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Full text of "Histoire d'un coup d'état (décembre 1851) d'après les documents authentiques, les pièces officelles et les renseignements intimes"

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6000541731 


HISTOIRE 


DIH 


COUP  D'ÉTAT 


HISTOIRE 


COUP  D'ÉTAT 


(DÉCEMBRE   ISftl) 


PAR  M.  PAUL  BELOUINO 


PAB 1.  mm  DE  mm. 


—  PARIS  — 

LUDOVIC  BRlfNET  cl  C,  ÉDITEURS.  UUK  DE  SÈVRES,  ÎT. 


JJ^    A-.    y^. 


•1 


INTRODUCTION. 


Ceux  qui  ne  voient  que  le  fail  extérieur  et  matériel 
de  l'immense  révotution  que  Louis-Napoléon  vient 
d'accomplir ,  avec  la  rapidité  de  la  foudre  et  l'audace 
de  l'aigle,  circonscrivent  les  causes  et  les  effets  de  cette 
révolution  dans  le  cercle  étroit  d'un  duel  acharné 
entre  le  parti  de  l'Ordre  social  et  le  parti  de  la  Déma- 
gogie socialiste.  Mais  ceux  dont  le  regard  pénètre  dans 
les  profondeurs  de  la  situation  politique  et  dans  les 
entrailles  de  la  société  civile  aperçoivent  au-dessus  et 
au  delà  des  questions  d'un  jour,  des  débats  d'une 
heure,  que  ce  duel  a  soulevés,  depuis  la  terrible  et 
soudaine  explosion  de  février,  des  problèmes  autre* 
ment  élevés,  des  conflits  autrement  vastes. 

Le  coup  d'Ëtat  de  Décembre  a  fait  marcher  à  grands 

1 


r,  INTRODUCTION. 

pas  la  France  moderne  vers  la  solution  de  ces  problè- 
mes et  le  dénoûment  de  ces  conflits.  Mais  ce  serait 
une  grande  illusion  et  une  profonde  erreur  de  croire 
que  tout  est  dit,  parce  que  sur  le  champ  de  bataille  où 
l'Anarchie  et  l'Autorité  viennent  de  se  rencontrer  face 
à  face,  Dieu  a  donné  la  victoire  au  parti  de  l'Ordre 
social  sur  le  parti  de  la  Démagogie  socialiste.  Cette 
victoire  n'a  terminé  que  la  lutte  des  idées  ;  la  lutte  des 
intérêts  continue.  La  guerre  ne  cesse  pas;  elle  se  dé- 
place et  se  transforme. 

L'Ordre  social  n'a  pas  seulement  triomphé  de  la 
Démagogie  socialiste  le  jour  où  le  coup  d'État  de  Dé- 
cembre est  venu  enlever  à  l'improviste  les  chances  de 
1852  aux  bandes  de  pillards,  d'incendiaires  et  d'égor- 
geurs  qui  se  disposaient  à  fondre  sur  la  France  comme 
une  nuée  d'oiseaux  de  proie.  Ce  jour-là,  Louis-Napo- 
léon a  été  entre  les  mains  de  liieu  l'instrument  de 
salut  d'une  riche  et  puissante  nation ,  que  des  ambi- 
tieux et  des  intrigants  avaient  rapetissée  au  niveau  de 
leurs  passions  sans  grandeur,  et  que  des  cupides  et  des 
pervers  voulaient  refaire  à  l'image  de  leurs  vices  sans 
éclat.  La  patrie  de  Charlemagne  et  de  Bonaparte  allait 
s'abimer  dans  des  océans  de  flamme  et  de  sang ,  lors- 
que Louis-Napoléon,  se  levant  dans  sa  force  et  son 
patriotisme ,  a  marché  sur  le  fantôme  blanc  du  Passé 
et  sur  le  spectre  rouge  de  l'Avenir. 

Mais  Louis-Napoléon  n'a  ni  combattu  sous  le  dra- 
peau des  vieux  intérêts  ni  vaincu  avec  l'arme  des  an- 
ciens partis,  qui  le  poursuivaient  naguère  de  leur  mal- 


INTRODUCTION.  7 

veillance  et  de  leur  colère,  qui  le  poursuivent  encore 
de  leur  persiflage  et  de  leur  dédain.  Insensés,  qui  ne 
comprennent  pas  que  leur  impopularité  les  rendait 
impuissants  pour  se  sauver  eux-mêmes!  Ingrats ,  qui 
oublient  qu'ils  doivent  au  neveu  de  TEmpereur  la 
conservation  de  leur  fortune  et  do  leur  vie!  Comme 
autrefois  Octave,  venant  réclamer  à  Rome  Thérilage  de 
César,  eut,  à  l'exemple  de  son  grand  oncle,  pour  auxi- 
liaires dévoués,  les  sentiments  démocratiques  et  mili- 
taires contre  les  passions  aristocratiques  et  démagogi- 
ques, Louis-Napoléon  a  combattu  pour  le  Peuple  et 
vaincu  par  l'Armée. 

Si  ces  deux  noms  se  retrouvent  ici  sous  notre  plume, 
associés  Tun  à  l'autre,  c'est  que,  dans  notre  esprit,  à 
deux  mille  ans  d'intervalle,  ils  représentent  la  même 
idée,  c'est  que  le  règne  du  second  sera  pour  son  siècle 
et  son  pay^  ce  que  le  règne  du  premier  a  été  pour  son 
époque  et  sa  patrie. 

L'histoire  ne  se  répète  ni  dans  les  faits  ni  dans  les 
hommes.  Mais  cependant  lorsqu'on  l'étudié  avec  le 
flambeau  de  la  philosophie,  on  retrouve  entre  des 
époques  diverses  de  forme  d'intimes  analogies;  entre 
des  situations  différentes  de  physionomie  de  profondes 
ressemblances;  entre  des  hommes  opposés  de  caractère 
des  rapports  étranges.  Ainsi  les  destinées  de  la  nation 
romaine  et  les  destinées  de  la  nation  française,  qui  pa- 
raissent si  .dissemblables,  lorsqu'on  s'arrête  à  la  surface 
des  événements,  sont  identiques,  dès  qu'en  allant  au 
fond  des  choses,  on  compare  la  mission  de  l'une  et  de 


8  INTRODUCTION. 

Tautre.  Dans  noire  opinion,  l'avenir  de  la  France  est 
donc  écrit  dans  le  passé  de  Rome,  et  soit  qu'on  veuille 
puiser  un  enseignement  ou  chercher  une  prophétie 
dans  ce  parallèle,  il  n'est  pas  moins  curieux  qu'utile  de 
le  suivre  dans  ses  développements,  depuis  son  point  de 
départ  jusqu'à  son  point  d'arrivée. 

La  nation  romaine  est  arrivée  à  l'Empire  par  la  Ré- 
publique ;  la  nation  française  arrive  à  la  République 
par  la  Monarchie.  Mais  la  République  française  et 
l'Empire  romain,  enfantés  parles  mêmes  causes,  pro- 
duisirent les  mêmes  effets,  de  même  que  la  Monarchie 
française  et  la  République  romaine,  nées  des  mêmes 
intérêts,  donnèrent  les  mêmes  résultats.  Sorties  l'une 
et  l'autre  du  berceau  de  l'Aristocratie  militaire  et 
territoriale  y  la  République  romaine  et  la  Monarchie 
française  s'élèvent  constamment  et  graduellement  vers 
la  plus  grande  unité  possible,  en  élargissant  sans  cesse 
la  base  sur  laquelle  elles  sont  assises ,  jusqu'à  ce  que 
toutes  les  classes  privilégiées,  fondues  dans  cette  ma- 
gnifique et  puissante  unité,  disparaissent  entièrement 
pour  faire  place  à  une  immense  universalité  qui  les 
<M)mprend  et  les  absorbe  toutes.  C'est  alors  que  sur 
cette  universalité  qui  est  la  Nation  ,  se  fonde,  à  Rome, 
l'Empire,  en  France,  la  République.  C'est  alors  qu'en 
France  comme  à  Rome  la  Démocratie  se  faisant  homme 
se  personnifie  dans  une  individualité  gigantesque  :  à 
Rome,  dans  Octave-Âuguste  ;  en  France,  dans  Louis- 
Napoléon. 

Le  Gouvernement  de  Rome,  en  cessant  d'être  mo> 


narcllique  pour  devenir  républicain,  n'en  resta  pas 
moins  un  gouvernement  aristocratique.  Dès  l'origine, 
les  institutions  de  l'Ëlat  sont  établies  dans  l'unique  in- 
térêt dos  Patriciens  qui  se  partagent  tous  les  honneurs, 
tous  les  emplois,  tous  les  trésors,  ne  laissant  aux  Plé- 
béiens que  les  charges  du  citoyen  et  les  misères  de 
l'homme,  leur  refusant  non-seulement  le  droit  poli- 
tique, mais  encore  la  vie  civile.  Dès  l'origine,  les  Pa- 
triciens et  les  Plébéiens  constituent  deux  classes  enne- 
mies, dont  l'une,  excessivement  restreinte,  est  con- 
stamment occupée  à  maintenir  sa  domination,  et  dont 
l'autre,  très-étendue,  est  éternellement  travaillée  par 
le  désir  de  secouer  le  joug  qui  pèse  sur  elle. 

Ce  fut  pendant  des  siècles  une  lutte,  tantôt  sourde , 
tantôt  violente,  toujours  iraplacablc.  Les  Patriciens  se 
défendent  avec  acharnement  contre  les  Plébéiens,  qui 
les  attaquent  avec  Hireur.  Une  haine  ardente  et  pro- 
fonde ,  qui  les  sépare  ,  sans  espoir  de  réconciliation  , 
creuse  entre  ces  deux  grandes  divisions  de  k  nation 
romaine  un  fossé  que  les  guerres  civiles  de  Marins  et  j 
deSylla,  de  César  et  de  Pompée,  d'Antoine  et  d'Oo- 
tavc  devaient  combler  un  jour  avec  des  montagnes  de  t 
cadavres.  Les  Patriciens,  pour  se  protéger  plus  effica- 
cement contre  les  Plébéiens,  font  (aire  leur  ombra- 
geuse jalousie.  Ils  créent  la  Dictature,  qui  deviendra 
un  jour  l'instrument  de  leur  ruine.  Les  Plébéien» 
exigent  l'érection  du  Tribunal,  qui  sera  plus  tard  le 
bélier  avec  lequel  ils  abattront  l'Aristocratie. 

Il   entrait  dans  les  desseins  de  Dieu  que  la  nation 


40  INTRODUCTION. 

romaine  remplit  dans  l'histoire  de  l'Humanité  une  mis- 
sion providentielle.  C'est  elle  qui  devait,  après  la  nation 
grecque,  labourer  avec  l'épée  le  champ  de  la  Civilisa- 
tion que  la  nation  française  allait  un  jour  féconder  avec 
l'intelligence.  La  politique  de  ce  peuple,  qui  a  été  le 
mai|re  du  monde,  (ut  toute  guerrière  et  conquérante. 
Mais  à  mesure  que  Rome  grandissait,  on  voyait  le  pou- 
voir des  Patriciens  s'abaisser  et  l'influence  des  Plébéiens 
s'élever.  Le  vieil  esprit  aristocratique  s'était  réfugié 
dans  le  Sénat,  qui  personnifiait  tous  les  préjugés  et  tous 
les  intérêts  du  Patriciat.  Vainement  ce  vieil  esprit, 
luttant  pied  à  pied,  résiste  avec  opiniâtreté  à  toutes  les 
innovations  qui  affaiblissent  les  prérogatives  et  les  pri- 
vilèges de  l'Aristocratie.  Chaque  siècle  voit  tomber  de 
la  couronne  du  Sénat  quelque  fleuron  qui  vient  s'a^ 
jouter  à  la  couronne,  chaque  jour  plus  resplendissante 
du  Tribunal,  qui  s'imprègne  toujours  davantage  des 
passions  et  des  idées  du  Prolétariat.  Et  la  Démocratie 
devient  le  flot  qui  monte,  qui  monte  encore,  qui 
monte  toujours,  jusqu'à  ce  que  couvrant  les  deux  rives, 
tout  disparaisse  sous  la  vague  immense. 

Le  partage  des  terres  et  la  libération  des  dettes  furent 
souvent  le  motif  et  l'occasion  des  soulèvements  du 
Peuple.  Ces  prétextes  de  révolte  donnaient  à  la  cause 
des  Plébéiens  un  caractère  d'agression  violente  et  d'o- 
dieuse envie.  On  pouvait  reprocher  à  cette  lutte  de  la 
Démocratie  contre  l'Aristocratie  de  trop  ressembler  à 
la  guerre  des  pauvres  contre  les  riches.  Au  fond,  cepen- 
dant, c'était  le  sentiment  d'égalité  qui  se  traduisait  par 


INTRODUCTION.  \  i 

des  actes  brutaux  et  des  suppliques  matérielles.  C'est  à 
ce  sentiment  d'égalité  que  les  Patriciens  résistaient , 
lorsque,  cantonnés  dans  leurs  prérogatives  de  naissance 
et  leurs  privilèges  de  fortune,  ils  repoussaient  les  ré- 
formes les  plus  légitimes. 

Les  plus  grands  caractères,  les  noms  les  plus  illustres 
du  Patriciat  furent  entachés  de  ce  vice  originel,  qui  s'ap- 
pelle l'esprit  de  routine.  Caton  le  Censeur  et  Scipion 
l'Africain  portaient  au  plus  haut  degré  la  haine  de  l'in- 
novation, et  les  préjugés  de  race  étaient  si  profondément 
enracinés  dans  le  cœur  de  ces  deux  sénateurs,  qu'ils 
auraient  préféré  s'ensevelir  sous  les  ruines  de  Rome 
plutôt  que  consentir  à  supprimer  la  hgne  de  démarca* 
tion  qui  séparait  les  classes  plébéiennes  des  classes 
patriciennes.  Ce  que  l'on  nomme  leur  vertu  fut  de  l'or- 
gueil, un  noble  orgueil,  sans  doute,  mais  de  l'orgueil 
enfin.  Cicéron  eut  aussi  les  faiblesses  de  Caton  et  de 
Scipion.  Mais  Cicéron,  que  son  immense  talent  et  sa 
brillante  éloquence  élevèrent  aux  postes  les  plus  émi-* 
nents  de  l'État,  Cicéron,  sorti  de  la  chevalerie  romaine, 
qui  correspond  à  la  bourgeoisie  française,  Cicéron  qu'on 
peut  comparer  aux  parlementaires  de  notre  temps  et 
qui  fut  le  Thiers  de  son  siècle  et  de  sa  patrie,  Cicéron 
mit  la  vanité  de  l'esprit  là  où  Caton  et  Scipion  avaient 
mis  l'orgueil  de  l'àme.  La  cause  du  Patriciat  dans  la 
bouche  de  Cicéron  avait  déjà-  perdu  de  sa  grandeur 
chevaleresque. 

Le  développement  de  Tidée  démocratique,  dans  le- 
quel il  ne  faut  voir  que  la  marche  ascendante  de  la 


i't  INTRODUCTION. 

nation  romaine  vers  Tunité  absolue,  fut  parfois  obscurci 
par  des  événements  qui  dénaturaient  Tintérèt  plébéien, 
en  voilant  d'un  faux  jour  les  aspirations  populaires.  Au 
nombre  de  ces  événements  figurent  la  révolte  de  Spar- 
tacus  appelant  les  esclaves  à  la  destruction  de  la  Ré- 
publique, et  la  conjuration  de  Catilina  conviant  les 
débauchés  au  pillage  de  Rome.  Mais  ce  n'était  là  que 
des  accidents  de  la  lutte  qui  avait  commencé  entre  les 
Patriciens  et  les  Plébéiens  dans  le  berceau  de  la  Répu- 
blique et  qui  ne  devait  finir  que  sur  sa  tombe.  La 
révolte  de  Spartacus  et  la  conjuration  de  Catilina  ne 
furent  pas  même  une  des  phases  de  cette  lutte.  Ce  sont 
deux  faits  qui  se  produisirent  en  dehors  d*elle,  quoique 
se  mêlant  à  elle. 

Les  hommes  perdus  de  dettes  et  de  crimes  qui  vinrent 
se  réunir  autour  de  Catilina  pour  s'emparer,  par  sur- 
prise, des  richesses  de  la  République,  n'avaient  rien  à 
démêler  avec  la  Démocratie  ni  avec  l'Aristocratie  ro- 
maines. De  même  que  nos  démagogues,  qui  se  font  des 
ouvriers  un  piédestal  et  des  insurrections  un  moyen 
pour  conquérir  par  la  violence  les  biens  qu'ils  sont 
incapables  d'acquérir  .par  le  travail,  ces  hommes  n'ap- 
partenaient à  aucune  classe,  à  aucun  parti,  à  aucune 
idée.  Les  esclaves  ignorants  et  grossiers,  qui  suivaient 
Spartacus,  étaient  également,  par  leur  situation,  des 
êtres  en  dehors  de  tout,  qui  ne  pouvaient  rentrer  dans 
le  sein  de  la  Société  qu'en  passant  par  le  baptême  reli- 
gieux du  Christianisme  et  par  le  baptême  politique 
de  la  Liberté.  C'étaient  les  socialistes  de  Rome  ne 


inthûduction.  13 

comprenant,  comme  les  socJalisles  de  Frano;,  abrutis 
par  la  misère,  dégradés  par  le  vice,  sans  intelligence  et 
sans  éducation,  que  le  sentiment  de  la  haine;  n'ayant 
ni  la  conscience  de  leur  dignité,  ni  le  sentiment  de  ta 
justice;  aimant  la  révolte  parcompensation  de  l'esclavage 
et  non  l'égalité  des  droits  et  des  devoirs  comme  condi- 
tion de  l'unité  nationale. 

Le  triomphe  des  esclaves  de  Rome,  de  même  que  la 
victoire  des  socialistes  de  France,  ne  pouvait  être  qu'une 
éphémère  et  sanglante  débauche  d'hommes  s'enivrant, 
dans  le  délire  de  la  vengeance ,  de  l'odeur  du  sang  et 
de  la  vue  du  butin.  La  Démocratie  romaine  n'était  pas 
plus  avec  Spartacus  et  Catilinaquc  la  Démocratie  fran- 
çaise n'était  avec  Babœuret  Marat. 

Les  ambitieux  de  tous  les  temps  et  de  tous  les  pays 
se  ressemblent  el  se  copient.  I.e  peuple  était  un  instru- 
ment entre  les  mains  des  Tribuns  qui  se  servirent  de 
ses  passions  comme  d'un  Knier  pour  soulever  des  tem- 
pêtes favorablcsàlcurinfiuence.  Ils  agrandissaient  leur 
pouvoir  à  l'aide  des  troubles  qu'ils  entretenaient  au 
sein  de  la  République.  Leur  puissance  s'élevait  à  mesure 
que  l'agitation  montait,  et  plus  ils  allumaient  de  colères  . 
et  de  haines  dans  les  masses,  plus  ils  devenaient  redou->  i 
tables  au  Sénat  qui,  plus  d'une  fois,  fut  contraint 
d'abaisser  son  orgueil  devant  leur  volonté.  Dans  leur 
lutte  ardente  contre  les  Patriciens,  ils  songeaient 
moins  à  l'intérêt  des  i-lcbéi.  ns  qu'à  leur  Élévation 
personnelle.  Mais  ces  turbulents  Tribuns,  en  croyant 
ne  travailler  qu'au  proht  de  leur  ambition,  servaient  à 


14  INTRODUCTION. 

raccomplissement  des  décrets  de  la  Providence  qui 
les  employait  à  préparer  le  triomphe  de  la  Démocratie 
romaine. 

Ainsi  Ton  voit ,  pendant  plusieurs  siècles  de  This- 
toire  de  France ,  les  Rois  abaisser,  de  règne  en  règne, 
dans  rintérèt  de  leur  puissance,  l'Aristocratie  territo- 
riale et  militaire.  Puis  un  jour  il  arrive  que  ces  Rois 
ayant  fauché  toutes  les  têtes  qui  dépassaient  le  niveau 
commun,  abattu  tous  les  droits  qui  dominaient  le  droit 
universel;  ayant  ruiné  les  classes  privilégiées,  rasé  les 
donjons  féodaux,  à  force  d'avoir  voulu  tout  égaliser  au- 
dessous  pour  que  rien  ne  s*élevàt  au-dessus,  se  trouvent 
avoir  creusé  le  lit  où  va  couler  à  pleins  bords  le  torrent 
de  la  Démocratie  française. 

Quand  les  héritiers  de  Louis  le  Gros  décapitaient  la 
Noblesse,  humiliaient  le  Clergé,  rançonnaient  la  Bour- 
geoisie, ils  étaient  poussés  par  une  puissance  mysté- 
rieuse à  ce  travail  gigantesque,  persévérant,  instinctif 
d'unité,  qui  voulait  qu'il  ne  restât  pas  un  seul  corps 
debout  entre  le  Peuple  et  le  Roi.  Ils  abattaient  les  unes 
après  les  autres  toutes  les  branches  de  l'arbre  féodal  pour 
s'en  faire  une  couronne  qui  devait  absorber  enfin  tous 
les  rayons  de  la  puissance.  Mais  ils  marchaient  en  aveu- 
gles dans  cette  route,  ignorant  qu'humbles  instru- 
ments d'une  œuvre  providentielle,  ils  n'étaient  que  le 
bras  destiné  à  préparer  l'avènement  de  cette  force  y 
alors  inconnue,  qui  s'appelle  aujourd'hui  la  Démocratie^ 
dont  le  règne  n'est  que  la  réalisation  dernière  de  la 
grande  pensée  d'unité  qu'on  retrouve  au  fond  des  des-* 


INTRODUCTION.  \o 

tinées  de  la  nation  française  comme  au  fond  des  desti- 
nées de  la  nation  romaine. 

La  nation  française  et  la  nation  romaine  ont  con- 
stamment gravité  autour  de  la  même  idée.  Elles  ont 
suivi  des  routes  diverses  pour  arriver  au  même  but. 
L*instrument  d'émancipation  qui  a  servi  à  Tune  et  à 
l'autre  a  seul  été  différent.  Dans  Rome,  dès  le  début,  la 
Démocratie  s'est  trouvée  face  à  face  avec  l'Aristocratie. 
Dès  le  début ,  elle  a  battu  en  brèche  sa  rivale  avec  la 
puissance  des  Tribuns,  qui  personnifiaient  la  doctrine 
d'examen,  luttant  contre  les  Consuls,  qui  représentaient 
la  doctrine  d'autorité.  Dès  le  début,  elle  a  détruit,  sous 
l'inspiration,  sous  l'influence  de  l'esprit  de  révolte.  Aussi 
lorsqu'on  suit ,  page  à  page ,  l'histoire  de  la  nation 
romaine,  on  voit  parallèlement  l'Aristocratie  descendre 
et  la  Démocratie  monter,  si  bien  qu'un  jour  vient  où  ce 
sont  déjà  deux  forces  égales,  deux  puissances  rivales  qui 
se  disputent  le  Gouvernement  de  la  République.  Alors 
Tune  et  l'autre  sentent  également  la  nécessité  de  se 
personnifier  dans  un  homme  qu'elles  investissent  à  tour 
de  r61e  de  la  Dictature. 

La  Démocratie  s'appelle  tour  à  tour  Marins ,  Jules- 
César,  Octave.  L'Aristocratie  se  nomme  successivement 
Sylla,  Pompée,  Antoine.  La  lutte  grandissant  entre 
elles  continue  plus  ardente,  plus  implacable,  plus 
meurtrière,  non  sous  Taspect  d'une  révolution  popu- 
laire, mais  sous  la  forme  d'une  guerre  civile.  Au  pre- 
mier moment,  laDémocratie  l'emporte  dans  la  personne 
de  Marius,  qui  souille  ce  triomphe  par  la  sauvagerie  et 


id  INTRODUCTION. 

la  cruauté  de  son  caractère.  Marius  à  lui  seul  est  toute 
une  Convention  !  L'ivresse  de  ce  succès  s'éteint  bien- 
tôt dans  les  larmes ,  les  misères  et  les  douleurs  d'une 
éclatante  défaite.  L'Aristocratie  ressaisit  un  instant,  pour 
la  reperdre  à  tout  jamais,  la  domination  avecSylla, 
qui  la  personnifie.  Dans  cette  première  phase,  le  repré- 
sentant de  l'Aristocratie ,  Sylla ,  est  plus  grand  que 
Marius,  le  représentant  de  la  Démocratie.  Dans  la  se- 
conde phase,  la  Démocratie  ne  s'élève  pas  seulement  en 
force  et  en  puissance.  Elle  gagne  également  en  hé- 
roïsme et  en  gloire  ce  que  l'Aristocratie  perd  en  éclat 
et  en  prestige.  L'Aristocratie  ne  s'appelle  déjà  plus  que 
Pompée  et  la  Démocratie  se  nomme  enfin  César. 

Du  moins  il  y  a  encore  dans  le  représentant  du  Pa- 
triciat ,  humilié  et  vaincu ,  une  grandeur  morale  qui 
projette  sur  la  décadence  de  l'idée  et  sur  la  chute  de 
l'homme,  je  ne  sais  quelle  ombre  poétique  et  quel  reflet 
chevaleresque.  Mais  à  la  troisième  phase  de  cette  lutte 
colossale,  dont  Tissue  doit  décider  àe  l'avenir  du 
Monde ,  de  la  marche  de  la  GivilisatioD  et  du  sort  de 
l'Humanité,  l'Aristocratie  déchue,  énervée^  avilie,  sans 
orgueil  et  sans  vertu ,  cupide ,  ambitieuse ,  débauchée^ 
tombe  honteusement  avec  Antoine,  tandis  que  la  Dé- 
mocratie règne  glorieusement  avec  Octave,  que  ses 
contemporains  surnomment  Auguste. 

En  France ,  le  développement  des  faits  et  des  idées 
fut  plus  vaste  et  plus  varié.  La  Démocratie  n'existait  pas 
encore,  que  déjà  l'Aristocratie  brillait  de  tout  l'éclat  de 
sa  force  et  de  toute  la  splendeur  de  sa  puissance.  A 


INTRODUCTION.  17 

Rome,  le  Pouvoir,  qui  avait  miné  la  base  sur  laquelle 
reposait  l'autorité  des  Patriciens,  était  né  d'une  révolte 
des  Plébéiens,  sous  le  nom  de  Tribunal.  En  France, 
c'est  des  rangs  mômes  de  la  Féodalité  que  sortit  ta 
Royauté,  qui  allait  consacrer  ses  efforts  et  ses  travaux 
de  plusieurs  siècles  à  démolir,  pierre  par  pierre,  l'é- 
ditice  de  l'Aristocratie,  cet  édifice,  dont  la  Démocratie 
devait  arracher  un  jour  les  fondements,  pour  en  jeter 
lu  poussière  au  vent  des  révolutions. 

DansRorac,  les  Plébéiens  commencèrtnl,  poursui- 
virent et  achevèrent  eux-mêmes  l'abaissement  et  la 
ruine  des  Patriciens,  En  France ,  ce  fut  la  Royauté  qui 
fit  tout  d'abord  l'œuvre  de  la  Démocratie  contre  l'Aris- 
tocralie.  Celle-ci  était  déjà  désarmée  quand  celle-là, 
débordant  de  toutes  parts  comme  un  torrent ,  s'est  i-é- 
pandue  sur  la  France,  renversant  dans  son  cours  im- 
pétueux la  Monarchie  et  le  Clergé,  les  Jurandes  et  les 
Parlements,  la  Noblesse  et  la  Rourgeoisie.  L'Aristocra- 
tie s'était  abaissée,  et  la  Démocratie  s'était  formée,  ft  J 
l'ombre  même  de  la  Royauté  ,  sous  l'égide  du  principe  1 
d'autorité.  Quand  vint  le  moment  de  la  lutte,  la  Démo-  1 
cratie  ne  vit  pas  seulement  l'Aristocratie  devant  elle, 
elle  aperçut  encore    la  Royauté  au-ilcssus  d'elle. 
Royauté  se  trouvait  alors  placée  sur  sa  roule  comme  1 
une  forteresse    qui  barre  le  passage  ;  la  Noblesse  ,  la 
Bourgeoisie  ,  le  Clergé,  n'étaient  que  les  bastions  de  ^ 
cette  forteresse. 

D'ailleurs,  la  puissance  du  principe  d'autorité  s'était 
seule  manifestée;  seule  elle  avait  agi  sur  ta  marche 


18  INTRODUCTION. 

des  événements ,  la  situation  des  hommes  et  le  cours 
des  idées.  La  force  de  l'esprit  de  révolte  était  donc  une 
force,  contenue  depuis  des  siècles,  qui  devait,  lors- 
qu'elle éclaterait,  faire  explosion ,  de  même  que  la  va- 
peur trop  longtemps  comprimée  dans  une  chaudière 
sans  soupape,  se  répand  dans  l'air  avec  la  puissance 
d'une  trombe ,  quand  elle  brise ,  en  s'échappant  avec 
violence,  la  prison  de  fer  qui  la  renferme. 

Quand  la  Démocratie  s'empara  de  cette  force  pour 
renverser  tout  le  vieil  édifice  de  la  Monarchie ,  mêlant 
dans  une  commune  vengeance  la  Royauté ,  la  Bour- 
geoisie, la  Noblesse,  le  Clergé^  en  un  mot  tout  ce  qui, 
étant  une  démarcation ,  s'opposait  à  l'unité  universelle 
dans  l'universelle  égalité,  elle  s'en  servit  sans  en  cal- 
culer la  portée.  Dans  Rome ,  après  avoir  attaqué,  pen- 
dant des  siècles,  le  Patriciat,  en  s' appuyant  sur  l'esprit 
de  révolte ,  le  Prolétariat  le  combattit  à  l'heure  de  la 
lutte  suprême  et  décisive,  en  s'appuyant  sur  la  puis- 
sance du  principe  d'autorité.  £n  France,  ce  fut  juste- 
ment à  cette  même  heure  de  lutte  suprême  et  décisive 
que  la  Démocratie  choisit,  pour  levier  d'attaque  et  de 
destruction,  la  force  de  l'esprit  de  révolte.  Elle  ne 
pouvait  donc  pas  être ,  comme  à  Rome ,  une  armée 
disciplinée ,  remettant  à  un  Dictateur  ses  destinées  ;  elle 
ne  pouvait  devenir  que  ce  qu'elle  a  été,  une  révolution 
désordonnée  qui  se  produit  comme  un  ouragan  terrible, 
une  populace  furieuse  qui  se  répand  comme  une  lave 
ardente.  Au  lieu  d'une  guerre  civile  comme  à  Rome,  on 
eut  donc  en  France  une  révolution  populaire.  Le  Marins 


INTRODUCTION.  19 

de  la  Démocratie  française  fut  la  Convention.  Napoléon 
Bonaparte  allait  être  son  Jules-César. 

Jusqu'ici  Tanalogie  n'est  que  morale.  Elle  n'existe 
que  dans  le  but  vers  lequel  tendent  les  destinées  de  la 
nation  romaine  et  de  la  nation  française ,  ainsi  que  dans 
la  mission  que  la  Providence  assigne  à  Tune  et  à  l'autre, 
et  dans  l'action  qu'elles  ont  été  appelées  à  exercer  suc- 
cessivement sur  l'avenir  de  l'Humanité  et  la  marche  de 
la  Civilisation.  Au  commencement  do  ce  siècle,  cette 
analogie  n'est  plus  seulement  morale,  elle  devient  en- 
core matérielle.  Jules-César  avait  été  la  Démocratie 
romaine  faite  homme  ;  Napoléon  Bonaparte  est ,  à  son 
tour,  la  Démocratie  française  faite  homme.  Jules-César 
avait  à  lutter  contre  les  préjugés  persistants  du  Patri- 
ciat,  en  même  temps  qu'il  lui  fallait  comprimer  les 
sauvages  passions  de  la  Démagogie.  Ce  fut  aussi  le 
rôle,  ce  fut  aussi  l'œuvre  de  Napoléon  Bonaparte  ,  qui 
eut  une  autre  gloire  encore,  celle  de  cicatriser  les  plaies 
et  de  relever  les  ruines  que  la  Révolution  avait  faites  en 
France  et  que  Rome  n'a  pas  pu  connaître ,  elle  qui  a 
traversé  des  épreuves  de  guerre  civile  et  non  des  crises 
d'anarchie  révolutionnaire. 

Cette  différence  matérielle  de  la  guerre  civile  et  de 
l'anarchie  révolutionnaire  continue  à  donner  une  phy- 
sionomie différente  aux  faits  extérieurs ,  qui  servent  au 
développement  graduel  de  la  pensée  unitaire  et  à  la 
marche  ascendante  de  l'idée  démocratique  en  France 
et  à  Rome.  Quand  l'élément  aristocratique  reparait  en 
1815,  au  lieu  de  s'appuyer  en  France  sur  la  Dictature, 


I 
I 


2(1  INTRODUCTION. 

comme  à  Rome,  il  s'incarne  dans  une  Oligarchie;  il 
est  la  doctrine  d'examen;  il  se  fait  Monarchie  repré- 
sentative. Quand  l'élément  démocratique  combat ,  en 
1848,  il  ne  se  personnifie  pas  davantage  dans  un 
homme;  il  est  l'esprit  de  révolte;  il  se  fait  révolution 
populaire  :  de  là  vient  que  dans  le  moment  du  triom- 
phe il  détruit  tout  et  ne  fonde  rien.  Mais  en  France 
comme  à  Rome,  dés  que  la  Démocratie  veut  utiliser  sa 
victoire  et  consolider  son  règne,  elle  rompt  de  nou- 
veau avec  l'esprit  de  révolte ,  elle  s'incarne  dans  une 
individualité,  elle  revient  au  principe  d'autorité;  elle 
se  refait  homme  enfin ,  et  elle  se  nomme  Louis- 
Napoléon. 

Ce  sont  les  mêmes  effets  naissant  des  mêmes  causes, 
quoique  par  des  enfantements  de  nature  différente. 
Les  événements  écoulés  entre  le  règne  dé  Napoléon  et 
l'avènement  de  Louis-Napoléon  ,  ne  ressemblent  pas 
à  ceux  qui  remplirent  la  période  romaine  accomplie 
entre  la  mort  de  Jules-César  et  le  triomphe  d'Octave. 
Mais  quelle  identité  de  destinée  entre  Jules-César 
mourant  sous  le  poignard  des  Patriciens,  après  avoir 
inauguré  la  domination  de  la  Démocratie  romaine, 
et  Napoléon  tombant  sous  une  coalition  de  Rois, 
après  avoir  commencé  l'organisation  de  la  Démocratie 
française  !  Quelle  analogie  de  situation  entre  Octave 
recueillant,  avec  la  popularité  de  Jules-César,  l'héri- 
tage d'un  pouvoir  qu'il  exerce  dans  l'intérêt  du  Peu- 
ple avec  l'appui  de  l'Armée,  et  Louis-Napoléon  retrou- 
vant, au  retour  de  l'exil,  le  prestige  des  glorieux  sou- 


I 


rMTlODUCTEON.  ï| 

vonirs  que  le  nom  de  rKnipereur  a  laissés  dans  toutes 
les  imaginations,  et  dispersant  à  la  fois  avec  l'épéc  des 
soldats  les  partis  monarchiques  qui  repoussent  la  Dé-  | 
mocralie.  et  les  factions  révolutionnaires  qui  menacent 
la  Sofiélé  tout  entière  pour  reprendre,  aux  acclama- 
tions de  la  France,  l'œuvre  inachevée  de  son  oncle  ! 

Lorsqii'Oclave  domina  sur  la  scène  du  monde, 
l'océan  de  la  Démocratie  avait  creusé  son  lit,  reculé 
ses  limites,  élevé  son  niveau.  Il  n'avait  point  encore  ' 
ohsorbé  le  flux  de  l'Aristocratie.  Le  droit  politique  et 
le  droit  civil  étaient  toujours  le  domaine  exclusif,  le 
privilège  spécial  des  rares  patriciennes.  La  barrière  qui 
séparait  les  familles  sénatoriales  et  les  famillos  éques- 
tres des  familles  plébéiennes  n'était  pas  abaissée.  La 
nation  romaine  enfin  ne  formait  pas  encore  celle  vaste 
unité,  qui  comprend  l'universalité  des  citoyens,  source 
commune  de  laquelle  tout  sort  et  dans  laquelle  tout 
rentre,  vivante  image  de  l'Ëgalilé  qui  n'accorde  rien 
au  hasard  de  la  naissance  et  au  jeu  de  la  fortune,  et 
qui  donne  tout  au  travail,  au  talent,  A  la  vertu. 

La  Démocratie  avait  h  conquérir,  l'Aristocratie  avait 
à  défendre.  L'une  voulait  marcher  vers  la  réalisation 
dctinitive  de  son  principe.  L'autre  s'efforçait  de  relar- 
der ce  mouvement  de  l'Humanité  dont  Rome  était 
alors  ta  tète;  car,  à  chaque  pas  qui  s'accomplissait  dans 
cette  voie  civilisatrice,  elle  perdait  un  privilège  qui  llat- 
tait  son  orgueil,  un  intérêt  qui  caressait  son  avarice. 
La  lutte  était  modifiée  dans  son  caractère.  La  Dé-, 
mocralie  avait  déjà  tant  monté ,   l'Aristocratie  avait 


H  INTRODUCTION. 

déjà  tant  décru ^  qu'au  lieu  d'un  grand  coiybat  entre 
deux  puissantes  idées,  ce  n'était  déjà  plus  qu'une  que- 
relle où  la  parole  remplaçait  Tépée.  Sylla  s'appelait 
Cicéron.  Dans  la  résistance  de  l'Aristocratie  on  ne  sen- 
tait plus  les  ardeurs  de  la  foi,  les  entraînements  de  la 
passion  qui  donnent  de  la  grandeur  à  une  cause.  L'a- 
mour des  vieux  principes  n'était  plus  un  culte  dans 
l'esprit  des  sénateurs  et  des  chevaliers.  C'était  une  af-*- 
faire  d'habitude,  de  mode,  d'intérêt  ou  de  parti.  Cétait 
un  préjugé  et  non  une  religion ,  et  le  fanatisme  ne 
pouvait  plus  expliquer  l'aveuglement  et  l'endurcisse- 
ment des  classes  privilégiées,  ne  défendant  plus  que  par 
égoïsme  et  par  vanité  les  anciennes  lois  qui  tendaient 
à  maintenir  la  richesse  des  uns  et  la  pauvreté  des 
autres. 

C'est  sur  ce  terrain  que  la  question  se  trouvait  pla^ 
cée.  La  différence  des  fortunes  importait  beaucoup 
plus  aux  Plébéiens  et  aux  Patriciens  que  la  différence 
des  rangs.  Ce  que  ceux-là  voulaient  détruire,  ce  que 
ceux-ci  voulaient  conserver,  c'étaient  surtout  les  institu- 
tions qui  perpétuaient  cette  différence  dans  les  familles, 
favorisant  à  l'excès  les  seconds  au  détriment  des  pre- 
miers qu'elles  parquaient  dans  le  Prolétariat,  commet 
Dieu  même  les  eût  classées  ainsi  pour  l'éternité.  La 
Liberté,  au  fond,  n'était  qu'un  moyen,  qu'un  instru- 
ment; le  but,  c*était  l'Ëgalité.  C'est  ce  qui  explique 
comment  la  Démocratie  abdiqua  avec  enthousiasme 
sa  Liberté  entre  les  mains  d'Octave,  qui  venait  lui  ap- 
porter l'Égalité. 


INTROIUCTION. 


sa 


La  Démocrade,  aveu  cette  intuition,  qui  est  te  géniti 
des  masses ,  comprenait  insliiu-tivonient  qu'elle  ne  potH 
vait  po^-iéder  cette  Ëgalilé,  la  plus  ardente  de  se»^  espé- 
raiiues,  le  plus  beau  de  ses  rf^ves,  qu'autant  qu'elle 
serait  placée  sous  la  protection  d'un  homme,  nnitre  de 
tous  les  autres  hommes.  Le  règne  île  l'Arifitocralie  s'esl 
toujouf»  perfionniîié  dans  des  assemblées,  et  toujoun 
les  asscmbk'es,  qu'elles  soient  béi^-ditaire»  ou  élues, 
donneront  le  ri'gne  de  l'Arislooralie.  Le  règne  de  la  ' 
Démocratie,  ao  oonlraii-c,  s'est  constamment  incarné 
dans  un  seul,  et  toujours  le  pouvoir  d'un  seul  devieit- 
dra  le  règne  de  la  Démocratie,  parce  que  là  où  un  seal 
i'<>l.  au-dessus  de  tous,  tous  les  citoyens  sont  8fK:ialo-> 
ment  égaux  sous  sa  domination,  ik  même  q«e  tous 
kn  hommes  sont  religieusement  égaux  devant  Dieu. 

Octave  fut  donc  un  instrument  de  la  Providence,  qui 
se  servit  de  sa  personnalité  pour  accomplir  ses  desseins, 
lorsqu'il  entra  dans  ses  vues  de  pousiicr  en  avant  l'Hi»* 
manité  sur  le  chemin  de  la  Civilisation,  en  Tavorisarlt 
l'avénemenl  de  la  Démocratie  romaine.  Mais  cello  mémfl 
Démocratie  contenait  dans  son  sein  de«  éléments  iiff* 
jtur6  qu'il  fallait  réprimer  dans  l'iiitérfit  même  de 
l'Aristocratie. 

Au-dessous  des  légitimes  aspirations  du  Prolêfariat 
vers  les  biens  moraux  et  matériels  que  la  Société  promet 
an  travail  et  au  talent ,  ferrnenlaient  les  passions  crimi- 
nelles d'une  tourbe  d'esclaves  et  de  débauchés,  lie  de 
la  Nation ,  ennemis  à  la  fois  des  Plébéiens  et  des  ["alri- 
ciens,  qui  aspiraient  à  tout  C'^nquérir  par  la  violence  et 


A 


24  INTRODUCTION. 

le  crime.  Ces  hommes,  que  le  frein  de  la  compression 
a  seul  retenus ,  ne  pouvaient  être  domptés  que  par  la 
main  de  fer  d'un  pouvoir  qui  tirait  de  son  unité  la  force 
de  tout  plier  sous  un  joug  salutaire.  Si,  au  lieu  de  trou- 
ver devant  eux  la  puissance  d'Octave ,  ils  n'avaient 
rencontré  qu'une  Aristocratie  affaiblie  et  dégénérée , 
comme  l'était  alors  l'Aristocratie  romaine,  ils  auraient 
eu  leur  jour  de  triomphe. 

Les  Patriciens  n'étaient ,  en  effet,  unis  entre  eux 
contre  les  Plébéiens  que  parla  communauté  du  danger 
qui  menaçait  leurs  intérêts  de  caste.  Victorieux  d'Oc- 
tave, ils  se  seraient  aussitôt  divisés ,  déchirés,  et  un 
jour,  au  lieu  de  se  réveiller  vaincus  par  une  Démocratie, 
régulièrement  organisée  et  puissamment  contenue ,  ils 
auraient  été  surpris  par  l'explosion  soudaine  d'une 
Démagogie  furieuse,  éteignant  un  océan  de  flamme 
dans  une  mer  de  sang,  et  l'Aristocratie,  ensevelie  avec 
ses  prérogatives  et  ses  richesses  sous  les  décombres  de 
Rome,  aurait  disparu  du  livre  de  l'histoire.  Octave,  du 
moins,  lui  laissa  la  fortune  et  la  vie;  sa  victoire,  en 
achevant  d'abattre  la  puissance  des  Patriciens,  les  sauva 
de  la  ruine  et  de  la  mort.  Octave ,  en  faisant  triompher 
la  Démocratie,  fit  durer  la  Société. 

Louis-Napoléon  avait  été  prédestiné  par  la  Provi- 
dence à  remplir  en  France  une  mission  analogue ,  dans 
une  situation,  identique  au  fond,  quoique  différente  dans 
la  forme.  Mais  avant  de  retracer  à  grands  traits  la  phy- 
sionomie morale  et  matérielle  de  cette  situation ,  qui 
explique  le  grand  acte  de  1851 ,  il  est  nécessaire  de 


INTROlil'CTION.  ÏS 

remonter  !e  cours  des  années,  jusqu'au  vaste  mouve- 
ment de  1789,  afin  d'indiquer  les  causes  multiples 
dont  elle  est  née.  L'histoire  entière  de  ce  siècle  est 
dans  l'analyse  de  ces  causes,  non  moins  profondes  que 
varices. 

Avant  1 789,  il  existait  une  Noblesse  qui  avait  recueilji 
»ur  les  lèvres  moiiraules  du  connétable  Anne  de  Mont- 
morency, décapité  i\  Toulouse,  par  ordre  du  cardinal 
de  Richelieu,  rànic  de  la  Féodalité.  Cette  Noblesse  avait 
gardé  de  ses  anciens  droits  seigneuriaux  des  privilèges 
de  race  qui  faisaient  d'elle  la  vassale  de  la  Royauté  et 
la  suzeraine  de  la  Rourgeoisie.  Elle  était  au-dessous  du 
Roi;  irais  elle  était  au-dessus  du  Peuple.  C'était  une 
Nation  dans  la  Nation,  qui  comptait  alors  trois  grandes 
couches  superposées  l'une  sur  l'autre.  La  dernière  était 
la  plus  étendue.  C'était  le  Peuple  qui  frémissait,  en 
bas,  lorsque  son  regard  s'élevant  en  haut,  il  apercevait 
auprès  du  Trône  une  race  distincte  des  autres  classes 
sociales ,  qui  fermait  à  tout  ce  qui  ne  sortait  pas  d'elle , 
la  carrière  des  grandes  charges  de  la  Monarchie,  des 
emplois  honorifiques  ou  lucratifs,  et  des  hautes  dignités 
de  l'Eut. 

La  première  couche,  resserrée  dans  un  cercle  étroit, 
était  cette  race  distincte,  qui  tenait  son  rang,  sa  for- 
lune,  son  autorité  du  droit  de  la  naissance.  Mais  entre 
cette  couche  supérieure  et  la  couche  inférieure ,  il  se 
trouvai!  une  couche  intermédiaire:  c'était  la  Rourgeoi- 
sie, avant-garde  du  Peuple,  alors  placé  à  l'arrière- 
garde  du  mouvement  de  la  Nation  française  vers  l'unité; 


^ 


H 


«I  LVlftODlCmOfi. 

la »B(Mirrgeôme ,  doni l'envie ethtYBnîtés'irritatetitè ila 
petoée  qu'il f  la^il en  airacltd^elle  sue  dtosse  plu^  iia- 
T&risée ,  plus  piiîs68iiii}ei6t  fim  rikthe ,  «ne ébisse ,  enfin, 

doot^le  n'était  pififWêfoe  l'égale  dans  le iGouverneraent 
et  dans  la  Société. 

Macée  ftlus  près  de  k  iNobles^  que  Qe  Peupte,  la 
BtHurgeeîeie  était  appelée  À  reeueîHîr  plus  directement 
et  pli»  immédiatement  Vivéï^itage  de  ses  prérogativos 
de  naissance  et  de  ses  i^rrriléges  de  fortune.  KHe  étaft 
intéressée  y  plus  encwe  ^ue  k  Peuple ,  à  la  dépossiëder 
de  ces  arantages  qui  excitaient  ea  jalousie  et  sa  cou- 
Toitise.  il  était  donc  naturel  qu'elle  engageât  la  lutte. 
C'est  ce  qu'elle  fit,  dès  cette  époque,  d'abord  sous  l'é- 
gide de  ia  Royauté,  puis  par*-dessus  la  tète  du  Roi. 
Dans  eette  lutte,  elle  Cut  suivie  par  le  Peuple,  mysté- 
rieusement pousqé  contre  la  Noblesse  par  amour  de 
FËgalité.  Il  servit  par  instinct ,  plus  que  par  réflexion , 
d'instrument  à  la  BiMvgeoisie,  que  l'amour  iie  k  do- 
mination entraîna  sur  la  scène  où  allait  se  jofuer  te  pro- 
logue du  granid  drame  de  ia  Révolution  française,  dont 
nous  voyons  aujourd'hui  l'épilogue. 

La  Noblesse,  qui  constituait  alors  tout  le  parti  -de  ta 
résistance,  était  cMe-mème  scindée  en  deux  ;  ear*  pen- 
dant q[ue  ia  Démocratie  s'organisait ,  l'Aristocratie  se 
dissolvait  :  laseeonde  ressemblait  au  reflux ,  et  la  pre- 
mière au  flux  de  lallation.  H  y  avait  la  tablasse  de 
race  et  d'èpée,  et  la  Noblesse  de  robe  et  de  finance. 
CelieHci  était  à  4a  fois  à  la  queue  de  l'Aristocratie  et  à 
la  tôle  de  la  DéoMcratie.  Sa  forcb  élrît  surtout  dana 


IMHODICTION. 

1«B  Parlements,  qui,  après  avoir  ouvert  le  clicinin  à 
la  Démagogie,  par  leur  opposition  contre  la  Royauté, 
furent  emportés  en  mfme  temps  qu'elle  par  la  tom- 
pôtc  qu'ils  avaient  appelée.  La  Notileese  de  robe  et  de 
finance  disparut  dans  cette  tempête  avec  la  Noblesse 
de  race  et  d'êpéc,  dont  elle  avait  imprudemment  sé- 
piirë  sa  cause.  Ces  deux  Noblesses,  couchées  le  niô:i.n 
jour  sur  le  sot  de  la  France,  parmi  les  ruines  de  In 
Monarchie,  par  le  vent  des  révolutions,  formèient  un 
parti  du  passé,  parti  vaincu,  mais  non  détruit,  qui 
garda,  même  après  sa  commune  défaite,  la  trace  de 
ses  deux  origines. 

La  Bourgeoisie  était  unie  dans  un  même  efToii  contre 
la  Noblesse.  Mais  elle-même  renfermait  déjà  dans  son 
sein  deux  nuances  Irès-caractérisées.  Il  y  avait  la  Bour- 
geoisie lettrée  et  la  Bourgeoisie  industrielle.  La  prc- 
mii'ie  comprenait  Innies  les  professions  libérales;  la 
soronde  renfermait  tous  les  états  mercantiles.  Ces  deux 
nuances,  qui  se  perdaient  en  apparence  dans  la  vaste 
révolte  des  classes  bourgeoises ,  secondées  par  les  classes 
ouvrières,  contre  les  classe»  nobles  ,  se  personnifièrenl 
en  réalité ,  l'une  dans  le  parti  de  la  Monarchie  consli- 
tutioiiuelle,  l'autre  dans  le  parti  do  la  RépuliMque 
représentative.  Unies  pour  renverser,  désunies  pour 
fonder,  elles  se  resBcmblaîent  cependant  par  un  trait 
caractéristique.  L'une  et  l'autre  avaient  emprunté  à  la 
Nobtes-iP  (le  robe  cl  de  finance  son  naissant  amour  du 
parlementarisme.  L'une  et  l'autre  tendaient  à  Irans- 
porler  leGoutememenl  de  TÊtat  au  seiti  des  assemblée» 


28  INTRODUCTION. 

délibérantes  ;  car  l'une  et  Tautre  comprenaient  que  ne 
pouvant  pas  asseoir,  comme  la  Noblesse ,  leur  domi- 
nation sur  la  naissance ,  elles  devaient  demander  le 
Pouvoir  à  d'autres  moyens  d'influence  et  d'action. 

La  France  vivait  dans  une  tempête.  De  même  que  sur 
l'océan ,  où  la  vague  pousse  la  vague ,  où  le  flot  suit  le 
flot,  au  milieu  de  cette  tempête,  la  couche  inférieure 
montait  constamment  sur  la  couche  supérieure.  La 
Noblesse  de  robe  et  de  flnance  avait  éclipsé  la  Noblesse 
de  race  et  d'épée.  La  Bourgeoisie  lettrée  remplaça  la 
Noblesse  de  race  et  de  finance ,  pour  laisser,  à  son  tour, 
arriver  sur  le  premier  plan  la  Bourgeoisie  industrielle. 
La  Monarchie  constitutionnelle  avait  eu  son  heure  de 
règne;  la  République  représentative  eut  aussi  son  jour 
de  triomphe. 

Monarchie  constitutionnelle  ou  République  repré- 
sentative ,  c'était  toujours  la  Bourgeoisie  dominant  la 
Nation  par  les  assemblées  délibérantes ,  sa  personnifi- 
cation naturelle.  Le  Peuple  eut  un  vague  instinct  de 
cet  escamotage  politique.  Il  comprit  que,  sous  une 
autre  forme,  Tintérèt  aristocratique  se  perpétuait  par 
le  Gouvernement  parlementaire,  barrant  toujours  le 
chemin  à  l'idée  démocratique.  C'est  alors  qu'il  fit  sou- 
dainement irruption  dans  les  régions  de  la  politique. 
Malheureusement  il  se  précipita  dans  la  mêlée  en  aveu- 
gle et  en  furieux,  brisant  tout,  jusqu'à  ce  que,  dans  ce 
débordement saD8  règle  et  sans  frein,  la  lie  de  la  So- 
ciété surgissant  à  la  surface,  envahit  la  Convention^  qui 
fut  alors  une  espèce  de  Gorgone,  dont  les  trois  tètes 


rNTnODUGTION. 

êlaioiit  la  Démagogie,  la  Terreur  e(  la  Corruption.  Puis 
le  monstre  fut  muselé  [lar  la  maiu  puissante  et  glo- 
rieuse de  Napoléon  Bonaparte,  qui  vint  personnifier 
la  Démucratic  française. 

Il  ^  eut  alors  deux  grands  partis  vaincus,  la  Noblesse 
t:t  la  Bourgeoisie,  deux  partis  subdivisés  en  quatre 
coteries  qui  s'eflacèrent ,  sans  se  résigner  à  disparaître. 
I.a  Démagogie  aussi  fuldomptée.  Mais  ta  Démagogie,  qui 
s'appelait  alors  le  Jacobinisme,  et  qui  s'appelle  main- 
tenant le  Socialisme ,  n'est  pas  un  parti  politique.  Elle 
est  la  négation  de  la  Civilisation  elle-même.  La  Déma- 
gogie resta  donc  au  sein  de  la  Société  comme  un  élément 
destructeur,  sans  devenir  une  force  organisée.  Sous  le 
règne  de  l'Empereur,  cet  élément  fut  caché  dans  le 
manteau  de  gloire  et  de  grandeur  qui  enveloppait  la 
France ,  de  inémc  que  les  quatre  coteries  qui  for- 
maient, dans  leur  ensemble,  le  parti  du  Passé,  furent 
absorbées  dans  la  grande  unité  nationalr.  Lorsque  le 
géant  du  siècle  tomba  sous  les  coups  de  l'Europe, 
quand  le  monument  que  son  génie  avait  élevé  il  l'idée 
démocratique  s'écroula  tout  d'une  pièce,  de  ses  débris 
on  vit  surgir  ces  quatre  coteries,  <{ui  se  disputèrent  la 
domination  de  la  France. 

La  Noblesse  devint  le  Koyalismc;  la  Bourgeoisie 
l'ut  le  LilHTalismc.  Les  royalistes  se  subdivisèrent  en 
royalistes  absolus  et  en  royalistes  constitutionnels.  Les 
lil)f  raiix  se  partagèrent  en  libéraux  raonarciiiques  et  en 
libéraux  républicains.  Le  Peuple  avait  déjà  compris 
vaguement  que  la  cause  de  Bonaparte,  c'était  la  sienne, 


30  INTRODUCTION. 

personnifiée  dans  un  noiïi  d^bomme  ;  il  resta  tout  à  la 
fois  démocrate  et  napoléonien.  Au  même  moment  « 
les  tronçons  da  serpent  de  la  Démagogie  recommen-^ 
cèrent  à  s'agiter  pour  se  rejoindre.  Ainsi ,  à  mesure 
qu'on  descend  le  cours  de  ce  siècle,  on  voit  l'Aris- 
tocratie se  subdiviser  et  se  dissoudre,  quoiqu'elle 
se  généralise,  en  face  de  la  Démocratie,  qui  se  fortifie 
€ll  se  développe,  en  même  temps  qu'elle  se  person- 
nalise. 

Pendant  les  quinze  années  du  Gouvernement  de  la 
Restauration,  la  lutte  des  intérêts  démocratiques  con-«- 
tre  les  intérêts  aristocratiques  se  poursuivit,  sous  une 
forme  nouvelle,  en  se  personnifiant  dans  le  combat  que 
les  libéraux  livrèrent  aux  royalistes  sur  le  terrain  de 
la  Monarchie  constitutionnelle ,  combat  dont  l'action 
administrative  et  l'influence  politique  étaient  le  but 
suprême.  La  Monarchie  de  1830  ne  fut  qu'une  transfor- 
mation de  la  même  lutte.  La  Noblesse  perd  le  terrain 
que  gagne  la  Bourgeoisie.  Ce  n'est  plus  celle-là,  c'est 
celle-ci  qui  se  trouve  alors  placée  sur  le  premier  plan. 
Mais  la  Noblesse  recule  en  résistant  encore  devant  la 
Bourgeoisie  qui  se  sépare  en  deux  camps.  Une  moitié 
se  défend;  l'autre  moitié  attaque,  placée  àl'avant-garde 
d'une  armée  qui  se  recrute  déjà  dans  les  rangs  du  Peuple, 
etdont  Tarrière-garde  s'étend  aux  dernières  limites  (îe 
la  Nation. 

De  ce  moment,  le  Royalisme  devient  le  Légitimisme, 
le  Libéralisme  devient  l'Orléanisme.  En  face  d'eux,  le 
Radicalisme  commence  à  se  montrer  sur  la  scène  poK^ 


IMKOlUCrUIN. 


tique.  coinbiiKnnt  au  nom  de  la  Dtmocralïc  contre 
l'Aristocratie,  qui  comprend  alors  toutes  les  coteries 
de  la  Noblesse  el  de  la  Bourgeoisie,  et  qui  devient  une 
véritalile  Bahcl  oligarchique.  La  lutte  se  poursuit  plus 
ardente,  plus  implacable,  pins  acharnée  jusqu'au  Jour 
oLi  elle  aboutit  à  la  Révolution  de  février,  qui  amène 
ravéïicnient  de  la  République,  sans  assurer  le  Iriom- 
phe  du  Potiple.  Du  sein  du  Radicalisnie  surgit  de 
nouveau  la  Démagogie,  qui  se  manifeste  sous  la  forme 
du  Socialisme  épouvantant  à  la  fois ,  sous  cette  forme 
nouvelle,  Ik  Noblesse  dégénérée,  la  Bourgeoisie  abattue 
et  le  l'euple  victorieux.  L'Aristocratie,  exploitant  avec 
une  habileté  machiavélique  les  lorreuri  sociales,  con>»  J 
bal  la  Démocralie ,  en  la  confondant  à  dessein  avec 
la  Démagogie.  On  y  retrouve  Scipion ,  Caton,  CicérfO 
s'unissanl  pour  défendre  les  intérêts  aristocratiques, 
qui  ne  sont  plus  que  des  intcrt^'ts  matériels,  contre  les 
intérêts  démorratiques. 

Scipion  se  nomme  Changarnier;  Caton  s'appelle 
Dufaure;  Cicéron  se  nomme  Thiers.  La  foi  monarchi-  ' 
que  est  éteinte.  I/oi-gueil  de  race  n'est  plus  qu'un  sou- 
■  venir.  Le  fanatisme  politique  est  mort.  Sou?  la  cendre 
de  ces  ptissions  grandioses  et  chevaleresques,  il  n'y  a 
phffi  que  la  Vanité  qui  intrigue,  que  la  Cupidité  qui  se 
défend,  que  l'Ambition  qui  sollicite.  On  veut  conquérir 
le  Pouvoir;  on  veut  acquérir  la  fortune.  Les  monopoles 
industriels,  les  emplois  administratifs  deviennent  éga- 
lement le  motif  de  la  défense  comme  ils  sont  la  cause 
de  l'attaque,  avec  cette  diffiTcnce  que  l'attaque  se  pré- 


32  INTRODUCTION. 

sente  avec  la  puissance  d'une  idée  à  laquelle  appartient 
TA  venir,  tandis  que  la  défense ,  qui  n'est  plus  qu'un 
reflet  du  Passé,  ne  s'appuie  que  sur  la  force  d'un 
intérêt. 

Le  Sénat  et  le  Tribunat  romains  des  dernières  années 
de  la  République  se  trouvèrent  ainsi  représentés  dans  la 
Constituante  et  dans  la  Législative.  La  Majorité  y  rappe- 
lait le  Sénat,  et  la  Minorité,  le  Tribunat.  La  Majorité, 
c'était  la  résistance,  le  Passé,  l'Aristocratie.  La  Mino- 
rité, c'était  le  mouvement,  l'Avenir,  la  Démocratie. 
Mais  la  situation  do  la  République  française  était  plus 
compliquée  que  la  situation  de  la  République  romaine» 
A  Rome,  le  Sénat  était  homogène  ;  en  France  la  Majo- 
rité était  hétérogène.  Formée  des  débris  successifs  des 
divers  partis  qui  s'étaient  combattus  et  remplacés  avant 
de  se  grouper;  composée  d'hommes  qui  avaient  gardé 
les  préjugés  et  les  passions,  ceux-ci  de  la  Noblesse  de 
race  et  d'épée,  ceux-là  de  la  Noblesse  de  robe  et  de 
finance,  d'autres  de  la  Bourgeoisie  lettrée,  beaucoup 
de  la  Bourgeoisie  industrielle,  cette  Majorité,  qui  se 
plaçait  en  travers  du  chemin  de  la  Démocratie,  n'offrait 
qu'un  sol  mx)uvant,  qu'un  terrain  sablonneux  sur  le- 
quel rien  ne  pouvait  s'élever  de  solide  et  de  durable. 
Elle  possédait  une  force  de  réaction.  Elle  n'avait  au- 
cune puissance  de  création.  Les  quatre  divisions 
principales  qu'elle  renfermait  dans  son  sein  s'étaient 
encore  fractionnées  dans  la  Législative,  sous  l'in— 
fluence  délétère  des  ambitions  personnelles,  en  coteries 
infimes. 


INTBODL'CTION.  13 

Quand  le  sonliinent  d'une  haine  polilique  ou  la  peur 
d'un  péril  social  cimentait  tous  ces  élémcrils,  ils  sem- 
blaient ne  former  qu'un  bloc,  lantilt  contre  l'Autorité, 
taillât  contre  l'Anarchie.  Mais  la  haine  assouvie  ou  le 
péril  passé,  le  bloc  se  brisait  en  vingt  fragments.  La 
Minorité  n'était  pas  plus  homogène  que  la  'Majorité. 
On  ne  retrouvait  en  elle  ni  l'ilme,  ni  la  pensée  de  la 
Démocratie.  Elle  en  portait  le  masque  plutôt  que  le 
visage.  Dans  le  Peuple,  elle  ne  voyait  guère  qu'un 
ma  relie- pied  pour  arriver  au  Pouvoir  par  le  chemin  de 
l'Opposition .  A  son  centre,  elle  subissait  la  pernicieuse 
induence  de  cet  esprit  parlementaire,  qui  n'a  toujours 
été  qu'un  marteau  pour  détruire  et  qui  ne  sera  jamais 
une  truelle  pour  édilier.  A  ses  ailes,  elle  s'ctendail  jus- 
qu'à la  Montagne,  qui  rcpi-ésentait  le  Socialisme  dan* 
toutes  ses  variétés,  la  Démagogie  <i  tous  ses  degrés. 
Ainsi,  la  Majorité  était  impuissante  à  défendre  la  So- 
ciété; car,  victorieuse  du  Président,  elle  se  serait  dis- 
soute, et  les  éléments  divers  dont  elle  était  composée 
auraient,  en  se  séparant,  ouvert  passage  à  l'ennemi.  I>a 
Minorité  était  également  inhabile  à  organiser  la  Démo~ 
cratie  ;  car,  triomphante  de  l'Aristocratie ,  elle  se  serait 
divisée ,  et ,  de  ses  rangs  désunis ,  au  lieu  d'un  Gouver- 
nement, on  aurait  vu  sortir  l'Anarchie  :  Majorité.  Mino- 
rité n'étaient  plus  que  de  la  poussière. 

Sur  cette  poussière,  on  ne  pouvait  donc  rien  con- 
struire; l'édifice  social  ne  pouvait  pas  s'y  raffermir; 
l'unité  nationale  ne  pouvait  pas  s'y  constituer.  Il  fallait 
qu'un  soufde  puissant  la  fît  disparaître,  car  elle  était  le 


34  INfRODUCnOM. 

sable  qui  cachait  le  sol,  le  nuage  qui  voilait  TAvABir. 
La  parole  de  Loui^-Napoléon  devait  être  ce  souffle. 
Mais  avant  que  cette  parole  retentit,  oemmela  tmun^ 
pette  du  peuple  de  Dieu  au  son  de  Uquelle  on  vitmî^ 
raculeusement  tonaber  les  ruines  de  Jéricho,  la  France 
devait  arriver  jus(|u'au  bord  de  l'abîme ,  tiraillée  entre 
deux  conspirations  également  dangereuses,  également 
formidables,  la  conspiration  parlementaire  et  la  coAt» 
spiralion  communiste ,  qui  ont  marché  parallèlement , 
pendant  trois  années. 
L'aveuglement  des  légitimistes  et  des  orléanistes,  sa^- 
.'l^tant  dans  leur  impuissance  et  leur  stérilité ,  poussait  à 
cetaùme  avec  autant  d'impétuosité  que  la  fureur  dis 
.  ^léaiûgogues  de  toutes  les  nuances  et  la  folie  des  socia«- 
.  listes  de  toutes  les  écoles.  Cet  aveuglement  fortifiait  les 
partis  révolutionnaires  de  tous  les  légitimes  mcconteo^ 
tements  du  Peuple,  constamment  sacrifié  auxégotdes 
intérêts  de  TÂristocratie,  qui  dominait  dans  la  Légis- 
lative. Il  affaiblissait,  au  contraire,  le  Président,  sana 
cesse  harcelé  par  une  Opposition  systématique  et  pas- 
»onnée,  qui  minait  son  autorité,  enchaînait  sa  volonté, 
si  bien  qu'il  ne  pouvait  rien ,  ni  pour  sauver  la  Société, 
ni  pour  organiser  la  Démocratie. 

Les  partis  révolutionnaires,  par  un  étrange  miracle, 
se  rencontraient  dans  cette  Opposition,  non  moins 
fatale  au  repos  du  Pays  qu'à  l'action  du  Gouvernement, 
avec  les  partis  monarchiques.  Les  uns  et  les  autres 
y  étaient  comme  jetés  par  une  puissance  mystérieuse, 
par  une  divination  magique.  On  eût  dit  qu'ils  compre- 


liaient  instinctivement  que  Luuis-^'apolcon  possédait  • 
la  force  (|ui  devait  les  vaincre,  cette  force  avec  laqiielliB  \ 
il  devait  du  même  coup  écraser  les  pi-eniicrâ  cl  dissou- 
dre les  seconds,  afin  de  réaliser,  dans  toute  sa  pléni- 
tude, par  le  règne  de  la  Démocratie,  Inérarchiqucmenl 
organisée,  sous  la  protection  du  principe  d'autorité,  la 
grande  pensée  de  l'uaité  nationale. 

Quelr[ues  jours  après  la  tempête  de  Février,  les  par- 
tis monarchiques,  en  revenant  de  lenr  première  épou- 
vante et  de  leur  première  stupeur,  n'avaient  songé  qu'à 
sauver  du  dernier  naufrage  de  la  Royauté  les  intérêts 
ai-istocratiques.  C'est  avec  cette  pensée  que  le  4  mai 
lttf8,  ils  avaient  acclauié  la  République  à  la  Consti- 
tuante. A  In  veille  de  l'Election  présidentielle,  lorsqu'ils 
virent  qu'ils  allaient  être  débordés  par  le  Puuple,  que 
la  magie  des  souvenirs  et  lu  puissance  des  idées  entraî- 
naient au  scrutin  comme  un  seul  homme,  pour  y  in- 
scrire sur  les  bulletins  de  \otc  le  nom  du  neveu  de 
l'Empereur,  ils  se  placèrent,  par  une  lacliquc  non 
moins  habite  <|u1nléressée,  à  la  tétc  de  ce  mouvement 
national,  dans  le  but  de  recueillir  les  fruits  île  la  vic- 
toire. Mais  ils  subissaient  à  regret  la  candidature  de 
Louis-ISapoléoa  comme  une  nécessité.  Celte  candida- 
ture était  pour  eux  un  écueil  qu'ils  essayaient  de  tour- 
ner, ne  se  sentant  pas  assez  Torts  pour  le  franchir  sans 
s'y  briser.  A  leurs  yeux,  l'Ëlu  de  la  France  lut  donc, 
dés  l'origine,  un  ennemi  qu'ils  devaient  tromper  par  ta 
ruse,  ne  |)ouvant  le  vaincre  par  la  force.  C'est  ainsi 
que,  dans  le  sein  de  la  Constituante,  ils  n'ap])ortèrent 


36  INTRODUCTION. 

à  son  gouvernement  leur  hypocrite  concours  qu'avec 
l'espoir  et  la  volonté  de  le  dominer. 

Au  moment  même  où  la  Législative  se  réunissait 
à  Paris,  le  29  mai  1849,  elle  apportait  dans  les  rangs 
de  la  Majorité,  comme  dans  les  rangs  de  la  Minorité, 
le  levain  d'une  ardente  et  sourde  hostilité,  qui  devait 
grandir  enfin  jusqu'à  la  hauteur  d'une  conspiration 
parlementaire.  La  Majorité  se  groupa  tout  d'abord 
autour  de  Louis-Napoléon  contre  la  Minorité,  dans 
l'espoir  d'exploiter  sa  Présidence  au  profit  des  intérêts 
aristocratiques.  Mais  lorsque  les  partis  monarchiques 
comprirent  qu'arrivé  au  Pouvoir,  porté  sur  les  flots 
de  la  popularité  du  plus  grand  nom  des  temps  mo» 
dernes,  comme  la  personnification  vivante  des  intérêts 
démocratiques,  le  neveu  de  l'Empereur  resterait  fidèle 
à  la  cause  du  Peuple,  ils  résolurent  de  lui  arracher  par 
la  ruse  ou  la  violence  une  autorité  qui  les  menaçait 
dans  leur  domination. 

Ce  fut  le  message  du  31  octobre  qui  éclaira  les  partis 
monarchiques  sur  le  véritable  caractère  de  la  mission 
providentielle  que  Louis-Napoléon  se  sentait  appelé  à 
remplir  dans  cette  époque  de  transition  entre  le  Passé 
et  l'Avenir  de  la  France.  Dans  ce  message,  le  neveu  de 
l'Empereur  leur  donnait  un  solennel  et  premier  aver- 
tissement qui  fut  entendu,  mais  qui  fut  dédaigné. 
Unis  encore  avec  le  Gouvernement  pour  l'action,  ils 
s'en  séparaient  déjà  en  pensée.  La  loi  du  31  mai  fut  le 
fruit  de  cet  accord  apparent,  de  cette  alliance  extérieure^ 
qui  ne  trompa  pas  longtemps  le  Pays.  Cette  loi  était  à 


iNTRODucnom.  n 

peine  promulguée  que  Louis-Napoléon  marcha  vers 
son  but,  dans  l'isolement  et  le  silence,  ayant  sur  la  pol* 
trinc  deux  pointes  d'épée,  l'une  tenue  par  des  mains 
monarchiques,  Tautre  tenue  par  des  mains  révolution* 
naires. 

Placé  entre  une  conspiration  parlementaire  et  une 
conspiration  communiste,  TÉlu  de  la  France  comprit  à 
son  four  que  les  monarchistes  d'aujourd'hui  n'étaient 
ni  moins  aveugles,  ni  moins  incorrigibles  que  les  roya- 
listes d'autrefois,  qu'eux  aussi  n'avaient  rien  appris  des 
leçons  de  l'histoire ,  ni  rien  ouMié  dans  l'épreuve  des 
révolutions.  Il  sentit  qu'il  avait  en  eux  des  ennemis 
non  moins  ardents ,  non  moins  irréconciliables  que  les 
révolutionnaires,  car  il  aimait  le  Peuple,  dédaigné 
des  uns  et  trompé  par  les  autres ,  et  il  était  profon- 
dément dévoué  au  benheur  de  cette  France  qu'ils 
sacrifiaient  tous  à  leurs  i>as8ions9  à  leurd  intérêts ,  à 
leurs  préjugés. 

Louis-Napoléon  le  comprit;  mais,  avec  cette  pa- 
tience du  lion  qui  sent  sa  force,  il  résolut  de  renfermer 
ses  pensées  dans  sa  grande  âme  et  de  contenir  les 
boyillonnements  de  son  noble  cœur  jusqu^à  l'heure 
marquée  pour  l'accomplissement  de  son  œuvre  de 
patriotisme.  Volontah'ement  résigné  aux  jugements 
aveugles  de  Topinion,  il  poussa  Thérolsme  de  l'abné- 
gation jusqu'à  livrer  momentanément  sa  renommée 
peur  le  succès  de  cette  œuvre  d*où  dépendaient  le 
satut  de  la  S^ciété,  le  triomphe  de  la  Démocratie  et  la 
grandeur  de  la  France.  Parfois  seulement  on  entendait 


38  INTRODUCTION. 

tomber  de  ses  lèvres  un  mot ,  éclair  d'intelligence ,  on 
toyait  passer  dans  ses  yeux  un  regard,  étincelle  de 
colère  9  signes  précurseurs  qui  révélaient  Tâme  de  feu 
cachée  sous  cette  enveloppe  de  glace.  Il  signait  le  dé- 
cret de  révocation  du  général  Changarnier,  qui  retomba 
aussitôt  dans  le  néant  de  son  impuissauce.  Il  parlait 
aux  habitants  de  TÂisne  de  ses  amis  des  chaumières  et 
des  ateliers.  Aux  paysans  de  Dijon,  il  dénonçait  les  en- 
nemis du  Peuple,  cachés  dans  les  rangs  de  la  Législative. 
Aux  soldats  de  Paris ,  il  annonçait  qu'il  comptait  sur 
leur  dévouement,  quand  viendrait  le  jour  de  l'action. 
Devant  les  exposants  de  Londres ,  il  confondait  les 
hallucinations  monarchiques  et  les  utopies  socialistes 
dans  une  commune  condamnation.  Mais  on  ne  voulait 
voir  dans  ces  avertissements  du  neveu  de  l'Empereur 
que  des  révoltes  d'enfant.  Louis -Napoléon  laissait 
croire  et  laissait  dire.  Il  savait  bien  qu'il  aurait  son 
jour,  et  que  ce  jour-là  les  plus  habiles  reconnaîtraient 
leur  maître. 

Les  légitimistes  et  les  orléanistes,  aussi  bien  que 
les  démagogues  et  les  socialistes ,  furent  trompés 
à  ces  apparences  d'apathie  et  de  mutisme ,  derrière 
lesquelles  ils  ne  savaient  pas  découvrir  la  force  de 
caractère  de  l'homme  qui  se  domine  soi-même ,  de 
l'homme  qui  possède  sur  son  âme  assez  d'empire  pour 
dompter  son  oi^ueil,  jusqu'à  dissimuler  son  génie.  La 
conspiration  parlementaire  poursuivit  son  développe- 
ment souterrain  sur  les  bancs  de  la  Majorité  et  sur  lea 
bancs  de  la  Minorité.  Nouée  au  sein  de  la  Commis-- 


ivmoiiLCTUJS.  as 

sioii  de  prorogation  i\e  t8j0,  fortiriéi>  en  1851  par 
l'alliance  des  partis  moiiarcliiqups  et  des  partis  ré^oi 
tulionnaires,  elle  marchait  la  tète  haute,  dans  une 
pleine  sècurili',  rejetant  la  Dotatinn .  refusant  la  Ré- 
vision, lorsque  l'atirlace  des  intrigants  et  des  a'nbilieuK, 
(|ui  s'étaient  ligués  contre  l'Elu  de  la  France  pour  ren- 
verser violemment  sou  autorité  par  un  coup  d'État  de 
la  Législative,  excitée  par  le  Projet  de  rappel  de  la 
loi  du  31  mai,  s'accrut  tout  a  coup  sans  mesure  et  sans 
prudence.  Dans  ravcuf^lemeut  de  leur  haine  et  de  leur 
colère,  les  partis  monarchiques  et  les  partis  révolution- 
naires, s'ahusanl  sur  leur  influence  dans  le  Pays,  mé- 
connaissant la  popularité  du  Président,  portèrent  à  la 
trihunc,  par  l'oi^ane  des  Questeurs,  la  proposition  de 
la  réquisition  directe,  qui  n'était  rien  moin»  qu'une  dé- 
claration publique  de  guerre  immédiate.  Le  PréwdenI 
et  la  Législative  furent  dès  ce  jour-là,  comme  deux  ar- 
mées en  présence,  qui  ne  peuvent  tarder  d'en  venir 
aux  mains. 

L'hostilité  était  flagrante,  lu  lutte  inévitable.  Le 
Pays,  agité,  troublé,  demandait  une  solution  prompte 
et  décisive  à  ce  conflit,  qui  s'élcvant,  dans  les  hautes  ré- 
gions de  la  politique,  entre  les  deux  grands  pouvoirs 
de  l'État,  menaçait  d'éclater  sur  lui  en  une  effroyable 
tempête.  La  Législative  voulait  déposer  le  Président.  Si 
la  proposition  des  Questeurs  eût  été  adoptée  dans  la 
séance  de  jour  du  17  novembre  où  elle  fut  disculée, 
une  séance  de  nuit  aurait  succédé  qui  aurait  vu  aboutir 
la  conspiration  parlementaire.  On  savait  du  moins  que 


40  INTRODUCTION. 

ce  plan  avait  été  dans  la  pensée  des  meneurs  de  la 
CDalilion  des  partis  hostiles  à  l'Élu  de  la  France.  Loui»- 
Napoléon  ne  pouvait  échapper  au  sort  de  Louis  XVI 
qu'en  devançant  la  Législative  par  une  énergique  ini- 
tiative. Il  fallait  qu'elle  fût  dissoute  ou  qu'il  fût  ren- 
versé. Il  portait  en  lui  les  destinées  de  la  France.  U  ne 
pouvait  hésiter  ;  il  n'hésita  pas. 

Non,  Louis-Mapoléon  ne  pouvait  pas  hésiter,  car  la 
coaspiratiou  parlementaire,  fomentée  contre  la  Répu- 
blique, servait  de  manteau  à  une  conspiration  coramu— 
uiste  ourdie  contre  la  Société.  Pendant  que  les  légi- 
timistes et  les  orléanistes  agitaient  la  Législative  par 
leurs  passions  et  leurs  inirigues.  les  démagogues  et  les 
socialistes  enla<;aient  le  Pays  dans  un  vaste  et  ténébreui: 
réseau  d'associations  secrètes,  qui  rayonnaient  de  Pari& 
dans  le  nord,  l'ouest  et  le  ceatre,  et  de  Lyon  dans . 
tous  Us  dépai^tements  du  midi».  Uoe  terrible  Jacquerie 
S:  organisait  :  d^uis  les  campagnesrpour  l'incendie  et  la 
dévastation  ;  dans  les  villes,  pour  le  massacre  et  le  pjl- 
Uge.  C'était  comme  une  invasion*  de;  barbares  qui  se 
pi^éparait  dans  les  antres  de  l'anarchie,  prête  à.  couvrir 
KFrance  civilisée  de  cendres  et  de  ruines.  Cette  can^ 
spiration  avait  son  gouvernement^  son  étal-major,  son 
arooée,  ses  capitaines,  ses  soldats,  ses  plans,  ses  arse* 
aaux*  ses  munitions,  ses  places  fortes.  Elle  devait  éclar 
ter  au  nord,  au  midi,  à  l'ouest^  à  Test  et  au  centre^  k 
la.mêm^  h^ure,  de  sorte  que  le  Socialisme  aurait»  livré 
bataille  à  la  Société  sur  toute  l'étendue  du  territoire  de 
la  République.  Si.courageuse  et  si  habile  que  pouvait 


INTRODUCTION.  4i 

être  la  défense^  une  aussi  formidable  attaque  aurait  été 
comme  un  de  ces  ouragans  qui  passent^  mais  qui  lais- 
sent après  eux  d'irréparables  désastres  et  d'éterneilès 
ruines. 

Il  n'existait  qu'un  moyen  d'affaiblîr^Henneini,  c'était 
de  le  déconcerter  en  le  surprenant,  c'était  de  le  préve- 
nir en  marchant  sur  lui,  avant  qu'il  ne  fût  prêt,  de  le 
disperser  avant  qu'il  ne  fût  rallié,  de  l'écraser  avant 
qu'il  n'eût  le  temps  de  se  reconnaître  ;  c'était  eniin  <de 
déjouer  son  plan,  en  le  provoquant  sur  un  autre  champ 
de  bataille  que  celui  qu'il  avait  choisi,  à  un  autre  jour 
que  celui  qu'il  avait  arrêté.  La  Constitution  seule  s'y 
opposait,  de  même  qu'elle  s'opposait  à  la  dissolution  de 
la  Législative.  Il  n'y  avait  pas  à  balancer  :  on  ne  pouvait 
défendre  la  République  contre  les  légitimistes  et  les 
orléanistes,  la  Société  contre  les  démagogues  et  les  so- 
cialistes, qu'en  déchirant  la  Constitution.  Il  fallait  donc 
la  déchirer.  C'est  ce  que  fit  Louis-Napoléon,  se  dé- 
vouant au  salut  de  la  France,  menacée  d'une  doubla 
guerre  civile,  avec  cette  calme  énergie  et  ce  froid  cou- 
rage qui  n'appartiennent  qu'aux  fortes  natures,  aux 
natures  d'élite.  Depuis  longtemps  sa  résolution  était 
prise.  Elle  avait  été  mûrement  réfléchie,  longuement 
préparée.  Après  le  renvoi,  par  le  conseil  d'État  à  l'As- 
semblée, du  projet  de  loi  sur  la  responsabilité  du  Pré- 
sident delà  République,  l'exécution  de  ce  dessein  pa- 
triotique avait  été  décidée. 

Le  jour  était  fixé  dans  la  pensée  du  Prince.  Les 
hommes  qui  devaient  le  seconder  dans  cette  œuvre  de 


42  INTRODUCTION. 

dévouement  au  Pays  étaient  choisis  et  prévenus.  Ils 
étaient  prêts.  Le  Peuple  espérait,  rArmée  attendait. 
Le  2  Décembre,  quand  le  soleil,  qui  avait  éclairé  le 
champ  de  bataille  d'Austerlilz ,  se  leva  sur  Paris, 
Louis-Napoléofi  avait  agi.  Il  avait  marché  contrôles 
partis  monarchiques,  qui  conspiraient  la  chute  de  la 
République,  et  contre  les  partis  révolutionnaires,  qui 
méditaient  la  ruine  de  la  Société.  L'Armée  l'avait 
suivi  ;  le  Peuple  l'avait  applaudi  ;  la  France  était  sauvée. 


HISTOIRE 


D*UH 


COUP   D'ÉTAT 


I 


L'acte  du  2  décembre ,  que  nous  allons  raconter 
dans  ses  détails  les  plus  intimes  y  a  eu  des  causes  de 
haute  politique  et  des  raisons  d'être  que  notre  collabo» 
rateur  a  exposées  dans  son  introduction.  Avant  d*eQ«- 
trer  dans  notre  récit^  nous  ne  pouvons  nous  dispenser 
de  faire  en  quelque  sorte  le  chapitre  préliminaire  des 
faits.  Pour  cela  nous  devons  remonter  assez  loin  en 
arrière. 

Après  la  surprise  de  1848,  les  parlementaires  furent 
débordés.  Us  virent  avec  stupeur ,  avec  effroi  ^  ca  que 


U  HISTOIRE 

leurs  doctrines  avaient  produit  dans  la  société.  Apparu- 
rent les  démocrates  ronges.  i\  faut  bien  en  convenir,  les 
hommes  des  anciens  partis  ne  brillèrent  alors  ni  par  le 
courage  ni  par  la  dignité.  En  face  des  éventualités  d'une 
nouvelle  terreur,  ils  se  firent  bien  petits  et  bien  rana- 
panls«lls  acclamèrent  lout  ce  qu'on  voulut.  Plus^ard, 
ils  dirent  que  c'était  pour  «e  créer  un  terrain  neiftre, 
que  la  République  était  le  parti  qui  les  divisait  le  moins. 
Cela  n'est  pas  vrai.  Ils  passèrent  avec  armes  et  bagages 
sur  ce  terrain-là,  parce  qu'ils  ne  se  croyaient  pas  en 
sûreté  sur  le  leur.  Ceci  est  de  l'histoire.  Alors  ils  ne  ^ 
songeaient  plus  à  leurs  querelles  ;  ils  ne  songeaient  qu'à 
leur  salut.  Quelques  chefs  de  parti,  comme  M.  Berryei , 
firent  exception.  Ils  crurent  revenir  à  leur  royauté  de 
droit  divin  par  le  désordre,  et  le  Moniteur  constate 
qu'ils  se  mirent  de  son  côté.  Ainsi,  les  uns,  par  peur,  les 
autres,  par  calcuJ,  laissèrent  aller  à  la  dérive  le  vaisseau 
de  l'État  vers  les  écueils  de  la  démagogie,  de  l'anar- 
chie. En  juin  1848,  la  peur  les  mit  tous  à  la  suite  du 
général  Cavaignac  ^qui  les  avait  sauvés;  cependant 
ils  ne  l'aimaient  guère;  n'importe  ils  obéissaient,  et 
quand  le  général  frappait  sur  ses  bottes  avec  sa  cra- 
vache en  pleine  Assemblée,  personne  ne  s'avisait  de 
•trouver  cela  inconvenant. 

Un  d'eux,  qui  depuis  a  été  l'un  des  plus  ardents  adver- 
saires du  Président,  un  homme  de  génie  pouT*tant,  qui 
s'est  teint  en  rouge  après  avoir  sollicité  les  votes  des 
blancsi,  disait  dans  un  salon,  en  parlant  du  général 
Cavaignac  et  de  son  parti,  quand  on  prévoyait  l'élection 


in  N  COU'  rt'ETAT.  (5 

du  prince  ï-ouis-Napoléon  :  «  Ils  ne  dc^cemlront  pas 
du  pouvoir;  ils  feront  un  coup  d'Élat,  de  la  terreur,  et 
ils  nous  guiliotiueront.  »  C'est  ainsi  que  la  peur  trans- 
ibrmait  à  leurs  yeux  un  honnête  homme,  un  brave  gé- 
néral en  un  buveur  de  sang. 

Ali  !  si  un  prince  quelconque  fut  venu  à  celte  heure 
prendre  le  pouvoir,  ils  eussent  béni  ce  prince.  Ils  le 
disaient. 

Lorsque  six  millions  de  suffrages  nommèrent  Louis- 
Napoléon  Bonaparte,  président  de  la  République,  et 
qu'ils  virent  tout  à  coup  la  pairie  rassurée  sous  le  prcs- 
lige  de  ce  grand  nom,  ils  commencèrent  à  respirer.  Il 
faut  en  convenir,  c'est  le  prestige  du  nom  qui,  pendant 
(rois  ans,  a  maînlenu  la  France  en  paix  et  en  prospérité; 
fCar  le  neveu  de  l'Empereur  n'a  pas  gouverné.  Ce  sera  la 
honte  clernolle  des  partis,  et  sa  gloire  à  lui,  ta  plue 
grande  peul-étre  aux  jeux  de  la  postérité.  Jamais  il 
ne  fut  donné  de  voir  plus  entière  el  plus  noble  abnéga- 
tion. Le  Président  de  la  République  accepta  franche- 
ment et  loyalement  son  maudrit.  I.a  France  ignore  trop 
les  instances  réitérées,  inouïes,  qui  furent  faites  près  Je 
lui  par  la  plupart  des  délégués  que  tes  déparlemenis 
envoyaient  avant  l'éleclion  du  10  décembre.  «  FailCB  * 
vous  empereur,  lui  disait-on  ;  c*est  le  vœu  du  pays. 
C'était  uneprif^re,  parfois  c'était  presque  une  condition 
de  vole.  Ëb  bien  !  cette  réponse,  nous  avons  eu  l'hon- 
neur de  l'entendre  de  sa  bouche  :  a  Je  ne  prendrai 
^uo  ce  que  la  France  me  donnera,  p 

Le  prince  Président  exigea  des  plus  cbers  dévoue- 


! 


46  HISTOIRE 

ments ,  et  de  Tentourage  le  plus  attaché  ^  Tabnégation 
qu'il  montrait  lui-mérae.  Dans  le  but  d'opérer  le  rap- 
prochennent  des  par  is  pour  le  bien  de  la  France,  il 
donna  le  pouvoir  aux  hommes  de  la  légitimité  et  de 
Torléanisme,  —  M.  de  Falloux  devint  ministre.  I^ 
prince  arrivait  ainsi  d'emblée  à  l'abnégation  la  plus 
absolue.  Il  ne  cessa  de  faire  aux  anciens  partis  les  plu8 
larges  concessions.  Quand  on  lui  disait  :  a  C'est  pour 
le  bien  de  la  France.  »  «Alors  faites,  »  disait-il.  Cette 
noble  loyauté,  ils  la  prirent  pour  de  la  faiblesse  en  lui 
ou  pour  de  la  puissance  en  eux.  Il  leur  prêta  loyalement 
son  concours  pour  museler  les  passions  démagogiques. 
Le  nom  prestigieux  de  Napoléon  leur  donnait  une 
immense  autorité.  Ils  crurent  que  cette  autorité  venait 
d'eux-mêmes.  Leur  orgueil  et  leur  audace  montèrent 
jusqu'à  la  hauteur  de  leurs  illusions.  Ils  se  dirent  :  la 
France  est  avec  nous. 

On  vit  surgir  tout  ce  que  la  peur  avait  comprimé  : 
les  ambitions  ardentes,  les  égoïsmes  effrénés.  L'Assem- 
blée devint  un  foyer  de  complots  de  toutes  sortes. 

Les  uns  veulent  une  république  rouge;  d'autres 
appellent  Henri  V;  d'autres  enfin  demandent  la  branche 
cadette;  puis  des  ambitions  secondaires  s'agitent  au- 
dessous,  dans  leur  propre  intérêt.  Et  tout  cela  s'avoue 
hautement,  la  tribune  retentit  tous  les  jours  de  ces 
scandales.  Les  journaux  des  partis  font  au  pouvoir 
exécutif  une  guerre  acharnée,  incessante.  Pour  Tatta- 
quer,  pour  le  déconsidérer,  ils  ne  reculent  devant 
rien.  Sans  cesse  on  invoque  contre  lui,  qui  ne  l'enfreint 


DTN  COUP  D'ÉTAT.  47 

pas,  cotte  Constitution  qu'on  a  vingt  fois  pour  soi- 
même  déclarée  absurde,  qu'on  a  décliirée,  miililéo,  et 
(ju'on  mettra  sous  les  pieds  à  l'heure  venue  pour  faire 
un  coup  d'Etat  monarchique.  Les  chefs  de  parti ,  les 
sommités  de  la  Chambre  voni  recevoir  et  donner  des 
instructions  à  Forsdorf  et  à  Claremont. 

On  conspire  en  plein  jour,  andacieusemeni,  contre  le 
Président;  on  l'enveloppe  dans  un  réseau  de  complots. 
Au  milieu  de  tout  cela,  il  garde  son  calme,  t^on  abné- 
gation, l-'abnégation  a  été,  trois  années  durant,  le  nom 
de  sa  politique  d'espérance;  car  il  cs|)érai(  toujours  que 
les  partis  uésarmerniciil  dans  i'intorât  de  la  France,  et 
qu'ils  feraieut,  sur  l'aiilol  de  la  patrie,  l'holocausie  de 
leurs  ambitions  et  de  leurs  égoîsmes.  Et  il  l'espérait 
avec  une  loyauté  si  grande,  que  le  jour  oii  il  a  vu  jus- 
qu'à l'évidence  la  trahison,  il  s'est  pour  ainsi  dire 
trouvé  isolé  au  milieu  de  ses  ennemis.  Voilà  ce  que  la 
France  ne  savait  pas  et  ce  qu'il  faut  qu'elle  saclie. 
Chaque  Français  qui  a  voté  oui,  pourra  se  dire  :  u  Si 
mon  vote  fut  d'cnlraînemenl,  il  l'ut  donc  de  bien  stricte 
justice  aussi,  n 

Il  faut  se  reporter  à  la  première  prorogation  de  l'As- 
semblée, fin  de  l'année  1830.  On  sait  qu'à  cette  époque 
il  fut  bruit  de  complots,  et  qu'une  infernale  accusation 
fut  imaginée  par  un  fonctionnaire,  tu  commissaire  de 
l'Assemblée,  Yon. 

Cerla^,  ce  ne  fut  pas  son  œuvre  à  lut  seul,  nous  le 
savons.  Mais,  à  côté  des  conspirateurs,  il  y  avait,  pour 
le  salut  de  la  France,  un  homme  d'hoiiiieur  et  de  pro- 


i 


«48  HISTOIRE 

hilé  :  c'élaîtll.  le  tomle  Mole,  qui  venait  dire  au -Pré- 
sident :  «  Prinee,  la  Commission  de  pernianence  veut 
vous  faire  arrêter;  des  propositions  mont  été  faites , 
jque.jai  ropoussées  avec  indignation,  et  j*ai  dit  que  je 
vous  préviendrais.  »  On  devait  mettre  le  prince  à  Vin- 
cennes.  Le  général  Changarnier  allait  être  proclamé 
dictateur  par  la  Commission  de  permanence ,  en  at- 
tendant la  convocation  de  l'Assemblée,  et  ensuite  on 
espérait  s'entendre  pour  faire  une  Restauration.  Ce 
coup  d'État  était  le  rêve  de  la  fusion.  L'épée  de  con- 
nétable devait  alors  rester  aux  mains  du  général  Qiaii- 
garnier. 

Le  prince  comprit  qu'il  n'y  avait  plus  d'espérance^le 
conciliation,  ou  que  du  moins  il  fallait  se  préparer  aii\ 
éventualités.  La  position  était  grave.  M.  Changarnier, 
général  en  chef  de  l'armée  de  Paris,  avait  usurpé  une 
autorité  immense ,  qui  s'étendait  jusque  sur  le  mi- 
nistère de  Ja  guerre,  et  qui  était  presque  omnipotente  ix 
l'Assemblée.  Il  avait  autour  de  lui  toutes  ses  créatures, 
qui  n'attendaient  qu'un  signe  de  sa  part. 

On  conçoit  combien  il  fallut  de  prudence  au  Prési- 
dent pour  sortir  de  celte  impasse.  On  sait  avec  quelle 
énergie  il  brisa  le  général  Changarnier.  Quant  à  l'opi- 
nion publique,  qui  ignorait,  il  était  bon  qu'elle  cessât 
de  craindre  la  destitution  de  ce  général,  comme  étant 
de  nature  à  faire  baisser  la  rente  et  à  produire  de  Tagi- 
tation.  11  faut  rendre  justice  à  qui  de  droit ,  ce  fut 
M.  Âmédée  de  Cesena  qui,  par  la  discussion  qu'il 
4)uvrit  dans  la  Patrie,  fit  considérer  M.  Changarnier 


D'LN  COLP  f)'KTAT.  *9 

commi?  lin  embarras  de  la  situation  et  aiiicna  l'opinion 
h  désirer  qu'on  le  destituât. 

Cette  destitution  cxcilii  une  véritable  tempête  à 
l'Assemblée.  Le  général  n'eut  pas  la  dignité  nécessaire 
pour  dissimuler  son  désappointement.  J^c  complot, 
dès  lors,  était  une  mine  éventée  qu'il  fallait  rouvrir 
ailleurs,  Mais  1q  Président  était  sur  ses  gardes.  Il  prit 
ses  mesunis  avec  une  sagacité,  uni:  persévérance,  une 
|u-udcnce  surtout,  qui  ne  sauraient  appartenir  qn'au 
génie  doni  il  a  donné  depuis  de  si  éclatantes  preuves. 

Ihie  grande  partie  de  Tétat-ninjor  de  l'armée,  riche 
de  gloire  pass^v  l'était  aussi  d'illusions.  Qui  ne  rèvaît 
pas  le  râle  d'un  Monck,  rêvait  peut-être  celui  de  chef 
ItMiiporaire  de  la  France.  I^s  uns  suivaient  le  futur 
couuétable;  les  autres  s'alt;icliaicnt  h  la  fortunt-  d'un 
ancien  coin|>agnou  d'armes.  Tous  se  fussent  réunis* 
contre  l'Ëlu  de  la  nation. 

Depuis  quelque  temps  déjà,  ces  hommes  de  guerre, 
à  réputatiou  si  populaire  jadis,  subissaient  la  déprécia- 
lio[i  de  ce  qu'on  voit  de  trop  près  et  surtout  de  ce  qui 
n'est  pas  à  sa  place.  Le  prestige,  auréole  qui  ceignait 
leurs  fronts  vainqueurs,  purdait  de  son  éclat  dans  les 
luîtes  de  ta  tribune,  et  les  lauriers  cueillis  sur  le  sol 
africain  pâlissaient,  dans  la  serre  chaude  du  palais 
Bourbon,  sous  les  méphitiques  indueiiccs  du  parle- 
mentarisme. 

.Mais  la  gloire,  c'est  un  soleil  que  Dieu  mil  au  ciel 
(11?  la  France,  il  y  brille  loujonrs,  et  quand  des  fronts 
tliei-cheiit  l'ombre,   d'aulres  ri'çoi\etil  l'éclat  de  ses 


50  HISTOIRE 

rayons*  Depuis  quelque  temps,  de  nouveaux  noms 
franchissaient  les  mers  et  devenaient  populaires  parmi 
nous.  De  nouveaux  guerriers  soutenaient  en  Afrique 
llionneur  de  nos  armes.  Ceux-là  n'avaient  point  subi 
ce  contact  qui  gâte  l'esprit  militaire.  Hommes  des 
camps,  ils  gardaient  immaculée  cette  conscience  du 
devoir  qui  ne  transige  pas  et  qui  porte  le  cœur  aussi 
haut  que  l'épée.  Louis-Napoléon  songeait  à  eux  dans 
SOS  inquiétudes  du  présent  et  dans  ses  espoirs  d'a- 
venir. Avec  cette  insouciance  apparente  qui  caractéri- 
sait son  oncle  quand  sa  pensée  lançait  un  éclair,  il  dit 
un  jour,  en  riant ,  à  cet  entourage  d'amis  fidèles  qui 
couvraient  sa  poitrine  des  leurs  :  «  Messieurs,  si  nous 
faisions  des  généraux?» 

Ce  fut  le  commandant  Fleury,  maintenant  colonel, 
homme  de  cœur  et  d'intelligence,  nature  attractive  et 
sympathique,  qui  se  chargea  de  faire  la  conquête  ou  la 
création  d'un  état-major.  Vite,  il  étudia  les  cœurs  et 
connut  les  dévouements. 

Tout  ce  qui  était  sous  le  drapeau  aimait  Tordre  et  le 
devoir,  aimait  par-dessus  tout  la  patrie  et  sa  gi  andeur« 
Officiers  et  soldats,  qui  marchaient  tous  les  jours  dans 
la  ligne  inflexible  du  devoir,  gémissaient  et  frémissaient 
aux  récits  de  nos  scandales  de  tribune.  Ces  hommes , 
habitués  à  jouer  leur  vie  pour  l'honneur  de  la  France  « 
maudissaient  ceux  qui,  pour  leurs  passions  égoïstes  et 
leurs  intérêts  mesquins,  compromettaient  sans  cesse 
son  honneur,  son  repos,  sa  prospérité.  Quelques-uns 
se  souvenaient  de  ces  jours  néfastes  où  l'esprit  parle- 


DTS  COIP  D'ÉTAT.  ;(! 

meiitaire,  remplaçant  la  fieric  du  soldat,  avait  humilié 
des  régiments  français  dans  nos  rues.  Leucs  mains,  à 
quelques-uns ,  s'étaient  meurtries  sur  la  poignée  du 
glaive  ;  leur  cœur  gardait  en  lui  de  ces  larmes  qu'on  n'y 
sèclic  pas.  Quand  ils  entendaient  le  nom  de  Napoléon  , 
un  vague  désir  traversait  leur  pensée.  «Il  aie  nom,  di- 
saient-iis,  si  c'était  l'homme  !. .«  Kh  bien  !  c'est  l'homme  ! 
Comme  vous,  il  veut,  il  espère ,  il  croit.  «  La  France 
sera  sauvée,  »  répondent-ils.  Et  voilà  qu'au  jour  dit, 
suLxessivemcnt  appelas ,  ils  sont  là  tous,  comme  autour 
de  l'Empereur,  à  pareille  date,  étaient  à  Austerlilz  tant 
de  dévouements  glorieux  ;  c'est  l'élal-major  actuel  de 
l'armi'C  de  Paris. 

Mais  pour  arriver  à  ce  résultat ,  que  de  peines ,  que 
de  précautions  I  A  celte  époque  de  tîSoÛ  ,  au  ministère 
de  la  guerre,  l'influence  de  l'Assemblée  et  du  générai 
Changarnicr  dominait  toujours.  Four  avoir  la  signature 
du  ministre,  il  fallait  qu'on  fît  passer  le  colonel  ou  le 
général  qu'on  désirai!  avoir  pour  orléaniste  ou  pour 
légitimiste.  Certes,  le  Président  pouvait  dire  :  «  Je  le 
Veux;»  mais  il  aurait  donné  l'éveil.  Le  géiiéral  Baraguay- 
d'Hillicrs,  qui  avait  remplacé  le  général  Changantier, 
n'osant  assumer  la  responsabilité  des  éventualités  qui 
pouvaient  surgir,  céda  le  commandement  de  l'armée 
de  Paris  au  générât  Magnau ,  qui  apportait  à  la  cause 
du  Président,  qui  était  avant  tout  celle  de  la  France, 
le  dévouement  le  plus  absolu. 

On  dit  le  général  Magnan,  comme  on  disait  Bu- 
geaud  :  son  nom  est  une  biographie  et  l'une  des  plus 


d 


92  mSTOIRË 

belles  de  rarmée.  Il  a  vu  depuis  i809  toutes  les  ba- 
tailles de  TEmpire.  Eln  Afrique,  il  a  laissé  la  répututiait 
d'un  officier  aussi  audacieux  que  sage,  aussi  entrepre^ 
uant  qu^habile.  Deux  souverains  étrangers  Tont  nommé, 
l'un,  général  pour  organiser  son  armée  ;  l'autre,  géné- 
ral en  chef  pour  commander  la  sienne.  Il  a  eu  le 
commandement iStt{>réme  de  l'armée  des  Alpes,  et  il  a 
montré  à  Lyon  ^  en  y  domptant  l'insurrection  la  plus 
terrible,  l'héroïsme  du  courage  joint  aux  qualités  les 
plus  solides  du  général  d'armée.  Quand  on  parle  du 
général  Magnan ,  il  faut  négUger  les  actions  d'éclat  et 
les  faits  d'armes  brillants  ;  il  faut  aller  tout  de  suite 
plus  haut.  C'est  un  général  qui  a  le  coup  d'œil  rapide, 
vaste  et  sûr,  qui  a  l'immense  talent  de  faire  manœu- 
vrer une  armée  comme  un  seul  homme ,  et  d'en  être 
par  son  saog-froid  toujours  maître  absolu.  En  un  mot, 
c'est  un  général  en  chef. 

Il  date  de  l'Empire  et  il  est  plus  jeune  que  beaucoup 
de  nos  jeunes  généraux.  Nul  ne  porte  la  tôte  plus  mar* 
tiale  et  plus  noblement  fl^re.  C'est  un  des  plus  beaux 
soldats  de  l'armée  et  une  des  plus  riches  natures  que 
nous  ayons  été  à  même  d'observer.  Il  est  adoré  du  sol- 
dat, aimé  de  tous  ceux  qui  servent  sous  ses  ordres ,  car 
il  a  tant  de  commandement  et  d'autorité ,  qu'il  peut 
pousser  la  bonté,  qui  lui  est  naturelle,  jusqu'aux  der- 
nières limites.  Comme  homme  privé,  c'est  le  père  de 
famille  par  excellence,  l'homme  du  foyer  domestique, 
qui  n'a  pas  de  bonheur  plus  grand  que  celui  de  voir  les 
siens  autour  de  lui ,  et  qui  avait  moins  de  fierté  en  nous 


D'UN  COUP  D'ÉTAT.  53 

racontant  ses  batailles  et  le  glorieux  concours  qu'il  a 
prêté  au  grand  acte  du  2  décembre,  qu'en  nous  di- 
sant :  a  Ma  femme  et  mes  filles  ont  applaudi  à  mon 
dévouement;  pourtant  je  m'exposais.  Elles  n'ont  pas 
un  instant 9  durant  la  bataille,  voulu  quitter  les  Tui- 
leries j  elles  sont  restées  près  de  moi.  »  Nous  conce- 
vons qu'un  homme  de  cette  nature  et  d*un  tel  cœur, 
ait  donné  un  magnifique  exemple  et  une  grande  leçon 
à  beaucoup  en  Février.  Quand  la  duchesse  d'Orléans 
s'en  fut ,  à  pied  avec  ses  enfants ,  à  la  Chambre  des 
Députés,  au  milieu  de  la  populace  en  fureur,  le  gé- 
néral Magnan  en  uniforme  l'accompagnait. 

Il  fallait  un  ministre  de  la  guerre.  Le  choix  tomba 
sur  le  général  de  Saint-Arnaud.  Afin  de  donner  à  ce 
général  l'autorité  nécessaire  dans  un  poste  si  âevé, 
on  décida  la  guerre  de  Kabylie ,  qui  devait  le  couvrir 
d'une  gloire  si  éclatante.  On  se  souvient  que  l'Assemblée 
ne  voulait  pas  que  cette  guerre  fût  faite.  Ce  furent  les 
généraux  Cavaignac ,  Lamoricière  et  d'autres  du  même 
parti,  qui  se  chargèrent  d'en  démontrer  la  nécessité, 
sans  se  douter  qu'ils  ofiraient  un  marchepied  à  M.  de 
Saint-Arnaud  pour  monter  au  ministère  de  la  guerre. 
Le  général  de  division  Leroy  de  Saint-Arnaud ,  mi- 
nistre de  la  guerre,  n'était  queheutenant  au  6^  régi- 
ment de  ligne  en  1831 .  Mais,  dès  cette  époque,  sa  mer- 
veilleuse aptitude ,  son  talent  instinctif  du  métier  des 
armes,  lui  présageaient  de  hautes  destinées.  Pour  parler 
militairement,  il  avait  dans  son  sac  le  bâton  de  maré- 
chal. Le  général  Bugeaud,  qui  se  connaissait  en  hommes, 

4 


54  HISTOIRE 

disait  :  «  Il  ira  loin  ;  je  veux  avoir  Thonneur  d'y  être  pour 
quelque  chose.  »  II  lui  Bt  rapidement  parcourir  tous  les 
grades.  Mais  chaque  grade  était  payé  d'avance  par  une 
action  d'éclat  ;  chaque  décoration,  par  quelque  éminent 
service.  Pour  écrire  la  vie  militaire  de  M.  de  Saint- 
Arnaud  j  il  faudrait ,  pendant  quatorze  années  durant , 
suivre  nos  armées  d'Afrique  dans  ces  guerres  difficiles 
et  brillantes,  où  chaque  étape  est  marquée  par  un  glo* 
rieux  fait  d'armes.  Nous  le  verrions  comme  colonel , 
en  1844,  commandant  la  subdivision  d'Orléansville , 
poursuivre  le  fameux  Bou-Maza  dans  les  retraites  im- 
prenables du  Daahra  ;  par  une  savante  stratégie  et  de 
brillants  combats,  le  forcer,  après  deux  ans  de  lutte,  à 
faire  sa  soumission.  Nous  ferions  l'histoire  de  cette  cam- 
pe^^  de  Kabylie  qui  a  mis  le  comble  à  sa  réputation 
militaire.  Cent  cinquante-cinq  lieues  de  pays ,  conquis 
en  quatre-vingts  jours ,  vingt  combats  et  six  batailles  ^ 
en  tout  vingt-six  victoires,  tel  en  est  le  bulletin  magi- 
que; et  tout  cela  accompli  avec  huit  mille  hommes.  II 
y  a  comme  de  la  chevalerie  féerique  dans  cette  guerre  : 
c'est  du  Bayard  et  du  Scanderberg ,  avec  la  science 
militaire  de  notre  époque  en  plus  ! 

Esprit  élevé,  résolu,  n'admettant  pas  l'impossible, 
assez  fort  pour  traiter  avec  une  apparence  de  légèreté 
et  d'insouciance  les  choses  les  plus  graves,  plein  de  res- 
sources pour  briser  ou  tourner  l'obstacle  et  l'imprévu, 
rapide  et  précis  dans  l'action  ;  avec  cela,  franc  comme 
l'acier  de  son  glaive,  bon  et  rude  comme  un  homme  de 
guerre,  tel  est  le  général  de  Saint-Arnaud«  Il  vient  de 


D'UN  COUP  D'ÉTAT.  55 

Kabylieavec  toutes  ses  émotions  de  dangers  courus  et 
de  gloire  acquise.  Toute  sa  vie,  s'il  a  cru  au  droit,  il  a 
cru  au  devoir,  ces  deux  pôles  régulateurs  mis  par  Dieu 
au  libre  arbitre  humain;  et  vous  voulez  qu'il  prenne  au 
sérieux  vos  parades  parlementaires  et  vos  batailles  à 
coups  de  scrutin  pour  des  Uberlés  illusoires  !  vous  vou- 
lez qu'il  baisse  son  êpée  devant  vos  questeurs  ridicules, 
qu'il  accepte  pour  l'armée  vos  théori<îB  d'avocats  sur  le 
devoir  du  soldat  !  Il  y  a  quatorze  cents  ans  qu'en  France 
ce  devoir  est  inscrit  au  cœur  de  qui  porte  l'épée.  Ce 
devoir  place  le  glaive  du  soldat  au-dessus  des  régions 
où  s'agitent  vos  complots  et  vos  ambitions  mesquines. 
Il  le  met  aux  ordres  de  ceux  ù  qui  Dieu  confère  la  mis- 
sion de  protéger  ou  de  sauver  un  pays.  M.  de  Saint- 
Arnaud  se  charge  de  vous  le  dire. 

Quand  il  monta  à  la  tribune,  on  sait  le  langage  qu'il 
parla  aux  conspirateurs  de  l'Assemblée,  qui  fut  comme 
prise  de  déraillance  et  qui  n'osa  pas  voter  afTirmative- 
raent  sur  ses  propres  complots.  Tous  ces  parlement 
taires  furent  terriOés  ù  la  voix  de  cet  orateur  des  champs 
de  bataille  qui  sentait  encore  ta  poudre  ;  seul  à  cette  tri- 
bune, il  leur  semblait  avoir  deux  cent  mille  hommes 
derrii^re  lui. 

Tout  était  donc  prêt  du  côté  de  l'armée  pour  les 
éventualités  d'un  coup  d'Ëlat.  Il  fut  sur  le  point  d'avoir  f 
lieUj  lors  de  la  dernière  prorogation  de  l'Assemblée. 
C'eût  été  une  faute ,  et  une  faute  grave.  La  France  i 
ne  voyait  pas  encore  assez  clairement  les  complots  par- 
Icmentaiivs.  Elle  aurait  pu  crotre  que  le  prince  agissait 


56  HISTOIRE 

dans  un  but  d'intérêt  personnel  et  d'ambition.  Le  préfet 
de  police  d'alors  y  poussait  fortement.  Beaucoup  de 
personnages  dévoués  au  prince  agissaient  de  même.  Ce 
furent  M.  de  Saint-Arnaud  et  le  général  en  chef  Ma- 
gnan,  principalement,  qui  firent  abandonner  ce  projet, 
en  faisant  valoir  les  raisons  qui  demandaient  qu'on 
ajournât  l'exécution.  Le  Président,  ses  ministres,  quel- 
ques hauts  fonctlbnnaires,  connaissaient  les  conspira- 
teurs ;  mais  cela  ne  suffisait  pas.  En  dissolvant  l'Assem- 
blée en  pleine  paix ,  on  se  donnait  les  apparences  de 
l'illégalité.  L'Assemblée  pouvait  se  réunir  dans  une 
ville  de  province,  y  rendre  ses  décrets,  dresser  pouvoir 
contre  pouvoir.  Que  serait-il  advenu?  La  moindre 
conséquence  eût  été  une  guerre  civile  acharnée.  Le 
Socialisme  n'eût  pas  hésité  à  prendre  provisoirement  la 
Constitution  pour  drapeau,  et  les  partis  de  l'Assemblée 
eussent  accepté  pour  défenseurs  les  soldats  de  la  Jac- 
querie. Tels  étaient  les  motifs  puissants  qu'invoquaient 
les  adversaires  du  coup  d'État  pendant  la  prorogation. 
«  L'Assemblée  trahira  bien  assez  ses  complots ,  disait  le 
général  Magnan,  attendons  qu'elle  nous  donne  barre.  x> 

En  effet,  à  peine  réunie,  l'Assemblée  montre  contre 
le  Président  l'hostilité  la  plus  vive.  Elle  repousse ,  à  la 
majorité  de  quatre  voix  escamotées,  la  loi  du  Suffrage 
universel,  que  le  Président  proposait  dans  un  intérêt 
de  salut  public. 

Vient  ensuite  la  fameuse  proposition,  dite  des  ques- 
teurs, et  qui  restera  connue  dans  l'histoire  sous  le  nom 
de  proposition  Baze.  Rien  de  plus  violent  contre  la 


D'UN  COUP  D'ÉTAT. 


■discipline  de  l'armée,  rien  de  plus  provocateur  que  ce 
factum  insensé  de  ta  conspiration  parlementaire.  En 
voici  le  texte  : 


PROPOSITION    nËPOSËE   « 

Art.  i".  Le  Président  de  l'Assemblée  nationale  est  chargé  de  veiller 
A  la  sûreté  intérieure  et  extérieure  de  l'Assemblée. 

Il  exerce,  au  nom  de  l'Assemblée,  le  droit  conféré  au  pouvoir  1é- 
gislalir  par  l'art.  32  de  la  Constitution,  de  fixer  l'imporlanee  dei   , 
forces  militaires  pour  sa  surette ,  d'en  disposer  et  de  désigner  le  chef  | 
chargé  de  les  commander. 

A  cet  effet,  il  a  le  droit  de  requérir  la  Torce  armée  et  toutes  les 
autorités  dont  il  juge  le  concours  nécessaire. 

Ces  réquisitions  peuvent  être  adressées  directement  à  tous  les  offi- 
ciers, commandants  ou  fonctionnaires,  qui  Eont  tenus  d'y  obtempérer  1 
itnmËdiateinenl  sous  les  peines  portées  par  la  loi. 

Art.  2.  Le  Président  peut  déléguer  son  droit  de  réquisition  ans  j 
questeurs  on  h  l'un  d'eux. 

Art.  3.  La  présente  loi  sera  remise  h  l'ordre  du  jour  de  l'armée,^  1 
artichéc  dans  toutes  les  casernes  sur  le  territoire  de  la  Républiquil.  T 


L'Assemblée  fut  à  deux  doigts  de  sa  dissolution  te 
jour  où  eut  Hpu  le  vote  sur  cette  fameuse  proposition. 
Notre  collaborateur  dil,  dans  son  Introduction,  que  si 
la  proposition  eût  passé,  l'Assemblée  avait   dessein 
d'avoir  une  séance  de  nuit  où  aurait  abouti  la  conspi-  ' 
ration  monarchique.  Non,  la  séance  de  nuit  n'aurait  I 
pas  eu  lieu.  Louis-Napoléon  n'aurait  point  attendu  1 
qu'on  le  citât  à  la  barre. 

M.  de  Saint-Arnaud,  qui  ne  se  rendait  pas  compte 


58  fflSTOIRE 

de  l'effet  qu'il  avait  produit  sur  l'Assemblée ,  pensait 
qu'elle  allait  voter  la  proposition  Baze,  et  il  avait  quitté 
la  séance  pour  a  viser ,  pour  agir.  Il  attendait  à  l'état- 
major  de  l'armée^  au  palais  des  Tuileries,  dans  le  salon 
du  général  en  chef,  le  résultat  du  vote.  Ce  fut  le  général 
Magnan,  lui-même,  qui  vint  lui  dire  que  l'Assemblée 
avait  reculé  et  repoussé  par  108  voix  de  majorité  l'indo- 
lente proposition  des  questeurs.  «  Je  m'en  serais  fort 
bien  passé,  d  dit  M.  de  Saint-Arnaud. 

L'Assemblée  était  donc  bien  aveuglée  !  Comment  ! 
l'armée  française  et  son  générai  en  chef,  tous  ses  ofS^ 
ciers  et  son  ministre  de  la  guerre  auraient  accepté  pour 
général,  pour  chef  omnipotent,  un  des  avocats  de 
l'Assemblée!  Si  l'Assemblée  eût  voté  cela,  l'armée  eût 
bondi  de  colère,  et  le  soldat  eût  peut-être  dépassé  l'in- 
tention des  chefs.  On  ne  s'est  jamais  dans  le  public,  et 
surtout  dans  le  monde  parlementaire,  rendu  assez 
fX>inpte  de  l'irritation  que  produisaient  sur  ces  gens 
de  cœur  les  attaques  continuelles  dont  retentissait  la 
tribune  contre  leur  discipline  qu'on  voulait  violer, 
contre  leurs  affections  qu'on  voulait  contraindre. 

Ainsi,  l'Assemblée  avait  fait  ce  qu'avaient  prévu  le 
ministre  de  la  guerre  et  le  général  en  chef.  Ce  qui, 
suivant  eux,  aurait  été  prématuré  pendant  la  proroga- 
tion, maintenant  ils  le  regardaient  comme  une  néces- 
sité. «  Nous  sommes  prêts ,  avaient-ils  dit  au  prince  ; 
maintenant  comptez  sur  nous,  agissez  ;  n'hésitez  pas  à 
frapper  un  coup  énergique  et  décisif.  » 

Quelque  temps  avant  cette  fameuse  séance  du  t7,  le 


DTN  COUP  D'ÉTAT.  69 

général  Magnan  avait  réuni  dans  son  salon  tous  ses 
officiers  généraux.  «  Messieurs,  leur  avait-il  dit,  il  peut 
se  faire  que  d'ici  à  peu  de  temps  votre  général  en  chef 
juge  à  propos  de  s'associer  à  une  détermination  de  ia 
plus  haute  importance.  Vous  obéirez  passivement  à  ses 
ordres.  Toute  votre  vie ,  vous  avez  pratiqué  et  compris 
le  devoir  militaire  de  cette  façon-là.  Du  reste,  avait-il 
ajouté,  si  quelqu'un  de  vous  hésitait  à  me  suivre  dans 
cette  voie,  qu'il  le  dise;  nous  nous  séparerions  et  ne 
cesserions  pas  de  nous  estimer.  Vous  comprenez  ce  dont 
il  s'agit  :  les  circonstances  sont  d'une  immense  gravité. 
Nous  devons  sauver  la  France  ;  elle  compte  sur  nous. 
Mais,  quoi  qu'il  arrive,  ma  responsabilité  vous  couvrira. 
Vous  ne  recevrez  pas  un  ordre  qui  ne  soit  écrit  et  signé 
de  moi.  Par  conséquent,  en  cas  d'insuccès,  quel  que  soit 
le  gouvernement  qui  vous  demande  compte  de  vos 
actes,  vous  n'aurez  qu'à  montrer,  pour  vous  garantir,  ces 
ordres  que  vous  aurez  reçus.  Seul  responsable,  c'etl 
moi.  Messieurs,  qui  porterai,  s'il  y  a  lieu,  ma  tête  à 
Téchafaud  ou  ma  poitrine  à  ia  plaine  de  Grenelle.  »  La 
réponse  fut  digne  de  ce  discours.  Le  général  Reibie,  le 
doyen  de  tous ,  prit  la  parole  :  «  Personne  ne  m'a 
chargé  de  parler,  général,  dit-il,  pourtant  je  le  fais  au 
nom  de  tous.  Vous  pouvez  compter  que  nous  vous  sui- 
vrons, et  que  nous  voulons  engager  notre  responsabi- 
lité à  côté  de  la  vôtre.  » 

Il  n'y  eut  pas  imprudence  à  parler  ainsi  :  le  général 
en  chef  s'adressait  à  l'honneur  des  généraux  sous  ses 
ordres;  d'un  autre  côté,  c'était  nécessaire  ;  car  il  fallait 


60  HISTOIRE  D'UiN  œUP  D'ÉTAT. 

qu'au  moment  venu  il  pût  compter  sur  chaque  chef  de 
corps. 

L'abîme  entraine  l'abime,  a  dit  l'Écriture.  M.  Baze 
fît  surgir  une  demande  de  mise  en  accusation  contre  le 
ministre  qui  n'avait  pas  voulu  souffrir  que  certaines 
élucubrations  de  la  questure  restassent  affichées  dans 
les  casernes.  Puis,  l'Assemblée,  démasquant  enfin  ses 
complots  aux  yeux  les  moins  clairvoyants,  nomma  la 
fameuse  commission  qui  devait  élaborer  un  projet  de 
loi  sur  la  responsabilité  ministérielle.  MM.  Michel  (de 
Bourges),  Duprat,  Dufraisse,  Crémieux,  Arago,  Béchard, 
Berryer,  Combarel,  Lasteyrie,  Laboulie,  etc.,  sont  à 
l'œuvre,  pour  que  la  France  voie  bien,  pour  que  le 
monde  voie  ainsi  qu'elle,  avec  là  clarté  de  la  plus 
complète  évidence,  que,  le  2  décembre,  le  prince  Louis- 
Napoléon  n'accomplit  ni  un  acte  d'ambilion,  ni  d'é- 
goïsme ,  ni  d'intérêt  privé,  mais  un  acte  de  nécessité, 
de  salut  public  et  en  même  temps  de  dignité  nationale. 


II 


LX     OOUF    D'ATAT. 


Gomme  on  Ta  vu  dans  le  chapitre  précédent,  le  coup 
d'État  était  chose  décidée  et  Texécution  en  était  ur- 
gente. Tous  les  acteurs  du  grand  acte  qui  devait  s'ac- 
complir étaient  prévenus,  décidés  à  agir.  Leur  dévoue- 
ment était  acquis ,  mais  la  plupart  ignoraient  le  jour  et 
le  plan.  11  n'y  avait  dans  l'intimité  des  desseins  de 
Louis-Napoléon  que  M.  de  Persigny,  M.  de  Morny, 
M.  de  Saint-Arnaud  et  M.  de  Maupas. 

Le  secret  fut  strictement  gardé  vi&-à-vis  des  amis  les 
plus  intimes ,  les  plus  dévoués.  On  savait  les  chefs  de 
corps  prêts  à  toute  éventualité.  Us  ne  furent  prévenus 
qu'à  l'instant  d'agir.  M.  le  général  Magnan  avait  de- 
mandé qu'il  en  fût  ainsi  pour  lui-même^  et,  à  trois 


62  HISTOIRE 

heures  et  demie  du  matin  seulement,  le  2,  il  fut  mandé 
au  ministère  de  la  guerre  pour  y  recevoir  ses  instruc- 
tions. 

Ce  furent  donc  MM.  de  Saint-Arnaud,  de  Morny ,  de 
Maupas  et  de  Persigny  qui  arrêtèrent  avec  le  Président 
toutes  les  mesures  à  prendre,  et  qui  firent  entièrement 
le  plan  de  ce  grand  acte  politique,  qui  n'a  pas  de  pa- 
reil ni  d'équivalent  dans  l'histoire.  Le  18  brumaire  fut 
un  coup  de  main  hardi  ;  mais  il  n'a,  certes,  ni  les  pro- 
portions de  difficulté  d'abord ,  d'habileté  ensuite,  qui 
caractérisent  le  coup  d'État  de  décembre. 

Du  reste,  les  personnages  que  nous  venons  de  nom- 
mer, et  auxquels  l'opinion  publique  doit  une  large 
reconnaissance  pour  le  concours  dévoué  et  courageux 
qu'ils  ont  prêté  au  Président ,  s'accordent  à  dire  qu'il  a 
été  l'âme  de  l'action  ,  comme  il  était  celle  du  plan.  Ils 
lui  rapportent  tout  l'honneur  de  la  conception  de  ce 
grand  acte.  Ils  sont  assez  fiers  d'avoir  servi  d'instru- 
ments intelligents  et  intrépides.  M.  de  Morny,  ministre 
de  l'intérieur,  dut  se  charger  de  l'action  administra- 
tive ;  M.  de  Saint-Arnaud ,  comme  ministre  de  la 
guerre,  de  l'action  miHtaire;  et  M.  de  Maupas,  comme 
préfet,  de  l'action  de  la  police. 

Certes ,  ils  jouaient  leur  tête  aussi  bien  que  le  Prési- 
dent. Quelles  que  soient  les  prévisions  du  génie,  le 
hasard,  lui  aussi,  a  ses  chances;  l'imprévu  a  les  sienaefi. 
En  cas  d'insuccès,  les  passions  déchaînées  de  la  déma<^ 
gogie  et  des  partis  auraient  peut-être,  ainsi  que  M.  Le 
Flo  en  menaçait  ceux  qui  l'arrêtaient,  fusiUéàViB- 


D'UN  COUP  D'ETAT.  63 

cenne»  le  Président  el  ceux  qu'alors  on  eût  appelés  ses 
complices. 

Le  lecteur  connaît  déjà  le  général  de  Saint-Arnaud , 
i!  nous  saura  gré  de  lui  faire  connaître  aussi  ces  trois 
autres  hommes  de  dévouement  et  d'intrépidité  qui  ont 
été  les  héroïf|ues  complices  du  prince  Louis-Napoiéon* 
dans  ce  grand  acte  de  salut.  ' 

Nous  prenons  M.  de  Morny  tel  qu'il  se  révèle  à 
nous ,  tel  que  nous  le  montrent  ses  actes  et  que  ses 
amis  nous  le  dépeignent.  Jadis  militaire,  M.  de  Morny 
fit  la  guerre  en  Afrique  ;  il  était  à  l'expédition  de  Cons- 
tnntine.  Bientôt  après,  il  entra  dims  te  courant  de  la  vie 
politique  qui  était  celui  de  l'époque.  Il  y  a[iporta  son 
indépendance  et  ces  allures  franches,  hautaines  pa> 
fois,  qui  isolent  cerlains  hommes  quand  le  pouvoir  les 
attend  et  ne  les  cherche  pas.  Ce  fut  de  la  hauteur  de 
cet  isolement  que  M.  de  Morny  iît  entendre  à  la 
dynastie  d'Orléans  une  voix  prophétique  de  chute 
prochaîne.  Cette  voix  parlait  avec  tant  de  loyauté  et 
d'autorité  tout  à  la  fois,  que  M.  de  Morny  fut  choisi 
pour  conjurer  l'orage  et  jeter  une  planche  de  salut  sur 
l'abimc  où  la  monarchie  allait  tomber.  Mais,  comme 
l'histoire  l'a  écrit  :  «  il  était  trop  tard.  »  Le  vieux  roi 
regretta  de  n'avoir  pas  deviné  plus  tôt  l'homme  politique 
dont  le  Président  a  utilisé  le  concours.  Mais  M.  de 
Morny  avait  besoin  qu'un  grand  dévouement,  parti  du 
cœur,  vint  lui  commander  d'appliquer  entièrement  à  la 
politique  les  aptitudes  puissantes  qui  lui  donnaient 
dans  le  monde  une  supériorité  incontestée.  H  appartient 


64  HISTOIRE 

à  cette  classe  d'hommes  qui  ont  la  faculté  précieuse  de 
se  transformer  tout  à  coup  quand  les  nécessités  com- 
mandent. 

Aussi  dédaigneux  pour  les  ennemis  politiques  qu'il 
n'estime  pas,  que  noblement  fier  vis-à-vis  des  adver- 
saires sérieux,  M.  de  Morny  est,  avec  ses  amis,  l'homme 
qui  plaît  et  qui  charme  par  l'expansive  bonté  de  son 
cœur  et  par  la  grâce  de  ses  manières.  Mais  quand  il  est 
aux  affaires  proprement  dites,  homme  de  volonté  ferme 
et  persévérante,  il  commande  ,  il  impose  ,  il  domine. 
Il  n'apprête  plus  son  discours  qui  est  fortement  senti; 
il  aborde  et  approfondit  toutes  les  questions.  Au  danger 
comme  dans  la  complication  des  affaires,  il  grandit  et  se 
multiplie.  Sa  nature  se  plie  avec  une  souplesse  éton- 
nante à  cette  existence  nouvelle  qui  impose  tant  de 
fatigues,  qui  demande  tant  d'activité  et  qui  veut  tant 
d'abnégation.  Ce  qu'il  voit,  c'est  le  but,  et  il  y  marche^ 
quel  que  soit  l'obstacle,  avec  une  volonté  de  fer.  Homme 
de  devoir  et  de  conviction ,  il  estime  fort  peu  les  louan- 
ges, parce  qu'il  sait  ce  qu'elles  valent.  Quand  on  joue 
sa  tète  pour  sauver  un  pays ,  on  vise  plus  haut  qu'à 
cette  pâture  d'amour-propre.  On  veut  les  satisfactions 
de  la  conscience  et  l'impartialité  de  l'histoire  qui  accom- 
pagnent l'homme  et  ses  actes,  n'importe  où  les  événe- 
ments le  conduisent. 

M.  de  Maupas  n'a  que  trente-deux  ans.  Valeureux 
soldat  de  l'ordre ,  c'est  en  payant  de  sa  personne  qu'il  a 
conquis  ses  grades  administratifs.  Toujours  à  la  hauteur 
de  sa  situation  par  son  courage,  il  Ta  toujours  dominée 


D'UN  COIP  D'ETAT.  «5 

par  son  talent.  A  Boulogne,  comme  sous-prÉfet,  puisa 
Moulins  et  à  Toulouse,  comme  préfet,  en  muselant 
l'émeute  et  le  Socialisme,  en  rétablissant  l'ordre  et  la 
paix  publiques ,  il  avait  révélé  les  plus  hautes  capacités 
administratives.  Le  prince  Louis-Napoléon  a  au  su- 
prême degré  l'éminente  qualité  qui  distinguait  son  on- 
cle, celle  de  deviner  les  hoaimcs.  M.  rie  Maupas,  de  sod 
câté,  est  un  de  ces  types  caractéristiques  qui  ont  le  pri- 
vilège de  se  révéler  d'une  Taçon  excessivement  expan- 
Bive.  Ce  qui  domine  en  lui,  ce  sont  les  qualités  du 
cœur.  C'est  un  homme  d'entraînement,  de  dévouement, 
plein  de  franchise  et  de  loyauté  ,  sans  aiiiitié  ou  sans 
estime,  incapable  de  serrer  la  main  de  quelqu'un. 

M.  de  Maupas  était  bien  celui  qu'il  fallait  au  prince 
Louis-Napoléon.    Pour  qu'un  homme  se  décidât  à  si- 
gner de  son  nom  tant  d'actes  hardis  et  dangereux,  à 
prendre,  en  un  mot,  l'initiative  d'une  arrestation  con- 
tre tant  d'hommes,  ou  éuiinents  ou  influents  par  leur 
position,  il  fallait  qu'il  fût  du  fond  du  cœur  dévoué  au 
prince ,  dévoué  à  la  patrie.  On  agit  ainsi  avec  un  pareil 
sentiment  :  avec  des  motifs  vulgaires  et  intéressés,  on 
recule  à  la  lâche  ou  l'on  y  succombe,  parce  qu'on  ne 
|«*oublie  pas  assez.  De  plus,  il  fallail,  pour  que  les  ma- 
gistrats sous  ses  ordres  lui  obéissent,  que  cet  homme 
l«ût  assez  de  cette  autorité  magnétique  qui  s'empare  des 
Ittutrcs  et  les  transforme  en  hommes  à  soi  par  la  com- 
linunication  de  sa  propre  ardeur  et  de  sa  propre  pensée. 
Maupas  était  l'homme  éminemment  apte  à  cela.    ' 
urc  ouverteetexpansivc  conquiert  lessympathies; 


66  HISTOIRE 

son  éloquence  persuasive  et  entraînante  porte  dans  le 
cœur  d'autrui  les  sentiments  dont  lui-*même  est  animer. 
Jeune  et  si  heureusement  doué,  M.  de  Maupas  a  Ta^ 
venir  largement  ouvert  devant  lui. 

Nous  parlons  en  dernier  lieu  de  M.  de  Perdgny. 
C'est  la  place  ostensible  qu'a  prise  son  abnégation  yrai- 
ment  admirable.  Le  pays  sait  quelle  est  celle  de  son 
dévouement  et  de  son  affection  pour  le  prince  Louis^ 
Napoléon.  Attaché  à  sa  mauvaise  comme  à  sa  bonne 
fortune,  il  lui  a  toujours  fait  un  appui  de  son  cœur, 
comme  il  lui  eût  fait  au  besoin  un  rempart  de  sa  poi-» 
trine.  Impassible  contre  les  attaques  incessantes  des 
meneurs  de  TAssemblée,  il  suivait  d'une  façon  inflexi- 
ble la  ligne  de  dévouement  qu'il  s'était  tracée.  Quoi 
qu'on  fit  ou  qu'on  dit  contre  lui,  peu  importait;  mais 
il  entendait  ce  qu'on  disait  contre  le  prince,  il  préve- 
nait ce  qu'on  voulait  faire.  Son  dévouement,  sous  ce 
rapport,  allait  jusqu'au  fanatisme;  il  sera  l'une  des 
plus  belles  pages  dans  les  annales  de  l'amitié. 

Il  était  infatigable,  vigilant,  comme  l'œil  d'une  mère. 
On  peut  dire  que,  pendant  trois  ans,  le  Président  a 
dormi  sous  sa  garde.  M.  de  Persigny  a  joué  un  des  prin- 
cipaux rôles  dans  tout  ce  qui  concerne  Louis-Napoléon. 
Plein  de  foi  dans  son  étoile,  il  l'a  toujours  suivie.  Il 
croit  fermement  à  l'idée  napoléonienne  et  au  rôle  que 
la  famille  Bonaparte  est  appelée  à  jouer  à  notre  épo-- 
que  de  transition  sociale.  Pas  un  événement  auquel  il 
n'ait  pris  part.  Son  immense  activité  est  pour  beau- 
coup dans  l'élection  du  10  décembre.  Elle  n'a  pas 


D'UN  COUP  D'eTAT. 

moins  fait  pour  celle  c|ui  vient  d'acclaincr  le  prince. 
11  s'est  multiplii!-  pour  la  réussite  des  actes  importants 
du  1  décembre. 

MM.  de  Morny,  ém  âaiiïi-Apnaïud ,  de  Maupas  et 
de  PersigTiy  eurent  plusieurs  conférences  avec  Louis- 
Napoléon  dans  les  jours  qui  précédèrent  celui  du  coup 
d'État.  Tout  était  convenu  ;  on  était  d'accord  sur  tous 
les  points,  et  chacun  avait,  en  ce  qui  le  conceiTiait, 
communiqué  son  plan. 

Le  lundi,  1"  décembre,  il  y  avait  soirée  au  palais  de 
l'Elysée,  et  jamais  le  Président  n'avait  reçu  avec  plus 
d'aisance  et  d'aflabilitê.  La  conscience  qu'il  avait  de 
bien  faire  et  de  faire  bien,  lui  donnait  ce  calme  de  l'es- 
prit et  du  cœur  qui  présage  le  succès.  Sur  l«s  dix 
heures  environ,  il  était  adossé  à  une  cheminée  :  il  aper- 
çut le  colonel  d'état-majordela  garde  nationale,  Vieyra, 
et  lui  fit  signe  d'approcher.  i<  Colonel,  lui  dit-îl,  êtes- 
vous  assez  fort  pour  ne  rien  laisser  voir  d'une  vive  émo- 
tion sur  votre  visage?  —  Mon  prince,  j«  le  crois.  — 
Eh  bien  !  lui  dit-il  en  souriant,  c'est  pour  cette  nuit  I... 
vous  êtes  maître  de  vous,  votre  visage  n'a  rien  dit... 
Pouvcz-vous  m'afDrnier  que  demain  on  ne  battra 
pas  le  rappel?  —  Oui,  prince,  si  j'ai  assez  de  monde 
pour  porter  mes  ordres.  —  Voyez  pour  cela  Saint-Ar- 
naud. Allez...  non,  pas  encore,  vous  auriez  l'air  d'exé- 
cuter un  ordre.  »  Le  prince  prit  le  bras  d'un  ambassa- 
deur qui  passait,  et  le  colonel  alla  saluer  des  dames 
qu'il  venait  d'apercevoir. 

La  dernière  entrevue  eut  lien  dans  le  cabinet  du  Pré- 


6S  HISTOIRE 

sident.  Elle  fut  courte,  solennelle  et  remplie  de  cette 
émotion  qui  précède  les  grands  événements.  On  n'avait 
plus  qu'à  se  serrer  la  main;  tout  était  dit,  convenu* 
arrêté.  Chacun  avait  besoin  de  ne  pas  user  ses  forces 
d'avance,  car  les  jours  de  travail  et  de  fatigue  allaient 
venir.  «  Allons  prendre  un  peu  de  repos,  dit  le  Prési- 
dent, et  Dieu  protège  la  France.  »  Il  dormit  profondé- 
ment. Le  génie  a  de  ces  priviléges-là. 

M.  de  Morny  n'était  pas  à  l'Elysée  le  soir  du  !•'  dé- 
cembre;  il  se  trouvait  à  l'Opéra-Comique,  non  loin  du 
général  Cavaignac  qui,  quatre  jours  plus  tard,  devait 
épouser  la  fille  du  riche  banquier,  M.  Odier.  Une  dame* 
vint  avec  son  mari  saluer  M.  de  Morny  dans  sa  loge. 
a  Vous  vous  occupez  sans  cesse  de  votre  Assemblée,  lui 
dit-elle,  mais  on  dit  qu'on  va  lui  donner  du  balai.  — 
Je  n'en  sais  rien,  dit  M.  de  Morny  ;  mais  si  cela  arrive^ 
soyez  sûre,  madame,  que  je  tâcherai  de  me  mettre  du 
côté  du  manche.  »  Nous  inscrivons  ce  bon  mot,  malgré 
qu'il  tranche  un  peu  sur  le  sérieux  de  notre  récit,  parce 
qu'il  montre  à  quel  point  M.  de  Morny  gardait  son 
calme  au  moment  de  s'engager  dans  une  aussi  grande 
entreprise.  En  quittant  le  spectacle,  il  reconduisit  une 
dame  qu'il  accompagnait,  alla  quelques  instants  à  l'Ë- 
lysée  et  se  rendit  ensuite  au  Jockey-Club  où  il  resta 
fort  tard. 

Pour  que  le  plan  arrêté  réussit,  il  fallait  qu'on  l'exé- 
cutât dans  toutes  ses  parties,  simultanément,  avec 
promptitude  et  résolution.  La  moindre  hésitation  eût 
pu  tout  perdre.  Il  fallait  arrêter  les  conspirateurs  et  les 


D'L'N  COUP  D'ÉTAT. 

personnages  dangereux  ;  imprimer  et  promulguer  les 
décrets  du  Président;  s'emparer  du  palais  de  l'Assem- 
blée, prendre  militairement  position  sur  tons  les  points 
qu'on  avait  jugé  nécessaire  d'occuper.  Dans  la  soirée 
du  1"',  un  certain  nombre  des  ouvriers  de  l'Iraprime- 
rie  nationale  furent  consignés  sous  prétesle  d'une  be- 
sogne d'urgeiice.  Le  directeur,  qui  était  prévenu,  mais 
sans  délerniination  de  jour,  fut  invité  à  s'y  trouver  à 
onze  heures.  Ce  soir-là.  il  assistait  à  i 'Opéra-Comique 
à  la  première  représentation  d'une  pièce  de  son  frère. 
Arhcuredésignéc,  il  atleudaildanslacour  de  l'Imprime- 
rie nationale.  Bientôt  un  fiacreyentre.il  est  minuit.  Qu'à 
peu  de  chose  tient  le  sort  d'une  révolution  I  On  peut 
supposer  mille  causes,  et  des  plus  simples,  qui  eussent 
fait  sombrer,  dans  l'océan  desjrues  de  Paris,  ce  nou- 
vel esquif,  portant  César  et  sa  fortune.  M.  de  Béville, 
colonel  d'état-major  et  olÏÏcicr  d'ordonnance  du  prince, 
descendit  du  fiacre  avec  un  paquet  cacheté,  conte- 
nant les  décrets  et  proclamations,  de  la  main  même  de 
Louis-Napoléon,  avec  sa  signature,  celles  de  deux  de 
ses  ministres  et  de  M.  de  Maupas.  On  remise  ta  voiture. 
Le  cocher  est  enfermé  dans  une  salle  basse.  Presqu'au 
même  moment,  M.  de  Laroche-d'Oisy,  capitaine  de  la 
gendarmerie  mobile ,  entrait  dans  la  cour  avec  sa 
compagnie ,  la  4*  du  premier  bataillon.  Ordre  lui 
avait  été  donné  par  le  ministre  de  la  guerre  d'obéir 
aveuglétoent  au  directeur;  de  J  l'établissement ,  quoi 
iju'il  pût  lui  commander.  Heureusement,  tout  se  pas- 
sait à  l'abri  des  regards,  car  quiconque  eût  pu  voir 


70  HISTOIRE 

la  physionomie  de  cette  scène  nocturne,  eût  compris 
qu'un  grand  événement  se  préparait.  On  charge  silen- 
cieusement les  armes,  puis  des  sentinelles  sont  placées 
partout,  aux  portes,  aux  fenêtres,  a  Si  quelgu^un  sort 
ou  s'approche  d'une  fenêtre,  vous  ferez  feu,  »  leur 
dit-on.  Chaque  sentinelle,  Tœil  attentif  et  la  main  sur 
son  arme,  veille  sur  ce  qui  se  fait.  Les  ouvriers  sont 
au  travail  sous  la  surveillance  du  directeur  et  du  colonel 
de  Béville.  Tout  est  terminé  à  trois  heures  et  demie. 
On  réunit  les  gendarmes  et  on  leur  lit  les  pièces  im- 
primées. 11  faut  comprimer  leur  enthousiasme.  Pen- 
dant que  le  capitaine  continue  de  veiller  à  ce  que  per- 
sonne ne  puisse  sortir  de  l'établissement,  le  même 
tiacre  qui  avait  amené  le  colonel  de  Béville,  le  condui- 
sait avec  les  imprimés  à  la  Préfecture  de  police.  M.  de 
Saint-Georges  l'accompagnait. 

L'opération  la  plus  difficile,  parce  qu'elle  éiait  mul- 
tiple, était  l'arrestation  des  personnages  compromis 
dans  les  complots  contre  le  Président,  et  de  ceux  qui 
étaient  considérés  comme  dangereux,  soit  qu'ils  fus- 
sent d'anciens  délégués  au  Luxembourg,  des  chefs 
d^ associations  secrètes  ou  des  hommes  de  barricades.  Il 
ne  fallait  hésiter  devant  aucune  de  ces  arrestations . 
quels  que  fussent  les  intérêts  privés  ot  la  situation  ex- 
ceptionnelle de  certaines  individualités,  haut  placées  par 
leur  influence  actuelle  ou  par  leurs  antécédents.  C'était 
une  question  de  salut  public.  Quelques-uns  de  ces 
personnages,  appartenant  à  l'Assemblée,  étaient  depuis 
ongtemps  signalés  par  leurs  violences  de  langage ,  par. 


I.'(N  COl'l'  D'ÉTAT.  71 

leurs  menaces.  Us  trahissaient  ainsi,  d'une  façon  osten- 
sible pour  les  moins  clairvoyants ,  leurs  desseins  contre 
l'Élu  du  10  décembre.  Leur  plan  d'attaque  était  pré- 
paré; il  était  connu  jusque  dans  ses  plus  secrets  dé- 
tails, et  leur  arrestation  ,  si  elle  n'était  pas  la  condition 
indispensable  du  succès,  avait  certainement  pottr  ré- 
sultat de  paralyser  ta  lutte  et  d'en  amoindrir  considé- 
rablement les  conséquences  toujours  fat;:les.  11  y  avait 
environ  soixante-dix-huil  personnes  à  enlever  dans 
la  nialinée  du  2.  Depuis  à  peu  prés  quinze  Jours,  toutes 
leurs  dëmarclies  étaient  sut'veillé4>s  par  des  agents  se- 
crets de  la  police,  qui  ne  se  doutaient  aucunement 
des  motifs  de  ta  surveillance  qu'ils  exerçaient  vis-à-vis 
d'eus,  et  n'avaient  aucune  idée  de  l'ensemble  de  la 
mesure. 

Il  existe  dans  tous  les  quartiers  de  Paris  des  bureaux 
de  police,  où  chaque  soirlesagentsqui  ont  été  de  service 
pendant  le  jour,  se  réunissent  pour  répondra  à  l'appel. 
C'est  de  là  qu'ils  partent  pour  retourner  chez  eux.  Dans 
un  grand  nombre  de  ces  bureaux ,  les  agents  furent 
consignésetcnfermés,  le  soir  du  lundi  1",  à  onze  heures. 
Ordre  leur  fut  donné  d'attendre  qu'un  commissaire  ou 
un  officier  de  paix  vint  les  prévenir  de  ce  qu'il  y  aurait 
à  faire.  A  la  Préfecture  de  police,  on  consignait  égale- 
ment un  grand  nombre  d'agents  et  une  partie  des  bri- 
gades de  sûreté.  On  donnait  pour  motif  de  ces  mesures 
la  présence  dans  la  capitale  de  MM.  Ledru-RoUin,  Louis 
Blanc  et  des  autres  réfugiés  de  Londres.  Les  com- 
missaires et  officiers  de  paix,  qui  avaient  consigné  les 


72  HISTOIRE 

agents  dans  leurs  bureaux  respectifs  ^  avaient  dû  ve- 
nir immédiatement  à  la  Préfecture  de  police.  A  minuit, 
on  les  faisait  entrer  dans  des  salles  séparées ,  où  ils 
devaient  attendre  des  ordres.  Ceux  qui  n'avaient  pas 
eu  des  agents  à  consigner,  ne  furent  prévenus  qu'à 
trois  heures  et  demie  du  matin. 

Tout  le  personnel  nécessaire  à  l'action  était  sous  la 
main  du  Préfet,  une  heure  plus  tard.  Ce  fut  à  cinq 
heures  que  les  commissaires  de  police  furent  appelés 
séparément  dans  le  cabinet  de  M.  de  Maupas,  où  ils  re- 
çurent leurs  instructions  et  leurs  mandats.  A  chacun, 
on  donnait,  pour  l'accompagner  dans  sa  mission,  des 
hommes  choisis  et  d'exécution.  Ces  agents  secondaires 
ignoraient  dans  quel  but  on  procédait  aux  arrestations; 
mais  les  commissaires  recevaient  du  Préfet  de  police  la 
confidence  précise  du  coup  d'État  fait  par  le  Président. 
Tous  lui  promirent  leur  concours  dévoué,  et  partirent, 
décidés  à  ne  reculer  devant  aucun  obstacle,  à  surmon- 
ter toutes  les  difficultés.  M.  de  Maupas,  dans  cette  cir- 
constance capitale,  avait  su  trouver  cette  éloquence  du 
cœur,  cet  accent  du  patriotisme,  qui  s'imposent  aux 
hommes  d'honneur  et  de  probité.  Pas  un  des  commis- 
saires n'hésita;  pas  un  ne  fit  une  objection.  En  des- 
cendant de  la  Préfecture,  les  commissaires  trouvaient 
sur  les  quais  des  voitures  qui  les  attendaient,  et  qui  les 
emportaient  rapidement  sur  les  points  où  ils  avaient  à 
agir.  Les  uns  emmenaient  des  escouades  de  la  Préfec- 
ture même,  les  autres  allaient  prendre  les  agents  qu'ils 
avaient  consignés  dans  leurs  quartiers  respectifs.  Seize 


Il'UN  COUP  D'ETAT.  "ri 

mandats  étaient  décernés  contre  des  représentants  sous 
prévention  de  complot  contre  la  sûreté  de  lËlal. 

Toutes  les  arrestations  devaient  être  faites  au  naénie 
instant,  et  précéder  d'un  quart  d'heure  environ  l'occu- 
pation des  points  stratégiques  par  les  troupes.  Le  palais 
de  l'Assemblée  devait  être  envahi  au  moment  même  où 
on  procédait  aux  arrestations  sur  les  différents  points  de 
Paris.  Tout  fut  exécuté  avec  une  admirable  ponctualité. 
A  six  heures,  les  sergents  de  ville  se  promenaient  dans 
les  rues  par  groupes  aux  environs  des  numéros  dési- 
gnés, prêts  à  agir  si  on  réclamait  leur  concoui-s.  A  six 
heures  cinq  minutes,  les  commissaires  procédaient  à 
toutes  les  arrestatioes.  Elles  furent  promptement  faites, 
à  l'exception  de  quelques-unes,  qui  donnèrent  plus  de 
mal,  et  que  nous  allons  signaler. 

L'arrestation  la  plus  importante  à  faire  était  celle 
du  général  Changnrnier,  qui  devait  être  le  bras  des 
complots  ourdis  contre  le  Président,  le  futur  Dictateur, 
le  Connétable  à  venir  de  la  France,  le  Monck  sur  le- 
quel comptaient  les  légitimistes  et  les  partisans  de  la 
fusion.  Le  général  Changamier,  qui  avait  tant  de  fois 
parlé  de  Vincennes,  en  avait  sans  doute  entrevu  le 
donjon  dans  ses  rêves  :  dans  cette  crainte,  il  était  tou- 
jours en  expectative  armée.  On  s'attendait  à  de  la  rési- 
stance de  sa  part  ;  il  y  avait  lieu  de  supposer  qu'elle  serait 
sérieuse.  Deux  hommes  déterminés  avaient  été  choisis 
pour  cette  arrestation  :  c'étaient  M.  Lerat,  commissaire 
de  police,  et  le  capitaine  Baudinet,  de  la  garde  répu- 
blicaine. Le  général  demeurait  rue  du  Faubourg-Saint 


74  fflSTOIRE 

Honoré,  3.  Au  coup  de  sonnette  du  commissaire,  le 
concierge  refuse  d'ouvrir.  Quelques  pourparlers  n'ob- 
tiennent rien.  On  comprend  alors  qu'il  y  a  défiance.  Un 
agent  reste  à  la  grande  porte,  pour  occuper  le  conciei^ 
et  l'empêcher  d'avertir.  Une  boutique  d'épicier,  située 
dans  la  même  maison,  est  déjàouverte.  Supposant  qu'elle 
a  issue  sur  la  cour,  le  commissaire  se  montre,  commande 
impérativement  qu'on  lui  ouvre  la  porte  de  communica- 
tion, et  entre,  suivi  de  tous  ses  agents.  Déjà  le  général 
avait  été  averti.  De  sa  loge,  le  concierge  pouvait  sonner 
à  son  appartement  ;  ce  qu'il  avait  fait.  Sur  le  palier  du 
premier,  le  commissaire  se  trouve  eu  présence  du  do- 
mestique du  général.  On  lui  arrache  la  clef  de  l'apparte- 
ment, qu'il  avait  à  la  main.  Deux  portes  sont  ouvertes 
en  même  temps  :  celle  d'entrée,  par  le  commissaire  ; 
celle  d'une  chambre  à  coucher,  par  M.  Changwoier 
lui-même,  qui,  sautant  à  bas  du  lit,  a  saisi  une  pdiH 
de  pistolets.  D'un  bond,  M.  Lerat  lui  abat  les  deux 
bras.  «  Général,  lui  dit-il,  ne  résistez  pas,  votre  vie 
n'est  pas  menacée.  »  M.  Changarnier  jeta  ses  armes, 
ordonna  à  son  domestique  de  l'habiller,  et  dit  au  com- 
missaire :  ((  M.  de  Maupas  est  un  homme  de  bonne 
compagnie;  dite&-lui  de  ne  pas  m'ôter  mon  domesti- 
que, je  ne  puis  me  passer  de  ses  services.  »  Le  com- 
missaire se  hâta  d'accéder  à  cette  demande.  En  voi- 
ture, M.  Changarnier  fit  tomber  la  conversation  sur 
l'événement  qui  s'accomplissait,  a  Le  Président  était 
sûr  de  sa  réélection,  dit-il  ;  c'est  se  donner  inutile- 
ment la  peine  d*un  coup  d'État  ;  quand  l'étranger  lui 


D'UN  COUP  D'ETAT.  75 

fera  la  guerre,  il  sera  content  de  me  metlre  à  la  tète 
d'une  année.  »  Dans  sa  position  toute  particulière,  lis 
général  eût  peut-être  agi  plus  dignement  en  gardant  le 
silence.  Arrivé  à  Mazas,  M.  Ctiangarnier  remercia  le 
commissaire  des  égards  avec  lesquels  on  l'avait  traité. 
Ordre  avait  été  donné  d'agir  de  même  avec  toutes  les 
personnes  désignées  par  les  mandats. 

Le  général  Cavaignac  demeure  rue  du  Helder,  17. 
Après  quelques  difficultés  opposées  par  le  concierge ,  le 
commissaire  Colinarriveàrenlresol  et  frappe.  La  vieille 
gouvernanle  du  général  répond  :  »  Il  est  absent.  »  A  un 
second  coup  de  sonnette,  le  général  lui-même  demande  : 
«Qui  est  là? — Commissaire  de  police.  —  Je  n'ouvre 
pas.  —  Je  vais  à  regret  faire  enfoncer  la  porte,  dit  le 
commissaire.  «  La  porte  s'ouvre  alors,  u  Général ,  re- 
prend M.  Colin ,  vous  êtes  prisonnier  ;  ne  teniez  pas  de 
résistance,  elle  ne  servirait  à  rien,  car  vous  le  voyez, 
je  ne  suis  pas  seul.  Voici  mon  mandat. — C'est  inutile, 
dit  le  général.  » 

Le  général  Cavaignac  est  un  brave  et  loyal  militaire; 
une  semblable  arrestation  lui  fut  pénible.  Quant  à  son 
courage,  nous  sommes  sûr  qu'il  ne  fut  pas  effleuré. 
Et,  nous  le  disons  en  toute  sincérité,  nous  concevons 
parfaitement  l'irritation  qu'il  éprouva,  et  qu'on  lui  a 
reprochée.  Nous  sommes  historien  sérieux  ,  et  nous  ne 
louions  pas  oublier  le  respect  que  commande  un  homme 
qui  a  tant  fait  pour  la  gloire  française  en  Afrique,  et 
en  juin ,  à  Paris,  pour  le  triomphe  de  la  société  sur  le 
désordre.  Un  instant  lui  rendit  son  calme.  Il  pria  le  com- 


76  HISTOIRE 

missaire  de  faire  retirer  son  monde,  demanda  à  écrire, 
et  quand  il  fut  prêt  à  partir  :  «  Monsieur,  dit-il ,  pouvez- 
vous  m'accorder  de  me  rendre  où  vous  me  conduisez  avec 
vous  seul?»  Le  commissaire  fît  droit  à  cette  demande. 
Dans  la  voiture,  le  général  était  profondément  préoc- 
cupé. 11  ne  rompit  le  silence  que  deux  fois  :  «  Suis-je 
seul  arrêté?  dit-il.  —  Je  ne  puis  vous  répondre  à 
cet  égard,  dit  le  commissaire  ;  »  et  un  instant  après  : 
«  Où  me  menez- vous?  —  A  Mazas.  » 

M.  le  général  Bedeau ,  vice-président  de  TÂssemblée, 
demeure  rue  de  l'Université,  70.  Le  commissaire 
Hubaut  jeune  entra  chez  le  concierge,  qui  hésita 
beaucoup  avant  de  le  conduire  à  Tappartement  du 
général.  Le  commissaire  pousse  vivement  la  porte  en- 
tr'ouverte  par  le  domestique,  qui  se  sauve  effrayé  :  Il  le 
suit  dans  la  chambre  du  général ,  auquel  il  exhibe  son 
mandat  M.  Bedeau  fut  déconcerté ,  mais  se  remettant  : 
«  Vous  violez  la  Constitution ,  vous  vous  mettez  hors  la 
loi  ;  je  suis  non-seulement  représentant  du  peuple , 
mais  encore  vice-président  de  TÂssemblée  nationale; 
ne  constatant  pas  de  flagrant  délit,  vous  ne  pouvez 
attenter  à  mon  inviolabilité.  Je  ne  conspire  pas  d'ail- 
leurs, je  vous  l'affirme.  Votre  nom?  —  Je  suis  le  com- 
missaire Hubaut.  —  Vous  m'étonnez  ;  j'ai  vu  ce  nom 
cité  honorablement  dans  la  presse ,  et  vous  venez  m'ar- 
rêter,  moi  qui  ai  versé  mon  sang  pour  défendre  l'ordre 
dans  Paris ,  moi  qui  ai  joué  ma  vie  tant  de  fois  !  — 
J'exécute  un  mandat,  dit  le  commissaire;  si  vous  savez 
jouer  votre  vie ,  je  suis  prêt  à  sacrifier  la  mienne  à  mon 


UUN  COUP  D'ÉTAT.  77 

devoir.  Ne  faites  pas  de  violence,  car  j'aurais  regret 
d'employer  des  moyens  extrêmes.  » 

M.  Hubaut  pria  le  général  de  se  lever,  ce  qu'il  fit  fort 
lentement.  Prf-t  à  partir,  il  s'adossa  à  sa  cheminée  et 
dit  avec  colère  :  «  Maintenant,  je  reste  ;  emmenez-moi 
comme  un  malfaiteur,  si  vous  l'osez;  venez,  me  pren- 
dre au  collet,  mot  qui  suis  le  vice-président  de  l'As- 
semblée. —  Ai-je  été  convenable  dans  ma  mission 
près  de  vous,  dit  le  commissaire  ? — Oui ,  Monsieur,  u 
Alors  il  fallut  saisir  le  général,  qui  fit  une  résistance 
désespérée.  On  l'empoila  dans  la  voilure.  Il  criait  :  »  A 
la  garde!  à  la  trahison!  aux  armes I  la  Constitution  est 
violée.»  En  arrivant  à  la  prison,  il  voulut  haranguer  des 
gardes  républicains  qui  ne  l'écoutèrcnt  pas.  Il  rencontra 
au  greffe  les  généraux  Le  Fto,  Changarnier,  ainsi  que 
le  général  Cavaignac qu'il  embrassa.  Tout  ce  qu'on  a  dit 
sur  de  prétendues  blessures  est  entièrement  faux.  Malgré 
soi,  on  éprouve  un  sentiment  pénible  en  voyanlce brave 
soldat  employer  la  résistance  physique  devant  la  force 
publique ,  surtout  quand  il  sait  que  la  lutte  est  impuis- 
Banlc  et  qu'il  est  en  face  d'hommes  qui  ne  doivent  pas 
discuter  leur  mandat. 

Rue  Las-Cazes,  1 1 ,  le  concierge  refusa  à  M.  le  com- 
missaire Blanchet  l'indication  de  l'appartement  du  gé- 
néral de  Lamoricière,  et  ne  voulut  pas  donner  de  lu- 
mière pour  y  monter.  Au  premier  étage,  le  domestique 
otjvre  et  referme  la  porte;  puis  il  revient,  tenant  à  ta 
main  une  lampe  qu'il  éteint  en  apercevant  l'écharpe  du 
commissaire ,  et  descend  rapidement  un  escalier  dérobé 


78  HISTOIRE 

en  criant  :  «  Au  voleur  !  »  Des  sergents  de  ville  l'arrê- 
tent à  la  porte  de  l'hôtel,  et,  dans  la  lutte,  il  reçoit 
dans  la  cuisse  une  blessure  légère  qui  ne  Tempêche  pas 
de  remonter  et  de  guider  le  magistrat  à  la  chambre  du 
général.  Peu  de  temps  at)rès ,  ce  domestique  était  com- 
plètement guéri.  Nous  tenons  du  médecin  qui  Ta  soigné 
que  la  plaie  était  fermée  le  quatrième  jour. 

D'abord  le  général  a  gardé  le  silence  ;  puis,  s' adres- 
sant au  domestique  :  a  Qu'est  devenu  l'argent  que  j'ar- 
vais  mis  sur  cette  cheminée?  — 11  est  en  sûreté. — 
Donnez-moi  mon  habit.  — Monsieur,  lui  dit  le  com- 
missaire, ce  que  vous  venez  de  dire  est  outrageant 
pour  moi.  — Sais-je  si  vous  n'êtes  pas  des  malfai- 
teurs? répondit  le  général.  »  M.  Blanchet  montra  son 
écharpe  et  dit  :  a  M.  de  Maupas  veut  qu'on  vous  traite 
avec  infiniment  d'égards;  promettez-moi  de  ne  faire 
aucune  tentative  de  fuite ,  et  vous  monterez  dans  un 
coupé,  seul  avec  moi.  —  Je  ne  vous  promets  rien; 
traitez-moi  comme  vous  voudrez.  »  Il  monta  dans  un 
fiacre  avec  des  agents.  En  passant  devant  le  poste  de  la 
Légion-d'Honneur,  le  général,  mettant  la  tète  à  la  por- 
tière ,  voulut  haranguer  la  troupe.  Le  commissaire  l'en 
empêcha  vivement  et  le  menaça  d'user  de  moyens  de 
rigueur.  <x  Gomme  il  vous  plaira,  dit  le  général.»  A 
Mazas,  il  était  redevenu  calme.  11  pria  le  commissaire 
de  ne  pas  saisir  certaines  armes  précieuses ,  de  lui  faire 
passer  des  cigares  et  V Histoire  de  la  Révolution  fronr- 
çaise. 

M.  Thiers  habite  ptice  Saint-Georges,  1.  I^e  com- 


D'UN  COUP  D'ÉTAT.  73 

inissaire  Hubaut  ainô  était  chargé  de  son  arrestation. 
M.  Thiei-s  dormait  profondément,  et  son  domestique 
dut  le  réveiller.  M.  Thicrs ,  s' asseyant  vivement  sur  son 
.  Jil,  demande:  h  De  quoi  s'agit-il? — Je  viens  vous 
^  arrêter;  mais  vous  pouvez  être  sans  crainte .  votre  vie 
n'est  aucunement  menacée,  dit  M.  Hubaut.»  Après 
cette  assurance  du  commissaire,  M.  Tliiers  revint 
proraptcment  à  lui.  De  prime  abord  ,  il  avait  été  con- 
sterné. L'ex-ministre,  avec  son  habileté  et  sa  souplesse 
Ordinaires,  comprit  qu'il  ne  courait  aucun  danger  sé- 
rieux ,  et  dès  \ovs  changea  complètement  d'attitude.  Il 
fut  constamment  narquois  et  railleur,  allégua  son  invio- 
labilité de  représentant ,  dit  que  la  Constitution  était 
violée ,  et  voulut  entrer  en  discussion  avec  le  commis- 
saire. Celui-ci  répondit  :  u  Je  dois  exécuter  mon  man- 
dat et  non  discuter  un  point  de  droit  politique,  n 
Puis  il  ajouta  :  a  J'obéis  aux  ordres  qui  m'ont  été  don- 
nés, comme  j'eusse  obéi  aux  vôtres  quand  vous  étiez 
ministre  de  l'intérieur.»  M.  Tliiers  continua  d'un 
ton  n;oqueur,  en  s'adressant  au  commissaire:  «Mais 
c'est  un  coup  d'Étal  ce  que  vous  faites  là!  Savez-vous 
que  vous  pourriez  bien  porter  votre  tête  sur  l'écha- 
faud  î  Si  je  vous  brillais  la  cervelle  î  a  A  cette  dernière 
apostrophe,  M.  Hubaut  répondit  :  nOh!  Monsieur, 
je  ne  vous  en  crois  pas  capable;  d'ailleurs,  j'ai  pris 
mes  précautions,  et  saurais  bien  vous  en  empêcher.» 
Le  commissaire  ne  trouvant  rien  de  politiqire  dans  les 
papiers  de  M.  Thiers,  en  manifesta  sa  surprise,  n  De- 
puis longtemps,  dit  M.  Thiers,  j'adresse  ma  corres- 


80  HISTOIRE 

pondance  politique  en  Angleterre.  »  Il  parut  fort  trou* 
blé  quand  on  le  pria  de  descendre.  Il  crut  qu'on  le 
conduisait  chez  le  Préfet  de  police.  En  route ,  il  s'efforça 
constamment,  par  toutes  sortes  d'arguments,  de  détour- 
ner les  agents  de  l'accomplissement  de  leur  devoir. 
Quand  il  fut  arrivé  à  la  prison ,  il  voulut  garder  encore 
le  ton  de  plaisanterie  qu'il  avait  pris  tout  d'abord.  Il 
affecta  de  demander  s'il  pourrait  avoir  son  café  au 
lait.  On  eut  constamment  pour  lui  les  attentions  les  plus 
grandes;  l'ordre  en  était  donné.  M.  Thiers  ne  put  pas 
garder  plus  longtemps  le  rôle  factice  qu'il  avait  pris  d'ar 
bord,  et  un  certain  abattement  s'emparade  lui.  Rendu  au 
greffe ,  il  pria  le  commissaire  de  remettre  une  lettre  à  8â. 
femme.  Il  ne  voulut  pas  ensuite  signer  le  procès-verbal 
d'arrestation,  prétendant  que  c'eût  été  reconnaître  une 
autorité  qu'il  regardait  comme  illégitime. 

Avec  l'esprit  de  convenance  qui  le  distingue ,  le  com- 
missaire Hubaut  n'a  pas  pris  garde  à  l'attitude  assez  peu 
digne  de  l'ex -ministre ,  et  n'a  pas  entendu  certaines 
plaisanteries  qu'il  a  cru  pouvoir  se  permettre.  Nous 
caractériserons  d'un  mot  cette  arrestation.  Le  com- 
missaire de  police  est  resté  plein  de  convenances  et  de 
dignité. 

M.  le  colonel  Gharras,  qui  demeure  rue  du  Fau- 
bourg-Saint-Honoré,  14,  non  loin  du  général  Changar- 
nier,  avait  dit ,  à  l'Assemblée ,  qu'il  brûlerait  la  cervelle 
de  quiconque  viendrait  pour  l'arrêter.  Dans  le  public, 
le  bruit  a  couru  qu'il  avait  tué  un  commissaire.  Un  jour- 
nal étranger  a  écrit  qu'il  en  avait  tué  trois.  M.  Chaivas 


D'UN  COl'P  D'ÉTAT.  Bl 

n'a  tué  personne.  Il  n'a  fait  que  de  la  rôsisiance  pas- 
sive. Sur  son  refus  d'ouvrir,  le  commissaire  Courteille 
l'ut  obligé  de  faire  enfoncer  sa  porte.  Voyant  qu'on  en 
brisait  les  panneaux,  il  dit:  «  Arrêtez,  j'ouvre.  »  Il  le 
fit.  Lorsque  le  commissaire  lui  eut  fait  connaître  son 
mandat,  le  colonel  lui  dit:  o  Je  m'y  attendais,  mais 
j'avais  cru  que  c'aurait  été  deux  jours  plus  tôt  el  j'avais 
chargé  mon  pistolet  dans  cette  attente.  Si  vous  étiez 
venu,  il  y  adeus  jours,  je  vous  aurais  brûlé  la  cervelle; 
maintenant,  mon  pistolet  est  déchargé.  »  Le  commis- 
saire prit  sur  une  commode  le  pistolet  à  deux  coups  que 
lui  montrait  le  colonel,  se  félicitant  que  M.  Charraseùt 
fait  erreur  de  date.  En  route,  le  colonel  demanda  si  on 
le  menait  fusiller.  —  «  On  vous  mène  à  Mazas,  »  ré- 
pondit le  commissaire.  Pareille  chose  entrait-elle  dans 
les  prévisions  d'un  coup  d'État  de  la  part  de  ces  Mes- 
sieurs? nous  aimons  à  penser  que  non.  A  Mazas, 
M.  Charras  refusa  énergîquement  de  dire  ses  nom, 
prénoms  et  qualités  autre  que  celle  de  Représenlaiit 
du  Peuple,  exigeant  qu'on  écrivit  ce  litre  sur  le  registre 
d'écrou. 

Le  n°  27  de  la  rue  Casimir-Périer  est  celui  de  la  mai- 
son qu'habite  M.  Charles  Lagrange,  célébrité  culmi- 
nante de  la  Montagne.  Réveillé  en  sursaut  par  les  cris 
d'effroi  de  sa  domestique,  M.  Lagrange  n'a  que  le 
temps  de  passer  un  vêtement  et  se  trouve  en  face  du 
commissaire  Boudrot  qui  vient  l'arrêter,  a  Je  suis 
représentant,  dit-il;  vous  violez  la  Constitution.  Un 
seul  coup  de  pistolet  tiré  de  ma  fenêtre  pourrait  ap|)eler 


82  HISTOIRE 

le  peuple  aux  armes.  Si  je  me  dérendais,  je  pourrais  vous 
tuer.  Vous  ne  m'arracherez  de  chez  moi  que  par  vio- 
lence. »  Il  est  probable  que  ce  coup  de  pistolet  tiré  par 
la  fenêtre  de  M.  Lagrange  n'aurait  pas  eu  le  même  effet 
que  celui  qui  fut  tiré  au  boulevard  des  Capucines  en 
février  1848.  On  saisit  chez  M.  Lagrange  beaucoup  de 
papiers  politiques,  un  fusil  de  calibre,  deux  pistolets, 
deux  moules  à  balles,  des  cartouches,  trois  poignards 
et  un  sabre  de  cavalerie,  pris  le  24  février  à  M.  Kerkan, 
actuellement  maréchal*  des-logis  de  la  garde  républi- 
caine. En  se  rendant  à  Mazas ,  M.  Lagrange  dit  :  «  Le 
coup  est  hardi,  mais  bien  joué.  »  Rendu  à  cette  pri- 
son, il  dit  au  général  de  Lamoricière  :  «  Eh  bien  !  géné- 
ral, nous  voulions  le  f. ...  dedans  et  c'est  lui  qui  nous  y 
met.  »  On  trouva  tant  de  papiers  politiques  à  son  domi- 
cile, qu'on  mit  cinq  heures  à  les  feuilleter.  M.  Lagrange 
avait  la  monomanie  de  la  paperasserie  politique. 

Le  commissaire  Gronfier  était  chargé  de  l'arrestation 
de  M.  Greppo,  rue  de  Ponthieu,  n*  15.  Ce  socialiste 
redouté  portait  habituellement  une  longue  barbe  qui 
donnait  quelque  chose  de  viril  et  de  martial  à  sa  phy- 
sionomie. Il  passait  pour  un  des  membres  les  plus  éner- 
giques de  la  Montagne.  En  voyant  un  pistolet  chargé, 
plusieurs  poignards  et  une  hache  d'armes  fraîchement 
aiguisée  sous  son  chevet,  à  côté  d'un  magnifique  bonnet 
rouge,  le  commissaire  crut  que  M.  Greppo  s'était  préparé 
ji  une  résistance  énergique  et  désespérée  ;  il  n'en  était 
rien.  M.  Greppo  fit  connaître  qu'il  avait  acheté  tout  cet 
arsenal  parce  qu'il  avait  du  goûl pour  la  marine.  En  vain, 


D'IN  COUP  D'ÉTAT.  H'A 

madame  Grcppo  voulut-elle  donner  à  son  mari  une  atti- 
tude plus  belliqueuse;  en  vain  lui  dit-elle  :  a  II  n'est  pas 
possible  d'être  si  peu  résolu  et  de  se  laisser  prendre 
ainsi.  »  M.  Greppo  ne  s'appartenait  plus  et  subissait,  de 
la  façon  la  plus  déplorable,  l'influence  de  la  peur. 
Quelques  jours  plus  tard,  madame  Greppo  se  présen- 
tait au  ministère  de  l'intérieur  et  disait  :  «  Ce  n'est  pas 
de  tout  ça,  J'ai  un  enfant,  il  faut  que  je  le  nourrisse,  et 
je  viens  savoir  quand  on  nous  paiera  le  mois  de  novem- 
bre. »  Peu  nous  importent  les  termes.  Il  y  a  chez  cette 
femme  deux  bons  sentiments  :  de  l'énergie,  quand  elle 
prend  sérieusement  son  mari  pour  un  homme  poHtique, 
et  de  l'amour  maternel.  Seulement  M.  et  M»*  Greppo 
eussent  dû  rester  où  la  Providence  les  avait  mis  :  chacun 
à  son  rôle,  chacun  à  sa  place.  Les  aptitudes  ne  vien- 
nent pas  avec  les  théories  folles  et  les  rêves  d'ambition. 
Quant  aux  arrestations  de  MM.  Roger  (du  Nord), 
Baune,  Valentin,  Cholat,  Miotet  Nadaud,  elles  n'offrent 
rien  de  bien  remarquable.  M.  Roger  (du  Nord)  dit  eu 
parlant  du  coup  d'État  :  «  Cela  vaut  encore  mieux  que 
le  rôle  stupide  que  nous  jouions  tous  à  l'Assemblée.  » 
M.  Nadaud  dit  au  commissaire  Desgranges  :  t  Vous 
pouvez  vous  tenir  assuré,  Monsieur,  que  des  interpel- 
lations seront  faites  à  l'Assemblée  à  propos  de  l'atten- 
tat que  vous  commettez  sur  ma  personne.  »  M.  Cholat 
invita  le  commissaire  Âllard  à  prendre  de  l'absinthe. 
Il  en  but  lui-même  deux  énormes  verres.  Cette  liqueur 
produisit  son  effet  sur  la  route.  Calme  au  départ,  il  se 
mit,  en  allant  àMazas,  à  appeler  aux  armes  les  balayeurs 


84  HISTOIRE 

seuls  personnages  à  peu  près  qu'à  cette  heure  matinale 
la  voiture  rencontrât  sur  sa  route. 

Les  autres  individus  contre  lesquels  étaient  décernés 
des  mandats,  ont  été  arrêtés  à  domicile,  soit  par  des  com- 
missaires, soit  par  des  officiers  de  paix,  et  ont  été  con- 
duits de  la  Préfecture  de  police  à  Mazas.  Deux  seule- 
ment sur  soixante-dix-buit  ont  pu  se  soustraire  par  la 
fuite  à  l'exécution  du  mandat  décerné  contre  eux. 

Toutes  ces  arrestations  furent  faites  avec  un  ensemble 
et  une  précision  vraiment  remarquables.  A  l'exception 
de  deux  ou  trois,  celle  de  M.  Thiers  notamment,  au- 
cune ne  demanda  plus  de  vingt  minutes. 

La  prison  Mazas,  ce  modèle  des  prisons  modernes  ^ 
avait  été  désignée  pour  recevoir  les  représentants  et  la 
plupart  des  autres  personnages  arrêtés  comme  eux 
le  matin  du  2  décembre.  Tous  y  ont  été  conduits  dans 
des  voitures  et  y  furent ,  pendant  leur  séjour,  l'objet 
de  tous  les  soins  possibles.  Le  colonel  Thirion  avait 
accepté  la  mission  de  veiller  sur  les  prisonniers.  Il 
concilia  parfaitement  les  mesures  destinées  à  assurer 
leur  garde,  avec  les  égards  qu'on  avait  recommandé 
d'avoir  pour  eux. 

Pendant  que  s'accomplissaient  les  mesures  qui  étaient 
du  ressort  de  la  Préfecture  de  police,  celles  qui  étaient 
dans  les  attributions  du  ministre  de  la  guerre  s'exécu-* 
taient  avec  non  moins  d'ensemble,  de  vigueur  et  d'ha- 
bileté. Ainsi  que  nous  l'avons  dit  déjà,  M.  le  général 
Magnan  avait  reçu  ses  instructions  à  trois  heures  et 


^^  ^  D'UN  COCP  D'ÉTAT.  85 

demie  du  matin  dans  le  cabioeldu  ministre  de  la  guerre. 
De  retour  à  son  état-major,  aux  Tuileries,  il  les  trans- 
mettait immédiatement  aux  différents  chefs  de  corps 
qui  devaient  agir. 

La  plus  iitiportante  des  opérations  militaires  à  accom- 
plir était  l'occupation  du  palais  de  l'Asseniblée  natio- 
nale. Tout  ce  qui  concernait  les  mesures  à  prendre,  le 
2  décemhre,  sur  l'occupation  de  la  rive  ganche  de  la 
Seine  fut  confié  au  général  de  division  Renaud;  ses 
talents  militaires  bien  connus,  son  dévouement  à  ta  dis- 
cipline et  son  attachement  au  Président  de  la  République, 
l'avaient  fait  choisir  pour  cette  mission  délicate.  Quant 
à  l'occupation  proprement  dite  du  palais  de  l'Assemblée, 
on  avait  choisi,  pour  l'exécuter,  te  colonel  Espînasse, 
t'uti  rtc§  plus  brillants  officiers  de  noire  jeune  armée. 
LecolonclEspinasse,  homm'îd'entrainemcnt,  d'énergie 
et  d'un  courage  qui  ne  calcule  jama-s  le  danger  en  face 
du  devoir,  a  fait  ses  preuves  au  fameux  assaut  de  Rome, 
oii  il  entraîna  si  \aiUamment  son  régiment;  puis  en 
Afrique,  où  tant  de  fois,  dans  la  dernière  guerre,  il  se 
monira  plein  de  bravoure,  d"-  sang-froid  et  de  véritable 
talent  militaire,  notamment  dans  ses  combiits  d'arrière- 
garde. 

Depuis  quelcpic  temps  déjiï,  et  notamment  la  veille , 
il  avait  étudié  le  Palais  législatif  et  ses  abords.  Il  était 
prêt  k  agir.  L'Assemblée  était  gardée  dans  la  nuit  du 
lundi  par  un  bataillon  du  42*  de  ligne,  commandé  par 
le  chef  de  bataillon  Meunier,  sous  les  ordres  supérieurs 
du  lieutenant-colonel  Niel  du  4i'  de  ligne,  nui  avait  été 


ae  HISTOIRE 

choisi  parles  questeurs  au  nom  de  l'Assemblée.  Les  offi- 
ciers du  42*  avaient  été  mandés  dans  la  nuit  à  rËcole 
militaire. 

A  quatre  heures  du  matin,  M.  de  Persigny  arrivait  à 
TËcole  militaire  chez  le  général  Renaud,  et,  d'après  les 
ordres  du  ministre  de  la  guerre,  l'invitait  à  agir.  A 
cinq  heures,  toutes  les  troupes  étaient  sur  pied,  igno- 
rant encore  ce  qu'on  allait  faire ,  mais  dévouées  à  quoi 
que  ce  fût  pour  le  salut  de  la  France.  Ceux  qui  cal- 
culaient sans  la  discipline  de  l'armée  et  sans  le  senti- 
ment de  solidarité  fraternelle  qui  unit  les  chefs  aux 
soldats,  et  réciproquement,  étaient  des  insensés.  Us 
doivent  être  aujourd'hui  bien  désabusés. 

A  cinq  heures  et  demie  précises ,  le  colonel  Elspinasse 
partait  de  TÊcole  militaire  avec  quatre  compagnies 
d'élite  seulement  des  deux  bataillons  de  son  régiment, 
Je  42%  qui  restaient  au  quartier.  Les  sapeurs  raccom- 
pagnaient. Le  reste  des  deux  bataillons  devait  se  porter 
sur  l'Assemblée  à  six  heures  moins  un  quart.  La  marche 
fut  silencieuse.  On  fit  halte  assez  loin  de  la  grille  pour 
n'être  pas  aperçu.  Le  colonel  s'avança  avec  ses  sapeurs 
qu'il  laissa  à  distance,  et  leur  montrant  une  petite 
porte  qui  donne  sur  la  rue  de  l'Université ,  il  leur  dit: 
«  Je  vais  frapper  à  cette  porte  ;  si  on  l'ouvre,  dès  que 
vous  me  verrez  entrer  vous  arriverez.  »  On  l'aurait  cer- 
tainement enfoncée  si  on  eût  refusé  de  l'ouvrir. 

Le  colonel  frappait  à  cette  porte  à  six  heures  à  pen 
près.  On  Touvre ,  il  entre ,  et  immédiatement  arrivtDt 
les  sapeurs ,  qui  sont  bientôt  suivis  |ji|j||  les  grap»'*'"'"" 


D'UN  COUP  D'ÉTAT. 
Arrivé  dans  l'intérieur,  le  colonel  rencontre  son  cbef  de 
bataillon  Meunier  auquel  il  dit  :  «  Je  viens  renforcer  la 
garde  de  l'Assemblée  et  en  prendre  le  commandement.  » 
Le  commandant  hésite,  fait  des  objections  en  parlant 
de  sa  consigne.  «  Vous  me  reconnaissez  pour  votre 
colonel?  dit  M.  Espinasse;  en  celte  qualité,  je  vous  or- 
donne d'obéir.  »  Le  commandant  crut  devoir  donner  sa 
démission  et  retourna  immédiatement  à  son  logis  à 
l'École  militaire.  Le  bataillon  de  garde  fui  renvoyé  au 
quartieret  remplacé  par  lesrleux  autres bataillonsdu 42'. 
A  l'instant  où  le  colonel  s'emparait  du  Palais  légis- 
latif, des  commissaires  y  entraient  pour  procéder  à 
l'arrestation  de  MM.  Le  Flô  et  Baze,  questeurs  de  l'As- 
semblée. Dix  agents  accompagnaient  chacun  d'eux.  , 
M.  Le  Flô  était  au  lit  quand  le  commissaire  Dcriogliose 
pi'ésenta  et  lui  (il  connaître  son  mandat.  Le  bouillant 
et  irritable  questeur  se  lève  âlahàle,  et  tout  en  s'habil- 
lant  menace  le  commissaire ,  et  ne  ménage  en  aucune 
façon  son  langage  contre  te  Président.  «  Ah  1  Napoléon 
veut  faire  son  coup  d'État  !  Eh  bien ,  nous  le  fusillerons 
à  Vincennes;  et  vous,  nous  ne  vous  bannirons  pas  à 
Nouka-Hiva,  nous  vous  fusillerons  en  même  temps  que 
Jui.  —  Ne  résistez  pas,  dit  le  commissaire,  nous  sommes 
en  état  de  siège  ;  en  qualité  de  militaire,  vous  savez  ce 
que  cela  veut  dire.» 

En  descendant  de  son  appartement,  M.  le  général 
Le  Flô  s'emporta  en  propos  acerbes  contre  le  colonel 
1  Espinasso  qui  était  à  la  tète  des  troupes.  Sa  colère  dé- 
passa toutes  \pA  hontes  :  il  voulut  hanmgiier  les  soldats,  g 


88  HISTOIRE 

Le  colonel  lui  commanda  de  se  laire  et  les  grenadiers 
croisèrent  la  baïonnette  sur  lui.  On  le  mit  en  voiture, 
où  il  garda  le  silence  jusqu'à  Mazas. 

On  conçoit  l'exaspération  du  général  Le  Flô  à  un 
certain  point  de  vue.  On  faisait  contre  lui  ce  qu'il  espé- 
rait faire  contre  le  Président.  Il  était  de  ceux  qui  per- 
daient la  partie  ;  mais  il  devait  être  juste ,  même  dans 
son  désappointement.  Il  parlait, d'honneur  militaire  au 
colonel  Espinasse,  qui  l'entend  sinon  mieux,  du  moins 
aussi  bien  que  personne.  La  France  a  répondu  avec 
huit  millions  de  voix  qu'il  y  avait  plus  d'honneur  à 
défendre  le  Président  qu'à  le  trahir. 

La  façon  dont  M.  Baze  a  résisté  à  ceux  qui  Tarrê- 
taient  nous  interdit  d'entrer  dans  des  détails.  Tout  le 
inonde  connaît  l'àpreté  méridionale  de  ce  questeur  et 
l'ardeur  incessante  qu'il  a  mise  à  attaquer  sans  cesse, 
ouvertement,  et  d'une  façon  latente,  le  prince  Président. 
On  connaît  sa  campagne  à  la  prison  Mazas.  Il  nous  suf- 
fira de  dire  que  M.  Baze,  sortant  de  son  lit  sans  se  don- 
ner le  temps  de  se  vêtir,  a  crié  et  protesté  de  toutes  les 
façons  et  mis  le  cominissaire  hors  la  loi,  et  qu'il  a  fallu 
l'emporter  de  vive  force  jusqu'à  un  étage  inférieur,  où 
il  a  voulu  haranguer  les  soldats.  M.  Baze,  qui  jusqu'à 
ce  moment  avait  fait  la  plus  héroïque  défense,  a  été 
complètement  déconcerté  en  voyant  rire  les  soldats  et 
de  l'état  dans  lequel  il  se  trouvait,  et  de  l'accent 
méridional  avec  lequel  il  leur  adressait  ses  réquisitions. 
C'est  alors  seulement  qu'il  a  consenti  à  se  vêtir,  li  est 
monté  en  voiture  sans  résistance. 


D'UN  COUP  D'ÉTAT.  8» 

On  a  saisi  chez  M.  Baze  les  deux  pièces  suivaotes, 
qui  montrenl  clairement  quelle  était  l'intention  des 
conspirateurs.  Si  la  proposition  eût  passé  le  17  novem- 
bre, la  mise  à  exécution  des  deux  décrets  que  nous  ci- 
tons ne  laissait  au  pouvoir  exécutif  ni  un  soldat,  ni 
même  un  garde  national.  Est-ce  clair? 

pREMiEn   DÉCRirr. 

Le  Présidcnl  de  l'Assemblée  nationale , 

Vu  l'article  32  de  la  Constitution,  ainsi  conçu  : 

«L'Assemblée  détermine  le  lieu  de  sesséances,elleflierira[Hirtance 
■  des  forces  militaires  établies  pour  sa  silreté,  et  elle  en  dispose.» 

Vu  l'anicle  1 12  du  décret  réglementaire  de  l'Assemblée  nationale , 
ainsi  conçu  : 

•  Le  PrésiJent  est  chargé  de  veiller  à  la  sùrelé  intérieure  et  exté- 
a  rieure  de  l'Assemblée  nationale.  ■ 

Acet  cfTet,  il  cicrceau  nom  de  l'Assemblée  le  droit  confié  au  pou* 
voir  législalir,  par  l'arliclc  3%  de  la  Constitution  ,  de  liicr  l'importance 
des  forces  militaires  établies  pour  sa  sCireté ,  et  d'en  disposer. 

Ordonne-àM.  . . . ,  de  prendre  immédiatement  le  commandement 
DE  TOUTES  LES  FORCES ,  TANT  DE  L'ARMËE  QUE  DE  LA  GARDE 
NATIONALE  STATIOXSÉES  DAKS  LA  PREMIÈRE  DIVISION  MIU- 
TAIRE,  pour  garantir  la  Eilreté  de  rAsscmlilÉe  uatiouale. 

Fait  au  palais  de  l'Assemblée  nationale  ,  le 


Le  Préaident  de  l'Assemblée  nationale ,  etc. , 

Vu  r&rtfcle  3S  de  la  Constitution , 

Va  l'article  iiSdn  décret  régiemenlaire,  etc., 

Ordonne  à  tout  giinéral,  à  tout  commandant  de  corps  o 


9a  HISTOIRE 

ment ,  tant  de  Varinée  que  de  la  garde  nationale ,  stationnée  dans  la 

première  division  militaire,  d'obéir  aux  ordres  du  général 

chargé  de  garantir  la  sûreté  de  TAssembléc  nationale. 

Fait  au  palais  de  l'Assemblée  nationale  ,  le 


Ainsi,  à  six  heures  vingt  minutes  ou  six  heures  et 
demie  au  plus  tard,  le  Palais  législatif  était  occupé  et 
toutes  les  arrestations  étaient  faites.  M.  de  Persigny,  qui 
avait  accompagné  le  colonel  Espinasse  depuis  l'École 
militaire  et  qui  avait  assisté  à  l'occupation  du  palais 
Bourbon ,  rentrait  avant  sept  heures  à  l'Elysée,  pour 
rendre  compte  au  Président  de  cette  importante  opéra- 
tion. 

Le  colonel  Espinasse  a  procédé ,  dans  l'enlèvement 
du  Palais  législatif,  avec  une  habileté  qui  n'a  d'égale 
que  l'énergie  qu'il  a  déployée.  Mais,  ce  qui  est  admirable 
surtout,  c'est  la  direction  imprimée  à  la  police,  c'est  la 
précision,  l'unité  et  la  vigueur  de  son  action. 

Nous  avons  été  sobre  dans  le  portrait  de  M.  de  Mau- 
pas;  lui-même,  en  quelque  sorte,  nous  avait  imposé 
cette  réserve  par  la  modestie  qu'il  avait  montrée  clans 
sa  circulaire  d'installation  aux  habitants  de  Paris.  Ce 
magistrat,  qui  débutait  dans  des  fonctions  où  plusieurs 
avaient  laissé  des  souvenirs  de  haute  capacité ,  d'habi- 
leté très-grande,  y  a  révélé  une  puissance  vraiment 
étonnante. 

Encore  peu  connu  de  ses  agents,  il  les  conquiert  au 
moment  d'agir.  Beaucoup  sont  indifférents  peut-âtre  à 
telle  ou  telle  modification  politique  ;  au  nom  du  salul  de 


D'UN  COUP  D'ÉTAT.  9i 

la  France,  il  a  le  talent  d'en  faire  des  hommes  qui  lui 
prêtent  un  concours  aveugle,  tant  il  est  dévoue.  Ils  sont 
à  lui ,  comme  des  soldats  à  ces  chefs  qui  savent  les 
entraîner.  On  n'en  peut  douter,  cette  arrestation  des 
notabilités  de  l'Assemblée  était  le  pivot  du  coup  d'État; 
sans  elle  hardiment  faite ,  que  de  malheurs  peut-être  ! 
c'était  la  guerre  civile  au  lieu  de  l'émeute.  Il  fallait  un 
homme  qui  se  dévouât  pour  en  sauver  des  milliers.  Ce 
coup  merveilleux ,  porté  par  M.  de  Maupas ,  nous  donne 
la  mesure  de  ce  qu'il  fera  plus  tard.  Nous  le  dirons  en 
détail;  en  quinze  jours ,  Paris ,  purgé  des  bandits ,  des 
démagogues,  de  tout  ce  qui  fait  des  barricades ,  vole 
et  assassine ,  prodigieux  résultat ,  atteint  avec  une 
énergie  et  une  sûreté  extraordinaires.  Tout  le  monde 
rend  justice  à  M.  de  Maupas  :  on  aime  cette  loyauté^ 
cette  franchise  d'action  qui  va  droit  au  but  et  ne  le 
tourne  pas.  Cet  administrateur  entend  la  police  comme 
il  convient  sous  un  gouvernement  vraiment  fort ,  qui 
vise  à  se  faire  estimer  par  sa  droiture  et  par  ses  allures 
loyales. 

Dans  le  public ,  toujours  si  bien  renseigné  sur  ce 
qu'il  ignore  le  plus,  on  a  parlé  d'un  prétendu  c  incours 
officieusement  prêté  par  M.  Carlier.  11  aurait ,  au  minis- 
tère de  l'intérieur,  utilisé  son  expérience  au  profit  de 
l'action  de  ce  ministère  sur  la  Préfecture  de  police. 
Pour  être  historien  fîdèle,  pour  donner  à  chacun  la 
part  qui  lui  revient  dans  les  grands  événements  de  Dé* 
cembre,  nous  avons  voulu  savoir  la  vérité  à  cet  égard. 
Ces  bruits  d'un  instant  n'ont  jamais  eu  le  moindre  fon- 


1 


demftnt.  M.  de  Mau'pas,  en  ce  qui  concerne  son  admi- 
iiislratîon,  a  lout  dirigé,  comme  il  a  tout  exécuté,  On 
conçoit  que  pei-sonne  n'eût  consenti  à  imposer,  à  ac- 
cepter, à  préler  un  concours ,  qui ,  ne  déplaçant  pas 
une  responsabilité  si  haute,  l'eût  augmentée  ou  amoin- 
drie. Chacun  des  acteurs  de  ce  grand  drame  politique 
a  couvert  entièrement  de  sa  tête ,  el  de  sa  lèle  toute 
seule  ,  l'action  de  ceux  qui  agissaient  sous  ses  ordres. 

A  six  heures  et  demie,  M.  de  Morny  s'installait  au 
ministère  de  l'intérieur  avec  deux  cent  cinquante  chas- 
seurs de  Vrncennes  et  remettait  à  M.  de  Thorigny,  son 
prédécesseur,  une  lettre  du  prince  Louis-Napoléon , 
qui  lui  faisait  part  des  mesures  suprêmes  qu'il  mettait  à 
exécution,  et  le  remerciait  de  ses  loyaux  services. 

Vers  celte  même  heure  de  la  matinée,  M.  Forloul, 
l'un  des  ministres,  recevait  du  Président  une  lettre  qui 
commençait  ainsi  : 

«  Mon  chur  Fortoul,  je  vous  dirai  pourquoi  je  ne 
vous  avais  |ias  fait  part  de  mon  secret,  etc.  »  M.  For^ 
toul,  connue  plusieurs  autres,  savait  que  le  coup  d'ËUl 
aurait  lieu;  mais  le  Président,  comme  nous  l'avons 
dit,  n'avait  initié  au  moment  même  que  ceux  qui  lui 
étaient  nécessaires  pour  l'action. 

Pendant  ce  temps,  arrivaient  de  toutes  paris,  à  la 
Préfecture  de  police,  des  prisonniers  ignorant  les  mo- 
tifs de  leur  arrestation.  Les  afficheurs  de  la  caj>itale. 
qu'on  aviiil  appelés,  y  étaient  réunis.  Les  myriades 
d'agents  (pli  se  repliaient,  après  les  arrestations  faites, 
se  demandaient  ce  que  voulait  dire  ce  qui  se  passait. 


J 


D'UN  COlt'  D'ETAT.  93 

Celait  pour  tout  ce  monde  un  mystère,  une  énigme 
dont  personne  n*avait  le  mot.  Les  employés,  qui  arri- 
vaient à  leur  jioste,  ne  s'expliquaient  pas  plus  ce  mou- 
vement prodigieux. 

A  sept  heures,  les  afficheurs  partirenl  de  la  Pré- 
feclure  de  police  dans  toiiles  les  directions  pour  pla- 
carder sur  les  murs  de  la  capilale  les  afficlics  qu'on 
venait  deleurdistriliuer. 

A  la  même  heure,  la  brigade  Ripert,  division  Re- 
naud, occupait  la  place  Bourbon  et  ses  abords.  Ce  ne 
fut  qu'à  huit  heures  cl  demie  que  la  brigade  Forey  prit 
position  sur  le  quai  d'Orsay. 

Tout  est  exécuté  avec  une  admirable  précision,  avec 
un  ensemble  qui  n'a  pas  fait  faute  dans  une  seule  de 
ses  parties.  Le  plan,  simple  comme  tout  ce  qui  est 
fort,  n'a  pas  rencontré  d'obstacles,  ou  plutôt  tous  les 
obstacles  ont  été  enlevés,  sans  coup  férir,  par  l'habileté 
Lde  tous  ceux  qui  ont  agi. 


Dans  cette  saison,  la  grande  cité  sommeille  encore  k 
l'heure  qu'il  est.  On  n'entend  dans  les  rues  que  le 
bruit  des  voilures  qui  l'approvisionnent;  on  n'y  voit 
que  quelques  rares  ouvriers  se  rendani  au  travail.  Mais 
aujourd'hui  Paris  s'éveille  tout  à  coup.  Il  semble  qu'une 
secousse  électrique  ait  au  même  instant  commotionné 
«es  vastes  quartiers.  Qu'est-ce  donc?  c'est  la  grande 
nouvelle  qui  vole,  rapide  comme  l'éclair,  et  qui,  dans 
un  instant,  est  répétée  partout  :  <•  C'est  le  coup  d'État, 
dit-on  ;  l'Assemblée  dissoute,  le  suffrage  universel  ré- 


94  HISTOIRE 

tabli,  Paris  en  état  de  siège.  »  Partout  on  peut  lire  sur 
les  murs  de  la  capitale  les  pièces  suivantes  : 

AU  NOM  DU  PEUPLE  FRANÇAIS. 

Le  Président  de  la  République, 
Décrète: 

Art.  \^,  L'Assemblée  nationale  est  dissoute. 

Art.  2.  Le  suffrage  universel  est  rétabli.  La  loi  du  31  mai  est 
abrogée. 

Art.  3.  Le  peuple  français  est  convoqué  dans  ses  comices  à  partir 
du  14  décembre  jusqu'au  21  décembre  suivant. 

Art.  4.  L'état  de  siège  est  décrété  dans  l'étendue  de  la  i'*  division 
militaire. 

Art.  5.  Le  conseil  d'État  est  dissous. 

Art.  6.  Le  ministre  de  l'intérieur  est  chargé  de  l'exécution  du  pré- 
sent décret. 

Fait  au  palais  de  TÉlysée,  le  2  décembre  1851. 

Louis-Napoléom  Bonaparte. 

Le  ministre  de  Vintérieur, 

De  MoRirr. 

Vient  ensuite  l'appel  au  peuple  : 


APPEL  AU  PEUPLE. 


Français! 


La  situation  actuelle  ne  peut  durer  plus  longtemps.  Chaque  jour 
qui  s'écoule  aggrave  les  dangers  du  pays.  L'Assemblée,  qui  devait 
être  le  plus  ferme  appui  de  l'ordre,  est  devenu  un  foyer  de  complots. 


D'UN  COUP  D'ÉTAT.  95 

Le  patriotisine  de  trois  cents  de  ses  membres  n'a  pu  arrêter  ses  fatales 
tendances.  Au  iieu  de  faire  des  lois  dans  l'intérêt  général ,  elle  forge 
des  armes  pour  la  guerre  civile  ;  elle  attente  au  pouvoir  que  je  tiens 
directement  du  peuple;  elle  encourage  toutes  les  mauvaises  passions; 
elle  compromet  le  repos  de  la  France  ;  je  l'ai  dissoute,  et  je  rends  le 
peuple  entier  juge  entre  elle  et  moi. 

La  Constitution,  vous  le  savez,  avait  été  faite  dans  le  but  d'affaiblir 
d*aTa<!ioe  le  pouvoir  que  vous  alliez  me  confier.  Six  millions  de  suf- 
frages fureAt  une  éclatante  protestation  contre  elle ,  et  cependant  je 
l'ai  fidèlement  observée.  Les  provocations,  les  calomnies,  les  outrages 
m'ont  trouvé  impassible.  Mais  aujourd'hui  que  le  pacte  fondamental 
n'est  plus  respedé  de  ceux-là  même  qui  l'invoquent  sans  cesse,  et  que 
les  hommes  qui  ont  déjà  perdu  deux  monarchies  veulent  me  lier  les 
mains ,  afin  de  renverser  la  République ,  mon  devoir  est  de  déjouer 
leurs  perfides  projets,  de  maintenir  la  République  et  de  sauver  le  pays 
en  invoquant  le  jugement  solennel  du  seul  souverain  que  je  recon* 
naisse  en  France  :  le  peuple. 

Je  fais  donc  un  appel  loyal  à  la  nation  tout  entière,  et  je  vous  dis  : 
Si  vous  voulez  continuer  cet  état  de  malaise  qui  nous  dégrade  et  com- 
promet notre  avenir,  choisissez  un  autre  à  ma  place ,  car  je  ne  veux 
plus  d'un  pouvoir  qui  est  impuissant  à  faire  le  bien,  me  rend  respon- 
sable d^actes  que  je  ne  puis  empêcher,  et  m'enchaîne  au  gouvernail 
quand  je  vois  le  vaisseau  courir  vers  Tabime. 

Si,  an  contraire,  vous  avez  encore  confiance  en  moi,  donnez-moi  les 
noyains  d'accomplir  la  grande  mission  que  je  tiens  de  vous. 

Cette  mission  consiste  à  fermer  Tère  des  révolutions  en  satisfaisant 
les  besoins  légitimes  du  peuple  et  en  le  protégeant  contre  les  passions 
subversives.  Elle  consiste  surtout  à  créer  des  institutions  qui  survi- 
vent aux  hommes,  et  qui  soient  enfin  des  fondations  sur  lesquelles 
on  puisse  asseoir  quelque  chose  de  durable. 

Persuadé  que  rinstabilité  du  pouvoir,  que  la  prépondérance  d'une 
seule  Assemblée  sont  des  causes  permanentes  de  trouble  et  de  dis- 
iXnÛe^  je  soumets  à  vos  suffrages  les  bases  fondamentales  suivantes 
4'wie  Constitution  que  les  assemblées  développeront  plus  tard  : 

i*  Un  chef  responsable,  nommé  pour  dix  ans  ; 

2*  Des  ministres  dépendant  du  pouvoir  exécutif  seul  ; 

3*  Un  conseil  d'État  formé  des  hommes  les  plus  distingués ,  pré- 


96     .  HISTOIRE 

parant  les  lois  et  en  soutenant  la  discussion  devant  le  Corps  légis- 
latif; 

4^  Un  Corps  législatif,  discutant  et  votant  les  lois,  nommé  par  le  suf- 
frage universel ,  sans  scrutin  de  liste  qui  fausse  Télection  ; 

5^  Une  seconde  Assemblée,  formée  de  toutes  les  illustrations  da 
pays,  pouvoir  pondérateur,  gardien  du  pacte  fondamental  et  des 
libertés  publiques. 

Ce  système,  créé  par  le  premier  consul  au  commencement  du 
siècle,  a  déjà  donné  à  la  France  le  repos  et  la  prospérité  ;  il  les  lui 
garantirait  encore. 

Telle  est  ma  conviction  profonde.  Si  vous  la  partagez,  déclarez-le 
par  vos  suffrages.  Si ,  au  contraire ,  vous  préférez  un  gouvernement 
sans  force,  monarchique  ou  républicain ,  emprunté  à  ja  ne  sais  quel 
passé  ou  quel  avenir  chimérique,  répondez  négativement. 

Ainsi  donc,  pour  la  première  fois  depuis  1804,  vous  voterez  en 
connaissance  de  cause,  en  sachant  bien  pour  qui  et  pour  quoi. 

Si  je  n'obtiens  pas  la  majorité  de  vos  suffrages,  alors  je  provoquerai 
la  réunion  d'une  nouvelle  Assemblée ,  et  je  lui  remettrai  le  mandai 
que  j'ai  reçu  de  vous. 

Mais  si  vous  croyez  que  la  cause  dont  mon  nom  est  le  symbole, 
c'est-àfdire  la  France  régénérée  par  la  révolution  de  89  et  organisée 
par  TEmpereur,  est  toujours  la  vôtre,  proclamez-le  en  consacrant  les 
pouvoirs  que  je  vous  demande. 

Alors  la  France  et  l'Europe  seront  préservées  de  l'anarchie,  les 
obstacles  s'aplaniront,  les  rivalités  auront  disparu,  car  tous  respecte- 
ront, dans  l'intérêt  du  peuple,  le  décret  de  la  Providence. 

Fait  au  palais  de  l'Elysée,  le  2  décembre  1851 . 

Louis-Napoléon  Bonaparte. 


Celte  pièce  magnifique  est  en  quelque  sorte  Texposé 
des  molifs  du  décret  qui  précède  ;  elle  en  établit  avec 
une  logique  couvaincante  la  nécessité  et  l'urgence; 
elle  montre  à  la  France  Tabime  qu  il  faut  éviter.  Mais 
elle  ne  se  borne  pas  à  cela.  A  côté  de  rexpositioa4ift 


i 


D'UN  COUP  DËTAT.  97 

mal,  elle  montre  le  remède;  elle  indique  la  ronte  qu'il 
faut  suivre.  Et  tout  cela  est  dit  avec  une  précision,  une 
netteté,  une  loyauté  de  franchise  qui  ne  laissent  pas  un 
point  obscur,  douteux,  indéfini.  Le  pays  voit  d'où  il 
vient,  mais  il  sait  aussi  où  il  va.  A  l'enconlre  do  ces 
génies  du  mal,  véritables  fléaux  des  nations,  qui  ne 
s'allachenl  f|u'à  renverser,  à  détruire,  et  qui  ne  sa- 
vent rien  fonder,  rien  engendrer,  le  prince  Président 
ferme  le  passé  sur  des  ruines,  et  il  ouvre  largement 
l'avenir  au  bonheur  de  la  France.  On  retrouve  dans 
cette  pièce  la  force  napoléonienne  ;  on  ne  fonde  rien 
sans  la  force,  c'est  la  base  des  grandes  choses.  Il  y  a  là 
le  génie  fécond  et  générateur  du  grand  houmic  qui 
sauva  la  France.  Courage!  Prince,  et  salut  à  vous,  au 
nom  des  civilisalions  que  vous  allez  sauver  ou  fonder! 
Quand  on  a ,  comme  vous ,  dans  les  veines  un  sang 
riche  d'exemples  et  de  généreux  înstincls  hérédi- 
taires, qu'on  a  dans  l'âme  le  génie  ot  dans  le  cœur  le 
dévouement,  on  ne  s'appartient  plus.  On  appartient  à 
son  pays,  au  monde,  au  rôle  providentiel  que  Dieu 
donne  à  qui  bon  lui  semble ,  et  qu'il  aura  deux  fois 
dévolu  à  votre  race.  Marchez  donc  dans  votre  voie,  et 
croyez  à  votre  étoile.  Les  hommes  de  la  Providence 
ont  le  fatalisme  de  la  foi,  parce  qu'ils  sentent  que  DietM 
les  mène. 

Allez,  le  peuple  entendra  cet  appel  que  vous  faites  si 
loyalement ,  car  Dieu  ins|iire  aussi  les  peuples  qu'il 
protège,  et,  comme  vous  le  disiez  hier  :  il  protège  la 
•France.  Grâce  à  vous,  la  nef  de  la  patrie  n'ira  pas  se 


1 


^  HISTOIRE 

briser  aux  écueils  de  la  démagogie^  ni  sombrer  honteu- 
semcnl  dans  le  bourbier  fangeux  des  partis.  Oo  Youlait, 
ainsi  que  vous  le  dites,  vous  enchaîner  au  gouvernail, 
mais,  brisant  les  entraves,  pilote  de  salut  et  de  civilisa- 
tion, vous  le  prenez  en  main.  Le  vaisseau  de  la  France 
tracera  glorieusement  son  sillage  vers  les  horizons  de 
l'avenir. 

Après  avoir  parlé  si  noblement  au  peuple  français , 
Louis-Napoléon  s'adresse  à  l'armée  : 


PROCLAMATION 

DU   PRÉSIDENT  DE  LA  RÉPUBUQUE   A   L* ARMÉE. 


Soldats  ! 

Soyez  fiers  de  votre  mission ,  vous  sauverez  la  patrie ,  car  je  compte 
sur  vous,  non  pour  violer  les  lois,  mais  pour  faire  respecter  la  pre- 
mière loi  du  pays,  la  souveraineté  nationale,  dont  je  suis  le  légitime 
représentant. 

Depuis  longtemps  vous  souffriez  comme  moi  des  obstacles  qui  s*op- 
posaient ,  et  au  bien  que  je  voulais  vous  faire  et  aux  démonstrations 
de  votre  sympathie  en  ma  faveur.  Ces  obstacles  sont  brisés.  L* Assem- 
blée a  essayé  d'attenter  à  l'autorité  que  je  tiens  de  la  nation  ;  elle  a 
cessé  d'exister. 

Je  fais  un  loyal  appel  au  peuple  et  à  Tarméc,  et  je  lui  dis  :  Ou 
donnez-moi  les  moyens  d'assurer  votre  prospérité ,  ou  choisissez  un 
autre  à  ma  place. 

En  1830  comme  en  1848,  on  vous  a  traités  en  vaincus.  Après  avoir 
flétri  votre  désintéressement  héroïque  ,  on  a  dédaigné  de  consulter 
vos  sympathies  et  vos  vœux  ,  et  cependant  vous  êtes  l'élite  de  la  na- 
tion. Aujourd'hui,  en  ce  moment  solennel,  je  veux  que  l'armée  faste 
entendre  sa  voix. 


ji 


D'UN  COUP  D'ÉTAT.  99 

Votez  donc  librement  comme  citoyens  ;  mais,  comme  soldats ,  n'ou- 
bliez pas  que  robéissance  passive  aux  ordres  du  chef  du  Gouverne- 
ment est  le  devoir  rigoureux  de  l'armée,  depuis  le  général  jusqu'au 
soldat.  Cest  à  moi ,  responsable  de  mes  actions  devant  le  peuple  et 
devant  la  postérité ,  de  prendre  les  mesures  qui  me  semblent  indis- 
pensables pour  le  bien  public. 

Quanta  vous,  restez  inébranlables  dans  les  règles  de  la  discipline 
et  de  Thonneur.  Aidez,  par  votre  attitude  imposante,  le  pays  à  ma- 
nifester sa  volonté  dans  le  calme  et  la  réflexion.  Soyez  prêts  à  répri- 
mer toute  tentative  contre  le  libre  exercice  de  la  souveraineté  du 
peuple. 

Soldats,  je  ne  vous  parle  pas  des  souvenirs  que  mon  nom  rappelle. 
Ils  sont  gravés  dans  vos  cœurs.'Nous  sommes  unis  par  des  liens  indis- 
solubles. Votre  histoire  est  la  mienne.  Il  y  a  entre  nous  dans  le  passé 
communauté  de  gloire  et  de  malheur;  il  y  aura  dans  Tavcnir  com- 
munauté de  sentiments  et  de  résolutions  pour  le  repos  et  la  grandeur 
de  la  France. 

Fait  au  palais  de  TÉlysée ,  le  2  décembre  1851. 

Louis-Napoléon  Bonaparte. 


Quand  on  fait  entendre  un  tel  langage  à  Tarmée 
française^  on  est  sûr  d'un  écho  qui  réponde,  et  cet  écho 
est  dans  le  cœur  du  premier  des  chefs  et  du  dernier 
soldat.  Puis,  ce  nom  qui  ébranla  le  monde,  qui  féconda 
rhistoire,  qui  fil  la  patrie  si  grande,  ce  nom  prestigieux, 
qui  groupe  aujourd'hui  la  France  entière  dans  une  seule 
voix  d'acclamations,  remue  sous  l'uniforme  tout  ce 
qui  vibre  aux  mots  de  patrie,  d'honneur  et  de  gloire. 

Ce  langage  est  digne  do  tous,  de  l'armée  à  qui  il  s'a- 
dresse et  d'un  Bonaparte  qui  le  parle.  Il  obtient  tout  en 
nedomandant  rien;  car  il  prescrit  au  soldat  son  de- 


iOO  HISTOIRE 

\oir  en  lui  restituant  son  droit.  Il  reste  dans  la  pléni- 
tude delà  dignité.  Devant  des  prétoriens,  on  s*inclinait 
et  Ton  promettait  ;  devant  des  soldats  français^  il  suffit 
de  parler  d'honneur. 

La  proclamation  suivante  de  M.  de  Maupas,  préfet 
de  police,  invitait  les  habitants  de  la  capitale  à  garder, 
en  présence  des  événements  graves  qui  s'accomplis- 
saient, le  calme  solennel  qui  convient  à  un  peuple  qui 
rentre  dans  le  plein  exercice  de  sa  volonté. 

LE  PRÉFET  DE  POUCE  AUX  HABITANTS  DE  PARIS. 

Habitants  de  Paris, 

Le  Président  de  la  République,  par  une  courageuse  initiative,  yient 
de  déjouer  les  machinations  des  partis,  et  de  mettre  un  terme  aux 
angoisses  du  pays. 

Cest  au  nom  du  peuple,  dans  son  intérêt  et  pour  le  maintien  de 
la  République,  que  l'événement  s'est  accompli. 

CVst  au  jugement  du  peuple  que  Louis-Napoléon  soumet  sa  con- 
duite. 

La  grandeur  de  l'acte  vous  fait  assez  comprendre  avec  quel  calme 
imposant  et  solennel  doit  se  manifester  le  libre  exercice  de  la  souve- 
raineté populaire. 

Aujourd'hui,  comme  hier,  que  l'ordre  soit  notre  drapeau;  que 
tous  les  bons  citoyens ,  animés  comme  moi  de  l'amour  de  la  patrie  » 
me  prêtent  leur  concours  avec  une  inébranlable  résolution. 

Habitants  de  Paris, 

Ayez  confiance  dans  celui  que  six  millions  de  suffrages  ont  élevé  à 
la  première  magistrature  du  pays.  Lorsqu'il  appelle  le  peuple  entier 


D'UN  œUP  D'ÉTAT.  101 

à.  exprimer  sa  volonté  y  les  factieux  seuls  pourraient  rouloir  y  mettre 
obstacle. 

Toute  tentative  de  désordre  sera  donc  promptement  et  inflexible- 
ment réprimée. 

Paris,  le  2  décembre  185i. 

Le  préfet  de  police  » 

De  Maupas. 


Dès  le  matin^  M.  de  Morny  avait  donné  Tordre  d'ex- 
pédier par  voie  télégraphique  les  décrets  qui  annon- 
çaient à  la  France  l'acte  du  2  décembre. 

La  circulaire  suivante  partit  aussi  du  ministère  de 
l'intérieur  pour  tous  les  préfets  : 

Monsieur  le  préfet, 

Les  partis  qui  s'agitent  dans  l'Assemblée  menaçaient  la  France  de 
compromettre  son  repos  en  fomentant,  contre  le  Gouvernement,  des 
complots  dont  le  but  était  de  le  renverser.  L'Assemblée  a  été  dissoute 
aux  applaudissements  de  toute  la  population  de  Paris. 

A  la  réception  de  la  présente ,  vous  ferez  affîcber  dans  toutes  les 
communes  les  proclamations  du  Président  de  la  République,  et  vous 
enverrez  aux  maires,  ainsi  qu'aux  juges  de  paix,  les  circulaires  que  je 
TOUS  adresse,  avec  le  modèle  du  registre  des  votes. 

Vous  veillerez  à  la  stricte  exécution  des  dispositions  prescrites  par 
ces  circulaires.  Vous  remplacerez  immédiatement  les  juges  de  paix, 
les  maires  et  les  autres  fonctionnaires  dont  le  concours  ne  vous  serait 
pas  assuré. 

Dans  ce  but,  vous  demanderez  à  tous  les  fonctionnaires  publics  de 
¥0us  donner  par  écrit  leur  adhésion  à  la  grande  mesure  que  le  gou- 
Temement  vient  d'adopter. 

Vous  ferez  arrêter  immédiatement  tout  individu  qui  tenterait  de 
troubler  la  tranquillité ,  et  vous  ferez  suspendre  tout  journal  dont  la 
polémique  pourrait  y  porter  atteinte. 

7 


i02  HISTOIRE 

Je  compte,  monsieur  le  Préfet,  sur  votre  dévouement  et  sur  votre 
zèle  pour  prendre  toutes  les  précautions  nécessaires  au  maintien  de 
Tordre  public,  et,  à  cet  effet,  vous  vous  concerterez  tant  avec  kigé- 
néral  commandant  le  département  qu*avec  les  autorités  judiciaifes. 

Vous  m'accuserez  réception  de  cette  dépèche  par  voie  télégraphi- 
que, et  vous  me  ferez,  jusqu'à  nouvel  ordre,  un  rapport  quotidien 
sur  rétat  de  votre  département.  Je  n'ai  pas  besoin  de  vous  recom- 
mander de  me  faire  parvenir  par  le  télégraphe  toute  nouvelle  ayant 
quelque  gravité. 

.  Rocevea;,  inonsieur  le  Préfet,  l'assurance  de  ma  considération  dis- 
tinguée t 

Le  ministre  de  l'intérieur^ 

De  Mormt. 


Paris  se  réveille  en  quelque  sorte  sous  la  puissance 
du  fait  accompli.  Il  y  a  de  l'émotion  partout^  de  Téton- 
nement  nulle  part.  Le  coup  d'Ëtat  était  dans  l'air,  par- 
tout on  l'attendait,  on  le  désirait ,  partout  du  moins 
où  il  y  avait  souci  du  salut  de  la  France,  de  sa  prospé- 
rité, de  son  honneur.  On  sentait  que  cette  position, 
dans  laquelle,  de  déchéance  en  déchéance ,  on  était 
tombé,  perdait  le  pays  au  dedans  et  l'humiliait  au  de- 
hors. Plus  de  travail,  plus  de  crédit,  plus  de  sécurité, 
mais  l'incertitude  de  toutes  choses,  la  frayeur  du  len- 
demain, le  gouffre  béant  du  chômage,  qui  enfante  de 
bas  en  haut  tant  de  misères  ;  voilà  ce  que  la  France 
voyait  chez  elle.  Puis,  dominant  tout,  l'hydre  démago- 
gique levant  ses  mille  tètes,  attendant  1852,  et  s'ap- 
prêtant  à  déchirer  le  sein  de  la  patrie.  Voilà  aussi  ce 
que  la  France  voyait  chez  elle.  Les  cœurs  honnêtes  et 
animés  de  patriotisme  déploraient  et  attendaient.  »0u 


D'UN  COUP  D'ETAT. 

notre  pafrie  était  donc  bien  abandonnée  d"en  haut,  ou 
cela  ne  devait  pas  durer.  On  espérait  avec  une  sorte  de 
certitude;  seulement  ce  qui  était  incertain,  c'était  le 
(Dode,  c'était  l'heure.  On  scnlaitquerimprévu  viendrait 
trancher  cette  situation.  Encore  une  fois,  la  grandeur 
di's  événements  émotionne  tout  le  monde ,  mais  ne 
cause  d'étonnement  nulle  part.  Si,  pourtant;  il  y  a 
(l'étonnés,  ceux  qui ,  ne  comprenant  pas  la  politique 
d'espérance  et  d'abnégation  du  neveu  de  l'Empereur, 
ci*oyaient  qu'il  avait  son  grand  nom  attaché  comme  un 
boulet  à  son  impuissance ,  el  qui  voient  aujourd'hui 
comment  il  est  capable  de  le  porter.  La  parole  prophé- 
tique est  accomplie  :  l'heure  est  venue  où  les  bons 
sont  rassurés  et  où  les  méchants  tremblent. 

Du  reste,  pas  un  regret  à  ce  qui  tombe.  La  Consti- 
tution!... qui  ne  l'a  pas  conspuée?  De tousceux  qui  l'in- 
voqueraient aujourd'hui  contre  le  Président ,  qu'on 
cite  donc  un  seul  qui  ne  l'ait  violée  dans  son  esprit  ou 
dans  sa  lettre  î  Elle  est  morte  sous  te  mépris  universel  ; 
elle  était  à  peine  élaborée  qu'elle  était  l'arme  banale 
de  chaque  parti,  tour  à  tour  la  répudiant  pour  soi  et 
l'invoquant  contre  les  autres.  L'Assemblée  !...  ce  ne  fut 
qu'un  cri  d'approbation  dans  Paris,  à  ces  mots  :  l'As- 
semblée est  dissoute.  Il  était  impossible  qu'elle  tombât 
sous  plus  de  dédain.  Il  en  était  de  môme  du  conseil 
d'Ëtat,  dont  on  ne  connaissait  l'existence  que  depuis 
qu'il  s'était  fait  l'auxiliaire  de  l'Assemblée  contre  le 
Président. 

Quant  aux  personnages  arrêtés,  on  comprend  gêné- 


d 


i04  HISTOIRE 

ralement  la  nécessité  de  la  mesure  qui  les  atteiat. 
Maintenant  qu'un  décret  de  bannissement  temporaire  a 
ft*ai^pë  M.  Thiers,  c'est  avec  peine  que  nous  relatons 
Fi^ttt'p^ë^sibn  produite  par  son  arrestation.  Mais  nous  le 
d^v^é  'pouîr  être  vrais.  Dans  le  public ,  on  se  montre 
iddtffl&rént ^Ur  le  plus  grand  nombre;  sympathique 
potir'qu^l^ùé^-^tins;  mais  M.  Thiers  est  l'objet  d'une 
réptikioti  àipéuipt^  unanime;  partout  on  se  félicite  de 
son  in^arcèi^atiôri;  et  dans  les  groupes  on  manifeste  le 
défeîf^'qHi'e  lé  tiôU'voif^  ^"montre  sévère  pour  cet  homme 

iLet^ëUiilè^^1aj[>lilaùd7t  du  rétablissement  du  suffrage 
Uttitleréël;  voilà  éé  qui  dothihé.  Puis  il  existe  un  senti- 
ment  dont  'i)éii'  dé' pëtecttitiës  peut-être  se  rendent 
côiWpté  / mais  que  Ife!  pliis  grand  hombre  éprouve.  On 
s'Hisbcië  ihstlniiitivetbetit  à  Tétcté  énergique  du  Présî- 
dH^Wtl'Le'bd^ùr  hiirriàin  éubît  tôUjdut^  Id  fasd  de 

efeqtii  ise  i^êVèlé'  'pîtiissairit  et  fart,  II  f  a  là  quelque  chose 
qui  (WrtfMyrleiliié!  sorte  dé  synipàthié  re^f)éctiiéuse.  Aussi 
ew lisifttit  les  décrets,  en  (x)mnléhtânt  lès  cii^cdii^tances 
de  ce  c6«pde  foudre  qui  vient  de  pulvériser  la  àlliiàtion 
politique  d- hier  et  de  faire  ajijiaraltre'  dans  tout  son 
écMkV  la  ptiissâhce  dit'  neveu  de  rEmperèUr^  tôiit  'fe 
raoirtdé  tient  le  niiéme  làïigagé.  On  dit  en  haut  :  <^Cesi 
liltîrgtilfique  ;  1^  àii  âii  en  bas  :   «  C%i  bien  jcîûé-  »    ' 

i'Illri'f  àd'obstittéffldnt  avèi^gié  qiib  Tèsprilde  çèÀi. 
hktépré^eûmtëiae  vo\^h(^iii%\x^  'chuteJ'Beàuibiib 
gardent  leurs  illusions  et  s'apprêtent  à  la  luti^^lls  'iie 
parfwi^'dô'lrleti'moinî'k^é^  d^léhtbyèr  fe  Wésilléttt  à 


D'UN  COliP  D'ÉTAT.  lOÏ 

\inceiincs.  Ils  veulent  se  réunir  au  Palais  législatif  où 
sont  encore  MM.  Duptn,  président,  et  Panai,  questeur, 
chez  lesquels  les  commissaires  ne  se  sont  pas  présentés 
lors  de  l'occupation  de  l'Asseniblée.  M.  Dupin  est  un 
homme  politique  fort  habile,  et  le  Président  avait,  avec 
raison,  compté  sur  sa  prudence. 

l'ne  coïisigne  mal  donnée  ou  mal  exécutée  permit  à 
un  certain  nombre  de  représentants  de  pénétrer  jusque 
dans  Tenceinle  du  palais  Bourbon;  ils  purent  même, 
au  nombre  d'environ  soixante-dix,  entrer  par  la  petite 
porte  de  la  rue  de  Bourgogne  et  se  réunir  dans  la  salle 
des  séances,  où  ils  devinrent  extrêmement  bruyants  et 
agressifs.  M.  de  Mornv,  informé  de  ce  qui  avait  Heu, 
ordonna  leur  cxpulsiou.  En  exécution  de  cet  ordre, 
un  commandant  entra  dans  ta  salle  et  adressa  aux 
représentants  une  allocuti(m  très-mordante  au  fond, 
mais  inattaquable  comme  convenances,  tant  elle  était 
spirituelle  et  adroite  de  forme.  Mais  ils  insistèrent 
pour  qu'on  fit  venir  M.  Dupin,  qui  se  présenta,  et  le 
procureur  général  près  la  cour  de  cassation,  dit  à 
ceux  dont  il  était  encore  la  veille  te  président  :  «  Mes- 
sieurs, il  est  évident  qu'on  viole  la  Constitution.  Le 
droit  est  de  notre  cùté  -,  mais,  n'étant  pas  les  plus  forts, 
il  ne  nous  reste  qu'une  chose  à  faire  :  je  vous  invite  k 
vous  retirer.  J'ai  l'honneur  de  vous  saluer.  »  Ce  langage 
occasionna  chez  les  rcpi'ésenlants  une  indicible  irrita- 
lion  ,  que ,  dans  les  premiers  jours ,  ils  manifestaient  de 
la  façon  la  plus  vive.  Ceux  qui  ont  pu  les  entendre  à 
la  mairie  du  10*,  au  quai  d'Ursay,  au  Mont-Valérien, 


106  HISTOIRE 

ont  été  à  même  d'apprécier  combien  cette  irritation 
était  grande. 

Les  représentants  ne  paraissant  pas  disposés  à  suivre 
le  sage  conseil  de  M.  Dupin  y  l'ofTicier  leur  dit  :  «  Mes- 
sieurs, vous  allez  me  mettre  dans  Tobligation  de  faire 
entrer  mes  soldats.  Attendrez-vous  que  j'en  donné 
Tordre?  »  Alors  ils  se  retirèrent. 

A  l'heure  ménie  où  les  représentants  se  réunissent 
à  l'Assemblée,  le  prince  Louis  Bonaparte  sort  de  l'Ely- 
sée à  la  tête  d'un  brillant  cortège.  11  vient,  par  la  rue 
du  Faubourg-Saint-Honoré,  sur  la  place  de  la  Con- 
corde, où  il  est  acclamé  avec  enthousiasme  par  les 
troupes  et  par  la  population.  Traversant  le  jardin  des 
Tuileries,  il  va  visiter  l'état-major  de  l'armée  de  Paris, 
franchit  le  pont  National ,  passe  en  revue  les  troupes 
échelonnées  sur  les  quais,  depuis  la  rue  du  Bac  jusqu^au 
palais  Bourbon.  Partout  il  est  accueilli  avec  les  mème^ 
démonstrations.  11  rentre  à  l'Elysée  à  midi.  Dans  le 
brillant  état-major  qui  accompagne  le  Président,  o*À 
remarque  le  prince  Jérôme  Bonaparte,  gouvernexir  deh 
Invalides,  le  général  en  chef  Magnan,  les  générâui 
Vast-Vimeux,  Le  Pays  de  Bourjoly,  Flahaut,  le  colonel 
Murât,  etc. 

Immédiatement  après,  le  général  Saint-Arnaud, 
ministre  de  la  guerre,  suit  le  même  itinéraire  à  la  tètë 
de  son  état-major.  L'accueil  qui  lui  est  fait  doit  le  àoti^ 
vaincre  que  l'armée  et  la  population  lui  savent  'gré 
de  son  courage  dans  l'accomplissement  du  grand  àcf4 
qtiii  sauve  la  France.  Vient  ensuite  le  maréchal  Excel- 


D'UN  COUP  DETAT.  107 

raans,  grand  chancelier  de  la  Légion  d'honneur.  Ce 
vieux  compagnon  <le  l'Empereur  reçoit  partout,  sur 
son  passage,  de  ia  part  de  notre  jeune  armée,  les  té- 
moignages du  respect  et  de  l'admiration  qu'elle  voue 
à  ce  qui  lui  rappelle  la  grande  époque. 

Pendant  ce  temps-là,  à  dix  heures  et  demie  ou  onze 
heures,  les  représentants  expulsés  de  TAssemblée  et 
quelques  autres  se  réunissaient  dans  la  rue  de  Lille, 
derrière  le  palais  de  la  Cour  des  comptes.  Le  comman- 
dant Ouplessis,  du  3'  bataillon  de  chasseurs  h  pied, 
occupait  ce  quartier.  M.  de  Talloux  quitta  la  réunion 
l'un  des  premiers,  à  l'arrivée  de  la  troupe,  pour  se  reor 
dre  îi  la  mairie  du  10"  arrondissement,  où  l'on  avait 
commencé  à  s'assembler  entre  neu(  heures  et  neuf  , 
heures  et  demie  du  malin.  11  parait  que  des  ordres 
arrivaient  de  plusieurs  côtés  à  la  fois,  concernant  ce 
conciliabule  de  la  rue  de  Lille,  car  voici  ce  qui  eut  lieu  : 
La  porte  fut  d'abord  occupée  et  consignée  par  un  vieui 
sergent  qui  avait  ordre  de  ne  laisser  entrer  personne, 
mais  de  laisser  sortir  ceux  qui  voudraient.  Il  se  préparait 
à  envahir  la  maison  et  à  faire  évacuer  le  salon  qu'oc- 
cupaient les  représentants,  quand  arriva  un  capitaine 
avec  une  compagnie.  Celui-ci,  au  contraire,  laissait 
entrer  tout  le  monde,  mais  ne  permettait  à  personne  de 
sortir.  Il  fit  ranger  sn  compagnie  dans  la  rue,  de  façon 
à  ce  qu'elle  formât  un  carré  ouvert  devant  la  porte ,  et 
ta  cernant  pour  recevoir  les  représentants  qu'il  devait 
emmener  prisonniers.  A  ce  moment,  plusieure  arrivè- 
rent et  entrèrent.  Un  dernier  allait  en  faire  autant, 


108  HISTOIRE 

lorsque  quelqu'un  lui  frappant  sur  l'épaule,  lui  dit 
obligeamment  :  «  Si  \ous  entrez  y  Monsieur,  vous  ne 
sortirez  pas,  —  Vraiment?  dit-il  en  s' adressant  au  ca- 
pitaine. —  Oui,  Monsieur,  dit  en  souriant  celui-ci,  c'est 
comme  cela.  —  Mais  je  ne  suis  pas  ici  pour  un  mau-^ 
\ais  motif;  je  \ous  affirme  que  je  viens  pour  une  aflEedre 
de  chemin  de  fer.  »  Comme  pour  confirmer  son  dire^ 
il  cherchait  des  papiers  dans  son  portefeuille;  aiai» 
l'officier  s'était  détourné,  et  il  se  hâta  de  partir.  Au 
moment  où  le  capitaine  entrait  dans  la  cour,  arrivait 
un  officier  d'état-major  qui  donnait  l'ordre  de  laisser 
les  représentants  libres,  s'ils  promettaient  de  retourner 
chez  eux. 

On  les  fit  sortir  du  salon  qu'ils  occupaient,  et  on  les 
invita  à  se  retirer  paisiblement,  les  menaçant,  s'ils  re* 
fusaient,  de  les  arrêter.  Alors  l'un  d'eux,  qu'on  a  pré- 
tendu à  tort  être  M.  de  Falloux,  dit,  dans  la  cour,  en 
présence  des  soldats  :  «  Pas  un  de  ces  braves  n'oserait 
porter  la  main  sur  des  représentants  du  peuple:  >  un 
officier  répondit,  en  saluant  avec  politesse  :  a  Je  serais 
désolé  qu'on  en  vint  à  cette  extrémité,  mais  je  vous 
donne  ma  parole  que  pas  un  de  ces  soldats  ne  faillirait 
à  son  devoir.  »  Les  représentants  ayant  promis  de  se 
retirer,  la  porte  devint  libre  pour  eux.  Plusieurs  pa- 
raissaient attérés;  d'autres  étaient  dans  un  état  violent 
d'irritation.  Ils  se  disaient,  en  sortant  :  «  Le  rendez- 
vous  esta  la  mairie  du  10*  arrondissement.  » 

Nous  avons  sous  les  yeux  un  document  qu'on  pré- 
tend être  le  compte  rendu  de  la  séance  qui  se  tint  à 


D'UN  COUP  D'ETAT.  109 

celte  mairie.  Il  est  très-incomplet  et  ne  peut  donner 
qu'une  idée  Fausse  ou  du  moins  très-imparfaite  de  cet 
événement.  Nous  avons  interrogé  nombre  de  personnes 
qui  ont  parlé  à  cette  réunion,  et  qui  aFOrmcnt  ne  recon- 
naître dans  cette  pièce  ni  leur  langage  ,  ni  la  physiono- 
mie de  la  séance.  On  verra,  du  reste,  parle  récit  que 
nous  allons  faire,  que  ce  document  relate  ce  qui  avait 
lieu  dans  la  salle ,  et  ne  tient  aucun  compte  de  ce  qui  se 
passait  au  dvhors  comme  action  militaire  et  admini- 
strative. Les  renseignements  intimes  qui  nous  ont  été 
fournis  par  la  plupart  des  acteurs  eux-mêmes,  don- 
nent à  notre  récit  une  certitude  que  nous  garantissons. 
Le  compte  rendu  de  la  séance ,  publié  par  les  soins  et 
aux  frais  de  la  réunion,  est  évidemment  l'œuvre  d'une 
main  amie,  qui  a  émondé  du  récit  toutes  les  scènes  de 
tumulte,  d'injures,  qui  ont  fait  de  ce  derAier  acte  de  nos 
comédies  parlementaires  quelque  chose  de  si  triste  et 
de  si  pénible  à  voir  et  à  entendre.  Tout  en  élant  plus 
complet,  nous  avons  gardé  la  même  réserve. 


Dès  neuf  heures  ou  neuf  heures  et  demie,  un  cer- 
tain nombre  de  représentants ,  la  plupart  légitimistes  ou 
orléanistes,  s'étaient  portés  à  la  mairie  du  tO',  rue  de 
Grenelle-Saint-Germain ,  et  s'y  étaient  installés  dans  la 
grande  salle,  au  premier  étage,  l'endantce  tcmps-Ià,  plu- 
sieurs individus ,  notamment  des  tambours  de  la  10*  lé- 
gion, convoquaient  à  domicile,  de  la  part  du  colonel 
Laurislon,  les  gardes  nationaux  sur  lesquels  on  croyait 
pouvoir  compter.  Un  fort  petit  nombre,  répondant  à 


liO  HISTOIRE 

cet  appel 9  est  irenu  se  joindre^  à  ceux  qui  occupaient  te 
poste:  en  tout  moins  de  quarante.  Pliisieurs  autres  ont 
rebrefussé  cliemin,  en  voyant  la  mairie  occupée  par  h 
troUpë.  Quelques  instants  plus  tard,  le  maire,  M.  ïtù^ 
ger,  arrivait.  M.  Lemoine-Tacterat,  commissaire  de 
police  du  quartier.de  Babylone,  entrait  presqu'en  même 
tendps  que  lui.  «  Les  représentants,  lui  dit  M.  Rc^r, 
ont  envahi  la  mairie ,  il  faut  les  en  expulser,  car  cela 
peut  nous  compromettre.  —  Je  cours ,  répond  M.  heh 
moine,  chercher  les  instructions  de  l'autorité  supé- 
rieure ;  nous  ne  pouvons  agir  sans  cela.  »  Inutile  de 
s'adresser  aux  gardes  nationaux  présents,  ils  criaient  : 
a  Vive  la  Constitution  !  »  Un  ancien  colonel  de  la  lé- 
gion ,  prenait  une  part  active  à  cette  manifestation  en 
faveur  de  l'Assemblée. 

Le  commissaire  se  rend  en  toute  hâte  près  du  préfet 
de  police,  l'instruit  de  ce  qui  se  passe,  et  en  reçoit 
Tordre  de  requérir  la  force  armée  nécessaire  pour  ex- 
pulser les  représentants  de  la  mairie.  Cet  ordre  portait 
de  les  laisser  libres  de  se  retirer,  ou  de  les  arrêter  en 
cas  de  refus. 

M.  Lemoine  arrive  au  quai  d'Orsay,  occupé  par  là 
brigade  Forey ,  et  apprend  que  déjà  des  troupes  ont  été 
envoyées  sur  la  mairie.  En  effet,  à  onze  heures  précises, 
M.  le  général  Hoguet  avait  instruit ,  place  Boui^ogne, 
le  général  de  division  Renaud ,  de  ce  qui  se  passait  à  ht 
ihairie  du  10*.  Ce  général  commandant  la  rive  gaifcllie 
de  la  Seine,  avait  immédiatement  (hit  prévenir  le  géné- 
ral Forey ,  afin  qu'il  envoy&t  le  G^bataillOQ  de  cltasseiils 


D'UN  COUP  D'ETAT. 

à  pied  occuper  la  mairie,  et  mettre  les  représentants 
eii  état  d'arrestation.  Le  même  ordre  était  donné  par 
le  général  en  chef  Magnan  qui  avait  été  informé  à  la 
fois  par  le  préfet  de  police  et  par  le  ministre  (!e  la 
guerre.  Le  brave  commandant  du  6«  bataillon ,  ayanl 
voulu,  quoique  malade ,  marcher  à  sa  ttle,  s'élait  éva- 
noui sur  le  quai  d'Orsay.  L'ordre  fut-il  mal  compris? 
Toujours  est-il  qu'on  ne  fit  partir  que  (rois  compagnies 
seulement,  sous  les  ordres  du  capitaine  Briquet. 

Pendant  ce  temps  là,  une  scène  de  tumulte  effroyable 
avait  lieu  dans  la  grande  salle  de  la  mairie.  Un  peu  plue 
de  cent  représentants  y  vociféraient.  C'étaient  des  cris, 
des  motions  ridicules,  insensées  ,  on  eût  dit  l'Assemblée 
législative  dans  ses  plus  beaux  jours  de  scandales  parle- 
roentairee.  On  n'y  savait  quel  parti  prendre,  on  ignorait 
ce  qui  se  passait  sur  d'autres  points.  On  proférait  des 
injures  contre  M.  Dupin ,  qu'on  traitait  de  lâche  :  c'était 
un  chaos  véritable  ;  cela  dura  ainsi  jusqu'à  onze  heures 
moins  un  quart.  A  ce  moment,  M.  de  Falloux,  parti 
l'un  des  premiers  de  la  rue  de  Lille,  arriva  avec  quelques 
autres,  et  bientôt  fut  suivi  de  tous  ceux  qui  avaient 
formé  cette  réunion.  Quelques  personnages  marquants 
étant  présents,  on  constitua  un  bureau,  et  à  onze  heures 
on  ouvrit  la  séance. 

Prirent  place  au  bureau  MM.  Bcnoisl  d'Azy ,  Vitel, 
vice-présidents,  Chapot,  Moulin,  Grimault,  secrétaires. 

Chacun  voulait  être  l'orateur  de  la  situation ,  faire 
sa  motion,  mettre  sa  protestation  en  avant;  mais  il 
appartenait  à  M,  Berrycr  de  défendre  son  œuvre;   il 


112  mSTOlRË 

espérait  qu*en  parcourant  toutes  ses  phases  démagc^- 
ques,  la  révolution  qu'il  avait  acclamée  en  février  1848, 
lors  de  l'envahissement  de  la  Chambre  des  députés , 
produirait  peut-être  le  retour  de  sou  roi  en  1852.  Quel- 
que terribles  que  fussent  les  chances  à  courir,  lui  et 
d'autres,  M  •  Piscatory  par  exemple,  voulaient  qu'on  les 
courût.  Donc,  l'orateur  légitimiste,  qui,  dans  la  séance 
que  nous  rappelons,  avait  trouvé  que  Ledru-Rollin 
n'allait  pas  assez  vite  à  son  gré  pour  chasser  du  trône 
la  famille  d'Orléans,  et  qui  lui  criait  :  a  Pressez  la 
question  !  Concluez  !  un  gouvernement  provisoire  !  » 
(  Moniteur  du  25  février)  cet  orateur  prit  la  parole  : 
a  Des  actes ,  dit-il  ;  pas  de  protestations,  les  instants  sont 
comptés;  agissons.  Peut-être  n'avons-nous  pas  un  quart 
d'heure.  Au  nom  de  la  Constitution ,  art.  68 ,  décla- 
rons que  Louis- Napoléon  Bonaparte  a  cessé  d'être  Pré- 
sident de  la  République ,  et  qu'à  l'Assemblée  seule  ap- 
partient, à  partir  de  ce  moment,  le  pouvoir  exécutif. 
Tous  les  représentants  qui  sont  présents  signeront  ce 
décret.» 

M.  Berryer  eût  pu  se  servir  des  mêmes  paroles  qu'en 
février,  et  dire  à  cette  Assemblée  ce  qu'il  criait  au 
tribun  démagogue  :  a  Pressez  la  question  !  Concluez! 
un  gouvernement  provisoire!  »  Tournons  ainsi,  pensait» 
il ,  vers  Frosdorf,  la  proue  du  vaisseau  de  la  France. 
Pilote  insensé  ou  coupable,  il  voulait  traverser  les  orages 
de  1852  et  voguer  vers  son  but,  fût-ce  dans  le  sao^^  la 
barbarie  et  la  honte  1  L'esprit  de  parti  aveugle  les  ial^ 
ligences  les  mieux  douées.  ^«-aM 


D'LN  COUP  D'ÉTAT. 

Le  décret  proposé  par  M.  Bcrryer  fut  voté  par  accla- 
mation, et  le  président  donna  ordre  de  le  faire  impri- 
mer par  tous  les  moyens  possibles.  Pendant  que  le 
bureau  rédigeait  le  décret,  on  fit  courir  des  feuilles 
volantes  pour  recueillir  les  signatures.  On  devait  an- 
nexer ces  feuilles  au  décret. 

Sur  la  proposition  d'un  de  ses  membres ,  l'Assemblée 
rend  un  second  décret  ainsi  conçu  :  «  L'Assemblée 
nationale ,  conformément  à  l'article  32  de  la  Consti- 
tution, requiert  ta  10"  légion  pour  défendre  le  lieu 
de  ses  séances.  »  Il  est  aussi  voté  par  acclamation  ; 
mais  au  milieu  du  plus  effroyable  tumulte  qu'il  soit 
possible  d'imaginer. 

En  ce  moment  arrivent  quelques  représentants, 
entre  autres  MM.  Odilon  Barrot  et  de  Nagle,  qui  se 
hâtent  de  signer  le  décret.  D'autres  étaient  en  bas,  que 
des  officiers  de  pais  et  des  agents  de  police  empêchaient 
de  monter  par  ordre  du  maire.  L'Assemblée,  prévenue 
de  ce  fait,  envoie  M.  Piscatory  près  du  maire  pour  lui 
intimer  l'ordre  de  laisser  libres  les  abords  de  la  salle. 
M.  le  maire  Roger  répond  :  «  Je  représente  ici  le  pou- 
voir exécutif,  je  ne  laisserai  pas  entrer  les  représen- 
tants.—  Il  n'y  a  plus  de  pouvoir  exécutif  autre  que 
l'Assemblée  nationale,  dit  M.  Piscator^'.  —  Vous  me 
permettrez,  Monsieur,  répond  le  maire,  de  faire  mon 
devoir  et  de  ne  pas  le  discuter  avec  vous.  » 

Sur  le  rapport  que  vient  faire  M.  Piscatory,  M.  Ber- 
ryer  propose  de  rendre  un  décret  qui  ordonne  au 
maire  de  laisser  Hbn  de  la  salle.  «Deux 


H  4  HISTOIRE 

choses^  dit  M.  de  Falloux,  me  paraissent  probables  :  la 
première ,  c'est  qu'on  n'exécutera  pas  nos  ordres  ;  la 
seconde,  cest  qu'on  va  nous  expulser  d'ici.  Convenons 
d'un  autre  endroit  pour  nous  réunir.  »  On  s'était  déjà 
réuni  trois  fois  :  à  l'Assemblée,  rue  de  Lille  et  à  la  mai- 
rie  du  10^.  En  toute  autre  circonstance,  cet  orateur, 
qui  voyait  si  juste  l'impuissance  des  représentants^  et  la 
disposition  de  la  force  publique  à  les  expulser  de  par- 
tout, aurait  compris  ce  qu'il  y  avait  de  ridicule  et  de 
peu  digne  dans  ces  décampements  nomades  à  la  pre- 
mière apparition  d'une  baïonnette.  Pas  de  milieu  :  ou 
on  joue  le  rôle  des  vieux  Romains  mourant  sur  leurs 
chaises  curules,  ou  on  s'en  retourne  chez  soi.  M.  Ber- 
ryer  dit  alors  :  <c  Mais  les  étrangers  qui  sont  ici,  prévien- 
dront peut-être  le  pouvoir  du  lieu  que  nous  aurons 
choisi.  »  Pour  la  deuxième  fois,  M.  Bixio  offre  sa  mai- 
son. «  Nous  sommes  ici,  faisons-nous  y  tuer^  dît  un 
membre.  —  Silence  !  dit  le  président ,  pas  de  motions 
intempestives.  M.  Dufaure  a  la  parole.  Ne  perdons  pas 
de  temps.»  M.  Dufaure  propose  que  le  bureau  choi- 
sisse un  lieu  de  réunion,  et  le  fasse  secrètement  con- 
naître à  chacun  des  membres.  On  crie  :  «  Vive  la  Con- 
stitution !  Vive  la  République  !  »  AL  Dufaure ,  qui  pro- 
pose à  cette  Assemblée  d'aller  cacher  sa  réunion  et  ses 
actes,  d*allerse  mettre  à  l'abri  de  tout  danger,  ajoute  : 
«  S'il  faut  succomber  devant  la  force  brutale,  Taveiiir 
nous  regarde,  Messieurs;  l'histoire,  la  postérité  n^ou- 
blieront  pas  que  nous  avons  résisté  par  tous  les  moyepis 
en  notre  pouvoir.  »  Quelle  ^éch^nce  !  Ni  respect  p^yr 


D'UN  COUP  D;ETAT.  113 

soi-même,  ni  respect  pour  ce  pays  qu'on  repnésente. 
Di:  graodcs  plirascs  et  des  acUs  mesquins. 

M.  BeiTyer  propose  son  quatrième  décret  ;  il  est  voté, 
eomme  les  précédents,  par  acclamation.  Il  est  ainsi 
conçu  :  «  L'Assemblée  doane  l'ordre  à  tous  les  directeurs 
de  maisons  de  force  ou  d'arrél ,  de  mettre  en  liberté, 
sous  peine  de  forfaiture,  les  représentants  arrêtés.  » 
En  cet  instant ,  M.  Aulony  Thouret  signait  le  décret  eo 
disant  :  <•  Tous  ceux  qui  ne  signent  pas  sont  des  lâches.* 
Un  autre  rentre  dans  la  salle  ;  a  Dépéchom-nom  bien 
tfile ,  dit-il,  voilà  les  chasseurs  de  Vincennes.  »  La 
scène  qui  eut  lieu  est  impossible  à  décrire.  Il  est  pénible 
pour  un  écrivain  d'avoir  à  raconter  de  pareilles  choses. 
Nous  les  passerions  sous  silence  s'il  ne  fallait  pas  que 
la  France  vit,  dans  les  derniers  actes  de  cette  Assemblée, 
à  quel  degré  peuvent  arriver  les  parades  parlementaires. 
Oji  dit  que  le  ridicule  peut  tout  tuer  en  France.  Si  le 
Bystèrac  parlementaire  se  relève ,  l'adage  n'est  pas  vrai  ; 
car  jamais  ridicule  plus  grand  n'affronta  la  lumière  du 
ciel  et  le  regard  des  hommes. 

Il  est  midi  et  '[uclqucs  minutes,  la  troupe  envahit  la 
eour.  À  cet  instant,  tout  bruit  a  cessé.  Le  silence  règne 
dans  la  salle.  Il  semblerait  que  quelque  cliose  de  solen- 
nel vase  passer.  Les  membres  du  bureau  montent  ,sur 
leurs  chaises  pour  être  vus  des  chefs  militaires,  a  Oo 
monte,  on  monte,  disent  plusieurs  représentanls. — 
Silence!  dit  le  président,  silence  absolu  1  permettez- 
moi  d'en  donner  l'ordre,  Messieurs!  —  C'est  un  ser- 
i)wr£enl  qu'on  nous  envoie!  »  disent  avec  une 


116  HISTOIRE 

sorte  d'affaissement  et  de  désappointement  marqué, 
les  représentants  qui  sont  à  l'entrée  de  la  salle.  Sans 
doute  ils  attendaient  au  moins  le  général  en  chef  ou  le 
ministre  de  la  guerre»  Le  président  a  beau  dire  qu'un 
sergent  représente  la  force  publique,  l'Assemblée  paraît 
consternée.  «  Si  nous  n'avons  pas  la  force ,  ayons  au 
moins  la  dignité ,  dit  M.  de  Falloux.  »  Le  président 
ajoute  :  <c  Songez  que  l'Europe  entière  vous  regarde  1  » 

Ce  n'était,  en  effet,  qu'un  sergent,  à  qui  le  capitaine 
Briquet,  commandant  des  trois  compagnies  de  chasseurs 
qui  venaient  d'arriver,  avait  commandé  d'occuper  la 
porte  de  la  salle  où  siégeaient  ces  messieurs.  Cet  of- 
ficier envahissait  la  mairie  quand  le  commissaire  Le- 
moine  y  entrait,  un  peu  après  midi,  avec  M.  le  commis- 
saire Barlet  fils,  que  le  préfet  de  police  lui  avait  adjoint. 
Une  conférence  de  quelques  minutes  eut  lieu  entre  le 
capitaine  commandant  et  les  commissaires.  Ne  sachant 
comment  concilier  les  ordres  dont  ils  étaient  récipro- 
quement porteurs,  ces  messieurs  jugèrent  à  propos  d'en 
référer  à  l'autorité  militaire.  Le  capitaine  Martinet, 
aide-de-camp  du  général  Sauboul,  qui,  avec  sa  brigade, 
occupait  le  Luxembourg,  étant  présent,  alla  chez  le 
général  en  chef  pour  prendre  ses  ordres.  Ce  fut  pen- 
dant  ce  temps-là  que  le  capitaine  fit  monter  un  sergent 
avec  douze  hommes. 

On  eût  attendu  un  général  au  bureau  et  on  eût  ou<- 
vert  une  discussion  avec  lui  ;  mais  on  vint  au-devant 
du  sergent.  Ce  furent  MM.  Yitet  et  Chapot  qui,  se  piéii^ 
sentant  à  lui  au  haut  de  l'escalier,  lui  demandèreami 


D'UN  COUP  D'ÉTAT.  h? 

qu'il  venait  faire ,  et  lui  dirent  qu'ils  siégeaient  au  nom 
de  la  Constitution.  «  Cela  ne  me  regarde  pas,  répondit 
le  sergent,  j'ai  ordre  d'occuper,  avec  mes  hommes,  le 
haut  de  l'escalier  et  la  porte,  je  le  fais.  »  M.  Chapot  lui 
dit  de  faire  monter  son  chef  de  bataillon.  Le  capitaine 
Briquet ,  faisant  fonction  de  chef  de  bataillon ,  se  pré- 
sente. M.  Vitet ,  au  nom  de  l'A^jeu.  jlée  nationale  ;  l« 
somme  de  se  retirer.  «  Je  vous  demande  pardon,  dit 
le  capitaine,  mais  j'ai  des  ordres  qu'il  faut  que  j'exé- 
cute; vous  me  permettrez  de  les  faire  passer  avant  les 
vôtres.  —  L'Assemblée  vient  de  reoH  e  un  décret  qui , 
en  vertu  de  l'art.  68,  déclare  le  Président  déchu,  et 
qui  commande  à  tous  les  dépositaires  de  l'aulorilé  ou 
de  la  force  publique  d'obéir  à  l'Assemblée ,  sous  peine 
de  forfaiture  et  de  trahison  à  la  loi  ;  vous  devez  vous 
retirer.  —  Vous  devez,  lui  dit  M."  Grévy,  obéir  à 
l'art.  68  de  la  Constitution.  —  L'art.  68,  répondit 
l'offîcier,  ne  me  regarde  pas,  j'obéirai  à  mes  ordres  et 
resterai.  »  MM.  Vitet  et  Chapot  rentrèren^t  dans  la  salle, 
et  le  capitaine  revint  trouver  les  commissaires  en  atten- 
dant les  ordres  du  général  Magnan. 

L'Assemblée  grandit  son  courage  de  l'bésilation 
qu'elle  crut  voir  dans  les  agents  de  l'autorité,  n'ayant 
pas  connaissance  du  conflit  qui  avait  nécessité  te 
recours  au  général  en  chef.  M.  Berrjer  propose  sou  cin- 
quième décret  qui ,  comme  les  précédents,  a  les  hon- 
neurs de  l'unanimité.  Il  était  ainsi  conçu  :  «  L'Assem- 
Uée:D*tioiiale  déclare  que  l'armée  de  Paris  est  chargée 
de  veiller  â  sa  défense ,  et  ordonne  au  général  Magnan, 


118  HISTOIRE 

SOUS  peine  de  forfaiture,  de  mettre  les  troupes  à  la  dis- 
position de  TAssemblée.  » 

Sur  la  proposition  de  M.  Monet,  rAssemblée  décida 
ensuite  que  le  décret  de  déchéance  serait  envoyé  au 
président  de  la  haute  cour  de  justice.  Plusieurs  mem- 
bres ayant  entendu,  au  président  de  rAssemblée,  dirent 
tumultueusement  :  «  Il  n'y  a  plus  de  président  I  — 
M.  Dupin  s'est  conduit  lâchement,  dit  M.  Pascal Duprat, 
je  demande  que  son  nom  ne  soit  pas  prononcé  ici.  » 
Un  membre  réclame  quon  mette  en  réquisition  le  iélé^ 
graphe. 

L'Assemblée  est  consultée  sur  la  proposition  de  nom- 
mer M.  le  général  Oudinot  commandant  de  Tarméede 
Paris.  Quand  on  le  proposé ,  M.  le  capitaine  Tamisiefi 
membre  de  la  Montagne,  s'exprime  ainsi  :  «  Sans  doute, 
M.  Oudinot,  comme  tout  le  monde,  ferait  son  devoir; 
niais  U  a,  vous  le  savez,  commandé  l'expédition  ro- 
maine. Aura-t-il  sur  le  peuple  l'autorité  nécessaire?-— 
Vous  désarmez  l'Assemblée,  ditM.Rességuier.  —  Vous 
nous  tuez,  »  dit  M.  de  Dampierre.  La  proposition  mise 
aux  voix  est  adoptée,  et  un  décret  est  rendu  dansée  sens. 
Durant  qu'on  le  rédige,  M.  Oudinot  échange  quelques 
phrases  avec  M.  Tamisier;  puis  dit  à  ses  coliques: 
«  Messieurs ,  sur  ma  demande ,  le  capitaine  Tamisier 
accepte  de  me  servir  de  chef  d'état-major.  »  Des  ton- 
nerres d'applaudis^ments  accueillent  cette  accolade 
donnée  par  le  général  à  la  Montagne. 

£n  ce  moment,  un  sous-lieutenant  venait,  à  la  poHe 
de  la  salle,  donner  des  ordresjiux  chasseurs  qui  s'y  tro»- 


D'UN  COUP  D'ÉTAT.  119 

valent.  Le  général  Oudinot  et  le  capitaine  Tamisier 
s'avancent  vers  lui;  M.  Tamisier  lui  donne  lecture  du 
décret  qui  nomme  M.  Oudinot  général  en  chef  de 
l'armée  de  Paris.  «  Vous  venez  d'entendre ,  dit  M.  Ou- 
dinot; je  suis  général  en  chef  de  l'armée  de  Paris,  vous 
devez  m'obéir  sous  peine  des  plus  graves  punitions ,  je 
vous  commande  de  vous  retirer.  —  Mon  général,  j'atten- 
drai pour  cela  qu'on  me  relève  de  ma  consigne.  —  C'est 
juste,  *  (lit  M.  Oudinot,  qui  ne  s'attendait  pas  à  cette 
leç^on  de  discipline  militaire.  En  rentrant  dans  la  salle, 
il  demande  M.  Mathieu  de  la  Redorte  pour  chef  d'élat- 
major  de  la  garde  nationale:  «  Faites  ce  choix  vous- 
même,  c'est  dans  vt«  pouvoirs,  »  crie-t-on  detouscôtés. 
L'Assemblée  confirme  le  choix  du  général.  M.  Henoist 
d'Arjfailalors  remarquer  que  quelquespersonnesétaient 
déjà  sorties  et  s'en  étonne,  parce  que,  dit-il,  il  ne  sup- 
pose pas  que  quelqu'un  veuille  se  retirer  avant  d'avoir 
vu  la  tîn  de  ce  qu'on  pouvait  faire. 

Plusieurs  repréjcntants  étaient  i*n  effet  sortis  pour 
»c  rendre  à  une  imprimerie  voisine,  où  ils  portaient 
le  décret  de  déchéance,  afin  de  le  faire  imprimer.  Il 
fallait  quelqu'un  qui  pût  se  charger  de  le  faire  lui- 
même  pour  ne  pas  mettre  ses  employés  dans  le  secret. 
C'était  un  point  important.  I^e  chef  de  cette  imprime- 
rie, ouvrier  avant  d'être  maître,  était  bien  celui  qui 
convenait.  11  refusa  éncrgiqucment  de  prêter  son  con- 
cours. Il  C'est  un  acte  de  patriotisme,  lui  dirent  ces 
Messieurs,  et  sur  notre  parole  de  représentants,  nous 
jurons  que  le  pays  reconnaîtra  par  une  récompense 


120  HISTOIRE 

nationale  le  service  éminent  que  vous  allez  lui  rendre. 
—  Je  ne  veux  pas ,  dit  Timprimeur,  provoquer  à  une 
résistance  qui  ferait  verser  le  sang  d'un  seul  de  mes 
concitoyens.  »  On  revint  trois  fois  chez  lui ,  la  dernière 
à  huit  heures;  mais  toujours  inutilement.  Ce  ne  fut  que 
plus  tard  qu'on  trouva  une  presse  clandestine  qui  a  im- 
primé le  document  informe  que  la  police  a  saisi. 

Deux  autres  représentants  s'étaient,  de  leur  côté, 
rendus  au  ministère  de  l'intérieur  et  sommaient  M.  de 
Morny  de  se  constituer  prisonnier  et  de  rapporter  le  coup 
d'État.  Le  ministre  était  impassible,  et  son  calme  rail- 
leur mettait  hors  d'eux-mêmes  les  deux  délégués.  «  Nous 
appellerons  le  peuple  aux  armes.  —  C'est  bien ,  dit 
M.  de  Morny ,  faites  ;  mais  comme  mes  amis  el  moi 
avons  joué  notre  existence  pour  sauver  la  patrie ,  nous 
irons  jusqu'au  bout.  Je  ferai  fusiller  tous  les  représen- 
tants pris  aux  barricades.  »  Ces  Messieurs  cessèrent 
d'insister,  et  ne  furent  pas,  affirme-t-on,  de  ceux  qui 
se  montrèrent  parmi  les  insurgés. 

Au  même  instant,  M.  Berryer  et  quelques  autres  repré» 
sentants  péroraient  par  les  fenêtres  de  la  justice  de  paix 
dont  le  local  communique  avec  la  grande  salle  de  la 
mairie  du  10%  Ils  provoquaient  le  peuple  à  la  résistance, 
à  l'insurrection,  en  proclamant  la  substance  des  décrets 
que  venait  de  rendre  la  prétendue  Assemblée  nationale. 
M.  Berryer  disait  :  «  Nous  sommes  des  vôtres,  mes  amis, 
nous  vous  accordons  ce  que  vous  demandez  :  le  suffrage 
universel,  vous  l'aurez!  — Vous  ne  disiez  pas  cela,  il  y 
a  huit  jours,  »  lui  clame  un  ouvrier  en  faisant  un  porte-^ 


D'UN  COUP  D'ÉTAT.  121 

Toix  de  ses  deux  mains.  Quelques  chasseurs  viennent 
fermer  les  fenêtres  et  font  rentrer  ces  Messieurs  dans 
la  salle. 

C'est  à  ce  moment  que  l'ordre  du  général  Magnan  fut 
apporté  de  l'état-major.  11  commandait  d'exécuter  les 
prescriptions  du  préfet  de  police;  il  était  ainsi  conçu: 

Commandant, 

En  conséquence  des  ordres  du  Ministre  de  la  guerre ,  faites  oc- 
cuper immédiatement  la  mairie  du  40*  arrondissement,  et  faites  ar- 
rêter, s'il  est  nécessaire,  les  représentants  qui  n^obéiraient  pas  sur- 
le-champ  à  rinjonction  de  se  séparer. 

Lt  général  en  chef^ 

MAGflAFf. 


Il  n'y  avait  plus  à  hésiter  ;  les  commissaires  deman- 
dèrent à  tenter  les  voies  de  conciliation.  Us  montèrent 
à  la  salle  avec  le  capitaine  qui  s'arrêta  à  l'entrée.  Pen- 
dant ce  temps-là,  l'aide-de-camp  du  général  Sauboul 
retournait  au  Luxembourg  et  prévenait  le  général  que 
les  forces  de  la  mairie  étaient  insuffisantes. 

En  entrant  dans  la  salle,  les  commisaires  sont  ac- 
cueillis par  des  clameurs  qui  partent  à  la  fois  de  tous 
les  points.  M.  Lemoine-Tacherat  veut  parler  ;  sa  voix 
est  couverte  par  les  cris  :  «  Sortez!...  vous  violez  la 
majesté  de  l'Assemblée  ! ...  Qui  ètes-vous  ? . . .  Sortez  ! . .  • 
A  la  porte  I  »  A  ces  cris  se  mêlent  des  épithètes  in- 
jurieuses y  de  ces  mots  qui  rappellent  les  séances  les 
plus  tristement  scandaleuses  de  la  véritable  Assemblée» 


122  BSTOIRE 

Quand  cette  tempêle  ert  vu  peu  calmée ,  M.  Lemotne 
veut  reprendre  la  parole  ;  les  mêmes  clameurs  recom- 
mencent; enfin,  voyant  sa  persistance,  on  lui  crie  : 
a  Au  bureau  !  montez  au  bureau  !  —  Vos  noms ,  et  que 
voulez-vous?  dit  le  président.  —  Nous  sommes  com- 
missaires, répond  M.  Lemoine  ;  nous  venons,  de  la  part 
du  préfet  de  police,  vous  sommer  de  sortir  de  la  mai- 
rie et  de  vous  retirer.  —  Vous  êtes  magistrats,  reprit 
M.  Benoist  d'Azy,  vous  devez  savoir  quelle  responsabi- 
lité vous  assumez  personnellement  sur  vos  têtes.  Ce 
jour  peut  avoir  un  lendemain,  et  vous  aurez  peut-être  à 
vous  repentir  de  ce  que  vous  faites  aujourd'hui.  On  va 
vous  lire  l'art.  68  de  la  Constitution,  que  vous  parais- 
sez ne  pas  connaître.  »  M.  Vitet  donne  lecture  de  cet 
article,  ainsi  conçu  : 


Art.  68.  Le  président  de  la  République,  les  ministres,  les  agents  et 
dépositaires  de  l'autorité  publique,  sont  responsables,  chacun  en  ce 
qui  le  concerne,  de  tous  les  actes  du  gouvernement  et  de  radmini* 
stration. 

Toute  mesure  par  laquelle  le  président  de  la  République  dissout  oi^ 
proroge  TAssemblée,  ou  met  obstacle  à  Texercice  de  son  mandat,  ert 
un  crime  de  haute  trahison. 

Par  ce  seul  fait,  le  président  est  déchu  de  ses  fonctions  ;  Les  citog^Cili 
sont  tenus  de  lui  refuser  obéissance;  le  pouvoir  exécutif  passe  ifi 
plein  droit  à  TAssemblée  nationale;  les  juges  de  la  haute  cour  de 
justice  se  réunissent  immédiatement  à. peine  de  forfaiture;  ils  ccni- 
voquent  dans  le  heu  qu'ils  désignent  pour  procéder  au  ivigeiiMl.te 
président  et  de  ses  complices;  ils  nomment  eux-mêmes  le  iQ^gi|lq| 
chargé  des  fonctions  du  ministère  public. 

Une  loi  déteminera  les  autres  cas  de  responsabilité  aiml  ^pnr  Ml 
Cormes  et  )tȍmdUkms  de  la  poufsuile.  .,.4  ^v; 


D'UN  COUP  D'ÉTAT.  i23 

«Lisez  à  ces  Messieurs  les  décrets  que  vient  de  ren- 
dre l'Assemblée.  »  M.  Yitet  donne  lecture  du  décret 
suivant  : 

RÉPUBLIQUE  FRANÇAISE. 

L'Assemblée  nationale , 

Vu  Fart.  68  de  la  Constitution , 

Attendu  que  l'Assemblée  nationale  est  empêchée ,  par  acte  de  vio- 
lence, dans  l'exercice  de  son  mandat; 

Décrète  : 

Louis-Napoléon  Bonaparte  est  déchu  de  ses  fonctions  de  Président 
de  la  République.  Les  citoyens  sont  tenus  de  lui  refuser  obéissance. 
Le  pouvoir  exécutif  passe  de  plein  droit  à  l'Assemblée  natlmiale.  Les 
juges  de  la  haute  cour  de  justice  sont  tenus  de  se  ré|mir  Immédiate- 
ment à  peine  de  forfaiture.  Les  jurés  sont  convoqués  pour  procéder 
au  jugement  du  Président  et  de  ses  complices. 

En  conséquence ,  il  est  enjoint  à  tous  fonctionnaires  et  dépositaires 
de  Pautorité  et  de  la  force  publique,  d'obéir  à  toutes  réquisitions  fai- 
tes an  nom  de  TAssemblcc  nationale,  sous  peine  de  forfaiture  et  de 
haute  trahison. 

Délibéré  et  voté  à  l'unanimité ,  en  séance  publique,  à  la  mairie  du 
10^  arrondissement. 

Le  ifio9-fré9idirU ,  Les  secrétaires , 

VrrKT.  MouLin  et  Chapot. 

En  Tabsence  du  président  retenu  à  l'Assemblée  : 

< 

Le  vice-président , 

Bekoist  d'Azt  ^ 

M.  Yitet  lit  ensuite  le  décret  qui  nomme  le  général 

'  Ont  ligné  la  pièce  originale,  quelques-uns  deux  fois  : 

Dvfkure,  JouannetyMontebello,  Bufifet,  M  ortimer-Temaux,  GranviUc, 


124  HISTOIRE 

Oudinot  commandant  des  forces  militaires  de  Paris  y 
M.  Taniisier,  colonel  d'état-major.  «  Vous  voyez,  dit 
M.  Benoist  d'Âzy  au  commissaire,  que  vous  ne  pouvez 
pas  obéir  à  un  pouvoir  qui  a  cessé  d'exister.  CSomme 
président  de  celle  Assemblée ,  je  vous  somme  de  vous 
retirer,  et  vous  requiers  de  faire  sortir  les  troupes  qui 
ont  envahi  la  mairie.  —  Je  n'ai  pas  à  discuter  avec 
vous,  dit  M.  Lemoine.  J'exécute  des  ordres  supérieurs; 
j'obéis  comme  un  soldat  à  son  général  :  je  vous  réitère 
la  sommation  de  sortir  d'ici,  si  vous  ne  voulez  qu'on  ne 
vous  y  contraigne.  Du  reste,  je  dois  vous  dire  officieu- 
sement que,  Paris  étant  en  état  de  siège,  l'autorité 
civile  n'intervient  que  par  tolérance  et  pour  éviter 
que  des  formes  infiniment  moins  conciliantes  soient 

Chapot,  Foblânt,  Brotonne,  Dahircl,  Camus  de  la  Guibourgère,  Ghau- 
TÎn^  de  GouyoD,  Duvergier  de  Hauranne,  Saint-Romme ,  de  Melun 
(Ille-et- Vilaine),  Rigal,  Du  parc,  S.  Rouillé,  Chégaray,  de  Staplande, 
Joret,  Montigny,  Amablc-Dubois,  de  Séré,  Lacase,  Boucl,  de  Saint- 
Priesl,  Pascal  Duprat,  Rouget-Lafosse,  Kersauson,  Pidoux,  CaiHet- 
Dutertre,  de  Ladevansaye,  Talhouet,  Merenlié,  Sauvaire-Barthelemy, 
de  Fontaine,  Bouvattier,  Albert  de  Luynes,  Dufournel,  Legrand,  Boissié« 
Dabirel,0.  Lafayette,  Lanjuinais,  Desmars,  de  Castillon,  deVaajuas, 
Pioger,  Levet,  Daguilhon,  Gasselin,  Maréchal,  Vernhette  (Hérault),  d« 
Gresset,  Roux-Carbonnel,  Pigeon,  de  Sèze,  Léo  de  Laborde,  d^Ambray, 
Gallet,  Diculeveut,  Gustave  de  Beaumont,  de  Tocqueville,  Béchard, 
Kéridec,  d'Hespel,  Passy,  général  Rulhière,  du  Grosrier,  de  Brias,  Fri- 
cfaon,  de  Kerdrel,  Simonot,  Rémusat,  de  Vogué,  deCoicclles,  de  Ber- 
set,  Symphor-Vaudoré,  de  Malleville,  Arône,  Besse,  de  Tracy,  Le- 
maire,  des  Rotours  de  Cliaulieu,  Randoing,  Berryer,  Vcsin,  Henne- 
cart,  d'Olivier,  Coquerel,  Duparc,  Chassaignel,  Salmon  (Meuse),  Fal- 
|Oux,  Prudhomme,  Howyn-Tranchi:re,  Rességuier,  Larochette,  Lagré- 
née,  Rératry,  Thurlot,  Botmiliau,  Vernhette  (Aveyron),  Paul  de  Saint- 


.   \ 


D'UN  COUP  D'ÉTAT.  125 

employées.  —  Nous  n'avons  que  faire  des  faveurs  de 
votre  préfet,  à  qui  nous  ne  reconnaissons  aucun  droit; 
sortez  I  -—  Nous  ne  partirons  d'ici  que  contraints  et  pri- 
fionniertl  erie-t-on  de  toutes  parts.  »  C'est  alors  que 
le  général  Oudinot,  s'adressant  à  l'officier  :  a  Com- 
mandant, lui  dit-il,  vous  le  voyez,  je  suis  nommé  géné- 
ral de  l'armée  de  Paris  ;  c'est  à  moi  qu'il  appartient  de 
vous  commander.  Ayez  à  faire  retirer  vos  soldats,  ou  à 
les  mettre  à  la  disposition  de  l'Assemblée.  Comman-* 
dantdu  6^ bataillon,  vous  m'avez  entendu;  allez-vous 
obéir?  —  Général,  répond  le  capitaine,  j'ai  l'honneur 
de  vous  connaître;  en  toute  autre  circonstance,  je 
serais  heureux  de  vous  obéir;  mais  ici  j'exécute  les 
ordres  de  mes  chefs  hiérarchiques ,  je  les  exécuterai 

Georges,  Bixio,  Sainte-Beuve,  Tamisier,  Gicqueau,  Bouille,  Legros- 
Devot,  de  Liippé,  Nettement,  Monet,  de  Lavallade,  Trévencuc,  Matthieu 
de  la  Redorte,  Pécoul,  Ravjnel,  Piscatory,  d'Havrincourt,  Jules  de 
Lasteyrie,  de  Larcy,  de  la  Tourette,  Surville,  Dufougeroux,  Laine, 
Germonière,  Ferd.  de  Lasteyrie,  de  Goulard,  ChamboUe,  A.  Gros,  d€ 
Tinguy,  Louvet,  de  Vandœuvre,  Casimir-Perrier ,  Victor  Lefranc, 
Chazaud,  Proa,  Tron,  de  Limayrac,  Fourtanier,  de  Belvèse,  Barthé- 
lemy-Saintpfiilaire,  Barchou  de  Penhoéh,  de  la  Broize,  de  Chazelle, 
Kerroarec,  de  Coislin,  Raudot,  Bernardi,  de  Sesmaisons,  Barillon, 
E.  Leroux,de  laTousche,  Gordier,  Ferré  des  Ferris,  Laurenceau , Pradié, 
Denayrousse,  Laurence,  Sain,  Hervé  de  Saint-Germain,  Talon,  Bla- 
voyer,  Vatimesnil,  Bauchart,  Mispoulet,  Boissiëre,  Tocqueville,  de 
Kerdrel  (Morbihan),  général  Lauriston,  de  Balzac,  Gustave  de  Beau- 
mont,  de  Querhoent,  de  Lafosse  (llle-et-Vilaine),  de  Roquefeuille,  dt 
Dampierre,  de  Reranflech,  Poujpulat,  de  Melun  .(Nord),  de  Faultrier, 
Colas  de  la  Mothe,  Corne,  Champanhet,  Betting  de  Lancastel. 

Les  représentants  de  la  gauche  font,  de  leur  côté,  une  profession 
semblable.  (Ces  mots  étaient  ainsi  au  bas  des  signatures.) 


1 2U  HISTOIRE 

complètement.  »  Alors  il  donne  lecture  aux  représen- 
tants de  Tordre  qu'il  avait  reçu  du  général  en  chef.  Il 
se  fait  un  tumulte  effroyable,  les  vociférations  recom- 
mencent. Les  injures  les  plus  violentes  sont  adressées 
aux  commissaires,  notamment  par  certains  représen- 
tants du  parti  de  la  Montagne.  Chacun  veut  être  le  tri- 
bun de  la  circonstance.  On  monte  sur  les  tables,  sur  les 
chaises,  sur  le  bureau,  pour  faire  des  discours  que 
personne  ne  peut  entendre.  Les  commissaires  et  le  ca- 
pitaine sortent  pour  délibérer.  Quel  parti  prendre  ?  On 
ne  peut,  avec  trois  compagnies,  emmener  plus  de  deux 
cents  personnes,  si  elles  persistent  dans  leur  résistance. 
On  envoie  demander  des  renforts  au  général  Foraji 
qui  commande  sur  le  quai  d'Orsay.  Ce  général  raea* 
vait  en  même  temps  une  lettre  du  général  Magnan  qui 
lui  disait  :  «  On  n'agit  pas  assez  vivement  à  la  mairie  du 
10<^  où  les  représentants  sont  réunis.  C'est  là  qu'est  la 
situation  sérieuse.  Portez-vous-y  de  votre  personne  et 
enlevez  le  plus  de  représentants  que  vous  pourrez. 
Agissez  promptement  et  énergiquement.  »  Le  tymulte 
continue  dans  la  salle.  Des  groupes  considérables  sta- 
tionnent dans  la  rue  de  Grenelle.  M.  Lemoine-Tacberat, 
jetant  un  coup  d'œil  aux  groupes,  aperçoit  M.  de  Laro- 
chejaquelein,  qui  se  présentait  pour  entrer.  «N'insistez 
pasi  lui  dit  le  magistrat,  la  porte  est  consignée.  »  Puis 
il  le  fait  entrer  dans  la  guérite  qui  est  à  droite  de  la 
grande  porte,  près  du  poste,  et  là,  l'engage  à  se  retirer, 
ce  que  M.  de  Larochejaquelein  fait  immédiatement. 
Il  entre  en  face  chez  un  marchand  de  vin  et  monte 


D'UN  œUP  D'ÉTAT.  ifl 

au  ppraûer  étage  pour  être  témoin  des  événements. 
Le  général  Fofey  arrive  enfin  à  la  mairie^  à  une  heure 
^  demie,  avec  un  bataillon  du  1 4*  de  ligne  et  le  reste 
du  6^  bataillon  de  chosgeurs  à  pied.  De  son  côté,  le  gé- 
néral Sauboul,  prévenu  par  son  aide-de-camp  de  l'in- 
suffisance des  forces  (pii  étaient  à  la  mairie,  y  envoyait 
un  batfaillon  du  37%  qui  ne  vint  que  jusqu'à  la  Croix- 
Rouge,  le  général  Forey  lui  ayant  fait  dire  de  retourner, 
puisque  lui-même  arrivait  avec  assez  de  monde.  Le 
général  Forey  décida,  de  concert  avec  les  commissaires, 
qu'on  n'emmènerait  pas  les  représentants  à  Mazas  ou  à 
la  préfecture  de  police,  mais  bien  à  la  caserne  du 
qwidKOirsay.  U  était  prudent  d'éviter  toute  provocation 
dtngareuae,  et  le  parti  qu'on  prenait  n'exposait  à  rien 
de  semblable.  Les  commissaires  remontent  dans  la 
salle,  et  font  de  nouveau  sommation  aux  représentants 
d'avoir  à  acortir  immédiatement.  Refus  formel  de  tous. 
«  Noua  ne  sortirons  que  violentés  !  faites-nous  prison- 
nii^rsl  II  faut  qu'on  nous  arrache  d'ici  t  »  Au  fait,  les 
p^résentante  ne  demandaient  pas  autre  chose  qu^un  si- 
midacre  de  violence.  M;  Lemoine-Tacherat  s'approche 
de  M.  Benoist  d'Aay,  et,  lui  touchant  le  coude  avec  poli- 
teste  :  «  Voyons!  Monsieur,  lui  dit-il ,  sortez  d'ici.  » 
On  ir  éaril  que^  M.  Benoist  d'Azy  et  M.  Vitet  avaient  été 
pm  au  eoUflt  ;  le  kit  est  fhux.  Ils  sont  sortis  sur  Pinvi- 
talîen  du  comœttsaire.  Tous  les  autres  ont  voulu  même 
wmblant  d^ewploî  de  la  force;  ils  ne  partaient  que 
quand  l'un  desi  ohaaseucs  de  Vincennes  les  at ait  touchés 
d«bMl.du  doigtt 


128  HISTOIRE 

Accumulés  sur  le  grand  escalier,  les  représentants^ 
comme  s'ils  regrettaient  d'avoir  cédé  si  facilement, 
s'arrêtent  et  ne  veulent  plus  descendre.  Il  faut  encore  les 
chasseurs  de  Vincennes.  Dans  la  cour,  les  clameurs  re- 
commencent ;  on  se  sent  un  auditoire  et  on  refuse  éner- 
giquement  de  se  séparer.  Aux  invitations  qui  sont  fai-» 
tes  par  les  commissaires,  on  répond  :  «  Faites-nous  pri- 
sonniers; vous  ne  Tosez  pas;  vous  avez  peur  ;  à  nous 
bientôt  à  vous  juger.  »  Puis  des  injures  sont  adres- 
sées à  ces  fonctionnaires.  On  comprend  la  réserve  qui 
nous  oblige  à  nepas^nommer  ici.  M.Lemoine-Tacbe- 
rat  se  voit  forcé  de  dire  à  celui  qui  les  leur  adresse  : 
«  Monsieur,  j'ignore  qui  vous  êtes,  mais  qui  que  vous 
soyez,  vous  pourriez  avoir  des  leçons  de  courage  et 
d'honneur  à  recevoir  des  fonctionnaires  que  vous  in- 
sultez. D 

Beaucoup  veulent  encore  haranguer  la  troupe,  notam- 
ment MM.  Piscatory,  de  Coislin.  Le  capitaine  Tamisier, 
s' adressant  à  l'aide-de-camp  du  général  Forey,  lui  dit  : 
c(  Savez-vous,  mon  cher  capitaine,  qu'on  vous  fait  jouer 
un  rôle  déplorable  ;  à  votre  place,  je  voudrais  me  cou- 
vrir de  gloire  aujourd'hui.  »  M.  Oudinot,  se  trouvant 
près  du  général  Forey,  lui  dit:  a  Je  suis  commandant 
en  chef  de  l'armée  de  Paris.  »  Pour  ne  pas  engager  de 
discussion,  le  général  Forey  détourna  son  cheval,  après 
avoir  répondu  ;  «  Nous  sommes  militaires,  nous  ne  con- 
naissons que  nos  ordres.  »  M.  Oudinot  ne  fut  pas  plus 
heureux  auprès  des  soldats,  qui  refusèrent  de  l'écouter. 

Voyant  qu'on  ne  peut  rien  obtenir  des  représentants 


D'UN  COUP  D'ÉTAT.  129 

et  qu'ils  veulent  absolument  les  apparences  d'une  per- 
sécution, qu'on  leur  dit  d'avance  devoir  être  exempte  de 
dangers^  on  les  place  entre  deux  haies  de  chasseurs  de 
Yincennes.  La  ligne  ouvre  et  ferme  la  marche.  Puis  on 
les^onduit,  par  les  rues  de  Grenelle,  Saint-Guillaume, 
Neuve-de-rUniversité,  de  l'Université,  de  Beaune  et  les 
quais  Voltaire  et  d'Orsay,  à  la  caserne  du  quai  d'Orsaj , 
où  le  général  Forey  est  allé  donner  l'ordre  de  les  rece- 
voir avec  tous  les  égards  convenables.  Ils  y  entraient  à 
trois  heures  et  demie.  Durant  ce  temps-là ,  le  préfet 
de  police  écrivait  au  général  Magnan  de  marcher  lui- 
même  sur  la  mairie  du  10®  arrondissement.  Le  mi- 
nistre de  la   guerre  lui  donnait  l'ordre  de  s'y  rendre 
avec  des  forces  suffisantes  pour  y  arrêter  tous  les  re- 
présentants. Le  ministre  de  l'intérieur,  écrivant  dans  le 
même  sens,  signalait  comme  ne  devant  pas  être  relâ- 
chés, MM.  Berryer,   Piscatory,  Oudinot,   qui  avaient 
eu  la  part  la  plus  directe  aux  actes  de  la  séance.  En 
effet,   M.  Berryer  peut   revendiquer  l'honneur  d*cn 
avoir  été  l'àme  et  le  directeur.  Le  général  en  chef 
montait  à  cheval  pour  se  rendre  avec  vingt-cinq  guides 
sur  les  lieux,  quand  il  apprit  que  le  général  Forey  con- 
duisait les  représentants  à  la  caserne  d'Orsay. 

Ainsi  finit  celte  déplorable  séance  de  la  mairie  du 
10®.  Peut-être  fallait-il  cette  dernière  humiliation  au 
système  parlementaire  pour  le  discréditer  entièrement 
eo  France.  Nous  avons  fait  ce  récit  sans  partialité,  sur 
des  documents  précis  et  sur  des  renseignements  hono» 
rables.  Toutes  les  personnes  qui  nous  ont  fourni  ces 


\n  mSTOIRE 

derniers  nous  ont  offert  leur  sigaatare  pour  les  gamil* 
tir.  Ce  sont  les  faits  qui  écrivent  Thistoire.  Est-ee  notr^ 
faute  si  l'esprit  de  parti  aveugle  les  hontmes  et  prodoit 
chez  les  intelligences  les  plus  élevées  1^  faiblesses,  les 
défaillances  que  nous  avons  dû  raconterf  Quel  enseigne^ 
ment  !  Ces  profonds  politiques,  cas  prétendus  ttéfen-^ 
seurs  de  l'ordre  ,  ces  hommes  «tes  vieuat  privilèges,  les 
voilà  qui  invo<pient  Témeute,  qui  aprpellent  les  soMate 
des  barricades  y  qui  font  des  discours  par  les  fenélres 
d'une  mairie  et  qui  vont  au-<levant  de  tous  les  agenU 
da  pouvoir  pour  discuter  des  consignes  et  poqr  faire 
reconnaître  leur  autorité.  Et  que  veulent-ils?  A  la  plaOe 
du  pouvoir  unitaire  et  fort  qui  sauve  le  pays,  en  faisant 
loyalement  l'appel  au  peuple,  en  annonçant  qu'il  prend 
le  souverain  naturel  pour  juge,  que  veulent-ils  mettre? 
Leur  dictature  ;  l'arbitraire  d'une  Convention  tiinniU 
tueuse  et  divisée  en  partis  qui  se  détestent,  qui  dematn 
se  déchireront.  S'ils  réussissent,  c'est  la  terreur  à  Paris; 
c*est  la  jacquerie  rouge  dans  toute  la  France.  Et  voilà 
où  ils  vont,  ces  parlementaires  qui  se  nomment  Pisca^ 
tory,  Berryer,  Benoist  d'Azy,  Dufaure,  Falloux,  Odilon 
Barrot,  etc.  Que  la  France  considère  jusqu'où  des 
hommes  de  cette  valeur  ont  pu  descendre,  et  le  systèitte 
parlementaire  demeurera  jugé  pour  toujours. 

Les  personnages  internés  à  la  caserne  d'Orsay  étaient 
au  nombre  de  218.  La  protestation  ne  portait  à  la  ttM* 
rie  que  les  190  signatures  que  nous  avons  données^  Des 
adhésions  obtenues  en  dehors  ont  porté  ce  nombre  à 
213,  puis  à  221 ,  ce  qui  fait  que  bien  des  pièces  saisiei 


D'UN  COUP  D'ÉTAT.  m 

diffèrent  quant  au  nombre  des  signatures.  Il  y  avait  à 
cette  réunion  des  personnages  qui  n'étaient  pas  repré- 
sentants; voilà  ce  qui  ei|rfique  encore  la  différence 
entre  le  chiffre  des  présents  et  celui  des  signataires. 
L'incident  de  la  mairie  du  1 0^  est  un  des  plus  sérieux 
de  la  journée.  Si  la  dissolution  de  cette  réunion  a  de- 
mandé du  temps,  cela  tient  à  la  différence  des  ordres 
donnés  d'abrod  par  l'autorité  civile  et  par  l'autorité  mili- 
taire, ensuite  à  l'insuffisance  des  troupes  envoyées  pri- 
mitivement pour  les  faire  exécuter  ;  la  fermeté  du  gé- 
néral Forey  dans  l'exécution  de  cette  mission  délicate,  et 
celle  du  capitaine  commandant  le  6*  bataillon  de  chas- 
seurs à  pied,  a  tout  réparé.  Dans  cette  circonstance  dif- 
ficile, M.  Lemoine-Tacherat ,  comme  commissaire  du 
quartier  et  comme  doyen  d'âge ,  a  porté  la  parole  et 
fait  exécuter  les  ordres  du  préfet  de  police  avec  une 
énergique  fermeté  ;  il  s'est  montré  plein  de  décision  et 
constamment  tenu  dans  une  attitude  résolue ,  en  face 
d'une  Assemblée  qui  se  prétendait  pouvoir  souverain 
et  qui  le  rendait  personnellement  responsable.  M.  Bar- 
let  fils  doit  être  cité  aussi  comme  ayant  prêté  à  son 
doyen  d'âge  le  concours  le  plus  énergique  et  le  plus  in-* 
telligent.  Lui  aussi,  dans  cette  circonstance  solennelle, 
a  su  allier  à  la  fermeté  du  fonctionnaire  l'esprit  de 
convenance  parfaite  qui  distingue  toujours  l'homme 
bien  élevé. 

A  la  caserne  du  quai  d'Orsay,  beaucoup  de  repré« 
sentants  reçurent  des  amis,  des  parents.  Tous  étaient 
lîbves  ck  partir  ;  quelques-uni  le  firent.  Mais  la  perse- 


132  HISTOIRE 

cution  n'était  pas  dangereuse  ;  on  savait  les  prescrip- 
tions à  cet  égard  de  M.  de  Maupas  et  de  l'autorité  mi- 
litaire. Dans  de  telles  circonstances,  il  était  puéril  de 
jouer  au  martyre.  Ouelques-uns  crurent  cependant 
devoir  le  faire,  et  déclarèrent  qu'ils  voulaient  rester 
prisonniers.  Ils  refusaient  de  faire  connaître  leurs  noms, 
et  répondaient  invariablement  aux  questions  faites  à 
cet  égard  :  Représentant  du  peuple.  Le  ministre  vou- 
lant savoir  les  noms  des  personnages  arrêtés ,  on  fut 
obligé  de  faire  venir  un  officier  de  paix,  ordinairement 
de  service  à  l'Assemblée ,  qui  commença  à  désigner  no- 
minativement pour  qu'on  pût  les  inscrire.  Voyant  cela, 
les  autres  se  nommèrent. 

Un  fait  qui  montre  à  quel  degré  de  puérilité  les  re- 
présentants descendirent  est  celui-ci  :  «Xjîénéral,  disait 
M.  Dufaure,  pourrais-je  envoyer  chercher  des  nouvelles 
de  ma  femme  ?  —  Allez-y  vous-même,  répond  le  géné- 
ral Forey  ;  seulement  promettez  de  revenir,  —  Je  vais 
vous  faire  une  promesse  écrite.  —  Je  m'en  rapporte 
parfaitement  à  vous.  —  Il  faut  que  cela  soil  écrit  pour 
Tauthenticilé  historique.  »  M.  Dufaure  ne  revint  que  le 
lendemain  à  quatre  heures  du  matin.  Le  lancier^de  fac- 
tion lui  dit  que  les  autres  représentants  étaient  partis  : 
«  Et  je  n'y  étais  pas!  reprit  M.  Dufaure.  Que  pensera  le 
pays?  —  Il  pensera  que,  pour  ne  pas  rester  dans  la  rue 
à  quatre  heures  du  matin,  dit  le  soldat  qui  lui  barrait 
la  porte,  vouë  êtes  retourné  à  votre  domicile.  »  Les  of- 
ficiers, surtout  le  colonel  commandant,  se  montraient 
vis-à-vis  d'eux  pleins  d'égards  et  de  politesse.  Quelques- 


D'UN  COUP  D'ÉTAT.  133 

uns  n'apprécièrent  pas  comme  il  était  convenable  cette 
façon  d'agir  et  y  répondirent  assez  mat. 

Ils  furent  enfin  transportes  dans  des  voitures  de  toutes 
sortes  9  omnibus  et  autres  j  soixante-deux  à  Mazas  y  cin- 
quante-deux au  Mont-Valérien  et  cent  quatre  à  Vin- 
cennes.  Les  uns  à  dix  heures  du  soir ,  les  autres  à  deux 
heures  du  matin.  Il  ne  resta,  à  la  caserne  d'Orsay, 
que  MM.  Chegaray  et  Mazé  Delaunay ,  qui  se  dirent 
malades,  et  qui,  le  3  ,  au  point  du  jour,  demandèrent 
à  rentrer  chez  eux.  M.  Etienne,  qui  était  légèrement 
blessé ,  resta  chez  le  major  des  lanciers. 

A  Vincennes ,  on  prépara  pour  eux  les  appartements 
du  prince  de  Monlpensier,  et  le  génral  Courtigis  disposa 
de  tout  son  mobilier  en  leur  faveur.  Berryer,  Piscatory, 
Odilon  Barrot ,  Béchard,  Léo  de  Laborde,  de  Riancey, 
étaient  au  nombre  des  représentants  enfermés  à  cette 
forteresse.  Ce  fut  en  y  arrivant  qu'Odilon  Barrot,  mon- 
tant sur  une  chaise,  adressa  une  allocution  à  ses  collè- 
gues, a  Comment,  dit  le  général  Courtigis,  depuis  trente 
ans  que  vous  faites  le  même  discours,  vous  n'en  avez 
pas  assez!  —  Général,  répondit  le  solennel  orateur,  je 
devais  trop  au  système  parlementaire  pour  ne  pas  lui 
rendre  ce  dernier  hommage.  » 

Dans  la  journée  du  2,  àdix  heures  du  matin,  la  haute 

cour  s'était  d'office  réunie  au  Palais  de  justice.  Deux 

commissaires,  envoyés  par  le  préfet  de  police ,  entrèrent 

dans  la  salle  où  siégeait  la  cour,  tandis  qu'un  bataillon 

de  garde  municipale  se  tenait  auprès  à  leur  disposition. 

Us  communiquèrent  àces  messieursl'ordre  qu'ils  avaient 

9 


134  HISTOIRE 

(le  les  arrêter  s'ils  ne  se  séparaient  immédiatement.  La 
Cour  obéit  à  l'instant  et  avec  tant  de  précipitation  y 
qu'elle  laissa  tous  les  piipiers  sur  le  bureau ,  et  notam- 
ment l'aim  suivant  qu'elle  venait  de  rédiger^  jet  auquel 
ses  membres  n'avaient  pas  eu  le  temps  d'apposer  leurs 
signatures. 

ARRÊT  DE  LA  HAUTE  COUR  DE  a^STICE. 

En  vertu  de  Farticle  68  de  la  Constitution, 

Lahautecour  de  justice  déclare  Louis-Napoléon  Bonaparte  prévenu 
de  crime  de  haute  trahison , 

Convoque  le  haut  jury  national  pour  procéder  sans  délai  au  juge- 
ment. 

Et  charge  M.  le  conseiller  Renouarddes  fonctions  du  ministère  pu- 
blic près  la  haute  cour. 

Fait  à  Paris,  le  2  décembre  1851. 

Les  insurgés  de  Paris  ont  affiché  cette  pièce  avec  les 
noms  suivants  : 

Hardouin,  pré:5id«fil. 

Delaplacb  ,  Pataille  ,  MoREAu  (de  la  Seine) ,  Caucht  , 
QuESNAULT ,  jriges. 

Le  texte  en  a  été  rétabli  de  mémoire,  et,  bien  que  les 
membres  de  la  Cour  n'eussent  pas  signé  en  séance ,  les 
insurgés,  qui  voulaient  se  servir  de  cet  arrêt,  n'ont  pas 
hésité  à  y  mettre  les  noms  qui  manquaient,  comme  ils 
Font  fait  du  reste,  à  l'égard  de  quelques-uns  desper^ 
sonnages  qui  figurent  comme  signataires  sur  d'autres 
pièces. 


D'UN  COUP  n'ÉTAT. 

Durant  ces  tenlatives  irapuissanlesde  résistance ,  tout  - 
le  monde  était  à  son  poste ,  calme,  impassible  dans  te 
devoir.  M.  de  Morny,  M.  de  Maupas,  l'autorité-miiilaire, 
avaientdes  correspondances  de  tous  les  instants,  et  con- 
tinuaient à  prendre  ces  mesures  d'ensemble  qui  ont 
donné  un  caractère  si  grand  de  précision  et  d'unité  à 
l'acte  du  ±  décembre. 

A  deux  heures  et  demie  ,  le  générât  de  division  Re- 
naud partaitde  l'École  militaire,  pour  visiter  successive- 
ment tous  les  postes  de  la  rive  gauche  et  veiller  à  ce  que 
les  dispositions  qu'il  avait  prises  reçussent  leur  fidèle 
exécution. 

A  la  même  heure,  à  peu  près,  le  Président  parcou- 
rait, avec  un  nombreux  état-major,  ta  ligne  des  bou- 
levards, oïl  il  était  acclamé  de  la  façon  la  plus  enthou- 
siaste. Puis,  ensuite,  il  passait  en  revue  la  division  de 
grosse  cavalerie  Korte ,  venue  do  Versailles ,  el  slation- 
naut  dans  les  Champs-Elysées. 

Le  prince  était  reçu  par  ces  braves  troupes  comme 
il  l'avait  été  le  matin  pur  les  autres  corps  de  l'armée 
qu'il  avait  passés  en  re\ue,  c'est-à-dire  avec  l'enlhou- 
siasmc  le  plus  vif.  Le  soir,  le  prince  Louis-Napoléon 
assistait  à  un  difler  que  le  ministre  des  afîaii-es  élran-  | 
gères,  M.  Turgot,  donnait  au  corps  diplomatique.  Il  y 
montrait  le  calme  el  la  sérénité  dont  il  avait  fait  preuve, 
la  veille  au  soir,  en  recevant  à  l'Klysée.  Du  reste,  tous 
ceux  qui  Tonl  vu  durant  cette  journée,  lui  rendent  C6 
témoignage,  quejarnais  il  n'a  été  aussi  tranquille,  aussi 
rfailement  maître  de  lui.  Son  visage  était  rayonnant 


436  fflSTOIRE  D'UN  COUP  D'ÉTAT. 

et  reflétait  cette  satisfaction  intérieure  qui  provient  du 
sentiment  d'un  grand  devoir  rempli. 

Les  révolutions  qui  viennent  d'en  bas  terrifient  ;  celles 
qui  viennent  d'en  haut  rassurent  ;  elles  sont  comme  l'arc- 
en-ciel  après  l'orage.  Au  milieu  de  ces  événements  si 
graves,  Paris,  tumultueux,  maiscalme,  épanche  ses  flots 
de  promeneurs  sur  sa  ceinture  de  boulevards.  Comme 
aux  jours  de  fête,  il  met  sa  parure  brillante.  Ce  qu'il 
a  de  plus  cher,  les  enfants  et  les  femmes ,  qu'il  cache 
dans  ses  flancs  quand  il  a  peur  ;  il  leur  dit:  a  Allez,  le 
ciel  est  à  l'espérance  ;  il  n'y  aura  pas  aujourd'hui  de 
danger  pour  vous,  allez;  et  ils  vont  partout  oîi  doit 
passer  celui  qui  vient  de  sauver  la  France.  Partout,  les 
boutiques  sont  ouvertes,  les  affaires  se  font ,  les  tribunaux 
sont  en  séance.  La  société  se  sent  protégée  déjà  par  une 
main  forte  et  puissante.  Tout  le  monde  à  des  pressenti- 
ments de  bonheur  à  venir.  Jusqu'à  neuf  heures  environ , 
l'affluence  est  immense  sur  les  boulevards;  mais  bientôt 
la  foule  se  retire;  les  citoyens  paisibles  regagnent  leurs 
logis.  Nous  ne  parlerons  pas ,  dans  ce  chapitre ,  de  ce 
qui  s'agitait  dans  les  bas-fonds,  au-dessous  de  toute 
cette  population  qui  acclamait  le  Président  et  ses  actes. 
Les  ennemis  de  la  France  vont  avoir  leur  histoire  à  part. 


III 


Ii'XNSUHHBCTXON   A   PAHX8. 


JOURNÉE  DU  1. 


Celte  histoire  de  Tinsurrection,  nous  ne  l'écrivons 
pas  sur  des  données  vagues  y  sur  des  documents  incer- 
tains. Tout  est  vrai,  pas  un  fait  n'a  été  admis  par  nous 
sans  contrôle  direct.  C'était  une  rude  hesogne  y  nous 
l'avons  faite. 

Pour  avoir  une  idée  vraie  de  l'insurrection  de  Paris, 
il  ne  faut  pas  la  voir  seulement  aux  barricades,  dans 
cette  lutte  sacrilège  qui  a  fait  une  plaie  nouvelle  au 
sein  de  la  patrie  et  mis  une  honte  de  plus  au  front  des 
partis,  il  faut  la  surprendre  dans  ses  préparatifs ,  com- 
binant ses  plans  odieux,  aiguisant  ses  poignards  et  dé- 
crétant le  njeurtre. 


«38  HISTOIRE 

Il  ne  faiil  pas  non  plus  craindre  de  la  décrire  dans 
toute  sa  vérité.  Pourquoi  donc  en  voiler  une  partie? 
Pourquoi  la  cacher?  dans  quel  intérêt?  Ces  horreurs, 
qui  ont  coûté  tant  de  sang  et  tant  de  larmes  à  notre 
France ,  il  faut  les  montrer  comme  un  châtiment  aux 
coupables,  comme  un  avertissement  aux  tièdes,  comme 
une  leçon  providentielle  à  tous. 

Les  partis  !  c'était  un  coup  de  foudre  qui  venait  de 
tomber  au  milieu  d'eux.  Tout  à  l'heure  encore,  ils 
étaient  unis  pour  détruire,  faire  des  ruines^  quitte 
après  à  s'entr'égorger  pour  le  butin.  Le  pouvoir,  qu'ils 
voulaient  renverser,  a  prévenu  l'exécution  de  leurs 
complots.  Par  son  acte  énergique,  il  a  mis  la  France  à 
couvert  sous  son  épée.  Dieu  protège  la  France....  Les 
partis  sont  attérés;  pendant  les  premières  heures  du 
matin  du  2  décembre,  le  sentiment  qui  les  domine, 
c'est  de  la  rage  consternée.  Quoi  1  les  blancs  n'auraient 
|MS  Henri  V,  les  •rléanistesi  ta  inranche  cadette  et  les 
v#ug€s  de  toutes  nuances  n'auraient  pas  t852  9  Dèe  que 
ki  premier  moment  dé  stupeur  est  passé,  on  se  cherche 
pKMU!  s'entendre  et  pour  organiser  TinsurrectHMi. 

Dans  les  meneurs  légitimistes,  on  dit,  et  ce  moi  est' 
d'un  grand  personnage  :  «Mieux  vaut  ta  rouge  que  ce 
qui  se  présente.  »  Les  meoears  des  associations  diseiit  : 
«  La  fiûiêe  va  se  réiu»r,  tout  n'est  pas  terminé,  m  La 
première  phrase  est  dite  en  français  dans  un  salon  ,  Ih 
seconde  en  argot  dans  «»  clnl^  Le  ptus  coupable  idfY 
est-*ce  le  rguge  qui  va  combattre  pour  ses  appétîte  Intu- 
taux  ou  pour  ses  théories  insensées?  ËvictefiMnent  non; 


D'LN  COUP  D'ÉTAT.  f.19 

c'est  l'autre,  avec  son  égoïsmeatroce,  quivcut  atteindre 
son  but,  même  en  marchant  dans  le  sang  et  sur  t'hon- 
neur  français. 

Dès  onze  heures  du  matin,  tons  les  meneurs  sont  sur 
pied.  Tout  ce  qui  a  coutume  d'intluencer  et  de  con- 
duire le  personnel  des  émeutes  s'agite.  Les  princes  d«  Igt 
barricades  sont  à  leur  poste  et  viennent  recevoir  on 
donner  le  mot  d'ordre.  C'est  Pornïn,  la  jambe  de  bois, 
si  célèbre  à  l'Hôtel-de-Ville  après  février  ;  c'est  Joanny, 
un  ancien  commandant  des  aventuriers  de  Rome,  qui, 
demain  soir,  va  jouer  un  rôle  hideux  ;  ce  sont  vingt 
autres  qui  déjà  sont  réunis  au  club  l^eu,  rue  Saint- 
Denis,  et  qui  commencent  à  se  griser,  afin  de  se  donner 
du  cœur.  A  certains  journaux,  où  affluent  tous  les 
rwges,  on  se  déclare  en  permanence,  et  on  envoie  de 
tous  côtés  des  émissaires  pour  prévenir  les  frères  et 
amis,  pourexciter  le  peuple  à  la  résistance,  pourvoir 
quel  est  l'efTct  produit  dans  ta  population  par  les  évé- 
nements. Ce  qui  déconcerte  le  plus,  c'est  qu'une  grande 
partie  des  chel«  sont  arrêtés  et  manquent  à  l'action. 
Cepenftant  ilfaot  agir  vite  et  l'on  agit.  Il  faut  de  l'argent, 
on  en  troove.  Dès  le  matin,  on  expédie  dans  les  pro- 
vinces des  agents  pour  les  soulever.  Ils  vont  vite;  nous 
en  trouverons  à  Forcalquier,  dans  les  Basses-Alpes, 
«vaut  que  le  sous-préfet  soit  informé  des  événemeiïte  de 
Paris. 

Beauconp  des  représentants  de  la  gauche  se  réunis- 
sent chez  Crémietn,  afin  d'organiser  la  résistance  et  de 
se  distribuer  les  rôles.  Plusieurs  autres  conciliabules 


i 


i40  HISTOIRE 

semblables  ont  lieu  sur  différents  points.  Généralement 
on  s'y  montre  attéré  de  l'attitude  de  Paris.  «  L'indiffé- 
rence de  ce  peuple,  dit  un  orateur,  est  plus  écrasante 
que  la  dissolution  elle-même  ;  c'est  à  désespérer  de  la 
démocratie,  »  pensée  que  traduit  différemment  un  lé* 
gitimiste  pérorant  sur  un  trottoir  du  faubourg  Saint- 
Gern;iain.  «  Si  le  peuple  est  assez  lâche  pour  accepter 
cette  humiliation ,  il  est  digne  de  la  tyrannie.  »  Les 
émissaires  viennent  faire  leurs  rapports.  Aux  réunions 
diverses ,  aux  journaux  qui  sont  en  permanence  y  on 
reprend  un  peu  courage  en  apprenant  que  les  chefs  de 
sections ,  les  délégués  de  toutes  sortes ,  sont  sur  pied 
dans  les  2%  5%  6%  8*  et  9*  arrondissements.  On  reçoit 
aussi  la  nouvelle  que  le  faubourg  Saint-Antoine,  qui  a 
pris  les  ordres  de  Recurt,  ancien  ministre  de  février^fait 
descendre  une  partie  de  ses  contingents  aux  cris  de  : 
Vive  la  République  !  Vive  la  Constitution  ! 

Le  parti  rouge  a  son  aristocratie  et  ses  prolétaires. 
Ces  derniers  ne  subissent  que  jusqu'à  un  certain  point 
Tinfluence  et  la  direction  des  premiers.  Ils  se  souvien- 
nent de  l'exploitation  de  février.  Ils  ne  veulent  plus 
d'avocats  et  de  gros  bonnets.  Ils  ne  demandent  pas 
mieux  que  de  s'entendre  dans  un  but  commun  ;  mais 
après  la  victoire,  ils  comptent  cette  fois  rester  les  maîtres. 
Ils  ont  plus  directement  sous  la  main  le  personnel  des 
émeutes,  ces  hommes  introuvables  quand  Paris  est 
calme,  etdont,  aux  jours  néfastes  de  l'émeute,  surgissent, 
on  ne  sait  d'où,  les  sinistres  et  horribles  figures.  Tandis 
que  la  tète  du  parti  siège  en  permanence  dans  ses  bu* 


D'UN  COUP  D'ÉTAT.  Ml 

reaux  et  chez  les  représentants,  l'arrière-ban  que  nous 
venons  de  dire  se  réunit  par  groupes  chez  les  chefs 
des  associations. 

Des  rendez-vous  sont  donnés  ainsi  en  secret  à  la 
barrière  des  Trois-Couronnes,  dans  un  lieu  bien  connu 
du  monde  socialiste;  on  se  réunit  à  Montmartre ,  à 
Belleville.  Une  des  asseuabli-es  les  plus  nombreuses  se 
tient  rue  du  Faubourg-Saint-Denis ,  162.  On  décide 
partout  (pie  les  chefs  des  associations  se  rendront  le 
soir  sur  la  partie  du  boulevard  comprise  entre  les  portes 
Saint-Martin  et  Saint-Denis.  Dans  toutes  ces  réunions, 
on  rédige  des  proclamations  et  des  bulletins  provoca- 
teurs. Nous  en  retrouverons  un  bon  nombre  demain 
sur  les  murs  de  Paris.  Chacun,dans  ces  assemblées,  veut 
se  faire  tribun  ,  chacun  veut  aussi  faire  sa  proclamation 
et  son  appel  au  peuple.  Il  y  a  celles  des  représentants, 
celles  des  journalistes,  celles  des  chefs  de  club,  des  dé- 
légués des  corporations,  etc.  Chez  la  plupart  des  im- 
primeurs qui  peuvent  disposer  de  leurs  presses,  on  re- 
fuse d'imprimer  ces  proclamations.  D'anciens  déportés 
se  chargent  de  le  faire ,  notanmient  à  Belleville  et  chez 
des  affiliés  de  Paris. 

Mais  partout  les  déceptions  sont  grandes.  Le  peuple, 
on  comptait  qu'il  allait  se  lever  en  masse,  et  son  atti- 
tude est  calme ,  satisfaite.  L'armée ,  on  ta  disait  à  soi  ; 
elle  était  enlacée ,  prétendait-on  ,  par  les  affiliations 
secrètes,  et  partout  on  la  voit  décidée  à  faire  son  de- 
voir. On  espérait  une  résolution,  on  ne  pouiTa  faire 
qu'une  émeute.  C'est  risquer  gros,  n'iïBporte  ,  on  la 


4 


142  HISTOIRE 

fera.  Les  émeutes  parfois  grossissent  en  roulant  èans 
les  rues  des  cités. ^  on  tâchera  que  l'émeute  prenne  les 
proportions  d'une  révolution.  Il  faut  attendre,^  ditr-oOj 
et  fatiguer  la  troupe  ;  il  faut  que  les  représentants  et  les 
ffifeneurs  aillent  haranguer  les  groupes.  Il  (kat  imiie 
«upurd'hui  de  T  agitation  pavtouf ,  de  la  résisttnM 
nulle  pari.  Cette  tactique  est  immédiatement  niieei 
exécution.  Beaucoup  de  représentants  qui  sont  encore 
libres^  les  rédacteurs  des  journaux  de  partis,,  les  paie» 
sances  déchues  de  février,  se  répandent  dans  les  gronpfs^ 
excitant  à  la  révolte  et  jetant  partout  des  ferments  d'iop 
surrection  :  «  La  Constitution  est  violée ,  le  Président 
est  un  traître,  il  Caut  courir  aux  armes  1  »  Les  agit»-> 
teuys  agissant  suEtout  dans  les;  quartiers  génécawc  da 
rémeute ,.  dans  ces  rues  populeuses ,  dont  cettes»  dtt 
Temple,  Seûnt-Denis,  Saint-Martia  et  MontorgueiU  soab 
k  centre.  Us  parcourent  les  boulevards  depuis,  la  Ma^* 
deleine  jusqu'à  la  Bastille.  Ils  sont  suivis  par  ^elquea 
hommes  à  mines  sinistres  et  par  cette  foule  de  rôdemi 
de  barrières  et  de  voyous  pariskoa  cpii  sont  les  chacals 
de  l'émeute.  Quel  cortège  peur  les.  représentants  de  ki 
France  et  pour  certains  noms  des  partis  aristocrat»- 
que&!  Voilà  dooc:  où  vont  la  démence,  FafenglmDeDt 
des  panlis. 

Bans  la  matinée ,  comme  nous.  FaTonn  dit  éms  ki 
chapitre  précédent ,  oa  avait  fait  tout  ee  e|u'on  aiait  |Hs 
pour  réunir  des  gvirdes  natiouaua  des  târ  et  1 1*  ariMK* 
dissivnents.  Cette;  tentativeavaih  éelioué,.grftce  k  lladUie 
vigilance  de  M.  de  Maupaa ,  qui  avait  prévenui  famnritfc 


D'UN  COUP  D'ETAT.  1*3 

militaire  que  l'on  convoquait  à  domicile  les  gardes  tia* 
lionaux  des  10"  et  II*  légions  ,  el  qu'il  était  de  la  plus 
haute  importance  de  faire  occuper  fortement  les  deux 
mairies. 

C'est  à  deux  heures  à  peu  près  qu'apparaît  sur  les 
boulevards  la  première  affiche  de  l'insurrection.  En 
France,  on  commence  tant  de  choses  par  te  burlesque  I 


Nous,  citoyens  trançuis. 

Vu  l'urgence, 

Vu  l'art.  68  do  la  ConslituLon ,  au  nom  de  la  haute  cugr  de  jus- 
tice, ordonnons  à  tous  les  huissiers,  sergents  et  autres  de  saisir  et 
arrêter  partout  où  sera  possible,  le  citoyen  LouiE-Napoléon  Bonaparte, 
fli-présidciit  de  la  République,  et  tous  ses  complices  dans  l'attentat 
de  ce  jour. 

Paris,  ZdôcmbrR  I8S1. 

Signé  ,  Hot;CET  ,  El).   Meqitt. 


Toute  la  Journée  se  passe  en  vains  etl'orls.  Le  peuple 
est  calme.  Les  groapes,  qui  stalionnent  sur  les  boule- 
vards principalemeot,  se  tnontrent  partout  sytupa- 
thiqucs  aux  mesures  prises  par  le  gouverneraenl.  Les 
meneurs  sont  découragés.  Les  sections  socialistes  de- 
vaient commencer  à  dix  heures  du  soir.  Les  postes 
étaient  désignés  et  ta  convocation  faite  pour  dix  heure» 
QU  dix  heures  quarante-cinq  minutes.  Les  principaux 
quartiers  choisis  pour  faire  des  barricades  étaient  les 
faubourgs  du  Temple .  Saint-Marceau ,  Saint-An toine, 
la  Bastille  et  la  barrière  du  Trône.  11  va  «ans  dire  qu'il 


i44  HISTOIRE 

en  était  de  même  des  quartiers  Saint-Martin,  Saint-Denis, 
centre  ordinaire  du  plan  d'opérations  des  insurgiSl' 

Les  meneurs  avaient  fait  deux  promesses  :  d'abord  celle 
de  fournir  aux  contingents  des  munitions  et  surtout  des 
bombes  portatives  à  la  main,  ensuite  celle  de  leur  amener 
le  44*  régiment  de  ligne.  Or,  les  bombes  manquèrent,  et 
ce  régiment  était,  comme  tous  ceux  de  l'armée,  parfaite- 
ment dévoué  à  Tordre.  La  plupart  de  ceux  qui  étaient 
convoqués  ne  vinrent  pas  au  rendez-vous.  Puis,  en  face 
des  dispositions  de  l'armée ,  les  plus  ardents  hésitaient. 
  onze  heures,  la  plupart  des  délégués  des  associations  y 
n'ayant  pu  décider  une  prise  d'armes,  se  retirent. 

Les  principaux  chefs  de  barricades  et  prédicateurs  de 
groupes,  réunis  près  de  la  porte  Saint-Martin,  sont 
obligés  de  s'avouer  qu'ils  ne  disposent  que  de  l'écume 
révolutionnaire,  et  que  le  peuple  ne  se  lèvera  pas.  La 
plupart  des  ouvriers  ont  répondu  :  Nous  voterons,  nous 
ne  nous  battrons  pas!  N'importe,  aleajaeta  estj  le  sort 
en  est  jeté  ;  ni  les  meneurs  d'en  haut,  ni  les  meneurs 
d'en  bas  ne  renoncent  à  la  partie.  Il  faut  que  les  am- 
bitions et  les  égoïsmes  déçus  s'accrochent  à  la  dernière 
comme  à  la  plus  honteuse  ressource.  On  fera  des  bar- 
ricades en  compagnie  des  repris  de  justice,  on  appellera 
des  bouges  tout  ce  que  les  pontons  de  Cavaignac  y  ont 
laissé.  Â  demain  donc  !  D'ici  là,  on  fera  de  la  poudre, 
on  fondra  des  balles,  on  distribuera  quelques  armes 
déposées  chez  un  des  chefs.  Les  meneurs  des  partis 
riches  se  cotisent,  et  réunissent  l'or  qui  doit  payer!'; 
sassinat  et  le  meurtre. 


D'UN  œUP  D'ÉTAT-  145 

Ainsi,  celle  journée  s'csl  passée  loul  enlière  en  pré- 
paratîfliy  en  lenlalives  avortées.  L'aulorilé  n'a  pas  eu  à 
réprinaer  un  seul  désordre  ostensible  sur  la  voie  pu- 
blique. Le  peuple  s'esl  raonlré  calme  et  digne.  Ceux 
qui  vont  verser  le  sang  français  n'auront  pas,  cette  fois, 
à  invoquer  l'enlraînemenl  ;  aux  barricades,  il  n'y  aura 
presque  pas  d'hommes  politiques,  mais  en  majorité  des 
conspirateurs  égoïstes,  des  malheureux  stipendiés,  des 
enfants,  quelques  fous,  et  des  repris  de  justice  en  rup-> 
ture  de  ban. 

Le  principal  rendez-vous  est  fixé  pour  demain  matin, 
place  de  la  Bastille,  à  sept  heures. 

Si  les  ennemis  de  la  société  se  remuaient  pour  orga- 
niser la  révolte  et  la  lutte,  ses  défenseurs  prenaient,  de 
leur  côté,  les  mesures  les  plus  énergiques  pour  la 
maintenir.  Une  des  choses  les  plus  importantes  était  de 
priver  l'émeute  de  ses  chefs  ordinaires.  M.  de  Maupas 
fit  enlever,  dans  la  journée,  tous  ceux  des  plus  dange- 
reux qu'il  avait  été  impossible  d'arrêter  dès  le  matin.  Le 
personnel  de  la  police  ne  permettait  pas  de  faire  plus 
de  quatre-vingts  arrestations  régulières  à  la  fois.  Les 
ordres  du  préfet  furent  exécutés  avec  une  rare  précision. 
Us  avaient  été  donnés  à  midi.  Quelques  heures  après, 
la  plupart  des  individus  qu'il  avait  désignés  étaient  in- 
carcérés. Les  arrestations  faites  dans  cette  première 
journée  atteignirent  le  chiffre  de  cent  soixante,  non 
compris  les  représentants  internés  à  la  caserne  du  quai 
d'Orsay. 


146  HISTOIRE 

Voici  la  liste  exacte  des  personnages  af  rètés  sur  man- 
dat et  internés  à  Mazas  dans  la  journée  du  2.  (7êst  le 
relevé  du  registre  d'écrou. 


1  CHARRAS ,  représeutant  du  peuple. 

2  De  LAMORIOERE,  représentant  du  peuple. 

3  ROGER  (du  Nord)  ,  représentant  du  peuple. 

4  LEGOMTË  (Minor)  ,  épicier. 

5  CAVAIGNAC ,  représentant  du  peuple. 

6  BEDEAU,  représentant  du  peuple. 

7  CHANGARNIER,  représentant  du  peuple. 

8  LE  FLO ,  questeur. 

9  BAUNE ,  représentant  du  peuple. 

10  GREPPO  ,  représentant  du  peuple. 

11  MALAPERT. 

12  LEMESLE  fils,  sans  profession. 

13  BAZE,  représentant  du  peuple,  questeur. 

14  MIOT,  représentant  du  peuple. 

15  HIBLACH ,  restaurateur. 

16  BRUN ,  commissaire  de  police  de  l'Assemblée. 

17  PHILIPPE  (Alphonse),  fabricant  d'outils. 

18  HUCK  (Marie- Alphonse)  ,  graveur. 

19  SIX  (Théodore)  ,  tapissier. 

20  THIERS ,  représentant  du  peuple. 

21  GENILLER  (Guillaume)  ,  professeur. 

22  NADAUD,  représeutant  du  peuple. 

23  VALENTIN,  représentant  du  peuple. 

24  BOCQUET  (Armand),  sans  profession. 

25  DELPECH  (Cèlestln)  ,  sculpteur. 

26  NICOLAS  (Gabriel)  ,  libraire. 

27  SCHMITD  (Jacques)  ,  restaurateur. 

28  ARTAUD  (Louis-Claude)  ,  sans  profession. 

29  VASBENTER  (Louis) ,  imprimeur. 

30  HOUEL  (Michel)  ,  marchand  de  vin. 

31  CELLIER  (Charles)  ,  avocat. 


D'UN  œUP  D'ÉTAT.  147 

32  JACOTIER  (Louis-François)  ,  relieur. 

33  CHOQUIN  (Etienne)  ,  tailleur  de  limes. 

34  MUSSOT  (Pierre),  homme  de  lettres. 

35  BONVALLET  (Théodore- Jacques)  ,  restaurateur 

36  MEUNIER  (Arsène). 

37  BUISSON  (Alexandre). 

38  LUCAS  (Louis-Julien),  marchand  de  vin. 

39  CROUSSE  (Charles-Joseph- Albert)  ,  clerc  d'avoué. 

40  BOIREAU  (Pierre-Désiré)  ,  ouvrier, 

41  CURMEL  (Pierre). 

42  N06UEZ,  cafetier. 

43  BAILLET  (Edouard)  ,  ex-capitaine. 

44  THOMAS  (Philippe-Alexandre)  ,  serrurier. 

45  VOINIER  (Charles)  ,  cordonnier. 

46  BILLOTTE  (Léon-Josepb),  peintre. 

47  GUITERA  (Charles)  ,  avocat. 

48  MICHEL  ,  capitaine  à  la  4«  légion. 

49  GRIGNAN ,  sténographe. 

50  STEVENOT. 

51  MAGEN  (Hippoltte),  homme  de  lettres. 

52  POUNO  (Antoine-Cuarles-Marie). 

53  LAGRANGE  (Charles),  représentant  du  peuple. 

54  CAHAIGNE  (Louis-Antolne)  ,  homme  de  lettres. 

55  LASSERRE  (Jean-Isidorb)  ,  instituteur. 

56  CRËMIEUX  ,  représentant  du  peuple. 

57  RECURT,  ancien  ministre. 

58  DUCOUX. 

59  MATHIEU ,  homme  de  lettres. 

On  savait  que  les  insurgés  avaient  l'intention  de 
sonner  le  tocsin  ;  on  envoya  occuper  les  clochers  et 
couper  les  cordes  des  cloches,  en  demandant  préala- 
blement, par  déférence,  la  permission  aux  curés. 

Le  ministre  de  la  guerre  comprenait  parfaitement  la 
situation  et  était  disposé  à  toutes  les  éventualités.  On 


'*  - 


148  HISTOIRE 


peut  s'en  convaincre  en  lisant  ce  qu'il  écrivait  au  gé- 
néral en  chef  : 


LE  MINISTRE  DE  LA  GUERRE   AU    GÉNÉRAL  MAGNAN. 


Mon  cher  général, 

Aujourd'hui,  il  n'y  a  plus  de  ménagements  à  garder,  plus  de  pré- 
cautions à  prendre  pour  cacher  les  mesures  que  le  gouvernement 
croit  néce^^saircs  au  salut  de  la  nation,  au  maintien  de  Tordre  partout 

Nous  devons  nous  préparer  à  un  combat  qui  peut  être  long  et 
acharné.  J'espère  qu'il  n'en  sera  pas  ainsi,  mais  notre  devoir  est  de 
tout  prévoir. 

Donnez  donc  immédiatement  des  ordres  pour  que,  dans  toute  re- 
tendue de  votre  commandement,  les  munitions  de  guerre  soient 
prêtes,  les  réserves  complètes  et  en  état.  Les  caissons  en  assez  grand 
nombre  et  assez  bien  attelés  pour  que  les  gargousses  et  cartouches 
puissent  être  transportées  rapidement  sur  le  point  indiqué. 

Recommandez  à  l'artillerie  de  ne  négliger  aucun  détail. 

Ne  perdez  pas  de  vue  que  les  troupes  se  battent  mal  quand  les 
vivres  leur  manquent. 

Que  vos  intendants  soient  donc  prévenus,  et  que  les  distributions 
soient  assurées  partout.  Il  faut  que  dans  la  journée  toutes  les  troupes 
aient  dans  le  sac  quatre  jours  de  vivres  de  campagne  ;  on  les  rem- 
placera de  suite  dans  les  réserves. 

J'appelle  aussi  votre  attention,  d'une  manière  toute  particulière, 
sur  la  cavalerie. 

Il  ne  faut  pas  que  les  chevaux  manquent  un  instant  de  leur  ration. 
Si  la  cavalerie  est  au  bivouac,  ordonnez  que  les  chevaux  soient  aussi 
bien  pansés  et  soignés  que  dans  les  quartiers. 

Vous  aurez  à  prendre  des  mesures  pour  que,  dans  le  cas  où  les 
troupes  seraient  obligées  de  rester  dehors,  elles  puissent  faire  du  feu 
et  avoir  de  la  paille. 

C'est  dans  les  moments  difficiles  que  les  hommes  de  cœur  et  dMntel- 
ligence  prennent  leur  place,  et  je  n'ai  pas  besoin  de  vous  répéter. 


D'UN  COUP  D'ÉTAT. 

mon  cher  général,  à  quel  point  je  compte  sur  tous.  Vot 
modèle  à  celte  année  si  OËre  de  tous  avoir  pour  chef,  vous  lui  ferei 
comprendre  toute  la  grandeur  de  3a[mission,  et  votre  première,  comme 
TOtre  plus  douce  récompense,  sera  d'avoir  contribué  à  sauver  la 
France  de  l'anarchie  et  du  désordre. 
Recevez,  etc. 

Le  mïnitlrt  de  la  guerre, 

X.  DE  S«tflT-AlL<UUII. 


Comme  oq  ie  voit,  rien  n'échappa  à  la  Tigilance  du 
ministre  de  la  guerre  :  ni  tes  petits  détails,  ni  l'en- 
semble. 

Avant  de  continuer  noire  récit,  il  est  nécessaire  i]ue 
nous  fassions  connaître  à  nos  lecteurs  et  les  chefs  de 
l'armée  de  Paris  et  sa  composition  ;  car  l'armée  est 
l'instrument  principal  du  grand  acte  que  nous  allons 
raconter.  C'est  elle  qui,  par  son  dévouement,  s'associe 
au  neveu  de  l'Empereur  pour  le  salut  du  pays. 

Dix'huit  régiments  d'infanterie  de  ligne,  trois  d'infan- 
terie légère,  quatre  bataillonsde  chasseureà  pied,  deuxde 
garde  républicaine,  deux  de  gendarmerie  mobile,  quatre 
compagnies  du  génie,  une  de  mineurs  ;  deux  régiments 
de  lanciers,  deux  escadrons  de  guides,  deux  ettcadrons 
de  garde  républicaîae ,  deux  de  gendarmerie  mobile, 
neuf  batteries  d'artillerie  embrigadée,  dix  d'artillerie 
non  embrigadée.  Tel  est  l'effectif  de  l'armée  de  Paris, 
auquel  il  faut  joindre  ici  la  division  de  grosse  cavalerie 
de  Versailles,  commandée  par  le  général  Korte,  et 
formée  des  1"  et  2*  carabiniers,  6'  et  7'  cuirassiers  et 
12'  dragons.  '    • 


n 


L'effectif  de  Tannie  de  Paris  y  propremeiit  dite, 
forme  trois  divisions  et  onze  brigades  : 

La  division  Carrelet.comprend  les  brigades  de  Oolte; 
Bourgon,  Canrobert,  Du  lac  et  la  brigade  de  cavalerie 
Reybell  ; 

La  division  Henaud  comprend  les  brigades  Sauboul, 
Forey  et  Ripert  ; 

La  division  Levasseur  comprend  les  brigades  Her* 
billon,  Mai:iilaZ'et  Courtigis; 

La  division  de  grosse  cavalerie  de  Versailles,  est  for- 
mée des  deux  brigades  Tarlas  et  d'Âl  Ion  ville. 

Le  général  Carrelet,  commandant  la  pranijière  divi- 
sion,  fut  blessé  àËylaUy  dans  la  campagne  de  Prusse. 
11  a  commandé,  comme  colonel,  la  garde  municipale  de 
Paris.  Inflexible  dans  le  devoir,  d'une  recti^tade  de  jur 
gement  remarquable,  il  possède  à  un  degriè  coo^ioeAl 
les  qualités  qui  font  les  vrais  soldats.  Nul  ne  sait  niieux 
que  lui  faire  la  guerre  des  rues  et  dompter  Témeute. 

Le  général  de  Cotte  a  surtout  les  qualités  qi^i  font 
Texcellent  commandant  de  cava)/^ie.  Plein  d'entrain  et 
d'élan^  il  serait  mieux  à  sa  place  quIà  Je  tète  de  Tiafan- 
terie.  Nature  emportée  et  entreprenante,  c'est  ua  offi- 
cier qui  rappelle  ces  impétyeux  génér^^ux  de  cavalerie 
de  TËnipire,  qui  enfonçaient  les  bat<(iUoas  carrée,  dô^ 
terminaient  la  victoire,  étaient,  en  un  mot,  les  roîsdw 
déroutes.  C'est  un  homme  fort  instruit  et  ucie.iijitwe 
pleine  d'élévation  et  de  distinction. 


irt.N  COUP  U'ETAT. 


Le  général  Boiirgon  est  aime  du  soMat,  qui  apprécie 
ses  qualités  solides.  Son  intelligence,  son  sang-froid  à 
toute  épreuve,  lui  méritent  ajuste  litre  la  confiance  de 
l'arDièe. 


Le  général  Canrobert  est  l'un  des  olïiciers  les  plus 
brillants  de  l'armée  d'Afrique,  où  il  s'est  distingué  dans 
une  foule  de  circonstances.  11  s'est  illustré  à  Conslan- 
tine ,  dans  les  campagnes  contre  Bou-Muza,  d'une  façon 
toute  particulière.  Admirable  d'intrépidité  à  la  tète  de 
E«s  zouaves,  au  siège  de  Zaaicha,  il  montait  à  l'assaut 
avec  vingt  de  ses  braves,  dont  deux  seulement  restaient 
debout  près  de  lui.  11  est  très-aimé  du  soldat,  qu'il  a  le 
don  d'élevti'iser.  A  une  intelligence  liors  ligne,  le  gé- 
néral Canrobert  joint  un  caractère  plein  de  franchise, 
de  loyauté.  L'opinion  de  tonte  l'armée  prédit  un  grand 
•avenir  à  ce  général. 

Avec  du  talent,  du  courage,  et  l'afTection  méritée  de 
tout  le  monde,  on  a  large  et  beau  cliemin  devant  soi. 

Le  général  Dulac,  homme  de  devoir  et  d'énei^ie,  a 
commencé  à  servir  en  Afrique.  11  a  commandé  pen- 
dant trois  ans  la  pince  de  l'aris  et  s'est  constamment 
inonlré  à  la  hauteur  des  devoirs  nombreux  qu'exige 
celte  position.  On  doit  dire  à  l'éloge  de  ce  général,  que 
pendant  qu'il  remplissait  ces  fonctions  importantes,  qui 
le  mettaient  en  rapport  journalier  avec  les  officiers  de 
la  garnison  de  Paris,  il  a  conquis  non-seulement  l'es- 
time, mais  encore  l'amitié  de  tous. 


4 


152  HISTOIRE 

Le  général  Reybell  est  un  officier  de  cavalerie  plein 
de  résolution,  doué  d'une  nature  calme.  Il  possède  Ta- 
plomb  et  la  solidité  qui  font  les  bons  généraux  de 
grosse  cavalerie.  C'est  un  de  ces  hommes  qui  vont  où  le 
devoir  commande  sans  dévier  ni  broncher,  esclaves  de 
la  consigne  et  ne  comptant  jamais  l'ennemi. 

Le  général  Renaud,  qui  commande  la  2*  division  de 
l'armée  de  Paris,  est  une  des  célébrités  les  plus  écla- 
tantes qu'aient  produites  nos  guerres  d'Afrique.  Il  réa- 
lise complètement  le  type  du  soldat  brillant  et  auda- 
cieux. Brave  comme  les  preux  des  croisades,  il  en  avait 
en  Afrique  la  réputation  chevaleresque.  Comme  les  gé- 
néraux Saint-Arnaud  et  Canrobert,  il  aie  don  d'enlever 
le  soldat  et  de  le  rendre  invincible.  Général  de  division 
à  quarante  ans,  il  a  compté  ses  grades  par  ses  blessures. 
Il  aime  la  responsabilité,  parce  qu'il  a  l'initiative  etla* 
conscience  de  ce  qu'il  veut.  Pendant  les  années  1 835, 
1836  et  1837,  il  a  appris  à  faire  en  Espagne  la  guerre 
des  batailles  rangées.  Il  possède  l'expérience,  l'activité, 
les  connaissances  militaires,  qui  en  feraient  au  besoin 
un  de  nos  premiers  généraux  si  la  France  avait  de 
grandes  guerres.  Le  maréchal  Bugeaud  avait  apprécié 
son  talent  el  lui  avait  prédit  de  hautes  destinées.  Il  ve- 
nait d'étouffer  rinsurreclion  du  val  de  la  Loire,  quand 
il  fut  appelé  au  commandement  de  la  2*  division  de  l'ar- 
mée de  Paris.  Le  général  Renaud  a  été  sur  le  point  d'être 
appelé  à  un  poste  éminent.  Il  avait  été  pendant  quelque 
temps  question  de  le  faire  ministre  de  la  guerre. 


D'UN  COUP  D'ÉTAT.  153 

Le  général  Sauboul,  homme  de  savoir,  de  rectitude 
et  de  fermeté,  capable  de  très-bien  conduire  des  trou- 
pes. Il  est  remarquable  surtout  par  son  énergie  dans  [a 
discipline.  On  se  souvient  de  sa  conduite  au  13  juin 
1849,  place  Saint-Su Ipice.  H  fit  arrêter  iramédiate- 
mcnt,  par  la  ligne,  un  chef  de  bataillon  de  la  garde 
nationale  qui  avait  refusé  de  lui  obéir. 

Le  général  Forey,  actiT  et  plein  d'audace,  compte 
quinze  années  de  guerre  en  Afrique.  Officier  brillant  et 
très-aimé  du  soldai,  sur  lequel  il  exerce  une  grande 
autorité,  ce  général  joint  à  ces  qualités  une  connais- 
sance Irès-approfondie  du  métier.  Il  est  un  des  meil- 
leurs officiers  généraux  de  l'armée. 

Le  général  Hipcrt  a  commencé  sa  carrière  militaire 
Eous  l'Empire.  Il  a  les  qualités  qui  distinguaient  lee 
hommes  de  cette  époque:  dévouement  absolu,  com- 
mandement sur,  bravoure  calme  et  ne  reculant  jamais. 
Servrces  anciens  et  fort  honorables. 


Le  général  Levasseur,  qui  commande  la  3*  division, 
a  exercé  en  Afrique  des  commandements  très-impor- 
tants, et  s'est  fait  remarquer  partout  comme  un  officier 
énergique,  entreprenant,  brave  et  sachant  communi- 
quer aux  soldats  sa  bravoure.  C'est  un  homme  qui 
aime  par-dessus  tout  l'ordre,  l'auturité,  et  qui  ferait 
tout  pour  défendre  la  société  menacée. 


15i  HISTOIRE 

Le  général  Herbillon  a  dirigé,  en  Afrique,  les  opé- 
rations du  siège  de  Zaatcha  et  commandé  la  pro'riiice 
de  Constantine.  Caractère  fort  honorable;  esclave  de 
son  devoir,  plein  de  jugement,  il  a  conquis  rapidement 
ses  grades  par  son  travail  et  par  son  aptitude  incoa* 
teslable  aux  affaires. 

Le  général  Marulaz  ,  le  30  avril  1 849  ,  entraînait  y 
avec  une  vigueur  admirable ,  son  régiment  à  Tassant 
sous  les  murs  de  Rome.  Dans  la  Kabylie,  il  s'est  mons- 
tre, depuis,  oflicier  plein  d'intelligence,  de  bravoure,  et 
connaissant  parfaitement  la  guerre.  Il  est  appelé  à 
rendre  de  nouveaux  services  à  la  patrie. 

Le  général  Courtigis ,  blessé  à  Paris  eu  juin  1 848 , 
fut  nommé  général  à  cette  époque  et  commandant  de 
Vincennes.  C'est  un  officier  très-instruil  et  fort  distin- 
gué. 11  a  rempli  d'une  façon  remarquable  plusieurs 
missions  importantes. 

Le  général  Korte,  commandant  la  division  de  grosse 
cavalerie  de  Versailles ,  est  un  excellent  général  de  ca- 
valerie. Il  date  de  l'Empire ,  a  fait  seize  ans  la  guerre 
en  Afrique.  11  s'y  est  montré  soldat  plein  de  bravoure 
et  général  plein  de  sagesse,  sachant  admirablement 
commander  la  cavalerie  et  s'en  servir.  Il  a  rendu  d'im- 
portants seiwices  dans  une  multitude  de  circonstances. 
Caractère  ferme,  dévoué,  il  inspire  aux  soldats  cette 
confiance  qui  les  rend  capables  de  tout  entreprendre. 


D'UN  COUP  D'ÉTAT. 


Le  général  Tartas  a  une  belle  réputation  comme  gé- 
néral (le  cavalerie.  Parmi  ses  nombreux  faits  d'armes, 
on  citera  toujours  la  charge  audacieuse  et  brillante  qui, 
en  septembre  1843  ,  détruisit  le  bataillon  régulier  de 
Sidi-Gmbarak.  Il  commandait  toute  la  cavalerie  à  la 
bataille  d'Uly.  En  1845,  il  vengeait  d'une  Taçon  écla- 
tante ,  sur  les  bords  de  la  Mina,  le  désastre  de  Sîdi- 
Brahim.  Le  général  Tartas  a  donné ,  il  y  a  peu  de 
temps,  sa  démission  de  repi-ésentant  pour  reprendre  le 
comraanderaent  d'une  brigade  de  cavalerie. 

Le  général  d'Allonville  est  un  officier  d'un  grand 
avenir,  qui  a  beaucoup  de  points  de  ressemblance  avec 
l'immortelle  et  noble  figure  de  Lassallc.  Instruit,  intel- 
ligent, plein  de  ressources,  il  dirige  avec  audace  et 
habileté  la  cavalerie.  Brave  et  entraînant,  il  fait  de  ses 
cavaliers  des  hommes  irrésistibles.  En  Afrique,  il  s'est 
distingué  dans  une  foule  de  combats.  C'est  lui  qui  a 
poui-siiivi  si  brillamment  Abd-el-Kader  dans  ses  der- 
nières retraites. 

D'après  ces  esquisses  rapides,  on  voit  à  quels  hommes 
était  confiée  l'armée  de  Paris.  La  plupart  dos  colonels 
marchent  sur  les  traces  des  officiers  généraux  que  nous 
Tenons  de  passer  en  revue.  Depuis  les  chefs  tes  plus 
élevés  jusqu'aux  rangs  inférieurs,  l'armée  est  unie  par 
une  discipline  admirable.  Elle  aime  ses  généraux  par- 
dessus tout;  elle  a  confiance.  Puis  elle  croit,  elle  aussi, 
à  l'étoile  du  neveu  de  l'Empereur.  Que  l'insurrection 


4 


4 


i56  HISTOIRE  D'UN  COUP  D'ÉTAT. 

8C  lève  si  elle  l'ose ,  l'armée  est  prête  à  sauver  la  patrie 
et  l'ordre  social  1  D14  reste,  il  ne  faut  pas  croire  que 
Tarmée  de  Paris  fasse  exception  en  fait  de  dévouement 
et  de  courage.  Bientôt  nous  verrons  les  troupes  qui  sont 
en  province  les  corps  spéciaux,  la  gendarmerie  surtout, 
marcher  avec  le  même  élan,  la  même  ardeur,  à  la  dé- 
fense de  la  société." 


ZM8URRSCTZOM    A    PARIS. 


(suite.) 


JOUKNéE   DU    5. 


La  nuit  a  été  assez  calme,  mais  le  temps  a  été  mis  à 
profit.  Dans  plusieurs  réunions,  on  a  passé  la  nuit,  et  les 
chefs  de  sections  ont  déclaré  que  généralement  les 
ouvriers  ne  descendraient  pas  dans  la  rue  ;  qu'on  ne 
pouvait  compter  sur  autre  chose  que  sur  le  hideux  per- 
sonnel acquis  à  toutes  les  insurrections.  «  Mais  en 
payant  de  notre  personne,  en  nous  montrant  au^  bar- 
ricades, disaient  certains  représentants  rouges,  peut- 
être  entraînerons-nous  le  peuple.  —  L'armée  est 
vendue,  répondirent  quelques-uns  ;  Louis-Napoléon  a 
bien  pris  ses  mesures,  on  nous  fusillera,  et  ce  sera  en 
pure  perte  que  nous  aurons  joué  notre  vie,  car  le  peuple 


i58  HISTOIRE 

est  indifférent  ;  il  mérite  qu'on  l'enchatne.  »  Du  reste, 
on  ne  s'entendait  nulle  part  d'une  façon  précise.  Par- 
tout^ il  y  avait  division,  irrésolution,  et  chez  un  grand 
nombre,  il  faut  le  dire,  il  y  avait  une  peur  excessive. 
Quoi  qu'il  en  soit,  les  insurgés  se  sont  procuré  des  mu- 
nitions. Ils  ont  reçu  des  armes  rue  des  Jeûneurs  et  carré 
Saint-Martin.  Les  proclamations  ont  été  imprimées , 
lithographiées  ou  écrites  à  la  main  en  très-grand  nom- 
bre. On  s'est  vu,  concerte;  on  a  réfléchi.  Le  mot  d'or- 
dre est  celui-ci  :  engager  franchement  la  bataille,  si  le 
peuple  se  lève;  employer,  du  reste,  tous  les  moyens 
pour  l'y  amener,  pour  l'y  contraindre,  au  besoin.  Si  le 
peuple  ne  se  lève  pas,  harceler,  fatiguer  la  troupe  sur 
une  inflnité  de  points  à  la  fois,  sans  faire  de  résistance 
sérieuse,  afln  d'amener  le  général  en  chef  à  faire  sortir 
toute  l'armée. 

On  espère  soulever  le  faubourg  Saint-Marceau,  cette 
aile  gauche  de  la  ligne  d'opérations  dans  les  insurrec- 
tions de  Paris.  Gomme  il  est  important  de  ne  pas  se  lai»« 
ser  diviser,  il  faut  relier  la  rive  gauche  à  la  rive  droitA« 
en  se  rendant  maître  de  la  Cité  au  bas  du  quartier  des 
Écoles.  Nous  verrons  demain  l'insurrection  porter  sur 
ce  point  une  partie  de  ses  forces  et  attaquer  à  la  fois 
tous  les  abords  du  Palais  de  justice.  Tatit  il  est  vrai 
que,  dans  le  plan  des  insurgés,  l'occupation  de  la  GUé 
est  un  point  capital.  Dans  toutes  les  émeutes^  oti  a  cbet^ 
chéà  s'en  emparer.  Aujourd'hui,  c'est  dans  ce  but  q^'oft 
lente,  acrssïtôt  qtie  le  jo^r  commence  à  poindre^d'é^vM 
^m  barrii^ades  qui  conMftiandent  le  pont 


D'UN  COUP  D'ÉTAT.  1S9 

la  première  au  bout  de  la  rue  de  la  Cité  et  du  quai  atit 
Fleurs,  près  la  maison  de  la  Belle-Jardinière  ;  la  seconde 
sur  l'autre  rive  du  fleuve,  à  l'entrée  de  la  rue  Saint-Mar- 
tin.  Maîtres  de  ce  passage  important  sur  la  Seine,  les  in- 
surgés de  la  rive  droite  et  ceux  de  la  rive  gauche  se  don*^ 
neront  facilement  la  main,  en  s'emparant  de  la  place  du 
Parvis-Notre-Dame  et  des  bâtiments  de  THôtel-^Dieu. 
Mais  ce  plan  demande  qu'on  soit  en  force,  et  fort  peu 
d'insurgés  sont  à  ce  premier  rendez  vous  de  l'émeute. 
De  simples  patrouilles  suffisent  pour  les  mettre ^n  fuite. 
Pendant  la  nuit,  on  avait  affiché,  sur  plusieurs  points 
des  boulevards  et  des  quartiers  Saint-Martin  et  Saint-^ 
Denis,  la  proclamation  suivante  que  nous  donnons  tex- 
tuellement : 

AU  PEUPLE. 

Art.  ^.  La  Constitution  est  confiée  à  la  garde  et  au  patriotisme 
des  citoyens  français. 
Louis-Napoléon  Bonaparte  est  mis  hors  la  loi. 
L*état  de  siège  est  aboli. 
lie  suffrage  universel  est  rétabli. 

Vive  la  République  ! 
Aux  anncs! 

Pour  la  Montagne  réunie, 

U  délégué, 

Victor  Rudo. 

Nous  n'avons  pas  vu  la  pièce  originale,  et  ne  pouvons, 
par  conséquent,  affirmer  que  cette  signature  soit  bien 


i60  HISTOIRE 

authentique.  Un  démenti  ou  des  aveux  le  diront  peut- 
être  à  l'histoire. 

Partout  on  voit  aller  et  venir  les  meneurs.  Des  dis-* 
tributions  d'argent  sont  faites,  et  les  boutiques  des 
marchands  de  vin  sont  littéralement  encombrées.  Sur 
les  boulevards,  dans  les  faubourgs,  dans  les  rues,  une 
foule  d'hommes  bien  mis  pérorent  dans  les  groupes  et 
poussent  à  la  révolte.  Parmi  eux,  il  y  a  beaucoup  de 
représentants,  mais  isolés  ou  deux  seulement  à  la  fois. 
Us  se  dispersent  ainsi  pour  agir  sur  une  plus  vaste 
échelle.  Fidèles  au  rendez-vous  donné  la  veille,  les 
émeutiers  du  faubourg  Saint-Antoine  sont,  à  huit 
heures,  sur  la  place  de  la  Bastille.  Mais  la  vigilance  du 
préfet  de  police  ne  s'est  pas  laissée  surprendre.  Presque 
en  même  temps,  la  brigade  Marulaz  vient  prendre  po- 
sition sur  cette  place.  Les  maisons  sont  occupées  de  la 
cave  au  grenier  par  la  troupe,  et  trois  obusiers  sont 
placés  à  l'entrée  du  faubourg,  prêts  à  le  foudroyer  s'il 
bouge.  Douze  canons  sont  braqués  dans  toutes  les  di- 
rections. C'est  des  maisons  de  cette  place  qu'aux  fatales 
journées  de  juin  les  insurgés  ont  tué  plusieurs  généraux 
et  assassiné  Tarchevêque  de  Paris.  Devant  ce  déploie- 
ment de  forces,  devant  l'attkude  énergique  de  la 
troupe,  les  rassemblements  comprennent  qu'il  n'y  a 
rien  à  tenter  sur  ce  point,  ils  se  dispersent  :  les  uns 
rentrent  dans  le  faubourg,  les  autres  vont  dans  le  quar- 
tier des  Ecoles  et  dans  le  faubourg  Saint-Marceau, 
pour  y  soulever  leurs  adhérents,  ou  bien  gagnent  la 
porte  Saint-Martin  et  les  quartiers  voisins. 


D'UN  COUP  D'ÉTAT.  16! 

C'est  de  huit  à  neuf  heures  du  matin  qu'on  com- 
mence à  afficher^  à  grand  nombre,  ia  fameuse  pro- 
clamation de  la  Montagne ,  ainsi  conçue  : 

LES  REPRÉSENTANTS  DE  LA  MONTAGNE  rappellent  au  Peuple 
et  à  l'Armée  Tart.  68  et  l'art.  110. 

Vive  la  République  !  Vive  la  Constitution  !  Vive  le  Sufl^rage  uni- 
versel! 

Le  Peuple,  désormais,  est  à  jamais  en  possession  du  Suffrage  uni- 
versel, n'a  besoin  d'aucun  prince  pour  le  lui  rendre,  et  châtiera  le 
rebelle.  Que  le  Peuple  fasse  son  devoir.  Les  représentants  marcheront 
à  sa  tète. 

Michel  (de  Bourges),  Schœlcher,  général  Leydet, 
Mathieu  (de  la  Drôme),  Lasteyras,  Brives,  Bre- 
mand,  Joigneaux,  Chauffour,  Cassai,  Gilland, 
J.  Favre,  Victor  Hugo,  Em.  Arago,  Madier  de 
Montjau  aine,  Mathé,  Signard,  Rongeât  (de 
risère),  Viguier,  Eugène  Sue,  Esquiros,  De- 
flotte. 

A  côté  de  cette  pièce,  émanée  des  sommités  de  la 
Montagne,  on  pouvait  lire  une  proclamation  adressée 
à  l'armée  par  les  énerguraènes  des  clubs  socialistes,  et 
affichée  à  la  même  heure.  C'était  aussi  dégoûtant  de 
forme  qu'absurde  au  fond  : 

A  L'ARMËE. 

Soldats,  qu'allez- vous  faire?  On  vous  égare  et  on  vous  trompe.  Vos 
plus  illustres  chefs  sont  jetés  dans  les  fers;  la  souveraineté  nationale 
est  brisée  ;  sa  représentation  nationale  outragée,  violée.  Et  vous  allez 
suivre  sur  le  chemin  de  l'opprobre  et  de  la  trahison  un  tas  d'hommes 
perdus,  un  LOUlS-NAPOLÉON,  qui  souille  son  grand  nom  par  le  plus 


i$%  HISTOIRE 

odieux  des  crimes;  un  SÂlNT-ARNAUD ,  escroc,  faussaii*e,  six  fois 
chassé  de  Tarmée  pour  ses  filouteries  et  ses  vices. 

Soldats,  tournerez-vous  contre  la  patrie  ces  armes  qu'elle  vous  â 
confiées  pour  la  défendre?  Soldats,  la  désobéissance  est  aujourd'hui 
le  plus  sacré  des  devoirs.  Soldats,  unissez-vous  au  peuple  pour  sauver 
la  Patrie  et  la  République. 

A  BAS  L'USURPATEUR  ! 

Vos  Magistrats,  vos  Représentants,  vos  Concitoyens, 
vos  Frères,  vos  Mères  et  vos  Sœurs,  qui  vous  de- 
manderont compte  du  sang  versé. 

Voilà  comment  des  Français  parlent  d'une  gloire  mili- 
taire aussi  belle  et  aussi  pure  que  Test  celle  du  brillant 
vainqueur  de  Zaatcha.  Et  ils  adressent  cela  à  l'armée 
française  !  C'est  aux  barricades  que  l'armée  a  fait  sa 
réponse. 

De  son  côté^  le  Comité  central  des  corporations  ne 
veut  pas  rester  en  arrière.  Au  nom  de  la  Constitution 
violée,  il  décrète,  de  par  sa  toute-puissance  révolution- 
naire, non-seulement  la  mise  hors  la  loi  du  Président  de 
la  république,  mais  encore  la  déchéance  de  tous  ceux 
qui  ont  voté  la  loi  du  31  mai  ;  il  déclare  la  majorité  de 
l'Assemblée  dissoute,  et  proclame  la  dictature  de  la 
minorité. 

AUX  T^VAILLEURS. 

Citoyens  et  Compagnons  ^ 

Le  pacte  social  est  brisé  ! 

Une  majorité  royaliste,  de  concert  avec  Louis-Napoléon,  a  viplé  la 
Constitution  le  31  mai  1850. 


D'UN  CPHP  piÉTAT.  i^ 

j^lalgré.!^  grandeur  de  cet  outrage,  nous  attendions,  pour  en  obte- 
nir réclatante  réparation,  Sélection  générale  de  1^2. 

Mais  hier,  celui  qui  fut  le  Président  de  la  République  a  effacé  ce^ 
date  solennelle. 

Sous  prétexte  de  restituer  au  peuple  un  droit  que  nul  ne  peut  lui 
ravir,  il  veut  en  réalité  le  placer  sous  une  dictature  militaire. 

Citoyens,  nous  ne  serons  pas  dupes  de  cette  ruse  grossière. 

Comment  pourrions-nous  croire  à  la  sincérité  et  au  désintéresse- 
ment de  Louis-Napoléon  ? 

Il  parle  de  maintenir  la  République,  et  il  jette  en  prison  les  répu- 
blicains ; 

Il  promet  le  rétablissement  du  suffrage  universel,  et  il  vient  de 
former  son  conseil  consultatif  des  bommes  qui  Font  mutilé  ; 

Il  parie  de  son  respect  pour  l'indépendance  des  opinions,  et  il  sus- 
pend les  journaux,  il  envahit  les  imprimeries,  il  disperse  les  réunions 
populaires  ; 

Il  appelle  le  peuple  à  une  élection,  et  il  le  place  sous  Pétat  de  siège  ; 
il  rêve  on  ne  sait  quel  escamotage  perfide  qui  mettrait  Télectcur  sous 
la  surveillance  d'une  police  stipendiée  par  lui  ; 

Il  fait  plus,  il  exerce  une  pression  sur  nos  frères  de  Tarméo,  et  viole 
la  conscience  humaine  en  les  forçant  de  voter  pour  lui,  sous  l'œil  de 
leurs  officiers,  en  quarante-huit  heures  ; 

Il  est  prêt,  dit-il,  à  se  démettre  du  pouvoir,  et  il  contracte  un  em- 
prunt de  vingtrcinq  millions ,  engageant  l'avenir  sous  le  rapport  des 
impôts  qui  atteignent  directement  la  subsistance  du  pauvre. 

Mensonge,  hypocrisie,  parjure,  telle  est  la  politique  de  cet  usurpa- 
teur. 

Citoyens  et  Compagnons!  Louis-Napoléon  s'est  mis  hors  la  loi!  La 
majorité  de  rAsscmblée ,  cette  majorité  qui  a  porté  la  main  sur  le 
sufflrage  universel,  est  dissoute. 

S^e,  kl  miHoriié  garde  une  autorité  légitime.  Rallions-nous  autour 
de  cette  minorité.  Volgns  à  la  délivrance  des  républicains  prisonniers  ; 
réunissons  au  milieu  de  nous  les  représentants  fidèles  au  suffrage 
universel  ;  faisons-leur  un  rempart  de  nos  poitrines  ;  que  nos  délégués 
iriennent  grossir  leurs  rangs,  et  forment  avec  eux  le  noyau  de  la  nou- 
f 9|)e  As^wblée  n^ti^s^e. 


164  HISTOIRE 

Alors,  réunis  au  nom  delà  Constitution,  sous  l'inspiration  de  notre 
dogme  fondamental  Liberté-Fratemité-Égalité,  à  Tombre  du  drapeau 
populaire,  nous  aurons  facilement  raison  du  nouveau  César  et  de  ses 
prétoriens! 

Le  Comité  central  des  Cobporatioivs. 

P.  S.  La  ville  de  Reims  est  au  pouvoir  du  peuple  ;  elle  va  envoyer 
à  Paris,  au  milieu  de  ses  patriotiques  phalanges,  ses  délégués  à  la 
nouvelle  Assemblée. 

Les  républicains  proscrits  reviennent  dans  nos  murs  pour  seconder 
Feffort  populaire. 

Cette  pièce  était  affichée  dès  le  matin  du  3,  ^ers  neuf 
heures. 

Ce  décret,  rendu  par  le  comité  central  des  Corpora- 
tions,  montre  jusqu'à  quel  point  de  démence  peuvent 
arriver  certains  esprits.  Voilà  quelques  hommes,  sans 
autre  mission  que  celles  qu'ils  s'arrogent,  qui  se  font 
omnipotents,  et  qui  prononcent  la  déchéance  des 
deux  grands  pouvoirs  de  l'État,  pour  en  organiser  un  à 
leur  façon.  Us  constituent  leurs  délégués  membres  de 
cette  pléiade  de  dictateurs  qu'ils  imposent  à  la  France. 
On  se  croirait  reporté  aux  beaux  jours  de  février,  en 
plein  club  des  Incorruptibles.  Une  foule  d'individus, 
échelonnés  dans  les  rues  et  sur  les  boulevards,  collaient 
de  petites  affiches  signées  Michel  (de  Bourges),  et  les 
arrachaient  à  l'approche  des  agents,  pour  les  apposer 
de  nouveau  quand  ils  s'éloignaient.  Rue  du  Gros- 
Chenet,  un  passant,  pour  lire  une  de  ces  affiches,  veut 
en  relever  le  coin  qui  se  repliait;  on  croit  qu'il  veut 
l'arracher,  et  il  se  voit  menacé  d'un  coup  de  poignard. 


D'UN  COUP  D'ÉTAT.  163 

L'homme  au  poignard  était  en  pardessus  et  en  gants 
jaunes. 

Ainsi  l'émeute  s'organisait.  Déjà  on  commençait  à 
jeter  dans  les  groupes  les  plus  fausses  nouvelles.  Des 
régiments,  prétendait-on,  n'attendaient  que  le  moment 
de  fraterniser  avec  le  peuple  et  de  mettre  la  crosse  en 
l'air  ;  leurs  colonels  étaient  décidés  à  marcher  pour  dé- 
livrer les  généraux  et  pour  mettre  à  exécution  les  dé- 
crets rendus  par  les  représentants  dans  lajournée  d'hier. 

Les  hommes  armés  durant  la  mut  parcourent  les 
boulevards  et  les  rues  en  groupes  isolés  et  criant:  ami 
armes!  Chacune  de  ces  escouades  d'émeuticrs  est  suivie 
d'une  foule  nombreuse.  C'est  une  de  ces  colonnes, 
formée  d'environ  deux  ou  trois  cents  individus,  qui 
conimeDce  l'attaque  en  se  ruant,  au  coin  de  la  rue 
Beaumarchais,  sur  uu  peloton  de  gardes  républicains 
qui  emmènent  des  prisonniers.  Les  militaires  dégainent 
et  se  replient  sur  leur  poste  avec  leurs  prisonniers,  en 
■e  défendant  pied  ù  pied.  Deux  des  émeutiers,  griève- 
flient  hlessés  à  coups  de  sabre,  sont  transportés  à  la  ca- 
ferne  des  Minimes.  11  était  neuf  heures  et  demie  du 
matin. 

On  commence  en  même  temps  des  barricades  dans  le 
Jaubourg  Saint- Antoine.  Trois  représentants  y  sont  à  la 
tête  des  insurgés  et  les  dirigent  :  ce  sont  MM.  Baudin, 
Esquiros  et  Madicr  de  Montjau.  Ils  sont  là  depuis  le  ma- 
tin, lisant  des  proclamations,  poussant  !e  peuple  à  la  ré- 
■irolle.  Uo  poète  bien  connu  les  accompagne  et  parcourt 
Avec  eux  le  faubourg,  où  il  a  de  nombreuses  connais- 


166  HISTOIRE 

sances  parmi  les  affiliés  des  sociétés  secrètes  et  les  mem- 
bres des  corporations.  C'est  au  coin  des  rues  Sainte- 
Marguerite  et  de  Cotte  que  les  barricades  ont  été  com- 
mencées sous  leurs  incitations.  Madier  de  Montjau  en 
fait  élever  et  en  commande  une  dans  une  des  rues  ad« 
jacentes,  près  le  boulevard  Beaumarchais. 

Dès  le  matin,  les  troupes  de  l'armée  de  Paris  avaient 
pris  leurs  positions  de  combat  et  se  tenaient  prêtes  à 
livrer  une  bataille  décisive  à  l'insurrection.  A  ce  mo- 
ment, l'animation  des  groupes,  le  mouvement  des 
meneurs,  donnaient  lieu  de  croire  que  les  insurgés 
voulaient  un  engagement.  Un  peu  après  dix  heures,  le 
général  Marulaz,  apprenant  ce  qui  se  passait  dans  le 
•  faubourg  Saint-Antoine,  y  envoya  une  colonne,  formée 
de  trois  compagnies  du  19*  léger,  sous  le  commande- 
ment du  chef  de  bataillon  Pujol.  Pour  appuyer  ce 
mouvement,  lui-même  se  mit  à  la  tète  d'un  bataillon 
du  44*,  lancé  au  pas  de  course  dans  la  rue  de  Charonne, 
pour  prendre  en  flanc,  par  la  rue  de  Cotte,  la  position 
des  insurgés.  Ils  étaient  en  grand  nombre  à  la  barri- 
cade, mais  beaucoup  n'avaient  pas  d'armes.  Baudin  et 
Esquiros  étaient  au  milieu  avec  leurs  insignes  de  re- 
présentants. En  voyant  arriver  la  colonne  du  comman- 
dant Pujol,  ils  montent  sur  la  barricade ,  et  Baudin, 
s'adressant  aux  soldats  :  a  Camarades ,  leur  dit-il,  la 
Constitution  est  violée  ;  Louis-Bonaparte  est  mis,  par 
le  fait,  hors  la  loi  ;  nous  sommes  représentants  du 
peuple  ;  vous  ne  tirerez  pas  sur  nous,  vous  ne  tirerez 
pas  sur  vos  frères.  x>  Le  commandant  somma  les  insur- 


D'UN  COUP  D'&TAT.  167 

S  de  se  rendre,  quand  un  coup  de  feu,  parli  de  la 
barricade,  vient  frapper  mortelleraent  pr^s  de  lui  le 
fusilier  Siran.  Le  chef  de  bataillon  commande  le  feu, 
et  Baudin,  atteint  d'une  balle  au  front,  to-nbe  mort. 
Ainsi  que  tous  les  autres  défenseurs  de  la  barricade , 
Esquiros  prend  la  fuite.  Nous  voudrions,  en  face  de  ce 
trépas,  nous  abstenir;  malheureusement,  nous  ne  le 
pouvons,  notre  rôle  d'historien  ne  le  permet  pas.  Le 
matin,  Baudin  et  ses  amis  se  rendaient  au  faubourg 
en  traversant  la  place  de  la  Bastille.  Un  autre  homme 
la  traversait  aussi,  se  rendant  à  son  poste,  poste  de 
dévouement  et  de  charité.  Depuis  vingt  et  un  ans,  il  s'y 
rend  ainsi  tous  les  jours.  C'est  Frère  Ildefonse,  qu'on 
aime  et  qu'on  révère  dans  tout  le  faubourg.  En  l'aperce- 
vant, l'un  des  montagnards  s'écrie  :  «  Dans  deu*  heures, 
les  noirs  et  les  blancs  en  verront  de  belles  !  »  L'homme 
à  la  robe  noire ,  le  vénérable  ami  des  pauvres  et  du 
peuple,  passe  en  haussant  les  épaules,  tandis  que  le 
groupe  montagnard  traverse  d'un  air  triomphant  la 
foule  indignée  de  celte  grossière  injure.  Deux  heures 
plus  tard,  Baudin  tombait  au  premier  feu  de  la  troupe. 
Pourtant  les  avertissements  ne  lui  avaient  pas  man-  ' 
que.  Le  peuple  lui-même  s'était  chargé  de  les  don- 
ner sévèrement.  Quelques  heures  avant  l'attaque  de 
la  barricade,  un  autre  représentant  avait  voulu  for- 
cer les  Auvergnats  ferrailleurs  de  la  rue  de  Lappe  et  des 
environs  à  donner  des  outils  pour  dépaver  les  rues.  Ces 
braves  gens,  qui  se  souvenaient  qu'on  leur  avait  volé 
pour  plus  de  80,000  fr.  de  fer  en  février,  s'étaient 


1 


168  HISTOIRE 

concertés  pour  résister.  Au  moment  où  le  représentant 
veut  forcer  les  ouvriers  de  M.  Brocquin,  rue  d*Ava,  à 
laisser  prendre  leurs  fers,  l'un  d'eux  lui  porte  un  coup 
de  besaiguë  qui  lui  enlève  une  partie  de  la  joue. 

Non  loin  de  là,  rue  de  la  Muette,  un  autre  représen» 
tant  en  habit  et  pardessus,  en  gants  jaunes  et  balançant 
une  badine  élégante ,  fait  construire  une  barricade. 
Aussitôt  qu'il  la  voit  achevée,  il  veut  prudemment  se 
retirer.  Alors  on  le  traite  de  lâche,  on  se  jette  sur  lui, 
on  le  frappe  ;  on  l'aurait  tué  sans  un  digne  ouvrier^ 
nommé  Prieur,  qui  l'arrache  des  mains  des  assaillantsi 
et,  le  saisissant  au  collet,  le  conduit,  aux  acclamations 
de  la  foule  indignée,  à  la  prison  de  la  Roquette,  où  le 
directeur  le  fait  immédiatement  incarcérer. 

Le  corps  de  Baudin  a  été  transporté  à  l'hôpital  Sainte- 
Marguerite  et  remis  le  lendemain  à  sa  famille.  Près* 
qu'au  même  moment,  Madier  de  Montjau  était  blessé  sur 
la  barricade  au  coin  du  boulevard  Beaumarchais. 

La  troupe  maîtresse  du  faubourg,  les  insurgés  le 
quittent  et  gagnent  le  quartier  Saint-Martin.  C'est  à 
cette  heure  le  rendez-vous  général. 

Dans  les  rues  Saint-Martin,  Saint-Denis,  du  Temple 
et  leurs  adjacentes,  la  matinée  avait  été  employée  à  or- 
ganiser les  moyens  d'insurrection.  On  s'était  présenté 
à  domicile  chez  un  grand  nombre,  de  gardes  nationaux, 
pour  les  engager  à  livrer  leurs  fusils.  On  parlait  d'une 
tentative  sur  la  préfecture  de  police,  qu'on  supposait  mal 
gardée.  Sans  compter  les  sergents  de  ville,  en  grand  nom- 
bre, parfaitement  armés  et  prêts  à  faire  le  coup  de  feu. 


D'UN  COUP  D'ÉTAT.  169 

il  y  avait  déjà  deux  escadrons  de  la  garde  républicaine. 
A  dix  heures,  le  général  Magnan  mettait  à  la  disposi- 
tion du  préfet  un  bataillon  du  19'  léger  el  trois  pièces 
d'artillerie.  Les  insurgés  devaient  se  porter  sur  la  pri- 
son .Mazas;  mais  les  dispositions  habites,  prises  par 
M.  de  Maupas  et  par  l'autorité  militaire,  ne  leur  per- 
mettent pas  de  mettre  ce  projet  à  exécution.  Sur  plu- 
sieurs points,  notamment  rue  Popin court,  on  fait,  dans 
la  matinée,  des  tentatives  de  barricades.  L'apparition 
de  la  troupe  fait  fuir  ceux  qui  lèvent  les  pavés.  Là, 
comme  partout,  on  remarque  que  ceux  qui  commen- 
cent sont  en  petit  nombre,  toujours  sous  la  direc- 
tion de  personnages  bien  mis  qui  leur  distribuent  de 
l'argent,  et  qui,  quand  les  premiers  pavés  sont  levés, 
s'en  vont  ailleurs  en  faire  faire  autant.  Quelquefois  ces 
Messieurs  eux-mêmes  mettent  la  main  à  l'œuvre  pour 
commencer.  Sur  les  boulevards,  dans  les  groupes,  les 
physionomies  sont  à  l'insurrection  ;  les  hommes  à  fi- 
gures sinistres  y  sont  en  grand  nombre.  L'attitude  est 
menaçante  et  la  circulation  devient  difficile.  A  midi,  le 
général  en  chef,  prévenu  par  le  ministre  de  la  guerre, 
fait  occuper  militairement  les  boulevards,  depuis  le 
Château-d'Eau  jusqu'à  la  Bastille,  par  des  régiments 
de  chasseurs,  de  cuirassiers  et  par  de  la  ligne. 


Certains  points  du  boulevard  étaient  signalés  comme 
étant  des  foyers  d'agitation.  ATortoni,  au  Café  de  Paris, 
les  rassemblements  étaient  nombreux,  et  on  lisait,  vis- 
à-vis  CCS  établissements,  une  proclamation  de  déchéance 


170  HISTOIRE 

contre  le  Président.  M.  de  Maupas  avait,  de  son  côté, 
signalé  ces  faits  au  général  en  chef  Magnan. 

On  agissait  dans  les  rues;  mais  on  se  concertait 
dans  les  réunions.  Elles  sont  aussi  nombreuses,  aussi 
animées  qu'hier.  On  y  est  exaspéré  de  voir  que  le  peu- 
ple, le  vrai  peuple,  ne  veut  pas  d'émeute,  et  que  Topii- 
nion  des  travailleurs,  des  négociants,  de  tous   les 
hommes  d'ordre  et  de  patriotisme  est  favorable  au 
gouvernement,  et  antipathique  aux  hommes  de  partis. 
Pourtant  on  espère  que  dans  la  soirée  quelque  choc, 
quelque  collision  imprévue  sera  l'étincelle  de  l'insur- 
rection, et  qu'alors  elle  pourra  se  propager  et  grandir. 
Peut-être  l'agitation  amènera-t-elle  un  conflit.  Dans 
ce  but,  les  tribuns  des  partis  vont  partout  lire  des  pro- 
clamations et  faire  des  discours.  Le  peuple  ne  veut 
pas  se  soulever  ;  il  faut  l'y  contraindre.  Dans  certaines 
réunions,  on  décide  que  des  délégués  se  rendront,  à 
deux  heures,  place  de  la  Bastille,  pour  s'emparer  des 
cadavres  des  victimes,  s'il  y  en  a,  et  pour  les  promener 
par  les  rues  en  criant  :  aux  armes.  Ce  moyen  a  réussi  en 
février,  peut-être  aura-t-il  le  même  succès.  ;0a  se 
donne  rendez-vous,  à  six  heures  du  soir,  à  la  mairie  du 
6*  arrondissement ,  où  les  délégués  du  comité  central 
doivent  se  réunir  ;  puis  à  un  café  près  la  porte  Saint- 
Martin,  où  un  ancien  officier  de  marine  se  chaîne, 
dit-on,  d'organiser  l'insurrection  du  faubourg.  En  at- 
tendant, on  laisse  les  agitateurs  des  rues,  représentants 
et  autres,  exciter  le  peuple  et  attirer,  sur  une  multitude 


D'UN  COUP  D'ÉTAT.  i7l 

de  points  à  la  fois,  Tattention  de  Tautorité  et  Tactivîté 
des  troupes,  qu'on  espère  fatiguer  ainsi.  Une  de  ces 
réunions  a  lieu,  boulevard  Montparnasse,  pour  les  dé- 
légués des  associations  ;  une  autre  a  lieu ,  rue  Neuve- 
Saint-Âugustin ,  58,  pour  les  représentants.  Soixante 
environ  s'y  trouvent.  Quant  aux  permanences  établies 
par  les  rédacteurs  de  certains  journaux,  elles  sont  tou- 
jours en  grande  activité.  Dans  quelques  salons  aris- 
tocratiques, les  allées  et  venues  des  émissaires  sont 
incessantes  :  c'est  là  que  sont  en  grande  partie  les  ban- 
quiers de  l'insurrection.  Dans  une  de  ces  maisons,  la 
femme  de  chambre  disait  à  sa  maîtresse  :  «  Madame, 
c'est  énorme  l'argent  que  je  distribue.  —  Allez  toujours, 
lui  répondit  la  grande  dame,  donnez  tant  qu'on  vous 
demandera.  » 

Voyant  que  l'insurrection  se  lève,  le  ministre  de  la 
guerre  fait  afficher  dans  l'après-midi  la  proclamation 
suivante  sur  les  murs  de  la  capitale  : 

PROCLAMATION  DU  MINISTRE  DE  LA  GUERRE 

AUX  HABITANTS   DE   PARIS. 

Habitants  de  Paris,  ^ 

Les  ennemis  de  Tordre  et  de  la  société  ont  engagé  la  lutte.  Ce  n*est 
(Mtf  contre  le  gouvernement,  contre  Télu  de  la  nation  quMls  combattent  ; 
mais  ils  veulent  le  pillage  et  la  destruction. 

Que  les  bons  citoyens  s'unissent  au  nom  de  la  société  et  des  familles 
menacées. 

Restez  calmes,  habitants  de  Paris  !  Pas  de  curieux  inutiles  dans  les 


172  HISTOIRE 

rues  ;  ils  gênent  les  mouTcments  des  brayes  soldats  qui  tous  proté* 
gent  de  leurs  baïonnettes. 

Pour  moi,  vous  me  trouverez  toujours  inébranlable  dans  la  yolonté 
de  vous  défendre  et  de  maintenir  Tordre. 


Le  ministre  de  la  guerre. 
Vu  la  loi  sur  Tétat  de  siège , 
Arrête: 
Tout  individu  pris  construisant  ou  défendant  une  barricade,  on  \m 
armes  à  la  main,  sera  fusillé. 

Signé  :  Le  général  de  division  ^  ministre  de  la  guerre , 

De  SAiNT-AaNàUD. 

De  son  côté,  M.  de  Maupas,  préfet  de  police,  prend 
Tarrêté  suivant,  qui  est  également  affiché  : 

ARRÊTÉ  CONCERNANT  LES  RASSEMBLEMENTS. 

Nous,  préfet  de  police , 

Vu  le  décret  du  2  décembre  1851,  qui  met  en  état  de  siège  la  !'•  di- 
vision militaire, 

Aixètons  ce  qui  suit  : 

Art.  r^.  Tout  rassemblement  est  rigoureusement  interdit.  Il  sera 
immédiatement  dissipé  par  la  force. 

Art.  2.  Tout  cri  séditieux ,  toute  lecture  en  public ,  tout  affichage 
d^écrit  politique  n'émanant  pas  d'une  autorité  régulièrement  consti- 
tuée, ^sont  également  interdits. 

Art.  3.  Les  agents  de  la  force  publique  veilleront  à  Texécution  du 
présent  arrêté. 

Fait  à  la  préfecture  de  police,  le  3  décembre  1851. 

Le  préfet  de  police , 

De  Maupas. 
Vu  et  approuvé  :  Le  ministre  de  Vintérietêr^ 

De  Mqurt. 


D'UN  COUP  D'ETAT. 

A  une  heure ,  place  de  la  Bourse,  tjualre  meneurs,  te 
représentant  Delbetz  à  leur  tète,  précèdent  une  iffi- 
mense  colonne  qui  vient  en  criant  :  A  bas  le  dictateur  ! 
vive  la  constitution!  vive  la  république!  s'arrêter  i 
l'angle  de  la  rue  Richelieu  sur  le  boulevard.  Le  rassem- 
blement y  est  immense  et  la  circulation  des  voitures 
est  empêchée.  M.  Delbetz  harangue  le  peuple  et  fait 
les  motions  les  plus  provocatrices.  Vers  trois  heures, 
OD  l'arrête  au  même  endroit.  C'est  quelques  instants 
après  que  la  troupe  vient  prendre  possession  du  boule- 
vard, de  la  porte  Saint-Denis  au  faubourg  Poissonnière. 

A  deux  heures,  des  barricades  sont  commencées  dans 
le  quartier  Rambuteau.  Elles  ne  sont  pas  défendues. 
A  quatre  heures,  voyant  que  le  peuple  ne  bouge  pas, 
les  insurgés  parcourent  le  quartier  Rambuleaù,  celui 
des  Halles,  les  rues  Saint-Denis,  Grénetat,  en  criant  : 
Fermez  vos  boutiques!  prenez  garde  à  vous  !  aux  ar- 
mes! tandis  que  des  enfants  de  quinze  ans,  en  blouses 
blanches  pour  la  plupart,  collent  partout  des  alïîches 
incendiai  i-es.  Dans  Is  rues  Au  bry-le- Boucher,  Trans- 
nonain,  Beaubourg,  Saint-Martin,  Maubuée,  on  fait 
des  barricades.  Les  insui^és  s'embusquent  derrière 
avec  des  armes.  Ils  sont  peu  nombreux.  Pour  la  plu- 
part ce  sont  des  enfants  de  quinze  à  vingt  ans  ou  des 
bandits  en  rupture  de  ban.  Un  coup  de  feu  fait  fuir  les 
meneurs.  Près  des  Archives,  un  peloton  de  gendar- 
merie mobile  est  attaqué  à  son  passage  par  des  insur- 
gés, qui  prennent  la  fuite  au  premier  feu  de  ces  braves 
militaires.  Au  coin  de  la  rue  du  Grenier-Sainl-Lazare. 


474  HISTOIRE 

les  insurgés  font  une  barricade  avec  une  voiture  de 
son  qu'ils  arrêtent.  Sur  tous  ces  points  j  le  mot  de  ral- 
liement des  émeutiers  est  Tayo,  Tayo.  On  les  entend 
s'appeler  ainsi  et  se  répondre  d'une  rue  à  l'autre.  Deux 
colonnes  lancées  dans  ces  quartiers  par  le  général  Her- 
billouy  qui,  avec  sa  brigade,  occupe  l'Hôtel-de-Ville  et 
ses  environs,  débusquent  de  partout  les  insurgés  sans 
éprouver  de  résistance  sérieuse.  Â  mesure  qu'une  bar- 
ricade est  enlevée,  les  soldats  dispersent  ou  remettent 
en  place  les  matériaux  qui  ont  servi  à  la  construire.  Le 
général  Herbillon  opère  lui-même,  dans  les  rues  Beau- 
bourg, Rambuteau,  Saint-Martin  et  Saint-Denis,  avec 
le  9*  bataillon  de  chasseurs  à  pied  et  une  pièce  d'artil- 
lerie ,  tandis  que  la  seconde  colonne ,  formée  d'un  ba- 
taillon du  6*  léger,  balaie  la  rue  du  Temple  et  les  pe- 
tites rues  latérales. 

  quatre  heures  à  peu  près,  l'insurrection  faisait  des 
barricades  dans  les  rues  voisines  de  l'Imprimerie  na- 
tionale. Il  était  évident  qu'on  voulait  s'emparer  de  cet 
établissement.  Le  directeur,  M.  de  Saint-Georges,  fait 
sortir  une  partie  de  la  gendarmerie  mobile  mise  à  sa 
disposition  par  le  général  en  chef.  Les  positions  des 
insurgés  sont  enlevées  sous  un  feu  très-vif  par  la  gen- 
darmerie, qui  fait  entrer  dans  la  cour  de  l'imprimerie 
deux  fourgons  qui  avaient  servi  à  faire  les  barricades. 
Un  jeune  tambour  du  1^^  bataillon  fut  blessé  griève- 
ment dans  cette  circonstance.  Il  continua  de  battre  la 
charge  jusqu'à  ce  que  la  douleur  et  le  sang  qu'il  perdait 
le  fissent  tomber  sans  connaissance. 


D'UN  COUP  D'ÉTAT. 

Après  avoir  éteint  partout  le  feu  des  insurgés  et  pris 
leurs  barricades ,  la  troupe  occupe  quelque  temps  le 
quartier  Transnonain.  Le  mouvement  du  général  Her- 
bitlon  s'était  fait  avec  une  grande  rapidité.  A  cinq  heu- 
res et  demie,  la  circulation  était  rétablie  partout  et  les 
boutiques  rouvertes.  Il  semblait  que  les  émeuliers  eus-  | 
sent  abandonné  leur  champ  de  bataille  et  renoncé 
à  combattre.  Pendant  ce  temps-là,  des  charges  avaient 
eu  lieu  sur  les  boulevards  pour  disperser  les  rassemble- 
ments, et  ce  but  avait  été  à  peu  près  complètement 
atteint. 

Apres  que  les  troupes  engagées  eurent  regagné  leur 
position  à  l'Hôtel-de-Ville,  l'insurrection  reprit  son 
terrain.  A  sept  heures  du  soir,  rue  de  Rambuleau,  des 
groupes  nombreux  se  formaient.  On  y  vovait  beaucoup 
d'hommes  armés  de  pistolets,  de  sabres.  Quelques-uns 
avaient  des  fusils. 

A  la  même  heure,  rue  Saint-Honoré,  un  peloton  de 
chasseurs  de  Vincennes,  parti  au  pas  de  course  du  Pa- 
lais national,  venait  de  faire  feu  sur  des  insurgés  qui 
essayaient,  à  grands  coups  de  marteau,  de  briser  les 
grilles  du  temple  protestant.  A  la  première  décharge, 
ils  avaient  pris  la  fuite.  Un  peu  plus  loin,  un  feu  de  pe:  j 
loton  avait  suffi  pour  débusquer  une  trentaine  d'hom- 
mes qui  faisaient  une  barricade  au  coin  de  la  rue  des 
Poulies. 

L'émeute  ne  larda  pas  a  se  concentrer  dans  le  quar> 
tier  Transnonain,  dans  la  rue  Beaubourg,  dans  la  rue  j 
Aumaire  et  leurs  adjacentes.  A  huit  heures,  le  colo- 


176  HISTOIRE 

neH  Chapuis,  du  3«  de  ligne  y  attaque ,  avec  un  bataiHon 
de  son  régiment  et  une  compagnie  du  génie,  plusieurs 
barricades  formées  rue  Beaubourg.  Elles  sont  suecessl- 
Tement  enlevées  sous  le  feu  des  insurgés ,  et  la  tête  de 
colonne,  débouchant  dans  la  rue  Âumaire,  y  fait  à 
droite  et  à  gauche  des  feui  de  peloton  sur  les  émeutiere 
qui  s'enfuient.  Deux  hommes  sont  mortellement  at- 
teints non  loin  de  Tendroit  dit  la  voûte  Âuraaire,  actuel 
lementen  démolition.  L'un  des  deux  morts  est  un  jeune 
homme ,  l'autre  un  vieillard ,  victime  innocente  peut- 
être,  mais  imprudente  au  moins.  Ces  deux  cadavres , 
c'est  ce  que,  depuis  le  matin,  cherchent  les  insui^és; 
aussitôt  après  le  passage  de  la  troupe  ,  ils  viennent  là 
une  vingtaine  sous  le  commandement  de  Joanny,  et, 
improvisant  un  brancard  avec  une  échelle  et  des  plan- 
ches prises  dans  les  démolitions  de  la  voûte  Aumaire, 
ils  placent  dessus  les  deux  cadavres,  et  commencent 
dans  les  rues  cette  affreuse  promenade  que  nous  ver- 
rons se  terminer  sur  le  boulevard,  à  côté  du  Gh&teau- 
d'Eau ,  à  onze  heures  et  demie  seulement.  Joanny 
marche  en  tête  ;  ses  satellites  portent  des  torches  et  tous 
crient  :  «Vengeance!  on  a  égorgé  nos  frères!  aux 
armes  !  »  Et  ils  montrent  les  cadavres  au  peuple.  L^o- 
dieux  cortège  se  grossit  dans  sa  marche  d'une  foule  dé 
ces  bandits  des  émeutesqui  font  tant  horreur  à  voir.  De 
temps  en  temps,  il  s'arrête;  des  rassemblements  se 
forment,  et  il  se  trouve  des  orateurs  pour  exploiter 
cela  !  Des  représentants,  des  chefs  de  parti  pérorent  en 
compagnie  de  Joanny  et  de  ses  sicaires.  Quand  appa- 


D'UN  COUP  D'ÉTAT. 

raît  une  escouade  d'agents  do  police ,  ou  quand  brillent 
les  armes  des  soldats  ,  le  cortège  prend  sa  course  et  va 
s'installer  plus  loin.  Le  peuple  ne  se  lève  pas! 

Il  est  évident  que  les  insurgés  obéissent  au  mot 
d'ordre  donné  par  les  meneurs,  et  que  leur  but  est  de 
harceler,  de  fatiguer  la  troupe  ;  car  ils  font  des  barri- 
cades partout  et  ne  tiennent  nulle  part.  Quand  ils  sont 
débusqués  d'un  point ,  ils  fuient  dati  s  toutes  les  direc- 
tions et  se  cachent  par  groupes  de  trois  ou  quatre  dans 
lesanfractuosilés  des  murailles,  sous  lesporlescochères, 
et  attendent  que  la  troupe  soit  partie  pour  refaire  im- 
médiatement les  barricades  qu'elle  vient  d'enlever. 

Ainsi,  après  l'attaque  que  nous  venons  de  dire,  deux 
fois  encore  dans  la  soirée,  des  barricades  sont  élevées 
et  prises  dans  les  rues  Beaubourg  et  Aumaire  ^  de 
même  dans  les  rues  Saint-Martin,  Saint-Denis  et  leurs 
affluentes ,  des  barricades  sont  abandonnées   par  les 
insurgés  et  reconstruites  après  fe  passage  des  troupes, 
notamment  au  coin  de  la  rue  du  Petit-Lion-Saint- Sau- 
veur, rue  Sallo-au-Comte,  nie  Grénetat,  rue  du  Petit-  i 
Hurleur,  rue  des  Deux-Portes.  Aux  barricades  de  la  ] 
rue  Aumaire,  les  insurgés  ont  eu,  à  la  deuxième  atta- 
que ,  trois  des  leurs  tués.  Le  28»  de  ligne  a  eu  un  tué  ] 
et  deux  blessés.  C'est  à  environ  dii  heures  et  demie  ou 
onze  heures  que  les  barricades  de  ces  rues  ont  été  en- 
levées pour  la  troisième  fois.  C'est  sur  le  soir  à  neuf 
heures  qu'on  commence  à  barricader  la  rue  du  Petit-  , 
Carreau,  sur  les  points  où  demain  nous  verrons  l'insur-  \ 
rection  livrer  un  de  ses  plus  rudes  combats.  Au  fau- 


i78  HISTOIRE 

bourg  Saint-Antoine,  le  poste  de  Montreuil  a  été  enlevé, 
et  au  coin  de  la  rue  Sainte-Marguerite ,  où  cinq  repré- 
sentants péroraient,  de  Flotte  en  tête,  on  a  commencé 
une  barricade.  Passage  Saucède ,  les  insurgés  ont  éteint 
le  gaz  et  forcé  les  passants  à  marcher  avec  eux. 

Rue  Saint-Denis,  ils  ont  renversé  un  omnibus  rem- 
pli de  voyageurs.  Â  onze  heures  et  demie,  le  cortège 
commandé  par  Joanny,  et  promenant  les  deux  cadavres 
de  la  rue  Aumaire ,  forme  un  rassemblement  d'environ 
mille  personnes  près  du  Chàteau-d'Eau.  Une  charge 
énergique,  opérée  par  une  escouade  d'environ  trente 
sergents  de  ville,  sous  les  ordres  du  brigadier  Revial, 
met  en  fuite  cette  horde  hideuse.  Un  bataillon  de  chas- 
seurs, dans  les  rangs  duquel  les  fuyards  vont  se  jeter, 
en  conduit  à  peu  près  une  centaine  à  la  Préfecture.  Les 
sergents  de  ville  restent  maîtres  des  deux  cadavres,  qui 
sont  portés,  mis  en  lieu  convenable  avec  celui  d'un 
insurgé  qui  vient  d'être  tué. 

La  dernière  affaire  sérieuse  de  la  journée  a  lieu  rue 
Volta,  où  une  compagnie  du  28*  enlève  une  barricade 
aux  insurgés,  à  peu  près  à  la  même  heure.  Deux  gre- 
nadiers sont  blessés,  un  insurgé  reste  sur  la  barricade. 
Tout  le  reste  de  la  nuit,  les  rues  sont  libres  à  peu  près 
partout.  Cependant  de  loin  en  loin  on  entend  quelques 
coups  de  feu.  Ils  sont  tirés  par  des  bandits  qui,  cachés 
dans  l'ombre,  visent  des  soldats  en  patrouille. 

Le  lieutenant-colonel  Fleury,  aide-de-camp  du  Pré- 
sident, a  eu  son  képi  traversé  par  une  balle,  à  la  hau- 
teur du  boulevard  du  Temple. 


D'UN.COUP  b'ÉTAT.  n9 

Dans  celle  journée,  la  troupe  a  fait  admirablement 
'  son  devoir;  elle  a  montré  partout  cet  élan,  présage 
certain  de  la  vicloîre;  mais  elle  est  au  dernier  point 
irritée.  La  tactique  des  insurgés  la  harcelant  partout, 
n'acceptant  nulle  part  le  combat  qu'elle  brûle  de  livrer, 
loin  de  la  décourager,  comme  on  l'espère,  anime  son 
ardeur.  Puis,  à  côte  de  ce  sentiment ,  il  y  a  celui  d'une 
bien  légitime  indignation.  11  y  a  des  assassins  parmi 
ees  adversaires,  ces  hommes  que  nous  venons  de  dire, 
qui,  par  les  Tenêtres,  par  les  soupiraux  des  caves,  vi- 
sent à  coup  sûr  et  sans  danger  des  soldais  isolés;  des 
bandits,  qui  attendent  au  passage  des  ofûciers  d'or- 
donnance. 

L'un  des  chefs  de  l'insurrection  de  Paris,  un  ancien 
officier,  présidant  une  réunion  à  l'entrée  du  faubourg 
Saint-Denis,  avait  annoncé  et  fait  adopter  le  projet  de 
désarmer  les  gardes  nationaux  du  faubourg  Saint-Ger- 
main dans  la  soirée  du  3.  On  devait  se  réunir  sur  divei's 
points  à  la  fois,  et  opérer  en  môme  temps  dans  les  prin- 
cipales rues  de  ce  vaste  quartier,  où  l'on  prétendait  qu'on 
ne  rencontrerait  pas  d'opposition  chez  ta  plupart  des 
gardes  nationaux  appartenant  au  parli  légitimiste.  On 
espérait  se  procurer  ainsi  dans  un  instant  une  très-grande 
quantité  d'armes.  Ce  plan  était  hardi,  mais  il  deman- 
dait pour  l'exécution  une  décision,  une  audace,  qu'on 
trouve  rarement  chez  un  grand  nombre  d'hommes  à  la 
fois.  A  la  réunion,  tous  avaient  promis  de  venir  au  ren- 
dez-vous et  d'y  venir  bien  accuniuaenés.  Mais  il  ne  fal- 
lait pas  se  le  dissimulf  ^rmes  dan- 


ë 


^  < 


iSO  HISTOIRE  D'UN  OI»]F:]Ma'AT. 

gers.  On  redoutait  TinterYention  de  M.  de  Maupas  au 
moment  de  TexécutioD^etron  avait  une  crainte  extrême 
des  mesures  prises  avec  une  grande  habileté  par  le  gé- 
néral Renaud  sur  la  rive  gauche  de  la  Seine.  Le  préfet 
de  police  était  instruit  de  tout,  et  si  les  hommes  qui 
devaient  se  réunir  l'eussent  fiait ,  ils  n'auraient  point 
désarmé  le  faubourg  Saint-Germain.  Mais  soit  qu'ils 
eussent  été  prévenus ,  soit  que  la  crainte  les  eût  arrêtés , 
ils  ne  vinrent  au  rendez-vous  donné  qu'en  nombre  tout 
à  fait  insuffisant,  et  on  dut  abandonner  le  projet.  Du 
reste  j  plusieurs  des  principaux  d'entre  eux  avaient  été 
arrêtés  entre  la  résolution  prise  et  l'heure  de  l'exécution. 

Durant  toute  cette  journée  du  3 ,  les  hommes  chargés 
de  veiller  à  la  défense  de  l'ordre  ont  montré  la  plus 
grande  activité.  Les  chefs  militaires ,  le  ministre  de 
rintérieur,  le  préfet  de  police,  se  sont  vraiment  multi- 
pliés. 

Il  y  a  eu  deux  cents  arrestations  et  trente-deux nK>rts. 


IVSV&&SGTIOV    A    FA&IS. 


(suite.) 


JOOBNÉE    OU    4. 


Ainsi  que  nous  Tavons  vu ,  pas  uu  résultat  sérieux 
n'a  été  obtenu  dans  la  journée  d*hier.  L'insurrection 
s'est  montrée  partout,  mais  nulle  part  elle  n'a  voulu 
engager  sérieusement  l'action.  Cette  tactique  n'a  point 
échappé  à  la  clairvoyance  du  général  en  chef  Magnan. 
Elle  n'a  pas  non  plus  échappé  à  celle  de  M.  de  Morny. 
«  Le  plan  des  émeutiers  est  de  fatiguer  les  troupes,  di- 
sait-il,  pour  en  avoir  bon  marché  le  troisième  jour. 
C'est  ainsi  qu'on  a  eu  les  27,  28,  29  juillet,  22,  23, 
24  février.  N'ayons  pas  2,  3  et  4  décembre,  avec  la 
W/me  fin.  11  faut  faire  reposer  les  troupes,  ne  pas  les 
ii^utUement  La  police  seule  pour  épier  les 


12 


i82  .  HISTOIRE 

projets;  la  troupe  pour  agir  vigoureusement  si  ces  pro- 
jets s'exécutent;  mais,  en  attendant,  du  repos  aux  sol- 
dats. Les  patrouilles  incessantes  et  fortes  n'empêchent 
rien;  elles  rendent  l'action  des  troupes  moins  effi- 
cace le  lendemain.  Ne  suivons  pas  les  vieux  errements.  » 

11  faut  en  finir  et  forcer  les  insurgés  à  livrer  une  ba- 
taille décisive.  Dans  ce  but,  on  a  levé  dès  hier  soir  tous 
les  petits  postes;  on  a  fait  rentrer  les  troupes  dans  leurs 
casernes.  Livrée  à  elle-même,  Tinsurrection  va  bien 
être  obligée  de  choisir  son  terrain ,  de  s'y  établir,  et  cela 
fait  d'y  combattre.  Le  général  en  chef  est  sûr  de  ses 
troupes.  Les  soldats  ont  confiance  en  lui  et  dans  les 
généraux  qui  commandent  sous  ses  ordres.  Tous  brûlent 
de  combattre. 

Quelque  formidable  que  soit  Tarmée  du  désordre , 
la  victoire  n'est  pas  douteuse.  Quand  le  pouvoir  n'ab- 
dique pas  en  face  des  insurgés ,  ils  sont  vaincus.  Ce 
qu'ils  ont  pu  prendre  parfois  pour  leur  force  et  leur 
triomphe ,  c'est  tout  simplement  la  désertion  de  ceux 
qui,  chargés  de  défendre  la  société,  étaient  assez  faibles, 
assez  coupables  pour  la  leur  livrer.  Notre  armée  fran- 
çaise est  fille  de  celles  qui ,  pendant  vingt  ans ,  ont 
fatigué  la  victoire  à  les  suivre  ;  elle  n'a  point  dégénéré. 
Tous  ces  braves  soldats,  que  l'Algérie  a  vus  triompher 
tant  de  fois  des  éléments  et  des  hommes ,  ne  tremblent 
pas  devant  les  émeutiers  de  Paris.  En  février,  l'armée 
n'a  pas  été  vaincue  ;  elle  a  été  paralysée ,  puis  livrée  et 
trahie.  Jamais  on  ne  pourra  supputer  les  larmes  d'in- 
dignation qu'elle  a  versées  dans  ces  jours  néfastes.  La 


D'UN  COUP  D'ÉTAT.  183 

honte  de  ces  jours  à  qui  l'a  méritée  ;  justice  à  l'armée 
qui  fut  indignement  abandonnée  ! 

Dès  le  matin ,  le  ministre  de  la  guerre  fait  afficher 
de  nouveau,  à  grand  nombre ,  sa  proclamation  d'hier, 
qui  décrète  que  tout  insurgé  sera  passé  par  les  armes. 

En  même  temps ,  M.  de  Maupas  fait  placarder  la  pro- 
clamation suivante  : 

LE  PRÉFET  DE  POUCE  AUX  HABITANTS  DE  PARIS. 

Habitants  de  Paris  ! 

Comme  nous ,  vous  voulez  Tordre  et  la  paix  ;  comme  nous ,  vous 
êtes  impatients  d*en  finir  avec  cette  poignée  de  factieux  qui  lèvent 
depuis  hier  le  drapeau  de  Tinsurrection. 

Partout,  notre  courageuse  et  intrépide  armée  les  a  culbutés  et 
vaincus. 

Le  peuple  est  resté  sourd  à  leurs  provocations. 

II  est  des  mesures  néanmoins  que  la  sûreté  publique  commande. 

L'état  de  siège  est  décrété. 

Le  moment  est  venu  d'en  appliquer  les  conséquences  rigoureuses. 

Usant  des  pouvoirs  qu*il  nous  donne, 

Mous,  préfet  de  police,  arrêtons  : 

Art.  1*'.  La  circulation  est  interdite  à  toute  voiture  publique  ou 
bourgeoise.  Il  n'y  aura  d'exception  qu'en  faveur  de  celles  qui  servent 
à  Talimentation  de  Paris,  au  transport  des  matériaux. 

Les  stationnements  des  piétons  sur  la  voie  publique  et  la  formation 
de  groupes  seront,  saw  sommation^  dispersés  par  les  armes. 

Que  les  citoyens  paisibles  restent  à  leur  logis. 

11  y  aurait  péril  sérieux  à  contrevenir  aux  dispositions  arrêtées. 

Fait  à  Paris,  le  4  décembre  1851 . 

Le  préfet  de  police^ 

De  Maupvs. 


ia4  HISTOIRE 

Ces  mesure»  énergiques  annoncées,  ces  avertisfi^ 
ments  donnés,  de  quoi  peuvent  se  plaindre  les  cou- 
'  pables  et  les  imprudents? 

Leis  curieux  sont,  en  pareilles  circonstances ,  les 
ani&ilîaires  des  émeutiers.  Quiconque  est  à  la  barricade 
doit  être  considéré  comme  un  insurgé.  Quiconque  ne 
reste  pas  à  son  logis  peut  être  pris  pour  un  fauteur 
d'insurrection.  Certes,  on  doit  déplorer  toujours  qu'il 
y  ait  des  victimes  imprudentes  ;  mais  cette  fois  elles  se- 
ront sans  excuse.  Aussi  loyale  qu'elle  est  sévère ,  l'au- 
torité n'a  laissé  ignorer  le  danger  à  personne.  Souvent 
on  est  systématiquement  injuste.  Est-ce  la  répression 
qui  est  responsable  de  ces  malheurs  privés  qui  mettent 
en  deuil  les  familles  et  les  cités?  N'est-ce  pas  plutôt 
l'insurrection?  Pourquoi  donc  l'innocenter  d'un  tel 
crime? 

Si  l'autorité  militaire  a  compris  et  déjoué  la  tactique 
des  insurgés,  ces  derniers  ont  compris  aussi  dans  toute 
son  étendue  la  périlleuse  nécessité  à  laquelle  on  les 
condamne. 

Ils  sentent  quUl  faut  accepter  la  lutte;  mais  il  faut 
la  faire  désespérée.  Les  meneurs  se  sont  réunis  et  les 
plans  sont  arrêtés.  On  ne  recule  devant  aucun  moyen 
pour  soulever  le  peuple.  Ni  les  incitations  des  chefs  de 
parti ,  ni  les  discours  incendiaires  faits  dans  les  rues , 
ni  la  hideuse  exhibition  des  cadavres  de  la  rueÂumaire, 
rien  n'a  pu  le  remuer.  On  va  répandre  au  milieu  de  lui 
les  plus  fausses  nouvelles,  tout  ce  qui  est  de  nature 
à  jeter  l'alarme ,  à  amener  l'adhésion  des  faibles  et 


D'UN  COUP  DȃTAT.  f85 

da  moins  Fhésttation  des  autres.  Peut-être  parvien- 
dra-4-on  même  à  faire  tourner  un  ^orps  de  troupes , 
onTespère;  et  ensuite  on  compte  sur  l'en tratnement 
de  l'exemple. 

Ce  plan,  conçu  et  arrêté  par  certains  habiles  du  parti 
fouge,  on  trouve  immédiatement  une  armée  prête  pour 
Pexécution.  Tous  les  frères  et  amis,  tous  les  chefs 
des  associations  secrètes,  tous  les  rigoristes  de  la  rue 
Lepelletier,  tous  les  désappointés  de  la  fusion  et  les  gants 
jaunes  de  la  légitimité,  se  mettent  en  campagne.  Dans 
un  instant,  les  fausses  nouvelles  les  plus  graves  circulent 
dkns  Paris.  Cela  se  fait  avec  la  rapidité  de  Féclair;  cela 
86  propage  comme  une  traînée  de  poudre.  Sur  les  murs 
on  affiche  le  placard  suivant  : 

Habitants  de  Paris  ! 

LeB  gardes  nationales  et  le  peuple  des  départements  marchent  sur 
IteiSy  pour  nous  aider  à  saiâir  le  traître  Louis-Napoléon  Bonaparte. 

Pour  les  représentants  du  peuple, 
Victor  Hugo,  président;  Schoelcher,  secrétaire. 

Les  colporteurs  de  fausses  nouvelles  parcourent  les 
mes,  pérorent  dans  les  groupes,  entrent  dans  les  mai- 
tons  ,  et  dans  un  instant  tout  Paris  sait  qu'à  Lyon ,  a 
Amiens,  à  Lille,  à  Rouen,  Tinsurrection  est  victorieuse, 
et  que  le  général  Neumayer,  parti  de  cette  dernière  ville 
arec  deux  régiments,  et  entraînant  les  populations  sur 
sa  route ,  est  aux  portes  de  la  capitale  avec  trente  mille 


lao  HISTOIRE 

hommes.  Ix  général  Lamoricière  s* est  échappé  de 
prison  ;  il  est  sur  les  boulevards  à  la  tète  de  régiments 
qui  ont  pris  parti  pour  l'Assemblée  contre  le  Président. 
La  cour  de  cassation  s'est  transportée  à  Versailles  et  y 
est  en  permanence.  La  haute  cour  de  justice  y  siège 
aussi,  sous  la  protection  des  régiments  qui  s'y  trouvent 
et  de  la  garde  nationale.  La  déchéance  et  la  mise  hors 
la  loi  du  Président  sont  prononcées.  Mille  autres  nou- 
velles semblables,  et  aussi  absurdes  sont  propagées  par 
les  agents  des  partis.  Ils  poussent  du  reste  aux  dernières 
limites  l'audace  du  mensonge.  Si  on  manifeste  un  doute 
sur  leurs  affirmations,  ils  n'hésitent  pas  et  disent  :  Je 
suis  sûr  ;  je  tiens  ce  que  je  dis  de  témoins  oculaires  ; 
d'autres  vont  plus  loin  et  disent  :  Je  sors  de  voir  Neu- 
mayer  ou  Lamoricière  faisant  le  coup  de  feu  à  la  tête 
de  leurs  troupes.  Puis  on  met  l'odieux ,  l'ignoble ,  à 
côté  du  faux.  On  dit  que  le  Président  vient  de  faire 
prendre  de  force,  à  la  Banque,  vingt-cinq  millions 
pour  acheter  les  troupes  et  les  généraux ,  comme  si  en 
France  Thoniieur  militaire  et  le  courage  étaient  à 
vendre.  On  crie  à  la  tyrannie  ;  on  parle  de  persécutions 
commises  envers  les  prisonniers  politiques.  Le  général 
Bedeau  a  été  blessé  à  coups  de  baïonnettes.  Le  général 
Cavaignac  a  été  bâillonné ,  et  on  lui  a  mis  les  menottes 
comme  à  un  malfaiteur.  En  un  mot,  tout  est  bon  aux 
hommes  de  parti  qui  s'apprêtent  à  verser  le  sang  fran- 
çais. Pour  réunir  plus  de  soldats  sous  leurs  drapeaux 
sacrilèges,  ils  ne  reculent  devant  aucun  mensonge , 
devant  aucune  calomnie. 


I 


D'UN  COUP  D'ÉTAT.  187 

Si  rhonnètcté  manque  à  celte  lactique,  certes  on 
doit  avouer  qu'elle  est  habile.  Elle  pouvait  avoir  les  ré- 
sultats les  plus  déplorables,  non-seulement  sur  la  po- 
pulation, mais  encore  sur  ses  défenseurs.  Mais,  Dieu 
merci ,  les  anarchistes  ont  compté  sans  la  vigilance  de 
l'autorité,  sans  l'activité  et  le  dévouement  du  préfet  de 
police,  sans  l'énergie  de  i-ésolution  du  ministre  de  la 
guerre.  Minute  par  minute,  les  différents  chefs  d'ad- 
ministration, ù  t'aide  des  télégraphes  électriques  qui 
sont  établis  dans  leurs  bureaux,  se  concertent,  s'in- 
struisent de  ce  qui  est  vrai ,  de  ce  qui  est  faux.  Il  y  a 
unité  de  plan,  de  décisions,  d'exéculiou. 

Informé  de  ce  qui  se  passe,  le  ministre  de  la  guerre 
fait  afTicher  dans  tout  Paris  un  arrêté  qui  assimile  les 
colporteurs  de  fausses  nouvelles  aux  insurgés,  déclare 
qu'ils  seront  arrêtés  comme  complices  et  livrés  aux 
conseils  de  guerre. 

L'énergie  employée  à  propos  manque  rarement  son 
but.  L'arrêté  dont  nous  parlons  refroidit  singulière- 
ment les  propagateurs  de  fausses  nouvelles.  Celui  qui 
menace  les  insurgés  d'être  fusillés  produit  un  effet  non 
moins  salutaire.  Beaucoup  qui  avaient  l'intention  d'al- 
ler aux  barricades  s'en  retournent  chez  eux. 

Cependant  le  mot  d'ordre  est  donné  sur  toute  la  li- 
gne de  l'insurrection.  On  sent  qu'on  ne  peut  pas  ini- 
tier tout  Paris  au  plan  qu'on  avait  arrêté  d'abord.  EU 
maintenant  que  les  troupes  sont  retirées,  qu'on  est 
maître  du  terrain,  si  l'on  crie  :  aux  armes,  il  faut  qu'on 
les  prenne  soi-même;  si  l'on  pousse  à  faire  des  barrica- 


♦S8  HISTOIRE 

êesy  il  faut  soi-même  y  travailter.  On  combattra,  puis- 
qfoe,  malgré  soi,  on  est  sur  un  champ  de  bataille  oii  il 
faut  combattre. 

Durant  toute  la  nmtinée,  des  ex-représentants ,  dès 
hommes  appartenant  aux  classes  riches  et  en  bien 
plus  grand  nombre  qu'hier,  parcourent  les  rues,  exci- 
tant le  peuple  à  la  révolte,  lisant  des  proclamations  et 
répandant  de  fausses  nouvelles. 

De  neuf  heures  à  midi,  on  commence  à  faire  des  bar^ 
ricades  dans  tout  l'espace  compris  entre  les  boulevards, 
les  rues  Rambuteau,  Montmartre  et  du  Temple.  Les 
principales  barricades  sont  faites  successivement  et 
par  ordre  d'exécution  dans  les  rues  Saint-Martin,  do 
Temple ,  aux  boulevards  Saint-Martin  et  Sakit-Dénis, 
puis  rues  Beaubourg  et  Transnonain ,  rue  de  Yolta, 
rue  Phélippeaux ,  rues  du  Petit-Carreau,  Montoi^eil, 
Rambuteau.  En  même  temps,  elles  s'élèvent,  comme  par 
enchantement,  dans  les  rues  latérales  des  grandes  voies 
que  nous  venons  de  nommer.  Les  plus  fortes  de  la 
journée  du  4  sont  celles  de  la  rue  de  Rambuteau,  prin- 
cipalement celles  qui  occupaient  les  carrefours  Rambu-* 
teau-Saint-Denis  et  Rambuteau-Saint-Martin.  Sur  le 
premier  de  ces  deux  points,  le  carrefour  était  ferme  par 
quatre  barricades.  Venaient  ensuite  celles  de  la  rue 
Saint-Martin,  notamment  à  l'entrée  de  la  rue  Grénetat. 
Puis  celle  du  boulevard ,  à  l'entrée  de  la  rue  Saint- 
Denis  ;  elle  était  formidable.  Lés  barricades  de  la  rue 
du  Petit-Carreau ,  surtout  au  corn  des  rues  Bourbon- 


D'UN  C069  D^ÊTAT.  i89 

If^illeiieuve  et  da  Cadran,  étaient  aussi  du  nombre  des 
plus  fbrties. 

Nom  avons  recueilli,  sur  les  lieux  mêmes  que  l'insur- 
teeticfri  àtait  choisis  pour  champ  de  bataille,  des  détails 
qtue  nous  donnons  comme  certains  et  qu'il  est  impor- 
tant de  connaître,  pour  avoir  une  idée  juste  de  cette 
guerre  impie,  de  l'égoisme  des  partis  et  de  l'anarchie 
contre  la  société. 

Rue  Beaubourg,  au  coin  de  la  rue  Jean-Robert,  une 
Itorricafde  a  été  commencée  avec  une  voiture,  amenée 
de  la  rue  des  Gravilliers.  Trente  hommes  environ  la  traî- 
liàient.  Sur  ces  trente,  il  y  en  avait  au  moins  vingt  par- 
feitement  mis  et  appartenant  aux  classes  élevées.  Au 
moment  du  danger,  ils  sont  partis,  laissant  quelques 
misérables  à  figures  atroces  et  quelques  jeunes  gens 
qu'ils  ont  payés  pour  se  battre. 

Dans  la  rue  de  Rambuteau,  la  première  barricade  a 
été  faite  à  mi-chemin  de  la  pointe  Saint-Eustache  à  la 
fue  Saint-Denis,  vis-à-vis  la  maison  de  M.  Paton,  phar- 
macien-droguiste. Les  hommes  qui  l'ont  commencée 
étaient  de  ces  repris  de  justice,  de  ces  forçats  échappés, 
âe  ces  scélérats  qui,  le  soir,  guettent  et  assassinent  les 
passants.  On  ne  saurait,  nous  ont  dit  ceux  qui  les  ont 
tUs  à  l'œuvre,  trouver  d'expression  qui  puisse  ren- 
dre l'horreur  qu'on  éprouvait  à  leur  aspect.  C'était 
qnelque  chose  de  hideusement  atroce  qu'on  ne  pour- 
ftdt  exprimer.  Et  pourtant  un  ex-représentant  du  peu- 
ple était  là,  fraternisant  avec  ces  hommes  et  leur  don- 


i90  HISTCHRE 

nant  des  poignées  de  main.  Ce  représentant  aUaît 
d'une  barricade  à  l'autre  dans  la  rue.  Il  était  légère- 
ment boiteux.  Quand  la  barricade  fut  construite  :  c  II 
nous  faut  des  armes  maintenant,  disent  ces  hommes, 
forçons  les  boutiques  pour  en  prendre.  »  Si  beaucoup 
d'habitants  dans  cette  rue  ont  eu  la  faiblesse  de  les 
donner,  si  quelques-uns  même  les  ont  offertes,  d'au- 
tres ont  eu  un  noble  courage,  celui  de  refuser  et  de 
résister  aux  menaces  des  insurgés. 

Un  des  misérables  que  nous  venons  de  dire,  fait  sau- 
ter, à  coups  de  barre  de  fer,  un  panneau  de  la  devanture 
de  M.  Paton,  et  passant  sa  tête  :  «  Vos  armes?  dit-il. — 
Vous  ne  les  aurez  pas,  répond  ce  brave  citoyen.  —  On 
vous  y  forcera  bien.  —  J'attends  que  vous  le  fassiez.  » 
  plusieurs  reprises  l'insurgé  insiste.  «  Si  vous  ne  les 
donnez  pas,  on  va  mettre  le  feu  à  votre  maison.  —  Eh 
bien  !  venez  le  mettre  si  vous  l'osez,  »  répond  M.  Pa- 
ton. Les  insurgés  se  retirent  en  disant  :  «Allons  voir 
ailleurs ,  on  sera  peut-être  plus  accommodant.  »  En 
février,  ce  courageux  citoyen,  non-seulement  avait  re- 
fusé de  faire  de  la  poudre,  quoiqu'on  le  menaçât  d'un 
coup  de  hache,  mais  encore  avait, chassé  les  insurgés 
de  chez  lui.  Plus  tard,  un  club  démagogique  s'installait 
dans  son  quartier.  Les  doctrines  les  plus  épouvanta- 
bles y  étaient  prêchées,  les  motions  les  plus  atroces  y 
étaient  faites.  M.  Paton  vient  les  combattre,  on  lui 
porte  un  coup  de  poignard  qui  perce  son  paletot.  Mais 
son  énergie  domine  cette  horde  de  bandits  ou  d'in- 
sensés. Celui  qui  le  frappait  était  un  repris  de  justice. 


I 


D'r?i  COUP  D'ÉTAT,  191 

On  nomme  M.  Paton  président  du  club.  Quelque  temps 
après,  il  le  fermait  en  faisant  comprendre  aux  ouvriers 
qu'il  valait  mieux  travailler  que  perdre  son  temps  à 
s'occuper  de  politique.  On  ne  saurait  trop  louer  de  tels 
actes  de  courage.  Ils  méritent  d'être  cités  comme  exem- 
ple à  tous  les  bons  citoyens. 

Vis-à-vis  chez  ce  négociant,  il  y  avait  une  maison  en 
construction  ;  des  maçons  y  travaillaient,  l^es  insurges, 
pour  prendre  les  outils  de  ces  braves  ouvriers  et  pour 
les  forcer  à  se  mettre  eux-mêmes  dans  leurs  rangs,  en- 
foncent les  portes  provisoires  de  la  maison  ;  mais  les 
maçons  se  défendent  courageusement  et  chassent  leurs 
^esseurs. 

Un  peu  plus  loin,  au  carrefour  Rambuleau-Saint- 
Denis,  c'étaient  deu\  représentants  qui  avaient  déter- 
miné la  formation  des  barricades.  Ils  avaient  lu  aux 
groupes  assemblés  des  proclamations  de  la  Montagne. 
Celui  qui  lisait  était  agité  d'un  tremblement  nerveux 
que  tout  le  monde  remarquait.  Il  n'avait  pas  l'excuse 
de  la  jeunesse;  n'avait-il  donc  pas  non  plus  celle  du 
courage?  Élait-ce  un  remords  anticipé  qui  l'agitait 
ainsi  î  Dieu  le  veuille  !  car  bientôt  après  on  relevait  sur 
les  barricades  les  cadavres  de  plusieurs  jeunes  gens  que 
ses  paroles  y  avaient  amenés,  et  qui  étaient  venus 
mêler  leur  sang  précieux  à  celui  des  bandits  de  l'émeute. 
L'un  de  ces  jeunes  gens  était  un  artiste.  Les  artistes! 
pauvres  fous,  hommes  des  illusions  et  des  rêves,  jamais 
ils  ne  s'arrêtent  dans  les  réalités,  toujours  ils  sont  vic- 
times des  idées  creuses  et  des  théories  insensées;  tous 


I 

I 


im  HISTOIRE 

tes  gluaut  leur  sont  bons,  tout  ce  qui  a  Tapparenee  de 
la  générosité  les  séduit.  Ce  jeune  homme  est  tombé  là^ 
tomme  tant  d'autres.  Espoir  d'avenir,  promesses  de 
génie  peut-être,  amour  de  la  famille  certainement, 
d'autres  amours  encore,  tout  a  fini  là  ;  et  maintenant, 
ceux  qui  n'ont  que  les  regrets  et  les  pleurs  ignorent  oii 
repose  sa  dépouille  mortelle.  Si  vous  lisez  ces  lignes, 
vieillard  à  cheveux  blancs,  qu'on  a  vu  trembler  en  fo- 
mentant l'émeute,  en  appelant  le  meurtre,  mêlez  vos 
larmes  silencieuses  d'expiation  aux  larmes  des  regrets. 
Priez  Dieu  qu'il  vous  pardonne  comme  vous  pardonne 
quelqu^un  qui  pleurera  longtemps  ! 

Aux  barricades  de  ce  carrefour,  on  a  vu  des  choses 
ignobles.  Des  hommes  bien  mis,  des  riches  sont  venus. 
Ih  se  sont  vêtus  de  blouses  dans  une  maison*  voi- 
sine; ils  ont  travaillé  aux  barricades.  Et  les  barri- 
cades une  fois  faites,  ils  sont  vite  allés  reprendre 
leurs  beaux  habits  et  sont  partis.  C'était  l'heure  du 
danger. 

On  y  a  vu  aussi  des  choses  atroces.  Un  passant  veut 
faire  des  remontrances,  veut  empêcher  le  désordre.  On 
le  prend,  on  l'attache  en  croix,  les  bras  et  les  jambes 
écartés  sur  la  roue  d'une  voiture  à  demi  renversée.  t.e 
moyeu  lui  confond  les  reins.  On  foit  à  plusieurs  reprises 
le  simulacre  de  le  fusiller,  puis  on  dit  :  «Ne  le  tuons  pas, 
il  aura  les  premières  décharges  de  la  troupe.  »  D'autres 
insurgés  l'ont  détaché.  Ce  fait  nous  est  garanti  parles 
négociants  dont  la  barricade  touchait  les  maisons.  B9 
nous  ont  dit  encore  qu'un  autre  avait  failh,  au  même 


DLN  COUP  D'ÉTTAT.  193 

lieu,  être  étranglé.  On  l'avait  pris  à  la  gorge,  oo  lui 
tordait  sa  cravate.  VA  on  nommerait  cette  guerre  uoe 
guerre  d'opinion  !  Quand  on  sait  les  atrocités  qu'elles 
commises  partout,  quand  on  voit  le  personnel  de  ses 
combattants,  il  faut  bien  le  dire,  c'est  la  guerre  de  la 
barbarie  contre  la  civilisation.  Honte,  mille  fois  honte 
aux  ambitions,  aux  cgoïsmcs  qui  ont  consenti  à  se  servir 
de  pareils  moyens  pour  faire  triompher  leurs  intérêts! 
Quelque  chose  qu'il  ne  faut  pas  omettre  se  passait  en 
niéme  temps  rue  Sainl-Martin,  dans  l'esiiace  compris 
entre  deux  barricades,  c^llc  qui  barrait  la  rue  Gré- 
nctat,  ut  l'autre  qui,  à  trente  pas,  barrait  la  rue  Saint- 
iUarlin,  vis-à-vis  le  restaurant  Bonvallet.  Là  aussi,  il  y 
, avait  un  représentant.  C'était  un  vieillard  aussi,  lui, 
,de  cinquante  à  soixante  ans.  U  avait  au  bras  une  jeune 
femme  à  la  mise  élégante,  cl  belle,  à  ce  qu'on  dit.  On 
l'a  vue,  cette  jeune  femme,  distribuant  aux  insurgés 
de  l'iiigent,  après  cela  leur  jetant  ses  bijoux,  leur  pro- 
diguant des  poignées  de  main  ;  puiselle  les  appelait  ses 
amis,  les  encourageait  ù  bien  se  battre.  Elle  leur  payait 
d'avance  le  prix  du  sang.  Elle  leur  donnait  ses  mains 
cl  ses  joyaux,  ce  que  d'ordinaire  une  femme  ne  donne 
qu'à  ceux  qu'elle  aime  d'amour  ou  de  charité. 

a  Forcez  donc,  disait-elle,  tous  ces  lâches  qui  se  ren- 
ferment dans  leurs  maisons  à  venir  vous  aider  et  à 
combattre  avec  vous.  »  En  raéme  temps,  et  comme  pen- 
dant à  cette  créature  déclassée,  il  y  avait  là  une  sorte 
de  bandit,  de  forçat,  peut-être,  qui  criait  :  u  Défoncez 
les    boutiques,  jetez  tout  par  ■  'etez  les 


i94  HISTOIRE 

meubles!  »  C'était  bien  sa  place  et  son  langage,  à  lui; 
mais  une  femme  !  Quand  Témeute  riigit  dans  les  cités 
et  que  la  mort  vole  dans  l'air,  femmes,  voire  place  est 
chez  vous,  au  milieu  de  vos  enfants.  Là,  priez  Dieu 
qu'en  ces  jours  néfastes  il  ne  fasse  pas  trop  d'orphelins 
et  qu'il  garde  les  enfants  aux  mères.  Il  en  est  quelques- 
unes  qui  vont  aux  barricades ,  comme  il  en  est  qui  vont 
sur  les  autres  champs  de  bataille.  Quand  une  femme 
vient  panser  des  blessés,  apporter  aux  victimes  le  baume 
des  consolations,  elle  est  encore  à  sa  place  ;  celle-là,  c'est 
une  héroïne,  c'est  elle  qui  est  vraiment  noble  et  grande. 
Mais  celle  qui,  pour  ses  passions  politiques,  n'a  pas 
horreur  du  sang,  qui  marche  avec  les  émeutiers  et  qui 
les  encourage,  n'est  pas  une  femme.  Nous  laissons  à  la 
pudeur  révoltée  du  sexe  qu'elle  outrage  à  lui  donner  le 
nom  qu'elle  mérite. 

Le  lendemain ,  elle  osait ,  encore  au  bras  de  son 
mari ,  passer  sur  le  lieu  du  combat.  Peu  s'en  fallut 
que  les  honnêtes  citoyens  qui  nous  ont  donné  ces  dé- 
tails ne  l'aient  arrêtée  pour  la  conduire  en  prison. 

On  a  vu  aussi,  à  la  grande  barricade  de  la  rue  Saint- 
Denis,  une  femme  travailler  à  arracher  les  pavés,  et 
exciter  les  insurgés. 

Mais  le  fait  culminant,  celui  qui  domine  tout,  comme 
physionomie  de  cette  guerre  exécrable  faite  par  les 
partis,  c'est  le  suivant.  Nous  l'avons  écrit  sous  la  dictée 
de  témoins  oculaires,  des  habitants  du  quartier.  A  ces 
mêmes  barricades  des  rues  Saint-Martin  et  Grénetat, 
il  y  avait  un  certain  nombre  de  meneurs,  de  chefs  de 


D'CN  COUP  D'ÉTAT. 

parti.  K  leur  costume,  à  leurs  manières,  on  voyait  ce 
qu'ils  étaient,  on  le  vil  encore  mieux  à  l'heure  du  péril  : 
ils  partirent  tous.  Eh  bien  1  quand  ces  hommes  virent 
que  les  barricades  avaient  pris  un  aspect  formidable  et 
qu'elles  étaient  garnies  de  défenseurs,  ils  voulurent  ar- 
borer dessus  des  drapeaux.  Puis  la  division  se  mit  entre 
eux;  l'un  plantait  un  drapeau  blanc,  l'autre  un  dra- 
peau rouge,  l'autre  un  drapeau  noir.  Chaque  parti  ren- 
versait le  drapeau  du  parti  contraire.  Plusieurs  furent 
ainsi  arborés,  puis  arrachés.  On  en  vint  presque  aux 
mains,  et  les  soldats  stipendiés  de  l'émeute  regardaient 
■làire  et  disaient  en  termes  qu'on  nous  permettra  de 
transformer:  «Mais,  en  définitive,  pour  qui  donc 
allons-nous  nous  faire  tuerî  — Peu  vous  importe, 
allez  toujours,  il  y  a  cent  raille  francs  pour  vous,  »  ré- 
pondait-on. Ce  fait  est  caractéristique,  il  est  le  stigmate 
de  cette  alfreuse  guerre.  Ces  partis  qui  déjà  se  disputent 
l'émeute,  pauvre  France,  qu'eussent-ils  fait  de  loi,  si 
la  Providence  eût  permis  leur  triomphe!  Les  voilà  qui 
combattent  tous  avec  les  mêmes  soldats,  qui  recrutent 
dans  l'écume  sociale  tout  ce  qui  assassine  et  tue  pour 
de  l'argent. 

A  l'œuvre,  à  l'œuvre!  les  parricides,  frappez  tous 
le  cœur  de  la  patrie,  chacun  de  vous  espère  qu'il  res- 
tera, proie  ensanglantée,  accroché  au  bout  de  son  poi- 
gnard ! 

C'était  la  même  chose  partout.  Rue  du  Petit-Carreau, 
c'est  un  homme  décoré  et  richement  \étu,  qui  fait 
amener,  à  l'angle  de  la  rue  Bourbon-^'        "  ■*«.  la 


196  HISTOIRE 

toiture  chargée  de  décombres  avec  laquelle  on  coo^ 
mence  la  barricade.  Lui-même  décharge  cette  voiture. 
Pendant  que  l'insurrection  fait  des  barricades  dan» 
Paris,  des  représentants,  réunis  à  Belleville,  rue  des 
Amandiers,  font  des  proclamations  incendiaires,  et  eii- 
pédient  fréquemment  des  ordres  dans  toutes  les  direo 
tions.  M.  le  préfet  de  police,  instruit  de  ce  qui  se  passe, 
veille  avec  le  plus  grand  soin  à  ce  que  ces  proclamations 
ne  puissent  être  affichées.  Malgré  les  précautions  de  la 
police,  on  parvient  à  coller,  en  plusieurs  endroits,  la 
pièce  suivante  : 

PEUPLE! 

Depuis  trois  jours  les  valets  de  la  Russie  régnent  dans  la  capitale. 
Les  armes  te  manquent;  ta  presse  est  tuée.  Prends  les  armes  de  tes 
ennemis.  Va  briser  les  presses  napoléoniennes,  afin  que  nos  frères  des 
provinces  ne  soient  point  arrêtés  dans  leur  élan  patriotique  par  de 
fausses  nouvelles. 

Plusieurs  départements  victorieux  s'avancent. 

Paris  le  sera. 

Pour  le  comité  des  proscrits^ 
J.  Cledat. 

Pour  le  comité  central  de  résistance^ 
L.-M.  GUÉRIN. 


Sur  toute  la  ligne  des  boulevards,  les  groupes  sont 
nombreux,  menaçants.  Les  émeutiers  attaquent  les 
officiers  isolés.  Le  matin,  ils  ont  assassiné  un  gendarme 
mobile  qui  portait  une  ordonnance;  à  midi,  à  l'instant 


D'Ii.N  COUP  D'ETAT.  m 

OÙ  on  renversait  les  voilures  pour  barricader  les  rues 
Saint-Marlin  et  Saint-Denis,  deux  officiers  de  la  ligne 
ont  été  assaillis,  sur  le  boulevard  Poissonnière,  par  une 
horde  de  forcenés  qui  les  ont  blessés  grièvement  et  les 
ont  entraînés  dans  la  rue  du  Faubourg-Poissonnière,  où 
ils  ont  disparu.  A  peu  près  au  même  moment,  un  of- 
Hcicr  d'état-major  de  la  garde  nationale  a  été  renversé 
de  clieval  au  coin  de  la  rue  Richelieu;  mais  immédia- 
tement les  émeuliers  ont  pris  la  fuite.  Toutes  les  bou- 
tiques sont  fermées  depuis  la  Chaussèe-d'Anlin  jusqu'à 
la  Madeleine.  La  mairie  du  5*  arrondissement  est  prise 
par  les  insurgés  qui  desarment  le  poste  de  gardes  na- 
tionaux qui  s'y  trouve.  A  la  mairie  du  2'  arrondîsse- 
icnt,  une  tentative  pareille  a  eu  lieu,  mais  elle  a  été 
'énergiquement  repoussée. 

Le  maire  lui-même  racontait  l'événement  en  de- 
inandant  du  secours:  »  Pendant  un  instant,  disait-il,  la 
Mairie  a  été  assaillie  par  une  bande  d*insurgés,  qui  ont 
'ien'é  d'enfoncer  la  porte  d'entrée.  Le  poste  de  la  garde 
nationale  n'est  composé  que  de  vingt-cinq  hommes. 
;'esl  trop  peu  pour  résister.  Envoyez  de  la  ligne,  afin 
ique  je  puisse  sauvegarder  la  mairie,  ses  archives,  et 
aintenir  les  fonctions  qui  m'ont  été  confiées,  n 
A  midi,  le  général  en  chef  Magnaii  connaissait  entiè- 
rement, par  ses  rapports  et  par  ceux  du  préfet  do  police, 
la  position  des  insurgés.  Il  savait  que ,  sur  plusieurs 
points,  les  barricades  étaient  formidables  ;  mais  il  avait 
■^décidé  de  n'attaquer  qu'à  deux  heures,  et,  inébranla- 
tilo  dans  ce  dessein,  il  ne  voulut  pas,  quelques  instances 


198  HISTOIRE 

qu'on  fît  près  de  lui,  avancer  d*un  seul  moment  le 
signal  de  la  bataille.  Il  voulait  la  livrer  décisive  et  lais- 
ser aux  insurgés  tout  le  temps  possible  pour  se  réunir 
et  pour  prendre  les  mesures  qui  leur  donneraient  la 
confiance  nécessaire  pour  engager  la  lutte. 
*  Le  général  avait  calculé  qu'en  deux  heures  il  aurait 
partout  vaincu  l'insurrection.  L'ardeur  des  troupes  lui 
était  connue.  Il  savait  quels  généraux  il  avait  sous  ses 
ordres.  Cette  confiance  était  partout.  Quand  le  général 
en  chef  avait  dit  au  ministre  :  «  Laissez-moi  faire,  et  je 
vous  réponds  de  tout;  »  le  ministre  avait  répondu  : 
«  Je  vous  laisse  faire,  parce  que  je  vous  connais.  » 

Un  peu  avant  deux  heures,  le  général  en  chef  écrivait 
au  préfet  de  police  :  «Dans  un  instant  vous  allez  en- 
tendre le  canon.  Les  divisions  Carrelet  et  Levasseur 
sont  en  opération  de  combat.  J'ai  voulu  pour  com- 
mencer que  tout  mon  monde  fût  réuni  et  bien 
sous  ma  main.  Il  va  l'être.  Soyez  tranquille,  l'affaire 
sera  vigoureusement  menée  et  promptement  termi- 
née. » 

C'est  un  lambeau  déchiré  aux  proclamations  de  nos 
grandes  guerres  ;  c'est  comme  un  écho  du  style  napo- 
léonien. On  sent,  en  lisant  ces  lignes,  à  quelle  école 
appartient  le  général  Magnan. 

Toutes  les  dispositions  sont  admirablement  prises. 
Les  quartiers  insurgés  sont  enfermés  dans  un  cercle 
de  fer. 

L'armée  occupe  les  positions  suivantes  :  La  brigade 
Bourgon  est  sur  le  boulevard  entre  les  portes  Saint- 


^^^^^"  D'UN  COIT  D'ÉTAT.  )!»9 

Denis  et  Saint-Martin  ;  les  brigades  de  Cotte  et  Canro- 
bert  sont  massées  sur  le  boulevard  des  Italiens;  le  gé- 
néral Dulac  occupe  la  pointe  Saint-Eustache ,  et  la 
cavalerie  du  général  Reybell  est  rangée  dans  toute  la 
■]— iongueur  de  ta  rue  de  la  Paix.  Ces  cinq  brigades  for- 
^bent  la  division  Carrelet. 

^T   La  division  Levasseur  prend  l'insurrection  du  côté 
opposé.  La  brigade  Herbillon  occupe  l'Hôtel-de-Ville; 
la  brigade  Marulaz,  la  place  de  la  Bastille,  et  la  brigade 
Courtigis,  arrivant  de  Vinceimes,  est  aux  portes  du 
faubourg  Saint-Antoine.  La  division  de  grosse  cavalerie 
du  général  Korte  est  aux  Champs-Elysées, 
^»  A  deux:  heures  de  l'après-midi,  toutes  ces  troupes 
K^'élancent  à  la  fois.   Le  général  Bourgon ,  avec  sa  bri- 
gade, remonte  le  boulevard  jusqu'à  la  rue  du  Temple, 
foudroyant  fémcute  partout  où  elle  ose  se  montrer. 
Puis,  s'engageant  dans  cette  rue  ,  il  attaque  et  renverse 
successivement  toutes  les  barricades  qui  s'y  trouvent 
jusqu'à  ta  rue  de  Rambuleau. 
i^.    Le  général  de  Cotte,  conduisant  sa  brigade,  vient  al- 
Hlaqucr  la  formidable  barricade  de  la  rue  Saint'Denis. 
C'est  le  bravo  72"  de  ligne  qui  forme  la  tête  de  colonne. 
LccolonelQuilico,  qui  le  commande,  était  au  lit  malade 
quand  l'ordre  est  venu  de  marcher.  Un  colonel  fran- 
JHcais  n'est  pas  malade  un  jour  de  bataille.  Une  décharge 
Blerrible  accueille  le  72".  Le  général  de  Cotte  a  son 
cheval  (ué  sous  lui;  le  colonel  Quilico  est  blessé;  le 
lieutenant  colonel  Ix>ubeau,  l'adjudaut-major.  sont  tués, 
vingt  hommes  tombent  auprès  d''» 


200  HISTOIRE 

çleetrisés  à  la  vue  de  leurs  chefs  tués  ou  blessés^  s'élaiip- 
cent,  et,  après  une  vive  résistance,  la  barricade  est  eo*- 
levée.  Les  insurgés  y  sont  nombreux ,  la  plupart  y 
trouvent  la  mort.  Cet  obstacle  franchi,  la  ccdonne 
s'engage  dans  la  rue  Saint-Denis,  Un  bataillon  du  15* 
léger  est  lancé  dans  la  rue  du  Petit-Carreau  qui  est 
fortement  barricadée.  Partout  rin^pétuosité  du  général 
de  Cotte  triomphe  de  la  résistance  de  rinsurrection. 

En  même  temps,  le  général  Canrobert  arrive  à  la 
porte  Saint-Martin ,  et  culbute  successivement  les  in- 
surgés à  toutes  leurs  barricades  dans  la  longueur  de  la 
rue  du  Faubourg-Saint-Martin  et  dans  les  rues  adji^ 
centes.  Presque  toutes  les  barricades  de  la  grande  rue 
sont  enlevées  par  le  5*  bataillon  de  chasseurs  à  pied, 
que  le  commandant  Levassor«Sorval  conduit  avec  une 
admirable  intrépidité. 

L'enne  ni  a  fondé  les  plus  grandes  espérances  sur  les 
barricades  vraiment  formidables  de  la  rue  de  Rambu*^ 
teau.  Le  général  Dulac  les  attaque,  ainsi  que  celles  des 
rues  voisines,  avec  les  trois  bataillons  du  51*  de  ligne, 
commandé  par  le  colonel  de  Lourmel,  un  bataillon  di 
19*  de  ligne,  un  du  43"  et  uue  batterie  d'artillerie.  Rue 
de  Rambuteau  la  résistance  est  terrible;  le  canoa 
gropde  et  les  feux  de  la  troupe  sont  tellement  nourris , 
que,  pendant  près  de  cinq  quarts  d'heure,  c'est  une 
tempête  de  détonations.  Mais  rien  ne  peut  résister  à 
l'élan  de  nos  soldats ,  malgré  l'habile  défense  des  in-t 
surgés  :  ils  les  forcent  dans  leurs  retranchements  et  en 
passent  quelques-uns  par  les  armes«  Il  y  avait  là,  parmi 


D'UN  COUP  D'ÉTAT. 


Taisant 


les  insurgés,  d'anciens  satellites  lie  Caiissiijiri 
admirablement  le  coup  de  feu. 

Hais  il  y  avait  aussi  de  pauvres  jeunes  gens  inexpé- 
rimentés du  métier  des  armes.  L'un  d'eux,  enfant  de 
quinze  ans,  ne  savait  comment  épauler  son  fu&it;  tant 
bien  i|iie  mal,  enfin,  il  tire,  mais  le  recul  de  l'arme 
Payant  presque  renversé,  il  la  jette  et  se  sauve  épou- 
vanté. Ce  fut  là  aussi  que  tomba  le  jeune  artiste  de  qui 
nous  avons  parlé  plus  haut.  Tandis  que  les  kindil<(  se 
cachaient  derrière  les  barricades,  lui  jouait  sa  vie  à  dé- 
couvert et  se  ballail  bravement.  Il  fut  atteint  des  pre- 
miers. 

La  division  Lcvasseur  s'élançait  aussi  de  son  c6tê. 
La  brigade  Herbîllon  part  de  l'Ilôtel-de-Ville  en  deux 
colonnes,  dont  l'une  commandée  par  le  général  Levas- 
seur  lui-même.  Elles  se  portent  sur  le  centre  de  l'in- 
surrection par  les  nies  du  Temple,  Rambuteau,  Saint- 
Martin  et  Beaubourg. 

Le  général  Marulaz  atlaque  dans  le  même  sens  la 
rue  Saint-Denis  et  fait  atlaqucr  les  rues  latérales  par 
une  colonne  lé^jère.  sous  les  ordres  du  colonel  de  ta 
Motterougc,  du  19' léger. 

A  l'heure  de  la  balaille,  le  général  Courligis,  descen- 
dant de  Vincennes,  balayait  les  barricades  du  faubourg 
Saint-Antoine,  et  prenait,  sur  la  place  de  la  Bastille,  la 
position  que  la  brigade  Marulaz  venait  de  quitter. 

Comme  on  le  voit ,  les  deux  divisions  opéraient  un 
mouvement  convergent  qui  devait  écraser  l'insurrec- 
tion et  ne  lui  laisser  aucune  issue.  Les  prévision' 


202  HISTOIRE 

général  en  chef  ont  été  vraies  de  tout  point  ;  en  moins 
de  trois  heures,  la  révolle  est  vaincue  partout.  Nulle 
part  dans  l'attaque  un  seul  instant  d'hésitation  ni  de 
désordre.  Partout  les  opérations  sont  dirigées  avec  une 
habileté,  une  précision  qui  font  le  plus  grand  honneur 
à  ceux  qui  commandent.  Quant  aux  soldats,  entraînés 
par  leurs  chefs  qui  leur  communiquent  l'intrépidité 
dont  tous  ont  fait  preuve  dans  cette  journée,  ils  mar- 
chent au  feu  avec  un  ensemble  et  un  entrain  qui  do- 
minent les  chances  du  combat  et  qui  fixent  d'avance  le 
succès. 

Il  était  ordonné  à  tous  les  généraux  de  suivre  avec 
leurs  colonnes  d'attaque  l'itinéraire  tracé  par  le  géné- 
ral en  chef^  sans  s'en  écarter.  Malheureusement,  l'un 
d'eux,  se  laissant  emporter  par  un  courage  trop  ardent, 
s'engagea,  sortant  de  son  itinéraire,  dans  la  rue  du 
Temple,  à  la  poursuite  des  insurgés.  Une  autre  colonne 
y  opérait  déjà.  Pendant  quelques  minutes  de  fatale  er- 
reur, ces  deux  colonnes  se  sont  tiraillées,  et  deux  ou 
trois  soldats  sont  tombés. 

Les  plus  fortes  barricades,  telles  que  celles  des  rues 
Saint-Denis,  Rambuteau,  Saint-Martin,  ont  été  atta- 
quées avec  le  canon  ;  mais  partout  les  soldats  ont  ter- 
miné à  la  baîonnetle. 

Ainsi,  de  deux  heures  à  quatre  heures  et  demie,  le 
quartier  circonscrit  par  les  boulevards ,  les  rues  Mont- 
martre, Rambuteau  et  du  Temple,  a  été  sillonné  dans 
tous  les  sens  par  les  colonnes.  La  plupart  des  insurgés 
ont  été  tués  ou  faits  prisonniers. 


D'UN  COUP  D'ÉTAT.  903 

Au  moment  où  Taction  générale  commençait,  les 
insurgés,  qui  sentaient  l'importance  qu'il  y  avait  pour 
eux  à  s'emparer  de  la  Cité,  et  notamment  de  la  préfec- 
ture de  police,  attaquaient  vigoureusement  le  Palais- 
de*Justice  et  ses  abords.  Â  deux  heures  et  demie,  le  feu 
était  très-vif  sur  la  place  du  Palais-de-Justice  et  rue 
Gonstantine,  où  les  insurgés,  embusqués  dans  les  mai- 
sonsy  dirigeaient  une  terrible  fusillade  sur  les  gendar- 
mes mobiles.  Ce  corps  s'est  admirablement  battu.  Il  a 
préservé  un  des  points  stratégiques  les  plus  importants 
dé  Paris,  puisqu'il  relie  les  quartiers  Saint-Denis  et 
Saint-Martin  à  celui  des  Écoles. 

Pendant  que  les  troupes  d'infanterie  étaient  engagées, 
la  brigade  de  cavalerie  du  général  Reybell  balayait  les 
boulevards  en  faisant  des  charges  sur  les  rassemble- 
ments qui  essayaient  de  s'y  former  à  la  hauteur  de  la 
rue  Montmartre. 

La  cavalerie  fut  reçue  par  un  feu  terrible  que  firent 
les  insurgés  embusqués  dans  les  maisons.  Le  général 
Reybell  fit  arrêter  ses  escadrons,  qui  ripostèrent  d'une 
façon  formidable,  appuyés  par  une  partie  de  la  division 
Canrobert.  On  fit  voler  en  éclats,  à  coups  de  canon,  les 
portes  des  maisons,  où  quelques  insurgés  furent  pris  et 
pas^és  par  les  armes. 

La  cavalerie  du  général  Korte,  qui,  des  Champs-Ely- 
sées s'était  aussi  portée  sur  les  boulevards,  arrêta  un 
grand  nombre  de  fuyards  et  les  fit  prisonniers.  Il  y  a 
eu  sur  les  boulevards  Montmartre  et  Poissonnière,  dans 


204  HISTOIRE 

cette  douloureuse  circonstance ,  trente-cinq  morts  et 
un  certain  nombre  de  blessés. 

À  cinq  heures ,  ne  trouvant  plus  d'ennemis  à  corn* 
battre,  les  troupes  reprennent  en  grande 'partie  leurs 
positions  respectives.  La  brigade  Marulaz  s'échelomae 
sur  les  boulevards,  depuis  le  café  Turc  jusqu'à  la  Bas- 
tille. 

Pendant  que  cette  grande  bataille  se  livrait  sur  la 
rive  droite  de  la  Seine,  la  rive  gauche,  occupée  par  le 
général  de  division  Renaud,  présentait  une  vive  agi- 
tation dans  les  quartiers  Saint-Marceau  et  dans  les  en- 
virons des  Écoles. 

Quelques  meneurs  cherchaient  à  s'emparer  de  l'église 
Saint-Médard  pour  y  sonner  le  tocsin,  et  étaient  arrê- 
tés par  un  officier  de  paix  et  ses  agents.  L'un  d'eux 
était  un  médecin,  un  autre  un  pharmacien. 

Des  rassemblements  nombreux  avaient  lieu  aux  alen- 
tours du  carrefour  Bussv,  où  l'on  construisait  une  bar- 
ricade.  Une  forte  patrouille  envoyée  sur  les  lieux  suffit 
pour  les  disperser.  Partout  les  excellentes  dispositions 
prises  par  le  général  Renaud,  sa  vigilance  inces- 
sante, ont  comprimé  les  émeutiers  et  empêché  l'exé- 
cution de  leurs  projets.  Il  a  eu  le  bonheur  de  n'avoir 
pas  à  combattre.  Ses  troupes  eussent  montré,  comme 
celles  des  autres  divisions,  la  plus  vive  ardpur,  s'il  eût 
fallu  en  venir  aux  mains.  Mais,  grâce  à  Dieu,  l'insur- 
rection, celte  fois,  n'a  pas  appelé  dans  ces  quartiers  les 
malheurs  de  la  guerre  civile  ! 

Écrasés  sur  le  terrain  qu'ils  avaient  eux-mêmes 


D'UN  COUP  D'ÉTAT.  205 

choisi,  les  insurgés  ont  lenlé  un  dernier  eiïorl  en  se 
portant  en  masse  dans  l'espace  compris  entre  les  rues 
Montoi^eil,  du  Petit-Carreau,  la  Banque  et  la  place 
des  Victoires. 

Aussitôt  après  k  départ  de  la  troupe,  ils  venaient  de 
reprendre  possession  de  ces  deux  rues ,  et  élevaient, 
sous  la  direction  de  Gaston  Dussoubs,  frère  d'un  repré- 
sentant, des  barricades  formidables.  La  première  bar- 
rait la  rue  Montorgueil,  à  Tangle  de  la  rue  Mandar,  et 
couvrait  ainsi  le  passage  du  Saumon,  duquel  ils  s'é- 
taient emparés,  et  dans  lequel  la  plupart  des  habitants 
avaient  livré  leurs  armes.  La  seconde  barricade  s'éle- 
vait, rue  du  Pelit-Carreau,  aux  angles  des  deux  rues  du 
Cadran  et  Saint-Sauveur.  La  troisième  barrait  la  même 
rue  à  Tangle  Bourbon  -  Villeneuve.  Entre  ces  trois 
grandes  barricades,  il  y  en  avait  plusieurs,  mais  fort 
peu  importantes.  Sur  ces  points,  on  avait  éteint  le  gaz, 
posé  partout  des  factionnaires  et  forcé  les  maisons  pour 
avon*  des  armes.  Les  passants  étaient  arrêtés  et  con- 
traints à  se  mêler  aux  insurgés. 

Sur  ce  point,  on  avait  négligé,  et  c'était  à  tort, 
d'employer  un  moyen  qui  réussissait  merveilleusement 
ailleurs.  C'était  de  faire  occuper  les  maisons  des  angles 
des  rues  par  de  la  troupe.  Avec  un  peloton,  on  garde 
ainsi  une  rue  tout  entière  et  on  intimide  singulièrement 
les  insurgés.  Autrement,  chassés  d'une  barricade,  ils 
y  reviennent  aussitôt  que  les  soldats  l'ont  quittée.  Ils 
paraissent  ainsi  reconquérir  leur  position. 

En  même  temps,  d'autres  barricades  s'élevaient  rue 


206  HISTOIRE 

Pagevin,  des  Fossés-Monlraartre,  et  menaçaient  ainsi 
la  Banque  et  l'hôtel  des  Postes.  Ces  dernières  barri- 
cades furent  enlevées  les  premières.  Le  colonel  Cou- 
rant, du  19'  de  lignC;  qui  était  en  position  au  Palais 
national ,  se  porta  rapidement  avec  son  régiment  sur 
la  place  des  Victoires,  où  une  masse  d'insurgés,  chas- 
sés des  quartiers  Saint-Denis  et  Saint-Martin,  s'étaient 
réunis.  Les  disperser,  enlever  au  pas  de  course  les 
barricades  des  rues  Pagevin  et  des  Fossés-Montmartre, 
ne  fut  pour  le  brave  colonel  que  l'affaire  d'un  instant. 
Après  avoir  ainsi  balayé  l'émeute,  il  vint  prendre  posi- 
tion à  la  Banque,  couvrant  ainsi  ce  point  important  et 
le  quartier  de  la  Bourse. 

Refoulés  sur  cet  endroit,  les  insurgés  se  replièrent 
sur  le  passage  du  Saumon  et  sur  les  barricades  des 
rues  Montorgueil  et  du  Petit-Carreau.  Cernés  de  tous 
côtés,  ils  sentaient  la  nécessité  de  faire  une  résistance 
désespérée.  Après  dix  heures,  malgré  l'obscurité  qui 
règne  dans  le  quartier,  puisqu'on  y  a  éteint  le  gaz,  le 
colonel  de  Courmel,  qui  avec  son  régiment,  le  51%  oc- 
cupe la  pointe  Saint-Eustache ,  se  décide  à  attaquer. 
Plusieurs  barricades  de  peu  d'importance  sont  enlevées 
par  le  2'  bataillon,  qui  est  accueilli  par  une  vive  fusil- 
lade à  la  barricade  qui  est  à  l'angle  de  la  rue  Mandar. 
Les  soldats  montent  au  pas  de  course,  la  baïonnette 
en  avant.  Les  insurgés  ne  les  attendent  pas.  Les  uns  se 
replient  sur  les  barricades  de  la  rue  du  Petrt-Carrea«i  ; 
les  autres,  au  nombre  de  soixante  ou  cent,  cherchait 
un  refuge  dans  le  passage  du  Saumon.  Un  capitaine 


D'UN  COUP  D'ÉTAT.  207 

crie  devant  ta  grille  :  «  Douze  hommes  de  bonne  vo- 
lonté !   «  Douze  soldats  s'élancent    dans  le  passage. 

.Mais  l'ennemi  ne  lient  |tas  contre  cette  poignée  de 
braves.  Ccnx  qui  connaissent  les  lieux  fuient  par  la  pre- 
mière galerie  à  droite  el  se  font  ouvrir  ta  porte  d'une 
cour  qui  donne  sur  la  rue  du  Cadran  ;  d'autres,  moins 
heureux,  se  cachent  dans  les  escaliers,  sous  des  au- 
vents, se  couchent  dans  des  coins  obscurs.  Plusieui-s  sont 
passés  par  les  armes,  l'n  des  insurgés  s'était  réfugié 
dans  un  cabinet  qui  donnait  sur  tes  toits  :  entendant 
monter  un  soldat,  il  passe  par  une  lucarne  et  s'accro- 
che au  zinc,  qui  cède  et  se  détache.  Il  tombe  dans  la 
rue,  où  il  se  brise. 

Quatre  autres  s'étaient  réfugiés  dans  l'escalier,  le  pre- 
mier à  gauche  en  venant  de  la  rue  Monlorgueil.  Par 
humanité,  on  les  cache;  ils  inspiraient  tant  de  pitié  !  Le 
passage  fouillé,  le  capitaine  sort  avec  ses  hommes,  et 
la  troupe,  qui  faisait  halle  dans  la  rue,  marche  en  co- 
lonne vers  la  rue  du  Pelil-Carreau.  Les  quatre  bandits 
prennent  aloi-s  leurs  fusils,  et,  se  penchant  par  un  sou- 
pirail, font  feu  et  blessent  ou  tuent  plusieurs  soldats. 

Gaston  Dussoubs  est  debout  sur  la  barricade,  à  l'angle 
de  la  rue  du  Cadran.  Il  s'adresse  au\  soldats,  et  d'une 
voix  vibrante  :  t  Vous  ne  lircrea  pas  sur  nous,  qui 
sommes  des  prolétaires  comme  vous!  leur  dit-il.  D'ail- 
leurs, la  lionstitution  est  violée;  nous  sommes  dans 
notre  droit,  nous  mourrons  pour  le  défendre.  »  Cette 

.'  vois,  durant  un  instant  de  solennel  silence,  est  entendue 
de  tout  le  quartier.  L'officier  qui  commande  crie  : 


S08  HISTOIRE 

<c  Bas  les  armes!  »  Ou  refuse;  le  feu  commence.  A  la 
première  décharge,  Dussoubs  tombe  mort.  Puis  le  feu 
continue,  les  décharges  se  succèdent;  mais  enfin  la 
valeur  des  soldats  remporte  et  la  barricade  est  enlevée» 
Tandis  qu'une  partie  du  bataillon  fouille  les  maison» 
et  fait  de  nombreux  prisonniers,  l'autre  s'élance  à  l'at- 
taque des  deux  barricades  qui  restent,,  l'une  qui  est 
franchie  au  pas  de  course,  la  dernière  qui  fait  une  ré- 
sistance longue  et  désespérée,  et  où  les  insurgés  lais- 
sent un  certain  nombre  des  leurs.  C4'est  à  ces  barri- 
cades, dernier  refuge  de  l'insurrection ,  qu'on  a  trouvé 
parmi  les  morts  le  plus  grand  nombre  d'hommes  bien 
vêtus. 

Les  communes  suburbaines  ont  eu  aussi  leur  part 
dans  l'insurrection.  A  la  Chapelle-Saint-Denis»  quel- 
ques compagnies  du  brave  28*  ont  eu  à  enlever  de 
nombreuses  barricades.  A  Montmartre,  l'énergie  du 
maire,  M.  Piémontési,  et  le  courage  de  quelques  gar- 
des nationaux,  dont  l'un  a  été  grièvement  blessé,  ont 
empêché  la  commune  de  participer  à  cette  lutte  impie. 

Le  général  Magnan  cite,  dans  son  rapport,  comme 
s'étant  particulièrement  distingué  dans  cette  journée, 
le  capitaine  de  la  Roche  d'Oisy,  commandant  la  4*  com- 
pagnie du  1*'  bataillon  de  gendarmerie  mobile,  qui ^ 
par  son  attitude  énergique  et  la  sagesse  de  ses  disposi- 
tions, a  préservé  de  toute  atteinte  l'Imprimerie  natio- 
nale, qu'entouraient  des  groupes  menaçants.  Le  lieu- 
tenant Favre,  de  cette  compagnie,  avec  vingt-cinq^  C^  ^ 
ses  gendarmes,  a  pris  d'assaut  la  plus  forte  des  b^pii^ 


D'L'N  C0U1>  D'ÉTAT.  1 

cades  faite  auprès  de  cet  établisse meiil,  et  formée  de 
diligences  renversées,  de  pièces  de  bois  et  de  tonneaux. 

Pour  compléter  ce  récit,  nous  citerons  un  passage  du   ' 
rapport  du  général  en  chef; 

«  Les  rapports  qui  me  furent  adressés  dans  la  nuit 
du  4  sur  l'état  de  Paris  me  donnant  la  presque  certi- 
tude que  l'insurrection  n'oserait  plus  relever  Ja  tète,  je 
retirai  à  minuit  une  partie  des  troupes  de  leurs  posi- 
tions de  combat,  pour  leur  donner  un  repos  qu'elles 
avaient  si  bien  mérité. 

«  Le  lendemain,  5  décembre,  je  voulus  montrer 
toute  l'armée  de  Paris  il  la  population.  Je  voulais,  par 
cette  démonstration,  rassurer  les  bons,  intimider  les 
méchants. 

«  J'ordonnai  aux  brigades  d'infanterie,  avec  leur  ar- 
tillerie et  leurs  compagnies  de  génie,  de  parcourir  la 
ville  en  colonnes  mobiles,  de  marcher  aux  insurgés 
partout  oii  ils  se  montreraient  encore,  d'enlever  et  de 
déli'uire  les  olistacles  (piî  pourraient  gêner  la  circu- 
lation. 

n  A  cet  effet,  le  général  Carrelet,  à  la  tète  d'une  co- 
lonne de  sa  division,  se  porta,  vers  neuf  heures  dn 
matin  <  h  la  barrière  Rochechouart,  où  l'on  signalait 
encore  l'existence  d'une  barricade  formidable.  Mais  les 
insurgés,  attérés  par  le  résultat  de  la  journée  du  4,  n'o*  i 
sérent  plus  défendre  leurs  relranchements  et  les  aban-  [ 
donnèrent  à  l'approche  de  nos  troupes. 

0  L'ne  autre  barricade,  élevée  dans  le  faubou^-g  Pois-  i 
H>nnière,  fut  pareillei  'rtée  par  ses  défenseurs,  J 


210  HISTOIRE 

avant  l'arrivée  de  la  colonne  aux  ordres  du  géaéned^    - 
Ganrobert,  chargé  de  l'enlever. 

«  À  partir  de  ce  moment ,  la  tranquillité  n'a  plus  été 
troublée  dans  Paris,  et  la  circulation  a  été  rétablie  sur 
tous  les  points.  L'armée  est  rentrée  dans  ses  quartiers, 
et,  dès  le  lendemain  6,  Paris  ne  voyait  plus  dans  les 
rues  ce  déploiement  inusité  de  forces,  était  rendu  à  son 
activité,  à  son  mouvement,  à  sa  vie  habituelle.  » 

Ainsi  finit,  dans  la  capitale,  cette  formidable  insur- 
rection, lutte  sacrilège  des  partis  contre  le  pouvoir  qui 
sauvait  la  France  et  la  civilisation  européenne,  si  forte- 
ment menacées  par  la  fatale  échéance  de  1852. 

Si  cette  lutte  n'a  pas  été  plus  longue,  si  elle  n'a  pas 
recommencé  le  5,  cela  tient  à  la  terreur  inspirée  aux 
insurgés  par  la  valeur  admirable  de  nos  soldats.  Cela 
tient  aussi  à  ce  qu'un  assez  grand  nombre  d'arresta- 
tions parmi  les  meneurs  furent  faites  dans  la  soirée  du 
4.  Â  huit  heures,  M.  de  Maupas  en  donnait  l'ordre. 
Cent  ou  cent  vingt  représentants  avaient  rédigé,  dans 
cette  soirée,  une  proclamation  d'une  violence  extrême. 
Grâce  à  l'active  surveillance  de  la  police,  elle  n'a  pas 
été  affichée. 

Du  côté  de  l'insurrection,  les  pertes  ont  été  nom- 
breuses. Beaucoup  d'insurgés  ont  été  tués  sur  les  bar- 
ricades, et  quelques-uns,  pris  les  armes  à  la  main,  ont 
été  passés  par  les  armes.  On  a  fait  une  foule  de  prison- 
niers. C'est  à  nos  soldats  que  tant  de  malheureux  doi-r 
vent  la  vie,  car  l'ordre  était  formel.  Le  ministre  dç  la  .^^ 
guerre  n'avait  pas  entendu  faire  dans  sa  proflafnjtMBMB 


D'UN  COIP  D'ETAT.  2H 

une  vaine  menace.  Il  avait  ordonné  qu'on  en  exécutât 
les  termes  à  la  lettre  :  Pas  de  prisonniers  armés. 

a  On  fait  toujours  des  prisonniers,  malgré  mes  or- 
dres, »  disait-il  dans  lu  soirée  du  4.  Du  reste,  les  insur- 
gés comptaient  que  cette  loi  de  la  guerre  serait  appli- 
quée, car,  dans  plusieurs  réunions,  ces  paroles  revin- 
rent plusicui-s  fois  comme  objection  à  ceux  qui  se  mon- 
traient trop  ardents  :  «  Mais  si  on  nous  prend,  on  nous 
fusillera,  c'est  bien  certain.  » 

Il  y  a  eu  1 1 6  insurgés  lues  sur  place.  Beaucoup  sont 
morts  de  leurs  blessures  dans  les  hôpitaux.  On  peut 
évaluer  à  200  à  peu  près  le  nombre  de  leurs  blessé». 
Le  pouvoir  ne  compte  que  huit  individus  tués  comme 
simples  curieux.  On  a  revendiqué  ce  titre  pour  beau- 
coup, qui  malheureusement  avaient  un  autre  motif  que 
la  curiosité  pour  se  trouver  devant  les  soldats.  Dans  ce 
chiffre,  nous  ne  comprenons  pas  les  quelques  per- 
sonnes, victimes  infortunées,  qui  ont  été  atteintes  dans 
leurs  maisons  par  le  feu  des  insurgés  ou  par  celui  de 
la  troupe. 

Quant  au  nombre  des  prisonniers,  il  a  été  considé- 
rable dans  cette  journée,  ainsi  que  dans  celle  du  len- 
demain 5,  et  il  entre  pour  plus  de  moitié  dans  le  chiffre 
total  des  arrestations  politiques  faites  à  l'occasion  des 
événements  de  décembre.  Ce  chiffre  était,  au  20  jan- 
vier 1852,  do  2,133,  dont  210  représentants,  sur  les- 
quels 29  étaient  encore  à  Sainte-Pélagie. 

Mais  les  pertes  sur  lesquelles  doit  pleurer  la  France, 
,ce sonj  wUjH au]&^i  )rave  armée.  Dieu  merci. 


1212  HISTOIRE 

elles  ont  été  faibles  en  comparaison  des  résultats  obte- 
nus. Il  y  a  eu  25  tués,  dont  un  officier,  1 84  blessés, 
dont  17  officiers.  Le  chifTre  peu  élevé  des  tués  et  des 
blessés  dans  Tarmée  s'explique  par  la  rapidité  et  par  la 
résolution  avec  lesquelles  on  a  attaqué  et  combattu  par- 
tout. Officiers  et  soldats  ont  admirablement  fait  leur 
devoir.  L'armée  a  conquis  un  titre  de  plus  à  là  pecon- 
naissance  du  pays. 

Elle  a  été  ce  qu'elle  est  partout  devant  les  ennemis 
de  la  France,  brave,  énergique  et  admirable  de  disci- 
pline. Tous,  dans  la  solidarité  àt  danger,  ont  com- 
battu avec  cet  enthousiasme  qui  est  le  gage  assuré  de  la 
victoire. 

Nous  avons  dit  quels  sont  les  généraux  qui  comman- 
daient. Avec  de  tels  hommes  à  sa  tête,  Tarmée  avait  la 
foi  et  l'entraînement. 

Le  général  Magnan  a  justifié  la  confiance  que  lui  té- 
moignait le  ministre  en  lui  disant  :  «  Je  vous  laisse 
faire,  parce  que  je  vous  connais.  » 

Le  ministre  de  la  guerre  de  Saint-Arnaud  a  con- 
stamment dominé  la  situation  par  son  énergie,  sa  pré- 
voyance et  la  précision  de  ses  ordres.  11  s'est  montré 
digne  de  sa  réputation  ;  c'est  tout  dire.  L'homme  qui 
parlait  à  l'Assemblée,  comme  il  l'a  fait,  devait  parler 
aussi  à  l'insurrection  comme  il  vient  de  le  faire. 

Il  faut  signaler  encore  T infatigable  activité  de  M.  de 
Maupas,  préfet  de  police.  C'est  à  lui  qu'on  doit  d'avoir 
évité  des  malheurs  plus  grands.  Ainsi,  par  la  rapidité 
des  mesures  qu'il  a  prises,  il  a  empêché  les  insurgés 


D'UN  COUP  D'ÉTAT.  2)3 

de  couper  les  tuyaux  des  gazomètres.  II  a  constam- 
ment tenu  l'autorilé  militaire  au  courant  des  démar- 
ches e1  des  actes  de  l'insurrection.  M.  de  Maupas  a 
nionlré,dans  ces  fonctions  nouvelles  pour  lui,  une  liabi- 
Jeté  qui  n'a  d'égale  que  son  dévouement  à  la  cause  de 
l'ordre  et  au  prince  qui  en  est  la  représentation  si  émi- 

r  nente. 

Le  4  au  soir,  te  général  ministre  de  la  guerre  adres- 

'  Mit  cette  proclamation  à  l'armée  : 


PROCLAMATION. 


Solriats  ! 


Vous  avez  accompli  aujourd'hui  un  ^aod  acte  do  votre  vie  mili- 
taire. Vous  avez  préservé  le  pajs  de  l'anurchie,  du  pillage  et  sauvé  la 
République.  Vous  vous  êtes  roonlré»  ce  que  vous  serez  toujours, 
braves,  dévoués,  infatigables.  La  Fraoce  vous  admire  et  vous  remer- 
cie, l-e  Président  de  la  République  n'oubliera  jamais  voire  dévouement. 

La  victoire  ne  pouvait  être  douteuse  ;  le  vrai  peuple ,  les  honnêtes 
^Ds ,  sont  avec  vous. 

Dans  toutes  les  garnisons  de  la  France ,  vos  compagnons  d'armes 
•onl  fiers  de  vous  cl  suivraient  au  besoin  votre  exemple. 

Le  miniilri  di  ta  gutrrr, 

A-  i>E  Sal%t-Arnaiip, 

Un  mot  maintenant  sur  les  malheurs  privés,  ces  iné- 
vitables catastrophes  des  temps  de  révolution.  Certes, 
nous  ne  dissimulerons  pas  qu'il  y  a  eu  d'innocentes  et 
par  conséquent  de  bien  regrettables  victimes;  mais,  il 
faut  le  répéter  ici,  de  quel  droit,  en  définitive,  ferait- 
On  retomber  ces  malheurs  sur  l'autorité,  sur  la  force 
qui  défendait  l'ordre  social  î  Est-œ  is 


fui  4  HiSTOmBr 

n'étaient  pas  avertis?  Est-ce  que  la  sollicitude  du  pré* 
fet  de  police  et  du  ministre  de  \d^  guerre  n'avait  pas 
collé  ravertissement  à  chaque  muraille?  Les  curieux  et 
les  imprudents  n'avaient  plus  d'excuse,  aucune.  A  l'heure 
de  la  bataille,  que  faisaient  sur  les  boulevards  ces  grou- 
pes qui  se  prétendent,  inoffensifs?  Us  étaient  coupables 
d'y  être  ;  coupables,  parce  qu'en  y  étant,  ils  epcoura- 
geaient  les  insurgés  et  gênaient  l'action  des.  défenseurs 
de  la  société  ;  coupables  surtout,  parce  que,  sans  motif 
sérieux,  ils  exposaient  leurs  jours,  qui  appartiennent  à 
Dieu,  à  la  patrie,  à  leurs  familles.  Tout  des  premiers, 
nous  pleurons  sur  ces  victimes;  mais  nous  repoussons 
de  toutes  nos  forces  la  responsabilité  qu'on  voudrait 
déplacer.  De  toute  l'énergie  de  nos  convictions,  et  après 
enquête,  nous  repoussons  aussi  les  allégations  de  cruauté, 
de  férocité,  que  la  rage  expirante  et  lâche  des  partis 
vaincus  a  voulu  jeter  à  notre  brave  armée.  Il  y  a  eu 
quelques  erreurs,  c'était  inévitable,  mais  nos  soldats 
n'ont  pas  dégénéré.  Ils  sont  toujours  ce  que  l'Europe 
les  a  VUS'  partout,  indomptables  au  combat,  humains 
dans  la  victoire.  Qu*Dn  le  demande  à  tous  ces  prison- 
niers, que  l'ordre  du  ministre  commandait  de  fusiller, 
ainsi  que  nous  l'avons  dit ,  et  que  les  soldats  ont 
épargnés. 

L'insurrection  de  Paris,  nous  le  disions  en  commen- 
çant, est  une  honte  de  plus  au  front  des  partis.  Le  peiH 
pie,  le  véritable  peuple,  y  est  resté  étranger  ;  ce  n'qrt 
pas  la  main  de  l'ouvrier  qui  a  construit  les  barricaditt. 
Aux  Ârts-et-Métiers,  environ  cinquante  ou  soixapt^^ 


D'ITN  COUP  D'ETAT.  21S        H 

vriers  tailleurs  de  pierre  travaillaient  quand  arrivèrent       ] 
les  insurgés,  qui  voulurent  les  engager  à  construire  avec       I 
eux  des  barricades  ;  mais  les  ouvriers  résistèrent  et  me-       i 
nacèrent  de  se  servir  de  leurs  outils,  si  ou  insistait  da~        | 
vantage.  11  n'y  a  eu,  dans  cette  guerre  exécrable,  en        | 
tête  de  l'énicute,  que  des  chefs  de  parti,  des  hommes        1 
qui  jamais  n'ont  incline  leurs  ambitions,  leurs  intérêts 
égoïstes  devant  la  sainte  cause  de  la  patrie,  que  ces       I 
hommes  d'en  haut  et  d'en  bas,  que  le  privilège  ou  tes 
JDstincts  brutaux  avaient  envoyés  au  palais  Bourbon,  et 
>jqui;Comme  cela  arrive  trop  souvent  dans  les  assemblées, 
^égaraient  ou  opprimaient  la  partie  honnête  qui  y  sié- 
geait. 

Quant  aux  soldats  de  l'insurrection,  comme  on  peut 
fk'çn  convaincre  en  visitant  te  personnel  des  prisons, 
j^étâient  :  quelques  hommes  égarés,  à  Dieu  ne  plaise 
'qu'il  en  soit  autrement;  des  enfants,  des  jeunes  gens 
de  quinze  à  vingt  ans;  puis  tout  ce  qu'il  y  a  de  plus 
taré  dans  les  bas-fonds  sociaux  ;  les  affiliés  des  associa- 
tions secrètes,  les  frères  et  amis  des  vandales  de  Oa-  j 
mecy,  des  assassins  dePoligny;  les  repris  de  justice;  J 
les  forçats  libérés.  ] 

Nous  tenons  des  officiers  qui  ont  fait  le  service  dans'  ] 
les  forts  deBicètre  eld'lvryque  les  insurgés,  en  géné- 
ral, avaient  de  l'or  et  de  l'argent  en  grande  quantité. 
Os  jouaient  avec  des  pièces  de  vingt  francs.  Durant 
le  temps  de  leur  détention,  ils  ont  pu  se  procurer,  tant 
qu'ils  ont  voulu ,  des  vêtements ,  des  vivres ,  tout  ce  qui 
pouvait  adoucir  matériellemenl  leur  captivité.  Cepen- 


2\t  fflSTOIRE  D'UN  œUP  D*ÉTAT. 

dant  il  faut  rendre  à  l'autorité  cette  justice ,  que  les 
prisonniers ,  dans  les  forts  comme  partout ,  dans  les 
maisons  d'arrêt  de  Paris,  ont  constamment  été  traités 
avec  rhumanitë  la  plus  grande. 

Tous  les  jours  ils  avaient  du  vin ,  les  soldats  n'en  ont 
qu'accidentellement.  Quant  à  la  nourriture ,  elle  était 
meilleure  que  celle  de  ces  derniers;  les  casemates 
étaient  chauffées.  Chaque  matin ,  un  capitaine  de  ronde 
visitait  les  prisonniers  et  recevait  les  réclamations  qu'ils 
adressaient ,  par  la  bouche  de  deux  délégués  choisis , 
par  eux-mêmes ,  dans  chaque  casemate.  Le  pouvoir  a 
montré  autant  de  modération  après  la  victoire  que 
d'énergie  pendant  la  lutte.  Et  à  l'instant  où  nous  écri- 
vons ces  lignes,  nous  avons  la  certitude  que  les  rigueurs 
de  la  répression  seront  singulièrement  adoucies  par  la 
clémence.  Cette  vertu  est  toujours  la  compagne  de  la 
puissance  et  de  la  véritable  force.  Cette  vérité  est  par- 
tout :  c'est  une  loi  universelle. 


IV 


zvsuB&acnow  DAin  ubs  j^èpab: 


CONSPIRATEURS  ET  SOCIÉTÉS  SECRÈTES. 


La  lutte  sacrilège  des  partis  contre  la  société  n'était 
pas  encore  terminée  dans  Paris ,  que  déjà  la  démagogie 
socialiste  ensanglantait  nos  départements.  Avant  de  faire 
le  récit  des  horreurs  qu'elle  y  a  commises ,  nous  devons 
entrer  dans  quelques  considérations  générales. 

L'histoire  des  conspirations  et  des  sociétés  secrètes , 
en  France ,  depuis  1 81 5,  présente  trois  phases  distinctes 
et  caractéristiques ,  quant  à  leur  but  et  à  leurs  moyens 
d'action. 

Elles  visent  :  sous  la  Restauration ,  à  renverser  les 
Bourbons  ;  sous  la  branche  cadette  ^  à  renverser  la  mo- 
narchie ;  sous  la  République ,  à  renverser  l'ordre  social. 


2i8  HISTOIRE 

Ainsi;  de  1820,  époque  des  premières  conspirations 
organisées,  à  1851,  époque  de  la  dernière  levée  de 
boucliers  des  doctrines  socialistes ,  le  but  s'est  prodigieu- 
sement agrandi  :  impossible  d'aller  plus  loin ,  du  moins 
à  notre  sens.  A  quoi  les  démolisseurs  pourraient-ils 
s'attaquer,  en  supposant  qu'ils  eussent  atteint  leur  but 
de  renversement?  Nous  allons  suivre  pas  à  pas,  tout  en 
étant  fort  bref,  la  marche  de  cette  lèpre  sociale. 

L'empire  avait  tellement  familiarisé  l'esprit  français 
avec  le  principe  d'autorité ,  cette  base  indispensable  de 
tout  édifice  social,  qu'après  sa  chute,  sous  les  Bourbons, 
les  conspirateurs  et  les  sociétés  secrètes  n'osaient  pas  atta- 
quer ce  principe  en  lui-même.  Ainsi ,  la  Charbonnerie, 
venue  après  la  société  des  Amis  de  ta  vérité ,  qui  fut 
promptement  dissoute ,  la  Charbonnerie  ne  songeait  à 
rien  moins  qu'à  la  République.  Renverser  lesBouii)ons 
était  un  but  commun  qui  réunissait  les  impérialistes  et 
leslibéraux.  Les  premiers ,  qui  voulaient  revenir  à  l'em- 
pire par  Napoléon  II  ;  les  seconds ,  qui  voulaient  faire 
prédominer  la  puissance  du  pouvoir  parlemeotaicp  ; 
ces  derniers  étaient  les  ambitieux  et  Le$  dupes  de  4)réa^ 
tion  constitutionnelle.  Quant  au  personnel,  il  fut  k^ 
naen^.  LesafBlite  couvrirent  la  France  d'un  vaste  réseau 
^ui  se  déchira  m  deux  catastrophes  :  la  mort  djes  ^r^ 
geuts  de  Lia  Rochelle  et  celle  dju  général  Berton.  La 
Charbonnerie  reçut  un  coup  dont  elle  ne  se  releva  p9S« 
A  cette  époque ,  ou  trouve  déjà  ce  noyau  de  con^i- 
rateurs  de  métier,  qui ,  sans  avoir  aucune  idée  poU^ 
tique,  GQA^reut  par  moaDmanie»  et  q/jà  viendroot 


D'I'N  COUP  D'êTAT.  2(9 

jusqu'il  nos.  jours ,  ■véritables  mouches  du  coche  de  tous 
les  complots  et  de  toutes  les  conjurations  quelles  qu'elles 
soient.  Jueque-ià ,  ce  qu'on  nomme  le  peuple  est  étran- 
ger auï  conspirations,  aux  sociétés secrèlcF.  La  conspi- 
ration parlementaire  ou  libérale  succMa  à  la  Charboti- 
m- rie  sous  le  nom  de  société  .4  ide-toi. 

Apr^'s  1 830 ,  sous  Louis-Philippe,  on  s'attaque  direc- 
tement au  principe  d'autorité  :  on  veut  renverser  la 
(Qonarchie  et  arriver  à  la  République.  Les  libéraux, 
fondateurs  du  gouvernement  de  1830,  et  pères  de  sa 
Charte  constitutionnelle,  sont  dépassés.  Des  sociétés 
«ecrètes  de  toutes  sortes  se  forment  sous  une  foule  de 
dénominations,  mais  toujours  avec  le  même  état-niajor 
<lc  conspirateurs.  On  les  voit  fonder  tour  à  tour  les  so- 
ciété des  Ami^  du  petiph ,  des  Droits  de  Vhorrtmç ,  celleï 
des  FamiUes,  des  Saisons,  des  yottveUes-Saisons. 

Des  émeutes  dans  Paris,  à  Lyon,  à  Lille,  réprimées 
par  la  force  publique;  plusieurs  tentatives  d'assassinat 
9Ur  la  personne  du  roi  et  des  princes;  beaucoup  de 
fracas  et  nombre  de  condamnations  devant  la  justice  ; 
tel  est  le  bilan  de  ces  sociétés ,  que  la  police  et  les  lois 
de  septembre  avaient  à  peu  près  mises  à  néant  dans  les 
dernières  années  du  règne  de  Louis-Philippe. 

Là  n'était  pas  le  danger  sérieux.  La  police  avait  sans 
cesse  l'œil  et  la  main  au  milieu  de  ces  habiles  conspi- 
rateurs, et  les  prenait  quand  bon  lui  semblait.  Il  ne 
feut  se  faire  d'illusions  ni  sur  ta  puiss^mce ,  ni  sur  la 
taleur  politique  de  ces  hommes  de  la  veille.  Le  peuple  , 
proprement  dit ,  n'était  pas  avec  eux.  Ces  conspirateurs, 


1 


220  HISTOIRE 

qui,  du  reste,  l'ont  bien  prouvé  après  la  surprise  de 
février,  voulaient  la  République  pour  en  être  les  maîtres. 
Quant  au  peuple ,  peu  lui  importait  ces  ambitieux  qui 
n'avaient  pas  encore  trouvé  le  secret  de  parler  à  ses 
instincts  et  à  ses  convoitises. 

Ce  fut  dans  les  dernières  années  de  ce  règne  qu'appa- 
rurent les  prédicateurs  du  socialisme;  ils  se  posèrent  en 
apôtres.  Reprenant^  avec  un  art  infini,  toutes  les  vieilles 
idées  des  prétendus  réformateurs,  ils  prêchèrent  ces 
doctrines  désolantes  de  communisme,  qui,  parmi  les 
ouvriers  honnêtes,  firent  une  foule  de  dupes,  et  furent 
accueillies  avec  enthousiasme  par  toute  l'écume  sociale 
de  fainéants,  d'incapables  et  de  coquins. 

Quand  février  arriva,  ces  idées  fermentaient  déjà  dans 
les  bas-fonds  delà  société.  Quelques  hommes  du  gou- 
vernement provisoire  se  crurent  intéressés  à  les  pro- 
pager. Louis  Blanc  ouvrit  au  Luxembourg  cette  nouvelle 
boite  de  Pandore ,  si  riche  de  calamités  sociales.  On 
sait  les  théories  qu'il  y  développa.  Pour  les  théories  en 
elles^-mêmes,  il  n'y  croyait  guère  ;  mais  il  comptait  se 
faire  un  piédestal  populaire  et  assurer  sa  puissance  sur 
les  masses.  Tous  ceux  à  peu  près  qui  furent  admis 
dans  cette  enceintese  posèrent  en  régénérateurs  sociaux, 
se  mirent  à  l'œuvre  ,  prenant  ou  feignant  de  prendre 
au  sérieux  leur  besogne. 

Passerons-nous  en  revue  toutes  les  théories  insen- 
sées qui  furent  prêchées?  Ce  fut  une  véritable  avalan- 
che de  principes  subversifs.  On  franchit  d'un  bond  les 
vieilleries  de  Fourrier,  de  Cabet  et  consorts,  pour  arri- 


D'UN  COUP  D'ETAT.  221 

ver  d'emblée  aux  doctrines  de  Proudhon,  ie  grand  dé- 
molisseur. Nier  tout,  voilà  sa  théorie;  tout  détruire, 
c'en  est  l'applicalion.  Plus  de  Dieu,  chacun  oroit,  pra- 
tique à  sa  guise  ;  peu  importe,  du  reste,  cette  chose  su- 
rannée. Plus  de  propriété,  c'est  le  vol.  Plus  de  gouver- 
nement quelconque,  c'est  l'oppression  du  libre  arbitre 
humain,  fait  pour  agir  sans  frein,  sans  régie,  suivant 
son  bon  plaisir,  et  qui  n'a  pas  uième  le  droit  de  délé- 
guer à  la  société  la  souveraineté  naturelle  dont  il  est 
investi. 

Proudhon  se  prend- il  au  sérieux  ?  est-il  vraiment  de 
bonne  foi  ?  ou  bien  plutôt,  infernal  génie,  ne  jette-t-il 
pas  un  immense  et  atroce  éclat  de  nrc  à  cette  horde  de 
dupes  qu'il  a  faites? 

Quoi  qu'il  en  soit,  ces  abominables  doctrines  sont 
prèchées ,  colportées  partout.  Les  mille  voix  de  la 
presse  les  crient  dans  nos  cités,  dans  nos  campagnes. 
Les  libelles,  les  almanachs  populaires,  les  feuilles  dé- 
magogiques, les  présentent  sous  toutes  les  formes. 

Il  s'agit  bien  de  politique  aujourd'hui  et  de  tel  ou  tel 
gouvernement  à  renverser  !  Il  s'agit  de  saper  par  le  pied 
et  de  jeter  dans  le  gouffre  du  socialisme  tout  ce  qui 
forme  les  bases  de  l'ordre  social  :  religion,  pouvoir,  fa- 
mille, propriété.  Pour  résumer  l'enseignement  en  un 
mot  :  tout  cela,  c'est  le  vol.  A  la  brute  humaine  main- 
tenant, au  nom  de  ses  appétits  et  de  ses  convoitises,  à 
courir  sus  à  tout  ce  qui  lui  fait  obstacle,  à  tout  ce  qui 
lui  offre  la  perspective  d'un  intérêt  à  satisfaire,  d'une 
jouissance  à  assouvir. 


281  HISTOIRE 

Ce  n^est  plus  à  la  passion  politique  toute  seule  qu'on 
s'adresse  ;  on  \a  d'emblée  à  toutes  les  passions  mau- 
vaises. On  commence  par  proclamer  la  toute-puissance 
du  moi  humarn,  eft  par  faire,  de  chacun  des  adeptes, 
un  démon  d'orgueil  qui  nie  Dieu  et  toute  vérité.  Tout 
oe  qu'il  y  a  dans  la  société  de  gens  tarés,  perdus  de 
dettes,  frappés  de  condamnations,  arrive  avec  ardeur 
sous  le  drapeau  du  socialisme  ;  puis,  tous  les  mécon- 
tents, tous  les  avides  que  la  révolution  de  Février  n*a 
pu  assouvir  ;  tous  les  incapables  que  l'ambition  a  jetés 
hors  de  leur  sphère  ;  tous  les  paresseux  qui  attendent 
du  hasard  leur  pain  quotidien  sur  le  pavé  des  rues; 
tout  cela  y  arrive  aussi.  Tous  les  vieux  conspirateurs  qui 
se  croyaient  de  futurs  ministres,  et  qui  ont  été,  comme 
ils  disent,  volés  par  les  habiles,  viennent  apporter  leur 
vieille  expérience  et  le  contingent  des  estaminets  qu'ils 
fréquentent^ 

Tel  est  l'état-nmjor  des  nouvelles  sociétés  secrètes, 
ayant  à  sa  tète  les  représentants  rouges  de  l'Assemblée 
et  tous  les  rédacteurs  des  feuilles  populaires  qui  n'ap- 
partiennent pas  à  la  police. 

La  foule  des  dupes  vient  après,  sous  le  drapeau  do 
droit  au  travail,  de  l'organisation  des  salaires  et  de  l'af* 
franchissement  dos  patrons.  La  capitale  fournit  un  im- 
mense contingent  d'hommes  abusés  par  les  théories 
creuses,  par  les  idées  insensées,  et  qui,  tous,  plus  ou 
moins,  oublient  leur  travail  pour  faire  de  la  propagande, 
se  croyant  ^pelés  à  régénérer  la  société  et  le  monde. 

Chaque  ville  de  province  a  son  journal  ou  Ms  jMur** 


D'UN  COUP  D'ÉTAT.  XU 

uaux  déniagogiques,  autour  desquels  gravitent  les  es- 
prits forts  (Je  l'endroit,  les  docteurs  d'estaniinel,  les 
membres  des  sociétés  maçonniques,  les  anciens  abon- 
née de  la  Réforme,  les  correspondantK  des  conuuis- 
voyageurs  des  anciennes  sociétés  secrètes,  qui  tous, 
pour  rester  fidèles  à  leurs  traditions  d'opposilîon,  s'en- 
rôlent dans  des  afBlialions  socialistes.  Nous  descendons 
peut-être  dans  des  détails  infimes,  mais  nous  voulons 
élre  vrais.  Dans  chaque  ville,  ces  hommes  constituent  une 
imperceptible  minorité,  mais  ils  enrôlent  leurs  ouvriers, 
s'ils  en  occupent,  ceux  des  autres  en  buvaut  avec  eux. 
Le  tout  réuni  suint  pour  Taire  la  clieaLèle  de  quelques 
avocats,  de  quelques  médecins,  de  quelques  hommes 
plus  inslruils,  qui,  avec  les  jomnaliâtes  du  lieu  et  les 
représentants  montagnards,  devienneot  les  souunitës 
du  parli. 

Dans  chaque  ville,  onse  constitue  en  comité  central, 
corrct^ndant  avec  les  socialisles  des  localités  de  moin- 
dre importance.  On  répand  les  journaux,  Jesbrocliures, 
les  almanachs.  On  parcourt  les  caoipagu«&,  on  prêche 
sur  tous  les  tons  et  par  tous  les  modes  la  doctrine  nou- 
velle, qui  se  résume,  en  fm  de  compte,  pour  le  grand 
aombre,  par  ces  mots  :  La  propriété,  c'est  te  vol! 

Les  meneurs,  pour  leur  compte,  espèrent  que  la 
lourmenlc  sociale  les  portera  aux  premiers  grades  de 
l'égalité  future,  et  leur  donnera  la  part  du  lion  dans  le 
partage  universel.  C'est  atroce  et  c'est  risible  i 

Dans  une  foule  de  départements,  comme  à  Paru,  Jt 
doctriae  se  traduit  en  un  seul  mot,  celui  d'arisio,  qu'on 


224  HISTOIRE 

applique  au  patron,  au  propriétaire,  à  l'homme  qui  a 
un  habit,  une  voiture.  Celui-là  est  un  ennemi  marqué 
pour  1852.  Pourtant,  nous  convenons  que  dans  les 
villes  la  masse  un  peu  éclairée  ne  montre  pas  cette  fé- 
rocité. On  trouve  ce  sentiment  dans  les  bas-fonds  so- 
ciaux, chez  les  coquins  qui  vivent  de  vol  et  de  brigan« 
dage  ;  puis,  il  faut  Tavouer,  chez  ce  qui  est  ignorant. 
La  Jacquerie  des  départements  Ta  prouvé  :  rien  n'est  fé- 
roce comme  l'ignorance. 

Lqs  sociétés  secrètes  ont  leur  (entre  à  Paris.  C'est  le 
Comité  des  RéftigiéSy  Y  Union  des  Communes ^  le  Comité 
central  de  Résistance. 

Paris  correspond  directement  avec  le  Nord  et  le 
Centre.  L'Est  tout  entier  avec  Lyon,  qui  reçoit  le  mot 
d'ordre  de  Paris  et  le  communique.  Il  y  a  dans  cette 
seconde  capitale  de  la  France  une  foule  de  sociétés 
communistes  dissimulées  sous  un  but  philanthropique, 
puis  d'autres  qui  sont  ou  qui  croient  être  complète- 
ment ignorées.  Nous  prenons,  dans  le  Constitutionnel 
du  17  décembre  1851,  le  passage  suivant  : 

«  Toutes  les  sociétés  secrètes  se  recrutaient  par  les 
moyens  ordinaires  de  l'embauchage;  maison  n'était 
reçu  dans  leur  sein  qu'après  un  interrogatoire  et  une 
cérémonie  spéciale.  Voici,  sauf  quelques  variantes,  la 
forme  habituelle  de  l'initiation  : 

«  L'initié,  les  yeux  bandés,  est  placé  à  genoux  sur 
deux  couteaux  en  croix  et  sur  deux  pièces  de  5  fr., 
et  le  dialogue  suivant  s'engage  entre  lui  et  l'initiateur  : 


D'UN  œUP  D'ÉTAT.  225 

«  Désires-tu  être  affilié  à  la  société?  —  Oui. 

«  Promets-tu  de  ne  jamais  révéler  ses  secrets?  —  Je 
«  le  promets. 

«  Jures-tu  d'obéir  à  tous  les  ordres  qui  te  seront  don- 
«  nés,  lors  même  qu'ils  te  commanderaient  de  tuer  ton 
«  semblable?  —  Je  le  jure. 

«  Que  sens-tu  sous  tes  mains?  —  Je  sens  deux  cou- 
«  teaux  et  deux  pièces  de  5  fr. 

<x  Ces  objets  sont  placés  là  pour  t'apprendre  que  si 
«  l'appât  de  l'argent  t'engageait  à  trahir  la  société,  elle 
«  t'en  punirait  par  la  mort.  » 

«  En  ce  moment,  on  débande  les  yeux  du  récipien- 
daire, et  deux  anciens  affiliés,  saisissant  les  couteaux, 
les  brandissent  sur  sa  tête  en  disant  :  «Oui,  le  frère  qui 
«  vendrait  nos  secrets  mériterait  la  mort,  et  nous  la  lui 
«  ferions  subir.  » 

«  Une  autre  formule  d*initiation,  plus  sauvage  en- 
core, a  été  trouvée  lors  d'une  perquisition  faite  dans  le 
canton  de  Valence.  La  voici  : 

«  Je  jure  sur  ces  armes  ^  symbole  de  l'honneur,  de 
c  servir  la  république  démocratique  et  sociale,  et  de 
c  mourir  pour  elle  s'il  le  faut.  Je  jure,  en  outre,  haine 
c  à  outrance  à  tous  les  rois  et  à  tous  les  royalistes,  et 
€  que  mes  entrailles  deviennent  plutôt  la  pâture  des 
«  bétes  féroces  que  de  jamais  faillir  à  mon  serment  ! 
«  Je  le  jure  trois  fois,  au  nom  du  Christ  rédempteur. 

c  Je  jure  sur  mon  honneur,  au  nom  de  la  sainte 
«  cause  pour  laquelle  je  viens  d'être  reçu,  de  marcher 
«  en  tout  lieu  avec  mes  frères  de  la  Montagne,  prêter 


HISTOIRE 

«  aide  et  assistance  à  tous  l'es  démocrates.  Je  le  jure 
«  tfeis  fois,  au  nom  du  Christ  rédempteur.  » 

a  Plus  bas  se  lisent  ces  mots  : 

c(  Je  te  baptise,  enfant  de  la  Montagne.  » 

«  Voici  l'interrogatoire  que  subissait  préalablement 
le  candidat  : 

c(  Dis-moi,  citoyen,  quelles  sont  les  raisons  qui  t'a*- 
«  mènent  ici  ?  —  Dis-moi,  citoyen,  on  m'a  dit  que  tu 
€  m'avais  dénoncé  à  la  justice ,  est-ce  vrai  ?  — Mainte- 
a  nant  que  tu  as  les  yeux  bandés  et  les  mains  attachées 
a  derrière  le  dos,  nou&  sommes  maîtres  de  toi;  mais 
a  nous  voulons  avant  t' examiner.  Si ,  par  exemple, 
a  ton  frère  ou  ton  père  ne  se  trouvaient  ps^  de  too  parti, 
a  te  vengerais-tu?  —  Leur  tirerais-tu  dessus?  —  Cela 
c  ne  te  semblerait-il  pas  pénible  à  faire?  —  Mainte- 
ce  nant,  on  nous  dit  que  le  préfet  fait  circuler  des  listes 
0  pour  la  prolongation  de  la  présidence.  Les  signerai»- 
a  tu?  —  S'il  te  fallait  prendre  le§  armes  pour  la  répi»- 
€  blique,  les  prendrais-tu  ?  —  Tu  veux  donc  être  répu- 
«  Uicain?  —  Il  nous  faut  ton  sang?  » 

a  Des  signes  particuliers  de  reconnaissance  existent 
entre  les  affiliés  appartenant  à  une  même  société  se- 
crète. Ils  consistent  ou  dans  la  manière  de  saluer  en 
s'abordanl,  ou  dans  des  signaux  d'avertissement.  Ainsi, 
dans  la  société  de  la  Jeune-Montagne,  dont  plusieurs 
membres  ont  comparu  devant  le  conseil  de  guerre  de 
Lyon,  un  membre  qui  en  rencontre  un  autre  demande  : 
L'heure?  —  L'autre  répond  :  Sonnée!  —  Le  premier 


D'UN  COUP  D'ÉTAT.  »7 

reprend  ;  Nouvelle^  —  On  doit  lui  répondre  :  Mon" 
iagnel 

a  Une  société  secrète  de  la  Drôme  avait,  il  y  a  deux 
ans,  pour  mot  de  passe  :  Attention!  courage!  Drôme! 
Depuis  l'avortement  du  complot  de  Lyon,  ce  mot  de 
passe  a  été,  à  ce  qu'il  parait,  changé,  et  remplacé  par 
le  mot  :  Marianne.  Dans  les  sociétés  secrètes  établies  à 
Montpellier  et  dans  les  localités  voisines,  le  signe  de 
reconnaissance  était  :  D.  Connaissez-vous  la  mère  Ma- 
rianne ?  —  R.  Oui,  elle  a  du  bon  vin. 

a  Ce  mot  de  Marianne  et  l'expression  de  boire  à  la 
9anté  de  Marianne  se  sont  également  trouvés  tout  ré- 
cemment dans  des  papiers  importants,  saisis  dans  la 
Seine-Inférieure.  On  a  tout  lieu  de  croire  que  ce  mot 
de  Marianne^  trouvé  simultanément  aux  points  les  plus 
éloignés  du  territoire,  au  nord,  au  midi  et  dans  l'ouest, 
et  qui  était  évidemment  le  signal  de  ralliement  de  toutes 
les  sociétés  secrètes  disséminées  en  France,  était  la  tra- 
duction mystique  des  mots  :  République  démocratique 
et  sociale.  C'était  le  mot  de  passe  de  l'insurrection  gé- 
nérale organisée  pour  1852. 

CUCUEVAL-OUUUGXY.  » 

M.  Corbin,  procureur  général  à  Bourges,  s'exprimait 
ainsi  le  2  novembre  dernier,  dans  son  magnifique  dis- 
cours de  rentrée  : 

«  R  a  été  beaucoup  parlé  de  ces  sociétés.  Messieurs  ; 
et,  pour  l'édification  du  public,  il  esta  propos  de  met- 
tre une  fois  pour  toutes  en  scène  ces  initiations,  dans 


«28  HISTOIRE 

lesquelles  le  grotesque  le  dispute  à  l'atroce  :  parodies 
du  moyen  âge,  dont  il  faut  juger  sans  rire  et  comme 
d'une  des  plus  terribles  réalités  de  notre  époque.  A 
demi  vaincues,  dès  que  le  jour  les  pénètre,  elles  ne 
sont  pas  moins  l'instrument  le  plus  sûr  des  agitations 
factieuses,  le  foyer  de  tous  les  ferments  anarchiques,  le 
puissant  véhicule  des  excitations  révolutionnaires. 

«  Là  se  lit  en  commun  et  se  savoure  tout  ce  que  la 
presse  clandestine  vomit  de  plus  infâme  ;  là  se  fredon- 
nent d'atroces  refrains  en  l'honneur  de  la  guillotine  et 
de  ses  héros;  c'est  là  qu'après  boire,  et  entre  frères,  on 
se  promet,  qui  le  château,  les  prés,  les  bois,  qui  la  tête 
du  riche  ou  du  bourgeois  voisin.  Là  tout  est  mystère, 
parce  que  ne  s'y  élaborent  que  des  pensées  suspectes  et 
des  desseins  coupables. 

a  Au  mystère  se  Joint  l'intimidation,  quand  il  faut  af- 
filier quelque  adepte ,  par  l'appareil  de  certains  em- 
blèmes et  de  certaines  formes  combinées  pour  saisir 
vivement  les  imaginations ,  et  donner  à  l'égarement  qui 
jure  la  lâcheté  pour  caution. 

c(  C'est  là  dans  le  silence  des  nuits,  au  fond  de  quelque 
bouge,  cabaret,  tabagie,  tapis-franc,  au  coin  d'un  bois 
ou  sur  la  lande  déserte,  qu'ont  comparu  tant  d'ouvriers 
ou  de  malheureux  paysans  circonvenus  par  d'insi- 
dieuses promesses  ou  d'audacieux  mensonges  ;  c'est  là 
que,  tremblants  d'abord,  le  bandeau  sur  les  yeux,  s'en- 
gageant  sans  savoir  sur  des  questions  qu'ils  ne  com- 
prennent pas,  ils  en  viennent  à  ces  serments  horribles, 
qui  ne  sont  que  blasphèmes  et  souillures  que  la  bouche 


D'UN  COUP  D'ÉTAT.  229 

balbutie  sans  qu'un  cœur  d'homme  puisse  en  accepter 
la  loi. 

«Et  pourtant  les  voilà  qui  jurent,  la  main  sur  le 
poignard  !  On  leur  a  dit  :  Tu  seras  à  nous,  à  la  vie,  à  la 
mort;  tu  renieras  ton  père,  ta  mère,  ta  femme  et  tes 
enfants,  et  vive  la  République  démocratique  et  sociale  ! 
Et  ils  ont  dit  :  Oui!...  Les  insensés!...  Puis,  quand  le 
bandeau  s'abaisse ,  fusils  et  baïonnettes  menacent  leur 
poitrine.  Ils  ont  juré!  tout  est  dit,  l'insurrection  les 
compte  parmi  ses  fidèles  !  » 

Ces  paroles  étaient  malheureusement  l'expression  de 
la  vérité,  et  les  horribles  scènes  que  nous  avons  à  ra- 
conter en  ont  fourni  la  preuve  à  la  France. 

Le  mal  était  aussi  grand  dans  l'apathie  des  bons  que 
dans  la  perversité  des  méchants,  et  si  l'acte  de  salut 
du  2  décembre  ne  fût  pas  venu  déjouer  ces  horribles 
projets  ajournés  à  1852,  un  affreux  réveil  eût  surpris 
cette  société  engourdie  dans  son  indolente  quiétude. 

La  prise  d'armes  du  socialisme  et  de  la  barbarie 
devait  être  générale  ;  sur  tous  les  points  de  la  France  à 
la  fois,  on  devait  se  lever  et  massacrer.  Qu'on  ne  dise 
pas  que  c'est  un  nouveau  spectre  rouge  que  nous  évo- 
quons. L'auteur  du  premier  qu'on  a  tant  accusé  était 
un  prophète.  On  le  sait  aujourd'hui.  Qu'on  ne  nous 
accuse  pas  d'exagération.  Dans  les  pièces,  dans  les  cor- 
re8jK)ndances  saisies ,  on  voit  partout  l'organisation  de 
la  nouvelle  terreur.  Ceux  qu'on  nomme  les  blancs,  et 
on  nomme  ainsi  tous  ceux  qui  ne  sont  pas  rouges,  sont 
désignés  pour  le  massacre.  «  Veillez  sur  eux,  est-il  dit 

15 


230  HlSTOmE 

de  vingt,  façons  différentes,  pour  qu'au  grand  jour,  i 
n'échappent  pas  h  la  vengeance  du  peuple  et  qu'ils  w 
puissent  pas  de  nouveau  museler  sa  victoire.  »  Partout 
on  parle  de  la  guillotine.  Voici  un  passage  d'une  des 
pièces  saisies  : 

«  Le  13  mai  1852  sera  le  jour  palingénésique  des 
nations  ou  le  dernier  de  notre  existence.  Ce  jour^ 
là ,  le  peuple  frappera  le  dernier  coup  y  qui  doit  ré- 
duire en  poussière  ces  trônes  vermoulus  que  le  ciel 
permet  à  l'homme  d'élever  pour  lui  apprendre  à  chérir 
la  liberté.  Ils  combattix>nt  à  nos  côtés,  les  orphelins  et 
les  veuves  de  nos  frères ,  lâchement  assassinés  sur  les 
barricades  de  juin.  Les  tètes  de  Lahr  et  de  Daix  (les 
meurtriers  du  général  de  Bréa) ,  seront  nos  discours. 
De  la  mitraille  et  des  pavés,  voilà  notre  pétition.  La  ré- 
surrection de  l'humanité  en  sera  le  texte  ;  notre  plan, 
le  fer  vengeur  de  la  liberté.  » 

Est-ce  donc  à  désespérer  de  notre  France ,  grand 
Dieu  !  et  le  peuple  est-il  aussi  profondément  gangrené 
que  ce  tableau  tendrait  à  le  faire  croire?  Grâce  au 
ciel,  il  n'en  est  pas  ainsi;  les  dupes  sont  en  majorité, 
les  meneurs  et  les  scélérats  du  parti  ne  constituent 
qu'une  infime  minorité,  imperceptible  sur  le  sol  de 
notre  France.  Un  moment  d'erreur ,  de  vertige  ,  a  pu 
entraîner  des  populations  paisibles  ;  mais  le  jour  de  se 
compter  venu ,  dans  le  chiffre  de  ceux  qui  voteront 
contre  le  sauveur  de  la  patrie ,  nous  n'aurons  qu'en 
bien  petit  nombre  les  scélérats  de  1852.  Il  y  a  dans  ce 
chiffre  des  légitimistes  entêtés,  des  orléanistes  quand 


D'UN  œUP  D'ÉTAT.  «34 

même ,  des  républicains  avancés  mais  honnêtes  ;  restera 
donc,  pour  les  meneurs  et  pour  les  bandits  de  la  sociale , 
l'effectif  qu'on  rencontre,  dans  les  jours  d'émeute,  aux 
barricades  :  armée  lâche  et  cruelle,  acquise  par  avance 
à  tout  ce  qui  veut  renverser  et  détruire  ;  troupe  sans 
cesse  au  guet  pour  prendre  traîtreusement  la  société  à 
la  gorge. 

Et  ces  gens-là  se  prétendent  le  peuple  !  En  effet,  c'est 
oe  peuple  souverain  qui  hurle  dans  les  cités  aux  jours 
d'insurrection  ;  qui ,  quand  un  pouvoir  ne  se  défend 
pas ,  assassine  ses  soldats  et  pille  ses  palais.  C'est  cette 
tourbe  affreuse  qui  promène  ses  orgies  dans  nos  rues 
et^qui  met  sa  tyrannie  débraillée  au-dessus  du  droit  de 
trente  millions  d'hommes.  C'est  elle  qui  parle  au  nom 
du  peuple  et  qui,  pour  arguments  suprêmes,  a  les  pavés 
d'abord,  et  aurait  la  guillotine  si  on  la  laissait  faire. 

Qu'on  ne  se  tromp^as  sur  notre  pensée.  Cette  af- 
freuse populace  n'a  point  dans  ses  rangs  la  classe  ouvrière, 
que  nous  respectons  et  aimons,  parce  qu'elle  est  la  sève 
de  la  nation  et  la  source  de  sa  prospérité  ;  mais  elle  a 
à  sa  tète,  et  c'est  honteux  à  dire ,  les  tribuns  démago- 
gues, les  ambitieux  de  la  rouge ,  les  forcenés  de  la  so- 
ciale, et  tous  ces  honteux  conspirateurs  de  la  veille, 
qui,  volontiers,  se  servent  d'elle  pour  leurs  desseins 
ambitieux,  qui  la  flattent  et  la  nomment  le  peuple.  Elle 
a  eu  pour  l'encourager  et  la  payer,  dans  Paris,  certains 
hommes  des  vieux  partis,  qui  croyaient  que  1852  pou- 
vait ramener  1815. 

Simples  et  bons  habitants  des  campagnes ,  ah  !  n'é- 


232  HISTOIRE 

garez  plus  vos  sympathies  à  la  suite  de  ces  hommes  ; 
sachez-le  bien  ;  vous  ne  le  savez  que  trop  aujourd'hui^ 
ce  qu'ils  vous  prêchent,  c'est  la  ruine  après  le  déshon- 
neur. Ayez  l'orgueil  de  votre  noble  profession.  Restez 
fidèles  à  vos  croyances  et  à  vos  principes  héréditaires; 
car  ces  nouveaux  apôtres  ne  sont  que  des  prédicateurs 
de  mensonge. 

Les  plus  horribles  forfaits  ont  signalé  la  guerre  que 
le  socialisme  vient  de  faire  à  la  société.  On  a  égorgé 
des  prêtres  ;  on  a  profané  des  églises  ;  on  s'est  porté, 
sur  des  femmes  et  sur  de  pauvres  jeunes  filles,  à  des 
atrocités  qu'un  procureur  général  n'ose  pas  dire,  même 
sur  la  tombe  des  victimes.  On  a  commis ,  en  France, 
ce  que  les  Vandales  commettaient  en  Afrique,  et  ce 
qui  a  valu  à  ce  peuple  exécrable  de  léguer  son  nom  y 
comme  l'injure  des  siècles,  à  tout  ce  qui  est  barbare, 
cruel  et  dévastateur.  Nous  nous  trompons,  «les  Van- 
dales n'insultaient  pas  les  femmes,  »  dit  l'évêque  Victor 
de  Vite,  rhisloricn  de  leurs  atrocités.  De  plus,  ils  étaient 
en  pays  étranger  ;  et  ce  que  nous  avons  à  raconter,  ce 
sont  des  Français  qui  l'ont  commis  en  France. 

Chose  bien  remarquable,  et  qui  prouve  péremptoi- 
rement que  c'est  bien  l'influence  des  idées  démagogi- 
ques qui  a  produit  l'insurrection ,  c'est  que  la  prise 
d'armes  a  eu  lieu  dans  les  départements  qui  s'étaient 
signalés  par  leure  votes  écarlates  ;  il  y  a  très-peu  d'ex- 
ceptions. Tous  ces  départements  et  quelques  autres, 
travaillés  depuis ,  se  seraient  levés  si  on  avait  attendu 
1852.  C'est  Timprévu  du  coup  d'État  qui  a  déconcerté 


D'UN  COUP  D'ETAT.  %3S 

le  plan  des  sociétés  secrètes  ;  c'est  l'attitude  énergique 
du  pouvoir,  qui,  dans  beaucoup  de  localités,  a  comprimé 
l'explosion  de  la  guerre  civile. 

Les  sociétés  secrètes  rayonnaient  de  Paris  dans  diffé- 
rentes directions,  telles  que  Rouen,  Lille,  Strasbourg; 
mais  elles  s'étendaient  surtout  vers  le  centre  de  la 
Trance  et  à  l'Est  autour  de  Lyon ,  et  gagnaient  le  Midi 
en  suivant  le  cours  du  Rhône. 

Dans  certains  départements,  il  n'y  a  eu  que  des  com- 
meoccments  de  troubles.  Nous  allons  les  indiquer  en 
quelques  mots,  pour  en  débarrasser  notre  récit. 

A  Lille,  à  Tours,  à  Reims,  à  Amiens,  à  Bressuire,  à 
Strasbourg,  à  Rhode/.  et  dans  quelques  autres  localités, 
à  la  Suzc  ,  par  exemple  ,  près  du  Mans ,  à  Montargis  , 
quelques  tentatives  d'insurrection  ont  eu  lieu  et  ont 
été  promptement  réprimées.  Il  a  suffi  de  l'arrestation 
de  quelques  démagogues  pour  faire  tout  rentrer  dans 
l'ordre. 

Les  départements  véritablement  insurgés  se  divisent 
en  trois  groupes  parfaitement  distincts,  situés  aux  trois 
angles  d'un  triangle  à  peu  près  isocèle ,  dont  Clamecy 
occuperait  le  sommet,  et  dont  Digne  et  Agen  occupe- 
raient les  autres  angles. 

Le  premier  groupe  comprend  les  déparlements  du 
Cher,  de  l'Allier,  de  la  Nièvre,  de  l'Yonne,  de  Saône- 
et-Loire ,  du  Jura,  de  la  Côte-d'Or. 

Le  second  groupe  est  formé  île  la  Haute-Vienne,  de 
laDordogne,  du  Lot-et-Garonne,  du  Gers  et  de  la 
Haute-Garonne. 


3d4  HISTOIRE  D'UN  COUP  D'fiTAT. 

Le  troisième  groupe  se  compose  de  la  Drôme ,  des 
Basses-Âlpes,  de  Vaucluse^  de  TArdèche^  de  THérault^ 
du  Gard  el  du  Var. 

Ces  trois  groupes  sont  séparés  par  les  départements 
qui  n'ont  pas  pris  part  à  l'insurrection,  et  notamment 
par  ceux  de  la  Creuse^  de  la  Corrèze,  du  Cantal,  de  la 
Lozère,  de  la  Loire  et  de  la  Haute-Loire,  qui  forment 
le  centre  du  triangle  que  figurent  les  trois  groupes  in- 
surrectionnels. Le  premier  groupe  aurait  rejoint  le  troi- 
sième par  l'Est  sans  l'abstention  du  Rhône  et  de  l'Isère. 
Le  troisième  tendait  à  se  réunir  au  second,  au  Sud,  par 
l'Âveyron.  Le  second  et  le  premier  tendaient  à  se  re- 
joindre, à  l'Ouest,  par  l'Indre. 

Nous  ferons  séparément  l'histoire  de  chacun  de  ces 
groupes  insurrectionnels,  en  suivant  pour  chacun  l'or- 
dre qui  nous  sera  indiqué  par  la  marche  des  événe* 
ments* 


(suite.) 


FIIBIIIBB  CBOl'PE  INSUHBECTIOSNEL. 

Cheb.  — A  Bourges,  chef-lieu  du  département,  les 
nouvelles  reçues  de  Paris  avaient  causé  quelque  émo- 
tion; mais  les  mesures  concertées  entre  M.  Corbin, 
procureur  général,  homme  aussi  énergique  que  sage, 
le  général  d'Alphonse  et  M.  Meunier,  préfet,  qui  a 
rempli  dignement  ses  fonctions  jusqu'à  l'arrivée  de 
H.  de  Barrai,  son  successeur,  suffirent  pour  rassurer 
h  population  amie  de  l'ordre  et  pour  comprimer  les 
mauvais  desseins  des  agiialeurs.  L'attitude  ferme  et  ré- 
'flolue  de  ces  magistrats  enleva  aux  anarchistes  la  har- 
iifene  d'agir  snr  le  cheMieu.  Ce  fut  à  Saint-Amand 
qu'ils  levèrent  l'étendard  de  la  révolte. 


230  HISTOIRE 

Saint-Âmand,  sous-préfecture^  à  quarante-quatre  ki- 
lomètres de  Bourges,  du  côté  de  rÂIlier,  compte  de  7  à 
8,000  habitants.  Les  idées  socialistes  y  avaient  été  ac- 
cueillies avec  ferveur,  et,  dans  la  journée  du  3,  elles  y 
voulurent  faire  ce  qu'elles  préparaient  pour  1852.  Des 
groupes  nombreux  se  forment,  proférant  des  cris  sédi- 
tieux, injuriant  et  menaçant  les  autorités.  Un  instant,  le 
sous-préfet,  qui  s'était  présenté  pour  les  haranguer  et 
les  disperser,  a  été  entouré.  Ces  lâches  ne  le  laissent  par- 
tir qu'après  l'avoir  maltraité  et  frappé.  Us  traitent  de 
même  le  commissaire  de  police,  le  saisissent,  le  terras- 
sent. L'un  d'eux  menaçait  de  le  tuer;  le  brave  magis- 
trat lui  fait  sauter  la  tète  d'un  coup  de  pistolet.  Immé- 
diatement, les  autorités  appellent  sous  les  armes  de 
nombreux  volontaires,  qui,  réunis  à  la  compagnie  d'ar- 
tillerie de  la  garde  nationale,  à  la  gendarmerie  et  à  une 
compagnie  de  grenadiers  du  41®,  rétablissent  promp- 
tement  l'ordre.  Dans  la  nuit,  le  procureur  général,  le 
général  et  le  nouveau  préfet  partaient  de  Bourges  avec 
deux  cents  hommes,  tant  cavaliers  que  fantassins,  pour 
se  porter  sur  Saint-Âmand.  Prompte  justice  a  été  faite. 
Des  arrestations  nombreuses  ont  été  opérées.  I^e  pro- 
cureur général,  le  préfet  et  le  général  sont  rentrés  dès 
le  lendemain  à  Bourges,  ramenant  une  partie  de  la 
troupe,  qui  n'était  pas  nécessaire  au  maintien  de 
l'ordre. 

Le  commissaire  de  police  Lambert  a  fait  preuve  d'u» 
grand  courage  et  d'une  énergie  qui  doit  servir  d'exem- 
ple à  tous  les  fonctionnaires. 


D'UN  COUP  D'ÉTAT.  237 

Gomme  partout,  les  insurgés  avaient  voulu  sonner 
le  tocsin,  et  s'étaient  présentés  chez  le  sieur  Rémond, 
dépositaire  des  clefs  du  clocher.  Ce  brave  homme  a  ré- 
sisté, les  armes  à  la  main,  aidé  des  personnes  de  sa  fa- 
mille, et  n'a  pas  livré  les  clefs. 

Le  reste  du  département  a  été  tranquille.  Quelques 
tentatives  de  désordre,  qu'aussitôt  les  honnêtes  gens  ont 
réprimées,  ont  voulu  faire,  à  la  Charité,  pendant  à  la 
rébellion  de  Saint- Amand. 

Il  est  bien  certain  que  ce  département  était  un  de 
ceux  sur  lesquels  les  anarchistes  comptaient  le  plus. 

Nous  le  répétons,  si  leurs  plans  y  ont  échoué,  cela  est 
dû  à  l'attitude  des  autorités,  et  notamment  à  la  coura- 
geuse initiative  prise  par  le  procureur  général  Corbin 
dans  ses  magnifiques  discours,  qui  ont  été  pour  ses 
justiciables  à  la  fois  une  prophétie  et  un  avertissement 
salutaire. 

Allier. —  Dans  ce  département,  l'insurrection  éclata 
presqu'en  même  temps  que  dans  le  Cher,  à  Saint- 
Amand.  Elle  menaçait  à  la  fois  Moulins,  Montluçon, 
Gannat  et  la  Palisse. 

L'insurrection  n'a  pu  se  développer  que  dans  ce  der- 
nier arrondissement.  Le  plan  des  insurgés  était  de  se 
porter  à  la  fois,  dans  la  nuit  du  3  au  4,  sur  Moulins  et 
sur  les  chefs-lieux  d'arrondissement  et  de  s'en  emparer 
par  surprise. 

A  Montluçon,  la  surveillance  et  l'énergie  de  l'auto- 
rité surprirent  les  meneurs  et  déconcertèrent  leur  plan. 


238  HISTOIRE 

Ils  étaient  réunis,  prêts  à  donner  le  signal  da  mouve- 
ment, quand  le  sous-préfet,  le  procureur  de  la  Répu- 
blique et  un  adjoint  au  maire,  vinrent  avec  la  force 
publique  cerner  la  réunion  et  s'emparer  des  plus  dan^ 
gereux  de  ces  démocrates.  On  les  surprit  armés  jus- 
qu'aux dents  et  munis  de  cartouches  et  de  balles  mâ- 
chées. A  la  suite  de  ce  coup  de  main  hardiment  exécuté, 
plus  de  trente  arrestations  ont  été  opérées.  C'était  sur^ 
tout  sur  Cerilly  et  ses  environs  que  comptaient  les  me- 
neurs de  Montluçon. 

A  Gannat,  dans  cette  même  nuit,  le  mouvement  de- 
vait éclater.  Plus  de  soixante  des  principaux  démocrates 
du  chef-lieu  et  de  l'arrondissement  étaient  réunis  aux 
portes  de  la  ville,  prêts  à  se  porter  sur  la  Sous-Préfeo*- 
ture.  Mais  l'éveil  avait  été  donné  à  l'autorité  ;  le  sons- 
préfet,  le  nouveau  maire,  le  docteur  Boudant,  avaient 
réuni  les  bons  citoyens  et  s'apprêtaient  à  bien  recevoir 
les  insurgés.  Prévenus  de  cela,  ils  n'osèrent  pas  tenter 
l'attaque  et  se  retirèrent.  Un  détachement  du  18*  de 
ligne,  parti  de  Clermont-Ferrand,  vint  prêter  son  ap- 
pui aux  habitants  de  Gannat,  dont  un  grand  nombre 
s'étaient  inscrits  sur  un  registre  comme  défenseurs  de 
Tordre.  De  nombreuses  arrestations  furent  faites  par  le 
procureur  de  la  République,  le  sous-préfet  et  l'officier 
de  gendarmerie,  qui  a  montré  dans  cette  occasion  beai»- 
coup  de  fermetés 

A  Moulins,  il  y  eut  commencement  d'exécution.  Dans 
la  journée  du  3,  des  groupes  s'étaient  formés  et  des 
conciliabutes  démagogiques  avaient  été  tenus*  Le  pré- 


nt  s  COLP  D'ETAT.  236 

fet,  M.  de  Chariiailles,  a\ait  fait  arrêter  plusieurs  des 
chefs  et  les  avail  fait  déposer  ù  la  iiiaison  (l'arrËt. 
Dé'jà  ce  coup  d'aulorité  déconcertait  les  démagogues. 
N'importe,  décidés  à  agir,  ils  se  réunissent  daos  la  nuit, 
au  nombre  de  deux  cent  ciii(]uante,  dans  le  petit  bourg 
d'Yseure,  à  un  quart  de  lieue  de  Moulins,  eldécideutdc 
se  porter  sur  la  ville,  pour  délivrer  les  prisonniers  et 
s" emparer  de  la  Préfecture  et  de  l'Uôtcl-de-Ville.  Mais 
le  préfet  était  au  couraut  de  ce  qui  se  passait,  et  deux 
colonnes  de  chasseurs  partirent  de  Moulins  pour  se  por- 
ter silencieusement  sur  le  point  de  réunion.  Le  raouve- 
aientétait  combiné  pour  que  les  deux  colonnes  arrivas- 
sentauméme  moment,  A  minuit,  malgré  les  pi-écautiona 
prises,  les  insurgés,  prévenus  de  l'approche  de  l'une  des 
colon nts,  prennent  ta  fuite  en  sens  opposé,  et  vont  don- 
■er  télé  baissée  sur  celle  qui  arrivait  pour  les  prendre 
par  derrière.  A  cause  de  l'obscurité,  douze  seulement 
jpurenl  être  pris  et  furent  déposés  à  la  maison  d'arrêt. 
]h  avaient  pour  armes  des  faux,  des  fusils  de  chasse, 
4bs  pistolets,  des  fourches,  des  poignards. 

Les  contingents  qui  arrivaient  de  Dompierrc  et  de 
Chevagnes,  formant  un  effeclif  de  cent  trente  insurgés, 
Ayant  appris  la  déroute  de  la  première  colonne,  ju- 
gèrent prudent  de  rebrousser  chemin  et  de  se  dis- 
.perse  r. 

Une  proclamation  énergique  du  préfet  fut  affichée, 
Je  4  au  malin,  dans  Moulins. 

Des  armes  furent  distribuées  à  la  garde  nalionale.  Le 
concours  des  bons  citoyens  fut  réclamé  pour  l'organi- 


240  HISTOIRE 

sation  de  colonnes  mobiles,  et  un  arrêté  fut  pris  qui, 
Yu  l'imminence  du  danger,  mettait  le  département  de 
l'Allier  en  état  de  siège. 

Dans  l'arrondissement  de  la  Palisse,  les  événements 
furent  beaucoup  plus  graves.  Malheureusement,  de  œ 
côté,  l'autorité  était  endormie  dans  une  sécurité  qu'on 
ne  comprend  pas  en  pareille  occurrence.  Les  postes  de 
la  garde  nationale  avaient ,  comme  d'habitude ,  été  le- 
vés dès  le  milieu  de  la  nuit,  personne  ne  veillait  quand 
l'insurrection  se  montra  d'autant  plus  forte  qu'elle 
avait  pu  s'organiser  sans  obstacle. 

Ce  fut  dans  la  journée  du  3  que  les  démocrates  du 
Donjon,  commune  importante  de  l'arrondissement  de 
la  Palisse,  donnèrent  pour  la  nuit  le  signal  de  Tinsur- 
reclion.  Les  principaux  meneurs  furent  un  médecin, 
un  pharmacien  et  un  notaire  de  la  localité.  Toute  la 
soirée  fut  employée  à  combiner  le  plan  d'insurrection, 
à  mettre  en  état  les  armes  et  les  munitions  dont  on 
pouvait  disposer.  De  neuf  à  dix  heures,  les  insurgés 
commençaient  à  se  réunir.  Un  peu  avant  minuit,  ik 
étaient  au  nombre  d'environ  deux  cents.  Le  maire, 
M.  de  laBoutresse,  son  adjoint,  le  juge  de  paix  et  un 
autre  citoyen,  signalé  comme  dévoué  à  l'ordre,  furent 
arrachés  de  leur  lit  et  emmenés,  sans  qu'on  leur  permit 
de  prendre  tous  leurs  vêtements.  Ils  étaient  jambes 
nues,  n'ayant  que  des  sabots  aux  pieds.  On  les  fît  mon^p 
ter,  ou  plutôt  on  les  jeta  dans  une  charrette  à  fumier  ; 
les  plus  mauvais  garnements  de  la  bande  servaient  d'es- 
corte, le  rassemblement  tout  entier  se  mit  en  chemin 


D'UN  COUP  D'ÉTAT.  241 

pour  la  Palisse.  On  marchait  lentement  et  la  nuit  était 
froide,  une  brume  glaciale  tombait  sur  les  pauvres  pri- 
sonniers à  demi  vêtus.  Ils  grelottaient ,  et  la  vue  de 
cette  souffrance  arrachai!  d'atroces  moqueries  à  leurs 
conducteurs.  L'un  d'eux,  M.  de  la  Boutresse,  se  sentant 
glacé,  voulut  battre  des  bras  pour  se  réchauffer.  On  lui 
attacha  les  mains,  afin  de  lui  ôler  cette  ressource.  «  Il 
est  tout  prêt  au  moins  pour  être  fusillé,  disait  l'un  de 
ces  forcenés.  — Allons  donc,  ça  ne  vaut  pas  une  balle, 
ees  aristos,  disait  l'autre.  »  El  les  propos  les  plus  abo- 
minables se  croisaient,  entremêlés  d'horribles  blasphè- 
mes et  de  refrains  démagogiques,  où  la  guillotine  avait 
toujours  les  honneurs  du  couplet.  Ce  supplice  dura 
jusqu'à  sept  heures  et  demie  du  matin.  On  était  en  vue 
de  la  Palisse.  Tant  était  grande  l'incurie,  nul  ne  se 
doutait  du  danger,  et  les  bandes  socialistes ,  qui  s'é- 
taient recrutées  en  route  d'une  centaine  d'hommes,  pu- 
rent commencer  à  entrer  dans  la  ville,  sans  coup  férir. 
Mais  le  sous-préfet,  M.  de  Rochcfort,  qu'on  venait  de 
prévenir,  se  disposait  à  racheter  par  le  courage  le  plus 
héroïque  l'excès  de  confiance  qu'il  avait  eu  le  malheur 
d'avoir.  A  la  tête  de  quelques  gendarmes,  il  vient  bra- 
vement attaquer  les  insurgés,  qui  accueillent  par  un  feu 
terrible  cette  poignée  d'hommes.  La  plupart  sont  bles- 
sés, la  résistance  est  impossible.  Forcé  de  battre  en 
retraite,  le  sous-préfet  rentre  dans  la  Sous-Préfecture, 
où  bientôt  ces  forcenés  le  suivent.  Là ,  on  l'outrage  de 
la  façon  la  plus  abominable,  on  veut  le  contraindre  à 
mettre  une  écharpe  rouge.  Le  courageux  fonctionnaire 


242  HISTOIRE 

refuse.  Des  fusils  sont  braqués  sur  «a  poitriae;  il  rer 
fuse  encore,  il  refuse  toujours^  car  il  veut  qu'à  défont 
de  la  force,  l'honneur  et  la  dignité  restent  au  représeoi- 
tant  du  gouvernement.  Martyr  de  Tordre  social,  il  a 
son  sang,  sa  vie  à  donner.  Il  ne  led  sauvera  pas  par  une 
lâcheté.  Pendant  qu'une  partie  de  ces  bandits  était  à 
la  Sous-Préfecture ,  d'autres  saccageaient  et  volaient, 
d'autres  enfin  barricadaient  les  abords  de  l'édifice,  et 
c'était  prudent  à  eux,  car  sans  ce  rempart,  ils  n'eussent 
pas  riposté  peut-être  aux  quelques  braves  qui  viennent 
pour  délivrer  le  sous-préfet.  C'est  la  brigade  de  gen- 
darmerie, déjà  mutilée,  qui  se  présente  avec  une  quir- 
rantaine  de  gardes  nationaux,  que  le  cri  :  aux  armes, 
a  réunis  dans  la  ville. 

Les  insurgés  ont  pris  position  sur  la  terrasse  de  l'é- 
glise et  se  sont  retranchés  derrière  leurs  barricades. 
Puis  ils  ont  fait,  les  infâmes  !  une  barricade  vivante  de 
leurs  prisonniers.  Les  gendarmes  n'osent  pas  tirer,  ils 
s'élancent  le  sabre  à  la  main  ;  mais  les  brigands  diri- 
gent sur  eux  une  fusillade  tellement  nourrie  qu'en  un 
instant  ils  sont  hors  de  combat.  Trois  simples  gendar- 
mes sont  blessés  grièvement.  Le  maréchal -des -logis 
Lemaire  est  mortellement  atteint,  le  lieutenant  G)m- 
bat  reçoit  une  blessure  dont  il  doit  mourir  au  bout  de 
quelques  jours.  Trois  gardes  nationaux  sont  atteints, 
mais  légèrement.  Les  insurgés  étaient  trois  cents  con- 
tre quelques  hommes,  mais  ces  quelques  hommes  sont 
des  héros.  Va-t-on  les  respecter  à  terre  î  Ces  gendar* 
mes  blessés,  va-t-on,  maintenant  qu'ils  sont  là  gisants, 


D'UN  COUP  D'ÉTAT.  243 

voir  en  eux  des  hommes  qu'il  faut  secourir?  Terrier, 
notaire  au  Donjon  et  l'un  des  chefs,  se  précipite,  le  lâ- 
che, sur  le  brave  maréchal-des-logis  Lemaire  qui  est 
étendu,  horriblement  blessé  de  dix  coups  de  feu  et  mou- 
rant, il  lui  tire  deux  coups  de  pistolet.  Puis,  les  scélé- 
rats qu'il  commande  traînent  le  cadavre  sur  les  dalles 
de  l'église,  le  percent  à  coups  de  baïonnette,  dansent 
dessus  et  écrasent  la  tête  à  coups  de  crosse  de  fusil. 
Rocher,  notaire  à  la  Palisse,  comme  son  confrère, 
participe  à  l'assassinat  d'un  gendarme.  Qu'on  dise  en- 
core que  c'est  l'ignorance  qui  fait  commettre  de  tels 
actes!  Ils  ont  assouvi  leur  rage,  mais  la  cruauté  froide, 
plus  féroce  encore,  est  dans  le  cœur  de  ces  bandits. 
Us  laissent  étendus  par  terre  et  baignés  dans  le  sang, 
non  pas  seulement  sans  les  secourir,  mais  en  les  insul- 
tant, les  trois  gendarmes  blessés  et  leur  lieutenant  Com- 
bat. Combien  de  temps?  plus  de  deux  heures. 

Après  leur  victoire,  si  affreusement  déshonorée,  les 
insurgés  conduisirent  à  la  maison  d'arrêt  les  quatre 
prisonniers  du  Donjon.  L'un  d*entre  eux ,  le  juge  de 
paix,  était  malade  et  se  soutenait  à  peine  ;  en  entrant, 
il  appuie  la  main  sur  le  chambranle  de  la  porte  ;  un 
coup  de  crosse  lui  brise  deux  doigts. 

Le  sous-préfet,  au  moment  de  la  bataille,  était  par- 
venu à  s'échapper.  S'élançant  sur  un  cheval,  il  passe  à 
travers  la  fusillade  qu'on  dirige  sur  lui,  et  va  au-devant 
d'un  escadron  de  chasseurs,  qu'à  la  nouvelle  des  évé- 
nements on  avait  dirigé  sur  la  Palisse. 

Aussi  lâches  qu'ils  étaient  barbares,  les  brigands,  à 


244  HISTOIRE 

la  nouvelle  que  la  troupe  approche,  quittent  la  Palisse 
et  retournent  au  Donjon. 

Après  le  départ  de  ces  forcenés ,  les  prisonniers  fu- 
rent remis  en  liberté.  Le  juge  de  paix,  blessé,  eut  Tim- 
prudence  de  s'en  retourner  chez  lui,  où  il  fut  de  nou- 
veau arrêté.  Ce  ne  fut  qu'à  la  nouvelle  que  des  troupes 
marchaient  sur  le  Donjon  qu'on  le  relâcha. 

Pendant  que  les  bandes  du  Donjon  accomplissaient 
leurs  horribles  exploits  sur  la  Palisse,  les  démocrates 
de  Jalligny,  aussi  sous  le  copçimandement  d'un  médecin 
et  d'un  pharmacien,  se  portèrent  sur  la  mairie,  dans  la 
journée  du  jeudi  4,  et  firent  le  maire  prisonnier.  Ce 
courageux  fonctionnaire  résista  de  la  façon  la  plus 
énergique.  11  fut  frappé,  terrassé  et  relevé  dans  un  état 
déplorable.  Le  médecin  lui  appuya  le  canon  de  son 
fusil  sur  la  poitrine.  Les  bandits  se  répandirent  ensuite 
dans  les  communes  voisines  pour  y  recruter  des  parti- 
sans. 

Ils  ne  tardèrent  pas  à  voir  leurs  forces  s'augmen- 
ter d'une  partie  de  la  bande  du  Donjon,  qui  avait  fui 
de  la  Palisse.  Ils  résolurent  d'attaquer  Moulins,  et  se 
mirent  en  marche. 

Mais  l'appel  du  préfet  avait  été  entendu,  et  les  ci- 
toyens de  celte  ville  venaient  d'enthousiasme  s'inscrire 
pour  la  défense  de  l'ordre.  Plus  de  sept  cents  volon- 
taires furent  armés  et  partirent  à  la  rencontre  des 
bandes  insurrectionnelles,  qui  n'attendirent  pas  le 
combat  et  s'enfuirent  dans  toutes  les  directions. 

Ce  jour-là  même,  un  escadron  de  chasseurs  occupait 


D'UN  COUP  D'ÉTAT.  245 

la  Palisse ,  et  les  autorités  procédaient  activement  au 
rétablissement  de  l'ordre  et  à  l'arrestation  des  cou- 
pables. 

Le  lendemain,  Jalligny  et  le  Donjon  voyaient  arrivez 
la  troupe  et  la  colonne  mobile  de  volontaires  partie  de 
Moulins,  à  la  rencontre  des  insurgés,  qui  avaient  fui. 

Le  préfet  et  le  colonel  Pierre  se  portaient,  avec  des 
chasseurs,  sur  Cerilly,  où  un  commencement  de  trou- 
ble s'était  manifesté. 

Partout  on  pousse  activement  l'instruction  contre  les 
insurgés ,  et  les  arrestations  se  font  sans  relâche.  Le 
plus  grand  nombre  de  ceux  qui  ont  fait  partie  des 
bandes  est  sous  la  main  de  la  justice.  A  Roanne,  on 
arrête  Terrier  et  Préveraud,  deux  chefs  de  l'insurrec- 
tion du  Donjon.  Le  7,  l'ordre  était  complètement  réta- 
bli dans  l'Allier,  et  les  colonnes  mobiles  rentraient  à 
Moulins,  ramenant  leurs  prisonniers.  Ces  malheureux, 
attachés  deux  à  deux,  marchaient  entre  deux  haies  de 
gardes  nationaux,  précédés  et  suivis  de  forts  détache- 
ments de  chasseurs.  L'attitude  de  tous  exprimait  l'abat- 
tement le  plus  profond  ;  celle  de  quelques-uns,  il  faut 
le  dire  pour  l'honneur  de  l'humanité,  exprimait  aussi 
la  honte. 

Yonne.  —  La  nouvelle  des  événements  accomplis 
à  Paris  parvint  à  Auxerre  et  à  Sens,  à  deux  heures  de 
Taprès-midi,  le  2  décembre. 

Le  préfet,  M.  Rodolphe  d'Omano,  et  le  générai  La- 
irerdière,  commandant  l'état  de  siège  de  l'Yonne  et  de 

16 


246  HISTOIRE 

TÂube,  prirent  immédiatement  les  mesures  qu'ils  jugè- 
rent les  plus  convenables  au  maintien  de  Tordre. 
L'Yonne  est  un  des  centres  de  la  démagogie  ;  les  trou- 
bles récents  dont  ce  département  a  été  le  théâtre  sont 
de  nature  à  inspirer  des  craintes  sérieuses.  On  a  peu  de 
troupes.  Il  n'y  a  dans  Âuxerre  que  trois  cent  cinquante 
recrues  du  15*"  léger  et  les  dépôts  des  1"  et  7^  lanciers, 
en  tout  cent  hommes  montés.  On  concentre  les  brigades 
de  gendarmerie  dans  les  chefs-lieux  ^  afin  de  les  avoir 
sous  la  main  pour  agir  contre  les  localités  qui  s'insur- 
géraient,  et  pour  qu'elles  ne  soient  pas  écrasées  sous 
le  nombre  dans  leurs  résidences. 

Ce  fut  dans  les  cantons  de  Coulanges-sur-Yonne  et 
de  Saint-Sauveur,  riverains  de  Glamecy,  que  le  soulè- 
vement se  manifesta.  Le  5,  quelques  heures  après  que 
l'insurrection  eut  commencé  dans  cette  ville,  on  sonna 
le  tocsin  dans  les  communes  de  Druyes,  d'Ândryes, 
d'Etais,  de  Sougères,  de  Pousseaux  et  de  Surgy ,  cette 
dernière  sur  l'extrême  limite  de  TYonne  et  de  la  Niè- 
vre, mais  appartenant  au  dernier  département.  La 
plupart  des  habitants,  se  levant  en  masse  et  s'armant 
de  tout  ce  qu'ils  purent  trouver,  se  portèrent  sur  Cla- 
mecy,  déjà  au  pouvoir  de  l'insurrection,  et  prirent  part 
aux  scènes  abominables  dont  cette  malheureuse  ville 
fut  le  théâtre.  Des  bandes  se  portèrent  sur  Coulanges; 
mais  M.  Barrey,  maire ,  avait  organisé  la  résistance, 
grâce  au  concours  des  habitants.  Le  pont  était  barri- 
cadé. Il  fit  dire  à  l'autorité  supérieure  qu'il  se  char- 
geait de  la  défense  de  la  ville  ;  et,  en  effet,  pendant 


D't'N  COUP  D'ÉTAT.  M7 

trois  jours,  il  se  mainlint  dans  celle  honorable  défen- 
sive, sans  que  les  insurgés  osassent  venir  l'attaquer. 

A  Pousseaux,  le  maire,  M.  Bonneau,  vieillard  âgé  de 
soixanle-seize  ans,  ayant  voulu  s'opposer  au  départ  des 
bandes,  fut  odieusement  assassiné.  Il  tomba  frappé  de 
six  balles  à  la  fois.  C'était  un  digne  prélude  aux  atroci- 
tés qu'on  allait  commettre  à  Claniecj. 

Le  lendemain,  6,  jour  de  foire  à  Saint- Sauveur, 
Thiébantt,  professeur  de  médecine  vélérinaire  à  ta 
Fernie-École ,  et  signalé  comme  chef  de  sociétés  se- 
crètes et  comme  démagogue  fougueux,  se  mit  à  haran- 
guer les  démocrates,  qui  s'élaicnt  donné  rendez-vous  à 
Aelle  foire,  principalement  des  cantons  rie  Bléneau  et 
de  Saint-Fargeau.  Ce  forcené,  excitant  la  fonle  par  ses 
discours  incendiaires  el  criant  :  aux  armes,  les  condui- 
•it  à  la  mairie,  où,  malgré  la  résistance  énergique  âe 
H.  Dclamour,  les  armes  destinées  au  service  de  la 
garde  nationale  furent  enlevées.  L'un  de  ces  handils , 
nommé  Patasson  ,  ajusta,  à  plusieurs  reprises,  le  juge 
de  paix.  Après  ce  premier  exploit,  on  fit  ki  fouille  des 
maisons  parliculières,  où  l'on  prit  tout  ce  qu'on  trouva 
'd'armes.  Les  habitants  paisibles  furent  indignement 
inaltraifés,  et  quelques-uns  forcés  de  se  joindre  aux 
insurgés.  On  se  sépara  ensuite  pour  aller,  chacun  dans 
•a  commune,  chercher  des  renforls,  et  on  se  donna 
Pendez-vous  pour  le  soir  à  Saint-Sauveur.  1^  nuit  ve- 
nue, les  insurgés  se  mettent  en  marche,  divisés  en 
deux  bandes,  pour  se  porter  sur  Auxcrre.  La  première 
doit  passer  par  Toucy,  où  elle  ralliera  les  bandes  de 


d48  HISTOIRE 

Yilliers^  Saint-Benoist  etMezilIes,  de  rarrondissemeDt 
de  Joigny,  lesquelles,  obéissant  au  mot  d'ordre  envoyé, 
marchent  de  leur  côté  sur  le  chef-lieu.  La  80conde 
bande,  partant  de  Saint-Sauveur,  se  dirige  sur  Auxerre 
par  Thury,  Taingy,  Ouanne  et  Leugny.  Dans  toutes 
les  communes  où  elles  passent,  ces  bandes  sonnent  le 
tocsin,  pillent  les  armes,  maltraitent  les  habitants  pai- 
sibles et  forcent  le  plus  grand  nombre  à  marcher  avee 
eux. 

Toucy,  menacé  d'une  double  invasion,  allait  donc 
devenir  un  point  central  d'opération  pour  les  insurgés. 
L'alarme  y  était  grande;  le  maire,  M.  Arrault,  mem- 
bre du  conseil  général ,  avait  réuni  la  compagnie  de 
sapeurs-pompiers,  armé  les  citoyens  de  bonne  volonté, 
et  se  préparait  à  faire  une  énergique  résistance.  Mais  les 
nouvelles  qui  lui  arrivaient  de  toutes  parts  lui  donnè- 
rent de  sérieuses  inquiétudes.  Il  dépêcha  des  courriers 
qui  vinrent  à  Auxerre  prévenir  le  préfet  et  demander 
des  secours.  M.  le  lieutenant-colonel  de  GhefTontaines, 
désigné  pour  commander  l'état  de  siège,  y  était  arrivé 
dans  la  journée.  On  ne  pouvait  dégarnir  Auxerre,  car 
on  recevait  la  nouvelle  que  l'insurrection  de  Saint-Flo- 
rentin, arrondissement  situé  à  l'autre  extrémité  du  dé- 
partement, menaçait  le  chef-lieu,  et  que,  d'un  autre 
côté,  les  bandes  de  Saint-Sauveur,  qui  avaient  pris  la 
route  de  Thury,  allaient  attaquer  dans  la  nuit.  On  ne 
put  faire  partir,  à  onze  heures  du  soir,  que  vingt-cinq 
hommes  d'infanterie  en  poste ,  et  dix  gendarmes  à 
chevaly  aous  le  commandement  du  lieutenant  Fistié , 


D'UN  COUP  D'ÉTAT.  2« 

du  15*  léger.  Ce  renfort  arrivait  à  Toucy  à  deui  heures 
du  matin.  Il  n'eut  que  le  temps  de  se  ranger  en  bataille 
pour  recevoir  la  bande  insurrectionnelle  qui  entrait  dans 
la  ville  [»ar  la  route  de  Dracy.  On  marche  en  colonne,  la 
troupe  en  tête,  sur  les  insurgés,  qui,  au  cride:^!»'  vive? 
répondent  par  un  coup  de  feu.  «Apprùtez,  armes!»  dit 
le  lieutenant.  Le  maire,  emporté  par  un  sentimsDt 
de  générosité  qu'on  ne  peut  s'empêcher  d'admirer,  se 
jette  devant  les  soldats  et  veut  employer  les  moyens  de 
•onciliation ,  mais  les  insurgés  ne  l'écoutent  pas  Le 
lieutenant  fait  alors  charger  à  la  baïonnette,  et  plu- 
-lieurs  insurgés  tombent  sous  le  feu  des  défenseurs  de 
l'ordre.  Toute  la  bande  prend  la  fuite  en  laissant  vingl- 
cinq  prisonniers  entre  les  mains  de  la  troupe,  parmi 
lesquels  Chauvot  et  Tncotet,  deux  de  leurs  chefs.  A 
peine  tes  a-t-on  mis  en  lieu  de  sûreté  qu'il  faut  aller 
fciretèteà  la  colonne  de  Saint-Sauveur,  forte  d'envi- 
ron deux  cents  hommes  comme  la  première.  Les  in- 
■urgés  engagèrent  le  l'eu,  mais  prirent  la  fuite  aux  pre- 
Btères  décharges,  laissant  plusieurs  morts  et  quinze 
prisonniers.  Un  soldat,  le  fusilier  Lavaud,  fut  blessé  à 
jh  cuisse,  un  gendarme  reçut  un  coup  de  faux.  Le  lieu- 
ïnl  Fistié  montra  le  plus  grand  sang-fro-d  dans  ce* 
4eux  affaires.  On  cite  aussi,  comme  s'étant  particulié- 
xemcnt  distingués,  les  deux  capitaines  de  la  garde  na- 
tionale, Carré  et  Fontaine.  Blessé  dans  la  première 
tfuire  d'un  coup  de  pique  dans  le  ventre,  le  capitaine 
flarrc  s'est  fait  panser  à  la  h&le  pour  retourner  à  la  se^ 
•mde.  Ainsi,  sur  ce  point,  force  restait  à  l'aulorilè. 


250  HlSTOmi!. 

La  seconde  bande^  partie  de  Saint-Sauveur,  laissant 
derrière  elle  Taingy,  Ouanne  et  Leugny,  arrivait  à  huit 
heures  du  matin  à  Escamps.  La  population  tout  entière 
avait  pris  la  fuite  et  se  cachait  dans  les  vignes,  dans  les 
bois.  Après  avoir  tout  mis  à  sac  dans  la  localité,  elle  se 
dirigea  sur  Ghevannes,  où  elle  entrait  à  neuf  heures. 
Qievannes  n'est  qu'à  deux  lieues  d'Âuxerre.  Ce  fut  li 
que  la  colonne,  envoyée  d^Âuxerre  contre  les  insurgés, 
les  rencontra.  Le  lieutenant  de  gendarmerie ,  Petit- 
Mangin,  officier  brave  et  intelligent,  avait  avec  lui  dix 
gendarmes,  dix  lanciers  et  vingt-cinq  hommes  d'in- 
fanterie du  15*  léger,  sous  les  ordres  du  lieutenant 
Rogé.  Chevannes  fut  emporté  sans  coup  férir,  et  plu- 
sieurs insurgés  furent  pris.  Marchant  précipitamment 
sur  Escamps,  par  où  la  bande  battait  en  retraite,  oo 
les  en  délogea  à  coups  de  fusil   en  leur  tuant  sept 
hommes  et  en  faisant  encore  des  prisonniers.  La  troupe 
se  mit  à  la  poursuite  des  insurgés  qui  fuyaient  dans 
toutes  les  directions  en  jetant  leurs  armes.  Dans  cette 
poursuite,  le  lieutenant  Rogé  a  tué  de  sa  main  un  in- 
surgé qui  venait  de  tirer  sur  lui.  Après  avoir  battu  le 
pays  pendant  huit  lieues,  la  colonne  est  arrivée  à  Toucy 
avec  ses  prisonniers.  Ils  étaient  attachés  sur  des  char- 
rettes qu'avaient  fournies  les  habitants  des  localités 
qu'on  avait  traversées. 

La  bande ,  qui  de  Saint-Florentin  se  dirigeait  sur 
Auxerre,  n'avait  pu  s'emparer  à  Saint-Florentin  même 
de  la  mairie ,  énergiquement  défendue  par  le  juge  de 
paix  et  par  le  maire.  Arrivée  à  Pontigny,  elle  avait  été 


D'UN  COUP  D'ÉTAT.  231 

coRipléletiicnt  démoralisée  par  la  résistance  des  habi- 
tanls,  qui  ne  voulurent  passe  laisser  désartner,  el  s*ètait 
_     immédiatement  débandée. 

n    Aussitôt  qu'il  avait  eu  connaissance  du  mouvement 

f    de  Saint-Florentin,  le  sous-prcfet  de  Joîgny  avait  en- 

j     \oyé  dix  lanciers  et  cinq  gendarmes,  avec  ordre  de 

s'emparer  des  deux  principaux  chefs,  llrunat  et  6au- 

chard.  Celte  petite  troupe  n'y  était  arrivée  qu'après  le 

départ  des  îusurgés,  repoussés  dans  leur  tentative  sur 

I     b  mairie. 

Ainsi,  dans  ce  départemenl,  l'organisation  des  ban- 
des est  évidente.  Une  même  pensée  les  dirige,  elles 
obéissent  au  même  mot  d'ordre,  puisque  de  quatre 
points  à  la  fois  elles  marchent  sur  Auserre  au  même 
moment.  Dès  le  matin  du  6,  les  qiiali'e  colonnes  de  la 
démagogie  élaient  en  pleine  déroute.  Partout,  les  com- 
munes rurales  organisaient  des  gardes  nationales  pour 
se  dcFendre  on  cas  d'attaque.  Dès  le  7,  il  n'y  a  pas  un 
seul  noyau  d'insurrection  subsistant.  De  tous  côtés,  on 
amène  des  prisonniers.  Les  maisons  d'arrêt  d'Aaserre 
en  renferment  à  peu  près  deux  cent  cinquante.  Guyard, 
huissieràSougères.Commeau, propriétaire  à  Entrains, 
ont  été  arrêtés  ;  le  dernier  a  été  pris  par  les  habitants 
qui  l'onl  amené,  attaché  derrière  une  charrette.  On  s'est 
emparé  aussi  d'un  nommé  Landré,  cordonnier,  chef  de 
bande  à  Saint-Sauveur.  Il  marchait  h  cheval  en  tète  de 
la  colonne,  un  autre  faisait  la  même  chose  en  queue; 
quiconque  eût  voulu  quitter  le  rassemblement  eût  élé 
tué  à  coups  de  fusil  par  ces  forcenés.  C'est  surtout  dans 


252  HISTOIRE 

la  Puisaie,  pays  qui  borne  la  Nièvre,  et  où  les  proprié- 
tés De  sont  pas  morcelées  comme  dans  le  reste  du  dè- 
partementy  que  la  démagogie  a  trouté  des  recrues. 

Nièvre.  —  Ce  département  a  eu,  avec  celui  du  Jura* 
le  triste  privilège  de  fournir  à  Thistoire  tout  ce  qu^il  y 
a  de  plus  révoltant,  de  plus  honteux,  de  plus  atroce 
dans  les  exploits  de  la  jacquerie  socialiste  :  Clamecy,  Po- 
ligny,  deux  noms  qui  resteront  bien  tristement  célèbretl 
Pourtant  ce  ne  sera  pas  notre  plume  qui  révélera  lei 
abominations  qui  ont  mis  tant  de  deuil  dans  ces  deux 
malheureuses  villes.  On  recule  d'horreur  et  de  hoott 
quand  on  pénètre  dans  Tintimité  de  ces  atrocités  hon- 
teuses. Silence!  respect  aux  victimes  qui  dorment  dans 
le  tombeau  I  respect  aux  douleurs  qui  vivent  dans  les 
cœurs! 

Clamecy  est  une  ville  d'environ  six  mille  âmes ,  si* 
tuée  aux  confins  du  département  de  la  Nièvre,  limitro- 
phe de  l'Yonne  et  distante  d'environ  dix-huit  lieues 
de  Nevers.  Assise  sur  le  confluent  du  Beuvron  et  de 
l'Yonne,  au  pied  d'une  montagne  qui  la  domine  en- 
tièrement, elle  a  de  vieux  monuments  et  de  vieux 
souvenirs.  Son  origine  est  si  antique  qu'on  l'ignore. 
Malheureusement,  Clamecy  était  depuis  quelque  temps 
un  foyer  de  socialisme,  et  beaucoup  de  ses  habitants , 
quelques-uns  même  d'entre  les  notables,  étaient  affiliés 
aux  hommes  de  1852.  Malheureusement  aussi,  la  sé- 
curité, ce  crime  des  tièdes,  y  était  grande;  on  ne  vou- 
lait pas  y  croire  à  certaines  éventualités.  Plût  au  ciel 


DUN  COUP  D'ÉTAT.  283 

qu'elles  n'eussent  été  que  les  évocations  de  la  peur  !  A 
la  nouvelle  des  événements  de  Paris  ^  les  démagogues 
do  lieu  y  prévenus  dans  leurs  complots  y  se  hâtèrent  de 
se  concerter.  On  vit  les  affiliés  des  communes  voisinesy 
on  s'assura  de  leur  concours,  et,  pour  le  vendredi  5  au 
soir, le  signal  fut  donné.  Le  sous-préfet,  témoin  des 
menées  socialistes,  avait  ordonné  quelques  arrestations. 
Ce  fut  le  prétexte  apparent.  On  se  réunit  sur  la  place 
de  la  Prison ,  et  bientôt  arrivèrent  les  contingents  de» 
communes  voisines.  Tout  ce  qui  environne  Clamecy 
s'insurgeait ,  et  les  bandes  commençaient  à  arriver  de 
la  Puisaie,  pays  limitrophe  de  l'Yonne.  Le  tocsin  sonne 
à  la  fois  dans  une  foule  de  communes.  Pendant  ce 
temps^là,  les  insurgés,  déjà  réunis,  attaquent  avec 
acharnement  la  prison,  où  les  gendarmes  résistent  avec 
une  admirable  énergie,  mais  sont  enfin  accablés  sous  le 
nombre.  Deux  de  ces  braves  y  sont  frappés  mot  telle- 
ment. Les  insurgés  défoncent  les  portes  et  délivrent  les 
prisonniers.  L'un  de  ces  derniers  se  met  immédiate- 
ment à  la  tète  des  rebelles.  Ce  chef  est  un  jeune  homme 
de  bonne  famille  ,  condamné ,  à  Paris ,  à  six  mois  de 
prison  pour  outrage  public  à  la  pudeur.  Ils  marchentsur 
la  mairie  et  s'emparent  de  cinq  cents  fusils.  Dès  lors,  la 
ville  a  été  complètement  envahie,  mise  à  sac,  pillée,  lea 
maisons  particulières  dévastées.  Les  insurgés  se  présen^^ 
tent  à  la  recelte  particulière  et  y  volent  3,000  francs. 
Mais  ce  n'est  pas  assez  de  la  révolte  à  main  armée,  le 
pillage  et  le  vol  :  car,  ce  qui  triomphe  à  Clamecy,  c'est  la 
démagogie,  c'est  le  socialisme,  c'est,  en  un  mot,  1852. 


2S4  HISTOIRE 

ÂTœuvre  donc,  les  cannibales  et  les  infâmes,  puncpp 
la  Providence  Ta  permis;  à  l'œuvre  !  que  la  France  vai^ 
dans  l'horrible  épisode  de  Clamecy,  ce  qui  rattendait 
dans  les  menaces ,  dans  les  promesses ,  dans  les  espé- 
rances de  1852! 

Munier,  instituteur  depuis  plus  de  vingt  ans,  direc- 
teur de  TÊcole  mutuelle  :  on  Tassassine,  lui  qui  a  instruit 
les  pères,  et  qui,  aujourd'hui  encore,  instruisait  leurs 
enfants.  Mulon,  l'avoué,  passe  dans  la  rue,  il  donne  le 
bras  à  une  femme  qu'il  reconduit  à  sa  demeure;  elle 
tremble  pour  les  siens  peut-être  !  Il  y  a  chez  elle  u 
berceau  quelque  pauvre  petit  enfant  à  protéger.  On 
respectera  cet  homme  au  bras  d'une  femme!....  Un 

menuisier  démocrate  vient  à  lui  et  s'écrie  :  c  Ah! 

c'est  ainsi  que  tu  t'amuses  à  conduire  des  femmes ,  au 
Heu  d'être  à  la  tête  du  peuple  !  Eh  bien  I  voilà  pour 
toi  !  »  Il  lui  enfonce  une  bisaiguê  dans  le  flanc  et  le 
tue. 

Un  enfant  de  treize  ans  fuit  devant  les  assassins  ;  il  se 
réfugie  dans  les  bras  de  sa  mère.  Ah!  le  voilà  sauvé! 
Une  bête  féroce  s'arrêterait.  Ils  assassinent  cet  enfant 
dans  les  bras  de  sa  mère  ! 

D'autres  victimes  encore  tombent  pareillement  assas- 
sinées, et  un  prêtre  passe  inoffensif,  étranger  ;  c'est  le 
desservant  d'une  commune  voisine,  qui  se  trouve  là  par 
hasard,  M.  Yernet,  curé  d'Arthrel.  Ah  !  si  son  sangpou- 
vait  racheter  vos  méfaits  et  payer  la  rançon  des  victimes, 
il  vous  le  donnerait  jusqu'à  la  dernière  goutte  !  C'est  un 
prêtre  catholique,  un  de  ceux  qui  se  font  tuer  pour  la 


D'UN  COUP  D'ÉTAT.  23S 

|[%iéri(é,|)tiur  l'amour  de  leurs  semblables.  Mais  toucher 
,  «  cet  homme  !  pour  vous,  chrétiens,  c'est  un  sacrilège. 
Habitants  des  campagnes,  vous  n'avez  pas  perdu  la  foi  ! 
Mais  ce  ne  sont  plus  des  chrétiens,  ce  ne  sont  plus  des  1 
hommes,  les  brigands  de  Clamecy,  ce  sont  les  soldats  de 
i  852.  Ils  prennent  ce  prêtre,  ils  l'outragent,  lui  crachent 
au  visage,  lui  font  endurer  les  plus  ignobles  traitements.  ' 

■  Et  cela  dure  (rois  heures  ;  ce  n'est  pas  de  la  colère,  ce 

■  n'est  pas  de  la  rage  aveugle,  c"est  de  l'atrocité  froide  et 
^calculée  ;  les  soldats  de  la  jaciiuerie  s'amusent.  Après 
Hp'avoir  frappé  à  coups  de  bâton ,  ils  lui  donnent  un  coup 

d'épée  dans  les  reins.  Un  habitant  le  recueille  à  sa  porte 
et  lui  prodigue  des  soins.  Ces  hommes ,  souillés  de 
meurtre  et  de  sang,  qui  ont  assassiné  des  enfants  et 
des  prêtres,  n'ont  pas  encore  assez  fait;  il  y  a  d'autres 
atrocités  à  commettre. 

Ce  jour  a  vu  de  hideux  attentats  qui  laisseront  bien 
longtemps  l'épouvante  dans  le  cœur  des  victimes  et  le 
deuil  dans  cette  ville  inloitunée.  Près  de  vingt  per- 
sonnes ont  été  odieusement  outragées.  Voilà  18^2,  voi- 
là la  démagogie  !  Qu'on  crie  donc  encore  analhème  au 
specïre  rouge,  à  M.  de  Roniicu  !  Prophète  qu'on  a  nom- 
iDé  sacrilège  et  qu'on  accusait  de  lèse-majesté  humaine, 
on  a  dépassé  vos  prophéties.  Pendant  ce  temps-là,  les 
gendarmes  et  lesous-préfel  assiégés  par  l'émeute,  résis- 
taient toujours.  Un  malheureux  gendarme  blessé  est  saisi 
par  les  insurgés  qui  l'attirent  au  dehors.  On  l'accablft 
de  coups.  L'un  des  bourreaux  dit  aux  autres  :  Ne  frap- 
pons pas  si  fort ,  i7  durera  plus  longtemps  1  On  a  fait 


256  HISTOIRE 

mourir  ce  gendarme  sous  les  coups.  Et  pendant  eellè 
orgie  de  pillage,  d'assassinat  et  d'odieuses  brutalités,  te 
tocsin  ne  cessait  de  se  faire  entendre ,  et  des  bandeà 
avinées  parcouraient  les  rues,  hurlant  des  refrains  iii->- 
fàmes  ou  terribles  et  criant  :  Vive  BafMs  !  vite  la  gull-^ 
lotinel  mort  aux  riches  !  Le  drapeau  rouge  flottait  sur 
les  édifices  publics. 

Une  partie  des  bandits  avait  barricadé  les  routes  et 
veillait  autour  de  la  ville.  Des  avant-poster,  établis  éti 
tous  côtés,  dévalisaient  les  courriers  et  volaient  léd 
voyageurs. 

Au  bout  de  dix-huit  heures  de  lutte  désespérée,  leit 
gendarmes  avaient  été  obligés  de  se  retirer,  se  cachant  odF 
cela  était  possible.  Quelques  citoyens  avaient  partagé 
cette  belle  résistance  :  gendarmes  et  volontaires  étaieirt 
en  tout  28.  Le  sous-préfet  put  se  réfugier  dan»  nncmafr* 
son  sûre.  Le  procureur  de  la  République,  l'agent  gé- 
néral du  commerce  du  bois,  le  commissaire,  avaient 
trouvé  asile  chez  un  boulanger.  Pour  éviter  d'être  sur-' 
pris,  parce  qu'on  fouillait  les  maisons,  ils  s'étaient  fé^ 
fugiés  par  une  lucarne  sur  le  toit.  On  leur  y  portait  à 
manger.  Ils  y  restèrent ,  enveloppés  dans  des  couver^ 
tures,  jusqu'au  départ  des  insurgés. 

Le  préfet  avait  été  prévenu  le  matin  et  marchait  sur 
Qamecy  avec  cent  soixante-quinze  hommes  du  10* 
chasseurs.  Le  général  Pellion ,  qui  craignait  une  at-^ 
taque  sur  Nevers,  n'avait  pas  pu  mettre  plus  de  monde 
à  sa  disposition.  On  connaissait  le  plan  des  insur- 
gés, qui  était  d'attirer  l'attention  sur  Glamecy,  Saiot^ 


D'UN  œUP  D'ÉTAT.  367 

Pierv^le-Moustier  et  Douzy,  puis  de  se  porter  brusque- 
Bient  sur  Nevers  dans  la  nuit  du  5  au  6. 

A  quatre  lieues  de  Clamecy,  le  préfet  est  informé, 
par  un  gendarme  échappé  au  massacre,  de  la  posi- 
tion réelle  de  la  ville.  Il  apprend  que  les  insurgés  y 
sont  fortement  barricadés  et  qu'il  est  question  de  tirer 
sur  lui  en  le  visant  spécialement.  On  continue  à  mar- 
eher,  et,  un  peu  avant  la  chute  du  jour,  on  arrive  en  vue 
de  Clamecy.  Aussitôt  on  attaque  résolument  un  avant- 
poste  établi  sur  la  route  et  on  l'emporte,  en  faisant 
éprouver  aux  insurgés  une  perte  de  cinq  hommes.  Le 
préfet,  ne  jugeant  pas  convenable  de  combattre  à  cette 
heure  avancée,  conduit  sa  troupe,  à  travers  des  vignes, 
seus  le  feu  des  insurgés,  occuper  la  montagne  qui  do- 
mine la  ville,  et  s'y  établit  pour  y  passer  la  nuit. 

Des  parlementaires ,  conduits  par  M.  Lyonnet,  in- 
génieur y  vinrent  auprès  du  préfet,  qui  les  fit  tous  ar- 
rêter. Durant  la  nuit,  les  insurges,  qui  s'attendaient  à 
une  attaque  pour  le  lendemain ,  commencèrent  à  se 
débander,  et  au  jour  ils  avaient  entièrement  abandonné 
Clamecy.  Ainsi,  la  lâcheté  la  plus  insigne  après  leurs 
forfaits.  Le  préfet  attendit,  pour  entrer  dans  la  ville, 
l'arrivée  de  la  colonne  que  le  général  Pellion  condui- 
sait, accompagné  de  M.  Cartier,  nommé,  parle  gouver- 
nement, commissaire  général  de  l'Allier,  du  Cher  et  de 
la  Nièvre,  et  de  M.  Corbin,  procureur  général.  Le  soir, 
les  autorités  firent  leur  entrée  à  la  tète  des  troupes,  et 
Theure  de  la  justice  commença  ;  plusieurs  chefs,  entre 
autres  Guerbet,  furent  pris. 


258  HISTOIRE 

Par  divers  arrêtés,  M.  Carlier,  commissaire  général, 
a  révoqué  de  leurs  fonctions  :  Lyonnét,  ingénieur  ;Roii»- 
seau,  avoué;  Marion,  huissier,  comme  acteurs  ou  com- 
plices de  l'insurrection.  Voici  textuellement  ce  qui  con- 
cerne le  maire  de  Clamecy  : 

'.  a  M.  Legeay,  maire  de  Clamecy,  qui  a  méconnu  tous 
ses  devoirs  en  fuyant  lâchement,  sous  un  déguisement, 
son  poste,  sa  famille  et  ses  concitoyens,  est  révoqué  de 
ses  fonctions. 

«  M.  Ruby,  homme  de  courage,  est  nommé  maire  de 
Clamecy.  » 

On  procède  à  l'inhumation  des  deux  gendarmes  tom- 
bés sous  les  coups  des  insurgés.  Après  les  familles  de  ces 
deux  braves,  venaient  le  commissaire  général,  le  génâral 
Peliion  et  le  procureur  général,  puis  le  préfet  avec  tous 
les  fonctionnaires,  plus  de  quinze  cents  habitants,  et 
enfin  quatre  régiments,  les  27*  et  41%  les  1*«  et  10* 
chasseurs. 

Le  procureur  général  Corbin  prononça  l'allocution 
suivante  sur  la  tombe  des  deux  martyrs  de  l'ordre  : 

Ofûcicrs,  soldats  de  toutes  armes,  et  vous,  Messieurs, 

En  présence  de  ces  deux  cercueils ,  qui  ne  céderait  à  sa  vive  émo- 
tion ! 

Là  reposent  deux  braves,  tous  deux  morts  pour  la  sainte  cause  de 
Tordre  et  de  la  société;  morts  pour  vous,  habitants  de  Clamecy;  tout 
deux  lâchement  assassinés  par  les  hordes  de  la  démagogie. 

Deux  jours  et  deux  nuits  durant,  la  démagogie  a  été  maîtresse  en 
cette  ville.  ...  la  populace  ameutée,  les  maisons  forcées ,  envahies 
et  pillées;  la  terreur  dans  toutes  les  âmes  honnêtes;  huit  assassinats 


D'UN  COUP  D'ÉTAT.  259 

et  près  de  vingt  victimes  ;  les  plus  hideuses  saturnales  ;  le  sac  et  le 
meurtre  :  voilà  ses  œuvres,  les  voilà  telles  qu'on  nous  les  promettait 
pour  1852. 

Et  sans  le  2  décembre,  sans  le  patriotique  dévouement  de  Napoléon 
Bonaparte,  qui  doute  qu'eUe  n^cût  tenu  parole. 

Mais  elle  comptait  sans  vous ,  ô  notre  héroïque  armée ,  qui,  il  y  a 
quelques  jours  à  peine ,  versiez  votre  sang  à  Paris ,  et  arrivez  encore 
à  temps  au  fond  de  nos  provinces  ! 

Elle  comptait  sans  vous,  brave  gendarmerie,  arme  d'élite ,  type  du 
dévouement  et  du  plus  vrai  courage! 

....  Et  maintenant,  Messieurs,  recueillez-vous  dans  un  suprême 
hommage  pour  ces  glorieux  martyrs! 

Honneur  à  vous,  Cléret!  honneur  à  vous,  Brohant!  au  nom  de  la 
magistrature,  et  au  nom  de  vos  camarades  de  toutes  armes,  au  nom 
de  tous  les  bons  citoyens,  honneur  à  vous! 

La  patrie  n'oubliera  pas  sa  dette  envers  vos  familles ,  et  la  justice 
aura  bientôt  son  cours. 


Une  battue,  ordonnée  par  le  général  Pellion  dans  les 
bois  de  Clamecy,  a  produit  la  capture  de  cent  insur- 
gés. Quatre-vingts  ont  été  pris  à  Entrains.  L'un  d'eux, 
qui  résistait,  a  été  tué.  Sur  la  demande  de  M.  Carlier, 
un  conseil  de  guerre  spécial  fut  désigné  pour  siéger  à 
Clamecy. 

Instruit  de  ce  qui  se  passait  à  Clamecy,  l'évêque  de 
Nevers  était  parti  pour  cette  ville.  Il  voulait  faire  en- 
tendre la  voix  de  Dieu  à  ces  forcenés.  U  apprit  à  Varzy 
quMls  n'avaient  pas  attendu  l'attaque  des  troupes. 

Nous  avons  raconté.  Ce  récit  se  passe  de  commen- 
taires. Dieu  fasse  qu'un  tel  enseignement  profite  à  la 
France  ! 

De  son  côté,  l'arrondissement  de  Cosne  était  le  siège 


290  QISTOIRE 

de  troubles  graves,  qui  éclataient  sur  les  hords  det  la 
Loire  et  se  concentraient  sur  le  bourg  de  Neuvy-sur^ 
Loire.  Le  dimanche,  7  décembre,  un  grand  nombre 
d'hommes  de  celte  commune  et  de  celles  du  voisinage 
s'étaient  réunis  sur  la  place  publique  pendant  la  messe. 
Il  étaient  armés  et  s'apprêtaient  à  combattre  ;  car  on 
avait  appris  que  M.  Ponsard,  secrétaire  général  du  dé- 
partement, était  parti  de  Nevers,  marchant  sur  Neuvy 
avec  un  détachement  du  41»  et  du  18^  de  ligne.  Nous 
citons  ici  une  partie  du  rapport  de  M.  Fortoul,  ministre 
de  l'instruction  pubUque,  au  Président,  sur  les  faits  re- 
latifs à  M.  Vilain,  desservant  de  Neuvy  :  «c  A  l'issue  de 
la  messe,  ce  vénérable  prêtre  apprend  que  les  hommes 
de  sa  paroisse  sont  en  armes  sur  la  place  publique  ;  il 
se  rend  au  milieu  d'eux  pour  leur  prêcher  la  paix.  Sa 
voix  paternelle,  loin  de  calmer  ces  furieux,  n'ayant  fait 
que  les  irriter  davantage,  il  est  contraint  de  se  retirer  au 
presbytère.  Il  y  est  suivi  par  une  bande  ameutée  qui 
lui  demande  ses  armes,  a  Mes  armes,  mes  enfants,  les 
voilà,  répond  le  digne  prêtre  en  montrant  son  bré- 
viaire, je  n'en  ai  pas  d'autres!  —  Vous  en  avez,»  ré- 
pondent les  insurgés.  Ils  fouillent  partout  ;  mais,  ne 
trouvant  rien,  ils  s'en  vont,  a  Quelques  moments  après, 
ils  reviennent  plus  menar^nts  :  «  Allons,  lui  disent-ils 
en  Tabordant,  il  faut  nous  suivre.  —  Où  voulez-vous 
me  conduire?  —  Vous  le  saurez.  —  Mais  je  ne  vous 
suivrai  que  quand  je  saurai  où  je  dois  vous  suivre.  Où 
donc?  —  En  prison  !  —  Comment,  votre  curé  en  pri- 
son, et  par  vos  mains  !  Que  vous  a-t-il  donc  fait  pour  le 


D'UN  COUP  UrÉJkT.  Hi 

Imiter  ainsi?  Depuis  vingtr«x  ans  que  je  suis  au  milieu 
ite.YOUSy  je  le  dis  sans  en  tirer  de  gloire ,  je  ne  me  suis 
fj^pliqué  qu'à  yous  faire  du  bien.  » 

«  ;11  essaie  en  ^vatn  de  les  apaiser.  Deux  des  insurgés 
le  ^isiasent.  Les  Iwoonetto  s'abaissent  sur  lui.  II  cède 
à  la  force  sans  pâlir  devant  elle,  et  dit  avec  douceur  à 
iÇ(iB  méchants  :  «  Marchez,  je  vous  suis,  n 

«  )1  avait  à  peine  franchi  la  porte  du  jardin,  qu'il  i-e- 
çoit  au  côté  droit  la  décharge  d'un  pistolet  tiré  k  bout 
pQptiant.  Ja  JbftUe  déchire  les  chairs  et  sort  par  le  côté 
««Mclje. 

«  |U  est  douloureux  d'avoir  h  ajouter  que  ce  crime 
f^  .^1^9  qui  aurait  dû  remplir  les  spectateurs  d'indi- 
cation, excita  au  contraire  leurs  sarcasmes.  «  Tiens, 
/('|ë(crient-ils,  il  ne  tombe  pas,  il  n'est  pas  mort  !  Il  est 
^cuirassé,  il  faut  tirer  où  il  ne  l'est  pas.  »  Au  même  in- 
stant, l'abbé  Vilain  est  de  nouveau  menacé  par  cinq 
îijLfÀhy  dont  heureusement  aucun  ne  fait  feu.  On  Ten- 
tijaine  tout  sanglant,  on  le  jetle  dans  une  prison,  où  il 
3^  abandonné  seul,  perdant  son  sang  et  ses  forces, 
.nVy^nt  pas  même  un  siège  pour  se  reposer.  Dieu  con- 
xliiisit  auprès  de  la  lucarne  de  la  prison  une  petite  fille, 
qiii  provoqua  les  secours  auxquels  le  bon  curé  doit  la 
fniraculeuse  conservation  de  sa  vie.  » 

.Pendant  ce  temps-là,  les  insurgés  sonnaient  le  toc- 
.fp,  et  une  forte  baiTicade  s'élevait  à  l'entrée  de  la 
,rj?ute  qui  traverse  Neuvy.  Peu  de  temps  après,  la  co- 
Jp^pe  attaquait  résolument  ce  retranchement  et  l'em- 
iPÇi^tait  au  pas  de  course.  Beaucoup  d'arrestations  sont 

17 


262  HISTOIRE 

faites ,  notamment  celle  du  scélérat  qui  a  tiré  sur  le 
respectable  abbé  Vilain.  Un  conseil  de  guerre,  immé- 
diatement organisé,  a  jugé  ce  lâche  assassin ,  et  l!i 
condamné  à  être  fusillé  ;  ce  qui  a  été  exécuté  sur  la 
place  publique,  en  présence  de  toute  la  population. 

Depuis  cette  époque,  sur  le  rapport  dont  nous  te- 
nons de  citer  une  partie,  Louis-Napoléon  a  décori 
l'abbé  Vilain ,  dont  on  a  eu  le  bonheur  de  sauver  les 
jours. 

M.  Ponsard,  délégué  avec  pleins  pouvoirs  du  préfet 
dans  l'arrondissement  de  Cosne,  a  fait  arrêter  et  con- 
duire en  prison  Dethon,  avoué,  et  Gambon,  notaire  et 
adjoint  à  Cosne,  qui  avaient  déchiré  les  proclamations 
du  prince  président.  Ce  dernier  a  été  révoqué  de  ses 
fonctions.  Un  mouvement  insignifiant  a  promptement 
été  comprimé,  à  Poully-sur-Loire,  par  l'arrestation  des 
chefs. 

Voici  quelques  détails  sur  les  événements  de  Bonny- 
sur-Loire.  Nous  les  empruntons  au  Journal  du  Loiret  : 

a  C'est  le  dimanche  7,  à  midi  et  demi,  que  l'explo- 
sion démagogique  a  eu  lieu.  Le  son  du  tocsin,  le  cri 
des  clairons  et  le  bruit  des  armes  se  sont  fait  enten- 
dre simultanément.  Le  tocsin  sonnait  à  la  même  heure 
dans  cinq  à  six  paroisses.  Les  émeutiers  sortaient  de 
leurs  maisons  avec  leurs  fusils  en  criant  :  Aux  armes! 
En  un  clin  d'oeil,  la  place  et  la  Grand'Rue  se  sont  trou- 
vées couvertes  d'une  masse  armée.  On  s'est  rendu  au 
presbytère  pour  faire  rendre  au  curé  ses  armes.  Cet  ec- 
clésiastique a  livré  un  mauvais  pistolet  et  un  fusil  qu'il 


D'I.N  t.OrC  riETAT 

a  averti  être  encore  chargé  depuis  1830.  On  l'a  cin- 
mené  au  corps-de-garde  avec  d'autres  habitants  nota- 
bles dont  on  voulait  s'assurer.  Plus  d'un  conjuré  était 
prêt  à  faire  feu  sur  celui  qui  aurait  tenté  la  moindre 
résistance. 

o  Le  trajet  du  presbytère  à  la  mairie  a  été  effroyable. 
Au  milieu  de  cette  cohue  d'hommes  armés,  figuraient 
une  quarantaine  de  feamics  portant  sabre  à  la  ceinture 
et  fusil  au  bras.  Elles  vociféraient  comme  des  mégères 
et  arrivaient  habillées  en  hommes. 

«  Pour  portodrupcau,  on  choisit  une  jeune  mère  de 
deux  enfants,  de  deux  à  trois  ans,  qui  accepta  ce  péril- 
leux honneur.  Cette  femme  est  en  prison. 

n  Le  tocsin  a  fait  entendre  ses  sons  lugubres  depuis 
midi  et  demi,  à  l'issue  de  la  grand'niesse,  jusqu'il  une 
heure  du  malin  sans  interruption,  puis  a  recommencé 
à  quatre  heures.  Pendant  la  nuit,  il  s'est  passé  des 
«cènes  révolutionnaires  horribles.» 

Jura.  —  Poligny  !...  malheureuse  ville  1...  dans  l'his- 
toire de  la  jacquerie  de  1 851  ;  il  n'y  a  pas  une  horreur 
que  son  nom  ne  rappelle.  A  Potigny ,  la  révolte,  la 

'guerre  contre  la  société,  le  vol,  l'assassinat,  le  viol, 

'toutes  les  lâchetés  et  toutes  les  infamies  ! 

Dès  le  3,  à  neuf  heures  du  soir,  des  groupes  nombreux 
et  hostiles  stationnaient  dans  la  ville.  Comprenant  que 
la  nuit  serait  mauvaise,  le  sous-préfet,  qui  n'avait  pas 

-de  troupes  sous  la  main,  réunit  quelques  amis  qu'il 
arma.  Une  brigade  de  gendarmerie  était  la  seule  force 


I 


261  HISTOIRE 

publique  dont  oapût  disposer.  A  nuBuit^  le.  tocsin  Miir- 

xmi  dans  tous  les  villages  voisins  ^  etjes  frèise&et  amifti 

jprévenus  par  les  démagogues  delatville,  arri'vaientiiie 

'tous  les  côtés  à  la  fois.  Tout  à.coup,  Jes  cloche»  de-Ji 

ville  sonnent  simultanément  le  tocsin  ^  une  bande  d'kir 

siirgés>se! précipite* sur. la. Sous^^PcéCecture,: s'empare  du 

sous^préfety  deiM.iGhjevassu  ^.laneien  Eepréseotant^  de 

iU.  ^Gagneur,  receveur  partioulÎAr^ide.sonfilfiy  ret  de 

Jil;.^Magnin,  lieutenant  d'infanterie  eDipeiriuission.  Tous 

sont  jetés  en  prison  ainsi  que  M.  Outbier^  matreiy  itpii, 

Te«èUi  de  son  écharpe,  aJait  les  plusicourageuxiefiforts 

pour  arréterices  forcenés.  Le:sous-préfet  a  été  presque 

assommé  d'un  coup  quioniui  a  porté  sur  la  léte.  Les 

insurgés  orgauîsent  une  sorte  de  gouvernenient4>rovi- 

•tsoire.  Bergère  est  nommé  sous-préfet  ;  .Lamy,  maire 

'  provisoire ,  et  EWrrival ,  commandant  des.  forces  répu- 

^Uioaines. 

La  nuit  est  affreuse  ;  le  tocsin  y  la. générale,  les  cris, 
le  bruit  des  charriots  qu'on  traîne,  des  pavés  qu'on  ar- 
rache pour  faire  desrbarricades,  to.ulesti (ait  pour, porter 
la  terreur  dans  l'âme  des  habitants  paisibles,. qui. «e 
sont  renfermés  dans  leurs  maisons.  .Dans  les  vilhi^es,^ 
tocsin' sonne  aussi  de  tous  côtés.  Dans:  la  journée  dutfi, 
les  insurgés,  restés  maitre&de  la  ville,  s'y  sont  com- 
portés comme  eussent  fait  de  véritables  harbàres,: pil- 
ilant,  volant,  se  gorgeant  de  vin  et  de  spiritueux,  pour 
ensuite.se  livrer  saux  iiifaiBies  les  plus  lâches-et  Jes 
plus  cruelles.  Les  femmes  ont  été  outragées  de  la  ùr 
çon  la  plus  atroce.  Nous  connaissons,  des  détails  qui 


n'i:is  cffup  ntTAT. 
font  frémir  et  que  nous  n'oserions  \rainicnl  lépcter. 
Dès  !e  matin  du  4,  iine  colonne  d'insurgés,  partie  de 
Poligny,  s'était  portée  sur  l,ons-le-Saulnier.  Arrivée  à 
quelnues  kilomètres  de  la  ville,  elle  \  fut  dispersée  par 
OTie  troupe  d'infanterie  de  ligne,  appuyée  d'un  peloton 
de  gendarmerie,  commandé  par  un  capilaine  et  un 
Kculenaiit.  Le  nouveau  préfet,  M.  de  Chandjnin,  a 
montré  dans  celte  aflaire  la  plus  grande  énergie , 
payant  de  sa  personne  et  ne  regardant  pas  où  pouvait 
être  le  danger.  Dix-neuf  insurgés  furent  pris  et  incar- 
cérés à  Lona-Ie-Saulnier. 

Ce  fut  dans  la  nuit  du  i  au  5,  que  ceux  des  insurçés 
qui  étaient  restés  à  Poligny  commirent  la  plupart  des 
indignités  qui  ont  semé  tant  de  désolation  dans  celte 
ville.  Les  excès  de  toutes  sortes  auxquels  ils  s'étaient 
livrés,  les  orgies  faites  dans  les  caves  des  particuliers, 
les  avaient  disposés  à  ces  horribles  forfaits. 

Dans  la  matinée  du  5,  quand  ils  apprirent  ([ue  la 
force  publique  marchait  snr  eux  ,  après  avoir  dispersé 
Jà  colonne  dirigée  sur  le  clief-licu  ,  et  que,  d'un  autre 

tiiAté,  tout  le  département  était  tranquille,  ils  cointncn- 
&rent  à  trembler.  Ils  remirent  les  prisonniers  en  ti- 
faertc  et  prirent  la  fuite  dans  foutes  les  directions.  Eux- 
ihênies,  avant  leur  départ,  renversèrent  en  partie  les 
barricades  qu'ils  avaient  élevées.  Quand  le  préfet,  qui 
s'était  mis  à  ta  tête  des  troupes,  arriva,  l'oligny  était 
au  pouvoir  des  autorités  rt'gulières;  les  insurgos  avaient 
disparu.  Cependant,  beaucoup  d'arrestations  furent 
|ftiles.  Les  principaux  chefs  arrêtés  sont  :  Henri  Bar- 


2tf6  HISTOIRE 

bier,  rédacteur  du  j0iirnal  la  Tribune  de  VE$t^  et  Ga- 
gneur (Valdimir),  propriétaire,  tous  deux  pris  les  armes 
à  la  main.  Bergère,  Ite  sous  préfet  provisoire  de  Tinsur- 
reclion  ;  Dorrival,  chef  militaire  de  la  même  insurrec- 
tion; Lamy,  avocat,  maire  provisoire,  et  quelques 
autres  chefs,  ont  réussi  à  passer  en  Suisse.  Nous  le  ré- 
pétons, si  nous  ne  disons  rien  des  horreurs  commises  i 
Poligny,  c'est  que  nous  n'en  voulons  pas  salir  nos 
pages,  et  qu'en  outre  nous  nous  sommes  imposé  l'obli- 
gation de  ne  raviver  aucune  douleur  et  de  n'apportera 
aucun  deuil  l'aggravation  d'une  publicité  qu'asseï 
d'autres  ont  maladroitement  provoquée. 

  Lons-le-Saulnier,  quelques  tentatives  de  désordre 
ont  été  faites;  Tarrestation  d'un  certain  nombre  de 
meneurs  a  suffi  pour  les  faire  avorter. 

Saône -ET- Loire,  —  Nulle  part ,  dans  ce  départe- 
ment, l'insurrection  ne  s'est  montrée  bien  formidable; 
mais  elle  a  éclaté  sur  plusieurs  points  avec  tant  d*en- 
semble ,  elle  a  montré  une  telle  unité  d'action ,  qu'il  est 
évident  qu'elle  y  avait  un  plan  parfaitement  organisé, 
des  chefs  sûrs  d'être  obéis,  et  qu'elle  y  aurait  été  terri- 
ble si  le  2  décembre  1851  n'eût  prévenu  le  13  mai  1852. 

Aussitôt  que  les  nouvelles  de  Paris  furent  connues  à 
Châlons,  centre  de  la  démagogie  de  Saône- et-Loîre, 
les  rouges  se  mirent  en  mouvement.  Ils  savaient  qu'une 
autorité  vigilante  avait  l'œil  sur  eux  et  la  main  prête  à 
sévir.  Ils  jugèrent  à  propos  de  lever  l'étendard  de  la 
jacquerie  sur  d'autres  points  de  Tarrondissement.  Ils 


D'UN  COUP  D'ÉTAT. 

firent  partir  des  émissaires  pour  Tournus,  Fontaines, 
Chagiiy  et  quelques  autres  localités.  Le  mercredi  3,  au 
soir,  le  mouvement  éclatait  à  Tournus.  Les  insurgés, 
réunis  à  la  salle  de  spectacle,  formèrent  une  munici- 
palité provisoire,  et  s'emparèrent  du  commissaire  de 
police  et  de  M.  Bérenger,  adjoint.  Le  maire  et  le  juge  de 
paix    étaient  malheureusement  absents.  M.  Bérenger, 
ayant  pu  s'échapper,  se  réfugia  à  la  caserne  de  gendar- 
merie, résolu  à  s'y  défendre  jusqu'à  la  dernière  extré- 
mité. A  minuit,  trente  insurgés,  devant  la  caserne, 
somment  ses  défenseurs  de  rendre  les  armes.  Le  ma- 
réchal-dcs- logis  parait  sur  la  porte  un  pistolet  à  chaque 
main.  nJebrùle  la  cervelle  au  premier  qui  avance,  dit-il. 
M.  Bérenger,moi  et  mes  hommes,  nousnousferonsluer, 
mais  ne  nous  rendrons  pas.  »  Intimidés,  les  insurgésse 
retirent.  Une  messagerie  de  Paris  arrive;  le  postillon, 
qu'on  veut  arrêter,  sangle  à  coups  de  fouet  les  insurgés, 
lance  ses  chevaux  au  galop  et  passe.  Il  a  un  coupdebaïon- 
nclte  dans  la  cuisse  ;  un  des  chevaux  en  a  un  dans  le 
poitrail.  Moins  heureux  ou  plus  timide,  le  postillon  de 
la  malle-poste  laisse  piller  ses  dépêches.  Les  insurgés 
occupent  militairement  la  ville,  plaçant  des  sentinelles 
•  i  la  porte  des  suspects.  Mais,  dès  le  matin,  informés 
qu'ils  vont  être  attaqués,  ils  sont  terrifiés,  reportent 
mne  partie  des  fusils  dont  ils  se  sont  emparés  à  la  Mairie 
^  et  disparaissent.  Le  5,  au  matin,  le  conseiller  de  préfec- 
f  ture  Beugnot ,  avec  deux  compagnies  de  ta  ligne,  arri~ 
^Tait  à  Tournus  et  n'y  trouvait  personne  h  combattre. 
\  Les  chefs  de  l'insurrection  avaient  pris  la  fuite. 


268  HfiTOIRE 

En  même  temps  que  rinsurreclion  ée  fùOtttfdit  ft 
Tournus,  elle  éclatait  à  Fontaines.  Des  démagogtiféli; 
partis  de  Châlons ,  s'y  faisaient  livrer^  le  3  au  sotr,  ISi 
clefs  du  clocher  et  y  sonnaient  le  tocsin.  Partant  de  là^éit 
nombre  de  trente  ou  quarante ,  ils  marchaient  âAr  (M- 
gny  en  battant  la  générale.  Reçus  vigoureusèfiirènt  (Mtf 
la  brigade  de  gendarmerie  et  par  plusieurs  faôrioraMet 
citoyens,  les  insurgés  ont  été  obligés  de  battre  eH  ré- 
traite. Plusieurs  d'entre  eux  ont  été  arrêtés  par  les  gen- 
darmes. Dans  la  lutte ,  M.  Renard ,  de  Ghâgny ,  a  re^it 
deux  coups  de  couteau.  A  côté  de  ce  bratve  défendeur 
de  l'ordre ,  il  faut  citer  aussi  M.  Goqueugndl,  fonôliOiih 
naire,  qui  a  montré  une  grande  intrépidité'.  M.  ItftfK 
crette,  procureur  de  la  République ,  àChàlons,  ei  soA 
substitut,  M.Chopin,  sont  arrivés  avec  vingt  dragOM 
et  quinze  gendarmes^  lorsque  tout  était  terminé.  UsoM 
fait  plusieurs  arrestations. 

Pendant  ce  temps-là,  l'autorité  sévissait  à  ChàlOïifs, 
point  de  départ  du  mouvement  qui  s'opérait  dans  les 
localités  environnantes.  De  nombreuses  arrestation^ 
étaient  opérées ,  et  on  ordonnait  la  ferineture  de  tôtfi 
les  foyers  démagogiques. 

Saint-Geiigoux  se  levait  au  même  moment  que  leH 
communes  que  nous  venons  de  nommer,  et  l' insurrec- 
tion y  prenait  un  caractère  de  haute  gravité.  On  y  son- 
nait le  tocsin,  et  cent  cinquante  insurgés,  après  aVoIr 
pillé  les  caisses  publiques  j  marchaient  sur  Màcon  par 
la  route  de  Cluny  et  de  Sainl-Sorlin.  Sur  leur  passage; 
ils  recrutaient  de  nouveaux  soldats  à  la  jacquerie  ^  soit- 


rrUN  COUP  IVÉTAT. 
nant  le  locsin  partout  oii  iU  passaietil  pour  appoler  aux 
armes.  Au  cliàieau  deCormann,  ils  forcèrent  M.  Hiedrf 
de  LacreteHeà  leur  donner  deux  mille  francs.  Arrivés 
à  Cluny,  ils  se  présenlèrent  au  presbytère  ,  exigeant  de 
M.  Rotur,  curé,  aujourd'hui  décoré  pour  sa  courageuse 
conduite  ,  qu'il  leur  livrât  les  clefs  du  clocher.  Plus  de 
vingt  fusils  étaient  braqués  sur  la  poitrine  du  vénérable 
prèlre  qui  a  plus  de  soixante-dix  ans.  «  Les  clefs  9onl 
cachées ,  dit-il ,  vous  ne  les  aurez  pas.  Tuez-moi  si  vous 
voulez,  je  suis  assez  vieux  pour  faire  un  mort.  »  Dé- 
eoncertés  en  face  de  ce  grand  courage,  ils  partirent  et 
ne  sonnèrent  pas  le  tocsin  à  Cluny.  Le  6  au  malin, 
ils  avaient  dépassé  Saint-Sorlin  ,  et  ils  approchaient  de 
Màcon ,  quand  ils  fnrenl  rencontrés  par  une  colonne 
sous  les  ordres  du  commandant  Porion.  du  V  léger.  Les 
insurgés  étaient  au  nombre  do  quatre  à  cinq  cents,  tous 
mal  vctus  ,  mais  fort  bien  armés.  Le  commandant ,  qoi 
marchait  en  avant  de  sa  troupe,  se  trouva  subitement  en 
présence  d'une  avartt-garde  d'insurgésquî,  au  nombre 
décent  cinquante  environ,  groupés  en  corps,  taudis 
que  d'autres  bandes  étaient  dispersées  dans  les  champs 
et  sur  la  route ,  avait  été  cachi^e  par  ud  coude  du  che- 
min ,  un  pli  de  terrain ,  des  vignes  et  des  buissons. 

Mû  par  un  sentiraient  de  généreuse  compassion  ,  le 
commandantPorion  marcha  aux  insurgés  pour  leur  faire 
comprendre  combien  leur  projet  était  à  la  fois  criminel 
et  imprudent,  puisqu'ils  allaient  se  trouver  en  présence 
d'une  troupe  aguerrie ,  prête  à  les  exterminer;  il  les 
invita  donc  à  déposer  les  armes.  ■  '  ' 


I 


270  HISTOIRE 

L'attitude  et  le  langage  de  l'intrépide  commandaot 
firent  naître  un  instant  d'hésitation  parmi  les  factieux , 
qui  se  séparèrent  et  reculèrent.  Puis ,  à  vingt-cinq  ou 
trente  pas,  une  cinquantaine  firent  une  décharge  qui, 
fort  heureusement,  n'atteignit  pas  le  brave  officier. 
Irrité  par  cet  acte  de  trahison ,  celui-ci  s'écria  :  c  Tirail- 
leurs, en  avant!  »  et,  l'épée  au  poing,  poussa  droit  à 
un  chef  qui  le  tenait  en  joue.  Ce  dernier  fut  renversé 
[lar  le  choc ,  et,  au  moment  où  il  sentait  la  pointe  de 
l'épée  de  son  loyal  ennemi  s'appuyer  sur  sa  poitrine, 
il  demanda  grâce.  Aussi  humain  que  courageux,  le 
commandant  lui  accorda  la  vie  et  se  contenta  de  le  faire 
prisonnier.  L'explosion  avait  attiré  les  soldats,  qui  arri- 
vèrent au  pas  de  course,  et  dont  les  premiers  rangs  firent 
une. décharge  générale.  Les  insurgés,  épouvantés,  se 
débandèrent  et  prirent  la  fuite  à  travers  les  champs  et  les 
vignes.  Ils  laissèrent  cinq  ou  six  des  leurs  sur  le  terrain. 
Huit  d'entre  eux  furent  arrêtés  sur  le  lieu  du  combat. 

Presque  tous  ces  hommes  portaknt  des  sacs  dans 
Tespoir  du  pillage.  La  propriété,  c'est  le  vol ,  disent  les 
socialistes.  Pourquoi  ne  pas  renverser  la  phrase  à  leur 
profit,  et  dire:  Le  vol,  c'est  la  propriété? 

A  Louhans,  où  deux  gendarmes  furent  assassinés, 
la  tranquillité  fut  promptement  rétablie. 

Le  nombre  des  prévenus  qui,  prisonniers  ou  non, 
sont  cités  devant  les  commissions  militaires ,  est  de  487  : 
31  pour  l'arrondissement  de  Louhans,  42  pour  celui 
d'Autun ,  87  pour  celui  de  Charolles,  110  pour  celui  de 
Chàlons,  197  pour  celui  de  Mâcon. 


[)'11N  COIÎP  D'ETAT.  271 

Les  autres  localités  qui  ont  été  troublées  l'ont  été 
trop  peu,  et  trop  peu  longtemps  pour  que  nous  nous  y 
arrêtions.  Pillage  de  caisses  publiques ,  vol  de  dépèches, 
pillage  d'armes,  arrestation  des  courriers,  destruction 
des  télégraphes,  séquestration  des  ronctioniiaircs,  tels 
sont  les  principaux  méfaits  de  l'insurrection  de  Saône- 
et -Loire.  Il  faut  noter  aussi ,  d'une  façon  toute  particu- 
lière, ce  fait,  que  presque  tous  les  insurgés  étaient, 
comme  nous  l'avons  dit,  munis  de  sacs. 


Gïte-d'Or.  —  La  démagogie  socialiste  aurait  peut- 
être  réussi  à  y  produire  quelques  soulèvements  j  mais 
un  assassinat  atroce,  commis  sur  un  olBcier  de  la 
garde  nationale  de  Nuits,  ayant  groupé  dans  un  même 
sentiment  d'indignation  tous  les  honnêtes  gens,  les  dé- 
magogues n'osèrent  exécuter  leurs  complots.  Nous  em- 
pruntons le  passage  suivant  à  la  Tribune  de  Beaune  : 

«  Un  crime  épouvantable  a  jeté ,  samedi  6  décembre. 
la  consternation  dans  la  ville  de  Nuits.  M.  Arthur  Marcy, 
second  fils  de  M.  Morey  de  Labouluye,  est  tombé  vic- 
time d'un  abominable  guet-apens.  Il  sortait  du  café 
Nicole,  ù  onze  heures  du  soir,  lorsqu'un  odieux  assassin, 
embusqué  à  l'angle  d'une  rue,  s'est  précipité  sur  lui,  et 
lui  a  déchargé ,  à  bout  portant,  un  pistolet  dans  la  fi- 
gure. Le  malheureux  jeune  homme  est  tombé  mécon- 
naissable, et  ses  amis,  pour  constater  l'identité,  ont 
été  obligés  d'avoir  recours  aux  objets  qui  garnissaient 
ses  vêtements  et  son  linge.  La  justice  est,  dit-on,  sur 
les  traces  du  coupable.  Puisse  la  vindicte  publique  être 


m  fflSTOlRE  D'OiN  CÔW  Û'ÉTAT. 

satisfaite,  cai"  ce  crim'6  exécrable  a  soulevé  Tindignation 
de  tous  !  x> 

L'assassin  est  uii  cordonnier  de  Nuits',  Abmaié  Jean- 
Bernard  Bbdin. 

Am.  —  Ce  département  devait  avoir  aussi  sa  part  dé 
troubles.  C'est  à  Saint-André-de-Corcy  que  te  mouve- 
ment a  éclaté.  On  lit  dans  le  Jourfial  dé  VÂin,  au  8: 

a  Dans  la  soirée  du  5  décembre^  des  individus,  venus 
des  faubourgs  de  Lyon  ou  des  villes  voisines ,  ont  en- 
traîné avec  eux  quelques  paysans  de  Saint-ltfàrcel , 
puis  se  s6tit  portés  sur  la  rbute  de  Lyon  à  Strasbourg. 
A  son  entrée  dans  le  département  dé  TAiri ,  après  avoir 
arrêté  les  diligences,  pillé  les  dépêches,  ik  ont  attaqué 
fe  caserne  de  gendarmerie  de  Sâint-André-cfè-Corcy. 

a  Le  brigadier  et  deux  gendarmes  arrivèrent  aussitôt 
à  èheval  pouf  repoùsSér  cette  attaque ,  mais  ifs  furent 
reçus  par  une  décharge  qui  les  blessa  tous  trois.  Un 
gendarme  a  reçu  deux  balles  daïlM  .là  poitrine  et  eèt 
mort  des  suites  de  ses  blessures. 

«  Écrasés  par  le  nombre ,  ces  braves  gendarmes  ont 
encore  pir  se  dégager  et  s'éloigner  jusqu'à  Neuville. 

«  Une  force  assez  considérable  a  été  dirigée  sur  ce 
perirtf ,  de  Bourg  et  de  Lyon.  Dix-sept  individus  ont  éléf 
art^êté*  eï  coûduils  à  Lyon.  » 


j^^^^^m  ^IP  ^^p^^l^^^vA  Mf^v^^^V  1 4^F^9^P  IhB^K^V  I 


(WJ^TE,) 


DEtXlÈMB  GROUPE  INSURRECTIONNEL. 


Gers.  — Les  dépêches  arrivées  de  Paris  ne  produi- 
sent d'abord  aucune  émotion  grave  apparente  à  Auch  ; 
^flMÎs  dans  la  joinmèe  du  3,  les  diefs  des  sociétés  secrè- 
iteS'Se  réunirent  dans  les  bureaux  de  rAmi  du  peuple. 
-On  décida  qu'on  ordonnerait  aux  affiliés  de  la  campa- 
•gne  de  s'insurger  et  de  se  porter  sur  le  chef-lieu.  Des 
«émissaires  partirent  dans  toutes  les  directions,  pour 
^tffimsmetk'e  lo  mot  d'ordre.  Parlons  d'abord  de  ce  qui 
^eot  lieu  à  Auch.  Pour  être  exact ,  nous  n'avons  qu'à 
^eiter  le  magnifique  rapport  du  général  Géraudon  : 

«  Le  4,  l'agitation  commença  dans  la  ville  ;  on  prépa- 
rait, par  une  diversion,  le  drame  qui  devait  s'accomplir 
le  soir  même. 


274  HISTOIRE 

«  Il  n'y  avait  en  ce  moment,  à  Auch,  que  trois  esca- 
drons du  6®  régiment  de  hussards.  Ce  faible  efifectif  de- 
vait suffire  à  toutes  les  difficultés  de  la  situation,  car  il 
n'y  avait  de  renforts  prochains  à  attendre  d'aucun 
côté.  Mais  avec  un  chef  tel  que  le  colonel  de  Cognord, 
et  des  soldats  dévoués  et  intrépides  comme  l'étaient  ses 
hussards,  la  partie  devait  être  gagnée. 

«Le  régiment  était  ainsi  réparti  :  le  premier  escadron, 
de  cent  soixante-dix  chevaux,  à  Bayonne  ;  un  demi-esca- 
dron parti  pourFleurance  et  un  autre  vers  Mirande  ;  trois 
escadrons  dans  Auch.  Sur  ces  trois  escadrons,  la  moi- 
tié, divisée  en  petits  pelotons,  gardait  les  issues  impor- 
tantes de  la  ville.  Il  restait  donc  à  la  disposition  do 
colonel  un  escadron  et  demi. 

a  A  onze  heures  et  demie  du  matin,  heure  choisie  par 
les  insurgés,  un  escadron  commandé  par  le  capitaine 
Michel,  reçut  l'ordre  de  se  porter  devant  la  Préfecture 
pour  y  prendre  le  procureur  de  la  République.  Ce  fonc- 
tionnaire se  rendit  avec  cet  escadron  devant  les  bureaux 
de  rAmi  du  peuple,  où  stationnait  un  rassemblement 
nombreux.  Ce  trajet  s'efiectua  à  travers  une  foule  hos- 
tile qui  faisait  entendre  les  cris  de  :  Vive  le  6'  hussards  ! 
vive  la  Constitution  !  Mais  l'attitude  calme  des  cavaliers 
de  l'escadron  en  imposa  à  cette  multitude;  les  sages 
dispositions  prises  par  le  capitaine  Michel  écartèrent 
la  foule,  et  permirent  au  procureur  de  la  République 
de  faire  les  sommations,  au  milieu  des  cris  et  des  voci- 
férations qui  lui  étaient  adressés  de  toutes  parts. 

«  Ces  sommations  n'ayant  amené  aucun  résultat,  le 


DL'N  COUP  D'ETAT.  S78 

capitaine  Michel  ordonna  de  charger  au  trot,  dans 
toute  la  largeur  de  la  rue.  L'impulsion  des  chevaux  et 
les  sabres  des  cavaliers  eurent  bientôt  déblayé  le  ter- 
rain; mais  la  foule  escalada  les  murs  des  jardins  voi- 
sins, s'y  jeta  précipitamment,  et  assaillit  d'une  grêle 
de  pierres  l'escadron  à  son  passage.  Ce  fut  à  ce  mo- 
ment que  le  fourrier  Petit  déchargea  son  pistolet  sur  ta 
foule  des  assaillants,  dont  les  pierres  avaient  déjà  blessé 
quelques  hussards. 

«Après  cette  première  répression,  le  capitaine  Michel 
se  porta  avec  sa  troupe  sur  la  place  de  i'Hôtel-de-Villc, 
dont  ii  garda  toutes  les  issues.  La  lutte  était  engagée; 
les  cris  :  A  bas  les  hussards  !  aux  armes  !  se  faisaient 
entendre  de  tous  côtés.  Des  coups  de  feu  retentissaient 
dans  plusieurs  directions.  L'un  d'eux  fut  tiré  sur  le 
saaréchat-des-logis  Gagnairc,  qui  s'était  jeté  à  la  pour- 
■suite  de  plusieurs  hommes  armés. 
»  «  Vers  quiilre  heures,  il  y  eut  un  moment  do  répit  qui 
■^permit  de  faire  manger  les  hommes  «t  les  chevaux;  un 
^loton  resta  seul  sur  la  place  pour  y  mainlenir  l'ordre. 
-  «A  l'approche  de  la  nuit,  le  colonel  de  Cognord,  qui 
Vêtait  installé  à  l'Hôlel-de-Ville  et  avait  pris  le  cora- 
inandcment  de  toute  la  partie  disponible  de  son  régi- 
-Bient,  envoya  le  capitaine  Michel,  à  la  létc  de  deux  pe- 
lotons, pour  reconnaître  la  roule  de  Bordeaux.  Des  avis, 
parvenus  à  l'autorité,  donnaient  à  connaître  que  l'in- 
surrection s'avançait  par  cette  route. 

En  effet,  le  capitaine  Michel  se  trouva  bientôt  en  face 
d'une  masse  considérable  d'insurgés,  venus  de  Vic-Fe- 


}ff»  HISTOIRE 

zepsac,  Ck>ndom  et  des  villages  gi^vironnillfits-  CfliibfHl- 
fies,  que  leurs  chefs  ^valua^ei^t  k  i6,0Q0  hoimnea,  a'jutï- 
jcètèrent,  iqalgré  l'énorme  disproportion  du  xiomhnek 
sur  rinjonction  du  capitaine.  Ce  dernier  mit  à  pisifit 
les  instants  qui  s'écoulèrent,  poMr  informer  imm^dk* 
lement  le  colonel  deCognord  de  la  position  danp  la? 
qujEflle  il  se  trouvait.  ,Le  cplonel  :ne  perdit  pas  na  îpaUnt. 

c  Après  .avoir  r^pdu  compte  aiu  géinéral  et  fm§eèO€r 
dres,  il  se  rendit,  suivi  de  M.  le  projcureur  de  la  Aépi](r 
b^qye  et  d'un  peloton  de  repfprt  (seule  force  disponi- 
ble) sur  le  lieu  du  rassemblement,  et  put  juger,  dèssoD 
arrivée,  queJles  insurgés  étaient  au  pombrede. 4^0100 
environ ,  armés  de  fusils ,  de  cabres ,  de  pistolets  et  de 
faux.  C'est  contre  une  multitude  pareille  qu'il  allait  se 
trouver  aux  prises  avec  quatre  pelotons  seulemept,  for- 
mant un  etfectif  de  quatre-vingt-dix  hommes. 

c  M.  le  procureur  de  la  République,  M.  3aint-Luo- 
Courlourieux,  homme  dpnt  l'énergie  remarquable  ne 
s'est  pas  démentie  un  instant  au  milieu  de  ces  troubles, 
ci^oignit  aux  factieux  de  se  disperser,  s'ils  ne  voulaient 
y  être  contraints  par  la  force;  mais  ils  ne  tinrent  au- 
cun compte  de  ces  injonctions  et  cherchèrent  à  entrer 
en  pourparlers.  Leur  but  devenait  évident ,  ils  ch^- 
chaient  à  gagner  du  temps,  pour  que  les  nouvelles  bao- 
des  qu'ils  attendaient  pussent  arriver  devant  la  ville 
et  augmenter,  par  leur  présence,  les  chances  de  succès 
pour  l'attaque. 

a  Le  colonel  de  Cognord  comprit  qu'il  n'y  avait  pas 
un  instant  à  perdre.  H  demanda  que  les  sommations 


D'UN  COI  P  D'ÉTAT. 

fussent  faites  sans  délai ,  et  pendant  qu'en  présence  de 
MM.  de  Magnitol  et  Lagaude,  ancien  et  nouveau  préfets, 
le  procureur  de  la  République  remplissait  cette  forma- 
lité, le  colonel  disposa  sa  troupe  en  colonne  d'attaque, 
par  peloton,  à  vingt-cinq  pas  de  distance. 

«  Il  était  neuf  heures  du  soir,  la  nuit  était  sombre,  le 
H  .monient  solennel  et  décisif.  Le  colonel  se  mil  h.  la  tête  de 
mf\t&  petite  colonne  et  commanda  la  charge.  Il  s'élança  le 
Lpremier  au  milieu  des  insurgés,  et  suivi  [tar  ses  quatre- 
■i^vingt-dix  hussards,  que  son  courage  et  son  exemple 
Levaient  élcclrisés ,  il  traversa  deus  fois  cette  masse  tumul- 
tueuseet  menaçante,  sabrant,  bouleversant  tout  sur  son 
passage.  La  vigueur  et  l'énergie  de  celle  attaque  impri- 
mèrent à  l'ennemi  une  terreur  telle  qu'il  prit  la  fuite  dans 
.toutes  les  directions,  se  prêcipilaul  dans  les  carrières 
et  les  ravins  qui  avoisinent  la  route. 

«Maiscetlechargebrillanleavaiteu  lieu  sur  un  terrain 
où  ta  cavalerie  ne  pouvait  pas  se  déployer.  Les  insurgés 
'  ^i,  dans  leur  effroi,  s'étaient  jetés  sur  les  berges  qui 
dominent  le  chemin,  avaient  assailli  les  hussards,  k 
.l'aller  et  au  retour,  par  une  décharge  foudroyante  de 
toutes  leurs  armes.  Aussi,  la  victoire  qu'on  venait  de 
remporter  l'ut-elle  clièremeiil  achetée. 

«  Un  maréchal-des-togis  chef  et  un  hussard  furent 
tués.  Trois  ofticiers  supérieure  furent  blessés  dès  la  pre-  i 
miére  décharge,  l'un  grièvement,  le  major  Dulau,  qui 
l'était  volontairement  joint  à  son  colonel  au  moment 
de  la  charge.  Dix-Iiuit  hussards  furent  blesses.  On 
couiple  deux  chc\aux  tués  et  dix  bles.sés. 


278  HISTOIRE 

«  L'état  Joint  à  ce  rapport,  indique  nominativenMrt 
tous  les  braves  que  te  feu  des  insurgés  a  atteints.  Le 
colonel  est  en  tète  de  cet  état,  comme  il  était  en  tète  de 
la  charge;  son  cheval  avait  été  grièvement  atteint  aussi. 

tt  Ce  fait  d'armes,  exécuté  avec  une  valeur  et  une  in- 
trépidité admirables,  a  sauvé  la  ville  d'Auch  d'une  dé- 
vastation certaine,  et  le  département  d'une  conflagra- 
tion générale.  De  tous  côtés,  les  bandes  de  pillards  et 
d'émeutiers  se  dirigeaient  vers  la  ville,  dans  laqueik 
elles  avaient  de  nombreuses  intelligences.  L'échec 
éprouvé  par  leur  première  colonne ,  jeta  l'épouvante 
parmi  les  autres,  qui  rétrogradèrent  immédiatement  et 
disparurent. 

«  La  conduite  du  6^  de  hussards  est  au-dessus  de  tout 
éloge  :  ofBciers  et  soldats  ont  fait  valeureusement  leur 
devoir,  et  je  ne  puis  assez  reocmmander  ces  braves, 
monsieur  le  ministre,  et  appuyer  les  bienveillantes  dis- 
positions dans  lesquelles  vous  êtes  déjà  à  leur  égard. 

«  M.  Courby  de  Cognord  vous  est  connu  depuis  long- 
temps, ainsi  qu'à  moi.  Le  colonel  du  6*  régiment  de 
hussards  vient  de  prouver  qu'il  est  toujours  l'intrépide 
chef  de  la  cavalerie  française  à  Sidi-Braliim. 

«  Veuillez  agréer,  monsieur  le  minisire,  etc., 

«  Le  général  de  brigade  commandant  la  subdi- 
vision de  la  11*  division  miUtaire  et  l'état 
de  siège  dans  le  déparlement  du  Gers, 

«  DE  Géraudon.  » 
M.  de  Magnitot,  le  préfet  sortant  de  fonctions,  a 


D'UN  COUP  D'ÉTAT.  270 

marché  pendant  Faetion  avec  son  collègue  à  la  tète  des 
troupes.  Ensuite  il  lui  a  remis  la  Préfecture^  et,  prenant 
un  fusil,  est  allé  se  joindre,  comme  simple  volontaire, 
aux  citoyens  de  la  garde  nationale. 

II  faut  citer,  comme  s'étant  distingué  d'une  façon 
toute  particulière,  le  capitaine  Bernardy,  commandant 
la  gendarmerie.  On  nomme  parmi  les  personnages  ar- 
rêtés :  Violet,  lieutenant  de  gendarmerie  en  disponibi- 
lité; Gastineau,  rédacteur  en  chef  de  rAmi  du  peuple j 
a  été  pris  chez  le  sieur  Lacaze,  limonadier,  où  il  s'était 
caché. 

L'insurrection  éclatait  àFleurance,  chef-lieu  de  can- 
ton, à  onze  kilomètres  de  Lectoure,  en  même  temps  que 
dans  les  environs  d'Âuch.  Les  démagogues  de  la  loca- 
lité, ceux  qu  avait  expédiés  la  réunion  de  VAmi  du 
peuple  y  avaient  donné  le  mot  d'ordre  dans  les  campa- 
gnes, et,  dans  la  nuit  du  mercredi  3,  Fleurance  fut  en- 
vahie, à  petit  bruit,  par  les  insurgés.  Quelques  heures 
avant  le  jour,  les  habitants  paisibles  furent  éveillés  par 
un  bruit  affreux.  Quiconque  ouvrait  une  fenêtre  pour 
▼oir  ce  qui  se  passait,  était  immédiatement  ajusté  par 
les  bandits  qui  remplissaient  les  rues.  De  tous  côtés  ar- 
rivaient des  bandes  qui  grossissaient  ce  hideux  rassem- 
blement. Des  fusils,  des  haches,  des  hauts-volants,  des 
faux,  des  broches,  des  coutelas,  des  trancliets  emman- 
chés de  bâtons  :  telles  étaient  les  armes  de  ces  soldats  de 
la  jacquerie.  Chacun  était  prisonnier  chez  soi.  Impos- 
sible de  se  réunir  pour  résister.  Dans  la  ville,  il  n'y  avait 
que  quelques  gendarmes,  ^ue  les  insurgés  assiégeaient 


280  HISTOIRE 

dans  leur  caserne,  à  laquelle  ils  voulaient  mettre  le  feu, 
parce  que  ces  braves  militaires,  sommés  de  rendre  leun 
armes,  avaient  dit  qu'ils  ne  les  lâcheraient  que  morts. 
On  put  cependant  faire  partir  un  courrier  pour  Auch 
et  un  autre  pour  Lectoure.  Celte  dernière  ville,  étant 
beaucoup  plus  rapprochée ,  envoya  plus  promptement 
des  secours.  Au  milieu  de  la  journée,  le  sous-préfet 
Lacoste,  le  juge  d'instruction,  le  greffier,  le  procureur 
de  la  République,  arrivaient  avec  quinze  gendarmes 
sous  les  ordres  du  lieutenant  Guérin.  Les  insurgés 
sortirent  pour  les  recevoir  à  l'entrée  de  la  ville;  mais 
la  valeureuse  cohorte  s'élança  à  fond  de  train  et  se  fit 
passage  jusqu'à  la  place,  oii  elle  vint  se  ranger  sous  le 
balcon  de  la  mairie.  Les  insurgés  environnaient  ces 
braves.  Deux  de  leurs  tambours  étaient  au  premier 
rang.  Le  sous-préfet,  marchant  à  l'un  d'eux,  lui  arrache 
les  baguettes,  puis  la  caisse  qu'il  jette  au  loin.  Vingt 
fusils  le  couchent  en  joue.  Découvrant  sa  poitrine: 
«  Frappez,  s'écrie-t-il,  frappez  un  magistrat  sans  dé- 
fense !  Croyez-vous  m'intimider  ?  Celui  qui  protège  le 
bon  ordre  et  Thumanilé  n'a  rien  à  craindre;  il  n'y  a 
que  les  misérables  qui  s'arment  contre  la  société  qui 
doivent  trembler...  Frappez,  vous  dis-je,  je  mourrai  en 
faisant  mon  devoir,  et  vous,  on  vous  enverra  au  bagne 
avec  les  voleurs  et  les  assassins!  »  Puis  il  commande  à 
l'autre  tambour  de  faire  un  roulement.  Cet  homme 
hésite:  «Obéissez,  lui  dit  le  magistrat,  ou  je  vous  passe 
mou  épée  au  travers  du  corps!  »  Alors,  sublime  specta- 
cle, M.  Lacoste  fait  les  trois  sommations,  et  les  insurgés. 


WVy  COUP  D'ÉTAT.  2MI 

dominés  par  celle  audace  du  devoir,  se  séparent.  Ce 
n'est  pas  assez  pour  le  représentant  de  l'autorité: 
»  Maintenant,  dit-il,  les  barricades  que  vous  avez  con- 
struites, travaillez  à  les  renverser.  »  Les  insurgés  obéis- 
sent encore.  Que  l'on  compare  la  conduite  de  ces  cou- 
rageux magistrats  à  celle  des  représentants  à  la  mairir 
du  I0«. 

Comme  les  insurgés  travaillaicnl  à  la  destruction  de 
leurs  barricades,  un  escadron  de  hussards,  parti  d'Audi, 
entrait  dans  Fleurancc.  Epouvantés,  ils  ont  pris  la  fuite 
en  jetant  leurs  armes.  Beaucoup  ont  été  arrêtés  ;  mais, 
comme  toujours,  les  chefs  avaient  fui  des  premiers. 
On  cite  parmi  ceux-ci  ;  Diipuy,  Campan,  Dclas,  Taris- 
sant. Claoné,  médecin,  qui  avait  attaqué  la  mairie, 
les  armes  à  la  main,  a  été  arrêté  encore  nanti  de  car- 
touches. 

A  Mirande,  les  [roubles  se  manifestèrent  dans  la 
journée  du  3.  Cinq  ou  six  mille  insurgés  s'emparèrent 
de  [a  ville  et  firent  prisonnières  les  autorités,  notam- 
ment le  sous-préfet  qui  fut  blessé  au  cou,  mais  légère- 
ment,d'un  coup  de  pistolet.  Une  autorité  révolutionnaire 
fut  installée,  composée  de  MM.  Canleloup,  Nélérinaire, 
Adrien,  Terrail,  Passama  et  quelques  autres.  Ils  firent 
garder  à  vue  les  véritables  fonctionnaires  dans  la  pri- 
son de  la  ville,  pillèrent  la  poudrière,  tirent  différentes 
rcquisilions  forcées,  et  distribuèrent  à  ceux  qu'ils 
nommaient  leurs  soldats,  des  cartes,  sorte  de  bons,  sur 
lesquels  les  habilanls  devaient  leur  délivrer  ce  dont  îla 
auraient  besoin.  Les  troupes  disponibles  à   Auch    ne 


282  HISTOIRE 

suffisant  pas  pour  chasser  les  insurgés,  une  colonne, 
partie  de  Toulouse,  formée  d*unc  compagnie  du  60* 
de  ligne  et  de  deux  pièces  d'artillerie,  est  entrée  le  7 
au  soir  à  Mirande.  Lors  de  l'arrivée  de  cette  colonne 
et  des  autres  troupes ,  que  le  préfet  y  a  conduites,  les 
insurgés  avaient  quitté  la  ville  après  avoir  détruit  leurs 
barricades,  remis  leurs  prisonniers  en  liberté,  et  même 
imploré  leur  intercession  près  du  gouvernement.  La 
plupart  des  meneurs  ont  pris  la  fuite  ;  cependant  les 
arrestations  ont  été  nombreuses. 

A  Gondora,  le  6,  les  choses  se  passaient  presque  de 
la  même  manière.  La  ville,  occupée  par  l'insurrec- 
tion ,  vit  aussi  l'établissement  d'une  administration  in»- 
surrectionnelle ;  mais,  comme  ceux  de  Mirande,  les 
insurgés,  à  la  nouvelle  qu'un  détachement  marchait 
sur  eux,  se  dispersèrent.  Ils  rétablirent  eux-ipémes 
M.  Campaigno  à  la  Sous-Préfecture.  Les  bandes  qui 
ont  marché  sur  Auch  sont  parties  de  Vic-Fezensac,  de 
Masseube  et  de  Jegun .  oii  les  mairies  ont  été  prises 
par  les  insurgés.  On  cite  le  maire  de  Jegun,  M.  Jules 
Lasmezas,  comme  ayant  montré  la  plus  grande  in- 
trépidité. 

Lot-et-Garonne.  —  A  Marmande,  à  Villeneuve-d'A- 
gon,  rinsurrection  s'est  manifestée  de  la  façon  la  plus 
grave.  I-^s  nouvelles  de  Paris  arrivèrent  à  Marmande  le 
2  au  soir.  Le  sous-préfet,  M.  Pelline,  donne  ordre  à 
quelques  brigades  de  gendarmerie  de  se  concentrer  sur 
cette  ville.  Dans  la  matinée  du  mercredi  3,  quelques 


r 


D'UN  COUP  D'ÉTAT. 


drapeaux  Turent  arborés  aux  fenêtres;  les  démagogues 
de  la  localité  se  mirent  en  mouvement,  et  beaucoup  se 
répandirent  dans  la  campagne,  pour  y  donner  le  si- 
gnal de  l'insurrection.  Le  soir,  une  séance  tumultueuse 
du  conseil  municipal  eut  lieu  ;  on  y  laissa  entrer  les 
délégués  du  peuple,  et,  sous  la  pression  qu'ils  exercè- 
rent, le  conseil  rendit  un  décret  de  déchéance  contre 
le  Président.  Le  maire.  M.  Durour,  qui  a  fait  la  plus 
honorable  résistance,  et  un  autre  conseiller  municipal, 
n'ont  pas  voulu  signer  ce  décret,  qui  invitait  \i\  popu- 
lation de  Marmande  à  délendre  la  Constitution  les 
armes  à  la  main.  Le  4,  des  rassemblements  nombreux 
avaient  lieu  dans  les  cafés,  sur  les  places,  et  le  sous<pré- 
fet  fit  publier  l'invitation  aux  hommes  d'ordre  de  se 
réunir,  pour  prêter  leur  concours  â  l'autorité.  Cette 
demande  du  sous-préfet  resta  sans  résultat.  Une  com- 
mission, dite  municipale,  s'était  organisée,  et  était 
composée  de  MM.  Vergues,  avocat;  Goyneau,  avoué; 
Mourai),  marchand  de  prunes;  Bacarisse ,  avoué,  et 
quelques  autres.  Pefit-Lafitte,  Moreau ,  prirent  part 
aux  actes  coupables  commis  dans  Marmande.  MM.  Ver* 
gnes ,  Petil-Lafitle  et  Moreau  sommèrent  le  sous-pré- 
fet de  dire  s'il  était  pour  le  Président  de  la  Répu- 
blique, et  lui  deimuidèrcnt  de  résigner  »es  fonction» 
entre  les  mains  du  peuple.  M.  Pellinc  répondit  qu'il  ne 
reconnaissait  comme  son  chef  que  le  min)stn>  «le  l'inté- 
rieur, et  qu'il  regardait  tout  ce  qui  se  passait  comme 
illégal.  Le  5,  envahissement  de  la  Sous-Préfecture,  no- 
mination de  Peyroniiy,  chef  d'escadron  en  retraite  i 


184  HISTOIRE 

Miraroonty  au  commandement  de  la  garde  nationale; 
Seré-Lanauze  est  nommé  son  lieutenant.  Séquestra^ 
tion  du  sous-préfet  dans  son  appartement.  Ce  fono- 
tionnaire  sort,  malgré  les  consignes  des  sentinelles,  d 
s'embarque  dans  une  yole  avec  M.  Joly,  ingénieur  des 
bords  de  la  Garonne,  pour  aller  chercher  des  secours 
à  Bordeaux.  Miramont  avait  fourni  quatre  cents  hom- 
mes à  l'émeute.  La  commission  révolutionnaire  avait 
distribué  toutes  les  armes  destinées  à  la  garde  natio- 
nale. Plusieurs  citoyens  étaient  gardés  à  vue,  et  d'au- 
tres étaient  contraints  à  faire  de  la  poudre,  à  fondre  des 
balles  et  des  boites  à  mitraille,  car  on  espérait  utiliser 
deux  canons  qui  avaient  été  donnés  à  la  ville  pour  le 
service  de  la  garde  nationale. 

Après  l'envahissement  de  la  Sous-Préfecture,  le  sous- 
préfet  avait  donné  Tordre  à  M.  Flayette,  lieutenant  de 
gendarmerie,  de  se  retirer  à  Couthures  avec  ses  gen- 
darmes. Cet  officier  reçut  dans  la  nuit  celui  de  se  re- 
plier jusque  sur  la  Réole. 

Le  sous-préfet  s'était  rendu  à  Bordeaux  près  du  gé- 
néral d'Arbouville,  qui,  n'osant  pas  immédiatement  dé- 
garnir cette  ville,  conseilla  à  M.  Pelline  de  se  rendre  à 
la  Réole  où  étaient  les  gendarmes ,  et  d'y  attendre  les 
secours  qu'il  lui  enverrait.  Le  dimanche  7  ,  dans  la 
soirée,  le  lieutenant  Flayette  reçut  l'ordre  de  se  porter 
à  Couthures  pour  y  favoriser  le  débarquement  de  cinq 
cents  hommes  de  troupe  de  ligne  envoyés  de  Bordeaux 
sur  un  bateau  à  vapeur.  Cent  chasseurs  à  cheval  et 
une   demi-batterie  d'artillerie  marchaient  sur   Mar- 


r 


D'UN  COL'P  D'ÉTAT.  285 

mande  par  la  voie  de  terre.  A  quatre  heures  flu  ma- 
lin, les  insurgés ,  prévenus  de  l'arrivée  des  troupes, 
forcèrent  leurs  chefs  à  marcher  à  leur  t^te  et  prirent 
la  route  de  Castelnau.  Peyronny  ,  Seré-Lanauze  , 
Vergnes,  Gergerès  et  quelques  autres,  étaient  de  celle 
expédilion.  Arrivé  à  Sainte-Bazeiite,  Peyronny  venait 
de  faire  prendre  position  à  ses  bandes,  quand  on  enten- 
dit le  bruit  d'une  troupe  de  cavalerie  qui  approchait  ; 
c'était  le  lieutenant  Flayette  avec  vingt-cinq  gendar- 
mes et  le  sous-préfet,  se  portant  surCouthures  suivant 
l'ordre  qu'il  en  avait  reçu.  Au  moment  où  '^  P*''^ 
ton  s'avançait  au  trot,  les  gendarmes  davant-garde 
ayant  le  sabre  à  ta  main,  un  commandement  fait  d'une 
voix  fortement  accentuée  se  fait  entendre  :  Qui  vive! 
un  instant  après  :  Qui  vive,  joue,  feu  !  l'ne  terrible  fu- 
sillade suit  ce  commandement,  et  plusieurs  gendarmes 
tombent  grièvement  blessés.  Les  chevaux  du  lieute- 
nant Flayette  et  du  maréchal-d es-logis  Gardette  s'af- 
faissent. Les  autres  chevaux  s'emportent,  et  le  peloton 
se  disperse.  Gardette  et  un  autre  gendarme  restent 
gisants  sur  la  route.  Les  insurgés  s'approchent;  un 
nomraé  Prévost  dit  :  «Qui  est  celui-là?  On  lui  répond  : 
— C'est  un  maréchal-des-logis  qui  est  tué, — Tant  pis,  dit 
cet  homme.  — Maisil  avaittirésurnous?  —  Alors  tant 
mieux,  ajoute  Prévost,  il  faut  lejetcr  dans  un  fossé.»  Va 
nommé  Masson  frappe  Gardette  de  deux  coups  de  sabre  : 
«Lâche,  lui  dit  Gardette,  »  Masson  lui  porte  un  troi- 
sième coup  de  sabre.  Un  autre  insurgé,  nommé  Mazu- 
met,  avait  une  broche  qu'il  enfonce  entre  les  flancs  du 


286  HISTOIRE 

blessé.  Alors  Gardette  fit  le  mort.  On  se  mit  à  le  dé- 
pouiller ;  quand  on  lui  prit  son  sabre^  il  fit  un.  mouve*- 
ment.  On  lui  donna  encore  un  coup  de  sabre.  Nom  ci» 
terons  textuellement  les  paroles  de  Peyronny  lui-iDéme 
devant  le  conseil  de  guerre  :  «  Je  proteste  que  j'igno- 
rais toutes  ces  atrocités  ;  il  n'y  a  que  la  canaille  qui 
puisse  agir  ainsi;  et  quand  on  voit  que  ce  sont  des 
Français  ,  il  est  impossible  de  ne  pas  être  saisi  d'hor- 
reur et  d'indignation.  »  Bientôt,  ayant  appris  que  1| 
troupe  avait  débarqué,  les  insurgés  se  débandèrent 
Peyronny  et  Les  aujlres  chefs  durent  chercher  leur  salut 
dans  la  fuite.  Quant  au  sous-préfet,  il  parvint  à  rallier 
une  douzaifie  d'hommes,  et  rentra  avec  eux  à  Mfaur^ 
mande. 

Le  lieutenant,  de;  son  côté,  retrouvait  quelques-uns 
de  ses  soldats  à  Sainte-Bazeille ,  et ,  conduU  par  m 
paysan  sur  les  bords,  de  la  Garonne,  y  apprenait  que  h 
troupe  de  ligne  venait  de  débarquer.  Il  la  rejoignait  à 
Sainte-Bazeille.  Les  troupes  entrèrent  sans  difficulté  à 
Marmande. 

Ainsi,  cette  ville  demeura  au  pouvoir  des  insurgés  de- 
puis le  3  au  soir  jusqu'à  la  matinée  du  lundi  8..  Is 
procureur  de  la  République  était,  pendant  tout  ce 
temps-là,  resté  bravement  à  son  poste. 

Le  1 8  décembre  au  malin ,  Peyronny  et  Seré-L^ 
nauze  ont  été  arrêtés  sur  un  bateau  en  descendant  lu 
Dordogne  pour  s'embarquer,  au  bas  de  la  rivière,  sur 
un  navire  en  partance  pour  l'étranger.  On  tes  a  cou* 
duils  à  Bordeaux ,  ou  un  conseil  de  guerre  a  condaumi 


D'UN  COUP  D'ÉTAT. 

Peyronny  à  la  déportation  ef  à  la  dégradation  comme 
chevalier  de  la  Légion  d'honneur.  Le  14,  par  le  ba- 
teau à  vapeur,  déjà  trente  prisonniers  étaient  arrivés 
de  Marmande. 

A  VilIcncuvc-d'Agcii,  les  insurgés  s'étaient  aussi 
emparés  de  la  ville  et  y  avaient,  comme  à  M;irmande, 
installé  une  autorité  révolutionnaire.  Le  sous-préfet  et 
le  président  du  tribunal  s'étaient  retirés  à  l'abbaya 
d'Eysses,  sous  la  protection  de  deux  compagnies  du  1 7" 
qui  gardent  la  maison  centrale,  ^ous empruntons  le  ré- 
cit suivant  au  Journal  de  Lot-et-Garonne,  du  Hi  : 

«Le samedi  13.  les coloimes  expéditionnaires,  ayant 
en  fête  le  préfet  de  Lot-et-Garonne,  ont  fait  leur  enlrée 
dans  la  ville,  l'n  peloton  de  vingt  gemlarmes ,  sous  les 
ordres  du  brave  commandant  Polerlet.  entré  le  pre- 
mier à  Villeneuve,  fut  reçu  par  les  habitants  d'une  fa- 
çon assez  malveillante;  mais  l'énergique  attitude  de  la 
gendarmerie  et  l'allocution  plus  énergique  encore  du 
commandant  à  la  foule,  imposèrent  silence  à  cet  essai 
de  démonstration. 

n  Une  demi-heure  après,  l'infanlerie,  la  cavalerie, 
l'artillerie  arrivaient  dans  toutes  les  directions,  et  le 
calme  se  rétablissait  par  enchantement. 

o  Le  préfet  de  Lot-et-Garonne  avait  un  grand  acte 
de  réparation  à  accomplir.  Escorté  d'un  détachement 
de  chasseurs,  il  s'est  rendu  à  l'abbaye  d'Eysses,  où  le 
sous-préfet  et  plusieurs  des  autorités  avaient  dû  se  réfu- 
gier. Chassé  de  Villeneuve  par  la  violence,  le  sous-pré- 
fet  y  est  rentré  avec  les  honneurs  dus  à  rautorité. 


'^. 


288  HISTOIRE 

«  Le  préfet  s'est  empressé  de  prendre  toutes  les  me- 
sures de  sûreté  que  commandaient  les  circonstances. 
Tous  les  clubs,  cabarets  et  autres  réunions  socialistes 
ont  été  fermés  et  gardés  par  la  troupe.  Quarante  man- 
dats d'amener  ont  été  lancés  ;  mais,  comme  on  le  pense 
bien,  la  commission  municipale  et  toutes  les  autorités 
provisoires  avaient  pris  la  volée  au  son  du  tambour,  et 
l'on  a  pu  seulement  ramasser  une  douzaine  de  per- 
sonnes. 

ce  Quant  aux  Dubruel,  aux  Philips,  aux  Brondeau, 
el  autres  premiers  sujets  de  ce  gouvernement  pour  rire, 
qui  se  permettait  de  destituer  les  fonctionnaires,  d'ar- 
rêter les  courriers  et  de  mettre  les  caisses  publiques 
sous  le  séquestre,  on  est  à  leur  poursuite,  et  bientôt, 
sans  doute,  ils  rendront  compte  au  conseil  de  guerre 
de  leur  conduite  pendant  ces  tristes  journées. 

(c  Quelques  habitants,  ayant  mis  obstacle  aux  réqui- 
sitions frappées  pour  la  nourriture  et  le  logement  des 
troupes,  les  soldats  ont  été  logés  militairement  chez  les 
récalcitrants. 

«  Diverses  autres  mesures  d'ordre  ont  été  proscrites 
par  le  préfet  avec  une  promptitude  et  une  vigueur  re- 
marquables. 

«  Le  plus  difficile  a  été  de  se  procurer  un  maire. 
Des  démarches  ont  été  faites  auprès  de  plusieurs  habi- 
tants de  Villeneuve,  restés  fidèles  à  la  bonne  cause.  Au- 
cun n'a  voulu  encourir  la  responsabilité  municipale.  Le 
préfet  alors  a  pris  un  moyen  héroïque,  il  a  fait  venir 
trois  conductcui*s  des  ponts-el-chaussécs,    dont   les 


D'UN  COUP  DÉTAT. 

principes  et  la  couduîle  claient  des  plus  salisfaisants,  et 
il  les  a  nommés  maire  et  adjoints. 

o  Hier  malin,  le  calme  le  plus  profond  régnait  dans 
cette  ville,  la  veille  insurgée.  Le  préfet  est  rentré  à 
Agen.  o 

La  ville  de  Clairac  voulut  aussi  avoir  sa  part  dans  les 
troubles  du  département.  Le  maire,  M.  Audeberl,  fit 
afficher  une  proclamation  qui  mettait  le  Président  hors 
la  loi.  Mais  dès  qu'on  eut  appris  la  mise  en  état  de 
siège  du  département ,  le  calme  se  rétablit. 


Haute-Gabonse. —  Le  mercredi  3,  au  soir,  on  a 
affiché  à  Toulouse  la  dépèche  télégraphique  annonçant 
la  dissolution  de  l'Assemblée.  La  municipalité  est  re&tée 
en  permanence  une  partie  de  la  nuit.  Les  troupes  ont 
été  consignées,  et  la  place  du  Capitole  occupée  par  un 
piquet  de  cavalerie.  \  dix  heures  du  soir,  rue  de  la 
Pomme,  où  se  trouvent  les  bureaux  de  l'Émancipation, 
et  sur  la  place  du  Capitule,  des  groupes  nombreux 
commencent  à  se  former.  Ils  sont  très-animés  et  pré- 
sentent une  physionomie  des  plus  hostiles.  Bientôt  ils 
se  dispersent ,  la  manifestation  a  été  contrcmandée. 

A  deux  heures  du  soir,  le  lendemain ,  on  arrive  de 
tous  les  côtés  sur  la  place  en  criant  :  n  Vive  la  Répu- 
blique! vive  la  Constitution!  »  Une  demi-beurc  après, 
M.  de  Forgeniolles ,  ciipitaînc  d'êlat-major  du  général 
Réveil,  se  présente  pour  passer  au  milieu  de  la  foule.  H 
est  reçu  à  coups  de  pierres  et  aux  cris  de  :  «  Vive  la  Ré- 


■v;. 


I 


290  HISTOIRE 

pirblique  !  »  Alors  il  tire  son  sabre  et  veut  avancer.  Un 
individu  tire  un  coup  de  pistolet  sur  lui  et  le  manque. 
Aussitôt  les  curieux  prennent  la  fuite.  Un  instant  après, 
le  général ,  le  procureur  général ,  le  maire  et  quelques 
conseillers  municipaux,  arrivent  avec  l'artillerie  à  che- 
val et  se  rangent  devant  de  nombreuses  troupes  d'in- 
fanterie qui  étaient  en  bataille  sur  la  place  du  Capitole. 
Les  autorités  font  les  trois  sommations,  et  la  cavalerie 
charge  au  galop  sur  la  foule,  qui  se  disperse. 

Le  même  jour  4,  les  deux  journaux  V Émancipation 
et  la  Civilisation  publiaient  une  protestation  qui  invi- 
tait le  peuple  à  se  lever  pour  la  défense  de  la  Consti- 
tution, et  déclarait  le  Président  déchu. 

La  proclamation  suivante  a  été  affichée  : 

Aux  habitants  de  la  Haute-Garonne, 

Les  signataires  de  la  proclamation  incendiaire,  publiée  aujourd'hui 
par  VÉmancipatikm  et  la  Civilisation,  ont  été  arrêtés,  et  la  cour  d*appel 
de  Toulouse,  sur  les  réquisitionsdu  procureur  général ,  vient  d'é?oquer, 
ce  soir  même,  la  connaissance  de  cette  aflairc,  qualifiée  complot,  ayant 
pour  but  d'exciter  les  habitants  à  la  guerre  civile ,  ainsi  que  de  la 
tentative  d'assassinat  dont  M.  de  Forgemollcs,  capitaine  aide-de-camp 
de  M.  le  général  commandant  la  division,  a  été  Tobjet  aujourd'hui. 

Les  commissaires  instructeurs  sont  :  iM.  le  premier  président  et 
MM.  les  conseillers  Tarroux  et  I)cnat. 

Les  arrestations  ont  été  opérées  sans  résistance.  Toulouse  jouit  de- 
puis ce  moment  de  la  plus  grande  tranquillité. 

Les  autorités  civiles  et  militaires  sont  en  mesure  de  réprimer  toute 
nouvelle  tentative  de  désordre. 

Toulouse,  le  4  décembre  i85i. 

Le  préfet  de  la  Haute-Garonne, 

PlÉTRI. 


D'UN  COUP  ITÉTAT.  »4 

L^îndi^idu  qui  a  tiré  6ur  M.  deForgémolles  esl  en  état 
d'^arrestation. 

Grâce  à  l'énergie  des  autorités,  et  surtout  aux  mesures 
prescrites  et  habilement  dirigées  par  M.  le  préfet  Piétri, 
Tordre  n'a  pas  été  troublé  davantage  à  Toulouse. 

Haute- Vienne.  —  La  proclamation  du  préfet  de  ce 
département  contient  le  récit  des  désordres  qui  l'ont 
affligé.  Nous  la  citerons  en  entier  : 

Le  préfet,  aux  habitants  de  la  Haute-Vienne,  T^p 

Des  anarchistes  s'étaient  portés  dans  les  communes  rurales  pour  y 
semer  Falarme.  Déjà  ils  proféraient  dVffroyables  clameurs;  ils  son- 
naient le  tocsin ,  prélude  de  tant  de  crimes.  Ils  couraient  à  travers 
les  campagnes,  armés  de  fusils,  de  haches  ,  de  fourches  et  de  faux. 
Leur  nombre  s'élevait  à  près  de  cent  cinquante. 

Aussitôt  que  cette  nouvelle  est  parvenue  à  la  connaissance  de  Tau- 
torité ,  il  a  été  envoyé  de  Limoges  cinquante  bassards  et  six  gen- 
darmes, sous  la  direction  du  commissaire  central.  Le  détachement  a 
atteint  les  anarchistes  à  Linards  et  les  a  immédiatement  mis  en  dé- 
route. Trois  coups  de  feu  sont  partis  de  la  bande  sur  les  hussards. 
Geux-ei  ont  riposté  par  une  vigoureuse  décharge.  Sept  insurgés  ont 
été  blessés,  dont  deux  assez  gravement  à  la  tète. 

Le  sergent  de  ville  Blanchard  en  a  blessé  un  autre  d'un  coup  de 
sabre,  au  moment  où  il  couchait  en  joue  un  niilitaiic. 

M.  Ruchaud,  curé  de  Saint-Bonnet ,  a  marché  contre  ces  brigands 
h  la  tète  de  vingt-deux  paysans  armés  pour  la  défense  de  Tordre.  Ce 
brave  et  digne  ecclésiastique  n'a  pas  pâli  devant  un  canon  de  fusil 
tourné  contre  lui  ;  il  a  donné  un  de  ces  nobles  exemples  de  courage 
auxquels  applaudira  tout  homme  qui  porte  un  cœur  élevé. 

Le  rapport  du  commissaire  central,  daté  du  6,  à  neuf  heures  du 
soir,  me  fait  connaître  qu'on  a  opéré  trente  arrestations  et  que  ce 
matin  on  doit  en  faire  de  nouvelles.  On  a  saisi  des  fusils,  des  balles, 
des  cartouches»  des  couteaux-poignards. 


■'; 


I 


i 


290  HISTOIRE 

pirbliquc  !  »  Alors  il  tire  son  sabre  et  veut  avancer.  Un 
individu  tire  un  coup  de  pistolet  sur  lui  et  le  manque. 
Aussitôt  les  curieux  prennent  la  fuite.  Un  instant  après, 
le  général ,  le  procureur  général ,  le  maire  et  quelques 
conseillers  municipaux,  arrivent  avec  Tartillerie  à  che- 
val et  se  rangent  devant  de  nombreuses  troupes  d'io- 
fanterie  qui  étaient  en  bataille  sur  la  place  du  Capitole. 
Les  autorités  font  les  trois  sommations,  et  la  cavalerie 
charge  au  galop  sur  la  foule,  qui  se  disperse. 

Le  même  jour  4,  les  deux  journaux  V Émancipatwn 
et  ta  Civilisation  publiaient  une  protestation  qui  invi- 
tait le  peuple  à  se  lever  pour  la  défense  de  la  Consti- 
tution, et  déclarait  le  Président  déchu. 

La  proclamation  suivante  a  été  aflîchée  : 

Aux  habitants  de  la  Haute-Garonne, 

Les  signataires  de  la  proclamation  incendiaire,  publiée  aujourd'hui 
par  VÉmancipcOêon  et  la  Civilisation,  ont  été  arrêtés,  et  la  cour  d'appel 
de  Toulouse,  sur  les  réquisltionsdu  procureur  général ,  vient  d'é?oquer, 
ce  soir  même,  la  connaissance  de  cette  affaire,  qualifiée  complot,  ayant 
pour  but  d'exciter  les  habitants  à  la  guerre  civile ,  ainsi  que  de  la 
tentative  d'assassinat  dont  M.  de  Forgemolles,  capitaine  aide-de-camp 
de  M.  le  général  commandant  la  division,  a  été  Tobjet  aujourd'hui. 

Les  commissaires  instructeurs  sont  :  M.  le  premier  président  et 
MM.  les  conseillers  Tarroux  et  Denat. 

Les  arrestations  ont  été  opérées  sans  résistance.  Toulouse  jouit  de- 
puis ce  moment  de  la  plus  grande  tranquillité. 

Les  autorités  civiles  et  militaires  sont  en  mesure  de  réprimer  toute 
nouvelle  tentative  de  désordre. 

Toulouse,  le  i  décembre  i85i. 

Le  préfet  de  la  Haute-Garonne, 

PlÉTRI. 


D'UN  COUP  ITÉTAT.  »4 

L'^indWidu  qui  a  tiréftur  M.  de  Forgémolles  est  en  état 
â*'arrestation. 

Grâce  à  l'énergie  des  autorités,  et  surtout  aux  mesures 
prescrites  et  habilement  dirigées  par  M;  le  préfet  Piétri, 
Tordre  n'a  pas  été  troublé  davantage  à  Toulouse. 

Haute- Vienne.  —  La  proclamation  du  préfet  de  ce 
département  contient  le  récit  des  désordres  qui  l'ont 
affligé.  Nous  la  citerons  en  entier  : 

Le  préfet,  aux  habitants  de  la  Haute-Vienne,  '^p 

Des  anarchistes  s'étaient  portés  dans  les  communes  rurales  pour  y 
semer  Talarme.  Déjà  ils  proféraient  d'effroyables  clameurs;  ils  son- 
naient le  t^sin,  prélude  de  tant  de  crimes.  Ils  couraient  à  travers 
les  campagnes,  armés  de  fusils,  de  haches  ,  de  fourches  et  de  faux. 
Leur  nombre  s'élevait  à  près  de  cent  cinquante. 

Aussitôt  que  cette  nouvelle  est  parvenue  à  la  connaissance  de  Tau- 
torité ,  il  a  été  envoyé  de  Limoges  cinquante  hussards  et  six  gen- 
darmes, sous  la  direction  du  commissaire  central.  Le  détachement  a 
atteint  les  anarchistes  à  Linards  et  les  a  immédiatement  mis  en  dé- 
route. Trois  coups  de  feu  sont  partis  de  la  bande  sur  les  hussards. 
Geux-€i  ont  riposté  par  une  vigoureuse  décharge.  Sept  insurgés  ont 
été  blessés,  dont  deux  assez  gravement  à  la  tète. 

Le  sergent  de  ville  Blanchard  en  a  blessé  un  autre  d'un  coup  de 
sabre,  au  moment  où  il  couchait  en  joue  un  militaiie. 

M.  Ruchaud,  curé  de  Saint-Bonnet ,  a  marché  contre  ces  brigands 
à  la  tète  de  vingt-deux  paysans  armés  pour  la  défense  de  Tordre.  Ce 
brave  et  digne  ecclésiastique  n'a  pas  pâli  devant  un  canon  de  fusil 
tourné  contre  lui  ;  il  a  donné  un  de  ces  nobles  exemples  de  courage 
auxquels  applaudira  tout  homme  qui  porte  un  cœur  élevé. 

Le  rapport  du  commissaire  central,  daté  du  6,  à  neuf  heures  du 
soir,  me  fait  connaître  qu'on  a  opéré  trente  arrestations  et  que  ce 
matin  on  doit  en  faire  de  nouvelles.  On  a  saisi  des  fusils,  des  balles, 
des  cartouches»  des  couteaux-poignards. 


292  HISTOIRE 

Les  •hussards,  la  gendarmerie  ont  déployé  une  grande  énergie.  Le 
commandant  du  détachement,  le  lieutenant  Renève,  a  montré  une 
extrême  vigueur  et  une  admirahle  intrépidité  dans  Tattaque. 

M.  le  commissaire  central  a  agi  avec  beaucoup  de  résolution  et  de 
sang-froid,  et  il  a  conduit  cette  affaire  avec  une  activité  qui  en  a  as- 
suré le  succès. 

Hàtons-nous  d*ajouter  que  Tappcl  à  l'anarchie  est  repoussé  par  la 
très-grande  majorité  des  braves  habitants  des  campagnes,  qui  yeulent 
Tordre ,  la  paix  et  le  travail,  et  non  la  spoliation  et  le  brigandage. 

Aussi  accueillait-on  avec  sympathie  le  détachement  qui  se  portait  à 
la  poursuite  des  insurgés. 

Si  quelques  misérables  rêvaient  un  bouleversement  anarchique 
dans  notre  pays,  la  vigoureuse  répression  que  cette  tentative  vient  de 
subir,  les  condamnations  qui  frapperont  bientôt  les  coupables ,  en 
préviendront  à  jamais  le  retour. 

M.  le  procureur  de  la  République  et  M.  le  juge  d'instruction  sont 
partis  hier  soir ,  accompagnés  de  quelques  gendarmes,  pour  suivre 
Tinstruction  de  ce  commencement  d'une  véritable  jacquerie,  qui  au- 
rait pu  devenir  grave  si  elle  n'avait  été  prompte  ment  et  énergique- 
ment  réprimée. 

E.  DE  Mentque. 

Limoges,  le  7  décembre  iSoi,  à  six  heures  du  matin. 

Ce  n'est  qu'à  l'attitude  vigoureuse  de  ses  autorités ^ 
notamment  du  préfet,  M.  de  Mentque,  du  général  de 
Solliers,  commandant  la  subdivision,  du  général  Lu- 
gnot,  colonel  de  la  garde  nationale ,  que  Limoges  a  dû 
de  ne  pas  être  attaquée  par  les  brigands,  qui  avaient  pour 
but  la  ruine  de  la  société,  le  meurtre  et  le  pillage. 

Des  arrestations  importantes  ont  été  faites.  Bonneix, 
cabaretier,  place  de  la  Mairie ,  l'un  des  chefs  de  la 
bande  qui  s'est  portée  sur  les  communes  de  Saint-Bon- 
net et  de  Linards,  a  été  arrêté  par  le  maire  et  les  habi- 


D*UN  œUP  D'ÉTAT.  393 

Unis  de  Saint-Vitte  au  moulin  de  Cuzzac.  Il  a  fallu  lui 
lier  les  membres  pour  pouvoir  le  conduire  à  Saint- 
Yrieix.  Ce  forcené  appelait  le  peuple  à  son  secours. 
Cétait  à  lui  qu'était  échue  la  mission  de  soulever  les 
communes  de  Saint-Germain,  Vicq  et  Glanges. 

Les  gendarmes  de  Nexon  ont  arrêté  dans  ce  canton 
trois  individus  de  Limoges  :  les  sieurs  Paquet,  corroyeur, 
Barry,  menuisier,  et  Thomas ,  cafetier,  qui  le  parcou- 
raient pour  soulever  la  population. 

«  Comme  un  grand  nombre  de  villes,  Bellac  a  eu 
'  son  complot ,  ses  rassemblements  armés  dans  les  cam- 
pagnes, et  ses  bandes  organisées  pour  le  pillage ,  sous 
rinspiration  de  meneurs  qui  sont  en  ce  moment  arrêtés 
Ou  en  fuite. 

«  Une  explosion  devait  avoir  lieu,  dans -tout  Farron- 
dissement ,  pendant  la  nuit  du  5  au  6,  et  fortifier  l'in- 
surrection projetée  à  Limoges.  Sur  plusieurs  points,  des 
bandes  se  sont  formées  pour  marcher  sur  Bellac,  qui, 
disait-on ,  était  en  feu.  Une  colonne  de  pillards,  armés 
de  fusils,  de  faux,  de  fourches  et  de  bâtons,  est  venue 
même  aux  portes  de  la  ville. 

«  Grâce  aux  mesures  énergiques  combinées  entre 
M.  Doé,  sous-préfet,  et  M.  Bertrand,  procureur  de  la 
République,  parfaitement  secondés  par  M.  Simon,  ^  ,y 
commandant  de  la  gendarmerie ,  dont  toutes  les  forces 
militaires  étaient  réunies  au  chef-lieu ,  le  plan  des  pil- 
lards a  échoué.  Une  partie  des  meneurs  a  été  arrêtée , 
d'autres  ont  pris  la  fuite. 

ttSur  un  point  éloigné  de  l'arrondissement,  à  Lus- 

19 


f 


294  HiSTO)R& 

saoie&-Ëglises,  une  bande  a  arrêté  un  coMr^r  porteiur 
des  dépêches  9  Ta  dépouillé  et  toaltraité.  Leprocurenr 
de  la  République  s'y  est  transporté  sur-4e-chanip ,  ^ 
corté  d'une  force  imposante*  Six  nouvqlles  arrestations 
ont  été  opérées. 

«  Ces  mouvements  partiels  se  rattachaient  à  un  plan 
général  qui  embrassait  toiit  le  département  de  la  Haute- 
Vienne.  La  cour  de  Limoges  a  évoqué  TalTaire.  Pendfuit 
toute  cette  semaine,  MM.  Larombière,  substitut  de 
M.  le  procureur  général,  et  Désiles,  conseiller,  assistés 
du  procureur  de  la  République  et  de  M,,  Talandier, 
substitut,  ont  entendu  de  nombreux  témoins.  Ving^ 
cinq  nouvelles  arrestations  ont  été  ordonnéeis,  entre  au- 
tres celle  d'un  ancien  prêtre  catholique  devenu  protes- 

tAfit,  de  M.  VriçhOQi»  fràr*^  4«  Tai^Hm  n^Bi^i^Pifust. 
La  vigueur  des  magistrats  a  rassuré  le  pays.  »  (Lettrp 
insérée  dans  le  Comlitutiormel  du  23  décembre.) 

Le  conseil  municipal  de  Limoges,  reconnaissant  des 
services  rendus  par  le  préfet,  M.  de  Mj^nlque,  par  le 
général  SoUiers  et  par  le  colonel  de  h  garde  nationale, 
général  Lugnot,  a  décidé  qu'une  épée  d'honneur  serait 
offerte  à  chacun  des  deux  premiers,  et  que  le  portrait 
du  dernier  serait  placé  au  ipiisée  d^  1^  vilte^ 

De  600  côié,  1»  garde  nafional(B  a  ouverjt  uqç  spupr- 
criptioa  pour  qu'une  seconde  épée  d'honneur  fût  offerte 
i  M.  de  Mexique.  De  pareils  hommages  hoiv>r^nt  i  la 
foi^.ceux  qui  les  offrent  et  ceux  qui  en  sont  l'oji^et. 

Ba»s^A4^^.  — -  Si  la  Nièvrie  et  le  Jnna  Ofit  à  reven- 


DUN  COUP  D'ÉTAT.  295 

diquer  le  triste  privilège  d*aToir  surpassé  tous  les  autres 
départements  insurgés  dans  les  horreurs  et  les  abomi- 
oations  de  la  jacquerie,  celui  des  Basses- Alpes  peut 
revendiquer  celui  d'avoir  été  le  siège  d'une  des  insur- 
rections les  plus  formidables.  Dans  ce  département , 
Longoraazino,  Gent  et  leurs  autres  complices,  avaient 
immensément  recruté  pour  les  sociétés  secrètes.  Le 
caractère  provençal,  qui  est  celui  des  habitants  des 
Basses-Alpes,  surtout  dans  les  parties  inférieures  du 
département,  se  prêtait  merveilleusement  à  recevoir 
les  doctrines  du  socialisme.  Les  habitants  de  ce  pays 
sont  prompts  à  s^ir  et  réfléchissent  peu.  Ils  sont  colè- 
res, fiers,  égoïstes  et  cruels.  Esprits  brillants,  tètes  in- 
flammables, ils  sont  aptes  aux  choses  d'imagination, 
qaais  ils  approfondissent  peu.  Le  jugement  leur  fait 
presque  toujoui*s  défaut  Ils  aiment  la  nouveauté,  l'ex- 
traordinaire et  vont  tout  d'un  coup  aux  extrêmes.  Ils 
sont  fougueux  en  tout  et  détestent  ce  qui  est  sage,  mo- 
déré, réfléchi.  Leur  littérature  prouve  ce  que  nous 
avançons.  Elst-il  rien  d*audacieux,  de  satirique  comme 
Barthélémy  etMéry?  Peut-on  trouver  un  écrivais  plus 
ftere  et  plus  emporté  dans  sa  franchise,  souvent  irré- 
fléchie, que  Rabbe  ?  Est-il  un  historien  qui  soit  plus 
pirompt  à  blâmer  les  opinions  timides  et  plus  rapide  à 
exagérer  les  théories  hasardées  que  Thiers?  * 

Pfesqtie  tous  les  habitants  des  campagnes  avaient  été 
af&Ués  aux  sociétés  secrètes.  On  leur  avait  montré, 
Qomine  application  immédiate  de  la  doctrine  socialiste, 
le  piortagedcs  biens,  la  suppression  de  la  bourgeoisie, 


2(>6  HISKHBE 

choses  quMls  comprenaient  très-bien  et  qui  alléchaient 
leurs  convoitises,  leurs  rancunes  de  fierté  blessée  ;  puis 
la  régénération  sociale,  grand  mot  vide  de  sens,  qu'ils 
faisaient  semblant  de  comprendre  et  qui  flattait  leur 
vanité  naturelle.  Ce  département,  epmme  tous  ceux  do 
midi,  principalement  ceux  du  Var,  de  Yaucluse,  de  la 
Drôme,  des  Bouches-du-Rhône|  de  THérault,  etc., 
était  prêt  à  se  lever  en  masse  au  premier  signal .  Il  est 
bien  œrtain  aujourd'hui ,  même  pour  les  optimistes 
d*avant  le  2  décembre,  que,  si  ce  coup  providentiel  et 
sauveur  n'eût  été  frappé  par  Louis-Napoléon ,  tout  le 
midi  de  la  France  s'insurgeait,  se  levait  sous  Tétendard 
du  socialisme  rouge. 

Entre  Lyon  et  Marseille,  tout  le  pays  était  infecté  de 
socialisme.  Ces  deux  villes  étaient  deux  foyers  d'où  les 
sociétés  secrètes  rayonnaient  incessamment.  Â  Mar- 
seille, quelque  temps  avant  le  2  décembre,  dans  une 
réunion  démagogique  et  sociale.  Buisson,  conseiller 
général  du  canton  de  Manosque  et  l'un  des  chefs  de  la 
jacquerie  des  Basses-Âlpes,  disait,  au  nom  des  bandes, 
aux  conspirateurs  réunis:  «  Nous  sommes  prêts;  nous 
nous  lèverons  au  premier  coup  de  sifflet.  »  Grâce  à  ce 
Buisson  peut-être,  Manosque,  chef-lieu  de  canton  dans 
l'arrondissement  de  Forcalquier,  avait  été  choisi  comme 
centre  de  révolte. 

Dans  le  commencement  du  chapitre,  Insurrection  de 
PariSj  nous  signalions  le  départ  de  la  capitale  d'un  cer- 
tain nombre  de  meneurs,  de  chefs  démagogues  pour  la 
province.  Or,  le  rapport  des  autorités  du  département 


ffUN  COUP  D'ÉTAT, 
des  Basses-Alpes  au  ministre  de  l'inl&ricur  constate 
que  le  4,  avant  l'arrivée  des  dépêches  télégraphiques  à 
Forcalquier,  des  meneurs  parcouraient  déjà  les  campa- 
gnes, annonçant  les  événements  de  Paris  et  invitant  les 
habitants  à  s'insurger.  Il  ne  faut  pas  trouver  ce  fait  ex- 
traordinaire. Tout  bien  calculé,  quelqu'un,  parti  de 
Paris  le  2  au  matin,  pouvait  être  rendu  à  Avignon  le 
4  au  matin  et  gagner  en  quelques  heures,  à  cheval, 
l'arrondissement  de  Forcalquier  dans  les  Basses-Alpes. 
Les  moyens  de  transport  qu'on  a  maintenant  peimet- 
lent  cette  vitesse  vraiment  miraculeuse. 

Le  jeudi  4  décembre,  c'était  foire  à  Maunes.  Ce  fui 
là  qu'on  donna  le  mot  d'ordre  de  la  révolte.  Les  dé- 
magogues des  communes  voisine»  s'y  trouvaient  réunis, 
et,  dès  le  soir,  transmirent  les  ordres  des  chefs  dans  leurs 
localités  respectives. 

Escoffier,  horloger  à  Forcalquier,  chef  militaire  de 
l'itisurrection  dans  l'arrondis-sement  ;  Debout,  avocat 
dans  ta  même  ville;  Noël  Pascal,  instituteur  révoqué, 
se  donnèrent  rendez-vous  pr^s  de  la  ville ,  et  parcou- 
rurent, pour  les  soulever,  les  villages  de  Lurs .  de 
Pcyi'uis,  d'Ongles,  de  Dauphin,  de  Picrrerue,  de  la 
Brillanne ,  proches  de  Forcalquier. 

Dès  le  lendemain  5,  au  matin,  le  tocsin,  qui  n'avait 
cessé  desomier,  avait  réuni  des  insurgés  en  très-grand 
nombre.  Ils  s'emparèrenl  de  la  mairie  de  Dauphin, 
malgré  la  résistance  éncrgi(jue  que  leur  opposa  Fatljoint 
Morel.  Les  armes  destinées  à  la  garde  nationale  furent 
prises. 


I 


2o8  HISTIMREI  : 

A  Manosque,  Buisson,  qui  était  en  correspondance 
incessante  avec  les  démagogues  de  Marseille,  attendait 
que  cette  ville  se  déclarât.  Il  savait  que  le  département 
dos  Basses-Âlpes  manquant  de  troupes,  les  forces  de 
l'insurrection  y  seraient  plus  que  suffisantes,  et  il  vou- 
lait se  porter  avec  son  contingent  sur  le  chef-lieu  des 
6ouches-du-Rhône.  Dans  la  matinée,  il  fut  instruit 
que  Jes  excellentes  mesures  prises  dans  cette  ville  ptr 
les  autorités  la  maintenaient  dans  le  devoir.  Alors  il  se 
décida  à  se  joindre  aux  autres  insurgés  de  rarrondisse- 
ment  pour  marcher  sur  Forcalquier.  Le  plan  était  ée 
s'emparer  d'abord  de  cette  sous-préfecture,  pour,  de  là, 
se  porter  sur  Digne,  sur  Apt,  et  donner  ensuite  la  main 
aux  insurrections  des  départements  voisins. 

Le  sous-préfet,  M.  Paillard,  ne  pouvait  disposer  que 
de  quelques  brigades  de  gendarmerie  tout  à  fait  ifisuâ- 
fisantes  pour  résister  à  une  insurrection  formidable.  Il 
fit  un  appel  aux  hommes  de  bonne  volonté,  qui,  le  soir 
du  5,  se  réunirent  à  la  Sous-Préfecture,  au  nombt^ 
d'environ  trente.  Comme  rien  n'annonçait  que  les  in- 
surgés dussent  venir  soudainement,  on  se  sépara  à  dix 
heures  du  soir  avec  promesse  de  se  réunir  une  heure 
plus  tard.  Mais  pendant  ce  temps-là,  les  insurgés  s'a- 
vançaient. Un  formidable  contingent,  fourni  par  le 
Dauphin,  Manosque,  Mauneset  Forcalquier  lui-même, 
marchait  sur  cette  ville.  Une  autre  colonne,  très-nom- 
breuse aussi,  arrivait  par  la  route  de  Banon.  Une  troî- 
sièmo,  formée  des  habitants  de  Peyruis,  Lurs  et  Pierre- 
rue,  venait  de  son  côté.  La  jonction  s'opéra  hors  de  b 


D'UN  COUP  D'ÉTAT 


\ille,  el  bientôt  le  bruit  du  tambour  annonça  f|iie  les 
soldats  de  la  jacquerie  approchaient. 

Le  moment  éfait  solennel  ;  M.  Paulmier,  substitut, 
et  les  gendarmes,  étaient  allés  en  toute  hà(e  rerpiérir 
les  gardes  nationaux.  Quatre  seulement  et  nn  officier 
répondirent  à  cet  appel.  Impossible  de  résister  à  cette 
terrible  invasion.  Que  va  faire  le  magistrat  tjui  re- 
présente l'aulorité,  et  (jui,  devant  de  tels  ennemis,  re- 
présente, il  faut  bien  te  dire  aussi,  la  société?  On  lui 
conseille  de  fuir.  «  Je  nmiirrai  à  fiion  posfe!  dit-il, 
mais  je  ne  fuirai  pas.  »  Ce  courageux  fonctionnaire 
voulait,  en  H0ronlanl  ainsi  l'émeute,  qu'il  ne  fût  pas  dit 
que  le  principe  d'autorité  reculât  devant  la  violence, 
devant  les  hordes  de  l'anarchie.  Dût-il  verser  son  sang, 
il  voulait  accom|)Iir  son  devoir.  Si  l'émenle  !e  Inait, 
elle  prenait  ainsi  sa  vraie  signification  devant  tous  les 
hormf^tt'S  gens. 

Bientût  la  colonne  débouche  sur  la  place  de  la  Sous- 
Préfeclure.  I>eus  mille  quaire  cents  insurgés  environ 
viennent  se  ranger  en  bataille  sur  huit  rangs  devant  ce 
monument.  Tous  ont  au  bras  des  rubans  rouges,  ainsi 
qu'à  leurs  chapeaux.  La  pinpart  sont  armés  de  fusils, 
puis  les  autres  de  lout  ce  qui  peut  couper,  percer  ou 
ëssommer.  On  sait  que  les  paysans  ont  des  armes  ter- 

[  "Hblcs  :  leurs  faux,  leurs  croissants,  Icui-s  piques,  leurs 
liaches;  puis  les  fourches,  si  dangereuses  dans  leurs 

[*Aiains. 

C'était  une  bande  formidable  à  ■  "^  armes 

llrévoîulionnaires  et  k  quai  te 


300  HISTOIRE 

obéissait.  Le  souî^-préfet  se  plaça  sur  son  balcon  avec 
son  écharpe.  Au  commandement  du  chef  Escoffier^  qui 
cria  :  «  Montagnards ,  halte  !  »  la  bande  s'arrêta ,  et 
lui,  s'avançant  sous  les  fenêtres  :  «  Citoyen  sous  pré- 
fet,  dit-il,  la  Constitution  est  violée  !  Bonaparte  est  un 
traître!  vous  êtes  déchus  tous  les  deux!»  (Te'xtuel.) 
«  Citoyens,  on  vous  trompe!  dit  le  sous-préfet,  le 
Président  a  rétabli  le  sulîrage  universel.  »  Des  vocifé- 
rations couvrent  sa  voix.  «Si  vous  venez  m'assassiner, 
reprit  le  courageux  fonctionnaire  en  découvrant  sa  poi- 
trine, frappez!  »  Des  fusils  s'abaissèrent.  Buisson,  le 
chef  de  ceux  de  Manosque,  les  releva.  L'avocat  Debout, 
et  Taillandier,  serrurier,  encourageaient,  au  contraire, 
les  assassins.  «  Le  peuple  ne  veut  pas  votre  mort,  dit 
Escoffier,  mais  votre  châtiment.  Descendez,  rendez- 
vous  !  —  Je  ne  me  rendrai  pas  !  —  On  va  enfoncer  vo- 
tre porte!  —  Enfoncez!  Je  ne  céderai  qu'à  la  violence!» 
Alors  le  sons-préfet  va  demander  aux  quelques  dé- 
fenseurs qu'il  a  autour  de  lui  s'ils  veulent  résister.  Sur 
leur  refus,  il  descend.  Déjà  on  brisait  la  porte  à  coups 
de  marteau  de  charron.  «  Me  voici  !  dit-il.  »  On  le  con- 
duit à  Escoffier,  qui,  voyant  ce  grand  courage,  le  prend 
sous  sa  protection.  Malgré  cela,  les  forcenés  qui  l'en- 
tourent lui  arrachent  sa  croix,  lui  donnent  des  coups 
de  crosse,  le  frappent  avec  des  sabres  non  aiguisés,  qui 
le  meurtrissent.  11  reçoit  dans  la  cuisse  droite  un  coup 
de  baïonnette,  qui  coupe  une  artère.  Escoffier  le  cou- 
vrait de  son  corps.  Il  parvient  à  l'arracher  aux  massa- 
creurs et  le  conduit  en  prison.  Quelque  temps  après, 


D'UN  COUP  D'ÉTAT.  301 

M.  Pauiraier,  lesubslitut,  y  arrivail  aussi,  tout  meurtri 
des  coups  (le  crosse  que  lui  avaient  donnés  ces  bri- 
gands. Buisson  et  Godefroy,  un  autre  chef  des  insur- 
gés, Tavaient  protégé.  Des  gendarmes  aussi  furent 
amenés.  Escoffier  envoya  chercher  un  médecin  pour 
soigner  le  sous-préfet.  Il  paraissait  navré  que  ses  hom- 
mes eussent  commis  de  semblables  attentats.  Après 
avoir  accompli  ce  devoir  d'humanité,  Escoffier  s'en  va 
retrouver  ses  bandes. 

Un  instant  après  son  départ,  le  bruit  se  répand 
qu'une  compagnie  de  la  ligne,  de  passage  à  Forcal- 
quier,  et  partie  le  matin,  fait  un  retour  offensif  sur  la 
ville.  Ceux  de  Manosque,  bandits  qui  sont  depuis  long- 
temps affiliés  à  ceux  de  Marseille,  se  précipitent  sur  la 
prison,  s'emparent  des  magistrats  caplifs,  sous  prétexte 
de  les  conduire  à  Manosque,  mais  en  fait  pour  les  mas- 
sacrer en  route.  On  met  les  menottes  et  la  chaîne  au 
cou  à  M.  Paillard,  et  on  veut  forcer  le  sous-préfet  à 
marcher.  En  vain  le  médecin,  en  vain  le  chef  Gode- 
froy,  disent  à  ces  barbares  :  «  Mais  vous  voyez  bien  que 
cet  homme  ne  peut  pas  marcher,  horriblement  blessé 
comme  il  Test.  Voyez,  il  perd  des  flofs  de  sang  !  —  II 
marchera!  répondent- ils,  ou  bien  nous  le  massacrons 
sur  place  !  »  Le  malheureux  sous-préfet  dut  se  mettre 
en  chemin.  Ils  lui  ont  fait  faire  ainsi  six  kilomètres.  On 
prit  le  chemin  de  Manosque.  Godefroy,  voyant  qu'on 
voulait  se  défaire. des  prisonniers,  voulut  accompagner 
la  bande  pour  les  protéger.  En  route,  les  insurgés  di- 
saient en  patois  :  a  Tu  auras  beau  faire,  ce  soir  ils  au- 


302  fflSTOïRE 

ront  la  corde  au  cou,  et  c'est  toi  qui  tireras  dessus, 
Godefroy.  » 

On  arrivait  au  village  des  Eticontres,  quand  on  en- 
tendit le  galop  d'un  cheval  :  c'était  Escoffier,  qui  arri- 
vait à  bride  abattue.  S'étant  aperçu  qu'on  a^ait  enlevé 
les  prisonniers,  et  soupçonnant  bien  ce  qu'on  en  vott- 
lait  faire,  il  venait,  espérant  arriver  à  temps  pour  les 
sauver.  11  fit  monter  M.  Paillard  sur  son  cfieval  et  le 
conduisit,  toujours  escorté  de  la  bande  d'assassins,  an 
village  des  Enconlres,  où  il  le  fit  mettre  dans  une  cham- 
bre sur  un  matelas.  En  s'y  plaçant,  le  blessé  s'affaissa 
et  perdit  connaissance.  11  avait  énormément  perdu  d^ 
sang.  Escoffier  pleurait  en  donnant  des  soins  à  M.  Pail- 
lard. Il  alla  lui-même  lui  chercher  un  peu  d'eau-de- 
vie  pour  relever  ses  forces.  Quand  le  blessé  revint  à 
lui,  il  entendit  un  des  bandits,  qui  s'était  placé  de  fac- 
tion dans  sa  chambre,  dire  :  «  Il  joue  la  comédie.  i> 

Escoffier  obtint,  à  force  de  prières,  d'exhortations  et 
de  menaces  j  de  faire  partir  sa  bande  et  de  laisser 
M.  Paulmier  pour  soigner  le  blessé.  Mais  une  autre 
bande  de  Manosquins  étant  survenue,  ce  chef  ne  put 
pas  empocher  qu'on  emmenât  M.  Paulmier. 

Vingt-quatre  heures  après,  le  sous-préfet  put  être 
transporté  à  Avignon,  où  des  soins  lui  furent  prodi- 
gués. 11  eut  le  courage  d'' adresser  au  ministre  un  rap- 
port circonstancié  des  événements,  mais  dans  cette 
rédaction  ses  forces  le  trahirent  comme  dans  sa  lutte 
sublime.  Ce  rapport  n'est  pas  terminé.  Brusquement 
interrompu ,  il  annonce  sans  doute  que  le  héros  du 


D'UN  COUP  D'ÉTAT.  303 

devoir  avait  écouté,  en  récrivant,  son  courage  plutôt 
que  consulté  ses  forces. 

Escoffier,  à  vous  maintenant ,  nôu^  ne  passerons  pas 
outre  sàrts  vous  féliciter  et  sans  vous  plaindre.  Sans 
vous  féliciter,  car  vous  vous  êtes  repenti  ;  vous  avez 
pleuré  sur  cet  homme  héroïque,  martyr  de  son  devoir  ; 
vous  vous  êtes  dévoué  pour  le  sauver.  Sans  vous  plain- 
dre ,  car  votre  place  n'était  pas  avec  les  assassins  et  les 
bandits,  vous  deviez  être  parmi  les  défenseurs  de  l'ordre. 
Quelques  hommes  comme  vous,  autour  d'un  homme 
comme  lui ,  cela  eût  suffi  peut-être  pour  empêcher  le 
triomphe  du  désordre,  pour  éviter  des  crimes  et  des 
hontes  à  l'humanité.  Pour  ceux  qui  n'étaieiit  qu'égarés, 
quelle  leçon  !  quels  remords  ! 

EscofRer,  avec  ses  bandes ,  retourna  vers  Forcal- 
quier,  où  l'on  se  concentrait  pour  marcher  sur  Digne. 
Que  faut-il  donc  pour  arracher  un  homme  à  ses  voies 
criminelles  !  Ce  chef  d'insurgés ,  nous  le  retrouverons 
à  Digne ,  faisant  partie  de  la  municipalité  insurrection- 
nelle. Décidément  il  est  coupable.  Après  les  pages  pré- 
cédentes, il  nous  en  coûte  d'être  forcé  d'écrire  celle 
ligne  de  condamnation. 

De  tous  côtés,  les  bandes  d'insurgés  venaient  grossir 
le  rassemblement  à  Forcalqûier.  A  Banon  ,  à  Reillanne, 
à  Saint-Étienne-des-Orgues ,  les  habitants  repoussèrent 
les  insurgés  à  main  armée. 

L'arrondissement  de  Sisteron  ne  tarda  pas  à  suivre 
l'exemple  de  celui  de  Forcalqûier.  Le  vendredi  5 ,  on 
s* agi  lait  dans  la  plupart  des  communes  voisines  de  Sis- 


304  HISTOIRE 

teron.  Les  démagogues  de  la  ville  étaient  sur  pied.  Le 
sous-préfet  fit  arrêter  Tun  d'eux  y  le  sieur  Férédoux  fils, 
qui  était  signalé  comme  un  des  meneurs  les  plus  exaltés. 
Des  bandes  ne  tardèrent  pas  à  accourir  de  tous  les  en- 
virons j  et  même  de  certains  cantons  des  Hautes-Alpes. 
On  sait  que  la  ville  de  Sisteron  est  presque  sur  les  limites 
des  deux  départements,  du  côté  du  canton  de  Ribiers, 
dans  les  Hautes-Alpes,  qui  fut  un  des  plus  ardents  à 
s'insurger.  N'ayant  que  des  forces  complètement  insuf- 
fisantes pour  résister  aux  bandes  insurrectionnelles  con- 
sidérables qui  envahissaient  Sisteron ,  le  sous-préfet  se 
réfugia  dans  la  citadelle,  où  il  se  maintint,  avec  à  peu 
près  quatre-vingts  jeunes  recrues,  jusqu'à  l'arrivée  des 
forces  qui  furent  envoyées  contre  les  insurgés. 

A  l'entrée  des  bandes,  le  conseil  municipal  dut  se 
retirer  et  faire  place  à  une  municipalité  provisoire,  dans 
laquelle  entrèrent  Férédoux  ,  qu'on  fît  sortir  de  prison, 
un  nommé  Raymond  et  quelques  autres,  choisis  parmi 
les  socialistes  de  la  localité.  M.  RIanquartde  Railleul, 
sous-préfet  de  Sisteron ,  s'est  parfaitement  conduit  du- 
rant ces  événements  déplorables.  Plusieurs  fois  sommé 
de  rendre  la  citadelle,  par  les  insurgés  qui  occupaient 
Sisteron ,  au  nombre  d'environ  quinze  cents  ou  deux 
mille,  il  refusa  énergiquement  et  sut  même  inspirer  une 
telle  crainte  par  l'altitude  qu'il  prit,  que,  quoique  les 
insurgés  aient  occupé  la  ville  pendant  cinq  jours,  les 
persoimes  et  les  propriétés  y  furent  respectées. 

C'est  ainsi  que  marcha  le  soulèvement ,  dans  les  jour- 
nées du  4  et  du  5 ,  dans  le  département  des  Rasses- 


D'UN  COUP  D'ÉTAT.  30S 

Alpes  ;  mais  bientôt  il  devint  général ,  et  se  montra 
partout.  Contre  cette  levée  en  masse  de  l'insurrection , 
il  était  matériellement  impossible  de  résister.  Le  dépar- 
tement n'avait  pas  de  troupes ,  ou  plutôt  ce  qu'il  avait 
ne  pouvait  pas  compter.  On  ne  pouvait  pas  mettre  trois 
cents  hommes  en  ligne ,  y  compris  la  compagnie  hors 
rang  du  25^  léger.  Tout  ce  qui  était  en  dehors  de  cette 
compagnie  se  composait  de  conscrits  nouvellement 
arrivés  de  Bretagne ,  et  ne  sachant  pas  manier  leurs 
armes.  Quant  aux  gardes  nationaux ,  il  ne  fallait  nulle- 
ment espérer  en  leur  concours  y  car  il  aurait  été  plus 
dangereux  qu'utile.  Presque  partout  les  brigades  de 
gendarmerie  avaient  été  surprises  et  enlevées.  Quand 
éclata  cette  formidable  insurrection ,  le  dépôt  était  en 
marche  pour  se  rendre  à  Nîmes ,  et  les  compagnies 
étaient  disséminées.  Toutes  les  forces  réunies^  il  eût 
encore  été  bien  difficile  de  résister. 

Ce  fut  de  Forcalquier  et  de  Manosque  que  les  insurgés 
se  mirent  en  mouvement  pour  marcher  sur  Digne.  Ils 
étaient  au  nombre  de  douze  ou  quinze  mille.  La  nou- 
velle en  arriva  à  la  Préfecture  dans  la  soirée  du  5  dé- 
cembre. Le  préfet  se  hâta  de  concentrer  les  quelques 
brigades  de  gendarmerie  encore  disponibles  dans  les 
environs.  Ainsi  que  nous  l'avons  vu,  une  compagnie , 
partie  de  Forcalquier  pour  Digne  y  faisait  un  retour  of- 
fensif sur  ce  foyer  de  l'insurrection  :  ordre  lui  fut  expé- 
dié de  revenir  à  Digne.  Le  préfet  fit  partir  des  courriers 
pour  prévenir  à  Âix  et  à  Marseille  de  la  situation  du 
département.  L'un  d'eux,  fouillé  huit  fois  en  route, 


306  HISTOIRE 

arrive  néanmoins,  à  force  d'adresse  et  de  présence 
d*esprit ,  et  parvient  à  Marseille. 

Pendant  ce  temps-là ,  le  préfet  faisait  arrêter  à  Digne 
plusieurs  des  principaux  démagogues ,  et  notamment 
Charles  Cotte,  avocat. 

Le  6,  à  huit  heures  du  matin  ,  les  autorités,  connais- 
sant l'esprit  de  la  garde  nationale  >  décident  qu'elle  ne 
sera  pas  convoquée.  Dans  la  journée ,  obsédé  par  les 
demandes  qui  lui  arrivent  de  tous  côtés  ^  le  préfet  con- 
sent à  laisser  sortir  de  prison  l'avocat  Charles  Cotte, 
ainsi  que  les  autres  prisonniers.  Le  soir,  on  fut  prévenu 
de  l'approche  des  bandes  insurrectionnelles.  Beaucoup 
d'habitants  supplient  le  préfet  de  céder,  pour  éviter  le 
sac  de  la  ville  ;  il  refuse ,  et  déclare  que  son  devoir  lui 
commande  de  résister  par  tous  les  moyens  en  Si)n  pou- 
voir. 

Quoique  la  garde  nationale  n'eût  pas  été  convoquée, 
elle  se  réunit  à  dix  heures  du  soir,  et  se  rangea  sur  la 
place  de  la  caserne  en  chantant  la  Marseillaise  et  en 
criant  :  Vive  la  rouge  !  vive  la  République  démocratique 
et  sociale l  Évidemment  les  soldats  allaient  être  pris 
entre  deux  feux  :  les  insurges  du  dehors  et  les  insurgés 
du  dedans  allaient  se  réunir  pour  les  attaquer.  Le  pré- 
fet réunit  les  chefs  militaires  eji  conseil  de  guerre ,  pour 
délibérer  sur  ce  qu'il  convenait  de  faire.  D'un  commun 
accord ,  il  est  reconnu  qu'on  m  peut  pas  défendre  la 
ville  avec  trois  cents  jeunes  recrues,  ;qui  n'çint  aucune- 
ment l'expérience  du  métier  des  arisies,  et  siiptout  soui 
un  feu  double.  Le  préfet  proppsade  faire  ui\^  retraite 


D'UN  COUP  D'ÉTAT.  307 

militaire  y  et  de  se  retirer  en  se  défendant  pied  à  pied  ; 
mais  le  major  commandant  ayant  déclaré  qu'il  resterait 
dans  sa  caserne  pour  imposer  aux  insurgés ,  et  protéger 
ainsi  la  ville,  il  dut  se  retirer,  et  gagna  le  fort  de  Seyne^ 
où  il  resta  deux  jours.  Il  avait  écril  au  préfet  des  Hautes^ 
Alpes  pour  rinformer  de  ce  qui  se  passait  et  lui  de- 
mander du  secours. 

Les  insurgés ,  à  leur  entrée  dans  Digne ,  organisèrent 
une  municipalité  provisoire,  de  laquelle  Escofiier  faisait 
partie ,  et  voulurent  s'emparer  de  la  caisse  du  receveur 
général,  M.  de  Matharel.  Voici  les  renseignements  que 
nous  trouvons,  à  cet  égard,  dans  une  lettre  écrite  de 
Digne  au  Constitutionnel,  du  14  décembre. 

a  Dès  rapproche  des  bandes  insurgées  qui  marchaient 
$Vf*  Pigne.,  M.  de  Matharel  ût  déposer  à  la  caserne, 
par  mesure  de  prudence ,  une  partie  de  son  encaisse 
(15,000  francs) ,  et  il  se  chargea  d'une  somme  égale  en 
billets  de  banque.  La  caserne,  qui  n'était  gardée  que 
par  quelques  conscrits  du  25*  léger,  a  dû  ,  pour  éviter 
le  désarmement  dont  ils  étaient  menacés,  faire  des 
concessions  aux  chefs  de  Tinsurrection  ^  et  particuliè- 
rement celle  de  remettre  l'argent  du  trésor,  qu'ils  ré- 
clamaient au  nom  de  sept  mille  paysans  armés  jusqu'aux 
diientâ.  Un  refus  eût  nécessairement  amené  des  contri- 
butions forcées ,  et  probablement  le  pillage  et  l'incendie 
dp  la  ville. 

«  Le  lendemain,  non  satisfaits  des  ressources  trou- 
HKéesjkil^  caserne ,  les  chefs  de  la  révolte  revinrent  au- 
près du  receveur  général  pour  lui  demander  une  somme 


308  HISTOIRE 

de  1 4,000  fr.  qu'il  fallait  encore ,  disaient-ils,  pour  la 
solde  des  hommes.  Heureusement ,  le  sang-froid  de 
M.  Matharel  ne  lui  fît  pas  défaut ,  et  il  résista  aux  in- 
stances qui  lui  furent  faites.  Il  a  pu  non*seulement 
soustraire  à  Tinsurrection  la  moitié  de  son  encaisse, 
mais  encore  sauvegarder  les  bureaux  et  les  archives  de 
la  recette  générale,  en  restant  à  son  poste  jusqu'à  la 
fin.  » 

Le  chef  de  l'insurrection  des  Basses-Alpes  se  nommait 
Aillaud.  Debout,  l'avocat  de  Forcalquier,  était  son  lieu- 
tenant. 

Durant  tout  le  temps  de  l'occupation  de  Digne  par 
les  insurgés,  le  maire,  M.  Fruchier,  a  été  admirable  de 
courage.  Il  n'a  cessé  de  protéger,  par  tous  les  moyens 
possibles,  ses  administrés  contre-  les  violences  des  sol- 
dats du  désordre.  Payant  partout  de  sa  personne,  il  a 
constamment  montré  la  plus  grande  énergie  ;  sommé 
de  prendre  le  brassard  rouge  que  portaient  les  insultés 
des  Basses- Alpes,  il  a  répondu  en  montrant  son  écharpe: 
«  Je  ne  reconnais  que  les  couleurs  nationales.  » 

Nous  sommes  heureux  de  rendre  justice  à  ce  coura- 
geux fonctionnaire,  auquel  une  regrettable  erreur  at- 
tribuait une  conduite  toute  différente.  Le  journal  qui 
l'avait  commise  s'est,  du  reste,  empressé  de  la  rectifier. 

A  Forcalquier,  les  insurgés  qui  avaient  mis  la  ville 
en  état  de  siège,  avaient  aussi  installé  une  municipa- 
lité révolutionnaire.  Ils  avaient  proclamé  que  tout  in- 
dividu qui  serait  trouvé  avec  des  armes,  ne  faisant 
pas  partie  de  leurs  bandes,  serait  fusillé.  Les  hommes 


D'UN  COUP  D'ÉTAT.  309 


^de  dix-huit  à  trente  ans  avaient  été  mis  en  réquisition 
^au  nom  du  peuple.  On  avait  forcé  les  caisses  publiques 
^et  la  poste.  Une  bande,  partie  de  cette  ville,  s'était  diri- 
gée sur  Apt,  dans  les  Hautes-rAlpes. 

Ainsi,  tout  le  déparlement  était  au  pouvoir  de  Tin- 
surrection.  On  pillait  les  caisses  publiques,  on  arrêtait 
les  courriers,  et  la  population  paisible,  frappée  d'inti- 
midation, séquestrée  de  toute  nouvelle  extérieure  au 
département,  était  en  proie  aux  plus  vives  inquiétudes. 
.Mais  de  tous  les  côtés  à  la  fois,  les  troupes  s'avan- 
çaient pour  écraser  Tinsurrection.  A  la  nouvelle  trans- 
mise par  son  collègue,  le  sous^réfet  des  Hautes-Alpes 
.  faisait  partir  de  Gap  quatre  cents  hommes  du  40°  de 
ligne,  sous  les  ordres  du  capitaine  Monnier  qui  s'était 
porté  sur  Sisleron.  A  son  approche,  le  sous-préfet  et 
Jes  autres  autorités,  descendant  de  la  citadelle,  avaient 
..  trouvé  la  municipalité  révolutionnaire  en  séance.  Plu- 
sieurs de  ceux  qui  la  composaient  avaient  été  arrêtés. 
Ce  fut  à  Sisteron  que  le  préfet  des  Basses-Alpes  vint 
joindre  le  capitaine  Monnier^  Laissant  dans  celte  ville 
deux  compagnies,  il  partit  avec  deux  autres  pour  se 
porter  sur  Digne. 
,  Les  insurgés,  apprenant  que  le  préfet  des  Bouches- 
.  du-Rhône  envoyait  des  troupes  contre  eux,  quittèrent 
^  Digne  dans  la  Journée  du  9,  pour  se  porter  contre  elles. 
La  rencontre  eut  lieu  dans  la  commune  des  Mées ,  et 
après  un  combat  de  quelques  instants,  où  les  insurgés 
perdirent  plusieurs  des  leurs,  ils  se  débandèrent  et  se 

portèrent  vers  Manosque  et  Forcalquier.  Cette  dernière 

20 


3i0  HISTOIRE 

ville  fut  enlevée  le  1 1 .  Le  préfet  repreniait  Digne  le  12, 
et  le  13  les  troupes  des  Basses-Alpes,  sous  les  ordres 
du  colonel  de  Sercey^  et  formant  une  forte  colonne  d'ar- 
tillerie, de  cavalerie  et  d'infanterie,  y  faisaient  aussi  leur 
entrée.  Le  colonel  Vinoy,  du  54%  venant  d'Âpt  par 
Forcalquier,  entra  à  Digne  le  14.  Le  15,  le  chef  de 
bataillon  Foley,  du  10®  léger,  nommé  commandant  de 
l'état  de  siège  par  le  lieutenant-colonel  Pearson ,  arri- 
vait, aussi  lui,  à  Digne. 

Le  16  au  matin,  le  général  d'état- major  Morris, 
nommé  commandant  des  opérations  militaires  dans  le 
département,  était  à  Forcalquier  se  rendant  à  Digne. 
M.  Millet,  chef  de  bataillon  du  36'  de  ligne,  a  pris  le 
commandement  de  l'état  de  siège  dans  l'arrondissement 
de  Forcalquier. 

On  s'est  occupé  alors  de  rétablir  partout  les  autori- 
tés démissionnaires  ou  violemment  éloignées  de  leurs 
postes,  puis  on  a  procédé  aux  arrestations  qui  ont  été 
fort  nombreuses. 

Dès  le  13,  le  préfet  marchait  sur  Barcelonnette,  qui, 
le  8,  à  la  nouvelle  des  événements  de  Digne,  avait  aussi 
eu  son  insurrection.  Gastinel  André,  libraire,  BufTe, 
Pascal  et  Libre  fils,  s'étaient  constitués  en  comité  de 
salut  public.  Avec  soixante  individus  armés,  ils  s'étaient 
emparés  du  sous-préfet,  qui  était  malade  et  alité,  et  des 
autres  autorités.  Là  aussi,  avait  eu  lieu  le  pillage  des 
caisses  publiques.  Les  citoyens  paisibles  avaient  été 
l'objet  des  plus  odieuses  menaces.  Après  le  départ  des 
insurgés  de  Digne,  le  sieur  Cotte,  avocat,  et  quelques 


D'IN  COUP  D'ETAT.  jll 

autres  s'étaient  rendus  à  Barcelonnelte,  qui  resta  six 
jours  au  pouvoir  de  l'insurrection.  A  l'approche  du 
préfet  et  de  deux  compagnies  q  l'il  amenait,  les  déma- 
gogues prirent  la  fuite  et  le  sous-préfet  rentra  immé- 
diatement en  fonctions. 

A  Castellane,  il  n'y  a  pas  eu  d'insurrection. 

Huit  cent  cinquante  arrestations  à  peu  près  ont  été 
faites  dans  les  Basses-Alpes.  Dans  beaucoup  de  localités, 
les  bras  manquent  pour  le  travail,  et  la  misère  est  le 
partage  de  bien  des  familles,  qui,  avant  ces  déplorables 
événements,  vivaient  heureuses  dans  une  modeste  ai- 
sance. Malheureusement,  à  cause  de  la  proximité  de  la 
frontière,  les  chefs  ont  pu  s'enfuir  pour  la  plupart,  et 
ce  sont  les  hommes  égarés,  les  moins  coupables  certai- 
nement, qui  ont  à  subir  la  peine  de  la  rébellion.  C'est 
toujours  ainsi  :  les  meneurs,  les  chefs  d'insurrection, 
ceux  qui  poussent  le  peuple  à  la  révolte,  s'esquivent  au 
jour  du  danger.  C'est  ce  qu'on  a  toujours  vu  à  Paris 
dans  les  émeutes. 

Moins  heureux  que  beaucoup  d'autres,  parmi  les 
meneurs  des  Basses- Alpes,  les  quatre  membres  du  co- 
mité de  salut  public  de  Barcelonnette  ont  été  arrêtés 
par  la  garde  nationale  et  par  les  douaniers  de  la  com- 
mune de  Fuers,  dans  la  nuit  du  13,  comme  ils  se  dispo- 
saient à  franchir  la  frontière  du  Piémont. 

L'insurrection  des  Basses-Alpes  a  été,  comme  on  le 
Toit,  une  des  plus  longues  et  des  plus  graves  parmi  celles 
des  départements.  Cependant,  à  l'exception  de  l'assas- 
sinat commis  à  Forcalquier  sur  la  personne  du  sous- 


3lti  HISTOIRE 

préfet,  et  des  cruautés  horribles  auxquelles  se  sont  por- 
tées les  bandes  de  Manosque,  on  ne  trouve  pas  que 
l'insurrection  de  ce  département  ait  été,  à'beaucoup  près, 
aussi  féroce,  aussi  horrible  que  celle  de  certains  autres. 

Vaucluse.  —  Dans  ce  département,  l'organisation 
socialiste  était  très-puis^iite  ;  elle  avait  été  dirigée  par 
Gent,  l'ex-cotnmi^saire.  Quand'lcs  actes  du  2  décembre 
furent  annoncés,  en  Tabs^ncè  du  chef  principal,  ce  ftit 
Etzéar  Pin»  ancien  constituant,  qui  se  mit  à  la  tdte  du 
mouvement,  et  qui  fit  le  plan  de  Tinsurrection.  Elle 
éclata  sur  quatre  points  à  la  fois.  A  Orange,  à  Carpen- 
tras,  à  Apt,  à  Pertuis. 

Le  dimanche  7,  à  cinq  heures  du  soir,  tout  parais- 
sait calme  à  Orange  et  rien  n'annonçait  qu'il  dût  y  avoir 
du  trouble,  quand,  à  sept  heures  du  soir,  cinq  ou  six 
cents  socialistes  sortirent  des  cabarets,  se  portèrent  sur 
lâMairiëdont  ils  s'emparèrent,  sans  qu'on  leur  opposât 
la  moindre  résistance,  et  de  là  marchèrent  sur  la  Sous- 
Préfecture  qu'ils  enlevèrent  de  même.  Les  gendarmes 
furent  désarmés,  mais  bientôt  l'énergique  intervention 
de  M.  le  major  Théremin  fit  tout  rentrer  dans  ToWlrc, 
et  les  principaux  meneurs  furent  arrêtés. 

A  Carpentras,  le  mouvement  avait  commencé  à  peu 
près  au  même  moment.  Une  bande  de  pillards  mar- 
chait sur  cette  ville,  se  croyant  sûre  de  réussir,  parce 
qu'elle  comptait  sur  le  concours  des  démagogues  qui 
l'habitaient;  mais  le  sous-préfet,  M.  de  Froidefonds, 
avait  fait  arrêter  ceux  qui  étaient  désignés  comme  les 


D'UN  COUP  D'ÉTitt.  313 

pjriQcjpaux  meneurs,  et  ensuite,  réunissant  les  hommes 
d'ordre,  en  avait  formé  une  troupe  décidée  comme  lui 
^combattre  énergiquement  pour  la  défense  de  la  so- 
ciété. Avec  ces  volontaires  et  une  compagnie  d'infini- 
terie,  il  marcha  contre  les  bandes,  les  rencontra  à  une 
demi-lieue  de  la  ville  et  les  dispersa  sans  coup  férir. 
Mais  bientôt,  Carpentras  fut  cerné  par  de  nouvelles 
bandes  et  ne  fut  dégagé  que  le  9  par  une  colonne  mo- 
bile. Ce  sera  le  rapport  du  général  d'Antist  qui  conti- 
nuera notre  récit.  11  donne  complètement  Thistoire 
de  ce  qui  se  passa  dans  le  département  de  Vaucluse  : 

«Le  mouvement  s  étendait;  le  7,  il  avait  envahi 
Apt;  on  s'y  conduisait  comme  à  Forcalquier.  Pertuis 
avait  aussi  son  insurrection. 

«  Le  général  de  division  dirigea  tout  de  suite  sur  ce 
point,  situé  à  dix-neuf  kilomètres  d'Aix,  une  colonne  qui 
rétablit  l'ordre.  Le  8,  informé  des  événements  de  la 
veille,  ne  recevant  que  des  nouvelles  contradictoires,  je 
dirigeai  sur  Api  une  colonne  formée  de  cent  cinquante 
hommes  d'infanterie,  vingt-cinq  hussards  et  vingt-cinq 
gendarmes.  Je  me  disposais  à  Tappuyer,  suivant  les  cir- 
constances et  les  renseignements  que  le  commandant 
Malher,  du  54%  chef  de  la  colonne,  devait  recueillir. 

«  Mais ,  après  son  départ,  je  sus  que  des  bandes  de 
Forcalquier  étaient  entrées  à  Apt,  qu'elles  marchaient 
8ur  Avignon  ,  se  recrutant  des  contingents  fournis  par 
les  villages  du  Luberon.  Le  tocsin  sonnait  partout  sur 
leur  passage*;  le  pays  entier  se  mettait  en  révolte.  Ma 
colonne  pouvait  être  compromise  ;  je  la  fis  rentrer. 


ai  4  HISTOIRE 

(c  Le  8  au  soir,  la  rive  droite  du  Rhône  s'agita.  De$ 
bandes  nombreuses  (cinq  ou  six  mille  hommes ,  d'après 
les  rapports  les  moins  exagérés  )  s'avançaient  sur 
Avignon  ;  la  ville  semblait  se  préparer  à  une  insur- 
rection intérieure;  les  rouges  des  environs  se  ras- 
semblaient pour  se  joindre  à  la  colonne  insurgée  venant 
d'Apt. 

«  Je  dus  renoncer  au  désir  que  j'avais  d'aller  à  la 
rencontre  de  ces  bandits.  Ma  présence  dans  Avignon 
étant  indispensable  pour  conserver  la  ville*  je  me  déci- 
dai à  Y  rester.  Ce  parti  m'était  d'autant  plus  imposé, 
que  le  matin  même  J'avais  fait  partir  pour  Marseille, 
par  le  chemin  de  fer,  un  bataillon  du  54«. 

(c  La  garnison  passa  la  nuit  sous  les  armes;  informé, 
à  minuit ,  par  un  gendarme  qui  avait  essuyé  une  dé- 
charge de  coups  de  feu,  qu'il  y  avait ,  à  un  kilomètre, 
un  rassemblement  qui  attendait  les  bandes  d'Âpt,  j'en- 
voyai un  piquet  d'infanterie  et  de  cavalerie  pour  les 
disperser.  Le  chef  reçut  l'ordre  de  fusiller  tout  individu 
pris  les  armes  à  la  main. 

«  A  l'approche  des  troupes ,  les  hommes  du  rassem- 
blement jetèrent  les  armes  et  s'enfuirent  ;  quarante-sept 
furent  pris  ;  on  ramassa  quelques  armes.  Cette  petite 
exécution  et  la  marche  de  la  colonne  du  commandant 
Malher  arrêta  les  insurgés.  Le  9,  ils  reculèrent  en  lais- 
sant quelques  bandes  aux  environs  de  Lisle. 

«  Je  voulus  les  enlever;  un  détachement  de  cinquante 
hommes  d'infanterie,  montés  en  omnibus,  et  un  esca- 
dron de  hussards  partirent  le  10,  dans  l'après-midi,  pour 


DUN  COUP  D'ÉTAT.  315 

Carpentras,  sous  les  ordres  du  commandant  de  France, 
du  54V 

a  Ils  s'établirent  dans  cette  dernière  ville  comme  s'ils 
allaient  y  passer  la  nuit  ;  mais,  à  onze  heures,  la  colonne 
se  dirigea  sur  Lisle,  où  dans  la  soirée  se  trouvaient  un 
millier  d'insurgés  ;  ceux-ci  avaient  quitté  la  ville  à  neuf 
heures.  Ayant  appris  à  Lisle  qu'il  y  avait  quelques 
bandes  aux  environs  de  Cavaillon,  le  commandant 
de  France  alla  les  y  chercher;  il  en  rencontra  une 
près  de  Cavaillon  y  il  lui  tua  quelques  hommes,  reprit 
les  drapeaux  enlevés  à  la  mairie  de  Lisle ,  et  fit  fu- 
siller deux  ou  trois  individus  qui  tombèrent  entre  ses 
mains. 

a  Le  9,  la  situation  était  assez  alarmante  pour  que, 
chacun  de  son  côté ,  M.  le  général  de  division  et  M.  le 
préfet  de  Vaucluse  aient  cru  devoir  proclamer  Tétat  de 
siège. 

«  L'expédition  deCavaillon  eut  les  meilleurs  résultats; 
les  insurgéss'efTrayèrent  et  reculèrent  sur  Apt.  J'envoyai, 
le  10,  sur  cette  ville  une  colonne  commandée  par  M.  le 
colonel  Vinoy,  du  54*,  et  formée  d'un  bataillon  du  54% 
deux  escadrons  et  vingt-cinq  gendarmes. 

<x  Cette  colonne  rétablit  les  autorités,  procéda  à  un 
désarmement  et  fît  soixante  prisonniers,  parmi  lesquels 
se  trouvent  le  commandant  et  le  tambour-major  des 
bandes  qui  avaient  envahi  Apt  ;  plusieurs  meneurs  ont 
été  également  pris. 

«  Le  1 2,  la  position  du  département  de  Vaucluse  s'amé- 
liorant,  je  donnai  l'ordre  à  M.  le  colonel  Vinoy  d'en- 


m  HISTOIRE 


i  ■  \  t       ê     •■    -    ■*•■.    «         ■*-' 


trer  dans  les  Basses-AIpès ,  où'  opéraient  des  colonnes 
envoyées  par  M.  le  général  de  division.  » 

Nous  avons  vu ,  en  parlant  des  Basses-Âlpes  ,^  com- 
ment M.  le  colonel  Vinoy  entra  à  Forcalquier  et  à  Digne. 
Il  reçut  Tordre  dé  revenir  à  Avignon  quand  les  troupes 
du  colonel  Sercey  furent  arrivées  à  Digne.  Le  départe- 
ment de  Vaucluse  n*a  été  agité  que  durant  quatre 
jou^s. 

Quant  au  nombre  d'insurgés  tués  à  Cavaillon  et  que 
le  rapport  ne  précise  pas,  il  est  de  cinq  en  fout ,  tant 
tués  que  fusillés. 

Var.  —  Ce  fut  dans  la  soirée  du  jeudi  4  décembre 
qu'on  apprit  dans  le  Var  les  événements  de  Paris.  A 
Toulon,  Tagilation  fut  extrême.  On  recevait  de  tout  le 
département  des  nouvelles  fort  alarmantes.  L'insurrec- 
tion éclatait  dans  une  foule  de  localités.  Dans  cette 
même  soirée  du  4,  des  rassemblements  considérables 
se  formèrent  hors  des  portes  de  la  ville  et  sur  le  Champ- 
de -Bataille.  On  envoya  pour  les  disperser  quelques 
compagnies  qui  en  vinrent  facilement  à  bout.  Sur  quel- 
ques personnes  arrêtées,  on  trouva  des  ârines,  notam- 
ment des  poignards. 

«  La  société  secrète  de  Cuers  avait  décidé  que  le 
5  décembre  serait  le  jour  du  soulèvement.  Dès  sept 
heures  du  matin,  toutes  les  avenues  des  chemins  ru- 
raux étaient  gardées  par  des  affidés  en  costume  de 
gardes  nationaux,  qui  interceptaient  le  passage  le  sabre 
à  la  main  et  donnaient  l'ordre  de  s'armer  et  de  se  tenir 


D'UN  coxjP  D'état.  311 

prèis.  A  une  heure  de  l'après-midi,  un  rassemblement 
nombreux  se  porta  vers  la  maison  commune. 

«  M.  Barralier,  maire  de  Cuers,  averti  de  ce  mouve- 
ment, sortit  pour  se  rendre  à  la  caserne  de  gendarme- 
rie ;  comme  il  revenait  escorté  de  la  brigade,  des  voci- 
férations se  firent  entendre  ;  M.  Barralier  donna  Tordre 
àTa  foule  de  vider  la  mairie;  un  individu,  nommé 
Mourre,  s'écria  :  «Le  peuple  est  souverain  1  ce  sont  des 
brigands  qu'il  faut  exterminer  sur-le-champ  !»  A  ces 
p'arotes,  on  se  précipita  sur  le  maire  ;  à  trois  reprises, 
lé  gendarme  Cauvin  parvint,  au  péril  de  ses  jours,  à  le 
couvrir  de  son  corps;  ses  efforts  furent  vains.  M.  Bar- 
ralier et  le  gendarme  Cauvin  furent  terrassés  et  empor- 
tés hors  de  la  mairie.  Le  brigadier  de  gendarmerie,  qui 
éfait  arrivé  sur  ces  entrefaites  ,  fut  également  saisi  et 
entraîné  du  côté  de  la  prison  ;  au  moment  où  il  y  arri- 
vait, un  coup  de  feu  l'atteignit  au  front  et  il  tomba 
noidrt. 

«  Un  second  gendarme,  nommé.Daureu,  fut  poursuivi 

i  ooups  de  fusil  dans  une  rue;  quant  au  brave  Cauvin, 

après  avoir  lutté  contre  dix  individus,  il  fut  désarmé, 

essuya  plusieurs  coups  de  feu,  dont  un  Tatteignit  à  la 

tête,  et  parvint  cependant  à  se  réfugier  dans  la  maison 

p'Mi  sieur  Toucas,  cafetier,  qui  s'empressa  de  le  cacher. 

'^;       «M.  Barralier,  horriblement  maltraité,  put  cependant 

*  échapper  à  la  mort  et  fut  jeté  en  prison. 

<x  Débarraissés  de  toute  résistance,  les  insurgés  se  ren- 
dirent au  domicile  de  M.  Roustan,  receveur  buraliste  des 
contributions  indirectes;  sa  maison  fut  mise  au  pillage  : 


348  HISTOIRE 

tous  les  meubles,  les  livres,  les  carions,  furent  lancés 
par  les  fenêtres  et  devinrent  la  proie  des  flammes.  Rien 
n'a  pu  être  sauvé;  il  ne  reste  au  receveur  que  les  habits 
qu'il  portait  sur  lui.  La  même  scène,  la  même  dévasta* 
tion  se  sont  reproduites  chez  M.  Guérin ,  receveur  à 
cheval,  qui  était  en  tournée.  M™*  Guérin,  pour  sauve- 
garder sa  vie,  n'eut  d'autre  ressource  que  de  se  ca- 
cher dans  la  cave.  Cette  famille  ne  pfissède  plus  rien. 

«  Les  factieux  se  sont  ensuite  transportés  à  la  ca- 
serne de  gendarmerie.  Il  est  impossible  de  retracer  les 
scènes  qui  s'y  sont  passées.  Tout  a  été  saccagé  ;  la  veuve 
du  brigadier,  couchée  en  joue  par  les  émeutiers,  a  été 
forcée  de  remettre  les  fonds  et  les  munitions  de  la  bri- 
gade. 

«  Après  avoir  accompli  ces  actes  de  vandalisme,  les 
insurgés  ont  constitué  une  commission  provisoire;  ils 
sont  ensuite  revenus  sur  la  place  publique,  et  ont  assouvi 
leur  rage  sur  le  cadavre  du  malheureux  brigadier  tué 
dans  la  matinée;  ils  en  ont  fait  le  tour  en  écrasant  la 
tête  à  coups  de  pied,  ils  ont  tiré  des  coups  de  fusil  sur 
différentes  parties  du  corps  ;  et,  enfin,  un  de  ces  misé- 
rables, phis  féroce  encore  que  ses  affidés,  s'est  lavé  les 
mains  dans  le  sang  de  la  victime  ! 

c<  Ces  horreurs  accomplies,  la  commission  rentra  à  la 
maison  commune  pour  déHbérer.  Il  fut  décidé  qu'à 
minuit  on  exterminerait  tous  les  ennemis  du  peuple. 
Un  homme,  coiffé  d'un  bonnet  rouge,  les  bras  et  les 
jambes  nus,  avait  parcouru  la  ville  avec  sa  cohorte  et 
désigné  ceux  qui  seraient  immolés.  Par  bonheur,  le 


D'UN  œUP  D'ÉTAT.  319 

gendarme  Cauvin^  homme  aussi  dévoué  qu'énergique, 
malgré  sa  blessure  et  ses  souffrances,  malgré  les  périls 
qui  le  menaçaient,  s'était  résolu  à  aller  chercher  des 
secours  à  Toulon.  Les  autorités,  prévenues  par  lui,  ex- 
pédièrent immédiatement  une  colonne  qui  arriva  à 
Cuers  à  onze  heures  du  soir,  et  préserva  la  population 

de  plus  grands  malheurs.  »   {ConsMutionnel  du  18  décembre.) 

Le  nouveau  préfet,  M.  Pastoureau,  arriva  à  Toulon 
dans  la  soirée  du  4.  Le  5  au  matin,  il  en  partit  avec 
huit  compagnies  du  50%  se  portant  sur  Cuers  où  il  ar- 
riva la  nuit.  Il  y  surprit  les  insurgés,  opéra  un  grand 
nombre  d'arrestations,  rétablit  les  autorités  que  l'insur- 
rection avait  chassées  et  remplacées  par  une  municipa- 
lité révolutionnaire,  et  revint  à  Toulon  le  6,  dans  l'a- 
près-midi ,  avec  soixante-^ix  prisonniers.  Il  y  avait 
parmi  eux  deux  personnages  marquants  qui  avaient  été 
surpris  portant  des  armes ,  des  munitions  et  des  pro- 
clamations, dans  les  coffres  de  leurs  voitures. 

Aussitôt  son  arrivée  à  Toulon,  le  préfet  y  proclama 
la  mise  en  état  de  siège  du  département. 

Dans  la  nuit  du  6  au  7,  M.  Pastoureau  marcha  sur 
le  Luc,  autre  chef-lieu  de  canton  également  insurgé, 
avec  cinq  compagnies,  quinze  gendarmes  et  neuf  sous- 
officiers  et  soldats  du  train  montés.  En  route,  une  com- 
pagnie fut  détachée  de  la  colonne  et  envoyée  à  Hyères, 
oii«  conjointement  avec  cent  marins  de  VVranie^  elle 
rétablit  et  sut  maintenir  la  tranquillité.  En  route,  on 
apprit  que  quatre  ou  cinq  mille  insurgés,  qui  occu- 
paient le  Luc  et  Vidauban,  se  disposaient  à  marcher  sur 


•    t 


320  HISTOIRE 

Draguignan ,  mais  dès  qu'ils  eurent  connaissanoe  de 
l'approche  de  la  colonne  du  50^,  qui  bientôt  allait  les 
joindre,  ils  se  rejetèrent  sur  la  gauche,  se  portant  sur 
Salron  et  Aups. 

Arrivée  au  Luc,-  la  colonne  rétablit  Tordre,  pooon- 
stitua  les  autorités,  fit  la  même  chose  à  Yitauban,  et 
marcha  sur  Draguignan  avec  les  prisonniers  qu'elle  avait 
faits  dans  ces  deux  localités.  La  garnison  de  celte  ville 
était  sous  les  armes,  attendant  l'ennemi,  et  disposée  à 
le  bien  recevoir. 

Entré  à  Draguignan  le  8,  le  préfet  en  repartit,  avec 
ta  colonne,  le  9,  dans  la  direction  de  Flayose,  Saleme 
et  Lorgnes,  oii  les  insurgés  avaient  établi  leur  quartier 
général.  Dans  ces  différentes  localités,  ils  enrôlaient 
forcément  tous  les  hommes  de  dix -huit  à  cinquante 
ans.  Ils  s'emparaient  des  autorités  et  les  conduisaient 
avec  eux  comme  otages;  ils  les  faisaient  marcher  au 
premier  rang  lorsqu'une  attaque  était  probable ,  afin 
que  la  troupe  n'osât  pas  tirer  sur  eux.  Dans  la  seule 
commune  de  Lorgnes,  les  insurgés  avaient  recruté  de 
force  quatre  cents  hommes.  Quand  le  préfet  y  arriva, 
ils  avaient  fui.  On  échangea  quelques  coups  de  fusil 
avec  eux  dans  les  environs,  et,  comme  il  était  tard,  on 
rentra  à  Draguignan. 

Durant  ce  temps-là,  le  colonel  Sercey,  avec  un  ba- 
taillon du  10' léger,  deux  canons  et  vingt-cinq  hussards, 
partait  de  Marseille,  entrait,  dans  la  journée  du  8  dé- 
cembre, à  Brignolles,  y  reconstituait  la  municipalité,  se 
portait  ensuite  sur  Barjols,  et  de  là  dans  les  Basses-Alpes. 


D'rS  COUP  I)  ETAT.  32< 

Ainsi  les  insurgés  qui  occupaient  Aups,  Salerne  et 
les  environs,  se  trouvaient  pris  entre  les  deux  colonnes 
expéditionnaires.  Le  10,  le  préfet  et  le  colonel  Travers 
partirent  de  Draguignan  pour  Aups.  Ils  avaient  onze 
compagnies  d'infanterie  et  quarante  gendarmes,  bous 
le  commandement  d'un  capitaine.  ATourtour,  les  in- 
liurgés  ne  tinrent  pas,  et,  aux  premiers  coups  de  fusil 

'  tirés ,  lâchèrent  pied  eu  laissant  un  des  leurs  sur  le 
terrain. 

A  onze  heures  à  peu  près,  la  colonne  arrivait  de- 
vant Aups.  IjCs  insurgés,  au  nombre  de  trois  mille  ou 
trois  mille  cin(|  cents ,  occupaient  la  ville  et  avaient 
porté  des  masses  assez  considérables  en  avant  du  côté 
de  la  plaine.  Ils  avaient  eu  soin  de  s'emparer  des  mai- 
sons, pour  faire  le  coup  de  feu  des  fenêtres.  Aussitôt  le 

'  colonel  prit  ses  dispositions,  l'infanterie  fut  formée  en 

-  pelotons  et  l'attaque  cotnnicnça.  La  troupe  s' étant  réso- 
lument portée  en  avant,  les  insurgés  prirent  la  fuite, 
après  avoir  perdu  plusieurs  des  leurs.  Immédiatement, 

•  le  préfet  fit  charger  à  fond  et  de  face  par  la  gendar- 
merie, qui  tua  environ  cinquante  insut^és.  Les  soldats, 
développés  en  tirailleurs,  et  lournanl  la  position  par  la 

.  gauche,  en  tuèrent  à  peu  près  quarante.  Parmi  ces 
derniers,  il  y  en  avait  deux  qui  portaient  des  drapeaux 
rouges.  Cent  furent  pris  les  armes  à  la  main.  On  leur 
enleva  environ  quinze  quintaux  de  poudre. 

Durant  qu'on  se  battait,  le  nommé  Dutheil,  ex-ré- 

■Macteur  du  Patriote  de  Marseille,  qui,  prenant  le  titre 
de  "encrai,  s'était  mis  à  la  lêlu  de  l'insurrection,  s'en- 


i 


m  HISTOIRB 

fuyait  à  bride  abattue,  sur  un  cheval  volé  à  la  caserne 
de  gendarmerie. 

Dans  une  maison  située  sur  la  place,  les  insui^ 
avaient  enfermé  environ  quarante  prisonniers,  qu'ils 
gardaient  comme  otages  :  c'étaient  les  autorités  et  les 
personnages  notables  des  communes  dans  lesquelles  ils 
avaient  passé.  Leur  mort  était  résolue.  Déjà  aux  arbres 
de  la  place  étaient  attachées  les  poulies  qui  devaient 
servir  à  leur  exécution,  car  on  avait  décidé  de  les  penr 
dre.  On  avait  fait  venir  des  prêtres  pour  leur  admini- 
strer les  secours  de  la  religion  :  quelques  heures  en- 
core les  séparaient  du  moment  fatal.  Quand  la  colonne 
arriva,  les  insurgés  crurent  un  moment  qu'ils  allaient 
être  vainqueurs;  ils  se  contentèrent  de  foire  bonne 
garde  autour  des  captifs  ;  mais,  au  moment  où  les  pre- 
miers fuyards  se  replièrent  sur  la  place,  ils  comprirent 
qu'ils  allaient  être  vaincus,  et  ils  se  ruèrent  sur  la  mai- 
son pour  égorger  les  prisonniers.  Ceux-ci  se  renfermè- 
rent et  barricadèrent,  comme  ils  purent,  les  portes.  Une 
compagnie  arrivait,  lancée  au  pas  de  course,  à  Tinstant 
où  .les  insurgés  enfonçaient  la  porte.  Les  soldats, 
croyant  que  cette  maison  était  le  refuge  des  rebelles, 
firent  feu  sur  les  fenêtres.  Ce  fut  alors  qu'un  des  prison- 
niers, M.  de  Laval,  se  dévouant  pour  les  autres,  saute 
par  la  fenêtre  du  premier  et  vient  tomber  devant  les  sol- 
dats. Il  veut  leur  parler  ;  mais  ils  le  prennent  pour  un 
insurgé  qui  cherchée  fuir,  et  ils  font  feu  sur  lui  :  un  feu 
terrible ,  presqu'à  bout  portant,  un  feu  de  peloton.  Il 
devait  être  criblé  de  balles  :  il  en  a  ses  habits  troués;  ses 


DUN  COUP  D'ÉTAT.  323 

bottes  le  sont  aussi  ;  le  nœud  de  sa  cravate  est  emporté  ; 
mais  la  Providence  couvrait  M.  de  Laval,  il  n'a  que  des 
blessures  légères.  Cependant,  se  croyant  blessé  à  mort, 
il  dit,  en  tendant  la  main  au  capitaine  :  a  Je  meurs 
content,  je  sauve  mes  compagnons  les  prisonniers  !  Vive 
le  50*!  »  On  s'empresse  autour  de  lui.  Il  était  mira- 
culeusement préservé. 

La  colonne  expéditionnaire  a  eu  un  soldat  tué,  un 
capitaine,  un  lieutenant  et  cinq  sous-offîcicrs  et  soldats 
blessés. 

Après  avoir  laissé  une  force  suffisante  à  Âups,  y 
avoir  rétabli  les  autorités,  le  préfet  en  partit  avec  de 
nombreux  prisonniers. 

Pendant  la  journée  du  14  ,  la  colonne  séjourna  à 
Draguignan  ;  elle  en  repartit  le  1 2 ,  pour  aller  à  La- 
garde -Freynet  rétablir  les  autorités  que  l'insurrection 
avait  déposées. 

Nous  achèverons  ce  qui  regarde  le  Var,  en  citant  la 
fin  du  remarquable  rapport  du  général  Levaillant  : 

«  Pendant  que  cette  colonne  agissait,  les  troupes  qui 
occupaient  Toulon,  Antibes  et  Saint-Tropez  ne  restaient 
pas  oisives.  M.  le  sQus-préfet  de  Toulon  marchait ,  le  9, 
sur  Collobrières ,  avec  M.  le  procureur  de  la  République 
et  deux  compagnies,  y  rétabhssail  Tordre  et  faisait  des 
arrestations.  Le  colonel  de  Parron,  commandant  la 
place  d' Antibes,  envoyait  cent  cinquante  hommes  à 
Grasse  et  cinquante  autres  à  Saint-Laurent-du-Var, 
pour  tenir  en  respect  une  colonne  de  Piémontais  qui 
menaçait  Venci  et  la  Gaude.  Des  éloges  sont  dus  aux 


324  HISTOIRE 

autorités  9  aux  proposés  de  la  douane  et  à  la  gendai:iqe- 
rie,  qui ,  sous  la  direolioo  du  brigadier  de  douane  Boyer, 
se  sont  armés  et  ont  marché  à  leur  rencontre.  Les  cojd- 
pagnies  détachées  de  Toulon  marchaient  également  ||ur 
fielgemier,  Soliès-Pont,  Soliès- Ville»  Soliès-Touca^ , 
la  Seyne,  et  y  rétablissaient  Tordre  par  leur  seule  pré- 
sence. 

a  Le  8^  M.  le  vice-amiral ,  préfet  maritime  »  ex- 
pédiait un  aviso  à  vapeur  à  Saint-Tropez  y  et  une  fré- 
gate à  vapeur^  VAsmodée,  recevait  Tordre  de  longer  la 
côte  de  Test  jusqu'à  Ântibes,  où  elle  avait  ordre  de 
mouiller,  prête  à  jeter  une  compagnie  de  débarquement 
àTendroit  où  la  nécessité  Teût  exigé.  Cette  fr^te, 
louvoyant  en  vue  de  la  côte ,  suffisait  pour  faire  rentrer 
dans  le  calme  les  villages  qui  auraient  tenté  de.se  sou- 
lever. 

a  Le  désarmement  s'est  opéré  comme  par  enchante- 
ment dans  toutes  les  localités ,  à  la  suite  d'arrêtés  ré- 
pandus dans  tout  le  département  y  et  de  nombreuses 
arrestations  ont  été  faites.  L' une  et  l'autre  de  ces  me- 
sures se  continuent  encore.  Le  nombre  des  détenus, 
aussi  bien  que  celui  des  armes  saisies,  est  considé- 
rable. » 

Hérault. -7-Les  sociétés  secrètes  étaient  très-puissain- 
ment  organisées  dans  ce.département.  Elles  avaient  pris 
Bézicrs  pour  centre  de  leurs  opérations.  Dans  la  soirée 
du  3,  la  dépèche  télégraphique,  qui  annonçait  les  évé- 
nements de  Paris ,  fut  affichée  à  Béziers.  Les  troupes 


D'UN  COUP  D'ÉTAT.  m 

étaient  consignées,  les  postes  doublés  et  vingt -cm<{ 
hommes  gardaient  la  Sous- Préfecture.  Les  démago- 
gues envoyèrent  immédiatement  leurs  émissaires  sou- 
lever les  campagnes,  pour  qu'elles  se  portassent  sur  la 
ville. 

L'ancien  cimetière,  route  de  Bédarieux,  fut  désigné 
comme  lieu  de  réunion.  Â  quatre  heures  du  matin,  le 
jeudi  4,  les  rassemblements  y  étaient  considérables.  Les 
réverbères  s'éteignent  à  ce  moment  dans  Béziers.  On 
attendait  cet  instant.  Quatre  mille  insurgés,  armés  de 
foui,  de  piques,  de  fusils,  se  rangeaient  en  bataille  sur 
le  boulevard  extérieur.  Un  grand  nombre  de  femmes 
les  accompagnaient ,  portant  des  sacs  pour  emporter 
leurbuttfi. 

Les  insurgés  avaient  des  ceintures  et  des  écharnes 
rouges.  Avant  le  départ,  les  chefs  tirèrent  au  sort  les 
quartiers  de  la  ville.  Droit  de  vie  et  de  mort  leur  était 
attribué.  Les  soldats  de  cette  armée  féroce  voulaient  se 
disséminer  pour  piller;  mais  les  chefs  leur  firent  com- 
prendre qu'il  fallait  auparavant  s'emparer  de  la  Mairie 
et  de  la  Sous-Préfecture.  On  se  mit  en  marche  pour  se 
porter  d'abord  sur  ce  dernier  point. 

Le  maire,  M.  Lognos,  dont  la  maison  est  voisine  du 
lieu  de  rassemblement,  venait  de  renvoyer  un  poste  de 
gardes  champêtres  qu'il  avait  établi.  Ces  hommes  ve- 
naient de  lui  affirmer  que  tout  était  tranquille,  quand 
îl  voit  défiler  l'insurrection  sous  ses  fenêtres.  Il  court  à 
la  Mairie,  réveille  tout  le  monde,  fait  fermer  les  grilles 
et  se  rend  à  la  Sous-Préfecture.  11  racontait  ce  qu'il  ve- 

2i 


325  HISTOIRE 

naît  de  voir  au  sous- préfet^  quand  on  remit  à  ce  fooe- 
tionnaire  un  billet  ainsi  conçu  : 

Au  nom  du  peuple  français,  le  Président  de  la  République  ayant 
TÎolé  la  Constitution,  le  peuple  rentre  dans  la  plénitude  de  ses  droits. 
En  conséquence,  vos  fonctions  doivent  cesser.  En  qualité  de  délégués 
du  peuple,  nous  venons  vous  remplacer. 

Le  sous-préfct  crut  que  ce  billet  provenait  d'une  saisie 
de  la  police.  Il  sortait  pour  s'en  enquérir,  quand,  à  U 
porte  de  son  cabinet,  il  se  trouva  en  face  de  deux  indivi- 
dus :  Pujol  dit  VerdalCy  et  Redon ,  condamné  politique. 
«Qui  étes-vous?  que  demandez-vous?  dit  M.  CoUet- 
Maygret. — Nous  sommes  délégués  du  peuple  ;  remettei 
vos  fonctions  entre  nos  mains  et  retirez-vous. — Je  tiens 
mes  fonctions  d'un  pouvoir  régulier,  dit  le  sous-préfet, 
je  ne  les  céderai  pas  à  une  députation  de  rémeute. — 
Vous  comptez  sur  vos  soldats?  dit  Redon,  ils  ne  feront 
pas  fou.  Us  savent,  comme  nous,  que  la  Constitution 
est  violée,  que  le  peuple  est  rentré  dans  ses  droits; 
toute  résistance  est  impossible.  Nous  sommes  d'ailleurs 
en  nombre  :  plus  de  dix  mille  personnes  sont  réunies, 
prêles  à  marcher.  —  N'auraispje  que  deux  hommes  près 
de  moi,  répondit  aussitôt  M.  le  sous-préfet,   que  je 
n'hésiterais  pas  à  me  faire  tuer  avec  eux.  Je  m'adresse 
à  votre  conscience;  à  ma  place,  agiriez- vous  autre- 
ment? »  Redon ,  ému ,  s'approcha  de  M.  le  sous-préfet , 
et  lui  dit  :  «  Je  voudrais  tout  à  l'heure  pouvoir  mettre 
mon  corps  entre  une  balle  et  tous.  »  Les  deux  dél^ués 
Ise  retirèrent  alors  et  rejoignirent  les  bandes. 


D'UN  COUP  D'ÉTAT.  327 

Le  souft-préfet  envoie  un  billet  au  commandant  pour 
lui  demander  cent  hommes  qui  étaient  de  piquet  à  la 
caserne,  descend  dans  la  cour  où  il  appelle  aux  ar- 
mes, et  prie  le  lieutenant  Montjarres  de  commander  la 
charge.  Bientôt  le  capitaine  Lehongre  arrive  avec  les 
cent  hommes  envoyés  de  la  caserne.  On  montrait  à  ces 
soldats,  conscrits  de  huit  jours,  à  défaire  leurs  cartou- 
ches et  à  charger  leurs  fusils ,  que  déjà  les  insurgés  dé- 
bouchaient sur  la  place  Saint-Sauveur.  Le  sous-préfet, 
ceint  de  son  écharpe,  s'avance  avec  le  maire  et  le  com- 
missaire de  police.  11  ordonne  les  sommations.  Au  se- 
cond roulement  de  tambour,  les  insurgés  font  feu.  La 
troupe  répond,  et  celte  décharge  générale,  faite  à  dix 
pas,  tue  sept  insurgés  et  en  blesse  au  moins  soixante. 
Les  bandes  se  dispersèrent ,  mais  allèrent  s'embusquer 
plus  loin ,  derrière  les  angles  des  maisons ,  d'où  elles 
dirigèrent,  pendant  trois  quarts  d  heure,  un  feu  très- 
nourri  sur  la  troupe.  A  sept  heures  trois  quarts,  la 
troupe  était  sur  le  point  de  manquer  de  munitions, 
quand  le  reste  des  soldats,  qui  étaient  à  la  caserne,  ar- 
rivant au  pas  de  charge ,  vint  décider  du  succès  du 
combat. 

Les  insurgés,  repoussés  sur  ce  point ,  se  portèrent 
sur  les  quartiers  Saint-Félix  et  de  la  Madeleine,  où  ils 
assassinèrent  MM.  Bernard  Maury  et  son  beau-père, 
M.  Vernhes,  qui  allaient  chercher  leurs  fils  et  petits- 
fils  au  collège,  à  la  nouvelle  des  troubles.  Le  premier 
fut  atteint  de  treize  blessures  ;  le  second  fut^  tué  de 
deux  coups  de  hache.  Us  commençaient  à  se  barricader 


128  HISTOIRE 

dans  ces  quartiers  ^  quand  le  capitaine  DueolMnbier, 
avec  quelques  soldats  du  4*  hussards ,  les  chargeant  ri- 
goureusement,  les  mit  dans  une  déroute  complète. 

Pendant  ce  temps-là,  une  foule  de  citoyens,  amis  de 
Tordre,  se  réunissaient  autour  du  maire  et  du  sous- 
préfet,  et  organisaient  la  défense.  Bientôt  ils  prirent 
l-offensive;  de  fortes  patrouilles  sillonnèrent  la  ville  en 
tous  sens ,  et ,  à  partir  de  ce  moment,  elle  cessa  com- 
plètement d'être  troublée. 

Dès  le  lendemain,  Tétat  de  siège  fut  proclamé  et  de 
nombreuses  arrestations  furent  faites.  Le  rapport  des 
autorités  évalue  le  nombre  des  prisonniers  à  peu  près 
à  quatre  cents. 

MM.  ("oUet-Maygret,  sous- préfet,  Lognoa,  maire,  de 
Montfort,  colonel  du  4*  hussards,  le  capitaine  Ducolom- 
bier  et  le  commissaire  de  police,  ont  admirablement 
t'ait  leur  devoir.  Les  jeunes  conscrits  du  12^  de  ligne 
méritent  aussi  une  mention  toute  particulière,  ainsi  que 
les  officiers  qui  les  commandaient,  notamment  le  capi- 
taine Lehongre  et  le  lieutenant  Montjarres. 

Au  même  signal,  Tinsun'eclion  se  levait  àBédarieux, 
à  Capestang,  à  Pézenas.  Dans  la  première  de  ces  trois 
localités^  les  démagogues  se  constituent  en  municipa- 
lité insurrectionnelle,  décrètent  une  contribution  de 
100,000  fr.  sur  les  riches,  payable  dans  la  journée.  Si 
cette  somme  n'est  pas  payée  le  soir,  la  ville  doit  être 
pillée.  La  brigade  de  gendarmerie  insultée,  maltraitée 
par  la  populace,  se  retire  dans  sa  caserne.  On  vient  Ty 
assaiUir.  Elle  résiste.  Les  insurgés  attaquent  à  coups  de 


D'UN  COUP  D^ÉTAT.  3W 

fosil,  et  deax  gendarmes  reçoivent  la  mort,  ainsi  cfue 
leur  brigadier  Léotard.  On  met  le  feu  à  la  caserne.  Un 
jeune  homme  veut  sauver  le  cheval  d'un  des  g6n- 
darnics,  il  est  tué  dans  la  rue.  Un  autre^  un  enfant 
blessé  et  brûlé ,  veut  sortir  des  flammes ,  on  l'y  re- 
jette. On  pend  un  malheureux  gendarme,  on  le 
garrotte,  on  l'étrangle  petit  à  petit,  et,  sur  sa  prière, 
on  le  fusille  à  bout  portant  :  telles  étaient  les  horreurs 
qui  se  commettaient ,  quand  on  annonce  l'arrivée  de 
trois  cents  hommes  du  35%  commandés  par  le  lieute- 
nant^roloneL  Le  commissaire  de  police  avait  pu  s'é- 
chapper et  aller  prévenir  à  Montpellier.  Aussi  làche!( 
que  cruels,  les  insurgés  prennent  la  fuite,  et  la  petite  co- 
lonne entre,  sans  coup  férir,  dans  la  ville,  oii  elle  réta- 
blit les  autorités  et  procède  à  l'arrestation  des  coupables. 

«  C'est  le  3,  au  soir,  qu'on  apprit  à  Capestang  les 
événements  qui  venaient  d'èehiter  à  Paris.  Aussitôt  tous 
les  ouvriers  vignerons  et  trafilBeurs  de  terre,  qui  for- 
ment l'immense  majoritè'dil-Jt  population,  cessèrent 
leurs  travaux.  Liés  entre  eux  par  des  serments  contrac- 
té» au  sein  des  sociétés  secrètes ,  ils  se  réunirent  par 
groupes,  et  passèrent  la  nuit  du  3  au  4  dans  les  cafés 
et  dans  les  cabarets,  à  organiser  le  soulèvement  du 
lendemain. 

«  Ayant  eu*  connaissance  de  leurs  desseins,  M.  Sais- 
set,  maire  et  conseiller  général,  accourut  au  milieu 
d'eu!  pour  les  calmer;  mais  ses  exhortations  se  trouvè- 
rent impuissantes ,  et  il  fut  obligé  de  se  retirer.  Une 
heure  après,  vere»  neuf  heures,  ils  se  présentèrent 


.^'^ 


930  HISTOIRE 

devant  la  Mairie,  armés  de  fusils,  de  haches ,  de  pi- 
ques, etc. 

«  La  brigade  de  gendarmerie,  qui  était  sur  le  point 
de  se  rendre  à  Béziers,  comme  elle  en  avait  reçu  Tordre, 
ayant  voulu  accourir  au  secours  delà  municipalité,  qui 
faisait  tout  son  possible  pour  résistera  Témeute,  fut 
accueillie,  à  son  arrivée  sur  la  place,  par  une  déchai^ 
qui  blessa  le  brigadier,  deux  gendarmes ,  et  en  étendit 
mort  un  troisième.  Quelques  instants  après,  les  bandes 
défilèrent  sur  le  chemin  de  Béziers,  où  elles  n'arrivè- 
rent pas  cependant ,  parce  qu'elles  apprirent  en  route 
la  vigoureuse  répression  qui  avait  frappé  ceux  qui 
avaient  osé  y  pénétrer. 

«  Pendant  que  l'émeute  était  sur  la  place  de  la  Mai- 
rie, il  s'est  passé  un  fait  que  nous  devons  signaler.  Un 
jeune  homme  armé,  ayant  reçu  un  ordre  d'un  des  chefs, 
se  détacha  des  groupes,  se  rendit  à  l'église  où  l'un  des 
prêtres  de  la  paroisse  allait  monter  à  l'autel ,  et  lui 
défendit  de  dire  la  messe  jusqu'à  nouvel  ordre.  Le  res- 
pectable curé,  ayant  appris  qu'il  n'était  pas  en  sûreté, 
sortit  dans  la  soirée  de  son  presbytère ,  traversa  osten- 
siblement la  ville,  et  alla  sur  la  grande  route  attendre 
la  diligence  de  Béziers,  où  il  est  resté  jusqu'au  6  au 
matin,  qu'il  est  rentré  à  Capestang,  après  avoir  célébré 
les  obsèques  de  M.  TabbéCavalié.»  {Écho  du  Midi,  du  13.) 

Le  mercredi  10,  le  colonel  de  Montfort  arrivait  à 
Capestang  avec  deux  cents  hommes,  infanterie  et  cava- 
lerie, et  une  pièce  de  canon.  Avant  d'entrer  dans  le 


D'UN  œUP  D'ÉTAT.  33! 

bourg,  la  troupe  échangea  ayec  les  insurgés  quelques 
coups  de  feu  qui  leur  tuèrent  un  homme  et  en  bles- 
sèrent un  autre.  M.  Lucien  Mirabel  fut  installé  en  qua- 
lité de  maire.  Après  avoir  laissé  quelques  soldats  pour 
maintenir  la  tranquillité ,  le  colonel  deMontfort  partit 
de  Capestang ,  emmenant  cinq  prisonniers.  Le  sous- 
préfet,  le  juge  d'instruction  et  le  procureur  de  la  Ré- 
publique accompagnaient  la  colonne  expéditionnaire. 
A  Pézcnas,  l'insurrection  était  debout  dans  tous  les 
alentours ,  prête  à  se  ruer  sur  la  ville  ;  mais  les  mau- 
vaises nouvelles,  venues  de  Béziers,  calmèrent  TefTer- 
vescence  et  empêchèrent  les  démagogues  de  mettre 
leurs  projets  à  exécution. 

Le  général  Rostolan,  parcourant  le  département  avec 
des  colonnes  mobiles,  ne  tarda  pas  à  y  rétablir  la  tran- 
quillité. 

Gard.  —  Des  bandes  considérables  s'étaient  réunies 
pour  marcher  sur  Nimes.  Il  y  en  avait  trois  principales, 
qui  pouvaient  former  un  efiectif  de  sept  à  huit  mille 
hommes.  La  première  venant  par  la  Calmettc,  dans  la 
nuit  du  5  au  6  décembre ,  opéra  sa  jonction  près  le 
Mas^e-Granon  aux  carrières  de  Barutel  avec  la  seconde 
colonne,  qui  venait  par  la  route  d'Anduze.  La  troisième 
arrivait  par  la  route  de  Sauve.  Ces  trois  colonnes  réunies 
devaient  se  porter  par  une  marche  rapide  sur  Nimes, 
qu'elles  espéraient  surprendre.  Mais  les  frères  et  amis  de 
cette  ville,  étant  venus  avertir  que  les  autorités  avaient 
pris  toutes  les  dispositions  convenables  pour  repousser 


332  WSTOIRR 

rigoureusement  une  attaque ,  et  <|u'il  a'j  auraii  |^ 
surprise,  mais  bataille^  on  se  sémifa,  et  Nimcis  échappa 
ainsi  à  une  invasion. 

Drôme.  •—  Dans  ce  département^  i'insurrectioo  44(é 
vraiment  formidable.  Elle  comptait  $ur  le  comMHurs  4ê 
Lyon  y  sur  celui  de  l'Isère  et  des  autres  dèpartemeiMA 
voisins,  dans  lesquels  le  général  Castellane  a  su  maw^ 
tcnirsi  admirablement  la  tranquillité. 

EUIe  s'est  levée  sur  plusieurs  points  à  la  fois. 

Malgré  l'énergique  résistance  de  M.  MoutierSi  maîm 
de  Cresl ,  qui ,  avec  deux  ou  trois  gendarmes,  is'étail 
opposé  à  une  centaine  d'insurgés,  la  caserne  avait  été 
envahie  le  3,  à  onze  heures  du  soir.  Prévenu  dans  la 
nuit,  le  préfet  envoya  trente-deux  servants  d'artillerie 
et  vingt-cinq  cavaliers  qui  arrivèrent  à  Crest  k  hmi 
heures.  Plusieurs  arrestations  furent  opérées.  M.  L'É- 
chelle, conseiller  de  préfecture,  contribua  puissam- 
ment à  organiser  les  habitants  en  gardes  volontaines. 

Le  5,  les  communes  de  Chabrillant,  de  Grane,  de  la 
Castre,  sonnaient  le  tocsin.  Les  moyens,  de  défense 
furent  complétés.  L'agitation  était  aussi  extrême  au- 
tour de  Die,  et  le  sous-préfet,  M.  de  Chazelles,  réciamaît 
de  prompts  secours.  Une  compagnie  du  32%  capitahii 
Frezières,  lui  fut  envoyée.  À  son  arrivée  à  Cresl,  pour 
se  rendre  à  Die,  cette  petite  colonne  eut  un  engage- 
ment immédiat  avec  une  bande  de  trois  cents  insurgés, 
venant  de  Saillant,  à  la  tête  du  pont  d'Aoste.  Les  insur- 
gés durent  avoir  cinquante  tués  ou  blessés.  Du  oôté  df 


D*UN  QQLP  0^£TAT.  333 

ht  troupe,  il  n'y  eut  que  deux  morts,  le  brigadier  Car- 
dinal et  le  maréchal<4e9-logis  Carrier. 

«  A  sept  heures  du  soir,  arriva  Tinsurreclion  de  Graoe 
et  de  Chabrillaot.  Sept  ou  huit  cents  homoies  mar- 
chant en  colonne,  dont  cent  cinquante  marchaient  de 
force,  et  qui,  par  une  intention  atroce,  étaient  en  télé 
fKNir  essuyer  les  premiers  coups.  Au  premier  rang,  se 
trouvaient  le  curé  et  le  vicaire  de  Grane,  le  curé  de 
ChabriUant  et  deux  prêtres  missionnaires.  Le  jeune 
Arribat,  fils  du  précédent  adjoint,  dévoué  à  Tordre, 
idi^lescent  de  quinze  ans,  marchait  sur  la  même  ligne, 
^s  ayant  le  canon  du  fusil  des  insurgés  appliqué  sur 

10  dos.  Au  premier  signal  de  retraite  ou  de  simple  ré- 
Wtance,  les  misérables  qui  les  contraignaient  ainsi 

avaient  ordre  de  les  tuer.  »       {Happart  du  générai  Lapéne,) 

Dans  l'engagement  très-vif  qui  eut  lieu  et  qui  coûta 
uelques  hommes  aux  insurgés,  une  main  providen- 
tielle protégea  les  malheureux  qu'on  forçait  à  marcher 
«n  tête,  car  pas  un  ne  fut  atteint.  Les  insurges  prirent 
!•  fuite,  et  le  lendemain  on  trouvait  sur  le  terrain  du 
«ombat  et  dans  les  alentours  une  foule  d^armes  de  toutes 
lortes  qu'ils  avaient  jetées  en  s'cnfuyan'. 

La  compagnie  du  32^,  au  lieu  de  se  rendre  à  Die,  resta 

11  Crest.  Les  insurgés  occupaient  encore  les  hauteurs 
^i  dominent  la  tour  de  Crest.  Le  capitaine  Frezières 
escalada  la  montagne  avec  vingt-cinq  hommes,  tandis 
^'un  autre  détachement  la  prenait  à  revers  et  qu'un 
olwftieri  placé  par  les  ordres  du  chef  d'escadron  Delà- 


334  HISTOIRE 

motte,  sur  un  plateau,  balayait  les  positions  de  renne- 
mi  y  qui  ne  tint  pas  et  se  replia  dans  le  plus  grand' 
désordre. 

A  peine  cette  opération  énergique  terminée,  on  an- 
nonça que  la  ville  allait  être  attaquée  par  une  formi- 
dable colonne  venant  de  Saou,  de  Puy-Saint-Martio, 
Bourdeauxetcommunesenvironnantes.Lecommandant 
Delamotte  fit  une  forte  reconnaissance  vers  Montélimart 
avec  de  l'infanterie,  quelques  cavaliers  et  un  obusier. 
A  deux  kilomètres,  on  vit  les  insurgés,  forts  d'environ 
deux  mille  hommes,  se  déployer  en  ligne  sur  la  gauche 
de  la  colonne.  Deux  coups  d'obusier  bien  dirigés  les 
Brent  hésiter  un  instant  ;  mais  comme  ils  s*avançaient 
résolument  pour  tourner  la  colonne,  le  commandant 
fit  battre  en  retraite  sur  Crest.  La  barricade  qui  for- 
mait tête  de  pont,  fut  fortement  occupée  ;  une  pièce 
de  huit  fut  mise  en  batterie  et  Tobusier  placé  sur  le 
quai,  commandant  la  roule  qui  vient  perpendiculaire  à 
la  Drôme.  Bientôt  les  insurgés  attaquèrent  en  colonne 
serrée,  mais  la  mitraille  et  une  vive  fusillade  les  mirent 
en  désordre  ;  ils  se  dispersèrent  pour  faire  le  coup  de 
feu   derrière   les   maisons.   Quelques   obus  lancés  à 
propos,  et  une  charge  de  cavalerie,  dirigée  contre  un 
peloton  qui  s'avançait  hardiment  pour  tourner  la  bar* 
ricade  par  derrière  la  culée  du  pont ,  mirent  les  insur- 
gés en  pleine  déroute.  A  partir  de  ce  moment,  ils  ne 
reparurent  pas. 

Pendant  les  premiers  jours,  Montélimart  fut  seule- 
ment agitée.  Les  mesures  énergiques  et  intelligentesdu 


D'UN  COUP  D'ÉTAT.  335 

major  Carmier  et  du  sous-préfet  Laurette,  assureront 
quelque  temps  la  tranquillité.  Plusieurs  arrestations 
furent  opérées^  entre  autres  celle  de  Tex-représenlant 
Combier.  A  Rochegude,  les  insurgés  s'emparaient  de  la 
Mairie  malgré  la  résistance  du  maire,  M.  Ishe.  Ils  y 
passèrent  la  nuit  à  délibérer  en  buvant,  et  le  lendemain 
matin ,  le  juge  de  paix  de  Saint-Paul-Trois-Cliàteaux , 
survenant  avec  des  gendarmes^  arrêtait  les  principaux 
d'entre  eux. 

Dans  la  nuit  du  6  au  7,  sur  la  route  de  Sauzet,  on  si- 
gnalait l'existence  d'une  bande  qui  voulait  marcher  sur 
Montélimart.  Le  capitaine  Palastron,  du  63%  se  porta 
en  avant  pour  la  disperser  y  mais  il  ne  rencontra  que 
quelques  hommes  armés  marchant  par  groupes  de  deux 
ou  trois  à  la  fois,  qu'il  arrêta. 

A  onze  heures,  dans  cette  même  nuit,  le  capitaine 
Pommerais,  avec  cent  hommes  des  63*  et  1 3*  de  ligne, 
partit  pour  Marsonne,  où,  suivant  le  rapport  du  garde 
champêtre,  quatre  cents  insurgés  étaient  réunis  et  son- 
naient le  tocsin.  Au  village  de  Saint-Marcel,  la  colonne 
16  trouva  en  face  de  six  à  sept  cents  insurgés  au  inoins. 
Trois  hommes,  portant  un  drapeau,  s'avancèrent  pour 
parlementer  :  «  Bas  les  armes!  leur  dit  l'ofTicier. 
—  Nous  ne  voulons  pas  être  esclaves,  répondirent-ils, 
vive  la  ligne!  à  nous,  nos  frères!»  Le  feu  commença. 
Après  deux  heures  d'un  combat  fort  vif,  dans  lequel 
les  soldats,  qui  tous  étaient  de  jeunes  recrues,  tinrent 
merveilleusement,  le  capitaine  battit  en  retraite  et  ren- 
tra à  Montélimart  à  cinq  heures  et  demie  du  matin. 


336  HISTOIRE 

Tout  le  long  du  chemin,  on  entendait  le  toesia  dansles 
campagnes. 

Au  point  du  jour,  le  7,  une  forte  colonne  partit  de 
Montélimart  pour  pousser  jusqu'à  Sauzet  ;  mais  partout 
les  insurgés,  qu'on  vit  en  assez  grand  nombre,  ne  ^wjh 
lurent  pas  tenter  d'engagement  et  prirent  la  fuite.  On 
entra  dans  Sauzet  sans  coup  férir.  M.  Laurelte,  sou&- 
préfet,  qui  était  avec  la  colonne,  a  montré  la  plus 
grande  énergie  et  le  plus  grand  sang-froid. 

Le  plan  des  insurgés,  comme  on  le  voit  par  leurs 
opérations  contre  Crest  et  contre  Montélimart,  était  de 
s'emparer  de  ces  deux  villes ,  pour  ensuite  se  porter  ea 
masse  sur  Valence,  qu'auraient  attaquée,  de  leur  côlè, 
les  communes  de  l'Ârdèche ,  voisines  du  pont  suspendi. 
Ceux  de  l'Ârdèche  devaient  être  commandés  par  un 
nommé  Blotton,  appareillcur  à  la  carrière  de  GuiUerood. 

Après  leur  défaite  au  pont  de  Crest,  les  insui^és  de 
Grave  et  communes  voisines  s  emparèrent  du  village  de 
Saulce  et  marchèrent  la  nuit  suivante  sur  LorioK  Ils 
mirent  le  feu  au  télégraphe,  volèrent  deux  lunettes^ 
puis,  le  lendemain  matin  9,  voyant  que  le  feu  avait 
épargné  les  machines,  ils  y  rentrèrent  et  brisèrent  tout 
à  coups  de  hache.  Le  maire  de  Loriol  avait  voulu  résis- 
ter ;  mais  ni  son  conseil  municipal  ni  les  pompiers  ne 
voulurent  lui  prêter  appui.  Vingt-cinq  hommes  du  9* 
d'artillerie,  de  passage  à  Loriol  pour  se  rendre  à  Bour- 
ges ,  et  commandés  par  le  maréchal-des-logis-fourrier 
Esnest,  se  mirent  à  la  disposition  de  l'autorité  dans  la 
matiuée  du  8,  prirent  les  fusils  des  pompiers,  et  res- 


DXN  COUP  D'ÉTAT.  337 

tèreni  impassibles  devant  les  émeuliers,  qui  n'osèrent 
pas  les  attaquer.  Ils  se  retranchèrent  dans  la  Mairie 
qu'ils  protégèrent. 

Les  insurgés  allaient  marcher  sur  Valence  en  quittant 
Loriol.  Le  préfet  était  à  Crest;  Pautorité  militaire  dut 
aviser  seule.  La  garnison  de  Valence  prit  ses  postes  de 
bataille  hors  de  la  ville ,  avec  quatre  pièces  d'artillerie. 
Une  garde  civique  de  quatre  cents  hommes  fut  organisée. 
Ces  précautions  intimidèrent  les  insurgés ,  qui  n'osèrent 
attaquer.  Ayant  appris  la  défaite  de  ceux  de  Monté- 
Nmart ,  ils  quittèrent  Loriol  dans  la  matinée  du  9 ,  et 
f^agnèrent  leurs  communes  respectives. 

Pendant  que  les  insurgés  marchaient  sur  Crest,  Mon- 
télimart  et  Loriol,  la  commune  de  Chavannes  avait  aussi 
son  insurrection.  Le  maire ,  Boflard  et  son  fils,  avec  une 
soixantaine  d'individus  armés  de  fusils  et  de  fourches, 
forçaient  les  gens  paisibles  à  s'armer  et  à  marcher  avec 
eux. 

Des  forces  avaient  été  demandées  ;  mais  elles  n'arri- 
vèrent qu'après  la  défaite  de  l'insunection.  II  faut  donc 
fhire  honneur  de  ce  résultat  exclusivement  au  dépôt  du 
2*  régiment  d'artillerie,  aux  recrues  de  quatre  régiments 
<riitfiinterie,  qui ,  sans  aucune  habitude  du  métier  des 
armes,  ont  montré  la  plus  grande  ardeur  et  la  réso- 
lution la  plus  intrépide  en  face  du  danger.  A  la  date 
du  l**  janvier,  plus  de  six  cents  individus  étaient  en 
état  d'arrestation.  Les  chefs,  pour  la  plupart,  étaient  en 
fuite. 

Comme  nous  Tavons  dit,  cette  insurrection  a  été 


338  HISTOIRE 

l'une  des  plus  terribles ,  sinon  par  le  nombre ,  du  moins 
par  Tardeur  des  insurgés  qui  se  sont  mieux  battus  qu'en 
aucun  autre  département.  Cependant,  en  présence  de 
ce  fait  y  que  des  colonnes  de  six  à  sept  cents  hommes 
n'ont  pu  entamer,  pendant  des  heures  entières,  une 
seule  compagnie  isolée,  la  nuit,  on  doit  avouer  que, 
quand  on  voudra  employer  l'armée  contre  le  désordre , 
elle  sera  invincible;  Tanarchie  ne  peut  rien  contre  la 
discipline  et  le  sentiment  du  devoir. 

ÂRDÈCHE.  —  Dans  ce  département  limitrophe  de  la 
Drôme,  les  insurgés  comptaient  se  porter  sur  Valence, 
pour  donner  la  main  aux  bandes  qui  attaquaient  Crest 
et  Montélimarl ,  et  qui  devaient  marcher  aussi  sur  le 
chef-lieu  ;  mais  ils  furent  loin  de  montrer  la  même 
énergie. 

Une  bande  de  plus  de  six  cents  insurgés  des  villages 
de  Saint-Vincent-de-Barrès,  de  Saint-Lager-et-Bres- 
sac,  de  Baix-de-Cruas ,  de  Saint-Symphorien  et  de 
Roche-Sauve,  prit  la  fuite  devant  une  demi-brigade  de 
gendarmerie,  qui  eut  Taudace  de  l'attaquer  dans  la 
plaine  du  Lac.  Presque  tous  ces  bandits  avaient  des 
sacs  et  des  paniers,  pour  emballer  le  butin  qu'ils 
comptaient  faire  à  Privas. 

Beaucoup  de  femmes  suivaient  cette  armée  du  pil- 
lage. L'une  d'elles  disait  qu'on  n'allait  pas  assez  vite, 
et  qu'elle  n'aurait  pas  le  temps  de  faire  plusieurs 
voyages. 

Dans  la  nuit  du  7  au  8 ,  un  rassemblement  d'au 


D'UN  COUP  D'ÉTAT.  |9 

moins  huit  cents  insurgés  se  préparait  à  marcher  sur 
Aubenas.  Quelques  gendarmes  s^avancèrent  contre  eux 
et  les  mirent  en  déroute  au  point  du  jour.  Les  sa- 
peurs-pompiers de  la  commune  de  Vais  barrèrent  le 
passage  aux  fuyards  ;  les  gendarmes  purent  en  arrêter 
un  certain  nombre. 

A  Largentières ,  ils  furent  plus  hardis  ;  ils  attaquè- 
rent le  poste  du  pont  Barante,  où  un  sergent  les  re- 
poussa vigoureusement  et  donna  Talarme.  Le  poste  fut 
renforcé 7  et  le  sous-préfet,  accouru  sur  les  lieux,  fit 
faire  les  sommations,  à  la  suite  desquelles  une  seule 
décharge,  (|ui  abattit  plusieurs  des  insurgés,  mit  tous 
les  autres  en  fuite.  Beaucoup  furent  faits  prisonniers, 
notamment  plusieurs  qui  étaient  blessés. 

M.  Théron,  habitant  de  Vais,  dans  une  lettre  adres- 
sée à  la  Patrie  du  i  4,  rend  ainsi  compte  de  ce  qui  s'est 
passé  dans  cette  commune  : 

•c  A  la  nouvelle  du  décret  de  Louis-Napoléon ,  le 
maire  de  la  co.umune  de  Vais,  prévoyant  la  fureur  des 
rouges  qui  entouraient  sa  commune,  convoqua  son  con- 
seil, qui  se  déclara  en  permanence  et  établit  à  la  com- 
mune un  poste  de  surveillance,  avec  deux  membres  du 
conseil,  présents  chaque  nuit. 

«  Le  6,  lendemain  de  Tatlaque  de  la  préfecture  du 
département,  les  débris  de  celte  bande,  réunis  aux  Mon- 
tagnards du  canton  d'Antraigues,  le  drapeau  de  ce  can- 
ton en  tête,  au  nombre  de  sept  cents,  armés  de  fusils, 
de  fourches  et  de  bâtons,  divisés  en  trois  groupes,  com- 
mandés par  MM.  Gamon,  (ils  du  juge  de  paix  de  ce 


• 


340  HISTOIRE 

canton,  pistolets  et  sabre  en  main;  Yigouroux,  médedl 
de  Vais ,  etc.  j  etc. ,  etc. ,  se  portèrent  en  masse  sur  te 
bourg  de  Vais.  Ce  village,  bien  peuplé,  souriait  pariai^ 
tement  au  projet  delà  démagogie,  par  sa  position  topo* 
graphique,  à  cinq  kilomètres  d*Aubenas. 

a  Ce  bourg  n'avait  pour  se  défendre  d'autre  forei 
publique  que  deux  gardes  champêtres  et  une  compa<- 
gnie  de  sapeurs- pompiers  de  quarante-cinq  hommes. 

«  Prévoyant  les  événements  de  la  nuit,  M.  Julei 
Champanhet,  maire,  et  son  frère  Lpuis,  officier  de  ma* 
rine  en  congé,  avaient  organisé  deux  postes  de  quinxe 
hommes  chacun,  Tun  à  la  Mairie,  et  Taulre  sur  la  route 
d'Antraigues,  à  trente  mètres  du  village,  avec  sentinelk 
avancée  sur  la  route. 

«  Aussitôt  que  les  démagogues  furent  signalés  aux 
postes  par  la  sentinelle  avancée,  le  maire  prit  la  caisse 
et  battit  lui-même  la  générale  dans  la  Grande-Rue,  et 
un  appel  aux  armes  fut  fait  aux  habitants.  En  un  quart 
d'heure,  cent  habitants  et  le  reste  des  pompiers,  bien 
armés,  avançaient  pleins  d'ardeur.  M.  Louis  Champan- 
het,  deux  pistolets  au  poing,  s'avance  vers  la  troupe 
ennemie ,  lui  fait  sommation  de  s'arrêter.  Après  un 
long  colloque,  Gamon  se  retire  avec  sa  bande  dans  la 
direction  de  Saint-Andéol. 

a  Ainsi  se  passa  la  nuit  du  5  au  6.  Sans  effusion  de 
sang,  cent  cinquante  hommes,  conduits  avec  talent  et 
énergie,  sans  force  publique,  ont  suffi  pour  dissiper 
sept  cents  brigands.  » 

Dans  la  i.uit  du  6  au  7,  la  bonne  contenance  des 


D'LS  LOUP  l)"ÉTAT  ,IU 

habilatits  de  Vais  en  iiiiposu  aux  insurgés  r(ui  ii'osérciil 
les  attaquer. 

Au  moment  où  nous  écrivons  les  dcruières  lignes  de 
ce  chapitre,  insurrection  des  départements,  tout  est 
catme ,  tout  est  pacifié  ,  et  le  repentir»  sans  doute ,  est 
dans  bien  des  consciences  que  l'esprit  d'anarcliie  avait 
perverties.  Aujourd'hui,  ceux  qui  n'ont  été  qu'égarés 
doivent  apprécier  les  doctrines  que  leur  prêchaient  les 
apôtres  du  socialisme.  Nous  ne  nous  sentons  pas  la  force 
ni  de  frapper  ni  de  maudire  :  ces  hommes  sont  des 
vaincus,  ces  hommes  sont  des  Français.  Ah  !  nous  vou- 
drions pouvoir  déchirer  ces  pages.  Si  notre  rôle  d'his- 
torien ne  nous  astreignait  pas  à  montrer  l'enseigne- 
ment du  passé,  oui ,  nous  eussions  effacé  peut-être  ces 
récits  désolants;  mais  à  mesure  que  notre  travail  s'é- 
loignait du  point  de  départ,  nos  réflexions  sont  devenues 
moins  dures,  nos  jugements  moins  acerbes.  Le  lecteur 
a  pu  remarquer  que  nous  nous  sommes,  àlaltn,  borné 
à  raconter  presque  sans  commentaires. 

C'est  que  deux  faits  immenses  se  sont  accomplis. 
L'élection  présidentielle  a  prouvé  le  repentir  ;  car,  dans 
les  départements  insurges,  le  chiffre  des  voles  négatifs 
est  loin  d'atteindre  celui  des  insurgés  eux-mêmes.  Donc, 
ces  malheureux  qu'on  avait  trompés  se  sont  repentis. 
Qu'on  nous  trouve  un  autre  motif.  Puis,  pendant  que 
nous  écrivions  ce  récit ,  fait,  quoique  non  pas  imprimé, 
le  dernier  de  notre  livre,  la  clémence  du  prince  a  passé 
sur  les  coupables.  En  présence  d'un  exemple  donné 
d'aussi  haut,  notre  plume  a  dû  se  hâter  d'obéir  aux 


3«  HISTOIRE  D'UN  COUP  D^AT. 

inspirations  de  notre  cœur.  Ainsi  donc ,  horreur  atit 
doctrines  y  regrets  et  pleurs  sur  les  crimes  qni  ont  tant 
affligé  notre  France  ;  mais  pitié  pour  lés  hommes ,  pour 
ceux  du  moins  qui  n'ont  été  qw6  d'aveugles  instruments. 

Habitants  des  campagnes,  qui  n'étiez  point  faits  pour 
la  lutte  impie,  et  que  le  vent  du  désordre  a  entraînés, 
malgré  vous  peut-être,  retournez  où  la  clémence  da 
prince  vous  renvoie  :  à  vos  demeures,  que  vous  n'aban- 
donnerez plus  désormais  ;  vers  vos  femmes ,  qui  ont  tant 
pleuré  votre  absence  ;  vers  vos  pauvres  petits  enfants, 
qui  demandaient  chaque  soir  pourquoi  leur  père  ne 
rentrait  pas  au  logis.  Retournez  à  votre  passé  de  travail, 
d'habitudes  paisibles;  à  vos  croyances  héréditaires,  à 
\otre  bonheur,  en  un  mot. 

Aujourd'hui ,  vous  savez  où  mène  l'esprit  de  désor- 
dre ,  et  ce  que  produisent  les  doctrines  insensées.  On 
vous  a  prêché  la  licence  ;  elle  conduit  à  la  perdition  par 
le  chemin  du  crime.  Ne  croyez  plus  désormais  qu'à  la 
liberté.  Seulement,  ce  mot  dont  on  a  tant  abusé,  voulez- 
vous  le  bien  comprendre?  La  liberté,  c'est  Texercice 
du  droit  et  l'accomplissementdu  devoir.  Il  y  a  longtemps 
que  vous  saviez  cela,  du  reste.  Quel  est  celui  d'entre 
vous  qui  ne  connaisse  pas  cette  maxime  :  Ne  fais  pas  à 
.autrui  ce  que  tu  ne  voudrais  pas  qu'on  te  fît  à  toi-même; 
et  cette  autre  :  Aimez  votre  prochain  comme  vous- 
même?  C'est  la  fraternité  de  l'Évangile. 


V 


AVANT  LÉLECriOîf 


Nous  avons  fait  Thistoire  du  coup  d'État  propre- 
ment dit.  C'était  un  ensemble  d'actes  trop  importants 
pour  ne  pas  Tisoler  et  le  présenter  à  Tadmiration  du 
lecteur  dégagé  de  tous  les  faits  accessoires.  Nous  avons 
fait  à  part  aussi  l'histoire  de  l'insurrection  de  Paris  et 
celle  de  Tinsurrection  des  départements.  Il  fallait  mon- 
trer cette  lutte  sacrilège  des  partis  et  du  désordre  isolée 
également ,  pour  que  l'horreur  qu'elle  inspire  ne  vint 
pas  se  mêler  aux  sentiments  d'orgueil  national  qu'on 
doit  éprouver  en  lisant  le  récit  des  actes  de  ce  gouver- 
nement, marchant  au  salut  du  pays,  inspiré  par  son 
honnêteté  et  appuyé  sur  sa  force. 


344  HISTOIRE 

Dès  le  matin  du  2  décembre,  on  afficha  la  composi* 
tion  d'un  ministère  provisoire  : 

MM.  DE  MORN\\  intérieur  ; 
FOULD,  finances; 
ROUHER,  justice; 
MAGNE,  travaux  publics  : 
LACROSSE,  marine; 
CASABIANCIA,  commerce; 
SAINT- ARNAUD,  guerre; 
FORTOUL,  instruction  publique  ; 
TURGOT,  affaires  étrangères. 

Le  Moniteur  devait  en  faire  connaître  prochainement 
la  constitution  définitive.  Pendant  les  graves  événe- 
ments des  premiers  jours,  le  ministère  de  l'intérieur 
fut  comme  Tétat-major  des  autres.  Presque  toujours,  les 
différents  ministres  y  furent  réunis  pour  concerter  les 
mesures  à  prendre,  pour  être  immédiatement  instruits 
de  ce  qui  pouvait  concerner  leurs  départements  respec- 
tifs. A  la  tête  de  cette  cohorte  d'hommes  dévoués  et 
habiles,  M.  de  Morny,  comme  un  général  en  chef  à  la 
tête  de  son  armée,  se  multipliait  d'une  façon  vraiment 
prodigieuse,  pourvoyant  à  tout  avec  une  aisance  et  une 
sûreté  d'action  qui  étonnent  les  plus  versés  dans  la 
science  administrative. 

|:  Aussitôt  son  entrée  au  ministère,  il  y  avait  organisé, 
sous  l'habile  direction  de  M.  Gimet,  un  bureau  de  cen- 
sure qui  dut  immédiatement  s'occuper  de  la  presse,  di- 
riger son  action  conservatrice  et  museler  son  mauvais 
vouloir.  Au  nom  de  l'état  de  siège,  douze  journaux  furent 


D'UN  œUP  D'ÉTAT.  345 

suspendus  :  V  Union,  C Assemblée  nationale,  le  National, 
le  Siècloy  la  République,  V Avènement  du  peuple^  la  Ré" 
volution,  le  Charivariy  V  Opinion  ptAliquCy  le  Corsaire  y 
le  Messager.  Les  presses  furent  mises  sous  scellés  et  les 
imprimeries  occupées  par  des  soldats.  Quant  aux  jour- 
naux qui  n'avaient  pas  été  frappés  de  suspension,  ils 
durent  soumettre  toutes  leurs  publications  au  visa  du 
gouvernement  avant  d'imprimer.  Quelques-uns,  la 
Presse  par  exemple  y  n'ayant  pas  voulu  faire  les  sup-* 
pressions  ou  les  modifications  prescrites  par  la  censure, 
reçurent  défense  de  paraître.  Trois  seulement,  la  Pa^ 
triey  le  Moniteur  et  la  Gazette  de  France  parurent  le 
soir.  Seule,  la  Patrie  planta  son  drapeau  à  côté  de 
l'acte  de  Louis-Napoléon,  Un  seul  article  d'apprécia- 
tion parut,  ce  fut  le  sien,  signé  de  M.  de  Cesena,  qui 
venait  assumer  sa  part  de  péril,  si  péril  il  y  avait. 

En  accomplissant  le  grand  acte  du  2  décembre,  le 
prince  Louis-Napoléon  prenait  le  pouvoir  suprême 
d'une  main  et  le  rendait  de  l'autre  à  la  nation.  Il  n'y  a 
pas  eu  une  minute  d'intervalle  entre  le  coup  de  foudre 
qui  a  brisé  l'Assemblée  et  la  Constitution,  et  le  décret 
qui  a  remis  le  peuple  français  entre  les  mains  de  sa 
propre  puissance.  L'art,  i*'  du  décret  dissout  l'Assem- 
blée nationale;  l'art.  2  rétablit  le  suffrage  universel;  le 
suivant  convoque  le  peuple  français  dans  ses  comices. 
'  Le  prince  a  parfaitement  compris  qu'il  n'était  que 
le  délégué  de  la  nation.  Il  a  agi  comme  tel,  et  immé- 
diatement il  s'est  présenté  devant  son  juge.  Un  ambi- 
tieux eût  fait  autrement,  il  fût  resté  maître  par  l'auto* 


946  iHSXOlBE 

r'Éé  du  fait  accom^i  :  a  Au  nom  de  la  force ,  obéissez^» 
eût-il  dit.  C'est  ainsi  que  faisaient  jadis  ees  empereui» 
roauûiis  qui  recevaient  la  pourpre  d'une  émeute  préto- 
rienne. ]k  régnaient  un  jour^  et  la  force  qui  les  tirait 
étevés  les  brisait  eux-iuénaes.  Mais  lui  n'a  pas  les  vues 
étroites  de  la  personnalité  et  de  l'égoïamq.  Le  pouTW 
pour  le  pouvoir,  ce  n'est  pas  ce  qu'il  désire, .  c'est  un 
fardeau  dont  volontiers  il  eût  déchargé  ses  épauleS| 
nous  n'en  doutons  pas.  Ce  qu'il  veut,  il  le  dit  :  A^ 
coroplir  la  grande  mission  qu'il  a  reçue....  fermer  l'ère 
des  révolutions....  créer  des  institutions  qui  survivent 
aux  hommes...  et  sur  lesquelles  on  puisse  asseoir  quel- 
que chose  de  durable.  C'est  dans  ce  but  d'avenir  et  de 
salut  qu'il  a  brisé  ce  qui  était  une  cause  permanente  de 
trouble  et  de  discorde...  C'est  dans  ce  but  qu'il  de- 
mande le  pouvoir. 

Il  est  préoccupé  du  bonheur,  de  l'avenir  de  la  France. 
Ce  n'est  pas  un  rêve  d^ambition  personnelle  qu'il  veut 
réaliser,  c'est  la  réédification  de  la  société  qui  croule, 
de  la  civilisation  qui  va  périr  peut-être.  Il  veut  refaire 
heureux  et  prospère  ce  pays,  auquel  Dieu  a  promis  de 
si  hautes  destinées,  aujourd'hui  compromises  par  les 
ambitions,  par  les  égoismes,  par  les  aberrations  politi- 
ques et  sociales  de  toutes  sortes. 

Pour  un  tel  but,  il  faut  un  pouvoir  bien  grand,  bien 
fort,  un  pouvoir  à  base  immense.  Il  faut  le  pouvoir  de 
la  nation  elle-même ,  le  déléguant  par  la  grande  voif 
du  suffrage  universel.  Il  faut  le  pouvoir  venant  de  Dieu^ 
vox  populij  vox  Deû  C'est  celui-là  que  le  prince  Louii*- 


DXN  COtP  D'ÉTAT.  347 

N^i^lépQ  Bonaparte  demande ,  parce  qu'il  ne  croit  pfts 
(IV^'fifï  dehors  de  celvi-là,  il  y  en  ait  d'autre  qui  ^it  fort, 
dw^Q  f  e)  par-dessus  tout  légitime.  Nous  démontre- 
rons plus  loin ,  de  la  façon  la  plus  formelle^  que  la 
%(Wirçe  du  pouvoir  est  dans  l'élection,  qui  esji  le  mode 
qif'^  1^  volonté  nationale  de  se  manifester.  Cette  délé- 
gation de  la  souveraineté  que  fait  un  peuple  dans  ses 
comices,  n'a  réellement  puissance  entière  et  souvera^p 
(^^e  quand  le  peuple  tout  entier  est  appelé  à  exprimer 
^  volonté.  Le  suffrage  universel  est  donc  la  seule  voix 
de  la  souveraineté  populaire.  C'est  pour  cela  que  ceux 
même  qui  avaient  exclu  du  suffrage  la  plus  grande 
partie  de  la  natiop,  gardaient  à  ceux  que  le  privilège 
déléguait  le  nom  d'états  généraux;  car  anciennement 
on  convoquait  le  peuple  entier.  Il  est  dit  dans  la  charte 
daLiOuis  le  Débonnaire,  qu'on  doit  consulter  la  généra- 
lité du  peuple,  generalitatem  populi. 

Pans  le  chapitre  intitulé  :  Coup  d'Ëtat,  nous  avons 
4<mné  le  texte  de  l'appel  au  peuple.  11  contient  les  basef 
sur  lesquelles  Louis-Napoléon  veut  faire  une  Constitu- 
tion pour  la  France.  Tout  est  défini,  clair,  précis,  et, 
comme  le  prince  le  dit  lui-même  :  a  Pour  la  première 
fois  depuis  1804,  le  peuple  vote  en  connaissance  de 
cause ,  en  sadiant  bien  pour  qui  et  pour  quoi.  » 

Mais  si  Louis-Napoléon  fait  un  appel  franc,  loyal,  à 
FaiTêt  auquel  il  promet  de  se  soumettre ,  il  veut  que 
4iiBl  Ar.r/èt  soit  neodu  sans  entraves,  sans  pressions  poli- 
tiques ,  et  que  l'ordre  règne  en  France  tant  qu'il  aura 
en  main  le  pouvoir  provisoire  qu'il  a  dû  prendre.  C'est 


:n8  HISTOIRE 

pour  seconder  ces  intentions  du  prince,  pour  en  assu- 
rer l'exécution ,  que  M.  de  Mau pas  fait  afficher  la  pro- 
clamation aux  habitants  de  Paris,  que  nous  avons  ci- 
tée à  la  page  100  de  ce  livre. 

Le  prince  Louis-Napoléon  voulait  que  Télection  se 
fit  le  plus  promptement  possible ,  ne  désirant  pas  gar- 
der longtemps  un  pouvoir  de  fait  seulement  et  pro- 
visoire. Il  rendit ,  dès  le  2  décembre ,  le  décret  sui- 
vant, qui  ne  fut  affiché  dans  Paris  que  le  3  au  matin , 
mais  qui  avait  été  envoyé  aux  préfets  dans  la  journée 
du  2: 

AU  NOM  DU  PEUPLE  FRANÇAIS. 

Le  Président  de  la  République , 

GoiisidéraDt  que  la  souveraineté  réside  dans  runiversalité  des  et' 
toyens  et  qu'aucune  fraction  du  peuple  ne  peut  s*en  attribuer  rexer- 
cice,  TU  les  lois  et  arrêtés  qui  ont  réglé  jusqu'à  ce  jour  le  mode  de  Tap- 
pel  au  peuple,  et  notainmcnt  les  décrets  du  8  fructidor  an  Ul,  24  ^ 
25  frimaire  an  VllI,  Tarrèté  du  20  floréal  an  X,  le  sénatus-consoHt 
du  28  floréal  an  Xll  ; 

Décrète  : 

Article  i''^  Le  peuple  français  est  solennellement  convoqué  dans 
SOS  comices,  le  14  décembre  présent  mois,  pour  accepter  ou  rejeter  k 
plébiscite  suivant  :  Le  peuple  français  veut  le  maintien  de  Tautorité 
de  Louis-Napoléon  Bonaparte,  et  lui  délègue  les  pouvoirs  nécessaires 
pour  établir  une  Constitution  sur  les  bases  proposées  dans  sa  pro- 
clamation du... 

Art.  2.  Sont  appelés  à  voter  tous  les  Français  âgés  de  21  ans,  joQi&- 
^ant  de  leurs  droits  civils  et  politiques.  Ils  devront  Justifier,  soit  de 
leur  inscription  sur  les  listes  électorales  en  vertu  de  la  loi  du  il 
mars  1849,  soit  de  Taccomplissement,  depuis  la  formation  des  listes» 
des  conditions  exigées  par  cette  loi. 


D'UN  œUP  D'ÉTAT.  349 

Art.  3.  A  la  réception  da  présent  décret,  les  maires  de  chaque 
commune  ouvriront  des  re^strcs  sur  papier  libre,  Tun  d'acceptation, 
l'autre  de  non-acceptation  du  plébiscite.  Dans  les  quarante-huit  heures 
de  la  réception  du  présent  décret,  les  juges  de  paix  se  transporteront 
dans  les  communes  de  leurs  cantons  pour  surveiller  et  assurer  l'ou- 
verture et  l'établissement  de  ces  registres. 

En  cas  de  refus,  d'abstention  ou  d^absencc  de  la  part  dos  maires, 
les  juges  de  paix  délégueront  soit  un  membre  du  conseil  municipal, 
jioit  un  notable  du  pays,  pour  la  réception  des  votes. 

Art.  4.  Ces  registres  demeureront  ouverts  aux  secrétariats  de  toutes 
les  municipalités  de  France  pendant  huit  jours,  depuis  huit  heures 
du  matin  jusqu'à  six  heures  du  soir,  et  ce  à  partir  du  dimanche  14 
décembre  jusqu'au  dimanche  soir  suivant  21  décembre. 

Les  citoyens  consigneront  ou  feront  consigner,  dans  le  cas  où  ils  ne 
«auraient  pas  écrire,  leur  vote  sur  l'un  de  ces  registres,  avec  mention 
de  leurs  nom  et  prénoms. 

Art.  5.  A  l'expiration  du  délai  fixé  par  l'article  précédent,  et  dans 
les  vingt-quatre  heures  au  plus  tard,  le  nombre  des  suffrages  expri- 
més sera  constaté  ;  chaque  registre  sera  clos  et  transmis  par  le  fonc- 
tionnaire dépositaire  au  sous-préfet,  qui  le  fera  parvenir  immédiate- 
ment au  préfet  du  département  Le  dénombrement  des  votes,  la  clôture 
et  la  transmission  des  registres  tenus  par  les  maires,  seront  surreillés 
par  les  juges  de  paix. 

Art.  6.  Une  commission,  composée  de  trois  conseillers  généraux  dé- 
signés par  le  préfet,  fera  aussitôt  le  recensement  de  tous  les  votes  ex- 
primés dans  le  département. 

Le  résulut  de  ce  travail  sera  transmis  par  la  voie  la  plus  rapide  au 
ministre  de  l'intérieur. 

Art.  7.  Le  recensement  général  des  votes  exprimés  par  le  peuple 
français  aura  lieu  à  Paris  au  sein  d'une  commission  qui  sera  instituée 
par  un  décret  ultérieur. 

Le  résultat  sera  promulgué  par  le  pouvoir  exécutif. 

Art  8.  Les  frais  faits  et  avancés  par  l'administration  centrale  et 
rommunale,  et  les  frais  de  déplacement  des  juges  de  paix  pour  l'éta- 
blissement des  registres,  seront  acquittés,  sur  la  présentation  des 
quittances  ou  sur  la  déclaration  des  fonctionnaires,  par  les  receveur» 
de  l'enregistrement  ou  les  percepteurs  des  contributions  directes. 


050  HISTOIRB 

Art.  9.  Le  ministre  de  iMntérieur  est  chargé  d'activer  e)  4^  régu- 
lariser la  formation,  Touverture,  la  tenue,  la  clôture  et  Teav^i  d» 
r^istr«8. 

Fait  au  palais  de  TElysée,  le  2  décembre  1851. 

Louis-Napoléon  Bonaparti. 

Lb  ministre  de  Vintérieur^ 

De  Morny. 
Paris,  le  2  décembre  1851. 

En  même  temps  que  ce  décret  était  envoyé  aux  pré- 
fets, M.  de  Morny  faisait  parvenir  aux  maires  la  circu- 
laire suivante  : 

Paris,  le  2  déceipbre  1851. 

Monsieur  le  maire, 

La  nation  est  convoquée  dans  ses  comices  pour  régler  les  do^tiaéeii 
et  l'avenir  de  la  France. 

Le  décret  de  ce  jour  convoque  le  peuple ,  à  partir  du  dlmaiicliii 
14  décembre  jusqu'au  21  décembre  suivant  ;  il  vous  charge  de  faci- 
liter et  régulariser,  dans  le  cercle  de  vos  attributions,  la  maniiesta- 
tion  libre  et  spontanée  du  vœu  public. 

Je  dois  vous  retracer  en  peu  de  mots  les  caractères  de  votre  missiou 
et  appeler  votre  attention  sur  les  points  suivants  : 

Ouverture  des  registres,  —  Réception  des  votes,  —  Relevé  des  suf- 
frages ,  —  Clôture  et  transmission  des  registres,  —  Règlement  des 
dépenses. 

Ouverture  des  registres,  —  A  la  réception  du  décret  du 
vous  devrez  ouvrir  au  secrétariat  de  la  municipalité  deux  registres  : 
L'un  d'acceptation  y  l'autre  de  rejet  du  plébiscite  soumis  à  la  s^ctioo 
du  peuple. 

Ces  registres  seront  sur  papier  libre  et  conformes  aux  modèles  nu- 
méros 1  et  2,  anpexés  à  la  présente  circulaire. 

11  sera  écrit  en  tète  de  chaque  page  du  premier  registie  le  mpt 
ACCEPTATION,  et  en  tôte  de  chaque  page  du  second  le  mot  REJET. 

Chaque  page  sera  numérotée  et  paraphée. 


DTN  COUP  D'ÉTAT.  351 

Dans  les  grands  centres  de  population,  les  maires  pourront  avoir 
plusieurs  registres. 

Vous  mentionnerez  Sur  ces  registres  le  Jour  et  Theure  de  leur  ou- 
terturc  pour  fixer  le  cours  et  l'expiration  du  délai  de  huit  jours,  dé- 
terminé par  l'article  4  du  décret,  pour  la  réception  des  votes. 

En  même  temps  que  ces  premières  formalités  seront  remplies,  vous 
ferez  avertir  les  habitants  de  la  commune,  dans  les  divers  centres  de 
population  qui  la  composent,  par  les. voies  ordinaires  delà  publicité, 
c*e8t-à-dire  par  des  affiches  et  des  publications  au  son  du  tambour , 
que  les  votes  seront  reçus  pendant  Uuit  jours,  depuis  huit  heures  du 
matin  jusqu'à  six  heures  du  soir. 

Réception  dez  votes,  —  Tous  les  Français,  âgés  de  vingt  et  un  ans  et 
jouissant  de  leurs  droits  civils'et  politiques,  ont  le  droit  de  voter.  La 
loi  du  3!  mai  1850  est  abrogée;  le  suffrage  universel  est  rétabli. 
Vous  devez  donc  faire  voter  sur  les  listes  électorales  dressées  en  vertu 
de  la  loi  du  15  mars  1849. 

Toutefois,  depuis  que  ces  listes  ont  été  faites,  un  assez  grand 
nombre  de  Français  a  atteint  l'âge  de  vingt  et  un  ans.  11  serait  injuste 
de  les  priver  du  droit  de  voter.  Vous  les  admettrez  donc  lorsque  leur 
droit  vous  sera  personnellement  connu  ou  vous  sera  attesté  par  deux 
autres  électeurs. 

Vous  assisterez,  autant  que  possible,  monsieur  le  maire,  à  la  récep- 
tion des  suffrages,  et  vous  vous  ferez  remplacer,  en  cas  d'absence,  par 
un  adjoint  ou  un  membre  du  conseil  municipal. 

Le  mode  de  consignation  des  votes  sera  très-simple. 

Ceux  qui  seront  d'avis  d'accepter  le  plébiscite  inscriront  ou  feront 
inscrire  leurs  noms  et  prénoms  sur  le  registre  d'acceptation. 

Ceux  qui  voudront  exprimer  une  opinion  contraire  se  borneront  à 
inscrire  leurs  noms  et  prénoms  sur  le  registre  de  rejet. 

La  spontanéité  et  l'indépendance  des  suffrages  doivent  être  res- 
pectées par  tous.  Vous  devez  surveiller  et  réprimer  au  besoin,  à  l'aide 
de  la  force  publique,  toute  manœuvre,  toute  violence,  qui,  à  un  degré 
quelconque,  générait  la  liberté  des  votants.  11  ne  faut  pas  que  les 
passions  des  partis,  leur  aveuglement,  leurs  intrigues,  leur  ambition, 
puissent  dénaturer  ce  grand  acte  de  la  souveraineté  nationale. 

Relevé  dçf  suffrages^  clôture  et  transmission  des  registres.  —  Après 
Texpiration  du  délai  de  huit  jours,  vous  ferez,  monsieur  le  maire,  la 


3d2  histoire 

clôture  des  deux  registres  ;  vous  ferez  aussi,  du  nombre  des  Toles  a- 
primés  sur  chacun  d'eux,  un  releyé  général  à  la  tin  du  rostre. 

Les  registres  et  le  relevé  des  votes  devront  être  immédiatement 
transmis  au  sous-préfet 

Règlement  des  dépenses,  —  Les  dépenses  rendues  nécessaires  pour 
Texécution  du  décret  seront  remboursées,  conformément  à  rartide  8 
du  décret,  aux  divers  fonctionnaires  sur  leur  déclaration  ou  la  pré- 
sentation des  quittances,  par  les  receveurs  de  Tenregistrement  ou  les 
percepteurs  des  contributions  directes. 

Vous  devrez  vous  conformer  aux  instructions  qui  vous  seront  don- 
nées par  M.  le  juge  de  paix,  chargé  de  surveiller  rexécution  du  dé- 
cret, et  je  la  confie,  monsieur  le  maire,  à  votre  patriotisme  éclairé. 

Le  ministre  de  Vintérieur  , 

Dk  Mobm. 

DÉPARTEMEKT  REGISTRE  N«  1 . 

d  — 

—  ACCEPTATION. 

Arrondissement  — 

d  En  vertu  du  plébiscite  du  les  citoyens 

—  dont  les  noms  suivent,  ont  répondu  af/IrmativemnU  i 

COMMUNIE     la  résolution  posée  en  ces  termes  : 

d  «  Le  ])euple  français  veut  le  maintien  de  Tautorité 

«  de  Louis-Napoléon  Bonaparte,  et  lui  délègue  les  poo- 

a  voirs  nécessaires  pour  faire  une  Constitution  sur  les 

«  bases  proposées  dans  sa  proclamation  du  ■ 


NOMS   ET   PRÉNOMS  DES  SIGNATAIRES. 


NUMEB06 
D^OMDRE. 


Total  du  nombre  des  signatures  : 

Le  registre  n**  2  est  absolument  pareil  au  registre  n^  1 ,  sauf  U  tob- 
stitution  du  mot  négativement  au  mot  affirmativement. 


D'UN  COUP  D'ÉTAT.  333 

Des  instructions  furent  adressées ,  pour  l'exécution 
de  ce  décret,  aux  procureurs  généraux  et  aux  juges  de 
paix,  par  le  ministre  de  la  justice.  Voici  ces  deux  pièces 
dans  leur  entier  : 

Paris,  le  2  décembre  1851. 

Monsieur  le  procureur  général, 

Vous  connaissez  les  événements  qui  viennent  de  s^accomplir  à 
Paris.  La  souveraineté  résidant  dans  le  peuple ,  le  Président  a  cru 
indispensable  de  l'invoquer  pour  réprimer  les  factions  et  sauver  le 
pays. 

Je  vous  envoie  les  proclamations  et  les  circulaires  adressées  direc- 
tement aux  juges  de  paix  et  aux  procureurs  de  la  République.  Veillez 
à  ce  qu'il  en  soit  donné  connaissance  à  chacun  des  fonctionnaires 
placé  sous  vos  ordres ,  faites-leur  comprendre  toute  la  gravité  de  la 
situation  et  la  nécessité  de  leur  concours  dévoué,  sur  lequel  le  gou- 
Temement  compte  comme  sur  le  vôtre. 

Le  minisire  de  la  juslice^ 

ROUHER. 

Paris,  le  2  décembre  1851. 

Monsieur  le  juge  de  paix , 

Les  proclamations  de  ce  jour  vous  font  connaître  les  événements 
survenus  à  Paris. 

Le  décret  de  la  même  date  vous  donne  donc,  monsieur  le  juge  de 
fMiiXy  la  mission  de  surveiller,  dans  chaque  commune  de  votre  can- 
ton, l'établissement  des  registres  d'acceptation  ou  de  lejet,  et  de  con- 
trôler tout  ce  qui  intéresse  leur  tenue  régulière,  en  vous  conformant 
aux  instructions  détaillées  qui  ont  été  adressées  à  MM.  les  maires. 
Vous  devrez  donc,  dans  les  vingt-quatre  heures  de  la  réception  du 
décret  précité,  vous  transporter  personnellement  dans  chaque  com- 
mune de  votre  canton* 

Vous  êtes  chargé  aussi,  sous  la  surveillance  de  Tautorité  supé- 
rieure, d'éviter  ou  de  vaincre  tous  les  obstacles  qui  s'opposeraient  à 
la  manifestation  solennelle  de  la  volonté  populaire. 


54  BISTOmE 

Vous  constaterez  par  vous-même  l'ouverture  des  registres  de  votei. 
Vous  vérifierez  s^Hs  sôtit  conformes  aux  modèles  ci -annexés,  et  au  be- 
aoki  vous  ferez  toute  rectiûcation  nécessaire. 

Dans  le  cas  où,  pour  une  cause  quelconque,  ces  registres  n'âuraieit 
pas  été  établis,  vous  en  provoquerez  ou  opérerez  l'ouverture,  et  vous 
commettrez  au  besoin,  en  remplacement  du  maire,  soit  l'un  des 
membres  du  conseil  municipal,  soit  Tun  des  notables  de  la  com- 
mune, pour  procéder  à  la  réception  et  à  la  constatation  des  suffrages, 
comme  pour  clore  et  tranmnottre  les  registres  au  préfet  par  rintermé- 
diaire  du  sous-préfet. 

Enfin,  vous  veillerez  à  ce  que  les  kat)itants  soient  avertis  de  fov- 
vcrture  du  scrutin,  par  tous  les  modes  de  publication  usités  dans  la 
commune. 

Après  Texpiration  du  délai  de  huit  jours,  c'esl-à-dire  depuis  le  di- 
manche 14  décembre  jusqu'au  dimanche  21  décembre  inelasivement, 
je  vous  recommande  encore  de  surveiller  Texécution  des  formalités 
de  constatation  des  votes  de  clôture  c(  de  transmission  des  registres, 
et,  à  cet  effet ,  vous  ferez  une  nouvelle  inspection  des  comnranes  de 
votre  canton. 

Vous  devrez  adresser  tous  les  jours  au  sous-préfet  un  rapport  con- 
statant le  résultat  de  votre  surveillance. 

La  mission  qui  vous  est  confiée,  monsieur  le  juge  de  paix,  a  une 
trop  haute  importance,  et  doit  recevoir  de  votre  interveution  un  trop 
liaut  caractère  d'impartialité,  pour  que  vous  puissiez  la  déléguer.  La 
délégation  à  Tun  de  vos  suppléants  ne  me  paraît  admissible  que  dans 
le  cas  où  vous  seriez  atteint  d'une  maladie  grave,  et  dans  celui  oii 
l'étendue  territoriale  de  votre  canton  vous  imposerait,  pour  le  travail 
(l'inspection,  une  division  qui  assurerait  mieux  l 'accomplissement 
(les  formalités  d'ouverture  et  de  clôture  des  registres. 

Je  compte  sur  votre  patriotisme  pour  concourir  de  tous  vos  efforts 
à  la  manifestation  libre  et  sincère  de  la  volonté  d'un  grand  peuple. 

Le  ministre  de  la  justice^ 

ROUB£R. 

Quanta  Tarmée,  elle  devait  être  appelée  à  voter  im- 
médiatement. 


D'UN  COUP  D'ÉTAT.  39% 

Ije  ministre  de  la  guerre  faisait  parvenir  aux  géné-^ 
raux  de  division  la  circulaire  suivante  : 

Général, 

Je  vous  transmets  les  proclamations  du  Président  de  la  République 
adressées  au  peuple  français  et  à  Tarmée. 

Vous  ferez  immédiatement  afficher  ces  proclamations  dam  les  ca- 
•ernes,  et  vous  donnerez  Tordre  à  chaque  chef  de  corps  de  les  faire 
lire  à  haute  voix  dans  chaque  compagnie. 

Je  vous  envoie  aussi  le  décret  de  ce  jour ,  en  vertu  duquel  l'armée 
est  appelée  à  exprimer  sa  volonté  dans  les  quarante-huit  heures  de 
Ia  réception  des  présents  manifestes. 

Vous  ferez  donc  sans  retard  dresser,  dans  les  divers  corps  sous  vos 
ordres,  des  registres  conformes  aux  modèles  ci-joints  et  vous  inviterez 
les  officiers,  sous-ofliciers  et  soldats  à  y  consigner  ou  faire  consigner 
teurs  votes  dans  le  plus  bref  délai. 

Dès  qae  les  votes  des  corps  sous  tos  ordres  auront  été  recueillis, 
vous  me  les  adresserez  avec  des  états  certifiés  par  les  différents  chefs 
de  corps  ou  de  détachements,  et  par  vous-même,  en  résumant  le 
noTDbrc  des  votes  d'dcceptation  ou  de  rejet. 

Le  Président  compte  sur  Tappui  de  la  nation  et  de  Farmée,  et,  en  ce 
(|ui  touche  la  division  que  vous  commandez,  sur  l'énergie  de  votre 
attitude,  sur  la  prompte  et  sévère  répression  de  la  moindre  tentative 
de  trouble. 

Agréez,  général,  l'assuradce  de  ma  considération  distinguée. 

Le  général  de  division,  minUtre  de  la  guerre. 

De  Saint-Arnaud. 

Ainsi  qu'on  le  voit ,  le  prince  Louis-Napoléon  em- 
pruntait ce  mode  de  voter  au  passé  historique  de  la 
France,  et  notamment  à  Téiection  napoléonienne.  Il 
croyait  pouvoir  faire  cet  appel  franc  et  loyal  au  carac- 
tère français;  mettre  chacun  à  même  de  dire  son  opi- 
nion,  et  de  signer  de  son  nom  Tacte  de  sa  souveraineté. 


356  HISTOIRE 


Il  y  avait  là  quelque  chose  de  chevaleresque  et  de 
hardi,  il  faut  en  convenir.  C'était  une  belle  occasion 
aux  partis  de  se  montrer;  car  nous  aimons  à  croire  que 
chacun  en  France  a  le  courage  de  son  opinion.  Et  au- 
jourd'hui qu'une  acclamation  si  universelle  du  pays  a 
proclamé  le  prince  Louis-Napoléon  ,  nous  sommes  en 
droit  de  dire  que  cette  mesure  ne  pouvait  manquer  de 
convenir  à  l'immense  majorité  des  Français.  On  doit 
faire  aux  huit  millions  d'hommes  qui  ont  nommé  le 
prince,  au  vote  secret,  Thonneur  de  croire  qu'ils  l'eus- 
sent nommé  de  même  en  mettant  leur  nom  en  face  de 
leur  vote. 

Il  n'y  a  donc  eu  de  protestations  contre  ce  mode  que 
dans  l'infime  minorité  qui  a  dit  non.  Nous  croyons 
aussi ,  parce  que  cela  est  vrai,  et  que  nous  ne  voulons 
faire  d*injure  gratuite  à  personne ,  que  le  plus  grand 
nombre  de  ceux  qui  ont  dit  non  sur  leur  bulletin  secret 
auraient  eu  le  courage  de  signer  non  sur  un  registre. 
Nous  avons  cette  opinion ,  parce  que  nous  croyons  au 
caractère  franc,  loyal  et  courageux  du  peuple  en  France. 

Dans  la  journée,  un  grand  nombre  de  représentants 
vinrent  donner  leur  adhésion  aux  actes  accomplis  par 
le  Président.  Des  dépèches  télégraphiques  annonçaient 
que,  dans  un  grand  nombre  de  départements,  les  dé- 
crets et  proclamations  avaient  été  reçus  avec  un  en- 
thousiasme remarquable. 

Quant  à  l'insurrection  que  nous  avons  décrite,  le 
gouvernement  en  suivait  heure  par  heure  le  dévelop- 
pement, et  s'apprêtait  à  la  réprimer  énergiquement. 


t 


(    f 


D'UN  COUP  D'ÉTAT.  357 

On  8*attendait  au  conflit ,  et ,  pour  ne  pas  embar- 
rasser Faction  de  la  troupe  par  le  concours  de  la  garde 
nationale,  un  ordre  du  jour  de  son  général  en  chef, 
LawŒstine,  lui  commandait  de  ne  pas  se  rassembler,  et 
menaçait  de  peines  sévères  ceux  qui ,  sans  ses  ordres, 
feraient  battre  le  rappel.  Malgré  les  précautions  active- 
irement  prises  par  le  colonel  Yieyra,  cette  mesure  était 
devenue  nécessaire,  d'après  ce  qui  s'était  passé  dans  la 
tO*  légion,  le  matin  même. 

Ce  même  jour  aussi,  Louis-Napoléon,  qui,  dans  son 
appel  au  peuple ,  avait  reudu  justice,  au  patriotisme  de 
trois  cents  des  membres  de  l'Assemblée,  décida  de 
nommer  une  commission  consultative.  Le  Moniteur  du 
3  décembre  publia  le  décret  suivant,  qui  la  constituait, 
bien  que  le  prince  se  réservât  d'y  faire  entrer  de  nou- 
veaux dévouements  et  de  nouvelles  aptitudes. 

RÉPUBLIQUE  FRANÇAISE. 

AU  MON  DU  PEUPLE  FRANÇAIS. 

Le  Président  de  la  République, 
Voulant,  ju8qu*à  réorganisation  du  Corps  législatif  et  du  oonseii 
d^Etat,  s'entourer  d'hommes  qui  jouissent  à  juste  titre  de  Testime  et 
de  la  confiance  du  pays,  a  formé  une  commission  consultative  com- 
posée de: 

MM.  Abbatueci  (du  Loiret).— D'Argout,  gouverneur  de  la  Banque.— 
Le  général  Achard  (de  la  Moselle).  —  Le  général  De  Bar  (de  la  Seine). 
—  Le  général  Baraguey-dHilliers  (du  Doubs).  —  Barbaroux  (de  la 
Rémiion).  —  Baroche  (de  la  Charente-Inférieure).  —  Barthe,  pre- 
mier président  de  la  Cour  des  comptes.  —  Ferdinand  Barrot  (de  1 1 
Seine).  —  D«  Beamnont  (de  la  Somme).  —  Benoit-Champy  (de  la 

23 


358  HISTOIRE 

Côte-d'Or).  —  Bérard  (de  Lot-et-Garonne).  —  Bineau  (de  Maine-«t- 
Loire).  —  Boinvillicrs  (de  la  Seine).  — Joseph  Boulay  (de  la  Meurthe). 

—  Cambacércs  (de  TAisne).  —De  Casabianca  (île  la  Ck>rse).  — L*aini- 
ral  Cécille.  —  Chadenct  (de  la  Meuse).  —  Chassaigne-Goyon  (du  Puy- 
de-Dôme).  —  Prosper  de  Chasseloup-Laubat.  —  Charlemagne  (de 
rindre).  —  Collas  (de  la  Gironde).  —  Dariste  (des  Basses-Pyréoées). 

—  Denjoy  (de  la  Gironde).  —  Dosjobcrt  (de  la  Seine-Inférieure).  — 
Drouyn  de  Lhuys  (de  Seinc-ct-Marne).  —  Théodore  Ducos  (de  la 
Seine).  —  Dumas  (de  Tlnstitut).  —  Maurice  Duval.  —  Le  maréchal 
Excelmans,  grand  chancelier  de  la  Légion  d'honneur.  —  Le  géoénl 
d'Hautpoul  (de  TAude).  —  Léon  Faucher  (de  la  Marne).  —  Le  géné- 
ral de  Flahaut.  —  Achille  Fould  (de  la  Seine).  —  H.  Fortoul  (des 
Basses- Al pes).—Frémy  (de  l'Yonne).  —  DcGaslonde  (de  la  Manche). 

—  Frédéric  de  Lagraiigc  (du  Gers).  —  De  La  Grange  (de  la  Gironde). 

—  Granier  (de  Vaucluse).  —  Augustin  Giraud  (d'Angers).  —  Charles 
Giraud,  membre  de  Tlnstitut.  —  Godclle  (de  l'Aisne).  —  De  Goulard 
(des  Hautes-Pyrénées).  —  De  Hceckeren  (du  Haut-Rhin).  —  Lacaze 
(des  Hautes-Pyrénées).  —  Ladoucctte  (de  la  Moselle).  —  Lacrosse 
(du  Finistère).  —  De  La  Riboissière  (dllle-et- Vilaine).  —  Lebeuf  (de 
Seine-et-Marne).  —  Lefebvre-Duruflé  (de  l'Eure).  —  Lemarois  (dek 
Mancho) .  —  Le  Verrier  (de  la  Manche) .  —  Magne  (de  la  Dordogne). 

—  Meynard,  président  de  chambre  à  la  Cour  de  cassation. — De 
Mérodc  (du  Nord).  —  De  Moiitalembert  (du  Doubs).  —  De  Momj 
(du  Puy-dc-Dômo)  —  De  Mortcmart  (de  la  Seine-Inférieure).  — De 
Moiichy  (de  POise).  — De  Mousliers  (du  Doubs).  -  Lucien  Murât  (du 
Lot).  — Le  général  d'Ornano  (dMndre-et-Loire).  — Pépin -Lehalleur 
(de  Seine-et-Marne).  --  Joseph  Péricr,  régent  de  la  Banque.  —  De  Per- 
iiigny  (du  Nord).  —  Le  général  Kandon.  —  Rouher  (du  Puy-de- 
Dôme).  —  Le  général  de  Saint-Arnaud.  —  Ségur  d'Aguesseau  (des 
Hautes-Pyrénées).  —  Seydoux  (du  Nord).  —  Suchet  d'Albuféra  (de 
l'Eure).  —  De  Turgot.  —  De  Thorigny,  —  Troplong,  premier  prési- 
dent de  la  Cour  d'appel.  —  Vieillard  (de  la  Manche).  —  Vuillefroy. 

—  De  Wagram. 

Le  Président  de  la  République ^ 

Louis- Napoléon  Bohaparte. 
Le  ministre  de  Vintérieur^ 

Db  MORIIT. 


i   • 


D'UN  œUP  D'ÉTAT.  35t 

Comme  on  le  voit,  le  priirce  s*entourait  d'un  conseil 
choisi  parmi  cétix  des  hommes  éminents  qu'il  croyait 
aptes  à  rendre  de  nouveaux  services  à  la  France.  Ce 
choix  honorait  ceux  qui  en  étaient  Fobjet.  La  plu- 
part de  ces  personnages  avaient  apporté  leur  adhé- 
sion à  l'Elysée.  Quelques-uns  avaient  été  nommés 
parce  que,  bien  qu'ils  n'eussent  pas  fait  d'adhésion,  on 
leur  avait  supposé  du  patriotisme  et  ce  sens  politique 
qui  fait  les  hommes  d'État.  De  ce  nombre,  était  M.  Léon 
Faucher*  Il  crut  devoir  protester,  et  il  le  fit  dans  les 
termes  suivants  : 


Monsieur  le  Président, 

C'est  avec  un  étonnement  douloureux  que  je  vois  mon  nom  figurer 
parmi  ceux  des  membres  d'une  commission  consultative  que  vous  ve- 
nez d'instituer.  Je  ne  pensais  pas  vous  avoir  donné  le  droit  de  me 
faire  cette  injure  ;  les  services  que  je  vous  ai  rendus  en  croyant  les 
rendre  au  pays ,  m'autorisaient  peut-être  à  attendre  de  vous  une  autre 
reconnaissance.  Mon  caractère,  en  tout  cas,  méritait  plus  de  respect 
Vous  savez  que,  dans  une  carrière  déjà  longue,  je  n'ai  pas  plus  dé- 
menti mes  principes  de  liberté  que  mon  dévouement  à  l'ordre.  Je  n'ai 
jamais  participé  ni  directement  ni  indirectement  à  la  violation  des 
lois,  et,  pour  décliner  le  mandat  que  vous  me  conférez  sans  mon  aveu, 
je  n'ai  qu'à  me  rappeler  celui  que  j'ai  reçu  du  peuple,  que  je  con- 
serve. 

Léon  Faucher. 


Cette  lettre  fut  envoyée  à  beaucoup  de  personnages 
haut  placés;  par  qui?  nous  l'ignorons.  Des  journaux 
étrangers  la  reproduisirent.  Le  signataire  ne  pouvait 
que  perdre  à  une  pareille  publicité  ;  car  cette  lettre , 


360  UiSTOIRB 

qu'au  point  de  vue  des  convenances  il  doit  regretter 
d'avoir  écrite,  prouve  qu'il  n*a  pas  eu  Vintelligence  de 
la  situation.  Une  telle  défaillance  de  jugement  a  droit 
d'étonner  chez  un  homme  qui  a  tenu  un^  place  si 
larg^  dans  le  monde  politique*  Nous  avoQs  dû  citer 
cette  pièce,  et  nous  ne  pouvions  la  citer  sans  être  sé- 
vère. Mais  si  l'histoire  a  ses  exigences,  on  peut  tou- 
jours, Dieu  merci,  les  concilier  avec  ce  sentiment  de 
hautes  convenances  qui  fait  qu'on  se  respecte  soi-même 
en  jugeant  les  actes  sans  franchir  les  égards  qu'on  doit 
aux  hommes. 

On  raconte  que  cette  lettre  fut  pénible  au  prince 
pour  son  auteur,  et  que  ce  fut  près  de  M.  de  Momy 
que  M.  Léon  Faucher  vint  chercher  une  réponse,  qu'on 
ne  lui  faisait  pas.  Cette  réponse  fut  une  leçon  sévère- 
ment donnée. 

Dans  la  journée  du  3,  Finsurrection  s'étendait  dans 
Paris  :  nous  l'avons  décrite,  ainsi  que  celle  des  dépar- 
tements, qui  commençait  à  gronder  sur  plusieurs  points 
à  la  fois.  Le  gouvernement  veillait  sur  le  salut  du  pays 
avec  une  sollicitude  et  une  activité  admirables.  Chose 
prodigieuse,  de  la  Bourse  on  entendait  la  fusillade»  et 
la  rente  montait.  Elle  atteignait  2  fr.  10  cent,  de  hausse. 
C'est  que  Paris  sentait  la  puissance  et  la  force  de  la 
main  protectrice  qui  avait  pris  les  rênes  du  gouverne- 
ment. 

Ce  fut  aussi  dans  la  soirée  de  ce  jour,  tant  le  .prince  et 
ses  ministres  se  sentaient  forts,  que  fui  donné  l'ordre 
de  mettre  en  liberté  les  représentants  arrêtés  à  la  Mai- 


D'UN  œUP  lyÉTAÏ./^:     *  JH 

rie  da  10^  arrondissement,  et  détenus  à  Yincennes,  à 
Mazas  et  au  Mont-Valérien.  Mais  comme  tous  s'ob- 
stinaient à  rester  prisonniers ,  cette  mesure  ne  reçut 
son  exécution  que  le  lendemain  pour  un  certain 
nombre. 

Cette  fois  encore,  les  ei«4^résentant9  voulurent  qu'on 
usât  de  violence  à  leur  égard  :  du  moins  ceci  se  passa 
au  Mont'Valérien.  Il  fallait  que  des  soldats  les  touchas- 
sent de  la  main  pour  qu'ils  consentissent  à  devenir  li- 
bres. A  oe  fort ,  quatorze ,  plus  ou  moins  compromis , 
devaient  être  détenus  jusqu'à  nouvel  ordre.  Il  fallut  que 
le  commissaire  se  fit  accompi^er  par  M.  Duponceau, 
huissier  de  l'Assemblée,  qu'il  les  lui  désignât  nomina- 
tivement, ces  messieurs  se  refusant  à  faire  connaître 
leur  état  civil.  * 

Quand  il  fallut  faire  passer  les  quatorze ,  qui  de- 
vaient rester,  dans  une  chambre  voisine,  le  commis- 
saire les  en  pria  poliment,  c  Nous  ne  céderons  qu'à  ht 
fSorce,»  dirent-ils.  Deux  soldats  montèrent  et  touchèrent 
légèrement  les  quatre  premiers.  Le  commissaire ,  peiné 
de  ce  manque  complet  de  dignité ,  s'adressa  au  général 
Oudinot ,  et  lui  dit  :  c  Vous ,  général,  passez ,  je  vous 
60  prie*  —  Je  veux  aussi  les  deux  soldats.  »  M*  Antony 
Thonret  dit  :  €  Moi ,  j'en  veux  quatre ,  à  cause  de  mon 
poids.» 

Ces  messieurs  furmt  placés  dans  des  voitures,  et  on 
les  mil  en  liberté  :  ceux  qui  voulurent  furent  dépotés  à 
la  porte  de  leur  domicile ,  les  autres  place  de  la  Con- 
eofftfey  barrière  du  IMne  et  place  de  ta  Bastille. 


362  J*        "f       HISTOIRE 

On  raconte  dis  incidents  assez  curieux  sur  cette  mise 
en  liberté  des  souverains  parlementaires.  M"*  Paillet 
irint  demander  la  liberté  de  son  mari,  on  la  lui  ac- 
corda ;  mais  en  même  temps  on  lui  dit  que  pour  aller  à 
Yincennes,  il  fallait  traverser  le  faubourg  Saint-Antoine 
où  Ton  se  battait,  a  Alors ,  gardez-le ,  dit  cette  dame  ; 
gardez-le ,  je  vous  en  prie ,  jusqu'à  ce  qu'on  ne  se  batte 
plus,  o 

M.  Larabit  était  à  Yincennes.  On  l'engageait  à  s'en 
aller  :  a  Je  veux  rester  prisonnier,  répondait-il  ;  je  veux 
protester.  —  Vous  êtes  donc  bien  opposé  à  Tacte  du 
Président.  —  Au  contraire ,  je  le  trouve  admirable.  — 
Eh  bien  I  alors.  —  Je  veux  protester.  —  Mais  pourquoi  T 
— Fourme  rendre  si  ridicule  qu'il  en  rejaillisse  quelque 
chose  sur  tous  les  autres.  » 

M.  Odilon  Barrot  était,  comme  nous  l'avons  dit, 
détenu  à  la  même  forteresse.  Dans  la  nuit ,  deux  agents 
se  présentent  et  l'invitent  à  les  suivre.  Où  cela?  il 
l'ignore.  On  descend,  une  voiture  est  là,  qui  attend. 
Les  deux  agents  y  montent  avec  lui  et  ferment  les 
stores.  Puis  la  voiture  roule  ainsi  longtemps  dans  l'ob- 
scurité. Enfin  on  s'arrête  !  c  Monsieur,  dit  l'un  des  deux 
hommes,  nous  allons  aller  prévenir  de  votre  arrivée. 
Promettez-moi  de  ne  pas  descendre.  »  M.  Odilon  Barrot 
fit  une  promesse  solennelle ,  et  les  deux  hommes  le  ren- 
fermèrent dans  la  voiture.  Une  heure  au  moins  se  passa. 
Inquiet  et  fatigué  d'une  si  longue  attente ,  l'ancien  mi- 
nistre ouvre  la  portière,  a  Cocher,  dit-il,  où  sont  donc 
ces  messieurs? — Ces  messieurs  m'ont  payé ,  sont  partis 


f% 


irUN  COUP  D'ÉTAT.-        7W.  363 

■• 

cl  m'ont  dit  que  maintenant  c'était  à  votre  compte.  -^ 
Mais  où  sommes-nous  donc  ?  —  Rue  Neuve-des-Mathu- 
rins  y  24.  »  M.  Odilon  Barrot  était  à  sa  porte. 

Ainsi,  la  protestation  des  représentants  du  10*  ar- 
rondissement eut  pour  dénoûment  une  pasquinade  de 
M.  Antony  Thouret,  et  une  mauvaise  plaisanterie  faite 
à  l'homme  qui  était  en  quelque  s(>rte  ^incarnation  du 
système  parlementaire. 

Ce  fut  dans  la  nuit  du  3  au  4  qu'eut  lieu  le  transf(ère- 
ment ,  à  Ham  y  des  représentants  arrêtés  dans  la  matinée 
du  2  décembre.  On  les  fit  monter,  à  Mazas,  dans  les 
Toitures  cellulaires  de  la  Préfecture  de  police ,  et  on  les 
conduisit,  tout  le  long  des  boulevards  Jusqu'à  la  gare  du 
chemin  de  fer  du  Nord.  Au  départ,  ils  ne  se  virent  pas. 
fls  étaient  séparés  chacun  dans  une  chambre.  Ils  furent 
téparés  anssi  en  voiture.  Le  général  Le  Flô ,  qui  avait, 
le  matin  du  2,  revêtu  son  grand  uniforme,  fut  invité  à 
mettre  le  paletot  de  l'un  des  agents.  11  était  près  de 
quatre  heures,  et  on  ne  voulait  pas  qu'il  pât  être  vu 
en  costume  dans  la  traversée  des  boulevards.  Ces  me*- 
iieiirs  ne  se  virent  qu'à  l'endroit  où  on  quille  le  chemin 
de  fer  pour  se  rendre  à  Ham.  Ils  déjeunèrent  ensemble 
avant  de  partir  pour  cette  forteresse ,  ob  ils  furent  in- 
ternés sans  que  rien  de  remanjuable  se  passât. 

Cependant,  dans  le  public,  le  décret  qui  établissait  le 
vote  an  registre,  avait  produit  une  certaine  agitation. 
Les  adversaires  du  prince  disaient  :  <  Cest  une  con^ 
trainte  morale,  c'est  une  façon  d^extorquer  les  votes.  » 
Avec  un  pen  de  réfleiion,  ils  eosent  compris  qnlk  se 


364  V"V  HISTOIRE 

faisaient  la  plus  sanglante  injure  en  se  déniant  à  eux- 
mêmes  ce  courage  civique  qui  proclame  et  qui  signe  ses 
convictions.  Ce  qui  toucha  le  gouvernement,  ce  ne  fu- 
rent pas  ces  réclamations  d'une  minorité  infime,  im- 
perceptible sur  le  sol  de  la  France,  ce  furent  des  consi- 
dérations d'une  autre  nature.  On  pensa  que  peut-être 
certains  intérêts  se  croiraient  compromis  en  signant 
d'après  leur  conscience;  que  des  employés,  par  exem- 
ple, se  croiraient  contraints  de  dire  oui.  On  fut  instruit 
que  dans  les  campagnes,  où  tous  les  actes  privés  sont  ea 
évidence,  beaucoup  craignaient  que  le  registre  des  votas 
devint  une  liste  de  proscription  entre  les  mains  des 
rouges ,  si  le  Président  ne  réussissait  pas*  Les  nouvelles 
transmises  par  les  préfets,  dans  la  journée  du  lendemaio 
4,  et  l'écho  des  bruits  de  la  capitale,  confirmèrent  le 
gouvernement  dans  la  pensée  qu'il  était  convenable  de 
restituer  l'élection  au  vote  secret- 

On  doit  considérer  comme  très-heureux  que  le  vot« 
secret  ait  été  rétabli,  car  si  l'autre  mode  eût  été  main- 
tenu, ceux  qui  constituent  la  minorité  d'hommes  inté- 
ressés à  voter  au  bulletin  secret,  n'eussent  pas  manqué 
de  dire  que  la  conscience  des  électeurs  avait  été  mo- 
ralement violentée.  C'est  donc  dans  la  plus  complète 
indépendance  que  les  partis  se  sont  comptés;  c'est 
donc  des  entrailles  mêmes  de  la  conscience  du  pays 
qu'est  partie  l'acclamation  du  président. 

Aussitôt  donc  que  le  prince  Louis-Napoléon  eut  coih 
slaté  qu'un  certain  nombre  de  citoyens  désirait  le 
vole  secret ,  il  fit  un  décret  qui  rendait  l'élection  à  ce 


D'UN  œUP  D'ÉTAT.  365 

mode,  adopte,  du  reste,  depuis  longtemps  en  France  et 
passé  en  quelque  sorte  dans  nos  mœurs  : 

RÉPUBLIQUE  FRANÇAISE. 

AU  NOM  UU  PEUPLE  FRANÇAIS. 

Le  Président  de  la  République, 

Considérant  que  le  mode  d'élection  promulgué  par  le  décret  du  2 
décembre  avait  été  adopté  dans  d'autres  circonstances  comme  garan- 
ttMant  la  sincérité  de  rélection  ; 

Mais  considérant  que  le  scrutin  secret  actuellement  pratiqué  parait 
mieux  garantir  Tindépendance  des  suffhigcs  ; 

Considérant  que  le  but  essentiel  du  décret  du  2  décembre  est  d'ob- 
tenir la  libre  et  sincère  expression  de  la  volonté  du  peuple , 
Décrète  : 

Art.  1**.  Les  art.  2,  3  et  4  du  décret  dn  2  décembre  sont  modifiés 
ainsi  qu'il  suit  : 

Art.  2.  L'élection  aura  lieu  par  le  suffrage  universel. 

Sont  appelés  à  voter,  tous  les  Français,  âgés  de  vingt  et  un  ans, 
jouissant  de  leurs  droits  civils  et  politiques. 

Art.  3.  Us  devront  justifier,  soit  de  leur  inscription  sur  les  listes 
électorales  dressées  en  vertu  de  la  loi  du  15  mars  1849,  soit  de  l'ac- 
eompliasemeot,  depuis  la  formation  des  listes,  des  conditions  exigées 
par  cette  loL 

Art.  4.  Le  scrutin  sera  ouvert,  pendant  les  journées  des  20  et  21  dé- 
cembre, dans  le  chef-lieu  de  chaque  commune,  depuis  huit  heures  du 
matin  jusqu'à  quatre  heures  dn  soir. 

Le  suffrage  aura  lieu  : 

AU  SCRUTIN  SECRET, 

Par  oui  ou  par  non , 

Au  moyen  d'un  bulletin,  manuscrit  ou  imprimé. 
Fait  au  palais  de  l'Elysée,  le  4  décembre  1831. 

LemS^NAMLÉON  BONAPàKTt. 

Lb  miniêtft  4»  l'mtéri9mr^ 

te  Hmiii. 


366  HISTOIRE 

M.  de  Morny  publiait  de  son  côté  la  proclamatioii 
suivante  : 

Le  Président  de  la  République  et  son  gouvernement  ne  recuieront 
devant  aucune  mesure,  pour  maintenir  Tordre  et  sauver  la  société; 
mais  ils  sauront  toujours  entendre  la  voix  de  Topinion  publique  et 
les  vœux  des  honnêtes  gens. 

Us  n'ont  pas  hésité  à  changer  un  mode  de  votatlon  qu^ils  avaient 
emprunté  à  des  précédents  historiques,  mais  qui,  dans  Tétat  actuel 
de  nos  mœurs  et  de  nos  habitudes  électorales,  B*a  pas  paru  assurer 
suffisamment  Tindépendance  des  suffrages. 

Le  Président  de  la  République  entend  que  tous  les  électeurs  soient 
complètement  libres  dans  Texprcssion  de  leur  vote,  quMls  exercent  oa 
non  des  fonctions  publiques,  qu'ils  appartiennent  aux  carrières  civiki 
ou  à  Tarmée. 

Indépendance  absolue,  complète  liberté  des  votes,  voilà  ce  que  veut 
Louis-Napoléon  Bonaparte. 

Le  ministre  de  Vintérievr^ 

De  Mor!it. 

Le  décret  du  prince  montre  à  quel  point  il  prétait 
roreille  aux  demandes  de  Fopinion  publique.  Mais  pour 
Tapprécier  entièrement,  il  faut  voir  quand  il  a  été 
rendu  :  c'est  lorsque  la  voix  du  canon  avait  fait  taire 
rémeule;  c'est  quand  la  résistance  était  domptée.  D 
eût  été  facile  de  faire  en  ce  moment  de  Tautorité  arbi- 
trairement compressive.  Vainqueur,  le  prince  voulut 
être  juste  jusqu'au  scrupule.  Partout  l'armée  avait  voté 
suivant  le  mode  primitivement  prescrit,  quand  le  nou- 
veau décret  fut  connu.  Chose  remarquable,  c'est  que  la 
presque  unanimité  qu'elle  a  donnée  au  Président  par  le 
vote  au  registre  est  restée ,  on  peut  le  dire  j  la  même 


«^ 


D'UN  COUP  D'ÉTAT.  367 

au  i^ote  secret,  tant  sont  petites  les  différences  qui  ont 
eu  lieu  entre  les  deux  résultats.  Alors  qu'il  n'était  en- 
core question  de  faire  voter  l'armée  que  par  le  premier 
des  deux  modes,  le  Président  écrivait  au  ministre  de 
la  guerre  : 

Mon  cher  général, 

TaTais  adopté  le  mode  de  yotation  avec  la  signature  de  chaque  vo- 
lant ,  f>arce  que  ce  mode ,  employé  autrefois ,  me  semblait  mieux  as- 
surer la  sincérité  de  l'élection  ;  mais,  cédant  à  des  objections  sérieuses 
et  à  de  justes  réclamations,  je  viens,  vous  le  savez,  de  rendre  un  dé- 
cret qui  change  la  manière  de  voter. 

Les  suffrages  de  Tarmée  sont  presque  entièrement  donnés,  et  je  suis 
lieureux  de  penser  qu'il  s'en  trouvera  un  assez  petit  nombre  contre 
ipoi.  Cependant,  comme  les  militaires  qui  ont  déposé  un  vote  néga- 
tif, pourraient  craindre  qu'il  n'exerçât  une  fâcheuse  influence  sur  leur 
iearrière,  il  importe  de  les  rassurer. 

Veuillez  donc  bien,  sans  retard,  faire  savoir  à  l'armée,  que,  si  le 
mode  d'après  lequel  elle  a  voté  est  différent  de  celui  d'après  lequel 
voteront  les  autres  citoyens,  l'effet  en  sera  le  même  pour  elle,  c'est- 
à-dire  que  je  veux  ignorer  les  noms  de  ceux  qui  ont  voté  contre 


.    En  conséquence,  le  relevé  des  votes  une  fois  terminé  et  dûment 
constaté,  ordonnez,  je  vous  prie,  que  les  registres  soient  brûlés. 
Agréez,  etc. 

Louis-NapoléO!«  Bonaparte. 

Cette  lettre  se  passe  de  commentaires.  Il  fut  décidé, 
dès  le  jour  même,  que  l'yrmée  voterait  au  bulletin 
secret. 

Dans  la  journée  du  6,  de  nombreuses  arrestations 
Airent  faites;  notamment  celles  de  MM.  Mathé  (Allier), 
€h.  Huguenin  (Haute-Saône),  tous  deux  siégeaient  à  la 


368  HISTOIRE 

Montagne.  Dans  la  malmée,  M.  Xavier  Durneuy  di 
journal  la  Révolution^  fut  arrêté  avec  sept  des  f6ili&- 
teurs  du  même  journal. 

M.  Thiers,  qui  avait  été  dispensé  d'être  transférée 
Ham,  rentra  à  son  domicile  où  il  fut  surveillé  en  atleflh 
fiant  son  départ  pour  rÂlIeraagne. 

Pour  en  finir,  en  ce  qui  concerne  M.  Tbiers,  racon- 
tons comment  il  fut  transféré  au  delà  du  Rhin.  Il  de- 
manda au  gouvernement  à  être  accompagné  jusqu'à  la 
frontière  par  un  agent  de  la  force  publique.  L'officier 
de  paix  Yeindcnbach  le  prit  chez  lui  le  8  décembre, 
avant  six  heures  du  soir.  Deux  amis  de  rex-mînisirey 
M.  Mignet  et  un  autre,  le  conduisirent  jnscpi'à  la  gare 
du  chemin  de  fer  de  Strasbourg.  M.  Grangier  de  la 
Marinière  ne  le  quitta  qu'à  Kehl.  Ce  fut  là  que  M.  Thien 
lui  remit  pour  Toffîcier  de  paix  une  lettre  de  protesta- 
tion et  une  de  remerciments  pour  l'es  ^ards  dont  3 
avait  été  l'objet. 

Voici  donc  la  situation  nette  et  bien  établie.  Loub*> 
Napoléon  a  pris  l'avance  sur  ses  adversaires,  qui  sont 
prisonniers  ou  en  fuite.  L'émeute  est  vaincue.  La  con- 
fiance renaît,  les  fonds  publics  sont  en  hausse  consi- 
dérable. 

L'Europe  reconnaissante  témoigne  die  ses  sympathies 
pour  Pacte  et  elle  admira  l'homme.  En  attendant  le 
vote ,  le  prince  est  vraiment  dictateur.  Plus  rien  ne 
fentrave,  ni  Constitution  absurde,  ni  AssemMée  rivale 
et  malveillante.  Il  a  tout  pouvoir,  que  va-t-iï  foire?  car 
il  a  quinze  jours  devant  lui;  homme  de  génie,  il  peut 


D'UN  OW?  I^ÊTAT.  369 

tûm  ^a^aatage  en  quinze  jours  que  n'importe  quel 
gouvernement  r^résentalif  dans  une  année. 

La  jourfiée  du  7  décembre  fut  fertile  en  actes  ofS- 
eîels.  Celui  que  nous  placerons  le  premier,  parce  que 
BOUS  somaMs^ûriqti'il  fjut  le  premier  dans  la  pensée  et 
4biis  le  cœur  de  Louis-Napoléon ,  c'est  le  décret  qui 
fend  Sainle-<ieDe^ève^  le  Panthéon  actuel ,  au  culte 
Mtbolîque. 

AU  NOM  DU  PEUPLE  FRANÇAIS. 

Le  Président  de  la  République , 
Sur  le  rapport  du  ministre  de  rinstruction  publique  et  des  cultes, 
Vu  la  loi  des  4-tO  avril  1791  ; 
«Vu  le  décret  du  20  février  1806  ; 
Vu  Tordonnance  du  12  décembre  1821  ; 
Vu  Tordonnance  du  26  août  1 830  ; 

Mcrëte  : 
>Arl.  f^.  L^ancienne  église  de  Saitate-Gencviève  est  rendue  au  cuHc, 
o^fonnément  à  rintantion  de  son  fondateur,  sous  T invocation  de 
Saînte-Geneviève,  patronne  de  Paris. 
^       Il  sera  pris  ultérieurement  des  mesures  pour  régler  Texercice  per- 
manent du  cuHe  catholique  dans  cette  église. 
kti.  2.  L'ordonnance  du  26  août  1830  est  rapportée. 
Art»  d.  Le  mmistre  de  Tinstruciion  publique  et  des  cultes  et  le  mini&> 
Ire  des  travaux  publics  sont  chargés ,  chacun  en  ce  qui  le  concerne, 
de  Texéi'/Ution  du  présent  décret,  qui  sera  inséré  au  BuUetin  des  lois. 
Paris,  le  6  décembre  t891 . 

LoU1S-NaW>LÉ0N  BOf^AFARTE. 

Lb  mkUihre  de  VinstrucUon  publique  et  dm  ouUes , 

FOHTOUL. 

* 

Celte  pensée  qui  va  vers  Dieu ,  après  la  victoire,  est 


m 

0. 


370  HISTOIRE 

d'un  heureux  présage.  Il  ne  faut  pas  que  les  princes  et 
les  puissants  de  ce  monde  s'isolent  de  celui  qui  tient  dans 
ses  mains  les  destinées  des  nations.  Ce  remerclment, 
après  le  triomphe  sur  l'anarchie ,  promet  que  le  chef  de 
l'Ëtal  veut  s'inspirer  des  idées  chrétiennes  dans  son  gou- 
vernement. Il  n'y  a  que  les  médiocrités  impuissantes  qid 
se  séparent  de  Dieu.  Les  hommes  de  génie  comprennent 
qu'ils  ne  sont  que  les  instruments  de  ses  desseins,  et 
qu'ils  doivent  avant  tout  se  conformer  aux  enseignements 
de  l'éternelle  justice ,  de  l'éternelle  vérité.  Le  prince  qui 
prend  d'une  main  si  ferme  le  timon  des  a£GeiireSy  et  se 
place  à  la  tête  du  progrès  et  de  la  civilisation  y  devait 
cet  hommage  et  ce  gage  à  l'Ëglise  de  France,  à  cette 
Église,  de  laquelle  nous  parlions  ainsi,  dans  notre  Die* 
tionnaire  général  des  persécutions  (vol.  2 ,  p.  471  )  : 

«  Église  de  France,  salut  à  toi  ;  salut  aux  majestés 
de  ton  berceau.  Que  belle  et  grande  est  ta  destinéel  Av 
commencement,  les  martyrs  de  Lyon  dans  les  amphi* 
théâtres  ;  à  la  fm  ,  tes  prêtres  et  tes  évêques  sous  la  hache 
de  93  !  Marche ,  noble  et  sainte  ËgUse ,  fille  aînée  de 
rÉglise  romaine,  ta  mère.  Bientôt,  c'est  de  ton  sein 
que  sortiront  les  martyrs,  les  docteurs  et  les  mission- 
naires. Tu  seras  comme  la  fleur  de  l'arbre  dont  la  racine 
est  à  Rome.  Pas  un  coin  du  monde  n'échappera  à  tes 
missionnaires,  comme  pas  un  peuple  à  ta  civilisation. 
Quel  est  le  rocher  où  une  nef  française  n'ait  porté  la 
croix  avec  sa  bannière?  Quelle  est  l'œuvre  civilisatrice 
que  ses  missionnaires  n'aient  pas  accomplie?  Marche, 
noble  Église,  lumière,  espoir  et  soutien  de  la  chrétienté. 


D'UN  COUP  D'ÉTAT.  37! 

Tu  donneras  au  monde  des  fils  qui  s'appelleront  Gré- 
goire de  Tours,  saint  Louis ,  Vincent  de  Paul,  Bossuet 
et  Fcnelon  ;  puis  d'autres  qui  s'appelleront  Charlemagne 
et  Bonaparte,  deux  noms  dont  le  bruit  ébranle  le  monde. 
Le  premier  déchirera  un  coin  de  son  manteau  de  pourpre 
pour  abriter  la  tête  du  vicaire  de  Jésus-Christ ,  et  quand 
l'ingratitude  d*un  peuple  voudra  dépouiller  de  cette  au- 
mône héréditaire  le  père  des  fidèles,  un  Bonaparte  dira  : 
La  France  Ta  donnée,  et  le  possesseur  est  sous  sa  garde. 
Fille  de  l'Église  romaine,  défends  ta  mère  et  la  maison 
que  tu  lui  as  donnée.  Marche,  noble  Église;  ton  nom 
veut  dire  gloire  et  civilisation  sur  la  terre;  au  ciel,  il  a 
celui  des  gloires  célestes.  Salut  à  toi,  mère  des  saints! 
A  toutes  les  époques,  tu  verras  quelque  nom  glorieux 
porter  en  ton  nom ,  dans  sa  main ,  la  palme  ou  le  flam- 
beau.  Honneur  à  TÉglise  qui  ouvre  ainsi  ses  fastes  et 
qui  les  ferme  comme  tu  viens  de  le  faire!  Le  bronze 
tonne  dans  Paris,  les  partis  déchaînés  se  déchirent , 
toute  parole  de  paix  est  impuissante,  huit  généraux 
tombent  ;  il  coule  du  sang  comme  dans  vingt  batailles. 
Ah  !  Dieu  est  absent  de  ces  luttes  fratricides.  Trois  jours 
de  combats  sacrilèges  n'ont  point  assouvi  la  fureur  des 
combattants.  Un  homme  de  Dieu  parait,  la  palme  à  la 
main,  symbolique  prophétie  :  c'est  l'archevêque  !  apôtre 
des  conciliations;  il  a  dans  les  veines  le  sang  d'un  mar- 
tyr, et  ce  sang  éteindra  la  lutte.  Après  le  pasteur  mort, 
silence!  le  bronze  se  tait.  Qui  donc  oserait  rentrer  dans 
la  sanglante  arène ,  quand  l'holocauste  est  ofiert  et  la 
rançon  acceptée  par  Dieu  ?  La  dernière  victime  est  un 


372  HISTOIRE 

martyr,  et  la  fin  du  combat  est  un  miracle.  Ainsi  TÊ- 
glise  étend  Texpiation  sur  ce  vaste  sacrilège.  » 

Quand  nous  écrivions  ces  lignes,  nous  espérions  que 
la  lutte  impie  ne  se  renouvellerait  pas.  Hélaç  !  les  évé- 
nements ont  donné  tort  à  nos  espérances  ! 

Les  ennemis  de  la  société  ont  versé  de  nouveau  le 
sang  français.  Celle  fois  encore,  au  milieu  de  tous  les 
hérolsmesy  nous  avons  à  constater  celui  des  ministres 
du  Diev  à%  paix.  De  simples  pasteurs  des  campagnes 
ont  imité Tarchevêque  de  Paris.  De  nouvelles  obligations 
de  reconnaissance  étaient  imposées  au  pays.  Louis 
Bonaparte,  après  la  victoire,  s'acquitte  envers  Dieu  et 
envers  rhéroïque  clei^é  français.  Ce  que  Tarchevéque 
mort  avait  tant  désiré  lui  sera  donné.  Nobles  martyrs, 
à  vous  le  Panthéon  !  Non  pas  à  vous  ,  car  pour  payer 
vos  sublimes  dévouements,  ce  qu'il  vous  faut,  c^^st  m 
coin  de  terre  et  une  croix  de  bois  dans  un  bumMe 
cimetière ,  au  milieu  du  troupeau  confié  à  vos  soins.  Ce 
que  vous  voulez ,  c'est  un  autel  de  plus  au  Dieu  qui  vous 
envoie  ,  c'est  une  chaire  de  plus  aux  vérités  dont  vous 
êtes  les  apôtres.  Ce  que  vous  demandez,  c'est  qu'on 
eflace  ce  mot  païen  Panthéon  sur  le  fronton  d^m  mo- 
nument de  la  France  chrétienne.  C'est  qu'il  n'y  ait  pas, 
dans  la  grande  cité ,  vis-à-vis  les  tours  saintes  de  Notre- 
Dame  de  Paris,  cet  insolent  anachronisme  mytholo- 
gique. C'est  qu'on  rende  au  culte  chrétien  ce  temple, 
dont  les  révolutionnaires  avaient  fait,  sous  prétexte  de 
récompense  aux  grands  hommes ,  une  morgue  hideuse 
pour  Marat,  pour  ses  précepteurs  et  pour  sea  disciples. 


\ 


D'UN  COUP  D'ÉTAT.  STS 

Ce  monumeal,  vaste  el  froid  tombeau,  dunt  l'aspect 
glaçait  le  cœur,  et  où  l'àme  ne  voyait  que  le  néant , 
sera  désormais  plein  de  vie,  d'harmonies  et  de  prières. 
Il  est  sous  l'invocation  de  la  patronne  de  Paris,  celte 
Geneviève  qui  arrêta  les  hordes  barbares  d'Attila.  Ne 
semble-l-il  pas  que  Louis-Napoléon  l'appelle  pour  ar- 
rêter aussi  les  hordes  des  nouveaux  barbares.  Sainte 
fille  du  peuple,  vous  êtes  la  patronne  de  Paris,  soyez  la 
protectrice  aussi  de  celui  qui  vous  y  donne  un  temple; 
de  celui  qu'aiment  tant  les  bons  habitants  des  campa- 
gnes où  vous  viviez  simple  bergère. 

Quefera-t-on  du  magnifique  chef-d'œuvre  de  David, 
le  moderne  Phidias?  Respectueusement  détaché  du 
fronton,  il  ira  prendre  sa  place  dans  quelqu'un  de  nos 
musées.  Artistes!  il  y  a  plus  de  place  pour  le  vrai  génie 
au  fronton  d'une  église  qu'à  celui  d'un  panthéon. 
Sculptez-y  d'un  câté  l'archevêque  mourant,  victime  du 
patriotisme  et  de  la  charité  ;  c'est  là  de  l'histoire  natio- 
nale aussi.  Sculptez  de  l'autre  ce  simple  et  vieux  curé 
de  campagne,  refusant  aus  fusils  de  l'émeute  les  clefs 
de  son  église.  Au  milieu,  placez  le  neveu  de  l'Empereur 
offrant  son  décret  à  l'héroïsme  du  clet^é  de  France. 
Vous  aurez  écrit  dans  la  pierre,  pour  tous  les  yeux, 
l'histoire  que  nous  écrivons  humblement  pour  quelques- 
uns  dans  ces  pages.  Autant  que  possible,  immortalisons 
Içs  hauts  faits,  les  gloires,  les  dévouements  qui  appar- 
tiennent à  notre  pays;  lesgénératioiis  verront  sans  cesse, 
vivant  devant  elle,  l'exemple  qu'elles  doivent  s'efforcer 
d'imiter. 


374  HISTOIRE 

Par  un  autre  décret,  promulgué  le  même  jour,  le 
prince  commençait  à  remercier  l'armée  tout  entière  de 
son  noble  et  vaillant  concours  : 


Ay  NOM  DU  PEUPLE  FRANÇAIS. 

Le  Président  de  la  République, 

Vu  la  loi  du  25  décembre  1790,  rclatiTe  au  traitement  des  mili- 
taires ; 

Vu  la  loi  du  11  avril  1831,  sur  les  pensions  de  l'année  de  terre; 

Vu  Tordonnance  du  3  mai  1832,  sur  le  service  des  armées  en  cam- 
pagne ; 

Sur  le  rapport  du  ministre  de  la  guerre , 

Voulant  que  les  scn-ices  rendus  au  pays,  à  Tintérieur,  soient  ré- 
compensés comme  sont  ceux  des  armées  au  dehors. 

Décrète  : 

Art.  l•^  Lorsqu'une  troupe  organisée  aura  contribué,  par  des  com- 
bats, à  rétablir  Tordre  sur  un  point  quelconque  du  territoire,  ce  ser- 
vice sera  compte  comme  service  de  campagne. 

Art.  2.  Chaque  fois  qu'il  y  aura  lieu  de  faire  application  de  ce 
principe,  nn  décret  spécial  en  déterminera  les  conditions. 

A  rElvsée,  le  o  décembre  ISol. 

Le  Président  de  la  Hépublique , 

Ix>uis-NAr<ii.ÉoN  Bonaparte. 

Le  ministre  de  la  guêtre ^ 

A.  DE  Saint-Arnaud. 

Pour  porter  éncrgiquement  remède  aux  désordres 
des  départements,  le  gouvernement  nomme  M.  Maurice 
Duval  commissaire  extraordinaire  dans  les  départements 
des  Côtes- du -Nord  j  du  Finistère,  dllIe-el-Vilaine,  de 
la  Loirc-lnférieure,  du  Morbihan,  de  Maine-et-Loire, 
de  la  Vendée  et  de  la  Mayenne.  M.  Cartier  est  nommé 


DUN  œUP  D'ETAT.  375 

en  la  même  qualité  pour  les  départements  de  TAUier^ 
du  Cher  et  de  la  Nièvre. 

Si  d'un  côté  le  pouvoir  prenait  ces  hautes  précau- 
tions administratives  contre  le  désordre,  de  l'autre  il 
prouvait  sa  modération  y  en  retirant  aux  préfets  une 
partie  des  pouvoirs  absolus  et  arbitraires  qu'il  leur  avait 
conférés  par  la  circulaire  ministérielle  du  2  décembre. 
M.  de  Morny  leur  faisait  parvenir  la  circulaire  suivante  : 

Paris,  le  7  décembre  i85i. 

Monsieur  le  préfet. 

Par  ma  circulaire  en  date  du  2  décembre,  vous  avez  été  investi  du 
droit  de  suspendre  et  même  de  remplacer  immédiatement  tous  Ica 
fonctionnaires  dont  le  concours  ne  vous  serait  point  assuré. 

Ces  pouvoirs  extraordinaires  ont  dû  vous  être  conférés,  alors  qu'il 
y  avait  nécessité  de  briser  immédiatement  les  résistances  qui  auraient 
été  de  nature  à  compromettre  le  succès  des  grandes  mesures  de  salut 
public  décrétées  par  le  prince  Louis-Napoléon. 

Ces  pouvoirs  vous  permettaient  d'atteindre  les  juges  de  paix.  Ils 
doivent  cesser  aujourd'hui  que  le  gouvernement  est  maître  de  la  si- 
tuation. Le  temps  qui  doit  s'écouler  avant  l'ouverture  du  scrutin 
permet,  d'ailleurs,  de  suivre  les  voies  ordinaires  de  nomination. 

Vous  devrez  donc,  à  l'avenir,  monsieur  le  préfet,  laisser  aux  chefs 
des  cours  d'appel  le  libre  et  plein  exercice  du  droit  qui  leur  appar- 
tient de  présenter,  et,  au  ministre  de  la  justice,  l'exercice  du  droit 
qui  lui  appartient  également  de  pourvoir  à  toutes  les  fonctions  de  la 
magistrature.  M.  le  ministre  de  la  justice  invite,  au  reste,  les  procu- 
reurs généraux  à  prendre  votre  avis  sur  les  révocations  et  sur  l«\s 
remplacements  qui  devraient  être  opérés. 

Le  ministre  de  C intérieur. 

De  Mornv. 

La  modération  est  la  marque  de  la  force ,  comme  la 
justice  est  la  vertu  de  la  vraie  puissance. 


rm  1UST0IMS 

Af/rès  les  êvénetâeïits  graves  qui  tenaient  ée  s' 
complir  à  Paris^  il  y  avait  nécesBlté  de  iftévir  contre  Mt- 
taines  fautes^  et,  il  fout  bien  (employer  ce  lerme^cofitre 
certaines  lâchetés.  Dans  les ^iMs^tiers  eli'vabis  par  Té- 
meute,  si  quelques  hbnon9d)les  citoyens  avaient  coui»- 
genseuient  refusé  lierurs  aimes  aux  insinués,  ou  mène 
les  avaient  défendues,  un  grand  nombire  les  atldent 
livrées,  quelques-^uns  les  avaient  offertes.  Le  lendemain 
encore,  la  troupe,  en  parcourant  ces  quartiers ,  lisait , 
ce  que,  du  reste,  nous  avons  lu  nous-méme  sur  une 
infinité  de  portes  :  Armes  données. 

Justice  immédiate  devait  être  faite.  Le  miiiistre  de 
l'intérieur  et  le  général  de  la  garde  nationale  échangè- 
rent la  correspondance  suiva  nte  : 

A  M.  LE  QÉRÉRAL  GOMMANDAItT  SUPÉMIUR  WS  OAI0B»>NAtMIIALBS 

DE  LA  SBIftB. 

Paris ,  le  7  décembre  ÏS^l. 

Général , 

Dans  plusieurs  quartiers  de  Paris,  quelques  propriétaires  ontrim- 
pudeurde  mettre  sur  leur  porte  :  Arines  données.  On  côntevtait  qu'un 
garde  national  écrivît  :  Armes  arrachées  de  fôirte ,  kûh^'  tùéttte  à  cou- 
vert sa  responsabilité  vis-à-vis  de  l'Élat  et  son  hooïïear'tis^à-visde 
ses  concitoyens;  mais  inscrire  sa  honte  slir  le  fWnt  dé  sai  (^f df^re  inai- 
son  révolte  le  caractère  français. 

Tai  donné  fordre  au  préfet  de  police  de  faire  eâkcer  cesinsfiripiions, 
et  je  vous  prie  de  me  désigner  les  légions  oii  ces  faits  se'^tit^fodaits, 
afin  que  je  propose  à  iA,  le  Président  de  la  République  de  décréter 
leur  dissolution. 

Agréez,  général,  Texpression  de  ma  considération  la  plus  distinguée. 

Le  ministre  de  l'intérieur^ 

De  ÉIoekt 


D*UN  COUP  D'JÈf  AT.  371 

Paris,  le  7  décembre  1851. 

Monsieur  le  ministre, 

Toute  la  garde  nationale  amiji^udira  aux  sentiments  exprimés  dans 
la  lettre  que  tous  m'avez  fidi  Thonneur  de  qu'écrire. 

Une  des  légions  de  Paris  a  subi  le  double  affiront  du  désarmement 
à  domicile  et  des  inscriptions  honteuses  dont  tous  parlez.  Sa  mairie, 
malgré  la  présence  de  plus  de  soixante  hommes ,  a  été  prise  par  les 
insurgés  :  c'est  la  5"  légion. 

Je  Tiens  vous  la  signaler  et  demander  son  licenciement.  Je  suis 
heureux  d'avoir,  d'un  autre  côté ,  un  grand  nombre  de  faits  qui  con- 
statent l'esprit  d'ordre  et  d'obéissance  qui  n'a  cessé  de  régner  dans 
beaucoup  d*autre9  légions. 

Agréez,  monsieur  le  ministre,  l'assurance  de  ma  haute  considération. 

U  général  eowimandant  s^péri^w  dis  gardtz  fiaiiofiolei  df  kk  Stàm, 

Lawoistine. 

Un  décret  ordonna  le  désarmement  de  la  5'  légion. 
Sous  le  régime  parlementaire,  cet  acte  de  justice,  ac- 
compli dans  l'espace  de  quelques  heures,  aurait  dépensé 
plusieurs  séances  législatives,  valu  au  pays  une  demi- 
douzaine  de  discours  incendiaires,  et  aurait  jeté  l'agi- 
tation dans  la  capitale. 

Un  root  sur  M.  Lawoestine ,  général  en  chef  de  la 
garde  nationale.  Homme  de  l'Empire,  il  fit  ses  preuves 
du  temps  de  nos  grandes  guerres,  et  se  distingua,  en 
1800,  le  0  août ,  à  la  bataille  d'Almonacid,  où  il  fut 
Messe.  Il  a  le  caractère  des  hommes  de  cette  époque. 
Quoiqu'il  ait,  avec  l'énergie  d'un  militaire  les  formes 
<f  un  homme  du  monde ,  il  n'en  a  pas  moins  une  pro- 
fonde aversion  pour  le  parlementarisme.  Homme  d'ae- 


378  HISTOIRE 

tion  et  de  résolution ,  il  est  parfaitement  capable  d'ap- 
précier la  garde  nationale  et  après  cela  de  la  con- 
duire. 

Ni  Louis-Napoléon,  ni  son  gouvernement ^  ni  les 
généraux,  n'oubliaient  qu'il  y  avait  dans  les  hôpitaux 
de  Paris  des  soldats  blessés  dans  l'insurrection.  Plu- 
sieurs fois  déjà,  le  Président  leur  avait  envoyé  ses  aides- 
de-camp,  s'était  enquis,  avec  la  plus  grande  sollicitude, 
de  leur  état,  <le  leurs  besoins.  Le  général  Magnan  alla 
lui-même  les  visiter  dans  la  journée  du  7,  et  d'abord  au 
Val-de-Grâce,  ensuite  à  l'Hôtel-Dieu  et  dans  les  diverses 
ambulances,  sut  leur  parler  ce  langage  qui ,  pour  des 
soldats  français,  est  la  moitié  de  la  guérison.  Le  gé- 
néral en  chef  a  remercié ,  de  la  façon  la  plus  chaleu- 
reuse, les  médecins  qui  ont  donné  des  soins  à  nos 
braves  militaires.  Dans  la  longue  promenade  qu'il  a 
faite  dans  Paris,  il  a  pu  se  convaincre,  par  l'accueil 
qu'il  a  reçu ,  que  la  population  sait  apprécier  les  ser- 
vices éminents  qu'il  a  rendus  au  pays. 

Paris  a  entièrement  repris  son  calme  habituel.  Dans 
les  départements,  la  démagogie,  prévenue  par  l'acte  du 
2  décembre ,  ne  peut  faire  que  des  tentatives  impuis- 
santes. A  mesure  qu'une  des  tètes  de  l'hydre  se  lève,  le 
pouvoir  Técrase.  Le  monstre  qui  menaçait  de  tout 
dévorer  en  1 852 ,  est  frappé  à  mort  ;  c'est  vainement 
qu'il  se  débat,  ses  efforts  ne  sont  plus  que  les  convul- 
sions de  l'agonie.  Cependant,  l'acharnement  de  la  lutte 
montre  ce  qu'elle  aurait  été  si  le  gouvernement  se  fût 
endormi  dans  l'cnathique  imprévoyance  qui  cachait  le 


DUN  COUP  D'ÉTAT.  379 

danger  aux  yeux  de  la  France  entière.  Grâce  à  son  cou- 
rage,  à  son  dévouement  j  il  faut  le  dire,  la  victoire  est 
enfin  certaine.  Désormais,  le  peuple  s'appartient; 
il  ne  subira  ni  les  dictateurs  de  la  fusion,  ni  la  terreur 
de  la  démagogie.  Remis  entre  les  mains  de  sa  propre 
puissance,  il  fera,  librement  et  en  dehors  de  toute  in- 
fluence, acte  de  souveraineté.  Nous  nous  trompons,  il 
subira  une  influence  immense,  irrésistible,  celle  de  la 
reconnaissance  à  laquelle  un  peuple  généreux  ne  sau- 
rait se  soustraire.  Déjà  l'enthousiasme  du  pays  prophé- 
tise les  résultats  du  scrutin  qui  va  s'ouvrir.  Ce  symp- 
tôme de  la  situation  ne  peut  échapper  à  Louis -Napo- 
léon; n'importe,  il  parlera  au  peuple  le  langage  du 
devoir  seulement.  Il  doit  rendre  compte  à  la  France  de 
ses  six  jours  de  dictature ,  et  il  le  fait  dans  la  proclama- 
tion suivante,  qui  parut  au  Moniteur  le  matin  du 
8  décembre. 

RÉPUBUQUE  FRANÇAISE. 

PIOCUMATION  DU  PRÉSIDENT  DE  LA  RÉPUBUQCE  AU  PEUPLE  FRAFIÇAIS. 

Français,  ] 

Les  troubles  sont  apaisés.  Quelle  que  soit  la  décision  du  peuple,  la 
société  est  sauvée.  La  première  partie  de  ma  tâche  est  accomplie  ;  l'ap- 
pel à  la  nation,  pour  terminer  les  luttes  des  partit,  ne  faisait,  je  le  ra- 
Ttis,  courir  aucun  risque  sérieux  à  la  tranquillité  publique. 

Pourquoi  le  peuple  se  serait-il  soulevé  contre  moi? 

Si  je  ne  possède  plus  votre  confiance ,  si  vos  idées  ont  changé,  il 
n*est  pas  besoin  de  faire  couler  un  sang  précieux  ;  il  suffit  de  déposer 
dans  Tume  un  vote  contraire.  Je  respecterai  toujours  Tarrét  du  peuple. 

Mais,  tant  que  la  nation  n'aura  pas  parlé,  je  ne  reculerai  devant 


378  HISTOIRE 

tion  et  de  résolution ,  il  est  parfaitement  capable  d'ap- 
précier la  garde  nationale  et  après  cela  de  la  con- 
duire. 

Ni  Louis-Napoléon ,  ni  son  gouvernement ,  ni  les 
généraux,  n'oubliaient  qu'il  y  avait  dans  les  hôpitaux 
de  Paris  des  soldats  blessés  dans  l'insurrection.  Plu- 
sieurs fois  déjà,  le  Président  leur  avait  envoyé  ses  aides- 
de-camp,  s'était  enquis,  avec  la  plus  grande  sollicitude, 
de  leur  état,  <le  leurs  besoins.  Le  général  Magnan  alla 
lui-même  les  visiter  dans  la  journée  du  7,  et  d'abord  au 
Val-de-Grâce,  ensuite  à  l'Hôtel-Dieu  et  dans  les  diverses 
ambulances,  sut  leur  parler  ce  langage  qui ,  pour  des 
soldats  français,  est  la  moitié  de  la  guérison.  Le  gé- 
néral en  chef  a  remercié ,  de  la  façon  la  plus  chaleu- 
reuse, les  médecins  qui  ont  donné  des  soins  à  nos 
braves  militaires.  Dans  la  longue  promenade  qu'il  a 
faite  dans  Paris,  il  a  pu  se  convaincre,  par  l'accueil 
qu'il  a  reçu ,  que  la  population  sait  apprécier  les  ser- 
vices éminents  qu'il  a  rendus  au  pays. 

Paris  a  entièrement  repris  son  calme  habituel.  Dans 
les  déparlements,  la  démagogie,  prévenue  par  l'acte  du 
2  décembre ,  ne  peut  faire  que  des  lenlativos  impuis- 
santes. A  mesure  qu'une  des  têtes  de  l'hydre  se  lève,  le 
pouvoir  Técrase.  Le  monstre  qui  menaçait  de  tout 
dévorer  en  1 852 ,  est  frappé  à  mort  ;  c'est  vainement 
qu'il  se  débat,  ses  efforts  ne  sont  plus  que  les  convul- 
sions de  l'agonie.  Cependant,  l'acharnement  de  la  lutte 
montre  ce  qu'elle  aurait  été  si  le  gouvernement  se  fût 
endormi  dans  l'cnathique  imprévoyance  qui  cachait  le 


D'UN  COUP  D'ÉTAT.  379 

danger  aux  yeux  de  la  France  entière.  Grâce  à  son  cou- 
rage,  k  son  dévouement,  il  faut  le  dire,  la  victoire  est 
enfin  certaine.  Désormais,  le  peuple  s'appartient; 
il  ne  subira  ni  les  dictateurs  de  la  fusion,  ni  la  terreur 
de  la  démagogie.  Remis  entre  les  mains  de  sa  propre 
puissance,  il  fera,  librement  et  en  dehors  de  toute  in- 
fluence, acte  de  souveraineté.  Nous  nous  trompons,  il 
subira  une  influence  immense,  irrésistible,  celle  de  la 
reconnaissance  à  laquelle  un  peuple  généreux  ne  sau- 
rait se  soustraire.  Déjà  l'enthousiasme  du  pays  prophé- 
tise les  résultats  du  scrutin  qui  va  s'ouvrir.  Ce  symp- 
tôme de  la  situation  ne  peut  échapper  à  Louis -Napo- 
léon; n'importe,  il  parlera  au  peuple  le  langage  du 
devoir  seulement.  Il  doit  rendre  compte  à  la  France  de 
ses  six  jours  de  dictature,  et  il  le  fait  dans  la  proclama- 
tion suivante,  qui  parut  au  Moniteur  le  matin  du 
8  décembre. 

RÉPUBUQUË  FRANÇAISE. 

PIOCUMATION  DU  PRÉSIDENT  DE  LA  RÉPUBLIQUE  AU  PEUPLE  FRAFIÇAIS. 

Français,  j 

Les  troubles  sont  apaisés.  Quelle  que  soit  la  décision  du  peuple,  la 
société  est  sauvée.  La  première  partie  de  ma  tâche  est  accomplie  ;  l'ap- 
pel à  la  nation,  pour  terminer  les  luttes  des  partit,  ne  faisait,  je  le  ra- 
Tais,  courir  aucun  risque  sérieux  à  la  tranquillité  publique. 

Pourquoi  le  peuple  se  serait-il  soulevé  contre  moi? 

Si  je  ne  possède  plus  votre  confiance ,  si  vos  idées  ont  changé,  il 
n^est  pas  besoin  de  faire  couler  un  sang  précieux  ;  il  suffit  de  déposer 
dans  Turne  un  vote  contraire.  Je  respecterai  toujours  Tarrèt  du  peuple. 

Mais,  tant  que  la  nation  n*aura  pas  parlé,  je  ne  reculerai  devant 


-A 


380  HISTOIRE 

aucun  effort,  deyant  aucun  sacrifice,  pour  déjouer  les  teniâtifet  4éi 
factieux.  Cette  tâche,  d'ailleurs,  m*est  rendue  facile. 

D'un  côté,  Ton  a  vu  combien  il  était  insensé  de  lutter  contre  une 
arfnéc  unie  par  les  liefis  de  la  discipline,  aniniée  pa^  lé  sentiment  dé 
rhoiineûr  militaire  et  par  le  dévouemenià  la  patrie. 

D'un  autre  côté^  l'attitude  calme  des  habitants  de  Paris,  U  répro- 
bation dont  ils  flétrissaient  l'émeute,  ont  témoigné  assez  hautement 
pour  qui  se  prononçait  la  capitale. 

Dans  ces  quartiers  populeux,  où  naguère  rinsnnrcM^tioii  se  i^ecnilAk 
si  vite  parmi  des  ouvriers  dociles  à  ses  entraînements,  ranarchie,  éetle 
fois,  n'a  pu  rencontrer  qu'une  répugnance  profonde  pour  ses  détes- 
tables excitations.  Grâces  en- soient  rendues  à  l'intelligente  et  patrio- 
tique population  de  Paris!  Qu'elle  se  persuade  de  plus  en  pins  qïk 
mon  unique  ambition  est  d'assurer  le  repos  et  la  prospérité  de  h 
France. 

Qu'elle  continue  à  prêter  son  concours  à  l'autorité,  et  bientôt  te 
pays  pourra  accomplir,  dans  le  calme,  l'acte  soleiinel  qui  doit  inaii- 
gurer  une  ère  nouvelle  pour  la  République. 

Fait  au  palais  de  TÉlyséé;  le  8  décembre  1851. 

Louis-Napoléon  BOHArâaTC. 

Ainsi,  ce  n'est  point  un  maître  qui  parle,  ce  n'est 
point  un  ambitieux  vulgaire  que  la  victoire  et  le  succès 
puissent  aveugler.  Il  voulait  deux  choses  :  d'abord  sau- 
ver la  société  ;  ensuite  s'en  remettre  au  jugement  du 
peuple.  Alors  pourquoi  se  soulever?  pourquoi  combat- 
tre? pourquoi  du  sang?  Quand  une  natioti  à  le  scnitÎD, 
pourquoi  recourir  au  fusil  ?  Tout  ce  qui  est  honnête  a 
du  reste  compris  cette  situation,  et  ce  n'est  pas  le  moin- 
dre orgueil  que  puisse  avoir  la  France,  de  songer  qu'il 
n'y  a  eu  dans  les  rangs  de  l'insurrection  que  ce  qu'à  tous 
les  titres  un  pays  doit  être  fier  de  désavouer,  empressé 
de  repousser. 


•  1 

't 


D'UN  COUP  D'ÉTAT.  381 

Depuis  longtemps,  la  France,  Paris  surtout,  dési* 
raient  ardemment  qu'on  les  délivrât  des  forçats  libérés, 
des  repris  de  justice  en  rupture  de  ban,  de  cette  armée 
du  crime  qui  entre  dans  les  prisons  pour  l'avoir  coow 
mis,  qui  en  sort  pour  le  commettre.  C'est  presque  fatal, 
le  criminel  ne  redevient  que  bien  rarement  honnête 
homme.  Si  cela  tient  souvent  à  la  perversité  des  con-« 
damnés,  il  faut  en  convenir,  les  vices  de  notre  législa-^ 
tion  n'y  sont  pas  étrangers.  Les  humanitaires  auront 
beau  dire  que  quand  uû  homnàe  a  subi  sa  peine,  il  est 
réhabilité,  que  la  peine  est  un  baptême  ;  leurs  raison»^ 
nements  ne  prouveront  rien  en  pratique.  Jamais  ils  ne 
feront  que  le  préjugé  social  tombe  devant  un  condamné. 
Eux-mêmes,  donneront^ils  du  travail  à  un  forçat  libéré? 
Tadmettront-ils  chez  eux,  à  leur  table,  dans  leur  inti- 
mité? et  qu'on  ne  dise  pas  que  nous  allons  trop  loin. 
11  faut  cela.  Car  quelque  part  qu'on  pose  à  cet  homme 
une  limite,  ce  sera  toujours  celle  de  sa  réprobation.  Il 
y  lira  le  mot  :  paria;  et  forcément  il  se  rejettera  en  ar- 
rière, froissé,  humilié,  désespéré,  criminel;  caria  porte 
de  la  société  honnête  fermée,  il  faudra  qu'il  rentre  dans 
la  société  coupable ,  dans  l'antre  des  voleurs  ou  au  bagne. 
Où  vdulcz-vous  qu'il  aille?  Quelque  part  qu'il  soit, 
n'est-il  pas  sous  la  surveillance,  cet  ostracisme  néces- 
saire, nous  en  convenons,  qui  circonscrit  son  existence 
dans  l'espace  de  quelques  kilomètres  carrés?  N'est-il 
paseti  évidence  comme  l'ancien  criminel  ?  On  dit:  «  c'est 
ie  forçat.  »  On  fait  la  solitude  autour  de  lui  ;  sMl  y  a  un 
crime  commis,  ce  doit  être  lui  le  coupable.  Non,  la  vie 


3B2  fflSTOlRE 

honnête  n*est  presque  pas  possible  pour  ces  hommes. 
II  fallait  donc  faire  à  ces  malheureux,  dans  leur  intérêt 
comme  dans  celui  de  la  société ,  un  lieu  où  ils  pussent 
yivre.  Depuis  longtemps,  TÂngleterre  nous  avait  donné 
cet  exemple.  Depuis  longtemps,  tout  le  monde  qui 
pense  indiquait  la  plaie.  Nous-mème  Tarions  fait  dans 
notre  livre  des  Passions.  11  était  nécessaire  que  la  so- 
ciété eût  un  émontoire,  un  lieu  de  déportation.  Le  dé- 
cret, qui  pourvoit  à  cette  lacune  de  la  législation  fran- 
çaise, est  un  acte  de  haute  humanité,  en  même  temps 
qu'un  acte  de  sûreté  générale.  Vainement  en  sentait- 
on  la  nécessité.  Le  gouvernement  parlementaire  nous 
Teût  fait  attendre  peut-être  un  demi-siècle  encore.  Le 
Monite:.r  du  9  décembre  1851  le  publie  : 

RÉPUBLIQUE   FRANÇAISE. 

AU  NOM  DU  PEUPLE  FRANÇAIS. 

Le  Président  de  la  République , 

Sur  la  proposition  du  ministre  de  Tintérieur, 

Considérant  que  la  France  a  besoin  d'ordre,  de  travail  et  de  sécu- 
rité; que,  depuis  un  trop  grand  nombre  d'années,  la  société  est  pro- 
fondément inquiétée  et  troublée  par  les  machinations  de  ranarchie, 
ainsi  que  par  les  tentatives  insurrectionnelles  des  affiliés  aux  sociétés 
secrètes  et  repris  de  justice,  toujours  prêts  à  devenir  des  insiruinents 
de  désordre  ; 

Considérant  que,  par  ses  constantes  habitudes  de  révolte  contre  les 
lois,  cette  classe  d'hommes,  non-seulement  compromet  la  tranquillité, 
le  travail  et  Tordre  public,  mais  encore  autorise  d'injustes  attaques  et 
de  déplorables  calomnies  contre  la  saine  population  ouvrière  de  Paris 
Cl  de  Lyon  ; 

Considérant  que  la  législation  actuelle  est  insuffisante,  et  qu^il  est 


J^;' 


D'UN  COUP  D'ÉTAT.  383 

nécessaire  d'y  apporter  des  modifications,  tout  en  conciliant  les  de- 
voirs de  rhumanité  avec  les  intérêts  de  la  sécurité  générale. 

Décrète  : 

Art.  4*'.  Tout  individu  placé  sous  la  surveillance  de  la  haute  police^ 
qui  sera  reconnu  coupable  du  délit  de  rupture  de  ban,  pourra  être 
transporté,  par  mesure  de  sûreté  générale,  dans  une  colonie  péniten- 
tiaire, à  Cayenne  ou  en  Algérie.  La  durée  de  la  tranq|K)rtalion  sera  de 
cinq  années  au  moins  et  de  dix  ans  au  plus. 

Art.  2.  La  même  mesure  sera  appliôable  aux  individus  reconnus 
coupables  d'avoir  fait  partie  d'une  société  secrète. 

Art.  3.  L'effet  du  renvoi  sous  la  surveillance  de  la  haute  po- 
lice sera,  à  l'avenir,  de  donner  au  gouvernement  le  droit  de  détermi- 
ner le  lieu  dans  lequel  le  condamné  devra  résider  après  qu'il  aura 
subi  sa  peine. 

L'administration  déterminera  les  formalités  propres  à  constater  la 
présence  continue  du  condamné  dans  le  lieu  de  sa  résidence. 

Art.  4.  Le  séjour  de  Paris  et  celui  de  la  banlieue  de  cette  ville  sont 
interdits  à  tous  les  individus  placés  sous  la  surveillance  de  la  haute 
police. 

Art.  5.  Les  individus  désignés  par  l'article  précédent  seront  tenus 
de  quitter  Paris  et  sa  banlieue  dans  le  délai  de  dix  jours,  à  partir  de 
la  promulgation  du  présent  décret,  à  moins  qu'ils  n'aient  obtenu  un 
permis  de  séjour  de  l'administration;  il  sera  délivré  à  ceux  qui  la  de- 
manderont une  feuille  de  route  et  de  secours  qui  réglera  leur  itiné- 
raire jusqu'à  leur  domicile  d'origine ,  ou  jusqu'au  lieu  qu'ils  auront 
désigné. 

Art.  6.  En  cas  de  contravention  aux  dispositions  prescrites  par  les 
art.  4  et  5  du  présent  décret,  les  contrevenants  pourront  être  trans- 
portés ,  par  mesure  de  sûreté  générale ,  dans  une  colonie  péniten- 
tiaire, à  Cayenne  ou  en  Algérie. 

Art.  7.  Les  individus  transportés  en  vertu  du  présent  décret  seront 
assujettis  au  travail  par  l'établissement  pénitentiaire  ;  ils  seront  privés 
de  leurs  droits  civils  et  politiques;  ils  seront  soumis  à  la  juridiction 
militaire  ;  les  lois  militaires  leur  seront  applicables.  Toutefois,  en  cas 
d'évasion  de  l'établissement,  les  transportés  seront  condamnés  à  un 
emprisonnement  qui  ne  pourra  excéder  le  temps  pendant  lequel  ils 
auront  encore  à  subir  la  transportation.  Ils  seront  soumis  à  la  disci- 


384  HISTOIRE 

pline  et  à  la  subordination  militaires  envers  leurs  chefs  et  surteil- 
lants  civils  ou  militaires  pendant  la  durée  de  remprisonnement. 

Art.  8.  Des  règlements  du  pouvoir  exécutif  détermineront  l'oiigt- 
nisation  de  ces  colonies  pénitentiaires. 

Art.  9.  Les  ministres  de  Tinlérieur  et  de  la  ^eerre  sout  cbargéi, 
chacun  en  os  qui  le  concerné,  de  rexéciiti<»i  du  présent  décret 

Fait  à  Paris^  à  TÉlysée-National,  le  conseil  des  ministree  enteiiA^ 
le  8  décembre  1851. 

Lodis-Napoléon  Borapamc. 

Lb  ministre  de  Vintérieur^ 

De  MoRinr. 

Ce  décret,  en  ce  qui  concerne  les  repris  d^  justice, 
remédie  au  mal  du  moment  ;  mais  nous  le  désirerion 
encore  plus  sévère.  Qu'on  ne  se  trompe  pas  sur  la  por- 
tée et  sur  le  sens  de  nos  paroles.  Nous  allons  las  e^iU<^ 
quer.  L'article  1'%  faisant  à  la  transportation  Tapplioi- 
tion  des  dispositions  légales  de  notre  Gode  en  ce  qui 
concerne  le  bannissement,  dit  :  «  La  durée  de  la  traos- 
portation  sera  de  cinq  ans  au  moins,  et  de  dix  ans  au 
plus.  »  Nous  sommes  convaincu  que  c*est  une  pensée 
de  clémence  qui  l'a  dicté. 

Nous  le  croyons  insuffisant.  En  effet,  si  le  con- 
damné, soumis  à  la  déportation,  a  l'espoir  du  retour,  il 
ne  colonisera  pas,  il  ne  se  fera  pas  une  nouvelle  patrie; 
SCS  désirs,  ses  vœux  iront  vers  la  France;  il  sera  un 
mauvais  colon,  peut-être  un  mauvais  sujet,  parce  qu'il 
ne  prendra  pas  racine  sur  la  terre  du  bannissement. 
Puis,  quand  il  reviendra,  il  sera  exactement  dans  la 
même  position  vis-à-vis  des  préjugés  qu'avant  le  dé- 
part, et,  de  plus,  il  aura  vieilli,  il  n'aura  plus  d'aptî- 


D'UN  COUP  D^AT.  385 

«taies;  il  «se  irouveraau  milieu  d'une  société  qui  aura 
aardhé,  progressé;  n'étant  apte  à  rien  de  bien,  il  sera 
wipable  de  tout  mal.  Pourquoi  les  résultats  sont-ils  si 
magnifiques  à  Botany-*Bey7  Parce  que  la  déportation 
^est  défiaitifre.  La  sévérité  que  nous  Toulons,  c'est  de 
rhumanité. 

le  décret  laisse  la  transportation  facultative  à  la 
îdisposition  de  l'administration.  On  sent  la  pensée  vrai- 
-ment  humaine  et  généreuse  qui  a  dicté  cette  disposi- 
tion en  faveur  de  certaines  exceptions. 

L^article  2  du  décret  soumet  à  la  même  mesure  ceux 
•qui  auront  iait  partie  des  sociétés  secrètes  :  c'est  de  la 
-^tèrité;  maïs  c'est  de  la  justice.  La  société  secrète, 
c^eat  contre  la  société  ce  qu'est  le  guet*iipens  contre 
findiYidu  :  c'est  la  préméditation  de  Tassassinat  de 
.Fordre  loeial  établi  ;  ce  n'est  pas  seulement  l'hostilité 
montre  les  igouvemements,  c'est  la  guerre  lâche  et  sou- 
Rumine  comme  eelleque  font  les  voleurs  et  les  assassins. 
'jLet membres  des  sociétés  secrètes  ne  sont  plus  des  ci- 
4ioyens,  parce  qu'ils  se  sont  mis  en  dehors  de  la  société  ; 
•ibw>sent>mis  au-^delà  de  la  liberté ,  qui ,  en  conférant 
le  droit,  prescrit  le  devoir  ;  ils  ont  choisi  la  licence,  qui 
-é^temu.'qiil  (brave,  ou  qui  viole  la  loi.  Pour  quiconque 
-Mit  isaîtiBnMnt  et  froidement  les  choses,  cet  article  est 
>toiH  aîqpleinent  l^pptication,  (aite  au  membre  des  so- 
HSÎététfacciAte^de  la  loi  qu'il  prétend  appliquer  à  la 
>ioéiétè«iitièfse.  U  a  m»  la  société  hors  du  droit;  la  so- 
»oiétè>kii  rend  la  pareille. 

i  ce  décret  {)ennet  à  l'autorité  de  débarrasser 


386  HISTOIRE 

Paris  et  la  France  de  ces  misérables  qui  volent  et  assas- 
sinent, et  de  ces  forcenés  qui  font  les  conspirations, 
les  émeutes  et  les  barricades  ;  il  met  les  honnêtes  geni 
à  l'abri  du  poignard,  et  la  société  à  Tabri  des  pavés  et 
des  coups  de  fusil  ;  car,  ainsi  que  nous  Tavons  dit  dans 
les  chapitres  précédents,  c'est  là  cette  affreuse  populace 
qui  se  prétend  le  peuple,  qui  proclame  Tinsurrection 
un  droit,  un  devoir,  et  qui  est  toujours  prête  à  la  faire 
au  profit  de  quiconque  lui  promet  le  pillage,  de  qui* 
conque  la  grise  ou  la  paie. 

C'est  bien  triste  à  dire.  Il  ne  fallait  qu'Ater  de  France 
quelques  milliers  de  bandits,  de  vauriens,  qui  étaient  le 
levain  de  toutes  les  fermentations  impures,  le  point  de 
départ  de  tous  les  attentats  contre  la  société,  et  on  ne 
l'osait  pas  ;  disons  le  mot,  on  ne  le  voulait  pas.  Sous  le 
système  parlementaire,  tout,  jusqu'à  cette  lèpre  sociale, 
s'abritait  sous  quelque  cornière  de  la  tribune.  Si  un 
gouvernement  eût  proposé  celte  loi  de  salut,  nul  doute 
que  quelque  orateur  se  fût  trouvé  pour  la  combattre 
et  pour  revendiquer  l'honneur  d'a\oir  conspiré  lui- 
même  toute  sa  vie  dans  le  sein  des  sociétés  secrètes. 
Où  allions-nous,  grand  Dieu  ! 

Nous  avons  à  revenir  ici  sur  M.  de  Maupas.  Cet  ad- 
ministrateur a  fait  de  ce  décret  une  admirable  appli- 
cation. Il  a  purgé  Paris  de  brigands,  de  forçats  et  de 
meneurs  de  sociétés  secrètes,  avec  une  vigueur,  une 
promptitude,  une  habileté,  vraiment  surprenantes.  M.  de 
Maupas,  dans  le  poste  plus  éminent  encore  oii  vient  de 
l'appeler  la  confiance  du  prince,  rendra  d'immenses 


DTK  COUP  D'ÉTAT.  387 

services,  non  plus  à  Paris  seulement ,  mais  à  la  France 
entière. 

Ccst  ici  le  lieu  de  dire  qu'entrant  dans  la  pensée  de 
Louis-Napoléon  9  M.  de  Maupas  a  fait  disparaître ,  de 
partout  où  on  le^  vendait ,  exhibait  et  colportait ,  les 
livres,  gravures  et  autres  objets  immoraux  ou  indécents 
qui  offensaient  la  pudeur  et  la  moralité  publiques. 

Déjà  plusieurs  jours  se  sont  écoulés  depuis  que  la 
démagogie  et  les  conspirateurs  ont  livré  à  Tordre  leurs 
combats  impies.  Les  militaires  blessés  souffrent  dans 
plusieurs  hôpitaux.  Le  matin  du  9  décembre,  Tun  d'eux, 
à  l'hôpital  militaire  du  Gros-Caillou ,  disait  à  Taumô- 
nier  :  «  Je  sens  bien  que  je  vais  mourir,  je  n'ai  qu'un 
regret,  je  désirerais    voir  Napoléon   auparavant.  — 
Vous  le  verrez,  mon  ami,  »  dit  le  digne  prêtre.  Était-ce 
pressentiment,  ou  bien  était-ce  une  promesse  faite  har- 
diment au  nom  du  cœur  du  prince?  Nous  croyons  la 
dernière  supposition  ;  car,  quelques  instants  après ,  le 
neveu  de  l'empereur  était  là,  visitant  le  pauvre  malade 
et  le  décorant  sur  son  lit.  L'un  des  deux,  le  blessé, 
pleurait;  l'autre,  le  prince,  retenait  des  larmes  qui 
roulaient  dans  ses  yeux,  mais  qu'on  voyait.  Pleurez, 
pleurez,  prince,  nous  vous  souhaitons  beaucoup  de  ces 
larmes-là  ,  ailleurs  qu'au  lit  de  nouveaux  blessés  toute- 
fois, mais  auprès  d'hommes  dont  le  dévouement  au 
devoir  aura  touché  votre  cœur.  Avant  de  quitter  le 
Gros-Caillou,  le  prince  avait  visité,  consolé  tous  les 
blessés,  et  distribué  dix  croix.  L'un  de  ces  braves, 
amputé  du  bras,  en  recevant  la  sienne,  lui  disait: 


I 

i 


388  BISTOIRB 

«  J'en  ai  encore  un  à  votre  service..  »  JUe  {eiulemaîn  10, 
le  prince  a  continué  sa  visite,  dans  les  hôpitaux  cîvik, 
aux  blessés  qu'on  y  avait  déposés. 

Le  8 ,  un  décret  mettait  en  état  de  siège  .l'Hérault  et 
le  Gard.  La  même  mesure  était  appliquée  aux  Basses^ 
Alpes  par  décret  du  9,  paraissant  le  1 0  au  Moniiewr. 
Le  même  jour,  le  prince  rendait  son  décret  coacernaDt 
le  chemin  de  fer  d'Avignon.  L'Assemblée  avait  mis  trois 
ans  à  élaborer  cette  loi ,  qu'avec  elle  on  aurait  peut- 
être  attendue  deux  années  encore. 

Le  même  jour,  étaient  instituées  les  commissions 
militaires  pour  connaître  des  faits  relatifs  à  Tinsur- 
rection. 

AU  NOM  DU  PEUPLE  FRANÇAIS. 

Le  Président  de  la  République, 

Vu  le  décret  du  2  décembre  i85i ,  qui  déclare  la  i'*  division  en  élat 
de  siège , 
Décrète  : 

Art.  4".  La  connaissance  de  tous  les  faits  se  rattachant  à  Finsur- 
rection  des  3  décembre  et  jours  suivants  dans  les  départenaents  com- 
posant la  1"  division  militaire,  et  le  jugement  des  individus  poursui- 
vis à  raison  de  ces  faits,  sont  déférés  à  la  juridiction  militaire. 

Art.  2.  Pour  faciliter  les  opérations  de  instruction ,  il  est  institué, 
sous  la  direction  du  général  Bertrand,  chargé  du  service  de  Tinfante- 
rie  et  du  recrutement  au  ministère  de  la  guerre,  quatre  commissions 
militaires  composées  chacune  de  trois  membres,  dont  un  officier  su- 
périeur, président. 

Les  membres  de  ces  commissions  seront  nommés  par  arrêté  du 
ministre  de  la  guerre. 

Art.  3.  Les  commissions  militaires  ainsi  instituées  procéderont,  soil 
par  leurs  membres,  soit  par  voie  de  commissions  rogatoires ,  à  tous 
les  actes  d'informations  nécessaires  ;  elles  apprécieront  les  charges 


v"^ 


tnjR  COUP  D*ÉTAT.  899 

fléBoUadt  des  procédures  ;  elles  statuerout^  soit  sur  le  reuToi  des  in- 
culpés devant  les  conseils  de  guerre  de  la  4'*  diTision,  soit  sor  la  mise 
»ta  liberté^  s'il  y  a  lieu. 

Art  4.  Ltl:;coiiHBi8Bi<Mi6  nilitaîres  d*instruction,  organisées  par  le 
présent  àiCÊÊÊ^  pe  réuniront  au  Palais  de  Justice  sur  la  conTocation 
du  général  Benrtrand. 

Le  ministre  de  la  guerre  et  le  garde  des  sceaux  sont  chargés,  cha- 
cun en  ce  qui  les  concerne,  de  Texécution  du  présent  décret 

fait  à  FÉlysée-liational,  le  9  décembre  1864. 

Loms-^NAPOLÉON  Bonaparte. 

L$  ministre  de  la  guêtre^ 

A.  DE  SAmr-AimAUD. 

Les  départements  du  Var,  du  Gers  y  du  Lot  et  de  Lot- 
«t-Oaronne,  étaient  mis  en  état  de  siège,  par  déeret 
publié  yie  10 ,  au  Moniteur ^  comme  ayant  pris  part  aux 
troubles  insurrectionnels.  Le  1,2,  le  Moniteur  promul- 
guait deux  décrets  nommant  maréchaux  de  France  les 
«généraux  de  division  Harispe  et  Vaillant.  Sin^gulières 
vicissitudes!  Pendant  que  Louis-Napoléon  conrère  au 
^néral  Vaillant  la  récompense  de  glorieux  services,  le 
général  Oudinot  prend  le  chemin  de  Texil.  Le  même 
Jour  paraissait  le  décret  suivant,  concernant  la  commis- 
sion consultative  et  déterminant  quelques-unes  de  ses 
attributions. 

RÉPUBLIQUE  FRANÇAISE. 

AD  NOM  DU  PEUPLE  FEANÇAIS. 

Le  Président  de  la  République , 
Sur  le  rapport  du  garde  des  sceaux,  ministre  de  la  justice. 

Décrète: 
Art.  1*'.  La  commission  consultative,  instituée  par  le  décret  du  3  dé- 
cembre courant,  est  chargée  du  recensement  général  des  Totes  eipri- 

25 


390  HISTOIRE 

mes  par  le  peuple  français  dans  les  scrutins  des  20  et  21  déoembR 
procbaîn. 

En  conséquence,  tous  les  procès-verbaux  de  recensement  dreaiés 
par  les  commissions  départementales,  instituées  en  j0$xï  de  Fart  I 
du  décret  du  2  décembre,  lui  seront  transmis  par  le  fllMgtre  de  l'in- 
térieur. 

Le  résultat  sera  promulgué  par  le  pouvoir  exécutif. 

Art.  2.  La  commission  consultative  est  appelée  à  donner  son  m 
sur  les  projets  de  décrets  en  matière  législative  qui  lui  tiioal  sooiiiii 
par  le  Président  de  la  République. 

Art.  3.  Elle  remplira  en  outre  les  fonctions  déférées  au  conseil 
d*Etat  par  Part.  i2  de  la  loi  du  19  juillet  1845,  sauf  les  matières  do 
contentieux  administratif,  au  jugement  desquelles  il  sera  pourvu  par 
un  décret  ultérieur. 

Art.  4.  La  commission  sera  présidée  par  le  Président  de  la  Répu- 
blique, et,  en  son  absence,  par  M.  Baroche,  nommé  vice-président 

Art.  5.  Un  décret  du  pouvoir  exécutif  divisera  la  commission  con- 
sultative en  sections  pour  Vexamen  des  affaires  qui  lui  seront  sou- 
mises. 

Art.  6.  Les  maîtres  des  requêtes  et  auditeurs  attachés  à  Fancien 
conseil  d*Etat  pourront  être  appelés  à  remplir,  auprès  de  la  commis- 
sion consultative,  les  fonctions  qu'ils  exerçaient  auprès  du  conseil. 

Art.  7.  Le  garde  des  sceaux,  ministre  de  la  justice,  est  chargé  de 
l'exécution  du  présent  décret. 

Fait  à  TElyséc-National,  le  conseil  des  ministres  entendu,  le  11  dé- 
cembre 1851. 

Louis-Napoléon  Bonaparte. 

Le  garde  des  sceaux^  minisUn  de  la  juitioe, 

E.  ROUHER. 

Dans  l' intérêt  de  la  classe  owrière,  si  longtemps 
privée  de  travaux,  le  Président  décrétait  aussi  la  cons- 
truction d'un  chemin  de  fer  de  ceinture,  destiné  à  re- 
lier, en  dedans  des  fortifications,  les  différentes  gares 
des  lignes  qui  partent  de  Paris.  En  même  temps  <pie 


Vm  COUP  D*£TAT.  391 

rétablissement  de  ce  chemin  de  fer,  qui  doit  donner 
pour  6  millions  de  travaux^  est  décrété,  400,000  fr. 
80nt  mis  A  la  disposition  du  ministre  des  travaux  pu- 
blics pê|g^  j|ontinuer  la  construction  du  ministère 
des  affaires  étrangères.  Le  lendemain ,  un  crédit  de 
2,100,000  fr.  était  ouvert  sur  Texercice  de  1852  pour 
la  continuation  des  travaux  du  Louvre  et  des  Tuileries. 
liC  même  jour  paraissait  un  décret  retirant  aux  com- 
missaires extraordinaires  les  pouvoirs  qui  leur  avaient 
été  conférés.  Nous  donnons  ce  décret  et  la  lettre  adressée 
aux  commissaires  par  le  ministre  de  l'intérieur  en 
exécution  de  ce  décret  : 


AU  NOM  DU  PEUPLE  FRANÇAIS. 

Le  Président  de  ht  République, 

Sur  là  proposition  du  ministre  de  T intérieur, 
Décrète  : 

Art.  1*'.  Cessera,  à  partir  de  ce  jour,  la  mission  eitraordinaire 
eonfiée; 

A  M.  Maurice  Du?al,  dans  les  départements  des  Côtes-du-Nord,  du 
Finistère,  d'Ule-et-YîIaine,  de  Maine-et-Loire,  de  la  Mayenne,  du 
Morbihan,  de  la  Loii»4iittrieiire,  de  la  Vendée  ; 

A  M.  Carlier,  dans  les  départements  de  TAllier,  du  Cher,  de  la  NièTre 
et  de  TYonne  ; 

Et  à  M.  Bérard,  dans  le  département  de  la  Somme. 

Art.  2.  Le  ministre  de  Holérieur  est  chargé  de  Texécution  du  pré 
ient  décret. 

Fait  à  FElysée-National,  le  1 3  décembre  1 85i . 

Louis-Napoléon  Bonapaite. 

Le  ministn  de  rfntéri0%ir^ 

DiMoailT. 


392  HISTOIRE 

Paris,  13  décembre  1891. 

Monsieur  le  commissaire  extraordinaire. 

Dès  le  début  de  la  crise  que  nous  venons  de  traTener,  le  goum- 
it^tHétit  n  jugé,  à  la  Conduite  du  parti  sochAîste,  qu»,  sUfprîs  avant 
Péohéiuioeide  :1852«  il  «ttait  user  de  ses  dwmiètM  resscaioes  et  tenter 
un  effort  désespéré.  Les  cocrespondanoes  %s^^édkè^  de  Parift,  les  émis* 
saires  envoyés  dans  toutes  les  directions,  les  motsd^ordre  transmis  avec 
rapidité  et  précision,  les  preuves  d'une  organisation  souterraine  for- 
midtibte,  IkiQt  a<l6inotttré  qne  les  projM  sinistres,  dont  la  société  au- 
raitptt  être  victime  six  mois  plus  tard,  «lluent  èckiterBiir  une  graïAB 
échelle.  Cest  afin  detparer  à  ces  graves  éventoalités  et  d*imprimcr<ui 
mouvement  rapide  à  la  répression,  que  le  gouvernement  a  eu  recours 
à  'votre  pauidtlimic,  en  vous  ébargeant  de  diriger  Faction  de  Faoto- 
rité  avec  ensemble  sur  les  points  où  les  honnêtes  gens  parataaîentle 
plus  menacés. 

Le  plan  des  anarchistes  a  été  déjoué  dans  la  capitale  par  la  bravoure 
de  Tarmée  et  par  le  mépris  des  bons  ouvriers  qui  ont  été  si  souvent 
la  dupe  de  ces  faux  frères  :  partout  l'autorité  a  repris  son  empire,  et 
il  devient  inutile  de  conserver  en  France  rien  qui  puisse  avoir  un 
caractère  révolutionnaire.  Gela  n'empêchera  pas  le  gouTememiot 
d*accomplir  résolument  ce  qui  est  nécessaire  pour  le  bien  et  contre  le 
mal. 

Ces  considérations  ont  engagé  M.  le  Président  de  la  République  à 
faire  cesser  la  mission  extraordinaire  que  vous  avez  bien  voulu  accep- 
ter. Veuillez  donc,  au  reçu  de  cette  lettre,  considérer  .votre  aumdat 
comme  expiré,  et  venir  à  Paris  me  rendre  compte  de  ses  résultats,  ea 
me  mettant  à  même  d'apprécier  les  dispositions  des  populations  que 
vous  avez  visitées. 

Veuillez  agréer,  monsieur  le  commissaire  extraordinaire,  Tasso- 
rance  de  ma  considération  la  plus  distinguée. 

Le  minUtre  de  antérieur^ 

DaMoainr. 

Puis  vient  la  constitution  définitive  de  la  commi»* 
sien  consultative  9  ainsi  composée  par  décret  du  13. 


D*UN  COUP  ITÉTAT.  393 

fièfày  plus  haut  nous  avons  donné  la  liste  d'une  commis- 
sion consultative  y  mais  nous  avions  indiqué  qu'elle 
n'était  que  provisoire. 

RÉPUBLIQUE  FRANÇAISE. 

AU  mm  VB  PEUPLE  FRANÇAIS. 

Le  Président  de  la  RépubKque, 

Sur  la  proposition  du  garde  des  soeaui,  ministre  de  la  justice, 
nécrèto; 

ArCicU  l*^  La  commission  consultative  est  définitivement  compo- 
sée aînsî  qii*il  suit  : 

MM.  Abbatucci,  ancien  conseiller  à  la  cour  de  cassation  (Loiret).  —  Le 
général  Achard  (Moselle). — Ernest  André  (Seine).  —  André  (Charente)» 
— D*Argoot,  gouverneur  de  la  Banque  de  France,  ancien  ministre. —  Le 
général  Arrigbi  de  Padoue  (Corse) . — D^Audiffret ,  président  à  la  Cour  des 
coaiples.  —  Le  général  de  Bar  (Seine).» Le  général  Baraguey-d'Hilliers 
(Doabey. — Barbaroux,  ancien  procureur  général  (Réunion). — Baroche, 
«■den  ministpe  de  l'intérieur  et  des  affaires  étrangères,  vice-président 
de  la  coaunisBion  (Charente-Inférieure).  — Ferdinand  Barrot,  ancien 
■linistre  (Seine).  —  Barthe^  ancien  ministre,  premier  président  de  la 
QNir  des  comptes.  —  Bataille  (Haute-Vienne).  »  Êvanste  Bavoux 
^Saîn^-et-Mame).  —  De  Beaumont  (Somme).  —  Bérard  (Lot-et-Ga- 
fMse).  —  Berger,  préfet  de  la  Seine  (Puy-de-DAme).  —  Bertrand 
OTomie).  —  Bidault  (Cher).  -*  Bigrel  (CAtes-du-Nord).  —  Billault 
avocat»  —  Bineauu  ancien  ministre  (Maine-etr Loire).  —  Boinvilliers 
ancien  bâtonnier  dea  avocats  (Seine).  —  Bonjean,  avocat  général  à  la 
OQur  de  cassation  (Drôme).  -^  Boulatignier.  —  Bourbousson  (Vau- 
cUlse).  —  Bréhier  (Manche).  —  Hubert  de  Cambacérès.  —  De  Camla- 
oérès  (Aisne).  — Carlier,  ancien  préfet  de  police.  —  De  Casablanca,  an- 
ckn  nûaistre  (Corse).  —  Le  général  Castellane,  commandant  supérieur 
4L9«iL-^De  Canlaincourt  (Calvadue).  —  Vice-amiral  Cécille  (Seine- 
ire.  —  Chadenet  (Meuse).  —  Charlemagne  (hndre^).  —  Cha;»- 
roa  (Puy-de-Dtoe).  —  Le  général  de  Chasseloup-Laubat 
lore).  —  Prosper  de  Chasseloup-Laubat  (Charcnte-lnfé- 


394  HISTOIRE 

rieure).  —  Chaix-d*Est-Ange,  aYOcat  à  Paris  (Marne).  —  De  Cbaielto, 
maire  de  Clermout-Ferrand  (Puy-de-DAme).  —  Collas  (Gironde).  — 
De  Grouseilhes,  ancien  conseiller  à  la  coar  de  cassation,  ancien  mi- 
nistre (Basses-Pyrénées).  —  Curial  (Orne).  —  De  Cuverville  (Cdtes- 
di]-Nord).  —  Dabeaux  (Haute-Garonne).  —  Dariste  (Baflaes-Pyrénées). 
«-  Daviel,  ancien  ministre.  —  De  Lacoste,  ancien  commissaire  géné- 
ral du  Rhône.  —  Delajus  (Charente-Inférieure),  «r^  Delavau  (Indre). 

—  Deltheil  (Lot).  —  Denjoy  (Gironde)»  —  Desjdiert  (Seine-Infé- 
rieure). —  Desmaroux  (Allier).  ^  Drouyn  deLhuTO;^ine-et-llame), 
ancien  ministre.  — Théodore  Ducos  (Seine),  miiaatrede  Ut  marineet 
des  colonies.  —  Dumas,  de  Tlnstitut  (Nord),  ancien  ministre.  — 
Charles  Dupin,  de  l'Institut  (Seine-Inférieure).  —  Le  général  Dor- 
rieu  (  Landes  ).  —  Maurice  Duval,  ancien  préfet.  —  Eschassérianx 
(Charente-Inférieure).  — -  Le  maréchal  Excelmans,  grand  chancelier 
de  la  Légion  d'honneur.  —  Ferdinand  Fayre  (Loire-Inférieure);  — 
Le  général  de  Flahaut,  ancien  ambassadeur.  —  Fortoul,  niinistre  de 
rinstruction  publique  (Basses-Alpes).  —  Achille  Fould ,  ministre  des 
finances  (Seine).  »  De  Fourment  (Somme).  —  Fouquier-d'Héroaêi 
(Aisne).  —  Frémy  (Yonne).  —  Furtado  (Seine).  —  Gasc  (Haute-Ga- 
ronne). -^  Gaslonde  (Manche).  —  De  Gasparin,  ancien  ministre.  — 
Ernest  de  Girardin  (Charente).  —  Augustin  Giraud  (Maine-et-Loir^. 

—  Charles  Giraud,  de  l'Institut,  membre  du  conseil  de  rinstruGtkn 
publique,  ancien  ministre.  —  Godelle  (Aisne).  —  Goulhot  de  Saint- 
Germain  (Manche).  —  Le  général  de  Grammont  (Loire).  —  De  Gram- 
mont  (Haute-Saône).  —  De  Greslan  (Réunion).  —  Le  général  deGron- 
chy  (Gironde).  —  Hallez-Claparède  (Bas-Rhin).  —Le  général  d'Haol- 
poul,  ancien  ministre  (Aude).  —  Hébert  (Aisne).  —  De  Heeckeren 
(Haut-Rhin).  --  D'Hérambault  (Pas-de-Calais). — Hermann.  — Heur- 
tier  (Loire).  —  Le  général  Husson  (Aube).  —  Janvier  (Tam-et-Ga- 
ronne).  —  Lacaze  (Hautes-Pyrénées).  —  Lacrosse,  ancien  ministre 
(Finistère).  —  Ladoucette  (Moselle).  —  Frédéric  de  Lagrange  (Gers). 

—  De  Lagrange  (Gironde).  —  Le  général  de  La  Hitte,  ancien  minis- 
tre. —  Delangle,  ancien  procureur  général.  —  Lanquetin,  président 
de  la  commission  municipale.  —  De  Lariboissière  (Ille-et-Yilaine).  — 
Le  général  Lawœstine. —  Lebeuf  (Seine-et-Marne).  —  Le  général  L^ 
breton  (Eure-et-Loire). —Lecomte  (Yonne).  —  Leconte  (Côtes-do* 
Nord).  -  Lefebvre-Duruflé,  ministre  du  commerce  (Eure).  —  Léinl 


Om  OOCP  bTT  AT.  3IS 

—  Lfirog  (XiBckeK  —  Lenercier  îdanKite^.  — 

^K — Lfvcrrier  fllantke>. —  LeziT  de  MameÂa  •Lmt» 
—  Legôiênl  Xignui,  fOMiiwlintea  dwf  de  Tarwe  de 
ne,  Bînistre  des  tnwu  pablks  ^UMdojnK^  — Ed- 
(Iteffdogae).  »  ttuchuid  (lloidj.  ~  Mathieu  Bodei» 
àb  OMrdecaaBilîoo  (damie).  —  De  Xaspas;  prêlèlde|M>» 
—  De  Xôûde  (!(ord).  —  Sesnaid.  préàdeal  de  diambfv  à  la 
.  ~  lÊtjWÊtàtr,  wmàoBL  pf«fct  (Loière).  »  Miserel 
<!<Cof^L  —  ■ooin,  âofea  des  maires  de  Paris.  —  De  Montalembeit 
<DoQbs».  —  De  MornT,  oûiiislie  de  rmténear  (Poy-de-Dôaie).  ~ 
Etmj  de  Voftenurt  (Seine-iiifërieare).  —  Le  cotonel  de  la  Xoskowa 
Olo»lle).  ^  De  XooehT  (Oise).  ^  De  Moustier  (DooM.  ~  Lacieii 
Marat  .Lot).  —  AotMiie  Odier,  censeur  de  la  Banque  de  Fraoce.  — 
Le  général  d'Oraano  (Indie-et-Loire).  —  De  Parieu,  ancien  ministre 
(Caotal).  —  Pascalis,  conseiller  à  la  Cour  de  cassation.  —  Le  général 
Met  f  Ariège).  —  Pepin-Lehalleur  \Seine-et>Mame).  —  De  Persigny 
(Xord).  •»  De  Planer  (Oise).  —  Plichon^  maiie  dWrras  (Pas-de-Ca- 
kis).  »  Pofflalîs^prenier  président  de  la  coor  de  cassation.  »  Pou» 
géfard,  aaire  de  Rennes  (Ule-el-Yilaine).  —  Le  général  de  Préral.— 
De  Raneé  (Algérie).  —  Le  général  Randon«  ancien  ministre,  gou^er- 
near  général  de  FAlgérie.  — •  Le  général  RegnauU  de  Saint-lean- 
d'Angâj,  ancien  ministre  (Q^fenle-lnférieure).  —  Renouard  de  Bus> 
mères  (Ras  Rhin).  —  Renouard  (Loière).  ^  Le  généra  Rogé.  — 
Rouher,  garde  des  sceaux,  ministre  de  la  justice  (Puj-de-Dôme).  — 
De  Rojer,  ancien  ministre,  procureur  général  à  la  cour  d^appel  de 
Pitfis.  —  Le  général  de  Saint-Arnaud,  ministre  de  la  guerre.  —  De 
SatnI-Amaud,  aTocat  à  la  cour  d*appel  de  Paris.  —  De  Salis  (Mo- 
srile).  »  Sapey  (Isère).  —  Schneider,  ancien  ministre.  —  De  Ségur 
d^AgnesBean  (Hautes-Prrénées).  —  Seydoux  (Nord).  —  Thayer(Amé- 
dée).  —  Thieullen  (Côtes-du-Nord).  —  De  Tborigny,  ancien  ministre. 
'—  Toupot  de  Béraux  (Haute-Marne).  —  Tourangin,  ancien  préfet 
—  Troplong,  premier  président  de  la  Cour  d*appel  de  Paris.  —  De 
Turgot,  ministre  des  affaires  étrangères.  »  Vaillant,  maréchal  de 
Fiance.  —  Waîsse,  ancien  ministre  (Nord).  —  De  Vandeul  (Haute- 
Marne).  —  Le  général  Vast-Vîmeux  (Charente-Inférieure).  —  Vau- 
cMle,  maire  de  Versailles.  —  Viard  (Meurthe).  -  Vieillard  (Mau- 


396  HlSTOmB 

cbe).  -^  Viriflefroy.  -^  Vditfy,  SKHÉMKirétaiffe  d*BUfe^au  mîDMlèiMiV 
ftnanoesw  -^  De  ^agr&tù. 

Art.  S.  L»  eomimsaioD  eonsiAtelifite  se  rénoifa  dès  le  29  dèscalÉ» 
firo^ttiiv  à  réSèld&  prooéder  «i  recenaoïBeiit  d#  ToCes  reeuiîHittt 
«léeutioii  des  décrets  dés  2  et  4  dée«mhle  préeeaft  moi»* 

Avt  3.  M*  Prosper  Hooket^  leârélmre  géiériâ  de  ramàen  eoMii 
d'État ,  est  noauné  seerétaire  géBéral  de  k  eonmtsewn  consatta* 
tite* 

Art  4.  M.  Denis  Lagârde,  aiteien  8ecrétaipe*-rédaeAdttr  de  VÂBatm* 
hïée  léi^blative,  est  noÉiiiié  secrétaire-rédMteor^  chef  4a  serrioe  été 
procè»-v6rbatix  de  la  eoninisrîon  coBflaltatîve. 

Fait  an  palais  de  PElysée-Matioiialy  le  eonaeil  des  mimsIreÉ  eotah 

dtt,  k  43  décembre  i8l^« 

Louis-NamUqh  Borapjmpl, 

U  garde  de«  êaauXf  Mlitlmt*  ImjuÊUoet 

E.  RttUMa» 

Le  16^  paraissaient  au  Jkmiteur  :  un  décret  qui  met» 
8Î4  ea  état  de  siège  les  départemente  de  rAwyMir  el  dt 
Yaucluse  ;  celui  qui  dissolvait  la  6*  lêgioû  dé  là  gardé 
nationale  de  Paris,  et  enfin  celui  qui  ordonnait  la  con- 
struction de  la  Bourse  de  Marseille.  Mais  le  fait  admi- 
nistratif culminant  de  ce  jour,  c'est  la  publication  au 
Moniteur  de  la  circulaire,  adressée  le  15  aux  préfets 
par  M.  de  Morny,  relativement  au  travail  du  dimancbei 
la  voici  dans  son  entier  : 

CIRCULAIRE. 

Paris,  45  décembre  1851. 

Monsieur  le  préfet, 

A  plusieurs  reprises,  depuis  quelques  années,  le  gouv^mement  s'eH 
altaché  à  faire  comprendre  aux  administrations  et  aux  fonctionnairis 
de  tous  ordres,  quelles  règles  ils  ont  à  suivre  en  ee  qui  oonceme  la 


«anatkm  des  Iravrai  publies  te  dimancht  et  les  joufs  fériés  reconnut 
par  )m  Ici. 

Lateflbrti  que  le  gouvernement  a  tentés  dans  ce  sens  n*OBt  points 
jmqu'à  es  juur,  ebtenu  k  saocàs  désirable.  Tantôt  ou  a  rsnoootré 
des  résistances  de  la  part  des  municipalités,  tantôt  des  intérêts- se  sont 
ifQs  uwnaeéB ,.  et,  diose  plus  grate ,  les  agents  du  pou^potr  eux- 
mêmes,  soit  incertitude,  soit  faiblesse,  ont  négligé  de  se  conformer 
aux  ordres  qu»  leur  étaient  transnii^ 

Le  repoa  du  dimancbe  est  Tune  des  bases  essentielles  de  cette  mo- 
rale qui  fait  la  force  et  la  consolation  d*un  pays.  A  ne  l'envisager 
qu^au  seul  point  de  vue  du  bien-être  matériel,  ce  repos  est  nécessaire 
à  ht  santé  et  au  développement  intellectuel  des  classes  ouvrières  : 
nntame  qur  travaille  sani  relâfcbe,  et  ne  réserve  aucun  jour  pour 
VaccomplisBtiBeBt  de  ses  daroiii  et  pour  le  progrès  de  son  instroc* 
tion,  devient  tôt  ^^  tard  en  proie  ^  matérialisme,  et  le  sentiment  de 
sa  dignité  s'altère  en  lui  en  même  temp^  que  ses  facultés  pbysiquea» 
Trop  souvent,  d*ailleurt,  Des  classes  ouvrières  que  Ton  assujettit  m 
travail  du  dimancbe,  se  dédommagent  de  cette  contrainte  m  dift» 
jpant  un  autre  jour  de  la  semaine;  funeste  babitude,  qui,  par  le  m^ 

pris  des  traditions  les  plus  vénérées,,  conduit  insensiblement  à  la  ruine 
Ses  familles  et  à  la  débaucbe. 

Le  gouvernement  ne  prétend  pas,  dans  des  questions  de  cette  na- 
âure,  foire  peser  une  sorte  de  contrainte  sur  la  volonté  des  citoyens, 
pbaque  individu  reste  libre  d'obéir  aux  inspirations  de  sa  conscience  ; 
mais  l'Etat,  l'administration,  les  communes,  peu  vent  donner  Texemple 
du  respect  des  principes.  Cest  dans  ce  sens  et  dans  ces  limites, 
ffOt  je  crois  nécessaire  de  vous  adresser  des  instructions  spéciales. 

Go  conséquence,  je  vous  invite  à  donner  des  ordres  pour  qu'à  l'a- 
venir, autant  qu'il  dépendra  de  l'autorité,  les  travaux  publics  cessent 
le  dimancbe  et  les  jours  fériés.  Vous  veillerez  à  ce  que,  désormais , 
lorsqu'il  s'agira  de  travaux  à  entreprendre  pour  le  compte  des  dépar- 
tements et  des  communes,  on  insère  dans  les  cabiers  des  cbarges  une 
clause  formelle  qui  interdise  aux  entrepreneurs  de  faire  travailler  les 
jours  fériés  et  les  dimancbes  ;  il  conviendra  même  que  l'acte  soit  ré- 
digé de  telle  sorte  que  cette  interdiction  ne  demeure  pas  une  formule 
vaine  et  susceptible  d'être  éludée.  Enfin,  pour  ce  qui  concerne  les  rè- 
glements municipaux  destinés  à  probiber,  pendant  les  exercices  du 


398  HISTOIRE  D'UN  œUP  DtTAT. 

€uUe,  les  réunions  de  cabaret,  chants  et  autres  démonstratioiis  eilé- 
rieures  qui  troubleraient  ces  mêmes  exercices,  vous  userez,  avec  une 
sage  prudence  et  un  zèle  éclairé,  de  votre  influence  pour  diminuer, 
autant  que  possible,  les  fâcheux  scandales  qui  se  produisent  Irop 
souvent» 

Agréez,  monsieur  le  préfet,  Tassurance  de  ma  considération  dis- 
tinguée. 

U  miniffr»  4f  l'MMMir, 

Db  Moriit. 

Le  département  du  Jura  était  mis  en  état  de  si^e, 
par  décret  qui  paraissait  le  18  au  Moniteur,  en  même 
temps  que  celui  qui  organisait  Tadimnistration  centrale 
du  ministère  de  l'intérieur  9ur  de  noofelles  bases^  en 
réduisant  dans  d'assez  notables  proportions  le  nombre 
des  employés. 

Telles  sont  les  choses  accomplies,  depuis  le  7  décem- 
bre, par  Louis-Napoléon  Bonaparte  et  son  gouvernement, 
jusqu'à  la  date  du  20,  époque  à  laquelle  le  vote  com- 
mence sur  le  plébiscite.  On  le  voit,  il  y  a  plus  de  faits 
accomplis  dans  ces  quelques  jours  qu'il  n'y  en  aurait 
eu  dans  toute  une  session  parlementaire.  Le  peuple,  en 
voyant  ces  résultais  comparés  à  l'impuissance  de  l'As- 
semblée, a  déjà  porté  son  jugement  dans  sa  conscience. 
Voyons  comment  il  va  le  formuler  dans  son  vote. 


(mute.) 


ÉLKCnOH. 


Cest  une  nécessité  de  salut  public  qui  a  produit 
l'acte  du  2  décembre.  L'enseignement  des  faits  à  cet 
égard  a  été  complet ,  et  ce  serait  faire  injure  au  bon 
sens  du  lecteur  que  de  vouloir  démontrer  une  telle 
vérité  :  les  voix  les  plus  considérables  l'ont  proclamée  ; 
l'affreuse  guerre  faite  à  la  société  en  a^  par-dessus  tout, 
établi  l'évidence.  Le  succès  est  venu  donner  à  ce  grand 
acte  la  consécration  de  sa  légitimité.  A  toutes  les  épo- 
ques de  rbistoire,  et  notamment  de  notre  histoire  na- 


400  HISTOIRE 

tionale,  nous  voyons  les  conquérants  ou  les  modifica- 
teurs des  nations  se  contenter,  le  plus  souvent,  de  cette 
légitimité-là. 

Le  succès,  c'est  le  degré  des  trônes,  le  baptême  des 
révolutions,  le  pavois  de  la  plupart  des  dominateurs. 
Peu  importe  qu'il  ait  fait  passer  un  homme  sur  des 
ruines  ou  dans  le  sang.  Le  succès,  c'est  le  fait  accom- 
pli, prestige  que  suit  toujours  la  popularité. 

La  plupart  du  temps,  il  faut  en  convenir,  il  ne  cou- 
ronne que  des  ambitions  privées ,  que  d'autres  ambi- 
tions triomphantes  ne  tardent  pas  à  renverser.  Les  peu- 
ples, éiernelles  victimes,  paient  de  leur  or,  de  leur 
sang  ces  grands  coups  de  dés  de  la  fortune.  Incessam- 
ment, de  nouvelles  dominations  poussent  dans  Tabime 
des  révolutions  celles  qui  les  ont  précédées.  C'est  que  le 
succès  n'est  pas  un  principe  ;  c'est  qu'il  n'est  pas  une 
base  sur  laquelle  on  puisse  édifier  rien  de  solide  et  de 
durable. 

Celui  qui  vient  de  couronner  les  actes  de  Louis-Na- 
poléon est  noble  et  magnifique.  Il  est  moins  celui  d'un 
homme  que  celui  de  la  société.  Ce  n'est  pas  une  ambi- 
tion qu'il  satisfait,  c'est  une  nation  qu'il  sauve.  Ren- 
verse-t-tl  un  pouvoir  protecteur  et  vénéré,  qui  ait,  soit 
le  prestige  du  temps,  soit  celui  des  services  rendus  T 
Non.  Il  délivre  la  France  des  entraves  d'une  Constitua*- 
tion  absurde  et  tellement  frappée  de  réprobation, 
qu'il  n'est  pas  un  parti  politique  qui,  à  son  tour,  ne  l'ait 
répudiée.  Ce  qu'il  renverse,  ce  n'est  pas  tant  ce  pou- 
voir du  présent  que  cette  affreuse  usurpation  de  lave- 


D'UN  COUP  DUTAT.  461 

njr^  qui  meoaçatt  de  jeter  demain  la  France ,  corps  ek 
honneur,  dans  le  gouffire  sanglant  du  sooialisine.  J^e 
succès,  c'est  le  salut  de  la  patrie.;  mais  c'est  ausfii  ce«- 
kii  de  chaque  citoyen,  laenacé-dans  son  honneur,,  dans 
sa  fortune,  dans  sa  famille,  idans  ses  croyances. 

Eh  bien  !  ce  mcoès,  tant  magnifique  «oit41,  ce  n'est 
pas  un  drok,  <oe  n'est  pas  la  base  qu'il  faut  a  l'avenir. 
Ce  serait  peuè^re  asseK  pour  «n  bomaie  ^ambitieux, 
a^^rant  à  gouverner;  mais  ce  n'est  pas  assez  pour  ua» 
nation,  ni  :peur  un  prnce  <]ui  se  prëeccupe  anrant  tout 
du  salut  et  des  ditttioées .futures  du  |>ay$» 

Louis-Napoléon  Bonaparte  a  Sût  son  appel  au  peu- 
ple. 31  loi  demaflide  de  dire  ^m  ou  non,  s'il  entend  lui 
délégua  paur  dix  ans  le  pouwir,  et  s'il  l'^kutonse  à 
ftôre  une  Gonslitution  diaprés  les  bases  énoncées  Àam 
Mt^i^peL 

La  "voilà  donc  enfin  venue  cette  époque,  si  longtemps 
4(éûrée,  où  la  grande  voix  du  suffî*age  universel  va  se 
laîrie  entendna  !  Tous  lea  partis  qui  ont  de  la  loyauté, 
tous  les  .politiques  qui  ont  au  cœur  l'amour  de  la  patrie, 
n'orit  •œssé,  (depuis  longues  années,  de  demander  qu'on 
fit àia  nation  un  suprême appelquî  désarmât  les  par» 
tîs,  et  qui  forgl^t  tous  les  citoyens  à  s'inckner,  aous 
peine  de  forfaiture),  devant  celte  voix  de  la  majorité, 
dans  tous  les  temps  reconnue  pour  être  la  voix  do 

Oeux  quii  dans  un  intérêt  de  domination  inami&- 
stUa,  ont  pi^tiendu,  ou  fait  prétendre,  que  le  principe 
de  la  souvetaineté  populaire  était  quelque  chose  de 


'  ^. 


i02  HISTOIRE 

nouveau  emprunté  à  Tépoque  et  aux  théories  de  89, 
sont  dans  une  erreur  profonde,  ou  cherchent  bien 
sciemment  à  tromper. 

L'élection  est  la  source  de  toute  légitimité.  De  tout 
temps,  les  souverains  pontifes  ont  été  élus  ;  ancienne- 
ment, les  évéques  l'étaient  par  le  peuple. 

Chez  presque  toutes  les  nations  germaniques  et 
gauloises,  les  chefs  ou  les  rois  étaient  nommés  dans  les 
assemblées  populaires ,  et  c'est  là  qu'il  faut  remonter 
pour  trouver  le  principe  de  ce  qu'on  a,  depuis,  nommé 
États  généraux,  assemblées  du  Champ-de-Mai. 

Si  nous  ouvrons  notre  histoire  nationale  j  noos  y 
voyons  nos  ancêtres  en  possession  immémoriale  de  la 
souveraineté  nationale  et  la  déléguant  à  qui  bon  leur 
semblait.  Quand  Ghildéric,  le  père  de  Clovis,  se  met  à 
déshonorer  le  trône  par  ses  impudicités,  nos  pères  le 
chassent  du  royaume.  Us  choisissent  pour  lui  succéder, 
non  pas  quelqu'un  de  sa  race,  mais  Égidius ,  général 
des  troupes  romaines.  Pendant  huit  ans,  ce  prince,  issu 
de  l'élection,  régna  seul.  Au  bout  de  ce  temps,  la  na- 
tion rappela  Childéric,  qui  partagea  le  trône  avec  Ëgi- 
dius.  (Grégoire  de  Tours,  Hist.  franc.,  t.  ii,  c.  12.) 

Sous  la  domination  austrasienne,  nous  voyons  Char- 
lemagne  et  son  fils  reconnaître  formellement  ce  prin- 
cipe de  la  souveraineté  nationale. 

L'article  5  de  la  charte  que  fit  le  grand  empereur 
pour  partager  l'empire  entre  ses  trois  enfants ,  Charles, 
Louis  et  Pépin,  est  ainsi  conçu  :  «Si  l'un  des  trois 
frères  laisse  un  fils  que  le  peuple  veuille  élire  pour  suc- 


D*UN  COUP  D*ÉTAT»  403 

céd»  à  son  père  dan»  Théritage  du  royaume  y  nous  you* 
Ions  que  les  oncles  de  l'enfant  y  consentent ,  etc » 

Louis  le  Débonnaire ,  dans  une  charte  conslUution* 
nelle ,  nous  soulignons  ce  mot  exprès ,  dit  Rorhbacher 
{Histoire de  V Église^  \ol.  27,  p.  466) ,  délibérée,  con- 
sentie, jurée  en  817  ;  relue ,  confirmée  et  jurée  de  nou-» 
ireau  en  821 ,  reconnaît  la  souveraineté  de  la  nation. 

Il  déclare ,  dans  le  préambule ,  que  le  suffrage  de 
tout  le  peuple  s'étant  porté  sur  son  fils  Lothaire ,  cette 
élection  est  regardée  comme  un  signe  manifeste  de  la 
irolonté  divine. 

Le  dixième  article  de  cette  charte  porte  ces  mots  : 
«  Si  quelqu'un  d'entre  eux  (des  rois  ses  enfants)  deve- 
nait oppresseur  des  églises  et  des  pauvres ,  ou  exerçait 

la  tyrannie la  sentence  commune  de  tous 

décernera  ce  qu'il  faut  faire  de  lui ,  afin  qu'il 

soit  réprimé  par  la  commune  sentence  de  tous » 

Dans  le  quatorzième  article ,  il  est  dit  :  «  Si  Tun  d'eux 
laisse  en  mourant  des  enfants  légitimes ,  la  puissance 
ne  sera  point  divisée  entre  eux,  mais  le  peuple  assem- 
blé en  choisira  celui  qu'il  plaira  au  Seigneur » 

Dans  le  dix-huitième ,  non  moins  caractéristique, 
Louis  le  Débonnaire  recommande  à  son  peuple,  au  cas 
où  son  fils  aine  viendrait  à  mourir,  de  choisir  un  autre 
de  ses  fils ,  «  afin ,  dit-il ,  qu'il  soit  constitué ,  non  par 
la  volonté  humaine ,  mais  par  la  volonté  divine.  » 

Or,  tous  ces  articles  si  importants,  dit  l'abbé  Rorh- 
bacher, nous  ne  les  avons  vu  citer  dans  aucune  Histoire 
de  France^  écrite  en  français,  il  ajoute  :  «  Cependant 


404  iHISTOlRE 

06B  articles ,  «uivant  qu'itsisoiit  appréciés  f)u  «Béconmis^ 
donnent  un  sens  tout  différent  à  toute  Tancieone  IfflH 
ioîre  de  France ,  et  même  àieon  histoire  moderne.  C'est 
l'ignorance  plus  ou  moins  volontaire  de  oesifaHs,  qui^t 
tiwt  embrouillé  depuis  trois  «iècles  4eB  idées  «t  Jes 
tiMwes  fort  daires  dans  île  ino^en  Age.  » 

Comme  on  le  ^oit,  >ce  principe  tde  la  souveraineté  po^ 
pulaire  exprimée  parole  suffrage  unimrsel ,  loin  d'être  y 
comme  le  disent  certains  iiommes  de  parti ,  une  iniKK 
ration  pévdMtionnaire ,  est  tout  simplement  le  droit 
constamment  reconnu  et  appliqué  en  France  dans  les 
premiers  sièoies  de  notre  monarchie ,  et  cela  par  des 
hommes  auxquels  on  ne  contestait  ni  la  puissance >  ni 
le  génie  y  ni  la  gloire.  Cette  opinion  que  nous  soutenons 
était  universelle  à  cette  époque.  Tous  Jes  tbéol(^ens, 
tous  les  jurisconsultes  la  soutenaient  On  peut  le  yoify 
du  reste  y  dans  les  écrits  du  jésuite  Suarez  y  qui  en  a 
réuni  toutes  les  preuves. 

Gerson  y  chanoeller  de  Finance,  posait  en  principe, 
publiquement  y  en  présence  de  Charles  YI ,  que  la  sou<- 
veraineté  vient  du  peuple,  et  que,  quand  il  fallait  remé- 
dier à  certains  maux  d'un  État,  ou  punir  certains  mé- 
Cails  des  souiverains ,  les  peuples  étaient  les  maîtres  et 
ksjugfô  des  rois  (Gerson,  discours,  Vivatrex).  Personne 
ne  contestait  cela. 

Si  nous  cherchons  dans  les  écrits  des  autres  docteurs, 
nous  trouvons  qu'Almain,  l'une  des  lumières  de  l'Église 
gallicane,  soutient  exactement  les  mêmes  principes.  Il 
publiait,  sans  qu'on  récriminât,. ceci  :  «(C'est  ia  com- 


D'IN  COUP  D'ETAT.  403 

(nunauté  qui  conrêre  à  un  roi ,  ou  à  plusieurs ,  comme 
j^nn  lui  semble,  le  pouvoir  du  glaive,  le  droit  de  vie  et 
4e  raori  ;  aucune  communauté  ne  peut  aliéner  celte 
puissance.  Le  prince  n'en  use  que  par  simple  déléga- 
tion ,  et  cette  puissance  reste  tellement  bien  à  la  com- 
munauté qu'elle  peut  s'en  servir  pour  déposer  celui  qui 
gouverne  mal;  car  cela  est  de  droit  naturel.  » 

Bossuet,  lui-même,  voulait  bien  admettre  que  la 
^uverainelé  des  rois  n'était  pas  lellenient  de  Dieu, 
qu'elle  ne  fût  aussi  du  consentement  des  peuples. 
IDefmsio  cleri  gain,  I.  iv,  ch.  21.)  Quanta  Pénclon, 
ji  disait  formellement  :  «  La  puissance  temporelle  vient 
de  la  communauté  des  hommes  qu'on  nomme  tiation.  » 
(Fénelon,  t.  XXII,  p.  583.)  K  une  époque  où  déjà  on 
commençait  à  parler  de  droit  divin ,  sous  Louis  XV, 
^assillon  soutenait  encore  les  doctrines  de  Gerson.  Il 
précliait,  de\anl  le  roi,  le  jour  du  dimanche  des  Ra- 
meaux, dans  son  Pctit-Carénie,  que  la  puissance  royale 
yient  du  consentement  libre  des  sujets,  qu'elle  est  Issue 
lies  suffrages  publics,  et  puisque ,  dîlTÎl ,  l'autorité  des 
;rois  vienlde  notis  ,  les  rois  n'en  doivent  faire  usage  que 
four  nous. 

On  peut  voir  la  doctrine  que  nous  soutenons  ici, 
.jdéfendue  et  proclamée  dans  les  lettres  de  Grégoire  VII; 
fit  si  nous  cherchons  seulement  dans  les  autorités  ecclé- 
.fiastiques  des  preuves  que  nous  pourrions  trouver  aussi 
chez  bien  d'autres,  c'est  que  nous  voulons  formellement 
démontrer  qu'il  n'y  a  point  liaison  entre  les  intérêts  de 
la  légitimité ,  prétendue  de  droit  divin  ,  et  les  crojances 


4 


406  HISTOIRE 

religieuses.  C'est  une  erreur  qu'on  a  propagée ,  surtout 
sous  la  Restauration  ,  et  antérieurement  pour  combattre 
le  principe  de  la  souveraineté  populaire.  Nous  tenons  à 
montrer  que  TËglise  y  au  contraire,  faisant  cause  com- 
mune avec  ce  qu'il  y  a  d'éclairé  dans  la  nation  y  a  con- 
stamment soutenu  les  droits  de  souveraineté  nationale 
que  certain  parti  est  intéressé  à  contester,  tout  en  ne 
dédaignant  pas  de  l'invoquer  quand  il  le  croit  utile. 

Si  nous  voulions  faire  un  travail  complet  sur  ces 
matières ,  les  documents  ne  nous  manqueraient  pas  ; 
mais  nous  ne  voulions  qu'indiquer  sommairement.  Nous 
ne  terminerons  pas  cependant  sans  citer  les  paroles 
suivantes  de  l'abbé  Gerbet,  dans  sa  lettre  à  M.  de  Mon- 
talembert  : 

c<  Le  clergé  ne  se  tiendra  pas  à  l'écart  ;  il  ne  se  sépa- 
rera pas  de  l'opinion  publique  dans  la  grande  élection 
qui  aura  lieu  dimanche  prochain.  S'il  doit  s'unir,  au- 
tant que  cela  dépend  de  lui,  aux  vœux  des  populations, 
n'est-ce  pas  surtout  lorsque,  par  un  mouvement  à  peu 
près  unanime,  un  peuple  s'efforce,  en  se  sauvant  lui- 
même,  de  sauver  la  civilisation  avec  lui?  Le  clergé 
trouve  dans  sa  propre  histoire  de  beaux  exemples,  que 
ses  pères  lui  ont  donnés  dans  des  circonstances  analo- 
gues à  l'état  actuel  du  monde.  Dans  les  bouleversements 
qui  suivirent  la  chute  de  l'Empire  romain,  TÉglise,  les 
papes  à  sa  tète,  soutinrent  tout  pouvoir  qui  leurpro- 
mettail  de  protéger  la  société  contre  les  mœurs  elles 
instincts  sauvages  de  la  barbarie.  » 

M.  l'abbé  Gerbet  a  raison,  car  le  clergé  français  s'est 


D'UN  œUP  D'ÉTAT.  407 

admirablement  conduit  dans  l'élection  dont  nous  avons 
à  faire  Thistoire. 

Jamais^  à  aucune  époque  de  notre  histoire^  plus  écla- 
tant hommage  n'a  été  rendu  à  la  souveraineté  nationale. 
C*est  le  peuple  entier  qui  va  se  prononcer  librement  et 
en  dehors  de  toute  influence,  si  ce  n'est  celle  qu'exer- 
cera sur  lui  le  nom  prestigieux  de  Napoléon,  et  le  sou- 
irenir  des  éminents  services  que  vient  de  rendre  à  la 
société  celui  qui  a  l'honneur  de  le  porter. 

Ainsi  que  nous  l'avons  dit  plus  haut,  il  a  le  pouvoir, 
mais  le  pouvoir  n'est  pas  le  but  qu'il  se  propose.  Ce 
qu'il  veut,  c'est  reconstituer  sur  ses  bases  les  plus  lar- 
ges, les  plus  vraies,  ce  principe  d'autorité  que  tant  de 
révolutions  successives  ont  ébranlé  et  amoindri  en 
France.  Il  veut  fermer  l'abîme  des  révolutions  et  ouvrir 
au  pays  l'ère  de  la  prospérité  et  de  la  stabilité  dans  les 
institutions. 

LouiS'Napoléon  Bonaparte  est  l'homme  nécessaire. 
Sans  lui,  la  guerre  des  partis  déchirerait  la  France.  Réu- 
nis pour  l'attaquer,  les  partis  se  fussent  immédiate* 
ment  acharnés  les  uns  contre  les  autres  après  la  victoire 
commune,  et  la  patrie  eât  été  le  champ  de  bataille  et 
Fenjeu.  Aucun  d'entre  eux  n'aurait  été  assez  fort  pour 
empêcher  la  démagogie  de  passer.  II  aurait  donc  fallu 
la  subir  d'abord  et  attendre  qu'elle  se  noyât  dans  notre 
sang  et  dans  notre  honneur,  pour  savoir  ensuite  à  qui, 
des  orléanistes  ou  des  légitimistes,  serait  restée  la 
France  mutilée. 

Quel  nom  mettre  à  la  place  de  celui  de  Napoléon?  En 


408  HISTOIRE 

est^il  un  seul  qui  piûs&e  hittei:  avec  eakiMàS  Taot  .^to- 
rieux  soit  cet  autre,  jamais  il  ne  réveillera  les  échos  de 
gloire  et  d'amour  populaire  qui  répondent  en  France 
au  nom  de  l'Empereur. 

La  France  dira  oui  y  parce  qu'elle  s^rouve  l'acte 
du  2  décembre  ;  parce  qu'elle  comprend  qu'avant  tout 
il  s'agit  du  salut  social;  parce  qu'elle  veut  prouver  sa 
reconnaissance  à  celui  qui  vient,  de  la  sauver  des  hor- 
reurs de  1852;  parce  que,  depuis  vingt  jours^  elle  sent 
qu'elle  est  gouvernée  par  une  main  puissante  et  habile. 

Elle  dira  oui,  car  elle  veut  l'industriei  le  travail,  la 
sécurité,  qui  ne  peuvent  exister  qu'avec  un  gouverne- 
ment fort,  unitaire,  et  qu!avec  des  institutions  stables 
et  puissantes  ;  parce  qu'en  un  mot^  comme  Le  neveu  de 
l'Empereur  le  demande,  elle  ne  veut  pas  rester  constam- 
ment en  révolution. 

Ceux  qui  diront  noUj  tendent  à  rouvrir  l'abîme  du  so- 
cialisme et  à  plonger  la  France  plus  que  jamais  dans  ia 
mer  de  révolutions  qu'elle  vient  de  franchir,  et  dans 
laquelle  elle  désire  ne  plus  compromettre  son  repos, 
son  existence,  son  honneur.  Ils  retournent,  en  admet- 
tant les  chances  les  moins  mauvaises,  à  ce  gouvarui^ 
ment  de  complots,  d'hésitations,  d'impuissances,  qui 
vient  d'être  renversé  aux  applaudissements  du  pays 
tout  entier.  Mais  ceux  qui  diront  non,  il  faut  bien  co 
convenir,  auront  dans  leurs  rangs  certains  hommes  de 
conscience  qui  ne  pensent  pas  pouvoir  reconnaître  le 
principe  de  la  souveraineté  nationale,  et  qui  ne  croient 
qu'au  droit  divin.  On  doit  respecter  les  scrupules  de 


D'UN  COUP  D'ÉTAT.  Wl 

leurs  eonvietionsy  tant  erronées  soient-elles  ;  seulement 
on  comptera  ces  hommes  des  vieux  partis,  et  la  France 
tMra  le  nombre  de  ceux  qui  lui  conteslent  ses  droits. 

Quant  à  ceux  quis'abstiendront,  nous  ne  savons  com- 
ment caractériser  leur  conduite.  L'abstention,  quelques 
écrivains  éminents  ont  eu  pour  elle,  tout  en  la  stigma- 
tisant, des  paroles  de  politesse  que  nous  ne  saurions 
approuver.  Pourquoi  faire  de  la  courtoisie  en  pareil 
ca»?  Entre  oui  ou  non  que  peut-il  y  avoir?  Voulez-vous 
Louis-Napoléon T  dites-le.  N'en  voulez- vous  pas?  ayez 
le  courage  de  le  dire  aussi.  Au  scrutin  secret,  vous  ne 
serez  pas  trop  compromis,  a  Mais,  prétendez-vous,  tout 
en  ne  voulant  pas  reconnaître  le  principe  de  la  souve- 
raineté populaire,  nous  ne  voulons  pas  affaiblir  le  pou- 
iroir  sauveur  qu'il  va  proclamer.  »  Et  vous  viendrez  lui 
demander  protection  I  Vous  mettrez,  vous,  vos  familles, 
ves  biens,  sous  sa  garde  !  Vous  voudrez  qu'il  vous  dé- 
fende contre  les  ennemis  de  toute  société  I 

Et  pourquoi  ne  voterez-vous  pasT  Pour  vous  réser- 
ver, sans  doute,  le  prétendu  droit  d'hostilité,  de  conspi- 
ration, peut-être ,  quand  le  danger  sera  passé  ;  quand 
le  pouvoir  aura  fait ,  pour  vous  comme  pour  les  autres 
cMoyens,  la  situation  calme  et  tranquille.  Ce  sera  de 
ringratitude  et  de  la  rébellion.  Ceux  qui  disent  non 
font  acte  de  bons  citoyens  encore ,  en  ce  sens  que , 
iNMant,  ils  acceptent  par  le  fait,  le  devoir  de  s'incliner 
devant  la  décision  de  la  majorité.  Le  lendemain  de 
l'élection,  ily  en  a  beaucoup  parmi  eux,  ceux  au  moins 
qui  ont  la  conscience  droite  et  honnête,  qui  se  rangeront 


410  HISTOIRE 

franchement  du  côté  de  ^l'élection  ;  mais  vous ,  les 
chevaliers  de  l'abstention,  les  partisans  des  principes, 
qui,  dites-vous,  ne  transigent  pas;  vous  qui  venez  vous 
abriter  aujourd'hui  sous  l'épée  du  pouvoir,  et  qui  de- 
main le  paierez  d'ingratitude,  vous  faites  acte  de  mau- 
vais citoyens.  De  quel  droit  vous  abstenez-vous  7  qui 
vous  autorise  à  vous  retirer  dans  ces  hauteurs  de  l'abs- 
tention? Nous  allons  vous  le  dire  hardiment,  et  en 
déchirant  ces  voiles  transparents  que  d'autres  ont  mis 
entre  vous  et  les  sévérités  de  leur  langage. 

Quand  la  France  entière  se  précipite  dans  ses  co- 
mices ;  quand  elle  y  vient,  conduite  par  les  sommités 
de  la  science  et  du  talent,  provoquée  par  la  parole 
puissante  d'un  Montalembert,  des  premiers  évèques  de 
France;  quand  chaque  commune  vient,  drapeau  en 
tête,  conduite  au  scrutin  par  son  curé,  par  son  maire; 
quand  tout  ce  qui  est  honorable  et  patriote  vient  donner 
Tappoint  de  son  vote  à  ce  qu'il  croit  le  salut  du  pays, 
vous  vous  abstenez!  Vous  appartenez  à  des  principes 
supérieurs...  Pour  avoir  le  droit  d'agir  ainsi,  il  faudrait 
que  vous  n'eussiez  pas  acclamé,  en  Février,  ceux  qui 
venaient  de  renverser  un  trAne  glorieux,  il  faut  le  dire, 
honnête  et  français  à  tous  les  titres.  Il  faudrait  que  vous 
n'eussiez  pas  acclamé  le  gouvernement  d'alors ,  que 
vous  n'eussiez  pas  siégé  dans  ses  assemblées  ou  voté 
pour  ceux  qui  y  siégeaient.  Âh  !  vous  aviez  peur,  nous 
le  disons  pour  vous,  qui  ne  Tavoueriez  pas,  ou  bien 
vous  pensiez  que  la  République  vous  ramènerait  à  1815. 

Dans  tous  les  cas,  vous  avez  voté,  ou  siégé,  ou  gou- 


D'UN  œUP  D'ÉTAT.  411 

venié  ;  vous  avez  prêté,  de  toutes  les  façons,  votre  con-* 
cours.  11  en  est  parmi  vous  qui  s'abstiennent,  et  qui,  au 
profit  de  leur  élection  personnelle,  ont  invoqué  plus 
haut  que  personne,  en  Février,  le  principe  de  la  souve- 
raineté du  peuple.  Ils  ont  fait  des  discours  dans  les 
clubs  et  sur  les  bornes  ;  ils  n'ont  pas  dédaigné  les  ban- 
quets patriotiques  aux  barrières  de  Paris,  en  compagnie 
des  démocrates  les  plus  purs.  Ces  démocrates,  aujour- 
d'hui, leur  rendent  cet  hommage  :  que  leurs  discours 
dépassaient  alors  ceux  de  Ledru-RoUin  dans  les  mêmes 
circonstances. 

Non,  l'abstention  n'est  point  un  devoir  de  conscience, 
quand  la  conscience  a  transigé  de  cette  façon-là  ;  c'est 
tout  simplement  une  tactique  d'ambition  déçue  dans  le 
passé,  qui  stipule  pour  un  avenir  qu'elle  espère  plus 
favorable  à  ses  fins. 

Acceptez  donc  les  jugements  de  Dieu,  qui  conduit  les 
choses  de  ce  monde  et  qui  donne  la  puissance  à  qui 
bon  lui  semble.  Aujourd'hui,  c'est  un  prince  de  vieille 
race,  qui  est  dans  les  mains  de  la  Providence  un  instru- 
ment de  salut  et  de  civilisation.  Demain,  ce  sera  l'un  de 
ces  hommes  nouveaux  qui  sont  le  commencement 
des  races  de  princes,  car  toute  race  souveraine  a 
sa  source  dans  le  sang  populaire.  A  l'heure  qu'il  est, 
ce  n'est  pas  un  roi,  ce  n'est  pas  un  empereur  que  le 
peuple  se  donne.  Il  a  ce  droit,  il  ne  l'exerce  pas.  Il  dé- 
lègue temporairement  ses  pouvoirs  à  un  prince  qui  se 
présente  avec  deux  titres,  qu'apparemment  vous  ne  lui 
contesterez  pas.  Ferez-vous  qu'il  n'ait  pas,  depuis  trois 


ànfi,  sauvé  la  France  de  Tànarchie,  et  qu'il  ne  Vâit  pas, 
au  2  décembre,  sauvée  de  la  démagogie  socialistet 
Ferez-vous  qu'il  ne  soifpa^  de  notre  famille  impériale, 
vous  qui  aimez  les  princes  de  race  souveraine?  Â  quelle 
date,  suivant  vous,  faùt-il  qu'une  gloire  aussi  vaste  que 
celle  des  Bonaparte  remonte^  pour  que  voUs  hii  délivriez 
ses  parchemins  princiers?  Sauriez- vous  lé  dire? 

Louis-Napoléon  Bonaparte  sera  l'élu  de  la  France 
malgré  vous 'et  sans  vous;  et  nous  e^érons  que  malgré 
vous  et  sans  vous  elle  le  gardera.  Vous  voulez  le  passé, 
elle  veut  Tavenir.  Vous  rêvez  le  privilège,  elle  a  soif  de 
démocratie  sage  et  d'égalité;  c'est  le  courant  de  la  civi- 
lisation qui  veut  cela.  Vous  préparez  des  cataclysmes  ; 
car  vous  ne  savez  que  faire  des  digues  à  ce  courant  ;  la 
France  veut  quelqu'un  qui  sache  le  diriger  et  lui  ct*euser 
son  lit.  Notre  époque,  il  n'en  faut  pas  douter,  est  une 
époque  de  transition  et  de  transformation  sociales. 

N'étions-nous  pas  prophète  en  1845,  quand  nous 
disions  au  peuple  dans  notre  Livre  des  pauvres  :  a  Ces 
questions  (sociales)  sont  brûlantes  et  tous  les  hommes 
d'État  sentent  qu'elles  approchent,  seulement  ils  n'en 
disent  rien  parce  qu'elles  sont  difficiles  et  qu'ils  en  ont 
peur.  »  Faut-il  donc  attendre  les  catastrophes  pour  y 
remédier?  Ne  serait-il  pas  plus  sage  d'étudier  que  d'at- 
tendre apathiquement  et  lâchement?  Ne  serait-il  pas 
plus  digne  d'un  grand  peuple  et  de  grandes  assem- 
blées, de  s'occuper  de  ces  hautes  questions  sociales 

que  des  intérêts  mesquins   qui  nous   divisent? 

Unissez-vous  pour  attendre  les  événements  dont  sont 


Ï)'UN  COUP  D1ÈTAT.  413 

gvoB  les  nuages  de  nôtre  époque »  et  plus  loin  : 

«  Attendez,  Dieu  le  veut;  ces  événements,  pour  aller 
moins  vite,  n'en  iront  pas  moins  certainement.  » 

Eh  bien  !  les  événements  se  sont  accomplis.  Nous  les 
avions  prévus,  et  pourtant  nous  étions  bien  éloigné  du 
moude  politique.  Le  bouleversement  social  a  failli  tout 
entraîner,  la  France  ne  l'a  pas  oublié.  Au  10  décem* 
bre,  le  neveu  de  l'Empereur  s'est  présenté  au  pays 
comme  un  sauveur  et  le  pays  l'a  acclamé  par  six  mil- 
lions de  voix.  C'est  ce  vote  qui  a  donné  au  prince  la 
force  d'accomplir  les  actes  qui  viennent  de  sauver  la 
société. 

En  l'acclamant  aujourd'hui,  la  France  va  lui  dire 
qu'elle  approuve  ce  qu'il  a  fait,  elle  va  lui  donner  le 
j[M)uvoir  d'achever  son  œuvre. 

Dans  toute  la  France,  le  20  et  le  21  décembre,  le 
peuple  s'est  porté  d^enthousiasme  au  scrutin.  L'élection 
a  été  une  immense  acclamation  dans  les  villes  et  surtout 
dans  les  campagnes.  Une  multitude  de  communes  ont 
voté  oui  à  l'unanimité.  Dans  beaucoup  de  départements 
insultés,  le  chiffre  des  votes  négatifs  n'a  pas,  à  beau- 
coup près ,  représenté  celui  des  hommes  qui  avaient 
pris  part  à  l'insurrection  socialiste.  Pour  terminer  ce 
qui  a  trait  à  l'élection ,  nous  anticiperons  sur  les  dates 
iét  dirons  en  quelques  mots  comment  la  constatation 
officielle  des  votes  eut  lieu.  La  commission  consultative, 
après  en  avoir  fait  le  dépouillement,  se  rendit,  le 
31  décembre,  à  l'Elysée,  et  M.  Baroche,  son  président, 
remit  au  prince  l'extrait  du  procès-verbal,  constatant 


414  HISTOIRE 


que  y  pour  les  départements ,  TÂlgérie  et  les  armées  de 
terre  et  de  mer,  le  résultat  du  vote  était  : 


Votants, 

8,1*6,773 

OUI, 

7,439,216 

NON, 

640,737 

Annulés 

comme  îrréguliers, 

36,820 

Au  discours  que  prononça  M.  Baroche,  Louis-Napo- 
léon répondit  en  ces  termes  : 

Messieurs, 

La  France  a  répondu  à  Tappel  loyal  que  je  lui  a^ais  fait.  Elle  a 
compris  que  je  i),'étais  sorti  de  la  légalité  que  pour  rentrer  dans  le 
droit.  Plus  de  sept  millions  de  suffrages  viennent  de  m'absoudre  en 
justifiant  un  acte  qui  n'avait  d^autre  but  que  d'épargner  à  la  France, 
et  à  l'Europe  peut-être,  des  années  de  troubles  et  de  malheurs.  (Viyes 
marques  d*assentiment.)  Je  vous  remercie  d'avoir  constaté  officielle- 
ment combien  cette  manifestation  était  nationale  et  spontanée. 

Si  je  me  félicite  de  cette  immense  adhésion,  ce  n'est  pas  par  or- 
gueil, mais  parce  qu'elle  me  donne  la  force  de  parler  et  d'agir  aina 
qu'il  convient  au  chef  d'une  grande  nation  comme  la  nôtrç.  (Bravos 
répétés.)  Je  comprends  toute  la  grandeur  de  ma  mission  nouvelle,  je  ne 
m'abuse  pas  sur  ses  graves  difficultés.  Mais  avec  un  cœur  droit,  avec 
le  concours  de  tous  les  hommes  de  bien,  qui,  ainsi  que  vous,  ra'éclai- 
reront  de  leurs  lumières  et  me  soutiendront  de  leur  patriotisme,  avec 
le  dévouement  éprouvé  de  notre  vaillante  armée,  entin  avec  cette  pro- 
tection que  demain  je  prierai  solennellement  le  ciel  de  m'accorder 
encore  (sensation  prolongée) ,  j'espère  me  rendre  digne  de  la  con- 
fiance que  le  peuple  continue  de  mettre  en  moi.  (Vive  approbation.) 
J'espère  assurer  les  destinées  de  la  France,  en  fondant  des  institutions 
qui  répondent  à  la  fois,  et  aux  instincts  démocratiques  de  la  nation,  el 
à  ce  désir  exprimé  universellement  d'avoir  désormais  un  pouvoir  fort 
et  respecté.  (Adhésion  chaleureuse.)  En  effet,  donner  satisfaction  aux 
exigences  du  moment,  en  créant  un  système  qui  reconstitue  l'autorité 
sans  blesser  l'égalité,  sans  fermer  aucune  voie  d'amélioration,  c'est 
jeter  les  véritables  bases  du  seul  édifice  capable  de  supporter  plus 
tard  une  liberté  sage  et  bienfaisante. 


D'UN  œUP  D*ÉTAT.  415 

Après  cette  séance,  parut  un  décret  portait  que  le 
résultat  de  l'élection  serait  affiché  dans  toutes  les  com- 
munes de  France. 

Le  lendemain  9  T'  janvier  1852,  Louis-Napoléon 
Bonaparte  venait,  sous  les  voûtes  saintes  de  Notre-Dame 
de  Paris,  remercier  celui  qui  l'avait  élu  par  la  voix  du 
peuple.  Certes,  nous  sommes  de  ceux  qui  vénèrent 
par  instinct  tout  ce  qui  est  grand  :  ainsi  les  souvenirs 
de  notre  vieille  monarchie  ;  ainsi  les  épopées  miracu- 
leuses de  l'époque  impériale.  Cependant  ni  ces  gran- 
deurs du  passé,  ni  ces  majestés  plus  récentes,  n'émeu- 
vent aussi  religieusement  notre  àme  que  cette  simple 
solennité.  C'est  qu'elle  consacre  le  plus  grand  événe- 
ment de  notre  histoire  nationale.  Le  pouvoir  délégué 
par  la  nation  vient  rendre  hommage  à  Dieu  dans  son 
temple.  Et  le  prince  et  le  peuple  s'unissent  pour  éle- 
ver vers  les  cieux  un  cantique  d'actions  de  grâces. 
C'est  qu'aujourd'hui  commence  une  ère  nouvelle, 
celle  qui  ouvre  l'avenir  à  toutes  les  légitimes  espé- 
rances, celle  qui  ferme  le  passé  sur  les  révolutions.  La 
tyrannie,  qui  vient  d'en  haut,  la  licence,  qui  vient 
d'en  bas,  sont  les  deux  sources  fatales  des  révolutions. 

Mais  aujourd'hui,  la  grande  voix  de  la  majorité,  la 
voix  du  peuple,  la  voix  de  Dieu,  prescrit  le  droit  et  le 
devoir;  plus  de  prétextes,  plus  d'excuses  aux  luttes  des 
partis. 

Ce  qui  est  grand  et  admirable  dans  cette  fête,  ce 
n'est  pas  ce  déploiement  de  forces  militaires  échelon- 
nées depuis  l'Elysée  jusqu'à  Notre-Dame;  ce  n'est  pas 


41  «  HISTOIKE  DTJN  COUP  D'ÉTAT, 

le  cortège  lùagnifique  d'hommes  éitiinente  qui  entou- 
rent Napoléon,  et  qui  lui  font  comme  une  couronne  de 
ce  que  la  France  a  de  plus  glorieux  dans  les  arts,  la 
science  et  la  guerre  ;  ce  ne  sont  pas  non  plus  ces  riches 
tentures  qui  décorent  l'antique  église  et  ses  abords  ;  ce 
ne  sont  pas  ces  flots  d'harmonie  qui  s'élancent  des 
voûtes,  ni  ces  voix  du  canon,  cette  musique  des  ba* 
tailles,  qui  détonent  à  chaque  minute  dans  les  airs; 
Ce  n'est  pas  cette  foule  pressée  qu'épanche  Paris  de 
tous  ses  quartiers  sur  la  Cité ,  ce  navire  flottant  qui 
porte  Notre-Dame  ;  ce  n'est  pas  ce  concours  de  tous  les 
fonctionnaires  qu'envoient  nos  provinces.  De  ces  fêtes, 
nous  en  avons  eu  à  toutes  les  époques  :  les  rois,  la  Ré- 
publique, l'Empire  cfn  ont  eu  de  pareilles  ;  mais  ce  qui 
est  grand  et  admirable,  c'est  de  voir  ensemble,  au  pied 
de  Dieu  qui  leslbénit,  un  grand  peuple  qui  a  reconquis 
sa  souveraineté,  et  un  prince  auquel  il  la  délègue,  au 
nom  de  celui  qui  est  le  maître  de  toutes  choses  au  ciel 
et  sur  la  terre,  et  qui  dit  aux  puissants  de  ce  monde  : 
«  C'est  de  Dieu  que  vous  tenez  l'empire,  c'est  Dieu  qui 
vous  a  donné  la  force;  il  vous  interrogera  sur  vos 
œuvres,  et  sondera  le  fond  de  vos  pensées.  »  {Sag.y 
ch.  VI,  v,  4.)  Et  qui  dit  aux  peuples  :  «  Celui  qui  ré- 
siste au  pouvoir,  s'oppose  à  un  ordre  que  Dieu  a  établi... 
car  les  princes  ne  sont  pas  à  craindre  lorsqu'on  fait  de 
bonnes  actions  ;  mais  seulement  lorsqu'on  en  fait  de 
mauvaises.  (  Hom.y  ch.  xni,  v.  2-3.) 


(suite.) 


APBftS  L'I&LBCnOlf. 


Maintenant  que  nous  avons  donné  tout  ce  qui  est 
latif  à  Télection  présidentielle ,  il  nous  reste  à  faire  rapi- 
dement rénumération  des  actes  administratifs  impor- 
tants jusqu'à  la  promulgation  delà  Constitution.  Nous 
reprenons  donc  cette  énumératîon  où  nous  l'avons  lais- 
sée, en  omettant,  comme  nous  Tavons  fait  jusqu'ici, 
ce  qui  n'a  pas  d'importance  politique. 

Soucieux  d'assurer  aux  déportés  politiques  le  bien-être 
que  l'humanité  prescrit  de  leur  donner,  le  Président, 
par  un  décret  daté  du  20  décembre,  et  promulgué  le  22, 
ouvre  un  crédit  de  658,000  fr.  pour  former  un  éta- 
blissement pénitentiaire  à  la  Guyane  ;  58,000  fr.  se- 


418  HISTOIRE 

ront  affectés  aux  dépenses  du  service  militaire ,  et 
600,000  fr.  à  celles  de  la  colonie. 

Le  Moniteur  du  24  contenait  le  décret  suivant,  qui 
réforme  l'injustice  du  gouvernement  provisoire  à  l'égard 
des  officiers  généraux  : 

AU  NOM  DU  PEUPLE  FRANÇAIS. 

Le  Président  de  la  République, 

Vu  le  décret  du  gouvernement  provisoire  du  28  avril  1848,  qui 
règle  le  nombre  des  divisions  et  subdivisions  militaires  ; 

Vu  le  décret  du  3  mai  1848,  qui  réduit  le  cadre  d^activité  des  offi- 
ciers généraux  et  le  cadre  de  Tétat-major  ; 

Considérant  que  Texpérience  a  fait  reconnaître  les  vices  de  Torgani- 
sation  des  divisions  et  subdivisions  militaires  déterminées  par  le  dé- 
cret du  28  avril  i848;  que  la  trop  grande  étendue  des  commande- 
ments territoriaux  ne  laisse  pas  toujours  au  pouvoir  sa  liberté  d*ac- 
tton  et  les  moyens  de  réprimer  les  tentatives  de  désordre  avec  toute 
la  promptitude  désirable  ;  que  les  derniers  événements  ont  surtout 
révélé  ce  danger,  et  que,  dans  Tintérèt  de  la  sûreté  publique,  il  de- 
vient urgent  d*augmenter  le  nombre  des  divisions  et  subdivisions 
militaires  ; 

Considérant  que,  pour  arriver  à  ce  résultat,  il  est  indispensable  de 
rétablir  le  cadre  des  offîciers  généraux  et  celui  des  officiers  d'état- 
major  sur  les  anciennes  bases,  et  que  le  décret  du  3  mai  1848  n*a 
plus  de  raison  d*ètre,  puisquMl  était  exclusivement  motivé  sur  la  di- 
minution du  nombre  d'emplois  dévolu  aux  officiers  de  Tétat-major 
général  ; 

Sur  le  rapport  du  ministre  de  la  guerre. 
Décrète  : 

Le  décret  du  3  mai  1848,  qui  avait  réduit  le  cadre  d*activité  des 
officiers  généraux  el  le  cadre  de  Tétat-major,  est  abrogé. 

Louis-Napoléon  Bonapartb. 

Ce  décret  est  suivi  de  celui  qui ,  d'après  un  rapport 
remarquable  du  général  de  Saint-Arnaud ,  ministre  de 


DHJN  œUP  D'ÉTAT.  419 

la  guerre,   porte  que  dorénavant  la  gendarmerie  se 
composera  : 

1*  De  TinglHiix  légions  pour  le  service  des  départements  et  de  FAl- 

2*  De  la  gendarmerie  coloniale  ; 

3*  De  deux  bataillons  de  gendarmerie  mobile  ; 

4*  De  la  garde  républicaine,  chargée  du  senrice  spécial  de  la  ville 
de  Paris  ;  ^ 

5*  De  deux  compagnies  d'infanterie  auxiliaire  de  la  gendarmerie  en 
Afrique,  sous  la  dénomination  de  voltigeurs  algériens  ; 

6*  De  deux  compagnies  de  gendarmes  vétérans  ; 

7*  Du  bataillon  de  sapeurs-pompiers  de  la  ville  de  Paris. 

Des  tableaux  successifs  donnent  la  composition  des 
cadres,  et  le  décret  règle  la  répartition  des  grades  d'of- 
ficiers entre  la  gendarmerie  et  l'armée. 

Le  même  jour,  parait  le  décret  suivant  : 

AU  NOM  DU  PEUPLE  FRANÇAIS. 

Le  Président  de  la  République , 

Vu  la  loi  du  14  avril  1832  et  celle  du  4  août  1839  ; 

Sur  le  rapport  du  ministre  de  la  guerre^ 
Décrète  : 

Art.  1*'.  Sont  promus  dans  le  cadre  d'activité  des  officiers  généraux, 
Bavoir  : 

Au  grade  â9  général  de  division.  —  Les  généraux  de  brigade  :  Corbin, 
Duflburc  d^Antist,  Servatius,  Roguet ,  Le  Pays  de  BourjoUy,  de  Sei^ 
maise,  Grand,  Herbillon,  Noizet,  Morris,  Reibell,  Dulac,  Reyau,  Au- 
las  de  Courtigis,  Tbiry,  Forey. 

Au  grade  de  général  d«  brigade,  —  Les  coloneb  :  Tatareau,  du  corps 
d*état-major  ;  Lemaire,  commandant  la  19*  légion  de  gendarmerie  ; 
d*Anthouaid-Vraincourt,  commandant  le  24*  régiment  d'infanterie  de 
ligne;  Mayran,  commandant  le  58*  régiment  d'infanterie  de  ligne  ; 
Cœur,  commandant  le  2*  régiment  de  la  légion  étrangère  ;  Répond, 
commandant  le  31*  régiment  d^infanterie  de  ligne;  Bouet,  comman- 


1    *. 


420  HISTOIRE 

dant  le  33*  régiment  d'infanterie  de  ligne;  Peyssard,  commandant  le 
27*  réfi^ment  dMnfanterie  de  ligne;  d^Hugues,  commandant  le  37*  ré- 
giment d'infanterie  de  ligne  ;  Conrand,  commandant  le  19*  régiment 
d'infanterie  de  ligne  ;  Bourgourd  de  Lamare,  commandant  le  13*  ré- 
giment dMnfanterie  légère  ;  d'Aurelle  de  Paladines,  commandant  le 
régiment  de  zouaves;  Ney  d'Elchingen,  commandant  le  7*  régiment 
de  dragons;  Bouscarin,  commandant  le  3*  régiment  de  spahis  ;  Bel* 
tramin,  commandant  le  6*  régiment  de  dragons  ;  Dupuch^  comman- 
dant le  4*  régiment  de  chasseurs  d'Afrique;  Du  Poillouë  de  Saintr 
Mars,  commandant  le  9*  réçiment  de  dragons  ;  Lannes  de  Montehello, 
commandant  le  7*  régiment  de  chasseurs  ;  AUot,  commandant  le  7*  ré- 
giment d'artillerie  ;  Allard  ,  directeur  des  fortifications  à  Nantes. 

Art.  2.  Le  ministre  de  la  guerre  est  chargé  de  l'exécution  du  pré- 
sent décret. 

Fait  à  l'Blysée-National,  le  22  décembre  1851.. 

Loms-NAPOLÉoif  Bonaparte. 
le  mmiêtn  d$  la  guerre^ 

A.  DE  SAIffT-AimAUD. 

Le  Moniteur  du  même  jour  contient  aussi  le  décret 
pour  l'exécution  des  lois  des  30  avril  1849  et  1  \  juillet 
1851,  concernant  rétablissement  des  banques  colo- 
niales. 

Un  décret  du  27  décembre  réunit,  à  partir  du  1"  jan- 
vier 1852^  l'administration  des  douanes  et  celle  des 
contributions  indirectes  en  une  seule,  qui  prend  le 
nom  des  deux  réunies.  Louis-Napoléon  signe  le  même 
jour,  sur  le  rapport  du  ministre  de  la  guerre,  le  décret 
qui  fait  du  territoire  français  vingt  et  une  divisions  mi- 
litaires, comme  le  porte  le  tableau  suivant  : 

TABLEAU  DES  NOUVELLES  DIVISIONS  ET  SUBDIVISIONS  MILITAIRES. 

i»"*  DIVISION.  —  Qwirtier  général  à  Paris.  —  1^»  subdivision,  Seine 
(Paris).  —  2*  Seine-et-Oise  (Versailles).  —  3*  Oise  (Beauvais).  — 


DTK  OOUP  WÉTAT.  411 


4f  Sdne-el-llaiTie  (Melon) — S"  Aube  (Troyes).—e*  Yonne  (Aaxerre). 
—  7*  Loiret  (Orléans).  —  9*  Euie^-Lolr  (Chartres). 

S*  MTHKNf.  —  QiMntMr  §énérai  à  ^omm.  -*  i»  subdÎTisîon,  SHne- 
Mérieore  (Roaen).  —  2*  Eure  (Ëneox).  —  3*  CalTados  (Cnen).  — 
4^  Orne  (Aknçon). 

3*  DmsMn.  ^  Qmmiiêr  géUrél  à  UIU.  ^  i**  subdiTÎsion ,  Nord 
(LiUe).  —  2*  Pas^e-Calals  (Arras).  —  3*  Somme  (Amiens). 

4*  DmsMm.  —  QmartiÊr  gémirûl  à  Ck&UmM-tm^Mmrmê.  —  {f  subdi- 
vision, Marne  (Gbalonfr«or-Mame).  ^  2*  Aisne  (Laon).—  3*  Ardennes 

S*  Dmsi0!«.  —  Qfiarikr  général  à  MètM.  —  1>«  subdiTÎsîon  ^  Moselle 
(Metz).  ^  2*  Meose  (Verdun).  —  3*  Meurthe  (  Nancy  ).  ^  4*  Vosges 
(Epînal). 

6*  onsioii.  — Çmartigr  général  à  Strasbourg. —  l^  subdivision,  Bas- 
Rhin  (Strasbourg).  —  2*  Haut-Rhin  (Colmar). 

7*  DivisiO!«.»Quar(ttfr  général  à  Besançon.-^  1»  subdivision,  Doubs 
(Besançon).  —  2*  Jura  (Lons-le-Saulnicr).  —  3«Côte-d'0r  (Dijon).  — 
¥  Haute-Marne  (Chaumont).  —  5*  Haute-Saône  (Vcsoul). 

8*  Division.  —  Quartier  général  à  Lyon.  —  l^*  subdivision  ,  Rhône 
(Lyon).  — 2*  Loire  (Saint-Ëtienne)  —  3*  Saône-et-Loire  (Chalons-sur- 
Siûkie).  —  4*  Ain  (Bourg).  —  $•  Isère  (Grenoble).  —  6«  Hautes-Alpes 
(Gap).  —  7*  Drôme  (Valence).  —  8*  Ardècbe  (Privas). 

9*  NVisioii.  —  Quartier  général  à  Marseille,  —  i^*  subdivision,  Bou- 
ches-du-Rhône  (Marseille).  »  2*  Var  (Toulon).  ~  3*  Basses-Alpes 
(Digne).  —  4*  Vaucluse  (Avignon). 

\(f  DIVISION.  — Quartier  général  à  Montpellier.  —  1"  subdivision, 
Hérault  (Montpellier) .— 2*  Avcyron  (Rodez).  —  3«  Lozère  (Mende). 
^  4*  Gard  (Nîmes). 

il*  DIVISION.  —  Quartier  général  à  Perpignan.  —  i^  subdivision  , 
Pyrénées -Orientales  (Perpignan).  —  2*  Ariége  (Foix).  —  3*  Aude 
(Carcassonne). 

12*  DIVISION.  —  Quartier  général  à  Toulouse.  —  !'•  subdivision, 
Haule-Garonne  (Toulouse).  —  2*  Tam-et-Garonne  (Montauban).  — 
r  Lot  (Cahors).  —  4*  Tarn  (Alby). 

13*  DIVISION.  —  Quartier  général  à  Bayonne.  —  1»  subdivision , 
Basses-Pyrénées  (Bayonne).  —2«  Landes  (Mont-de-Marsan).» 3* Gers 
(Auch).  —  4«  Hautes-Pyrénées  (Tarbes). 

27 


tô2  HISTOIRE 

14*  oiTisiON.  — »  Quartier  général  à  Bordêomœ.  — 1<«  Bubétnswn ,  Gi- 
ronde (Bordeaux).  —  2*  Chareate-Inférieune  (La  Rodielle).  -^  3*  Clm* 
rsate  <Aji^uléfine)«  -^  4*  Dordogue  (Périg aeva).^^6^£olHel»^roRoe 
(Age».) 

15*  DIVISION.  —  Quartier  général  à  Nantes,  —  1"  sutidrfiBioli,  Loire- 
Inférieure  (Naoteç).-^  2*  Maine-et-Loôre  (Afigeis). ^ — ^*  Deux-Sèrres 
(Niort).  —  4*  Veadée  (Ma^éon- Vendée)^ 

16*  DIVISION.  — Quartier  ^nérai  4  ItomKf»  -y  1«« subdivision ,  Ille-et- 
Vilaine  (Rennes).  —  2*  Morbihan  (  Vanse»).  ^  8*  Fimstère  (Brest). 

—  4*  Côtes-du-Nord  (Saint-Brieuc).  —  5*  Manche  (Cherbourg^  «* 
a?  Mayenne  (Laval). 

17*  DIVISION  (CoTfic)»  —  Quartéer^nénéral  à  Basîki.  —  !'•  subdivision, 
Bastia.  —  2«  Ajaccio. 

18*  DIVISION.  —  Quartier  générai  à  Toifri,*-  I m  subdivision,  Indre- 
et-Loire  (Tours).  —  2*  Sarthe  (  Le  Mans).  —  3*  Loir-etrCber  (Blois). 

—  4*  Vienne  (Poiliers). 

19*  DIVISION.  —  Quartier  général  à  Bourgêi.  — .  lr«  rabdiviston ,  Cher 
(Bourges).  —  2*  Nièvre  (  Nevers)*  —  3*  Allier  (Moulins).  —  4*  Indre 
(Chàteauroux). 

20*  DIVISION.  —  Quartier  général  à  Clermont^Ferrand.  —  !«•  subdivi* 
sioD ,  Puy-de-Dôme  (Clennont-Ferrand).  ^  2*  HautinLoire  (Le  Poy). 

—  3*  Cantal  (Aurillac). 

21'  DIVISION. — Quartier  général  à  Limoges. -^i^"»  Bobëivision ,  Haute- 
Vienne  (Limoges).  —  2*  Creuse  (Guéret).  —  3*  Corrèze  (T^lle). 

Le  ministre  de  la  guerre , 

A.  DE  Saint- Abi^acd. 
Approuvé  : 

Louis-Napoléon  Bonaparts. 

Chaque  département  forme  une  subdivision.  Comme 
le  dit  le  général  ministre  de  la  guerre,  dans  son  rapport, 
celte  nouvelle  division  militaire  du  territoire  a  l'avan- 
tage de  mettre  tous  les  chefs-lieux  de  division  ,  sauf 
deux,  en  communication  directe  par  le  télégraphe  avec 
Paris,  et,  autant  que  possible,  avec  leurs  principales 
subdivisions. 


D'UN  œUP  D*ÉTAT.  423 

Le  29,  Louis-Napoléon  signe  le  décret  suivant,  dont 
les  considérants  sont  la  justification  complète  pour  tous 
ceux  que  la  passion  n'aveugle  pas  : 

AU  NOM  DU  PEUPLE  FRANÇAIS. 

Le  Président  de  la  République, 

Sur  le  rapport  du  ministre  de  Tintérieur, 

Considérant  que  la  multiplicité  toujours  croissante  des  cafés,  ca- 
barets et  débits  de  boissons  est  une  cause  de  désordre  et  de  démora- 
lisation ; 

Considérant  que,  dans  les  campagnes  surtout,  ces  établissement ^ 
«ont  devenus,  en  grand  nombre,  des  lieux  de  réunion  et  d'affiliation 
pour  les  'sociétés  secrètes,  et  ont  favori^  d*une  manière  déplorable 
les  progrès  des  mauvaises  passions  ; 

Considérant  qu*il  est  du  devoir  du  gouvernement  de  protéger,  par 
des  mesures  efficaces,  les  mœurs  publiques  et  la  sûreté  générale , 
Décrète  : 

Art.  l*^  Aucun  café,  cabaret  ou  autre  débit  de  boissons  à  consom- 
mer sur  place,  ne  pourra  être  ouvert,  à  Tavenir,  sans  la  permission 
préalable  de  Tautorité  administrative. 

Art.  2.  La  fermeture  des  établissements  désignés  en  Tart  i**,  qui 
existent  actuellement  ou  qui  seront  autorisés  à  Tavenir,  pourra  èlre 
ordonnée,  par  arrêté  du  préfet,  soit  après  une  condamnation  pour 
contravention  aux  lois  et  règlements  qui  concernent  ces  professions, 
soit  par  mesure  de  sûreté  publique. 

Art.  3.  Tout  individu  qui  ouvrira  un  café,  cabaret  ou  débit  de  bois- 
sons à  consommer  sur  place,  sans  autorisation  préalable  ou  contrai- 
rement à  un  arrêté  de  fermeture  pris  en  vertu  &e  l'article  précédent, 
sera  poursuivi  devant  les  tribunaux  correctionnels,  et  puni  d'une 
amende  de  25  à  500  fr.  et  d'un  emprisonnement  de  six  jours  à  six 
mois.  L'établissement  sera  fermé  iminédiatem^int. 

Art.  4.  Le  ministre  de  l'intérieur  est  chargé  de  l'exécution  du  pré- 
sent décret. 

Fait  au  palais  de  TÉlysée,  le  29  décembre  1851. 

Louia-Napou'on  Romm*artk, 
U  miniitre  de  i^inlt^rifur^ 

1)K  M0H«N\[, 


424  HISTOIRE 

On  se  souvient  avec  quelle  sollicitude  certains  mem- 
bres de  la  dernière  Assemblée  défendaient  ces  lieux  pu- 
blics qu'ils  nommaient  les  salons  du  peuple.  Il  est 
évident  pour  tout  homme  sensé,  qu'on  ne  doit  pas  lais- 
ser sans  garantie  qui  que  ce  soit  libre  de  faire  de  sa 
maison  un  foyer  de  conspiration  ou  de  démoralisation. 

Tous  les  vieux  soldats,  tous  les  débris  de  nos  grandes 
guerres  ont  dû  sentir  se  réveiller  en  eux  les  souvenirs 
de  leur  passé  glorieux,  en  voyant  le  décret  du  31  dé- 
cembre, qui  rétablit  Taigle  sur  les  drapeaux  de  l'armée 
et  sur  la  croix  de  la  Légion  d'honneur.  L'aigle,  c'est 
l'Empire  avec  ses  miracles  et  ses  événements  gigantes- 
ques. L'aigle,  c'est  la  gloire  française  brillant  à  la  fois 
sous  toutes  les  latitudes  de  l'Europe  et  léguant  à  l'his- 
toire plus  d'épopées  magnifiques  que  l'antiquité  tout 
entière.  L'aigle,  c'est  pour  notre  jeune  armée,  si  les 
événements  le  commandaient,  ce  qu'à  Dieu  ne  plaise, 
un  témoin  qui  leur  dirait  les  traditions  de  leurs  devan- 
ciers, un  guide  qui  leur  montrerait  les  routes  tracées 
par  leurs  aines. 

Désirons  la  paix,  prions  Dieu  qu'il  nous  la  garde; 
mais,  tandis  que  les  nations  étrangères  conservent  si 
religieusement  les  quelques  trophées  de  deux  ou  trois 
de  nos  défaites,  relevons  avec  orgueil  le  signe  de  nos 
gloires.  L'aigle  a  vu  toutes  les  capitales  ;  l'aigle  ne  se  sou- 
vient pas  même  du  nombre  des  victoires. 

Le  monde  n'a  pas  un  trophée  comme  notre  colonne 
de  la  grande  armée.  L'aigle  impériale  a  compte  plus 
de  canons  conquis  qu'il  n'en  faudrait  pour  élever  de 


DTO  OOCP  DTÉTAT.  «S 

ptrak  moDomeots  sur  toutes  les  places  pobfiqpKs  de 
Pftris. 

Uo  décret,  signé  le  3,  porte  que  les  rnoonaies  d'or  et 
d'argent  porteront  sur  la  fàce  Teffigie  de  Louis-  Napo- 
léon j  et  en  exergue  ces  trob  mots  :  Louis  ^  Napoléam 
Bomaparie. 

Après  d'autres  décrets  d'utilité  publique  concernant, 
soit  rétaUissement  de  bains  et  lavoirs  publics,  soit  la 
concession  de  lignes  de  chemin  de  fer  à  des  compa- 
gnies, Tient  celui  du  6  janvier,  décrétant  rétablisse- 
ment de  lignes  télégraphiques  électriques  rayonnant  de 
Psaris  sur  nos  principales  Tilks,  et  mettant  en  commu- 
nication CCS  villes  entre  elles. 

Nous  ne  faisons  qu'indiquer  sommairement  tous  ces 
décrets,  parce  qu'ik  n'ont  pas  un  rapport  direct  au  su- 
jet principal  que  nous  traitons  ;  mais  nous  citerons  en- 
tièrement ceux  que  contenait  le  Moniieur  du  10,  ainsi 
que  les  réflexions  dont  il  les  accompagne  : 

«  Le  go  uvemement,  fermement  déterminé  à  préve- 
nir toute  cause  de  troubles,  a  dû  prendre  des  mesures 
contre  certaines  personnes  dont  la  présence  en  France 
pourrait  empêcher  le  calme  de  se  rétablir. 

«  Ces  mesures  s'appliquent  à  trois  calories  : 

«  Dans  la  première,  figurent  les  individus  convaincus 
d'avoir  pris  part  aux  insurrections  récentes;  ils  seront, 
suivant  leur  degré  de  culpabilité,  déportés  à  la  Guyane 
française  ou  en  Algérie. 

c  Dans  la  seconde,  se  trouvent  les  chefs  reconnus  du 
socialisme  ;  leur  séjour  en  France  serait  de  nature  à 


«M  mSTÛlAE 

fomefifter  la  guerre  civile  ;  ils  seront  expulsés  du  terri- 
toire de  la  République,  et  ils  seront  transportés  s'ib 
Venaient  à  y  rentrer. 

ce  Dans  la  troisièdde,  tont  compris  les  hommes  polî- 
tiqws  qui  se  sont  fait  remarquer  par  leur  \iolente  hos- 
tilité au  gouvernement,  et  dont  la  présence  serait  une 
(Sàuse  d'agitation  ;  ils  seront  momentanément  éloignés 
de  France. 

<  Dan«  les  circonstances  actuelles,  le  devoir  du  gou- 
vernement est  la  fermeté  ;  mais  il  saura  maintenir  la 
répression  dans  de  justes  limites. 

t  Les  divers  décrets  qui  précèdent  concernent  seu- 
lement les  anciens  représentants. 

«  Les  sieurs  Marc  Dufraisse,  Greppo,  Miot,  Mathé  et 
Rictmrdet  seront  transportés  à  la  Guyane  française.  » 

LeMamieur  publie  en  outre,  dans  sa  partie  officielle, 
les  noms  des  anciens  représentants  compromis  dans  la 
deuxième  et  la  troisième  catégorie  : 

AU  NOM  DU  PEUPLE  FlUNÇAIS. 

Louis-Napoléon,  Président  de  la  République, 
Décrète  : 

Art.  1*'.  Sont  expulsés  du  territoire  français,  de  celui  de  T Algérie  et 
de  celui  des  colonies,  pour  cause  de  sûreté  générale,  les  anciens  re- 
présentants à  TAssemblée  législative  dont  les  noms  suivent  : 

Edmond  Valentin.  —  Paul  Racouchot.  —  Agricol  Perdiguier.  — 
Eugène  Cholat.  —  Louis  Latrade.  —  Michel  Renaud.  —  Joseph  Be- 
noît (Rhône).  —  Joseph  Burgard.  —  Jean  Colfavru.  —  Joseph  Faure 
(Rhône).  —  Pierre-Charles  Gambon.  —  Charles  Lagrange.  —  Martin 
Nadaud.  —  Barthélémy  Terrier. — Victor  Hugo.  —  Cassai.  —  Signard. 
— Viguier.  —  Charrassin.  ^Bandsept.  — Savoye.  —  loly.  — Com- 


D*UN  COUP  OTÈTAT.  4« 

w  *-  Réyseet.  —  Duché.  —  Ennery.  —  Guilgot.  —  Hochstuh}.  — 
Michot-Boutet. — Baune.  —  Bertholon.  — >Soli<Blchep.  —De  Flotte.  — 
Joîgneaux.  —  Laboulaye.  —  Bruys.  —  Esquiros.  —  Madier  de  Moni- 
jdu.  —  Noël  Parfait.  —  Emile  Péan.  —  Pelletier.  —  Raspail. ^Théo- 
dore Bac.  —  BdDceî.  —  Belîn  (Drôme).  —  Besse.  —  Bourzat.  —  Bri? es. 

—  ChaToix.  —  Dulac.  —  Dupont  (de  Bussac).  —  Gaston  Dussoubs.  — 
Guiter.  —  Lafon.  —  Lamarque.  —  Pierre  Lefranc.  —  Jules  Leroux. 

—  Francisque  Maigne.  —  Malardier.  —  Mathieu  (de  la  Drôme).  — 
Millotte.  —  Boselli-MoHet.  —  Charras.  —  Saint-Férréol.  —  Sommier. 
^  TesteUn  ^Nord). 

Art  2  Dans  le  cas  où^  contrairement  au  présent  décret,  Tun  des 
individus  désignés  en  Part,  l*'  rentrerait  sur  les  territoires  qui  Itri 
smÉ  interdits ,  il  poiivra  être  déporté  par  mesure  àt  sûreté  générale. 

Faiâ  au  palais  des  Tuileries,  le  conseil  des  ministres  entendu,  le 

il>aovkri852. 

Loui^-NapoUon. 

Le  miniitn  d$  Vintériiur, 

De  Mornt. 

AU  NOM  DU  PEUPLE  FRANÇAIS. 

Lotris^Napoléon,  Président  de  la  République, 
Décrète  ? 

Art  f  •'.  So»t  momentanément  éloignés  du  territoire  français  et  de 
celiri  de  FAlgérte,  pour  cause  de  sûreté  générale,  les  anciens  repré- 
sentants à  TAssemblée  législative  dont  les  noms  suiTeni  : 

Duvergier  de  Hauranne.  —  Creton.  —  Général  de  Lamoricière.  — 
Général  Changamicr.  —  Baze.  —  Général  Le  Flô.  —  Général  Bedeau. 

—  Thiers.  —  Chambolle.  —  De  Rémusat.  —  Jules  de  Lasteyrie.  — 
Éraile  de  Girardin.  —  Général  Laidet.  —  Pascal  Duprat.  —  Edgar 
Quinct.  —  Antony  Thouret.  —  Victor  Chauffour.  —  Versigny. 

Art.  %  Bs  ne  pourront  rentrer  en  France  ou  en  Algérie,  qu'en  vertu 

d^une  autorisation  spéciale  du  Président  de  la  République. 

Fait  au  palais  des  Tuileries,  le  conseil  des  ministres  entend»,  le 

9  janvier  4852. 

Louis^Navoléoii* 

U  minittrê  de  Vintérieur, 

Db  Moun. 


428  HISTOIRE 

Nous  donnerons  aussi  textuellement  le  décret  con«» 
cernant  la  garde  nationale  : 

r 

RÉPUBLIQUE  FRANÇAISE. 

AU  NOM  DU  PEUPLE  FBAIIÇAIS. 

Louis-Napoléon,  Président  de  la  République  « 

Considérant  que  Tordre  est  Tunique  source  du  traTail  et  qu^il  ne 
s*établit  qu'en  raison  directe  de  la  force  et  de  Tautorité  du  gouverne- 
ment; 

Considérant  que  la  garde  nationale  doit  être  non  une  garantie  contre 
le  pouvoir,  mais  une  garantie  contre  le  désordre  et  Tinsurrection  ; 

Considérant  que  les  principes  appliqués  à  l'organisation  de  la  garde 
nationale  à  la  suite  de  nos  différentes  révolutions,  en  armant  indis- 
tinctement tout  le  monde,  n'ont  été  qu'une  préparation  à  la  guerre 
civile  ; 

Qu'une  composition  de  la  garde  nationale,  faite  avec  discernement, 
assure  Tordre  public  et  le  salut  du  pays  ; 

Considérant  que,  dans  les  campagnes  surtout,  où  la  force  publique 
est  peu  nombreuse,  il  importe  de  prévoir  toute  nouvelle  tentative  de 
désordre  et  de  pillage  ;  qu'une  récente  expérience  a  prouvé  qu'une 
seule  compagnie  de  bons  citoyens  armés  pour  la  défense  de  leurs 
foyers,  suffit  pour  contenir  ou  mettre  en  fuite  des  bandes  de  malfai- 
teurs; 

Sur  le  rapport  du  ministre  de  Tintérieur; 
Décrète  : 

Les  gardes  nationales  sont  dissoutes  dans  toute  Tétendue  du  terri- 
toire de  la  République. 

Elles  sont  réorganisées  sur  les  bases  suivantes,  dans  les  localités 
où  leur  concours  sera  jugé  nécessaire  pour  la  défense  de  Tordre  public. 

Dans  le  département  de  la  Seine,  le  général  commandant  supérieur 
est  chargé  de  cette  réorganisation,  qui  aura  lieu  par  bataillons. 

Art.  !•'»  Le  service  de  la  garde  nationale  consiste  : 

1°  En  service  ordinaire  dans  Tintérieur  de  la  commune; 

:2°  En  service  de  détachement  hors  du  territoire  de  la  commune; 


D*UN  COUP  D'ÉTAT.  429 

Art.  2.  Le  service  de  la  garde  nationale  est  obligatoire  pour  tous  les 
Français  âgés  de  vingt-cinq  à  cinquante  ans,  qui  seront  jugés  aptes  à 
ce  service  par  le  conseil  de  recensement.  Néanmoins,  le  gouvemeneat 
fixera,  pour  chaque  localité,  le  nombre  des  gardes  nationaux. 

Art.  3.  La  garde  nationale  est  organisée  dans  toutes  les  comoioiiet 
où  le  gouvernement  le  juge  nécessaire  :  elle  est  dissoute  et  réorganisée 
suivant  que  les  circonstances  l'exigent.  Elle  est  formée  en  compagnie, 
tMitaillon  ou  légion,  selon  les  besoins  du  service  déterminés  par  Tau- 
torité  administrative ,  qui  pourra  créer  des  corps  de  sapeurs-pompiers. 

La  création  de  corps  spéciaux  de  cavalerie ,  artillerie  du  génie ,  ne 
pourra  avoir  lieu  que  sur  l'autorisation  du  ministre  de  l'intérieur. 

Art.  4.  Le  Président  de  la  République  nommera  un  commandant 
supérieur,  des  colonels  ou  lieutenants-colonels  dans  les  localités  où  il 
le  jugera  convenable. 

Art.  5.  La  garde  nationale  est  placée  sous  l'autorité  des  maires , 
des  sous-préfets,  des  préfets  et  du  ministre  de  l'intérieur. 

Lorsque ,  d'après  les  ordres  du  préfet  ou  du  sous-préfet ,  la  garde 
nationale  de  plusieurs  communes  est  réunie  au  chef-lieu  du  canton, 
soit  dans  toute  autre  commune,  elle  est  sous  l'autorité  du  maire  de 
la  commune  où  a  lieu  la  réunion. 

Sont  exceptés  les  cas  déterminés  par  les  lois  où  la  garde  nationale 
est  appelée  à  faire  un  service  militaire  et  qu'elle  est  mise  sous  les  or- 
dres de  l'autorité  militaire. 

Art.  6.  Les  citoyens  ne  peuvent  ni  prendre  les  armes  ni  se  rassem- 
bler, comme  gardes  nationaux,  avec  ou  sans  uniforme,  sans  l'ordre 
des  chefs  immédiats ,  et  ceux-ci  ne  peuvent  donner  cet  ordre  sans  une 
réquisition  de  l'autorité  civile. 

Art.  7.  Aucun  chef  de  poste  ne  peut  faire  distribuer  des  cartouches 
eux  gardes  nationaux  placés  sous  son  commandement ,  si  ce  n'est  en 
vertu  d'ordre  précis,  ou  en  cas  d'attaque  de  vive  force. 

Art.  8.  La  garde  nationale  se  compose  de  tous  les  Français  et  des 
étrangers  jouissant  des  droits  civils ,  qui  sont  admis  par  le  conseil  de 
recensement ,  à  la  condition  d'être  habillés  suivant  l'uniforme ,  qui 
est  obligatoire. 

Art.  9.  Le  conseil  de  recensement  est  composé  ainsi  qu'il  suit  : 

i»  Pour  une  compagnie  :  du  capitaine ,  président,  et  de  deux 
membres  désignés  par  le  sous-préfet  ; 


430  HISTOIRE 

2*  Pour  un  bafaiHon  :  du  chef  de  bataillon ,  président,  et  du  capi- 
taine de  chacune  des  compagnies  qui  le  composent  :  le  capitaine  peut 
ie  fliire  suppléer  par  son  sergent-major. 

ProYisoirement ,  et  jusqu'à  nomination  aux  grades ,  il  est  composé 
de  trofs  membres  par  compagnie ,  et  de  neuf  membres  par  bataillon, 
désignés  par  le  préfet  ou  sous-préfet. 

A  Paris ,  la  désignation  sera  faite  par  le  ministre  de  Tintérieur,  sur 
là  présentation  du  général  commandant  supérieur. 

Le  conseil  de  recensement  prononce  sur  les  admissions  et  arrête 
le  contrôle  définitif. 

Art.  10.  II  y  aura  Un  jury  de  révii^ion  par  chaque  canton.  Il  est  pré- 
sidé par  le  juge  de  paix  et  composé  de  quatre  membres  nommés  par 
le  sous-préfet. 

A  Paris,  le  jury  de  révision,  institué  à  Tétat-major  général,  est 
présidé  par  le  chef  d'état-major;  à  son  défaut,  par  un  lieutenant-co- 
lonel d'état-major,  et  composé  de  : 

4  chefs  de  bataillon  ; 

2  chef^  d'escadron  d'état-major  ; 

2  capitaines  d'état-major  ; 

1  chef  d'escadron,  rapporteur; 

I  capitaine,  rapporteur  adjoint  ; 

i  capitaine,  secrétaire; 

1  lieutenant,  secrétaire  adjoint. 

Art.  11.  Le  Président  de  la  République  nomme  les  officiers  de  tous 
grades,  sur  la  présentation  du  ministre  de  l'intérieur,  d'après  les  pro- 
positions du  commandant  supérieur,  dans  le  département  de  la  Seine, 
et  d'après  celles  des  préfets,  dans  les  autres  départements. 

Les  adjudants  sous-officiers  sont  nommés  parle  chef  de  bataillon, 
qui  nomme  également  à  tous  ies  emplois  de  sous-officiers  et  de  capo- 
raux, sur  la  présentation  des  commandants  de  compagnies. 

Art.  12.  Les  communes  sont  responsables,  sauf  leur  recours  contre 
les  gardes  nationaox,  des  armes  que  le  gouvernement  a  jugé  néces- 
saire de  leur  délivrer  ;  ces  armes  restent  la  propriété  de  HStat. 

L'entretien  de  Tarmement  est  à  la  charge  du  garde  national;  les 
réparations,  en  cas  d'accident  causé  par  le  service,  sont  à  la  charge 
de  la  commune. 

Les  gardes  nationaux  détenteurs  d'armes  appartenant  à  l'Etat,  qui 


D'UN  OWP  irtTAT.  4^1 

ne  présentent  pa^oa  ne  font  pas  présenter  ces  armes  aux  inspections 
générale»  annuelles  preaerites  par  les  règlements,  peutent  être  con» 
damnés  à  une  aaiende  d*«i  frane  an  moins  et  de  cinq  francs  atr  plas, 
9m  profit  de  la  commune. 

Cette  amende  est  prononcée  et  recouvrée  comme  en  matière  de  po- 
Uot  municipale. 

Art.  13.  Dans  tous  les  cas  où  les  gardes  nationales  sont  de  service 
avec  les  corps  soldés,  elles  prennent  le  rang  sur  eux. 

Art.  14.  Les  dépenses  de  la  garde  nationale  sont  votées,  réglées  et 
•urfeillées  comme  toutes  les  autres  dépenses  municipales. 

A4-  15.  Les  dépenses  de  la  garde  nationale  sont  obligatoires  on 
AMultalives. 

Les  dépenses  obligatoires  sont  : 

1°  Les  frais  d'acbat  de  drapeaut,  tambours  et  trompettes  ; 

T  Les  réparations,  Tentretien  et  le  prix  des  armes,  sauf  recours 
contre  les  gardes  nationaux,  aux  termes  de  Tarticle  i  3  ; 

3*  Le  loyer,  Tentretien,  le  ehauffiige,  Féclairage  et  le  mobilier  des 
corps- de-garde; 

4°  Les  frais  de  registres,  papiers,  contrôles,  billets  de  garde  et  tons 
les  menus  frais  de  bureaux  qu'exige  le  service  de  la  garde  nationale  ; 

ty  La  solde  des  majors  etadjudants-'majors  ; 

(^  La  solde  et  rbabillement  des  tambours  et  trompettes  ; 

Toutes  autres  dépenses  sont  facultatives. 

Art.  16.  Lorsqu'il  est  créé  des  bataillons  cantonaux,  la  répartition 
de  la  portion  affiérente  à  chaque  commune  du  canton  dans  les  dépenses 
obligatoires  du  bataillon,  autres  que  celles  des  compagnies,  est  faite 
par  le  préfet,  en  conseil  de  préfecture,  après  avoir  pris  Tavis  dos  con- 
seils municipaux. 

Cette  répartition  a  lieu  proportionnellement  à  la  population  de 
ehaque  commune  et  à  son  contingent  dans  le  principal  des  quatre 
éontributlons  directes. 

Art.  17.  Il  y  a  dans  chaque  légion  ou  chaque  bataillon,  fbrméspar 
les  gardes  nationaux  d'une  même  commune,  un  conseil  d'administra- 
tion chargé  de  présenter  annuellement  au  maire  Tétat  des  dépenses 
'ttéoessAîres  pour  le  service  de  la  garde  nationale,  etde  viser  les  pièces 
j  ustificatives  de  l'emploi  des  fonds. 
'    Il  y  a  également,  par  bataillon  cantonal,  un  conseil  d^administra- 


'.  •  • 


432  HISTOIRE 

lion  chargé  des  mêmes  fonctions  et  qui  doit  présenter  au  sous-préfet 
rétat  ^des  dépenses  du  bataillon.  La  composition  de  ces  conseils  est 
déterminée  par  un  règlement  d'administration  publique. 

Art.  18.  Dans  le  département  de  la  Seine,  il  y  a  un  conseil  d'admi- 
nistration par  un  nombre  de  bataillons  qui  sera  déterminé  ultérieu- 
rement par  le  ministre  de  Tintérieur  ;  il  est  composé  ainsi  qu'il  suit  : 

Un  chef  de  bataillon,  président; 

Un  officier  par  bataillon  ; 

Le  major  attaché  à  ces  bataillons  sera  rapporteur  du  conseil; 

Un  secrétaire ,  chargé ,  en  outre ,  des  écritures  pour  les  conseils  de 
discipline.  , 

11  est  nommé  un  officier  payeur  pour  ce  même  nombre  de  bataillons. 

Art.  19.  Le  règlement  relatif  au  service  ordinaire,  aux  revues, 
exercices  et  prises  d'armes  est  arrêté  : 

Pour  le  département  de  la  Seine  par  le  ministre  de  l'intérieur,  sur 
la  proposition  du  commandant  supérieur. 

Pour  les  villes  et  communes  des  autres  départements ,  par  le  maire, 
sur  la  proposition  du  commandant  de  la  garde  nationale  et  sous  l'ap- 
probation du  sous-préfet. 

Les  chefs  pourront,  en  se  conformant  à  ce  règlement,  et  sans  ré- 
quisition particulière ,  mais  après  en  avoir  prévenu  l'autorité  muni- 
cipale ,  faire  toutes  les  dispositions  et  donner  tous  les  ordres  relatifs 
au  service  ordinaire ,  aux  revues  et  aux  exercices. 

Dans  les  villes  de  guerre  ,  la  garde  nationale  ne  peut  prendre  les 
armes  ni  sortir  des  barrières  qu'après  que  le  maire  en  a  informé ,  par 
écrit,  le  commandant  de  la  place. 

Le  tout  sans  préjudice  de  ce  qui  est  réglé  par  les  lois  spéciales  à 
rétat  de  guerre  et  à  Tétat  de  siège  dans  les  places. 

Art.  20.  Lorsque  la  garde  nationale  est  organisée  en  bataillons 
cantonaux  et  en  légions ,  le  règlement  sur  les  exercices  est  arrêté 
par  le  sous-préfet,  de  l'avis  des  maires  des  communes  et  sur  la  pro- 
position du  commandant ,  pour  chaque  bataillon  isolé,  et  du  chef  de 
légion  pour  les  bataillons  réunis  en  légions. 

Art.  21.  Le  préfet  peut  suspendre  les  revues  et  exercices  dans  les 
communes  et  dans  les  cantons ,  à  la  charge  d'eu  rendre  immédiate- 
ment compte  au  uiinistre  de  l'intérieur. 

Art.  22.  Tout  garde  national  commandé  pour  le  service  doit  obéir» 


DUN  COUP  D'ÉTAT.  433 

taaf  à  réclamer  ensuite,  sMl  sW  croit  fondé,  devant  le  chef  du 
eorpe. 

Art.  23.  Le  titre  IV  de  la  loi  du  15  juin  1851,  intitulé  :  DisdpUne^ 
est  maintenu  jusques  et  y  compris  Tart.  418  de  la  même  loi. 

Sont  abrogés  toutes  les  lois  antérieures  au  présent  décret,  ainsi  que 
toutes  les  dispositions  relatives  au  service  et  à  Tadministration  de  la 
garde  nationale  qui  y  seraient  contraires. 

Fait  au  palais  desTuileries,  le  11  janvier  1852. 

Louis-Napoléon. 

Lt  ministre  de  Vintérieur^ 

De  MoaifT. 

Le  i  5  janvier,  la  Constitution ,  signée  le  1 4  au  pa- 
lais des  Tuileries,  parut  au  Moniteur. 

Nous  allons  en  donner  le  texte  et  la  faire  suivre  de 
la  liste  des  sénateurs  et  de  celle  des  conseillers  d'État. 


CONSTITUTION 

FATTE  EN  VERTU  DES  POUVOIRS  DÉLÉGUÉS  PAR  LE  PEUPLE  FRANÇAIS 

A  LOUIS-NAPOLÉON  BONAPARTE 

Par  le  vote  des  20  et  21  déceftibre  1851 . 

Le  Président  de  la  République, 

Considérant  que  le  peuple  français  a  été  appelé  à  se  prononcer  sur 
la  résolution  suivante  : 

«  Le  peuple  veut  le  maintien  de  Tautorité  de  Louis-Napoléon  Bo- 
naparte, et  lui  donne  les  pouvoirs  nécessaires  pour  faire  une  Con- 
stitution d'après  les  hases  établies  dans  sa  proclamation  du  2  dé- 
cembre ; 

«  Considérant  que  les  bases  proposées  à  l'acceptation  du  peuple 
étaient  : 

«  1*  Un  chef  responsable  nommé  pour  dix  ans  ; 

«  2^ Des  ministres  dépendants  du  pouvoir  exécutif  seul; 


M  4  filSTOiRE 

«  3^  Un  conseil  d'Étal  formé  4es  honuoes  les  plus  distingués,  pré- 
parant les  lois  et  en  soutenant  la  discussion  devant  le  corps  lé* 
gislalif; 

a  4®  Un  corps  législatif  discutant  ^t  TOtant  les  lois,  nommé  par  le 
suffrage  uniirersel,  sans  scrutin  de  lipte  qui  fausse  Félection  ; 

a  B*"  Une  seconde  Assemblée  formée  de  toutes  Les  illustmtioas  du 
pays  ;  pouvoir  pondérateur,  gardien  du  pacte  fondamental  et  des  li- 
bertés publiques.  » 

Considérant  que  le  peuple  a  répondu  aftirmativement  par  sept  mil- 
lions cinq  cent  mille  suffrages , 

PaOMlOiGUf:  la  Constitution  dont  la  teneur  suit  : 

TITRE  PREMIER. 

Art.  I*'.  La  Constitution  reconnaît,  confirme  et  garantit  les  grands 
principes  proclamés  en  1789,  et  qui  sont  la  base  du  droit  puUic  des 
Françw$. 

TITRE  II. 

FORME  DU  GOUVERNEMENT  DE  LA  RÉPUBUQUE. 

Art.  2.  Le  gouvernement  de  la  République  française  est  confié 
pour  dix  ans  au  prince  Loui^Napoléou  Bonaparte,  président  actuel 
de  la  République. 

Art.  3.  Le  Président  de  la  République  gouverne  au  moyen  des  mi- 
nistres, du  conseil  d'État,  du  sénat  et  du  corps  législatif. 

Art.  4.  La  puissance  législative  s'exerce  collectivement  par  le 
Président  de  la  République,  le  sénat  et  le  corps  législatif. 

TITRE  m. 

DU  PRÉSIDENT   DE  LA   BÉPUBLIQUE. 

Art.  5.  Le  Président  de  la  République  est  responsable  devant  le 
peuple  français,  auquel  il  a  toujours  le  droit  de  faire  appel. 

Art.  6.  Le  Président  de  la  République  est  le  chef  de  TÉlat  ;  il  com- 
mande les  forces  de  terre  et  de  mer,  déclare  la  guerre ,  fait  les  traités 
de  paix ,  d'alliance  et  de  commerce ,  nomme  à  tous  les  emplois,  fait 
les  règlements  et  décrets  nécessaires  pour  Pexécution  des  lois. 


D*UN  œUP  D'ÉTAT.  4^6 

Art.  7.  La  justice  se  rend  en  son  nom. 

Art.  8.  11  a  seul  Tinitiative  des  lois. 

Art.  9.  Il  a  le  droit  de  faire  grâce. 

Art  10.  11  sanctionne  et  promulgue  les  lois  et  les  sénatus-consuUes. 

Art.  11.  n  présente,  tous  les  ans,  au  sénat  et  au  corps  légifilatif, 
par  un  message ,  Tétat  des  affaires  de  la  République. 

Art.  12.  11  a  le  droit  de  déclarer  Tétat  de  siège  dans  un  ou  plusieurs 
départements ,  sauf  à  en  référer  au  sénat  dans  le  plus  bref  délaL 

Les  conséquences  de  Tétat  de  siège  sont  réglées  par  la  loi. 

Art  13.  Les  ministres  ne  dépendent  que  du  chef  de  TÉtat  ;  ils  ne 
sont  responsables  que  chacun  en  ce  qui  le  concerne  des  actes  du 
gouvernement  ;  il  n'y  a  point  de  solidarité  entre  eux  ;  ils  ne  peuvent 
être  mis  en  accusation  que  par  le  sénat. 

Art.  U.  Les  ministres,  les  membres  du  sénat,  du  corps  législatif 
et  du  conseil  d'État,  les  officiers  de  terre  et  de  mer,  les  roagistrais  et 
les  fonctionnaires  publics  prêtent  le  serment  ainsi  conçu  : 

^  jure  oléissance  à  la  Constitution  et  fidélité  au  Présidentm 

Art.  15.  Un  sénatus-consulte  fixe  la  somme  allouée  annuellement 
au  Président  de  la  République  pour  toute  la  durée  de  ses  fonctions. 

Art.  16.  Si  le  Président  de  la  République  meurt  avant  rexpiration 
de  son  mandat,  le  sénat  convoque  la  nation  pour  procéder  à  une 
nouvelle  élection. 

Art.  17.  Le  chef  de  TÉtat  a  le  droit,  par  un  acte  secret  et  déposé 
aux  archives  du  sénat ,  de  désigner  au  peuple  le  nom  du  citoyen  qu'il 
recommande,  dans  Tintérèt  de  la  France,  à  la  confiance  du  peuple 
et  à  ses  suffrages. 

Art.  18.  Jusqu^à  Télection  du  nouveau  Président  de  la  République, 
le  président  du  sénat  gouverne  avec  le  concours  des  ministres  en 
Ibnctions,  qui  se  forment  en  conseil  de  gouvernement,  et  déhbèrent 
à  la  majorité  des  voix. 

TITRE  IV. 

DU  SÉIUT. 

Art.  19.  Le  nombre  des  sénateurs  ne  pourra  excéder  cent  cinquante  ; 
il  est  fixé  pour  la  première  année  à  quatre-vingts. 
Art  20.  Le  sénat  se  compose  : 
1*  Des  cardinaux,  des  maréchaux,  des  amiraux  ; 


436  HISTOIRE 

T  Des  citoyens  que  le  Président  de  la  République  juge  conyenable 
d'élever  à  la  dignité  de  sénateur 
Art.  21 .  Les  sénateurs  sont  inamovibles  et  à  vie. 
Art.  22.  Les  fonctions  de  sénateurs  sont  gratuites  ;  néanmoins  le 
Président  de  la  République  pourra  accorder  à  des  sénateurs,  en  rai- 
son de  services  rendus  et  de  leur  position  de  fortune,  une  dotation 
personnelle,  qui  ne  pourra  excéder  trente  mille  francs  par  an. 

Art.  23.  Le  président  et  les  vice-présidents  du  sénat  sont  nommés 
par  le  Président  de  la  République  et  cboisis  parmi  les  sénateurs. 
Ils  sont  nommés  pour  un  an. 

Le  traitement  du  président  du  sénat  est  fixé  par  un  décret. 
Art  24.  Le  Président  de  la  République  convoque  et  proroge  le  sé- 
nat. Il  fixe  la  durée  de  ses  sessions  par  un  décret. 
Les  séances  du  sénat  ne  sont  pas  publiques. 
Art  25.  Le  sénat  est  le  gardien  du  pacte  fondamental  et  des  liber- 
tés publiques.  Aucune  loi  ne  peut  être  promulguée  avant  de  lui  avoir 
été  soumise. 
Art.  26.  Le  sénat  s'oppose  à  la  promulgation  : 
i*  Des  lois  qui  seraient  contraires  ou  qui  porteraient  atteinte  à  la 
Constitution,  à  la  religion,  à  la  morale,  à  la  liberté  des  cultes,  à  U 
liberté  individuelle,  à  Tégalité  des  citoyens  devant  la  loi,  à  l'inviolabi- 
lité de  la  propriété  et  au  principe  de  l'inamovibilité  de  la  magistrature; 
2®  De  celles  qui  pounaient  compromettre  la  défense  du  territoire. 
Art.  27.  Le  sénat  règle  par  un  sénatus-consulte  : 
4°  La  Constitution  des  colonies  et  de  l'Algérie  ; 
2°  Tout  ce  qui  n'a  pas  été  prévu  par  la  Constitution  et  qui  est  né- 
cessaire à  sa  marche  ; 

3*^  Le  sens  des  articles  de  la  Constitution  qui  donnent  lieu  à  diffé- 
rentes interprétations. 

Art.  28.  Ces  sénatus-consultes  seront  soumis  à  la  sanction  du  Pré- 
sident de  la  République,  et  promulgués  par  lui. 

Art.  29.  Le  sénat  maintient  ou  annule  tous  les  actes  qui  lui  sont 
déférés  comme  inconstitutionnels  par  le  gouvernement,  ou  dénoncés, 
pour  la  même  cause  ,  par  les  pétitions  des  citoyens. 

Art.  30.  Le  sénat  peut ,  dans  un  rapport  adressé  au  Président  de 
la  République  ,  poser  les  bases  des  projets  de  loi  d'un  grand  intérêt 
national 


D'UN  œUP  D'ÉTAT.  437 

Art.  3i.  Il  peut  également  proposer  des  modifications  à  la  Gonsti- 
tation.  Si  la  proposition  est  adoptée  par  le  pouvoir  exécutif,  il  y  est 
statué  par  un  sénatus-consulte. 

Art.  32.  Néanmoins ,  sera  soumis  au  sufirage  universel  toute  mo- 
dification aux  bases  fondamentales  de  la  Constitution ,  telles  qu'elles 
ont  été  posées  dans  la  proclamation  du  2  décembre  et  adoptées  par  le 
peuple  français. 

Art.  33.  En  cas  de  dissolution  du  corps  législatif,  et  jusqu'à  une 
nouvelle  convocation,  le  sénat,  sur  la  proposition  du  Président  de  la 
République,  pourvoit,  par  des  mesures  d'urgence,  à  tout  ce  qui  est 
nécessaire  à  la  marche  du  gouvernement. 

TITRE  V. 

DU  CORPS  LÉGISLATIF. 

Art.  34.  L'élection  a  pour  base  la  population. 

Art.  35.  11  y  aura  un  député  au  corps  législatif  à  raison  de  trente- 
cinq  mille  électeurs. 

Art. '36.  Les  députés  sont  élus  par  le  suffrage  universel,  sans 
scrutin  de  liste. 

Art.  37.  Ils  ne  reçoivent  aucun  traitement. 

Art.  38.  Ils  sont  nommés  pour  six  ans. 

Art  39.  Le  corps  législatif  discute  et  vote^les  projets  de  loi  et  Timp/it 

Art  40.  Tout  amendement  adopté  par  la  commission  charger:  d'exa  • 
miner  un  projet  de  oi  sera  renvoyé ,  sans  discussion ,  au  consiril 
d'Ëtat  par  le  président  du  corps  législatif.  Si  Tamendenient  n'est  pas 
adopté  par  le  conseil  d'État ,  il  ne  pourra  pas  être  sriumis  à  la  délibé- 
ration du  corps  législatif. 

Art.  4i .  Les  sessions  ordinaires  du  corps  législatif  durent  troi»  mois  ; 
ses  séances  sont  publiques;  mais  la  demande  de  cinq  membrei»  suffit 
pour  qu'il  se  forme  en  comité  secret 

Art  42.  Le  compte  rendu  des  séances  du  corps  législatif  par  les 
journaux  ou  tout  autre  moyen  de  publication  ne  consistera  que  dans 
la  reproduction  du  procès-verbal,  dressé  à  l'iMue  de  cba/|ue  «léarKe 
par  les  soins  du  président  du  corps  législatif. 

Art  43.  Le  président  et  les  vice-présidents  du  eorp^  Utriubdif  mmi 
nommés  par  le  Président  de  la  République  p^iur  un  an,  iU  v>rit  cbc^- 


JOè  nSTOIRE 

sis  parmi  les  député».  Le  traiteHient  du  président  du  corps  législatif 
est  fixé  par  un  décret. 

Art.  44.  Les  ministres  ne  peuvent  être  membres  du  corps  légis- 
latif. 

Art  45.  Le  droit  de  pétition  s'exerce  auprès  du  sénat.  Aucune  pé- 
tition ne  peut  être  adressée  au  corps  législatif. 

Art.  46.  Le  Président  de  la  République  convoque,  ajourne,  proroge 
et  dissout  le  corps  législatif.  En  cas  de  dissolution,  le  Président  de  la 
République  doit  en  convoquer  un  nouveau  dans  le  délai  de  six 
mois. 

TITRE  VI. 

DU  CONSEIL  D^ÉTAT. 

Art.  47.  Le  nombre  des  conseillers  d'État  en  service  ordinaire  est 
de  quarante  à  cinquante. 

Art.  48.  Les  conseillers  d'État  sont  nommés  par  le  Président  de  la 
République,  et  révocables  par  lui. 

Art.  49.  Le  conseil  d'État  est  présidé  par  le  Président  de  la  Repu- 
blique,  et,  en  son  absence,  par  la  personne  qu'il  désigne  comme 
vice- président  du  conseil  d'État. 

Art.  50.  Le  conseil  d'État  est^cbargé,  sous  la  direction  du  Président 
de  la  République,  de  rédiger  les  projets  de  loi  et  les  règlements  d'ad- 
ministration publique,  et  de  résoudre  les  difficultés  qui  s'élèvent  en 
matière  d'administration. 

Art.  51.  H  soutient,  au  nom  du  gouvernement,  la  discussion  ;  des 
projets  de  loi  devant  le  sénat  et  le  corps  législatif. 

Les  conseillers  d'Etat,  chargés  de  porter  la  parole  au  nom  du  gou- 
vernement, sont  désignes  par  le  Président  de  la  République. 

Art.  52.  Le  traitement  de  chaque  conseiller  d'État  est  de  25,000  fr. 

Art.  53.  Les  ministres  ont  rang,  séance  et  voix  délibérative  au  con- 
seil d'Etat. 

TITRE  VII. 

DE   LA    HAUTE  COUR   DE  JUSTICE. 

'    Art.  54.  Une  haute  cour  de  justice  juge,  sans  appel  ni  recours  en 
cassation,  toutes  personnes  qui  auront  été  renvoyées  devant  elle 


D'UN  œUP  DÏTAT.  19» 

eonme  préfeoDes  de  crimes,  attentats  oa  complots  coati>^  le  Pivsh 
dent  de  la  République  ou  contre  la  sûreté  fntérieure  oo  exIérietiTv 
del*ÊtaU 

Elle  ne  peut  être  saisie  qu'en  vertu  d'un  décret  du  Président  de  la 
République. 

Art.  55.  Un  sénatus-consulte  déterminera  l'organisation  de  cette 
haute  cour. 

TITRE  Mil. 

DlSPOSmOIVS   GÉflÉRALES  ET  TRATISrrOIRES. 

Art  56.  Les  dispositions  des  codes,  lois  et  règlements  existants,  qui 
ne  sont  pas  contraires  à  la  présente  Constitution,  restent  en  vigueur 
jusqu'à  ce  qu'il  y  soit  légalement  dérogé. 

Art.  57.  Une  loi  déterminera  l'organisation  municipale.  Les  maires 
seront  nommés  par  le  pouvoir  exécutif,  et  pourront  être  pris  hors  du 
conseil  municipal. 

Art.  58.  La  présente  Constitution  sera  en  vigueur  à  dater  du  jour 
où  les  grands  corps  de  TÉtat  qu'elle  organise  seront  constitués. 

Les  décrets  rendus  par  le  Président  de  la  République,  à  partir  du 
2  décembre  jusqu'à  cette  époque,  auront  force  de  loi. 

Fait  au  palais  des  Tuileries,  le  i\  janvier  4852. 

Louis-Napoléon  Biinaparte. 
Vu  et  scellé  du  grand  sceau  : 

Le  garde  des  sceaux^  ministre  de  ia  justice , 
E.  ROI'IIER. 

En  exécution  du  litre  VI  de  la  Constitution,  par  dé- 
cret rendu  le  23  janvier  1852;  sont  nommés  membres 
du  conseil  d'État  : 

MM.  Baroohe,  ancien  ministre ,  est  nommé  vico- président  du  con- 
eeil  d'État.  — Maillard,  ancien  conseiller  d'Étal,  est  nommé  président 
de  la  section  du  contentieux.  —  Rouher,  ancien  ministre,  est  nommé 
président  de  la  section  de  législation  ,  justice  et  affaires  étrangères.— 
Delangle,  ancien  procureur  général,  est  nommé  président  de  la  sec- 


440  HISTOIRE 

tion  de  Tintérieur,  de  Tinstruction  publique  et  des  cultes.  —  De  Pa- 
rieu ,  ancien  ministre ,  est  nommé  président  de  la  section  des  finances. 
—  Magne,  ancien  ministre,  est  nommé  président  de  la  section  des 
travaux  publics,  de  Tagriculture  et  du  commerce.  —  Leblanc,  vice- 
amiral  ,  est  nommé  président  de  la  section  de  la  guerre  et  de  la 
marine. 
Sont  nommés  conseillers  d*État  : 

MM.  Allard,  général  de  brigade,  membre  du  comité  du  génie.  — 
Barbaroux ,  ^cien  membre  de  TAssemblée  législative.  —  Ferdinand 
Barrot ,  ancien  ministre.  —  Quentin  Baucbard ,  ancien  membre  de 
TAssemblée  législative.  —  Boinvilliers,  ancien  membre  de  F  Assemblée 
législatif.  —  Bonjean ,  ancien  ministre ,  avocat  général  à  la  cour  de 
cassation  —  Boudet ,  ancien  conseiller  d*Ëtat.  -  Boulatignier,  ancien 
conseiller  d'État. —  Joseph  Boulay  (de  la  Meurthe) ,  ancien  conseiller 
d'État.  —  Carlier,  ancien  préfet  de  police  de  Paris.  —  Charlemagne, 
ancien  membre  de  TAssemblée  législative.  —  Michel  Chevalier,  mem- 
bre de  rinstitut.  —  Conti ,  directeur  des  affaires  criminelles  et  des 
grâces  au  ministère  de  la  justice.  —  Cornudet,  ancien  maître  des  re- 
quêtes au  conseil  d'État. — Cuvier,  ancien  conseiller  d'État. —  Dariste, 
ancien  membre  de  l'Assemblée  législative. — Denjoy,  ancien  membre 
de  l'Assemblée  législative. — Flandin,  ancien  membre  de  l'Assemblée 
législative.  —  Fremy,  ancien  membre  de  l'Assemblée  législative.  — 
Charles  Giraud,  ancien  ministre.  —  Godelle,  ancien  membre  de  l'As- 
semblée législative.  —  Hermann ,  ancien  conseiller  d'État. —  Janvier, 
ancien  conseiller  d'ÉUt.  —  Lacaze,  ancien  membre  de  l'Assemblée 
législative.  —  Armand  Lefèvre  ,  ministre  plénipotentiaire  de  France  à 
Berlin.  —  Leroy  de  Saint- Arnaud  ,  avocat,  maire  du  12*  arrondisse- 
uie.nt.  —  Marchand ,  ancien  conseiller  d'État.  —  Stourm  ,  ancien 
conseiller  d'État.  —  Suin  ,  avocat  général  à  la  cour  d'appel  de  Paris. 

—  De  Thorigny ,  ancien  ministre.  —  Villemain ,  intendant  militaire. 

—  Vuillefroy,  ancien  conseiller  d'État.  —  Vuitry,  sous-secrétaire 
d'État  au  ministère  des  finances.  —  Waïsse ,  ancien  ministre. 

Sont  nommés  maîtres  des  requêtes  de  première  classe  : 

MM.  Blanche,  ancien  secrétaire  général  du  ministère  de  l'intérieur. 

—  Bréhier,  ancien  membre  de  l'Assemblée  législative.  —  Léon  de 
Bussière  ,  ancien  maître  des  requêtes ,  Chadenet ,  ancien  membre  de 
l'Assemblée  législative.  —  Chassaigne-Goyon  t  ancien  membre  de 


irO  OOCP  VETAT.  4lt 


rAsenblêe  lésislatrre.  —  Chassériaa ,  hislortoçnphe  de  lu 

—  Dabcaiii ,  ancien  membre  de  F  Assemblée  lé^islathe.— tomartroy, 
ancien  maître  des  requêtes.  —  De  Forcade,  avocat  à  la  coor  d'ap^l 
de  Paris.  ~  Gaic,  ancien  membre  de  rAssemMée  lêfislati^.  —  Ga»- 
kode,  ancien  membre  de  FAssemMée  législatiire.  —  GomeK  ancien 
maître  des  requêtes.  —  Lestiboodois ,  ancien  membre  de  FAssemblée 
législatÎTe.  —  Loyer,  ancien  mnnbre  de  FAssemblée  léfislatite.  — 
Maigne ,  ancien  maître  des  requêtes.  —  Moolaod ,  ancien  maître  des 
requêtes.  —  Ernest  de  Padooe ,  préfet  do  département  de  Seine-el- 
Oise.  —  Pascalis ,  ancien  maître  des  requêtes.  — Rerercbon,  ancien 
maître  des  requêtes Amédée  Thiernr,  ancien  maître  des  requêtes. 

Sont  nommés  maîtres  des  requêtes  de  deuxième  classe  ; 

MM.  d^Argout,  ancien  raaître  des  requêtes  en  serrice  extraordinaire. 
"  Aubemon,  ancien  auditeur.  —  Bataille,  ancien  membre  de  FAs- 
semblée  législative.  —  De  Bemon,  ancien  auditeur.  —  De  Chassiron, 
ancien  attaché  d^ambassade.  —  Daveme,  ancien  maître  des  requêtes. 

—  Du  Bertier,  ancien  maître  des  requêtes  en  senrice  extraordinaire. 

—  Dubois,  ancien  maître  des  requêtes. —  François,  ancien  maître  des 
requêtes.  —  Gavini,  ancien  membre  de  FAssemblée  législative.  —  Gou- 
pil, ancien  maître  des  re«|uétes.  —  Jahan,  ancien  cbef  du  cabinet  du 
ministre  des  travaux  publics.  —  Paul  de  Maupas,  procureur  de  la 
République  à  Nt^urcbàlel.  —  De  Montesquiou,  anci«  n  auditi-ur.  — 
Pages,  ancien  maître  des  requête.  —  Ernest  Portalis,  ancien  auditeur. 

—  Redon,  ancien  maître  des  requêtes.  —  Richaud,  ancien  maître  «Vs 
requêtes  en  senrice  extraordinaire.  —  Anatole  de  Scgur,  ancien  prc- 
fet  —  Vuillermet,  ancien  maître  des  requêtes. 

Sont  nommés  auditeurs  de  première  class*?  : 

MM.  de  Bosredon,  ancien  auditeur  au  conseil  d'État.  —  Cardon  de 
Sandrans,  avocat  à  la  cour  d'appel  de  Paris.  —  De  Cisabianca,  an- 
cien chef  de  cabinet  du  ministre  des  finances.  —  Farê,  ancien  audi» 
tenr  au  conseil  d'État.  —  Fouquier,  conseiller  de  préfecture  de  FAisne. 

—  De  Garel,  attaché  au  ministère  de  Fintérieur.  —  Hudault,  substitut 
du  procureurde  la  Républiques  Mantes.— LéopoldLehon,  ancien  chef 
de  cabinet  du  ministre  de  Fintérieur.  —  Lemarie,  ancien  auditeur  au 
eonseil  d'État— Leviez,  ancien  auditeur  au  conseil  d'État— Lhopital» 
ancien  auditeur  au  conseil  d'État.  —  Marbeau,  ancieii  auditeur  au 
conseil  d'État.  —  Majnard  fils,  avocat  à  la  cour  d'appel  de  Paris.  — 


M2  jWPfMRB 

Mcmton-Duveroay,  ancien  auditeur  au  conseil  d'État.  —  Robert,  an- 
cien auditeur  au  conseil  d'Etat.  —  Sers,  ancien  auditeur  au  conseil 
d'État. 
Sont  nommés  auditeurs  de  deuxième  classe  z 
MM.  Aucoc,  Bartholoni,  de  Belbeuf,  BoinyiUiers  fila,  deOiamblain, 
Cottin,  Desmichels,  Dufau,  Guemon-Ranyille,  Lechanteur,  Leroy, 
de  Narcillac,  Pons  de  Rempont,  Pontalès  (Antonio),  Vieyra. 
Fait  au  palais  des  Tuileries,  le  ^  janvier  1852. 

Louis-Napoléon  Bohafarte. 
Par  le  Président: 

L$  minière  d'Btat,^ 

X.  DE  Casabiahga. 

Conformément  au  titre  lY  de  la  Constitution,  parait 
le  décret  du  26  janvier  i  852,  qui  nomme  les  membres 
du  sénat.  Ceux  qui  sont  désignés  par  l'article  20  de  la 
Constitution  ne  sont  pas  portés  dans  cette  liste.  Ce  sont 
les  maréchaux,  les  amiraux  et  les  cardinaux  qui  font, 
de  droit,  partie  du  sénat  : 

RÉPUBLIQUE  FRANÇAISE. 

Louis-Napoixon,  Président  de  la  République, 
Décrète  : 

MM.  le  général  de  division  Achard,  ancien  membre  de  T Assemblée 
législative.  —  Le  comte  d'Argout,  ancien  ministre  des  finances,  gou- 
verneur de  la  banque  de  France.  — Le  marquis  d'Audiffret,  président 
à  la  Cour  des  comptes.  —  Le  général  de  division  de  Bar,  ancien 
membre  de  TAssemblée  législative.  —  Le  général  de  division  Bara- 
guey-d*Hilliers,  ancien  ambassadeur,  ancien  membre  de  TAssemblée 
législative.  —  De  Beaumont  (de  la  Somme),  ancien  membre  de  l'As- 
semblée législative.  —  Le  prince  de  Beauvau,  ancien  pair  de  France. 
—  Le  marquis  de  Belbeuf,  ancien  premier  président  de  la  cour  d'ap- 
pel de  Lyon.  —  Charles  Berthier,  prince  de  Wagram.  —  Boulay  (da 
la  Meurtbe),  ancien  vice-président  de  la  République.  —  Le  comte  de 
Breteuil,  ancien  pair  de  France.  —  De  Cambacérès  aîné,  ancien  pair 


D'UN  COUP  D'ÉTAT. 

de  France.  —  Le  corale  de  ùtbtcllane,  général  en  chef  de  l'armée  de 
Ljon.  —  Le  vice-amiral  Casj,  membre  du  conseil  d'amirauté. —  I>e 
comte  de  Caumont-Laforce.  —  François  Clary.  —  Le  niarquit*  de 
CroL  —  Le  baron  de  Crouseilhes,  ancien  ministre  de  rinstruclion 
publique,  ancien  membre  de  l'Assemblée  législative.  —  Le  comte 
Cuiial,  ancien  membre  de  l'Assemblée  législative.  —  Drouyn  de 
l'Huys,  ancien  ministre  des  affaires  clraiigèreii,  ancien  membre  àa- 
l'Asserablée  législative.  —  Dumas,  ancien  ministre  de  l'agriculture  et 
du  commerce,  membre  de  l'inslitut.  —  Charles  Dupin.  membre  de 
riiistitut,  ancien  membre  de  l'Assemblée  législative,  —  Ëlie  de  Beau- 
mont,  membre  de  l'Iiistilul.  —  Achille  Fould,  ancien  ministre  des  fi- 
nances, ancien  membre  de  l'Assemblée  législative.  —  Fouquel  d'Hé- 
rauel ,  ancien  membre  de  l'Assemblée  législative.  —  Le  baron  d* 
Fourment,  ancien  membre  de  l'Assemblée  législative.  —  Gautier,  an- 
cien minbtre  des  linances,  régent  de  la  banque  de  France.  —  L» 
cnmle  Ernest  de  Girardin,  ancien  membre  de  l'Assemblée  législative. 

—  Goulhot  de  Saint-Germain,  ancien  membre  de  l'Assemblée  législa- 
tive. —  Le  marquis  de  laGrange  (Gironde),  ancien  membre  de  l'A»- 
flemblée  législative.  —  Le  général  de  division  comte  d'Baulpoul,  «a- 
cit-'D  minisire  de  la  guérie,  ancien  membre  de  l'Assemblée  législative* 

—  Le  vice-amiral  Hugon.  —  Le  général  Hussoji,  ancien  membre  di 
l'Assemblée  législative.  —  Lacrossc,  ancien  ministre  des  travaux  pur 
blics,  ancien  membre  del'Asaemblée  législative.  —  De  Ladoucetle,  an» 
cien  membre  de  l'Assemblée  législative.  —  Le  général  de  division 
la  HitU',  ancien  niiuislre  des  affaires  étrangères,  président  du  comité 
d'artillerie.  —  Le  comte  de  Lariboîssière,  aiiiien  membre  du  l'Assem- 
blée législative.  —  Le  général  de  division  comte  de  Lawœstine,  com- 
mandant de  la  garde  nationale  de  Paris.  —  Lebeur,  régent  de  1& 
banque  de  France,  ancien  membre  de  l'Assemblée  législative.  —  Le- 
marrois,  ancien  membre  de  l'Assemblée  législative.  — Le  comte  Louis 
Lemercicr,  ancien  pair  de  France.  —  Le  général  île  divisioj)  Lnaj 
de  Saint-Arnaud ,  ministre  de  la  guerre.  —  Leverricr,  membre  de 
llnetitut,  ancien  membre  de  l'Assemblée  législative.  —  Leiai  de  Mar- 
iMiia,  ancien  pair  de  France.  —  Le  général  de  division  Blagnan,  g(~. 
Itérai  en  cher  de  l'armée  de  Paris.  —  Hnnuel  {ia  la  Nièvre),  aoeioi' 
membre  de  l'Assemblée  législative.  —  Marchant  (du  Nord),  ancieil 
membre  de  l'Assemblée  législative.  —  Meynard ,  président  à  la  cour 


4 


L. 


Mouton-Duvernay,  ancien  auditeur  au  conseil  d'État.  —  Robert,  an- 
cien auditeur  au  conseil  d'Etat.  — -  Sers,  ancien  auditeur  au  conseU 
d'É^t. 

Sont  nommés  auditeurs  de  deuxième  classe  z 

MM.  Aucoc,  Barthoionifde  Belbeuf,  BoinyiUiers  fils,  deChamblain, 
Cottin ^  Desmichels ,  Dufau,  Guernon-Ranville,  Lechanteur,  Leroy, 
de  Narcillac,  Pons  de  Rempont,  Pontalès  (Antonin),  Vieyra. 

Fait  au  palais  des  Tuileries,  le  ^  janvier  1852. 

Louis-Napoléon  Bohafabte. 
Par  le  Président: 

X.  DE  CAftABIAlIGA. 

Conformément  au  litre  lY  de  la  Constitution,  paiait 
le  décret  du  26  janvier  i  852,  qui  nomme  les  membres 
du  sénat.  Ceux  qui  sont  désignés  par  Tarticle  20  de  la 
Constitution  ne  sont  pas  portés  dans  cette  liste.  Ce  sont 
les  maréchaux,  les  amiraux  et  les  cardinaux  qui  font, 
de  droit,  partie  du  sénat  : 

RÉPUBLIQUE  FRANÇAISE. 

Louis-NAPOii:oN,  Président  de  la  République, 
Décrète  : 

MM.  le  général  de  division  Achard,  ancien  membre  de  TAssemblée 
législative.  —  Le  comte  d'Argout,  ancien  ministre  des  finances,  gou- 
verneur de  la  banque  de  France.  — Le  marquis d'Audiffret,  président 
à  la  Cour  de^  comptes.  —  Le  général  de  division  de  Bar,  ancien 
membre  de  l'Assemblée  législative.  —  Le  général  de  division  Bara- 
guey-d'Hilliers,  ancien  ambassadeur,  ancien  membre  de  l'Assemblée 
législative.  —  De  Beaumont  (de  la  Somme),  ancien  membre  de  l'As- 
semblée législative.  —  Le  prince  de  Beauvau,  ancien  pair  de  France» 
—  Le  marquis  de  Belbeuf,  ancien  premier  président  de  la  cour  d'ap- 
pel de  Lyon.  —  Charles  Berthier,  prince  de  Wagram.  —  BouLay  (da 
la  Meurtbe),  ancien  vice-président  de  la  République.  —  Le  comte  de 
Breteuil,  ancien  pair  de  France.  —  De  Cambacérès  aine,  ancien  pair 


D'UN  COUP  D'ÉTAT. 


^^H 


de  France  —  Le  cumte  de  Castellane,  ^aéral  en  cheT  de  Tarmëe  de 
Ljon.  —  Le  vice-amiral  Casj,  membre  du  conseil  d'amirauté. —  Le 
comle  de  Cau mont-La rurce.  —  François  Claiy.  —  Le  luaniuis  de 
Croî.  —  Le  baron  de  Crouseilhes,  ancien  ministre  de  l'instruction 
publique,  ancien  membre  de  l'Assemblée  législative.  —  Le  comte 
Cuiial,  ancien  membre  de  l'Assemblée  législative.  —  Drou;n  de 
l'Huys,  ancien  minisire  des  alTaires  étrangères,  ancien  membre  de 
t' Assemblée  législative.  —  Dumas,  ancien  ministre  de  Tagriculturc  et 
du  commerce,  membre  de  l'Institut.  —  Charles  Dupin.  membre  da 
l'Institut,  ancien  luembre  de  l'Assemblée  législative.  —  Elle  de  Beao- 
mont,  membre  de  l'Iiiatilut.  —  AcbiUe  Fould,  ancien  ministre  des  &- 
nances,  ancien  membre  de  l'Assemblée  législative.  —  Fouqucl  d'Hé- 
rouel ,  ancien  membre  de  l'Assemblée  législative.  —  Le  baron  d» 
Fourment,  ancien  membre  de  l'Assemblée  législative.  —  Gautier,  an- 
cien ministre  des  fiuauces,  régent  de  la  banque  de  France.  —  La 
comle  Ernest  deGirardin,  ancien  membre  de  l'Assemblée  législative. 

—  Goulbot  de  Saint-Germain,  ancien  membre  de  l'Assamblée  législa- 
tive. —  Le  marquis  de  laGrange  (Gironde),  ancien  membre  de  l'Afr- 
Kmblée  législative.  —  Le  général  de  division  comte  d'Hautpoul,  an- 
cien ministre  de  la  guérie,  ancien  membre  de  l'Assemblée  législative. 

—  Le  vice-amiral  Hugon.  —  Le  général  Kusson,  ancien  membre  d» 
TAssemblée  législative.  —  Lacrosse,  ancien  minislre  des  travaux  pu- 
blics, ancien  membre  de  l'Assemblée  législative.  —  De  LaduuceUe,  an- 
cien membre  de  l'Assemblée  législative.  —  Le  général  de  division 
la  Hiltc,  ancien  ministre  des  affaires  étrangères,  président  du  comité 
d'artillerie.  —  Le  comte  de  Lariboissière,  ancien  membre  de  l'Assem- 
blée législative.  —  Le  général  de  division  comte  de  Lawcestine,  com- 
mandant de  la  garde  nationale  de  Paris.  —  Lebeur,  régent  de  la 
banque  de  France,  ancien  membre  de  l'Assemblée  législative.  .—  Le- 
narrois,  ancien  membre  de  l'Assemblée  législative.  —  Le  comte  Louis 
Lemercier,  ancien  pair  de  France.  —  Le  général  de  division  Leroy 
de  Saint-Arnaud,  ministre  de  la  guerre.  —  Leverricr,  membre  de 
nnslitut,  ancien  membre  de  l'Assemblée  législative.  —  Lciai  de  Mar- 

1,  ancien  pair  de  France.  —  Le  général  de  division  Magnan,  gé- 
Didral  en  chef  de  l'armée  de  Paris.  —  Manuel  \ie  la  ^U£vre).  aocioi. 
membre  de  l'Assemblée  législative.  —  Marchant  (du  Nord),  ancien 
membre  de  l'Assemblée  législative.  —  Meynard,  président  à  la  cour 


U2  il^nSMRB 

Mouton-Duvernay,  ancien  auditeur  au  conseil  d'État.  —  Robert,  an- 
cien auditeur  au  conseil  d'Etat.  —  Sers,  ancien  auditeur  au  cooseU 
d'Ë^t. 

Sont  nommés  auditeurs  de  deuxième  classe  i 

MM.  Aucoc,  Bf^rtholoni,de  Belbeuf,  BoinviUiers  fils,  deChamblain, 
Cottin ^  Desmichels ,  Dufau,  Guemon-Ranville,  Lechanteur,  Leroy^ 
de  Narcillac,  Pons  de  Rempont,  Pontalès  (Antonin),  Vieyra. 

Fait  au  palais  des  Tuileries,  le  ^  janvier  1852. 

Louis-Napoléon  Bohafabte. 
Par  le  Président: 

X.  DE  CAftABUnCA. 

Conformément  au  litre  lY  de  la  Constitution,  paiait 
le  décret  du  26  janvier  \  852,  qui  nomma  les  membres 
du  sénat.  Ceux  qui  sont  désignés  par  Tarticle  20  de  la 
Constitution  ne  sont  pas  portés  dans  cette  liste.  Ce  sont 
les  maréchaux,  les  amiraux  et  les  cardinaux  qui  font, 
de  droit,  partie  du  sénat  : 

RÉPUBLIQUE  FRANÇAISE. 

Louis-NAPOii:oN,  Président  de  la  République, 
Décrète  : 

MM.  le  général  de  division  Achard,  ancien  membre  de  TAssemblée 
législative.  —  Le  comte  d'Argout,  ancien  ministre  des  finances,  gou- 
verneur de  la  banque  de  France.  — Le  marquis  d'Audiffret,  président 
à  la  Cour  des  comptes.  —  Le  général  de  division  de  Bar,  ancien 
membre  de  l'Assemblée  législative.  —  Le  général  de  division  Bara- 
guey-d'Hilliers,  ancien  ambassadeur,  ancien  membre  de  TAssemblée 
législative.  —  De  Beaumont  (de  la  Somme),  ancien  membre  de  TAs- 
semblée  législative.  —  Le  prince  de  Beauvau,  ancien  pair  de  France. 
—  Le  marquis  de  Belbeuf,  ancien  premier  président  de  la  cour  d'ap- 
pel de  Lyon.  —  Cbarles  Berthier,  prince  de  Wagram.  —  BouLay  (da 
la  Meurtbe),  ancien  vice-président  de  la  République.  —  Le  comte  de 
Breteuil,  ancien  pair  de  France.  —  De  Cambacérès  aîné,  ancien  pair 


D*UN  GOI]P  I^AT.  443 

de  France.  —  Le  comte  de  Castellane,  général  en  chef  de  Tarmée  de 
Lyon.  —  Le  \ice-amiral  Casy,  membre  du  conseil  d*amirauté.  —  Le 
comte  de  Caumont-Laforce.  —  François  Clary.  —  Le  marquis  de 
Groî.  —  Le  baron  de  Crouseilhes,  ancien  ministre  de  l'instniction 
publique,  ancien  membre  de  TAssemblée  législative.  —  Le  comle 
Curial,  ancien  membre  de  l'Assemblée  législative.  —  Drouyn  de 
THuys,  ancien  ministre  des  affaires  étrangères,  ancien  membre  de 
TAssemblée  législative.  —  Dumas,  ancien  ministre  de  ragricuUurc  et 
du  commerce,  membre  de  Tlnstitut.  —  Charles  Dupin,  membre  de 
rinstitut,  ancien  membre  de  l'Assemblée  législative.  —  Elie  de  Beau- 
mont,  membre  de  Tlnstitut.  —  Achille  Fould,  ancien  ministre  des  fi^ 
nances,  ancien  membre  de  TAssemblée  législative.  —  Fouquet  d*Hé- 
rouel ,  ancien  membre  de  TAssemblée  législative.  —  Le  baron  dé 
Fourment,  ancien  membre  de  l'Assemblée  législative.  —  Gautier,  an- 
cien ministre  des  Cuances,  régent  de  la  banque  de  France.  —  Le 
comte  Ernest  de  Girardin,  ancien  membre  de  l'Assemblée  législative. 

—  Goulhot  de  Saint-Germain,  ancien  membre  de  TAssemblée  législa- 
tive. —  Le  marquis  de  la  Grange  (Gironde),  ancien  membre  de  l'Aa* 
semblée  législative.  —  Le  général  de  division  comte  d'Hautpoul,  an- 
cien ministre  de  la  guerre,  ancien  membre  de  l'Assemblée  législative. 

—  Le  vice-amiral  Hugon.  —  Le  général  Husson,  ancien  membre  de 
l'Assemblée  législative.  —  Lacrosse,  ancien  ministre  des  travaux  pu- 
blics, ancien  membre  de  l'Assemblée  législative.  —  De  Ladoucette^  an- 
cien membre  de  l'Assemblée  législative.  —  Le  général  de  division 
la  Hittc,  ancien  ministre  des  affaires  étrangères,  président  du  comité 
d'artillerie.  —  Le  comte  de  Lariboissière,  ancien  membre  de  l'Assem- 
blée législative.  —  Le  général  de  division  comte  de  Lav^œstine,  com- 
mandant de  la  garde  nationale  de  Paris.  —  Lebeuf,  régent  de  la 
banque  de  France,  ancien  membre  de  l'Assemblée  législative.  —  Le- 
marrois,  ancien  membre  de  l'Assemblée  législative.  —  Le  comte  Louis 
Lemercier,  ancien  pair  de  France.  —  Le  général  de  division  Leroy 
de  SaintrArnaud ,  ministre  de  la  guerre.  —  Leverrier,  membre  de 
linetitut,  ancien  membre  de  TAssemblée  législative.  —  Lezai  de  Mar- 
Qiiia,  Étiden  pair  de  France.  -»  Le  général  de  division  Magnan,  gé- 
iléral  en  chef  de  l'armée  de  Paris.  —  Manuel  (ds  la  Nièvre),  aocioi 
membre  de  l'Assemblée  législative.  —  Marchant  (du  Nord),  anciea 
membre  de  l'Assemblée  législative.  —  Meynard ,  préatident  à  la  cour 


■y 


444  HISTOIRE      ' 

de  cassation.  —  Mimerel,  ancien  membre  de  TAssemblée  législative. 
*>  Le  prince  de  la  Moskowa,  ancien  membre  de  rassemblée  législa» 
tiye.  —  Le  prince  Lucien  Murât,  ancien  membre  de  l'Assemblée  lé- 
gislative. ^  Le  général  de  division  Ordener.  —  Le  général  de  divi- 
sion comte  d'Ornano,  ancien  membre  de  l'Assemblée  législative.  — 
Le  général  de  division  duc  de  Padoue,  ancien  membre  de  TAssemblée 
législative.  —  Le  vice-amiral  Parceval-Descbônes.  —  Le  général  de 
division  Pelet,  ancien  membre  de  l'Assemblée  législative.  —  Le  duc 
de  Plaisance,  ancien  pair  de  France.  —  Poinsot,  membre  de  Tlnsti- 
tut.  —  Le  marquis  de  Pontis,  ancien  pair  de  France.  —  Le  comte 
Portalis;  premier  président  à  la  cour  de  cassation.  —  Le  général  de 
division  comte  de  PrévaL  —  Le  général  de  division  Regnault  de 
Saint-Jean-d'Angély,  ancien  ministre  de  la  guerre,  ancien  membre  de 
TAssemblée  législative.  —  Le  général  de  division  duc  de  Saint-Si- 
mon, ancien  pair  de  France.  —  Sapey,  ancien  député,  ancien  con- 
seiller-maitre  à  la  Cour  des  comptes.  ^  Le  général  de  division  comte 
de  Schramm,  ancien  ministre  de  la  guerre,  président  du  comité  d'in- 
fanterie. —  De  Ségur  d'Aguesseau ,  ancien  ninmbre  de  l'Assemblée 
législative.  — Le  comte  Siméon,  ancien  membre  de  l'Assemblée  légis- 
lative. —  Amédée  Thayer,  membre  de  la  commission  municipale  de  la 
Seine.  —  Thi bandeau,  ancien  conseiller  d'Etat  de  l'Empire.  — Tro- 
plong,  premier  président  de  la  cour  d'appel  de  Paris.  —  Le  duc  de 
Vicence.  —  Vieillard,  ancien  membre  de  rAsscmblée  législative  : 

Sont  nommés  membres  du  Sénat. 

Fait  au  palais  des  Tuileries,  le  26  janvier  i852. 

Louis-Napoléon  Bonaparte. 
Par  le  Président  : 

Le  ministre  cTÉtat, 

X.  DE  Casabianca. 

Notre  tâche  est  terminée.  L'auteur  de  Tintroduction, 
chargé  aussi  de  la  conclusion,  va  dire  les  conséquences 
politiques  de  l'acte  du  2  décembre.  Nous  avons  dû, 
quant  à  nous ,  nous  borner  au  récit  des  faits,  tels  qu'ils 
se  sont  offerts  d'eux-mêmes. 


•  SINJN  œUP  D'ÉTAT.  445 

Ces  faits  sont  un  grand  enseignement;  Dieu  fasse 
qu'il  serve  à  notre  patrie,  elle  doit  être  lasse  de  révolu- 
tions; toutes  lui  ont  coûté  bien  cher.  Aujourd'hui,  que 
nous  avons  constitué  un  pouvoir  sur  la  base  la 
plus  large  qu^aiteue  jamais  pouvoir  en  ce  monde,  abri» 
tons-nous  sous  sa  main  protectrice,  fermons  l'ère  des 
agitations  politiques,  des  expériences  gouvernemen- 
tales. 

Le  peuple  doit  savoir  à  présent,  que  ce  ne  sont  point 
les  faiseurs  d'émeutes  et  de  barricades  qui  créent  des 
institutions.  Le  progrès  naît  de  Tamélioration  morale 
des  hommes.  Personne  n'est  assez  fort  en  ce  monde, 
pour  empêcher  un  peuple  de  conquérir  un  progrès 
dont  il  est  digne,  pour  lequel  il  est  mûr;  mais  il  dépend 
de  ce  peuple  d'en  reculer  l' avènement.  S'il  comprend 
mal  l'idée  de  liberté,  s'il  veut  la  licence,  s'il  prend  le 
fusil  au  lieu  du  bulletin ,  il  fait  reculer  le  progrès.  La 
liberté  veut  l'autorité,  autrement  elle  devient  la  licence  ; 
elle  va  à  l'anarchie,  et  l'anarchie,  c'est  la  barbarie.  Un 
peuple  doit  respecter  ceux  qui  le  gouvernent,  et  croire 
que  ce  n'est  point  par  la  violence  qu'il  peut  rendre 
meilleures  les  institutions  et  les  lois;  c'est  en  se 
rendant  meilleur  lui-même;  car  les  lois  finissent  tou- 
jours par  être  l'expression  des  mœurs  et  de  l'étal  actuel  des 
nations.  Une  nation  éclairée  comme  la  nôtre,  ne  doit  viser 
qu'à  faire  des  révolutions  pacifiques,  et  pour  cela,  il 
faut  qu'elle  sache  bien  que  le  progrès  ne  vient  pas 
brusquement,  mais  qu'il  s'opère  d'une  façon  calme  et 
presque  insensible. 


446  HISTOIRE  D'UN  COUP  VtTAT. 

Il  monte  dans  rhumanité  comme  la  sève  dans  les 
rameaux  des  arbres;  il  a  horreur  des  secousses  et  des 
agitations  violentes.  Les  révolutions  par  la  force  ne 
servent  qu'à  quelques  ambitieux ,  et  presque  toujours 
les  peuples  en  sont  victimes.  Bien  rarement  on  voit , 
comme  aujourd'hui,  celui  qui  demeure  mattre  de  la 
puissance  9  la  déposer  aux  pieds  de  la  nation  ,  et  faire 
appel,  pour  gouverner,  à  la  seule,  à  la  vraie  légitimité, 
à  l'élection ,  qui  est,  ainsi  que  le  disaient  les  juriscon- 
sultes de  notre  vieille  monarchie ,  le  canal  choisi  par 
Dieu  pour  exprimer  sa  volonté  aux  princes  et  aux 
peuples. 


CONCLUSION. 


Un  iounense  événement,  un  grand  fait  s'était  pro- 
duit. Après  des  révolutions  successives,  venant  d*en  bas 
pour  détruire,  une  révolution  venant  d'en  haut  pour 
fonder,  s'était  accomplie.  On  était  enfin  rentré  dans 
les  traditions  nationales  de  la  France,  où  rien  de  vaste 
et  de  grand,  de  profond  et  de  durable,  ne  s'est  établi 
en  dehors  de  l'action  du  Pouvoir,  qui,  pendant  les 
huit  siècles  de  la  monarchie  capétienne ,  a  constanh- 
ment  marché  à  la  tète  du  mouvement  des  idées , 
ayant  l'initiative  de  toutes  les  réformes,  et  se  servant, 
pour  pousser  l'Humanité  en  avant,  dans  la  voie  de  la 
civilisation,  de  la  puissance  du  principe  d'autorité. 
Louis*Napoléon  reprenait  la  tâche  inachevée  de  Louis 
le  Qros,  de  Philippe -Auguste,  de  Saint- Louis,  de 
Louis  XI,  de  François  P',  d'Henri  IV,  de  Louis  XII  et 


448  CONaUSlON. 

de  Louis  XIY,  au  point  où  TEmpereur  Tavait  continuée 
et  où  la  Restauration  l'avait  interrompue.  Il  la  repre- 
nait au  nom  d'intérêts  plus  universels  et  d'idées  plus 
larges,  ou  plutôt  il  la  reprenait  à  un  moment  où  elle 
se  rapprochait  davantage  du  but  suprême  vers  lequel 
Dieu  conduit  la  France,  à  l'aide  d'instruments  divers 
et  à  travers  des  routes  différentes.  Il  venait  déblayer  le 
sol  du  présent  des  dernières  ruines  du  passé  qui  le  jon- 
chaient encore,  et,  sur  ce  sol,  il  allait  élever  les  fon- 
dements de  l'avenir. 

Ainsi,  à  l'instar  des  deux  grands  Empereurs,  des 
deux  puissants  génies  qui,  à  dix  siècles  d'intervalle, 
ont  rempli  l'Europe  de  l'éclat  de  leur  gloire,  du  bruit  de 
de  leur  nom  et  de  la  splendeur  de  leur  puissance,  Louis- 
Napoléon  apparaissait  sur  la  scène  du  monde,  ayant 
au  front  l'étoile  des  organisateurs  et  des  fondateurs  de 
sociétés.  Il  devait  donc  agir  et  procéder  comme  ont  agi 
et  procédé  Charlemagne  et  Bonaparte,  concentrant  en- 
tre leurs  mains  toute  la  force  du  Pouvoir  ;  car  c'est  seu- 
lement à  l'aide  de  celte  concentration  qu'il  peut  ac- 
complir, à  leur  exemple,  sa  mission  réformatrice  et 
civilisatrice.  L'unité  dans  le  gouvernement  a  toujours 
précédé  et  préparé  les  règnes  féconds,  qui  ont  laissé 
des  traces  dans  le  monde  et  influé  sur  les  destins  de  l'Hu- 
manité. C'est  la  Constitution  nouvelle  qui  seule  pouvait 
être  le  palladium  de  celte  unité.  La  première  pensée  de 
Louis-Napoléon  a  donc  dû  s'arrêter  sur  cette  Constitu- 
tion, qui  allait  être  le  fondement  de  l'édifice  qu'il  ^tait 
appelé  à  construire. 


Deux  grands  principes,  celui  de  liberté  et  celui  d'au- 
torité, se  partagent  l'empire  du  monde,  depuis  qu'il 
existe  sur  la  terre  des  groupes  d'hommes  qui  se  for- 
ment en  société  ;  ces  deiis  principes,  qui  n'ont  jamais 
cessé  de  se  combattre,  et  qui  triomphent  tour  à  tour 
dans  cete  lutte  éternelle  des  idées,  s'incarnent,  l'un 
dans  la  doctrine  d'examen,  l'autre  dans  la  doctrine 
d'obéissance.  De  même  que  chaque  arbre  porte  ses 
fruits,  ils  ont  l'un  et  l'autre  leurs  conséquences  forcées 
et  naturelles,  logiques  et  légitimes.  La  doctrine  d'exa- 
men enfante  l'esprit  de  révolte,  qui  bouleverse  et  révo- 
lutionne. Avec  elle,  on  renverse.  La  doctrine  d'obéis- 
sance produit  l'esprit  de  discipline,  qui  hiérarchise  cl 
organise.  Avec  elle,  on  édifie. 

Une  Constitution  appartient  toujours,  radicalement, 
à  l'une  ou  à  l'autre  de  ces  deux  doctrines.  Laquelle  de- 
vait vivifier  de  son  esprit,  animer  de  son  souffle  la  Con- 
stitution nouvelle?  Entre  la  doctrine  d'examen  et  la 
doctrine  d'obéissance,  Louis-Napoléon,  qui  venait 
construire,  ne  pouvait  pas  balancer,  et,  pour  se  déci- 
der en  faveur  de  la  seconde  contre  la  première,  il  n'a- 
vait qu'à  méditer  sur  l'histoire  des  Constitutions  poli- 
tiques de  la  France,  de  17S9  à  1851 ,  pour  trouver 
dans  cette  étude  des  inspirations  salutaires  et  des  en- 
seignemenls  suprêmes. 

Cette  histoire  ne  devait-elle  pas  apprendre  au  neveu 
de  l'Empereur  que  toutes  les  fois  que  le  principe  d'au- 
torité n'a  pas  dominé  dans  la  Constitution  du  pays  et 
dans  l'organisation  du  Pouvoir,  de  toute  la  hauteur  de 


A50  CONCLUSION. 

sa  foroe  et  de  sa  puissance ,  le  Gouvemement  a  vécu 
dans  la  lutte  pour  mourir  par  une  réirolution  !  C'est  ce 
qu'il  est  facile  de  démontrer  en  examinant  dans  leurs 
causes  et  dans  leurs^  effets  les  différentes  Constitutions 
qui  se  sont  succédé  depuis  soixante  ans  dans  notre 
pays,  trop  souvent  et  trop  cruellement  éprouvé  par  de 
vastes  catastrophes  et  de  sanglantes  insurrections.  Il 
n'est  personne  qui  ne  sache  qu'elles  sont  devenues 
très-nombreuses  en  moins  d'un  siècle.  Mais  quel  en 
était  l'esprit,  quel  en  était  le  caractère?  c'est  ce  que 
généralement  on  ignore.  Pourquoi  les  unes  ont-elles 
fatalement  abouti  à  une  révolution  par  un  chemin 
semé  de  troubles  et  d  agitation?  Pourquoi  les  autres 
ont-elles  logiquement  donné  le  calme,  le  repos,  l'or- 
dre, la  prospérité?  C'est  ce  qu'on  ne  sait  pas  assez 
peut-être. 

La  Constitution  de  1791  est  la  première  Constitution 
que  la  France  ait  possédée.  Mais  il  faut  convenir  que  ce 
coup  d'essai  n'a  pas  été  un  coup  de  maître.  Quand  on 
entre  dans  les  profondeurs  de  cette  œuvre  fatale,  inspi- 
rée par  un  esprit  funeste,  on  s'explique  aisément  qu'elle 
n'ait  pu  résister  au  bélier  révolutionnaire,  car,  à  cha- 
que ligne  s'y  révèle  l'ignorance  la  plus  complète  des 
lois  auquelles  obéit  invariablement  la  nature  humaine, 
et  des  notions  les  plus  élémentaires  de  la  science  poli- 
tique. La  Constituante  de  1789  s'y  était  cependant  re- 
prise à  plusieurs  fois,  pour  faire  et  parfaire  la  Constitu- 
tion de  1791  ,  vraie  robe  de  Déjanire,  dont  elle  avait 
revêtu  la  monarchie  capétienne. 


OâNCLUSION.  431 

Cette  Constitution  n'est  pas  sortie  tout  d'un  bloc  des 
délibérations  de  la  Constituante;  elle  s'est  successive* 
ment  complétée,  décret  par  décret,  du  mois  de  septem- 
bre 1789  au  mois  de  septembre  1791,  époque  de  sa 
promulgation  solennelle.  Mais  le  temps  qu'elle  avait  mis 
à  naitre  ne  l'avait  pas  rendue  plus  viable  ;  son  existence 
devait  moins  durer  que  son  enfantement.  La  Constitu- 
tion de  1791  déléguait  le  pouvoir  législatif  à  une  as- 
sembtée  unique,  permanente  y  indissoluble,  qui  avait 
exclusivement  le  droit  de  proposer  et  de  décréter  les 
lois.  Il  y  avait  là  tout  ce  qu'il  fallait  d'éléments  incen- 
diaires pour  mettre  le  feu  aux  quatre  coins  de  la 
Frwce,  produire  dix  révolutions  et  renverser  dix  gou- 
i(irnements,  couvrir  le  sol  de  cendres  et  de  ruines,  faire 
^  QBUler  des  torrents  de  sang  et  tomber  des  milliers  de 
t^tes. 

Les  Anglais  et  les  Américains,  qui  connaissent  la 
tendance  naturelle  des  Assemblées  politiques  au  despo- 
tisme, ont  cherché  contre  leur  tyrannie  des  garanties 
dans  la  division  du  Pouvoir  législatif  entre  deux  Cham- 
bres. Us  se  sont  bien  gardés  de  concentrer  dans  une 
seule  la  force  que  tout  corps  délibérant  tire  naturelle- 
ment de  sa  collectivité.  Ils  savaient  trop,  pour  tomber 
dans  une  aussi  profonde  méprise,  combien  les  Assem- 
blées politiques  sont  facilement  entraînées  à  abuser  de 
cette  force. 

Les  Constituants  de  1789,  si  servilement  copiés  dans 
lews  erreurs  par  les  Constituants  de  1848,  ne  se  sont 
pas  contantes  de  méconnaître  cette  loi  fondamentale 


482  GONaUSION. 

de  Tart  du  gouvernement  des  hommes.  Après  avoir  in- 
vesti une  Assemblée  unique  du  Pouvoir  législatif,  ils 
ont  encore  fait  cette  Assemblée  permanente  et  indisso- 
lubie,  la  plaçant  ainsi,  à  dessein,  tout  à  fait  en  dehors 
de  l'action  du  Chef  de  l'Ëtat. 

Assise  sur  de  pareilles  bases,  une  Assemblée  délibé- 
rante est  comme  une  locomotive  lancée  à  toute  vapeur. 
Il  faut  qu'elle  éclate  ou  qu'elle  arrive ,  et  tout  ce  qui 
ne  s*écarte  pas  de  son  chemin,  ne  peut  qu'être  broyé 
comme  un  grain  de  sable.  G)rament  ne  viserait-elle 
pas  à  la  domination  exclusive ,  lorsqu'elle  ne  sent  de 
contre-poids  d'aucune  nature,  lorsqu'elle  ne  voit  de 
barrière  d'aucune  sorte,  et  qu'elle  ne  répond  de  ses  «c- 
tes  que  devant  l'Histoire  et  devant  Dieu!  Le  frein  le 
plus  puissant  contre  les  abus  de  pouvoir  et  les  actes  de* 
tyrannie,  c'est  celui  de  la  responsabilité  personnelle. 
La  responsabilité  n'est  efficace  que  lorsqu'elle  est  in- 
dividuelle. Celle  des  corps  délibérants  n'est  que  collec- 
tive; c'est  ce  qui  fait  qu'elle  n'existe  pas. 

La  Constitution  de  1791  déléguait  le  Pouvoir  exé- 
cutif au  Roi.  Mais  étranglé  dans  sa  base,  découronné 
de  ses  plus  précieuses  prérogatives,  annulé  dans  son 
action,  ce  Pouvoir  n'avait  aucun  des  éléments  de  force 
et  de  vitalité  qui  devaient  le  rendre  fécond.  Sans  ini- 
tiative pour  les  lois,  qu'il  n'avait  pas  la  faculté  de  pro- 
poser ;  sans  autorité  sur  l'armée,  soustraite  à  son  com- 
mandement; sans  influence  sur  les  fonctionnaires 
enlevés  à  son  choix;  sans  droit  contre  l'Assemblée,  qu'il 
n'avait  pas  la  faculté  de  dissoudre,  le  Roi  ne  pouvait 


CONCLUSION.  453 

rien,  ni  pour  se  défendre  ni  pour  défendre  Tordre,  la 
liberté,  le  pays,  la  société,  la  civilisation,  contre  les  éga- 
rements du  Corps  législatif ,  qui  pouvait  tout  impuné- 
ment contre  la  Royauté. 

On  sait  quels  furent  les  déplorables  résultats  de  cet 
esprit  de  jalousie  du  Pouvoir  législatif  contre  le  Pouvoir 
exécutif,  dont  la  Constitution  de  1791  était  imprégnée, 
et  qui  avait  passé ,  trait  pour  trait ,  dans  la  Constitu- 
tion de  1848,  exactement  calquée  sur  elle.  Le  29  sep- 
tembre, l'Assemblée  constituante  résignait  ses  pouvoirs, 
en  déclarant  que  sa  mission  était  terminée.  Le  t*'  oc- 
tobre ,  l'Assemblée  législative  se  réunissait  en  vertu  de 
h  Constitution  qui  devait  être  promulguée.  Le  Pouvoir 
atif  et  le  Pouvoir  exécutif,  organisés  par  cette 
Gomtitution ,  se  trouvaient  enfin  face  à  face.  Ce  fut 
^JMmiédiatement ,  entre  ces  deux  Pouvoirs,  une  lutte 
sidurde,  profonde,  implacable,  terrible  :  lutte  qui  était 
aussi  inévitable  qu'il  est  inévitable  que  la  nuit  succède 
au  jour,  et  que  le  jour  succède  à  la  nuit. 

Là  où  il  y  a  égalité,  il  y  a  fatalement  rivalité  ;  là  où 
il  y  a  rivalité,  il  y  a  nécessairement  guerre.  Cela  tient 
aux  lois  éternelles  du  cœur  humain ,  dont  les  ressorts 
d[>éissent  à  l'inexorable  logique  des  passions ,  sans  que 
la  différence  des  temps  ni  des  lieux  puisse  rien  changer 
à  leur  jeu,  qui  est  partout  et  toujours  le  même.  L'es- 
prit de  domination,  naturel  aux  corps  délibérants, 
entraîna  bientôt  l'Assemblée  législative  sur  la  pente 
irrésistible  de  l'usurpation.  Le  Pouvoir  royal  s'effaça 
complètement  devant  l'action  absorbante  et  envahis- 


454  CONCLUSION. 

santé  du  Pouvoir  parlementaire.  Décapité  politiquement 
par  la  Constitution,  avant  d'être  guillotiné  par  le  bour- 
reau ,  Louis  XYI  fut  successivement  arrêté ,  suspendu  y 
emprisonné,  au  mépris  de  cette  Constitution  qui  le 
déclarait  inviolable. 

Puis,  l'Assemblée  législative  appela  une  Convention 
nationale,  qui  abolit  la^ Royauté,'  et  qui  assassina  le 
Roi ,  en  livrant  la  France  au  régime  de  la  Terreur  ;  et, 
au  règne  de  cette  Convention  nationale ,  qui  était  sou- 
veraine en  droit  et  en  fait ,  correspondit  la  plus  épou- 
vantable époque  de  notre  histoire.  Quelle  tyrannie  fut 
jamais  plus  monstrueuse  que  la  tyrannie  irresponsable 
de  cette  Assemblée  !  La  dictature  de  Marins  et  de  Sylla 
coûta  certes  beaucoup  moins  de  sang  à  la  République 
romaine,  que  la  dictature  de  la  Convention  nationale, 
décrétant  le  Gouvernement  révolutionnaire ,  concentré 
au  sein  du  Comité  de  salut  public ,  n'en  fit  répandre 
sur  le  sol  français.  Un  Marius  même  a  une  responsa- 
bilité qui  le  retient  ;  les  membres  d'une  Assemblée  po- 
litique n'en  ont  pas;  rien  ne  les  contient. 

C'est  en  i  792  que  la  Convention  nationale  a  usurpé 
tous  les  pouvoirs,  en  réunissant  entre  ses  mains  la 
puissance  législative  et  la  puissance  executive.  Un  dé- 
cret du  10  août  rendu  par  l'Assemblée  législative,  qui 
allait  mourir,  avait  d'abord  prononcé  la  suspension  du 
Roi.  Un  décret  du  21  septembre,  promulgué  par  la 
Convention  nationale,  le  jour  même  de  sa  réunion, 
prononça  l'abolition  de  la  Royauté.  Le  24  juin  1793, 
la  Convention  nationale  promulguait  une  Constitution 


CONaUSlON.  455 

nouvelle  y  qu'elle  envoyait  à  Tacceptatioa  du  Peuple 
français^  précédée  de  la  guillotine  et  suivie  du  bourreau. 

Une  Constitution  si  puissamment  apostillée  ne 
pouvait  manquer  d'être  librement  et  volontairement 
adoptée.  Cependant,  quoique  les  assemblées  primaires 
eussent  été  convoquées  et  se  fussent  réunies  sous  l'em- 
pire de  la  Terreur,  la  Constitution  de  1 793  n'a  réuni 
que  1,801,918  suffrages,  tant  il  est  vrai  que  la  sym- 
pathie ,  et  non  la  peur,  peut  seule  entraîner  la  nation 
française,  el  que  jamais  on  obtiendra  d'elle,  par  la 
violence,  ce  qu'elle  accorde  avec  élan  dans  son  en- 
thousiasme. 

Mais  cette  Constitution  était  à  peine  acceptée,  que  la 
Convention  nationale,  jetant  enfin  le  masque,  trouva 
que,  si  légère  qu'elle  fut ,  cette  trame,  à  travers  laquelle 
son  despotisme  pouvait  cependant  passer  à  l'aise,  était 
encore  trop  gênante.  Elle  se  proclama,  sans  plus  de  fa- 
çon, au-dessus  de  toutes  les  lois  humaines  et  de  toutes 
les  lois  divines ,  en  abolissant  la  Constitution  qu'elle- 
même  avait  faite.  Constitution  impossible  d'ailleurs,  qui 
n'avait  d'autre  mérite  que  celui  d'exagérer  et  d'outrer 
à  l'excès  les  vices  de  celle  de  1791. 

Ainsi  ces  hommes,  que  les  démagogues  de  notre 
temps  qualifient  de  martyrs,  de  saints  et  de  héros ,  ces 
hommes,  auxquels  les  socialistes  de  nos  jours  dressent 
des  statues  et  font  des  apothéoses  dans  eurs  livres  et 
dans  leurs  discours  ;  ces  hommes,  enfin,  que  les  mo-^ 
dernes  révolutionnaires  adoptent  comme  les  modèles 
de  leur  vie  poUlique,  ont  donné  le  premier  exemple 


4ft6  GONaUSlON. 

d'une  Constitution  déchirée  par  la  force.  Les  maîtres 
nous  ont  appris  d'avance  ce  qu'auraient  été  les  dis^ 
cipleSy  si  les  disciples  avaient  eu  le  pouvoir  des  maî- 
tres. Les  Montagnards  d'aujourd'hui,  si  on  les  eût  laisses 
agir,  se  seraient  fait  un  point  d'honneur  d'imiter  en 
tout  les  Montagnards  d'autrefois;  et  la  Gonstitulion  de 
1848,  sur  les  lambeaux  de  laquelle  ils  ont  affecté  de 
pleurer,  aurait  subi  avec  eux  le  sort  de  la  Constitution 
de  1793.  Elle  aurait  violemment  disparu.  Seulement 
elle  aurait  disparu  au  profit  de  la  Démagogie  et  du  So* 
cialisme ,  au  profit  de  la  spoliation  universelle  et  de 
la  proscription  générale. 

Le  règne  sans  limite  et  sans  frein  de  la  Convention 
nationale  fut  officiellement  décrété  le  10  octobre  1793, 
sous  le  nom  de.  Gouvernement  provisoire  et  révolu- 
tionnaire. On  sait  ce  que  fut  ce  gouvernement  d'une 
Assemblée  souveraine,  qui  était  moins  une  réunion 
d'hommes  qu'une  ménagerie  de  bêtes  féroces  ;  de  cette 
Assemblée  qui  réunissait  dans  son  sein  Robespierre  et 
Couthon,  CoUol-d'Herbois  elFouquier-Tinville,  Legen- 
dre  et  Marat.  Ce  fut  quelque  chose  de  plus  sanglant  et 
de  plus  monstrueux  que  le  règne  même  des  Claude  et 
(les  Néron,  des  Héliogabale  et  des  Caligula  de  la  Rome 
des  Empereurs.  Jetons  un  voile  sur  ces  tristes  pages  ds 
notre  histoire,  et  passons  en  gémissant  sur  ces  mal* 
heurs  de  la  patrie  et  sur  ces  misères  de  Thumanité» 
pour  arriver  à  la  Constitution  du  22  août  1795,  qui 
suivit  la  journée  du  9  Thermidor,  journée  d'oîi  sortit 
le  Gouvejrnemeiil  du  Directoire.  Cette  Constitution, 


COWXUSÏON.  457 

qui  fut  proclamée  le  23  septembre  de  la  même  année, 
fut  acceptée  par  1,107,367  suffrages. 

La  Constitution  de  1795  sépara  de  nouveau  la  puis- 
sance législative  et  la  puissance  executive.  Elle  fit  plus, 
elle  divisa  le  Corps  législatif  en  deux  chambres.  Il  y  eut 
le  Conseil  des  Anciens,  où  Ton  n'entrait  qu'à  Tàge  de 
quarante  ans  ;  et  le  Conseil  des  Cinq-Cents,  dont  on  ne 
pouvait  être  membre  qu'à  l'âge  de  trente  ans  :  conseils 
électifs  dont  l'un  servait  à  l'autre  de  contre -poids  et 
de  contre  -  épreuve.  Les  résolutions  du  Conseil  des 
Cinq-Cents  rie  devenaient  lois  de  l'État  qu'après  avoir 
été  adoptées  par  le  Conseil  des  Anciens,  qui  devait  les 
rejeter  ou  les  accepter  dans  leur  ensemble,  mais  qui  rie 
pouvait  pas  en  modifier  séparément  les  articles. 

C'était  déjà  un  progrès  :  c'était  un  premier  pas  dans 
une  voie  où,  en  remontant  le  courant  de  l'anarchie, 
on  montrait  le  désir  de  revenir  aux  conditions  essen- 
tielles et  normales  de  Tordre.  Malheureusement,  on  ne 
procédait  encore  à  la  restauration  des  vraies  doctrines 
de  gouvernement  qu'avec  une  excessive  timidité,  alors 
que,  pour  raffermir  la  France  ébranlée  et  rasseoir  la 
société  bouleversée,  il  aurait  fallu  agir  avec  hardiesse, 
énergie  et  promptitude.  Le  principe  d'autorité  était  tou- 
jours sacrifié  ;  car  le  Corps  législatif,  toujours  indissolu- 
ble et  permanent,  était  resté  en  dehors  de  l'action  de 
la  puissance  executive.  L'unité,  enfin,  manquait  par- 
tout; elle  manquait  à  la  base  comme  au  sommet  du 
Pouvoir.  A  la  tête  du  Gouvernement  de  TËtat,  de  même 
qu'à  la  tête  de  l'administration  de  chaque  département, 


4p8  œNCLUSION. 

il  y  avait  un  directoire  composé  de  cinq  raembres.  Un 
pouvoir  en  cinq  personnes!  quelle  aberration  ! 

Le  Directoire  n'avait  ni  l'initiative  des  lois,  ni  le 
commandement  des  armées,  ni  la  désignation  des  ad- 
ministrateurs, ni  le  choix  des  magistrats.  Nommé  par 
le  Corps  législatif,  et  renouvelé  tous  les  ans  par  cin- 
quième, c'était  moins  un  pouvoir  agissant  dans  l'intérêt 
du  pays,  qu'un  instrument  passif,  fonctionnant  au  gré 
de  la  lettre  morte  d'une  Constitution  anormale.  Com- 
ment aurait-il  pu  communiquer  au  corps  social  le 
mouvement,  la  force,  l'activité,  l'impulsion,  la  vie, 
surtout  lorsqu'à  son  défaut  d'unité  venait  s'ajouter  son 
défaut  de  durée?  Il  n'y  a  de  pensée  fécondante  que  celle 
que  le  temps  mûrit  et  développe. 

La  Constitution  de  1791  avait  abouti  au  terrible  des- 
potisme de  la  Convention  nationale.  La  Constitution  de 
179S  ne  pouvait  que  précipiter  la  France  vers  sa  dis- 
solution politique,  par  la  faiblesse  du  Pouvoir  et  le  re- 
lâchement de  la  hiérarchie.  Ce  fut  bientôt  un  effroyable 
éparpillemenl  de  toutes  les  forces  sociales,  une  épouvan- 
table confusion  de  toutes  les  idées  morales.  Déchirée 
par  les  factions  du  dedans,  vaincue  par  les  ennemis 
du  dehors,  épuisée,  démoralisée  par  le  régime  de  ba- 
vardage impuissant  et  stérile  qui  avait  succédé  au 
régime  sanglant  delà  Terreur,  la  Nation  française  cou- 
rait à  sa  décadence  avec  une  effrayante  rapidité,  lors- 
qu'une main  glorieuse  et  forte  vint  tout  à  coup  l'arrê- 
ter sur  le  penchant  de  sa  ruine,  en  relevant  le  principe 
d'autorité. 


CONCLUSION.  459 

La  journée  du  14  juillet  avait  enfanté  la  Constitution 
de  1791  ;  celle  du  10  août  avait  produit  la  Constitution 
de  1793;  la  journée  du  9  thermidor  avait  donné  la 
Constitution  de  1795  ;  la  journée  du  18  brumaire  pré- 
céda la  Constitution  de  1799,  qui  eut  la  gloire  d'inau- 
gurer la  première  restauration  du  principe  d'autorité. 

La  séparation  du  pouvoir  exécutif  et  du  pouvoir  lé- 
gislatif fut  plus  profondément  établie  encore  dans  la 
Constitution  de  1799  que  dans  la  Constitution  de  1795. 
L'unité  du  pouvoir  exécutif  ne  fut  pas  tout  d'abord 
complète,  du  moins  en  apparence.  Il  y  eut  trois  Con- 
suls au  sommet  de  l'État.  Mais,  à  vrai  dire,  celui  des 
trois  qui  avait  le  titre  de  premier  Consul  possédait  des 
attributions  qui  en  faisaient  en  réalité  le  seul  et  unique 
chef  du  Gouvernement,  auquel  aboutissait,  comme  à 
son  centre  naturel,  toute  l'action  de  la  puissance  exe- 
cutive. C'était  lui  qui  promulguait  les  lois,  qui  nommait 
et  révoquait  à  volonté  les  membres  du  Conseil  d'État, 
les  ministres,  les  ambassadeurs,  les  officiers  de  l'armée 
de  terre  et  de  mer,  tous  les  fonctionnaires  enfin  de 
Tordre  administratif  et  judiciaire ,  à  l'exception  des 
juges  de  paix  et  des  juges  de  cassation. 

On  voit  qu'on  se  rapprochait  déjà  du  principe  d'u- 
nité, en  même  temps  qu'on  revenait  au  principe  d  au- 
torité. L'initiative  de  la  proposition  des  lois  avait  été 
restituée  au  Gouvernement  ;  elle  lui  avait  été  restituée 
d'une  manière  absolue.  Cette  disposition  était  un  pro- 
grès immense  dans  les  voies  de  la  logique  et  de  la  rai- 
son, car  la  logique  et  la  raison  se  refusent  à  comprendre 


m  œNausioN. 

UQ  pouvoir  contraint  de  faire  exécuter  ce  qu'il  n  a  ni 
copçuy  ni  conseillé  y  ce  qu'il  blâme  peut-être.  Daos 
Torigine,  les  fonctions  des  trois  Consuls  étaient  dé* 
c.eonales.  Ils  étaient  indéfiniment  rééligibles.  Ainsi 
Ton  comprenait  enfin  quel  lien  étroit  existe  entre  la 
stabilité  des  hommes  et  la  stabilité  des  choses. 

Dans  la  ConstituUon  de  1 795,  le  système  des  Assem- 
blées uniques  avait  déjà  disparu.  La  G)nstitution  de 
1799  fit  une  pr^nière  brèche  au  système  des  Assem- 
blées permanentes.  £lle  décida  que  la  session  du  Corps 
législatif  ne  serait  que  de  quatre  moii.  U  était  composé 
de  trois  cents  membres  qui  devaient  être  âgés  de  trente 
ans  au  moins.  Un  Conseil  d'âtat  permanent  était  char- 
gé de  rédiger  les  projets  de  lois  proposés  par  le  GouYeD* 
oem^nt.  Ces  projets  de  lois  étaient  ensuite  portes  dù*^ 
vant  le  Tribunat,  Assemblée  également  permanente, 
composée  de  cfnt  membres  âgés  de  vingU-cinq  ans  m 
moins.  Après  les  avoir  discutés,  cette  Assemblée  exprt^ 
mail  un  vœu  en  faveur  du  rejet  ou  de  l'adoption.  Ces 
mêmes  projets  de  lois  allaient  ensuite  devant  le  Corp^ 
législatif,  qui  statuait  en  dernier  ressort,  au  scrutin 
secret,  sans  aucune  discussion.  Le  débat  s'établissait  de^ 
vant  le  Corps  législatif,  entre  trois  membres  du  TribuBat 
chargés  de  défendre  l'opinion  de  cette  Assemblée  et  troi$ 
Conseillers  d'Ëtat,  qui  remplissaient  les  fonctions  de 
Commissaires  du  Gouvernement.  Le  Corps  législatif 
écoulait,  appréciait  et  votait,  avec  le  droit  absolu  de  re-* 
jet  ou  d'adoption ,  ces  projets  de  lois  qui  lui  étaient 
soumis.  U  les  acceptait  ou  les  refusait  dans  leur  en- 


CÛNaUSlQN.  46A 

semble,  mais  sans  pouvoir  les  dénaturer  par  des  amen- 
deioente. 

Dans  la  Constitution  -de  1799,  le  Sénat  conservateur 
n'eut  que  des  attributions  restreintes.  Cette  Assemblée 
ne  comptait  d'abord  que  quatre-vingts  membres  ina- 
movibles qui  étaient  nofîimés  à  vie  et  qui  devaient 
être  âgés  au  moias  <le  quarante  ans.  C'était  moins  un 
corps  délibérant,  participant  à  la  puissance  législative , 
qu*une  sorte  d'électeur  suprême,  nommant  les  Consuls, 
les  Législateurs  et  les  Tribuns,  qu'il  devait  choisir  sur 
des  listes  de  candidats  désignés  à  son  choix  dans  une 
forme  toute  spéciale. 

Les -citoyens  de  chaque  arrondissement  dressaient 
une  première  liste,  appelée  liste  communale,  dans  la- 
quelle on  devait  prendre  les  fonctionnaires  publics  de 
cet  arrondissement.  Les  citoyens  compnÎ6  dans  les  listes  z' ;% 
communales  d'un  m&me  département^  formaient  une  .^-^^ 
seconde  l^te  appelée  liste  départementale,  dans  laquelle 
devaient  être  pris  tous  les  fonctionnaires  publics  de  ce 
département.  Enfin  les  citoyens  portés  sur  cette  se- 
conde liste  en  composaient  une  troisième  qui  s'appelait 
liste  nationale,  et  dans  laquelle  devaient  être  pris  les 
Consuls^  les  Tribuns,  les  Législateurs,  et  même  les  juges 
de  cassation,  qui,  par  une  exception  bizarre,  n'élaienl 
pas  encore  À  la  nomination  du  Gouvernement. 

Le  Sénat  conservateur  devait  se  recruter  lai-mêm« 
par  des  choix  faits  sur  uoe  triple  liste  de  candidats  pré- 
sentéi^  :  i'un  par  le  Corps  législatif,  le  second  par  le 
Tjribunat^  et  le  troisièroie  par  le  premier  ConsuL  ûs 


*- 


f? 


462  CONCLUSION. 

corps  était  également  une  sorte  de  tribunal  politique 
jugeant  les  questions  constitutionnelles.  Le  Tribunal  et 
le  Gouvernement  avaient ,  chacun  de  son  côté ,  le  droit 
de  lui  déférer  les  actes  dont  la  constitutionnalité  leur 
paraissait  douteuse. 

Le  Sénat  conservateur  délibérait  en  séance  secrète; 
mais  le  Tribunat  discutait  et  le  Corps  législatif  votait 
les  lois  en  séance  publique.  Cependant ,  on  ne  voyait 
pas  alors  de  ces  orateurs  qui ,  posant  devant  le  public 
comme  un  acteur  sur  la  scène ,  songent  moins  à  con- 
vaincre leurs  collègues  qu'à  enflammer  les  masses.  Il  n'y 
avait  pas  enfin  de  ces  discours  qui,  ne  visant  qu'à 
l'eiïet^  tombent  au  milieu  des  passions  du  peuple  comme 
une  mèche  allumée  sur  des  barils  de  poudre.  C'est  que 
le  Tribunat  n'était,  en  réalité,  qu'une  sorte  de  première 
étamine  par  laquelle  passaient  les  projets  de  loi ,  dont 
le  Conseil  d'État  avait  rédigé  le  texte ,  sous  l'autoriié 
du  Gouvernement,  avant  d'arriver  devant  le  Corps  lé- 
gislatif, leur  arbitre  suprême. 

D'ailleurs,  renfermée  entre  quelques  hommes  spé- 
ciaux et  compétents;  uniquement  destinée  à  éclairer  la 
religion,  à  former  l'opinion  des  membres  du  Corps  légis- 
latif, la  discussion  qui  s'établissait  entre  trois  membres 
du  Tribunat  et  les  conseillers  d'État  ne  pouvait  pas  dé- 
générer en  débats  oiseux  et  confus,  en  scènes  irritantes 
et  scandaleuses.  Il  n'en  pouvait  sortir  ni  trouble  exté- 
rieur, ni  émotion  publique.  Plus  calme,  mieux  éclairé, 
le  Corps  législatif  devait  voter,  à  coup  sûr,  beaucoup 
moins  sous  l'influence  des  passions  et  beaucoup  plus 


CONCLUSION.  463 

SOUS  l'influence  des  arguments.  Le  Conseil  d'État  qui 
élaborait;  le  Tribunal  qui  examinait  et  discutait;  le 
Corps  législatif  qui  prononçait  :  voilà  comment  se  fai-  , 

sait  la  loi,  simplement,  rapidement,  en  quelques  se- 
maines. 

Le  Sénatus-Consulte  organique,  du  4  août  1802,  ne 
fut  point  une  Constitution  nouvelle.  Ce  Sénatus-Consulte 
ne  fit  que  développer,  en  les  complétant,  les  éléments 
d'ordre  et  de  stabilité  que  renfermait  la  Constitution  de 
1799.  Les  consuls  furent  alors  à  vie,  et,  comme  le  se- 
cond et  le  troisième  étaient  nommés  par  le  Sénat ,  sur 
la  présentation  du  premier,  Napoléon  Bonaparte  per- 
sonnifia plus  complètement,  tout  à  la  fois,  le  principe 
d'autorité  et  la  pensée  d'unité,  qui  présidaient  alors  à 
l'organisation  du  gouvernement  de  la  France. 

Les  attributions  du  Sénat  conservateur  furent  éten-  jm^ 
dues,  mais  non  changées;  il  pouvait  prononcer  la  disso-  jyT 
lution  du  Corps  législatif  que  le  Gouvernement  convo- 
quait ,  ajournait  ou  prorogeait  à  volonté,  ainsi  que  celfe 
du  Tribunat,  qui  fut  divisé  en  sections ,  et  réduit  à 
cinquante  membres. 

Le  Sénat  conservateur  nommait  encore  les  membres 
du  Tribunal  de  cassation  ;  mais  il  ne  les  nommait  plus 
que  sur  la  présentation  du  premier  Consul.  Enfin  ,  le 
Sénatus-Consulte  de  1802  ne  se  bornait  pas  à  conférer 
à  Napoléon  Bonaparte  cette  dignité  de  premier  Consul  à 
YÎe ,  il  lui  reconnaissait  également  le  droit  de  présenter, 
de  son  vivant ,  son  successeur  au  Sénat.  Ce  droit  équi- 
valait presqu'à  l'hérédité,  qu'allait  bientôt  rétablir  le 


Iê4  OOUGLUSnil. 

Sénatus-Con^ultc  du  18  mai  1804,  SéMtns-ConsuIte 
qui  modffîa  moins  Tesprit  que  la  lettre  de  la  Consrti- 

•jjl^  '      tution  de  17£9,  complétée  par  le  Sénatus-€k>nsulte 

^  organique  de  1802. 

L'autorité  du  Chef  de  l'Ëtat  fut  moins  agrandie,  en 
effiet ,  qu'on  ne  pourrait  le  supposer,  par  la  transforma- 
tkm  du  Gouvernement  consulaire  en  Gouvememeût 
impérial.  Cette  (ransfbrmation  influa  beaucoup  plus  sur 
b  foniie  que  sur  le  fond ,  et  ce  qu'il  y  eut  de  plus  nou- 
veau et  de  plus  caractéristique  dans  les  Constitutions 
de  l'Empire  y  c'est  moins  le  pouvoir  qu'elles  donnèrent 
à  Napotéon  Boiia{MR4e ,  que  le  cérémonial  et  la  pompe 
dont  elles  entouràreot  ce  pouvoir. 

La  Constitution  consulaire  de  1799,  qui  désignait 
nominativement  Napoléon  Bonaparte  comme  premier 
^  ^ ,  Consul  pour  dix  ans,  présentée  à  l'acceptation  du  Peuple 
>;  français,  avait  réuni  3  millions  11,007  suffrages.  Le 
Sénalus-Consulte  organique  de  1802,  qui  lui  déférait  la 
même  dignité  à  vie,  avait  réuni  3  millions  568,885 
suffrages.  Le  Sénatus-Consulte  organique  de  1804,  qui 
créait  la  dignité  impériale  héréditaire,  fut  votée  parla 
Nation  à  la  majorité  de  3  millions  521,575  voiK  contre 
2,569.  Voici  comment  la  proposition  avait  été  formu- 
lée :  Le  peuple  veut  V  hérédité  de  la  diffnUé  împériale 
dans  la  descendance  directe j  naturelley  légitime  et  adop^ 
tive  de  Napoléon  Bonaparte^  et  dans  la  descendance 
directe,  naturelle  et  légitime  de  Joseph  Bonecparîe  et  dé 
Louis  Bonaparte. 

Il  est  à  remarquer  que  ce  vote  ne  devait  e(^  âuean  cas 


CONCLUSION.  4«S 

profiter,  soit  aux  autres  frères  de  l'Empereur,  soit  i 
leur  descendance.  L'article  7  du  Séiialus-Cuusulte  or- 
ganique Je  1804  avait  en  eflel  prtîvu  l'hypothèse  où  la 
descendance  de  Napoléon,  de  Joseph  et  de  Louis  Bona- 
parte, viendrait  à  s'éteindre.  11  prescrivait  formellement 
de  procéder,  dans  ce  cas,  à  une  nouvelle  élection  im- 
périale. L'Empereur  devait  alors  être  nommé  par  le 
Sénat,  en  vertu  d'un  Séuatus-Cousulte  organicjue,  pro- 
posé par  les  titulaires  des  grandes  dignités  de  l'£inpire, 
et  soumis  à  la  sanction  du  peuple. 

Les  fondements  de  l'édifice  gouvernemental  élevé 
par  les  mains  du  Napoléon,  avaient  été  posés  en  1799 
et  en  1802.  Le  Sénalus-Cunsulte  de  1804  en  fut  le  coo- 
ronnement.  Aloi's  se  trouvèrent  complétées  ce  que  l'on 
appelle  les  Cunslitutions  de  l'Empire,  magnifique  édi- 
fice, dont  toutes  les  parties  se  relient  et  se  coordonncut 
entre  elles  avec  un  art  admirable  pour  former  un  de 
ces  ensembles  pleins  d'harmonie  et  de  grandeur,  de 
force  et  de  vitalité,  qui  saisissent  l'imagination  en  même 
temps  qu'ils  satisfont  la  raison. 

A  la  base,  il  y  a  la  Souveraineté  du  peuple,  assise 
large  et  profonde  sur  laquelle,  depuis  la  chute  de 
l'Empire,  aucun  gouvernement  n'avait ,  avant  f  é- 
lection  présidentielle,  reposé.  L'exercice  de  cette  Sou- 
veraineté ne  fut  pas  une  Gction ,  comme  on  voudrait  j 
le  faire  croire  :  les  registres  sur  lesquels  chaque  ci-  ' 
toyeu  était  admis  à  émettre  son  vœu,  aflirniatif  ou 
négatif,  étaient  déposé»  partout.  Il  s'en  trouvait  non- 
seulement  daus  les  demeurer  olHcielles,  aux  sécréta- 


466  GONaUSION. 

riais  des  administrations  et  des  municipalités^  aux 
greffes  des  tribunaux  et  aux  justices  de  paix ,  il  en 
existait  encore  dans  les  demeures  privées,  dans  les 
études  de  notaires. 

Donc,  à  la  base  des  Constitutions  de  TEmpire,  il  y  a  la 
Souveraineté  du  Peuple.  Au  sommet,  il  n'y  a  que  l'Em- 
pereur, c'est-à-dire  l'ordre;  car,  dans  les  sociétés, 
Tordre  naît  de  l'unité.  L'Empereur  est  le  centre  vers 
lequel  convergent  tous  les  rayons  de  ce  cadre  immense 
où  s'enchâssent  les  Assemblées  de  canton ,  les  collèges 
électoraux  d'arrondissement  et  de  déparlement,  le  Sé- 
nat, le  Conseil  d'Êlat,  le  Corps  législatif,  les  grands  di- 
gnitaires, les  ministres,  les  grands  officiers,  la  Cour  de 
cassation,  les  Cours  d'appel,  les  Tribunaux  civils,  les 
Justices  de  paix,  les  préfets,  les  sous-préfets  et  les 
maires,  tout  le  mécanisme  enfin  du  Pouvoir  exécutif, 
législatif  et  judiciaire. 

L'Empereur,  c'est  la  pensée  gouvernementale  qui 
descend ,  de  degré  en  degré ,  dans  tous  les  rangs  de 
l'administration ,  pour  arriver,  par  les  préfets  et  les 
sous-préfets,  jusqu'au  dernier  maire  de  village.  Ceux  qui 
ne  voient  que  l'Empereur  dans  l'Empire,  tombent  dans 
une  méprise  profonde,  qu'expliquent ,  du  reste ,  la 
grandeur  de  son  génie  et  l'éclat  de  sa  gloire.  Derrière 
l'homme  qui  devait  mourir,  il  y  avait  une  idée  qui  pou- 
vait vivre,  une  idée  éconde,  puissante  et  vraie. 

L'Empereur,  dans  l'organisation  du  Gouvernement 
de  l'Empire,  c'était  le  principe  d'autorité  fait  homme; 
mais  le  principe  d'autorité,  sorti  des  entrailles  même  de 


œNaUSÏOîi.  467 

la  nation.  L'Empereur,  enfin,  c'était  la  personnification 
du  Pouvoir  social  dans  son  acception  la  plus  vaste  et  la 
plus  haute.  Voilà  le  point  de  départ.  Autour  de  cette 
idée  première,  se  groupent  une  pensée  de  stabilité,  une 
pensée  de  justice ,  une  pensée  d'utilité.  La  pensée  de 
stabilité  était  dans  l'hérédité  de  la  dignité  impériale  ;  la 
pensée  de  justice  se  trouvait  partout,  car  tout  tendait, 
dans  cette  large  organisation ,  à  mettre  en  lumière  les 
talents,  à  récompenser  les  services,  à  fonder  enfin  le 
règne  de  l'intelligence. 

Le  Sénatus-Consulte  organique  de  1802  avait  créé 
un  système  électoral,  qui  resta  celui  de  l'Empire.  Voicr 
quel  se  trouvait  être  alors  ce  système  :  11  y  avait  des 
Assemblées  de  canton,  des  Collèges  d'arrondissement 
et  des  Collèges  de  département.  Les  Assemblées  de  can* 
ton  étaient  composées  de  tous  les  Français  majeurs , 
ayant  un  an  de  domicile  et  jouissant  des  droits  de 
citoyens,  qualité  qui  n'appartient,  ni  aux  négociants  en 
état  de  faillite,  ni  aux  domestiques  à  gages. 

Chaque  Assemblée  de  canton  présentait,  pour  chaque 
place  de  conseiller  municipal ,  deux  candidats  choisis 
parmi  les  citoyens  les  plus  imposés  du  canton.  L'Empe- 
reur nommait  ensuite  celui  des  deux  candidats  qu'il 
jugeait  le  plus  apte  à  remplir  ces  fonctions,  qui  étaient 
décennales.  C'est  dans  le  sein  des  Conseils  municipaux- 
ainsi  formés,  qu*il  choisissait  les  adjoints  et  les  maires. 

Les  Assemblées  de  canton  nommaient  également 
leurs  représentants  au  Collège  d'arrondissement ,  à 
raison  d'un  membre  par  cinq  cents  citoyens,  el  leur» 


1 . 


4ês  œjsKUJSSBm. 


délégués  au  Collège  du  département^  avee  robligaiion 
de  les  choisir  sur  une  liste  comprenant  les  six  feiMl 
citoyens  les  plus  imposés  du  département.  Les^^Ufibt 
légionnaires  faisaient,  de  droit,  partie  des  él|||Hgkl 
d'arrondissement.  Les  grands  officiers,  les  comman- 
deurs et  les  officiers  de  la  Légion  d*honneur,  faisaient 
également  partie,  de  droit,  des  Collèges  de  département. 
Les  membres  des  Collèges  électoraux  étaient  nomiDés 
à  vie. 

Les  Collèges  d'arrondissement  présentaient  deux 
candidats  pour  chaque  place  de  conseiller  d'arron^b-* 
sèment.  Les  Collèges  de  département  présentaient ,  de 
leur  côté ,  deux  candidats  pour  chaque  place  de  oon* 
•eiller  général.  Le  choix  entre  les  candidats  apparte-^ 
naît  également  à  l'Empereur,  pour  les  Conseils  d'ar- 
rondissement et  pour  les  Conseils  de  dèpanrtenaent. 
Les  membres  de  ces  Conseils  étaient  nommés  pour 
quinze  ans. 

Chaque  Collège  d'arrondissement  inscrivait  deux 
noms  sur  la  liste  des  candidats  aux  fonctions  de  membre 
du  Tribunat,  Chaque  Collège  de  département  inscrivait 
deux  noms  sur  la  liste  des  candidats  aux  fonctions  de 
membre  du  Sénat.  Les  C  >IIégcs  d'arrondissement  et  de 
département  réunis,  formaient  ensemble  une  liste  qua- 
druple de  candidats  aux  fonctions  de  membre  du  Corps 
législatif. 

L'Empereur  désignait  au  Sénat,  sur  les  listes  formées 
par  les  Collèges  de  département ,  trois  candidats  pour 
chaque  place  de  sénateur.  Le  Sénat  choisissait  libre— 


ment  celui  des  trois  autiuel  il  reconnaissait  le  plus  de 
tîlres  à  ses  sympathies.  Quatre-vingts  de  ses  membres 
ëUieat  nommés  d'après  ce  système  ;  mais  l'Empereur 
pouvait,  en  outre,  conférer,  de  sa  propre  autorité,  la 
dignité  de  sénateur,  en  dehors  des  listes  formées  par  les 
Collèges  de  département,  aux  citoyens  (jui  s'étaient 
signalés  par  leurs  talents ,  leurs  services ,  leurs  travaux 
ou  leurs  découvertes.  Enfin,  les  princes  français  et  les 
grands  dignîtairesde  l'Empire  faisaient,  de  droit,  partie 
du  Sénat,  dont  les  membres  étaient  nommés  k  vie. 

Le  Sénat,  ainsi  composé,  choisissait  à  son  tourtes 
membres  du  Tribunal ,  sur  les  listes  formées  par  le*  i 
Collèges  d'arrondissement,  et  les  membres  du  Corpfl 
législatif  sur  les  listes  formées  par  les  Collèges  dedèpar»! 
temcnt.  Les  uns  et  les  autres  étaient  nommés  pour  dix 
ans.  Le  système  fut  toutefois  modifié,  dès  les  premières 
années  de  l'Empire,  par  la  suppression   complète  du 
Tribunal,  qui  disparulcomme  un  rouageinutiteet  dan- 
gereux, rouage  que  la  Constitution  de  1852  a  sagement  j 
écarté. 

Ainsi,  dans  les  fonctions  dont  la  Souveraineté 
Peuple  est  la  source  première,  rien  n'est  livré,  ni  aux  j 
caprices  du  hasard  niaux  passions  de  la  foule.  A  mesura  j 
que  la  fonction  s'élève,  l'Assemblée  d'où  sortent  I«-  ' 
candidatures  s'élève  aussi.  Puis,  c'est  l'Empereur  qui 
nomme  ou  le  Sénat  qui  choisit.  La  garantie  de  l'élec- 
tion par  en  bas  se  combine  avec  le  choix  d'en  haut. 

La  porte  du  Sénat,  qui  est  le  premier  corps  de 
l'Empire,  et  la  porte  du  Conseil  d'État,  qui  en  est  le 


410  GONCLUSiON. 

second,  ne  sont  fermées  à  personne.  Le  chemin  qui 
y  conduit,  ce  n'est  pas  la  naissance  :  c'est  la  science^ 
c'est  le  travail.  Ce  sont  enqpre  la  science  et  le  travul 
qui  font  monter  aux  grandes  dignités  et  aux  grands 
offices  de  l'Empire.  De  si  bas  qu'on  soit  parti,  on  ar- 
rive ,  par  ses  seuls  mérites  et  ses  seuls  services ,  à  ces 
charges  suprêmes,  récompenses  à  vie  du  talent  et  de 
la  vertu.  Voilà  de  la  véritable  et  de  la  bonne  éga- 
lité; non  de  l'égalité  qui  abaisse,  mais  de  l'égalité  qui 
élève. 

Du  reste,  le  Sénat  conservateur  garda ,  dans  IfS 
Constitutions  impériales,  les  attributions  qu'il  possé- 
dait déjà  dans  les  Constitutions  consulaires.  11  continua 
aétre  surtout  un  électeur  suprême  et  un  Tribunal 
constitutionnel.  C'est  lui  qui  avait  la^arde  des  lois,  qui 
étaient  déposées  dans  ses  archives ,  aussitôt  après  leur 
promulgation.  Ses  attributions  furent  encore  agran- 
dies par  le  privilège  qui  lui  fut  conféré ,  de  rendre  les 
sénatus-consultes  organiques.  Dès  ce  moment,  iljoignit 
le  caractère  constituant  à  ses  fonctions  d'électeur  et 
d'arbitre.  La  Constitution  de  1852  donne  au  nouveau 
Sénat  les  mêmes  attributions  constituantes,  mais  elle  ne 
lui  confère  aucunes  fonctions  électorales.  Ses  séance^ 
seront  secrètes,  comme  celles  de  l'ancien  Sénat. 

Le  Conseil  d'Ëtat  et  le  Tribunat,  tant  qu'il  subsista, 
continuèrent  à  fonctionner,  sous  les  Constitutions  im- 
périales comme  sous  les  Constitutions  consulaires,  avec 
les  mêmes  attributions  et  avec  des  formes  analogues.  11 
n'en  fut  pas  de  même  du  Coiips  l^islatif,»qui  eut  alors 


coNausKw.  r.t 

des  séances  de  deux  natures  :  les  unes  dites  séances  or- 
dinaires, et  les  autres  dites  comités  généraus.  Le  Corps 
légidatif,  dans  les  séances  ordinaires,  volait  sur  les  pro- 
jet» de  loi,  sans  discussion,  après  avoir  entendu  les 
orateurs  du  Tribunal  et  du  Conseil  d'Ëtat.  Dans  les  co- 
inilés  généraux,  les  membres  du  Corps  législatif  exa- 
minaient entre  eux  les  inconvénients  et  les  avantages 
de  ces  projets  de  loi. 

Le  Conseil  d'Ëtat  que  vient  d'établir  la  Constitution 
de  1852,  répond  exactement  à  celui  du  Consulat  et  de 
l'Empire.  Il  est  à  la  fois  une  Assemblée  législative  pré- 
parant les  lois,  et  un  Tribunal  administratif  rendant  de* 
arrêts.  Le  nouveau  Corps  législatif  absorbe  le  Tribunal^ 
car  il  réunira  le  droit  de  discussion  au  droit  de  vole,  et 
ses  séances  seroiil  publiques  comme  celles  de  l'ancien 
Corps  législatif.  Ce  nouveau  Corps  législatif  se  rappro- 
che, par  son  caractère,  des  dernières  Assemblées  déli- 
bérantes de  la  Monarchie  constitulionnetle;  mais  il  en 
aura  les  avantages  sans  les  inconvénients,  car  II  n'aura 
pas  la  faculté  d'introduire  à  l'improviste,  dans  les  lois 
soumises  à  son  examen,  des  amendements  venus  des 
quatre  points  de  l'horizon  parlementai  1*6,  qui  en  dé* 
truiseiil  l'économie,  et  ses  mtirabres,  dont  les  discours 
ne  seront  pas  livrés  à  la  publicité,  n'auront  aucun  int6- 
rêt  de  vanité  à  parler  par  les  fenêtres  du  palais  Bour- 
bon aux  passions  populaires. 

Les  grands  dignitaires  de  l'Empire  étaient  comme 
autant  de  moyens  de  surveillance  et  d'information,  que 
TËH^reur  tenait  à  sa  disposition,  pour  avoir  l'feil  eur 


élt  CONCLUSION. 

les  grands  services  publics,  et  pour  être  instruit  des 
abus  à  réformer  et  des  améliorations  à  introduire.  Cha- 
cun des  grands  dignitaires  était  proposé,  dans  ce  but, 
à  Tun  d'eux,  avec  la  mission  expresse  de  lui  en  signaler 
les  vices.  C'est  un  peu  le  rôle  que  remplira  seul  le  mi- 
nistre de  la  police  générale. 

L'une  des  créations  les  plus  utiles  et  les  plus  intelli- 
gentes du  gouvernement  de  Napoléon,  ce  fut  la  sccré- 
tairerie  d'Ëtat,  qui  vient  d'être  rétablie,  et  qui  Démet- 
tait à  l'Empereur  de  tenir  constamment  entre  ses  mains 
tous  les  fils  de  l'écheveau  ministériel.  Le  secrétaire 
d'Ëtat  personnifiait  la  pensée  de  l'Empereur  auprès  de 
chaque  ministre ,  suivait  auprès  d'eux  l'exécution  de 
eette  pensée  dirigeante,  jour  par  jour,  affaire  par  af- 
faire. C'est  par  ce  fonctionnaire  que  le  chef  de  TËtat 
embrassait ,  sans  fatigue  et  avec  rapidité ,  d*un  coup 
d'œil ,  l'ensemble  des  intérêts  généraux  du  pays ,  et 
qu'après  avoir  fait  pénétrer  ses  vues  dans  toutes  les 
branches  de  l'administration ,  il  s'assurait  que  ses  in- 
tentions étaient  comprises  et  ses  volontés  obéies.  Aussi, 
quelle  puissance  d'initiative  et  quelle  rapidité  d* exé- 
cution !  Quelle  continuité  dans  les  idées  et  quelle 
efficacité  dans  les  résultats!  Quelle  unité  de  pensée  et 
d'action  !  Comme  la  volonté  de  l'Empereur  rayonnait 
dans  tous  les  ministères,  toujours  améliorant,  réfoi^ 
mant,  organisant,  dans  l'intérêt  de  la  France  et  pour  le 
bien  du  peuple. 

Chaque  homme  alors  était  à  sa  place  :  les  orateurs 
dans  les  assemblées,  les  ministres  dans  leur  cabinet» 


CONCLUSION.  173 

Les  orateurs  parlaient,  les  ministres  administraient,  le 
Gouvernement  gouvernait,  et  le  peuple  travaillait  ;  et  la 
France,  sortant  de  ses  ruines  comme  Lazare  de  son 
tombeau,  ressuscitait  à  Tordre,  à  la  grandeur,  à  ta 
gloire,  à  la  vie  enfin.  Au  dedans,  les  factions  étaient 
anéanties,  au  dehors  les  ennemis  étaient  vaincus,  et  les 
bons  se  rassuraient,  et  les  méchants  tremblaient. 

L'administration  s'organisait,  la  législation  s'établis- 
sait; Ipi  routes  se  traçaient,  les  canaux  se  creusaient, 
les  ports  se  fortifiaient,  les  autels  se  relevaient,  et,  en 
même  temps  que  la  démagogie  reculait  en  France,  la 
civilisation  avançait  en  Europe.  Que  s'était-il  passé T 
Une  Constitution  avait  été  décrétée  où  le  principe 
d'autorité,  englouti  dans  le  fleuve  révolutionnaire, 
avait  été  restauré.  L'unité  de  pensée  et  d'action  avait 
reparu  au  sein  du  Gouvernement;  la  stabilité  s'était 
rassise  au  sommet  de  TËtat;  le  Pouvoir  avait  retrouvé 
sa  base  et  repris  son  rôle. 

Sans  doute ,  il  faut  faire  la  part  de  la  prodigieuse 
activité  et  du  vaste  génie  de  l'Empereur.  Mais  il  est  juste 
aussi  de  faire  la  part  de  ces  Constitutions  de  l'Empire, 
si  propres  à  exciter  l'émulation  des  intelligences  et  à 
donner  de  la  vigueur  aux  caractères,  et,  surtout,  si 
bien  appropriées  aux  qualités  spéciales ,  et  même  aux 
défauts  particuliers  de  l'esprit  français,  qu'on  pourrait 
dire  d'elles  qu'elles  formaient,  dans  toute  l'acception, 
une  véritable  Constitution  nationale  sans  modèle  dans 
aucun  temps  ni  dans  aucun  pays,  une  Constitution  qui 
était  bien  française,  et  qui  n'était  que  française. 


474  œNausioN. 

Ce  fut  le  règne  des  actes^  tant  regrettés  depuis  le 
règne  des  discours.  Ce  règne  vit  d'imiDa||||pLieuvres, 
de  vastes  travaux  et  de  gigantesques  entreprises,  s'a^ 
oomplir  par  la  seule  force  de  son  organisation  puis- 
fiante.  Tout  s^éleva  au  niveau  des  institutions  :  les 
idées ,  les  caractères  y  les  mceurs  y  les  hommes  et  les 
chosesi.  Avec  elles,  l'Empereur  vivant,  la  France  était 
devenue  la  première  du  monde.  L'Empereur  mort, 
elle  restait  par  elles  ce  que  Tavait  faite  ce  géan|;4tt  siè- 
cle; car,  si  ce  sont  les  grands  hommes  qui  font  les 
grandes  institutions,  ce  sont  les  grandes  institutions 
qui  font  les  grands  peuples. 

Dieu  réservait  à  la  France  de  nouvelles  épreuves  et 
des  enseignements  nouveaux.  La  coupe  de  sa  colère 
n'était  pas  encore  épuisée.  Il  entrait  d'ailleurs  dam  ses 
desseins  qju'un  grand  exemple  de  l'instabilité  des  for- 
tu-BOs  humaines  vint  frapper  le  monde  de  stupeur  et 
d'épouvante.  C'est  ainsi  qu'il  se  plaît  souvent  à  humilier 
l'orgueil  de  notre  raison,  par  des  événements  qui  dé- 
jouent toutes  les  prévisions  de  notre  sagesse  et  tous  les 
calculs  de  notre  intelligence.  Au  moment  même  où, 
parvenu  à  l'apogée  de  sa  gloire,  Napoléon  dominait 
TEurope  par  l'éclat  de  sa  puissance  non  moins  que  par 
la  hauteur  de  son  génie,  celui  qui  tient  entre  ses  mains 
la  destinée  des  Empires,  le  précipita  de  son  troue,  et  la 
grandeur  de  sa  chute  vint  ajouter  encore,  au  prestige 
de  ses  viistoires  passées,  la  poésie  d'une  immense  infor- 
tune. L'histoire,  qui  raconte  les  faits  matériels,  n'a  vu 
que  TEmpereur  vaincu  enfin  par  la  coalition  des  rois 


CœCLUSiœi.  47i 

de  l'Europe  dans  ces  jeux  sanglants  de  la  force  et  du 
hasard,  ék  ri louvent  il  awt  été  victorieux.  La  philoso* 
phie  ne  croit  pas  à  ce  triomphe  des  anaes  des  souve- 
rains de  Russie,  d'Autriche  et  de  Prusse.  Ces  sou- 
verains tenaient  sans  doute  Fépée  qui  a  fait  crouler 
fBmpire  de  Napoléon,  ce  colosse  qui  étendait  ses  bras 
au  delà  des  Alpes,  des  Pyrénées  et  du  Rhin ,  comme 
FEmpire  de  Charlemagne.  Mais  c*est  Dieu  qui  mar- 
chait devant  cette  épée,  mettant  en  fuite  les  aigles 
flpançaises.  Il  n*y  a  que  le  destin  qui  ait  pu  vaincre  le 
géant  du  siècle. 

L'Empereur  emporta  en  1814  le  principe  d'auto- 
rité caché  dans  les  plis  de  son  manteau  d'hermîiie. 
Louis  XVni ,  en  remontant  sur  le  trône  de  ses  ao- 
oMres,  remplaça  les  Constitutions  de  TEmpire  par  la 
Charte  de  la  Restauration,  calquée  sur  la  Charte  d'An- 
gleterre, comme  si  FAngleterre  avait  eu  la  même  des- 
tinée, le  même  caractère,  le  même  esprit  que  la  France. 
Le  chef  de  la  rovale  maison  de  Bourbon  connaissait 
kien  mal  Fhistoire  de  sa  patrie ,  quand  il  lui  imposa 
des  institutions  modelées  sur  les  lois  britanniques.  Ea 
Angleterre,  dès  l'origine  de  la  lutte  qui  s'établit  au 
douzième  siècle  entre  Télément  féodal  et  Télémeiit 
royal,  ce  fut  Téléaient  féodal  qui  remporta^  et  Télémeot 
royal  qui  succomba.  En  France,  il  n'en  a  pas  été  ainsi. 
L'élément  royal  a  graduellement  absorbé  Télément  fièo* 
dal.  En  France ,  enfin  ,  tout  a  constammeni  Marché 
?ers  l'unité  par  la  concentration  de  toutes  les  forces  et 
de  tous  les  droits  entre  les  mains  du  Hoi,  et  pendant 


476  CONCLUSION. 

plus  de  six  siècles  le  principe  d'autorité  y  a  complète- 
ment effacé  le  principe  de  liberté.  Rien  n'est  donc  plus 
dissemblable  que  la  France  et  l'Angleterre ,  parvenues 
toutes  les  deux  à  l'âge  de  la  vieillesse  et  de  la  raison 
par  des  routes  tout  à  fait  opposées.  La  Charte  de  1814 
fut  une  grande  erreur  historique  et  une  grande  faute 
politique,  car  elle  rallumait  la  torche  éteinte  des  révo* 
lutions  avec  le  souffle  des  paroles  incendiaires  qui  al- 
laient se  prononcer  à  la  tribune  législative. 

La  Charte  de  1814  laissait  sans  doute  un  pouvoir 
immense  au  Roi,  qui  seul  avait  alors  l'initiative  de  la 
proposition  des  lois  ;  qui  avait  seul  le  droit  de  les  pro- 
mulguer, qui  pouvait  dissoudre  la  Chambre  des  Dépu- 
tés et  modifier  la  Chambre  des  Pairs.  Mais  elle  armait 
l'esprit  de  révolte,  en  faisant  au  principe  de  liberté  une 
part  trop  large  dans  les  institutions  politiques  de  la 
France.  Fille  de  la  doctrine  d'examen,  elle  ne  consacrait 
le  principe  d'autorité  que  pour  le  livrer  à  la  polémique 
ardente  des  partis.  Louis  XVIII  promulguant  la  Charte, 
c'est  un  architecte  qui  n'élèverait  une  forteresse  que 
pour  l'entourer  de  tirailleurs,  de  pontonniers  et  d'ar- 
tilleurs occupés  à  la  démolir  pierre  à  pierre.  Il  fallait 
l'accord  de  trois  volontés  pour  la  confection  des  lois, 
de  trois  volontés  égales  en  droit  et  en  influence  sur  le 
sort  définitif  des  mesures  législatives.  Créer  cette  né- 
cessité, c'était  tenter  Dieu.  L'organisation  du  Pouvoir 
législatif  imaginée  par  Louis  XVIII  avait  établi  une 
double  lutte  :  lutte  des  Chambres  réunies  contre  le 
Roi,  lutte  des  Chambres  entre  elles. 


COxNCLUSION.  477 

On  a  beaucoup  vanté  ce  système  ingénieux  des  trois 
Pouvoirs  de  la  monarchie  constitutionnelle  :  on  y  a  vu 
l'élément  de  Tharmonie.  C'était  l'élément  de  la  discorde 
qui  s'y  trouvait,  et  Louis  XVIII,  en  les  instituant,  avait 
institué  la  guerre.  Dans  la  Charte  de  1 830,  cette  guerre 
s'est  continuée  dans  Tanarchie ,  car  c'était  de  l'anarchie 
que  le  partage  de  l'initiative  de  la  proposition  des  lois, 
qu'elle  établissait  entre  la  puissance  executive,  person- 
oiGée  dans  le  Roi,  et  la  puissance  législative,  divisée  en 
deux  Chambres.  Rien  n'était  plus  propre  à  enfanter  la 
confusion ,  à  créer  l'antagonisme.  Mais  les  deux  Char- 
tes de  1815  et  de  1830,  qui  ont  abouti  chacune  à  une 
révolution  par  en  bas,  menaçant  la  société  d'une  ruine 
générale ,  renfermaient  un  élément  de  destruction  plus 
actif  encore.  Elles  ont  fondé  ce  régime  parlementaire, 
ce  terrible  bélier  dont  les  démolisseurs  se  sont  si  habi- 
lement servis  pour  renverser.  Tune  sur  l'autre,  deux 
monarchies  constitutionnelles.  La  Constitution  de  1848 
l'avait  enflé  davantage  encore.  Cette  Constitution ,  qui 
avait  assis  l'instabilité  au  sommet  de  l'État  et  organisé 
la  lutte  au  sein  des  grands  pouvoirs  publics  ;  cette  Con- 
stitution, pâle  copie  de  celle  de  1791 ,  qui  avait  désarmé 
l'autorité ,  enchaîné  la  volonté ,  annulé  l'action  du  Pré- 
sident ,  en  l'enfermant  dans  un  cercle  de  fer,  dans  le- 
quel il  ne  pouvait  se  mouvoir,  ni  pour  faire  le  bien  ni 
pour  empêcher  le  mal ,  cette  Constitution  ,  entin ,  avait 
porté  jusqu'au  dernier  degré  de  l'exagération  les  vices 
du  régime  parlementaire. 

Le  régime  parlementaire ,  qui  a  renversé  tant  de 


478  CONCLUSION. 

gouvernements  et  creufié  tant  d'abtmes ,  était  le  monstre 
dont  il  fallait  éoMMr  la  tète,  en  modérant  le  principe 
de  liberté  ele^roilaiirant  le  principe  d'autorité.  Il  y  a 
soixante  ansi  q[ue  «  fégime  a  été' importé  d'Angleterre 
en  France ,  p«^  les  hommes  qui  ont  illustré  de  leurs 
kimières  et  de  leurs  talents  la  première  Assemblée  con- 
stituante. Il  est  né  à  l'heure  méme'OÙ  s'écroulait  la  vieille 
monarchie ,  dans  ces  jours  d'ardeur  et  d'illusion ,  où  la 
nation  tout  entière,  croyant  marcher  ^  une  rénovation, 
quand  elle  courait  en  avQugle  à  une  révolution ,  saluait 
de  ses  cpis  d'enthousiasme  et  d^espérance^  Faurore  du 
g^Ternecnent  représentatif. 

A  travers  les  |>lus  étranges,  vicissitudes  et  malgré 
des  éclipses  prolongées,  le  régime  parlementaire  s'était 
perpétué  jusqu'à  notre  époque,  sMnfiltrant  toujours  de 
plus  en  plus  dans  les  idées ,  dans  les  mœurs  ,  dans  les 
habitudes ,  chaque  fois  qu'il  reparaissait  dans  sa  plé- 
nitude, et  ne  parvenant  jamais  cependant  à  s'enraciner 
assez  profondément  dans  les  esprits  pour  que  son  exis- 
tence fût  mise  hors  do  doute  et  de  contestation. 

Fils  de  ladootrine  d'examen,  le  régime  parlementaire 
a  sans  doute  rendu  d'immenses  services  ;  il  a  eu  surtout 
des  phases  brillantes.  Il  a  émancipé  les  intelligences  et 
échiiré  les  esprits  par  la  discussion,  tt  y  a  eu,  dans  les 
régions  du  gouvernement,  des  moments  de  vertige  çt 
d'erreur,  où  il  a  sauvé  la  libertédes  étreintes  du  despo- 
tisme et  la  civilisation  des  ténèbres  de  l'obscurantisme. 
Il  a  eu  enfin  des  jours  de  splendeur,  où  il  a  jeté  sur  la 
France  un  vif  éclat. 


CONCLUSION.  479 

Mais  le  régime  parlementaire  a,  jusqu'à  ce  moment, 
un  tort  immense  ou  un  grand  malkwr.  Après  avoir 
commencé  sous  d'heureux  auspices  ^  il  a  toujours  fini 
avec  des  catastrophes.  Après  avoir  ouv£rL  chacune  des 
phases  diverses  qu'il  a  parcourues,  avec  luaie  hauteur  de 
talent  et  une  énergie  de  patriotisme  qui  lui  gagnaient 
toutes  les  sympathies,  il  les  a  fermées  au  milieu  des  luttes 
violentes  et  des  passions  aveugles ,  qui ,  en  provoquant 
des  désastres  publics ,  le  faisaient  haïr  des  esprits  sages 
et  des  populations  laborieuses.  Ainsi,  en  1789,  TAs- 
semblée  constituante  inaugure  le  régime  représentatif 
avec  Barnave  et  Mirabeau.  En  1793,  la  Conventio* 
nationale  le  continue  avec  Robespierre  et  Marai. 

Aussi,  en  1799,  fatigué  des  violences  et  des  turpi*^ 
tudes  dont  ce  régime  lui  avait  donné  suooessivement  le 
spectacle  pendant  six  années  de  démagogie ,  la  France 
entière  applaudit  au  patriotbme  hardi  du  général  Bona- 
parte, qui  mutile  la  représentation  nationale  et  anéantît 
le  régine  parlementaire. 

Après  quinze  ans  de  mutisme  et  d'effacement,  le  ri» 
gime  parlementaire  reparait  avec  la  (Charte  et  la  Res* 
tauration ,  personnifié  dans  deux  grandes  Assombléit 
délibérantes.  Il  commence  avec  une  Chambre  qu)  sert 
au  Pouvoir  de  rempart  contre  Tesprit  de  révolte  re- 
naissant ,  une  Chambre  ^«e  Lovis  XYIH  appelle  sa 
Chambre  introuvable,  pow  fkiir  avec  cette  trop  célèbro 
majorité  des  ^21,  qui  ne  vmilait  renverser  qu'un  mi- 
nistère et  qui  détruisit  wie  moiiarchie. 

Après  s'être  intitulés  libéraux,  les  hommes  d*opp^ 


480  CONCLUSION. 

sition  de  celle  époque  deviennent  révolutionnaires, 
beaucoup  sans  le  savoir,  quelques-uns,  qui  sont  les  me- 
neurs, sacbant  bien  qu'en  tirant  sur  le  ministre  ils 
visent  au  Roi.  Au  point  de  vue  de  Tart,  cette  phase^ 
qui  dura  quinze  années,  a  jeté  dans  l'histoire  du  ré- 
gime parlementaire  un  grand  éclat.  Lfes  Chambres  de 
la  Restauration  se  sont  distinguées  par  l'éloquence  des 
orateurs,  la  gravité  des  discussions,  la  grandeur  des 
luttes. 

Mais  déjà  l'on  voyait  naître  cette  chasse  aux  porte- 
feuilles, qui  devait  enfanter  tant  de  coalitions  et  en- 
gendrer tant  d'intrigues  ;  déjà  l'on  voyait  surgir  ces 
ambitieux  que  la  soif  effrénée  du  pouvoir  devait  en- 
traîner dans  une  guerre  déloyale  et  passionnée  contre 
tous  les  ministères  qui  repoussaient  leurs  sollicitations 
ardentes. 

La  Tribune  devint  un  piédestal  où  les  chefs  de  parti 
posaient  leur  candidature  ministérielle.  De  là  tous  ces 
brillants  discours  qui  agitaient  les  masses  ^  enflam- 
maient les  esprits,  mais  qui  ne  résolvaient  aucun  pro- 
blème, qui  ne  terminaient  aucune  affaire,  qui  ne  pro- 
duisaient aucune  amélioration.  L'ambition  et  la  vanité 
l'emportèrent,  dès  cette  époque,  sur  le  patriotisme  et  la 
raison.  Les  discussions  législatives  ne  furent  bientôt  que 
des  tournois  oratoires,  dont  l'issue  était  de  donner  au 
vainqueur  la  direction  des  affaires  publiques. 

Ceux  qui  sèment  les  vents  récoltent  les  tempêtes. 
Aussi,  les  orateurs  qui  avaient  dépopularisé,  pendant 
.quinze  ans,  le  gouvernement  de  la  Restauration,  se  ré- 


veillèreol  bd  matin  en  pleine  atotrekie.  Les  démagogues 
de  la  rue  traduisirent  en  coups  de  fusil  les  discours  des 
libéraux  de  la  (Chambre.  L^oppoôlioa  d'en  haut  s'était 
fiaûte,  comme  toujours,  insurrectionnelle  ea  Ims.  Les 
ohefe  de  partis  de  la  Restauration  avaient  marché  par 
un  chemin  pavé  de  discours,  d  agitation  et  de  scru- 
tins polîtiquety  à  une  rëvolution  gouvernementale.  Ils 
avaient  voulu  exploiter  la  monarchie  à  leur  profit  :  ils 
l'avaient  tuée. 

Mise  à  deux  doigts  de  sa  mine ,  penchée  un  instant 
sur  le  gouffre  de  l'anarchie,  qui  hurlait  dans  les  rues  ; 
troublée  pendant  quatre  ans  par  l'émeute  qui  grondait 
tantôt  à  Paris,  tantôt  à  Lyon,  la  France  comprit  que  la 
Chambre  des  Députés,  au  lieu  d'user,  avait  abusé  de 
sa  puissance  et  de  sa  force.  Le  régime  parlementaire 
venait  de  lui  coûter  une  révolution  et  de  lui  donner 
une  longue  crise  de  misère.  Elle  lui  conserva  cependant 
son  estime  et  sa  sympathie,  parce  que  sa  confiance  et 
sa  foi  n'étaient  pas  ébranlées,  et  que,  du  reste,  elle  le 
vit  se  remettre  immédiatement  et  courageusement  à 
relever  les  ruines  qu'il  avait  faites,  et  à  fermer  les 
plaies  qu'il  avait  ouvertes,  comme  si  ceux  qui  avaient  à 
se  reprocher  l'anéantissement  de  la  Charte  de  1815, 
avaient  voulu  compenser  les  conquêtes  que  le  Pouvoir 
législatif  venait  de  faire ,  dans  la  Charte  de  1830,  sur 
le  Pouvoir  exécutif,  en  prêtant  à  ce  pouvoir  un  concourt 
inébranlable  contre  l'esprit  de  démagogie. 

C'était  pour  avoir  voulu  l'emporter  sur  le  Roi,  qui 
le  parlement  avait  amené  la  situation  qui  avait  fait  U 


4it  €OI«CLU§IOIN. 

léfOMan  de  Jailtet.  G^est  dans  le  choc  qu^avait  pro- 
duit la  lutte  entreprise  par  le  pouvoir  législatif  contre 
le  Pouvoir  exécutif,  que  le  Gouveraeoient  s'était  écrou* 
lé.  Averties  du  péril  par  une  catastrophe,  les  premières 
Chambres  de  la  monarchie  de  t^O  s'efforcèrent  M- 
Ti ter  recueil  contre  lequel  s'étaient  briséwl6»denuères 
Chambres  de  la  monavcbiede  19I^«  Mais  une  fois  Té- 
meute  vaincue,  le  souvenir  de  la  résolution  de  Juillet 
effacé,  le  péril  oublié,  l'esprit  d'agitation  et  d'antago- 
insaie,  qui  est  dans  les  tendances  mévitablos  des  as- 
semblées déKbérantes,  ne  tarda  pas  à  reparaître  dans  le 
paiiement.  La  chasse  aux  portefeuilles  recommença 
plus  âpre  et  plus  ardente. 

On  usa  et  on  abusa  largement  du  droit  d'initiative 
que  la  Charte  de  1830  accordait  à  chaque  dépoté.  Le 
dystème  représentatif,  institué  comme  une  ^rantie 
eonstitiitionnelle  contre  les  ^bus  "et  les  excès  possibles 
du  Gouvernement,  ne  fut  plus  considéré  que  comme 
un  levier  donné  aux  chefs  de  partis  pour  «oulever  les 
esprits,  ou  tout  au  moins  comme  un  moyen  d'éléva- 
tion personnelle,  comme  une  force  à  l'aide  de  laquelle 
on  pouvait  entrer  dans  la  citadelle  du  Pouvoir,  faire  ca- 
pituler le  chef  de  TËtat  et  le  contraindre  à  se  pendre  à 
discrétion.  11  ne  fut  plus  enfin  qu'un  instrument  d'am- 
bition aux  mains  de  quelques  meneurs  de  talent,  placés 
sur  le  premier  plan  de  la  scène  parlementaire. 

La  lutte  du  t\)uv)oir  législatif  contre  lé  Pouvoir  exé- 
eutif  reprit  alors  une  vivacité  nouveHe  ;  les  chambres 
ae  60  bornèrent  pas  à  s'immiscer  danstegoavemenient, 


CONCLUSION.  463 

en  dictant  au  Roi  les  choix  ministériels  ;  elles  pelèrent 
encore,  pour  le  malheur  du  pays,  sur  le  personnel  des 
admiDistrations  et  le  détail  des  affiiires.  En  face  des 
minorités  d'opposition,  il  n*y  eut  plus  que  des  majorités 
ée  coalition,  qui  s'imposaient  au  Pouvoir  plutôt  qu'elles 
ne  l'appuyaient. 

Forcée  de  eombattre  sur  le  terrain  parlementaire, 
âu  lieu  d'agir  dans  le  domaine  administratif,  la  monar^ 
chie  de  1830,  qui  était  dans  la  nécessité  de  réagir 
contre  le  fait  révolutionnaire  qui  l'avait  enfantée,  res- 
sembla constamment  à  un  athlète  qui  emploie  quel- 
quefois la  force,  plus  souvent  la  ruse,  pour  triompher 
des  embûches  et  des  prétentions  de  son  ennemi ,  jus- 
qu'à ce  qu'elle  fut  emportée  dans  une  tempête,  suscitée 
par  l'agitation  qui  était  descendue  de  la  Chambre  dans 
la  rue,  et  qui  en  remontant  de  la  rue  dans  la  Chambre, 
emporta  tout  :  Charte,  Parlement  et  Royauté.  Ainsi, 
pour  la  troisième  fois,  le  régime  parlementaire  condui- 
sait la  France  à  une  révolution  par  la  même  pente. 

Il  n'est  pas  une  des  phases  du  régime  parlementaire 
qui  n'ait  fatalement  abouti  à  une  révolution.  C'est  que 
la  même  cause  doit  toujours  produire  le  même  effet. 
Cette  cause  persistante  que  personne  ne  peut  nier,  c'est  | 

cette  vérité  éclatante  et  incontestable  que  toute  Assem-  ^ 

blée  est  de  sa  nature  essentiellement  envahissante. 
Il  suffit  de  remonter,  par  le  souvenir  ou  la  pensée,  le 
cours  des  années  pour  en  trouver,  à  chaque  .page  de 
notre  histoire,  la  preuve  manifeste. 

Quelle  est  l'Assemblée  délibérante,  au  sein  de  la*- 


l 


484  œNCLUSION. 

quelle  n'existe  pas,  au  suprême  degré,  l'esprit  de  corps? 
c'est  son  âme,  c'est  sa  force,  mais  c'est  aussi  la  source 
où  elle  puise  cet  amour  de  la  domination  qui  l'emporte 
au  delà  de  sa  sphère. 

C'est  ce  qui  est  arrivé  même  aux  parlements  de  la 
vieille  monarchie.  A  l'origine,  ils  n'étaient  que  des 
corps  judiciaires.  Mais  sous  l'impulsion  de  cet  esprit  en- 
vahissant qui  s'empare  de  tous  les  corps  constitués,  ils 
ne  tardèrent  pas  à  devenir  des  Assemblées  politiques. 
•Un  des  devoirs  des  parlements  consistait  à  enre- 
gistrer les  édils  royaux.  De  ce  devoir,  ils  firent  bientôt 
découler  le  droit  de  remontrance,  puis  le  droit  de  refus. 
Une  fois  entrés  dans  le  domaine  du  gouvernement,  les 
parlements  marchèrent  d'empiétement  en  empiéte- 
ment, jusqu'à  l'époque  où  ils  disparurent  eux-mêmes 
dans  la  tourmente  qu'ils  avaient  suscitée  par  leur  tur- 
bulente opposition  et  leur  lutte  opiniâtre  contre  la 
Royauté;  qu'ils  ont  tant  contribué  à  abattre. 

C'est  une  tendance  qui  tient  au  cœur  humain.  11 
n'est  pas  de  Pouvoir  qui  n'aspire  à  s'élever  et  à  s'é- 
tendre. On  ne  doit  pas  faire  un  crime  aux  Chambres 
législatives  de  se  montrer  envahissantes.  Mais  on  doit 
en  conclure  logiquement,  avec  tous  les  hommes  de 
sens,  que  puisqu'il  est  inévitable  qu'elles  soient  fatale- 
ment portées  à  exagérer  leurs  droits  et  leurs  attribu- 
tions, il  est  dangereux  de  favoriser  cette  disposition 
naturelle  de  leur  esprit,  en  leur  donnant  une  organi- 
sation qui  serve  à  développer,  par  une  concentration 
trop  forte,  leur  tendance  à  une  suprématie  trop  grande. 


Il  est,  au  cotitpairo,  prudenl  et  sage  d'en  amortir  les  ef- 
fets, en  ne  leur  accordant  sur  la  marche  des  affaires  pu- 
bliques qu'une  action  contenue,  qu'une  influence  me- 
surée, et  surtout  en  leur  créant  un  contre-poids  utile, 
un  frein  salutaire. 

Cette  nécessité  d'opposer,  dans  les  institutions  ellcs- 
mèniea,  une  digue  aux  passions  des  assemblées  dèlil)é- 
r^ntes,  ne  résulte  pas  seulement  de  cette  tendance  na- 
turelle et  générale  à  l'envahissement.  Ce  qui  la  crée, 
c'est  surtout  le  danger  qui  naft  de  l'ambition  démesurée, 
de  l'orgueil  immense  de  ces  hommes  d'éfjoïsme  et  de 
Tanité,  qui,  enivrés  du  sentiment  de  leur  pei-sonnalité, 
ne  songent  qu'à  s'emparer  de  la  direction  des  esprits, 
pour  conquérir  ensuite  la  direction  desaiïaires. 

des  hommes,  qui  ne  voient  dans  le  régime  parlemen- 
taire, qu'une  voie  qui  leur  est  ouverte  pour  arriver  à 
la  fortune,  h  la  renommée,  à  la  dictature,  se  font  de  ce 
régime  un  piédestal ,  du  haut  duquel ,  s'elTorçant  de 
gravir  au  somincl  le  plus  élevé  possible,  ils  ^posent 
devant  le  public.  Ils  adoptent  une  idée,  une  formule.  uH  ' 
mol,  qui  leur  sert  às'emparér  de  l'opinion  de  l'Ass^- 
blée  et  du  Pays.  Avec  ce  mol ,  avec  cette  formule ,  ave^c 
Celte  idée,  ils  battent  en  brèche  le  gouvernement  qui 
existe  ;  ils  le  renversent  à  force  de  le  miner  par  d'inces- 
santes attaques,  et  sur  ses  ruines,  ils  élèvent  leur  propre 
pouvoir.  AlorF  ils  changent  de  rdle  ;  ils  veulent  se  placée 
comme  obstacles  en  travers  du  chemin  des  hommes  dé 
démagogie,  dont  ils  ont  fait  passagèrement  leurs  auxi- 
liaires. Ils  veulent  arrêter  de  vive  force  et  de  haute 


48ft  œNCLUSION. 

lutte,  le  mouvement  révolutionnaire  qu'ils  ont  pré- 
cipité; mais  il  est  trop  tard.  Ils  sont  emportés,  tou- 
jours emportés  par  le  torrent  dont  ils  ont  rompu  la 
digue. 

N'est-ce  pas  là  l'histoire  de  Mirabeau  et  de  BarnaveT 
Avec  le  mot  de  liberté,  ils  sapent  }a  base  d'une  monar- 
chie de  quatorze  siècles,  en  croyant  n'attaquer  que  ce 
qu'on  appelait  alors  le  parti  de  la  cour.  Puis,  quand  ils 
voient  que  cette  monarchie ,  qui  déjà  penche  sur  sa 
ruine,  va  s'écrouler,  ils  veulent  la  relever,  la  raffermir; 
mais  ils  succombent  à  la  tâche  :  Mirabeau  meurt  dans 
son  ht,  d'épuisement  et  de  désespoir,  en  déplorant  de 
ne  pas  vivre  assez  pour  réparer  son  œuvre  de  destruc- 
tion ;  Barnave  porte  sa  tète  sur  l'échafaud,  en  versant 
une  dernière  larme  sur  une  monarchie  qu'il  avait  si 
imprudemment  contribué  à  détruire. 

N'est-ce  pas  là  encore  l'histoire  de  Casimir  Périer  et 
de  Chateaubriand  ?  Avec  le  mot  de  Charte,  ils  minent 
le  gouvernement  de  la  Restauration,  qu'ils  combattent 
sous  la  forme  de  ce  fantôme  de  convention,  que  l'op- 
position de  l'époque  qualifiait  de  camarilla  du  château; 
puis,  quand  il  tombe  au  bruit  des  coups  de  fusil  de  Tin- 
surrection,  Chateaubriand  va  gémir  dans  la  solitude  et 
le  silence,  sur  la  chute  et  l'exil  du  vieux  roi  qu'il  a 
renversé  sans  le  vouloir  et  sans  le  savoir,  et  Casimir 
Périer  se  jette  de  nouveau  dans  la  mêlée,  non  plus  pour 
détruire,  mais  pour  réédifier.  Lui  aussi  succombe  à  la 
tâche  comme  Mirabeau,  et  comme  lui  il  meurt  de  las- 
situde, en  laissant  la  société  livrée  à  toutes  les  convul- 


I 


sions  de  l'esprit  révolutionnaire  qui  fermente  dans  ses 
entrailles. 

C'est  la  déplorable  histoire  du  célèbre  financier 
Laffîttequi,  après  la  Révolution  de  millet,  montait  à  la 
Tribune  pour  demander  pardon  à  Dieu  et  aux  hommes 
de  la  part  qu'il  y  avait  prise.  Cést  enfin  fhistoire  de 
MM.  Thiers  etBarrol,  qui  ont  tué  la  monarchie  de  1830 
avec  le  mot  de  réforme,  en  invoquant  la  chimère  du 
gouvernement  personnel,  et  qui,  le  24  février,  furent 
surpris  ci  consternés,  avec  toute  la  garde  nationale  de 
Paris,  d'avoir  appelé  la  République. 

Les  enseignements  du  passé  étaient  là,  enfin,  pour 
démontrer,  de  concert  avec  les  difficultés  du  présent  et 
les  dangers  de  l'avenir,  à  Louis-Napoléon  ,  que  si  les 
assembléesdélifaéranles  peuvent  rendre  d'utiles  services 
en  éclairant  le  pouvoir,  lorsqu'elles  sont  pondérées  par 
une  habile  et  sage  organisation  ,  et  modérées  par  un 
frein  puissant  et  salutaire,  il  arrive  plus  fréquemment 
que,  sous  l'influence  de  meneurs  ambitieux  et  intri- 
gants, ellesse  rendent  coupables  des  plus  grands  excès, 
des  plus  funestes  écarts. 

Ces  écarts  et  ces  excès  seront  désormais  impossibles. 
Sans  supprimer  le  gouvernement  représentatif,  Louis- 
Napoléon  a  détruit  le  régime  parlementaire,  en  donnant 
à  la  France  une  Constitution  ,  qui  est  la  consécration  du 
principe  d'autorité.  Il  l'a  fait  aux  applaudissements  de 
la  nation  entière ,  qui  a  battu  des  mains  à  la  dissolution 
de  l'Assemblée ,  à  l'anéantissement  de  la  Constitution 
et  à  la  mort  du  parlementarisme.  Mais  s'il  a  pu  le  faire , 


4«8  Gwausiw. 

i^'est  qu  il  s'appuyait  -sur  ces  deux  forces  invincibles  :  le 
Peuple  et  Tarmée.  Si  l'armée  l'a  suivi,  si  le  Peuple  Ta 
exalté,  c'est  qu'il  est  rhomme  des  temps  modernes. 
C'est  plus  qu'un  nouveau  gouvernement  qui  s'élève,  c'est 
un  nouveau  régime  qui  s'inaugure,  c'est  une  ère  nou- 
velle qui  s'ouvre  f  avec  le  notn,  avec  la  famille  de 
Bonaparte. 

Louis-Napoléon  a  sauvé  la  Société  et  la  Civilisation 
chrétiennes  de  l'invasion  des  barbares  du  Socialisme  ;  il 
a  maintenu  l'ordre  ,  la  religion ,  la  morale ,  la  famille , 
la  propriété ,  ces  colonnes  éternelles  sur  lesquelles  re- 
pose toute  association  humaine. 

Mats  la  France  ne  revient  pas  en  arrière,  elle  marche 
en  avant.  Les  classes  de  la  société  aristocratique  ten- 
dront de  plus  en  plus  à  disparaître  dans  le  magnifique 
ensemble  de  l'unité  na:tionale ,  réalisant  dans  toute  sa 
plénitude  l'idée  démocratique.  C'est  à  l'accomplisse- 
ment de  cette  œuvre  que  le  neveu  de  l'Empereur  va 
consacrer  le  pouvoir  immense  et  colossal  que  Dieu  a 
remis  entre  ses  mains  par  la  voix  du  Peuple  ;  car  là  est 
sa  mission  providentielle ,  comme  naguère  à  Rome  a 
été  celle  du  neveu  de  César. 

Il  y  a  toutefois,  entre  les  deux  époques,  cette  diffé- 
rence profonde ,  qu'à  Rome,  Octave  Auguste  réagissait 
contre  le  gouvernement  des  patriciens,  tandis  qu'en 
France ,  Louis-Napoléon  continue  simplement  l'action 
des  rois.  Mais  Louis-Napoléon ,  en  France ,  ainsi 
qu'Octave  Auguste  à  Rome,  rencontriBra  comme 
obstacles  devant  lui,  la  résistance  et  l'hostilité  ties  classes 


aristocraliques.  ou,  pour  être  plus  vn' 
oligarchiques. 
'    Si  l'intelligence  de  ces  classes  égalait  leur  ègoîsnie, 
elles  seconderaient  Louis-Napoléon  dans  son  œuvrej 
sublime  d'émancipation  des  classes  popnlaires;  eWéi  ' 
seraient  les  premières  à  demnndLT  les  réformes  finan-  % 
cières,  les  modifications  de  tarife  et  d'impôts,  les  amth  1 
liorations  adniiiistralivcs,  qui,  sans  égaliser  les  fortu- 
nes, peuvent  concourir  à   rapprocher  les  rangs,  eh  ] 
améliorant  le  sort  moral  et  physique  des  classes  labo*-  i 
rieuses,  {|ui  demandent  à  pnrlicipcr,  dans  une  propor- 
tion plus  large,  aux  bienfaits  de  la  Civilisation. 

Mais  ces  classes  avides  et  vaniteuses  imiteront  dans 
teurorçneil  et  leur  avarice  l'aristocratie  romaine.  Au 
tien  de  se  rapprocher  de  Louis-Napolénn ,  plies  com-'J 
metiront  la  faute  immense  de   s'en  éloigner  chaque  Y 
jiiur  davantage.  Au  lieu  de  lui  prêter  le  concoure  de 
leur  influence,  h  la  condition  naturelle  et  logique  de 
poser  du  poids  de  leurs  conseils  el  de  leurs  hmuëres 
dans  les  conseils  du  Gouvernement,  elles  alïîchernnt 
une  inertie  insensée  ou  un  ridicule  dédain;  elles  fe- 
ront le  vide  autour  du  neveu  de  l'Empereur  :  •  Dieu 
rend    fous  ceux    i[u'il  veut  perdre.  »  Cette  conduite 
des  classes  oligarchiques  précipitera  leur  abaissctnent. 
Elles  sont  désormais  impuissantes.  Louis-Napoléon  n'a 
rien  à  redouter  d'elles  ;  car  elles  représentent  une  idée 
morte,  et  il  personnitîe des  idées  vivantes.  Mais  s'il  ne  . 
rencontre  au  milieu  d'elles  ([ue  des  hostilités  déguisées  «  \ 
que  des  résistances  ouvertes,  si  elles  s'écartent  de  son 


490  œNCLUSION 

chemin ,  ou  si  elles  ne  s*y  trouvent  que  placées  en  tra- 
vers pour  lui  barrer  le  passage,  il  sera  logiquement  con- 
duit à  ne  s'appuyer  que  sur  le  Peuple  et  sur  Tarmée. 

Le  Peuple  et  l'armée  ne  feront  jamais  défaut  à  Louis- 
INàpoléon.  Les  chefs  de  Varmée  sont  engagés  avec  lui 
dans  une  voie  de  solidarité  oii  ils  doivent  vaincre  ou 
mourir  ensemble.  Les  instincts  du  Peuple  l'avertissent 
qu'entre  les  mains  de  Louis-Napoléon  le  principe  d'au- 
torité ne  sera  que  l'instrument  de  l'émancipation  du 
prolétariat  moderne.  Plus  il  sera  contraint  par  la  haine 
des  classes  oligarchiques  de  s'appuyer  sur  le  Peuple  et 
l'armée  ,  plus  il  sera  forcé  d'aller  vite  et  loin  dans 
la  voie  que  la  Providence  elle-même  lui  a  tracée. 

Si  je  pouvais  croire  à  la  sagesse  intéressée  des  classes 
oligarchiques  de  France,  je  leur  conseillerais  de  ne  pas 
imiter  les  classes  aristocratiques  de  Rome  dans  la  lutte 
aveugle  qu'elles  ont  d'abord  soutenue  contre  le  pre- 
mier empereur,  puis  contre  la  famille  entière  des  Césars, 
dont  le  règne  a  été  si  étrangement  dénaturé  dans  son  es- 
prit par  les  historiens  du  temps.  Mais  comment  ne  pas 
désespérer  d'elles,  quand  on  les  voit  recommencer ,  en 
dépit  des  plus  terribles  avertissements  et  des  plus 
cruelles  expériences,  ce  jeu  des  révolutions  où  elles  ont 
si  souvent  risqué  leur  fortune  et  leur  vie  ! 

Les  décrets  de  la  Providence  s'accompliront.  Les 
classes  oligarchiques  commettront  faute  sur  faute.  Elles 
rêvent  encore  de  monarchie.  Elles  calculent  déjà  le 
nombre  de  jours  qu'a  duré  le  gouvernement  du  ne- 
veu de  l'Empereur.  Elles  oublient  que  le  Peuple   et 


l'armée  sont  là  qui,  désormais,  chercheront  loiijours 
un  maitre  qui  les  protège  et  les  gouverne,  dans  la  fa- 
mille Bonaparte.  Demain,  Louis-Napoléon  loioberail 
sous  le  fer  d'un  assassin  que  les  portes  de  la  France  ao, 
s'en  ouvrivraieni  pas  davantage  au  comte  de  Cbamborc 
ou  au  comte  de  Paris.  La  race  de  Capet  est  maintenant^ 
une  race  condamnée  ;  le  Peuple  et  l'armée  iraient  * 
chercher  un  autre  Bonaparte,  ha  flot  de  la  démocratie 
ne  débordera  plus,  mais  il  coulera  dans  un  lit  beau- 
coup plus  large  et  plus  catme,  creusé  par  les  mains  de 
Louis-Napoléon.  Il  coulera  non  plus  pour  dévaster  par 
la  guerre  au  dehors  et  la  révolution  au  dedans,  mais 
pour  féconder  le  terrain  de  l'Humanité ,  où  tieurit 
l'arbre  de  la  Civilisation.  Les  temps  sont  venus.  César 
dort  glorieusement,  dans  le  paix  du  tombeau,  sous  le 
dôme  des  Invalides.  Mais  Auguste  a  pris  en  main  les 
rênes  du  gouvernement  de  la  France.  L'heure  du  Peu- 
ple est  arrivée. 


'» 


TABLE  DES  MATIÈRES. 


Introduction i 

HISTOIRE  D'UN  COUP  DTÈtAT. 

I.  Chapitre  PRÉLiMmAiRE 43 

II.  Le  coup  d*Ëtat 61 

in.   L'lNSUR*i(ECTI0N    A    pARiS  : 

Journée  du  2 f  34 

Journée  du  3 i57 

Journée  du  4.    . 181 

IV.  INSURKECTIÔN  ÙU  MPAKtBihltTi  t 

€ofi8pirate\i'rs  ètMdâéi  éecrètiM:  .   <f  .    .    •    .  217 

• 

Premier  groupe  insurreetionnel.  '\        •-    .    ;    ,  235 

Deuxième  groupe  insurrectionnel. 273 

Troisième  groupe  insurrectionnel 294 

V.  Histoire  administrative  : 

Avant  l'élection .     .  343 

L'élection 3941 

Après  l'élection •    .     .     .  417 

Conclusion.  • 447 


PIN  DE  LA  TABLE.