiiphtné. -^  OrtS^Ji»t>«iiti<}ii  di»  fmfto^ivlmf .  ^ 

Burvii"  Bt  tsea  canoim*  PfOi^èà  de  rarti!lt?rle  françniac,  PrW  nit  i  — luiw 
Ijiirv  irmie  fc*u?e  de  plfi^e^.  Révolte  de  Kt)ti€n  4?ûnlr«  1c»  An^Uif»  Km 
livi'O  li=  n>i.  Frise  de  Btirfl^^ïir  et  de  lloitfli'ur*  —  M«rt  4*Agiiè«  5ff»t  t«4 
ck  VLIli^quicr. —  liAtitlth'  de  FormiguL  Fi-dnction  de  1a  B«M»-XunaaMdle^  j 
(ntm  et  d«i  CliL^rlHJitr^.  Lu  KtinnmiAw  QHiivT^  ivcquUxt,  —  ltt¥ftsiio 
Gu^micie*  PHmv  de  BtnJH.  Capilul!itîtj*ti  dit  l^irtlitauc  «"t  île  Ut^otii^r  L'i 
L'%\m\ié  de  Friiiit*,  maî  Cidiii*-  ^  ïtéhabilïtatioM  de  *lt**jiiif!  Hiirv^  —  / 
C'œwr^  îe  poiiiineixe  et  les  txrftuji-nrt^  nu  X\*  *'\ixW.  înirmiitado  iln  wé.  1 
âv  Jaequva  Citmr.  ConfiAt^lIcifi  d«  »c«  hii^n*.  âi»ii  érn^ùo  et  %a  fram.  —  1 
delà  Giîyctiiie.  Le»  Anglais  r»iiî>flé»  *  Hwril^ïix*  \m»i\0  cl  wnprt  é>7ai 
t'at-lillon,  Bordeaux  *e  soumfi»  Lii  (îu^curie  rocouvféo.  —  Pîti»:  lU  l\ 
par  Maliuin^l  ÎL  — ^  FSti  d*î  *jiii*rr(*n  dp*  Aïiylab.  Fin  du  Mutj^*  «ift;. 


Ijf  parti  de  la  paix,  en  Angleterre,  s'iUiuîniit,  sill  c<i 
Jrnaiuor  la  gramhî  luUe  par  qu<?lqut\H  Irj^q^^res  i:oni!»*^<iîiTi 
pfiuvcmeTTient  frarir^ùs  sentail  m  fon  c  rrûlU*<:  €t  sc^^tidit 
safTfiiblir.  Il  voulait  h\m  ajourner  la  gu<*rre,  niais  non  fa 
paix*  Il  se  jeta  n*^'iniiioiiis  dans  les  ainMiorations  |)âi  iJiquc 
piitiR^Hail  la  U^ôvo  hmx  autant  d'anU^ur  que  s'il  iiVt\l  |k 
d'aiTière-pcns^e,  satljaiit  bien  que  Lhacuno  d«  ces  anu^lk 
aii^Miientail  [mur  Favcnir  les  dmnres  heureuâi»s  de  la  eiieiTf». 
que  4  les  armes  rurent  siisiieiidues,  »  le  ^rciuiremi!iiit'nl  snpp 
tom  les  nouveaux  p^^^^es  et  imp()t5  étahlîs  ^ur  !a*i  riiièr»^ 
Frarite,  Champag:ne  et  Brie  a  pour  Tentrelien  dc^ 
[ùi'ihnih,  XIU,  405).  Une  ardannance  du  mois  de  fcf 


i*-»'*j  LiA   rnAAVit   lu'^di'i  nr..  411 

cèdent  a>ait  accordé  aniiuelleincnt  à  la  ville  de  Lyon  trois  foires 
de  vingt  joui-s  cliacune,  avec  les  franelnses  les  plus  ju-opres  à 
attirer  les  niarcliands  étrangers.  Lyon,  ruiné  par  la  guerre  avec 
la  Bourgogne,  par  les  épidémies,  la  eliei'té  des  vivres,  les  tailles 
et  les  aides,  avait  perdu  les  deux  tiers  de  ses  habitants,  réfugiés 
sur  terre  d'Empire,  dans  la  Dresse  et  la  Savoie;  le  conseil  du  roi 
avait  comi)ris  la  nécessité  de  relever  à  tout  prix  cette  grande 
ville,  a  une  des  clés  du  royaume,  lien  de  tant  de  régions  diverses  » 
[Ordonn  ,  XllI,  .'>99;.  Les  fameuses  foires  franches  de  (Iliam- 
pagnc  furent  rétahh'es  h  leur  tour  l'année  suivante,  à  savoir: 
une  foire  d'été  et  une  foire  d'hiver,  de  dix  jours  chacune  Or- 
donti,,  Xlll,  i:51  ).  En  même  temps  qu'on  ranimait  le  commerce 
intérieur,  Jacques  (aeur,  connue  ministre,  donnait  un  caractère 
officiel  aux  relations  qu'il  avait  contractées  avec  TOrienl  connue 
IWLFliculier  :  son  neveu,  Jean  diî  Village,  était  envoyé  au  Kaire 
connue  ambassadeur  du  roi  ;  des  jjrésents  étaient  échangés  entre 
le  roi  de  France  et  le  Soudan  d'Égjpte  et  de  S\rie,  et  le  Soudan 
garantissait  sa  protection  ayx  négociants  et  aux  jjèlerins  fran(;ais 
qui  visiteraient  Al(,*\andrie  ou  Jérusalem.  Pendant  que  le  com- 
merce recommençait  ses  spéculations  ' ,  (jue  les  ateliers  et  les 
Iioutiques  se  rouvraient  dans  les  cités,  les  i)ajsans,  ([ui  s'étaient 
entassés  dans  les  villes  et  dans  les  forteresses,  en  sortaiiMit  jjour 
rebâtir  leurs  chaumières  brûlées  et  remettre  la  charrue  dans  les 
sillons  abandonnés.  Ceux-là  même  que  le  désespoir  avait  jetés 
parmi  les  gens  de  guerre  et  les  routiers,  revenaient  i)eu  à  peu  au 
labourage.  Le  désert  des  cami)agnes  se  repeuplait.  En  juémc 
lenips,  des  liens  d'amitié  et  d'intérêt  se  renouaiejit  entre  les  pro- 
vinces françaises  et  les  contrées  encore  soumises  aux  Anglais. 
I-.es  marchands  et  les  gens  de  divers  métiers  reprenaient  leurs 
anciennes  «  hantises  »  les  uns  avec  les  autres;  les  Normands  voya- 
geaient en  «  l'Yance,  )>  les  Français  en  Normandie.  Le  gouverne- 
ment français  accorda  exemption  de  tailles  et  de  subsides,  foires 
franches,  etc.,  à  la  nouvelle  \ille  de  tiranville,  fondée  pai'  les 
Anglais  sur  la  c()t(*  de  lJass<'-Normandii' ,  contre  le  Mout-Sainl- 
Mich«*l,  qui  était  t(»ujours  resté  français.  11  n'y  avait  là  aupara- 

.1.  Jacques  Cœur  prutitu  do  la  tiOvc  pour  èlciulrc  ses  opérations  en  Ania^IcU-nc. 


4 1 2  (ï  V  K  It  II  ï.  S  i*  ES  A  %  < J  L  U  S. 

Mini  qu'une  vglht^.  frequenti^c  par  Ir-s  pèli^rîtis*  «  Ia^  lnd:h  r 
înoknt  fait  \ille  et  chAlel,  coiuiiic  eu  la  [liUî;  fûrtiî  et  avarii 
\Anvp  vi  clù  du  pfiys  piu*  uitr  cl  par*  tirnj  qu*on  [lût  ln»uv 
Uîuir  la  NoniïanfUc  ni  Èiuj6lî<jn.  »  Mais  /i  peine  avnîmt-il^  ...  u, .. 
icurs  travaux,  (juc  les  Français  s\*n  ctoknt  eiiiiKiK*»  \vn  Hi2], 
On  lâcha  d'alUior  là,  i>enf!ant  la  irève,  le  roiRriiiTix»  tle  lu  \nf- 
iiiiinilkn  Li  polilique  française  devait  lircr  bon  pmH  deoeerd^ 
Ijuns  au  iTuouvelleuieut  (le  la  jiucrn^  *, 

L'^uuiiî^m*uicnt  des  cœimî,  rapaiscmeul  général  ^  Ttf emcnl 
exprimé  par  Tliouias  llimn,  u'eiK  pai;  duré;  ili^jâ  Von  reooM- 
iucni;îiit  à  courir  les  chaujps  et  à  voler  smts  ilc  «  tmix  %i.sii:îi'*^ 
(desi  niaHfjnes).  I^cs  compagnies  lieeueiècs,  inin  nfiuitimi 
i|u'ou  les  fit  entrer  toutes  dans  les  eadri^  projelt-îr  île  J . 
ré^^ulière,  eussent  inraillîhlprnenï  jelt*?  sur  le  ]>laJ'|Ki%«  un  é 
de  bri^'anils,  si  le  eonseil  tlu  roi  n'eût  trnu^é  tnineri  tti 
ee  torrent  au  deliors.  t^liailes  V  avait  laisst*  un  exemple 
jugeu  bon  ù  suivre  :  un  n'-sulut  de  renuii vêler  ta  fmiieose  ei 
tton  de  Du  OueRrlin;  IVuraï^ion  se.préa*nta  tout  h  |>fiiut» 
plus,  eominc  alom,  vers  les  l*jTénécs,  mais  vers  le  Rhitu 

Il  y  avait  en  re  l^^nips-là  une  nide  f^uenv  en  î-  " 
libre  de  Zurieli  »  brouillée  avee  8es  voisins  ilej»  1 1:..  ...   . 

(les  Waidêtwitefi  :  Vvi ,  ScliwiLfi^  Uniervvald,  Zti'»  el  fibn 
invoqué  rassistance  de  l'empereur  FrMéricd*Aulriebe'  el  de  tuui 

le  barona^e  de  la  Soualjc  et  des  provinœji  euvjro' '  -    '•• 

l»rincos  autrirbiens  abborraienl  les  [>ayî>ans  rèpuhliaii  i . 
&t«*tten ,  qui  avaient  secoué  autrt*fois  le  joug  de  leurs  aKiiv  rt 
leur  avaient  fait  essuyer  à  euvnu'^uH"»  de  §an^i>infcs  defoif 
les  gorges  des  Alfies;  niais  U*^  guerr\*5  re]i|«ieiiîk"*s  de  b  I 
et  les  invasions  des  Turk^  en  llun^Tie  donnaienl  lru|i  dVnil^vRS 
à  la  maison  d'Aulriebe,  pour  ((uVîle  put  ixiintr  tonirs  *i'    ' 
contre  les  inontagnards  de  la  Sufs.\e^.   Lps  gentibliojti,,;i  :  - 
Souabe  et  d'Alsaee,  faiblement  seeoud(:^s  jmr  rejiipervru-,  of  « 


l.  Ofdom^.Xlïlf  p.  439.  —  M»thîvki  do  CDuiuf ,  itutitlitttJiirnrile  Mimscrdtfl^l 

S^  Ce  fï^uk  f  aloc>  jiKwi  mm\miu ,  n'i^t  qui*  U  funnu  U  lUcWi  Af  vdiià  éi  Sa 
mi  tUfn  trmn  |ifiitrljiitiiit  mntuu^  fon'tvli*T5. 


[14»i  EXPÉDITIONS   DE  SUISSE   ET   LOKIVAI\E.  .il3 

(nmvèront  point  en  élat  de  tenir  lèle  ;ui\  monta^mards ,  appuu's 
piir  Berne,  IWle,  Suleure,  F^ucrrne  ci  prescpie  truites  les  eoni- 
nuines  helvétiques  eonfédvTées.  Les  Suisses  assiégeaient  Zuricli. 
Le  inarfirave  de  Bade,  gouverneur  des  domaines  autrieliiens  des 
bords  du  Rhin,  eonjura  le  due  dr  Bourgogne  de  l'aidera  eontn* 
ces  mauvaises  g(*ns,  si  mal  intentionnés  pour  toute  gentillesse»  » 
(toute  nohlesse);  mais  TMiilippe,  (pii,  dans  ce  moment,  s'euïpa- 
rait  du  Luxemhourg  malgré  les  [)rél('nlions  des  maisons  d'Au- 
triche et  de  Saxe,  uiit  son  alliance  au  prix  de  rin\estiturc  de 
€  cette  duché,  d 

L'empereur  Frédéric  refusa;  il  lit  écrire  au  roi  de  France,  par 
son  secrétaire,  .Enéas  S)lvius  Piccolomini,  une  lettre  pressante, 
où  il  lui  remontrait  cpi'il  imi)ortail  à  tous  les  lU'inces  de  ne  pas 
laisser  les  «  sujets  s'élever  contre  leiu's  maîtn^s,  ni  les  vilains 
bmver  orgueilleusement  les  nohles;  »  il  lui  demandait  donc  un 
certain  nond)re  (h»  ces  com[)agnies  «  d'Armagnacs  »  et  de  c<»s 
hardis  capitaines  (pii  foisonnaient  en  France,  i)our  les  emidoyer 
contre  les  Suisses.  Les  étrangers  noimnaienl  encore  «  Arniagnacs  > 
les  soldats  d(»s  handes  françaises. 

(i'était  au  moment  de  rexi»édition  conti-c  le  comti»  d'Armagnac  : 
Charles  VU  ne  i)Ut  agréer  sur-le-champ  la  riMfuéte  de  rtMnpereur; 
après  la  i)rise  du  comt(»  et  la  conclusion  de  la  trêve  avec  les  Anglais, 
rien  ne;  s'oi)i)osa  i)lus  au  succès  des  instances  (pie  réitérait  Fré- 
déric. Ce  succès  alla  fort  au  delà  des  espérances  et  uième  des 
désirs  de  rem})ereur  :  le  conseil  du  roi,  sans  ?)eauc()up  se  sou- 
cier, on  doit  l'avouer,  de  savoir  cpii  avait  tort  ou  raison,  décida 
qu'on  enverrait  sur  les  terres  de  l'Empire,  îion  pas  seulement  un 
certain  nond»re  de  g(»ns  de  gU(Mre,  mais  tous  ceux  qu'avait  la 
France,  et  qu'on  ne  se  hornerait  point  à  l'iuNasion  dr  la  Suisse. 
Le  roi  René,  en  querelle  avec  la  \\\\r  lihre  et  inq)érialc  de  Metz, 
avait  sollicité  les  secours  de  Charles  Vil,  et  rêvait  (W  se  faire  suze- 
rain dos  éNéchés  d(»  Melz,  Toul  et  A'cM-dun,  sous  la  souveraineté 
de  la  couronne  de  France  suhslituée  à  rEnïi)ire.  Le  conseil  arrêta 
qu'on  ferait  <lcux  grossies  armées,  [)Our  aller  l'une,  en  Lorraine, 
l'autn;  en  Suisse.  Le  roi  devait  conunander  en  persomie  la  i)re- 
inière,  et  le  dauphin,  la  secrmdr».  On  disait  hauteuKMit  autour  d(» 
Charles  Vil  ipi'il  fallait  profiter  des  circonstances  pour  «  revendi- 


4U  ClIEUBES  DES  ASïiîLAIS.  m\\[^ 

qner  les  ancictis  droits  ûe  la  eourrmne  dt*  PrmH'e  sur  Ifias  les  | 
liîliips  im  deçà  du  Rbia  ',  » 

Ainsi  la  FniiiiT,  avant  niÊme  d'avoir  arli<*rè  de  s'alîmoHiir 
la  rDiiquHt*  élrangt^re,  reprenait  d*^]ft  mn  étiîrncllf  ùniiUmv  !♦-« 
ks  liiiiiles  de  la  Giinle^. 

îies  masses  farmididiies  se  cuncrrilrcVotil  on  Cli2iro|i«i^H*.  nii 
inoî?  de  jiiîllot  1414  :  Tarm^e  de  ^imse ,  conduite  nar  k-  daufiliiii 
et  par  In  plmiart  des  chefs  de  eampagnics,  m  dirigea  ili?  ! 
sur  Mon tli»^] lard;  elb  rciinplaîl  dtnize  à  fjimlorjte  mtll**  f.i-.H», 
français,  dont  au  moins  six  mille  bons  roinjiattiinu,  «lul 
gtsns  de  plcid»  et  huit  mille  Anglais  et  Nominiîd!*.  I^e*  rfnilim" 
anglo-nonnands  avaient  voulu  avoir  leur  part  i*  al- 

laient cherehcr  les  Fnin(,Miî? ,  el  mi  ks  a\iiil    >  »J 

cœnr:  c*étaîeni  autant  de  pillards  de  moim  en  Franee,  Toiié» 
qtie  le  dauphin  miivait  le  rhemin  tle  BAIe,  Ip  rtn  cl  lo  riinm*l 
marchai cnl  de  Troies  sur  la  Lorraine  aver  une  autre  iirm6e  pr 
aussi  nombreuse. 

F-c  dauphin  traversa  ra[Mdeinent  l'e^trémiti^  fC|»rriitrio«wilt*l 
la  Comté  de  Bourgogne,  en  éviliuit  lout  »ujel  det^  "•  -  -  î^rcj 
Bourguignons,  Les  «  Arnirignaes  o,  j^toshis  par  la  i  soa 

et  alsacienne,  arrivi'^rent  en  vue  de  Mk  avant  h  fln  û*in\ùî\  IHT 
bourgeois  de  BAlc,  tcrrili^'s  de  l'approrhe  df    ^'     '      î.- 
toyable,  avaient  envoyé  en  hnHe  hAte  demrMi  nui 

Suisses. 

Les  montagnard?^  détaehèreni  un  corps  d'i'^liie  pour  f-m  "iFrh.iir 
l'ennenu  el  l'einptVlier  de  passer  la  Uirsc,  riMi^recpi]  îvt  ji-Ut 
le  Uidn  au-dessus  de  iMle  r  l\ivant-^^arde  du  ilîuphfii  awl  * 
franchi  la  Birse;  k^  Suisses  la  ehargcrent,  la  €o!huti*rpîi|  MM" 

1*  ilititfts  SvîviuH,  cpî*t,  87. 

<i.  I^  tm\Ecn  ûu  roi  portAU  sê^  nmlflttont  mhnts  nu  Mk  tki  Utitliri  île  U  Gitfk 
Kti  0^1  l<t  1111^111?  Attiii*!'  mit  11^1  (If^  lUkHiM  «]iti  M  illiptiUtifnt  C«éii«i  ■'fVi  ■'W 
(IliurUH  \'n  lua  ir;ut4^  wcrH  ]\mtT  h  rt^ialjliMieineiit  du  pro1«c4iufmt  6iui^a  êotttm 
T^imUinUL*.  En  lUtf ,  le»  CumpliVcsr>i*i  et  Î<l*  Dwria  iVmjiHfvïTiil  c«&  f0H  é<  Okm 

CftuiiuïJVt-JiftMO  él*it!n  rntîâininîh^f  nvi'rit  d*?  *îi  parole,  ti  Voo  Mil  Ir  l^m  «m*  d#  nij^^ 
iiVrigtig^T  tbfii*   uni*  is^uerrij  en  ÎLBlk  puar  J*y  eoniraiu4ic.  Le»  rrftit^M  jF*r 

VmUvm^tiwn*  firiiid[>Al  dei»  négocia tlonjk  t^tâUvc;»  ^  G^ori.  T,  T.  l^Viafn^.J 


IHU]  COMBAT  DE  LA   BIRSE.  Iï5 

onlcvèronl  son  arlillerie  et  ses  ])ag:ag:es,  et  la  rejelèrenl  de  raulre 
côté  de  la  rivière.  Ils  avaient  déftMise  de  traverser  cux-mônics  la 
Birse  :  aussi  indisciplinés  (iirintrépidcs,  ils  assonnnèrent  un  messa- 
ger des  Biilois,  qui  voulait  les  enïpèclier  de  passer  outre;  ils  fran- 
chirent la  rivière,  et  se  ruèrent,  comme  des  taureaux  furieux,  sur 
Tavant-garde  française  ralliée  par  de  jmissants  renforts.  Les  nion- 
lîigiiards,  qui  n'étaient  pas  deux  mille,  enveloppés  par  des  masses, 
furent  bientôt  .séparés  en  deux  jielites  troupes,  dont  Tune  fut 
acculée  à  la  rivière,  et  Fautre  parvint  à  gragner  luw  ladrerie»  *  où 
elle  se  retrancha.  La  pn^mière  et  la  plus  faible  des  deux  ])andes 
fut  exterminée  après  une  résistance  désespérée;  puis  toute  Tar- 
niée  assaillit  la  ladreiie.  En  vain  la  chapelle  de  la  ladnM'ie  fut- 
dle  incendiée;  en  vain  les  ])oulets  renversèrent-ils  les  clôtures 
du  jardin  et  du  cimetière;  les  Suisses  repoussèrent  assaut  sur 
assaut  :  leurs  longues  piques  et  leurs  hallebardes  abattaient  les 
gens  d*armes  par  centaines;  leurs  gigantesques  sabies  à  deux 
mains  et  leurs  jiesants  monjnistvni  ^  broyaient  connue  vent; 
heaumes  et  cuirasses.  Connue  les  Gaulois  (»t  les  Franks  des  Ages 
héroïques,  exaltés  d*une  terrible  extase,  on  vojait  les  Suisses, 
liachés  de  vingt  blessures,  lutter  et  frai)])er  tant  qu'il  leur  restait 
un  souffle  de  vie  :  quand  ils  ne  pouvaient  plus  se  tenir  debout, 
ils  combattaient  à  genoux.  Les  plus  vieux  capitaines  d(*  France, 
«  qui  s'étoient  trouvés  à  tant  de  journées  et  rencontres,  tant  contre 
les  Anglois  que  contre  autres,  »  n'avaient  jamais  vu  «  gens  de  si 
grande  défense,  ni  si  téméraires  à  abandonner  leurs  >ies\  »  Émus 
iradmiration,  ils  eussent  volontiers  ofl'ert  quartier  à  ces  héroïques 
coniballants;  mais  les  seigneurs  allemands,  altérés  du  sang  des 
«  \ilains  »,  les  supplièrent  de  n'en  point  épargner  un  seul  :  les 
Suisses,  d'ailleurs,  n'eussent  point  consenti  à  se  rendre. 

On  assure  que  le  combat  avait  duré  dix  heures  entières.  Enfin, 
accablés  parlenondm.*,  ils  moururent  tous,  «  moins  vaincus  que 
las  de  vaincre*  »  (28  août  1  \\\\, 

présence  «le  lances  à  pied,  mareliant  et  manœuvrant  rapiilemcnt  sans  rénonno  har- 
nais qui  ai)p<'santissaît  les  pas  do  l'honniu»  d'armes. 

1.  La  léproserie  de  liàle,  dite  de  Saint-Jneipie». 

2.  KlMle  du  matin.  Massue  ainsi  nommée  à  cause  des  pointes  de  fer  qui  la  héri.-seiit. 

3.  Mathieu  de  Cuussi ,  ap.  7/isf.  </e  Charle»  VU .  p.  536. 

4.  Vincemlu  faiigati.  ^Kneas  Sylvius,  fpvtt.  7b.  Les  noblea  allemands  étaiiutsi  pco 


Le  ronn!i\  lonjniirs  ns^rniM^  h  Dûlc»  nvail  » 
b^ïaille  :  les  lï^Uih  invf>(|iii**rcnl  sa  tuediatitiru  ci  l    .. 
qtiatîT  évôqurs  tH  tloiize  dorlmrs  se  joijrtiireol  aiti  flè{iulL-s  ipf  (| 
\illo  cinoya  Y(*rs  le  daiipliiû.  Ces  aïiihasï^nclriirs  im|4rit>*i 
rirmrnrf*  du  prince,  d  liiî  otîrirenl  roiiv*»rt«in'  drs  parli**,  ài 
dilidTi  qiril  n'y  rnlreriiit  point  «  avec  foule  ^*è  piiis^sanre  »;  ' 
m  vmilail  pas  faire  piller  Uâle  par  ses  1iord<»  de  ruulicrf 
am'iiti,  Hf  peu  t]p.  ji^ur^  aprt\H,  il  apprit  ipio  lût  mont 
avaiiiit  ]ë\i*  le  ftir^r  de  Ziirid»,  et  ^.'etaienl  rctiri'^  fUn»?  les  lis 
valWes  d<^  Vîpes, 

Li'iirs  eniit'rnîs  ne  les  y  ^uivirnil  pas  :  rinrolsm*!  df's  ftaii 
avait  in^|>iré  au\  français  une  sorte  de  ^srnijtaUiie  (jull^  r>i*| 
rcnl  ;rut'relâ  peine  deeadierft  latiolite.sse  allmnande.  Le  d*iu|il(t^l 
sentit  rondrïeiî  la  pnsitiott  de  ce  pefil  peuple  [H>u^iiil  m  fairej"^ 
allie  utile  à  la  France,  et  se  ^arda  hien  île  le  puussiT  k  Uf)ut\ 
coinplaisanêe  pour  rAutriehe.  Après  quelcpji^iî  m^iigi^  &mh  k  ^ 
plaine  de  Snis«îe,  il  commença  de  néiiûder  avec  les  vflte 
vrfiques  el  les  Wftifhhrffrn  de  la  montagne,  et  ramena  éon  i 
en  U>ate  et  en  Sotialie.  Il  ne  put  dêlcniiiner  BAle  uscdotUMfrf 
France,  coinnie  iJ  Tessajaau  mépris  des  droiti^  de  ITinpire;  i 
il  e^mclut,  le  '>H  oclobn^,  tant  en  ^on  nom  qu'en  ctini  du 
pt^re,  un  tïMÎté  (le  «  bnnne  inïelliî^ence  et  ferme  arnSliè  »  ..- 
noliles^»  bonrpeoii?  et  paysan»  des  commîmes  de  Berne.  Ilàli', 
Lncerne,  Soleure»  Uri.  Sthwilz,  Unterwald,  Zntt,  Gkifb.d  n%t 
dnc  de  Savoie,  l&è  eomlesde  Neutchîltel  et  de  Yalian^tn, 
confêd^TéM  des  «  Ligues  de  la  Uuule  Allemapne,  »  alii5i  qn*oci  i 
lïiaît  tes  Suisses-  On  dit  tpie  les  Ligues  Suîïïses  |inmiîrrnl  smnf^' 
tenient  au  dau]ïlufi  de  inrltre  quatre  mille  cotnbatlant>  à  531  din 
IHjsiliun  quand  il  en  aurait  besoin. 

Aux  approches  de  Thiver,  le  dauidiio  cpnilii  im  imrûs  du  Rbm 


lifiriîM  mïimtif ,  fjiii  «vult  *té  la  cheville  oiivnt'rc  dr  la  1I|îtî«  cvatlv  le»  i 
rvctiitnut  p»miî  leMmouranti  un  capituint'  ilu  côntitii  d'ildt  «1^  CIoaultAfil  iTr»  | 
riiTWur  i   "  Non*  tQticliproiin  t'^  nwtr  mur  lîi*»  mmp^*  M  tri^ïAh —  ïlh  biro*  i 
foni^-ci!  u  ri'uViqiui  h\  nuHitaiirnaril  ;  et,  iii%>cnitiUnt  le  nnte  <l«f  «  ?ig 
l^tn^ii  uni?  fiit^rrc  à  In  tète,  La  ptrrre  ^rnitiii  Ifw  ^ctix  ri  b  Tmôe  ttr  ] 
Muttcr,  l/iil*  tfM  Huisnt.  ^  Muh'mi  *h  Coupai-  —  J*  Oirtjcr.  ^— B^ri*  ••  I 


:i<*V'  r.uEnrii-:  oe  metz.  m 

pour  ivjoiiidreson  prro  en  FiOrraino,  après  avoir  cliangr  ses  onne- 
iiiis  on  alliés  otsos  alliés  on  ennemis;  car  la  maison  d'Autriche  se 
plaignait  (jue  le  dauphin  lui  eiM  fait  plus  de  mal  qu'aux  Suisses, 
et  les  bandes  des  «  Arma^niaes  »  avaient  commis  de  tehes  dévas- 
tations et  de  telles  cruautés  sur  les  deux  hords  du  Rhin,  que  la 
population  s'était  levée  en  masse  contre  eux;  un  grand  nondjredc 
routiers  a\ aient  été  exterminés  n\  détail  pjir  les  paysans  dans  la 
Forêt  Noire  et  dans  les  vallées  de  l'Alsace. 

L'i  conduite  du  roi  en  Lorraine  était  encore  moins  propre  à 
satisfaire  rcujpereur  :  tout  en  protestant  de  ses  intentions  amicales 
pour  l'Empire,  Charles  VF!  sonunait  les  villes  impériales  d'entre 
la  Meuse  et  les  Vosges  de  reconnaître  sa  suzeraineté;  il  déclarait, 
dans  ses  «  lettres  royaux»,  s'être  transporté  vers  les  mairhes  d(* 
BaiTois  et  de  Lorraine,  et  vers  «  l(*s  Allemagnes  » ,  pour  donner 
provision  et  remède  à  [ïlusieurs  usurpations  faites  sur  les  droits 
des  royaume  et  couronne  de  France,  en  plusieurs  pays,  seigneuries, 
cités  et  villes,  étant  deçà  la  rivière  du  Rhin,  (jui  d'ancienneté 
«  souloient  être  aux  l'ois  de  France.  »  Verdun,  déjà  momenta- 
nément réuni  à  la  France  sous  Louis  Hutin,  Epinal,  (jui  relevait 
de  l'évéque  de  Metz,  Orville,  et  d'autres  petites  ])laces  se  soumi- 
rent assez  volontiers  [Ordoyin.,  XllI,  i08);  Tout  accepta  la  i)rotec- 
tlon  du  roi,  mais  en  réservant  les  droits  de  l'EmpiiT;  Metz  résisUi  : 
cette  grande  conumme,hal)ituée  depuis  longtenq)s  à  s(;  gouverner 
en  république,  lépondit  aux  gens  du  roi  (pi'elle  ne  d(;vait  rien  à  la 
couronne  de  France,  «  et  n'éloil  sujette  au  roi  René  ni  à  aucun 
autre  ».  F^es  Français  s'emparèrent  de  vingt-cinq  ou  trente  fort(»- 
resses  qui  protégeaient  le  territoire  de  Metz,  mais  ne  s(»  trouvè- 
rent pas  en  mesure  d'assiéger  régulièrement  la  puissante  cité, 
approvisionnée  pour  deux  ans,  bien  munie  d'artillerie  et  d'une 
bonne  garnison  à  sa  solde.  Cinq  mois  entiers,  cm  guerroya  autour 
de  Metz  a\ec  une  iuij>itoyaI)le  cruauté  de  i)arl  et  d'autre.  F^e  capi- 
taine de  Metz,  Jean  de  Vitout,  alla  jusqu'à  faire  noyer  des  fenunes 
qui  avaient,  malgré  sa  défense,  porté  de  l'îu-genl  aux  Français  pour 
racheter  leurs  maris  prisonnieis.  F.c»  roi  de  France  et  le  roi  de 
€  Sicile  »,  désespérant  de  réduire  «  ces  vaillantes  gens  »  de  >'etz*, 

1.  ••  un  <iplimictvc>  .V'Vfxs»-..  riioiims  Ba.-iii,  t.  I,  p.  Irt'l. 

VI.  27 


IIS 


nrEîlHES  ÎIE5  A\«LA15L 


*!W 


vilk  lit  un  HcIk'  i^rt^cnl  de  \aisM4le  il'ur  ii Ul»»^rl**?i  VU,  a^' 
ceni  tiiillc  t'cus  pour  les  Trais  du  sièftt\  Quant  h  Rejiè,  les  M*--»ifc»l»' 
diTlmr^civut  irune  f^rosse  doltc  qu'il  Jiviiît  ctmtrarU-ir  lîHVTirn' 
t'Hu^rs  leur  fuiiiiniine,  niaii^  ils  ne  rvconmimBi  ymiè  pliu^sa  Miji-- 
muHù  que  ct'lk  tUi  roi  tic  France  (27  férrîer  Hî5l*.  MHi  ^ 
ruina,  mais  resla  libre, 

Le  Irailé  avec  Metz  fut  accooijïagni'^  tl'iiii  autre  iniU*^  h\^^  ''^•• 
IMre  :  les  enlrcprises  de  Charles  YH  et  les\iiiletici?*  ciiirui« 
lei  troupes  du  dauphin  avaient  inqttîéW  et  iirUé  tmik*  PA*^ 
iiiagiie*  Les  princes  d'milrc*Hkln ,  qui  nVuigenl  pain! 
reuipereur  ihm  unû  querelle  parlieulière  h  la  maifion  d'  \ 
se  montraient  aussi  dig[Kïsés  que  M  à  f!^fendro  Im  o 
rEinpire.  Charles  VU  et  son  conseil  sentirent  rini|M  ni 

y  aurait  à  dimigor  mie  exptSIilitm  «raventure  rt  d'«  ^^ 

une  grande  guerre  de  eonquête  »  tandis  qiw*  le%  Sn;: 
encore  de  si  importantes  possession:?  dan»  le  royuioiir  :  tm  t 
gea;  le  roi  renfMii;a  ù  riioiinua^a*  de  pluMetirs  desfiWwfË 
rîales  qu*il  avait  occupas ,  el  les  AUernaiidfi  ncnonc^^rcnl  M 
îndeninités  qu^îlîs  avaient  réclamées.  Le  roi  garda  stîtili 
souverainetiUrÉpîn.iI  {Onlonu.,  Xlîf,  502), 

Les  vîtstes  deï^siinsi  conçus  un  i»<'U  légèrcmciil  atilour du fW 
avaient  donc  èchoutS  et  la  France  n*avait  fait  poiircellr  tuii  i|u'twc 
^or(e  de  reconnaîssonre  du  cMt'*  du  Rliin  :  cette  cari]|iai:i 
irlorieuse,  eut  néanmoins  un  grand  ivsullal  {Nitir  le  ro;.;.;... 
l'ordonnance  du  ?  novembre  1 439  fut  enfin  rtelisèc.  Lcf  coÊOfê* 
^^nies,  qui  avaient  si  kuij^qenjps  dévuré  ta  France,  se  Ir- 
fort  nlïaiblîes  :  des  inilUerB  fie  routiers  avaient  péri  aux  boni 
Rhin  et  de  la  Moi^cUe;  on  espéra  que  le  n-slt'  ^i^-îit1  atrn 
entendre  raison  et  a  accepter  une  existeîMre  réguUtre  H  boo^ 
rable  en  éclum^^^e  d'une    indépendance  désordotm^,  L«  |te 
nnonmïés,  entre  les  «  conducteurs  de  gens  dtà  guerre,  >airii 

1.  Lm  McmIas  lai  Àvâli^nl  |vrAté  ûp  r»r|r^iit  pour  l'^ytr  tm  rw^o  âm  àêtéê^fi^ 
go^«.  La  chujm^  d«  Im  |Qrui^rr(<,  i^r^miti^^  on  voit ,  ii'éUit  pu*  IWt  iMimifMlilc  «ii  4  !■§  m 
HiPiié  ««  qui  iittjiqiiii  Riti  vot>^m,t  r.i  tniitu  mt  Mm  fimiiMs»  «i4fil*l9  êé9m  4»  èMH^^^* 
poar  ne  (mi  puyt.T  tii?«  ilcltvM.  "  L^^a  tyr.'itk^  «,  iht  ThoB»«  IWido  4aim  «b  lâÊ^m  ér 
tdfiubHiriHii^iim  fttiM-i*iiH*^  ..  «itvit?m  loujouffe  U  liberté,  tr  fi|Mi  «i  U  j« 
{ivupk!!.  f  T.  î,  p<  l(i)3« 


:1U53  CnÉATIO.N   DE  L'ARMÉE.  419 

promesse  qu'on  leur  fit  irtHre  dos  «  mieux  et  des  premiei-s  pour- 
vus, »  répondirent  de  Tobéissance  de  leui-s  hommes;  la  rélnnne 
fut  donc  décidée,  malgré  l'opposition  d'mie  partie  des  j)riiK'rs  cl 
des  grands  ajjpelés  à  débiUtre  la  question  au  sein  du  conseil. 

Il  fut  ordonné,  de  par  le  roi  en  son  conseil,  que  l'armée  serait 
réduite  à  (juinzc  compagnies,  chacune  de  cent  lances  «  garnies  » 
ou  six  cents  chevaux,  trois  archers,  un  page  et  un  coutillicr  à 
cheval  étant  attachés  à  chaque  homme  d'armes.  Les  gages  des 
hommes  d'armes  et  de  leurs  gens  devaient  être  pa^és  mensuelle- 
ment, et  en  monnaie  royale,  j)ar  des  counnis  spéciaux,  établis 
dans  les  bailliages,  sénéchaussées  et  préviMés  où  les  capitaines 
tiendraient  garnison.  Ce  furent  les  premiers  i)ayeurs  e(  connuis- 
saires  des  guerres.  La  solde  fut  lixée  à  dix  livn^s  tournois  par 
mois  pour  riiomme  d'armes,  cinq  pour  le  brigandinier  ou  cou- 
tillicr *,  espèce  de  chevau-léger,  quatre  pour  Tarcher  ^. 

Les  historiens  contemporains  nous  ont  laissé  sur  l'exécution  de 
cette  grande  mesure  des  détails  qui  méritent  d'être  raj)p()rtés 
textuellement.  «  Les  quinze  capitaines  élus,  lesquels  étoient  tous 
vaillants  et  experts  en  fait  de  guerre,  non  i)oint  jeunes,  ni  grands 
seigneurs,  furent  mandés  en  la  i)résence  du  roi,  et  il  leur  fut 
dit  qu'ils  gardassent  étroitement  les  ordonnances,  qu'ils  ne 
prissent  avec  eux  que  des  gens  sûrs,  dont  ils  pussent  rendre 
bon  compte,  et  ne  lissent  ni  ne  souffrissent  être  faits  par  leurs 
gens  aucuns  dommages  ni  violences  aux  marchands,  labou- 
reurs ou  autres.  On  leur  bailla  par  écrit  les  lieux  où  ils  dévoient 
aller,  et,  après  qu'ils  eurent  choisi ,  entre  toutes  les  couîpagnies, 
les  hommes  les  plus  experts  et  les  mieux  habillés,  jusques  au 
nombre  à  eux  fixé,  tous  le?s  autres,  c'est  à  savoir  ceux  qui  n'é- 
toient  point  pris  à  gages,  curent  ordre  de  se  retirer  sans  délai 
dans  les  pays  d'où  ils  étoient  originaires,  et  d'aller  rcpi'endre 
leui'S  métiers  et  labourage ,  sans  plus  piller  ni  dérober  le  i)auvre 

1.  La  brijrandinc  était  une  armnro  défensive  plus  légère  que  la  cuirasse  :  elle  se 
cODipoàait  de  lames  de  fer  clouées  sur  un  pourpoint  matelassé. 

2.  Cette  solde  était  énorme;  en  valeur  relative,  elle  représenterait  aujourd'hui 
environ  4,000  fr.  par  au  pour  l'homme  d'armes,  avec  son  pajjre,  et  11,000  fr.  pour 
la  "  lance  jjarnie.  »»  —  Nous  n'avons  pas  le  texte  de  rordonnance ;  M.  Vallet  de 
Viriville  a  fait  c<mnaîtr«»  divers  règlements  proumly;ués  pour  l'exécution.  T.  Dibliutfu 
i\t  VÉcoU  dis  Ch.irUs,  t.  m,  2*?  série,  p.  12L 


im  m  KIlflES  DES   l\r,L\|*iL 

|K*upli!,  mi  aiïlremenl  eu  ferait-on  justice  comme  de  irifnsalta 
donnés  et  sajis  aveu;  et,  pour  y  pminroir,  rtitY*nt  efivtivcs  mm 

inriils  aux  offiriers  «lu  roi  thm  \e^  lmillîfisi-5.  LfirfïMtik's  onh 
ïiuwos^  ùiiïnï  voniii*i^  n  la  ronnoissance  d*icciix  ircrw  île  ptif 
ih  j^VpaniHrcnt  incontinent  en  divers  lieux,  sans  plus  se  îr 
ensenihli%  Idlement  que,  dnlant?  les  quinze  jours  f3nsiilT;)iit^, < 
nVntondôit  plus  aucune  nouvelle  d'eux  dans  tous  li*> p^ 
a  Pour  Ir  re^^ard  des  quinze  eiipitàincs,  (pmnd  ib  fii. 
liués  avec  lairs  g^ns  par  les  provinces,  ib  comnurmvirnt  à^ 
eorKlnifê  m'^s-doucaîient  et  eourtoiscuient;  et  >i,  daft!nti 
aucuns  de  leur^  gens  conimettoienl  fpielque  %îoleiiee  dm  mspjfl 
ils  les  chàtioient  h  toute  rigueur,  et  fais^oîent  npftiluiT  Ir  li 
uia^e  ;ju^  bourgeois,  ou  pays^ans  qfii  avoient  éfr  pilkS;  aufoil 
peuples  se  prirenl-ils  k  les  bien  ainier»  et  prioienl'il'^  le  n)«j 
tenir  les  lion  nues  de  gucnT  au  pays  où  îH  ï*tH;:^*voie«i  leur  mM 
ni'ni  qu*ils  y  dépensassent  l*argent  qui  y  Hmî  leré  pour  Irur  |iiiJ«** 
ujenl;  et  eloient  lesdits  gens  d*anne$  riches,  car  ib  imrlim 
leuiis  kunois  sans  parements  (peirures)  et  leur  éliiil  défendu I 
mener  cbicus,  oiseaux  (faucons),  ni  femmes;  leurs  boeypicbio^^ 
éltnent  de  ruir  de  cerf  ou  de  mouton,  et  ûe  draps  ilc  cotdc 
fliversï*^,  *îans  orfèvrerie  (hroderie  d'or  ou  d'argent'  ;  Içurf  i 
courtes,  de  vingt  ou  vingt  •cinq  mm  Taune  Beiilemeni 
demeurant,  bien  que  le  nond)re  tles  jrens  de  gtierre  siiilM  j 
se  monliVt  a  enviion  neyf  mille  chevaux,  ils  liaient  trop  |nii  < 
cbatiue  bonne  ville  pour  pouvoir  faire  les  nialtre<i  sur  1rs  hn 
geois  et  manants  :  il  n*y  avoit  que  vin^t  on  trente  liuinfs  m  dtf 
villes  conuî^e  Troîeîi,  llhillou!^,  Heims  ou  Liaîi.  l-*^  at  -_ 
royaux  et  les  justiciers  ordinaires  avoient  d'ailleurs  Vn^ 
pour  observer  sll»  ne  e(*mmettoienl  pas  quelques  fautes,  Iffih 
clmnt  la  [mnitîon  dest|uel[ei%  les  capilaîne<%  ne  llî^-nt  [m» 
leur  devoir 3  :  d autre  part,  il  y  avoit  certarmi  couirnîiî  eTTiriS 


L  C<?  ptix  Ç5t  eneoT*  très-^^lfif*  i  ce  smiit  fltïjiïurtrÏMll  Bâ  im  4^  trabc*  r 

3f.  Th.  Bïwtî)  (t.  U%  p,  332 J  insiste  arpc  rtl»ftn  *«t  nwjHjminoe  fl#  la^ 
qtii  iHiuttirttuît  tm  jï^'O*  dp  gnepti*  aun  jwfw  or«tiiiiilrf»^  n^^-  -      -  *      rae 

6UX  ca|iiUilUcs  que  tr  jitf^iniuit  il^  iWlîti  pt  ^léirnlÊ  vîxVt^  i^i^.t.i^n^  Lai 


U*»:  CKÉATIO-N   DE   L'ARMÉE.  421 

iwir  lo  roi,  qui  venoionl  voir  jissez  souvent  les  ^ens  (rannes  piisser 
h  la  montre  ;en  revue],  afin  qu'ils  s'entretinssent  connue  il  appar- 
tenoit,  SiUîS  vendre  ni  perdre  leurs  chevaux  et  liarnois;  et,  quand 
Jl  dOfailloit  quelqu'un  desdits  fi:ens  de  guerre  par  mort  ou  autre- 
ment, aussitôt  un  autre  étoit  mis  en  sa  place;  plusieurs  mùmc 
suivoient  assez  longuement  les  capitaines  à  leurs  dépens,  sur 
respérance  d'ùtre  ennMés  à  leur  tour. 

«  Que  s'il  survenoit  au  roi  quelques  affaires,  en  quelque  lieu 
que  ce  fût  de  son  royaume,  il  envoyoit  tout  aussitôt  des  messa- 
gers vers  les  cai)itaines,  et  incontinent,  en  peu  de  jours,  ils  se 
i"ondoient  aux  lieux  où  il  les  vouloit  occui)er;  iku-  ainsi  S(»  trou- 
vnit-il  assez  soudainement  pourvu  d'un  bon  nombre  de  condjat- 
laiits  bien  en  point. 

«  Enfin ,  tout  ce  que  dessus  étant  accompli ,  en  dedans  deux 
mois,  le  royamne  devint  plus  sôr  et  mieux  en  paix  cpi'il  navoit 
été  depuis  trente  ans.  *  » 

Les  conséquences  futures  de  cette  innovation  devaient  éti*e  plus 
considérables  encore.  L'apparition  des  cojupagnies  d'aventuriers 
mercenaires  (routiers,  brabançons,  etc.),  à  la  lin  du  douzième 
siècle,  avait  porté  le  i)remier  ('ouj)  à  l'organisation  militaire  de 
la  féodalité  :  l'institution  des  armées  permanentes  devait  îuuuder 
promptement  cette  organisation ,  qui  avait  survécu  à  l'indépen- 
dance féodale,  et  qu'un  siècle  de  guerres  désastreuses  avait  démou- 
(i*ce  impuissante  pour  défendre  la  pairie.  La  France»  allait  res- 
saisir, i)ar  la  discipline,  la  sui)ériorité  que  lui  avaient  enlevée 
l'anarcliie  des  milices  féodales  et  les  premiers  progrès  des  Anglais 
dans  l'art  de  la  guerre.  Ces  progrès  étaient  dépassés  de  bieii  loin 

inconvénients  du  i«y«tcinc  contniire ,  en  droit  et  on  fait ,  se  voient  de  reste.  La 
justice  ordinaire ,  admise  onvei-s  les  (irens  de  ^crre ,  ne  ])iinit  pas  :l*«s{'z  éner- 
ii^lqne  ni  assez  expéditive  à  rét^ard  des  ^ens  de  manvaise  vie  :  une  ordonnance 
du  6  octobre  1447  attriliua  au  prévôt  de  Paris  la  juridiction  dans  tout  le  royaume 
sur  tous  les  larrons,  mendiants,  •'  opieurs  »  de  chemins,  ravisseurs,  joueurs 
de  ftiux  dés,  faux  monnayeurs,  etc.,  et  leurs  ••  rt-cepteurs  »•  (receleurs  )  et  complices. 
Non-ficulenient  le  prévôt,  mais  ses  commis,  avaient  droit  de  ••  punir  et  faire  exécuter 
toutes  ces  sortes  de  ^en»  en  tous  lieux,  après  enquête  sommaire  sur  leur  vie  et  gou- 
vernement. M  Cet  effi-ayant  arbitraire  fut  accuiîilU  comme  un  bienfait  par  les  classes 
laliorieuses  :  la  répression  des  violences  et  des  pillages  ne  Unir  semblait  jamais  assez 
prompte  ni  assez  Urrrible  ;  elles  avaient  tant  souffert  I  (  Ordonn.,  XIII ,  54)9). 

1.  Mathieu  de  Coussi,  dans  le  Ht^ueildes  hist.  de  Charles  Vil ,  p.  511-547.  —  Eloge 
thi  roi  Charhit  Vif,  ibid.,  entête  du  volume. 


Ifl  GlîERaES  DES  AKGLâlfv  u^s 

d'im  svn\  6lnn;  la  France  îiv;ijt  jadis  eiilVmt**  la  rli»  >  J 
encore  hi  Frann*  t]ui  enffintait  le  systènip  iiiitîLniin.'  j**.^.^  i 
liiu^  à  romplaei  r  lîi  dievalcric*  L1nîrol^i^c1iong^fl/*nl1Mlf^i^ir 
règulitVns,  rencHivelOfS  de  ronii^rc  romain  i«ir  la  Fraiit»,^ 
bîentrit  iniïldTS  |Mir  le  reste  do  FEurope»  dtnajl  niliidiliT  îiw 
dev(*lojï|»enienl  des  gouvoriiemenb  iiiomijTliii|iieii, 

La  Fraoee  ne  senlit  ti*almril  <fiie  ii's  avantages  de  ccltt*  prmAt. 
vvèiilum,  i\ui  Ini  assiirnit  fore <î  contre  rcnnetni  cl  onlr*?  nu  dMnstK 
tiH  le  règne  suivant»  elle  ait  à  ^apercevoir  tlt*  lu  fodiU^  qir 
Farmee  [loriimneute  doiincdl  à  la  royauté  d'îiiiginerit^r  b  t^1k 
permanente  sans  appel  aux  Étals-Gènenuix*  Ce  fui  bien  pi> 
Sous*  le  sucresseur  de  CliJirle^  Vil^  bi  rouruiuie  |iouf^u..^ 
moins»  par  des  moyena  arbitmJres,  dc»s  ri*S4illal!i  utilis  et 
nau\;  plus  tard,  la  puissaneo  excessive  que  Finiiiùl  oiititr 
eoriibiné  avec  Farmt'^e  permanente,  assurait  aux  mb,  in 
plus  qiï\j  jeîer  la  France»  pour  soixajUe  années,  dafiîf  Icîi  i 
el  folles  guerres  dltalie»  guerres  qui  aboutirent  à  rùri!  diri 
ilenee  des  derniers  Valois  ** 

î^tanl  cti^ï  nous I  par  les  ^nlimeots  hmi  jthî*  qwç  t*ar  b  Fc-nm»  ît  î»n-tii*PT 
dea  éciivS-iiisi  de  Ia  KetiÉiîssaiice,  et  *iiii  di^-fenJ,  ildn*  U  LiL.gvi^-  .în  r»  ^-^^'-'-tiii 
classique  Jefl  Ubprléâ  du  moyi'ii  Age  contre  lu  moiiAfiulik  ïinl'>*.i7iir,  n  tnif^^  «l^a  j 
trûs-rpïiiarqtiablcà  noGtre  ririJStiUitîoti  Jto  a^a^'^  i*onTiîîiH'iit<-i.  ilttJciA»  tUi^^ 
éctî'vtùi  de  1470  ik  l'i75,  apirèf  avoir  rc^coïitiu  ûoTi-.cuJi^tin'iil  ï  uUlUr,  nm»  \n 
slté  temporftjre  de  rétaUlissenieni  mlllmiro  (1«  lUI,  l'ci  ntuii|EP<  dvi^f  fxLwtjiii  ir  i 
tien  après  VexpiilâJoti  t3«s  Angt&iH  :  H  n'y  volt,  rri,  tim)|i>*  «lo  |uii,  i)tj  i^tt  ko«ir 
tlo  t^munio  qui  pcrmeltrii  auï  roin  de  tctitr  tout  ic  roy^njinr  *ôki.  lu  u^rrr^,  ii 
iti^tïtf^r  déîuêïurétiji^tit  1rs  char^ps  eublique»,  Don  guiiaDd  Iv  bi-^uiti ,  mAj*  »«.i%£^t  V 
t'i^l^Hi^t  et  de  reudri!  les  si^ctf  taiLlat^c^s  à  mrreL  >^  t'uiitior  «!#  ^i}«  «x-U»*»  .  ^ 
Sl^vts  firiiurotit  t>luK  rÎPH  qu'ils  ^mU^^init  dif^  ^tr(>  k  vmh,  ni  Inurt  liiru.^  m  \xJ^â  ks 
vie.  —  En  ifM  fntMîft!  *«t  j^urvîitjrîte  cwt  touibi^  le  royaoïn»  dr  rraiic»,  nair 
ti  libre t  (jut^  tous  1e4  babitAiiU  »ûc4  dc^eUréA  ItAtiLniucfit ,  \mr  lot  ^ 
fln»riéc»  et  Lcrorfl  commis^  tiUlliïbkd  k  H  volonté  du  roi  t  m^^b  »t^e  pcfMMiiM 
iimr«r  OU  mkm^  dinnitiiOer  trii:<rct  ;  et  que  piirlcr  A  recu?oti,tre  «crtilt  |«1im  p^^rtBHSl 
lie  reitier  tout  1p  Ki^mbole  tle  la  foi,  et  ^eruit  eliâtle  en  crim«*  ai*  In»*"  mq^t^i' 

Il  rrprt-iscnto  1a  charge  du  loi^iruiera  de»  gwu  d<^  iriierre  comiim  IjAcb  {«lot  li 
talilp  que  Ift  tîillk  mairie,  et  tnh  ^U^  letir»  e>)*t'tioti«i  fl  dt*  leur»  iii»y|fct«i;u«  f«trr>  i^=r 
h5te^  nu  tiiblenu  qtil  olfVi*  une  étrniigx!  oppos*ltlon  «rit^  cn.tiii  «^iw  ivoQâaivBtdMV 
irapriiH  MatUipu  de  Cous^i  cl  ïe  i«iU('*îfyrîHt«'  anonyme  de  OsArlei  VlLL'Ii^^^l 
les  îfentt  d'aj-mps  tîiiîx  îm  iKitirg-coi»  u'tHflit  pai  iK^atcttÉr^  ei  I*  Wl  mArt  Ai  I 
M'iivaîl  jm  M*  niïMuteiib  1ôn>fteiiipA. 

Il  nie  enfiuik*  lu  nécL-ssiit)  du  iiuitntivn  de  r«miéif  en  rae  «lu  rrtiiiir  ptméhU  éà  (W 
vnnloij  élTAîigïîri»,  ta  fiiH  ot>ïif^r^er  ipe  ni  rAî^gtetenr  ni  le»  nuir»*  vnhin*  «c  nri«i 
ite  1a  Fri&nce  ne  «'imifosent  ulofi  un  mal  i-^ituln  et  fH^rj^étitel  f^um  éTiUf  un  u:»i  to^ 


[«*«■  TIÏOMAS  BASIN,  Si.j 

La  réforme  des  finances  niarcliail  parallèlement  avec  c(»lie  de 
TanniV;  elle  n'eut  pas  nn  earaotèrc  aussi  monumenlal;  néan- 
moins ce  qui  s'élablil  alors  fui  la  hase  de  tout  ce  qui  se  lit  d(*puis, 
sous  la  monarchie,  en  celle  nialière.  Dès  le  27)  seplendnv  lii.'), 
avait  paru  une  ordonnanc<»  (pii  séparait  l'adminisfrafion  du  da- 
inainc  royal  d'avec  relie  des  «  finances  extraordinaires  »  tailles, 
aides  et  suhsides  ,  de\enue  inconiparahlement  plus  imporlantt» 
que  Tautre.  Toutes  deux  continuèrent  à  ressortir  d(»  la  clKunhre 
des  comptes,  souveraine  pour  le  Tait  de  Tadminislralion  finan- 
cière connue  le  parlcMuent  pour  le  fait  de  la  justice  *.  11  fut  étahli 
que  les  revenus  du  domaine  seraient  versés  en  la  diamhn»  du 
trésor  à  Paris,  dans  les  mains  du  chanjfeur  du  (résor,  sur  quit- 
tances des  trésoriers  du  roi  ou  trésoriers  de  Fran((^,  coîilrôlées 
jiar  le  clerc  du  trésor.  Tous  les  autres  deniers  de  Tlltat  (l(,'vaient 
ôtre  reçus  et  drstrihués  piu*  un  receveur  fiénéral  des  finances, 
séant  à  l^aris.  La  chanduv  des  compt(*s  ne  devait  plus  adnîettre  le 
rece>eur  général  ni  aucun  des  chefs  de  services  à  compter  par 
sinqdes  mandements  royaux  :  le  receveur  {général  était  tenu  de 
représenter  des  états  détaillés  des  dépenses,  expédiés  par  l(»s  géné- 
raux =  inspecteurs  généraux)  des  finances,  signés  de  la  main  du 
roi  et  du  «  signet  »  d'un  des  notair(»s  ou  secrétaires  d'Ktat ,  avec 
mand(»ments  scellés  par  le  chancelier  de  France;  les  officicM's  du 
domaine  devaient  exhiherdescpiittances  régidières  du  trésor;  les 

denU'l  et  improbable.  Cet  ar^iiincnt  ne  devait  pas  ii^arder  Ioii<;teinps  sa  valeur,  et  il  le 
«ient  bien  lui-nic*me.  •<  Le  mal  »,  tlit-il ,  »  ira  eroissant .  et ,  tonj(iur-<,  .s'il  en  manquoit , 
fort;eroit-on  nouvelles  causes  de  >;uerres  et  de  troubles,  afin  de  maintenir  milices  et 
tributs.  Kt  cette  calamité  ne  demeurera  point  [larticulière  au  royaume  de  Frani'e, 
mais  la  conta<;ion  (^a^j^nera  les  autres  nations,  conmic  noiLs  le  voyons  commencer  de 
noiivelleté  en  certaines  seijrneurics  libres  jusqu'ici  de  telles  servitudes  i  la  Bour- 
ÇOffne).  " 

l\  termine  par  un  pan/*}ryri«pie  de  la  liberté  légale  et  par  une  philippiquc  contre  le 
despotisme,  qui  doivent  à  sa  «jualité  d'évêque  nn  intérêt  tout  particulier,  et  il  combat 
ceux  qui  cbercheiit  dans  IKcriture  le  prétexte  d'une  soumission  servilc  aux  puis- 
sances. •■  L'autorité  divine  nous  commande  bien  d'être  soumis  aux  princes,  mais  non 
comme  >erfs  ;  l'apoire  dit:  .Vr  suytz  junnt  scrf-i  des  hommes;  il  dit  encore  :  Strf  ei-fu 
opiitlè:  nen  nie  point  souci;  mai.",  ni  tu  pfur  deveuir  libre,  mieuj  feni^-tu.  Obéissons  donc 
librement  à  qui  nous  commande  selon  la  justice  et  la  loi  ;  mais  à  qui  conmiande 
contre  la  loi  et  la  jib^tice  pour  satisfaire  ses  iniques  passions,  >ubvertir  IKtJit  et  tout 
réduire  en  s€r\itude,  n'obéissons  pas,  si  nous  a\ons  pouvoir  «le  rési.^ter  ;  ce  sera  bien 
|dua  juste  encore.  »»  Tb.  Basin  ,  Hiitnhit  CmnN  \  Il ,  liv.  iv,  p.  1»)9-1HL 

\.  En  certains  cas,  cependant ,  des  membres  du  parlement  étaient  appelés  à  assister 
la  cour  des  comptes  dans  ses  ju;;cments. 


ofticiiTS  ties  *i  autici*  iitiarires,  i*  des  i{uit(atiOi':&  du  r(H*«'tt*tir  -  -^ 
rui.  U^s  iiiaitnîs  de  cbaiiibrrs  iiux  di^uiiTS,  rargi^jtier  du  i 
grand  étîuyer,  le  trésorier  des  guerres,  lo  ritnJtrc  de  rurlHKnr^ 
étaient  teFius  de  luoiilrer  leur!»  tials  de  dé|iGn$i*$  Imu*  k>  iiiQ 
FiC  receveur  [j^eiièra!  devait  montrer  ses  eompirîiî  h  bi  rliniulin* 
coini»tes  h  prenii*MT  ri'quLHirion,  ej  les  faire  a|mnT  et  irrilinf 
ehaiiue  iiïïriée  u  ladite  clpïntn'e.  Tous  les  rcceveiiii^  étaiefil  .i- 
h  rendre  leurs  caïuptes  deux  fois  Tîtii;  ïe<s  receveurs  Ar 
devaient  lut^aie  les  renJie  trois  fois  ran,  tes  maliensaitoh 
plus  faciles  liour  eux,  el  leuï^  eo«i|*teis  étant  |ilm  ccmiipieves. 
Tout  rerel  et  malversation  étaient  punis  de  n*^itutioo,  fili 
d'une  amende  arbitraire  [Onhun^y  Xll!,  'AT2) 

Afin  que  le  rai  «  piU  voir  ekireoienl  nu  ?rai  lY-Uil  At 
finances  qrjnnd  bon  lui  seinbleroil,  »  il  fid  pr*^scril  rv 
fïnances  éïaui  i>rès  hi  persoruie  un  roi,  de  tenir  un  r  . 
sérail  enregistrù  tout  ce  qui  semit  eouuuaiidé  |«ir  le  riite4| 

\\m\  orrlonnauces  des  lli  février  e!  Vi  août  iU" 
boît^nt  la  prenvièiti  :  le  roi  is'interdil  d*aecorder  prèim: 
i\m  lettres  d  amorlisï^enient,  de  légitimation,  d'afTivuiclib^^rirai. 
d'anoblissement,  trexeiuplion^t  eJ  «le  privilégiée  ijnrJruaqBe^ 
est  eujoiid  aux  ^ens  des  comptes  el  trésoriers  de  ne  pbi>  nhw 
pérer  à  ces  leltros  que  moyennant  llnanee  et  eoDipQsiiinn  mi^iiK 
nabk\  Lej^  seigneurs  qui  ord  re<;u  du  roi  des  trrrrs  iln  doni 
eonlribuenint  aux  cbarpes  de  XÎàîû  pour  ees  lerir^,  on  le*! 
tueront  k  la  couronne.  U^s  trois  trésoriers  de  Fninci!  •,  rln*fe  i 
service  des  doniaines  (Jean  Itnreau  Mait  nii  î\i^  lroi$;,  frrooT 
rentre!^  les  parties  du  doniaiue  usurpées.  îls  arrélfTont  Ip  (lairniiirf 
des  gages  des  ofiieiers  qui  ne  rtsidenl  pas,  euntrainilniul  !<«> 
gens  *  non  vivant  iioI>lemenl  »  à  uder  tous  fmH  noliins  au  & 
financer  pour  les  garder,  Vn  antre  édil,  de  juin  iiiS»  or]^;ifii 
déllnitivi'meut  la  justice  exceplinnnelle  en  uiatii^re  irîni)^tl 
les  «  f^énéraux  conseillei-s  sur  le  fait  des  aides»  rurmènfil  im^ 
cour  souveraine»  la  eunr  des  aides»  jn^^eanl  en  dernier 
tous  le»  i»i'ocès  civils  et  criminels  conrernani  U\^  nidrs,  cahH 


I.  A  lu  flti  Ju  t"*^ii\  Il  y  nfii  rut  diiii. 


[1*«5]  FINANCES.   COLK   DES   AIDES.  Mo 

t't  lailles.  Ia^s  élus,  qui,  dïlus  du  ixîuple,  étaient  dexcnus  les 
élus  du  roi,  composèrent  les  tribunaux  de  pnîinière  instance 
pour  les  questions  d'aides,  yaljelles  et  tailles.  Les  i)roeès  concer- 
nant le  domaine  furent  ju^TS  par  les  trésoriers  de  France.  Il 
fut  interdit  à  toute  jui-idiction  ec'clésiaslitiue  ou  laïque  de  s'im- 
iniscer  dans  les  alTaires  d'impôts  :  les  tribunaux  ecdésiîistiques 
lançaient  sur  les  ol'liciers  de  linarïces  des  exconmumications, 
lorsipie  ceux-ci  s'adressiiient  à  des  bonun(^  enga|iés,  à  quelque 
degré  que  ce  fiit,  dans  la  cléricalure.  L'édit  royal  statua  que  les 
juf^es  d'église,  ([ui  troubleniient  les  ollieiers  de  llnances  dans 
Icui-s  fouctiojis,  seraient  punis  par  la  saisie  de  leur  temporel. 
Des  peines  équivalentes  menacèrent  les  magistrats  lauiues',  au 
cas  où  ils  recevraient  les  appels  portés  devant  eux  par  les  contri- 
buables, qui,  sous  prétexte  de  divers  j)riviléges,  cbercliaient  à 
se  soustraire  aux  imi)ôts.  «  Le  roi,  disait  l'ordonnance,  veut 
qu'égalité  soit  gardée  entre  s(»s  sujets  dans  les  cbarges  et  frais 
qu'ils  supportent  pour  leur  défense  et  celle  du  royaume.  »  Ce|)en- 
dant  on  maintenait  Texemption  des  tailles  et  aides,  en  deliors  du 
clergé,  pour  les  écoliers  des  univ(»rsilés,  les  nobles  «  suivant  les 
arnies^,  »  les  arcbers,  arbalétriers  et  canonniers  des  boimes 
villes,  les  officiers  ordinain^s  et  conunensaux  du  roi  :  les  pauvres 
dont  l'indigence  est  constatée  ferment  assez  bizarrement  cette  liste 
de  privilégiés  [Ordoym,,  Xlll,  413,  V28;'. 

La  juridiction  exceptionnelle  en  matière  d'inqmls,  qui  rendait 
les  ofllciers  de  finances  juges  et  parties,  reposait  sur  un  principe 


1.  1^^  juges  scigucuriaux  furcut  ainsi  dépouillés  de  toute  juridiction  en  matière 
d'impôts. 

2.  C'est-à-dire  faisant  le  service  de  leurs  fiefs.  Par  rort^auisntion  de  rarniée  rc;ru- 
liére,  la  milice  féodale  se  trouvait  réduite  au  rôle  de  réserve  et  d'urricrc-ban  :  les  Wm- 
dataircs  obtinrent,  quand  on  les  appelait  sous  les  armes,  d'être  soldés  sur  le  même 
pied  que  les  f^ens  des  ^  compa^^nies  d'ordonnance  »,  pourvu  qu'il»  eussent  réipiipe- 
loeut  presi-Tit  \Ordonn<xnct  XIV,  35i);.  Ainsi  les  nobles  cessèrent  entièrement  de  servir 
à  leurs  frais. 

3.  L'exemption  des  tiiilles  fut  accordée  à  tous  Icm  Uiur^eois  de  Paris  ««  pour  aider 
à  repeupler  ladite  ville  »,  par  ordoimance  du  20  mai  1 119,  à  la  charp;  ponr  la  ville 
d'entretenir  à  ses  frais  ses  fiirtifications  et  «  autnni  comumnes  affaires.  »  l<es  Pari- 
i^ivn.s  ont  ;;ardé  ce  privilège  jusqu'à  la  Révolution.  Une  telle  **xc*option,  étendue  à  tous 
les  habiuints  de  la  «rrande  cité,  ét'iit  furt  peu  conséipientc  avec  le  principe  d'éf^alité 
posé  par  les  ordonnances  précédentes.  Mais  les  ^ouveruemcnls  du  moyen  â^e  ne  se 
piquaient  point  de  logique. 


m  nnKURKS  OE^  A.\r.LAtlfL  !i^ 

!iTSr-4laii^t'!*Mj\;  'iuriine  înîitîliitinn  fiiMloriîia  Imi  à  [t\\\     ' 
dans  la  ï;iiJle  dt*î<  1i*in|m;  au€uri**  uvUnl  ilr\i  iiiir  p\m  m\i 
pmi|ile  lorsque  tomba  la  monaiTlue. 

D  aiitrf^s  K'fonnes  judifiaîres  !rH''ntm*nr,  au  c-<mtniJn\  h^^^ 
api>rfj|>alicm.  Losiuivilc^eïjiiiiJv^i*rsilaires,<]iiî  ii^eni^iTÛ  lu 
fois  la  t'ivilisation  en  prolûgcanl  dans  i*ari.s  Tcxit^eniT  J'utit  i 
de  rt'piibU<iiie  lettrée,  ne  proU^pc^iont  |>lws  f|ni'  Iv^  d6><ïrtircfi 
rtrilioï s  et  lît  vanité  des  péd^intî^:  I/universilé  <!e  Ptiri*  iir  i 
iîï^îiail  jusiju  alors  qir;i  la  personne  du  roK  Un  rdil  du  t*0 
1445  la  soujuit  au  rehaut  du  parlement  iK>m*  j^i^riiti5e6génmIcC] 
el  les  causas  |irîviies  dtî  î^es  «  suppôts  j^  léndhîrs,  rcmcUiifl 
et  sulKH'dcinïiés  qudroncpies)  allrrenl  an  ChAteki  cnrimie  < 
des  bourgeaii  dû  P^ris.  Le  temps  était  pa^;  où  fous  k% 
de  rEiirope  se  itéraient  levés  eomuie  un  SMil  honiinf?  v 
attentat  aux  privilèges  de  tlcrgie,  Ll%  Idlrrs  n'èl.iiom  ,-,.. 
caiï.se.  Il  fallut  rourber  la  tète. 

Apres*  avoir  sotimis  rimiver&jté  an  parlement,  on  n^idet 
le  parlement  et  ses  suboidnnnt'^s;  le  parlement  fui  cunlinnc  ( 
le  droit  de  pr^^senter  des  candidate  au  roi»  vu  i-ïis  de  viu^ 
Défense  aux  membres  de  la  cour  de  rec^evuir  pcrt^ion.^  d^nulrr* 
pei^onnes  que  le  roi.  Ordre  aux  membres  de  la  emir  d*NftJ 
Palais  h  six  heures  un  quart  du  matin.  Amende  •  arbilniire  »  i 
tous  les  avocats  «t  trop  longâ  et  prolixes.  »  Ce  piticédê,  imioèKu 
ronvenlr,  étaîl  plus  aarbilraire  »  que  pratique.  Ifautres  i 
Èîijul  prises  eoiitre  la  luulliiilieatiun  ijes  trriitirrs  et  li  hv 
ilv%  procès.  Dans  un  édit  de  eôntîrnialiuu  des  priiîb^M^  ,i 
au  Languedoc  par  Louis  X,  on  remarque  un  artk.Ie  qui 
«  rînstruetion  rt  le  jufcemeiit  publics  >  des  -  '  •  riliibn 
nnîii>s  que  raceusé  ne  soit  rondanuit^  h  la  «i  -  ,    Ciillt 

miére  R%rtion  rontie    h    procMuro  secr^le   enq>ntuUV  ou\ 
iniiulsiteurs   devait    partir  du  Midi»  dépostilain*   de- 
du  droit  rouîain  el  si  eruellcmenl  riviilê  [lar  rinquLi...    U 
donn.,  XllL  4H6), 

Les  l'nofuiaies  avaient  eu  leur  (lai  t  danjs  Li  refonnc  tH 
un  édiltlu  1?  novembre  1  Uil  avait  jimst rîl  le  i*ours  de  Inulraa 
monnaie  que  les  érus  d'or^  les  ^  deniers  nï^rands  td;ine&,  ^  n 
dix  deniers  toumois,  les  «  petits  îilancs,  »  de  la  \ak*ur  de  dgf 


il4;3:  liMVKnSITK.    MON.NAIKS.  Ml 

deniers,  et  les  «  doubles  deniers  noirs.  »  Bien  des  intérùls  furent 
lésés;  mais  on  parxint  à  faire  disparaître  ce  chaos  de  monnaies 
de  toute  espèce  et  de  loulaloi,  francais(*s,  anfilaises,  l)our|:ui- 
gnonnes,  qui  encombraient  la  circulation  et  gênaient  les  trans- 
actions. 

Les  relations  diplomatiques  n'claienl  pas  moins  bien  conduites 
que  li*s  affaires  de  l'intérieur  :  des  nuages  s'étaient  maintes  fois 
éle>és  entre  les  cours  de  France  et  de  Bourgogne;  ils  furent 
dissipés;  on  ne  s'aimait  pas;  mais  on  se  respectait;  on  fut  pru- 
dent et  modéré  de  part  et  d'autre.  La  duchesse  de  Bourgogne, 
femme  d'un  esprit  actif  et  d'un  grand  sens,  à  (pii  son  mari  con- 
fiait presque  toujours  h's  négociations  de  quelque  inq>orlarice, 
vint  trouver  Charles  VII  à  (^hàlons,  à  son  retour  de  Lorraine,  et 
régla  pacifiquement  a\ec  lui  les  dilïéi'emls  des  deux  cours,  rela- 
tifs, pour  la  plupart,  au\  enq)iétements  des  officiers  ro\au.\  sur 
le  traité  d'Arras  :  les  gens  du  roi  ne  pouvaient  se  résoudre  à  ne 
point  faire  valoir  intégralement  les  droits  «  régaliens»  sur  les 
provinces  bourguignonnes.  Ni  la  France  ni  la  Bourgogne  n'avaient 
intérêt  à  unt;  nqiture  :  le  duc  ]*bilippe  a\ait  de  graves  end)arras 
chez  lui;  la  Fhnidre  était  mécontente  des  iinjuMs  croissants  et  de 
diverses  atteintes  à  ses  libertés;  la  Hollande*  et  la  Zélande  étaient 
décliirées  piU'  les  vieilles  factions  des  /focLs  et  des  Kahrijaics  ; 
Pliilippe  avait  à  s'assurer  riiéritage  du  duché  de  Luxembourg, 
que  lui  disputait  la  maisrm  d'Autriche;  (juant  au  conseil  de 
Franc«s  il  n'est  pas  besoin  de  dire  de  quel  coté  se  tournaient 
Si'S  légitimes  andjitions.  L'affaire  chi  comte  d'Armagnac  fut  ter- 
minée en  même  tenq)S  ciue  les  démêlés  avec  le  duc  Philippe;  le 
comte  inqjlora  la  merci  du  roi,  qui  l'accorda  au\  sollicitations 
de  tous  les  grands  seigneurs  du  Midi  :  le  comte  fut  remis  en 
liberté  et  recouvra  l'Armagnac;  le  Rouergue,  (pu  lui  asail  api)ar- 
teim,  fut  donné  au  dîmiihiu,  et  le  comté  dcl^ounningesdemeuni 
à  Mathieu  de  Foix,  mari  de  la  dernière  comtesse,  pour  retourner 
à  hi  couronne  à  sa  mort.  Cette  grâce  avait  été  un  acte  de  politi(pie, 
et  non  de  justice;  le  comte  Jean,  sonillé  de  toutes  sortes  de  crimes, 
ne  méritait  aucune  pitié. 

f-a  c<iur  de  France,  c(*pendant,  était  agitée  par  des  discussions 
assez  graves  :  le  crédit  du  connétable  était  un  peu  éclipsé  par 


ÏB  CtJElVRKS  l>BS  Â?iai..\| 

tTliïî  'In  rniTite  di*  IHinoii!»  i*t  <Ie  Jeim  tl<*  lUivj",  L-^ii 
iTiiriis  honroit^  do  tele  cît  de  mmu  »|tii  gouvertiatl  le  i- 
jiUûiT  d  Sîuis  trfjp  ri^inu'gner  dims  sa  vt»rle  fmncliisf*';  le  ruii 
son  iils,  tjiii  ïivnirnt  paru  pïoinnnrnt  rt'^comilii'fi  dunin!  ^u 
tm  cm]  mi^,  rt^t^ïHiliïiii'iiï  dans  une  nit'*siiili'llip'tur  cnns 
tlnpiiiî^  la  ((iTlr  delà  ilaii|diiiK%  ^Irirguerite  (riûosaJ!,]i'Uiii?  ftii 
siiinliulle,  gt*nC*rt*ust%  aijiiabk  et  îiiin^t  di*  tout  k*  luotulr^j 
mriuinjt  à  viiiî^l  ansa\et:  doscinonîîtîJïiccs;  loucliioilfs ';  rl!r 
fin  ruHlit  sur  le  roi,  el  ri  le  avîiil  aTvi  de  lien  cnxrv  |4>  iiôiv  ( 
fils.  Bien  qtîo  (îharles  VII  eût  cmilic   aa  flau[diifi,  A  i4u>ir^ 
rt^|irises,  clêaromTiïfïiidoinê-iils  considérahlfi*,  LmiU  nVL'iil  jni 
content  de  la  pari  iiuon  lui  faisait  damlauloritt-rojak*;  4 lit 
diî^siïuiilé  et  violcfd»  il  traitait  avec  arrogance  le»  rciii^t'iUrr^  ila  | 
roî,  gaul  Jîirqties  (Avm\  dont  il  tie  pouvait  sViiipMicr  derwj*xtff 
h'  f^enîe,  et  il  se  inonlniit  on  ne  peut  plus  diseourlo!*  —  •  — 
luadaniedc  lïeautt^',  preiiatil  ks  inlén^l^  de  la  mue  sa  lu^ 
vivenu'nt  peiit-i^tre  cpje  ni*  le  souhaitait  cetiv  piinecss*»  idl^viuAuicj 
Lliislorien  riafîuîu  prétend  fpi1l  sVinporla  un  jour  jiij^prA  du 
un  s^nuKlet  ù  *  la  holle  Vjj^nêii  \  i>  Le  fail  vst  ûiiiiroÎKible;  ce  qil 
ccrîain,  c'est  qu1l  ne  manquail  pas  d'oflleieux  h  la  cour  pijtir! 
fier  le  feu»  el  <pi<*  Tes^pi'it  dn  danfdiin  ss'aigritde  plus  en  [dtw;  I 
cmi  vhv\  dÏTnreheurs  Autoine  île  Cliabannc^s,  di.ni^n  <ioinl 
l)anuii*irtin  et  mu^z  aerrèdite  aullr^5  du  nu,  dénonce  lon«  àonyl 
h  Cliarles  Vil  un  roitijvlol  tnuné,  diMl,  par  le  ilau{dnfi,  pour  dtio^l 
ou  tuer  les  rninishvs  du  rni  et  s*eniparer  tU*  m  |ier^uioe  :  * 
mandant  de  la  pnle  tkrossfiiî^e  et  pluî^ieur^  de  i^eî  arch*  e 

L  lîi9t,  mi,  fklouh  X!  f  paf  Viihbé  Ijt^tfimL 

Hrtiv<iv  iw  Fén\n%A  pim  nu  disij^nn  âr  |iropo*i  fïibftinîrtîx  fjii'^ii^nHmt 

i^poiït*  tciuJiOTirs  t^neikii  h  croire  l«  mnî.  KHr  «ïi  fût  frappai»  an  t-œur 

piuriKTiaili ',  pMr  uiif  uhiudrjtHiriHk'  di3  t'Hî*  àv  141,1,  iiw'  pi*iiinWir  tr 

IMirlit  1^(1  r[nt«lt|im-i  jmtr*  i  ii^^ii  flfrrjî/iivA*  |mr<t*1c<«  fuTï^nt  :  "  Ti  «It  )■  f ir  -  ^j»; .  n  c  z. 

pin'le  |4tii*I  M  \\\ytfv.  te*  pttkîOH  piibli*.V"i  ànn*  les  />r*iiT*i  fl#  ^  Aû#CM'f*P  J0  L^^^m  J|  i 

^.  Chn\i  \e  tîtrt^  que  portjiîi  At^niti  Si)r4r1 ,  ilt^imit  ijum  ftr  rui  lui  At^(  Ammà 
l'MiéAM  ûo  BcAutû^itf^lAnic*^  VfiuUtit  qn'elle  fiVt  ••  (knie  de  IkaiitA  1I9  fmv  ««tf 

<!(<  fHÎl*  .« 

4.  n^ihort  Oftfui»  ,  «le  rùl^(lre  «IfM  ^tntlittrifiM,  i^t  rniiirnr  4«  prt!fiil«9  tn^  fV 
loin*  géîï^mk  di»  Krntuïi*,  verït  à  b  fln  »lu  3t%*«  liôclt. 


îl'iSO-1448:        BROUILLE    DU   lîOI   KT   DU  DAUPHIN.  iî{i 

arn>ir*s,  et  quelques  seigneui-s  de  la  cour  prireni  lîi  Tuile  :  h*  daii- 
plun  donna  un  démenti  à  Daininartin,  qui  maintint  son  <lire, 
et  (luî  obtint  toute  créance  prés  du  roi  :  plusieurs  archers  écos- 
sais furent  condanmés  à  mort,  et  le  dauphin  se  retira  dans  son 
pays  de  Daiiphiné,  avec  un  congé  de  Charles  VII  ;1  iiO  .  Le  pén* 
et  le  fils  ne  devaient  plus  se  revoir*.  Deux  ans  après  (en  l'iiH;, 
lin  nouvel  avis  fut  adressé  à  Charles  Ali  par  un  de  ses  secré- 
taires, qui  prétendit  que  le  dauphin,  d*accord  avec  le  duc  de 
Bourjîogne,  s'apprêtait  à  revenir  à  main  armée  «  crhanger  h»  gou- 
venicment  du  roi  ».  Le  dénonciateur  fut  moins  heureux  cette  fois  : 
ses  allégations  lurent  déclarées  mensongères,  et  le  parlement  (h^ 
Paris  le  condamna  à  mort  connue  faussaire  cît  calonmiateur*-*.  Le 
sire  de  Brézé,  qui,  de  bonne  foi,  avait  soutenu  raccusat(»ur^,  per- 
dit la  faveur  du  roi  à  Toccasion  de  cet  incident  :  Dammartin  au 
contraire,  plus  dangereux  dans  son  nouvciui  métier  de  courtisan 
que  dans  son  ancieime  pi-ofession  de  chef  de  bandits,  cons(Tva  et 
acciiit  son  influence,  dont  il  devait  faire  |)lus  tard  un  fatal  usage. 
Ces  mouvements  du  palais,  dont  le  contre-coup,  quelques  années 
auparavant,  eût  ébranlé  tout  le  royaum*»,  ne  réagirent  guère  sur 
les  affaires  publiques,  et  n'arrêtèrent  point  la  mar<  lie  ferme  et  régu- 
lière du  gouveriKMuc^nt  :  ils  n'eurent  probablement  pas  même 
d'influence  sur  la  prorogation  de  la  trêve  avec  les  Anglais,  (pii  fut 
renouvelée  à  phisieurs  reprises,  mais  à  courts  termes.  Le  gouver- 
nement français  n'avait  pas  d'intérêt  à  précipiter  la  reprise  des 
liostilités  :  chaque  délai  améliorait  ses  chances;  la  situation  inté- 
rieure de  l'Angleterre  enq)irait  de  jour  en  jour.  Cette  belle  Mar- 
guerite d'Anjou ,  qu'on  avait  présentée  à  TAugleterre  connue  un 
page  de  paix,  n'y  avait  i)orté  que  le  trouble  et  la  guerre  :  ses  grandes 
qualités  d'esprit  et  de  cœur,  son  courage,  son  acti\iîé,  son  génie 
politique,  qui  semblaient  suppléer  à  tout  ce  qui  manquait  à  sou 
faible  époux,  ne  toiu'nèrent  qu'à  son  niilhcur  et  à  celui  de  s.i 

1.  Un  second  fils  naiiuit  au  roi  vers  répo<inc  «hi  départ  du  d?.»phin.  Il  fut  iiomnu* 
Charles. 

2.  Dudos,  llist.  de  Louis  XI  :  Preuves. 

.'J.  l\  avait  ses  raisons  p(»ur  cn»ire  le  dauphin  eapahie  de  tout.  Ku  lllU,  Loui-i. 
n'ayant  pu  le  ^i^ner,  avait,  dit-on,  voulu  h?  faire  tue/.  V.  Lej:rraud,  llitt.  m^.  f<* 
Lonii  \ï,  l.  I,  fol.  97-li)ô,  uiss.  de  la  BibliotluMpie.  La  d",-irrAee  de  lîrézé  fut  de  courte 
durcc. 


patrie  mlo|>iut\  Klrvet*  au  trône  sous  tks  au  spires  liuniOiants 
l'orgiit*!!  anglais,  cl  trop  jeune  et  tro|)  anlenlc  fïoiir  di?- 
rftlc  iJiOiliTaleur  t|iii  eAl  convenu  à  sa  paMlinn^  pIIi»  épciiisâ  Vs 
paj^siiins  du  |>atli  qin  rayait  laito.  reine,  et  non  les  înltT* 
de  la  mWon  <|u'ello  élail  appel<'*e  à  régir;  eHi«  ii^  liM 
k  peuple  anglais  que  l'étrangère,  lu  Jiiit*  trAnjon,  ia  Frfuiftiie. 
«  La  France  »,  dit  u!i  historien  (M.  de  Sisniondi;.  •  détail 
nient  vengt^e  de  sa  rivde,  en  !ui  tlunnanl  un  roi  H  tme  mw 
deux  issus  du  sang  des  Valois!  p  Marguerite  inspim  an  [cmï  y 
Winchester  et  di-  SufTolk  Taudar  e  qui  hiî  avait  nuinqui*  jn^  ; 
et  de  îÇHindes  eatasîroplie^  ne  lardèrent  pas  k  êclaler  :  I 
tiloeester,  rlief  de  la  faelion  oppostT»  fut  arh^té  iR-ndaiil 
sion  du  parleuienl,  eomine  accusé,  probablement  ô  juslê  UIiy,  de- 
voir cnnsfiirr  de  se  saisir  par  forée  du  gouvcniemeiil  ri 
personne  du  roi  :  qyeltjues  jours  ajirès  (i*H  ft'*vrîer  1  U7  ,  il 
trouvé  mort  dans  son  lit*  On^ifpî^  son  corps  ne  i^orlAi  ai 
ujftrque  de  violenre,  et  qull  fiM  niiïu^  depuis  loriuhnnp^, 

maladie  încurabïei  on  crut  généraleiuent  <}ue  le  due  avait  \^ 

§iné  :  Its  peuple  el  les  soldat»  avalent  aimé  en  lui  l'advcrwutr  (fi- 
iiiâlj*e  de  la  France  et  le  dernier  représentani  des  jours  «lorieiailf 
!lenrj  V  ;  sa  mort  souleva  contre  la  jeune  reine  el  contre  le  jwii 

la  paix  des  ressenlinients  iujplaeables;,  et  le  peuple  vît  le  di»ict 

liant  dans  la  prompte  fin  du  cardinal  de  Wincheiîler,  ipiî  ne^inxtà 
que  six  scruaînes  à  son  inforluue  neveu  [Il  \ï\y\\  IttTj*.  Lar 
de  la  branche  de  Lancaj^lrc  lui  dès  lors  Jn*>rmabli»uieiil  oc^ib| 
mis  :  il  m  trouva  quelqu*un  pour  recueillir  le  fruil  de  ta  krine 
populaire,  et  bien  des  ^ens  conimeuciVen!  .*i  ftarlt^r  à  fl»  : 
de»  droits  héréditaires  d'une  autre  branfrhe  de  ta  maison 
qui  navait  pas jusqu*alors[>aru  se  souvenir  qu'elle  eût  ut) 
trône  e^tpablede  balancer  celui  des»  Lancaslrc  :  Itictuirxl.ducii'l^o, 

40  pouvait  raehfttT  xivc<4'  rie  l'or.  Il  mit  la  ïlo^li^fe  HinlAblfi,  \mk\sH  étifùè  |ar 
rb3rl4«»»-i^iiiul,  ck  futri^  e^li^brér  U«>vafii  lui  mi%  |iro|iry  mrf^m  fbfttàf*  «f  Maa** 
*lf  Ikfpiitni  ,  Uall ,  i».  lai.  Otit,  llÎMt,  Cn>>lrirMT.  Vi»  |  Il  «t  ûmàHemM.  fH*K  ^i  M  tvr 
^m  ti^rtui  («UK'^t^ttfr^  m.>iH  il  en  émit  Ueo  i'Ji|inUtt«.  SU  fhtit  tu  iTlilin  tJkr^âir  l> 
in^m<\  il  imraii  mrtrcfol*  umtn<^  le  m'îiiî-Hri*  tlu  Umni  V,  Un  ftiitaU,  «un  mtll  &«^ 
iiich*  m\i%  un  tûpUj  tliin»  la  tlmmï^^*»?  4^  Wv^m  V,  xm  hornine  t^liAt^^  Cwiij  ■nr" 


JIV8]  LES  KUANCSARCIIERS.  43< 

naguère  nîp:ent  do  France  pour  Henri  YI,  descendait,  \)tiv  les 
inàlcs,  seulement  du  cinquième  lils  d'Edouard  111,  mais,  par  les 
femmes,  du  troisième;  Henri  YI  descendait,  parles  mules,  du 
quatrième  fils;  York  et  ses  enfants  ne  l'oublièrent  plus. 

L'opinion  puhlicpie  en  Angleterre  eut  bienlôt  un  nouveau  griei"  :  le 
conseil  de  Henri  YI  n'avait  point  encore  osé  déclarer  TengaiLiement 
qu'il  avait  pris  de  restituer  le  Maine  aux  Français  :  il  avait  demandé 
délai  sur  délai  pour  exécuter  sa  promesse.  Le  gouvernement  fran- 
çais perdit  patience,  et,  au  coumiencement  de  liiS,  six  ou  sept 
mille  combattants  vinrent  mettre  le  siège  dcNant  le  Mans  :  la  place 
avait  une  bonne  garnison  de  deux  mille  cinq  cents  hommes;  néan- 
moins, à  p(Mne  sut-on  à  Londres  l'agression  des  Français,  qn(»  le 
conseil  d'Angleterre  se  bâta  de  donner  satisfaction  à  (llliarles  \\i  : 
le  Mans  et  tout  le  Maine  furent  évacués,  moyennant  la  promesse, 
pour  les  personnes  auxquelles  Henri  YI  avait  conféré  des  fiefs  dans 
cette  province,  d'une  indenmilé  écpii valant  à  dix  années  de  reviv 
nas*.  L'Angleterre  n'obtint  à  ce  prix  qu'une  nouvelle  prorogation 
de  trêve  jusqu'au  1'*^  avril  liiO. 

L'Angleterre  en  était  à  ce  point  où  les  concessions  excitent  jilu- 
tôt  qu'elles  ne  désarment  l'ennemi  :  le  cri  général  en  France  était 
qu'il  fallait  en  finir  avec  les  Anglais;  le  gouvernement  français 
passa  cette  dernièn»  année  de  trêve  à  préjiarer  la  guerre;  sa  cava- 
lerie, organisée  définitivement  en  lii5,  était  la  plus  belle  et  lu 
mieux  disciplinée  de  l'Europe;  son  artillerie,  la  plus  puissantt»  et 
la  mieux  dirigée  qu'on  eût  encore  vue  :  un  édit  du  '^H  avril  I  iî8 
prescrivit  la  formation  d'une  infanterie  légère  destinée  à  tenir  léle 
aux  archers  anglais;  il  fut  enjoint  aux  prévôts  et  élus  de  choisir, 
dans  chaque  paroisse^,  l'homme  le  plus  adroit  à  tirer  de  l'arc  ou 
de  l'arbalète  :  cet  homme  devait  s'é(|uiper  à  ses  dépens,  ou  à  ceux 
delà  paroisse,  s'il  éliût  pauvre,  et  se  nmnir  d'une  salade  (cascpuî 
léger),  d'une  brigandine  (corselet  de  lames  de  fer),  d'une  hu(|ue 
ou  jaque  (justaucoj'ps  de  coton  piqué),  d'une  épée,  d'une  dague, 
d'un  arc  ou  d'une  arbalète,  et  d'une  trousse  garnie  de  dix-huit 

1.  Uvmci-,  V,  Il ,  p.  1M9.  Lu  France  nu  iiaya  rien.  Cette  indeiimiu^  fut  roiiipensée 
par  lu  Mippressioii  des  ufn-itis  (raiii;(>ns  abonnées)  que  pcrcevauMil  les  Fran(,'ais  !»ur 
les  campagnes  anglaises  de  Nuruinndie.  Ibid. 

2.  Suivant  Thunias  Ua^iin  it.  I ,  p.  108),  on  leva  un  arclicr  par  cimiuante  t'cux. 


Irails",  nKiyeimiiijl  <[iic*i  il  élïiil  ilt'claiT  »  îrmtc  »  cl4]tjilk  d<?  I 
liiWU'S  ri  irn|HHs,   hurtniî»  k'S  ailles  et  la  ^îiIii^Ip.  hfs  •  fn» 
arrhors  w  no  fmcivt  pas»  coiimic  les  gens  d'armes,  rinuiijic*n  ««►J 
paj;riji*s  |ienihiîtrrit(*H;  ib  rnrcrit  seiik^iàenl  a^lr* 
cires  riiiUlJiires  toun  ït^s  joui'îî  tie  ÏHvi^^  à  |)as><*r  ta  •  i  ■  nî 

une  fois  [lar  mois  au  ehof-Ucu  tIe  leur  diâtellmii!  • ,  el  ilumil  f 
tenir  [tnMs  à  ohi^ir  aii  premier  iiinmlement  du  rfiî ,  •  fHitir  I 
guêj'iràsQn  plaisir  ».  Tiie  solde  de  fpiatre  livres  ltHiniol$|)«iri 
leui"  iMâit  assignée  en  temps  degueire.  Il  ne  majKfu^il  plus  qui!  «t 
Ibriner  des  balaiHons  de  pitiiiieii^,  de  grosse  infanlerii%  poun 
rnrgantsntiun  uiilîlîure  de  Ja  France  fût  nimiiléti?  (Ord-, 
pîige  1  ;iV 

La  îidispension  dVirmes  n*eiU  plus  été  peul-t'lri*  ronoindéej 
auetni  etis^;  mais  les  Aogliiîs  eu\-im^îiies  rournîn'nl  à  la  Pn 
un  moiif  plausible  pour  nnapn-  le**  iiêgoeiatiMiiâ.  Toitdbqiiftl 
gouvernement  anglais  sVdTorcait  d*obteiiîr  lîi  iiîiiv  à  luul  prii,  u^ 
o0iriers  lie  resfierlaienl  pas  môme  la  trôve  4|ui  les  pr 
plus  ^o'ajid  di'sordre  fermait  dans  les  ])njvinces  axi^u....... .....,., 

ks  Iroupes,  mal  pay/^es,  mal  nourries,  vivaniit  d'c^iii-tirtn^ H  di- 
pîllnge.  Tn  capitaine  espagnol  au  serviee  d'An^'lelerrc ,  Praocnv» 
rAniKoïKiis,  ex-gouverneur  du  Mau»»  s'êlait  êfaldi,  a\rt!  !i!S  îr—  - 
e\p«ds4''t?s  du  .Maine,  sur  les  marebes  de  NontMimlie  el  i: 
tHgrne,  ravageant  tous  les  alentours:  le  24  mars  HW,  tpu  i,  ' 
joui's  avant  revpîraliun  de  la  trêve,  il  surprit,  pUlji  d  cpasfM 
Fougères,  nebe  et  eomniercanle  ville,  dont  le  dur  dMleitctiQ  u^ 
engiigé  depuis  lieu  d'aiinéeâ  la  seigneurie  an  dur  de  lln-tagm-.^ 
Le  roi  de  Franre  et  le  due  de  Brelfigne*  nivoyt*rcnt  mmH 
cli;'  nm  de  leur  e6té,  des  ambassadeurs  a  Eiluuinil  de  Lai?**'*" 
duc  de  Somerset,  que  le  eonscil  de  Henri  VI  avait  ùiît  . 
ninir  de  Normandie ,  h  la  place  du  duc  d'York ,  pour  le  *• 

L  La  (;ItAlrll*TiÎM  était  une  jiub4iTl*lot»  maïuirc  en  tcn 
ûtAJt  uiit{  Miiln^Tiaimi  iirfiiibÎBtrMtv^  «tt  JudkdAJre.  ]a' cM 
il*i  la  tîïàtt'lli'mo. 

2.  I^tib XI  c«M»jrft  éù rendre  les  tfnneamchctt  pf^ftis  à  liom  ùîm 1 1!  Iror  4m» 

Uim  iciiii  iVtaJt  tenu  tictilr^  dcpub  Jongtcmpi  roirc  Cbirtr*  VU  nS  Ucnn  VI .  ^^ 
•YiU  ircoiuin»  tiujr  k  iaur  l'oinu^v  roK  ili^  Fraiicv.  i^jm  âU  tv  dàcfAn  ;<o(ir  W  |«>l^ 


[1449-  JACQUES   COEUR   ET  LA    NOKMANDÏE.  433 

de  reslUucT  Fougères  et  d'indoinniser  les  habitants*.  Le  régent 
anglais  répondit  qu'il  désavouait  ceux  qui  avaient  fait  le  coup, 
mais  qu'il  n'était  pas  en  son  pouvoir  de  rendre  la  ville  :  les  rou- 
tiei-s  qui  tenaient  Fougèr(»s  guerroyaient,  en  elïet,  pour  leur  jiropre 
compte  et  n'eussent  point  obéi  sîins  condition  aux  ordres  d'un 
gouveiTiement  qui  ne  les  payait  plus;  mais  le  gouvernement 
anglais  pouvait  et  devait  leur  racheter  leur  prise.  Le  conseil  d'An- 
gleterre, vers  lequel  Charles  A'Il  avait  aussi  député,  tergiversa  et 
chercha  des  faux-fuvants. 

On  ne  perdit  pas  de  temps  en  France  :  le  duc  de  Bretagne  déi)4^- 
cha  son  chancelier  et  l'évéque  de  Rennes  vers  Charles  VU ,  «  le 
requérant  de  l'aider  à  recouvrer  son  bien  des  mains  des  Anglois, 
à  cause  qu'il  étoit  son  vassal,  son  honnne,  sujet  et  neveu  »  ;  le  duc 
François  était  fils  d'une  sœur  de  Charles  Vil  .  Le  conseil  du  roi 
s'empressa  d'accueillir  la  re(iurt(»,  (»t  le  duc  et  ses  barons  jurèrent 
de  servir  le  roi  de  France  «  Io\aument  »  à  l'encontre  du  roi  d'An- 
gleterre et  de  ses  alliés.  Le  connélable,  oncle  du  duc  François, 
était  accouru,  du  fond  du  Poitou,  se  metlreà  la  léte  des  Bretons. 
L'argent  comptant  nianquail.  Charles  Vil  demanda  d(^s  emprunts 
à  «  plusieurs  des  grands,  qu'il  aNoit  cond)iés  de  richesses  »  :  ils 
s'excusèrent  sous  di;  frivoh^s  prét(»\tes-.  Le  roi  s'adressa  à  Jacques 
('œur.  a  Sire,  ce  cpie  j'ai  est  vôtre!  »  répondit  le  marchand  de 
Bourges,  et  il  prêta  200,000  écus  d'or  '  pour  la  recouvrance  de 
Nonnandir. 

La  guerre  était  déjà  conunencée  :  quelques-uns  des  capitaines 
du  n»i ,  arboi'ant  les  couleurs  et  poussant  le  «  cri  de  Bretiigne  » 
[Bntognr  rt  saint  Ives!),  connue  s'ils  combattaient  seulement 
pour  l'injure  du  duc  François,  s'étaient  saisis  du  Pou l-de-l' Arche 
et  d(^  Ojnches  en  Nonnandie,  de  Cognac  i*n  Saintonge  et  de  Ger- 
beroi  en  Beauvaisis  (mai-juin  l'i'iOj.  Le  duc  de  Somerset,  ne  se 

1.  L'indemnitc  rcclomée  par  les  envoyés  liretoiis  était  île  sciz-o  mille  écus  d'or,  et 
non  de  «  seize  cent  mille  ",  comme  l'ont  préteiulu  Kapin  Tli«)}ra9  et  Hume,  qui  voient, 
dans  l'énormilé  prétendue  de  la  réclamation,  un  caU  ul  pour  rendre  l'accommodement 
impossible.  V.  Jean  Chartier. 

2.  Thomas  Basin ,  t.  I,  p.  244.  «Jacques  Cœur»»,  dit  Basin,  «  très-zi'lc  pour 
l'honneur  du  roi  et  le  bien  de  l'Ktat ,  offrit  .spontanément  une  {grande  somme  d'or.  ** 

3.  MaUiieu  de  Conssi ,  ap.  //n/or.  de  Charles  VU .  p.  G05.  200,000  écus  valent 
l,5oi>.000  fr.,  représentant  peut-être  \)  millions  de  valeur  relative. 

VI.  28 


434  r.LKKUES   DES  A.N^ÎLAIS.  .HW- 

ilissiniulant  pas  rinsuriisancc  de  ses  foires  pour  faire  fat-e  à 
rorajio,  a\ail  dôputé  vers  le  roi,  afin  de  renouer  les  néjL'ocia- 
tiens.  Tout  élait  si  mal  ordonné  i)arnn  les  An^^Iais,  que  les  amkif- 
sadcurs  n'a\ainit  i)as  niùme  de  pleins  pouvoirs  relativement  à 
Fou^èn*s;  le  consrii  de  France  n'était  pas  disposé  à  se  laisstT 
anuiscr  de  la  sorte  :  il  ne  refusa  point  aux  Anplais  de  romrirdes 
conférenies  à  Louviers,  mais  il  n'accorda  pas  de  susiKwiitn 
d'arnîes  ptMîdant  les  pouri)arlers ,  qui  n'eurent  aucun  résultat: 
le  conseil ,  dans  une  délibération  à  laquelle  assistèrent  plusieurs 
seignr'urs  du  sanpr,  barons  et  prélats,  décida  d'une  voix  unanime 
que  le  roi  a\ail  ])i)n  et  juste  titre  à  faire  guerre  aux  Anglais,  il 
<iu'ii  écrirait  à  tr)us  ses  sujets,  amis,  alliés  et  c  biem cillants,» 
de  venir  à  lui,  «  cliacun  selon  sa  puissance,  pour  la  recouvraïKt 
de  la  duché  de  Normandie.  »  Une  «  notable  »  ambassade,  c^d- 
duite  par  le  comte  de  Saint-Pol ,  fut  envoyée  au  duc  de  Bfiur- 
go«Jin<\  «  afin  de  lui  si^înilier  la  vérité  de  ce  qui  avoil  été  fait  de 
la  part  des  An^lois,  touchant  la  nq)ture  des  trêves,  et  de  le  requérir 
(pfil  lui  plût  oclrojer  congé  aux  nobles  chevaliei-s ,  écuyei-s  d 
Kcns  (le  guerre  de  ses  pajs  et  seigneurie,  d'aller  ser^Jr  le  roi  et 
se  met  Ire  à  sa  solde,  si  bon  leur  sembloit.  »  Le  duc  réi)oudit 
couiloiseuîcnt  qu'il  avait  trêve  avec  les  Anglais  et  n'avait  iwinl 
intention  de  leur  faire  la  guerre,  mais  que,  si  «  aucims»  nobles 
honunes  et  gens  de  guerre  de  ses  piys  voulaient  servir  le  roi, il 
ne  l(»s  en  détournerait  point  (Matthieu  de  <]oussi}. 

La  noblesse  picarde  et  artésienne  profila  delà  permission, qu'il 
n*eùt  pas  été  ju-udent  au  duc  de  refuser,  (»t  huit  cents  lances  et 
beaucoup  d'archers  des  ijays  bourguignons,  sous  les  onlres  de 
Louis  de  Lu\eml)omg,  comte  de  Saint-Pol,  joignirent  l'année  du 
roi  dans  la  Haute  Normandie. 

L'invasion  [lénérale  des  possessions  anglaises  avait  été  combina' 
iViiuG  manière  formidable  :  quatre  corps  d'armée,  sans  coniplt'r 
les  auxiliaires  picards,  devaient  agir  sinudtanément;  le  preniicr, 
sous  le  comte  de  Dnnois,  «  lieul<*naiit  général  du  roi  pour  le  r.ii! 
de  la  guerre,  ).  coiilre  la  llaule  Normandie  et  la  Normandie cin- 
Inile;  le  second,  aux  ordres  du  duc  d(»  llrHagne  et  du  conm- 
lable,  coidre  le  r.ntentin;  le  troisième,  moins  considéndjle,  suus 
le  duc  d'AIrneon,  dans  le  duché  d'Alençon  et  le  Perche;  lequa- 


t«9]  INVASrON   DE  LA   NORMANniE.  435 

(rièine  enfin  et  le  plus  nombreux,  commandé  jvir  le  comte  de 
Foix,  contre  la  Gascogne  anglaise  :  le  roi  en  personne  devait  sou- 
tenir Dunois  avec  un  corps  de  réserve. 

La  campagne  s'ouvrit  par  la  surprise  de  Vernouil  (  19  juillet)  : 
un  meunier,  maltraité  par  les  Anglais,  introduisit  les  Français 
dans  cette  ville,  dont  le  nom  rappelait  une  de  leurs  plus  san- 
glantes défaites  ;  les  temps  étaient  ])ien  changés  !  Le  château  fut 
emporté  d'assaut;  la  garnison  se  réfugia  dans  une  grosse  tour: 
Talbot  accourut  de  Rouen  pour  secourir  ce  donjon  ;  il  fut  obligé 
de  se  retirer  devant  les  forces  supérieures  de  Dunois;  la  tour  de 
Vcmeuil  ne  tarda  pas  à  se  rendre  (23  août).  Pendant  qu'un 
détachement  achevait  le  siège  du  donjon  de  Verneuil,  Dunois 
s'avançait  dans  l'intérieur  de  la  Normandie,  et,  renforcé  par 
les  Picards  du  comte  de  Saint-Pol,  et  i)ar  un  autre  détache- 
ment que  conduisait  le  comte  d'Eu,  il  attaquait  Pont-Audemer. 
Cette  place,  incendiée  par  les  «  fusées  ardentes*  »  qu'y  lancèrent 
les  Français,  fut  enlevée  au  i)remier  assaut  1 12  août).  La  prise  de 
Pont-Audemer  amena  la  soumission  de  Lisieux  et  de  tous  h^s 
environs;  ce  fut  l'évéque  de  Lisieux,  l'historien  Thomas  Hasin , 
successeur  de  Pierre  Cauchon  2 ,  qui  ménagea  l'accommodenuMit 
de  ses  ouailles  avec  le  lieutenant  général  du  roi  :  les  Anglais 
obtinrent  de  s'en  aller  sains  et  saufs. 

De  Lisieux,  Dunois,  avec  sept  ou  huit  mille  combattants,  se 
rabattit  sur  le  Vexin,  où  le  roi  le  rejoignit  avec  une  réserve  de 
deux  cents  lances.  On  se  i)orla  sur  Mantes  et  sur  A'ernon  ;  les 
habitants  forcèrent  leurs  fiainisons anglaises  à  capituler  ( lin  août). 
La  nouvelle  milice  des  «  francs-archers  »  se  signala  pour  la  pre- 
mière fois  à  l'attaque  du  pont  de  Vemon.  Gournai  fut  pris;  imis 
on  recouvra  les  deux  manoirs  d'Harcourt  et  de  La  Roche-Gujon, 
héritages  de  deux  nobles  familles  spoliées  par  l'étranger  en  puni- 
tion de  leur  fidéhté  à  la  cause  nationale.  NeufchAtel,  Fécan)p, 
Toucques,  Exmes  [ou  lliesmes),  Argentan,  et  bien  d'autres  petites 

1.  C'était  le  vieux  feu  jçri^jjeols,  suivant  Robert  Blondel;  Asserlio  Nornianniœ,  ap. 
Th.  Basin  ,  t.  I,  p.  210;  note.  Fusum  sulphure  ignilum ,  dit-il. 

2.  Pierre  ('nuchon  était  mort  subitement  au  eoncilc  de  Bàle,  en  1442,  «  sans  avoir 
le  temps  de  se  recoiiTioltre.  >«  On  remarque,  dans  la  capitulation  de  Lisieux,  que 
révôque-eomtc  de  cette  \ille  en  nommait  le  capitaine  ilo  gouverneur)  avec  confir- 
mation du  roi.  OrJonn.,  XIV,  p.  63. 


436  (ÎLERUKS  DES  ANGLAIS.  .M 

])laoos  tomberont ,  presque  sans  ofTusion  de  sang,  au  pouvoir  As 
Français,  ('liàtoau- Gaillard  se  rendit  après  un  blocus  ie  ^i\ 
semaines  (20  octobre).  Gisors  capitula  le  18  octobre ,  et  son  u«i- 
vorneur,  quoique  Anglais  de  race,  se  «  tourna  François,  irt 
d(»vinl  capitaine  de  Saint-Geruiain  en  I^ie.  D'autres  officiers  A' 
sa  nation  lui  avaient  déjà  donne  Texeniple,  pour  conserver b 
I)iens  qu'ils  possédaient  en  Normandie.  Les  généraux  Trançaiss** 
montraient  de  bonne  composition:  ils  avaient  la  clémence  As 
vicinires  l'aciles;  presque  partout,  les  officiers  subalternes,  les 
bénéliciaires,  les  feudataires  établis  par  le  gouvernement  anîrlai> 
conservaient  leur  position  en  prêtant  serment  à  Cbarles  Vil, 
lorsqu'ils  ne  se  trouvaient  point  en  concurrence  avec  de  t  Lon> 
François  »  dépossédés.  Les  soldats  français,  bien  payés,  bm 
nourris,  observaient  une  discipline  qui  achevait  de  gagner  lis 
populations  à  la  caus(»  de  la  France  :  les  garnisons  anglaises,  jm 
nombreuses,  mal  ap|)rovisionnées ,  abandonnées  de  leui"s  gém*- 
lauv,  |>ressées  entre  l'ennemi  du  dehors  et  rennenii  du  dedans. 
cédai(*nt  pres(|ue  toutes  après  une  très-faible  résistance.  «  Ledu»* 
de  Somerset,  le  lord  Talbot  et  les  autres  capitaines  de  ce  parti, 
qui  se  tenoient  tant  à  Rouen  que  dans  les  autres  villes,  voyoient 
bien  et  pb^inement  cpie  la  jdupart  des  bourgeois  et  du  comniiui 
peuple  ne  désiroient  que  retourner  en  l'obéissance  du  roi  dr 
France,  et,  pour  ce  doute  [pour  celte  crainte),  ils  ne  s'osiût-nt 
mettre  ensemble  aux  cliamps  ni  désemparer  leurs  gaiTiisons  alin 
(le  secourir  leurs  g<»ns  qu'ils  savoient  de  jour  en  jour  être  assii- 
jiés  »  ;Matlbieu  de  Coussi).  Déjà  une  cons])iration  populaiiv  a^ail 
failli  livrcM'  Rouen  aux  Français  ])endanl  Finutile  tentative  rpii» 
Talbot  avait  faite  pour  secourir  Venieuil.  Le  vieux  Talliot,  li' 
béros  (le  rAn^let(rre,  s(»ntait  son  impuissance  avec  un  mom*' 
di'coura^ement  ;  du  liant  des  tours  de  Rouen,  il  venait  deviir 
bi'ùl(*r  |)ar  l(»s  l'icards  son  beau  ebàteau  de  Longempré,  san> 
pouvoir  (Mî  tirer  veng(»aiiee  :  en  vain  le  nagent  Somei-sel  et  lui  sol- 
licitaient-ils, par  de  fréqu(Mits  messages,  les  secours  de  Henri  \\ 
et  i\r  son  conseil,  remontrant  «  couîme  quoi  se  perd.)ient  li> 
bell(*s  coiupiétes  du  feu  roi  Henri  V.  »  Les  divisions  intestini'S  d»* 
l'Aniileterre  enqu'clu-rent  (pi'on  y  mît  «  au(Muie  pnnisiun  m 
reuKMle;  ce  (pie  savoii^it  fort  bien  les  François,  »  ajoute  Maltliiou 


:i449]  I.NVVSION  DE  LA   NOUMANDIE.  137 

de  Coussi,  «  par  (luoi  ils  contiimoicnt  d'avcancer  dilijyreinmont 
leurs  besognes.  » 

L'armée  de  Bretagne  n'avait  pas  de  moindres  succès  que  l'ar- 
mée de  Dunois.  Les  Bretons  avaient  commencé  par  prendre,  au 
printemps,  Saint-James  de  Beuvron  et  Mortain;  puis  le  duc  et  le 
connétable  se  mirent  en  mouvement  avec  toutes  leurs  forces  dans 
les  derniei*s  jours  d*août  :  trois  cents  lances  bretonnes,  aux  ordres 
de  Pierre  de  Bretagne,  frère  du  duc,  bloquèrent  Fougères,  pen- 
dant qu'mi  millier  de  lances  bretonnes  et  françaises  entraient  en 
Cotenlin  :  Coutances,  Saint-Lô,  Carentan,  A^alognes,  Thorigni, 
Gavrai,  furent  livrés  par  leurs  liabitants,  (|ui  demandèrent  seule- 
ment que  les  garnisons  anglaises  se  retirassent  «  vies  et  ba?;ues 
sauves.  »  Le  duc  François  et  son  oncle  le  connétable  se  réuninMit 
ensuite  devant  Fougères  à  Pierre  de  Bretagne,  et  pressèrent 
avec  vigueur  cette  forte  place  :  François  FAragonais  et  ses 
routiers  se  défendirent  plus  résolument  que  toutes  les  autres 
troupes  anglaises  ;  ils  tinrent  pendant  un  mois,  sans  qu'on  pût 
les  réduire  de  vive  force,  et  il  fallut  non-seulement  leur  accorder 
la  vie  et  les  biens,  mais  acheter  leur  retraite  par  une  sonune 
d'ai'gent.  François  FAragonais  i)assa  au  service  de  France.  L'hiver 
approchait;  une  é|)idémic  s'était  mise  dans  Farmée  do  Bretagne  : 
le  duc  et  le  connétaI)le  congédièrent  leurs  gens  ai)rès  avoir  nmni 
de  garnisons  les  villes  et  forteresses  con([uises. 

Le  duc  d'Alençon  était  parverui,  de  son  côté,  à  recouvrer  entiè- 
rement sa  seigneurie  :  sa  ville  ducale,  Alençon,  lui  avait  ou\i;rt 
les  portes  en  dépit  des  étrangers. 

Charles  VII  ne  recevait  de  toutes  parts  que  d'heureuses  nou- 
velles :  à  Yerneuil,  à  Évreux,  à  Louviers,  partout  où  il  |)ortait 
ses  pas,  il  était  accueilli  par  les  joyeux  «  noOls  »  des  bourfieois 
et  <f  mîuiants,  »  ravis  d'aise  de  se  voir  délivrés  des  Anglais.  On  ne 
doutait  pas  qtie  les  Rouennais  ne  fussent  dans  les  mémos  senti- 
ments, bien  qu'ils  n'eussent  ])oinl  encore  pu  répondre  à  la  pro- 
clamation par  laciuelle  le  roi  les  avait  invités  à  secouer  le  joug 
f  des  étrangers*.  Les  principaux  chefs  anglais  s'étaient  concentrés 
;  dans  cette  grande  ville  :  le  conseil  jugea  le  temps  venu  de  l'arra- 

1.  Du  17  juillet. —  Archives  municijialis  de  Rouen,  citées  par  M.  Chéruel;  /loui/4 
tous  Is  An'jlais,  p.  122, 


438  GLKUKKS  DES   ANGLAIS.  (1*1!» 

cher  de  leurs  mains;  le  roi  réunit  à  Louvicrs  les  princes  et  l(ïu> 
les  capitaines  «  qui  avoient  cliar^^c  de  gens  d'armes,  »  et  marclia 
sur  Pont-de-rArclie,  d'où  il  envoya  ses  t  ofllciei-s  d*armes  > 
(hérauts}  vers  «  ceux  de  la  ville  et  cité  de  Rouen,  »  pour  \v> 
sonnner  de  se  rendre  à  lui.  Les  Anglais,  qui  gai"daient  les  iKirtos. 
lepoussérent  brutalement  les  hérauts,  et  les  menaceront  de  mort, 
a  ce  qui  étoit,  »  dit  Jean  (ihartier,  «  contre  tout  ordre  de  cheva- 
lerie. »  On  fit  avancer  Dunois  et  ses  compagnies,  «  qui  demeu- 
rèrent trois  jours  devant  la  ville,  par  un  fâcheux  temps  de  vcnl 
et  d(»  [)luie,  sur  Fespoir  que  les  bourgeois  tourncroicnt  contre  le> 
Aiifilais;  mais  ils  ne  le  purent  faire,  pour  la  grande  diligence  et 
surveillance  du  duc  de  Somerset  et  du  seigneur  de  Talbol.  >  Les 
comi)agnies  se  replièrent  sur  Pont-de-rArche  et  les  villages  emi- 
rumiants.  Peu  de  jours  après,  quelques  citoyens  de  Rouen  tirent 
savoir  au  roi  qu'ils  étaient  prêts  à  lui  livrer  deux  tours  du  reiu- 
pari,  proche  la  porte  Saint-IIilaire.  Toute  Tarniie  se  remit  en 
mouvement,  et,  tandis  que  le  maréchal  de  Culunt  commençait 
une  fausse  attaque  contre  la  porte  Beauvoisine,  Dunois  et  d'autres 
chefs  se  dirigèrent  vers  la  porte  Sainl-Hilaire;  mais  à  peine  tn?nte 
ou  quarante  hommes  d'annes  étaient-ils  ])arvenus  au  haut  du 
mur,  entre  les  deux  tours  jrardées  i)ar  les  auteurs  du  complot ,  qui- 
Talhot  accourut  avec  Télile  de  la  garnison  :  le  désespoir  raiiiiiia 
le  comage  des  Anglais;  ils  chargèrent  avec  tant  de  furie  les  assail- 
lants et  leurs  fauteurs,  qu'ils  les  tuèrent,  les  prirent  ou  lescul- 
bulèrent  dans  le  fossé,  avant  que  le  gros  des  troupes  française» 
prit  leur  porter  secours,  ou  que  la  masse  des  habitants  eût  !•■ 
temps  (le  se  déclarer  (IG  octobre). 

(le  diunier  coup  de  vigueur  du  vieux  Talbot  ne  put  raffernûr 
la  domination  anglaise;  dès  le  lendemain  matin,  la  fermentatiun 
populaire  éclata  parmi  mouvement  général.  Leduc  de  Somerset, 
entouré  dans  une  rue  de  Rouen  par  un  millier  d'hommes  armés. 
lui  conduit,  bon  gré,  mal  gré,  à  l'Ilotel-de-Ville,  et  obligé  de 
cMiiscjitir  à  l'envoi  de  députés  vers  le  roi  Charles.  Les  bourgeoî^ 
(lu  ])arli  français  s'étaient  procuré,  dès  la  veille,  les  sauf-conduit> 
nécessaires,  l'ne  première  dépulation  alla  çur-le-champ  trouver 
le  roi  au  Ponl-de-r Arche,  pour  régler  les  préliminaires;  ce  fui 
TalTaire  d'un  moment.  Aussitôt  le  retour  des  députés,  une  auiba^ 


[1449]  CAPITULATION   DE   ROUEN.  i39 

sadc,  inveslie  de  pleins  pouvoirs,  composée  des  principaux  bour- 
geois, et  conduite  par  rarclievèque  Raoul  Roussel,  partit  pour  le 
Port-Saint-Ouen ,  à  une  lieue  du  Pont-de-rArche ,  où  s'étaient 
transportés  le  comte  de  Dunois,  le  chancelier  de  France  Guillaume? 
Jouvenel  des  Ursins,  et  d'autres  membres  du  conseil.  Le  duc  de 
Somerset  avait  adjoint  aux  envoyés  rouennais  plusieurs  chevaliers 
et  ccuyers  anglais. 

Les  pourparlers  ne  furent  pas  longs  :  Tarchevéque  et  «  ceux  de 
la  cité  »  tombèrent  d'accord  de  remettre  la  ville  entre  les  mains 
du  roi  de  France,  à  condition  que  ceux  des  habitants  qui  vou- 
draient demeurer  et  prêter  le  serment  d'être  bons  Français  ne 
souffriraient  aucun  dommage  en  leur  corps  ni  en  leurs  biens,  et 
que  ceux  qui  voudraient  s'en  aller  le  pourraient  faire,  sans  rien 
perdre  de  ce  qui  leur  appartenait.  Le  roi  promit  le  maintien  des 
privilèges  de  la  ville  et  du  duché,  de  l'échiquier  ou  justice  souve- 
raine de  Normandie  ' ,  de  la  Charte  aux  Normands  (la  loi  de  1313) , 
des  Coutumes  de  Normandie,  etc.,  l'abolition  des  nouveaux  im- 
pôts ét<iblis  par  les  Anglais,  et  la  démolition  des  fortifications 
construites  par  Henri  V  sur  le  «  pont  de  Mathilde-.  »  Une  capitu- 
lation honorable  fut  offerte  à  la  garnison  anglaise.  Les  envoyés 
anglais  refusèrent,  protestèrent,  et  ivs  deux  fractions  de  l'amljas- 
sade  retournèrent  à  Rouen,  dans  le  courant  de  la  nuit,  en  très- 
mauvaise  intelligence. 

Le  lendemain  matin  (samedi  18  octobre),  rarchevèque  et  ses 
compagnons  se  rendirent  à  la  maison  de  ville  pour  faire  leur 
rapport  sur  ce  qui  avait  été  convenu  avec  les  gens  du  roi.  Le 
l)rojet  de  traité,  exposé  par  l'archevêque,  fut  reçu  avec  acclama- 
tion par  les  bourgeois ,  avec  tristesse  et  colère  par  les  Anglais, 

1.  L'échiquier  ne  formait  un  corps  distinct  du  parlement  d"-  Paris  que  dopui»  que 
les  Anglais  avaient  perdu  Taris:  ordinairement,  c'étaient  des  membres  de  ce  par- 

'  lenient  qui  venaient  tenir  les  sessions  de  l'échiquier  à  Rouen.  De  même  pour  la 
chambre  des  comptes. 

2.  Ce  nom  rappelait  la  reine,  femme  de  Guillaume  le  Conquérant.  Chéruel,  Bouen 
tous  les  An(flais,it.  125;  il'aprës  les  archives  de  Kouen.  —  OrJo;i>j.,  XIV,  75.  Lajuri- 
dclion  ecclésiastique  recouvra  les  préro;;ative3  que  lui  avaient  ôtées  les  Anglais. 
Quelques  mois  aprè-»,  hrs  U«.»uennais  obtinrent  du  roi  d'être  affranchis  de  tous  les 
droits  et  péages  que  la  "  Compavrnie  françoise  »  (Compagnie  parisienne  de  la  niar- 
chandise  de  l'eau  faisait  peser  sur  la  navigation  de  la  Seine.  7  juillet  1150.  Archives 
di  /îuMfM,  citées  par  Michclct ,  t.  V,  p.  281. 


140  (ÎLEIUVES  DES  ANGLAIS.  li-r 

cjui  s'olïort'crciît  m  vain  de  le  faire  rejeter.  «  Quand  ils  virent  la 
volonté  que  le  peuple  de  Rouen  avoit  envei-s  le  roi  de  Traîne, 
le  du(î  de  Somerset,  le  seignem-  de  Talbot  et  les  autres  se  dc|'ar- 
lirent  de  l'ilolel-de- Ville,  moult  ébahis  et  courroucés,  se  niireiil 
tous  en  armes,  [juis  se  retirèrent  avec  Uîurs  biens  dans  le  palais 
bûti  par  Ilemi  Y;,  dans  le  château,  sur  le  pont,  et  aux  portaux 
et  tours  (les  remi)arts.  Ceux  de  la  ville  se  mirent  pareillement  on 
armes,  se  cantonnèrent  contre  les  Angiois,  et  expédièrent  un  mos- 
safjfe  vers  le  roi,  pour  qu'il  lui  plût  venir  à  leur  secoui's,  promet- 
tant qu'ils  le  meltroient  dedans  la  ville. 

«  Le  dimanche,  sur  les  huit  heures  du  matin,  les  habitant:^, 
vovant  les  Angiois  armés  et  marchant  parmi  la  ville  pour  U-s 
venir  opprimer,  coururent  sus  auvdits  Anylois,  et  les  chassi-mil 
si  durement  et  Ai)rement,  qu'à  g;rand' [)einc  purent  les  uns  ivn- 
Uw  au  i)alais,  les  autres  au  chàleau;  en  même  lenips  ceux  de  la 
xille  f^a^nèrent  ])ar  force  tous  les  murs  et  portaux  de  leur  cité,  d 
en  llrenl  déguer])ir  les  Angiois*.  » 

bientôt  parment  Dunois  et  l'avant-garde  française.  Dunuis  s'ar- 
rêta devant  le  mont  Sainte-Catherine,  qui  commande  les  approches 
de  Rouen  du  coté  de  Paris,  et  où  s'élevait  un  couvent  fortilié  : 
il  sonnna  ce  fort,  qui  capitula  sans  résistance.  Les  Anglais  en 
sortaient  au  moment  où  le  roi  arrivait  en  personne  avec  le  grtts 
(le  sesgiMiset  sou  arlilliTii'.  Le  roi  se  log(\i  au  cou\ent  de  Sainte- 
(!ath(?rine,  tandis  que  trois  compagnies  d'ordonnance  entraient 
dans  la  ville  au  son  des  fanfares;  les  bourgeois  étaient  acc(»uriis 
apj)orter  joyeuseniiMil  les  clefs  au  comte  de  Dunois,  à  la  porte  de 
.Martainville.  Le  soir  même,  le  pont  de  Rouen  fut  évacué  par 
l'ennemi,  et  la  connnunicalion  fut  ouverte  (Mitre  les  deux  ri\es 
de  la  Seine  :  douze  cents  Anglais  en\irnn  étaient  renfermés  dans 
1(»  |)alais,  aNcc  le  duc  de  Someisi^t  et  lord  Talbot;  le  reste  défen- 
dait le  ch;\l(*au;  mais  le  peuple  et  les  troupes  royales  li»s  tenaient 
élrollenienl  resserrés  dans  (vs  deux  retraites. 

Le  duc  (le  Somerset,  apn'Sfjuebpie  hésitation,  demanda  nnsiuif- 
conduil,  ^int  trouNcr  Charles  VU  au  mont  Sainte-Catherine,  il 
reijnit  la  liberté  de  se  retiii*r,  lui  et  tous  les  siens,  «  vies  et  bims 

1.  Jt-nii  «"iiariior. —  IV-ni.  —  Manliuu  ilo  r.m.^vi. — .Tao]uc.s  Du  Clcv-i  •_'.-. ii;'.- 
Ijoiiiiul*  iîru'.'icn  ,  auU-ur  duiuî  chrouiiiuc  qui  s'ôluiil  de  1  iVS  ù  1  M7;. 


aufs  »  :  c'étaient  les  conditions  offertes  ravani-veille.  Le  roi  réjjou- 
dit  qu*il  était  trop  tard,  et  que  h^s  Anglais  n'auraient  })lus  ni.iiu- 
tenant  de  capitulation  qu'en  restituant  Hondeur,  llarfleur  et  fout 
le  pays  dcCaux.  Leduc  ne  put  se  résoudre  à  livrer  ainsi  llarlleur, 
le  dernier  espoir  des  .Vnglais;  il  i)rit  congé  du  roi,  et  retourna  au 
palais,  €  regardant  parmi  les  rues  tout  le  peui)le  portant  la  croix 
Manche,  de  quoi  il  ifétoit  guère  joyeux  ».  Le  siège  du  chàleau  et 
du  palais  fut  aussitôt  entamé  avec  vigueur  :  les  Anglais  n'étaient 
point  en  état  d'opjioser  une  longue  résistance;  dés  les  premières 
décharges  de  rartillerie  française,  ils  demandèrent  la  réou^erlure 
^es  négociations;  on  s'accorda  enlin,  après  douze  jours  dt»  déJjals, 
}i  Tex-régent  de  France  ca[)itula  pour  lui  et  tous  les  si(*ns,  moyen- 
îiant  l'évacuation  d'Arqués,  Caudehec,  llonfleur,  Tancarville, 
Lillehonne  et  Monlivilliers,  plus  une  rançon  di.'  50,000  écus  d'or. 
Talhot  et  d'autres  Anglais  de  grande  qualité  furent  gardés  en 
otages  jusqu'à  l'exécution  du  traité. 

Le  duc  de  Somerset  et  les  Anglais  s'en  allèrent  donc,  le  i  noNem- 
hre,  les  uns  à  llarfleur,  les  autres  à  l^aen.  Les  bannièies  d'Angle- 
terre, portant  la  croix  rouge  en  champ  hlanc,  furent  ahallucs  de 
dessus  le  château  et  le  palais,  et  remplacées  i)ar  les  hamiières 
de  France  :  ce  fut  le  10  novembre  que  le  roi  fJiaili^s  lil  son 
entrée  triomphale  à  Rouen,  lllrange  phénomène  de  ce  monde 
d'apparences  et  d'illusions,  où  rien  n'est  à  sa  placer  ri  ne  se 
montre  dans  sa  réalité,  où  la  >crité  même  ne  se  produit  le 
|dus  souvent  (pie  voilée  sous  des  personnilicalions  menson- 
gères! Charles  VU  rencontrant  le  triomphe  là  où  Jeanne  Darc 
a\ait  trouvé  l'échalaud;  (iharles  VI!  recevant  les  honnrnrs  dcî 
lihérateur  dans  ces  lieux  on  s'élait  éle\é  le  hncher  d(»  la  Nraie 
libératrice!  A  llouen,  connut!  aulrclois  à  llcinis,  c'était  la  person- 
nilication  de  la  patrie  que  s'imaginait  saluer  le  cri  poiiuiaire!  Le 
peui)le  roucimais,  si  sombre  à  l'entrée  du  conciuérant  jmglais 
trente  ans  auparaNani,  acelamail  par  ses  «  noëls  »  au  retour  d(»  la 
France.  L'àme  de  la  Pneelle  planait  sur  cet  étendard  de  Saint- 
.Micliel  (pii  flollait  en  tèti*  de  l'armée! 

Le  lendemain  de  la  splemliihM'érémonie,  où  les  bourgeois  asaient 
plus  regardé  et  honoré  (praucun  capitaine  «  messire  Jacques 
Cœur,  par  les  diMiiers  duquel  le  roi  avoit  ainsi  coiupiis  la  Norman- 


U2  (ÎLEIIUKS  DES  ANGLAIS.  [liltt-Hîv 

(lif  *,  D  une  dépulation  dos  clercs,  l)Oiirif<»ois  et  manants  vint  trou- 
ver le  roi  ù  rarclicvùclié,  el  le  pria  «  de  ne  point  se  désister  de  fairv 
lii  ^iiierreàses  anciens  ennemis  les  Anglois;  Ciir,  imr  le  moyen di'> 
places  Ibrles  (pi'ils  occupoienl  encore  en  Xormandie,  ils  pouvoioiil 
derechef  causer  de  jrrands  el  énormes  maux  au  pays;  pouro* 
faire,  ils  oflrirent  au  roi  de  l'aider  de  corps  et  dfi  clicvcince  >. 

L'olTre  fui  cordialemenl  accueillie,  el  Tliiver  n'interrompit  poiiil 
Tonivrc  de  «  recou\rance  »  :  après  moins  d'un  mois  de  re|K)>, 
l'armée  se  remit  aux  champs;  le  roi  laissa  à  Rouen  le  sire  deBrï'Zi- 
pour  capitaine,  Guillaume  Cousinot,  un  des  membres  les  piu> 
actifs  du  conseil ,  pour  bailli ,  et ,  malgré  le  froid ,  la  pluie,  la  neige, 
le  manque  de  vivres,  les  hautes  marées  qui  inondaient  le  cain|i. 
le  sié^e  fut  a  i)lanté  »  et  maintenu  devant  llarfleur  :  mille  h\\vi> 
(six  njille  chevaux),  quatre  mille  francs-arcbers,  une  formidalA' 
artillerie  el  vinjïl-cinq  gros  vaisseaux  dieppois  et  picards  assailli- 
rent la  ville  par  terre  el  par  mer,  du  8  au  24  décembre.  Harileur, 
détendu  par  près  de  deux  mille  Anglais ,  céda  au  canon  et  aux 
uûnes  de  Jean  Bureau ,  non  moins  c  subtil  et  ingénieux  i  daib 
tous  les  travaux  de  siège  qu'à  la  manœuvre  des  'engins  de  giiern'. 
Harileur  capitula  la  veille  de  XoOl.  La  garnison  se  retira  par  nier-. 

Dunois  investit  ensuite  Ilondeur ,  dont  le  gouverneur  n'avait  p 
voulu  reconnaître  la  capitulation  de  Uouen  (  17  janvier  1450;.  Le 
roi  était  allé  se  «  rafiaîchir  un  temps  »  à  la  célèbre  abba>e  de 
Jumiéges,  entiv  Uouen  el  Caudebec.  Vn  triste  événement  le  fi-aiHKi 
en  ce  lieu  :  Agnès  Sorel,  enceinte  pour  la  quatrième  fois,  ètaii 
venue  s'établir  au  château  d'Anneville,  près  deJumiéges;  elle} 
accoucha  d'une  fille,  fut  prise  de  la  dyssenterie  à  la  suite  de  <<*> 
couches,  montra  ime  grande  contrition  de  ses  péchés,  laissai  iwr 
testament  beaucoup  de  biens  aux  ))auvres  el  aux  églises,  et  mounii 
le  9  lévrier  1450.  La  dame  de  beauté  avait  des  ennemis,  le  dauphin 

1.  Jaoqiu's  Diiclercq.  Los  bourj^cois  admirùrcnt  J:um|iics.  Les  courti»ans  T\*an;i- 
(piorciit ,  avec  d'autres  s(.Mitiincnts,  qnu  le  marchand  de  Bour^^cs  était  monti*,  \étu>: 
lianiaclH'  au-si  soniptucusemc  ut  que  le  comte  de  Dunui:».  V.  Uerri ,  ap.  //ii.'or.  ■ 
(  /m»7'-'  Vil;  Martial  de  Paris,  Vijiles  Je  Charles  Vil;  ap.  1*.  Clément,  Jacquts  Ca^ 
t.  II ,  p.  10.  Les  cliroiiiiiiunirs  se  complaisent  fort  à  décrire  les  maii^ii&ccnces  du  ivr- 
t».''i,'i-  royal. 

'J.  ^ur  tiHite  celte  camp;i.i,nie  cl  la  sulvanle,  voyoz  .T.  Charticr.— Bcrrî,  roi  d'arme*. 
—  Matthieu  de  Cousai.  —  lîuillaume  O'rucl ,  Vie  Je  Uù-hemont,  —  Jacqueâ  Duclerv<i. 


[1450]  M01\T   D'AGNES  SOREL.  ii3 

Cl  bien  d'aulres  :  le  bruit  qu'elle  avait  été  empoisonnée  ne  tarda  pas 
à  se  répandre  à  la  cour,  et  y  fut  accrédité  et  enlrelcnu  par  des 
lionnnes  qui  s  en  servirent  un  peu  plus  tard  pour  d'infâmes  macbi- 
nations.  L'historiograplie  de  Charles  VII,  Jean  Cliarlier,  cbanlrc 
de  Saint-Denis  et  continuateur  des  Grandes  Chroniques  de  ce 
monastère,  prétend  que  la  maladie  d'Agnès  provint  du  «  chagrin 
et  dt^[)laisance  »  à  elle  causés  par  la  renommée  en  tous  lieux 
réixinduc  que  «  le  roi  Tentretenoit  en  concubinage  »  :  le  chroni- 
queur ofiîciel  tâche  inutilement  de  démontrer  Tinnocence  d'un 
commerce  dont  quatre  enfants  avaient  été  le  fruit  :  ce  qui  est  vrai , 
c'est  que  la  dame  de  Beauté  avait  l'àme  liante ,  et  que  les  hom- 
mages des  courtisans  ne  lui  fermaient  pas  les  yeux  sur  le  mé])ris 
que  le  peuple  témoignait  discourtoisement  à  la  «  concubine  »  du 
roi*.  Il  faut  bien  avouer  qu'Agnès  avait  provoqué  l'hostilité  popu- 
laire, depuis  quelques  années,  par  l'étalage  immodéré  de  son  crédit 
et  par  le  faste  excessif  dont  elle  doimait  l'exemple  à  la  cour  et  à 
tout  le  royaume^.  La  France,  toutefois,  eut  à  regretter  sa  i)erte  : 
après  elle,  on  eut  des  scandales  bien  pires,  et  l'on  n'eut  plus  la 
compensation  de  ses  bonnes  qualités  et  de  ses  bons  conseils. 

Charles  VU  prodigua  les  honneurs  funéraires  à  Agnès  :  il  lui  fit 
élever  deux  somptueux  monuments,  à  Jumléges  et  à  Loches  ',  avec 
les  insignes  de  duchesse.  Mais ,  tandis  qu'il  étalait  cette  douleur 
d'apparat,  «  la  belle  des  belles  »  était  déjà  publiquement  remplacée 
par  une  rivale  qui  l'avait  supplantée  en  secret  dans  les  derniei*s 
temps  de  sa  vie.  C'était  sa  propre  cousine,  Antoinette  de  Maignelais, 
vile  créature  qui  inaugura  des  exemples  de  corruption  jusqu'alors 
inconnus  et  depuis  trop  bien  suivis,  se  fit  marier  par  le  roi,  afin 


1.  En  1MB,  Agnès  ayant  passé  à  Paris,  en  u  grand  état  comme  comtesse  et  du- 
ciic.-se  ",  pour  aller  vi^iitcr  son  château  do  Beauté,  au  bout  du  bois  de  Vincenues, 
les  Parisiens  lui  firent  assez  mauvais  accueil ,  et  ««  elle  dit  au  départir  que  ce  n'étoient 
que  vilains.  »»  Journal  du  BouryenU  Je  Paris.  Ce  journal  finit  en  1419. 

2.  Les  modes  qu'elle  introduisit  n'éiaient  pas  immodestes  seulement  par  Tcxcés 
du  luxe  :  elle  apprit  aux  femmes  à  se  découvrir  les  épaules  et  le  sein.  V.  G.  Chastel- 
lain ,  p.  225  ;  ap.  Panthéon  littéraire.  —  L'art  de  Uiiller  les  diamants  ù  facettes  fut , 
dii-on,  inventé  pour  elle.  V.  VArt  de  vérifier  les  dates,  t.  VI ,  p.  400. 

li.  Le  premier  a  été  détruit  dans  les  Guerres  de  llelijrion  ;  la  statue  d'Agnès,  qui 
ornait  le  second,  a  été  brisée  en  1791.  La  tète  qu'on  y  a  remise  est  apocryphe  : 
elle  a  été  refaite  au  commencement  de  notre  siècle.  V.  Vallet  de  Viriville,  Sotice  $ur 
A'juèi  Sorel,  p.  lG-17. 


444  (.ri:r.ni:s  ni:s  anglais.  [k  •* 

«ravoir  une  imsiiion  offuielU»,  h  un  pauM'c  p^enlillionuuo,  iloril 
Charles  VII  dora  (M  liira  la  lionto*,  cl  assura  la  porpc^luitr  ilo  son 
crédit  en  se  faisant  la  surinlentlanlc  «rune  ospcVo  de  liaroni  quVli»* 
rcnii»lissait  de  jeunes  filles  séduiies  ou  achetées  à  leurs  iuu'enls=. 
Avec  A;xnès,  toute  dijJinité  disparut  de  la  cour  et  de  la  vie  du  roi. 
et  les  historiens  contemporains  expriment  sans  jnénaircmenl  l'iiii- 
pression  (pic  pro<Uiisaient  de  telles  mœurs  sur  quiconque  nViWiil 
pas  p(M'<lu  toute  ])udcur'. 

Si  (iliarles  Vlï  s'enfonça  de  plus  en  plus  dans  la  déhanche,  il  un 
retJinha  pas  du  moins  dans  la  pîuvssc  :  les  habitudes  d'actiim, 
qu*Af;nès  avait  contribué  à  lui  faire*  prendre,  survécurent  à  Ai:riès. 
Aussitôt  après  les  funérailles  de  la  dame  de  lUvuité,  Charles  ttail 
allé  retrouver  Dunois  d(»vant  Ilonfleur,  qui  se  rendit  le  18  février: 
le  duc  de  Somerset,  retiré  h  (laen,  ne  pouvait  rien  sans  des  s(*coiir> 
(rAn^iîeterrc  qui  n'arrivaient  point.  Depuis  six  mois  et  plus,  Ips 
Angliiis,  trjupiés  de  ville  en  \  ille,  de  chAteau  en  château,  tournaient 
en  vain  leius  regards  vers  la  mer  :  les  na\ires  des  a  cjn(i  ports  • 
ne  paraissaient  pas.  (le  n'était  ([u*un  cri  parmi  les  Anp:lais  de  N'm- 
mandie  contre  le  jj:ouv«»inemenî  qui  délaissait  ainsi  les  conquêtes 
de  Henri  V,  et  ce  cri  avait  de  Tautre  côté  de  la  Manche  de  fonni«l;i- 
hles  échos.  Le  conseil  dWnjilelerre  pi'é|)arait  lentement  une  c\i)v- 
dition  à  Portsmouth  :  Tévéque  de  (Ihichester,  j^arde  du  sce'Ui  pri\é, 
étant  allé  jïorter  aux  trouj^es  leur  solde;  quand  on  sut  que  c'était  ir 
même  prélat  ([ui  aviiit  présidé,  connue  envoyé  du  conseil,  à  ré\a- 
cuation  du  Maiiuî,  soldats,  niat(»lots  et  hfuirj^^eois  se  s&ulevèivnt 
contre  lui  et  le  massacrèrent  Ojanvier  1 550).  Pendant  ce  tenq»s, 

1.  I.o  siri'  «11»  Villo(|uit'r  ilrviiit  (■«>ii>oilli'r  et  dinniltellnn  du  i*oi.  gouverneur  Ji-  I..i 
lirH'hcIh»,  vioointo  df  Suut-Niii\«Mir,  cto.,  etc. 

2.  r.  dîiii>  tl.  Ducli'inj,  la  toiii'haunî  lii>toire  de  Ulaixrhe  de  Hobrcuvc. 

3.  I.a  roiiii'  Marir  «rAnjun  >»il»it  p.i««-'ivfi!U'nt  AiiloincUe  do  Mai^rnelais  onmroec-l!*- 
avait  sulii  Ay^iios  >(nTl.  Li-s  onnpirs  ilc  l'ar^rmifrio  di*  la  reine  nieniionni*nt .  a  U 
dat<t  dii  1"  janvier  1 1."«,  de.-»  riri'inu">  oHorics  par  la  ri'inc  à  la  dame  de  \  ilUqnùr. 
Tn  antro  artii-Io  d"  ei-s  conipt*»'»  o.-t  bu'u  pî»'*  exlraoniinaire.  «  Le  2ù  juin  1 1-) î,  4 
tVéri- ,Ii'lian  lîmi-'irau  ,  cnrdclicr.  ]mur  le  restitniT  de  senddable  .«omnie  iju'il  a^•.iî 
ïiri't;'u  comptant  !•■  l'f  jour  do  mai  pa»!-,  jionr  bailler  aux  /i//m  joi/fuîr*  :fiile'<dc 
joirî  :  Mitrnit  h  r-uir,  Ii'vpii-llrs  Ninn-nl  dcv.Ts  lailite  dame  la  roint:  deniniidtT  le  ni.ii, 
fil  'A  i'fns«ritr  l  livri"»  'J  -.mi^  i\  di-nii-rs  tnunu»is.  ••  V.  Vallet  d«*  Viriville,  A'-».'!,  i»  .»vr  . 
A'jnh  Son! ,  p.  JM,  noî<*  '.\.  (^»no  ilin*  «b'  ce  p^tit  tableau  d'un  niuinc  mendiant  prëunl 
di'S  èi'u-î  d"i»r  à  la  ri-i  m'  ilc  l'ran  'e  p.rir  d'»!in(T  uîie  çr.ititication  aux  Hlle-i  pr.!»'.i  ]i;es 
enn'-finu'nlre.-.  à  la  M;iio  de  la  eonr  ! 


[1450]  IJAÏAILLE    l)K   FOnMIOM.  445 

le  comte,  devenu  tluc  de  Sufl'olk,  qui,  depuis  la  mort  du  cardinal  dr 
Wincliester,  gouvernait  rAngleleri-c  avec  la  reine,  était  accusé  dv. 
haute  trahison  par  la  chajubre  des  conuniuies,  abandonné  des  lords, 
enfermé  à  la  Tour  de  Londres,  et  la  reine  et  le  conseil  se  voyaient 
réduits,  pour  tAcher  de  lui  sauver  la  vie,  à  le  déclarer  banni  pour 
cinq  ans  du  ro\aume. 

L*e\pé(liiion  de  Portsnioulh  appareilla  enfin  au  milieu  de  ces 
désordres  :  elle  ne  portait  que  trois  mille  combattants  aux  ordres 
de  sir  Thomas  Kjriel,  et  vint  débarquer  à  Cherbourg  du  15  au 
20  mars:  sir  Matthieu  Gough' et  d'autres  capitaines  joignirent 
Kyriel  avec  de  forts  détachements  des  garnisons  de  Caen,  de 
Baveux,  de  Vire,  qui  portèrent  sa  petite  armée  à  six  mille  hoimncs  : 
Kyriel  reprit  Valognes,  puis  se  dirigea  sur  Bayeux  et  Caen,  le  long 
des  grèves  de  la  mer.  Durant  le  siège  de  Valognes,  qui  avait  résisté 
trois  senjaines,  les  garnisons  françaises  s'étaient  rassemblées  à 
Carentan,  sous  le  commandement  du  comte  deClermont,  fils  aîné 
du  duc  de  Bourbon,  et  le  conjte  se  trouvait  à  la  tète  de  cinq  ou 
six  cents  lances  'trois  mille  à  trois  mille  six  cents  chevaux)  des 
«  compagnies  d'onlonnance  »  ;  il  ne  put  empêcher  les  Anglais  de 
passer  la  Vire  aux  gués  (le  Saint-Clément;  mais  il  les  serra  de  près 
avec  sa  cavalerie,  etmanda  au  connétable  de  Richemont,  qui  arrivait 
en  ce  moment  à  Saint-Lo,  d'accourir  à  son  aide. 

Le  jeune  [)rince,  qui  se  trouvait  pour  la  première  fois  sur  un 
champ  de  bataille,  n'eut  pas  la  patience  d'attendre  le  connétable, 
et  fit  avancer  ses  archers  et  (piehpies  couleuvrines  pour  entamer 
l'attaque.  Les  Anglais  étaient  fortement  retranchés  dans  un  terrain 
coupé  et  couvert,  i)rès  du  \illage  de  Formigni;  le  gros  de  leurs 
troupes  avait  mis  i)ied  à  terre  :  sir  Matthieu  Gough  seulement  était 
demeuré  à  cheval  avec  un  millier  d'hommes  d'armes  et  d'archers. 
Les  archers  français  furent  rei)oussés  en  désordre  par  une  charge; 
de  Matthieu  (îough,  et  deux  couleuvrines  tombèrent  en  son  pou- 
voir. On  vit  alors  les  salutaires  effets  de  la  nouvelle  discipline  : 
les  gens  d'armes  ne  s'ébranlèrent  point;  ils  descendirent  de  cheval, 
soutinrent  le  choc,  et  disputèrent  opiniâtrement  aux  ennemis  la 
possession  de  l'artillerie;  l'extrême  inégalité  du  nombre  eût  fini 

1,  Nos  rlironiqueiirs  ai^iielltnt  MiiUvjo  ce  fameux  cnpitaino,  qui  a  conservé  le  renoui 
d'une  espèce  de  linrU-Uhvf,  Jans  les  traditions  de  uo3  provinecâ  de  rouest. 


4i6  CîLKKnKS   DES  ANGLAIS.  .li:it. 

sans  (lonlc  par  déridor  la  journée  en  faveur  des  Anglais;  mais  ou 
ne  tarda  [)as  à  voir  le  connùtalde  descendre  au  galop  d'une  hauleur 
voisine,  à  la  tiMe  de  douze  ou  quinze  cents  lumnncs. 

I/arrivée  de  Richemont  changea  la  face  du  combat  :  les  Fran- 
çais reprirent  rofl\*nsive;  les  Anglais,  cliargi's  avec  furie  en  front 
i*t  en  flanc ,  a  entrèrent  en  grand  doute  et  crainte.  »  Leur  ordon- 
jiance  de  bataille  fut  ron)[)ue  par  rijnpétuosité  des  Français  babi- 
leniont  dirigée;  Matthieu  Gough  et  ses  cavaliers  s'enfuirent  du 
côté  de  Bayeux;  mais  toute  retraite  fut  fermée  aux  gens  de  ]m\, 
acculés  i\  une  petite  rivière;  fout  fut  tué  ou  pris  :  il  y  eut,  disent 
les  r(»lations  du  temps,  trois  mille  sept  cent  SDixantc-quatorze 
morts,  et  plus  de  douze  cents  prisonniers;  entre  les  captifs  se 
trouva  le  général  ennemi ,  sir  Thomas  Kyriel.  Jamais  victoire  ne 
fut  si  complète  et  ne  coûta  si  peu  de  sang  au  vainciueur  (  15  a^ril'  '. 

L'effet  de  celle  journée  fut  décisif:  la  sui^ériorité  des  nouvelles 
milices  françaises  venait  d'être  constatée  par  une  brillante  \ic- 
toire  remportée  à  nondire  inférieur  :  le  dernier  espoir  des  Anglais 
avait  péri  à  Formigni.  Les  vaincpieui's  de  Formigni  se  portèrent 
aussilùt  sur  Vire-,  cpii  se  rendit;  ils  se  séparèrent  ensuite,  le 
comte  dedlermont,  pour  joindre  Dunois  sous  les  nmrsdeBajeux, 
le  coimélable,  [)our  se  réunir  au  duc  de  Bretagne,  qui  venait  de  ith- 
Irer  eu  Normandie  et  cpii  assiégraitAvrancbes. Bayeux  et  A\ranchos 
ouvrirent  leurs  portes  après  (juinzc  ou  vingt  jours  de  siège  :  les 
garnisons  n'obtinrent  que  la  vie  et  la  liberté;  beaucoup  d'Anglais 
s'étaient  établis  h  Bayeux  avec  leurs  familles,  et  l'on  vit  sortir  de 
la  \ille  trois  ou  quatre  cents  fenunes,  «  portant  leurs  petits  enfants 
sur  leur  col  ou  les  tenant  par  la  main  du  mieux  qu'elles  i»ou- 
voient.  »  Les  généiaux  français  eurent  compassion  de  ces  pauvivs 
créatures  et  leur  donnèrent  des  chevaux  et  des  charrettes  pour  les 
transporter  à  Cherbourg.  Les  Français  montrèrent  une  huma- 
nité qui  contrastait  noblement  avec  les  barbaries  commises  [wir 

1.  Jean  (  liariier.  -—  lît'iri.  —  Mattliieu  «le  c'oussi.  —  Duclorcq.  —  GuiUauiue  Grm-l. 

2.  CVst  ici  11*  lieu  (rinili«iuc'r  un  d<*!s  faits  les  plus  intéressa iits  et  IciS  moin^  counu<« 
de  l'histoire  litti-raire  de  cr  temps  :  histinre  littéraire  qui  so  relie  héroïquemeut  à 
riiiîrtoirc  pulili'iue.  Xous  vjuilons  parler  ih's  Oinnnnjnonif  Ju  Vau-Je-Vire.  Ces  jouv.x 
oi  patriotes  ehanteurs  populaires,  >i  ori^-nuuix  et  -^i  énerpiiiies,  méritent  mieux 
qu'une  simple  note,  et  nous  renverrons  aux  ilci.AiiiCissKMF.XT!»,  n»  IH,  le»  Cusipa- 
<iXONS  i>u  Vau-de-Vikk. 


[U50]     JEAN   BUREAU,   SES  CANONS   ET  SES  TAUPINS.        iil 

Henri  V  au  temps  de  ses  prospérités  :  nulle  part  il  n'y  eut  d'exé- 
cutions sanglantes  après  la  victoire.  Les  «  François  reniés  »  eux- 
inôincs  obtinrent  grâce. 

Le  connétable,  sur  ces  entrefaites,  prenait  Briquebec ,  Saint- 
Sauveur-le- Vicomte,  et  recouvrait  Valognes;  puis  toutes  les  forces 
françaises  se  concentrèrent  autour  de  Caen  :  le  roi  se  rendit  en 
personne  à  l'armée  avec  le  roi  René  et  tous  les  autres  princes  et 
seigneurs;  le  roi  René  n'avait  point  bésité  à  prendre  une  part 
active  à  la  guerre  contre  le  mari  de  sa  fille.  On  compta  (le\a]it 
les  murs  de  Caen  treize  ou  quatorze  mille  cavaliers,  tant  des 
compagnies  d'ordonnance  que  du  ban  féodal  français  et  ])reton, 
et  quatre  mille  francs-archers*.  Le  duc  de  Somerset  s'était  ren- 
fermé dans  cette  grande  ville,  la  seconde  de  Normandie,  avec 
plus  de  trois  mille  Anglais ,  débris  des  garnisons  vaincues  :  les 
Anglais  étaient  disposés  à  une  énergique  défense  ;  mais  ils  com- 
mencèrent à  s'ébranler  quand  ils  virent  les  boulevards  de  Vau- 
celles  emi)ortés  par  Dunois ,  et  Jean  Bureau  déployer  tout  autour 
de  la  ville  ses  bandes  de  sapeurs  et  son  effroyable  artillerie  :  les 
«  menues  bond)ardes  »  étaient  presque  innombrables,  et  il  yen 
avait  vingt-quatre  grosses,  dont  plusieurs  égalaient  les  dimensions 
du  gros  canon  de  Gand,  avec  un  tir  bien  autrement  juste.  La 
première  de  ces  colossales  machines  qui  tira ,  vers  l'abbaj  e  aux 
Dames ,  jeta  par  terre  d'un  seul  coup  une  tour  du  rempart  et  les 
toits  et  les  murs  de  plusieurs  maisons.  D'un  autre  côté ,  le  rem- 
part, vers  l'abbaye  Saint-Étienne,  était  déjà  si  bien  miné  (ju'il 
était  connue  suspendu  sur  des  élais^.  Somerset  demanda  à  trai- 
ter :  on  eût  facilement  pris  d'assaut  la  ville;  mais  le  roi  ne  voulut 
point  exposer  les  habitants  au  sac  et  au  pillage  :  les  Anglais , 
d'ailleurs,  eussent  pu  tenir  encore  dans  le  château;  on  leur 
accorda  de  retourner  en  Angleterre  avec  leurs  biens  meubles  et 
lem's  armes,  exce[)té  la  grosse  artillerie,  en  se  rachetant  par  une 
rançon  de  trois  cent  mille  écus  d'or  (  1"  juillet)  '. 

1.  Ltîs  coutilliers  ou  chcvau-légers  avaient  été  munis  de  çuisarraes  (demi-pique  ou 
javelinci  ;  on  avait  ainsi  des  lanciers  légers  à  côté  des  lanciers  pesamment  armés. 

2.  Th.  Basin  ,  t.  I ,  p.  239-211.  On  appelait  les  mineurs  de  J.  Bureau  ]cf>  francs- 
taupins  les  taupes). 

3.  Somerset  rendit  le  chiUeau  malgré  le  gouverneur,  et  on  raccnsa  en  Angleterre 
d'avoir  cédé  aux  terreurs  de  sa  femme  et  de  ses  enfants,  llollinshcd  ,  p.  1276. 


iiS  r.UKIWVKS   I>KS  AN(ÎL.MS.  Uâ? 

Falîiisr,  qui  apparlonait  à  Talbot,  S(*  rendit  on  iVlianfre  d(»  la 
lihoïli*  (le  co  ci'lrbn»  capilaino,  donieûré  prisonnier  par  suite d«' 
la  violation  du  trailr  d(î  Rouen  à  Têtard  do  Honflcur  '  :  Domfront 
cîipitula  pou  de  jours  après  ;  Tévacuation  de  Clierbonrfr  i  22  août  - 
atlii^va  la  délivnuice  de  la  Normandie.  Un  an  avait  suflî  pour 
l)ala\er  une  douiiuatiou  de  Irente-cinq  années'.  Le  temps  de« 
^rjuides  rlioses  reNeuaii  pour  la  France.  <  Jamais  si  ^rand  pa>s 
ne  lui  reconquis  à  si  ih'U  d(»  perte  de  peuple  et  de  gens  de  guenv. 
ni  à  moins  île  deslruciiou  et  d<*  dommafre  du  iKiys.  »  L'active 
sympalliie  des  populalions,  qui  a\ait  paraljsé  la  défenscMlis 
Anjilais,  étail  due  surtout  à  Texeellento  discipline  de  rarméc,et 
le  mérite  de  celte  disci|)rmc»  devait  se  reporter  à  Jacqm^s  Cœur, 
(pii  avail  assuré  la  subsistance  «le  rarméeparsaj^énérosité  eti^n 
inteliijience.  Les  deux  frères  llureau,  surtout  Jean,  le  hardi  gim' 
(|ui  raisîiif  de  Tarlillerie  un  arl  n(»uveau,  avaient  eu,  avec  Jacquw. 
la  meilleure  part  au  succès.  L'art  d'atlaquer  les  places  a\ait  fait 
bien  plus  de  prop:rès  que  Tari  de  les  défendre;  les  tours  féodales 
tombaient  eu  poussière  devant  ces  foudres  qu*on  a\ ait  appris  à 
(lirijLicr  d'une  main  si  sùn».  On  peut  joindre  cette  cause  matériel^ 
auv  causes  morales  qui  ï»\pli(iuent  les  rapides  succès  des  anne> 
francîiises  au  milieu  du  quinzième  siècle. 

Les  désastreuses  nou\elles  (pii  retentissaient  coup  sur  coup  m 
Anj:leterr(»  y  soulevaient  des  tnms[îorts  de  douleur  et  de  rage;^ 
gouvernement  n'était  pcuntanl  pas  le  seul  coupable  :  ce  peuple, 

1.  L'iiitillorio  rtiint  nn'ivi'e  s<iii>  Fnhiisc  avnnt  les  eompnirnies  d'ordonnance,  W 
Âii;;l:iis  inviit  une  vi;;(>un'n>o  funi'w  euntrc  clk-;  mais  Jeun  Uureau ,  à  la  tète  ^^ 
fraiKs-avdiers,  (U'-rnnlit  ^i  Imoii  so-j  canons,  i\\\"ï\  «•  rcncoi^^na  ••  Iw  An^laU  dan^  la 
placo.  .1.  (.'liait ior. 

i*,  I.o*î  chrotiiqiuMirs  citiMit  une  particnlarité  curieuse  relativement  aa  .-iége  dr 
Clwilioiir^j.  Jean  lînroan  ,  ou,  suivant  le  fhroni«iuonr  normand  Blondel,  nn  lifUtî- 
nant  ilr  Ruri'au ,  ap]H'I»''  niaîtro  (iiraud  .  au  «yrand  étonncmont  do*  Ancrlais.  a<sit  nn»* 
liattiTJc  de  l)onil»ai'dos  sur  une  ;;rèvo  que  le  tiux  couvrait  deux  fois  par  jour  :  quarnl 
la  ni:ii('('  aiqirochait,  les  caniuniicrs  Itoueliaienl  leurs  pièces  avec  des  peaux  pi^iss-tn'^ 
et  I<  s  lai^^ait'ut  à  la  nirn'i  di's  tlols:  puis  ils  revenaient  et  recommençaient  le  fir*i 
auH^iiôt  la  nifr  n'tin-o. 

'i.  Mil  comptaur  du  la  prix.'  de  IlarHcur  par  Henri  V.  Thomas  Basin  (liv.  iv.c.  d'* 
ilit  ipie  .ïaiM|n('S  <'u'ur  prôta  au  roi  100,000  érus  d'or  pour  recouvrer  l'alaise.  n«'*rj- 
tVout  «'t  <'lnTlu>urtr.  N'ous  m*  savons  -^i  co  prêt  se  confinul  dans  celui  ilc  2<JO,ii4Mi  êri» 
nioiitiiuniO  par  Matthieu  de  (.'on<:>i.  On  voit  soulcment.  par  une  pièce  ofncteile.  *\ai 
.lai"(iuc>  i'aMir  t*nt  icinhoiuM',  en  dèeenihre  1  l.iO.  de  »îO,«'00  fr.  avancés  au  roi  pour 
le  sié^e  de  (.'herhouri,'.  V.  Ch-uieut ,  Ji'-j'irs  (  n:iir,  t.  II .  p.  l>. 


[1^30;  LA    \OKM\M)IE    IVECOLVUÉi:.  MO 

«lifevaspi'raU  la  |)erto  de  ses  couquèles ,  s'était  rclusr  aux  sacii- 
llros  nécossaires  i)our  les  défendre.  11  fallut  une  vietiine  expia- 
li)iiv;  ce  fut  le  duc  de  Suffolk;  le  bannissement  prononcé  contre 
lui  par  la  cour  elle-niônie  ne  put  le  sauver;  des  navires,  sortis 
dos  ports  de  Kenl,  l'attendirent  dans  le  Pas-de-Calais;  il  fut  saisi, 
condamné  à  mort  i)ar  les  matelots,  et  décajûté  en  pleine  mer. 
Su(Tr)lk  passait  pour  le  principal  auteur  du  prétendu  nïeurtre  de 
tiluccstér,  et  son  nom  se  rattachait  à  un  souvenir  insupportable 
pour  Tor^^ueil  auj^^lais,  au  fatal  sié.ue  d'Orléans,  aux  premières 
victoires  de  la  Pucelle.  La  mort  de  SulTolk  ne  ruflit  point  à  apai- 
ser les  passions  poj)ulaires  :  les  petites  villes  et  les  villajres  du 
pays  de  Kenl  s'ameutèrent,  sous  la  conduite  d'un  aventurier  qui 
se  lit  passer  pour  un  Mortimer,  descendant  d'Edouard  III ,  mort 
depuis  longtemps,  (les  populations  se  jetèrent  sur  Londres,  qui 
ou\rit  ses  portes:  Matthieu  (ioufili  avait  péri  en  cond)attant  les 
relK'lles;  ils  forcèrent  les  ma'iistrats  de  Londres  à  condaumer  et 
à  faire  exécuter  le  trésorier  du  roi ,  lord  Say.  L'évéque  de  Salis- 
bury,  mend)re  du  conseil,  et  le  shérif  de  Kent  avaient  été  aussi 
mis  à  njort.  Les  bour^tîois  laissèrent  les  paysans  tuer  lanl  quHs 
voulurent;  mais,  dès  qu'ils  couïmencèrent  à  i)iller,  toute  la  cité 
Unuhii  sur  eux,  et  les  chassa.  L'aventurier  (pii  les  menait  fut  tué 
(juillet  1 150).  La  lulle  ne  lit  que  chan|;i:er  de  théâtre  :  le  chef  de 
l»arli  qui  fomentait  tous  ers  mouvements,  ou  qui  du  uïoins  se 
tenait  prêt  à  en  prodler,  le  duc  Richard  d'York,  parut  à  son  tour 
sur  la  scèn(\  Il  contraignit  le  roi  à  convoquer  le  parlement ,  et 
s'efforça  d'envahir,  avec  l'aide  de  la  chand)rc  des  connnunes,  le 
pouvoir,  qui  était  passé  des  mains  du  malheureux  Sutïolk  dans 
celles  du  duc  de  Somerset ,  l'ex-gouverneur  de  Normandie,  non 
moins  impo|)ulairc  que  son  devancier.  L'Angleterre  préludait  aux 
enr(»\ables  guerres  civiles  de  la  liosr  rour/rc[  de  la  Rose  blanche' . 
La  faction  de  Lancastre  ou  de  la  reine  et  cc^Ile  des  princes  d'York 
allaient  bient(M  surjuisser  les  fureurs  des  Armagnacs  et  desHour- 
guignons. 

La  fortune  ne  [ïouvail  offrir  à  la  France  des  chajices  jdus  favo- 
rables pour  expulser  les  Anglais  du  continent  :  les  conquêtes  (!«• 

1.  L.1  ro'P  roii'/f  et  la  v>w  blowUe  t'inviit  ks  >ipK;à  <lo  rallieiin'iit  k\v<  pnrti-:»!»**  de 
Lauc:«>ti'C'  et  d^orU. 

VI.  29 


ii^^  laiilUîES  DES  AVGLAIiv 

Ik'ïirl  V  ètiieiit  ivcoïivivrs  m  «'iilier;  îl  rcsUiil  &  U 
deviMlir  cuiitiyt'niiitt*  h  son  tour,  et  à  rti^poiiiller  Ifâ  V         nÇ 

de  leurvicii  lKTitut;t*  d^Afjuilakie,  On  s*i'  pirimm  saiti   . -a>- 

$ilÔt  après  la  prise  de  Chiibaurg,  ikiusiciir&  roiupagnirs  dVinlsM- 
mnre  furent  dît igces  sur  lu  Guyenne,  el  le  roi ,  laUsanl  le pMh 
vemeinenlde  la  Nonnandie  au  connt'labîp,  s'avanrn  '^'  ■f''iT«»uiii 
pour  se  rapprocher  du  nouveau  théâtre?  de  la  g\r  ^,1^  |,i«i>. 

dtint  lîi  euiupagnc  de  Normandie»  au  mois  de  scpleiiibiv  1 1W,  k 
comle  de  Foîx  avîiil  envalii  la  valK'e  de  Souh\  h  !a  Wv 
noblesse  et  dv%  «liliees  du  Uuiguedoc  et  des*  lunt  de  Foix» 
f!ommingcs,  d'Astarac,  de  Bigorre  el  de  tk^am,  anoondinf^p 
cinq  à  six  cents  lances  et  dîx  mille  arbalétriers  :  ta  t 
Mauléuu  de  Soûle  s*éU\\l  rendue  k  lui ,  sans  ijue  le  rt*i  :^ 
allié  des  Anglais ,  osât  rien  tenter  pour  la  ^\*onrir.  Aii  » 
cemepl  de  rautomne  de  145Û,  arrivèrent  siu*  la  Dordo^ne  cuh|  » 
six  cents  ^  lances  garnies ,  »  aux  onlres  de  Jean  de  IMid^,  cfinir 
de  Fenllnèvre,  «  lieutenant  du  roi  es  pays  defîiiyeivne  et  fcjr- 
delois,  »  Ce  comte,  qui  avait  recouvré  ses  sifi^ueiirieSL  de  BrelB$iK 
l>ar  suite  d'un  trarlt^  signé  eirtiî7  avec  b  lu^iÎMin  diicalu; 
MDUtfort,  était  puissant  dans  le  Midi,  où  îl  posçètlail  la  \ioi 
de  IJmoges  par  héritage  et  «  lu  comté  »  de  ï^rigwrd  (lir  aupii- 
ïiilion  du  duc  d*()rléajis. 

Ou  maintint  Tordre  et  la  discipline  qui  araieiit  ifagtit^  b  V  ' 
royale  le  cœur  des  popolalioiis  normandes;  il  ftil  prcv  i 
gens  de  guerre  de  i^yer  partout  leur  nourriiuriî  et  celle  de  icm^ 
che\au\»  à  peine  de  jierdre  qubiHe  jours  de  leur  solde,  mtît 
rindemnité  ;  les  maréchaux  de  l  année  fixèrent  le  prix  de  tant» 
les  denrées,  aiin  d*éviler  tout  sujet  de  qner^'lle  entre  le  jHiiplrH 
les  sîoldatsV  Les  progrès  des  Franchis  furent  nipides:  Rcr^Tiir, 
Jouicae,  Sainte-Foix,  la  Iloelie-Clialais  furenl  cniportêî;  |irudi*t 
que  les  com|iagU]et$  d'ordonnante  nettayaieni  les  bords  di*  U 
Dordofe^ne»  un  détachemenl  d*élitc  prenait  à  revers  la  CJnyeoiK 
anglaise;  le  sire  d'Drval,  fils  du  seigneur  d*Mlïrel  »  entm  dai» 

1,  Un  [iovui^iUi  fut  '.'AtiriK'  vtii[ii  fWUft  Iwtirnoî»  <i^it  frajïc^i  iioï?  vncUv,  ur»i»*  •►-^^ 
%m  mmiHm  ^  iHini  ncmm,  *>u  nnulniit  la  jurati  j  mic  oie  ou  un  i!liii|xut]f  4&iim  Aim\tt»t 
ui)  3om  ;  uu  buiMiîiti  d«  tWiiieol,  ÛQmm  dcnkt>,  olc.tt  faut  k  [if  u  |irv»  m  \t7v|/«rr| 
lu  Vftïrttf  r«iaUtft 


:U50-1431]  INVASION    HK   LA  GiyE.WE.  i;;i 

Bozas,  le  31  otioljiv,  avec  quelques  ciMitaines  île  ca\aliers,  poussa 
jusqu'aux  porles  de  IJordeaux ,  et  mit  eu  pleine  déroute  la  garni- 
son anglaise  et  la  milice  de  Bordeaux  sorties  delà  ville  contre  lui; 
les -Viiglo-Gascons ,  frappés  d'une  terreur  panique,  se  laissèrent 
assommer  ou  prendre  comme  des  moutons;  le  nombre  des 
morts  ou  des  prisonniers  sm*passa  de  beaucoup  le  nombre  des 
vainqueurs  (l"  novembre  1 150). 

On  ne  profila  pas  sur-le-cbamp  de  ce  brillant  avantage  :  rin\er 
ralentit  les  opérations  militaires;  mais  elles  recommencèrent  asec 
activité  aux  premiers  jours  de  inai  1  i.")!  :  le  couïte  de  Duncjis  \int 
prendre  le  commandement  en  chef,  amena  un  renfort  de  (luîilre 
cents  lances  garnies  et  de  trois  mille  francs-archers,  et  enljuna, 
par  terre  et  par  eau,  le  siège  de  Blaie,  qui  conmiandc  la(iirond«i 
et  sépare  Bordeaux  de  la  mer.  Les  Anglais  et  les  Bordelais  t(Mi- 
lèrent  en  vain  de  secourir  cette  place;  leurs  navires  fur(»nl  nn"s 
en  fuite  par  les  bâtiments  français  qui  bloquaient  Blaie.  Li  \ille 
fut  emportée  d'assaut ,  dès  le  22  mai,  par  les  francs-archers  et 
les  gens  d'armes;  le  chAteau,  où  s'étaient  enfermés  le  maiie,  le 
sous-maire  et  Tèlu  de  Bordeaux,  le  sire  de  TEsparre  et  le  soul- 
dich  de  TEstnide,  chefs  de  la  noblesse  du  parti  anglais,  cajtitula 
deux  jom's  après,  et  la  garnison  demeura  prisonnière. 

La  chute  de  Blaie  entrahia  celle  de  toute  la  Gujcnne  anglaise  : 
les  Bordelais,  depuis  si  longtemps  accoutumés  aux  gens  d'outre- 
mer, et  liés  avec  eux  par  de  grands  intérêts  conunerciaux ,  n'a- 
%aient  pas  le  cœur  fran^iis  connue  les  Normands;  ils  (dissent 
volontiers  secondé  la  résistance  des  Anglais;  mais  ils  stMilinMit 
rimpossibihté  de  soutenir  le  choc  de  quatre  corps  d'armée  (jui 
allaient  se  réunir  contre  eux  :  Dunois  venait  de  pnMidre  Bouru  cf. 
Lihourne  en  quelques  jours;  le  comte  de  Foix  et  le  sire  (rAlbrel 
assaillaient  Dax;  le  Kunte  de  lVntliiè\re  et  Jean  Bureau  jielie- 
vaient  la  conquête  du  Périgord;  le  comte  d'Armagnac  arrisait  <le 
son  côté  avec  Saintrailles  et  les  sénéchaux  du  Lmguedoc;  les 
villes  se  rendîiient  les  unes  a|)rès  les  autres,  en  slii»ulant  la  con- 
5er\ation  de  leurs  franchises  et  pri\iléges.  Ix»s  magistrats  et  les 
barons  pris  à  Blaie  entrèrent  en  négociations  avec  les  génér;iu\ 
le  rji.'ules  VII;  rarehe\è(pie  de  Bordeaux,  les  SiMgneurs  de  Dur- 
lurl    Duias  ,  de  Langoran  et  plusieui*s^  autres  vinrent  trouver 


IliinniB,  pour  truiltT  lui  nom  «  rtt^s  Trois  filnli^  de  h  TiU<«  H  rîli^ 
rlr  Boiirdeatix  et  du  pays  de  Bounîelois  et  autre»  iMij*  de  Guy«! 
riant  d^  pr^*îicml  en  la  miiiri  du  roi  d*Aiigkti*ni?.  » 

Les  Français  furent  radies  sur  les  conditions,  et  lepActf  fini 
n»nclu  dus  le  1?  juin  :  on  connut  que,  sî,  avant  In  mlti^  de  Sûjflh 
Jean-Uaptisic  (?:5  juin),  le  roi  frAnglrtenm  n'avïiil  pa.^  mrfiyè 
d'amiée  au  secours  de  la  Guyenne,  i  les  gens  deïklit^  Troi* État 
lmiUermi?nt  »  au  roi  Charles  ou  fi  nionseîgiicur  de  ÏHitinb^i^iD 
lieutenant,  la  ville  de  Bordeaux  et  le*  autres  ailles,  châieaiitrt 
forteresses  «  des  pays  de  Guyenne  et  BourddDb»  >  etprèlavc^l 
serment  d'fiti*e  dorénav,mt  bons  ^  vrais  et  loyaux  sujets  au  roi  4i 
Franco  et  à  sa  couronne.  Saintrîîilles ,  Jean  Bureau  H  im  tmî- 
bièmc  délegui!*,  stipulant  pour  te  comte  de  Dunob,  promimit  4f 
teur  côté  que  le  roi  ou  le  comte,  sou  repré9ci»liml ,  d  Bonltfmi 
leur  était  «  dêlivte  »  le  23  juiu ,  jurerait,  sur  la  arùix  ei  ^6tal^ 
gile,  «  le  maiulicn  des  Ijourgeois  ^  uiairliands,  ttmn3ni>»  el  hiW* 
taiïls  desdites  villes  et  pays  eu  leurs  Inmclitses,  privilégia,  &n- 
ii'S,  slattits,  lois,  coutumes  et  nonces  des  pat^  de  ïkMm]i!NiiifX^H 
Bourdelois ,  Baxas  et  Ba/adois,  Ageu  et  Agenoîs.  >  Ceux  à^hO^ 
tanls  du  pay!5  qui  ue  voudraient  [im  prêter  seniieiiï  ai  deveuir 
Français  auraient  un  un  pour  régler  leurs  aHiiireB,  et  pour- 
raient emporter  tous  leurs  biens  meubles';  aucun  dcceinqui 
resteraii^ut  en  pnHant  serment  ne  serait  dépo^sédéi  not>-H1ll^ 
tuent  de  ses  liini  triées  et  passessions  qucieoDciucs ,  mais  ie» 
dignités  et  offices;  aucun  nouvel  impôt,  taille^  gabelle»  fonagi'iM 
autre,  ne  pomnut  6tre  établi;  le  roi  institueniit  ù  Boitloaux lUi 
Iiôtel  d<'S  monnaies  et  une  «  justice  souveraini*  •  (caurde  poA^ 
ment] ,  laquelle  jugerait  sans  ap[>cl  toutes  les  causer  du  pa}!,  A 
les  nobles  et  autrt^  ne*  seraient  point  tenus  de  se  rendre  iMi  tatD 
du  roi ,  sans  ipie  le  roi  h  iir  payât  des  gage»  K 

Le  délai  de  onie  joui^  n*était  que  de  pure  forme:  on  était  bkn 
sûr  qu*jl  n*aiTiverait  |toint  d'armée  angliu£ie  a\imt  le  23  juin:  U 

•«  siî((îiiotiiî<««  à  UÊEL  p^I^AMt  pour  m  po»  d<^f«gf  r  au  *rniiv9t^ 

itil  trAiiuflHiTro.  B^ui'fmp  df  TiiurrImiitÎA  tKmIrlai»  éinifPfrrml  *:m  AA^lfiiVTii' 

2.  Ceci  n'L'Ult  paiiit  nno  fnveur  pjiriJi;ttlu*rtff  H  ilrvei>*îl  tlv  ilivil  mmÊmm,  Ytjri 


:i*3J]       nOKUE  AUX  ET  BAYO\.\E  CONQUIS.         io3 

jour  lîxù,  apivs  que  les  lirraufs  ouiriil  crir  Irois  fois  du  haut  <les 
loui's:  «  Secours  de  ceux  d'Angleterre  pour  ceux  de  CourdeiUiY  !  ^ 
sans  que  a  ceux  d'Angleterre  »  se  présentassent,  les  portes  de  Bor- 
deaux furent  ouvertes  et  les  clefs  remises  au  comte  de  Dunois,  qui 
fit  une  entrée  solennelle,  ayant  i)rès  de  lui  trois  princes  du  simg, 
les  comtes  d'Angouléme,  de  Clermont  et  de  Vendôme,  le  chance- 
lier Jouvenel  desUrsins,  le  grand  écuyer  Saiutrailles  et  une  foule 
d'autres  pei^onnages  illustrés  dans  les  dernières  campagnes.  On 
remarquait  surtout  dans  cette  conq)agnie  le  trésorier  de  France 
Jean  Bureau,  ce  petit  scrihe  à  la  mine  chélive*,  cet  honnne  de 
plume  qui  renversait  plus  de  murailles  que  n'avait  fait  aucun 
capitaine.  Jean  Bureau  fut  nommé  maire  de  Bordeaux.  l)a\  et 
Fronsac  s'étaient  engagés  à  suivre  le  sort  du  chef-lieu  de  Guyenne, 
et  tinrent  parole. 

Il  ne  restait  plus  aux  Anglais  que  la  seule  ville  de  Bayonne  :  il 
n'y  avait  pas  deux  mois  qu(^  Dmiois  avait  pris  le  conunandement 
de  l'armée;  de  pareils  succès  passaient  toute  espérance.  Bayonne 
ne  tarda  ims  à  suivre  l'exemple  dn  reste  de  l'Aquitaine  :  les  comt(»s 
de  Dunois  et  de  Foix  et  le  seigneur  d'Albret  \  inrent  l'assiéger  hî 
G  août;  les  États  de  Biscaye,  alliés  de  la  France,  avaient  envojé 
une  escadre  lermer  l'embouchure  de  TAdcjur  :  Bîijoune  capitula 
dès  le  18  août.  La  garnison  se  rcMidit  prisonnière  de  guerre. 
Nos  chroniqueurs  racontent  que,  le  lendemain,  au  moment  où 
les  Français  allaient  entrer  dans  la  ville,  vers  hi  lever  du  soleil, 
«  le  ciel  parut  fort  heau,  serein  et  clair,  et  dedans  une  nue  appa- 
rut une  croix  blanche,  laquelle  demeum,  sans  se  mouvoir,  l'espace 
de  demi-heure,  et  fut  >iie  tout  ensemble  du  camp  et  de  la  ville. 
Ceux  de  la  ville,  avisant  telle  merveille,  ôtèrent  les  bannières  et 
jKînnons  aux  croix  rouges  qui  étoient  sur  leurs  tours  et  remi)arts, 
et  les  remplacèrent  i)ar  les  bannières  de  France,  disant  qu'ils 
voyoient  bien  qu'il  plaisoit  à  Dieu  qu'ils  devinssent  Fnmçais  et 
portassent  tous  la  croix  blanche. 

«  Peu  après,  partirent  les  barons  t»l  aucuns  des  bourgeois  et 
Trois  Ktats  des  cités  deBom'deaux,  Dax,  Bayonne,  et  des  pays 
environnants,  pour  aller  à  Taillebourg,  devers  le  roi,  conlinner 

1.  Th.  Jkisiu,   t.   1,   I.   V,  c.  0. 


m  crEnnES  DES  ASCLAI;i 

et  rallfier  rappoinlemenl  \mmi'  avec  eux  c?l  Umv  ïj  Mmin.'  inm 
roi  de  ieuns  terres  et  sciçneuncs  :  U?  roi  niUtîa  ii-iit,  ti  I.  ur  .ir- 
troyii  <lîvûr«es  grAces*,  pourquoi  iU  s*cîi  rêloumèrcnt  diacuri 
dipz  soi,  irès-cotilenls  riu  roi,  et  dn  se.»  seîgnairs,  et  de  too! 
5on  grtmA  consciL 

«  Ainsi ,  par  la  ç^vAve  et  bonté  divines,  furent  rtMalfesctt  l'oWi^ 
sanrfi  du  roi  de  Franm  les  dudii's  de  Normandie  ûl  ûe  (luyennc, 
cl  généralement  tout  le  royaume,  exc^pt^  k*s  villes  do  <4ilâbci 
de  Guines,  qui  demeurèrent  seules  aux  mmis  des  Angliiis,  an- 
ciens ennemis  de  Frimce^»  » 

ÏAï  pierre  de  rindi'peudanre  <^*lAil  teruiiuèe  :  l'anivre,  c^ih 
nienci^p  par  le  satig  de  Jeanne  DatT,  ronlinui^e  fiîir  lf<.  Iiiiu'im 
perse vérantsi  du  eonaeil  de  France^  était  ocbitY^!,  L*an*om|*li>^ 
ment  des  promesses  de  la  Pueelle  rt*" veilla ,  avee  ujie  tiQtivfilr 
[iidsîsiante ,  Tamotir  «pic  le  peuple  giirdai*  h  isa  mémoire,  et  qiv'aoil 
ravivé  naîfuère  le  bruit  fait  autour  «le  la  hm^e  Jeafiiie,  La  rr<(^ 
vrance  de  Rouen  donna  îiu  sentimenl  populain*mie  fnnni!  cl  un»* 
dîreelion  délerminte.  Le  cri  public,  à  Ibnu-'îi  un^me  plu? 
partout  ailleurs ,  demanda  rcxpiation  là  ou  ami  M  ammm 
k  grand  martyre.  La  politicpic  royale,  nous  souhaitons  qu'il  ^\ 
permis  de  dire  ausd  le  remords!  se  troui^a  d^aceonl  avec  b 
conscience  deïf  musses.  On  avait  pu  jusque-lik  laL<s$;cr  dumiir  ti* 
terribles  souvenirs;  mais,  maintenant,  comment  la  royauté  but 
c;nîse,  renlri^<!  en  pos^sension  du  cbeMien  de  T^ormandic,  pou^ii- 
elle  rester  sous  le  coup  de  la  sentence  prononnée  ati  cbéleâti  de 
UotNu  !  Los  universitaires  qui  avaien!  mené  le  proc^aT^cCjurlvQ 
s'étaient  en  vain  étudiés  à  ménager  la  persotmti  de  tlbarlcs  VIL 
et  h  coneenirer  leurs  analli^mes  sur  celle  qui  avait  miifniMiinK^ 
ment  revendiqué  rentière  responsabilité  de  sua  œmrû.  Les  Atigte 
n'eu  gaixlaienl  jms  moins  le  droit  de  reprwlicr  A  t  Cliarle^  it 
Valois  »  d'avoir  recouru  aux  «  moyens  sinislnïs  »  de  lu  l'ufetk- 
ll*après  la  sentence  de  Rouen ,  Timpostui^  oit  la  «oroelli.-rie  à\tù\ 

l.  Le  utuipllra  dû  Btirdtiïiux  csc^riM^rri  V^  tien  en  ûntU  d«  pml^^nirwmMt^  rtir  ii,  »>«<: 

tofttit  cllip«î!H*fl  tUin^iiuirapt  iVtùltt  ï«o«*oîr  ira  {iftvuntJt*  K  .:,^  ...  i^^  _ 
roi*  tiour}?^  SalDt-f^mllJQn  ^  Uux  ut  Hayontifi  turt*ni  irdritioil^MntiH  tmia  av  ^ 

î,  Jenti  Cti&rtier.  ^  Bcnri,  —  J.  Diirler^Ni.  —  ïtauiiîcn  ik  CooM. 


[t450:  RÉHABILITATION    DE  JEAN.NE.  lo.i 

élé  Tauxiliaire  de  Cliarlcs.  C'étail  une  IicTélique,  une  in\ oratrice 
de  démons  qui  Tavait  mené  à  Reims! 

La  sentence  de  Cauclion  no  pouvait  donc  subsister.  Le  roi  prit 
un  grand  parti,  et  s'y  attaclia  avec  persévérance.  Il  y  a  quchpie 
apparence  que,  parmi  ses  conseillers,  ce  furent  les  frères  Jouvenel 
qui  lui  suggérèrent  un  plan  très-habile,  beaucoup  trop  habile 
pour  qu  on  i)uisse  accepter  ce  qui  fut  fait  connue  une  expiation 
sincère  de\ant  Dieu  et  devant  la  France! 

II  n'y  avait  qu'une  seule  voie  ouverte;  obtenir  de  l'Kglise  la 
révision  du  procès  fait  par  l'Église.  Mais  dans  quelle  direction 
cette  révision  serait-elle  opérée?  Évoquer  la  vraie  Jeanne  Darc 
dans  toute  sa  grandeur  et  son  indépendance?...  Mais  c'était  ébran- 
ler le  trône  et  l'Église!  Charles  Yll  n'avait  plus  qu'à  ùter  la  cou- 
ronne de  son  front  et  à  se  couvrir  la  tète  de  cendres  connue  ces 
rois  pécheurs  d'Israël  ou  de  Ninive  !  —  On  se  proposa  donc  un 
triple  but  :  1"  étal)lir  que  le  procès  avait  été  imaginé  uniquement 
par  haine  contre  le  roi  de  France  et  pour  a  déprécier  son  hon- 
neur, »  et  faire  oublier  que  la  haine  contre  le  roi  de  France  avait 
eu  pour  auxiliaire  la  haine  conlj-e  l'hispiration  religieuse  de 
Jeanne;  en  d'autres  termes,  faire  ressortir  exclusivement  le  côté 
anglais  et  politique  de  l'affaire,  et  effacer  le  côté  clérical;  2""  mon- 
trer que  Jeanne  avait  été  soumise  en  toute  chose  au  pape  et  à 
l'Église,  atîn  qu'il  n'y  eiït  plus  à  inq)uter  au  roi  d'avoir  été 
conduit  au  sacre  par  une  hérétique  ;  3°  rétablir  ofiicîellement  la 
renommée  prophétique  de  Jeanne,  quant  aux  faits  d'Orléans  et 
de  Reims,  en  y  ajoutant  une  vague  promesse  que  les  Anglais 
seraient  chassés  de  France,  en  étouffant  le  souvenir  des  prédic- 
tions suivant  lesquelles  cette  expulsion  eût  dû  être  l'ouvrage  de 
Jeanne  elle-même,  et  en  couvrant  d'un  voile  épais  tout  ce  qui 
s'était  passé  entre  le  sacre  et  la  catastroj)he  de  Gompiègne,  sur- 
tout la  rupture  de  Jeanne  avec  le  roi. 

Ce  plan  fut  suivi  sans  déviation  jusqu'au  bout.  Des  lettres- 
patentes  du  15  février  1  i50,  trois  mois  après  la  recou\Tance  de 
Rouen,  donnèrent  commission  à  Guillaume  Bouille,  docteur  en 
théologie,  conseiller  du  roi,  ancien  recteur  de  l'université  de 
Paris,  d'informer  sur  «cla  manière  comment  il  a  été  déduit  et 
procédé  »  au  procès  (juc  les  Anglais  «  ont  fait  faire  contre  Jehaime 


4S6  t;tJKUivEï»  \mff  hmihM^  {%ki^nu] 

la  rutt*il** ,  »  laf|uelk'  ils  ont  mise  A  mort  «  InîqueuirnI  H  livs- 
criiciUi'iiierit*,  i>  Le  cDmmissmre  du  roî  i>mntVUi  h  ime  iircini^Tt 
(•nifutHt*  h  Houc^n*,  enquête  deslinéc  /i  frayer  la  ronli*  à  l'iiiit«iht^ 

La  giande  difficulté  était  do  d^îtjder  cette  îiuliirilo  h  iiilrnrnir, 
Four  casser  liuè  acntenre  do  riniiuhitiou,  il  îMiiH  alli*r  ji' 
saint-siégc,  et,  indt^pi^nd^imuiciît  de  loul  ce  tjiiL*  la  imiistv  i .. 
môme,  |*rcs«^rilail  de  rcdnutahlf*,  Viùéc  souk*  d'èhnuilcr  k- siin»- 
ortkc,  de  revenir  mr  la  fho*«?  iup^%,  de  dêsavuurr  l'^uliiiitê, 
frappait  Uoiiic  d*yrie  vcïiiable  teneur;  le  gouvemetneiU  fniri(iij| 
^'y  prit  avec  adressée,  l'n  prrlat  iiornïand,  le  airdiiKil  dllslouli 
\ille,  év^qtie  de  IMgm,  avait  été  envoya*  coïiime  li^al  h  Cltark»^  Vil 
(lar  le  pape  Nicolas  V,  alin  dltivilerle  roi  k  faire  h  {viiv 
TAuglelerre  en  vue  de  rL'unir  la  cluvLiealé  oinlre  li-A   im 
Charles  VII  parvint  à  engager  le  légat  dans  Taffulrn.  U*  carfliial 
d'KsloiUinîlle»  eoiratué  Rans  doute  autant  |iar  la  prrssiûn  «Ih 
pupulaïions  noruKmdeSj  ses  cnuipatriotes,  que  i^ar  les  îti^Ciuif^ 
du  rui,  eutt éprit  doftlce  la  rt^vimn  du  prac^,  s'adj^û^iU  ïm- 
quisiteur  général  de  France  \  Jean  Brelial,  Xormîwid  comme  Mj^H 
et  présida  k  une  seconde  enquôt**  à  lk*ucu\  dart»  les  fireiiiic^* 
mnii!.  de  1152.  Tuut  res[)nt  du  |>rocèîî  de  rèliahiUtatioi)  e&t  ûùm 
la  rédaction  des  articles  sur  les^iuels  on  interrogea  les  léinoitu^. 

«  Art.  vil  :  item,  <pje  ladite  JehaJme  a  souvenlMfols  àMm 

\Aiiwil\n  \h  ûn^fumt,  fait  fiifre  ttl  ^iiçl  prcieè»,  pur  pcrUiiiica  |M*rMiftna  à  t«e  < 
«k^putéi^  pnr  mi%\  ù%  fabaut  \&\nf.i  pracc»^  lU  c^UAw^iit  K  «icnt  lâlt*<  roniiiii»  | 
f!i*orfi  fautes  H  obti*,  ni  tclknit*  ïil  fjin^,  mayçiiimikt  k*c1i|  |*fof»*  tt  Iji  Kramlii  I 
*|ti'î  noïilit»  cnnirmis  atuirtit  eunlri^  rlks  '«i  ftrt'Ut  mork  iiii^tii^irol  H  ixiiitrv  t 
tPÈâ-cninUemtiit  \  H  pour  t'*î  fiwc  ooujt  Vûuîom  uivoir  In  vériié  t|«itltt  |tfoM^ 

dnitretucincui  do  cl  :»{tr  t^  qu«  iJil  «mî  ,  vl  l  itifitniiniliiiti   pftr  «ot»  pur  cv   fii' 
iipparK^  ou  *nvmm.^.  i^ànUxisn  aou»  cl  kû  gvns  «le  notre  t^mnd  cvuimIL^  w  fté 

df  Jtutvnê  i^ AfT ,  t,  0»  p,  1-2* 

3.  Prfx*4^^^  t.  Il;  p.  2t-^J ,  Elk  c^«t  rn  fmuçali  ;  Iç»  t^iutni»  tout  i  |4«iilii  L'AiIi«m, 
I^mliHrrl  du  Lft  Pierre,  GuitUiumc  MaïK^huti ,  Jcm»  MAB^tîti^  Jnan  Bis^pittref  J<1» 
TontmoiiDli-. 

3,  (  "i?*t-;i*dij'«  il«i  I.nrifftiMloji  ;  nxmik  A\\mm  ûiiîiké  Av  tnXf^  «itc  «hwmillttii  î»  | 
•TiiU  b  Totïloiiif*  un  iTniiiiAitiïuf-^^iJÉ^nil  pour  !c  Lxini^cdoc. 

4.  Pfrxri,  t.  II ,  p,  2*Jl'3îtî*  Elle  etl  lii^nycuîip  plm  î'Umîw»  i(«ifi  b  prvmiàrv,  #♦  <«^ 
ItrUM  un  plu»  gTAnil  iiottiliré  de  d^pintUarj)!. 


[145Î-U55}  nÉMAHILITATlO.N  DK  JKANxNE.  ioT 

devant  justice  ciifelif  subnicttoit  tous  ses  Diits  et  dits  au  ju|?enicnt 
lie  l'Église  et  de  notre  seif^^ncur  le  pape.  » 

Les  articles  viii,  ix,  xi,  développent  et  retournent  sous  divers 
<iS|)ects  la  iiiùine  i)r()posilion,  fondée  sur  les  assertions  de  cpiel- 
ï|ues  témoins  de  la  première  encpuMe*. 

Le  cardinal  d'Eslouteville,  rappelé  à  Paris  ^,  puis  à  Kourgespar 
d'autres  afl'aires,  laissa  la  conduile  des  inlonnations  à  Tincpiisi- 
teur  Jean  Brelial,  qui'voyagca  dans  diverses  provinces  i)Our  s*en- 
ipiérir  de  la  vie  de  J(*anne,  et  tpii  demanda  des  mémoires  et 
consultations  à  nombre  de  docteurs  renommés  en  France  et  au 
delioi^s'.  Les  autem^s  de  ces  consullalions,  raisonnant  sur  les 
renseignements  (pii  leur  ont  élé  transmis,  arguënt  contre  la 
validité  du  jugement  d'après  rinlidélité  prétendue  des  xn  articles 
(|ui  ont  motivé  les  déclarations  des  assesseurs  contre  Jeanne.  Le 
lliùme  du  procès  de  réhabilitation  va  être,  en  elTet,  que  les  asses- 
seurs, les  consuUeurs,  Tuniversité  ont  été  trompés;  (pi'ils  ont 
condanmé  Taccusée  sur  un  faux  résumé  des  débats.  On  mettra 
ainsi  Iiors  de  cause  tous  ces  notables  personnages  dont  plusieurs 
sont  aujourd'hui  fort  bien  en  cour.  On  oul)lie  seulement  (pie  les 
xn  articles  sont  Touvrage,  non  j)as  de  (wuichon,  mais  des  princi- 
paux assesseurs  et  de  ceux-là  même  que  l'on  veut  couvrir! 
<]auchon,  heureusement,  est  mort,  et  ne  peut  récriminer  contre 
ses  complices! 

Tous  les  obstacles,  cependant,  n'étaient  i)as  surmontés.  L'iuler- 
vention  du  légat  n'avait  point  été  a|)i)rouvée  à  Home.  On  ne  sait 
pas  bien  le  détail  des  négociations  (pii  eurent  lieu  entre  la  cour 
de  France  et  le  saint-siége;  mais,  durant  trois  ans,  la  révision 
demeura  suspendue.  (Charles  VU  ne  ])ut  rien  obtenir  tant  (jue  vécut 
Nicolas  V.  Un  nouveau  pape,  Calixtc».  III  (le  Valencien  AIphnns«î 
Horgia),  céda  enlin,  accueillit  la  reipiéte  présentée  au  nom  d'Isa- 
belle Romée,  mère  de  la  Pucelle,  de  ses  frères  et  autres  parents  (|ui 
se  portèrent  partie  civile,  et  donna  conjmission,  «  le  11  des  ides  de 

1.  Procès,  t.  II,  p.  293-295.  Nous  nvoiis  discuté  ucs  t«!'MM>i;;natfCs  ci-des8tis, ]».  2tîfî-27  \. 

2.  Il  y  l'éfornm  les  statuts  de  l'université  eu  juin  1  (52,  vi  autorisa,  par  roctroî  d*in- 
duljfencos,  ia  célébration  annuelle  de  la  Fête  de  la  Délivrance  à  Orléans.  Il  fut  nommô 
archevêque  de  Uonon  dans  ci.'ttc  même  année. 

3.  Théodore  tle  Leiih  fdei  I.elii?)  ;  Vaul  Pontanus,  personnages  considérables  en 
cuur  de  lioiue;  notre  Thomas  Busiii ,  évêfiue  de  Lisicux,  etc. 


iùB  G U £ R II Kh  DES  A \ i^ IM    .  144 j 

Juin  1455, 1»  à  rarciie^i^que  de  IlraiiSt  J^*îiit  Jmitciid,  à  I  cn\|uc^ 
Vms^  Guillaume  CharLier  ',  i\  l  cviJqiic  dt*  CoulajKX»,  lUiluinl 
Longuoil,  ih  pi orrdcr»  avec  le  coiieoui-s  des  dclegtn!'^  dv  rin^ 
iiouy  a  Uii  iifluvd  n\ai»*?ii  vi  di  ridiT  jîans  a]»(jd  siir  Ip  •  [in 

^nutrefoiîi  à  Rouen.  »  Li  requête  que  les  agcnU  romain»  âiiil<;fit  M 
^iirnor  aux  i>laignantsex|insaiï  lt*î%  faîl^  d'tim*  manièir  Un  ' 
On  5  racouUiit  qu*uii  certain d^Ksti vet|  «  ou  quelque  auln*.  .  .. 
coiiuiitf  on  croit,  par  certains  jaloux  taut  de  Jeli-unic  que  des< 

ilïrres  et  de  m  uière,  avait  faussiMuent  raïqîOrté  à  l*ierrc  êlehnn 
mêm9in\  évoque  de  Betiuvais,  et  k  Teu  Jehan  Le  Mai^lre.,,  lic 
iu(|uisileui%  que  ladite  Jebimnc  èloiltomWe  en  crime  d1iiTè-ie;i^ 

klaqaetle  Jeanne  avait  reelaiiié  en  vain  d'Wre  remii»e  t  h  IVin 
du  sirge  apôslolique,  dont  elle  étoit  jtaMe  à  isuhir  le  jugemciiU  •] 
el  avait  été  aiuî^i  jugée  et  condamnée  contre  le  droH^ 

La  coui'  de  Rome,  une  lois  résignée  à  la  révision,  en  lli^  |aftiJ 
uusîïîl  habiknuent  que  lu  cour  de  France  :  Jeanne,  eu  réalilè,  mm 
été  condaiiuiée  jiour  avoir  refusé  de  soumet  trc  »  mi^sioii  »] 
rÉglke  visible;  le  chef  de  TÉglise,  ne  pouvant  mî  di^j^n^cf  iiii| 

Ifairc  rondaiimer  les  juges  de  Jeanne,  allait  les  Trappnr  nritii;|m- 
îexte  de  rébellion  contre  rautori té  dn  saint*siégeà  laquelle  Ji^niar  ^ 
était  censée  avoir  appelé! 

Quoi  qu'il  en  fût  de  ces  mysléres  de  la  politique  ro)iLte  et  p» 
UOeale,  re  n'en  lut  pûî*  nioins  un  loueluuit  spectadr  ' 

le  7  nnveudu*e  1455,  la  vieine  niére  de  Jeanne,  aci-   ^   ^ 

ICC  frère  de  la  Pucclle,  qui  avait  été  pris  en  conilmiUiol  ijdlU»- 

Iment  auprès  de  sa  saîuràConquégtie*,  et  soi  vie  d'un  loii 

^<  d*bonorables  lionimes  ecclésiastiques  el  séculiers  et  ,  i^...  i 
lemmesi  »  venir  demander  jusUce,  sous  les  voulez  de  Notn>Daiir, 
aux  prélats  conmiissaires  du  pape.  Paris  tut  profon<iément  rcniiii 

l|iar  les  incidents  solennels  dont  sa  calliédrnle  fut  le  tliéilre,  I 


1*  Triffc  du  pujtu  Alain  Clurtkr  cb^  VUUt^rlcti  Jca&  CtiArti«r,  c^ftoliv  i 
*  Ben  lu, 

2.  f^rtirè»^  t.  IT,  p,  P3, 

a.  Il  était  thci^ aller  et  à"ai*peJrtii  Vicnc  i  l'aulrt!  ftcrc,  JriLJi ,  r 
hitut  î  11  vmidit  d'èire  nomnit'  bsiillî  ili"^  \^rrniu»4liji>i  vl  c»vttaiitici  4' 

ïji  tn\&^T  {ntIjIitjtiK  (luu&siEiii  tout  OC  iiul  ûxtât  t^iiu  à  Joitmr',  • 
tin  amiic  d'y  c^dcf. 


[U65-145C]  RÉHABILITATION   DE  JEANNE.  450 

procédure  ne  tarda  pas  à  ôlrc  Iransféréc  à  Rouen  par  la  cilalioii 
donnée,  pour  le  12  décembre,  aux  «  dénonciateurs  ou  accusateurs 
de  ladite  feue  Jchanne,  »  ou  à  quiconque  voudrait  entrcpi'cndi'f 
la  défense  de  son  procès. 

Personne  ne  se  présenta.  Les  héritiers  de  Pierre  Cauchon  décli- 
nèrent la  solidarité  de  ses  actes,  et  se  couvrirent,  quant  à  la 
l'csponsabilité  civile,  de  Tamnistie  géntTale  accordée  par  le  roi 
lors  de  la  recoun-ance  de  Normandie.  On  put  donc  procéder, 
comme  on  y  avait  compté,  sans  contradiction  et  sans  débat. 

Quatre  enquêtes  définitives  furent  ouvertes  simultanément  à 
Domremi ,  à  Orléans,  à  Paris,  à  Rouen.  On  appela  en  masse  à  porter 
témoignage  tous  ceux  qui  avaient  vu  naître  et  grandir  Jeanne, 
tous  cciLx  qui  l'avaient  vue  prier,  combattre  et  vaincre,  tous  ceux 
qui  l'avaient  Mie  souflrir  et  mourir;  les  vieillards  qui  avaient 
élevé  son  enfance,  les  compagnons  de  ses  premiers  jeux,  les 
hôtes  de  son  héroïque  pèlerinage  à  travers  la  France,  les  guerriers 
qu'elle  avait  guidés  dans  les  batailles,  les  témoins  et  les  acteurs 
mêmes  Je  son  marljrc*.  Li  parole  est  trop  faible  pour  exprimer 
l'émolion  qui  sort  de  ces  documents  qu'on  peut  appeler  les  Actes 
du  Messie  de  la  France.  La  phipîut  des  dépositions,  émanées  dt* 
toutes  les  conditions  sociales,  depuis  les  princes  du  sang  jus- 
qu'aux patres  de  Domremi ,  se  ressemblent  pour  la  précision  et 
la  vivacité  des  souvenirs.  Les  impressions  laissées  par  Jeanni» 
dans  les  âmes  étaient  ineffaçables!  On  aurait  eu,  si  on  l'avait 
voulu,  les  Actes  de  sa  vie  eiilière  jusque  dans'le  moindre  détail! 

On  ne  le  voulut  pas.  Si  nous  savons  la  vérité  sur  l'opinion  que 
Jeanne  elle-même  avait  de  sa  mission,  si  aucune  partie  essen- 
tielle de  sa  vie  ne  nous  échappe  plus  aujom'd'hui ,  ce  n'est  point 
grâce  au  procès  de  réhabilitation;  c'est  malgré  le  procès.  La  plu- 
part des  dépositions  disent  la  vérité,  mais  une  partie  seulement 
de  la  vérité.  On  avait  fait  appel  en  masse  à  quiconque  avait  des 
révélations  à  faire;  mais  plusieurs  persoimages  considérables  ne 
furent  i)oint  cités  nominativement  ^  :  on  évita  tout  interrogatoire 
sur  les  événements  de  la  lin  de  1429  et  sur  ceux  de  1430,  et  Ton 

1.  Proch,  t.  II,  111,  passim. 

2.  Par  exemple,  IMt-rre  Turelure,  niomlire  Je  la  commUsion  de  Toiiiers,  et  Saiii- 
traille;». 


460  GlEURHâ  DES  ANlîLAlâ.  HUf 

restrcifiiit  beaucoui)  ce  qui  ri^ai^itit  la  fiuneuse  caiitu^te  tk  IW_ 
tjçfSt  On  ilisjKînsa  de  comparalUx*  des  témciîns  qui  ii(nii*fil 
dtés,  oii  Von  supprima  leurs  déposîtions.  fleaucoisp  de  di- 
fiyiis  a  ont  Viûr  d*avoir  8ul>i  de  iiombn^ux  ix'lmiidieifleiib^j 
là  direction  dutinée  à  Veasenible  des  enqih*ti^  nViviiit  i^u  ^1 
à  préau^vcr  cDiupléteiueiit  les  jugey  d'appu^ridiT  ce  (ju1l« 
voulaient  pas  ï^aioir.  Oîi  donna  aux  auiierisï  rijiiipllot*^  i)c  ia«- 
(hon  aillant  de  facililL  qu'an  put  i>our  éluder  les  quittions  onibor- 
rfiss*inte^»  La  dépasilion  dt!  Tbouias  de  Coiuiedlei,  vl  li^Hfofli 
ilu  principal  notaire^  Manrïion»  pour  alléger  la  respoiiïSiiiiHt^  iK^ 
Coût  celles,  en  sont  la  pïruve*  Les  f?ui\-fu;^ixit5,  les  rétic^mn»^ 
Im  dènèï^^atioïjs  par  lesquelles  Ccureelles  ^'efforça  d 'oflaocr 
pîirt  immense  (ju'il  a  vu  il  iniae  au  proce»  nVus^ail  pm  Uam 
inonieMit  devant  min  euquiMe  (laussée  a  Ibnd.  Le  rûlc  mbéflbk 
que  joua  dans  eetle  occaBiou  un  iioinuie  qui  avait  fmi  h  fmiàt 
llgnre  tlans  Tt^^Use  et  (pji  était  fort  avant  dans  In  tapeur  du  rai^ 
fui  la  seule  ejcjâalion  qu'il  eut  h  i^uldr  en  rc  monde*. 

La  «  recoUetiion  »  des  pières  et  «  inslnunenU  »  de  la  rèiiiiôq 
fut  faite  k  Paris  par  llnquisiteur  ^rtVu^ral  Jean  BndjaL  II  j  a, 
les  conclusions  de  l'inqui^ileur,  un  point  exlivineiuent  cunVici? 
v'vsi  qu'il  invoque  très-ncltt  nieiil ,  louuiiu  une  anUtnlc  (mt! 
rpconntiandahle  ^  Li  propliélie  ric  Merlin,  et  cilc  et  mmâ&tt 
fort  au  lofig  le  fruueiiv  toxle  aiqiiîqué  h  h  Pueello  *.  Kpsh  k 
1  recoikction  i>  de  Jean  lîrelial,  Bnuen  fût  tt^noin  d'una  aoÈor  fort 
exU^aordjuaire*  On  y  aidera  une  nouvelle  «  violation  >  des  doe»- 
nienls,  devant  ùhvn  dueteurs  et  conseillera  «  et  jiajiiciiUi 


a.  Qiiicherût»  md,,  p.  ïmAni. 

4.  Apréfl  avoir  r}i|»iiiïrtiS  uiw  iirt»|»tiétie  attrUm^o  **  aQ  vifiMbl^  ftédft  «i  il  i 
■i&sl  : 

*i  lî  cflUTlent ,  }f  11*1  i*c,  de  (hlrc  bleia  plu»  à^niUinUmi  fncûfc  au  Umt  iTtiU  *!!•  »•• 
iKni  tiri^jrir%  t^t  tiû  i*llit  h  «t»  ili^  [uittto-atiortt  nm  tt|i{KmLii>fiii.  Cur  clk'  uC  ^•otàm 
mn^ii'*  du  rojtiuiQc  de  Fï-ancc  et  du  èwhé  de  Lôrmiiif'.,  d  un  rltliii^  «iptiCM  Di»- 
rQin{.w  ouqu^l  p  tlCMi  loin  de  lu  muiton  potenmtlc  de  luditr*  JultAttar,  tm  vttit  ••  lièi 
tiommi^,  d'un  tMI  niim^  U:  B(^»iA-ni»^iitK  Omjufd  Inm  t^toil  rinNiiu  d'aruni^iirU  «alK 
kr*  ptîMpIi^»  tpi'uiïii  Ptii;td(tf  ùv\mi  tmlué,  htywlh  ffn»{t  dr  ifmadé*  nirrv cilles.^  4 
quoi  nv  muntjrt*  |«i**  pini  cuncoi'diïr  ce  ^n'Qn  Ux  ,  uo  rw  «toti»  du  M  fut ,  aioU  ^é  fttOt 
|Mr  Merlin ,  pfOftlïMc  nr^j;}ob,  ctjc.  »•  Jeun  llrulinJ  canïanâ  le  Jfmf  aT«r  k  Lhit  ii 
OcoUhil  d«  Mouïuoadi  {Ut fia  uiriuitpif  Brttmmia  rr/vm). 


[!i3G:  nÉIlABlLlTATION    DK  JEV.WE.  M 

de  «  ceux  qiii  avoicnl  assisté  au  promîor  procès  ci  qu'on  a  voit 
l'ctroiivés  survivants  en  lad i le  cité.  »  On  requit,  pour  rélial)ililei' 
Jeanne,  «  la  délibération  et  le  conseil  »  d'une  partie  des  hommes 
qui  l'avaient  condamnée.  Cet  étrange  incident  n'est  qu'indiqué 
flans  le  procès- verbal  du  procès  :  aucuns  détails,  pas  même  les 
noms  des  assistants  '.  Seulement,  on  voit,  ailleurs,  qu'un  des  an- 
ciens assesseurs,  qui  avait  sijrné  contre  Jeanne  connnc  les  autres, 
Jean  Fabri  (ou  Lefèvre),  était  mainl(»nant  un  des  commissaires 
subdélégiu''s  de  la  réhabilitntion.  Celui-là,  au  moins,  paraît  con- 
\crti.de  bonne  foi. 

Le  procès  proprement  dit  fut  enfin  ouvert,  le  1*'  juin  \iT)i\, 
h  Rouen.  Il  y  eut,  dans  la  jdaidoirie  de  l'avocat  de  la  partie 
civile^,  un  passage  remarquable;  il  sembla  un  instant  vouloir 
sortir  du  cercle  de  convention  où  l'on  étouffait  cette  grande  cause. 

«  On  a  fiuîssement  accusé  ladite  Jebanne  d'avoir  erré,  en  disant 
qu'elle  n'a  point  voulu  se  submetire  au  jugement  de  riîglisc^ 

militante ou  qu'elle  a  révoqué  la  submission  qu'elle  avoit 

faite  à  la  fin....  Elle  mérite  voircment  d'élrc  excusée  toucbant  ce^ 
choses;  premièrement,  parce  cpie,  les  choses  qu'elle  a  faites  par 
révélation,  elle  les  a  faites  d'après  un  l)on  esprit,  comme  il  a  été 
montré  ci-dessus,  et,  suivant  de  la  sorte  une  loi  particulière^,  a 
été  exempte  de  la  loi  comuume.  Bien  jilus,  posé  qu'il  y  eut  doute 
si  telle  révélation  procédoit  du  bon  ou  du  mauvais  esprit,  ceci 
étant  caché,  et  connu  de  Dieu  seul,  rÉglise  là-dessus  ne  décide 
rien.  En  ce  qui  concerne  les  articles  de  foi ,  nous  sommes  tenus 
<Ie  suivre  le  jugement  de  l'Église;  en  autres  choses,  liberté  est 
donnée  de  tenir  la  créance  qu'il  nous  plaît  \..  ?» 

L'avocat,  connue  elïrayé  de  sa  liardiess(\  n'alla  pas  plus  loin, 
et  rentra  sur  le  terrain  convenu.  La  cause  s'acheva  sans  incident 
nouveau,  et  l'arrêt  fut  prononcé  le  7  juillet.  Le  tribunal,  vu  les 
instruments  du  procès,  les  traités  des  docteurs,  etc.,  «  vu  les  ar- 
ticles (les  xn  articles)  et  interrogatoires  susdits...  attendu  les 
dépositions  et  attestations  des  témoins,  tant  sur  la  conversation 

1.  Procè.t,  111,  3.">0. 

2.  Piern»  Mau^-'cr,  doi-tcMir  en  droit-canon  de  runiver-fitu  de  Pari-s. 

3.  Personn«'ll<' ;  privnhuu. 

4.  Procis,  III,  2H9-2λ!.). 


i«2  lîtÊ-ftHEâ  UEB  AXîLAia  [Ml 

(coiîtluitc)  el  mm  de  hi  diluntc*  Jebaïunî  du  Iîmi  de  itm  orijfti 
hepje  îîur  son  exaiiien,  en  prt'*srnce  de  niainb  prèlals,  doclcn» 
miierts,  ffiitii  PoitkTt^  et  riilli^ïrs';  qm?  sur  rndmîralilp  dèh 
de  la  cité  d'OrJram»  et  la  marrhc  tchv  la  diù  ûe  Weims  d 
eouroiuiemenl  du  roi;  que  sur  le§  drccn£t<im*c§  dti  [inM?6», 
I  i|uiiIH(^t$f  ju^îctnçut  ^t  manière  de  jirocédiîr..,  dètdar^,  pn'fiiii 
rement  :  lendits  artidea  corrompus,  fi^audiilmiiç  t  calomniau 
pleins  de  malice  et  fauis^éineul  extraili^  de  [a  conri'isioti  év  Uubi 
Jehinne,  les  casse,  annulk^et  ùiijoinl  qu'Us  *îoît»iU  bcèW-*  p 
justice* 

«  Vu  Im  deux  sexilenrcs  rniitrntu?s  au  procte,  la  qualité  te 

^  juges ,  et  do  ceux  &n  la  garde  desquels  étoit  d/*<enu0  Indi te  Jdumir; 

«  Vu  les  récusations,  mliiiiissions,  appe1bliou>  c!  tnpHf 

réitiWc,  par  laquelle  ladite  Jehanne  a  requis  »oiJ\enU\4uii  Irt^ 

m^ixiniuient  tVi^ix^û  remises  elle  et  tous  «?s  faits  cî  diU,  au 

siège  npo.stoliqne  c!  à  notre  très-sîiinl  seign*njr  le 

pontife,  en  .hé>  sulmieltanï  à  lui,  elle  et  toutes  les  <*ltoses 

1     «  Attendu  certaine  alijurntion  prétendue,  fauKsé,  Tniiidi 

I  extorquée  par  la  prisence  du  tounuenteur  el  la  menace  d»  fe» 

et  ni  prém<}ditéc  ni  coruprîse  par  ladite  défunte,  etc.; 

«  Nous,  juges  spt'TialeiTient  déléiE^ués  par  notiT  trésH>aîfil  §ci\ 
le  pape  actuel  {pftpd  modema]...  ^iè^enni  eJi  noire  Iribiiiiiil.  htui 
Dieu  seul  devant  les  yeux,  pronon(;ons  et  décUvron?  1(**j 
et  sentences  dol,  ealomnie,  înjquite,  coutonaot  em-tir 
de  droit  et  de  fait,  et,  avec  r^ibjiïration  susdite,  ext-^ufion  et  li 
i ee  cpjj  s'en  est  suivi,  nuls,  invalides  el  de  nul  effet,,  lç$  caséom. 
iinulons  et  leur  tMons  toute  force;  déclarant  ladite  1  '  nvi 

ayant-cause  et  ses  parents,  n'avoir  encouru^  eu  i  i  i 

aucune  tache  d'iufauue,  et  éti'e  exempte  et  purgée  ée  louldH 
desdits  procès  el  sentences*.  • 

1.  ÏA  icriteDCê  H^uppiiié  sur  cet  vnjiihc^m  ,  lUfiÎH  Ut  prorA»  «U*  r 

J»  Faitkr»  *,  invo^ui^  ptir  Jeanne  dcvôjit  ft»  Juit*^?  Le  -  livm  dii  1'u,luj*  • 
noil  m4i)bitRUti-nieni  (  K.  CMt«ii»i]*,  fi.  154*157*  ;  lotu/»  tn  jtram^^ÊN  Jh  Miim^^ 

ri^AljuiUon.  On  ûvsii  donc  m  bUrfC  ii  le*  fAÎro  di^iir^rn^df-,  H  il  ai  Ah  prvbab^mfW 


lI«C]  monuments   de  JEANNE   I>AI\a  ÎO^ 

Tel  fut  ce  crlMjrc  anvt  qui,  tout  en  Ilélrissiint  les  iKuinvaiix 
e!  on  glorifiant  rinnnortelle  victinie,  contribua  tant  à  fausser 
l'opinion,  pour  des  siècles,  sur  le  vrai  caractère  de  Jeanne  et  de 
sa  mission. 

Le  tribunal  enjoignit  rexéculion  inuuédiate  de  son  arrêt  à 
Rouen,  avec  procession  «^-énérale  et  sermon  solennel  en  la  place 
et  cimetière  de  Saint-Ouen  et  au  Vieux  Marché,  où  «  ladite  Pucelle 
fat  cruellement  et  horriblement  brûlée;  »  et  plantation  de  a  croix 
convenable  »  [cruels  honcsiœ]  sur  le  Vieux  Maivlié;  les  jujjtcs  se 
réservant  de  faire  faire,  «  pour  mémoire  à  venir,  notable  signi- 
fication de  leur  sentence,  dans  les  cites  et  lieux  insignes  «hi 
royaume ^»  La  fidèle  Orléans  répondit  à  cette  signiiicalion  m 
élevant  un  monument  à  la  Pucelle  sur  le  pont  de  la  Loire,  témoin 
de  tant  d'exploits.  C'était  un  groupe  de  bronze,  représentant  la 
Pucelle  agenouillée  devant  Notre-Dame,  entre  deux  anges.  <'iî 
monument,  brisé  pendant  les  guerres  de  religion,  restauré  bien- 
tôt après ,  puis  déplacé  au  xviir  siècle ,  a  disi)aru  en  1792  '-.  Au  liiMi 
du  témoignage  primitif  de  la  reconnaissance  orléanaise,  une 
souscription  nationale  vient  d'élever  à  Jeanne  une  statue  équestre 
sur  une  des  places  de  la  cilé  qu'elle  a  délivrée.  Les  plus  éininents 
artistes  commencent  enfin  à  méditer  autour  de  cette  grande  mé- 
moire et  îi  chercher  les  traits  d'un  idéal  nouveau  (pii  de\ra  planer 
au  sommet  de  fart  français  régénéré,  f/esl  l'ilme  même  de  la 
Krance,  inspirée  du  ciel,  qu'il  s'agit  d'incarner  sous  ligure  hu- 

1.  Provh,  t.  111,  p.  3t)l. 

2.  Le  consc'il-;(éiK'ral  de  la  commune  d'Ol■léan^!,  après  un  promior  vote  en  iVivotir 
«le  la  conservation  d'un  monument  qui  ne  rappelait  «  ni  la  féodaliti^  ni  la  servitude 
des  roi-i.  »  mais  ^  un  aete  de  reconnaissance  envers  rf^tre  supr«ime  »»,  re\int  sur  >a 
décision,  et,  considérant  que  «  ce  monument...  ne  représente  pas  les  services  de 
Chéroine...  »  et  ne  rappelle  par  aucun  si^^nc  la  lutte  contre  l'-s  Anj;liii«<,  ordonna 
qu'on  le  fundît  et  qu'on  en  l'ît  do^î  canons  dunt  l'un  porterait  le  nom  de  J..m/im« 
ti'-4rc.  Prorè.t,  V,  210-213.  Kn  1H03,  une  souscription,  approuvé»;  par  le  Trenuir 
Consul,  rrnïplara  le  uï"<>"p^  détruit  par  une  statue  tort  médiocre,  remplacée  aujour- 
d'iiui  ù  son  tour  par  la  statue  équestre  de  M.  Foxatier.  Le  ;j:roupe,  mutilé  (fn  lôO?, 
détruit  on  171)2,  n'avait  plus,  à  ce  qu'il  paraîtrait ,  une  {.^ramle  valeur  ni  sou-;  le  raj»- 
port  de  l'art,  ni  sous  le  rapport  ln>torique  :  un  autre  monument,  relatif;»  .li-anui-, 
est  peut  être  piu^  rejrrettable  ;  c'est  la  tij,'ure  de  la  Pueelle  peinte  sur  les  vitraux  d«» 
l'église  S»-Paul  ,  à  Paris,  par  Henri  Mellin  ,  peintre-verrier  de  Charles  VU. Ce  vilrad 
a  péri  lors  de  la  démolition  «le  l'éi^lise,  depuis  la  Iïév(dution.  '^uant  à  1  iii>i«ru!tiante 
statue  de  n(mneiiii,  que  nous  avions  crue  du  teuq»-<  de  Louis  XI  ,  elle  ne  date  ipic 
de  Louis  MIL  r. />r,.v<,  V.  217. 


ici  Cl  KîiaBs  n£.s  a^iglais  rii*wi4v. 

iii/jiii*\  Muis,  si  li.uit  r[ue  pui^j^e  pamiiir  IVfRirl  intlivitiiiel^ 

Kninro  ne  «^uruit  payer  sa  dell€  qui*  [k'ir  lUic  iiiiHH*n?r 

cnîledive.   Le  seul  mùnuméol  di^uc  de  miln?  Mr«.î»ie  n, 

f-o  serait  une  s6rîe  de  nionuinenls  qui  jiilonnail  son  her»iîqi«f  ; 

pMerinnge  A  tmyf^i^  lo  paJne,  de  namrrmi  h  ftti^*aJ^<     '    " 

à  Ciiriipî^gTie»  du  p^»n(  de  Omipi^gne  à  la  phcr  du   i> 

qui  sigmdent,  par  de  dignes  marques,  loule:*^  lo«  <ùitbiis  dem 

cintre  ribeuiin  de  ki  i\roi\  '  ! 

Tïniditî  que  le  ^^tm^errienienl  de  (llinrlej;  Vil  ridinbililMl1 
^rande  vietime,  i!  en  hïmii  une  antre.  Avee  tn  rèrisiitio  du  pr»W^ 
de  la  Uurelleavail  roneordé  le  prortSi  de  Jactjtirs  Ciï'ur!  Il  s^wlik 
que  Clinrles  VII  ait  \^ïulu  que  la  pnstrrît*'*  ne  pût  ^ahiuier  5*'-  •■ 
earaelf're  ni  lui  hMïir  compte  d'une  équivoque  i*t  tnnln^ 
ration  envers  Jeanne  Dure*  11  frappa  rhomme  qui  peiil-èlif,  i|ii%< 
relie  à  qui  l'on  ne  saurait  eonjj>arer  persuime,  ainil  fmt  le  plu* 
|iour  la  France,  el  ^v.  chargea  de  venger  les  AngLii^  de  J:irqî»^ 
CflPUr! 

Au  monieiU  de  la  eonquêfe  de  la  Guyenne»   enaquéle  à  k- 
quelle  il  avait  eonhabut»  jiar  de  nouvelles  aviuicc$*,  Jti4.*qua»  tlofur 
se  mainteuîiit  en  s-eenrité  au  (allé  de  eetto  proiligieu^"  furtunr 
dont  il  avait  f*iit  ïe  plus  fenne  appui  lic  lî*.  foriune  pttlillq 
Anobli  i\H  IVÎO,  il  ne  ees^^sait  rie  recevoir  les  itianques  les  | 
liauti'^  de  la  eonl]rujce  royale;  en  juin  1414,  i!  avaU  été  rhuir 
aver  IVnrlievètiue  de  Toulouîsc,  de  pn»etder  h  VinMnlhlim  au 

1.  M  II  ii^mii  \}va\i ,  **  écThhîut-nGm  en  ISiO,  i^  aux  di«^  d'Oflc^R*  m  â^  Ummàé 
lAitvir  ri»itiativ(ï^  ^1  lUiuLiti  III'  i>i>He^4li^  onvor»^  t  >>nr  ïvmplin-rmrut  ië  la 
vn*\\  i^itpîîihilii%  cjM*itii  iii[iiniti)*^r4t  hm\  jkiw  tM\pw  tVnn  tel  «iJfj»'*,  »w  (Si 
wei*  *ïà'l»%  MijmwîiH't^  ilnnti  htijtuc  dénuée  do  towt  mriiiîJim    ' 
Il  plfiee  im  dc*vruit  &'<'lLH^i.^r  rimu^'*^  de  la  *  FiUe  ilc  iHcu  *  n-Ui  il  fvrli 

Dl^UVIiA^KClï  T>K  t.'i  MOiîT.  <J'iiiit1o  dij^iiiirri  fnintr  un  Htitltmlrr,  •'  4  4éiV»* 

vrir!  -^  NtïU^  ttj*nif.tiiT»4,  iI.'vhh  iiiiiTe  (^diikni  do  Iflia,  f^it*nii#  ititt .  r^fiii^ 

•jnîl  t  ATC^c  lin  «entiiinrnt  fidulis  «ition  In  mnjojité  cmhjoiiiiiufttiî  iltî  Jvnium^  oa  mmm  a 
jHt lifté,  (wv  ifràvu  et  mn  d^vtiuitnrtil  ri'*>ii|yTti^  :  •  t'Vpt  tii  wUli»^  <lii  lltt>ë«  ik  V<r« 
sallln»,  fiuvrng.'v  d'auv  joune  fonimC'  tnuitii  îJ!lu>tro  e^^r  «ton  mn^  qiii^  fur  m«  !«»• 
tii1««nl  i*t  AII1I  iiiiddc  tnnu'tcn',  rt  dtmt  Ih  FrjiiiLn^  cb^tiMrr  a  itlniitl  l/i  ftft  prrnuisrrf-  * 
I,a  priiu*i»*»<H  Mtirk'  a  e« ,  vu  tffcl ,  llîtMiii*nir  *li'  Uirt  hr  {nrm'ivr  p<i*  «huM  cfll» 
nobk  meiu.  —  l'n  ^u'ii^trc  llliKiere  vient  de  naun  iL>ontrr!r  Jcaiiap  à  HctilM^  tll^ 
lQÎn>  dcîit  l«^  i^mireirt-  de  i-hIKi  tn^pîrAtlttit  ili'  irmiiil  crvur  vt  (W  ,)Cfai«l  mo»  ffOi  ^ 
s  fait  ex^îliirv  l*hiiTl(  »*  Vîî  di»  rtrwiiTi*  nïti««iiwt'  h  b  l'iirTili* 

:!.  Oïl  en  îjïiiore  \v  intKUnm.  V,  ï\  Clém*iit .  io^'r^aw  f<i^<,  i    U,  |».  I7l*-  Xjmtê 
Jae'liu*»  C«*ur  iravjiit  t^i»  d"«i'|{viil,  il  i*in|iît*ianii  fùtir  jir^t rr  axi  tuK 


l!;;5-145l  FORTLNK    DK  JACQUES  COEL'R.  46:> 

iiouvemi  j»arl(Mn(»nt  do  Linp:uc(l()0  ;  depuis,  il  avail  fifruré,  chnfpn» 
année,  entre  les  eoininissaiies  du  roi  près  les  Élals  Généraux  de 
L'inguedoe*,  et  il  avail  réi^llenient  dans  la  main  Tadministration 
de  celte  «irande  ]»rovinre;  en  lii"),  il  avait  eu  connnission  de 
jiip^er,  av(M-  Tarelievéque  de  Reims  el  le  premier  président  du  par- 
lement de  Toulouse,  un  différend  entre  le  comte  de  Foix  et  les 
liahitanls  du  comté  de  Conunin^^es;  en  1  ii8,  c'était  sur  ses  vais- 
seaux qu'avait  voyajré  l'ambassade  envoyée  à  llome  et  dont  il 
fais^iit  |>arlie.  Son  opulcMice  était  proverbiale  :  le  peuple  disait  : 
«  ricbe  connue  Jacques  Couir,  »  et  croyait  qu'à  l'exemple  de 
Nicolas  Flamel  et  de  Raimond  Lulle,  il  avait  découvert  le  secret 
de  faire  de  l'or.  On  peut  dire,  au  moins,  que  presque  tout  Tor. 
de  France  lui  i)assail  i»ar  les  mains;  carie  cban^re  et  le  commerce 
extérieur  étaient  i»res(jue  (Mitiéremeut  dans  sa  dépendance.  On 
racontait  (pie  «  ses  chevaux  et  ses  haquenécs  étoient  ferrés  d'ar- 
;:ent.  î»  11  avait  acheté  plus  de  (juarante  terres  et  châteaux,  bâti 
des  liôt(»ls  dans  les  ])rincipales  villes  de  France;  presque  tout  le 
pa\s  de  Puisaie  ■  canton  du  GAtinais'  lui  ap])artenait ;  il  y  poss<''- 
dait  \ingt-deux  paroisses.  Il  avait  fait  élire  un  de  ses  iils,  à  vingt- 
ciiKi  ans,  archevétpie  de  Rourges,  et  son  frère,  évéquc  de  Luçon. 
Ses  princi|>aux  facteurs  étaient  devenus  de  ^M*ands  personnages, 
et  la  plupart  s'en  montraient  divines.  Il  justifiait  pleinement  Sîi 
richesse  par  l'usaf^e  qu'il  en  faisait  :  ses  immenses  services  poli- 
tiques ou  économi(jues  n'étaient  pas  les  seuls  qu'il  rendît  à  son 
pays;  il  ne  se  contentait  pas  d(»  l'aider  à  s'atVranchir  du  jouf» 
étrauî'iM'  ni  d'excilcM-  du»/  lui  le  ^énie  du  commerce  et  la  pro- 
duction des  riclM»sses  matérielles;  il  poussait  de  tout  son  pouvoir 
au  réveil  des  beaux-arts  à  demi  étouffés,  dans  la  France  royale, 
sous  tant  de  calamités;  il  rivalisait  avec  les  Médicis  sous  ce  rap- 
port couime  sous  tant  d'autres. 
'    L'architecture  religieus(»  du  moyen  Age  arrivait,  au  xv«  siècle, 

1.  Le  L:ui;;u((loc  suliissuit,  ('.niiino  le  I-an:rue<iuil ,  la  taille  fixe,  et  pavait  par  an 
ini  pou  plus  i\o  2()0,0f)()  fr.  pDur  sa  part  ;  mais  ses  Kiats  ne  s'assemblaient  pas  inoin» 
ton-,  les  ans,  et  avai(Mit  conservr  le  vote  annii«*l  do  l'inipût  appelé  ••  l'éciuivalent  •• 
l^arct»  qu'il  remplaçait  eliez  eux  les  aides.  Cet  imp«*»t  panlait  le  nom  de  ..  don  gratuit,  •• 
en  sii,'no  de  ^mx  libre  iK'troi ,  i-t  le  ;rarda  jusqu'à  la  fin  ,  même  après  que  toute  lil>crté 
de  vo"te  eut  disp.nu.  De  llil  à  Ull,  le  don  tcratuit  varia  de  120,000  à  170,000  fr., 
outre  les  accv-s-'oires.  V.  V.  Clément,  Ju.nun  Coeur^  1. 1,  p.  163-lGG. 

vr.  30 


iGG  fiLEHRES  BtS  AXOLAfSw  WIl 

avec  ce  qu*on  a  nmmiïê  le  m^h  fttMjri  ou  1' 

jihasc  où  Tart  fatigué  se  rarfiiR*.  st.*  siiï^tili«<%  m  :. „  ^.  ^i  • 

ïjmtitfe;,  ^'rjuiist?  rn  ccinibiniiisons  qui  étoiinenl  l'Irnagitia(fiin  | 
qti'ellc'îi  ne  satîsfonl  Icï  goÛL  U*s  thii|»itcaux  di^jWiraiïaM'iit  d  Is 
nervures  desarcarirs  jaillisspnt  itTinirdijiti'ïnpïil  du  fùl  ties  ] 
Lois  lignes  g<'ii6raîrs  de  la  ronstnirlion,  les|rran(ls  s%n'S  tic5  toàft 
et  des  veîTièiiîs  exagèrent  l'iHanrement  et  prrdeul  la  prajiiiHiQn  : 
leîî  lignes  ornementâtes  et  les  liâtes  des  portes  se  siirbais 
au  contraire ,  s'èviUent,  se  contournent;  l'oriiernentisuif!  < 
les  façades  et  encadre  les  \'eri'i6i*es  d'une  sorte  de  vAji^l.iiiun 
tmtasliquc   aux  lonnes  richement  variéets,   nmîs   * 

.  tmirmcnt^^es,  èlranires'.  L*art  religieux  perd  sait  ^i|iu 

sérénité;  on  dirait  i\i\*\\  veut  s'étourdir  ù  fart^î  d'itudun*,  Efitm 
toutes  ces  Uèehes  gfAhîqms  qui  [lercent  les  nues,  les  plué  k 
appartiennent  à  ce  sik'le,  Olle  de  Rînisl>fmr|t.  qui  t 
toutes,  venait  d'être  aciievée,  en  î  'i39,  par  Jean  lliWl/^  d» 

i.  n  ,  t%  <*, 

temtift,  pur  et  ttièmo  Jt'Siti  Iliîkit,  piir  le«  deux  d«i  ?r»i7  cl   |uir  Uotiinj^rr*  U 

iwX^  Lu   tijiuftiîpr   fît  liii  iimgutlii|iic&  Imii-irClit^A  ihc/til  du   Xiit*  «iikii**,  h  i<4»2S7, 

du  Jti*.  tliJbrb  d'un  niHm  i*t\lv  et  d'tiii  nudfw  tà*lv  plîm  ^  »  »*»b*J«*^»  «tI  f^îf  d»* 

tutp»  Si  e^trtmrdi nuire  qu«?  »oU  In  flwbc  àv  Stftttbourjf ,  il  ftitil  avtiuftf  f^f  ^^  f*- 

II'»  liîtm  i«  piirielu  tii  U  tîi;\ji'«it«  dc5  ^hiétlkii  dùi-htE»  du  CûniMirnc»*tti 

imle»  WW  ni^iJii^  d<ii  I»  fin  dr  r«i[HJ*|ii(*  ïxmmtiit^  C#  l^rtidiffltU*  tnivr: 

moins  la  eorpomtion  des  tnaçnn  et  taîïl^wr*  de  pierre  dr  i 't     i  ■  ju*né>  t^ 

iî  t  h%^  ittimt  if tt<^r<»âiaaDt  p^mr  1  "hla  ii*  1  re  de  l  '  a  rt  :  en  J  iVi  »  rri- . .  |  n  :  -   ^  l      i  .    t  <^rif«9 

de  fmiic^tiuiyuTaw  d««  pu^r^  du  liljlri  <*1  du  t4^¥X»  di'  rt^mpin*  •aMun^nîta  tMMf  )• 

oit*Ifk'e-s  dcî  ÎJolaln^er,  BUffrénscur  di*  Jcîiti  Hidl*  :  i»n  144\^(  t«  maHtf**  #*  <r(i*T«f  At 

totiteet1e«  la^r^  ou  t'utitrérii»  tcutonlt]iitj«  «te  réuiilrctit  on  AMcmM 

bi>ntiv  »  titéfi^iit  tk$  réj;ks  |miir  la  nvxïptkâEi  d<.^«  upprcutiii,  dr^ 

maîtres,  ètablireril  do  ►*  sl^ica  iwïûiYirN  «^  rnivipir-tî*  \v*tmmu\  > 

tluti  di.'^valf  »t  Ht  recul liitittri*  t-ntre  *ftiiji,  itli  dofc^réi'^'ntla  iri*nfi*ii 

ari?liiM3cU)4 d«  lu  ivihédmlif  d<*  Sini»Wurîf  î  raMwuitioti  fiiï  iôkuncLkj 

par  lc«  cuipi'i'U'urs^i  ci  les  â^ndlcs  d^  taakmrii  dtf  pk>rfv  ik*  "^itnxïmtmf  ' 

piir  l*  tnuuîdpoJW  »trôi.ÏJCiurï^i8Pdt' raaiimti 

privilégt*  *jii'îl8  OTit  girdtf  jtwqn^è  l«  r<^utiiuu  di'  - 

même.  »!  îi*.^ri."  de  m%  ïirtJ,  tH  le»  oiitttrwi  de  >tix[ i;;  [•uVivi  ûu  tida 

cuniro  le*  nrehitt-cic»  de  lu  lU^uaisBftncû  ]  en  1 IH4,  U-  i!ut?  d*î  StUlnu  dcnuun 

trÎMiTAl  de  Strflj*lw*ury  un  Hhu'lilUii  Ui  pfuir  dîrî|ft'r  ht  r 

do  «a  c*pîul<f  t   k*  dcniitT  jstuîjd  nioiiuineîtt  o^fivkii 

m&llrcs  de  Stmibouref  Uvriirrcut  un  veiiu  LuitAlIlr  h  U  L 

rulu  \  Ua  ns  puiTîiit  rendn*  4  l'art  du  mîivvii  îi^v  h  \  i 

de  Jî'bti ,  *«ut  rf>pU<ndU<iri{  fjn1ï  ^uit  »utii  »oii  i*iiTvk?t|''  'Jv  iiixrbry  IM^ti,  rH  M^ 

loin  de  nov  ctttlii'di  ulcf  du  xiu*  kk^dc. 


[U31]  ÎJ:s   arts  Al    W  SIÈCLE.  iG7 

1*110  arcliiloclurc  qui  se  signalait  par  dos  efforts  pareils  riait  puis- 
sîintc  encore;  mais  la  décadence  avait  coniineneé,  décadence  dont 
le  inonde  n'a  pas  encore  vu  le  terme;  car,  en  ce  qui  concerne 
l'art  religieux,  rien  n'a  remplacé  le  système  ogival. 

Pour  rarcliiteclm-e  civile,  il  uni  était  pas  de  même.  Là,  ce  qui 
se  manifestait  n'était  point  une  décadence,  mais  un  développe- 
ment et  une  transition. 

Charles  Y  en  avait  doimé  le  signal;  Jacques  Cœur  imprima  au 
mouvement  une  imi)ulsion  plus  décisive,  et  le  fameux  holel  que 
Targentier  de  Charles  Vil  se  bàlit  à  Bourges  'de  \\\3  à  1'».")!), 
et  qui  subsiste  encore,  devint  le  type  de  tout  un  système  de  con- 
struction, combiné  d'après  les  nneurs  du  tenq»s  et  les  exigences 
de  notre  climat.  Ces  édilices  furent  la  transition  des  fort(Tesses 
féodales  aux  palais  de  la  Renaissance  :  leurs  grands  combles  ar- 
doisés, leurs  hautes  lucarnes  encadrées  dans  des  dentelles  de 
pierre,  leurs  murs  sombres  et  ornés  à  la  fois,  offrent  un  mélang(î 
de  solidité  et  de  grâce  originale  :  la  force  y  est  (Micore,  mais  elle 
n'y  est  plus  seule  :  on  sent  que  la  guerre  intestine,  la  guerre; 
privée  n'absorbe  plus  toutes  les  pensées,  n'est  jjIus  l'état  Iiîd)ituel 
de  la  société,  mais  un  accident  dont  il  faut  se  garantir  au  besr)in  : 
toutes  les  recherches  d(*  l'art  sont  enqdoNées  à  déguiser  l'épais- 
seur de  ces  nmrs  et  la  sévérité  d<.'  ces  formes;  et  les  puissantes 
tours  octogones  aux  vives  arêtes,  aux  meurtrières  brodées  de 
sculptures,  sendilent  n'être  plus  là  (pie  pour  l'effet  pittorescpie, 
ainsi  que  les  grands  toits  coniques,  destinés  en  réalité  à  faciliter 
rêcoulemenl  delà  pluie  et  la  chute  des  neiges.  L'ogive  aiguë, 
convenable  aux  nefs  ébnées  des  monuments  publics,  in  lis  non 
aux  habitations  privées,  tend  à  disparaître,  remplacée,  à  l'inté- 
rieur, par  le  cintre  ou  le  plafond,  et,  dans  les  biiies  d'entrée,  par 
cette  courbe  capricieuse  qu'on  a  nommée  «l'ogive  turque,»  à 
cause  du  fré(pient  usage  qu'en  ont  fait  les  Othomans*. 

L'iniluence  de  Jacques  Our  st»  faisait  sentir  ég'ilement  sur  les 
autres  arts,  dont  le  caractère  se  modillait  en  rapport  avec  h'  pro- 

1.  y.  l)iiM)mmeninl,  In  Arts  au  vioy^n  djif.  noie  K  du  chn]).  II.  —  tôt  inlatijraUe 
:irc]itM>ln;;ui'  a  rrimi,  avec  ni»  /.oie  «lu'oii  no  haurait  Iroi)  louer,  lo.-  plus  préoionx  «loou- 
iiionts  sur  los  oriy;iuos  et  le  dévoloppcnicnl  îles  arts  en  Franco,  matière  peu  connue 
it  >i  «li;;iie  de  Ictre,  branche  spéciale  de  notre  histoire,  où  tout  était  ù  créer.  (Note 
<le  Iblo.; 


grès  (le  ranliitectun?  civile  et  le  Aéd'm  rU*  l'aft*Uiii»diirr  n^ 
^i^'tise.  VWuû  I)aîssQ!t,  |mr  ilf*s  caiis<>strA&-g^iîériil<*$;  la^ciilpli 
qui,  ('chappét^  de  hi  ilurc  inimalnlîtt*  hi^niUijin^  avult  di 
des  types  élevés  ilf  scnlinicîiil  et  d*exprf^&$iion ,  tendait  mtiimi'Oiiil 
nvpf  force,  mim  sam  choix,  à  exprîimT  la  ri^lil^ ;i»Ui*  ^bcro- 
ilïiît  du  i\\w  au  portrait.  La  personnaliU*,  par  n^  qiiVHi?  a  ilVïroiJ 
plus  qin^.  par  co  rpiVllo  doit  avoir  de  frand,  cnvalibisail  m|« 
avait  étr  le  doïimine  tics  imutcs  înHpînidttfiK  n»|T  ï  nii* 

penses.  L'altération  <le  Fesprit  chrétien  coinmaiç.ji,  .i .  .,  ..:»Tivir 
surtout  ûnuH  la  transformation  des  tomln-îiiiiE»  qui,  mpi^tx 
humbles  et  prpsipie  perduïi  dans  l'oujhre  aiistî^re  dic*  e|tUy»] 
s'eiigeaient  en  soniptnciix  mausolées  où  TcirgMeil  d*!!S  gmii 
faroilles  semblait  défier  la  mort.  Ij^s  tombeaux  si  ricbeiiwi! 
décorés  des  ducs  de  îkmrgofme  IMïiUppe  le  ITonli  et  Jean  an^ 
Veui\  h  Dijon,  celui  du  duc  Jean  de  lîerri,  h  Boiît^ïe*,  nuinii^l 
U*  pastsage  de.s  inodesles  sépullnres^  du  xm*  siècle  nnx  nL«l« 
monuments  tumulaires  du  xvr, 

Li  personnalité  orgueilleuse  nppnralt  non  "  rit  dM«h  !« 
annres,  mais  dans  la  vie  des  arlisics,  par  IVn;  .  u.  de  pà>^h*m 
iiicoruiues  aux  époques  antérieures»  Les  rivalités»  !cs  jaloti>i« 
Iro^Mques  qui  remplisïîcnt  rhis^loire  des  arls  en  llntip,  écUMl 
ûussi  en  France.  On  connatt  la  légende  d'Aleviiidre  d«  îlemcnl. 
le  maître  verrier  de  Rouen ,  qni,  surpai^si^  parîion  élève,  le  |«i»- 
gnai^a,  fut  condamné  h  mort,  exécuté  et  en^velt  d;»niï  In  oi^im 
Tombeau  que  sa  victime,  après  qu'on  leur  eut  fait,  à  tous  ikm 
ensemide,  de  pôïnjieust^s  lunéraillCB'^  A  côté  de  l'cspril  d^ir^urUf 
Tei^prit  de  critique  lève  la  tête  au  sein  de  Tart.  Aux  l|pesp/ii6* 

\r  T.d  i>1tin  «0iivi«nt  une  «impto  ùsdXe  %enl^îU  m  vrmix  oii  *ti  CikihH  rv4ieft  i««lt* 
fgrujiû*  iicrsonriiiKf&t  une  sitAlur?  ffiuL^liAiî  »*nr  util*  Hïïjfv  tU  pifTW. 

V&a^i  pst  ccttci  iriiirro  de  r^fi^v^c,  qiil  lui  i^ohîa  la  tic.  Cnu^  nt«n^>'^ai«o«v rf^to i^ 
f^Rtrit-Oiinn  faiimlt  nlntî,  tant  A  1»  foi)*,  dfiux  mm  nirneiiit^  Anlitl^rttinil,  «aecMif- 
Uou  «ubllmc  à  In  dé^êjirrntioji  Ae  l'art  irligrîmti ,  tit»  ilAoïr  «m  «l^kNmttidQ ,  m  li^^l^ 
p^c-mpk  dr  tu  ili'^^^riifraiiiiii  iiionilf»  ilt'>4  ^rUniiut,  C*ftt|  A  M  ipi»  iwms  ifàgi^t 
ri'Hlilkr  l*!  |Ati»  ri'iiinniimbt^s  tjn  av*  «îtVtc.  C«  finll  jf  n  iririfi^H,  «le  UniriOMiU.ft, 
|rtittr  :ûfHi  iUtH%  i1'iinini|i^i  anits  La  rklii^.4M^aei  moUf*  a'oitiviiirnt  ,  riv  fkii  <|n*aj««ilrr 
à  r'iïr»pn^*inîùîi  *lc^  irulin-^*'  ît.-Uj^'^ïoiuc  que  tlonne*  la  jtfîijnj*  flftntii»»  4«»  iriffti.»*  h  k 
r<Mi  4ft  InrgTijr  Je  In  nef.  ^-  DA(i»i  uti  onlt^  înf<S^rirwr  â  S.im4-4)tirfi ,  mm*  dicTvo«,  «K 
uiitiiii'  tr'iittiM^  tmitiuit^  t^-po  d'élé^&ncM?  H  d'hanoûnlc,  le  /idrM#f  on  portique  àt  : 


[1*511  LES   AliTS   AL"  \V«  SIÈCLE.  4G9 

raux  des  vices,  représentés  p«ir  les  dénions  et  par  les  nionslrueuses 
gargouilles',  tendent  à  se  sul)stiluer  des  personnilicatinns  des 
diverses  conditions  liinnaines  :  les  «  tailleurs  »  de  ]»ierre  et  do 
bois  s'en  prennent  do  préférence  aux  gens  d'Église  :  on  \oit 
poindre  ces  innondjrables  caricatures  de  moines,  glissées  par  la 
malice  des  artistes  jusque  sur  les  chaires  et  les  stalles  des  abbés  et 
des  chanoines.  Les  artistes  dessinent  et  sculptent  ce  ((ue  jacon- 
taient  depuis  longtemps  les  fabliaux,  ce  cpie  déclament  en  (  bainî 
les  prédicateurs  eux-mêmes.  Le  moine,  longlemi^s  le  héros  de 
Fart  du  moyen  dge,  iînira  par  en  être  le  grolescpie  ^. 

Les  emportements  de  passion  ou  de  satjre  font  toutefois  encore 
exception.  Le  caractère  dominant  de  l'art,  s'il  n'est  |)lus  idéal, 
reste  cahne  et  grave.  A  côté  des  écoles  de  sculpture,  dont  la  plus 
llorissante  paraît  être  celle  de  Dijon',  la  peinture  se  dév(doppo 
sous  l'influence  de  la  double  école  de  Bruges  et  de  Cologne,  (pii, 
au  fond,  n'en  fait  qu'une  par  le  stjle.  Les  Teutons  du  nord  de  la 
Gaule,  auxquels  la  Gaule  centrale,  la  France  de  la  Seine,  a  en- 
voyé l'architecture  ogi\ale,  lui  renvoient  la  spicndide  peinture  à 
l'huile  *,  qui  détrônera  notre  nationale  peinture  sur  verre.  Les 
Gallo-Teutons  rendront  tout  à  l'heure  la  compensation  i)lus  com- 
plète en  nous  envoyant  l'imprimerie!  Jaccjues  Cœur  et  plusieurs 
autres  membres  du  conseil  favorisent  les  discijdes  de  l'illustre 
Van-Eyck',  (lui,  de  la  cour  de  lîouigogne  où  brille  leur  maître, 

1.  Un  des  plus  frappants  c-st  ceUe  (^ar^j^ouille  de  ré)j;Usc  do  l*oissi,  qui  représente 
la  luxure  :  un  bouc,  auquel  un  serpent  roii^e  le  cœur. 

2.  Cette  jçucrro  est  ainsi  en  action  à  rintérieur  même  des  éjjlises,  bien  avant  la 
liétbrme  et  liabelais.  Toutefois,  elle  n'a  sa  grande  explosion  t^u'un  dcnii-.siécle  apiè.s 
IV'poquc  où  nous  sommes  parvenus,  sous  Louis  XII. 

H.  II  y  avait,  dans  cette  école,  des  Flamands,  des  Français,  un  Araj^onais,  .lean 
•le  la  Iluerta,  auteur  du  tombeau  de  Jean  sans  Peur.  Le  tombeau  de  riiil«p]»e  lo 
Hardi  et  le  fameux  l'uiis  Je  MoUe,  avec  ses  six  statues,  ont  été  exécutés  par  Clauàs 
Sluter,  Clauss  de  Vausonne  et  Jacques  de  la  lîarre. 

4.  Jean  Van-Eyck  n'a  pas  inventé  la  peinture  à  Thuile,  connue  dès  le  xii«  siècle; 
mais,  avant  lui,  il  fallait  plusieurs  jours  aux  couleurs  broyées  avec  do  l'huile  pour 
sécher.  Il  inventa  rUuile  grasse,  cest-à-ilire  qu'il  lit  cuire  l'huile  avec  des  ingrédients 

.  qui  lui  donnèrent,  à  nn  bien  plus  haut  <legré,  les  qualités  siccatives.  Pour  l'usage, 
ce  fut  toute  une  révolution.  Voir  un  article  de  M.  IVrncard  dans  la  Hibliolh^qut  de 
l'École  dvi  Charhn^  t.  I,  2*  >érie,  p.  510.  Dans  la  sculpture,  lécolc  tcutoniquc;  reste 
toujours  inférieure  à  la  Franco  proprement  dite.  Kilo  tourne  vite  «l'une  naïveté  un 
l>ou  lourde  à  un  maniérisme  biziirre  et  gauche.  Dans  la  cathédrale  de  Sira--bourg,  la 
i^tatuaire  est  assez  généralement  mauvaise  sauf  quelques  exceptions. 

5.  Ce  chef  de  T école  teuton iquc^  il  est  intéressant  de  robservcr,  est  un  hommo 


îftftnES  DES   ANT.LAI:^, 

se  W'paiident  (Jons  la  France  royale*.  Vïin-Eyrk,  )J(*tiilin|f  €l  tw^^ 
les  inaîiros  flaîiiaïKl»  irt  rlW'iinns  de  cel  âge,  i!i*ils  roncmin'ii!  (»* 
la  iiiagiiîflcenee  *Ie  leur  coloris  au  faste  de  la  mur  dti  duc  Mit* 
lilHH%  tùm  oxpiiineiit  auiunomeid,  H  faul  le  dire,  les babJhiih^ 
i1tâiâulueï4;  lieu  de  plu^^  vh*i ,  lïiais  rîvii  île  |iluâ  ^jHcUI  qtit  Nr 
peiîiUirt'.  celte  couscieucicuso  utiiUifiou  ik  la  >*ir.  On  iMienllî 
vnm  de  a*îi  faiif^ueux  di*borJcUH*ulgclclacliaJrijiilècliiliîrof»l|Jih 
taa'tl  avec  Rubeus* 

Ui  i)cintiirL-  à  rijuilc  mt  Busclla  {loîtit  fkiis  U  Fmace  nijalf  « 
durîHit  co  sièrlo,  de  niaiti'ps  à  coiiiparor  à  rt*s  p^iids  m>ui5  ; 
lie  nous  a  faisî^é  qut^  bien  pou  de  vpstiges;  ninîsUi  iii*jUc|nii 
sur  vt^lin  reçut  un  nouvel  t^'lan  de  celte  puis^sank*  conninrDw,  d 
un  hoinine  supérieiu*,  Jean  Fmïci]uet  de  Tour?,  s^'insianui!  «In 
Flaïuaud;^  el  les  dt^iMfvs^ant  quant  «\  ré!*^jîance  el  A  i Vlt^vntkm 
t^t3k\  njuroinia ,  par  de  vrais  diefsMranivre ,  cel  arl  de  la 
ture,  qui  avait  eu  de  si  longues  et  si  hrillaiïtes  de^tln^rn 
France,  et  qui  ne  devait  pas  tarder  à  disparaître'. 

Panui  les  arts  secondîiires,  la  i»ou)|)ture  sur  bois  m  doiii 
cani*''it>  dans  le  ^l)\vJlnmboyftH(L*{  iiiulHpltait  de  vniies  mcrvril 
I/euKÛllerie  sur  cuivre,  qui  avaii  illustre^  Limoges,,  êtailtii 
pour  se  relever,  au  wi*  siMc,  sruis  d  autres  forinea,  l.'-r*'-  -Tiv^ 
Tannurerie,  la  serrureiic  resplcndissaienl ,  el  riiis.  irj 

ridies^es  mobilières  de  Jacques  Cœur  aUeste  les  i!iic0untgejurtiili 
qu'il  avait  donnés  à  ton5  tes  arts  de  luxe* 

Aiuï^i  le  tils  de  l'olm  ur  luarchand  de  Bourges  esei^sil  «ir  U 
civIIistUlou  do  fon  pays  toute  raetjoii  qui  o  |m  être  donmV  aux 
plus  f:,i  shkIs  princes,  Enivré  par  une  éleiatifFU  satiîi  ciefiipl^,  il 
avait  adopfr  pour  devise  ce  Jicr  jeu  de  mot^,  qui  se  lit  panocd 

du  pu^b  il^  Lb^gi.*  n  de  lunguo  frati^sLiAr.  U  »^iciii«a  Jr.tn  1)4;  Kjrk  ,  et  oa  r*|fé« 
iaît  *y  JHiun  I11  Wnatm  »>  iwiiuin  GaUitu*J.  V.  un  Ihsim  pD««airo  lïe  M.  Jilidb»l«%,  lT . 
t**  3ft^.  KiUre  In-FnitK't!,  qui ,  ^auf  <1  Mil  tan  te»  tfXfx>ptioQ«,  o'«»i  qti4*  mMîicnafai 
colori»tr,  cl  l*A][(fniiigii«  d'oi)tiv-Khli] ,  qui  ne  Ve*i  jwu  Ji»  ïoui,   U'at  tient  «rfu 

1.  Utturlt*'»  V^II  vic<^nipt£t  k*)  i^c-itariM»  di?  toute*  taillo*.  nuliàitl^,  yaKLi  il  Kiwia- 

2,  V.  \oê  tpnin  lïiw».  il<»  l"îii*-Lîvp  ^t  du  *to!ifpliet  A  la  >  Ââ 

Il ,  m. 


[noll  COMPLOT   CONTr.E  JzVCOUES   CCEUU.  471 

rrii'ore  sur  les  nmrs  de  Thnlcl  de  lîoui'ges  :  «  A  vaillants  ciicrs 
cœurs;  riens  impossible  '.  »  II  se  eroyail  inébranlnMe,  parce  (pril 
se  sentait  toujours  plus  utile,  toujours  plus  (li|ïne  (Fune  grandeur 
qui  ne  cessait  de  croître.  11  ne  jouit  pas  assez  modestejnenl  de  sa 
prospérité;  ce  fut  là  son  crime.  11  ne  craignait  personne,  lui  qui 
fuisiiit  du  bien  à  tous,  et  ne  pensait  pas  que  personne  piU  vouloir 
tarir  la  source  où  cbacun  puisiiit  :  presque  tous  les  grands  et  les 
ofliciers  de  Tliùtel  du  roi  étaient  ses  obligés  ;  il  avait  prêté  de 
fortes  sonn nés  sans  intérêts  à  beaucoup  dVntreeux;  il  ne  com- 
prenait pas  que  les  grands  ne  lui  pardonneraient  point  ses  bien- 
faits. La  colossale  fortune  de  ce  bourgeois  était  pour  leur  orgueil 
quelque  chose  de  monstrueux  :  ils  ne  pouvaient  supporter  de  se 
voir  écrasc'S  par  le  faste  et  humiliés  par  les  dons  d'un  mercier 
anobli  :  les  plus  ignorants  et  les  moins  corronquis  d'entre  eux, 
incapables  de  conqn-endre  les  sources  réelles  de  sa  richesse,  en 
lirétendaient  l'origine  criminelle;  ceux-là  le  croyaient,  les  autres 
feignaient  de  le  croire  :  une  coalition  redoutable  se  forma  contre 
l'objet  de  Tenviiî  universelle  :  les  débiteui's  comptaient  acquitter 
leurs  dettes  en  perdant  leur  créancier;  les  «  vautours  de  cour'» 
se  partageaient  en  espoir  sa  magnifique  dépouille;  les  connner- 
çants  italiens,  irrités  de  se  voir  disputer  par  un  Français  les 
marchés  de  rOrienI,  n'épargnaient  ni  l'or  ni  les  intrigues  pour 
abattre  leur  rival;  les  négociants  français  eux-mêmes,  qui  seuls 
avaient  (piebpies  griefs  légitimes,  se  plaignaient  des  privik''ges 
sous  lesquels  Jac(jues  Cœur  étoulTait  leur  concurrence''.  Si  le 
coTiseil  fût  resté  uni,  ces  hostilités  eussent  été  sans  doute  inqnn's- 
santes;  n^ais  des  influences  nouvelles  et  malfaisantes  s'étaient 
glissées  dans  le  conseil.  Un  ancien  chef  d'écorcheurs,  qui  avait 
njontré  pîU'fois  les  sentiments  d'un  chevalier  h  travers  sa  carrière 
de  brigandage,  mais  qui  ne  laissa  jdus  voir  à  la  cour  que  les 
sentiments  d'un  brigand,  Antoine  de  Chabannes,  devenu  comte  de 
Damrnartin,  é(lii)sait  près  de  (Charles  Vil  le  crédit  des  Uichemonf, 
des  Dunois,  des  Ihvzé.  Une  vile  créatm-e  qui  n'avait  d'autres  mo- 
biles cpie  la  cupidité  et  la  vanité,  la  dame  de  Villequier,  avait 

1.  ("éuiit  la  tl(ni>o  dos  siros  de  Saint- Far'jeau  ,  dont  il  avait  acheté  la  torro. 

2.  La   rh:iuina^-iÎTO,  Ih^t.  lUt  licrri. 

3.  Ils  sr  niai  louaient  ••  de  ne  pouvoir  rien  gagner  à  cause  d'ieelui  Jac<iuet.  » 


gueuues  des  amiï..vi5.  n* 

i^mplaeè  lUm  riniiniiti:  du  roi  cf lie  ttiiuahlc  el  tiildli|tfiLk*  -VîikH 
tjui  sciïilile  avoii'  i  ri^  le  lien  entre  h-s  j^lorkuKcâ  iiiius  Aprt^  pr- 
soritHilités  *|Tn  s'itaienl  si  hicn  acrordérs  pour  Sd^^ir  Ttlal,  eu 
qui  se  divisèrent  sur  la  tombe  rie  h  flune  dti  Iteaiili*,  û*sclr 
plus  fortes  tiMesi  ilu  cunseil,  Jacque^î  Canjr  el  lt*îin  Utirvau.» 
brouîllcrctit.  I>os  appuis  iioturds  de  Jacques,  les  cciiijfizigntiii&  «k 
gcs  patrioiique^tnivîuix,  venanf  h  lui  manquer,  il  ■  '  rîiL  (x 
complut  contre  lui  alla  si-  reiiforciiut,  mn^  Ui  dii»  i  >  .  ^outk 
de  Darumartin,  du  rluutdiellan  Guillauiuc  Gaufller  eldu  nornilla 
Olto  Cii&iteHani,  Ircs^oiier  de Toulonse,  intrigant  i|iii  %îs;i  >  ~ 

d'argentier  du  roi.  Parmi  les  cnneujij^  de  Jacques  se  nu         M 
nom  sjuislrc  de  La  Trémuillc  :  cï'tait  le  fil»  du  Irop  tûmmi 
Tieorges,  mort  en  I'i4tî,  Le  jeune  La  Ti^moille,  |Uir  liCMfii 
§ent,  avait  vendu  de  grandes  terreis  h  Jarque:^  Câ*ui%  el  le  L 
romme  si  Jaequrs  Icîï  lui  avail  dènibêes, 

L'inlrî^nie  ne  s'ctail  \ms  altîuiuée  sur-Ie-ehaiiip  âiar^furs  llcru^ 
iïii  s'élajl  essayé  tordre  un  moindri?  pt*rsuuriaj:c,  Jeaii  d*^  ^ 
eoins^  receveur  gcui^ral  des  linanres,  ([u  on  acnj^i  de  jh^i 
ÛB  rakiiîcîitîon  de  l'egistres,  Xainroins  fui  t*uudaifiit€  à 
amende  de  f>{V,()On  tVns  d'or,  avec  eanïis(aliûn  d^  toui^  ie^lifc 
doni  les  courlisaus  se  îli'ent  duimrr  une  bonne  |mrt.  tielki 
luière  vietoiro  les  enhardit;  Charles  VU  aiail  éUi  itMiîutt?»  Ns 
jissailli  d'insinuations  perlides  ^nr  la  mort  d'A^uês  Sorel,  mr  les 
pr<Jtendues  eoneuHsiuns  de  Jacqn(*s  ikrur,  et  î>iir  l**s  reLitioâi 
serrâtes  que  tclui-cî  aurait  entreteunes  aice  k»  cliiu]iliin.  coiilnii* 
rement  aux  int^*rèti?  du  rai  ;  on  lit  entpndre  h  Htmrles  qiu»  Jacque» 
avait  donne  la  mort  à  Apîn'^ïî,  à  rinsll^atian  du  rifiHfî  *  «* 
la  condainuatlon  de  Xainroins,  une  drnon^talion  foin.  ui- 

Itoisunnement  fut  adressre  au  vtA  i>ar  la  dûitie  de  )lortiigiii\ 
Jeanne  de  Vendôme,  dtmt  Ir  mari  riait  un  des  f î'  '  de  Jacques 

Cœtïr;  le  testîimeut  d*Ayn('i<  Soitd  fait  ronnaiîi .  -  ^re  de  vi^- 
semhknce  de  cette  aceusîilioti;  Agnès,  jiiouninl  de»  fuileii  d'tiiïo 
coucbe  malheureuse,  après  avoir  mis  au  niondi?  un  enfant  iiuî 
lui  survécut  quelques  mois,  avait  iustUue  Janpies  T^vur  un  de  ?^ 
e.VtVuteur«  ie&tamenlïiîretfi^  connue  dernier  t/'MU*itînaite  «ri^^iinu: 
et  c^ami(i^*^ 

Tuule  uni»  vie  de  ^lr>neux  M.TVice$  ne  fit  |Hjfnt  haliuirci 


L1451]  rnOCKS  DE  JACQUES   CCELR.  473 

moment  Charles  VII  :  Jacques  Cœur  fut  arrùtù  à  Taillcbourg  le  31 
juillet  1451.  Ce  premier  coup  fut  suivi  d'une  série  de  njcsures 
inouïes  :  les  biens  de  Jacques  Cœur  furc^nl  non-seulement  séques- 
trés, mais  «  mis  sous  la  main  du  roi  i*  avant  tout  ju^^ement; 
100,000  cens  d'or  furent  i)ris  pour  la  f»uerre  de  Guyenne,  et  uniî 
grande  partie  des  terres  et  maisons  de  Ja((]ues  Cœur  furent  dis- 
tribuées préalablement  à  Dannnartin,  à  Goullier,  à  la  maîtresse 
du  roi  et  autres,  tandis  que  ces  mêmes  Dannnartin  et  Goutïier 
étaient  placés  à  la  ttied*une  commission  extraordinaire,  chargée 
d'instruire  le  procès  de  Taccusé,  condanmé  d'avance.  On  voit  a\ec 
douleur  figurer,  à  cùlé  de  pareils  noms,  le  nom  illustre  de  Jean 
Bureau,  qui  ne  paraît  pas  être  resté  connnissaire  jusqu'au  bout, 
et  qui,  du  moins,  ne  souilla  pas  ses  mains  des  dépouilles  de  la 
viclhne  '.  Jacques  Cœur  démontra  aisément  Tabsurdilé  de  l'impu- 
tation d'empoisonnement  :  la  déposition  du  médecin  du  roi,  un 
des  exécuteui*s  testamentaires,  prouva  (pie  la  mort  d'Agnes  a\ait 
été  naturelle,  et  Jeanne  de  Vendôme  lut  obligée  (hî  faire  amende 
honorable  à  Jacques  Cœur;  le  roi  lui  remit  la  i)(Mne  de  mort 
qu'elle  avait  encourue  pour  faux  témoi^nag(\  Les  prétendus 
complots  a\ec  le  dauphin  dispjuurent  éghleinentau  i)remier  exa- 
men :  les  ennemis  de  Jacques  Cœur  s'y  étaient  attendus;  mais  peu 
leur  importait;  la  victime  était  en  prison;  ses  biens  envaliis; 
c'était  le  principal  ;  on  connaissait  assez  le  roi  pour  ne  pas  douter 
que,  le  premier  i)as  fait,  il  ne  laissât  tout  faire.  On  suscita  de 
nouveaux  chefs  d'accusation  plus  habileujent  combinés,  plus 
diflicilesà  éclaircir,  et,  en  même  tenq)s,  plus  propres  à  soulever 
les  jn'éjugés  populaires  et  à  égarer  Tophiion.  L'on  accusa  Jaccpies 
d'avoir  ai)pauvri  le  royaume  en  exportant  du  cuivre  et  de  l'argent 
chez  les  infidèles;  —  s'il  exportait  du  cui\re,  c'était  en  échange 
de  For  de  l'Éi^yple,  éclKm;j:e  dont  tout  i'a\antage  était  i»our  la 
France;  et,  quant  à  l'argent,  il  était  iuipossible  de  connnenrr 

1.  Un  autre  dos  lioimiios  lo*  plus  lU'ilfs  et  les  plus  utiles  du  euuscil,  Etienne  ( .'lie- 
valicr,  exécuteur  teslunif maire  dWirno.s  Sorel  avec  .laeiiues  Cœur,  fit  aus.si  partie 
Je  la  eoniniission  ,  et  prolita  de  la  eliute  de  Jaeques  di'ur  plus  qu'il  ne  serait  dési- 
rable pour  sa  niéuiuire.  Il  lut  lait,  eu  llôl,  eontrùleur  de  la  recette  ^«^nérale  des 
finances  :  il  a\a't  déjà  la  signature  i  u  matière  de  finances  eunnne  secivtaire  du  roi 
id'Ktat) ,  et  succéda  û  rintluciice  administrative  de  Jac'iuea  avec  une  autorité  plus 
directe. 


nsvc  l'Oneut  ^m  a]\\mni  iuôta!lîi|uc'  ;  —  d'n%oir  o\U*tc  lo 
Uiiies  à  stiii  proliU  —  iYlait  lui  qui  avaH  ri*tabll  ronlriMli 
iivslèimî  moiiêliiire,  et  la  (iiuto  daiiî;  Uwiudl*>  il  mnti 
iiii|ilir|Uè  lui   tivaîl  t*ti>  panîoun/M:  par  Irllrrs  il  aLt-.i.:....  ,  - 
tl\iMHr  tutiiiiLÎM  des  i*xattioïis  im  lai\^neûm*i  —  il  avait  ciiiidu 
fi-  \Kiys  par  sou  coiuuicf co,  et  Von  quaVilmt  é'cxnHum^  Icf  jw»- 
iieni.s  que  lui  tivamut  faits  les^  lîlals  de  Lni.      '  ' 

(*  [mur  ses  bons  mvxkt^^;  »  —  d*avoir  ev; 
iulldiMes,  contrairemcut  atLK détrels  des  eûudk*$  i*t  ouïs  mn 
hh  du  royaiinio;  —  ces  nnucs  6laieid  de»  irrm*ii(^ 
Soudan  d1ïgyji4c  avec  la  permissicm  du  niî  cl  du  j. ., 
déilara  m:  pas  st  souvenir  d'avoir  ocirayê  cello  jMimiisFiofi  ! - 
d'avoir  euiiii  rendu  uux  URisulinans  uu  e?<!lave  diréliei], 
î^ liait  réfugié  k  bord  d\ui  de  ses  navire*»;  —  U  pmn-— 
ne  [>oint  dV'lonnier  d'ej^tlave^  était  la  tonditîoii  e\|^res$e  ^ 
tiuiis  avec  le  Levant,  et  Jacques  Cœur,  en  n.'rup«ii]t  criie  ttmuh 
tion,  e\M  \mi\u  tout  le  û6|4ore  dXIrient  et  €X|H»^  les  mfopiu» 
eiHo|iri'ns  aux   derniers   dangers.  Le  gnmd-miiltn*  ik 
lui-rnrioe  lui  avait  iVrit  à  ce  sujcit. 

Ce  fui  suj'  ('cis  ba^e!^  et  ^ur  quelques  huIix-'-*  acciisaiioa- .  f  ^  a  n^ 
sion,  impossibles  a  discuter  aujotnd'liul ,  qiHi  le  t Si  <"»!»►  11-^ 
tioufller  entama  les  inibnuations  ;  une  nu6e  de  tetuoim  a .  if  ^ 
geu^  pour  la  pJu[>art  «  iierdus  el  inlVuiies,  metirtrii'î 
paiilanlii  ^»  »  ou  ennemis  déelarén  de  rarnisc,  avmeni  i  h  j  ,x.y.  i^--- 
d*^  nais  eole.s;  on  ne  voulut  iMiiut  appeler  les  iMioitis  4  liéefattfi' 
qu  indiquait  Taccusé;  on  lui  dénia  W  moicns  de  inaBcmWcrhs 
pnVes  et  aetes  nece»8airrî!i  a  sa  jnslit'ieatjou;  on  ref»»^  *  «1^ 
roTjdfiits  II  ceux  de  ses  lartrurs  i|ui  uv;ùenl  pri^  là  f  ^ 

L  Ici  f  toiitmfDiM,  l'acciiiiaiJûu  m  fmaixit  «ur  im  fAït  tuMi^oalf  1*  àéJKmar 

B.  Nèaei,  ù\t.  ?.  Clènieritt  /^r^u^  Cvitr,  t.  Il,  |^.  ^35.  i.  Ltt  fjàh  Ir  filof  rm^M 
naïAr.  ¥>"â  Huit  ant^niv^  wm\i  d'avoir  fait  ftilre,  U.  Mwaïu-JUrr,  1  l'-%  timt^ 

t>  fuit  e$t  fort  ytiNjU'Ci,  t^uaut  à  Ha  pre?*3»c  en  v\\*ymhi»\  HViv  iimi»  ïisxtyr^  f^p  •«.''»- 
lît"    ju*tiflvri|  Jurcjiiirit.  runw  ii>ii  avttll  pa«  i**  iiii«ii*'^         I 
Uhu  Hti  ift*ï ,  fit  tîct  iàU«*,  eu  vers  Ici  vii|fiiL(>ndii  i^n  n^pn 
Il  il  ûa  la  luouuTch^e* 


L14c2-H3â:  Pr.OCÈS   DE   JACQUES  CC«LR,  47"» 

d'ùlre  iinpliqués  dans  son  procès,  et  (lul  lussent  revenus  aider  k 
sa  défense;  eniin,  on  ne  lui  accorda  point  d'avocat.  L'Kglisi' 
essiiya  d'intervenir.  Jaccpies  Cœur,  (pioique  marié,  avait  pris  les 
degrés  inférieurs  de  la  cléricature;  il  réclama  le  «  bénéfice  ih 
clergie,  >'  etrévéque  de  Poitiers  et  rarclic\équc  de  Tours,  dans 
les  diocèses  desquels  il  fut  traîné  de  prison  en  prison,  réclamèrent 
les  droits  de  la  juridiction  ecclésiaslique  :  on  n'en  tint  compte; 
il  faut  dire  que  les  tribunaux  laïques  ne  reconnaissaient  jdus  ces 
exemptions  pour  les  gens  mariés  ou  (pii  exerçaient  des  fonctions 
civiles.  Le  pape  Nicolas  V,  qui  avait  Jactjues  en  grande  considé- 
ration depuis  l'ambassade  de  1 448,  éciivit  au  roi  une  lettre  pres- 
sante en  faveur  de  l'accusé;  la  pi'océdure  n'en  fut  pas  poursuivie 
avec  moins  de  passion  :  Jacques  Ca»ur  n'obtint  que  six  semaines 
pour  a  justifier  de»  ses  faits,  »  avec  le  secours  de  deux  de  s<*s 
factiHirs  seulement,  clioisis  à  dessein  par  les  commissaires  connue 
les  moins  experts  en  matière  de  finances  et  les  moins  capables  d(î 
lui  porter  aide. 

Le  13  janxier  1153,  une  nouvelle  connnission  fut  instituée  par 
le  roi  :  Caslellani  renq)laça  Gouffier;  la  marche  du  [)rocès  redou- 
bla de  violence  :  on  menaça  le  prisonnier  de  la  torture  i)Our  le 
forcer  à  rétracter  son  appel  par-devant  TÉglise;  il  ne  céda  que 
sur  le  chevalet.  Au  commencement  de  mai ,  le  roi,  arrivé  au  châ- 
teau de  Lusignan,  y  fit  îipporter  toutes  les  pièces  du  procès  pour 
qu'elles  fussent  exann'nées  en  sa  présence  :  révé(jue  de  Poitiers 
réiléj'a  sa  réclamation,  l'n  nouveau  malheur  venait  de  frapi)er  le 
captif:  la  fenune  de  Jaccpies  (lœur,  Macée  de  Léodepart,  n'avait 
pu  survivre  aux  revers  de  son  mari  et  à  la  ruine  de  sa  maison. 
Cet  événement  donnait  plus  de  poids  aux  plaintes  du  i)rélat, 
Jacipies,  dexenu  veuf,  se  trouvant  clerc  so/u  [cirrus  sohis  ,  Les 
connnissaires  du  roi  passèrent  outre.  Le  roi,  bien  ipril  eiU  dit 
que,  si  Jacques  était  innocent  de  la  mort  d'Agnès,  il  lui  par- 
donnerait tout  le  reste,  le  roi  rendit  la  sentence,  en  son  grand 
conseil*,  aucpiel  avaient  été  appelés  quelques  mem])res  des  par- 
lements de  Paris  et  de  Toulouse.  L'arrêt  fut  prononcé,  le 
2y  mai  l'ir)3,  par  le  chancelier  Guillaume  Jouvenel  des  Ursins; 

1.  ..  Km  lit  do  justiLC  ■•,  ilit  'riionius  Hasiii ,  1. 1 ,  p.  315.  Cet  éi.Ti\aiii ,  :»!  sévère  aux 
giMis  ».lv  (.wur,  >ouiiciit  i'iiergi«iueiiu'iil  rinnorciicc  de  JatMiucs  Ca-ur. 


ni  nUEItllElfl  DES  AYGL  \t< 

Jan|m*s  ('a*ur  y  l'Uiit  déclaré  K^onvainiii  ûf  « 
tiition  de  inéiaux  préck-ux  el  «rîjniit's  diex  kr    - 
lie  lèse-iîiajesté  el  autres  mines  :  le  roi,  pour  «  mictiixs  •  îMînîm 
il  lui  reuilus  (mr  ledit  Jacques  Cœui%  et  par  t'^garxl  pour  lu  irr^iLh 
inundatioti  de  u  uolre  saint  [ÙTt  le   IMI|)<%  »  dnignail  rcUîrlLn» 
-(  audit  Jac(|ueîJ  »  la  peme  de  luort,  niaii  le  déi*lanii!  iiiltabîk  ilmi< 
uriiccH  publicî»,  le  eoudatriniiit  à  lÛU^OÛt)  ttrus  de  rrslifiitioo  i4 
:îOO,000  éeuH  d'ariK^nde  ',  coufisquait  tous  ses  lileos*  H  le  Immû 
sîiU  du  rojauiiie  à  perpéluilé.  Ce  qui  met  lesûtniu  à  aHIcie 
dluiquilé,  c*cst  rartîcle  relatif  à  rempoisonnemenl  d'Apiis;  il  j 
est  dit  qu'à  cet  égard,  le  procès  «  rn\st  [wis  gti  éi/it  iFiMi 
pour  le  présent,  >  et  que  *  le  roi  u'en  fait  aucun  jugeuinïi     , 
cause.  *  Or,  en  ce  nioiuenl  uit^nie»  l'îiccusalriee  de  Jacf[uc^  Our 
était  condamnée  pour  raiLXlcinoigriàge.  On  n>idail  îic  nS^r 
lenir  Jacques  eu  prison  perpétuelle,  en  uc  vidant  pas  ce  du!  i 
cuÊ^atiun, 

Iaî  4  juin,  le  eliaueelier  et  les  cûinniisiiScures  idlfrent  sîi^  ' 
Jacques  Cœur  sou  arrél  :  riioiurne  à  qui  la  Fnmn!  di^ 
^ratïde  partie,  raiTranchi^senient  de  mn  terriloire  fin  fi 
faire  atueude  honoralile,  à  genmpt,  une  tonlie  k  la  itiftoi^a 
présence  du  peuple  de  Poitiers,  stnpi^faii  d'un  tel  ^^^       '  '  * 
pillage  de  ses  ljien&  fut  ensuite  ré^itilarise,  cl  le^ 
cour,  »  coninie  dît  rénerglque  Ttiouias  Bââiii»  iiiiiitvèa*nt  4c 
se  partager  la  proie.  Par  nt»e  sorte  de  pudeur,  Oattiiuarlin  «*!  «« 
coinpliees,  qui  avaient  pris  leur  [i;ul  d  avance,  se  h  firent  »iJh>* 
;fer  [mv  une  vente  suuuléc  au  lïrofit  de  TÉtal;  d'iiutn»  (wrciit 
^qatittcs  rie  raliolitiou  de  leurs  dettes.  Jacqui^  Cunir  fut  jfkitt 
fond  d'un  donjon. 

11  n'y  resta  pas  jusqu'au  liout.  Tout  le  monde  uc  ramil  pi 
trahi  dant)  son  nmUieur;  il  avait  su  s'entour\ïr  dli0iiin]t!s  pn*lK^, 
inlcUi^^uîUs  et  L'oura|;,^eux  ;  il  eu  rrrncillit  le  bcnéfîi  \it>tUm 

ses  facteurs  et  les  con;niis  întérexsi'S  dans  mu  oc::  ittiiiMi- 

rèrenl  Ûdi^ies,  et  mirent  à  couvert,  aulimt  qu'ils  purmt.  W 

K  lltivifan  3  mllButi^  H  d^mî  de  mitv  moniuii*;  ta  tmlnr  filiKft,  fntl'éù^ 

3i  âaîvttiit  Jiu'quci  Dïiclrri'*)]  Ji*M  hlvm  minihle^  ei  tminimliM  909  |Mi 
Çtmt  t*n  Fra^M*i^  ^tAJ«mt  (wuluik  à  ufi  ii^illION  a  ti-Li«.  A'ur.  i^L^i  vftmlr^it'E.i  >«.4tMrâ' 


[1454]  COM»\M.\AT[ON.    ÉVASION.  477 

(Icbrîs  (le  sa  fortune  :  Jean  de  Villn^^e,  son  neveu  par  allinnce, 
qui  dirip>nit  son  comptoir  de  Marseille,  refusa  de  venir  h  Monl- 
pellîer  rendre  compte  des  deniers  de  Jactjues  aux  gens  du  roi  : 
le  roi  René,  comte  de  Provence,  et  la  ville  de  Marseille  refust'rent 
de  livrer  Jean  de  Village.  Dix-huit  mois  environ  s'étaient  écoulés 
depuis  la  condamnalion  de  Jacques;  il  s'échappa,  déguisé,  du 
cliAteau  où  on  le  prardail  prisonnier*,  et  ti\(*ha  de  gagner  la  Pro- 
vence. Reconnu  à  Beaucaire,  au  moment  de  franchir  la  frontière, 
îl  S4^  réfugia  chez  les  cordeliers  de  cette  ville.  Le  sénéchal  diî 
Beaucaire  n'osa  violer  le  droit  d'asile  ;  mais  il  mit  des  gard(*s  au 
couvent  pour  surveiller  Jacques.  Celui-ci  crut  avoir  lieu  de  craindn» 
pire.  Vu  jour  (c'était  durant  l'hiver  de  1454  à. 1155),  un  cord(»- 
lier  de  Beaucaire  apporta  î\  Jean  de  Village,  à  Marseille,  une  lettre 
de  Jacques  Cœur  :  Jacques  priait  son  neveu  que,  «  pour  Dicni,  il 
oui  pitié  de  lui  et  trouvât  moyen  de  lui  aider,  et  de  le  jeter  hors 
de  là  où  il  étoit  et  de  lui  saui'cr  la  vie,  » 

J(»an  de  Village  accourut  à  Tarascon,  sur  la  rive  provençale 
du  Rhnne,  et  dépécha  un  cordelier  de  Tarascon  aux  cordeliers  de 
Beaucaire.  Ces  moines  montrèrent  un  zèle  fort  louable  dans  toutes 
raiïaij'e.  Jean  de  Village  mandait  à  son  bon  maître  et  parent  qu'il 
était  là  pour  *<  entendre  ce  qu'il  lui  plairoit  à  lui  commander.  » 
Jacques  lui  écrivit,  en  mie  tablette  :  —  «Je  vous  prie,  comme  à 
mon  lîls,  que,  pour  Dieu,  m'en  jeti(»z  hors;  car  fort  doute  (j(î 
redout(î  qu'on  me  fasse  juourir  en  ladite  franchise  (dans  le  lieu 
d'as\l«\  sans  le  su  du  roi.  »  Et  il  ajr)utait  :  «  autres  moult  piteuses 
paroles,  w  —  «  Faites  bonne  chère,  »  répondit  Jean;  «  je  vous  en 
mettrai  hors.  » 

Il  retourna  à  Marseille,  s'adjoignit  deux  autres  facteurs  ou 
capitaines  de  Fiavires,  avec  une  viFigtainc  d'honunes  d'équipage, 
et  les  ramena  à  Tarascon.  Vers  minuit,  ils  passèrent  le  Rhône  en 
l»arque,  entrèrent  dans  Beaucaire  par  une  brèche  du  rempart, 
allèrent  droit  aux  Cordeliers,  sabrèrent  les  gardes  et  enlevèrent 
Jacques.  La  Provence  n'était  plus  une  retraite  assez  sùrc.  Jac- 
ques et  son  libérateur  ne  firent  que  la  travei-ser  pour  gagner 
Nice.  Uu  vaisseau ,  jiréparé  par  Jean  de  Village,  les  y  attendait 

1.  Le  lieu  de  sa  détention  n'est  pas  connu. 


rf  Jeu  cnïiiluîsit  a  Pis(\  d'où  ils  g^'ignneiil  Riiriw^  ijjliivW  I4!t;i 
NJcolîi»  V  aecueiïlit  le  iimsîicrU  coïiinie  t^'îi  i-i\i  M  ^iiron^( 
îjuiiîslre  et  l*aiTibas.sîi()eiir  An  l'oi  di?  Franrr,  ri  le  Ir»ffi«a  ikfL^s 
propre  |>ahiîs  :  le  ponlîfe  romain  «aisU  Vîwrmon  dr  *  -     -ri 
vu  môme  trmps  son  cslinic  sincôiT  pour  Jacfnir^  i 
mtVon lentement  de  rnileinte  portte  à  la  jnrtilirllofi  cfrU*$4niH( 
(!?iîi\le  îîl,  fpii  Mireéda  ^iircrsi  rnUefaile^  h  Mrnbi«  V^  tiViff 
moin.s  do  ronsîdt''ralioii  pour  rilliisîre  réfugié,  vi  lui  ofril] 
cominandemetil  d'une  escadre  qii*il  aniiail  ronlro  k»»  Tur^*, 
venaient  d'acliever  la  ruine  de  lempiiT  grée.  Irirriues  «^laif  pi 
h  tout,  a  la  fîuerre  comme  à  la  paix,  rt  surtout  h  l 
mer.  Il  s*embarcjua;  maii*  les  chagrins  et  les  fri(î^fle> 
lia  puissante  organisatinn;  il  tomba  malade  rlfiraiit  l>\p«*«liti( 
el  mnnrut  dans  l'tle  de  Chio  (novembre  1156).  FI 
moment  où  les  mmg^e*^  aniass{"S  sur  sa  gloire  par  IVn^  i  ix- 

çaient  à  se  dh^iper,  au  rîïoinent  où  la  justiee  du  ciel  ctfmtineiKd 
à  frapper  ses  perseeutfnirs  :  en  1457,  Ollo  iIiLctelbni  '  ù 

jugement  et  eomlaimié,  non  pour  ses  v^rilnblcs  îu\\.,d  .  i_iif 
[lour  un  prétendu  crime  àù  magie;  Guilbaimî  Gooflirr  fut  «§► 
I  rainé  dans  la  perle  de  ùtsteHanî,  Les  lionn^te^  çeiis  qui  u'*H.ilrnl 
]ms  ^n  défendre  Jacques  Cmm\  rca^^irenl  en  Tavem-de  »i  mtiiH)ire; 
(jnelrpie's  re;^reti*  semblèrent  î>  éveiller  dans  FAtiie  du  roî,  4  II 
rL'eeplion  d'une  lellre  où  Jacques  (îcetir  moiiriml  lui  rtM.tifiiiiiÉlh 
riait  SCS  enfants^  Cliarlcs  VU  octroya  an  Rdcle  cl  >  '  Ji 

de  Village  le  pardon  de  tout  ce  qu*il  avait  friiJ  [m  ,        ^i 

rendît  aux  enfanta  de  ce  gnmd  bouune  la  |iorlloti  iliâï  Iweiii  Jf 
leur  père  qtn  était  l'esféc  à  la  eouronrie  '  ftHrier-riortl  I  î'iT  ',  L* 
nement  de  Lonh  XI  devait  amener,  comme  noti^  le  vemicuf, 

1.  p.  Clément,  iàc^uei  ittur,  L  ît  î  PUctn,  ti"  U  et  1^,  |i.  M7 -"<*'*  '  —  ^-nx  \ 
)tiixi|u(^11cN  non»  «vofts  ^mpntut^.^  totit  [c  nVit  qui  |tri«<HYi{(»«  «ii 
rin-oii(r*tiàbltî  matf  nous  iroM^im  nmxn  m^rvk,  atik;  tu  mi^mt  cru/ 
'IrftJiinlifiiï^  ]mhMv  par  M.  CltHrirnt  \ihnl,  p.  1»^J.   Cm  fti*râ  I . 

2.  NkMtbM  V,  un  dc%  pLtu  m  ranU  1iuujma«  dt  l']taUc«IUt  k  fonibuiir  tl»  to  irlékv 

^.  jAivjur^  Cœur  f  pûnîiiriitii  im  mourant  no  t^i  i»t  m  »«  tWblmr^.rt  ima  ïkm 
i\if  \ïarâmmfT  UMi  ve  iirtmi  avoit  IkU  «M^rli^finuiiil  cnnirt  loi.  •  Tli.  Bkulii ,  t.  f*»» 

1».  31(3. 


[1«C-U57-  MORT   DE   JACQLES  CCffiLR,  i79 

plus  éclatanlc  ivj)arali()n.  La  poslôritr  a  rendu  k  la  viclinio  la 
place  qui  lui  apparliont  dans  notre  tradition.  Le  siùclc  oîi  nous 
sommes,  si  dominé,  trop  doniini»,  faut-il  le  dire,  parées  puis- 
sances économiques  (pie  Jacques  Cœur  avait,  le  premier,  mises 
en  mouvement  chez  nos  pères,  a  i)lus  de  raisons  qu'aucun  autre 
pour  honorer  ce  héros  de  la  hanque  et  du  négoce. 

C'était  parmi  le  tumulte  d'une  grande  révolte  et  de  sanglants 
combats  qu'avait  eu  lieu  la  condanmation  de  Jacques  Cœur.  Les 
affaires  publiques  n'avaient  pas  tardé  à  se  ressentir  de  la  chute 
du  plus  sage  conseiller  de  Charles  VU  :  le  gouvernement  royal 
avait  dû  la  rapidité  de  ses  succès  aux  ménagements  qui  lui  ga- 
gnaient les  populations;  ces  ménagemejits  cessèrent  avec  la  \ir- 
toîre.  La  conservation  de  toutes  les  libertés  des  Gascons  avait  été 
jurée  par  le  roi  :  la  plus  précieuse  de  ces  libertés  et  le  fondement 
de  toutes  les  autres  était  de  ne  pouvoir  être  taxés  sans  le  consen- 
tement des  États  Provinciaux  ;  les  «  gouverneurs  des  finances  du 
roi  »  voulurent  obtenir  le  consentement  des  Trois  États  pour  éta- 
blir en  Guyenne  «  la  taille  des  gens  d'armes  »  et  les  aides  t»l 
subsides;  les  États  répondirent  qu'ils  n'avaient  que  faire  de?  gens 
d'armes,  et  que  les  bonnes  villes  se  garderaient  bien  elles-mêmes. 
La  taille  fixe,  les  garnisons  permanentes,  si  faibles  qu'elles  fus- 
sent, et,  par-dessus  tout,  l'aide  du  quart  du  vin  (l'imiiôt  du  quart 
de  la  valeur)  send)laient  le  comble  de  la  tyrannie  à  ce  pays  de 
libre  commerce  et  de  gouvernement  nmnici])al,  extrêmement 
ménagé  dei)uis  longtemps  par  les  Anglais.  Les  officiers  royaux 
passèrent  outre,  et  la  perception  des  nou\eaux  impôts  fut  com- 
mencée arbitrairement  en  divers  lieux.  Les  gens  des  trois  pays 
capitules  (bordelais,  Agenois  et  Bazadois)  envoyèrent  des  dé- 
putés vers  Charles  Vil,  à  Bourges,  afin  de  réclamer  l'exécution 
des  promesses  royales.  Les  députés  n'eurent  aucune  «  bonne 
réponse ' .  » 

L'irritation  devint  extrême  :  la  conduite  du  roi  était  d'autajit 
plus  impolitique,  que  bordeaux  soutirait  beaucoup  de  l'interrup- 
tion de  son  commerce  de  vins  avec  l'Angleterre.  Un  complot 
se  trama  pour  le  rappel  des  Anglais  :  deux  grands  barons  de 

1.  Th.  Basil! ,  t.  Vf,  i>.  2âM-i<îO.  Cet  liiàtoricii  est  le  seul  qui  iiOus  apprenne  les 
motifs  de  la  lObellioii  des  (jasconi. 


fjit^cvgm,  le  siro  de  I/Ksiparj'*^  et  Pierro  do  Miinifi'jrnfîJ, 
jïorlaîl  lé  titre  iM/^-^rre  do  sotildirli  de  fK^tnide,  fe  itiimjl 
r:orn}spotidnnce  ovoc  le  rorntf  *le  Rlinf'nïilmn  Je  iii*u\  TîiIUa 
rarclicv^que  et  los?  priiRJiiaii\  liouigeois  di^  Ikirdnatix,  Vrki^ 
d'Oloron  t*l  pluisit^tiri  autres  i^hiiûiIs  âeigneun;  cntrt'^iviît  Ama  1 
conspiration.  LegDu\rrneineri(  de  llriiri  Vlélatteiicrmomaili 
pru  rafTernii,  à  lii  siiHe  d'une  tenlalive  prcHn-iluree  itii  dm  «l'Yofi  ' 
pour  le  renverser  :  le  duc,  netanl  [^an  siirtisimniejit  ^outt^nu^ 
la  lialion,  avait  été  ohlij^ré  de  s'aeeninnioiier  avec  le  roi  et  A?  lut 
jurer  fidélité.  l*a  reioe  Mneguerite  et  son  afddé  Somer#i*l  i---« 
renl  de  se  réhabiliter  aux  jeux  des  Anghiis  par  la  tt*i:t>uvraiï' -  ' 
3a  Guyenne,  et  cliargôrenl  Talhot  de  diriger  ]>A|M*dilinn    b 
i!H>yens  dVtetîon  n'elaient  poinl  en  ra[HHt!l  avec  llrnporlADm 
rcntrepn*5t';  on  ne  put  donner  à  Tallrot  {[w  ipjiilre  nu  non 
cond)atlauliî;  le  vieux  guerrier  »Vini)arïiua  néanmoînâ  «^>y 
fiance?  et  deseendit  dans  le  Meduc,  le  20  nclobre   HW,  Il  n'^ 
trouva  point  de  résistante  :  les  gens  du  roi  nViatenl  f«is 
leurs  gm-deîî;  a  l'arntetî  du  roi,  a  disent  les  dtnfniM|U(**,  «  ♦VU 
retirée,  et  il  n*étoil  demeuré  que  peu  de  gens  es  gamiNinf 
furtereBses. 

«  Li  venue  de  Talbol  étant  sue  par  ceux  de  Bourrleoiii, 
conrrneneérent  à  pailenienler  les  uits  avec  les  antres  de  lu  numt 
de  R*  reiueltre  en  roliéiïisanre  des  Anciens.  IMnstnur9  vcHilokfit  ( 
le*  François  étant  en  garnison  dans  leur  ^ille  s'en  alla^^nt«  I 
eurps  et  hiens  saufs,  mais  d'autres,  pentlant  ce  temps,  allr 
ouvrir  la  parle  aux  Anglois  ;  parqtmi  furent  jiri>  Li  ntedinii^ 
j)artje  des  François ,  enlre  autref*  lyrssire  Olivier  de  floHiii,  i 
tlml  de  (iuycfine,  et  le  î4ous-njaiiv  de  la  ville  l*ii  ix^oli 
(  J.  (lliartier.  —  Berrî.  —  J.  Dut^lereii.) 

Charlef^  VU  éfriit  nlors  danslt*  Forej;,  mennrxint  de  ^e^i 
non  ses  ennerniïi,  niais  son  propre  tili»;  les  relations  du  <h 
nvee  son  père  n'étaient  pas  devenues  nieîlleuft*^  île  loin  i^iÈtAt* 
piTs  :  Daturnartin  et  d*aulres  ronseillers  de  Cliarli^  \  I' 
saiciil  de  souiller  la  di^'orde  et  d'enveniiuer  louk*^  les  ;u..  .^j, 
dauphin,  Louis,  de  son  e6té»  n  agiî<3<nrf  pag  de  maiiléix-  à  di 
les  soupirons  du  roi;  il  a  vint,  iinrnédiatenient  après  lu  recoinian 
de  la  Nononntlie,  Iriclié  de  se  faire  deuiaiider  ,io  nu  \^r  les  il 


EU5i:  RÉVOLTE  DE   LA   GUYENNE.  481 

de  la  province  comme  lieutenant  général  de  Normandie*;  il  tran- 
chait du  souverain  en  Daupliiné,  entretenait  un  état  militiiire  liors 
de  proportion  avec  les  ressources  de  ce  pays,  négociait  avec  les 
princes  d'Italie,  avec  Gènes,  dont  il  eût  obtenu  la  suzeraineté  si 
Charles  VIT  Teût  secondé,  s'alliait  avec  le  duc  de  Savoie  et  fian- 
çait la  fille  de  ce  prince,  Charlotte  de  Savoie,  enfant  de  six  ans. 
C'était  au  moment  de  la  guerre  de  Guyenne  (1450-1151);  Louis 
offrit  à  Charles  VIT  de  conquérir  la  Guyenne  à  ses  frais,  avec  hîs 
200,000  écus  d*or  que  la  princesse  de  Savoie  lui  apportait  en  dot, 
si  le  roi  voulait  lui  donner  le  gouvernement  de  la  Guyenne.  L'oITre 
fut  fort  mal  reçue,  et  le  roi  dépécha  un  héraut  à  Chamhéri  pour 
s'opposer  au  mariage  de  son  lils  :  on  amusa  le  héraut  i)en(lant 
vingt-quatre  heures,  tandis  qu'on  procédait  en  toute  lii\t(»à  la  célé- 
bration du  mariage  (13  mars  1 151;  ;  puis  le  duc  de  Savoie  écrivit  au 
roi  une  lettre  d'excuses,  où  il  prétendait  qu'on  avait  nru  trop  tard 
son  message.  Charles  VU  supprima  la  pension  (|u'il  faisait  à  son  fils, 
lui  retira  diverses  terres  qu'il  lui  avait  données  en  apanage,  et, 
l'année  d'après,  alla  jusqu'à  déclarer  la  guerre  au  duc  de  Savoie. 
Au  mois  d'aoïU  1  'i52,  le  roi  se  mit  en  marche  avec  un  corps  d'ar- 
mée. Le  duc  invoqua  la  médiation  du  cardinal  d'Estouteville,  légat 
du  pape.  Le  roi  hésita  à  réduire  son  fils  h  quitter  le  royaume,  et 
consentit  à  négocier.  La  nouvelle  de  la  descente  des  Anglais  hâta  la 
conclusion  du  traité,  qui  fut  signé  le  27  octohre  à  Feurs.  Yolande 
de  France,  seconde  fille  de  Charles  VII,  épousa  le  prince  de  Pié- 
mont, fils  du  duc  de  Savoie,  pour  sceller  la  réconciliation  du  roi 
et  du  duc;  mais  le  roi  et  le  dauphin  ne  se  virent  pas.  Louis  ayant 
offert  de  nouveau  s(*s  services  contre  les  Anglais  :  «  Nous  avons 
déjà  conquis  la  Normandie  et  la  Guyenne  sans  lui,  »  répondit  le 
roi,  «  et  les  pourrons  encore  conquérir  de  même,  s'il  y  a  lieu.  » 
Les  troupes  qui  avaient  accompagné  le  roi  en  Forez,  aunomhre 
de  six  cents  lances  «  garnies,  »  se  dirigèrent  sur  la  Guyenne. 
Elles  trouvèrent  la  plupart  des  petites  villes  et  forteresses  de  la 
province  déjà  au  pouvoii*  des  Anglais  et  des  harons  relxîlles.  L'ar- 
rivée des  six  compagnies  d'ordonnance  arrêta  les  progrès  de 

1.  Th.  lîasin  ,  Apulniji.i.  I.  i,  c.  1  ;  ap.  ///s^  ilf  Ch'irlcs  Vif;  Vie  ilo  Thomas  Basin , 
par  Quii'herat,  i>.  xxxi-xxxiii.  Thomas  Ba>in  livra  au  roi  les  lettres  que  le  dauphin 
lui  avait  éoritcs  i>yuT  l'inirajTrcr  dans  cctto  intri^fuc. 

VI.  31 


WnnQuVi  :  on  resta  en  alm^rvûtion  trnit  l*lihi*r  et  le  prbitt*iii|«. 
ieî3  AiJ^lais  avnîenl  reçu  mi  renfort  de  qtuiire  nulle  notoloi^ 
tiuits  :  rJiiirlos  VIT,  de  son  cùli\  avait  imhûé  soo  tnamionail; 
ilcïi\  n»rps  trormte  se  formaient,  l*an  cuire  la  Churmle  fl  II 
l>on!i»îJint',  l*imlrn  siir  la  (laroaac,  et  iin  cariis  de  rihierw  5e  réo» 
nmmi  en  Sainton^e  mus  les  ordres  du  roî  en  penwinne.  Ui  rwn- 
impie  s'ouvrît  avec  vigueur  dans  les  pn^uiiers.  jours  de  jimi; 
plusittirs  places,  dont  les  Aojilaîs  s't^taieïil  nmparès  au  oonl  iJc  b 
Dordogne,  furent  reprises  par  capitulation;  Chulais  fat  enW 
d'assaut,  et  i  tous  ceux  de  la  langn*^  de  Ga5*x»gîte  »  îpx*0n  yîwmè 
furent  dccapitéi!^  cotuine  Iraïtres.  D*apres  raTiir  de  Jeitn  Riimin, 
on  rt^solut  rie  souinotlre  toutes  les  villes  et  forteresse»  d4?seiiiin&» 
avant  de  marcher  sur  Bardeaux,  cl,  le  13  juillcl,  le  firiiid^ 
corps  d'armée,  commandé  par  te  comte  de  PentliièiTe,  les  inan^ 
chaux  de  Lotiùac  et  de  Culant ,  rainiral  de  Beuil ,  ltî§  rw*i^  Vm^m, 
mît  le  siège  devant  Castillon  en  Ptrigord,  forte  plicequi  mnh 
luantîait  le  coui*s  de  la  Dordo^nf?.  La  ppfndîimicrie,  forte  de  «îr 
à  di\-liuil  cents  lances,  tant  des  ordonnances  ipie  lîu  liun  féuditr 
se  logea  ^ous  les  mum  de  la  place;  Jean  Bureau  reinmd»  «a 
tUliUerie  dans  un  grand  pare,  entouré  de  fossés  et  de  |ialtf5ad<s; 
un  dilaclienienl  de  fraucs  archers  sVHablit  dmjs  ufw  abhayc  f^ 
éloi;4iiée  de  la  ville* 

Le$  gens  de  CastiUon  cnvoyèreal  deniiuîder  du  sec«>tir»  h  ler- 
deaux.  «  Ceu\  de  Bourdeaux  s*assrinblèrenl  în^  '     ^ 

Talbot,  et  lui  rappelercntcomment  ils  lui  a  voient  .    -^ .    ik% 

à  condition  qu'il  iroit  combattre  le  roi  et  sa  [niië^nce»  st  k  ni» 
entroit  en  leur  pays,  et  diitiU  qu'il  ùtoit  heure  qui!  ïicrotnptt 
sa  promesse  et  alUt  faire  lever  le  si^^xe  de  tastillon.  »  II»  YéA* 
gèrent  à  mander  sm -le-chamj*  les  parniscms  des  aleulnum,  pour 
se  porter  sur  Castillon  avec  un  millier  de  cavaliers  dVUleel<n«ifr 
ou  cinq  mille  combattants  à  pied»  tant  Anglais  que  Gmcotm. 

Le  kmdeinain  (  17  Juillet}, au  point  du  jour,  h^  .\iigbik iMmu* 
chèrent  tout  à  coup  d'un  bois  voisin  de  Tabbaye  oA  t  isiU 
Imit  cents  francs-arclieT-s  de  Berri  et  d'Anjou.  Les  Ti'm 

surpris,  furent  en  partie  massacrés  :  le  reste,  loiil  eu  *^. '  *t 

iragna  U}  jmrc  de  Jean  Bureau,  oiï  !a  gendai'mtTk  se  cou'^*«^* 
i  la  bâte,  après  avoir  mn  pied  à  terre. 


[1458]  BATAILLE   DE  CASTILLON.  *83 

Talbot  s'était  anvtù  dans  rahbayc  évacuée  par  les  ardiers,  afin 
de  se  rafraîchir  et  d'ouïr  la  messe  ;  Tautel  était  préparé,  loi-squ'un 
de  ses  Gascons,  trompé  par  la  poussière  (pic  faisaient  les  chevaux 
renvoyés  par  les  gens  d'armes,  accourut  lui  dire  :  «  Monseigneur, 
les  François  abandonnent  leur  parc  et  s'enfuient  :  il  esl  heure  ou 
jamais  d'accomplir  votre  promesse.  »  Talbot  crut  lro[)  légèrement 
cejatiffleur*;  il  s'écria  que  jamais  il  «  n'ouïroit  messe,  »  ou  que, 
ce  jour-là,  il  «  auroil  rué  jus  la  conqiagnic  des  Franc^ois^.  »  Il  alla 
droit  à  l'ennemi,  à  grandes  «  fanfares  »  et  «  cris.  »  Arrivé  devant 
leimrc,  11  vit  les  Français  immobiles  derrière  leurs  retranche- 
ments hérissés  de  canons.  Un  vieux  chevalier  anglais  conseilla 
la  retraite;  Talbot,  dit-on,  lui  donna  de  son  épéc  à  travers  le 
visage.  Il  conjmanda  à  tous  les  siens  de  mettre  jïied  à  terre,  et 
resta  seul  sur  une  petite  haquenéc,  «  pour  ce  qu'il  étoit  vieil 
honune  et  usé.  » 

Sous  a  la  plus  terrible  tempête  de  couleuvrines  et  ribaudcquins' 
qui  jamais  eût  été  ouïe,  »  les  Anglais  avancèrent  «  de  grand  cou- 
rage j>  et  plantèrent  la  bannière  de  Talbot  jusque  sur  les  palis- 
sades du  camp.  Une  heure  entière,  ils  s'opinidtrèrent  à  l'assaut; 
la  bannière  de  Talbot  avait  été  renversée;  les  cadavres  des  assail- 
lants jonchaient  le  fossé;  les  Anglais  commencèrent  à  faibhr.  Un 
corps  d'auxihaires  bretons,  qui  n'avait  point  encore  pris  part  à 
l'action,  fondit  sur  l'ennemi  ébranlé;  toute  la  gendarmerie  et  les 
archers  sortirent  du  parc  i)Our  appuyer  ce  mouvement,  et  la  dé- 
route des  Anglais  commença.  Un  boulet  venait  de  tuer  la  haquenéc 
de  lord  Talbot,  et  de  le  jeter  à  terre  avec  la  cuisse  fracassée;  lord 
Lisle  et  le  bAtard  de  Talbot,  ses  deux  fils,  trente  autres  barons 
et  chevaliers  anglais  résolurent  de  sauver  le  vieux  chef  ou  de 
mourir  avec  lui  :  ils  périrent  tous.  Talbot  fut  achevé  par  les 
francs  archers,  qui  vengèrent  sur  lui  le  massacre  de  leurs  cama- 
rades. Ainsi  finit  à  quatre-vingts  ans,  «  ce  renommé  chef  anglois, 
qui,  depuis  quarante  ans,  passoit  pour  un  des  fléaux  les  plus 
refoi-midaliles  de  la  France  *,  » 

1.  Fanfaron,  bavard. 

2.  Matthieu  de  Coussi ,  p.  615. 

3.  Brouettes  sur  lesquelles  étiiient  ajustés  de  petits  canons  ou  plutôt  des  ospècei 
d'arqiicbiue». 

4.  J.  Charticr,  p.  203.  — MaUi.  de  Coussi,  p.  641.  —Th.  Basiu,  1. 1, 1.  v,  c.  6-7, 


48i  GUERRES  DES  ANGLAIS.  Jiy 

Quelques  eeutaiues  irAnglais  et  de  Gascons  se  réfugièrent  flan> 
Castillon;  d'autres  s'enfuirent  du  cùtc  de  Saint-Émilion,  pour- 
suivis la  lance  dans  les  reins  par  les  vainqueurs;  beaucoup  se 
notèrent  en  voulant  traverser  la  Dordoj;nc  à  la  nage.  Castillon 
se  rendit  le  lendemain;  la  garnison,  de  quinze  cents  «  bons  coiii- 
battanls,  »  resta  prisonnière.  Les  seigncui^s  de  l'Estrade,  deCan- 
dale,  (le  Rosan,  de  Langladc,  se  remirent  en  la  merci  du  mi. 
Sainl-Éniilion  et  Libournc,  qui  n'avaient  reçu  les  Anglais  qu'à 
regret,  se  bâtèrent  d'imiter  Castillon. 

Le  roi,  le  jour  même  de  la  bataille,  était  parti  d'Angoulèrae 
avec  le  cori)s  de  réserve;  il  rejoignit  l'armée  victorieuse  à 
Libonrne,  où  il  reçut  la  capitulation  de  Fronsac;  le  pays  d'Entrc- 
beux-Mers  se  soumit  presciuc  sans  résistance.  Pendant  ce  temps, 
le  troisième*  corps  d'armée,  composé  des  gens  du  Midi  et  fort  d'un 
millier  de  lances,  avait  nettoyé  le  Bazadois,  et  entamé  le  Bordelais 
méridional  et  I(î  Médoc.  Le  comte  de  Clermont,  lieutenant  général 
du  roi  en  Guyemie,  Albret,  Saintrailles ,  conduisaient  les  oirâ- 
lions  de  ce  côté  :  le  roi  les  retrouva  devant  Cadillac,  sur  la 
Garonne;  la  ville  de  Cadillac  fut  emportée  d'assaut;  la  garnison 
continiKi  de  se  défendre  dans  le  château.  On  laissa  les  troupes  du 
comte  de  Clermont  autour  de  cette  forteresse,  qui  ne  se  rendit 
cpi'au  mois  d'octobi'e*,  et  le  reste  de  l'armée  commença  de  nv 
serrer  Bordeaux  :  une  grande  bastille  en  bois  fut  constniite  à 
Lormont,  sur  la  rive  droite  de  la  Garonne,  en  face  de  la  cite 
reJHîlle;  on  y  élablit  plusieurs  milliei'S  de  gens  d'annes  et  d'ar- 
cliers,  tandis  cpie  la  Hotte  royale,  composée  de  navires,  partit' 
envovés  par  «  la  rivale*  de  Bordeaux,  La  Rocbellc',  »  et  [var  le 
duc  de  Brelaiine,  partie  loués  en  Hollfinde  et  en  Castille,  entrait 
dans  la  Gironde,  fermait  le  port  de  Bordeaux,  et  bloquait,  aun 
la  ville,  la  (lotie  anglaise  et  bordelaise  à  l'ancre  dans  la  rixiêiw 
Les  fiancs-arcliers  complétèrent  le  blocus  du  côté  des  Landes. 

Les  déienscHMS  de  Br>rdeaux  étaient  nombreux  :  il  y  avait  bien, 
outre  les  bourgeois,  trois  ou  quatre  mille  soldats  anglais,  et  au 
moins  autant  de  vassiiux  d(»s  barons  du  pays;  les  seigneurs  pas- 

1.  Les  Anglais  obtinrent  une  ciipitnl.'Uiun  en  ubanUonnant  les  Gascon:»,  l^ur? 
camarade.-. .  ipii  n'eurent  point  de  quartier  :  le  Cûuimandaut  de  la  place  fut  décapite- 

2.  Mididet,  t.  V,  p.  2«». 


ÎK53I  REDDITION    DE   BORDEAUX.  485 

cons  s'étaient  presque  tous  enfermés  dans  la  ville;  eependant, 
après  six  ou  sept  semaines,  lorsque  les  vivres  devinrent  rares, 
lorsque  tout  esi)oir  de  secours  se  fut  évanoui,  les  Bordelais  son- 
gèrent à  capituler  :  une  députalion  alla  «  requérir  merci  »  au  roi, 
Charles  VII  refusa  de  recevoir  les  rebelles,  sinon  à  a  son  plaisir 
et  volonté,  pour  de  leurs  corps  prendre  punition  selon  leur  of- 
fense. »  Jean  Bureau,  qui  avait  choisi  la  place  de  ses  batteries, 
répondait  au  roi  de  «  lui  rendre  la  ville  toute  détruite  et  exilée 
(perdue ,  ruinée)  en  peu  d'heures,  si  ceux  de  dedans  ne  vouloient 
se  soumettre.  »  Charles  VII,  pourtant,  u'qw  vint  pas  à  cette  extré- 
mité :  il  avait  au  moins  les  avanta^^es  négatifs  de  son  vice,  la  «  mé- 
connoissance  »  et  ne  j^ardait  guère  plus  de  mémoire  des  olTenses 
que  des  bienfaits.  11  aima  mieux  recouvrer  Bordeaux  en  bon  état 
que  de  le  brûler  par  vengeance  ;  les  maladies,  d'ailleurs,  tourmen- 
taient son  armée;  il  était  temps  de  terminer  la  campagne.  Le  roi 
consentit  enlln  à  pardonner  aux  Bordelais  et  à  leur  laisser  la  vie 
et  les  biens,  mais  à  des  conditions  assez  rigoureuses  :  il  fallut  que 
la  ville  renonçât  à  ses  privilèges  et  franchises,  et  s'obligeât  à  payer 
une  amende  de  100,000  écus  d'or.  Les  s(»igneurs  de  L'Esi)arre,  de 
Duras,  dcRosan,  de  L'Estrade  et  seize  autres,  tant  nobles  que 
bourgeois,  furent  exceptés  de  l'amnistie,  et  bannis  à  perpétuité 
des  pays  de  Guyenne  et  «  Bourdelois*.  »  Quant  aux  Anglais,  ils 
obtinrent  de  repasser  librement  en  Angleterre.  La  flotte  fut  rennsc 
au  roi  (9  octobre  1453).  La  soumission  ultérieure  de  Bordeaux 
fut  assurée  par  la  construction  de  deux  châteaux  forts,  les  châ- 
teaux Trompette  et  du  Hâ,  l'un  au  nord,  l'autre  au  midi.  Jean 
Bureau  en  joignit  le  commandement  à  son  office  de  maire  per- 
pétuel. 

Quelques  concessions  coïncidèrent  avec  ces  mesures  répres- 
sives. La  leçon  donnée  au  roi  et  à  son  conseil  par  l'insurrection 
de  la  GuyiMinc  n'avait  i)as  été  tout  à  fait  perdue.  L'amende  de 
100,000  écus  fut  réduite  à  30,000,  et  le  roi  ne  tarda  pas  à  rendre 
à  Bordeaux  ses  droits  de  comnume,  en  gardant  seulement  le  choix 
du  maire  et  de  quelques-uns  des  jurats.  Bordeaux  n'obtint  pas 
de  Charles  VII  le  parlement  qui  lui  avait  été  promis  avant  sa  rébel- 

1.  T^  sire  de  L'Esparre,  convaincu  de  nouvelles  intrigues,  fut  repris  et  décapité 
ranuce  âui\  ante  à  Poitiers. 


.£86  r.U KPiUES  DES  ANGLAIS.  liîr 

lion  ;  mais  lo  roi  accorda  qu'un  prcsident  et  quatre  conseiller?  au 
parlcMïioiil  (Ir  Paris  viendraient  annuellcmenl  juger  les  appels  à 
Roi'dcaux.  Los  aides  ou  droits  sur  les  ventes,  si  odieux  aux  poiai- 
lations  \itic(»les,  furent  remplacés  en  Guyenne  par  un  droit  «!♦' 
?5  sous  tournois  sur  chaque  tonneau  de  vin  exporté,  et  par  un 
droit  de  13  (l(Mii(»rs  pour  livre  sur  les  autres  marchandises  Im- 
portées et  exi)ortées;  rinipôl  sur  les  vins  fut  réuni  au  domaine, 
c'esl-îi-dire  rendu  pcM'pétuel*. 

Vn  cri  de  douleui*  et  de  rage  éclata  outre-mer,  quand  on  siilb 
défaite  et  la  mort  du  vieux  héros  qui  emportait  avec  lui  les  der- 
niers restes  de  la  gloire  anglaise.  Avoir  perdu,  par  delà  les  con- 
quêtes de  Henri  V,  par  delà  les  conquêtes  des  grands  Édouanis, 
riiéritage.  inéuic  des  lîls  d'Éléonore,  cette  Guyenne  aux  vin> 
génériMix,  qui  dédommageait  TAnglcterrc  de  rinclémence  de  s<^n 
ciel!  n'avoir  plus,  au  levant  de  la  Manche,  que  Calais  et  les  ile? 
normandes!  «  Le  cou])  fut  si  douloureusement  iTSsenti  par  TAn- 
glelerre,  qu'on  put  croire  qu'elle  en  oublierait  ses  discordes.... 
]jO  ])arlement  vota  des  subsides,  non  pour  trois  ans,  comme  c'était 
l'usage,  mais  pour  la  vie  du  roi.  Il  vota  une  armée  presque  aussi 
forte  ([ue  celle  d'Azincourt,  vingt  mille  archers...  On  n'en  le^"a 
pas  un  ^.  »  Il  était  trop  tard  !  Les  plus  exaspérés  refusaient  Je 
s'enrôler  pour  aller  mourir  en  France.  Ils  aimèrent  mieux  sen- 
tr'égorger  dans  leur  île.  Le  sentiment  de  son  impuissance  poussa 
l'Angli^tei'i'e  à  la  fureur,  au  vertige.  L'efTroyable  Guerre  des  Ikni 
lioses  fit  explosion.  L'Angleterre  eut  à  son  tour  ses  Armagma 
et  ses  Bounjui(jno7iSy  pire  encore,  s'il  est  possible,  et,  pour  long- 
temps, elle  fut  annulée  en  Europe  et  jetée  hors  des  affaires  du 
continent. 

A  partir  de  ce  moment,  malgré  quelques  incidents  militaires 

L  Ord'inn.^  XIV,  270  et  suivantes.  —  J.  Chartier.  —  J.  Dudercq.  —  Benî.  — 
Matthieu  dt»  (.'oussi.  —  Ku  1157,  un  assez  vit*  mécontentement  se  manifesta  en  Xor- 
niundio,  ù  cause  des  infractions  réitérdos  de  la  fameuse  ••  Charte  aux  Normands:  - 
les  pAat-s  do  Xurmandie,  ({ui  continuaient  de  s'assembler  périodiquement  depaiâ  l<i 
reeouvrance  d(>  leur  pays,  se  rendirent  l'or^ranc  des  iilaintcii  de  la  province  :  le  rv. 
renontj'a .  pour  h»i  et  ses  suecosfurs,  à  rien  exij^er  des  Normands  en  sus  de  la  lail'v. 
pas  mrni(*  la  convocation  de  l'arricre-ban ,  sans  l'aveu  des  Trois  Ktats.  U  6i  *euV- 
ment  quelques  réserves  sur  les  juridictions  spéciales.  Ori/wnn.,  XIV,  p.  152  et  sui- 
vante-. 

2.  Micholct,  t.  V.  p.  3«)l. 


[1453]  FIN    DES  GUERRES  ANGLAISES.  4»7 

sans  conséquence  *  et  quoiqu'il  n'y  ail  point  de  paix  de  longtemps 
encore,  on  peut  dire  que  la  grande  GueiTe  des  Anglais  est  ter- 
minée. Avec  la  guerre  ne  s'éteint  jias  ranlipalhie  des  deux  peuples, 
séparés  non  plus  seulement  par  un  bras  de  mer,  mais  par  un 
fleuve  de  sang  sur  lequel  planent  tant  d'ombres  vengeresses, 
celte  ombre  auguste,  surtout,  qui,  du  bûcher  de  Rouen,  semble 
appelei-  sur  l'Angleterre  toutes  les  foudres  du  ciel  !  Les  Gallo- 
Romains  de  France  et  les  Gallo-Teutons  de  l'ile  de  Bretagne  nour- 
riront nmtuellement,  durant  des  siècles,  la  pire  des  haines,  la 
haine  des  frères  ennemis,  acharnée  surtout  chez  l'insulaire  con- 
quérant et  chassé  de  sa  conquête.  Il  faudra,  pour  les  rapprocher 
dans  un  avenir  lointain  et  pour  leur  rappeler,  sous  des  opposi- 
tions si  vivement  tranchées,  d'essentielles  atllnités  primordiali^s, 
la  connnunauté  des  plus  grands  intérêts  et  des  plus  grands 
périls. 

La  Guerre  des  Anglais  a  eu  pour  conséquence  immédiate  de 
révéler  la  France  à  elle-même  connue  corps  politique.  En  luttant 
contre  l'envahisseur,  la  France  du  xv«  siècle  a  vu  le  génie  même 
de  la  France  lui  apparaître  personnifié  dans  une  vision  subhme; 
comme  le  i)rophète  devîint  l'ange  du  Seigneui',  elle  est  restée 
éblouie,  et  n'a  com])ris  qu'à  demi;  pourtant,  le  bras  d'en  haul, 
en  la  louchant,  lui  a  comnmniqué  des  puissances  inconnues. 
Avant  la  Guerre  des  Anglais,  la  nationaUté  n'éUiit  qu'un  sentiment 
profond  déjà,  mais  ilotlant  et  vague;  après  la  guerre,  elle  est  une 
force  constituée,  ayant  d'elle-même  une  notion  sinon  complète, 
au  moins  très-vigoureuse  et  très-déterminée,  et  l'on  peut  afllrmer 
qu'il  n'a  pas  encore  existé  dans  le  monde  un  groupe  d'hommes 
aussi  considérable,  occupant  un  territoire  aussi  étendu,  que  l'on 
ait  pu  considérer  comme  étant,  au  même  degré,  une  véritable 
nation. 

Deux  événements  de  premier  ordre  marquent  l'année  1  \y3  :  la 
cliute  délinitive  de  la  domination  anglaise  sur  le  continent,  et  la 
chute  de  l'empire  d'Orient.  Le  bruit  des  é\énements  de  Guyenne 
fut  étouffé  par  le  retentissement  de  la  grande  et  fatale  nouvelle 

1.  Ed  1457,  une  escadre  française,  commandée  par  le  sire  de  Brézé,  grand  séné- 
chal de  Normandie,  fit  une  descente  à  Sandwich  et  prit  cette  ville  d'assaut,  avec  les 
navires  qui  étaient  daus  son  havre.  Voyez  le  continuateur  de  Bcrri. 


ilt  GUEntlES  DES  A3ii;LAr&  ^1ISM( 

qui  rîiranîn  stir  çps  pntivOiitf^s  l'Eijro(ie  cnlit'n^  La  dir  lîr  r-<i(ï-l 
stanlin,  la  inctropolc  de  IV^jîliB^:  trorient,  était  mi  pomnir  û^i 
iiilitlefes!  L*étendanl  ée.  Maliomct  flottait  mr  1rs  palaïf  cU^s  f*ji}|#p>] 
nnirs  grcc^,  e*  le  glaive  des  Tiirks  atluîmans  a^nil  citlln  cofMpof 
à  riëkiiii^jiir  ltIIc  riche  iiroie,  autrefois  Miap[>ée  au\  Ambrsitj 
aux  TiirJvH  R^iljoiikides  J 29  mai  1 Î53), 

I^  diule  de  tîonstanlinoplc  clail  dcpwSs  IoiigtejU|i6  facile'  ù  | 
voir  :  It^s  richesses dk  vie^  ijue  reBt>u\e!?Nl  iiii-i^s^auiruenl  au  i 
de  celle  nia|xniiH[ueeite  sa  |jogitioii  utiitjue  Ahu^  le  itioiide.av 
permis  à  Tempire  grec  de  subskter  de  longues  années,  nMn 
ou  peu  s'en  faut ,  à  mn  immense  capltaîe ,  pan*il  h  une  tWe  < 
vivrait  s^^parée  de  son  corps.  (lOTislantinople  eût  êlè  nèiamu 
engloutie  dès  le  qualorzième  nMe  par  les  Ilots  de  Tin  vallon  «Hb 
inaue,  si  le  (lêhordeiiieiil  passager  des  Tafijres  de  TiiinHir-i 
(Tainerlan)  n'eût  un  nionieiit  arrf^lé  les  prugi'ès  de  la  puiâStniXi'' 
ïurke.  Il  (Ullut  du  temps  aux  tHhomans  paur  se  rvmeUrp  de  rd 
épouvantttlde  cIjoc;  puis  Ica  diversions  des  ïlonj^rois,  des  Pokv 
nais,  des  Roumains,  et  les  seeours  dos  Génois,  des  Wallie 
chevaliers  de  Rhodes,  des  sujets  du  due  de  lk)urgouu4\  |irol 
rent  quelques  jours  encore  l'a^ronie  de  FEiui^lrc;  ui£ik  ]i*5  ili 
contes  intestines  de  riîfîlisc  et  des  peuples  elirètiens,  surtout 
luHe  acharnée  de  la  France  et  de  rAnj^'lcUTre,  enijMtTWnefit 
chrélieïiîé  de  tenter  un  elTort  capable  de  sauver  la  Home  d'Orr 

Trois  siècles  plus  tôt.  cette  catastiophc  eût  scitiblé  la  (leri*' 
la  république  dirélienue;  mais  les  tortes  et  indepenilanles  u^lid 
nalîlés,  qui  avaient  remplace,  de  fait,  en  Ocddent,  cette  xiisXa 
va^ue  fédération  de  Tère  des  rroistides,  sentirent  (prêtiez  ne  |iêf 
raient  point  par  rétablissement  du  Turk  sur  le  Bospburr^  lûU 
menaçarit  qu*jl  fût;  néanmoins  les  sjnistiMîs  rcdti  du  Iriumidl 
des  intldèles,  la  mort  du  dernier  des  empereurs  gn*cs  sur 
murs  renversés  de  sa  capitale,  le  massaeiv  ou  In  captivité  tS 
tout  un  peujïle  ebr^!tien,  Haiute-Sophie  et  tant  d'autivi^  lenipta 
dit  ('.hrist  changés  en  mosquées,  rttuiuérent  tout  rOcrJdcJîl  A*tm 
commotion  terrible:  mille  cris  de  guerre  sainte  s eliuicéa^nt  < 
toutes  iKirts;  on  prétendait  léparer  ce  qu'on  u'avdl  pas  su  i!juf»( 
cher.  Le  pape  leva  aux  dépens  du  clergé  cette  c«c^re  qiir*  am 
manda  im  moment  Jacques  Cœur,  et  qui  çuemiya  jilusiru 


U5C]  CHUTE   DE  CONSTANTINOPLE.  489 

es  dans  les  mers  du  Levant.  La  cour  de  Bourjrop:ne,  (iid 
maintes  fois  adjuré  les  autres  princes  de  s*unir  à  elle  contre 
lèle,  montra  les  dispositions  les  plus  helliqueuses;  dans  un 
idide  festin  à  Lille,  après  de  pompeux  a  intermèdes  et  allé- 
!S,  »  une  damoiselle,  vêtue  de  deuil  et  représentant  a  Sainte- 
e ,  »  implora  Tassistancc  du  duc  et  de  ses  chevaliers,  et  le 
■^hilippe,  «  suivant  la  coutume  anciennement  instituée,  par 
îUc  on  prùtoit  vœu  et  serment  sur  quelque  noble  oiseau,  » 
sur  un  faisan  apporté  par  Toison-d'Or,  son  roi  d'armes,  (pi'il 
en  Orient  combattre  le  Grand-Turc,  corps  à  corps,  si  le  roi 
rance  y  voulait  aller  aussi  ou  commettre  quelqu'un  de  son 
à  sa  place,  ou  même,  à  défaut  du  roi  et  des  siens,  si  d'autres 
îcs  chrétiens  entreprenaient  ce  saint  voyage.  Tous  les  sei- 
rs,  chevaliers  et  écuyers  de  la  cour  de  Bourgogne  firent  des 
:  analogues,  avec  ces  formules  et  ces  conditions  bizarres  dont 
3uvaient  les  modèles  dans  les  romans  de  chevalerie.  Une  vive 
idescence  des  coutumes  chevaleresques  avait  eu  lieu  depuis 
icment  du  duc  Philippe  et  par  son  influence;  ce  n'étaient 
i  emprises,  »  pas  d'armes,  tournois  et  «  behourdis.  »  Les 
ms  de  chevalerie  étiiient  plus  en  vogue  que  jamais  dans  la 
îsse,  mais  sous  la  forme  des  nouvelles  versions  en  prose  qui 
nt  fait  disi)arîiître  de  la  circulation  les  poCmes  originaux  du 
me  au  treizième  siècle.  Ce  n'était  là  qu'une  apparence,  une 
î  superficielle  :  le  quinzième  siècle  était  bien  éloigïié  des  sen- 
its  chevaleresques*;  mais  cette  apparence,  en  remuant  les 

/expression  de  cette  époque  dure,  dissolue  et  liypocrite,  c'est  le  roman  du 
than  de  Saintré  ;  cotte  p.irodie  ou  cette  corruption  d'une  des  plus  nobles  cou- 
de la  société  chevaleresque ,  celle  qui  donnait  les  dames  de  *«  los  et  renom  » 
klucatrices  aux  trùs-jeunea  gens,  aux  pages,  aux  aspirants  à  la  cheval»*ric, 
s  instruisaient  en  ••  courtoisie  »  et  <«  parag^  ».  I^  dame  dos  Bollos-Cousiue.s 
éducation  de  Jehan  de  Saintré,  en  se  jouant  de  Tamour  qu'elle  lui  inspire  et 
trahissant  cyniquement  pour  un  robuste  abbé.  Le  j^upplanté,  le  préféré  et  la 
Snissent  par  s'entreprendre  tous  trois  dans  une  lutte  brutale  et  triviale.  Voilà 
itan  et  l'Iseult  du  xv^  siècle  !  L'auteur,  le  Buun^ignon  Antoine  de  la  Sale, 
e  à  ces  belles  choses  une  verve  originale  et  un  talent  supérieur,  et ,  quant  au 
il  aurait  pout-étro  lui-mômc  plus  envie  de  pleurer  que  de  rire  de  ce  qu'il 
e.  Il  ne  raconte  que  ce  qu'il  voit.  C'est  pout-ôtre  le  meilleur  prosateur  frau- 
1  XV*  siècle.  Sa  langue,  si  pleine  de  relief^  si  franche  de  couleur,  si  riche  en 
►ns  proverbiales  et  populaires,  est  bien  plus  française  que  celle  de  Georifes 
)llain.  Des  inductions  ingénieuses  lui  ont  fait  attribuer  par  M.  Génin  la  célèbre 
iê  Patelin,  ce  prototype  de  la  Comédie-Française,  où  brille  déjà  la  verve,  mais 


490  GUERKES  DES  A^^,LAIS.  [USS-HS^ 

imaginations,  devait  Unir  par  toudicr  les  cœurs,  et,  aux  laiix 
clicvaliers  (le  UôO,  devait  succéder  la  \ raie  chevalerie  de  i.ji>i. 
la  noble  génération  de  Bavard,  les  derniei'S  des  preux. 

Le  duc  Philippe  avait  pourtant  intention  de  tenir  iwrole;  il 
passa  on  Alloniagne  pour  conférer  sur  la  croisade  avec  leniiKnour 
Frédéric  d'Autriche  et  les  princes  de  TEmpire;  mais  Frédéric, 
«  endormi,  craintif,  avaricieux,  »  n'était  pas  homme  à  secondtT 
de  pareils  projets,  et  Philii>{)c  revint  dans  ses  états  sans  avoir  pu 
rien  conclure ,  hien  que  tous  les  princes  d'Allemagne  1  eussent 
accueilli  comme  s'il  eiM  été  Fempereur  même.  Quant  à  Charles  Vil, 
il  loua  fort  le  zèle  de  «  monsieur  de  Bourgogne;  »  mais  il  ne  se 
montra  point  dis[H)sé  fi  Fimiter  :  il  fit  même  des  représentations 
au  duc  sur  les  inconvénients  qu'aurait  son  départ  et  pour  la  Bour- 
gogne et  pour  la  France  :  il  consentit  toutefois  à  la  levée  d'uiu' 
aide  et  d'un  décime  sur  le  clergé,  dans  les  provinces  boup^ui- 
gnonnes  (|ui  rclevjiient  dt^  la  couronne*;  mais  les  préparatifs di' 
Philippe  n'eurent  point  de  résultats  :  tout  ce  grand  bruit  se  lui 
])eu  à  [leu,  cl  les  Turks  restèrent  en  possession  incontestîv  de 
Sfawboui  lia  ville,  la  cité  par  excellence),  comme  ils  appelleiil 
Constant  inople. 

Les  hisloi'iens  terminent  à  la  chute  de  Constantinople  une  des 
grandes  ères  de  Fhisloire.  C'est  là  qu'ils  ferment  le  Moyen  Age  el 
qu'ils  ou  vient  la  Renaissance.  En  elTet,  une  série  d'éclalimls  plii- 
nomènes  annonce  (juc  le  monde  va  changer  de  voies.  La  \ieille 

non  la  pliilosophîc  Jo  Ral.olais  cl  de  Molière.  La  comédie  a  déjà  là  presque  tom<*«  *e* 
qualités  littéraire-^,  moins  ce  qui  légitime  le  genre  comique,  c'estrà-dire  moinf  11 
luoniliié.  Piiiliii  m*  iliit  pa»  étrt*  «l'un  nuMllcnr  exemple  pour  le  |>cuplc  des  ville» que 
Jr'/i./ii  de  Sninfrr  pnur  la  iiolilossc.  Le  vice  est  là  trop  amu:»aut  et  trop  |^i  !  La  facilité 
avec  laquelle  rameur  jiaraît  en  premlrc  son  parti  peut  être  une  raison  de  douter  que 
cet  auteur  soit  Antoine  de  la  "^ale.  Une  autre  observation  à  faire  sur  le  Patelin,  cVrst 
la  pnxlijralité  «le  -•  vilains  sennents  ••  qui  remplit  cette  pièce.  Jamais  le  nom  de  Pieu 
n'a  été  »  pris  en  vain  >•  si  continuellement ,  et  il  est  inconcevable  que  cela  ait  été 
^upporté  à  la  scène.  Mais  rien  ne  doit  étonner  quand  il  s'agit  du  xv»  siècle. 

Jtlitm  (/•■  Su/if;v  e>t  daté  de  1  lôî»  :  Patelin  parait  être  à  peu  prés  de  la  même  épo>|ue. 
Il  ib'vait  s'éi'ouliT  prés  de  deux  siéeles  avant  que  notre  théAtre  dépassât  /*«»/"'.•••'. 
llien  ne  Téj^ila  dans  l'intervalle.  Toutefois,  les  i'nrcex  de  la  fin  du  xv«  siècle  et  du 
cuuimeni'ement  du  wi^  ne  sont  point  à  niéprir>cr.  Il  y  a  là  bien  des  inteutzo!'.» 
comi(pies  et  de«i  traits  heureux  et  bardis.  1'.  les  citation»  de  M.  Gèuiu  dans  17M.'r.- 
(iurtion  «le  sa  bi-lle  édition  di-  P.it^tin  ;  Tari-i,  (.'hamerot .  18") l. 

1.  Le  mi  cim-îentit  an^si  ipie  le  pape  le^àt  un  décime  des  revenus  du  clcrg"*  de 
France  pour  le  niémc  objet. 


[1453-1450]  VIS   DU   MOYEN   AGE.  491 

rivalité  dos  éfi:Iiscs  romaine  et  gi*ccque  toniiiiioe,  pour  un  temps, 
par  la  ruine  de  la  chrétienté  orientale;  Té^lisc  grecque  esclave  ou 
reléguée  dans  les  solitudes  du  Nord,  chez  un  grand  peuple  har- 
bare*  cpii  restera  encore,  durant  hicndes  générations,  sans  com- 
munications avec  rOccident  ;  la  réhellion  des  hussiles  mal  étouffée 
et  jetant  çà  xît  là,  dans  les  régions  teutoniques,  des  étincelles  qui 
menacent  Rome  de  voir  un  joir  éclater  un  nouvel  embrasement  et 
se  lever  un  nouvel  ennemi,  plus  voisin  que  Téglise  grecque  et  plus 
puissant  que  le  hussitisme  ;  la  France  délivrée  de  l'invasion ,  pas- 
sant de  l'anarchie  féodale  et  princiére  i\  une  monarchie  fortement 
armée  pour  le  pouvoir  absohi  au  dedans  comme  pour  la  guerre 
au  dehors,  et  menaçant  déjà  la  Bourgogne,  sa  fille  insoumise  et 
enrichie  de  ses  dépouilles;  1rs  Espagjies  énergiquement  trempées 
dans  cette  interminable  guerre  de  race  et  de  religion  contre  les 
Maures,  qui  va  s'achever  ])ar  la  chute  de  Grenade,  compensa- 
tion de  la  chute  de  Constantinoide,  et  se  concentrant  pour  devenir 
VEspagne;  la  Gaule  teutonique,  la  Gaule  du  Rhin,  enfantant 
riMPRiMERiE  et  préi)arant  à  des  pensers  nouveaux  un  instrument 
d'une  puissance  inctdculable ,  et  dont  aucune  révolution  ne  sau- 
rait jamais  dépouiller  le  geiu'e  humain  ;  enfin ,  Tllalie  couvant 
la  pensée  que  cet  instrument  ne  tardera  pas  à  multiplier  sans 
limite,  étalant  le  plus  magnifique  développement  d'art  plastique 
qui  ait  paru  sur  la  terre  depuis  les  Grecs,  et  se  replongeant  avec 
passion  dans  ces  sources  de  l'antiquité  classique,  où  doit  se 
retremper  encore  une  fois  TOccident,  alors  que  tarit  la  sève  du 
Moyen  Age;  tel  est  le  grand  spectacle  que  présente  l'Europe  au 
milieu  du  quinzième  siècle.  La  Providence  se  sert  de  la  mine 
d'une  civilisation  pour  en  féconder  une  autre.  Les  débris  de  Cons- 
lantinople,  dispersés  parmi  l'Europe,  y  réveillent  la  tradition  de 
la  Grèce.  Le  génie  littéraire,  aussi  bien  que  religieux,  avait  dis- 
jMiru  depuis  des  siècles  chez  les  chrétiens  d'Orient  :  l'érudition 
était  restée;  les  savants  byzantins  apportent  en  Italie  les  monu- 
ments originaux  des  lettres  gi'ccques,  avec  le  goût  et  rinteri)réla- 
tion  de  ces  monuments.  Les  artistes  italiens  avaient dc'ijà antéiieu- 
rcment  retrouvé  et  compris  les  monuments  des  arts  grecs.  La 

1.  La  Uuàsic. 


192  GLEIIUES   DKS  ANGLAIS. 

science  morte  des  Byzantins  redevient  la  vie  en  touchant  les  peu- 
ples rajeunis  de  TOccident.  L'Italie  du  Moyen  Age,  instniili*  par 
rH(*llcnie  antique,  fait  remonter  la  science  occidentale,  du  laliii, 
la  langue  des  affaires  ',  au  grec,  la  langue  de  la  poésie,  et  iluniie 
à  TEurope  la  Renaissance.  La  France  reçoit  du  dehors  une  i*re 
nouvelle,  et  ])erd,  pour  un  temps,  Tinitiative  dans  le  niontle. 

1.  Et  bien  inférieure,  pour  les  affaires,  au  français  modenie. 


QUATRIEME  PARTIE 

FRANCE    DE    LA    RENAISSANCE 


LIVRE  XXXIX 

LUTTE  DES  MAISONS  DE  FRANCE  ET  DE  BOURGOGNE 


Charles  VII  et  Philippe  le  Bon. —  Guerre  deGand.  —  Le  dauphin  se  réfugie 
chez  Pliilippe.  —  Procès  d'Alcnçon,  d'Arnmgnac,  de  Gilles  de  Bretagne.  —  Procès 
des  Vaudois.  Fin  de  l'inquisition  en  France.  —  Affaires  de  Gènes.  — Vains  efforts 
de  Charles  VII  pour  ramener  son  fils.  Fin  trairique  de  Charles  VII.  —  Louis  XI. 
Kêaction  contre  le  ;^ouvememont  de  Charles  VII.  Abolition  de  la  Pragmatique. 
Création  du  parlement  de  Bordeaux.  —  Accpiisition  du  Roussillon.  Rachat  de  la 
Picardie.  —  Querelles  avec  la  cour  de  Home  et  la  Bretagne.  —  Alliances  de 
Louis  XI  an  dehors.  —  Ordonnances  &ur  les  biens  d'église,  les  biens  nobles  et 
la  chasse.  —  Ligne  du  liien  public.  UévoUe  du  frère  du  roi.  Révolte  générale  des 
grands.  Succès  du  roi  en  Bourbonnais.  Invasion  bourguignonne  et  bretonne. 
Louis  XI  et  Chaules  le  Téméraire.  Bataille  de  Mimtlhéri.  Fluctuations  de  Taris. 
Rouen  livré  aux  rebelles.  Le  roi  capitule.  Traité  de  Saint-Maur.  Spoliation  et 
abaissement  de  la  rovauté.  Incapacité  des  grands  à  organiser  leur  victoire. 


1450  —  l/i65. 

Les  grandes  divisions  de  riiisloirc  ont  toujours,  connue  la  plu- 
part des  classifications,  quelque  chose  d'arbitraire  à  la  limite.  Une 
ère  nouvelle  ne  commence  pas  à  jour  et  heure  lixes.  La  Renais- 
sance, l'époque  où  la  France,  après  Tltalie  et  avec  le  reste  de 
l'Occident,  voit  ses  arts,  ses  idées,  ses  habitudes  d'esprit,  tout 
rensemble  de  sa  civilisation  .submergé,  fécondé,  transformé  ]ïar 
un  débordement  de  tradition  anticpie  bien  plus  vaste  et  plus 
radicalement  conquérant  que  le  flot  classique  de  Charlemagne  ou 
celui  du  siècle  d'Abaihuxl,  cette  époque  ne  fait  que  poindre  à  peine 
dans  les  années  (pii  suivent  l'expulsion  des  Anglais.  Si  Ton  vou- 


IftI  FRANCK  ET  BorncoowE 

h\i  mhi\l\h('T  crtto  jncimle  [lùriodo  i»oar  Va  dMïuir  |iliis  rt^div 
iiif  ji( ,  t.m  sigoaleraît  \h  un  laps  de  tretjlt!  à  quaiiiiili^  ans  cnnnw 
la  LraDsïttion  du  Moyen  Age  à  la  lierii'iissanee*  Ce  n'est  ffltiâ  ra, 
re  iiY'st  pas  oncorc  tout  à  fait  raiilrê.  Lt*  niomcnt  n*iî*ït  posenn^ 
vnnu  pour  nous  crcâqtiisscr  le  mouvement  iutelletltid  ri 
àp.  VAg(^  nouveau. 

Le  fait  eapital  de  ttHk  pi^Tiodo  intiTmédîiiin! ,  c'e&l  h  ! 
sourde  trat)ord  »  puii^  déclarée,  dt?  la  France  royale  et  de  la  I 
gog'uc.  La  gueïTC  dn  rindiip^ndanre  arhevéc,  rAnglrleme  Umh 
ia  France  roslo  en  face  de  la  Bourgogne,  de  celle  grando  | 
Ijjhrido  rorriii'L'  de  dcinoinbreiiiotil^  du  royauiue  eî  de  l'F 

longtruips  im]ilarable  enneraicr  de  la  Fnnco  niyiili%  «a  11161  

ces  luttes  patricides  où  une  armée  fiancaise  a  pris  el  Une  wa 
Ang:laiâ  la  liMratrice  de  la  Franre,  puiR  un  rniunrnl  nlliéf»  du» 
un  im^bà  d'orgueil  blesst*,  et,  bient^M  après,  reloniMe  daiïf  «ne 
uailralitC^  mal veitlaute,  Quoique  le  duc  PhilipiM?  ail  rcfuisi,  en  1  V\<K 
lie  seconder  réuieute  brutîde  et  maladroite  de  la  Priitfmrér,  Uoe 
s'est  pas  fait  scrupule  de  ronlrc^rarrer,  par  des  mov-  r.^  m 
violents,  le  gouvernement  de  niinrlest  ^11,  et  le>  i-a^  |  ni 

ctmt  û*ùiiù  tendus  et  dimdle&  entre  les  âtu%  entir». 

Les  CMisvts  de  conilil  abondent  :  d'une  part  on  voudrai l  repn^fiiiir 
ce  qu'on  a  cédé  par  riiumiliant  trailê  d'Arms;  de  rouUe  pari,  t» 
veut  garder  ïm^s  avanlages  el  les  étendre.  Le  parlnmenl  de  farif 
maintient ,  avec  une  Apre  sollicitude ,  son  ressort  stir  les  pixnitios 
botirgiiignonnes  et  Ûamandej^  ^  Le  conKril,  aviT  tf  -^  v  '^ua'ëii 
revendique  les  droits  fiscaux  du  roi  hwr  ces  mt^rn-  uctA,  H 

soutient  que  la  dispense  pei'sonnellc  d'iiounnapc  accordé*  au  due 
par  le  roi  ne  dis^|»eiisc  passes  sujets  des  înipotir  que  paient  Uh  uMlr« 
vaiâMUx;  sur  ce  imrnl-lâ^tous  les  BourpugnonB  &onl  avi^c  leur  dac 
contre  le  roi  *.  Mais  aussi  la  France  royale  tout  entiêrep  saur<piel*ni« 

VkuMvr  qui  vl<Hit  apporter  \m  nj<iun)i^n)cnt  ^u  «tuo  â«*  Ptfoqy»y«ie  vu  pUJulMppA 
d«  ronlrrf  ili^  U  l'uÎMiii'd'Or^  4  Brtt;«t7«i ,  pour  tiac  iiiiit»l«  «Aire  dfll#,  #4  ^éif  éê 
etri^tfit.  qn\  bri4t^  à  croups  de  mfirtaati  U  \mtU  é»  U  ^rimm  ih  ÏÀtU  pour  «D  iivtir* 
tm  prisonnier  quJ  a  vu  H  ftïj|>r*l^  nti  iiarWm»ml. 

2.  Il*  ftvaîpMt  npiiJ*!^  tîcH  s^i^fkM  ilt^jïtiUé»  pour  tv^^     '■—  v*,.,,*^.    t.,  _.  ^^-^^ 
trc«tv**n>îf'nt  mr  Un  tiiiiii*»*  du  pti)»  tî<*  îït>ttr|foirn^.  •  ?Al 

le  Triâfff  dn  Ct^irtei,  ^vViWti»,  *rrf#^  Jilk**  imjer  voi  tiàiur .  u,-  >..  i,,  u-- .  .«lu  -vvi* 
du  roi  qtij  vottt  ^H  ji^y»  ju  mouieigiiftir  do  Bùut^gn/t.  >t  |A«<C«  p.  31^ 


CHARLES  VII   ET   PHILIPPE  LE  BON.  195 

grands,  est  avec  le  roi  et  le  conseil  pour  appeler  la  recouvranee  do 
la  Picardie;  personne  en  Fiance  ne  se  résigne  à  celle  mutilation 
du  royaume.  Le  duc  de  Bourgogne  compte  sur  ce  qui  reste  de 
grande  féodalité  en  France  pour  faire  diversion,  au  besoin,  contre 
cette  impulsion  nationale. 

Les  forces  respectives  différent  beaucoup  de  nature  et  d'aspect. 

Pour  un  regard  superficiel,  la  cour  de  France,  avec  son  conseil 
de  bourgeois  et  d'aventuriers,  son  roi,  dont  les  bonnes  villes  ne 
voient  presque  jamais  le  visage,  et  qui  cache  ses  voluptés  banales 
au  fond  de  quelque  donjon  de  la  Loire  ou  du  Bcrri,  la  cour  de 
France  est  bien  pâle,  bien  effacée  devant  ce  grand  duc  Philippe 
qui  semble  le  vrai  successeur  des  premiers  Valois,  à  le  voir  régner 
comme  eux  parmi  les  banquets,  les  tournois,  les  fêtes  éternelles. 
Les  arts  et  les  lettres  anoblissent,  pour  les  intelligences  d'élite, 
celte  splendeur  matérielle*,  et  une  étiquette,  dont  rien  dans  le 
monde  féodal  n'a  jamais  égalé  les  pompes  orgueilleuses,  imprime 
Tétonnement  et  l'admiration  à  la  foule. 

La  richesse  qui  nourrit  ce  faste  prodigieux ,  jiuisée  dans  le 
vaste  commerce  des  Pays-Bas  et  surtout  de  la  Flandre ,  dépasse 
celle  de  la  France  royale;  elle  est  réelle  et  grande,  mais  embar- 
rassî'e.  L'administration  bourguignonne  est  mal  ordonnée ,  et 
la  supériorité  de  richesse  commerciale  est  bien  compensée  par 
rextréme  hétérogénéité  de  l'état  bourguignon,  si  l'on  peut  même 
l'appeler  un  état.  Les  diverses  parties  de  «  la  seigneurie  »  de  Bour- 
gogne sont  aussi  mal  liées  quant  au  territoire  que  relativement 
aux  mœurs,  aux  langues,  aux  origines.  Les  hasards  de  l'hérédité 
féodale,  la  violence  et  la  ruse  ont  formé  cet  assemblage  contre 
nature ,  espèce  d'empire  d'Autriche  du  moyen  âge ,  qui  ne  repré- 
sente aucune  nationahté  et  en  entame  plusieurs. 

1.  Nous  avons  parlé  de  Van-Eyck  et  de  son  école.  Une  foule  d'écrivains ,  dont 
qnelqaes-nns  vraiment  supérieurs,  étaient  attachés  à  la  cour  de  Bourgogne,  et  la 
célébraient  comme  poètes  et  comme  historiens  ;  Georj^es  Chastellain  ;  Antoine  de  la 
Sale;  Pierre  Michaut,  auteur  du  Doctrinal  de  cour  et  de  la  Danse  aux  aveugles;  Mar- 
tin Franc,  auteur  du  Champioiv  des  Dames  et  de  VEstrif  de  Fortune  et  de  Vertu.  Phi- 
lippe avait  rassemblé  une  magnifiijue  »  librairie  n  (bibliothèque),  dont  les  manu- 
scrits enrichissent  aujourd'hui  les  principales  bibliothèques  de  TEurope.  La  musique 
ne  florissait  pas  moins  que  la  peinture  à  la  cour  de  Philippe.  Sa  chapelle  forma  une 
Irrillante  école  de  musiciens  qui  se  perpétua  durant  plusieurs  générations.  V.  Ker- 
Tjn  de  Lettenhove,  Hist,  de  Fhtidre,  t.  UI,  p.  254  et  suivantes. 


m  FRANCE   KT   BOLIIGDGKE, 

La  Ik>iii'grr>;înn  a  Téclat,  la  France  a  la  forcf;  i?llc  est  um*  Qtilkc» 
sa  l'îviil**  est  ;ï  (K*iné  «n  i*\ui\  elle  est  i^uiK'ïieure  p^ir  runîî^,  « 
luoiTis  rdativ(*;  elle  osl  suiiérkHirc  par  l*orgiiujs^iliï>ii  atsiiUiire <t 
flr>anrîère.  Jorcfues  Cœur  n'a  pas  c^ntraîot*  àms  sa  mine  ri»nl« 
tinanrîer,  ijiie  niaintieniient  Jean  liureaii  ,Kih  "       "  r,  CW 

îsiiiot  et  autres*  T>Dsmniili^  fie  radnilnLslralioii  .  shi*  jir 

bien  des  abus  retinssent  \  I)an&  un  chc^!  dnii^,  If^  ti>i 
chances  sourit  [khit-  la  Franee;  toutefois,  il  y  a  iK>ur  te  duc  de  Ikm- 
pofrne  un  point  d'appui  redouta bk*  vhvi  las  jiutn^  sirrs  ili^sflemi 
rie  lis  et  riiez  les  quelques  grandsi  vassaux  qui  ailtsisU^nt  en  dchoif 
de  la  maison  royale;  tmp  taihles  pour  r^sisler  è  mtKseakau  m. 
ils  sont  encore  assez  forts  pour  aider  le  Kourguignon,  leur  coi 
espoir. 

Les  deux  princes,  nous  Tavonâ  déjà  dlli  m  craignent  H  ic 
nuHia^ont'  et  sont  disposas  k  reculer  plutôt  qu*A  pii6d|iita*  ini: 
lutle  bH  nu  tard  iné\itahle. 

Le  duc  de  Bnurg^npne  n'eilt  pu,  (pxmé  il  ¥e(ïi  voulu,  g'iîpfMHn- 
à  Texpuliiion  des  Anglais  de  Fnuire,  Oulre  que  Topinlon  dr  ni 
sujets,  surtout  des  Picards»  était  Irès-favoralile  b  la  delh  ronce  â^ 
la  Normandie,  les^aiTairesde  Flandre  avaient  Hà  trop  nienAÇAiitD, 
à  partir  de  1448,  pour  que  le  duc  pitt  agir  entaicenienl  au  deb«ifv 

Nous  avons  jwu'le  plus  liaul  ^  des  Iroulites  qiii  avaient  smn  m 
Flandie  le  ujallieureux  slegc  de  (lalais  en  1 430  :  notre  nVit  *k II 
révolu»  de  Bnij^es  (t  i:}fi-1438),  trop  eNcbisivcJiienl  rédige  ifaprt^ 
les  clironiqiies  bourguignonnes,  est  meoinpkl,  eld*outiiâ  ioah 
ments  nionlreut  les  loHs,  dans  celle  insujtwtlon ,  hScn  partage 
entre  le  duc  et  ses  sujets  rebelles  ^  Il  y  mi,  ibuiB  bi  répR-ssiini  de 

K  Is  M  oTdn  àc>  HiS  ae  nsl&cbe  i  on  blssc  1»  gaût  4é  g^Km  firtmtrf  4» 
vltrcN  âHîis  piiy«^  dun»  leur»  mnionniïmenii*,  htt  |mrl»fiii«*ni  vi  to»  Mitr^  i— ii  «»• 
v«rAliieA  $1^  r4»cnjl^iii  ri^f;uUèr«uii*tit  vi  illjcnt«meiitî  mêU  \n  yAâ^  InflficDl»  Ce 

flvair^nt   iiufciitt^fit^  pkitùt  rtuu  diminué   i1«|iitiii  b  flti  il<  la   fticryf»,  (IV  WiMi 

t,  I ,  p,  323'32rK  } 

ïï,  AiM»iî  11  peiralt  con«tïint  qno  L'aminLl  âs>.  îlnlLiiiiJr,  li*  iir,  :  ;  i  ,b .  t^wjkjd  meiiâ  k 
n^à3cutimi?t*t  des  FUnuirnb  par  îles  mifn  i\v  IAt4*vu*'  mt  ilr  >  .  ^ntt«Jr  tfm  pm- 
¥ft[|mt  pnmsof  pt)ur  traHinim,  et  f{m^  le»  lî-  i^aj^tI  Ir»  «timumumil»  i»n^ 

avec  k*4  AftEflAh    Le  dur  n'en  4^Uit  piu^  <  .  tn^b^  «or  d'ttaâN»  pniii^f  <■ 

fjtttaJquf]  éult  lili'ii  fAli^  pour  îrritir  Im  hn^i^t-in^..  Lra  prKimSitin»  d«  miSM-d  à  tnâm 
ÏEchini^  cwmm  um  dé^mùnuK^  d4*  Oru^c^  éiaiiml  fort  <i»opr?ttU«t.  Vw  «alir  àm 


U8-Uol]  PIIILIPI»E   ET  LES  GANTOIS.  497 

.  révolte  bnigcoisc,  clos  actes  très-odieux.  Ainsi,  le  due  Plii- 
ppe  fît  ix'rir  sur  rédiafaud  le  fils  du  magistrat  municipal  qui 
J  avait  sauvé  la  vie  dans  le  combat  du  22  mai  1 437,  et  plusieurs 
îs  citoyens  les  plus  respectables  de  Bruges  et  les  plus  étrangers 
IX  excès  poi)uIaires. 

La  soumission  de  Bruges  avait  été  suivie  de  dix  ans  de  paix  en 
andre.  Mais  c'était  une  paix  où  couvaient  bien  des  germes  de 
icrre.  Bruges  tombée,  le  duc  avait  songé  à  abattre  l'orgueil  dv 
and,  orgueil  redoublé  par  l'abaissement  de  la  cité  rivale.  Son 
«sentiment  de  la  défection  des  Gantois  devant  Calais  et  ses  be- 
«ns  pécuniaires  le  poussaient  également  à  entreprendre  sur  leui-s 
bortés.  Bien  n'éclata  cependant  jusqu'en  1448.  Mais,  cette  année- 
,  le  duc,  qui  avait  imposé  à  Bruges  la  gabelle  du  sel  dès  1439, 
1  demanda  l'établissement  aux  Gantois  :  ils  refusèrent.  Pbilipp(» 
appa  d'un  droit  l'entrée  des  grains  sur  leur  territoire,  puis  il 
»fus*i  d(»  sanrlioimer  l'élection  de  leurs  écbevins,  sanction  qui 
'était,  suivant  les  Gantois,  qu'une  simple  formalité  authentiquant 
Élection  (novembre  liiO  *).  Gand  appela  au  roi  (mars  1450). 
'était  le  plus  violent  dé[)laisir  que  les  Gantois  pussent  faire  au 
ne.  Le  roi  était  absoijjé  par  la  recouvrance  de  la  Normandie  et 
B  la  Guyenne.  Le  duc  continua  ses  entreprises,  et  attenta  d'une 
lanière  déloyale  au  droit  qu'avaient  les  bourgeois  de  Gand  de 
'être  point  appelés  en  justice  hors  de  leur  cité.  Il  tâcha  enfin 
'exciter  à  Gand  une  émeute  pour  renverser  le  pouvoir  munici- 
î\l.  L'émeute  avorta;  les  auteurs  furent  mis  à  mort.  Le  bailli  du 

iangoinenb<  survenus,  depuis  deux  siècles,  dans  la  confij^^uration  des  côtes,  rEcluso 
ait  ce  qu^avait  été  autrctbis  Dam,  le  port  do  Bruçes,  et  il  était  très-nuisible  aux 
nigeois  do  voir  établir  là  une  forteresse  ducale  qui  les  séparait  de  la  mer,  ct'qui 
iposait  à  leur  immense  commerce  des  péages  arbitraires.  Il  faut  dire  aussi  que  la 
ylitique  des  grandes  villes  de  Flandre  étuit  devenue  moins  éj;oïste,  et  que  Bruges,  eu 
Trant  le  droit  de  bourgeoisie  foraine  (  Haghe  poortery  )  à  toutes  les  communes  de 

Wost- Flandre,  les  entraîna  presque  toutes  dans  sa  cause.  Bruges  ne  succomba  que 
ir  rabandon  de  Gan»l,  et  Gand  eut  à  s'en  repentir.  V.  Michelet,  Histoire  de  France, 
V,  p.  325,  et,  pour  plus  de  détails,  Kervyn  de  Lettenhove,  Histoire  de  Flandre,  t.  III. 
XV.  Toute  l'histoire  du  xv^  siècle  est  d'un  haut  intérêt  dans  le  livre  de  M.  Kervyn. 

1.  Un  des  grands  griefs  du  duc  était  le  développement  croissant  de  l'élément  démo- 
'atique  des  métiei*s  dans  le  gouvernement  de  Gand,  et  la  facilité  avec  laquelle  les 
antois  prodiguaient  le  droit  de  bourgeoisie  pour  accroître  leur  population  et  leurs 
►rces.  Il  suffisait  d'occuper  une  chanibre  meublée  dans  la  ville,  parfois,  même, 
être  l'hotc  d'un  bourgeois.  Gand  visait  à  faire  toute  l'Ost- Flandre  gantoise. 
.  Kcrvyn  de  Lettenho>e,  t.  III.  p.  271. 

VI.  32 


m  FilA.XCE  ET  BÛCRiîOONE,  MM-MiB/ 

dui!  quitta  la  ville*  liC  corps?  <h  vjU«>  nonujia  un  ju^tidiTtlu  \ic\tfk 
k  lu  ploré  du  rcpréseiilaiii  du  prinre  [lin  1  V^il  u 

Sur  c€5  ènlreraitcs,  Bordeaux  ,i\»^it  capitulé;  li»6  Anglufe  éiaiem 
hors  de  t'iiince.  Une  ambassade  du  roi  arriva  nu  duc,  a^^r  ms- 
gioTi  «  de  n^montRT  à  monsieuj*  de  Duiir^-'ogm^  îiiir  le  fait  deflâo* 
dre.  I'  En  m^îine  temps,  troi^  conseillci^  au  piirleinenl  coiuiuco- 
çaicnt  imc  enquête  sur  la  validité  d^  la  camion  des  rillcs  dp  h 
Sùiiujte.  Le  duc,  très-alarmé,  c&saya  sérieusement  de  imm  ^ 
lesfianîuiïï.  Il  les  avait  exaspérés;  sesavaaoes  tuîvïii  rqMia^^* 
parti  le  pUij§  lioleut  s*eiiipara  du  pouvoir.  Mâllleun^uR* 011114, 
avait  là  plus  de  vJûleiice  tiue  de  caparité.  Le  [leuple  tiouiiiia  ir^ 
hmftmam  [capitaines),  qui  n'étaient  pandes-Vrlineldcs!  Ilî* 
rinitiathe  de  la  ^uone;  Gand  adreâi^a  i  k  Flandre  lUtit^rê 
appel  qui  fui  accueilli  par  m\  silence  presque  général,  Bnimi^ 
simvL'niul  d'avoir  été  délaiîjsée  par  Gand,  et  refma  ruruuJInamt 
mn  concouf!!.  Les  litab  de  Flandre  eussent  soulmilé  d*inlen»J^ 
leur  aiédiatian.  Les»  eapilairipsi  gantuis  n^im  ^ouiua»nt  |iîi*.  fr 
régnaient  jmr  la  terreur;  des  exils,  des  exécntions  HtlÀh 
SJpnainiejit  U*ur  tviMunlipie  doniinatîoîî;  ils  se  llren*  '  ■ 
une  graudii  expédiliDu  eontrc  Oudonarde  et  finunnuju 
t7ne  réaction  éclalii  contre  citx  :  ils  furent  dé}K»^,  puJ6  (k<a* 
pi  tés. 

Le  duc  nV  gagna  rien*  Les  successeurs  t)c£  rhefs^  mis  a  m(\ 
ruontrtrent  autant  d'énergie  avec  plu»  d*équifé  et  de  lumiitt*. 
L'occasion  d'une  paix  liunorfible  était  f^assée,  La  p\  rm 

tenue  avec  mie  extrême  vigueur.  Les  Bourguignons  U  ..ur.uF.  jg| 
plaeable,  le^Gaotob  rendirent  cruautés  pour  cruautcÊ.  ]lsâvi^| 
refrouvé  toutes  les  qualités  beUiqueusi*^  de  leurs  aïeut  *.  U^ 
exploits  coidre  la  puissante  gendarnKTÎP  de  lliilipp'        '^\M 
les  sympatiiies  des  couununes  t*n  Flandre  et  au  d*  I'  *t. 

Tournai  fais^ent  pour  eux  des  v<hix  ardents  :  les  Gniitui^  «tniirnl 
un  parti  jusqu'en  Hollande,  et,  poiu*  la  preuiJciT  foi»  dqiubkiii 

1.  Ua  joar  de  (Mmut« ,  luie  pdjEni4o  lU  Oiiolûii ,  m  ^m%Umx  ^mt  hit  mamt 
lirnr-»  {!Atii»rnttm,  w  battirout  ^vtc  t&ut  aii^roï^ov  c^ntTv  hemi  un  tx»r^  û'm 

dia\  ^  Mm  dkrvui  .»  ^lnlU  mmif!'M  utlcitx  mourif^  H«|U*ilt  uttwtWcni  à  botom  )« 


[U5«]  GUERHE   DE   GAND.  499 

des  gt^nérations,  les  campagnes  de  TOst-Flandrc,  aliénées  du  duc 
|>ar  un  droit  de  inoulure  et  par  d'autres  péages  nouveaux,  sou- 
tenaient la  grande  ville. 

Le  24  mai  1452,  les  capitaines,  échevins  et  doyens  des  métiers 
de  Gand  expédièrent  au  roi  la  longue  liste  de  leurs  griefs  contre 
le  duc,  et  réclamèrent  la  garantie  du  roi  comme  gardien  et  con- 
servateur de  leurs  francliises  et  privilèges,  en  sa  qualité  de  sou- 
verain seigneur  de  la  Flandre.  Le  conseil  du  roi  répondit  [)ar 
l'envoi  d'une  seconde  ambassade  à  Philippe  (juin  1452).  Pendant 
ce  temps,  rAnglelcrre,  espérant  remettre  le  pied  en  France  par 
la  Flandre,  offrait,  de  son  côté,  le  secours  de  ses  armes  aux 
Gantois.  Les  envoyés  de  Charles  VII,  le  procureur  général 
Dauvet,  le  sénéchal  de  Poitou  et  un  archidiacre  de  Tours,  avaient 
ordre  de  chercher  le  chef  de  leur  ambassade  dans  le  camj)  même 
du  duc  de  Bourgogne  :  le  comte  de  Saint-Pol,  le  neveu  et  Théri- 
tîer  du  trop  fameux  Jean  de  Luxembourg,  vassal  du  duc  pour 
SCS  principaux  fiefs  et  du  roi  pour  le  reste,  était  investi  du  rôle 
délicat  d'intermédiaire.  Il  ne  s'agissait  de  rien  jnoins  que  de 
réclamer  de  Philippe,  avec  racceptation  de  la  médiation  royale 
en  Flandre,  la  restitution,  sans  rachat,  des  villes  de  Picardie, 
sous  prétexte  que  la  cession  n'avait  eu  lieu  que  pour  protéger  les 
pays  du  duc  contre  les  Anglais,  et  que,  les  Anglais  chassés  de 
Normandie,  la  cause  de  la  cession  n'existait  plus.  Le  conseil  de 
Fmnce  demandait  deux  choses  pour  en  avoir  une.  La  Flandre 
était  le  prétexte;  la  Picardie  le  but. 

Le  duc  fit  un  grand  effort  i)0ur  terminer  la  guerre  et  prévenir 
rintervention  du  roi.  Après  avoir  rejeté  la  médiation  des  nations^ 
c'est-à-dire  des  puissantes  associations  de  marchands  étrangers 
qui  avaient  leurs  comptoirs  à  Bruges,  il  s'était  lu\té  d'envahir  le 
pays  dé  WaOs,  le  grenier  de  Gand.  Le  16  juin,  il  gagna,  à 
Basele,  une  bataille  meurtrière,  mais  peu  décisive,  qui  lui  coûta  le 
mieux  aimé  de  ses  fils,  le  «  grand  bâtard  »  Corneille  de  Bour- 
gogne. Les  Gantois,  d'un  autre  côté,  prenaient  Grainmont  et 
couraient  jusqu'aux  portes  de  Mons*.  Phili[)pe  dut  écouter  les 

1.  Il  est  à  remarquer  que,  dans  ceUe  guerre,  le  succès  est  le  plus  souvent  disputé 
entre  Tinfanterie  pesante  des  piquicrs  gantois  et  l'infanterie  légère  des  archers 
picards. 


500 


»(CE  ET  BOUiKiUGXL. 

L*nlit'  à  iine  Irivc  de  i\ 


envoyés  tlu  roi ,  et  con&eniit'  a  iine  irevc  ae  quel^iues  $emm 
Le  '^5  juin,  Ites^  amhas5Mideur&  fnuiçais,  motus  le  canilç 
ToU  iMilrèiênt  ù  CiïiikI,  presque  en  mfrme  temps  ffifune  iw^lik 
tnjufie  JïH'diers  nnglnii*,  roinine&i  le$  Jeux  cam*oiii]c$  sefufasiMil 
(lispule  k  la  cotu'St^  raliiuiice  gauloise.  G«iJid  rûçul  «  à  grand  btxh 
neur»  les  envayés  de  Charles  VU,  niais  n*fi|fréii  leur  malbLlûn 
qu'en  &e  n^snrvîint  de  nilitîcr  les  cDndiUoris  de  paiî.  De»  ctinTè^ 
rejjces  st'ôuvrirent  ii  Lille.  Philippe  conlint  la  colère,  que  kl 
]n£|itrail  lu  rcveudiolion  de  la  Picardie,  §ardA  tnie  certaior 
niDdératiou  dans  £un  refus  et  s'apfrliqua  à  gagniT  Ira  eamy^ 
de  Chfirks  VIL  !1  n'y  réuissil  (pie  tro[j  bien.  Leur  !?enlpnce  ariii- 
irole  lut  uue  «lentenei;  de  rondainnation  conln?  Cand.  Ils  ordwih 
nèrent  la  cl/Vture  perp^'tiielle  de  k  porte  par  laquelle  le$  Gnolok 
élaient  soiii&pour  eomhallre  le  dur  h  ftasele,  leur  Iniposèrenl 
ameude  de  200,000  <^*ciiâ  d  ur,  eujoij^nin^nt  la  âuppiK^ssîirn  des 
luèrcË  des  uiéliers  et  des  «  clia[ierotis  LUuics,  •  co  noneni  ii 
de  la  milice  ^^anloi^se,  iïilerdirtmt  les  fiS^mbkVs  gétiéral**s  *î^ 
niiHiers,  :ilK>lirerit  la  suprématie  des  mai^nstnits  de  Gand  sur 
rliMellenies  de  la  Flandre  onenl;dei  âoiunircul  tontes  leiir&d 
siens  à  la  sanction  du  bailli  ducal,  et  leur  enjoii^reit  d'il  h. 
tiHe  nue  ni  en  chendse,  suivis  de  2,000  bout^eoiât  deniûiiil^f 
pardon  au  iluc. 

Philipiie  avait  pris  Saint-Pol  par  m%  inlêittîi  K'odatii^,  et  «* 
coUcjTues  i>ar  des  appâts  (dus  grassîei^.  Il  leur  atloun  24|OO0  lims 
€  [lour  li'urH  vacaliurui*,  p 

Les  tkntois,  indignés,  rejetèrent  la  sentence,  ap|>elèfi!nl  au  r^ 
de  la  rt  fraude  u  de  ses  envoyés,  et  reiirireni  rofllensiviî  sur  aïK 
praude  tVhelle.  Des  handes  d'iutré|)klés  uihmtajres,  qpfn'lé^ 
tt  Coiupa^înoits  de  la  Verte  Terde,  o  para^  qulls  tenaient  san» 
ai«se  la  eampaKiie  vi  ne  couchaien!  plus  sous  lin  loi! ,  allmcat 
harceler  renneiiii  ii  dix  et  vin^t  1  leurs  k  la  roudr.  Les  imiUanifr 
de  Philippe  crois^iient.  Le  Luxembourg,  qu'il  ainîl  réecmineiït 
usurpé,  se  révoltaiL  Le  duc  s'allendait  à  voir  Ir  roi  désavoficr  9& 
ambassadeuns  et  [uéparer  une  intervention  année.  I^s  alarme» 

^mnat  \àt  B4ïiiiTro|^i'  )  ilit  1 132;  aî>,  MidiMlvt,  V,  352.  I*  rr^ciiiviir  ^liw^tm!  n»»iH. 
lui  âv%  fcriibstiiMi(leur»f  tfui  la  p«n  In  plui  aettre  aii  pn^cé»  de  jr«aqii^  CV-r 


JUoM453]  OLKHRE   DE   (ÎAND.  oOI 

du  duc  rendirent  la  guerre  toujours  plus  atroce.  On  brûlait  et 
l'on  tuait  tout.  Sur  ces  entrefaites,  Pliilippc  et  les  siens  ai)prirent 
avec  une  vive  joie  la  descente  de  Talbot  en  Guyenne  et  la  révolte 
de  Bordeaux.  «  Pli'it  à  Dieu,  »  disait-on  autour  du  duc,  «  que  les 
-Vnglois  fussent  à  Rouen  et  en  toute  Normandie!  »  Le  roi  avait 
désormais  trop  à  faire  au  Midi  pour  agir  efficacement  au  Nord. 
Une  troisième  ambassade  française  reparut  cependant  à  Lille  à  la 
lin  de  janvier  i  \X].  Elle  fut  assez  discourtoisement  reçue  par 
Philippe,  qui  lui  interdit  toutes  communications  avec  Gand.  Les 
conseillers  du  duc  tirent  entendre  aux  envoyés  (pie  leur  [)rincc 
ne  craignait  pas  le  roi  ;  qu'on  savait  le  mécontentement  du  peui)lc 
de  France,  a  pour  les  tailles  et  aides  qui  coun^nt  et  la  mangeric 
qui  s'y  fait.  »  —  «  Sachez,  au  regard  des  aides,  »  répliqua  un  des 
ambassadeurs,  «  (pie  Taide  du  vin  es  pays  de  monsieur  de  Hour- 
gognc  monte  plus  en  une  seule  ville  que  toutes  les  aides  du  roi 
en  deux  villes.  »  Les  envoyés  s'en  retournèrent  fort  mal  contents, 
après  avoir  tâché  toutefois  de  ne  pas  donner  [)réte\te  au  duc  de 
traiter  avec  les  Anglais.  Les  Gantois  leur  avaient  mandé  fièrement 
qu'ils  attendaient  l'efftît  des  promesses  du  roi  et  «  n'étoient  pas 
délibérés  de  plus  récrire  à  personne  du  mondée  » 

La  lutte  continua.  Feudataires  et  mercenaires,  Bourguignons, 
Picards,  Hollandais,  Wallons  unissaient  en  vain  leurs  fureurs.  Le 
duc  ne  réussissait  [)as  à  enfenner  les  Gantois  dans  leurs  murailles 
et  n'osait  entreprendre  le  siège  régulier  de  l'innnense  cité.  Le 
héros  des  Wallons,  Jacques  de  Lalaing,  qui,  par  sa  loyauté,  son 
Imnianité,  la  dignité  de  ses  mœurs,  semblait  l'idéal  de  la  cheva- 
lerie égaré  au  milieu  de  cette  noblesse  orgueilleuse  et  cruelle, 
Jacques  de  Lalaing  venait  de  tomber  sous  les  coui)s  des  Gantois, 
pleuré  de  ses  ennemis  mêmes.  La  prise  de  deux  ou  ti'ois  forte- 
resses avait  coûté  des  flots  de  sang.  La  trahison  fit  ce  que  la  force 
seule  n'eût  pu  faire.  Le  duc  acheta  le  doyen  des  maçons,  Arnold 
van-der-Speeten,  qui  conujiaiidait  le  château  de  Gavre.  Les  Bour- 
guignons mirent  le  siège  devant  Gavre.  Van-der-Si)eeten  courut  à 
Gand  et  annonça  que  le  duc  n'avait  que  4,000  ou  5,000  honnues, 
et  qu'on  n'aurait  jamais  pareille  occasion  de  le  détruire.  In  capi- 

1.  Relation  des  ambassadeun^  ap.  Kcrvyo  de  Lettcnhuvc,  t.  HI,  i).  330-356. 


mt  FriANCB  ET  fiOtIR€OC?;£.  Mm 

taîJic  anglais  au  service  de  Garni»  John  Fox,  npptiTii  de  toute  n 
forcT  Van-Jcr-Spectei3.  Les  Gantois  oiibli^'^renf  lu  pi'  '  •^ff 
iti*|iît*lk*  ils  avaient  évité  tuute  l»alaille  gênî-nile,  et  ;.■:..:  di 
masse,  3tî,0(K*  ou  40,000  honjnics.  Ilg  (rouvèrtnl  en  face  dVia 
non  i»îis  i,000  ou  5,000  solda ts,  maïs  iinv  forniiMalik*  arméuèU- 
blic dans  un  excellent  poste.  L'Anglais  John  Fox,  quittant  i»on  mnç, 
courut  joindre  les  Bourguipions  :  «  ramène  le^  ffîinif^fs,  dii-il, 
comme  je  l'ai  promis  ♦,  * 

L'instigation  de  latraluson  venait  prol:  .*' 
qui  conspirait  de  nouveau  contre  la  coui*  >  : 
traitiut  seti èteinent  avec  le  due  de  lîonrgogne- 

Le  sort  était  jeté*  Les  Gantois  altaqnèreiiL  ils  rureni  iliiTi-^ 
leurs  ancêtres.  Leur  râleur  balant,*îi  loni; temps  Its  nv^Uitaî^H  d'tm 
ennemi  qui  les  avait  atlirfe  sur  un  champ  de  Ixitaille  ûmé  [ar  M, 
L'explosion  d'un  diariot  de  poudre  *  au  plu5  éfiois  de  Unm 
bataillons  jeta  le  désordre  parmi  eux.  Leur  liene,  mal  li^,  fat 
coupée.  Une  de  leurs  divisions  fut  jette  dans  l'Escaut.  La  uwoq 
de  Bourgogîje  Tailltt  disparallre  ànm  «n  vlclûirti.  tn  gro$  de  ûts^ 
lois  (mille  ou  deux  mille)  s'^rtaient  jetés  dans  une  i  '  riloorfr 

d\tn  fossé  et  d'une  haie,  et  avaient  repoussé  à  i«i'  _  nîprik* 
les  attaques  des  gens  d'armes*  Le  due  lance  son  clieral  pir^ess» 
le  fossé;  il  est  ciiveloi>pè  :  sou  cheval  est  tmirpi*  de  quatre  coo^ 
do  pique.  Son  jeune  OU,  le  comte  de  IHiarobis  itiharles  fe  Temh 
taire) ^  vole  à  son  aîtle  :  il  est  blessé.  Les  deux  prinrt*îi  étaient  ttff' 
dus,  si  les  archers  picards  n'eussent,  en  m  mmmnt^  fntock^H 
leur  tour  le  fossé.  La  troupe  gauloise  se  fit  tuer  jusqu^nu  disiK 
hounne,  ainsi  que  naguère  les  Suisses  devant  fkile  *. 

La  moitié  de  l'armée  de  Gand  ri'sla  mr  le  champ  de  tiataife 
ou  dans  les  flots  de  rKscauf  {23  juillet  1453 )p  I^  premier  mcwiT^ 
ment  du  duc  a\ait  été  d'ordonner  la  mort  du  |m:u  û&  immm\>(^ 
qu'on  avait  faits  ;  cependant ,  le  s|)ecLacIe  de  rcs  Tiogl  milto  tnorfi 

1.  Olivier  dft  \Sk  MaitWi  h  j,  f%  -xwni^ 

2.  «  Par  liaMtdr  oti  par  pi»i'âdii?  ur)tiçl<ibo...»FoDt«i  U<iitemi« IV»  li. 
t.  >•  Certc»,,.  on  Gantois  âe  petit  t\a,i  lit  cr  Juin*  UM  tJ'initM  et  tant  àw  fw 

taitcc'*  qu^^  n\  c-«tt«  nVAOltir^*  «>u»ît  Arrh^iv  à  un  h«i]mu#'  tl«  h\tr%\  «m  f|f»tf  |«  1^  aaflf, 
tt(MUnic<r,  j«  ui'4(M|nittciroiif  tlo  jiorttT  lii>ntiritr  k  son  ïiardimr^l  [k  ««  launitiaM  |.  r 
Olivier  de  la  Mucljf  ^l^^*  <>\i\'m  Hm  yuiH'Ucr  da  ^m  FLOllirpe .  pi  90dtetial|i 
9C«  c^iéa* 


[1453]  BATAILLE   DE  G  A  VUE,  503 

qui  couvraient  la  plaine  et  le  fleuve  lui  fit  horreur.  Il  se  retrouva 
honune.  «  Vainqueur  ou  non ,  »  dit-il ,  «  c'est  moi  qui  perds  ;  car 
c'est  mon  peuple  qui  a  péri...  » 

«  Lh  fut,  »  dit  Cliastellain,  «  la  première  fois  qu'il  avoit  eu  pitié 
des  Gantois.  j> 

La  vengeance  était  apaisée.  La  politique  tira  de  la  victoire  les 
fruits  qu'elle  pouvait  donner.  Les  libertés  furent  frappées  plus  que 
les  personnes;  toutefois  les  franchises  de  Gand  furent  mutilées  et 
non  anéanties.  La  grandeur  de  la  résistance  semblait  avoir  imposé 
le  respect  aux  vainqueurs.  Philippe  ne  voulut  pas  réduire  les 
restes  des  Gantois  à  s'ensevelir  sous  les  ruines  de  leur  ville.  Il  leur 
accorda  une  capitulation  qui  différait  peu  de  la  sentence  prononcée 
l'année  d'avant  par  les  ambass^ideurs  français  '.  Il  confinna  le 
reste  des  privilèges  de  Gand,  renonça  à  la  gabelle,  et,  quelque 
temps  après,  diminua  l'amende  et  fit  cpielques  nouvelles  conces- 
sions. L'hisloire  doit  lui  tenir  compte  de  cette  modération.  C'était 
la  première  fois  que  les  gens  des  comnumes  essuyaient  un  grand 
revers  sans  que  le  i)arti  féodal  signalât  son  triomphe  par  les 
proscriptions  et  les  niassacres.  Toutefois ,  la  clémence  ne  fut  pas 
complète.  Le  duc  avait  pris  en  mortelle  haine  le  principal  cai)i- 
taine  des  Gantois,  Jean  de  Vos,  dont  les  succès  avaient  maintes 
fois  irrité  son  orgueil.  Jean  de  Vos  s'expatria.  Sept  ans  après,  il 
fut  arrêté  sur  les  terres  du  duc,  décapité,  et  sa  tète  plantée  sur 
une  des  portes  de  Gand  ^. 

La  Bourgogne  et  la  France  royale  avaient  vaincu,  dans  la  même 
semaine,  l'une  les  Gantois  à  Gavre,  l'autre,  les  Anglo-Gascons  à 
Castillon.  (17-23  juillet  1453.)  La  position  respective  demeura 
ainsi  la  même;  puis  l'agitation  causée  dans  la  chrétienté  par  la 
chute  de  (]onslantinople  détourna  quelque  temps  les  passions. 
Les  deux  puissances  rivales  continuèrent  de  s'observer  et  de  se 
contrecarrer  sans  éclater.  Le  duc  de  Bourgogne  avait  un  dange- 
reux auxiliaire  dans  riiéritier  même  du  trône  de  France,  et  les 


1.  Il  y  avait  une  disposition  de  plus  contre  la  facilité  du  droit  de  bourgeoisie,  et 
ramondc  citait  aui^nientëe  d'un  quart. 

2.  Sur  toute  cette  jj^iern» ,  voyez  le  récit  émouvant  de  M.  Kervyn  de  Lettenhovc , 
qui  a  ravivé,  avec  une  passion  patriotique,  tous  les  grands  souvenirs  de  la  vieille 
Flandre. 


dt*rnièrt!s  ïuinêes  de  Clmries  Vil  offrent  un  clmne  tourne  d*q 
!niul(î  et  sévèRi  mura  II  le. 

Tout  prospère  au  rcji  flharlcs*  On  Tappelli?  h  ThiurirH^,  Ctsi 
en  son  nom,  c^est  pour  lui  que  s*esl  opi^ive  la  dtlhnino?  tîu 
royauniL\  La  popularité  lui  est  veonr  iivw  le  ^uirH,  U*  -^  r  ' 
des  umux  edrajabtcs  auxi|ycls  OJi  \i«*iit  4'tTli.ippcr  îi  j^  u, 
hîen-étrc  rektii"  de  cetti^  $odàié  qui  renall ,  rendent  ïoutr»  to» 
charges  légères  et  la  TouIé»  palîenli*  :  le  pt*u(»le  fail  tm- 
roi  le  iiiérife  do  sa  condiliou  ineillrure;  le  jK'UpIc  xui.  . 
lali  gi'*ntTaux  mioij\  que  les  vn^i$  ressorts  cl  *|ue  liîs  lau&cs  (iiTti- 
L'ulierfîs,  et  reporte  iiaturelleuRnilsa  rancune  nu  sa  rc<vrni),\l'su 
sur  la  personne  au  iioui  de  laquelle  se  fait  le  bien  ou  le  umi. 

Ain.si  rtit^roïsnje ,  ïe  dévcniemenl,  la  sauitel6,  ont  iit 
sur  le  inklicr,  et  le  vice,  ringratitnde,  la  bosse  jaloiisie  îtùùtni 
en  paix  et  en  splendeur  aux  ac rlauiâtîons  de  la  niuItltudeT 

Voilfi  le  delïors!  lîauloiis  rappareufe  :  \yui  b  r^Ulé.  Cuiianl 
invisible  a  touché  au  cœur  le  royal  conq)lirc  de  La  TK*iuoilïo  «i 
de  Rcf^nauld  de  Ciharlres.  Fue  jtLstiriî  plus  R\re  que  \:\ 
liouunesa  [jréimre  rexpiation,  Charles  VU  est  frappé  v;.... 
timenl  qui  subsiste  le  plus  souvent  eliejî  k«  fttnes  les  [dus  i  ; 
et  qui  nest  puur  elles  qu'une  e^leuijjou  de  regulsine;  donj  »' 
K^nlinimt  de  la  coîdinuite,  de  la  Iranî^missio::  *       '  -  ;  "^%^b^^ 
la  paternité.  La  défiance,  sou  propre  vire,  -  itnî  kll 

dans  son  fils*  Lui  qui  s'est  di^flé,  on  peut  le  dire»  de  Dieu  m^iw' 
il  voit  mn  lils  refuser  oljsfiuiiiieut  toute  UÂ  a  sa  |>aroIe  durant 
quinze  ajiiiées  entiures^,  et  ne  jaiuais  admettre  la  poaubllile  J'iuu! 
sincère  rétoncilialioiL  Lui,  le  roi  qui  a  conspire  jailte  fontr^  *(•« 
royaume >  il  voit  mn  héritier  en  étiil  de  cum^pînitiQn  pcqiètuclk 
contre  lui,  jusqu'à  sa  mort  impatienunent  attendue ï 

Depuis  liiG,  le  daupliiu  avait  refusé  de  ivparaittre  a  la  conft 
mal{^^ré  les  instancetâ  réitéi^êes  dt5  mn  jten^  :  U  vi\iul  en  &riuTci«iïn 
iudépendanî  au  fond  de  son  Daupluné,  ioslituaiil  un  porl{*tnaitâ 
Grenuljle,  mie  université  h  Valence,  faisani  la  guerre  ou  b  pstti 
avec  »es  voisins,  et  déployant  de  rares  tatenU  ailmiiii^tnilif^,  é 
suri  oui  un  esprit  essenliellenicnl  novatem*  ',  Daminartiu  et  te 


:A)(I 


CHARLES  VU  ET  SON  FILS.  305 

ivoris  poussèrent  le  roi  à  un  parti  cxtrônic.  La  révolte  de 
me,  en  1152,  avait  détourné  une  première  fois  l'orage; 
je  reforma.  Les  plaintes  des  Dauphinois,  que  Louis  sur- 
it d'impôts  i)our  payer  ses  soldats  (il  avait  forme  jusqu'à 
ipagnies  d'ordonnance),  servirent  d'occasion  ou  de  pré- 
;s  intrigues  du  dauphin ,  ses  lettres  aux  princes  du  sang, 
s  du  conseil,  aux  évécjues,  qu'il  tâchait  d'intéresser  à  sa 
tonnèrent  plus  de  poids  aux  avis  violents.  Au  commence- 
145G,  le  roi  marcha  en  persoime,  avec  des  troupes,  pour 
son  fils  à  revenir  près  de  lui  et  à  congédier  les  conseillers 
s  on  imputait  sa  conduite,  hien  à  tort;  car  Louis  consul- 
le  monde  et  n'écoutait  que  lui-même, 
protesta  de  sa  soumission  filiale,  en  refusant  toutefois 
er  ses  conseillers,  et  en  priant  le  roi  de  ne  pas  le 
dre  à  se  rendre  à  la  cour  :  il  promettait  de  ne  jamais 
2  Rhône  ni  entrer  dans  le  royaume  sans  le  consentement 
es  VII.  Le  roi  répliqua  qu'il  désiipprouvait  fort ,  au  con- 
ue  son  fils  se  tînt  outrc-Uhône  et  refusât  de  voir  ses  l)ons 
LX  sujets,  qui  avaient  rendu  de  si  grands  services  au 
î  :  il  parut  surtout  fort  Ijlessé  que  le  dauphin  «  ne  se  fidt 
sa  parole  pour  venir  vers  lui ,  »  et  affectât  de  se  croire 
il  de  son  corps.  »  «  —  Mes  ennemis  se  fient  bien  à  moi, 
fils  ne  le  veut  point  faire!...  »  Juste  jugement  de  la  Prô- 
ne céda  pas  :  le  caniclère  de  quelqu(;s-mis  des  hommes 
urdient  le  roi ,  de  Dannnarlin  surtout,  motivait  assez  ses 
s;  il  se  savait  accusé  de  l'empoisonnement  d'Agnès  Sorel, 
lait  d'être  jeté  au  fond  de  quelque  forteresse,  et  assassiné 
lenl  par  ceux  qui  avaient  intérêt  à  faire  passer  ses  droits 
te  de  son  frère  Charles,  enfant  de  dix  ans.  En  vain  le  pape 
lis  de  Caslille  et  d'Aragoji,  alliés  de  la  France,  avaient-ils 
e  s'interposer  :  h?  roi  ne  voulut  rien  entendre,  et  le  dau- 
►béit  point;  toutes  ses  actions  dénotaient  un  mélange  de 
et  de  résolution  opiniâtre;  il  était  dévot  jusqu'à  la  super- 
1  i)lus  puérile,  et  c'était  peut-être  le  trait  le  plus  singulier 
caractèie  que  cette  dévotion  crédule,  cette  espèce  de 
ae,  séparée  conq)létement  de  la  moralité  et  alliée  à  un 


506  FRAICCg  ET  &OtHGDG?i£. 

Cîiprit  si  hanli,  sî  positif,  sî  di^u^,  à  tom  anlrra  ^.^anls,  tioii. 
seuleineiit  de  loul  pn'^jugi',  mais  de  loul  scnipnk  :  U  fr  r«Xii 
aiandiiît  dune  iiicessaniment  aux  Siiiats  Ju  iKiradte,  H  rm 
force  dons  el  tiffrandes  aux  égUsi^s  les  iiiieax  fimiècs ,  snwim 
Niitrfi-Dnme  de  CliTi  et  k  Notrô-Dame  d'Embnm,  car  I 
No[n>namo  tics  divers  lieux  de  p^M^^rinage  etaieiil  imur  i-n  ^  n-c 
des  êtres  dîsliiids'  ;  un  môtiie  leni{js^  il  ordfiriiiiiit  oo  DûU{ftljiiir  tutr 
lc\ée  en  niasse,  de  dix- huit  ans  à  soixante;  maii  ses  To^satix 
nY4nit'iit  pas  plus  dispos*''?  qne  les  saints  à  combaH  '       r. 

Iteiia  ce  iiioment  critique,  Louis  apprit  fine  son  Ik  . .  ^  ,  .  ;  Jf 
de  Savoie,  capitulait  avec  le  roi,  et  <jue  le  c^iiile  de  Hauitiiartii», 
San  plus  fitriind  ennctni,  venait  denlrer  en  Daupbiné  à  la  Irt*?  iti 
corps  (i'arnukî*  La  r&islanre  était  impossible*  Louis  qniltiiHAi 
dence  $om  prclexte  d'une  païUe  de  chasse,  montri  i  rhetai ,  Iit* 
lïuidi^nie,  &ejela  dans  les  montagnes,  traversa  une  ftariied» 
de  Savoie,  et  g^m'à  Saint-Claude,  en  Frandio-Coiult^,  d'où  U  <xi 
vil  au  roi  qu*a  la  rt-quôte  du  saint-père,  il  alliul  joindre  t  ssm  I 
onelc  de  Bourgopie^  a  qui  s'appaMaJl  à  «  partir  funlre  les  Tiim 
puur  la  dèlni^e  de  la  foi  »  (30  août  1 456)* 

H  pria  donc  le  sire  de  Blaniunt,  martehal  de  Bo(irg0giii\  àek 
conduire  auprès  du  duc,  qui  *  tait  aux  l'avs-Ikis,  occiifRd  A  inffklld^ 
de  vive  force  un  de  ses  noniljreux  bâiardi$  »ur  le  $i^ire  i^piM*c»p 
dl  IrechL  Louis  fut  iT(,it  h  Bnt\etiesi  par  la  durljcssi!  de  Bûd 
po^îne  avec  autant  dlionneur  qu'eût  pti  Tétre  le  roi  lni-4llteie.  1/ 
duc  Pliilippe  revint  liienUH  ûe  Hollande  pour  sidui'f  le  diiu|àiB» 
qu*îl  traita  a  en  tils  mué  de  roi  de  France»  >  »«î  tndLitit  «  ear|!ili 
biens  »  k  ^  disposition;  il  lui  a^bî^na  pour  loi:iî>  le  beau  etiàlan 
de  Genap[ie^  h  une  lieue  de  Nivelle  en  llralunl,  avei:  une  ritlir 
pension  de  2,500  livTes  par  mois  pour  son  enti*etien  ':  Le  diuptiifl 
eût  \  oloutieré  pris  le  duc  au  mot  el  reclamé  le  siTviï^e  de  foii  é|MV; 


mluX  [rantimJivf  )  il  RnUiUt  ikn  vosux  4  »  inotinear  SiUi)i->S»»fair«I»  EcdMi^oil 

'2,  Le  d»iiii1nii  n]ip<^1»lt  Ftiillppt^on  onét,  ptLTvn  i|titf  U  iSiir  4ii  UoarfOgpBV %i«M 

3.  K\f  fui  pcmr  aïmim*t  U^  laWtr*  «Su  el«4iJ^»ii  ûù  ticniifjie  f|iiB  Ail  oMi|pi»T  ^ 
nnriunl  *lci  imf  XoHTfiUf  nomyilêê  ^  tinltïiut«tj  dw  fiécmatrm  lit  nucmnr  tf  f*i^ 
{ ftihliAQ)  uvuïi  flutvî  k  diurne  tvuiliujcc  %nc  k  rtjnuiii  ;  il  Vf«Jl  t^Ulé  I»  icn  r««r  i* 


[1450-1457]  LE   DAUPHIN   EN  BRABANT.  SOT 

mais  PliilipiMî  excepta  ce  ^^enre  de  service,  et  n'accorda  que  sa 
médiation.  Il  envoya,  par  ambassadeurs,  à  Charles  VII,  les  lettres 
de  Louis,  et  ses  propres  explications  sur  Taccueil  qu'il  n'avait  pu 
se  dispenser  de  faire  à  a  monsieur  le  dauphin ,  »  ne  désirant  que 
le  bien  du  père  et  du  fils. 

Le  roi  venait  de  remettre  le  Dauphiné  «  en  sa  main  *,  »  et  de 
saisir  tous  les  revenus  de  son  fils.  Il  répondit  aux  ambassadeurs 
que  c'était  le  dauphin  qui  s'était ,  de  son  plein  gré ,  tenu  éloigné 
de  la  cour;  qui,  parti  en  liiô  avec  un  congé  de  quatre  mois, 
n'était  pas  revenu  depuis  dix  ans,  et,  au  grand  déplaisir  du  roi , 
n'avait  pas  eu  part  «  aux  victorieuses  besognes  faites  pour  le  recou- 
vrement du  royaume.  »  Charles  disait  d'ailleurs  être  tout  prêt  a 
recevoir  bénignement  le  dauphin,  pourvu  qu'il  se  réduisit  à  son 
devoir,  et  s'entourùt  à  l'avenir  de  personnes  notables  et  bien 
intentionnées.  Louis  répliqua  en  ofTrant  de  demander  pardon  au 
roi ,  et  de  pardonner  à  son  tour  à  «  ceux  du  conseil  »  qui  lui 
avaient  nui  ;  mais  sa  dépêche  était  beaucoup  moins  soumise  dans 
le  fond  que  dans  la  forme  :  il  réclamait  la  restitution  du  Dau- 
phiné et  le  paiement  de  ses  pensions  ;  mais  il  ne  s'engageait  nul- 
lement à  revenir  ni  à  congédier  ses  amis  et  «  féaux  »  conseillers. 
Une  seconde  et  une  troisième  ambassades  du  duc  de  Bourgogne 
n'aboutirent  à  rien.  Le  peu  de  succès  de  ces  négociations  ne  dimi- 
nua nullement  les  égards  de  la  cour  de  Bourgogne  pour  le  dau- 
phin :  en  février  1 457,  la  bru  de  Philippe,  la  comtesse  de  Charolais^, 
étant  accouchée  d'une  fille,  le  comte  Charles  vint  en  grande  céré- 
monie inviter  le  daui)hin  à  être  son  compère  et  à  tenir  l'enfant , 
qui  fut  baptisé  avec  pompe  à  Bruxelles.  Cette  enfant  fut  Marie  de 
Bourgogne. 

Peu  de  temps  après,  Louis  manda  auprès  de  lui  sa  fennne, 

prose.  La  licence  de  la  plupart  de  ces  contes  ne  prouve  pas  en  faveur  des  mœurs  du 
dauphin  et  de  ses  amis,  qui ,  à  ce  qu'on  croit ,  fournirent  les  sujets  à  tour  de  rôle  ; 
la  forme  n'est  pas  si  défavorable  à  leur  jjoût  :  il  y  a  beaucoup  d'esprit ,  de  mouve- 
ment et  de  couleur.  Le  plus  développé  des  contes,  qui  tranche  sur  les  autres  par  un 
caractère  sérieux  et  touchant ,  paraît  être  d'Antoine  de  la  Sale,  Tauteur  du  Petit  Jehan 
de  Saintré.  On  lui  a  attribué,  sans  preuves,  la  rédaction  du  tout. 

1.  u  Ce  fut  l'époque  de  la  réunion  finale  de  cette  grande  province  à  la  monar- 
chie... elle  ne  fut  jamais  plus  administrée,  ainsi  qu'elle  l'avait  été  par  Louis,  comme 
une  souveraineté  étraiifçère.  n  —  Sismondi ,  llht.  des  Français,  t.  XIV,  p.  3. 

2.  Fille  du  duc  de  Bourbon. 


«tè  niANCK  RT  UOtfkGOG?<E.  kUM) 

<;iiarlotlc  de  Savoie,  «  avec  laquelle  il  ii'a^oil  jKiiiil  chodit  U;ânù. 
l>our  son  jeune  îtge,  *  et  qui  ilail  demeure*! co  IteiujiluDi>,  L'aiurc 
îîui vante,  elle  mit  au  mot) Je  un  lilîî,  qu'on  Jipii«la  Joncliim 
(27  juillet  1 458)  ',  et  le  duc  de  Bourgogne  vauliil  éti'*'  le  pairaîu. 
Le  due  se  uiontra  si  utîigiullque  en  eeUe  OLcaîiiûn ,  ijue  le  tliih 
phin  lui  dit,  nn  se  découvrant,  eoulre  Tusape  dejî  hèiiti-T'  'i' 
France  :  «  .^lon  très-dier  oncle,  je  ne  iKiurrui  jmii^Uii  ^/ 
(recomitdlrc)  le  bieu  que  \om  me  fuites,  sitioti  que,  po<u:  ruar 
ffuerdon  [récompense ],  je  vons  baille  mon  corps,  le  l-  '  y 4 
femme  et  le  eorps  de  mou  enfanL  »  Le  duc  îi*  n:ni  >  j 

Lelles  paroles  en  s'agcnouillant  jusqu'à  ce  qncî  I^oiiis  eût  mna 
son  chapeau  "''. 

Il  est  dirikile  de  savoir  jusqu'à  ijuel  pulnl  le  duc  I1illi|fr 
avait  foi  dans  la  reronnaissance  du  daupliiii;  luaiâ  le  roi  « 
jugeait  asa*i!  bien.  »  Mon  cousin  diî  RourjKoOT*'  ne  sait  cf  «juH 
fait,  ^  disait  Cliarles  Vil;  ^  il  nourrit  le  rriianl  qui  lU^ungcrA $fl^ 
poules,  j> 

Les  ra[qKirts  des  deux  cours  s'aigi  îssaieni  de  plus  en  [im^  t» 
boime  parlie  du  conseil  excitait  le  roi  h  aller  c  quérir  y  imdh 
les  uriues  à  la  main  en  BndjanL  Charles  Rvnla  devant  une  Wh 
entreprise;  néanmoins  il  tit  un  fias  très- agressif  en  prenaJdKo- 
sa  [»njlectiou  ïliionvillc  et  d*auLi*es  places  du  Lu\embimf|^«  qiil 
u'avaieul  pa^  voulu  m  i^ouiueUre  au  duc  Philippe ,  cl  en  jurbelnfil 
les  |irétenlions  de  la  uuuson  de  Sa\e  sur  hi  dorlié  de  Lirin»- 
bonrg.  Les  inlrigues  de  la  cour  de  Bourgngîie  envcnimaienl  cn«o' 
le^^  tjuerellus  enlix^  le  roi  et  le  duc.  LtHiis  de  iuMMnbonr^,  i:*,nBk 
de  Saiiit-1'ol,  jaloux  de  la  maison  picarde  de  llrcn,  qui  so^qyrait 

1.  (*ci  pnfani  maurtit  an  bont  du  quntrc^  niuiftt  te  tUtiplifii  ••  ml  mm  |rf»M  «^ 
liftin ,  H  ûi  vtua  ^  dit-titi  «  k  cnitc  uceii^lùti  âfs  p«  ctumoff»  Jmiais  «l'ooliv  Cnour  f^ 

nntiircllM  racû«mic%  par  Lo«b  XI  «t  an  wripMrc  »  rMtr  t^|»n*|wr    -  Chscliv»,  iHu-^ 
Lmiik  Xtf  t.  1 1  lu  H*5.  Il  ettl  trub  ilc  et?s  flIUi»  d'une  «ïnuiiy  du  la  tu  ►Kl-  tn-iiv^n  !:  n-- 
uoip*:  iitt  SiUHfiK^^n  Lits  îuilTt»  ljÎHl4(nniiJ*  n¥  mtmi  j^û»  du  Umt  d  ■ 

InÛifM.'^  avfïC  LuuÎM  XI  i\\m  cIaiih  Ia  ninxiiiili"  moititi  il»  mon  n^^bt, 

rv]'ri}i((.HiU*iit  ttoavoal  tiïité  dW  feutre  onii»  d'une*  mi^LiUlc  de  ploial»  à  l'ii&ict  «^ 

Xolrç-DtBM». 


[HWÎ  PnOCKS  D'ALENÇON.  500 

loule  la  faveur  du  duc ,  ne  clierchait  qu'à  animer  Cliarics  VII. 
Scnint-Pol,  dont  les  grands  domaines  élaient  situés  sur  la  lisi(>i'c 
de  la  France  royale  et  des  états  bourguignons  du  nord,  visait  à 
se  faire  une  es[)èce  de  principauté  entre  les  deux  états ,  et  à  n*obéir 
ni  au  roi  ni  au  duc  :  ce  jeu  devait  un  jour  lui  coûter  cher.  Le  roi, 
depuis  que  sa  puissance  était  si  bien  consolidée,  affectait  envei-s 
Philippe  une  hauteur  que  le  «  grand  duc  d'Occident,  »  comme  on 
l'appelait  en  Italie  et  en  Allemagne ,  était  moins  que  jamais  disposé 
h  supporter,  lui  cjui  songeait  alors  à  obtenir  de  l'empereur  le  titre 
de  roi  de  Bourgogne  et  le  vicariat  impérial  de  tous  les  pays  de  la 
rive  gauche  du  Rhin.  L'éloquent  et  docte  .Enéas  Sylvius  Piccolo- 
mini,  qui  venait  de  recevoir  la  tiare  papale  sous  le  nom  de  Pie  II, 
secondait  le  duc  Philippe  dans  ses  prétentions*. 

Un  grand  procès,  sur  lequel  tout  le  royaume  avait  les  yeux ,  et 
qui  présente  à  l'historien  de  tristes  problèmes  moraux,  faisait 
dlveraon  aux  démêlés  du  roi ,  de  son  fils  et  du  duc  de  Bour- 
gogne. Jean,  duc  d'Alcncon,  avait  été,  dans  sa  première  jeunesse*, 
le  fidèle  compagnon  de  Jeanne  Darc;  malgré  les  fautes  de  son 
âge  mûr,  il  avait  gardé  le  culte  de  cette  auguste  mémoire,  et ,  au 
commencement  de  lioG,  il  venait  de  faire,  dans  la  dernière 
enquête  du  procès  de  réhabilitation ,  la  plus  sincère  et  la  plus 
importante  ptnil-étie  de  toutes  les  dépositions  *.  Cependant,  au 
mojnent  même  où  il  attestait  ainsi  la  fidélité  de  ses  souvenirs, 
Jean  d'Alencon  conspirait  non  pas  seulement  avec  le  dauphin 
contre  le  roi,  mais  avec  les  Anglais  contre  la  France  !  Pour  quelques 
mécontentements  piûvés,  et  surtout  par  haine  ])ersonnelle  contre 
le  roi,  il  s'était  mis  en  correspondance  avec  le  duc  d'York,  lord 
protecteur  d'Angleterre ,  et  lui  avait  offert  de  lui  livrer  les  places 
de  son  apanage,  avec  une  puissante  artillerie,  s'il  descendait  en 
Normandie.  11  avait  suivi,  aimé,  pleuré  Jeanne  sans  la  comprendre. 
L'achèvement  de  l'œuvre  de  délivrance  par  d'autres  mains,  au 

1.  Voyez,  sur  la  querelle  de  Charles  VII  et  «le  son  fils,  Vlliftoire  manuscrilf!  de 
Louis  XI,  (le  l'alibé  Loj|rrand,  ù  la  Bibliothèque;  —  Duclos,  avec  les  pièces  jus- 
tiScati^  os.  —  La  préface  Je  Lenglet-Dufresnoi ,  dans  son  édition  de  Coiuines.  — 
Jacques  Duclcrcq. 

2.  Elle  serait  bien  autrement  importante  encore,  si  nous  l'avions  tout  entière: 
mais  il  n'est  pas  douteux  pour  nous  qu'on  ne  l'ait  mutilée.  Heureusement ,  la  chro- 
nique de  Perceval  de  Ca^ni  y  supplée  presque  complètement. 


8fi 


XT  IIOLROOGNE, 


profit  de  ce  roi  qui  atall  aulrefob  Irahi  b  lift  -^^»  • 
bouleversé  Unîtes  ks  uulîoiis  du  liien  cl  du  miil 
•  Soyons  d'acconl  île  par  Dieu  on  île  pàt  le  diable  l  •  manibiiMI 
aiî  duc  d*York'* 

iVHmi  en  1455;  le  duc  dTforfe  femiil  de  rcjireiKlre  ïmêrme^^ 
de  vaincre  et  de  tuer  le  duc  de  Somcrsel,  diiîf  ilu  pîuH  de  h 
tùmù^  et  de  sVinparcr  de  la  pcrsonuc  du  wi  Henri,  alors  ^ 
pleine  démence.  11  gouvernait  TAngleterrc  au  nom  àv  llmn,  sa 
oser  encore  s*arrûger  la  louronne.  York  ne  put  que  nreroir  AXfit 
joie  les  ouvertures  du  due  d*Alcnçon;  une  etitrtjprisc*  coiiirr  b 
France  eût  éié  le  nieilleur  moyen  de  consolider  son  nutorilé;  i» 
il  ne  fut  pas  en  mesure  d\igir  âur*Ie-eh.imp,  et  bientiM  il  fut 
nouveau  renversé  du  pouvoir  [lar  le  retour  monienlant  de  Hiniri  \l 
h  la  raison  et  par  une  rtmliarî  «pie  dirige^ûl  la  renie  MarTjnrnl^ 
Alençon  essaya  de  renouer  l*afïaire  avec  le  iiarli  de  la  nDîne  ;  mais» 
8ur  tes  enti^cfoites,  un  de  ses  l'^mî.Hsaîres  alla  tout  t*%^kT  à 
Charles  VIL  Le  duc  Jean,  le  27  mai  1  i5C>,  fui  arr^li?  h  Paris  («r 
le  comte  de  Dunoiâ«  et  conduit  â  Melun ,  où  des  connnisïairrs  du 
roi  rinterrogèrcnl;  il  ne  voulut  poini  leur  repondre,  non  pte 
qu'au  conniHîd)U\  On  le  mena  vers  le  roi,  en  flôinijûiiniik;  (3iarl« 
lui  reiirocliant  sa  traliîson ,  il  r^-pondit  a^sc^s  Ji^rcmenl  qu'il  n*Mt 
pas  traître,  mais  tiuil  avait  tait  alliance  avit  c  aucunî?  ;'r<n,u 
seigneurs»  contre  le  duc  de  Bretigiie,  qui  lui  dftenall  ^  \l! 
Fougères,  sans  que  le  roi  eût  voulu  lui  en  faire  <  avoir  raison  en 
m  COUT.  »  Le  roi  répliqua  qu^il  lui  ferait  faire  snn  pwcH  *  tout 
au  long-,  »  «  Cest  chose  hion  piltuisa  et  dqd;iipanlir ,  t  diwil 
Clmrkîî,  <  que  je  me  doive  ainsi  gaixlcr  de  eetix  de  mon  sang; 
plus  ne  saiï^-je  h  qui  me  fierî  > 

Cette  ime  aveuglée  ne  voyait  pas  la  main  d'en  liaul  qtij  U  rïd- 
liait-  i  JYtaisi  loyal  :  qui  m'a  fait  tratlre?  »  eût  pu  lui  répondre 
Alcncon.  Le  duc  resta  deux  ans  prisoimler.  La  proc^ikin?  Icrj 
le  l'oi  convoqua  le  pîujement  garni  de  pairs  à  Moniar^bi  l'juin  1  »  -r . 
l*e  due  de  Bourgogne,  sonunif^  de  venir  sk^ger  cnmme  deu\  (*^ 
pair  de  France  (  i>c)ur  la  Bourgogne  el  h  Fliiiilre  i  ^  ri-pondil 
(jn'en  ^erlu  du  trait*>  d'Arras,  fl  nVlail  astrcinl  h  aucun  ilHi^li 


L  J*  Clmrtkrf  |f.  Ml. 


[1447-1457]  (ÎILLES  DE  BRETAGNE.  oil 

icodal  envers  la  couronne,  mais  que,  néanmoins,  il  voulait  bien 
se  rendre  à  Montargis ,  et  il  manda  le  ban  et  rarriùre-l)an  de  ses 
feudataires  et  les  milices  de  ses  bonnes  villes,  i)our  lui  servir 
d'escorte.  Le  roi  se  hàla  de  le  prévenir  qu*il  pouvait  se  dispenser 
de  comparaître  en  personne,  et  Philippe  envoya  des  ambassadeurs, 
non  pour  participer  à  Farrct,  mais  pour  plaider  la  cause  de 
l'accusé. 

Le  duc  de  Breta?:ne  ne  figm\i  point  entre  les  juges  :  c*était 
rillustre  connétable  Artus  ou  Arthur  de  Richemont  qui  portait 
alors  la  couronne  de  Bretagne  :  ses  trois  neveux,  François,  Gilles 
et  Pierre,  s'étaient  éteints  san5  laisser  d'enfants  mâles  dans  Tespace 
de  sei)t  ans.  Il  y  avait  eu  dans  cette  famille  une  lugubre  tragédie  : 
le  duc  François,  Faîne  des  trois  frères,  celui  qui  prit  i)art  à  la 
délivrance  de  la  Normandie  en  1159  et  lioO,  était  entièrement 
gouverne  par  son  favori  Artus  de  Montauban.  Celui-ci,  animé 
d'un  ressentiment  implacable  contre  Gilles  de  Bretagne,  qui  lui 
avait  enlevé  une  riche  héritière  dont  il  ambitionnait  la  dot,  entre- 
l)rit  de  perdre  ce  i)rince.  Les  relations  que  Gilles  entretenait  avec 
l'Angleterre,  tandis  que  le  duc  François  se  donnait  Siuis  résoi-ve  à 
la  France,  furent  Foccasion  de  sa  ruine  :  Gilles  fut  arrêté  j)ar  les 
trou[)es  du  roi,  remis  au  duc  son  frère  (1447),  et  traduit  devant 
les  États  de  Bretagne,  à  Uedon,  comme  accusé  de  haute  trahison 
et  de  plusieurs  viols.  Le  roi  envoya  des  commissaires  près  de 
Fassemblée  de  Redon.  Ces  délégués  agiront  en  modérateurs  plus 
qu'en  accusateurs.  Ils  firent  remarquer  que  l'instruction  du  procès 
était  insuffisante  et  irrégulière;  qu'on  ne  pouvait  condaumer  Gilles 
sans  l'avoir  confi-onté  avec  ses  accusateurs.  Le  duc,  ou  ceux  qui 
le  gouvernaient,  ne  consentirent  pas  à  la  confrontation,  ce  qui 
rend  leurs  imputations  fort  suspectes ,  du  moins  quant  aux  crimes 
privés.  Les  États  de  Bretagne  déchu'èrent  le  procès  suspendu 
faute  de  i)reuves,  et  le  connétable  intercéda  vivement  pom*  son 
neveu.  Gilles  fut  reconduit  dans  son  cachot,  et  y  languit  trois  ans, 
jnalgré  les  prières  du  connétable  et  les  réclamations  du  roi  lui- 
même,  qui  avait  réclamé  le  captif.  Les  geôliers  de  Gilles,  après 
avoir  tenté  en  vain  d(i  le  faire  péi'ir  par  le  poison  et  par  la  faim, 
finirent  par  Fétoufler,  sur  un  ordre  scellé  du  chancelier  de  Bre- 
tagne, neveu  d'Aitus  de  Montauban.  l'ne  tradition  analogue  à 


^n  FRANCE  KT  iiontr*or.yE:  iu%^ 

tvilv  fini  s7*lriit  atladitV  im  siip|»lito  du  dernier  grand  •malt  a*  du 
Tfiîiplo  ni|ii»orle  que  Gilles  rk*  Breliiinrw^  avant  di*  fuCiUrir,  iijaiirLià 
son  fn're  lûnù  devant  le  tribunal  de  Difu;  le  duc  Krançok,         ~ 
de  rhnprin  cl  de  nnirnrds,  ne  snrvernt  qm?  rjuidques  mois  à  j 
victime.  Leur  plus  jeune  I'hto,  Pien^e»  devenu  diîc,  dnn^todit^ 
son  tour  dnns  la  tombe  m  1457,  après  avoir  Tail  jiisUce  des  me 
Irîers  de  Gilles»  et  ce  fut  le  TÎeux  comte  de  lUdiGniofil  spii  Writf" 
de  ses  trois  neveu.\'. 

Tout  prince  sauvemin  qu'il  fût,  Aiin^  de  lUcheitionl  n'en  éfe 
im  moins  dHuienré  «^  lion  François;  i>  lo  vè\c  ravori  de  ^m»  d«^ 
lîières  aiuires  fut  une  descente  en  Angletems  il  ne  renv'^^^^  '-■''-^ 
iiu  roi  i*ép6e  de  cannéiîiWe,  api't^s  ^tre  inoiîtt''  sur  le  si-  ^ 
et  dit  «  tpill  voulait  honorer  ea  sa  vieillesse  roffiei!  qui  lnimi 
honore^  en  sii  jeunesse,  w  eondulte  d'auUul  plus  noble  que  IXkltc- 
innnt  vivîiit  depuis  longtemps  loin  de  laeouret  sansci^dilaupn';» 
du  roi ,  qui  avait  souffert  ses  services  siins  jamais  «imiîr  sa  iier- 

Le  due  Artu^ ,  oncle  de  la  femme  du  due  d'AlencciEi,  oe  vodiH 
point  siéger  dans  le  procès  de  ce  prinee ,  et  ne  se  n*xidit  à  Ven- 
dôme, où  la  eour  des  pairs  avait  éié  transfert^',  qu*aJln  d'i  ' 
leder  pour  son  neveu.  I/assemblée  se  composait  de  la  plnp.iE .  >. 
prinees  du  t^n;:,  des  pairs  ecclésiastiques  cl  de  quelqo*>  .inu-- 
pr«:lats,  de  quelques  ffrands  seigneurs,  des  grands  onkiei^  de  k 
couronne  et  d*une  pnrtie  de^  mt^nilires  du  parlemenl  de  Paris,  i 
roi ,  accouipagué  de  suu  i^Tond  liit^ ,  Charles,  A^'è  d**  douze 
ouvrit  les  sC^ances  en  pei-somie,  Leti  aveux  du  due  Jean  »mpli> 
(livrent  les  fh'bals  :  après  qu'un  des  ambassadeurs  de  Bou 
eut  invoqijL»  la  inisènconle  royale  ûan^  une  longue  el  i^'-*  * 
tesque  baranpue,  le  due  d*Ak"nçou  fui  dtTlani  mmiuel  il 
majesté,  déboute  de  ses  honneurs  et  dij^utês,  el  condAmni^  à 
perdre  eorps  et  biens  (tO  octobre  1  SrïH).  Le  roi  renvtiya  le  due 
dans  sa  piison,  suspenrlit  iu<lè(îniuient  rexrâilifui  mpitaJe,  d 
laissa  une  pallie  des  biens  du  coudauuié  h  sïi  feuniie  et  &  hs- 


pn  il  la  %iM*ifi^fnT  «lu  t!ii»7  r(**rn?  n  du  wntiêtiii4i*  i  H  dctint  }mr  lu  ^m 


[1458]  LE   DUC   ARTL'S   DE   BRETAGNE.  :>I3 

enfants,  «  en  faveur  des  nMiuètes  du  duc  de  Bretagne,  »  et 
non  de  celles  du  duc  de  Bourgogne.  Le  duc  Philippe  témoigna 
son  nuVontenleiTient  en  nifiintenant  le  condannié  sur  le  tableau 
des  chevaliers  de  la  Toison  d'or. 

Quatre  jours  après  la  senlence  de  J(\in  d'Alençon,  le  duc  Artus 
rendit  hommage  au  roi  pour  le  duché  de  Bretagne,  non  sans  de 
grandes  cojitestations  sur  la  nature  de  cet  hommage;  ces  débats 
se  renouvelaient  à  ravénement  de  charpie  duc,  du  moins  depuis 
que  la  longue  lulte  des  Valois  et  des  Plantagenets  avait  favorisé 
les  prétentions  de  la  Bretagne  à  Tindépendauce.  Les  ducs  de  Bre- 
tagne i)réîendaient  ne  devoir  au  roi  que  Thommage  simple  et  non 
riiommage-lige  obligeant  à  obéir  en  personne*  au  ban  de  guerre 
du  roi  et  à  siéger  dans  ses  cours  de  justice;  la  Bretagne,  suivant 
eux,  ne  faisait  point  partie  du  ro>aumc,  et  les  hermines  ne 
relevaient  pas  des  fleurs-de-lis.  Les  ducs  bretons  ne  voulaient 
pas  du  titre  de  pair  de  France.  Artus  nV)ta  point  sa  ceinture,  ne 
fléchit  pas  le  genou,  et  prononça  la  formule  de  l'hommage, 
debout,  répée  au  côté,  les  mains  enlre  celles  de  Charles  VII,  qui 
ne  reçut  Thommage  que  sous  toutes  réserves  *. 

Le  duc  Artus  mourut  deux  mois  après,  à  la  suite  de  dévotions 
excessives  auxquelles  il  s'était  livré,  étant  déjà  malade  :  il  eut 
pour  successeur  son  neveu  François  II,  fils  de  son  plus  jeune 
frère.  Sans  avoir  le  génie  de  son  compatriote  du  Guesclin,  il  avait 
fait  presque  autant  que  lui  pour  la  France. 

Le  procès  du  duc  d'Alençon  montrait  la  force  qu'avait  reprise 
la  royauté;  un  autre  grand  seigneur,  très-puissant  aussi,  quoi- 
qu'il ne  fût  ni  j)air  de  France  ni  prince  du  sang,  était  à  la  môme 
époque  traduit  devant  le  parlement.  Jean  V,  comte  d'Armagnac 
et  de  Rhodez,  fils  de  ce  comte  d'Annagnac  qui,  en  lî4i,  avait 
été  pris,  dépouillé  de  ses  biens,  ])uis  gracié  par  Charles  VII, 
scandalisait  toute  la  chrétienté  en  vivant  maritalement  avec  sa 
suîur  Isabelle,  dont  il  était  épris  jusqu'au  délire  et  dont  il  cul 
trois  enfants.  Le  pape  Nicolas  V  avait  prié  le  roi  de  joindre  son 
autorité  à  celle  de  l'Église  pour  faire  cesser  cet  inceste  imblic. 
Charles  VII  se  contenta  d'abord  de  remontrances  pacifiques,  qui 

1.  Lobinoan,  //l*^  Je  Bretagne,  I,  xviil,  p.  672. 

\l.  33 


nu  FnA?ÎCE  ET  BOOnCOGXR 

lie  furent  |Hiînt  rmiifres.  A|>res  b  moti  «le  Mrubiï  \ ,  Jc^ii  ùAi- 
uup^mv  tisi!  ilt'ïiinfhlcr  à  CHlixte  111,  surcTsseur  de  rc  pontife  une 
ili^pf^nse  pour  épouser  sa  sœur,  et  il  Irouva,  ûms  9es  dmuàiiiei, 
un  *Wéfiur  asHCz  liariU  ou  ji^sez  ï^ervile  pour  ^  rlinrger  if  iinrkllr 
ué|7ôcmlion  :  ce  fui  Tév^iiue  de  Lectoure.  La  IkiI!^*  de  dïspm^ 
fui,  dil-on»  fal)rif|uée  pai'  le  iioldrc  el  le  rLfr:n*nd:iin!  du  fû|i!l 
mn  m^n.  Quoi  qull  en  fût,  Anouirnac  força.  [Màr  des  menaoes ifc 
mort,  mn  cliupelain  de  le  mari»*r  avec,  <îa  etrur.  Le  roi  b'^^'lail 
juicoriî  à  eniployer  la  force  tonlre  lui,  lorstpe  le  mmlc  «Itkn 
Forage  en  insfallaul  \iolennnenl  une  de  se»  ert«luirs«jr  kriépp 
îirrhii^pisropfd  d*Aurh,  bien  tpi'uti  au  Ire  rundidal  irûl  èlê  roo- 
finne  pfir  le  roi  et  le  pape,  f.barlcs  VII  lit  sakir  ses  deit\  comîh 
par  deux  corps  d*armée.  Armapwc  s'cnfujl,  Uuidis  quf?  1**  i»wK 
meut  nistmbail  conire  lui  un  procès  de  Ihe  m-ijesl^?,  ei 
fui  rondajiiné  (mr  toutuniaee  au  l)iu)ms$efiiêJil  et  4  La  ctmt 
des  liîeris  (1  i50j. 

Tandis  que  tout  pliait  à  Tinlérieur  sous  !e  pouvoir  cenlml.  U 
iViinec  rueonuneiiçdt  h  étendre  m  nmn  au  deliur».  Jàts.  rspfvtrU 
polilrquai  avec  (ji>ncs  se  renouvelaieni  et  îirrii.ii»*»!*  nu  [»ain4 
pnur  un  moment  »  m  résultat  qui  avait  Hé  niiuiqm^  du  t<sii(H 
de  Jîieques  Cœui*,  En  1 Î58,  la  r^pnfdique  de  Gi^ue^i,  liiujww 
af;itee  pur  les  dissensions  des  nobles  et  des  pWK*iens^,  ï»^  aili 
ilererhef  souk  la  protection  de  la  France,  el  di^'ft^ra  cncoa' our 
(bis  au  roi  et  à  ses  représentants  raulôrllé  dt-»  ilagisè  En  nésoi 
trnips,  la  guerre  de  Na|jles  j^e  ralluma  jKir  suite  de  h  «»rt  *l« 
irojit|Ut^nint  Alfthonse  V,  qui  avait  lè^iô  l*Ani|jon  H  ics  d^pcu* 
danees  \  avec  Ja  Sitiie,  à  son  frère  Juan,  déjà  rftt  de  Naonit 
pai'  mariage,  et  Naples  h  son  fils  n»ilurd  Ferdinand,  L'il  foft* 
ronsidêrable  rappela  les  prinees  angevins  dans  le  rriyaiuii'  «t** 
Xiqdes  :  René  d\VnjoUp  qui  nvaîl  déjà  ciVlê  la  I^ormine  ù  bm  61* 
Jean ,  duc  de  Galabre,  lui  vèûa  encore  u*s  droits  «ur  Xapli^  ^ 
H  bon  roi  René,  i>  san^  aptitude  pour  lesanueji  ni  fi  "  '  -nli- 
tique,  t^tah  aeealdé  i>ar  ce  lourd  fardeau  d*«ne  çu>  ll- 

taire;  il  s'en  débarrassa  de  grand  cœur  potir  se  livrer  tout  riHifr 
h  svs  î^oiMs  :  il  uViiinail  que  la  retraite,  rétude,  les  pbtstr*  It^i^ 


[J1459-1460]  LE   B0\   HOI   UENÉ.  nio 

({uilles  et  la  vie  molle  du  midi  sous  lo  Iwîau  soleil  de  sa  Proveuce, 
et  il  passait  sa  vie  en  artiste  plus  qu'en  souverain,  eultivani  la 
peinture  et  la  poésie  avec  passion ,  sinon  avec  supéi'iorité  :  le  rayon 
ilu  génie  manquait  à  cet  esprit  bienveillant  et  facile.  Il  s'était  pris 
fie  gi'and  amour  pour  les  traditions  des  troubadours,  et  s'effor- 
fait  de  ressusciter  la  poésie  provençale  et  les  vieux  us  des  coui's 
galantes  de  la  Langue  d'Oc;  cette  renaissance  factice  a  laissé  en 
Provence  des  souvenirs  populaires,  mais  n'a  pas  plus  enfanté  de 
grandes  créations  poétitpies  que  les  jeux  de  Clémence  Isiuu-e  à  Tou- 
louse, ou  que  la  recrudescence  clievaleresque  de  la  cour  de  Bour- 
gogne. Uené  a  propagé,  sinon  inventé  toutes  ces  «  ])ergeries  » 
qui  ont  abouti  à  VAwfjnfc  et  à  VAstrce,  et  dont  il  avait  trouvé  les 
modèles  dans  quelques  jolies  pastourciies  dialoguées  des  xiii*  et 
xiv«  siècles*. 

Ses  enfants  avaient  l'humeur  moins  pastorale  ;  son  Dis  hwu 
était  aussi  énergique  et  aussi  ambitieux  que  sa  lille  Margu(»rite  : 
Jean  d'Anjou,  nonuné  par  Charles  VII  gouverneur  de  Tiénes, 
aUa  descendre  à  Gaëte  avec  \ingt  galères  génoises  et  provençales 
(octobre  1459;,  et  se  couvrit  de  gloire  tlans  la  lutte  (pi'il  engagea 
contre  Ferdinand  d'Arag(m,  soutenu  par  1(î  pnpe  Pie  II  et  i)ar  le 
duc  de  Milan.  Les  fautes  de  Cliarles  VU  à  Gènes  furent  fatales  à 
l'entreprise  de  Jean  d'Anjou  :  le  roi  voulait  aider  à  la  fois  Jean 
et  sa  sœur,  la  reine  Marguerite,  sans  ([u'il  lui  en  coûtât  rien  :  il 
songeait  àintervenir,  en  Angleterre,  dans  la  Guerre  des  DeuxUoses, 
et  s'était  lié  au  parti  de  Lancastre,  connue  le  duc  de  Bour- 
gogne au  parti  d'York.  Il  exigea  des  (îénois  l'envoi  d'une  flotte  au 
secours  de  Marguerite  d'Anjou,  contre  le  parti  d'York;  les  Génois 
i-efusèrent  de  dépenser  leur  or  et  leur  sang  pour  une  <pierclle 

1.  J'ai  un  roi  de  Sicile 

Vu  devenir  bercer, 
Et  sa  feinnu'  ^«Mitille, 
De  ce  propre  métier 
Portant  la  panetière, 
La  houlette  et  elia[iHau, 
Lojjfeant  sur  la  bruuTe 
Auprès  tle  son  troupeau. 

Ooofjjes  Chasitcïllain,  Un'onurlùni  des  merviillff  advenues  Je  notre  tempi.  —  Ilif luire  Je 
René  JAnjnu.  par  M.  «le  Villeneuve. 


I^li  Fn.\l^CE  ET  BOllAOOrt^Ep 

liai  !rnr  vit\\\  *'ifi?rilutneat  rtmii^'èrr  :  îl$sc  ri'Vf4lt'rcni  ci 
sèrmt  knir  ^ouvrnuin'  cl  la  gamision  franriiis*?    9  In;^s  1«6I 
Vn  corps  (raniiée  frunçiiîs  H  prùvoni;a1»  hm\  ipic  >iii]lcnu  (iatU 
nolïlnssïo  gi^iioisc,  s(î  fit  liîiltrc  ûims  lu*^  dt*<116s  de  h  Ugui 
fissayadf  ib*^  rontrerii  Gt^nps  (jtîîllrl  1  ifU),  ri  tîi  dèferlian  tU^^  Ct 
ruina  \m  niïnuvi^  de  Jean  ii^Aîijou,  qiû  finil  par  i^lrc  dïimà 
royannjc  de  Naplcs,  Cet  cTliet  fit  une  itaprasîiian  pi'^iLbleen  F( 
où  l'on  avait  ponln  riialjittjdf^  des  ri^verfi,  Lu  PïYm  i-^' 
voytT  de  loin  un  avt'rlissenifnt  à  nos  r+ik  rwo! 
de  porter  leurs  ambitions  sur  l*îtalin; 

Los  années  s'écoulaient,  La  sitnalion  ivî^priiitu  tUi  inii. 
fil$  ct  du  duc  de  Bour^^ogrie  était  (onjourslci  iinhni»  :  on  iit^'Am. 
perpi'lucllerncnl  sans  rien  Lonelnre.  Le  rui  iivàit  fait,  eo  ilfr- 
renibre  1459,  un  nouvel  efîorl  pour  rai>pc!li!r  son  IIU.  Il  3^îii 
f'Xjïédié  h  Bruxelles  uuf  ambassad*-  rondnit**  [mr  révéj|ne  di«  0*- 
l;if}ecs  :  1r  préla»  baran;^na  iedani>fiirj,  au  nom  dn  mi,  en  [irts^r^ 
du  duc  Plu1i[ïpe;  il  n'cjuil  houiè  de  déclarer  ftdU'Uirul  ipwilf^ 
élaierrt  cvs  |;randt^s  *  peurs  el  doutmiœ!)  t  UfUjcjiirs  vagui 
alté^Mices  pour  motiver  lîon  cloifiTienicnl  ol>&tJné;  il  le  somntft 
ne  plui*  ^Q  flérober  à  raffeclion  d'un  père  qui  ne  T/iïTitl  paînl 
depuis  «  fretze  ans  pour  le  moins,  t  L'é^tique  d'Arms  rèpùûdR 
nu  nom  du  flanphiii,  el,  tont  cri  exaltant  ^^  lu  ^  i    '*--:' 
de  Louis  pour  son  |>êrf*,   il  déclara  que  le  fi 
cmîndre  <r  ceux  i^  qui  avaient  fiiîingé  la  douceur  njiliitf'lle  * 
(Tharles  VÎI  au  [joint  de  Taniener  h  priver  mn  liérilier  de  tmil 
conunandetnent  niilitoirer  de  toute  iR*îgneurie,  diî  toul  liîrn:ip^ 
k  temps  iréttiît  pas  venu  de  désitçiier  «  ceux-là  *  jwr  leiir^  no«i5. 
et  que  Louis ^  [jour  le  présent,  se  liornait  h  supplier  îmih  ijfmlr 
le  IruRser  en  paix  ilans  riionorahle  asile  tpie  lui  nctordiilt  ^m 
onele  de  Bourgogne,  L*évéque  de  CoatJtnte$  ne  Tut  jw*  plui*  lim- 
reux  dans  divei-ses  propositionâ  quO  était  tliarisù  d'ailn*5«^r  ai 
due.  Un  des  plus  graves  sujets  de  contestxiljoti  éUîl  relnlif^^  li 
jurîdirlion  du  paj*Iemetit  de  l*aris  mr  les  seigneuries  du  diir  qiU 
relevaient  de  la  couronne  :  le  due  ne  con levait  jkî*  au  larieinidit 
le  droit  de  rerevoir  leji  appels  de  ïteg  ijujets,  miû^  il  ;  rar 

des  voies  indirectes  les  prérogatives  de  ee  tribunal  supr. ...  ,  ■  ^  ^l*'Jh 
dant,  à  voir  coumunt  allait  le  couj^  de  b  juâIîix:  Amià  ItiStiM 


[1459-U61]  AFKAIUKS  DE  (JKNES.  ol7 

du  duc  IMiilippe,  cYtait  im  parul  l)i('ii  pour  les  vassaux  de  ce 
prince  (pie  de  ressortir  aux  juives  royaux.  Deimis  cpie  le  <i  hon 
duc  »  vieillissait,  le  désordre  re'iaîiiiail  dans  les  sel^'^neuries  hour- 
ffui^Mionn(»s  le  terrain  (lu'il  avait  i)erdu  dans  la  France  royaU»,  et 
rarJ)itraire  de  lMiilip|)e  se  ('oinpIi(|uait  d'une  étrange  anarchie*. 
Le  pouvoir  était  tiraillé  eiitn*  les  Croi,  favoris  du  duc,. le  comte 
Charles,  le  coude  de  Sainl-Pol,  le  comte  d'Ktampes,  etc.  La  no- 
blesse en  prolitait  pour  donnei-  libre  carrière  à  ses  passions  efïré- 
nécs;  on  n'entendait  parler  (pie  de  rai)ts,  de  meurties,  de  pilleries, 
le  plus  souvent  impimis,  ou,  parfois,  d'ini(piités  judiciaires  plus 
atroces  encore. 

En  ce  moment  même,  le  vicaire  de  l'impiisition  au  diocèse 
d'Arras,  Tadministi'ateur  de  ce  diocèse,  le  doyen  du  chapitre 
et  quelqucîs  autres  fanaticpies,  secondés  i)ar  le  comte  d'Étampes, 
gouvei"m»ur  d'Artois,  livraient  aux  fUunmes  heaucoup  de  mal- 
heureux, (-(.unnie  coui)al)les  de  viiudcrie.  Quehiues  «  pécheurs 
contre  nature  »  axaient  été  di'rouverts  et  l)ridés  dei)uis  peu  dans 
la  Picardie  et  les  contrées  v(jisines  :  Tima^jination  des  in(piisiteurs 
s'alluma  et  crut  voir,  dans  la  coïncidt^nce  des  pro^iès  de  ce  vice 
avec  rajiparition  de  (juchpies  opinions  hétérodox(»s,  Tindice  d'un 
grand  complot  de  Satan  pour  la  ruine  de  rK'5dis(\  [/a(Tei)tion  du 
mot  vauderia  chanjiea  et  désigna  non  [dus  seuhMuent  le  crime 
d'hérésie,  mais  le  crime?  contre  nature,  la  sorcellerie,  la  fn> 
(jucntation  du  sabbat  et  l'adoration  du  diable ''.  L(îs  premiènîs 

1.  M  Eu  ce  temps,  par  tous  les  pays  du  duc  de  Bour^ço^j^uo ,  sitôt  qu'il  advcnoit 
qu^aucun  marchand ,  laboureur,  bourireois  ou  ofticier  trépassoit  de  ce  siècle ,  riche 
et  délaissaut  feinuie  riche,  tantôt  le  duc,  sou  fils  ou  autres  sei;;rncurs  de  ce  pays 
voaloient  niarier  lesdites  veuves  à  leurs  archer.4  ou  autres  de  leurs  serviteurs...  Et 
falloit  cpie  lesdites  veuves  obéissant  ou  se  rachetassent  par  force  d*arjj:ent...  Et 
pareillement,  quand  uu  homme  étoit  riche,  et  qu'il  avoit  une  fille  à  marier,  s'il  ne  la 
inarioit  bien  jeune,  il  étoit  travaillé  \ tourmenté)  cumme  est  dit  ci-dessus,  w  Jacques 
Duclercq,  1.  m,  c.  27.  —  Lu  France,  les  léjjistes  persistaient  dans  une  bonne  voie. 
Eu  avril  1151,  u\  ait  été  promul;;uée  une  vaste  ordonnance  en  12.)  articles,  que  Ilen- 
rion  de  Pansey  a  (jualitiée  de  ••  notre  iiremier  code  de  procédure.  »  Vers  le  même 
temps,  uu  autre  édit  ordonna  la  rédaction  de  toutes  les  coutumes;  mais  il  resUi  lon«{- 
tempH  sans  exécution. 

2.  Le  doyen  du  chapitre  et  l'administrateur  du  diocèse  d'Arras,  qui  avait  été  péni- 
tencier du  pape ,  prétendaient  avoir  la  certitude  que  le  tiers  de  la  chrétienté  était 
\'audois,  et  que  la  vauderie  comptait  dans  son  sein  des  évoques  et  jusqu'à  des  car- 
Jinaux.  Ils  appelaient  probablement  vauduis  tous  les  }:ens  de  foi  douteuse  et  de 
di^positionii  sceptiques.  J.  Duclercq,  1.  iv,  c.  4.  Ducloroq  rapporte  que  le  doyen 


6i»  FRANCE  ET  BOCJiOOCXE.  n«»-tm 

vidiines  înajeiif  vlè  d'aîmrd  ûos  iWU's  (li\jftio  et  i^ 
élftl  ei  (If  HMioni  rr|iiivu(iiii%  qui  (oii^,  du  rt^le,  r*  i.  .. 
aveux  devant  \v  Inïchrrut  prott*tit{^ronl  de  kuir  ittïiOf»Mi 
ranl;  des  passions  plus  viles  quo  le  fanalisiuf  wirpiiviii 
derrière  lui  ;  le  conde  d'ïîtîUUiH'sî  vl  ses  rûm|dire5  enu  !<  [, 
dans  eelk*  ateurde  proeédure  U'S  fX^rsonue»  ]^  idiiA  ir^'.^tl 
les  mmix  famées  d'Arras,  dans  le  but  ùndmt  eît?  ^'cuniarer  Je 
leurs  biens;  mm  pltisîeurs  dos  acmst'sî  eu  apiiclt^nml  au  ^lâ^l^ 
nienl  de  Paris»  iiui  évoqua  courageus^em^^nt  Vsxiïmi\,  en  d^'pit  de 
I  intiuiî^ilion  et  de  ^(*s  privilèges,  et  qui  fit  an'îiela'r  di*  vht*  fwmç 
dea  prisonniers  de  la  peAlo  d'AiTa^,  Liî  dut:  Piulip|ie , 
elniueiir  publique,  ri-nnit  h  BnixeUes  une  frneuidi?  cus?*  i 
docicurs  de  ruuiver^ité  de  Louvain  et  ifailleat^;  lus  diîro  nr 
eunel rirent  à  rien  ;  néanmoins^  la  (lei^âi't'urioo  m  larïla  jwif  ii  6tt> 
mri^lve.  l/<!vô<jue  d*Amiens  el  le  elerg^  de  T^uniiit  *.*-  'f' 

ineHenïenl  oppnsés  h  Tinlrorludion  des  prccés  df  ui  inv 

leurs  diocèses,  Llnquisiteur  général  de  Krancc,  Jean  Dri4wil,  m 
lieu  de  soulever  un  cordlil  eonlre  le  parlement ,  inUr  -a 

vùK%  et  reviïiii  leâ  proralure^,  de  lun^.'crt  a\ec  $**:<  Ht.,  j  '• 

lègues  datîs  l'affaire  de  la  réhabililalinn  de  Jeanne  Diifxr ,  1 
véque  de  Reims  Jean  Jauv^f^nel  el  IVv^que  de  ï^am  G-uir  i 
fUiartier;  ils  eassèrent  les  sentences  J'AiTas,  U^  yia!!î«Nîr.  f  .  'i\u 
avaient  survécu  h  laeapti\  ité  et  à  d'itorrilile*  Imiures  fun  lu  j •  im 
en  liberli^,  et  demandèrent  justiee  au  parïenii?nt  enalre  leorçiwn^ 
futenrsî  mnh  le  procès  dura  .^i  longlenips,  ipic  le  eomle  irKum- 
prs,  1  intiuisileur  d'Arras  et  les  autres  jugc^  étaient  tous  nuifl» 
avant  Tarriit  rjui  les  eondaunia.  Ce  ne  fui  i|u*ûii  lioul  ût-  Lni)^ 
ans  (1191 1  que  le  parlement  rendît  son  arr^l  dêliuilir,  pr  Ic^né 
le*«  Iirriliers  du  duc  de  Bourgogne  et  des  Ju^P5  htn*j\l  rnnda 
à  des  donnuages  et  intérims  envers  les  hèrilien  den  virtJin«  : 
|Ku*lenienl  d(îfendit  à  lous  tribunaux,  clenr»  et  laïques,  d'uifr 
durénavaid  «le  toitures  iuatîcontnnii'eîî,  de  raUînenjents  dr  loi- 
haiie  t*ds;  ffvie  ceux  qui  av:nent  rtt  tiiiplovr-?^  à  Arruri    II  <nlt  •'<•} 


fit^nikution  vriiiltir^nt    dluMiulro  par  b  trnrriEr  te*  tna^ài  UVUnÊrm  «ff^^ 


1]  LA   VALDEIIIE   IVAnUAS.  510 

u  parlcincnl  crabolir  la  torture  ello-niôinc  cl  de  ne  jkis 
r  à  un  degré  quelconque  dans  rinluunanilé  *. 
irlure  ne  disparut  pas;  mais  l'inquisition  disparut  ■.  Le 
ment  de  l'opinion  avait  été  si  grand ,  que  le  saint  office 
ilus  fonctionner  en  France.  Les  tribunaux  laûiues,  qui 
il  abattu,  devaient  malheureusement  ressusciter  son  esprit 
ème  siècle  ! 

'ance  royale  avait  dignement  maintenu ,  dans  cette  occa- 
1  suzeraineté  sur  la  Bourgogne.  «  La  seigneurie  de  Bour- 
»  ne  compensait  point,  par  l'union  de  ses  princes,  sou 
•lié  vis-à-vis  de  la  France  en  lait  d'ordre  et  d'administra- 
î  duc  Philippe  était  aussi  mal  avec  le  comte  de  Charolais  que 

VII  avec  le  dauphin,  et  Feffet  était  pire  encore  pour  le 
aixe  qu'on  se  querellait  de  plus  près ,  et  que  le  lils  rebelle 

mesure  de  disputer  le  terrain.  Le  comte  de  Charolais,  né 
I,  était  devenu  homme  fait ,  et  son  redoutable  caractère  se 
lit  avec  une  énergie  qui  promettait  de  grands  orages  à 
înt.  Ses  qualités ,  bonnes  et  mauvaises ,  étaient  tout  oppo- 
îelles  de  son  jière  :  sévère  dans  ses  mœurs,  dévot,  «  aumo- 
n'usant  jamais ,  même  dans  ses  emportements ,  des  blas- 
>  si  commmis  dans  la  bouche  des  gens  de  guerre ,  mais 
3UX,  dur,  obstiné,  inflexible  ;  lettré,  mais  n'aimant  que  les 
tiilitaires  et  les  livres  de  chevalerie ,  dans  leurs  rapports 
guerre;  préférant,  d'ailleurs,  à  tous  les  plaisirs  de  Fcsprit 

des  sens,  le  maniement  des  armes  et  les  plus  violents  exer- 
1  corps,  tout  en  lui  annonçait  un  conquérant  impitoyable, 
ndant  de  régner,  il  bouleversait  la  cour  de  son  père ,  et 
îiis  à  la  tète  des  nombreux  mécontents  qu'irritait  la  faveur 
c  des  Croi  :  il  avait  eu  avec  son  père,  dès  1457,  mie  scène 
;  à  l'occasion  de  ces  favoris;  le  duc  s'emporta  jusqu'à  tirer 
contre  Charles  ;  la  duchesse  défendit  son  fils ,  et  le  vieux 

J.  Duclercq,  1.  iv.  —  Registres  du  parlementj  cités  dans  rappendicc  au  1.  iv 

pcq. 

2ela  à  réï»0(iue  même  où  l'inquisition  prenait  des  proportions  gijjantesques 

^e  contre  les  Juifs  et  les  Maures,  en  Allemagne  contre  une  épidémie  de 

e  qui  fut  comme  le  contre-coup  de  notre  vauderie.  V.  le  Mnlleus  inaleficurum 

5  1480  par  le  dominicain  Sprenger ,  code  inquisitorial  qui  dépasse  de  beau- 

.1  du  2II1*  siècle. 


duc,  tout  ï^gaiiS  sY*hiiiç4i  hors  de  son  lo^Jîis,  et  itlM;\*nirlLi  jii<i(d'] 
Ëuir  à  Uavers  la  caiiipai^i]!;  Stim  Sâvnir  ou  il  alhiiL  La*  d^iili^ii 
g'cnlrL^tnil  à  rtemrilîor  le  père  cl  le  lils;  nmh  lik*iitôl  letoiiAc^ 
de  (Jiaralais  quiila  ilci*''clief  Bmxelk^,  h  naii«tfiii*c*  h  plu 
itairo  ilii  diitî,  et  se  ruit  A  conspirer  ma:  le  comle  i\t  Saint^ 
u  îitin  (le  bouler  jiioiiseigiieur  de  Croï  hors  de  \\\Mt*[  de  inc^nsé 
gtieiii'  le  duc.  »  Saint-Pol  sîe  rendit  int>iije  auprC-^  du  roi,  ri  II 
RHjull  aîisistanceaii  lioin  ilu  ruiiilc  defJiiir'  '  '  "     W\1 

ne  voulut  poiut  engager  une  lutte  tuipic,  •     !       '  us 

mrn  .vhmim  l'ciunnui  de  leur  libre,  i  I^>ur  deux  royniunj 
tcltî  que  le  nijen,  dll-]|«  |e  ne  eoui^jilii^is  poiiU  h  un  \f 
lait' 

i/.iiïajbli.ssemcul  de  la  lifinté  du  roi,  le  |)cu  de  dlsposîticuii  i|if*A^ 
avait  il  reprendre  les  arnies,  fuivnt  vertiiuenienl  [lour  Ijcaoru 
daîis  mn  refus.  Toutefois  il  est  juMe  de  eonfrain*  r.  " 
diagriii  rruij^arilr  la  vie  dêdiiiaiile  ,  iivaiefd  pu  »   '  ju 

uii  ceitaiji  poinl,  lu  sens  mural  dans  celle  âme  aride,  cl 
fondre  la  ^iate  de  ce  eœur,  Cliarles  VU,  afvbs  que  lu  nii^^îoiii 
révt'^quc  de  flouUuices  eiU  lîehoué ,  avail  eu  des  mouTeinmUt 
colère  et  de  veupance*  Ses  fiivorb  le  poussaient  h  Vfkùwrttcr  I 
luis  du  royaume ,  et  à  déshériter  son  fils  iilné  au  pmilt  du  piiln 
le  Jeune  Charlfs.  On  dil  que  (e  jjape  Pieîl  hil  eonsulUS  el  détenir 
le  roi  de  ee  projet,  »pii  eiU  huuleiersé  la  France^*  Char le.i  Vil.  ^  il  ( 
avait  eu  la  vell6it(%  y  renonça  eoiii|délcineJit ,  et  fa  varia  ci  cap 
ta  i nés  éeliouérenl  daiufi  tous  leurs  edVirts  poiu*  Ff  '  r  A 
l^ueri'e,  11  s  absorhait  tour  h  tour  ilans  un  enntii  ni".  .  iRîl 

tristes  voluptés  qui  hâliiient  les  înllnnîtéis  de  la  vrVillesst*,  Il  |«f- 
lait  de  son  lils  déftormals  avec  idus  d'afffieliori  i|Uiî  de  resMi^ 
tinient 

Œ  S'il  m'avoit  une  fuis  {wirlt*,  »  répétaît-i!^  •  U  eofinollroil  bten  qui 
ne  doit  avoir  ni  doutes  ni  craintes.  Sur  ma  parole  de  mi ,  itll  ^n 
venir  vers  iiïoi,  quand  il  inVjura  détiai'è  slï  pensée  et  aura  co 
mets  intenliouî^,  il  puiu  ra  s*en  n^lourner  où  bon  lui  seniUleni;  i 
j'ai  bonne  espémiiee  que,  lorsqu*il  ronnoîlra  imm  vnulnJr,  il 

l.  DudcM,  PfTutM,  p,  3t>0. 


lUCl]  MOUT  DE  CHARLES   VIL  o2l 

plus  joyeux  cl  coulent  de  deuieurer  avec  moi  que  de  s'en  aller'.  » 
•  L'expiation  n'était  pas  surlisante.  Celui  qui  avait  montré  au 
monde  un  prodige  d'ingratilude  et  d'insensibilité  devait  se  briser 
à  son  tour  contre  un  cœur  de  [nerre.  Il  n'eut  i)oint  de  pardon  en 
cette  vie.  Ses  angoisses  allèrent  grandissant.  Il  se  crut  entouré  de 
comi)iots,  menacé  de  voir  se  renouveler  l(»s  scènes  sanglantes  où 
l'on  égorgeait  ses  favoris  à  ses  cotés.  Puis  il  se  crut  trahi  par  ses 
favoris  eux-mêmes.  On  lui  remit  une  lettre  interceptée,  où  Louis 
se  disait  dlntelligence  avec  Danunartin.  C'était  le  dauphin  même 
qui  avait  fait  tomber  cette  dé])éche  dans  les  mains  de  son  père  ! 
Puis  une  autre  lettre  encore  fut  surprise.  Celle-là,  dit-on,  n'était 
pas  supposée.  Elle  était  de  la  dame  de  Villequier  au  dauphin. 
L'indigne  maîtresse  de  Charles  VII  prévoyait  la  lin  prochaine 
du  roi,  et  tAchait  de  se  concilier  le  futur  maître.  Bientôt  ce  ne 
fut  plus  seulement  pour  son  autorité,  mais  pour  sa  vie,  que  crai- 
gnit le  malheureux  [)ère.  Un  capitaine,  «  (ju'il  croyoit  bien  l'ai- 
mer, »  lui  dit  qu'on  voulait  l'enqioisonner.  Il  soupçonna  son  pre- 
mier médecin,  Adam  Fumée,  et  le  lit  mettre  à  la  tour  de  Bourges. 
A  cette  nouvelle,  un  de  ses  chirurgiens  s'enfuit.  Charles  ne  vit 
plus  que  poison  pju'tout.  Un  abcès,  qui  lui  \int  dans  la  bouche, 
lui  parut  le  premier  symptôme  de  renqioisonnement.  Sa  tête 
s'égara.  Il  ne  voulut  [)lus  boire  ni  mander.  C'était  en  vain  que 
son  jeune  Hls  Charles  goûtait  les  mets  devant  lui.  Il  s'obstina  à 
tout  refuser.  La  vie  s'en  allait  après  la  raison.  Le  conseil  entier, 
Dammartin  même,  sentant  Timpossibilité  d'empêcher  la  transmis- 
sion du  pouvoir  a  au  droit  héritier,  »  écrivit  au  daujihin  jjour  le 
prévenir  de  l'état  de  son  père,  et  lui  ex[)rimer  le  vouloir  que  tous 
avaient  «  de  le  servir  et  obéir^  »  (17  juillet  1401).  On  lit  ensuite 
un  d(*rnicr  etlbrt  pour  sauver  le  roi  malgré  lui,  en  lui  faisant 
avaler  de  force  des  aliments  liquides.  11  était  trop  tai'd.  Ses 
organes  résistèrent  connue  sa  volonté.  Il  languit  cinq  jours  encore, 
et  mourut  de  faim!...  (22  juillet)  ^ 

1.  DiicloSf  Preuves,  p.  188. 

2.  Les  comtes  du  Maine ,  de  Danois ,  do  Foix ,  de  la  Marche  et  le  sire  d'Albrct 
s'engîi^jférent  ]»ar  serment,  si  le  roi  se  rétablissait,  ù  faire  tous  leurs  cHbrls  pour  le 
réconcilier  avec  sou  fils ,  et  demandèrent  le  môme  serment  aux  autres  membres  du 
conseil.  Duclos,  Preuvea,  t.  III,  p.  190,  198. 

3.  J.  Charticr.  —  Cowm,  PU  II,  l.  iv.  —  Duclos,  Preuves ,  p.  201. 


tu  FRANCE  ET  BOinnOCf^C 

I/hiVilier  rlu  ivCmo  m'omiii^nsu  graf HK*nimt  le  i:oiirri4T 
crrevo  U'oh  chevaux  pour  lui  appri-nclro  pliis  161  ipiiî  !*•  lrAnivi''bil 
vide.  Umh  aVut  pas  rhypocrisie  lU*  vouloir  lucjicr  Ir  ûtiûl  i\v 
son  pèro.  Il  nianila  au  coriîicil  de  procéder  aux  fiin<iiiiilJc*  sut- 
raltciidrc.  Tandis  qur  îo  succrsscur  se  ri^jûui>s:iil  dr  '  -  niia 
rtïlijrl  de  S€S  longs  drsirs^,  la  fonle,  h  Paris  et  à  SrdnM  .  >  .*• 

rait  sur  lu  disparition  de  celle  ïxjyale  figura,  ûans  lacyticUe  l'ilh»* 
^m\  populaîm  perscumiiîail  la  délivrance  dn  m<i^  |a  jujû 

inlérienre  H  la  sérurité  publique  K  Les  voiler  l  | -ur  li^-i  ^rut 

de  la  inultitode  lui  cachèrent  la  lerrildo  ironie;  pnjvidt-*iiU* 
[m'isida  aux  fanera J lies,  i^t  qui  cor^clut  co  drsitTîC  iiiy^cTiriiiL 
règne  de  ^Iharles  ViK  C'était  le  prèthcar  du  hûcber  de  b  IhtccVÀ 
Nicole  Midi,  qui  avait  aulrerois  harangue  le  roi  a  son  i'olr«5c  iliiiif 
Paris.  Sait-ûû  quelle  voix  clirétiemne  ci»Ièbra  bous  les  vorttisiti» 
Saînl-Deni«'  le:^  nR'ntcî>  du  a  très*vidori*'u\  roi  ClKirle^  le  Mf* 
tîènK%  »  el  appela  sur  son  Aine  la  nnsérironle  il  eai  Ijiiiil!  Cfftilk 
rédacteur  du  procès  de  Jeanne  lïarc,  le  priartiml  coin(vlir<»  A* 
Pierre  Ctiuclion»  Thotnas  de  Courcelles^L,. 

Cliarles  VU  avait  vécu  cinquante -huit  ans  cl  régné  tntiiu- 
neid'  ans. 

Les  premiers  actes  du  nouveau  roi  furent  signidimlift.  ïl  daît 
encore  sur  les  terres  de  ce  duc  de  Bourgogne,  qui  l'aïail  nxueiUl, 
prulé^^é,  nourri  depuis  cinq  ans,  lorî>t]tril  lit  anvler  un  priiia 
anglais,  un  I^ineiistre,  le  due  de  Somerset,  fib  de  raficjen  r^cnl 
de  France  poin*  llenri  VT,  qui  venait,  i^ans  saiif-comluil  du  roi  «le 
France,  négocier  a\ec  le  duc  Philippe  (3  aoùl  ',  En  tuéjnc  *."»•'. 
il  dépêchait  aux  lionnes  villes,  h  Rouen,  à  Tour^,  h  i^emin' 
ciléî?  de  tiiiyenne,  Tordre  de  mettre  leurs  lud»itanl5  sur  picil  et  rir 


1 .  M  Grâce  à  la  bonne  oHtonEi&tictt  des  gem  cCiiTinii*,  Itrrtto*  i^  btAf«À«U  »*ii*ov«# 

luut  b  royiiutQ^,  Irur  }mn'j  f^lHn  J'or,  HMnsi  ^ùr^  .  ,         .>«  olmiiipt  «fOt  pÊtmi  )0 

hùxinitt  viawu  *i  J*  Diickrc(|,  L  tv,  c,  29* 

2.  ChftrO«r,  p.  aU).  —  J.  Dt*uhl«t,  p.  a:?4.  —  MuUiîciii  «lu  OtiiMrf,  ]}.  739.  I/o 
lirftt,  muuraai  |mrrjftguiHUi«l«^^  lui^a  ptntriiiut  t^fin^rt  tuî  «rie  |«]ie  r  riiicthrinl 
Un  dm  mtîiJibrtT!  d«  con-tciî,  Tiiiinê(fui  DurtiAul ,  upv<*a  ilti  f^mMit  TAiici»f«u«  fnii 

LoubXÎ  rjc  iLûdemii^û  qti>n  llTil.  ilirîîi«îrtt  î*  ^  1»  e-  ^\  i*^»V*  -• 

3.  M»t.  it«  rnlilié  Lpgfiaid ,  Prruin,  L-artow  ;?- 


lU6i;  niiniT  dk  lolis  \i.  023 

se  bien  garder  pour  le  roi,  c  est-à-dire  contre  les  gouverneurs 
suspects  au  roi  (20-27  juillet)'.  Cet  appel  à  la  bourgeoisie  mar- 
quait le  cachet  du  règne  qui  s'ousrail. 

Louis  avait  craint  des  tentatives  de  résistance,  des  complots  en 
faveurdesonjeunefrere.il  se  trojnpait.  Dans  ce  prenn'er  moment, 
st»s  ennemis  de  la  veille  ne  luttèrent  que  d'humilité  et  de  protesta- 
lions,  pour  tâcher  d'effacer  le  passé.  Tout  le  conseil  s'unit,  afin  de 
faire  de  Damniarlin  le  Loue  émissaire  qui  paierait  pour  tous.  Le 
persécuteur  de  Jacques  Cœur  quitta  la  cour  aussitôt  que  Charles  Vil 
eut  rendu  le  dernier  soupir;  il  alla  se  cacher  au  fond  du  Limousin 
afin  de  laisser  passer  Torage.  Il  n'emporta  [)as  dans  sa  disgrâce, 
connue  h»  grand  honnne  qui  avait  été  sa  victime,  le  témoignage 
de  sa  conscience  et  l'inviolable  foi  de  ses  amis  :  de  tous  ses  vas- 
saux, de  tous  ses  gens,  un  seul  honime,  un  serviteur  obscur,  lui 
resta  fidèle  par  compassion  et  bonté  d'ame^. 

Le  nouveau  maître  arrivait.  Le  roi  Louis  a\ait  envoyé  en  toute 
hûte  prévenir  le  duc  Philippe,  qui  était  à  llesdin,  et  lui  avait 
assigné  rendez-vous  à  Avesnes,  en  Ilainaut,  pour  se  diriger  de  là 
sur  Ueims,  la  ville  du  sacre.  Le  o  août,  un  service  funèbre  i)Our 
le  roi  défunt  avait  été  célébré  à  Avesnes  devant  son  héritier  et  le 
duc  de  Bourgogne.  Louis  était  «vêtu  en  deuil  tout  de  noir;^ 
après  la  messe,  il  quitta  l'habit  noir  et  se  velit  de  pourpre.  «  Sitôt 
qu'un  roi  de  France  est  mort,  son  fils  aîné  ou  son  plus  prochain 
est  roi,  et  n'est  point  le  royaume  sans  roi,  et,  pour  cette  cause,  h* 
nouveau  roi  ne  porte  le  deuil,  niais  se  revêt  de  pourpre  ou  de 
rouge,  signifiant  qu'il  y  a  un  roi  en  France  \  »  Le  duc,  voulant 
prévenir  toute  op|)Osition  au  sacre  du  nouveau  roi,  et  surtout 
faire  montre  de  sa  puissance,  convoqua  tous  les  nobles  des 
provinces  belgiques  et  [)icardes  à  Saint-Quentin  «  au  huitième 
jour  d'aoïH  suivant.  » 

Le  grand  concours  de  seigneurs,  d'officiers  royaux,  de  députés 
des  corps  judiciaires  et  des  bonnes  villes,  qui  affinèrent  bientôt  à 

1.  Archive»  de  Houen ,  citées  par  Michelet ,  t.  VI,  p.  3.  —  Mém.  de  Comines,  ôd.  de 
Lenjçlet-Dufresnoi ,  t.  I ,  p.  xlii. 

2.  }fémoires  de  Coniùi'-s^  èdit.  de  LonLflct-Diifrcsnoi  ;  t.  II ,  Prcura,  p.  512. 

3.  J.  Duclercq,  1.  IV,  c.  30.  —  V.  ci-dossu.^,  p.  86,  Cliarlcs  VII,  à  son   avéne-  , 
ment ,  s'ôUiit  conformé  au  mémo  ii«a{*o,  qui  exprimait  la  doctrine  monarchique  des 
légistes,  et  non  le  seutiment  populaire. 


Ui 


FiîANCE  ET  lîOURt;oa!fE. 


a\vesnes,  ih  ionl  Itî  nurd  ilii  i'oy.inuK\  \nim'  n'iiiliv  lu  ' 
roi  Lù\sleon>:itnn(*ï*,  riissiiracoiiiiJltltiiR^îil  Louis  :quii*.  r  „ 
(|uc  k  noI*leïi&^i%  It'S  g*»iis  de  guerre  et  les  iiitlices  ctïtniiimjiil*:s^ 
J'uvs-Uas  el  de  Picardie  se  levaient  en  niasse  |K>ur  lui  laeror* 
<  (ïrti%  il  ri)iotiR*rini  de  s^e  trouver  \nm  trop  f  t   '  '    "     '      rncisfl^ 
raiU  qmt  ïn  [dui^arl  dvs  [jîiys  prir  ou  t^jit  de  ^  lii^^WTïl 

pas$é  eussent  Hé  Unii  lullés  et  mangejs,  il  |>rin  le  due  lliiLipiH*  dr  ^ 
di'^lHn'ter  di-  fain^  si  i4rande  arTore.  w  (Jari],  Ducli^irq,   <  i'i* 

tuik*  tul  duue  fuii;^V*diée,  k  Siin  grand  rc;Lrrol,  et  le  roi  a.  .. — i> 
nu^nt  les  principaux  î^oigneiii-s  et  vasstiux  du  duc  à  vrriir  aiifiiirjY 
avec  leur  «  ùU\\  quotidien  »  (knir  suite  ordinaire^  l*.nir  niaisnf»;»  1*^ 
qiivh  a  vinrent  moult  noWenient  ni  rklienierd  iS|uijk*s,  ci  limil 
bien  encore  (piutre  niiUe  cornltalliint^^  ou  ilauinU^e.  *  LVîiïrî^  Je 
Fhilijipt!  dans  neims  fut  magnitlque.  On  YHïi  prU  pcvur  un  t  OD- 
pr»ronri>  et  h?  roi  i^our  mi  pauvre  lassaL  à  la  luifj'  '  '  '  ^^ 
eustunî*^  nir.squiii  de  Linûs.  tic  qui  n'était  pas  ^m  .  ^  ml 
cJie^  Louis,  c'était  Vèclalr  de  son  rc^'ard  cl  rironie  de  son  «mi- 
rin^  *, 

Louis  XI  fut  saeru  à  Heirns»  le  18  août  J  ICI ,  par  rnrth  '  ^^^ 
Jean  JouveneL  en  pn'*senee  de  la  pluiart  tics  prinec^  et  ii*  .. 
du  royauiûe.  Le  vieux  duc  d'Orliîans  et  les  iirincei^  ilMnjtHi  inaiH 
qnaieut  seuls  à  la  cen^'ïuonie*  Avant  son  courofnienirnL  L*jai>Xl 
voulut  recevoir  l'ordre  de  che>alerie  de  la  main  du  duc  »k  Bcnir- 
yogne  ;  «  el  fil,  i*  dit  Jaei]unîî  Duelerei|,  «  cre  que  jauiats  rtii  n'aïuii 
l'ait,  viW  1.H1  mruniienl  que  tou.<^  les  enfantin  de  Franee  sont  dif*> 
liei'S  mv  les  fonU  de  baptême.  •  Le  roi,  api^*s  avoir  rttya  IWIn:, 
le  conféra  h  mi\  tonr  h  deux  des  frère^i  du  duc  de  ihnirhoa ,  I 
rillustre  arganiiâateuj"  de  l'arlillrrle,  Jean  iturean,  el  h  dt^nxfl* 
du  sire  de  Croï,  le  favori  du  duc  de  Bourgogne;  on  Ht  eiwiiti' 
plu&  de  deux  cenls  autres  el»evali(  r^.  Le  duc  l^bilipiie  eut  IniiJ  W 
bonneurs  de  la  jounit*e;  ce  fut  lui  qui,  comnuî  prrnuer  p«ir*^ 
France,  (iril  la  couronne  et  la  posa  $ur  la  t^^le  du  nril:  loïit  k 
monde  suis^it  rallusion;  ee  fut  ui\  des  b«*nii\  l^oi^  do  s,iî?iî.ii\ 
Flnlippe* 

Le  surlendemain  du  8ùcre,  le  due  de  Bour^o^ne  oili  \m  kn^ 

L  r,  la  deiiuriptiwi  tl«  l>iiiKe  datui  Q,  ChiuliaïAlti,  |i,  yi^lM* 


[1461]  UKIMS   KT   PAÏUS.  52r, 

à  ral)1)aye  de  Saint-Thicrri,  et  là,  conrorinéniont  au  Irailr 
d'Arras,  il  lui  ronditlioniinage-ligo  pour  ses  seigneuries  de  France, 
et  eut  la  courtoisie  d'ajouter  qu'il  lui  ferait  service  et  obéissance, 
non  pas  seulement  de  ces  S(Mfj:neuries-là,  mais  de  celles  de  TEm- 
pîre.  Le  duc  de  Bourhon'  et  les  autres  feudataires  de  la  couronne 
qui  étaient  présents  imitèrent  le  duc  Philippe,  que  le  roi  remercia 
grandement  de  son  l)on  vouloir  :  le  «  bon  duc  »  témoi|2:nait  ne 
souhaiter  que  paix  et  concorde;  bien  qu'il  eût  de  notables  sujets 
de  plainte  contre  les  conseillers  de  Charles  VII,  a[)rès  le  diner  (Ui 
sacre,  il  avait  prié  à  genoux  le  roi,  «  en  l'honneur  de  la  mort  et 
passion  de  Notre-S(Mgneur  Jésus-Christ,  de  pardonnera  tous  ceux 
qu'il  soupconnoit  avoir  mis  la  discorde  entre  lui  et  son  jière,  c^t  de 
laisser  en  leurs  offices  les  ofliciers  et  goiivern(»urs  dudit  feu  roi ,  à 
moins  qu'on  ne  trouvât  par  vraie  et  juste  information  qu'ils  avoient 
fait  autre  chose  qu'ils  ne  dévoient  faire.  »  Louis  accorda  la  requête 
du  duc,  en  exceptant  toutefois  de  l'amnistie  huit  personnes  qu'il 
ne  nomma  pas.  Il  se  montrait,  d'ailleurs,  fort  accessible,  tout  en 
témoignant  ne  [)oint  aimer  les  longues  harangues  <4  eii  invitant  les 
complimenteursiielrehrefs.il  avait  recuà  merveille  les  complaintes 
de  Tévéque  de  Lisieux,  Thomas  Basin,  contre  qui  il  avait  pour- 
tant de  vieux  griefs,  et  lui  avait  même  demandé  un  mémoire  sur 
les  moyens  de  remédier  aux  misères  du  peuple  remontrées  par 
le  prélats 

Après  Reims,  Paris  eut  son  tour.  Le  duc  Philippe  avait  grande 
joie  de  s'y  faire  voir  api'ès  vingt-neuf  ans  d'absence.  Le  ponq)eux 
cortège  se  dirigea  par  Meaux  sur  Paris,  où  le  duc  fit  son  entrée  le 
30  août,  et  le  roi  le  31.  Jamais  on  n'avait  vu  si  prodigieuse  foule  : 
on  eût  dit  que  toute  la  France  avait  reflué  à  Paris  pour  assister  au 
joyeux  avènement.  Louis  XI  fut  sj)lendidement  accueilli,  et 
«  monsieur  de  Bourgogne  »  encore  mieux.  La  vieille  chanson  des 
guerres  civiles  :  —  Duc  de  Bouryofjne,  Dieu  te  remaint  [te  main- 
tienne) en  joie!  retentit  encore  une  fois  dans  les  carrefoui"s.  Le 
0  bon  duc,  »  ravi,  festoya  magnifiquement  les  dames,  damoiselles 
et  bourgeoises  de  Paris,  et  tint  table  et  bourse  ouverttîs  à  tous. 

1.  Jean  II ,  comte  de  Clorniont ,  devenu  duc  de  lîourbon  par  la  mort  de  son  père 
'^'•arles  I«',  en  dccemlire  1  lô(j. 

i.  Th.  ÎJasin ,  iiust.  Lvd.  A7,  1.  i,  c.  4;  ApohQin,  1.  i,  c.  2,  3,  4. 


Le  roi  H  «  la  seigneurie  »  pasiiei'cnt  p^^-s  d'tiu  mah  en  ÎMi*» 
Imnqucts  et  tournois  *;  œiiemlLait  Louis  avait  liAlc  <r*irt«  vmimail 
le  maîtn%  et;  sous  les  expressions  exugt'rte  de  sa  rec" 
envers  le  tluc  Philipiie,  il  laissait  pereer  la  g^ni;  iiihî  luf ,  . 
pi'é$eiice  de  cet  houmie  qui  avait  Uni  de  dmiB  Jim*  lui,  ei 
était  forcé  do  recevoir  les  conseils  avec  détoTiiciv  Li^  23  «fiiîmiinr, 
le  roi,  annoncent  l'intentîan  de  s îsiler à  A    '    '  ■     I.\  i 

doumrîtM-e  Marie  d'Anjou,  all-i  l'Eure  ses  a<îi  <     ^     k. 

en  son  hôtel  d'Artois,  et  Un  r6il<;'n  li's  plus  rlmleiirefi^^s 
talions*  Philippe  avait  déjà  eu  mainte  orcai^ion  d'apprendre  ii4|ii 
s'en  tenir  à  cet  t^ganL  Ib  se  séparèrent,  l^uis  pour  clKnauc 
\ers  la  Loire,  Philippe  pour  retourner  m  Bralianl*, 

Avant  le  départ  du  duc  Philippe,  liOuis  avait  diîjéï  oj^érù  lim 
des  ï  mutations  d  dons  le  gouverneineut  du  royauiiw  et  <  •'■ 
bien  des  uiécontentenients.  On  rapporte  ipie  le  due  Wiili|ip-  < 
sôD  cousin  lu  duc  Jean  de  Bourbon  :  «  Cet  homme-lii  ne  i\'pi<n 
pas  longuement  en  paix  %mm  avoir  un  merveilk*iiseiiH:si(  ftmi 
trouble  '.  t 

La  réaction  contre  les  hommes  et  les  choses  du  it^gn*?  pi^Vêdr «< 
avait  commencé  dés  le  séjour  de  b>uiî*  XI  à  Aviî^p^  ;  Jivcqur»  ât. 
Wrézé^  grand  sénéchal  de  Normandie,  un  des  |iUjs  ilîî-'- 
âonna^es  de  I  epofpic,  sYiait  n)iî*  en  route  pour  vcnij 
roi  de  la  (mrt  de»  ftlats  de  NoiinaiHlie;  Loms  refuM  de  1*  ^<iir, 
lui  manda  de  ge  retirer  en  sa  mai^on^  et  «  lui  tùl  Cail  pîi,  t  mê 

l.  l^n  dîf  ces  tounaoïît  fut  tigrialé  par  mi  ïiicitlcnt  bUairv,  m»H  iritiiu' 

tinrudt^  L't  jodx^  ânn^  hnn  BOtit|ïtiif.'ti)(  jccôutrcme^t^^  lotir*  t^oarhct  «A  Irxr  «nti 
lip,  un  Dqavma  chttmpioD  parut,   proU-Jiqupm^iii   nrf  iiarf,  liU  r%  «iiu  rh#^. 

VAUrrtPf  et  ^^  rîi?n  qv  ànra  dmatit  ïuL  n  G.  Cha  Mil  h  ml  ^lâi  AimH  aj^^'M 

futtJKSHî  ulteriilerie  vi  la  féodalitc^  4t^i,ïéii^réc  ,  nu  ptutit  »1c  r»4A  iiuurKiAU*, 

ta  Marchn,  n.  34.  —  Jcnnu  (î(*  Trok-H,  fhmfiî^ut  4,ymd'ihu4r     CcU€  cltmn^ur,  < 
il*un  L^nflUir  *le  l'Iiôwl  de  TjUe  de  l^arl*,  h\  rïvu  de  »  !■  W  Uim  i|m  U  *4 

j^njrrr.  On  dult  u  ^1.  UtK^Uoti  ht  fHiblicJitioEk  de  ot  inoiiiinMHii ,  Éit  |0af  liq^L 
^irc  de  l'èpat^fiic  .  i;\%t  nn  tuti],'  fruipntMit  c^tti  l'^ti^nd  «tp  14(}1  4  1100,  •«m  A^  ; 

3.  Ki'UtK^ri  d({  Vf>>niiU^  datu  les  P^mten  de  Caniinf^»,  Mll^  «li»  l^i^i^tf^rNAAii 
t,  II»p,  348.  " 


[1461]  IIK  ACTION.  527 

rintcrvcntioii  des  seifrneurs  de  Croï.  Louis  donna  plusieurs  di.'s 
grandes  cliargcs  de  TÉlat  soit  à  ses  compagnons  d'exil,  soil  à  des 
sujets  du  duc  de  Bourgogne  :  le  bâtard  de  Lescun,  plus  connu 
sous  le  nom  de  bâtard  dWrmagnac,  parce  qu'il  était  (ils  naturel 
d'une  dame  de  la  maison  dWrmagnac,  devint  marécbal  de  Franciî 
à  la  place  du  sire  de  Lolicac,  et  reçut  en  lief  le  comté  de  Com- 
minges,  que  Louis  u'iiésila  [>as  à  séparer  du  domaine  de  la  cou- 
ronne, pour  faire  un  établissement  à  son  at'lidé  '  ;  le  sire  de  Mont- 
auban,  frère  de  cet  Artus  qui  avait  fait  iiérir  le  prince  Gilles  de 
Bretagne ,  fui  investi  de  Tamiraulé  enlevée  au  comte  de  Sancerre 
(de  la  maison  de  lieuil);  le  sire  Antoine  de  Croï,  qui  gouvernait 
le  duc  de  Bourgogne,  et  cpie  Louis  voulait  s'îicquérir  à  tout  prix, 
fut  nonuiié  grand-maître  de  la  maison  du  roi  au  lieu  du  vieux 
Gaucourt  :  le  prévôt  de  Pnris  et  le  grand  juaître  des  arl)alétriers, 
deux  frères  de  la  maison  (rKstouteville,  furent  remplacés  i)ar  le  sire 
de  risIe-Adam  et  le  ber  ^  (baron)  d'Auxi,  Bourguignon;  un  mar- 
chand de  Bruges,  ap])elé  Lucois,  fut  général  des  finances;  (iuil- 
laume  Biscbe,  favori  du  comte  de  Cliarolais,  devint  bailli  d(î 
Soissons  et  favori  du  roi;  Henri  (lu>ur,  archevêque  de  Bourges,  un 
des  fils  de  Tillustre  Jacques,  fut  doyen  de  la  chambre  des  comptes: 
un  autre  fils,  Geoflroi  (Àeur,  devint  échanson  du  roi ,  et  Louis  XI 
autorisa  la  révision  du  procès  de  leur  père.  C'était  un  grand  acte 
que  de  dédire  la  royauté  sur  une  aussi  solennelle  inicpiilé*.  Louis, 
en  prescrivant  une  nouvelle  enquête  aux  sénéchaux  de  Beau- 
caîre,  de  Carcassonne,  de  Toulouse,  gouverneur  de  Montpellier 
et  autres  justiciers,  autorisa  du  nom  royal  la  requête  où  les  (ils 
de  la  victime  (îxposèrent  comment  «  feu  Jacques  Cœur...  eut 
grand  gouvernement  et  administration  sur  le  fait  des  finances.... 
où  il  se  gouverna  au  bien  du  pays...  et  mit  sus  grand  navigage 
dcgalées  (galères)  sur  mer...  au  grand  honneur,  luuange  et  profit 
du  royaume  et  de  la  chose  publique  des  François;  et  aussi...  con- 
(juit  grande  chevance  par  son  labeur  et  industrie,  à  Toccasion  de 


1.  Dans  cette  occasion  et  dans  bien  d*autres,  il  força  rcnregUtremcnt  et  interdit 
les  remontrances  soit  au  parlement ,  soit  à  la  chambre  des  comptes. 

2.  Ce  vieux  titre,  conservé  accidentellement,  est  curieux  à  remarquer. 

3.  CUi  prit  pour  point  de  départ  un  appel  interjeté  par  Jacques  après  sa  condam- 
nation. 


5ÎS  FEANCE  ET  HOt 

laqij(4!e  il  eut  |>luftî*^iir^  haînoiix  el  ni;ilvoilIaiil8,  lesquels     ^  ^ 
diiTîU  à  m  deyïriidion  rfe  rorjiiî  c*t  do  bit'ns,  i»k\  •.  > 

Si  uuManges  qiit*  juissenl  ôlfe  les  motifs  de  Loub  XI ,  Hiîslaire 
duit  lui  tPilir  roinpliî  d*avoir  hmù  imrlor  h  \vriU*  tH  \^\lUh 
ftirumli^lcs  da  parlenienl,  que  d'îiulres  ack*s  iiioiii-^  loiiali 
pO!^èn?nl  iiiiil sur  cos rnlroOiites pour  la  p(*lîlifpiL«  Au  oouvmii 
UéfiMhtml  Leîiuroup  devant  la  rajji^*ilioa  d'um^  st^it^nci*  rc 
pnr  un  tribunal  aussi  corisidcrable»  quoiqui»  eitraordinaiff  .• 
sigiiro  par  le  roi  en  lîun  cûnsciL  U*  pmcumir  do  mi  ttinrint 
ttmtixr^  L^l  I*a(Tïiire  traîna  jusqu'à  dus  C*vén^*ïu<»fitii  ijui  rendiit-iii  b 
solution  tujposïiible,  MafSi  en  attf'udanl,  firoffrui  (!a*ur,  tJindk  qui!* 
DanuiiarUn  Hmi  (râLkiit  doiui»  h  parlrumit,  5*<Viail  rc^^ki,  for 
voie  de  ftiil,  du  chdteau  de  Saiul-Fargeau  i*l  des  ymit^  flotMaiii« 
que  son  [lèrp  avait  possédés  dans  le  pays  ûv  I*uîsajp,  t4  que  s^ètail 
(ail  alijibuer  DaiDniaHin  :  Loni$  XI  tonflnna  la  reprise  de  piK- 

Toutes  les  ^  uiututîons  i»  cipértrs  |iar  Louî^  m:  Turtnl  fvi^ntiiô 
digTics  d'aiiprolKition.  Il  s'y  prit  iVium  i'irmm  iiMmiriX!  jxHirif 
foire  lin  rhanreïjer  k  la  plan»  de  (iuillaum*!  JoiiviiinJ,  ivnupif 
ai*rèâ  le  sacre,  II  alla  chercher  le  chef  de  la  jui^lice  mr  le  bniird<* 
aecimés^,  et  conlîa  les  sceaux  h  Pierre  de  Morvillier?.  ê^'^jur  d*(l^ 
U'iim^  conseillcT-clen:  au  parli*nient  de  Paris,,  ijtii  éliiil  m  et 
manient  nuïme  poui'suivi  pour  maiversatiom  ilnnh  «a»  fonctraitt 
judiciaires^.  C'était  pousser  à  un  degré  vraluîtnl  elTraj^nt  ^ 

L  P»  CWm^fttî  Jaeqitn  Caur^  t  D,  FUtat  r*a  20  H  2h 

citadt'^îtii'r  fut  donnée  à  MonflllIcT*,  mérite  iri^trc  eUo  înx^ 

uij  peu  î«  vietii  wullon  i\f  VhhUir'mu,  **  MjiIUi^  Ju^mw  ^B    «  .x. 

»k'*in)  a  volt  él^  ariniKc  fravotr  pri*  ar;iÇOtit  à  totJten  les  dcm  i- . 

Tour  eauîie  d*fi[i  Ici  in^'^ii»,  on  lui  siwh  d<''fen»lu  ïa  cltftinl'rf     '  .n-:—  , , 

pnrlemcnt,  sm  compjît^ûtWj  et  en  i-lol<rijt  ilcjA  ffiilf-*  *  ^^agttim 

Lff  i-i»j  fît  Umu^t)  (ipporti^r  ni  mu  rliEinil>rt<  a»im  i{w  ;  .  Xa^ 

J«h»n  v'mi  4''VHnt  !*•  rtjl  à  »on  tomiiii4tid**tnçDt,  m  m  .  -  :•  ir  n  4;^-^.  li  k  iv^. 
crnnmf'fiçn  à  demundcr  ;  >•  N'été»» ru u»  pxilnl  e/*/J  (celui  )  «juj  4r«v  un  l«i  |pio^  f«i 
tuUe  oauic  et  ti^Mi"  ?  —  Et  oui,  *irF,  <1it  rmitr**.  —  Kt  rcwnmwit  vn  ptiiwi  iiiin  ch^di 
(lOrlir]  ?  éu*'*'^iiti<«  bien  r^couforté  dv  vc  qui  en  peut  «uliir  V  «-  IHif  •*  fU.  /r  *• 
ricioiïfoitc  IjIch  en  Uimi  ^t  oit  iiiott  Xmii  AnùL  —  i*t  l^mwiiiUfni  nmp^m^ 
ftmbblif  ],  iiVn  vomJni'^vpiD>^  intint?  —  Blrc^  |c  niï  vpat  ritm  ifm  ^ùH^oc  €A  ^nitam, 
•^£1  i^ui  voadroit  fa/rp  ii^Ice,  ne  lit  |in'nilriv%«viiui  |HMfii>  ^  2*if«v  1*  ^^^P  tiélv 
ébre  en  ifoUe  |^r;\<^  niio;)  biiuc'ile  je  ne  fn\t  flirv,  rtuiis  en  ordjo  09  tiqtiiffi  ffiil* 


[1461]'  RÉACTION.  5W 

mépris  de  l'opinion,  et  montrer  que  raiulace  et  la  dextérité  étaient 
les  seules  vertus  qu'appréciât  Louis  XI. 

Le  parlement  fut  en  grande  partie  renouvelé,  et  des  pour-suites 
furent  ent<miées  contre  Dammarlin,  Brézé,  Cousinot,  et  quelques- 
autres  membres  de  l'ancien  conseil,  tandis  qu'une  anmistie  pleine 
et  entière  était  octroyée  au  duc  d'Alcnçon  et  au  comte  d'Arma- 
gnac. Le  duc  d'Alençon,  parrain  du  roi,  avait  rendu  autrefois  de 
notaWes  services,  et  le  duc  de  Bourgogne  avait  protesté  contre  sa 
condamnation;  mais  Armagnac  n'avait  aucun  titre  à  l'indulgence 
royale.  Par  contre,  le  duc  Jean  de  Bourbon ,  qui  avait  bien  servi 
l'Étal  contre  les  Anglais ,  perdit  le  gouvernement  de  la  Guyenne. 
Il  dit  au  roi  de  rudes  paroles  «  pour  son  désappointement,  »  et  ne 
cacha  pas  son  espoir  de  l'en  faire  repentir. 

C'étaient  moins  encore  les  fautes  de  Louis  que  ses  éminentes 
qualités  qui  devaient  exciter  les  «  merveilleux  troubles  »  prédits 
par  le  duc  Philippe  :  les  grands  se  fussent  médiocrement  inquiétés 
de  voir  des  favoris  succéder  à  des  favoris  ;  ils  s'alarmèrent  davan- 
tage quand  ils  reconnurent  que  le  cheval  du  roi  «  portoit  avec  lui 
tout  son  conseil,  »  suivant  l'expression  du  sire  d(î  Brézé.  Ce  n'est  pas 
que  Louis  ne  reçût  volontiers  les  avis  :  il  écoutait  tout  le  monde,  mais 
décidait  toujours  h  lui  tout  seul.  Infatigable  d'esprit  et  de  corps, 
<  subtiliant  nuit  et  jour  nouvelles  pensées,  »  comme  dit  Georges 
Chastellain,  il  voulait  tout  voir,  tout  savoir,  tout  faire  par  lui-même  : 
sa  sagacité  était  grande,  si  ce  n'est  que,  trop  enclin  à  supposer  le 
mal,  il  le  faisait  parfois  éclore  là  où  il  n'était  point.  Il  s'enquérait 
partout,  dans  les  autres  «  seigneuries  »  ainsi  qu'(?n  ses  états,  «  des 
gens  d'autorité  et  de  valeur  j>  qui  le  pouvaient  servir,  et  reclier- 
chailde  préférence  les  favoris  des  autres  princes,  [)our  tirer  d'eux 
la  pensée  intime  de  leurs  maîtres.  Peu  soucieux  de  la  moralité 
dans  ses  choix,  il  préférait  les  consciences  flexibles  aux  consciences 
rigides;  aussi  fut-il  souvent  trompé  et  trahi  sans  pouvoir  s'en 
prendre  qu'à  lui-même.  Sa  faveur  était  mal  sûre,  d'ailleurs,  et  il 

nallc.  —  Comment  déal  voici  votre  procès  et  votre  accusation  en  ce  sac  que  j'ai 
devers  moi,  et  en  rcfuaez-vous  ma  j^râce,  et  que  j'abolisse  tout?— Sire,  je  ne  demande 
grâce  nulle,  fors  que  justice...  »  Et  le  roi,  alors,  voyant  sa  constance  et  sa  grande 
a-ssurance  de  parler,  le  rcfi^arda  par  manière  d'admiration ,  et,  contenant  sa  parole 
nn  peu  au  premier  mot,  lui  dit  :  —  Je  vous  fais  chancelier  de  France  :  soyez  prud'- 
homme !  »  Georges  Chastellain ,  Ir«  partie,  c.  21. 

VI.  34 


530 


KR\?fCÈ  ET  nOÎ'HaOONR. 


nmi 


se  (légoûtAÎt  trop  tarikïnteiit  d'hofiiiuef:  qu*[l  a^all  |rb  tnitk^  |ii!iD(« 
h  gagnt*r.  Quarui  il  voiilaît  s'uttaelifr  qiiclqifui)^  Jiwllt*  finition 

ne  lui  coûtait  :  riirrUier  d%îr?uriU*'rix  iHofi/inpiri*,  fjoi  ru*  ié- 
gTiaî*^nt  parler  que  par  ririlenuriliain*  de  |i*iir  i!liai>felitf  oiii 
Ëtats-CitSiérauic  on  mix  anibasfîideui-s  des  iïouwnijn^  («tranjc», 
fi'ababsîiit  h  care^^er,  dans  de  lon*îS  entrefn'ns,  la  \iinît^  dim 
gentilliûiiuiie  ou  (rim  hotirgf^ois  qu'il  esïiiiiail  utile  h  ^^  df«dia 
C'était  le  rot  f|ui  fîaltail  les  sujets!  Il  ne  ^'iiiquiélail  ^utt^  dr  cfUH- 
promellre  la  digniti^  de  sa  couronne;  ce  qii'il  «stmiail  en  tui* 
inertie^  ce  nV'tait  pas  le  roi,  c'était  rhojTune  plim  docU»,  j^ui 
suldil,  a  jdus  ^ge  pour  î^ûj  tirer  d*an  luauvaisiwts,  »  plu5^a$llr(e!!î 
qiïp  tous  les  autres!  Seeptique  el  railleur  dîin^  loul  ce  qui  «r  Um* 
cliait  point  h  sn.^  superstiiianjs,  il  uit**]>nsaît  Te^prit  c^l<na!lT•--|1i^ 
pourses  vertus  non  moins  que  pour  ^(%  Ui\h*s^,  dnlai;çnail  |*t ««lu 
inent  less  pompes  thMtrales  dans  lesquelles  scsiiiVis  a\aieni 
leur  niajeslè  ;  il  st*  uioulrail,  <f  en  habit  court,  «  nnx  un  \icu\  [mw- 
point  de  futnine  pise,  un  feutre  rfif\è  el  a  xm  fuMiriot  elnr^^  '  " 
duns  i\(*s  conférejices  où  les  souverains,  ùn^  li-^piels  il  > 
'  chalt,  R*splendis&iiîenl  d*ûr,  do  soie,  de  velours  et  ih  irterrtiiflL 
Ainsi,  au  relonr  dti  «iaere,  tandis  que  le  dtie  î'Im"  "        <>' 

Paris  des  magnitieences  de  rtiAtel  d'.Vj1uis,  Luui.  :.    i „     i 

rijôte!  des  Tournelles  un  |>lus  grand  Mat  qu'à  Gmuppe^  H  ii'mç- 
mentait  pas  ^n  maison  de  dauphin  evilé  :  il  :i5sJ>:Ti/iit  à  **.»ii  a^i^l 
des  emplois  plus  utiles  *,  L'ulile  iMait  m  seule  ri*j.^le,  el  \mum  il 
ne  eomprit  quelU*  puîssîURe  il  y  a  daiiii;  le  jtis-te,  il  pn^frnlNi» 
tonte  diose»  paifois  rn^me  h  son  detriniinjt,  la  ligne  lorttii^f* 
k  la  ligne  droite,  la  ruse  à  la  Toree^  r.idh^^c^*  au  coiihmJ 
qiioiquMI  eût  au  liesoin  eet  opiniâtre  courage  qn'inif|iirr  tÊM 
volont^'^  imHîranlable.  Il  était  la  réaeticin  imam^i?  enntje  le  njo^^i 
Age,  contre  sa  morale  et  son  idéalité  autant  que  conln-A'5  ulrr- 
rations,  eonUe  ses  liïiertés  autant  que  eofitrc  ion  anarrliitt.  La 
dévotion  ni6me  de  Louis,  seule  ineonsi^quiîiire  i!*ijii  raorlèn  <^ 


1,  Il  nVparjfnttlt  [m»  ytnnt  ihii'^unth^v  t  -  H  m*  mrUùli  tien 
tmil  H  d<^|wikU>ir  f*î/T|it'n«islu  ttxit.  ^  CnuiiNv*,  t.  II,  fi,  III'  f 

c'«it    rin^UiK-t  de    lit   l'ireulutloti  qui    rvtutuvtiUc ,   aa   .. 


:i461]  POnTUAlï  DE   LOUIS  XI.  S'il 

eût  dû  aller  à  rincrcdiililr,  n'avait  plus  rien  du  fanatisme  aus- 
tère et  grandiose  d'autrefois;  c'était  un  félicliismc  matérialiste 
qui  remontait,  par-dessus  le  moyen  ûgc,  à  ces  temps  où  les  rois 
barbares  mettaient  les  saints  du  paradis  de  compte  à  demi  dans 
leurs  entreprises  et  dans  leur  Imtin.  A  cette  faiblesse  près,  Louis  XI 
fut  le  plus  illustre  discipli»  di;  cette  politique  dont  les  tyrans  ita- 
liens contemporains  lui  donnaient  l'exemple,  et  dont  .Afacliiavcl 
devait  un  peu  plus  tard  domier  la  théorie  en  lui  laissant  son  nom. 
L'usui-pateur  du  duché  .de  Milan,  le  fameux  Francesco  Sforza, 
avait  été  le  maître  et  le  modèle  de  Louis  XI.  L'éducation  italieime 
envahit  la  France  par  la  politique  avant  de  l'envahir  par  les 
beaux-arts. 

Une  différence,  pourtant,  sépare  Louis  de  ses  maîtres;  une  dif- 
férence essentielle.  Par  les  moyens,  il  est  leur  pareil  ;  par  le  but, 
il  est  autre.  Ces  tyrans  d'outre  les  monts  n'ont  qu'un  but  i)er- 
sonnel,  tout  au  plus  un  but  de  famille.  Lui,  a  un  but  général.  Il  est 
le  chef  d*une  vraie  société  politicpie,  le  chef  d'une  nation,  et  il  en 
a  conscience.  C'est  là  seulement  qu'il  se  sent  une  conscience;  il  a 
un  vigoureux  instinct  d'iivenir;  il  veut  laisser  œuvre  qui  dure 
après  lui.  Ce  mauvais  hojnmc;  n*est  \)oini  juauvais  Français  '. 

Les  princes  du  sang  et  les  autres  grands  qui  se  ralliaient  à  eux 
entrevirent  bientcM  l'objet  capital  où  visait  le  nouveau  roi,  la  des- 
truction de  ce  qui  subsistait  de  l'oligarchie  princière  et  la  con- 
centration de  toute  la  puissance  nationale  dans  les  mains  du 
monarque  :  ils  comprirent  que  Louis  «  étoit  naturellement  ami 
des  gens  de  moyen  état,  et  emiemi  de  tous  grands  qui  pouvoient 
se  passer  de  lui  »  (Comines).  Cette  tendance,  qui  avait  déjà  tant 
inquiété  et  mécontenté  les  princes  chez  Charles  Vil,  se  prononçait 
bien  autrement  énergique  chez  son  successeur.  Il  était  impossible 
que  les  grands  n'essayassent  pas  de  renouveler  la  Pragueric  contre 
leur  ancien  complice,  et  avec  plus  de  chances  de  succès;  car  le 
bon  accord  de  la  couronne  avec  son  formidable  vassal  de  Bour- 


1.  «  Le  despote  Louis  XI  n'est  p;is  de  la  race  des  tyrans  égoïstes,  mais  de  colle 
dc<  novateurs  impitoyables.  »>  Aufç.  Tliierry,  IC^sui  sur  l'hiat.  du  Tiers-Etat,  p.  rtô.  l\ 
n'éiudiait  pas  seulement,  chez  les  Italiens,  les  tyrannies  nouvelles,  mais  aussi  les 
aneiennes  et  durables  institutions  :  il  fit  venir  deux  Vénitiens,  »<  à  grand  mystère,  w 
pour  s'instruire  auprès  d'eux  de  leur  gouvernement.  G.  Chastcllain,  p.  190. 


53Î  FRANCE  ET  tiOîUl^*OG^E.  tmil 

fopxu  Dû  pouiml  duj*ûr  :  l'cîx|>ulsiôn  d^^HniUve  flc&  Aûgkis  ti  k 
rHouv  de  la  Bourgofpc  soos  la  $uzcvmmU*  n)Yalc  dmiciu  tV 
utossaircmi^nl  suivis  d'une  lufto  cntri?  Iri  coun-'^"^^  -•  ^' 't*^  ^  '  ^^  fr 
puissance,  scini-fi'aiiçnise,  sem'H;lranpère^  plu 
vaîssale  quUndépendaiile ,  et  poiiil  d*appui  ôbU|îé  de  t 
rm^contenls.  Louis  XI,  avec  des  ménegBmrnts  i?l  drs  if-mcÉij^u  i 
de  reconnaiKsanre  pour  les  gervices  ronilus»  iiViHpii  qm  ni-ji 
la  crise  jusqu^à  la  mort  du  duc  Philippe  :  le  vjolciil  Qiâjiobi^ 
îi'îivjiil  pas  îiii  cœur  un  reste  de  smtimcul  brmçtnê  C0mnw  *^m 
pèn*,  et  eût  fondé  mns  snrupulc!  sa  grandeur  mr  h  rtiw  4u 
royaume  et  de  la  inai^ion  de  France. 

Lt^s  prcmJèreg  agilalions  du  régna  oraj^ettu  de  Louid  XI  nt 
furent  pas  néanmoins  I* œuvre  des  prînres  :  Loujà,  à  l'èpcNiiie  4c 
son  fsacrr,  avait  laissé  espérer  la  diminniion  di-s  impOUcI  Viiiolh 
tion  de  ceux  qui  avaient  été  étafïlis  sans  le  coiiR'nletnf^at  cxplidlf 
iim  lîtat^-rtéuéranx  ou  Provîneiaux  ;  il  avail  aecnetili  iwir de  boniiei 
paroles  les  d»*piiléis  des  EtiiU  de  Normandie,  ipil  se  plaipinknl 
que  leur  province  eût  été  taxée,  sou5  Charles  Vli»  A  400,O00fnii)Cf 
d'or  de  taille  par  au  K  Mais  Louis  avait,  sur  les  frontlétriï  oNimic 
sur  rinlérieur,  des  desseins  qui  ne  pouvaient  st^eP'   '  m 

argent,  Non-&eu Ionien t  il  ne  put  rôduire  les  impôts  ^» 

niais  il  mit  xm  nouveau  droit  sur  les  vins  h  rentrée  de»  rillcj^. 
et  cela  au  moment  même  nu  le  dur  de  lî«iuri,'opTip,  repreiifint  *oii 
YÎeox  rôle  de  popularité,  le  priait  de  «r  metii^e  jus  »  le*  laJUiis,  Ui 
peuple  irrité  se  souleva  h  Reims,  h  Angers,  ù  Aurilliie,  k  Ak!ncciii,0l 
allleut^s;  les  registres  desimpilts  fuJvntLrûlés  plusîeurK  feniiifrn 
des  aides  et  gabelles  furent  massacrés  a  Bcinvs;  mais  Cf*«  éinrul^ 
ne  grandirent  pas  jusqu'à  rinsnrreetion,  Joacliim  Rouaull^  que 
le  roi  venait  de  faire  maréchal  de  France  h  La  plai*c  du  %im\ 
Potlion  de  Saintrailles,  moH  récemtrient ,  enlm  dams  Reims  âan^ 
résistance  avec  Jean  Bureau  et  forée  gens  d'armes.  Bon  nombrt 
de  pens  furent  décollés,  pendus,  t  e^sorillés^  ^  ou  bannis  {oc^ 
tnbre  JîCI).  On  voit  encoï-e,  à  Tex teneur  de  la  f^athédnlet 
reftîgii*  de^  rebelhîs,  pendus,  registres  au  rou*  t^i  ville  dut  faiir 

l.  ha.  tiilîli\  mrH  la  ryrtjtirftmrt»  Ûv  lu  KorBuiiîiîie  HÛu  ta  Quytnm^  mil  it^ 
2i  Oreillt»  w^nin^. 


[1461]  THOUBLES  A  REIMS.  533 

sculpter  ce  Irisle  monument  en  manière  d'amende  honorable  *. 
Angers  endura  semblables  rigueurs.  Le  peuple  n'oublia  pas  le 
€  joyeux  avènement  »  du  roi  Louis  XI,  et  ce  monarque,  qui 
écrasa  les  tyrans  féodaux,  qui  vécut  familièrement  entre  «  gens 
de  petite  condition ,  »  qui  rendit  tant  d'ordonnances  favorables  à 
la  bourgeoisie,  mais  qui  fit  peser  sur  les  masses  de  si  rudes  exi- 
gences, ne  devint  jamais  véritablement  populaire. 

Louis,  tandis  qu'il  sévissait  contre  le  peuple,  tâchait  de  déguiser 
aux  grands  ses  véritables  intentions  à  leur  égard ,  et  les  caressait 
en  attendant  qu'il  pût  se  passer  d'eux  :  il  ne  poussa  pas  plus  loin 
la  réaction  qu'il  avait  dirigée  contre  les  conseillers  de  son  père  ; 
il  donna  le  duché-pairie  de  Berri  à  son  jeune  frère  Charles ,  et  se 
rapprocha  du  roi  René  et  du  comte  du  Maine ,  frères  de  sa  mère , 
quoique  ces  deux  princes  l'eussent  desservi  près  du  feu  roi  et 
n'eussent  point  assisté  à  son  sacre  ;  il  confirma  le  comte  du  Maine 
dans  le  gouvernement  de  Languedoc ,  et  se  réconcilia  également 
avec  le  comte  de  Foix,  vicomte  de  Béarn  :  surtout  il  «  festoya  » 
et  combla  le  comte  de  Charolais,  qui  l'était  venu  voir  à  Tours: 
il  lui  fit  rendre  des  honneurs  prescjue  royaux  dans  toutes  les  villes 
où  passa  ce  prince.  Il  lui  accorda  le  droit  de  grâce.  Il  lui  donna 
une  pension  de  30,000  francs  et  l'hôtel  de  Nesle,  à  Paris.  Sous 
tous  ces  beaux  semblants  de  confiance,  Louis  veillait.  Sachant 
que  le  duc  François  de  Bretagne  se  disposait  à  lui  venir  rendre 
hommage  à  Tours ,  il  voulut  empêcher  cpie  ce  duc  et  le  comte 
de  Charolais  se  trouvassent  ensemble  :  il  s'inquiétait  fort  d'un 
projet  d'alliance  entre  eux.  Il  retarda  la  visite  du  duc  de  Bretagne, 
et  hâta  le  départ  du  comte  de  Charolais, en  lui  conférant  le  gou- 
vernement de  Normandie  et  en  l'engageant  d'aller  prendre  pos- 
session de  ce  magnifique  commandement  ^.  L'expédient  était 
hasardeux!  Le  duc  François  arriva  peu  de  jours  après  (18  dé- 
cembre), et  le  roi,  après  avoir  reçu  son  hommage,  le  nomma 
son  lieutenant  dans  tous  les  pays  d'entre  la  basse  Seine  et  la  basse 
Loire,  durant  une  longue  tournée  qu'il  s'apprêtait  k  faire  dans  le 
Midi  :  il  comptait  brouiller  les  deux  princes  à  l'occasion  des  pou- 

1.  Miçhelet,  VI,  20  ;  d'après  Varin,  Archives  Je  Beims. 

2.  Le  comte  Charles  fit  son  entrée  à  Kouen,  le  29  décembre  1461.  On  lui  présenta  le 
TÏD,  comme  au  roi  même.  Archives  Je  Houen,  ap.  Michelet,  t.  VI,  p.  15. 


iU  FRANCK  ET  BOL'IlCOGJiR  «mi 

voirs  conlradictniiTS  quMI  leur  oclnmnl;  mn  mliul  ïi'm--^  m  J 
LijiiJî?,  ^  fon'e  (Je  finesse ,  se  prit  plus  trime  Uh^  <lîm^  :>♦  r  fn  h[  ir 

|]  venait  di?  faire  ime  grande  faute,  iiui  timniail  rooin!  tui 
seniiniept  national  sur  un  poiiit  ijupurliinl.  L'i  l*ra^^umijn< 
celle  ctMivre  populiire  des  coriciles  géîH^rau\  cl  iKiHon^m  et  iW 
njn8<?il  de  France,  le  gûnail  à  la  fuis  loiiliuc  ijii^uinf  trop  p«4f 
|*rise  h  rarbilralre  royal  dans  les  élcctiDris  ecdêsiaslj^iuc^,  ci 
Cfïnirne  aicordaul  ti rjp  dlnlluc^nie  aiix  gmods  dans  ta  pn>riiîa- 
lion  aux  prélatnres  et  dans  la  collation  des  hén^ficcs  infciicui». 
Uue  son  gouvernement  fi\t  Imbile  et  foil ,  el  rinflurâc^^  nijili« 
devait  évidemuient  devenir  plus  forte  que  titlle  des  éeigneiin 
dans  les  élections,  L'ijn[)atience  6tait  un  grand  ùHuui  de  I/Mib. 
Il  aima  niimi\  s'cnlendre  avec  Borne  contre  la  "  que,6l 

infliger  à  la  m<Jmoire  de  son  p^iw,  sur  la  IouîIk  ..  i-.  m,^  (eroWt 
lie  Sainl-lienis»  Vidlront  d'une  ab^olulion  pustlmniL*  duuiJt^*  par 
Ita  lé^iïï  ûu  pape  pour  le  péeliè  d^avoir  sousrril  cette  loi  rèpnni^ 
du  mlnt'îîK'ge;  puis  il  signilîa  au  piu^lenienl,  en  préftcnoe  du 
Cfinjtc  de  iJiarnlais  et  des  grands  du  royaume ',  fjoe  la  Pmguui- 
tiipie  pesait  k  sa  eonseience ,  et  qu*ii  l'avait  ms^n  par  une  lettre 
au  saint -père,  délibérée  en  eonseil  idu  27  ivovemlirc  li6l|;il 
exliiba  une  bulle  d'abolition  expédiée  par  le  pain*  Pie  II,  la  l>iivi 
avec  grande  dévotion  et  commanda  qu'on  la  «*fnUprèciiîU54*inrn! 
liuns  un  coffret  d'or  ** 

Le  fond  de  eette  mumerie,  c'est  quîl  espèmît  [tùri  -         m 
innible  et  avoir  le  tait  la  où  le  pape  aurait  le  droit,  -  in% 

flisposer  en  réalité  des  b^^néflces,  L*babile  Pic  II  lui  toi^nit, 
riuelrpies  seinaîneâ  aupara^anl  :  «  Si  les  prirlats  H  unixeràth 
(de  France)  défirent  cpiehpie  vhme  de  notwf,  c't^l  à  von.-*  quit 
duiient  s'adresser^,  *  11  y  avait  là  une  illusion  difncjle  4  4^oiih 
|>rendre,  ebe/.  un  es|int  n\m\  fin  que  Louis  XL  11  unit  amlrt  lui 
les  passLjons  et  les  classes  les  plus  divcrscis»  {Kirlemeiits  et  uniter- 
si(és,  seigneurie  et  bourgeoisie,  et  n*eul  point  la  rornpiïnîsitiQii 

2.   Th.  Basiii,  ^  J.   Dimlcncq ,    l   iv,  c  33.  —  Mm.   àû  i'éàé  L«ia^« 


U462]  IMIAGMATIQUE   ABOLIE.  53î> 

sur  laquelle  il  avait  ooinpU».  La  joie  des  Romains,  du  moins  de 
cel  avide  peuple  rléi*îcal  qni  enlonrait  le  saint-siége ,  lit  voir  qu*ils 
cntendai(»nt  autrement  que  le  roi  de  France  Tabolition  de  la 
Praginali(|ue  *.  lis  se  jetèrent  sans  discrétion  sur  la  riche  proiiî 
qu'on  leur  rendait.  Le  pape,  suivant  J.  Dudercq  (1.  v,  c.  i) ,  avait 
promis  de  «  mettre  en  France  un  légat  qui  donneroit  les  béné- 
fices, afin  que  Tai-gent  de  France  n'allât  point  à  Rome  :  »  la  pro- 
messe ne  fut  point  tenue;  la  simonie  rourdino  recommença  sur 
la  plus  grande  échelle,  et  la  cour  de  Rome  eut  tous  les  bénéfices, 
le  roi ,  tous  les  inconvénients  de  cette  contre-révolution  ecclésias- 
tique. Louis  ne  devait  ])as  supporter  longtemps  ce  rôle  de  dupe  ! 
Le  voyage  politique  que  fit  le  roi  dans  le  Midi  fut  mieux  en- 
tendu et  plus  fructueux  que  Tabolition  de  la  Pragmatique^.  Louis 
rendit  à  Bordeaux  et  aux  principales  villes  de  Guyenne  et  de  Gas- 
cogne les  i)riviléges  dont  elles  avaient  été  dépouillées  par  suite  de 
la  rébellion  de  1 153,  et  institua  à  Bordeaux  un  parlement  aurpiel 
ressortirent  le  Bordelais,  le  Bazadois,  les  Landes,  TAgénois,  le 
Périgord  et  la  Saintonge  (10  juin  1  iC?),  puis,  bientôt  après,  FAn- 
goumois,  le  Limousin  et  le  Querci  :  ce  fut  un  véritable  parlement 
d'Aquitaine.  Le  parlement  de  Pai'is  en  fut  moins  joyeux  que  les 
Gascons.  En  même  teuips  que  le  roi  s'assurait  FalTection  des  villes 
gasconnes  ^  il  voulut  créer  des  grands  qui  lui  dussent  tout,  et  qui 
fussent  intéressés  î\  le  soutenir  contre  les  autres  grands  :  il  fit  un 
puissant  seigneur,  pres^pie  un  prince,  dubAtard  d'Armagnac,  son 
plus  fidèle  compagnon  d'exil.  Le  bâtard,  déjà  comte  de  Conunin- 

1.  Un  niannoiiuin,  rcpn'^«'iit:int  la  Pra;^natiqiio,  fut  brûle  ii  Rome.  Par  compen- 
sation, les  écoliers  «le  l'université  de  Paris  jouèrent  publiquement  un  «  jeu  à  pcrson- 
na}fe^*,  contenant  comment  les  rats  avuient  man^^é  les  sceaux  de  la  Praji^atiquc- 
Sam.-tion,  et  comment  les  rats  qui  en  avoient  manu:é  eurent  rou^e  tète,  »•  allusion  & 
l'é^êiiue  d'Arras,  qui  eut  lo  chapeau  rouy^e  pour  prix  de  ses  bons  offices  <lan8  cetto 
affaire.  Voyez  Duclercq,  liv.  v,  c.  4. 

2.  Cioor^es  Chastollain  (partie  i,  c.  39)  raconte  une  singulière  aventure  qui 
advînt,  près  de  lior<leaux ,  à  Louis  XT,  «lurant  ce  voyacre  :  le  roi,  se  x>ronienant  sur 
la  ^iironde,  lui  cinquième  ou  sixième,  dans  un  petit  batelet,  faillit  être  enlevé  par  un 
corsaire  anjjlais  :  il  n'échappa  qu'en  se  cacliant  dans  des  touffes  de  roseaux. 

3.  IJayonne  fut  affranchie  de  toutes  tailles  et  eut  deux  foires  par  an.  —  Les  ma-  " 
tjistrats  nmnicipaux  furent  anoblis  en  foule.  OrJonn.,  XV,  168.  Le  roi  voulut  fairo 
aiLssi  quelque cho-c  pour  les  ^vinces  du  centre,  et  fonda,  en  lir>3,  une  université  à 
Bourtçes.  Il  avait,  ihYs  Util,  assimilé  son  université  daupinnoise  de  Valence  aux 
anciennes  universités  royales  d'Orléans,  Toulou'^e  et  Montpellier. 


Bn 


KftASCE  ET  ROUIICOIÎXE. 


gm,  maréchal  de  Fnuict%  gouverneur  de  Dauiildiir,  n*çiH  Av  [au 
Im  seîg  lieu  lies  de  iMauU*on  de  Soulc  et  de  SauvetiTrCt  îiwi: 
gûuvcrnçiuent  de  la  Guyenue,  ôlc  iju  duc  d«î  Ilourbfin.  Le  ila 
de  Nemours,  qui  coniprmait  de   très -grandes   dciDtaiiie:»  dâo 
l*llc-de-Fraricc  et  la  Cliani|UigTie,  Tut  odroji%  au*c  1a  |«uric,  < 
Jacques  d*Anna^^nac,  Jîls  du  eoiute  de  Lîi  Alartlic!  cl  de  !*« 
micieu  gouverneur  du  roi.  Le  chef  de  la  luaÎNm  d'Arntngni 
était  reuiré  eu  possesi^îou  de  tous  ses  Lic^nsi.  Le  roî  ne  bc  lij 
pas  luoiri^  élraiteïuent  irintirêls  avec  la  maison  de  Kaâ, 
se  servit  d'elle  pour  alleiuJre  Tobjel  vt''ritalile  de  son  ^up^^ 
un  grand  objet,  ryseuliidlcmeot  uatiunaL  Louis  suivait  de  Vm 
depuis  son  avènement,  les  troubles  violcnls  titti  agitaieni  TArupti 
et  la  Navarre,  et  sVniipretait  à  en  profiter.  Don  Jumj,  Trière  dii  i 
d'Aragon  Al|dionse  le  Maguaiiime ,  avait  épouse  la  n'ine  ûaSi^ 
varre,  Blanche  !1,  petite-liUe  de  Clmrles  le  Mauvais  Dqiuii 
mort  de  la  reine  Blanrhe,  en  t4U,  Don  Juan  a\iul  gimU  la  K*f 
ronue  de  Navan*e,  au  lieu  de  la  rcn<lre  à  son  HU  don  ùirh 
prince  de  Viana,  k'gilimc  h^'rilier  de  Blanche.  L'iierilier  |>ril  dJ 
bord  patience;  mais,  ajnès  que  le  jj6re  se  Tnl  rernariè  el  qwi 
seconde  renune  lui  eut  donnt^  un  autre  flisi  fpiî  Tul  Fenliiiarul 
Catholique;,  don  Carlos,  opprime  dans  le  prèseiilt  uienare  é 
l'avenir,  poussé  à  bout  par  sa  marâtre,  finit  [*ar  récItuoiT, 
armes  h  la  main,  la  couronne  de  Navarre  [li55|.  Il  aiî^it  dii 
sœurs  Ju  preuuer  lil;  Blanche,  divorcée  d*ave€  le  mi  do  f^iitillj 
lleuri  riui puissant,  et  FJcouûi\\  u>ariêe  i  Gaslan   de  Gr 
comte  de  Foix,  Blanche»  rainée ,  prit  parti  pour  mn  ùrérv. 
comte  et  la  comtesse  de  F(dx  soutinrent  le  p^re»  Don  -'    ' 
vaincu,  s'enfuit  Ji  Naples^  puis  en  &u:itillt\  Sori  |jcrc  h* 
lui  et  lâ  sœur  Blanche,  et  dCclara  k  comtesse  de  Faix  tt^'ritière  i 
la  Navarre  (1457)*  En  1458,  don  Juan  lnjriia  des  myauuic^  d'Aï>" 
gon  et  de  Sicile,  par  la  mort  de  son  frère  Ali^hoiiâe  le  Ma^n 
nune.  Il  parut  alors  \ouloir  se  n^concilier  avec  $c*i  en&ints  jh 
crits,  et  les  manda  à  des  co/ics  gY*ncrales  di*  ^es  ruramiies  eoti^^ 
quèes^  L^Vrlda  en  Catalogne.  Don  ilurlos  el  Blnn  '       *  ^      i  |)( 
Juan  les  fit  arrL>tcr  el  ordonna  dViitam^jj  Ivni  ,  ffdifl 

I460u  L'indignation  publique  éclata.  La  Catfdogiic  s^insur^^e 
|)iii5  bientôt  FAraj^on  et  Valence,  Le  prince  fut  relârlie;  mâi^\ 


[1*62]  KOUSSILLO.N    ACQUIS.  537 

portait,  dit-on,  dans  ses  veines  le  poison  que  lui  avait  donné  sa 
belle-mère ,  et  il  mourut  au  bout  de  quelques  mois  (  sei)teml)rc 
14C1);  Blanche  fut  remise,  par  son  père  et  par  sa  marâtre,  à  son 
beau-frère  le  comte  de  Foix,  qui  la  retint  prisonnière  à  Ortliez,  en 
attendant^le  moment  d'oser  davantage. 

La  révolte  cependant  s'était  rallumée,  et,  secondée  par  le  roi 
de  Castille,  s'étendait  dans  tous  les  étals  de  don  Juan.  La  reine, 
sa  seconde  fennne,  princii)al  auteur  de  tant  de  malheurs  et  de 
crimes,  était  assié<j;ée  dans  Girone  par  les  Catalans  soulevés,  qui 
racontaient  que  l'àme  de  l'infortuné  Carlos  revenait  la  nuit  dans 
Barcelone  pour  dénoncer  ses  meurtriers.  Louis  Xï,  calculant 
froidement  les  l)énélîces  de  cette  lamentable  tragédie,  s'était  hâté 
d'expédier  aux  Catalans  un  agent  secriH,  et  avait  reçu  d'eux  une 
demande  de  secours  qu'il  accueillit  i)ar  de  belles  promesses;  mais, 
en  même  tenq)S,  il  accueillait  tout  aussi  bien  les  ouvertures  que 
lui  faisait  le  comte  d(»  Foix  au  nom  du  roi  Juan.  Le  comte  de 
Foix,  qui  venait  d'obtenir  pour  son  lils  aine  la  main  de  Marguc^ 
rite,  sceur  de  Louis  XI,  agit  avec  une  extrême  activité  pour  siuiver 
son  beau-pcre  et  lui  assurer  l'appui  du  roi  de  France.  Louis  se 
mit  à  renchère  entre  les  deux  partis.  Ce  fut  la  mauvaise  cause 
qui  Fenq^orta.  Les  rois  de  France  et  d'Aragon  s'abouchèrent  à 
Sauveterre  en  Béarn,  le  li  mai  1  iG2,  et  Louis  promit  à  don  Juan 
sa  médiation  auprès  du  roi  de  (iastille,  et  l'assistance  d'un  gros 
corps  de  troupes  contre  les  Catalans.  L'Aragonais  mil  en  gage  aux 
mains  du  roi  de  France,  pour  la  solde  de  ces  troui)es,  les  comtés 
de  Uoussillon  et  de  Cerdagne.  Le  comte  de  Foix,  le  maréchal  de 
Connninges,  le  sire  d'Albret,  les  frères  Bureau,  à  la  tétc  de  sept 
cents  lances  des  ordonnances  et  d'autres  corps  fran(;ais,  forcè- 
rent le  ])assage  des  Pyrénées,  tirent  lever  aux  Catalans  le  siég(;  de 
(jirone,  les  délirent,  et  réduisirent  la  Catalogin»,  sauf  Barcelone» 
et  Lérida,  sous  l'obéissance  de  don  Juan  :  le  roi  de  France  prit  pos- 
session du  Uoussillon  et  de  la  Cerdagne,  que  don  Juan  ne  put  raclu»- 
ler,  et  la  frontière  des  Pyrénées-Orientales  fut  acquise  à  la  France», 
inq)orlanle  acquisitioin|ui,  obtenue  par  Finjustice,  devait  être  re- 
l>erdue  par  Fineptie',  et  reconquise  définitivement  par  la  gloire'-'. 

1.  Sons  Charles  VIIl. 

2.  !Sous  Uichclieu. 


ftSa  FIUNC.K  ET  BoiRaornE,  ili« 

Ausisitôt  après  la  côtM^hiSÎan  dti  Imité  fie  Sniiviierr?,  le  m 
était  retourné  vers  la  Loire,  d'où  il  allii  vi)tjk*r  lhirif«  Citèitm 
et  la  Nanîiaridie;  il  vo jugeait  iiresqui?  stMil,  n^m  •îsœrlr^  sim 
il<*|K*usc  ,  viitu  quasi  comme  un  iainiï>  pèlerin  t  ^^«h*  %  «1/ 
u rosses  patcuôlres  de  boiîs  uucoii'»  »  Tuut  «ou  règne,  cii  «to, 
M  un  perijAtuel  pèicrini^ge,  niais  en  vue  d'auirc  chosis  qn**  (ly 
creL  ï!  ^*^  iiitjntriut  et  se  remoniraît  .V  louiez  les  pro\incea, /i  toutes 
los  villcï»;  tin  suit  sa  trace  mx  nooihreus*'?  orvJ«'»titiaDO(îs  «jali 
iM^mail  âtir  Bon  passage  ^. 

Le  flodans  et  le  dehorâ  rowujiaient  k  la  Um  el  au  nitiw« 
deê,TL\ 

Il  )  avait  m,  de  sa  part,  uneiin|iradt»ni:*:  opfiari&DicàfiVnfonciî 
dans  le  Mîdit  pendant  qïie  rAngleterre  préparait  imi*  «ij 
contre  TOiiest,  et  slinaxinait  tirer  aviinïàçe  ilc  la  njrr.  -i. 
(lliarkîî  VIL  [ne  tlotk*  noniljreusRj  avait  ét6  am^^i:  4aniç  li*^  i»«n? 
anglais;  mais  Louis  n'en  avait  jias  grand*pcnr,  et  rè^*cni»«i«>f  \é 
donna  raison. 

Les  î^iierres  civiles  d'Angleterre  avaient  abouti,  ranii6c  \)fvi\'- 
diiiti%  à  une  sanglante  révokdiori  dynasti{|Ui%  d  le$  York  icj«i«u< 
de  traiter  les  Lanca^ître  comme  reux-ci  avaient  Inii  16  autrefois  b 
li^'iie  directe  des  Plantagenels. 

Ko  juillet  14Gt),  le  duc  Richard  d*York,  ^ecmidé  ^lar  Wan^icl, 
le  ff  faiseur  de  rois  *,  »  avait  viuneu  et  priB,  à  NnrtliamploiH  W  rui 
Ken  ri  VI  :  la  reine  Marguerite  s'était  eiifino  en  feo^s^ï  aver  »ii 
liis,  lo  petit  prince  de  Galles,  Le  duc  d'York  avait  demandé  lnf«»u- 
rormc  au  parlement,  et  la  rliaïubro  dtrs  lords  Tavai!  décima  bên* 
tier  du  trAne  après  Henri  VL  Marguerite  d'Anjou  repondit  x  la 
decliAinee  du  [ïrinee  ite  GalleSp  en  insurgeant  lout  le  nonl  de  IMn- 
glu  terre;  le  duc  d'York  fut  défait  el  uiaîssacrL*  aver'  un  de  ses  ftU 


l.  Mîvlutle*,  Vif  26, 

K'%  M^ui  |*r«i«rtMfmttiKfs(  fïirnn  riTRii^îu*'*^*  |jnr  !■  'lit, 

i";fiik-iiJcMt  t'ict'lif^,  miuLiit  ici  am^itiniti  et  '    «le 

^,  Il  n'^it  imt  fib  lia  Wlnrwlck  lie  t\'^po4|tti»  lU»  JeaLtme  Docv  ;  li«  tmn%^  4*  "W^ai- 
m\ek  UMiïi  pu^  (Jdti»  la  fAinit^e  Ke^ttla, 


[1462J  GUEKKE   DES  DEUX  ROSES.  539 

encore  enfant  (décembre  liGO;  ;  son  iils  aîné  Edouard,  comte  de 
Marclj,  jeune  homme  de  dix- huit  ans,  prit  sa  place  et  le  vengea. 
Proclamé  roi  à  Londres  le  4  mars  liOl,  Edouard,  guidé  par  le 
comte  de  War>vick,  attaqua,  le  29,  à  ïowton,  Tannée  de  la  reine, 
qui  succomba  après  tout  un  jour  d'innnense  carnage  :  trente-sei)t 
mille  morts  restèrent  sur  le  champ  de  bataille.  Tout  ce  sang  ne 
suffit  point  au  vainqueur;  le  parti  vaincu  fut  proscrit  en  niasse, 
et  puisa  dans  son  désespoir  la  force  de  prolonger  cette  horrible 
lutte.  L'indomptable  Marguerite  trouva  des  alliés  en  Ecosse,  et 
vint  en  chercher  en  France  :  elle  descendit  en  Bretagne  (avril  1462), 
entraîna  le  duc  François  II  dans  son  parti ,  et  alla  invoquer  Tas- 
sistance  de  Louis  XI  en  Touraine.  Louis  XI,  pour  une  petite 
sonnne  de  20,000  livres ,  ne  se  fit  promettre  rien  de  moins  que 
Calais  en  gage,  si  la  reine  pouvait  s'en  ressaisir  (juin  1462).  Pen- 
dant ce  tenips,  Louis  était  en  intelligences  secrètes  avec  le  vain- 
queur de  Marguerite,  avec  Warwick,  qui  conunençait  à  trouver 
trop  puissant  le  roi  qu'il  avait  lait.  AN'arwick,  qui  connnandait  la 
flotte  anglaise,  menaça  les  côtes  de  Normandie  sans  rien  entre- 
prendre, et  se  contenta  d'une  petite  descente  auprès  de  Brest 
(juin-juillet). 

A\'ar\\ick  était  encore  occupé  à  cette  inutile  croisière,  lorsque 
Marguerite  retourna  débanpier  dans  le  Northumberland,  avec 
deux  mille  a>enturiers  français,  aux  ordres  de  Pierre  de  Brézé, 
Louis  Xï  s'était  un  peu  adouci  envers  Brézé,  qui  \oulait  périr  ou 
rentrer  en  pleine  faM^ur  par  un  coup  d'éclat.  On  prétend  d'ailleurs 
qu'il  aimait  Marguerite.  11  lit  pour  elle  des  prodiges  de  valeur,  et 
ne  périt  pas;  mais  il  ne  pouvait  vaincre  :  les  débris  du  parti  lan- 
castrien  furent  accablés.  Henri  VI ,  qui  était  resté  caché  dans  le 
Lancashîre,  tomba  dans  les  mains  d'Edouard  IV,  et  Marguerite 
dut,  i)0ur  la  seconde  fois,  chercher  un  asile  sur  le  continent;  elle 
se  retira  dans  le  Barrois,  domaine  de  sa  maison,  poursuivant  tou- 
jours le  rêve  d'une  restauration  vengeresse.  Il  fallut  que  Louis  XI 
renonçât  à  Fespoir  de  mettre  la  main  sur  Calais. 

Calais  manqué,  le  Roussillon,  d'une  autre  part,  faillit  échapper. 
I^  roi  d'Aragon  eût  bien  voulu  rei)rendre  son  gage  sans  le  rache- 
ter, et  ses  intrigues  avaient  excité  à  Per[)ignan  une  révolte  contre 
les  Français.  Louis  retourna  en  toute  hâte  dans  le  Midi ,  au  com- 


INCE   ET  BUinCOGJÎE* 

nu^neeuicfit  de  1 463 ,  t  onipriina  Ifl  rébellion ,  intlmlila  k 
(rAiagon,  et  prononça,  entre  rAragonais  et  le  mi  de  Ca5tilk«  h 
seîik'tice  arbitrale  qui  lui  avidl  ùiè  défôrêa  rannée  précédeiile-  Lr 
roi  tle  CasîîUe  devait  ei^sscr  de  sevMmr  les  rel^elltv**  <le  fjitalogiK^; 
le  roi  d'Ariigon  devait  céder  à  la  Cii^UUe  lui  omtou  de  k  Sn^mv 
(23  avril  1463)*  La  sentence  arbilrale  fut  âutiii\  d'une  canf' 
5ur  la  rive  françuke  de  lu  Bidussoa,  entre  les  roiH  de  France  cti 
C'iïititle  :  renlreviae  tcmrna  maJ.  Le  roi  de  OsUlic«  dnn  llunri 
Vimptiismnt^  et  mn  favori  Bertrand  de  la  Ciievut  «  ï»Ar  leqiid  kf 
grands  de  lu  coui*  diment  qu'il  fiiisait  faire  juM]u*4  ms  cnfanlt'.t 
élalèrenL,  ainsi  que  toute  la  g^nujdcïîïie  mMillîiEiîi  un  inst^  ilipt 
de  la  maison  de  Uaurgog^ne,  Louis  X!  vint  avec  sa  oftaipie  fri** 
bruu  et  sou  thapcau  rdpé.  Sa  suite  n'étOLit  guère  {ilui»  LriiUult*. 
U^  Caiïiillaiisî  tiureut  h  ui(';pris  cette  iiegligeocc  iiuirée,  et  Tûiift 
sépara,  peu  satisfaits  les  uns  des  auti"es  *. 

Le  roi  d'Aragon,  et  surtout  son  gendre  le  comte  de  Foix.  «Hiiieiw 
inoins  Batisfails  encore  ;  le  comte  de  Foix  cria  si  fort  sur  k  nuiii- 
latîon  de  son  héritage  de  Navîure*,  que  le  roi  lui  promit  le  Roii>- 
sUlou  j  et  lui  douua  tkreassonne  en  page  de  «:eHe  pn>nt«:wc 
(23  mai  1-463].  Louis  avait  une  incroyable  fadlilî?  h  [mmiMn^d 
luôiue  a  donner,  avec  Vinteution  de  rei^rentlre Jeu  dnngcrcin  tp 
ne  lui  réuiîsit  pas  toujours. 

11  donnait  d*nn  côté,  il  voulut  prendre  de  Faulre.  Il  jinHcoJil 
introduire  la  gabelle  royîile  dans  les  pro\inca$  bourgiti|ninnne5 , 
laii'C  ilarts  toutes  leurii  villes  des  a  boiu^^euU  du  roi  \  »  *ji  oblh 
le  due  Philip|>e  k  rompre  avec  runurpatenr  d'Angleterre,  H  i 
eu  inànie  temps  qu*il  prenait  sou$  sa  sauvegardw  les  Ucgeoil" 
contre  Pbiliupe  hii-niérne.  Louis  avaîl  rumpté  sur  Faffiiibiiîj^ 
meut  du  victL\  duc^  depuis  une  t^avc  maladie  qu'il  avait  faite  isi 


iJ  nbontit  À  rcxbdréiktion  dû  la  ÛÏU  in  rûL 

2.  Ct)nitfi«ii,  l.  iT,  (V  8.  — l'Ii.  Lkain,  HtêL  iMà,  XI,  ï.  t,  e.  tf.->i.  UkL  « 
txjtAV,  p.  27* 

^.  lUrïKnpi  (]ii'U  A'a!«!iitra  fiar  un  mm«  i*vécntlik%  Tunite  4uifi«|p  ?  4tt  a 
toul1(>  mciiuln  rml  k  un  ijmpoUonTiemiîiit,  tom{ae  t»  «oifir  %U\àt  «l«  la  lonifts 
FuU,  Blu.[lchc^  do  Ktivurri^,  tuuurtît  ¥%%  \vxlmi\  «lu  mou  de  èi^tsàn^  ItOl. 


[UC3]  LES  CKOi'.  5i1 

février  1462  *,  et  sur  la  connivence  des  Croi;  le  roi  avait  clicro- 
ment  acheté  Tamitié  de  ces  favoris  du  duc.  Néanmoins ,  Philippe 
réagit  contre  une  pression  trop  peu  ménagée ,  et  les  Croi  eux- 
mêmes  se  sentirent  perdus  s'ils  ne  se  déclaraient  pour  la  résistance. 
Un  d'eux,  le  sire  de  Chimai,  gouverneur  de  Namur  et  de  Luxem- 
bourg, fut  chargé  par  le  duc  d*aller  repousser  énergiquement  les 
exigences  de  Louis  XI.  Il  y  eut  entre  le  monarque  et  l'envoyé  une 
scène  très-caractéristique.  «  Votre  duc  de  Bourgogne,  »  dit  brus- 
quement le  roi,  a  est- il  donc  d'un  autre  métal  que  les  autres 
princes  du  royaume?  —  Oui,  »  répliqua  Cliimai ,  «  il  est  d'un 
autre  métal,  puisqu'il  vous  a  gardé  et  soutenu  contre  votre  père, 
ce  que  n'eût  fait  nul  autre  prince  !  »  Louis  rentra  dans  sa  cliambre 
sans  répondre  un  seul  mot. 

«  Comment  osez-vous  ainsi  parler  au  roi  !  »  demanda  le  comte 
de  Dunois.  «  Si  j'avois  été  à  cinquante  lieues,  »  repartit  Chimai , 
«  et  que  j'eusse  pensé  que  le  roi  me  voulût  dire  telles  choses  de 
monseigneur  mon  maître ,  je  serois  revenu  pour  lui  parler  comme 
j'ai  fait^.  s> 

Louis  s'arrêta  court, abandonna  toutes  ses  prétentions,  et,  loin 
de  témoigner  du  ressentiment  contre  Chimai ,  combla  plus  que 
jamais  tous  les  Croi  ^  :  il  chargea  même  Antoine  de  Croi ,  son 
grand  maître-d'hôtel,  de  ses  pleins  pouvoirs  pour  prendre  part 
aux  négociations  du  duc  Philippe  avec  l'usurpateur  York,  avec 
Edouard  IV  :  une  trêve  d'un  an  fut  conclue  entre  la  France  et 
l'Angleterre  (27  octobre  liG3).  Louis,  avec  une  merveilleuse  sou- 
plesse, s'était  replié  et  ooncenlré  sur  une  seule  affaire,  la  plus 
importante,  sans  comparaison,  cpril  pût  traiter  avec  le  duc  de 
Bourgogne.  Ce  n'était  pas  moins  que  le  recouvrement  des  villes 

1.  Olivier  de  la  Marche  rapporte  un  fait  bien  singulier  à  l'occasion  de  cette  ma- 
ladie. «  I>es  médeciDs  ayant  conseillé  au  duc  de  se  faire  raire  (raser)  la  tetc,  pour 
n'ôtre  seul  dénué  de  cheveux  il  commanda,  par  un  édit,  que  tous  les  nobles  hommes 
se  fissent  raire  la  tête  comme  lui,  et  furent  ordonnés  messire  Pierre  de  Ila&renbach 
et  autres,  qui,  sitôt  qu'ils  véoient  (voyaient) un  noble  homme,  lui  ôtoient  les  cheveux,  n 
On  avait  eu  si  peur  de  perdre  «  le  bon  duc,  »  qu'on  se  soumit  assez  g^aiement  à  ce 
bizarre  caprice.  Tous  les  états  bourguijjnons  redoutaient  extrêmement  le  change- 
ment de  rè^e  qui  approchait. 

2.  J.  Duclercq,  1.  iv,  c.  42. 

3.  Il  leur  donna,  en  fiefs  ou  en  gouvernement,  ce  que  la  couronne  avait  conservé  ou 
recouvré  dans  la  Picardie  maritime^  les  dépcndancesde  Guines  etArdres,  les  places  oc- 
cupées dans  le  Luxembourg  par  Charles  VU,  Bar-sur-Âube,  etc.  Michelet,  VI,  c.  3. 


Uî 


FRANCE  BT  0OLfVr,O«NK* 


nm\ 


lie  lit  SuLiime,  qrie  le  tmilè  d*Arr.is  avait  itJfiiil^  indnîlaltlifi^ 
ijioyeiHiiint  100,000  LTus^ror,  Le  coiiitèik*  llturolitt!;  avait,  iJiMn. 
obt*"fi!i  du  roi  la  iïroniPss.fî  d^  nr*  point  op^rrr  le  rarliiU  lant  qua 
Tîvrait  Ut  vieux  duc;  mais  Louis  almaît  \mt\n  voîi*  scin  argvni 
daii*ï  les  iimirîs  des  favoris  de  PIiilIpiR*  que  dmi*  celle*  du  i^nloii- 
tahie  ClKiiies  :  il  ac  liAia  de  nisîiemljler  celle  ^'mnde  t^  *  :  ir 
tous  les  moyem*.  Philippe  avait  très-peu  d'etim  û  * 

rançon  de  la  PicaidJe*  Les  Groï ,  cu3c*iu^ii)e$ »  eiissettl  bicu  f^ula 
se  dît^penR^r  de  servir  k*  rcd  dans  une  telle  acriiÉiôa.  lie  ilniitde 
hùiûs  èiiïli  clair;  niais  !c  droit  ne  stifOsait  |>2U«*  Lotib  metmçt  k 
duc  en  excitant  des  troubles  à  Gand  contre  les  tnipAtii  et  eu  tnsml 
entrevoir  son  îidervenfion  conive  le  duc  et  les  G^inioi*:  il  mcfia^a 
le-S  (Iroï  eu  idTeL^lrint  de  s*appuyer  sur  leur  rival  k*  eonile  île 
ftainl-Pol.  Le  duc  rt*da,  reçut  les  -KUj,iïOU  f^cus,  et  le  ni]  fvaiin 
en  posftes§iion  de  Saînt-Quenlifii  de  Péronne,  d'Amîciu,  d*Alilie- 
ville,  de  toute  la  Somme  (octobre  tl03).  Le  «1  '  '  '  i  uuiifon  de 
('4'oï,  le  mre  Antoine,  joignit  le  gouveroemr  ^dles  de  U 

Sorrnne  au  gouvernement  de  Champagne,  qne  te  roi  lui  mill 
eonftVt*  atires  la  grande-maltrisie»  Les  r^rol  élaîenl  deflnithem^t 
eiicbafn*^?  imr  des  elialneîî  d'or.  Celait  un  li«!;iu  di^liut  jNMir  If 
nouveau  règne,  que  le  rachat  de  la  Picardie  et  IVrfuiMticm  diî 
UoufsBillon.  Loius  y  gagna  grande  renomm^*e. 

Il  ge  Ut,  par  compensation,  un  miplae:ibh'  rriHiirii  :  ie  cm 
de  Charolaiïi,  déjà  en  grande  <létlanre  ilu  roi,  le  prit  en 
mortelle,  et  ne  songea  plus^  qu'à  lui  susciter  parloul  desol^^tarJM 
et  des  tlîuigers.  Tfe  le  18  juillet  1163,  le  runite  de  Hainl-hd, 
principal  coinseiller  du  eomk^  de  diarolais,  amit  sigm^  en  iw/ii 
nom  un  pacte  d'alliance  avec  Je  duc  d<^  Breïa^ie,  Le  roi,  di^i^nt 
côlô,  iivait  pris  oflkiollement  sous  sa  sauve^jiutle  k«  llro),  aJnài 
«jue  le  comte  d'Iitauîpes,  cl  tous  les  t  tuuiieu^i  et  inalveillfttilà  • 


1.  il  fît  des  omjiruritA  aujt  pfi^UU,  aux  clvU<i*  mAvchkmU^  ]iHt  fjirirpni  dc^  « 
^t  eoo*.I|rriatlotiJ»,  ^t  ctfluj  Jrxtîii^  à  lii  noltlf  *lw  trcrti^»*''»  «t  dru  o(Rfi»-t-  <•'  •- 
rornit»  îl  «i'jKtf|ultt;i^  nu  îiiû^ou  de  fubtiidei  extra ontiïiuliVB  ikifum^W*  .)# 

vhâeunè  dca  prqviïic<a  Uu  mjmimv.  'Iwifiiiitl,  «i  fniiiçjii«  itit  r«i»i*r,  •♦  ,«j,..*j.  |ié^ 
un  «lun  vokmuùr^t  tin  2^,mxi  écun,  Quand  Lptt^«  XI  flfti  à  Tuuniiii,  w«  b  Ha 
p&r  une  rrpri^ftitiittçin  a]li<'gt»ri'jiac^  où  La  fitii^  tifiUff  fillie  ilr  tft  %ilJ^,  pcT^9<iiAs9l 
Tounmi,  di^QvMtiU  d'un  tinii^  hvih;  l'tiD  j^nitiae  flottr  df  lift  ftur  le  oour^ -^  Vojivt 


;i4G3]  r.ACIIAT   DE  LA   IMCAnDIE.  5i3 

(lu  comte  Charles,  à  qui  il  avait  relire  sa  pension  et  le  ffoiivei'ne- 
inent  de  Normandie.  Charles  s'était  de  nouveau  éloi|;nr  de  son 
|Kîre,  et,  se  cantonnant  en  Hollande,  avait  déclaré  qu'il  no  ren- 
trerait pas  à  la  cour  de  Philippe  avant  que  les  Croi  et  Jean 
(l'ÉtaDipes  en  fussent  dehors;  le  comte  de  Charolais  accusait  Ikui- 
tement  son  cousin  d'Élampes  d'avoir  cherché  à  l'empoisomirr  et 
Il  €  Tenvoulter  par  maléfice.  »  (hélait  ce  même  comte  d'l'llan]])(\s 
rjui  avait  été  le  hourreau  d(»s  vaudois  d'Arras.  Louis,  durant  une 
visite  qu'il  fit  au  duc  de  Bourp:()*rne  à  TIesdin,  pour  terminer 
raffaire  des  villes  picardes  et  de  la  trêve,  oflrit  à  Philip|)e  de 
l'aider  «  à  mettre  monsieur  de  Charolois  en  son  ohéissance;  » 
maïs  le  duc  remercia  «  Siigemeiit,  jïensimt  que  le  roi  ne  souhaitoit 
que  metire  sa  maison  et  ses  pays  en  jdus  grands  hrouillis  qu'ils 
n'éloient.  »  Louis,  en  elïet,  Tion  content  d'avoir  recouvré  la  vallée 
de  la  Sonime,  eiit  voulu  amener  Philipi)e  h  revendie  à  la  cou- 
ronne le  comté  de  Boulo;.^ne  et  les  chAtelhMiies  de  la  Flandre 
française,  Lille,  Douai  et  Orehies,  cédées  auliuMois  par  ('harles  V 
il  son  frère  Philippe  le  Hardi;  mais  la  facilité  du  «  hou  duc  » 
n'alla  pas  jusque-là. 

Les  conseils  de  Louis  n'étaient  cepertdant  pas  tous  contraires 
aux  vrais  intérêts  du  dur,  et  ce  fut  avec  sincérité  que  le  roi 
essaya  de  détourner  Philippe;  des  i)rojets  de  croisade  qui  repa- 
raissaient sérieusement  à  la  cour  de  Bourgogne  :  \c  roi  n'eiM  vu 
qu'à  regret  Philippe  s'emharquer  dans  des  fatigues  qui  eussent 
précipité  sa  fin,  et  désirait  fort  (pie  Tavénement  du  comte  Charles 
à  la  couronne  ducale  fût  autant  retardé  que  possihle.  Le  vieux 
duc,  depuis  son  vœu  du  faisan,  avait  suspendu,  mais  non  point 
abandonné  le  dessein  de  la  guerre  sainte,  et,  dans  ce  moment, 
il  était  fort  préoccupé  des  dangers  de  l'Ilalie  nuMiacée  par  les 
conquérants  de  Constantinople  ci  de  la  Grèce.  L(»s  sultans  otho- 
mans  aspiraient  à  Rome,  connue  les  anciens  rois  harhares  des 
grandes  invasions.  Les  lettres  véhémentes  du  pape*  Pie  II,  qui 
sommait  le  duc  de  tenir  son  serment  et  de  se  rendre  sous  les 
bamiiéres  de  la  croix,  que  ce  pontife  prétendait  guider  en  per- 
sonne malgré  sa  vieillesse  et  ses  infirmités,  remportèrent  dans 
l'esprit  de  Philippe  sur  l(»s  n^pi'ésentalions  du  roi  :  le  duc  convo- 
qua, le  jour  de  No(4  1  i03 ,  à  Bruges ,  les  chevaliers  qui  avaient 


ftu  FivA?<cB  ET  Boraaor.NE.  mA 

pris  part  au  rrrw  dufahan^  et  ti?«  L'iron»,  |*n^lalii  el  tliimlrsilis 
hùnnrs  villr^s  i!*^  s^fs  pnys,  pour  !rur  coiiHuuniqiH'r  ét^ii  mlmti^a 
d*îiUcr  s'eiukiniuer  h  Ai^iios-MortÉ^sao  inûis  dr  mai  pHtclt-tu» 
Il  ajourna  ensuite  rassembli^c  au  10  janvier  H6i»  époque  à  b»^ 
qiïdle  il  avait  ranvoqué  les  Étul^  dr  Flandr^\  afin  di?  |HiiJrvuin 
gmivomnrnpTit  tlf>  retlo  provinc^p  durant  son  aliwncf^ 

Le  comte  de  Cliarnlais  invita  les  TmL^  Ordres  de  Flundrc  ki 
rendre  d'alïord  près  do  lui  u  Auvers;  il  voulait  Irss  reflu^^ri^J 
lervcfiîr  entre  snn  [itTe  H  lui.  Le  duc  défendil  inu  diqmti 
cli»fér(*r  à  celte  InvitutiDn;  mais  déjà  hon  nombre  d*eiitm«ii^ 
étaient  alU*8  joindre  le  comte.  Ils  revinrent  d'Anvers  A  Bru^c^nlj 
les  Ltats  de  Flandre  s'ouvnr<*nt  h  10  jnnvîi^r  :  le  «  bon  duc  »1 
adrt?ssa  de  gi^andes  [daiiiles  sur  les  dôfrdiôiîîsîim^ei?  de  <;oii  ilU,  qn 
refusait  toujours  de  revenir,  quoiqu'il  eût  Mè  niatnLes  fntsi  mafid^ 
Les  tneîllinïri'î^  Wes  de  rassenilïlée  enfreprirpnl  de  n'>Yjiîrîljer  (| 
père  et  le  Pds,  et  ]*ev^que  de  Tournai,  Valibe  de  Clte^iux  .  H  di'U 
Iiaut!^  barons  se  transportèrent  ûnprH  du  comte,  ii  Gond,  L'iiltl^ 
refput  II*  eutnte,  au  noni  des  Klats^  de  €(*ndt!îscendrc  t  au  \Am 
de  iiionsri^fiur  le  duc,  ^  et  de  «  se  di'porter  d'aurtuit^  de 
serviteurs  o  que  Philippe  avait  eu  d^^fianee  :  le  eciinlc,  de  »(j 
cftttS  leur  «  remontra  »  ses  grieft»  contre  les  Crol  et  kmts  MU 
reut»»  dont  raiToganoe  passait  toute  masuro;  lejî  d/putiS  finir 
[>ar  se  jeter  k  ses  ^'enou\  en  le  eotïjurant  de  les  suivre  à  Brui;i! 
IHiïlippe  ne  devait  }ïoînt,  comme  Charles  VU,  mourir  $àm  AViij 
revu  son  fils.  1^  comte  ctVIa ,  et  partit  de  Cand,  -•  iiccoui| 
de  grand  nomhrfMle  nobles  gens;  ^  la  plupart  dej.  feigne 
la  Im  de  la  ville  rie  llruges  '  sorti lent  â  is<i  reneonlix*;  le  mit  i 
Crol,  à  la  nouvelle  de  sîi  venue». s'élail  retiré  près  do  imi  Ltiuii 
h  Tournai;  le  comte  desrendit  à  Tliôtel  de  son  i^Ve,  tri  s*afl 
iiouilla  par  trois  fois  devant  lui ,  et ,  à  la  troisième  fois,  d  lui  i 
«  Mon  Ir^s-tloux  seîgrunir  et  pèn?,  si  je  vous  ai  Iruuldt*  oa  eoo 
roueéen  aueunesclinses,  je  vous  en  prie  niercT,  ^  —  «  Jesnl^  hi( 
en  que  valent  toutes  vos  excuses,  »  répundit  le  duc,  «ne  111*^ 
parlez  plus;  mars  puisr{iie  vous  ôliîs  ici  venu  h  merid,  mjct-i 
bon  fils  et  je  vous  serai  bon  père,  » 

L  Dan»  tc^alira  1<^  %ï\k**  iliuiiiiitt**» ,  In  timiriitr^tuir  muitkàjiiilr  ffwtAkw  ^^1 


[1404;  •  PHILIPPE   ET  CIIAKOLAÏS.  5i5 

II  le  prit  par  la  main  et  lui  pardonna;  puis  il  assigna  à  rassem- 
blée lui  nouveau  rendez-vous  au  8  mars,  et  alla  trouver  à  Lille  le 
roi  Louis,  (pii  avait  passé  Thiver  sur  les  marches  d'Artois  et  de 
Flandre.  Le  départ  des  croisés,  si  bruyamment  annoncé,  n*eut 
I>as  lieu  :  le  roi  obtint  du  duc  un  nouveau  délai  d'une  année,  en 
lui  promettant  un  renfort  de  dix  mille  combattants,  si,  avant  Tan- 
née révolue,  un  traité  de  paix  remplaçidt  la  trêve  récennnent  con- 
clue avec  Edouard  IV  d'Angleterre  ;  des  conférences  devaient  avoir 
lieu ,  dans  ce  but,  à  Saint-Omer,  au  mois  de  juillet.  Le  duc  expé- 
dia provisoirement  au  pape  deux  mille  combattants  conduits  par 
deux  de  ses  nombreux  bâtards.  Une  multitude  de  volontaires  sui- 
>irent  les  gens  d'armes  du  duc.  Jacques  Duclercq  prétend  qu'il  en 
sortit  au  moins  vingt  mille  des  seuls  états  de  Bourgogne,  et  qu'il 
y  eut  bien,  dans  toute  la  chrétienlé,  trois  cent  mille  personnes 
qui  se  croisèrent  (  1.  v,  c.  9  ). 

I^a  paix  et  la  croisade  avortèrent  l'une  connue  l'autre  :  War- 
wick,  «  le  faiseur  de  rois  »,  ne  parut  point  à  Saint-Omer,  connue 
Louis  XI  l'avait  espéré;  il  ne  vint  que  d(^s  ambassadeurs  d'un 
rang  secondaire  et  sans  pouvoirs  suffisants  pour  rien  conclure. 
Louis  fut  trés-fdché  de  ce  contre-temps  :  prévoyant  cle  grands  dé- 
mêlés avec  les  seigneurs  du  sang,  il  eût  bien  voulu  être  tranquille 
du  côté  de  l'Angleterre;  mais  Edouard  IV  pressentait,  de  son 
côté,  les  troubles  qui  menaçaient  la  France,  et  en  était  d'autant 
moins  disposé  à  la  paix.  Quant  à  la  croisade,  le  pape  Pie  II  étant 
mort  le  i  août,  l'armée  ou  plutôt  l'énorme  coliue  de  pèhTins, 
que  ce  pontife  avait  rassemblée  à  Ancône,  se  dispersa,  et  l'expédi- 
tion s'en  alla  en  fumée. 

Louis  XI  était  aussi  mal  avec  Pie  II,  au  moment  de  sa  mort, 
qu'il  avait  été  bien  trois  ans  auparavant.  Dans  l'aflaire  de  la  Prag- 
matique, le  roi  a  voulu  duper  :  il  a  été  dupe,  mais  i)as  longtemps. 
IiC  pape  a  tout  pris  pour  lui,  usant  à  la  rigueur  des  droits  que  lui 
a  rendus  Louis,  conférant  les  bénéfices  sans  consulter  le  roi,  atti- 
rant tout  à  Rome,  choses  et  personnes,  argent  et  procès*,  interve- 
nant dans  les  débats  entre  le  roi  et  le  duc  de  Bretiigne,  relative- 

1.  Il  faut  dire  que  le  pape  n'en  était  ^niére  plus  riche.  Tout  cela  était  dévoré  par 
riinniense  i»eui»le  para.^ite  des  clercs  de  Home.  V.  Hanke ,  Hist.  de  In  jinjinutè  av.i 
xvi<  et  xviK  iiivlff,  1.  IV,  g  -J, 

VI.  oo 


Ttï^  FRANCE  ET  BOl'llGOG^e.  îUéMiNt 

]neïj(  à  rhoïMiiiago  (les  évk^f|iic8  hi*<*tan5.  Véi-lmi  une  ipesiûtiii  fort 
*;nivi*.  Le  rot  lucloialait  que  les  év6qiieii,  en  Bre iiigîit*  caamiediiii 
tout  \c  rdyaume^  nt^  rulevaictil  que  de  lit  nMimanc  ptiiir le: Iiîid^ 
pfirel.  Lr  duc  soutentiiL  sa  viiùlli^  «UKcrainct^,  L'évéqut»  de  Ximtfô 
tpriait  (ïoTir  le  roi  et  refuwiil  riiDimuage  ae  diu'- 

f*e  liapp,  rii  nn^nié  tonips,  îîtrvajl  la  mai54>n  d'Aragon  m  luli> 
contre  ki  maison  di^  France,  et  s'entendait  avec  k*  duc  delUlia 
ffDur  aider  Ferdinand  le  Bdiard  à  diasser  de  Na^ih'jî  k  ûls  du  i  lKf> 
roi  llen^*  ^^  le  duc  de  Calaljre,  Jean  d'Anjou. 

Louis  XI,  pour  gripier  k^  paiie,  alla  ju^f^u'À  lui  dauner  te  vam- 
th  de  Valence  et  ck^  Die,  annexes  du  Daupliiné,  réclamer  pkfk 
siinï-siége  en  vertu  du  testament  du  dernier  cututo  de  Vérft 
tînoit^  (HG2),  Uien  n'y  lit.  Louis  se  retourna  hru^uiîmenl  2u< 
une  exlrûnie  vîgucuj-,  Trom  ordonnances  des  24  mai ,  19  e*  » 
juin  1453,  t(HincUit  contre  1q  ra^jacité  de  Romï%  dcdanmtqiMïI/toffS 
ks  t|iie5îiûns  de  posstîssiDn»  en  tti|tJèn[!  de  liien»  d*^llM^«  «^ttxit 
tiéfcrtVs  au  ptu^lement.  Di's  mémotrcj  scint  detuaudct  |«r  k>  «• 
au  [mi  lenient  et  aux  iHi^ques  mr  les  consi^fpiences  de  Falmillka 
de  la  Pniginatique.  I/e  piiilemenl,  dansai  rtrinoutraocc&^ntdnsÉt 
au  fait.  «  La  muunôie  est  la  ruesure  de  foutes  djr>$c*.,.j  Bcpoii 
cette  malheureuse  abolition,  «  le  Pont-au-Chinigiî*  n*a  (iIua  ni 
ohaTige  ni  changeurs  i>.  Le  parlement  [^n^krid  qu'en  trot*  an*, 
Rome  a  tiré  de  France  trois miltions  d*écus  d*c/r ^ il  S(i4)  1  U!  mj  Ht 
de  son  nueux  pour  quil  n'en  «^oitlt  pas  davaiita{fe:  U  eha&adB 
ropume  kî?  colk^cteiir^  du  pape,  et,  la  ifuerelle  s'iiiiveidioint,  3 
mit  la  ntain  sur  le  temporel  de  trois  cardinaïuc  qtti  aiaknldei 
L* vaches  et  des  abbayes  en  France.  Sur  ces  enlrcfoiteif.,  le  iwjic 
ayant  reçu  rapt)el  du  due  i\r.  fîrftagne  et  ûtifiàié  un  nmmàicc 
charge  de  ju^^^r  la  question  de  riiommage  des  évécpies  breloitf, 
I^uis  fit  arrêter  le  nonce  et  le  tradui^t  ddianl  le  parteuietit  Le 
duc  de  Bretai^'ue  plia  et  reconnut  rauloiitè  d'une  cormoisskiD 

1.  Ctnire  d«  Umi  lemotïvomûnt  do  change  à  ?&rU, 

2,  Une  vm^Tlaîne  d'Afchwv^clié*  H  é^éché«  vaGanti»  il  fi«<>/l  àtm  iTny». 

HemontrmwH  du  pnletHmt  ^ui*,  Urdahtt,^  t.  XV,  p.   J  .    ^^ 

Himnn(mntf*ih  V^H'Xw  *h  Lifieujf ,  notre  Thom**  iiii>itu  F,  rfe.  îî«iiû,  k  i;  t^f^  ] 


[1463-1464]  BROUILLE  AVEC  ROME.  5i7 

laïque,  nommée  par  le  roi  pour  décider  ce  débat  et  [)rési(léc  par 
le  comte  du  Maine. 

Louis  ne  rétablit  pourtant  pas  les  libres  élections  ecclésiastiques  : 
il  entendait  garder  pour  lui  ce  qu'il  ôtait  au  pape;  il  s'ensuivit, 
pour  tout  ce  régne,  une  véritable  anarcliie  dans  Téglise  gallicane, 
la  cour  de  Rome  partant  toujours  de  Tabolilion  de  la  Pragma- 
tique; le  parlement  de  Paris  traitant  cette  abolition  comme  non 
avenue,  et  recevant  et  provoquant  les  appels  comme  d'abus*;  le 
roi,  enfin,  tirant  le  plus  qu'il  pouvait  de  l'Église,  et,  quant  au 
reste,  se  rapprochant  ou  s'éloignant  de  la  Pragmaticpie ,  suivant 
qu'il  avait  intérêt  ou  non  de  ménager  les  successeurs  de  Pie  IL 

La  réaction  de  1 463  contre  Rome  eût  pu  ramener  à  Louis  bien  dos 
esprits  dans  la  magistrature  et  le  haut  clergé  ;  mais  une  autre 
mesure  lui  en  avait  enlevé  le  bénéfice.  Il  avait  fait  enjoindre  par 
la  chambre  des  comptes,  le  20  juillet  1463,  à  tous  les  gens  d'église 
de  donner,  sous  un  an ,  décl^^ration  de  leurs  biens  et  droits,  afin 
de  somnettre  leurs  titres  h  la  vérification  et  de  mettre  un  terme  à 
leurs  empiétements  sur  les  droits  du  roi  et  de  ses  vassiuix.  Le 
même  arrêt  ordonnait  que  les  fiefs,  dont  les  détenteurs  ne  se  se- 
raient point  acquittés  de  l'hommage  et  des  droits  dus  au  roi ,  fus- 
sent mis  sous  la  main  royale.  Depuis  l'invasion  anglaise,  les  nou- 
veaux acquêts,  les  rachats,  les  reliefs,  les  francs-fiefs  ne  se  payaient 
quasi  plus  nulle  part'.  L'entreprise  du  roi  était  juste,  mais  trop  har- 
die pour  le  temps.  L'irritation  fut  aussi  grande,  dans  le  clergé 
et  la  noblesse,  que  s'il  se  fût  agi  d'une  spoliation.  Cela  contribua 
fort  à  préparer  une  armée  aux  princes  mécontents. 

La  noblesse  avait  un  grief  bien  pire,  et  le  roi  une  ])rélenlion  bien 
plus  téméraire.  Il  entendait  faire  de  la  chasse  un  droit  domanial  de 
la  couronne,  interdire  à  tous  de  chasser  sinon  par  permission 
royale  et  moyennant  finance.  Thomas  Basin'  assure  qu'il  or- 
donna par  un  édit,  sous  peine  de  confiscation  de  corps  et  de 
biens,  de  remettre  aux  baillis  royaux  tous  les  filets,  tous  les 

1.  Le  parlement  ayant  empêché  un  bénéficiaire  nommé  p;ir  le  pape  de  preinlr« 
possession  de  son  abbaye  ,  le  pape  excommunia  le  parlement ,  qui  n'en  tint  coni}>te. 
Duclos ,  Uist,  de  Louis  A7 ,  1. 1 ,  p.  182. 

2.  OrdùTin. ,  t.  XVI ,  p.  15. 

3.  UisU  Lud.  Xr,  1.  i,  ch.  34.  V.  aussi  G.  Oiastellain,  p.  245;  J.  Duelercq,  t.  v, 
ch.  1. 


rHASCE  KT  BOiiRGOGNE. 


tl4<t> 


mi  hïCB  t  à  pieiidft^  bAtês  >,  Ce  qtii  «it  fur,  c'est  qtn. 
pfirtotit  où  il  passait,  il  faisail  brûler  les  en?hi  '  *  ns^e.  A  [rio^ 
quirgriaiMl ,  jmr  grAve,  lc&  j^arcnnes  des  «  pn  i .  f  raiH»  •.  Li^ 
dironifjucurs  s'imapînent  que  c'était  par  passion  julouse  j^oor 
le*  gibier,  coniTD»^  s*il  eM  vmilu  i^trr  If»  s^ul  ^î  èv  ya> 

royaume.  11  est  probable  (pi' au  rapiraire,  il  songi r  dispa- 
raître, avec  le  droit  de  chasse,  Ie$  coutiujies  fécilîiles  «pii  jwol^ 
gcaîrnt  le  gibier  contre  le  pajsan  avec  exaginilion  gi  alit^cedip 
entravaient  si  t'niellenient  le  pro^rH  de  l*ai;ricultiircV 

Oiioî  qtill  en  soit,  cYlait  sc^  heurler  k  rintpcts^ible  cpir  de  s'tK 
taquer  directement  an  droit  de  chasse,  ce  Anni  antique  de  tait 
liomnie  libre  sur  le  domaine  commun  de  la  trilm ,  dev»  '  *nia 
Jr  tout  pûsîiesBenr  d'aHini  ou  do  fief  sur  &a  terrv.  Li  ti-  m[  li 

vie  ni^me  du  gentillioînuie;  autant  eût  valu  supprimer  k  nobloee 
d'un  trait  de  pi  urne  ^.  Louis  dut  reculer',  maîsi  IXM  èlâit  prtv 
duit,  et  le  bruit,  partout  répandu,  gue  le  roi  avait  fait  n^upiT  i\^ 
reilie  à  un  geidilhomme  de  NormaïuUe  pour  avoir  [m$  un  linct 
mr  m  propre  terre,  soulevait  une  irritulioiî  unîversdlr  [unni  It^ 
possesîieurs  tle  tlefs. 

\hm  le  counirït  de  146î,  tous*  les  ferments  de  discorde  touîl* 
loiuiaient  ;  rexplosion  semblait  prochaine,  hatm  rôjaît  venir  h 
péril,  s'apprêtait  h  y  faire  fact\  et  tAcbaît  de  se  iaénii(rcrdc^  allir* 
au  dehors  eonUc  les  ennemis  du  de<lans.  H  ^tziil  en  mesmr  »!r 
renouveler,  au  cœur  des  Pays-Bas,  la  perp^tueile  divemiûii  ik- 
Liège  contre  la  Bourgogne,  Il  avait  renouvelé,  le  27  nonmi- 
hre  I1C3>  son  ancien  pacte  d'amitié  avec  le^«  Ligiics  di?  la  llaiiîf 
Allemagne  »  (les  iuntouB  suisses) ^  et,  le  23  ckVemhre,  ?o«i 
/dliance  offensive  et  défensive  eonlrartée,  avant  khi  av^rteiiicidAti 
trAne,  avec  le  duc  de  Milan,  le  giMnd  Francescn  Sfi»mi,  i'ohjH  de 
sîi  constante  admiration  ;  jlabanduutia  au  duc  de  Milan  les»  pn'tcn- 
tians  de  la  couronne  de  France  sur  la  «  seiipieuric  »  de  G<^e$^  ca 

1 .  r,  le»  rurieua»  eiuU&n*  d«  M.  XIiclicl«t ,  VT,  130»  «ur  \m  SiiiT— iiliAt  éimmlt»  pit 
\o  vùi  h  du  ^mnvr4m  ym^ytitm  éimX  ntf*  ^tn»  ivnJeiii  g4ié  Is  lilé  ,  o«  tell  tm  àùtm 
rtTnit*îjt  êtr»nifl(>  U  Irebi*,  ïoh  au  h?  Ehftl. 

2.  Ett  tkfçç  Ia  nablessi' ,  T&  htmr^mtU\ii  finvilâiriéf!  ;  ft^nt  fiftrlcr  dioi 

3.  Il  iwtila  trnhiifil  [H?uf  Is-  Dii«nh*im  ijikin  lt«a  J.  Oriimi.  XVî,  p.  l 


[14041  KDIT  SUn  LA   CHASSE.  5i9 

réservant  sa  suzerainolé.  Sa  voue,  que  les  Français  avaient  conservée 
depuis  la  révolution  de  Gènes,  en  1461,  fut  remise  à  Sforza,  et 
G^ncs,  menacée  par  les  armes  et  divisée  par  les  intri^ies  de  ce 
redoutable  politique,  subit  la  domination  milanaise  en  consolant 
son  amour-propre  par  im  vain  simulacre  d'élection  avant  d'ouvrir 
SCS  portes  à  Sforza.  Ce  tiaité  n'était  pas  de  nature  à  concilier  les 
princes  du  sang  au  roi ,  et  blessait  la  maison  d'Anjou  et  surtout 
la  maison  d'Orléans  :  le  vieux  duc  Charles  d'Orléans  prétendait,  du 
chef  de  sa  mère  Valentine,  à  l'héritage  de  Milîin  usurj)é  |)ar  le 
condottiere  Sforza,  et  les  princes  angevins  voyaient  dans  ce  même 
Sforza  l'allié  de  Ferdinand  d'Aragon,  leur  compétiteur  trop  heu- 
reux au  Irùne  de  Naples;  il  est  vrai  que  Sforza  i)romit  de  d(;incurer 
neutre  désormais  dans  la  querelle  de  Naples,  et  offrit  200,000  écus 
d'or  au  duc  d'Orléans  pour  l'abandon  de  ses  prétentions  et  i)our 
l'achat  du  comté  d'Asti.  Il  était  d'une  bonne  politique  d'iidosser 
la  France  royale  à  une  puissance  considérable  formée  avec  son 
appui  dans  la  Haute  Italie  *.  Le  roi,  régnant  sous  le  nom  du  faible 
duc  Louis,  son  beau-pére,  dans  les  états  de  Savoie  (Savoie,  Pié- 
mont, Genève,  Bresse,  Vaud),  tenait  toute  la  ligne  des  Hautes- 
Alpes,  et  pouvait  faire  déboucher  à  volonté  les  habiles  condottieri 
lombards  sur  les  derrières  des  Bourguignons.  Un  des  lils  du  duc 
de  Savoie,  Philip|)e,  comte  de  Bresse,  faillit  arracher  au  roi  cette 
«lomination  indirecte  :  suivant  l'exemple  de  Charolais  et  de  Louis 
lui-même,  il  s'était  mis  en  rébellion  contre  son  père  :  il  alla  jus- 
qu'à massacreur  le  favori  de  celui-ci ,  i)endant  la  messe ,  dans  la 
chapelle  du  duc  !  Le  roi  interposa  sa  médiation  ;  le  comte  de  Bresse, 
après  ses  monstrueuses  violences,  eut  l'imprudence  d'accepter  im 
sauf-conduit  pour  venir  traiter  avec  le  roi;  il  fut  arrêté  et  enfermé 
au  château  de  Loches.  Louis  ressaisit  la  Savoie;  mais,  si  criminel 
que  fût  le  comte  Philippe,  le  moyen  déloyal  employé  contre  lui 
redoubla  l'hostilité  des  seigneurs  contre  le  roi^. 

1.  Loais  chercha  des  alliés  plus  loin  ;  il  traita  avec  Georges  Podiebrad ,  le  roi 
hussite  de  la  Bohôrae  (juillet  11<)4) ,  et  avec  Veuise.  Le  Turc  en  fut  U'  prétexte.  Les 
contractants  projettent  contre  les  infidèles  une  confédération  européenne.  Preuves 
de  Comines,  Ëd.  Lenglet ,  II ,  43L 

2.  Duroont ,  Cor/)a  diplomatique  y  t.  III,  p.  293;  Guichenon,  Hist.  de  Savoie,  t.  II, 
p.  94-166.  La  création  de  la  ]>oste  royale  eut  lieu  sur  ces  entrefaites  (6  juin  1464), 
V.  Michclet,  W,  89.  Ou  peut  la  considérer  comme  une  arme  offensive  et  défensive 


5^0  FBAÎÎCE  ET  »0t;ilCO0NIL  mm 

l»ou\  Jes  primes   seulement  |us(pi*alors  rt.jHjii  *:\\  .|c.     • 
ouvrrl**  avtT  LguiëXI;  le  eoiJitL*  di^  Cliarôlai^  el  hi  tlw  ^*  iiw- 
t/ipie.  Ce  dernier,  jetmc  liomme  d'un  c^prii  niâHoiTt?  ef  à\w 
((iract^rr  faflile,  iMait  pxritï^  par  5cs  ronseillfTS  pà  s^  bimri^^l 
iiial^,  quel  que  Ml  le  rnradère  privé  des^  prinfes  qui  rfgfiHM!»^ 
sur  la  France  et  mr  la  Bretagne»  il  T  aviiil  ià  de?  mmeê  dt*  lulU' 
in^vilaljle,  aussi  bien  ga*entre  la  Fmiîrtï  royak   cl  Iji  lUim- 
po^e.   Le  roî  voulait   trailiT  ta  Birtagnc  couin>c  toiil  mitrt 
gnind  fief.  Li  Bretagne,  bien  niouis  puissanlc  qui»  b  BuurçDpie, 
prétendait  à  une  îniiépcndftnce  bien  plus  complète  enmre,  IVt^vf  il- 
laot  les  Iradiiîons  de  ses  vieux  rois  reltifpies,  elle  nViiî     ,'    -  m 
ressortir  au  parlement  de  Paris,  ni  pajer  iiuetio  impôt  jf 

espèce  liu  roi.  Le  duc  se  disait  «  duc  par  la  grict*  de  Diiii,  §H 
s'attriliuait  tous  le<^  droits  rr^^aliens,  Apr^s  auiir  reroqfiti  la  nim- 
mission  royale  qui  devait  décider  sur  rhommagf  dt^  é^i^dH»! 
bretouî*,  lorsqu'elle  eut  prononc*^  c^mli^  lui  (?9  octobrr  1 101),  il 
refusa  de  roeonnattre  la  senlenw^.  Non-seulemeol  il  attdi  cm- 
firme,  le  22  mars  1 16K  ses  alliances  avec  le  rointc  de  Cbafx>l4i^ 
envers  el  confre  tous^  «  Kam  excepter  monsi^i^metir  b!  roi,  t  mal^l 
H  né^^ociait  avec  Édouanl  ÏV,  cl  promet  lait  de  transféi^r  nu  mo* 
narque  anj^'lais  riiommage  de  k  Bn.*ta?ï:ne ;  en  m^ine  fenqt^.  il 
engageait  dans  ses  complots  le  duc  de  Bourbon,  le  due  de  Calidire 
et  de  Lorraine,  fils  aîné  du  roi  René,  et  jusqu'au  Jeune  frénp  de 
IjOUIS  XI.  Il  i*tait  lui-m6me  poussr  jmr  le  duc  d'Aieniviu,  ipiî,  ni*^ 
fonfenl  qïie  le  roi,  en  Tanmistiant»  eût  ganli-  m^  plaix^â    • 
enrimts  en  otages.  s*enfonçait  de  plus  en  plus  ûmi^  h  miil.  . 
çon  avait,  dit-on»  fait  tuer  un  des  témoins  à  cbargi'  de  srm  prucièa, 
fabriqua  de  la  fausse  monnaie,  et  commis  d'autres  crimes  en  • 
Le  roi  ayant  en\0ïé  son  prtHVit  Tristan  riîenmtepourlepreî  > 
Alençon  s'était  liauvé  en  Bretagne,  La  duplicité  du  roi  et  »  l*gf- 
rett^  de  paroles  prêtaient  des  arnies  h  ses  ad^ei^ire*  :  dans  f=r* 
conférences  avec  les  ambassadeurs  anglais,  il  a^ail  foi!;  dit-on,  h 
Edouard  IV  des  avances  aussi  [jcu  mesurées  que  peu  stnct^r^»»,  H 
qui  n'avaient  pas  manqué  d'être  rapportées  znx  prini*e$,  H»  ii^ns 


û*ti%  \n  ftimmU  dis  lottiii  XI*  Vu  n'était  %is»  To  r&tAbt!iiMiiPfit  d«« 
rôliiti  U«  r«jj3plre  ratimEu  «t  de  Chart«i]iAgtit« 


doute,  fort  amplifiées;  le  duc,  ou  plutôt  le  conseil  ducal  de 
Breta^e,  écrivit  hardiment  au  roi  pour  lui  demander  s'il  était 
vrai  qu'il  eût  offert  aux  Anglais  la  Guyenne  et  une  partie  de  la 
Normandie  pour  prix  de  leur  alliance  contre  les  seigneurs  du 
Scmg. 

Louis  opposait,  comme  un  antidote ,  au  mauvais  vouloir  des 
princes  Tlmmeur  pacifique  du  duc  de  Bourgogne,  et  s'efforçait  de 
regagner  l'affection  du  vieux  Philippe,  qui  avait  eu  si  peu  à  se 
louer  de  lui  :  il  l'avait  \ti  à  Hesdin  en  juillet  1 464  ;  il  lui  annonça 
une  nouvelle  visite  pour  le  mois  de  septembre  ;  mais,  au  moment 
où  Philippe  attendait  le  roi,  Olivier  de  la  Marche,  écuycr  du 
comte  de  Charôlais  et  auteur  de  mémoires  curieux  sur  cette 
époque ,  arriva  de  Gorkuni  en  Hollande ,  où  était  son  maître ,  et 
annonça  au  duc  qu'on  venait  d'arrêter  sur  la  côte  un  aventurier 
au  service  de  Louis  XI ,  nommé  le  bâtard  de  Rubempré ,  soup- 
çonné d'avoir  voulu  enlever  en  traliison  le  comte  de  Charôlais,  à 
l'aide  d'un  petit  navire  corsaire. 

La  cour  de  Bourgogne  prit  l'épouvante.  Le  vieux  duc  craignit 
qu'on  n'eût  projeté  d'attenter  à  sa  liberté  en  même  temps  qu'à 
celle  de  son  fils,  et  partit  précipitamment  de  Hesdin  pour  Lille, 
sans  vouloir  attendre  Louis  XI.  Le  roi,  très-mortifié,  s'en  alla  à 
Rouen,  où  il  manda,  le  28  octobre,  des  députés  de  toutes  les  villes 
•  du  nord  du  royaume  :  il  leur  fit  déclarer,  par  son  chancelier, 
«  qu'il  étoit  fort  déplaisant  de  ce  qu'on  disoit  qu'il  avoit  voulu  faire 
prendre  monsieur  de  Charolois,  »  et  que  Rubempré  était  chargé 
de  se  saisir,  non  pas  du  comte,  mais  du  vice -chancelier  de  Bre- 
tagne, qui  voyageait  déguisé  en  moine,  intriguait  partout  contre 
le  roi,  et  devait  conférer  avec  «  monsieur  de  Charolois  »  en  reve- 
nant d'Angleterre. 

Cette  justification  avait  assez  de  vraisemblance.  Louis  ne  s'en 
tint  pas  là ,  et  envoya  au  duc  de  Bourgogne  le  comte  d'Eu ,  le 
diancelier  Pierre  de  Morvilliers  et  l'archevêque  deNarbonne,  pour 
se  plaindre  du  tort  qu'on  faisait  à  son  honneur.  Le  chancelier 
parla  «  fort  arrogamment  »  au  duc,  rei)rocha  au  comte  de  Cha- 
rôlais ses  liaisons  avec  le  duc  de  Bretagne,  demanda  la  délivrance 
de  Rubempré,  et  requit  qu'Olivier  de  la  Marche  et  un  jacol)in  de 
Bruges,  qui  avait  «  vitupéré  et  honni  »  dans  ses  sermons  la  ma- 


je-Slt*  rayîile ,  fttRseiit  Ih  rts  c  ntre  les  iTjaitis  du  i*oî,  l^e  Ûmi ,  rr mil 
lie  ^a  fraytnij",  tratUi  In  fhoAt^  a^HZ  k*^'<'f^'iii4;iiit,  el  refu»  «  lotiii 
[ikân  î  les  dciiiâtides  de  LouLs  XL  LotHfue  le*  aaiLiaâ^dain  \ 
rcnt  confié,  fe  roiuk*  d(*ClmroIais  leur  dît  : 

tf  Recamiiiaiiflez-iuoi  Irès-liumbleinrnl  4  la  bcmni?  grtra  tlo  roi| 
et  dites-lui  qu'il  m'a  bien  fait  laver  la  tMe  |^r  ^n  diAiiccliin*,  i 
cpi'avanl  qu'il  soit  un  an,  il  s'en  repeïitini  *.  » 

Le  roi  tHait  tn^^s-inqiiicl  :  il  avait  tenté  en  ^lilti  liv  f;"'^' 
comte  de  Smnl-Pul,  confident  de  tous  les  desseins  de  - 
de  Uonrpogîit*;  »  il  cùnnucnv^it  k  emindie  que  U's  Croi  m  U 
dans  rÎMpossibîlité  de  rcmjurer  ronige.  Il  e*<4i\a  diî  hn^EM 
faire  de  Brelagjm  en  obligennt  les  princes  eux -ini^jueîî 
noncer  en  favcui'  de  la  couranne ,  avanl  qu'iU  fwaspnl  (in&l*  1 
t  s'armer  contre  elle.  Il  eatnoqua  ii  Toui^  les  t  sire?  du  anç  ^  ( 
le^giands  barons;  le  jeune  duc  de  Berri,  le  roi  H«*ntV,  le  da 
d*Orléansi,  le  eomte  »iu  Maine,  ïc  duc  de  Bourticin,  le  eon)lL*  dMil 
goul<>nie,  le  comte  de  Nevers  (Jean  de  lk>nrga|;iic^  conUe  d'I^taru 
]ies,  qui  avait  hérité  des  comtés  de  XevRi*»  cl  de  Ht^thelj,  les  nmUl 
de  Fôix»  de  Peiilhièvre,  de  iJuiiois,  de&tinl-Pol,  le  duc  de  .\ 
niours,  se  rendireut  a  cette  ajitsendljlée,  à  laquelle  as&îsl<4-4iit  uni 
amhassadenrs  du  duc  fie  Hourï^ugnc  {1S  i""'         '     ■  JîGi;.  A(ir 
avoir  fait  exposer  l'état  des  choses  par  le  eh-  .^   .    i  et  par  Icpr 
niier  président  du  parletnent  de  Toulouse ,  If  roi  iiarlîi  rn 
sonne  avec  élorjueuce,  dit  quHl  savail  le  pcdds  de  la  etninmiie 
ne  le  pounmit  soutenir  sans  leî^  princes  do  son  santr.  rpii  en  elnici 
les  appuis  naturels;  mais,  en  iiiithne  temps,  il  dit  qu'il  avstil 
garder  mémoire  du  serment  de  ^n  sacre,  à  savoir  de  ganlira 
sujets  et  ses  droits,  et  de  fti ire  justice,  et  il  luonca  nur  unecel 
taine  fierté  les  suee^'s  des  [treiniéreÈ  ann(*es  de  son  n^gne;  ilîniiî| 
dit-il,  relevé  k  cliose  fiublitiue,  fort  abaissée  vers  la  lin  en  rè|ril 
de  son  père,  et  avait  »  peiné  et  travaillé,  pu  ^î^ritant  Inoips  li 
lïarties  de  son  rojanme  ,  plus  cpie  ne  lit..,  voi  de  France  dejM 


t.  PJiilîppt  dt?  Comlne*  ^  J.  i,t1i.  L  Id  nïmmAnrtnti  Iv*.  ?*Ii'i:iiMrr-  .\*  fj.  .-. 

rhlnuiiri*  ^  il  HiiUtHna  l>tu«lo  «iAi^if^i!  el  ïmirotjdiwl*»  I         ^        _      .     j- 
ifûtiuii  c*t  a  l'idéal   riclUI  dtijt  liiMU^nt^ni*  <|(ii  tnin'»{Hiruî«'iit    iln»*  Ili«^«il9»  H 
Et  .«iirlûiit  Ira  Tortutf  il/w»  n^iitutii»  df  chmak-rif .  l-'ctok  dtî  Cuiniii''--  r^-^.n*it 
îU  FTOitwait  î  Conilnc»  ftit  lu  Chnrtn  V  vi  l*  l/uah  XT  û»  VhM^ïtx 


Uii 


[1464]  LIGUE    DU    BIEN    PUBLIC.  rM3 

Cliarleina^ne.  »  Il  «  iiioiitra  »  (Misuile  ses  griefs  eonfre  le  duc 
François,  et  se  justifia  des  folles  iniputalions  des  Bretons  louchant 
les  prétendues  offres  au  roi  d'Angleterre*.  Le  roi  René  répondit 
au  nom  de  rassemblée ,  hlàina  fort  le  duc  de  Bretagne,  et  abonda 
dans  le  sens  de  Louis.  Tous  les  princes  déclarèrent  qu'ils  avaient 
parlé  par  la  bouche  du  roi  René,  qu'ils  vivraient  et  mouiraient 
lK)ur  le  roi.  Le  vieux  duc  d'Orléans  prit  seul  la  défense  de  l'ab- 
sent, et  éleva  quelques  plaintes  contre  l'administration  de  LouisXI; 
mais,  s'il  faut  en  croire  un  écrivain,  très-hostile  à  Louis  XP,  le 
roî  lui  répondit  avec  une  amertume  et  un  dédain  écrasant,  «  dont 
le  bon  duc  fut  si  ému,  pour  la  débilité  de  sa  personne,  cpi'il  en 
lînit  sa  vie  dedans  douze  jours.  »  Cet  incident  ne  dut  pas  amé- 
liorer les  dispositions  des  autres  princes  envers  le  roi  ! 

Le  duc  Charles  d'Orléans  ne  laissa  d'hoir  mûlc  cpi'un  fils  ûgé 
de  trois  ans,  fruit  tardif  de  sa  vieillesse  :  cet  enfant  fut  le  roi 
Louis  Xn. 

Le  roi  n'atteignit  pas  son  but  :  les  princes  et  seigneurs ,  qui 
venaient  de  jurer  qu'ils  vivraient  et  mourraient  pour  lui,  étaient 
déjà  presque  tous  entrés  dans  la  conspiration  qui  le  mcnaçxiit  ; 
vers  la  fin  de  décembre,  «  une  journée  fut  tenue  en  l'église  Notre- 
Dame  de  Paris,  »  où  se  réunirent,  sous  divers  déguisements,  les 
envoyés  des  seigneurs  conjurés,  poiteurs  des  engagements  scellés 
de  leurs  maîtres;  une  aiguillette  de  soie  rouge  à  la  ceinture  leur 
servit  de  signe  de  reconnaissance.  i  Ainsi,  »  dit  Olivier  de  la  Marche 
(c.  35),  *i  fut  faite  cette  alliance,  dont  le  roi  ne  put  onc  rien  savoir, 
quoiqu'il  y  eût  plus  de  cinq  cents,  tant  princes  que  chevaliers, 
écuyers,  dames  et  damoiselles,  qui  étoient  tous  de  cette  ligue; 
et  fut  dite  leur  emprise  (entreprise)  le  Bien  public,  pour  ce  qu'elle 
s'entreprenoit  sous  couleur  de  dire  que  c'étoit  pour  le  bien  public 
du  royaume  ».  Si  décevante  que  fût  la  devise  des  conspirateurs, 
elle  était,  connue  l'a  observé  un  historien  (M.  Sismondi),  un  hom- 
mage au  progrès  de  la  raison  publique  :  on  n'osait  plus  lever 
l'étendard  de  la  révolte  au  nom  d'intérêts  privés. 

A  la  suite  de  l'asscMnblée  de  Tours,  plusieurs  messages  furent 

1.  Preuves  de  Comincâ,  éil.  Lcn'^ha-Dafresnoi ,  II ,  415. 

2.  riuude  de  Seyssel ,  les  Ltman-jc.^  du  bon  roi  Lnuii  douzicme;  tlsiiis  les  Preuves  def 
Mémoires  de  C'oiniiies  ,  édit.  de  LeiiijU-t-l>ufresnoi ,  t.  III. 


(SÎW  FKAÎ^CK  ET  BOli  II  COGNE.  ÎMi 

l'dianLîrs  elure  le  rùi  cl  le  duc  do  Brefagme  :  le  rt>î  eût  cùmei 
A  tleg  concessions;  mais  François  II  no  chercliait  i)ii\i  ^Mgn6 
du  Icujps;  autour  de  lui  se  serraient  tcius  les  inéccmlf nts  ;  h 
duc  d**\IeDçou,  Itî  grand  comte  de  DuuoIh^  doal  1p  roi  avait 
UniprudciKC  de  se  faire  uu  ennemi ,  le  iiKirtVIinl  de  Uihh 
Ttimiral  de  Beuil,  destitués  de  leurs  offices,  ^Uiiiîiil  h  Kunles, 
animés  des  sadiments  le^  plus  hofUIefi.  Au  mois  de  murs,  le  dur 
de  Ikrri ,  frère  du  roi ,  s'échappa  de  Poiliers,  el  ^?^jniJ,^li1  h  Njuiir* 
ce  groupe  menuput,  Cliarles,  duc  de  Bem,  jciiiie  hoiDUic  tic 
dix-neuf  ani&^  nul  et  vaniteux,  essentkllemeul  proim?  &  servir 
triastnurienl  aux  perturlmteurfi  de  VÈiiïï,  a^ail  Ht  fiidlciiinii 
p:i^é  par  les  couî^pi râleurs,  qui  lut  remonlraienl  le  <  gnuMl iort 
el  k^ure  »  que  lui  fui.^it  le  roi  m  ne  lui  donmuit  aucune  piiil  4 
radminjslratîûM  du  royaume;  le  nià  grief  dn  inme  prince  1 
k  contrainte  cl  Termui  qu'il  éprouvail  à  la  cour  de  mn  Mr 
Celle  cour  économe  cl  sérieuse  ^  de  laquelle  «iiidcnl  disj^iru 
souiplueux  banquets,  les  bats  et  les  tournois,  était  b 
des  jeunes  gens  et  des  femmes,  accoulunuH  à  b  gahuim*:  de^ 
Charles  VII  ou  aux  pompes  de  Pliilippe le  Bon*. 

Le  duc  de  Bcrri  adressa ,  ou  plutôt  on  adrcjïsa  en  5on  nom  ^1 
duc  fin  Bourgog^ne  un  manifeste  cié(lafn*itoii>*  «sur  les  d6^irdfvs 
de  YliUïi  et  mr  la  néceSwsiié  de  pourvoir  au  soubgemenl  du  fNiuvrt 
peuple;  le  jeune  luînce  annonçait  que  lui  el  le*  autres  deigneun, 
Èeê  parental  «  avaient  résolu  de  <i  tenir  les  cliatnps  t  panr  <  le  IM 
de  la  ehose  publique  :  p  en  conséquenec  il  priait  •  le  bon  du 
Philippe  de  $e  mettre  sus»  de  son  cMé,  ou  d'envoyer  «  «lonf^ieur 
de  Charolois  à  grand  puissance  i. 

Au  moment  où  la  lettre  du  duc  de  Bcrri,   '         '  1  17»  naa 
arriva  dans  les  Pays-Bas,  une  révolution  venah  1  liiîn  < 

le  palais  du  duc. Philippe.  Pendant  une  oouvellc  m«ilîidiitdu  liem 
duc,  le  comte  de  Cljaroku:^  avait  dépossédé  les  Crol  de  toute 
leurs  places  el  gouvernement^^»  Le  duc  rétabli,  les  Croi  recoi** 


S*rc»l»  su  duc  l'hiliiipf*  ^  h  h  jnk  min*  tlo  b  rouit'  fi  ûc  la  êœnT^  qiiiiuvl  i 
^liiriiHiti  jours  Irw  pnrtîntolre  nct-tnaumc  pour  c*  pJsrsLdtn  *li*  U  r»iir  «li«  tU 

mpr^t  lut  lU  iitmiui^e  fn  province  i  elle  aecoucliA  une  fob  dam  om  nàhàt$lkU  ti11«€c 


K50  FnA>tCE  KT  nOtiHCOG:«E,  ^Hfv 

Bastille,  Tîu  il  ^l-ïait  déteim  i»ar  s^uilc  <ruïi  amH  do  [Vj.! 
liul'tjrôuml  Bourges  cl  înÊur^eail  k  uoblesst'  du  Beni»  U'.  n 

av€c  k  sire  de  Beaujeu,  frère  du  duc  de  BourliOD.  Cbâqiit*  jour, 
Louis  apprtïimit  des  directions  inattenduetî  ;  les  îieigwiirs  tpii  lui 
devaient  lo  [Jus  étaient  les  premiers  à  ^'aniier  amirfs^  lui. 

Le  roî  allait  ùlre  atla^iué  ile  trais  côtés  ^  tîi  fois  :  atl  rej]tn%  au 
nord  et  à  Touest;  son  activité  fut  au  niveau  du  daji^er.  11  ami 
renouvelé  sa  tr^éve  avec  r  Angleterre;  il  ressenti  stin  nlliiJLriie  a  ut 
Litige  ;  il  réclama  les  secours;  du  due  de  Milm;  il  Iraiia  auv  le  rui 
de  Naplciè,  Ferditiand  le  Bûlard  ;  il  tira  cpieiqu<?  aident  dp<»  Ik^rJini^ 
de  Florence;  îl  tâcha  de  se  nic^'oniiiioder  avec  Rome  ei  trri\ii  .iu 
successeur  de  l*io  11,  au  pape  l*aul  II,  afm  d'in^oiiuer  ^au  inl*^ 
ventinn  contre  les  rebelles  qui,  disait-il,  voulaienl  i^lalilir  la  l*Of- 
matique  abolie  par  son  zèle  (ilial  envers  le  sîunl-àiégc*.  Ito  le 

1 6  nians,  i I  a  vfii  i  expéd  ii^  de  Tours  i  hdirm  par  lou  l  >rf.in  r^  '   ^ 

où  îl  renie>nlnjil  aux  peuples  tous  les  maux  qui  iillah%  -k 

de  <  eetlé  fausse  et  d^imnable  rébeHioii,  »  eiifaul^c  par  riiilêrèt  i»er- 
.sonnel  tles  grands  ci  paj-  Taniour  du  désordn*  :  «  Si  onuè  avimu 
couseiilip  »  disait-il,  a  àaui^menter  leurs  [ien^ijonijel  àleur  ix'nnrUrv 
de  roui(T  kurs  vassauK  comme  par  le  passé,  ils  n'aiirol««ul  j(mt;iî> 
]>ensé  au  bien  publie.  Au  lej^ard  des  tailles  et  aJdt*^,  ii*^  a  éîé  rn!U 
mis  ni  crû  de  nouveau  qui  ne  tûi  du  temps  du  feu  roi  ^  •  Il  oiTrif 
amnistie  à  tous  ceux  de^  coupables  qiû  viendraient  à  merri  m 


L  Le  larlfîîijrnl  lapait  4  aNrrd  oor*iJaiuïié  h  inorl  iï«r  a/ifuut,  «"iniitTtf  — ^ 
Ii>iie  iuiJB.'j*it'  I  «i  iNt'jjtr'iiîbrc''  J463J.  Jr^tirour^iju^  jutr  tu  riHij**Hli;»Uii.«i  rtr  ' 

Jotrr  aux  r*L'da  Ju  roi,  Irtntqiie  I<rfjutii  (mn-H»  par  \v  Lîimni«iTi     im  >-  «  ..^   i-    ^  ,  ..  .^ 
r#iiw  îi,v#?c  II*  nn  ilr  l'antilk'.  "  l>i*aiîit\d est- voua  Jti>iit«  ou  ti. 

riuntié  th  ?*h  liiinliw»^.  —  J»i-itlt?«  î  —  Ivli  bi^n  î  Je  voii»  L .-.,».*. 

ro)uuinc  «tjt-  voua  ilonnci  1,500  i^cu**  ti'or  pour  %im»  nnrclm  t*it  ,•-  L'«f^ 

4ftU*  1^  ^onnvt^  ûi  te  remit  ctiLrc  lc>  nmin*  Je  b  juitJtH;  ufiii  de  |«^ 

Lo  fiiitliimmt  Iv  rijitdiLUuui  H  un  b»uikit«H(«iiici)t  iHirpétuel  il&m  Iflc  ùv  i.^.....    i^j 

I  l4>:i  |t  C'iMiuTtM  il  tu;  put  fournir  vmutiûti  tpi'H  no  «iiuttcntll  poj  kr  (l**u  4*^*11  »«*i^ 

II  foi  rnfvmi^  à  Ia  BititiU^. 
2,  i^ontUfiC  ciY  ti^ni^H,  il  M>n^a[7ouit  ctivers  tes  Li^g^ott  •  è  mi  pv^Hi^  èueooé  uli4 

9«iHT  4  ni>tre  trè«  nattit  Père,  *<  JnA«:|Q'à  %^  i|uo  Ir  |iii.jir  rût  rètmtiM^  TlttlcrAit  t 

Ffflfi«  iiy.  Midulol,  VJ,  liiS. 


[tics;  GUEKKE   CrVfLE.  557 

dedans  six  semaines;  il  dépôcha  à  Paris  deux  de  ses  confidents 
les  plus  intimes ,  sinon  les  plus  dignes  de  Tôtre ,  Charles  de 
Melun,  bailli  de  Sens  et  lieutenant  du  roi  dans  TIle-de-France,  et 
Jean  Balue,  évùquc  d'Évreux ,  et  envoya  d'autres  officiers  dans  les 
autres  cités.  Ses  oncles  maternels,  le  roi  René  et  le  comte  du 
Maine,  avaient  refusé  de  s'unir  aux  rebelles,  quoique  le  roi  René 
n'eût  pu  empêcher  son  fils,  le  duc  de  Galabre,  de  prendre  parti 
contre  le  roi.  Louis  laissa  à  ses  oncles  le  soin  de  protéger,  contre 
le  duc  de  Bretagne,  leurs  seigneuries  et  la  Normandie ,  chargea 
les  trois  Armagnacs,  qui  lui  devaient  tout  au  monde,  de  lui  ame- 
ner les  gens  du  Midi,  et  entra  en  Berri  avec  un  beau  corps  d'armée 
rapidement  réuni,  grâce  à  la  bonne  organisation  des  troupes 
régidières  accnies  en  nombre  depuis  la  conquête  de  la  Normandie 
et  de  la  Guyenne*. 

Louis  espérait  dompter  ou  ramener  les  chefs  de  la  révolte  dans 
les  régions  du  centre,  avant  que  le  comte  de  Charolais  fût  en 
mesure  de  joindre  ses  confédérés.  La  campagne  commença  sous 
d'heureux  auspices  :  tout  le  Berri,  excepté  Bourges,  et  la  partie  du 
Bourbonnais  à  l'ouest  de  l'Allier  furent  réduits  très-vite.  L'exacte 
discipline  des  troupes  du  roi,  la  modération  de  Louis  envers  les 
places  qui  se  soumettaient,  lui  gagnèrent  les  populations.  Lyon, 
le  Dauphiné,  la  meilleure  partie  de  l'Auvergne,  le  Languedoc  et  la 
Guyenne  restèrent  dans  le  devoir.  Le  comte  de  Foix  et  le  maré- 
chal de  Comminges  (bâtard  d'Armagnac)  avaient  tenu  leurs  en- 
gagements. Les  deux  autres  Armagnacs,  le  comte  Jean  et  le 
duc  de  Nemours,  arrivèrent  à  la  tète  d'un  gros  corps  de  Gas- 
cons ;  mais,  au  lieu  de  rejoindre  Louis,  ils  rejoignirent  le  duc  de 
Bourbon.  Nemours  et  la  duchesse  de  Bourbon,  sœur  du  roi, 
avaient  entamé  avec  Louis  des  négociations.  Pendant  les  pour- 
parlers, l'évéquc  do  Bayeux,  conseiller  du  roi,  qui  vendait  son 
maître,  proposa,  dit-on,  d'introduire  les  princes  dans  Montluçon 
pour  y  surprendre  le  roi,  ou  mémo  de  mettre  le  feu  aux  poudres  ! 
Les  princes  reculèrent  devant  le  régicide,  et  se  contentèrent  d'es- 

Louis  XI ,  4MC  depuis  son  avènement  il  n'a  -  montré  aucune  cniauté  à  personne.  •» 
Preuves  de  Comines,  éd.  Lenglet ,  II ,  U6.  Les  pendaisons  de  Keims  étaient  chose 
coutumiére  en  cas  d'émeute,  et  ne  passaient  pas  pour  cniautc  personnelle. 
1.  Il  y  avait  maintenant  2,200  lances  d'ordonnance 


m 


FR\NCE  ET  BOtnOOr,«*E. 


^ayt^r  iriaipostr  ;i  Unm  an  traité  (\m  Veut  mis  mw  It  toWlr 
d'un  conseil  nuumie  |Kir  eus,  t*l  qui  km  eût  livnû  toiH  les  ;;fiih 

Les  nouvelles  du  iiani  H  de  l'ouest  étaicnl  iit-sphi5  iiliïnîîaiiljs. 
liOiiis,  cependant»  nVn  t-lfiit  pas  à  souscnrê  de  lt41c>  con«litiùitt! 
him  que  ses  enncniis  eussent  re^u  un  renfort  de  di»iiï  wntîj  lança 
bourjG^iJÎ^onnes,  il  reprit  roffensive^  ims«ar\iljer,  eiiijrtjrta  (iio- 
liât  d'as,^nt  el  m*^rclia  droit  à  lUoni,  où  5Ï-laient  r^njnis  les  diic^ 
de  Bourbaii  et  de  Xeniourj?,  le  cmnti^  d'Ariuagiwuî  «•!  lu  sire  d'Aï- 
lifx!t.  Ils  n'osèrent  accepter  la  hâtai U<^,  cl  ce  Turent  fîux  qui  cii|i^ 
tulèrent-  Le  4  juillet,  on  î^îgna  un  accord,  en  vertu  duqurl  Boim^ 
hon  et  SCS  amis  furent  antûris6s  h  envciyer  à  Piiris,  à  la  nii-anikL 
ûts  ambassadeurs  pnur  aviser  à  la  paix  pulilîquenrec  le  roi  H  te 
autres  iirînces;  en  altendant,  ils  devaient  [►os^ïf  les  anne$  d  «f 
pas  les  reprendre,  n  leurs  alliez  «  ne  voidoienl  pomi  enlcoitn:  i 
la  paix,  t 

AuBsilôt  U  convcntiDU  de  Rioin  signée,  le  roi  prit  wi  graïuk 
hàle  la  roule  de  Paris  avec  la  meilleure  piirtîe  de^  »  ni'i 

d'ordonnance»  l'arriirtj-ban  de  Daupliiné  et  <jueU|uet  -  i  J>, 

une  douzaine  de  mille  hommes  choisis,  pri!Si]UG  tuulc  cafiilt*rii! 
Cnmînes,  K  i,  c.  3).  Il  savait  que  deux  années  amemie^s,  j«arlie«, 
l'une  des  Pays-Ris  et  Taulre  de  la  Bretogîie»  si*élaient  duiim»  nrii- 
ilez-voiis  sous  les  murs  de  la  Gipitale. 

Les  lîtals  des  provinces  flamandes  et  wallonnes  avaient  accorda 
tin  subside  de  guerre  au  duc  Philippe,  nu  plulôt  ao  cuuile  Cly»rW, 
<  l  le  comte  s'était  mis  aux  champis  le  15  mai,  èpré^  a\oir  (srii 
congé  du  vieux  duc,  qui  ne  voulait  plus  en  fontns  cïh^scs  que  la 
volonté  de  son  fils  :  «  Va,  v  lui  dit-il,  ^  mainliens  bien  ton  hun- 
neurp  et»  8*il  te  faut  cent  mille  honnnes  de  phis  pour  le  iirx*r  de 
peînep  je  veux  moi-même  te  les  conduire*  t  Le  comte  Clbarie» 
emmena  quatorze  cents  lances  et  huit  mille  îitt  hi'i^,  sans  Ici 
cranequiniers  (gens  armés  de  groî^ses  arbalètes),  rcMilillierJ, 
couleuvrinjeî^,  etc.,  «  et  tant  de  hond>ardns,  §er{>efi(in»?»,  cr»- 
Iiaudtaux,  mortiers  et  autre  artillerie  k  poudre,  que  c'rloil  nitf^ 
veille,  p  r.ette  année  était  plus  hrilLinte  que  Wrri  tirdoiirii^e;  le» 

1.  m»L  ma.  fkLmiiê  Xt,  par  Tabhé  Upiua,  Vllt,  4^, 


:1465)  CIIAIIOLAIS   DEVAiNT   PAIUS.  559 

splendidos  milices  féodales  du  duc  Philippe  élaieiit  loin  (régaler 
en  exi)érieiice  et  en  discipline  les  compagnies  d'ordonnance  du 
roi  Louis*. 

Le  comte  de  Nevers,  gouverneur  de  Picardie  poiu'  le  roi,  et  le 
maréchal  Joachim  Rouault,  ne  purent  réunir  que  quatre  mille 
hommes  à  peine ,  pour  s'opposer  à  cette  masse  :  la  nohlessiî 
picarde,  hahituée  à  suivre  les  drapeaux  de  Bourgogne  et  travail- 
lée par  les  intrigues  du  comte  de  Saint-Pol,  passa  en  foule  dans 
les  rangs  des  envahisseurs.  Nevers  lui-même,  effrayé,  mollit;  il 
eût  trahi,  si  Charles  le  Terrible  se  fiU  mi  peu  adouci  ci  son  égard. 
Roie,  Nesle,  Montdidier,  se  rendirent  au  comte  Charles,  qui,  sans 
s'arrêter  à  assiéger  les  grandes  villes  de  Picardie,  franchit  TOisc 
à  Pont  Sainte-Maxence,  par  la  trahison  du  capitaine,  et  entra,  le 
5  juillet,  à  Saint-Denis.  Les  capitaines  hourguignons  coururent 
tous  les  environs  de  Paris  entre  Seine  et  Marne,  faisant  brûler  les 
registres  des  aides,  ouvrir  les  greniers  de  la  gabelle,  et  distribuer 
le  sel  au  peuple,  «  en  payant  seulement  le  droit  du  marchand 
(Jean  de  Troies).  On  ne  pillait  pas;  on  payait  tout  ce  qu'on  pre- 
nait, a  comme  si  on  eût  été  en  Flandre  ».  Les  gens  du  bieyi public 
espéraient  ainsi  décider  Paris  à  se  soulever.  Paris  semblait  flotter. 
L'université,  qui  avait  recouvré  sa  puissance  numérique,  sinon  Sii 
puissance  morale,  avait  argué  de  ses  privilèges,  pour  refuser 
d'armer  ses  25,000  écoliers  et  suppôts  à  la  prière  du  roi.  Les  bour- 
geois, néanmoins,  ne  firent  pas  de  môme.  Le  maréchal  Rouault 
était  accouru  se  mettre  à  leur  tôte,  avec  i)lusieurs  des  membres  de 
l'ancien  conseil  de  France,  l'ex-chancelier  Guillaume  Jouvenel, 
que  le  roi  venait  de  nommer  chambellan,  Etienne  Chevalier, 
Guillaume  Cousinot,  rentré  en  gr.lce,  et  d'autres.  Louis  écri- 
vait, coup  sur  coup,  «  à  ceux  de  Paris,  connne  quoi  il  mettoil 
en  eux  grande  fiance  et  grande  amours,  et  arriverait  bien- 
tôt pour  les  secourir.  Quoique  le  peuple  eût  à  se  plaindre  dt  s 
mesures  fisc;des  du  roi,  il  parut  comprendre  qu'il  aurait  pire  aver 
les  princes.  Les  Bourguignons  demandèrent  en  vain  des  vivres, 
et  une  tentative  qu'ils  firent  contre  la  porte  Saint-Denis  fut  vigou- 
reusement repoussée  par  l'artillerie  parisienne  (8  juillet). 

1.  A  MontllRTi,  la  plupart  des  hommes  d'armes  chargèrent  sans  cuirasse  .  et  ne 
saraient  pas  même  coucher  la  lance.  Coniine*»,  1.  i,  c.  3. 


j|M^  Flî  AN  CE  ET  Rori\aor,:^r  luv 

Lr  bon  sens  ïioinîîîiiro  eûl.  liien  voiilti  pourl^iiil  qu'une  .utlnrik* 
nutîonftle  fût  api^elte  à  pronouccr  eiitn*  lo  rai  el  Icâ  iiriiir»:  ii 
irivoqiiîiït  ]vs  Èlals*ii6nèraux;  ùu  fakiit  ciitirir  àrnis  Paris  unt' 
bîilkHle  ainsi  ti*niiinéfî  : 


Qm  ptul  tlouner  lou  conseil  pn^laotintî 

Qui  ?  vriire  (  naîmiuill  qm?  lest  Tr^u  ^tiii  ik  Ptanee  '  1 

Les  princes,  pas  plus  (pic  ie  roi,  no  s»e  doiu^iaiml  des  Ètà^ 
Généraux,  nt  Charolai^  tU k  sannlê  àrenk\ 

Le  î^eul  moyen  jjuur  lui  d'avoir  Paris,  c'êlail  do  se  nicUre  mu\' 
la  capitale  et  le  rai ,  tl  de  réunir,  au  sud  de  Paris,  \m  ilcui  «i- 
jjiées  féodales.  L'aulrn  arméf^,  celle  dos  durs  de  BiTri  el  de  Brt^ 
lagiie,  forte  de  dix  mille  hommes»  s^était  dirige»  de  la  BiTUpcnr 
ï^iir  Paris»  à  travers  TAtijou,  lo  Mmim  ci  la  lli*^nri?j  Le  canitr  do 
Maine  o*arait  eu  ni  h  forée,  ni  [teut-èlrc  la  ferme  volonté  de  lui 
elisputer  le  pnssn^e;  aprè^  Tavoir  lon^lempti  rAioyêf,  il  avaiH 
rallié  le  roi,  qiii  arrivait  h  marches  forcées  par  la  roiile  d'ilrli^am. 

Cliaralais»  le  13  juillet,  passa  donc  la  Seine  au  |K>nt  de  %mh 
Cloud  ,  priîs,  \ù  10,  par  le  eomte  de  Sainl-Pol,  el  alla  loger  à  tej. 
Le  ^uilendemain,  il  ^e  porta  &ur  Longjurn«?4iii  tjl  MontllnVi,  |«i!* 
saut  nue  lei4  Bretons  viendraient  par  F'tanipe:^.  l^uij*  XI,  cependant, 
accourait  afin  de  ^tigner  Pariï^  ik  kml  prix.  U  scolail  que  Paiii, 
cïlait  la  couronne.  Averti  que  les  Itourguignaru  avaient  fraiKhi 
la  Seine,  il  avait  mandé  h  Cimrlv^  de  UeluB,  $ofi  UcultniuiJ 
gi%^ral  dans  rile* de- France,  dVxpédier  de  Paris  dtîiiî  oenb 
lances,  sous  le  raarédial  Rouaull.  pour  pn*ndre  retioeini  pr 
derrière.  Le  15  au  soir,  les  érlaircunî  du  eomle  «'hariini  renititt- 
ù^^ient  rarmée  du  roi  ù  Cliâfres  (Ariiajon}.  Charolnis  rhoi^il  md 
l'hamp  de  bataille  \ivès  de  LongJTimeau.  Le  roi»  le  leiideinairj 
matin,  tit  occuper  par  sci*  avant-pONies  la  tour  dit  Mi«ntlljén  d  le 
sommet  de  la  colline,  tandis  que  Favant-gardc  ennemit*  tenaille 
hourg,  sur  la  pente  de  la  colline.  U*  eomle  de  S.iinl-I\i^  qui  moi- 
mandait  celle  avanl-garde,  se  rnhattit  dans  la  plaine,  nn  fniDil 
fossé  entre  lui  et  le  roi;  mais  lA.  au  lieu  de  k*  replmr  juîMfuW 
Lon^jumeau,  comme  il  en  avait  Tordre,  U  inanda  au  amAv 


11463]  BATAILLE  DE  MONTLHÉRI.  561 

Charles  que ,  «  pour  mourir,  »  il  ne  reculerait  pas.  Ce  fut  Cha- 
rolais  qui  vint  le  joindre.  Le  roi,  de  son  côté,  était  fort  inquiet 
de  ne  voir  rien  paraître  devers  Paris  :  il  avait  envoyé  de  nouveaux 
messagers  pour  presser  le  secours;  le  lieutenant  général,  Charles 
de  Melun ,  répondit  qu'il  ne  pouvait  dégarnir  la  place  de  gens 
d'armes.  Les  hérauts  du  roi  coururent  Paris  en  criant,  à  son  de 
trompe,  que  «  la  commune  tôt  allât  au  secours  du  roi  ».  Personne 
ne  hougca,  jusqu'à  ce  que  le  maréchal  Rouault,  n'y  pouvant 
plus  tenir,  sortit  avec  cinq  cents  chevaux.  Il  était  trop  tard  pour 
qu'il  i)ùt  prendre  part  à  la  halaille. 

Le  roi,  n'ayant  pas  celte  diversion,  eût  souhaité  d'éviter  le 
choc.  Il  n'y  réussit  pas.  Les  chefs  des  deux  avant-gardes ,  Saint- 
Pol  et  Brézé,  engagèrent  l'affaire  malgré  leurs  maîtres.  Louis  XI 
avait  des  soupçons  sur  Brézé  :  il  lui  demanda  nettement  s'il  n'avait 
point  «  haillé  son  scel  aux  princes.  »  —  «  Oui,  sire,  »  répondit 
Brézé  en  raillant ,  comme  «  il  étoit  accoutumé  de  faire  :  —  le  scel 
leur  demeurera,  mais  le  corps  sera^ôlre.  »  Et,  en  quittant  le  roi, 
il  dit  à  im  de  ses  familiers  qu'il  les  mettrait  (le  roi  et  Charolaîs) 
«  si  près  l'un  de  l'autre ,  qu'il  seroit  bien  habile  qui  les  pourroit 
démêler.  »  Brézé  tint  parole  :  il  mit  ses  gens  et  lui-môme  si  près 
de  l'ennemi ,  qu'il  fut  tué  à  la  première  escarmouche.  On  se  tâta 
longtemps  néanmoins,  avant  de  s'attaquer  à  fond.  L'armée  bour- 
guignonne fut  la  première  massée  ;  les  Français  arrivaient  à  la 
file,  et  le  comte  Charles  aurait  eu  avantage  à  les  attaquer  sur-le- 
champ  :  il  ne  le  fit  pas,  et  perdit  beaucoup  de  temps  à  débattre 
si  l'on  chargerait  à  pied  ou  à  cheval. 

Les  deux  armées  s'ébranlèrent  enfin  ;  l'aile  gauche  de  la  gen- 
darmerie française,  opposée  au  comte  de  Charolais,  voulut  fran- 
chir un  fossé  qui  la  séparait  de  l'ennemi  :  les  flèches  des  archers 
picards  et  wallons  la  repoussèrent;  le  comte  Charles,  tournant  le 
fossé,  fondit  sur  ce  corps  français,  qui  se  battit  fort  mollement, 
le  tïulbuta  malgré  la  supériorité  des  armes  et  de  la  discipUnc,  et 
s'élança  avec  tant  de  fougue  h  la  poursuite,  que  non-seulement 
ses  archers,  mais  la  plupart  de  ses  gens  d'armes  ne  purent  le 
suivre.  11  perça,  avec  ime  poignée  d'hommes,  jusqu'à  l'arrière- 
garde  française,  que  commandait  le  comte  du  Maine.  Soit  trahi- 
son ,  soit  terreur  panique ,  car  le  bruit  se  répandit  en  cet  instant 
Vf.  36 


FICANCE  F-T  BOtmciQOXE. 
(piê  le  nn  ùiiûi  Luè^  le  tamle  du  Maine,  riuiiirtil  de  Mnet/ial 
et  foiité  rarrièrogardc ,  se|>l  à  huil  cents  hncis,  prir^'nl  U  lui 
deViitU  une  cenUiine  du  cavaliers  el  ne  lounièri'iil  plu»  h  l^lr, 
Chark>«  pmjrsuivil  le%  fuyards  plus  d*uî>c  dcinî-lieue  au  dt\k  de 
Moiîtllk^ri;  il  était  presque  seul ,  lorsque  deux  de  $c  '  '  ir 
te  dtîcidùTeril  ctifui  à  revenir  vers  ses  gêné.  II  Tul  ^'  %* 

frayer  un  ehemiii  à  travers  des  groupes  de  Français  qui  Tiitla- 
qnèrent  riirieim'ment  ;  il  recul  un  etmp  dï'j*^p  duns  l.i  ^^*r^;ed 
un  iiwip  de  «  muge  v  (^|Heu)  à  la  poitrine,  cl  iieniit  :»a  biinniere, 
l'écuyer  gui  la  partait  ayant  été  lue  h  ses  côtés.  U  ne  dut  lu  vie 
qu'à  la  vigueur  ft  au  courage  d'un  de  ses  hommes  tl'aniii!£,  ûk 
d*mi  médecin  de  l%ris, 

Ui  ch'àmp  de  liâtalUe  <»(Frail  en  oi  momeol  le  plus  étran^ 
aspcl  :  l'îule  gauche  bourguiguonuc  avait  m  à  |M*fi  prè^  in^nie 
fortune  que  Faile  gauehe  fnàncîd&e  :  la  jeune  fi  '  '  U 

conipo&ail,  présoïiiptueu^e  eli^îonàn le,  avait  i)a>-  in* 

à  SCS  propres  archers  pour^  ruer  au-devant  des  gens  d'anm-i^ 
dauphinois  et  siavo^ardâ  qui  jà'avanc^iiem  contre  elle;  clhî  fut 
rcnvei^e,  tnise  eu  déroute ,  et  s'enfuit  «  à  bride  a^nl6*,  >  entml* 
liant  avee  elle  le  cunUe  de*  Saint-l^jl  el  le  ^tus  de  t  arriei e^^rarik; 
&unt-Pol  n'était  peut-tïtre  pas  plus  ferme  poiir  ntiirolitii^  qiR*  k 
fomto  du  Maine  pour  le  roL  f^s  Dauphinois  t^ullérenlen  *j*î 

arehers  ennemis,  ahandounés  de  Irui-s  geusi  d'annes,  i  ni 

Jusqu'aux  hugEges  et  les  pilléi'entt  malgré  ta  iTSîslanct!  de^  coniluc* 
tem^  du  charroi,  qui,  plus  fermes  à  hrur  pusi'    m     ^ 
se  défendirent  hravenientà  coups  de  maillets  il    i  i  ..     ijv 

de  celte  double  ^  déconfiture,  »  la  haùiilic  s*élail  ft ncUannée  rn 
cent  est  annouches,  et  les  combotîaul^,  sans  park*r  dt-s  nnmhreia 
fuyards  qui  ne  re[iarurent  plus,  étaient  lelkmenl  éjiaqMlli^, 
qu*ou  ne  voyail  pas  deux  ciints  liunuucs  ensemble.  Le  ix>j,  m^rtÊ 
s'être  vaillanunent  cunqjorlé  et  s'ôti^  montré  t^lc  nUf  k  bts 
gens  puur  [ii-ouver  qu'il  n'était  pas  mort,  se  relini  n 
de  Muntlhéri  aJin  de  se  rafraîcliir  et  de  regarder,  du  i 
tour,  ce  que  devenaient  ses  gens;  mais  ni  lui  ni  Ch.>ri«  tie  purunl 
rallier,  avant  la  nuit,  assez  do  mûnde  pour  reci^itituoneer  k 
combat. 

Le  eumlc  de  Charolais  et  ses  capitaina*  irnsHTenl  la  nuit  dtn^ 


1*65]  BATAILLE  DE  MONTLUÉRL  563 

ine  grande  anxiété  :  ils  craignaient  d'être,  le  lendemain,  attaqués 
•n  face  par  le  roi ,  en  queue  par  le  maréchal  Rouault  et  les  Pari- 
iîens.  On  n'avait  aucune  nouvelle  de  l'armée  de  Bretagne  ;  déjA 
e  comte  de  Saint-Pol  et  quelques  autres  proposaient  la  retraite 
'ers  les  Pays-Bas ,  quand  les  coureui:^  bourguignons  vinrent  an- 
lOficer  qu'on  n'avait  plus  d'ennemis  en  tête  et  que  le  roi  avait 
ivacué  Montlhéri  pour  se  porter  sur  Corbeil.  «  Les  Bourguignons 
econnurent  alors  qu'ils  avoient  victoire ,  puisque  le  champ  leur 
«stoît  :  monseigneur  de  Charolois  demeura  là  tout  le  jour,  fort 
oyeux  et  estimant  cette  gloire  comme  étant  sienne;  ce  qui 
lepuis  lui  a  coûté  bien  cher,  car  onc  puis  il  n'usa  de  conseil 
l'homme ,  mais  seulement  du  sien  propre,  et  n'aima  plus  que  la 
fuerre,  et  y  continua  tant  que  par  là  fut  finie  sa  vie  et  sa  mai- 
;on  détruite  *.  » 

Telle  fut  l'issue  de  la  plus  bizarre  des  batailles  :  «  Jamais,  dit 
îomines,  plus  grande  fuite  ne  fut  vue  des  deux  parts;  du  côté 
[u  roi  fut  un  homme  d'état  (de  qualité),  qui  s'enfuit  jusqu'à 
iUsignan  en  Poitou,  et,  du  côté  du  comte,  un  autre  homme  de 
fien,  jusques  au  Quesnoi  en  Hainaut.  »  Aux  récits  des  fuyards, 
ur  toute  la  route  d'Orléans ,  on  croyait  le  roi  mort  ou  pris , 
andîs  que,  vers  la  Seine  et  l'Oise,  on  en  disait  autant  du  comte 
le  Charolais.  La  perte  ne  fut  pas  égale.  Les  fuyards  bourguignons 
lurent  beaucoup  plus  à  souffrir  que  les  fuyards  français  :  presque 
ous  furent  pris  et  dépouillés  par  les  Parisiens,  enfin  sortis  au 
)ruit  de  la  «  déconfiture  »  des  Bourguignons ,  ou  par  les  paysans 
le  l'Ile-de-France;  le  chroniqueur  parisien  Jean  de  Troies 
issure  que  cette  déroute  coûta  aux  Bourguignons  plus  de  200,000 
icus.  Saint -Cloud  et  Pont- Sainte -Maxence  furent  repris  sans 
loup  férir. 

Le  comte  de  Charolais  ne  suivit  pas  le  roi,  qui  était  le  vrai  vain- 

• 

1.  Philippe  de  Comiues,  1.  i,  c.  3.  —  Olivier  de  la  Marche,  c.  35.  —  Ces  deux  his- 
oricns  furent  témoins  et  acteurs  dans  cette  journée,  et  combattirent  aux  c6tés  du 
omte  de  Charolais.  —  J.  Duclercq,  1.  v,  c.  24-33.  —  J.  de  Troies,  Chroniqvn  scati" 
aleuse.  —  Voyez  aussi  une  relation  extraite  des  mémoires  inédits  de  Jean  de  Hainin 
t  publiée  par  le  bibliophile  Jacob  (P.  Lacroix),  à  la  suite  de  son  intéressante 
Utsertation  sur  les  manuicrits  relaUfs  à  l'histoire  de  France,  conservés  dans  les  bibliothèques 
"Italie;  Paris,  Techener,  1839.  Ce  curieux  récit  a  été  écrit  presque  sur  le  champ  de 
lataille.  —  Voyez  encore  les  Preuves  de  Comines,  édit.  de  Lenglet-Dufresnoi,  l.  LZ, 
i  le  continuateur  de  Monstrelet. 


|t(  l'ïlAlVCE  KT  BOi:RGOrt.Nf 

fIU€ur,  puisqu'il  mjssit  h  gagner  Paris*  Le  onnU'  <  i  :u 

jûiiulro  k  Élampcs,  le  21  juillet,  les  due»  de  Berri  et  d^  i  :  , 4.\ 
qui  anlvèrcnt  enfin  par  Chartres;  le  comte  Cljarles  ri  le  dm*  Ai' 
Bretagne  renon vêlèrent  knir  paete  d'alliance»  le  S-l  jui !  q| 

dit  due  de  Berri.  Us  se  déliaient  dù\h  du  futnr  rui  on  r  '^ 

\rjulîiient  faire»  Ils  flrenl  à  Étamjjes  une  luike  dp  qi^i 
[mh  ils  opéiôrenl  leur  rtHniioÉ  ^ur  la  Seine,  ik  Moret  en  tiiInriftiCi 
avce  lus  milices  de  Lorraine  et  des  deux  Bciurgn^ies,  que  îmr 
amenaient  le  due  Jean  de  Calabre  et  le  niari'clial  de  lîrmriropiff  : 
parmi  les  gens  du  duc  de  (lalabrc  (juraient  cinq  eenls  somliniri^ 
suisses  ',  les  premiers  quVtn  eût  vus  en  France.  T« *  j^JinA* 

aiMnée  féodale  fut  encore  renforct^fî  par  les  din^ d»  i^  m.  ku  rf  if 
Nemours,  le  eomle  d'Armagnac  et  le  sire  d'Alhn?!.  parjures  mx 
convenliou^  de  Rioin.  Les  princes  revinreni  {mr  Li  Brie  sur  Pam, 
Bc  sitisJrent  du  pont  de  Charenlau  »  d ,  vers  k  50  arii^l,  ètnldiml 
letus  qnarliers  entrt^  la  Marne  el  la  Seine,  àcpuh  ChiirenUm  rt 
Saînt-Maur  jusqu'à  Saint-Denis  et  Saint-nioud.  On  àsmr^  qnlb 
ne  eomptaîenl  pas  moîu^  de  einquanie  mille  cnnibattmiti»  et  tle 
cent  mille  rhevaux.  (Goniines;  h  de  Trrueî*/i 

Le  roi  6fait  entré  (^  Paris  le  surlendemain  de  la  baloille  :  IB  juil- 
let)', et  y  étail  demeuré  troÎ5  semaines,  ralliant,  reformant  ius 
compagnies  dispersées,  faisant  aux  Parisiens  touli*^  sortes  A*  wit* 
cessions,  accueillant  tontes  les  remont i*ance6,  a»  luoofninl  riTOii- 
naisî^nl  des  moindres  services.  Guillaume  CliaHier»  ifvèqne  de 
Viïrh,  Tint  trouver  Louis  à  rijôtel  des  Toumelles,  aviîc  îles  am- 
sieilkrs  de  ville  el  des  gens  d*égliBe,  et  lui  prfcUii  k  nwes>ilA  i\t 
rétablir  la  paix  el  de  (conduire  ses  aflaire^  •  par  bon  coikteO,  » 
Louis  consentit  aussitôt  à  rerevoir  dans  son  conseil  six  nin^*illrr& 
de  la  ville,  six  du  parlement  et  six  de  rnni\cr*ilé»  Il  n^iibit  au 
huitième  le  droit  du  quart  ^ur  les  vins,  et  siqifirbna  nni*  gmndv 
imrtic  de§  autres  aides  qu'on  percevait  à  Paris.  Il  itttencbit  il» 

de  jc^l  iVtatrnt  nHinicM,  non  pan  Oficor^  ilaii»  U  tii^iiif^  tiinîii,  mal»  djiu*  lu  inlar  kê 

1^.  Le  toir  th  Htm  nrmi-^r,  U  irnnpu  ehejt  ClmTlr;!  ât^  Mdaiïf  A  ipit,  (o«r  for^,  S  •#- 
t«nH)itrn?i  î^nvun  r^piMentiinviui ,  n  fil  ttuotirr  Avec  Uil  pltuienrt  dei  pkm  iiolAl4c«  bav* 
(TViii»  cft  ]^ur»  fi'inmi»t  r  il  riH'i^tita  ^i  étot|uoTn nient  ta  bnUilk  n  1^4  ilati^r*  ^*i)  «taa 


[1465]  FLUCTUATIONS  DE  PAlllS.  565 

renforts  considérables  de  Normandie,  où  se  trouvaient  plusieurs 
compagnies  d'ordonnance,  et  où  il  avait  convoque  les  francs- 
archers  et  Tarrière-ban.  Ces  renforts  ne  paraissaient  pas  :  il  com- 
mença de  s'inquiéter;  la  fidélité  de  la  Normandie  était  chose  capi- 
tale. Il  ne  put  contenir  son  impatience,  et  courut  en  personne  à 
Rouen.  Mais ,  auparavant ,  il  avait  ôté  sans  bruit  la  lieutenance 
générale  de  Paris  à  Charles  de  Melun,  qui  l'avait  si  mal  servi, 
pour  la  donner  au  vieux  comte  d'Eu ,  homme  droit  et  simple.  Il 
laissa  au  comte  d'Eu  un  gros  corps  de  troupes,  avec  les  maréchaux 
de  Comminges  et  Rouault  (10  août). 

C'était  risquer  beaucoup.  Si  Paris  se  perdait,  la  Normandie  et 
tout  le  reste  étaient  perdus.  Paris,  il  est  vrai,  était  bien  difficile  à 
garder  sans  la  Normandie.  Les  bannières  des  princes  ligués  repa- 
mrent  devant  la  capitale  quelques  jours  après  le  départ  du  roi  : 
le  22  août,  le  duc  de  Berri,  de  Beauté-sur-Marne,  envoya  ses  hé- 
rauts à  Paris  avec  quatre  lettres  pour  les  bourgeois,  l'université, 
les  gens  d'église  et  le  parlement ,  annonçant  «  que  lui  et  ceux  de 
son  sang  étoient  venus  pour  le  bien  universel  du  royaume  de 
France,  »  et  requérant  la  ville  de  lui  expédier  des  honnnes  nota- 
bles en  députation.  La  conférence  fut  acceptée  ;  les  grands  corps 
parisiens  déi)échèrent ,  le  lendemain,  au  château  de  Beauté,  une 
douzaine  de  députés,  conduits  par  l'évèque  de  Paris;  parmi  eux 
figurait  le  vieux  Thomas  de  Courcelles,  doyen  du  chapitre.  Les 
princes,  cette  fois,  parlèrent  des  États-Généraux;  mais  ils  exigè- 
rent d'être  reçus  provisoirement  dans  Paris.  Le  vieux  Dunois 
signifia  aux  députés  que,  si  les  portes  n'étaient  ouvertes  sous 
deux  jours,  on  donnerait  l'assaut  le  troisième. 

Les  grandes  forces  des  coaUsés  imposèrent  à  la  bourgeoisie  : 
mille  intrigues  avaient  travaillé  la  magistrature  et  le  clergé;  les 
notables,  assemblés  à  l'Hôtel-de-Ville,  le  24  août,  approuvèrent  fort 
le  projet  de  convoquer  les  États,  et  délibérèrent  de  livrer  pas- 
sage aux  princes,  avec  une  escorte,  moyennant  qu'ils  «baillcroient 
caution  que  nul  mal  ou  esclandre  ne  seroit  fait  par  eux  ou  leurs 
gens  en  la  ville.  »  C'était  appeler  la  bataille  dans  l'intérieur  de 
Paris,  pour  ne  pas  l'avoir  aux  remparts.  Le  comte  d'Eu  était 
résolu  cl  soutenir  le  roi  jusqu'au  bout  à  la  tcle  de  ses  gens  d'armes. 
Au  bniit  de  ce  qui  se  passait  à  l'Hùtel-de-Ville,  le  menu  peuple 


fftANCE  ET  BOUtlOOG-^K. 
t'amciita;  avec  un  instinri  plus  sûr  que  le  miîiûiiiirroctit  àa 
iioial>Ips,  il  cria  à  la  Iraliisoti  d  se  nititilru  pi^l  h  faire*  rzïïsf 
conimimc  avec  les  soldais  du  rai  contre  oçUiî  hanle  bcmr- 
geoîsie  (lui  voulait  iiietu^e  rarmi^e  <)<?§  nolilcs  dans  Pïirin.  Vm* 
îi\ée  iViiïH^  leltnr  du  roî,  qui  liroineUait  son  J^dour  iout  Imii 
jouî-s  â  la  Itte  d'une  armée,  el  renlrèiî  dû  IVittiiml  MonlanlKUi 
àiitm  Paris  a\m  «  ;^rfUîdo  fpiantilé  de  gens  de  pjerrc,  »  <led- 
iïèi\*nl  la  question  en  favtiur  de  Li  réitstanc^c  ;  Foàicndjii^  de 
rilôld-de-Vîlle  re\int  sur  ses»  dWilKTations,  et  arrâta  dp  ne  rioi 
conclure  sans  ravcti  du  roi.  Les  princes  no  ^iî^[ll^^oltl  [ui$  Passaul, 
e\,  le  28  auùi,  le  roi  rentra  dans  Pai*Is,  amononl  deux  nittlehooiioc^ 
d'aunes,  riirrièrc-ban  et  les  fraucg-archcrîs  de  NortUîifidlc,  et  tui 
grand  convoi  de  vivres  et  de  munitions.  Les  i-ooiic^  du  Maiâe  el 
de  Penthièvre  Taviitenl  rallié  à  la  t^le  de  leui-s  trou|iojî;  ••  le  popu- 
laire »  raerueillit  joyeusement.  Le  roi  dut  fort  remerder  Notrr- 
nan>e,  à  laquelle  il  était  si  dévote  car^  «  $i  les  pwiiiqiiiîs  conuBen* 
cees  fuss^^jit  venues  &  effet,  le  ineilteur  qui  lui  pi*u^' 
cï'toil  fuir  Iiors  du  royauiiie  devers  les  Suisses,  ou  iL  .... 
chque,  le  due  de  Milaiu  qu*U  réputoit  son  ^M*aiid  tiiui.  »  [CcmiitK5« 
l,  ïl,e.  8.)  Le  roi  m  morili*»  modéré  envers  eea\  qui  avzuenl  n/"^!!- 
fié  avee  les  princes  :  il  u^  eontenta  de  Iwmnir  le  f' c'  ■;  ••'  f\it, 
le  curé  de  Sainl-Germaiîi-rAnxênois  et  trois  «ii  lo 

expédiés  le  23  août  au  duc  de  Berri. 

Um  deux  parts  on  s'attefidait  à  luie  bataille  déel>i 
i^rntblail  en  état  de  détior  ses  enneiiutî,  ear  ses  Iroupch 
bien,  «  peu*  tpur  belle  tenue  et  ortlonnâiM^é^  •  rinrériorttê  du  nom- 
bre. 1!  alJa  prendre  roriflannne,  oublîi^  dttnmt  (a  floniinfttiaii 
des  Anglais?  et  le  régne  <le  ('li.irles  VU,  el  ap{K)itfe  de  Tabluaye  ik 
Saint-DenJs  à  Sainle-Catherine^iu-Val-de^-feotieri;  c'c^l  la  der- 
nière fois  qu*il  est  question  de  cette  cdèbi^  kiiLnlère  dituâ  niifit 
bisiloire.  Jx*roi  néanmoins  u*était  j>as  dJï!po*é  h  tenir  niie^econik 
€  journée  »  eonlrc  les  gens  du  bieti  puèiic  :  la  bataille  de  Mimi* 
Uiéri  ne  lui  donnait  }>a.^  ^Tande  conf];uiee  dnm  le  ûêvimem^t  lie 
Si*s  troupes;  maitre  du  ronrs  de  la  Seine  depuis  Paris-  juâtju'^  Ia 
Hïer,  et  certain  de  pouvoir  faire  subsiî^ter  aon  anuetr  vl  m  ope 
taie,  it  croyait  tout  délai  à  sou  bénéiUe ,  el  ^  liait  iiu  iemp^  d * 
tion  adresse  pour  diâsoudrelarualitian.  Il  eotniitnil  aussi  sur  dem 


114«5]  KOUEN  LIVRÉ.  667 

diversions  qu'il  s'était  ménagées  au  dehors  :  tandis  que  les  princes 
concenlraient  toutes  leurs  forces  autour  de  Paris,  Galéas  Sforza, 
llls  du  duc  de  Milan,  était  entré  en  Dauphiné,  et  avait  envalii  le 
Forez  et  les  autres  seigneuries  du  duc  de  Bourbon  avec  quatre  ou 
cin(i  mille  honunes  d'élite;  en  môme  temps,  les  Liégeois,  soule- 
vés contre  leur  évéque,  frère  du  duc  de  Bourbon,  qui  n'était  que 
le  servile  instrument  du  duc  de  Bourgogne  ',  défiaient  le  due  et 
son  fils,  à  l'instigation  du  roi,  et  assiégeaient  Limbourg. 

On  escarmouchait  donc  et  l'on  négociait  tour  à  tour  devant 
Paris  :  il  n'était  plus  question  d'États-Généraux  ;  les  princes  expo- 
saient franchement  leurs  prétentions ,  et  demandaient  que  le  roi 
répartit  entre  eux  l'administration  des  provinces;  ce  n'était  rien 
moins  (jue  le  partage  du  royaume;  car  chacun  entendait  bien  se 
rendre  indépendant  dans  son  gouvernement.  Louis  les  trouva 
plus  difficiles  à  désunir  qu'il  ne  l'avait  pensé,  bien  que  le  manque 
d'argent  se  fit  sentir  parmi  eux ,  et  qu'il  y  eût  peu  de  sympathie 
entre  le  violent  Charolais  et  le  faible  duc  de  Berri,  qui  avait  hor- 
reur du  sang  et  craignait  la  guerre.  Le  roi  avait  trop  présumé 
de  son  habileté  dans  les  négociations  :  s'il  débaucha  aux  princes 
quelques  hommes  d'armes,  il  en  perdit  au  moins  autant  par  la 
désertion  :  il  voyait  les  Parisiens  se  lasser  de  celte  guerre  qui  se 
prolongeait  indélmiment  à  leurs  portes,  et  sentait  le  terrain 
miné  de  nouveau  sous  ses  pas.  Bientôt  de  désastreuses  nouvelles 
arrivèrent  :  le  21  septembre,  le  capitaine  de  Pontoise  avait  vendu 
sa  place  aux  gens  du  duc  de  Bretagne  ;  le  26,  les  canons  des 
remparts ,  vers  la  porte  Saint-Antoine ,  furent  encloués ,  et  une 
des  portes  de  la  Bastille  fut  laissée  ouverte  la  nuit  :  la  garde 
bourgeoise  s'aperçut  de  la  trahison  et  la  déjoua;  mais,  le  lende- 
main 27  septembre,  pareil  complot  réussit  mieux  à  Rouen  qu'à 
Paris.  Madame  de  Brézé ,  veuve  du  sénéchal  de  Normandie  tué  à 
Montlhéri,  et  un  officier  des  finances,  livrèrent  entrée  au  duc  de 
Bourbon  dans  le  château  et  dans  la  ville.  Madame  de  Brézé  croyait 
venger  son  mari.  L'évè([ue  de  Bajeux,  grand  artisan  d'intrigues, 
lui  avait  persuadé  que  c'était  le  roi  qui  avait  fait  tuer  Brézé  par 

1.  Philippe  avait  forcé ,  par  un  véritable  guet-apens ,  l'ancien  évéque  de  Liéjje  à 
donner  sa  démission  au  profit  de  Louis  de  Bourbon  (  14ô5  ) .  V.  Michelet,  t.  VI,  p.  21, 
d'après  les  manuscrits  de  la  bibliothèque  de  Liège. 


"56Ï  FRANCE  ET >Ql1lt»0G!^E. 

di*-rrWTi\  Les  priûcipales  cités  normandi^s,  mtraliiiH»  par  Ici 
év^t|uo!J  de  Bayeux  d  de  Lisieux«  allaient ,  îoiis  aucuff  doutf, 
suivre  la  fortune  de  Rouûu* 

Louiîî  iiiina  mieux  plier  que  rompre  ;  il  ^  vHipm  tk  Liaitir  4 
lout  prix  ayant  qiia  sa  situation  liU  enlièreinent  dêM^sjKvrt'i!,  •  5c 
refiîseîE  mille  chose  qu\m  vous  dentande,  pounu  ijui?  vous  jiipii* 
riez  rt'Ue  compa;^nïe,  n  lui  èciivait  son  âllîé  el  songuidc,  lepwd 
politique  Francc^sco  Sforza. 

La  roi  avait  eu  déjà  une  entrevue  avec  le  mtuh^  île  (liiarotaiir; 
U  étnit  niontè  un  inntin  en  bateau  («our  le  fi«jler«  m^  fiant  aie 
parole  du  eonde  pour  la  8ùretè  de  sa  [ler^onni**  «  Mon  frère,  • 
lui  avait-il  dil  eu  t'^Lordaut,  a  je  eonnoiK  que  vans  élc^  grndl- 
bommeel  de  lii  maison  de  Franei**— lîl  pouri|uoi ,  monsefgntur? 
—  Tour  ce  que,  quaud  te  fol  Murvilllers  (le  cban-  h 

bien  à  vous  naguère,  vou.'i  nie  mamiales  \wt  ïii.'.s.  .  ,u.  ic 
Warborme  que  je  me  repcntirois  des  paroles  que  vous  avoil  dilc» 
tcdit  Morvilliei's,  avant  qu'il  fùl  le  bout  de  laiî.  Vous  m'aia 
tenu  promesse,  et  encore  beaucoup  plus  (61  que  le  boni  ik 
Tan*  Avec  telles  gens  j'îdme  besogner,  qui  Uenneni  ee  qu'ili  pro- 
mettent*. » 

Malgré  ce  courlCïÎB  aborrl ,  on  ne  put  rien  couclure ,  le  couil 
Charles  ne  voulant  point  se  #parer  du  duc  de  Ikm  ni  dc$  auinss 
seigneurs.  Ceci  s'était  pasné  avant  la  dèfecttou  de  Itoucn  ;  qu;md  le 
roi  sut  la  «  mufalion  »  de  la  Normandie^  il  demanda  un  autre  ren- 
dez-vous  au  comte  et  sortit  de  la  ville,  avec  mic  ceaLiine  de 
cavaliers,  iiar  le  faubourg  Saint- Anlome-  «  Le  comte  vint  aiec 
\WM  de  gent^et  sans*  nulle  cLTémonic.  Ils  se  proinenènmt  i*4iAdcu.i 
une  pièce  (un  espace  de  leiups)»,  1^  rgi  coûta  ii  t]Jmj*k^  ec  qui 
était  advenu  à  Rouen,  dont  le  comte  ne  savait  encore  riim,  cl  lui 
dit  que,  de  son  consentement,  il  n'eût  jamai»  octn»yé  la  Kormiuw 
die  en  partage  à  son  fréi^;  mais  que,  puisque  les  Non  *  - 
taient  portés  d'eux*ménies  à  cette  mumUcif,  il  en  éUih  » 

et  passerait  le  traité  ainsi  qu*il  avait  été  profMKé  préc^^denuunji 
par  les  i»rlncf*s.  4  Le  seiguenr  de  Cbarolois  en  fui  fort  joyeui ,  rar 
son  ho%{  étoit  en  grand  néc^etisilc  di!  xnw  ol  iraryiiiU  *  1  -^  •  '.•* 


1 ,  CotmlûM,  L  i,  c.  12, 


[14C5]  NÉGOCIATIONS.  569 

{ la  (léfeclioli  de  la  Nonuaiidie  et  la  paix)  n'étoil  advenu,  tout  au- 
tant qu'il  y  avoit  là  de  seigneurs  s'en  fussent  tous  allés  honteuse- 
ment. »  (domines,  1.  I,  e.  13.)  Les  deux  princes,  absorbés  par 
leur  conversation,  avançaient  sans  regarder  où  ils  allaient;  ils 
entrèrent  dans  un  grand  boulevard  de  terre  et  de  bois,  cpie  le  roi 
avait  fait  construire  en  avant  de  la  ville.  Le  comte  Charles,  qui 
n'avait  que  (piatre  ou  cinq  personnes  avec  lui,  fut  bien  ébahi 
quand  il  s'aj)erçut  en  (piel  lieu  il  se  trouvait;  il  était  entièrement 
aux  mains  du  roi,  qui  pouvait  le  prendre  et  «  faire  de  lui  à  son 
vouloir  ».  Il  lit  bonne  contenance,  et  Louis  ne  parut  pas  même 
avoir  la  pensée  d'abuser  de  cette  imprudence;  on  acheva  Tentretien 
commencé,  puis  Charles  regagna  tranquillement  son  camj),  où 
déjà  Talarme  s'était  répandue  :  le  souvenir  de  Montcreau  avait 
jeté  le  trouble  dans  tous  les  esprits  ;  mais  le  crime  de  Montereau 
n'avait  pas  assez  bien  réussi  pour  que  Louis  XI  fût  tenté  de  le  re- 
nouveler. 

On  publia  une  trêve  le  1"  octobre,  en  attendant  que  les  articles 
de  la  paix  fussent  complètement  réglés.  Les  conditions  furent 
arrêtées  à  ConHans,  près  de  Charenton;  elles  étaient  écrasantes 
jjour  la  couronne  ;  le  frère  du  roi  fut  investi  de  la  Normandie,  à. 
titre  héréditaire,  en  échange  du  Berri ,  avec  la  suzeraineté  sur  les 
duchés  de  Bretagne  et  d'Alençon  et  sur  le  comté  d'Eu,  et  tous  les 
droits  dont  avaient  joui  les  anciens  ducs  normands;  plus  de  do- 
maine royal ,  plus  d'aides,  plus  de  ressort  au  parlement  de  Paris  en 
aucun  cas.  Le  duc  aurait  une  cour  souveraine  à  Rouen.  Le  roi  ne  se 
réserva  que  les  bénélîces  vacants  en  régale.  Le  comte  de  Charolais 
recouvra,  «  pour  lui  et  son  premier  héritier  »,  toutes  les  villes  pi- 
cardes récennnent  rachetées,  avec  faculté  pour  le  roi  et  ses  hoirs  de 
les  racheter  au  prix  de  200,000  écus  d'or,  après  la  mort  du  comte 
Charles  et  de  son  successeur  immédiat.  Les  chàtellenies  de  Péronne, 
Roie  et  Monldidier,  et  le  comté  de  Guines,  furent  exclus  de  la  fa- 
culté de  rachat;  le  comté  de  Boulogne,  contesté  à  la  maison  de 
Bourgogne  imr  la  maison  de  la  Tour-d'Auvergne,  fut  garanti  à 
Charles  et  à  son  successeur  immédiat.  Le  roi  abandonna  iuqilici- 
Icment  les  Liégeois  à  la  vengeance  de  Cliarles.  «  Au  regard  des 
autres  seigneurs,  chacun  eut  sa  part  du  butin,  e!*  emporta  sa 
pièce  :  ï>  au  duc  de  Calabre  furent  donnés  Mouzon-sur-Meuse,  Sainte- 


W  FRANCK  ET  BOUWOOOKE.  P' 

MenclHHiltl,  Vaucowlêur»'  et  lîpinni ,  ^lans  liatniiiaiç;e  au  mi,  aifc 
les  dm'ns  liii  roi  ^urToul  et  Venlun,  ! 00,000  6cti6  J  or  tHiiDptnnt. 
et  la  solde  de  cinq  cerit^  liinces  [icjjdiiiil  t^îx  moi»,  [Hiur  l«  au- 
[JojiT  «  contre  Ivs  gens  «if*  Metz,  ou  k  lu  nHi<(tiHr  ilc  N  '  lO 

duc  df  nreta^*^  lescnnïtôï;d*Klajn])t^si'lde  Mantfort»  r.  -^ .uji- 

don  des  régales  ecclé^ioi^lîques,  r**  qui  implirpjajt  lljcfitiriiiigt*  dn 
évrf^ques;»  et  le  seîgiietirîa^e  des  monnaies  de  son  diidiè*;  au  dir 
de  Bourbon,  lluon  et  une  autre  seigueurie  eti  Auvergne,  ratlii- 
bution  d'une  parU»!  dt^  aides  împoséeïî  mt  t  $c&imys  »,  IÛÛ«dtt) 
éctis  d*or,  la  solde  de  trois  cents  lant^es  et  la  restitutiuti  de  a 
(tension  et  eiu  gouvernement  de  GujeDoe;  au  cumtP!  de  Sainl-Piil, 
Vùytvi*  de  €omu*tal>le,  vacante  depuis  la  mort  du  dur  Ar1us;AU 
duc  de  Nciuouî's,  le  gouveriicnicnt  de  Paiîs  el  de  l'Hc-do-f  nuwy, 
lUiT  imo  grande  [imsionj  la  solde  de  deux  ft*nls  lnuL^vf^,  fti*-  ;  au 
cojnte  d'Anuaçrnar,  la  restiiulion  du  RoucqçTJe,  la  sijlde  de  iriU 
luureH,  etf.  Le  r^^uïtc  de  Dunoin,  le  sire  d\yiiret,  le  ui^nklial  ér 
Lolii'îîc,  raniiral  de  Betiil,  le  grand  écuyer  Tïinin^giii  OucliâtH 
lïinnit  îudeninistS  ou  n'inl*^grt%  dans  leur?  î  ■-  ■  ft^  offtrrsH 
dîgiti  tés,  et  eurent  cl  uKiin  une  compagnie  d'or  cl  de  fort*** 

sounoes  d'argent;  Dan  m  lartin  rentra  dans  ses  hkm,  vi  rci^iî  il< 
«  l>eaux  dons  ^.  » 

A|»ièâ  s*élre  pailagé  les  dèpouillfs  du  rû|iiime,  lia  ïir'uiti*5 
osèrent  etieore  parler  du  ùim  public  dauH  le  traité  d^flaitir^  ^iiirf 
k  Saint-Maur-des-t'ossé^,  le  iî*)  octobre.  Ils  n'y  revTiîdîqut'itînt  ni 
les  lîtats-Gént^raux,  parce  qu*ils  n*entendaî'"ft*  -  --  f*T>meim*  en 
queslîon  leurs  avaîUages  particuliers,  ni  Iti  l  ^  lue,  pFjba* 

iileinent  parce  que  la  maison  de  Bourgogne  .i^aû  dcis  ndsom  pmu 
ménager  le  pape;  mais  ils  Drent  insérer  que  te  roi  nimmettrail 
Irentt^sîx  notables  houunes»  douze  prélats,  dmmi  cbemliiTm  H 


2,  Lii  dui'  Pniii^Hjm  /ivall  tii^i'iu.^  lUt  la  lUiiiU'^wLfir'  <ii>  Cltîirloi  Vil ,  ixi^dimt  de  V3^ 
cjuii^r  I  tout»  XI  vonûtmîk  à  ranctfririf  fu\orîte  de  i^on  pcr»,  dirrciuxc  U  nmUfi^vi  A 

roi  f  et  lut  4otifi3A  Vih  fïKHérm*  sfcvtfc  tin  uutni  lii'f, 

d.  tl  c'était  réuni bi  de  Sâitit-Fiir^râii,  1a  plitf  gtcttuif  |iié<7e  tl^  la  «léptrullli  ai 
Jiicquc»  Coear,  1)  «'eiuiuivit  uiMUlRt-miniiîitfimM"!'-  "i-"  i"'  -^  i:-    ff»  ■>  t'^.^-    '-]ii»i 
liTW^M  lUmutH  4  wi»'«  tttiiiîiti et jwn  filtre  leuri  lier  '  If 

CanHiitim,  —  Sur  reiincmblii  du  triiiti",  Tûy.  ïi:-  ^m  . .    ....,.,.,  ^  i  .^  ..*. ,  «    ..-^«i-c*, 

élit  (k  Lcii{$tçt-Qtifi'ciU0i,  w*  hXV  èi  lutvuttiit 


[146:S]  TPwMTÉ   DE  SAINT-MAUll.  571 

écuyers,  et  douze  personnes  de  conseil  et  de  justice,  pour  infor- 
mer et  enquérir  des  fautes  et  désordres  touchant  le  bien  public  et 
universel  du  royaume,  avec  plein  pouvoir  d'y  remédier  par  or- 
donnances, édits,  etc.,  que  le  roi  devrait  ratifier.  On  voulut  bien 
laisser  au  roi  le  choix  de  ces  réformateurs.  Chacun  étant  repu  en 
particulier,  les  grands  s'emban'assaient  peu  de  la  réforme  géné- 
rale. 

Le  roi  se  soumit  aux  censures  du  pape  en  cas  de  rupture  do 
ses  engagements. 

L'abaissement  de  la  royauté  était  profond  :  le  pouvoir  central 
semblait  anéanti  ;  on  pouvait  croire  le  fruit  du  travail  politique 
de  plusieurs  siècles  perdu  pour  la  France,  et  le  régime  de  la 
grande  vassalité  restauré  sur  les  ruines  de  la  monarchie.  L'oligar- 
chie des  princes  du  sang,  après  avoir  grandi  à  l'ombre  du  trône, 
mettait  le  trône  sous  ses  pieds. 

Ce  fut  une  solennelle  épreuve  pour  la  féodalité  française.  L'i 
féodalité  anglaise,  en  se  faisant  tétc  du  peuple  contre  la  royauté, 
s'était  transformée  en  aristocratie,  et  avait  jeté  les  basesd'unesociété 
politique.  Les  grands  de  France  usent  autrement  de  leur  victoire.  Ils 
n'imposent  point  au  roi  des  garanties  positives  et  créatrices  :  ils  lui 
imposent  des  garanties  négatives.  Ils  lui  font  jurer  que  jamais  il 
ne  contraindra  aucun  d'eux  à  venir  vers  lui  et  que  jamais  il  n'ira 
les  trouver  chez  eux  sans  les  prévenir.  Ils  ne  réclament  que  l'in- 
dépendance et  non  le  pouvoir  par  l'association.  Ils  ne  deviennent 
pas  des  aristocrates,  des  sénateurs,  ils  restent  ou  redeviennent  de 
petits  souverains.  Ainsi,  avec  eux,  point  d'aristocratie,  point  de 
gouvernement  national,  point  de  liberté  organisée  et  publique; 
mais  démembrement,  anarchie  publique,  tyrannies  locales.  La 
bourgeoisie  a  voulu  et  n'a  pu  organiser  la  liberté  nationale  au 
xi\«  siècle.  Les  grands  ne  le  veulent  pas  au  xv®.  Ils  l'eussent  pu 
avec  le  peuple.  Sans  le  peuple,  ils  ne  peuvent  rien,  parce  qu'ils  ne 
dois  eut  pas  réellement  leur  victoire  à  leur  force  collective,  mais 
à  la  force  prépondérante  de  l'un  d'eux  qui  domine  tous  les  autres 
et  (jui  Q,sl  réellcMuent  un  roi  vassal  en  lutte  avec  le  roi. 

La  question  est  décidée.  11  n'y  aura  jamais  d'aristocratie  en 
France.  Y  aura-t-il  destruction  de  l'unité  politique,  aboutissant  h 
mettre  la  royauté  française  sous  la  tutelle  d'une  nouvelle  royauté 


572       '  FRANCE  ET  DOLHGOGNE.  :ii«3 

austrasioniie?  Non.  La  force  hétérogène  et  accidentelle  de  la  dynas- 
tie bourguignonne  ne  saurait  remplacer  une  force  nationale  cmH; 
par  des  siècles  et  pour  des  siècles.  Ce  serait  le  hasard  i-cniplaçant 
la  Providence.  La  royauté  humiliée  semble  perdue.  Elle  va  re- 
prendre vigueur  en  touchant  la  terre,  se  relever  par  la  nécessité 
de  sa  restauration  et  vaincre  à  son  tour  iKir  l'impuissance  de  ses 
vainqueui's.  Entre  Tanarchie  princière  étalant  aux  yeux  du  peuple 
indigné  la  nudité  de  son  égoïsme,  et  Funité  monarchique,  même 
avec  tous  ses  abus,  môme  avec  tous  ses  périls,  la  France  ne  sau- 
rait hésiter.  Avec  celle-ci  la  France  souffre  et  vit;  avec  l'autre  elle 
meurt. 


riN    IlU    TOME    SIMËME. 


ÉCLAIRCISSEMENTS 


SUR  LES  NOMS   DE  FAMILLE. 

Nous  avons  dit  que  Jeanne  Darc,  lorsqu'on  lui  demanda  son  surnom  {cogno' 
men) ,  ce  qui  signifiait  alors  le  nom  de  famille^  répondit  qu'elle  ne  savait  pas. 
Elle  expliqua  plus  tard  celte  réponse  en  disant  qu'on  l'appelait  tantôt  Darc,  tantôt 
Roméo  y  parce  que,  dans  son  pays,  les  filles  portaient  le  surnom  de  leur  mère. 

Cos  remarquables  paroles  de  Jeanne  nous  induisent  à  donner  ici,  non  point  une 
dl?s«?rt'ition ,  mais  quelques  lignes  sur  une  question  intéressante  qui  aurait  dû 
trouver  sa  place  dans  notre  III«  volume.  Les  noms  do  famille  ont  été  usités  dans 
la  Gaule  antique,  exactement  dans  la  même  forme  qui  subsiste  encore  chez  les 
Arabes ,  et  dont  on  retrouve  les  vestiges  chez  les  montagnards  écossais  et  les 
Irlandais,  c'est-à-dire,  la  forme  patriarcale;  tous  les  membres  de  la  tribu ,  soit 
ivii  le  sang,  soit  par  adoption,  portant  le  nom  du  patriarche  de  la  tribu,  et  le  même 
phénomène  se  reproduisant  lorsqu'une  branche  se  détache  de  la  tiibu  pour  devenir 
S4mrhe  à  son  tour  (Beni-Abd'allab;  Ouled-Ibrahim  ;  Mac-Donald;  O'Brien;  c'est-à- 
dire  les  fils  dWbd'allah,  etc.  )•  La  gens  latine  n'est  que  la  transformation  du  même 
principe,  encadré  dans  l'organisation  de  la  cité  politique  qui  a  remplacé  ou  plutôt 
absorbé  les  tribus.  Un  des  grands  signes  de  l'émancipation  de  la  plèbe  romaine, 
c'est  lorsque  le  plébéien ,  le  client ,  dégage  sa  personnalité  de  la  gens  patricienne 
et  qu'il  possMc  à  son  tour  un  nom  de  famille.  L'invasion  romaine  en  Gaule ,  en 
brisant  les  clans  déjà  modifiés  par  le  développement  des  villes,  transforme  et  lati- 
nise les  noms  de  famille.  Le  nombre  des  personnes  qui  possèdent  le  nom  propre 
[nomen) ,  c'est -ànlire,  dans  ?a  société  romaine,  le  nom  de  famille,  va  diminuant 
dans  une  proportion  croissante ,  par  celte  diminution  de  la  population  libre  qtii 
prépare  la  ruine  de  l'Empire.  Le  nom  de  famille  est  inusité  non-seulement  chez 
les  esclaves,  mais  chez  les  colons  des  campagnes  et  dans  la  classe  inférieure  des 
villes.  La  tête  seulement  de  la  plèbe  se  l'était  approprié.  La  double  conquête  de  La 
Gaule  par  le  christianisme  et  par  les  Barbares  le  submerge  plus  ou  moins  com- 
plètement. D'une  part,  le  christianisme,  tendant  à  ahsorber  la  société  temporelle 
dans  la  société  spirituelle ,  ne  reconnaît  que  le  nom  de  baptême ,  qui  devient  à 
son  tour  le  nom  propre,  le  nomen ,  changement,  significatif.  De  l'autre  part,  les 
Germains,  qui  avaient  eu  des  noms  patronymiques  comme  les  Gaulois  [Merowig- 
ingen;  Karl-ingen) ,  les  perdent  dans  leur  dispersion  à  travers  leurs  immenses 


p* 


ÉCLAÏIICISSRMENT^ 


imipM»!  et  eontnlmeiii  i  lus  tiûn*  irrJir  .iniç  G'itb-tloni«m!;  par  U  nuifioitis 
«à  SfAJuOÉai  FOKyenk  Bcmii  na  nmluîrdia'ous  ^uji  id  m  ctiU'  i^^rnr  Un  i 
t&milio  j&  M  suai  asmid^lc  ^  iiti9a  anivin^  «pi'im  lu  lin ,  sarj^  unui  mtzilu 
t^p  IijIq,  Kn  toBt  css ,  dlG  4  ^>»  tout  an  moim,  phT>  --    -    jn*^  n^  pcfiae. 
I/Aî)Oipïe  M\  iTparat  le  nom  de  f^mUlc  n'cRt  pas  »  G«  £ol  app?^  upp 

lin  ti«  an  m*  sif'Cli».  Au  iimiu  propre  ou  île  bapit^di*^  ii'ftji>uLi  un  «imnrii  t^v-jtii^ 
mwi:  hérédllalre;  tantôt  un  nom  du  baptême  îéf^U  émMiX  (dtïikmw  - 
rli^iil,  fie  DOiD,  dcvkfit  alors  *f*rfiom ;  tuntôl  un  mm  île  qnàlil^  ^ii,,-, , 
foorale;  tatitiM  un  nom  ûa  Uea,  L'^çprit  fi^o4aJ  tluU  [MkT  hii^.  préttuttiioiir 
livcmÊût*  dam  li  iioble^i^^  ïû  U4ta  di^  Uou^  le  cium  df  kir^. 

Là  boar^ûiàie  saKtt»  tlam  des  coii«liliHQ^  anjilogueâ,  ilu  iti«  (in  mu'  û^iv, 
,iliTi"fi  qiiVJie  âe  M,  elle  mMi^  comUîuévi  et  fiïûe  jiar  ki  tiliefim  imiiu/lîrtl-tt- 
Là,  li.'S  uoiKs  de  lieux  furent,  uu  coatruire,  IV'Jtceplivxa ,  iitrlonl  iUiî»  Ir*  prrji 
tiMnps;  ks  noms  de  bsipièuiiï  p«?iii^lut*s,  h^$  ncumsi  «în  qiiaUl&s ,  c^tti  de  pn-fa 
citr-nt  de  Leaucoiîp  la  prâytiiidtatiû^, 

La  granité  masse  dcii  désèi^lt^si ,  de  tx'ux  ^m  n*iivjtkm  pa«  en  de  nnm  \ 
ûms  î\M:ttlt|iiiti^^  i^t  qiif  N^  (lid5ti.inîitme  av^t  èmancipi^  ipirÉUiiillttinKit  fur  1 
IwUrouago  clt^a  ^nb^  Its  |«iytannt  viurcut  k»  <k"rukriï,  |iv  tuiU  Jr  l^  itii^fni 
mAtiun  du  swirta^e  et  du  vilenugi*  en  roture.  Kuus  voyomi  ijn^aa  it«  si 
limK.  /tLiH  enwre  cbeï  eux  vag^e  i^t  fîitlaat<*.  Les  por^n  ik  J'    i 
Indhpirtit  ïdP  WtiraUve  rcniarquaLlcj  fujur  doiinri  pari  à  U  i»*f»  ibnv  !    ^ 
fainill^'j  ti^nt'Uivn  rolucîdîujt  avL-c  U  seutimtut  nouv 
ou,  tout  au  nwme,  de  raccrnss^-mcut  ili)  ï61c  d«  h  i 

aaieuTS,  d'apfr*  k  recttfiil  d^^  BaynoiLitd  ^  dcf  *ctcs  oomlir^'UT  dti  i*  lU  ut»  li^J 
nîlaïife  i  la  ntdilussc?  du  Midi,  et  qui  portcni  en  »)n^cr*ptlfio  :  ««  ie(  /lU  dunf  irO^^ 
Il  j  mdi  doiKî  truikiice  A  r^kigîr  conir«  la  ponvc-Tiiioti  aniu^ur  qMi  usâixur  à  l'i»- 
Initl  k  utiDi  seul  du  père,  LL'Spèce  de  p;irt.tgn  i^  Aiqui^ 

paj  JeîumÉ^t'l  doùt  uous  ci'oyouâ  qu'il  exisu^  .  .aiMo_ 

de  nos  i^roviiictis»  f  çt  t»k'n  dati*  cet  esprit,  mai»  û  est  iul-tnèmii  lont  orliilr: 
fïaiiB  uôÊ  iiiTkviuce>  du  Nfjrd ,  In  tnaji  a»8*»cï<?  It  noûi  ûa  ItmStic  di-  u  (t'3iii»« 
lîeu,  ce  qui  semble  plu^  raliDoncl;  mais»  pourtâiil,  oe  nV^t,  #-n  r#dikv,  qui*! 
ncitn  du  père  de  ^  femme  (|u'il  adjolitt  au  nom  d«!  »(^n  {»  h-< 

U*s  nom»  des  ïaj'sani  finirent  par  preudrï*  le  njème  rtirarl<*fT  i|ilt»  <vsi  &3 
bourgefb,  et  lea  ordotinauces  du  ivi*  eiède  réglai ii^fuit  r^^tjit  «Irj  dl3<J  ^ 
Fmteïdktiifn  d«  cliaupr  de  uoid  sana  aotirt^alit'U  royal*',  i-l  par  U  a-.Alio»  é 
t^isiires  de  liaptèmâ  Où  les  noms  de  ï^Ule  furâiii  constatas  uto:  hm  i»m 


ÉCLAinCISSEMENTS.  575 

II 
LES  HUSSITES. 

La  longue  et  terrible  guerre  de  Bohême,  qui  fut  comme  le  prologue  de  la  Ré- 
forme du  xvie  siècle,  tient  une  place  trop  notable  dans  l'histoire  générale  de  1"  Eu- 
rope pour  qu'il  nous  soit  pennis  de  la  passer  sous  silence,  bien  que  la  Franco,  qui 
n'avait  que  trop  participé  à  la  catastrophe  de  Jean  Huss,  n'ait  point  été  directe- 
ment atteinte  par  les  événements  qui  suivirent  la  mort  de  cette  illustre  victime. 
La  Bohème  avait  été  primitivement  convertie  au  christianisme  par  des  moines 
grecs,  avant  le  schisme  des  deux  Églises  d'Orieut  et  d'Occident;  le  rit  giec  s'y  sou- 
tint fort  longlemi>s,  malgié  la  cour  de  Rome,  ainsi  que  le  mariage  des  prêtres  et 
Ja  communion  sous  les  deux  espèces  :  l'usage  du  calice  n'y  fut  entièrement  inter- 
dit aux  laïques  que  dans  la  seconde  moitié  du  xiv*  siècle.  Ces  circonstances  ex- 
pliquent rextrême  rapidité  avec  laquelle  se  pri>pageaet  se  nationalisa  la  doctrine 
de  Jean  Huss  :  elle  avait  en  grande  partie  ses  racines  dans  le  passé.  Le  peuple 
bohémien  croyait  plutôt  retrouver  ses  anciennes  coutumes  religieuses  qu'en  em- 
br  sser  de  nouvelles.  La  mort  de  Jean  Huss  et  de  Jérôme  d(  Prague  souleva  les 
trois  quarts  de  la  Bohème  contrii  l'église  romaine;  mais  il  n'y  eut  point  unité  de 
croyance  entre  les  adversaires  de  Rome.  Les  HussiU-s,  nom  sous  lequel  on  les  con- 
fondit tous  au  dehors,  se  subdivisèrent  en  deux  ou  même  en  trois  s.'ctcs  :  les  Ca- 
lixtins,  les  Taborites  et  les  Picards.  Les  Calixtins  ne  différaient  des  catholiques 
que  sur  quatre  articles  :  1°  la  nécessité  de  la  communion  sous  les  deux  espèces; 
2ola  prédiction  libre  de  la  parole  de  Dieu  par  les  prêtres;  3  •  la  punition  des  péchés 
imblics  par  le  magistrat;  4®  l'interdiction  au  clergé  de  posséder  des  domaines 
temporels.  C'était  suitout  une  secte  politique,  voulant  le  renversement  de  la  domi- 
nation papale,  l'égalité  des  clercs  et  des  laïques,  la  destruction  du  pouvoir  poli- 
tique et  teri  itorial  du  clergé  et  sa  subordination  aux  magistrats  civils.  La  ville 
de  Prague  était  calixtiue. 

Les  Pirards,  ti  ès-peu  nombreux,  assez  mal  connus,  n'ont  joué  qu'un  rôle  très- 
s*}condaire;  leurs  chefs  étaient,  dit-on,  venus  de  Picardie.  On  prétend  que  c'étaient 
des  Adamites,  qu'ils  prêchaient  la  nudité  primitive,  la  promiscuité  et  beaucoup 
d'autres  extravagances  ;  ils  furent  traqués  par  les  autres  sectes  comme  des  impies, 
et  le  fameux  Ziska  les  extermina. 

La  troisième  secte,  la  plus  célèbre,  la  plus  redoutable,  était  celle  des  Taborites» 
ainsi  nommés  d'une  montigne  sur  la(iuelle  ils  avaient  bâti  une  forteresse  inexpu- 
gnable, camp  retranché  de  l'hérésie  S  sauvage  Capitolo  des  ennemis  de  Rome  ;  aux 
Taborites  appartenaient  presque  exclusivement  ces  bandes  si  longtemps  invinci- 
bles qui  firent  trembler  Rome  et  l'Allemague.  Parmi  les  Taborites,  fermentaient 
les  opinions  les  plus  hardies  des  Wickleûtes  et  des  anciens  Vaudois.  Ils  condam- 
naient toutes  les  traditions  et  tous  les  rites  de  l'Eglise,  même  le  costume  des  prè- 

'  Tabor,  dans  les  langues  slaves ,  veut  dire  camp ,  enceinte  ou  retranchement  de  diarlott* 


tS7€ 


BÏÏLÂinCIâSEMEXTh. 


Ifi*»^  comme  tle§  v/mit5s  rlialMliques,  i*l  ;iTjiiiUït  tnuInH  k  DjWi-!  m  bfiMmmi, ,  - 
que  thâcun  y  v^*^*  diriN^tf ment  pnisf r  «a  foi  ft  Ir^  |ihîiripr  th  %>-^  ar Hnm ,  ii%  AUwti 

rar«njch«  et  d'nm.'  iïn|4acahl^  soif  ûa  veupîatiRe,  il.i  di'  • 
coiidiiiN^  (Uns  ks  exemples  fiatigiimaireiï  dw  |ucîftL-jm*  tit  rlutt;*  ifis  ftimî»n* 
(le  rAï>oc.'ilyx*â*^,  pTiïH?  i  b  IcUri!.  Leiir  ^Tatiil  cai«t5iiarv,  Zïnkit,  s^mbl  t 
ânirç  rxtfirmbatnnr  cïi.irgédr  cbilUfr  k  0al»|flcHu*  t*ccl'îâiMit|tjr.  m  Ii 
CÎî.itiUirnt-ib,  M  liii<!ulii*iireii:x  qid  n^nika  ail  dinihb  à  .tilj:^  k 

qii*f'li<i  ;i  f^it!  »  Li  pîuï^îirt  aVîntr**  vm%  èinimi  îiiïikMMVi  ■  uîeol  It  f^ 

(in  t^txrbt  4!t  b  rt^iitihl^^tit!  lutivri'HfUi*  i^^mv^niéi^  dir^tneiucDi  ils  D&en,  ci  oM 
n^tnibliqut?  future!  kur  nijpiir^iij&fiil  â<'tiM  li  f^niu  de  la  eùmotttturalé,  de  U  lim 
tnutis  à  toQ;t;  Ir  n)«))TU  &ii^  k»tit  mdi'r  t'iait  à  litiin  yi^uir  i^aïf  Atv  cuainlltc  tknt  fr 
f onltu^at  i*ff?ui*r  )n  ûe^  tiiers  v^:^tij|ced.  Ti'Ut<'i  Im  éii}iiû%  hixm  loi  Odi&irtiitfp  Mr 

dîtt(»)B  ik  I'KkIUi'*  touii  IrSi  Ij^uv^iu  lifii  ]»èr&ii  et  il'  -fil  èliç  atlk 

uiïiUiU  l:i  ISiidii  étui!  1«  ««itil  Livit  du  rlti-L^trJ)  ;  Iri^  .  tfatiOli»4f^ 

rltiiri',  ri^çTjf  |vti  un  liotfiuic  eit  éUi  ik  Kr<k49,  utu^ïi  liltin  i)«ië  ûjim  Ytml 

ninurj,  h  11  *t*i  HoUAmp  €tik  Hoiijfile,  avait  éclaté  an- 

Hus#  ;  lauic*  k»  f^>rc*ii  ik  l'emiil^e  KCnnatiiqtit%  Kf  ^^ 

i|ii*mUrR6  nftlloii*  oalhollqucs,  fo  t:iri6*''i'»?iit  à  pliidktir^  rÉ»iiri? 

t|iifii  millitr^  trit^réttqn^â,  qui  n'éUtlcnt  [m  mim^  é*;kûn30Î  mttn  cos^  n  r|i 
liitttalrîii,  Cal;  "  1  <>i ries, ûàm  les  ittkTvalki  tk»  laTmiteiiill 

l4*s  Alkm^'iri'i  .  nt^^r^^v^r^blf'fiif'iTt  qrr**  fl^iâi diaiiM lIMMlfi» fl ? 

avfiii  t:cuit  <U[ïMiA,  FaH'  I  11  nniiii^  iri  iwiniYii 

i*i>cr>?(ilAii^iit  ibnx  les  !li>  ^  r^aili«lk|no  cÉfti/Mii  «  un 

iiun*t!f  lar  h  èMvt,  b  cohte  ou  h  h^thn  ;  Ues  %ft!(!â  eiàtién^  tUrvnt  tirt  ; 
li?iirs  liFiIntitriti.  Ij&  ïïihTiyv^  de  ClMiigtaDrâ  eiire»ld'é|fi4tv«»UU)bi»  tnÈkénnua , 
avant  t4ii,  on  ntîjitire  qnp  qihim^  mille  piAtrpf  tt  moliiè»  ntaleol  ilé|<k  H^  iii«» 
U»  A\3X  iihïikt^s  ik' Je.iii  Hiifs!  Les  Huséiii^s  vicri^ieiLt  n%-aieiil  tvf0né  k  |iicTft 
cl*«i  ïi'in»  rmifînis  ;  b  Moravif?  <ilâtt  ^  tnix  €!j  i;r.^jiik  )>irliè;  Féfeendard  un  .^W 
X(i  iTHimi-Tiait  à  hi  Incur  iks  flnmror»  fcl.iii&  k  sa«*aic,  la  3yu<|  l'.Uu^dj#, 
oiiiic,  la  Tliiirifigi^,  b  Ibvit r€  ;  le  cbef  «lefl  Takuiifts,  J&aa  ZiUu«  dil  «lo  ^ 
ïîrvïmn  artiigk  de  lK»rgnjt»  tpi'lt  éUlt  iZi*ka  bi^niSi^  U  B^gm^i,  tic  rt^m 
lani  quM  v<^^iTi,  ib  ci>n«trjirt.  r*  «:f>TïJiaRyifJti«  .\  b  vktAifty.  Qttmd  il  »  fi^iiu 
di^mnnrtr,  ïi  ïmlmm,  tlit-ct^p  ik  ^s  geiH  ile  biri>  nn  tmkNtir  «le  n  p«»,  K  Wm 
pnimU  rjtm  jvcA  eiinemU  D'oR^tiLnii  t>n  souteiur  le  Si^ii.  U  a^Dl  Mmll,  ;i  m  ({n  uri 
aMnîTj  (^iaq  t^mt  ri:]c|Qante  é^lbi^scl  ctjuvi!BLa.  O.  fut,  (ii^iur  ajAii  diro,  lo  offlDiln 
CQtiiv  drt  Itndit^  |mrté  dans  ri>  martiil^iui?  t!iiii«fial/k*  de  miïanaNsiU  r«Uçk>iÊt,  (Ubh 
b  itio^rti  ^Vg^"  4vnit  janv  rt:iirnpci,  «>!  dont  rJinjui!  rûiialotbo  1  40p«b  onrfMyrté  m 
d^lvnt;,  Zi^ka  ml  <k  dlKne^  siu-c<'5âèuTs  tlnîis  |im  étuvg  Ptoaipui  :  ilffi  ttc  î«s 


ÉCLAIRCISSEMENTS.  577 

La  force  ouvortc  avait  définitivement  (ichoué  :  l'Église  essaya  dô  transiger;  ello 
connaissait  les  divisions  des  Hussitcs;  elle  tenta  de  ramener,  par  quelques  con- 
cessions, la  secte  la  plus  nombreuse,  qui  était  en  môme  temps  la  moins  él» «ignée 
du  catholicisme.  Le  concile  de  BAle,en  dépit  du  pape  Eugène  IV,  ouvrit  des  négo- 
ciations avec  les  ÉUits  de  Bohème,  et  offrit  un  sauf-conduit  à  leurs  amljassadeurs. 
La  Bohèmo,  épuisée  par  ses  propres  triomphes,  accueillit  ces  avances,  malgré  la 
répugnance  des  Tahoritcs,  et  Procope  le  Grand,  tout  Taboiite  qu'il  était,  se  rendit 
à  Bàle,  en  janvier  1433,  à  la  tête  d'une  nombreuse  ambassade.  Les  chefs  bohémiens 
furent  aussi  fiers  à  Bàle  qu'à  Prague  ou  sur  le  Tabor;  cependant,  les  Calixtins 
dominant  parmi  les  envoyés,  on  ne  défendit  que  les  quatre  articles;  ou  montra,  de 
part  et  d'autre,  dfs  dispositions  conciliantes,  et  Ton  parvint,  au  bout  de  quelques 
mois,  à  conclure  une  sorte  de  traité.  L'usage  du  calice  ou  de  la  communion  sous 
les  deux  espèces  fut  accordé  provisoirement  [intcreà)  aux  Bohémiens  :  les  termes 
du  traité  furent  ai^sez  écjuivoqucs  sur  les  trois  auti es  articles.  La  promulgation  de 
ce  pacte  fut  le  signal  de  l;i  guerre  civile;  les  Taborites  s'y  opposèrent  les  armes  à 
la  main;  la  noblesse  et  une  partie  des  villes  soutinrent  le  traité.  On  combattit  dans 
Prague  même;  les  Ta]»orites  furent  vaincus  dans  deux  sanglantes  batailles,  où 
pcrii"ent  les  duux  Procopes  (mai  l'»34);  la  B(ihème  fut  déclarée  réunie  à  l'Église, 
et  Sigismond  fut  rétabli  sur  le  trône,  moyennant  l'engagement  secret  de  laisser 
l'élection  de  rarchevè(]ue  de  Prague,  primat  de  Buhéme,  au  clergé,  aux  seigneurs 
et  aux  corps  municipaux  du  royaume,  et  la  promesse  de  ne  pas  rendre  à  l'Église 
ses  biens  envahis  et  de  ne  pas  rappeler  les  moines.  Il  tint  mal  sa  parole  :  l'Église 
voulut  profiter  des  termes  mal  définis  du  traité  pour  rétablir  l'ancien  état  de  choses. 
Les  Calixtins,  irrités,  rompirent,  de  leur  cùté,  leurs  engagements;  les  Taborites  s( 
relevèrent,  et  les  trouldes  recommencèrent  pour  bien  des  années,  quoique  avec 
des  circonstances  moins  grandioses  et  moins  terribles.  Un  seigneur  calixtin, 
Georges  Podicbrad,  s'empara  du  g<.iuvernenient  de  la  Bohème,  sous  Théritier  de 
Sigismond,  Ladislas  d'Autriche,  fils  de  la  fille  de  ce  monarque,  et  finit  par  se 
faire  proclamer  roi,  en  1458,  et  par  ronjpre  ouvertement  avec  l'Église.  11  fut  ren- 
versé, douze  ou  treize  ans  api  es,  i)ar  les  partisans  de  Home,  aidés  du  héros  hon- 
grois Mathias  Corvin,  et  l'église  romaine  crut  JU'oir  reconquis  la  Bohème.  Cepeu- 
daut,  l'incendie  allumé  par  le  hussitisme  ne  fut  jamais  bien  étoufl'é  ;  il  fumait 
encore,  loisque  la  Réforme  se  ralluma  plus  vaste  et  plus  durable  au  cœur  de  celte 
Allemagne  qui  avait  tant  combattu  c-.mtre  elle  (  voyez  J.  L'Enfant,  Histoire  de  la 
guerre  des  Uussites  ) . 


III 

LES  COMPAGNONS  DU  VAU-DE-VIRE. 

Nous  avons  indii[ué,  dans  notre  texte,  à  l'époque  de  la  recouvrance  de  la  Nor- 
mandie, en  1450,  l'existence  de  la  Société  poétiiiue  et  patriotique  des  Compagnons 
du  VaU'de-Vire.  Ils  ne  sont  pas,  comme  on  l'a  dit,  les  inventeurs  de  la  chanson 
VI.  37 


578  ÉCLAÎRCÎSSRMENT^ 

À  loirr,  iiui^.(|(K!  Tions  -lYon*  Fctroin^  If  rli-uji  c^ltiqnr.  oii  Un  ArmoricBliai  €CU> 
bnxiiiiL  lu  loti  vin,  qoi  a  xmi  mi«at  que  bl^re,  a  m  il1:mt  TundAiifMr»  «fior  k 
gUivt:,  W  vignes  gallo*)om»ines(V\  nntml.  Il,  p.  73).  Miils  iU  foreul  U§4jfMS 
successeurs  ilti*  vieux  ch;inleuiii  ^lubia  ou  iMt^tOQS* 

Au  temps  dii  tltivAÂbii  de  Umti  V^  m  14i&«  «t  il  y  avuil,  tbits  U  Bc^â^  ] 
laajiil,  lUiê  suciét«  di!  joyetuc  comîi«?r(îS  qui  **apveMciil  k»  GiiiaiiUr  t«f  C*m 
l^rn&'tf  ^'î/ofjE  011  It^s  G£(hs-boHt§mpM  iffaks,  galois^  m^uiiî  si^iis  qnti  ffalami  ;  en 

gaUnl  ù  IVigarjl  dos  fcmmc^s).  La  ville  à*'.  Virt\  étiit  i*iTir  >  i  .% 

m  Ail  pour  Dbjot  la  bai]  tri  Un  ^.»  Un  prouvèrent  liii^it^t  cjnlîii  éuîcnt  tia|i%lila6  <Ié 
i^cn'ir  trattlr€S  «HvinitAs-  I^nrs  ^^lifio^ons  hticJiiquc*  fr  nftBiD3Ai'*nl  faïuv^r-rJnr, 
du  nriTTi  du  faubourg  où  so  knaicm  leurs  nWmiouâ,  ^i  l'iîtïtréçï  d*i  U  vwtf*  T.il1r«  th 
Virf\  C*est  «k  là  qu'on  a  Uit,  pjir  cwniptlon,  i  ,i  ^dûîq^- 

m^irn  Bouffe rt  des  turemii  des  AmiàKuaci  «t  d-  ■  (il  ttlf 

ocnlrc  de  U  Fimice.  On  y  dianUdi  «làcore  quÂnd,  aïUeurt,  il  fi'y  anut  plos  for 
du  saiig  Qt  que  di^s  larniêa.  L'iirrivtMZ  des  AngUiï,  m  porUiit  U  d-h^ttm  daoâ 
le»  vatiêfts  tiùïiniikudtiii,  ne  ïïi  [ku^  taire  le^i  vitlx  Ijrujwbs  àes  oocitittflwiiis  ila  Va* 
de^Vire,  niain  cbiDgea  le  ton  de  lennî  cltanb.  Une  râsl  i  ,  mifi» 

d*iirw'  soumission  tmvM;  jmî§,  par  intci valltHS.  de  grand'  oUrkl 

r^V'iltfjij  ttunc  fortf!  dp  c!K>nnunrjrj.c  dans  le  IV?iCfJi^^;  »  l^iiuiii}  i-i  mûé^  t^imsk^ 
nvTU\  car  cV>gt  »ût  riHtaoger  c|u'elle  diriK^iait  ses  ooiii4;  t^d  Tul  T^sfioBEl  »  li 
NomiantUe  bous  Icb  Aitglais.  LesailaMttvur«  th  ht  aÛivfAmiy^ûU^m  In  âar^ib^si 
du  Rahtd^à,  tkvuiiièut  les  indi^mptaïjliii  inftikî:tt<»UTï5  d»  k  hUirîliuu,  ^o*Uii 
rmi  de  l«nrH  in:is  Cûuuiis^de  Ums  ili^w^wu!*.  IIk  ««  fimnj  un  npiMliii?,  ^iOl  IfB 
CJit  TCJstt^  Yagncmcnt  popnlîtiri:^  et donl  la  lr;wlllu»Q  a  fait  l'ir  ' a  ' 

jii."ii5  dont  ™  n  trop  V,^ngt<^mp&  ûtibU*i  les  vrais  Ulrm  à  li  i   ,  . ,  o'a 

h  géu»:reni  cmpl&I  de  sa  verre  et  sa  liii  irtifiri»^.  OUvitif  Ikiadm  ou  Vin^ui, 
aacieu  matelot,  (siplciitait »  dit-oa,  mi  imAiMu  k  foulon  ihim  lu  f{iQbiTtii]Çy  «« 
Pent-dcs-VauXi  ]or&(|ue  les  Aii^lala  BViiifitirèreni  de  Virf,  tu  U17.  Ou  &  ccoâcni 
la  diauôon  par  b^iuelle  U  appela  le  Bocage  mx  *irmcî. 


t 


it  ({Wn  >  VOllillfkM  >  ullof 

feu  Anglptçftfl  iJi^mantM  t 
Ik  unt  min  Inng^  itouo  *. 
Eïiire  vouii  ♦  (Tciî»  <ï<»  THUgq . 
Qui  almcc  le  tm  fmnçniit^ 
rrcne»  eliastiD  bon  ci>uirikir« 


•  Vi'uluiiike. 

•  tjrufi^e» 


»f»l:lf»U. 


ÉCLAIRCISSEMENTS.  579 


II 

Prenez  chacun  une  houe 
Pour  mieux  les  déraciner; 
S'ils  no  s'en  veulent  aller. 
Au  moins  faites-leur  la  mouo. 
Ke  craignez  point  ;  allez  battro 
Ces  godons  ^ ,  panches  ^  à  pois  ; 
Car  un  de  nous  en  vaut  quatre; 
Au  moins  en  vaut-Il  bien  trois. 

III 

Afln  qu'on  les  ébafouo' 

Autant  qu'en  pourrez  trouver, 

Faites  au  gil)€t  mener, 

Et  qu'en*  nous  les  y  cncrouo.  * 

Por  Dieu  I  si  Je  les  empoigne , 

Puis  que  j'en  Jure  une  fois , 

Je  leur  montrerai  sans  hoigne  ^ 

tH)  quel  poisant  *  sont  mes  doigts. 

lia  n'ont  laissé  porc,  ne  oue  ^, 

Ke  guerno,  no  gucrnclller  *, 

Tout  eutour  notre  quartier  ! 

Dieu  s'y  met  ;  mal  en  leur  Joue  ! 

Les  vœux  du  pauvre  Basselin  ne  furent  pas  exaucés,  et  ce  fut  lui  qui  monta  sur 
le  gibet  dont  il  menaçait  les  oppresseurs  de  son  pays.  Voici  l'oraison  funèbre  que 
lui  firent  ses  compagnons  : 

HcHas  î  Olivier  Vaaselin , 
K'orrons-nous  ®  point  de  vos  nouvelles? 
Vous  ont  les  Anglois  mis  a  fin! 


Vous  soulicz  *"  gayemont  chanter 
Et  démener  joyeuse  vie  ; 

Et  les  bons  compagnooa  hanter 
Par  le  pays  de  Normandie , 
Jus«iu'à  Saint-LO  en  Couatantin  ", 
Ouqucs  ne  vi  tel  pblcrln. 

*  Goddem  ;  Anglais. 
'  Panses;  ventres. 

*  Bafoue. 

*  Qu'on  le»  y  acorocho. 

*  Sans  barguigner. 
^  De  quel  poids. 

'  Oie. 

*  Kl  aune ,  ni  aunalc.  Gxoern;  en  celtique,  aono;  arbre  commun  dans  les  voUéca  humides 
de  rOuest. 

*  N'oulrons-nous. 
*0  Aviez  coutume. 
"  Cotontin. 


580 


ÉCLAIRCISSEMENTS. 

Les  Aiifflois  ont  fi»it  ddraiaon 
Anx  compagnons  du  Vau-Jc-Virc. 
Voua  n'orrez  plus  dire  chanson 
A  ceux  qui  les  boulolcnt  bien  dlro 


Nous  prierons  Dieu  de  bon  cœur  fin  * 
Et  ht  douce  Vierge  Murlc, 
Quel  dolnt 3  aux  Anglois  maie  fin. 
Dieu  lo  \iiiTe  »i  les  maudic  ! 


La  comytagnio  du  Vau-<lo-Viro  survécut  à  son  capitaine,  et  vit  ce  jour  de  Tic- 
foire  ft  de  dolivranco  qu'avait  lôvé  le  Tyrtéc  populaire  du  Bocage.  Elle  salua  d'un 
chœur  éclatant  la  journée  de  Fonnigni  : 

Cuidolont  '  toujours  vider  nOS  verres. 
Mettre  en  chartro  *  nos  coni]>agiions , 
Tendre  sur  nos  huis  des  sldoncs  * 
£t  coutaniincr  ces  vallons. 

Culdolent  toujours  dessus  nos  terres 
Seli.ittro  en  joie  et  prand  souIba', 
Tour  rec«)nfr»rt  eniMer  '  nos  verres , 
Et  b(i  guudir  de  nos  repa*. 

Ne  buvant  qu'eau ,  tous  nos  courago 
Etoient  la  vigne  saik»  raisin. 
Kougissolent  oncor  nos  visages, 
Alnçois  "  de  chlrc,  non  de  vin. 

S'eml témoignant  de  nos  futailles. 
Dieu  a  feni  '  ce»  cnrugle's , 
Et  la  dernllre  des  batailles 
Par  leur  trépas  nous  a  vengl<?8. 

Buvons  tous  !  des  jours  de  ddtrc»so 
Jetons  le  record  '*  dans  ce  vin. 
Ores  no  me  chault  que  liesjic  *'  : 
Buvons  tous  du  vêprc  *•  au  matin. 


i  Parfait. 

2  Qu'elle  donne. 

3  Croyaient. 

*  Prisiin. 

*  Tendre  des  linceuls  sur  nos  portes. 

*  Rrjoui>>ance. 
'  Voler. 

»  Mais. 

»  Frni)pe. 
'«•  Le  souvenir, 

•'  Maintenant  ne  me  Boucie  que  de  joio. 
»2  Du  soir. 


ÉCLAIRCISSEMENTS.  584 

Quelle  distance  de  cette  franche  et  vaillante  poésie  populaire  au  fatras  alam- 
liiqué  des  poëtcs  de  cour,  i  coniniencer  par  Georges  Chastellain  lui-môme  !  C'est 
ici,  et  dans  le  Patelin,  qu'est  le  vrai  lien  de  l'ancienne  poésie  nationale  avec  la 
lanfcue  et  la  littérature  de  la  France  mcxlcrue  qui  vont  naîtie. 

N'jus  citons  ces  fragments  d'après  M.  Leroux  de  Lincy  (p.  300-302,  et  338-339),  " 
qui  les  a  empruntes  lui-même  aux  recueils  de  Vaux-de-Vire  publiés  en  1821  et 
1833  par  MM.  L.  Dubois  et  J.  Travers.  Le  manuscrit,  du  x\«  siècle,  est  conservé 
à  Baveux.  Quant  aux  Œuvres  d'Olivier  Basselin,  publiées,  un  siècle  et  demi  plus 
tard ,  par  Jean  Lelinux,  avocat  de  Vire ,  elles  manquent  d'authenticité  quant  à  la 
forme,  l'éditeur,  très-habile  versificateur,  les  ayant  remaniées  en  style  duivi«siècle, 
et ,  il  faut  l'avouer,  parfois  en  fort  beau  style. 


IV 
LE  MYSTÈRE   DU   SIÈGE  D'ORLÉANS. 

En  1839,  M.  Paul  Lacroix,  dans  la  septième  de  ses  Dissertations  sur  quelques 
points  curieux  de  l'Histoire  de  France,  signala  Ttixisience  d'un  ouvrage  conservé 
à  la  bibliothèque  du  Vatican ,  parmi  les  manuscrits  de  la  reine  de  Suède  (n®  4022), 
et  contenant  un  Mystère  en  25,000  vers,  sur  l'avènement  de  la  Pucelle  et  le  siège 
d'Oiléans.  Ce  Mystère,  suivant  M.  Quicherat* ,  «  n'est  autre  chose  que  le  Journal  ■ 
du  siège,  dialogué  et  mis  envers;  »  toutefois,  «ijouterons-nous,  avec  rinterventioii 
d'un  men-eilleux  qui  n'est  pas  sans  grandeur;  comme  la  scène  qui  se  passe  dans 
le  ciel,  lorsque  Dieu  menace  d'abandonner  la  cit<5  d'Orléans  pour  ses  péchés,  et 
que  les  patrons  d'Orléans,  saint  Aigiian  et  saint  Euveile,  intercèdent  pour  leur 
ville  devant  le  Seigneur,  qui  se  laisse  fléchir  et  promet  de  susciter  la  Pucelle. 
La  pièc^  est  écrite  à  un  point  de  vuu  tout  Orléanais.  Elle  va  être  publiée  par  les 
soins  de  M.  Guessard. 

Le  manuscrit  est  du  coujmencement  du  xvi»  siècle,  et  il  n'y  avait,  jusqu'ici, 
aucune  indication  précise  snr  la  date  à  laquelle  l'œuvre  a  été  composée;  mais  une 
brcjchure  très-curieuse,  qui  vient  de  paraître  à  Rennes,  nous  met  sur  la  voie  à  cet 
/'gard.  C'est  une  Soticc  sur  Gilles  de  Rais  (Retz),  par  Armand  Guérar'i;  Hennés 
1835,  in-80.  Voici  Ic  passage  qui  concerne  notre  r.;,jt?î.  «Tantôt  il  (Gilles de  Retz) 
/est  à  Paris ,  tantôt  à  Angers ,  tantôt  à  Orléans.  U  dépense  dans  cette  dernière 
ville,  en  moins  d'un  an,  jusqu'à  80,000  ou  100,000  écus,  disent  leS  héritiers,  daps 
une  requête  au  roi.  Il  y  fait  jouer  sur  la  place  publique,  avec  plus  de  magnifi- 
cence qu'on  n'en  a  déi'loyé  à  l'entrée  de  Charles  VII  à  Paris,  les  Grands  Mystères 
représentant  le  Siège  d'Orléans,  avec  personnages  sans  nombre.  Une  curieuse 
recherche  à  faire  serait  de  vérifier  si  le  texte  du  Mystère  qui  se  trouve  au  Vaticaa 
ne  contiendrait  pas  d'allusion  au  njaréchal  (de  Retz)  et  ne  serait  pas,  en  consé- 
quence, la  reproduction  de  celui  qu'il  fit  jouer;  car  les  fêtes  données  à  cett€  occasion 

•  Procès  de  Jeanne  (TArc ,  t.  V,  p.  70. 


S8S 


ÉCLAïaCJSSËME3IT5. 


m  ûurbrmi  (va5  idoIûs  de  trois  joura.  GU:utnû  rcpréstfaUitiim  fîît  lïiivip  «k 

11  y  a  ttiiitp  appiniïïïûo,  en  efftt,  que  le  Myytèrt  dn.  Vatleia  ^ït  f^lni  «jtifî  ii 
jaiitjr  b  man^dol  *k  Rf^ts,  c<?  qni  Ini  nsà^ua^riii  nm  «lait?  av  ,  H«9. 

Ua)«  comment  exi4iqïier  liotérèl  «nie  cû  îaûiiÉrtre  pou  via  lutiivr  -  m 

de  JoAiiac  IMrC|  *l  Ses  déficim^s  [n\:nîJKio»L*ie5  pour  k  edêiftwf  t  t^cq  . 
pOfl  lr^fr41fiSdle  à  trouver.  C*t^8!  en  U39  i^iie  h  tmn^t  Je;iûni?  I)imc  jur  . 
m  retour  df  »i  etim{>agric  catitru  ks  Anglais  6ur  les  tOArckfi  âù  «Sti 
Poliou;  or»  la  lAmu.*  Jt'îixmy,  en  «nâtUnl  le  ûiéâlfe  tie  li  g u 
|»agiiie  du  gcûs  d'&riîic&  qti^tUu  Cdiuuiaudaix  chUtî  ks  mu;  .  i    . 

marétbal  de  HeU,  n^"-  iiês-i^eu  aiutti,  fut  jirrt^iè  par  it^oï  ilii  jlhujc  4 . 
(Ltftili  Xï  ),  àk  càu.He  du  «ei  bngiiiidagâs  K  U  y  'a^sàl  Aam:.  de»  ridati^inf  f ui. 
fausstï  Jmime.et  le  maiikJial.  Dea  documeutâ  dtt  itmps  nyiij*  ai»prcaos-jil  iu'b 
îutrijjiR'  fui  omdie  pour  acci^dikr  k  fauàâû  ^minw  pîvA  du  r<»l„  rt  >[.■ 
trifut*  urliaiia^  en  144U,  i^riurt  à  im  iuctdtiiï  relatif  au  f:ta»viw  swarti  • 
(Vf)y.  tWdrssiis,  pagi^  M  5^).  Le  nurMial  de  Kd.!  L^Uât ,  «vu*:  aiiaiti 
ttmr  ou  uo  dos  auttfnin  dr  ccUr  mtrtgu*".  cl  «a  fut  jiowrjï  pKîiaict  J. 
mouanl  fortômeiu  rtmngirmlinti  i^jitulairr*,  qull  Ut  JoopTj  û  OiVtiuuii  ait 
écl&iàfll  aï'pari^tly  le  âfji$th*9  du  i^f^^i»,  ^U  nrnni  l^ii  rivée  de  la  fatM^icc 
V>ïi  pendant  wn  A^jour  il  Ur Itirani;  «t  tn  &h  (in^Fr'ucr.  1^  ('ivtcAâ  d«i  tteO  fut 
b^pt^  la  découverie  de  riutrtguo  e1  la  tlècoaveûiii*  de  la  îmaMt  Jtftauc 


LE  SECÏÎET   Dt:  JEANNE   DARC. 

D;iiî5  rÉckijeiBSfinieiit  ï^r^>codeïit,  ïioii^^ivonç  npv^k«oa  ^trrftrnitt  Jttfiaet 
lu  roi  f  «{ul  liKt  tut  d*^M  poiutfl  cuiittaux  de  rtHs1/)ire  de  La  hirf Uil  Sons  a^ 
(Toy.  cinltiiistis,  V-  l!iS)  raft<*rt*^»  *^îi*  cnnjmimtfiiro,  iVTpbfattfm  ôê  oî  iÉcrH 
donutk\  un  dJL'mi-^M^)  aj^rèâ,  par  Pit-rre  Salfti  d'aï^fêsCh  **  'r  julller,  i 

de  litt»i"<i ,  clïaïubulliiû  <lc  Gbaile*  V 11,  el ccmliruièe  jvar  den  ^  -^liaîi  4f  I 

mhtiK  éito(jtie;  à  sa.voii  qu*f  Jcauûe  aurait  ré^^él^j  au  Tl^  ime  jiriTjr  tniiiiuk  (jlI 
uvnir *i*lres&éc 4  Dieu  rttklivemiïîit  au d'Uk^ f^ui  W  [munojirîut  cur  la  lié^Ttoiliî i 
aa  naiiisaJice.  Si  Vm  acodi^biit  <y!tta  ^x|ilimti(ia  mt  pkd  fk  In  l^ilt^^  U  lia 
adtllt^tl^^  iia^  Jèaiiitii,  du  r«>nd  du  r^il  de  M^nfc,  aurait  Iti  dinctoiiiftl  ilanf  I 
pÊU0èe  do  Charles  VIL  Kouj;  .ivouik  rx^rlmA  nr^Urmfmi  D^itrr-  ftsMlnicail  WKf  I 
Biiiskm  pmvideBtîcllf  de  Jeanfuj  t  îi^uîs  avoiiR  ■  pli^'ooii 

Tordre  exlaiiqim  el  mnfiuillque  fl'étakTit  maiiif-^  ;  "  ptnâ  bftiEt  i 

^t  ndiis  ^vcuit  émacè  Tcipitiioii  quti  luâ  révélaUttiiâ  d«  1*C2itaS£  dlidesil  do 
juiooi  siâ*jteiifSj  c*wt-â'dire  mt^H^^ud^,  âm  Téiéh{\m}»M  Tluie  k  dk-tti-Mî' 


ÉCLAlRCISSEMEiNTS.  583 

non  des  commimicalinns  objectives  ou  oxl^riniires  avec  dos  créatures  appartennnt 
à  un  autic  monde,  commo  le  veulent  les  mystiques;  mais  nous  n'avons  pas  tmcliê 
à  la  (pirstiondes  communications  extatiques  ou  magnétiques  entre  habitants  de  la 
teire.  non-seulement  par  des  moyens  différents  do  l'action  ordinaire  des  sens,  ce 
qu'il  est  bien  difficile  de  nier,  mais  en  dehors  de  toute  condition  d'espace  et  de 
distance,  et,  par  consé(iuent,  entièrement  en  deliovs  des  sens.  C'est  là  une  autre 
forme  du  mysticisme.  On  sent  à  quel  ]ii.>int  il  serait  dangrerenx  pour  l'histoire  «de 
sengapT  dans  une  telle  voie,  et  que,  lorsque  l'historien  rencontre  des  faits  de  ce 
genre,  il  doit  chercher,  tout  d'abord,  s'il  n'est  pas  possibh;  de  les  ramener  aux 
lois  connues  de  la  nature.  11  y  a  ici  un  fait  incontestable,  c'est  que  Jeanne  dit 
au  roi  des  paroles  (pii  firent  sur  lui  une  impression  extraordinaire;  cette  imprcs- 
siim  s'atVaililit ,  au  bout  de  peu  de  temps ,  sur  cette  défiante  et  jalouse  nature, 
puis  revint  avec  force  plus  tard,  comme  l'atti-stent  l'anecdote  de  la  faus?e  Jeanne  ' 
et  la  C'infid*;nce  fuite  par  le  roi  à  Boisi.  Il  est  égah;mcnt  hors  do  doute  tpie  les 
parf'li's  de  Jeanne  concernaient  la  légitimité  de  la  naissance  du  roi,  et  se  rappor- 
taient à  la  juière  prononcée  mentalement  par  Charles.  Mais,  maintenant,  Jeamie 
a-t-»'Ile,  en  effet,  répété  les  propres  paroles  de  la  prière?  Vrtilà  sur  quoi  le  sire  de 
lîoisi  et  les  antres  nanateursont  pu  dépasser  la  vérité,  et  sur  quoi  nous  expri- 
m'">ns  ici  la  résrrve  que  nous  n'avons  pas  faite  ci-d-ssus  (p.  15^).  Un  intime 
jai'port  de  sens  entre  les  l'aroles  de  Jeaime  et  l'objet  de  la  prière  a  pu  parfaitc- 
UKnt  suffire  i\  convaincre  le  roi;  et  ce  rapport,  sans  cesser  d'être  extraordinaire, 
l'eut  n'être  pas  hors  de  nature.  Charlrs  Vil  n'était  pas  seul  préoccupé  de  sa 
douteuse  l«'gitimité;  le  bruit  des  déportements  d'ïsabcau  de  Bavière  avait  pénétré 
jusque  dans  le  dernier  hameau,  surtout  depuis  iiue  la  mère  dénaturée  avait  déshé- 
rité son  fils  et  livré  sa  fille,  avec  la  France  en  dot,  à  l'ennemi  de  la  France.  «  La 
France,  pi;rdue  j^ar  une  femme,  sera  sauvée  par  une  pucellel  »  Ce  mot  de 
J<;anne  atteste  quelle  proportion  avait  i»ris  le  riMe  d'Isabeau  dans  la  pensée  popu- 
laire, et  combii-n  Jeanne  en  était  préoccupée.  Il  devient  alors  tivs-naturel  qu'elle 
se  s«'il  demandé  si  (^harle?  VII  était  bien  l'héritier  de  saint  Louis;  s'il  était  le 
vrai  roi  au  nom  duquel  on  devait  chasser  Tétianger,  et  qu'une  de  ses  extases  ait 
répondu  à  cette  question  décisive.  Elle  dut  nécessairement  rassurer  Charles  sur 
les  doutes  qu'elle  sentait  inévitables  dans  son  imc,  et  put  le  faire  dans  des  termes 
tivs-ana lègues  à  ceux  qu'il  avait  employés  dans  le  secret  de  sa  pensée. 

*  Voy.  cl-(itsî>us,  1».  W'A, 


TABLE   DES  MATIÈRES 

CONTENUES    DAKS    LE    TOME    SIXIÈME. 


TROISIÈME  PARTIE. 
France  du  moyen  âge.  —  Guerres  des  Anglais. 


LIVRE  XXXIV.  —  France  du  moyen  âge. —Guerres  des  Anglais 

(Suite,) 

Nouvelle  invasion  anglaise.  Charles  VI  (Suite).  Henri  V  de  Lancastre  des- 
cend en  Normandie.  Prise  de  Harflcur.  Désastre  d'Azincourt.  —  Guerre  civile 
et  guerre  étran<jcre.  Lutte  de  Jean  sans  Peur  et  de  Bernard  d'Aruiagnac.  — 
Conquête  de  la  Normandie  par  les  An  jlais.  —  Les  Cabochiens  recouvrent  Pari::. 
Armagnac  é<][or<jé.  Massacres  des  prisons.  La  guerre  civile  continue  hors  Paris. 
Dauphinois  et  Bourguignons.  —  Défense  héroïque  de  Rouen  contre  les  Anglais. 
Rouen  succombe.  Alain  Blanchard.  —  Traité  de  réconciliation  entre  le  dauphin 
et  Jean  sans  Peur.  Entrevue  de  Montereau.  Assassinat  de  Jean  sans  Peur. 
L'héritier  de  Jean  sans  Peur^  Philippe  le  Bon,  s'unit  aux  Anglais.  La  reine 
Isabeau  de  Bavière  s'unit  aux  Anglais.  Traité  de  Troies.  Le  dauphin  eihérédé 
au  nom  de  Charles  VI^  et  Henri  V  déclaré  héritier  de  la  couronne  de  France. 
Paris  subit  et  un  simulacre  d 'États-Généraux  ratifie  le  traité.  — Prise  de  Melun. 
—  Victoire  des  Dauphinois  à  Baugé.  —  Prise  de  Meaux  par  Henri  V.  —  Mort 
de  Henri  V.  —  Mort  de  Charles  VI.  Deux  rois  en  France  :  Charles  VII  et 
Henri  VI  de  Lancastre  (lil5— H22) 1 


LIVRE   XXXV.  —  Guerres  des  Anglais  (Suile). 

La  France  démembrée  Le  roi  anglais  et  le  roi  français.  Henri  VI  et 
Charlks  vu.  —  Jeanne  Darc.  —  Régence  de  Bedford.  Les  Écossais  secou- 
rent la  France.  Défaites  des  Franco-Écossais  à  Crevant  et  &Verneuil.  — Affaires 
des  Pays-Bas.  Gloccster  et  Jacqueline  de  Hainaut.  Philippe  do  Bourgogne 
maître  de  Namur^  Hainaut^  Hollande^  Zélaiide  et  Frise.  —  Le  connétable  de 


686  TABLE    DES   MATIÈRES. 

Piichemout.  Charles  Vil  cl  ses  favoris.  La  Trémoillc.  —  Belle  défense  Je 
Moiitarflis.  —  Anarchie  dans  le  parti  françaip.  —  Sièye  d'Orh'ans  par  les  An- 
glais. Héroï«iue  résistance  dos  OHéanais.  Journée  des  Harengs.  Détresse  du 
parti  français.  Buine  ininiineilc  de  la  France.  —  Fermentation  dans  les  pro- 
fondeurs du  peuple.  Allente  d'événements  miraculeux.  Prophéties.  —  Jeanne 
Darc.  Enfance  et  révélation  de  Jeanne.  Elle  va  trouver  Charles  VII.  Jeanne 
h  Chinon  et  à  Poitiers.  Elle  annonce  qu  elle  chassera  les  An;{iais  de  France. 
Jeanne  fait  lever  le  »ié,q[e  d'Orléans.  Ueprisc  de  Jar^f^eau.  Victoire  de  Patai. 
Marche  bur  Reims.  Jeanne  devant  Troies.  Elle  fait  sacrer  le  roi  à  Beim«. 
Cluirc  de  Jeanne.  Innneiisc  attente  du  peuple  et  de  l'armée  (Ii22 — li29)    .        89 


LIVRE   XXXVI.  —  GuEnnr.s  des  Anglais  [Suite), 

Jeanne  D.vrc  (suite).  Conjuration  de  La  Trémoillc  et  de  Be,';nauld  de  Chartres 
contre  Jeanne.  Le  roi  complice.  Entraves  systématiques  h.  la  rccouvranco  de 
Paris.  Délivrance  d'une  partie  de  la  Brie,  de  Tlle  dc-Francc  et  de  la  Picardie. 
Journée  de  Mont-Espilloi.  Jeanne  i\  Saint-Denis.  Le  roi  et  les  favoris  font  man- 
quer l'attaque  de  Paris.  Retour  de  l'armée  sur  la  Loire.  Le  roi  et  les  favoris 
empêchent  la  délivrance  de  la  Normandie.  Douleur  do  Jeanne.  Prise  de  Saiut- 
Pierrc-Ie-Moùtier.  Echec  de  La  Charité.  Jeanne  quitte  le  roi.  Le  duc  de  Bour- 
<{o,'pie  attaque  Compié«jne.  Jeanne  à  La.'jnictà  Compié^ne.  Jeanne  est  priK'  par 
les  Bour.qui;jnons.  Lettres  du  duc  de  Bourjo;jne  et  de  Re({nauld  de  Chartres  sur 
sa  prise.  L'inquisition  et  l'évêiiue  de  Bcauvais  la  réclament.  RAlc  de  l'université 
de  Paris  et  de  Pierre  Cauchon.  Politique  de  Bcdford  et  de  Winchester.  Poli- 
ticpie  du  duc  de  Bourjo'pie.  Alfaire  de  l'héritage  de  Brabant.  Les  Bour<][ui- 
;;nons  livrent  Jeanne  aux  An,';lais.  —  Levée  du  sié^e  de  Compid,qne  et  défaite 
des  Bourjjiiijînons.  —  Les  Anglais  font  juger  Jeanne  par  l'inquisition  et  par 
l'évéque  de  Beauvais.  Jeanne  à  Rouen.  Procès  do  Jeanne.  La  Fille  de  Dieu  et 
les  nouveaux  Phari>iens.  Jeaime  maintient  sa  mission  conlro  toute  autorité 
humaine.  Passion  de  Jl.^^^E.  Conséquences  de  sa  mission  et  de  sa  mort  (1 129 
—  M3I) I'J7 


LIVRE   XXXVII.  —  GuLBRES  des  xInglais  (StiiVe). 

CuATiLF^  LE  Bien  Servi.  —  Le  Conseil  de  Franck.  —  Échcci  en  Beauvoi^Is 
et  en  Lorraine.  — Trêve  avec  la  Bour«io*jne.  —  Prise  de  Chartres  par  les  Fran- 
çais. Échec  de  Bedford  i\  Lnjjni.  —  Rupture  entre  Bedford  et  le  duc  de  Dour- 
,qu^'ne.  —  Conjuration  de  la  bellc-raère  du  roi  avec  le  connétable  contre  La 
Tréinoille.  Chute  de  La  Trémoillc.  Yolande  d'Aragon.  Agnès  Sorcl.  Le  Conseil 
du  roi.  Gouvernement  d'Yolande  d'Aragon,  de  Richemont  et  des  ministres 
bourgeois.  Jean  Bureau.  J  \cgi:rs  Co'u  r. —  Insurrection  des  paysans  normands. 
—  Paix  avec  la  Bourgogne.  Traité  d'Arras.  Cession  de  la  Picardie,  de  Bar-sur- 
Seine,  Auxerre  et3Idcon  au  duc  de  Bourgogne. — Mort  de  Bedford. — Nouvelle 
révolte  en  Normandie.  Soulèvement  des  places  de  l'Ile-de-France  contre  les 
Anglais.  Paria  chasse  les  Anglais.  —  La  fausse  Jeanne  Darc. — Le  duc  de  Bour- 
gogne en  guerre  avec  les  Anglais.  Désordre  des  Qamands.  Ils  échouent  au 


TABLE  DES   MATIÈRES.  587 

siogc  do  Calais,  Rj^voIIc  de  Bruges  et  (guerre  civile  en  Flandre.  —  Dévastations 
des  Écorclmn  s.  Efforts  do  Bichemonl  contre  eux. — Prise  de  Montereau.  Entrée 
du  roi  ;\  Paris.  —  Désordre.  Misère.  Épidémie.  —  Persévérance  deRichcmont. 
Ori«,'ine,  fortune  et  influence  de  Jacques  Cœur.  —  Prise  de  Moaux.  — États 
Généraux  d'Orléans.  La  taille  fixiî  et  pkrmanente.  Avantages  présents.  Dan- 
gers de  l'avenir.  Marche  vers  l'arbitraire  royal.  —  Ordonnance  pour  une  armée 
régulière  et  contre  l'arbitraire  féodal.  Rési.stanco  des  seigneurs  et  des'écor- 
cheurs.  Les  factieux  mcrllent  le  dauphin  (Louis  XI)  h  leur  tête.  La  Praguerie. 
Les  rebelles  eoniprinié*.  —  Procès  du  maréchal  de  Ret/.  — Affaires  de  l'Eglise. 
Lutte  dtî  la  papauté  ot  du  concile  de  Bile.  Pragmatitpic  sanction.  —  Répression 
du  brigandage.  —  Délivrance  du  duc  d'Orléans.  —  Prise  de  Pontoise.  —  ChA- 
linient  d'Armagnac.  —  Trêve  avec  l'Angleterre  (1431  —  1444) .104 


LIVRE  XXXVIII.  —  Guerres  des  Anglais   (Suite  et  Fin). 

Charles  VU  lt  le  conseil  de  Franxe  (Suite).  —  Rétablissement  de  la  France. 

—  Expéditions  de  Suisse  et  de  Lorraine.  —  Grlation  de  l'arsiee  françaisf. 

—  Organisation  d'une  cavalerie  régulière. — Réforme  de  l'administration  linan- 
eière.  Cour  des  Aides.  —  Réformes  judiciaires.  —  Rupture  du  dauphin  avec 
le  roi.  Le  dauphin  se  retire  en  Dauphiné.  —  Organisation  des  francs-archers, 
— La  gnerre  recommence.  Invasion  de  la  Normandie.  Jacques  Cœur  et  ses  écus. 
Jean  Bureau  et  ses  canons.  Progrès  de  l'artillerie  française.  Prise  ou  soumis>ion 
volontairiî  d'une  foule  de  places.  Révolte  de  Rouen  contrôles  Anglais.  Rouen 
traite  avec  le  roi.  Prise  de  Harfleur  et  de  Ronfleur.  —  Mort  d'Agnès  Sorel. 
La  dame  de  Villequier.  —  Bataille  de  Formigni.  Réduction  de  la  Basse-Nor- 
mandie. Prise  de  Cacn  et  de  Cherbourg.  La  Normandie  entière  recouvrée. — 
Invasion  de  la  Guyenne.  Prise  de  Blaie.  Capitulation  de  Bordeaux  et  de  Bayonne. 
L'Anglais  expulsé  de  France,  sauf  Calais.  —  Réhabilitation  de  Jeanne  Darc.  — 
Jacques  Cu'ur,  le  commerce  et  les  beaux-arts  au  xve  siècle.  Ingratitude  du 
roi.  Procès  de  Jacipies  Cœur.  Confiscation  de  ses  biens.  Son  évasion  et  sa  mort. 

—  Révolte  de  la  Guyenne.  Les  Anglais  rappelés  k  Bordeaux.  Défaite  et  mort 
de  Talbot  à  Castillon.  Bordeaux  se  soumet.  La  Guyenne  recouvrée.  —  Prise 
de  Constantinoplo  par  Mahomet  II.  —  Fin  do  Guerres  des  Anglais.  Fin  du 
moyen  Age  (U44  —  14o0) 410 


QUATRIÈME  PARTIE.  —  France  de  la  Renaissance. 

LIVRE  XXXIX.  — Lutte  DES  MAISONS  de  Frakce  et  de  Bourgogne. 

Charles  VII  et  Philippe  le  Bon.  —  Guerre  de  Gand.  —  Le  dauphin  so  réfugie 
chez  Philippe.  —  Procès  d'Alençon,  d'Armagnac,  de  Gilles  do  Bretagne. — 
Procès  des  Vaudois.  Fin  de  l'inquisition  en  France.  —  Affaires  de  Gênes.  — 
Vains  efforts  de  Charles  VII  pour  ramener  son  (ils.  Fin  tragique  de  Charles  VIL 

—  Louis  XI.  Réaction  contre  le  gouvernement  de  Charles  VIL  Abolition  de 
la  Pragmatique.  Création  du  parlement  de  Bordeaux.  —  Acquisition  du  Rous- 
sillon.  Rachat  de  la  Picardie.  —  Querelles  avec  la  cour  do  Rome  et  la  Bretagne. 

—  Alliances  do  Louis  XI  au  dehors.  —  Ordonnances  sur  les  biens  d'église,  les 


688  TABLE   DES   MATIÈRES. 

biens  nobles  et  la  chasse.  —  Ligue  du  Bien  public.  Révolte  du  frère  du  roi. 
.Révolte  générale  des  grands.  Succès  du  roi  en  Bourbonnais.  Invasion  bour- 
'guignonne  et  bretonne.  Louis  XI  et  Gbarles  le  Téméraire.  Bataille  de 

Montlhéri.  Fluctuations  de  Paris.  Rouen  livré  aux  rebelles.  Le  roi  capitule. 

Traité  de  Saint-Maur.  Spoliation  et  abaissement  de  la  royauté.  Incapacité  des 

grands  à  organiser  leur  victoire  (iioO—  1465) 493 

ÉCLAIRCISSEMENTS 573 


FIN    DE    LA    TADLE    DES    UATIÈRES    DU    TOME    SIXIÈME. 


PAraS.  —  IMPRIMERIE  DE  1.  CUTE,  RUE  8AI5T-BBaOIT,  7. 


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